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Full text of "Sermons de M. Massillon, évêque de Clermont : mystères"

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SERMONS 

D  E 

M  MASSILLON 


MYSTERES. 


SERMONS 

D  E 

M    MASSILLON^ 

É  V  E  Q  U  E 

DE    CLERMONT  ^ 

Ci-devant  Prêtre  de  l'Oratoire  ^ 
Vun  des  Quarante  de  V Académie  Françoife^ 

MYSTERES. 


A  PARIS  y  Rue  S.  Jacques^ 


La  Veuve  Estjenne  &  Fils  ,  à  la  Vertu* 
Chez  ^  ET 

/£^N  Hérissant  ,  à  S.  Paul  3c  à  S.  Hiiaire*. 


M.  Dec    LXIX 

Avec  Approbation   0  Privilège  du.  R^!^ 


AVIS 

AU      LECTEUR. 

NOus  n'avons  rien  de  particu- 
lier à  dire  fur  les  Sermons 
qui  compofent  CQ  Volume.  L'on  y 
retrouvera  le  P.  Maflillon  toujours 
femblable  à  lui- même ,  maigre'  la  dif- 
férence des  fujets  qu'il  entreprend 
de  traiter  ;   Ton  y  admirera  fur- 
tout  cette  fe'condite'  de  ge'nie   qui 
ne  s'épuife  jamais,  &  qui  paroiflant 
avoir  tout  dit  fur  une  matière,  fait 
la  repre'fenter  fous  une  forme  nou- 
velle ,  toujours  e'galement  intérêt 
fante.  L'inftruftion  fur  les  œuvres 
de  miféricorde ,  &  le  petit  Difcours 
fur  le  renouvellement  de  la  ferveur 
des  premiers  Chrétiens  ,  n'ont  été 
placés  à  la  fuite  des  Myfteres ,  que 
parce  que  nous  n'avions  point  d'au- 
tre place  plus  convenable  à   leur 
donnen  D'ailleurs  nous  étions  bien-* 


aifes  de  groflîr  un  peu  ce  Volu- 
me ,  qui  >  réduit  aux  huit  Difcours 
fur  les  Myfteres  ,  n  eût  point  eu 
alîez  de  proportion  avec  les  au- 
tres. 


SERMONS 

Contenus  dans  ce  Volunae. 


p 


OUR  la  Fête  de  la  Purification  de  la 
Sainte  Vierge  ,  Sur  la  foumijjion  à  la 
volonté  de  Dieu  ,  Page  l 

Pour   le  même  Jour  ,   Sur  Us  dlfpofitions 
nécejaires  pour  fc  confacrcr  à  Dieu  par  une 
-   nouvelU  vie  ,  49 

Pour  la  Fête   de  l'Incarnation  ,  87 

Sermon  fur  la  Fajfion  de    Notre  Seigneur 
fus-Chrlfl,  lii 

Sermon  fur  la  Réfurreclion  de  Notre  Seigneur 
Jefus-Chrijl ,  I75 

Pour  le  Jour  de  la  Pentecôte  ,  Sur  les 
caraBeres  de  VEfprit  de  Jefus-Chrijl  ^  & 
de  Uefprit  du  monde  ,  214 

Pour  la  Fête  de  l'Affomption  ,  Sur  les 
confolations  &  la  gloire  de  la  mort  de 
lafainte  Vierge  ,  243 

Pour  la  Fête  de  la  Vifitation  de  la  fainte 
Vierge  ,  ^      i^? 

Difcours  fur  les  œuvres  de  miféricorde  5 
prononcé  dans  une  AfTemblée  de  Cha- 
rité :  Dans  quel  efprit  il  faut  les  prati- 
quer ,  ^  .  3  ^4 
Dilcours  prononcé  dans  la  cérémonie  de 
rAbfoute  5  Pour  rappeller  lefouvenir  de 
la  ferveur  des  premiers  Chrétiens  y     345 


APPROBATION. 

J'Ai  lu  par  ordre  de  Monfeigneur  le  Chancelier , 
les  Sermons  fur  les  Myjleres,  &  les  Panégyriques  , 
prêches  par  feu  M  MASSILLON  ,  Evêque  de  Cler^ 
mont*  Les  lujets  de  morale  ne  font  pas  les  feiils  où 
ce  grand  homme  a  excellé;  fes  Difcours  fur  lesMyf- 
teres  ,  &  les  Panégyriques  ,  ne  font  pas  moins  ca- 
pables d'inftruire,  d'édifier  &  de  plaire  ,  que  les  pre- 
miers qui  ont  enlevé  les  fuffrages  du  Public  avec  un 
fuccès  auffi  intéreflant  pour  la  Religion  ,  qu'il  eit 
honorable  à  la  mémoire  de  leur  illuftre  Auteur. 
A  Paris  ,  ce  i6  Février  174s. 


MILLET,  Docieur  en  Théologie  ,  de  la  Fa- 
culté de  Paris  ,  &  Cenfeur  Royal, 


Le  Privilège  eji  à  la  fin  du  Volume  de  l^Avent* 


SERMON 


SERMON 

POUR    LA    FETE 

D  E 

LA  PURIFICATION 

DE   LA    Ste.    vierge. 

Sur  la  foumijjion  à  la  volonté  de  Dieu. 

Poflquam  impie ti  funt  dies  purgationis  Mari»  , 
fecundùm  legem  Moyfî  ,  tulerunt  Jefum  in  Jerufa- 
lem  ,  ut  fifterent  eum  Domino. 

Le  temps  de  la  Purification  de  Marie  étant  accom- 
pli ,  félon  la  loi  de  Moyfe  ,  ils  portèrent  V Enfant  à 
Jérufakm  pour  le  préfenter  au  Seigneur,  Luc.  2.  21. 


A  foumifiîon  à  la  volonté  de 
Dieu  eft  la  grande  vertu  ,  dont 
Marie  nous  donne  aujourd'hui 
l'exemple  ,  dans  le  myftere  que 
l^Eglife  propofe  à  la  piété  des 
Fidèles.  Quoique  toute  la  vie  de  cette 
Myjleus,  A 


^  PURIFIC.     DE     LA    ViERGE. 

Vierge  fainte  ait  été  une  conformité  conti- 
nuelle aux  ordres  du  Ciel  ,  un  acqiiief- 
cement  univerfel  aux  vues  &  aux  delFeins 
de  Dieu  fur  elle  ;  il  femble  cependant  que 
c'eft  cette  difpofition  qui  domine  le  plus 
dans  l'oblation  qu'elle  fait  aujourd'hui  de 
fon  Fils  au  Temple  ;  &  que  c'eft  dans  ce 
Myftere  ,  que  le  facrifîçe  qu'elle  fait  à  la 
volonté  de  Dieu  de  fes  lumières  eft  plus  en- 
tier &  plus  héroïque  :  &  c'eft  cette  vertu 
principale  qne  nous  allons  vous  propofer 
pour  modèle. 

En  effet ,  fans  elle  la  vertu  n'eft  plus 
qu'une  humeur  ,  ou  une  recherche  conti- 
nuelle de  nous-mêmes  :  fans  elle  les  illu  • 
fions  de  notre  efprit  deviennent  notre  feule 
loi  ;  les  inconfiances  de  notre  cœur  ,  no- 
tre feule  règle  ;  la  bizarrerie  de  nos  defîrs  , 
notre  feul  frein  ,  &  l'unique  relTort  de  no- 
tre conduite;  nous  devenons  en  un  m.ot  , 
notre  divinité  nous-mêmes. 

C'eft  la  conformité  à  la  volonté  de  Dieu  , 
qui  fait  tout  le  prix  de  nos  facrifices  ;  qui 
donne  du  mérite  à  nos  fouffrances  ;  qui 
fandlifîe  nos  joies  ;  qui  ôte  à  nos  afflic- 
tions leurs  amertumes,  à  nos  profpérités 
leur  venin  ;  qui  fixe  nos  irréfolutions  ;  qui 
calme  nos  craintes  ;  qui  foutient  nos  décou- 
ragemens  ;  qui  règle  nos  efpérances  ;  qui 
fait  la  fureté  de  notre  zèle  ,  la  confolation 
de  nos  dégoûts  ;  en  un  mot  ,  qui  alTure 
toutes  nos  vertus  ,  5c  qui  nous  rend  uti- 
les nos  imperfections  mêmes. 

C'eft  elle  qui  infpire  \qs  bons  confeils  ; 


SUR  LA  Soumission  ,  &:c.  3 
qui  nous  répond  du  fuccès  de  nos  entre- 
prifes  ;  qui  nous  rend  maîtres  des  événe- 
mens  ;qui  fanâ:ifîe  tons  les  états  -,  qui  ré- 
gie tous  les  devoirs  ;  qui  maintient  la  fu- 
bordination  des  peuples  ,  l'autorité  des 
Empires",  la  majefté  des  Souverains  ,  la 
fidélité  des  Sujets  ,  l'inégalité  des  condi- 
tions 5  toute  rharmoniedu  corps  politique  ; 
&  qui  fait  que  chacun  à  fa  place  ,  ne  re- 
garde pas  avec  envie  la  defiinée  d'autrui  , 
&  ne  penfe  qu'à  remplir  &  fan(^ifîer  les  de- 
voirs de  Ton  état  propre. 

C'eft  elle  ,  Sire  (a) ,  qui  fait  régner 
les  Rois  avec  piété  &  avec  juftice  ;  & 
qui  corrige  en  eux ,  &  l'orgueil  des  prof- 
pérités  ,  &  l'amertume  des  difgraces ,  en 
leur  faifant  adorer  dans  la  volonté  du  ibu- 
verain  difpenfateur  des  événem.ens  ,  la  four- 
ce  commune  d'où  ils  partent. 

D'où  vient  donc  ,  mes  Frères  ,  que  cette 
foumiflion  fi  nécelTaire  &  fi  confolante  , 
eft  fi  rare  parmi  les  Fidèles  ?  d'où  vient 
qu'au  milieu  de  la  viciflîtude  des  chofes 
humaines  ,  nous  vivons  prefque  tous  com- 
me s'il  n'y  avoit  point  d'Etre  fouverain  au- 
defîus  de  nous  ,  qui  en  fût  le  modérateur , 
comme  û  le  hazard  étoit  le  feul  Dieu  de 
l'univers  ,  ou  que  nous  fuiîions  nous-mê- 
mes ks  artifans  du  bonheur  ou  du  malheur 
de  nos  defcinées  ? 

Souffrez  donc  qu'en  vous  propofant  au- 
jourd'hui l'exemple  de  la  foumifiîon  de 
Marie  ,  je  vous  entretienne  fur  une  mn- 

(n)  Louis  XIV, 


4  PURIFIC.  DE  LA   ViERGE. 

tiere  fi  importante.  Comme  par  les  fuites 
de  votre  rang  ,  de  vos  places  &  de  votre 
naifiance  ,  vous  tenez  la  plupart  aux  plus 
grands  événemens  qui  fe  palîent  ici-bas  ; 
foufTrez  que  je  vous  apprenne  à  les  rame- 
ner à  leur  fource  ,  &  à  reconnoître  un  Dieu 
dans  i'universjfeul  difpenfateur  des  bons  & 
des  mauvais  fuccès. 

Premièrement ,  quelles  font  les  fources 

fecrettes  de  notre  révolte  contre  la  volonté 

de  Dieu   ?  Secondement  ,  quels  font  les 

avantages  qui  accompagnent  la  loumiffion 

■  à  fa  volonté  fainte  ? 

C'cîl-à-dire  ,  d*où  vient  que  nous  ne 
voulons  jamais  ce  que  Dieu  veut  ?  d'où 
vient  cependant  qu'il  y  a  tant  de  douceur 
&  de  cor, relation  à  ne  vouloir  que  ce  que 
Dieu  veut  ?  Implorons ,   &c.  Ave  ,  Maria, 

I    T       . 

p^^!j,^j.  -L-i Es  principales  fources  de  notre  révolte 
contre  la  volonté  de  Dieu  ,  font  :  premiè- 
rement, une  vaine  raifon  qui  rappelle  tou- 
jours les  oeuvres  du  Seigneur  au  jugement 
de  fes  propres  lumières  ;  qui  veut  appro- 
fondir ce  qu'elle  devroit  adorer  ,  &  qui 
condamne  tém^érairement  tout  ce  qu'elle 
ne  peut  comprendre. 

Secondement ,  un  fonds  d'amour  pro- 
pre qui  fait  que  nous  rarrienons  tout  à 
nous-mêmes  ;  que  nous  nous  regardons 
comme  fi  nous  étions  feuls  dans  l'univers  , 
&  que  tout  îùt  fait  pour  nous  ;  de  forte 
que  tout  ce  qui  n'entre  pas  dans  le  plan 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  5 
de  nos  vues  &  de  nos  pallions  ,  nous  ré- 
volte. 

Troifîémement  enfin  ,  une  fauHe  vertu 
qui  fous  prétexte  de  chercher  Dieu  ne  ie 
cherche  qu'elle-même  ,  &  fiibitinie  tou- 
jours les  defîrs  inutiles  d'un  bien  que  le 
Seigneur  ne  demande  pas  de  nous  ,  aux 
devoirs  que  fa  volonté  fainte  nous  irnpore. 
Or  5  voilà  ce  que  l'exemple  de  Marie  nous 
apprend  à  facriiîer  aujourd'hui  aux  ordres 
du  Ciel. 

Premièrement  5  une  vaine  raifon.-que, 
de  doutes  ,  que  de  difficultés  ,  dit  faint 
Bernard  ,  ne  pouvoit-elle  pas  oppofer  à 
Tordre  de  Dieu  ,  qui  l'obligeoit  de  venir  fe 
purifier  dans  le  Temple  ?  que  de  raifonne- 
mens  rpécieux?rien  d'im.pur  n'avoit  fouillé. 
fon  enfantement  ;  elle  étoit  même  devenue 
plus  pure  en  devenant  mère  :  qu'étoit-il 
befoin  d'aller  fe  purifier  d'une  fouillure 
qu'elle  n'avoit  pas  conuaStée  ^  &  racheter 
par  une  vile  oiTrande  ,  celui  qui  venoit  ra- 
cheter tous  les  hommes  de  lafervinidedu 
démon  &:  du  péché  ?  Cependant  elle  obéit  ; 
&:  facrifiant  ics  lumières  aux  raifons  éter- 
nelles &  toujours  jufies  de  la  fa^;'eire  di- 
vine 5  elle  nous  apprend  que  CQ-à  au  Sei- 
gneur à  vouloir  ,  &  à  la  créature  à  obéir  & 
à  fe  foumettre. 

Cependant  ,  mes  Frères ,  nous  voulons 
toujours  faire  rendre  com.pte  à  Dieu  de  fa 
conduite.  Vaines  créatures  nous  ofons  fans 
ceffe  appelîer  le  Seigneur  eu  jugement  avec 
nous  ;  nous   voulons    être    fages    contre 

A  s 


<>  PURIFIC.    DE    LA    VlERGE, 

Dieu  même;  &  foit  qu'il  s'agiiTe  de  (es 
voies  générales  fur  le  falut  de  tous  les 
hommes  ^  ou  de  fes  deileins  éternels  fur 
nos  deftinées  particulières  ,  nous  ne  trou- 
vons jamais  qu'il  ait  raifon  ;  &  nous  op- 
pofons  toujours  nos  foibles  raifonnemens 
aux  abymes  profonds  de  fa  fageffe  cc  de  fa 
raifon  éternelle. 

Je  dis  ,  foit  qu'il  s'agifTe  de  fes  voies  gé- 
nérales fur  le  falut  de  tous  les  hommes. 
Eh  !  qu'entendons  nous  tous  les  jours  dans 
le  monde  ,  que  des  réflexions  iufenfées  fur 
ies  voies  de  Dien  ?  on  lui  demande  fans 
cciTe  raifon  de  la  fageife  incompréhenfible 
de  fes  confeils  &  des  profondeurs  de  fa 
Providence  ;  pourquoi  il  laiffe  tant  d'infi- 
dèles fur  la  terre  ?  pourquoi  tous  les  hom- 
mes ne  (ont  pas  fauves  ?  pourquoi  il  a  ren- 
du le  falut  fi  difficile  ?  pourquoi  il  a  fait  les 
homm-es  fi  foibles?  pourquoi  il  n'a  pas  parlé 
plus  clairement  fur  la  plupart  des  chofes 
que  nous  devons  croire  ?  pourquoi  il  per- 
met tant  d'événem.ens  fi  funefi:es  à  la  Foi 
&c  à  la  gloire  de  fon  Eglife  ?  que  fai-je  i 
des  quefîicns  éternelles ,  où  Ton  voit  1  hom- 
m.e  fe  jouer  de  Dieu  :  le  vil  efclave  vou- 
loir faire  rendre  compte  au  Maître  fouve- 
rain  ,  le  vafe  de  boue  demander  à  l'ou- 
vrier fouverain  ,  ^^pourquoi  il  l'a  fait  ainfi  ? 
le  ver  de  terre  rampant  dans  cet  exil  ,  où 
un  abyme  immenfelefépare  de  fon  Dieu  , 
ofer  lever  le  yeux  au  ciel  pour  changer 
ce  qui  s'y  paffe  ;  donner  des  confeils  au 
Seigneur  ;  fournir  à  fa  fageiîe  de  nouvelles 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  '  7 
vues  ;  condamner  l'econoinie  de  la  Reli* 
gion  ;  s'en  former  un  plan  fpécieux  &  plus 
plauiîble  ;  ofer  réformer  ce  grand  ouvrage  , 
qui  eft  la  Un  de  tous  les  delfeins  de  Dieu  ; 
&  lui  fubftituer  les  chimères  de  fon  propre 
efprit  5  &:  un  ouvrage  de  confufion  &  de 
ténèbres. 

Et  certes ,  mes  Frères  ,  fi  les  Princes 
eux-mêmes  dans  la  conduite  des  affaires 
publiques ,  &  dans  les  reiTorts  infinis  qi>i 
font  mouvoir  tout  le  corps  des  Etats  ôc 
àts  Empires ,  ont  des  fecrets  que  nous  ne 
faurions  approfondir  ;  voulons- nous  que 
Dieu  dans  Tes  voies  éternelles  fur  le  falut 
&  les  deftinées  de  tous  les  hommes  n'en 
ait  point  pour  Ces  créatures  ?  fi  le  gouver- 
nemient  d'un  Etat  feul  demande  des  con- 
feils  cachés  ,  &  des  mefures  inconnues  , 
qui  fouvent  nous  révoltent  parce  que  nous 
n'en  voyons  pas  les  raifons  &  les  utilités 
fecrettes  :  quoi  !  nous  voulons  que  le  gou- 
vernement de  Tunivers  ;  que  la  conduite 
univerfelle  de  tous  les  hommes  &  de  tous 
les  fîecles,  depuis  la  naiffance  du  monde 
jufqu'à  la  fin  ,  n'ait  pas  à  notre  égard  cer- 
tains fecrets  5  &  des  obfcurités  dont  les 
raifons  éternelles  échappent  à  nos  foibles 
lumières  ?  S'il  y  a  des  mylleres  dans  le 
confeil  des  Souverains  ,  félon  l'expreflion 
des  Livres  faints ,  n'y  en  auroit-il  point  dans 
les  confeils  de  Dieu  ?  &  s'il  faut,  dit  l'E- 
criture ,  refpe«E^er  le  fecret  des  Rois  dans 
la  conduite  de  leurs  peuples ,  &  ne  pas 
fair«  de  vains  raifonnemens  fur  des  dé- 

A4 


8  PURIFIC.   DE    LA    ViERGE. 

marches  dont  nous  ignorons  toujours  les 
motifs  ;  le  fecret  du  Koi  des  Rois  dans  la 
difpenfation  des  chofes  humaines  feroit-il 
moins  refpe^^able  ;  &  ferions- nous  moins 
téméraires  de  mêler  nos  frivoles  réflexions 
a  fes  confeils  éternels  ,  dont  les  caufes  pro- 
fondes font  toujours  cachées  en  lui  feul  , 
&  dont  nous  ne  connoiifons  jamais  que 
K):e  qu'il  veut  bien  nous  en  manifefter  lui- 
hiême  ? 

Adorons  les  fecrets  de  Dieu  ,  mes  Frè- 
res. Si  ce  que  nous  connoilîbns  de  fes  œu- 
vres nous  paroît  fi  divin  &  fi  admirable  , 
pourquoi  ne  pas  conclure  que  ce  que  nous 
n'en  connoiflbns  point ,  l'eft  aufîî  ?  s'il  eft 
fi  fage  lorfqu'il  agit  à  découvert  ,  pourquoi 
fe  démenî-iroitril  lorfqu'il  fe  cache  ?  fi  la 
ftru6ture  du  monde  que  nous  voyons  eft  un 
ouvrage  fi  plein  d'harmonie ,  de  fagefi!e  ,  Se 
de  lumière  ;  pourquoi  l'économie  de  la 
Religion  ,  que  nous  ne  faurions  voir  ,  & 
qui  eft  le  chef  d'œuvre  de  tous  fes  deffeins  , 
feroit-il  un  ouvrage  de  confufion  &:  de  té- 
nèbres ?  &  s'il  a  réglé  avec  tant  de  poids 
&  de  mefure  les  chofes  vifibles  ,  qui  doi- 
vent périr,  comment  auroitil  laiifé  dans  le 
défordre  les  chofes  invifibies  ,  qui  dureront 
autant  que  lui-même? 

J'ai  dit  encore  ,  foit  qu'il  s'agifle  de  fes 
deffeins  éternels  fur  nos  deftinées  parti- 
culières :  car  non-feulement  nous  con- 
damnons fa  conduite  dans  fes  voies  éter- 
nelles fur  tous  les  hommes  ,  mais  en- 
core fa    conduite  à   notre    égard.    Nous 


SUR  L.\  Soumission  ,  &c.  9 
nous  en  prenons  à  fa  Providence  de  nous 
avoir  placés  en  certaines  fituations  ,  où  no- 
tre foibleiie  trouve  des  écueils  inévitables  : 
nous  le  blâmons  de  nous  avoir  fait  un^ 
dellinée  incompatible  avec  les  devoirs  qu'il 
nous  impofe  :  nous  nous  plaignons  que  la 
Cour  5  que  les  armes  ,  que  les  emplois 
où  notre  rang  &  notre  naiffance  nous  at- 
tachent 5  nous  éloignent  du  falut  ,  &  nous 
le  rendent  comme  im.pofiible  :  il  nous  Tem- 
ple que  nous  nous  ferions  fauves  dans  une 
vie  privée  &  loin  des  grandes  tentations  : 
nons  réformions  le  plan  éternel  de  fa  Pro- 
vidence à  notre  égard  ;  &  nous  nous  for- 
mons une  deftinée  plus  sûre  à  notre  gré  9 
que  celle  que  fa  fageile  adorable  nous  a 
form.ée. 

Nous  ne  penfons  pas  que  Dieu  propor- 
tionne les  grâces  aux  états  ;  que  toutes  les 
fituations  où  fon  ordre  nous  place  ,  loin 
d'être  des  écueils  y  peuvent  devenir  des 
moyens  de  falut  pour  nous;  q'ùe  la  plupart 
des  dangers  &  des  occalîons  ,  dont  nous 
nous  plaignons ,  font  plus  dans  nos  pafîions 
que  dans  nos  places.  Nous  ne  penfons  pa? 
que  la  même  foibleiie  qui  nous  fait  trouver 
des  écueils  au  milieu  du  monde  &  de  la 
Cour,  nous  auroit  fait  une  tentation  delà 
retraite  même  ;  que  nous  portons  par-tout 
avec  nous  la  fource  de  nos  crimies  6c  de  nos 
malheurs  ;  &  qu'^ainfi  il  ne  faut  pas  attendre 
notre  sûreté  des  dehors  cf  de  la  fituRtion  , 
mais  de  la  feule  vigilance  que  nous  devons 
avoir  fur  nous-mêm.es«   Nou«  ne  penfons 

A-, 


'10  PURIFIC.   DE    LA    VlERGE. 

pas  que  tous  les  états  ont  leurs  dangers  ; 
que  les  faints  ,  dans  quelque  fituation  qu'ils 
aient  été  ,   à  la  Cour  ou  dans  les  déferts  , 
ne  fe  font  alTuré  le  falut  que  par  des  violen- 
ces inouïes  ;  que  c'eft  une  erreur  de  croire 
qu'il  y   ait  quelque  fituation  fur  la  terre  , 
où  le  falut  ne  coûte  pas  de  grands  eiforts  ; 
que  notre  imagination  ne  nous  promet  une 
sûreté  dans  les  états  où  nous  ne  faurions 
être  5  que  pour  nous  calmer  fur  les  infidé- 
lités où  nous  vivons  dans  notre  état  pré- 
fent  ;  que  l'amour-propre  nous  donne  fans 
cefTe  le  change  ;  &  que  pour  adoucir  à 
nos  yeux  les  égaremens  de  notre  vie  ,   il 
fait  que  nous  nous  en  prenons  à  notre  fitua- 
tion 5  pour  nous  empêcher  de  nous  en 
prendre  à  nous-mêmes. 

Enfin  5  nous  ne   penfons  pas  que  fi  les 
périls   font  plus  grands  dans  l'élévation  où 
nous  fommes  nés  ,  les  biens  que  nous  pou- 
vons y  faire  font  aufii  plus  étendus  &  plus 
confidérables  ;   que    s'il  y  a   plus   d'occa- 
lions  de  chute  ,  il  y  a  aufii  plus  d'occafions 
de  mérite  &  de  vertu  ;  que  les  objets  fédui- 
fans  &  les  grands  fpedacles  qui  nousenvi^- 
tonnent  ,   font  bien  moins  des  pièges  que 
des  inftru6tîons  ;  que  la  Cour  ,  où   notre 
deftinée  nous  attache  ,  nous  oiTre  tous  les 
jours  elle  même  de  quoi  nous  en  défabufer 
&   nous  en  déprendre  ;  que  fes  dégoûts 
arment  le  cœur  contre  (es  périls  ;  que  {es 
amertumes  détrom.pent  de  fes  plaifirs  ;  que 
fes  inconfiances  &  fes  révolutions  refroidif- 
fent  fur  fes  efpérances  y  que  le  vuide  & 


Sun  LA  JcuMissiox  5  8cc.  rr 
Tenniii  de  fes  amufeineiis  ,  nous  rappelle 
comme  de  lul-m.ê.ne  à  une  vie  plus  fé- 
rieufe  &  plus  folide  ;  que  la  perfidie  &  la 
faufTeté  de  fes  aminés ,  nous  fait  chercher 
en  Dieu  feul  un  ami  éternel  &  fidèle  :  ea 
un  mot  5  que  nous  trouvons  le  remède 
dans  le  mal  mêm.e  ;  &  que  la  fageife  de 
Dieu  a  pourvu  avec  une  difpenfation  fi  ad- 
mirable au  falut  de  tous  les  hommes  ,  que 
dans  chaque  état  les  périls  ont  leurs  com- 
penfations ,  &  fourniflenî ,  pour  ainfi  dire  , 
les  furetés  ;  &  que  les  mêmes  objets  qui 
font  la  plaie  ^  ont  pour  nous  des  retours 
qui  la  guériffent. 

O  mon  Dieu  !  vous  êtes  un  Juge  fi  pa- 
tient &  û  miféricordieux  de  nos  œuvres  ^ 
&  nous  fomm.es  les  cenfeurs  féveres  oc 
éternels  des  vôtres  !  nous  vous  appelions 
fans  cefTe  en  jugement ,  8c  vous  fufpender 
le  nôtre  !  nous  vous  demandons  tous  les 
jours  compte  de  vos  deiTeins  adorables  y, 
&  V0U5  différez  le  compte  terrible  que 
nous  avons  à  vous  rendre  de  nos  inten* 
tions  &  de  nos  démarches  !  O  mon  Dieu  !! 
que  deviendroit  l'hommie  ,  fi  vous  preniez 
à  [on  égard  les  mêmes  difpofitions  qu'il  a 
pour  vous  ;  fi  vous  vous  faifiez  un  plaifir 
de  le  trouver  coupable  ,  comme  il  femble 
s'en  faire  un  de  vous  condamner  ;&fivous; 
examiniez  fes  fautes  avec  cet  csii  de  fé vé- 
rité avec  lequel  il  examine  vos  m.erveilles  ? 
Première  fource  de  notre  révolte  contre  la: 
volonté  de  Dieu  ;  une  vaine  raifon. 

La  féconde  ,c'eft  l'amour  excefiif&  dé- 

A6 


12  PURIFIC.    DE   LA   VlERGE. 

réglé  de  nous-mêmes  ;  &c'eftici  le  fécond 
facrifice  de  foumifTion  à  la  volonté  de  Dieu  y 
dont  Marie  nous  donne  aujourd'hui  l'exem- 
ple. En  eifet ,  à  ne  confulter  que  les  fen- 
timens  humains  ,  tout  lui  eût  fourni  à^s 
prétextes  pour  fe  fouftraire  à  la  volonté 
du  Dieu  de  fes  pères.  Les  intérêts  de  fa 
maternité  divine  ;  le  prodige  de  fon  enfan- 
tement ;  la  honte  même  de  fa  pauvreté  , 
êc  de  la  médiocrité  de  fon  offrande;  tout 
fembloit  révolter  fon  cœur  contre  la  fon- 
miffion  que  Dieu  demandoit  d'elle  ;  mais 
elle  n'écoute  point  la  voix  du  fang  &  de 
la  chair,  perfuadée  que  le  premier  facrifice 
que  Dieu  demande  de  nous ,  c'eille  facri- 
fice de  nous-mêmes  ;  &  que  ce  qui  nous 
coûte  le  plus  à  offrir  ,  eft  d'ordinaire  la 
feule  offrande  qu'il  exige. 

Et  voilà  ,  mes  Frères  ,  d'où  vient  en 
fécond  lieu  ce  fonds  de  révolte  ,  que  la 
volonté  de  Dieu  trouve  toujours  dans  no- 
tre cœur.  Comme  nous  rapportons  tout  à 
nous-mêmiC  ,  car  c'efl  le  vice  des  Grands 
fur-tout  ;  que  nous  faifons  fervir  tout  ce 
qui  nous  environne  à  nous  feuls ,  comme 
fi  tout  étoit  fait  pour  nous  ;  que  nous  ne 
comptons  tout  ce  qui  fe  paffe  dans  le  mon- 
de  que  par  rapport  à  nous  :  en  un  mot  , 
que  nous  vivons  comme fî  nous  étions  feuls 
dans  l'univers ,  8^  que  l'univers  entier  ne  fût 
fait  que  pour  nous  feuls,  nous  voudrions 
que  Dieu  ne  fût  occupé  que  de  nous  feuls  ; 
qu'il  entrât  dans  le  plan  de  notre  amour 
propre  \  qu'il  n'agît  que  pour  nous   feuls  i 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  13 
qu'il  rapportât  tout  à  nous  feuls  ;  qu'il  ne 
difpofât  des  chofes  d'ici  bas  ,  que  par  rap- 
port à  nous  feuls  ;  &  qu'au  lieu  d'être  Je 
modérateur  de  l'univers ,  &  le  Dieu  de  tou- 
tes les  Créatures  ,  il  ne  fût  que  le  Dieu  de 
nos  pafîions  &  de  nos  caprices.  Ainiî ,  mes 
Frères  ,  nous  qui  malgré  notre  rang  5  no- 
tre élévation  ,  notre  naiffance  ,  ne  fommes 
qu'un  atome  imperceptible  au  milieu  de  ce 
vafle  univers,  nous  voudrions  en  faire  mou- 
voir toute  la  machine  au  gré  de  nos  feuls 
defirs;que  tous  les  événemens  s'accom- 
modaifent  à  nos  vues  ;  que  le  foleil  ne  fe 
levât  &  ne  fe  couchât  que  pour  nous  feuls  ; 
enfin  ,  nous  voudrions  être  la  fin  de  toutes 
les  voies  &  de  tous  les  deiTeins  de  Dieu  , 
comme  nous  nous  établiflbns  nous-mêmes 
la  fin  unique  de  toutes  nos  voies  &  de  tous 
nos  projets  fur  la  terre. 

Et  de-là  5  premièrement  ,  Tafflic^ion  ne 
nous  trouve  pas  plus  foumis  à  Dieu  que  la 
profpérité  ;  &  nous  ne  jugeons  que  par 
rapport  à  nous-mêmes ,  de  tous  les  évé- 
nemens qui  nous  environnent.  Ainfi  tout 
ce  qui  trouble  un  feul  inftant  nos  plaifirs  , 
tout  ce  qui  dérange  l'orgueil  .&  Fambitioii 
de  nos  projets  &  de  nos  efpérances  ,  nous 
aigrit  &.  nos  révolte  -,  le  plus  léger  con- 
tretemps nous  accable:  nous  nous  plaignons 
de  Dieu  ;  nous  croyons  qu'il  a  tort  à  notre 
égard  &  qu'il  nous  maltraite  :  nous  ,  mes 
Frères  ,  qui  dans  l'élévation  &  Tabon- 
dance  où  nous  fommes  nés  ne  fouffrons 
prefque  rien  ;  nous ,  dont  les  peines  lé- 


J4  PURîFIC.    DE  LA   ViERGE, 

gères  font  compenfées  par  tant  d'endroits 
capables  de  contenter  l'amour  propre   ; 
nous ,  qui  ne  connoilîbns  pas  ,  comme  dit 
le  Prophète  ,  les  travaux  &  les  amertumes 
qui  afrligeut  le  refte  des  hom.mes  ,  &  dont 
les  momens  les   plus  triftes  feroient  des 
momens  de  félicité  pour  mille  malheureuXl^ 
Ah  i  tout  ce  que  nous  avons  à  craindre 
dans  notre  état  ,  c'eft  que  Dieu  ne  mêle 
pas  aifez  d'amertume  à  tous  les  pîaifirs  qui 
nous  environnent  ;  c'eft  qu'il  permette  que 
nous  foyons  trop  heureux  fur  la  terre  ; 
c'eft  qu'il  nous  laifle  jouir  trop  tranquille- 
ment de  tous  les  avantages  au  milieu  def- 
quels  nous  fommes  nés ,  &  qu'il  ne   dai- 
gne pas  nous  viftter  quelquefois  par  des 
aftlidions  dans  fa  grande  miféricorde.  Il 
faut  que  Dieu  foit  bien  irrité  contre  nous  , 
lorfque  tout  favorife  nos  paftions  ;  que  nos 
plaiftrs  ne  trouvent  point  d'obftacle  :  que 
tout  rit  à  nos  penchans  ;  &  que  les   deîîrs 
feuîs  de   notre   amour  propre  ,  femblenî 
-décider  de  tout  ce  qui  nous  regarde.  Qu*il 
eft  terrible  alors  à  notre  égard  ,  mes  Frè- 
res !  il   nous  traite  comme  des  vié^imes 
qu'on  engrailfe  &  qu'on  orne  de  fleurs    , 
^  parce  qu'on  va  bientôt  les  conduire  fur  le 
bûcher  ,  &  qu'on  les  deftineau  facrifice. 

De-là  ,  fecondement ,  comme  nous  nous 
aimons  beaucoup  nous-mêmes  ,  &  que 
nous  ne  mettons  point  de  bornes  à  nos  de^ 
firs  5  nous  ne  fommes  jamais  contens  de 
notre  état ,  de  notre  élévation  ,  de  nos 
places  :  nous  trouvons  toujours  qu'il  maïak 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.      15 

que   quelque   chofe   à  Tavidité   de   notre 
amour  propre.  Si  nous  n'avons  pas  tout 
ce  que  nous  defirons ,  nous  ne  comptons 
pour  rien  tout  ce  que  nous  avons  ;  nous 
nous  épuifons  en  vues  ^  en  prétentions  ,  en 
projets  ,    en  mefures  ;  nous   ne  faurions 
jouir  paîfiblement ,  chrétiennement  de  ce 
que  la  Providence  nous  offre.  Ce  qui  nous 
manque  nous  inquiète  plus  ,   que  ce    que 
nous  poffédons  ne  réufTit  à  nous  fatisfaire  ; 
tant  que  nous  voyons  devant  nous  quelque 
chemin  à  faire  j  nous  ne  faurions  nous  en 
tenir  à  ce  qui  eft  déjà  fait  :  Notre  orgueil  Pf.  7?. 
monte  toujours  ,   comme  dit  le  Prophète  :  ^5- 
femblables  à  un  pilote  qui  marche  en  haute 
mer  ,  quand  nous  fommes  arrivés  tout  îe 
plus  loin  que  nos  yeux  &  nos  efpérances 
pouvoient  s'étendre,  nous  découvrons  de 
ce   nouveau  point  de  vue  ,  de  nouveaux 
pays   &  des  efpaces  immenfes  ,  qui  rani- 
ment nos  prétentions  :  plus  nous  nous  éle- 
vons 5  plus  nos  vues  s'étendent  ;  plus  nous 
avançons  ,  plus  nous  voyons  de  chemin  a 
faire.  Le  terme   de  nos  defirs  quand  nous 
y  fommes  arrivés ,  n'eft  plus  que  la  voie 
qui  nous  conduit  à  d'autres  :  notre   état 
préfent  n'eft  jamais  celui  qui  nous  plaît  :  la 
deftinée  que  Dieu  nous  fait ,  n'eft  jamais 
celle  que  nous  nousfaifons  à  nous  mêmes  : 
nous    fommes  ingénieux   à  nous    rendre 
malheureux  ;  nous    conjurons  fans  ccife 
contre  notre  propre  repos  ;  nous  ne  fau- 
rions vouloir  ce  que  Dieu  veut  ;  &  pour 
nous  dégoûter  d'un  bien  que  nous  avons 


l6  PURIFIC.   DE   LA    ViERGE. 

long-teins  defîré  ,  il  fuffit  enfin  que  la  Pro- 
vidence nous  l'accorde. 

De- là  5  troifiémement  ,  comme  notre 
amour  propre  s'eft  emipajé  de  tout  l'uni* 
vers  y  &  que  nous  regardons  tout  ce  que 
nous  defirons  comme  notre  partage  ;  les 
places  &  les  honneurs  qui  échappent  à 
notre  cupidité  ,  &  qui  fe  répandent  fur 
les  autres  ,  nous  les  regardons  comm.e  des 
biens  qui  nous  appartenoient  ,  &  qu'on 
nous  ravit  injuftement.  Tout  ce  qui  brille 
au-deflijs  ou  à  côté  de  nous  ,  nous  éblouit 
&  nous  blefTe  :  nous  voyons  avec  des 
yeux  d'envie  Télévation  de  nos  Frères  ;  leur 
profpérité  nous  inquiète  ;  leur  fortune  fait 
notre  malheur;  leurs  fuccès  forment  un 
poifon  fecret  dans  notre  cœur  ,  qui  répand 
l'amertume  fur  toute  notre  vie  ;  les  ap^ 
pîaudifîemens  qu'ils  reçoivent  font  comme 
des  opprobres  qui  nous  humilient  ;  nous 
tournons  contre  nous  tout  ce  qui  leur  eft 
favorable  :  nous  nefaurions  vouloir  ce  que 
Dieu  veut  ;  &  peu  contens  àes  malheurs 
qui  nous  regardent,  nous  nous  faifons  en- 
core une  infortune  du  bonheur  de  nos 
frères. 

De-là  enfin,  comme  nous  croyons  feuîs 
avoi*r  la  fagefîe  en  partage  ,  tout  ce  qui  ne 
s'ajufte  pas  à  nos  vues  &  à  nos  lumières 
dans  l'arrangement  des  chofes  d'ici- bas  , 
trouve  auprès  de  nous  fa  condamnation  & 
fa  cénfure.  Nous  voudrons  que  les  places 
&  les  dignités  fulTent  difpenfées  à  notre 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  17 
gré  ;  que  nos  vues  &  nos  conieils  réglal- 
fent  la  fortune  publique  ;  que  les  faveurs  ne 
tombalTent  que  fur  ceux  à  qui  notre  fuffrage 
les  avoit  déjà  dellinées  ;  que  les  événe- 
mens  publics  ne  fuifent  conduits  que  par  les 
mefures  que  nous  aurions  nous-mêmes 
choifies.  Nous  blâmons  tous  les  jours  le 
choix  de  nos  maîtres  ,  nous  ne  trouvons 
perfonne  digne  des  places  qu'il  occupe  ; 
nous  ne  refpeâ:ons  pas  aifez  l'ordre  de  Dieu 
dans  l'ordre  extérieur  de  ce  monde  vifibîe  , 
ni  fa  volonté  fainte  dans  la  volonté  ou  le 
caprice  même  des  Souverains ,  qui  n'ont  en 
mainlapuifl^nce  &  l'autoritéjquepour  être 
les  premiers  Miniftres  de  fa  Providence. 
Nous  ne faurions vouloir  ce  que  Dieu  veut; 
nous  trouvons  de  i'injudice  ,  de  Thumeurj 
de  l'imprudence  dans  la  difpenfation  des 
places  &:  des  faveurs  ;  il  fe  peut  faire  que 
les  hommes  aient  tort,  &  faiîent  des  choix 
iniuftes  ;  m.ais  Dieu  a  toujours  raifon  ,  &  il 
fe  fert  de  leurs  méprifes  ,  pour  accomplir 
les  delTeins  éternels  de  fa  providence  fur 
les  peuples  &  fur  les  empires. 

Que  le  monde  eu  grand  ,  mes  Frères  ! 
qu'il  eil  magnifique  !  que  le  gouvernement 
des  Etats  &  des  Empires  offre  à  nos  yeux 
d'ordre  ,  de  fageile  ,  de  magnificence  , 
quand  nous  y  voyons  un  Dieu  invifîble  , 
fouverain  modérateur  de  l'univers,  qui  dif- 
pofe  de  tout  depuis  une  extrémité  jufqu  a 
l'autre  avec  poids  ,  avec  nombre  ,  avec 
mefure  ;  fans  l'ordre  duquel  un  cheveu  m.ê- 
me  ne  tombe  pas  de  nos  têtes  ;  par  la  vclcii- 


l8  PURIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

té  de  qui  tout  fe  fait,  qui  voit  les  événemèns 
les  plus  éloignés  dans  leurs  caufes  ;qui  ren- 
ferme dans  fa  volonté  les  caufes  de  tous  les 
événemèns  ;  qui  donne  au  monde  des  Prin- 
ces &  des  Souverains ,  félon  fes  defleins  de 
juflice  ou  de  miféricorde  fur  les  peuples  ; 
qui  donne  la  paix ,  ou  qui  permet  les  guer- 
res ,  félon  les  vues  de  fn  fagefîe  fur  Ces  Elus 
&  fur  fon  Eglife  ;  qui  donne  aux  R.ois  des 
Minières  fages  ou  corrompus ,  des  Am.ans 
ou  des  Mardocliées  ,  ou  pour  punir  les  pé- 
chés des  peuples ,  ou  pour  exercer  la  foi 
de  {es  ferviteurs  ;  qui  difpenfe  les  bons  ou 
les  méchans  fuccès  ,  félon  qu'ils  devien- 
nent plus  utiles  à  la  confommation  de  fon 
ouvrage  ;  qui  règle  le  cours  des  paiTicns 
humaines;  &  qui  par  des  ménagemens  inex- 
plicables 5  fait  fervir  aux  deffeins  de  fa  mi- 
féricorde la  malice  miême  des  hommes  ! 

Que  le  monde  ,  mes  Frères  5  confidéré 
dans  ce  point  de  vue  ,  &  avec  l'ouvrier 
fouverain  qui  le  conduit ,  eft  plein  d'or- 
dre ,  d'harmonie,  8c  de  magnificence  !  que 
c'eft  un  fpeâ:acîe  digne  de  la  Foi  !  Mais  fî 
vous  en  féparez  Dieu  ;  mais  fi  vous  le  re- 
gardez tout  feul  ;  fi  vous  n'y  voyez  plus 
que  les  pafîîons  humaines  ,  qui  femblent 
mettre  tout  en  mouvement  ;  fi  vous  n'y 
voyez  plus  la  volonté  éternelle  du  Sei- 
gneur ,  qui  en  eft  le  reffort  invifibîe  ,  8c 
qui  donne  le  mouvem^ent  à  tout  :  ah  !  ce 
n'eft  plus  qu'un  cahos  ,  un  théâtre  de  con- 
fufion  &  de  trouble  ;  où  nul  n'eil  à  fa 
place  :  où  l'impie  jouit  de  la  récofrpenfs 


SUR  LA  SoifMlSSION  ,  &C.  ïç 

de  îa  vertu  ;  où  le  Jufte  a  fouvent  pour 
partage ,  l'abjeâiion  &  les  peines  du  vice  ; 
où  les  paAloiis  font  les  feules  loix  conful- 
tées  :  où  les  hommes  ne  font  liés  entr'eux  , 
que  par  les  intérêts  mêmes  qui  les  divifent  ; 
où  lehazardfemble  décider  des  plus  grands 
événemens  ;  où  les  bons  fuccès  font  rare- 
ment la  preuve  &  la  récompenfe  de  la 
bonne  caufe  ;  où  Tambition  &  la  témérité 
s'élèvent  aux  premières  places  ,  que  le 
m.érite  craint  ,  ou  qu'on  refufe  au  mérite'  : 
enfin  ,  où  l'on  ne  voit  point  d'ordre  ^  parce 
qu'on  n'y  voit  que  l'irrégularité  des  mou- 
vemens  ,  fans  en  comprendre  le  fecret  6c 
l'ufage. 

Voilà  le  monde  féparé  de  Dieu  ;  & 
voilà  comme  nous  le  regardons.  Nous  n'y 
voyons  pas  une  fageffe  fouveraine  qui  fe 
joue  pourainfi  dire  ,  dans  l'univers,  en  ren- 
verfant  les  Etats  &  les  Empires  ,  &  en 
élevant  d'autres  fur  leurs  ruines  ;  en  chan- 
geant fans  ceffe  les  noms  &  les  fortunes  des 
hommes  ,  &  laiflant  les  chofes  d'ici- bas 
dans  une  inconftance  Se  une  révolution 
éternelle  ,  pour  nous  apprendre  à  nous 
attacher  à  lui  feul ,  qui  ne  paife  point ,  6c 
qui  feul  eft  toujours  le  même, 

11  ell  vrai  que  fouvent  nous  refilions  à 
Dieu  ,  fous  prétexte  de  le  chercher.  Der- 
nière fource  de  notre  révolte  contre  la  vo- 
lonté de  Dieu  :  une  faulTe  vertu  ;  &  der- 
nier écueil  que  l'exemple  de  Marie  nous 
apprend   à  éviter. 

En  effet  >  fi  elle  n'eût  confulté  que  fou 


20  PURIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

zele  pour  Ja  gloire  de  fon  Fils ,  les  intérêts 
de  fa  naiiTance  divine  ,  &  les  ohftacles  que 
fa  purification  fembloit  mettre  au  fruit  de 
fon  Miniftere  ,  en  confirmant  l'incrédulité 
de  fon  peuple  ,  &  le  faifant  pafTer  pour  le 
fîmple  Fils  de  Marie  &  de  Jofeph  ;  fi  elle 
n'eût  confulté  que  ces  frayeuis  nées  de  fa 
piété  m.ême  ,  Marie  devoit  ,  ce  femble  , 
le  fouftraire  à  la  loi  commune  ;  &  ne  pas 
venir  dans  le  Temple  donner  à  fon  Fils  un 
caraâ:ere  de  fouillure  &:  de  péché  ,  qui  le 
confondcit  avec  les  autres  enfans  de  Juda. 
Mais  elle  fe  défie  d'un  zele  qui  n'eft  pas 
dans  Tordre  de  Dieu  :  elle  ne  veut  le  falut 
des  hommes ,  &  la  gloire  de  fon  Fils  , 
qu'autant  que  Dieu  le  veut  lui-même  ;  & 
rien  ne  lui  paroît  sûr  ,  mêïne  dans  la  ver- 
tu ,  que  de  fe  conformer  à  fa  volonté 
fainte. 

Oui  ,  mes  frères  ,  rien  n'eft  bon  pour 
nous  que  ce  que  Dieu  veut  ;  toute  piété  qui 
n'a  pas  pour  fondement  une  conformité 
continuelle  à  fa  volonté  fainte  ,  eR  une 
fauffe  vertu  ;  eft  bien  moins  un  culte  de 
Dieu  5  qu'une  recherche  fecrette  &  dan- 
gereufe  de  nous-mêmes,  C'eft  par-là  ce- 
pendant que  la  piété  manque  prefque  tou- 
jours :  nous  ne  voulons  jamais  aller  à  Dieu 
par  les  voies  que  fa  main  même  nous  a 
frayées  ;  &:  nous  faifons  confifter  la  vertu  , 
non  à  vouloir  ce  que  Dieu  veut  j  mais  à 
nous  fuivre  &  nous  écouter  nous-mêmes. 

Premièrement ,  les  devoirs  de  notre  état 
ne  nous  plaifent  jam*ais  :  nous  leur  fubfti- 


SUR    LA    Soumission  5  &c.      ir 
tuons  toujours  des  œuvres  arbitraires  que 
Dieu  ne  demande  pas  de  nous.  Eft-on -en- 
gag:  dans  le  lien  facré  du  mariage  ?  on  prie- 
roit  avec  goût  ;  on  courroit  avec  plaifir  à 
toutes  les  œuvres  de  miféricorde  ;  on  paf- 
feroit  les  jours  entiers  ,  fans  s'ennuyer , 
dans  la  retraite  &  à  des  leâ:ures  faintes  ; 
on  aimeroit  à  foulager  les  malheureux  : 
mais  ce  qui  déplaît ,  mais  ce  qu'on  n'aime 
pas  ,  c'eft  la  foumiflion ,  la  complaifance  , 
la  douceur  mutuelle  ;  cette  déférence  qui 
unit  les  cœurs ,  &  fi  recommandée  par  l'A- 
pôtre aux  femmes  chrétiennes  ;  cette  con- 
defcendance  qui  rapproche  les  humeurs ,  & 
qui  lie  les  efprits  ;  cette  patience  qui  défor- 
me la  férocité  ,  &  qui  fe  concilie  Teftime  & 
la  tendrefle  ;ces  foins  &  ces  attentions  do- 
meftiques  ,  qui  établiffent  l'ordre  dans  les 
familles  ,  confervent  la  paix  5  préviennent 
les  déréglemens  &:  le  fcandale  des  diflen- 
fioHs  5  &  font  que  Dieu  habite  au  milieu 
d'une  race  fidèle.  On  aime  tout  ce  que  Dieu 
ne  demande  pas  de  nous  ;  ce  qu'il  veut , 
on  ne  l'aime  point  ;  &  fouvent  la  piété  de 
la  femme  fidèle  ,  qui  devroit  être  la  fource 
de  la  paix  ,  de  la  douceur  ,  de  la  confola- 
tien  d'une   maifon   fainte  &  ram.ener  le 
mari  infidèle  ,  l'éloign^êt  l'aigrit ,  faute 
d'égards   &  de  com^aifance  ,   devient  la 
fource  des  antipathies  &  des  divifions  .  & 
fait  craindre  la  vertu  ,  dont  la  paix  eft  le 
fruit  5  comme  û  elle  étoit  le  fignal  infailli- 
ble des  aigreurs  &  des  troubles  dans  les 
familles. 


21  PURIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

Secondement  ,  Ci  Dieu  nous  lailTe  dans 
un  état  d'infirmité  habituelle ,  nous  nous  en 
prenons  à  cet  état  .  de  notre  tiédeur  ,  &: 
de  nos  infidélités  dans  le  fervice  de  Dieu  : 
nous  nous  figurons  qu'avec  une  fanté  mieux 
établie  ,  no'.:s  rem.piirions  mille  pratiques 
de  pieté  aufquelles  nous  nous  trouvons  in- 
habiles :  nous  ne  faurions  comprendre  que 
fe  foumettre  à  Dieu  ,  &  faire  un  ufage 
faint  de  l'état  où  il  nous  lailFe ,  c'eft  prier , 
c  eft  fe  mortifier  ,  c'eft  opérer  des  œuvres 
de  miféricorde  ;  qu'en  ce  point  tout  eft 
renfermé  ;  que  le  Seigneur  fait  mieux  ce 
qui  nous  convient  que  nous-mêmes  ;  que 
ce  n'eft  pas  à  nous  à  nous  choifir  notre 
voie  ;  &:  que  ne  vouloir  que  ce  que  Dieu 
veut  5  c'eft  toute  la  perfeÔion  de  la  Foi  j 
&  toute  la  sûreté  du  Fidèle. 

Troifiémement ,  nous  foufFrons  impa- 
tiemment nos  propres  imperfections  :  nous 
nous  femmes  à  charge  à  nous-mêmes  :  les 
infidélités  où  nous  nous  furprenons  tous  les 
jours  5  nous  jettent  dans  des  inquiétudes 
d'amour  propre  ,  &  nous  dégoûtent  de  la 
vertu  :  nous  voudrions  n'avoir  rien  à  nous 
reprocher  ;  vivre  contens  de  nous-mêmes  ; 
nous  applaudir  en  fecret  de  notre  vertu  ,  & 
jouir  du  témoignage  flatteur  de  notre  conf- 
cience  :  nos  fautes  nous  inquiètent ,  &  nous 
rallentiffent  dans  les  voies  de  Dieu ,  parce- 
qu  elles  troublent  cette  paix  toute  humai- 
ne ;  qu'elles  humilient  cet  orgueil  fecret 
qui  chercheroit  au-  dedans  de  nous  une  vai- 
ne compkifance  :  nous  ne  faurions  regar- 


SUR    LA   Soumission  ,    &c.       23 

der  nos  fautes  dans  l'ordre  de  Dieu  ,  &  en 
tirer  l'utilité  que  fa  fageffe  fe  propofe.  Dieu 
veut  que  nous  opérions  notre  ialut  avec 
crainte  &  tremblement;  &:  nous  voudrions 
l'opérer  avec  une  fécurité  entière  :  Dieu 
veut  nous  conduire  par  la  Foi ,  &  nous 
voudrions  aller  à  lui  par  la  lumière  :  Dieu 
veut  que  nous  vivions  toujours  incertains , 
fi  nous  fommes  dignes  d'amour  ou  de  hai- 
ne ;  &:  après  quelques  foibles  démarches 
de  pénitence  &  de  piété  ,  nous  voudrions 
être  afTurés  qu'il  s'eft  rendu  à  nous  :  Dieu 
veut  que  nous  vivions  dans  une  dépendance 
continuelle  de  lui  ;  &  nous  voudrions  pou- 
voir trouver  un  appui  de  chair  au-dedans 
de  nous  :  Dieu  veut  que  nous  laifTions  no- 
tre fort  entre  fes  mains  ;  &  nous  voudrions 
le  tenir  dans  les  nôtres  :  en  un  mot ,  Dieu 
veut  que  notre  faîut  dépende  de  lui  ;  &^ 
nous  voudrions  qu'il  dépendît  uniquement 
de  nous-mêmes. 

Quatrièmement ,  fi  les  pécheurs ,  revê- 
tus de  l'autorité  publique ,  mettent  quelque 
obftacle  à  notre  zèle ,  fufcitent  des  contra- 
dirions  à  des  entreprifes  utiles  à  la  piété  , 
nous  ne  gardons  plus  de  mefure  de  charité 
avec  eux  :  nous  croyons  être  en  droit  de 
déclamer  contre  leurs  mauvaifes  intentions  ; 
de  découvrir  leurs  vices  ;  de  les  faire  paf- 
fer  pour  des  ennemie  publics  de  tout  bien 
&:  de  toute  juflice.  Sous  prétexte  de  gémir 
fur  leur  aveuglement  ,  nous  nous  aveu- 
glons nous-mêmes  ;  &  loin  de  demander 
à  Dieu  dans  le  filence  qu'il  change  leur 


24  PURIFIC.     DE     LA    ViERGE. 

cœnr ,  &  laifier  entre  les  mains  les  inté- 
rêts de  fon  Eglife,  qu'il  faura  bien  proté- 
ger malgré  la  malice  &:  la  puiffance  des 
hommes  ,  nous  nous  perfuadons  que  le  ti- 
tre de  proteâ:eurs  de  la  piété,  nous  autori- 
fe  à  violer  les  règles  de  la  piété  même. 

Enfin  5  les  deréglemens  de  nos  proches, 
de  nos  égaux  ,  de  nos  maîtres  avec  qui  nous 
avons  à  vivre  ,  nous  font  infupportables. 
Nous  nous  faifons  une  faufTe  vertu  de  les 
cenfurer  ,  de  les  décrier  ,  de  les  aigrir  : 
nous  nous  plaignons  de  notre  deftinée  ,  qui 
nous  unit  par  des  liens  de  devoir  &  de  fo- 
ciété  ,  avec  des  perfonnes  qui  vivent  com- 
me des  payens ,  &:  fdns  aucun  fentiment  de 
religion  &  de  piété  ;  il  nous  paroîtroit  bien 
plus  doux  de  vivre  avec  des  âmes  fidèles 
qui  penferoient  comme  nous  ;  &  par  nos 
aigreurs  &  l'ainertume  de  notre  fociété  , 
nous  leur  rendons  la  piété  aufTi  odieufe  que 
nous-mêmes.  Nos  cenfures  leur  rendant 
nos  exemples  inutiles  ,  ils  fe  figurent-  la 
vertu  faite  comme  nous  fommes  ;  c'eft- 
à-dire  ,  dure  ,  fâcheufe  ,  impitoyable  , 
pleine  de  fiel  &  de  préfomption  ;  &  loin 
de  les  attirer  en  les  fupportant  ,  nous  les 
éloignons  en  les  méprifant ,  &  paroiffant 
plutôt  triompher  de  leurs  vices  ,  que  com- 
patir avec  douceur  &  avec  religion  à  leurs 
foibleffes. 

La  conformité  à  la  volonté  de  Dieu  , 
mes  Frères ,  nous  rend ,  fi  l'on  peut  parler 
ainfi  ,  le  pécheurs  refpeâ:ables  :  elle  nous 
fait  rentrer  dans  les  dcfleins  de  fa  fageife  fur 

euxj 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  25 
e'tîs ,  laquelle  fait  les  rendre  utiles  au  falut  de 
Tes  Elus ,  <k  les  mener  fou  vent  à  la  pénitence 
&  au  falut,  par  la  voie  même  de  leurs  déré- 
glemens.  Ainiî  la  véritable  vertu  regarde  les 
pécheurs  entre  les  mains  de  Dieu  ;  les  fouffre 
avec  charité ,  puifque  Dieu  Iqs  fouffre  lui- 
même  ;  les  aime  avec  tendreffe  ,  puifqu'ils 
peuvent  devenir  les  amis  de  Dieu  ,  &  qu'ils 
font  utiles  aux  deiîeins  de  fa  Providence  ; 
attend  peur  eux  les  momens  de  la  grâce  , 
adore  les  vues  éternelles  de  celui  qui  a 
marqué  des  bornes  aux  paffions  des  hom> 
m^s ,  comme  à  Timpétucfité  des  flots  de 
la  mer.  Vouloir  ce  que  Dieu  veut  ou  per- 
met à  l'égard  des  autres  ,  comm.e  à  l'é- 
gard de  nous-m.êmes  ,  eft  inféparable  de 
la  vertu.  Les  vices  doivent  nous  aiTliger; 
mais  les  pécheurs  doivent  toujours  uous 
être  chers. 

Ainfî  ,  mes  Frères  ,  rien  n'infpire  plus 
de  douceur,  de  charité  ,  d'humanité  en- 
vers les  hommes  ,  que  de  confidérer  fans 
cefTe  la  volonté  de  Dieu  fur  eux.  Ils  font 
fans  doute  haïUables  en  eux-mêmes  5  dès 
qu'ils  font  pécheurs  ;  mais  dans  l'ordre  de 
Dieu  5  ils  font  toujours  dignes  de  notre 
amour  &  de  notre  refpeét.  Ils  fervent  à 
fon  ouvrage  ;  ils  font  peut-être  deftinés 
pour  y  entrer  un  jour  :  nous  devons  donc 
voir  leurs  pafTions  avec  douleur ,  mais  avec 
patience  ;  les  reprendre  s'ils  nous  font  fou- 
rnis 5  mais  les  fouffrir  avec  charité  ;  ic-u- 
haiter  leur  converfîon  avec  ardeur  ,  mi^is 
l'attendre  fans  inquiétude  ;  &  ne  pas  faire 


PARTIE 


26  PURIFIC.     DE     LA     ViERGE. 

confifter  notre  vertu  dans  l'éloignement 
des  pécheurs  ,  mais  dans  le  defir  fincere 
de  ieur  pénitence. 

Telles  font  les  trois  fources  de  notre 
révolte  contre  la  volonté  de  Dieu  5  &:  les 
trois  facrifices  dont  Marie  nous  donne  au- 
jourd'hui l'exemple  ;  mais  après  vous  avoir 
marqué  les  obftacles  qui  s'oppofent  en  nous 
ànotxe  foumiiTion  à  Dieu  ,11  faut  vous  expo» 
ferles  avantages &les  confolations  qui  nous 
facilitent  la  (bumiflion  à  fa  volonté  fainte. 

^}'^^^  JL  Pvois  fources  fécondes  de  chagrins  for- 
ment tous  les  malheurs  &  toutes  les  inquié- 
tudes de  la  vie  humaine  :  les  vaines  pré- 
voyances f.ir  l'avenir  ;  les  agitations  infi- 
nies fur  le  préfent ,  &  les  regrets  inutiles 
fur  le  paffé.  L'avenir  nous  inquiète  par  fes 
craintes  &:  par  {qs  efpérances  :  le  préfent 
nous  agite  par  fes  embarras  &  par  fes  con- 
tre- temps  :  enfin  ,  le  palfé  même  nous  tour- 
mente, en  rendant  comme  préfens ,  par  un 
fâcheux  fouvenir  ,  des  maux  que  le  temps 
devroit  avoir  fait  oublier.  Voilà  ce  qui 
rend  tous  les  hommes ,  qui  ne  vivent  pas  de 
la  Foi  &  dans  la  dépendance  de  Dieu  , 
malheureux  fur  la  terre. 

Or  5  la  foumiflion  feule  à  la  volonté  de 
Dieu  5  nous  fait  attendre  l'avenir  fans  in- 
quiétude ;  nous  fait  voir  le  préfent  avec 
tranquillité  ;  rappeller  le  paffé  avec  fruit  ; 
&  dans  toutes  ces  fituations  ,  nous  fait 
trouver  en  Dieu  &  dans  une  conformité 
continuelle  à  fes  ordres ,  la  paix  ôc  la  con- 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  27 
foîation  ,  que  le  pécheur  iit'  faurcit  jamais 
trouver  dans  Tes  pallions  &:  dans  lui-même. 
Je  dis  premièrement  ,  que  cette  fou- 
million  nous  fait  attendre  ,  comme  aujour- 
d'hui à  Marie  ,  l'avenir  fans  inquiétude. 
Car  5  mes  Frères  ,  quelles  allarmes  la  pré- 
di£^ion  du  vieillard  Siméon  fur  la  deftinée 
future  de  fon  Fis ,  ne  devoit-elle  pas  jctter 
dans  fon  ame  fainte  ?  On  lui  annonce  qu'un 
glaive  de  douleur  percera  fes  entrailles 
maternelles  ;  que  cet  Enfant  fera  expofé , 
comme  un  but ,  aux  traits  des  méchans  & 
à  la  contradiéiion  de  fon  peuple  ;  &  qu'il 
eft  établi  pour  la  perte  ,  comme  pour  le 
falut  de  plufieurs  :  quelle  foule  de  craintes  5 
d'inquiétudes ,  de  défiances ,  dévoient  alors 
troubler  la  paix  de  fon  cœur  !  Cependant 
elle  jette  ,  comme  le  Prophète  ,  toutes 
fes  penfées  &  toutes  fes  frayeurs  dans  le 
fein  de  Dieu  r  elle  ne  voit  l'avenir  que 
dans  l'ordre  fage  &  immuable  de  fes  vo- 
lontés éternelles  :  elle  adore  par  avance  les 
deffeins  du  Père  célefte  fur  cet  Enfant  : 
elle  s'y  foumet ,  fans  vouloir  les  approfon- 
dir &  les  connoître  ;  &  s'en  remettant  à 
,  Dieu  feul  de  tout  ce  qui  la  regarde  ,  fa 
I  tranquillité  eft  parfaite  ,  parce  que  fa  fou- 
mifîîon  eft  entière. 

Oui  5  mes  Frères  ,  les  inquiétudes  fur 
l'avenir  forment  le  poifon  le  plus  amer  de 
la  vie  humaine  ;  &  les  hommes  ne  font  mal- 
heureux 5  que  parce  qu'ils  ne  favent  pas  fe 
renfermer  dans  le  moment  préfent.  Ils  hâ- 
tent leurs  peines  &  leurs  foucis  ;  ils  vont 

Ri 


/ 


Z^         .PURÎFIC.   DE    LA    VîERGE. 
chercher  dans  l'avenir  de  quoi  fe  rendre 
niaiheure'jx  ,  comme  fi  le  préfent  ne  fiif- 
fîioit  pas  à  leurs  inquiétudes  :  ils  fe  for- 
ment des  chimères  pour  Ce  faire  peur  à  eux- 
mêmes  5  corn, me  s'ils  n'avoient  pas  allez  de 
chagrins   réels    :    ils   fe  tourmentent  fans 
celle  fur  le  lendemain  ,  comme  fi  à  chaque 
jour  ne  fuffifoit  pas  fa  malice  :  ils  n'ont 
plus  de  lumières  que  les  autres  ,  que  pour 
fe  former  plus  d'inquiétudes  :  ils  ne  voient 
plus  loin  que  pour  voir  plutôt  leurs  mal- 
heurs: ils  ne  font  plus  fages  que  pour  être 
plus  inquiets  &  plus  timides  :  ils  ne  font 
plus  prévoyans  que  pour  être  de  pire  con- 
dition ,  &  moins  tranquilles  que  les  impru- 
dens  &  les  infenfés.   A  ces   traits ,  vous 
vous  reconnoiifez  5  mes  Frères  ;car  qu'eft- 
ce   que  la  vie  de  la  Cour  ?  qu'une  agita- 
tion éternelle  fur  l'avenir  ;  qu'une  révolu- 
tion fatiguante  de  craintes ,  de  précautions  , 
d'efpérances.  De  craintes  ;    tous  les  évé- 
nemens  nous  offrent  prefque  de  nouvelles 
terreurs  ;  l'élévation  d'un  concurrent  nous 
fait  craindre  notre  difgrace:  la  faveur  d'un 
ennemi  nous  montre  de  loin  notre  perte 
corn. me  alTurée  :  un  air  moins  gracieux  du 
maître  nous  fait  déjà  entrevoir  notre  oubli 
&  notre  ruine.  De  précautions  ;  nous  pre- 
nons fans  ceffe  des  mefures ,  ou  pour  ob- 
tenir des  grâces  qui  ne  viendront  jamais , 
.  ou  pour  prévenir  des  dégoûts  &  des  cha- 
grins qui  viendront.  Enfin  ,  d'efpérances  ; 
un  avenir  pompeux  nous  flatte  toujours  ; 
mais  pour  y  parvenir  ,  il  faut  facrifier  le 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  29 
repos  &  toutes  les  douceurs  du  préfent  : 
la  félicité  n'eft  jamais  que  dans  l'idée  ,  qui 
fe  la  promet  ;  les  alTuiettiiTemens  &  les 
peines  font  dans  le  cœur  ,  qui  les  fent 
6c  qui  les  dévore. 

Mais  une  ame  foumife  à  Dieu  n'éprouve 
point  ces  troubles  ,  ces  frayeurs  ,  ces  fou- 
cis  5  qui  agitent  les  enfans  du  fîecle.  Elle 
fait  que  l'avenir  eft  arrêté  dans  les  confeils 
éternels  de  la  Providence;  que  nos  in- 
quiétudes &  nos  foucis  5  ne  pouvant  chan- 
ger la  couleur  même  d'un  feul  de  nos  che- 
veux 5  ne  changeront  pas  5  à  plus  forte  rai- 
fon  ,  l'ordre  de  fes  volontés  immuables  ; 
qu'on  ne  riique  rien  en  fe  confiant  à  lui 
fur  tout  ce  qui  doit  arriver  ;  qu'il  eft  mê- 
me confolant  de  favoir  qu'un  Dieu  daigne 
fe  mêler  de  ce  qui  nous  regarde  ;  encore 
plus  confolant  de  lire  dans  les  Livres  faints, 
qu'il  nous  ordonne  de  nous  en  remettre  à 
lui  feul  ;  &  qu'enfin  ,  il  fe  charge  de  l'a- 
venir,  &  ne  nous  commande  que  de  fanc- 
tifier  par  la  Foi  l'ufage  du  préfent. 

Ce  n'eft  pas  que  la  Religion  autorife  îa 
pareiTe  ou  l'imprudence  ;  &  que  pour  être 
fournis  à  Dieu  fur  l'avenir  ,  il  faille  telle- 
ment s'en  rapporter  à  lui ,  qu'on  abandon- 
ne tout  foin  5  &  qu'on  méprife  toute  pré- 
voyance. Le  Fidèle  fe  confie  en  Dieu  \ 
mais  il  ne  le  tente  pas  :  il  travaille  comme 
fi  tout  dépendoit  de  lui  ;  il  eft  tranquille 
fur  l'événement ,  parce  que  tout  dépend  de 
Dieu  :  il  fait  que  la  raifon  doit  fournir  les 
précautions  &   les  mefures  /  m.ais  il  fait  eu 

B? 


50  PVRIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

core  mieux  que  la  Foi  attend  le  fuccès 
lie  Dieu  feul  :  il  eft  prudent  dans  le  choix 
des  moyens  ;  mais  il  eft  fimple  &  fournis 
dans  l'attente  des  événemens  :  en  un  mot, 
la  prudence  eft  commune  au  Fidèle  &  au 
mondain  ;  la  paix  &  la  tranquillité  n'eft 
que  pour  le  Fid-ele. 

Et  quand  je  dis  commune ,  mes  Frè- 
res 5  c'eft  le  nom  feul  de  prudence  qui 
leur  eft  commun  :  car  d'ailleurs  ,  quelle 
différence  entre  les  caraâeres  d'une  pru- 
dence chrétienne  &  foumife  à  Dieu ,  & 
les  caraé^eres  d'une  prudence  toute  hu- 
maine !  c'eft  l'Apôtre  S.  Jacques  qui  nous 
les  marque. 

Premièrement ,  la  prudence  du' Fidèle  , 
dit  cet  Apôtre  ,  eft  chafte  &  innocente  : 
£p.Jac»  Primîim  quidem  pudica  :  il  ne  connoît  de 
^'  '  mefures  légitimes ,  que  celles  que  la  conf- 
eience  permet  &  que  la  Religion  approu- 
ve :  le  crime  ne  lui  fert  pas  de  voie  pour 
arriver  à  {es  fins  ;  &  toute  prudence  in- 
compatible avec  le  falut  ,  lui  paroît  la 
dernière  des  folies.  Celle  du  pécheur  au 
contraire  ,  eft  corrompue  &  criminelle  ; 
il  trahit  fa  confcience  pour  arriver  à  {es 
£ns  :  il  ne  compte  pour  rien  les  crimes , 
ou  les  démarches  obliques ,  qui  lui  répon* 
dent  du  fuccès  :  il  cherche  à  réuftir  aux 
dépens  même  de  fon  ame  ;  &  tout  ce  qui 
peut  lui  être  utile  ,  lui  paroît  bien  tôt  in^ 
nocent. 

Secondement ,  la  prudence  du  Fidèle 
eft  tranquille  &  amie  de  la  paix  :  Ddnde 


SUR  LA  Soumission  ,  Sec.  31 
quuicm  pacifica  :  fes  mefures  font  toujours 
paifibles  5  parce  qu'elles  font  toujours^  fou- 
inifes  à  la  volonté  de  Dieu  :  il  ne  fouhaite 
le  fuccès  qu'autant  que  Dieu  même  le  fou- 
haite ;  &  dans  les  précautions  qu'il  prend  , 
il  cherche  plutôt  à  obéir  à  Dieu  qui  les  de- 
mande de  lui  5  qu'à  fe  fatisfaire  lui-même* 
Celle  du  pécheur  au  contraire  ,  eft  tou- 
jours agitée  ,  parce  qu'elle  n'eft  jamais  foiï- 
inife  :  il  attache  fon  bonheur  9  non  à  l'or- 
dre de  Dieu  ,  mais  au  fuccès  de  fes  me- 
iures  :  il  attend  la  pain  de  révénement , 
&  non  de  fa  foumiîllcn  :  6c  fa  prudence 
c(i  elle-même  la  fource  de  fes  chagrins  & 
de  fes  inquiétudes. 

Troifiémemenî ,  la  prudence  du  Fidèle 
eft  modefle  ;  Modejla  :  il  s'interdit  les  pro- 
jets ambitieux  ;  ifn'a  que  des  vues  coa- 
formes  à  fon  état  ;  il  fait  mettre  àes  bor- 
nes à  fes  defirs  :  il  penfe  moins  à  s'élever  0 
qu'à  fe  rendre  utile  ;  &  fa  modération  eft 
Je  tréfor  ,  d'où  il  tire  la  fource  de  la  paix, 
&  la  sûreté  de  fon  innocence.  Celle  du 
pécheur  eft  infatiable  :  il  prend  toujours  ) 
de  nouvelles  mefures  ,  parce  qu'il  forme 
toujours  de  nouveaux  projets  :  fa  cupidité 
ne  connoît  point  de  bornes  :  tout  ce  qji  le 
flatte  ,  lui  convient  :  les  poUes  les  plus  pé- 
rilleux n'ont  rien  qui  l'effraye  :  les  périls 
qui  relèvent  celTent  d'être  des  pér  Is  ;  le 
mauvais  fuccès  de  fes  mefures  efl  l'unique 
danger  qu'il  craint  ;  &  il  ne  compte  pour 
rien  d'expofer  fon  falut ,  pourvu  qu'il  allure 
fa  fortune. 

B4 


32  PURIFIC.    DE   LA    VlEUGE. 

Quatrièmement ,  la  prudence  du  Fidèle 
eft  humble  &  docile  :  Suadlbilis  :  il  fe 
défie  toujours  de  fes  propres  lumières  :  il 
compte  plus  fur  le  fecours  du  Ciel ,  que 
fur  toutes  les  mefures  de  la  prudence  hu- 
Xîîaine  ;  &  en  ne  négligeant  rien  ,  il  attend 
tout  de  Dieu  feul.  Celle  du  pécheur  au 
contraire ,  eft  pleine  d'orgueil  :  il  ne  comp- 
te que  fur  rhabileté  de  ies^ mefures  :  il  fo 
confie  en  fa  propre  fagelfe  :  il  n'attend  le 
fuccès  que  de  fes  foins  j  ce  agit  tout  feul , 
comme  s'il  n'y  avoit  point  de  Dieu  qui  fe 
m^jlât  des  chofes  îiumaincs. 

Cinquièmement  5  la  prudence  du  Fidèle 
n'ell  point  foupçonneufe  :  Non  jiidicans  : 
il  ne  cherche  point  fa  sûreté  dans  la  dé- 
£ance  continuelle  de  fes  frères  :  il  croit  dif- 
£cilemient  le  mal  ;  &  aime  encore  mieux 
tomber  dans  leurs  picgcs  5  que  juger  té- 
mérairement leurs  intentions  &  leurs  pen- 
fées.  La  prudence  du  pécheur  ne  trouve  fa 
sûreté  que  dans  fjs  foupçons  &  dans  fes 
défiances.  Commie  fon  cœur  ell  corrom- 
pu 5  tout  lui  paroît  corruption  &:  duplicité 
dans  les  autres  :  il  regarde  tous  les  hom- 
mes comme  fes  ennemis  :  il  foupçonne  le 
mal  5  où  il  ne  le  voit  pas  r  il  fe  perfuade 
que  pour  juger  sûrement ,  il  faut  toujours 
juger  mal  de  (es  frères  ;  8c  toute  fa  pru- 
dence fe  réduit  à  fuppofer  dans  tous  les 
hommes  ,  tout  ce  dont  il  efl  capable  lui- 
mêmie.  . 

Sîxiémem.ent  y  la  prudence  du  Fidèle 
n'eft  point  diffimulée  :  fine  fimidatione  :  il 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  ^53 
ne  met  point  fon  habileté  dans  fes  artifices. 
Comme  il  ne  veut  tromper  perfonne  ,  il  n'a 
que  faire  de  fe  déguifer  ;  &  toute  fon 
adrefle  eft  dans  fa  candeur  &  dans  fa  fiocé- 
rité.  Ceile  du  pécheur  au  contraire  n'eft 
qu'une  duplicité  éternelle  :  fes  lèvres  dé- 
mentent toujours  fon  cœur  :  Ton  vifage  eft 
toujours  la  contradiction  de  fes  fentimens  : 
il  croit  être  plus  habile  à  mefure  qu'il  eft 
plus  faux  :  toute  fa  vie  n'eft  qu'un  fonds 
de  baiTefle  &  de  mauvaife  foi  ;  &  fa  pru- 
dence eft  toujours  pénible  ,  parce  qu'elle^ 
l'oblige  toujours  à  fe  contrefaire. 

Enfin,  la  prudence  du  Fidèle  eft  pleine^ 
de  miféricorde  &  des  fruits  de  bonnes  œu- 
vres :  PUna  miferlcordiâ  ,  &'fruciibus  bonis  :: 
il  joint  aux  moyens  humains ,  les  pratiques^- 
de  la  vertu  &  les  fecours  de  la  prière  :  ill 
affurele  fuccès  de  fes  mefures,  par  Tabon- 
dance  de  fes  largefles  &  par  les  mérites  de^ 
la  miféricorde  ;  &  trouve  dians  les  devoirs; 
de  la  Religion  ,  les  principales  reflburces; 
&  le  feul  appui  de  fa  fortune.  Le  pécheur 
au  contraire  ,  regarde  la  piété  comme  uni 
obftacle  à  fon  élévation  ;  il  fuit  les  maxi- 
mes de  la  Religion  comme  incommodes  ai 
fa  fortune  ;  &  s'il  a  recours  quelquefois; 
aux  apparences  de  la  vertu,  c'eft  pour  en 
abufer ,  &  y  trouver  un  chemin  plus  sûr 
de  parvenir  à  ce  qu'il  defîre. 

Aufîi  5  continue  l'Apôtre  de  qui' j  ai  tiré 
tous  ces  caraâ:eres ,  la  prudence  du  Fidèle- 
eft  une  femence  &  une  fource^  continuelle* 
de  paix  dans  fon  cœur  :  Frucîus  autcm  inf-'  ^^^*  J^- 

R  ^;  "^" 


34  PURIFIC.   DE    LA    ViERGE. 

îidœ  in  pacc  fiminatur  ^Jacicntihus  pacem. 
Mais  la  prudence  du  ùecle  qui  ne  vient 
point  du  Ciel ,  mais  de  la  corruption  du 
pécheur  &  du  fonds  de  fes  paffions  ,  eft 
une  révolution  éternelle  de  craintes  ,  de 
defîrs  ,  de  chagrins  ;  &  comme  elle  eft 
l'ouvrage  de  fss  pafTions  ,  elle  ne  fauroit 
être  plus  tranquille  que  fes  pa/Tions  mê- 
^'.15.  mes  :  Non  eji  ijîafapicntia  defurfum  defcen^ 
dens  à  Paire  luminum  yfid  terrena  ,  animai 
lis  ,  diabolica, 

La  féconde  fource  des  inquiétudes  hu- 
maines y  font  les  événemens  préfens  ,  Se 
ce  qui  fe  pafTe  tous  les  jours  à  nos  yeux. 
Rien  n'arrive  prefque  jamais  félon  nos  de- 
firs  :  ce  que  nous  aimons  5  nous  échappe  ; 
ce  que  nous  fouhaitons  ,  nous  fuit  ;  ce  que 
nous  craignons ,  nous  arrive.  Nous  ne  fom- 
mes  jamais  heureux  de  tout  point  :  fi  la 
fortune  nous  rit  ^  la  fanté  nous  abandonne  ; 
fî  nous  jouiffons  de  la  fanté ,  la  fortune  nous 
manque  ;  fi  la  faveur  du  maître  nous  élevé; 
Tenvie  du  courtifan  nous  flétrit  &  nous  dé- 
grade ;  fî  l'envie  nous  épargne ,  &  que  nous 
l^uiflions  compter  fur  les  fuffrages  publics , 
ik  maître  nous  néglige  :  enfin ,  dans  quelque 
situation  que  nous  foyons  ,  il  manque  tou- 
jours quelque  chofe  à  notre  bonheur  ;  & 
ce  qu'il  y  a  de  trifte  pour  l'homme  ,  c'eft 
qu'un  feul  chagrin  rem^porte  pour  lui  fur 
mille  plaifîrs  ;  &  que  ce  qui  lui  manque  , 
quelque  léger  qu'il  puilTe  être  ,  empoifonue^ 
toujours   tout  ce   qu'il  poilede. 

Mais uneame fidèle  trouve,  comme auV 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  35 
jourd'hui  Marie  ,  dans  une  foumiffion  en- 
tière aux  ordres  de  Dieu  ,  une  reiîource 
toujours  prête  aux  embarras  de  fa  fituation 
préfente.  Toutétoit  incompréhenlible  dans- 
les  delleins  de  Dieu  fur  elle  ;  la  baflefTe  de 
fou  Fils  ,  &  la  grandeur  future  qu'on  lui 
annonce  ;  le  glaive  qui  doit  percer  fbn 
cœur  ,  &  toutes  les  nations  qui  doivent 
pourtant  l'appeller  heureufe  ;  l'abjecèioii 
q,ui  l'environne  ,  &  les  grands  événemens 
qui  l'attendent  :  mais  la  volonté  de  Dieu 
eft  le  feul  dénouement  de  fes  doutes  y  6e. 
la  grande  confolation  de  fes  peines. 

Oui  5  mes  Frères  ,  ce  qui  rend  la  fou'- 
miiïion  à  la  volonté  de  Dieu  û  confoiante- 
dans  les  fîtuations  les  plus  difficiles  où  il^ 
nous  place  ,  c'eft  premiérernsnt  ,  que  c'ed. 
la  volonté  d'un  Dieu    tout-puifTant  à  qui 
tout  eft  aifé  ;  maître  des  événemens  ;  qui 
d'un  feul  regard  peut  finir  nos  peines  ;  au- 
près de  qui  tout  trouve  d^s  reffoiirces  ;  quî- 
n'a  qu'à  dire  ,  &  tout  eft  fait.  Ah  !  les-hom- 
mes  auxquels  nous  nous  livrons ,  ne  fau- 
roient  nous  tirer  des  embarras  Se  des  pé- 
rils où  ils  nous  engagent.  Oh  voit  tous  les 
jours  les  amateurs  du  monde  tomber  avec 
l'eurs  protecteurs  ,  &  avec  ces  appuis  de* 
ehair  &  de  fang  ,  ^^n  qui  ils  mettoient  une? 
vaine  confiaiice  :  femblables ,  dit  le  Prophè- 
te ^  à  ceux  qui  vont  chercher  un  foibJe  fou^ 
tien  contre  la  muraille  de  boue  déjà  pan- 
chée  &  prête   à  tomber  ,   ils  font  tôt  ou- 
tard  écrafés  ,  &  enfeVelis  fous  fes  ruines  : 
TanqUiirn  parUti  inciinato  y  0  maccri(d  de-   ^J*^^"" 


36  PURIFIC.   DE    LA    ViERGE. 

j/ulfa.  Il  eft  mille  iitr.ations  où  les  homm?s,. 
avec  toute  leur  puiiTance  ,  ne  peuvent  rien 
pour  nous  :  iis  nefauroient  du  moins  nous 
faire  à  nous-mêmes  une  félicité  plus  entière 
que  celle  dont  ils  jouiflent  ;  &  comme  ils 
ne  font  jam.ais  qu'à  demi  heureux  ,  nous 
ne  devons  pas  nous  attendre  qu'ils  rendent 
notre  condition  meilleure  que  la  leur  ,  ni 
qu'ils  fallent  pour  nous  ce  qu'ils  ne  peu- 
vent pour  eux-maêmes. 

Mais  la  grande  confolation  d'une  ame 
foumife  à  Ijieu  ,  c'elt  de  fe  pouvoir  dire  à 
elle  même  :  Dieu  eft  airezpuifTant  pour  me 
foutenir  :  je  ne  rifque  rien  à  le  laifTerfiîire  ; 
il  a  des  rcfTources  pour  tous  mes  befoins  :. 
ce  qui  paroît  dcfefpéré  aux  hommes  ,  eft 
facile  à  fa  puifl'ance  :  il  veut  qu'on  efpere 
contre  l'efpérance  même  ;  &  plus  les  fe- 
cours  humains  paroiffent  inutiles ,  plus  il 
vient  à  notre  fecours ,  pour  nous  accoutu- 
îner  à  attendre  tout  de  lui ,  &  à  ne  pas  met- 
tre notre  confiance  dans  les  hommes. 

Secondement ,  c'eft  à  la  volonté  d'un 
Dieu  fage  que  nous  nous  foumettons  ;  qui 
a  fes  raifons  éternelles  dans  les  événemens 
qu'il  nous  m^énage  ;  qui  voit  les  différentes 
utilités  des  fi^uations  où  il  nous  place  ;  qui 
lie  fajt  rien  au  hazard  ^  &:  qui  connoît  les 
événemens  avant  même  de  prendre  des 
incfure?.  Hélas  !  nous  pouvons  nous  in- 
quiéter furies  iltuations  que  nous  nous  m^é- 
nageons  à  nous-  mêmes ,  parce  que  nous  ne 
nous  connoiflbns  pas  aiTez^pour  décider 
liîrfce  qfji  nous  convient  =,  ^  que  d'ordi- 


suB.  LA  Soumission  5  &c.  17 
naire  dans  nos  choix,  nous  confultons 
plus  les  intérêts  de  nos  pafîions  que  ceux 
de  notre  ame  ;  rnais  ce  qui  confole  Famé 
fidèle  fouinife  à  Dieu  ,  c'eft  la  fagefïe 
de  celui  en  qui  elle  met  fa  confiance.  Dieu 
a  fes  raifons  ^  fe  dit  fans  ceffe  l'ame  ficiele  , 
dans  les  fituations  où  il  me  place  ;  &  quoi- 
qu'elles me  foient  inconnues  ,  elles  n'en 
font  pas  moins  juftes  &  adorables  :  je  ne 
dois  pas  mefurer  fes  vues  incompréhenfi- 
blés  fur  mes  lumières  foibles  &  bornées.  Je 
ne  vois  pas  où  peuvent  me  conduire  les. 
voies  par  où  il  me  mené  ;  mais  puifque 
c'eft  fa  main  qui  les  a  frayées ,  il  n'y  a  qu'à 
marcher  fans  rien  craindre  :  il  mené  fou- 
vent  à  la  terre  de  promefie  ,  par  les  cir- 
cuits pénibles  6>:  arides  du  défert ,  &:  nous 
cache  prefque  toujours  Ces  voies  ,  pour 
nous  îaiiFer  tout  le  mérite  de  la  foumilîion 
&  de   la  confiance. 

Enfin  j  non-feulement  parce  qiie  c'eft  à 
la  volonté  d'un  Dieu  puifTant  &  fage  ,  que 
nous  nous  foumettons  ;  mais  encore  d'un 
Dieu  bon  ,  tendre  &  miféricordieux  ,  qui 
D0U5  aime  ,  qui  ne  veut  que  notre  falut. 
Les  hommes  cherchent  fouvent  à  nous 
nuire  5  en  faifant  femblant  de  nous  favori- 
fer  :  nous  ne  leur  fommes  chers  qu'autant 
que  nous  leur  fommes  utiles  ;  &  ils  veulent 
plutôt  nous  faire  fervirà  leur  bonheur,  que 
nous  rendre  heureux  nous-mêmes. 

Mais  Dieu  n'a  que  notre  falut  en  vue  : 
tout  ce  qu'il  veut  par  rapport  à  nous  ,  il 
ûÊ  le  veut  que  pour  nous  :   nos  intérêts 


38  PURIFIC.   DE     LA   ViERGE. 

éternels  feuls  règlent  fes  démarches  à  no* 
tre  égard  :  s'il  nous  frappe  ,  c'eft  pour 
nous  lauver  :  s'il  nous  humilie  ,  il  ne  fe 
propofe  que  notre  falut  :  s'il  nous  élevé  , 
ceft  notre  falut  encore  qui  le  fait  agir  : 
enfin ,  en  quelque  fituation  qu'il  nous  place, 
c'eft  toujours  un  Père  qui  nous  conduit  , 
un  ami  qui  nous  gouverne  ,  un  prote(R:eur 
qui  nous  foutient ,  un  guide  qui  nous  pré- 
cède &  qui  nous  montre  les  voies.  Hélas  ! 
mes  Frères  !  nous  nous  croyons  fi  fort  en 
sûreté  ,  quand  nos  intérêts  &  notre  for- 
tune font  entre  les  mains  d'un  ami  fidèle 
depuis  long-temps  éprouvé  ,  &  fur  lequel 
nous  com.ptons  comme  fur  nous-m.êmes  : 
nous  ne  daignons  pas  même  nous  informier 
des  raifons  qu'il  a  dans  les  partis  qu'il  prend 
par  rapport  à  nous  :  tout  ce  qu'il  fait  , 
nous  l'approuvons ,  nous  y  foufcrivons  ,- 
nous  le  trouvons  bon  pour  nous.  Et  voilà 
la  confolation  d'une  ame  Rdeh  qui  a  mis 
fon  fort  entre  les  mains  de  Dieu  :  elle 
n'examine  pas  les  raifons  que  ià  bonté  pa- 
ternelle a  pu  avoir  dans  les  fituations  qu'elle 
lui  ménage  :  il  lui  fuffit  de  favoir  que  c'efl 
un  Dieu  qui  n'a  que  des  vues  de  bonté 
&  de  m.iféricorde  pour  fa  créature  ;  un 
père  qui  ne  fe  propofe  que  le  falut  de  fon 
enfant  ;  un  ami  tendre  &  fidèle  ,  &  qui 
n'a  rien  tant  à  cœur  que  les  intérêts  de 
ce  qu'il  airne.  Quelle  fituation  ,  mes  Frè- 
res !  en  eft-il  ici-bas  même  de  plus  defira- 
ble  pour  la  créature  ?  &  quand  la  Reli- 
gion n'àurôîtque  ce  fèul  avantage,  le  pafll 


SUR  LA  Soumission  ,  8cc.  ^9 
du  Jufte  &  du  Fidèle  ,  ne  feroit-il  pas  le 
plus  heureux  6c  le  plus  fenfé  ,  que  rhom- 
me  pût  choifir  fur  la  terre  ? 

Enfin  ,  les  regrets  fur  le  pafle  forment 
fe  dernière  fource  des  inquiétudes  humai- 
nes. Nous  ne  rappelions  les  événemens 
fâcheux  de  notre  vie  ,  qu'avec  des  retours 
amers  qui  en  empoifonnent  le  fouvenir  : 
nos  pertes  paflees  nous  tourmentent  en* 
core  par  les  réflexions  inutiles  fur  les  me^ 
fures  qui  auroient  pu  nous^  les  épargner  : 
nous  nous  reprochons  fans  celle  d'avoir 
été  nou5-  mêmes  les  auteurs  de  notre  infor- 
tune: nous  nous  redifons  éternellement 
qu'une  telle  précaution  prife  cous  eûtépar* 
gné  bien  des  larmes  &  des  chagrins  :  nous 
ajoutons  à  nos  malheurs  de  les  attribuer  à 
nos  irnprudences  :  nous  nous  repréfentons 
après  coup  les  moyens  de  les  éviter  très- fa- 
ciles ,  comme  pour  fentir  plus  vivement 
le  defagrément  d'y  être  tombés  ;  &  loin 
d'y  voir  la  fagefle  &  la  volonté  de  Dieu  ,- 
qui  ont  tout  conduit  ,  &  qui  feules  de- 
vroient  nous  faire  oublier  nos  peines  ,  nous- 
n'y  voyons  que  nos  méprifes,  qui  augmen- 
tent nos  regrets  ,  &  qui  rendent  nos  pei* 
nés  éternelles. 

Or  ,  c'efl  encore  ici  que  la  foumi/îlon' 
de  Marie  eft  pour  nous  un  modèle.  Elle 
ne  voit  que  Dieu  feul  dans  tous  les  événe- 
mens de  fa  vie  pafTée  ,  dans  l'ambafTade  de 
l'Ange  y.  dans  le  prodige  de  fon  enfante- 
ment 5  dans  la  foi  des  Pafteurs  ,  dans  l'a- 
doiation  des  Mages  :    elle  compare  5   dit 


40  PURIFIC.  DE   LA    ViERGE. 

l'Evangile  ,  &  coiiferve  dans  fou  cœur 
toutes  fes  merveilles  ,  &  toute  la  conduite 
paflee  de  Dieu  fur  elle  :  l'attente  &  le  lan- 
gage prophétique  de  la  veuve  Anne  & 
du  jufte  Siméon  ,  lui  rappellent  tout  ce 
que  le  Seigneur  a  ftiit  jufqu'ici  de  grand 
Luc»  I.  pour  elle  &  pour  cet  enfant  :  Conferens 
19.  in  corde  fuo  :  elle  n'y  voit  rien  d'humain  ; 
tout  y  eft  de  Dieu  ;  &  ne  pouvant  douter 
que  la  main  du  Très-Haut  feule  ne  l'ait  juf- 
qu'ici conduite  ,  elle  n'a  pas  de  peine  à  fe 
perfuader  que  c'eft  lui-même  qui  la  con- 
duit au  Temple  ,  &  à  fe  foumettre  au  fa- 
orifice  &  à  l'humiliation  qu'il  demande 
d'elle.^ 

Voilà  ,  mes  Frères ,  la  grande  fcience 
de  la  Foi  :  le  pafTé  devroit  être  pour  nous 
ime  inflru£lion  continuelle  ,  où  nous  de^ 
vrions  étudier  les  ménagemens  &  les  vo- 
lontés adorables  du  Seigneur  9  fur  les  def- 
tiiiées  des  hommes.  Nous  devrions  rap- 
peller  fans  ceffe  tout  ce  qui  s'efl  pafie  à 
nos  yeux  ,  à  la  Cour  fur-tout ,  où  nous  v.i- 
vons  5  &  qui  eft  comme  le  théâtre  des  ré- 
V;plutions  humaines  ;  tant  de  changemens 
fpudains  ;  des  morts  û  terribles ,  &  fï  peu 
attendues  ;  des  accidens  fi  funeftes  ;  les 
profpérités  ou  les  malheurs  de  l'Etat  ;  1  e- 
îévation  ou  la  décadence  de  ceux  qui  oc- 
eupoient  les  premières  places  :  que  fai-je  ? 
tant  de  variations  dans  la  faveur  ,  dans  les 
fortunes  ,  dans  le  crédit  ,  dans  la  chiite  ou 
raggrandifiement  des  familles  :  nous  ne  de- 
vrions ,  dis- je  5  le  rappeller    que  pour  y 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  41 
.voir  la  fageffe  de  Dieu  ,  qui  fe  joue  fans 
cefTe  des  paflious  humaines ,  &  qui  élevé 
ou  renverfe  en  un  inftant  ,  pour  nous  faire 
fentir  la  fragilité  de  tout  ce  qui  palTe  ,  ^\ 
nous  apprendre  que  toute  la  fageffe  hu- 
maine ne  fauroit  nous  fauver  du  m.oindre 
contre-temps ,  &  qu'il  n'y  a  point  de  confeil 
contre  les  confeils  de  Dieu* 

Cependant  le  fouvenir  du  paffé  ,  loin  de 
nous  inftruire  ,  nousféduii  ,  &  ne  fait  que 
réveiller  en  nous  des  paillons  injuftes.  Nou-s 
rappelions  la  décadence  de  ceux  que  nous 
avions  vu  à  la  tête  de  tout  &  les  arbitres 
de  la  fortune  publique  ;  &  ce  fouvenir,  loin 
de  nous  défabufer  de  tout  ce  que  nous 
avons  vu  fondre  &  s'éclipfer  en  un  inftant , 
&  nous  appreudre  que  les  profpérités  tem- 
porelles ne  font  rien  ^  li  l'ufage  chré; 
tien  qu'on  en  fait  ne  les  rend  immortelles , 
réveille  plus  notre  ambition  5  par  les  obfta- 
cles  qu'avoit  toujours  mis  à  notre  fortune 
leur  grande  autorité  ,  qu'il  n'inftruit  notre 
foi  par  l'inconfcance  qui  en  un  clin  d'ceil 
l'a  renverfée.  En£n  ,  nous  ne  voyous  Dieu 
nulle  part;  toutpalTe  y  tout  difparoît  ,  tout 
s'écroule  à  nos  yeux.  Un  nouveau  monde 
s'élève  infenfiblement  fur  les  débris  de 
celui  que  nous  avons  vu  en  y  entrant  :  une 
nouvelle  Cour  reparoît  à  la  place  de  celle 
que  nos  premières  années  ont  vue  :  de 
nouveaux  perfonnages  font  montés  fur  le 
théâtre  :  de  nouvelles  fcenes  occupent  tous 
les  jours  l'univers  :  nous  nous  trouvons 
prelque  feuls    &  étrangers  au  milieu    dii 


4l  PraiFIC.    DE   LA   VlERGJE, 

monde   ,  parmi  des  hommes  que    noirs 
avons  vu  naître  ^  féparés  de  ceux  avec  qui 
nous  avions  d'abord  vécu  ;  tout  nous  échap- 
pe ,  tout  fuit  y   tout  court  rapidement  fe 
précipiter  dans  Je  néant  ;  &  au   milieu  de 
ces  révolutions  éternelles  ,   oij  Dieu  feui  , 
qui   ne  paffe  point ,  paroît  il  grand  :  où 
Dieu  feul,  qui  changeant  fanscefTe  la  face 
de  l'univers  j  demeure  toujours  le  même, 
paroît  fi  digne  de  nos  hommages  ;  nous  ne 
le  voyons  pas  r  nous  ne  nous  élevons  ja- 
mais  julqu'à  lui  :  nous  tenons  encore  aux 
débns  d^un  monde  qui  s'eft  déjà  à  demi 
écroule  entre  nos  mains  ;  nous  rappelions 
même  par  rimaginatlon  ce  qui  nous  eu  efi 
échappé  :  nous  donnons  de  la  réalité  à  ce 
qui  n'eft  plus  ;  nos  premières  années  fouil- 

,  ?  V  «^^^^  "^^^^  ^^^^  P^^  ^^^s  fouvenirs 
Jalcifs  &  injuftes  :  nous  faifons  fans  cefle 
reyivre  nos  jours  paffés ,  en  ce  qu'ils  ont 
eu  de  criminel  ril  femble  quela  vie  eft  trop 
courte  pouT  ofFenfer  Dieu  ;  nous  revivons 
i^ns  celfe  par  des  images  qui  renouvellent 
nos  iniquités  pafTées  ;  c'eft  à-dire  ,  nous 
vivons  doublement  pour  le  crime  ,  n  ayant 
jamais  vécu  un  inftant  pour  la  vertu.  Ainfi 
le  paifé  nous  fouille  ou  nous  féduit ,  loin  de 
nous  détromper  &  de  nous  inftruire  :  nous 
«y  voyons  que  les  révolutions  humaines  ; 
nous  ne  remontons  pas  plus  haut ,  &  nous 
vivons  comme  fi  lehazard  conduifoit  l'uni- 
vers 5  &  qu'il  n'y  eût  point  d'autre  raifon 
de  ce  qui  arrive  ,  que  l'événement  lui-même. 
Ah  !  mes  Frères  !  les  Patriarches  ,  dont 


SUR  LA  Soumission  ,  &c.  4? 
lavie  étok  fi  longue  fur  la  terre  5  n'avoient 
point  d'autre  occupation  ,  que  de  méditer, 
dans  les  grands  événemens  qui  avoient  rem- 
pli leur  longue  carrière  ,  les  merveilles  du 
Seigneur  ,  &  Tordre  de  fes  volontés  adora- 
bles. Ils  repafîbient  fur  les  différentes  voies 
par  où  fa  fageffe  les  avoh  conduits  :  ils  y  ad- 
miroient  les  ménagemens  ineffables  de  fa 
providence  :  c'étoit  là  le  livre  où  ils  étu- 
dioient  fan  s  cefTeles  grandeurs  de  Dieu  &  fes 
iciféricordes  envers  les  créatures  :  c'étoit  la 
plus  douce  confolation  de  leur  pèlerinage. 
Ils  voyoient  Dieu  par-tout  :  l*invifible  étoit 
comme  vifible  pour  eux  dans  tous  les  acci- 
liens  divers  &  merveilleux  ,  qui  avoient 
partagé  leur  vie  :  ils  ne  voyoient  que  Dieu 
dans  l'univers  ;&  ne  comptoient  pour  rien 
les  hommes ,  dont  fa  fageffe  fefervoit  pour 
accomplir  fes  deffeins  adorables* 

Et  voilà  5  mes  Frères ,  la  grande  fcience 
que  nous  apprennent  nos  divines  Ecritu- 
res. Dacs  les  autres  hiftoires  que  les  hom- 
mes nous  ont  laiffées ,  on  n'y  voit  agir  que 
les  hommes  :  ce  font  les  bommes  qui  rem- 
portent des  viâoires  ,  qui  prennent  des 
Villes  5  qui  fubjuguent  des  Empires  ,  qui 
détrônent  les  Souverains  ,  qui  s'élèvent 
eux-mêmes  à  la  fuprême  puiffance  :  Dieu 
n'y  paroît  nulle  part  ;  les  hommes  en  font 
les  feuls  ad^eurs.  Mais  dans  l'hifloire  des 
Livres  faints ,  c'efl:  Dieu  feul  qui  fait  tout  ; 
Dieu  feul  qui  fait  régner  les  Rois  ,  qui  les 
place  fur  le  trône  ,  ou  qui  les  en  dégrade  ; 
DieH  feul  qui  combat  les  ennemis  y  qui  ren- 


44  PURIFIC.    DE    LA   ViERGE. 

verfé  les  Villes  ,  q:ji  difpofé  des  Etats  5î 
des  Empires  ,  qui  donne  la  paix  ,  ou  qui 
fufcite  les  guerres  :  Dieu  feul  paroît  dans 
cette  hiiloire  divine  ;  il  en  eii  ,  fi  je  lofe 
dire  ^  le  feul  héros;  les  Rois  &  les  Con- 
quérans  n'y  paroiffent  que  comme  les 
Minières  de  fes  volontés  faintes  ;  enfin  , 
ces  Livres  divins  tirent  le  voile  de  la  Pro- 
vidence. Dieu  5  qui  fe  cache  dans  les  au- 
tres événemens  rapportés  dans  nos  hifloi- 
res  5  paroit  à  découvert  dans  ceux-ci;  & 
c'eft  dans  ce  Livre  feul  ,  que  lefprit  de 
Dieu  a  laiifé  à  la  terre  ,  que  nous  devons 
apprendre  à  lire  les  hiftoi^es  que  les  hom- 
mes nous  ont  laiifées  ;  à  fuppléer  par  la  foi 
ce  que  l'efprit  humain  a  omis  ;  &  à  ne  re- 
garder les  différentes  révolutions  qui  ont 
agité^  l'univers ,  que  comme  l'hiftoire  des 
delTeins  &  des  volontés  du  Seigneur  fur  les 
hommes. 

Telles  font  les  inftruôions  que  trouve 
une  ame  fidèle  dans  le  fouvenir  du  pafTé. 
AufTi  une  des  plus  grandes  confolations  des 
Saints  dans  le  ciel  ,  fera  de  voir  à  décou- 
vert Tordre  adm.irable  des  volontés  du  Sei- 
gneur dans  tous  les  événemens  de  leur  vie 
pafîée  :  l'éuigme  fera  alors  dévoilée  ;  ils 
verront  comment  tout  ici-bas  fe  rap- 
portoit  à  leur  falut  ;  avec  quelle  bonté  6c 
quelle  fagefle  adorable.  Dieu  faifoit  toutfer- 
viràla  fan^lificaîion  desfiens;  c'eft-à-dire  , 
toutcequife  palToit  fur  la  terre;  toute  Vh\C- 
toire  de  leur  fieclc;  la  piété  ou  îe  déré^^le- 
rpent  des  Princes  ;le  gain  ou  la  perte  des  ha- 


SUR  LA  Soumission  ,  &:c,  4^ 
tailles  ;  le  bonheur  ou  l'infortune  publique  : 
ils  veront  comment  tout  cela  ,  par  des  rap- 
ports fecrets&:  merveilleux  ,  qui  leur  feront 
alors  clairement  connus,  devoit  contribuer 
à  la  confommation  des  Elu^  ',  &  comment , 
jufqu'à  leurs  chûtes  mêmes  ,  tout  devoit 
être  utile  à  leur  falut. 

Au  contraire  ,  la  furprife   la  plus  défef- 
pérante  des  pécheurs  ,   fera  de  voir  ,   que 
dans  le  temps  même  qu'ils  croyoient  vivre 
fans  joug  ,    &  fans  Dieu  dans  ce  monde  , 
ils  étoient  entre  les  mains  de  fa  fagelfe  ,qui 
fe  fervoit  de  leurs  égaremens  mêmes  pour 
raccomipliiîement  de  fes  deifeins  éternel  ; 
qu'en  croyant  vivre  pour  eux  (euls ,  ils  n'é- 
toient  entre    le^  mains  de  Dieu  ,  que  des 
inftrumens  utiles  à  la  fandification  des  Juf- 
t-es  ;  qu'ainfi   leurs  aâ:ions   les   plus   écla- 
tantes étoient  utiles  aux  deifeins  de  Dieu  , 
mais  inutiles  à  eux-mêmes  ;  que  les  grands 
fpeâacles  qu'ils  ont  donnés  à  l'univers,  5c 
qui  flattoient  fi  foit  leur  vanité  ,  n  avoient 
aucun  rapport  avec  eux  ;  qu'ils  n'ont  vécu 
que  pour  les  Elus  ;  &  qu'ils  font  les  feuls  à 
n'avoir  aucune  part  à  tous  les  grands  évé- 
nemens  dont  ils  ont  été  les  principaux  ac- 
teurs ,  &  qui  rendront  leur  nom   célèbre 
dans  les  hiftoires  ;  en   un  mot ,  qu'ils  ont 
fait  beaucoup  de  bruit  dans  l'univers  ;  mais 
que  c'étoit  Dieu  qui  fe  glorifioit  par  eux  , 
&  qu'ils  n'ont  rien  fait  pour  eux-mêmes  : 
fem.blables  au  tonnerre  qui  donne  un  grand 
fpe£tacle  à  la  terre  5  &  fait  fentir  aux  hom- 
mes la  grandeur  &;  la  puiiTance  de  Dieu  ; 


4"^  PURIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

mais  qui  n'eft  lui-même  qu'un  vain  fon ,  &C 
ne  iailfe  après  lui  que  Finfe^èion  de  la  ma* 
tiere  dont  il  étoit  le  feul  ouvrage. 

Et  c'eft  cette  réflexion  .  mes  Frères  , 
qui  devroit  rappeller  tous  les  hommes  à 
une  foumiffion  continuelle  aux  volontés  du 
Seigneur.  Car  enfin  ,  qu'ils  fefoumettent  ou 
non  à  fa  volonté  fainte  ,  il  eft  certain  qu'ils 
agiifent  toujours  fous  la  main  de  Dieu  ; 
qu'ils  ne  font  que  ce  que  permet  le  fouve- 
rain  Difpenfateur  ;  qu'ils  ne  viennent  à 
bout  de  leurs  delfeins  ,  qu'autant  que  ie 
trouve  à  propos  fa  fageife  adorable  ;  qu'ils 
ne  peuvent  fe  fouflraire  aux  ordres  de  fa 
puiifance  ;  &:  qu'en  fe  révoltant  contre  lui  , 
ris  ne  changent  pas  les  événemens  ,  ils  ne 
font  que  multiplier  leurs  crimes. 

Voilà  les  avantages  que  trouve  le  Fidèle 
dans  fa  foumifîîon  aux  ordres  de  Dieu. 
Non  ,  mes  Frères  ,  tournez- vous  de  tous 
les  côtés  ;  il  n'y  a  dans  toute  la  vie  hu- 
maine que  ce  point  ûxe  f  que  cette  confo- 
lation  folide  ;  fe  fou  mettre  à  Dieu  5  ne 
vouloir  que  ce  que  Dieu  veut  :  c'eft  là  le 
grand  fecret  de  la  piété  chrétienne  ,  le  plus 
précieux  avantage  de  la  Foi  ,  &  la  grande 
fcience  du  fidèle.  Hors  de  là  ,  mes  Frè- 
res 5  qu'efl-ce  que  la  vie  humaine  5  qu'une 
mer  furieufe  &  agitée ,  oii  nous  fommes 
fans  ceife  à  la  merci  des  flots  ,  &  où  cha- 
que inftant  change  notre  iituation  ,  &  nous 
donne  de  nouvelles  aîlarmes  ?  Que  font  les 
hommes  eux-mêmes  ,  que  les  trilles  jouets 
de  leurs  paffions  infenfées  ^  &  de  la  vieif 


SUR  LA  Soumission  ^  5cc.        47 
fitude   éternelle  des  événemcns  ?  Liés  par 
la   corruption  de  leur  cœur  à   toutes  les 
chofes  pré  fentes  5   ils  font  avec  elles  dans 
un   mouvement  perpétuel  :  femblabies  à 
ces  figures  que  la  roue  rapide  entraîne  ,  ils 
n'eut  jamais  de  confîftance  affurée.   Cha- 
que moment  eft  pour  eux  une  fituation 
nouvelle  ;  ils  flottent  au  gré  de  l'inconf- 
tance   des  chofes  humaines  ;  voulant  fans 
cefTe  fe   fixer  dans  les  créatures ,   &  fans 
ceffe  obligés  de  s'en  déprendre  ;  croyant 
toujours  avoir  trouvé  le  lieu  de  leur  re- 
pos 5    &  fans  ceiFe  forcés  de  recommencer 
leur   courfe ;  lafîes  de  leurs  agitations,  & 
cependant  toujours  emportés  par  le  tour- 
billon :  ils  n'ont   rien  qui  les  fixe  ,  qui  les 
confole  ,   qui  les  paye  de  leurs  peines  ,  qui 
leur  adouciffe  le  chagrin  des  événemens  ; 
ni  le  monde  qui  le  caufe,  ni  leurconfcience 
qui  le  rend  plus  amer  ,  ni  l'ordre  de  Dieu 
contre   lequel  ils  fe  révoltent.  Ils  boivent 
jufqu'à  la  lie  toute  l'amertume  de  leur  ca- 
lice :  ils  ont  beau  le  verfer  d'un  vafe  dans 
une  autre  vafe  ,  dit  le  Prophète  ;  feconfoler 
d'une  paffion  par  une  palîion  nouvelle  ;  d'u- 
ne perte  par  un  nouvel  attachement  ;  d'une 
difgrace  par  de  nouvelles  efpérances  :  l'a- 
mertume les  fuit  par-tout  :  ils  changent  de 
fituation  ,  mais  ils  ne  changent  pas  de  fup- 
plice  :  Et  inclinavit  ex  hoc  in  hoc  ;  verum-   PA  74» 
tamen  fcx  ejus  non  eft  cxinanita. 

Grand  Dieu  !   pourquoi   mon  ame  ne 
vous  feroit-elle  donc  pas  foumife ?  iVonne    Pf*^^* 
Dio  fuhjccia  mt  anima  mea  ?  Etes- vous  *' 


4S  PuPviFic.  DE  LA  Vierge. 
donc  un  maître  fi  cruel  ,  qu'on  rifque  de 
lailTer  la  deitinée  entre  vos  mains  ?  que 
puis- je  craindre  ,  grand  Dieu!  en  merepo- 
fant  fur  vous  feul  de  tout  ce  qui  me  regar- 
de ?  ah  !  tandis  que  j'ai  voulu  être  moi-mê- 
me l'arbitre  de  ma  deftinée  ,  je  me  fuis  con- 
fondu dans  mes  propres  projets  ;  les  évé- 
nemens  n'ont  jamais  répondu  à  mes  fouhaits 
&  à  mes  m.efures  ;  je  n'ai  réulTi  qu'à  rrie  for- 
mer tous  les  jours  à  moi-même  de  nouveaux 
embarras  &  de  nouveaux  chagrins  :  en  vou- 
lant chercher  des  sûretés  ,  je  me  creuibis 
des  précipices  :  ce  que  je  regardois  comme 
mon  appui ,  fe  tournoit  enfuite  contre  moi- 
même  :  vous  vous  piaillez  ,  grand  Dieu  ! 
à  renverfer  l'édifice  à  m.efure  que  je  féle- 
vois  :  vous  vouliez  m'apprendre  qu'eu  vain 
la  main  de  l'homme  édifie  la  maifon  ,  &  que 
fi  votre  main  adorable  ne  la  foutient  &  ne 
i'éleve  5  il  ne  fe  prépare  que  de  trilies  nu- 
«es  !  qu'il  eft  bien  plus  sûr  ,  ô  mon  Dieu  ! 
de  vous  laifier  faire  tout  feul  ,  ou  de  n'agir 
que  fous  vos  ordres  !  que  d'inquiétudes  je 
me  ferois  épargné  ,  fi  j'avois  été  fidèle  à  ce 
devoir  !  ma  defiinée  auroit  été  femblable  ; 
mais  m.es  chagrins  n'eulTentpas  été  les  mê- 
mes ;&  j'aurois  trouvé  dans  ma  foumifi^on 
à  votre  volonté  fainte  ,  la  paix  que  je  n'aî 
jamais  pu  trouver  dans  le  monde  ,  ni  dans 
mon  propre  cœur  ;  &:  erfiiite  la  récom- 
penfe  que  vous  promettez  à  ceux  qui  n'ont 
fouhaité  fur  la  terre  5  que  l'accomplilfement 
de  vos  volontés  éternelles. 

Alnfifoit-il, 

SECOND 


49 


T 


;»;x?<:«  .  .^i* *+++++■' ô^,  •  ï         ■■il 


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SECOND 

SERMON 

?OVR    LA    FETE 

D   E 

LA  PURIFICATION 

DE   LA    Ste.    vierge. 


Sur  Us    difpofidons    nécejjaires   pour  fi 
confdcrer  à  Dieu  par  une  nouvelle  vie. 

Pollquam  impleti  funt  dies  purgarionis  Marias  , 
fecundiim  legem  Moyfi  »  nilerunt  Jefum  in  Jeriira- 
km  ,  ut  liltereat  euin  Domino. 

Le  temps  de  la  Purification  de  Marie  étant  accom- 
pli ,  félon  la  loi  de  Moyfe  ,  ils  portèrent  V Enfant  à 
JéruJaUm  pour  le  pré/enter  au  Ssigneur,  Luc.   2.  22. 


CE   n'eft  pas  feulement  pour  fatisfaire 
à  la  loi  qui  confacroit  au  Seigneur 
tous  les  enfans  premiers  nés  y  que  Jelus^ 
Myjlcres.  C 


50  PURIFÏC.    DE    LA    ViERGE. 

Chrift  paroîî  aujourdliui  dans  le  Temple  ; 
c'eft  aiiÏÏi  pour  en  accomplir  la  figure  :  i! 
ne  vient  pas  feulement  fe  foumettre  à  une 
ordonnance  qui  n'avoit  pas  été  faite  pour 
lui  ;  il  vient  encore  développer  les  myile- 
res  d'une  cérémonie  qui  ne  fe  rapportoit 
qu'à  lui. 

Pourquoi  en  effet ,  mes  Frères  ,  le  Sei- 
gneur avoit-il  ordonné  que  les  premiers- 
nés  des  hommes  &  des  animaux  lui  fuf- 
fent  offerts  ,  comme  pour  racheter  par  cet- 
te offrande  la  vie  &  la  fervitude  de  tous  les 
autres?  Pourquoi  ces  prémices  des  fruits 
de  la  terre  ,  que  la  loi  de  Moyfe  lui  avcit 
refendes  ?  N'efî-il  pas  également  maître  de 
tous  nos  biens  ?  ci  le  facrifîce  du  fo ir  lui 
eft-il  moins  dû  que  celui  du  matin  ?  Pour- 
quoi ces  figures  ?  c'eft  parce  que  Jefus- 
Chrifi:  le  premier-né  d'entre  fes  frères  , 
devoiî  s'offrir  un  jour  pour  les  délivrer  tous 
de  la  condam^naticn  d'Adam  :  c'eft  encore 
parce  que  Jefus-Chrift  ,  ce  fruit  fubiime 
delà  terre ,  comme  Tappeile  un  Prophète , 
devoit  être  préfenté  dans  le  Temple  ;  par 
cette  oblaîion  fanc^ifier  toute  la  nature  , 
&  rendre  à  riiom.m.e  le  droit  d'ufer  des 
biens  qu'elle  produit ,  dont  un  abus  injuHe 
l'avoit  privé. 

Ce  n'étoient  donc  là  que  les  ombres  de 
l'avenir  :  voilà  pourquoi  les  Prophètes  ne 
ceiîoient  de  nous  annoncer,  que  l'éclat  de 
l'ancien  Temple  céderoit  à  la  majefcé  du 
nouveau.  Ce  ne  font  plus  eneffet  des  nuées 
de  gloire  qui  defcendent  du  ciel  pour  cou- 


Sur  les  dispositions  ,  &c.      çr 
vrlr  lefanâuaire  :  elles  y  enfantent  aujour- 
d'hui le  Juile  :   ce   n'eft    plus    l'Ange    du 
Seigneur  ,  qui  du  fond  du  propitiatoire  an- 
nonce Tes  volontés  au  peuple  ;  c'cd  le  Sei- 
gneur du  Temple  lui  même  ,  qui  vient  ea 
perionne  iailruire  les  hommes  dQs  vérités 
éternelles  du   falut   ;   ce  ne  font  plus  des 
Princes  6c  des  conquérans  profanes  ,   qui 
attirés  par  la  majeilé  &  par  la  réputation 
de  ce  lieu  faint ,  viennent  y  adorer  le  Dieu 
des  armées  ,   &  charger  fes  autels   d'of- 
frandes magnifiques  ;  c'eft  le  Prince  de  la 
paix  ,  le  Roi  immortel  des  fiecîes  ,  k  con- 
quérant de   Juda  ,  revêtu  des   dépouilles 
des   nations  ,  qui  vient  les  offrir  toutes  à 
fon  Père,  commxe  le  trophée  de  fa  victoire  : 
ce  n'efl  plus  la  fumée    des  encenfemens , 
qui  monte  avec  raaiefcé  vers  le  trône  cé- 
îefle  ;  ce  font  les  prières  &  les  fupplica- 
tions  du  Chrift  ,  toujours  exaucé  à  caufe 
de  fon  excellence  ;  ce  n'ef:  plus  le  fang  de 
mille  victimes  qui  coule   fur  l'autel  ;   c'eft 
l'oblation  fanglante  du  Plédem.pteur  dlf- 
raël  qui  s'y  accomplit  par  avance  :  enfin  , 
ce  n'ed  plus  un  premier-né  offert  par  la 
Synagogue  &  racheté  en  même   temps  , 
comme  incapable  de  la  purifier  de  fes  fouil- 
lures  ;  c'eft  l'Eglife  elle-même  ,    figurée 
dans  Marie  ,  qui  va  offrir  fon  chef,  fon 
premier  né  ,  les  prémices  de  ceux  qui  dor- 
jTient  dans  le  fein   d'Abraham,  pour   être 
par  cette  oblation  fainte  rendue  fans  tache 
&  fans  ride  ,   &  préparée  à  jamais  au  Sei- 
gneur 3  comme  une  Vierge  pure  ,  &  feule 

Ci 


20  PCJRÏFIC.    DE    LA    ViERGE. 

digne  d'entrer  avec  lui  dans  le  fauftuaire 
éternel. 

Or  5  comme  c'eft  ici  la  première  mar- 
que piiblique  de  culte  que  Jefus-Chrift 
donne  à  {on  Père  ,  fans  doute  il  veut  nous 
y  apprendre  les  difpofitions  dans  lefquelles 
il  faut  entrer  pour  fe  confacrer  à  lui  par 
une  vie  toute  nouvelle.  Recueillons  donc 
les  circonftances  principales  de  ce  myllere  , 
oc  nous  y  trouverons  une  efprit  de  facrifice 
dans  Jefus- Chrift  qui  s'oifre  à  fon  Père  , 
ot  un  efprit  de  fidélité  dans  Marie  qui  l'of- 
fre. Or  ,  voilà  hs  deux  difpofitions  qui 
rendent  la  converfion  (incere  &  durable  , 
&  loffrande  de  nos  cœurs  agréable  à 
Dieu  :  un  efprit  de  facrifice  qui  ne  réferve 
rien  en  s'offrant  ;  un  efprit  de  fidélité  qui 
ne  fe  dément  plus  fur  rien  en  le  fervant. 
implorons ,  &c.  Ave  Maria, 


P4KTIE  -fi-^E  premier  hom.mage  que  Famé  fainte 
de  Jefus  Chriit  entrant  dans  le  monde , 
rendit  à  la  jufiice  &  à  la  grandeur  de  fon 
Père  ,  fut  une  oblation  d'elle-même  ,  dit 
l'Apôtre  ;  &  le  fein  de  Marie  devint  com- 
me le  premier  temple  ,  où  cet  holocaufie 
pur  fut  d'abord  immolé.  Mais  il  manquoit 
à  ce  facrifice  invifible  l'appareil  àQs  céré- 
îTaonics  fenfibles  :  il  falloit  que  la  viâ:ime 
parût  fur  l'autel  :  que  le  prix  qui  l'avoit  ra- 
chetée 5  fût  porté  dans  le  temple  ;  qu'elle 
fût  livrée  entre  les  mains  du  Pontife  de  la 
loi  ;  que  les  Juftes  &  les  faintes  femmes  fe 
trouvalfent  à  ce  nouveau  Calvaire  ;  que 


Sur  les  dispositions  ,  &c.  53 
Marie  eile-mêiiie  fûtpréfenîe  au  racrifîce  ; 
que  le  glaive  de  douleur  qui  devoit  percer 
{on  cœur  y  brillât  par  avance  :  en  un  mot  y 
que  tout  y  retraçât  aux  yeux  de  fon  Père 
les  circonftances  de  la  Croix  ,  &  rhiiloire 
anticipée  de  ce  grand  facrifice. 

Il  femble  en  effet  j  mes  Frères ,  que  fon 
heure  n'étant  pas  encore  venue  ,  Jefus- 
Chrift  neparoît  aujourd'hui' dans  le  temple 
que  pour  fe  hâter  d'y  aller  tracer  en  atten- 
dant ,  les  préludes  &  les  reffemblances  de 
fon  immolation  fanglante  ;  &  que  comme 
avant  fon  union  à  notre  chair  ,  il  prenoit 
plaifir  5  dit  TertuUien  ,  à  le  maniferter  aux 
Patriarches  fous  une  forme  fenfible  ,  pour 
fatisfaire  ,  ce  femble  ,  Timpatience  de  fou 
amour,  par  ces  eilais  &c  ces  fymboles  d^in- 
carnation;  de  même  avant  d  expirer  fur  la 
croix,  il  fe  plaît  à  donner  à  fon  Père  des  re- 
préfentations  anticipées  de  ce  grand  facrin- 
ce  5  comme  pour  contenter  par  avance  le 
defir  qui  le  prefTe  d'être  baptifé  de  ce  bap- 
tême de  fang5&  de  le  glorifier  par  fa  morv. 

Mais  quoique  ce  ne  foit  ici  qu'une  imcige 
du  Calvaire  ,  l'oblation  n'en  efl  pas  iTiOins 
réelle  ,  dit  faint  Bernard  ;  première  condi- 
tion que  nous  propcferons  pour  modèle,  la 
réalité  de  l'offrande.  Les  autres  premiers- 
nés  qu'on  venoit  mettre  entre  les  mains  du 
Pontife  ,  on  les  préfentoit  au  temple  ,  pliî- 
tôt  pour  les  racheter  que  pour  les  confacrer 
au  Seigneur  :  ce  n'étoit  là  qu'une  offrande 
fur.ulée  &  apparente  ;  des  vid^imes  de  pa- 
rade qui  ne  mouroient  jam.ais  à  fautel  ;'  6c 

C3 


54  PURîFîC.    DE  LAViERG^E. 

qci  remplacées  à  l'inflant  par  un  vil  animal, 
TiC  retenoieiît  pour  elles  que  les  dehors  & 
tout  l'appareil  du   facrifîce. 

Mais  5  Jeflis-Clirift  entrant  aujourd'hui 
<^ans  le  temple  ,  livré  entre  les  m.ains  du 
Pontife ,  &  placé  fur  Tautel  ;  me  voici ,  dit- 
il  à  fou  Père  :  les  hofties  de  la  loi  n  etoient 
pas  dignes  de  vous  ;  mais  vous  m'avez  for- 
mé un  corps  ,  &  la  loi  de  mort  que  vous 
ave2  prononcée  contre  moi  ,  eft  le  defir  le 
plus  ardent  de  m.on  cœur*  Dès-lors  il  ac- 
cepte ëc  fouffre  par  avance  tout  ce  qu'il 
doit  fc'UfFrir  un  jour  pour  fon  Père  :  déjà  fâ 
préfentent  à  lui  tous  les  travaux  futurs  dâ 
ion  miniftere  ;  les  humiliations  de  fa  vie 
cachée  à  Nazareth  ;  les  courfes  pénibles  de 
fa  vie  publique  ;  l'inutilité  de  fcs  prodiges 
&  de  fa  do£lrine  ;  les  calomnies  des  Prê- 
tres &  des  Pharifiens  ;  tout  le  détail  d'un 
fupplice  infâme  :  déjà  il  voit  dans  le  Tem- 
ple le  lieu  d'où  fera  tiré  le  prix  de  fa  m,ort  ; 
déjà  il  démêle  dans  la  foule  des  Prêtres 
qui  environnent  l'autel ,  les  pères  de  ceux 
qui  feront  aiTis  un  jour  pour  le  juger  comme 
un  criminel  :  déjà  porté  dans  les  rues  de 
Jérufalem  entre  les  bras  de  Marie  ,  il  en- 
tend ce  Peuple  féditieux  demander  fa  mort 
avec  des  cris  affreux  :  déjà  il  voit  le  che- 
min fatal  ,  où  fes  traces  fangfantes  feront 
em.preintes  ,  &:  par  où  chargé  de  la  croix  , 
&  couvert  d'épines  ,  il  montera  fur  le  Cal- 
vaire ;  &  quoiqu'il  ne  foit  pas  encore  livré 
à  fes  ennemis  ,  fon  amour  commence  le 
facrifice  que  leur  fureur  confommera  fur  la 
croix. 


Sur  LES  DISPOSITIONS  5  &c.-  55 
Première  iiîftruâ:ion  ;  Dieu  devroit  fans 
doute  exiger  de  nous  le  facrifice  de  notre 
vie  5  puifque  tout  pécheur  eft  indigne  de 
vivre  5  &:  que  nous  devenons  enfans  de 
mort  5  dès  que  nous  devenons  enfans  de 
péché  ;  mais  fa  clémence  a  remplacé  cette 
peine  ;  &:  le  facriiice  continuel  de  la  vie  des 
fens  5  eà  devenu  la  loi  de  mort  impofée  à 
tout  Fidèle.  C'eft  cette  loi  que  nous  avons 
tous  acceptée  far  les  Fonts  facrés  ^  lorf- 
qu  on  vint  nous  offrir  au  Seigtiêur  dans  îâ 
Temple  '.  c'ëfl  cette  hoftif  qu'on  nous  a 
ctàonné  d'immoler  à  notre  place  ,  pour 
êtra  déchargés  de  la  malédlftion  commii- 
VQ  5  ô^  acquérir  le  droit  d'être  aiTociés  au 
pt uple  df 'Dieu  ;  c'eft  là  cg  martyre  de  la 
Foi  j  que  nous  avons  tous  voué  ;  ce  niar- 
tyra  ,  dit  faint  Cyprien ,  qui  n'attend  p^s 
(tes  tyrans  6c  des  fupplices  ;  6c  qui  trouva 
dans  la  tranquillité  du  culte  ,  par  les  vio- 
lences  contiauelles  faites  aux  paillons ,  une 
paix  plus  amere  môme  &  plus  djuloureufe 
que  le  trouble  de  fes  perfécutions  &  de  fes 
ibuftrances  ;  c'eft  là  le  grand  témoignage 
que  nous  devons  tous  rendre  à  la  Foi  chré' 
tienne  ,  en  confefTant  la  vérité  de  fes  pro- 
meiîes  ,  par  le  facrifice  continuel  que  nous 
leur  faii'bns  de  nos  feus  &c  de  nos  paf- 
fions  ;  &  c'efl  en  ce  fens  que  tout  Chrétien 
eft  le  témoin  5  c'eft-à-dire  ,  le  martyr  de 
Jefas  Chriil  :  Eritis  mihi  ujles,  A^*  i» 

Voilà  5  mes  Frères  ,  la  vie  chrétienne 
une  vie  de  renoncement  &   de  facrince  ; 
cependant  fe  confacrer  à  Dieu  ,  pour  la 

C4 


£, 


5(5  PURIFIC.    DE    LA    VîERGE. 

plupart  des  aines ,  qui  revenues  des  égare- 
jiieiîs  du  monde  ,  veulent  le  fervir  ,  c'eft 
iîmplement  étaler  des  dehors  plus  reli- 
gieux ;fe  faire  des  liaifons  plus  faintes  ;  ne 
plus  fuir  le  commerce  des  gens  de  bien  ; 
aller  quelquefois  loin  du  monde  refpirer 
l'air  de  la  retraite  ;  ne  pas  rougir  des  oeu- 
vres publiques  de  miféricorde  ;  fe  choiiir 
un  guide  facré  ,  &  ne  plus  vivre  dans  un 
oubli  entier  des  Sacremcns.  Mais  f\  vous 
-Oî'êîes  ni  moins  am.bitieux  ,  ni  moins  at  • 
taclié  ,  ni  moins  fenfuel ,  ni  moins  fenfible  , 
ni  moins  jaloux  ,  ni  m.oins  vain  ;  vous  vous 
oiîrez  au  Seigneur  comm.e  les  premaiers-nés 
d'ïfraël  ;  c'eft-à-dire  ,  vous  vous  mettez 
entre  les  mains  du  Pontife,  vous  paroillez 
aux  pieds  de  l'autel;  mais  vous  ne  devenez 
pas  le  partage  du  Seigneur;  vous  n'oiîrez  k 
votre  place  qu'un  vil  animiaî ,  que  des  œu- 
vres extérieures  ,  que  des  apparences  delà 
piété;  vous  fuppofez  que  Dieu  fe  contente 
de  cet  échange  5  &  qu'il  acceptera  au  lieu 
de  votre  cœur  &  de  vous-même  ,  une  of- 
frande étrangère. 

Cependant  la  plupart  des  converfions  , 
à  la  Cour  fur-tout  ,  font  de  ce  caractère  , 
Se  fubfîftent  encore  avec  toutes  les  paf- 
fions  moins  marquées  à  la  vérité  ,  m.ais 
toujours  aufTi  réelles.  On  s'efl  donné  au 
Seigneur  ;  mais  les  foins  les  plus  vifs  Si 
les  plus  périlleux  de  la  fortune  ne  font  point 
rallentis  ;  m.ais  les  envies  ,  les  animofités  , 
les  concurrences  ,  les  iiaifons  humaines  ne 
nous  trouvent  pas  plus  infenfibles  ;  mais 


Sur  les  dispositions  ,  &c.  57 
Teftime  ,  l'amitié  des  Grands ,  les  diftinc- 
tions  publiques  ,  les  spplaudiiremens  des 
hommes,  la  faveur  du  maître  fur  tout .  n'a 
rien  perdu  de  ion  prix  dans  notre  cœur  , 
êieft  peut-être  entrée  pour  beaucoup  dans 
le  plan  de  notre  nouvelle  vie.  On  s'eil  don- 
né au  Seigneur  :  mais  on  fait  de  la  piété 
une  vie  douce  S:  tranquille  ,  exempte  feu- 
lement des  foucis  &  des  inquiétudes  des 
grandes  painons  :  une  fim.ple  indifféren- 
ce pour  les  agitations  des  plaifîrs  y  où  il 
entre  plus  d'indolence  que  de  vertu  ;  une 
vie  renfermée  dans  un  certain  cercle  d'oc- 
cupations ,  innocentes  à  la  vérité  5  mais  ai- 
fées  &:  paifiblcs  ^  une  vie  d'ailleurs  toute 
naturelle  ,  fouvent  oifeufe  ,  où  l'on  ne  re- 
fufe  aux  fens  que  les  excès  grolïiers ,  Sc 
où  fouvent  plus  de  féparation  du  tumulte 
&  des  grands  plaifîrs  ,  ne  fait  que  laiffer 
plus  de  loifir  aux  attentions  &  aux  àéli^ 
catelîes  du  corps  &  de  la  fanté.  On  s'eft 
donné  au  Seigneur  :  mais  quoiqu'on  foit 
revenu  des  défordres  d'un  engagement  cri- 
minel ,  on  n'en  a  pas  encore  rom.pu  le  lieu 
fatal  ;  on  cultive  encore  les  triftes  reftes 
d'une  pafTiOn  qu'on  croit  éteinte  ,  parce 
qu'on  en  a  fini  les  emportemens  ;  on  aime 
encore  à  voir  ces  objets  ,  ces  lieux  eu 
l'on  a  tant  de  fois  péri  :  femblables  à  Ra- 
chel ,  on  ne  rend  plus  à  {qs  idoles  des  lien- 
neurs  publiques;  mais  en  ne  peut  fe  réfou- 
dre  à  s'en  féparer  ,  ni  à  les  perdre  de  vue. 
En  un  mot  ,  on  s'eft  donné  au  Seigneur: 
mais  tout  ce  qui  plaifoit  5  plaît  encore ,  ou 

Cs 


58  PURÎFÎC.    DE    LA    VlERGE, 

n'a  point  fait  de  facrifice  :  on  s'eft  contenté 
d'ôîer  la  peau  de  la  victime  ^  de  changer 
les  dehors ,  de  dépouiller  un  extérieur  laf- 
cif  &  profane  ;  mais  on  n'a  pas  touché  au 
refte  :  on  n'a  pas  coupé  la  vï^ïme  ,  com- 
me la  loi  l'ordonnoit  ;  6c  le  glaive  de  la 
Foi  n'y  a  fait  aucune  féparation  douîou- 
Levît,  reufe  :  Dctradâquc  pelle  lioftia: ,  anus  in 
2»  ^'      fi'ufiTd   concides. 

Cependant  comme   on  perfévere  dans 
l'ufage  des  chofes  faintes  ,  comme  on  vit 
exempt  de  grands  crimes  ,  comme  on  fuit 
prefque  les  mêmes  routes  que  les  Juftës  , 
peu  s'en  faut  qu'on  ne  fe  croie  Jufle  com- 
me eux  :  ce  n'eft  pas  ici  une  hypocrifie  ; 
on  eft  dans    l'erreur    de  bonne  foi.  Au 
commencement  &  dans  les  premiers  temps 
de  la  converfion  ^  plus  frappés   idors  du 
fouvenir  encore  récent  de  *30s  défordres  , 
&  des  réparations  de  pénitence  dont  ils 
nous  rendoient  redevables  à  la  jufîice  di- 
vine 9  nous  fentions  que  nous  n'avions  en- 
core rien  fait  pour  Dieu  ;  nous  ne  prenions 
qu'avec  une  forte  de  confufion  le  nom  de 
ferviteurs  de   Jefus-Chrift  ;  &:  tandis  que 
le  monde  trop  prompt  fouvent  à  donner 
aux  plus   légères   démarches  de  change- 
ment ,  le  nom  de  vertu  &  de  fainteté  ;  tan- 
dis ,   dis- je  ,   qu'il    nous  méconnoiflbit  , 
nous  ne  nous  méconnoifTions  pas  encore 
nous-mêmes.    Mais    infenfiblement  nous 
nous  fommes  fam,iliarifés  avec   cet   état; 
les  dehors  de  la  juilice  nous  ont  caché  no- 
ire véritable    mifere  ;  les  louanges  des 


SVK  LES  DISPOSITIONS  ,  &c.  59 
hommes  fur  notre  prétendue  vertu  ,  nous 
ont  perfuadé  qu'elle  étoit  véritable  ,  & 
que  le  Seigneur  n'en  demandoit  pas  da- 
vantage de  nous  :  à  force  de  nous  regar- 
der avec  les  yeux  d'autrui  ,  nous  avons 
réufn  à  nous  prendre  pour  ce  que  nous  ne 
fommes  pas  ;  &  fans  avoir  jamais  fait  à 
Dieu  aucun  facrifîce  réel  &  douloureux 
de  nos  fcns  ,  d^  nos  penchans ,  de  nos  ef- 
pérances ,  de  nos  incommodités ,  de  nos 
antipathies  ^  de  nos  haines  fecreîtes  ,  de 
notre  orgueil  5  de  notre  am.bition  ,  nous 
croyons  nous  être  confacrés  au  Seigneur, 
avoir  renoncé  au  monde  ,  &  fait  le  facri- 
fice  que  Dieu  demandoit  de  nous. 

La  piété  ,  mes  Frères  ,  n'eft  donc  que 
le  facrifîce  de  notre  cœur  :  mais  ce  n'ed 
pas  affez  que  J'offrande  en  foit  réelle  ,  il 
faut  encore  qu'elle  foit  univerfelle  ;  CsccnàQ 
condition.  Jefjs-Chrift,  dit  faint  Bernard  5 
facrifîe  aujourd'hui  à  fon  Père  tous  fes  ti- 
tres 5  toute  fa  gloire  ,  fon  innocence  me» 
me  ;  il  ne  réferve  rien  ,  pour  nous  appren- 
dre 5  dit  ce  Père  ^  que  l'intégrité  du  facri- 
fîce en  fait  d'ordinaire  tout  le  mérite  :  Of-  S.Bern. 
ferentcs  illi  utiquc  quod  fumus  nofmetipji. 

Or,  on  veut  bien  retourner  â'Dieu  8c 
com.mencer  une  nouvelle  vie  ;  mais  on  ne 
veut  pas  tout  d'un  coup  faire  un  divorce 
univerfel  avec  le  monde  :  on  fe  figure  aue 
fi  l'on  vouloit  tout  entreprendre  d  abord  ^ 
on  ne  feroit  rien  ;  qu'il  faut  fe  gagner  peu  à 
peu  fur  certains  points  avant  que  d'en  ve- 
nir aux  autres  j  que  dans  de  foibles  corn- 

Dô 


Co       PuRiFic.  DE  L^  Vierge. 

mencemens  ,  le  Seigneur  ne  ciéfappronve 
pas  quon  accorde  encore  bien  de  chofes 
a  la  foibleiie  ;  qu'il  faut   s'effayer  fur  J. 

n:OHifircs  ennemis,  pour  attaquer  plus  hcu- 
reufeir.ent  les  plus  forts;  &  que  David 
vai.quoit  les  lions  &  les  ours  ,  avant  que 
dofer  attaquer  Goliath.  ^ 

Ainfi  on  fe  retranchera  fur  u'i  jeu  outré  • 
lirais  on  ne  veut  pas  encore  toucher  aux 
autres  plaifirs  :  on  rompra  un  engagement 
rie  crime  ;  mais  on  ne  veut  pas  d'abord 
bannir  les  fpectacîes,  les  entretiens  dange- 
reux, les  lia;fons  inutiles  &  fufpeacs    l-s 
foins  exceflifs  de  la  parure.  On  fe  dit 'à 
foi-memequechaquechofeaurafon  temps 
qu  II  faut  infenfiblement  accoutumer  le 
monde  &   s  accoutumer  foi- même   ■   on 
craint  de  trop  fe  prcfTer  ,  &  l'on  donne  à 
Ja  foibleffe  le  nom  de  pjudence.  Mais  dès 
commencemens  lî  ménagés  ne  font  jamais 
heureux  &  ne  vont  jamais  loin  :  il  n'en  eft 
pas  de  la  converfion  ,  comme  des  ouvra- 
ges des  _homn-.es  :   elle  n'eff  point ,  lorf- 
qu  elle  n  eft  pas  entière  ;  &  tout  eft  encore 
a  taire  ,  tandis  qu'il  en  refte  encore  un  feul 
point  :  toutes  les  paftlons  n'en  forment 
qu  isne  oans  lame  :  en  vain  les  attaquez- 
«oiis  fcparement  ;  vous  coupez  les  têtes  de 
J  Jiydrc  qui  rcnaifient ,  &  la  grâce  ne  con- 
iioit  point  de  viftoire  partagée. 

Il  eft  vrai  que  Ja  piété  a  {es  progrès  • 
quelle  le  perfectionne  de  jour  en  jour  ;  & 
qu  .1  tal  ut  Je  travail  de  quarante  années  , 
pour  relever  &  mettre  dans  fa  yerfeaioi 


Sur  les  dispositions  ,  8cc.  6î 
les  murs  &  le  temple  de  la  fainte  Jcrufalem^ 
figure  de  Tame  fidèle.  Mais  le  monde  ,  Se 
tout  ce  qu'il  a  de  criminel ,  doit  être  d'a- 
bord détruit  dans  notre  cœur  ;  mais  tout 
ce  qui  eft  incompatible  avec  la  vie  chré- 
tienne ,  doit  celTer  tout  d'un  coup  ;  &  dès 
que  le  Seigneur  a  fait  retentir  fa  voix  dans 
un  cœur  ,  la  criminelle  Jéricho  doit  tom- 
ber toute  entière  à  {es  pieds  ,  &  ne  plus 
rien  conferver  de  ce  qu'elle  étoit  ,  que  fes 
débris   &  fes  ruines. 

Et  certes ,  mes  Frères  ,  Jefus-Chrlfè 
pouvoit  fans  doute  *  en  venant  s'offrir  au- 
jourd'hui à  fou  Père  aux  pieds  de  l'autel  , 
comme  le  m^aître  du  temple  ,  y  laiiîer  briller 
quelque  rayon  de  fa  gloire  &  de  fa  piiif- 
fance,  com.melorfqu'il  en  chafTa  les  profa- 
nateurs :  mais  tout  partage  bleilé  fon 
rur.Gur.  Il  eft  le  Pontife  éternel  d'une  nou- 
velle alliance  ;  lui  feul  a  droit  d'entrer  dans 
le  fanéiuaire  véritable  ;  &  il  facrifie  cette 
augufte  qualité  ,  en  venant  acheter  le  droit 
d'entrer  dans  le  temple  figuratif:  il  eil  le 
Rédempteur  de  Sion  ;  &  lui-même  eft  ra- 
cheté comme  uneviftime  vulgaire:  c'eftle 
légiflateur  des  peuples  ;  &  il  vient  fe  fou- 
mettre  à  une  loi  dont  il  efi:  lui-mêmiC  l'ac- 
complilfement  :  enfin ,  il  eft  le  libérateur  tant 
de  fois  promis  ;  &  il  ne  refufe  pas  d'être 
délivré  delà  fervitude  commune  par  l'of- 
frande d'un  vil  animal  :  il  fait  un  facrifice 
univerfel  à  fon  Père  de  tous  les  titres  dont 
fon  Père  même  l'a  revêtu. 

Mais  c'eft  ici  fur- tout ,  où  il  eft  raie  de 


(^l  PURIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

ne  pas  ufer  de  referve  ,  &  de  faire  au  Sei- 
gneur un  facrifîce  fincere  de  toutes  ces  vai- 
nes diftindions  qui  nous  élèvent  aux  yeuK 
des  hommes.  Lors  mêmes  que   défabufé 
du  monde  ,  on  revient  des  égaremens  des 
pafTions ,  on  ne  revient  guère  de  la  vanité  , 
&:  de  l'entêtement  du  rang  &:  de  la  naiflan- 
ce  5  &  Ton  veut  que  fes  titres  entrent ,  pour 
ainfi  dire  ,  dans  tout  ce  qu'on  fait  pour  le 
Seigneur.  Si  l'on  confacre  des  dons  au  tem- 
ple 5  les  marques  fuperbes  du  nom  &  des 
dignités  en  immortalifent  la  mémoire  :  fi 
l'on  élevé  des  afyles  de  miféricordê'  5  ces 
maifons  deviennent  des  monumens  publics 
delà  grandeurde  celle  de  leurs  bienfaiteurs; 
&  les  fignes  de  la  vanité  font  prefque  tou- 
jours la  première  chofe  qui  paroît  dans  les 
œuvres  faintes.   Telle  eft  la  foibleffe  des 
Grands  fur-tout  :  les  hommages  obfcurs 
ne  plaifcnt  pas  ;  les  œuvres  de  Religion  qui 
nous  confondent  avec  la  foule  ,  ne  font  ja- 
mais de  notre  goût  :  il  faut  que  tout  ce  que 
nous  faifons  pour  le  ciel  porte  le  caradere 
de  ce  que  nous  fommes  fur  la  terre.  On 
entre  dans   des  œuvres  de    miféricorde  ; 
mais  on  en  veut  les  premiers  honneurs  :  on 
s'abaiflé  jufques  aux  minifteres  les  plus  vils 
de  la  charité  ;  mais  on  s'abaifle  avec  falle  ; 
&  dans  cet  abaiffement  mêmiC  on  fait  fen- 
tir  qu'on  eft  grand  ;  on  fe  trouve  dans  des 
lieux  fecrets  ^  confacrés  aux  exercices  hu- 
milians  de  la  miféricorde  ;  mais  on  s'y  fait 
•annoncer  par  des  diftinctions  de  vanité  ,  8c 
il  femble  qu'on  ne  veut  pas  courir  le  rifc^ue 


Sur  les  dispositions  ,  &c.  6^ 
de  rhumiliatioii ,  fans  s'être  préparé  le  dé- 
dommagement des  éloges. 

On  ne  connoit  plus  cette  humilité  ingé- 
nieufe  ,  dont  des  Saints  diftingués  dans  le 
monde  ,  nous  ont  lailTé  tant  d'exemples. 
Quelle  joie  pour  eux  lorfque  pouvant  fe 
dérober  aux  regards  publics  ,  &  fe  dépouil- 
ler pour  un  temps  du  poids  de  leur  gran- 
deur 5  ils  alloient  inconnus  ,  ou  foulager 
leurs  frères  ,  ou  s'expofer  à  des  outrages , 
ou  honorer  le  Seigneur  dans  quelqu'autre 
œuvre  obfcure  de  Religion  !  quelle  fainte 
induftrie  pour  trouver  ces  momens  heu- 
reux !  c'eft  alors  qu'ils  fe  croyoienî  vérita- 
blement grands  :  c'étoit  dans  ces  momens 
d'humiliation  ,  qu'ils  fe  regardoient  avec 
une  fainte  complaifance,  parce  qu'ils  retrou- 
voient  en  eux  les  traits  les  plus  reffemblans 
de  leur  divin  Maître  ,  dépouillé  aujourd'hui 
de  tous  fes  titres  devant  la  grandeur  de  fon 
Père ,  &  confondu  par  une  cérémonie  hon- 
teufe  avec  les  autres  enfans  d'Ifraël  :  c'eft 
alors  que  fe  trouvant  comm.e  foulages  du 
fardeau  de  leur  élévation  ,  ils  marchoient 
avec  plus  d'ardeur  &  de  légèreté  dans  les 
voies  de  la  juftice  :  c'eft  alors  enfin  ,  que 
le  Seigneur  fe  communiquoit  à  eux  plus 
abondamment,  &:  qu'ils  goûtoient  des  dou- 
ceurs que  le  cœur  humain  ne  peut  com« 
prendre.  Ainfi  dès  que  Moyfe  s'eft  dépouil- 
lé du  titre  faftueux  de  fils  de  la  fille  de  Pha- 
raon ,  &  eft  venu  dans  le  défert  ,  comn:e 
un  homme  obfcur  &  inconnu  ,  garder  les 
troupeaux  de  Jéthro  ;  c'eft  alors  que  le 


64  PURIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

Seigneur  fe  montre  à  lui  dans  le  buiflon 
&  verfc  dans  fon  ame  des  confolations  inef- 
fables 5  qui  le  dédommagent  avec  ufure  de 
toute  la  pompe  de  l'Egypte  ,  qu'il  vient  de 
facrifier  à  l'opprobre  de  Jefus-Chrift. 

Mais  non-feulement  Jefus-Chrift  facrifîe 
aujourd'hui  à  fon  Père  toute  la  gloire  de 
{es  titres:  afin  que  rien  ne  manque  à  l'inté- 
grité de  fon  facrifice  ,  il  lui  en  fait  un  même 
de  fon  innocence.  Il  paroît  dans  le  temple 
comme  un  pécheur  ;  il  y  eft  racheté  com- 
me un  efclave  &  un  enfant  de  colère  ;  il 
prend  fur  lui  toute  la  honte  du  pèche  dont 
il  eft  exempt  :  &  dans  les  facrinces  que 
Dieu  demiande  de  nous ,  nous  vouions  tou- 
jours  fauver  line  vaine  réputation  d'inno- 
cence &  de  probité  que  nous  avons  per* 
due. 

Vous  craignez  qu'en  reftituant  des  biens 
mal  acquis ,  vous  n'informiez  le  public  de 
vos  injuftices  fecrettes.  Mais  vous  vous 
trompez  ,  fi  vous  avez  cru  jufqu'ici  votre 
réputation  ià-deffus  hors  d'atteinte  :  depuis 
long  temps  on  dit  tout  haut  dans  le  monde, 
que  ces  équipages  pompeux  ,  ces  édifices 
fuperbes ,  cette  opulence  domeftique  eft  le 
bien  de  la  veuve  &:  de  l'orphelin  ;  que 
vous  avez  élevé  votre  fortune  fur  la  mi- 
iere  publique  ;  &  qu'une  profpérité  fi 
prompte  n'a  pu  être  innocente  :  le  monde 
lui-même  eft  bleffé  de  vos  profufions ,  &C 
ne  vous  regarde  plus  qu'avec  une  forte 
d'indignation  &  de  mépris  ;  &  loin  que  des 
démarches  publiques  de  repentir  miffent 


Sur  les  dispositions  ,  Sec.  6^ 
votre  réputation  en  danger  ,  il  ne  vous  refte 
plus  que  cette  voie  pour  recouvrer  celle 
que  vous  avez  perdue.  Vous  dites  que  {î 
vous  rompez  brufquement  ce  commerce  5 
l'éclat  fera  penfer  qu'il  n'étoit  pas  innocent. 
Mais  depuis  long-temps  le  public  mur- 
mure fur  ces  afiiduités  que  vous  croyez 
ignorées  :  c'eft  un  fcandale  ,  &  vous  vous 
flattez  qne  c'eft  un  fecret  :  les  gens  de 
bien  en  gémiffenî  ;  le  monde  ,  loin  d  y 
donner  des  interprétations  favorables  ,  va 
peut-être  encore  au-delà  de  la  vérité  ;  car 
les  erreurs  fur  ce  point  font  toujours  plu- 
tôt des  erreurs  de  malignité  que  de  bonté  ; 
&  une  rupture  foudaine  n'eft  plus  pour 
vous  un  éclat  à  craindre  ,  mais  une  démar- 
che aufil  néceffaire  à  votre  honneur  qu'à 
votre  falut  :  vous  reifemblez  à  Saiil  ,  qui 
exigeoit  de  Samuel  des  ménagemens  &:  des 
honneurs  publics  qui  confervailent  fa  gloire 
&  fa  réputation  dans  l'efprit  du  peuple  \ 
lui  ,  dont  les  infidélités  avoient  déjà  iî  fort 
éclaté  dans  tout  Ifrael  :  mais  d'ailleurs  , 
quand  il  s'agit  d'obéir  à  la  loi  de  Dieu  ,  il 
ne  faut  plus  craindre  les  démarches  les  plus 
humiliantes  5  que  le  falut  rend  indifpen- 
fables. 

Enfin  •  mes  Frères  ,  Toffrande  de  Jefus- 
Chrift  eft  une  offrande  toute  volontaire  ; 
dernière  condition.  C'eft  un  hommage  de 
furcroît  5  pour  ainfi  dire  ,  qui  ne  trouvé 
pas  {es  motifs  dans  l'obligation  de  la  loi , 
mais  dans  le  feul  amour  de  celui  qui  l'of- 
fre ;  &  l'ouvrage  du  falut  des  hommes  5 


66  PURIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

dont  fon  Père  l'avoit  chargé  ,  pouvoit  être 
confominé  5  fans  qu'il  ajoutât  aux  oppro- 
bres &  aux  travaux  futurs  de  fon  minif- 
tere  la  honte  de  cette  première  démarche. 

Mais  il  vouloit  accomplir  toute  juftice  , 
&  nous  apprendre  qu'un  ame  ,  qui  reve- 
nue des  égaremens  du  monde  fe  confacre 
à  Dieu  ,  ne  peut  d'abord  fe  refufer  à  elle- 
même  de  faints  excès  ;  ne  s'avife  pas  de 
compter  avec  fon  Seigneur  ^  pour  favoir 
au  jufte  ce  qu'elle  lui  doit  ;  ne  trouve  tien 
de  trop  pour  fa  douîêur  ,  &  pour  la  viva- 
cité de  Ion  repentir  ;  &  loin  que  la  tiédeur 
de  fon  zèle  attende  toujours  l'obligation 
inévitable  du  devoir  pour  agir  ,  elle  te  fait 
un  devoir  de  tout  ce  qu'un  zèle  faint  lui 
înfpire. 

Or ,  mes  Frères  ,  où  font  les  âmes  de 
ce  caraftere  ?  Lorfque  touché  de  la  grâce  , 
on  veut  revenir  à  Dieu  ;  le  premier  foin 
cft  de  chercher,  de  toutes  les  maximes  de 
le  fervir  ,  la  plus  douce  &  -la  moins  dure 
à  l'amour  propre  ;  loin  d'embraffer  des  ri- 
gueurs de  furcroît ,  on  étudie  d'abord  juf- 
qu'où  on  peut  pouffer  la  condefcendance  5 
pour  s'en  tenir  à  ces  bornes  dangereufes  ; 
on  fe  fait  d'abord  un  plan  de  vertu  ,  où  le 
monde  entre  prcfque  autant  que  l'Evan- 
gile :  loin  de  fe  propofer  les  phis  gens 
de  bien  pour  modèles ,  on  déclare  d'a- 
bord qu'on  ne  veut  pas  poufîer  Iqs  cho- 
fes  à  l'extrémité  comme  eux  ;  qu'on  ne 
vent  pas  donner  dans  le  ridicule  de  la  fin- 
gularité  ,  tk  dans  les  travers  d'une  piété 


Sur  les  dispositions  ,  Sec.     6^ 
outrée  :  loin  de  chercher  dans  leurs  exem- 
ples ce  qu'on  doit  imiter ,   on  y  cherche 
ce  qu'on  doit  fuir  ;  &  l'on  veut  être  à  Dieu 
en  commençant  à  condamner  ceux  qui  le 
fervent.  Ainli  on  ne  donne  à  Dieu  que  ce 
qu'on   ne  peut  lui  refufer  ;  &  l'on  traite 
avec  lui ,   non  comme   avec  \\\\  père  irrité 
qu'on   veut  appaifer  ,   mais   comme     un 
ennemi  ,   envers  qui  on  ne  fe  relâche  qu'à 
regret  de  ce  qu'on  eft  forcé  de  lui  accorder. 
Oui  j  mes  Frères  ,  qu'on  aime  peu  fou 
Dieu  5  quand  on  peut  fe  prgfcrire  à  foi- 
même  la  mefurê  de  l'aimer  !  qu'on  eft  peu 
touché  de  fes  crimes ,  quand  on  peut  d'à- 
bord  chercher  des  adoucilFemens  à  h  pé- 
nitence  !  que  la  converfion  eft  fufpeae  y 
lorfque  l'on  commence  par  y  mettre  des 
bornes  !  &c  que  le  cœur  eft  peu   changé  ^ 
lorfqu'il  a  encore  le  loifir  de  fupputer  les 
premières  démarches  de  fon  changemiCnt  ! 
Les  commencemens   de  la  pénitence  ne 
fauroient  être  fi  Janguiffans  &  fi  ménagés  ; 
le  cœur  alors  ne  pouvant  prefque  porter  \t% 
premières  imprciTions  du  Dieu  qui  le  rem  ■ 
plit  5  ne  cherche  qu'à  foulager  fa  douleur  : 
les  larmes  ne  coulent  jamiais  avec  afi^ez  d'a^ 
bondance  ;  la  componftion  n'eft  jamais  af- 
fez  vive.  Quelles  inquiétudes  fur  l'état  dé- 
plorable  où  il  a  vécu  ,  la  grâce  n'opere- 
t-elle  pas  dans  l'ame  d'un  véritable  péni- 
tent! quelle    fainte  indignation  fait- il  pa- 
roitre  contre  les  difiblutions  de  fes  premiè- 
res mœurs  ,  &  le  fcandale  de  fa  vie  pafiée  ! 
quelles  raifcns  n'a-t-ilpas  à  nous  oppofer  , 


68  PuRiFîC.  DE  LA  Vierge. 
lorfque  nous  voulons  modérer  l'excès  de 
fon  zèle  ,  &  confoler  ramertume  de  fa 
douleur  !  quelle  crainte  de  ne  pas  trouver 
auprès  de  Dieu  toute  l'indulgence  que  nous 
lui  promettons  !  quel  delir  de  réparer  le 
temps  perdu  dans  les  erreurs  du  fiecle  ,  de 
mettre  à  profit  ce  qui  lui  refte  de  vie  ,  & 
de  ne  plus  perdre  de  vue  le  bienfait  ineili- 
mable  qui  vient  de  Tappeller  à  la  connoif- 
fance  &  à  l'amour  de  la  vérité  !  quelle 
fainte  jaloufîe  envers  ceux  de  fes  frères  qui 
ont  eu  le  bonheur  de  le  donner  à  Dieu 
avant  lui  !  &  qu'il  lui  paroît  trille  d'avoir 
aimé  fi  tard  celui  qui  feul  efl  digne  de  uoire 
amour  !  quel  zèle  à  venger  fur  fa  chair  les 
iniquités  dont  elle  s'étoit  fouillée  ^  &  à 
faire  fervir  à  la  juftice  les  membres  qui 
avoientfervi  au  péché  ! 

Voilà  ,  mes  Frères ,  les  converfîons  que 
la  fuite  ne  voit  jamais  fe  relâcher ,  ni  fe  dé- 
mentir. Mais  ce  jeune  homme  de  l'Evan- 
gile ,  qui  appelle  par  Jefus-Çhrid ,  com- 
mence par  difputer  s'il  eft  obligé  de  renon- 
cer à  tout  pour  le  fuivre  ;  mais  cet  autre  , 
qui  5  en  fe  donnant  à  lui  ,  veut  encore  fe 
réferver  le  droit  d'aller  rendre  les  derniers 
devoirs  à  fon  père;  mais  toutes  ces  con- 
verfîons mitigées  &  imparfaites  ;mais  tous 
ces  facrifices  où  Ton  commence  par  mêler 
du  m.iel  contre  l'ordonnance  de  la  Loi  , 
le  Seigneur  les  rejette;  &  pour  être  dignes 
de  fes  regards  ,  il  faut  que  la  réalité  de 
l'immolation  en  fan£^ifie  l'offrande  ;  que 
l'intégrité  la  perfe£lionni2  ;  6c  enfin ,  que  la 


Sur  les  dispositions  ,&:c.  ^9 
ferveur  &  la  furabondance  de  zèle  la  coii« 
fomme  ,  &  la  falTe  monter  en  odeur  de  fua- 
vité  jufqu'au  trône  de  la  majefté  fainte: 
telle  eft  la  Loi  du  facrifice  :  hœc  eft  Lœx  Leviu 
Sacrificii.  Mais  fi  le  défaut  de  ces  condi-  ^*  ^4. 
tiens  rend  la  plupart  des  converiions  peu 
finceres  ,  le  défaut  de  fidélité  les  rend  auilî 
peu  durables  ;  &  c'efl  fur  quoi  l'exemple 
de  Marie  va  nous  inftruire. 

Esinfidélitéslesplusordinairesoùnous  ^^' 
tombons  dans  les  démarches  du  falut  que 
Dieu  demande  de  nous  ,  ont  leur  fource  , 
ou  dans  une  prudence  de  la  chair  ,  tou- 
jours ingénieufe  à  trouver  des  inconvé- 
niens  aux  delfeins  de  la  grâce  fur  notre 
ame,oudans  un  orgueil  &  une  complai- 
fance  fecrette  ,  qui  trouve  dans  les  dons 
même  de  l'Efprit  faint  ,  l'écueil  de  la  ver- 
tu ;  ou  enfin  ,  dans  un  découragement  dan- 
gereux 9  qui  ,  à  la  vue  des  maux  dont  il 
eft  menacé  ,  fe  confulte  trop  foi-même  , 
&  fait  de  fa  foibleile  la  mefure  de  fes  de- 
voirs. 

Or,  la  fidélité  de  Marie  dans  ce  myftere 
nous  fournit  de  grandes  règles  ,  pour  évi- 
ter ces  trois  écueils  :  docile  ,  elle  ne  rai- 
fcnne  pas  ;  humble  ,  elle  ne  s'élève  pas: 
généreufe  ,  elle  ne  fe  décourage  pas.  Sui- 
vez ,  s'il  vous  plaît  cet  ordre  j  <k  m'hono- 
rez de  votre  attention. 

Docile  ,  elle  ne  raifonne  pas  :  car  5  que 
ne  pouvoit-elle  pas  fe  dire  à  elle-même  , 
pour  fe  difpeiifer  de  la  Loi  commune  de 


70  PURÎFIC.    DE    LA    ViERGE. 

la  Purification  ?  Quand  les  raifons  tirées  de 
fa  propre  gloire  ,  n  auroient  pas  été  capa- 
bles de  la  toucher  ,  pouvoitelle  être  indif- 
férente à  la  gloire  de  fon  Fils  ?  En  fe  con- 
fondant avec  les  autres  mères ,  par  fa  fou- 
mifîionà  une  cérémonie honteufe  ,  ne  fem- 
bioit-elle  pas  le  confondre  aufîi  avec  les 
autres  enfans  d'Ifraël  ?  &  pouvoit-elle  fe 
dégrader  publiqueinent  de  Thonneur  de  fa 
divine  maternité  ,  fans  dérober  à  fon  Fils 
la  gloire  de  fon  éternelle  origine  ,  &  pré- 
parer de  loin  des  preuves  à  l'incrédulité  , 
&  aux  blafphêmes  de  fes  ennemis  ? 

Mais  elle  avoit  appris  dans  fa  retraite  de 
Nazareth  que  l'œil  de  la  grâce  efl:  fimple  ; 
que  trop  de  raifon  ,  quand  il  s'agit  des  voies 
de  Dieu  ,  eft  un  excès  de  lumière  ,  qui 
éblouit  ,  &  qui  égare  ;  que  la  vie  de  la 
Foi  lailfe  toujours  des  ténèbres  &  des  dif- 
ficultés ,  pour  ne  pas  ôter  à  l'ame  jufte  le 
mérite  de  fa  docilité  ;  &  qu'il  y  a  un  œil 
de  fcandale  qu'il  faut  arracher  ,  &  jetter 
loin  de  foi  de  peur  de  regarder  trop  avant 
dans  les  voies  où  la  grâce  nous  appelle. 
Elle  fe  foumet  avec  fimplicité  ,  &  adore 
dans  l'ordre  de  Dieu  les  de/Teins  éternels 
d'une  démarche  qui  femble  n'offrir  à  la  rai- 
fon que  des  inconvéniens  inévitables. 

Mais  que  l'exemple  de  Marie  a  peu  d'i- 
mitateurs parmi  ceux  même  qu'on  régarde 
comme  juiles  ,  &  qui  vivent  dans  la  prati- 
que de  la  vertu  !  Oui ,  mes  Ficres ,  nous 
prenons  prefque  toujours  dans  les  intérêts 
■de  la  gloire  de  Dieu  ^  des  prétextes  poui* 


Sur  les  dispositions  ,  &c.  71 
nous  dilpenfer  de  fa  Loi  fainte  ;  &  nous 
trouvons  le  fecret  de  nous  déguifer  à  nous- 
mêmes  nos  pafllons  fous  le  nom  de  la  piété, 
Ainii  5  on  fe  retrancheroit  fur  bien  des  cho- 
{es  que  la  Loi  de  Dieu  demande  de  nous  ; 
mais  on  ne  veut  pas  rendre  la  piété  odieufe, 
par  des  fîngularités  aufquelles  le  monde 
ne  manqueroit  pas  de  donner  du  ridicule  : 
on  feroit  certaines  démarches  qui  refient  à 
faire  ,  pour  n'avoir  plus  rien  à  fe  repro- 
cher ;  mais  les  inconvéniens  qu'on  en 
craint  paroiflent  plus  dangereux  ,  que  le 
mal  même  qu  on  eft  obligé  de  fe  permettre  : 
on  feroit  mioins  fenfible  à  une  injure  ;  mais 
on  eft  revêtu  d'un  caractère  facré  ,  dont 
on  eft  obligé  de  venger  l'honneur  :  on 
fou ffriroit  la  calomnie  fans  fe  plaindre  ;  mais 
l'œuvre  de  Dieu  s  y  trouve  inîérefîee  ,  & 
fî  l'on  ne  démafque  l'impoileur ,  la  crédu- 
lité publique  fera  féduite ,  &  une  entreprife 
de  mifericorde  renverfée  :  on  garderoit 
contre  cet  Ecrivain  les  règles  de  la  chari- 
té ,  &  de  la  poiitelTe  même  Chrétienne  ; 
m-ais  le  zèle  de  la  vérité  qu'on  défend  ne 
permet  pas  cette  jufte  modération  ;  &  con- 
tre l'erreur  ,  il  ne  faut  pas  amplement  adou- 
cir £%:  changer  fa  voix  ,  comme  autrefois 
l'Apôtre  en  écrivant  contre  les  abus  d'une 
Eglife  fidèle  ,  mais  fonner  de  la  trompette 
comme  les  Prêtres  de  la  Loi  contre  Jéricho. 
Ainfî  ,  la  Religion  elle-même  fert  fouvenî 
d'afyle  &:  d'appui  à  des  paîTions  injuftes. 

IVIais  lailfons  à  Dieu  ,   mes  Frères ,  le 
foin  de  venger  fa  gloire  :  défendons  la  vé- 


72  PURIFIC.   DE    LA    ViERGE. 

rite  avec  les  armes  de  la  charité  :  comb^it- 
tons  l'erreur  avec  cet  efprit  de  douceur  §i 
de  modeftie  ,  feul  capable  de  ramener 
ceux  qui  errent  :  découvrons  le  mal  fans 
aigrir  le  malade  ;  &  n'ajoutons  pas  au  fcan- 
dale  des  doctrines  perverfes  ,  celui  des 
emportemens  qui  les  combattent.  N*in- 
téreilons  pas  la  gloire  de  Dieu  à  nos  trans- 
greiïîons  :  accomplirons  la  Loi  ,  qui  eft 
claire.  Que  les  inconvéniens  douteux  que 
nous  croyons  appercevoir  de  loin  ,  ne 
nous  retardent  plus  :  c'eft  l'affaire  de  ce- 
lui qui  nous  ordonne  d^obéir  ;  &:  puifque 
ces  raifons  ne  l'ont  pas  encore  obligé  de 
changer  fa  Loi,  elles  ne  doivent  rien  chan- 
ger aufli  à  la  fidélité  de  notre  obéiffance. 
D'ailleurs ,  vous  qui  paroiiTez  fi  fenfible 
aux  intérêts  de  la  gloire  de  Dieu  ,  &  qui 
peut-être  confondez  ce  fentiment  de  la  Foi 
avec  une  vivacité  toute  humaine  uir  votre 
gloire  propre  ;  favez-vous  où  le  Seigneur 
la  trouve  ,  fa  gloire  ?  Vous  croyez  que 
c'efi:  dans  le  fuccès  d'une  oeuvre  d'éclat 
utile  à  la  piété  ,  dans  la  confufion  &:  dans 
le  décri  d'un  ennemi  de  la  vertu  :  vous 
vous  trompez.  C'eft  fouvent  dans  la  pa« 
tience  d'un  JuÛq  perfécuté  ;  c'eft  dans  le 
iîlence  d'une  ame  fidèle  que  l'on  calomnie  : 
ces  actes  pénibles  &  fecrets  de  la  Foi  ont 
quelque  chofe  de  plus  grand  à  fes  yeux  , 
Êc  de  plus  digne  de  fa  gloire  ,  que  les  hon- 
neurs le  plus  pompeux  rendus  à  la  vertu  ; 
&  peut-être  que  ceux  de  ïfraéiites  deve- 
nus fidèles   ôC  fervens  dans  la  captivité  ? 

ihonoroient 


Sur  les  dispositions  ,  ^c.  7^ 
riionoroient  davantage  le  long  des  fleuves 
de  Babylone ,  par  les  gémiflemens  fecrets, 
par  les  defirs  faints  &:  ardens  ,  par  les  trif^ 
tes  CiAntiques  qu'ils  faifaient  monter  fans 
cefle  vers  le  Trône  du  Dieu  de  leurs  Pè- 
res 5  par  la  patience  avec  laquelle  ils  fup- 
portoient  les  rigueurs  de  leur  fervitude  ôc 
le  joug  des  incirconcis  ,  que  n'auroit  pu 
faire  la  ruine  entière  des  ennemis  d'ifraèl  , 
la  gloire  de  Jérufalem  rebâtie  ,  &  la  m.a- 
gnificence  de  Ton  Temple  &  de  fes  Sacri- 
fices. Ce  n'efi:  pas  toujours  en  attirant  des 
honneurs  à  la  vertu  ;  c'eft  le  plus  fouvent , 
en  exerçant  le  Juile  par  des  opprobres  , 
que  le  Seigneur  fait  fe  glorifier  iui-inêirie. 
Une  autre  inftrucirion  que  nous  donne 
ici  la  docilité  de  Marie  ,  c'eft  qu'élevée 
su  degré  le  plus  fubiime  de  la  grâce  ,  unie 
à  Dieu  par  les  dons  les  plus  excellens  de 
TEfprit  faint  ,  elle  ne  dédaigne  pas  une  cé- 
rémonie vulgaire  du  culte  ;  elle  n'aiTcile 
pas  des  voies  plus  {ubiimes  ,  plus  fpiri- 
tuelles  5  &:  plus  parfaites.  Car  cet  écueil 
cil  à  craindre  pour  la  piété  :  fouvent  on 
croit  avoir  une  dévotion  plus  éclairée  ,  &C 
de  meilleur  goiit ,  en  laidant  au  peuple 
iinipîe  &  groilier  ,  ou  aux  âmes  moins  ins- 
truites 5  tout  ce  qui  ne  paroît  établi  que 
pour  le  culte  extérieur  ,  &  les  pratiques 
les  plus  communes  de  la  Religion  ,  que  la 
piété  publique  a  autorifees  ,  &  dont  la  (im- 
plicite femble  les  de/liner  à  la  multitude 
ignorante:  on  néglige  ces  fecours  inno- 
cens  ^  comme  fi  une  Foi  plus  éclairée  pou- 

j\1yjicrcs.  D 


74  PURÎFIC.    DE    LA   ViERGE. 

voit  s'en  paiîer  :  en  croit  en  donnant  moins 
aux  fens  &  à  la  chair,  qui  ne  fert  de 
rien ,  agir  plus  félon  TeTprit  qui  eft  utile 
à  tout  :  on  fe  relâche  fur  mille  ufages  faints 
&  fenfîbles  ,  qui  répandoient  au  commen- 
cement de  notre  pénitence  ,  une  on6i:ion 
fecrette  dans  nos  cœurs  ,  &  foutenoient  la 
fidélité  de  notre  piété  nailTante  :  on  fe  per- 
ftiade  qu'il  y  a  une  voie  plus  excellente  ; 
Se  cependant  ,  depuis  qu'on  eft  infidèle  à 
ces  ufages  ,  on  eft  tombé  dans  le  relâche- 
ment &  la  fécherelfe  ;  on  ne  fent  plus  ces 
confolations  faintes ,  qui  étoient  la  récom- 
penfe  &  le  foutien  de  la  vertu  ;  en  négli- 
geant ces  œuvres  fi  peu  utiles ,  on  a  peu- 
à-peu  i>ëgiigé  les  plus  elfentielles  ;  &  l'on 
eû.  devenu  tout  charnel  depuis  qu'on  n'a 
plus  voulu  fe  conduire  que  félon  Fefprit. 

Ainfî  5  m.cs  Frères  ,  tout  aide  à  la  véri- 
table  piété  ;  tout  réveille  fa  foi  ,  tout  per- 
fedionne  fon  amour  ,  tout  confole  fon  ef- 
pérance  :  rien  n'eft  imiparfa.it  pour  elle  que 
les  œuvres  qni  manquent  de  ferveur  ;  & 
les  pratiques  les  plus  fîm.ples  lui  paroiifent 
aufiî  élevées  devant  Dieu  que  les  plus  pu- 
3CS  contemplations  des  Séraphins  ,  dès 
qu'elles  en  ont  l'amour  &  le  zèle.  La  per- 
feâ:ion  de  la  vertu  ne  confifte  pas  dans  la 
fublimitc  des  devoirs  que  l'on  remplit  , 
mais  dans  la  grandeur  de  la  foi  ,  qui  peut 
accompagner  les  œuvres  Iqs  plus  vulgai- 
res. Souvent  on  ne  fe  croit  plus  avancé  , 
que  parce  qu'on  vacque  à  des  fonctions  plus 
relevées ,  à  des  leftures  plus  fpirituelles , 


Sur  les  oisposîtîons  ,  8cc.  75 
à  des  méthodes  plus  parfaites.  Mais  fi  vous 
portez  à  ces  méthodes  fubiimes  les  défauts 
des  foi  blés  &c  des  imparfaits  ,  vous  êtes , 
comm.e  les  Apôtres  ,  m.onté  fur  le  Tha- 
bor  ,  pour  y  contempler  la  gloire  du  Sei- 
gneur ;  mais  vous  y  confervez  encore  , 
comm.e  eux  ,  un  goût  de  chair  &  de 
fang  5  &:  penfez  encore  à  vous  bâtir  fur  la 
terre  un  Tabernacle  &  une  Cité  permia- 
nente. 

En  fécond  lieu  ,  humble  ,  Marie  ne  s'é- 
lève pas.  Car  ,  mes  Frères ,  qui  peut  dou- 
ter qu'elle  n'eût  été  éclairée  d'en  haut  fur 
toute  la  fuite  du  mjniftere  de  fon  Fils  ,  elle 
qui  en  avoit  dévelappé  les  merveilles  d'une 
manière  fi  fubiime  dans  fon  divin  Canti- 
que ;   &:  que   l'élévation   de  fes  lumières 
ne  repondit  à  celle  de  fa  grâce  6c  de  fa  di- 
gnité ?  Cependant  elle  veut  bien  recevoir 
les  avis  du  juile  Sim.écn  ;  elle  ne  dédaigne 
pas  d'être  inftruite  par  le  faint  Vieillard  fur 
les  fuites  de  fa  deftinée  &  de  celle  de  fort 
Fils  :  elle  paroit  apprendre  ce  qu'une  plé- 
nitude d'efpriî  &  de  grâce  lui  avoit  déjà 
appris  :   elle  ne  s'emprefTe  pas  de  raconter 
à  fon  tour  les  grandes  chofes  que  le  Sei- 
gneur avoit   opérées  en  elle  ,   &  tout  ce 
que  l'Ange  lui  avoit  révélé  dans  fa  retraite 
de  Nazareth  ;  &  comime  d  le  cantique  du 
Vieillard  Siméon  lui  eût  découvert  fur  cet 
enfant  j  des  myfteres  qu'elle  eût  jufques-là 
ignorés  ,  elle  écoutoit  fcs  paroles  ,  dit  l'E- 
vangile ,  avec  une  admiration  de  refpe£t 
&:  de  furprife  ;  Erat  FaUr  2Jus  &  Maîzr  Lu:,  z. 


•j6  PURIFÎC.  DE   LA    ViERGE. 

mirantes  fuper  his  cpicz  dicchantur  de  illo. 
Or  ,  rien  de  plus  rare  ,  même  dans  la 
piété  ,  que  cette  fage  &  modefte  retenue  , 
qui  va  à  cacher  Tes  propres  dons  ,  &  à  ma- 
nifeiler  ceux  à^s  autres.  Souvent  enflés  de 
quelques  foibles  lumières ,  qu'on  croit  avoir 
puilees  dans  des  leâ:ures  plus  recherchées  , 
on  veut  tout  inilruire  fans  connoiilance  , 
tout  régler  fans  vocation  ,  tout  entrepren- 
dre fans  talent  ,  tout  décider  fans  autorité. 
A  peine  trouve-t-on  de  guide  alfez  éclairé 
pour  fe  conduire  :  tout  paroît  au-defTous 
de  ce  qu'on  croit  être  foi-même  :  il  faut 
des  Pauls  defcendus  du  Ciel  ;  encore  ne 
parlent- ils  pas  afîéz  la  fagefîe  Aqs  parfaits  : 
la  fmipliciié  ,  i'onclion  ,  la  plénitude  de 
l'Efprit  de  Dieu  ne  paroifîent  plus  que  des 
talens  defiinés  à  fauverles  âmes  vulgaires  : 
on  veut  pour  foi  un  certain  goût  ,  des  lu- 
mières rares  ,  des  dons  éclatans ,  &:  quel- 
que chofe  de  plus  que  la  fcience  de  Saints  ; 
&  la  vanité  paroit  jufques  dans  le  choix 
qu'on  fait  de  celui  de  qui  on  veut  appren- 
die  l'humilité   chrétienne. 

Souvent  encore  on  conferve  dans  un 
miniftere  faint,  com.me  ces  Fidèles  de  Co- 
rînthe  ,  un  efprit  d'émulation  pour  les  dons 
eis'térieurs.  Tout  ce, qui  brille  plus  que 
nous  5  nous  blelfe  :  tout  ce  qui  nous  eiface 
ou  nous  obfcurcit  ,  nous  trouve  inexora- 
bles :  que  Jefus-  Chrift  en  foit  plus  glorifié  , 
fi  nouslefommes  m.oins  nous-mem.es ,  nous 
devenons  les  cenfeurs  de  l'œuvre  de  Dieu 
dans  Iqs  dons  de  nos  Frères  :  nous  n'avons 


Sur  les  dispositions  ,  &c.  77 
de  zèle  que  pour  les  miniileres  éciatans; 
nous  laiirons  aux  autres  les  plus  utiles  aus 
Peuples  ;  nous  fuyons  en  travaillant  à  l'é- 
difice du  Seigneur  5  ces  foins  obfcurs  & 
pénibles ,  qui  ne  font  que  préparer  les  voies 
en  fecret,  &  qui  laiilent  aux  autres  la  gloire 
publique  du  fuccès  ,  &  tout  Thonneur  de 
l'ouvrage:  peu  femblables  à  David,  qui 
fe  contenta  d'avoir  amaile  avec  des  iGÏns  in^ 
croyables ,  tous  les  matériaux  du  Temple  5 
&  laifla  à  ion  fils  Saîomon  la  gloire  immor- 
telle de  l'avoir  élevé  ,  &i  tout  l'honneur 
de  cet  ouvrage  célèbre.  Cependant  ^  tout 
eft  à  craindre  lorfque  l'orgueil  S:  la  yaine 
compîaifance  fe  mêlent  avec  les  talens .  & 
les  dons  extérieurs  de  l'Efprit  faint  :  c'eft 
une  rouille  qui  les  infeâe  ,  &  qui  en  anéan- 
tit le  fruit  oC  l'ufage  :  vous  arrofez  ,  &  le 
Seigneur  ne  donne  pas  raccroifFement  ; 
vous  travaillez  ,  &  vous  femez  du  vent  : 
Dieu  ne  bénit  pas  un  inftrum.ent  qui  n'agit 
pas  fous  fa  main  ;  &  vous  devenez  coupa- 
ble ,  ck  des  dons  que  vous  avez  reçus  •  &: 
des  fruits  que  le  Seigneur  avoit  attachés  à 
i'ufage  faint  que  vous  en   deviez  faire. 

Enfin ,  généreufe  ,  Marie  ne  fe  décou- 
rage pas.  On  lui  annonce  qu'un  glaive  de 
douleur  percera  fou  ame  ;  que  cet  enfant 
qu'elle  vient  offrir  y  fera  expofé  com.me 
un  but  aux  traits  de  la  contradiction  &  de 
la  calomnie  ;  on  ne  préfente  à  fon  efprit  que 
des  images  triftes  &  efFrayantes  ;  on  ne  lui 
fait  entrewir  de  loin  que  des  malheurs  , 
dont  la  penfëc  feule  fait  frémir  fa  tcndreife  ° 


7^  PURÏFÎC.   DE    LA    ViERGE. 

cependant  à  des  préfages  fi  funeftes ,  elle 
oiire  une  foi  généreufe  &  foiimife.  Fille 
d'Abraham  ,  elle  en  imite  la  fidélité  &  le 
courage  ;  elle  voit  déjà  la  montagne  fainte  , 
le  bûcher  fatal  drelTé  ,  &:  le  véritable  Ifaac 
prêt  à  être  immolé  ,  fans  que  fon  amour 
arrête  le  bras  qui  va  frapper.  Elle  entre 
dans^  les  difpcfitions  divines  de  fon  Fils  , 
uniiiant  fa  foumiinon  à  la  fienne  ;  elle  tire 
de  lui  toute  fa  force  ;  &  comme  ils  offrent 
la  même  hoftie  ,  ce  n'efl ,  pour  ainfî  dire  , 
que  la  même  obéiHance  qui  en  confomme 
&  en  fanéiiiie  i'ûblaîion. 

Or  5  c'eft  ici  où  Texemiple  de  Marie  cft 
peu  imité.  La  piété  n'arrache  pas  toujours 
du  cœur  des  parens  les  plus  chrétiens  ,  Fa- 
inour  charnel  &  déréglé  des  enfans  ;  & 
l'on  n'offre  pas  toujours  au  Seigneur,  com- 
me elle  5  ni  ce  qu'on  a  de  meilleur,  ni  peut- 
être  ce  qu'il  demande  de  nous.  Si  l'on  dé- 
mêle dans  un  enfant  les  premières  efpéran- 
ces  de  ces  talens  qui  font  réuflîr  dans  le 
monde  ;  s'il  paroît  plus  propre  que  les  au- 
tres à  foutenir  la  gloire  de  fon  nom  &  l'ef- 
time  publique  ,  on  le  fépare  pour  la  terre  ; 
on  le  regarde  comme  confacré  &  deftiné 
au  fiecle  par  fa  naiffance  ;  le  Seigneur  n'a 
plus  de  droit  fur  lui.  En  vain  mille  traits 
d'une  vocation  fainte  paroiffent  déjà  fur  fa 
perfonne  ;  en  vain  mille  defirs  de  fépara- 
tion  &  de  retraite  ,  que  la  grâce  opère  déjà 
dans  fon  ame ,  laiffent  comprendre  les  def- 
feins  de  Dieu  fur  lui  ;  en  vain  ,  comme 
Moyfe  ,    préférant  l'opprobre   de  Jefus< 


Sur  les  dispositions  ,  Scc.  79 
Chrift  aux  richelTes  de  l'Egypte  ,  fe  déro- 
be-1- il,  peut-être  même  pour  s'enfuir  au 
défert  :  on  réfille  à  l'ordre  de  Dieu  ;  ou 
regarde  les  plus  {ainls  mouvemens  de  la 
grâce  comme  des  légèretés  de  reafance  ; 
on  ne  le  croit  pas  encore  capable  de  le  clioi- 
fir  une  voie  ,  &  on  lui  offre  celle  du  fiecle  : 
on  ne  veut  pas  le  détourner  ouvertement 
d'un  deffein  louable;  mais  fous  prétexte 
d'éprouver  la  vocation  ,  on  la  fait  perdre; 
on  exige  qu'il  connoillc  le  monde  aupara- 
vant, &  on  attend  qu'il  l'nit  ainin  :  on  veut 
Jaifier  mûrir  la  raifbn  ,  ôc  on  lalilc  flétrir 
l'innocence  ^  fortifier  les  pallions  :  on  fe 
perfuade  qu'il  faut  l'engager  dans  des  plai- 
firs  qui  éprouvent  fa  réf^ilution  ;  &  on  le 
met  dans  des  occafions  qui  ccrroîiîpent  foa 
ame  :  6c  com.me  Noé  ,  mais  avec  des  in- 
tentions bien  différentes  ,  on  envoyé  il  fou- 
vent  fur  une  terre  inondée  d'iniquités  , 
cette  chaire  colombe  ,  pour  eifayar  fi  elle 
pourra  s'y  arrêter  ,  qu'à  la  fin  elle  y  relie  , 
&:  ne  revient  plus  dans  le  faint  afyle  où  is 
Seigneur  l'avoit  appellée. 

Ce  n'eft  pas  que  je  prétende  ici  blâmer 
les  précautions  d'une  prudence  chréticane  , 
mais  je  blâme  les  vains  prétextes  de  la 
chair  Bc  du  fang.  Et  en  effet  ,  lorfquc  vous 
trouvez  les  mêmes  deiirs  de  retraite  dans 
ceux  de  vos  enfans  ,  qui  par  l'ordre  de  leur 
naiffance  ,  ou  par  la  médiocrité  de  leurs 
talens  ,  fe  trouvent  moins  propres  au  mon- 
de ,  &  à  féconder  la  vanité  de  vos  projets  ; 
êies-vcus'  il   difficiles  Ôc  fi   circonfDeéis  ? 

D4  ' 


So  PURIFIC.   DE    LA     ViERGE. 

prenez-vous  tant  de  mefures  ,  pour  éprou- 
ver il  ceR  le  boa   efprit  qui  les  pouiTe  ? 
inettez-vous   leur  vocation  à  des  épreuves 
il  périlleufes  ?  Ah  !  loin  de  vous  défier   de 
leur  âge  &:   de  leur  enfance  ,  vous  en  abu- 
fez  :  loin   de   leur  repréfenter  les  inconvé- 
lîiens  d'un  choix  téméraire  ,  vous  le  leur 
inrpiVez  :  loin  de  leur  foire  connoître  les 
plaillrs  du   monde   ,   pour  éprouver   leur 
vocation  ^  votre  grande  attention  efl  de  les 
en  éloigher,   èl  de  leur  en  faire  des  pein- 
tures afircufes  :  au  lieu  de  leur  préfenter 
avec  neutralité  le  ilecle  &  la  retraite,  vous 
les  placez  dans  des  fiîuations  où  tout  leur 
fait  entendre  ce  que  vous  n'ofez  leur  dire  : 
vous  faites  de  leur  éducation  une  voie  qui 
les  conduit  à  vos  fins  :  fous  prétexte  de  les 
éloigner  des   dangers  ,  vous  dérobez  de 
bonne  heure  le  monde  à  des  yeux,  devant 
lefquels  vous  craignez  qu'il  ne  paroiffe  trop 
aimable  :  vous   ne  les  traînez   pas  comme 
des    viâ:imes   infortunées   à  Fautel  ,  mais 
peut-être  vous  leur  rendez  la   retraite  un 
afyie  fouhaitable  ,  par  les  févérités  &  les 
traitemens  injuilcs   qu'ils  ont  à  eiîuyer  au- 
près de  vous.  Après  cela  vous  venez   nous 
dire  que  vous  êtes  heureux  dans  l'établiA 
fement  de   votre  famille.  Vous  êtes  heu- 
reux ;  mais  vos  enfans  le  font-ils  ?  &:  pou- 
vez-vous  appeller  un  bonheur  pour  vous  , 
leur   infortune  ,    &:  Finhumanité  qui  vous 
les  a  fait  facrifier  à  l'idole  de  votre   ambi- 
tion ? 
Mais  de  plus  ,  la  honte  de  vos  familles 


Sur  les  DIS?osITî0^^5:  ,  oîc.  8r 
devient  aiiiii  le  partage  du  Seigneur.  Aind. 
les  vafes  de  rebut  ,  que  vous  n'avez  pas 
trouvés  dignes  d'être  placés  dans  votre 
rnaifon  ,  vous  les  choi/ilFez  pour  être  les 
vafes  d'honneur  du  Temple  du  Dieu  vi- 
vant !  ainli  ces  pierres  inutiles ,  que  vous 
rejetiez  ,  comme  incapables  d'entrer  dans 
redihce  profane  de  votre  fortune  ,  vous 
les  réfervez  pour  être  les  pierres  de  l'angle  , 
&  les  colonnes  de  la  Maifon  du  Seigneur  ! 
Eh  quoi  !  mes  Frères  ,  l'art  des  arts  ,  le 
gouvernement  des  âmes  dcmande-t-il  moins 
de  talens  ,  que  les  occupations  frivoles  & 
les  inutilités  de  la  terre  ?  Quoi  [  l'interpré- 
tation des  myfteres  de  la  Foi  ,  la  défenfe 
de  la  vérité  &  de  la  docl:rine  ,  l'inllru^ion 
des  peuples  ,  la  difpenfation  des  grâces  de 
l'Eglife  ;  des  devoirs  û  fublimes ,  ne  doi- 
vent-ils donc  être  abandonnés  qu'à  des  ta- 
lens inutiles  ,  &:  à  des  efpriîs  vulgaires  8c 
médiocres  ?  Quoi  !  la  force  ,  pour  réiiPœT 
à  l'erreur;  îa  lumière  &  l'élévation  ,  pour 
la  découvrir  2>c  la  confondre  ;  le  zèle  ^ 
pour  combattre  le  mionde  ,  avec  fes  abus 
&  Tes  maxim.es  ;  îa  fainteté  ,  pour  les  cor- 
riger ;  la  plénitude  de  refprit  de  Dieu  , 
pour  le  toucher  ;  l'éloquence  fainte  ,  pour 
le  convaincre  ;  l'intrépidité  ,  pour  ne  pas 
le  ménager  ;  la  grandeur  d'ame ,  pour  être 
au  defilis  de  fes  menaces  &  de  fes  proiiief- 
fes  ;  font  ce-Là  des  minifteres  vulgaires  Sc 
rampans  ?  &  faut-il  ,  pour  d-2s  fonctions  u 
élevées  ,  être  nés  m.oins  heureufeinr'nt 
que  pour  les  amufemens  du  monde  ,  8c  les 


8z  PURÎFIC.    DE     LA.    ViERGE. 

a^<T/itations  puériles  qui  en  font  les  plus  fé- 
rierifes  occupations  ! 

Mais  vous  exigez  vous-mêmes  de  nous 
tant  de  qualités  rares  &  fublimes  ;  vous 
voulez  que  nos  mœurs  foient  irrépréhen- 
fîbles  ,  èl  que  nous  brillons  par  la  fainteté 
de  notre  vie  ,  comme  des  aftres ,  au  milieu 
des  ténèbres  &  de  la  corruption  générale 
dn  monde  :  vous  voulez  que  nous  éclair- 
ciinons  vos  doutes  ,  que  nous  redrelîions 
vos  égaremens  ,  que  nous  foutenions  vo- 
tre foibleiie  .  que  nous  confolions  vos  af- 
iiicrions  :  vous  voulez  que  nous  foyons  les 
dépoiîtaires  de  la  doâ:rine  &  de  la  vérité  , 
les  oracles  de  la  terre  ,  toujours  prêts  à 
rendre  raifon  de  notre  foi ,  &  à  humilier 
toute  hauteur  qui  s'élève  contre  la  fcience 
de  Dieu.  Mais  ceft  vous-mêmes  ,  mes 
Frères  .  qui  nous  avez  donnés  à  TEglife  ; 
ceCi  de  vos  manis  que  le  Seigneur  nous  a 
reçus  ;  &  fi  vous  ne  préfentez  au  Temple  y 
que  ce  que  vous  avez  de  pire  &  de  plus 
défe£lueux  ,  comment  y  trouverez- vous 
ce  qu'il  y  a  de  plus  rare  &  de  plus  excel- 
ieuî  fur  la  terre  ? 

Vous  faites  après  cela  vous-mêmes  , 
mes  FrCi-es ,  du  dérèglement  ou  de  l'igno- 
rance des  perfonnes  ccnfacrées  à  Dieu  ,  le 
fujet  le  plus  ordinaire  &:  le  plus  agréable 
de  vos  dériuons  &  de  vos  cenfures  :  mais 
n'e{î-ce  pas  l'oîivrage  de  votre  orgueil  & 
de  vos  iiitércîs  fordides  ,  que  vous  trou- 
vez il  digne  de  rifée  ?  ne  font -ce  pas  l^s 
îiiaiiis  de  votre  cupidité  5  qui  ont  placé  fur 


Sur  les  dispositions  ,  &c.  S3 
l'autel  ces  idoles  nicprifables  que  vous  in- 
fultez  ?  S'il  n'y  avoit  point  dans  l'Eglife 
de  parens  avares  ,  ambitieux  ,  injuTies  *  y 
verroit-on  beaucoup  de  miniftres  mon- 
dains 5  fcandaleux  ,  ignorans  1  û  le  Sei- 
gneur fe  choihiroit  lui-même  fesviclimes, 
ieroienî  elles  û  indignes  de  lui  ?  &  les  aiy- 
les  faints  cacheroient-ils  tant  de  dégoûts ,  de 
foibleffe  &  de  murmures  ?  Eh  !  pleurez 
plutôt  fur  des  défordres  ,  dont  vous  êtes 
les  feuls  auteurs  ,  &  que  la  juilice  de  Dieu 
vous  imputera  un  jour  :  couvrez  plutôt  du 
voile  du  filence  ,  des  plaies  que  vous  avez 
faites  vous-mêmes  à  l'Eglife  :  tournez  con- 
tre vous  mêmes  vos  propres  cenfures  : 
que  les  fcandales  du  SanÔuaire  vous  rap- 
pellent uniquement  Finjuilice  de  vos  deili- 
nations  fur  vos  enfans  :  nos  égarem.ens  font 
toujours  ou  la  peine  ,  ou  le  fruit  des  va- 
très. 

D'ailleurs  ,  que  pourroit  il  vous  arriver 
de  plus  heureux  ,  que  de  confacrer  au  Sei- 
gneur ce  qu'il  y  a  de  plus  heureufement  né 
dans  vos  familles  ?  de  fournir  à  l'Eglife  des 
Miniftres  éclairés  ,  des  ouvriers  puilTans 
en  œuvre  &  en  parole  ;  qui  ramènent  les 
pécheurs  ,  qui  confolent  les  Juftes  ,  qui 
fortifient  les  foibles  ,  qui  foient  établis  , 
comme  aujourd'hui  Jefus-Chtift  ,  pour  le 
falut  de  plufieurs  ,  pour  être  la  gloire  de 
leur  peuple  ^  la  lum.iere  des  nations ,  la  cca- 
foîation  de  TEglife  j  le  foutien  de  leurs  Fra- 
ies ?  &:  quand  même  le  Se!=;neur  vous  de- 
nianderoit  ,  comme  autrefois  à  Abraham  3 

Do 


H.hr. 

H.'    21 


84  PURîFîC.   DE     LA   ViERGE. 

&  aujourd'hui  à  Marie  ,  le  feul  héritier  des 
prcmeiles  ,  le  (eul  rucceiîciir  de  vos  titres 
&:  de  votre  nom  ,  ne  feroit-  ce  pas  une  grâce 
nciivelle  dent  il  vous  favoriferoit  ?  Le 
niondç  Taiiroit  infedc  ;  &  le  Seigneur  îe 
mettra  à  couvert  dans  îe  fecret  de  fon  Ta- 
bernacle ;  vous  eu  liiez  été  peut-être  le  père 
infortuné  d\riiQ  pollérité  maudite  ;  &l  vous 
purez  la  confolation  d'y  voir  un  Elu  ,  que 
Jeliis  -  Chriil  vous  rendra  dans  le  ciel. 
Peut-être  même  confacré  au  Seigneur  ,  Sc 
revêtu  d'un  caradere  de  dignité  dansFE- 
giife  5  recevra- 1- il  vos  derniers  foupirs  fur 
la  terre  ;  fera- 1- il  l'Ange  tutelaire  de  votie 
mort  ;  vous  fortifiera- 1- il  dans  cette  der- 
nière licure  par  les  paroles  de  la  Foi  ,  êi 
les  derniers  remèdes  des  m.ourans  :  peut- 
êrre  bai  lierez- vous  fous  fa  main  facrée  y 
devenue  rinfcrumenr  de  votre  réconcilia- 
tion 5  votre  tête  déjà  détaillante  ;  &  com.m.e 
le  vieillard  Jacob  mourant ,  aiTîfté  de  fon 
fils  Jofeph  élevé  en  dignité  dans  T'Egypte  , 
vous  aurez  la  confolation  ,  comime  lui ,  d'a- 
dorer le  bâtcn  de  fa  puifancepaftorale  ,  èc 
la  marque  facrée  de  fon  autorité  :  Adoravlt 
jhjïlgium.  virgœ  ejus,  F  h  !  que  vous  fert 
d'avoir  fur  la  terre  des  fiicccifcurs  de  votre 
nom  5  Icrfqu'une  fois  vous  dcrmiirez  dans 
la  poufiicre  du  tombeau  ?  Il  n'y  a  pour 
nous,  dit  faint  Ambroife ,  de  véritable  pof- 
tériîé  5  que  celle  qui  nous  fuivra  dans  le 
Ciel  :  ceux  de  notre  race  ,  que  la  juftice  de 
Dieu  aura  féparés  de  fes  Saints  ,  &  attachés 
i;us  flammes  étemelles ,  feront  pour  nous 


Sur  les  disposition's  ,  S^c,      85 
comme  s'ils  n'avoienî  jamais  été  ,  dit  TEf- 
prit  de  Dieu  Nati  fant  quajl   non  nati  ;  &      E^-cli. 
nous  ne  devons  compter  parmi  nos  neveux  ,  44-    9. 
que  ceux  qui  nous  feront  unis  dans  la  fainte 
Jérufalem  ,  par  les  liens  immortels  de  la 
charité.  Illa   enim  vera  pojlcritas  ,  qiiœ  non  s.Amh, 
in  tcrrh  ,  fcd  in  ccvlo  cfL  de     in- 

Voilà  les  confolations  temporelles  ,  dont  ^-'^'  ^* 
Dieu  récompenieroit  ici-bas  même  votre  ^* 
facrifîce  :  au  lieu  que  ces  vocations  ména- 
gées de  loin  ,  infinuées ,  infpirées  ,  com- 
mandées ;  ces  facrifices  forcés  de  la  cupi- 
dité 5  portent  d'ordinaire  ,  ici-  bas  m.ém.e  y 
la  calamité  &  la  défolation  dans  les  famil- 
les ,  en  éteignent  le  nom  ,  font  fécher  la 
racine  d  une  orguciiîeufe  poUérite  ,  voient 
périr  la  gloire  &  la  defcendance  des  mai- 
fons  dans  les  débauches  d'un  emiporîé  ,  au- 
quel on  avoit  facriiié  tous  fes  frères  ,  Se 
font  une  fource  de  chagrins  amers  ,  &  de 
confufions  éclatantes.  On  voit  fis  enfans  , 
que  la  chair  ^  le  fang  avoient  placés  fur 
l'autel  5  deshonorer  leur  miniilere  ,  deve- 
nir l'oprcbre  de  FEglife  ;  que  fai  je  ?  tom- 
per  quelquefois  dnus  i'^bym.e  ,  fecouer  le 
joug  &  perdre  la  foi  ,  après  avoir  perdu  îa 
pudeur  &  finnocence.  Et  fi  les  intérêts  de 
î'Eglife  &  de  votre  falur  font  trop  foibles 
pour  vous  infpirer  de  l'horreur  d'un  abus 
il  déplorable  &  i\  barbare  ,  du  moins  que 
vos  propres  intérêts  ,  &  le  fcin  de  votre 
gloire  cl  de  celle  d^e  votre  nom  ,  vous  ar- 
létenî  ;  &  fous  un  Prince  fur-tout  (i  reli- 
gieux fur  le  choix  des  fujets   qu'il  place 


h 


g(5  PURIFIC.    DE    LA    ViERGE. 

dans  le  Sati6i:uaire  ;  (î  peu  touché  du  nom  , 
des  titres  ,  de  la  naiilance  ,  des  fervices 
rendus  à  l'Etat,  &  de  tous  les  autre?  genres 
de  mérite  ,  fi  celui  de  la  do6brine  ,  des  ta- 
lens  &  de  la  piété  ne  les  affortit  ;  &  qui 
cft  fi  attentif  à  ne  pas  donner  à  l'Eglife  des 
Miniftres  qu'elle  rejette  ,  &  qui  ne  fe  font 
pas  donnés  eux-mêmes. 

Telles  font  les  inftruâ:ions  que  la  Foi  dé- 
couvre dans  ce  myftere.  Confacrons-nous 
donc  aujourd'hui  au  Seigneur  avec  Jefus- 
Chnft  ,  mais  confacrons- nous  fans  réferve  ; 
ces  offrandes  défeâ:ueufes  ,  ces  conver- 
fîons  imparfaites  ,  forment  quelquefois  un 
état  plus  dangereux  que  le  crime  même. 
Répondons  avec  fidélité  ,  comme  Marie  , 
aux  deifeins  de  Dieu  fur  nous  ;  foutenons- 
nous  5  comme  elle  ,  dans  la  voie  où  la 
grâce  nous  a  fait  entrer  ;  ne  traverfons  ja- 
mais par  des  cupidités  injufles ,  cachées 
fous  des  prétextes  faints  ,  les  vues  de  la 
Providence  fur  nos  deftinées.  Vivons  fous 
la  main  de  Dieu  ;  &  joignons  au  facrifice  de 
notre  cœur  ,  cette  fidélité  qui  le  renouvelle 
fans  ceife  ,  qui  l'étend  à  tout  ce  que  Dieu 
demande  de  nous ,  &  qui  conferve  jufqu'à 
la  fin  le  tréfor  de  la  juflfce  ,  pour  en  trouver 
la  confomimation  dans  le  Ciel. 


AinJlfohiL 


«7 

SERMON 

POUR    LA    FETE 
DE   L'INCARNATION. 


Loquimur  Dei  fapientiam  in  myfterio  ,  qua? 
abfcondita  eft ,  quam  nemo  Principum  hujus  fieculi 
cognovir. 

Nous  annonçons  la  fagejje  de  Dieu  cachée  dans 
fan  myjiere  ,  que  nul  des  Princes  de  ce  monde  n'a 
(onnue.  i.  Cor.  i.  7.  8, 

SI  les  voies  de  Dieu  font  d'ordinaire  éloi- 
grées  de  celles  de  l'hemme  ,  &  n  dans 
fes  deiieins  ,  la  fageile  éternelle  fe  plaît 
toujours  à  confondre  les  vains  préjugés  de 
la  iligeile  hniraine  ,  c'eft  principalement 
dans  le  Myilere  qne  l'Eglife  honore  en  ce 
jour.  Oui  5  mes  Frères  ,  un  Dieu  qui 
defcend  de  fa  gloire  peur  nous  y  élever  ; 
qui  ie  charge  de  nos  infirmités  &  de  nos 
fouiîrances  ,  pour  nous  en  fouiager  ;  qui 
s'unit  à  rhomme  ,  pour  réconcilier  l'hom- 
me à  Dieu  ;  a  été  dans  tous  les  temps  un 
fcandaie  j  ou  ime  folie  5  à  ia  prudence  de  la 


88  P  O  U  R      L  A     F  F.  T  E 

chair  ;  &  encore  aujourd'hiii  ,  la  fageiTe  de 
Dieu  dans  ce  MyfLere  ,  eft  tout- à-fait  in- 
connue au  fîecle  :  Loquimur  Del  fapierLtiam 
in  myftcrlo  ,  ([uœ  ahfcondita  ejl^  qiiam  ncmo 
Priiicipum  hujus  fœculi   cognoviu 

En  efTet ,  ie  monde  ne  connoît  de  vérita- 
ble grandeur ,  que  celle  qui  frappe  les  fens  : 
le  mO!'de  ne  compte  de  vrai  bonheur  ,  que 
celui  de  vivre  dans  les  plaifirs  &  dans  Ta- 
bondance  :  le  monde  ci-oit  avoir  feul  la 
raiion  en  partage  ,  &  rappelle  toujours  au 
jugement  de  Tes  propres  lumières  ,  les  œu- 
vres du  Seigneur. 

C'efi:  fur  ces  trois  erreurs  que  rculoît 
toute  la  fageiïe  des  hommes  ,  avant  qu'il 
plût  au  Très-Haut  de  les  vifiter  dans  fa  mi- 
féri corde.  Les  Juifs  ne  foupiroient  qu'après 
la  gloire  &  la  grandeur  temporelle  d'un 
MeifTie  charnel  ,  qui  devoiî  fubjuguer  tous 
les  Empires  ,  &  rendre  toutes  les  Na rions 
tributaires  de  Jérufalem  :  les  Philofophes 
n'attendoienî  le  remède  de  -leurs  maux  , 
que  des  vains  etforts  d'une  raifon  malade  : 
les  Princes  ,  les  puiiTans  &  le  peuple  , 
cherchoient  dans  les  plaifirs  des  fens  ,  ce 
que  TAuteur  de  la  nature  n'y  a  point  mis  , 
&  la  félkité  la  plus  indigne  de  l'homme.  Et 
tel  eft  cncovQ  ,  après  raccomplilTcment  du 
grand  Sf\'ri:ere  de  piété  ,  l'état  déplorable 
du  monde. 

Mon  dellein  donc  aujourd'hui,  efl  de 
montrer  comment  la  fagelle^de  Dieu  ,  ca- 
chée dans  ce  myftere  ,  confond  ces  trois 
erreurs  principales  ,  oui  foriïien:  propre- 


DE     L*  I  N  C  A  R  N  A  T  I  O  N.  89 

ment  toute  la  fagelle  humaine.  Première- 
ment ,  le  Verbe  s  y  anéantit  ;  &  cet  anéan- 
tiilement  nous  apprend  que  l'homme  ne 
peut  plus  aimer  l'élévation  fans  injuftice. 
Secondement  ,  le  Verbe  s'y  charge  de  nos 
douleurs  &  de  nos  fouffrances  ;  &  ce  mi- 
nillere  nous  découvre  que  Ihomme  ne 
peut  plus  aimer  les  plaifirs  fans  crime.  En- 
fin 5  le  Verbe  s'y  unit  à  notre  chair  ;  &  en 
nous  propoiant  cette  union  incompréhen- 
fîblê  ,  comme  l'objet  de  notre  cuhe  &  îa 
feule  reiîburce  de  nos  maux  ,  il  nous  lalife 
comprendre  mis  l'homme  ne  peut  plus 
compter  fur  la  raifcii  fans  témérité.  Un 
Dieu  anéanti  rend  les  humiliations  hono- 
rables :  un  Dieu  charge  de  nos  douleurs 
rend  les  fouffrances  aimables  :  un  Dieu  uni 
à  l'homme  fait  taire  la  raifon  ,  &  rend  la 
Foi  même  raifonnable.  Développons  ces 
trois  vérités  :  elles  renferment  toute  la  doc- 
trine du  grand  Myftere  de  piété.  Ave  9 
IShria. 

J—i 'Orgueil  a  été  de  tout  temps  îa  plaie  la  partie 
plus  dangercufe  de  l'homme.  Né  pour  être 
grand  Si  maître  de  toutes  les  créatures  ,  il 
a  toujours  conCervé  au-dedans  de  lui  ces 
premières  impreffions  de  fon  origine. 
Trouvant  fans  ceiîe  dans  fon  cœur  ,  je  ne 
fais  quels  fcntim.ens  fecrets  de  fa  propre  ex- 
cellence 5  que  fa  chiite  n'a  point  effacés  ,  il 
fe  prêta  d'abord  à  des  penchans  û  doux  ; 
il  ne  chercha  plus  qu'à  s'élever  de  degré  en 
degré  j  tk  ne  rencontrant  rien  ici-bas   qui 


f)o  PourlaFete 

put  fatlsfaire  la  grandeur  d'une  ame  ,  la- 
quelle n'avoit  été  créée  que  pour  régner 
avec  fon  Dieu  ,  il  monta  jufques  au-delTus 
de  nuées  ,  &  fe  plaça  à  côté  du  Très- 
haut.  De-là  l'homme  fe  fît  rendre  les  hon- 
neurs divins  ;  l'homme  fe  rendit  à  rhomm.e 
même  ,  &  l'univers  adora  ,  comme  fes  au- 
teurs, des  infenfés  que  l'univers  avoit  vu 
naître  ,  &  qui  étoient  venus  tant  de  fîecles 
après  lui. 

Cependant  l'homme  ,  depuis  le  péché  , 
n'eft  plus  qu'un  vil  efclave  :  tout  ce  qui 
l'élevé  5  le  tire  de  fa  fituation  naturelle  , 
^4  ^iiifque  l'honneur  n'efl  dû  qu'à  l'innocence  , 
Ik  que  rabje6tion  doit  être  le  partage  du 
vice  ;  ck  s'il  lai  reile  encore  quelque  efpoir 
de  recouvrer  fa  première  grandeur  ,  ce 
ne  peut  être  que  dans  l'humble  aveu  de  fa 
baffeife. 

Mais  comment  perfuader  au  monde  une 
vérité  fi  nouvelle  ,  démentie  par  la  doctrine 
de  toutes  les  Seâ:es  ,  par  les  préjugés  de 
toutes  les  Nations  ,  &  par  les  fentimens  les 
plus  vifs  du  cœur  humain  ?  les  Juftes,  dans 
ces  temps  reculés ,  qui  précédèrent  l'avéne- 
ment  du  Libérateur  ,  en  avoient ,  je  l'a- 
voue 5  lailTé  de  grands  exemples  aux  hom- 
mes. Qu'eft-ce  que  l'homme  ,  ô  mon 
Dieu  !  s'écrioit  un  faint  Roi  ,  que  vous 
daigniez  vou-s  abaifTer  jufqu'à  lui  ,  &  le 
vifiter?  avez-vous  oublié  que  je  fuis  devant 
vous  comme  une  bête  fans  raifon  ,  &  que  le 
néant  eft  le  feul  appui  fur  lequel  toutes  mes 
forces  fe  foutienneat  ? 


DE  l'Incarnation.  91 

Mais  ce  n'étoient-là  que  des  inftru6lions , 
2>c  il  falloit  à  l'homme  des  remèdes  :  des 
modèles  étoient  infuffifans.  Car  outre  que 
les  hommes  ne  pouvoient  pas  infpirer  Ta- 
mour  d'une  vertu  ,  dont  ils  étoient  eux- 
mêmes  touchés  ;  un  coupable  qui  s'humi- 
lie 5  peut  à  la  vérité  faire  haïr  fes  crimes, 
mais  il  ne  fait  pas  aimer  Tes  humiliations  : 
l'orgueil  humain  avoit  donc  befoin  d'un 
exemple  5  qui  fût  en  même  temps  fon  re- 
mède ;  il  falloit  l'inftruire  &  le  guérir  tout 
à  la  fois.  Et  voilà  ,  mes  Frères ,  le  grand 
Myftere  que  la  fageffe  de  Dieu  ,  après  l'at- 
tente de  tant  de  ficelés ,  les  vœux  de  tant 
de  Juftes  ,  les  oracles  de  tant  de  Prophè- 
tes, opère  aujourd'hui  à  Nazareth  dans  le 
fein  de  Marie. 

Or  5  fouffrez  que  pour  tirer  de  ce  Myf- 
tere  adorable  les  inftru6lions  importantes 
que  la  fagefle  divine  y  a  cachées  ,  je  vous 
fafle  remarquer  quels  font  les  principaux 
cara£leres  de  l'orgueil  humain  ,  &  Toppo- 
fition  qu'ils  ont  avec  l'anéantiiTement  du 
Fils  de  Dieu  ,  dans  fon  union  avec  notre 
nature. 

Le  premier  caractère  de  l'orgueil  eft 
cette  erreur  qui  fait  que  nous  fbrtons  , 
pour  ainfi  dire,  de  nous-mêmes  ;  &  que 
pour  nous  étourdir  fur  le  fentiment  inté- 
rieur &  humiliant  de  notre  mifere  ,  nous 
cherchons  avec  complaifance  dans  les  cho- 
{es  qui  font  hors  de  nous  ;  dans  les  biens  , 
les  titres ,  les  dignités ,  la  réputation  ,  l'é- 
clat de  la  naiifance  ;  une  gloire  dont  la 


çz  PO  U  R     LA     Fe  T  E 

iburce  ne  devoit  être  que  dans  nous-mê- 
mes. 

Or  ^  ines  Frères  ,  les  circonfrances  exté- 
rieures de  l'incarnation  du  Verbe  ,  corri- 
gent les  hommes  de  cette  première  erreur. 
En  effet  ,  ne  fembloit  il  pas  qu'im  Myile- 
re  ,  dont  les  figures  mêmes  avoient  été  il 
pompeufes ,  les  préparatifs  fi  auguftes  ,  les 
promefiés  fi  magnifiques  ,  les  ombres  9 
pour  âinfi  dire  ,  fi  brillantes ,  auroit  dû 
s'accomplir  dans  la  plénitude  des  temps  ^ 
avec  encore  plus  d'éclat  qu'il  n'avoit  été 
promis  ;  &  que  puifque  des  fignes  fi  ijiuf- 
tres  avoient  annoncé  dépuis  tant  de  fiecles 
aux  hommes,  que  le  Très-Haut  devoit  les 
vifiter  ,  fa  venue  auroit  dû  être  accompa- 
gnée de  tant  de  gloire  &  de  majefté  ,  qu'on 
n'eût  pu  le  méconnoître  ? 

Cependant  rien  de  plus  obfcur  aux  yeux 
des  fiîns  ,  que  ce  qui  fe  pafie  aujourd'hui  à 
Nazareth.  La  fiiintc  Fille  ,  préférée  à  tou- 
tes les  autres  filles  de  Juda  ,  &  dans  le 
fein  de  qui  s'opère  le  fccret  inefTable  de 
Tabaifi^ement  d'un  Dieu  ,  n'a  rien  qui  la 
diilinguc  dans  fa  Tribu  ,  que  fa  pudeur  2>c 
fon  innocence.  L  ec^atdu  fang  qu'elle  tire 
de  David ,  efl  obfcurci  par  la  baiiélîé  de 
fa  fortune  :  {on  obfcurité  a  prefque  fait 
oublier  fon  origine.  Les  Cieux  ne  s'ou- 
vrent pas  ,  comme  autrefois  furie  Mont 
Sinaï  ,  pour  frayer  une  route  de  lumière 
au  Dieu  qui  deicend  fur  la  terre  :  les  An- 
ges ne  l'environnent  pas  pour  annoncer 
aux  hommes  fon  avènement  au  bruit  des 


DE    l'Incarnation.         9^ 

éclairs  &  des  trompettes  :  les  montagnes 
ne  retentifîent  pas  :  des  nuées  de  gloire  ne 
s'abailient  pas  pour  enfanter  le  Jufte  :  la 
maifon  même  de'  Marie  ne  s'ébranle  pas 
jufqu'aux  fondemiens  ,  comme  un  autre 
Cénacle  ,  pour  marquer  la  fainte  horreur 
dont  elle  eft  faifie  à  la  prélence  du  Dieu 
qu'elle  reçoit.  Un  feu!  envoyé  du  Ciel  , 
invifible  à  tous  les  hommes  ,  apparoit  à 
Marie  dans  le  filence  ,  fous  la  iimplicité 
d'une  forme  humaine  ,  comme  pour  hono- 
rer lui  itiême  ,  en  cachant  fa  gloire  ,  l'a- 
néantiiîement  du  Dieu  dont  il  eil  le  Minif- 
tre.  Nazareth  ,  la  plus  méprifable  ville  de 
Juda  ,  èl  d'où  l'opinion  publique  étoit  , 
qu'il  ne  pou  voit  rien  fortir  qui  fit  honneur 
à  la  Judée  ;  Nazareth  ,  dis-je  ,  où  ce  Myf- 
tere  fe  conlpmme  ,  n'en  eft  pas  plus  inllrui- 
te  que  Jérufalem.  Jofeph  lui-m.éme  ignore 
le  fecret  de  rAmibaifade  célefte  ;  &  le  ré- 
duit ,  où  Marie  cïï  cachée  ,  ei\  le  feul 
ccnfiJent  d'un  prodige  où  le  m.onde  entier 
a  tant  de  part.  Dans  tous  les  autres  Myf- 
teres ,  les  abaifTemeiis  du  Verbe  font  mê- 
lés cVéd'dt  &  de  grandeur  :  ici  tout  eft 
obfcur  ;  rierr  ne  parle  aux  fens  5  parce  qu'ici 
le  delléin  de  la  Sagelîé  divine  eil  d'en  cor- 
riger les  erreurs  ,  6c  de  fubuituer  les  nou- 
velles vues  de  la  Foi  ,  aux  anciennes  illu- 
fions  de  la  fageiTe  humaine. 

En  effet  ,  mes  Frères  ,  jufques-là  les 
hom.mes  avaient  cru  que  les  profpérités 
temporelles  étoient  des  faveurs  du  Ciel  ; 
que  ia  réputation  étoit  un  bien  foiide  ,  que 


94  P  O  U  R     L  A     F  E  T  E 

les  grands  talens  étoient  d'heureux  regar.ds 
d'un  Dieu  favorable  ;  que  les  diftinÛions 
du  rang  &  de  la  naifTance  avoient  un 
éclat  véritable  ,  &  n'étoient  pas  indignes 
des  foins  &  de  l'eftime  des  hommes.  Mais 
dans  ce  Myftere  ,  la  fagefle  de  Dieu  nous 
découvre  un  nouvel  ordre  de  chofes  ;  elle 
étale  à  nos  yeux  un  monde  nouveau  tout 
fpirituel  ;  de  nouveaux  biens  ,  de  nou- 
veaux honneurs  ,  une  gloire  nouvelle  ;  & 
réformant  nos  jugemens  ,  elle  nous  ap- 
prend que  l'innocence  &  la  vertu  font  les 
feules  richelîes  de  l'homme  ;  que  tout  le 
mérite  de  Tam-C  fidèle  eft  caché  dans  (on 
cœur  ;  qu'un  feul  degré  de  charité  élevé 
plus  haut  le  Chrétien  ,  que  l'empire  du 
monde  entier  ;  que  la  patience  ,  l'humilité  , 
la  douceur  ,  font  les  plus  grands  talens 
d'un  Difciple  de  Jefus-Chrift  ;  que  fe  vain- 
cre foi- même  fous  les  yeux  de  Dieu  feul  , 
eft  une  gloire  plus  folide  &  plus  immor- 
telle ,  que  la  conquête  des  Provinces  tz 
des  Royaumes  ;  &  qu'enfin  ,  la  grandeur 
qui  eii  hors  de  nous  ,  n'ell  qu'un  preflige 
qui  nous  joue  ,  &:  qu'on  n'eit  grand  qu'au- 
tant qu'on  efi  faint.  * 

Or  ,  mes  Frères  ,  n'ed  ce  pas  là  encore 
aujourd'hui  une  fageffe  inconnue  au  iiecle  ? 
Dcifapknîlam  ,  quam  nsmo  Principum  hii- 
jus  faculi  cognovit.  Où  font  ceux  qui  re- 
gardent avec  des  yeux  chrétiens  le  vain 
ipedacle  de  la  gloire  humaine  ,  &  qui  ré- 
iervent  toute  leur  admiration  pour  les  dons 
de  la  grâce  &  ie  méiite  de  la  faintcté  l 


DE  l'Incarnation.         95 

Qui   s'attire  plutôt  nos  hommages  ,  ou  un 
ambitieux  ,  qui  à  la  tête  d'un  peuple  d'hom- 
mes  armés ,   remporte   des  viâ:oires  ,    & 
remplit  l'univers  du  bruit  de  fon   nom  & 
de  fa  vanité  ;  ou  un  Jufte  environné  de   fa 
feule  innocence  ,   qui  fait  fouifrir  une  in- 
jure ,   foutenir  une  humiliation  ,  étouffer 
un   reflentiment  ;   qui   fait  combattre   & 
vaincre  pour  le  Ciel  ?  Par  où  cherchons- 
nous  à  nous  diilinguer  nous-mêmes  de  nos 
frères  ?  efl  ce  par  une  charité  plus  vive  ; 
par  une  foi  plus  abondante  ;  par  une  conf- 
cience  plus  pure  ;  par  une  fidélité  plus  in- 
violable à  tous  nos   devoirs  ?  Hélas  1  nous 
nous  élevons  d'une  naiffance  ilhiflre  ,  com- 
me fî  la  gloire  de  nos  ancêtres  nous  appar- 
tenoit ,    &  qu'elle  ne  devînt  pas  un  oppro- 
bre &:  une   roture  pour  nous   ,  dès  que 
nous  portons  un  nom  vuide  de  leurs  ver- 
tus. Nous  comptons  nos  titres   &:  nos  ex- 
ploits militaires  ,   comme  des  diftin6i:ions 
glorieufes  ,  qui  nous  élèvent  au-deffus  des 
autres  hom.mes  ;  &:  nous  ne  voyons  pas 
'  que  le  hazard  ,  la  faveur  ,  la  tém.érité ,  les 
conjondlures    ont  eu  plus  de  part    à  ces 
honneurs  que  le  devoir  &   la  vertu.  Nous 
nous  parons  des  dignités   éminentes   qui 
nous   diilinguent   dans  notre  peuple  ;    & 
nous  ne  comprenons  pas  que  les  plus  gran- 
des places  font  de  plus  grands  écueils  ,  & 
qu'elles  multiplient  nos  devoirs ,  fans  aug- 
menter notre  mérite.  Nous  nous  glorifions 
de  la  fupériorité  de  nos  lumières  &  de  nos 
talens  i  6c  nous  ignorons  que  les  connoif- 


ç6  PourlaFete 

fances  les  plus  vaftes  de  refprit  humain  font 
des  lumières  puériles  ,  û  elles  fe  bornent 
aux  chofes  préfentes  ,  &  nous  font  perdre 
de  vue  hs  éternelles.  Oui  ,  mes  Frères  , 
les  grandeurs  &  les  diftinâ:ions  de  la  grâce 
&:  de  la  Foi  ne  touchent  perfonne  ;  ce 
qui  eft  éternel  ,  nous  le  regardons  comm.e 
s'il  n'étoit  pas.  Mais  qu'im.porte  au  Chré- 
tien d'être  obfcur  ou  de  briller  aux  yeux 
des  hommes  ,  puifqu'il  n'eft  réellement 
que  ce  qu'il  eft  devant  Dieu  ,  &  que  la 
Foi  nous  dépouille  de  tout  ce  qui  eft  hors 
de  nous  ,  &  ne  voit  de  nous  que  ïious- 
mêmes. 

Cependant ,  le  fécond  caraâere  de  Tor- 
gueil  humain  eft  cette  foiblefTe  qui  ne 
compte  pour  rien  le  mérite  de  la  vertu 
même  ,  tandis  qu'il  ell  caché  ,  &  qui  ne 
hait  du  vice  que  la  confufion  &  l'oppro- 
bre ;  comme  ii  le  vice  &  la  vertu  n'cîoient 
que  des  opinions  ,  &  que  l'homme  ne  pût 
être  grand  ou  méprifable  que  dans  l'idée 
des  autres  hommes. 

Or  y  ranéantîîrem.ent  du  Verbe  dans  ce 
Myftere  confond  cette  vaine  attention  aux 
jugem.ens  humains.'  Et  certes  le  Fils  de 
Dieu  ne  defcendoit  fur  la  terre  ,  que  pour 
glorifier  fon  Père  5  £i  reprendre  dans  le 
cœur  des  hom^nes  ,  les  homm.ages  que  les 
créatures  lui  avoient  ravi.  Ce  deilcin  de- 
mandoit  ,  ce  femble  ,  qu'il  fe  montrât  à  eux 
dans  toute  fa  gloire  ,  refplendiilant  comme 
fur  le  1  habor  ,  &  qii'il  leur  parût  auili 
glorieux  6$.  auili  digne  de  leurs  hommia- 


DE    L'InCARN  ATIOM.  97 

ges  ,  qu'il  fe  lailTa  voir  alors  aux  Difcipîes 
enchantés  de  la  douceur  de  ce  rpcètacle. 
C  elt  alors  qu'il  eût  tout  attiré  après  lui  ;  8c 
que  Jérufalem  incrédule  n'eût  pas  vu  fes 
Citoyens  fe  partager  fur  la  vérité  de  Ces 
prodiges  ,  &  fur  la  fainteté  de  fa  dodrine  6c 
de  fon  ininilliere. 

Néanmoins  ,  ce  n'eil  pas  par  l'éclat  & 
la  majefié  qu'il  veut  triompher  de  nos 
xœurs  ;  c'eft  par  ks  humiliations  &  hs 
opprobres  ;  i]  cache  tout  ce  qu'il  efl  ;  il  ne 
donne  pas  fa  gloire  à  un  aut.e  ;  mais  il  la 
dérobe  ,  pour  ainfi  dire  ,  à  lui-même.  Rien 
de  ce  qu'il  avoit  de  grand  dans  le  fdn  de 
ion  Père  ,  ne  l'accompagne  aux  yeux  des 
iens  dans  celui  de  Marie  ;  fa  puilfance  fe 
change  en  foibleffe  ;  fa  Cage^Q  infinie  n'eft 
plus  qu'une  raifon  naiifante  &  enveloppée  ; 
fon  immenfité  paroit  renfermée  dans  les 
bornes  d'un  corps  mortel  ;  l'image  de  la 
fubitance  du  Père  eft  cachée  fous  la  vile 
forme  d'ef:lave  ;  fon  éternelle  origine  corn.-  *  ' 
mence  à  compter  des  temps  &  des  momens  ; 
enhn  ,  il  paroit  anéanti  dans  tous  Ces  ti- 
tres. 

^^  Au/Ti ,   dès  qu'il  paroîtra  dans  la  Judée 
1  mcreciulite  va  lui  ,difputer  la  fuprême   au- 
torire  de  fon  Sacerdoce  :  Quel  cH  celui-ci ,    Luc'.r. 
cnra-t-on  ,  qui  vient  remettre  les  péchés  î  La  49. 
erainre  des  Puijfances  de  la  terre  rcfufera 
de  le  reconnoitre  pour  Roi  ;  &  on  lui  fera 
payer  le  tribut  comme   à   un  efclave.  La 
,  prudence  de  la  chair  prendra  fa  fageiîè  di- 
vine ponr  une  folie  i  fe5  proches  eux-irê  - 
Myjkres,  r 


oS  Po  UR     LA     FeTE 

mes  le  regarderont  comme  un  infenfé  ; 
Marc.  Quonlam  in  furorcm  ver  fus  ejl.  L'envie  le 
•  ^^*  dégradera  de  fa  naiiïance  divine  ;  &:  fes  Ci- 
toyens vont  publier  qu'il  n'eft  que  le  Fils  de 
Marie  &  de  Jofeph.  Enfin  ,  un  faux  zele 
lui  ravira  Téternité  de  fa  durée  ;  &  il  fera 
prefque  lapidé  ,  pour  avoir  ofé  dire  feule- 
ment qu'il  étoii  avant  Abraham. 

Mais  l'opinion  des  hommes  ne  changera 
rien  à  l'obicurité  apparente  de  fon  minif- 
tere.  Il  fe  manifeftera  affez  à  la  vérité  , 
pour  être  connu  des  Juifs  fpirituels  &  fi- 
dèles ;  fes  œuvres  ,  fa  do£lrine  ,  Moyfe  , 
les  Prophètes ,  les  divines  Ecritures  ren- 
dront témoignage  de  lui  ;  &  à  qui  aimera 
la  vérité  ,  il  ne  fera  pas  poilible  de  le  mé- 
connoître.  Mais  il  ne  fe  manifeftera  pas 
alTez  pour  éviter  le  mépris  des  Juifs  char- 
nels :  l'éclat  de  fon  miniftere  fera  fenfible 
à  un  cœur  humble  &  innocent  ;  l'obfcu- 
riîé  de  fon  miniftere  révoltera  l'orgueil  & 
l'incrédulité  :  il  y  mêlera  aftez  de  ténèbres , 
pour  recompenfer  la  Foi  de  ceux  qui  croi- 
ront  ,  C.I  allez  de  lumières  pour  punir  Tin- 
crédulité  de  ceux  qui  refuferont  de  croire 
en  lui. 

D'où  vient ,  mes  Frères ,  une  conduite 
fî  furprenante  ?  Après  s'être  caché  durant 
tant  de  f  ecîcs ,  Dieu  ne  fe  montre-t-il  en- 
fin aux  hommes  que  pour  n'être  pas  connu 
d'eux  ?  Que  ne  venoitil  dans  toute  fa  gloi- 
re 5  s'il  vouloit  nous  fauver  en  fe  décou- 
vrant à  nous  ?  L aillons- là  les  autres  rai- 
fons  de  Tobfcuriîé  de  fon  miniftere  ,  qui 


DE  l'Incarnation.  99- 
ne  font  pas  de  notre  fujet  :  mais  celles  qui 
noiiS  regardent  ici ,  c'eft  premièrement , 
qu'il  vouloit  nous  apprendre  à  nous  ,  qui 
fommes  chargés  de  la  difpenfation  de  fon 
Evangile  ,  à  ne  rien  changer  aux  ordres 
de  Dieu  dans  les  fondions  de  notre  minif- 
tcre  5  fous  prétexte  de  concilier  plus  fa- 
cilement à  fa  parole  ,  les  fuffrages  des  hom- 
mes ;  à  ne  pas  croire  que  Dieu  foit  plus 
glorifié  par  la  gloire  qui  nous  revient  à 
nous-mêmes  ;  à  ne  pas  intéreffer  le  Sei- 
gneur ,  pour  ainfi  dire  ,  dans  notre  pro- 
pre caufe  5  &  nous  perfuader  qu'il  a  atta- 
ché le.fuccès  de  fon  Evangile  ,  aux  applau- 
diffemens  qu'il  reçoit  par  notre  bouche. 
Les  contradidions  qu'éprauve  le  miniftre  , 
font  fouvent  toute  la  gloire  &  tout  le  fuc- 
cès  de  fon  miniftere.  Annonçons  les  véri- 
tés que  l'Eglife  nous  a  confiées  ;  n'y  mê- 
lons ni  nos  opinions ,  ni  nos  propres  pen- 
fées.  Plantons ,  arrofons  ,  &  lailfons  au  Sei- 
gneur  l'accroiffement  :  fa  parole  ne  retour- 
nera pas  à  lui  vuide  ,  &  elle  fera  toujours 
ou  la  condamnation  de  l'incrédule  ,  ou  la 
confolation  du  Fidèle. 

Secondement  5  il  vouloit  vous  appren- 
dre à  vous  5  m.es  Frères ,  que  les'  juge- 
mens^  des  hommes  ne  doivent  jamais  dea- 
der  de  vos  devoirs  ;  qu'il  ne  faut  pas  s'en 
tenir  dans  le  fervice  de  Dieu  ,  à  ce  que  le 
monde  approuve  ,  mnis  à  ce  que  Dieu  de- 
mande  de  nous  ;  que  les  cenfures  &  les  dé- 
rifions  font  toujours  la  récompenfe  de  la 
piété  véritable;  qu'il  neft  pas' poînble  de 

Èz 


lOO  POURLA      FeTE 

plaire  aux  hommes  ,  &  d'être  Serviteur  de 
Jefuî-Chrift  ;  que  le  zèle  qui  voudroit  con- 
cilier les  fuifrages  publics  à  la  vertu  ,  n'eft 
qu'un  orgueil  déguifé  ,  qui  cherche  à  fe 
les  concilier  à  ibi-même  ;  que  Tinjuftice 
du  monde  envers  les  gens  de  bien  fait 
ici  -  bas  toute  leur  sûreté  ;  que  robfcurité 
eil  le  plus  sûr  ajyle  de  leur  vertu  ;  que  ce 
n'eft  pas  ici  le  temps  de  leur  manifeftation  ; 
&  qu'ils  n'auront  droit  de  paroître  à  dé- 
couvert 5  que  lorfqu'iîs  paroîtront  avec 
Jefus-Chrift    dans  fa  gloire. 

Cependant  ,  fi  nous  y  prenons  garde  , 
quelque  juiles  que  nous  foyons  d'ailleurs  , 
nous  com.ptons  les  homm>es  pour  beau- 
coup :  ficus  ne  vivons  prefque  que  pour 
les  autres  :  ce  que  nous  fommes  à  nos  yeux 
&  aux  yeux  de  Dieu  ,  nous  intérelfe  peu  ^ 
nous  ne  paroiirons  touchés  ,  occupés  que 
de  ce  que  nous  fommes  aux  yeux  des 
hommes  ;  &  moins  fenfibles  au '^foin  de 
notre  pcrfeftion  ,  toute  notre  attention  fe 
borne  à  embellir  cette  idée  chimérique  de 
nous-miémes  ,  qui  eft  dans  l'efprit  des  au- 
tres. AufTi  il  ne  nous  arrive  guère  de  nous 
demander  à  nous-mêmes  ,'  ce  que  nous 
fommes  réelicmiCnt  ;  mais  nous  nous  de- 
mandons fans  ccffe  ce  qu'on  croit  que  nous 
foyons  :  aiiifi  ,  toute  notre  vie  eft  imagi- 
naire &  fantaftique.  L'erreur  même  qui 
nous  prend  pour  ce  que  nous  ne  fommes 
pas  5  flatte  notre  orgueil  :  nous  nous  laif- 
fons  toucher  par  des  louanges  que  notre 
cœur  défavoue  ;  nous  nous  faifons  hon- 


DE     L'I?;C  A  RNA'TîO.V.  IOI 

neiir  de  la  méprife  publique  ;  &  nous 
fommes  plus  flattés  par  Terreur  qui  nous 
prête  de  faulles  vertus  ,  que  nous  ne  fem- 
mes humiliés  par  la  vérité  ,  qui  nous  fait 
fentir  nos  défauts  &  nos  iniferes  vérita- 
bles. 

Aufîi  le  dernier  caractère  de  Torgueil 
eft  cette  impofture  de  vanité  ,  qui  cherche 
la  gloire  dans  les  humiliations  même  ;  6c 
qui  ne  paroît  s'avilir  aux  yeux  des  hom- 
mes 5  qu'afin  que  leurs  applaudiffemens  ail- 
lent la  placer  encore  plus  haut  que  n'étoit  le 
lieu  d'où  elle  étoit  defcendue.  Et  certes  y 
mes  Frères  j  il  n'eft  prefque  point  d'hu- 
milité fincere  :  on  ne  fe  cache  ,  que  pour 
être  découvert  ;  on  ne  fuit  Féciat  ,  qu'afin 
que  l'éclat  nous  fuive  ;  on  ne  renonce  aiix 
honneurs ,  que  pour  être  lionoré  ;  on  ne 
fouffre  le  mépris  ,  que  lorfqu'ii  nous  cil: 
glorieux  d'être  méprifés.  L'orgueil  a  mille 
dédommagemens  imperceptibles  à  nous- 
m.êmes  ;  &  rien  n'eil  plus  rare  qu'une  hu- 
miliation volontaire  5  qui  ne  conduit  qu'à 
l'humilité. 

Or  5  voilà  recueil  que  les  anéantiïïerj'i'ns 
du  Verbe  dans  ce  myltere  ,  nous  appren- 
nent à  éviter.  Il  fe  revêt  de  la  reiTemblan- 
ce  du  péché  ,  mais  c'eil  pour  en  porter 
toute  la  honte  :  il  fe  charge  de  nos  ini- 
quités ,  mais  pour  en  être  la  victime  :  il 
veut  paffer  pour  un  Sam.arirain  ^  pour  un 
ennemi  de  la  Loi  ,  mjais  c'efi:  pour  être  pu- 
ni comme  un  féducbeur  :  enfin  ,  il  fe  cache 
lorfqu'on  veut  le  reconnoitre   pour  Koi  y 

Es 


101  Pour  LA  Fe  TE 

ir.ais  c*efî  pour  mourir  comme  un  efclave. 

Les  outrages  les  plus  honteux  vont  être 

la  récompenfe   de   fes  anéantiiîemens  :  les 

hommes  le  méconnoîtront  jufqu'à  la  fin  ; 

&  il  mourra  avec  tout  le  mérite   de  Ton 

humilité. 

Pour  nous ,  mes  Frères  ,  fi  la  calomnie 
nous  trouve  patiens ,  c'eft  parce  que  nous 
prévoyons  que  la  vérité  va  la  confondre  , 
&  qu'elle  tournera  à  notre  gloire.  Les 
œuvres.huniiliantc9  ne  nous  plaiient ,  que 
parce  que  notre  rang  ne  permet  pas  d'igno- 
rer que  nous  nous  abaiflions  :  nous  aimons 
les  opprobres  palîagers  ,  &  où  notre  vani- 
té voit  des  reilburces  promptes  ;  &  aux 
âmes  les  plus  fidèles ,  il  faut  quelqu'auîre 
attrait  qui  leur  adoucilTe  le  mépris ,  que 
le  plaifir  d'être  méprifé.  On  pardonne  , 
mais  en  faifaut  fentir  qu'on  eft  l'ofFenfé,  & 
qu'on  fe  relâche  de  fon  droit  ;  on  fait  une 
avance  de  réconciliation  ;  mais  on  n'eii  pas 
fâché  qu'on  fâche  que  la  piété  toute  feule 
a  part  à  cette  démarche  ;  on  dit  du  bien 
de  ceux  qui  nous  calomnient  \  mais  c'eft 
peur  ôter  toute  créance  à  leurs  calomnies. 
Enfin  5  il  eft  ditlicile  de  ne  pas  fe  chercher 
foi-même  ,  ^  e*2Core  plus  dans  l'humilia- 
tion que  dans  l'éclat,  parce  que  plus  l'hom- 
me femble  s'oublier  ,  plus  l'orgueil  eil  at- 
tentif à  faire  enforte  qu'il  fe  retrouve. 

Rou giflons  de  noïl^  foiblefie  ,  m.es 
Frères  ;  jetions  fcuvent  les  yeux  fur  no- 
tre modèle  :  adorons  les  premières  dif- 
pofitions  de  TAmiC  faintc  du  Verbe  incar- 


DE  l'Incarnation.  103 
né  5  dans  fes  nouveaux  anéantiiTemens  : 
penfons  quelquefois  que  l'orgueil  eft  prcf- 
que  notre  feul  crime  ;  &  que  u  nous  pou- 
vions une  fois  nous  oublier  tout-à-fait  nous- 
méines ,  nous  ferions  exempts  de  mille  ta- 
ches fecrettes  «  que  nous  ne  connoilîonspas , 
&  qui  éloignent  Dieu  de  notre  cœur.  Re- 
prochons -  nous  fans  celle  cette  alliance 
monrtrueuCe  de  nos  rniferes  avec  nos  va- 
nités ;  cette  fource  de  corruption  que  nous 
fentons  en  nous  ,  avec  ces  dcfirs  de  gloi- 
re 5  qui  entrent  dans  toutes  nos  œuvres  ; 
cette  loi  de  la  chair  qui  nous  humilie  ,  avec 
ces  lentimens  d'élévation  qui  nous  enflent  ; 
en  un  mot ,  ce  que  nous  fommes  ,  avec  ce 
que  nous  voudrions  paroître.  Et  après 
être  convenus  que  depuis  rar.eantiiTement 
d'un  Dieu  ,  rien  n'eft  plus  iniuile  pour 
l'homme  que  de  vouloir  s'élever  ;  écou- 
tez comment  depuis  qu'im  Dieu  anéanti 
s'eft  chargé  de  nos  douleurs  &  de  nos  in- 
firmités ,  rien  n'eil  plus  honteux  à  Thom- 
me  .  que  de  chercher  une  vie  douce  3c 
heureufe  fur  la   terre. 

•'Homme  innocent  devoit  mener  une  IL 
vie  heureufe  &  tranquille.  La  terre  n'a-  tartie 
voit  reçu  la  fécondité  .  qie  pour  fournir  à 
fes  chaftes  délices  :  fes  feus  n'étoient  defli- 
nés  qu'à  le  porter  à  la  confervation  de  fon 
être  5  par  des  imprefTions  douces  &:  agréa- 
bles. Toutes  les  créatures  dévoient  fe^-virà 
fa  félicité  ,  puifque  dans  le  deffein  de  leur 
Auteur  ,  elles  avoient   été  toutes  rappor- 

E4 


104  Pour  la  Fête 

tées  à  fou  ufage  ;  &  fous  un  Dieu  jufte  , 
rien  ne  pouvoir  le  rendre  malheureux  ,  ni 
troubler  fes  plailîrs ,  tandis  que  rien  ne 
donneroit  atteinte  à  fon  innocence.  Mais 
l'homme  pécheur  eft  né  pour  fouffrir  :  tout 
plaiiîr  dans  la  vie  eft  interdit  à  un  coupa- 
ble ,  qui  ne  mérite  pas  même  de  vivre  ; 
la  douleur  eft  l'état  naturel  du  défordre  ; 
&  c'eft  une  injuftice  ,  que  les  créatures 
fervent  au  bonheur  d'un  infortuné  qui  en 
a  abufé  ,  &  qui  s'eft  révolté  contre  le  Sou- 
verain à  qui  elles  appartiennent. 

Cependant  ,  le  plaifir  eft  encore  le  pen- 
chant domiinant  de  cet  homme  criminel  : 
malgré  fa  tranfgrefiion  ,  il  veut  vivre  heu- 
reux ;  &  la  faute  qui  lui  en  a  fait  perdre  le 
droit  &  l'efpérance  ,  n'a  pu  lui  en  faire  paf- 
fer  le  defir  :  les  travaux  qui  font  devenus 
la  peine  inféparable  de  fon  crime  ,  n'ont 
pu  devenir  le  choix  libre  de  fon  amour  ; 
&  condamné  à  fouffrir  ,  il  n'a  jamais  pu 
aimer  les  fouffrances.  Il  falloit  donc  qu'un 
grand  exemple  lui  rendit  aimable  ,  ce  qui 
lui  étoit  devenu  néceftaire  ,  &  qu'un  Dieu 
fouftrît  tout  pour  fauver  Fhomme  ,  afin 
que  l'homme  apprît  &  aimât  à  fouffrir 
pour  appaifer  fon  Dieu. 

Aufli  le  miniftcre  du  Verbe  incarné  ,  eft 
un  miniftere  de  croix  &  de  fouffrance. 
Dès  le  premier  inftant  de  fon  union  avec 
notre  nature  dans  le  fein  de  Marie  ,  il  re- 
nonce  à  la  joie  fenfible  dont  il  pouvoit 
jouir  ,  dit  l'Apôtre  ,  &:  embrafte  la  croix 
que  la  juftice  de  fon  Père  lui  préfente  : 


DE  l'Incarnation.  tc^ 
clés- lors  ,  vi(fliir!e  de  nos  péchés  ,  il  baifTô 
foncheffacré  fous  la  verge  de  la  colère 
divine  ,  &:  fent  les  premiers  coups  de  la 
févérité  due  à  Thoinme  pécheur.  Mais  des 
rigueurs  plus  réelles  l'attendent  encore  au 
fortir  de  cet  humiliant  féjour,  A  peine  fes 
yeux  s'ouvriront  à  la  -lumière  ,  qu'on  en 
verra  déjà  couler  des  larmes  précieufes  ; 
fes  travaux  croîtront  avec  fes  années  ;  la 
faim  5  la  foif ,  la  laiTitude  ,  qui  font  les 
peines  de  notre  crim.e  ,  deviendront  l'exer- 
cice de  fon  amour  ;  il  n'annoncera  que  des 
croix  Se  des  tribulations  ;  il  ne  promettra 
fon  Royaume  qu'à  la  violence  ;  il  maudira 
les  plaifîrs  ;  il  n'appellera  heureux  que 
ceux  qui  fouffrent  ;  &:  de  peur  que  dans 
la  fuite  des  temjps  ,  les  homm^es  toujours 
ingénieux  à  fe  flatter ,  ne  donnent  à  fes 
maximes  des  interprétations  favorables  à 
leur  amour  propre  ,  il  expirera  entre  les 
bras  de  la  douleur  ,  &  fa  dodbine  ne  fera 
que  le  récit  de  fes  exemples. 

Or ,  je  dis ,  que  depuis  que  le  Verbe 
incarné  ,  pour  nous  montrer  la  voie  du 
Ciel  ,  &  fatisfaire  pour  nous  à  la  Juftice 
divine  ,  eft  venu  miener  ici-bas  une  vie  trif- 
te  &  fouffrante  -jle  Chrétien  ne  peut  plus 
fans  crim.e  vivre  au  gré  de  fes  fens  ^  &  fe 
flatter  d'arriver  au  fnlut  par  des  routes  dou-^ 
ces  &  aifées.  En  eftet  ,  depuis  que  par  ce 
iT.^llere,  Je fus-Ch rifl:  eft  devenu  aouveau 
Chef  d'un  Peuple  faint  ,  cl  fource  d'une 
nouvelle  vie  ,  nous  ne  pouvons  prétentfre 
au  falut   q^ue  comme  membres  de  Jefua- 

■  E  5 


106  POURLA     FeTE 

Chrift  :  c'eft-à-dire  ,  comme  faifant  une 
portion  de  ce  corps  myftique  8c  divin  , 
qu'il  eft  venu  former  fur  la  terre  ;  car  ce 
corps  myftique  tout  feul  ,  pénétrera  les 
CieuK  ,  dit  l'Apôtre  ,  &  entrera  avec  fon 
Chef  &  fon  Pontife  dans  le  véritable  Sanc- 
tuaire. Or  mes  Frères  ,  qu'eft-ce  qu'ê- 
tre membre  de  Jefus-Chrift  ?  c'eft  être 
animé  de  fon  efprit  ;  c'eft  vivre  de  fa  vie  ; 
c'eft  n'agir  que  par  fes  impreflions  ;  c'eft 
ne  for:ner  au- dedans  de  foi  que  fes  defirs 
Philip.  8c  fes  fcntimens  :  Hoc  fcntitc  in  vobis  quod 
•  5»  (j  in  Chr'ifio  Jcfu,  C'eft  ,  en  un  mot  ,  fui- 
vre  la  deftinée  du  Chef,  8c  lui  être  con- 
formes ;  mourir  à  tout  avec  lui,  être  cru- 
cifié avec  lui  ;  ne  pas  chercher  fa  confola- 
tion  en  ce  monde  comme  lui. 

Or  ,  je  vous  dem^ande  ,  mes  Frères  , 
languir  toute  la  vie  dans  des  mœurs  indo- 
lentes &.  fenfuelles  ;  fe  livrer  fans  ccfTe  à 
tous  fes  goûts  ,  pourvu  qu'ils  n'offrent 
point  de  crime  ;  n'être  occupé  qu'à  égayer 
l'ennui  de  la  vie  mondaine  ,  par  la  variété 
des  plaifirs  &  des  fpe£tacles  agréables  aux 
fens  5  &:  couler  doucement  fes  jours  fans 
autres  foucis  que  ceux  qui  naiftent  de  la  fa- 
îiété  eile-rrtmxe  8c  de  l'abondance  ,  eft-ce 
être  membre  de  Jefiîs-Chrift  ,  8c  animé 
de  fon  efprit  ?  Eh  :  qu'a  de  commun  l'ef- 
prit  de  Jefus-Chrift  avec  cette  fageiîe  de  la 
chair  ,  qui  n'eft  ingénieufe  qu'à  fe  juftifler 
à  elle-même  ,  la  moilefte  des  mœurs  :  qu'à 
condamner  l'obligation  des  fouftrances  , 
comme  une  invention  humaine  ^^  une  loi 


DE   L'  I  N  C  A  R  N  A  T  I  O  N\  107 

injufte  ;  qui  réduit  toutes  les  maximes  de 
l'Évangile  à  n'être  ni  impie  ,  ni  ravilleiir  , 
ni  fornicateur  ,  ni  adultère  ;  qui  confond 
la  nature  avec  la  grâce  ,  &  regarde  la 
Croix  de  Jefus-Clirill  comme  un  objet 
étranger  à  la  foi  &  à  la  piété  ? 

Ah  !  ce  n'eil  pas  ainii  que  ces  hom.mes 
Apolloliques ,  qui  les  premiers  vinrent  an- 
noncer Jefus-Chrift  à  nos  Pères  ,  leur  en 
parlèrent ,  mes  Frères  :  Non  iîa  dldicijVs  Ephef, 
Chrijlnm,  L'efprit  de  Jefus-Chriil  eft  une  4.  zo. 
fainte  avidité  de  fouffrances;  une  attention 
continuelle  à  mortifier  Famour  propre  ^  à 
rompre  la  volonté  ,  à  réprimer  fes  defïrs  , 
à  retrancher  à  fes  fens  tous  les  adoucilTe- 
mens  inutiles:  voilà  le  fonds  .'u  Chriilia- 
nifme  &:  l'ame  de  la  piété.  Si  vous  n'avez 
pas  cet  eiprit  -,  vous  n'appartenez  pas  à  Je- 
fus-Chriil ,  dit  TApôtre  :  en  vain  vous  n'ê- 
tes pas  du  nombre  de  ces  impudiques  & 
de  ces  facriîeges  ,  qui  n'auront  point  de 
part  à  fon  Royaume;  vous  n'en  êtes  pas 
moins  étrangers  par  rapport  .à  lui  :  vosfen- 
timens  ne  font  pas  les  Tiens,  vous  vivez 
encore  fous  la  nature  ;  vous  n'appartenez 
pas  à  la  grâce  du  Sauveur  :  vous  périrez 
donc  5  puifque  c'ell  en  lui  feul ,  dît  l'Apô- 
tre ,  que  le  Père  a  mis  le  faluî  de  nous  tous. 

On  fe  plaint  quelquefois  que  nous  ren- 
dons la  piété  rebutante  tk  impraticable  , 
en  interdifant  mille  pîaifirs  que  je  mvonde 
autorife.  Mais  ,  mes  Frères  ,  que  vous 
difons-nous  ?  Permettez  vous  tous  les  plal- 
firs   que  Jefus-Chrift  lui-même  fe  fût  per- 

E6 


io8  Pour    la    Fête 

mis ,  la  Foi  ne  vous  en, permet  point  d'au- 
tres :  mêlez  à  la  piété  tous  les  adoucilTe- 
mens  que  Jefus-Chrift  lui-même  y  eût  pu 
mêler  ;  l'Evangile  ne  poulie  pas  plus  loin 
la  condefcendance  :  fuivez  tous  les  ufages 
que  Jelus-Chrifl  lui-même  eût  pu  fuivre  ; 
la  Religion  n'a  point  d'autre  règle  :  tout 
ce  qui  n'eft  pas  expreiTion  des  mœurs  de 
Jefus-Chrift  ,  tout  ce  qui  n'eft  pas  impref- 
lion  de  l'Elprit  de  Jeius-Chrift  ,  n'eft  pas 
toujours  5  à  la  vérité  ,  une  œuvre  qui  don- 
ne  la  mort  ;  mais  ne  fauroit  être  auHi  une 
œuvre  de  vie  ,  &  efl  du  moins  toujours 
une  démarche  étrangère  à  fes  membres  j 
de  laquelle  il  leur  fera  rendre  com.pte. 

Voilà,  î  *cs   Frères  ,  le  fondement  de 
toute  piété  ;  l'Evangile  du  Courtifan  ,  com- 
me du   Solitaire  ;  du  Prince  ^  commie  du 
peuple  :  voilà  la  fource  principale  des   rè- 
gles des  mœurs  ,  &  où  il  faudroit  remon- 
ter pour  trouver  le  point  fixe  ,  qui  refont 
toutes  les  difficultés  que  vous  nous  propo- 
fez  fans  celTe  pour  autorifer  tous  les  abus 
de  la  vie  mondaine.  C'eft  par  votre  con- 
formité avec  Jefus-Chriil  ,  qu'il  faut  dé- 
cider fi  votre  état  eft  chrétien  ou  profane  , 
innocent  ou  criminel  :  toute  autre  règle  eiî 
fau/fe  pour  vous  ,  puifque  Jefus-Chrift  feul 
ell  votre  voie  :   les   ufages-  ,  les  change- 
roens  des  mœu»'s  8?    àQS  fiecles ,  les  opi- 
nions des  homr/ics  ne  changent  rien  à  cette 
legle  5   puifque  Jefus-Chrift  étoit  hier  ,  eft 
aujourd  hui  &  fera  toujours  le  mêmie,  Mon 
Dieu  !  que  les  décifions  du  monde  fur  les 


DE  l'Incarnation.  109 
devoirs  feront  un  jour  étrangement  ren- 
verfées  !  &  qu'on  verra  la  probité  ,  la  ré- 
gularité mondaine  ,  qui  raffure  ici- bas  tant 
d'ames  abufées  par  une  apparence  de  ver- 
tu ,  bien  changer  de  nom,  ,  lorfqu'on  les 
placera  à  côté  de  Jefus-Chrift  crucifié  , 
qu'on  y  cherchera  fa  reifemblance  ,  & 
qu'on  le  jugera  fur  ce  modèle  ! 

Il  ell:  vrai  que  ce  qu'il  y  a  ici  de  con- 
folant  pour  nous ,  mes  Frères  ,  c'eft  que 
Jefus-Chrift  en  nous  faifant  une  loi ,  par  îe 
caractère  feul  de  fon  miniftere  ,  de  la  vio- 
lence &  du  renoncement  ,  nous  rend  en 
même-tem.ps  aimable  la  croix  dont  il  nous 
charge.  Souffrir  ici-bas  étoit  pour  nous  un 
fort  inévitable  ;  mais  fans  lui ,  Thommeeût 
fouffert  fans  confolation  &  fans  mérite  :  il 
vient  donc  adoucir  &  fanâ:ifier  nos  fouf- 
frances  ;  &  loin  de  nous  infpirer  un  nou- 
veau joug  ,  il  vient  rendre  doux  &  léger 
celui  fous  lequel  nos  pères  gémiiîbient  de- 
puis tant  de  fiecles. 

Premièrement  ,  fon  exemple  ôte  aux 
fouffrances  tout  ce  qu'elles  avoientd'abje^l 
&  d'humiliant  :  il  eft  beau  de  fouitrir  après 
lui  ;  il  eft  glorieux  de  marcher  fur  fes  tra- 
ces. Jefus-Chrift  a  pleuré  :  les  larm^es  font 
donc  honorables  à  fes  difciples  :  Jefus- 
Chrift  a  fouffert  la  faim  &  la  foif  ;  les  fain- 
tes  rigueurs  de  l'abftinence  confacrenî  donc 
le  corps  du  fidèle  :  Jefus-Chrift  a  été  hu- 
milié 5  calomnié  ,  méprifé  ;  les  faintes  hu- 
miliations des  difciples  de  la  Crois  font 
donc  devenues  de  titres  d'honneur  j    & 


iio  Pour  la  Fête 

îl  eft  des  ignominies  fouffertes  pour  la  Juf- 
tice  5  plus  glorieufes  même  devant  le  mon- 
de ,  que  toute  la  gloire  du  monde  même. 

Secondement  ,  Tonâiion  de  fa  grâce 
adoucit  ce  que  la  violence  &  le  renonce- 
ment avoient  d'amer.  Je  conviens  que  fe 
renoncQr  fans  ceffe  foi-même  ;  fe  difputer 
tout  ce  qui  flatte  ;  régler  par  la  loi  rigou- 
reufe  de  l'efprit ,  les  defirs  les  plus  inno- 
cens  de  la  chair  ;  être  né  vain  ,  magnifique  , 
faftueux  5  &  fe  réduire  à  une  modeflie  fim- 
ple  &:  chrétienne  ;  aimer  la  joie  ,  les  plai- 
lîrs  j  les  amufemens  de  la  fociété  &  d«es 
commerces  ,  &  renfermier  la  vivacité  de 
ces  penchans  dans  le  filence  ,  dans  la  prière 
&  dans  la  retraite  ;  avoir  reçu  de  la  nature 
un  caractère  mou  ,  indolent ,  ennemi  de 
la  contrainte  ,  exceflîvement  amoureux  de 
foi  même  ,  &  affervir  une  chair  qui  fe  re- 
fufe  au  joug  ,  aux  devoirs  les  plus  gênans 
&  les  plus  triftes  :  je  conviens ,  dis-jé  ,  que 
cette  fituation  eft  pénible  ;  &  que  cet  état 
de  violence  ,  s'il  n'étoit  mêlé  d'aucun  adou- 
cifTement ,  lalferoit  bientôt  la  foibieiTe  de 
l'homme. 

Mais  la  fource  des  plaifirs  véritables  n'ed 
pas  dans  les  fens  ;  elle  eft  dans  le  cœur  :  or  , 
c'eft  là  que  Jefus-Chrift  porte  le  remède  & 
la  douceur  de  fa  grâce.  Tandis  qu'au  dehors 
tout  paroît  trifle  ,  rebutant  ,  douloureux 
pour  l'âme  fidèle  ,  un  Confolateur  inviiible 
remplace  ces  amertumes  par  des  délices 
que  le  cœur  de  Ihomme  charnel  n'a  jamais 
goûtées,  &  lui  dit  fans  ce  (Te  au  fond  du 


DE    L'I  N  C  ARN  AT  \  ON.  Iii 

cœur  ,  comme  autrefois  le  père  de  Samuel 
difoit  à  Ton  époufe  affligée  :  Pourquoi  vous 
lailleriez- vous  abattre  par  des  maux  qui  ne 
font  qu'apparens  ?  retenez  vos  foupirs  ,  & 
elTuyez  vos  larmes  :  ne  puis-je  pas  moi  feul 
vous  tenir  lieu  de  tout  ce  qui  vous  manque  , 
&  ma  tendrefTe  pour  vous  ne  vaut-elle  pas 
mieux  que  tout  ce  que  vous  pleurez  ?  Anna  ,  j.  Rgg, 
cur  fies  ?  numquid  non  ego  melior  t'ibi  fum  ,  i.  8. 
qiiàm  dccem  filii.  En  un  mot,  les  plaifirs 
des  fens  la  laiiroient  toujours  trille ,  vuide  , 
inquiète  ;  les  rigueurs  de  la  Croix  la  ren- 
dent heureufe  ;  les  pointes  de  la  pénitence 
qui  percent  fa  chair ,  portent  avec  elles  leur 
remède  ;  &  femblabie  à  ce  buiiTon  myfté- 
rieux  ,  tandis  qu'elle  ne  paroit  offrir  aux 
yeux  des  hommes ,  que  de  ronces  &  des 
épines  5  la  gloire  du  Seigneur  eft  cachée  au 
dedans ,  &  avec  lui  il  n'eft  plus  rien  qu'el- 
le ne  poifede.  Saintes  douceurs  des  larmes 
&:  de  la  trifleffe  de  la  pénitence  !  divin  fe- 
cret  de  la  grâce ,  que  n'étes-vous  plus  con- 
nu de  l'homme  pécheur  ! 

Troifiémement  enfin  ,  les  promeffes  de 
Jefus-Chrift  ôtent  aux  fouffrances  tout  ce 
qu'elles  avoient  d'inutile  &  de  défefpérant. 
Avant  fa  manifeftation  dans  notre  chair ,  on 
fouffroit  pour  la  gloire  ,  pour  la  patrie  , 
pour  la  fortune  ,  pour  l'amitié  ;  mais  l'or- 
gueil étoit  un  foible  dédommagement  dans 
les  fouffrances  ,  pour  l'homme  fur- tout 
qui  veut  être  heureux  :  les  applaudiffemens 
publics  pouvoient  charmer  la  douleur  dans 
ces  premiers  momens  ,  où  î'ivreffe  &:  la 


112  Pour    la   Fête 

nouveauté  de  la  gloire  &:  d'un  vam  héroiT- 
me  furprend  Tame  ,  &  la  tire  comme  d'el- 
le-miême  ;  mais  l'ivrefTe  pafrée  ,  l'homime 
fentoitbien  fou  malheur  &  fa  folie  :  loin  des 
regards  publics  ,  tous  ces  héros  de  para- 
de 5  ces  m.ajtyrs  de  la  vanité  ,  rcîomboient 
fur  eux-mêmes  ,  &  cherchoient  d'autres 
adoucilTemens  à  leurs  m.aux  ,  que  ceux  de 
la  réputation  &  de  la  gloire  :  ainfi  l'hom^me 
foufFroit  alors  fans  reiiburce  ,  parce  qu'il  ce 
fcuffroit  que   pour  les  hommes. 

Mais  le  Rdele  qui  fouffre  ,  qui  fe  punit 
lui-miême  ,  qui  porte  fa  croix  ,  qui  l'îior- 
tine  fes  fens  &:  réprimée  fes  defirs  ,  a  un 
avenir  éternel  pour  lui.  Quand  m.éme  fes 
peines  feroicnt  ici-bas  fans  confoktions  , 
l'efpérance  feule  ,  qui  -eft  cachée  dans  fon 
fein  ,  les  adouciroit  :  un  coup  d'csil  fur  les 
années  éternelles  ,  rend  à  l'inftant  la  joie  & 
la  férénité  à  fon  amiC  affligée  :  un  Dieu  ma- 
iiifefté  en  chair  ,  eft  le  garant  de  fa  confian- 
ce :  en  Jefus-Chrifî  ,  fes  foufxrances  trou- 
vent un  prix  &  un  mérite  digne  de  Dieu  : 
par  Jefus-Chrifl  ,  elles  font  préfentées 
comme  un  facrifîce  de  bonne  odeur  au 
Père  céleûe  :  avec  Jefus-Chrift  ,  elles  ont 
dé]à  reçu  en  fa  perfonne  la  gloire  &  l'im- 
mortalité qu'il  leur  a  promife. 

Que  ces  vérités  ccnfolantes  vous  fouticn- 
nent  ,  vous  ,  mes  Frères  ,  qui  êtes  entrés 
depuis  long-temps  dans  les  voies  de  la  juftice 
&  du  falut  :  ne  lailTez  point  rallenrir  votre 
foi-  fous  la  péfanteur  de  la  Crois  que  vous 
avez  embraifée  :  iie  vous  découragez  pas 


DE  l'Incarnation.        113 

des  rigueurs  &:  de  la  durée  du  chemin  :  ne 
vous  laifez  pas  dans  ces  routes  faintes.  Ah  ! 
les  jours  de  votre  pèlerinage  vont  bientôt 
finir  :  vous  touchez  déjà  à  la  couronne  im- 
mortelle :  ces  momens  rapides  de  tribula- 
tion  palleront  comme  un  éclair  :  attendez 
encore  un  peu  ;  le  Seigneur  ne  tardera  pas  ^ 
&:  il  va  paroître  :  vous  le  voyez  aujourd'hui 
defcendredans  notre  infirmité  ;  ah  !  vous  le 
verrez  bientôt  venir  dans  fa  y^oirc.  Qu'eft- 
ce  que  le  court  efpace  de  quelques  jours  de 
larmes  &  de  deuil  ,  qui  vont  auln-tôt  fe 
perdre  &  s'anéantir  dans  l'abyme  de  l'éter- 
nité ?  mais  que  dis- je  ,  fc  perdre  ,  fe  chan- 
ger en  une  vie  nouvelle  ,  en  un  jour  ferein 
&  éternel  ,  où  le  larmes  feront  elîuyées 
&  le  deuil  confolé  ?  Rien  ne  périt  pour  le 
Jufte  :  vivez  donc  de  la  Foi  :  attendez  Fin- 
vifible  comme  fi  vous  le  voyiez  déjà  :  pen- 
fez  que  toutes  vos  violences  les  plus  fecret- 
tes  font  remarquées  parle  Témoin  fidèle 
que  vous  avez  dans  le  ciel  ;  que  toutes  vos 
œuvres  les  plijs  légères  font  comptées  :  que 
toutes  vos  peines  font  mifes  en  dépôt  dans 
les  Tabernacles  éternels  ,  &  que  vos  fou- 
pirs  fervens  font  conlervés  parmi  fes  par- 
fums précieux,  que  les  vieillards  préfentent 
autour  de  F  Autel.  Ainfi  plus  vous  avancez 
vers  le  terme  ,  plus  vous  fentez  votre  ardeur 
croître  &  vos  forces  fe  renouveller.  Quel 
bonheur  de  voir  dans  peu  ,  &  comme  en 
un  clin  d'œil ,  ce  nuage  de  notre  rnortalité 
difparoître  5  &  le  jour  de  l'éternité  corn,- 
mencer  ! 


114  P  ou  R    LA    Fe  TE 

Nous  n'avons  pas  les  mêmes  paroles  de 
confolation  pour  vous  ,  mes  Frères  ,  qui 
vivez  encore  félon  la  chair  :  il  feroit  inutile 
de  vous  montrer  des  biens  à  venir  ,  que 
vous  ne  goûtez  pas  ,  que  vous  ne  connoif- 
fez  pas ,  que  vous  ne  croyez  peut-être  pas. 
Il  auroit  donc  fallu  ici  vous  affermir  dans  la 
dodlrine  de  la  Foi  ,  &  finir  en  vous  mon- 
trant que  l'union  incompréhenlible  de 
l'homme  avec  Dieu  dans  ce  i\Î5l'l:ere,  con- 
fond la  raifon  humaine ,  &  rend  la  Foi  , 
^  non-feulement  néccflaire  ,  mais  encore  rai- 
fonnable  :  mais  j'abrège. 

III.    17 

PARTIE  X_vN  eifet  5  mes  Frères  ,  ce  n'étoit  pas 
aiTez  que  la  fageffe  de  Dieu  dans  ce  Myftere , 
eût  confondu  l'orgueil  de  l'homme  ,  en  ne 
lui  faifant  trouver  fon  falut  que  dans  les 
humiliations  &  l'abailTement  :  qu'elle  eût 
mis  un  frein  aux  defirs  déréglés  de  fa  chair , 
en  ne  lui  laiifant  pour  partage  que  les  croix 
&  les  foulfrances  :  il  falloit  encore  pour  re- 
médier à  toutes  fes  plaies  ,  qu'elle  captivât 
fa  raifon  ,  (  qui  depuis  tant  de  fiecles  favoit 
fait  fi  triftement  égarer  dans  fes  penfées  ,  ) 
en  lui  propofant  pour  l'objet  unique  de  fon 
culte,  de  fon  efpérance  ,  de  fa  confolation  , 
de  fa  fcience  ,  &:  de  fa  fageffe  ,  l'union  du 
Verbe  avec  notre  chair  ;  c'eR-à-dire ,  Jefus- 
Chrift  la  folie  de  la  raifon  humaine  ,  &  de 
toutes  les  contradictions  la  plus  incompré- 
henfible  ,  &  la  plus  infenfée  en  apparence. 
Le  mioyen  le  plus  sûr  d'arrêrer  ces  defirs 
infatiabies  &  inutiles ,  de  tout  favoir  &  de 


DE  l'Incarnation.  115 
tout  comprendre  ,  qui  jufques-là  avoient 
abufé  les  maîtres  tant  vantés  de  la  fagefle 
humaine;  cette  vaine  confiance  qui  promet- 
toit  la  découverte  de  la  vérité  aux  feuls  ef- 
forts de  i'efprit  ;  cette  licence  effrénée  ,  qui 
tous  les  jours  enfantoit  de  nouveaux  monf- 
tres  ,  en  croyant  trouver  de  nouvelles  vé- 
rités ;  le  moyen  ,  dis- je,  le  plus  sûr  de 
l'arrêter  ,  étoit  la  folie  de  l'Evangile  ;  je 
veux  dire  le  verbe  fait  chair  ,  &  la  fageffe 
de  Dieu  inconnue  aux  puifTans  &  aux  fages 
du  fiecle  dans  ce  Myftere. 

Par-là  ,  vous  comprenez  d'abord  ,  ô 
homme  !  que  l'Auteur  de  votre  être  ne  veut 
pas  vous  fauver  par  la  raifon  ,  mais  par  la 
Foi  ;  qu'il  fe  cache  à  vous  ;  qu'il  ne  faut  plus 
le  chercher  par  les  vains  efforts  de  I'efprit , 
mais  par  les  mouvemens  du  cœur  ;  que  la 
vérité  qui  doit  vous  délivrer  ,  ne  vous  eft 
ici  bas  montrée  qu'en  énigme  ,  &  qu'il  faut 
croire  pour  comprendre  :  Crédite  &  intel^ 
ligctis.  Ce  n'efi:  pas  que  la  Religion  ne  nous 
propofe  que  des  Myfteres  qui  nous  paffent , 
&  qu'elle  nous  interdlfe  tout  ufage  de  la 
raifon  :  elle  a  fes  lumières  comme  fes  ténè- 
bres ,  afin  que  d'une  part  l'obéiiîlince  du  fi- 
dèle foit  raifonnable  ,  &:  que  de  l'autre  ,  elle 
ne  foit  pas  fans  mérite. Nous  voyons  affez 
pour  éclairer  ceux  qui  veulent  connoître  ; 
nous  ne  voyons  pas  affez  pour  forcer  ceux 
qui  refufent  de  voir  :  la  Religion  a  affez  de 
preuves  pour  ne  pas  laiffer  une  ame  fidèle 
fans  affurance  &  fans  confolation  ;  elle  n'en 
a  pas  affez  pour  laiffer  l'orgueil  &  l'incrédu- 


îi6         Pour    la    Fête 
lité  fans  réplique.  Ainiî  la  Religion  par  Ton 
côté  lumineux  ,  confole  la  raifon  ;  &  Ton 
côté  obfcur  lailTe  à  la  Foi  tout   fon   mé- 
rite. 

Cependant  tout  eft  plein  aujourd'hui  de 
Chrétiens  philofophes  ,   &  de   fidèles  ju- 
ges de  la  Foi.  On  adoucit  tout  ;  on  donne 
un  air  de  raifon  à  tout  :  en  retenant  le  fonds 
de  la   dofbnne  chrétienne  ,    &  de  l'efpé- 
rance  en  Jefus-Chrift  ,  on  croit  fe  faire  une 
religion  plus  faine ,  en  fe  la  faifant  plus  clai- 
re &  plus  intelligible  :  tout  ce  qui  tient  tant 
foit  peu   du  prodige  &  du  furprenant  ,    on 
s'en  défie  :  on   forme  des  doutes   fur  ces 
flammes  éternelles  que  la   juflice  divine  a 
préparées  à  Fimpudique  &   à   Timpie  :  on 
veut  entrer  dans  les  deifeins  de  Dieu  fur  les 
deftinées  des  hommes  ;  &  par  des  idées 
toutes  humaines  de  fa  bonté  ,   réformer  ce 
qu'ils  ont  ,  ou  d'efirayant  ,   ou   d'incom- 
préhenfible  :  on  ofe  examiner  fi  nous  pou- 
vons être  les  héritiers  de  la  faute  ou  du  châ- 
timent de  nos  pères  ;  &  fi  notre  profonde 
corruption  n'eft  pas  l'ouvrage  de  la  nature  , 
plutôt  que  du  péché  :  on  demande  fans  ce- 
lé 5  pourquoi  des  penchans  de  plaifirs  ,  qui 
femblent  être  nés  avec  nous,  peuvent  nous 
être  imputés  comme  des  crimes  :  on  trouve 
des  inconvéniens  dans  l'hiftoire  vénérable 
de  nos  Livres  faints  :  on  s'érige  en  cenfeur 
de  ces  faits  éclatans   &:    merveilleux  ,  que 
des  hommes  infpirés  nous  y  ont  confervés  , 
&:  que  le  bras  du  Seigneur  opéra  autrefois 
pour  la  délivrance  de  fon  peuple  :  on  cher- 


DE  l'Incarnation.      117 

che  cointnent  il  a  pu  créer  un  monde  qui 
n'étoit  pas  ;  exterminer  toute  chair  dans  les 
eaux  du  déluge;  fauverla  race  des  hommes 
&  des  anirriaux  dans  un  feul  afyle  ;  ouvrir  ôc 
fermer  la  mer  ,  pour  faciliter  la  fuite  àfon 
peuple  ;  le  nourrir  dans  le  défert  d'un  pain 
miraculeux  ;  le  conduire  dans  une  nuée 
éclatante  ;  &  ordonner  même  au  Soleil  de 
prolonger  fa  courfe  ,  pour  achever  de  le 
rendre  vainqueur  des  ennemiis  de  fon  nomi  : 
que  dirai- je  !  on  veut  trouver  dans  les  for- 
ces delà  nature  ,  la  pofTibilité  de  ces  pro- 
diges éclatans ,  où  la  foi  de  nos  Pères  a  tou- 
jours reconnu  le  doigt  de  Dieu  ;  &  l'on 
change  l'hiftoire  de  la  Religion ,  &  des  ma- 
nifeiiations  du  Seigneur  aux  hommes  ,  en 
des  événemens  prefque  tous  naturels ,  & 
des  monumens  trop  vantés  d'une  prudence 
toute  humaine.  C'eft  ainfi  ,  ô  mon  Dieu  î 
nue  l'homme  infenfé  fe  difpute  à  lui-même 
la  confolation  de  croire  que  vous  avez  opé- 
ré des  merveilles  en  fa  faveur  ,  &  qu'il  fe 
fait  une  étude  d'infirmer  les  plus  beaiix  ti- 
tres de  fa  gloire  &:  de  fon  efpérance. 

Mais  ,  m.es  Frères  ,  depuis  que  vous 
adorez  un  Dieu  fait  homm.e  ,  c'eit  une  fo- 
lie 5  dit  un  Père  ,  de  vouloir  raifoaner  fur 
tout  ce  que  la  Religion  nous  propofe 
d'inacceiïible  à  la  raifon.  îl  n'eft  plus  rien 
d'incompréhenfihîe  que  Jefus  -  Chrift 
Homme-Dieu  n'applaniffe  ,  &  ne  rende 
croyable  :  ou  renoncez  donc  à  Jefus- 
Chrift  5  ou  avouez  que  Dieu  peut  faire  ce 
que    vous   ne    pouvez   comprendre    :   ou 


12.  2 


ii8  Pour  la  Fête 

blafphêmez  avec  l'impie  qu'il  n  eft  plus  que 
le  Fils  de  Marie  ou  de  Joieph  ;  ou  Ci  vous 
confefîez  avec  la  piété  qu'il  eft  le  Chrift 
Fils  du  Dieu  vivant ,  ceflez  de  trouver  des 
difficultés  dans  les  autres  Myfteres  de  la 
Foi  :  un  Chrétien  ne  doit  plus  raifonner  fur 
les  voies  de  Dieu  ,  s'il  raifonneconféqucm^ 
ment.  Ainfi  TApôtre  appelle  Jefus-Chrift 
l'Auteur  &  le  Confommateur  de  notre 
Heh.  Foi  :  Aucîorem  fidei  &  confummatorem  Je- 
fiim  :  il  en  eft  l'Auteur  ,  parce  qu'il  nous 
rinfpire  ;  il  en  eft  le  Confommateur  ,  par- 
ce qu'il  en  eft ,  pour  ainfi  dire  y  la  perfec- 
tion &  le  plus  haut  point  ;  &  qu'après  lui  , 
la  Foi  ne  peut  rien  nous  propofer  de  plus 
élevé  ,  &  de  plus  inaccellible  à  la  raifon 
humaine. 

Méditons  donc  fans  cefTc  ,  mes  Frères  , 
le  myftere  de  Jefus-Chrift  Homme  Dieu  : 
en  lui  nous  trouverons  le  dénouement  de 
toutes  les  difficultés  ,  parce  qu'en  lui  nous 
trouverons  un  noeud  encore  puis  inexplica- 
ble :  il  éclaire  notre  raifon  en  achevant  de 
la  confondre  ,  &  nous  conduira  à  l'intelli- 
gence 5  en  nous  faifantfcntir  la  néceffité  de 
la  Foi.  Imitons  la  docilité  de  Marie  ,  de- 
venue aujourd'hui  la  Mère  du  Verbe  in- 
carné. L'envoyé  du  Ciel  lui  annonce  qu'elle 
fera  vierge  &  féconde  ;  que  ce  qui  îiaîtra 
en  elle  ,  fera  le  Fils  du  Très-haut  ,  &  l'ou- 
vrage unique  de  i'Efprit- faint  :  quoi  de 
plus  propre  à  révolter  la  raifon  toute  en- 
tière ?  cependant  fans  héfiter,  fans  exami- 
ner ,  fans  demander  de  figne  pour  garant 


DE  L'Incarnation.  119 
d'un  Myftere  û  incroyable  ,  elle  croit  &: 
adore  la  puillance  6c  les  deffeins  de  Dieu 
fur  elle.  Zacharie  avoit  trouvé  dans  l'âge 
&  dans  la  ftérilité  d'Elizabeth  ,  des  raifons 
fpécieufes  pour  douter  de  la  promefle  di- 
vine ;  &  malgré  les  exemples  célèbres  de 
Sara  &  de  la  mère  de  Samuel ,  il  héfite 
&  fe  défie.  Marie  au  contraire ,  dans  un 
Myftere  ou  tout  eft  nouveau  &  incom- 
préhenfible  ,  où  elle  ne  trouve  rien  dans 
l'hiftoire  des  merveilles  du  Seigneur  ,  qui 
puilfe  la  raffurer  par  la  re/Temblance  ,  ne 
veut  point  d'autre  garant  de  fa  foi  ,  que  la 
toute-puiflance  &  la  vérité  de  celui  qui 
l'exige.  Une  Vierge  Cmple  &  innocente  , 
croit  fans  héfiter  :  un  Prêtre  inftruit  dans  la 
Loi  ,  doue  &  fe  défie  de  la  promeire  di- 
vine.  Les  grandes  connoilTances  ôtent  tou- 
jours quelque  chofe  à  la  fimplicité  de  la 
Foi  ;  &:par  un  deflin  inévitable  à  la  recher- 
che des  fciences  humairiCS  ,  inféparable 
d'ordinaire  de  complaifance  &  d'orgueil  , 
la  foumiifion  qui  nous  rend  fidèles  ,  femble 
perdre  d'un  côté  ,  ce  que  les  lumières  qui 
nous  rendent  habiles  ,  gagnent  de  l'au- 
tre ;  comme  fi  plus  on  ctoit  éclairé  ,  phis 
on  ne  devolt  pas  voir  clair  dans  la  foibleiîe 
de  la  raifon  ,  &  dans  rincertituds  &  YohC 
curité  de  {qs  lumières. 

Et  certes  ,  mes  Frères  ,  que  fervent  les 
vaines  réflexions  fur  la  doctrine  fainîe  ?  Si 
le  falut  étoit  le  fruit  de  la  raiicn  ,  vous  au- 
riez fujet  de  vous  défier  de  tout  ce  que 
vous  ne  pouvez  comprendre.  Mais  la  juf- 


I20  Pour  la   Fête 

tice  vient  de  la  Foi ,  &:  fe  perfedionne  par 
la  Foi  :  pourquoi  craignez-vous  donc  , 
comme  un  écueil ,  de  faintes  obfcurités  , 
qui  font  devenues  votre  voie  &  votre  re- 
mède ? 

Vivez  donc  de  la  Foi  ,  mes  Frères  ; 
commencez  par  purifier  votre  cœur  ;  l'in- 
nocence eftla  fouice  des  véritables  lumiè- 
res :  rappeliez  Jefus-Chrift  au  dedans  de 
vous  ;  avec  lui  vous  avez  tous- les  tréfors 
dz  la  doctrine  &:  de  la  fagelTe  :  établifTez- 
vous  dans  la  charité  ;  c'eil  le  feul  moyen 
de  trouver  la  vérité  :  on  ne  connoît  Dieu  , 
que  lorfqu'on  l'aime.  Souvenez  vous  qu'un 
cœur  corrompu  ne  fauroit  avoir  une  raifon 
faine  &  épurée  ;  que  plus  vous  approche* 
rez  de  Dieu  par  la  grâce  5  plus  vous  parti- 
ciperez à  fes  lumières  ;  plus  vous  avance- 
rez dans  la  voie  de  fes  commandemens , 
plus  vous  croîtrez  de  clarté  en  clarté  ;  plus 
enfin  y  vous  fentirez  s'éclaircir  dans  votre 
efpritces  vérités  divines  ,  que  nous  verrons 
un  jour  à  découvert  5  lorfqne  nous  lui  fe- 
rons devenus  femblables,  comme  il  devient 
aujourd'iiui  fcmblable  à  nous» 


Aiifl  fiit-il. 


SERMON 


^         ^"T",^,. ■ ,^ 

lÉllil^î^tïfE^ïîllil 


SERMON 

SUR  LA  PASSION 

DE    NOTRE    SEIGNEUR 
JESUS-CHRIST. 


Ego  in  hoc  natus  fum  ,  &  ad  hoc  veni  in  mun- 
dum  ,  ut  teiliraonium  perhibeam  veritati. 

Cejl  pour  cela  que  je  fuis  né  ,  &  que  je  fuis  venu 
dans  le  monde  ,  afin  de  rendre  témoignage  à  la  ve- 
rité,  Joan.  18.  57. 


L 'Opposition  à  la  vérité  a  tou- 
jours été  le  caraâere  le  plus  efTentiel 
du  monde  ,  &  la  peine  la  plus  univerfelle 
du  péché.  Depuis  que  l'homme  eût  effacé 
de  fon  cœur  la  loi  éternelle  ,  que  la  main 
du  Seigneur  ,  en  le  formant ,  y  avoit  gra- 
vée pour  l'éclairer  et  pour  le  conduire  ; 
&  qu'il  eut  fubflitué  à  cette  lumière  divi- 
ne ,  née  avec  lui  ,  fes  paifions  &  fes  té- 
nèbres ;  il  fe  forma  entre  lui  &  la  vérûé  , 
Uyjlcus.  F 


m  Sur  LA  Passion 

une  oppofitioii  invincible  ,  qui  alloit  tou- 
jours croUrant  à  mefure  que  le  monde  , 
tous  les  jours  plus  corrompu  ,  s'éloignoit 
de  la  pureté  de  fa  fource  ,  &  que  la 
malice  des  hommes  fe  multiplioit  fur  la 
terre. 

11  efl:  vrai  ,  mes  Frères  ,  qu'au  milieu 
àQS  ténèbres  qui  couvroient  la  face  de  l'u- 
nivers 5  Dieu  faifoit  luire  encore  de  temps 
en  tem.ps  fa  vérité  &  fa  lumière.  De  fîecle 
en  fîecle  paroilToient  des  hommes  juftes 
fufcités  d'en  haut  ,  paur  rendre  témoi- 
gnage à  la  vérité  &:  empêcher  \qs  erreurs 
&  les  pafiions  de  prefcrire  contre  elle. 
Depuis  le  fang  d'Abel  jufqu'à  Jean-Bap- 
tifte  ,  le  Giel  avoit  fourni  à  la  terre  une 
tradition  non  interrompue  de  Prophètes , 
de  Martyrs  ,  &  de  témoins  de  la  vérité  : 
les  uns  avoient  rendu  témoignage  à  la  vé- 
rité par  leur  fang  com.me  Abel  ;  les  autres 
par  leur  Religion  ,  comme  Enos  ;  quel- 
ques-uns par  leur  innocence  ,  comme 
Noé  ;  d'autres  par  la  foi ,  comme  Abra- 
ham ;  Ifaac  par  fon  obéifîance  ;  Job  par  fa 
patience  ;  Moyfe  par  fes  prodiges  ;  enfin  , 
pour  rendre  le  monde  inexcufable  ,  la  vé- 
rité eut  dans  tous  les  lîecles  des  témoins  & 
des  défenfeurs  ,  qui  s'élevèrent  contre  le 
inonde  ,  &:  qui  conferverent  parmi  les 
hommes  le  dépôt  de  la  doé^rine  &  de  la 
vérité  5  que  le  monde  ,  malgré  {qs  précau- 
tions ,  n'avoit  jamais  pu  éteindre  tout-à- 
fait  fur  la  terre. 

Cependant  cette  nuée  de  témoins ,  com- 


I 


DE  Notre  Seigneur,  u, 
me  parle  l'Apôtre  ,  qui  de  fiecle  en  fiecle 
avoit  rendu  témoignage  à  la  vérité 
avoientbien  pu  ,  je  l'aviue  ,  condamner  lé 
monde  par  la  vérité  ;  mais  ils  n'avoient  pas 
délivre  le  monde  par  elle.  La  vérité  avoit 
donc  befoin  d'un  plus  grand  témoignage  : 
il  talion  que  celui  qui  eft  la  fageffe  &  la  lu- 
mière du  Père  ,  vînt  lui-même  nous  ren- 
dre témoignage  de  ce  qu'il  avoit  vu  :  qu'il 
confirmât  la  doftrine  par  fon  fang  ;  que  fa 
doctrine  purgeât  la  terre  des  erreurs  ,  qui 
l"[q"  alors  l'avoient  inondée  ;  &  que  Jerus. 
Chrift  crucifié  fût  jufqu'à  la  fin  des  fiecles  , 
le  grand  témoin  de  la  vérité  contre  l'aveu- 
glement du  monde  &  l'erreur  de  fes  maxi- 
m.es. 

,  Le^myftere  des  douleurs  &  des  ignomi- 

mes  du  Sauveuj  ,  nous  offre  donc  auiour- 
d  hui  deux  fpectacles  biens  différens  -d'un 
cote  le  monde  Ci  aveugle  ,  &  fi  oppofé  à  la 
vente  ,  qu  après  avoir  rejette  dans  tous  les 
iiecles  ,  le  témoignage  des  Juftes  &  des 
Prophètes  ,  il  rejette  encore  aujourd'hui 
celui  de  Jefus-Chrift  lui-même  ;  d'un  au- 
tre cote  Jefus-Chrift  fur  la  croix  devenu 
le  grand  temom  de  la  vérité  ,  pour  con- 
fondre jufqu  a  la  fin  l'aveuglement  du  mon- 
de ;  ceft-a-dire,  la  mort  de  Jefus-Chrift 
devenue  la  plus  grande  preuve  de  l'oppo- 
lition  du  monde  pour  la  vérité  ,  &  le  nJuc 
grand  témoignage  de  Ja  vérité  contre  le 
monde. 

O  mon  Sauveur  !  jufques  ici  nous  avons 
offert  comme  le  monde,  un  cœur  rebelle 

Fi 


124  Sur    la  Passion 

à  la  vérité  de  votre  dodeline  :  nous  avons 
écouté  votre  parole  fainte  ,  durant  ces 
jours  de  pénitence  &:  de  falut  ,  avec  la 
mêine  infenfibilité  que  Jérufalem  vous 
écouta  autrefois  durant  les  jours  de  votre 
miniilere.  Mais  aujourd'hui  ,  Seigneur  , 
où  vous  ne  parlez  plus  que  par  vos  dou- 
leurs &  par  vos  opprobres  ,  où  vous  ne 
faites  plus  entendre  que  la  voix  de  votre 
fan  g  ;  aujourd'hui  où  attaché  à  ce  trône 
d'ignominie  ,  vous  êtes  devenu  le  grand 
témoin  de  la  vérité  contre  le  monde ,  ne 
permettez  pas  qu'une  inftrué^ion  fi  nou- 
velle ^  £1  touchante  ,  nous  trouve  encore 
infenfibles.  Nous  venons  mettre  aux  pieds 
de  votre  croix  ,  des  cœurs  à  la  vérité  en- 
core pleins  depafîions  &  d'attachemens  in- 
juftes  ;  mais  laiffez  couler  fur  nous  une 
feule  goutte  de  ce  fang  ,  que  vous  offrez 
aujourd'hui  pour  nous  à  votre  Père  ,  & 
nous  ferons  purifiés  :  jettez  fur  nous  , 
comme  fur  ce  pécheur  heureux  ,  qui  ex- 
pire à  vos  côtés ,  un  regard  de  miféricor- 
de  ,  &  nous  ferons  fauves  :  délivrez-nous 
par  la  vérité  5  dont  vous  êtes  aujourd'hui 
le  grand  témoin  ,  &  nous  pafierons  de  la 
fervitude  du  monde  &  du  péché  à  la  fainte 
liberté  des  enfans  de  Dieu.  C'eft  ce  que 
nous  vous  demandons  profternés  aux  pieds 
de  votre  croix  :  0  Crux  ,  ave. 


DE  Notre  Seigneur,      us 

E  monde  n'a  jamais  aimé  la  vérité  ^partie 
parce  que  la  vérité  a  toujours  condamné  le 
monde  :  les  homm.es  veulent  jouir  tranquil- 
lement de  leurs  erreurs  &  de  leurs  cri- 
mes ;  &  comme  cette  faufle  tranquillité  ne 
peut  durer  ,  qu'aufli  long-temps  qu'ils  peu- 
vent réuiïir  à  s'aveugler  eux-mêmes ,  toute 
lumière  qui  ouvre  leurs  yeux  à  la  vérité  , 
les  blefTe  &  les  révolte. 

De-là  les  Juftes  &  les  Prophètes  ,  que 
le  Seigneur  dans  fa  miféricorde  ,  fufcita  de 
fîecle  en  fîecle  à  la  terre  ,  pour  être  les 
témioins  de  la  vérité  ,  furent  toujours 
odieux  aux  hommes  ,  &  réprouvés  d'un 
monde  dont  ils  venoient  condamner  les 
maximes.  Ifaïe  ,  malgré  le  fang  des  Rois 
dont  il  étoit  illu  ,  vit  tout  Jerufalem  conf- 
pirer  fa  perte  ,  &  vouloir  éteindre  dans 
fon  fang  ,  la  vérité  qui  ne  mieurt  pas  avec 
les  Juftes  qui  meurent  pour  elle.  Jérémie 
ne  fut  pas  plus  favorablement  traité  de  fon 
peuple  ;  &  les  chaînes  &  les  prifons  de- 
vinrent pour  lui  le  prix  de  la  vérité  ,  dont 
les  perfécutions  des  méchans  font  toujours 
ici-bas  la  recompenfe.  Elle  ne  trouva  dans 
Ifraël  que  dss  cœurs  rebelles  à  la  vérité  , 
&  les  montagnes  les  plus  inacceffibles  , 
purent  à  peine  lui  fervir  d'afyle  contre  les 
embûches  des  im.pies.  Enfin ,  le  monde 
toujours  oppofé  à  la  vérité  s'eil  toujours 
élevé  contre  ceux  qui  venoient  le  troubler 
dans  la  poifeiTion  paifible  où  il  étoit  de 
{es  erreurs  &  de  fes  maxirues. 

F3 


126        SurlaPassion 

Cependant  il  eft  vrai  que  c'efl  par  la 
condamnation  &  la  mort  de  Jefbs-Chrift  > 
que  le  monde  donne  aujourd'hui  la  plus 
grande  &  la  plus  éclatante  preuve  de  fon 
oppofition  pour  la  vérité  ;  c'eft-à-dire  , 
pour  la  vérité  de  fa  doâ:rine  ,  des  Ecritu- 
res ,  de  Tes  miracles ,  de  fon  innocence  j 
&  de  fa  royauté  ;  fuivons  toutes  ces  cir- 
conilances. 

Je  dis  5  premièrement ,  une  oppohtion 
à  la  vérité  de  fa  doârine  ;  &  c'ôfl  le  refpeé^ 
humain  qui  la  form:e  ,  cette  oppofition  , 
même  dans  fes  Difcipîes.  En  vain  le  .Sau- 
veur les  avoiî  préparés  au  fcandale  de  fa 
croix  5  en  leur  annonçant  fouvent  qu'il  faî- 
loit  que  le  Chrift  foulTrit  ,  qu'il  entrât 
ainn  dans  fa  gloire  ;  qu'ils  ne  dévoient  fe 
promettre  de  part  à  fon  Royaume  ,  qu'au- 
tant qu'ils  en  auroient  à  l'amertume  de  fon 
calice  ;  &  que  bienheureux  ceux  qui  fouf- 
frent  ^  qui  font  perfécutés  :  en  vain  toute 
fa  doctrine  n'étoit  qu'une  préparation  aux 
croix  &  aux  fouffrances.  Dès  que  le  mon- 
de fe  déclare  contre  lui  ;  que  les  Prêtres 
s'alTemblent  ;  que  les  Doreurs  confpirent  ; 
que  le  peuple  murmure  ;  que  tout  Jérufa 
km  le  rejette  ,  ilschancelent  ,  ils  font  dé- 
couragés ;  &  voici  jufqu'où  le  refpeâ:  hu- 
main ^  &  la  crainte  du  monde  les  aveugle 
fur  la  vérité  de  fa  doâ:rine. 

Dans  Judas  elle  forme  un  perfide  ,  qui 
trahit  fon  divin  Maître  ,  &:  qui  fe  joint  à  fes 
ennemis  pour  le  perdre.  Ce  Difciple  in- 
fortuné j  intimidé  par  le  déchaînement  des 


DE  Notre  Seigneur.    127 
principaux  de    Jérufalem  contre   le   Sau- 
veur ,  ne  fe  contente  pas  de  l'abandonner  ; 
il  s'adrefle   aux  Princes   des   Prêtres   :  il 
devient  le  principal  miniftre  de  leur  jaloufie 
&  de  leur  fureur  :  Que  voulei'VOiis  me  doni    j^^^^j^^ 
ner  ,  leur  dit-il  ,   ù  je  vous  le  livrerai  ?  26.    i5« 
Mais  que   peut  vous  donner  le   monde  , 
Difciple  infidèle  ,  qui  puiiTe  remplacer  ce 
que   vous  allez  perdre  ,    &   ce    que  vous 
aviez   reçu   de    Jeius-Chriil:  ?   Quoi  !    la 
gloire  &  Teftime  des  hommes  ?  mais  votre 
nom  étoit  écrit  dans  le  Ciel  ,    &:  il  va  de- 
venir à  jamais  Topprcbre  &  Thorreur  de 
toute  la  terre  :  le   monde  autorife  le  vice  ; 
mai?    au  fond  il  n'eilime   que  la    vertu. 
Quoi  !  des  titres  &  des  honneurs  ?   mais 
Jefus-Chrift  vous  avoit  établi  Pafteur  de 
fon  troupeau  ,  colomne  de  fon  Eglife   , 
Prince  d'un  nouveau  peuple  ;  &:  pour  rem- 
placer ces  titres  auguftes   ,  le  monde  va 
vous  dégrader  jufqu'aux  minifteres  les  plus 
vils  &  les  plus   infâmes  :  qu'on  eft  grand  , 
quand  on   eft  à  Jefus-Chriil  !  &  qu'on  eft 
méprifable  &  dévoué  à  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  bas  &  de  plus  lâche  ,  quand  on  eft  ef^ 
clave  du  monde  !  Quoi  !    des  biens  &  des 
richeffes    !  mais  JeUis  >  Chrift  vous  avoit 
confié  les  tréfors  du  Ciel  ;   il   vous  avoit 
donné  toute  la  terre  pour  votre  partage  : 
tout  étoit  à  vous  ;  &  le   monde  ne   vous 
paye  en  échange  que  d'un  vil  prix  qu'il  vous 
fait  attendre  long-temps ,  &:  dent  le  premier 
inftant    de   poiîefiion    vous   dégoûte  :   le 
monde  promet  beaucoup  ,  &   ne  donne 

F4 


îiS        SurlaPassion 

rien  ;  Jefus  -  Chrift  donne  toujours  au- 
delà  de  ce  que  nous  attendons  ,  &  fes 
dons  furpalTent  toujours  fes  promefTes, 
Quoi  encore  !  des  plaifirs  réels  &  une 
félicité  durable  ?  mais  Jefus-Chrift  vous 
auroit  laifie  la  paix  du  cœur  qui  efl  l'hé- 
ritage de  ies  Difciples  ,  &  la  feule  fource 
de  vrais  plaifirs  ;  &  le  monde  ne  va  vous 
laiffer  que  des  remords  cruels  ,  un  affreux 
défefpoir  5  &  tout  le  poids  de  votre  cri- 
me :  le  monde  mené  par  les  plaifirs  aux 
amertumes  des  paiTions  ;  Jefus  -  Chrift 
mené  par  les  croix  à  la  paix  du  cœur  ,  & 
aux  plaifirs  tranquilles  &:  folides  de  l'inno- 
cence. Que  voulez-vous  donc  que  vous 
donne  le  monde  ?  comme  on  n'en  peut 
rien  efpérer  5  on  n  en  devroit  auffi  rien 
craindre. 

Mais  la  crainte  des  hommes  qui  avoit 
été  la  première  fource  de  la  perfidie  de 
Judas  5  devient  celle  de  la  défection  des 
autres  Difciples.  Le  Palpeur  frappé  ,  les 
brebis  font  difperfées.  Ils  Tavoient  fuivi 
généreufement  tandis  qu'ils  l'avoient  vu 
maître  de  la  mort  &  de  la  vie  ,  &  attirer 
après  lui  les  Grands  &  le  peuple  par  l'éclat 
de  {es  prodiges  :  il  leur  paroiifoit  beau 
alors  d'être  de  ce  petit  nombre  de  Difci- 
ples qu'il  avoit  choifis  ;  ils  ne  rougiifoient 
pas  de  lui  appartenir  ,  &  ils  s'en  faifoient 
même  une  gloire  devant  les  hommes. 
Mais  dès  qu'il  eft  faifi ,  lié  ,  méprifé  5  ils 
ie  cachent  ;  ils  ne  le  connoiffent  plus  ;  fa 
fcibleiTe  les  fcandalife  ;  fes  opprobres  tant 


DE  Notre  Seigneur.  129 
de  fois  annoncés  les  découragent.  La  vertu 
applaudie  ,  honorée  ,  favorifée ,  ne  manquç 
jamais  de  fectateurs  ;  la  vertu  méprirée  ou 
perfécutée  ne  trouve  plus  perfonne  qui  ofe 
fe  faire  un  honneur  de  fe  déclarer  tout  haut 
pour  elle. 

Pierre  lui-même  ,  qui  loin  des  dangers, 
fe  promettoit  tout  de  fon  courage  ,  n'efî 
pas  à  l'épreuve  d'une  Ci  dangereufe  tenta- 
tion. On  lui  demande  s'il  n'eft  pas  DïCci- 
pie  de  cet  homme  :  Numquid  &  tu  ex  Dlf-  y^^^ 
cipulls  es  hominh  IJiius  1  c'eil-à-dire  ,  s'il  18.  17, 
n'eft  pas  du  petit  nombre  de  ces  hommes 
heureux  ,  à  qui  le  Père  célelte  avoit  ré- 
vélé le  m.yftere  du  Chrift  ;  c'eft-à-dire  ,  s'il 
n'eft  pas  de  ces  dépodtaires  de  fa  puiiTance  , 
auxquels  il  a  confié  les  clefs  du  Ciel  &  de 
l'enfer  ;  le  pouvoir  de  marcher  fur  les  fer- 
pens  5  &  de  difpofer  à  leur  gré  de  toute 
la  nature  ;  c'eft-à-dire  ,  s'il  n'eft  pas  de  ces 
fondateurs  de  fon  Evangile  ,  qui  vont 
planter  la  Foi  au  m.ilieu  ûqs  ténèbres  de 
l'idolaîrie  5  conquérir  tout  Tunivers ,  ren- 
verfer  tous  les  autels  profanes  ,  confondre, 
toutes  \q.s  feâes  ,  éclairer  toutes  \qs  na- 
tions .,  rendre  muette  toute  la  fcience  des 
Philofophes  ,  foumettre  les  Cefars  ,  por- 
ter le  falut  à  toute  la  terre  ;  &  qui  doivent 
à  la  fin  paroître  au  miilieu  des  ;iirs  fur 
douze  trônes  de  lumière  ,  pour  juger  l^s 
douze  Tribus  d'Ifraël  :  c'eft-à-dire  enfin  , 
s'il  n'eft  pas  de  ces  nouveaux  miiniftres  de 
fon  Sacerdoce  5  qui  vont  être  ]qs  premiers 
Pafteurs  de  fon  Eglife  ^  les  Pontifes  des 

^  S 


130        SurlaPassion 
biexTS  véritables ,  les  Melchifedechs  d'un 
peuple  faint  ,  les  médiateurs  d'une  alliance 
nouvelle  ,   les   conciliateurs  des  hommes 
avec  Dieu  ,  aux  pieds  defquels  les  Princes 
&  les  Rois  de  la  terre   viendront  courber 
leurs  têtes  fuperbes ,    &  mettre  leurs  fcep- 
tres  &  leurs  couronnes  ?   Niimquid  &  tu  ex 
Difcipulls  es  hominis  [film   ?  Ed-ce  donc 
d'avouer  tant  de  grandeur ,  tant  de  gloire 
&  de  magnificence  ,   que  vous  rouglifez  j 
folble  Difcip'e  ?  Numquid  &   tu  ex  Difci- 
pulls es  hominis   ijlius  ?  Quelle  folie    de 
fe  faire  une  honte  devant  les  homim.es  du 
titre  de  Difciple  de  Jefus-Chrift  !  Le  mon- 
de  avec  toute  fa  gloire  a-t-il  rien   de   fi 
grand  ,   de  (ï  haut  ,    de  fi  eftimable  ,  de  Ci 
digne  de  la  raifon  ,  que  la  vertu  véritable? 
Cependant  Pierre  n'ofe  s'avouer  Difci- 
ple du  Sauveur  ;  une  lâche  timidité  l'aveu- 
gle ;  il  déclare  qu'il  ne  connoît  point  cet 
Maîîh.  hcmime  :  Non  novi  homimm  :  il  affeâ:e  d'i- 
lO.    72.  gnorer  jufqu'au  nom  de  Ton  divin  Maître. 
Lâche  Difciple  !   Mais  c'cft  là  ce  Jefus  , 
qui  de  pêcheur  de  poiiTons  ,  vous  avoit  fait 
devenir  pêcheurs  d'homimes  ;    &  qui  pour 
votre  barque  &  vos  filets  ,  vous  avoit  éta- 
bli le  chef  &  le  principal  miniftre  de  fon 
Eglife  :  Non  novi  hominem  :  il  ne  le  connoît 
plus.  Mais  c'eil  là  ce  Fils  au  Dieu  vivant 
que  vous  aviez  confelTé  fi  généreufement  , 
il  pour  qui  vous  aviez  tant  de  fois  proteôé 
que  vous  étiez  prêt  de  m.ourir  :  Non  novi 
hcmincm  :   il  ne   veut  plus  le   connoître. 
Mais  c'eft  ià  ce  bon  Maître  qui  vous  avoit 


DE  Notre  Seigneur  131 
honoré  de  fa  plus  tendre  familiarité  :  qui 
vous  avoit  admis  à  fes  plus  fecrettes  fa- 
veurs ,  &  toujours  préféré  à  tous  les  autres 
Difciples  :  il  affefte  d'en  ignorer  jufqu'au 
nom  :  Non  novl  homimm.  Mais  c'eft  là  ce 
Seigneur  qui  vous  foutenoit  flir  les  flots  ;  à 
qui  les  vents  &  la  mer  obéilToient ,  cl  que 
vous  aviez  vu  fur  le  Thabor  environné 
de  tant  de  gloire  &  d'immortalité  :  il  ne  le 
connoît  plus  :  Non  novi  hominem.  Mais 
enfin  c'efl  là  le  Chrift ,  à  qui  tous  les  Pro- 
phètes ont  rendu  témoignage  ;  cet  Agneau 
de  Dieu  ,  que  Jean-Baptifte  vous  a  mon- 
tré  ;  que  tous  les  facrifices  avoient  figuré  ; 
que  tous  vos  pères  avoient  demandé  ;  que 
les  hommies  appelloient ,  il  n'y  a  qu'un  mo- 
ment 5  les  uns  Elie  ,  les  autres  Jean-Bap- 
tifte  ,  ou  quelqu'un  d'entre  les  Prophètes  ^ 
&  que  vous  aviez  reconnu  vous-mêxme  , 
pour  le  Fils  &  l'Envoyé  de  Dieu  ,  qui 
feul  avoit  les  paroles  de  la  vie  éternelle  :  il 
ne  le  connoît  plus  :,Non  novi  hominem.  Il 
oublie  fes  bienfaits  ,  fes  miracles  ,  fa  doc- 
trine. Jufqu'où  le  refpe^t  humain  n'aveu- 
gle*t-il  pas  un  cœur  foible  &:  timide  î  & 
quand  on  craint  encore  les  hommes  ,  de 
quoi  peut-  on  répondre  de  foi-mêmie  à  Je- 
fus-Chrift  ? 

Quelle  foibleffe  ,  mes  Frères  !  craindre 
les  yeux  du  monde  ,  quand  on  obéit  à 
Dieu  !  fe  glorifier  de  fervir  les  Rois  de  la 
terre  ,  &  avoir  honte  dn  fervir  celui  que 
les  Rois  eux-mêmes  {ervQr.t  y  8>C  par  qui 
feuls  ils  ont  droit  de  régner  !  avoir  eu   la 

F  6 


132  s  U  R    L  A    P  A  s  s  I  O  N 

force  de  vieillir  dans  le  fervice  d'un  monde 
miférable  ,  d'en  foutenir  les  amertumes , 
les  caprices ,  les  alFujettiflemens ,  les  dé- 
goûts ;  &  n'avoir  pas  le  courage  de  confa- 
crer  publiquement  à  Jefus-Chrift  Iqs  ref- 
tes  d'une  vie  mondaine  ;  &  de  remplir  à 
la  vue  des  hommes ,  la  grandeur  des  de- 
vçirs  qu'il  nous  impofe  ,  &  la  nobleffe  de 
fes  maximes.  Quelle  foibleiîe  !  s'être  fait 
honneur  de  facrifier  au  monde  &  fouvent 
à  des  maîtres  injuftes  &  bizarres  ,  Ton  re- 
pos 5  fa  fauté  5  fa  confcience  ;  &  n'ofer  pas 
même  facrifier  du  monde  à  Jefus-Chrilt  , 
fes  difcours  frivoles  &  fes  vaines  cenfures  1 
O  mon  Dieu  !  le  monde  aura- 1  il  toujours 
des  partifans  déclarés  de  fes  illufions  pué- 
riles? &  la  fublime  fagelfe  de  votre  doc- 
trine ,  ne  trouvera-t  elle  jamais  que  des 
Difcipîes  tremblans  &:  timides  ?  FoibleiTe 
&  timidité  dans  les  Difcipîes  ,  qui  les 
aveugle  lur  la  vérité  de  la  dod^rine  de  Je- 
fus  ChrilL 

En  fécond  lieu  ,  jaîcufîe  dans  les  Prê- 
tres &  les  Doâeurs  y  qui  les  aveugle  fur 
la  vérité  des  Ecritures*  C'eft  là  que  Jefus- 
Chrift  les  avoit  fouvent  renvoyés  ,  comme 
au  témoignage  le  moins  fufpeâ:  de  la  vérité 
Jo&n»'»  ^^  ^^"  miniftere  :  Lifi:(  tes  Ecritures  leur 
^Q,  '  difoit-il  fouvent;  ce  font  elles  qui  rendent 
témoignage  de  moi.  Le  fceptre  de  Juda 
entre  les  mains  d'un  étranger  ne  leur  per- 
tnettoit  plus  de  douter  que  les  temps  mar- 
ques ne  fufTent  arrivés  ;  &  que  celui  qui 
âevcit  être  envoyé  ,  ne  dût  enfin  paroître  ; 


DE  Notre  Seigneur.  133 
les  aveugles  éclairés ,  les  boiteux  redrefTés , 
les  pauvres  évangélifés  ,  &  mille  autres 
traits  de  fon  miniftere  ,  leur  difoient  aflez 
que  c'étoit  de  hii  dont  Ifaïe  &  les  autres 
Prophètes  avoient  parlé  ,  Icrlqu'ils  avoient 
annoncé  le  Chrilt.  Mais  l'envie  qui  les 
aveugle  ,  l'emporte  fur  la  vérité  qui  Iqs 
éclaire  :  la  grande  réputation  de  Jefus- 
Chrilt,  &  fon  zèle  contre  leur  hypocrifie  j 
forme  en  eux  un  aveuglement  de  jaloufie  , 
qui  ferm.e  leurs  yeux  à  tout  ce  qu'ils  doi- 
vent à  la  vérité  :  plus  la  fainteté  de  Jefus- 
Chrift  éclate  ,  plus  leur  injufte  pafiion  s'ai- 
grit &:  s'allume  ;  &  en  voici  toutes  les  dé- 
marches &  tous  les  carafteres. 

Premièrement  ,   la  mBuvaife  foi  :  Que    Joan. 
ferons-nous  ,   difent-iis  ?  car  cet  homme  fait  ii'47. 
plujîeurs  prodiges  ,  G*  tout  le  peuple  court 
après  lui,  lis  ne  peuvent    fe  diiTimuler  à 
eux-mêmes  la  vérité  de  Ces  miracles  :  Quia 
hic  homo  mulîa  Jï gna  facit  :  ils  en  convien- 
nent enfemble  ;  mais  c'eft  cela  même  qui  les 
aigrit  &  les  aveugle  :  ils  fe  fentent  diminuer 
dans  i'eftime  du  peuple  ,    à  mefure  que  la 
réputation  de  Jefus-Chrift  s'établit  &  s'aug- 
mente :  que  ferons-nous  ,  difent-iis  ?  Quid 
facimus  ?  Aveugles  ,   &  conducteurs  d'a- 
veugles !  ce  que  vous  ferez  ?  c'eft  de  vous 
écrier  avec  le  peuple  :  Que  le  Seimeur  a    7-.,^  „ 
vijite  IJraet  ^  Cf  quun  grand  Frophete  a  ete  lû. 
fufcité  parmi  vous  :  c'eft  de  lui  dire  avec  le 
Scribe  inftruitdans  le  Royaume  desCieux: 
Maître  ,  nous  favons  que  vous  êtes  envoyé   7^^    ^ 
de   Dieu  ;  car  perjonne  ne  peut  faire  tes  2. 


134         Sur    LA    Passion 
ceuvrcs  que  vous  faites  ,  fi  Dieu   nejl  avec 
lui.    Quid  fcicimus  ?  ce   que  vous    ferez  ? 
Joan.  c'eft   de    dire   avec    TAveugle  ^né   :   Sci- 
9. 58.  *  gncur  ,  nous  croyons  que  vous  êtes  le  Fils 
Matth,  de  Dieu  ,  avec  une  femme  Tyrienne  :  Fils 
25. 21»    de  David  ,  ayc^  pitié  de   nous  ;   avec  le 
Luc  1.  jufts    Siméon  :    ]\ous    mourrons  en    paix 
29. 50.  maintenant ,  puifque  nos  yeux  ont  vu  le  fa- 
Joan,  ^^^  ^^   Dieu  ;  avec   les.  Difciples  :  A  qui 
6.  69.  pourrions  nous  aller  déformais  ,  puifque  vous 
avei  les  paroles  de  la  vie  éternelle  ?  Enfin 
Marc,  du  moins  avec  les  Démons  :  Nous  [avons 
^'  ^4.     qui  vous  êtes ,  6  faint  de  Dieu  î  Quidfaci- 
mus   ?   ce  que   vous  ferez  ?    Ah  !   Tyr  & 
Sidon  ,  où  il  n'a  jamais  opéré  de  prodiges  , 
pourroient   dire    :  Que  ferons-nous   ?   & 
qui  nous  montrera  le  falut  promis  à  la  ter- 
re i  Les  Nations  qui  le  defiroient  depuis 
tant  de  fiecles  auroient  eu  droit  de  dire  : 
que  ferons-nous  ?  nous  avons  attendu  la 
lumière  ,    &   nous  voici  encore  dans  les 
ténèbres.  Les  Rois  &  les  Prophètes ,  qui 
avoient  tant  fouhaité  de  le  voir  ,  auroient 
pu   s'écrier  •   Que  ferons- nous  ,  puifqu'il 
tarde  tant  de  venir  ?  &  qui  nous  apprendra 
le  jour  de  fon  arrivée  ?  mais  vous  à  qui  la 
grâce  de  Dieu  notre  Sauveur  a  apparu  ; 
vous  dont  les  yeux  ont  été  aflez  heureux  , 
pour  voir  ce  que  tant  de  Prophètes  avoient 
prédit,  ce  que  tant  de  Juftes  avoient  de- 
firé  ,  ce  que  tant  de  nations  avoient  atten- 
du ,  ce  que  le  Ciel  avoit  promis  depuis 
tant  de  (lecles  à  la  terre;  vous  à  qui  le 
Père  célefie  a  montré  fou  Fils  bien-aimé  y 


DE  Notre  Seigneur.  135 
que  pourriez-vous  avoir  à  faire  que  de 
l'écouter  5  &£  recevoir  le  falut  depuis  long- 
temps promis  à  vos  pères  ? 

Et  voilà  !e  premier  caraftere  d'une  in- 
jufte  jaloufie  ;  la  mauvaife  foi.  On  dif- 
pute  tout  haut  à  ceux  dont  on  regarde 
l'élévation  avec  des  yeux  d'envie  ,  des  ta- 
lens  &  des  qualités  louables  ,  qu'on  eft 
forcé  de  leur  accorder  en  fecret  :  on  trou- 
ve à  leurs  vertus  mêmes  un  mauvais  côté  , 
quand  on  ne  peut  les  traveftir  en  vices  :  la 
même  jaloufie  nous  éclaire  fur  ce  qu'ils  ont 
d'ellimable  ,  &  nous  les  fait  méprifer  :  on 
.  eil  ravi  de  mettre  le  public  contre  eux,  tan- 
dis que  notre  confcience  mieux  inftruire  les 
juftifle  ;  ainfi  le  plaifir  qu'on  a  de  tromper 
les  autres  à  leur  égard  ,  n'eft  jamais  par- 
fait 5  parce  qu'on  ne  fauroit  réulîîr  à  fe 
tromper  foi- même. 

.  Secondement  j  la  bafleffe.  Ils  cherchent 
eux-mêmes  en  fecret  un  faux  témoignage 
contre  Jefus-Chrift  ,  &  ils  n'en  fauroient 
trouver  :  Et  quœrcbant  falfum  tefîimonium    Matth» 
contra  Jefum  ,  &  non  invencrunt.  S'ils  en  ^^'    5^* 
euifent  cherché  de  véritable  ,  ah  !  tout  eût 
répondu  en  faveur  de  l'innocent  :  le  peu» 
pie  fe   fût  écrié  :  Que  Dieu  n  avait  jamais    Matth» 
donné  une  telle  puijfance  aux  hommes.  Tant  9'  8. 
de  morts  relTufcités  ,  tant  de  malades  gué- 
ris auroient  protefté  ,  Quil  ejl  la  réfurrec-     J»an, 
tion  (s  la  vie.  Tant  de  pécherelles  conver-  ^^'  -5* 
ties  auroient  publié  qu'on  ne  peut  réfifler 
aux  paroles  de  grâce  &  de  falut  qui  Jortent   Luc,  4. 
de  fa  bouche,  hes.  pierres  elles-mêmes  du  ^^^ 


î7 


136  Sur   LA   Passion 

temple  auroicnt  crié  à  leur  manière  :  Que 
Joan,  2.  Iq  :i^qIq  ^q  [a  maifon  de  fin  Père  le  dévore. 
Que  de  lumiere-s'ils  avoient  voulu  voir  !  ÔC 
fur  combien  de  vérités  faut-il  s'aveugler , 
&  à  combien  de  bafîelTes  eft-on  réduit  à  fe 
livrer  ,  quand  on  s'eft  une  fois  livré  à  cette 
paillon    injufte  ! 

Et  c'en  eft  le  fécond  caraftere.  Les 
voies  que  prend  la  jaloufie  pour  nuire  , 
font  toujours  fecrettes  ,  parce  qu'elles  font 
toujours  bafîes  &  rampantes.  On  fe  glo- 
rifie des  autres  partions  :  un  ambitieux  fe 
fait  honneur  de  fes  prétentions  &  de  fes 
efpérances  :  un  vindicatif  met  fa  gloire  à 
faire  éclater  fon  reffentiment  :  un  volup- 
tueux fe  vante  de  fes  excès  &  de  fes  dé- 
bauches. Mais  il  y  a  je  ne  fais  quoi  de  bas 
dans  la  jaloufie  ,  qui  fait  qu'on  fe  la  cache 
à  foi-même  :  c'eft  la  paflion  des  âmes  lâ- 
ches ;  c'eft  un  aveu  fecret  qu'on  fe  fait  a 
foi-même  de  fa  propre  médiocrité  ;  c'eft 
un  aveuglement ,  qui  nous  ferme  les  yeux 
fur  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  bas  &  de  plus 
indigne  :  on  eft  capable  de  tout,  dès  qu'on 
peut  être  ennemi  du  mérite  &  de  l'inno- 
cence. 

Troifiémement  ,  la  duretés  Ces  Juges 
corrompus  livrent  le  Sauteur  à  l'infolence 
&  à  la  fureur  de  leurs  ferviteurs  &:  de 
leurs  minières  ;  &  la  jaloufie  toujours 
cruelle  ,  leur  fait  voir  avec  un  plaifir  inhu- 
main les  opprobres  &  les  crachats  dont  on 
le  couvre  :  le  fanâ:uaire  même  de  la  Juf- 
tice ,  &:  la  majeflé  du  tribunal  fur  lequel 


DE  Notre  Seigneur.  137 
ils  font  aflîs  ,  ne  peut  fervir  d'aryle  à  un 
innocent ,  contre  les  indignités  &  les  ou- 
trages. Ah  !  l'Arche  d'Ifraèl  fut  en  sûreté 
daxis  le  temple  même  de  Dagon  ;  &  11- 
dole  elle-même  refpe6^a,  en  tombant  à  fes 
pieds  ,  la  majefté  &  la  gloire  de  celui  qui 
rélîdoit  en  elle  ;  &  Jefus-Chrift  ,  l'Arche 
du  Nouveau  Teftament  ,  eft  aujourd'hui 
outragé  au  milieu  même  de  fon  fanfbuaire 
&  de  fes  Minières  ;  &  fi  l'on  tombe  à 
{qs  pieds  5  en  fe  profternant  devant  lui  , 
ce  font  des  hommages  de  dérifion  ,  qui 
infultent  à  fes  douleurs  &  à  fes  ignomi- 
nies. 

Qu'il  refte  peu  de  fentiment  d'humanité 
dans  un  cœur  ,  lequel  après  avoir  regardé 
d'un  œil  d'envie  &  de  triftelTe  ,  la  proipé- 
rité  de  fon  frère  ,  voit  fes  malheurs  d'un 
œil  d'allégrefle  &  de  complaifance  !  troi- 
fieme  caraâ:ere  de  cette  injufte  pafîion  ;  la 
dureté.  Elle  endurcit  le  cœur  ,  &  le  ferme 
à  tous  fentiments  de  piété  &  de  tendrelTe  : 
on  voit  avec  une  joie  fecrette  les  malheurs 
&  la  décadence  de  Ces  frères  :  on  ne  peut 
être  heureux  que  par  leur  infortune.  Un 
air  de  jubilation  oC  de  réjouilTance  étoit 
répandu  dans  la  maifon  dAman  ,  au  feul 
fpe6^acle  des  malheurs  &  du  fupplice  de 
Mardochée.  C'eft  la  pafiion  d'un  mauvais 
cœur  ;  &  c'eft  pourtant  ce  qui  fe  palTe 
tous  les  jours  à  nos  yeux  ,  &  la  pafTion 
dominante  des  Cours  :  cette  palTion  cruelle 
fait  de  la  fociété  un  théâtre  affreux  ,  où 
les  hommes  ne  favent  paroître  enfemble 


19.  iS 

Joan,  8 
55. 


138  Sur  l  a  Passion 

que  pour  fe  dévorer  &  fe  détruire  ,  &  où 
la  décadence  des  uns  fait  toujours  le  triom- 
phe &  la  viâ:oire  des  autres.  Quel  aveu- 
glement pour  des  Chrétiens  ,  qui  doivent 
fe  regarder  comme  frères ,  &  comme  hé- 
ritiers des  mêmes  biens  &  des  mêmes  pro- 
mefles  ! 

Quatrièmement  enfin  ,  le  facrifîce  des 
intérêts  de  la  patrie.  Nous  n'avons  point 
Joan,  d'autre  Roi  que  Céfar  ,  s'écrient-ils  :  ISJos 
Rcgem  non  habemus  nifi  Cœfarem.  Eux  qui 
fe  vantoient  auparavant  de  n'avoir  jamais 
été  fujets  ni  efclaves  de  perfonne  :  Nemlni 
fervlvimus  unquam  ;  qui  déteftoient  le  joug 
des  incirconcis  ;  qui  avoient  l'avantage 
d  être  le  peuple  de  Dieu  ,  &  de  n'avoir 
que  le  Seigneur  pour  Roi  &  pour  Père  ; 
eux  qui  regardoient  le  fceptre  des  nations 
comme  une  tyrannie  ,  &  qui  croyoient  que 
tous  les  Rois  &:  tous  les  peuples  devien- 
droienî  tributaires  de  Jérufalem  ,  ils  facri- 
fîent  cette  gloire  ,  ces  avantages  qui  les 
diftingucient  de  tous  les  autres  peuples  de 
la  terre  ,  au  plaifir  affreux  de  voir  périr 
celui  9  avec  la  réputation  duquel ,  une  fe- 
crette  jaloufie  les  rendoit  irréconciliables  : 
Nos  Regcm  non  habemus  ,  nijï  Cœfarcm  ; 
ils  renoncent  à  la  gloire  d'être  le  Royau- 
me du  Seigneur  ,  à  refpérance  d'Ifraël  ^ 
&  aux  promefles  faites  à  leurs  pères  , 
pourvu  que  l'innocent  périiTe.  O  pafîion 
détéftable  ,  comment  êtes-vous  née  dans 
le  cœur  de  l'homme  ?  &  faut-il  que  la 
ruine  du  peuple  &  de  la  patrie  vous  tou- 


DE   Notre  Seigneur.    139 

que  le  plaifir  affreux  de  vous 
fatisfaire. 

Oui  5  mes  Frères  ,  c'eft  ici  Ton  dernier 
cara6^ere.  On  facrifie  tout ,  la  Religion  , 
l'Etat  ,  les  intérêts  publics  ,  la  gloire  de  la 
patrie  à  la  bafleiTe  de  fon  refîentiment.  Tout 
ce  qui  favorife  les  perfonnes  que  la  jaloufie 
nous  rend  odieiifes  ,  nous  devient  odieux  : 
s'ils  propofent  des  avis  utiles  aux  peuples 
&  à  l'Etat ,  nous  les  rejettons  :  s'ils  en  re- 
jettent d'injuftes  &  de  précieux  ,  nous  les 
approuvons.  Cette  paflion  aveugle  fe  glille 
jufques  dans  le  fanftuaire  des  Rois  &  dans 
le  confeil  des  Princes  :  divife  ceux  que 
rintérêt  commun  ,  le  bien  public  ,  l'amour 
du  Prince  &  de  la  patrie  devoit  réunir  : 
on  cherche  à  fe  détruire  aux  dépens  des 
affaires  &  des  nécelîités  publiques  :  les 
malheurs  publics  ont  pris  mille  fois  leur 
fource  dans  les  jaloufîes  particulières  :  on 
oublie  tout  ce  qu'on  doit  à  la  Patrie  &  à 
foi-même  ,  &  il  n'eft  plus  rien  de  facré 
pour  un  cœur  que  la  jaloufie  aigrit  &:  infec- 
te. Telle  eft  l'oppofition  que  la  jaloufie  des 
Prêtres  met  dans  leur  cœur  aux  promeifes 
&  à  la  vérité  des  Ecritures. 

En  troifieme  lieu  ,  l'ingratitude ,  pouffée 
jufqu'à  la  fureur  ,  m.et  dans  le  peuple  une 
oppofition  infenfée  à  la  vérité  des  miracles 
du  Sauveur.  Témoins  de  tant  de  prodiges 
qu'il  avoit  opérés  à  leurs  yeux  ,  ils  paroif- 
foient  en  foule  à  fa  lliite  avec  fes  Difci- 
ples  ;  ils  l'avoient  même  accompagné  de- 
puis  peu  dans  fon  entrée  triomphante  à 


140  Sur    la   Passion 

Jérufalem  ,  faifant  retentir  les  airs  d'accla- 
mations &  de  louanges  ;  &  couvrant  le 
chemin  de  branches  d'olivier  ,  comme 
pour  en  faire  un  trophée  au  Roi  pacifique  , 
qui  venoit  porter  la  paix  &:  le  falut  dans 
Sion  :  cependant  ce  même  peuple  en  fu- 
rie fe  déclare  aujourd'hui  contre  Jefus- 
Chrift  ,  le  fuit  comme  un  féditieux  ,  &  de- 
mande fa  mort  à  Pilate.  Qu'il  foit  cruci- 
Luc.  19.  fié  ,  s'écrient-ils  :  Nous  ne  voulons  pas  que 
'4»  celui-ci  règne  fur  nous.  Quelle  ingratitude  ! 
ils  vouloient  l'établir  Roi  fur  eux  dan^s  le 
défert  ,  lorfqu'il  les  rafTalioit  d'une  nourri- 
ture miraculeufe  ;  8c  au  milieu >de  Jéru- 
falem 5  ils  ne  le  connoiiîent  plus  ,  &  re- 
gardent fon  joug  comm.e  une  indigne  fer- 
vitude. 

C'e/l  l'ingratitude  ,  mes  Frères  ,  qui 
forme  toutes  nos  inconftances  dans  les 
voies  de  Dieu.  Touchés  quelquefois  de  fa 
grâce  ,  &  des  bienfaits  finguîiers  dont  il 
nous  a  comblés  en  particulier  5  en  nous 
ménageant  mille  événemens  heureux  pour 
notre  falut  ,  nous  avons  voulu  le  faire  ré- 
gner fur  notre  cœur  ;  nous  l'avons  fuivi 
quelque  temps  ;  nous  avons  été  touchés  de 
reconnoillance  fur  les  attentions  de  préfé* 
rence  &  de  bonté  qu'il  avoit  eues  pour 
nous.  Mais  le  monde,  mais  notre  fcibleife, 
mais  des  occafions  pas  affez  évitées  ,  ont 
bientôt  effacé  ces  fentimens  de  notre  cœur  ; 
nous  avons  oublié  fes  bienfaits  &  nos  pro- 
m.effes  ;  &  comme  l'ingratitude  &  l'abus 
des  grâces  en  va  toujours  tarir  la  fource 


DE  Notre  Seigneur.  141 
d^ns  le  fein  de  Dieu  ,  il  nous  a  livrés  à  tou- 
te la  corruption  de  notre  cœur  ;  nous  nous 
fommes  déclarés  fans  ménagement  contre 
lui  ;  nous  n'avons  plus  gardé  de  mefure 
dans  le  défordre  \  &  pour  étouffer  les  reftes 
de  nos  anciens  fentiments  de  vertu  ,  nous 
avons  montré  une  nouvelle  audace  dans  le 
crime. 

Ainfi  j  mes  Frères  ,  l'inconftance  dans 
les  voies  du  falut  ,  eft  le  plus  grand  obfta- 
cle  que  la  grâce  trouve  à  combattre  dans 
nos  cœurs.  Nous  ne  fommes  jamais  un  inf- 
tant  les  m.êmes  :  tantôt  touchés  de  Dieu  , 
tantôt  enivrés  du  monde  ;  tantôt  fornant 
des  projets  de  retraite  ,  &  tantôt  d'ambi- 
tion ;  tantôt  fatigués  des  plaifirs  5  tantôt  fen- 
tant  renaître  un  nouveau  goût  pour  eux. 
Notre  cœur  nous  échappe  à  chaque  inf- 
tant  :  rien  ne  l'arrête  ;  rien  ne  le  fixe  :  notre 
inconftance  nous  devient  à  charge  à  nous- 
mêmes.  Nous  voudrions  pouvoir  fixer  no- 
tre cœur  ,  &  lui  faire  prendre  une  confif- 
tence  durable  dans  le  vice  ou  dans  la  vertu  ; 
&  le  premier  objet  le  faifit  &  l'entraîne  : 
nous  vivons  dans  une  variation  perpétuelle  , 
fans  règle  ,  fans  maxime  ,  fans  principe  ; 
ne  pouvant  nous  répondre  de  nous-mêmes 
pour  un  moment  ;  &  ne  prenant  que  dans 
les  inégalités  de  l'humeur  &  de  l'imagina- 
tion les  règles  de  notre  conduite. 

Et  voilà  ce  qui  nous  rend  fi  peu  capables 
de  vérité  &  de  vertu  ;  c'efl  que  la  vertu  de- 
mande une  vie  uniforme  ,  &  facrifie  conf- 
tamment  à  l'ordre  &  au  devoir  5  les  inconf- 


Î42  SurlaPassion 
tances  d'une  imagination  légère  &  variable. 
Nous  avons  beau  nous  lafTer  de  notie  pro- 
pre inconftance  ;  nous  nous  lafîbns  encore 
bien  plus  de  l'uniformité  de  la  vertu  :  une 
vie  toujours  la  même  ;  toujours  aflujettie 
aux  mêm.es  loix  ;  toujours  foumife  aux  mê- 
mes règles  ;  toujours  gênée  par  les  mêmes 
devoirs  ;  nous  décourage  &c  nous  rebute. 
Ah  !  s'il  ne  falloit  pour  être  faint  5  que  faire 
une  a6lion  héroïque  de  vertu  ,  un  facrifice 
éclatant ,  une  démarche  généreufe  ,  il  en 
coûteroit  moins  à  la  démarche  des  hom- 
mes :  on  trouve  en  foi  afTez  de  réfôlution 
pour  fe  faire  une  grande  violence  d'un  mo- 
ment :  toutes  les  forces  de  l'ame  femblent 
fe  réunir  alors  ;  &  la  courte  durée  du  com- 
bat, en  adoucit  &  en  foulage  la  douleur. 
Mais  ce  qui  lafle  dans  la  vertu  ,  c'eft  qu'un 
facrifice  fait ,  il  s'en  offre  un  autre  qu'il  faut 
faire  ;  c'eft  qu'une  palîion  vaincue  ,  renaît 
aufii-tôt  5  &  qu'il  faut  encore  de  nouveaux 
efforts  pour  la  vaincre.  Pierre  aujourd'hui 
trouve  en  lui  affez  de  générofité  pour  tirer 
le  glaive  ,  &  défendre  fon  Maître  contre 
les  facrileges  qui  l'infultent  ;  mais  dès  que 
la  tentation  recommence  y  il  fe  décourage , 
&  fuccombe  :  il  eft  aifé  d'être  en  certains 
momens  héroïque  &  généreux  ;  ce  qui 
coûte  5  c'eft  d'être  par-tout  confiant  &:  fi- 
dèle. Aveuglement  d'ingratitude  8c  d'in- 
conftance  dans  le  peuple  ,  qui  refille  à  la 
vérité  des  m.iracîes  du  vSauveur. 

En  quatrième  lieu  ,  aveuglement  d'am- 
bition dans  Pilate  ,  qui  refiile  à  la  vérité  dé 
fon  innocence. 


DE  Notre  Seigneur.  145 
Le  Sauveur  du  monde  eft  traîné  devant 
ce  Magiftrat  infidèle  :  tout  prouve  à  Pilate 
fon  innocence  :  il  avoue  lui-même  qu'il  ne 
trouve  pas  cet  homme  digne  de  mort  ;  mais 
on  le  menace  de  Céfar  :  Non  es  amicus  Cœ-  Joan, 
faris.  Et  voici  tous  les  obftacles  qu'une  la-  ^9»  ï2. 
che  ambition  met  dans  fon  cceur  à  la  vérité 
qu'il  connoît ,  &  qu'il  ne  peut  fe  cacher  à 
lui-même. 

^  Premièrement  5  un  obftacle  dedifTimuIa- 
tion  &  de  mauvaife  foi.  Ne  pouvant  s'a- 
veugler fur  l'innocence  du  Sau\^ur  à  la- 
quelle fon  filence  ,  {qs  réponfes  ,  Ifes  accu- 
fations  des  Juifs  ,  les  fonges  mêmes  de  fa 
propre  femme  ,  tout  enfin  rendoit  témoi. 
gnage  ;  mais  d'un  autre  côté  ne  voulant  pas 
fe  mettre  en  danger  d'exciter  une  fédition 
dans  Jérufalem  ,  qui  auroit  pu  déplaire  à 
Céfar  5  &  lui  attirer  fa  difgrace  :  il  propofe 
des  expédienspour  fauver  Jefus-Chrift  ;  il 
veut  fe  fervir  de  la  circonftance  de  la  Pâ- 
que  5  où  c'étoit  la  coutume  d'accorder  au 
peuple  la  vie  d'un  criminel  ;  &  par-là  il  leur 
fait  entendre  contre  les  lumières  de  fa  conf- 
cience  ,  que  Jefus  de  Nazareth  a  bcfoia  de 
grâce  ;  &  qu'il  efl  digne  de  mort  ,  fi  les 
fuiîrages  du  peuple  ne  font  tomber  fur  lui 
l'indulgence  toujours  accordée  au  temps  de 
la  Pâque. 

Premier  obftacle  que  l'ambition  met 
dans  un  cœur  ;  elle  nous  rend  faux  5  lâ- 
ches ,  timides  ,  quand  il  faut  foutenir  les 
intérêts  de  la  juftice  &  de  la  vérité.  Oa 
craint  toujours  de  déplaire  j  on  veut  tou- 


144  SuRLA    Passion 

jours  tout  concilier  ,  tout  accommoder  ; 
on  n'eft  pas  capable  de  droiture  ,  de  can- 
deur ;  d'une  certaine  noblelTe  ,  qui  infpire 
l'amour  de  l'équité  ,  &  qui  (eule  fait  les 
grands  hommes  ,  les  bons  fujets  ,  les  Mi- 
niflres  hdeles  ,  les  Magiftrats  illuftres,  les 
Héros  chrétiens  :  on  met  en  parallèle  Jefus 
&  Barabbas  ,  toujours  prêta  facrifierrun 
ou  l'autre  ,  félon  que  le  temps  ou  les  occa- 
fins  peuvent  le  demander.  Âinfi  on  ne  fau- 
roit  compter  fur  un  cœur  en  qui  l'ambition 
domine  :  il  n'a  rien  de  sûr  ,  rien  de  ûxe  , 
rien  de  grand  ;  fans  principe ,  fans  maxime  , 
fans  fentimens  :  il  prend  toutes  les  formes  ; 
il  fe  plie  fans  ceffe  au  gré  des  pafllons  d'au- 
trui  ;  il   dit  fans    ccfle  ,    com.me   Pilate  : 

ly.Ti/  Q^^^  ^^^^^^  ^^^^^  ^^  duohus  dimittl  ?  Le- 
quel voulez-vous  que  je  délivre  ou  que  je 
perde  ?  Prêt  à  tout  également ,  félon  que 
le  vent  tourne  ,  ou  à  foutenir  l'équité  ,  ou 
à  prêter  fa  prote6^ion  à  rinjuftice.  On  a 
beau  dire  que  l'ambition  eft  la  pafllon  des 
l^randes  âmes  ;  on  n'eft  grand  que  par  l'a- 
mour de  la  vérité  ,  &  lorfqu'on  ne  veut 
plaire  que  par  elle. 

Secondement ,  un  obftacle  de  haine  pour 
la  vérité  ,  qui  fait  qu'elle  nous  eft  à  charge. 
La  préférence  que  les  Juifs  donnent  à  Ba- 

Ib'd  -ù   ^^bbasfur  JefusXhrift  ,  embarralTe  Pilate  : 

lu         Que  fcrai-je  donc  de  Jefus  ,  qu'on  appelle  le 

Chrifl  5  leur  difoit-il  ?  Le  Sauveur  eft  pour 

lui  un  embarras  ;  fon  innocence  lui  pefe  ;  il 

^      voudroit  bien  que  les  Juifs  en  fîflent  tout 

Joaru  ,£g^|g  Yq^x  aiîaire  :  Tollite  eum  vos  ,  &  Ce- 

cundum 


DE  Notre  Seigneur.     145 

cundum  Icgcm  vcjlram  judicatc  ;  la  caufe  de 
l'innocent  lui  eft  odieufe. 

Second  obftacle  que  l'ambition  met  dans 
un  cœur  ;  elle  nous  rend  la  juftice  Se  la  vé- 
rité odieufe.  On  eft  embarrallé  du  bon 
droit  ;  on  voudroit  que  ceux  qu'il  faut  per- 
dre 5  pour  plaire  ,  eulfent  toujours  tort  ;  on 
regarde  comme  un  malheur  d'être  chargé 
de  leur  caufe  ;  on  cherche  \qs  moyens  de 
s'en  débarraffer  ;  &  loin  d'embralfer  avec 
joier©cca{ion  de  prêter  fon  miniftere  à  l'in- 
nocent ;  on  fuit  la  gloire  d'une  belle  action, 
com.me  on  devroit  fuir  l'infamie  d'une  baf- 
feffe. 

Troifiémement ,  un  obftacle  d'hypocri# 
fie  ,  qui  fait  fervir  la  vérité  même  aux  vues 
de  l'ambition.  Pilate  ayant  appris  que  Je- 
fus  étoit  Galiléen  le  renvoie  à  Hérode  , 
fous  prétexte  que  la  Galilée  obéi/Tant  à  ce 
Prince  ,  c'étoit  à  lui  à  juger  de  la  caufe  de 
JefusChrift.  Ce  n'eft  pas  le  defir  de  con- 
ferver  la  vie  à  un  innocent  ,  qui  détermine 
Pilate  à  cette  démarche  ;  c'eft  pour  recou- 
vrer l'amitié  d'Kérode  qu'il  avoit  perdue  : 
il  fait  fervir  Jefus-Chrift  à  Ces  fins  5  &  le  met 
à  profit  pour  fa  propre  utilité. 

Troifieme  obftacle  ;  un  cœur  ambitieux 
eft  d'autant  plus  éloigné  de  la  vérité  ,  qu'il 
femble  faire  plus  d'oftentation  de  l'aimer  & 
de  la  fuivre.  C'eft  ce  vice  qui  fait  toutes  les 
fauifes  vertus  ;  &  fous  un  règne  fur-tout  , 
où  la  vertu  eft  devenue  la  route  sûre  des  fa- 
veurs &  des  grâces  ,  on  fe  fert  ,  comme 
Pilate  ,  de  Jefus-Chrift  pour  gagner  la 
Myjîens.  '  Q  ' 


14^       Sur    LA    Passion 

bienveillance  du  Prince  :  après  avoir  tenté 
toutes  les  autres  voies  ,  c'eft  la  dernière 
rciîburce  que  l'ambition  infpire  ;  elle  em- 
ploie tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  faint  &  de 
plus  facré ,  les  apparences  du  zèle  &  de  la 
vertu.  Quel  m.alheur  ,  quand  on  eft  afTez 
corrompu  pour  tourner  Jefus-Chrift  même 
à  fa  propre  perte  ;  pour  faire  de  la  vertu  la 
voie  des  paiTîons  èc  l'attrait  du  vice  ;  pour 
employer  la  Religion  à  favorifer  les  deiirs 
du  fiecle  qu'elle  condamne  ;  pour  changer 
les  refTources  mêmes  de  la  piété  en  des  mo- 
tifs de  cupidité  ,  &  les  armes  mêmes. de  la 
vérité  5  en  des  inflnimens  de  duplicité  & 
de  menfonge  !  Qu'il  refte  peu  d'efpérance 
de  falut  aune  ame  qui  peut  abufer  du  don 
de  Dieu  ,  &  ne  faire  point  d'autre  ufage  de 
Jefus-Chrift  ,  le  Juge  &  l'ennemi  du  mon- 
de ,  que  de  l'employei  à  parvenir  aux  hon- 
neurs &  à  la  bienveillance  du  monde  mêm.e  ! 
Enfin  dernier  obftacîe  ;  un  obftacle  de 
faufle  confcience  ,  qui  fait  qu'en  facrifiant 
.  la  vérité  à  des  intérêts  humains  ,  on  croit 
encore  n'avoir  rien  à  fe  reprocher.  Pilate 
voyant  que  fes  délais  &  fes  tempéramens 
ne  fervent  qu'à  aigrir  &  allumer  de  plus  en 
plus  la  fureur  des  Juifs ,  livre  enfin  le  Sau- 

Luc.zi'  veur  à  leur  vengeance   :  Tradidit  voluntcti 

25*  corum  ;  mais  en  même  temps  il  lave  fes 
mains  :  il  confent  qu'on  lefaife  mourir  ;  & 
il  déclare  qu'il  n'eftpas  coupable  de  la  mort 

Matth.  ^s  ce  Jufte  :  înnocens  e^o  fum  à  fojiguirx 

27.  24*  jiLJli  hujus. 

Dernier  obftacle  que  l'ambition  oppofe 


DE  Notre  Seigneur.  147 
à  la  vérité  ;  on  fe  fait  une  faufTe  confcience 
^ur  la  plupart  des  démarches  les  plus  oppo- 
fées  au  devoir  &:à  la  règle  ;  onie  perfuade 
que  la  nécefîiîé  ,  les  conjondures  ,  les  in- 
térêts publics  5  les  raifons  d'Etat ,  les  bien- 
féances  du  nom  ,  le  devoir  des  places ,  en 
rendant  certaines  tranfgrefîîons  ,  comme 
inévitables ,  les  rendent  en  même  temps  in- 
nocentes. Ainfi  les  complaifances  qu'on  a 
contre  fa  confcience  &  fon  devoir  font  tou- 
jours néceflaires  ,  dès-là  qu'elles  nous  font 
utiles  :  elles  ont  toujours  certains  côtés , 
par  où  elles  ne  nous  offrent  que  les  dehors 
de  la  fagefle  &  de  la  prudence  ;  enfin  ,  tout 
ce  qui  fert  à  nos  projets  eft  bientôt  inno^ 
cent  :  Innoccns  ego  fum» 

Aufîî  l'ambition ,  ce  vice  qui  forme 
tant  de  haines ,  de  jaloufies  ,  de  bafleires», 
d'injuftices  ;  ce  vice  ,  qui  fe  gliffe  jufques 
dans  nos  vertus ,  &  dont  les  plus  juiles 
font  à  peine  exempts  ;  ce  vice  ,  qui  infeéle 
toutes  les  Cours  ,  &  qui  en  eil  comme  l'a- 
me  5  &  le  grand  reilort  qui  donne  le  mou- 
vement à  tout  :  ce  vice  .  dis-je  ,  ell  celui 
fur  lequel  on  a  le  moins  de  remords ,  &: 
qu'on  ne  s'avife  jamais  de  porter  aux  pieds 
du  Tribunal  de  la  Pénitence.  Les  fuccès  de 
l'ambition  nous  ralTurent  contre  l'injuPâce 
de  fes  voies  ;  &  il  fuffit  d'avoir -été  heu- 
reux 5  pour  fe  perfuader  qu'on  n'eft  pas 
coupable. 

J'ai  dit  en  dernier  lieu  5  un  aveuglement 
d'impiété  dans  Hérode  ,  qui  tourne  en  ri- 
fée  la  Royauté  de  Jefus-Chrift.  Il  ne  peut 

G  z 


148        Sur  LA  Passion 

fe  diiîimuler  à  lui-même  qu'il  ne  foit  ufur- 
pateur  du  Trône  de  David  ,  &  étranger 
dans  l'héritage  de  Sion  :  les  frayeurs  de  fon 
PrédéceiTeur  ,  fur  la  nailfance  du  nouveau 
Roi  des  Juifs  ,  que  les  Mages  venoient 
adorer  ,  n'étoient  ni  fî  anciennes ,  ni  fi  ou- 
bliées ,  &  avoient  été  même  marquées 
par  des  traits  trop  publics  &  trop  fanglans, 
pour  qu'elles  ne  fuilent  pas  venues  jufqu'à 
lui.  Mais  l'impiété  traite  toujours  la  vérité 
de  fuperftition  &:  de  crédulité  ;  &  voici  ce 
qu'elle  produit  en  Hérode. 

D'abord  ,  un  mouvement  de  curîofité  : 
il  fouhaitoit  de  voir  cet  homme  ,  dont  la 
renommée  publioit  des  chofes  fi  merveil- 
leufes  :  il  fe  promettoit  d'en  être  lui-même 
le  témoin  ,  &  de  voir  quelqu'un  des  pro* 
diges  que  le  Sauveur  avoit  opérés  dans  la 
Luc.i^,  Judée  :  Sperabat  fignum  aliquod  vidcre  ah 
eoficri  :  il  ne  cherche  pas  des  inftruifbions  ; 
il  ne  veut  qu'un  fpeâacle.   Il  fait  à  Jefus- 
Chrift  mille  queftions  inutiles  fur  fa  doc- 
Ibid.  f.  ^j-jj^g  ^  f^^  Çq^  miniftere  :  Interrogabat  au-  1 
^'  tem  eum  multis  fcrmonibus  ;  mais  ce  n'eft  ] 

pas  pour  connoître  la  vérité  ,  c'eft  pour  en  i 
faire  des  dérifions  ,  &  fe  confirmer  dans  -1 
fon  -incrédulité.  Démarches  ordinaires  de 
l'impiété  :  on  voudroit  des  miracles  pour 
croire  :  on  ne  fe  rend  point  à  la  voix  de 
tous  les  fiecles  &  de  tous  les  peuples  ,  qui 
publient  les  prodiges  éclatans  ,  auxquels 
î'Eglife  doit  fa  nailîance  &  fon  progrès  :  on 
ne  veut  pas  voir  que  l'Evangile  reçu  ,  & 
fubfiftaat  dans  l'Univers ,  eft  le  plus  grand 


DE  Notre  Seigneur.  149 
miracle  que  Dieu  ait  pu  opérer  fur  la  terre  : 
on  veut  être  Chrétien  par  les  fens  ;  &  on  ne 
peut  l'être  que  par  la  Foi.  On  fouhaite  de 
voir  5  comme  Hérode  ,  des  hommes  célè- 
bres par  la  fîngularité  de  leurs  lumières ,  & 
par  une  réputation  publique  de  zèle  &  de 
vertu  ;  mais  ce  n'eft  pas  pour  s'inflruire  ; 
c'eft  pour  propofer ,  comme  Hérode  ,  des 
doutes  fans  fin  ,  &  des  queftions  vaines  & 
frivoles  :  Intcrrogabat  autem  eum  multis  fer^ 
monibus.  On  fe  fait  un  bon  air  d'avoir  des 
difficultés  fur  la  croyance  commune  :  on 
cherche  à  difcourir  fur  la  vérité  ;  mais  on 
ne  cherche  pas  la  vérité  :  on  parle  toujours 
de  Religion  ,  &  on  n'en  a  point  :  Interro- 
gahat  autcm  eum  multis  fermonibus. 

Ceux  qui  interrogeoient  Jefus-Chrift 
pour  s'inftruire  ,  fe  conteiitoient  de  lui  de- 
mander :  Maître  ,  que  faut-il  faire  pour  mé- 
riter la  vie  éternelle  ?  ils  en  venoient  d'à-  ^''^* 
bord  aux  devoirs  :  ils  couroient  au  remède 
de  leurs  maux  les  plus  preiles  :  ils  vouloient 
qu'il  leur  apprît  d'abord  à  vaincre  leurs 
païïions  5  à  pratiquer  les  préceptes  de  la 
Loi  5  &  à  trouver  la  voie  qui  conduit  à  la 
vie  :  Quid  faciendo  ,  vitam  œternam  poffl- 
debo  ?  Ils  vc'jîoient  aller  à  la  vérité  par  les 
devoirs  ,  &  non  pas  douter  de  îa  vérité  , 
pour  fe  difpenfer  des  devoirs.  Ceux-ci  au 
contraire  ,  ne  fe  propofent  dans  leurs  quef- 
lions  &  dans  leurs  doutes,  que  de  fe  dire 
à  eux-mêmes  5  qu'au  fond  tout  eft  incer- 
tain ;  qu'on  n'a  rien  de  fatisfaifant  à  leur  ré- 
pondre ;  &  avoir  l'audace  de  douter  de  la 


150       S  u  R    LA   Pas  SI  ON  " 

vérité  5  eft  pour  eux  une  preuve  décifive 
contre  elle.  C'eil  ainfi  ,  ô  mon  Dieu  !  que 
votre  Jufcice  punit  Torgucil  d'une  foible 
raifon  ,  en  la  livrant  à  {es  propres  ténèbres. 
A  la  curiofité  Hérocîe  mêle  la  dérifion  : 
n'ayant  pu  même  tirer  de  Jefus-Chrift  une 
feule  parole  ,  il  le  m.éprife  ,  &  toute  fa 
Luc  -^z»  ^our  fuit  fou  exemple  :  Sprevlt  autem  il- 
12.  *"  lum  Hcrodes  cum  exerciîu  fuo.  Le  filence  du 
Sauveur  ,  fa  modeilie  ,  fa  patience  dans 
les  humiliations  dont  il  efl:  couvert ,  fon 
humilité  qui  lui  fait  cacher  fes  talens  divins 
&  fes  œuvres  admiirables  devant  Hérode  ; 
tout  cela  qui  auroit  dû  être  auprès  de  ce 
Prince  autant  de  preuves  éclatantes  de  la 
fainteté  de  Jefus-Chrift  .  ne  fert  qu'à  le  fai- 
lepafTer  pour  un  homme  d'un  efprit  foible, 
&  d'une  raifon  égarée  :  on  le  revêt  d'une 
robe  blanche  ,  comme  un  infenfé  ,  &  on  le 
ibid,  renvoie  à  Pilate  :  Et  illujît  indutum  vefls 
alhâ. 

Et  voilà  ,  mes  Frères  ,  comme  Jefus- 
Chi'iftdans  fes  ferviteurs  ,  eil  tous  les  jours 
îraité  dans  le  monde  ,  &  fur-tout  à  la  Cour 
des  Rois.  Si  les  gens  de  bien  s'y  difpenfent 
de  certains  plaifrs  ;  s'ils  fe  taifent  à  certains 
difcours  ;  s'ils  ne  fe  conforment  pas  à  cer- 
tains ufages  ;  s'ils  fe  font  un  fcrupule  de 
certains  abus ,  que  l'exemple  commun  au- 
torife  ;  loin  d'admirer  en  eux  la  force  de  la 
grâce  ,  &  la  grandeur  de  la  Foi  ,  qui  peut 
réfifter  au  terrent  des  plaiiirs  &  des  exem- 
ples ,  on  traite  leur  piété  ,  &  la  magnani- 
mité de  leur  vertu  ^  de  petiteife  d'efprit. 


DE  Notre  Seigneur.  151 
On  les  regarde  comme  des  hommes  oifeux 
&  bornés  ,  qui  manquent  d'élévation  &  de 
courage ,  &  incapables  de  fuivre  des  rou- 
tes plus  brillantes  ;  on  croit  qu'il  faut  laifler 
im  certain  détail  de  dévotion  à  ceux  qui  j 
par  la  médiocrité  de  leurs  taîens ,  n'ont  rien 
de  mieux  à  faire  :  on  s'applaudit  de  ne  pas 
leur  reflembler  :  on  s'eftime  trop  foi- mê- 
me ,  peur  fe  croire  en  état  de  remiplir  les 
devoir  fublimes  de  la  Religion  :  on  fe  croit 
né  pour  de  plus  grandes  chofes ,  que  pour 
fervir  Dieu  ,  que  pour  fauver  fou  ame ,  que 
pour  mériter  un  Royaume  immortel ,  que 
pour  être  reçu  dans  cette  Cité  éternelle  , 
où  tous  les  Citoyens  feront  Rois  ,  &  où 
toute  grandeur  anéantie  ,  ils  jouiront  feuls 
de  l'immortalité  &  de  la  gloire. 

Monde  profane  !  vous  mépriferez  tou- 
jours Jefus-Chrift  ,  parce  que  Jefus-Chrift 
vous  condamnera  toujours  ;  fa  croix  vous 
paroîtra  toujours  une  folie  ,  parce  qu'elle 
confondra  toujours  votre  fauiie  fagelTe. 
Monde  réprouvé  !  vous  rejetterez  toujours 
Jefus-Chrift  ,  parce  que  Jefus-Chrifl  vous 
a  rejette  lui-même  de  fon  héritage  :  vous 
traiterez  toujours  fes  Difciples  d'infenfés  , 
parce  que  leur  conduite  vous  fait  fans  ceffe 
fentir  que  vous  l'êtes  vous-mêm.e.  Monde 
miférable  !  vous  livrerez  toujours  Jefus- 
Chrift  ,  parce  que  Jefus-Chrift  vous  in- 
commode 5  &  vous  emibarrafte  :  vous  fa- 
crifierez  toujours  la  confcience  &  le  devoir 
à  des  intérêts  vils  &:  rampans  ,  parce  que 
vous  ne  connoilTez  pas  Dieu  5  &  que  vous 

G4 


I5Z  Sur    l  a  Pa  ssion 

n'aurez  jamais  d'autre  divinité  qu'une  for- 
tune de  boue  ,  qui  vous  coûte  beaucoup  , 
&  qui  ne  peut  jamais  réufîîr  à  remplir  vos 
defîrs  &  votre   attente.     Monde   injufte  ! 
vous   perfecuterez  toujours   Jelus-Chrift  , 
parce  que  Jefus-Chrift  n'eft  venu  que  pour 
détruire  votre  empire  :  vous  foupçonnerez 
toujours  l'innocence  ,  la  vertu  ,  la  droiture 
de   fes   ferviteurs  ,  parce  qu'il  vous  impor- 
tera toujours  de  vous  perfuader  que  la  ver- 
tu n'eft  qu'une  feinte  ,  &  que  les  plus  gens 
de  bien  vous  refTembknt.  Monde  infenfé  ! 
vous    rougirez   toujours   de  Jefus-CJirift  , 
vous  vous  cacherez  toujours   de    la  piété/ 
comme  d'une  faibleffe ,  parce  que  vous  pré- 
férerez toujours  la  gloire  des  hommes  à 
celle  de  Dieu.  La  vérité  ne  vous  délivrera 
jamais ,   parce  que  vous  la  retiendrez  tou- 
jours dans  l'injuftice  ;  &  Jefus-Chrift  trou- 
vera jufqu'à  la  £n  au  milieu  de  vous  ^  com- 
me aujourd'hui  à  Jérufalem  ,  un  aveugle^ 
ment  de  rei^?eâ:  humain  ,  qui  réfiftera  à  la 
vérité  de  fa  do(Strine  ;  un  aveuglement  de 
jaloufîe  ,   qui  réfiflera  à  la  vérité  des  Ecri- 
tures ;  un  aveuglement  de  légèreté  &  d'in- 
gratitude ,  qui  réfilîera  à  la  vérité  de  fes 
miracles  ;  un  aveuglement  d'ambition^  qui 
véfîftera  à  la  vérité  de  fon  innocence  :   en- 
ûn  j  un  aveuglement  d'impiété ,  qui  réfif- 
tera  à  la  vérité  de  fa  Royauté.  C^eft  ainfi 
:ue  le  monde  fait  éclater  aujourd'hui  toute 
on  oppolition  pour  la  vérité  ,  en  condam- 
ant  Jefus-Chrift  :    il  faut  voir  comment 
«  ?fus  Chrift  fur  la  Croix  devient  aujour- 


DE  Notre  Seigneur.  153 
d'hui  le  grund  témoin  de  la  vérité  ,  pour 
condamner  le  monde  par  e^Ie. 

J-jA  mort  de   Jefus  Chrift  eft   le  grand     ^^' 
témoignage  de  la  vérité  contre  les  erreurs 
&:  les  préjugés  des  pafTions  humaines  ;& 
c'eft  aujourdhui  proprement  que  le  Père  a 
établi  fon  Fils ,  com.me  il  eft  dit  dans  Ifaïe  , 
le  témoin  de  la  vérité  pour  condamner  le     »^  - 
monde  qui  la  rejette  :  Ecce  tejlem  populis  55.4/' 
dedl  eum. 

Or  ,  nous  avons  vu  que  le  monde  ,  en 
rejettant  aujourd'hui  Jefus-Chrift ,  s'a- 
veugle fur  la  vérité  des  Ecritures ,  qui  ren- 
doient  témoignage  de  lui  ;  fur  la  vérité  de 
fa  do£^rine ,  qu'il  lui  avoit  tant  de  fois  an- 
noncée ;  fur  la  vérité  de  fes  miracles ,  dont 
il  avoit  été  témoin  ;  fur  la  vérité  de  fon  in- 
nocence ,  dont  il  étoit  convaincu  ;  &  enfin , 
fur  la  vérité  de  fa  Royauté  ,  qu'il  avoit  au- 
paravant reconnue.  Jefus-Chrift  lur  la  Croix 
condamne  aujourd'hui  le  monde  ,  en  ren- 
dant un  grand  témoignage  à  toutes  ces  vé- 
rités ;  à  la  vérité  des  Ecritures ,  en  les  ac- 
complilTant  par  fa  mort  ;  à  la  vérité  de  fa 
doctrine  ,  en  la  confirmant  par  fes  fouifran- 
ces  ;  à  la  vérité  de  fes  miracles  ,  en  les  re- 
nouvellant  fur  le  Calvaire  ;  à  la  vérité  de 
fon  innocence  ,  en  priant  pour  fes  bour- 
reaux ;  enfin  5  à  la  vérité  de  fa  Royauté  , 
en  établift^ant  fa  puinance  5  &  conquérant 
le  monde  par  la  Croix.  Et  c'eft  ainfi  qu'il 
n'étoit  venu  dans  le  monde  que  pour  ren- 
dre témoignage  à  la  vérité  :  Ego  in  hoc  na-  ^^^n.  «. 

G  5  57. 


154,      Sur    la    Passion 

tus  Jum  j  &  ad  hoc  vcnl ,  ut  tejlimonium 
perhibeam  vcritatL 

En  premier  lieu,  à  la  vérité  des  Ecri- 
tures 5  en  les  accoinplifîant  par  fa  mort. 
Oui  5  mes  Frères  ,  la  mort  de  Jefus  Chrift 
devient  aujourd'hui  la  grande  preuve  de  la 
vérité  des  Ecritures  :  c'eft  elle  feule  ,  qui 
en  juftifîe  les  Prophéties  ;  qui  en  développe 
les  prédirions  ;  qui  en  éclaircit  les  obfcu- 
rités  ;  qui  en  explique  les  figures  :  c'eft  la 
clef  facrée  ,  qui  ouvre  les  fept  fccaux  de 
ce  Livre  fermé.  Sans  le  dénouement  de  ce 
grand  facrifice  ,  les  Livres  faints  font  in- 
compréhenfibles  ;  les  ténèbres  des  Prophé- 
ties  deviennent  impénétrables  ;   le   détail 
du  culte  &  des  cérémonies  de  la  Loi  pa- 
roît  puérile  ;  une  nuit  épailTe  eft  répandue 
fur  ce  Livre  divin  ;  mais  la  mort  de  Jefus- 
Chrift  y  répand  un  nouveau  jour;  à  la  faveur 
de  ce  myftere  préordonné  avant  tous   les 
fiecles  ,  on  voit  clair  dans  toutes, fcs  figu- 
res :  on  découvre  l'efprit  de  toutes  fes  cé- 
rémonies ;  on  entre  dans  le  fens  de  toutes 
fes  Prophéties  ;  on  fent  la  vérité  &  la  di- 
vinité de   nos  Livres  faints.    C'efi:  ici  cet 
Agneau  occis  depuis  l'origine  du  monde  ; 
cet  Abel  ,  qui  expire  fous  les  coups  d'une 
indigne  jaloufie  ;  cet  Ifaac  ,  obéillant  juf- 
qu'à  la  mort  ,   &  prêt  à  être  immolé  fur  la 
Montagne  fainte  ;  ce  Jofeph  ,  livré  par  fes 
propres   frères ,  &  devenu  le  Sauveur  de 
l'Egypte  ;  ce  Job  ,  rhom.me  de  douleur  , 
&:  méritant  par  fa  patience  ,  &  par  fes  af- 
fiiâ:ious  3   de  rentrer  en  poirefîicn  de  fes 


DE  Notre  Seigneur.  155 
biens  &  de  fa  gloire  ;  ce  David  cliaffé  de 
Jérufalem  ,  montant  fur  la  montagne  cou- 
vert de  honte  &  d'ignominie  ,  accompagné 
des  anathêmes  &  des  dérifions  de  fon  Peu- 
ple 5  qui  l'outrage  &  qui  l'infulte  ;  ce  Jo- 
nas  enfeveli  durant  trois  jours  dans  le  fein 
de  l'abyme  ,  &  reflufcité  pour  fauver  Ni- 
nive.  Enfin  depuis  le  commencement  des 
chofes  ,  il  femble  que  Dieu  n'eft  attentif 
qu'à  préparer  les  hommes  à  ce  myftere  fan- 
glant  5  éc  en  tracer  de  loin  dans  les  Livres 
faints  5  les  fymboles  &  les  figures.  L'al- 
liance de  Sinaï ,  confirmée  par  le  fang,  nous 
annonçoit  que  le  fang  de  JefusChrift  rati- 
fieroit  l'alliance  nouvelle  ,  que  le  Seigneur 
devoit  contracter  avec  les  homm.es.  L'a- 
mertume des  eaux  de  Mara  ,  adoucie  par 
le  bois  myftérieux  ,  nous  figuroit  la  corrup- 
tion des  Nation? ,  purifiée  par  le  bois  facré 
de  la  Croix.  Le  Serpent  d'airain  élevé  ,  & 
devenu  le  remède  des  plaies  du  Peuple  ^ 
n'étoit  que  le  fymbcle  de  Jefus-Chrift  éle- 
vé en  Croix;  &  devenu  le  remède  de  nos 
plaies  &  de  nos  fouillures.  Enfin  ,  on  trou- 
ve que  jufqu'aux  moindres  circonflances 
de  la  mort  de  Jefus-Chrift  ,  touteft  prédit 
dans  les  Livres  faints  ,  &  dès  le  commen- 
cement annoncé  aux  hommes  ;  le  fiel  dont 
il  devoit  être  abreuvé  ;  les  crachats  dont  on 
le  couvre;  les  doux  ,  qui  percent  fes  mains^ 
&  {es  pieds  facrés  ;  le  fort ,  qui  partage  fes 
vêtemens  ;  la  perfidie  du  Difciple  ,  qui  le 
livre  5  &:  qui  décheoit  de  fon  Apoftoîat  ; 
les  deux  malfaiteurs  5  au  milieu  defquels  il 

G6 


156  Sur  LA  Passion 
expire  ;  la  lance  qui  ouvre  ion  côté  ;  fcs  os , 
qui  ne  font  pas  brifés  ,  la  forte  clameur 
qu'il  poulî'e  vers  fon  père  ;  de  forte  que  les 
Prophéties  ne  paroifTcntplus  qu'une  hifcoire 
claire  &  anticipée  des  douleurs  &  des  op- 
probres de  la  Croix. 

Ceft  ainfi  que  la  mort  de  Jefus-Chrift 
confirme  tout  ,  comme  dit  l'Apôtre  ,  ac- 
complit tout  5  juftifie  tout.  Ceft  ainfi  que 
ce  Myftere  ,  qui  révolte  fi  fort  la  raifon  , 
&  qui  eft  la  folie  du  Gentil  ,  &  le  fcandaîe 
du  Juif  5  eft  pourtant  lui-même  la  preuve 
de  notre  Foi  ,  la  certitude  de  nos  Livres 
faints  5  &  la  confufion  de  l'incrédulité. 
Ceft  ainfi  qu'il  falloit  que  le  Chrift  fouffrît , 
&  mourût  5  afin  que  les  Ecritures  fufient 
accomplies  ;  que  les  Peuples  tém.oins  de 
cet  acccmplifTem.ent  ,  fe  foumâlfent  à  leur 
autorité  ;  que  ce  livre  divin  fe  répandît 
dans  toutes  les  Nations ,  &  qu'il  fiit  jufqu  a 
îa  fin  des  fiecles  ,  le  garant  de  notre  Foi  , 
le  fondement  de  nos  efpérances  ,  la  régie 
immuable  de  notre  culte  ,  le  rocher  myfté- 
rieux  ,  où  tous  les  efforts  de  l'orgueil  hu- 
main ,  &  toute  la  violence  des  fuperftitions 
&  des  Se6^es ,  viennent  fe  brifer  ;  &  enfin 
le  monument  éternel  des  mjféricordes  du 
Seigneur  fur  les  hommes.  Que  de  gran- 
deur dans  la  balTeiTe  de  nos  Myfteres  !  C'eft 
ainfi  5  ô  mon  Dieu  !  que  vous  avez  toujours 
voulu  confondre  Torgueil  de  la  raifon  ,  & 
vous  jouer  de  la  vaine  fageffe  des  hommes 
en  cachant  la  fageffe  &  la  fublimité  de  vos 
voies  j  fous  des  apparences  viles  &  infen- 


ïi 


DE  Notre  Seigneur.  157 
fées  5  en  nous  conduifant  à  la  vérité  par 
/y  l'hu milité  ,  &  révoltant  les  foibîes  lumières 
^  d'une  vaine  raifon  ,  pour  en  éclaircir  les  té- 
nèbres. Premier  témoignage  que  Jefus- 
Chrift  rend  aujourd'hui  à  la  vérité  des  Ecri- 
tures ,  en  les  accompliirant  par  fa  mort. 

Il  rend  en  fécond  lieu  ,  un  témoignage 
à  la  vérité  de  fa  doâ:rine  ,  en  la  confirmant 
ar  {qs  opprobres  &  par  fes  fouffrances. 
1  nous  avoit  appris  que  bienheureux  ceux 
qui  fouffrent  ,  &  que  la  violence  qu'on  fe 
fait  à  foi-même  étoit  l'unique  reffource  du 
falut  :  toute  fa  do(î:l:rine  fembloit  fe  réduire 
à  humilier  i'efprit  &  à  mortifier  les  fens. 
Or  5  nul  Philofophe  jufqu'à  lui  n'avoit  an- 
noncé aux  homm.es  qu'il  fallût  aller  à  la  fé- 
licité par  les  humiliations  &  par  les  fouf- 
frances :  c'étoit-là  ce  fecret  du  Royaume  des 
Cieux  ,  jufques-là  inconnu  aux  enfans  du 
{îecle.  Il  talioit  donc  que  fon  exem.ple  con- 
firmât la  nouveauté  de  fes  préceptes  ;  qu'il 
ne  relTemblât  point  à  ces  faux  fages  qui 
Tavoient  précédé  ,  lefquels  ,  en  préchant 
pomipeufement  le  mépris  de  tout ,  jouif- 
foient  avec  plaifir  de  tout  ;  &  que  les  humi- 
liations &  les  douleurs  de  fa  mort  ,  devinf- 
fent  le  grand  témoignage  de  la  vérité  de  fa 
doctrine. 

Je  dis  les  douleurs  de  fa  mort  ;  &  quel- 
les douleurs  !  le  fiel  &  l'abfynte  ,  dont  on 
l'abreuve  ;  Tinfeé^ion  des  crachats ,  dont  on 
couvre  fon  vifage  adorable  ;  les  coups  de 
fouet  ,  qui  déchirent  fon  corps  facré  ;  les 
foufflets  barbares  y  qui  le  meurtrilfent  ;  la 


158  Sur  l a  Pas  sion 
couronne  d'épines  ,  qui  le  perce  ;  la  pe- 
fanteur  de  la  Croix  ,  qui  l'accable  ;  les 
doux  j  qui  l'y  attachent  ;  les  efforts  inhu- 
mains ,  qui  le  crucifient.  Quelles  douleur  ! 
fon  efprit  affligé  ,  par  l'horreur  de  nos  cri- 
mes ;  ion  cœur  contriftc  ,  par  l'inutilité  de 
fes  fouffrances  ;  fon  amour  accablé  ,  par 
l'ingratitude  de  fon  peuple  ,  &  par  les  mal- 
heurs qui  vont  fondre  fur  cette  nation  Ci 
chérie.  Voilà  le  grand  modèle  qu'on  nous 
montre  aujourd'hui  ,  du  haut  de  la  mon- 
tagne fainte  ;  &  la  réponfe  décifîve  à  tous 
vains  prétextes. 

Car  ,  mes  Frères ,  que  peut  oppofer 
notre  impénitence  à  ce  grand  exemple  ? 
Quoi  !  notre  innocence  ?  une  vie  régulière , 
exempte  de  certains  excès  ,  Se,  qui  femble 
nous  difpenfer  de  cette  vie  de  larmes  &  de 
m.ortification  ,  qui  ne  paroît  deflinée  qu'à 
punir  les  grands  crimes  ?  Mais  Jefu.sXhrift 
faint  ,  innocent ,  féparé  des  pécheurs  ,  ne 
remplit  fon  miniRere  ,  que  par  les  fouitran- 
ces  ;  n'opère  notre  falut  5  que  par  la  Croix  ; 
ne  devient  homme  ,  que  pour  devenir 
l'homme  de  douleurs  :  ne  fuffit-il  pas  d'être 
fon  difciple  ,  pour  ne  pouvoir  fe  difpenfer 
de  marcher  far  fes  traces  ? 

Mais  d'ailleurs,  votre  innocence?  Grand 
Dieu  !  vous  nous  connoilfez  :  vous  avez 
compté  nos  pas  dès  le  fein  de  nos  m.eres  : 
vous  avez  fuivi  les  routes  les  plus  fecretîes 
de  nos  paflions  :  vous  avez  prévu  nos  coû- 
tes 5  avant  m.ême  que  nous  fuillons  tombés  : 
nos   premières    mœurs  &  nos  dernières» 


DE  Notre  Seigneur.  159 
voles  ,  tout  eft  également  préfent  à  vos 
yeux:  Tu  cognovijîi  omnia  ^  novijjlma  &  Ff'iit. 
antiqua;Sc  vous  favez  ,  grand  Dieu  !  quelle  5* 
vie  nous  offrirons  un  jour  à  votre  juftice  , 
quand  le  voile  fera  tiré  ;  &  que  ce  phan- 
tôme  de  vertu  qui  nous  abufe  ,  tombera  & 
s'évanouira  devant  la  lumière  ^  l'éclat  ter- 
rible de  vos  jugemens  &  de  votre  juftice. 

Quoi  encore  ?  notre  rang  &  l'élévation 
où  la  Providence  nous  a  fait  naître  ?  Mais 
Jefus-Chrift  ,  le  fuccefîéur  de  tant  de 
Rois  ,  le  Roi  immortel  des  fiecles  ,  a-t-il 
cherché  dans  la  grandeur  de  fes  titres  ,  des 
raifons  qui  le  difpenfaiîent  de  la  Croix  &  de 
la  violence  ?  Au  contraire  ,  il  veut  ibufFrir 
avec  toutes  les  marques  de  fa  grandeur;  Ton 
fceptre  ,  fa  pourpre  ,  fa  couronne  ;  comme 
pour  nous  apprendre  que  la  pénitence  eft  en- 
core plus  neceifaire  aux  Grands  qu'au  peu- 
ple ,  parce  qu'ils  onîplus  de  crim,es  à  pleurer, 
plus  de  paillons  à  vaincre  ,  plus  de  fcan- 
dales  à  réparer  5  plus  de  voluptés  à  ex- 
pier ;  que  les  marques  mém.es  de  leur 
grandeur  ne  font  que  les  fources  &  les 
inftrumens  de  leurs  fouifrances  ;  &  que  le 
privilège  de  leur  état  n'eft  pas  de  jouir  de 
plus  de  plaifirs  ,  mais  d'en  avoir  plus  à  fa- 
crifier  que  le  commun  des  Fidèles. 

Quoi  encore?  la  foiblelTe  de  la  ianté  , 
&  la  délicateffe  du  tem.pérament  ?  Mais  le 
corps  de  Jefus-Chrift,  form.é  par  TEfprit 
faint  5  &  le  plus  fenfible  à  la  douleur  qui 
eût  jamais  paru  fur  la  terre ,  eft  m.eurtri  & 
brifé  pour  hous.  Mais  d'ailleurs  5  quelle  ei! 


l6o  S  U  R     L  A     P  A  s  s  I  O  N 

cette  foibleiTe  de  tempérament ,  qui  a  tant 
de  force  pour  foutenir  la  fatigue  des  paf- 
iîons  5  &  pour  courir  dans  les  voies  de 
l'iniquité  ;  &  qui  n'eft  foible  &:  fans  cou- 
rage ,  que  lorfqu'il  faut  aller  à  Dieu  , 
&  faire  un  feul  pas  dans  les  voies  de  la 
juftice. 

Quoi  donc  ?  la  bonté  de  Dieu  ,  qui  n'eft 
pas  un  Maître  fi  cruel  ,  &  qui  nous  aime 
trop  5  pour  exiger  que  nous  nous  rendions 
malheureux  pour  lui  plaire  ?  Mais  nous 
aime-t-il  plus  qu'il  n'a  aimé  fon  Fils  unique , 
&  dans  lequel  feul  nous  fommes  dignes 
de  fon  amour  ?  Et  cependant  ,  quel  calice 
lui  a-t-il  ordonné  de  boire  ?  par  quelles 
tribulations  l'a-t-il  fait  pafTer  ?  Si  le  Jujfte 
cft  traité  avec  tant  de  rigueur  ,  referve- 
ra  t'il  toute  fon  indulgence  pour  les  cou- 
pables ? 

Quoi  enfin  ?  les  rigueurs  &  les  difficul- 
tés de  la  pénitence  ?  Mais  ,  mes  Frères  , 
comparons  la  violence  que  la  Religion 
nous  impofe  ,  aux  fouffrances  de  Jefus- 
Chrift  ;  &  foutenons  ,  fi  nous  pouvons, 
ce  parallèle.  Hélas  !  nos  violences  confif- 
tent  plutôt  à  nous  priver  de  quelques  plai- 
firs  5  qu'à  fouffrir  quelque  peine  ;  à  retran- 
cher quelques  fuperfluités  ,  qu'à  nous  im- 
pofer  des  privations  douloureufes  ;  à  ne 
pas  tout  accorder  aux  fens  ,  qu'à  les  mor- 
tifier :  &  encore  ces  privations  légères  , 
par  combien  d'endroits  font-elles  adou- 
cies ?  la  grandeur  qui  nous  environne  , 
labondance  qui  nous  fuit  ,  l'élévation  qui 


DE   Notre   Seigneur.     161 

nous  flatte  ,  la  magnificence  qui  nous 
éblouit  5  tous  les  avantages  au  milieu  def- 
quels  nous  fommes  nés.  Que  fouffrons- 
Jious  5  mes  Frères  ?  &  fi  nous  ne  foufFrons 
pas,  que  pouvons  nous  prétendre  aux pro- 
mefîes  qui  ne  fi^nt  faites  qu'à  ceux  qui  fouf- 
frent  ?  Second  témoignage  que  Jefiis- 
Chrift  ,  fijr  la  Croix  ,  rend  à  la  vérité  de 
fa  doctrine  ,  en  la  confirmant  par  fes  hu- 
miliations &  par  fes  fiDuffrances. 

II  rend  en  troifieme  lieu  ,  fur  la  Croix  , 
témoignage  à  la  vérité  de  {qs  miracles ,  en 
les  renouvellant.  Mais  ce  n'eft  pas  tant  en 
ouvrant  les  tombeaux  ,  en  brifant  les  ro- 
chers j  en  obfcurcilfant  le  foleil  ,  &  cou- 
vrant toute  la  terre  de  ténèbres  5  qu'il  con- 
firme aujourd'hui  fa  puifTance  ,  &  qu'il 
rend  témoignage  à  la  vérité  de  tous  fes 
miracles  :  c'eft  en  convertiifaut  un  fcélérat 
qui  expire  à  fes  côtés  :  c'eft  en  changeant 
le  cœur  du  Centenier  même  ,  qui  préfide 
à  fon  fupplice  ,  Se  le  forçant  de  confelTer 
tout  haut  fa  puifTance  &  fa  divinité  :  c'efl 
en  touchant  les  fpe^tateurs  de  fa  miOrt  ,  & 
les  obligeant  de  s'en  retourner  ,  frappant 
leur  poitrine  ,  &  répandant  des  larmes  de 
componction  &:  de  pénitence  :  Et  reverte- 
bantur  percutientcs  peclora  fua.  Voilà  le 
grand  miracle  de  la  mort  de  Jefus-  ^^' ^  * 
Chrifl  ;  la  converfion  des  grands  pé- 
cheurs j  &  remarquez  en  eiïez  ,  dans  le 
caractère  des  pécheurs  qu'il  convertit  fur 
la  Croix  ,  la  grandeur  de  fa  puiflauce  dans 
fa  foiblefle. 


Luc, 


i6i        SurlaPassion 

Le  premier  eft  un  fcélérat  qui  expire  , 
lequel  jufques-là  avoitvécu  fans  Dieu  dans 
ce  monde  ,  &  n'avoit  point  apporté  d'au- 
tre difpofition  à  la  mort  ,  que  les  horreurs 
de  la  vie  la  plus  criminelle.  Cependant  cet 
heureux  pécheur  5  dans  ce  dernier  moment 
où  la  converfîon  eft  prefque  toujours  dé- 
fefpérée  ;  011  les  miarques  de  repentir  qu'on 
donne  ,  on  les  donne  plutôt  à  la  punition 
qu'on  craint ,  qu'aux  crimes  qu'on  détefte  ; 
où  le  pécheur  eft  eftrayé  ,  mais  où  le  cœur 
lî'eft  prefque  jamais  changé  :  dans  ce  der- 
nier moment  où  Dieu  jufques-là  méprifé  , 
méprife  à  fon  tour  ,  &  îe  retire  ;  où  la 
mefure  eft  comblée  ,  où  les  grâces  de  re- 
pentir font  d'ordinaire  refufées  :  dans  ce 
dernier  moment  où  le  pécheur  eft  déjà  ju- 
gé ,  &  où  la  furprife  de  fa  mort  eu.  d'or- 
dinaire  la  jufte  punition  de  l'impénitence  , 
&:  du  défordre  de  toute  fa  vie  :  dans  ce 
dernier  moment  ,  cet  heureux  pécheur 
trouve  la  grâce  &:  le  fab^t^-La  premnere 
afperfion  du  fang  de  Jefus-Chrift,  qui  coule 
de  la  Croix  5  purifie  en  un  inftant  toutes 
les  fouillures  de  fa  vie  :  il  reconnoît  la 
gloire  &  la  divinité  de  fon  Libérateur  , 
tout  chargé  d'opprobres  qu'il  le  voit  :  après 
une  vie  toute  de  crimes  ,  il  reçoit  en 
mourant ,  de  la  bouche  m.ême  de  Jefus- 
Chrift  ,  raffurance  du  pardon  ,  &  le  der- 
nier moment  où  il  expire  ,  devient  le  prix 
de  fon  falut  éternel. 

Voilà  5  mes  Frères ,  le  grand  miracle  de 
la   mort  de    Jefus-Chrift  i  la    converfîon 


DE  Notre  Seigneur.  163 
d'un  pécheur  mourant  ;  &  cependant  il 
n'eft  point  de  pécheur  ,  qui  ne  fe  promette 
le  même  prodige  en  ce  dernier  moment. 
On  croiroit  être  infenfé  d'attendre  que  le 
Soleil  s'éclipsât  encore  ;  qu'on  vît  encore 
les  tombeaux  s'ouvrir ,  les  morts  refîuf- 
citer  5  le  voile  du  Temple  fe  déchirer  ; 
que  tous  les  miracles  qui  s'opèrent  alors  , 
fe  renouvellalTent  encore  :  quelle  folie 
donc  de  fe  promettre  le  miracle  de  la  con- 
verfion  opéré  fur  un  pécheur  mourant  ; 
prodige  plus  grand  &  plus  merveilleux  , 
que  tous  ks  autres  miracles  qui  fe  palTent 
fur  le  Calvaire  !  Il  falloit  que  ce  grand  fa- 
crifice  ,  prédit  dans  tous  les  fiecles  &  iî 
nécefTaire  au  genre  humain  ,  fût  marqué 
par  des  circonitances  uniques  ,  &  jufques- 
là  inouies  ;  que  tout  y  fïit  fingulier  ;  que 
tout  y  rendît  témoignage  par  fa  nouveauté  , 
à  la  gloire  &  à  la  divinité  du  Fils  de  l'hom- 
me. Mais  Jefus-Chrift  mort  une  fois  ,  il 
ne  meurt  plus  ,  dit  TApôtre  ;  les  rochers 
nefe  brifent  plus  ;  les  morts  ne  reiTufcitent 
plus  ;  toute  la  terre  ne  fe  couvre  plus  de 
ténèbres  ;  le  voile  du  Temple  ne  fe  déchire 
plus  ;  les  pécheurs  mourans  ne  fe  couver- 
tiflent  plus  ;  &:  les  converfîons  au  lit  de  la 
mort  5  n'ont  que  cet  exemple  &  ce  pro- 
dige pour  elles. 

Le  fécond  pécheur  ,  dont  Jefus-Chrift 
fur  la  Croix  ,  opère  la  converfion  ,  eft  un 
pécheur  incrédule  ;  un  Centenier  Gentil  , 
qui  jufques-là  n'avoit  regardé  Jefus-Chrift 
qu'avec  dérifion  ,  &  fa  doftrine  comme 


i64       SurlaPassion 

une  impofture.    Cependant  l'incrédulîté  5 
qui  ferme  Je  cœur  à  toutes  les  grâces   , 
qui  rend  inutiles  tous  les   fecours  de   la 
Religion  ,  &  change  en  poifon  les  remè- 
des mêmes  ,   l'incrédulité  devient  aujour- 
d'hui le   triomphe   de   Jefus-Chrift  mou- 
rant. Ce  Centenier  eft  frappé  des  merveil- 
les de  fa  mort  :  ce  n'eft  pas  en  demandant 
des  miracles  5   comme   quelques-uns   des 
fpeâ:ateurs  ,   qu'il  arrive  à  la  connoiiTance 
de  la  vérité  ;    c'eft   en   confidérant   Jciiis- 
Chrift  5  fa  puilfance  dans  fes  opprobres  ,  fa 
douceur  envers  fes  ennemis ,  fa  patience 
&  fa  majefté  dans  les  tourmens ,  fon  amour 
pour   les    hommes  5    l'innocence   de    fes 
mœurs  ,  la  fainteté  &  la   divinité  de  fes 
maximes  :  voilà  le   grand  miracle  qui  le 
touche.  Il  comprend  que  l'impofteur  n'au- 
roit  pas  eu  recours  à  un  moyen  fi  trille  &  fi 
rebutant ,  pour  féduire  les  hommes  ;  qu'elle 
auroit  flatté  ,   ou  leurs  pafTions  ,   ou  leur 
orgueil   ;    qu'elle    leur    auroit   propofé   , 
comme  les  autres  Philofophes ,  >  une  doc- 
trine agréable  aux  fens ,  ou  flatteufe  à  ïeC- 
prit  &    à  la  curiofité  :  mais  qu'il  n'y  avoit 
que  le  Fils  de  Dieu  ^   qui  pût  fe  faire  des 
difciplespar  la  Croix  ;  attirer  les  homm.es  5 
en  ne  leur  propofant  que  des  perfécutions 
&   des   foufFrances    ;  en   leur   interdifant 
tous  lesplaifirs,  &  ne  leur  promettant  ici- 
bas  point  d'autre  récompenfe  de  leur  atta- 
chement à  fa  dodrine  que  les  larmes  ,   les 
croix  5  &  les  violences  :  mais  qu'il  n'y  avoit 
que.  le  Maître  des  cœurs  qui  pût  préten- 


DE  Notre  Seigneur.  165 
dre  d'attirer  tous  les  hommes  par  une  loi 
févere  &  humiliante  ,  qui  les  alloit  tous 
révolter ,  &  venir  établir  un  nouveau  culte 
par  les  voies  les  plus  propres  à  le  renyerfer 
&  à  réteindre  :  Verc  Filius  Dci  crat  ijle.        Matth, 

Enfin  ,  la  troifieme  forte  de  pécheurs  ,  ^^*  54- 
que  Jefus  Chrift  convertit  fur  la  Croix  , 
eft  une  troupe  inutile  de  fpe<^ateurs  ,  que 
la  feule  curiofîté  avoit  attirés  fur  le  Calvai-  • 
re.  Libres  des  pafîîons  qui  animoient  les 
Scribes  &  les  Pharifiens  ,  &  n'oppofant 
point  d'autre  obftacle  à  la  grâce  ,  qu'une 
indifférence  coupable  pour  le  falut ,  pref- 
que  toujours  plus  difficile  à  furmonter  , 
que  les  paffions  les  plus  criminelles  ;  tou- 
chés du  fpeâ:acle  des  fouffrances  du  Sau- 
veur ,  &  des  grâces  abondantes  qui  cou- 
lent avec  fon  fang  ,  ils  fentent  tout  d'un 
coup  leur  cœur  changé  &  brifé  d'une  fainte 
componâion  :  Et  rcvcrtebantur  percudcii'  Luc 
tes  pccîora  fua.  25.  4^. 

L'oferai-je  dire  ,  mes  Frères  ?  dans  le 
caraâ:ere  de  ces  trois  fortes  de  p  écheurs  , 
ne  retrouvons-nous  pas  l'image  de  ceux 
qui  viennent  affifter  au  récit  &  au  fpeâacle 
des  fouffrances  du  Sauveur  ?  Des  pécheurs 
fcandaleux ,  &  chargés  de  crimes  ,  comrne 
les  deux  fcélérats  qu'on  attache  à  la  croix 
à  côté  de  Jefus-Chrift  ,  qui  ne  viennent 
aujourd'hui  fur  le  Calvaire  ,  &  à  ce  faint 
fpeftacle  renouvelle  dans  nos  Temples  , 
que  comme  à  un  fupplice  ;  qui  regardent 
ces  faints  jours,  ces  jours  heureux  que 
i'Eglife  confacre  aux  myileres  douloureux 


ï66       S  u  R  L  A    Passion 

de  Jefus-CIirift  ,  &  où  la  liberté  des  plal- 
firs  pjblics  eft  fufpendde  ,  comme  un  joug 
odieux  qu'une  vaine  religion  leur  impofe  ; 
qui  en  murmarent ,  &L  en  comptent  tous 
les  momens  ^  comme  s'ils  étoient  fur  la 
croix  eux-mêmes  :  des  pécheurs  incrédu- 
les,  &  qui  n'afîiftent  5  comme  le  Cente* 
nier  5  à  ce  fpeâiacle  de  Religion  ,  que 
pour  fatisfaire  aux  devoirs  d'une  Charge  , 
pour  remplir  les  bienféances  de  leur  rang  , 
pour  ne  pas  manquer  à  ce  que  tout  le  mon- 
de lui-même  exige  d'eux  ;  mais  qui  en  fe- 
cret  ,  regardent  la  Croix  comme  une  folie  ; 
&  infultent  peut-être  aux  fouffrances  de 
Jefus-Chrift,  &:  à  la  piété  &  au  deuil  pu- 
blic des  Fidèles  :  enfin  ,  des  pécheurs  mon- 
dains &  oileux,  que  la  feule  curiofité  at- 
tire au  récit  de  la  mort  du  Sauveur ,  qui 
n'y  apportent  ni  foi  ,  ni  componélion  ,  ni 
defir  d'une  vie  plus  fainte  ;  qui  fuivent  la 
multitude ,  &  ne  viennent  fur  le  Calvaire  , 
que  comme  fpeâ:ateurs  ,  que  parce  que  la 
foule  y  court ,  6c  que  le  monde  lui-même 
les  y  entraîne. 

Renouveliez  donc  aujourd'hui  à  leur 
égard  ,  ô  mon  Sauveur  !  les  miracles  du 
Calvaire  :  le  moment  où  vous  expirez  ,  eft 
le  moment  des  grâces  &  des  miféricordes. 
Il  fort  de  votre  côté  ouvert ,  des  fources 
de  bénédiâiions  capables  de  purifier  les 
âmes  les  plus  fouillées  &  les  plus  rebelles. 
Tout  eft  favorable  aux  pécheurs  aux  pieds 
de  votre  Croix:  vos  mains  étendues  pour 
les  recevoir  ;  votre  cœur  ouvert  8c  prêt  à 


DE  Notre  Seigneur.  ï6j 
leur  pardonner  ;  la  fbif  extrême  que  vous 
avez  de  leur  falut;  la  forte  clameur  que 
vous  pouifez  pour  eux  vers  le  Trône  de 
votre  Père.  C'eil  aujourd'hui  ,  ô  mon 
Dieu  !  le  jour  de  vos  miféricordes.  Du 
haut  de  ce  Bois  facré  ,  jettez  encore  quel- 
ques-uns de  ces  regards  puiflans  fur  les  pé- 
cheurs qui  vous  environnent  ;  &  confa- 
crez  la  mémoire  de  ce  grand  jour  par  quel- 
ques-unes de  ces  converfîons  éclatantes  , 
qui  faifent  fentir  la  vertu  de  votre  fang ,  & 
la  perpétuité  de  votre  facrifîce  !  Troifieme 
témoignage  que  Jefus-Chrift ,  fur  la  Croix  , 
rend  à  la  vérité  de  fes  miracles  ,  en  les  re- 
ncuvellant. 

Il  rend  en  quatrième  lieu  ,  témoignage  à 
la  vérité  de  fon  innocence  &  de  fa  fainteté  , 
en  priant  pour  fes  ennemis.  En  effet ,  mes 
Frères ,  le  caractère  le  moins  équivoque 
de  la  fainteté ,  c'efl  d'aimer  ceux  qui  nous 
outragent ,  de  prier  pour  le  falut  de  ceux 
qui  veulent  nous  perdre  ,  Se  de  combler 
de  biens  ceux  qui  nous  chargent  de  malé- 
dictions &  d'opprobres.  Or  ,  voilà  le 
grand  témoignage  que  Jefus-Chrifc  rend 
aujourd'hui  à  fon  innocence  :  il  m.eurt  pour 
ceux  qui  le  crucifient  ;  il  meurt  en  deman- 
dant grâce  à  fon  Père  pour  fes  ennemis.  Il 
ne  méprife  pas  leur  fureur  &  leurs  outra- 
ges -,  c'eût  été  foufîrir  en  Philofophe  :  il  ne 
leur  reproche  pas  fes  bienfaits  &:  leur  in- 
gratitude ;  c'eût  été  fouffrir  en  homme  foi- 
bie  :  il  ne  les  menace  pas  de  fa  puLTance  ; 
c'eût  été  fouffrir  en  homme  vain  :  il  ne  fe 


1(58         Sur    LA   Passion 
confole  pas  par  refpérance  de  leur  puni- 
tion ;  c'eût  été  fouffrir  en  homme  piqué 
&  fenfible  :  il  ne  fe  plaint  pas  même  de 
Fexcès  de  leur  barbarie  ;  c'eût  été  fouffrir 
en  homme  vulgaire.  Il  prie  pojr  eux  ;  il 
n'eft  occupé  que  de  leur  falut  :  il  femble 
oublier ,  dans  ce  dernier  moment ,  Tes  Dif- 
ciples  les  plus  fidèles  ;  il  ne  demande  rien 
pour  eux  à  fon  Père  :  il  ne  penfe  qu'à  fes 
ennemis  ;  il  ne  prie  ,  il  ne  parle  que  pour 
eux.  Il  ne  demande  que  pour  eux  des  grâ- 
ces à  fon  Père  ;  &  c'efl  fouffrir  en  Homme- 
Dieu  :  ils  le  maudiffent ,  &:  il  les  bénit  :  ils 
demandent  fa  mort ,  &  il  demande  Icut 
grâce  :  ils  veulent  prendre  fur  eux  &  fur 
leurs  enfans ,  le  crime  de  fon  fang  répanduj 
&  il  ne  veut  pas  qu'on  le  leur  impute. 
2;^^^        Père  !  par  donner- leur  ,  dit- il ,  parce  qu'ils 
zj.  54*   ^^  fdvent  ce   quils  font.  Souvenez- vous  , 
ô  mon  Père  !  que  le  fang  de  cette  nou- 
velle alliance  ,   qu'ils  répandent   aujour- 
d'hui ,  les  met  au  nombre  de  vos  enfans  ; 
que  par  le  prix  du  facrifîce  que  je  vous 
offre  ,  mes    bourreaux    deviennent    mes 
cohéritiers  &  mes  frères  ;  que  vous  n'ctes 
plus  un  Juge  armé  pour  les  perdre  ,  mais 
un  Père  toujours  prêt  à  les  fauver  ;  &  qu'en 
m'attachant  à  la  Croix  ,  ils  fe  font  élevés 
un  afyle  ,  qui  doit  les  mettre  à  couvert  de 
vos  foudres  &:  de  vos  vengeances  :  Pater  , 
dimitte   illis.  Ne  regardez   pas  les   mains 
qui  m'ont  percé  ;  ne  regardez  que  le  fang 
qui  coule  de  mes    plaies  ,  pour  appaifer 
votre  juftice  ,  8c  effacer  le  crime  de  ceux 

qui 


DE  Notre  Seigneur.  î6ç 
qui  m'immolent  :  Pater  dlmitte  illis.  Ils 
ignorent  encore  que  c'eft  vous  qui  m'avez 
envoyé  ;  pardonnez  à  des  aveugles  ,  qui 
croient  rendre  gloire  à  votre  nom  ,  en  me 
mettant  à  mort.  Ils  ne  favent  pas  que  ce 
fang  qu'ils  répandent  ,  va  fanâ:ifîer  tout 
l'univers  ;  que  cette  viclime  qu'ils  immo- 
lent 5  efl  le  prix  du  falut  de  tous  les  hom- 
mes ;  que  cette  Croix  ,  où  ils  m'ont  atta- 
ché 5  va  devenir  la  vie  &  la  réiiirredtion 
de  ceux  qui  dorment  dans  les  ombres  de 
la  mort  j  le  remède  des  maux  du  genre 
humain  ;  qu'elle  va  répandre  dans  toute  la 
terre  j  la  connoifTance  de  votre  nom  ,  êc 
vous  form.er  parmi  tous  les  peuples ,  des 
adorateurs  en  efprit  &  en  vérité.  Père 
faint  !  mais  vous  ^  qui  voyez  les  grands, 
avantages  que  le  mionde  va  retirer  de  ma 
Croix  5  ne  leur  imputez  pas  une  faute  fî 
heureufe  ;  &  pardonnez- leur  le  criîne  de 
ma  mort  ,  en  faveur  des  biens  inellimables 
qui  vont  en  revenir  à  la  terre  :  Non  cnim 
fciunt  quid  faciunt»  Ils  ne  favent  pas  qu'en 
me  faifant  mourir  ,  ils  vont  me  rendre  à 
moi-même  la  gloire  de  l'immortalité;  qu'en 
effaçant  mon  nom  de  la  terre  des  vivans  , 
ils  vont  l'élever  au  delTus  des  Principautés 
&  des  Puilfances  ;  qu'en  m.e  rejettant ,  ils 
vont  me  faire  connoître  de  tous  les  peu- 
ples ;  qu'en  refufant  de  me  faire  reconnoitre 
pour  Roi  5  ils  vont  m'établir  Prince  du 
liecle  à  venir  ,  Juge  de  toutes  les  Tribus  , 
Seigneur  de  toutes  chofes  ,  &  m'airurer 
toute  puilfance  dans  le  ciel  &  fur  la  terre. 

Myjlercs.  H 


lyo        Sur    la   Passion 

Père  faint  !  mais  vous  ,  qui  avez  attaché  la 

gloire  que  vous  m'avez  prom.ife  ,  à  mes  op- 
probres &  à  mes  fouiTrances  ,  pardonnez  à 
ÀQS  aveugles  qui  fervent ,  fans  le  favoir  ,  à 
Texaltation  de  mon  nom  ,  &:  à  l'aggrandif- 
fement  de  mon  Royaume  :  'Non  enim 
fciunt  quidfaciunt.  Ils  ne  favent  pas  que  le 
crime  de  ma  mort  va  combler  la  mefure  de 
leurs  pères  ;  que  vont  venir  des  jours  fur 
eux ,  où  l'on  appellera  heureufes ,  celles 
qui  n'ont  point  enfanté  ;  où  Jerufaîem  va 
devenir  une  alîreufe  folitude  ;  où  fon  autel 
fera  détruit  ,  fon  temple  abandonné  ,  & 
devenu  une  trifte  mazure  ;  fes  citoyens  , 
errans  &  fugitifs  ;  &  votre  héritage  qu'ils 
ont  fouillé  du  fang  innocent ,  livré  à  une 
malédidion  éternelle.  Père  jufte  !  mais 
vous  qui  leur  préparez  ces  jours  de  vifite 
&  de  colère  ,  contentez-vous  de  ces  cala- 
mités temporelles  dont  vous  allez  les  aiîli. 
ger  :  fauvez  les  reftes  d'Ifraèl  ;  épargnez 
les  branches  d'une  racine  fainte  ;  fauvez  un 
peuple  que  vous  avez  choifi  ;  ne  perdez  pas 
pour  toujours  mes  frères  félon  le  fang  ,  les 
os  de  mes  os ,  &:  la  chair  de  ma  chair  :  ne 
retirez  pas  votre  falut  de  Juda  ,  d'où  le 
falut  eft  forti  :  épargnez  les  enfans  des 
Saints  :  ralTemblez  enfin  un  jour  les  difper- 
fions  d'Ifraèl  :  réunilfez-les  dans  les  der- 
niers temps  au  trône  dont  ils  fe  font  féparés  : 
rappeliezles  dans  l'enceinte  de  la  véritable 
Jéruf-^lem  ,  afin  qu'il  n'y  ait  plus  qu'un  ber- 
cail &  qu'un  Pafteur  ,  &  qu'ils  vous  of- 
frent   avec    toutes  les  nations  ,    non  des 


DE  Notre  Seigneur.  171 
boucs  &  des  taureaux  ,  mais  le  renouvel- 
lement &  les  lignes  myftiques  du  Prand 
lacnfice  ,  que  j'oftVe  aujourd'hui  à  'votre 
gloire,  Quatrième  témoignage  que  Jefus- 
V^hrilt,  (urla  Croix,  rend  à  la  vérité  de  fon 
innocence  ,  en  priant  pour  {es  ennemis. 

£-iifin  ,  il  rend  en  dernier  lieu  ,  témoi- 
gnage à  la  vérité  de  fa  royauté  ,  en  con- 
quérant le  monde  par  la  Croix.  Le  monde 
lui  avoit  difputé  la  réalité  &  l'éclat  de  fa 
Koyaute  :  il  ne  l'avoit  traité  de  Roi  que 
par  derifion  :  toutes  les  marques  de  fa 
Koyaute  avoient  été  de  nouveaux  oppro- 
bres :  le  fceptre  ,  un  vil  rofeau  ;  la  pour- 
pre ,  une  robe  d'ignominie  ;  la  couronne  , 
une  couronne  de  douleur  ;  le  trône,  un 
bois  infâme,  &  le  lit  de  fes  opprobres  & 
de  les  louftrances.  Mais  aujourd'hui  ces 
marques  honteufes  d'une  Rovauté  fi  humi- 
liante ,  deviennent  les  figues  glorieux  de 
fa  puiffance  &  de  fon  empire.  Ce  foible 
rofeau  qui  lui  fert  de  fceptre  ,  va  renver- 
1er  tous  les  autels  profanes ,  abattre  tou- 
tes les  idoles  ,  confondre  toutes  les  fecles  , 
anéantir  tous  les  Empires ,  fraoper  les 
geans  de  la  terre  ,  &  détruire  toute'  fcience 
qui  s  eleve  contre  la  fcience  de  Dieu.  Cette 
couronne  ,  qui  le  couvre  de  douleur  &  de 
contuuon  ,  va  orner  les  têtes  des  Céfars 
plus  pompeufcment ,  que  les  lauriers  & 
les  diadèmes  les  plus  fuperbes  ;  &  un  Roi 
du  premier  trône  du  monde  ,  &  du  fans?  le 
plus  auaufte  de  l'univers  ,  ira  expofer  fa 
vie  &  fa  liberté  ,  pour  en  rapporter  en 


172.         Sur   LA  Passion 
triomphe  ,  les  débris  précieux  dans  fa  pa- 
trie ;  plus  glorieux    d'avoir    enrichi    fon 
Royaume  de  ce  faint  &  précieux  tréfor  , 
que  s'il  avoit  conquis  un  Empire.  Ce  trône 
d'ignominie  5  où  il  eft  attache  ,  fera  bientôt 
un  trône  de  gloire,  aux  pieds  duquel  les 
Princes  &  les  Souverains  viendront  cour- 
ber leurs  têtes  fuperbes  ;  un  trône  de  puif- 
lance   &   d'autorité  ,  fur  lequel  il  jugera 
toutes  les  nations  de  la  terre  ;  un  trône 
de  grâce   &:   de  miféricorde  ,    aux  pieds 
duquel  tous  les  peuples  trouveront  la  vie 
&t  le  falut^;  un  trône  de  fcience  &:  de  doc- 
trine ,  fjr  lequel  il  inllruira  jufqu'àla  fin 
tous  les  hommes  5  &:  leur  apprendra  les 
vérités  de  la  vie  éternelle  ;  enfin  ,  un  trône 
de  fagelTe  &  de  confeil  j  d'où  ce  nouveau 
Salomon  gouvernera  tous  les  peuples  dans 
la  juilice  .  dans  la  paix  &  dans  l'abondance. 
La  puiiîance  &  le  règne  des  Rois  de  la 
terre  finilFent  avec  eux  ;  le  règne  de  Jefus- 
Chriil   ne  commence  à  éclater  que  par  fa 
niorc  5  &:  fes   opprobi'es  iont  la  première 
fource  de  fes  grandeurs   &  de   fa   gloire. 
Père  faint  !  votre  Fils  &  véritable  Jofeph  , 
que  nous  pleurons ,  vit  donc    encore  :    la 
malice  de  fes  frères  ,  qui  l'ont  livré  ,   n'a 
donc  fervi  qu'à  faire  éclater  fa  grandeur  & 
fa  puiiTance  :  il  eft  fort!  du  puits  fatal  où 
l'envie  l'avoit  enfeveli  ;  &  tous  les  peuples 
de  l'Egypte  &  l'univers  entier,  reconnoitfa 
domination  &  fon  pouvoir  fuprême  :  Filius 
Gen.40*  f""^  v/rft  ,  ^  ipfi  dominatur  in  omni  tcrrâ 


DE  Notre  Seigneur.  173 
Mais  5  mes  Frères  ,  tout  reconnoît  au- 
jourd'hui la  fouveraineté  de  Jefus-Chrift  : 
fa  Croix  triomphe  du  Ciel  &:  de  l'Enfer  ; 
de  l'aveuglement  des  Juifs  y  de  l'incrédu- 
lité des  Gentils ,  de  la  barlDarie  des  bour- 
reaux 5  de  Tendurciflement  môme  d'un 
pécheur  mourant.  Toute  la  nature  le  con- 
felTe  5  toutes  les  créatures  le  reconnoificnt; 
hi  nous  lui  ferm.erions  tout  feuls  notre 
cœur  5  &  nous  nous  obftinerions  tout  feuls 
à  dire  :  Nous  ne  voulons  pas  que  celui-ci 
règne  fur  nous  :  Nolumus  hune  regnarc  fu-  Luck). 
pcr  nos»  Les  morts  entendent  aujourd'hui  ^4» 
fa  voix  ;  &  fortent  de  leurs  tcm.be aux  ;  6c 
nous  demeurerions  encore  enfeveîis  dans 
l'abyme  de  nos  dilTolutioos  ,  quoique  fa 
voix  puiilante  nous  crie  aujourd'hui  aafond 
de  nos  cœurs  ,  du  haut  de  fa  Croix  :  Le- 
vez-vous j  ô  vous  !  qui  dormez  d'un  fcm- 
meil  de  mort  ;  f>rtez  de  la  profondeur  de 
vos  crimes  &  de  vos  ténèbres  ;  &  ce  Je- 
fus  que  vous  voyez  crucifié  pour  vous  ^ 
vous  rendra  la  vie  &  la  lumière  que  vous 
avez  perdue  :  Surge  ,  qui  dormis  ,  &  exurge  I^P^'^^f* 
à  mortuls  ,  &  illuminahh  te.  Chrijlus.  Les  ^ 
rochers  fc  î^ifcnt  ,  &  nos  cœurs  plus  in- 
fenfibles  ne  fauroient  s'amollir  ?  le  voile  du 
Temple  fe  déchire  ;  &  le  voile  impénétra- 
ble ,  qui  eft  fur  notre  ccnfcience  ,  fur  ce 
fanc^ruaire  d'iniquité  .  &:  qui  uous  empêche 
depuis  fi  long-  temips  d'^n  mianifefier  au  Prê- 
tre les  fouillures  fecrettes  ,  ne  peut  s'ou- 
vrir &  fe  déchirer  ;  &  nous  tenons  encore 
cachés  au-dedans  de  nous  ces  myiieres  d'à- 

H3 


5. 14. 


174        ^^UR  LÀ  Passion  de  N.  S. 
bomination  ,  qui  font   de  notre    cœur  le 
temple  des  démons  ,  Faiyle  des  efprits  im- 
mondes 5  &  un    théâtre    affreux    de    re- 
mords 5  de  confufion   &   de  trouble  ?  Ne 
fortirons-nous  pas  enfin  de  ce  Royaume  de 
ténèbres  ,  où  nous   vivons  ,   pour    entrer 
dans  un  Royaume  de  lumière  ?  ne  nous 
laiTeronsnous  pas  enfin  d'avoir  été  jufques 
ici   les  efclaves  miférables  d'un   monde  , 
qui  n'a  point  de  droit  fijr  nous  ,  qui  n'eft 
pas  digne  de  nous  ,  qui  ne  peut  rien  faire 
pour  nous?    &:  refuferons-nQus   de   pren- 
dre  Jefus  Chrift  ,  qui  vient  de  m.ourir  pour 
nous  ,  pour   notre  Roi  &  notre  Seigneur 
véritable  ?  O  mon  Sauveur  !  quelles   ref^ 
fources  peut-il  refter  à   vos    miféricordes 
infinies  pour  les  pécheurs  ,  fi  tout  ce  que 
vous  faites   aujourd'hui  pour  eux  n'excite 
pas  leur  amour ,    leur    componction     & 
leur  reconnoilFance  ;  &  s'ils  obftinent  en- 
core à  périr  ,  malgré  la  voie  que  vous  leur 
ouvrez  aujourd'hui  par  votre  fang  ,  pour 
arriver  à  la  vie  éternelle  ?, 

Alnji  foiî-îL 


'75 

fC    ^^ ^^ ri—-—^^  ^         '^^^ 

i    SERMON 

SUR 

LA  RESURRECTION 

DE  NOTRE  SEIGNEUR. 


Traditus  ei\  propter  delifta  nolira  ,    6c   refurrexit 
prcpter  jufliiicatiûnem  iiofiram. 

Il  a  été  livré  à  la  mort  pour  nos  péchés  ,  &  il  çjl 
rejjiifàté  pour  notre  juflification,  P\.om.  4.  2;. 


C'E  S  T  avec  raifon  ,  mes  Frères  ,  que 
TEglife  a  célébré  dès  le  commence- 
ment le  grand  Myfrere  que  nous  hono- 
rons ,  comme  le  plus  heureux  de  les  jours , 
&  fa  folemnité  par  excellence.  C'cft  au- 
jourdliui  le  grand  jour  du  Seigneur  ,  es 
jour  que  le  Seigneur  a  fait  5  ^  qu'il  a  fait 
plus  glorieux  pour  lui  &  pour  fou  Eglife  , 
que  tous  les  autres  jours.  Oui  ,  m.es  Frè- 
res 5  c'eft  en  ce  jour  que  le  fcandale  eft 
ôté  y  que  tous  les  myfteres   ignominieux 

H4 


176  Sur  la  Résurrection 
de  Jefus-Chrifl  fe  développent  ;  que  le  fe- 
cret  de  fes  foiiffrances  eft  écJairci  ;  que 
Vohfcunté  de  fes  paraboles  efl  comprile  , 
Ôc  le  lens  àes  Ecritures  manifcrcé.  C'eR 
en  ce  jour  que  fa  miiTion  eft  autorifée  ,  fou 
miniflere  reconnu  5  fes  promeiTes  confir- 
mées ,  fes  prédiâ:ions  accomplies  ,  fa  doc- 
trine juftifîée  5  tous  fes  travaux  couron- 
nés. C'efl  aujourd'hui  que  les  Difciples 
chancelans  fe  raîTurent ,  que  leur  trillefîe  fc 
change  eu  joie  ,  que  leur  incrédulité  eft 
guérie  ,  que  les  ennemis  de  la  Religion 
font  confondus  5  que  la  Foi  de  tous  les  fie- 
cles  eft  établie  ,  que  la  vérité  de  nos  Myfte- 
res  eft  prouvée  ,  que  TEglife  fort  avec  fon 
Libérateiir  triomphante  du  tombeau  ,  que 
la  docilité  de  tous  les  peuples  du  monde  eft 
préparée  ,  ^  tous  les  efprits  d'erreur  ,  qui 
doivent  s'élever  un  jour  ,  convaincus  de 
contradi£i:ion  ou  d'impofture.  C  eft  aujour- 
d'hui enfin  ,  que  rimjnortaîité  npus  eft  alfu- 
ré::  ;  les  tribulations  de  la  chair  adoucies  ; 
les  foufthnices  de  notre  exil  confolées  ;  & 
une  vie  toute  fpirituelle  propbfée  aux  Chré- 
tiens. 

Oui  5  mes  Freies^  Jefus-Chrift  étoit 
mort  pour  crucifier  le  vieil  homme  ;  il  reC 
fufcitc  pour  former  le  nouveau  :  il  étoit 
mort  pour  délivrer  des  efclaves  ;  il  rtiTuf- 
cite  pouf  apprendre  aux  enfans  à  ufer  fain- 
tement  de  leur  liberté  :  il  étoit  mort  pour 
payer  nos  dettes  ;  il  rellufcite  pour  nous 
combler  de  fes  grâces  :  il  étoit  mort  pour 
flîuver  des   coupables  j  il  reftufcite  pour 


DE  Notre  Seigneur.  177 
inftruire  &  perfe6l:ionner  des  Juiîes  :  il 
étoit  mort  pour  fermer  les  portes  de  l'En- 
fer ;  il  relliifcite  poiîr  nous  ouvrir  celles  du 
Ciel  :  en  un  mot ,  il  étoit  mort  pour  nos 
péchés  ;  il  reflufcite  pour  notre  juflilîca^ 
tion  :  Traditus  eji  propter  dclicîa  nojlra  ,  G" 
refiirrcxit  propter  jiijlijîcat'ionem  nQftram, 

Pourquoi  cela  5  mes  Frères  ?  pour  deux 
raifons  que  je  vous  prie  d'écouter  avec  at- 
tention. Premjiérement  5  il  reilufcite  pour 
notre  justification  ;  parce  que  fa  réfurrec- 
ticn  renferme  les  miotifs  les  plus-  prellans 
que  la  Religion  puille  nous  fournir  ,  pour 
perfévérer  dans  la  grâce  de  la  juftiiicaîion  , 
que  nous  venons  de  recevoir  dans  les  Sa- 
cremens  ;  c'eft  miOn  premier  point  :  en  fé- 
cond lieu  ,  parce  que  fa  réfurreélion  nous 
propofe  les  moyens  les  plus  sûrs  d'y  per- 
févérer ;  c'eft  le  fécond.  La  rciurreétiou 
de  .Teius-Chrift  nous  anime  à  perfévérer 
dans  la  grâce  reçue  ;  nous  apprend  à  y  per- 
févérer ;  elle  ei\  le  motif  &  le  modèle  de 
notre  perfévérance.  Voilà  le  fens  des  pa- 
roles de  mon  texte  :  Traditus  eft  propter 
dcllcici  nojlra  ,  (s  rcfurrcxit  propter  jufiifi" 
cutîonem  nojlram  :  c'eft  là  tout  le  fujet  de 
ce  difcours. 

ï  .  ^• 

J— i  Es  principales  fources  de  l'inconftan-  partie 

ce  des  hommes  dans  les  voies  de  Dieu  , 
font  ou  dans  un  affbibliilement  de  la  foi  , 
qui  commence  à  s'éteindre  ,  Se  à  jetter  une 
efpece  de  nuage  fur  les  vérités  de  la  doc- 
trine fainte  •  ou  dans  la  tiédeur  de  l'efpé.- 

H  5 


ly^  Sur  la  Résurrection 
rance ,  qui  n'ouvre  plus  le  fein  de  la  gloire 
à  leurs  yeux  ,  &  ne  réveille  plus  en  eux  le 
deiir  des  biens  éternels.  Or,  la  piété  chré- 
tienne trouve  dans  le  MyRere  de  la  réfur- 
reé^ion  ,  des  préfervatifs  contre  ces  deux 
ecueils;  &  des  motifs  très-puiflans  pour 
perfëvérer  dans  la  grâce  ,  où  la  participa- 
tion aux  faints  Myfteres  a  dû  vous  établir 
en   ces  jours,  folemnels. 

En  effet ,  en  premier  lieu  ,  fi  l'afFûiblifTe- 
ment  de  la  Foi  efî  d'ordinaire  la  première 
fource  de  nos  rechûtes  ;   s'il  y  a  toujours 
une  forte  d'incrédulité  qui  devance  le  cri- 
me ;  s'il  faut  que  l'efprit  doute  en  quelque 
mianiere  des  vérités  que  le  cœur  abandon- 
re  ;  &  que  la  Religion  s'aHbiblille  dans  une 
amje  ,  où  la  piété  s'éteint;  qui  peut  douter 
que  la  réfiirreclion  de  Jefus-Chrifr  ne  foit 
le  grand  témoignage  delà  Foi  chrétienne  , 
&  que  tous  les  autres  Myfteres  ne  trouvent 
en  celui-ci  leur  vérité  &  leur  certitude  ?  En 
effet  5  fi  Jefus-Chrift  n'efi  pas   reillifcité  , 
difoit  autrefois    l'Apôtre  aux  Fidèles  de 
Corinthe  ,  notre  prédication    eil:  inutile  , 
votre  foi  efi:  vaine,  &  nous  fommjes  nous- 
mêmes   des  im-pofieurs.  Mais  par  une  rai- 
fcn  contraire  ,  fi  Jefus-Chriii  eft  reiiûfcité  , 
notre  mjiniftere  vient  donc  du  Ciel  ,  votre 
foi  eft  certaine  .  la  do£lrine  de  l'Evangile 
eft  divine  ,  fés  promiefTes  font  infaillibles. 
Oui  ,  mes  Frères  ,  fi  la  vertu  du  Père  a 
délivré  Jefus-Chrift  d'entre  les  morts  ,  Je- 
iu?-Chrift  éioiî  donc  un  Envoyé  du  Ciel  , 
pour  annoncer  aux  hommes  la  dcftrine  dw 


DE  Notre  Seigneur.  179 
falut.  Le  Dieu  véritable  &  fidèle  n'auroit 
pas  voulu  autorifer  Timporture  ,  en  la  revê- 
tant du  caradlere  de  la  vérité  ,  S:  Tliono- 
rant  d'une  grâce  ,  dont  jufqu'à  Jefus-Chrii! 
aucun  homme  mortel  n'avoir  été  favorifé  , 
puifqu'il  reiîufcite  pour  ne  plus  mour-ir  ; 
prodige  que  Jefus-Chrift  lui-même  avoit 
promis  à  fes  Difciples  &  à  fes  ennemis , 
comme  le  témoignage  le  plus  décifif  de  la 
vérité  de  fon  miinillere.  Donc  ,  fa  réfurrec- 
tion  une  fois  établie  5  tous  fes  Myfteres  font 
prouvés,  dit  S.Auguftin,  6c  la  foi  des 
Chî-étiens  n'a  befoin  que  de  ce  feul  témoi- 
gnage :  Rifurrcxlt   Chrifluî  ,   abjoluta    rzs   S.Aug, 

Or  5  commie  je  parle  ici  à  un  peuple  fidè- 
le ,  qu'il  faut  édifier  ,  &  non  pas  convain- 
cre ,  je  ne  m'arrête  pas  à  vous  montrer  que 
tout  établit  aujourd'hui  îa  vérité  du  miracle 
éclatant  de  la  réfurreâ:ion  du  Sauveur.  Pre- 
mièrement ,  les  précautions  mem.es  de  fes 
ennnemis  :  ils  avoient  fcelîé  le  tombeau  ;  ils 
Tavoient  environné  de  foldats  ;  ils  n'avoient 
rien  oublié  pour  éviter  une  furprife.  Ils  fe 
fôuvenoicnt  que  ce  Jefus  qu'ils  ont  crucifié, 
avoit  prédit  qu'il  refluiciteroit  le  troificme 
jour  ;  ils  ne  paroiiToient  attentifs  qu'à  em- 
pêcher les  Difciples  d^enîever  le  corps  de 
leur  divin  Maître  :  des  e.inemis  fi  puilians, 
fi  vigilans  ,  fi  intéreifés'à  n'être  point  fiir- 
pns  5.  n'avoient  garde  de  fe  lailfer  furpren- 
dre.  Secondement ,  la  dépofition  des  Sol- 
dats :  ils  leur  font  publier ,  que  pendant 
qu'ils  dormoient ,  les  Difciples  font  venus 

H  6 


iSo  Sl'r  la  Résurrection 
enlever  le  corps  de  leur  Maître.  Mais  fl  un 
proiond  fcmmeil  ne  leur  a  pas  permis  de  ]^ 
voir,  con^ment  peut-il  leur  permettre  de 
axiurer?  Bailleurs  une^-ultitude  de  fateî- 
lites  deinnes  à  veiller  fur  le  fepukhre  &  à  le 
garder  ,  peuvent-ils  tous  de  concert  &  ea 
mêiTie  temps ,  s'être  livrés  au  fommeii ,  &  à 
un  fommeii  fi  profond  &  fi  durable  ,  qu  e- 
tant  prefque  afiis  fur  la  pierre  qui  fermoit 

î^r^-  1  ^"'^  '  ^^^  ^^^"^  ^^""^  ^^  ^en^Ps  aux 
l>iiciples  de  l'ouvrir  ,  d'en  tirer  le  corps 

^fL^^rr-'^-Jf'  ^^"s  qu'un  ouvrage  fi  long,  fi 

di.iicile  ,  fl  impraticable,  fans  bruit  &  fans 

agitation  ,  n'ait  éveillé  quelqu'un  des  Sol- 

dats  5  &  déconcerté  une  entreprife  {{ témo. 

raire  &  fi  mfenfée  ?  De  plus  ,  ces  Difciples 

coûtent  eux-mêmes  :  ils  n'efperent  plus 

1  accomphiTement  àcs  promefies  de  Jcfus- 

Chrixt;  ils  refufent  même  de  s'en  rapporter 

au  témoignage  des  ùûntes  Femmes  :  des 

efpriîs  fi    groillers  &  fi  incrédules  ,   font 

bien  éloignés  de  publier  ce  qu'ils  ne  croient 

pas  eux-mêmes.   Troifiémement  ,   ks  ap- 

paritions   du   Sauveur.    Ce   n'efi  pas   une 

•leule  fois  qu  il  fe  montre  à  fes  Difciples  • 

on  eût  pu  fe  défier  de  riiluficn  ;  c'efi  fort 

iouvent  :  ce  n  eftpas  en  palfant  ;  l'imagina- 

îion  irappce  peut  pour  un  peu  de  temps  , 

.upplcer  a  la  vérité  par  fes  images ,  &  tranf- 

porter  au  dehors  fes  propres  fonges  ;   c'efi 

pen(îant  quarante   jours  :   ce  n'eft  pas   de 

loin  ,  &  au  milieu  des  airs  ,  où  le  prefti^re 

tut  ete  probable  ;  c'eft  au' mii.jeu  d'eu^ , 

mangeant ,  buvant  avec  eux.  fc  laifiant  voir 


DE  Notre  Seigneur.  i8i 
de  leurs  yeux  &:  toucher  de  leurs  mains  , 
&.  les  inftruifant ,  &  leur  parlant  du  Pvoyau- 
ine  de  Dieu  :  ce  n'eft  pas  à  un  feuî;  il  eft 
des  efprits  plus  crédules  que  les  autres  ; 
c'eft  à  tous  en  commun  ,  &  à  pluiieurs  en 
particulier  :  ce  n'eft  pas  fous  une  figure  nou- 
velle :  le  changement  eût  été  fiifpeâ:  ;  c'eft 
avec  Tes  plaies,  &  tous  les  traits  aufquels 
on  pouvoit  encore  le  reconnoitre.  Enfin  , 
le  martyre  des  Apôtres  ,  pour  rendre  té- 
m.oignage  à  la  vérité  de  ce  miracle  ,  dont  ils 
avoient  été  témoins:  Cujus  nos  omnes  tcjïcs  Acï,  2, 
fumus.  Quel  intérêt  ont-ils  de  le  publier  ,  ^^* 
û  Jeius-Chrift  n'eft  pas  reirufcité  i  Quoi  ! 
ils  vont  s'expofer  aux  plus  cruels  tourmiens 
pour  établir  une  doctrine  qu'ils  croient 
eux-ménies  fauilé  ;  ils  vont  tromper  le  gen- 
re humain  ,  fans  attendre  d'autre  prix  de 
leur  inipoflure  que  les  feux  ,  les  roues  & 
les  gibets  !  Une  faulTe  perfuafion  ,  en  ma- 
tière de  Religion  fur-tout ,  peut  poufler 
des  efprits  fimiples  &  crédules  à  des  excès 
&  à  des  démarches  extraordinaires.  Mais 
que  des  pêcheurs  grofîîers  ,  que  des  hom- 
mes fans  lettres  ,  &  de  la  lie  du  Peuple  , 
entreprennent  ,  de  fang  froid  .  d'aller  fé- 
duire  l'univers  ,  &  de  braver  tous  les  gen- 
res de  mort  les  plus  afireux  ,  pour  publier 
que  leur  Maître  eft  reïïbfcité  ,  &  qu'ils 
foient  perfuadés  qu'il  ne  Teft  pas  ;  c'eft  une 
forte  d'extravagance  dont  les  hommes  ne 
font  pas  capables ,  &  qui  deviendroitun  plus 
grand  prodige  ,  que  tous  ceux  mêmes  que 
i'incr.édulité  contefte  à  la  foi  des  Chrétiens. 


i82        Sur    la  Résurrection 

D'ailleurs  ces  Difciples  ont  abandonné 
Jefus-Chrift  pendant  la  vie  ,  tandis  qu'ils 
le  regardoient  encore   comme  le  Libéra- 
teur promis  à  leurs  pères,  &  le  Chrift  Fils 
du  Dieu  vivant  ;  &  ils  le    confefiérent  gé- 
néreufementfur  les  échafauts  après  fa  mort, 
lorfqu'ils  ne  doivent  plus  le  regarder  que 
comme  un  fédu^leur  ,  qui  n'eft  pas  reiTuf- 
cité  félon  fa  promelie  ?   ils  verferont  tous 
leur  fan  g  pour  un  ho  mime  qui  a  abufé  de 
leur  crédulité  '  ils  fe  répandront  dans  tout 
l'univers  ,  com.me   des   défefpérés   ,  pour 
débiter  un  fait  qu'ils  croient  fabuleux  ?  &C 
parmi  tous  ces  hommes  foibles  &  timides , 
aucun  d'eux  ne  fe  démentira  ,  &:  ne  confef- 
fera  au  milieu  des  tourm^ens  ,  fa  fureur   ni 
fon  extravagance  ?  Mais  je  fens  que  j'in- 
fifte  trop  long- temps  fur  une  vérité  fi  écla- 
tante 5  &  que  votre  religion  eft  bleffée  des 
foins  que  je  fembie  prendre  pour  la  jufti- 
fier. 

Or  voilà  ,  mes  Frères  ,  comme  la  réfur- 
rcétion  du  Sauveur  foutient  la  foi  de  l'hom- 
me jufte  :  il  voit  dans  ce  Myftere  toute  la 
Religion  allurée  ;  les  châtimens  dont  elle 
menace  ^  certains  ;  fes  promicflés ,  infailli- 
bles ;  fes  préceptes  5  néceffaires  ;  fes  con- 
feils  ,  importans  ;  fes  obfervances  ,  refpec- 
tables  ;  le  plus  fimple  détail  de  fon  culte  , 
digne  de  nos  hommages.  Dès-là  que  Jefus- 
Chrift  eft  refTufcité  ,  ah  !  dès- lors  je  ne 
trouve  plus  rien  de  (1  grand  que  la  vertu  ; 
lien  de  plus  à  craindre  que  le  vice  ;  rien  de 
plus  infenfé  que  de  négliger  le  foin  de  fon 


DE  Notre  Seigneur.  183 
ame  ;  rien  de  plus  fage  que  de  facrifîer  <m 
falut.  Des-là  les  dérifions  des  impies  fur  la 
fainteté  de  nos  Myfteres  ,  font  des  extra- 
gances  que  j'ai  peine  à  comprendre  ,  &  des 
blafphémes  dont  j'ai  horreur;  les  réflexions 
des  lages  du  monde  fur  les  faintes  obfcuri- 
té  de  la  Foi  ,  des  difcours  d'enfant.  Dès- 
là  l'Evangile  me  paroît  ma  feule  règle  ;  les 
exemples  de  Jefus-Chrift  ,  mon  modèle  ; 
les  terreurs  de  la  piété  ,  des  dons  de  Dieu; 
la  fécuriîé  des  libertins ,  une  fureur  déief- 
péréc  ;  en  un  mot ,  l'infidélité  aux  grâces 
reçues,  &  les  rechûtes  Idans  les  premiers 
défordres  ,  le  plus  grand  des  malheurs ,  & 
le  caraâ:ere  des  réprouvés. 

Or  5  mes  Frères  ,   quoi  de  plus  propre 
à  mettre  un  frein  à  Finconftance  du  cœur 
de  l'homme  ,  &:  à  l'établir  dans  une  piété 
folide   &  durable  ,  que  ces  grandes  véri- 
tés ?  Ah  !  aufii  les  Difciples  ,  tém^oins  de 
la  réfurreclion  de  Jefus-Chrift  ,  ne  fe  dé- 
mentent plus  ;  ils  perfeverent  tous  jufqu'à 
la  fin  dans  la  prière  ,  &  dans  le  miniftere 
de  la  parole  fainte  ;  il  ne  fe  trouve   plus 
parmi  eux  de  Judas  ,  qui  abandonne  la  vé- 
rité connue.  Dès  que  le  Seigneur  a  apparu 
à  Pierre  ,  c^t  Apôtre  ne  retombe  plus  ,  8c 
confirme  même  fesfreres.  Apeine  Thomas 
a-t-ii  touchés   les  cicatrices  gîorieufes  de 
fes  plaies ,  qu'il  adore  fon  Seigneur  &c  fon 
Dieu  5    &:   demeure  à  jamais  fidèle.  Les 
Difciples  dEmm.aiis  ne  l'ont  pas  plutôt  re- 
connu à  la  fraction  du  pain  ,  qu'ils  retour- 
nent à  Jerufalem  fe  réunir  aux  autres  Dif- 


i?4        Sur  la  Résurrection 
ciples.  Ah  ,  mes  Frères  !  ne  fommes-nous 
pas  tous  ici  les   témoins  de  la  réfurredion 
de  Jçfus-Chrift?  ne  fommes-nous  pas  les 
enfans  des  Saints  ^  qui  le  virent  &  qui  i'a- 
dorerent  fur  la  montagne  de  Galilée?  Nous 
avons  vu  de  leurs  yeux  ,  &  touché  de  leurs 
mains  :  nous  avons  même  fenti  ,   en  ces 
jours   heureux  5  Jefus-Chrift  reiîufcité   au 
dedans  de  nous  parla  grâce  des  Sacremens. 
Eh  !  pourquoi   retournerions -nous    donc 
encore  en  arrière  ?  pourquoi  rentrerions- 
nous  dans  nos  premières  voies  ?  Si  ce  Myf- 
tere  rend  notre  foi  inébranlable,  pourquoi 
laifferoit-il  encore  des  inconftances  à  notre 
cœur  ?  S'il  feroit  monftreux  ,    après  tant 
de  preuves  ,   dit  S.  Auguftin  ,   de  ne  pas 
croire  ;  Feft-il  moins  de  croire  ,  &  de  vi- 
vre comme  (i  Ton  ne  croyoit  pas  ?  Un  Fi- 
dèle perfuadé  qu'il  relTufcitera  pour  jouir 
d'un  bonheur   éternel  ,   ou  pour  être  livré 
à  àes  flammes   éternelles  ,  peut-il   oukiier 
un  fi  grand  intérêt ,  durant  le  feul  inftant 
qu'il  paroit  fur  la  terre  ?   &  fi  les  biens  fu- 
gitifs ,  qui  n'ont  rien  de  réel  y  &  que   nous 
ne  goûtons  qu'un  moment  ,  peuvent  nous 
féduire  ,  la  véritable   félicité  ,   des    biens 
,fansfin&fansmefure5une  éternité  de  gloi- 
re ,  de  magnificence  ,   de  vrai  bonheur  , 
qui  nous  eft  aujourd'hui  montrée  ,  ne  fau- 
roit-elle  nous  détromiper  ,  &  diHiper  pour 
toujours  l'erreur.qui  nous  a  fait  prendre  le 
change  ,  prendre  l'ombre  pour  la  vérité  , 
la  terre  pour  le  ciel ,  &  un  temps  qui  fe  pré- 
cipite &  qui  va  finir  demain ,  pour  Téternité 


DE  Notre  Seigneur.  185 
Second  motif  que  je  prends  dans  ceMyf- 
tere  ,  pour  nous  animera  conferver  la  grâ- 
ce reçue  en  ces  jours  faints.  Non- feulement 
ce  Myftere  aiîermit  notre  foi ,  mais  encore 
premièrement  5  il  ralFure  notre  efpérance  ; 
iecondement ,  il  la  conlble -,  troifiémement 
il  la  corrige.  La  réfurredtion  de  Jefus- 
Chrift  railure  notre  efpérance.  Nous  fa- 
vons  9  dit  TApôire  ,  que  nous  lui  ferons  un 
jour  femblables  5  &  que  nous  fuivronsla 
deftinée  de  notre  Chef;  nous  favons  qu'é- 
tant le  premier  né  d'entre  fes  frères ,  il  ne 
doit  être  que  les  prémices  heureufes  de 
ceux  qui  dorment  pour  relfufciter  ;  &  qu'u- 
ne portion  de  notre  nature  n'a  été  délivrée 
en  lui  de  la  mort  &:  de  la  corruption  ,  que 
pour  fervir  de  g^^g^  k  rcfpérancê  de  îa  na- 
ture entière  :  nous  favons  que  fa  réfurrec- 
tion  feroit  inutile  ,  fi  nous  ne  devions  pas 
rcirufciter  avec  lui  ;  qu'il  feroit  dans  le  Ciel, 
fans  Eglife  ,  fans  facerdoce  ,  fans  facri- 
fice  ;  &  qu'il  n'y  feroit  pas  notre  Pontife 
éternel ,  s'il  n'oifroit  pas  éternellement  fon 
corps  myRique  à  fon  Père.  Ainiî  nous  fa- 
vons que  nos  frères  ,  qui  nous  ont  précédés 
avec  le  figue  de  la  Foi  ,  &  qui  dorment  en 
Jefus-Chriil  dans  le  fommeil  de  la  paix  & 
de  l'unité  ,  n'ont  pas  péri  fans  reffource  ; 
qu'il  ont  difparu  à  nos  yeux  ,  mais  qu'ils 
attendent  la  bienheureufe  efpérance  ;  que 
leurs  corps  ont  été  brûlés  ,  tramés ,  dé- 
chirés 5  mis  en  poufliere  ,  la  pâture  des  oi- 
feaux  du  ciel  ,  ou  des  animaux  de  la  terre  ; 
mais  que  celui  qui  appelle  les  chofes  qui  ne 


i26  Sur  la  Résurrection 
font  pas  5  comme  celles  qui  font  ,  rafTem- 
blera  des  quatre  vents  les  portions  difper- 
fées  de  leur  chair  ;  démêlera  dans  toutes 
les  créatures  ce  qui  appartient  à  fes  Elus  ; 
reprendra.leurs  reftes  précieux  que  la  révo- 
lution des  tem.ps  ,  &  la  viciÏÏitude  des  cho- 
fes  a  confondus  ,  &  qui  font  connus  de  lui 
feul  5  &  que  pas  un  cheveu  de  leur  tête  ne 
périra. 

Or  5  dans  ce  fouvenir  ,  mes  Frères  ,  que 
de  puilTans  motifs  pour  affermir  une  aine 
dans  la  grâce  &  dans  le  fervice  de  Dieu  ! 
Je  relfufciterai  avec  cette  chair  que  je  vais 
deshonorer  ;  je  la  porterai  aux  yeux -de 
Jefjs-Chrift  &  de  fes  Anges  j  encore  mar- 
quée des  taches  honteufes  de  mes  ini- 
quités. Hélas  !  fi  tout  devoit  mourir  avec 
moi  5  je  pourrois  tout  permettre  à  mes 
defirs  corrompus  :  mais  l'impie  relfufcitera 
comme  le  Jufte  :  la  trompette  fatale  éveil- 
lera 5  fans  égard  ,  tous  ceux  qui  repofe- 
ront  fous  l'empire  de  la  m.ort  :  il  faudra  re- 
paroitre  fur  la  fcene  à  la  face  de  tout  l'uni- 
vers ;  &  voir  revivre  des  œuvres  de  ténè- 
bres 5  que  je  croyois  enfevelies  dans  un 
éternel  oubli.  Quoi  !  pendant  toute  l'éter- 
nité 5  la  honte  de  l'adlion  que  je  vais  com- 
mettre 5  me  fera  reprochée  ?  ni  les  fiecles  , 
ni  les  années ,  ni  les  tourmens  ,  n'efface- 
ront jamais  cette  circonftance  honteufe  de 
ma  vie  ?  un  plaiiir  fi  rapide  .  qui  n'eft  déjà 
plus  lorfque  je  le  goûte  ,  &:  dont  je  me 
difpute  moi-même ,  en  le  goûtant ,  la  fauffe 
douceur,  par  des  remords  &:  ùqs  agita- 


DE  Notre  Seigneur.  187 
tlons  fecrettes  ;  ce  moment  fî  fugitif  fera 
écrit  dans  le  Livre  des  vengeances  du  Sei- 
gneur en  caractères  immortels  ;  fera  fcellé 
dans  les  tréfors  de  la  colère  divine  ,  &  du- 
rera autant  que  la  juftice  de  Dieu  même  ? 
Grand  Dieu  !  puifque  mes  afbions ,  mes 
paroles  ,  mes  penfées  ,  mes  defirs  ,  doi- 
vent vivre  à  vos  yeux  pendant  les  années 
éternelles  ,  foute  nez  m.a  foiblelTe  ;  &  fai- 
tes entendre  à  mon  cœur  9  qu'un  Chrétien 
ne  doit  plus  rien  fe  permettre  5  qui  ne  foit 
digne  de  l'éternité  ! 

En  fécond  lieu  5  la  réfurreâion  de  Jefus- 
Chrift  confole  notre  efpérance.  Car  ,  mes 
Frères  ,  fi  la  piété  a   fes  douceurs ,   elle  a 
aufTi  fes  amertumjes  ;  &  les  combats  éter- 
nels 5  ou   qu'il  faut  fe  livrer  à  foi-même  , 
eu  qu'il  faut  foutenir  du  côté  de  prefque 
tous  les  objets  qui  nous  environnent  ,  en 
font  les  épines  &  les  violences.   La  vertu 
ne  fe  conferve  que  par  des  facrifîces  conti- 
nuels  ;  &  fi  vous  vous  relâchez  un  mo- 
ment 5   vous  êtes  perdu  ;    les  pafîions  re- 
nailfent ,   ce  femble  ,   de  leur  propre   dé- 
faite  :  vous  croyez   avoir  réfifté  jufqu'au 
fang  5  &  rem.porté  la  victoire  ,   qu'il  faut 
recom.mencer  le  combat.  Or,   on  fe   laiTe 
d'être  toujours  aux  prifes  avec  foi  même  , 
de  porter  toujours  un  Royaum.e  divifé  au- 
dedans  de  foi  :  on  panche  naturellement  à 
vivre  d'intelligence  avec  fon  propre  cœur  , 
&:   à  jouir  tranquillement  de  foi-même  ; 
&  voilà  lafource  la  plus  commune  de  nos 
rechûtes. 


i88        Sur    la    Résurrection 

Or  5  dans  ces  dangereufes  épreuves  , 
rien  ne  foiitient  &  ne  confole  Famé  fîdele  , 
comme  refpérance  de  la  rédiredion  :  elle 
fait  que  ce  corps  de  pcché  qui  l'appefantit  , 
fera  bientôt  conforme  à  la  refTemblance  de 
celui  de  Jcfus-Chrill  glorieux  &  relTufcité. 
Ainfi  loin  de  s'abattre'  fous  le  poids  de  fa 
chair  ,  elle  fcnt  que  fa  délivrance  s'appro- 
che :  p]us  Fange  de  Satan  la  prclTe  ,  plus  le 
defir  d'être  délivrée  de  ce  corps  de  m.ort  , 
augmente  :  plus  l'aiguillon  du  péché  fe  fait 
fentir ,  plus  elle  fouhaite  fa  dilTolution  ^l 
fa  réunion  avec  Jefus-Chrift  :  elle  trouve 
dans  fa  foiblefle  une  nouvelle  force  ;,fe3 
tentations  portent  avec  elles  leur  remède  ; 
&:  tous  les  mouvemens  qui  FavertiiTent  du 
fond  de  fa  corruption  5  la  confolent  par 
l'efpérance  de  l'immortalité  ,  qui  la  déli- 
vrera  de  toutes  fes  miferes. 

Dans   les    tribulations   qui  arrivent   au 

Jufte  5  du   côté  des  créatures  ,    il  n'en  eil 

aucune   que    cette  efpérance    n'adouciile. 

Job  5  fur  fon  fumier ,  voit  tranquillement 

Joh.^o,  foncorpo  tomber  en  pièces  :  Je  fais ,  dlt-il, 

25'  26.    q^Q  ^Q^  Rédempteur  ejl  vivant  ;  que  je  ref- 

fufcitcrai  de  la  terre  au  dernier  jour  ;  que  je 

verrai  mon  Dieu  &  mon  Sauveur  avec  cette 

même  chair  ,  dont  les  vers  &   la  pourriture 

Ihid  t'  ^^"^  ^'^'^'^  ^^^'^  "^  cadavre.  Cette  douce  efpé- 
17.  *  '  rance  ejl  cachée  dans  mon  fein.  Et  il  ne 
faut  que  cela  ,  mes  Frères  ,  pour  confoler 
toute  la  rigueur  de  fes  peines  :  Repojïta  ejî 
hœc  fpes  mea  in  finu  meo.  Nous  nous  ré- 
jouilfons  dans  les  tribulations  ,  difoient  les 


DE  Notre  Seigneur.  189 
premiers  Fidèles  ,  parce  que  nous  atten- 
dons  JefiisChrirt  du  haut  du  ciel  ,  qui  ré- 
formera la  bairclie  de  notre  corps ,  afin  de 
le  rendre  femblable  à  la  gloire  &  à  la  clar- 
té  du  fien  ,  &  que  notre  efpérance  eft  cer- 
taine. Dans  cette  attente  ,  on  nous  maudit , 
&  nous  béniiîbns  :  on  nous  charge  di 
chaînes  ,  &  nous  fommes  libres  :  on  nou:; 
foule  aux  pieds  ,  &  nous  ne  fommes  poinr 
abattus  ;  &  nous  avons  toujours  la  tête 
levée  pour  voir  notre  délivrance  qui  appro- 
che. Ainfi  parloient  autrefois,  par  la  bouche 
de  l'Apôtre  ,  des  Fidèles  opprimés  ,  per- 
fécutcs  ,  profcrits  ,  traînés  dans  les  pri- 
fons  &  fur  les  échafauds  ;  il  n'étoit  plus  de 
tourmens  û  afircux  qui  ne  leur  paruffent 
doux ,  dans  la  vue  de  la  bienheureufe  ef- 
pérance. 

AufTi ,  mes  Frères  ,  ils  crcyoient  fans 
ceffe  voir  arriver  Jefus-Chrift  du  haut  des 
airs  :  ils  croyoient  que  chaque  jour  alloit 
être  le  jour  tant  defiré  de  fon  avènement  : 
c'étoit  une  erreur  d'amour.  On  croit  tou- 
jours toucher  à  ce  qu'on  defire  avec  ardeur  ; 
&  les  Apôtres  avoient  befoin  de  toute  leur 
autorité  ,  pour  caLmer  là-deiÏÏis  la  vive  im- 
patience de  ces  faints  Difciples.  Jefus- 
Chrift  lui-même  avoit  cru  devoir  prévenir 
les  pièges  qu'on  pouvoir  tendre  un  jour  far 
ce  point  à  la  vivacité  de  leurs  emprelTe- 
mens  ,  &  à  leur  crédulité  .  en  les  averîif- 
fnnt  de  n'ajouter  pas  foi  trop  facilement  à 
ceux  qui  viendroient  leur  annoncer  qu'il 
alloit  paroître  :  Nolitc  crcdcre,  D^~la   au 


ipo        Sur  la  Resurrectio!^ 
milieu  des  tourmens  ,   ils  défioient ,   avec 
une  fainte  fierté  ,   la   barbarie  des  tyrans  : 
Vous  pouvez  bien  déchirer  nos  corps  ,  leur 
difoient  ils  ,   le  Spedateur  célefte  de  notre 
confeifion  nous  les   rendra  plus  glorieux  8c 
plus   éclatans  :  les  plaies  cruelles   ,    dont 
vous   défigurez  nos  membres ,  fe  change- 
ront en  des  rayons  de  lumière  ;    &  votre 
inhumanité  augmentera  notre  gloire.  Tel 
étoit  l'eTprit  de  ces  fiecles  heureux  :  une 
vaine  fpiritualiîé  n'avoit  pas  encore  interdit 
ces  divines  cocfolations  à  la  vertu  :  on  n'a- 
voit  pas   encore  fermé  le  fein  de  la  gloire 
aux  Fidèles  ,   pour  les  en  rendre  plus  di- 
gnes :  on   n'avoit  pas   encore  fait  une  per- 
feâ:ion  monfiriieure  d'être  indifférent  aux 
promefies  de  la  Foi  ,   pour  y  arriver  plus 
furemenf.on  auroit  en  horreur  de  penfer 
que  le  falut  dût  être  le  fruit  affreux  du  dé- 
fefpoir ,  ou  de  l'indifférence  pour  le  falut 
même  ;  &  la  bicnheureufe  efpérance  étoit 
alors  toute  la  piété  &  toute  la  perfedion 
des  Fidèles. 

En  effet  ,  le  Jufie  feroit  à  plaindre  s'il 
n'y  avoit  pour  lui  d'eipérancé  qu'en  cette 
vie.  Si  Jefiis-Chrifl  n'eft  point  reffufcité  , 
difoit  autrefois  l'Apôtre ,  &  que  nous  n'ef- 
pérlons  en  lui  que  pour  cette  vie  ,  nous 
fom.mes  les  plus  malheureux  de  tous  les 
I.  Cor,  hommes  :  Si  in  hac  vita  tantàm  in  Chriflo 
^ ^ *  ^^'  fpcrantes  fumus  ,  mifcrabiliores  fumu;  omnU 
busIiGminibiis  ;  telle  eil  la  deftinée  du  Chré- 
tien. L'Evangile  en  un  fens  ne  fait  que  des 
malheureux  félon  le  monde  ;  fes  maximes 


DE   Notre  Seigneur.    191 
font  triftes ,  &  ne  promettent  rien  de  trop 
agréable  ici- bas  ;  &  s'il  n'y  a  plus  rien  à 
efpérer  après  cette  vie  ,  rien  n'égale  Tinfor- 
tune  d'un  difciple  de  Jefus-Chrilî.  Or  ,  fur 
cette   vérité  inconteftable  ,    vous  n'avez  , 
mon   cher  Auditeur  ,  qu'à   vous  décider 
vous  même  ,  pour  connoître  (i  vous  êtes 
difciple  de  Jefus-Chrifl  ,  ou  enfant  du  fie- 
cle  5  &  par  conféquent  enfant  de  mort  Sc 
de  perdition  :  la  règle    eft   sûre.    Sil  n'y 
avoit  point  de  réfurrection  à  efpérer,  fe- 
riez-vous  à  plaindre  ?   Si  vous  n'attendiez 
qu'un   anéantilfement  éternel   après  cette 
vie  5  vous  faites-vous  affez  de  violence  en 
celle-ci ,  prenez- vous  allez  fur  vous-même  , 
mortifiez-vous  afîez  tous  vos  defirs ,    cru- 
cifiez-vous afiéz  votre  chair  ,   fouffrez-vous 
alTez  les  mépris  &:  les  injures ,  fuyez-vous 
aifez  les  plaifirs  ,  vivez-vous  alfez  féparé 
du  monde  ,  veillez-vous  afTezfur  vos  fens, 
êtes-vous  affez  détaché  de  la  gloire  ,   des 
Liens  périffablcs ,   pour  dire  avec  l'Apôtre  : 
Si  nous  n'efpérons  en   Jefas-Chrijl  que  pour    Ihid, 
cette  vie  ,  nous  fommes  les  plus  malheureux 
de  tous  les  hommes.    Quand  la  Religion  fe- 
roit  un  fonge  ,  qu'y  perdriez- vous  ?  quand 
tout   ce  qu'on  nous  dit  de   la  réfurre6tion 
à   venir  ,  &:  des  promieffes  de  la  Foi ,  fe- 
roient  de  fables  ,  feriez-vous  fort  trempé 
dans  vos  mefures  ?  quand   tout   mourroit 
avec  vous ,   auriez- vous  de  grands  repro- 
ches à  vous  faire  au  lit  de  la  mort  ,    fur  ce 
que  vous  n'auriez  pas  fait  votre  bonheur 
de  la  vie  préfente  ;  fur  les  plaifirs  dont  vous 


1^1  Sur  la  Resurrectiom 
vous  y  êtes  abitenu  ;  fur  les  facrifîces  ,  les 
violences  ,  les  auftérités  ,  les  privations 
que  vous  avez  fouffert  pour  une  éternité  & 
une  avenir  chimérique  ?  Si  l'on  venoit  vous 
déclarer  que  la  Foi  des  Chrétiens  eil  une 
invention  humaine  ,  trouveriez- vous  beau- 
coup à  changer  dans  vos  mœurs  ,  dans 
vos  projets  ,  dans  vos  affaires  ,  dans  toute 
votre  conduite  ?  Ah  î  les  premiers  Fidè- 
les avoient  droit  de  dire  ,  que  fi  Jefus- 
Chrift  n'étoit  pas  reiTufcité  ,  tout  étoit 
perdu  pour  eux.  Des  infortunés  qui  facri- 
fioient  tout  à  cette  efpérance  ,  qui  fouf- 
froient  la  faim  .  la  foif ,  la  nudité  ,  l'exil  , 
l'infamie  ,  la  perte  des  biens  &  de  la  vie 
pour  lui  plaire^  &:  dans  la  feule  efpérance 
S.Ignat.  d'aller  jouir  de  lui  :  Tantiim  ut  Chriflo 
Mdvt.  fruar  ;  des  hommes  qui  n'avoient  aucune 
confolation  fur  la  terre  ;  qui  fe  difputoient 
les  plus  légers  plaifirs  ;  qui  regardoicnt  la 
vie  préfente  comme  un  exil ,  comme  une 
vallée  de  larmes  ;  ces  hommes  pouvoient 
aiîurer  hardiment ,  que  s'il  ne  devoit  point 
y  avoir  de  réfurre6^ion  ,  rien  n'égaloit  leur 
malheur  fur  la  terre.  Mais  vous  à  qui  la 
Foi  en  Jefus-Chrift  ne  coûte  rien  ;  vous 
qui  ne  facrifiez  à  fespromeifes  ,  ni  plaifirs  , 
ni  goûts  5  nifuperfluités,  ni  penchans  ;vous 
qui  fous  FEvangile  vivez  aulli  doucem.ent , 
aufTi  agréablement ,  aufii  mollement  ,  que 
fai-je  ?  auHi  licencieufement  peut-être  , 
qu'on  vit  parmi  ces  nations  infidèles  ,  où 
fon  nom  n'eit  point  connu  ;  qu'il  foit  relfuf- 
cité  5  ou  qu'il  ne  le   foit  pas  ,  vous  n'en 

■  êtes 


DE  Notre  Seigneur.  193 
êtes  ni  plus  ni  moins  à  plaindre;  la  fai-uTeté 
ou  la  vérité  de  fes  promeiîes ,  ne  change 
rien  à  votre  deilinée  ;  &  dès- là  vous  n'êtes 
plus  Chrétien  ;  vous  n'appartenez  plus  à 
Jefus-Chrift  ;  vous  n'avez  plus  de  droit  à 
fon   efpérance. 

Et  voilà  en  dernier  lieu  ,  comme  la  ré- 
furre(B:ion  de  Jefus-Chriil: ,  non- feulement 
allure  o^confole ,  mais  encore  corrige  notre 
efpérance  ,  en  nous  propofant  les  moyens, 
qui  feuls  nous  donnent  droit  d'efbérer  ;  en 
nous  faifanî  entendre  qu'il  nciï  pus  poffible 
de  chercher  fa  félicité  fur  la  terre  ,  &  d'ef- 
pérer  en  Jefus-Chrifl  ,  &  que  le  iid2lQ  qui 
ne  fouiTre  rien  ici-bas  ,  ne  fauroit  auili  rien 
efpérer  pour  l'avenir. 

Mais  ce  n'eil  pas  par  cet  endroit  feul  que 
la  réfurrediion  de  Jefus-Chrifl  corrige  no- 
tre efpérance.  En  eiTet ,  une  àes  caufes  les 
plus  ordinaires  de  nos  rechûtes  après  la  fo- 
îemnité ,  eft  de  nous  perfuader  que  le  retour 
à  la  grâce  eft  facile  ,  &  ainfi  d'efpérer  con- 
tre ïefpérance.  Or  ,  le  Myitere  de  la  ré- 
furrection  de  Jefus-Chriit  corrige  cette  er- 
reur fi  commune  &:  Il  dangerenfe  ;  car  le 
bienfait  de  la  réfurrecticn  n'a  été  en  lui  que 
le  prix  du  plus  douloureux  de  tous  les  fa- 
crifices  ;  &:  il  n'a  mérité  fa  délivrance  du 
tombeau,  qu'en  devenant  l'homme  de  dou- 
leurs. Or  la  réfurrecticn  de  Jefus-Chrifl 
e(l  le  m.odele  de  la  nôtre  ;  c'erL-à-dire  j  cme 
Çi  nous  retombons  5  il  faudra  palferpar  de 
terribles  épreuves  5  pour  arriver  au  renou- 
vellement de  la  pénitence.  Si  je  retombe  , 
Myflerc.  I 


194  Sur  la  Résurrection 
ô  Dieu  !  que  ce  plaifir  rapide  &  frivole  va 
ine  coûter  cher  !  quel  calice  à  boire  ,  pour 
recouvrer  la  vie  &  l'innocence  que  je  vais 
perdre  !  Je  ne  fai  déjà  que  trop  moi-même 
ce  qu'il  en  coûte  pour  revenir  à  Dieu  , 
quand  on  a  eu  le  malheur  de  s'éloigner  de 
lui  ;  &  ce  que  les  commencemens  d'une 
converfion  ont  de  terrible  pour  le  cœur  : 
eft-  ce  qu'après  une  rechute ,  cette  entre- 
prife  aiiroit  moias  de  difficulté  ?  Mais  mes 
mauvais  pcnchans  feront  encore  plus  diffi- 
ciles àfurmonter,  mes  chaînes  fe  feront  for- 
tifiées ,  mes  foibles  defîrs  de  falut  refroi- 
dis ,  le  yeux  du  public  même  plus  redou- 
tables 5  par  les  inégalités  de  ma  conduite  ; 
tout  demandera  de  nouveaux  efforts ,  tout 
deviendra  plus  dégoûtante  plu*  pénible: 
or  ,  h  j'ai  eu  tant  de  peine  à  faire  une  pre- 
mière démarche  que  tout  fembloit  facili- 
ter ;  commicnt  pourrois-je  fi  fort  compter 
fur  une  féconde  ,  où  tout  m'offrira  de  nou- 
veaux obfiacles  ?  Ainfi  s'affermit  dans  la 
perfcvérance  une   ame  fidèle. 

Mais  5  d'ailleurs ,  la  grâce  d'une  féconde 
pénitence  vous  fera-t  elle  accordée  ?  Se- 
conde raifon  que  nous  fournit  ce  Myfîere. 
Sa^ez  vous  bien  ce  que  c'ell  que  la  grâce 
de  la  converiion  ;  cette  grâce  qui  nous  fait 
pafîer  de  la  m.ort  du  péché  à  la  vie  &  à  la 
réfurrection  de  la  Juftice  ?  Ecoutez  l'A- 
pôtre,  qui  va  vous  l'apprendre  :  La  mê- 
me vertu  furéminenîe  de  Dieu  «  dit^iî  , 
qui  a  opéré  fur  Jefus-Chrifl  pour  le  déli- 
vrer d'entre  les  morts   ,  doit    opérer  fur 


DE  Notre  Seigneur.  195 
nous  ;  pour  nous  retirer  des  voies  des  la 
mort  &  de  la  perdition  ,  pour  nous  faire 
revenir  à  la  vie  de  la  grâce  ;  c'eft-à-dire  , 
qu'il  eft  vrai  que  la  réfurreé^ion  fpirituelle 
du  pécheur  ,  eft  un  ouvrage  aufîi  grand 
pour  Dieu  que  la  réfurreclion  corporelie 
de  Jefus-Chrift  ,  que  le  miracle  ell:  ici  égal  ; 
qu'il  a  befoin  d'une  vertu  auiîi  éclatante 
pour  l'un  que  pour  l'autre  ;  &  que  s'il  y  a 
quelque  différence  à  faire  ,  c'eft  qu'en  rcA 
fufcitantron  Fils ,  il  commande  à  la  mort , 
&  il  eil  obéi ,  &  la  mort  qui  entend  fa  voix 
ne  réfifte  point  à  fes  ordres  ;  au  lieu  qu'ea 
refRifcitant  le  pécheur  ,  il  commande  à  un 
cœur  corrompu  ,  &:  ce  cœur  fe  défend  ; 
&  ce  cœur  ou  ne  veut  pas  l'entendre  ,  ou 
même  après  l'avoir  entendu ,  réfidQ  k  fes 
ordres  ,  &:  repouffe  la  main  ,  qui  vient  le 
retirer  du  tombeau  ,  ôc  des  ombres  de  la 
mort.  Or  ,  étes-vous  en  droit  d'attendre 
de  lui  une  féconde  fois  une  faveur  auiïî 
fignalée  ?  pouvez-vous  vous  flatter  qu'il  opé- 
rera encore  une  fois  pour  vous  un  prodi- 
ge 5  qu'il  n'a  opéré  qu'une  fois  en  faveur 
de  fon  Fils  ?  Qui  ctcs-vous  donc  pour 
vous  promettre  témérairement  des  coups 
il  miraculeux  de  la  Puiffance  divine  ?  De 
toutes  les  grâces ,  celle  de  la  converfion  , 
eft  la  plus  rare  ;  &  vous  la  regarderiez  com- 
me une  faveur  de  tous  les  jours  ?  Que  fa- 
vez-vous  fi  le  Seigneur  ,  après  avoir  fait 
une  fois  éclater  fur  vous  les  merveilles  de 
fa  miféricorde  ,  en  rompant  les  chaînes  de 
Ja  mort  &:  du  péché  qui  lioient-  votre  ame, 

I  2 


196       Sur  la  Résurrection 

&  en  vous  f a ifant  revivre  avec  Jefus-Chrift 
refTufcité  d'une  vie  nouvelle  ,  ne  manifef- 
tera  pas  à  l'avenir  en  vous  la  févérité  de 
fa  Juilice ,  en  vous  livrant  pour  toujours 
aux  defirs  de  vos  pafTions  infenfées  ?  Nous 
lifcns  bien  dans  les  Livres  faints  que  La- 
zare 5  que  la  fille  de  Jaïre  ,  que  le  jeune 
lioîr.me  de  Naïm  furent  reirufcités  ;  mais 
cous  ne  lifons  pas  qiHî  ce  bienfait  fignaîé 
leur  ait  été  encore  accordé.  La  féconde 
mort  fut  pour  eux  la  dernière  ;  &:  dans 
cette  image  5  on  veut  nous  faire  compren' 
dre  .  que  le  miracle  d'une  féconde  réfur- 
redion  efl  rarement  accordé  au  pécheur. 
Confervons  donc  précieufement  ,  mes 
Frères  ,  un  îréfor  fi  difficile  à  recouvrer  5  (î 
nous  avons  été  ailez  heureux  que  de  ref- 
fufciter  avec  Jefus-Chrift  dans  la  partici- 
pation des  faints  Myfteres.  Ah  !  îi  vous 
connciîîiez  ,  mes  Frères ,  ce  que  vous  per- 
dez en  perdant  la  grâce  fan6^ifîante  :  fi  vous 
faviez  que  la  perte  de  l'Univers  entier  n'eft 
rien  à  fon  égal  :  fi  vous  penfiez  que  c'efi:  le 
prix  du  Sang  de  Jefiis-Chrift  ,  &  le  feul 
fruit  des  fouffrances  dont  vous  venez  d'ê- 
tre témoin  :  fi  vous  faifiez  réflexion  que 
c'eil  la  dragme  précieufe  dont  on  acheté 
réte rniîé  :  fi  vous  pouviez  comprendre  que 
vous  perdez  tout  ce  que  vous  pouvez  per- 
dre de  plus  grand;  tout  ce  que  les  créa- 
tures 5  &  le  monde  entier  ne  fiuroit  vous 
remplacer;  que  vous  perdez  ce  que  vous 
ne  pouvez  plus  recouvrer  de  vous-mê- 
me 5  ce  que  celui  feul   que  vous  ofFenfez 


DE  Notre  Seigneur  197 
peut  vous  rendre  ;  que  vous  perdez  ce  que 
tant  de  réprouvés  fouhaiteront  pendant 
toute  l'éternité  ,  ce  qui  fera  la  félicité  de 
tant  de  Juftes  dans  le  Ciel ,  ce  qui  eft  re- 
fufé  à  tant  de  pécheurs  fur  la  terre  :  û  vous 
le  pouviez  comprendre  ,  fans  doute  ce  fou- 
venir  vous  animeroit  à  perfévérer  dans  le 
fervice  de  Dieu  ,  où  la  grâce  des  Sacre- 
mens  vient  de  vous  faire  entrer.  Vous  ve- 
nez d'en  voir  les  motifs  dans  la  réfurrec- 
tion  de  Jefus-Chrift  ;  il  faut  vous  en  décou- 
vrir les  moyens  que  nous  fournit  le  même 
myftere. 


ji 


PARTIE 


Efus-Chrijl  rejfufcité  d'entre  les  morts ,  ne  ^^l:^ 
meurt  plus ,  dit  l'Apôtre  :  la  mort  n'a  plus 
d'empire  fur  lui ,  parce  que  fa  Réfurre£tion      Kom. 
renferme  un  renouvellement  entier  &  par-  ^'  ^' 
fait  ;   qu'il  n'a  plus  rien  de  terreftre  au  for- 
tir  du  tombeau  ;  &  que  la  mort  a  été  abfor-   I-  Cor, 
bée  dans  fa  propre  victoire.  Or  voilà  le  mo-  ^^*  54* 
dele  &  le  moyen  de   notre  perfévérance. 
Voulez- vous  donc  ne  plus  retomber  ,   mes 
Frères  ;  il  faut  que  tout  ce  qui  éîoit  en  vous 
de  terreftre  &  de  m.ortel  foit  détruit  ;  pour 
ainfî  dire  ,   &  que  vous  foyez  un  homme 
tout  renouvelle  &  tout   célefte.    Une  paf- 
fion  négligée  conferve  toutes  les    autres  ; 
une  feule  plaie  flattée  attire  fur  elle  les  mau- 
vaifes  humeurs    de  tout  le  corps.  Ainfî  vo- 
tre attention  doit  redoubler ,  votre  vigilan- 
ce croître  ;    &   comme   Jefus-Chrift    n'a 
compté  fes  travaux  finis  ,   &  fa  viéioire  af- 
iurée  5  que  lorfque  la  mort  a  été   entière- 

13 


198  Sur  la  Résurrection 
ment  abforbée  en  lui ,  &  qu'elle  n'a  plus 
eu  ni  armes ,  ni  aiguillon  ,  pour  parler  avec 
TApôtre  ;  tandis  qu'il  vous  reliera  des  paf- 
iîons  à  combattre  ,  des  defîrs  à  réprimer  , 
des  vertus  à  perfeâionner  ,  vous  devez  re- 
garder votre  réfurredion  comme  impar- 
faite 5  &  avancer  fans  cefle  dans  la  reiTem- 
blance  de  l'homme  nouveau. 

Cependant ,  l'erreur  commune  regarde 
le  temps  Parcal  comme  un  temps  de  relâche, 
ment  5  de  repos  ,  de  liberté  ,  &  de  plaifîrs. 
Mais  je  le  répète  ,  fî  vous  voulez  conferver 
la  grâce  de  la  réfurredion  ,  il  doit  être  pour 
vous  un  temps  de  renouvellement  &  de  fer- 
veur ;  en  voici  les  raifons  ;  elles  me  pa- 
roiffent  dignes  de  votre  attention. 

En  premier  lieu  ,  il  n'eft  que  trop  vrai 
que  la  plupart  des  Fidèles  croient  avoir 
droit  de  fe  déîaffer  ,  &  de  donner  moins  de 
foins  à  leur  falut  éternel ,  quand  une  fois  ils 
font  arrivés  au   bout  de  cette  carrière  de 
pénitence  ;  qu'ils  ne  font  confiner  le  privilè- 
ge de  la  réfurreéiion  que  dans  des  m^œurs 
plus  douces  5   dans  un  ufage  plus  libre  des 
plaifirs  de  la  table  ,  du  jeu  ,  des  fpedacles , 
&  dans  la  rareté  des  prières  publiques  Se 
des  autres  devoirs   de  la   Religion.  Or  , 
pour  faire  fentir  d'abord  l'illufion  d'une  er- 
reur fi  vulgaire  ,  &  injurieufe  à  la  fûnteté 
de  ce  temps  ,  il  fuffiroit  de  vous  dire  que 
l'alIégrefTe   de  l'Eglife   en  ces  jours  heu- 
reux 5   n'eft  fondée  que  fur  la  victoire  que 
Jefus-Chrift  &:  tous  les  Fidèles  avec  lui  , 
remportent  aujourd'hui  fur  le  péché  ;  que 


DE  Notre  Seigneur.  19.9 
votre  retour  à  la  grâce  fait  tout  le  fujet  de 
fes  cantiques  de  joie  ;  &  que  fi  vous  êtes 
encore  dans  le  péché  ,  elle  eil:  encore  cou- 
verte d'un  deuil  invifible  ,  &  gémit ,  en  fe- 
cret  devant  fon  Epoux  :  qu'ainfi .  elle  ne 
paroît  en  ce  jour  triomphante  &  environ- 
née de  gloire  ,  que  pour  célébrer  le  triom- 
phe de  la  grâce  fur  vos  cœurs  ;  &  qu'elle 
vous  regarde  comme  autant  de  captifs  , 
qu'elle  vient  de  délivrer  de  l'empire  de  la 
mort  5  &:  de  la  puillance  àes  ténèbres.  En 
un  mot  5  c'eft  la  dellinée  de  votre  confcien- 
ce  qui  décide  toujours  de  fa  joie  •  on  de 
fatriflelTe.  Car  d'ailleurs  le  temps  de  la  vie 
préfente  n'eftpas  le  temps  de  fa  joie  ;  étran- 
gère 5  éloignée  de  fon  EpouK  ,  déchirée 
par  les  fchifmes  &  les  contentions  .  dcsho- 
norée  par  les  fcandales  ,  afiligée  par  les 
chûtes  de  (qs  enfans  ,  elle  gémit  fans  celTe  ; 
elle  foupire  après  fa  délivrance  ;  6c  fes 
chants  de  joie  ne  fauroient  être  que  des  de- 
firs  d'éternité  ,  &  de  vifs  empreffemens 
d'être  réunie  à  i'Eglife  du  Ciel ,  dont  fon 
Epoux  elt  le  Pontife  viable.  Mais  lailFons- 
làles  raifons  qui  la  regardent  elle-fcule  ;  & 
arrêtons-nous  à  celles  que  nous  fourniffent 
nos  propres  difporiticns. 

En  effet  j,  en  fécond  lieu  .  iî  après  des 
mœurs  céfordonnécs  5  ce  une  vie  toute 
criminelle  ,  vous  avez  été  allez  heureux , 
pour  recouvrer  en  ces  jours  votre  inno- 
cence par  la  grâce  des  Sacremens  y  & 
vous  réconcilier  avec  Dieu  ,  vous  êtes 
donc  de  nouveaux   enfans  de  la   grâce  , 

I    A 


200  Sur  la  Résurrection 
vous  ne  faites  que  de  naître  dans  la  juftice 
&:  dans  la  fainteîé  :  or  ,  dans  cet  état  d'en- 
fance &  de  foiblede  ,  comme  vous  êtes 
plus  aifé  à  féduire  &  à  ébranler  ,  il  vous 
faut  auiïl  plus  de  précautions  ,  &  plus  de 
fecours  poui  vous  foutenir.  D'ailleurs  ,  {î 
vous  ne  faites  que  de  fortir  de  vos  mœurs 
criminelles ,  vous  n'avez  donc  encore  rien 
£iik  pour  les  expier  :  vous  avez  gémi  au 
Tribunal  ,  il  eft  vrai  ;  vous  vous  y  êtes  dé- 
claré pécheur  ;  vous  y  avez  porté  des  {en- 
timens  vifs  de  componâ:ion  ,  &  une  dc- 
teftaticn  fincere  de  vos  crimes  :  nous  y 
avons  eiïiiyé  vos  larmes  ,  recueilli  vos  fou- 
pirs  ,  &  conf^olé  votre  douleur  ,  qui  nous 
rempliflbit  nous-mêmes  de  confolation  ; 
mais  ioin-CQ  là  les  fculs  fruits  de  la  péni- 
tence ?  une  vie  entière  dcplaiiirs  &  de  dif^ 
fipation  feroit-elie  effacée  par  quelques 
larmes  paîTagercs  ?  &  le  péché  feroit-il 
expié  dès  qu'il  eft  remis  ?  Or,  ii  vous  êtes 
un  nouveau  Pénitent ,  eh  !  où  font  ces  tranf- 
ports  de  zcle  ,.  cette  indignation  contre  foi- 
niême  ,  cette  avidité  de  fouifrance  ,  qui 
font  toujours  les  prémices  dé  l'Efprit  de 
Dieu  dans  un  cœur  touché  ?  Vous  n'avez 
pas  encore  corn  nencé  ,  2^  vous  voulez 
vous  permettre  des  adouciilemens  ,  que 
les  plus  juil-es  ,  après  de  longues  années 
de  pénitence  ,  n  ofcroient  encore  s'accor- 
der ?  Eil-ii  temps  de  fe  repofer  à  l'entrée 
même  de  la  carrière  ?  Il  peut  arriver  quel- 
quefois que  fur  la  fin  de  la  courfe  ,  on  fe 
lelache   i  &  que  la  ferveur  fe  rallentiife 


DE  Notre  Seigneur.  201 
après  pîuiieiirs  années  d'aufléritc  :  mais 
du  moins  les  commencemens  ont  été  fer- 
vens.  Le  Roi  de  Ninive  fe  met  fous  la 
cendre  ,  déchire  fes  vêtemens  ,  afllige  fa 
chair  par  le  jeûne  &  par  le  cilice  :  c'ell  le 
cara^lere  de  la  première  grâce  ;  hs  efforts 
qu'elle  infpire  d'abord  font  héroïques  ;  '6c 
c'eft  alors  que  le  pécheur  nouvellement 
touché  ,  a  beioin  de  frein  ,  &  qu'il  faut  que 
la  ?age{fe  d'un  condudeur  m.odere  les  fîiil- 
lies ,  Se  arrête  l'impétuoiité  du  zeîe  ,  èi  de 
l'efprit   qui  l'anime. 

Mais  vous  ,  mon  cher  Auditeur  ,  iî 
vous  comm.encez  par  la  chair  ,  comment 
finirez-vous  par  l'efprit  ?  û  vos  premiè- 
res démarches  commencent  par  être  îic- 
des  &  lanp,uiirantes  ,  comment  foutien- 
drez-vous  les  fecoulfes  ,  les  ennuis  ,  les 
dégoûts  inféparables  des  fuites  &  de  la 
durée  ? 

De  plus  .  votre  propre  expérience  vous 
apprendra  que  les  tentations  ne  font  jamais 
plus  violentes  ,  que  dans  un  com.mence- 
mient  de  nouvelle  vie.  C'eft  alors  que  le 
démon  furieux  d'avoir  laiile  échapper  fa 
proie  5  met  tout  en  œuvre  pour  la  recou- 
vrer :  c'eft  alors  qu'il  multipiie  les  atta- 
ques ,  qu'il  change  tout  en  pièges  ,  qu'il 
reveille  toutes  les  payons  encoie  à  demi 
vivantes  ,  qu'il  répand  des  dégoûts  cc  des 
am.ertumes  fur  toutes  nos  démarches,  qu'i-l 
raflembie  tous  les  obftacles  ,  qu'il  groilit 
les  difficultés  ;  en  un  m.oî  y  qu'ilépuife  t©i2$ 
fes  artifices ,  pour  rentrer  dans  la  mai Ibud^ 

Ï5 


202        Sur  la   Résurrection 
notre  ame  avec  fept  efprits  impurs  encore 
plus    méchans  que    lui.  Or ,  li  les  tenta- 
tions font  d'un  côté  plus  vives  ,  la  piété  de 
l'autre  ell  alors  plus  foible.  C'eft  une  étin- 
celle à  peine  allumée  ,  8?"  qu'il  faut  entre- 
tenir à  force  de  foins  &  de  m.énagemens  : 
c'eft  une  jeune  plante  que  le  vent  le  plis 
léger   eft  capable   d'abattre  ;   la  moindre 
ardeur  des  tentations,  de  faire  féchcr.  En 
quel  temps  donc  la  fidélité  &  la  vigiiarice 
furent  jamais  plus  nécelfaires  ?  Seriez-vous 
fage  de  nepcnferqu'à  vous  rcpofcr  &  de 
n'être  point  fur  vos  gardes  ,  dans  une  con- 
jon^iure  où  tout  fe  difpofe  à  vous   atta- 
quer ?  N'eil-ce  pas  alors  que  la  retraite^ 
la  prière,  l'éloignement  du  monde  &  des 
plaiiirs  ,  le   commerce  des  gens  ce  bien  , 
la  pratique  des  œuvres  de  miféricorde,  la 
leâure  des  livres  faints  font  pîu^  que  ja- 
mais de  faifon  ;  &  qu'aller  expofer  i;n  tré- 
for  5  que  vous  portez  dans  un  cœur  ,  fi 
peu  inflruit  encore  à  fe   défendre  ,   c*eft 
vouloir  sûrement  le  perdre. 

Enfin  ,  je  n'ajoute  pas  que  l'Eglife  en 
cefaint  temps ,  fournilîant  moins  de  fecours 
extérieurs  à  la  piété  des  fidèles  ,  vous  de- 
vez remplacer  ce  défaut  par  un  renouvelle- 
ment de  zele  &  d'attention.  En  effet,  dans 
les  jours  de  pénitence  ,  dont  nous  venons 
de  fbrtir ,  il  fembl©  que  la  foi  &  la  piété 
étoient  fcutenues  par  les  dehors  tout  feuîs 
du  cuite.  L'aiîiflance  plus  aiîidue  à  nos 
Temples  ;  îa  parole  de  l'Evangile  plus 
fouvent  &  en  plus  de  lieiix  annoncée  j  les 


DE  Notre  Seigneitr.  203 
prières  de  l'Eglife  plus  longue-  &  pîjs  fo- 
leninelles  ;  tout  cet  appareil  de  deuil  &  de 
triftefie  dont  elle  éroit  couverte;  le  Touvc- 
nir  des  MyHeres  douloureux  qu'elle  nous 
rappelloit  ;  la  loi  des  jeûnes  &  des  abili- 
iiences  ;  les  plaifirs  publics  fufpendus  ;  la 
liberté  des  tables  modérée  ;  le  crime  obli- 
gé prefque  de  fe  cacher  ,  ou  du  moins  de 
le  ménager  ;  le  devoir  Pafcal  ,  auquel ,  fî 
vous  exceptez  un  certain  nombre  de  pé- 
cheurs invétérés  ,  &:  abfolument  abandon- 
nés de  Dieu  ,  tout  le  relie  fe  mettoit  en 
état  de  fatisfaire  ;  tout  cela  pouvoit  fervir 
de  foutien  à  une  piété  naifTante.  Mais  dans 
le  temps  où  nous  allons  entrer  .la  vertu  ne 
trouve  prefque  plus  rien  dans  \qs  dehors 
de  la  Religion  ,  qui  l'aide  ,  qui  la  réveille  j 
qui  la  défende  :  toute  la  beauté  de  la  Fille 
du  Roi  eft ,  pour  ainii  dire  ,  au  dedans.. 
L'Eglife  fuppofant  que  nous  fommes  de- 
venus des  hommes  tout  fpiriiucls  &  cé- 
leRes  par  la  réfurreclion  ,  fournit  à  notre 
piété  moins  de  fecours  fenubles;  les  jeûnes 
celîent  ;  les  prières  publiques  dimj'nuent  ; 
les  chaires  chrétiennes  fe  taifeat  ;  les  céré- 
monies du  culte  font  plus  unies  &  plus  (im- 
pies; les  folemnités  finifTent  ;  la  révolution 
des  Myfteres  s'accomplit  ;  l'Eglife  de  la 
terre  reiTufcitée  eft  une  image  de  celle  du 
Ciel  5  où  l'amour  5  l'adoration  ,  l'adlion  de 
grâces  &  le  filence  tiennent  lieu  d'hymncsi 
&  de  cantiques  ,  &  forment  toute  fa  reli- 
gion  &    tout  fon  culte. 

Or  5  pour  vous  5  qui  êtes  encore  foibk 

16 


2C4  Sur  la  Resurrfctïcn 
caiis  la  foi,  cette  privation  de  fccours  fcn- 
Jibjes  ,  cette  vie  intérieure  Si  parfaite  à  les 
dangers.  Il  eil:  à  craindre  que  ne  trouvant 
plus  autour  de  vous  les  appuis  extérieurs 
de  la  piété  ,  vous  ne  puiiTiez  vous  foutciiir 
tout  feul  :  il  efl  à  craindre  que  la  fin  des 
abilinences  ne  foit  pour  vous  lin  attrait 
d'intempérance  ol  de  volupté  ;  que  l'é- 
loignerrent  des  chofes  faintes  ne  vous  jette 
dans  l'oubli  de  Dieu  ;  que  l'ufage  plus 
libre  dies  plailirs  ne  vous  fraye  le  che- 
irin  au  crime  ;  que  la  rareté  des  prières 
publiques  ne  vous  défaccoutume  d'élever 
votre  cccur  à  Dieu  ;  que  le  fiîence  des 
chaires  chrétiennes  ne  vous  endorire  'fur 
les  vérités  du  faluî  ;  en  un  ir.ot ,  que  la 
fainte  liberté  de  ce  teirps  ne  foit  pour  vous 
une   cccalicn    ce   rechute    &   de    libcrti- 

Et  pour  lîiieuK  vous  développer  cette 
vérité  5  (  car  on  ne  fauroit  trop  vous  Kiire 
entrer  dans  refprit  de  TEglife  iiîr  Tordre 
&  fur  la  f.n  de  les  folemnités  &  de  Tes  Myi^ 
teres  ;  puifque  c'eil  là  toute  la  piété  de  cet 
exil  o:  de  notre  pèlerinage  :  )  'remarquez  , 
je  vous  prie  ,  mes  Frères  ,  que  depuis  la 
naiflance  du  Sauveur  ,  jufqu'à  fa  réfurrec- 
îioîî,  &  à  ïeÛuiion  de  fon  Efprit  faint  qiie 
nous  attendons  ,  l'Eglife  vous  a  tenu  fous 
ics  Villes  ,.  pour  ainfi  dire  ,  commie  des  pe- 
tits qu'elle  enfatitoit  ,  &  qu'elle  vouloit 
former  à  Jefus-Chrifî  ;  elle  vous  a  fait 
croître  fuccefnvement  par  Ja  grâce  de 
chaque  my^ieiQ  ;  elle  ne  vciîsa  point  peidu 


DE  Notre    Scigneur.     205 
de  vue  ,  &   vous  a  donné  tous  fes  foins. 
IVÎais  déformais  les  myfteres  de  îa  réfur- 
re^lion  ,  &   de   reiiufion    de  rEfprit  faint. 
accomplis  ,  elle  regarde  fon  ouvrage  com- 
me a/:hevé  en  vous  ;  elle  f.ippofe  que  vous 
êtes  des   hommes   célefles   ,    remplis   de 
tous  les  dons  d'en  haut ,  parvenus  à  la  par- 
faite reiTembîance  de  Jefus-Chrift  glorifié  , 
ik  qui   n'avez  pkis  befoin  des  fecours  dont 
elle  avoit  iufques-là  fcutenu  votre  enfsnce. 
Elle  vous   lailfe  à  vous-mêmes  ,  elle  fe  re- 
tire dans  le  fecret  de  fon  Sanduaire  ;  elle 
îie  propofe  plus  à  votre  piété  ,  que  le  myf- 
tere  ineffable  derunité  de  l'eiTence  divine^ 
&:  de  la  Trinité  des  Perfonnes  ,  qui  fait  la 
feule  occupation  ,  tout  le-  culte  ,  toute  la 
religion  des  Efprit  céleftes  ,  &  des  Bien- 
heureux dans  le  Ciel  :  elle  croit  que  me- 
nant déformais  fur  la  terre  une  vie  toute 
célefte  5    elle   ne   doit  plus  CiTrir  à  votre 
piété  que  le  même  objet  que  l'Eghfe  du 
ciel  offre  à  fes  Elus  ,  &  qu'elle  n'a  plus 
qu'à  vous  oflrir  le  fcin  de  la  gloire  ,  &  le 
myftere  ineffable  de   la  Trinité  ,  loin  de 
vous  iuivre  encore  ,  &  de  vous  fecourir  , 
comime  elle  a  fait  jufqu'ici  ,   au  milieu  des 
périls  &  des  écueils  qui  font  fur  la  terre. 
Jugez  fi  ces  jours  de  perfection  ,  de  gloi- 
re 5  de  vie  célefte  ,  de  plénitude  de  ïEf- 
prit  faint  pour  des  Chrétiens  ,  peuvent  de- 
venir des  jours  de  relâchement   &  de  li- 
cence ;   &   fi  vDus  devez  vivre    félon  les 
fens ,  dans  un  tem^ps  où  TEglife  fuppofe  que 
votre  vie  eft  enfin  toute  cachée  en  Dion 
avec  Jefus-Chrill;, 


2o6        Sur    la  Resurrectiom 

Mais  après  tout  ,  quand  une  vie  molle  y 
fenfuelle  ,  moins  attentive ,  moins  accom- 
pagnée   de    toutes  les  précautions   &i    de 
toutes  les  violences  de  la  piéié  ,  ne  feroit 
pas  dangereufe  après  la  fainte  foîemnité  j 
elle  feroit  du  moins  injufte  pour  la  plupart 
de  vous  5  mes  Frères  ,  qui  m'écoutez.  Et 
certes  ,  mes  Frères  ,  ces  jours  de  péni- 
tence dont  nous  venons  de  forîir  ,  ont-ils 
afîez  exténué  votre  chair  ,  pour  vous  don- 
ner droit  à  vous  délalTer   de  vos  peines? 
qu'avez- vous  fouffert  durant  ce  temps  con- 
facré  par  TEglife  à  la  mortification  &  aux 
fouffrances  de  Jefus-Chrift  ?  en   quoi  l'a- 
vez-vous  diftingué  des  autres  temps  de  Tan- 
née ?  Avez-vous   paru  dans  nos  Temples 
fous  la  cendre  &  fous  le  cilice  ?  avez-vous 
mêlé  votre  pain  avec  l'amertume  de  vos 
larmes  ?  a-t-on  vu  plus  de  prières  ,  plus 
de  retraite  ,  plus  d'au  Hérité  5  ou  du  moins 
plus  de  régularité  dans  vos  mœurs  ?  avez- 
vous  feulement  fatisfait  aux  loix  de  TEgli- 
fe  ,  &  fait  gémir  fous  le  devoir  auftere  du 
jeûne  ,  accompli  dans  toute  fon  étendue  , 
un  corps  que  vous  ne  fauriez  trop  châtier? 
Ah  !  le  Jufte  arrivé  au  bout  de  cette  car- 
rière ,  a  droit  d'elTuyer  fes  larmes  ,  de  la- 
ver fon  vifage  ,  de  parfumer  fa  tète  ,  de  fe 
revêtir  de  fes  vêtemens  de  gloire  &  d'allé- 
greffe  ;  de  prendre  part  à  la  joie  publique 
de  l'Eglife  ,  &:  de  goûter  avec  elle  les  con- 
folations  fenlibles  de  ce  faint  temps  ;  lui  qui, 
loin  de  fe  difpenfer  de  la  févérité  de  fes 
loix  5  y  a  ajouté  des  rigueurs  de  furcroit. 


DE  Notre  Seigneur.  207 
Mais  vous  qui ,  au  lieu  d'avoir  été  péni- 
tent j  avez  été  prévaricateur  de  la  loi  com- 
mune même  de  la  pénitence  ,  vous  qui 
portez  au  myllere  de  la  Réfurredl:ion  une 
chair  auffi  rebelle  ,  des  pafTions  aulîi  vives 
&  aufli  entières  qu'elles  l'etoient  avant  ces 
jours  de  macération  &  d'abftinence.  Ah  [ 
loin  de  vous  permettre  aujourd'hui  des 
délaflemens  que  vous  n'avez  pas  mérités , 
vous  devez  vous  mettre  en  état  de  reparer 
votre  lâcheté  paiîée  ,  d'accomplir  ce  qui  a 
manqué  à  votre  pénitence  ,  de  changer  ce 
temps  de  joie  en  un  temps  de  deuil  &  de 
trifteife  ,  &  de  commencer  une  carrière 
que  vous  n'avez  pas  encore  fournie. 

Et  fi  vous  fouhaitez  d'apprendre  avant 
que  je  iîniiTe  ,  en  quoi  conlîfte  ce  renou- 
vellement qu'on  vous  demande  ,  &  quels 
font  en  détail  les  moyens  de  conferver  la 
grâce  de  la  réfurrection  ,  ce  qui  doit  être 
le  fruit  de  tout  ce  Difcours  ;  Je  vous  ré- 
ponds que  la  grâce  ne  peut  fe  conferver  y 
que  par  les  mêmes  voies  par  où  on  l'a  re- 
couvrée ;  que  les  fentimcns  d'amour ,  de 
componction  ,  qui  l'ont  attirée  dans  votre 
ame  ,  feuls  peuvent  l'y  entretenir  ;  &  qu'il 
en  efl  de  l'homme  fpirituel  commue  de 
rhom.me  terreftre  ,  c'eft  à-dire  que  fa  ccn- 
fervation  n'a  rien  qui  ne  refîemble  à  fa  pre- 
mière formation.  Or ,  je  vous  demande , 
comm.ent  vous  y  êtes- vous  pris  en  ces 
jours  folem>nels  ,  pour  recouvrer  la  grâce 
de  la  fatisfaètion  ,  s'il  eft  vrai  que  vous 
l'ayez  recouvrée  ?  quelles  font  les  voies 


2o8  Sur  la  Résurrection 
par  où  vous  êtes  arrivé  à  cet  état  heureux? 
ks  larmes ,  la  componction  ,  une  vive 
horreur  de  vos  fautes ,  un  éloignement  in- 
fini des  occafions  qui  vous  avoient  féduit , 
une  conviction  fincere  de  votre  foiblelfe  , 
&  du  befoin  que  vous  aviez  de  prière  &  de 
vigilance  ,  un  dégoût  véritable  du  monde 
&.  de  fes  plaifirs ,  un  goût  de  Dieu  &  de 
tous  les  devoirs  de  la  piété  ,  une  crainte 
effective  de  mourir  enfin  dans  votre  péché. 
Eh  bien  ,  mon  cher  Auditeur  ,  voilà  le 
plan  de  vos  devoirs  jufqu'à  la  fin.  Suivez 
toujours  ces  routes  heureufes  ,  qui  vous 
ont  conduit  à  votre  délivrance  ;  voilà  vo- 
tre voie.  Souvenez-vous  que  votre  pro- 
pre corruption  combattant  fans  celTe  en 
vous  la  grâce  de  la  fainteté  ,  il  fnut  faire  les 
mêm.es  eiforts  pour  la  conferver,  que  vous 
avez  fait  pour  li  retrouver;  âc  qu'ainfi  vous 
relûcher  ,  c'eil  tout  perdre  ,  &  riiquer 
tout  le  fruit  de   vos  travaux  pafles. 

Voilà  ,  mes  Frères  ,  les  motifs  &  les 
mo3'ens  de  perfévérance  que  nous  fournit 
aujourd'hui  la  rérurreâ:ion  de  Jefus- 
Chrift.  Souffrez  donc  ,  mes  Frères ,  que 
je  finilTe  ce  difcours ,  cette  carrière  fainte  , 
&  l'ouvrage  de  mon  miniflere  ,  en  vous 
adreflant  les  mêmes  paroles  que  l'Apôtre 
adreflbit  autrefois  aux  Fidèles  nouvelle- 
ment convertis  à  la  Foi.  Mes  Frères  , 
leur  difoit-il,  demeurez  donc  fermes  ,  & 
ne  vous  rengagez  plus  fous  le  joug  de  la 
^  ,  dure  fervitude  dont  la  grâce  de  Jefus- 
1.  s.^"  Chriit  vient  de  vous  délivrer  :  Staic  ^  & 


DE  Notre  Seigneur.  209 
nolitc  iterum  jugo  fcrvituîis  contineri»  Tout 
ce  que  vous  venez  de  fouffrir  pour  puri- 
fier votre  confcicnce  ,  pour  en  éclaircir 
les  abymes  au  Tribunal  facré  ;  ces  larmes, 
cette  honte  ,  ces  aveux  qui  ont  tant  coûté  à 
votre  foiblelfe  ,  ces  déchiremens  du  cœur; 
tout  cela  ,  Tauriez-vous  fouffert  en  vain?  ,,., 
Tantii  paffi  ejîis  fine  eau  fa  ?  N'allez  donc  4.  '^' 
plus  reprendre  des  chaînes  ,  dont  vous 
n'avez  pu  vous-même  foutenir  la  pefan- 
teur  :  ne  faites  plus  i^enaitre  au  milieu  de 
votre  cœur  ce  ver  dévorant  ,  que  vous 
n'avez  jamais  pu  calmer  :  ne  rentrez  plus 
dans  ces  voies  ameres  de  l'iniquité  ,  que 
vous  avez  trouve  vous-même  fi  trilles  &:  fi 
difficiles  :  Stats  &  nolite  iurum  jugo  fer- 
yitutis  contimri.  Comparez  l'état  où  la 
grâce  des  Sacremens  vient  devons  établir  , 
à  celui  où  vous  étiez  avant  que  d'en  ap- 
procher. Ne  fenîez-vous  pas  une  joie  fe- 
crette  au  fond  de  la  confcience  :  une  dou- 
ceur 5  une  paix  ,  que  le  monde  &  Tes  par- 
fions  ne  vous  avoient  jamais  donnée  :  vos 
troubles  ne  font-ils  pas  calmés  ,  vos  re- 
mords appaifés  ?  Ne  revoyez-vous  pas 
avec  plus  de  plaifir  ce  temple  ,  ces  autels  , 
tous  ces  fpectaclcs  pompeux  que  l'E^^^life 
étale  aujourd'hui  à  vos  yeux  ?  n'entendez- 
vous  pas  ces  chants  d'allégrelle  ,  &:  fon  in- 
nocente harmonie  ,  comme  un  prélude  du 
cantique  éternel  de  la  célefte  Sion  ?  N'é- 
coutez-vous pas  la  parole  du  falut  qu'on 
vous  annonce  ,  avec  une  coniblation  fenfi- 
ble  ,   au  lieu  qu'elle  étoit  auparavant  pour 


110       Sur  la  Résurrection 
vous  un  glaive  perçant ,  qui  portoit  1  ef- 
froi &  Ja  douleur  jufqu'au  fond  de  votre 
ame  ?  Rappeliez  vos  jours  de  diflblution 
&  de   ténèbres   :  ont-ils  rien  de  compa- 
rable à  ce  que  vous  fentez   aujourd'hui? 
N'eft-ce  pas  ici  véritablement  pour  vous  5 
ce  jour  y  ce  grand  jour  que  le  Seigneur  a 
fait  ?  &  en  avez-vous  jamais  vu  dans  la  ré^» 
gion  de  la  mort  5  dont  vous  venez  de  for- 
tir  5  de  fi  ferein  ,  de  û  heureux  &  de  fi  au- 
gufte  ?  Demeurez  donc  fermes   dans    les 
voies   du  Seigneur  ,  où  vous  venez  d'en- 
trer ;  &  ne  vous  laffez  jamais  d'un  joug  , 
qui  fait  tout  le  bonheur  &  toute  la  conlb- 
lation  de  ceux  qui  le  portent  :  5ti2t^. ,  Ù 
noiitc  iteriim  jugo  fervitutis  continerL  Vous 
êtes  devenus  des  enfans  de  lumière  ;  fou- 
tencz  cet  heureux  titre  :  vous  venez  d'être 
faits  héritiers  du  Ciel  ;  méprifez  avec  une 
fainte  fierté  tout  ce  qui  eft  au  delTous  d'une 
fî  magnifique  efpérance  :  vous  voilà  deve- 
nus la  Vi^lcire  de  Jefus-Chrift  ,  le  fruit  de 
fa  mort  ,  &  le  trophée  de  fa  réfurrecftion  ; 
ne  diminuez  pas  la  gloire  defon  triomphe , 
en  vous  rengageant  encore  fous  la  fervi- 
tude  dure  &   honteufe  de   fon   ennemi  : 
State  ,   &  noiitc  iteràm  jugo  fervitutis  con- 
tineri.  Que  dirai-je  de  plus  ,   m.es  Frères  ? 
Les  Anges  qui  environnent  le  trône    de 
l'Agneau  dans  le  Ciel  ,  &  vos  frères  ,  qui 
vous  ont  précédés  avec  le  figne  de  la  Foi  ; 
les  faints  Proteâ:eurs  de  cette  Monarchie  , 
qui  ont  annoncé  Jefus-Chriil:  à   nos  pères  , 
vous  regardent  avec  joie  du    haut  de  la 


DE  Notre   Seigneur.    211 

demeure  célefte  :  ils  célèbrent  dans  le  fé- 
joiir  de  l'immortalité  votre  délivrance  , 
votre  heureux  retour  à  la  grâce  ,  &  votre 
réunion  avec  eux  &  avec  toute  l'Eglife  du 
Ciel  :  ils  chantent  aux  pieds  du  trône  le 
Cantique  de  louange  &  d'aâ:ions  de  grâce. 
Voudriez-vous  fermer  encore  les  Cieux 
fur  vous  ,  vous  féparer  encore  de  la  cha- 
rité des  Citoyens  de  la  Jérufalem  célefte  , 
&  rom.pre  des  liens  fi  heureux  &:  fi  deli- 
rables  pour  vous.  Demeurez  donc  fermes  ; 
&  ne  pafiez  plus  de  la  fainte  liberté  des  en- 
fans  de  Dieu  ,  à  l'efclavage  affreux  du  dé- 
mon &  du  péché  :  State  5  &  nolitc  iterùm 
jugo  fervitutis  contineri.  Que  puis- je  vous 
dire  enfin?  Vous  avez  même  réjoui  les 
Anges  de  la  terre  ,  les  Minières  de  l'E- 
glife  ,  qui  ont  été  les  témoins  de  vos  lar- 
mes 5  de  vos  foupirs ,  de  la  douleur  de  vo- 
tre confeiîîon  ,  de  la  fîncérité  de  votre  pé- 
nitence :  ils  vous  ont  appliqué  avec  joie  le 
fang  de  l'Agneau  ,  &:  le  remède  de  vos 
fouillures  :  ils  vous  ont  réconcilié  avec 
rAuîel5&  avec  le  Dieu  qu'en  y  adore  : 
ils  vous  ont  dcîiné  le  baifer  de  paix  :  ils 
vous  regardent  comme  leur  ouvrage  en 
Jefus-Chrift  .  com^me  des  enfans  de  la  Foi 
qu'ils  viennent  d'enfanter,  &:  de  former 
pour  le  Ciel  ,  par  leurs  prières  ,  par  leurs 
gémiiTemens  5  &  par  les  douleurs  les  plus 
vives  du  zèle  facerdotal.  Voudriez-vous 
remplir  leur  cœur  d'amertume  ,  par  une 
indigne  spoftafie  ;  les  obliger  de  gémir 
encore  entre  le   veftibule  6c   l'Autel  ,  de 


lïi  Sur  la  Résurrection  de  N.  S. 
demander  à  Dieu  contre  vous  la  vengeance 
de  fon  Sang  profané  ;  &  au  lieu  que  vous 
êtes  leur  couronne  ,  leur  joie  &  leur  con- 
folation  ,  devenir  la  plaie  la  plus  doulou- 
reufe  de  leur  cœur  ?  Ne  rendez  donc  pas  , 
mes  Frères  5  les  foins  de  leur  zèle  ,  &  les 
travaux  de  votre  pénitence  ,  inutiles  iStaîe  ^ 
Ù  noUte  iterùmjugofervitutîs  contineri,  Con- 
fervez  letréfor  que  vous  venez  de  recevoir, 
jufqu'au  jour  du  Seigneur  ,  afin  que  vous 
puifliez  le  lui  préfenter  à  la  réfurrec^ion 
générale  ,  comme  le  gage  &  le  prix  de  la 
bienheureufe  immortalité. 


Alnfi  foit'iU 


AVIS. 


z. 


E  DlfcGurs  fulvant  cjl  une  mjînicîion 
familière  ,  faite  dans  quelque  Afjemblée  de 
charité  le  jour  de  la  Pentecôte.  Il  neft  pas 
écrit  dans  le  goût  des  Sermons  ;  mais  il  neft 
ni  moins  folide  ,  ni  moins  touchant  ;  & 
peut-être  que  Vair  de  /implicite  qui  y  règne 
ne  le  déprifcra  point  aux  yeux  des  connoif^ 
feurs. 


m 


=:^ 


s  E  R  M  O 

POUR    LE    JOUR 
DE    LA    PENTECOTE. 

Sur  les  camclcres  de  VEfprit  de  Jefiis-Chrijl 
G*  de  refprit  du  monde. 


Nos  autem  ,  non  fpiritum  hujiis  mundi  accepimus  , 
fed  Spiritum  qui  ex  Deo  elt.*^^ 

Poj/r  noiij ,  nous  n'avons  point  reçu  Vefprit  du 
monde  ,  mais  Vefprit  qui  vient  de  Dieu.  i.  Cor. 
&>  iz. 


L'E  S  p  R  I  T  de  Dieu  &  refprit  du 
inonde  ,  dit  S.  Augiiftin  ,  forment  ici- 
bas  deux  cités  ,  Babylone  &  Jérufalem  , 
qui  ont  chacune  leurs  loix  ,  leurs  maxi- 
mes 5  leurs  citoyens  ,  &  qui  s'élevant  de- 
puis le  commencement  du  monde  fur  la 
terre  ,  ont  toujours  féparé  invifibîement  ôc 
aux  yeux  de  Dieu  ,  les  enfans  du  Ciel , 
des  enfans  du  (iecle. 


DE  LA  Pentecôte,  215 
Ces  deux  efprits  partagent  tout  l'uni- 
vers ,  les  villes ,  les  empires ,  les  fiiinilles  : 
ils  font  répandus  fur  tous  les  états  ,  les 
Grands  &  le  peuple  ;  dans  tous  les  lieux  , 
le  monde  &:  la  retraite  ,  la  Cour  &:  les 
cloîtres.  Qui  que  vous  foyez  ,  vous  qui 
m'écoutez  ,  vous  appartenez  à  l'un  de  ces 
deux  efprits  :  vous  êtes  citoyen  de  l'une 
de  ces  deux  cités  ;  c'eft-à-dire  ,  que  vous 
appartenez  ,  ou  à  Babylone  ,  ou  à  Jéru- 
falem  :  vous  êtes  animé  ,  ou  de  Tefprit  de 
Jefus-Chrift,  ou  de  Tefprit  du  monde.  Il 
eft  impcffible  d'être  en  même  temps  à  tous 
les  deux  ,  dit  Jefus-Chriil  :  il  eft  encore 
plus  im.poflible  de  n'être  ni  à  l'un  ni  à  l'au- 
tre :  on  ne  peut  ni  fe  partager ,  ni  ne  pas 
fe  donner;  &  comme  il  faut  nécelfaire- 
ment  qu'un  domine  dans  notre  cœur  ,  il 
eft  nécelTaire  que  notre  cœur  appartienne 
à  un  maître  ,  à  l'amour  du  m.onde,  ou  à 
l'amour   de  Jefus-Chriil. 

Voilà  la  utuation  de  tous  les  hommes  ; 
nous  avons  tous  opté  entre  ces  deux  par- 
tis. Nous  fommes  encore  confondus  en- 
femble  ,  à  la  vérité  ,  par  des  dehors  qui 
nous  font  communs  ;  par  des  devoirs  ex- 
térieurs que  nous  rempliiroas  tous  égale- 
ment ;  par  les  nécefliîés  corporelles  auf- 
quelles  nous  fommes  tous  encore  affùjettis  : 
mais  un  efprit  invi(ib!e  nousfépare  &  nous 
diltingue  :  nous  portons  au  dedans  un 
homme  intérieur  bien  différent  ;  le  prin- 
cipe qui  nous  pouiTe  &  qui  nous  anime  , 
n'eil  pas  le  même  ;  &  Dieu  qui  ne  juge  de 


ii6  Le   Jour 

nous  5  que  par  ce  que  nous  femmes  au  de- 
dans ,  fait  bien  déuiêler  dans  cette  confu- 
fîon  où  nous  vivons ,  ceux  qui  ne  font  pas 
à  lui  ,  de  ceux  qui  lui  appartiennent. 

Il  s'agit  donc  aujourd'hui  de  nous  dé- 
mêler nous-mêines  :  &  de  nous  demander  à 
qui  nous  appartenons  ;  de  quel  côté  efl  no- 
tre cœur;  quel  eft  l'amour  dominant  ré- 
pandu fur  nos  aérions ,  fur  ne  s  defirs  ,  fur 
nos  penfées  ;  en  un  mot  ,  fî  nous  vivons 
de  l'Efprit  du  monde  ,  ou  de  l'Efprit  de 
Jefus-Chrift. 

Il  eft  fi  aifé  de  fe  faire  illufion  à  foi  nie - 
me  5  &:  de  fe  calmer  fur  quelques  appa- 
rences de  bien  ,  fur  Féloignemcnt  de  cer- 
tains excès  ,  fur  la  participation  même  des 
faints  ?vlyfteres  ,  tandis  que  le  cœur  eft 
mondain  ,  corrompu  ,  mort  aux  yeux  de 
Dieu  ;  que  nous  ne  faurions  trop  réveiller 
là-deifus  nos  craintes   &   notre    défiance. 

Or  mes  Frères ,  pour  nous  juger  nous- 
mêmes  5  félon  les  règles  de  la  Foi  ,  & 
éviter  de  nous  féduire  ,  nous  n'avons  qu'à 
examiner  ici  ce  que  c'eft  que  l'Efprit  de 
Jefus-Chrift  ,  &:  ce  que  c'eft.  que  l'Efprit 
du  monde  ;  &  en  rembarquant  les  caractè- 
res difterens  que  les  Livres  faints  leur  attri- 
buent ,  décider  auquel  des  deux  nous  ap- 
partenons 5  &  Cl  nous  pouvons  dire  en  ce 
grand  jour  avec  la  même  coniiance  que 
l'Apôtre  :  Pour  nous  ,  nous  n'avons  pas 
reçu  l'efprit  du  monde  ,  mais  i'Efpiit  qui 
vient  de  Dieu. 

Le 


DE  LA  Pentecôte.       217 


E  premier  caraftere  de  rEfprit  de  Je-  j> ^• 
fus-Chrill  j  c'eft  d'être  un  Efprit  de  fépa- 
ratioii  ,  de  recueillement  &  de  prière.  A 
peine  les  Apôtres  en  ont  été  remplis ,  qu'ils 
renoncent  à  tous  les  autres  foins  extérieurs , 
pour  ne  vaquer  plus  qu'à  la  prière  ,  &  au 
miniftere  faint  de  fa  parole.  Ces  hommes, 
qui  auparavant  ne  pouvoient  foutenir  une 
heure  entière  de  recueillement  avec  Jefus- 
Chrill;  qui  ignoroient  même  comment  il 
falîoit  s'y  prendre  pour  prier  ;  qui  méri- 
toient  même  que  Jefus-Chrift  leur  repro- 
chât ,  que  jufques  là  ils  n'avoient  rien  .de- 
mandé en  fon  nom  :  ces  hommes ,  dès  que 
l'Efprit  de  JefusChrift  eft  defcendu  fur 
eux  ,  &  qu'il  a  pris  poiTefTion  de  leur  cœur, 
ils  perféverent ,  dit  faint  Luc  ,  dans  la 
prière  avec  les  Fidèles  ;  ils  fe  rendent  af- 
iiduement  au  Temple  aux  différentes  heu- 
res de  la  journée  ,  pour  y  lever  leurs 
mains  pures  au  Ciel.  Si  la  Sinagogue  les 
perfécuîe  ,  ils  trouvent  dans  la  prière  la 
confolation  la  plus  folide  de  leurs  peines  : 
il  Ton  Iqs  enferme  dans  des  prifons  ,  ils 
font  retentir  ces  lieux  d'horreur  ,  de  can- 
tiques d'allégrelle  &:  d'aftions  de  grâces  : 
fî  Pierre ,  dans  les  liens  &  enlevé  au  trou- 
peau y  leur  fait  craindre  que  le  Payeur 
frappé  5  les  brebis  ne  fe  difperfent  ,  ils  ont 
recours  tous  enfemble  à  la  prière;  &:  ce 
font ,  dit  faint  Luc  ,  leurs  fupplications  ' 
ferventes  &  contiauelles ,  qi:i  obtiennent 
Myjlcrcs.  K 


2iS  Le    Jour 

de  Dieu  la  délivrance  de  cet  Apôtre.  Eiî- 
£n  5  ces  hommes  fi  charnels  ,  fî  diiîîpés ,  û 
ennemis  du  recueillement  &  de  la  con- 
trainte 5  deviennent  tout  d'un  coup  des 
hommes  de  prière,  des  hommes  intérieurs, 
fpirituels ,  recueillis ,  dont  la  converfation 
eil'dans  le  Ciel  ;  &:  qui  font  au  milieu  de 
Jérufalem  ,  aufîi  occupés  de  Jefus-Chrift  , 
aufîi  pleins  de  Tes  merveilles  &  defes  bien- 
faits ,  que  s'ils  étoient  encore  fur  la  mon- 
tagne de   Gaiilée. 

Voilà  5  mes  Frères ,  le  premier  chan- 
gem.ent  que  l'Efprit  de  Dieu  opère  dans 
lîne  am.e.  Com_me  il  prend  la  place  de  Vef- 
prit  du  m.onde  dans  fon  cœur  ;  qu'il  change 
îés  defirs  y  fes  vues  ,  fes  inclinations  ,  fes 
pepfëes  ;  qu'il  lui  rend  ,  ou  indifTérens  ,  ou 
odieux  5  tous  les  objets  qui  l'environnent, 
fur  lefqueîs  auparavant  elle  trouvoit  tant  de 
plaifirs  à  fe  répandre  ,  &  qu'il  rappelle  dans 
fon  cœuï  le  Dieu  de  paix  &  de  confola- 
tion  5  qui  jrifques-là  en  avoit  été  banni  ;  il 
lui  fait  trouver  tout  fon  bonheur  &  tout 
fcn  plaifir  en  elle  même  :  la  plus  douce 
occ'jpaîion  de  cette  ame  que  l'Efprit  de 
Dieu  pouile  &  remplit ,  c'eft  de  fe  rap- 
peller  à  elle-même.  Comme  c'eft  au  de- 
dans d'elre  qu'elle  trouva  fon  Dieu  ,  elle 
n'en  fort  qu'à  regret ,  pour  ainfî  dire  ;  elle 
y  levient  fans  celFe  au  milieu  mêm.e  des 
difiipations  Se  des  devoirs  extérieurs  ,  que 
la  bienféance  rend  inévitables  ,  &  qui  de- 
vroient  ^  ce  femible  ,  l'en  diftraire  :  elle  fe 
fait  au  milieu  même  du  tumulte  &  des  en- 


DE    LA    Pentecôte.      210 

tretiens  du  fiecle  ,  une  folitude  fecrette  dans 
ion  cœur,  où  elle  s'entretient  fans  celle 
avec  le  Seigneur  qui  y  fait  fa  demeure  ; 
ou  elle  fe  plaint  à  lui  de  la  trifte  néce/îité 
qm  1  engage  encore  en  des  occupations  & 
des  bienfeances  mondaines  ;  où  elle  lui  fait 
réparation  par  des  retours  continuels  d'à- 
niour  &  de  zele  ,  de  tous  les  outrages 
dont  elle  ed  forcée  d'être  témoin  :  où 
elle  en  appelle  à  fa  Loi  &  à  fa  vérité  ,  de 
toutes  les  fauffes  maximes  qu'elle  entend 
lans  ceiie  débiter  parmi  les  liQmmes  ;  où 
enfin  ,  elle  vit  &  réiide  bien  plus  que  dans 
les  difîipations  extérieures  où  {on  état 
l'engage  ,  mais  où  (on  cœur  ne  fe  trouve 
pas. 

Et  voilà  pourquoi  S.  Paul  appelle  l'hom- 
me Chrétien  ,  l'homme  fpirituel  &  inté- 
rieur ;  &:  l'homme  mgndain  &  pécheur 
l'homme  extérieur.  C'eft-à-dire  ,  que  dès 
.qu'une  ame  a  reçu  l'Efprit  de  Dieu  ,  & 
qu'elle  en  eft  véritablement  animée  ,  toute 
fa  vie  ell  prefque  invifible  &  intérieure  ; 
tout  ce  qu'elle  fait  ,  part  de  ce  principe 
divin  &  inviiible  qui  la  remplit.  Les  ac^ 
tions  même  les  plus  communes  deviennent 
faintes  par  la  Foi  fecrette  qui  les  purifie* 
qu'elle  mange  ,  qu'elle  fe  réjouiife  ,  qu'elle 
pleure  ,  qu'elle  foit  dans  l'élévation  ou 
dans  l'obfcurité  ,  dans  l'abondance  ou  dans 
Ja  mifere  ,  dans  la  fauté  ou  dans  la  mala- 
die ,  elle  trouve  dans  tous  fes  états  ,  des 
lources  de  réflexions  faintes.  Tour  ce 
qu^elle  voit ,  elle  ne  le  voit  plus  qu'a^/ec 

K2 


110  Le    Jour 

les  yeux  de  la  Foi.  Les  événemens  &  les 
viciflitudes  du  monde  ;  les  révolations 
àes  Etats  &  des  Empires  ;  la  décadence 
ou  l'élévation  des  familles  ;  l'abondance 
ou  le  malheur 'des  fiecles  ;  la  licence  ou 
le  renouvellement  des  mœurs  ;  les  chûtes 
des  Juftes  ou  la  converfîon  des  pécheurs  ; 
î'affoiblilTement  ou  le  règne  de  la  vérité 
parmi  les  hommes  ;  la  difFenfion  ou  la  paix 
des  Payeurs  &:  des  Eglifes  ;  les  difgraces 
ou  la  faveur  des  particuliers  ;  enfin  ,  toutes 
ces  révolutions  éternelles  ,  que  la  figure 
du  monde  offre  fans  celle  à  nos  yeux  ,  & 
qui  ne  réveillent  dans  les  âmes  mondaines, 
que  les  paillons  du  monde ,  &  des  penfées 
de  chair  &i  de  fang  ,  font  des  inftruc- 
tions  fecrettes  &  continuelles  à  une  anie 
remplie  &  anim^ée  de  l'Efprit  de  Dieu. 
Tout  la  rappelle  aux  vérités  de  la  Foi  ; 
tout  lui  montre  dans  un  nouveau  jour  ,  le 
néant  des  chofes  humaines .  &  la  grandeur 
des  biens  éternels  :  le  monde  entier  n'eft 
plus  qu'un  livre  ouvert  ,  où  elle  découvre, 
fans  celle  les  merveilles  de  Dieu  ,  &  l'a- 
veuglement prodigieux  de  prefque  tous 
les  hommes. 

Ce  n'eft  pas  que  les  objets  des  fens  ne 
puiifent  quelquefois  la  furprendre  &  la  fé- 
duii  e  ;  qu'elle  ne  fe  laiiTe  en  certains  mo- 
mens  ,  emporter  au  torrent;  que  fa  foi 
mclus  attentive  ne  cède  quelquefois  à  l'im- 
preHlon  des  préjugés  &  des  maximes  hu- 
maines ;  &  que  les  diffipations  du  monde 
ne  Ferriporteiit  fouvent  hors  d'elle-même  , 


DE  LA  Pentecôte.  m 
&  ne  lui  faflent  perdre  de  vue  la  préfence 
du  Dieu  qu'elle  porte  dans  fon  cœur.  Mais 
ce  ne  font  là  que  des  furprifes  &  des  ab- 
fences  d'un  moment ,  pour  ainfi  dire  :  aver- 
tie d'abord  de  fon  égarement  par  les  repro- 
ches fecrets  de  TEfprit  de  Dieu  qui  habite 
en  elle  ,  elle  recueille  aufli-tôt  fon  cœur  éga- 
ré ;  elle  rentre  dans  fon  ame  ,  d'où  le  monde 
i'avoit  Qpmme  tirée  ;  elle  revient  dans  ce 
fan(B:uaire  domeltique  ,  y  faire  réparation  à 
fon  Dieu  de  ce  moment  d'abfence  &  de 
diiUpation ,  par  des  gémilfemens  fecrets  , 
&  par  des  aveux  touchans  &  finceres;  que 
plus  elle  fe  répand  au  dehors  ,  plus  elle 
trouve  que  le  monde  n'eft  qu'un  grand 
vuide;  &  qu'un  cœur  où  Dieu  habite  ,  eft 
la  fource  des  vrais  plaifirs. 

Voilà  cet  efprit  de  Foi  ,  de  recueille- 
ment S:  de  prière  ,  qui  zc'J5  rend  îchîui- 
gnage  que  nous  avons  reçu  l' efprit  de  Dieu , 
&  qu'il  habite  en  nous  :  voilà  cette  vie  in- 
térieure 6c  fpirituelle  qui  diftingue  les  Juf- 
tes  des  mondains  ,  &  qui  eft  le  caractère 
le  plus  effentiel  de  la  piété  chrétienne. 

Aufîi  les  Juftes,  dans  les  Livres  faints  , 
font  ceux  qui  vivent  de  la  Foi  ;  dont  /la 
converfation  eft  dans  le  Ciel  ;  qui  n'ont  de 
goût  que  pour  les  chofes  d  en  haut  ;  qui 
lifent  de  ce  monde  comme  s'ils  n'en  uibient 
pas  ;  qui  le  regardent  comme  une  figure 
qui  paffe  ;  qui  n'arrêtent  pas  leurs  yeux  fur 
les  chofes  viiîbles ,  mais  qui  attendent  les 
invifibles  comme  s'ils  les  voyoient  déjà  : 
qui  ne  jugent  pas  de  tout  ce  que  les  hom- 

K   S 


222  Le    Jour 

mes  eftiment  fur  ce  qui  paroît ,  mais  fut 
la  vérité  qui  ne  paroît  pas  ;  qui  font  étran- 
gers &  voyageurs  fur  la  terre  ;  qui  font 
citoyens  du.fiecle  à  venir  ;  qui  rapportent 
tout  à  cette  Patrie  éternelle  vers  laquelle 
ils  marchent  fans  ce/Te  ;  &  ne  comptent 
pour  rien  tout  ce  qui  paiîe  ,  &  ne  doit  pas 
demeurer    toujours. 

En  effet ,  dès  que  l'Efprit  de  Dieu  eft 
devenu  Fefprit  dominant  qui  nous  conduit 
&  qui  nous  anime  ,  il  doit  régler  nos  defîrs  , 
réform.er  nos  jugemens  ,  renouveller  nos 
afFeâ:ions  ,  fpiritualifer  nos  vues ,  nous  ren- 
dre à  nous  mêmes  :  nous  ne  devons  plus 
voir  que  par  les  yeux  de  l'Efprit  ;  agir  que 
par  rimpre/Tion  de  cet  Efprit  ;  ne  plus  de- 
iîrer  que  les  biens  fpirituels  :  enfin  ,  toute 
notre  vie  doit  être  fpirituelle  ,  &  comme 
ia  vie  de  Dieu  en  nous.  Car  un  cccîâvre 
animé  par  un  efprit  étranger,  n'a  de  mou- 
vement que  par  lui  ;  point  d'impreffions 
que  les  fiennes  ;  point  de  penfées  que  cel- 
les que  Fefprit  qui  Thabite  ,  forme  en  lui  : 
il  n  eitpius  à  lui  ,  pour  ainfi  dire  ;  il  efl  à 
refprit  qui  le  remplit  &  qui  le  pofTede. 

C'eft  à  nous  maintenant ,  mes  Frères ,  à 
nous  juger  fur  cettte  règle.  Trouvons- nous 
en  nous-mêmes  ce  premier  caraâ:ere  de 
l'Efprit  de  Dieu  ?  Exaniinons  ce  qui  domi- 
ne dans  nos  jugemens,  dans  nos  defîrs, 
dans  nos  affetftions  ,  dans  nos  vues  ,  dans 
nos  projets  ,  dans  nos  efpérances ,  dans  nos 
joies  ,  &:  dans  nos  chagrins  :  enfin  ,  dans 
tout  le  détail  de  notre  vie.  Je  ne  demande 


DE  LA  Pentecôte.  223 
pas  fi  refprit  du  monde  nous  féduit  quel- 
quefois. Hélas  !  où  ell:  l'ame  fîdele  ,  qili  au 
milieu  des  périls  dont  nous  fommes  en- 
vironnés ,  ne  fe  laiffe  fouvent  furprendre 
par  fes  illufions  &  par  {es  artifices  ?  Pvlais 
je  demande  ,  ii  c'eft  FEfprit  de  Dieu  ,  ou 
Telpritdu  monde  ,  qui  nous  pollede  &  qui 
domine  en   nous. 

Et  quand  je  dis  que  je  le  demande  ,  ce 
n'eft  pas  que  je  l'ignore  ;  ce  n'efl  que  pour 
vous  obliger  à  vous  le  demander  à  vous- 
même  :  car  d'ailleurs  ,  les  règles  de  la  Foi 
ne  me  permettent  pas  de  douter  que  la  vie 
de  la  plupart  des  perfonnes  qui  m'écoutent , 
de  celles  mêmes  qui  vivent  dans  la  pro- 
fefTion  extérieure  de  U  ^«3^3  ^  -3  f^j^  ^^^ 
vie  toute  pleine  de  l'efprit  du  monde  ,  & 
parconféquent,  vuide  de  l'Efprit  de  Dieu  , 
indigne  du  falut  &  des  promefiés  éter- 
nelles. 

Premièrement  5  parce  que  c'eft  une  vie 
toute  extérieure  ,  qui  fe  paffe  toute  hors 
de  notre  cœur  ,  &:  par  conféquent,  loin  de 
Dieu.  Les  bienféances  nous  amufent ,  les 
devoirs  nous  occupent  ,  les  plailirs  nous 
diflipent ,  les  affaires  nous  inquiètent ,  l'inu- 
tilité nous  lafTe  ,  rien  de  tout  cela  ne  nous 
rappelle  à  nous-mêmes  &  à  notre  cœur. 
Les  œuvres  mêmes  de  la  piété  ne  fauroient 
fixer  la  dilîipation  de  notre  ame  :  notre 
cœur  eft  au  monde ,  tandis  que  nous  confa- 
crons  notre  corps  à  des  exercices  pieux  : 
notre  efprit  erre  fur  mille  vains  objets,  tan- 
dis que  notre  bouche  s'ouvre  pour  réciter 

K4 


224  Le     Jour 

de  faints  cantiques  :  notre  imagination  cft 
pleine  dephantômes  dangereux ,  tandis  que 
îîous  voulons  y  retracer  le  fouvenir  des 
•myfteres  du  falut  :  enfin ,  dans  des  mœurs  ré- 
glées au  dehors  ,  &  louables  aux  yeux  des 
hommes ,  nous  fommes  toujours  pourtant 
étrangers  à  nous-mêmes  :  nous  nous  fuyons 
nous-mêmes  ;  nous  cherchons  les  amufe- 
mens  qui  nous  difîipent  :  nous  craignons  de 
nous  retrouver  avec  nous-mêmes  ;  marque 
infaillible  que  Dieu  n'y  habite  pas.  Car  fi 
Dieu  habitoiî  en  nous  5  nous  nous  plairions 
avec  nous-mêmes  ;  nous  ne  craindrions  pas 
notre  cœur  ,  ou  nous  trouverions  notre  tré- 
for  &  le  Dieu  de  toute  notre  confolation  : 
hôus  siîrions  de  iapciûC  r.zême  à  nous  quit- 
ter 5  parce  que  nous  ne  trouverions  rietî  au 
dehors  qui  pût  remplacer  la  préfence  du 
Dieu  dont  nous  nous  éloignons^  Mais 
comime  en  revenant  à  nous  ,  nous  n  y  trou- 
vons que  nous-mêmes  ;  c'eft  à-dire  ,  un 
cœur  vuide  de  vrais  plaifirs  &  de  biens 
folides ,  plein  de  pafiions ,  de  defirs  &  d'in- 
quiétudes ,  nous  ne  pouvons  durer  avec 
nous  mêmes  ;  &  de-là  nous  juftifions  les 
inutilités  &  les  plaifirs  qui  nous  aident  à 
nous  oublier  ;  nous  foutenons  qu'ils  font 
innocens ,  parce  que  nous  en  banifibns  tout 
ce  qui  peut  aller  au  crime  ^  mais  nous  ne 
voyons  pas  que  nous  en  retenons  tout  ce 
qui  dilTipe  &:  emipêche  le  recueillement , 
&  que  c'eft  là  notre  grand  crime. 

Secondement ,  je  dis  que  notre  vis  eit 
une  vie  pleine  de  l'eiprit  du  monde  ,  & 


DE  LA  Pentecôte.        215 

vuide  de  l'Efprit  de  Dieu  ;  non-feulement 
parce  que  notre  vie  n'eft  pas  intérieure  & 
recueillie ,  mais  encore  parce  que  c'efl  l'e^ 
prit  du  monde  qui  en  forme  les  defirs ,  qui 
en  conduit  les  afFecTtions  ,  qui  en  règle  les 
jugemens  ,  qui  en  produit  fes  vues  ,  qui  en 
anime  toutes  les    démarches,   ^ur   toutes 
les  chofes  qui  nous  environnent  ,  fur  tous 
les  événemens  qui  nous  frappent-,  fur  tous 
les  objets  qui  nous  intéreffent,  nous  pen- 
fons  comme  le  monde;  nous  jugeons  com- 
me le  monde  ;  nous  fentons  comme  le  mon- 
de ;  nous  agiiFons  comme  le  monde.  Les 
affligions  nous  rebutent  ,  les  profpérités 
nous  élèvent ,  les  mépris  nous  révoltent , 
les  honneurs  nous  flattent.  Ceux  qui  réuC- 
fîflent  dans  le  monde  ,  nous  les  appelions 
heureux;  ceux  qui  échouent ,  nous  paroif- 
fent  dignes  d'être  plaints.    Nous  envions 
la  fortune  ou  la  faveur  de  nos  fupérieurs  ; 
nous  fouffrons  impatiemment  celle  de  nos 
égaux  ;    nous  regardons    avec  mépris  la 
condition  de  ceux  que  la  nature  nous  afTu- 
jettit.  Les  talens  que  le  monde  admire , 
nous  les  admirons  dans  les  autres  ;  nous 
nous  les  fouhaitons  à  nous-mêmes  :  la  va- 
leur 5  la  réputation ,  la  naiïïance  ,  les  agré- 
mens  du  corps  &  de  l'efprit ,  nous  le*  en- 
vions 5  s'ils  nous  mancfuent  :  nous  nous  en 
applaudifTons ,  fi  nous  les  avons:  enfin  5  nos 
vues  5  nos  jugemens ,  nos  maximes  j  nos 
defirs  ,  nos  eipérances  font  toutes  m.ondaî- 
nes.  Il  fe  peut  faire  que  nous  parlions  du 
nioade  avec  m.épris  )  mais  dans  le  détail  de 

K5 


zi6'  Le     Jour 

la  conduite  ,  nos  vues  ,  nos  jugemens,  nos 
Effeâions  font  toujours  mondaines.  Il  fo 
peut  faire  même  que  nous  y  mêlions  quel- 
ques fentim.ens  chrétiens  ;  qu'en  certaines 
occafions  nous  ayons  des  vues  conformes 
à  celles  de  la  Foi  ;  que  fur  certains  événe- 
mens ,  nos  difpofitions  foient  chrétiennes 
&  fpirituelles  :  mais  ce  ne  font  là  que  des 
étincelles  de  Foi ,  pour  ainfî  dire  ,  qui  nous 
échappent  ;  que  des  intervalles   de  grâce 
qui  n'interrompant  que  pour  un  inftant  le 
cours  de  nos  difpofitions  mondaines.   Ce 
qui  domine  dans  la  conduite  ,  ce  qui  fait 
Gom.me  le  corps  de  toute  notre  vie  ,  ce  que 
nous  fommes,  même  indépendamment  de 
nos  réflexions  ,  &  lorfque  nous  agilfons 
Baturellement  ;  en   un   mot  ,  le  principe 
conllanî  &  comme  univerfel  de  tous  nos 
fentimens  intérieurs  èi  de  toutes  nos  de- 
marches  extérieures  ,  c'eft  l'efprit  du  mon- 
de :  nous  n'avons  qu'à  fonder  notre  cœur 
pour  en  convenir.   Or  ,  l'Efprit  de  Dieu 
ïî'eft  point  où  règne  l'efprit  du  monde  :  il 
Kous  pou ITe  peut-être  ,  il  nous  excite  ,  il 
nous,  infpire  de   faints  defîrs  ,  il  reveille 
notre  peu  de  foi  ;  m.ais  il  ne  règne  pas  dans 
notre  CŒur  ;  il  heurte  à   la  porte  ;  mais 
rous  ne  l'avons  pas  encore  reçu  :  il  laiffe 
tomiber  fur  notre  am^e  quelques  étincelles 
cle  fcn  feu  divin  ;  mais  il  n'y  eft  pas  encore 
t'enu  lui-raêrre. 

Nous  appartenons  donc  encore  au  mon- 
.  de  &  à  fon  efprit.  Sous  des  dehors  reli- 
gieux ôc  réglés  5  notre  cœur  eH  donC/ eji- 


DE  LA  Pentecôte.  127 
core  mondain  ;  avec  des  apparences  de  vie  , 
nous  demeurons  donc  encore  dans  la  mort 
&  dans  le  péché  :  voilà  fur  quoi  on  ne 
s'examine  guère.  On  juge  de  foi  par  la' 
conduite  extérieure  qui  eii  irréprochable, 
par  certaines  œuvres  de  Religion  aufquel- 
les  le  monde  attache  le  nom  &:  la  réputa- 
tion de  la  piété  ;  mais  on  ne  s'avife  guère 
de  fe  demander  à  foi-même  :  Eft-ce  Felprit 
du  monde  ,  ou  l'Efprit  de  Jefus-Chrift  , 
qui  me  conduit  &  qui  m'anime?  reiTcmblai- 
je  encore  au  monde  par  mes  defirs ,  par  mes 
vues  5  par  mes  jugemens ,  parmes  joies ,  pat 
mes  chagrins ,  par  mes  envies  ,  par  mes  ani- 
mofîtés  5  par  mes  délicateiies ,  par  mon  or- 
gueil ;  enfin  ,  par  toutes  les  difpolitions  de 
mon  cœur  ?  Je  n'appartiens  donc  pas  à 
l'Efprit  de  Jcfus-Chrift  ;  le  monde  eil:  donc 
encore  l'Efprit  invifible ,  qui  m/anime  &  qui 
me  poiTede.  Si  mon  cœur  ne  change  ck  ne 
fe  renouvelle  ,  je  périrai  doue  avec  le  mon- 
de ;  puifqu'il  eft  déjà  jugé  ,  que  le  falut  n'eft 
pas  pour  lui  ,  &  que  fa  condamnation  eil 
iaféparable  de  la  m.ienne  ^  tandis  que  nous« 
ne  formerons  qu'un  m.ême  efprir  &  ua 
même  tout  avec  lui.  Première  Réflexion,, 

E  fécond  caraétere  de  FEprit  de  Dieu  ,    j^vZ;, 
c'ed  qu'il  eft  un  efprit  de  renoncement  & 
de  pénitence  ;  &  ce  cara£lere  eft  une  faite, 
néceftaire  du  recueillement  ,   &  de  la  vie; 
intérieure  dont  nous  venons  de  parier. 

En  effet ,  mes  Frères  ,  dès  que  l'Efprit 
de  Dieu  nous  rappelle  à  nous-mém.es  ♦•& 


2.28  L  E     J  O  U  R 

.  qu'il  nous  fait  habiter  dans  notre  cœur  ,  il 
nous  découvre  nous-mêmes  à  nou&-^îéx»€s. 
Il  nous  montre  toute  l'horreur  de  nos 
mœurs  paiTées  ;  il  nous  fait  appercevoir  en 
Kous  mille  paflions  &  mille  miferes ,  que 
la  dilTipation  &  l'aveuglement  de  la  vie 
mondaine  nous  avoient  cachées  ;  il  nous 
développe  toute  la  corruption  de  nos  pen* 
chans ,  toute  l'enflure  de  notre  cœur ,  toute 
î'oppofition  que  nous  portons  en  nous  au 
bien  &:  à  la  juftice  ,  toutes  les  plaies  que 
le  monde  &  les  paflions  ont  faites  à  notre 
ame  ;  11  nous  convaint  que  nous  fom^mes 
dans  un  défordre  univerfel  ,  par  rapport 
aux  biens  véritables;  que  notre  volonté, 
notre  efprit ,  notre  imagination  ,  nosfens, 
notre  corps  ,  que  tout  eft  déréglé  en  nous , 
&  révolté  contre  l'ordre  ,  la  vérité  &  îa 
îoan  P^^^^  •  -^•''g"^^  mundum  de  peccaîo  ,  dit 
8.46,*    Jefus-Chrlft. 

Or  5  il  eftimpofTible  qu'en  nous  décou- 
vrant ce  dérèglement  fecret  &:  univerfel  de 
toutes  les  facultés  de  notre  am;e,  il  n'opère 
en  nous  deux  difpofitions  :  la  première  ,  de 
rétablir  l'ordre  que  le  péché  a  troublé  en 
nous  ;  la  féconde  ,  de  venger  la  juftice  de 
Dieu  que  ce  défordre  a  outragée. 

Je  dis  premièrement  5  de  rétablir  l'ordre 
que  le  péché  a  troublé  en  nous  :  car  les 
lumières  dont  l'Efpriî  de  Dieu  remplit  un 
cœur  5  ne  font  pas  des  lumières  ftériles  ;  ce 
font  des  lumières  vives  &  efficaces  ;  il 
operQ  par- tout  où  il  eft  ;  il  fait  aimer  les  vé- 
Jtikés  qu'il  enfeigue  ,  parce  qu'il  change  le 


DE  LA  Pentecôte.  119 
cœur  qu'il  éclaire.  Les  aines  mondaines 
peuvent  à  la  vérité  connoître  le  dérègle- 
ment de  leur  cœur ,  5c  la  corruption  de 
leurs  penchans  ;  mais  elles  ne  laconnoifTent 
que  par  rapport  à  leur  repos  qui  en  foufFre  , 
&  non  pas  à  l'ordre  qui  en  eft  troublé  ;  & 
comme  ces  lumières  ne  font  que  des  re- 
proches fecrets  de  leur  amour  propre , 
elles  leur  font  bien  haïr  leurs  maux  ;  mais 
elles  ne  leur  en  font  pas  aimer  le  remède. 

Mais  une  ame  que  TEfprit  de  Dieu  a 
renouvellée  ,  hait  en  elle  tout  ce  qu'elle  y 
découvre  d'oppofé  à  la  vérité  &  à  la  jufti- 
ce.  Les  lumières  nouvelles  qui  lui  mon- 
trent prefque  fur  chaque  aftion  le  dérègle- 
ment de  fes  affections  &  de  (es  penchans, 
l'animent  du  faint  zeîe  ,  pour  les  rapp>ro- 
cher  de  l'ordre  &  de  la  règle. 

Ainfi  ,  à  mefure  qu'elle  fenî  dans  le  dé- 
tail de  fa  conduite  ,  que  fon  cœur  encore 
corrompu  par  l'orgueil ,  fe  révolte  contre 
la  plus  légère  humiliation  ,  elle  les  cherche 
&  lui  en  ménage  ;  qu'il  fe  livre  à  des  anti- 
pathies &  à  des  animofités  fecrettes,  elle 
le  punit  par  des  marques  extérieures  de 
complaifance  &  de  charité  ,aufquelles  elle 
fe  condamine  ;  qu'il  a  un  goût  violent  pour 
les  diffipations  &:  po^ur  les  pîaifirs  ,  elle  le 
châtie  par  le  recueillement  &  par  la  retrai- 
te ;  qu'il  conferve  encore  des  attachemeas 
vils  &  frivoles  ,  pour  la  parure  &  pour  la 
vanité  ,  elle  le  réduit  par  la  fimplicité  &  par 
la  modeftie  ;  que  les  defirs  de  plaire  infec- 
ter tprefque  encore  toutes  fes  aâions ,  elle 


230  L  E      J  O  U  R 

en  fuit  les  occafions ,  ou  elle  en  néglige  les 
moyens  ;  que  certains  devoirs  le  trouvent 
toujours  indocile  &  rebelle  ,  elle  y  ajoute 
même  des  œuvres  de  furcroh  ,  afin  qu'en 
l'obligeant  d'aller  môme  au  delà ,  elfe  lui 
rende  la  règle  plus  fupportable. 

Enfin  ,  toute  fon  a^ention  eil  de  réta- 
blir dans  fon  cœur  ,  par  des  violences  con- 
tinuelles 5  l'ordre  que  des  paflions  injuftes 
y  avoient  troublé  ;  elle  ne  fe  pardonne 
rien  ;  ce  qu'elle  ne  peut  encore  corriger  , 
elle  le  détefte  ;  elle  a  recours  aux  gémifle- 
mens  ,  quand  le  foins  &  les  efforts  font 
inutiles  ;  &  elle  fouffre  plus  des  miferes 
qu'elle  ne  peut  encore  guérir  ,  que  des 
violences  qu'elle  fe  fait  pour  fe  délivrer  de 
celles  dont  la  grâce  la  purifie. 

Voilà  la  première  difpofition  de  cet  ef- 
prit  de  renoncemicnt  &  de  pénitence  ,  que 
l'Efprit  de  Dieu  opère  en  nous  ;  8^  de-îà  ^ 
il  eil  aifé  de  juger  fi  nous  l'avons  reçu  y 
ou  fi  nous  vivons  encore  de  1  efprit  du 
monde. 

Car  refprit  du  monde  efl  un  efi^rit  de 
pareiTe  &  d'immortincation  ;  un  efprit  d'in- 
dulgence pour  tous  nos  penchans  déré- 
glés ;  d'attention  à  les  fatisfaire  ,  d'habi- 
leté à  les  juftifier  5  d'amour  propre  qui  les 
règle  &  le^  retient  fur  les  tranfgreiTions 
efiéntielles ,  pour  s'en  épargner  les  rem.ords, 
mais  qui  fur  tout  le  relie  s'y  livre  &  s'y 
laifTe  entraîner.  Car  il  ne  faut  pas  croire 
que  reprit  du  monde  nous  porte  toujours 
aux  défordres  grofiîers  &  déclarés  3  c'-€iî 


DE  LA  Pentecôte.        231 

un  efprit  artificieux  qui ,  comme  l'Efprit 
de  Dieu  ,  fait  prendre  différentes  formes  : 
Multiformis  fpiritus  :  ce  qu'il  cherche  , 
c'eft  de  corrompre  le  cœur  &  de  le  déré- 
gler ;  pourvu  qu'il  y  réufTifTe  ,  il  lui  eft  égal 
que  ce  foit  par  des  paffions  grofTieres ,  ou 
par  une  multitude  de  penchans  mondains  , 
qui  quoique  féparément  peut-être  ,  &  cotir 
fidérés  chacun  en  foi  ,  ne  foient  pas  cri- 
minels ,  tous  enfemble  néanmoins ,  &  fub- 
fiftant  habituellement  dans  le  cœur ,  en 
font  un  cœur  mondain  ,  &  y  forment  un 
état  de  mort  &  de  péché  ,  qui  nous  fépare 
de  Dieu  &:  nous  prive  de  fon  Efprit  ,  com- 
me la  vie  la  plus  criminelle. 

Ainfi  j'appelle  un  cœur  mondain  &  vui- 
de  de  l'Efprit  de  Dieu  ,  dans  une  vie  mê- 
me d'ailleurs  réglée  ,  un  cœur  immiortifié^ 
ennemi  de  la  violence  ,  &  qui  fur  tout  ce 
qui  regarde  fes  defirs  ,  ou  indifférens  ,  ou 
légèrement  mauvais  ,  ne  cherche  qu'à  fe 
fatisfaire  ,  &  ne  fauroit  rien  prendre  fur 
lui-même  :  un  cœur  qui  ne  veut  s'interdire 
que  ce  qui  l'éloigné  vifiblement  de  Dieu  y 
&  qui  encore  fur  les  devoirs  efTentiels  , 
pouiîe  la  parelTe  &  l'indulgence  pour  ks 
pafTions  ,  jufqu'aux  dernières  .bornes  qui 
rapprochent  du  crime  &  de  la  tranfgreiHon, 
fi  même  elles  ne  forment  pas  la  tranfgreiiion 
aux  yeux  de  Dieu  :  un  cœur  qui  fe  livre  à 
fes  animofités  &  à  fes  antipathies  ,  pourvu 
qu'elles  n'aillent  pas  jufqu'à  une  haine  ame- 
re  8c  furieufe  ;  à  fes  impatiences  &  à  fon 
luin^eur,  pourvu  qu'il  ne  les  parte  pas  juf- 


4 


17,1  L  E     JO  U  R 

qu'à  l'éclat  &  au  fcandale  ;  aux  difTipations 
&  aux  plaifîrs ,  pourvu  qu'on  en  bannifle 
les  excès  &  le  crime  ;  aux  defîrs  de  plai- 
re ,  pourvu  qu'ils  n'aient  pas  de  fuite  mar- 
quée &  criminelle  ;  à  l'amour  de  l'éléva- 
tion &  de  la  fortune  ,  pourvu  qu'on  n'y 
emploie  pas  des  mefures  ,  ou  odieufes  , 
ou  injufles  ;  à  la  recherche  des  aifes  &  des 
commodités  ,  pourvu  qu'on  n'y  miêle  pas 
des  voluptés  coupables  ;  à  la  vanité  &  à  la 
magnificence,  pourvu  que  le  monde  lui- 
même  n'en  foit  pas  blefTé  ,  &  qu'on  y 
ajoute  quelques  largefTes  faintes  ;  enfin  ,  à 
tous  les  adouciiîemens  poÏÏibles  fur  les  de- 
voirs 5  pourvu  qu'on  paroifTe  fauver  les 
devoirs   eux-mêmes. 

Voilà  ce  que  j'appelle  un  cœur  mon- 
dain 5  &:  oii  l'Efprit  de  Dieu  n'habite  pas , 
j3arce  que  tous  les  penchans  du  monde  y 
îubfiftent  ;  au  lieu  que  FEfprit  de  Dieu  fait 
en  nous ,  dit  l'Apôtre  ,  des  divifîons  &  des 
réparations  douîoureufes  ;  retranche  ,  cou- 
pe jufqu'au  vif ,  va  jufques  dans  les  plus  fe- 
crets  penchans  de  notre  cœur  féparer  la 
chair  de  Tefprit ,  les  affeclic-ns  humaines 
des  mouvemens  de  la  Foi  l'artifice  des 
psîlîons,  des  opérations  de  la  grâce:  Vi- 
Hehr*  y^^  (^  efficax ,  pertingens  ufque  ad  divifio  • 
^^ncrn  anima:  ac  fpirhus. 

Or  ,  eft-ce  là  l'efprit  que  nous  avons 
reçu  ?  Notre  vie  efl  préfentement  exemip- 
te  de  grands- crimes  ;  mais  quelle  violence 
faifons-nousà  tous  nos  penchans?  que  nous 
ep  €Oute-t-iI  pour  oous  combattre  à  tous 


DE    LA    Pentecôte.      2^^ 

momens  ,  &  pour  nous  vaincre?  que  re- 
fufons  nous  à  notre  cœur  &:  à  nos  defirs  ? 
qu'avançons-nous  par  Tufage  de  la  piété 
dont  nous  faifons  profeflion  ,  fur  nos^  incli- 
nations mondaines  &  déréglées  ?  où  pla- 
çons nous  les  facrifices  &  les  violences  dans  ^ 
le  détail  de  notre  vie  ?  Le  monde  nous  en 
ménage;  la  fituation  de  notre  fortune  nous 
en  fait  naître  ;  la  malice  des  hommes  nous 
en  fournit  des  occafions  :  où  font  celles  que 
nous  nous  ménageons  à  nous-mêmes  i  où 
font  celles  que  la  Foi  nous  rend  néceflaires  , 
&  où  rÊfprit  de  Dieu  nous  pouiTe  ?  que 
fouffrons-nous  pour  être  à  Dieu  ?  qu'en 
coûte-t'il  à  nos  palTions  ,  à  nos  commo- 
dités ,  à  notre  pareffe  ?  La  régularité  de 
nos  hiCÊurs  eftpeut-étre  une  fuite  du  tempé- 
rament ,  ou  une  bienféance  que  l'âge  & 
le  monde  lui-même  nous  impofe  ;  nous  n'a- 
vons eu  rien  à  prendre  fur  nous  pour  en 
venir  là  :  ainfi  ,  ne  refufant  rien  d'ailleurs  à 
toutes  nos  inclinations ,  toute  notre  vie  eft 
une  vie  d'immortifîcation  &  de  pareffe  ; 
nulle  violence  ,  nul  renoncement  ,  nul  fa- 
crifîce  de  nos  aiTe6lions  mondaines  ;  &  par 
conféquent  nous  appartenons  encore  au 
monde  ,  &:  rEfprit  de  Dieu  n*eft  point  en 
nous. 

La  féconde  difpofition  de  cet  efprit  de 
renoncement  &  de  pénitence  ,  qui  eft  le 
cara(9:ere  de  l'Efprit  de  Dieu  ,  eft  de  ven- 
ger la  juflice  de  Dieu  ,  que  le  défordre  de 
nos  pallions  a  outragée  :  c'eft- à-dire  ,  que 
ce  qui  aous  rend  la  violence  indifpenfable, 


46 


2M  L  E      J  O  U  R 

ii'eftpas  feulement  le  befoin  que  nous  avons 
de  régler  &  de  réformer  notre  cœur,  en 
réprimant  fes  aifecTtions  déréglées  ;  mais 
encore  l'obligation  où  nous  femmes  de  fa- 
tisfaire  à  la  juftice  de  Dieu  que  nous  avons 
irritée  par  le  dérèglement  de  nos  affec- 
tions. AuHi  eft-ce  le  premier  fentiment  que 
l'Efprit  de  Dieu  opère  dans  une  am.e  re- 
nouvellée  :  il  la  fait  entrer  dans  les  inté- 
rêts de  la  juftice  divine  contre  elle-même  ; 
il  la  pénètre  de  la  crainte  de  fes  jugemens  ; 
il  l'anime  d'un  faint  zèle  contre  une  chair 
qui  a  fervi  à  l'iniquité.  L'efprit  que  je  vous 
promets,  difoit  Jefus-Chriil  à  fes  Difci- 
Joan,d,  î^les  ,  Convaincra  le  monde  touchant  la  juf- 
tice  &  touchant  le  jugement  :  Arguct  mun- 
i^uffi  ae  jujntia  &  judiclo  ;  c'elt»  a-  aire  ,  il 
fera  connoître  aux  hommes  combien  ils 
font  devenus  redevables  à  la  juftice  de 
Dieu  par  leurs  égaremens  ;  ce  qu'ils  doi- 
vent fouffrir  pour  la  fatisfaire  ;  ce  que  j'ai 
fouffert  moi-même  pour  les  réconcilier 
avec_  elle  ,  &  jufqu'où  la  juftice  demande 
qne  Je  pécheur  fe  punilîe  iui-même  ,  pour 
expier  fes  crimes  ,  &  pour  prévenir  la  fé- 
vérité  des  Jugemens  du  Seigneur  qui  ne 
peut  les  laiifer  impunis  :  Argua  mundiirn 
de  jujlitia  &  judicio. 

Pour  connoître  donc  fî  nous  avons  reçu 
l'Efprit  de  Dieu  ,  il  ny.  a  qu'à  rentrer  dans 
notre  cœur.   Sentons-nous  ce  zèle  de  pé- 
nitence 5  que  les  larmes  ,  que  les  gémiife 
rnens  ,  que  les  violences  ne  faiiroient  fa- 
tisfaire 5  parce  qu'il  ne  croit  jamais  Ini-mêv 


DE    LA    Pentecôte.    235 
me  avoir  afTez  fatisfait  à  la  juftice  de  Dieu  ? 
Faifoiis  nous  des  devoirs  de  notre  état ,  des 
incommodités  inféparables  de  la  vie  humai- 
ne 5  de  toutes  les   créatures  qui  nous  envi- 
ronnent, autant  d'occafîons  de  facrifices  & 
de   fouffrance  ?  Nous  plaignons-nous  de- 
vant Dieu  de  la  foibkffe  de  notre  chair  ,  &: 
de  ne  pouvoir  en  faire  par  des  fatisfaftions 
rigoureufes  ,    rinftriiment  de  notre   péni- 
tence ,  comme  elle  l'a  été  de  nos  crimes  ? 
La  punillons  nous  du  moins  félon  fes  for- 
ces ,  fi  notre  lâcheté  &  fafoibleffe  ne  nous 
permettent  pas  daller  au-delà  ?   Nous  re- 
gardons-nous comme  àes  crim.ineîs  à  qui 
tous  les  plaifirs  font  interdits  ,  &  qui  ne 
peuvent  éviter  la  morféteinelle  qu'ils  ont 
encourue  par  leurs  crirnes  ,  qî}'^i)  fe  COIX- 
fiîlî'rin^nt  i  une  mort  temporelle  j  c'ell-à- 
dire  ,  en  mourant  tous  les  jours  par  la  pé- 
nitence au  monde  ,  à  leur  chijir  ,  à  fes  de- 
firs  &  à  toutes  les  créatures  ? 

Kéîas  !  tous  nos  foins  fe  bornent  à  flatter 
une  chair  que  la  juftice  de  Picil  ne  regarde 
plus  qu'avec  horreur ,  &  d'un  œil  d'indi- 
gnation &  de  colère:  nous  ne  fomnies  ingé- 
^nieux  qu'à  nous  juftifier  à  nous-mêmes  no» 
tre immortification  &:  notre  molleiTe  :  nous 
regardons  l'obligation  de  la  pénitence ,  que 
nos  crimes  paiTésnous  rendent  fi  néceffaire 
&  fi  effentielle  ,  comme  une  obligation  in- 
différente &  de  furcroît.  Loin  d'être  ani- 
més d'un  faint  zèle  contre  notre  corps  , 
nous  avons  horreur  de  tout  ce  qui  le  gêne 
&  le  mortifie  ;  loin  d'entrer  dans  les  iuté- 


1^6  Le    Jour 

rets  de  la  juftice  de  Dieu  ,  nous  plaidons 
fans  cefTe  pour  nous  contre  elle-même. 
Nous  trouvons  mauvais  qu'elle  exige  tant 
de  notre 'foiblefTe  ;  nous  foutenons  qu'on 
poufTe  trop  loin  la  /evérité  de  {es  préten- 
tions ;  nous  adoucifîbns  la  rigueur  de  {qs 
maximes  ;  nous  leur  donnons  des  interpré- 
tations favorables  à  notre  amour  propre  ; 
nous  diminuons  fes  droits  pour  augmenter 
ceux  de  notre  cupidité  ;  enfin  ,  notre  corps 
nous  eft  plus  cher  que  la  juftice  de  Dieu 
qui  demande  fa  punition  ;  &  l'efprit  qui 
nous  anime  ,  n'eft  pas  un  efprit  de  zèle  & 
de  pénitence  ,  infcparable  de  l'Efprit  de 
Dieu  ;  c'eft  un  efprit  de  chair  &  de  fang  , 
qui  ne  pofTédera  famais  le  Royaume  pro- 
mis à  la  croix  &.  à  la  violence. 

Refl.  -tl/Nfin  5  le  dernier  cara<B:ere  de  rEfprit 
de  Dieu  ,  c'eft  d  être  un  Efprit  de  force  & 
de  courage.  Comme  c'eft  un  Efprit  qui  a 
vaincu  le  monde  ,  qui  a  renverfé  les  Ido- 
les ,  anéanti  les  fuperftitions ,  confondu  les 
préjugés  5  condamné  les  erreurs  &  les 
fentes ,  combattu  les  payions  ;  en  un  mot  y 
comme  c'eft  un  Efprit  plus  fort  que  le  mon- 
de 5  il  ne  craint  pas  le  monde.  AufTi  les 
Apôtres  ,  auparavant  foibles  &  timides  ; 
eux  que  la  voix  d'une  femme  avoit  intimi- 
dés ;  eux  que  ia  mort  de  Jefus-Chrift  avoit 
difperfés  ;  &  qui  cachés  dans  Jérufalem  , 
n'ofoienî  s'expofer  à  la  fureur  des  Juifs  , 
&  rendre  témoignage  à  l'innocence  de  leur 
Maître  ,  &:  à  la  vérité  de  fa  doSrine  :  dès 


DE  LA  Pentecôte.  2.37 
que  rEfprit  de  Dieu  eft  defcendu  fur  eux, 
ils  ne  connoiffent  plus  ces  timides  ménage- 
mens;  ils  paroifTent  avec  une  fainte  fierté  au 
milieu  de  Jérufalem  ;  ils  annoncent  devant 
les  Prêtres  &  les  Dodleurs,  ce  Jefus  dont 
ils  n'ofoient  auparavant  fe  déclarer  lesDif- 
cipîes.  Non  feulement  ils  ne  craignent  plus 
les  difcours  publics  ;  mais  ils  méprifent  les 
menaces  ;  ils  bravent  les  fupplices  ;  ils  ré* 
pondent  hardiment  qu'il  eft  plus  jufte  d'o- 
béir à  Dieu  qu'aux  hommes  ;  &  com.me  fi 
la  Judée  n'avoit  pas  offert  allez  de  périls  & 
afiez  de  pcrfécutions  à  leur  courage, ils  fe 
répandentdanstout l'univers  ;  &  la  férocité 
des  peuples  les  plus  barbares  ,  8c  l'horreur 
des  tourmiens ,  &  la  cruauté  des  tyrans ,  & 
l'attente  de  la  mort  la  plus  affreufe  ;  &  le 
monde  entier  révolté  contr'eux  ,  ne  fait 
qu'augmenter  leur  fermeté  &  leur  conf- 
tance. 

Telle  eft  une  ame  pleine  de  TEfprit  de 
Dieu.  Cet  efpritqui  humilie  ou  qui  élevé  à 
fon  gré  les  perfonnes  ;  qui  fe  joue  des 
Grands  &  des  PnifTans  ;  quirenverfe  ou  qui 
affermit  les  noms  &  les  fortunes  ;  qui  for- 
me ou  qui  détruit  les  Royaumes  &  les  Em- 
pires ;  cet  efprit ,  fource  de  toute  grandeur 
dans  le  ciel  &  fur  la  terre  5  &  devant  lequel 
tout  eft  néant ,  élevé  une  ame  qu'il  remplit, 
7ai-deffus  d'elle-même  :  il  la  fait  participer 
à  fa  grandeur  &  à  fa  fouveraineté  ;  il  im- 
prim.e  en  elle  fescaraâ:eres  divins  de  liberté 
^v  d'indépendance  :  il  va  la  placer  jufques 
dans  le  fein  de  Dieu  5  d'où  cette  ame  jet- 


238  Le    Jour 

tant  les  j'^eux  fur  cet  univers  ,  les  grandeurs 
&  les  puifîauces  de  la  terre  ne  lui  parollFent 
plus  qu'un  vain  atome  incapable  de  Tinti- 
mider  ,  &  indigne  même  de  ks  regards  ôc 
de  (es  attentions. 

Rien  n'approche  donc  de  l'élévation ,  de 
la  noblelFe  ,  de  la  fermeté  d'une  ame  que 
l'Efprit  de  Dieu  polFede.  L'élévation  t^  la 
fermeté  que  le  monde  donne  ,  eil  toujours 
mêlée  de  ménagement  &  de  bairefîe  ,  par- 
ce qu^elle  ell  toujours  foumife  au  monde,  & 
par  quelque  endroit  dépendante  de  lui  :  au- 
tant que  nous  tenons  au  monde,  nous  crai- 
gnons le  monde.  Mais  une  ame  jufte  ne  le 
craint  plus,  parce  qu'elle  n'y  tient  plus  :  ùs 
jugem.ens  lui  font  indilTérens  ;  fes  difcôurs 
&  fes  déridons  ne  Tébranlent  pas  plus  que. 
le  fon  d'une  cymbale  retentiifante  :  elle  fait 
gloire  de  la  vertu  devant  ceux  mêmes  qui 
la  méprifent  :  elle  ne  défère  qu'à  la  vérité  ; 
elle  ne  ménage  que  la  charité  ;  elle  n'a  point 
de  ces  timides  complaifances  dont  la  piété 
fouffre  ;  &  qui  loin  d'édifier  les  pécheurs 
qui  les  exigent  de   nous  ,  les  confirment 
dans  leurs  erreurs  injuftes.  Voyez  aujour- 
d'hui les  Difciples  ;  on  traite  leur  zeie  d'i- 
vreife  ,  &  leur  zèle  ne  fait  que  s'enflam- 
mer ;  on  les  prend  pour  des  infenfés  ,  & 
Finjuftice  des  difcôurs  publics  ne  fert  qu'à 
les  confirmer  dans  leur  fainte  folie;  on  les 
regarde  comme  des  féduâieurs ,   &   ils  ne 
font  rien  pour  mettre  le  monde  de  leur  cô- 
té ,  que  ce  qu'ils  ont  fait  pour  le  révolter 
contr'eux  ;   c'eft-à-dire  ,   le   condamner  , 
l'édifier  &:  le  reprendre. 


DE  LA  Pentecôte.  239 
L^efprit  du  monde  eft  un  efprit  de  fou- 
pleffe  &  de  ménagement.  Comme  l'a- 
mour propre  en  cil  le  principe  ,  il  ne  cher* 
che  la  vérité  ,  qu'autant  que  la  vérité  lui 
peut  plaire  ;  il  ne  fe  déclare  pour  la  piété  , 
qu'autant  que  la  piété  trouve  des  paniians 
favorables  j  il  ne  le  fait  honneur  de  la  ver- 
tu 5  que  dans  les  lieux  où  la  vertu  Thonore, 
Et  voilà  l'efprit  qui  nous  régit  ,  &  qui  nous 
gouverne  ;  un  efprit  de  timidité  &  de  com- 
plaifance  :  on  craint  d'être  à  Dieu  ,  &  dans 
toutes  les  occafions  où  il  s'agit  de  jfe  dé- 
clarer pour  lui  5  on  mollit  &  on  fe  mé- 
nage ;  &  des  qu'il  faut  s'expofer  pour  fa 
gloire  à  la  déri{îon&  à  la  cenfure  des  hom- 
miCs  5  on  recule  ,  &  on  fe  fait  de  fa  lâcheté 
une  faufle  prudence  ;  &  dès  qu'il  eft  quef- 
tion  de  déplaire  pour  ne  pas  manquer  au  de- 
voir ,  on  en  croit  la  tranfgrefTion  légitime  ; 
&  la  première  chofe  qu'on  examine  dans 
les  dém.arches  que  Dieu  dem^ande  de  nous , 
c'eft  fi  le  monde  y  donnera  fon  fuffrage;  6c 
pour  ne  pas  perdre  l'eftime  du  monde,  on 
paroît  encoîe  mondain  ;  on  parie  fon  lan- 
gage ,  on  applaudit  à  {es  maximes  ,  on 
s'aiTujettit  à  fes  ufages  ;  ^  pour  éviter  mê- 
me d'être  ennuyeux  ,  on  entre  dans  fes 
plaifirs  ,  on  eft  de  fes  difîipations  5  on  par- 
ticipe peut-être  à  fes  crimes. 

Nous  n'avons  qu'à  nous  juger  de  bonne 
foi ,  pour  convenir  que  c'eft  là  notre  ca- 
radlere.  Toute  notre  vie  n'eft  qu'une  fuite 
de  ménagemens  &  de  complaifances ,  que 
la  Loi  de  Dieu  réprouve  :  par-tout  nous  fa* 


Z40  I-  E   Jour 

crifions  les  lumières  de  notre  confcîence 
aux  erreurs  &  aux  préjugés  de  ceux  avec 
qui  nous  vivons.  Nous  connoifTons  la  vé- 
rité ,  &  cependant  nous  la  retenons  dans 
l'injuftice  ;  nous  applaudifTons  aux  maxi- 
mes qui  la  combattent  ;  nous  n'ofons  réfîfter 
à  ceux  qui  la  condamnent  ;  nous  donnons 
tous  les  jours  à  la  flatterie  &  au  defir  de  ne 
pas  déplaire  ,  mille  chofes  que  notre  conf- 
cience  nous  reproche  ,  &  d  où  notre  goût 
même  nous  éloigne  :  en  un  mot ,  no^is  ne 
vivons  pas  pour  nous-mêmes  &  pour  la 
vérité  ;  nous  vivons  pour  les  autres  &  pour 
la  vanité  :  nous  voulons  plaire  ;  nous  ne 
pouvons  nous  pafTer  du  monde  ;  nous  te* 
nous  à  lui  par  des  vues  de  gloire  ,  de  for- 
tune ,  d'etablilTement ,  de  crédit ,  de  répu- 
tation 5  d'amufement ,  mêm,e  d'amitié  & 
de  fociété  ;  &  de-là  vient  que  dès  que  la 
vérité  eft  en  concurrence  avec  quelqu'une 
de  ces  pafTions  ,  &  qu'il  faut  leur  donner 
atteinte  en  fe  déclarant  pour  elle  ,  nous  l'a- 
bandonnons ;  nous  nous  ménageons  ,  nous 
dilTimulons  ,  nous  nous  faifons  de  faufles 
maximes  pour  juftifier  nos  tem.péramens 
injufles  ;  nous  nous  perfuadons  que  la  vie 
du  monde,  oùnousfommes  engagés  ,  nous 
les  rend  inévitables.  Ainfi  toute  notre  vie 
fe  pafTe  à  déférer  aux  autres  ,  à  nous  ac- 
commoder à  leurs  pallions  ,  à  fuivre  leurs 
exemples  ,  à  confentir  à  leurs  maximes  : 
nulle  fermette  ,  nulle  réfiftance  ,  nul  cou- 
rage ;  tout  nous  ébranle  ,  tout  nous  en- 
traîne j  la  complaifance  eft  le  grand  reiîbrt 

de 


DE  LA  Pentecôte.  141 
cîe  toute  notre  conduite  ,  &  n'ayant  peut- 
être  point  de  vices  à  nous  5  nous  devenons 
coupables  de  ceux  de  tous  les  autres  j  àC 
nous  ne  pratiquons  aucune  vertu. 

Cependant  comme  nous  confervons  dans 
le  cœur  un  relie  d'amour  pour  la  vérité  j 
que  nous  ne  nous  livrons  au  monde  qu'à  re- 
gret j  que  nous  en  évitons  les  égaremens  y 
que  nous  nous  diftinguons  de  lui  par  les  ac- 
tions extérieures  de  la  piété  ,  nous  croyons 
ne  pas  lui  appartenir  comme  cqs  âmes  mon- 
daines qui  en  font  enivrées  ;  mais  nous  nous 
trompons  ;  il  eil  sûr  du  moins  que  nous 
n'appartenons  pas  à  TEfprit  de  Dieu  ;  que 
ce  n'eft  pas  lui  qui  nous  conduit  &  qui 
nous  poflede.  Car  cet  efprlt  divin  eft  un 
Eiprit  de  force  ,  de  fermeté  ,  de  courage  : 
il  ne  craint  pas  le  nîonde  j  parce  qu'il  mé- 
prife  le  monde  :  il  ne  veut  pas  plaire  au 
monde  .5  parce  qu'il  eft  crucifié  au  monde  : 
il  ne  recherche  pas  les  fuifrages  du  monde  ^ 
parce  qu'il  jugç  les  jugemens  du  monde  : 
il  ne  ménage  pas  l'amitié  du  monde ,  parce 
qu'il  eft  ennemi  du  monde  :  il  ne  fe  laift*e 
pas  ébranler  par  les  exemples  du  monde  , 
parce  qu'il  a  vaincu  le  monde.  Le  cara(fbere 
le  plus  oppofé  à  i'Efprit  de  Dieu  ,  c'eft  ce 
caradiere  de  la  lâcheté  &  de  la  complaifaii* 
ce  ;  &  la  marque  la  plus  sûre  que  Dieu  n'eft 
pas  dans  un  cœur,  &  qu'on  eft  encore  au 
monde  ,  c'eft  lorfqu'on  le  craint  plus  que  la 
vérité  ,  qu'on  le  ménage  aux  dépens  de  la 
vérité ,  qu'on  veut  lui  plaire  malgré  la  véri- 
té 5  &  qu'on  lui  facrlÊe  fans  celle  la  vérité* 
MyJUrcs.  JL 


242-  Le  Jour  de  la  Pentecôte. 

Grand  Dieu  !  répandez  aujourd'hui  dans 
nos  cœurs  ce  triple  efprit  de  recueille- 
ment ,  de  renoncement ,  de  fermeté  ,  qui 
répandu  autrefois  fur  vos  Difciples ,  en  fit 
des  hommes  nouveaux  ,  les  vainqueurs  du 
monde,  &  les  témoins  delà  vérité  :  anéan- 
tiiîez  en  nous  cet  efprit  du  monde ,  cet  ef- 
prit de  difTipation  ,  d'imm.ortification ,  de 
complaifance  &  de  lâcheté  y  qui  ferme  de- 
puis fi  long-temps  dans  nos  cœurs  l'entrée 
â  votre  Efprit  divin  :  renouveliez  en  ce  jour 
aoos  defirs  ,  nos  affeâiions ,  nos  fentimens  , 
nos  penfées.  Venez  ,  Efprit  de  vérité  j  dans 
nos  cœurs ,  prendre  la  place  du  monde 
miférable  qui  nous  déplaît ,  &  auquel  nous 
n'avons  pas  la  force  d'ofer  déplaire  ;  Se 
«près  avoir  établi  ici-bas  en  nous  votre 
demeure  j  faites  que  nous  devenions  les 
temples  éternels  de  votre  gloire  &  de 
votre  vérité. 

Ainji  foit'iU 


î4î 


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-=Sîa: 


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XijrJ' 


•SE 


SERMON 

POUR     LA     FETE 
DE     L'ASS  OMPTIO  Jf 

DE  LA    Ste.  vierge. 

Sur  les  confoladons  &  la  doire  de  la  mort 
de  la  fainte   yiergc. 


tndica  mihî  i  quem  diligit  anima  mea ,  ubi  pafcas  i 
ubi  cubes  in  meridié. 

O  vous  qui  êtes  le  -bien- aimé  de  mon  ame  t 
inontrei-mQi-oÎL  e/î  le  lieu  de  votre  repos  é  de 
vos  pâturages   éternels.   Cant.    i.  6, 


TE  L  eft  le  langage  de  lame  fîdele  fur 
la  terre.  Eloignée  de  {on  époux ,  que 
les  nuages  de  la  mortalité  lui  dérobent  en- 
core ;  ne  trouvant  rien  ici-bas  qui  puiile 
confoler  fon  amour  de  cet  éloigaement  ^ 
que  l'efperance  de  le  voir  bientôt  finir; 
foupirant  fans  ceffe  iiprès  cet  heureux  mo«» 

L  2 


244  L'Assomption 

ment ,  qui  doit  lui  ouvrir  les  Cieux  ,  ^  lui 
montrer  TEpoux  immortel  qu'elle  aime; 
&:  faifant  de  la  durée  &  des  amertumes  de 
fon  exil ,  l'exercice  de  fon  amour  ,  &  tout 
le  mérite  de  fa  foi  &  de  fa  patience  :  O  vous  , 
s'écrie- 1- elle  fans  cefTe  ,  qui  êtcsk  hUn-aimé 
de  mon  cœur ,  montrez-moi  ou  ejl  le  lieu  de 
votre  repos ,  &  de  vos  pâturages  éternels. 
Maiscom^me  les  illufîons  des  fens  mêlent 
toujours  à  la  foi  des  âmes  les  plus  pures 
mille  attachemens  inévitables  >  qui  parta- 
gent ici-bas  leur  amour  ;  qui  rallentiffent 
-en  elles  le  defir  des  biens  éternels  ,  &  qui 
font  5  félon  TApôtre  ^  qu'elles  voudroient 
bien  à  la  vérité  être  revêtues  de  l'immorta- 
lité 5  mais  fans  être  dépouillées  de  lamor- 
n  Cor,  talité  qu'elles  aiment  encore  :  Nulumiis 
*•  ^*  cxfpoliari  ^fedfupervefliri  :  on  peut  dire  que 
cette  difpofition  de  détachement  univerfel 
de  la  vie  &:  de  toutes  les  créatures  ^  cette 
trifteife  fùif  la  longueur  de  cet  exil  ,  cette 
joie  &  ce  tréifaillement  à  la  vue  de  la  mort, 
^  de  l'heureufe  délivrance  j  n'a  été  parfai- 
te que  dans  Marie  ;  &  qu'elle  feule  ,  en 
ce  jour  confacré  pari'Eglife  à  fa  fortie  de  la 
terre  ,  &  à  fon  exaltation  dans  le  Ciel ,  a 
droit  5  comme  la  véritable  époufe  ,  de  te- 
nir ce  langage  d'amour  :  O  vous  qui  êtes  le 
hien-aimé  de  mon  cœur  ^montrei-moi  où  efllc 
lieu  de  votre  repos  &  de  vos  pâturages  eter^ 
nels. 

En  effet ,  les  amertumes  &  les  abaifîe- 
nens  de  fa  vie  mortelle  trouvent  aujour- 
iJ'hui  dans  fa  mort ,  &  dans  {on  heureufe 


DE  LA  Sainte  Vierge.  2^45 
AfTomption,  leurconfolation  &  leur  gloire. 
A  lexemple  de  fon  cher  Fils ,  la  terre  avoit 
été  pour  elle  un  lieu  d'opprobres  &  de  fouf- 
frances.  Fille  de  douleur  ;  dégradée  de 
tous  fes  titres  ;  inconnue  dans  tous  Tes  dons; 
confondue  avec  les  autres  mères  de  Juda  , 
il  étoit  jufte  enfin  que  la  gloire  de  fon  Fils 
fût  réparée  en  fa  perfonne  ;  &  que  toujours 
femblable  à  lui  ^  les  merveilles  de  fa  mort 
corrigeaflént  lobfcurité  de  fa  vie. 

Ce  font  donc  les  confolations  8c  la  gloir« 
de  la  mort  de  Marie  ,  que  nous  allons  dé- 
velopper aujourd'hui  ,  &:  qui  renferment 
tout  le  Myftere  que  l'Eglife  propofe  à  la 
piété  des  Fidèles.  Les  confolations  de  fa 
mort ,  qui  compenfent  les  amertumes  inté- 
rieures dont  fon  ame  fainte  avoit  toujours 
été  affligée  durant  fa  vie  ;  la  gloire  de  fa 
mort  ,  qui  répare  les  humiliations  qui  Ta- 
voient  toujours  accompagnée  fur  la  terre  : 
voilà  tout  le  fujet  de  ce  Difcours.  Nous 
avons  befoin  de  fon  entremife  pour  obtenir 
les  lumières  de  TEfprit  ùi'mt,  Ave  ,  Maria* 


o 


N  peut  dire  que  Marie  avoit  éprouvé  j 
trois  fortes  d'amertumes  durant  le  cours  P4KTIE 
de  fa  vie  mortelle  ;  &  que  ç'avoient  été  là 
comme  les  trois  traits  qui  avoient  percé  fon 
cœur  5  &  confommé  le  facrifice  de  fes  dou- 
leurs &  de  fes  peines  :  une  amertume  de 
déîailfement ,  une  amertume  de  zèle  ,  & 
une  amertume  de  defîrs.  Or  à  ces  troi^ 
amertumes  ,  répondent  trois  confolations 
à  fa  mort ,  qui  vont  nous  développer  la 

L3 


'Z4<^  L'ASSOMPTIOM 

première  circonftance  de  ce  Myftere  :  une 
.  confoiation  de  force  &  de  courage  ;  une 
.confolaîion  de  paix  &:  de  joie  ;  une  con- 
iblaîion  de  polIeiTion  &  de  jouifTance.  En- 
trons dans  le  détail ,  &  m'honorez  de  vo- 
tre attention. 

J'appelle  en  premier  lieu  l'amertume  de 
délaiirement  que  Marie   avoir  éprouvée   , 
J'indifférence    &    les  rigueurs  apparentes 
dont  Jefus-Chrift   avoit   toujours   femblé 
payer  fa  tendreiîe  &  fes  plus  faints  empref- 
iemens.  Nous  ne  voyons  nulle  part  qu'il 
Ja  diiiingue   par  les  égards  &  les  tendres 
attentions ,   que  fembloit   demander  l'au- 
torité qu'elle  avoit  fur  lui.,  &c  l'amour  qu'il 
avoit  pour  elle.   Caché  dans  le  Temple  à 
l'âge   de  douze  ans  ,  il  paroît  blâmer  l'in- 
quiétude où  Tavoit  jcttce  la  crainte  de  l'a-» 
voir  perdu  ;  &  loin  d  être  touché  des  al- 
larmes  &  des  emprellemens  de  fon  amour  ^ 
il  ne   lui  parle  que  du  Père  qu'il  a  dans  le 
ciel ,  comme  s'il  avoit  oublié  qu'il  eût  une 
inere  fur  la  terre.  Aux  noces  de  Qana  ,  de 
peur ,  ce  femble  ,  que  Marie  ne  partageât 
iîvec  lui  dans   Tefprit  des  conviés  la  gloire 
du  prodige  qu'il  ailoit  opérer  ,    il  déclare 
qu'il  n'a  rien    de  commun  avec   elle  ,   & 
que  c'eft  à  fon  Père  feiil  à  lui  marquer  les 
temps  i^  les  momens  où  il  doit  fe  manifef- 
ter  ,par  des  miracles ,   comme  c'eft   de  lui 
feul  qu'il  tient  la  puiifance  de  les   opérer. 
Si  les  femmes  de  Jérufalem  appellent  heu- 
reufe  les  entrailles  qui  l'ont  porté  ,   il  fem- 
hk  ravir  à  Marie.wie  louange  que.  l'Ange 


DE  LA  Sainte  Vierge.  247 
lui-même  lui  avoit  donnée ,  &  leur  annon- 
cer qu'il  n'y  a  d'heureux  fur  la  terre  ,  que 
ceux  qui  obfervent  la  Loi  de  Dieu.  Si 
dans  une  autre  occafion  on  le  fait  fouvenir 
que  fa  mère  &  fes  frères  l'attendent  avec 
impatience  ,  il  répond  ,  qu'il  ne  reconnoit 
peur  fa  mère  &  pour  fes  frères ,  que  ceux 
qui  font  la  volonté  de  fon  Père  qui  eft  dans 
le  Ciel.  Enfin  par-tout  elle  paroit  oubliée  , 
&  toures  les  fois  que  les  Evangéliiles  noug 
en  parlent  dans  l'hiftoire  de  fon  Fils ,  c'eft 
pour  nous  rapporter  quelque  rigueur  ap- 
parente de  Jefus-Chrift  envers  elle. 

Telle  avoit  été  la  conduite  de  Dieu  fux 
cette  fainte  fille  de  Juda.  Toujours  éprou- 
-  vée  par  des  délaiffemens  &  par  des  rigueurs 
de  la  part  de  Jefas-Chrift  ;  toujours  co*i- 
d-jire  par  des  voies  dures  &:  rigoureufes , 
elle  devoit  fervir  de  modèle  &  de  confola» 
tion  aux  âmes  que  Dieu  éprouve ,  aufquel- 
les  il  ne  fait  jamais  fentir  un  feul  trait  de 
confolation  dans  ToLfervance  de  fes  corn- 
jTiandcmens  ;  &  qu'il  livre  à  tous  les  dé- 
goûts &  à  toutes  les  féchereffes  d'une  ver- 
tu trifte  &:  amere.  Elle  devoit  leur  appren- 
dre que  cette  voie  de  délailTement,  fi  pé- 
nible au  goût  des  fens  &  de  la  nature  ,  a 
foii  mérite  &  fes  avantages  aux  yeux  de  la 
Foi  ;  que  c'eft  d'ordinaire  la  voie  des  âmes 
pures  &  parfaites  ;  que  les  goûts  fenfibîes 
font  fouvent  les  appuis  de  la  foibleffe  ,  plu- 
tôt que  les  fruits  de  la  vertu  ;  que  la  Foi 
feule  des  promefTes  doit  foutenir  l'ame  fi- 
dèle ;  que  fuivre  Jefus-Chrift  par  le  feul 

L4 


t4*  L'Assomption 

'  attrait  des  confolations  attachées  à  fon  joug^ 
c'eft  courir  après  foi-même  ;  que  le  carac- 
tère de  Ja  Foi  eft  d'attendre  ,  de  foupirer 
&  de  foiifFrir  ;  que  le  temps  de  la  vie  pré- 
fente  eft  le  temps  des  privations  5  &  non 
des  confolations  ;  que  le  Seigneur  cfl  ici- 
bas  un  Dieu  caché  ;  &  que  plus  il  veut 
«unir  une  ame  par  une  Foi  vive  &  ferven* 
te  5  plus  il  la  prive  de  ces  confolations  hu- 
maines ,  pour  lui  rendre  cet  exil  encore 
plus  infupportabîe  ;  pour  allumer  chaque 
jour  en  eile  le  defir  de  cette  patrie  immor- 
telle ,  où  pleins  du  Dieu  qui  nous  rendra 
heureux  ,  nos  cœurs  ne  pourront  plus  goû- 
îer  que  ce  bien  ineftimable  ;  &  où  la  vé- 
rité vue  à  découvert ,  paroîtra  toujours  ai- 
mable 5  parce  que  nous  la  verrons  toujours 
teik  qu'elle  eft. 

Et  en  effet ,  Tétat  de  la  Foi  où  nous  vi* 
vous,  ne  connfte  pas  feulement  dans  la 
foumiffion  de  Tefprit  à  des  vérités  qui  ne 
nous  font  pas  encore  montrées  par  des  lu- 
mières claires  &  évidentes  ;  mais  encore 
par  l'adhérence  du  cœur  à  des  biens  invi- 
îibîes  &  éternels  ,  dont  la  beauté  ne  fe  fait 
pas  encore  fenîîr  à  nous  par  des  goûts  & 
Ses  plaifirs  fenfibles.  La  Foi  renferme  donc 
•deux  privations  elfentielles  ,  uiie  privation 
de  lumières  &  une  privation  de  plaifir  :  il 
faut  pouvoir  croire  ce  qu'où  ne  voit  pas  , 
&  aimer,  pour  ainli  dire  5  ce  qu'on  ne 
fent  pas  encore.  C'eil  l'état  de  la  patrie  de 
voir  toujours  la  vérité  ,  &  de  fentir  tou- 
jours qu'elle  eft  aimable  :  mais  il  faut  mé- 


DE  LA  Sainte  Vierge,  i4f 
rîter  cet  état  heureux  ,  en  facrifiant  fansr 
cefle  nos  propres  lumières ,  aux  lumières 
&  aux  vérités  que  nous  ne  voyons  pas  , 
&  les  plaifirs  fenfibles  qui  nous  environ- 
nent ,  aux  plaifirs  invifibles  &  feuîs  dignes 
du  cœur  ,  que  nous  ne  fentons  pas  en* 
core. 

Ce  n'eft  pas  que  le  Seigneur  n'avance 
quelquefois  à  des  âmes  juftes  &  privilé- 
giées ces  dons  ineffables  qui  leur  font  pré- 
parés dans  le  ciel.  Il  en  efl  qu'il  favorife- 
de  lumières  extraordinaires  ,  &  aufquelles, 
il  révèle  comme  à  Paul  ,  des  fecrets  8c, 
des  myfleres  ,  qu'il  n'efl  pas  prefque  per- 
mis à  l'homme  de  publier.  Il  en  eft  d'au-- 
tres  fur  lefquelles  il  verfe  abondamment 
ces  plaifirs  fecrets  &  indicibles  ,  que  le 
cœur  de  l'homme  n'a  jamais  goûtés  ,  8c 
qui  ne  pouvant  porter  la  plénitude  du  DieUr 
de  toute  confolation  qui  les  remplit  j  font, 
obligés  de  lui  demander  qu'il  fu^endc  l'a^ 
bondance  de  fes  dons  ,  ou  qu'il  les  modère., 
Mais  ces  faveurs  fortent  de  la  voie  com-p 
mune  de  la  Foi  :  fillufion  même  y  efi  à^ 
craindre  :  notre  fiecîe  &  les  flecles.  pafTés, 
en  ont  fourni  de  triftes  exemples.  Les  fin-^ 
gularités  de  la  piété  dégénèrent  fouvent  eut 
îanatifme.  Tout  efprit  ne  vient  pas  de  Dieu;: 
fouvent  ccg  lumières  extraordinaires  qu'oa 
croit  venir  du  Ciel ,  font  des  lueurs  trom-^ 
peufes  ,  qu'une  imagination  échauffée  SÇv 
féduitc  produit  ,  &  qu'une  vanité  fecretté  , 
confacre;  &  les  Prifcillçs  nous  ont  inflruitS;, 
à  Aous.défiçx  d'une  voie^  qui  fous  préte^t^ 

t5 


2"5o  L'Assomption 

de  nous  mener  à  la  perfeâion  ,  nous  con- 
duit dans   le  précipice  :  fouvent  ces  goûts 
feniib-es-  ^  aboridans ,  qu'on  croit  être  le 
fruit  ' de-lir  grâce- 5  i font  des  fentimens  hu-. 
mùins  ,  qu\ine   tendreiîe  naturelle  excite, 
&  qui  fiattent  la  cupidité  fans  coriiger  la 
vertu  ;  &  tandis  qu'on  fe  croit  plein  de 
Dieu  ^  on  n'eft  rempli  que  de  foi-même. 
La  voie  des  privations  eft  toujours  la  plus 
sûre  5  parce  qu  elle  eft  la  plus  conforme  à 
l'état  ordinaire  de  la  Foi.  Ainfi  loin  de  fe 
décourager   des    dégoûts    qu'on  éprouve 
dans  les  voies   de  Dieu  ,  &  de  fe  perfua- 
der  que  nos  hommages  ne  lui  plaifent  pas , 
parce  que  nous  n'y  trouvons  aucun  plaifir 
nous-même  ;  il  y  a  bien  plus  de  lieu  de 
préfunier  que  plus  les  devoirs  que  nous 
iùîrendphs,  nous  coûtant,  plus  ils  ont  de 
2îlérite-à^  fés  yeux  ;  &  que  les  mêmes  de- 
points  qui  font  la  peine  &  la   trifteife   de 
notre  vertu  ,  en  font  en  même  temps  la  su- 
lété  &  l'excellence. 

'  y^ilà'  les  délaiifemens  que  Marie  avoit 
^fyrbi^vés  fur  la   terre.  Il  étoit  donc  jufte 
<|ue  la  préfei^ce  vifible  de  J.   C.fût  la  pre- 
Jîîière  cènfolation  de  fa  mort  ;  qu'il  Rit  le 
^eftateur  de  ce  dernier  combat-;  qu'il  vînt 
îafoutenir  dans  cette  dernière  heur€  ;  qu'elle 
fît  entre  fes  bras  le  facrifîce  de  fa  vie  ;  qu'il 
fûtlui:iï]êînè  fon  Angéconfolateur;  &  qu'il" 
/ê'hâ^aîd^'aptànt  plus  de  venir  fe  montrer  à' 
c?tte  aniéîrnpatiente  d'être  réiïhie  à  lui  , 
qfi'ilavoitp^mprefqûetou  jours  fërefufer  &  • 
i^àà^îierj^  pourâinfitifrej  à  elle  fui' la  terre#^ 


DE  LA  Sainte  Vierge,        Z51 
La  féconde  amertume  que  je  remarque 
dans  la  vie  de  la  fainte   Vierge  ,  eft   une 
amertume   de   zèle.   Avec   quelle  douleur 
yoyoit  -  elle   l'iautilité   des  prodiges  ,  des 
inftruftions  ^i  de  tout  le  miniftere  de  Jefus- 
Chrift  dans  la  Judée  !  Les  pièges  que  le» 
Scribes  &  les  Phariliens  dreiToient  à  fon  in- 
nocence ;  la  défe£lion  même  de  Tes  Difci- 
pies;  fa  mort  cruelle  &  ignominieufe  ;  l'in- 
gratitude &  l'endurciffement  d'un  peuple 
qui  le  rejettoit  ;   toutes  les  promefTes  faites 
à  leurs  pères  ,  tous  les  foins  que  le   Sei» 
gneur  avoit  pris  autrefois  de  Jérufalem  , 
terminés  par  fa  réprobation  &  par  fa  perte. 
Le  malheur  de  (es  frères  félon  la  chair  fai- 
foit  fon  occupation  la  plus  trifte  &  la  plus 
ordinaire  :  elle  offroit  fans  ceffe  pour  eujç 
les  vertus  de  leurs  ancêtres  ,  des  Abra» 
hams  5  des  Davids  ,  des  Prophètes  ,  pour 
appaifer  la  colère  de  Dieu  &  adoucir  par 
la   mémoire   de  ces  hommes  fidèles ,  les 
crimes  de  leurs    defcendans.   AufTi  dans 
l'Evangile  on  nous  la  repréfente  par-tout , 
recueillie  ,  occupée  àes  malheurs  de  Jé- 
rufalem &  des  deffeins  de  colère  que  le 
Seigneur  alloit  &ire  éclater  fur  cette  ville 
infidèle. 

Il  falloit  qu  elle  apprit  aux  âmes  jufies  , 
&  à  celles  fur-tout  qu'un  faint  afyle  met  à 
couvert  des  périls  du  monde  ,  à  s'occuper 
fouvent  aux  pieds  des  autels  des  maux  8ç 
des  befoins  de  l'Eglife  ;  à  gémir  fur  lef 
fcandales  qui  la  deshonorent  ;  à  folliciter  les 
grâces  du  ciel  pour  leurs  ùçies  feloa  ia 

h6 


152  L  As  SOMPTIO  N 

chair  ,  que  îe  torrent  des  plalfirs  &  cîcs 
tentations  humaines  emportent ,  &  qui  vi- 
vent dans  un  oubdi  entier  des  chofes  du 
Ciel. 

Ce  fut  un  des  principaux  motifs  qui  dé- 
termina  le  faint  Fondateur    des  Vierges 
*  ferventes  qui  m'écoutent ,   à  élever  ces 
pieux  afyles ,  on  elles  répandent  aujourd'hui 
avec  tant  d'édification  fur  toute  l'Eglife  la 
bonne  odeur  de  Jefus- Chriir.  Il  voulut  af- 
fembler  fous  les  mêmes  loix  de  la  charité 
&  du  déponillement  religieux  des   âmes 
innocentes  ,  qui  cachées  dans  le  fecret  du 
Sanétuaire  ,  puifent  gémir  ,  comme  la  co- 
lombe 5  fur  les  maux  qui  affligent  l'Eglife  ; 
demander  tous  les  jours  au  Seigneur  ,  des 
Pafteurs  vigilans  pour  la  conduire  ,   des 
Dc(5l€urs  éclairés  pour  la   défendre  ;  des 
Prêtres  irrépréhenfibles  &  zélés  pour  l'édi- 
fier ;  des  Princes  religieux  pour  la  proté- 
ger &  pour  l'étendre  :  demander  l'extinc- 
tion des  fchifmcs  &  des  erreurs  ;  le  triom- 
phe de  la  vérité  ;  la  ceffation  des  conten^ 
tions  &  des  tr&ubles  ;  l'établilTement  de 
la  paix  &  de  la  charité  :  dcinander  des  lu- 
mières &  des  £ècGurs  puifTans  pour  les  Mi- 
nières de  la   parole  qui  font  chargés  de 
l'œuvre  de  Dieu  ,   &  qui  travaillent  à  rap- 
peller  les  pécheurs  de  leurs  voies  égarées  ; 
enfin   être  auprès  du  Seigneur  comme  les 
médiatrices  cominuelles  des  Fidèles  y  les 
relfources  des  maux  de  l'Eglife  ,  les  vi£li- 

"^  Les  Keligkufes  de  la   Vijïtat'wn  de  Chatllot  ^ 
pu  étoit  in  Reinç  d'AngUterre* 


DE  LA  Sainte  Vierge,  255 
mes  des  péchés  d'autnii  ;  &  dans  les  lar- 
mes &les  privations  de  leur  retraite  ,  pren- 
dre fur  elles-mêmes  les  iniquités  de  leurs 
frères.  C'eft  ce  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  ^ 
du  progrès  de  la  Foi  &  de  la  piété  ,  ce  de- 
fir  de  la  converfion  des  pécheurs  &J  de  Tac- 
croilfement  du  règne  de  Jefus-Chrift  fur  la 
terre  ,  qui  eil  comme  l'ame  &  le  caractère 
particulier  de  ce  faint  Inilitut.  D'autres  fe 
dévouent  aux  faintes  rigueurs  &  aux  ma- 
cérations continuelles  de  la  pénitence;  ici 
on  fe  confacre  aux  gémiifemens  de  la  priè- 
re ,  &  aux  faintes  amertumes  du  zèle  &  de 
la   charité. 

Et  voilà  cette  amertume  de  zele  &  de 
douleur  ,  qui  avoit  toujours  occupé  le 
cœur  de  Marie  dans  tous  les  états  de  fa  vie 
mortelle.  Elle  ne  comptoit  pour  rien  {a 
propre  gloire  ,  fon  élévation  de  grâce  ,  de 
lumière  &  de  dignité ,  tandis  qu'elle  voyoit 
le  nom.  de  fon  Fils  hlafphémé  par  ibn  propre 
peuple,  fon  miniftere  rejette  ,  fcs  prodiges 
foupçonnés  d'impoiiure,  fes' Difciples  per- 
fécutés ,  &  Ifraèl  périr  fans  refîburce.  Car 
l'amour  ,  lorsqu'il  eft  parfait  5  eft  moins 
touché  de  fes  propres  intérêts ,  que  des  in- 
térêts de  l'objet  qu'il  aime.  Vous  recon- 
noiifez  à  ces  traits  ,  Vierges  faintes  ,  la  foi 
&  le  zele  ardent  de  la  pieufe  *  Princeffe  qui 
vous  anime  ici  par  fes  exemples  ;  l'égare- 
ment &  l'incrédulité  de  fes  peuples  la  tou- 
che plus  que  leur  révolte  &:  leurdéfeâion  ; 
&  elle  gémit  bien  plus  fur  la  perte  de  leur 

!^  La  Reine  d'Angleten^ 


254  L'As  SOMPTION 

foi  ,  qr.e  fur  celle   de  fa  couronne. 

Ilfaiîoit  donc  que  ce  zèle  d'amertume  &: 
de  douleur  ,  qui  avoit  rempli  tout  le  cours 
de  la  vie  de  Marie  ,  fe  changeât  à  fa  mort 
en  une  confolation  de  paix  &:  d'allégrefTe. 
C'eft  alors  que  les  nuages  de  fa  mortalité 
étant  déjà  dilîipés ,  &  fon  ame  fainte  en- 
trant déjà  dans  la  lumière  inacceflible  des 
confeils  de  Dieu  ,  elle  voit  à  découvert  les 
raifons  profondes  &  adorables  de  la  fageife 
divine  fur  les  événemens  de  fa  vie  ,  qui 
avoient  tant  contrifté  fon  zèle  &  fa  tendref* 
fe.  Elle  voit  l'utilité  qui  devoit  revenir  aux 
hommes  des  opprobres  de  fon  Fils  ,  &  de 
l'en  du  rcilTe  ment  des  Juifs  ;  les  grands  avan- 
tages que  l'Eglife  alloit  retirer  de  leur 
haine  envers  Jefus-Chrift  ;  ce  nombre  in- 
fini de  Martyrs  qui  rendoient  gloire  à  Dieu 
par  leurs  tonrmens  &  par  leur  patience  ; 
cette  multitude  de  Fidèles  ,  qui  rempla- 
cera abondamment  la  Jerufalem  incrédu- 
le 5  &  qui  croîtra  du  fang  même  des  Mar- 
tyrs ;  les  Tyrans  défarmés  par  la  foibleïïe 
de  l'Evangile  ;  les  Céfars  convertis  par 
l'opprobre  de  Jefus-Chrift  ;  les  Philofo- 
phes  ramenés  par  la  folie  de  la  Croix  ;  la 
pompe  &  la  magnificence  de  l'Eglife  fuc- 
céder  à  i'obfcurité  de  ces  triftes  commcn- 
cemens  ;  la  gloire  de  fon  Fils  rejaillir  fur 
elle-même  ,  &  fon  culte  devenir  une  des 
plus  confolantes  reifources  de  la  piété  des 
Fidèles. 

C'eft  ainfi  qu'une  ame  jufte  au  lit  de  la 
mort  découvrira  avec  confolation  toutes 


DE  LA  Sainte  Vierge.  255 
les  raifons  de  la  fageffe  divine  dans  les  di- 
vers événemens  de  fa  vie.  C'elt  alors  qu'elle 
commencera  à  voir  les  rapports  fecrets  que 
ces  difgraces  ,  ces  atfiiâ:ions  ,  ces  fitua- 
tions  défagréables  où  elle  avoit  prefque 
toujours  vécu  ,  avoient  avec  fa  fan6^ifica- 
tion  éternelle.  C'eft  alors  que  Tordre  des 
defTeins  éternels  fur  elle  lui  étant  d'avance 
manifefté  ,  elle  verra  que  tout  avoit  {es 
raifons  &  fes  utilités  dans  les  voies  par  où 
la  main  de  Dieu  l'avoit  conduite  ;  que  tout 
à  fon  infçû  coopéroit  à  fon  falut  que  les 
contradiâiions  mêmes  qu'on  fufcitoit  à  fa 
piété  ,  étoient  des  miféricordes  de  Dieu 
fur  elle;  que  la  malice  &  la  perfidie  qu'elle 
avoit  éprouvée  de  la  part  de  ceux  mêmes 
qui  lui  dévoient  une  inviolable  fidélité  , 
n'étoit  qu  un  moyen  dont  Dieu  fe  fervoit 
pour  purifier  fa  foi;  que  ces  événemens  fi 
triées ,  &  qui  en  renverfant  fa  fortune,  pa. 
roiiibient  en  même  tem.ps  fi  funeftes  à  la 
Religion  ,  n'étoient  que  des  voies  sûres  & 
fecrettes ,  par  où  Dieu  vouloit  la  fenftifier  ; 
&  que  la  juilicede  Dieu  facrifioit  des  peu- 
ples &  des  royaumes  entiers  qu'il  livroit  à 
un  efprit  d'erreur  &  de  révolte  ,  qu'elle  les 
facrifioit  ,  dis  je  ,  àfa  sûreté  &  à  fa  fanâ:i- 
fication  particulière.  Elle  verra  que  la  pro- 
pagation du  fchifme  6c  de  l'erreur  5  qui 
avoit  fi  fort  contrifté  fon  zèle  &  fa  piété  ^ 
fervoit  à  fortifier  dans  la  Foi  un  petit  nom- 
bre d'ames  juftes  ,  qui  vivoient  au  milieu 
de  la  contagion ,  fans  en  être  infeâées  ;  que 
les  maux  de  l'Eglife  ;  dont  elle  gémiiToit^ 


1^6  L*  Assomption 

contribuoîent  àfa  gloire  &  à  fon  triomphe  ; 
&  qu'enfin  en  n'exauçant  pas  les  defirs 
de  fon  cœur  ,  le  Seigneur  les  accomplif- 
foit  d'une  manière  plus  glorieufe  à  la  Foi  y 
&  plus  utile  à  fon  falut. 

Hélas  !  mes  Frères  ,  on  regarde  pré- 
fentement  robfcurité  où  vivent  les  âmes 
juftes  5  leur  éloignement  du  monde ,  de 
fes  intrigues  ,  de  fes  prétentions  ,  de  fes 
efpérances  ,  de  tout  ce  qui  réveille  les  paf- 
fions  humaines  5  on  le  regarde  comme  une 
vie  rampante ,  inutile ,  oifeufe  :  on  regarde 
les  œuvres  de  miféricorde  5  &  les  faintes 
agitations  ,  dont  elles  fe  font  des  affaires 
férieufes  ,  comme  de  pieufes  inquiétudes 
que  la  vivacité  ou  la  fimplicité  de  leur  zèle 
confacre.  Mais  dans  ce  dernier  moment 
tout  ce  que  nous  aurons  fait  de  plus  écla- 
tant pour  le  monde  y  nous  paroîtra  infenfé 
&  puérile  ;  ces  aérions  célèbres  que  les 
feom^miCS  avoient  fî  fort  admirées  ;  ces  en- 
treprifes  conduites  avec  tant  de  jfecret  & 
de  fageffe  ;  ces  victoires ,  ces  fuccès  ,  ces 
talens  éminens  qui  nous  feront  jouer  un  fî 
grand  rôle  dans  nos  hiftoires ,  tout  cela  nous 
ne  le  regarderons  plus  alors  que  comme 
des  fcenes  puériles  ,  &  des  amufemens 
d'enfant.  Toute  notre  vie  nous  paroîtra 
une  enfance  continuelle  :  tout  ce  que  nous 
avons  fouffert  pour  le  monde  ,  ces  foins 
pour  acquérir  une  vaine  réputation  ;  ces 
efforts  pour  parvenir  ;  ces  complaifances 
&  ces  affujettiffemens  qui  avoient  tant 
coûté  à  noue  fierté  y  ces  attentions  pour 


DE  LA  Sainte  Vierge.  15^ 
àes  maîtres  ,  qui  en  avoient  fi  peu  pour 
nous ,  de  toutes  ces  peines  il  ne  nous  en 
reflera  que  le  regret  inutile  de  les  avoir 
perdues.  Nous  verrons  que  tous  nos  de- 
fîr&  &  tous  nos  foins  n'avoient  pour  objet 
que  des  phantômes  ;  que  nous  courions 
comme  des  infenfés  après  une  fum.ée  qui 
s  évanouit  ;  &  que  l'accompliflement  mê- 
me de  nos  defirs  auroit  été  la  plus  terrible 
de  nos  infortunes.  Nous  nous  dirons  alors 
à  nous-mêmes  :  Falloit-il  tant  s'agiter  pour 
ne  rien  faire  ?  hélas  \  falloit-il  mener  une 
vie  fi  laborieufe  ,  pour  ne  trouver  au  bout 
que  le  chagrin  de  s'être  trompés  5  &  rcf- 
fembler  à  ceux  qui  fe  font  fatigués  en  fui- 
vant  une  fauife  route  ,  êc  qui  ne  feravifent 
enfin  que  lorfque  les  forces  leur  manquent, 
&  qu'il  n'eft  plus  temps  d'en  chercher  une 
nouvelle  ?  Que  ne  placions-nous  mieux  nos 
foins  &nos  peines  ?  Les  faveurs  de  la  terre 
fe  font  éloignées  de  nous  à  mefure  que  nous 
courions  après  elles  ;  les  faveurs  du  Ciel  , 
les  biens  éternels  5  il  fuffifoit  de  les  defirer 
pour  les  obtenir. 

Àufii  la  dernière  amertume  de  la  vie  de 
Marie  fur  la  terre,  avoît  été  une  amertume 
de  defir.  Depuis  fur-tout  que  fon  cher  Fils 
eût  quitté  la  terre  ,  tous  les  defirs  de  fon 
cœur  le  fuivirent  dansleféjour  de  rim.mor- 
talité  :  elle  ne  regarda  plus  cette  vie  mor- 
telle que  comme  un  long  &  trifie.exii  :  fé- 
parée  de  l'objet  unique  de  fon  amour ,  tous 
fes  vœux ,  toutes  fes  penfées  ,  tout  ion 
cœur  fut  dans  le  Ciel.  Ainfi  étrangère  fur 


25^  L'  A  s  s  O  M  P  T  I  O  N 

la  terre  ,  cachée  aux  yeux  des  hommes , 
inconnue  au  monde  ,  elle  difoit  fans  celle 
comme  TEpoufe  :  0  vous ,  le  bien  aimé  de 
mon  cœur  ,  montrei-moi  oii  efi  le  lieu  de  l'o- 
trc  repos  &  de  vos  pâturages  éternels.  Sans 
celle  5   comme  le  Prophète ,  elle  fe  plai- 
gnoit  de  la  durée  de  Ton  pèlerinage  :  fans 
celte  elle  difoit  comme  lui  :  Quand  irai-je  , 
o  mon  Dieu  ,  dans  votre  demeure  éternelle  ? 
quand  pcroîtrai-je  devant  la  face   de  mon 
Seigneur  ?  iMorte  à  toutes  les  créatures  ; 
plus    unie  à  fon  Fils  par  les  efforts  vifs  & 
continuels  d'un  cœur  qui  s'élevoit  fans  ccfTe 
vers  le  Ciel  ,  qu'attachée  à  la  terre  par  les 
foiblcs  liens  qui  l'y  retenoient  encore  ;  dé- 
chirée 5  pour  ainfi  dire  ,  &  par  le  mouve- 
ment rapide  qui  portoit  fans  celle  fon  ame 
vers  fon  Seigneur  ,    &:  par  le  poids  d\ni 
corps  terreftre  qui  Farrêtoit  encore  ici-bas , 
elle  mouroit  tous  les  jours  d'amour  &  de 
trifteife  ;   &:  la  véhémence  de  fes  delirs  , 
qui  faifoit  la  plus  parfaite  de  Ces  vertus  , 
faifoit  aufîi  la  plus  vive  de  fes  amertumes. 
Nous  ne  fentons  pas  jufqu'où  peut  aller 
Texcès  de  cette  peine   ,   nous  que  mille 
liens  attachent  encore  à  la  terre  ;  nous  qui 
tenons  encore  à  tout  ce  qui  nous  environne  , 
aux  monde  ,  à  nos  biens  ,  à  nos  proches  , 
à  nos  amis  ,   à  nos  dignités  ,   à  notre  for- 
tune 5   à  nous-mêmes.  Nous  ne  fentons  pas 
ce  que  fouifre  une  ame  ,  qui   n'aime  plus 
rien  ici-bas  ,  qui  ne  vit  plus  que  pour  fon 
Dieu  5  &:  qui  eft  obligée  de  vivre  loin  de 
lui  dans  ce  lieu  de  larmes  &  de  tentations  j 


DE  LA  Sainte  Vierge.  25^ 
/ans  cefTe  expofée  à  le  perdre  ,  &  jamais 
sûre  de  le  pofféder.  Nos  dégoûts  de  la  vie 
font  des  dégoûts  de  nos  pafTions  ;  font  des 
inquiétudes  fccrettes  de  nos  crimes  ;  fout 
des  mécontentemens  d'un  monde  qui  nous 
a  trompé  ;  font  un  relTafiement  de  toutes 
les  créatures,  dont  nous  avons  abufé;  font 
des  recherches  de  nous  -  mêmes.  Nous 
fommes  fâchés  de  ne  rien  trouver  ici- bas , 
qui  puifTe  nous  rendre  heureux  ;  &  nous 
voudrions  ,  parmi  les  objets  fenfibles  qui 
nous  environnent,  en  rencontrer  quelqu'un 
où  notre  cœur  pût  fe  repofer  ,  &  qui  fût 
capable  de  le  fixer  &  de  le  fatisfaire. 

Parmi  les  âmes  mêmes  confacrées  au 
Seigneur  ,  il  en  eft  peu  qui  fentent  la  trif- 
tefîe  de  cet  exil ,  &  Féloignement  où  nous 
y  vivons  de  Dieu.  On  fent  la  dureté  de  la 
croix  qu'il  faut  porter  pour  être  difciple  de 
Jefus-Chrift  ;  on  fent  la  triftelTe  &c  les 
amertumes  de  la  vertu  :  mais  on  ne  fent 
pas  la  privation  des  biens  ineffables  que 
Dieu  a  préparés  à  ceux  qui  l'aiment  ;  on  ne. 
fent  pas  les  ténèbres  d  une  raifon  déchue 
de  fa  dignité  ,  toute  enveloppée  dans  les 
feus ,  &  qui  ne  voit  plus  que  confufément 
les  lumières  éternelles  de  la  vérité ,  en  quoi 
confiftoit  toute  fa  félicité  &:  toute  fon  ex- 
cellence :  on  ne  [qui  pas  la  foibleife  &rim- 
puilfance  d'une  volonté  née  pour  jouir  de 
Dieu  5  &  qui  a  befoin  de  fe  faire  une  vio- 
lence continuelle  pour  fe  défendre  de  l'a- 
m.our  injufte  des  créatures  ,  &  pour  aimer 
l'Etre  fuprême  ;  on  ne  fent  pas  en  un  mot , 


l6o  UAsSOfTPTÏÔîT 

cette  contrariété  de  defirs  entre  la  loi  det 
membres  &:  la  loi  de  refprlt ,  qui  rend  îa 
fervitude  du  corps  R  humiliante  oL  Gl  infup- 
portabîe  à  Famé  fidèle.  Ces  grandes  four* 
ces  des  larmes  &  de  la  trifteile  des  Saints 
fur  la  terre  ,  &  qui  forment  proprement 
l'état  &  la  vie  de  la  Foi  ^  n'entrent  pour 
rien  dans  notre  piété  ;  &  la  raifon  en  cft  ^ 
qu'avec  le  nom  &  les  apparences  de  la  ver- 
tu ,  nos  cœurs  font  encore  fur  la  terre. 
Mille  attentions  étrangères  nous  occupent 
encore  ;  mille  attachem.ens  frivoles  parta- 
ient >  afFoibliiTent  encore  l'amour  que  nous 
devons  à  Dieu  ;  mille  erreurs  ,  qui  nailfent 
de  la  foiblefle  de  notre  foi ,  nous  font  per- 
dre de  vue  les  vérités  éternelles.  Et  ce 
qu'il  y  a  de  plus  triôe ,  c'eft  que  fouvent  la 
charité  étouffée  par  cette  multitude  d'a- 
mours injuftes  ^  le  defir  des  biens  éternels 
abfolument éteint 5  parmi  tant  d'objets  fen- 
fibles  qui  nous  occupent  &  qui  nous  atta- 
chent, nous  perdons  la  grâce  à  notre  infçû. 
Nous  fommes  morts  devant  Dieu  ,  que 
nous  nous  croyons  encore  vivans  ,  &  fans 
que  nous  fâchions  par  quel  endroit  la  mort 
eft  entrée  dans  notre  ame. 

Mais  l'a  me  fainte  de  Marie  ne  trou  voit 
plus  rien  en  elle  ,  qui  ne  vînt  de  la  grâce  t 
plus  de  defîrs  que  pour  le  ciel  ;  plus  de 
mouvement  que  pour  fon  Dieu  ;  plus  de 
joie  que  dans  l'efpérance  de  voir  fon  bien- 
aimé.  Cette  ame  pure  ,  dont  le  cœur  n'é- 
toit  pas  répandu  comme  le  nôtre  fur  mille 
objets  vains  &  injuftes ,  &  toute  recueillie 


DE  LA  Sainte  Vierge  2<5i 
dans  la  charité  ^  fentoit  toute  la  défolation 
qu'infpire  un  amour  violent ,  lonqu'il  cil 
fépaT^  de  ce  qu'il  aime.  Auïîi  fa  inort  n'efl: 
que  le  temie  de  ics  foupirs ,  la  confolatioa 
de  fa  tendrefTe  ,  le  but  de  tous  fes  defirs. 
Elle  retrouve  ce  qu'elle  avoit  comme  per- 
du :  elle  va  rejoindre  ce  cher  Fils  ,  que  la 
malice  des  hommes  ,  ou  plutôt  les  ordres 
rigoureux  de  fon  Père  avoient  fépare  d'elle. 
Mais  ce  n'eft  pas  feulement  fon<:œur  qui 
XSL  fe  réunir  à  ce  qu'elle  aime  ;  fon  amour 
ii*a  plus  rien  à  délirer  ^  on  rend  fa  félicité 
entière  &  accomplie.  On  ne  laiffe  pas  at- 
tendre à  fon  corps  la  rédemption  parfaite 
fous  l'empire  de  la  mort  4  on  lui  avance  ce 
moment  heureux  de  délivrance  ,  qui  n'eft 
marqué  pour  les  Elus  qu'au  jour  de  la  ré- 
vélation ;  &  elle  va  voir  dans  fa  chair  fon 
Sauveur  ,  qui  en  étoit  le  chafte  fruit*  Quel- 
les furent  alors  les  confolations  ineffables 
de  cette  union  fi  long-temps  defîrée  !  &  qui 
pourroit  exprimer  ici  les  tranfports  du 
cœur  de  Marie  à  la  vue  de  fon  Fils  glo» 
rieux  &  immortel ,  adoré  des  Anges  & 
^es  Saints ,  &  lui  découvrant  les  richeifes 
incompréhenfibles  de  fa  divinité  &  de  fa 
gloire  ?  Mais  ce  font  là  des  fecrets  que 
l'œil  n'a  jamais  vu  ,  &  que  le  langage  de 
l'homme  ne  fauroit  faire  comprendre. 

Ce  qui  nous  regarde  ,  mes  Frères  ,  c'eft 
que  la  mort  n'a  rien  que  de  confolant  pour 
une  ame.jufte.  Elle  ne  la  .fépare  que  de  ce 
qu'elle  n'avoit  jamais  aimé  d'un  monde  ^ 
gu.elle  avoi^  u.ouvé  plein  d'eajouis  &  dg. 


%6i  L' Assomption 

pièges  ;  d'une  terre  ,   où  elle  avoit  toujours 
vécu  comme  étrangère;  d'un  corps  ,  qu'elle 
avoit  toujours  haï,  combattu,  crucifié, 
&  qui  avoit  été  la  matière  de  toute  fes  ten- 
tations &  la  fource  de  toutes  fes  peines  ;  de 
toutes  les  créatures ,  qui  en  foulageant  (qs 
befoins ,  les  multiplioient ,  &  aggravoient 
fa   fervitude.  Elle  s'applaudit  d'avoir  mé- 
prifé  à^s  biens  qui  vont  lui  échapper  ;  dô 
n'avoir  pas  mis  fa  confiance  dans  des  hom-'- 
liies   qui  ne  peuvent  plus  rien  pour  elle  ;  ' 
de  ne  s'être  pas  bâti  une  cité  permanente 
dans  un  monde  qui  va  périr  ;  à  de  n'avoir 
pris   de  mefures  que  pour  une  autre  vie  , 
où  les  conditions  ne  changeront  plus.  Elle 
touche  enfin  à  ce  moment  heureux  ,  qui  va 
la  rendre  à  fon  Seigneur  ,  en  qui  feul  elle 
avoit  toujours  mis  toute  fa  confiance  :  à  ce 
moment,  qui  va  finir  une  vie  trifte,  morti- 
fiée,  péri  lieu  fe  ,  lugubre,   &  commencer 
le  jour  ferein  de  rÉternité. 

Oui  5  mes  Frères  ,  le  véritable  fecret 
de  trouver  la  mort  douce  &  confolante  , 
c'eft  de  fe  détacher  par  avance  de  tout  ce 
qu'elle  nous  enlèvera  ;  c'eft  de  mourir 
chaque  jour  à  quelqu'un  de  ces  attachemens 
fi  chers  qu  elle  rompra  :  c'eft  de  s'accoutu- 
me à  vivre  feul  avec  Dieu  au  milieu  de 
toutes  les  créatures  qui  nous  environnent  :* 
puifque'la  mort  n  cft  que  la  folitude  éter- 
nelle de  l'ame  kvec  Dieu.  Le  pécheur 
meurt  bien  plus  ,  pour  ainfi  dire  ,  qne  le 
jiifte  :  il  meurt  à  tout  ce  qui  l'environne, 
i>aic«  qu'il  teaoit  à  tout.  Autant  de  Uea» 


DE  LA  Sainte  Vierge.  i6^ 
qu'il  faut  rompre  ,  autant  de  morts  parti- 
culières qu'il  endure  :  il  meurt  à  fon  corps , 
qu'il  avoit  toujours  idolâtré  :  il  meurt  à  Ces 
biens  &  à  fes  places ,  qui  avoient  fait  Tuni- 
que objet  de  Tes  foins  &  de  fes  defirs  :  il 
meurt  à  fes  plaifirs ,  dont  il  étoit  l'efclave  ; 
à  fes  cfpérances  ,  fur  lefquelles  il  s'ap- 
puyoit  ;  à  fes  édifices  fuperbes  ,  au  milieu 
defquels  il  croyoit  s'être  fait  une  demeure 
éternelle  ;  à  toutes  les  créatures  prefque  , 
qui  fervoient  toutes  à  fes  pallions.  Quel 
déchirement,  quand  il  faut  rompre  tout  à 
la  fois  tous  ces  liens  injùftes ,  qui  ratta- 
chent encore  à  la  terre  !  Il  fouiîre  mille 
morts  dans  une  feule  :  toutes  ces  fépara* 
•^tions  portent  chacune  leur  nom  particu- 
lier dans  fon  am*  ;  &  le  Prophète  a  rai- 
fon  de  dire ,  que  la  mort  du  pécheur  eft 
la  plus  douloureufe  &:  la  plus  amere  de 
toutes. 

Heureufe  donc  Tame  qui ,  comme  Ma- 
rie 5  morte  à  tout  depuis  long-temps  ,  n'é- 
prouve alors  de  nouveau  que  le  plaiîîr  de 
n'avoir  plus  rien  à  facrifier  à  l'Epoux  cé- 
leftej  &  qui  habitant  déjà  par  le  cœur  dans 
le  ciel ,  ne  laille  fur  la  terre  que  les  exem- 
ples d'une  vie  fainte ,  &  le  fouvenir  d'une 
mort  précieufe.  Mais  fi  la  mort  de  Marie 
fut  toute  remplie  de  confolations  ,  qui  la 
dédommagèrent  des  amertumes  qu'elle 
avoit  éprouvée  durant  fa  vie  ,  elle  fut  auflî 
accompagnée  d'une  gloire  qui  répara  les 
abaiffemcns  qu'elle  avoit  foufferts  fur  Id 
terre. 


2/54  L' A  s  s  O  M  P  T  ï  O  ?î 

Paktie  -t  Lus  le  Seigneur  veut  élever  une  ame- 
à  un  degré  fublîme  de  grâce  ,  de  lumière 
6c  de  dignité,  plus  il  TabailFe  Ôc  l'avilit  aux 
yeux  des  hommes;  &  comme  s'il  étoit  ja- 
loux que  fes  ferviteurs  brillalient  d'un  au- 
tre éclat  que  du  fien  ,  il  eft  ,  ce  femble  , 
attentif  à  les  dépouiller  de  cette  grandeur 
que  le  monde  donne  ,  pour  les  rendre  plus 
dignes  de  cette  grandeur  véritable  ,  qui  eft 
le  fruit  tout  feul  de  la  juftice  &  de  la  fain- 
teté. 

Les  ahaiffemens  de  Marie  fur  la  terre 
font  une  preuve  de  cette  vérité.  Comme 
ks  defleins  de  Dieu  fur  elle  lui  préparoient 
la  plus  haute  élévation  où  la  fimple  créa- 
ture puifTe  atteindre ,  les  voies  par  où  elle 
y  eft  conduite  ,  font  des  voies  d'humilia- 
tion &  <i'obfcurité.  Or  je  remarque  trois 
fortes  d'abailfemens  dans  la  vie  de  la  faintc 
Vierge  ;  un  abaiflement  de  privation  ,  un 
abailTement  de  dépendance ,  &  un  abaille* 
ment  de  confufion  6c  de  mépris  :  8c  je  diî 
que  fon  AfTomption  dans  le  Ciel ,  lui  rend 
aujourd'hui  une  triple  gloire ,  proportion- 
née aux  abaifTemeus  de  fa  vie  mortelle  ; 
une  gloire  d'élévation  &  d'excellence  ,  une 
gloire  de  puiifance  &  d'autorité  ,  une  gloire 
de  vénération  5c  d'hommage.  Continuez  à 
tn'honorer  de  votre  attention. 

Plus  on  confidere  la  vie  de  la  fainte  Vier- 
ge fur  la  terre  ,  plus  on  y  découvre  une 
fuite  non-interrompue  de  privations  triftes 
&.  himiiliajites  :  première  forte  d'abailFe-, 


DE  LA  Sainte  Vierge.        2*55 
ment.  Aucune  créature   n'avoit  jufques-là 
reçu  du   Ciel  des  litres  plus   auguftes  &: 
plus  fublimesque  cette  fainte  fîHe  de  Juda. 
Elle  étoit  née  du  fang  de  David  ;  le  privi- 
lège de  fa  grâce  avoit  prévenu  même  celui 
de  fa  naifTance  ;   elle  étoit  Vierge  dans  fa 
fécondité  ;   enfin  Taugufte  qualité  de  Mère 
de  Dieu,   rehauflbit  en  elle  tous  les  autres 
titres  qu'elle  tenoit  de  la  naiiTance  &  de  la 
grâce  :  &  cependant  aucun  de   ces  titres 
pompeux  n'a  paru  en  elle  ,  tandis  qu'elle  a 
vécu  fur  la  terre.  Sa  naiiTance  fut  toujours 
©bfcurcie  par  la  médiocrité  de  fa  fortune  : 
l'excellence  de  fa  grâce  fut  toujours  cachée 
fous  une  viejîmple  &  commune  :  l'éléva- 
tion de  fa  dignité  ,    &  le  titre  augufte  de 
Mère  de  Dieu  fut  comme  démenti  par  la 
reffemblance  de  l'homme  que  fon  Fils  avoit 
prife;  la  Judée  la  regard^mplement  com- 
me la  m.ere  de  Jefus  de  Nazareth  ;  rien  ne 
la   diftingue  des   autres   mères  de    Juda. 
Elle  lailTeles  hommes  dans  l'ignoraficc  des 
grandes  chofes  que  le  Seigneur  avoit  opé- 
rées en  elle  :  elle  ne  s'emprefîe  pas  de  les 
détromper  ,   &  de  découvrir  les  m.erveilles 
de  Dieu  :  elle  fouffre  la  privation  de  tout 
ce  qu'elle  a  de  grand  ,  c'eft-à-dire  ,  de  la 
plus  grande  gloire  qui  puifîe  être  commu- 
niquée à   une  pure  créature  :  elle  porte  ce 
dépouillement  avec  joie  ;  il  ne  lui  échappe 
rien  ,  pas  un  mot  ^  pas  une  démarche  qui 
pvifle  trahir  le  fecret  de  fon  humilité;  & 
ravie  de  vivre  dans  ccne  privation  ,    elle 
fouhaite  feulement  que  h  gloire  de  fon 
Myjlcres.  M 


266  L'Assomption        ^ 

fils  fôit  connue,  6c  fon  Royaume  établi 

fur  la  terre. 

C'eft  aiîifi  que  par  des  privations  conti- 
nueîles  5  la  fagefle  de  Dieu  préparoit  cette 
aine  célefle  à  la  gloire  où  elle  eft  en  ce 
jour  élevée.  7^out  jfon  foin  avoit  été  de  fe 
cacher  aux  yeux  des  hommes  ,  &:  de  fe 
confondre  avec  les  autres  mères  d'Ifraël  ; 
&  il  fembie  que  l'attention  unique  de  Dieu 
eft  de  la  glorifier  au  jour  de  fa  mort ,  6c 
de  la  diftinguer  par  un  privilège  fingulier  , 
&  qui  devoir  rendre  témoignage  dans  tous 
les  (îeclcs  à  fon  augufte  qualité  de  Mère  de 
Dieu.  Son  corps  pur  6c  facré  ,  com.mc 
celui  de  fon  Fils ,  ne  voit  pas  la  corruption  : 
la  vertu  du  Père  la  délivre  d'entre  les 
incrts  :  les  Cicux  s'ouvrent  pour  la  rece- 
voir,  comme  Jcfus-Chrift  ,  triomphante  6c 
gloneufe  :  client  du  tombeau  environnée 
de  lumière  ,  pour  aller  prendre  pofrelîioîi 
de  f-3  gloire  à  la  droite  de  fon  Fils  ,  avec  la 
niéme  chair  qu'elle  lui  avcit  fournie  pour 
civrir  le  Ciel  à  tous  les  hommes  ;  elle  eft 
placée  au-deffus  de  toutes  les  Principautés 
&:  de  toutes  les  Puiilances.  C'eft  cette  Ar- 
che d'Ifraèl  5  dit  le  faintEvêque  de  Genè- 
ve 5  qi:i  après  avoir  été  quelque  temps  fous 
des  tCLtes  dans  le  défert  ;  c'eft*à-dire  , 
dai'sun  état  obfcur  &  peu  digne  d'elle  ,  eft 
enfin  introduite  avec  pomipe  6c  avec  éclat 
par  le  véritable  David  dans  la  Jérufalcni 
cékfte. 

U  fcmible  en  effet  que  Jefus-Chrift  n'au- 
rciî  pas  lefTufcité  tout  entier ,  6c  qu'une 


DE  LA  Sainte  Vierge.        i(yj 
partie  de   fa  chair  adorable  auroit  été  alTu- 
j^ttie  en  fa  fainte  Mère  à  la  corruption  ,   (î 
Marie  n'eût  participé  au  privilège  de   fa 
réfiirre(ftion  glorieufe.   Etoit  -  il  convena- 
ble qu'on  laifsât  fousTempire  de  la  mort , 
k  mère  de  celui  qui  étoitla  réfurreâ:ion  8c 
la  vie  ?  Etoit-il  jufte  qu'une  chair  ,   de  la- 
quelle avoit  été  formée  la.vidlime  qui  vç- 
iioit  d'ouvrir  le  Ciel  aux  hommes ,  n  y  fût 
pas  d'abord  elle-même  introduite?   qu'un 
corps  qu'elle  avoit  préfervé  par  une  grâce 
fiîiguUerc  à.%^  fouillures  inévitaMes  aux  en- 
t^ius  d'Adain ,  p3i"ticipât  à  leur  malédictiou^ 
&  devînt  la  proie  des  vers  &  de  la  pourri- 
ture? qu'un  corps*  qui  avoit  été  fur  la  terre 
le  fallut  u  aire  vivant  du  Verbe  fait  chair,  ne 
fût  pas  d'abord  reçu  lui-même  clans  le  fanc- 
tuaire  éternel  ?  8c  c'ei^  pour  honorer  cette 
mort  •&  cette  refurrcâiion  miraculeufe  ,   & 
-fatisfaire  à  la  piété  des  Fidèles  ,   que  TE- 
gliie  a  depuis   long-temps  inftitué  la  Fête 
qui   nous  alTembJe.  Voilà   le  prix  que  la 
magnificence  de  Dieu  réfervoit  aux  priva- 
tions humiliantes  de  l^^ie  de  Marie.  C'eft 
en  foufFrant  avec  joie  que  le£  hommes  aient 
ignoré   jufqu'à  fa  mort  tout  ce  que  la  grâce 
avoit  opéré  en  elle  de  grand  ,  que  le  Sei- 
gneur le  fait  éclater  par  un  privilège  ,  qu'une 
tradition  fainte  a  rendu  vénérable  à   toute 
i'Eglife  ,   &  que  la  piété  de  nos  pères  a  fait 
paffer  jufqu'à  nous,  comme  le  gage  im- 
mortel de  leur  zèle  5c  de  leur  refpeft  pour 
Marie. 

Po;:T  nous  ^  ries  Frères ,  Vv.w  d(^  ibufFrir 


2-58  L' A  s  s  O  M  P  T  I  O  N 

avec  joie  les  privations  qui  nous  humilient , 
&  qui  JaifFcnt  ignorer  aux  hommes  ce  que 
nous  fbmmes  :  hélas  !  tout  notre  foin  eft 
de  nous  montrer  :  toute  notre  vie  eft  une 
étude  de  vanité  ,  qui  nous  montre  toujours 
par  les  endroits  par  où  nous  croyons  nous 
diftinguer  &  plaire.  Lors  même  que  tou- 
chés  de   Dieu  ,   &  revenus  de  nos  égare- 
mens  5   nous  avons  pris  le  parti   d'une  vie 
chrétienne  ,  nous  voulons  que   le  monde 
conferve  encore  le  fouvenir  destalens  mal- 
heureux &  des  vains  avantages  que  nous 
avons  facrifiés  en  rompant  avec  lui.  Nous 
fommes   flattés  qu'on  fafTe   encore  valoir 
par-là  tous  les  jours  notre  facrifîce  ;  qu'on 
nous  falFe  honneur  de  ce  que  nous  avons 
jugé  nous-mêmes  digne   de  mépris.  Nous 
nous  en  élevons  même  en  fecret  au  defTus 
des   autres  ,  comme  û   nous  avions  plus 
donné  à  Dieu  ;  comme  fî ,  plus  nous  pa- 
roifîions  nés  pour  le  monde   &  pour  les 
plaifirs,  plus  il  n'avoit  pas  fallu  que  la  grâ- 
ce ,  qui  nous   en  a  dégoûté  ,  fut  forte  & 
abondante  ;  comme  fî  les  miféricordes  du 
Seigneur   fur  nous   pouvoient^  devenir  le 
titre  de   notre  ingratitude  ,  &  nous  faire 
oublier  nos  miferes.  Ainfî  ce  qui  a  été  l'oc- 
cafion  de  nos  chûtes  &  de  nos  malheurs, 
devient  fouvent  dans  la  piété  même  le  motif 
de  notre  vanité  déplorable  :  ce  qui  devroit 
nous  rendre  plus  méprifables  à  nos  yeux  , 
lîe   fert  fouvent  qu'à  nous  infpirer  du  mé- 
pris  pour  nos  frères.  Ainfî  nous  voulons 
participer  en  même  temps  à  la  gloire  du 


DE  LA  Sainte  Vierge,  ^6^ 
monde  &  à  la  gloire  de  la  vertu  :  nous 
voulons  qu'on  loue  en  nous  &Jes  merveil- 
les de  la  grâce  ,  &:  les  taleiis  de  la  vanité  ; 
&  loin  de  cacher  ,  comme  Marie ,  aux 
yeux  des  hommes  ce  que  nous  fommes, 
nous  voulons  même  qu'ils  voient  encore  en 
nous  ce  que  nous  fomm.es  fâchés  d'avoir 
été. 

Oui  5  m.es  Frères ,  rien  de  plus  rare  que 
de  vouloir  iîncérement  que  les    hommes 
oublient  ce  qui   peut   nous  faire  honneur 
dans  leur   efprit.   Nous  regardons  cet  ou- 
bli comme  une  injure  :  nous  voudrions  que 
tout  le  monde   lût  fur   notre  front  ,  pour 
ainiî  dire  5   nos  talens  5   nos  vertus ,    notre 
rang&  notre  naiiîance  ;  &  jufques  dans  ces 
afyles  faints  5  où  l'on  amis  au  pied  de  l'autel 
les   dépouilles  du   monde  &   de   toute  fa 
gloire  ,  on   reprend  fouvent   d'une   main 
tout   ce  vain  étalage  ,   qu'on  avoit  femblé 
facrifier  de  l'autre.   On  étale  encore  ,  fous 
Tobfcurité  du  voile  faint  ,  le  faux  éclat  du 
mon-de  &  de  la  nailTance  :  on  remonte  en- 
core fur  une  vaine  boue ,  qu'on  avoit  foulée 
aux  pieds  :  on  veut  retrouver  dans  le  lieu 
de  l'humilité  5  les  diftinâions  qu'on  avoit 
mépriféçs  dans  le  monde  ;  &  dans  le  fanc- 
tuaire  même   de  l'Epoux  ,  on  fe  fait  valoir 
par  d'aujres  titres  ,  que  par  le  titre  fublime 
de  fon  hpoufe. 

Mais  s'il  eft  rare  de  porter  avec  foi  cet 
abaiffement  de  privation  ,  dont  Marie  nous 
donne  l'exemple ,  il  l'eft  encore  plus  de 
foutenir  avec  courage  l'abaiffement  de  dé- 

M3 


270  L'Assomption 

pcndance  où  elle  vécut  toujours.  Toujours 
Ibumife  fur  la  terre  ,  &  dans  tous  les  états 
de  fa  vie  mortelle  ,   elle  avoit  toujours  ref^ 
peâ:é   cette  voie  de  dépendance  ,  comme 
celle  par  où  la  grâce  vouloit  la  conduire  : 
tantôt  vivant  dans  une  foumiflion  entière 
aux  volontés   de  Jofeph  ;  tantôt  attachée 
aux   ordres  &  à  la  deftinée   de  fon  Fils  ; 
tantôt  confiée  au  Difciple  bien- aimé  ,  &  le 
regardant  comme  le  maître  de  fes  aidions 
&  l'arbitte  de  fa  conduite  ;  tantôt  enfin 
paroifiant  à  la  fuite  des  Difciples ,  après  la 
mort  de  Jefùs-Chrift,   comme  une  des  au* 
très  fem.mes  fidèles  ;  ne  paroifTant  entrer 
en  rien  ;  ne  s'attribuant  rien;  ne  voulant  pas 
partager  arec  les  Apôtres  le  gouvernement 
de  l'Ëglife  naiflante  ;  fe  fôumettant  à  leurs 
loix  &  à  leur  autorité  ;  n'affeélant  aucune 
prééminence  dans  cette   fainte  affemblée; 
tout  s'y  paffant  fans  qu'il  foit  fait  aucune 
mention  d'elle  ;  fans  qu'elle  afîeélât  aucune 
autorité  ;   &  fe  comportant  comme  une 
lîmple  fille  xie  l'Eglife,  elle  qui  en  étoit  la 
prote<^rice  &  la  mère.  Oui ,  Marie  com- 
blée de  tous  les  dons  &  de  toutes  les  lumie- 
tes;  revêtue  de  la  dignité  éminente  à  la- 
quelle une  pure  créature  ait  jamais  pu  pré- 
tendre ;  le  plus  ferme  appui  fur  la  terre  de- 
puis la  mort  de  fon  Fils,  de  TEglife  naif- 
fante ,  en  laifTe  tout  le  foin  aux  Apôtres  ,  & 
neferéferve  que  la  gloire  de  fe  foumettre 
la  première  à  leurs  décifions.  Quelle  leçon 
pour  réprimer  l'orgueil  &  l'inquiétude  des 
Fidèles ,  qui  fans  participer  à  l'éminence 


DE  LA  Sainte  Vierge.  271 
de  fes  dons  &  de  Tes  lumières,  ne  peuvent 
imiter   fa  foumiilion  &  fa  dépendance  ! 

Pour  nous ,  mi  es  Frères  ,  ce  n'eftpasia 
foumiiîîon  àTEglife  qui  nous  coûte  :  cette 
foumiiïion  ne  bleiîe  ,  ni  notre  orgueil ,  ni 
nospenchans,  ni  notre  ambition,  ni  notre 
fortune.  Ce  qui  nous  bleire  ,  c'eft  de  dé- 
pendre de  ceux  que  nous  croyons  fort  au- 
deflbus  de  nous  ,  c'eft  de  porter  le  poids 
dune  autorité  qui  paroît  mal  placée.  Nous 
adoucilfons  mêm.e  les  dépendances  les  plus 
inévitables  de  notre  état,,  par  le  mépris 
fecret  de  ceux  de  qui  nous  dépendons  : 
nous  nous  vengeons  de  leur  élévation  p^jr 
nos  cenfures  :  notre  orgueil  ,  forcé  de 
leur  obéir,  fe.confole  en  les  mépri Tant  : 
leurs  ordres  nous  rendent  ingénkux  à  dé- 
couvrir leurs  défauts  ;  &  il  eft  rare  que 
nos  fupérieurs  &  nos  maîtres ,  aient  fur 
notre  cteur  la  même  autorité  qu'ils  ont  îur 
notre  perfonne. 

Auflî  le  fécond  cara^lere  dé  gloire  ,  a 
laquelle  Marie  eft  aujourd'hui  élevée  ,  op- 
pofé  à  ce  caractère  de  dépendance  qu'elle 
avoit  tant  aim.é  ,  efl  une  gloire  d'autorité 
&  d'empire.  Elle  reprend  aujourd'hui  dans 
le  ciel,  à  la  droite  de  fon  Fils  cette  puif* 
fance  qu'elle  n'avoit  pas  voulu  exercer  fur 
la  terre  :  elle  rentre  dans  tous  {es  droits  : 
elle  eft  établie  fous  Jefus  Chrif^,  la  mé- 
diatrice des  Fidèles,  le  canal  des  grâces  j 
l'efpéranee  &  le  foutien  de  l'Eglife  ,  fafyle 
des  pécheurs  ,  la  protectrice  des  Juftes  , 
larelfoiirce  des  peuples  &  des  Em pires > 

M  4 


271  L'Assomption 

la  Reine  du  ciel  &  de  la  terre.  Oui,  mes 
Frères  ,  la  puifTance  de  Marie  n'a  point 
d'autres  bornes  ,  que  celles  de  l'amour  de 
fon  Fils  pour  elle.  Il  partage  ,  pour  ainfî 
dire  ,  avec  elle  Ton  autorité  :  il  la  rend  la 
diftributrice  de  {es  grâces  ;  il  veut  que 
nous  nous  adre/Tions  à  elle  ,  û  nous  vou- 
lons tout  obtenir  de  lui  ;  &  rien  n'eft  plus 
éloigné  de  refprit  de  la  Foi  ,  que  de  croire 
honorer  la  puilîance  de  Jefus-Chrift,  en 
diminuant  celle  de  fa  fainte  Mère.  C'eiî 
lui  que  nous  honorons  en  elle  :  ce  font  Tes 
dons  que  nous  exaltons  ,  en  exaltant  les 
dons  ineffables  de  Marie  :  p'efl  fa  puif- 
fance  que  nous  réclamons  ,  en  réclamant 
celle  de  fa  fainte  Mère  :  &  elle  &  nous  , 
nous  ne  fommes  ce  que  nous  fommes  ,  que 
par  lui  ;  &  notre  confiance  en  elle  ne 
perd  fa  fource  ,  que  dans  les  merveilles 
que  Jefus  -  Chrift  veut  bien  opérer  par 
elle. 

Ce  n*eftpas  ,  mes  Frères  ,  qu'il  fuffife 
de  fe  mettre  fous  la  protedlion  de  Marie  , 
6c  de  lui  rendre  quelques  hommages  , 
pour  afîurer  fon  falut  :  le  falut  éternel  eft 
le  prix  de  lobfervance  feule  de  la  Loi  de 
Dieu.  Quiconque  aime  le  monde,  qui- 
conque fe  livre  aux  delîrs  de  la  chair ,  qui- 
conque ne  rompt  point  Ces  pafllons  cri- 
minelles 5  il  a  beau  fe  déclarer  ferviteur  de 
Marie  ,  elle  ne  le  connoît  pas  :  elle  le  re- 
garde comme  l'ennemi  de  fon  Fils  :  elle 
détefte  la  confiance  qu'il  met  en  elle  ,  com- 
me injurieufe  à  la  Religion  ,  &  fur-tout 


4 


DE  LA  Sainte  Vierge.  273 
à  la  gloire  de  Jefus-Chrift.  Elle  aide  de 
fon  entremife  les  pécheurs  qui  veulent  re- 
venir de  leurs  égaremens  ;  mais  elle  fol-^ 
licite  elle-même  la  punition  ^e  ceux  qui 
fe  font  de  fon  entremife  une  fécurité  5c 
une  raifon  pour  y  perfévérer. 

Et  certes  ,  mes  Frères  5  fi  Jefus-Chrift 
lui-même  ne   reconnoît  pour  fa  mère,  & 
fes  frères  ,   que  ceux  qui  font  la  volonté 
du  Père  célefte  ;  Marie  reconnoîtj^y,Qjle 
pour  fes  enfans  j  les  tranfgrelTeurs  de  cette 
fainte  volonté,  &:  les  ennemis  de  la  doc- 
trine &  de  la  Croix  de  fon  Fils  ?   Si   Je- 
fus-Chrift  5   malgré  les  acclam.ations  popu- 
laires des  femmes  de  Juda  ,  ne  fait  pas 
confiner  le  bonheur  de  Marie  dans  l'hon- 
neur qu'elle  a   eu  de  le  porter  dans  fon 
chafte  fein  ,  mais  dans  fa  fidélité  à  écoa- 
.ter   la  parole   de  vie  ,  &  en  obferver  les 
faintes  maximes,  nous  nous  croirions  heu- 
reux 5  nous  5  en   portant  fur  notre  corps 
des  marques  confacrées  au  culte   de  Ma- 
rie ,  fans  avoir  l'amour  de  Jefus-Chrift  & 
de  fa  vérité,   gravé  dans  notre  cœur  ?  Ma- 
rie ne  feroit  donc  plus  que  la  protectrice 
des  pafTions  que  fon  Fils   condamne  ?  fa 
puiiTance    renverferoit    donc    Tceuvre    de 
l'Evangile  ,   &  ouvriroit  aux  hommes  une 
autre   voiedefalut,  que  celle  que   Jefus- 
-  Chrift  lui-même  leur  a  frayée  ?  Quelle  iiîu- 
fion ,  mes  Frères ,   de  prendre  dans  le  ref- 
pe(ft  que  l'Eglife  nous  infpire  euvers  Ma- 
rie ,  le  motif  de    notre  fécurité    dans  le 
crime  ,   &  de  fe  perfuader  qu'il  fufiit  de 

.M5 


274  L'Assomption 

fe  confier  en  fa  prote£i:ion  5  pour  obtenir 
après  une  vie  toute  de  crimes  &  de  paf- 
fions  j   la  grâce  du  repentir  &  du  pardon  à 
la  mort!  Eh!  quoi  mes  Frères  ,  notre  con- 
fiance en  Jefus-Chrift  lui-même ,  qui  efl 
Fauteur  de  la  vie  &  du  falut ,  feroit  vaine, 
fi  nous  ne  vivions  pas  comme  fes  Difci- 
î^les  ,  &  notre  confiance  en  Marie  feroit 
plus   puilTante  ,  quoique  nous  marchions 
dans  les  voies  du  monde  &  des  pafTions? 
T oiSrceux   qui  diront  à  Jefus-Chrift  lui- 
iTiême, -Seigneur  5  Seigneur,   n'entreront 
pas  pour  cela  dans  le  Royaume  des  Cieux  ; 
&  tous  <:eux  qui  diroient  à  Marie  ,  notre 
Rein€ ,  notre  refuge  ,  notre  efpérance  ,  fe- 
Toient  admis  dans  la  gloire  que  Jefus-Chrift 
n'a  promis  qu'aux  obfervateurs  de  fa  Loi 
fainîe  ?   Tous  ceux  même  qui  ont  publié  la 
gloire   de   Jefus-Chrift  fui   la   terre  ,   qui 
ont  prophétifé  en  fou  nom  ,  qui  ont  annon- 
cé fa  dodrine  &  aggrandî  fon  Royaume  , 
ine  feront  pas  pour  cela  comptés  parmi' ces 
©uvriers  fidèles ,  qu^l  couronne  de  juftice , 
a  la  fainteté  de  leurs  mœurs  n'a  foutenu 
celle  de  leur  miniftere  ;   &  nous  croirions 
que   tous  ceux  qui  ont  publié  la.  gloire  de 
Marie  ,  qui  ont  paru  zélés  pour  fon  culte  , 
qui  en  ont  augmenté  l'éclat  &  la  magnifi- 
cence ,  &  chargé  peut-être  fes  autels  de 
dons  &  d'oftrandes  ,  feraient  comptés  par- 
mi ces  ferviteurs  vigilans,  à.qui  la  récom- 
penfe  des  Juftes  eft  promife  ,  fi  l'innocence 
de  leur  vie  &   la  pureté  de  leur  cœur^n'a 
iauâifié  la  po$npe  de  eeshoûimages  ?  Noa  ^ 


DE  LA  Sai\^te  Tierce.  275 
mes  Frères  5  FEglife  a  toujours  regardé 
Marie  comme  le  foutien  de  notre  foiblcire^, 
&  non  comme  l'afyle  de  nos  ps/lions  ^ 
comme  la  reUburce  de  nos  nécefîités  ,  & 
non  comme  la  protedriee  de  nos  crimes. 
Marie  ne  compte  pour  fiens  que  ceux  qui 
appartiennent  à  Jefus-Chriil  :  elle  ne  re- 
garde dans  les  hommages  qu'on  lui  rend  ^ 
que  la  pureté  &  la  fidélité  du  cceur  qui 
les  lui  offre  ,  &  n'aime  dans  {es  ferviîeurs 
que  l'innocence  ,  la  foi  ,  la  charité  ,  & 
toutes  les  vertus  qui  la  rendirent  elle-mê- 
me agréable  aux  yeux  de  Dieu.  Ceil  ainfî 
que  fa  puilfance  &  fon  autorité  dans  le 
ciel  5  couronnent  aujourd'hui  l'abaifîément 
de  dépendance  où  elle  avoit  toujours  vécu 
fur  la  terre. 

Enfin  ,  le  dernier  abaiifement  de  Marie 
pen-dant  fa  vie  mortelle,  avoit  été  in  abait 
fement  de  mépris  &  de  confufion.  Soup» 
çonnée  par  Jofeph  ,  elle  avoit  porté  dans 
lefilence  toute  la  honte  d'un  foupçon  à  hu> 
miliant  &  û  trif^e.  Elle  adoroit  en  fecret 
les  ordres  du  Seigneur  fjr  elle  ;  &  fans  dé- 
couvrir à  Jofeph  le  myflere  ineffable  qui 
venoit  de  s'opérer  dans  fon  fein  ^  elle  iaif- 
foit  à  la  fageffe  du  Très  Haut  le  foin  de 
manifefler  l'innocence  de  fa  fen'ante.  Elle 
ufliffoit  cette  humiliatioi>  à  celle  que  le  Ver- 
be  fait  chair  commençoit  à  éprouver  dans 
fes  chaftes  entrailles  :  elle  fe  foumettair 
comme  lui ,  à  porter  quelque  temps  la  refl 
femblaiice  du  péché  ,  à  faire  un  C^rn£çQ 
de  ùm  inaocence  aux  ordres  inconnus/ k 

M  6 


z'jô  L'Assomption 

adorables  de  la  fageiTe  divine  ,  &  à  Te  ré- 
jouir même  par  avance  de  l'utilité  qiie 
Dieu  fauroit  bien  retirer  pour  l'accomplif- 
fement  de  fes  delTeins  éternels  ,  de  fon 
humiliation  &  de  fon  opprobre. 

Telle  étoit  la  difpofition  de  Marie  ;  & 
voilà  pourquoi  fa  mort  eft  fuivie  dune 
l^loire  de  vénération  &  d'hommage  :  der- 
nier caraôere.  Tous  les  peuples  &  toutes 
les  nations  ont  entendu  parler  des  merveil- 
les de  Dieu  en  elle  :  par- tout  où  la  gloire 
de  Jefus-Chrifta  trouvé  des  adorateurs,  la 
iîenne  a  trouvé  des  honneurs  6c  des  hom- 
mages. A  peine  eut-elîe  difparu  de  la  terre, 
que  les  hommes  Apoftoliques  lui  adrefle- 
rent  des  vœux  :  ces  fiecles  heureux  &  fî 
honorables  à  la  Foi ,  furent  les  premiers 
dépofitaires  du  refpeâ:  des  Fidèles  envers 
Marie  ;  &  il  falloit  bien  que  TEglife  ^  en- 
core jiaiflante  ,  rendît  déjà  des  honneurs 
foleminels  à  cette  Reine  du  ciel  ;  puilqu'il 
s'éleva  dès-lcrs  ,  parmi  les  Fidèles ,  àes 
hom.m.es  ignorans  &  fuperftitieux ,  qui 
frappés  de  féminence  de  îa  gloire  &  de  fa 
dignité  ,  changèrent  la  piété  en  fuperftition 
&  en  idolâtrie  ;  lui  offriient  ôlqs  facrifices, 
ha  lui  rendirent  à^s  honneurs  qui  ne  font 
dûs  qu'à  rEternel.  Ainiî  à  mefure  que  la 
foi  fe  répandit ,  le  culte  de  Marie  s'établit 
fur  la  terre  :  à  mefure  que  l'Eglife  ,  favo- 
rifée  par  les  Céfars ,  vit  l'éclat  &  la  mia- 
gnificence  ,  accompagner  la  fainteté  de  fes 
myfteres  ;  les  hommages  rendus  à  Marie 
devinrent  plus  pompeux  &  plus  foleranels. 


DE  LA  Sainte  Vierge.  177 
En  vain  parurent  alors  des  efprits  inquiets 
&  fuperbes  ,  qui  oferent  lui  difputer  l'au- 
gufte  qualité  de  Mère  de  Dieu.  Leurs 
blafphêmes  ne  fervirent  qu'à  réveiller  la 
piété  des  Fidèles  :  de  toutes  parts  s'élevè- 
rent des  autels  &  des  Temples  magnifi- 
ques 5  confaçrés  fous  fa  protedion  &  fous 
fon  nom  ,  à  la  gloire  de  fon  Fils  :  la  Reli- 
gion des  peuples  oppofa  des  monumens 
publics  élevés  à  l'honneur  de  Marie  ,  aux 
fecrettes  entreprifes  de  (es  ennemis  ;  des 
Conciles  s'aiTemblerent  pour  lui  conferver 
fes  droits  auguftes,  &  laiiîér  à  la  pcftérité 
dans  leurs  décifions  ,  les  titres  vénérables 
de  leur  r.efpeâ:  ,  &c  de  celui  de  leurs  pères 
envers  Marie  ;  &  l'erreur  ,  comme  il  ar- 
rive toujours  5  ne  réuflit  qu  a  établir  avec 
plus  d'éclat  la  vérité. 

Que  dis-je  ,  mes  Frères  !  les  Villes  & 
les  Empires  fe  mirent  fous  fa  protection 
puiiTante  :  de  faintes  Sociétés  aiîémblées  à 
fon  nom  ,  &  dévouées  à  fon  culte  ,  s'é- 
levèrent de  toutes  p^yts  :  les  fléaux  pu- 
blics ceflerent  par  les  vœux  &  les  hom- 
mages qu'on  lui  adreffa  :  nos  Villes  &  nos 
Provinces ,  frappées  de  la  main  de  Dieu  , 
virent  tomber  par  fon  entremife  ,  le  glaive 
qui  les  châtioit  ;  &  un  de  nos  Rois  ,  dont 
la  mémoire  nous  fera  toujours  chère  ,  par* 
ce  qu'il  futun  Roi  jufte  &  clément,  fit  pour 
immortalifer  le  fouyenir  d'un  bienfait  Ci  fi- 
gnaié,  un  hommage  public  à  cette  Reine  des 
cieux  5  de  tout  fon  Royaume  qu'elle  venoit 
de  conferver  &  de  délivrer  de  la  plaie  ,  qui 


27?  L*  Assomption 

fembîoit  annoncer  fa  défôlation  Si  fa  ruine. 
L'Angleterre  elle-même  ,  avant  qu'un 
fchifme  infortuné  en  eût  fr^it  un  Royaume 
de  trouble  &  d'erreur  ,  fe  diftingua  par  fa 
piété  envers  Marie  :  fes  Rois  la  regardè- 
rent comme  la  protedrice  de  leurs  Etats  : 
{es  plus  faintsEvéques  furent  les  défenfeurs 
les  plus  zélés  de  fon  culte  :  c'eft  un  dépôt 
facré  qu'ils  avoient  reçu  de  ces  hommes 
Apofloliques  ,  qui  fous  les  ordres  du  grand 
Pontife  faint  Grégoire,  vinrent  établir  dans 
cette  Ifîe  célèbre,  la  Foi  de  Jefus-Chrift 
fur  les  ruines  de  l'idolâtrie.  La  fcience  qui 
diftingua  bientôt  cette  Eglife  fiorifTante  , 
loin  de  refroidir  fon  zèle  envers  Marie ,  le 
rendit  plus  fervent  &  plus  folemnel  ;  fa 
piété  augmenta  avec  fes  lumières  :  l'orgueil 
&  les  pafTions  feules  ont  détruit  ce  qu'une 
foi  humble  &  éclairée  avoit  d'abord  édifié. 
Le  Seigneur  a  retiré  fon  Efprit  du  milieu 
de  cette  Eglife  infidèle  :  il  l'a  livrée  à  un 
efprit  de  menfonge  &:  de  révolte  ,  mais  fes 
châtimens  ne  font  jamais  fans  miféricorde. 
Il  a  voulu  la  punir  ;  il  ne  veut  pas  l'aban- 
donner &  la  perdre  :  il  s'eil  encore  réfervé 
ffu  m.ilieu  d'elle  un  petit  nombre  d'Ifraéli- 
tes  Bdelesj  que  la  contagion  générale  n'a  pas 
infedés  ,  &.  qui  n'ont  pas  iléchi  le  genou 
devant  Baal  :  cette  fainte  fem.ence  que  la 
èontédeDieulaiife  encore  au  milieu  de  ces 
Villes  rebelles,  fruârifiera  en  fon  temps,  & 
les  empêchera  d'éprouver  le  môme  fort 
que  Sodome  &  que  Gomorre.  Et  encore 
tous  les  jours  une  grande  Reine  ,  plus  il- 


DE  LA  Sainte  Vierge.  279  -^ 
luftre  par  les  couronnes  qu  elle  a  facrifiées  ' 
àlà*conftance  de  fa  foi ,  que  par  lapuilfance 
&  les  grandes  qualités  qui  les  avoient  mifes 
fur  fa  tête  ,  trouve  ici  aux  pieds  de  Marie  y 
la  plus  douce  confoiation  de  iç.s  peines  ;  lui 
offre  fans  celle  un  Royaume  que  l'héréfie  a 
infedé,  des  fujets  que  l'efprit  de  rébellion  j 
toujours  inféparable  de  l'héréfie,  a  fafcinés; 
avance  aux  pieds  ào^s  autels  ,  les  momens 
de  la  miféricorde  ;  &  contribue  plus  à  la 
converfion  de  fes  peuples  &  au  rétabliffe- 
inent  de  la  Royauté  indignement  violée  , 
par  les  foupirs  fervens  q^u'elle  ne  ceiTe  de» 
répandre  dans  le  fecret  du  Sanduaire ,  que 
toutes  les  Puiffances  de  la  terre  ne  fau- 
roient  y  contribuer  par  la  fageffe  de  leurs 
confeils  &  par  la  for-ce  de  leurs  armes. 

Voilà  ,  mes  frères  ,  le  comble  de  gloi- 
re où  les  humiliations  paffageres  ont  con- 
duit Marie  ;  &  telle  eft  prefque  toujours 
la  deftinée  des  Juftes  ,  qui  oi>t  éprouvé 
des  revers  &  des  humiliations  fur  la  terre» 
Chaque  fiecle  en  fournit  des  exemples  ;  6c 
encore  fous  nos  yeux  un  Roi  *  détrôné  5 
expofé  pendant  fa  vie  à  la  cenfjre  des  in- 
fenfés  ;  lui  q\ii  avoit  vu  fa  foltaxée  de  foi- 
bleffe  ,  fon  zèle  d'imprudence  ,  &  fes  mal- 
heurs im-putés  à  lui  feui.,  reprend  après  fa 
mort  le  droit  qu'il,  avoit  furl'eftime  &  fur  la 
vénération  publique  ;  &  s'attire  des  hom- 
mages mille  fois  plus  éclatans  ,  que  ceux 
quûavoient  environné  fon  trône. 

Pour  lufurpateur  qui  s'eft  élevé  par  deî 
*  Jasqxkii  Ih  Roi  d'Angleterre. 


i8o  L*  A  s  s  O  M  P  T  I  O  N 

voies  injuftes  ;  qui  a  dépouillé  l'innocent 
&  chafTé  l'héritier  légitime  pour  fe  mettre 
à  fa  place  &  fe  revêtir   de  fa  dépouille  ; 
hélas  !  fa  gloire  fera  enfevelie  avec  lui  dans 
le  tombeau  ;  fa  mort  développera  la  honte 
de  fa  vie.  C'eft  alors  que  la  digue  qu'oppo- 
foient  aux  difcours  publics  fes  fuccès  6c  fa 
puiflance  ,  étant  ôtée  ,  on  fe  vengera  fur  fa 
mémoire  des  fauffes  louanges  qu'on  avoit 
été  contraint  de  donner  à  fa  perfonne  :  c'eft 
alors  que  tous  les  grands  motifs  de  crainte 
&  d'efpérance  n'étant  plus  ,   on  tirera  le 
^voile  qui  couvroit  les  circonftances  les  plus 
honteufes  de  fa  vie  :  on  découvrira  le  motif 
fecret  de  fes  entreprifes  glorieufes  ,  que 
l'adulation  avoit  tant  exaltées  ;  &  on  en  çx- 
pofera  l'indignité  &  la  bafTeife.  On  regar- 
dera de  près  ces  vertus  héroïques ,  que  l'on 
ne  connoiiToit  que  fur  la  bonne  foi  des  élo- 
ges publics  ;  6c  on  n'y  trouvera   que  les 
droits  les  plus  facrés  delà  nature  &  delà 
fociété  ,  foulés  aux  pieds  :  on  le  dépouille- 
ra alors  de  cette  glpire  barbare  6c  injufte  , 
dont  il  avoit  joui  :  on  lui  rendra  l'infamie  6c 
la  mauvaife  foi  de  fes  attentats ,  qu'on  avoit 
bien  voulu  fe  cacher  à  foi- même.  Loin  de 
régaler  aux  héros,  on  l'appell-era  un  fils  dé- 
naturé ;  un  de  ces  hommes  ,   dont  parle 
faint  Paul ,  fans  culte,  fans  afFeâ:ion  6c  fans 
principe  ;  fa  faulTe  gloire  n'aura  duré  qu'un 
inftant  ,  6c  fon-  opprobre  ne  finira  qu'avec 
les  fiecles  :  la  dernière  poftérité  ne  le  connoî- 
tra  que  par  fes  crimes;  que  par  la  piété  filia- 
le foulée  aux  pieds  à  la  face  des  Rois  6c  des 


DE  LA  Sainte  Vierge.  281 
nations,  qui  ont  eu  la  lâcheté  d'applaudir  à 
fon  ufurpation  ;  enfin  ,  par  l'attentat  qui  lui 
a  fait  détrôner  un  père  &  un  Roi  jufte  , 
pour  fe  mettte  à  fa  place.  Les  hiftoires  ,  fî. 
deles  dépofitaires  de  la  vérité  ,  conferve- 
ront  jufqu'à  la  fin  fon  nom  avec  fa  honte  ; 
&  le  rang  où  il  s'eft  élevé  aux  dépens  des 
loix  de  l'honneur  &  dé  la  probité  ,  en  le 
faifant  entreç  fur  la  fcene  de  l'univers ,  ne 
fervira  qu'à  immortalifer  fon  ambition  & 
fon   ignominie   fur  la  terre. 

Quelle  inftrud^ion  pourrois-je  vous  laif- 
fcr-à  vous  ,  mes  Frères  ,  en  finiffant  cet 
éloge  de  la  mort  &  de  l'exaltation  de 
Marie  ,  finon  de  l'oppofer  encore  à  la  mort 
du  pécheur?  Oui,. mes  Frères,  la  mort 
finit  toute  la  gloire  de  l'homme  qui  a  oublié 
Dieu  pendant  fa  vie  ;  elle  lui  ravit  tout ,  elle 
le  dépouille  de  tout ,  elle  l'anéantit  dans 
tout  ce  qu'il  étoit  de  grand  aux  yeux  des 
hommes  ;  elle  le  laiffe  feulfans  force  ,  fans 
appui ,  fans  reffource ,  entre  les  mains  d'un 
Dieu  terrible.  Ce  nombre  d'amis ,  de  flat- 
teurs ,  d'efclaves  ,  de  fujets  ,  au  milieu 
defquels  il  fe  croyoit  immortel  ,  ne  peu- 
vent phis  rien  pour  lui  :  femblables  à  ceux 
qui  voient  périr  de  loin  un  homme  au  mi- 
lieu des  flots  5  ils  peuvent  tout  au  plus  ,  ac- 
corder des  larmes  à  fon  malheur  ,  ou  faire 
des  vœux  inutiles  pour  fa  délivrance.  Ainfi 
feul  aux  prifes  avec  la  mort ,  il  tend  en  vain 
les  mains  à  toutes  les  créatures  qui  lui 
échappent.  Le  pafié  ne  lui  paroîtplus  qu'un 
inftant  fugitif,  quin'a  fait  que  briller  &  dif- 


28z  L'Assomption,  &c. 
paroître  ;  l'avenir  eft  un  abyme  immenfe  , 
où  il  ne  voit  ni  fin  ,  'ni  ilTue ,  &  où  il  va  fe 
perdre  &  s'engloutir  pour  toujours  ,  in- 
certain de  fa  deltinée.  Le  monde  qu'il 
croyoit  éternel,  n'eft  plus  qu'un  phantôme 
qui  fe  diïïipe  ;  l'éternité  qu'il  regardoit 
comme  une  chimère  ,  eft  un  objet  affreux 
qu'il  a  fous  les  yeux ,  &  qu'il  touche  déjà 
de  fes  mains.  Tout  ce  qu'il  avoit  cru  réel 
&  folide  ,  s'évanouit  :  tout  ce  qui  lui  avoit 
paru  frivole  &  chimérique  ,  fe  montre  & 
fe  réalife  ;  &  fon  malheur  lui  donne  de 
nouvelles  lumières  ,  mais  ne  lui  donne  pas 
de  nouveaux  penchans  ,  &  un  nouveau 
cœur  :  il  meurt  détrompé  fans  mourir 
changé  ;  il  meurt  défefpéré  ,  &  ne  meurt 
pas  pénitent. 

Mais  i'ame  jufte  ,  ah  !  elle  voit  alors  le 
monde  &  l'éternité  ,  des  mêmes  yeux 
qu'elle  les  avoit  toujours  vus  :  rien  ne 
change  ,  rien  ne  finit  pour  elle  dans  ce  der- 
nier moment,  que  fes  humiliations  &  fes 
fouffrances.  Ainfi  libre  de  tous  les  attache- 
mens  du  monde  &  de  la  vanité  ,  pleine  de 
bonnes  œuvres ,  foutenue  de  îa  foi  des  pro- 
melTes  ,  mure  pour  le  Ciel ,  elle  fcrm.e 
les  yeux  fans  regret  à  tous  les  vains  objets 
qu'elle  n'avoit  jamais  vus  qu'avec  peine  ; 
elle  s'envole  dans  le  fein  de  Dieu  ,  d'où 
elle  étoit  fortie  ,  &  où  elle  avoit  toujours 
habité  par  fes  defirs  ;  &  rentre  avec  paix 
&  avec  confiance  dans  la  bienheureufe 
Eternité. 

Ainfi  foit'iL 


'-  — ^^%:r — ==^ 


SERMON 

POUR     LA     FETE 
DE    LA     VISITATION 

DE  LA    Ste.  vierge. 

Exurgens  autem  Maria  in  diebus  illis  , 
abiit  in  montana  cum  feflinatione ,  in  civi- 
tatem  Juda. 

Un  peu  aprh  ,  Marie  partit  avec  prompt 
titude  ,  &  s\n  alla  dans  les  montagnes  de 
Judée  ,  en  une  ville  de  la  Tribu  de  Juda, 
Luc.   I.   39. 

'eau  prodige  ,  mes 
le  timide  j  foible  , 
un  Pare  ,  dans  le  S*  Amh. 
calme  &  dans  la  pudeur  de  la  retraite  , 
elle  ,  qui  n'a  guère  ,  ne  pouvoit  foutenir  ,- 
lans  trouble  &  fans  embarras  ,  ja^^réfence 
même  d'un  Ange  ,  fe  montre  aujourd'hui 
en  public  ,  s'expofe  à  la  vue  des  hommes  , 
&  ne  compte  même  pour  rien  ,  les  allarm.es 
&  les  périls  d'un  long  &  pénible  voyagp. 


284  La    Visitatton 

Incrédule  ,  veut  elle  avoir  pour  garant 
de  fa  maternité  ,  le  miracle  de  la  fécondité 
^'Elizabeth  ?  incertaine  ,  vient  -  elle  lui 
confier  le  fecretde  FambalTade  de  Gabriel, 
pour  favoir  ce  qu'elle  en  doit  croire  ?  fîere 
de  fa  nouvelle  dignité ,  fe  hâte-t-elle  par 
un  des  ces  fecrets  empreifemens  qu'infpire 
une  vaine  joie  ,  d'en  aller  annoncer  la  nou- 
velle à  fa  Coufine? 

Ah  !  s'écrie  faint  Ambroife  ,  tout  j^u- 
blie  ici  la  foi&  ITiumiiité  de  ?vlarie.  Con- 
vaincue  que  le  Tout-Puiifant  fe  plaît  à  faire 
de  grandes  chofes  5  elle  fait  qu'il  ne  lui  eft 
pas  plus  difficile  d'allier  la  fécondité  avec 
la  virginité  ,  qu'avec  une  honteufe  ftérili- 
té._  Elle  commence  à  découvrir  que  Thif- 
toire  des  Saras  &  des  Annes  ,  n'avoit  été 
qu'un  prélude  de  ce  qui  fe  paiTe  à  fes 
yeux;  &  rentrant  dans  fon  néant ,  à  me- 
lure  que  Dieu  s'approche  d'elle  pour  l'éle- 
ver ,  Mère  du  Libérateur  de  Sion  ,  que 
tant  de  fiecles  avoient  promis  ,  que  tant 
de  Juftes  avoient  annoncé ,  que  tant  de 
Rois  &  de  Prophètes  avoient  fouhaité  , 
cUq  va  rendre  à  Elizabeth  les  mêmes  de- 
voirs, que  fon  Fils  doit  un  jour  rendre  à 
Jean-Baptifte  ;  &  comme  lui ,  elle  fe  croit 
.  Matth.  obligée  d'accomplir  toute  juftice  :  Sic  enim 
«•     is»  decet  nos  implere  omnem  jujîitiam. 

Ni  la-bienféance  ,  continue  ce  Père ,  fur 
laquelle  fonfexe  eft fi  délicat,  &  quifi  fou- 
vent  lui  tient  lieu  de  vertu;  ni  la  difficulté 
des  chemins  ,  ni  la  longueur  du  voyage 
n'allarment  pas  fa  délicateife  ;  peu  attentive 


DE  LA  Sainte  Vierge.  185 
à  tous  les  obftacles  que  ramour  propre 
grofTit  &  multiplie  toujours  avec  tant  d'art 
&  de  fuccès  ,  elle  fe  livre  au  divin  pen- 
chant qui  l'entraîne  ,  &  fuit  fans  balancer 
les  impreffions  du  Dieu  qu'elle  porte  dans 
fon  fein  :  Non  à  puhlico  virginitatis  pudor  5  5,  ^^5^ 
non  àjludio  afpcritas  montium ,  non  ah  of- 
ficLO  prolixitas  itincris  rctardaviu 

Souffrez  ,  mes  Frères  ,  que  je  m'arrête 
à  ces  trois  réflexions.  Si  je  n'approfondis 
pas  le  myftere  ,  c*eft  que  nous  avons  en- 
core plus  befoin  d'être  touchés  ,  que  d'ê- 
tre inftruits.  Ces  faits  miraculeux  fur  quoi 
la  Religion  eft  fondée  ,  confolent  à  la  vé- 
rité la  raifon  ,  &  la  mettent  prefque  d'in- 
telligence avec  la  Foi  ;  mais  d'ordinaire  ils 
laiifent  au  cœur  toute  fa  tranquillité  :  ce 
font  des  lueurs  qui  nous  réjouiifentpour  un 
moment  ,  félon  l'expreiîîon  de  l'Evangile, 
mais  qui  ne  nous  embraffent  prefque  ja- 
mais. Ramenons  donc  à  l'édification  de 
nos  mœurs  toutes  les  circonftances  de  ce 
myftere. 

Quels  font  les  obilacles  que  notre  amour 
propre  oppofe  prefque  toujours  à  la  grâce  ? 
c'eft  premièrement  ,  une  fauffe  bienféance 
qui  nous  fait  ménager  le  fiecle  &  nous  em- 
pêche de  nous  déclarer  tout  haut  pour 
Jefus-Chrift  ;  c'eften  fécond  lieu  ,  la  diffi- 
culté de  la  vertu  qui  nous  allarme  ;  enfin, 
c'eft  la  durée  du  chemin  qui  rallentit  notre 
zèle  ,  &  nous  perfuade  qu'on  peut  ufer  d'à» 
doucifiémens,  &  chercher  des  feutiers  dé- 
tournés &  commodes  ,  pour  aider  notre 


x^6  La  Visitation 
foibleffe.  Or  ,  Marie  entreprenant  ce  voya- 
ge toute  feule  ,  nous  confond  fur  ces  rai- 
fons  infinies  de  bienféance ,  qui  ne  nous 
permettent  pas  de  fuivre  l'attrait  du  Ciel  î 
c'eft  ma  première  réflexion.  Marie  ,  mal- 
gré la  delicateffe  de  fon  âge  &  de  fon  fexe, 
allant  joindre  Elizabeth  à  travers  les  mon- 
tagnes &  les  chemins  lesplus  difficiles,  con- 
damne notre  lâcheté  ,  que  la  difficulté  de 
la  vertu  effraye  &  retient  dans  le  vice  :  c'efl 
ma  féconde  réflexion.  Enfin  ,  Marie  fe  hâ- 
tant toujours  malgré  la  longueur  du  voya- 
ge ,  nous  apprend  à  ne  pas  ufer  de  détours  y 
ni  adoucir  par  nos  lenteurs  &  nosm.énage- 
lîiens ,  les  rigueurs  de  la  voie  évangélique  : 
c'efl:  ma  dernière  réflexion.  Voilà  tout  le 
delfein  de  ce  difcours.  Demandons  au 
Saint-Efprit  fes  lumières  par  l'entremife 
de  cette  Vierge  fainte.  Ave  ,  Maria, 


D 


E  toutes  les  erreurs  qui  ont  aujour- 
Partie  d'htii  cours  dans  le  monde  ,  il  n'en  ell  pas 
de  moins  contagieufe  que  celle  qui  attache 
de  la  gloire  au  vice ,  &  de  la  honte  à  la  ver- 
tu. Je  le  fais ,  mes  Frères  ,  &  je  ne  veux 
pas  ici  prêter  au  fiecle  des  defordres  imagi- 
naires. L'iniquité,  m.algrc  tout  le  dérègle- 
ment du  cœur  humain  ,  n'a  pu  encore  trou* 
ver  parmi  nous  uns  protection  publique  :  on 
ne  voit  guère  de  ces  âmes  défefpérées , 
qui  fe  fallent  honneur  de  leur  confufion  , 
coirmie  dit  l'Apôtre  ,  &  qui  mettent  leur 
gloire  dans  lear  infamie  :  le  crime  traîne 
toujours  après  foi  certaine  baifeife  ,  dont 


DE  LA  Sainte  Vierge.  187 
C13  eft  bien  aife  de  dérober  le  fpeftacle  au 
public  ;  &  je  ne  faisparquels  reftes  de  droi- 
ture le  fîecle  lui-même  ne  peut  s'empêcher 
de  condamner  tout  haut  ,  ce  que  fa  cor- 
ruption lui  fait  autorifer  en  fecret. 

Mais  il  eft  des  vices  moins  odieux ,  des 
défordres  plus  heureux  ,  ^Qs  crimes  polis , 
fî  je  lofe  dire ,  qui  femblent  avoir  prefcrit 
contre  l'Evangile  ,  que  le  (îecle  place  ho- 
norablement parmi  les  vertus,  &  qui  tout- 
à-coup  n'offrant  rien  de  trop  noir ,  retien- 
nent toute  la  malignité  du  vice  5  fans  en 
retenir  la  honte  &  les    horreurs. 

Or  5  je  dis  que  c'eft  de  la  fauffe  idée 
qu'on  attache  à  ces  prétendues  vertus ,  qui 
font  5  hélas  !  dés  vices  trop  réels ,  que  naif- 
feut  ces  égards  fi  peu  chrétiens,  ces  frayeurs 
coupables  qui  font  que  nous  rougilfons  de 
Jefus-Chriil  :  je  dis  que  de-là  vient  que 
nous  faifons  tant  d'a(ftions  ,  malgré  'le  cri 
fecret  de  la  confcience  ;  que  nous  en  om.et- 
tons  tant  d'autres  dont  nous  fentons  au  de- 
dans de  nous  la  nécelhté  \  le  tout ,  pour  ne 
ptis  choquer  le  monde.  Comment  ne  pas  fe 
conformer,  dit  on  ,  à  des  ufages  qui  ont 
prévalu  ?  comment  s'élever  au-dclTus  de  la 
multitude  qui  ne  s'en  fait  point  de  fcrapule  ? 
Il  eil  clair  que  le  mouds  ne  blâme  point 
telle  chofe  :  eft-il  aufli  clair  que  TEvangile 
la  réprouve  ?  faut-il  que  je  condamne  tout 
le  monde  par  mes  fîugularités  ?  De-là  il  ar- 
rive que  la  pieté  craintive  &:  tiniide  ,  cher- 
che les  ténèbres  ;  ou  bien  elle  eft  obligée 
d-'^  s'ajiîftcr  aux'  i....-iieres  ùqs  mondains  5 


zS8        La    Visitation 

&  de  fe  contrefaire  comme  David  dans  la 
Cour  du  Rois  Acbis  :  elle  n'ofe  prefque  ja- 
mais paroître  tout  ce  qu'elle  eft  ,  tandis  que 
le  vice  applaudi  aFeé^e  Téclat  ,  loin  de 
craindre  de  fe  montrer.  Eh  !  n'étoit-ce  pas 
alTezquelafoibleiTe  &  la  corruption  de  no- 
tre cœur  5  nous  rendit  la  vertu  pénible  & 
dégoûtante?  falloit-il  que  lè  dérèglement 
de  l'efprit  y  attachât  encore  de  la  honte  5c 
du  mépris  ? 

Trouvons  aujourd'hui  dans  la  conduite 
de  Marie  de  quoi  confondre  le  fîecle  fur  un 
point  au{îi  important.  Quel  efl  le  motif  qui 
l'éloigné  de  Nazareth  ?  Un  Ange  vient  de 
lui  annoncer  qu'Elizabeth,  malgré  fon  âge 
&  fa  ftérilité  ,  étoit  devenue  féconde  ; 
qu'elle-même  avoit  été  remplie  de  la  vertu 
du  Très-Haut,  &  que  l'Emmanuel  promis 
depuis  tant  de  fiecles ,  defcendu  dans  fon 
fein  5  alloit  enfin  être  la  lumière  des  na- 
tions &  la  gloire  d'Ifraël.  Mais  cette  am- 
baffade  fi  augufte  ,  fi  extraordinaire ,  eft  un 
fecret  pour  le  public  Peut -elle  compter 
d'en  être  crue  fur  fa  parole  ?  ne. doit-elle  pas 
s'attendre  aux.  difcours  des  infenfés  ,  & 
aux  railleries  des  efprits  qui  fe  piquent  de 
raifon  ? 

D'ailleurs  ,  fortie  du  fang  des  Rois  de 
Juda  ,  &  depuis  peu  illuftrée  par  la  quali- 
té de  Mère  de  Dieu  ,  ne  paroît-il  pas  con- 
tre la  bienféance  ,  &  n'eft-ce  pas  trop  avi- 
lir ce  nouveau  rang ,  que  de  s'aller  abaiifer 
jufqu'aux  offices  les  plus  vils  envers  une 
femme  qui  étoit  fi  fa/t  au-deiîbus  d'eîièi 

Enfin  5 


DE  lA  Sainte   Vierge.         iS^ 

Enfin  j    les   loix   d'une   auRcre  padeur 

'accommodent-elles  bien  ave  c  les  halards 

ôc  les  contre-temps  allez  inévitables  dans 

un  long  voyage  ? 

Ainfi  s  abule  ,  ô  mon  Dieu  !  une  raifon 
malade  :  ainfi  trop  ingénieiifes  à  fe  rrom- 
per  ,  fe  flactenc  tous  les  jours  ces  âmes  foi- 
bles;,  qui  ont  afiez  de  foi  pour  fouhaiter 
d'atteindre  à  ces  montagnes  faintes  de  la 
Tribu  de  Juda  ,  mais  qui  nen  ont  pas  af- 
fwz  pour  entrer  dans  les  voies  qui  peuvent 
les  y  conduire  ! 

Que  de  raifon  ne  fe  dit- on  pas  à  foi- 
même  pour  s'étourdir!  dans  combien  de' 
mauvais  prétextes  lamour   propre  ne  fe 
rerrancbe-t-ri  pas! 

Un  Grand  gémit  du  tumulte  qui  l'envi- 
ronne ;  &  livré  aux  foins  de  fa  fortune  , 
aux-^devoirs  de  fa  charge  ,  aux  bienfcances  ' 
de  ion  état  .  il  oppofe  fes  foibles  raifons  à 
la  VOIX  du  Qel  qui  l'appelle  ;  veut  mettre 
Ditn  même  dans  les  intéras  de  fa  foibîefTe; 
^  croit   que  laiTuiettilTement  à  des   loix 
que  le  caprice  ou  la  vanité  des  hommes  ont 
inventées  ,  eft  une  bonne  raifbn  aux  yeux 
ae  Dieu  ,  pour  le  difpenfex  des  loix  divines 
ae  l'Evangile. 

Je  ne  faurois  me  donnrr  des  airs  de  fin- 
gularité  ,  m  me  condamnera  une  retraite 
exernelie  ,  vous  d/ra  une  femme  Chrétien- 
ne :  je  voudrois  bien  que  Vufage  autorisât 
une  vie  picis  obfcure  &c  plus  retirée  dans 

les  ptrfonnes  de  mon  rang,  ^^  que  le  monde 
nous  fit  pas  une  loi    de  certain  tracas. 


ipo  La    Visitation 

dont  je  me  palTerois,  fans  beaucoup  de  pei- 
ne ,'  mais  quelle  apparence  que  je  me  don- 
ne du  ridicule  par  desmanitres  firgulicres, 
&:  que  par  piété  j'aille  devenir  extraordi- 
naire f 

Mais  dans  le  jour  terrible  de  vos  ven- 
geances j5  ne  jugez-vous  pas  les  Grands 
ôc  le  peuple  fur  le  même  Evangile  ,  ô  mon 
Dieu  ^  une  fauiîe  bienféance  qui  étouffe 
dans  tant  de  cœurs  les  femences  de  grâce 
que  vous  y  jettez  j  cette  loi  du  fiecle  ,  cet 
Evangile  des  mondains  ,  fera-t-il  une  ex- 
ception dans  les  maximes  générales  de  l'E- 
vangile de  Jefus-Chrift  ^  Hh  !  fi  votre  juf- 
tice  pouvoir  fouffrir  des  adouciflem.ens 
dans  une  loi  dont  vous  avez  prédit  l'accom- 
plifiem-ent  jufqu'au  point  le  plus  léger  j,  fe- 
roit-ceen  faveur  des  PuifTans  du  fiecle  que 
vous  vous  relâcheriez  ^  eux  qui  vous  ont 
difputé  la  plus  mince  mortification  j  &  qui 
pour  TamiOur  de  vous  n'ont  jamais  pu  fe  re- 
trancher fur  un  feul  plaifir  ;  ou  en  faveur  de 
ces  inforrunés  ,  qui  parles  ménagemens  fe- 
crets  de  votre  Providence  ,  en  proie  ici-bas^ 
à  la  faim  ,  à  la  (oif  ôc  à  tant  d'autres  cala- 
mités 5  accablés  fous  la  pefanteur  du  joug  , 
n'ont  pu  toujours  polTéder  leurs  âmes  dans 
leur   patience  ^ 

Quel  efl  ici ,  mesPrçres  y  notre  aveu- 
glement !  on  ne  veut  pas  d'une  piété  qui  fe 
fafle  remarquer  y  &  qui  nous  mette  fur  le 
pied  d'homme  extraordinaire.  Mais  fi  la 
contagion  eft  univerfelle  3  pouvez-vous 
VOUS  en  fauver  fans  être  finguUer  i  mais  û 


DE  LA  Sainte  Vierge.         191 
!a  foule  entre  dans  la  voie  large  ,  coai- 
njenc   voulez-vous  fuivre  le  iencier  évan- 
gélique  j  3c  n'être  pas  remarqué  f  Eh  quoi  1 
parce  que  l  innondation  ailoic  être  géné- 
rale )   Noé  ne  devoir  donc  pas  bâtir  une 
Arche  y  ôc  fe  fauver  avec  fa  feule  familier* 
Il  falloir  donc  que  Loth^  pour  éviter  la  fin- 
gularité,  attendit  tranquillement  l'incendie 
de  Sodome  ?  Détrompez-vous  ;,  mes  chers 
Auditeurs;  les  Saints  ont  toujours* palTé 
pour  gens  finguliers  :  nous  fommes  deve- 
nus, difoit  autrefois  faint  Paul ,  un  fpeda- 
cle  aux  Anges  &  aux  hom.mes  :  la   vie 
commiUne  ne  fauroit   être  une  vie  chré- 
tienne ,&  Ton  fe  damne  à  coup  sûr ,  quand 
on  ne  veut  fe  fauver  qu'avec  la  multitude 
parce  que  la  multitude  ne  connoît&  ne  fré- 
quente que  cette  voie  large  &  fpacieufe  , 
qui  mené  à  la  perdition.  Lt  ne  fentez-vous 
pas  vous-mêmes ,  mes  Frères  ,  fi  vous  êtes 
de  bonne  foi  là-deflus;)  l'dlufion' de  la  créa- 
ture ^  Quoi  !  il  y  aura  toujours  des  rafons 
pour  elle  d'ofFenfer  fon  Dieu  ,  &c  de  vivre 
pour  le  monde  que  nous  devons  haïr  &  dé- 
tefter  ,  comme  notre  plus  cruel  ennemi  5 
&ilnyen  aura  jamais  de  revenir  à  ce  Dieu 
fî  bon  )  fi  tendre  pour  nous ,  f\  bienfaifanr, 
ëc  de  le  fervir  ',  tandis  que  tout  nous  crie  , 
que  n'étant  faits  que  pour  Dieu  ,   ce  n'eft 
que  pour  Dieu  que  nous  devons  vivie  ? 
Chaque  âge  ,  chaque  état  fe  fera  des  bien- 
féances  incompatibles    avec   l'Fvangile  i 
Une  grande  jeunefle  fervira  de  prétexte  à 
celui-ci  j  une  vieillefle  infirme  &  languif- 


i^2  La   V  I  S  I  T  A  T  1  O  îs^ 

faute  à  un  autre  ?  Si  tout  nous  rir ,  on  s'ex- 
cufcra  furie  tumulte  &  fur  les  embarras 
de  la  fortune  ?  h  la  main  du  Seigneur  s'ap- 
pefantit  fur  nous  j  plus  occupés  de  nos 
malheurs^  que  d-es  crimes  qui  nous  les  ont 
attirés^  on  remettra  fa  converlîon  à  des 
temps  plus  calmes  ^  plus  tranquilles  : 
Jouit-on  d'une  fanté  parfaite  ^  il  faut  four- 
nir à  mille  foins,  fe  prêter  aux  bienféances 
&  aux  dilTipations  de  fon  rang  &  de  fon 
€t3t.Eft-on  frappé  d'une  infirmiité  qui  nous 
arrache  au  commerce  du  m.onde  ^  ce  ne 
font  que  foucis  &  mefures  pour  la  fanté, 
X'affaire  de  l'Eternité  demande  trop  d'at- 
tention ;  on  n'efc  capable  de  rien  ,  dit-on  : 
on  a  îur  la  confcience  des  abimiesqui  n'ont 
jamais  été  bien  approfondis>  6c  qui  dem^an- 
dent  du  loifir  ôcdc  la  liberté d'efprit:  enfin, 
on  craint  de  n'aigrir  fes  maux  parlesréflexi- 
onsmêmes  qui  feules  devroient  les  foulager. 
Ainfi  nous  échappent  tous  les  momens 
de  la  grâce  :  ainfi  repoulfons-nous  la  main 
falutaire  qui  frappe  à  la  porte  de  notre 
cœur  :  &  Ton  eft  fi  ingénieux  dans  le  fic- 
ck  à  ne  pas  lailler  échapper  ces  conjonc- 
tures favorables  qui  nous  offrent  des  ef- 
pérances  de  fortune  &  d'établiffement  ! 
Les  Grands  ont  leurs  moments  )  dit-on  ;  & 
le  point  }  c'eft  de  favoir  les  prendre  :  m.ais 
la  clémence  divine  n  a-t-elle  pas  les  fiens  i 
Eh!  quoi!  mesFrereS;,  croyons-nous  que 
notre  Dieu  foit  un  Dieu  de  toutes  les  heu- 
res ;  qu'il  diftribue  fes  grâces  félon  nos  ca- 
prices j  de  que  mille  fois  rebuté  ^  lorfqu'il 


DB  LA  Sainte  Vierge.  293 
s^eft  offert  à  nous ,  il  ne  fe  lallera  pas  enfin 
de  no,  délais  6c  de  nos  mépris  ^  Ah  !  di- 
fons-le  à  notre  honte  ;  les  enfans  du  fiecre 
font  plus  prudens  que  les  enfans  de  lumiè- 
re :  rien  n'échappe  aux  premiers  ,  parce 
que  leur  cupidité  eft  vive  &  agilEnite  ;  ôc 
nous  j  nous  l?.i (Tons  perdre  les  occafions 
les  plus  favorables  ,  parce  que  notre  cha- 
rité eftfoible  de  languillante. 

Carj,  ô  mon  Dieu  [combien  de  fois  m'a- 
vez-vous  averti  ,  follicité  y  importuné  :> 
d'entrer  dans  vas  voies  !  combien  de  fois 
au  fortir  même  du  crime  ,  loin  de  lancer 
fur  moi  les  foudres  de  votre  iuftîce  ,  m'a- 
vez-vous  tendu  une  main  favorable  ,  Se 
profité  du  moment ,  où  la  pafïîon  fatisfaice 
6c  plus  calme  ,  lailToit  à  la  raifon  la  liberté 
des  réflexions  y  pour  m'expofer  les  fuites 
terribles  d'une  vie  criminelle  I  Âh  !  l'hom- 
me 4e  plus  barbare  fe  Ldfferoit  attendrir, 
fi  dans  le  temps  même  qu'il  nous  enfonce  le 
poignard  dans  le  fein  ,  nous  prenions  des 
melures  pour  fa  fureté  ;  &  mon  ame  tou- 
jours rebelle  Ôc  toujours  animée  a  pu  tenir 
jufques-ici  contre  tous  les  efforts  de  votre 
tendreiTe  ^ 

Mais  ne  vouslafferez-vous  pas  enfin  de 
vos  pourfuites  &  de  mes  rebuts  ^  ferez- 
vous  toujours  y  Seigneur ,  à  la  porte  de 
mon  cœur  pour  en  folliciter  l'entrée  i  ma 
converfion  dépend-elle  de  vous  ou  derfToiY 
&  ces  grâces  offertes  que  je  refufe  y  pour- 
rai-je  les  r'avoir  à  mon  gré  ^  ne  m'avertif- 
fcz  vous  pas  qu'un  temps  viendra  où  je  vou5 

Nj 


1^4         l'A    Visitât lOîî 
chcicherai  ,  &  où  je  ne  vous  rrouveraî 
plus  y  Ôc  qu'une  mort  funefte  ,  en  finiiTanc 
mts  crimes  ,  commencera  entin  mon  éter- 
nel lupplice  ^ 

Mais  encore  y  dites-moi ,  ô  homme   fi 
éclairé  fur  les  bicnféances  l  lorfque  par  vos 
dilîolutions  de  votre  vie  licencitufe  3  vous 
criez  le  fcancale  de  votre  Ville  ,  la  b;en- 
féance  étoit-elle  un  frein  alTez  puilîant  pour 
vous  arrêter  i  lorfqu'oubliant  votre  carac- 
tère 5    Miniftre  du  Seigneur  ,  vous  dcfccn- 
diez  de  1  autel  facré  pour  vous  donner  en 
fpc6lacle  au  public  j  &c  violer  vous-rnême 
des  loix  dont  vous  étiez  le  dcpofuaire  &c 
le  protecteur  :,  les   difcours  publics  vous 
ont-ils  jamais  coûté  un  feul  plaifirf"  lorfque 
des  cngagemens  d  éclat  ;,  &i  une  conduite 
peu  régulière  :,  rendoient  cette  femme  la 
fable  de  fon  quartier  &  la  honte  de  fa  fa- 
mille ,'  que  les  amis  d<.  les  proches  lui  en 
faifoient  des    ouvertures  fi    touchantes  ; 
qu  un  mari  juftement  irrité  en  frémiiïbitj 
qu'un  ménage  en  tomboit  à  vue  d'œd  en 
décadence  ,  régloit-elle  fes  emportemens 
fur  ces  loix  gênantes   &  trop  aufteres  de 
la  bienféance  ^  ah  !  la  paHion  alors  la  plus 
forte  la  rendoit  infenfible  à  tout.  Ce  n'efl: 
qu'avec  vous  ,  ô  mon  Dieu  l   que  Ton  efl: 
timide  Se  circonfped  :  on  n  excède  en  pré- 
cautions j,  que  lorfqu  il  s'agit  de  vous  fer- 
vir  :  on  pefe  alors  fur  tout  ;  on  eft  fenfible 
à  tout ,  on  épaiffit  même  de  vaines  ombres, 
ôc  l'on  tremble  à  l'afped  des  phancômts 
que  l'on  s'eft  formés. 


DE  LA  Sainte  Vierge.         i^f 
Ah  !  je   fens  là-deflus  toute  l'injuftice 
de  ma  conduite.  Quand  il  a  été  queftion 
de  vousofFenfer  ,  on  m'a  vu  la  tête  levée  , 
me  faire  honneur  de  mes  défordres  ,  3c 
erre  pécheur  d:r  bonne  foi  :  tranquille  alors 
furies  intérêts  de   mon  honneur,  de  ma 
fortune  ,  de  ma  confcience  ,  de  l'amitié  , 
je  facrifiois  fans  fcrupule  ma  réputation  :, 
mes  biens  ^  mes  amis ,   mon  faiut.   Faut-il 
revenir  à  vous  f  faut-il  de  certe  région  de 
ténèbres  ,  pafTer  à  une  région  de  lumière  ^ 
ah  !  route  ma  force  m'abandonne  i  je  fens 
expirer  au  premier  obftacle  tous  mes  pro- 
jets de  converfion  ;  je  crois  enfoncer  com- 
me Pierre  ,  lors  même  que  vous  me  tenez 
par  la  main  :  ah  I  c'eft  que  votre  amour 
ne  domine  pas  dans  mon  cœur  ,  comme  y 
dom.inoit  alors  la  pafïîon.  Lorfqu'ila  établi 
ion  empire  dans  un  cœar ,   cet  amour   fa- 
cré  ,  il  n'ed  plus  de  difficulté   qui  rebute  j 
.les  peines  même  font  délicieufes  ;  &  fain- 
tement  féduit  par  le  divin  attrait  de  la  grâ- 
ce ,  loin  de  fe  grolTir  à  foi- même  les  obfla- 
cies,   le  cœur  devient  ingénieux  à  fe  les 
cacher.  Tel  eft  l'exemple  que  nous  donne 
aujourd'hui  Marie  ;   les  vaines  raifons  de 
la  chair  &  du  fang  ne  larrêcent  pas  :  Exur- 
gens  ahitt.  La  difficulté  même  des  chemins, 
les  montagnes  les  plus  inacceffibles  n'alar- 
ment pas  fa  foi:  féconde  inftrudion  pour 
ceux  que  la  difficulté   du  falut  empêche 
d'entrer  dans   la  voie  évangélique  :  c'eft 
ma  féconde  réflexion. 

N4 


1^6  La    Visitation 

j  I^      JLL  règne  dans  le  (îecle  deux  erreurs  fort 

Pautie.  oppoftes  j  mais   ég?.lement  dangereufes, 

fur  la  difficulté  du  falut  j  &  c'eft  à  ces  deux 

erreurs  qu'il  faut  rapporter  les  vices  &  les 

fau(res  vertus  des  Chrétiens. 

La  première  erreur  ,  &  celle  que  je 
combats  m.aintenant  j  eft  de  ceux  qui  vive- 
ment frappés  de  Tidée  qu'ils  fe  font  de  la 
perfection  chrétienne  ,  effrayés  au  feul  af- 
pe(5t  de  la  montagne  évangélique  ,  en 
croient  la  route  inacceffible  -,  Ôc  fansfe  fou- 
venir  que  ce  qui  eft  impodible  aux  hom- 
mes ne  Teft  pas  à  Dieu  ^  ils  ne  vieillifTent 
dans  l'iniquité  y  que  parce  qu'ds  ne  comp- 
tent pas  pouvoir  jamais  atteindre  à  la  véri- 
table juftice  :  illufion  dangereufe  qui  ou- 
trage la  grâce  du  Sauveur. 

Or  5  la  conduite  de  Marie  nous  fournit 
aujourd'hui  de  quoi  détromper  le  fitcle 
fur  cette  première  illufion.  Infpirce  d  en- 
haut  fur  la  route  qu'elle  doit  tenir  ;,  les 
montagnes  les  plus  inaccertibles  n'alar* 
ment  pas  fa  foibleife  :  yîbiit  in  montant. 
Eh  !  dit  faint  Ambroife  ,  quelle  autre  roure 
pouvoit-elle  choifir  f*  la  grâce  approche 
toujours  le  cœur  de  ces  montagnes  éter- 
nelles où  fe  trouve  notre  t  ré  for  :  Quo  emn 
jam  Deo  pleria  ,  nifi  ad  juperlora  CQyifcende" 
ret  ç'  Voilà  Tinftrudion  qui  s'adreffe  à  ceux, 
qui  comptant  trop  peu  fur  la  grâce  ,  déSti- 
perent  de  pouvoir  jamais  atteindre  à  cette 
fainre  Cité  fituée  fur  la  miontagne. 

Je  fens  toute  ma  foibleife  ,  me  dites- 


DE  LA  Sainte  Vierge.  15)7 
vous;  j'ai  de  l'horreur  pour  le  crime  \  ÔC 
je  ne  voudrois  pas  avoir  fait  tort  à  mon 
prochain  :  mais  il  y  a  mille  chofe  que  le 
Prédicateur  foudroie  tous  les  jours  en 
chaire ,  de  fur  quoi  je  ne  fauroîs  me  ga- 
gner, jfe  conviens  qu'à  vivre  fur  le  pied 
de  l'Evangile  ,  il  faudroit  s'y  prendre  d'u- 
ne toute  autre  manière  :  je  fais  que  Jefus- 
Chrift  menace  d'une  éternité  de  peines , 
ceux  qui  n'en  fouffrent  point  ici-bas  ;  que 
ceux  qui  cherchent  trop  à  ménager  leur 
ame  ?  la  perdent  ;  qu'il  faut  porter  fa 
eroix  ,  &  fe  renoncer  loi-même,  pour  être 
fon  difciple  ;  que  la  vie  chrétienne  eftune 
profeilion  publique  de  pénitence  ;  &  que 
comme  on  ne  peut  avoir  accès  auprès  de 
Dieu  :>  fans  être  incorporé  en  Jefus-Chrift, 
on  ne  peut  être  incorporé  en  Jefus-Chriftj, 
fans  être  crucifié  avec  lui:  je  le  fais  ,  ôc 
c'eft  juftement  ce  qui  me  fait  défefpérer 
d'être  jamais  homme  de  bien.  Audi  je  fuis 
de  bonne  foi  ;  je  ne  m'abufe  point  là-def- 
fus.  Je  connoîs  toute  l'étendue  de  mes 
obligations  j  Se  fi  j'embraflbis  le  parti  de  la 
vertu  j)  je  ne  l'embraffèrois  pas  à  demi  ,*  je 
n'imiterois  pas  tant  d'autres  qui  veulent  al- 
lier Dieu  Se  le  monde  ,  l'Evangile  Se  les 
pkifirs  ;  Se  qui  pour  vouloir  être  ,  &  au 
fiecle  Se  à  Jefus-Chrift^  ne  font  au  goûç 
ni  de  l'un  ?  ni  de  l'autre. 

Mais  5  Q  homme  !  quel  eft  ici  ton  éga- 
ïement  !  Tu  fens  ta  foiblefle  ,  &  ton  im-> 
puifTance  :  maisignorcs-tu  que  la  gracê  eft 
le  remède  de  la  foibleiTe  ?  n'entends-tu  pjii 

Ni 


298  Î-A  Visitation 
ces  paroles  confolanrcs  du  Sauveur  des 
hommes  :  Venez,  a  fnoi  ^  vous  tous  qui  êtes 
folhles  &  fatigués  y  &  je  vous  fonUgerai  ^ 
l!  nous  déclare  y  il  efl:  vjrai  ^  que  fans  lui 
nous  ne  pouvons  rien  faire:  mais  n'eft-ce 
pas  nous  aifurer  en  même  rems  qu'avec  lui, 
il  n'efl:  rien  que  nous  ne  puidions  ;,  &  qu'il 
n'efl:  point  d'obftacle  que  fa  grâce  ne  fur- 
monte  5  &  point  de  foiblcfte  qu'elle  ne 
guérJlTe^  Voilà  ,  ô  homme  i  où  tu  dois 
chercher  la  force  qui  te  manque.  Qiie  pen- 
feroit-on  d'un  m.alade  y  qui ,  atteint  d'une 
langueur  dangereufe  y  ne  voudroit  plus 
prendre  de  mefures  pour  fa  fanté  j  feule- 
ment parce  qu'il  fe  feroit  ap perçu  qu'il  eft 
malade  ^  eh  !  c'eft  la  maladie  elle-même 
qui  vous  avertir  qu'il  faut  avoir  recours  à 
l'art  ^  aux  remèdes. 

La  difficulté  de  l'entreprife  vous  arrête, 
mon  Frère  ^  Ah  !   s'il  falloir  ,  com.me  au- 
trefois ,   vous  expofer  à  la  fureur  des  ty- 
rans !  fouffrir  U  perte  des  biens  ;,  de  Thon- 
neur,  de  la  vie  pour  la  Foi  de  Jefus-Chr:ft> 
vous  auriez  quelque  fujet  de  trembler  à  la 
vue  de  votre  foiblen^.- ,  quoique  vous  duf- 
fîez  dire  alors  avec  TApôrre  :  Je  puis  tout 
en  celui  qui  me  fortifie  .-mais  Dieu  n'en  exi- 
ge pas  tant.   Tranquille  au  milieu  de  vos 
'proches  &  de  vos  amis  ;  ne  craignant  3  ni 
pour  votre  fortune  ,  ni  pour  votre  vie  j,  que 
-vou«'.  dem.ande-t  on  ^lefcul  facrificede  vos 
paflionsjl  élo^qnemcntduvice,  lahainedu 
monde  &'  de  fes  maximes  ,  la  pratique  des 
.  vertus  évangéiiques  j  un  peu  plus  d'habi- 


DH  LA  Sainte  Viergf.  199 
tude  avec  la  prière  ,  plus  d'amour  pour  la 
retraite  j,  plus  de  ferveur  dans  la  fréquenta* 
tion  de  nos  Sacremens  j  un  ufage  plus 
chrétien  de  votre  temps  ;  plus  d'attention 
fur  vous-mêmes  ;  moins  d'horreur  pour  la 
croix  de  Jefus-Chrifl:  :  &  rebuté  ,  alarme , 
découragé ,  vous  n'ofez  tenter  cette  entre- 
prife  ^  Ôc  vous  facrifiez  follement  l'efpé- 
rance  d'une  éternité  de  bonheur ,  à  votre 
molle  (Te  3c  à  votre  lâcheté  ^ 

Généreux  Fidèles  des  premiers  temps  , 
hélas  !  les  plus  cruels  fupplices  ne  pou- 
voient  vous  féparer  de  la  charité  de  Jefus- 
Chrift  :  vous  auriez  tremblé  pour  votre 
vertu  ,  &  vous  auriez  douté  de  votre 
amour  pour  lui ,  fi  cet  amour  ne  vous  eût 
coûté  tout  votre  fang  :  on  vous  regardoic 
comme  ce  qu'il  y  a  de  plus  infâme  fur  la 
terre  ;  &  votre  plus  douce  confolation 
étoit  de  n'en  avoir  point  ici- bas ,  de  d'être 
jugés  dignes  de  fouffrir  des  opprobres  pour 
le  nom  du  Sauveur.  Et  en  ces  derniers 
temps  on  croit  qu'il  encoûtetrop  pour  être 
Chrétien  ,  quand  il  en  coûte  un  feul  plaifir  : 
le  Ciel,  à  ce  prix-là,  paroît  trop  cher. 
Sommes-nous  les  fuccefleurs  de  votre  Foi^ 
avons-nous  une  efpérance  différente  de  la 
vôtre  i  5c\e  Dieu  que  nous  adorons  ,  eft- 
il  devenu  moins  digne  de  nos  emprefle- 
mens  ^ 

Et  d'ailleurs  ,  Chrétiens  y  vous  vous  fi- 
gurez des  amertumes  dans  le  parti  de  la 
vertu  :  mais  fans  parler  des  divines  confo* 
Utions  que  Dieu  prépare  ici-bas  mêms^ 

Né 


3C0  La  Visitation 

à  Cfux  qui  Taiment -,  fans  parler   de    cette 
paix  intérieure  ,  fruit  de  la  bonne  confcicn- 
ce  5  qu'on  peut  appeller  en  même  temps  , 
&c  un  avant-goût  &  le  gc-ge  de  la  félicité 
qui  efî  réfervee  dans  le  c.el  aux  âmes  fidè- 
les j  fans  vous  dire  avec  TApotre  ,  que  tout 
ce  qu'on  peut  fouffrir  fur  la  terre  n'eft  pas 
digne  d'être  comparé  avec  la  récompenfe 
qui  nous  attend  :   (i  vous  étiez  de  bonne 
foi  ,  de  que  vous  voululTiez  nous  expofer 
ici  naïvement  tous  les  défagrémens  qui  ac- 
compagnent la  vie  du  fiecle  ',  que  ne  diriez- 
vous  pas  j  (Sc.quene  dit-on   pas  tous   les 
jours  ià-defius  dans  le  iîecle  même  ^  Beata 
cfUA  credldifti  i  s'écrie-t-on  ,  comme  autre- 
fois EJizabeth  5  quand  on  voit  une  ame  dé- 
fabufée  du  monde  :  Qu'un  tel  ell;  iieureux  ! 
il. (ait  fe  paOer  de  ce  que  la  Keligion  nous 
oblige  de  haïr  ;  il  ell  fage  ;  il  penfe  à  une 
autre  vie  ,  il  choidc  la  meilleure  part  ;  que 
n'avons-noos  le  courage  de   faire  comme 
lui  1  c'eit  bien-ll  ce  qu'il  y  a  de  plus  folide; 
tout  le  refte  n'eft  qu'amufem.ent  :  Se  on  n'y 
trouve  point  de  plaifir  qui  ne  fe  fafieache- 
îer  v^r  mille  chagrins. 

En  effet  :>  quelles  font  les  fureurs  d'un 
mariage  mal  aiforti  :,  d'une  paiTion  m.épri- 
fée  5  d'un  jeu  malheureux  ,  d'un  établiffe- 
mcnt  m.anqué  5  d'une  amitié  trahie  :,  d'un 
lang  perdu  ,  d'une  réputation  fiétrie  ,  d'un 
procèi  douteux,  d'une  faifon  cruelle,  d'une 
taxe  qui  vous  abîme  ,  d'une  alliance  qui 
.  vous  déshonore  ,  d'un  nom  qui  va  s'étein- 
dre ^  d'une  mort  qui  vous  enlevé  une  per« 


DE  LA  Saiî^tf  Vierge.  ^di 
fonne ,  ou  chère  ,  ou  néceilaire  ;  d'une 
famille  mal  élevée  ,  d'une  dilgrace  encou- 
rue :>  d'une  préférence  iniuile  ? 

Avez-vous  évité  cous  ces  conrre-temps  î 
ah  '.  vous  ne  fauriez  vous  éviter  vous-me^ 
me.  Car  enfin  ,   6  mon  Dieu  ,  le  pécheur 
a   beau  s'érourdir  r  un  relie  d'éducation 
chrétienne  plaide  long-tcmspourvousdans 
le  fond  de  Ton  cœur  ,  &c  empoi Tonne  fes 
douces  joies  ron  fent  le  vuide   du  plaifir   ; 
il  ert  des  momens  de  réflexion   qui  vous 
tuent  :  le  coeur  ,  fait  pour  une  félicité  plus 
folide  ,  s'amufe  :,   mais  ne   fauroic  fe   fa- 
lisfaire,  il  voltige  aucour  des  créatures  y 
mais  il  ne  peut  s'y  fixer  ;il  porte  par-tout  un 
fond  d'inquiétude  &  d'ennui  ^   qui  le  re- 
veille même  au  milieu  des  joies  &i  desamu- 
femens^ enfin  ,  on  trouve  fon  remède  dans 
le  mal  même, le  dégoût  daîis  la  jouifTance  ; 
&L  Ton  ne  fent  de  vivacité  pour  le  plaifir  , 
que  dans  le  moment  qui  le  précède. 

C'eft  là-*ie(îus  que  roule  le  fiecle  ;  on  le 
fent  5  on  s  en  plaint ,  6c  on  s  y  aime  :  on  fe 
famifiarife  avec  des  chagrins  que  rien  ne 
parcage  ,  dont  rien  ne  dédommage  ;  &  on 
frém-it  au  feul  foavenir  des  faintes  rigueurs 
de  IT  vangiie,  que  la  Foi  confole  ,  que  i'ef- 
pérance  fioutienc ,  que  la  charité  adoucit: 
Eh  l  que  ne  puis-je  à  mon  tour  vous  expo- 
fer  ici  le  cœi^r  d'un  Jufte  ^  Se  vous  y  faire 
rem.arquer  cette  chafte  volupté  ,  cette  pai- 
fible  félicité  qui  fuit  l'innocence  I  Quelles 
fecrettes  délices  netrouve-t-il  pas  à  vivre 
de  la  Foi  ^  à  fe  regarder  comme  étranger 


;oi  La  Visitation 
fur  la  terre  ,  à  foupirer  fanscelTe  après  fa 
patrie  !  quels  tranfporcs  durant  le  cours  de 
ces  prières  ferventes  y  où  les  vues  de  la  Foi 
plus  vives  lui  rapprochent  l  éternité  ,&  ne 
luilaid'oientplus  voir  qu'en  éloignementle 
fîecle  &  fa  figure  l  Quel  dégoût  au  fortii* 
de-là  pour  les  vaines  joies  des  mondains  I 
il  les  plaint  :,  il  déplore  leur  égarement ,  il 
les  regarde  comme  des  frénétiques  qui 
rient  au  lit  delà  mort:,ou  comme  des  cou- 
pables deftinés  au  fupplice  ,  &  qui  fans  le 
lavoir  5  feréjouiflent ,  tandis  qu'on  les  y 
conduit. 

Maisquene  pouvez-vousledireicià  ma 
place  j)  Vierges  faintes  qui  m'écoutez  1  inf- 
truites  fur  ceschaftes  délices  qui  accompa- 
gnent l'innocence  &c  la  piété  ,  que  de  mer- 
veilles de  la  grâce  nous  découvririez-vous  ? 
eh  1  que  pourroit  oppofer  le  fiecle  à  un 
exemple  (î  confolant  ^  L'âge  ,  le  fexe  ,  la 
nailîance  ,  prétextes  fi  frivoles  &:  fi  fou- 
vent  allégués  ,  feroient  ici  confondus  : 
puifqu'on  y  voit  Tâge  le  plus  tendre  :,  le 
fexe  le  plus  délicat  ,  la  naifTance  la  plus 
diftinguée  ^  ajouter  mêm^e  aux  rigueurs  de 
l'Evangile  des  rigueurs  de  furcroît  ,  3c 
trouver  dans  la  fainte  pratique  des  vertus 
rehgieufes  plus  de  véritables  douceurs^que 
le  fiecle  tout  entier  n'en  peut  offrir  à  fes 
plus  déclarés  partifans. 

Et  c'eft  ici  où  jeveuxconfondre  l'iniqui- 
té par  l'iniquité  même.  Un  homme  livré  à 
l'ambition  fe  laiffe-t-il  rebuterpar  les  difE- 
cultes  qu'il  trouve  fur  fon  chemin  i  11  fe 


DE  LA  Sainte  Vierge.  ^05 

refond  ,  il  fcmétan'iOrphofe  ,  il  force  (on 
naturel  ,  &  l'afluieint  à  fa  pafïion.  Né  fier 
3c  orgueilleux  ^  on  le  voit  d'un  air  timide  cC 
fournis  5  effuyerles  caprices  d'un  Miniftre  ; 
mériter  par  mille  baffe ifes  la  protediond'un 
fubalterne  en  crédit  ,  Ôc  fe  dégrader  juf- 
qu  à  vouloir  être  redevable  de  fa  fortune  à 
la  vanité  d'un  Commis  ,  ou  à  l'avarice  d'un 
efclave  :  vif  &:  ardent  pour  le  plaifir  ,  il 
confume  ennuyeufement  dans  des  anti- 
chambres ,  6c  à  la  fuite  des  Grands  ^  des 
momens  qui  lui  promettoient  ailleurs  mille 
agrémens  ,*  ennemi  du  travail  &  de  l'em- 
barras,  il  remplit  des  emplois  pénibles, 
prend  non  feulement  fur  fes  ai  Tes  j>  mais 
encore  fur  fon  fommeil  &  fur  fa  fanté  ,  de 
quoi  y  fournir  ;  enfin  d'une  humeur  ferrée 
èc  épargnante;,  il  devient  libéral  ^  prodi- 
gue m.ême  ',  tout  efl:  inondé  de  (ts  dons  ;  8c 
il  n'eft  pas  jufqu'à  l'affabilité  êc  aux  égards 
d'un  Dom.eftiquej,  qui  ne  foient  le  prix  de 
fes  large ffes. 

A-t-on  un  engagement  profane^  vous  le 
favez  5  ah  !  on  ne  connoîr  plus  d'obftacîes  : 
rien  ne  coûte  ,  quar.d  il  s'agit  de  fatisfaire 
une  palïîon  :  les  difficultés  mêmes  ragoû- 
tent  5  piquent ,  réveillent.  Ce  n'eft  que 
dans  l'affaire  du  falut ,  où  l'on  fe  fouvient 
que  1  on  eft  foible  ,  &  où  Ton  trouve  des 
montagnes  inaccefhbles. 

Ah  !  m.es  Frères ,  le  voluptueux  ,  l'am- 
bitieux s'élèveront  contre  nous  au  jour  du 
Seigneur  \  ôc  par  le  fouvenir  de  toutes  les 
peines  quils  ont  effuyées  pour  fatisfaire 


^04-  La    Vis  itation 

leur  cupidicé,  ils  nous  confondront  devant 
le  tribunal  de  Jefus-Chritl: ,  fur  les  excu- 
fes  que  nous  allé^^uons  pour  iuftiher  notre 
foiblefTe. 

Eh  !  difons-nous  donc  à  nous-même  dès- 
à-préfenc  ce  que  cette  voix  du  ciel  difoic 
autrefois  à  S.  Auguflin  effrayé  3  comme 
nous  )  de  la  difficulté  du  falut  :  Tu  non  po- 
îeris  quod  ijfl&  ijïa  ^  &  pourquoi  ne  pour- 
rois'je  pas  faire  ce  que  tant  d'autres  ont 
fait  avant  moi  ^  &  font  encore  tous  les 
jours!  Faut-il  que  je  me  traîne,  ô  mou 
Dieu  ,  dans  le  fiecle  5  &  que  je  me  laiffe 
emporter  au  torrent  y  tandis  qu'à  mes  yeux 
tel  3c  telle  échappent  au  naufrage  ;,  &  mar- 
chent heurtufement  vers  le  port  ?  n'étes- 
vous  pas  mon  Dieu  comme  le  leur  ?  mon 
ame  n  efl-elle  pas  fortie  de  vos  mains  ^  Se 
lavée  dans  le  iang  de  votre  Fils  ^  n'ai-je 
pas  U  même  efpérance  ?  ne  fuis-je  pas  ap- 
pelle au  même  héritage  ?  Ah  !  il  n'eft  que 
ma  lâcheté  qui  m'cmpcchc  de  fuivre  :  mille 
fois  votre  grâce  m'a  fait  faire  le  prem.ier 
pas  f  mais  rebuté  par  les  plus  petits  obfta- 
cles  3  je  fuis  rentré  dans  mes  voies.  Or- 
donnez-moi ^  Seigneur^  encore  une  fois 
d'aller  à  vous  ;  mais  ordonnez-le-moi  de 
cette  voix  forte  de  puiffante  à  laquelle  un 
cœur  dur  ne  réfifte  pas  ^  &  ,  comme 
Pierre;,  me  dépouillant  de  tous  ces  vête- 
mens  qui  m'embarralTènt  ôc  m'arrêtent , 
ribre  &  dégagé  j'irai  vous  joindre  ,  même 
à  travers  les  flots  de  la  mer  :  oui ,  Sei- 
gneur }  j'irai  à  vous  à  travers  les  orages  du 


DE  LA  Sainte  Vierge.  50J 

fiecle  i  où  les  écueils  font  fi  glifTans  ,  les 
naufrages  fi  ordinaires ,  &  le  falut  fi  diffi- 
cile. 

I  j  E  monde  ed  fujet  a  une  antre  erreur  m. 
fur  la  difficulté  du  falut  j  bien  différence  de  P^rtiEi 
celle  que  je  viens  de  combutre  j  &  cette 
erreur ,  quoique  moins  fpécieufe  ,  eft  ce- 
pendant plus  univerfelle  ^  &C  moins  aifée  à 
corriger  :  or  ,  voici  en  quoi  elle  confifte. 
S'il  eLl  des  gens  que  la  fcvérité  des  maxi- 
mes évangéliques  rebute  ^  &c  empêche 
d'entrer  dans  la  voie  qui  conduit  à  la  vie  , 
comme  nous  venons  de  le  voir  ;  il  en  eft 
aulTi  qui  aiment  à  fe  perfuader  que  le  falut 
ne  renferme  pas  de  fi  grandes  difficulté?. 
Ces  perfonnes  nées  avec  un  çara6tere  tran- 
quille (5c  uni  :,  ne  croient  rien  trouver  dans 
l'Evangile  ;,  qui  gêne  trop  l'amour  propre. 
elles  fe  font  un  plan  de  vertu  ,  où  entrent 
fous  des  noms  déguifés  l'ambition?  le  luxe, 
la  moUeiTe  y  la  vanité  ;,  &  d'autres  pafnons 
encore  plus  délicates  :  leur  régalarité  con- 
fiée bien  plus  dans  la  fuite  du  mal  ,  que 
dans  la  pratique  du  bien  ;  &  tranquilles  fur 
leur  falut  ?  elles  plaignent  Tégarem^ent  des 
pécheurs  qui  refufent  de  fe  fauver  prefqu  à 
moins  de  f:ais  que  l'on  ne  fe  dam.ne  :  illu- 
fion  groffirre  ?  injurieufe  à  la  croix  de 
Jefus-Chrift,  &  que  l'exemple  de  Marie  va 
pareillement  confondre. 

En  effet ,  elle  n'examine  pas  fi  l'on  peut 
arriver  à  la  cité  de  Juda  par  des  chemins 
moins  rudes  &  moins  fluigans  :  elle  choi- 


^o6  La  Visitation. 

fit ,  fans  différer  :,  la  voie  la  plus  pénible  ; 
&  c'eft  dans  la  difficulté  qu'elle  trouve  fa 
sûreté.  Telle  efl  l'inftrudlion  que  Marie 
donne  par  fon  exemple  à  ceux  qui  vou- 
droient  arriver  à  la  célefte  Jérufalem  par 
des  voies  comihodes&  applanies,  ôc  lans 
franchir  les  nnontagnes  {aintes,fur  lefquel- 
les  elle  eft  fondée.  En  effet,  détrompons- 
nous  5  mes  Treres  ,*  il  faut  qu'il  en  coûte 
pour  fe  fauvcr  ;  &  le  royaume  des  cieux  ne 
peut  être  le  prix  que  des  violences  conti- 
nuelles que  nous  aurons  exercées  fur  nous- 
mêmes.  Cependant  le  monde  eft  plein  de 
ces  fauffes  maximes  en  matière  de  religion. 
Uauftérité  des  Cloîtres  eft  faince  :,  dit  on  y 
mais  il  ne  feroit  pas  raifonnable  d'en  faire 
une  obligation  à  ceux  que  le  ciel  n'y  ap- 
pelle pas  :  il  y  a  plufieurs  demeures  dans  la 
maifon  du  Père  célefte  ;  &  pour  ne  pas 
mériter  les  prem.ieres ,  il  ne  s'enfuit  pas 
qu'on  doive  être  exclus  de  toutes  les  au- 
tres :  enfin  il  eft  des  joies  honnêtes  que  l'E- 
vangile n'ordonne  pas  de  s'interdire. 

Lt  là-deffus ,  qu'une  femme  ne  donne 
point  d'atteinte  à  la  foi  conjugale  ;  qu'elle 
ne  foutienne  pas  un  jeu  outrée  qu'elle  évite 
certains  excès  y  dont  le  monde  poli  même 
ne  s'accommode  pas  ;  que  dans  (es  difcours 
elle  ne  forte  jamais  de  cette  bienféance  de 
fi  bon  goût  dans  fon  fexe  ;  qu'elle  paroifie 
dans  nos  temples  aux  jours  folemnels  pour 
y  participer  à  la  chair  facrée  de  l'Agneau  j 
qu'elle  fe  foit  réglée  à  certaines  libéralités 
pour  le  foulagement  des  membres  de  Je- 


DE  LA  Sainte  Vierge.  ^  .^cy 
fus-Chrift  ;  la  voilà  calme  fur  TafFaîre  du 
fâlut  :  un  Confefleur  n  a  plus  rien  à  faire  , 
&  tout  revêtu  qu'il  eii  de  Taucorité  de  Je- 
fus-C.hrift  i  il  ne  feroit  pas  bien  reçu  à  vou- 
loir déconcerter  ce  train  de  vie.  Mais  elle 
eft  fur  fon  rang  d'une^  délicate  (Te  à  ne  rien 
paficr  ;  mais  elle  aime  le  fafte  ôc  l'éclat  j 
mais  elle  cultive  des  amitiés  tendres  ;  elle 
fournit  à  des  converfarions  vives  ;  elle 
fourit  à  un  profane  qui  enveloppeagréable- 
m.ent  une  ordure;  3c  en  faveur  de  l'efprît  ^ 
elk  fait  grâce  à  la  corruption  du  cœur.  Mais 
elle  a  fur  fa  beauté  des  délicattlfes  ridi- 
cules ;  pour  fa  parure  dts  foins  ,  que  vous 
payeriez  ,  6  mon  Dieuj  dune  éternité  de 
bonheur  3  s'ils  éto'ent  employés  à  parer 
l'amc  des  vertus  cék  (les. Mais  l'abnégation 
de  foi-m.êm.e  eft  un  nom  cu'c  le  ne  conr.oit 
même  pas  ,  &  il  n-  lui  eft  peut-être  jamais 
arrivé  de  fe  gagner  pour  Jefus-Chnft  fur 
un  feul  defir  \  ôc  enfin  toute  fa  religion  fe 
réduit  aux  intérêts  de  fon  honneur  6c  ?.ux 
foins  de  ce  corps  de  boue  qu'eiie  idoiâtre. 
Ou  l'Evangile  eft  une  loi  outrée  >  ou  cette 
perfonne  n'eft  pas  chrétienne.  Car  ,  quoi 
de  m.oins  compatible  avec  l'Evangile  ,  par 
conféquentavecleChriftianifme;,  que  cette 
molleiie  ,  cette  fierté  ;,  cet  amour- propre, 
cette  délicarefiTe  dont  elle  ne  fait  aucun  fcru- 
pule  !  N'importe  ;  Tuf^^ge  veut  qu'elle  fe 
radure  ,  &  qu'elle  fe  croie  dans  le  bon 
chemin  ,  parce  qu'elle  n'eft  pas  encore  au 
fond  du  précipice. 

Tel  eft  aujourd'hui  l'entêtement  du  fie- 


3c8  La  Vis  iTATio  K 

cle  :,  àe  s'y  faire  des  plans  de  religion  ;  d'i- 
maginer une  morale  de  bon  goûc ,  qui  ré- 
concilie Jefus-Chrift  avec  Bélial  ;  qui  ente 
fur  un  fonds  chrétien  les  plus  pures  maxi- 
mes du  paganiime;  qui  retienne  du  monde 
les  plaifirs  ,  Tinucilité  ,  la  moUeiTe  ,  l'am- 
bition y  &c  de  l'Evp.ngile  une  foi  morte  ôc 
inutile  jc'eft-à-direjqui  d'une  part  retran- 
che les  crimes  :,  &c  de  l'autre  les  vertus. 

Et  c'eft  là-deffus  qu'on  vit  tranquille- 
ment dans  le  fiede  >  &  qu'on  attend  fans 
frayeur ,  6  mon  Dieu  ^  votre  jugement 
redoutable  :  tandis  que  le  Jufte ,  au  fond 
d'un  réduit  obfcur  ,  le  vifage  pâle  &z  dé- 
fait 5  le  corps  afFoibli  Se  exténué  par  les 
travaux  d'une  longue  pénitence  y  le  cœur 
purifié  par  tant  d'oraifons  ferventes  ^  vous 
conjure  avec  le  Prophète  de  n'entrer  pas 
en  jugement  avec  lui  ,  repafe  dans  l'amer- 
tume de  Ton  cœur  quelques  fautes  légères 
que  fa  piété  lui  groffît ,  &  que  la  feule  fur- 
prife  a  arrachées  de  fa  foiblelfe,  &c  ne  peut 
fe  raiïurer  ni  fur  le  tréfor  infini  de  vos  mi- 
féricordes  :,  ni  fur  le  pénible  amas  de  tant 
d'œuvres  faintes  en  qui  fa  foi  découvre  des 
taches.  Qtdd  ifia  CAchate  tenebrofius  ^  s  e- 
crie  S.  Chryfoftome.  Le  crime  conduit 
quelquefois  au  repentir  ,*  mais  cette  vie 
mondaine  aboutit  toujours  à  une  triflc  & 
funefte  impénirence. 

Sur  quoi  l'efprit  humain  ne  peut-il  pas  fe 
féduire,  puifqu'il  a  pu  prendre  ici  le  chan- 
ge !  Que  pouvoit-on  ajouter,  ô mon  Dieu, 
aux  précautions  que  votre  fagefle  avoic 


DE  LA  Sainte  Vierge.  509 
prifes  pour  faire  fentir  aux  hommes  que  les 
crcMx  ik  ic-s  (ouifranccs  leur  font  auili  indif- 
penfables  ,  que  le  Sacremenc  qui  les  régé- 
nère ;  &  qu'il  ert  auffi  peu  poffible  d'être 
un  vrai  chrétien  fans  fouffrir  ;,  qu'il  eft  pcf- 
fible  d'être  chrétien  fans  erre  baptifé?  A 
quoi  fe  réduit  l'Evangile  tout  entier  qu'à 
cette  vérité?  Combien  de  fois  y  eft-elle 
répétée  ^  fous  combien  d'images  fenfibles 
Ty  avez-  vous  enveloppée  -1 

Et  après  cela  la  Religion  ,  dit-on  ,  n'in- 
terdit pas  tous  les  plaifirs.  Mais  pratiquez, 
mon  Frère  ;,  toutes  les  auilérités  qu'elle  or- 
donne j  &  on  vous  permettra  les  plaifirs 
qu'elle  ne  défend  pas.  Grimpez-vous  fur 
la  montagne  comme  Marie  ?  Puifque  fans 
la  pénitence  &  la  mortification  il  n'y  a  point 
de  ialut  5  cet  œil  qui  vous  fcandalife,  l'ar- 
rachcz-vousf  cette  croix  qui  vous  accable? 
la  portez-vous  <?  cette  volonté  propre  qui 
vous  tyrannife  ,  la  rompez-vous  ^  cette 
chair  qui  voks  eft  fi  chère  ,  la  châtiez- 
vous  ^  ce  calice  dont  il  faut  boire  pour  être 
alTis  à  la  droite  de  Jefus-Chrift,  en  buvez- 
vous  ^ 

Mais  que  le  fiecle  s'abufe  fur  ce  point  , 
Je  n'en  fuis  pas  furprisitout  y  roule  fur  l'er- 
reur ôc  le  menfonge;  &  de  tout  temps  il  eft 
en  polfeilion  de  juger  peu  fainement  de  ce 
qui  concerne  le  falut.  Mais  cette  illufion 
trouve  des  partifans  parmi  ceux  même  qui 
font  profclTion  de  piété  ;  de  l'on  peut  dire 
ici  que  les  Elus  tomberoient  prefque  dans 
cxcte  erreur  ^  s'il  étoit  poflible. 


510  I>A  Visitation 

Ttl  depuis  une  converfioii  d'cclac ,  vi: 
de  bonne  foi  fur  fa  réputation  de  pièce  j, 
qui  encore  livré  à  tous  Tes  défauts  ;,  vif  j 
coiere  ,  vain  ,  attaché  ,  n'a  pour  route  ver- 
tu ,  qu'un  train  de  vie  mêlé  de  foiblefl'es  ÔC 
de  bonnes  œuvres  ,  de  tiédeur  &c  de  dé- 
votion j  de  grâce  &  d'amour-propre  ,  de 
facrennens  &  de  rechûtes. 

Telle  croit  avoir  renoncé  au  monde  &  à 
fes  pompes ,  qui  n'a  renoncé  qu'au  tumjulre 
&  à  l'embarras.  Elle  s'interdit  les  parties 
û  éclat  -,  mais  elle  en  alTortit  tous  les  jours 
de  moins  tumultueufes  &  de  plus  délicates: 
elle  n'eft  plus  livrée  au  public  ,  ôc  expofée 
à  tous  les  importuns  d'une  ville  j  mais  au 
milieu  d'un  monde  choifi  elle  goûte  tout  le 
plaifir  de  la  converfation  ,  fans  en  goûter 
les  défagrémens:  elle  a  banni  un  jeu  ourré  ; 
mais  elle  n'a  pas  banni  l'inutilité  ^  la  perte 
du  temps:  elle  n*a  plus  des  empreflem.ens 
profanes  pour  fe  faire  aimer  j  mais  elle  n'eft 
pas  fâchée  de  plaire  :  enfin  le  feul  nom  de 
paflion  alarme  fa  vertu  ;  mais  peut-être 
n'eft-ce  que  du  nom  dont  elle  s'alarme. 

Une  autre  croit  avoir  déjà  le  Ciel  en 
engagement  ,  qui  parmi  fes  vertus  re  fau- 
roit  gueres  compter  qu'un  Diredteur  de 
parade  ,  quelques  confcfTions  réglées  ,  ÔC 
fon  nom  écrit  dans  toutes  les  alTemblées 
pieufes  d'une  ville. 

Enfin  celle-ci  fe  figure  avancer  à  pas  de 
géant  dans  la  voie  de  lajuftice^  qui  n'y  mar- 
che que  par  caprice.  Elle  fe  hâte  à  certai- 
nes reprifes  j  tantôt  c  eft  une  aumône  ^  puis 


BH  LA  Sainte    Vierge.         ;ii  '■ 

une  auftéricé  ,  une  autre  fois  une  retraite  :  | 

Dieu  a  les  intervalles  ,  fi  je  l'ofe  dire  y  ôc 
le  monde  a  le  fond.  Il  ienibie  que  votre  ici,  j 

ô  mon  Dieu  ,  plus  durable  que  le  ciel  de  la  1 

terre  ,  foit  une  loi  fou  pie  &c  variable.  Oa 
y  retranche  ,  on  y  ajoute  à  (on  gré  ;  on  Ta-  ! 

jufte  à  1  humeur  ,   à  l  âge  ,  à  letat  :  en  un  J 

mot ,  chacun  fe  fait  un  Lvangile  à  part ,  où  ; 

il  trouve  le  fecrec  de  faire  entrer  fes  foi-  '. 

bieiîis.  ...  ; 

Oui ,  m.es  Frères  ,  Tefprit  de  la  religion  J 

efl:  peu  connu  de  ceux  même  qui  pafTenc 
pour  en  pratiquer  les  maximies  j  &  le  re- 
proche que  Jefus-Chrift  faifoit  autrefois  à  i 
fes  Apôtres  ^  on  peut  le  faire  encore  au-  ] 
jourd  hui  à  la  plupart  de  ceux  qui  font  pro-  ^; 
feiîion  de  le  fui  vie  :  Nejchls  cujus  fpirittis  Luc.  6»  * 
efiis  :  Vous  ne  favez  à  quel  efprit  vous  êtes  SS»  •' 
appelles.                                                                              •; 

Ah  !  que  l'exemple  de  Marie  les  înf-  j 

truife.  Que  fa  fidélité  nous  apprenne  que  ' 

ce  n'eft  pas  une  portion  de  nous-mêmes  >  1 

des  intervalles  de  notre  temps  ;,  quelques  ' 

accès  de  ferveur  ,  que  Dieu  demande  de 
nous;  mais  tout  notre  cœur  ^  m.ais  tous 
nos  defirs ,  mais  toutes  nos  adtions  ,  en  un 
mot }  une  entière  conformité  avec  TEvan- 
gile  :,  qui  doit  être  notre  règle  en  ce  mon- 
de y  puifqu'il  fera  notre  juge  dans  l'autre. 
Oui ,  mes  Frères  ,  foyons  fidèles  à  Dieu  j 
après  cela  efpéronstout  de  fa  miféricorde. 
Voyez  de  comibiende  bénédictions  la  fidé- 
lité de  Marie  eft  fuivie  :  le  Verbe  commen- 
ce fon  miniilere ,  6c  fanftifie  Jean-Baptif- 


^%i  La  Visitation 
te  5  le  Précurfcur  trefTaillit  avant  que  de 
naître  :  Eiifâbeth  prophétife  :  Marie  elle- 
même  ,  ju(ques-là  li  retenue  fur  les  iTier- 
Vtilies  que  Dieu  avoit  opérées  en  elle  ,  les 
d'écouvre  par  un  faint  tranfport  :,  5c  exalte 
la  puiffance  &  la  miféricorde  du  Seigneur. 

Quand  fera -ce  donc  ,  ô  mon  Dieu  , 
qu*ayant  franchi  à  fon  exemple  ces  mon- 
tagnes fatales  qui  me  féparent  de  vouS;,  je 
pourrai:,  comme  elle,  célébrer  les  mer- 
veilles de  votre  grâce  ?  Honteux  de  ma 
tiédeur  &  de  ma  négligence  3  je  fais  de 
vains  efforts  pour  m'approcher  de  vous  ; 
mais  y  hélas  !  à  peine  me  fuis-je  gagné  fur 
Uïie  foibleffe  ,  qu'afîoibli  par  la  victoire 
même,  je  retombe  fous  mon  propre  poids, 
&  me  laifTe  entraîner  par  une  autre.  Laflé 
<i'être  toujours  aux  prifes  avec  m.oi-meme:, 
je  compofe  enfin  avec  mon  amour-propre; 
Se  pour  être  tranquille  fur  m.es  payons  y 
je  ne  leur  refufe  que  le  crime,  ôc  leur  aban- 
donne tout  le  Tefte. 

Et  encore  >  Seigneur  1  cette  averfion 
qui  me  refte  pour  le  crime  ,  vient-elle  de 
votre  grâce  "i  Ah  1  Ci  le  fou  venir  d'un  plaifir' 
profane  pouvoit  périr  avec  le  plaifir  miême; 
il  je  pouvois  me  vaincre  fur  ces  retours 
cruels  que  traîne  après  foi  1  ofFcnfe  mortel- 
le :,  Si  devenir  tranquillement  pécheur  ; 
que  fais -je  ce  qu'une  occafion  n'arracheroit 
pas  de  ma  foiblelT-  ?  que  fais  je  fi  tous  mes 
projets  de  vertu  n'y  vicndroient  pas  trifte- 
ment  échouer  }  Non  ,  ce  n'eft  pas  le  crime  ' 
qjÀQ  je  haisic  eil  ma  tranquillité  que  j'ai  me. 

Ahl 


DE  LA  Sainte  Vierge,  315 
'Ali  î  Cl  vGCie  grâce  étoit  le  principe  facré 
de  ma  haine  ,  je  baïrois  toui:  ce  qui  vous 
ciépiaîc:  on  ne  me  verroit  pas  de  propos 
dcl'béré  tomber  tous  les  jours  en  tant  d'in- 
fidélités ,  qui  donnent  des  atteintes  fi  fenfî- 
bks  à  votre  amour  jon  nem'entendroit  pas 
m'informer  fi  Touvent  ^  s'il  y  a  de  l'offente 
mortelle  à  me  permettre  un  tel  plaifir  ;  il 
mt  fuffiToit  de  (avoir  qu'il  vous  déplaît. 
Non  encore  une  fois  ,  ce  n'efl  pas  1  inno- 
cence que  je  cherche  ;  c'eft  l'inquiétude 
que  je  fais  :  heureux  fi  de  cette  paix  fauijè 
êc  périileufe  ,  je  ne  paffe  pas  à  un  trôubîç, 
éternel  ,  banni  pour  toujours  de  la  paix  vé- 
ritable qui  accompagne  la  félicité  de  vos 
.Sainte  1  Je  vous  la  fouhaice. 

Ahfifo'it'îL 


'Myflcï^^*  O 


é 


Il  ^Si.y.*         ^/#-  *x;i>:*    Il 

U '  ^^ 

DISCOURS 

SUR    LES    ŒUVRES 

DE  MISERICORDE, 

Prononcé    dans  une   Affemblée 
de   Charité. 

Z)ans    quel  efprlt    î    faut   Us 
pratiquer* 

Si  Spirîtu  vivîmus ,   Spiritu  5c  ambulemu^' 

Si  nous  vivom  "par  VEfprît ,  conàulfons-nou^ 
^ar  VEfprit,    Gai.   5.    15. 

CE  n'eft  pas  feulement  pour  vous  ex4 
hortcc  à  la  miféricorde . ,  &  vous 
cxpoler  fur  cette  vertu  les  obligations  de 
îa  piété  chrétienne  ,  que  je  viens  ici  vous 
entretenir  ,  Mefdames  :  il  me  paroît  peu 
utile  de  borner  tout  le  fruit  de  ce  Difcours 
&  établir  un  devoir  que  vous  accomplifle:& 
àé']^f  ^  aimoncer  U  loi  de  k  charité  à  de$ 


^       DE      M  î  s  E  R  î  C  O  îl  D  E.  f  i  j 

Colonnes  que  la  châiicé  eile-méms  affrm- 
ble. 

Lorfquenous   parlons  au  commun  des 
Fidèles  ,  nous  pouvons  leur  monrrer  dans 
les  Livres  falnts  ces  maximes  décifives  qui 
nousordonnenr  de  fecourir  nos  freies  affli- 
gés ;,   parce  que  la   plupart  d'enrr'èux  les 
ignorent:  nous  pouvons  leur  redire  ces 
anathémes  terribles  que  TEfprit  de  Dieu  y 
prononce  contre  ceux  qui  ne  font  pas  de 
leur  abondance  un  afyîe  &  une  reilburcc 
aux  malheureux  y  parce  qu'il   sV  trouvée 
des  âmes  dures  &  impitoyables,  qu'il  f-auc 
ébranler  par  ces  vérités  étonnantes  :  nous 
pouvons  leur  ouvrir  le  Çtm  de  la  gloire  :Ôl' 
en  leur  faifant  voir  un   Royaume  éternel 
devenu  la  récompenfe  d'un  veire  d'eau 
froide,  étaler  tout  le.  prix  du  plus  léger 
oftce  de  m/iféricorde  ,    parce  que  parmi 
ceux  qui  nous  écoutent ,  il  en  e(t  toujours 
dont  la  charité  tiède  &  indolente  abefoin 
d'être  ranimée. 

Mais  ici ,  Mefdames ,  où  !a  miféricorde 
eft  une  vertu  commune  ,  il  feroic  inutile 
d'entreprendre  de  Imfpirer  :  ici ,  ou    ion 
porte  des  cœurs  fenlibles  aux  calamités  de 
nos  frères  ,  ces  maximes  effrayantes  des 
Livres  faints  contre  l'inhumanité  envers  les 
pauvres  ,  feroient  mal  placées  :  ici  enfin  ou 
la  charité  fe  foutien  t  par  une  fociété  de  zele, 
&  s'anime  parde  faints  exemples ,  on  peut 
e  difpenfer  de  l'encourager  ;  il  n'eft  pref- 
^ue  plusbefoin  que  de  l'indruire. 
.Èloa  deffeiD  donc  aujourd'hui  ,  Mef. 


f^\5        Sur    lis    (E  u  v  r  e  s  ^ 

dames  ,  efi  de  vous  entretenir  fur  refpriC 
de  la  Foi  dans  la  pratique  des  œuvres  de 
miféricorde  ,  perfuadé  que   ces  oeuvres  , 
dans  la  plupart  des  âmes  ,  ne  font  pas  tou- 
jours les  fruits  de  cette  charité  qui  n  opère 
jamais  en  vain  ;  que  les  mécomptes  de  la- 
mour-propre  détruifent  fouvenc   à  notre 
infu  ce  que  la  piété  édihe  j  que  l'œuvre  du 
Seigneur  ,  entre  les  mains  de  l'homme  ,  y 
contrade  plus  comimunément  qu'on   ne 
croit  5  je  ne  fais  quoi  d'humain  &  de  défec- 
tueux 3  capable  d'en  anéantir  tout  le  mé- 
rite \  &  qu  il  n'arrive  que  trop  fouvent  y 
hélas  !  que  nos  foibleffes  ont  la  meilleure 
part  à  nos  vertus. 

Je  vais  donc  ramener  à  trois  règles  prin- 
cipales tout  Tefprit  de  la  piété  chrétienne 
fur  les  ofiices  de  la  miféricorde  ,*  &  en  op- 
pofant  ces  règles  évangéliques^  aux  abus 
que  la  cupidité  ne  cdïc  d'y  mêler  ,  faire 
ledifcernement  de  lor  davec  la  paille  v 
féparer  ce  que  l  homme  y  met  du  fien^ 
d'avec  ce  que  la  charité  toute  feule  opère  ; 
Se  établir  des  marques  infaillibles,  afin, 
qu'on  ne  puiffe  pas  s'y  méprendre. 

^*       La  première  règle  fur  Vefprit  dans  le^ 
^'^'^^^'  quel  on  doit  pratiquer  les  œuvres  de  mile- 
ricorde ,  c'eft  qu'il  faut  les  regarder  comme 
des   devoirs   que  nous  acquittons 

En  effet ,  Mcfdames  ,  une  méprde  a  (lez 
ordinaire  parmi  les  perfonnes  confacrees 
AUX  œuvres  faintes  ,  eft  de  fe  figurer  que 
çss  pieufes  occupations  ne  font  pas  renkr-i 


DE     Miséricorde.        ^17 
inces  dans  le  devoir  ;  ôc  de  les  envifager 
plutôt  comme  des  pratiques  louables  qu'au- 
ne charité  abondance  embrafle  :,  que  com- 
me des  obligations  réelles  qu'une  loi  indif. 
penfabie  nous  impofe.  L'amour-propre  fa- 
vorife  d'autant  plus  cette  erreur  ,  que  l'ac- 
complillementdu  devoir  tout  feul  n'a  rien 
qui  nous  flatte,  parce  qu'il  n'a  rien  qui  nous 
diftingue  :  au  lieu  que  les  œuvres  fur-ajou- 
tées ,  en  nous  laifîant  plus  de  lingularité  > 
nous  laifTenc  aulTi  plus  de   complaifance. 
On  aime  à  fe'dire  en  fecret  que  le  Juftc  ne 
borne  pas  fa  fidélité  aux  feuls  préceptes  de 
la  loi  5  que  fon  zèle  doit  aller  au-delà  ,   de 
que  ces  bornes  imparfaites  n'ont  été  mifes, 
comm.e  ditl'ApÔtre  ,  que  pour  la  foibleife 
de  1  homme  encore  charnel  :    ainfi  l'on  fe 
perfuade  qu'on  eft  arrivé  à  la   perfedrion 
des-confeils,  de  l'on  s'applaudit    prefque 
tout  Das  comme  fi  l'on  en  faifoit  de  reîle. 
Cependant  ,  Mefdamies ,  il  s'en  faut  bien 
que  la  Foi  ne  mette  les  offices  de  charité 
rendus  à  nos  frères  ,  au  rang  de  ces  œuvres 
arbitraires  que  la  religion  laifie  au  choix 
des   Fidèles;   &  parmi  tous  les  devoirs  de 
votre  état  ,  la   doctrine  de   Jeius-ChriO: 
n'en  connoît  prefque  pas  de  plus  facrés  & 
de  plus  inviolables. 

Car  vous  n'ignorez  pas  ,  premièrement, 
que  tout  chrétien  eft  chargé  du  foin  de  foa 
fr^re  affligé,  &  que  la  loi  quinousordonne 
de  l'ajmer,  nous  fait  en  même  temps  un  de- 
voir de  le  fecourir  ;  puifqu'on  n'aime  pas, 
lundis  qu'on  peut  être  infenfible  aux  mal- 

O  3 


^î8  Sur  lis  (E  u  vr  e  s 
heurs  de  ce  qu'on  aime.  En  effet  ;>  Mef- 
darnes  ,  le  précepte  de  lamour  du  pro- 
chain ,  h  folcmnel  dans  i'Evangile  ,  /i  ef- 
feiuiel  à  la  Foi  y  fi  infcparable  de  la  piété 
chrétienne  ^  ne  fe  borne  pas  à  nous  défen- 
dre feulement  de  ravir  ce  qui  appartient  à 
nos  frères  3  de  blelTer  leur  réputation  j  de 
nuire  à  leur  fortune  -,  d'attenter  à  leur  per- 
ionne  ,  de  troubler  leur  repos.  Les  païens 
S<  les  peuples  les  plus  barbares  ont  eu  des 
lo}x  quilesobiigeoientden'étre  niinjuftes  j> 
ni  ravilTeurs  ^  ni  fourbes  ,  ni  cruels  :  ce 
font-làdesdevoirs  qui  fuivent  la  nature  :>  6c 
)ufquv.s-là  vous  n  êtes  pas  encore  chré- 
tien. 

La  loi  de  la  charité  ^  particulière  à  la 
Religion  de  Jefus-Chrift  ,  va  donc  encore 
plus  loin. Ce  ntiï  rien  pour  elle  de  ne  point 
haïr  :,  il  faut  qu'elle  aime  :  ce  n'efl  pas  aiTez 
de  ne  pas  nuire  ,  il  faut  qu'elle  aide  :  c'effc 
peu  d'avoir  les  mains  pures  du  biend'au- 
trui ,  il  faut  qu'elle  donne  le  fien.  Ceft-à- 
dire  ,  que  vous  êtes  injufte,>  Ci  vous  n'êtes 
pas  bicnfaifant  ;  que  vous  haïiTez  votre  fre^ 
re  alrligé,  fi  vous  ne  le  foulagez  pas  ,  lors- 
que vous  le  pouvez  j  que  vous  devenez 
l'auteur  de  fon  infortune^  lî  vous  n'en  êtes 
pas  l'afyle  ;  en  un  mot  :,  que  vous  ufurpez 
ce  qui  lui  appartient  ^  Ci  vous  lui  refufez 
votre  bien  propre. 

Ce  n'eft  donc  pas  ici  une  œuvre  de  fur- 
croît  :  dont  le  zèle  puifTe  s'applaudir  ;  c'eil 
une  loi  com*mune  ,  impofée  à  toute  ame 
fidelie.  Car  ,  Mefdames ,  par  la  grâce  qui. 


"DE    Miséricorde.         5191 
dans  le  Baptême  nous  alTocia  â  l'aflemblée 
des  Saints  j  nousdevinmestousles  membres 
d'un  mcme  corps  socles  enfans  d'un  même 
père.  DèS"iors  nous  contradâmes  des  liai- 
fons  intimes  3c  facrées  avec  le  refte  des  Fi- 
dèles :  dès-lors  nous  ne  fûmes  plus  étran- 
gers à  leur  égard  )  &:  ils  ne  le  furent  plus  au 
nôtre  :_  dès-lors  ils  ne   furent  plus  pouc 
nous  ni  efclaves  ,  ni  nobles  y  ni  roturiers  , 
ni  riches ,  ni  indigens  ;  ils  furent  nos  frè- 
res :  dès-lors  leurs  calamités  devinrent  les 
nôtres ,  &  leurs  befoins  nos  befoins  :  dès- 
lors  j'augufte  qualitédeChrétien,  qui  nous 
unilioit  à  eux  ,  ôta  ce  mur  orgueilleux  de 
réparation  ,  ôc  ces  différences  vaines  de 
rang  ,  de  titres  ,   de  naifTance  ,  que  la  na- 
ture }  ou  les  loix  dufiecle  ,  avoient  mifes 
entr'eux  &:  nous  :  tout  ce  qui  arriva  dans  le 
corps  facrédesFideles  j  devintnotre  affaire 
propre  :  dès-!ors^  qu'un  membre  fouffrit , 
nous  dûmes  fouffrir  auffi  j  &  fansrenoncer 
a  ce  liendivin  quinousunittousfous  JefuG^ 
Chrifl  norre  chef,  &  qui  efl:  le  feul  fonde- 
ment  de  notre  efpérance  &  de  notre  droit 
aux  promeffes  éternelles  ,  nous  ne  pûmes 
plusrefufer  aux  befoins   communs,  nos. 
foms ,  notre  attention  ,  &  notre  miniftere. 
AufTi  les  premiers  Fidèles  ne  pofféderene 
d'abord  rien  en  propre  ,  parce  que  depuis 
leurvocationàrEvangile  n'étant  plus  qu'un 
cœur  &  qu  une  ame  enfemble  ,  il  leur  pa- 
rut inutile  de  demeurer  poffeffcurs  particu- 
liersdes  biens, qui  étoîentdevenus  les  biens 
de  leurs  frères  ,  &  dont  la  néceflîté  toute 
Icule  devait  régler  lufage. 

O4 


2.  CO'» 


310  SUR.LES    (SuVRtS 

Je  ne  vous  dis  pas  en  fécond  lieu  )  que 
plus  vous  êtes  élevés  dans  le  (îecle  ,  plus 
votre  obligation  eft  ici  rigoureufe  ;  de  fans 
entrer  dans  les  grandes  raifons  qui  étab'il- 
fent  cette  maxime^  fouffrez  que  je  me  bor* 
ne  à  une  réPiexion  toute  feule.  La  profpé- 
rité  êc  l'abondance  des  biens  de  la  terre  ne 
nous  difpenfent  ni  de  la  frugalité  ,  ni  de  la 
fimplicité  )  ni  de  la  violence  évangélique. 
En  vain  avons-nous  amafîé;,  comme  ces 
Ifraélites  3  plus  de  m?.nne  que  nos  frères , 
nous  n'en  pouvons  réferver  pour  notre  ufli- 
ge  que  la  mefure  prefcrite  par  la  loi  :  Qiil 
multiîm  non  abundavit  :  Si\xittmtv\x.  J-efus- 
f /is".  Chrift  n'auroit  défendu  la  mollelTe,  le  luxe 
&  les  plaidrs  qu'aux  pauvres  Se  aux  m^al- 
heureux  ,  à  qui  l'infortune  de  leur  condi- 
tion rend  cette  défenfe  aflez  inutile. 

Or  :,  Mefdames  ,  cette  grande  vérité 
fuppofée  y  (\  félon  la  règle  de  l*£vangile  , 
il  ne  vous  efl:  pas  permis  de  faire  fervir  vos 
richelTes  à  la  félicité  de  vos  fens ,  &  de 
jouir  de  votre  abondance  j  fi  le  riche  efl 
obligé  de  porter  fa  croix  ,  de  ne  chercher 
pas  fa  confolation  en  ce  monde  ,  &  de  fe 
renoncer  fans  cefTe  foi-même  comme  le 
pauvre  -,  quel  a  pu  être  le  delTein  de  la  Pro- 
vidence en  répandant  fur  vous  les  biens  de 
la  terre  ^  &  quel  avantage  peut-il  vous  ea 
revenir  à  vous-mcm.es  ^  Seroic-ce  de  four- 
nir à  des  paffions  désordonnées ç^mais  vous 
n'êtes  plus  redevables  à  la  chair  pour  vivre  J 
félon  la  chair.  Seroic-ce  de  foucenir  lor^     \ 


D  ï     M  î  S  E  R  I  C  0  R  B  Ë.     ^       ^ ir 

gueil  du  rang  &  de  ia  nailTancef  mais  votre 
vie  doit  être  cachée  en  Dieu  avec  Jefus- 
Chrift.  Seroir-ce  d'anialTer  pour  vos  ne- 
veux ^  mais  vous  ne  devez  plus  théfaurifer 
que  pour  le  Ciel.  Seroir-ce  de  couler  vos 
jours  avec  plus  de  tranquillité  &  d'indo- 
lence ^  mais  h  vous  ne  pleurez  pas ,  (i  vous 
nefoulTrez.  (i  vous  ne  combattez  paS;>  vous 
êtes  perdus.  Seroit-ce  de  vous  attacher 
plus  à  la  terre  ?  mais  le  Chrétien  n'eil  pas 
de  ce  monde  ,  il  eft  citoyen  du  (îecle  à  ve- 
nir. Seroit-ce  d'orner  plus  fuperbement  vos 
palais  ?  mais  cette  vaine  magnificence  ed 
réprouvée  dans  le  riche  de  i'Hvanglle.  Se- 
roii-ce  de  charger  vos  tables  de  mets  plus 
exquis  i  mais  la  chair  de  le  fang  ne  polléde- 
ront  pas  le  royaumje  de  Dieu  ;  &:  h  vous  ne 
faites  pénitence  ,  vous  périrez.  Seroit-ce 
de  vous  élever  à  de  nouvelles  dignités  dans 
le  m.onde  ?  mais  cette  élévation  ;,  félon  les 
vues  de  la  Foi ,  n'eft  que  le  haut  d'un  pré- 
cipice. Seroit-ce  d'aggrandir  vos  poiref- 
fions  de  vos  héritages  ?  mais  vous  n'aggran-» 
diriez  jam.ais  que  le  lieu  de  votre  exil  ,•  ÔC 
le  gain  du  monde  entier  vous  feroit  inutile. 
Cl  vous  veniez  à  perdre  votre  ame.  Repafiez 
fur  tous  les  avantages  que  vous  pouvez  re- 
tirer, félon  le  monde ,  de  votre  profpérité; 
ils  vous  font  prefque  tous  interdits  par  U 
loi  de  Dieu. 

Ce  n'a  donc  pas  été  fon  defîein  de  vous 
les  ménager  ,  en  vous  faifant  naître  dans 
l'abondance  :  ce  n'cft  donc  pas  pour  vous<» 
raêmes  que  vous  êtes  nés  grands  :  ce  n  eft 


*5iî  ''Sur  iesCSuvre^ 
pas  pour  vous  ,  comme  le  difoit  autrefois 
le  fage  Mardochée  à  la  pieufe  Eflher  ,  que 
le  Seigneur  vous  a  élevée  à  ce  poii::  de 
grandeur  qui  vous  environne  :  c'eft  pour 
vos  frères  ;  c  efl  pour  fon  peuple  affligé  , 
c'eft  pour  être  la  protectrice  des  infortu-- 
nés  :  Et  quls  fiov'it  3  utrùm  idcîrco  ad  reg'^ 
A  \1^^'  ^i^'f^i  veneris  ,  ut  in  tali  t empare  parjreris  f 
Si  vous  ne  répondez  pas  aux  deiieins  de 
Dieu  fur  vous  ,  il  fe  fervira  de  quelqu'autrc 
qui  lui  fera  plus  fidèle  ;  il  tranfporcera  cette 
gloire  ôc  cette  couronne  qui  vous  étoit 
deuinée.  Ah  l  il  faura  bien  pourvoir  par 
quelqu'autre  voie  à  la  délivrance  de  fon 
peuple  j  car  il  ne  permet  pas  que  les  fiens 
périllent  :  mais  vous  5c  la  maifon  de  votre 
père  périrez  :  Per  al'iam  occafionem  libéra'^ 
*^''^-  buntur  Jiiddl  ;  &  tu  ^  &  domus  patris  tuî  > 
peribitis.  Vous  n'êtes  donc  dans  les  deffeins 
de  Dieu,  que  les  miniftresde  fa  providence 
envers  les  créatures  qui  foufFrent  ;  vos 
grands  biens  ne  font  donc  que  des  dépots 
facrés ,  que  fa  bonté  a  mis  entre  vos  mains 
comme  pour  y  être  plus  à  couvert  de  Tu- 
furpation  &c  de  la  violence  ,  &c  confervés 
plus  sûrement  à  la  veuve  &  à  l'orphelin  : 
votre  abondance  n'eft  donc  que  la  portion 
de  vos  frères  :  votre  élévation  dans  l'ordre 
de  la  fagelTe  éternelle  ,  n  eft  donc  deftinee 
qu'à  leur  fervir  d'afyle  ;  votre  autorité  qu'à 
les  protéger  ;  vos  dignités  ^qu'à  venger 
leurs  intérêts  ;  Véclat  de  votre  nom  qu'à  les 
confoler  par  vos  offices  ,'  votre  rang  qu'à 
leur  adoucir  l'inégalité  de  la  condiûon&l« 


DE    M  I  S  E  R  I  €  O  R  D  ë..  f t* 

malheur  de  lear  deftinée  ,  en  vous  abaif- 
fanc  juiqu'à  leur  rendre  les  plus  vils  minif- 
teres  ;  vos  exemples  qu'à  les  afermir  dans 
la  Foi  :,  ôc  dans  la  foumifTion  au  Dieu  qui 
les  frappe.  En  un  mot  ,  tout  ce  que  vous 
êtes  5  vous  ne  leces  que  pour  eux.  Votre 
élévation  ne  feroit  plus  l'ouvrage  de  Dieu> 
ôc  il  vous  auroit  réprouvés  en  répandant 
fur  vous  ks  biens  de  la  terre  ,  s'il  vous  les 
avoir  donnés  pour  un  autre  ufage. 

Et  certes  ,  MefdameSj,  lorfque  des  in- 
fortunés voient  une  ame  fidelle  j>  malgré  la. 
nailTance  ^  les  biens  ,  le  crédit  y  les  digni- 
tés qui  la  diftinguent ,  renoncer  aux  plaifirft 
qui  rendent  la  profpérité  fi  digne  d'envie  , 
fuir  un  monde  qui  la  cherche  ,  fe  dérober 
aux  honneurs  qui  l'environnent ,  percée 
f ufques  dans  leurs  plus  fombres  retraites  , 
ôc  là  faire  de  leur  lèpre  même  un  fpe(flaclc 
agréable  à  Tes  yeux  ,  abaifler  fes  mains  cha- 
ritables jufquàleurs  plus  dégoûtantes  mi-% 
feres  5  verfer  de  Vhuile  fur  leurs  plaies^ 
refpe6terleur  chair  hideufe  comme  le  teca- 
ple  de  l'Efprit  faint ,  foulager  kur  douleuç- 
par  des  paroles  de  confolationjCalmerleuj 
impatience  parles  maximes  de  la  Foi  ^  pré- 
venir  leur  honte  de  leurs  befoins  par  de 
faints  artifices  ?  les  tirer  de  l'occafîon  de  dut 
péril  par  de  fages  ménagemens  ;  &  eniir^ 
tout  fouffrir  ,  ou  pour  adoucir  leurs  pei*. 
nés  >  ou  pour  aflurer  leur  falut  :  ah  i  c'eft- 
alors  qu'ils  lèvent  les  yeux  au  Ciel  y  qu'ib 
reconnoiflent  un  Dieu  fage  ,  difpenfateuî 
^çs  çhofe^  (i'içi-bas  >  ^  père  commua  d» 

06 


314  S  tJ  R      I  H  s    (E  IT  V  R  F  5  ' 

pauvre  comrr.e  du  riche  ;c>il  alors  qu'ils 
publient  les  merveilles  de  fj.  providence, 
Qjae  vous  êtes  riche  en  miféricorde  >  Sei- 
gneur !  lui  difent-îls  ;  vous  n'abandonnez 
jamais  ceux  qui  efperenr  en  vous;  votre 
eell  attentif  aux  befoins  de  vos  créacures  , 
ne  permet  jamais  qu'elles  fouiFrent  au-delà 
de  leurs  forces.  Ceft  alors  qu'ils  regardent 
kur  infortune  avec  des  yeux  chrctiers  ;  & 
qu'ils  commencent  à  comprendre  combien 
Dieu  eft  grand  ,  &  digne  d  être  fervi ,  puif- 
qu  il  peut  fe  formaer  au  milieu  même  de  la 
corruption  du  grand  monde  ôc  des  périls 
de  la  profpérité  :,  des  fervireurs  il  fidèles. 
Voilà  ,  Mefdam.es  3  à  quoi  la  naillance  ÔC 
les  biens  doivent  fervir  :  vous  n'êtes  puif- 
fans  fur  la  terre  ,  que  pour  faire  bénir  par 
ceux  qui  fouffrent  ?  la  bonté  de  Dieu  ik  les 
richelTes  de  fa  miféricorde  y  qui  leur  a  mé- 
nagé dans  votre  abondance  des  reflources 
^fi  confolanres. 

Mais  i-e  laiHe  ces  grandes  maximes  ,  (î 
foiivent  fans  doute  ici  repérées  ;  &  je  dis  , 
en  troifieme  lieu  ^  que  quand  même  on 
ii'auroit  aucun  égard  aux  obligations  com- 
munes qu^impofe  là-deflusla  Religion  >  Ô€ 
le  rang  que  vous  tenez  dans  le  monde, 
■pour  vous  en  particulier  qui"  m'écoutez  > 
les  faintès  occupations  de  la  miféricorde  ^ 
•&  l  attention  particulière  à  l'œuvre  qui 
nous  afTfmble  ,  ne  irroient  pas  moins  dts 
devoirs  indifpenfables.  Renouveliez  ^  je 
vous  prie  ,  votre  âttenrion. 
-     Car  ,  premièrement  ^   qui   que  vous 


D  ï     M  I  S  E  U  I  C  O  R  D  î.  5  1  f 

foyez  ,  qui  marchez  aujourd  hui  dans  des 
voies  fâintes  ,  &  quidérrompés  des  erreurs 
du  monde  te  des  pallions  ,  ne  connoiilez 
plus  rien  de  folide  que  la  crainre  du  Sei- 
gneur &  la  gloire  de  ie  fervir  j  vos  mœurs 
o-u-elies  toujours  éré  réglées  par  la  loi  f* 
vos  exemples  n'onc-ils  pas  été  autrefois  ua 
modèle  de  luxe ,  de  plaidr  ,  Ôc  de  mol- 
lelle  f*  En  repalTant  fur  vos  jours  de  ténè- 
bres y  de  fur  ces  premières  années  où  vous 
ne  connoilTiez  pas  encore  le  don  de  Dieu  , 
n'y  trouvez -vous  rien  à  vous  reprocher  iur 
les  (oins  d'une  vaine  beauté,  fur  des  attei>  . 
tions  déplorables  à  corrom.pre  les  cœurs  , 
fur  des  indécences  de  parure  dont  la  piété 
des  amcs  juftes  gémilîoic  alors,  fur  àçs 
licences  que  le  miOndeautorife  ;,  &  où  vos 
-frères  ont  tant  de  fois  trouvé  Técueil  de 
leur  innocence  f*  que  fais-je  ^  fur  dts  foi- 
blelfes  qui  font  aujourd'hui  devant  Dieu  le 
fuiet  de  vos  foupirs  !k  la  niatiere  de  votre 
pénitence  ?  Vos  citoyens ,  vos  proches , 
vos  amis  ,  vos  domeliiques  n'ont-ils  pa-s 
mille  fois  péri  fous  vos  yeux  <  votre  rang 
ne  donnoit-il  pas  du  crédit  à  vos  pallions 
&  à  vos  exemples  ^  Combien  d  âmes  ;> 
lorfque  vous  fuiviez  des  routes  injuftes , 
avez-vous  entraînées  ,  à  votre  infu  ,  avec 
vous  dans  le  précipice? 

Eh  !  ne  faut-il  donc  pas  qu'aujourd'hui 
des  exem.ples  contraires  réparent  le  fcan- 
dale  ?  ne  faut-il  pas  que  vous  foyez  ur,Q 
odeur  de  vie  pour  vos  frères ,  comm.e  vous 
avez  été  une  odeur  de  mort  f  ne  faut-il  pas 


^iG  Sur  tEsCEtrvREs 
que  vous  leviez  :,  pour  aînii  dire  ,  fans  rîeft 
craindre  ,  Téteiidart  de  la  piété  ,  comme 
vous  aviez  levé  autrefois  celui  du  monde- 
ôc  des  plailirs  ?  Une  vertu  obfcui  e  de  pri- 
vée peut-elle  remplacer  des  maux  publics  î 
&  quand  les  offices  d'une  charité  publique 
ne  feroient  pour  les  autres  que  des  prati- 
ques arbitraires  d'une  piété  édifiante  ,  ne 
deviennent-ils  pas  pour  vous  des  devoirs^ 
indifpen fables  ? 

Secondement  :  Autrefois  ,  lorfque  vous 
ne  connoifliez  rien  de  grand  que  le  monde 
&  fes  vanités  ,  n'aviez-vous  pas  peut-être 
donné  du  ridicule  à  la  piété  par  des  déri- 
fionsinjuftes  ^n'aviez-vous pas  regardé  les 
offices  publics  de  miféricorde  ,  comme  des 
indifcrétions  de  zèle  ^  ou  des  empreffe- 
mens  de  vanité  ^  loin  de  refpeâicr  les  per* 
fonnes  qui  s'y  confacroient ,  n'aftedliez- 
vous  pas  d'en  faire  le  fujetle  plus  ordinaire 
de  vos  cenfures  ^  ne  di(iez-vous  pas  d'elle» 
comm.e  autrefois  Pharaon  desifraélites  qui 
vouloienc  aller  facrifier  dans  le  défertj  que 
c'étoit  roifivecé  toute  feule ,  &  une  vie 
inutile  qui  leur  faifoic  chercher  ces  fortes 
d'occupations  &  ces  pieux  amufemens  ^ 
Exod,  jy^acatis  otlo  ,  &  îdcïrco  dïcîtls  :  Eamus  , 
S»  ^7»  ù*  facrt jïcemu S  Domino  ^  Ne  difiez-vous 
pas  comme  ces  Gouverneurs  des  Provinces 
voifines  de  Jérufalem  y  lorfqu'ils  voyoienc 
Néhémias  &  les  principaux  du  peuple  de 
Dieu,  occupés  à  rebâtir  le  Temple:  A  quoi 
a.  r/Hr,  s'amufent  les  foibles  Juifs  ^  ^uid  Jud<tl 
4^  2.    '  f/idunt  imbeclUes  i  prétendeiu-il§  donc  que 


le  monde  leslaille  faire;,  ôc  qu'on  ne  parle 
pas  d'une  conduite  fi  bizarre  Ôc  fi  fingu- 
liere  i  Num  dlmitîcnt  eos  genres  f  veulent-  Ibld^ 
ils  donc  tout  faire  à  la  fois  ,  ëc  gagner  le 
Ciel  en  un  feul  jour  j*  Num  [acrificabmu  j,  ihiâ. 
&  cowplebunt  in  una  die  ?  vealcnt-ils  que 
les  cendres  de  leur  ville  fe  changent  tout 
d'un  coup  en  des  bâtimens  fuperbes  ,  ÔC 
palTer  en  un  inftant  d'une  extrémité  à 
l'autre  ^  Numquid  ddljicare  poterunt  lapi- 
des de  acervîs  pulveris  qui  ccmbulîi  funt  ^  '^'^# 
Car  tels  font  encore  aujourd'hui ,  ô  mon 
Dieu  l iesdifcours  infenfés  du  monde  con- 
tre la  vertu.  N'étoient-ce  pas  là  autrefois 
les  vôtres  f  II  faut  donc  que  vos  œuvres 
publiques  rendent  à  la  piété  l'honneur  que 
vos  dérifions  profanes  lui  avoient  ôté  ;  il 
faut  donc  quevous  pratiquiez  vous-mêmes 
ee  que  vous  avez  Ç\  injuftementbiâmé  dans 
les  autres  Fidèles  :  il  faut  défavouer  la  té- 
mérité de  vos  cenfures ,  en  vous  expofant 
vous-mêmes  à  celles  du  monde  ;  &  réparer 
le  tore  que  vous  avez  fait  à  la  vertu  ,  en 
donnant  des  m.arques  éclatantes  de  la  vé* 
nération  que  vous  avez  pour  elle. 

Troifiémement  -.Quel  ufagefaifiez-vou:» 
autrefois  de  vos  richeiTes  ^  vos  biens  im- 
menfes  pouvoient-ils  fuffîre  aux  jeux  ,  au 
luxe  }  aux  caprices  y  aux  pallions  ^  Vous 
faifiez  fervir  les  dons  de  Dieu  à  l'iniquité  : 
or  tout  ce  que  vous  employez  à  des  ufages 
iniuftes,  vous  l'ufurpiez  fur  le  pauvre  ôc 
fur  l'affligé.  Eh  !  comment  voulez-vous 
réparer  cette  injuftice,  que  par  des  fainteç 


^i%  SURLES      (EUVRES 

profuiîons  ôc  des  largefles  plus  abondan- 
tes ^ 

Quatrièmement  enfin  ^  cette  première 
faîlon  de  votre  vie  que  vous  avez  confa- 
crée  au  monde  &  à  Tes  erreurs  ,  vous  l'a- 
vez paflee  dans  les  plaifirs  ÔC  dans  une  mol- 
le indolence  :  la  félicité  de  vos  lens  étoic 
alors  votre  unique  affaire  :  vous  n'étiez 
attentives  qu'à  réveiller  tous  les  jours  par 
de  nouveaux  artifices  le  dégoût  &  la  fatié- 
té  inféparable  de  tout  ce  qui  plaît  hors  de 
Dieu  :  vous  ne  viviez  que  pour  votre  corps» 

Ah  !  unevertuoifeufe^  douce  ^  aifée  ^  ne 
feroit  donc  plus  pour  vous  qu'une  illufion 
dangereufe.  Vous  avez  ménagé  à  vos  fens 
tout  ce  qui  pouvoir  les  flatter  :  il  faut  donc 
vous  appliquer  à  les  crucifier  ;  aller  dans 
ces  lieux  de  miféricorde  j  où  la  piété  ap- 
pelle tant  d'ames  faintes  ;  vous  approcher 
des  Lazares  puans  &  couverts  de  plaies  ; 
re  pas  refufer  votre  miniftere  &  le  fecours 
de  vos  mains  à  leurs  befoins  extrêmes  ;  dc 
malgré  les  frémiflemens  fecrets  de  la  natu- 
re, accoutumer  votre  délicatefle  à  ces  œu- 
vres de  religion  ,•  de  furmonrer  par  votre 
foi  3c  par  lardeur  de  votre  amour  ,  la  foi- 
blelîe  d'une  chair  qui  a  fi  fouvent  triom- 
phé de  vous-mêmes.  Vous  croyez  ,  en 
vous  confacrant  à  des  exercices  charita- 
bles ,  aller  au-delà  de  vos  devoirs  i  ôc  vous 
voyez  que  vous  n'avez  pas  encore  rendu 
un  pour  mille  ,  &  qu'il  s'en  faut  bien  que 
la  compenfatîon  ne  foit   égale. 

Ce  qui  vous  abufe  ici ,  Mefdames  p  vqu« 


DE    Miséricorde.         519 
^ue  la  miféricorde  de  Jefus-Chrift  a  dé- 
trompées du  monde  &appeUées  à  fou  fer- 
vice  ,  &  qui  fait  que  vous  comptez  fi  fore 
fur  le  mérite  de  vos  œuvres  iaintes  ;  c'eft  y 
premièrement  ,  qu'une  erreur  fecrette  dc 
délicate  de  vanité  vous  perfuade  que  les  ti- 
tres qui  vousdiil:inguent5  donnent  un  nou- 
veau mérite  devant  Dieu  à  vos  œuvres  de 
religion  ;  que  leur  prix  croît  à   proportion 
de  votre  rang  ,*  que  les  démarches  les  plus 
légères  de  piété  font  illuftrées  ,  pour  ainlî 
dire  ,  aux  yeux  du  Seigneur  par  Téclat  qui 
vous  environne.  On  fe  repofe  fur  cette  vai- 
ne complaifance  ,  que  d  injudies  adulations 
nourrilTent  ;  on  fait  entrer  dans  Tidée  que 
l'on  a  de  fes  œuvres  ,  celle  qu'on  a  de  foi- 
même  ]  Se  onfe  perfuade  que  ceux  qui  font 
nés  dans  la  foule  ,  en  faifant  mille  fois  plus 
que  nous  ,  méritent  encore  moins.  Com- 
me fi  la  charité  toute  feule  ne  difcernoit  pas 
nos  mérites  j  comme  Ci  en  Dieu  il  y  avoit 
acception  de  perfonnes  ;   com.m.e  i\  ceux 
qui  ont  plus  reçu  ,  n'écoient  pas  ceux  donc 
on   demande    davantage.  Secondem^-nt  , 
c'eft  que  vous  ne  jetcez  d'ordinaire  les  yeux 
fur  vous-mêmes  ,  qu'en  vous  oppofant  à 
ces  perfonnes  mondaines  de  votre  état   & 
de  votre  rang  ,  livrées  aux   plaiiirs  ;,   aux 
paffionsjnfcnfées  ;>  à  leurs  propres  égare- 
mens ,  &  qui  négligent  rout-à-fait  le  foin 
de  leur  falut.   Alors  ce  parallèle  grolTi!:  à 
vos  yeux  votre  propre  mérite  :  vos  œu- 
vres comparées  à  leurs  inutilités  &  à  leurs 
plaifus  3  vous  paroiflent  des  abondances  de 


5^0  Sur  les  (S  u vr  es 
juftice  :  tout  ce  que  vous  faites  pour  le 
falut  su-deflus  d'elles  :,  vous  croyez  le  faire 
au-delà  de  vos  devoirs  ;  ôc  la  tiédeur  oà 
vous  vivez  y  oppofée  à  leur  dérèglement  > 
{échange  à  vos  yeux  en  vertu  héroïque. 
Semblables  à  cet  Evêque  de  TApocalypfe, 
qui  malgré  la  tiédeur  &  l'indolence  de  fes. 
mœurs ,  fe  croyoit  riche  en  bonnes  œu- 
vres }  parce  qu'il  jugeoic  fans  doute  de  fa 
vertu  par  la  chute  &  les  excès  des  faux 
Dodeurs  qui  enfeignoient  la  doéVrine  de 
Balaam  ,  &  en  fuivoient  les  voies  honteu* 
fes  ;  lui  qui  étoit  aux  yeux  de  celui  qui 
eft  un  témoin  fidèle  &  véritable ';,  pauvre  y 
niiférable  ,  nud  ,  ôc  far  le  point  d'être  re- 
jette de  fa  bouche. 

Cette  règle  eft  donc  dangereufe.  Ce 
ii*eft  pas  par  ces  parallèles  trompeurs  qu'il 
faut  mefurerce  que  nous  fommes  devant 
Dieu  ;  c'eft  par  la  fainteté  de  la  loi  ;  ct(k 
par  la  fublimité  de  nos  devoirs  j  c'cfl:  par 
l  excellence  de  notre  vocation  yc'cù.  par  la 
grandeur  du  maître  que  nous  fervons  ; 
c'efl  parla  multitude  desiniquités  que  nous 
avons  à  expier  ;  c'eft  par  les  foibleflTes  jour- 
nalières que  notre  tiédeur  voit  multiplier 
à  l'infini  fans  aucun  changement  ;  en  un 
mot  j)  ce  n'eft  pas  en  nous  comparant  aux 
pécheurs  ,  qu'il  faut  faire  honneur  à  nos 
foibles  vertus  j  c'eft  en  nous  oppofant  aux 
Saints  qui  nous  ont  précédés  ,  aux  âmes 
juftes  qui  marchent  à  nos  yeux,  Se  quinous^ 
laiflent  fi  loin  après  elles  dans  la  voie,  qu'il 
faut  confondre  notre  langueur  ôc  notre  im^ 


ni     MiSîRiCORDï.  5^1 

pénitence.  Si  la  Pécherefle  de  Jérufalem 
eut  jugé  de  la  profulion  de  fes  parfums,  ôc 
de  l'abondance  de  fes  larmes  ,  par  Tinfen- 
fibilité  des  autres  femmes  mondaines  de 
la  Paleftine  ,  ah  1  fans  doute  ,  elle  n'eût  pas 
eu  tant  de  honte  de  fe  préfenter  devant  le 
Sauveur  :>  ôc  n'eût  pas  choiil  [t:s  pieds  com- 
me pour  dérober  à  fes  yeux  les  faints  mi- 
nifteresde.fa  charité  ,  qui  lui  pcroifToienc 
fi  difproportionnés  aux  défordresde  fa  vie:, 
ii  la  femme  Cananéenne  eût  oppofé  fa  dé- 
marche fi  pleine  de  foi  à  l'aveuglement  des 
autres  femmes  de  Tyr  ,  fans  doute  elle  ne 
fe  fût  j.am.ais  comparée  à  un  vil  animal  :  iî 
David  lui-même  n'eût  jugé  de  fa  péniten- 
ce 5  de  fes  jeûnes  ,  de  fes  larmes  de  de  fes 
macérations  ,  que  par  la  molleflc  des  au- 
tres Cours  Se  l'exemple  des  Rois  fes  voi- 
fins  5  plutôt  que  par  fes  crimes  ^  ah  1  fans 
doute  il  n'eût  pas  prié  le  Seigneur  de  n'en- 
trer pas  en  jugement  avec  lui.  Les  déré- 
glemens  de  nos  frères  n'ajourent  donc  rien 
au  mérite  de  nos  œuvres  ;  ôc  nous  pou- 
vons être  plus  juûes  que  le  monde  ,  fans 
l'être  encore  aflèz  pour  Jcfus-Chriii. 


L 


A  féconde  règle  à  obferver  dans  la   Re&l^ 


pratique  des  œuvres  de  miféricorde  ,  eft 
que  non  feulement  il  faut  les  regarder 
comme  des  devoirs  que  nous  acquittons  > 
mais  encore  en  faire  des  remèdes  journa- 
liers contre  nos  foiblefîes  de  tous  les  jours.. 
Je  m'explique.  Vous  le  favez  :>  Mefda-. 
jnes  j  les  oeuvres  extérieures  de  la  piété 


^;i  Sur  les  (Euvres 
n'ont  de  mérite  devant  le  Seigneur  :,  qu'au- 
tant qu'elles  fervent  à  perfectionner  notre 
homme  intérieur  :  car  le  Royaume  de 
Dieu  efl:  au-dedans  de  nous  ;  &  tout  ce  que 
nous  faifons  pour  le  falut  efl  inutile  ,  s'il 
ne  fe  rapporte  au  règlement  du  coeur  }  & 
à  Tentiere  mortification  des  vices  &  des 
defirs  ;,  qui  mettent  encore  obflacle  en 
nous  à  la  grâce  de  notre  parfaite  délivran- 
ce. Or  5  fur  cette  maxime  de  la  Foi ,  fou- 
lagernos  frères  :,  les  revêtir  j,  les  vifiter^ 
lesconfoler  ^  les  fervir  même  )  n'efl  enco- 
re que  le  corps  de  la  piété  :  ce  font  les 
offices  du  Chrétien  -,  ce  n'efl;  pas  le  Chré- 
tien lui-même.  Il  faut  donc  que  la  vertu 
croiile  &  fe  purifie  dans  ces  devoirs  pu- 
blics de  miféricorde  ;  que  nos  im.perfec- 
tions  y  trouvent  leur  remède  :  &  que  cha- 
que œuvre  fainte  ferve  à  aftoiblir  en  nous 
quelqu'une  de  nos  pafTions  :  c'eft-à-dire  , 
Mefdames  ,  que  pour  encrer  dans  refpric 
de  la  Foi  fur  la  pratique  des  œuvres  chari- 
tables 5  il  faut  5  avant  que  de  s'y  engager  , 
mettre  notre  ame  fur  nos  mains  ,  Fenvifa- 
ger  aux  pieds  de  Jefus-Chrift  ;  &  dans 
la  lumière  de  fa  grâce  ,  examiner  fous  fes 
yeux  quels  font  encore  nos  penchans  dé- 
réglés 3  &  choifir  les  offices  de  miféricorde 
qui  leur  font  le  plus  oppofés  ,  &c  qui  pa- 
roiiïent  les  plus  propres  à  les  déraciner 
de  notre  cœur. 

Ainfi  vous  aimez  encore  le  monde  ,  les 
plaifirs  j,  les  diffipations  des  jeux  &c  àes 
commerces  :  préférez  les  œuvres  qui  vous 


n  "E     M  I  S  E  R  I  CO  RD  ?.  5?^ 

en  fcparent  le  plus  ,  ik  qui  vous  renferment 
plus  fouveiK  dans  la  prière  ,  dans  le  filencs 
^  dans  la  retraire.  Vous  ères  nées  avec  des 
difpofirions  de  molle iTe  (?^  d'indolence  que 
vous  ne  fauriez  prefque  furmonter  ,*  vous 
ne   prenez  jamais  rien  fur  vous-mêmes; 
votre  vertu   n'eft  prefque  qu'un  éloigne- 
ment  naturel  du  tumulte  ôc  des  agitations 
du  monde  que  vous  n'aimez  pas ,  ôc  une 
vie  plus  douce  &  plus  oiieule  qu'on  ne  la 
mené  d'ordinaire  dans  le  fiecle  :  ah  !  les 
œuvres  les  plus  dures  ,  les  plus  pénibles 
de  la  miféricorde  ,   les  foins  les  plus  dé- 
£oûrans  ,  les  miiferes  les  plus  hideufcs  y 
c'eft-îà  votre  partage.  Vous  aimez   dans 
la  vertu  même  tout  ce  qui  éclate  ,  tout  ce 
-qm  diftingue  ,   tout  ce  qui  attire  les  re- 
gards publics  :  entrez  dans  les  œuvres  les 
•plusobfcures ,  qui  vous  confondent  le  plus 
avec  le  peuple  ,  les  plus  expofées  aux  dé- 
riiions  des  infenfés  :  laiffez  aux  autres  le 
premier  rang  Ôc  tout  l'honneur  des  encre- 
prifcs  de  piété,   de  réfervez  en  pour  vous 
ies  foins  &:  les  fatigues.  Vous  retombez 
fans  celle  dans  les  m.êmes  vivacités  ;  tout 
vous  bleffe  ;  tout  vous  allum.e  ;  &z  vous 
décriez  dans  l'efprit  de  ceux  qui  vous  ap- 
prochent 5  la  vertu  par  des  foibleiTes  qui 
vous  font  propres  :  choififiez   les   œuvres 
où  il  faut  plus  de  douceur  ,  plus  de  patien- 
ce ,  être  redevable  aux  fages  &  aux  fous  ^ 
ôc  fupporter  m.ême  les  plaintes ,  les  cha-^ 
grins  ,  les  humeurs  ,  les  outrages  quelque- 
j^ois  de  .ceux  qu'on  veut  foulager.  Vgus 


154  Stra  LES  (]EurREj 
kntez  des  éloignemens  injuftcs  ,  &"  dei 
antipathies  fccretces  fur  lefquelles  vous 
traitez  votre  cœur  avec  trop  d  indulgence  ; 
vous  bornez  prcfque  toute  votre  vertu  à 
fuir  ce  que  vous  ne  pouvez  aimer  ^  recher- 
chez les  œuvres  qui  vous  rapprochent  , 
qui  vous  donnent  de  nouvelles  liaifons 
avec  les  perfonnes  que  leur  piété  toute 
feule  devroit  vous  rendre  chères  ,*  &  accou- 
tumez ainfi  votre  cœur  à  voir  avec  plaîfir 
ce  qu'il  doit  aimer  fans  feinte.  Enfin  ,  faites 
de  vos  a^uvres  de  miféricorde  les  exercices 
des  vertus  qui  vous  manquent. 

Zachée  ,  après  avoir  réparé  fes  injufti- 
Ces  y  fit  des  largefles  abondantes ,  6c  fa 
inaifon  même  devint  l'afyle  de  fon  Libé- 
rateur :  mais  c*eft  qu'il  vouloit  par  ces  pro- 
fufions  achever  d'éteindre  dans  fon  cœur 
cette  foif  infatiable  des  richeiies ,  qui  juf- 
ques-là  l'avoit  tyrannifé ,  &  qui  ne  s'éteint 
pas  d'un  feul  coup.  Magdelaine  répandit 
des  parfums,  &  effuya  de  fes  cheveux  le$ 
pieds  facrés  de  fon  Maître  :  mais  ceft 
qu'elle  fentoit  encore  fans  doute  un  rede 
d'attachement  pour  les  inftrumens  déplo- 
rables de  fes  vanités  &  de  fes  plaifirs  ,  & 
que  fon  amour  fe  hâtoit  d'en  achever  le 
facrifice.  Les  femmes  des  ifraéHtes  offrî-» 
rent  pour  la  conftrudion  du  Tabernacle , 
ce  qu'elles  avoient  de  plus  précieux  :  mais 
c'eft  que  ces  dépouilles  dePharaon  ,  donc 
le  Seigneur  les  avoit  revêtues  ,  étoient  ua 
écueil  pour  leur  foiblefle  ^  &  leur  faifoient 
Iregretter  encore  tous  les  jours  la  pompe 
fc  les  uéfors  de  l'EgypcCa 


Ce  m  I  s  e  r  I  c  o  r  b  î  ,  ^ff 
Les  œuvres  extérieures  de  la  piété  ne 
font  iainres  ;,  Mefdames  y  qu'autant  qu'el- 
les nous  lanûifient  j  &c  elles  ne  nous  lanc- 
tifient  ;,  qu'autant  qu'elles  nous  corrigent. 
Cer  fi  Jefus-Chriû  eft  la  fin  de  la  Loi;,  tous 
les  devoirs  qu'elle  nous  impofe  ne  tendenc 
donc  qu'à  former  Jefus-Chrift  en  nous  : 
l'accomplidement  de  chaque  précepte  doit 
donc  ajouter  comme  un  nouveau  trait  à 
cet  homme  fpirituel.  Nos  œuvres  ne  font 
comptées  que  par  les  progrès  de  cet  ou- 
vrage divin.  S'il  n'avp.nce  pas,  en  vain  nous 
couvrons  ^  nous  vifirons  ^  nous  confolons 
nos  frères  ,  nous  ne  faifons  rien  aux  yeux 
de  Dieu  ;  parce  qu'il  ne  voit  de  nous  que 
notre  rtfTemblance  avec  fon  Fils  ,  &  que 
jc'eft  en  Jefus-Chrill:  feulem>ent  que  nous 
fommes  dignes  de  fes  regards  ;  tout  ce  qui 
ne  perfedionne  pas  cette  reflemblance  » 
n'ajoute  rien  à  notre  mérite.  Or  y  Jefus- 
Chrift  ne  croit  en  nous  que  fur  les  ruines 
du  vieil  Adam  :  il  faut  que  l'un  diminue  , 
iîifin  que  l'autre  croifle  ;  il  n'eft  que  ce  qui 
mortifie  les  inclinations  de  la  chair  y  qui 
augmente  la  vie  de  Tefprit  ;  il  n'eft  que  ce 
qui  contredit  la  nature  corrompue  ,  qui 
conduife  à  fa  perfeétion  l'être  chrétien  j  il 
n'eft  que  ce  qui-&ffoiblit  ces  penchans  infi- 
I  nis  qui  s'oppofent  encore  en  ngus  à  la  Loi 
de  Dieu  3  qui  donne  de  nouvelles  forces 
aux  inclinations  de  la  grâce.  Tout  eft  pref- 
I  ique  facrificedans  la  vie  du  Chrétien  ,  Met 
I  dames  ;  car  il  vit  de  la  Foi  j  &  tout  ce  qui 
I  çart  de  la  Foi  coûte  ,  parce  ^u  il  çonuedi^ 


.'i^G  SVK     L  E  s    (E  V  V  R  E  $ 

toujours  la  vie  des  fens.  Ainfi  les  œu- 
vres de  miféri corde  doivent  être  comme 
les  facrifices  journaliers  de  l'ame  fidelle  ; 
l'Apôtre  lui-même  ne  leur  donne  pasd'su- 
tre  nom  :  c'efi:  par  de  telles  hoTcies  ,  di:- 
il  en  exhortant  les  Fidèles  aux  pieux  offi- 
ces de  la  charité  envers  leurs  Frères  ,  qu'on 
fe  rend  Dieu  favorable  :  Talibus  enhn  bol-- 
Kf  Jr.13.  ^y^^  promereîHY  Detis. 

Or  y  on  viole  cette  règle  de  la  piété  ea 
deux  manières.  Premièrement  :,  de  tous 
les  offices  de  miféricorde  ,  nous  choihf- 
fons  prefque  toujours  les  plus  conformes 
à  notre  goût;)  à  notre  caractcre,  à  nos 
penchans.On  eft  vif,  adif  :>  entreprenant , 
ennemi  du  repos,  du  recueillement  ;>  6c 
de  la  retraite  :  on  entre  dans  toutes  les  en- 
treprifes  de  piété  ;  on  veut  avoir  part  à 
tout  ;  on  a  des  foins  de  toutes  les  fortes  ; 
on  ne  vit  pas  un  mom.ent  pour  foi  s  de  ce- 
pendant 5  on  auroit  befoin  de  recueillir 
plus  fcuvent  fon  ame  aux  pieds  de  Jeius- 
Chrift  ,  pour  y  réparer  les  dommages  in- 
féparables  dès  Minifteres  tumultueux  ,  Sc 
renouveller  les  forces  que  les  diUipations 
les  plus  faintes  ne  laiffent  pas  d'affi^iblir. 

On  a  apporté  en  naiffiant  un  coeur  terr- 

dre  &  miféricordieux  -,  on  aime  à  foulager 

ceux  qui  fouffrent  ^  par  une  compaiTîoa 

toute  humaine.  On  eft  né  chagrin  y  aufte- 

re  5  impérieux  ;  on  embralTe  des  miniftereit 

•  qui  nous  écablitTent  fur  les  autres  ,  &  qui 

-nous  rendant  arbitres  de  leur  conduite  ^ 

•fourniflent  à  l'amour-propre  l'occafion  dç 

fatisfairf 


■deMisericordf.  5^7 

fatisfaire  ce  penchant  nacurel  qu'on  a  de 
corriger  3c  de  reprendre.  On  a  plus  de 
^ouc  pour  une  œuvre  ;,  ou  pour  un  écablif- 
lemenc  ;  cous  les  autres  bcioins  nous  trou- 
vent infentibles.  Eniîn  j,  pour  éviter  ici 
trop  de  détail ,  il  l'on  s'examine  de  près^ 
on  verra  que  nos  penchans  déréglés  ne 
foufFrent  jamais  rien  de  ces  exercices  re- 
ligieux ;  que  jufques  dans  la  piccé  ,  on  évi- 
te tout  ce  qui  gêne  ÔC  qui  déplaît  ;  que 
Von  ne  fait  que  fe  prêter  à  foi-même,  lorf- 
qu  on  s'imagine  opérer  des  œuvres  de  fa- 
lut  y  Se  qu'on  n'eft  encore  qu'homme  ,  tan- 
■dis  qu'on  croit  être  Chrétien. 

Ce  n'eft  pas  qu'il  faille  rélider  à  ces 
penchans  heureux  qui  inclinent  notre  ame 
à  la  miféricorde  ;  ou  qu'on  rempliile  ces 
pieux  devoirs  fans  mérite  ,  dès  qu'on  les 
remplit  fans  répugnance.  Non  ,  Mefda- 
ines  )  la  Foi  fait  faire  fervir  la  nature  à  la 
grâce  ;  &  ces  difpofitions  favorables  que 
nous  portons  en  naifTant  par  la  vertu^  font 
des  dons  du  Créateur ,  lefquels  dans  fes 
<le(reins  de  miféricorde  fur  nous  ,  doivent 
jêcre  comme  les  prémices  de  notre  fanclii- 
^îcation.  Mais  il  faut  prendre  garde  de  ne 
.pas  borner-là  tous  nos  efforts  >  la  piété 
va  plus  loin  que  la  nature.  On  peut  fuivre 
ce  que  nos  penchans  nous  infpirenc  de 
louable  :  mais  fi  vous  en  demeurez- là  > 
vous  n'avez  encore  rien  fait  ;  vous  n'êtes 
qu'au  commencement  de  la  voie  :  car  elle 
^fl  rude  êc  difficile  ;  &  quelqu'heureur 
«g[ue  fo\ent  vos  penchans  ^  vous  n'y  eiuxe- 
Myflerçs,  p 


f';8  StrR     LFS    (ÊUVREg 

rez  jamais  bien  avant  >  tandis  que  vous  ne 
fertz  que  vous  prêter  à  eux  ,  6c  les  fui- 
vre  :  cependant  le  tempérament  feul  fait 
prtTque  toute  la  vertu  de  la  plupart  de 
ceux  qui  en  font  proiSriHoyi.  La  règle  donc, 
c'eil  que  les  offices  extérieurs  de  pieté  , 
qui  nous  laiifent  toujours  auiïî  fenfuels  , 
auffi  immortiiiés^auiïi  imparfaits  que  nous 
fom>mes  ,  n'en  ont  que  l'apparence,  &  n'en 
peuvent  avoir  la  force  &  la  vertu. 

La  féconde  manière  dont  on  viole  cette 
règle  eft  encore  plus  coupable.  Non  feu- 
lement on  fe  borne  à  une  vertu  toute  na- 
turelle ;,  &  les  œuvres  de  miféricorde  que 
l'on  choi(ît  font  toujours  celles  qui  ne  coû- 
tent rien  à  l'amour-propre  ^  &  qui  ne 
nous  corrigent  jamais  de  nos  foiblcdes  ; 
mais  encore  elles  ne  fervent  fouvent  qu'à 
nous  y  entretenir. 

En  effst  5  combien  de  ces  âmes  abu* 
fées  ,  qui  dans  une  vie  toute  mondaine  , 
toute  fenfuelle;)  toute  profane  ,  ferafTurenc 
fur  quelques  pratiques  de  miféricorde  ;,  & 
fur  l'abondance  de  leurs  largeffes  ?  Ce  font 
de  ces  Filles  de  Tyr  dont  parle  le  P-o^ 
phete,  qui  vivant  dansTiiifidélité  >  croient 
appaifer  la  juftice  du  grand  Roi  ^  en  mê- 
lant à  leurs  plaiiirs  quelques  pieux  offices 
de  charité  ,  &  le  mérite  de  quelques  libé- 
ralités &  de  quelques  offrandes  :  FHit 
rf'  44-  j'yrl  ifi  inuneribus  vulîu.m  ttium  deprecahun^ 
*^*  tUY,  On  feperfuade  que  la  miféricorde  fup- 
plée  à  tout  ;  que  la  prière  ,  la  retraite ,  le 
|:enoncemecic  à  foi-même  ^   la  haine  du 


DE    M  I  s  E»  I  C  O  R  D  E.  555 

fnonde  ,  Li  fuite  des  pUifirs,  la  garde  des 
fcns  ,  &  toutes  les  maximes  les  plus  Iîî- 
violablcs  de  la  vie  chrétienne;  Coût  des  de. 
voirs  que  l'on    peut  racheter  ,  pour  ainii 
dire  ,  à  prix  d  argent  j  que  la  Foi  connoïc 
ces  forces  de  ccmpenfations  ;   &  qu'une 
indolence  miféricordieufe  ne  fera  pas  dif- 
tinguée  de  la  vertu  &  de  la  judice.  Mais  , 
6  mon  Dieu  !  que  votre  Croix  feroic  d:  u- 
ce  !   que  votre  dodrine  fcroit  favorc^ble 
aux  ftns  î  que  la  voie  qui  conduit  a  la  vie 
feroic  aifc'e  1  <Sc  que  la  couronne  de  Tim- 
irortaiité  feroit  un  prix  attaché  h  de  légers 
cfïorts  ,  s'd  n'en  coûtoît  pour  l'obrenir  que 
quelques  laTgeills  ,  donc  nos  plaillrs  mê- 
mes ,  nos  paillons ,  notre  luxe  ,  notre  C^ïi' 
iualité  ne  fouffrent  rien  ! 

Non  ,  Mefdames  :,  le  Seigneur  n'a  pas 
befoin  de  nos  biens  ;  mais  il  demmde  no-' 
tre  ccrur.  La  mifériccrde  aide  à  expier  les 
crimes  dont  on  fe  rcpent ,  il  e(t  vrai  ,*  mx-'.is  • 
elle  ne  juftiFiC  pas  ceux  qu'on  aim.e  :  elle 
eft  le  fecours  de  la  pénitence  ,  je  le  fais  : 
mais  elle  n'ed  pas  l'excufc  de  la  volupté  ; 
€Île  fupplée  aux  foibles  efforts  du  pécheur 
qui  revient  à  Dieu  ;  la  Foi  nous  l'apprend;  ' 
mais  elle  ne  m.et  pas  en  siiceré  rame  mon- 
daine qui  réfute  de  fe  convertir  à  lui  ;  en 
im  m.ot  3  elle  eft  le  fruit  de  la  vertu  ,  8c 
non  pas  la  reffource  du  vice.  Car  ce  qu'il 
y  a  ici  de  déplorable  ,  c'eft  que  des  mcrurs 
qui  nous  paroitroient  dangereufes;  G  elles 
r'ctolent  accomp:jgnées  dequelquesofîtces  ^ 
4e  piété  ,    perdent  à  nos  yeux  tout  ce 

P  2 


^4^  Su  R    t  E  s    (È  U  V  R  E  s 

qu'elles  ont  de  doiueux  j  dès-que  ces  œa- 
vres  extérieures  les  fouciennenr.  Et  iî  quel- 
quefois les  vérités  du  falut  entendues  ;,  ou 
la  grâce  plus  forte  trouble  cette  faulTepaix, 
&  jette  des  terreurs  dans  la  confcience  ; 
ah  !  la  nudité  couverte  ^  la  faim  radaiiée  , 
la  mifere  cdifolée  ,  l'innocence  protégée 
s'oiirent  à  Tinftant ,  &  calmentcet  heureux 
orage.  Ce  font  des  fignes  de  paix  qui  dif- 
Tipent  à  Tinrtant  nos  alarmes  ;  c'eft  cet  arc 
ofée  7.  i^ï^onopeur  dont  parle  le  Prophète ,  yircus 
t6.  dolojus  0  lequel  au  milieu  des  nuages  &  des 
tempêtes  heureufes  ,  que  le  doigt  de  Dieu 
commençoit  à  exciter  dans  le  cœur ,  vienc 
nous  promettre  une  faulTe  férénité  ;  ôc  di- 
vertit notre  efprit  de  l'image  préfente  du 
danger.  On  s'endort  dans  ces  triftes  débris 
de  Religion  ,  pour  ainfi  dire  >  comme  s'ils 
pouvoient  nous  fauver  du  naufrage  ;  & 
des  œuvres  chrétiennes  qui  devroient  être 
le  prix  de  notre  falut,  deviennent  Tocca- 
C\ox\  de  notre  perte  éternelle. 

Ah!  Seigneur  5  éclairez  ces  âmes  abu- 
fées.  Si  parmi  tant  de  perfonnes  pieu  Tes 
qui  m'écoutentj  il  s'en  trouvoit  quelqu'une 
de  ce  caraéiere  ;  ne  permettez  pas  que  la 
niiféricorde  ,  qui  délivre  ,  qui  fauve  i  qui 
purifie  j  fc  change  jamais  pour  nous  en 
voie  de  perdition  &  de  fcandale.  Défen- 
dez vous-même  des  illufions  delà  cupidité, 
une  vertu  que  vos  Livres  faints  nous  ont 
rendue  (î  chère  -,  &  en  nous  donnant  ce 
cœur  miféricordieux  &  fenfible  aux  mife- 
res  de  no$  frètes ,  doixaez-u.ous  ea  mémo 


DE     M  I  S  E  RI  C  OR  D  F.      ^      34! 

temps  ce  cœur  chrécieii:)  qui  ne  fait  ,  ni 
dJifimuler  ,  ni  fe  pardonner  fes  miferes 
propres. 

Je  ne  dis  rien  de  la  troifieme  règle  qui 
confifte  à  prendre  garde  qu'il  ne  (e  mcle 
rien  d'humain  dans  rinrention  ,  &c  que  la 
vue  des  hommes  cachée  au  fond  de  nos 
cœurs  5  &  prefque  im.perceptible  à  nous- 
mêmes  ,  ne  nous  falTe  perdre  devant  Dieu 
tout  le  mérite  de  la  miféricorde. 

Je  finis  en  vous  difanc  feulement  avec 
faint  Auguftin  :  Vous  êtes  ici  devant  Dieu; 
interrogez  votre  cœur!  yiïite  Deiim  es  ;  S.Aug. 
huerroga  cor  tuum  :  ne  vous  en  tenez  pas 
à  la  furface  de  vos  defirs  qui  vous  trom.- 
pe  p  en  ne  vous  offrant  rien  que  de  loua- 
ble :  allez  à  la  fource  :>  fondez-en  les  vues 
les  plus  fccrcttes  ;  îrit:)$  'vide  ;  &  là  ,  m^, 
voyez  ce  que  vous  avez  fait  jufqu'icî ,  3c 
quels  en  ont  été  les  m.otifs  les  plus  réels 
de  les  plus  enveloppés  dans  le  cœur  :  Plde  jv--, 
quid  fecifti  &  quid  appetifii.  Voyez  fi  les 
œuvres  obfcures>  Se  qui  n'ont  pour  témoin 
que  l'œil  invifible  du  Père  célefte,  réveillent 
aufTi  vivement  votre  zèle,  quecelles  qui  font 
publiques  ,  &  expofées  aux  regards  Se  aux 
louanges  des  hommes  :  f^ide  ,  &c.  Voyez 
fi  dans  celles  où  l'éclat  efl:  inévitable;,  vous 
êtes  bien  aife  qu  on  vous  oublie  y  qu'on 
vous  confonde  dans  la  foule  des  perfonnes 
qui  s'y  emploient  ;  &  fi  votre  chari:é  ne  fe 
refroidit  point5dés  que  vous  n'en  avez  p^s 
les  premiers  honneurs  ^  ride  ,  &c.  Voyez 
fi  les  entreprifes  picufes  que  le   monde 


^42-        Sur  LES   OUVRES 
blâme  5  ne  vous  trouvent  pas  un  peu  plus 
îndiftérente  i  &  (î   les  œuvres  privées  de 
l'approbation  des  hornmes  y  ne   vous  en 
font  pss  un  peu  moins  chères  :  f^/de  j  C^T. 
Voyez  h  le  fuccès  qui  les  fuit  vous  bleffe^ 
c?c  h   vous   ères  îngénieufe  à  en   rejerter 
toute  la  gloire  fur  les  autres  :  Fide  3   &c^ 
Voyez  ertîn  ,  il  vousn'agiliez  que  fous  les 
yeux  de  Dieu  ;  fi  les  hommes  font  pour 
•    vous  comme  s'ils  n'étoient  pas  :  h  vous 
êtes  auÇCi  aifeque  le  Seigneur  foit  glorifié 
pnr  vos  opprobres  ,  que  par  votre   répu- 
tation i  il  c'efl:  vous-même  ^    une  vaine 
gloire:,  ou  votre  falut ,  que  vous  cherchez  : 
S.  Aug.  r-^^de  qu'idjecifiï  ;  &  quld  appetijil  y  falutem 
îiidm  an  laude?n  hmnanam. 

Bon  Dieu  i  s  écrie  ce  Père  ^  que  d'œu- 
vres  (aintes  fur  l^n^vjelles  nous  ccmprons 
ici-bis  y  Grronî  un  jour  rejettées  ^  îorfque 
le  S^ig-ieur  viendra  juger  les  juftices  !  que 
de  fruits  de  la  chariié  ,  lorlque  nous  croi- 
rons en  paroître  devant  lui  les  mains  plei- 
nes 5  fe  trouveront  gâtés  par  le  ver  fecret 
d'une  dangereuie  complaifance  L  &c  qu'il 
nous  reftera  peu  de  choie ,  lor''que  le  Juge 
de  nos  adions  ne  noas  laiffant  pour  notre 
partage  éternel  ;,  que  les  œuvres  qui  au- 
ront été  les  fruits  &  les  dons  de  fa  grâce  , 
nous  aura  dépouillés  de  toutes  cciies  qui 
paroiiîoient  lui  appartenir  ,  mais  qui  n'ap- 
parrenoientqn'à  nous-niêmies^Et  ne  croyez 
j)as  ,  Mefdames  ,  que  les  règles  de  la  Foi 
liir  les  offices  de  la  charité  ,  telles  que  je 
viens  de  les  expofer  ^  qui  femblent  demau- 


DE     MiSERICORDÏ.    ^        345 

dtv  des  précautions  lî  pénibles  5  foienc  ca- 
pables de  dégoûter  les  âmes  fidelles  de  ces 
pieufes  pratiques.  Ah  !  rien  au  contraire 
n'ell  plus  propre  à  foutenir  la  vertu  y  à 
ranimer  le  zèle  ,  à  confoler  la  piété  &c  la 
miféricorde.  Car  que  vous  dîfoas-nous  ^ 
que  ces  pratiques  faintes  font  des  devoirs  ; 
que  vous  ne  devez  pas  les  regarder  comme 
des  œuvres  de  furcroit ,  &  que  la  miféri- 
corde  eil:  la  vercu  la  plus  nécedaire  à 
ceux  qui  naiifent  d^ms  l'abondance  f  mais 
quoi  de  plus  perfaafiF  pour  vous  la  rendre 
aimable  <  Le  commandement  de  Jefus- 
Chritt  lui  ôteroit-il  quelque  chofe  de  Tes 
cl-!armesç^&  feroit-elle  moins  cliere  à  fcs 
DiPjîpl.s  :,  pour  i*avoit  été  davantage  à 
leur   Maître  ? 

Que  vous  dlfons-nous?  que  les  oeuvres  de 
miiéricorde  doivent  être  les  remèdes  jour- 
naliers de  vos  foiblefies  de  tous  les  jours  ? 
lAàh  que  peut-on  dire  de  plus  confolant , 
que  de  vous  découvrir  dans  ces  ofnces 
religieux  j  une  nouvelle  fource  de  méiite  , 
Se  des  tréfors  cachés  que  la  plupart  dts 
Fidèles  n'y  cherchent  point  f  que  peut-on 
vous  découvrir  de  plus  heureux  pour 
vous;  que  de  vous  apprendre  qu'ils  peu- 
vent fervir  d'exercices  à  toutes  les  vertus 
qui  vous  m.anqutrnt  ;  que  tous  vos  maux 
peuvent  y  trouver  leurs  remèdes  ,*  que  la 
patience:»  la  pudeur  ,  Thumiliré  )  la  dou- 
ceur j  l'am.our  de  la  prière  &  de  la  retraite, 
f\  vous  voulez  ■>  naîtront  de  la  m^iféricorde; 
ôc  que  danc  un  fcul  devoir  de  piété  ^  vous 

P4 


ri  44  Sur  les  (E  u  v  r  e  5, 
recueillerez  le  mérite  de  tous  les  autres^ 
Que  vous  ûilons-nous  enfin  ?  qu'il  fuuc 
agir  fous  les  yeux  de  Dieu  feul;,  &  ne 
compter  pourrit-n  l'approbation  ou  la  cen- 
jure  des  hommes  ?  Mais  que  font  devant 
Dieu  tous  hommes  enfemble  ,  qui  puilïe 
mériter  que  î'ametideilefafie  des  attentions 
fur  eux  f  L'eftime  du  monde  qu^elle  mé- 
prife  y  qu'tlle  fuit  j  auquel  elle  a  renoncé, 
lui  paroîtroit-elle  un  prix  digne  des  ac- 
tions qui  peuvent  lui  valoir  une  félicité 
éternelle  ^  F-ft-ce  ralentir  fa  charité  ,  de 
lui  appr-  ndre  que  le  monde  entier  n'eft  pas 
digne  d!elle  j  que  Dieu  feul  mérite  d  être 
fpedateur  de^>  œuvres  que  lui  feul  peut  ré- 
compenfer  \  &  que  pour  les  mettre  en  sû- 
icic  ,  il  fuffit  de  n'y  chercher  point  d'autre 
gloire  que  celle  qui  ne  périra  jamais  ?  Ah  î 
1  efprit  de  la  Loi  n'eft  point  oppofé  à  la 
Loi  même.  Plus  on  avance  dans  la  vérité, 
plus  on  croît  dans  la  chariié  ;  plus  on  con- 
noît  la  Loi  de  l'amour  ,  plus  on  iViime. 
L'erreur  perd  infailliblement  quand  ou 
l'approfondit  ;  mais  la  vérité  n'en  étale 
que  de  nouveaux  charmes.  Ainfi  ce  fera 
lorfque  nous  la  verrons  telle  qu'elle  ell:  , 
que  nous  l'aimerons  fans  tiédeur  }  fans 
mélange  ,  fans  retout  5c  fans  inconftance. 


il   #/»:#  -^^^  ^yy^^    ti 

DISCOURS 

PROx\ONC  É 
DANS     LA     CEREMONIE 

DE    VABSOUTE, 

Pour  rappeller  le  fouvenir  de  la, 
ferveur  des  premiers  Chrétiens ^ 

Rememoramini  autem  priftinos   dies. 

Rappelle:^  en   votre    mémoire  Us    premUr^ 
temps,   Hebr.   lo,   32, 

IL  n'en  edpas  de  la  naiffancedePEglife^ 
mes  Freres;,  comme  de  celledes  fuperf* 
titions  &  des  iedtes.  Leur  origine  a  cou- 
jours  quelque  chofe  de  honteux.  Comme 
lorgueil  &  la  licence  en  furent  les  pre- 
mières fources  ,  il  faut  tirer  le  voile  fur 
ces  premiers  temps,  qui  les  établirent  par- 
mi les  hommes.  On  y  voit  les  pafïîons  les 
plus  honçeufespréfidey  à  la  naiitance  de  ces 


54<5  S  U  R      LA     F  F  R  V  E  U  R 

ouvr^îges  de  ténèbres  ;  leur  donner  la  for- 
ine  ,  raccroiflement  d<  le  progrès  :  &  fem- 
biabies  à  ces  enfans  infortunes  ,-.  qui  font  le 
trifïe  fruit  du  criîr.e  de  leurs  pères  ,  il  ne 
fanr  pourles  couvrir  de  confuiion  ,  que  les 
lappeller  à  leur  origine. 

Mais  pour  nous  ,  mes  Frères  ,  nous  pou- 
vons vous  dire  avec  confiance  :  Rappeliez^ 
les  anciens  jours:  Remcmoranv.nl  autem  prif» 
îhios  aies.  Les  premiers  âges  de  l'Eglife 
font  les  âges  de  fa  ferveur  &  de  fa  gloire. 

Souvenez-vous  de  ces  temps  heureux  y 
où  la  Foi  encore  naiiTante  formoit  tant  de 
Morryrs  généreux  >  tant  de  Pénitens  aufte- 
res  ;>  tant  de  Vierges  pures  ,  tant  de  Paf- 
teurs  fidèles  y  tant  de  Miniftres  irrépréhen- 
fib'es:   RemcmoYaminl  y  &c. 

Rappeliez  ces  (îecles  d'or  ,  où  l'Eglife 
encore  animée  des  prém^ices  de  rEfpric 
qui  venoit  delà  former  ,  paroiffoit  fans  ta- 
che 6^  fans  ride  ;  fous  des  dehors  tri  (les  de 
obfcurs,  brilioit  d'un  éclat  célefte  &  divin; 
empruntoit  toute  fa  m.ajefté  de  (qs  oppro- 
bres &  de  fes  fouffrances  \  &  foulée  aux 
pieds  de  ^ts  perfécuteurs  ^  devenoit  pour- 
tant un  fpedacle  digne  des  Anges  &  des 
hommes  :  Ranemoram'înt ,   &c. 

Souvenez-vous  de  ces  jours  glorieux  , 
où  le  ChridianiTme  ne  comptoir  que  des 
S?ints  au  nom-bre  de  fes  enfans;  où  fes  va- 
fes  les  plus  fragiles  éroient  plus  forts  que 
toute  la  force  d'un  fiecle  profane  ;  &  où 
"là  Foi  formoit  parmi  les  (impies  &  les 
îgnorans  ,  ces  Sages  &  ces  Héros ,  que  la 


t>ÏS  rRn.lîERS  Chrïtîfn'?.  547 

philofophie  n'avoic  fait:  jafqaes-ià  ,  ou 
q^u'imaginer  )  ou  que  promeccre  :  Ronie^ 
hforumJni  autcm  pîjlinos  dus. 

Rappeliez  cette  ferveur  primitive  3  où 
l'innocence  des  mœurs  étoit  ,  j'ofe  le  dire  , 
le  crime  auquel  on  reconnoifTolt  les  Chré- 
tiens \  ou  ils  ne  devenoient  fufpecls  aux 
tyrans  ,  qu'en  paroilTant  peu  conformes  au 
monde  corrom.pu  ,*  &  où  la  fuite  des  plai- 
iîrs  publics  écoir  le  feul  indice  dont  on  fe 
fervoit  pour  dénoncer  les  Fidèles  :  Reme» 
7noraminî  autem  prifiinos  dles. 

Rappeliez  cette  rigueur  de  difcîpline  , 
où  leschutes  publiques  ne  s'expioient  que 
par  des  châtimens  publics; où  le  fpedfcacle 
de  la  pénitence  effaçoit  le  fcandale  du  cri- 
me ;  où  la  longueur  ôc  la  févérité  des  ex* 
piations^  paroiiToient  encore  une  indulgen» 
ce  dans  la  rém.ifïîon  des  fautes  ;  où  les  pé- 
cheurs regardoient  la  pénitence  la  plus  ri- 
goureufe  :,  comme  une  grâce  ,  où  ils  folli« 
citoient  eux-mêmes  le  droit  de  punir  leurs 
crimes ,  &  de  les  pleurer  ;  &  où  ,  proder- 
iiés  aux  portes  de  nos  Temples  :,  couverts 
de  cendre  &  de  cilices  ,  féparés  de  Tautel 
faint;  après  avoirlong-temps  gémi  dans  cet 
état  d'humiliation  &  de  peine  ^  ils  rece« 
voient  le  bienfait  de  la  paix  &  de  la  récon» 
cUiation  ;.  non  pas  comme  le  prix  de  leurs 
longs  travaux;,  mais  comme  le  fruit  de  la 
charité  ôc  de  la  clémence  de  l'Eglife  ;  Re-* 
menioYtimin}  atitempr'tflînos  die  s. 

Au  fûuvenir  de  ces  jours  heureux  ;  à  la 
l^ue  de  ces  foibles  vertiges  que  la  cérémo*» 

P  6 


54S*         Sur    la  Ferveur 
me  d'aujourd'hui  nous  en  retrace  *,  à  l'im- 
nienfe  difproportion  que  nous  trouvons  en- 
tre nos  pères  Se  nous  -,  entre  leur  ferveur 
êc  notre  létargie  -,  leur  innocence   &  nos 
déréglemens  ;    leurs    auftérités    &     nos 
mœurs  fenfuelles  •,  les  larmes  &  les  expia- 
tions de  leur  pénitence  :,  &  les  démarches 
languiifantes  de  la  notre  :  dans  quelles  d:f- 
poiitions  de  terreur  &  de  confufion  ne  de- 
vons-nous pas  entrer  ?  Ceft  la  réflexion  !a 
plus  naturelle  que  nous  fournit  cette  cé- 
rémonie ^   &  la  feule  à  laquelle  je  m'ar- 
rête. 

L'Fgiife  n'exige  plus  >  il  eft  vrai ,  ces 
épreuves  longues  de   publiques   par  où  il 
f.illoit  paflcr  pour  obtenir  k  pardon  de  Cts 
fautes.  Nous  ne  voyons  plus  ces  différens 
dégrés  de  pénitens  féparés  du  refte  des 
Fidèles  5  &c  admis  fuccefTîvemem  &  pu- 
bliquement 5  à  la  paix  &  à  la  réconcilia- 
tion ,  f.'lonla  mefure  de  leur  ferveur  ,  ou 
la  durée  de  leur  pénitence.  La  difcipline 
extérieure   a  changé  ;  le  nombre  des  pé- 
cheurs croiiTanr  avec  celui  det.  Fidèles  ,  il 
n'a  plus  été  polTible  de  les  fcparer  tous^  ^ 
de  les  foumetire  aux  peines  canoniques, 
l'iélas  l  m.es  Frères  ,  que  refteroit-il, dans 
Failemblce  fainte  ,  fi  l'on- en  léj  aroit  en- 
core aujcurd  hui  ,  comme  autrefois;,   les 
immondes  ,  les  fornicateurs  ,  les  adultè- 
res ,  les  raviffturs  ,  8c   tous  les  pécheurs 
fournis  alors  à  la  pénitence  publique  ^ 

Mais  ,mes  Frères  ,  les  changemcns  anu 
1res  à  lapolice  de  TEglifen  ont  rien  change 


DÎS  PREMIERS    ChRSTIENS.  54 çf 

à  fou  cfpric.  La  ferveur  des  Fidèles  a  pa 
fe  relâcher  j  la  mukirade  des  coupables  a 
pu  rendre  impoiïible  la  durée  de  la  publi- 
cicé  des  peines  ;  la  néctiXiié  des  temps  a  pu 
fufpendredes  loix  que  la  néceiliré  avoic 
d'abord  établies  ;  en  un  mot  ,  la  prudence 
a  pu  changer  au  dehorSj,  ce  que  le  premier 
zèle  avoit  d'abord  ordonné:  mais  il  y  a  une 
loi  fupérieure  fixe&  invifible,  qui  ne  chan- 
ge point  i  une  obligation  de  pénitence  in- 
leparable  de  l  Evangile  ^  qui  eft  comme 
lui  5  de  tous  les  temps  &  de  tous  lieux,  Se 
que  le  relâchement  des  mœurs  ,  loin  d  af- 
foiblir  ,  rend  encore  plus  indifpenfable. 

ToutChrénendoit  crucifier  fa  chair  avec 
fes  defirs  ,*  tout  pécheur  doit  être  puni  : 
foit  que  vous  regardiez  ce  que  vous  devez 
àlafainteré  de  la  foi  par  votre  Baptême, 
ou  à  la  juftice  de  Dieu  par  vos  crimes ,  la 
pénitence  eil  pour  vous  l'unique  voie  du 
falut.  Si  vous  ne  vous  renoncez  pas  fans 
cefTe  vous-même  5V0US  n'êtes  pas  difciple 
de  Jeius-Chnft  ;  (i  vous  ne  lavez  pas  dans 
le  fang  delà  pénitence  le  vêtement  de  juf- 
tice que  vous  avez  fouillé  ,  vous  n'entrerez 
pas  dam  leRoyaume  deDieu;  deux  vérités 
immuables.  En  un  mot  j,  fans  la  pénitence^ 
vouspérireztousi  c'eft  unarrêtquin'cxcepte 
perfonne^  &  dont  il  n'eft  permisàperfonne 
d'appeller.  Or,  quelle  eft  cette  pénitence  <* 

Si  vous  la  m.efurez  par  l'Evangile,  renon- 
cez-vous fans  cefle  vous-même  ,*  portez 
votrecioix  chaque  jour;  appeliez  heureux 
ceux  qui  pleurent  6c  qui  font  affliges  ;  nf 


5  f  O  S  U  R     L  A    F  E  R  V  E  U  R 

cherchez  point  votre  consolation  en  ce 
raonde  -,  perdez  votre  ame  pour  la  fauver; 
arrachez  l'œil  qui  vous  fcàndalifcine  comp- 
tez pour  rien  votre  corps  ;  n'attendez  le 
Royaume  de  Dieu  que  de  la  violence  ;  re- 
gardez votre  chair  comme  l'ennemi  le  plus 
dangereux  de  votre  falut  :  aimez  ceux  qui 
vous  haïffent  ;  fouvenez-vous  que  les  ab- 
jedions  &c  les  opprobres  font  le  caradlere 
des  enfans  de  Dieu  ^  mettez  la  coignée  à  la 
racine  de  vos  pafTipns ,  Se  coupez  jufqu'au 
vif  tout  ce  qui  occupe  en  vain  la  terre  de 
votre  cœur  ;  faites  cela  &  vous  vivrez. 

Voilà  la  pénitence  que  vous  impofe  le 
titre  feul  de  Chrétien.  A  ce  titre  ,  vous 
avez  ajouté  celui  de  pécheur.  Il  ne  s'agit 
plus  de  con'battre  .&  de  fe  faire  violence 
pour  éviter  de  perdre  la  grâce  ;  c'eft  le 
devoir  de  toute  ame  fidelle  ,  c  eft  la  péni- 
tence des  innocens  :  il  s'agit  d'expier  vos 
crimes  palTés  ;  il  s'agit  de  pleurer  des  chû- 
tes innombrables  ,  ôc  de  déraciner  àcs  paf- 
fions  invétérées  :  nouveau  genre  de  péni- 
tence qui  vous  regarde  j  la  pénitence  des 
pécheurs.  Voilà  des  règles  que  le  change- 
jnent  des  temps  n'a  point  changées. 

Or  5  montrez-nous  dans  vos  mœurs  la 
pénitence  même  des  innocens.  Je  fuppofe 
quevous  n'avez  point  d'excès  àpleurer^point 
<ie  voluptés  profanes  à  expier^vous  êtes  dif- 
ciple  de  Jefus-Chrift  :  cela  fuffit.  Or  ,  vi- 
vez-vous conformément  à  fon  Evangile  f 

Renoncez-vous  à  tout  ce  qui  flatte  les 
fens  ^  vous  difputez-vous  une  parole  même 
oifeufef*  regardez-vous  les  afïliâ;ions  coni-» 


me  des  grâces  ?  éres-vous  doux  &  humble 
de  cœur  V  aimez-vous  ceux  qui  vous  ca- 
lomnient ?  portez-vous  la  mortification  de 
Jefus-Chrift  fur  votre  chair  :  haïffcz-vous 
le  monde  comme  l'ennemâ  de  Dieu  <  veil- 
lez-vous,   3c  priez-vous  fans  cefle  ?  choi* 
filiez- vous  la  dernière  place  ^  &  ce  qui  eft. 
élevé  aux  yeux  des  hommes  ^  eft-il  mépri- 
fable  à  vos  yeux  ^ 
■  Telle  eft  la  pénitence  des  innocens.  Sans 
elle  ,  fans  cette  conformité  avec  l'£vangile> 
vous  feriez  plus  chafte  que  Sufanne  ,   plus 
irrépréhenfible  que  Judith  ,  plus  charita- 
ble que  Corneille  j  vous  êtes  perdu. 

Et  cependant  mes  Frères ,  vous  n'avez 
été  ni  chaftes  ,  ni  tempérans ,  ni  irrépro- 
chables :  vous  êtes  pécheurs ,  vous  le  fa- 
Ycz:  la  pénitence  des  innocens  ne  fuffit  plus 
pour  vous  :  vous  devez  à  la  judice  de  Dieu 
des  réparations  infinies.  Que  de  plaiiîrs 
injuftes  &  honteux  à  expier  1  que  de  fcan- 
dales  à  réparer  1  que  d'horreurs  à  effacer  1- 
quelle  confcience  m.onfirueufe  à  purifier  l 
livousfaut  encorelapénitencedespécheurs. 
Ma'S  en  quoi  connfte  cette  pénitence  f 

Ah  !  fi  vous  la  mefurez  par  la  juftice'de 
Dieu  qui  l'exige  y  regardez  la  fainreté  &  la 
majeflé  de  celui  que  vous  avez  outragé  ; 
regardez  la  terreur  de  fes  jugemens  ,  exer- 
cés autrefois  fur  des  prévarications  que 
vous  compteriez  à  peine  parmi  vos  fautes  r 
regardez  l'univers  entier  innondé  par  le  dé- 
luge ;  des  villes  coupables  livrées  à  un  feu 
vengeur  ;  des  murmurateurs  engloutis  j  un 


"5Ç1  SuRLA  Ferveur 
fîmpleviolement  duSabbatfrappédemortj 
une  légère  défiance  de  Moyfe  punie  par 
rexcluiion  de  la  terre  promiTe  :  regardez 
fon  propre  Fils  devenu  la  vitl;me  de  nospé- 
chés;>&  quels  châcimens  fa  juftice  a  tx.gés 
de  celui  en  qui  il  avoir  misroure  fa  complai- 
fance  :  regardez;  &  faites  félon  ce  modèle. 

Si  vous  en  jugez  par  les  règles  que  TE- 
glife  obfervoit  envers  les  pécheurs  qu'elle 
foumetcoit  à  la  pénitence  publique  -,  pa- 
roilFez  ici ,  illuftres  pénicens  qui  gémiiïiez 
autrefois  des  années  entières  à  la  porte  du 
Temple  ,  fous  la  cendre  &  fous  le  cilice  ; 
ôc  par  tout  ce  que  l'Eglife  exigeoit  alors  de 
vous  j,  de  jeûnes,  de  macérations  j,  de 
privations  a  des  prières  ^  apprenez  aux  Fi- 
dèles qui  m'écoutent  ,  ce  qu'elle  exigeroic 
encore  aujourd'hui  ,  fi  lafaintetéde  fou 
efprit  décidoir  de  la  févérité  de  fes  règles. 

Voilà  la  pénitence  de  ces  pécheurs, 
L'Eglife  ne  fait  plus  de  cette  pénitence  une 
poHce  publique  ;  mais  la  juftice  de  Dieu  y 
qui  eft immuable,  vous  difpenfe-t-elle  de  la 
pénitence  fecrettCf'L'Eglife  elle-même,  qui 
ne  s'eft  relâchée  qu'à  regret  de  la  difcipline 
extérieure  ,  en  conferve  toujours  l'efprit  ; 
elle  vous  charge  encore  de  vous  impofer 
en  fecret  des  peines  proportionnées  à  vos 
fautes  j  de  d'être  à  vous-même  votre  juge. 

Et  certes  ,  mes  Frères  ,  de  bonne  foi  ; 
pourquoi  croiriez-vous  aujourd  hui  ;  fur  le 
devoir  de  la  pénitence  ^  votre  condition 
plus  favorable  que  celle  des  Fidèles  des 
premiers  temps  ^ 

Eft-c© 


DF.S   PREMIERS    CHRETIENS.  ^f^ 

Efi-ce  que  la  juftice  de  Dieu  à  changé  (es 
règles  i  Mais  vous  favez  qu'en  Dieu  ,  Un'y 
a  ni  mutation  ,  ni  viciiTicude  ;  que  tout 
change  autour  de  lui,  mais  qu'il  demeure 
toujours  le  même. 

Hft-ce  que  vos  crimes  font  moins  énor- 
mes que  ceux  de  css  premiers  Fidèles^  Hé- 
las 1  lis  ne  connoifToîent  pas  même  les  hor- 
reurs que  vous  avalez  comme  l'eau.  Une 
feule  chute  en  faifoit  quelquefois  des  péni- 
tens  pubhcs  )  &:  après  une  vie  entière  de 
fouiilures  &  d'iniquités  ;,  vous  voudriez 
êcre  plus  déchargés  qu'eux  de  l'expiation 
ëi  de   la   pénitence. 

Eil-ce  que  dans  ces  premjiers  temps  les 
crimes  étoient  moins  excufables;  &  mé- 
r-.toient  par-là  des  peines  plus  rigoureufes  ^ 
-^^i^-'-l -iolâtriedoù  forieoient  cez  premiers 
d'iciples  ;  les  dilTolurions  du  paganifme 
dans  leiquelles  ils  avoienc  été  élevés  ;  les 
excès  autorifés  par  la  religion  même  qu  ils 
avo:ent  fuccée  avec  le  lait  ;  tout  cela  fem- 
bloic  rendre  après  leur  converfion  ;,  leurs 
chutes  plus  dignes  d'indulgence  ôc  de  gra. 
ce  :  au -lieu  que  vous ,  nourris  des  paroles 
de  la  Foi  :,  blanchis  par  la  grâce  de  la  régé- 
nération au  fortir  du  fein  de  vos  mères  , 
élevés  dans  une  difcipline  fainte  ,  affermis 
contre  l'horreur  du  crime  par  les  fecours 
de  la  Religion  &  par  les  exemples  des  Juf- 
tes,  vous  ne  pouvez  jaftiher  vos  chutes  que 
par  un  excè  d'ingratitude  &  de  corruption, 
qui  les  rend  plus  criminelles  ;  8c  dignes 
d'un  châtiment  plus  long  ôc  plus  févere* 


I  f  4  î>  u  R  LA  Ferveur 
.  Eft-cequela  malice  ayant  prévalu  ,  Ie5 
crimes  devenus  plus  comm.uns  ^  font  deve- 
nus plus  pardonnables  ?  Mais  la  m.ultitude 
des  coupables  ne  change  rien  à  la  nature 
des  crimes.  Tous  les  hommes  qui  avoienc 
corrompu  leur  voie  du  temps  de  Noé:>  ne 
furent  pas  moins  frappés  de  Dieu  5  cC  en- 
gloutis fous  les  eaux  ,  que  l'infortuné 
Àchsii  3  qui  chargé  contre  Tordre  du  Ciel 
de  quelques  dépouilles  de  Jéricho  ,  Te 
trouva  le  (eul  ansthême  au  milieu  d'ifrael: 
de  d'allieurs  le  grand  nombre  de  crimiinels 
irrire  encore  plus  la  vengeance  divine  ;  6< 
c'eil:  une  folie  de  prétendre  qu'à  miefure 
que  Dieu  eft  plus  outragé  ,  il  deviendra 
plus  indulgent  &   plus  favorable. 

Eft- ce  en hn  que  la  ferveur  de  ces  pre- 
TTAzrz  rcmps  rcndo::  les  Fidtltfs  pUi.^  pro*. 
près  à  fouteair  les  rigueurs  de  la  pénitence 
plublique  j  au-lieu  que  nous  ,  nés  dans  dts 
fiecles  plus  relâchés  ^  nous  ne  fommes  plus 
en  état  de  les  porter  ,  ni  1  Eglifeen  droit  de 
les  exiger  de  notre  fciblclTc  ? 

QiK)i  ,  mjes  Frères ,  la  ferveur  des  pre- 
miers Fidèles  auroit  arm^é  Ttglife  à  leur 
égard  ,  de  rigueur  ôc  de  févériré  j  ôc  TE- 
gbfe  auroit  réfervé  :>  pour  notre  molleflè 
ôc  pour  nos  dcréglemens  ,  Ton  indulgence 
&c  fes  grâces  ?  Les  premiiers  temps  Tau- 
roient  donc  vue  une  miere  rigoureufe  en- 
vers des  enfans  zélés  &  fidèles;  &  elle 
deviendroit  en  nos  jours  ,  pour  des  enfi^ns 
rebelles  3c  corrompus ,  une  mère  com-» 
plaifaïue  (Se  facile  ^  Ses  châtimens  écoiejii 


r>n  PREMiET^s  Chrétien».        ^sf 

donc  réfervés  à  des  fieclesoù  l'onfe  repen» 

toiu  encore  fi  vivtment  de  fes  fautes  ;  Ôc 

pour  les  pénicens  tiedes  de  nos  jours ,  elle 

n'auroiL  plus  que  des  faveurs  &c  des  récom- 

penfes  ^  Cetoii:  donc  un  malheur  pour  ct$ 

premiers  difciples  de  la  Foi  ,  que  Tabon- 

dance  de   leur  componction  i    puifqu'elle 

leur  atriroit  une  abondance  de  peines  f  leur 

ferveur  qui  faifoit  tout  leur  mérite  ,  fai(oic 

donc  aufTi  toute  leur   infortune  j  &  notre 

lâch-té  fait  tout  notre  bonheur,  quoiqu'elle 

falfe  tout   notre  crime  ?  Et  depuis  quand 

donc  la  vertu  efl-elle  devenue  un  titre  oné'« 

reux;,  de  le  vice  un  privilège  favorable  f 

Non  y  mes  Frères  y  comparez-vous  de 
lionne  foi  à  ces  premiers  difciples  ^  vos 
crimes  à  leurs  crimes ,  &:  leur  pénitence  à 
îa  vôtre.  La  Reiigiori  ne  change  point  ; 
l'efprit  deTEglife  efi:  encore  le  m.êm.ej  Dieu 
regarde  toujours  le  péché  des  mêmes  yeux: 
fa  jullice  exige  toujours  les  mêmes  répara- 
tions ;  l'Evangile  nous  propofe  encore  les 
mêmes  maximes;  le  changem.ent  des  temps 
ne  change  point  les  règles  de  les  devoirs  j 
furquoipouvez-vcus  donc  croire  que  vous 
ferez  quitte  devant  Dieu  de  vos  crimes  ^  à 
meilleur  marché  ,  C\  je  lofe  dire;»  que  cqs 
premiers  Fidèles  ^  S'il  y  avoir  des  ditte- 
rences  à  mettre  ;,  vous  le  voyez  y  elles  fe 
tourneroient  contre  vous. 

Et  cependant  comparez  votre  pénitence 
à  la  leur  :  vous  favez  jufqu'ou  eft  montée 
la  mefure  de  vos  crim.es  ?  que  faites-vous 
pour  les  expiera  Croyez -vous  que  quel-' 


'^j6        Sur    la    Fervîtjr 
ques  légères  prières  imporées  parunMinif- 
tre  5  peu  éclairé  ,  ou  trop  indulgent  ;,  effa- 
ceront devant  Dieu  ce  cahos  d'iniquités  > 
ou  votre  ame  a  prefque  toujours  été  aby- 
mée  <  croyez  vous  que  confeffer  fimple- 
ment  Tes  crimes  aux  pieds  du  Prêrre  ,  ce 
foit  les  punir;  &  que  des  fautes  qui  ne  s'ex- 
pioientautrefoisquepar  des  années  entières 
de  gémiffemens  &  de  macérations  ,   feront 
expiées  aujourd'hui  j  dès-qu'on  s'en   fera 
déclaré  coupable  ^  croyez-vous  qu'une  vie 
entière  de  volupté  fera  purifiée  parla  ii.m- 
pleabfolutiondu  Prêtre  trop  facilement  ac- 
cordée 3  tandis  qu'une  feule  chute  deman- 
doit  autrefois  une  vie  entière  de  larmes  de 
de  pénitence  ^  Croyez-vous  que  la  voie 
ait  été  étroite  pour  les  Fidèles  des  premiers 
temps,  5»:  qu'elle  foît  devenue  fpacieufe  Sc 
commode  pour  vous  f  que  le  Royaume  du 
Ciel  ait  été  pour  eux  le  prix  de  la  feule  vio- 
lence:) &c  qu'il  le  foit  devenu  pour  vous  dç» 
plaifirs  Se  de  la    parefTe  ^  que  le  Seigneur 
ait  exigé  d'eux  jufqu'au  dernier  obole  y  8c 
qu'il  vous  remette  à  vous  toute  la  dette  ^ 
en  un  mot  3  que  leurs  crim^es  rares  &c  peu 
fréquens  ,  expiés  fous  la  cendre  &  fous  le 
eilice  3   pleures  avec  une  foi  vive  &    une 
eompondtion  abondante  ,  aient  irrité   la 
juftice  de  Dieu  ;  &  que  les  vôtres  plus  in- 
nombrables  &   plus   honteux  3  fans  être 
punis  Ôc  expiés  3  vous  attireront  fa  miféri- 
corde ,  &: vous  feront  les  garans  de  fa  bonté 
&  de  fa  clémence?* 
Et  cependant  où  font  vos  larmes ,  vos 


r>FS  prfmiïrS  Chrétiens.  5  57 
tîlaccrations  ,  vos  jeunes;»  vos  privations  , 
&  la  perfévérance  de  vos  prières  r  où  eft 
cec  efpric  de  compon6tion  &  d'humiliation 
qui  imprime  à  toutes  nos  actions  un  carac- 
tère de  pénitence  ^  Que  louiïVfrz-vous  ? 
de  quoi  vous  privez-vous  pour  ioutenir  le 
titre  de  pénitenc^le  feui  titre  qui  vous  reftc 
pour  prétendre  au  falut  ^ 

Mais  quedis-je  ,  mes  Frères  <  loin  d'ê- 
tre pénitens ,  êtes  vous  Chrétiens  f  Quand 
vous  n'auriez  que  les  devoirs  communs  de 
l'Evangile  à  remplir  5  fans   avoir  de   cri- 
mes à  expier  ,  n'auriez- vous  rien  à  crain- 
dre de  la  juftice  de  Dieu?   Quelle  vie  que 
votre  vie  !  quelles  m.ceurs  que  les  vôtres  l 
Quel  fîecle  a   jamais   pourfe   plus  loin  le 
faite  ,  les  plaifirs  ,  l'oifiveté  ,  la  mollelTeÔC 
la  bizarrerie  des  excès  ik  des  ufages  ?  quels 
temps  ont  jamais  été  plus  malheureux  ;,  ÔC 
cependnnt  plus  outrés  fur  tout  ce  qui  fait  la 
félicité  des  fens  &  les  joies  des  enfans  du 
fiecle  ?  Choififfez  les  plus  hommes  de  bien 
d'entre  vous  j  ces  hommes  vertueux  que 
le  monde  c«nonife  ;  ces  femmes  régulières 
que  la  multitude  approuve;  ces  Elus  du. 
fiecle  ,  comme  paris  faint  Auguftin  ,   donc 
la  conduite  au  dehors  eft  irréprochable  :  ôC 
voyez  fi  vous  trouverez  dans  leurs  maoeurs 
des  vertiges   même  de  la  première  fainteté 
des  Chrétiens  ;  voyez  fi  vous  y  retrouve- 
rez un  feul  de  ces  traits  de  la  vie  évangéli- 
que  j  qui  tous  enfemble  font  feuls  le  carac- 
tère des  enfans  de   Dieu  j  voyez   fi   leur 
vie  foutiendra  un  feul  des  engagemens  do 


^5?  Sur  I  â  F  e  rv  e  .u  r 
leur  Eapcême  ;  ii  vous  y  reconnoîtrez  déS 
dilciplcs  de  Jefus-  Chrill: ,  des  enfans  de  la 
Foi  3  des  Citoyens  du  Ciel,  des  ennemis  du 
monde  ,  des  ho n:îmes  crucifiés  ,  des  étran- 
gers fur  la  terre  ;  &  fî  de  tout  ce  petit 
nombre  d'hommes  même  en'.emble  ,  que 
le  monde  approuve  le  plus  ?  vous  en  pour- 
riez former  un  feul  Chrétien. 

Ainfi  nos  devoirs  font  encore  les  me-^ 
mes  qu'autrefois  ;  &  les  mœurs  feules  onc 
changé  :  ainfi  la  Religion  fubfide  encore 
pour  nous  juger  ;  6^  la  Foi  qui  dévoie 
nous  fauver,  s'eft  éteinte;  ainfi  l'Evangile 
a  paflé  de  nos  pères  à  nous ,  &  ne  nous 
fert  plus  que  de  condamnation  ,  après 
leur  avoir  fervi  de  règle  :  ainfi  le  corps 
du  ChriiVianifme  fe  foutient  ;,  ik  lefpric 
qui  vivifie  eil  éteint  dans  nos  cccurs;  ôc 
tout  l'avantage  que  nous  avons  fur  les  in-- 
fidèles  3  c'eft  que  fortis  d'une  racine  fainte, 
rous  fommes  devenus  des  rameaux  fauva- 
ges  qui  ont  dégénéré  j  &:  que  nous  avons 
enté  fur  l'olivier  franc  le  gerrhe  de  linfidé- 
lire  ,  &z  les  moeurs  corrompues  du  païen 
^  de  1  idolâtre. 

Ne  regardez  donc  pas  ,  mes  Frères  , 
les  mœurs  publiques  comme  un  titre  qui 
vous  rafiure  -,  c'eil  le  fiuit  de  cette  infcruc- 
tion.  Rappeliez  vous  fans  ce  (Te  aux  règles 
ëc  aux  devoirs  :  ne  vous  croyez  pas  en 
«lueré  5  parce  que  vous  êtes  ia  multitude  ; 
comme  fi  votre  conformité  avec  le  monde, 
qui  fait  le  caradtere  des  réprouvés  ,  pou- 
VQzc  devenir  le  cicre  de  voire  innocence» 


Ï)Ë5    î'RrMîF.RS    ChRîTIINS.  t,  f^ 

tr  pour  vous,  mes  FrereS;,  qui  revenus  des 
palïîons  infenfées  ?  ères  entrés  depuis  long- 
tcms  dans  les  voies  de  la  componction  ôcdu 
{ciiur,  rapprochez  les  foibles  efforts  de  votre 
pénîrence^duzcle&de  lalainteaudéricé  de 
ces  premiers  pénitens  :  loin  de  vous  énor- 
gueliir  de  vos  juftices  défcélueufes ,  qui 
dans  un  fiecle  aufîi  corrompu  ,  parodient 
des  fingularités  ^  des  prodiges  de  vertu  y 
parce  qu'elles  mettent  entre  vos  mœurs  «Scies 
mœurs  du  refle  des  hom.mjes ,  tous  pervers 
&:  corrompus  ,  une  différence  infinie  ,  hu- 
miliez-vous par  ce  qui  vous  refte  de  che* 
miin  à  faire  ,  pour  approcher  de  la  péni- 
tence de  de  la  ferveur  des  premiers  temps; 
Ôc  penfez  qu'il  y  a  encore  plus  loin  de  vous 
à  ces  premiers  Fidèles  ,  qu'il  n'y  a  aujour- 
d  hui  du  refte  des  hommies  à  vous. 

Ainfi  ,  que  les  pécheirs  tremblent  ,  ÔC 
que  les  juives  fe  raniment  ;  que  les  uns  for- 
tent  de  leur  létargie,  que  les  autres  renou- 
vellent fans  celle  leurs  ferveurs  ;  que  les 
premiers  aient  horreur  d'eux-mêmes  ;  que 
les  féconds  ne  fe  regardent  pas  avec  com- 
plaifance  j  en  un  m.ot  ,  que  les  uns  foienc 
f  appés  de  leurs  crimes ,  que  les  autjres  ne 
fe  rafTurenr  pj^s  fur  leurs  vertus  y  afin  que 
tons  enfembie  ils  puiiîent  un  jour  écre  réu* 
nis  dans  iT-glife  du  Ciel  ,  &  y  jouir  de  la 
t>îenheureu(e  immortalité. 


ANALYSES 

DES  SERMONS 

Contenus  dans  ce    Volume. 


LE  JOUR  DE  LA  PURIFICATION. 

De  la  foumiffîon  à  la  volonté  de  Dieu, 

DIVISION.  L  Quelles  font  les  four  ce  s  fc^ 
crettesde  notre  révolte  contre  la  volonté 
de  Dieu,  IL  Quels  font  les  avantages  qui  ac^ 
compagnent  la  foumiffîon  à  fa  volonté  fainie, 
I.  V'  SKTIE,  Les  principales  four  ces  de  notre 
révolte  contre  la  volonté  de  Dieu  ,  font ,  pre- 
iniérement ,  une  vaine  raifon  qui  rappelle 
toujours  les  voies  du  Seigneur  au  jugement 
de  ies  propres  lumières  :  fecondement ,  \n\ 
fond  d'amour- propre,  qui  fait  que  nous 
ramenons  tout  à  nous  mêmes  :  troifiéme- 
lîient  5  une  faufTe  vertu  ,  qui  fous  prétexte 
de  chercher  Dieu  ,  ne  fe  cherche  qu'elle* 
mêuîe. 

I.  Une  vaine  raifon.  Marie  pou  voit  op- 
pofer  bien  de  doutes  à  Tordre  de  Dieu,  qui 
l'obligeoit  de  venir  fe  purifier  dans  le  Tem- 
ple ;  cependant  elle  obéit ,  &  nous  ap- 
prend par-là  que  c'ell  au  Seigneur  à  vou' 
4oir ,  &:  à  la  créature  à  fe  foumettre.  Pour 

nous^ 


Analyfis  des  Szrmons,  5^1 

nous  5  nous  voulons  toujours   faire    rendre 
compte  à  Dieu  de  la  conduite.  S'agit-il  de 
fes  voies  générales  fur  le  falut  de  tous  les 
hommes?  on  n'entend  tous  les  jours  dans  le 
monde  que  des  réflexions  infenféeslà-deifus: 
Pourquoi  tous  les  hommes  ne  font- ils   pas 
fauves  ?  pourquoi  Dieu  a-t  il  rendu  le  falut fi 
difficile?  pourquoi  a-t-il  fait  les  hommes  (î 
foibles  ?  &c.  Mais  s'il  y  a  nécefTairemcnt  des 
myfteres  incompréhenfibles  au  refte  des  Su- 
jets,  dans  ie  confeil  des  Souverains  ,  pour- 
quoi n'y  en  auroitil  point  dans  les  confeiîs 
de  Dieu  ,  &  s'il  faut ,  dit  l'Ecriture  ,  refpec- 
ter  le  fecret  des  Rois  dans  la  conduite  de 
leurs  peuples ,  le  fecret  du  Roi  des  Rois  dans 
la  difpenfation  des  chofes  humaines ,  feroit-il 
moins  refpectable  ?  Si  ce  que  nous  connoif- 
fons  de  [qî  œuvres  nous  paroit  fi  divin   &  fi 
adm.irable  ,  concluons  que  ce  que  nous  n'en 
connoiifons  pas  ,  Feft  aulTi.  Mais  ce  n'ell  pas 
tout.  S'agit  il  des  deffeins  éternels  de  Dieu 
fiir  nos  deflinées  particulières  ?  nous  condam- 
nons fa  conduite  à  notre  égard  :  nous  nous  en 
prenons  à  fa  providence  de  nous  avoir  placés 
en  certaines  fituations  où  notre  foiblcife  trou- 
ve  des  ecueils   inévitables  ;  &  nous  ne  pen- 
fons  pas  que  Dieu  proportionne   les    grâces 
aux  états  ;  que  toutes  les  fîtuations   où  fon 
ordre  nous  place ,  loin   d'être  des  écueils  , 
peuvent  devenir  des  moyens   de  falut  pour 
nous  ;  &  que  la  plupart  des  daiigcrs  &  des 
occafions   dont   nous  nous  plaignons  ,  font 
plus  dans  nos  paffions  que  dans  nos  places. 
z.  Un  amour  exceiTif6c  déréglé  de  nous- 
Myjtcrcs.  Q 


3^2,  Analyfzs  des  Sermons, 

mêmes.  Marie  nous  donne  encore  ici  rexem- 
pie  de  ia  ioiimifîion  à  la  volonté  de  Dieu.  A 
ne  ccnfulter  que  les  fentimens  humains ,  tout 
lui  eût  fourni  des-  prétextes  pour  s'y  fouftrai- 
Te  5  &  refufer  de  venir  au  Temple  s'afTujettir 
à  la  loi  de  la  purification  ;  les  intér^s  de  fa 
maternité  divine  ,  le  prodige  de  Ton  enfante- 
ment 5  la  honte  même  de  fa  pauvreté  ,  &  de 
la  nicdicité  de  fon  offrande  :  mais  elle  n'écou- 
te point  la  voix  du  fang  &  de  la  chair  ;  per- 
fuadée  que  le  premier  facrifîce  que  Dieu  de- 
mande de  nous  ,  c'eft  le  facrifîce  de  nous- 
mêmes.  Pour  nous ,  comme  nous  rapportons 
tout  à  nous-mêmes ,  &  que  nous  vivons  com- 
me fi  Tunivers  entier  n'étoit  fait  que  pour  nous 
fculs  5  nous  voudrions  que  Dieu  ne  fût  occu- 
pé que  de  nous  feuls;  qu'il  entrât  dans  le  plan 
de  notre  amour  propre  ;  &  qu'au  lieu  d'être  le 
modérateur  de  l'univers  &  le  Dieu  de  toutes 
les  créatures,  il  ce  fût  que  le  Dieu  de  nos 
pafTions  &  de  nos  caprices.  De- là  ,  premiè- 
rement ,  l'affiiction  ne  nous  trouve  pas  plus 
foumis  à  Dieu  que  la  profpérité  ;  &  tout  ce 
qui  trouble  un  feul  inftant  nos  plaifirs  ,  notre 
orgueil ,  nos  projets ,  nous  aigrit  &  nous  ré- 
volte. De  là  ,  fecondem:cnî ,  comme  nous 
nous  aimons  beaucoup  nous-miêmes  ,  &  que 
nous  ne  mettons  point  de  bornes  à  nos  defirs, 
nous  ne  fommes  jamais  contens  de  notre  état, 
de  notre  élévation ,  de  nos  places  ;  &  parce 
que  nous  n'avons  pas  tout  ce  que  nous  défi- 
ions 5  nous  comptons  pour  rien  tout  ce  que 
nous  avons.  De- là  5  troifiém^ement  ,  comme 
nous  regardons  tout  ce  que  nous  defirons  com- 


Analyfcs  des  Sermons.  ^6^ 

tr.e  notre  partage  ;  les  places  &  les  honneurs 
qui  échappent  à  notre  cupiditç  ,  oc  qui  fe  ré- 
pandent fur  les  autres,  nous  le  regardons 
comiiie  un  bien  qu'on  nous  ravit  injuilement. 
De  ià ,  quatrièmement ,  comme  nous  croyons 
avoir  feuls  la  fagefle  en  partage,  tout  ce  qui 
ne  s'ajufte  pas  à  nos  vues  &  à  nos  lumières 
dans  rarrangementdes  chofesd'ici  bas ,  trou- 
ve auprès  de  nous  fa  condamnation  &  fa  cen- 
fure  :  nous  ne  faurions  vouloir  ce  que  Dieu 
veut  .-nous  trouvons.de  l'injuftice  ,  de  l'hu- 
meur,  de  l'imprudence  dans  la  difpenfation 
des  places  &  des  faveurs  ;  fans  psnfer  qu'il  fe 
peut  faire  que  les  hom.mes  aient  tort,  &  faf. 
fent  des  choix injuftes  ;  mais  que  Dieu  a  tou- 
jours raifon,  &  fe  fert  de  leurs  miéprifes  pour  ac- 
complir  les  deffeins  éternels  de  fa  providence. 
Penfons  de  la  forte  :  alors  le  monde  ,  le 
gouvernement  des  Etats  &  des  Empires  of- 
frira  à  nos  yeux  un  ordre  &  une  fageiTe  admi- 
rable  ,  parce  que  nous  y  verrons  uii  Dieu  invi- 
fible ,  fouverain  modérateur  de  l'univers,  fans 
Tordre  duquel  un  cheveu  même  ne  tombe  pas 
de  nos  têtes  ;  parla  volonté  dq  qui  tout  fe 
fait  ;  &  qui  par  des  ménagemens  inexplica- 
bles ,  fait  fervir  aux  deifeins  de  fa  miféricorde , 
la  m^hce  même  des  hommes.  Mais  fi  vous  fé- 
parez  Dieu  du  fpeaacle  de  l'univers  ,  fi  vous 

Pi  y  voyezplusîa  volonté  éternelle  duSeigneur 
qui  en  eft  le  reffort  invisible  ,  le  monde  n'eft 
plus  qu'un  cahos  ,  un  théâtre  de  conflifion  8^ 
de  trouble ,  où  l'on  ne  voit  point  d'ordre  •  par 
ce  qu'on  n'y  voit  que  l'irrégularité  des  rjouve- 
mens ,  fans  en  comprendre  le  fecret  &  ïu^^ao. 


3^4  Analyfes  des  Sermons. 

^.  Une  faulTe  vertu  ,  qui  réfifte  à  Dieu  fous 
prétexte  de  le  chercher  :  dernier  écueil ,  que 
l'exeinple  de  Marie  nous  apprend  à  év^iter. 
En  effet  ,  û  elle  n'eût  confulté  que  fon  zcle 
pour  la  gloire  de  fon  Fils  ,  elle  devoit ,  ce 
iemble  ,  fe  fouftraire  à  la  loi  de  la  purification , 
qui  ne  paroilibit  propre  qu'à  confirmer  l'incré- 
dulité de  fon  peuple,  en  le  faifant  pafTerpour 
lefimple  fils  de  Marie  &c  de  Jofeph.  Mais  Ma- 
rie fe  défie  d'un  zelc  qui  n'eftpas  dans  Tordre 
de  Dieu  ;  &  rien  ne  lui  paroît  plus  sûr  même 
dans  la  vertu  ,  que  de  fe  conformer  à  fa  vo- 
lonté fainte  :  &  véritablement  rien  n'eft  bon 
pour  nous  ,  q^e  ce  que  Dieu  veut  ;  &  toute 
piété  qui  n'a  pas  pour  fondement  une  confor- 
mité continuelle  à  fa  volonté  fainte  ,  eft  une 
fauffe  vertu.  C'eft  par-là  cependant  que  la 
piété  manque  prefque  toujours  ;  &  nous  ne 
voulons  jamais  aller  à  Dieu  par  les  voies  que 
fa  main  même  nous  a  frayées.  Prem,iérem.ent 
les  devoirs  de  notre  état  ne  nous  plaifcnt  ja- 
mais :  nous  leur  fubftituons  toujours  des  œu- 
vres arbitraires  que  Dieu  ne  demande  pas  de 
nous.  Secondement ,  fi  Dieu  nous  laille  dans 
im  état  d'iiinrm.ité  habituelle,  nous  noi^sen 
prenons  à  cet  état ,  de  notre  tiédeur  5c  de  nos 
infidcliiés  dans  le  fervice  de  Dieu.  Tscifié- 
mement  ,  nous  fouffrons  impatiemmcntnos 
propres  imperfections  :  nous  voudrions  n'a- 
voir rien  à  nous  reprocher  &  vivre  contens  de 
nous-mêmes.  Quatriémem.ent ,  fi  les  pécheurs 
revêtus  de  l'autorité  publique  ,  mettent  quel- 
que  obilacle  à  notre  zèle  ;  nous  ne  gardons 
plus  de  meuiie  de  charité  avec  eus.  Cinquié- 


Analyfis  des  Sermons,  365 

mement ,  les  clerc glor^cns  de  nos  proches , 
de  nos  maîtres,  CiC  nos  égaux  avec  qui  iious 
avons  à  vivre.  îicus  foîit  iiiuipportables  ;  & 
nous  noJsTaiijr.5  une  faulTe  vertu  de  les  cen- 
furer,  de  les  décrier  ,  <k  de  les  aigrir  ;  au 
lieu  que  h  'ix-rkable  vertu  regarde  les  pé- 
cheurs cîTtre  'les^mains  de  Dieu  ;  les  fouffre 
avec  charité^,  puilque  Dieu  ies  fouîlre  lui- 
jr.ér-ne  ;  &:  les  ainic  avec  vendreiie  ,  puirqu'ils 
peuvent  devenir  les  ani's  de  Dieu,  &  qu'ils 
ibiit  utiles  auxxielleins  de  fa  providence, 

II.  Parti  e.  Les  avanîagcs  qui  accom- 
pa^nerJ  la  fouml£lon,  à  la  vrAonié  de  Dieu» 
Trois  fources  fécondes  de  chagrins  forrjient 
tous  les  malheurs  &toi:tes  les  inquiétudes  de 
la  vie  huniaine  :  les  vaines  prévoyances  iiir 
l'avenir  5 les  agitations  inîinies  furie  préfent , 
&  les  regrets  mutiles  ^jr  le  paile. 

Or  î.  la  fburçifîion  à  la  volonté  de  Dieu 
nous  fait  attendre  ,  comme  Marie  ,  l'avenir 
fdns  inquiétude.  Quelles  allarmes  la  prédic- 
tion du  vieillard  Siméon  furladeftinée  future 
de  fon  Fils ,  ne  dcvoit-eîlepas  jettcr  dansicn 
ame  fainte  ?  Cependant ,  comme  le  Prophète-^ 
elle  jette  toutes  Tes  penfées  &  toutes  fes 
fra3/eurs  danslefein  de  Dieu  ;  &  fa  tranquilli- 
té eft  parfaite  -  parce  que  fa  foumifTioneil  en- 
tière. Pour  nous  ,  les  inquiétudes  fur  l'avenir 
forment  le  poifon  le  plus  amer  de  notre  vie  ; 
&  nous  ne  fommes  malheureux ,  que  parce  que 
nous  ne  favons  pas  nous  renfermer  dans  le 
momentpréfenf.nous  nous  tourmentons  fans 
celTe  fur  le  lendemain  ,  comm.e  fi  à  chaque 
jour  ne  fuffifoit  pas  fon  mal.  Toute  notre  vie 


^66  Analyfes  des  Sermons. 

n'eft  qu'agitation ,  que  trouble,  que  craintes , 
que  précautions  :  mais  une  ame  foumife  à 
Dieu  5   n'éprouve   point   ces   troubles  ,   ces 
frayeurs  ,   ces  foucis ,   qui  agitent  les  enmns 
du  (îecle  ;  parce  qu'elle  fait  que  l'avenir  eil:  ar- 
rêté dans  les  confeils  de  fa  providence  ;  & 
que  nos    inquiétudes   &  nos  foucis  ,  ne  pou- 
vant changer  la  couleuymême  d'un  feul  de 
nos  cheveux ,  ne  changeront  pas  ,  à  plus  forte 
raifon ,  l'ordre  de  fes  volontés  immuables  ; 
que  d'ailleurs  on  ne  rifque  rien,  en  fe  con- 
fiant à  lui  fur  tout  ce  qui  doit  arriver.  Ce  n'eft 
pas  que  la  Religion  autorife  la  pareffe  &  l'im- 
prudence :  le  Fidèle  travaille  comme  fi  tout 
dépendoit  de  lui  ;  mais  il  eft  tranquille  fur  l'é- 
vénement ,  parce  que  tout  dépend  de  Dieu. 
Ainfi  la  prudence  eft  commune  au  Fidèle  8c 
au  mondain;  mais   la  paix  &:  la  tranquillité 
n'eft  que  pour  le  Fidèle.  Et  quand  je  dis  que 
la  prudence  leur  eft  com.mune  ,  c'eft  le  nom 
feul  qui  leur  eft  commun  ;  car  il  y  a  bien  de 
la  différence  entre  une  prudence  chrétienne 
&  foum.ife  à  Dieu ,  &  une  prudence  toute  hu-   . 
maine.  La  prudence  du  Fidèle,  dit  faint  Jac-   I 
ques ,  eft  ,  premièrement ,  chafte  &:  innocen- 
te ;  elle  ne  connoît  de  mefures  légitimes  que 
celles  que  la  confcience  permet ,  &  que  la  Ke* 
ligion  approuve  :  celle  du  pécheur  au  con-    \ 
traire  ne  compte  pour  rien  les  crimes  ,pour'l 
arriver  à  fes  fins.  Secondement ,  celle  du  Fi- 
dèle eft  tranquille  ,    &  amie  de  la  paix  ;  fes 
mefures  font  toujours  paifibles ,  parce  qu'elles 
font  toujours  foumifes  à  la  volonté  de  Dieu  : 
celle  du  pécheur  au  contraire  eft  toujours  agi- 


Andyfes  des  Sermons,  367 

tée,parcequ'elle  ii'eft  jamais foumife.  3.  Celle 
du  Fidèle  eft  modefte  ;  il  s'interdit  les  projets 
ambitieux,  &:  n'a  que  des  vues  conformes  à 
fon  état:  celle  du  pécheur  efl  infatiable.  Qua- 
trièmement 5  celle  du  Fidèle  eft  humble  ;il  fe 
défie  toujours  de  fes  propres  lumières  :  celle 
du  pécheur  au  contraire  eft  pleine  d'orgueil  ; 
il  ne  compte  que  fur  l'habileté  de  fea  meili- 
Tçs,  Cinquièmement ,  celle  du  Fideie  n'eft 
point  foupçonneufe  ;  il  aimeroit  encore  mieux 
tomber  dans  le  piège  ,  que  de  juger  témérai- 
rement les  intentions  &  les  penfées  de  fes 
frères  :  la  prudence  du  pécheur  ne  trouve  fa 
sûreté  que  dans  {qs  foupçons  &  dans  (es  dé- 
fiances. Sixièmement ,  celle  du  Fideie  n'eft 
point  didimulée  ;  comme  il  ne  veut  tromper 
perfonne ,  il  n'a  que  faire  de  fe  dégiiifer  : 
celle  du  pécheur  n'eft  q-u'une  duplicité  éter- 
nelle. Septièmement ,  enfin  celle  du  Fideie 
eft  pleine  de  miféricorde  ,  &:  des  fruits  des 
bonnes  œuvres  ;  il  joint  aux  moyens  humains 
les  pratiques  de  la  vertu  ,  &  les  fecours  de  la 
prière  :  le  pécheur  au  contraire  regarde  la 
piété  comme  un  obftacle  à  fon  élévation. 

2.  La  féconde  fource  de  nos  inquiétudes  , 
eft  une  agitation  infinie  fur  le  préfent.  Rien 
n'arrive  prefque  jamais  feloa  nos  deiirs:  maisr 
une  ame  fideie  trouve  ,  comme  aiijonrd'huî 
Marie  5  dans  une  foumifiion  entière  aux  or- 
dres de  Dieu  ,  une  refîource  toujours  prête 
aux  embarras  de  fa  fîtuation  préfente.  Tout 
étoit  incompréhenfible  dans  les  deîTeins  de 
Dieu  fur  elle  :  mais  la  volonté  de  Dieu  eft  le 
feul  dénouement  de  fes  doutes  y  &:  la  grande 

Q4 


560  Analyfes  des  Sermons, 

conîcjr:ticiî  de  ies  peines.  Or ,  ce  qui  rend  la 
foumiffion  à  Ih  volonté  de  Dieu  fi  confolante 
dans  les  fituaîioiiS  les  plus  diiiiciies  où  il  nous 
place .  c'eil .  premièrement  .que  c'eft  la  volonté 
d*ûn  pieu  tout  puiiTtint ,  à  qui  tout  eft  aifé  ; 
feconJenTèrit  5  d'im  Dieu  fage  5  qui  ne  fait 
rien  aii  îiazard  ^  qui  voit  ]es  dilTérentes  utilités 
cet  fiîO actions cù  il  nous  place  ;  troiiiémement , 
d'un  'Didi  bon  ,  tendre  &.  mifericordieux  , 
qui  nous  aime  5  &  qui  ne  veut  qiie  notre  faîut. 
?.  Les  regrets  fur  le  pafTé  forment  la  der- 
nière fouree  des  inquiétudes  humaines.  Nous 
ne  rappelions  les  événemens  fâchtux  dç.notre 
vie  5  qu'avec  des  retours  amicrs  qui  en  empoi- 
fcnnent  le  fou  venir  mous  nous  reprochons  fans 
ceiïe  d'avoir  été  nous-mêmes  les  auteurs  de 
notre  infortune.  Or  ,  x:'eft  encore  ici  que  la 
fcùniifîîcii  de  Marie  ei!  pour  nous  un  modèle. 
Comme  elle  ne  peut  douter  que  la  main  du 
Très-Haut  feul  ne  Fait  jufqu'ici  conduite ,  elle 
n'a  pas  de  peine  à  fe  perfuader  que  c'efl-lui- 
mèiViQ  qui  la  conduit  aujourd'hui  au  Temple, 
5c  à  fe  foumettre  au  facrifice  5:  à  l'humiliation 
que  Dieu  demande  d'elle.  Voilà  la  grande 
fcitnce  de  la  Foi.  Le  pafTé  devroit  être  pour 
nous  une  inftrudion  continuelle  ,  où  nous  de- 
vrions étudier  les  volontés  adorables  du  Sei- 
giicuruirlcs  deltlîîées  des  homm.esicependant 
le  fou  venir  du  pafie  ,  loin  de  nous  inflruire  , 
nous  féduit  ,  '6c  ne  fait  que  réveiller  en  nous 
des  pafllons  injures.  Tout  paiTe  ,  tout  difpa- 
roît  j  tout  s'écoule  à  nos  yeux  ;  &  nous  ne 
voyons  Dieu  nulle  part  :  nous  n'y  voyons  que 
les  révolutions  humaines.  Les  Patriarches  5 


Analyfes  des  Sermons.  26c} 

bien  dlfFérens  de  nous  ,  voyoient  Dieu  par- 
tout ;  &  rep.îlîant  fansceffe  fur  les  différentes 
voies ,  par  où  fa  fagelFe  les  avoit  conduits, ils 
y  admiroientles  ména^gemens  ineffables  de  fa 
providence  ,&:  l'ordre  de  Tes  volontés  adora- 
bles. Et  voilà  la  grande  fcience  que  nous  ap- 
prennent nos  dnines, Ecritures  :  dans  les  au- 
tres hifcoires  5  on  n'y  voit  agir  que   les  hom- 
n:es;jnais  dans  l'hilloire  des  Livres  faims, 
c'efl  Dieu  feul  qui  fait  tout.  Aulîi  nous  ap- 
prend-elle  à  ne  regarder  les  différentes  révo- 
lutions qui  ont  agité   l'univers  5    que  comme 
rhifloire  des  delFeins  <k  des  volontés  du  Sei- 
gneur fur  les  hoinines  ;  &   c^eft  l'inirructioa 
que  trouve  à  préfent  une  ame  ûdch  dans  le 
fouvenir  du  paffé ,  comme  ce  fera  une  des 
grandes^confolations  des  Juftes  dans  le  ciel , 
de  voir  a  découvert  l'ordre  admirable  des  vo- 
lonîés  du  Sei;:^neur  dans  tous  les  événemens 
de  leur  vie  pailée.-Ils  verront  avec  quelle  bonté 
&  quelle  fagelTe  Dieu  faifoit  tout  fervir  à  là 
lanaiEcation  des  liens  ;  tandis   aue  les  d^- 
cheursicrontilirpris  &  déieîpérés  de  voir  mîe 
croyant  vivre  fans  joug  &  fans  Dieu    en  'ce 
monde,  ilsctoientnéanm.oins      '     '  -  i^-p'^nl 
ae  la  lagefîe  ,  qui  Ici^ivci:  c  tc^ire^ 

mens  5^  ^;aurracca:r)pî;;Iemeju  de  t^i  defi^rios 
éternels.Kéflexioqqui  jf^ule  devrolt  rau^-llsr 
tous  Iè3  hommes  à  uiie  fou^r.iinon  conîîî.ueî^ 
le  9'jx^voiontés  du  Seigneur  :  ^JiiKquo:  ,  qu'Us 
fe  foumeiî.entou  non^'à  fa  vofontéfaînte,  il 
eft  certain  qu'ijs  agiffent  toujours  fous  la  main 
ae  Dieu:  auifi  en  fe ré.vo]tant  contre  lui ,  ils 
ne  chanj^ent  point  les  évémmens,:  ils  ne  fbnt 
que  muiîiplier  leurs  crimes.  Q  ^ 


370  Anaïyfcs  des  Sermons, 

S^^ =^^ ==^ 

LE  JOUR  DE  LA  PURIFICATION. 

îl.  Serm.  Sur  les  difpojîtions  nécejjaires  pour^ 
fc  confacrcr  à  Dizu  par  une  nouvelle  vie. 

DIVISION.  'Nous  apprenons  dans  ce  myf- 
tere  ,  les  difpofitions  dans  kfqucllcsilfaut 
entrer  pour  fc  confacrer  à  Dieu  par  une  vie  toute 
nouvelle  :  nous  y  trouvons  un  efprit  de  facrifice 
dans  Jefus-Chrifi  ,  qui  s'offre  à  fon  Père  ;  &•  un 
efprit  de  fidélité  dans  Marie  qui  Voffre,  Or 
voilà  les  dieux  difpofitions  qui  rendent  la  con- 
verfion  fincere  ù  durable  ,  &  Voffande  de  nos 
coeurs  5  agréable  à  Dieu,  L  Un  efprit  de  facrifi- 
ce j  qui  ne  réferve  rien  en  s'offrant,  ÎL  Un  ef- 
^rit  de  fidélité  y  qui  ne  fi  dément  plus  fur  rien 
en  le  fervant, 

I.  Partie.  Un  efprit  de  facrifice  qui  ne  ré- 
fkïve  rien  en  s'ofrant.  Quoique  Jefus-Chrift 
ne  foiî  pas  irr-irolé  aujourd'hui  dans  le  Tem-  ^ 
pie  ,  le  facrifice  qu'il  fait  de  lui-mêine  à  fon/ 
Pere^,  n'en  eftp2s  moins  réel  ;  bien  différent 
en  cela  des  autres  premiers-nés  qu'on  venoit 
lîieffre  entre  les  mains  des  Pontifes^  &  qu'on 
préfentoit  au  Temple  -  plutôt  pour  les  rache- 
ter ,  que  peur  les  confacrer  au  Seigneur. 
Pour  Jeflis-Chrift  .  dès  qu'il  entre  dans  le 
Temple ,  dès-lors  il  accepte  &:  fouffre  par 
avance/iout  ce  qu'il  doit  fouffrir  un  jour  pout 
fon  Père»  Ainfi  quoique  ce  qui  fe  pafîe  au- 
jourd  hui  dans  le  Temple  ,  ne  foit  qu'une 
iiçage  du  Calvaire  ^  i'oblation  n'en  eli  pas 
moins  réelle  ^  dit  famt  Bernard^ 


Analyfes  des  Sermons.  ^Ji  ^ 

I.  Et  telle  doit  être  la  première  condition 
de  notre  facrifice,  lorfque  nous  voulons  nous 
donner  à  Dieu  ,  la  réalité  de  l'offrande.  La 
clémence  divine  qui  depuis  le  péché  ,  pourroit 
exiger  de  nous  le  facrifice  de  notre  vie ,  a  rem- 
placé cette  peine  ;  &  le  facrifice  continuel  de 
la  vie  des  fens,  eft  devenu  la  loi  de  mort  im- 
pofée  à  tout  Fidèle  :  loi  que  nous  avons  tous 
acceptée  fur  les  fonts  facrés  ,  lorfqu'on  vint 
nous  offrir  au  Seigneur  dans  le  Temple.  Voiià 
la  vie  chrétienne  ;  une  vie  d^  renoncement  8c 
de  facrifice.  Cependant  y  qu'eft-ce  que  fe  con- 
facrer  à  Dieu  pour  la  plupart  àes  âmes  ,  qui 
revenues  des  égaremens  du  monde  ,  veulent 
le  fervir  ?  c'eft  fimplement  étaler  des  dehors 
plus  religieux  ,  &  ne  plus  vivre  dans  un  oubli 
entier  de  Dieu  &  de  la  Religion.  Mais  fi  vous 
n'êtes  ni  moins  ambitieux  ,  ni  moins  attaché  ^ 
ni  moins  fenfuel ,  ni  moins  fenfible ,  &c.  vous 
vous  offrez  au  Seigneur  comme  les  premiers- 
rés  dlfraël  ,  qui  étant  rachetés  auffi-îct ,  ne 
devenoient  pas  fon  partage  ;  c'eft  à-dire  5  que 
vous  n'offrez  à  Dieu  à  votre  place,  qu'un  vil 
animal  ,  des  œuvres  extérieures  ,  une  appa- 
rence de  piété  ,  au  lieu  de  votre  cœur  &  de 
vous-m.ême  :  Dieu  ne  fauroit  fe  contenter  de- 
cet  échange  ;  il  faut  que  le  facrifice  foit  réeî* 
Cependant  la  plupart  des  converfions  y  à  I3 
Cour  fur-tout ,  font  de  ce  caractère  ,  tL  ûib* 
fiftent  encore  avec  tautes  les  paillons  ,  moins 
marquées  à  la  vérité  ,  m.ais  toujours  aoi/H 
jéeîies.  On  s'eft  donné  au  Seigneur  ;  mais  to\it 
ce  qui  plaifoit ,  plaît  encore  ;  dès-lors  on  n'a 
point  fait  de  iacrilice  ;  oa  s'eft  conteiité  d'ôter 

Q6 


7p.^  Analrfis  des  Sermons, 

la. peau  de  la  viâime ,  d'en  changet  les  dehors  ; 
irais  on  u'a  pas  touché  ^u  reilc  ;  &  comme  on 
perfévere  dans  Tiifage  des  chofes  fâintes   , 
comnye  on  vit  exempt  de   grands  crimes, 
comme  on.fuitprefqiie  les  mêmes  routes  que 
les  Jiiiies^  peu   s'en  faut  qu'on  ne  fe  croie 
Jldlfc©i:c^m^le  eux  ;  èl  ce  n'eft  pas  par  hypo- 
crite :  on.eft  daiis  Terreur  de  bonne  foi  ;  on 
cioit  avoir  fait  à  Dieu  le  facrifîce  qu'il  de- 
rnandoit  de  nous  ^  -  quoique  nous  ne  lui  ayons 
jamais  fait  aucun  facrifice  réel  &:  douloureux 
de  nos  C^as^  de  nos  peochans  ,  de  nos  efpé- 
rances ,  de  nos  com.m.odités ,  de   nos  anti- 
■psthies,  &c.  Détrompons  nous  ;  c'eft  le  fa- 
crifice  du  cœur ,  que  Dieu  dcm.ande  ;  tout 
autre  facrifice  ,  n'efl:  pas  un  facrifîce  réel. 

.  2.  Mais  ce  n'efl  pas  afTez  que  l'ofFrande  de 
notre  cœur  fcit  réelle  :  la  féconde  condition , 
c'ed  qu'elle/oit  univerfcJJe.  Jefus-Chrift  ,  dit 
Saiiît  Bernard,  iaçri£e  aujourd'hui  à; fon  Pe 
rc  y  teus  fes  titres  ,  toute  fa  [^loiie  y  fon  inno- 
cence même  :  il  ne  fe  réferve  rien ,  pour  nous 
apprendre,  dit  ce  Père  ,  que.  l'iutégrité  du 
facrifioe  en  fait  d'ordinaire  tout  ie  mérite. 

Pour  nous ,  nous  voulons  bien  retourner  à 
Dieu;  mais  nous  ne  voulons  pas  tout  à-coup 
.  faire  uii  divorce  univenel  avec  le  monde  :  nous 
nous  figurons  qu*il  faut  nous  gagner  fur  cer- 
.' tains  points ,  avant  que  d'en  vejiir  aux  autres. 
Maisdeacommerïcemens  fî  m.énagés  ne  font 
jamais  heureux ,  &  ne  vont  jamais  loin.  Il  n'eu 
eft  pas  de  la  ccnverflon  ,  comme  des  ouvrages 
des  homm:es;  elle  n'eft point,  lorfqu'elle  n'eft 
point  entière*  U  ed  vrai  que  la  piété  a  Tes  pro- 


Analyfis  des  Sermons.  375 

grès  5  &  qu'elle  fe  perfe£lioniie  de  jour  en 
jour  ;  mais  :  le  monde  ,  &  tout  ce  qu'il  a  de 
crimuiei,  doit  être  d'abord  détruit  dans  notre 
cœur;  &  tout  ce  qui  eft  incompatible  avec  la 
vie  chrétienne ,  doit  ceiTer  tout  d'un  coup.  Je- 
fus-Chriil  facrifîe  aujourd'hui  à  fon  Père  tous 
fes  titres  &  toute  fa  gloire  ;  lui  qui  eft  Je  Pon- 
tife véritable  ,  &  le  rédempteur  d'Ifraèl;  vou- 
lantbien  achetcrîe  droit  d'entrer  dans  le  Tem- 
ple, &  être  racheté  comme  un  enfant  ordi- 
naire. Mais  pour  nous ,  qu'il  eft  rare  que  nous 
n'ufîons  pas  de  réferve  ,  lorfqu'il  eft  queftion 
fur-tout  de  faire  au  Seigneur  un  iacrifice  de 
toutes  les  vaines  diftinâ:ions  qui  nous  élèvent 
aux  yeux  des  hommes  !  Nous  voulons  que  nos 
titres  entrent ,  pour  ainfi  dire  ,  dans  tout  ce 
que  nous  faifons  pour  le  Seigneur  ;  &  les  œu- 
vres de  religion  qui  nous  confondent  avec  la 
foule  ,  ne  font  jamais  de  notre  goût. 

Jefus-Chrift  lacrifie  aujourd'hui  à  fon  Père 
fon  innocence  même  ,  ann  que  rien  ne  man- 
que à  l'intégrité  de  fon  facriilce.llparoîtdans 
le  Temple  comme  picheur  ,  &  prend  fur  lui 
toute  la  honte  du  péché  dont  il  eft  exempt; 
&:  dans  les  facrifices  que  Dieu  demande  de 
nous ,  nous  voulons  toujours  fauver  une  vai- 
ne réputation  d  innocence  &  de  probité  que 
nous  avons  perdue* 

3.  La  troiftem.e  condition  de  notre  offran- 
de, c'efl  qu'elle  foit  volontaire  comme  celle 
de  Jefus-Chrift.  En  effet,  lefàcrifice  que  fait 
aujourd'hui  J.  C.  à  fon  Père  ,  eft  un  homma- 
ge de  furcroîî ,  pour  ainfi  dire  :  ce  n'eft  point 
un   devoir  nécejSaire  puifque  l'ouvrage  du 


374  Analyfes  des  Sermons, 

falut  des  hommes  5  dontfon  Père  l'avoit  char- 
gé ,  pouvoir  être  confommé  ^  fans  qu^il  y 
ajoutât  la  honte  de  cette  première  démarche. 
Mais  il  vouloit  nous  apprendre  qu'une  ame 
qui  revenue  des  égaremens  du  monde  ,  fecon- 
facre  à  Dieu  ,  ne  peut  d'abord  fe  refufer  à  el- 
le même  de  faints  excès  ,  &  ne  s'avifepas  de 
compter  avec  fon  Seigneur  ,  pour  favoir  au 
jufte  ce  qu'elle  lui  doit;  &  loin  que  la  tiédeur 
de  fon  zèle  attende  toujours  l'obligation  iné- 
vitable du  devoir  pour  agir  ,  elle  fe  fait  un 
devoir  de  tout  ce  qu'un  zèle  faint  lui  infpire. 
Mais  où  font  les  âmes  de  ce  caraftere  ? 
Lorfque  touché  de  la  grâce  ,  on  veut  revenir 
à  Dieu,  le  premier  foin  eft  de  chercher  de 
toutes  les  manières  de  le  fervir  ,  la  plus  dou- 
ce &  la  moins  d^ure  à  l'amour  propre.  Loin 
d'embraffer  des  rigueurs  de  furcroît ,  on  étu- 
die d'abord  jufqu'où  on  peut  pouiTer  la  con* 
defcendance ,  pour  s'en  tenir  à  ces  bornes 
dangereufes.  Mais  qu'on  aime  peu  fon  Dieu  , 
lorfqu'on  peut  fe  prefcrire  à  foi-m.ême  la 
mefure  de  l'aimer  !  les  commencemens  de 
la  vraie  pénitence  ne  fauioient  être  ni  û  lan- 
guiffans  ,  ni  û  ménagés. 
•  IL  Partie,  La  féconde  difpojîtion  d'une  ame 
qui  veut  fe  donner  à  D'ieu^  doit  être  un  efprit 
de  fidélité  qui  ne  fe  dément  plus  Jur  rien  en  lé 
fervant  ;  &  c'eft  ce  que  nous  apprend  l'exem- 
ple de  Marie, 

.  Nos  infidélités  ont  leur  fource,  premiére- 
ïRent  5  ou  dans  une  prudence  de  la  chair  tou> 
jours  ingénieufe  à  trouver  des  incorivéniens- 
aux  deiïeins  de  la  grâce  fur  notre  ame  ;  fe- 


Analyfes  des  Sermons,  375 

condement,  ou  dans  un  orgueil  &  une  com- 
plaifance  fecrette  ,  qui  trouve  dans  les  dons 
même  de  l'Eforit  faint ,  Fécueil  de  la  vertu  ; 
troiiîémement  ,  ou  enfin  dans  un  décourage- 
ment dangereux,  qui  à  la  vue  des  maux  dont 
il  eft  menacé,  fe  confulte  trop  foi- même,  8c 
faitdefafoibleflelamefure  defes  devoirs.  Or  , 
la  fidélité  de  Marie  dans  ce  myftere  nous  four- 
nit de  grandes  règles  pour  éviter  ces  écueils. 
I. Docile  ,  elle  ne  raifonne  pas.  Elle  n'écou- 
te rien  de  ce  qu'elle  pou  voit  fe  dire  pour  fe  dif- 
penfer  de  la  loi  de  la  purification  ;  que  c'étoit 
îè  dégrader  publiquement  de  Thonneur  de  fa 
divine  maternité  ,  &  dérober  à  fon  Fils  la 
gloire  de  fon  éternelle  origine  ,  &c.  Elle  avoit 
appris  dans  fa  retraite  ,  que  trop  de  raifon  ^ 
quand  il  s'agit  des  voies  de  Dieu  ,  eft  un  excès 
de  lumière  qui  éblouit  &  qui  égare  ;  &  que 
la  vie  de  la  Foi  lailTe  toujours  des  ténèbres  & 
des  difficultés ,  pour  ne  pas  ôter  à  l'am.e  jufte 
le  mérite  de  fa  docilité.  Mais  l'exemple  de  Ma- 
rie a  peu  d'imitateurs  ,  parmi  ceux  m.ême 
qu'on  regarde  comme  juftes.  Nous  prenons 
prefque  toujours  dans  les  intérêts  de  la  gloire 
de  Dieu ,  des  prétextes  pour  nous  difpenfer  de 
fa  loi  fainte  ;  &  nous  trouvons  le  ^ecret  de 
nous  déguiferà  nous-mêmes  nos  paflîons  fous 
le  nom  de  la  piété  :  en  un  mot ,  nous  trouvons 
des  inconvéniens  infinis  ,  dès  qu'il  s'agit  de 
faire  le  bien  ;  &  nous  ne  penfons  pas  quciuo- 
tre  devoir  eft  d'accomplir  la  loi  qui  eft  claire, 
&  qu'après  cela  les  inconvéniens  douteux  que 
nous  croyons  appercevoir  de  loin  ,  ne  nous  re- 
gardent plus  :  c'eft  l'affaire  de  celui  qui  nous 


37^  Analyfes  des  Sermons. 

ordonne  d'obéir  ;  &  puifque  les  inconvé- 
niens  que  nous  croyons  appercevoir  5  ne  l'ont 
pas  encore  obligé  de  changer  fa  loi ,  ils  ne 
doivent  rien  changer  aufîi  à  la  fidélité  de 
notre  obéifTance. 

Une  autre  inftruâ:ion  que  nous  donne  ici  la 
docilité  de  Mafie  ,  c'eil  qu'élevée  au  degré  le 
plus  fublime  de  la  grâce ,  elle  ne  dédaigne  pas 
une  cérémonie  vulgaire  du  culte  ;  ellen'afFed:e 
pas  des  voies  plusfublimes  ,  plus  rpirituelles , 
&  plus  parfaites.  Or  ,  cet  écueil  eft  à  crain- 
dre pour  la  piété  :  fouvent  on  croit  avoir  une 
dévotion  plus  éclairée  &  de  meilleur  goût  , 
enlaiiîant  au  peuple  fîmple  &  grofner  Iqs  pra- 
tiques les  plus  communes  de  laReligon  ,  que 
la  piété  publique  a  autorifées ,  &  dont  la  /im- 
plicite femble  les  deftiner  à  la  multitude  igno- 
rante :  on  croit ,  en  donnant  moins  aux  fens 
&  à  la  chair  qui  ne  fert  de  rien,  agir  plus  fe» 
Ion  l'efprit  qui  eflutile  à  tout;  &  on  ne  penfe 
pas  que  tout  aide  à  la  véritable  piété  ,  &  que 
rien  n'eft  petit  &  imparfait  pour  elle  que  les 
œuvres  qui  manquent  de  ferveur. 

2.  Marie  humble  ,  ne  s'élève  pas.  On  ne 
peut  douter  qu'elle  n'eût  été  éclairée  d'en  haut 
fur  toute  la  fuite  du  miniflere  de  fon  Fils^fon 
divin  cantique  en  eft  une  pi;euve  :  cependant 
elle  ne  dédaigne  pas  d'être  iniiriiite  par  le  faint 
vieillard  Siméon:  elle  ne  s'ej^iprefTe.  pas  de  ra- 
conter  à  fqn  tour  les  grandes  chofes  que  le 
Seigneur /^yoit  opérées  en  elle. -Or,  lien  de 
plus  rare,  même  dans  la  piété-,  que  cette  fage 
&  modefle  retenue  ,  qui  va  à  cacher  fes  pro- 
pres dons  5  &  à  maaifeiler  ceux  des  autres. 


Ahhlyfes  des  Scrmàm'.  \  ijj 

5.   Marie  générenfe  ui  fe  cîccôurags  pirs. 
On  lui  annoiîce  qu'un  glaive  de  douleur  per- 
cera fon  ame  ;  que  cet  enfant  qu'elle  vient  of- 
frir 5  fera  expofé  comme  un  but  aux  traits  de 
la  contradiction  &  de  la  calomnie:  en  ne  pré- 
fente  à  Ton  efprlt  que^  des  images  triftes  Se:  ef- 
frayantes :  cependant  à  tles  préfàges  fi  funef- 
tes   elle  offre  une  foi  généreufe  &  foumife; 
fille  d'Abraham,  elle  en  imite  la  fidélité  &ie 
courage  :  or ,  c'efl  ici  où  Texemple  de  Marie 
eft  peu  imité.  La  piété  n'arrache  pas  toujours 
ducœurdes  parens  les  plus  chrétiens  l'amour 
charnel  &  déréglé  des  enfans;  8t  Ton  n'offre 
pas  toujours  au  -Seigneur  ,  comme  elle  ,  ni  ce 
qu'on  a  de  meilleur  ,  ni  peut  être  ce  qu'il  de- 
mandoit  de  nous.; Si  un  enfant paroît  plus 
propre  que  le§  autres  à  fontenir  la  gloire  de 
ion  nom  &  i'^Rime  publique  ,  on  le  fépare 
pour  la  terre  :  en  vain  mille  traits  d'une  voca- 
tion fainte,  paroilfent^  déjà  fur  fa  perfonne; 
on  réfîfte  à  l'ordre  de  Dieu  :  on  regarde  les 
pkis  faints  mouvemens  de  la  grâce  ,  comme 
des  légèretés  de  l'enfance  ;•  &:  fans  le  détour- 
lier  ouvertement  d'un  deffein  louable  ,  fous 
préteste  d'éprouver  fa' vocation  ,  On  la  lui  fait 
perdre.  Ce  n'eft  pas  que  je  prétende  ici  blâ- 
mer les  précautions  d'une  piudence  chrétien- 
ne Venais  je  blâme  les  vains  prétextes  delà 
cliàir-&  du  i*ang.  En  effet  ,  lorfque  les  îném.es 
defirs  de  retraite  fe  trouvent  dans  ceux"  de  vos 
çnfàns  ,  qui  par  Tordre  de  leur  nailîance  ,  ou 
par  la  médiocrité  de  leurs  tulens,  font  moins 
propres  au  monde ,  &  à  féconder  la  vanité  de 
vos  projets  ;  vous  n'êtes  pas  (î  difficiles  &  fi 


37^  i---^  ^njZ)//e5  des  Sermons. 
circoiïfpé^ts  :  loin  de  leu r  repréfenter  les  încon- 
véafens  d'un  choixtéméraire  ;  c'eft  vous-même 
qui  fe  leur  infpirçz.  Aufli  arrive-t  il  de-là  que  la 
honte  âe  vos  familles  devient  le  partage  du  Sei- 
gneur. Après  cela  vous  êtes  allez  injuiles  pour 
faire  du  dérèglement  &  de  l'ignorance  des  per- 
fonnes  confacrées  à  Dieu  ,  le  fujet  le  plus  or- 
dinaire de  vos  dérifions  &  de  vos  cenfures  ; 
mais  ne  font-ce  pas  les  mains  de  votre  cupidi- 
té qui  ont  placé  fur  FAutel ,  ces  idoles  mépri- 
fables  que  vous  infultez  ?  S'il  n'y  avoit  point 
dansFEglife  tantde  parens  avares ,  ambitieux , 
injuftes ,  on  n'y  verroit  pas  tant  de  Miniflres 
mondains  ,  fcandaleux ,  ignorans.  Telles  font 
les  inftruftions  que  la  Foi  découvre  dans  ce 
Myftere.  Confacrons-nous  donc  aujourd'hui 
au  Seigneur  avec  Jefus-Chriil  ;  mais  confa- 
crons-nous fans  referve  j  &  répondons  avec 
fidélité  5  comme  Marie,  aux  deffeins  de  Dieu 
fur  nous. 
m ========^==========^^ 

L  E    MF  S  T  E  RE 

DE  L* Incarnation. 

DIVISION.  Le  monde  ne  connoît  de  véritable 
grandeur^  que  celle  qui  frappe  lesfens  ;  de 
vrai  bonheur ,  que  celui  de  vivre  dans  lesplaifirs  \ 
de  raifon  ,  que  lafiznne  :  ce  font  là  les  trois  er- 
reurs principales  5  qui  forment  proprcm-ent  toute 
lafagejfe  humaine  ,  &  que  confond  la  fageffe 
de  Dieu  cachée  dans  le  Myftere  de  l'Incarnation, 
L  Un  Dieu  anéanti ,  rend  les  humiliaiions  hono' 
râbles.  IL   Un  Dieu  chargé  de  nos  douleurs  , 


Analyfis  des  Sermons,  379 

rend  les  fouffrances  aimables,  111,  Un  Dieu  uni 
à  Vhomme  ,  fait  taire  la  raifon  5  &  rend  la  foi 
même  raifonnahle. 

L  Partie,  Un  Dieu  anéanti^  rend  les  humi- 
liations honorables.  Pour  le  comprendre  ,  re- 
marquons quels  font  les  principaux  cara<£leres 
de  Torgueil  humain  ;  voyons  enfuite  Toppoii- 
tion  qu  ils  ont  avec  ranéantillement  du  Fils  de 
Dieu  ,  dans  fon  union  avec  notre   nature. 

I.  Le  premier  caraétere  de  Forgueil ,  efl 
cette  erreur  qui  fait  que  nous  fortons  ,  pour 
ainfi  dire  ,  de  nous-  mêmes ,  &  que  pour  nous 
étourdir  fur  le  fentiment  intérieur  &  humiliant 
de  notre  mifere  ,  nous  cherchons  avec  com- 
plaifance  dans  les  chofes  qui  font  hors  de  nous, 
les  biens  ,  les  titres  ,  la  naiffance  ,  &c.  une 
gloire  dont  la  fource  ne  devroit  être  que  dans 
nous-mêmes.  Or  les  circonftances  extérieures 
de  l'incarnation  diî  Verbe  ,  corrigent  les  hom- 
mes de  cette  première  erreur.  De  tous  les^ 
Myfleres  ^  celui  de  l'Incarnation  avoit  été  an- 
noncé delà  manière  la  plus  éclatante  &  laplus 
pbmpeufe;  cependant  rien  de  plus  obfcur  aux 
yeux  des  fens,  que  ce  qui  fe  pafTe  aujourd'hui 
à  Nazareth  :  c'eft  un  feul  Ange  qui  eft  envoyé , 
&  encore  fous  la  (implicite  de  la  figure  humai- 
ne ;  il  eft  envoyé  à  une  Fille  qui  n'a  rien  qui  la 
diftingue  dans  fa  tribu  ,  que  fa  pudeur  &  (on. 
innocence  ;  Nazareth,  où^emyftere  s'accom- 
plit ,  eft  la  ville  de  Juda  la  plus  méprifable  : 
perfonne,  Jofeph  lui-même  l'époux  de  Marie, 
n'eft informé  de  l'ambalTade  céîefte.  Dans  tous 
les  autres  myfteres  ,  les  abaiiîemens  du  Verbe 
font  mêles  d'éclat  &  de  grandeur  ;  ici  tout  efl 


5  8o  Analyfcs  des  Sermons. 

obfcur  :  rien  ne  parle  aux  fens  ;  parce  qu'ici  le 
delleiii  delà  fagelle  divine  efid'cii  corriger  les 
erreurs,  &  de  fubfiitûer  hs  nouvelles  vues  de 
îa  Foi  aux  anciennes  illufions  de  la  fageîfe  hu- 
maine. En  e^cî  5  dans  ce  Myileie  nous  appre- 
nons queTinnocence  &la  verîu  font  les  feules 
licheiles  de  riiomn-e  ;  que  tout  le  mérite  de 
Tame  £ds]e  eii  caché  dans  Ton  cœur  ;  eu  un 
mot .  que  la  grandeur  qui  n'eft  que  hors  de 
nous  5  neû  qu'un  preilige  qui  nous  joue  i  èl 
qu'on  n'eft  grand  qu'autant  qu'en  clt  fainî  : 
mais  pIÛL-à-Di»ii  que  ce  ne  fût  pas  là  encore 
aujourd'hui  une  fageife  inconnue  au  fieclô^l 

2.  Le  fécond  caractère  de rorgueil humain, 
eft  cette  forbleffe  qui  ne  compte  p'our  rien  le 
mérite  de  la  vertu  memç,,  tandis  qu'il  eit  ca- 
ché 5  8c  qui  ne  liait  du  vice  que  l'a  confufîon  & 
ropprobre  ;  comme  û  les  hommes  ne  pou- 
voient  êtres  grands  ou  méprifables,  que  dans 
ridée  des  autres  hommes  :  or  ,  Tanéantiffe- 
ment  du  Verbe  dans  ce  Myflere ,  confond  cet- 
te vaine  attention  aux  jugemens  humains.  Le 
Fils  de  Dieu  ne  dcrfcendant  fur  la  terre  que 
pour  glorifier  fon  Pcfe  ,  &  reprendre  dans  le 
cœur  des  hommes  leshomm.agesqueles  créa- 
tures lui  avoient  ravis  ,  ce  deiîein  dem.andoit, 
ce  femble ,  qu'il  fe  montrât  à  eux  dans  toute  fa 
gloire  :  cependant  ce  n'efl  pas  par  î'éclat  &  la 
majeflé  ,  qu'il  veut  triompher  de  nos  cœurs  ; 
c'eft  par  les  humiliations  &  les  opprobres  :  il 
cache  tout  ce  qu'il  QÎï  ;  en  un  mot  ,  il  paroît 
anéanti  dans  tous  fes  titres.  D'où  vient;uiie  con- 
duite fi  furprenante?  Laiffons  les  autres  raifons 
de  Tobfcurité  de  fon  miniftere  j  celles  qui  nous 


Analyfcs  des  Sermons,  381 

regardent ,  font  ,  premièrement  ,  qu'il  vou- 
loir apprendre  aux  Minières  chargés  de  la  dif- 
peniation  de  l'Evangile  ,  à  ne  rien  changer  à 
Tordre  de  Dieu  dans  les  fonctions  de  leur  mi- 
nidere,,  fous  prétexte  de  concilier  plus  facile- 
ment à  fa  parole  U^  fuffrages  des  hommes ,  & 
à  ne  pas  croire  qi:e  Dieu  ibit  plus  glorifié  par  la 
gloire  qui  leur  revit^nt  à  eux-mcmes.  Seconde- 
ment ,  il  vouloit  apprendre  aux  Fidèles  ,  que 
les  jugemens  des  hommes  ne  doivent  jamais 
décider  de  leurs  devoirs  ^qu'il  ne  faut  pas  s'en 
tenir  dans  le  feryice  de  Dieu  à  ce  que  le  mon- 
de approuve,  mais  à  ce  que  Dieu  demande  de 
nous  ;qae  i'obfcurité  ed  le  plus  sûr  afyle  delà 
verni  :  cspendant  prenons- y  garde  ,  les  gens  de 
bien  même  comptent  les  hommes  pour  beau- 
coup :  C'^.  qu  ils  loin  à.  leurs  yeux  &  aux  yeux 
dz  Dieii  .  ks  intéreiie  peu  :  ils  ne  paroilTent 
touçliis  qjîe  de  ce  qu'ils  font  au:^  yeux  des 
hôTTiipc",  :  &ç  Us  {çnî  fouvenî,  hélas  !  plus  nat- 
tas dé^&nfî'e?  v^f^^s  cJ.J'oa  leur  atJtribue  ,  qu'ils 
np  'r7;ith.«iTjilié?-:ps^  13  vérité  qui  leur  fait.fen- 
tir^kuîî§4é|ar«jtsi&' leurs  mifcr^s  réeUes. 

^.  Ls  iler^ii:^jÇ^x"a61:ere  de  l'orgueil^  eilcet- 
t ^  i rn p oûu r§  ^X^z  va n i té  q u i  c h e rc h e  la  gl o : re 
Gans:jes,  lKîi::!r;iIi^ti#;s  mêmeç:  car  il  n'eiiipref- 
que,  po^*.t(4il''*TyiÀté;ré*>lUs)i^&  rien  n'eft  plus 
W^S'V.Ç'lie  Ji|tf2ii?i2f  feu  M^Jontaire  ,quL  ne  con- 
duj-t,qj:jV:  l'hu9>jrwicQrc.>vçilà .réliueil.  que  les 
aViéanî..i:feK^.^s  du  Verhe  dans  ce  yi-yCiere  nous 
up^>renîjen,t:i:  éviter.:  il  fe, revêt  de  k  rclTem- 
blancQ  du  ;péçhé  vlîisk  ,  c'cit  pour  en  porter 
toute  la  hoLitc  :  il  fe  charge  de  nos  iniquités  , 
mais  pour  eu  être  la  vi-ctime  :  il  veut  paffer  pour 


381  Analyfes  des  Sermons, 

un  Samaritain  &  pour  un  ennemi  de  la  Loi , 
mais  c'eft  pour  être  puni  comme  un  fédu6î:eur: 
enfin  il  fe  cache  ,  lorfqu'on  veut  le  connoître 
pour  Roi  ;  mais ,  c'efl  pour  mourir  comme  un 
efclave.  Pour  nous  ,  hélas  !  les  œuvres  humi- 
liantes ne  nous  plaifent  prefque  jamais ,  que 
parce  que  nous  efpérons  qu'elles  tourneront  à 
notre  gloire  :  cependant  depuis  l'anéantifle- 
ment  d'un  Dieu  ,  eft-il  rien  de  plus  injuile 
pour  l'homme  ,  que  de  vouloir  s'élever  de 
quelque  manière  que  ce  foit  ? 

II.  Partie.  Un  Dieu  chargé  de  nos  douleurs 
doit  nous  rendre  lesfouffrances  aimables.  L'hom- 
me innocent  devoit  mener  une  vie  heureu- 
se &  tranquille ,  mais  l'homme  pécheur  eft  né 
pour  fouffrir  ;  cependant  le  plaifir  eft  encore 
le  penchant  dominant  de  cet  homme  crimi- 
nel ,  &  condamné  à  fouffrir  ;  il  n'a  jamais  pu 
aimer  les  fouffrances.  Il  falloit  donc  qu'un 
grand  exemple  lui  rendît  aimable  ce  qui  lui 
étoit  devenu  néceflaire  ,  &  qu'un  Dieu  fouffrît 
tout  pour  fauver  Thomme  ,  afin  que  l'homme 
apprit  &  aimât  à  fouffrir  pour  appaifer  fon 
Dieu.  Aufîi  le  miniflere  du  Verbe  incarné  5  ell 
un  miniftere  de  croix  &  de  fouffrances  :  il  n'an- 
nonce que  des  croiK  &  des  tribulations  ;  il 
n'appelle  heurei^^  que  ceux  qui  fouffrent  ;  & 
depeur  qu'on  ne  dbnnâtun  jour  à  fes  maximes 
des  interprétations  favorables  à  l'amour  pro- 
pre 5  il  a  voulu  expirer  entre  les  bras  de  la  dou- 
leur ;  &  fâ  doârine  n'eit  que  le  récit  de  fes 
exemples.  Puis  donc  que  le  Verbe  qui  ne  s'eft 
incarné  que  pour  nous  montrer  la  voie  du  Ciel , 
&  fatisfaire  pour  nous  à  la  juilice  divine  ,  eft 


Analyfcs  des  Sermons,  383 

venu  mener  ici- bas  une  vie  trifte&fouffrante, 
le  Chrétien  ne  peut  plus  fe  flatter  d'arriver  au 
falut  par  des  routes  douces  &  aifées  ;  car 
rhomine  Dieu  étant  le  chefdes  Chrétiens,  nous 
ne  pouvons  prétendre  au  falut  que  comme  fes 
membres  :  ck  qu'eft-ce  qu'être  membre  de 
Jefijs-Chriil:?  c'eft  fuivre  la  deftinée  du  chef, 
&  lui  être  conforme.  On  languit  toute  fa  vie 
dans  des  mœurs  indolentes  &  fenfuelles  \  &  fe 
livrer  fans  ceffe  à  tous  fes  goûts,  pourvu  qu'ils 
n'offrent  point  de  crime  ,  eft  ce  être  confor- 
m.e  à  Jefus-Chrift  ,  &  vivre  comme  il  a  vécu  ? 
eft-ce  être  animié  de  fon  efprit  ?  Ce  n'eft  pas 
ainfi  que  ces  hommies  apoftoliques  ,  qui  les 
premiers  vinrent  annoncer  Jefus-Chrift  à  nos 
pères  ,  leur  en  parlèrent  :  TEfprit  de  Jefus- 
Chrift  eft  une  fainîe  avidité  de  fouffrances , 
une  attention  continuelle  à  mortifier  l'amour 
propre  ,  &  à  retrancher  à  fes  fens  tous  les 
adoucilfemens  inutiles.  Voilà  le  fond  du  Chrif- 
tianifme  ,  &:  l'Eforit  de  Jefvis  Chriit;  {[  vous 
n'avez  pas  cet  efprit  ,  eu  vain  feriez-vous 
cxem.pî  des  crimes  grofners  .  vous  n'apparte- 
nez pas  à  Jefus-Chrift,  &  vous  n'aurez  point 
de  part  à  fon  royaume. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  confolant  pour  nous  ;  c'eft 
que  Jefus-Chrift  en  nous  faifant  une  loi  par  le 
caraâ:ere  feul  de  fon  miiniftere  ^  de  la  violence 
îkdu  renoncement,  nous  rend  en  miême  temps 
aimiable  la  croix  dont  il  nous  charge.  Souffrir 
"  ici-bas  étoitpour  nous  un  fort  inévitable  ;  mais 
fans  Jefus-Chrifirhomme  eût  fouifert  fans  con- 
foîation  &  fans  mérite.  Il  eft  donc  venu  adou- 
cir &fan£lifier  nos  fouffrances.Premiérem.çnt, 
.  fon  exemple  leur  ôte  tout  ce  qu'elles  avoient 


3^4  Analyfes  des  Sermon^;. 

d'abje6^&  d'haimiliant:  il  eft  beau  de  fouffrir 
après  lui  ;  il  ell  glorieux  de  marcher  fur  Tes  tra- 
ces. Secondement ,  l'oniftion  de  fa  grâce  adou- 
cit ce  que  la  violence  &  le  renoncement  avoient 
d'amer.  Je  conviens  que  fe  renoncer  fans  celfe 
foi- même  ;  que  ne  point  aimer  le  faile  ,  la  m.a- 
gnilicence  ,  la  joie ,  les  plaifirs  ,  &  fe  réduire 
à  une  m.odeflie  fimple  ^<.  chrétienne  ,  &  ren- 
fermer tous  tes  penchans  dans  le  iilence  ,  dans 
la  prière  &  dans  la  retraite  ,  eft  quelque  chofe 
de  très-pénible  ;  mais  la  fource  des  plailirs  vé- 
ritables n'eft  pas  dans  les  fens ,  elle  eft  dans  le 
cœi;r  :  or ,  c'eft-îà  que  Jefus-Chrift  porte  le  re- 
mède 5  &  la  douceur  de  fa  grâce  ;  tandis  qu'au 
dehors  tout  paroît  trifte,  rebutant,  douloureux 
pour  une  am.e  fidèle  ,  un  confolateur  invifîble 
remplace  ces  amertumes  par  des  délices  que 
le  cceur  de  Ihomme  charnel  n'a  jamais  goû- 
tées. Troifiémiement ,  les  promefTes  de  Jefus» 
Chrift  ôtent  aux  fouiîrances  tout  ce  qu'elles 
avoient  d  inutile  &  de  déferpérant*' Avant  fa 
manifeftaticn  dans  notre  chair  ,  on  fouiFroit 
pour  la  gloire  ,  pour  la  patrie  ,  &c.  mais  l'or- 
gueil étoit  un  foible  dédommagement  dans  .es 
foufiVances  ,  pour  l'homme  fur-tout  qui  veut 
être  heureux  ;  miaisle  Fidèle  qui  fouffre  «  qui  fe 
punit  lui  m.ême,  qui  porte  fa  croix^  a  un  ave- 
nir éternel  pour  lui  ;  quand  môme  fes  peines 
feroient  ici  bas  fans  confolation  ,  l'efpérance 
feule  qui  eft  cachée  dans  fon  fein  ,  les  adou-» 
ciroit.  Un  Dieu  manifefté  en  chair  ,  eft  le 
garant  de  fa  confiance  :  en  Jefas- Chrift  fes 
fouitrances  trouvent  un  prix  &  un  mérite  digne 
de  Dieu  j  en  faut- il  d'avantage  pour  nous 

les 


Analyfcs  des  Sermons.  385 

les  rendre    aimables  ? 

III.  Partie.  Un  Dieu  uni  à  Vhomme  fait 
taire  la  raifon  ,  &  rend  la  Foi  même  raifonna- 
ble.  Tout  eft  plein  aujourd'hui  de  chrétiens 
philofophes  5  &  de  fidèles  juges  de  la  Foi  :  on 
adoucit  tout  5  on  donne  un  air  de  raifon  à 
tout;  on  veut  entrer  dans  les  delFeins  de  Dieu  , 
fur  les  deftinées  des  hommes  ;  on  trouve  des 
inconvéniens  dans  Fhlftoire  vénérable  de  nos 
Livres  faints ,  &c.  Mais  depuis  que  nous  ado- 
rons un  Dieu  fait  homme  ,  c'eft  une  folie,  dit 
im  Père  ,  de  vouloir  raifonner  fur  tout  ce  que 
la  Religion  nous  propofe  d'inaccelFible  à  la 
raifon:  il  n'eft  plus  rien  d'incompréhenfible  que 
Jelus-Chrift  homme-Dieu  n'apolanilfe  &  ne 
rendre  croyable.  Ou  renoncez  donc  à  Jefus- 
Lhriltjou  avouez  que  Dieu  peut  faire  ce  que 
vous  ne  pouvez  comprendre.  Après  le  Myfte- 
re  de  1  Homme-Dieu  ,  la  Foi  ne  peut  rien  nous 
propofer  de  plus  élevé  ,  &  de  plus  inacceUi- 
ble  a  la  raifon  humaine.  Méditons  donc  ce 
Myftere  de  Jefus-Chrift  Homme-Dieu  :  il 
éclairera  notre  raifon  en  achevant  de  la  con- 
fondre ,  &  nous  conduira  à  fintelligence  ,  en 
nous  faifant  fentir  la  nécciTité  de  la  Foi.  Imi- 
tons  Marie  ,  qui  dans  un  Myftere  où  tout  eft 
nouveau  &  mcompréhenfible ,  où  elle  ne  trou- 


.  .  -'"  î'-^-^'-^'ii^iv- 5  uu  Clic  11c  irou- 

ve  nen  dans  1  hiftoire  des  merveiHes  du  Sei- 
gneur qui  puHVe  Ja  railurerpar  la  reffemblan- 
•  ce ,  au  lieu  de  dc:;'.er  comme  Zacharie  ,  ne 
■  veut  point  d'autre  garant  de  fa  Foi  ,  que  la 
I  toute-puilTance  &  la  vérité  de  celui  qui  .l'exige. 

Myjlires.  r 


3S6  Analyfes  des  Sermons. 

■  t.  ■■■■■'  .  .1  '     '* 

LE    VENDREDI    SAINT. 

Sur  la  Pajfion  de  Notre  Seigneur  Jefus-Chrlfl. 

DIVISION.  Voppofition  à  la  vérité ,  a 
toujours  été  le  caractère  le  ]dus  ejjenticl  du 
monde  ;  mais  la  mort  de  Jefus-Chrijl  e/î  la  plus 
<rrande  preuve  de  Voppofition  du  monde  pour  Id 
vérité  5  &  en  même  temps  le  plus  grand  témoi- 
gnage de  la  vérité  contre  le  monde. 

I.  P  A  R  T  I  E.  La  mort  de  Jefus-ChriJl  ejl 
ta  plus  grande  preuve  de  Voppofition  du  monde 
pour  la.vérité  ^  c  eft-à-dire  ,  pour  la  vérité  de 
fa  doariiie  ,  des  Ecritures  ,  de  fes  miracles  , 
de  fon  innocence  &  de  fa  royauté. 

I.  Oppofition  à  la  vérité  de  fa  doârine  ;  & 
c'eft  le  refped  humain  qui  la  forme  cette  op- 
pofition même  dans  fes  Difciples.  Qu'étoit-ce 
que  fa  doârine  ,  finon  une  préparation  aux 
croix  &  aux  fouffrances  ?  Cependant  dès  que 
le  monde  fe  déclare  contre  lui ,  les  Difciples 
chancelent ,  &  font  découragés  ;  &  voici  ]ul- 
Gu  où  le  refpea  humain  &  la  crainte  du  monde 
les  aveugle  fur  la  vérité  de  fa  do^rine.  Dans 
Judas ,  elle  forme  un  perfide  qui  trahit  fon  di- 
vin Maître  &  qui  fe  joint  à  fes  ennemis  pour 
le  perdre.  Le  même  refpeft  humain  eft  caufe 
de  la  défe^ion  des  autres  Difciples  ;  &  Pierre 
lui-  même  qui  loin  des  dangers ,  fe  promettoit 
tout  de  fon  courage  ,  n^eR  pas  à  l'épreuve  d  u^ 
jnc  fi  danpereufe  tentation  :  ilsP'ofe  s  avouer  le 
Difciple  du  Sauveur  ,  &  affeÛe  d'ignorer  juf- 
qu'au  nom  de  fon  divin  Maître  :  Non  novi 

hcminem,  .  .  ,    ,      1-    • 

2.  Oppofition  à  la  vérité  des  Ecritures , 


Andyfcs  des  Sermons,  387 

&  c'eft  ce  que  produit  la  jaloufie  dans  les  Prê- 
tres &  dans  ks  Doreurs.  Jefus  -  Chrift  les 
avoit  fouvent  renvoyés  aux  Ecritures ,  comme 
au  témoignage  le  moins  fufpea  de  la  vérité  de 
ion  miniftere.  Ce  témoignage  étoit  clair,  puiC- 
que  les  prédirions  des  Propketes  étoieiit  ac- 
complies :  mais  l'envie  qui  Iqs  aveugle  ,  l'em- 
porte fur  la  vérité  qui  les  éclaire  ;   &:   voici 
tous  les  caraé^eres  de  cette  injufte  pafîion.  Pre- 
mièrement, la  mauvaife  foi  :  ils  ne  peuvent  fe 
diflimuler  à   eux-mêmes  la  vérité  de  fes  pro- 
diges ;  &  au  lieu  de  le  reconnoitre  pour  le 
MefTie  ,  ils  fe' demandent  à  eux-mêmes  :  Que 
ferons- nous  ?  Quid  facimus  ,   quia  hic  homo 
mulîafignafacitl  Secondement,  la  baffeife  : 
ils  cherchent  eux-mêmes  en  fecret  un  faux  té- 
moignage contre  Jefus-  Chri/l.Troifiémement, 
la  dureté  :  ces  Jugescorrompus  livrent  le  Sau- 
veur a  1  infolence&  à  la  fureur  de  leursServi- 
teurs  &  de  leurs  Minières.  Quatrièmement , 
enhn  le  facrifice  des  intérêts  de  la  patrie  :  eux 
qui  deteiloient  le  joug  Aes  Incirconcis,  qui  fe 
yantoient  auparavant  de  n'avoir  jamais  été  fu- 
jets  m  enclaves  de  perfonne  ,   protègent  qu'ils 
n  ont  point  d'autre  Roi  que  Céfar. 

3-  Oppofiiion  à  la  vérité  des  miracles  du 
Sauveur;  &  c  eH  l'ingraritude  pouifée  jufqu'à 
la  fureur ,  qui  la  met  dans  le  peuple.  Témoins 
de  tant  de  prodiges  qu'il  avoit  opérés  à  leurs 
yeux,  li  paioiiToient  en  fouîe  à  fa  fuite  avec 
lesOi.cip.es;  ils  avoieut  voulu  l'établir  Roi* 
fur  eux  dans  le  défert  ,  loriqu'il  les  rafTafioit 
dune  nourriture   miracuîeufe  ;  &  ce  même 

^^Ù:^''^  '  ^^''^''''  aujourd'hui  con^ 
treJefas-Ciinft,  le  fuu  comme  un  féditieux 

Kl  ' 


15 S8  Analyfes  des  Sermons» 

&   demande  fa  mort  à  Pilate. 

4.  Oppofîtioii  à  la  vérité  de  fon  innocence  ; 
&  c'eft  ce  que  produit  dans  Pilate  une  ambi- 
tion  aveugle.  Le  Sauveur  du  monde  eft  traîné 
devant  ce  Magiftrat  infidèle  :  tout  prouve  à  Pi- 
late fon  innocence;  illa  reconnoît  lui-même  : 
mais  on  le  menace  de  la  difgrace  deCéfar;  & 
voici  tous  les  obftacles  qu'une  lâche  ambition 
met  dans  fon  cœur  à  la  vérité  qu'il  ne  peut  fe 
cacher  à  lui-même  Premiéremient ,  un  obfta- 
cle  de  difîimulation  &  demauvaife  foi  :  au  lieu 
de  renvoyer  abfolument  Jefus-Chrift  ,  il  pro- 
pofe  des  expédiens  pour  le  fauver  ,  &  fait  en- 
tendre contre  fa  confcience,  qu'il  a  befôin  de 
grâce.  Secondement ,  un  obftacle  de  haine 
contre  la  vérité  ,  qui  fait  qu'elle  lui  eft  à  char- 
ge ;  embarraffé  de  la  préférence  que  les  Juifs 
donnent  à  Barrabbas ,  il  demande  ce  qu'il  fera 
donc  de  ce  Jefus  qu'on  appelle  le  Chrift.  Troi- 
fiémement ,  un  obftacle  d'hypocrifîe  ,  qui  fait 
fervir jla.véribté^  même  aux  vues  de  l'ambition  : 
il  renvoyé  Jefus  à  Hérode  5  non  pour>con- 
ferver  la  vie  à  un  innocent ,  mais  pour  reçour 
vrer  l'amitié  de  ce  Prince  ,  qu'il  avoit  perdue. 
Quatrièmement  ,  un  obftacle  de  fauffe  conf- 
cicnce  ,  qui  fait  qu'en  facrifiant  la  vérité  à  des 
intérêts  humains ,  on  croit  encore  n'avoir  rien  à 
fe  reprocher  :  Pilate  voyant  que  les  tempéra- 
inens  ne  fervent  qu'à  allumer  de  plu^  en  plus  la 
fureur  des  Juifs ,  livre  enfin  le  Satiyeur  à  leur 
vengeance  ;  mais  en  même  temps  il  lave  Ces 
mains  :  il  confent  qu'on  le  faife  mourir  ,  &  il 
déclare  qu'il  n'eft  pas  coupable  de  la  mort  de  ce 
Jufte. 

5.  Oppojfîtion  à  la  vérité  de  fa  royauté  ;  & 


Analyfcs  des  Sermons,  389 

c^eftceque  produit  dansHérode  fon  impiété  : 
d'abord  par  un  mouvement  de  curiofité  ,  il  fou- 
haite  de  voir  cet  homme  dont  la  renom.mée 
publioit  des  chofes  fi  merveilleufes  ;  il  fe  pro- 
met d'en  être  lui-même  le  témoin;  il  fait  à 
Jefus-Chrifl  mille  queftions  inutiles  ;  m.ais  en- 
fuite  5  ne  voyant  aucun  miracle  ,  &:  n'en  pou- 
vant même  tirer  une  feule  parole  ,  il  le  mé- 
prife  ,  &  toute  fa  Cour  fuit  fon  exemple. 

IL  P  A  R  T  I  E.  La  mort  de  Jefus-Chrijl 
ejl  le  plus  grand  témoignage  de  la  vérité  con- 
tre le  monde. 

1.  La  mort  de  Jefus  Chrift  rend  témoi- 
gnage à  la  vérité  des  Ecritures  :  c'eft  la  clef  fa- 
crée  qui  ouvre  les  fept  fceaux  de  ce  livré  fer- 
mé ;  carfans  le  dénouem.ent  de  ce  grand  facrifi- 
ce ,  hs  livres  faints  font  incompréhenfibles; 
mais  la  mort  de  Jefus-Chriit  y  répand  un 
nouveau  jour.  A  la  faveur  de  ceMyftere  on  voit 
clair  dans  toutes  les  figures  ,  on  découvre  l'ef- 
prit  de  toutes  les  cérémonies ,  on  entre  dans  le 
fens  de  toutes  les  prophéties ,  on  fent  la  vérité 
6c  la  divinité  de  nos  Livres  faints, 

2.  Elle  rend  tém.oignage  à  la  vérité  de  fa 
do6lrine  ,  en  la  confirmant  par  fes  opprobres 
&  par  fes  foufFrances.  Toute  la  doctrine  du 
Sauveur  fembloit  fe  réduire  à  humilier  l'efprit 
&  à  mortifier  les  fens  :  or  comme  nul  Philo- 
fophe  jufqu'à  lui  ^  n'avoit  annoncé  aux  hom- 
mes ,  qu'il  falloit  aller  à  la  félicité  par  les  hu- 
miliations &:  par  lesfcuifiances  5  il  falloit  que 
l'exemple  du  Sauveur  confirmât  la  nouveauté 
de  fes  préceptes  ;  &  c'efl  ce  qu'il  a  fait  parles 
humiliations  &  les  douleurs  de  fa  mort:  auffi 
notre  impénitence  n'a-t-elle  rien  à  oppofer  au 


390  Analyfes  des  Sermons. 

grand  exemple  qu'il  nous  donne  aujourd'hui. 

3.  Jefus-Chrift  rend  témoignage  fur  la  croix 
à  la  vérité  de  fes  miracles  ,  en  les  renou- 
vellant.  Et  ce  ned  pas  tant  en  ouvrant  les  tom- 
beaux^en  brifant  les  rochers ,  en  obfcurciflant 
le  foleii,  &:c.  c'eii  en  converti/Tant  un  fcélérat 
qui  expire  à  fes  côtés  ;  c'eft  en  changeant  le 
cœur  du  Centenier  même  qui  préfide  à  fon 
fupplice  5  &  le  forçan'i  de  confeiîer  tout  haut 
fa  puilfance  &:  fa  divinité  ;  c'eft  en  touchant 
les  fpeâ:ateurs  de  fa  mort.  Voilà  le  grand  mi- 
lacle  de  la  mort  de  Jefus-Chrift;  la  conver- 
sion des   grands  pécheurs. 

4.  Jefus  Chrift  rend  témoignage  fur  la 
croix  à  la  vérité  de  fon  innocence  &  de  fa 
fainteté ,  en  priant  pour  (es  ennemis.  En  effet  ^ 
it  Cijriiâer'd  le  îTiCins  équivoque  de  la  fainteté, 
c'eil  d  aimer  ceux  qui  nous  outragent ,  &  de 
prier  pour  le  falut  de  ceux_qui  veulent  nous 
perdre  :  or  voilà  le  grand  témoignage  que  Je- 
fus-Chrift  rend  aujourd'hui  à  fon  innocence. 
Il  meurt  pour  ceux  qui  le  crucifient  5  &  il 
meurt  en  demandant  grâce-  à  fon  Père  pour 
fes  ennemis  :  Père  ,  panhnnei-Uur  ,  parce 
rquih  ne  favcnt  ce   qu'ils  font, 

5.  Jefus-Chrift  rend  témoignage  à  la  vë- 
lité  de  fa  royauté  ,  eu  conquérant  le  monde 
par  fa  croix.  Le  monde  lui  avoit  difputé  Té- 
clat  &:  la  réalité  de  fa  royauté  ;  il  ne  l'avoit 
traité  de  Roi  que  par  dérifion  :  toutes  les  mar-  - 
ques  de  fa  royauté  avoient  été  de  nouveaux 
opprobres  ;  m.ais  aujourd'hui  ces  marques 
honteufes  d'une  royauté  fi  humiliante  ,  devien- 
nent les  fignes  glorieux  de  fa  puiiîance  &  de 
fon  empire.  Mais  au  lieu  que  la  puiffance  &  le 


Analyfcs  des  Sermons,  391 

règne  des  Rois  de  la  terre  ,  finifTent  avec  eux, 
le  règne  de  Jefus-Chrift  ne  commence  à  écla- 
ter que  par  fa  mort  ;  &  {es  opprobres  font  la 
première  fource  de  fes  grandeurs  &  de  fa 
gloire.  En  effet  ,  depuis  qu'il  ed  mort ,  tout 
reconnoît  fa  fouveraineté  :  fa  croix  triomphe 
du  ciel  &  de  l'enfer  ,  de  l'aveuglement  des 
Juifs  5  de  l'incrédulité  des  Gentils ,  de  la  Bar- 
barie des  bourreaux  ,  de  i'endurciffement 
même   d'un  pécheur  mourant. 

LE     JOUR     DE    PAQUES. 

Sur  la  Rijurrcciion  de  Notre  Seigneur, 

DIVISION.  Jefiis-Chrijl  mort  pour  nos  pé- 
chés 5  refpdfcite  pour  noue  nidification. 
Comment  IL  parce  que  la  réjlirrecîion  de  Jefus- 
Chrijl  nous  anime  a  perfévcrer  dans  la  grâce 
reçue  :  IL  Parce  truelle  nous  apprend  à  y  perfé^ 
vérer,  La  réfurrecîion  de  Jefus-  Chrijl  eji  le  motif 
£*  le  modèle  de  notre  perfévérance, 

L  Partie.  La  réfurrecîion  de  JefusXhrljl 
nous  animt  à  perfévérer  dans  la  grâce  reçue. 
En  effet ,  les  principales  fources  de  i'inconftan- 
ce  des  hommes  dans  les  voies  d^  Dieu  ,  font 
ou  dans  l'affoifoliiTement  de  la  foi ,  ou  dans  la 
tiédeur  de  l'efpérance  :  or  ,  la  piété  chrétien- 
ne trouve  dans  le  myftere  de  la  rcfurredion  , 
des  préfervatifs  contre  ct^s  deux  écueils  ,  &: 
des  motifs  très  puiffans  pour  perfévérer  dans 
la  grâce. 

I.  La  piété  trouve  dans  la  réfurreélion  de 
Jefus -Chrift  ,  tles  préfervatifs   contre  l'affoi- 

R4 


392-  Anallfis  des  Sermons. 

blifTeinent  de  la  Foi  ,  &  cette  forte  d'incré- 
liulité  que  devance  prefque  toujours  le  cri- 
me :  car  ce  myftere  eft  le  grand  témoigna- 
ge de  la  Foi  chrétienne  ;  c'eft  en  lui  que  tous 
lesautresmyfteres  trouvent  leur  vérité  &  leur 
certitude  ;  puifque  ,  fi  Jefus-Chrift  eft  refiuf- 
cité  j  iiotte  foi  eft  certaine  ,  la  do£lrine  de 
l'Evangile  eu  divine ,  fes  promeffes  font  infail- 
libles. En  effet ,  û  Jefus-Chrift  eft  relfufcité  , 
il  étoit  donc  un  envoyé  du  Ciel ,  pour  annon- 
cer aux  hommes  la  doctrine  du  falut  :  car 
Dieu  véritable  &  fidèle  n'auroit  pas  voulu  . 
autorifer  Tim.pofture  ,  en  la  revêtant  du  caraç-  j 
tere  de  îa  vérité  :  denc  tout  ce  qu'il  nous  a  ' 
annoncé  j  eft  véritable.  Or  ,  Jefus  Chrift  eft 
relTufcité  :  nous  prouvons  ce  grand  miracle 
aux  incrédules  ,  premièrement  ,  par  les  pré- 
cautions mêmes  que  Cqs  ennemis  prirent  d'a- 
bord après  fa  mort;  fecondement,  parla  dé- 
pofition  des  foldats  ;  îroifiémement ,  pà'r  les 
apparitions  du  Sauveur  ;  quatriémiem.ent ,  par 
le  doute  des  Apôtres ,  avant  de  croire  ce 
miracle  ,  &  par  tout  ce  qu'ils  ont  fouifert  en- 
fuite  pour  rendre  témoignage  à  la  vérité.  Et 
voilà  ce  qui  foutient  la  foi  de  l'homme  jufte  : 
il  voit  dans  le  myftere  de  la  réfurreâ:ion  ,  tou- 
te la  Religion  alfurée;  leschâtimens  dont  elle 
menace  ,  certains  ;  fes  promeffes  infaillibles  9 
&  fes  préceptes  néceffaires,  &c.  Or  ,  quoi  de 
plus  propre  à  mettre  un  frein  à  rinconftance 
du  cœur  de  l'homme  ,  &  à  l'établir  dans  une 
piété  folide  &  durable ,  que  ces  grandes  véri- 
tés ?  Aufîi  les  Difciples  ,  témoins  de  la  réfur- 
reélion de  Jefus-Chrift,  ne  fe  démentent  plus, 
&  perféverent  jufqu'à  la  fin  dans  ïa  prière ,  & 


Analyfcs  des  Sermons,  393 

dans  le   miiiiflere   de    la  parole  faintCo 

Mais  nous  fommes  les  enfans  des  Saints  qui 
virent  Jefus-Chrift  reflufcité  ,  &  qui  ladoie- 
rentfur  la  montagne  de  Galilée  :  nous  avons 
vu  dé  leurs  yeux  ,  &  touché  de  leurs  mains  : 
pourquoi  retournerions-nous  donc  encore  en 
arrière  ?  Si  ce  Myfîere  rend  notre  foi  certaine 
&  inébranlable  ,  pourquoi  laifTeroit  il  encore 
des  inconftances  à  notre  cœur  ?  S'il  feroit 
monftrueux  ,  après  tant  de  preuves  ,  dit  faint 
Auguftin  ,  de  ne  pas  croire  ,  l'eft-il  moins  de 
croire  ,  &  de  vivre  comme  lî  Ton  ne  croyoit 
pas  ? 

z.  La  piété  trouve  dans  la  réfurreftion  de 
Jefus-Chrift  des  préfervatifs  contre  la  tiédeur 
de  refpérance  :  car  ce  myftere  ,  première- 
ment, ralTure  notreefpéranceyfecondement^ 
il  la  confole  ;  troifiémement ,  il  la  corrige. 

Premièrement ,  la  réfurre6^ion  de  Jefus- 
Chrift  rafîure  notre  efpérance  ,  parce  que 
nous  favons  ,  comme  dit  l'Apôtre  ,  que  nous 
lui  ferons  un  jour  femblabies  ,  &  que  nous 
fuivrons  la  defîinée  de  notre  chef;  que  fa  ré- 
furredion  feroit  inutile  5  fî  nous  ne  devions 
pas  relTufciter  avec  lui  :  nous  favons  nue  nos 
frères  qui  nous  ont  précédés  avec  le  figne  de 
la  Foi  5  &  qui  dorment  en  Jefus-Chriiî  dans 
le  fomm.eil  de  la  paix ,  n'ont  pas  péri  fans 
reffource,  quoiqu'ils  aient  difparu  à  nos  yeux. 
Or  ,  dans  le  fouvenir  de  ces  vérités  ,  que  de 
puiflans  motifs  pour  affermir  une  ame  dans  la 
grâce  &  dans  le  fervige  de  Dieu  1  puifque 
nous  re  (Tu  fc  itérons  pour  ne  plus  mourir,  nous 
ne  devons  donc  rien  nous  permettre  q\n  uq 
foit  digne  de  l'éternité  bienheureufe. 

R5 


394  Analyfes  des  Sermons. 

Secondement  5  elle  confole  notre  efpéraiice. 
Si  la  piété  a  Tes  douceurs ,  elle  a  aufCi  (es 
amertumes- 5  puifque  la  vertu  ne  fe  conferve 
que  par  des  combats  &  des  facrrfices  conti- 
nuels ;  &  fi  vous  vous  re^âchez  un  moment , 
vous  êtes  perdu.  Or  ,  dans  ces  dangereufes 
épreuves ,  rien  ne  foutient  &.  ne  confole  l'amiC 
jfïdele  ,  comme  refpérance  de  la  rérurreâ:ion  : 
ce  corps  de  péché  qui  Fappéfantit  ,   elle  fent 
qu'il   fera  bientôt  conforme  à  celui  de  Jefus- 
Chrift  glorieux  &  refiiifcité  :  dans  les  afflic^ons 
qui  lui  arrivent  du  côté  des  créatures  ,  il  n'en 
eft  aucune  que  cette  efpérance  n'adouciffe. 
C'eft  par  cette  efpérance  ,  que  Job  fur  fon  fu- 
mier voyoit  tranquillement  fon  corps  tomber 
en  pièces  :  c'eft   par  cette  efpérance  que  les 
Apôtres  '&  les  premiers  Fidèles  fe   réjouif- 
foient  dans  leurs  tribulations  :  ils  croyoient 
fans  cefî'e  voir  arriver  Jefus-Chriftdu  haut  des 
airs  ;  auÏÏi  ,   au  milieu  des  tourmiens  ,  ils  dé- 
ficient avec  une  fainte  fierté  la  barbarie  des 
t^'rans.  Tel  étoit  l'efprit  de  ces  (iecles  heu- 
reux :  une  vaine  fpiriîualité  n'avoit  pas  enco- 
re  interdi    ces   divines  confolations  à  la  ver- 
tu. En  effet  ,  le  jufte  feroit  bien  à  plaindre  , 
t"û  n'y  avoir  pour  lui  d'efpérance  qu'en  cette 
vie,' L'Evangile  ,  en  un  fens  ,  ne  fait  que  des 
•malheureux  felcn  le  monde  ;  &  s'il  n'y  a  plus 
rien   à    efpérer  après  cette  vie  ,   rien  n'égale 
l'infortune  d'unDifciple  de  Jefus-Chrift.  Auf- 
^  T:>oint  de  règle  plus  sûre  que  celle  ci  ,  pour 
CDnnoître  li  l'on  eft  véritablement  difciple  de 
^Jeftis-Ghrift  ,  ou  enfant  du  ficcle  :  feriez- vous 
«à^plaindre,  s'il  n'y  avoir  point  de  réfurreâ:ion 
à  efpérer  Ift  vous  n'attendiez  qu'un  anéantiife- 


Analyfes  des  Sesrmons,  395 

ment  éternel  après  cette  vie  ,  vous  faites-vous 
allez  de  violence  en  celle-ci  5  pour  dire  avec 
l'Apôtre  :  Si  nous  ncfpérons  en  Jcfus-Chrijï  qu2 
pour  cette  vie  ,  nous  fouîmes  les  plus  mallieureux 
de  tous  les  /lommdi.Quand  la  Religion  ne  feroit 
qu'un  fonge  ,  feriez-vous  fort  trompé  dans  vos 
mefures  ?  Les  premiers  Fidèles  avaient  droit 
de  dire  ,  que  (i  Jefus-Chrift  n'étoit  pas  relTuf- 
cité,  tout  étoit  perdu  pour  eux  ;  eux  qui  facri- 
fîoient  tout  à  cette  éfpérance  ;  eux  qui  n  a- 
voient  aucune  autre  confolation  fur  la  terre  : 
mais  vous  qui  ne  facriiiez  aux  promeiles  de  la 
Foi  5  ni  plaifîrs  ,  ni  goûts,  ni  fuperfluités  ;  que 
Jeflis-Chrift  foit  relîufcité  ,  ou  qu'il  ne  le  (bit 
pas ,  en  étesvous  plus  ou  moins  à  plaindre  ? 
dès-là  cependant  vous  n'êtes  plus  Chrétien. 

Troifiémement  ,   elle  corrige  notre  éfpé- 
rance ,  parce  qu'elle  nous  propofe  les  moyens 
^ui   feuls  nous   donnent  droit  d'efpérer  ,  en 
nous  apprenant  qu'il  n'eft  pas  pofTible  de  cher- 
'Cher  fa  félicité  fur  la  terre  ,  &  d'efpérer  en 
Jefus-Chrift.  Mais  de  plus  ,  comme  une  des 
^taufes  ordinaires  de  nos  rechûtes  après  la  [o- 
lemnité  ,  eft  de  nous  perfuader  que  le  retour 
;à  la  grâce  eft  facile  ,  &  ainfi  d'efpérer  contre 
l'efpérance  ,  le  myftere  de  la  réfurreélion  de 
JefuS'ChrlR  corrige  cette  erreur  fî  commune 
&:  fi  dangereufe.  Car  ,  puifque  le  bienfait  de 
la  réfurrcdion  n'a  été  en  Jefus-Chrift  que  le 
prix  du  plus  douloureux  de  tous  les  facrifî- 
ces  ,  &:  que  fa  réfurrec^ion  eft  le  modèle  de 
la  nôtre  ,  nous  devons  en  conclurre  ,  que  fi 
nous  retombons  ,  il  faudra  palier  par  de  ter- 
ribles épreuves  ,  pour  arriver  au  renouvelle- 
.meûî^^ie  la péritene-e  5  êc  mêm^  la  grâce  d'une 

R6 


59^  Andlyfcs  des  Sermons. 

lecoude  pénitence  nous  fera- telle^ accordée, 
cette  grâce  qui  eft  rare  ?  Confervons  donc 
prétieufement  mi  tréfcr  Ci  difficile  à  lecou- 
vrer.      > 

II.  Partie.  La  réfunecHon  de  Jefus-Chrijî 
nous  apprend  a  perfévérer^  elle  ejl  le  modèle 
de  notre  perféverance.  Jejus-Chrijl  rejTufcité 
d'entre  Us^ morts  ne  meurt  plus  ,  dit  l'Apôtre  , 
la  mort  na  plus  dkmp ire  fur  lui  ;  parce  que  fa 
réfurredion  rdifenne  un  renouvellement  en- 
tier &  parfait  ;  qu'il  n'a  plus  rien  de  terreftre 
au  Ibrtir  du  tombeau  ;  &}que  la  mort  a  été  ah- 
forhée  dans  fa  propre  victoire.  Voilà  le  modèle 
&  le  moyen  de  notre  perfévérance.  Voulons- 
nous  ne  plus  retomber?  il  faut  que  tout  ce  qui 
étoit  en  nous  de  terreftre  &  de  mortel  foit  dé- 
truit ,  &:  que  nous  foyons  des  hommes  tout 
renouvelles  &  tout  céleftes.  Cependant  l'er- 
reur commune  regarde  le  temps  Pafcal  comme 
un  tem;ps  de  relâchement  &  de  repos  ;  mais 
c'eft  tout  le  contraire.  Si  vous  voulez  confer- 
ver  la  grâce  de  la  réfurredion  ,  il  doit  être 
pour  vous  un  temps  de  renouvellement  &  àe 
ferveur  ;  en  voici  les  raifons. 

I.  Si  vous  croyez  pouvoir  vous  permettre 
des  mœurs  plus  douces  ,  &  un  ufagie  plus  li- 
bre des  plaifirs  dans  le  temjps  Paical  ,  *parce 
que  TEglife  paroît  dans  l'allégreiîe  en  ce  faint 
temps  5  faitesiréfiexion  que  l'allégreiTe  dé  l'E- 
glifen'eft  fondée  que  fur  laviâoire  qne-Jefus- 
Chriil ,  êc  tous  les  Fidèles  avec  lui  ,  rempor- 
tent aujourd'hui  fur  le  péché  ;  qu'a^infî  ,  fi 
vous  êtes  encore  fous  l'empire  du  péché,  elle 
cft  encore  couverte  d'un  deuil'^nvifible,  & 
gémit  en  feciet  devant  fon  Epoux.  D'ailleuis 


Analyfcs  des  Sesrmons,  '  397 
Je  temps  de  la  vie  préfente  n'eft  pas  le  temps 
de  fa  joie  :  elle  y  gémit  fans  cefle  \  elle  foupi- 
re  fans  cefTe  après  fa  délivrance  ;  &  fes  chants 
de  joie  ne  fauroient  être  que  des  defiis  dëter- 
nité  ,  &  de  vifs  empreffemens  d'être  réunie  à 
l'Eglife  du  Ciel.  Voyez  fi  vous  entrez  dans  TeC 
prit  de  l'Eglife  ,  en  faifant  confifter  le  privi- 
lège de  la  réfurre6èion  dans  un  ufage  plus  li- 
bre des  plaifirs ,  &  dans  la  rareté  des  prières 
&  des  autres  devoirs  de  la  Religion. 

2.  Si  après  une  vie  criminelle  ,  vous  avez 
été  affez  heureux  pour  recouvrer  en  ces  jours 
votre  innocence  par  la  grâce  des  Sacremens  9 
vous  êtes  donc  de  nouveaux  enfans  de  la  grâ- 
ce :  or  dans  cet  état  d'enfance  &c  de  foiblelTe  j 
plus  faciles  à  féduire  ,  ne  vous  faut-il  pas  plus 
de  fecours  &  de  précautions  pour  vous  foute- 
nir  ?  D'ailleurs  fi  vous  ne  faites  que  de  fortir 
de  vos  mœurs  criminelles  ,  vous  n'avez  donc 
encore  rien  fait  pour  les  expier.  Vous  avez  gé- 
mi au  tribunal ,  il  eft  vrai  ;  mais  ce  ne  font  pas 
là  \^%  feuls  fruits  de  la  pénitence.  Vous  n'avez 
donc  pas  encore  commencé  à  expier  vos  cri- 
mes ;  &  vous  voulez  vous  permettre  àçs  adou- 
ciflemens  ?  eft-il  temps  de  fe  repofer  à  l'entrée 
même  de  la  carrière  \  Il  peut  arriver  quelque- 
fois qu'à  la  fin  de  la  courfe  ,  on  fe  relâche»; 
mais  les  commencemens  doivent  être  fervens  : 
c*eft  là  le  caraftere  de  la  première  grâce.  Si 
donc  vous  commencez  par  la  chair ,  comment 
fînirez-vous  par  l'efpwt  ?  De  plus  ,  votre  pro- 
pre expérience  vous  apprendra  que  les  tenta- 
tions ne  font  jamais  plus  violentes  que  dans  un 
commencement  de  nouvelle  vie  ;  parce>  qàe 
le  Démon  ,  furieux  d'avoir lailTé'écbapjîeip  ii 


^98  Analyfes  des  Sermons. 

proie  y  tnQt  tout  en  œuvre  pour  la  recouvrer. 
Les  tentations  étant  donc  alors  plus  vives  , 
&  la  piété  plus  foible  ,  n'eft-il  pas  évident  que 
la  fidélité  &  la  vigilance  ne  furent  jamais  plus 
fiécefTaires  que  dans  ces  commencemens  ? 

3.  Puifque  l'Eglife ,  en  ce  faint  temps ,  four- 
nit moins  de  fecours  extérieurs  à  la  piété  des 
Fidèles ,  vous  devez  remplacer 'ce  défaut  par 
un  renouvellement  de   zèle  &  d'attention  ; 
car  pour  vous  qui  êtes  encore  foible  dans  la 
Foi ,  cette  privation  de  fecours  fenfibles    a 
fes  dangers.  Il  eft  à  craindre  que  ne  trouvant 
plus  autour  de  vous  les  appuis  extérieurs  de 
la  piété  ,   vous  ne  puifîiez  vous  foutenir  tout 
feul  ;  &  que   la  fainte  liberté  de   ce  faint 
temps  5  ne  foit  pour  vous  une  occafion  de 
•chute  &  de  libertinage.  D'ailleurs  entrez  dans 
l'efprit  de  l'Eglife:  depuis  la  naiffance  du  Sau- 
veur jufqu'à  fa  réfurreôion,  &  à  l'efFufion  de 
•fon  Efpriî faint  que  nous  attendons ,  ellevous 
a  tenus  fous  fes  ailes  ,  pour  ainii  dire  ,  corn- 
•'me  des  petits   qu'elle  enfantoit  ,  &  qu'elle 
vouloir  formera  Jefus-ChrilLMais  déformais, 
•ces  Myfteres  étant  accomplis  ,  elle  regarde 
Con  ouvrage  comme  achevé  en  vous  ;  &  vous 
legardant  coinme  des  hommes  tout  eélelies  , 
fclie  fe  retire  dans  le  fêcret  de  fon  fanâ:uaire  , 
'*&  ne  propofe   à  votre  piété  que  le  myftere 
ine^ftable  de-l*unité  de  l'elTence  divine  ,  &  de 
4a  Trinité  desperfonnes,  qui  fait  toute  l'occu- 
-pation  8t  tout  le  culte  des  Bienheureux  ;.par- 
-ce  qu'elle  croit  que  vous  mènerez  déformais 
4ine  vie  toute  célefte.  Jugez  fî  vous  devez  vi- 
•vre  feîon  les  fens ,  dans  un  temps  où  l'Eglife 
fupp^fe  -que  ^vaire  vie  eft^nfia  tpute^caûhée 


Anâlyfc^  des  Sermons.  3:99 

en  jy'tcu  avec    Jefus-Chrift. 

4.  Mais  fuppofons  qu'une  vie  molle  &  moins 
attentive  ne  fût  pas  dangereufe  pour  la  piété 
après  lafolemnité  fainte  ,  elle  feroit  du  moins 
injufte  pour  la  plupart  des  Fidèles.  Le  Jufte 
arrivé  au  bout  de  cette  fainte  Quarantaine  , 
a  droit  d'eiîuyer  fes  larmes,  &  de  goûter  avec 
rEglife  les  confolations  fenfibles  de  ce  faint 
temps  ;  lui ,  qui  loin  de  fe  difpenfer  de  la  fa- 
vérité  de  fes  Loix ,  y  a  ajouté  des  rigueurs  de 
furcroit.  Mais  ceux  qui  au  lieu  d'avoir  été  pé- 
nitens  pendant  le  Carême  ,  ont  été  prévarica- 
teurs de  la  loi  commune  même  de  la  péni^ 
tence  ;  qui  ont  porté  au  myftere  de  la  Réfiir* 
recèion  des  paffions  au/Ti  vives  &  aulîi  entiè- 
res qu  elles  Tétoient  avant  ces  jours  de  ma- 
cération &  d'abftinence;  ah  !  ceux-là  ,  loin  de 
fc   permettre   aujourd'hui   des  délalTem.ens  , 
doivent  fe  mettre  en  état  de  réparer  leur  lâ- 
cheté palTée  ,  &  changer  ce  temps  de  joie 
en  un  temps  de  deuil  &  de  trifteffe. 

Au  refte  5  la  grâce  ne  peut  fe  conferver 
que  par  les  mêmes  voies  par  où  on  Fa  recou- 
vrée. Vous  avez  employé  ,  pour  la  recouvrer , 
les  larmes  ,  la  componâ:ion  ,  une  vive  hor- 
reur de  vos  fautes  ,  l'éloignement  des  occa- 
fions ,  une  conviâ:ion  fincere  de  votre  foi- 
hlelïe ,  &  du  befoin  que  vous  aviez  de  prière 
&  de  vigilance  ,  la  fuite  du  monde  &  de 
fes  plailîrs  ,  &c.  Voilà  le  plan  de  vos  devoirs 
jufqu'à  la  fin  :  fuivez  toujours  ces  routes  heu- 
.reufes ,  qui  vous  ont  conduit  à  votrç  délivran- 
ce 5.  Se  vous  perfévérerez.  Vous  relâcher,  ce 
feroit  tout  perdre  ,  &  rifquer  tout  le  fruit 
de  vos  travaux  paffés. 


400  Analyfes   des  Sermons. 

LE   JOUR  DE   LA  PENTECOTE. 

Caraclcres  de  VEfvrlt  de  Jefus-Chrijl  y  ù  de 
Vcjprit  du  monde. 

L  T    ^  premier  caraélere   de 

Caractère.  JLj  refprit  de  Jefus-Chrift  , 
c'eft  d'être  un  efprit  de  iéparation ,  de  recueil- 
lement &  de  prière.  A  peine  les  Apôtres  en 
ont  été  rempHs  ,  qu'ils  renoncent  à  tous  les 
autres  foins  extérieurs  ,  pour  ne  vacqiier  plus 
qu'à  la  prière ,  &  au  miniftere  faint  de  la  pa- 
role ;  eux  qui  auparavant  étoient  (i  charnels 
&  fi  di/Tipés  ,  &  ignoroient  même  comment 
il  falloit  s'y  prendre  pQur  prier.  Voilà  le  pre- 
mier changement  que  l'Efprit  de  Dieu  opère 
dans  une  ame  :  au  lieu  du  plaifir  qu'elle  trou- 
voit  auparavant  à  fe  répandre  fur  les  objets 
extérieurs  ,  la  plus  douce  occupation  d'une 
ame  que  l'Efprit  de  Dieu  pouffe  &  remplit , 
c'eft  de  fe  rappeller  à  elle-même  ,  parce  que 
c'eft  au  dedans  d'elle  qu'elle  trouve  fon  Dieu  : 
aufîi  n'en  fort- elle  qu'à  regret  ;  &  au  milieu 
même  du  tumulte  &  des  entretiens  du  fieclcj 
elle  fe  fait  une  folitude  fecrette  dans  fon  cœur, 
\où  elle  s'entretient  fans  ceffe  avec  le  Seigneur. 
Voilà  pourquoi  l'Apôtre  appelle  l'homme 
chrétien  ,  l'homm.e  fpirituel  &  intérieur  ;  & 
l'hom.me  mondain  &  pécheur,  l'homme  exté- 
rieur 5  pour  nous  apprendre  que  dès  qu'une 
ame  a  reçu  l'Efprit  de  Dieu  ,  &  qu'elle  en  eft 
véritablement  animé ,  toute  fa  vie  eft  pre/que 
invifible  ôt  intérieure  ;  fes  aftions  les  plus 


Analyfes  des  Sermons,  401 

communes  deviennent  faintes  par  la  foi  fe- 
crette  qui  les  purifie  ^  l'Efprit  faint  i;^gle  fes 
defirs ,  réforme  fes  jugemèns ,  renouvelle  fes 
affections  ,  fpiritu^life  fes  vues  :  t^out  qe  qu*el* 
le  voit  ,  elle  ne  le  voit  plus  qu'avec  les  yeux 
de  la  Foi  ;  le  monde  entier  n'ed  plus  qu'un  li- 
vre ouvert ,  où  elle  découvre  fans  ceffe  les  mer- 
veilles de  Dieu  ,  &  laveuglement  prodigieux 
de  prefque  tous  les  hommes. 

Ce  n  eft  pas  que  les  objets  des  fens  ne  puif- 
fent  quelquefois  la  furprendre  &:  la  féduire  ; 
mais  ce  ne  font  là  que  des  furprifes  &  des 
abfences  d'un  moment.  Avertie  d'abord  de 
fon  égarement  par  les  reproches  fecrets  de 
l'Efprit  de  Dieu  qui  habite  en  elle  ,  elle  ren- 
tre auHî-tôt  en  elle-même  ,  d'où  le  monde 
l'avoit  comme  tirée.  Voilà  cet  efprit  de  foi  , 
de  recueillement  6c  de  prière  ,  qui  nous  rend 
témoignage  que  nous  avons  reçu  l'Efprit  de 
Dieu  :  auffi  les  Juftes  ,  ^lans  les  Livres  faints, 
font  ceux  qui  vivent  de  la  Foi  ;  qui  étrangers 
&  voyageurs  fur  la  terre  ,  &  citoyens  du  fie- 
cle  à  venir ,  rapportent  tout  à  cette  patrie 
éternelle  ,  vers  laquelle  ils  marchent  fans 
ceiTe  ,  &  ne  comptent  pour  rien  tout  ce  qiji 
fe  pafle. 

C'effà  nous  maintenant  à  nous  juger  fur  ce^- 
te  règle.  Trouvons-nous-en  noiis-mêmes  ce 
premier  caractère  de  l'efprit  (de  Dieu  ?  Exa^- 
minons  ce  qui  domipe  dans  nos  jugemens  t, 
dans  nos  defirs ,  dans  nos  affections ,  dans  nos 
vues  5  dans  nos  projets ,  dans  nos  efpérances  , 
dans  nos  joies  &  d^ns  nos  chagrins.  Héla,s! 
notre  vie  eft  une  yie  toute  extérieure  ,  qui  fe 
paffe  toute  hors  de  notre  coeur  ,  par  confé* 


401  Analyfes  des  Sermons, 

quent  loin  de  Dieu.  C'eftrerprit  du  monde  qui 
forme  nos  defîrs ,  qui  conduit  nos  affeé^ions , 
qui  règle  nos  jugemens,  qui  produit  nos  vues, 
qui  anime  toutes  nos  démarches.  S'il  arrive 
qu'en  certaines  occafîons  nous  ayons  quelque 
fentimens  chrétiens ,  &  des  vues  conformes  à 
celles  de  la  Foi  ;  ce  ne  font  là  que  des  étincel- 
les de  foi  5  pour  ainfi  dire  ,  qui  nous  échap- 
pent; que  des  intervalles  de  grâce  ,  quinlnter^ 
rompent  que  pour  un  inftant  le  cours  de  nos 
difpiofitions  mondaines  ;  &  ce  qui  domine  dans 
la  conduite  ,ce  qui  fait  le  corps  de  toute  notre 
vie  5  ce  qui  e^  le  principe  de  tous  nos  fenti- 
mens  ,  c'eft  refpiit  du  monde.  Or  ,  l'Efprit 
de  Di^u  ne  règne  point  où  règne  Tefprit  du 
inonde  :  nous  appartenons  donc  encore  an 
inonde  &  à  Ton  efprit;  &  fous  des  dehors 
religieux  &  réglés  ,  notre  cœur  eft  encore 
mondain. 

1 1.  Caractère.  Le  fécond  caraiftere  de 
refprit  de  Di^u  ,  c'ejft  qu'il  eft  im  efprit  de  re- 
noncement 6>c  de  pénitence  ;  &  ce  caractère 
eftune  fuite  néceifaire  du  renoncement ,  &  de 
la  vie  intérieure  dont  nous  venons  de  parler. 
En  effet ,  dès  que  l'Efprit  de  Dieu  nous  rap- 
pelle à  nous-mêmes  ,  il  nous  découvre  bien- 
tôt que  notre  cœur  ,  notre  efprit  ,  notre  ima- 
gination 5  nos  fens ,  notre  corps  en  un  mot , 
que  tout  eft  déréglé  en  nous  ^  &  révolté 
contre  Tordre  ,  la  vérité  &  la  juftice.  Or  ,  il 
eft  impofîrble  qu'en  nous  décoirvrant  ce  dérè- 
glement univerfel ,  il  n'opère  en  nous  deux  dif- 
politions  ;  la  première,  de  rétablir  l'ordre  que 
le  péché  a  troublé  en  nous  ;  la  féconde ,  de 
venger  la  juftice  de  Dieu  que  ce  défordre  a  ou- 
tragé. 


Analyfcs  des  Sermons.  40^ 

h  Difpojîtion.  Rétablit  l'ordre  que  le  péché 
a  troublé  en  nous.  Caries  lumreres  dont  l'Ef- 
prit  de  Dieu  remplit  un  cœur ,  ne  font  pas  des 
lumières  flériles  :  il  fait  aim.er  les  vérités  qu'il 
enfeigne.  Ainfî  une  ame  que  TEfprit  de  Dieu  a 
renouvellée ,  hait  en  elle  tout  ce  qu'elle  y  dé- 
couvre d'oppofé  à  la  vérité  &  à  la  juftice  ,  &C 
s'anime  d'un  faint  zèle  pour  rapprocher  fes  af- 
fe£^ions  &  fes  penchans ,  de  l'ordre  &  de  la  re* 
gle.  Il  eftaifé  de  juger  là  delfus  û  nous  avons 
reçu  l'Efprit  de  Dieu ,  ou  fi  nous  vivons  encore 
de  l'efprit  du  monde  :  car  au  lieu  que  l'ame  que 
TEfprit  de  Dieu  poffede  ,  met  toute  fon  atten- 
tion à  rétablir  dans  fon  cœur  par  des  violences 
continuelles  5  l'ordre  que  des  payons  injuiics 
y  avoient  troublé  5  ^  qu'elle  ne  fe  pardonne 
rien  ;  l'efprit  du  monde  au  contraire  -eu  un  ef- 
prit  de  parefTe  &  d'immortification  ,  un  efprit 
d'indulgence  ponr^tous  nt)s  penchans  déré- 
glés 5  d'attention  à  les  fatisfaire  5  d'habileté  à 
les  jufiifrer  ,  d'amour  propre  qui  les  TcgÏQ  5  & 
îesretientfur  les  tranTgreflionsefTentielles  pour 
s'en  épargner  les  remords  ,  mais  qui  fur  tout 
le  refle  s'y  livre  ,  &  s'y  laiffe  entraîner.  Si 
donc  nous  ne  faifons  aucune  violence  à  nos 
penchans  ;  s'il  ire  nous  en  coûte  rien  poirr  nous 
combattre  &:  peur  nous  vaincre  ;  fi  nous  ne 
foufFroiîs  rien  pour  être  à  Dieu  ;  fi  la  régularité 
de  notre  vie  eil  peut-être  fimplemcnt  la  fuite 
de  notre  tempérament,  ouunebienféanceque 
l'âge  &  le  monde  lui-mêmiC  nous  impofe ,  &c. 
nous  appartenons  encore  au  monde  ,  &  TEf- 
prit  de  Dieu  n'efl  point  en  nous. 

1 1,  Difpofiîion,  Venger  la  juftice  de  Dieu 
que  le  défordre  de  nos pîîfîions  a  outragée  ;  8c 


404  Analyfes  des  Sermons, 

c'eft  là  le  premier  fentiment  que  rEfprit  de 
Dieu  opère  dans  une  ame  renouvellée.  Il  la 
fait  entrer  dans  les  intérêts  de  la  juftice  divine 
contre  elle-même  ;  il  la  pénètre  de  la  crainte  de 
fes  jugemens;  il  Tanime  d'un  faintzele  contre 
une  chair  qui  afervi  à  Tiniquité.  Pour  connoître 
donc fî  nous  avons  reçu  refprit  de  Dieu  ,  il  n'y 
a  qu'à  rentrer  dans  notre  cœur.  Sentons- nous 
ce  zèle  de  pénitence  ,  que  les  larmes ,  que  les 
gémilTemens ,  que  les  violences  ne  lauroient 
fatisfaire,  parce  qu'il  ne  croit  jamais  lui-même 
avoir  afTezîatisfait  àlajuftice  de  Dieu  ?  Hélas  1 
tous  nos  loins  fe  bornent  à  flatter  une  chair  que 
la  Juiîice  divine  ne  regarde  plus  que  d'un  œil 
d'indignation  &  de  colère  ;  loin  dentrer  dans 
les  intérêts  de  la  juftice  de  Dieu  ,  nous  plaidons 
fans  cefTe  pour  nous  contre  elle-même;  c'eft 
donc  un  efprit  de  chair  &  de  fang  qui  nous 
poiTede  ,  &  l'efprit  de  Dieu  n'habite  point  en 
nous. 

1 1  I.  C  A  R  A  c  T  E  R  E.  Le  dernier  carac- 
tère de  rEfprit  de  Dieu  ,  c'eft  d'être  un  efprit 
de  force  &  de  courage.  Comime  c'eft  un  efprit 
qui  a  vaincu  le  monde,  &  quieft  plus  fort  que 
le  monde  ,  il  ne  craint  pas  le  monde.  Auifi  dès 
que  l'efprit  de  Dieu  eft  dèfcendu  fur  les  Apô- 
tres auparavant  foibles  &  timides ,  ils  annon- 
cent avec  une  fainte  fierté  devant  les  Prêtres 
.&  les  Dodeurs  ,  ce  Jefus  dont  ils  n'ofoient 
auparavant  fe  déclarer  les  difciples  :  ils  fe  ré- 
pandent dans  tout  l'univers  ;  &  le  monde  en- 
tier révolté  contre  eux  ,  ne  ifait  qu'augmenter 
leur  fermeté  &  leur  conftance.  Et  telle  eft  une 
ame  pleine  cje  l'Efprit  de  Dieu  :  cet  Efprit  l'é- 
levé au-defTus  d'elle- même  j  il  imprime  en  elle 


Analyfcs  des  Sermons,  405 

fes  cara£teres  divins  de  liberté  &  d'indépen- 
dance ;  il  lui  fait  regarder  les  grandeurs  &  les 
puiiîances  de  la  terre  comme  un  vain  atome, 
indigne  même  de  Tes  attentions.  Aufli  rien 
n'approche  de  l'élévation  ,  de  la  fermeté  ,  de 
la  noblefié  d'une  ame  que  refprit  de  Dieu  poC. 
fede  :  comme  elle  ne  tientplus  aumonde  5  elle 
ne  le  craint  plus;  Tes  jugemens  &fes  déridons 
lui  font  inditïérens  :  elle  ne  défère  qu'à  la  vé- 
rité; elle  n'a  point  de  ces  timides  complaifan- 
ces  ,  dont  la  piété  fouffre  11  fort.  L'efprit  du 
monde  au  contraire  eft  un  efprit  de  fouplefle 
&  de  ménagement  ;  comme  l'amour-propre 
en  eft  le  principe  ,  il  ne  cherche  la  vérité  , 
qu'autant  que  la  vérité  lui  peut  plaire;  il  ne  fe 
fait  honneur  de  la  yertu  ,  que  dans  les  lieux 
où  la  vertu  l'honore.  Si  donc  l'efprit  qui  nous 
régit  l-i  qui  nous  gouverne  ,  ei\  un  efprit  de 
timidité, &  de;  compIaifance;fî  nous  craignons 
d'être  à  Dieu  ;  fi  dans  toutes  les  occafîons  ,  où 
il  s'agit  de  fe  déclarer  pour  lui ,  nous  mollif- 
fon^  ,  npusnous  ménageons  ;  fi  dès  qu'ileft 
queftion  de  déplaire  pour  ne  pas  manquer  au 
devoir^  nous  croyons  la  tranfgrefîîon  légiti- 
me ;  fi  la  première  chofe  que  nous  examinons 
dans  les  démarches  que  Dieu  exige  de  nous  , 
c'eft  Cl  lemonde  y  donnera  fon  fuffrage  ;  fi  nous 
paroilfons  encore  mondains ,  pour  ne  pas  per- 
dre l'eftime  du  monde  ;  fi  nous  parlons  fon  lan- 
gage ;  Cl  nous  applaudilfons  à  fes  maximes  ;  û 
nous  nous  alfujetti'Tons  à  fes  ufages  ,  en  vain 
iious  nous  flattons  de  conferver  dans  le  cœur 
un  reile  d'amour  pour  la  vérité  ;  en  vain 
nous  paroiifons  ne  nous  livrer  au  monde  qu'à 
regret  :  détrompons-uous  ;>  ce  n^eft  pas  i'Ef- 


4^6  ^    Analyfcs  des  Sermons, 

prit  de  Dieu  ,  c'eft  refprit  du  monde  qui  nous 

conduit  &  qui  nous  poiTede. 

g^ ^ • ^ 

LE  JOUR    DE  UASSOMPTWN 
DE   LA    Sainte    vierge. 

Sur  les  confolations  &  la  gloire  de  la  mort 
de  la  Sainte  Vierge, 

DIVISION.  L  Les  confolations  de  la 
mort  de  Marie  compcnfent  les  amertumes 
dont  fin  ame  fainte  avoit  toujours  été  affligée, 
IL  La  gloire  de  la  mort  de  Marie  répare  les  hu- 
miliations qui  Vavoient  toujours  accompagnée 
fui  la  terre, 

L  Partie.  A  trois  fortes  d'amertumes 
qu'avoit  éprouvées  Marie  ,  répondent  trois 
fortes  de  confolations  ;  à  une  amertume  de 
délailfement  ,  une  confolation  de  force  &  de 
courage  ;  à  une  amertume  de  zèle  ,  une  con- 
folation de  paix  &  de  joie  ;  à  une  amertume 
de  defir  ,  une  confolation  de  poiTeiïîon  &  de 
jouiffance. 

I.  Jefus-Chrift  avoit  femblé  indiiférent  en- 
vers Marie.  Au  Temple  il  paroît  blâmer  fon 
inquiétude  ,  &  oublier  qu'il  a  une  mère  fur  la 
terre  ;  à  Cana  il  lui  déclare  qu'il  n'a  rien  de 
comm.un  avec  elle.  Qu'on  appelle  heureufes 
les  entrailles  qui  l'ont  porté,  il  annonce  qu'il 
n'y  a  d'heureux  que  ceux  qui  entendent  la  pa- 
role de  Dieu  ,  &  la  pratiquent  ;  qu'on  lui  dife 
que  fa  mère  &:  Çqs  frères  l'entendent,  il  répond 
qu'il  ne  reconnoîî  pour  fa  meie  &  pourfes  £re- 


Analyfes  des  Sermons.  407 

res  que  ceux  qui  font  la  volonté  de  Dieu.  Nous 
voyons  par-tout  Marie  éprouvée  par  des  délaif- 
fèmens  ;  elle  devoit  nous  apprendre  que  cette 
voie  fî  pénible  à  la  nature  ,  eft  la  voie  ordinaire 
des  âmes  pures  &  parfaites ,  &  que  plus  Dieu 
veut  fe  les  unir  par  une  foi  vive  &  fervente  , 
plus  îi  les  prive  des  confolations  humaines  ; 
mais  il  étoit  jufte  que  la  préfence  vifible  de 
Jefus-Chrift  fût  la  première  confolation  de 
Marie  à  fa  mort  ;  &  qu'il  fe  hâtât  d'autant 
plus  de  venir  fe  montrer  à  elle ,  qu'il  avoitparu 
prefque  toujours  fe  refufer  à  fes  empreffe- 
mens, 

1,  Le  zèle  de  Marie  lui  caufoit  une  féconde 
forte  d'amertume.  Elle  voyoit  avec  douleur 
l'inutilité  des  inflru^tions  &  des  miracles  de 
Jefus-Chrift  ,  les  pièges  que  lui  tendoient  fes 
ennemis ,  la  défection  de  fesdifciplesmêmiCs , 
l'end urcilfement  des  Juifs  ,  leur  réprobation 
&leur  perte;  il  falloit  quelle  apprît  aux  âmes 
judes  à  s'occuper  aux  pieds  des  autels  des 
maux  &  des  befoinsde  TEglife  ,  &:  àfolliciter 
les  grâces  du  Ciel  pour  leurs  frères  pécheurs 
&  impénitens  ;  mais  ce  zèle  de  douleur  qui 
avoit  rempli  le  cours  de  la  vie  de  Marie  ,  de- 
voit fe  changera  fa  mort  en  une  confolation  de 
paix  &  d'allégrefTc.  Elle  voit  à  découvert  les 
raifons  de  la  fagefie  divine  fur  les  événemens 
qui  avoientcontrifté  fa  tendreilé  5  l'utilité  des 
opprobres  de  fon  Fils  ,  les  avantages  de  la 
haine  même  des  Juifs  envers  lui  ,  les  Gentils 
appelles  ,  les  Rois  convertis  ,  les  Philofophes 
déCabuiés  j  la  P.eligion  trioniphante.  C'efl 
ainfi  qu'au  lit  de  la  niort  une  an:ie  jufte  voit 
que  tout  avoit  fon  utilité  dans  les  voies  par  où 


4o8  Analyfes  des  Sermons, 

Dieu  Ta  conduite;  que  les  difgraces ,  les  afflic- 
tions, les  contradidions ,  les  perfidies  ,  &c. 
tout  étoit  pour  elle  entre  les  mains  du  Seigneur 
des  moyens  de  fan£i:ification;  alors  au  con- 
traire ceux  qui  n'ont  travaillé  que  pourle  mon- 
de 5  reconnoilUent  que  leur  vie  n'a  été  qu'une 
enfance  continuelle ,  ^  fe  repentent ,  mais  trop 
tard ,  d'avoir  fi  mal  placé  leurs  foins  &  leurs 
peines. 

3.  La  dernière  amertume  de  Marie  avoit 
été  une  amertume  de  defir.  Séparée  de  Jefus- 
Chrift  5  l'unique  objet  de  fon  am.our  ,  tous  fes 
vœux  5  toutes  (es  penfées  ,  tout  fon  cœur  fut 
dans  le  Ciel  :  fans  celfe  elle  fe  plaignoit  de  la 
durée  de  fon  pèlerinage ,  elle  mouroit  tous  les 
jours  d'amour  &  de  trifteiTe.  Nous  ne  fentons 
pas  jufqu'où  alloit  l'excès  de  fes  peines  5  nous 
que  mille  liens  attachent  encore  à  la  terre  ;  nos 
dégoûts  de  la  vie  font  des  dégoûts  de  nos  paf- 
fîons  ,  des  recherches  de  nous-mêmes  ,  un 
dépit  de  ne  pouvoir  trouver  dans  le  monde 
aucun  objet  capable  de  fatisfaire  notre  cœur. 
Parmi  les  âmes  mêmes  confacrées  à  Dieu  ,  il 
en  eft  peu  qui  fentent  la  trifteffe  de  cet  exil  ;  on 
fent  la  durée  de  fa  croix  &  la  triftelTe  de  la  ver- 
tu ;  les  grandes  fources  des  larmes  des  Saints 
n'entrent  pour  rien  dans  notre  piété  Mais 
l'ame  pure  de  Marie  fentoit  toute  la  défolation 
qu'infpireun  amour  violent  lorfqu'il  eft  féparé 
de  ce  qu'il  aime  :  auffi  fa  mort  n'eft  que  le  ter- 
me de  fes  foupirs  ,  la  confolation  de  fa  ten- 
drefîe  ;  fon  cœur  va  fe  réunir  à  l'objet  de  fon 
amour  ;  elle  va  voir  dans  fa  chair  fon  Sauveur, 
qui  en  étoit  le  chafte fruit.  Quipourroit  expri- 
mer les  tranfports  da  cœur  de  Marie  à  la  vue 

de 


,    -     _  A^<^lyfif  des  Sermons.  409 

de  fon  FiJs  glorieux  !  ce  font  des  fecrets  que 
le  langage  des  hommes  ne  peut  faire  compren- 
dre :  ce  qui  nous  regarde  ,  c'eft  que  la  moi t  ne 
lepare  le  Juite  que  de  ce  qu'il  n'avoit  jamais 
aime  ;  &  que  dès-lors  il  meurt ,  pour  ainfi  di- 
re ,  bien  moins  que  le  Pécheur,  qui  mourant 
a  rnille  objets  auxquels  il  étoit  attaché,  fouffre 
mille  morts  dans  une  feule. 

IL  Partie.  A  trois  fortes  d'abaiffemens 
remarquables  dans  la  vie  de  Marie  fuccede 
aujourd'hui  une  triple  gloire  :  à  un  abailfe- 
ment  de  privation  ,  une  gloire  d'élévation  & 
d  excellence  ;  à  un  abailTement  de  dépendan- 
ce ,  une  gloire  de  puifîance  &  d'autorité  ;  à 
un  abailTement  deconfuiion  &  de  mépris,  une 
gloire  de  vénération  &  d'hommage. 

I.  On  voit  dans  la  vie  de  Marie  une  fuite 
non  interrompue  de  privations  triftes  &  humi- 
liantes. Elle  étoit  née  du  fang  de  David  ;  le 
privilège  de  fa  grâce  avoit  prévenu  celui  de  fa 
naiffance  ,  qWq  étoitvierge  dans  fa  fécondité  : 
enfin  elle  étoit  Mère  de  Dieu  :  aucun  de  ces 
titres  n'a  paru  en  elle  tandis  qu'elle  a  vécu  fur 
la  terre  ;  ilsonttousétéouobfcurcis ,  ou  igno- 
res ,  ou  même  démentis  en  apparence  :  qWq 
porte  avec  joie  ce  dépouillement  ;  &  il  ne  Ipi 
échappe  rien  qui  puilfe  trahir  le  fccrer  de  foa 
humilité.  Tout  fon  foin  avoit  été  defeconfoa. 
dre  avec  les  autres  mères  dlfraèl  ;  aujourd'hui 
toute  1  attention  de  Dieu  efî  de  la  àiïtiiiou^r 
par  un  privilège  fingulier.  Sa  chair  n  éprouve 
point  la  corruption  ;  elle  monte  au  ciel  triom- 
phante &  glorieufe  ,  pour  s'y  affeoir  à  côtéde 
ion  f^ils  au-dejllis  de  toutes  Iqs  Principautés  6c 
de  toutes  les  Pulifances  ;  voilà  le  jui^eprix  que 


4IO  Analyfcs  des   Sermons.  ] 

Dieu  réfervait  aux  privations  humiliantes  de 
la  vie  de  Marie.  Hx^ias  !  nous  n'imitons  point 
fon  humiliié  perfévérante  :  nous  nous  mon- 
trons par  tous  les  endroits  propres  à  nous  dif- 
tinguer  :  lors  même  que  revenus  de  nos  égare- 
inens ,  nous  avons  pris  le  parti  d'une  vie  chré- 
tienne ,  nous  voulons  que  le  monde  conferve 
lefouvenirde  nos  talens  &  de  nos  avantages: 
nous  fommes  flattés  qu'il  faiTe  valoir  par-là  no. 
tre  facrifice  :  &  nous  aimons  à  voir  louer  en 
nous ,  avec  les  merveilles  de  la  grâce  ,  les  ta- 
lens de  la  vanité  jufques  dans  les  Cloîtres  :  on 
reprend  d'une  main  un  vain  étalage  qu'on 
âvoit  femblé  facrifîer  de  l'autre  ;  &  on  veut 
retrouver  dans  le  féjour  de  l'humilité  ,  les  dif- 
tincrions  qu'on  avoit  méprifées  dans  le  monde. 
2.  Marie  pendant  fa  vie  mortelle  avoit  tou- 
jours chéri  la  dépendance:  foumife  aux  volon- 
tés de  Jofeph,  attachée  aux  ordres  &  à  ladef- 
tinée  de  fon  Fils  ,  confiée  au  Difciple  bien- 
aimé  ,  &  le  regardant  comme  l'arbitre  de  fa 
conduite  ;  paroiifant  à  la  fuite  des  Difciples 
après  la  mort  de  Jefus-Chrift  comme  une  autre 
aes  femmes  fidèles  ,  n'affe^ant  aucune  préé- 
minence ,  aucune  autorité  ,  fe  comportant 
comme  une  fimple  fille  de  TEglife^elle  qui  en 
étoit  la  protedrice  &  la  mère.  Aujourd'hui  elle 
reprend  dans  le  Ciel  la  puillance  qu'elle  n'avoit 
pas  voulu  exercer  fur  la  terre  ,  elle  eft  établie 
fous  JefusChriftla  médiatrice  des  Fidèles,  la 
dil^ributrice  des  grâces  ;  il  veut  que  nous  nous 
adrefTions  à  elle  pour  tout  obtenir  de  lui.  Ce 
n'eft  pas  qu'il  fuffife  de  lui  rendre  quelques 
hommages  pour  affurer  fou  falut  :  le  falut  eft 
le  prix  de  l'obiervance  feule  de  la  Loi  de  Dieu. 


Anaiyfis  des  Sermons,  41  î 

Marie  regarde  comme  ennemis  de  Ton  Fils 
ceux  qui  aiment  le  monde ,  qui  fe  livrent  aux 
defirs  de  la  chair^,  qui  tranfgreiTent  fes  volon- 
tés faintes  ,  qui  n'ont  point  gravé  dans  le  cœur 
l'amour  de  ce  divin  Fils  &  de  fa  vérité.  Marie 
ne  peut  être  contraire  à  Jefus-  Chriil  :  fa  puif- 
fance  ne  peut  renverfer  Tœuvre  de  FErangile  : 
cllaeftla  relTource  de  nos  néceilités  ;mais  elle 
n'eiîpas  la  protedrice  de  nos  paflions  :  elle 
n'airne  dans  fes  ferviteurs  que  les  vertus  qui 
la  rendirent  elle-même  agréable  aux  yeux  db 
Dien, 

3.  Le  dernier  abailTement  de  Marie  avoit 
été'un  abaiffement  de  mxpris  Sc-de  confuaon. 
Elle  avait  porté  dans  le  liîence  la  honte  dû 
foupçon  de  Jofeph  :  elle  s  etoit  foumife  com- 
me J.  C.  à  porter  quelque  temps   la  reffem- 

^•blaace  du  péché,  &  à  faire  un  facriiSce  de 
fou  innocence  a.ux  ordres  inconnus  &  adora- 
bles  de  la  fageiTe  divine.  Voilà  pourquoi  fa 

..rnort  efl  fùivie  d  une  gloire  de  vénération  &: 

d'hommage.  Les   hommes   Apofloliques  lui 

adrelTerent  des  vœux  :  fon   culte  s'établit  à 

mefure  que  la  foi  fe  répandit  fur  la  terre. 

,En  vain  Terreur  lui  difputa  l'auguilè  qualité 

^de  Mère  de  Dieu  ;  des  Conciles  s'aiTem.bÎp- 
lentpour  îaiiTer  à  lapoflérité  dans  leurs  décl. 
fions  les  titres  de  leur  refpeft  envers  Marié. 
Les  Villes  &  les  Empires  fe  mirent  fous  fa' 
protedion  :  nos  Provinces  frappées  de  la  main 
de  Dieu  ,  virent  tomber  par  fon  entremife  le 

.  glaive  qui  les  châtioit  ;  &  un  de  nos  Rois  fit  , 

.pour  immortallfer  ce  bienfait,  un  hommage 
public  de  tout  fon  Royaume  à  cette  Reine  des 

:  Cieux  qui  veiioit  de  le  confervcr.  Que  la  mort 

Si 


412,  Analyfes   des  Sermons, 

du  pécheur  eft  différente  de  celle  de  Marie  ! 
elk  lui  ravit  tout  ;  elle  le  dépouille  de  tout  : 
feul  aux  prifes  avec  elle  ,  il  tend  en  vain  les 
mains  aux  créatures  qui  lui  échappent  ;  tout 
ce  qu'il  avoit  cru  réel  &  folide  s'évanouit  ; 
tout  ce  qu'il  avoit  cru  frivole  &  chimérique  , 
fe  montre  ^  fe  réalife  ;  fon  malheur  lui  donne 
de  nouvelles  lumières,  mais  ne  lui  donne  pas 
un  nouveau  cœur  ;  il  meurt  détrompé  ,  fans 
mourir  changé. 

S^  1 S3S^==  g» 

LE  JOUR  DE   LA  VISITATION. 

Sur  les  ohjhidcs  que  notre  amour  propre  oppofc 
à  la  grâce, 

IvisioN.  Notre  amour  propre  oppofe 
prefque  toujours  trois  obftacles  à  la  grâ- 
ce :  premièrement,  une  faufTe  bienféance  ;  fe- 
condement ,  la  difficulté  de  la  vertu  ;  ou  bien 
troiiiémement,  une  faulfe  perfuafion  que  nous 
pouvons  ufer  d'adouciffemens  dans  la  voie  du 
falut.  Or  Marie  entreprenant  ce  voyage  toute 
feule  5  nous  confond  ,  premièrement  ,  fur  ces 
raiibns  infinies  de  bienféances  qui  ne  nous  per- 
mettent pas  de  fuivre  l'attrait  du  Ciel.  Marie, 
m.algré  la  délicateffe  de  fon  âge  ,  de  fon  fexe  , 
allant  joindre  Elizabeth  à  travers  les  monta- 
gnes &les  chemins  les  plus  difficiles,  condam- 
ne ,  fccondement ,  notre  lâcheté  ,  que  la  dif- 
ficulté de  la  vertu  effraye  &  retient  dans  le  vi- 
ce. Enfin  Marie  fe  hâtant  toujours  malgré  la 
longueur  du  voyage  ,  nous  apprend  ,  troifîé- 
mement ,  à  ne  pas  adoucirpar  nos  lenteurs  5c 


D 


Analyfcs    des    Sermons,  413 

nos  ménagemens  la  rigueur  de  la  voie  évan- 
gilique. 

I.  Partie.  Premier  obftacle  que  nous  op« 
pofons  à  la  grâce,  une  faulTe  bienféance.  Il  eft 
dès  crimes  dont  le  monde  lui-même  rougit,  & 
qu'il  condamne  hautement  ;  mais  il  eil:  des  vi- 
ces moins  odieux,  des  défordres  plus  heureux, 
qui  femblent  avoir  prefcriî  contre  l'Evangile, 
&  que  le  fiecle  place  honorablement  parmi  les 
vertus.  Orceft  de  lafauiTe  idée  qu'on  attache 
à  ces  prétendues  vertus  ,    que   naiiTent  ces 
égards  li  peu  chrétiens,  ces  frayeurs  coupables 
qui  font  que  nous  rougiflbns  de  Jefus-Chrift  : 
on  n  oie  ne  pas  Ce  conformer  à  des  ufages  qui 
ont  prévalu  :  on  ne  veut  point  condamner  le 
monde  par  des  Tingularités  attestées.  La  con- 
duite de  Marie  a  de  quoiconfondie  le  monde 
fur  un  point  auiVi  important  :  ellequirte  Naza- 
reth  pour  aller  rendre  viiite  à  Eiizabeth  :  com- 
bien de  raifons  une  fauiîe  bienféance  &c  la 
crainte  des  difcours  du  monde  lui  eût- elle  fug- 
gérées  pour  fe  diipenfer  de  ce  voyage.  Pre- 
miérem.ent ,  elle  n'eft  inftn:ite  de  la  groirefie 
d'Eiizabeth  que  par  un  Ang:-  ;  or  croira-t-on 
fur  fa  parole  qu'elle  ait  reçu  cette  ambalîade 
célefte?  Secondement,  fortie   du   fang    des 
Rois  de  Juda  ,  &  depuis  peu  devenue  Mère 
de^  Dieu  ,   n  efi-il  pas  contre  la  bienféance 
qu'elle  aille  s'abaidér  envers  une  femme  fi  fort 
au-deilbus  d'elle?  Troifiémement ,  les  loixde 
la  pudeur  ne  s'oppofent-elles  pas  à  un  voyage 
fi  long  &  û  périlleux  ?  mais  ces  raifons  n'ar- 
rêtent pas  Marie.   Pour  nous  ,  hélas  !  nous 
n'en  cherchons  pas  même  de  fi  plaufibles  pour 
Dous  étourdir  ;  &:  les  plus  mauvais  prétextes 

S3 


414  Analyfes  des   Sermons. 

iuMcnt  à  notre  amour- propre.  La  crainte  de 
nous  donner  du  ridicule  dans  refprit  du  monde 
efttoujourspournousuneraifonfufîifantepour 
nous  difpenfer  des  loix  de  FEvangiie  :  mais 
quel  ell  notre  aveuglement  !  nous  ne  voulons 
pas  d'une  piété  qui  fe  faffe  remarquer  ,  &  qui 
nous  mette  fur  le  pied  d'homm.e  extraordi- 
naire ?  mais  fi  la  contagion  ell  univerfelle  ,  pou- 
vons-nous nous  en  fauver,  fans  être  finguliers? 
Détrompons-nous  :  les  Saints  ont  toujours  pâl- 
ie pour  gens  finguliers  ,  parce  que  la  vie  corn- 
mune  ne  fauroit  être  une  vie  chrétienne  ;  cl 
c'eftune  illufion  groffiere  de  s'imaginer  que 
l'on  a  toujours  des  raifons  d'oJTenfer  Dieu,  & 
qu'on  n'en  a  iamais  de  revenir  à  lui  &  de  le 
fervir  :  de-là  il  arrive  que  tous  les  momens  de 
îa  grâce  nous  échappent.  Mille  fois  Dieu  nous 
a  avertis  ,  follicités  ,  importunés  ;  nous  n'a- 
vons eu  que  la  crainte  des  vains  difcours  dii 
monde  à  lui  oppcfer  :  craignons  qu'il  ne  felalfe 

enfin  de  fes  pourfuites  &  de  nos  rebuts.  Notre 
converfion  ne  dépend  pas  de  nous  ,  mais  &c 
Dieu  ;  &  nous  ne  fommes  pas  aiîurés  de  r  a- 
voir  à  notre  gré  les  grâces  offertes  que  nous 
aurons  refufées.  Mais  de  plus ,  nous  qui  fom- 
mes fi  éclairés  fur  les  bienféances ,  lorfque  par 
nosdiiîblutions  nous  étions  lefcandale  de  no- 
tre Ville  ,  la  bienféance  étoit-elle  un  frein  aiiez 
puiiTant  pour  nous  arrêter  ?  Ce  n'eft  donc  qu'a- 
vec Dieu  que  nous  fommes  timides  oc  cir- 
confpefts  ;  &  nous  n'excédons  en  précautions 
que  lorfqu'il  s'agit  de  le  fervir  !  Sentons  la- 
delfus  toute  finjuiftice  de  notre  conduite  ? 

II.  Partie.  Difficulté  de  la  vertu  :^  fé- 
cond obftacle  que  l'amour  propre  oppofe  à  la 


Analyfes    des   Sermons,  415 

grâce.  Il  eft  des  gens  qui  vivement  frappés  de 
l'idée  qu'ils  Te  font  de  la  perfection  chrétienne , 
ne  vieillirent  dans  l'iniquité,  que  parce  qu'ils 
ne  comptent  pas  pouvoir  jamais  atteindre  à  la 
véritable  juftice  :  illufion  dangereufe  qui  ou- 
trage  la  grâce  du  Sauveur  ;  comme  (i  quel- 
que chofe  lui  étoitim.pofTible.  Or  la  conduite 
de  Marie  nous  fournit  aujourd'hui  de  quoi  dé- 
tromper le  iiecle  fur  cette  illufion.  Sans  trop 
réfléchir  Cuv  fd  propre  fûibleife  ,  elle  va  à  tra- 
vers les  montagnes  les  plus  inacceiîlbles  lAbiit 
in   montiina. 

Je  Cqus  toute  ma  foibîefTe  ,  dites-vous;  je  fais 
que  la  vie  chrétienne  cii  une  profeiîion  publi- 
que de  pénitence  ,  qu'il  faut  porter  fa  croix  & 
le  renoncer  fci-meme  pour  être  Difciple  de 
Jeflïs-Chriit  ;  je  le  fais  ^  &  c'eit  juitcment  ce 
qui  me  fait  défefpérer  d'être  j.unais  homme  de 
bien  5  parce  que  je  fens  que  quoique  j'aie  hor-- 
reur  du  crime  ,  je  ne  faurois  jamais  me  gagner 
là-delïïis.  Mais  ,  ô  homm.e  !  quel  eu:  ici  ton 
égarement  !  tu  fens  ta  foibleiîe  &  ton  impuif- 
fance  ;  mais  entends  ces  paroles  du  Sauveur  : 
Ventià  mol ,  vous  tous  qui  ctcsfoihles  ùfitti- 
gués  ^  &  je  vous  fouUigsniL  Voilà  où  tu  ciels 
chercher  la  force  qui  te  manque. 

C'eflla difficulté  de  l'entreprife,  dit2s-vous , 
qui  vous  arrête.  Ah  !  s'il  falloiî  comme  au- 
trefois vous  expofer  à  la  fureur  des  Tyrans 
pour  la  foi  de  Jeais-Chriil,  vous  auriez  quel- 
que fujet  de  trembler  à  la  vue  de  votre  toi- 
bleife  5  quoique  vous  duiTiez  dire  alors  avec 
l'Apôtre  :  Je  puis  tout  en  celui  qui  me  fortifia. 
Mais  qu'exige-t-on  de  vous  à  préfent  ?  le  (eut 
facrifîce  de  vospaHions  :  &  vous  facrifîez  foi- 

S4 


41^  Analyfes  des  Sermons. 

lement  Vefpévance  d'une  éternité  de  bonheur 
à  votre  molleile  &  à  votre  lâcheté  ,  bien  dif- 
férent en  cela  des  Fidèles  des  premiers  temps, 
que  les  plus  cruels  fupplices  ne  pouvoient  fépa- 
rer  de  Tamour  de  Jefus  Chrift ,  &  maaintenant 
ou  croit  qu'il  en  coûte  trop  pour  être  Chré- 
tien 5  quand  il  en  coûte  un  feul  plaifir ,  comme 
fi  le  Dieu  que  nous  adorons  étoit  devenu 
moins  digne  de  nos  empreiTemens. 

Et  d'ailleurs  vous  vous  figurez  des  amertu- 
mes dans  le  parti  de  la  vertu  :  mais  fo}ez  de 
bonne  foi  :  expofez-nous  naïvement  tous  les 
défagrémens  qui  accompagnent  la  vie  du  fie-- 
de  ;  que  ne  direz- vous  pas  ,  &  que  ne  dit- 
on  pas  en  effet  là-defTus  tous  les  jours  dans  le 
m.onde  ?  à  combien  de  chagrins  alFreux  la  vie 
du  fîecle  n'expofe-t-ellc  pas  ?  Et  quand  on 
parviendroit  à  les  éviter ,  le  pécheur  peut-il  s'é- 
viter lui-miême  ?  il  a  beau  s'étourdir  ;  il  porte 
partout  un  fonds  d'inquiétude  qui  le  reveille 
même  au  milieu  des  joies  &  des  amufemcns  : 
c'eft  là-defTus  que  roule  le  fîecle  ;  on  le  fent  , 
on  s'en  plaint ,  &  on  s'y  aime  :  on  fe  familiarife 
avec  des  chagrins  que  rien  ne  partage  ,  dont 
rien  ne  dédommage  ;  &  on  frémit  au  feul  fou- 
venir  des  faintes  rigueurs  de  l'Evangile  ,  que 
la  foi  confole  ,  que  refpérance  foutient ,  que 
la  charité  adoucit. 

Mais  pour  confondre  l'iniquité  par  l'iniquité 
elle-  m^ême,  dites-moi,  je  vous  prie,  un  homme 
livré  à  l'ambition  ou  à  la  volupté  ,  fe  laifTe  t-il 
rebuter  par  les  difficultés  qu'il  trouve  fur  fon 
chemin  ?  Ah  !  craignons  que  l'ambitieux  &  le 
voluptueux  ne  nous  confondent  devant  le  tri* 
bunal  de  Jefus-  Chrift ,  furies  excufes  que  nous 


Analyfes    des   Sermons,  417 

alléguons  pourjuftifier  notre  foibleffe  dès  qu'il 
s'agit  du   falut. 

III.  Partie.  Une  autre  erreur  qui 
règne  dans  le  monde  fur  la  difficulté  du  falut , 
c'eil  de  fe  perfuader  que  le  falut  ne  renferme 
pas  de  il  grandes  difficultés.  Des  perfonnes 
nées  avec  un  caractère  tranquille  &  uni ,  ne 
croient  rien  trouver  dans  l'Evangile  qui  gêne 
trop  l'amour  propre  ;  &  tranquilles  fur  leur 
falut  5  elles  plaignent  l'égarement  des  pécheurs 
qui  refufent  de  fe  fauver  prefqu'à  moins  de 
fiais  que  l'on  ne  fe  damne.  Illufion  grof- 
fîere  ,  injurieufe  à  la  croix  de  Jefus-Chrift  , 
&  que  l'exemple  de  Marie  confond  pareille- 
ment ,  puifque  fans  examiner  fi  Ton  peut  arri- 
ver à  la  Cité  de  Juda  par  des  chemins  moins 
rudes  &c  moins  fatiguans  ,elle  choilit  fans  dif- 
férer la  voie  la  plus  pénible  :  par-là  elle  nous 
apprend  qu'il  faut  qu'il  en  coûte  pour  fe  fau- 
ver ,  &  que  le  Royaume  des  Cieux  ne  peut 
être  le  prix  que  des  violences  continuelles  que 
nous  aurons  exercées  fur  nous-mêmes.  Ce- 
pendant le  monde  eft  plein  de  ces  fauifes  ma- 
ximes en  matière  de  religion  ,  que  l'auftérité 
des  Cloîtres  eft  fainte  ,  mais  que  tout  le  monde 
n'y  eft  pas  appelle  ;  que  puifqu'il  y  a  plufieurs 
demeures  dans  la  maifon  du  Père  célefle ,  pour 
ne  pas  mériter  les  premières ,  il  ne  s'enfuit  pas 
qu'on  doive  être  exclus  de  toutes  les  autres  ; 
enfin  ,  que  l'Evangile  ne  défend  pas  les  joies 
honnêtes  :  &  là-deflus ,  pourvu  qu'on  ne  donne 
pas  dans  les  excès  les  plus  crians  ,  on  fe  croit 
dans  le  bon  chemin,  parce  qu'on  n'eftpas  en» 
core  au  fond  du  précipice. 

Mais  fur  quoi  l'efprit  humain  ne  peut-il  pas 


41 8  Analyjes  des   Sermons^ 

feféduîre5puirqu'il  a  pu  prendre  ici  le  change? 
Car  enfin  on  ne  peut  rien  ajouter  aux  précau- 
tions que  la  fagefTe  divine  a  prifes,  pour  faire 
fentir  aux  hommes  que  les  croix  &  les  fouf- 
frances  leur  fontaufliindirpenfables  que  le  fa- 
crement  qui  les  régénère.  Ce  qu'il  y  a  d'éton- 
nant, c'eft  que  non-ieulementle  fîecle,  mais 
ceux  mêmes  qui  font  profeiTlon  de  piété  5  fe 
font  illufion  ià-deifus  ,  &  chacun  fe  fait  un 
Evangile  à  part  où  il  trouve  le  fecret  de  faire 
entrer  {es  foibleiTes  ,  parce  que  Fefprit  de  la 
Religion  eft  peu  connu  par  ceux  mêmes  qui 
paflent  pour  en  pratiquer  les   maximes. 

^ , ^ g;^— __, ■— S^ 

DISCOURS 

Sur  Vefprit  dans  lequel  il  faut  pratiquer  les 
œuvres  de  miféricorde, 

POur  bien  pratiquer  les  ouvres  de  miféri- 
corde 5  il  y  a  trois  règles  à  obferver, 
I.  Règle.  Cejl  quilfaut  les  regarder  com- 
me des  devoirs  que  nous  acquittons,  "Etï  e^tt  y 
c*eft  une  méprife  alTez  ordinaire  parmi  les  per- 
fonnes  confacrées  aux  œuvres  fainîes,  de  fe  fi- 
gurer que  ces  pieufes  occupations  ne  font  pas 
renfermées  dans  le  devoir.  L'amour  propre 
favorife  d'autant  plus  cette  erreur  ,  que  Tac- 
compliffement  du  devoir  tout  feul  n'a  rien 
qui  nous  flatte  ,  parce  qu'il  n'a  rien  qui  nous 
diftingue  ;  au  lieu  que  les  œuvres  furajou- 
tées  5  en  nouslaifiant  plusdefingularité  ,  nous 
laiiîent  auflî  plus  de  compiaifance.  Cependant 


Analyfcs   des  Sermons,  419 

il  s'en  faut  bien  que  la  Foi  ne  mette  les  offices 
de  chanté  rendus  à  nos  frères ,  au  rang  des 
œuvres  furajoutées  ;  elle  ne  connoît  pas  de 
devoirs  plus  facrés  &  plus  inviolables.  En  ef- 
fet ,  premièrement ,  le  précepte  de  l'amour 
du  prochain  ,  fi  eiïentiel  à  la  Foi ,  ne  fe  borne 
pas  à  nous  défendre  feulement  de  nuire  à  nos 
frères  :  ce  n'eft  rien  pour  la  loi  de  la  charité  , 
de  ne  point  haïr  ;  il  faut  qu  elle  aime  ;  c'eft-à- 
dire,  que  dans  la  Religion  de  Jefus-Chrift 
vous  êtes  injufte  ,  fi  vous  n'êtes  pas  bienfai- 
fant  ;  vous  haïfTez  votre  frère  affligé  ,  fi  vous 
ne  le  fbulagezpas ,  lorfque  vous  le  pouvez.  Ce 
ne{^  donc  pas  ici  une  œuvre  defurcroîî,  dont 
le  zèle  puilTe  s'applaudir  ;  c'eft  une  loi  com- 
mune impofée  à  tout  Fidèle  ,  qui  par  les  liai- 
ions  intimes  &  facrées  que  nous  avons  coii' 
traélées  au  baptême  avec  tous  les  Chrétiens, 
ne  lui  permet  plus  d'en  regarder  aucun  comme 
étranger  à  fon  égard ,  mais  l'oblige  de  les  re- 
garder tous  comme  Ces  frères  ,  comme  l^s 
membres  d'un  même  corps  ,  dont  aucun  ne 
peut  fouffrir ,  fans  qu'il  fouffre  avec  lui.  Se- 
condement 5  plus  vous  êtes  élevés  dans  le  fiQ- 
cle  5  plus  votre  obligation  efi  ici  rigoureufe. 
La  profpérité  &  l'abondance  des  biens  de  la 
terre  ne  vous  difpenfe  ni  de  la  frugalité  ,  ni  de 
la  fimplicité  ,  ni  de  la  violence  évangélique  ; 
cette  vérité  fuppofée  ,  quel  a  pu  être  le  def- 
fein  de  la  providence  ,  en  répandant  fur  vous 
les  biens  de  la  terre  ?  Seroit-ce  de  vous  four- 
nir les  moyens  de  fatisfaire  toutes  vos  pafiions? 
Non  ,  fans  doute  :  vous  n'êtes  donc  dans  les 
defTeins  de  Dieu  que  les  minifires  de  fa  pro- 
vidence envers  les  créatures  qui  fouffrent  : 


4^0  Analyfes    des    Sermons. 

votre  abondance  n'eft  donc  que  la  portion  de 
vos"  frères  affligés  ;  &  Dieu  vous  auroit  ré- 
prouvés 5   en  répandant  fur  vous  les  biens  de 
la  terre  ,  s'il  vous  les  avoit  donnés  pour  un  au- 
tre ufage  que  pour  le  foulagement  des  mal- 
heureux. Troifîémement ,  pour  vous  en  par- 
ticulier qui  m'écoutez  ,  indépendamment  de 
I  obligation  que  vous  impofe  là-deffus  la  Re- 
ligion 5  &  le  rang  que  vous  tenez  ,  les  faintes 
occupations  de  la   miféricorde  n'en  font  pas 
rnoins  des  devoirs  indifpenfables.  En  premier 
lieu  ,  qui  que  vous  foyez  ,  qui  marchez  aujou- 
d'hui  dans  des  voies  faintes ,  vos  mœurs  ont- 
elles  toujours  été  réglées  par  la  Loi  ?  vos 
exemples  n'ont-iîs  pas  été  autrefois  un  modèle 
de  luxe  ,  de  plaifir  &  de  miOlîeiTe  ?  Eh  !  ne 
faut- il  donc  pas  qu'aujourd'hui  des  exemples 
contraires  réparent  le  fcandale?  En  fécond  lieu, 
lorfque  vous  ne  connoifliez  rien  de  grand  que 
le  m.onde  &  fes  vanités ,  n'avez-vous  pas  peut- 
être  donné  du  ridicule  à  la  piété  par  des  dé- 
ridons injuftes  ?  n'avez-vous  pas   regardé  les 
offices  publics  de  m.iféricorde  ,    comme  des 
indifcréîions  de  zeîe  ,  ou  comme  des  empref- 
femens  de  vanité  ,   loin  de  refpe61er   les  per- 
fonnes  qui  s'y  confacroient  ?   Il  faut  donc  que 
vos  œuvres  publiques  rendent  à  la  piété  l'hon- 
neur que  vos  déridons   profanes  lui   avoieiit 
été;   &   que  vous  pratiquiez  vous-même  ce 
que  vous  avez   Ç\  injuftement  blâmé  dans  les 
autres  Fidèles.  En  troifieme  lieu  ,  vous  faifiez 
fervir  autrefois  vos  richelTes  ,  qui  font   des 
dons  de  Dieu  ,  à  l'iniquité  ;  comment  voulez- 
vous  réparer  cette  injuftice  ,   que  par  de  fain- 
tes profufions  &  des  largeifes  plus  abondantes  ? 


Analyfcs    des    Sermons.  411 

enfin  5  dans  cette  première  faifonde  votre  vie 
que  vous  avez  confacrée  au  monde  &  à  fes  er- 
reurs ,  la  félicité  de  vos  fens  étoit  alors  votre 
unique  aftaire  :  il  faut  donc  aujourd'hui  vous 
appliquer  à  les  crucifier  ;  aller  dansces  lieuxfe* 
crets  ,  dans  ces  maifon  défolées  ,  où  l'indi- 
gence cache  tant  de  mifere  ;  vous  approcher 
des  La2arespuans&  couverts  de  plaies;  & 
malgré  les  frémiflemens  fecrers  de  la  nature  , 
ne  pas  refnfer  votre  miniftere  &  le  fecours  de 
vos  mains  à  leurs  befoins  extrêmes. 

La  II  Règle  à  ohfcrver  dans  la  pratique 
des  œuvres  de  mifcricorde  j  ejî  que  non-feulement 
il  faut  les  regarder  comme  des  devoirs  que  nous 
acquittons  ,  muiis  encore  en  faire  des  remèdes 
journaliers  contre  nos  foihleffes  de  tous  les  jours. 
En  effet,  les  œuvres  extérieures  de  la  piété  n'ont 
de  mérite  devant  le  Seigneur ,  qu'autant  qu'el- 
les fervent  à  perfectionner  notre  homme  in- 
térieur. Cela  étant  ,  fouîager  nos  frères ,  les 
revêtir  ,  les  vifiter  ,  les  confoler  ,  les  fervir 
même  ,  n'eft  encore  que  le  corps  de  la  piété  : 
C€  font  les  offices  du  Chrétien  ;  ce  n'eft  pas  le 
Chrétien  lui-même.  Il  faut  donc  que  la  vertu 
croifle  &:  fe  purifie  dans  ces  devoirs  publics 
de  miféricorde  ,  &  que  chaque  œuvre  fainte 
ferve  à  affoiblir  en  nous  quelqu'une  de  nos 
paffions  ;  c'eft-à-dire  5  que  pour  entrer  dans 
l'efprit  de  la  Foi  fur  la  pratique  des  œuvres 
charitables  ,  il  faut  ,  avant  de  s'y  engager  , 
examiner  fur  les  yeux  de  Dieu  quels  font  en- 
*core  nos  penchans  déréglés  ,  &  choifir  les 
/'ceuvres  de  miféricorde  les  plus  propres  à  les 
déraciner  de  notre  cœur  ;  en  un  mot ,  faire 
'^  de  ces  œuvres  les  exercices  des  vertus  qui 


4Z2.  Analyfcî    des    Sermons, 

nous  manquent.  Car  les  œuvres  de  la  piété 
nafont  faintes ,  qu'autant  qu'elles  nous  fan(^i- 
fient  i  &  elles  ne  nous  fan<^ifîent  qu'autant 
qu'elles   nous   corrigent. 

Or  5  on  viole  cette  règle  de  la  piété  en  deux 
manières  :  premièrement,  de  tous  les  offices  de 
miféricorde^nous  choifiiTons  prefque  toujours 
les  plus  conformes  à  notre  goût  ,  à  notre  ca- 
ra£îere  ,  à  nos  penchans.  Ce  n'eil  pas  qu'il 
faille  rélifter  à  ces  penchans  heureux  ,  qui  in- 
clinent notre  ame  à  la  miféricorde  ;  ou  qu'on 
remplille  ces  pieux  devoirs  fans  mérite  ,  dès 
qu'on  les  remplit  fans  répugnance  :  au  con- 
traire 5  la  Foi  fait  faire  fervir  la  nature  à  la 
grâce.  Mais  il  faut  prendre  garde  de  ne  pas 
borner  tous  nos  efforts  à  fuivre  ces  penchans  ; 
car  la  piété  va  bien  plus  loin  que  la  nature. 
Secondement ,  la  féconde  manière  de  violer 
cette  règle  ,  eft  encore  plus  coupable  :  non- 
feulement  on  fe  borne  à  une  vertu  toute  na- 
turelle 5  &  les  œuvres  de  miféricorde  que  l'on 
choifît ,  font  toujours  celles  qui  ne  coûtent  rien 
à  l'amour  propre  ,  &  qui  ne  nous  corrigent  ja- 
mais de  nos  foibleffes  ;  mais  encore  elles  ne 
fervent  fouvent  qu'à  nous  y  entretenir.  En  ef- 
fet, combien  de  ces  âmes  abufées  ,  qui  dans 
une  vie  toute  mondaine  ,  toute  fenfuelle ,  tou- 
te profane  ,  fe  raifurent  fur  quelques  pratiques 
de  miféricorde  ,  &  fur  l'abondance  de  leurs 
largefies.  Ah  1  le  Seigneur  n'a  pas  befoin  de 
nos  biens  ;  mais  il  demande  notre  cœur,  La 
miféricorde  aide  à  expier  les  crimes  dont  on 
fe  repent  -,  mais  elle  ne  juilifie  pas  ceux  que 
l'on   aime. 

La  III  Règle   ccnfijlc    à  prcndrs  garde 


Analyfcs  des    Sermons,  423 

qull  ne  fc  mêle  rien  cV humain  dans  rintentionj 
Ù  ({ue  la  vue  des  hommes  ,  cachée  au  fond  de 
nos  cœurs  y  (j  prefque  imperceptible  à  nous- 
mêmes  ,  ne  nous  faffe  perdre  devant  Dieu  tout 
le  mérite  de  la  miféricorde. 

Je  vous  dis  avec  faint  Auguftin  :  Vous  êtes 
ici  devant  Dieu  ;  interrogez  votre  cœur  ;  fon- 
dez-en les  vues  ies  plus  fecrettes ,  6c  voyez 
quels  ont  été  jurqu'ici  les  motifs  les  plus  réels 
de  toutes  ces  actions  extérieures.  Voyez  fi  les 
œuvres  fecrettes  réveillent  auiîi  vivement  vo- 
tre zèle  ,  que  celles  qui  font  publiques.  Voyez 
fi  dans  celles  où  l'éclat  eft  inévitable ,  vous  êtes 
bien  aife  qu'on  vous  oublie  &  qu'on  vous  con- 
fonde dans  la  foule  des  perfonnes  qui  s'y  em- 
ploient. Voyez  Il  les  entreprifes  pieufes  que  le 
monde  blâme  ,  ne  vous  trouvent  pas  un  peu 
indifférent  ;  en  un  mot ,  fi  c'ell  vous  même,  la 
gloire  des  hommes,  ou  votre  falutque  vousy 
cherchez.  On  ne  fauroit  croire  ,  conîimie  faint 
Augullin  5  combien  d'œuvres  faintes  ,  fur  lef- 
queîies  nous  comptons  ici-bas  ,  feront  un  jour 
rejettées^lorfque  le  Seigneurviendra  juger  les 
juflices  ;  combien  de  fruits  de  la  charité  ,  lorf- 
que  nous  croirons  en  paroître  devant  lui  les 
mains  pleines,,  fe  trouveront  gât  s  par  le  ver 
fecret  d'une  dangereufe   complaifance. 


Fin  des  Analyfes, 


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