SERMONS
D E
M MASSILLON
MYSTERES.
SERMONS
D E
M MASSILLON^
É V E Q U E
DE CLERMONT ^
Ci-devant Prêtre de l'Oratoire ^
Vun des Quarante de V Académie Françoife^
MYSTERES.
A PARIS y Rue S. Jacques^
La Veuve Estjenne & Fils , à la Vertu*
Chez ^ ET
/£^N Hérissant , à S. Paul 3c à S. Hiiaire*.
M. Dec LXIX
Avec Approbation 0 Privilège du. R^!^
AVIS
AU LECTEUR.
NOus n'avons rien de particu-
lier à dire fur les Sermons
qui compofent CQ Volume. L'on y
retrouvera le P. Maflillon toujours
femblable à lui- même , maigre' la dif-
férence des fujets qu'il entreprend
de traiter ; Ton y admirera fur-
tout cette fe'condite' de ge'nie qui
ne s'épuife jamais, & qui paroiflant
avoir tout dit fur une matière, fait
la repre'fenter fous une forme nou-
velle , toujours e'galement intérêt
fante. L'inftruftion fur les œuvres
de miféricorde , & le petit Difcours
fur le renouvellement de la ferveur
des premiers Chrétiens , n'ont été
placés à la fuite des Myfteres , que
parce que nous n'avions point d'au-
tre place plus convenable à leur
donnen D'ailleurs nous étions bien-*
aifes de groflîr un peu ce Volu-
me , qui > réduit aux huit Difcours
fur les Myfteres , n eût point eu
alîez de proportion avec les au-
tres.
SERMONS
Contenus dans ce Volunae.
p
OUR la Fête de la Purification de la
Sainte Vierge , Sur la foumijjion à la
volonté de Dieu , Page l
Pour le même Jour , Sur Us dlfpofitions
nécejaires pour fc confacrcr à Dieu par une
- nouvelU vie , 49
Pour la Fête de l'Incarnation , 87
Sermon fur la Fajfion de Notre Seigneur
fus-Chrlfl, lii
Sermon fur la Réfurreclion de Notre Seigneur
Jefus-Chrijl , I75
Pour le Jour de la Pentecôte , Sur les
caraBeres de VEfprit de Jefus-Chrijl ^ &
de Uefprit du monde , 214
Pour la Fête de l'Affomption , Sur les
confolations & la gloire de la mort de
lafainte Vierge , 243
Pour la Fête de la Vifitation de la fainte
Vierge , ^ i^?
Difcours fur les œuvres de miféricorde 5
prononcé dans une AfTemblée de Cha-
rité : Dans quel efprit il faut les prati-
quer , ^ . 3 ^4
Dilcours prononcé dans la cérémonie de
rAbfoute 5 Pour rappeller lefouvenir de
la ferveur des premiers Chrétiens y 345
APPROBATION.
J'Ai lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier ,
les Sermons fur les Myjleres, & les Panégyriques ,
prêches par feu M MASSILLON , Evêque de Cler^
mont* Les lujets de morale ne font pas les feiils où
ce grand homme a excellé; fes Difcours fur lesMyf-
teres , & les Panégyriques , ne font pas moins ca-
pables d'inftruire, d'édifier & de plaire , que les pre-
miers qui ont enlevé les fuffrages du Public avec un
fuccès auffi intéreflant pour la Religion , qu'il eit
honorable à la mémoire de leur illuftre Auteur.
A Paris , ce i6 Février 174s.
MILLET, Docieur en Théologie , de la Fa-
culté de Paris , & Cenfeur Royal,
Le Privilège eji à la fin du Volume de l^Avent*
SERMON
SERMON
POUR LA FETE
D E
LA PURIFICATION
DE LA Ste. vierge.
Sur la foumijjion à la volonté de Dieu.
Poflquam impie ti funt dies purgationis Mari» ,
fecundùm legem Moyfî , tulerunt Jefum in Jerufa-
lem , ut fifterent eum Domino.
Le temps de la Purification de Marie étant accom-
pli , félon la loi de Moyfe , ils portèrent V Enfant à
Jérufakm pour le préfenter au Seigneur, Luc. 2. 21.
A foumifiîon à la volonté de
Dieu eft la grande vertu , dont
Marie nous donne aujourd'hui
l'exemple , dans le myftere que
l^Eglife propofe à la piété des
Fidèles. Quoique toute la vie de cette
Myjleus, A
^ PURIFIC. DE LA ViERGE.
Vierge fainte ait été une conformité conti-
nuelle aux ordres du Ciel , un acqiiief-
cement univerfel aux vues & aux delFeins
de Dieu fur elle ; il femble cependant que
c'eft cette difpofition qui domine le plus
dans l'oblation qu'elle fait aujourd'hui de
fon Fils au Temple ; & que c'eft dans ce
Myftere , que le facrifîçe qu'elle fait à la
volonté de Dieu de fes lumières eft plus en-
tier & plus héroïque : & c'eft cette vertu
principale qne nous allons vous propofer
pour modèle.
En effet , fans elle la vertu n'eft plus
qu'une humeur , ou une recherche conti-
nuelle de nous-mêmes : fans elle les illu •
fions de notre efprit deviennent notre feule
loi ; les inconfiances de notre cœur , no-
tre feule règle ; la bizarrerie de nos defîrs ,
notre feul frein , & l'unique relTort de no-
tre conduite; nous devenons en un m.ot ,
notre divinité nous-mêmes.
C'eft la conformité à la volonté de Dieu ,
qui fait tout le prix de nos facrifices ; qui
donne du mérite à nos fouffrances ; qui
fandlifîe nos joies ; qui ôte à nos afflic-
tions leurs amertumes, à nos profpérités
leur venin ; qui fixe nos irréfolutions ; qui
calme nos craintes ; qui foutient nos décou-
ragemens ; qui règle nos efpérances ; qui
fait la fureté de notre zèle , la confolation
de nos dégoûts ; en un mot , qui alTure
toutes nos vertus , 5c qui nous rend uti-
les nos imperfections mêmes.
C'eft elle qui infpire \qs bons confeils ;
SUR LA Soumission , &:c. 3
qui nous répond du fuccès de nos entre-
prifes ; qui nous rend maîtres des événe-
mens ;qui fanâ:ifîe tons les états -, qui ré-
gie tous les devoirs ; qui maintient la fu-
bordination des peuples , l'autorité des
Empires", la majefté des Souverains , la
fidélité des Sujets , l'inégalité des condi-
tions 5 toute rharmoniedu corps politique ;
& qui fait que chacun à fa place , ne re-
garde pas avec envie la defiinée d'autrui ,
& ne penfe qu'à remplir & fan(^ifîer les de-
voirs de Ton état propre.
C'eft elle , Sire (a) , qui fait régner
les Rois avec piété & avec juftice ; &
qui corrige en eux , & l'orgueil des prof-
pérités , & l'amertume des difgraces , en
leur faifant adorer dans la volonté du ibu-
verain difpenfateur des événem.ens , la four-
ce commune d'où ils partent.
D'où vient donc , mes Frères , que cette
foumiflion fi nécelTaire & fi confolante ,
eft fi rare parmi les Fidèles ? d'où vient
qu'au milieu de la viciflîtude des chofes
humaines , nous vivons prefque tous com-
me s'il n'y avoit point d'Etre fouverain au-
defîus de nous , qui en fût le modérateur ,
comme û le hazard étoit le feul Dieu de
l'univers , ou que nous fuiîions nous-mê-
mes ks artifans du bonheur ou du malheur
de nos defcinées ?
Souffrez donc qu'en vous propofant au-
jourd'hui l'exemple de la foumifiîon de
Marie , je vous entretienne fur une mn-
(n) Louis XIV,
4 PURIFIC. DE LA ViERGE.
tiere fi importante. Comme par les fuites
de votre rang , de vos places & de votre
naifiance , vous tenez la plupart aux plus
grands événemens qui fe palîent ici-bas ;
foufTrez que je vous apprenne à les rame-
ner à leur fource , & à reconnoître un Dieu
dans i'universjfeul difpenfateur des bons &
des mauvais fuccès.
Premièrement , quelles font les fources
fecrettes de notre révolte contre la volonté
de Dieu ? Secondement , quels font les
avantages qui accompagnent la loumiffion
■ à fa volonté fainte ?
C'cîl-à-dire , d*où vient que nous ne
voulons jamais ce que Dieu veut ? d'où
vient cependant qu'il y a tant de douceur
& de cor, relation à ne vouloir que ce que
Dieu veut ? Implorons , &c. Ave , Maria,
I T .
p^^!j,^j. -L-i Es principales fources de notre révolte
contre la volonté de Dieu , font : premiè-
rement, une vaine raifon qui rappelle tou-
jours les oeuvres du Seigneur au jugement
de fes propres lumières ; qui veut appro-
fondir ce qu'elle devroit adorer , & qui
condamne tém^érairement tout ce qu'elle
ne peut comprendre.
Secondement , un fonds d'amour pro-
pre qui fait que nous rarrienons tout à
nous-mêmes ; que nous nous regardons
comme fi nous étions feuls dans l'univers ,
& que tout îùt fait pour nous ; de forte
que tout ce qui n'entre pas dans le plan
SUR LA Soumission , &c. 5
de nos vues & de nos pallions , nous ré-
volte.
Troifîémement enfin , une fauHe vertu
qui fous prétexte de chercher Dieu ne ie
cherche qu'elle-même , & fiibitinie tou-
jours les defîrs inutiles d'un bien que le
Seigneur ne demande pas de nous , aux
devoirs que fa volonté fainte nous irnpore.
Or 5 voilà ce que l'exemple de Marie nous
apprend à facriiîer aujourd'hui aux ordres
du Ciel.
Premièrement 5 une vaine raifon.-que,
de doutes , que de difficultés , dit faint
Bernard , ne pouvoit-elle pas oppofer à
Tordre de Dieu , qui l'obligeoit de venir fe
purifier dans le Temple ? que de raifonne-
mens rpécieux?rien d'im.pur n'avoit fouillé.
fon enfantement ; elle étoit même devenue
plus pure en devenant mère : qu'étoit-il
befoin d'aller fe purifier d'une fouillure
qu'elle n'avoit pas conuaStée ^ & racheter
par une vile oiTrande , celui qui venoit ra-
cheter tous les hommes de lafervinidedu
démon &: du péché ? Cependant elle obéit ;
&: facrifiant ics lumières aux raifons éter-
nelles & toujours jufies de la fa^;'eire di-
vine 5 elle nous apprend que CQ-à au Sei-
gneur à vouloir , & à la créature à obéir &
à fe foumettre.
Cependant , mes Frères , nous voulons
toujours faire rendre com.pte à Dieu de fa
conduite. Vaines créatures nous ofons fans
ceffe appelîer le Seigneur eu jugement avec
nous ; nous voulons être fages contre
A s
<> PURIFIC. DE LA VlERGE,
Dieu même; & foit qu'il s'agiiTe de (es
voies générales fur le falut de tous les
hommes ^ ou de fes deileins éternels fur
nos deftinées particulières , nous ne trou-
vons jamais qu'il ait raifon ; & nous op-
pofons toujours nos foibles raifonnemens
aux abymes profonds de fa fageffe cc de fa
raifon éternelle.
Je dis , foit qu'il s'agifTe de fes voies gé-
nérales fur le falut de tous les hommes.
Eh ! qu'entendons nous tous les jours dans
le monde , que des réflexions iufenfées fur
ies voies de Dien ? on lui demande fans
cciTe raifon de la fageife incompréhenfible
de fes confeils & des profondeurs de fa
Providence ; pourquoi il laiffe tant d'infi-
dèles fur la terre ? pourquoi tous les hom-
mes ne (ont pas fauves ? pourquoi il a ren-
du le falut fi difficile ? pourquoi il a fait les
homm-es fi foibles? pourquoi il n'a pas parlé
plus clairement fur la plupart des chofes
que nous devons croire ? pourquoi il per-
met tant d'événem.ens fi funefi:es à la Foi
&c à la gloire de fon Eglife ? que fai-je i
des quefîicns éternelles , où Ton voit 1 hom-
m.e fe jouer de Dieu : le vil efclave vou-
loir faire rendre compte au Maître fouve-
rain , le vafe de boue demander à l'ou-
vrier fouverain , ^^pourquoi il l'a fait ainfi ?
le ver de terre rampant dans cet exil , où
un abyme immenfelefépare de fon Dieu ,
ofer lever le yeux au ciel pour changer
ce qui s'y paffe ; donner des confeils au
Seigneur ; fournir à fa fageiîe de nouvelles
SUR LA Soumission , &c. ' 7
vues ; condamner l'econoinie de la Reli*
gion ; s'en former un plan fpécieux & plus
plauiîble ; ofer réformer ce grand ouvrage ,
qui eft la Un de tous les delfeins de Dieu ;
& lui fubftituer les chimères de fon propre
efprit 5 &: un ouvrage de confufion & de
ténèbres.
Et certes , mes Frères , fi les Princes
eux-mêmes dans la conduite des affaires
publiques , & dans les reiTorts infinis qi>i
font mouvoir tout le corps des Etats ôc
àts Empires , ont des fecrets que nous ne
faurions approfondir ; voulons- nous que
Dieu dans Tes voies éternelles fur le falut
& les deftinées de tous les hommes n'en
ait point pour Ces créatures ? fi le gouver-
nemient d'un Etat feul demande des con-
feils cachés , & des mefures inconnues ,
qui fouvent nous révoltent parce que nous
n'en voyons pas les raifons & les utilités
fecrettes : quoi ! nous voulons que le gou-
vernement de Tunivers ; que la conduite
univerfelle de tous les hommes & de tous
les fîecles, depuis la naiffance du monde
jufqu'à la fin , n'ait pas à notre égard cer-
tains fecrets 5 & des obfcurités dont les
raifons éternelles échappent à nos foibles
lumières ? S'il y a des mylleres dans le
confeil des Souverains , félon l'expreflion
des Livres faints , n'y en auroit-il point dans
les confeils de Dieu ? & s'il faut, dit l'E-
criture , refpe«E^er le fecret des Rois dans
la conduite de leurs peuples , & ne pas
fair« de vains raifonnemens fur des dé-
A4
8 PURIFIC. DE LA ViERGE.
marches dont nous ignorons toujours les
motifs ; le fecret du Koi des Rois dans la
difpenfation des chofes humaines feroit-il
moins refpe^^able ; & ferions- nous moins
téméraires de mêler nos frivoles réflexions
a fes confeils éternels , dont les caufes pro-
fondes font toujours cachées en lui feul ,
& dont nous ne connoiifons jamais que
K):e qu'il veut bien nous en manifefter lui-
hiême ?
Adorons les fecrets de Dieu , mes Frè-
res. Si ce que nous connoilîbns de fes œu-
vres nous paroît fi divin & fi admirable ,
pourquoi ne pas conclure que ce que nous
n'en connoiflbns point , l'eft aufîî ? s'il eft
fi fage lorfqu'il agit à découvert , pourquoi
fe démenî-iroitril lorfqu'il fe cache ? fi la
ftru6ture du monde que nous voyons eft un
ouvrage fi plein d'harmonie , de fagefi!e , Se
de lumière ; pourquoi l'économie de la
Religion , que nous ne faurions voir , &
qui eft le chef d'œuvre de tous fes deffeins ,
feroit-il un ouvrage de confufion &: de té-
nèbres ? & s'il a réglé avec tant de poids
& de mefure les chofes vifibles , qui doi-
vent périr, comment auroitil laiifé dans le
défordre les chofes invifibies , qui dureront
autant que lui-même?
J'ai dit encore , foit qu'il s'agifle de fes
deffeins éternels fur nos deftinées parti-
culières : car non-feulement nous con-
damnons fa conduite dans fes voies éter-
nelles fur tous les hommes , mais en-
core fa conduite à notre égard. Nous
SUR L.\ Soumission , &c. 9
nous en prenons à fa Providence de nous
avoir placés en certaines fituations , où no-
tre foibleiie trouve des écueils inévitables :
nous le blâmons de nous avoir fait un^
dellinée incompatible avec les devoirs qu'il
nous impofe : nous nous plaignons que la
Cour 5 que les armes , que les emplois
où notre rang & notre naiffance nous at-
tachent 5 nous éloignent du falut , & nous
le rendent comme im.pofiible : il nous Tem-
ple que nous nous ferions fauves dans une
vie privée & loin des grandes tentations :
nons réformions le plan éternel de fa Pro-
vidence à notre égard ; & nous nous for-
mons une deftinée plus sûre à notre gré 9
que celle que fa fageile adorable nous a
form.ée.
Nous ne penfons pas que Dieu propor-
tionne les grâces aux états ; que toutes les
fituations où fon ordre nous place , loin
d'être des écueils y peuvent devenir des
moyens de falut pour nous; q'ùe la plupart
des dangers & des occalîons , dont nous
nous plaignons , font plus dans nos pafîions
que dans nos places. Nous ne penfons pa?
que la même foibleiie qui nous fait trouver
des écueils au milieu du monde & de la
Cour, nous auroit fait une tentation delà
retraite même ; que nous portons par-tout
avec nous la fource de nos crimies 6c de nos
malheurs ; & qu'^ainfi il ne faut pas attendre
notre sûreté des dehors cf de la fituRtion ,
mais de la feule vigilance que nous devons
avoir fur nous-mêm.es« Nou« ne penfons
A-,
'10 PURIFIC. DE LA VlERGE.
pas que tous les états ont leurs dangers ;
que les faints , dans quelque fituation qu'ils
aient été , à la Cour ou dans les déferts ,
ne fe font alTuré le falut que par des violen-
ces inouïes ; que c'eft une erreur de croire
qu'il y ait quelque fituation fur la terre ,
où le falut ne coûte pas de grands eiforts ;
que notre imagination ne nous promet une
sûreté dans les états où nous ne faurions
être 5 que pour nous calmer fur les infidé-
lités où nous vivons dans notre état pré-
fent ; que l'amour-propre nous donne fans
cefTe le change ; & que pour adoucir à
nos yeux les égaremens de notre vie , il
fait que nous nous en prenons à notre fitua-
tion 5 pour nous empêcher de nous en
prendre à nous-mêmes.
Enfin 5 nous ne penfons pas que fi les
périls font plus grands dans l'élévation où
nous fommes nés , les biens que nous pou-
vons y faire font aufii plus étendus & plus
confidérables ; que s'il y a plus d'occa-
lions de chute , il y a aufii plus d'occafions
de mérite & de vertu ; que les objets fédui-
fans & les grands fpedacles qui nousenvi^-
tonnent , font bien moins des pièges que
des inftru6tîons ; que la Cour , où notre
deftinée nous attache , nous oiTre tous les
jours elle même de quoi nous en défabufer
& nous en déprendre ; que fes dégoûts
arment le cœur contre (es périls ; que {es
amertumes détrom.pent de fes plaifirs ; que
fes inconfiances & fes révolutions refroidif-
fent fur fes efpérances y que le vuide &
Sun LA JcuMissiox 5 8cc. rr
Tenniii de fes amufeineiis , nous rappelle
comme de lul-m.ê.ne à une vie plus fé-
rieufe & plus folide ; que la perfidie & la
faufTeté de fes aminés , nous fait chercher
en Dieu feul un ami éternel & fidèle : ea
un mot 5 que nous trouvons le remède
dans le mal mêm.e ; & que la fageife de
Dieu a pourvu avec une difpenfation fi ad-
mirable au falut de tous les hommes , que
dans chaque état les périls ont leurs com-
penfations , & fourniflenî , pour ainfi dire ,
les furetés ; & que les mêmes objets qui
font la plaie ^ ont pour nous des retours
qui la guériffent.
O mon Dieu ! vous êtes un Juge fi pa-
tient & û miféricordieux de nos œuvres ^
& nous fomm.es les cenfeurs féveres oc
éternels des vôtres ! nous vous appelions
fans cefTe en jugement , 8c vous fufpender
le nôtre ! nous vous demandons tous les
jours compte de vos deiTeins adorables y,
& V0U5 différez le compte terrible que
nous avons à vous rendre de nos inten*
tions & de nos démarches ! O mon Dieu !!
que deviendroit l'hommie , fi vous preniez
à [on égard les mêmes difpofitions qu'il a
pour vous ; fi vous vous faifiez un plaifir
de le trouver coupable , comme il femble
s'en faire un de vous condamner ;&fivous;
examiniez fes fautes avec cet csii de fé vé-
rité avec lequel il examine vos m.erveilles ?
Première fource de notre révolte contre la:
volonté de Dieu ; une vaine raifon.
La féconde ,c'eft l'amour excefiif& dé-
A6
12 PURIFIC. DE LA VlERGE.
réglé de nous-mêmes ; &c'eftici le fécond
facrifice de foumifTion à la volonté de Dieu y
dont Marie nous donne aujourd'hui l'exem-
ple. En eifet , à ne confulter que les fen-
timens humains , tout lui eût fourni à^s
prétextes pour fe fouftraire à la volonté
du Dieu de fes pères. Les intérêts de fa
maternité divine ; le prodige de fon enfan-
tement ; la honte même de fa pauvreté ,
êc de la médiocrité de fon offrande; tout
fembloit révolter fon cœur contre la fon-
miffion que Dieu demandoit d'elle ; mais
elle n'écoute point la voix du fang & de
la chair, perfuadée que le premier facrifice
que Dieu demande de nous , c'eille facri-
fice de nous-mêmes ; & que ce qui nous
coûte le plus à offrir , eft d'ordinaire la
feule offrande qu'il exige.
Et voilà , mes Frères , d'où vient en
fécond lieu ce fonds de révolte , que la
volonté de Dieu trouve toujours dans no-
tre cœur. Comme nous rapportons tout à
nous-mêmiC , car c'efl le vice des Grands
fur-tout ; que nous faifons fervir tout ce
qui nous environne à nous feuls , comme
fi tout étoit fait pour nous ; que nous ne
comptons tout ce qui fe paffe dans le mon-
de que par rapport à nous : en un mot ,
que nous vivons comme fî nous étions feuls
dans l'univers , 8^ que l'univers entier ne fût
fait que pour nous feuls, nous voudrions
que Dieu ne fût occupé que de nous feuls ;
qu'il entrât dans le plan de notre amour
propre \ qu'il n'agît que pour nous feuls i
SUR LA Soumission , &c. 13
qu'il rapportât tout à nous feuls ; qu'il ne
difpofât des chofes d'ici bas , que par rap-
port à nous feuls ; & qu'au lieu d'être Je
modérateur de l'univers , & le Dieu de tou-
tes les Créatures , il ne fût que le Dieu de
nos pafîions & de nos caprices. Ainiî , mes
Frères , nous qui malgré notre rang 5 no-
tre élévation , notre naiffance , ne fommes
qu'un atome imperceptible au milieu de ce
vafle univers, nous voudrions en faire mou-
voir toute la machine au gré de nos feuls
defirs;que tous les événemens s'accom-
modaifent à nos vues ; que le foleil ne fe
levât & ne fe couchât que pour nous feuls ;
enfin , nous voudrions être la fin de toutes
les voies & de tous les deiTeins de Dieu ,
comme nous nous établiflbns nous-mêmes
la fin unique de toutes nos voies & de tous
nos projets fur la terre.
Et de-là 5 premièrement , Tafflic^ion ne
nous trouve pas plus foumis à Dieu que la
profpérité ; & nous ne jugeons que par
rapport à nous-mêmes , de tous les évé-
nemens qui nous environnent. Ainfi tout
ce qui trouble un feul inftant nos plaifirs ,
tout ce qui dérange l'orgueil .& Fambitioii
de nos projets & de nos efpérances , nous
aigrit &. nos révolte -, le plus léger con-
tretemps nous accable: nous nous plaignons
de Dieu ; nous croyons qu'il a tort à notre
égard & qu'il nous maltraite : nous , mes
Frères , qui dans l'élévation & Tabon-
dance où nous fommes nés ne fouffrons
prefque rien ; nous , dont les peines lé-
J4 PURîFIC. DE LA ViERGE,
gères font compenfées par tant d'endroits
capables de contenter l'amour propre ;
nous , qui ne connoilîbns pas , comme dit
le Prophète , les travaux & les amertumes
qui afrligeut le refte des hom.mes , & dont
les momens les plus triftes feroient des
momens de félicité pour mille malheureuXl^
Ah i tout ce que nous avons à craindre
dans notre état , c'eft que Dieu ne mêle
pas aifez d'amertume à tous les pîaifirs qui
nous environnent ; c'eft qu'il permette que
nous foyons trop heureux fur la terre ;
c'eft qu'il nous laifle jouir trop tranquille-
ment de tous les avantages au milieu def-
quels nous fommes nés , & qu'il ne dai-
gne pas nous viftter quelquefois par des
aftlidions dans fa grande miféricorde. Il
faut que Dieu foit bien irrité contre nous ,
lorfque tout favorife nos paftions ; que nos
plaiftrs ne trouvent point d'obftacle : que
tout rit à nos penchans ; & que les deîîrs
feuîs de notre amour propre , femblenî
-décider de tout ce qui nous regarde. Qu*il
eft terrible alors à notre égard , mes Frè-
res ! il nous traite comme des vié^imes
qu'on engrailfe & qu'on orne de fleurs ,
^ parce qu'on va bientôt les conduire fur le
bûcher , & qu'on les deftineau facrifice.
De-là , fecondement , comme nous nous
aimons beaucoup nous-mêmes , & que
nous ne mettons point de bornes à nos de^
firs 5 nous ne fommes jamais contens de
notre état , de notre élévation , de nos
places : nous trouvons toujours qu'il maïak
SUR LA Soumission , &c. 15
que quelque chofe à Tavidité de notre
amour propre. Si nous n'avons pas tout
ce que nous defirons , nous ne comptons
pour rien tout ce que nous avons ; nous
nous épuifons en vues ^ en prétentions , en
projets , en mefures ; nous ne faurions
jouir paîfiblement , chrétiennement de ce
que la Providence nous offre. Ce qui nous
manque nous inquiète plus , que ce que
nous poffédons ne réufTit à nous fatisfaire ;
tant que nous voyons devant nous quelque
chemin à faire j nous ne faurions nous en
tenir à ce qui eft déjà fait : Notre orgueil Pf. 7?.
monte toujours , comme dit le Prophète : ^5-
femblables à un pilote qui marche en haute
mer , quand nous fommes arrivés tout îe
plus loin que nos yeux & nos efpérances
pouvoient s'étendre, nous découvrons de
ce nouveau point de vue , de nouveaux
pays & des efpaces immenfes , qui rani-
ment nos prétentions : plus nous nous éle-
vons 5 plus nos vues s'étendent ; plus nous
avançons , plus nous voyons de chemin a
faire. Le terme de nos defirs quand nous
y fommes arrivés , n'eft plus que la voie
qui nous conduit à d'autres : notre état
préfent n'eft jamais celui qui nous plaît : la
deftinée que Dieu nous fait , n'eft jamais
celle que nous nousfaifons à nous mêmes :
nous fommes ingénieux à nous rendre
malheureux ; nous conjurons fans ccife
contre notre propre repos ; nous ne fau-
rions vouloir ce que Dieu veut ; & pour
nous dégoûter d'un bien que nous avons
l6 PURIFIC. DE LA ViERGE.
long-teins defîré , il fuffit enfin que la Pro-
vidence nous l'accorde.
De- là 5 troifiémement , comme notre
amour propre s'eft emipajé de tout l'uni*
vers y & que nous regardons tout ce que
nous defirons comme notre partage ; les
places & les honneurs qui échappent à
notre cupidité , & qui fe répandent fur
les autres , nous les regardons comm.e des
biens qui nous appartenoient , & qu'on
nous ravit injuftement. Tout ce qui brille
au-deflijs ou à côté de nous , nous éblouit
& nous blefTe : nous voyons avec des
yeux d'envie Télévation de nos Frères ; leur
profpérité nous inquiète ; leur fortune fait
notre malheur; leurs fuccès forment un
poifon fecret dans notre cœur , qui répand
l'amertume fur toute notre vie ; les ap^
pîaudifîemens qu'ils reçoivent font comme
des opprobres qui nous humilient ; nous
tournons contre nous tout ce qui leur eft
favorable : nous nefaurions vouloir ce que
Dieu veut ; & peu contens àes malheurs
qui nous regardent, nous nous faifons en-
core une infortune du bonheur de nos
frères.
De-là enfin, comme nous croyons feuîs
avoi*r la fagefîe en partage , tout ce qui ne
s'ajufte pas à nos vues & à nos lumières
dans l'arrangement des chofes d'ici- bas ,
trouve auprès de nous fa condamnation &
fa cénfure. Nous voudrons que les places
& les dignités fulTent difpenfées à notre
SUR LA Soumission , &c. 17
gré ; que nos vues & nos conieils réglal-
fent la fortune publique ; que les faveurs ne
tombalTent que fur ceux à qui notre fuffrage
les avoit déjà dellinées ; que les événe-
mens publics ne fuifent conduits que par les
mefures que nous aurions nous-mêmes
choifies. Nous blâmons tous les jours le
choix de nos maîtres , nous ne trouvons
perfonne digne des places qu'il occupe ;
nous ne refpeâ:ons pas aifez l'ordre de Dieu
dans l'ordre extérieur de ce monde vifibîe ,
ni fa volonté fainte dans la volonté ou le
caprice même des Souverains , qui n'ont en
mainlapuifl^nce & l'autoritéjquepour être
les premiers Miniftres de fa Providence.
Nous ne faurions vouloir ce que Dieu veut;
nous trouvons de i'injudice , de Thumeurj
de l'imprudence dans la difpenfation des
places &: des faveurs ; il fe peut faire que
les hommes aient tort, & faiîent des choix
iniuftes ; m.ais Dieu a toujours raifon , & il
fe fert de leurs méprifes , pour accomplir
les delTeins éternels de fa providence fur
les peuples & fur les empires.
Que le monde eu grand , mes Frères !
qu'il eil magnifique ! que le gouvernement
des Etats & des Empires offre à nos yeux
d'ordre , de fageile , de magnificence ,
quand nous y voyons un Dieu invifîble ,
fouverain modérateur de l'univers, qui dif-
pofe de tout depuis une extrémité jufqu a
l'autre avec poids , avec nombre , avec
mefure ; fans l'ordre duquel un cheveu m.ê-
me ne tombe pas de nos têtes ; par la vclcii-
l8 PURIFIC. DE LA ViERGE.
té de qui tout fe fait, qui voit les événemèns
les plus éloignés dans leurs caufes ;qui ren-
ferme dans fa volonté les caufes de tous les
événemèns ; qui donne au monde des Prin-
ces & des Souverains , félon fes defleins de
juflice ou de miféricorde fur les peuples ;
qui donne la paix , ou qui permet les guer-
res , félon les vues de fn fagefîe fur Ces Elus
& fur fon Eglife ; qui donne aux R.ois des
Minières fages ou corrompus , des Am.ans
ou des Mardocliées , ou pour punir les pé-
chés des peuples , ou pour exercer la foi
de {es ferviteurs ; qui difpenfe les bons ou
les méchans fuccès , félon qu'ils devien-
nent plus utiles à la confommation de fon
ouvrage ; qui règle le cours des paiTicns
humaines; & qui par des ménagemens inex-
plicables 5 fait fervir aux deffeins de fa mi-
féricorde la malice miême des hommes !
Que le monde , mes Frères 5 confidéré
dans ce point de vue , & avec l'ouvrier
fouverain qui le conduit , eft plein d'or-
dre , d'harmonie, 8c de magnificence ! que
c'eft un fpeâ:acîe digne de la Foi ! Mais fî
vous en féparez Dieu ; mais fi vous le re-
gardez tout feul ; fi vous n'y voyez plus
que les pafîîons humaines , qui femblent
mettre tout en mouvement ; fi vous n'y
voyez plus la volonté éternelle du Sei-
gneur , qui en eft le reffort invifibîe , 8c
qui donne le mouvem^ent à tout : ah ! ce
n'eft plus qu'un cahos , un théâtre de con-
fufion & de trouble ; où nul n'eil à fa
place : où l'impie jouit de la récofrpenfs
SUR LA SoifMlSSION , &C. ïç
de îa vertu ; où le Jufte a fouvent pour
partage , l'abjeâiion & les peines du vice ;
où les paAloiis font les feules loix conful-
tées : où les hommes ne font liés entr'eux ,
que par les intérêts mêmes qui les divifent ;
où lehazardfemble décider des plus grands
événemens ; où les bons fuccès font rare-
ment la preuve & la récompenfe de la
bonne caufe ; où Tambition & la témérité
s'élèvent aux premières places , que le
m.érite craint , ou qu'on refufe au mérite' :
enfin , où l'on ne voit point d'ordre ^ parce
qu'on n'y voit que l'irrégularité des mou-
vemens , fans en comprendre le fecret 6c
l'ufage.
Voilà le monde féparé de Dieu ; &
voilà comme nous le regardons. Nous n'y
voyons pas une fageffe fouveraine qui fe
joue pourainfi dire , dans l'univers, en ren-
verfant les Etats & les Empires , & en
élevant d'autres fur leurs ruines ; en chan-
geant fans ceffe les noms & les fortunes des
hommes , & laiflant les chofes d'ici- bas
dans une inconftance Se une révolution
éternelle , pour nous apprendre à nous
attacher à lui feul , qui ne paife point , 6c
qui feul eft toujours le même,
11 ell vrai que fouvent nous refilions à
Dieu , fous prétexte de le chercher. Der-
nière fource de notre révolte contre la vo-
lonté de Dieu : une faulTe vertu ; & der-
nier écueil que l'exemple de Marie nous
apprend à éviter.
En effet > fi elle n'eût confulté que fou
20 PURIFIC. DE LA ViERGE.
zele pour Ja gloire de fon Fils , les intérêts
de fa naiiTance divine , & les ohftacles que
fa purification fembloit mettre au fruit de
fon Miniftere , en confirmant l'incrédulité
de fon peuple , & le faifant pafTer pour le
fîmple Fils de Marie & de Jofeph ; fi elle
n'eût confulté que ces frayeuis nées de fa
piété m.ême , Marie devoit , ce femble ,
le fouftraire à la loi commune ; & ne pas
venir dans le Temple donner à fon Fils un
caraâ:ere de fouillure &: de péché , qui le
confondcit avec les autres enfans de Juda.
Mais elle fe défie d'un zele qui n'eft pas
dans Tordre de Dieu : elle ne veut le falut
des hommes , & la gloire de fon Fils ,
qu'autant que Dieu le veut lui-même ; &
rien ne lui paroît sûr , mêïne dans la ver-
tu , que de fe conformer à fa volonté
fainte.
Oui , mes frères , rien n'eft bon pour
nous que ce que Dieu veut ; toute piété qui
n'a pas pour fondement une conformité
continuelle à fa volonté fainte , eR une
fauffe vertu ; eft bien moins un culte de
Dieu 5 qu'une recherche fecrette & dan-
gereufe de nous-mêmes, C'eft par-là ce-
pendant que la piété manque prefque tou-
jours : nous ne voulons jamais aller à Dieu
par les voies que fa main même nous a
frayées ; &: nous faifons confifter la vertu ,
non à vouloir ce que Dieu veut j mais à
nous fuivre & nous écouter nous-mêmes.
Premièrement , les devoirs de notre état
ne nous plaifent jam*ais : nous leur fubfti-
SUR LA Soumission 5 &c. ir
tuons toujours des œuvres arbitraires que
Dieu ne demande pas de nous. Eft-on -en-
gag: dans le lien facré du mariage ? on prie-
roit avec goût ; on courroit avec plaifir à
toutes les œuvres de miféricorde ; on paf-
feroit les jours entiers , fans s'ennuyer ,
dans la retraite & à des leâ:ures faintes ;
on aimeroit à foulager les malheureux :
mais ce qui déplaît , mais ce qu'on n'aime
pas , c'eft la foumiflion , la complaifance ,
la douceur mutuelle ; cette déférence qui
unit les cœurs , & fi recommandée par l'A-
pôtre aux femmes chrétiennes ; cette con-
defcendance qui rapproche les humeurs , &
qui lie les efprits ; cette patience qui défor-
me la férocité , & qui fe concilie Teftime &
la tendrefle ;ces foins & ces attentions do-
meftiques , qui établiffent l'ordre dans les
familles , confervent la paix 5 préviennent
les déréglemens &: le fcandale des diflen-
fioHs 5 & font que Dieu habite au milieu
d'une race fidèle. On aime tout ce que Dieu
ne demande pas de nous ; ce qu'il veut ,
on ne l'aime point ; & fouvent la piété de
la femme fidèle , qui devroit être la fource
de la paix , de la douceur , de la confola-
tien d'une maifon fainte & ram.ener le
mari infidèle , l'éloign^êt l'aigrit , faute
d'égards & de com^aifance , devient la
fource des antipathies & des divifions . &
fait craindre la vertu , dont la paix eft le
fruit 5 comme û elle étoit le fignal infailli-
ble des aigreurs & des troubles dans les
familles.
21 PURIFIC. DE LA ViERGE.
Secondement , Ci Dieu nous lailTe dans
un état d'infirmité habituelle , nous nous en
prenons à cet état . de notre tiédeur , &:
de nos infidélités dans le fervice de Dieu :
nous nous figurons qu'avec une fanté mieux
établie , no'.:s rem.piirions mille pratiques
de pieté aufquelles nous nous trouvons in-
habiles : nous ne faurions comprendre que
fe foumettre à Dieu , & faire un ufage
faint de l'état où il nous lailFe , c'eft prier ,
c eft fe mortifier , c'eft opérer des œuvres
de miféricorde ; qu'en ce point tout eft
renfermé ; que le Seigneur fait mieux ce
qui nous convient que nous-mêmes ; que
ce n'eft pas à nous à nous choifir notre
voie ; &: que ne vouloir que ce que Dieu
veut 5 c'eft toute la perfeÔion de la Foi j
& toute la sûreté du Fidèle.
Troifiémement , nous foufFrons impa-
tiemment nos propres imperfections : nous
nous femmes à charge à nous-mêmes : les
infidélités où nous nous furprenons tous les
jours 5 nous jettent dans des inquiétudes
d'amour propre , & nous dégoûtent de la
vertu : nous voudrions n'avoir rien à nous
reprocher ; vivre contens de nous-mêmes ;
nous applaudir en fecret de notre vertu , &
jouir du témoignage flatteur de notre conf-
cience : nos fautes nous inquiètent , & nous
rallentiffent dans les voies de Dieu , parce-
qu elles troublent cette paix toute humai-
ne ; qu'elles humilient cet orgueil fecret
qui chercheroit au- dedans de nous une vai-
ne compkifance : nous ne faurions regar-
SUR LA Soumission , &c. 23
der nos fautes dans l'ordre de Dieu , & en
tirer l'utilité que fa fageffe fe propofe. Dieu
veut que nous opérions notre ialut avec
crainte & tremblement; &: nous voudrions
l'opérer avec une fécurité entière : Dieu
veut nous conduire par la Foi , & nous
voudrions aller à lui par la lumière : Dieu
veut que nous vivions toujours incertains ,
fi nous fommes dignes d'amour ou de hai-
ne ; &: après quelques foibles démarches
de pénitence & de piété , nous voudrions
être afTurés qu'il s'eft rendu à nous : Dieu
veut que nous vivions dans une dépendance
continuelle de lui ; & nous voudrions pou-
voir trouver un appui de chair au-dedans
de nous : Dieu veut que nous laifTions no-
tre fort entre fes mains ; & nous voudrions
le tenir dans les nôtres : en un mot , Dieu
veut que notre faîut dépende de lui ; &^
nous voudrions qu'il dépendît uniquement
de nous-mêmes.
Quatrièmement , fi les pécheurs , revê-
tus de l'autorité publique , mettent quelque
obftacle à notre zèle , fufcitent des contra-
dirions à des entreprifes utiles à la piété ,
nous ne gardons plus de mefure de charité
avec eux : nous croyons être en droit de
déclamer contre leurs mauvaifes intentions ;
de découvrir leurs vices ; de les faire paf-
fer pour des ennemie publics de tout bien
&: de toute juflice. Sous prétexte de gémir
fur leur aveuglement , nous nous aveu-
glons nous-mêmes ; & loin de demander
à Dieu dans le filence qu'il change leur
24 PURIFIC. DE LA ViERGE.
cœnr , & laifier entre les mains les inté-
rêts de fon Eglife, qu'il faura bien proté-
ger malgré la malice &: la puiffance des
hommes , nous nous perfuadons que le ti-
tre de proteâ:eurs de la piété, nous autori-
fe à violer les règles de la piété même.
Enfin 5 les deréglemens de nos proches,
de nos égaux , de nos maîtres avec qui nous
avons à vivre , nous font infupportables.
Nous nous faifons une faufTe vertu de les
cenfurer , de les décrier , de les aigrir :
nous nous plaignons de notre deftinée , qui
nous unit par des liens de devoir & de fo-
ciété , avec des perfonnes qui vivent com-
me des payens , &: fdns aucun fentiment de
religion & de piété ; il nous paroîtroit bien
plus doux de vivre avec des âmes fidèles
qui penferoient comme nous ; & par nos
aigreurs & l'ainertume de notre fociété ,
nous leur rendons la piété aufTi odieufe que
nous-mêmes. Nos cenfures leur rendant
nos exemples inutiles , ils fe figurent- la
vertu faite comme nous fommes ; c'eft-
à-dire , dure , fâcheufe , impitoyable ,
pleine de fiel & de préfomption ; & loin
de les attirer en les fupportant , nous les
éloignons en les méprifant , & paroiffant
plutôt triompher de leurs vices , que com-
patir avec douceur & avec religion à leurs
foibleffes.
La conformité à la volonté de Dieu ,
mes Frères , nous rend , fi l'on peut parler
ainfi , le pécheurs refpeâ:ables : elle nous
fait rentrer dans les dcfleins de fa fageife fur
euxj
SUR LA Soumission , &c. 25
e'tîs , laquelle fait les rendre utiles au falut de
Tes Elus , <k les mener fou vent à la pénitence
& au falut, par la voie même de leurs déré-
glemens. Ainiî la véritable vertu regarde les
pécheurs entre les mains de Dieu ; les fouffre
avec charité , puifque Dieu Iqs fouffre lui-
même ; les aime avec tendreffe , puifqu'ils
peuvent devenir les amis de Dieu , & qu'ils
font utiles aux deiîeins de fa Providence ;
attend peur eux les momens de la grâce ,
adore les vues éternelles de celui qui a
marqué des bornes aux paffions des hom>
m^s , comme à Timpétucfité des flots de
la mer. Vouloir ce que Dieu veut ou per-
met à l'égard des autres , comm.e à l'é-
gard de nous-m.êmes , eft inféparable de
la vertu. Les vices doivent nous aiTliger;
mais les pécheurs doivent toujours uous
être chers.
Ainfî , mes Frères , rien n'infpire plus
de douceur, de charité , d'humanité en-
vers les hommes , que de confidérer fans
cefTe la volonté de Dieu fur eux. Ils font
fans doute haïUables en eux-mêmes 5 dès
qu'ils font pécheurs ; mais dans l'ordre de
Dieu 5 ils font toujours dignes de notre
amour & de notre refpeét. Ils fervent à
fon ouvrage ; ils font peut-être deftinés
pour y entrer un jour : nous devons donc
voir leurs pafTions avec douleur , mais avec
patience ; les reprendre s'ils nous font fou-
rnis 5 mais les fouffrir avec charité ; ic-u-
haiter leur converfîon avec ardeur , mi^is
l'attendre fans inquiétude ; & ne pas faire
PARTIE
26 PURIFIC. DE LA ViERGE.
confifter notre vertu dans l'éloignement
des pécheurs , mais dans le defir fincere
de ieur pénitence.
Telles font les trois fources de notre
révolte contre la volonté de Dieu 5 &: les
trois facrifices dont Marie nous donne au-
jourd'hui l'exemple ; mais après vous avoir
marqué les obftacles qui s'oppofent en nous
ànotxe foumiiTion à Dieu ,11 faut vous expo»
ferles avantages &les confolations qui nous
facilitent la (bumiflion à fa volonté fainte.
^}'^^^ JL Pvois fources fécondes de chagrins for-
ment tous les malheurs & toutes les inquié-
tudes de la vie humaine : les vaines pré-
voyances f.ir l'avenir ; les agitations infi-
nies fur le préfent , & les regrets inutiles
fur le paffé. L'avenir nous inquiète par fes
craintes &: par {qs efpérances : le préfent
nous agite par fes embarras & par fes con-
tre- temps : enfin , le palfé même nous tour-
mente, en rendant comme préfens , par un
fâcheux fouvenir , des maux que le temps
devroit avoir fait oublier. Voilà ce qui
rend tous les hommes , qui ne vivent pas de
la Foi & dans la dépendance de Dieu ,
malheureux fur la terre.
Or 5 la foumiflion feule à la volonté de
Dieu 5 nous fait attendre l'avenir fans in-
quiétude ; nous fait voir le préfent avec
tranquillité ; rappeller le paffé avec fruit ;
& dans toutes ces fituations , nous fait
trouver en Dieu & dans une conformité
continuelle à fes ordres , la paix ôc la con-
SUR LA Soumission , &c. 27
foîation , que le pécheur iit' faurcit jamais
trouver dans Tes pallions &: dans lui-même.
Je dis premièrement , que cette fou-
million nous fait attendre , comme aujour-
d'hui à Marie , l'avenir fans inquiétude.
Car 5 mes Frères , quelles allarmes la pré-
di£^ion du vieillard Siméon fur la deftinée
future de fon Fis , ne devoit-elle pas jctter
dans fon ame fainte ? On lui annonce qu'un
glaive de douleur percera fes entrailles
maternelles ; que cet Enfant fera expofé ,
comme un but , aux traits des méchans &
à la contradiéiion de fon peuple ; & qu'il
eft établi pour la perte , comme pour le
falut de plufieurs : quelle foule de craintes 5
d'inquiétudes , de défiances , dévoient alors
troubler la paix de fon cœur ! Cependant
elle jette , comme le Prophète , toutes
fes penfées & toutes fes frayeurs dans le
fein de Dieu r elle ne voit l'avenir que
dans l'ordre fage & immuable de fes vo-
lontés éternelles : elle adore par avance les
deffeins du Père célefte fur cet Enfant :
elle s'y foumet , fans vouloir les approfon-
dir & les connoître ; & s'en remettant à
, Dieu feul de tout ce qui la regarde , fa
I tranquillité eft parfaite , parce que fa fou-
mifîîon eft entière.
Oui 5 mes Frères , les inquiétudes fur
l'avenir forment le poifon le plus amer de
la vie humaine ; & les hommes ne font mal-
heureux 5 que parce qu'ils ne favent pas fe
renfermer dans le moment préfent. Ils hâ-
tent leurs peines & leurs foucis ; ils vont
Ri
/
Z^ .PURÎFIC. DE LA VîERGE.
chercher dans l'avenir de quoi fe rendre
niaiheure'jx , comme fi le préfent ne fiif-
fîioit pas à leurs inquiétudes : ils fe for-
ment des chimères pour Ce faire peur à eux-
mêmes 5 corn, me s'ils n'avoient pas allez de
chagrins réels : ils fe tourmentent fans
celle fur le lendemain , comme fi à chaque
jour ne fuffifoit pas fa malice : ils n'ont
plus de lumières que les autres , que pour
fe former plus d'inquiétudes : ils ne voient
plus loin que pour voir plutôt leurs mal-
heurs: ils ne font plus fages que pour être
plus inquiets & plus timides : ils ne font
plus prévoyans que pour être de pire con-
dition , & moins tranquilles que les impru-
dens & les infenfés. A ces traits , vous
vous reconnoiifez 5 mes Frères ;car qu'eft-
ce que la vie de la Cour ? qu'une agita-
tion éternelle fur l'avenir ; qu'une révolu-
tion fatiguante de craintes , de précautions ,
d'efpérances. De craintes ; tous les évé-
nemens nous offrent prefque de nouvelles
terreurs ; l'élévation d'un concurrent nous
fait craindre notre difgrace: la faveur d'un
ennemi nous montre de loin notre perte
corn. me alTurée : un air moins gracieux du
maître nous fait déjà entrevoir notre oubli
& notre ruine. De précautions ; nous pre-
nons fans ceffe des mefures , ou pour ob-
tenir des grâces qui ne viendront jamais ,
. ou pour prévenir des dégoûts & des cha-
grins qui viendront. Enfin , d'efpérances ;
un avenir pompeux nous flatte toujours ;
mais pour y parvenir , il faut facrifier le
SUR LA Soumission , &c. 29
repos & toutes les douceurs du préfent :
la félicité n'eft jamais que dans l'idée , qui
fe la promet ; les alTuiettiiTemens & les
peines font dans le cœur , qui les fent
6c qui les dévore.
Mais une ame foumife à Dieu n'éprouve
point ces troubles , ces frayeurs , ces fou-
cis 5 qui agitent les enfans du fîecle. Elle
fait que l'avenir eft arrêté dans les confeils
éternels de la Providence; que nos in-
quiétudes & nos foucis 5 ne pouvant chan-
ger la couleur même d'un feul de nos che-
veux 5 ne changeront pas 5 à plus forte rai-
fon , l'ordre de fes volontés immuables ;
qu'on ne riique rien en fe confiant à lui
fur tout ce qui doit arriver ; qu'il eft mê-
me confolant de favoir qu'un Dieu daigne
fe mêler de ce qui nous regarde ; encore
plus confolant de lire dans les Livres faints,
qu'il nous ordonne de nous en remettre à
lui feul ; & qu'enfin , il fe charge de l'a-
venir, & ne nous commande que de fanc-
tifier par la Foi l'ufage du préfent.
Ce n'eft pas que la Religion autorife îa
pareiTe ou l'imprudence ; & que pour être
fournis à Dieu fur l'avenir , il faille telle-
ment s'en rapporter à lui , qu'on abandon-
ne tout foin 5 & qu'on méprife toute pré-
voyance. Le Fidèle fe confie en Dieu \
mais il ne le tente pas : il travaille comme
fi tout dépendoit de lui ; il eft tranquille
fur l'événement , parce que tout dépend de
Dieu : il fait que la raifon doit fournir les
précautions & les mefures / m.ais il fait eu
B?
50 PVRIFIC. DE LA ViERGE.
core mieux que la Foi attend le fuccès
lie Dieu feul : il eft prudent dans le choix
des moyens ; mais il eft fimple & fournis
dans l'attente des événemens : en un mot,
la prudence eft commune au Fidèle & au
mondain ; la paix & la tranquillité n'eft
que pour le Fid-ele.
Et quand je dis commune , mes Frè-
res 5 c'eft le nom feul de prudence qui
leur eft commun : car d'ailleurs , quelle
différence entre les caraâeres d'une pru-
dence chrétienne & foumife à Dieu , &
les caraé^eres d'une prudence toute hu-
maine ! c'eft l'Apôtre S. Jacques qui nous
les marque.
Premièrement , la prudence du' Fidèle ,
dit cet Apôtre , eft chafte & innocente :
£p.Jac» Primîim quidem pudica : il ne connoît de
^' ' mefures légitimes , que celles que la conf-
eience permet & que la Religion approu-
ve : le crime ne lui fert pas de voie pour
arriver à {es fins ; & toute prudence in-
compatible avec le falut , lui paroît la
dernière des folies. Celle du pécheur au
contraire , eft corrompue & criminelle ;
il trahit fa confcience pour arriver à {es
£ns : il ne compte pour rien les crimes ,
ou les démarches obliques , qui lui répon*
dent du fuccès : il cherche à réuftir aux
dépens même de fon ame ; & tout ce qui
peut lui être utile , lui paroît bien tôt in^
nocent.
Secondement , la prudence du Fidèle
eft tranquille & amie de la paix : Ddnde
SUR LA Soumission , Sec. 31
quuicm pacifica : fes mefures font toujours
paifibles 5 parce qu'elles font toujours^ fou-
inifes à la volonté de Dieu : il ne fouhaite
le fuccès qu'autant que Dieu même le fou-
haite ; & dans les précautions qu'il prend ,
il cherche plutôt à obéir à Dieu qui les de-
mande de lui 5 qu'à fe fatisfaire lui-même*
Celle du pécheur au contraire , eft tou-
jours agitée , parce qu'elle n'eft jamais foiï-
inife : il attache fon bonheur 9 non à l'or-
dre de Dieu , mais au fuccès de fes me-
iures : il attend la pain de révénement ,
& non de fa foumiîllcn : 6c fa prudence
c(i elle-même la fource de fes chagrins &
de fes inquiétudes.
Troifiémemenî , la prudence du Fidèle
eft modefle ; Modejla : il s'interdit les pro-
jets ambitieux ; ifn'a que des vues coa-
formes à fon état ; il fait mettre àes bor-
nes à fes defirs : il penfe moins à s'élever 0
qu'à fe rendre utile ; & fa modération eft
Je tréfor , d'où il tire la fource de la paix,
& la sûreté de fon innocence. Celle du
pécheur eft infatiable : il prend toujours )
de nouvelles mefures , parce qu'il forme
toujours de nouveaux projets : fa cupidité
ne connoît point de bornes : tout ce qji le
flatte , lui convient : les poUes les plus pé-
rilleux n'ont rien qui l'effraye : les périls
qui relèvent celTent d'être des pér Is ; le
mauvais fuccès de fes mefures efl l'unique
danger qu'il craint ; & il ne compte pour
rien d'expofer fon falut , pourvu qu'il allure
fa fortune.
B4
32 PURIFIC. DE LA VlEUGE.
Quatrièmement , la prudence du Fidèle
eft humble & docile : Suadlbilis : il fe
défie toujours de fes propres lumières : il
compte plus fur le fecours du Ciel , que
fur toutes les mefures de la prudence hu-
Xîîaine ; & en ne négligeant rien , il attend
tout de Dieu feul. Celle du pécheur au
contraire , eft pleine d'orgueil : il ne comp-
te que fur rhabileté de ies^ mefures : il fo
confie en fa propre fagelfe : il n'attend le
fuccès que de fes foins j ce agit tout feul ,
comme s'il n'y avoit point de Dieu qui fe
m^jlât des chofes îiumaincs.
Cinquièmement 5 la prudence du Fidèle
n'ell point foupçonneufe : Non jiidicans :
il ne cherche point fa sûreté dans la dé-
£ance continuelle de fes frères : il croit dif-
£cilemient le mal ; & aime encore mieux
tomber dans leurs picgcs 5 que juger té-
mérairement leurs intentions & leurs pen-
fées. La prudence du pécheur ne trouve fa
sûreté que dans fjs foupçons & dans fes
défiances. Commie fon cœur ell corrom-
pu 5 tout lui paroît corruption &: duplicité
dans les autres : il regarde tous les hom-
mes comme fes ennemis : il foupçonne le
mal 5 où il ne le voit pas r il fe perfuade
que pour juger sûrement , il faut toujours
juger mal de (es frères ; 8c toute fa pru-
dence fe réduit à fuppofer dans tous les
hommes , tout ce dont il efl capable lui-
mêmie. .
Sîxiémem.ent y la prudence du Fidèle
n'eft point diffimulée : fine fimidatione : il
SUR LA Soumission , &c. ^53
ne met point fon habileté dans fes artifices.
Comme il ne veut tromper perfonne , il n'a
que faire de fe déguifer ; & toute fon
adrefle eft dans fa candeur & dans fa fiocé-
rité. Ceile du pécheur au contraire n'eft
qu'une duplicité éternelle : fes lèvres dé-
mentent toujours fon cœur : Ton vifage eft
toujours la contradiction de fes fentimens :
il croit être plus habile à mefure qu'il eft
plus faux : toute fa vie n'eft qu'un fonds
de baiTefle & de mauvaife foi ; & fa pru-
dence eft toujours pénible , parce qu'elle^
l'oblige toujours à fe contrefaire.
Enfin, la prudence du Fidèle eft pleine^
de miféricorde & des fruits de bonnes œu-
vres : PUna miferlcordiâ , &'fruciibus bonis ::
il joint aux moyens humains , les pratiques^-
de la vertu & les fecours de la prière : ill
affurele fuccès de fes mefures, par Tabon-
dance de fes largefles & par les mérites de^
la miféricorde ; & trouve dians les devoirs;
de la Religion , les principales reflburces;
& le feul appui de fa fortune. Le pécheur
au contraire , regarde la piété comme uni
obftacle à fon élévation ; il fuit les maxi-
mes de la Religion comme incommodes ai
fa fortune ; & s'il a recours quelquefois;
aux apparences de la vertu, c'eft pour en
abufer , & y trouver un chemin plus sûr
de parvenir à ce qu'il defîre.
Aufîi 5 continue l'Apôtre de qui' j ai tiré
tous ces caraâ:eres , la prudence du Fidèle-
eft une femence & une fource^ continuelle*
de paix dans fon cœur : Frucîus autcm inf-' ^^^* J^-
R ^; "^"
34 PURIFIC. DE LA ViERGE.
îidœ in pacc fiminatur ^Jacicntihus pacem.
Mais la prudence du ùecle qui ne vient
point du Ciel , mais de la corruption du
pécheur & du fonds de fes paffions , eft
une révolution éternelle de craintes , de
defîrs , de chagrins ; & comme elle eft
l'ouvrage de fss pafTions , elle ne fauroit
être plus tranquille que fes pa/Tions mê-
^'.15. mes : Non eji ijîafapicntia defurfum defcen^
dens à Paire luminum yfid terrena , animai
lis , diabolica,
La féconde fource des inquiétudes hu-
maines y font les événemens préfens , Se
ce qui fe pafTe tous les jours à nos yeux.
Rien n'arrive prefque jamais félon nos de-
firs : ce que nous aimons 5 nous échappe ;
ce que nous fouhaitons , nous fuit ; ce que
nous craignons , nous arrive. Nous ne fom-
mes jamais heureux de tout point : fi la
fortune nous rit ^ la fanté nous abandonne ;
fî nous jouiffons de la fanté , la fortune nous
manque ; fi la faveur du maître nous élevé;
Tenvie du courtifan nous flétrit & nous dé-
grade ; fî l'envie nous épargne , & que nous
l^uiflions compter fur les fuffrages publics ,
ik maître nous néglige : enfin , dans quelque
situation que nous foyons , il manque tou-
jours quelque chofe à notre bonheur ; &
ce qu'il y a de trifte pour l'homme , c'eft
qu'un feul chagrin rem^porte pour lui fur
mille plaifîrs ; & que ce qui lui manque ,
quelque léger qu'il puilTe être , empoifonue^
toujours tout ce qu'il poilede.
Mais uneame fidèle trouve, comme auV
SUR LA Soumission , &c. 35
jourd'hui Marie , dans une foumiffion en-
tière aux ordres de Dieu , une reiîource
toujours prête aux embarras de fa fituation
préfente. Toutétoit incompréhenlible dans-
les delleins de Dieu fur elle ; la baflefTe de
fou Fils , & la grandeur future qu'on lui
annonce ; le glaive qui doit percer fbn
cœur , & toutes les nations qui doivent
pourtant l'appeller heureufe ; l'abjecèioii
q,ui l'environne , & les grands événemens
qui l'attendent : mais la volonté de Dieu
eft le feul dénouement de fes doutes y 6e.
la grande confolation de fes peines.
Oui 5 mes Frères , ce qui rend la fou'-
miiïion à la volonté de Dieu û confoiante-
dans les fîtuations les plus difficiles où il^
nous place , c'eft premiérernsnt , que c'ed.
la volonté d'un Dieu tout-puifTant à qui
tout eft aifé ; maître des événemens ; qui
d'un feul regard peut finir nos peines ; au-
près de qui tout trouve d^s reffoiirces ; quî-
n'a qu'à dire , & tout eft fait. Ah ! les-hom-
mes auxquels nous nous livrons , ne fau-
roient nous tirer des embarras Se des pé-
rils où ils nous engagent. Oh voit tous les
jours les amateurs du monde tomber avec
l'eurs protecteurs , & avec ces appuis de*
ehair & de fang , ^^n qui ils mettoient une?
vaine confiaiice : femblables , dit le Prophè-
te ^ à ceux qui vont chercher un foibJe fou^
tien contre la muraille de boue déjà pan-
chée & prête à tomber , ils font tôt ou-
tard écrafés , & enfeVelis fous fes ruines :
TanqUiirn parUti inciinato y 0 maccri(d de- ^J*^^""
36 PURIFIC. DE LA ViERGE.
j/ulfa. Il eft mille iitr.ations où les homm?s,.
avec toute leur puiiTance , ne peuvent rien
pour nous : iis nefauroient du moins nous
faire à nous-mêmes une félicité plus entière
que celle dont ils jouiflent ; & comme ils
ne font jam.ais qu'à demi heureux , nous
ne devons pas nous attendre qu'ils rendent
notre condition meilleure que la leur , ni
qu'ils fallent pour nous ce qu'ils ne peu-
vent pour eux-maêmes.
Mais la grande confolation d'une ame
foumife à Ijieu , c'elt de fe pouvoir dire à
elle même : Dieu eft airezpuifTant pour me
foutenir : je ne rifque rien à le laifTerfiîire ;
il a des rcfTources pour tous mes befoins :.
ce qui paroît dcfefpéré aux hommes , eft
facile à fa puifl'ance : il veut qu'on efpere
contre l'efpérance même ; & plus les fe-
cours humains paroiffent inutiles , plus il
vient à notre fecours , pour nous accoutu-
îner à attendre tout de lui , & à ne pas met-
tre notre confiance dans les hommes.
Secondement , c'eft à la volonté d'un
Dieu fage que nous nous foumettons ; qui
a fes raifons éternelles dans les événemens
qu'il nous m^énage ; qui voit les différentes
utilités des fi^uations où il nous place ; qui
lie fajt rien au hazard ^ &: qui connoît les
événemens avant même de prendre des
incfure?. Hélas ! nous pouvons nous in-
quiéter furies iltuations que nous nous m^é-
nageons à nous- mêmes , parce que nous ne
nous connoiflbns pas aiTez^pour décider
liîrfce qfji nous convient =, ^ que d'ordi-
suB. LA Soumission 5 &c. 17
naire dans nos choix, nous confultons
plus les intérêts de nos pafîions que ceux
de notre ame ; rnais ce qui confole Famé
fidèle fouinife à Dieu , c'eft la fagefïe
de celui en qui elle met fa confiance. Dieu
a fes raifons ^ fe dit fans ceffe l'ame ficiele ,
dans les fituations où il me place ; & quoi-
qu'elles me foient inconnues , elles n'en
font pas moins juftes & adorables : je ne
dois pas mefurer fes vues incompréhenfi-
blés fur mes lumières foibles & bornées. Je
ne vois pas où peuvent me conduire les.
voies par où il me mené ; mais puifque
c'eft fa main qui les a frayées , il n'y a qu'à
marcher fans rien craindre : il mené fou-
vent à la terre de promefie , par les cir-
cuits pénibles 6>: arides du défert , &: nous
cache prefque toujours Ces voies , pour
nous îaiiFer tout le mérite de la foumilîion
& de la confiance.
Enfin j non-feulement parce qiie c'eft à
la volonté d'un Dieu puifTant & fage , que
nous nous foumettons ; mais encore d'un
Dieu bon , tendre & miféricordieux , qui
D0U5 aime , qui ne veut que notre falut.
Les hommes cherchent fouvent à nous
nuire 5 en faifant femblant de nous favori-
fer : nous ne leur fommes chers qu'autant
que nous leur fommes utiles ; & ils veulent
plutôt nous faire fervirà leur bonheur, que
nous rendre heureux nous-mêmes.
Mais Dieu n'a que notre falut en vue :
tout ce qu'il veut par rapport à nous , il
ûÊ le veut que pour nous : nos intérêts
38 PURIFIC. DE LA ViERGE.
éternels feuls règlent fes démarches à no*
tre égard : s'il nous frappe , c'eft pour
nous lauver : s'il nous humilie , il ne fe
propofe que notre falut : s'il nous élevé ,
ceft notre falut encore qui le fait agir :
enfin , en quelque fituation qu'il nous place,
c'eft toujours un Père qui nous conduit ,
un ami qui nous gouverne , un prote(R:eur
qui nous foutient , un guide qui nous pré-
cède & qui nous montre les voies. Hélas !
mes Frères ! nous nous croyons fi fort en
sûreté , quand nos intérêts & notre for-
tune font entre les mains d'un ami fidèle
depuis long-temps éprouvé , & fur lequel
nous com.ptons comme fur nous-m.êmes :
nous ne daignons pas même nous informier
des raifons qu'il a dans les partis qu'il prend
par rapport à nous : tout ce qu'il fait ,
nous l'approuvons , nous y foufcrivons ,-
nous le trouvons bon pour nous. Et voilà
la confolation d'une ame Rdeh qui a mis
fon fort entre les mains de Dieu : elle
n'examine pas les raifons que ià bonté pa-
ternelle a pu avoir dans les fituations qu'elle
lui ménage : il lui fuffit de favoir que c'efl
un Dieu qui n'a que des vues de bonté
& de m.iféricorde pour fa créature ; un
père qui ne fe propofe que le falut de fon
enfant ; un ami tendre & fidèle , & qui
n'a rien tant à cœur que les intérêts de
ce qu'il airne. Quelle fituation , mes Frè-
res ! en eft-il ici-bas même de plus defira-
ble pour la créature ? & quand la Reli-
gion n'àurôîtque ce fèul avantage, le pafll
SUR LA Soumission , 8cc. ^9
du Jufte & du Fidèle , ne feroit-il pas le
plus heureux 6c le plus fenfé , que rhom-
me pût choifir fur la terre ?
Enfin , les regrets fur le pafle forment
fe dernière fource des inquiétudes humai-
nes. Nous ne rappelions les événemens
fâcheux de notre vie , qu'avec des retours
amers qui en empoifonnent le fouvenir :
nos pertes paflees nous tourmentent en*
core par les réflexions inutiles fur les me^
fures qui auroient pu nous^ les épargner :
nous nous reprochons fans celle d'avoir
été nou5- mêmes les auteurs de notre infor-
tune: nous nous redifons éternellement
qu'une telle précaution prife cous eûtépar*
gné bien des larmes & des chagrins : nous
ajoutons à nos malheurs de les attribuer à
nos irnprudences : nous nous repréfentons
après coup les moyens de les éviter très- fa-
ciles , comme pour fentir plus vivement
le defagrément d'y être tombés ; & loin
d'y voir la fagefle & la volonté de Dieu ,-
qui ont tout conduit , & qui feules de-
vroient nous faire oublier nos peines , nous-
n'y voyons que nos méprifes, qui augmen-
tent nos regrets , & qui rendent nos pei*
nés éternelles.
Or , c'efl encore ici que la foumi/îlon'
de Marie eft pour nous un modèle. Elle
ne voit que Dieu feul dans tous les événe-
mens de fa vie pafTée , dans l'ambafTade de
l'Ange y. dans le prodige de fon enfante-
ment 5 dans la foi des Pafteurs , dans l'a-
doiation des Mages : elle compare 5 dit
40 PURIFIC. DE LA ViERGE.
l'Evangile , & coiiferve dans fou cœur
toutes fes merveilles , & toute la conduite
paflee de Dieu fur elle : l'attente & le lan-
gage prophétique de la veuve Anne &
du jufte Siméon , lui rappellent tout ce
que le Seigneur a ftiit jufqu'ici de grand
Luc» I. pour elle & pour cet enfant : Conferens
19. in corde fuo : elle n'y voit rien d'humain ;
tout y eft de Dieu ; & ne pouvant douter
que la main du Très-Haut feule ne l'ait juf-
qu'ici conduite , elle n'a pas de peine à fe
perfuader que c'eft lui-même qui la con-
duit au Temple , & à fe foumettre au fa-
orifice & à l'humiliation qu'il demande
d'elle.^
Voilà , mes Frères , la grande fcience
de la Foi : le pafTé devroit être pour nous
ime inflru£lion continuelle , où nous de^
vrions étudier les ménagemens & les vo-
lontés adorables du Seigneur 9 fur les def-
tiiiées des hommes. Nous devrions rap-
peller fans ceffe tout ce qui s'efl pafie à
nos yeux , à la Cour fur-tout , où nous v.i-
vons 5 & qui eft comme le théâtre des ré-
V;plutions humaines ; tant de changemens
fpudains ; des morts û terribles , & fï peu
attendues ; des accidens fi funeftes ; les
profpérités ou les malheurs de l'Etat ; 1 e-
îévation ou la décadence de ceux qui oc-
eupoient les premières places : que fai-je ?
tant de variations dans la faveur , dans les
fortunes , dans le crédit , dans la chiite ou
raggrandifiement des familles : nous ne de-
vrions , dis- je 5 le rappeller que pour y
SUR LA Soumission , &c. 41
.voir la fageffe de Dieu , qui fe joue fans
cefTe des paflious humaines , & qui élevé
ou renverfe en un inftant , pour nous faire
fentir la fragilité de tout ce qui palTe , ^\
nous apprendre que toute la fageffe hu-
maine ne fauroit nous fauver du m.oindre
contre-temps , & qu'il n'y a point de confeil
contre les confeils de Dieu*
Cependant le fouvenir du paffé , loin de
nous inftruire , nousféduii , & ne fait que
réveiller en nous des paillons injuftes. Nou-s
rappelions la décadence de ceux que nous
avions vu à la tête de tout & les arbitres
de la fortune publique ; & ce fouvenir, loin
de nous défabufer de tout ce que nous
avons vu fondre & s'éclipfer en un inftant ,
& nous appreudre que les profpérités tem-
porelles ne font rien ^ li l'ufage chré;
tien qu'on en fait ne les rend immortelles ,
réveille plus notre ambition 5 par les obfta-
cles qu'avoit toujours mis à notre fortune
leur grande autorité , qu'il n'inftruit notre
foi par l'inconfcance qui en un clin d'ceil
l'a renverfée. En£n , nous ne voyous Dieu
nulle part; toutpalTe y tout difparoît , tout
s'écroule à nos yeux. Un nouveau monde
s'élève infenfiblement fur les débris de
celui que nous avons vu en y entrant : une
nouvelle Cour reparoît à la place de celle
que nos premières années ont vue : de
nouveaux perfonnages font montés fur le
théâtre : de nouvelles fcenes occupent tous
les jours l'univers : nous nous trouvons
prelque feuls & étrangers au milieu dii
4l PraiFIC. DE LA VlERGJE,
monde , parmi des hommes que noirs
avons vu naître ^ féparés de ceux avec qui
nous avions d'abord vécu ; tout nous échap-
pe , tout fuit y tout court rapidement fe
précipiter dans Je néant ; & au milieu de
ces révolutions éternelles , oij Dieu feui ,
qui ne paffe point , paroît il grand : où
Dieu feul, qui changeant fanscefTe la face
de l'univers j demeure toujours le même,
paroît fi digne de nos hommages ; nous ne
le voyons pas r nous ne nous élevons ja-
mais julqu'à lui : nous tenons encore aux
débns d^un monde qui s'eft déjà à demi
écroule entre nos mains ; nous rappelions
même par rimaginatlon ce qui nous eu efi
échappé : nous donnons de la réalité à ce
qui n'eft plus ; nos premières années fouil-
, ? V «^^^^ "^^^^ ^^^^ P^^ ^^^s fouvenirs
Jalcifs & injuftes : nous faifons fans cefle
reyivre nos jours paffés , en ce qu'ils ont
eu de criminel ril femble quela vie eft trop
courte pouT ofFenfer Dieu ; nous revivons
i^ns celfe par des images qui renouvellent
nos iniquités pafTées ; c'eft à-dire , nous
vivons doublement pour le crime , n ayant
jamais vécu un inftant pour la vertu. Ainfi
le paifé nous fouille ou nous féduit , loin de
nous détromper & de nous inftruire : nous
«y voyons que les révolutions humaines ;
nous ne remontons pas plus haut , & nous
vivons comme fi lehazard conduifoit l'uni-
vers 5 & qu'il n'y eût point d'autre raifon
de ce qui arrive , que l'événement lui-même.
Ah ! mes Frères ! les Patriarches , dont
SUR LA Soumission , &c. 4?
lavie étok fi longue fur la terre 5 n'avoient
point d'autre occupation , que de méditer,
dans les grands événemens qui avoient rem-
pli leur longue carrière , les merveilles du
Seigneur , & Tordre de fes volontés adora-
bles. Ils repafîbient fur les différentes voies
par où fa fageffe les avoh conduits : ils y ad-
miroient les ménagemens ineffables de fa
providence : c'étoit là le livre où ils étu-
dioient fan s cefTeles grandeurs de Dieu & fes
iciféricordes envers les créatures : c'étoit la
plus douce confolation de leur pèlerinage.
Ils voyoient Dieu par-tout : l*invifible étoit
comme vifible pour eux dans tous les acci-
liens divers & merveilleux , qui avoient
partagé leur vie : ils ne voyoient que Dieu
dans l'univers ;& ne comptoient pour rien
les hommes , dont fa fageffe fefervoit pour
accomplir fes deffeins adorables*
Et voilà 5 mes Frères , la grande fcience
que nous apprennent nos divines Ecritu-
res. Dacs les autres hiftoires que les hom-
mes nous ont laiffées , on n'y voit agir que
les hommes : ce font les bommes qui rem-
portent des viâoires , qui prennent des
Villes 5 qui fubjuguent des Empires , qui
détrônent les Souverains , qui s'élèvent
eux-mêmes à la fuprême puiffance : Dieu
n'y paroît nulle part ; les hommes en font
les feuls ad^eurs. Mais dans l'hifloire des
Livres faints , c'efl: Dieu feul qui fait tout ;
Dieu feul qui fait régner les Rois , qui les
place fur le trône , ou qui les en dégrade ;
DieH feul qui combat les ennemis y qui ren-
44 PURIFIC. DE LA ViERGE.
verfé les Villes , q:ji difpofé des Etats 5î
des Empires , qui donne la paix , ou qui
fufcite les guerres : Dieu feul paroît dans
cette hiiloire divine ; il en eii , fi je lofe
dire ^ le feul héros; les Rois & les Con-
quérans n'y paroiffent que comme les
Minières de fes volontés faintes ; enfin ,
ces Livres divins tirent le voile de la Pro-
vidence. Dieu 5 qui fe cache dans les au-
tres événemens rapportés dans nos hifloi-
res 5 paroit à découvert dans ceux-ci; &
c'eft dans ce Livre feul , que lefprit de
Dieu a laiifé à la terre , que nous devons
apprendre à lire les hiftoi^es que les hom-
mes nous ont laiifées ; à fuppléer par la foi
ce que l'efprit humain a omis ; & à ne re-
garder les différentes révolutions qui ont
agité^ l'univers , que comme l'hiftoire des
delTeins & des volontés du Seigneur fur les
hommes.
Telles font les inftruôions que trouve
une ame fidèle dans le fouvenir du pafTé.
AufTi une des plus grandes confolations des
Saints dans le ciel , fera de voir à décou-
vert Tordre adm.irable des volontés du Sei-
gneur dans tous les événemens de leur vie
pafîée : l'éuigme fera alors dévoilée ; ils
verront comment tout ici-bas fe rap-
portoit à leur falut ; avec quelle bonté 6c
quelle fagefle adorable. Dieu faifoit toutfer-
viràla fan^lificaîion desfiens; c'eft-à-dire ,
toutcequife palToit fur la terre; toute Vh\C-
toire de leur fieclc; la piété ou îe déré^^le-
rpent des Princes ;le gain ou la perte des ha-
SUR LA Soumission , &:c, 4^
tailles ; le bonheur ou l'infortune publique :
ils veront comment tout cela , par des rap-
ports fecrets&: merveilleux , qui leur feront
alors clairement connus, devoit contribuer
à la confommation des Elu^ ', & comment ,
jufqu'à leurs chûtes mêmes , tout devoit
être utile à leur falut.
Au contraire , la furprife la plus défef-
pérante des pécheurs , fera de voir , que
dans le temps même qu'ils croyoient vivre
fans joug , & fans Dieu dans ce monde ,
ils étoient entre les mains de fa fagelfe ,qui
fe fervoit de leurs égaremens mêmes pour
raccomipliiîement de fes deifeins éternel ;
qu'en croyant vivre pour eux (euls , ils n'é-
toient entre le^ mains de Dieu , que des
inftrumens utiles à la fandification des Juf-
t-es ; qu'ainfi leurs aâ:ions les plus écla-
tantes étoient utiles aux deifeins de Dieu ,
mais inutiles à eux-mêmes ; que les grands
fpeâacles qu'ils ont donnés à l'univers, 5c
qui flattoient fi foit leur vanité , n avoient
aucun rapport avec eux ; qu'ils n'ont vécu
que pour les Elus ; & qu'ils font les feuls à
n'avoir aucune part à tous les grands évé-
nemens dont ils ont été les principaux ac-
teurs , & qui rendront leur nom célèbre
dans les hiftoires ; en un mot , qu'ils ont
fait beaucoup de bruit dans l'univers ; mais
que c'étoit Dieu qui fe glorifioit par eux ,
& qu'ils n'ont rien fait pour eux-mêmes :
fem.blables au tonnerre qui donne un grand
fpe£tacle à la terre 5 & fait fentir aux hom-
mes la grandeur &; la puiiTance de Dieu ;
4"^ PURIFIC. DE LA ViERGE.
mais qui n'eft lui-même qu'un vain fon , &C
ne iailfe après lui que Finfe^èion de la ma*
tiere dont il étoit le feul ouvrage.
Et c'eft cette réflexion . mes Frères ,
qui devroit rappeller tous les hommes à
une foumiffion continuelle aux volontés du
Seigneur. Car enfin , qu'ils fefoumettent ou
non à fa volonté fainte , il eft certain qu'ils
agiifent toujours fous la main de Dieu ;
qu'ils ne font que ce que permet le fouve-
rain Difpenfateur ; qu'ils ne viennent à
bout de leurs delfeins , qu'autant que ie
trouve à propos fa fageife adorable ; qu'ils
ne peuvent fe fouflraire aux ordres de fa
puiifance ; &: qu'en fe révoltant contre lui ,
ris ne changent pas les événemens , ils ne
font que multiplier leurs crimes.
Voilà les avantages que trouve le Fidèle
dans fa foumifîîon aux ordres de Dieu.
Non , mes Frères , tournez- vous de tous
les côtés ; il n'y a dans toute la vie hu-
maine que ce point ûxe f que cette confo-
lation folide ; fe fou mettre à Dieu 5 ne
vouloir que ce que Dieu veut : c'eft là le
grand fecret de la piété chrétienne , le plus
précieux avantage de la Foi , & la grande
fcience du fidèle. Hors de là , mes Frè-
res 5 qu'efl-ce que la vie humaine 5 qu'une
mer furieufe & agitée , oii nous fommes
fans ceife à la merci des flots , & où cha-
que inftant change notre iituation , & nous
donne de nouvelles aîlarmes ? Que font les
hommes eux-mêmes , que les trilles jouets
de leurs paffions infenfées ^ & de la vieif
SUR LA Soumission ^ 5cc. 47
fitude éternelle des événemcns ? Liés par
la corruption de leur cœur à toutes les
chofes pré fentes 5 ils font avec elles dans
un mouvement perpétuel : femblabies à
ces figures que la roue rapide entraîne , ils
n'eut jamais de confîftance affurée. Cha-
que moment eft pour eux une fituation
nouvelle ; ils flottent au gré de l'inconf-
tance des chofes humaines ; voulant fans
cefTe fe fixer dans les créatures , & fans
ceffe obligés de s'en déprendre ; croyant
toujours avoir trouvé le lieu de leur re-
pos 5 & fans ceiFe forcés de recommencer
leur courfe ; lafîes de leurs agitations, &
cependant toujours emportés par le tour-
billon : ils n'ont rien qui les fixe , qui les
confole , qui les paye de leurs peines , qui
leur adouciffe le chagrin des événemens ;
ni le monde qui le caufe, ni leurconfcience
qui le rend plus amer , ni l'ordre de Dieu
contre lequel ils fe révoltent. Ils boivent
jufqu'à la lie toute l'amertume de leur ca-
lice : ils ont beau le verfer d'un vafe dans
une autre vafe , dit le Prophète ; feconfoler
d'une paffion par une palîion nouvelle ; d'u-
ne perte par un nouvel attachement ; d'une
difgrace par de nouvelles efpérances : l'a-
mertume les fuit par-tout : ils changent de
fituation , mais ils ne changent pas de fup-
plice : Et inclinavit ex hoc in hoc ; verum- PA 74»
tamen fcx ejus non eft cxinanita.
Grand Dieu ! pourquoi mon ame ne
vous feroit-elle donc pas foumife ? iVonne Pf*^^*
Dio fuhjccia mt anima mea ? Etes- vous *'
4S PuPviFic. DE LA Vierge.
donc un maître fi cruel , qu'on rifque de
lailTer la deitinée entre vos mains ? que
puis- je craindre , grand Dieu! en merepo-
fant fur vous feul de tout ce qui me regar-
de ? ah ! tandis que j'ai voulu être moi-mê-
me l'arbitre de ma deftinée , je me fuis con-
fondu dans mes propres projets ; les évé-
nemens n'ont jamais répondu à mes fouhaits
& à mes m.efures ; je n'ai réulTi qu'à rrie for-
mer tous les jours à moi-même de nouveaux
embarras & de nouveaux chagrins : en vou-
lant chercher des sûretés , je me creuibis
des précipices : ce que je regardois comme
mon appui , fe tournoit enfuite contre moi-
même : vous vous piaillez , grand Dieu !
à renverfer l'édifice à m.efure que je féle-
vois : vous vouliez m'apprendre qu'eu vain
la main de l'homme édifie la maifon , & que
fi votre main adorable ne la foutient & ne
i'éleve 5 il ne fe prépare que de trilies nu-
«es ! qu'il eft bien plus sûr , ô mon Dieu !
de vous laifier faire tout feul , ou de n'agir
que fous vos ordres ! que d'inquiétudes je
me ferois épargné , fi j'avois été fidèle à ce
devoir ! ma defiinée auroit été femblable ;
mais m.es chagrins n'eulTentpas été les mê-
mes ;& j'aurois trouvé dans ma foumifi^on
à votre volonté fainte , la paix que je n'aî
jamais pu trouver dans le monde , ni dans
mon propre cœur ; &: erfiiite la récom-
penfe que vous promettez à ceux qui n'ont
fouhaité fur la terre 5 que l'accomplilfement
de vos volontés éternelles.
Alnfifoit-il,
SECOND
49
T
;»;x?<:« . .^i* *+++++■' ô^, • ï ■■il
li^- -^
£-
°^- -'^ ^*-^jy^
SECOND
SERMON
?OVR LA FETE
D E
LA PURIFICATION
DE LA Ste. vierge.
Sur Us difpofidons nécejjaires pour fi
confdcrer à Dieu par une nouvelle vie.
Pollquam impleti funt dies purgarionis Marias ,
fecundiim legem Moyfi » nilerunt Jefum in Jeriira-
km , ut liltereat euin Domino.
Le temps de la Purification de Marie étant accom-
pli , félon la loi de Moyfe , ils portèrent V Enfant à
JéruJaUm pour le pré/enter au Ssigneur, Luc. 2. 22.
CE n'eft pas feulement pour fatisfaire
à la loi qui confacroit au Seigneur
tous les enfans premiers nés y que Jelus^
Myjlcres. C
50 PURIFÏC. DE LA ViERGE.
Chrift paroîî aujourdliui dans le Temple ;
c'eft aiiÏÏi pour en accomplir la figure : i!
ne vient pas feulement fe foumettre à une
ordonnance qui n'avoit pas été faite pour
lui ; il vient encore développer les myile-
res d'une cérémonie qui ne fe rapportoit
qu'à lui.
Pourquoi en effet , mes Frères , le Sei-
gneur avoit-il ordonné que les premiers-
nés des hommes & des animaux lui fuf-
fent offerts , comme pour racheter par cet-
te offrande la vie & la fervitude de tous les
autres? Pourquoi ces prémices des fruits
de la terre , que la loi de Moyfe lui avcit
refendes ? N'efî-il pas également maître de
tous nos biens ? ci le facrifîce du fo ir lui
eft-il moins dû que celui du matin ? Pour-
quoi ces figures ? c'eft parce que Jefus-
Chrifi: le premier-né d'entre fes frères ,
devoiî s'offrir un jour pour les délivrer tous
de la condam^naticn d'Adam : c'eft encore
parce que Jefus-Chrift , ce fruit fubiime
delà terre , comme Tappeile un Prophète ,
devoit être préfenté dans le Temple ; par
cette oblaîion fanc^ifier toute la nature ,
& rendre à riiom.m.e le droit d'ufer des
biens qu'elle produit , dont un abus injuHe
l'avoit privé.
Ce n'étoient donc là que les ombres de
l'avenir : voilà pourquoi les Prophètes ne
ceiîoient de nous annoncer, que l'éclat de
l'ancien Temple céderoit à la majefcé du
nouveau. Ce ne font plus eneffet des nuées
de gloire qui defcendent du ciel pour cou-
Sur les dispositions , &c. çr
vrlr lefanâuaire : elles y enfantent aujour-
d'hui le Juile : ce n'eft plus l'Ange du
Seigneur , qui du fond du propitiatoire an-
nonce Tes volontés au peuple ; c'cd le Sei-
gneur du Temple lui même , qui vient ea
perionne iailruire les hommes dQs vérités
éternelles du falut ; ce ne font plus des
Princes 6c des conquérans profanes , qui
attirés par la majeilé & par la réputation
de ce lieu faint , viennent y adorer le Dieu
des armées , & charger fes autels d'of-
frandes magnifiques ; c'eft le Prince de la
paix , le Roi immortel des fiecîes , k con-
quérant de Juda , revêtu des dépouilles
des nations , qui vient les offrir toutes à
fon Père, commxe le trophée de fa victoire :
ce n'efl plus la fumée des encenfemens ,
qui monte avec raaiefcé vers le trône cé-
îefle ; ce font les prières & les fupplica-
tions du Chrift , toujours exaucé à caufe
de fon excellence ; ce n'ef: plus le fang de
mille victimes qui coule fur l'autel ; c'eft
l'oblation fanglante du Plédem.pteur dlf-
raël qui s'y accomplit par avance : enfin ,
ce n'ed plus un premier-né offert par la
Synagogue & racheté en même temps ,
comme incapable de la purifier de fes fouil-
lures ; c'eft l'Eglife elle-même , figurée
dans Marie , qui va offrir fon chef, fon
premier né , les prémices de ceux qui dor-
jTient dans le fein d'Abraham, pour être
par cette oblation fainte rendue fans tache
& fans ride , & préparée à jamais au Sei-
gneur 3 comme une Vierge pure , & feule
Ci
20 PCJRÏFIC. DE LA ViERGE.
digne d'entrer avec lui dans le fauftuaire
éternel.
Or 5 comme c'eft ici la première mar-
que piiblique de culte que Jefus-Chrift
donne à {on Père , fans doute il veut nous
y apprendre les difpofitions dans lefquelles
il faut entrer pour fe confacrer à lui par
une vie toute nouvelle. Recueillons donc
les circonftances principales de ce myllere ,
oc nous y trouverons une efprit de facrifice
dans Jefus- Chrift qui s'oifre à fon Père ,
ot un efprit de fidélité dans Marie qui l'of-
fre. Or , voilà hs deux difpofitions qui
rendent la converfion (incere & durable ,
& loffrande de nos cœurs agréable à
Dieu : un efprit de facrifice qui ne réferve
rien en s'offrant ; un efprit de fidélité qui
ne fe dément plus fur rien en le fervant.
implorons , &c. Ave Maria,
P4KTIE -fi-^E premier hom.mage que Famé fainte
de Jefus Chriit entrant dans le monde ,
rendit à la jufiice & à la grandeur de fon
Père , fut une oblation d'elle-même , dit
l'Apôtre ; & le fein de Marie devint com-
me le premier temple , où cet holocaufie
pur fut d'abord immolé. Mais il manquoit
à ce facrifice invifible l'appareil àQs céré-
îTaonics fenfibles : il falloit que la viâ:ime
parût fur l'autel : que le prix qui l'avoit ra-
chetée 5 fût porté dans le temple ; qu'elle
fût livrée entre les mains du Pontife de la
loi ; que les Juftes & les faintes femmes fe
trouvalfent à ce nouveau Calvaire ; que
Sur les dispositions , &c. 53
Marie eile-mêiiie fûtpréfenîe au racrifîce ;
que le glaive de douleur qui devoit percer
{on cœur y brillât par avance : en un mot y
que tout y retraçât aux yeux de fon Père
les circonftances de la Croix , & rhiiloire
anticipée de ce grand facrifice.
Il femble en effet j mes Frères , que fon
heure n'étant pas encore venue , Jefus-
Chrift neparoît aujourd'hui' dans le temple
que pour fe hâter d'y aller tracer en atten-
dant , les préludes & les reffemblances de
fon immolation fanglante ; & que comme
avant fon union à notre chair , il prenoit
plaifir 5 dit TertuUien , à le maniferter aux
Patriarches fous une forme fenfible , pour
fatisfaire , ce femble , Timpatience de fou
amour, par ces eilais &c ces fymboles d^in-
carnation; de même avant d expirer fur la
croix, il fe plaît à donner à fon Père des re-
préfentations anticipées de ce grand facrin-
ce 5 comme pour contenter par avance le
defir qui le prefTe d'être baptifé de ce bap-
tême de fang5& de le glorifier par fa morv.
Mais quoique ce ne foit ici qu'une imcige
du Calvaire , l'oblation n'en efl pas iTiOins
réelle , dit faint Bernard ; première condi-
tion que nous propcferons pour modèle, la
réalité de l'offrande. Les autres premiers-
nés qu'on venoit mettre entre les mains du
Pontife , on les préfentoit au temple , pliî-
tôt pour les racheter que pour les confacrer
au Seigneur : ce n'étoit là qu'une offrande
fur.ulée & apparente ; des vid^imes de pa-
rade qui ne mouroient jam.ais à fautel ;' 6c
C3
54 PURîFîC. DE LAViERG^E.
qci remplacées à l'inflant par un vil animal,
TiC retenoieiît pour elles que les dehors &
tout l'appareil du facrifîce.
Mais 5 Jeflis-Clirift entrant aujourd'hui
<^ans le temple , livré entre les m.ains du
Pontife , & placé fur Tautel ; me voici , dit-
il à fou Père : les hofties de la loi n etoient
pas dignes de vous ; mais vous m'avez for-
mé un corps , & la loi de mort que vous
ave2 prononcée contre moi , eft le defir le
plus ardent de m.on cœur* Dès-lors il ac-
cepte ëc fouffre par avance tout ce qu'il
doit fc'UfFrir un jour pour fon Père : déjà fâ
préfentent à lui tous les travaux futurs dâ
ion miniftere ; les humiliations de fa vie
cachée à Nazareth ; les courfes pénibles de
fa vie publique ; l'inutilité de fcs prodiges
& de fa do£lrine ; les calomnies des Prê-
tres & des Pharifiens ; tout le détail d'un
fupplice infâme : déjà il voit dans le Tem-
ple le lieu d'où fera tiré le prix de fa m,ort ;
déjà il démêle dans la foule des Prêtres
qui environnent l'autel , les pères de ceux
qui feront aiTis un jour pour le juger comme
un criminel : déjà porté dans les rues de
Jérufalem entre les bras de Marie , il en-
tend ce Peuple féditieux demander fa mort
avec des cris affreux : déjà il voit le che-
min fatal , où fes traces fangfantes feront
em.preintes , &: par où chargé de la croix ,
& couvert d'épines , il montera fur le Cal-
vaire ; & quoiqu'il ne foit pas encore livré
à fes ennemis , fon amour commence le
facrifice que leur fureur confommera fur la
croix.
Sur LES DISPOSITIONS 5 &c.- 55
Première iiîftruâ:ion ; Dieu devroit fans
doute exiger de nous le facrifice de notre
vie 5 puifque tout pécheur eft indigne de
vivre 5 &: que nous devenons enfans de
mort 5 dès que nous devenons enfans de
péché ; mais fa clémence a remplacé cette
peine ; &: le facriiice continuel de la vie des
fens 5 eà devenu la loi de mort impofée à
tout Fidèle. C'eft cette loi que nous avons
tous acceptée far les Fonts facrés ^ lorf-
qu on vint nous offrir au Seigtiêur dans îâ
Temple '. c'ëfl cette hoftif qu'on nous a
ctàonné d'immoler à notre place , pour
êtra déchargés de la malédlftion commii-
VQ 5 ô^ acquérir le droit d'être aiTociés au
pt uple df 'Dieu ; c'eft là cg martyre de la
Foi j que nous avons tous voué ; ce niar-
tyra , dit faint Cyprien , qui n'attend p^s
(tes tyrans 6c des fupplices ; 6c qui trouva
dans la tranquillité du culte , par les vio-
lences contiauelles faites aux paillons , une
paix plus amere môme & plus djuloureufe
que le trouble de fes perfécutions & de fes
ibuftrances ; c'eft là le grand témoignage
que nous devons tous rendre à la Foi chré'
tienne , en confefTant la vérité de fes pro-
meiîes , par le facrifice continuel que nous
leur faii'bns de nos feus &c de nos paf-
fions ; & c'efl en ce fens que tout Chrétien
eft le témoin 5 c'eft-à-dire , le martyr de
Jefas Chriil : Eritis mihi ujles, A^* i»
Voilà 5 mes Frères , la vie chrétienne
une vie de renoncement & de facrince ;
cependant fe confacrer à Dieu , pour la
C4
£,
5(5 PURIFIC. DE LA VîERGE.
plupart des aines , qui revenues des égare-
jiieiîs du monde , veulent le fervir , c'eft
iîmplement étaler des dehors plus reli-
gieux ;fe faire des liaifons plus faintes ; ne
plus fuir le commerce des gens de bien ;
aller quelquefois loin du monde refpirer
l'air de la retraite ; ne pas rougir des oeu-
vres publiques de miféricorde ; fe choiiir
un guide facré , & ne plus vivre dans un
oubli entier des Sacremcns. Mais f\ vous
-Oî'êîes ni moins am.bitieux , ni moins at •
taclié , ni moins fenfuel , ni moins fenfible ,
ni moins jaloux , ni m.oins vain ; vous vous
oiîrez au Seigneur comm.e les premaiers-nés
d'ïfraël ; c'eft-à-dire , vous vous mettez
entre les mains du Pontife, vous paroillez
aux pieds de l'autel; mais vous ne devenez
pas le partage du Seigneur; vous n'oiîrez k
votre place qu'un vil animiaî , que des œu-
vres extérieures , que des apparences delà
piété; vous fuppofez que Dieu fe contente
de cet échange 5 & qu'il acceptera au lieu
de votre cœur & de vous-même , une of-
frande étrangère.
Cependant la plupart des converfions ,
à la Cour fur-tout , font de ce caractère ,
Se fubfîftent encore avec toutes les paf-
fions moins marquées à la vérité , m.ais
toujours aufTi réelles. On s'efl donné au
Seigneur ; mais les foins les plus vifs Si
les plus périlleux de la fortune ne font point
rallentis ; m.ais les envies , les animofités ,
les concurrences , les iiaifons humaines ne
nous trouvent pas plus infenfibles ; mais
Sur les dispositions , &c. 57
Teftime , l'amitié des Grands , les diftinc-
tions publiques , les spplaudiiremens des
hommes, la faveur du maître fur tout . n'a
rien perdu de ion prix dans notre cœur ,
êieft peut-être entrée pour beaucoup dans
le plan de notre nouvelle vie. On s'eil don-
né au Seigneur : mais on fait de la piété
une vie douce S: tranquille , exempte feu-
lement des foucis & des inquiétudes des
grandes painons : une fim.ple indifféren-
ce pour les agitations des plaifîrs y où il
entre plus d'indolence que de vertu ; une
vie renfermée dans un certain cercle d'oc-
cupations , innocentes à la vérité 5 mais ai-
fées &: paifiblcs ^ une vie d'ailleurs toute
naturelle , fouvent oifeufe , où l'on ne re-
fufe aux fens que les excès grolïiers , Sc
où fouvent plus de féparation du tumulte
& des grands plaifîrs , ne fait que laiffer
plus de loifir aux attentions & aux àéli^
catelîes du corps & de la fanté. On s'eft
donné au Seigneur : mais quoiqu'on foit
revenu des défordres d'un engagement cri-
minel , on n'en a pas encore rom.pu le lieu
fatal ; on cultive encore les triftes reftes
d'une pafTiOn qu'on croit éteinte , parce
qu'on en a fini les emportemens ; on aime
encore à voir ces objets , ces lieux eu
l'on a tant de fois péri : femblables à Ra-
chel , on ne rend plus à {qs idoles des lien-
neurs publiques; mais en ne peut fe réfou-
dre à s'en féparer , ni à les perdre de vue.
En un mot , on s'eft donné au Seigneur:
mais tout ce qui plaifoit 5 plaît encore , ou
Cs
58 PURÎFÎC. DE LA VlERGE,
n'a point fait de facrifice : on s'eft contenté
d'ôîer la peau de la victime ^ de changer
les dehors , de dépouiller un extérieur laf-
cif & profane ; mais on n'a pas touché au
refte : on n'a pas coupé la vï^ïme , com-
me la loi l'ordonnoit ; 6c le glaive de la
Foi n'y a fait aucune féparation douîou-
Levît, reufe : Dctradâquc pelle lioftia: , anus in
2» ^' fi'ufiTd concides.
Cependant comme on perfévere dans
l'ufage des chofes faintes , comme on vit
exempt de grands crimes , comme on fuit
prefque les mêmes routes que les Juftës ,
peu s'en faut qu'on ne fe croie Jufle com-
me eux : ce n'eft pas ici une hypocrifie ;
on eft dans l'erreur de bonne foi. Au
commencement & dans les premiers temps
de la converfion ^ plus frappés idors du
fouvenir encore récent de *30s défordres ,
& des réparations de pénitence dont ils
nous rendoient redevables à la jufîice di-
vine 9 nous fentions que nous n'avions en-
core rien fait pour Dieu ; nous ne prenions
qu'avec une forte de confufion le nom de
ferviteurs de Jefus-Chrift ; &: tandis que
le monde trop prompt fouvent à donner
aux plus légères démarches de change-
ment , le nom de vertu & de fainteté ; tan-
dis , dis- je , qu'il nous méconnoiflbit ,
nous ne nous méconnoifTions pas encore
nous-mêmes. Mais infenfiblement nous
nous fommes fam,iliarifés avec cet état;
les dehors de la juilice nous ont caché no-
ire véritable mifere ; les louanges des
SVK LES DISPOSITIONS , &c. 59
hommes fur notre prétendue vertu , nous
ont perfuadé qu'elle étoit véritable , &
que le Seigneur n'en demandoit pas da-
vantage de nous : à force de nous regar-
der avec les yeux d'autrui , nous avons
réufn à nous prendre pour ce que nous ne
fommes pas ; & fans avoir jamais fait à
Dieu aucun facrifîce réel & douloureux
de nos fcns , d^ nos penchans , de nos ef-
pérances , de nos incommodités , de nos
antipathies ^ de nos haines fecreîtes , de
notre orgueil 5 de notre am.bition , nous
croyons nous être confacrés au Seigneur,
avoir renoncé au monde , & fait le facri-
fice que Dieu demandoit de nous.
La piété , mes Frères , n'eft donc que
le facrifîce de notre cœur : mais ce n'ed
pas affez que J'offrande en foit réelle , il
faut encore qu'elle foit univerfelle ; CsccnàQ
condition. Jefjs-Chrift, dit faint Bernard 5
facrifîe aujourd'hui à fon Père tous fes ti-
tres 5 toute fa gloire , fon innocence me»
me ; il ne réferve rien , pour nous appren-
dre 5 dit ce Père ^ que l'intégrité du facri-
fîce en fait d'ordinaire tout le mérite : Of- S.Bern.
ferentcs illi utiquc quod fumus nofmetipji.
Or, on veut bien retourner â'Dieu 8c
com.mencer une nouvelle vie ; mais on ne
veut pas tout d'un coup faire un divorce
univerfel avec le monde : on fe figure aue
fi l'on vouloit tout entreprendre d abord ^
on ne feroit rien ; qu'il faut fe gagner peu à
peu fur certains points avant que d'en ve-
nir aux autres j que dans de foibles corn-
Dô
Co PuRiFic. DE L^ Vierge.
mencemens , le Seigneur ne ciéfappronve
pas quon accorde encore bien de chofes
a la foibleiie ; qu'il faut s'effayer fur J.
n:OHifircs ennemis, pour attaquer plus hcu-
reufeir.ent les plus forts; & que David
vai.quoit les lions & les ours , avant que
dofer attaquer Goliath. ^
Ainfi on fe retranchera fur u'i jeu outré •
lirais on ne veut pas encore toucher aux
autres plaifirs : on rompra un engagement
rie crime ; mais on ne veut pas d'abord
bannir les fpectacîes, les entretiens dange-
reux, les lia;fons inutiles & fufpeacs l-s
foins exceflifs de la parure. On fe dit 'à
foi-memequechaquechofeaurafon temps
qu II faut infenfiblement accoutumer le
monde & s accoutumer foi- même ■ on
craint de trop fe prcfTer , & l'on donne à
Ja foibleffe le nom de pjudence. Mais dès
commencemens lî ménagés ne font jamais
heureux & ne vont jamais loin : il n'en eft
pas de la converfion , comme des ouvra-
ges des _homn-.es : elle n'eff point , lorf-
qu elle n eft pas entière ; & tout eft encore
a taire , tandis qu'il en refte encore un feul
point : toutes les paftlons n'en forment
qu isne oans lame : en vain les attaquez-
«oiis fcparement ; vous coupez les têtes de
J Jiydrc qui rcnaifient , & la grâce ne con-
iioit point de viftoire partagée.
Il eft vrai que Ja piété a {es progrès •
quelle le perfectionne de jour en jour ; &
qu .1 tal ut Je travail de quarante années ,
pour relever & mettre dans fa yerfeaioi
Sur les dispositions , 8cc. 6î
les murs & le temple de la fainte Jcrufalem^
figure de Tame fidèle. Mais le monde , Se
tout ce qu'il a de criminel , doit être d'a-
bord détruit dans notre cœur ; mais tout
ce qui eft incompatible avec la vie chré-
tienne , doit celTer tout d'un coup ; & dès
que le Seigneur a fait retentir fa voix dans
un cœur , la criminelle Jéricho doit tom-
ber toute entière à {es pieds , & ne plus
rien conferver de ce qu'elle étoit , que fes
débris & fes ruines.
Et certes , mes Frères , Jefus-Chrlfè
pouvoit fans doute * en venant s'offrir au-
jourd'hui à fou Père aux pieds de l'autel ,
comme le m^aître du temple , y laiiîer briller
quelque rayon de fa gloire & de fa piiif-
fance, com.melorfqu'il en chafTa les profa-
nateurs : mais tout partage bleilé fon
rur.Gur. Il eft le Pontife éternel d'une nou-
velle alliance ; lui feul a droit d'entrer dans
le fanéiuaire véritable ; & il facrifie cette
augufte qualité , en venant acheter le droit
d'entrer dans le temple figuratif: il eil le
Rédempteur de Sion ; & lui-même eft ra-
cheté comme uneviftime vulgaire: c'eftle
légiflateur des peuples ; & il vient fe fou-
mettre à une loi dont il efi: lui-mêmiC l'ac-
complilfement : enfin , il eft le libérateur tant
de fois promis ; & il ne refufe pas d'être
délivré delà fervitude commune par l'of-
frande d'un vil animal : il fait un facrifice
univerfel à fon Père de tous les titres dont
fon Père même l'a revêtu.
Mais c'eft ici fur- tout , où il eft raie de
(^l PURIFIC. DE LA ViERGE.
ne pas ufer de referve , & de faire au Sei-
gneur un facrifîce fincere de toutes ces vai-
nes diftindions qui nous élèvent aux yeuK
des hommes. Lors mêmes que défabufé
du monde , on revient des égaremens des
pafTions , on ne revient guère de la vanité ,
&: de l'entêtement du rang &: de la naiflan-
ce 5 & Ton veut que fes titres entrent , pour
ainfi dire , dans tout ce qu'on fait pour le
Seigneur. Si l'on confacre des dons au tem-
ple 5 les marques fuperbes du nom & des
dignités en immortalifent la mémoire : fi
l'on élevé des afyles de miféricordê' 5 ces
maifons deviennent des monumens publics
delà grandeurde celle de leurs bienfaiteurs;
& les fignes de la vanité font prefque tou-
jours la première chofe qui paroît dans les
œuvres faintes. Telle eft la foibleffe des
Grands fur-tout : les hommages obfcurs
ne plaifcnt pas ; les œuvres de Religion qui
nous confondent avec la foule , ne font ja-
mais de notre goût : il faut que tout ce que
nous faifons pour le ciel porte le caradere
de ce que nous fommes fur la terre. On
entre dans des œuvres de miféricorde ;
mais on en veut les premiers honneurs : on
s'abaiflé jufques aux minifteres les plus vils
de la charité ; mais on s'abaifle avec falle ;
& dans cet abaiffement mêmiC on fait fen-
tir qu'on eft grand ; on fe trouve dans des
lieux fecrets ^ confacrés aux exercices hu-
milians de la miféricorde ; mais on s'y fait
•annoncer par des diftinctions de vanité , 8c
il femble qu'on ne veut pas courir le rifc^ue
Sur les dispositions , &c. 6^
de rhumiliatioii , fans s'être préparé le dé-
dommagement des éloges.
On ne connoit plus cette humilité ingé-
nieufe , dont des Saints diftingués dans le
monde , nous ont lailTé tant d'exemples.
Quelle joie pour eux lorfque pouvant fe
dérober aux regards publics , & fe dépouil-
ler pour un temps du poids de leur gran-
deur 5 ils alloient inconnus , ou foulager
leurs frères , ou s'expofer à des outrages ,
ou honorer le Seigneur dans quelqu'autre
œuvre obfcure de Religion ! quelle fainte
induftrie pour trouver ces momens heu-
reux ! c'eft alors qu'ils fe croyoienî vérita-
blement grands : c'étoit dans ces momens
d'humiliation , qu'ils fe regardoient avec
une fainte complaifance, parce qu'ils retrou-
voient en eux les traits les plus reffemblans
de leur divin Maître , dépouillé aujourd'hui
de tous fes titres devant la grandeur de fon
Père , & confondu par une cérémonie hon-
teufe avec les autres enfans d'Ifraël : c'eft
alors que fe trouvant comm.e foulages du
fardeau de leur élévation , ils marchoient
avec plus d'ardeur & de légèreté dans les
voies de la juftice : c'eft alors enfin , que
le Seigneur fe communiquoit à eux plus
abondamment, &: qu'ils goûtoient des dou-
ceurs que le cœur humain ne peut com«
prendre. Ainfi dès que Moyfe s'eft dépouil-
lé du titre faftueux de fils de la fille de Pha-
raon , & eft venu dans le défert , comn:e
un homme obfcur & inconnu , garder les
troupeaux de Jéthro ; c'eft alors que le
64 PURIFIC. DE LA ViERGE.
Seigneur fe montre à lui dans le buiflon
& verfc dans fon ame des confolations inef-
fables 5 qui le dédommagent avec ufure de
toute la pompe de l'Egypte , qu'il vient de
facrifier à l'opprobre de Jefus-Chrift.
Mais non-feulement Jefus-Chrift facrifîe
aujourd'hui à fon Père toute la gloire de
{es titres: afin que rien ne manque à l'inté-
grité de fon facrifice , il lui en fait un même
de fon innocence. Il paroît dans le temple
comme un pécheur ; il y eft racheté com-
me un efclave & un enfant de colère ; il
prend fur lui toute la honte du pèche dont
il eft exempt : & dans les facrinces que
Dieu demiande de nous , nous vouions tou-
jours fauver line vaine réputation d'inno-
cence & de probité que nous avons per*
due.
Vous craignez qu'en reftituant des biens
mal acquis , vous n'informiez le public de
vos injuftices fecrettes. Mais vous vous
trompez , fi vous avez cru jufqu'ici votre
réputation ià-deffus hors d'atteinte : depuis
long temps on dit tout haut dans le monde,
que ces équipages pompeux , ces édifices
fuperbes , cette opulence domeftique eft le
bien de la veuve &: de l'orphelin ; que
vous avez élevé votre fortune fur la mi-
iere publique ; & qu'une profpérité fi
prompte n'a pu être innocente : le monde
lui-même eft bleffé de vos profufions , &C
ne vous regarde plus qu'avec une forte
d'indignation & de mépris ; & loin que des
démarches publiques de repentir miffent
Sur les dispositions , Sec. 6^
votre réputation en danger , il ne vous refte
plus que cette voie pour recouvrer celle
que vous avez perdue. Vous dites que {î
vous rompez brufquement ce commerce 5
l'éclat fera penfer qu'il n'étoit pas innocent.
Mais depuis long-temps le public mur-
mure fur ces afiiduités que vous croyez
ignorées : c'eft un fcandale , & vous vous
flattez qne c'eft un fecret : les gens de
bien en gémiffenî ; le monde , loin d y
donner des interprétations favorables , va
peut-être encore au-delà de la vérité ; car
les erreurs fur ce point font toujours plu-
tôt des erreurs de malignité que de bonté ;
& une rupture foudaine n'eft plus pour
vous un éclat à craindre , mais une démar-
che aufil néceffaire à votre honneur qu'à
votre falut : vous reifemblez à Saiil , qui
exigeoit de Samuel des ménagemens &: des
honneurs publics qui confervailent fa gloire
& fa réputation dans l'efprit du peuple \
lui , dont les infidélités avoient déjà iî fort
éclaté dans tout Ifrael : mais d'ailleurs ,
quand il s'agit d'obéir à la loi de Dieu , il
ne faut plus craindre les démarches les plus
humiliantes 5 que le falut rend indifpen-
fables.
Enfin • mes Frères , Toffrande de Jefus-
Chrift eft une offrande toute volontaire ;
dernière condition. C'eft un hommage de
furcroît 5 pour ainfi dire , qui ne trouvé
pas {es motifs dans l'obligation de la loi ,
mais dans le feul amour de celui qui l'of-
fre ; & l'ouvrage du falut des hommes 5
66 PURIFIC. DE LA ViERGE.
dont fon Père l'avoit chargé , pouvoit être
confominé 5 fans qu'il ajoutât aux oppro-
bres & aux travaux futurs de fon minif-
tere la honte de cette première démarche.
Mais il vouloit accomplir toute juftice ,
& nous apprendre qu'un ame , qui reve-
nue des égaremens du monde fe confacre
à Dieu , ne peut d'abord fe refufer à elle-
même de faints excès ; ne s'avife pas de
compter avec fon Seigneur ^ pour favoir
au jufte ce qu'elle lui doit ; ne trouve tien
de trop pour fa douîêur , & pour la viva-
cité de Ion repentir ; & loin que la tiédeur
de fon zèle attende toujours l'obligation
inévitable du devoir pour agir , elle te fait
un devoir de tout ce qu'un zèle faint lui
înfpire.
Or , mes Frères , où font les âmes de
ce caraftere ? Lorfque touché de la grâce ,
on veut revenir à Dieu ; le premier foin
cft de chercher, de toutes les maximes de
le fervir , la plus douce & -la moins dure
à l'amour propre ; loin d'embraffer des ri-
gueurs de furcroît , on étudie d'abord juf-
qu'où on peut pouffer la condefcendance 5
pour s'en tenir à ces bornes dangereufes ;
on fe fait d'abord un plan de vertu , où le
monde entre prcfque autant que l'Evan-
gile : loin de fe propofer les phis gens
de bien pour modèles , on déclare d'a-
bord qu'on ne veut pas poufîer Iqs cho-
fes à l'extrémité comme eux ; qu'on ne
vent pas donner dans le ridicule de la fin-
gularité , tk dans les travers d'une piété
Sur les dispositions , Sec. 6^
outrée : loin de chercher dans leurs exem-
ples ce qu'on doit imiter , on y cherche
ce qu'on doit fuir ; & l'on veut être à Dieu
en commençant à condamner ceux qui le
fervent. Ainli on ne donne à Dieu que ce
qu'on ne peut lui refufer ; & l'on traite
avec lui , non comme avec \\\\ père irrité
qu'on veut appaifer , mais comme un
ennemi , envers qui on ne fe relâche qu'à
regret de ce qu'on eft forcé de lui accorder.
Oui j mes Frères , qu'on aime peu fou
Dieu 5 quand on peut fe prgfcrire à foi-
même la mefurê de l'aimer ! qu'on eft peu
touché de fes crimes , quand on peut d'à-
bord chercher des adoucilFemens à h pé-
nitence ! que la converfion eft fufpeae y
lorfque l'on commence par y mettre des
bornes ! &c que le cœur eft peu changé ^
lorfqu'il a encore le loifir de fupputer les
premières démarches de fon changemiCnt !
Les commencemens de la pénitence ne
fauroient être fi Janguiffans & fi ménagés ;
le cœur alors ne pouvant prefque porter \t%
premières imprciTions du Dieu qui le rem ■
plit 5 ne cherche qu'à foulager fa douleur :
les larmes ne coulent jamiais avec afi^ez d'a^
bondance ; la componftion n'eft jamais af-
fez vive. Quelles inquiétudes fur l'état dé-
plorable où il a vécu , la grâce n'opere-
t-elle pas dans l'ame d'un véritable péni-
tent! quelle fainte indignation fait- il pa-
roitre contre les difiblutions de fes premiè-
res mœurs , & le fcandale de fa vie pafiée !
quelles raifcns n'a-t-ilpas à nous oppofer ,
68 PuRiFîC. DE LA Vierge.
lorfque nous voulons modérer l'excès de
fon zèle , & confoler ramertume de fa
douleur ! quelle crainte de ne pas trouver
auprès de Dieu toute l'indulgence que nous
lui promettons ! quel delir de réparer le
temps perdu dans les erreurs du fiecle , de
mettre à profit ce qui lui refte de vie , &
de ne plus perdre de vue le bienfait ineili-
mable qui vient de Tappeller à la connoif-
fance & à l'amour de la vérité ! quelle
fainte jaloufîe envers ceux de fes frères qui
ont eu le bonheur de le donner à Dieu
avant lui ! & qu'il lui paroît trille d'avoir
aimé fi tard celui qui feul efl digne de uoire
amour ! quel zèle à venger fur fa chair les
iniquités dont elle s'étoit fouillée ^ & à
faire fervir à la juftice les membres qui
avoientfervi au péché !
Voilà , mes Frères , les converfîons que
la fuite ne voit jamais fe relâcher , ni fe dé-
mentir. Mais ce jeune homme de l'Evan-
gile , qui appelle par Jefus-Çhrid , com-
mence par difputer s'il eft obligé de renon-
cer à tout pour le fuivre ; mais cet autre ,
qui 5 en fe donnant à lui , veut encore fe
réferver le droit d'aller rendre les derniers
devoirs à fon père; mais toutes ces con-
verfîons mitigées & imparfaites ;mais tous
ces facrifices où Ton commence par mêler
du m.iel contre l'ordonnance de la Loi ,
le Seigneur les rejette; & pour être dignes
de fes regards , il faut que la réalité de
l'immolation en fan£^ifie l'offrande ; que
l'intégrité la perfe£lionni2 ; 6c enfin , que la
Sur les dispositions ,&:c. ^9
ferveur & la furabondance de zèle la coii«
fomme , & la falTe monter en odeur de fua-
vité jufqu'au trône de la majefté fainte:
telle eft la Loi du facrifice : hœc eft Lœx Leviu
Sacrificii. Mais fi le défaut de ces condi- ^* ^4.
tiens rend la plupart des converiions peu
finceres , le défaut de fidélité les rend auilî
peu durables ; & c'efl fur quoi l'exemple
de Marie va nous inftruire.
Esinfidélitéslesplusordinairesoùnous ^^'
tombons dans les démarches du falut que
Dieu demande de nous , ont leur fource ,
ou dans une prudence de la chair , tou-
jours ingénieufe à trouver des inconvé-
niens aux delfeins de la grâce fur notre
ame,oudans un orgueil & une complai-
fance fecrette , qui trouve dans les dons
même de l'Efprit faint , l'écueil de la ver-
tu ; ou enfin , dans un découragement dan-
gereux 9 qui , à la vue des maux dont il
eft menacé , fe confulte trop foi-même ,
& fait de fa foibleile la mefure de fes de-
voirs.
Or, la fidélité de Marie dans ce myftere
nous fournit de grandes règles , pour évi-
ter ces trois écueils : docile , elle ne rai-
fcnne pas ; humble , elle ne s'élève pas:
généreufe , elle ne fe décourage pas. Sui-
vez , s'il vous plaît cet ordre j <k m'hono-
rez de votre attention.
Docile , elle ne raifonne pas : car 5 que
ne pouvoit-elle pas fe dire à elle-même ,
pour fe difpeiifer de la Loi commune de
70 PURÎFIC. DE LA ViERGE.
la Purification ? Quand les raifons tirées de
fa propre gloire , n auroient pas été capa-
bles de la toucher , pouvoitelle être indif-
férente à la gloire de fon Fils ? En fe con-
fondant avec les autres mères , par fa fou-
mifîionà une cérémonie honteufe , ne fem-
bioit-elle pas le confondre aufîi avec les
autres enfans d'Ifraël ? & pouvoit-elle fe
dégrader publiqueinent de Thonneur de fa
divine maternité , fans dérober à fon Fils
la gloire de fon éternelle origine , & pré-
parer de loin des preuves à l'incrédulité ,
& aux blafphêmes de fes ennemis ?
Mais elle avoit appris dans fa retraite de
Nazareth que l'œil de la grâce efl: fimple ;
que trop de raifon , quand il s'agit des voies
de Dieu , eft un excès de lumière , qui
éblouit , & qui égare ; que la vie de la
Foi lailfe toujours des ténèbres & des dif-
ficultés , pour ne pas ôter à l'ame jufte le
mérite de fa docilité ; & qu'il y a un œil
de fcandale qu'il faut arracher , & jetter
loin de foi de peur de regarder trop avant
dans les voies où la grâce nous appelle.
Elle fe foumet avec fimplicité , & adore
dans l'ordre de Dieu les de/Teins éternels
d'une démarche qui femble n'offrir à la rai-
fon que des inconvéniens inévitables.
Mais que l'exemple de Marie a peu d'i-
mitateurs parmi ceux même qu'on régarde
comme juiles , & qui vivent dans la prati-
que de la vertu ! Oui , mes Ficres , nous
prenons prefque toujours dans les intérêts
■de la gloire de Dieu ^ des prétextes poui*
Sur les dispositions , &c. 71
nous dilpenfer de fa Loi fainte ; & nous
trouvons le fecret de nous déguifer à nous-
mêmes nos pafllons fous le nom de la piété,
Ainii 5 on fe retrancheroit fur bien des cho-
{es que la Loi de Dieu demande de nous ;
mais on ne veut pas rendre la piété odieufe,
par des fîngularités aufquelles le monde
ne manqueroit pas de donner du ridicule :
on feroit certaines démarches qui refient à
faire , pour n'avoir plus rien à fe repro-
cher ; mais les inconvéniens qu'on en
craint paroiflent plus dangereux , que le
mal même qu on eft obligé de fe permettre :
on feroit mioins fenfible à une injure ; mais
on eft revêtu d'un caractère facré , dont
on eft obligé de venger l'honneur : on
fou ffriroit la calomnie fans fe plaindre ; mais
l'œuvre de Dieu s y trouve inîérefîee , &
fî l'on ne démafque l'impoileur , la crédu-
lité publique fera féduite , & une entreprife
de mifericorde renverfée : on garderoit
contre cet Ecrivain les règles de la chari-
té , & de la poiitelTe même Chrétienne ;
m-ais le zèle de la vérité qu'on défend ne
permet pas cette jufte modération ; & con-
tre l'erreur , il ne faut pas amplement adou-
cir £%: changer fa voix , comme autrefois
l'Apôtre en écrivant contre les abus d'une
Eglife fidèle , mais fonner de la trompette
comme les Prêtres de la Loi contre Jéricho.
Ainfî , la Religion elle-même fert fouvenî
d'afyle &: d'appui à des paîTions injuftes.
IVIais lailfons à Dieu , mes Frères , le
foin de venger fa gloire : défendons la vé-
72 PURIFIC. DE LA ViERGE.
rite avec les armes de la charité : comb^it-
tons l'erreur avec cet efprit de douceur §i
de modeftie , feul capable de ramener
ceux qui errent : découvrons le mal fans
aigrir le malade ; & n'ajoutons pas au fcan-
dale des doctrines perverfes , celui des
emportemens qui les combattent. N*in-
téreilons pas la gloire de Dieu à nos trans-
greiïîons : accomplirons la Loi , qui eft
claire. Que les inconvéniens douteux que
nous croyons appercevoir de loin , ne
nous retardent plus : c'eft l'affaire de ce-
lui qui nous ordonne d^obéir ; &: puifque
ces raifons ne l'ont pas encore obligé de
changer fa Loi, elles ne doivent rien chan-
ger aufli à la fidélité de notre obéiffance.
D'ailleurs , vous qui paroiiTez fi fenfible
aux intérêts de la gloire de Dieu , & qui
peut-être confondez ce fentiment de la Foi
avec une vivacité toute humaine uir votre
gloire propre ; favez-vous où le Seigneur
la trouve , fa gloire ? Vous croyez que
c'efi: dans le fuccès d'une oeuvre d'éclat
utile à la piété , dans la confufion &: dans
le décri d'un ennemi de la vertu : vous
vous trompez. C'eft fouvent dans la pa«
tience d'un JuÛq perfécuté ; c'eft dans le
iîlence d'une ame fidèle que l'on calomnie :
ces actes pénibles & fecrets de la Foi ont
quelque chofe de plus grand à fes yeux ,
Êc de plus digne de fa gloire , que les hon-
neurs le plus pompeux rendus à la vertu ;
& peut-être que ceux de ïfraéiites deve-
nus fidèles ôC fervens dans la captivité ?
ihonoroient
Sur les dispositions , ^c. 7^
riionoroient davantage le long des fleuves
de Babylone , par les gémiflemens fecrets,
par les defirs faints &: ardens , par les trif^
tes CiAntiques qu'ils faifaient monter fans
cefle vers le Trône du Dieu de leurs Pè-
res 5 par la patience avec laquelle ils fup-
portoient les rigueurs de leur fervitude ôc
le joug des incirconcis , que n'auroit pu
faire la ruine entière des ennemis d'ifraèl ,
la gloire de Jérufalem rebâtie , & la m.a-
gnificence de Ton Temple & de fes Sacri-
fices. Ce n'efi: pas toujours en attirant des
honneurs à la vertu ; c'eft le plus fouvent ,
en exerçant le Juile par des opprobres ,
que le Seigneur fait fe glorifier iui-inêirie.
Une autre inftrucirion que nous donne
ici la docilité de Marie , c'eft qu'élevée
su degré le plus fubiime de la grâce , unie
à Dieu par les dons les plus excellens de
TEfprit faint , elle ne dédaigne pas une cé-
rémonie vulgaire du culte ; elle n'aiTcile
pas des voies plus {ubiimes , plus fpiri-
tuelles 5 &: plus parfaites. Car cet écueil
cil à craindre pour la piété : fouvent on
croit avoir une dévotion plus éclairée , &C
de meilleur goiit , en laidant au peuple
iinipîe & groilier , ou aux âmes moins ins-
truites 5 tout ce qui ne paroît établi que
pour le culte extérieur , & les pratiques
les plus communes de la Religion , que la
piété publique a autorifees , & dont la (im-
plicite femble les de/liner à la multitude
ignorante: on néglige ces fecours inno-
cens ^ comme fi une Foi plus éclairée pou-
j\1yjicrcs. D
74 PURÎFIC. DE LA ViERGE.
voit s'en paiîer : en croit en donnant moins
aux fens & à la chair, qui ne fert de
rien , agir plus félon TeTprit qui eft utile
à tout : on fe relâche fur mille ufages faints
& fenfîbles , qui répandoient au commen-
cement de notre pénitence , une on6i:ion
fecrette dans nos cœurs , & foutenoient la
fidélité de notre piété nailTante : on fe per-
ftiade qu'il y a une voie plus excellente ;
Se cependant , depuis qu'on eft infidèle à
ces ufages , on eft tombé dans le relâche-
ment & la fécherelfe ; on ne fent plus ces
confolations faintes , qui étoient la récom-
penfe & le foutien de la vertu ; en négli-
geant ces œuvres fi peu utiles , on a peu-
à-peu i>ëgiigé les plus elfentielles ; & l'on
eû. devenu tout charnel depuis qu'on n'a
plus voulu fe conduire que félon Fefprit.
Ainfî 5 m.cs Frères , tout aide à la véri-
table piété ; tout réveille fa foi , tout per-
fedionne fon amour , tout confole fon ef-
pérance : rien n'eft imiparfa.it pour elle que
les œuvres qni manquent de ferveur ; &
les pratiques les plus fîm.ples lui paroiifent
aufiî élevées devant Dieu que les plus pu-
3CS contemplations des Séraphins , dès
qu'elles en ont l'amour & le zèle. La per-
feâ:ion de la vertu ne confifte pas dans la
fublimitc des devoirs que l'on remplit ,
mais dans la grandeur de la foi , qui peut
accompagner les œuvres Iqs plus vulgai-
res. Souvent on ne fe croit plus avancé ,
que parce qu'on vacque à des fonctions plus
relevées , à des leftures plus fpirituelles ,
Sur les oisposîtîons , 8cc. 75
à des méthodes plus parfaites. Mais fi vous
portez à ces méthodes fubiimes les défauts
des foi blés &c des imparfaits , vous êtes ,
comm.e les Apôtres , m.onté fur le Tha-
bor , pour y contempler la gloire du Sei-
gneur ; mais vous y confervez encore ,
comm.e eux , un goût de chair & de
fang 5 &: penfez encore à vous bâtir fur la
terre un Tabernacle & une Cité permia-
nente.
En fécond lieu , humble , Marie ne s'é-
lève pas. Car , mes Frères , qui peut dou-
ter qu'elle n'eût été éclairée d'en haut fur
toute la fuite du mjniftere de fon Fils , elle
qui en avoit dévelappé les merveilles d'une
manière fi fubiime dans fon divin Canti-
que ; &: que l'élévation de fes lumières
ne repondit à celle de fa grâce 6c de fa di-
gnité ? Cependant elle veut bien recevoir
les avis du juile Sim.écn ; elle ne dédaigne
pas d'être inftruite par le faint Vieillard fur
les fuites de fa deftinée & de celle de fort
Fils : elle paroit apprendre ce qu'une plé-
nitude d'efpriî & de grâce lui avoit déjà
appris : elle ne s'emprefTe pas de raconter
à fon tour les grandes chofes que le Sei-
gneur avoit opérées en elle , & tout ce
que l'Ange lui avoit révélé dans fa retraite
de Nazareth ; & comime d le cantique du
Vieillard Siméon lui eût découvert fur cet
enfant j des myfteres qu'elle eût jufques-là
ignorés , elle écoutoit fcs paroles , dit l'E-
vangile , avec une admiration de refpe£t
&: de furprife ; Erat FaUr 2Jus & Maîzr Lu:, z.
•j6 PURIFÎC. DE LA ViERGE.
mirantes fuper his cpicz dicchantur de illo.
Or , rien de plus rare , même dans la
piété , que cette fage & modefte retenue ,
qui va à cacher Tes propres dons , & à ma-
nifeiler ceux à^s autres. Souvent enflés de
quelques foibles lumières , qu'on croit avoir
puilees dans des leâ:ures plus recherchées ,
on veut tout inilruire fans connoiilance ,
tout régler fans vocation , tout entrepren-
dre fans talent , tout décider fans autorité.
A peine trouve-t-on de guide alfez éclairé
pour fe conduire : tout paroît au-defTous
de ce qu'on croit être foi-même : il faut
des Pauls defcendus du Ciel ; encore ne
parlent- ils pas afîéz la fagefîe Aqs parfaits :
la fmipliciié , i'onclion , la plénitude de
l'Efprit de Dieu ne paroifîent plus que des
talens defiinés à fauverles âmes vulgaires :
on veut pour foi un certain goût , des lu-
mières rares , des dons éclatans , &: quel-
que chofe de plus que la fcience de Saints ;
& la vanité paroit jufques dans le choix
qu'on fait de celui de qui on veut appren-
die l'humilité chrétienne.
Souvent encore on conferve dans un
miniftere faint, com.me ces Fidèles de Co-
rînthe , un efprit d'émulation pour les dons
eis'térieurs. Tout ce, qui brille plus que
nous 5 nous blelfe : tout ce qui nous eiface
ou nous obfcurcit , nous trouve inexora-
bles : que Jefus- Chrift en foit plus glorifié ,
fi nouslefommes m.oins nous-mem.es , nous
devenons les cenfeurs de l'œuvre de Dieu
dans Iqs dons de nos Frères : nous n'avons
Sur les dispositions , &c. 77
de zèle que pour les miniileres éciatans;
nous laiirons aux autres les plus utiles aus
Peuples ; nous fuyons en travaillant à l'é-
difice du Seigneur 5 ces foins obfcurs &
pénibles , qui ne font que préparer les voies
en fecret, & qui laiilent aux autres la gloire
publique du fuccès , & tout Thonneur de
l'ouvrage: peu femblables à David, qui
fe contenta d'avoir amaile avec des iGÏns in^
croyables , tous les matériaux du Temple 5
& laifla à ion fils Saîomon la gloire immor-
telle de l'avoir élevé , &i tout l'honneur
de cet ouvrage célèbre. Cependant ^ tout
eft à craindre lorfque l'orgueil S: la yaine
compîaifance fe mêlent avec les talens . &
les dons extérieurs de l'Efprit faint : c'eft
une rouille qui les infeâe , & qui en anéan-
tit le fruit oC l'ufage : vous arrofez , & le
Seigneur ne donne pas raccroifFement ;
vous travaillez , & vous femez du vent :
Dieu ne bénit pas un inftrum.ent qui n'agit
pas fous fa main ; & vous devenez coupa-
ble , ck des dons que vous avez reçus • &:
des fruits que le Seigneur avoit attachés à
i'ufage faint que vous en deviez faire.
Enfin , généreufe , Marie ne fe décou-
rage pas. On lui annonce qu'un glaive de
douleur percera fou ame ; que cet enfant
qu'elle vient offrir y fera expofé com.me
un but aux traits de la contradiction & de
la calomnie ; on ne préfente à fon efprit que
des images triftes & efFrayantes ; on ne lui
fait entrewir de loin que des malheurs ,
dont la penfëc feule fait frémir fa tcndreife °
7^ PURÏFÎC. DE LA ViERGE.
cependant à des préfages fi funeftes , elle
oiire une foi généreufe & foiimife. Fille
d'Abraham , elle en imite la fidélité & le
courage ; elle voit déjà la montagne fainte ,
le bûcher fatal drelTé , &: le véritable Ifaac
prêt à être immolé , fans que fon amour
arrête le bras qui va frapper. Elle entre
dans^ les difpcfitions divines de fon Fils ,
uniiiant fa foumiinon à la fienne ; elle tire
de lui toute fa force ; & comme ils offrent
la même hoftie , ce n'efl , pour ainfî dire ,
que la même obéiHance qui en confomme
& en fanéiiiie i'ûblaîion.
Or 5 c'eft ici où Texemiple de Marie cft
peu imité. La piété n'arrache pas toujours
du cœur des parens les plus chrétiens , Fa-
inour charnel & déréglé des enfans ; &
l'on n'offre pas toujours au Seigneur, com-
me elle 5 ni ce qu'on a de meilleur, ni peut-
être ce qu'il demande de nous. Si l'on dé-
mêle dans un enfant les premières efpéran-
ces de ces talens qui font réuflîr dans le
monde ; s'il paroît plus propre que les au-
tres à foutenir la gloire de fon nom & l'ef-
time publique , on le fépare pour la terre ;
on le regarde comme confacré & deftiné
au fiecle par fa naiffance ; le Seigneur n'a
plus de droit fur lui. En vain mille traits
d'une vocation fainte paroiffent déjà fur fa
perfonne ; en vain mille defirs de fépara-
tion & de retraite , que la grâce opère déjà
dans fon ame , laiffent comprendre les def-
feins de Dieu fur lui ; en vain , comme
Moyfe , préférant l'opprobre de Jefus<
Sur les dispositions , Scc. 79
Chrift aux richelTes de l'Egypte , fe déro-
be-1- il, peut-être même pour s'enfuir au
défert : on réfille à l'ordre de Dieu ; ou
regarde les plus {ainls mouvemens de la
grâce comme des légèretés de reafance ;
on ne le croit pas encore capable de le clioi-
fir une voie , & on lui offre celle du fiecle :
on ne veut pas le détourner ouvertement
d'un deffein louable; mais fous prétexte
d'éprouver la vocation , on la fait perdre;
on exige qu'il connoillc le monde aupara-
vant, & on attend qu'il l'nit ainin : on veut
Jaifier mûrir la raifbn , ôc on lalilc flétrir
l'innocence ^ fortifier les pallions : on fe
perfuade qu'il faut l'engager dans des plai-
firs qui éprouvent fa réf^ilution ; & on le
met dans des occafions qui ccrroîiîpent foa
ame : 6c com.me Noé , mais avec des in-
tentions bien différentes , on envoyé il fou-
vent fur une terre inondée d'iniquités ,
cette chaire colombe , pour eifayar fi elle
pourra s'y arrêter , qu'à la fin elle y relie ,
&: ne revient plus dans le faint afyle où is
Seigneur l'avoit appellée.
Ce n'eft pas que je prétende ici blâmer
les précautions d'une prudence chréticane ,
mais je blâme les vains prétextes de la
chair Bc du fang. Et en effet , lorfquc vous
trouvez les mêmes deiirs de retraite dans
ceux de vos enfans , qui par l'ordre de leur
naiffance , ou par la médiocrité de leurs
talens , fe trouvent moins propres au mon-
de , & à féconder la vanité de vos projets ;
êies-vcus' il difficiles Ôc fi circonfDeéis ?
D4 '
So PURIFIC. DE LA ViERGE.
prenez-vous tant de mefures , pour éprou-
ver il ceR le boa efprit qui les pouiTe ?
inettez-vous leur vocation à des épreuves
il périlleufes ? Ah ! loin de vous défier de
leur âge &: de leur enfance , vous en abu-
fez : loin de leur repréfenter les inconvé-
lîiens d'un choix téméraire , vous le leur
inrpiVez : loin de leur foire connoître les
plaillrs du monde , pour éprouver leur
vocation ^ votre grande attention efl de les
en éloigher, èl de leur en faire des pein-
tures afircufes : au lieu de leur préfenter
avec neutralité le ilecle & la retraite, vous
les placez dans des fiîuations où tout leur
fait entendre ce que vous n'ofez leur dire :
vous faites de leur éducation une voie qui
les conduit à vos fins : fous prétexte de les
éloigner des dangers , vous dérobez de
bonne heure le monde à des yeux, devant
lefquels vous craignez qu'il ne paroiffe trop
aimable : vous ne les traînez pas comme
des viâ:imes infortunées à Fautel , mais
peut-être vous leur rendez la retraite un
afyie fouhaitable , par les févérités & les
traitemens injuilcs qu'ils ont à eiîuyer au-
près de vous. Après cela vous venez nous
dire que vous êtes heureux dans l'établiA
fement de votre famille. Vous êtes heu-
reux ; mais vos enfans le font-ils ? &: pou-
vez-vous appeller un bonheur pour vous ,
leur infortune , &: Finhumanité qui vous
les a fait facrifier à l'idole de votre ambi-
tion ?
Mais de plus , la honte de vos familles
Sur les DIS?osITî0^^5: , oîc. 8r
devient aiiiii le partage du Seigneur. Aind.
les vafes de rebut , que vous n'avez pas
trouvés dignes d'être placés dans votre
rnaifon , vous les choi/ilFez pour être les
vafes d'honneur du Temple du Dieu vi-
vant ! ainli ces pierres inutiles , que vous
rejetiez , comme incapables d'entrer dans
redihce profane de votre fortune , vous
les réfervez pour être les pierres de l'angle ,
& les colonnes de la Maifon du Seigneur !
Eh quoi ! mes Frères , l'art des arts , le
gouvernement des âmes dcmande-t-il moins
de talens , que les occupations frivoles &
les inutilités de la terre ? Quoi [ l'interpré-
tation des myfteres de la Foi , la défenfe
de la vérité & de la docl:rine , l'inllru^ion
des peuples , la difpenfation des grâces de
l'Eglife ; des devoirs û fublimes , ne doi-
vent-ils donc être abandonnés qu'à des ta-
lens inutiles , &: à des efpriîs vulgaires 8c
médiocres ? Quoi ! la force , pour réiiPœT
à l'erreur; îa lumière & l'élévation , pour
la découvrir 2>c la confondre ; le zèle ^
pour combattre le mionde , avec fes abus
& Tes maxim.es ; îa fainteté , pour les cor-
riger ; la plénitude de refprit de Dieu ,
pour le toucher ; l'éloquence fainte , pour
le convaincre ; l'intrépidité , pour ne pas
le ménager ; la grandeur d'ame , pour être
au defilis de fes menaces & de fes proiiief-
fes ; font ce-Là des minifteres vulgaires Sc
rampans ? & faut-il , pour d-2s fonctions u
élevées , être nés m.oins heureufeinr'nt
que pour les amufemens du monde , 8c les
8z PURÎFIC. DE LA. ViERGE.
a^<T/itations puériles qui en font les plus fé-
rierifes occupations !
Mais vous exigez vous-mêmes de nous
tant de qualités rares & fublimes ; vous
voulez que nos mœurs foient irrépréhen-
fîbles , èl que nous brillons par la fainteté
de notre vie , comme des aftres , au milieu
des ténèbres & de la corruption générale
dn monde : vous voulez que nous éclair-
ciinons vos doutes , que nous redrelîions
vos égaremens , que nous foutenions vo-
tre foibleiie . que nous confolions vos af-
iiicrions : vous voulez que nous foyons les
dépoiîtaires de la doâ:rine & de la vérité ,
les oracles de la terre , toujours prêts à
rendre raifon de notre foi , & à humilier
toute hauteur qui s'élève contre la fcience
de Dieu. Mais ceft vous-mêmes , mes
Frères . qui nous avez donnés à TEglife ;
ceCi de vos manis que le Seigneur nous a
reçus ; & fi vous ne préfentez au Temple y
que ce que vous avez de pire & de plus
défe£lueux , comment y trouverez- vous
ce qu'il y a de plus rare & de plus excel-
ieuî fur la terre ?
Vous faites après cela vous-mêmes ,
mes FrCi-es , du dérèglement ou de l'igno-
rance des perfonnes ccnfacrées à Dieu , le
fujet le plus ordinaire &: le plus agréable
de vos dériuons & de vos cenfures : mais
n'e{î-ce pas l'oîivrage de votre orgueil &
de vos iiitércîs fordides , que vous trou-
vez il digne de rifée ? ne font -ce pas l^s
îiiaiiis de votre cupidité 5 qui ont placé fur
Sur les dispositions , &c. S3
l'autel ces idoles nicprifables que vous in-
fultez ? S'il n'y avoit point dans l'Eglife
de parens avares , ambitieux , injuTies * y
verroit-on beaucoup de miniftres mon-
dains 5 fcandaleux , ignorans 1 û le Sei-
gneur fe choihiroit lui-même fesviclimes,
ieroienî elles û indignes de lui ? & les aiy-
les faints cacheroient-ils tant de dégoûts , de
foibleffe & de murmures ? Eh ! pleurez
plutôt fur des défordres , dont vous êtes
les feuls auteurs , & que la juilice de Dieu
vous imputera un jour : couvrez plutôt du
voile du filence , des plaies que vous avez
faites vous-mêmes à l'Eglife : tournez con-
tre vous mêmes vos propres cenfures :
que les fcandales du SanÔuaire vous rap-
pellent uniquement Finjuilice de vos deili-
nations fur vos enfans : nos égarem.ens font
toujours ou la peine , ou le fruit des va-
très.
D'ailleurs , que pourroit il vous arriver
de plus heureux , que de confacrer au Sei-
gneur ce qu'il y a de plus heureufement né
dans vos familles ? de fournir à l'Eglife des
Miniftres éclairés , des ouvriers puilTans
en œuvre & en parole ; qui ramènent les
pécheurs , qui confolent les Juftes , qui
fortifient les foibles , qui foient établis ,
comme aujourd'hui Jefus-Chtift , pour le
falut de plufieurs , pour être la gloire de
leur peuple ^ la lum.iere des nations , la cca-
foîation de TEglife j le foutien de leurs Fra-
ies ? &: quand même le Se!=;neur vous de-
nianderoit , comme autrefois à Abraham 3
Do
H.hr.
H.' 21
84 PURîFîC. DE LA ViERGE.
& aujourd'hui à Marie , le feul héritier des
prcmeiles , le (eul rucceiîciir de vos titres
&: de votre nom , ne feroit- ce pas une grâce
nciivelle dent il vous favoriferoit ? Le
niondç Taiiroit infedc ; & le Seigneur îe
mettra à couvert dans îe fecret de fon Ta-
bernacle ; vous eu liiez été peut-être le père
infortuné d\riiQ pollérité maudite ; &l vous
purez la confolation d'y voir un Elu , que
Jeliis - Chriil vous rendra dans le ciel.
Peut-être même confacré au Seigneur , Sc
revêtu d'un caradere de dignité dansFE-
giife 5 recevra- 1- il vos derniers foupirs fur
la terre ; fera- 1- il l'Ange tutelaire de votie
mort ; vous fortifiera- 1- il dans cette der-
nière licure par les paroles de la Foi , êi
les derniers remèdes des m.ourans : peut-
êrre bai lierez- vous fous fa main facrée y
devenue rinfcrumenr de votre réconcilia-
tion 5 votre tête déjà détaillante ; & com.m.e
le vieillard Jacob mourant , aiTîfté de fon
fils Jofeph élevé en dignité dans T'Egypte ,
vous aurez la confolation , comime lui , d'a-
dorer le bâtcn de fa puifancepaftorale , èc
la marque facrée de fon autorité : Adoravlt
jhjïlgium. virgœ ejus, F h ! que vous fert
d'avoir fur la terre des fiicccifcurs de votre
nom 5 Icrfqu'une fois vous dcrmiirez dans
la poufiicre du tombeau ? Il n'y a pour
nous, dit faint Ambroife , de véritable pof-
tériîé 5 que celle qui nous fuivra dans le
Ciel : ceux de notre race , que la juftice de
Dieu aura féparés de fes Saints , & attachés
i;us flammes étemelles , feront pour nous
Sur les disposition's , S^c, 85
comme s'ils n'avoienî jamais été , dit TEf-
prit de Dieu Nati fant quajl non nati ; & E^-cli.
nous ne devons compter parmi nos neveux , 44- 9.
que ceux qui nous feront unis dans la fainte
Jérufalem , par les liens immortels de la
charité. Illa enim vera pojlcritas , qiiœ non s.Amh,
in tcrrh , fcd in ccvlo cfL de in-
Voilà les confolations temporelles , dont ^-'^' ^*
Dieu récompenieroit ici-bas même votre ^*
facrifîce : au lieu que ces vocations ména-
gées de loin , infinuées , infpirées , com-
mandées ; ces facrifices forcés de la cupi-
dité 5 portent d'ordinaire , ici- bas m.ém.e y
la calamité & la défolation dans les famil-
les , en éteignent le nom , font fécher la
racine d une orguciiîeufe poUérite , voient
périr la gloire & la defcendance des mai-
fons dans les débauches d'un emiporîé , au-
quel on avoit facriiié tous fes frères , Se
font une fource de chagrins amers , & de
confufions éclatantes. On voit fis enfans ,
que la chair ^ le fang avoient placés fur
l'autel 5 deshonorer leur miniilere , deve-
nir l'oprcbre de FEglife ; que fai je ? tom-
per quelquefois dnus i'^bym.e , fecouer le
joug & perdre la foi , après avoir perdu îa
pudeur & finnocence. Et fi les intérêts de
î'Eglife & de votre falur font trop foibles
pour vous infpirer de l'horreur d'un abus
il déplorable & i\ barbare , du moins que
vos propres intérêts , & le fcin de votre
gloire cl de celle d^e votre nom , vous ar-
létenî ; & fous un Prince fur-tout (i reli-
gieux fur le choix des fujets qu'il place
h
g(5 PURIFIC. DE LA ViERGE.
dans le Sati6i:uaire ; (î peu touché du nom ,
des titres , de la naiilance , des fervices
rendus à l'Etat, & de tous les autre? genres
de mérite , fi celui de la do6brine , des ta-
lens & de la piété ne les affortit ; & qui
cft fi attentif à ne pas donner à l'Eglife des
Miniftres qu'elle rejette , & qui ne fe font
pas donnés eux-mêmes.
Telles font les inftruâ:ions que la Foi dé-
couvre dans ce myftere. Confacrons-nous
donc aujourd'hui au Seigneur avec Jefus-
Chnft , mais confacrons- nous fans réferve ;
ces offrandes défeâ:ueufes , ces conver-
fîons imparfaites , forment quelquefois un
état plus dangereux que le crime même.
Répondons avec fidélité , comme Marie ,
aux deifeins de Dieu fur nous ; foutenons-
nous 5 comme elle , dans la voie où la
grâce nous a fait entrer ; ne traverfons ja-
mais par des cupidités injufles , cachées
fous des prétextes faints , les vues de la
Providence fur nos deftinées. Vivons fous
la main de Dieu ; & joignons au facrifice de
notre cœur , cette fidélité qui le renouvelle
fans ceife , qui l'étend à tout ce que Dieu
demande de nous , & qui conferve jufqu'à
la fin le tréfor de la juflfce , pour en trouver
la confomimation dans le Ciel.
AinJlfohiL
«7
SERMON
POUR LA FETE
DE L'INCARNATION.
Loquimur Dei fapientiam in myfterio , qua?
abfcondita eft , quam nemo Principum hujus fieculi
cognovir.
Nous annonçons la fagejje de Dieu cachée dans
fan myjiere , que nul des Princes de ce monde n'a
(onnue. i. Cor. i. 7. 8,
SI les voies de Dieu font d'ordinaire éloi-
grées de celles de l'hemme , & n dans
fes deiieins , la fageile éternelle fe plaît
toujours à confondre les vains préjugés de
la iligeile hniraine , c'eft principalement
dans le Myilere qne l'Eglife honore en ce
jour. Oui 5 mes Frères , un Dieu qui
defcend de fa gloire peur nous y élever ;
qui ie charge de nos infirmités & de nos
fouiîrances , pour nous en fouiager ; qui
s'unit à rhomme , pour réconcilier l'hom-
me à Dieu ; a été dans tous les temps un
fcandaie j ou ime folie 5 à ia prudence de la
88 P O U R L A F F. T E
chair ; & encore aujourd'hiii , la fageiTe de
Dieu dans ce MyfLere , eft tout- à-fait in-
connue au fîecle : Loquimur Del fapierLtiam
in myftcrlo , ([uœ ahfcondita ejl^ qiiam ncmo
Priiicipum hujus fœculi cognoviu
En efTet , ie monde ne connoît de vérita-
ble grandeur , que celle qui frappe les fens :
le mO!'de ne compte de vrai bonheur , que
celui de vivre dans les plaifirs & dans Ta-
bondance : le monde ci-oit avoir feul la
raiion en partage , & rappelle toujours au
jugement de Tes propres lumières , les œu-
vres du Seigneur.
C'efi: fur ces trois erreurs que rculoît
toute la fageiïe des hommes , avant qu'il
plût au Très-Haut de les vifiter dans fa mi-
féri corde. Les Juifs ne foupiroient qu'après
la gloire & la grandeur temporelle d'un
MeifTie charnel , qui devoiî fubjuguer tous
les Empires , & rendre toutes les Na rions
tributaires de Jérufalem : les Philofophes
n'attendoienî le remède de -leurs maux ,
que des vains etforts d'une raifon malade :
les Princes , les puiiTans & le peuple ,
cherchoient dans les plaifirs des fens , ce
que TAuteur de la nature n'y a point mis ,
& la félkité la plus indigne de l'homme. Et
tel eft cncovQ , après raccomplilTcment du
grand Sf\'ri:ere de piété , l'état déplorable
du monde.
Mon dellein donc aujourd'hui, efl de
montrer comment la fagelle^de Dieu , ca-
chée dans ce myftere , confond ces trois
erreurs principales , oui foriïien: propre-
DE L* I N C A R N A T I O N. 89
ment toute la fagelle humaine. Première-
ment , le Verbe s y anéantit ; & cet anéan-
tiilement nous apprend que l'homme ne
peut plus aimer l'élévation fans injuftice.
Secondement , le Verbe s'y charge de nos
douleurs & de nos fouffrances ; & ce mi-
nillere nous découvre que Ihomme ne
peut plus aimer les plaifirs fans crime. En-
fin 5 le Verbe s'y unit à notre chair ; & en
nous propoiant cette union incompréhen-
fîblê , comme l'objet de notre cuhe & îa
feule reiîburce de nos maux , il nous lalife
comprendre mis l'homme ne peut plus
compter fur la raifcii fans témérité. Un
Dieu anéanti rend les humiliations hono-
rables : un Dieu charge de nos douleurs
rend les fouffrances aimables : un Dieu uni
à l'homme fait taire la raifon , & rend la
Foi même raifonnable. Développons ces
trois vérités : elles renferment toute la doc-
trine du grand Myftere de piété. Ave 9
IShria.
J—i 'Orgueil a été de tout temps îa plaie la partie
plus dangercufe de l'homme. Né pour être
grand Si maître de toutes les créatures , il
a toujours conCervé au-dedans de lui ces
premières impreffions de fon origine.
Trouvant fans ceiîe dans fon cœur , je ne
fais quels fcntim.ens fecrets de fa propre ex-
cellence 5 que fa chiite n'a point effacés , il
fe prêta d'abord à des penchans û doux ;
il ne chercha plus qu'à s'élever de degré en
degré j tk ne rencontrant rien ici-bas qui
f)o PourlaFete
put fatlsfaire la grandeur d'une ame , la-
quelle n'avoit été créée que pour régner
avec fon Dieu , il monta jufques au-delTus
de nuées , & fe plaça à côté du Très-
haut. De-là l'homme fe fît rendre les hon-
neurs divins ; l'homme fe rendit à rhomm.e
même , & l'univers adora , comme fes au-
teurs, des infenfés que l'univers avoit vu
naître , & qui étoient venus tant de fîecles
après lui.
Cependant l'homme , depuis le péché ,
n'eft plus qu'un vil efclave : tout ce qui
l'élevé 5 le tire de fa fituation naturelle ,
^4 ^iiifque l'honneur n'efl dû qu'à l'innocence ,
Ik que rabje6tion doit être le partage du
vice ; ck s'il lai reile encore quelque efpoir
de recouvrer fa première grandeur , ce
ne peut être que dans l'humble aveu de fa
baffeife.
Mais comment perfuader au monde une
vérité fi nouvelle , démentie par la doctrine
de toutes les Seâ:es , par les préjugés de
toutes les Nations , & par les fentimens les
plus vifs du cœur humain ? les Juftes, dans
ces temps reculés , qui précédèrent l'avéne-
ment du Libérateur , en avoient , je l'a-
voue 5 lailTé de grands exemples aux hom-
mes. Qu'eft-ce que l'homme , ô mon
Dieu ! s'écrioit un faint Roi , que vous
daigniez vou-s abaifTer jufqu'à lui , & le
vifiter? avez-vous oublié que je fuis devant
vous comme une bête fans raifon , & que le
néant eft le feul appui fur lequel toutes mes
forces fe foutienneat ?
DE l'Incarnation. 91
Mais ce n'étoient-là que des inftru6lions ,
2>c il falloit à l'homme des remèdes : des
modèles étoient infuffifans. Car outre que
les hommes ne pouvoient pas infpirer Ta-
mour d'une vertu , dont ils étoient eux-
mêmes touchés ; un coupable qui s'humi-
lie 5 peut à la vérité faire haïr fes crimes,
mais il ne fait pas aimer Tes humiliations :
l'orgueil humain avoit donc befoin d'un
exemple 5 qui fût en même temps fon re-
mède ; il falloit l'inftruire & le guérir tout
à la fois. Et voilà , mes Frères , le grand
Myftere que la fageffe de Dieu , après l'at-
tente de tant de ficelés , les vœux de tant
de Juftes , les oracles de tant de Prophè-
tes, opère aujourd'hui à Nazareth dans le
fein de Marie.
Or 5 fouffrez que pour tirer de ce Myf-
tere adorable les inftru6lions importantes
que la fagefle divine y a cachées , je vous
fafle remarquer quels font les principaux
cara£leres de l'orgueil humain , & Toppo-
fition qu'ils ont avec l'anéantiiTement du
Fils de Dieu , dans fon union avec notre
nature.
Le premier caractère de l'orgueil eft
cette erreur qui fait que nous fbrtons ,
pour ainfi dire, de nous-mêmes ; & que
pour nous étourdir fur le fentiment inté-
rieur & humiliant de notre mifere , nous
cherchons avec complaifance dans les cho-
{es qui font hors de nous ; dans les biens ,
les titres , les dignités , la réputation , l'é-
clat de la naiifance ; une gloire dont la
çz PO U R LA Fe T E
iburce ne devoit être que dans nous-mê-
mes.
Or ^ ines Frères , les circonfrances exté-
rieures de l'incarnation du Verbe , corri-
gent les hommes de cette première erreur.
En effet , ne fembloit il pas qu'im Myile-
re , dont les figures mêmes avoient été il
pompeufes , les préparatifs fi auguftes , les
promefiés fi magnifiques , les ombres 9
pour âinfi dire , fi brillantes , auroit dû
s'accomplir dans la plénitude des temps ^
avec encore plus d'éclat qu'il n'avoit été
promis ; & que puifque des fignes fi ijiuf-
tres avoient annoncé dépuis tant de fiecles
aux hommes, que le Très-Haut devoit les
vifiter , fa venue auroit dû être accompa-
gnée de tant de gloire & de majefté , qu'on
n'eût pu le méconnoître ?
Cependant rien de plus obfcur aux yeux
des fiîns , que ce qui fe pafie aujourd'hui à
Nazareth. La fiiintc Fille , préférée à tou-
tes les autres filles de Juda , & dans le
fein de qui s'opère le fccret inefTable de
Tabaifi^ement d'un Dieu , n'a rien qui la
diilinguc dans fa Tribu , que fa pudeur 2>c
fon innocence. L ec^atdu fang qu'elle tire
de David , efl obfcurci par la baiiélîé de
fa fortune : {on obfcurité a prefque fait
oublier fon origine. Les Cieux ne s'ou-
vrent pas , comme autrefois furie Mont
Sinaï , pour frayer une route de lumière
au Dieu qui deicend fur la terre : les An-
ges ne l'environnent pas pour annoncer
aux hommes fon avènement au bruit des
DE l'Incarnation. 9^
éclairs & des trompettes : les montagnes
ne retentifîent pas : des nuées de gloire ne
s'abailient pas pour enfanter le Jufte : la
maifon même de' Marie ne s'ébranle pas
jufqu'aux fondemiens , comme un autre
Cénacle , pour marquer la fainte horreur
dont elle eft faifie à la prélence du Dieu
qu'elle reçoit. Un feu! envoyé du Ciel ,
invifible à tous les hommes , apparoit à
Marie dans le filence , fous la iimplicité
d'une forme humaine , comme pour hono-
rer lui itiême , en cachant fa gloire , l'a-
néantiiîement du Dieu dont il eil le Minif-
tre. Nazareth , la plus méprifable ville de
Juda , èl d'où l'opinion publique étoit ,
qu'il ne pou voit rien fortir qui fit honneur
à la Judée ; Nazareth , dis-je , où ce Myf-
tere fe conlpmme , n'en eft pas plus inllrui-
te que Jérufalem. Jofeph lui-m.éme ignore
le fecret de rAmibaifade célefte ; & le ré-
duit , où Marie cïï cachée , ei\ le feul
ccnfiJent d'un prodige où le m.onde entier
a tant de part. Dans tous les autres Myf-
teres , les abaifTemeiis du Verbe font mê-
lés cVéd'dt & de grandeur : ici tout eft
obfcur ; rierr ne parle aux fens 5 parce qu'ici
le delléin de la Sagelîé divine eil d'en cor-
riger les erreurs , 6c de fubuituer les nou-
velles vues de la Foi , aux anciennes illu-
fions de la fageiTe humaine.
En effet , mes Frères , jufques-là les
hom.mes avaient cru que les profpérités
temporelles étoient des faveurs du Ciel ;
que ia réputation étoit un bien foiide , que
94 P O U R L A F E T E
les grands talens étoient d'heureux regar.ds
d'un Dieu favorable ; que les diftinÛions
du rang & de la naifTance avoient un
éclat véritable , & n'étoient pas indignes
des foins & de l'eftime des hommes. Mais
dans ce Myftere , la fagefle de Dieu nous
découvre un nouvel ordre de chofes ; elle
étale à nos yeux un monde nouveau tout
fpirituel ; de nouveaux biens , de nou-
veaux honneurs , une gloire nouvelle ; &
réformant nos jugemens , elle nous ap-
prend que l'innocence & la vertu font les
feules richelîes de l'homme ; que tout le
mérite de Tam-C fidèle eft caché dans (on
cœur ; qu'un feul degré de charité élevé
plus haut le Chrétien , que l'empire du
monde entier ; que la patience , l'humilité ,
la douceur , font les plus grands talens
d'un Difciple de Jefus-Chrift ; que fe vain-
cre foi- même fous les yeux de Dieu feul ,
eft une gloire plus folide & plus immor-
telle , que la conquête des Provinces tz
des Royaumes ; & qu'enfin , la grandeur
qui eii hors de nous , n'ell qu'un preflige
qui nous joue , &: qu'on n'eit grand qu'au-
tant qu'on efi faint. *
Or , mes Frères , n'ed ce pas là encore
aujourd'hui une fageffe inconnue au iiecle ?
Dcifapknîlam , quam nsmo Principum hii-
jus faculi cognovit. Où font ceux qui re-
gardent avec des yeux chrétiens le vain
ipedacle de la gloire humaine , & qui ré-
iervent toute leur admiration pour les dons
de la grâce & ie méiite de la faintcté l
DE l'Incarnation. 95
Qui s'attire plutôt nos hommages , ou un
ambitieux , qui à la tête d'un peuple d'hom-
mes armés , remporte des viâ:oires , &
remplit l'univers du bruit de fon nom &
de fa vanité ; ou un Jufte environné de fa
feule innocence , qui fait fouifrir une in-
jure , foutenir une humiliation , étouffer
un reflentiment ; qui fait combattre &
vaincre pour le Ciel ? Par où cherchons-
nous à nous diilinguer nous-mêmes de nos
frères ? efl ce par une charité plus vive ;
par une foi plus abondante ; par une conf-
cience plus pure ; par une fidélité plus in-
violable à tous nos devoirs ? Hélas 1 nous
nous élevons d'une naiffance ilhiflre , com-
me fî la gloire de nos ancêtres nous appar-
tenoit , & qu'elle ne devînt pas un oppro-
bre &: une roture pour nous , dès que
nous portons un nom vuide de leurs ver-
tus. Nous comptons nos titres &: nos ex-
ploits militaires , comme des diftin6i:ions
glorieufes , qui nous élèvent au-deffus des
autres hom.mes ; &: nous ne voyons pas
' que le hazard , la faveur , la tém.érité , les
conjondlures ont eu plus de part à ces
honneurs que le devoir & la vertu. Nous
nous parons des dignités éminentes qui
nous diilinguent dans notre peuple ; &
nous ne comprenons pas que les plus gran-
des places font de plus grands écueils , &
qu'elles multiplient nos devoirs , fans aug-
menter notre mérite. Nous nous glorifions
de la fupériorité de nos lumières & de nos
talens i 6c nous ignorons que les connoif-
ç6 PourlaFete
fances les plus vaftes de refprit humain font
des lumières puériles , û elles fe bornent
aux chofes préfentes , & nous font perdre
de vue hs éternelles. Oui , mes Frères ,
les grandeurs & les diftinâ:ions de la grâce
&: de la Foi ne touchent perfonne ; ce
qui eft éternel , nous le regardons comm.e
s'il n'étoit pas. Mais qu'im.porte au Chré-
tien d'être obfcur ou de briller aux yeux
des hommes , puifqu'il n'eft réellement
que ce qu'il eft devant Dieu , & que la
Foi nous dépouille de tout ce qui eft hors
de nous , & ne voit de nous que ïious-
mêmes.
Cependant , le fécond caraâere de Tor-
gueil humain eft cette foiblefTe qui ne
compte pour rien le mérite de la vertu
même , tandis qu'il ell caché , & qui ne
hait du vice que la confufion & l'oppro-
bre ; comme ii le vice & la vertu n'cîoient
que des opinions , & que l'homme ne pût
être grand ou méprifable que dans l'idée
des autres hommes.
Or y ranéantîîrem.ent du Verbe dans ce
Myftere confond cette vaine attention aux
jugem.ens humains.' Et certes le Fils de
Dieu ne defcendoit fur la terre , que pour
glorifier fon Père 5 £i reprendre dans le
cœur des hom^nes , les homm.ages que les
créatures lui avoient ravi. Ce deilcin de-
mandoit , ce femble , qu'il fe montrât à eux
dans toute fa gloire , refplendiilant comme
fur le 1 habor , & qii'il leur parût auili
glorieux 6$. auili digne de leurs hommia-
DE L'InCARN ATIOM. 97
ges , qu'il fe lailTa voir alors aux Difcipîes
enchantés de la douceur de ce rpcètacle.
C elt alors qu'il eût tout attiré après lui ; 8c
que Jérufalem incrédule n'eût pas vu fes
Citoyens fe partager fur la vérité de Ces
prodiges , & fur la fainteté de fa dodrine 6c
de fon ininilliere.
Néanmoins , ce n'eil pas par l'éclat &
la majefié qu'il veut triompher de nos
xœurs ; c'eft par ks humiliations & hs
opprobres ; i] cache tout ce qu'il efl ; il ne
donne pas fa gloire à un aut.e ; mais il la
dérobe , pour ainfi dire , à lui-même. Rien
de ce qu'il avoit de grand dans le fdn de
ion Père , ne l'accompagne aux yeux des
iens dans celui de Marie ; fa puilfance fe
change en foibleffe ; fa Cage^Q infinie n'eft
plus qu'une raifon naiifante & enveloppée ;
fon immenfité paroit renfermée dans les
bornes d'un corps mortel ; l'image de la
fubitance du Père eft cachée fous la vile
forme d'ef:lave ; fon éternelle origine corn.- * '
mence à compter des temps & des momens ;
enhn , il paroit anéanti dans tous Ces ti-
tres.
^^ Au/Ti , dès qu'il paroîtra dans la Judée
1 mcreciulite va lui ,difputer la fuprême au-
torire de fon Sacerdoce : Quel cH celui-ci , Luc'.r.
cnra-t-on , qui vient remettre les péchés î La 49.
erainre des Puijfances de la terre rcfufera
de le reconnoitre pour Roi ; & on lui fera
payer le tribut comme à un efclave. La
, prudence de la chair prendra fa fageiîè di-
vine ponr une folie i fe5 proches eux-irê -
Myjkres, r
oS Po UR LA FeTE
mes le regarderont comme un infenfé ;
Marc. Quonlam in furorcm ver fus ejl. L'envie le
• ^^* dégradera de fa naiiïance divine ; &: fes Ci-
toyens vont publier qu'il n'eft que le Fils de
Marie & de Jofeph. Enfin , un faux zele
lui ravira Téternité de fa durée ; & il fera
prefque lapidé , pour avoir ofé dire feule-
ment qu'il étoii avant Abraham.
Mais l'opinion des hommes ne changera
rien à l'obicurité apparente de fon minif-
tere. Il fe manifeftera affez à la vérité ,
pour être connu des Juifs fpirituels & fi-
dèles ; fes œuvres , fa do£lrine , Moyfe ,
les Prophètes , les divines Ecritures ren-
dront témoignage de lui ; & à qui aimera
la vérité , il ne fera pas poilible de le mé-
connoître. Mais il ne fe manifeftera pas
alTez pour éviter le mépris des Juifs char-
nels : l'éclat de fon miniftere fera fenfible
à un cœur humble & innocent ; l'obfcu-
riîé de fon miniftere révoltera l'orgueil &
l'incrédulité : il y mêlera aftez de ténèbres ,
pour recompenfer la Foi de ceux qui croi-
ront , C.I allez de lumières pour punir Tin-
crédulité de ceux qui refuferont de croire
en lui.
D'où vient , mes Frères , une conduite
fî furprenante ? Après s'être caché durant
tant de f ecîcs , Dieu ne fe montre-t-il en-
fin aux hommes que pour n'être pas connu
d'eux ? Que ne venoitil dans toute fa gloi-
re 5 s'il vouloit nous fauver en fe décou-
vrant à nous ? L aillons- là les autres rai-
fons de Tobfcuriîé de fon miniftere , qui
DE l'Incarnation. 99-
ne font pas de notre fujet : mais celles qui
noiiS regardent ici , c'eft premièrement ,
qu'il vouloit nous apprendre à nous , qui
fommes chargés de la difpenfation de fon
Evangile , à ne rien changer aux ordres
de Dieu dans les fondions de notre minif-
tcre 5 fous prétexte de concilier plus fa-
cilement à fa parole , les fuffrages des hom-
mes ; à ne pas croire que Dieu foit plus
glorifié par la gloire qui nous revient à
nous-mêmes ; à ne pas intéreffer le Sei-
gneur , pour ainfi dire , dans notre pro-
pre caufe 5 & nous perfuader qu'il a atta-
ché le.fuccès de fon Evangile , aux applau-
diffemens qu'il reçoit par notre bouche.
Les contradidions qu'éprauve le miniftre ,
font fouvent toute la gloire & tout le fuc-
cès de fon miniftere. Annonçons les véri-
tés que l'Eglife nous a confiées ; n'y mê-
lons ni nos opinions , ni nos propres pen-
fées. Plantons , arrofons , & lailfons au Sei-
gneur l'accroiffement : fa parole ne retour-
nera pas à lui vuide , & elle fera toujours
ou la condamnation de l'incrédule , ou la
confolation du Fidèle.
Secondement 5 il vouloit vous appren-
dre à vous 5 m.es Frères , que les' juge-
mens^ des hommes ne doivent jamais dea-
der de vos devoirs ; qu'il ne faut pas s'en
tenir dans le fervice de Dieu , à ce que le
monde approuve , mnis à ce que Dieu de-
mande de nous ; que les cenfures & les dé-
rifions font toujours la récompenfe de la
piété véritable; qu'il neft pas' poînble de
Èz
lOO POURLA FeTE
plaire aux hommes , & d'être Serviteur de
Jefuî-Chrift ; que le zèle qui voudroit con-
cilier les fuifrages publics à la vertu , n'eft
qu'un orgueil déguifé , qui cherche à fe
les concilier à ibi-même ; que Tinjuftice
du monde envers les gens de bien fait
ici - bas toute leur sûreté ; que robfcurité
eil le plus sûr ajyle de leur vertu ; que ce
n'eft pas ici le temps de leur manifeftation ;
& qu'ils n'auront droit de paroître à dé-
couvert 5 que lorfqu'iîs paroîtront avec
Jefus-Chrift dans fa gloire.
Cependant , fi nous y prenons garde ,
quelque juiles que nous foyons d'ailleurs ,
nous com.ptons les homm>es pour beau-
coup : ficus ne vivons prefque que pour
les autres : ce que nous fommes à nos yeux
& aux yeux de Dieu , nous intérelfe peu ^
nous ne paroiirons touchés , occupés que
de ce que nous fommes aux yeux des
hommes ; & moins fenfibles au '^foin de
notre pcrfeftion , toute notre attention fe
borne à embellir cette idée chimérique de
nous-miémes , qui eft dans l'efprit des au-
tres. AufTi il ne nous arrive guère de nous
demander à nous-mêmes ,' ce que nous
fommes réelicmiCnt ; mais nous nous de-
mandons fans ccffe ce qu'on croit que nous
foyons : aiiifi , toute notre vie eft imagi-
naire & fantaftique. L'erreur même qui
nous prend pour ce que nous ne fommes
pas 5 flatte notre orgueil : nous nous laif-
fons toucher par des louanges que notre
cœur défavoue ; nous nous faifons hon-
DE L'I?;C A RNA'TîO.V. IOI
neiir de la méprife publique ; & nous
fommes plus flattés par Terreur qui nous
prête de faulles vertus , que nous ne fem-
mes humiliés par la vérité , qui nous fait
fentir nos défauts & nos iniferes vérita-
bles.
Aufîi le dernier caractère de Torgueil
eft cette impofture de vanité , qui cherche
la gloire dans les humiliations même ; 6c
qui ne paroît s'avilir aux yeux des hom-
mes 5 qu'afin que leurs applaudiffemens ail-
lent la placer encore plus haut que n'étoit le
lieu d'où elle étoit defcendue. Et certes y
mes Frères j il n'eft prefque point d'hu-
milité fincere : on ne fe cache , que pour
être découvert ; on ne fuit Féciat , qu'afin
que l'éclat nous fuive ; on ne renonce aiix
honneurs , que pour être lionoré ; on ne
fouffre le mépris , que lorfqu'ii nous cil:
glorieux d'être méprifés. L'orgueil a mille
dédommagemens imperceptibles à nous-
m.êmes ; & rien n'eil plus rare qu'une hu-
miliation volontaire 5 qui ne conduit qu'à
l'humilité.
Or 5 voilà recueil que les anéantiïïerj'i'ns
du Verbe dans ce myltere , nous appren-
nent à éviter. Il fe revêt de la reiTemblan-
ce du péché , mais c'eil pour en porter
toute la honte : il fe charge de nos ini-
quités , mais pour en être la victime : il
veut paffer pour un Sam.arirain ^ pour un
ennemi de la Loi , mjais c'efi: pour être pu-
ni comme un féducbeur : enfin , il fe cache
lorfqu'on veut le reconnoitre pour Koi y
Es
101 Pour LA Fe TE
ir.ais c*efî pour mourir comme un efclave.
Les outrages les plus honteux vont être
la récompenfe de fes anéantiiîemens : les
hommes le méconnoîtront jufqu'à la fin ;
& il mourra avec tout le mérite de Ton
humilité.
Pour nous , mes Frères , fi la calomnie
nous trouve patiens , c'eft parce que nous
prévoyons que la vérité va la confondre ,
& qu'elle tournera à notre gloire. Les
œuvres.huniiliantc9 ne nous plaiient , que
parce que notre rang ne permet pas d'igno-
rer que nous nous abaiflions : nous aimons
les opprobres palîagers , & où notre vani-
té voit des reilburces promptes ; & aux
âmes les plus fidèles , il faut quelqu'auîre
attrait qui leur adoucilTe le mépris , que
le plaifir d'être méprifé. On pardonne ,
mais en faifaut fentir qu'on eft l'ofFenfé, &
qu'on fe relâche de fon droit ; on fait une
avance de réconciliation ; mais on n'eii pas
fâché qu'on fâche que la piété toute feule
a part à cette démarche ; on dit du bien
de ceux qui nous calomnient \ mais c'eft
peur ôter toute créance à leurs calomnies.
Enfin 5 il eft ditlicile de ne pas fe chercher
foi-même , ^ e*2Core plus dans l'humilia-
tion que dans l'éclat, parce que plus l'hom-
me femble s'oublier , plus l'orgueil eil at-
tentif à faire enforte qu'il fe retrouve.
Rou giflons de noïl^ foiblefie , m.es
Frères ; jetions fcuvent les yeux fur no-
tre modèle : adorons les premières dif-
pofitions de TAmiC faintc du Verbe incar-
DE l'Incarnation. 103
né 5 dans fes nouveaux anéantiiTemens :
penfons quelquefois que l'orgueil eft prcf-
que notre feul crime ; & que u nous pou-
vions une fois nous oublier tout-à-fait nous-
méines , nous ferions exempts de mille ta-
ches fecrettes « que nous ne connoilîonspas ,
& qui éloignent Dieu de notre cœur. Re-
prochons - nous fans celle cette alliance
monrtrueuCe de nos rniferes avec nos va-
nités ; cette fource de corruption que nous
fentons en nous , avec ces dcfirs de gloi-
re 5 qui entrent dans toutes nos œuvres ;
cette loi de la chair qui nous humilie , avec
ces lentimens d'élévation qui nous enflent ;
en un mot , ce que nous fommes , avec ce
que nous voudrions paroître. Et après
être convenus que depuis rar.eantiiTement
d'un Dieu , rien n'eft plus iniuile pour
l'homme que de vouloir s'élever ; écou-
tez comment depuis qu'im Dieu anéanti
s'eft chargé de nos douleurs & de nos in-
firmités , rien n'eil plus honteux à Thom-
me . que de chercher une vie douce 3c
heureufe fur la terre.
•'Homme innocent devoit mener une IL
vie heureufe & tranquille. La terre n'a- tartie
voit reçu la fécondité . qie pour fournir à
fes chaftes délices : fes feus n'étoient defli-
nés qu'à le porter à la confervation de fon
être 5 par des imprefTions douces &: agréa-
bles. Toutes les créatures dévoient fe^-virà
fa félicité , puifque dans le deffein de leur
Auteur , elles avoient été toutes rappor-
E4
104 Pour la Fête
tées à fou ufage ; & fous un Dieu jufte ,
rien ne pouvoir le rendre malheureux , ni
troubler fes plailîrs , tandis que rien ne
donneroit atteinte à fon innocence. Mais
l'homme pécheur eft né pour fouffrir : tout
plaiiîr dans la vie eft interdit à un coupa-
ble , qui ne mérite pas même de vivre ;
la douleur eft l'état naturel du défordre ;
& c'eft une injuftice , que les créatures
fervent au bonheur d'un infortuné qui en
a abufé , & qui s'eft révolté contre le Sou-
verain à qui elles appartiennent.
Cependant , le plaifir eft encore le pen-
chant domiinant de cet homme criminel :
malgré fa tranfgrefiion , il veut vivre heu-
reux ; & la faute qui lui en a fait perdre le
droit & l'efpérance , n'a pu lui en faire paf-
fer le defir : les travaux qui font devenus
la peine inféparable de fon crime , n'ont
pu devenir le choix libre de fon amour ;
& condamné à fouffrir , il n'a jamais pu
aimer les fouffrances. Il falloit donc qu'un
grand exemple lui rendit aimable , ce qui
lui étoit devenu néceftaire , & qu'un Dieu
fouftrît tout pour fauver Fhomme , afin
que l'homme apprît & aimât à fouffrir
pour appaifer fon Dieu.
Aufli le miniftcre du Verbe incarné , eft
un miniftere de croix & de fouffrance.
Dès le premier inftant de fon union avec
notre nature dans le fein de Marie , il re-
nonce à la joie fenfible dont il pouvoit
jouir , dit l'Apôtre , &: embrafte la croix
que la juftice de fon Père lui préfente :
DE l'Incarnation. tc^
clés- lors , vi(fliir!e de nos péchés , il baifTô
foncheffacré fous la verge de la colère
divine , &: fent les premiers coups de la
févérité due à Thoinme pécheur. Mais des
rigueurs plus réelles l'attendent encore au
fortir de cet humiliant féjour, A peine fes
yeux s'ouvriront à la -lumière , qu'on en
verra déjà couler des larmes précieufes ;
fes travaux croîtront avec fes années ; la
faim 5 la foif , la laiTitude , qui font les
peines de notre crim.e , deviendront l'exer-
cice de fon amour ; il n'annoncera que des
croix Se des tribulations ; il ne promettra
fon Royaume qu'à la violence ; il maudira
les plaifîrs ; il n'appellera heureux que
ceux qui fouffrent ; &: de peur que dans
la fuite des temjps , les homm^es toujours
ingénieux à fe flatter , ne donnent à fes
maximes des interprétations favorables à
leur amour propre , il expirera entre les
bras de la douleur , & fa dodbine ne fera
que le récit de fes exemples.
Or , je dis , que depuis que le Verbe
incarné , pour nous montrer la voie du
Ciel , & fatisfaire pour nous à la Juftice
divine , eft venu miener ici-bas une vie trif-
te & fouffrante -jle Chrétien ne peut plus
fans crim.e vivre au gré de fes fens ^ & fe
flatter d'arriver au fnlut par des routes dou-^
ces & aifées. En eftet , depuis que par ce
iT.^llere, Je fus-Ch rifl: eft devenu aouveau
Chef d'un Peuple faint , cl fource d'une
nouvelle vie , nous ne pouvons prétentfre
au falut q^ue comme membres de Jefua-
■ E 5
106 POURLA FeTE
Chrift : c'eft-à-dire , comme faifant une
portion de ce corps myftique 8c divin ,
qu'il eft venu former fur la terre ; car ce
corps myftique tout feul , pénétrera les
CieuK , dit l'Apôtre , & entrera avec fon
Chef & fon Pontife dans le véritable Sanc-
tuaire. Or mes Frères , qu'eft-ce qu'ê-
tre membre de Jefus-Chrift ? c'eft être
animé de fon efprit ; c'eft vivre de fa vie ;
c'eft n'agir que par fes impreflions ; c'eft
ne for:ner au- dedans de foi que fes defirs
Philip. 8c fes fcntimens : Hoc fcntitc in vobis quod
• 5» (j in Chr'ifio Jcfu, C'eft , en un mot , fui-
vre la deftinée du Chef, 8c lui être con-
formes ; mourir à tout avec lui, être cru-
cifié avec lui ; ne pas chercher fa confola-
tion en ce monde comme lui.
Or , je vous dem^ande , mes Frères ,
languir toute la vie dans des mœurs indo-
lentes &. fenfuelles ; fe livrer fans ccfTe à
tous fes goûts , pourvu qu'ils n'offrent
point de crime ; n'être occupé qu'à égayer
l'ennui de la vie mondaine , par la variété
des plaifirs & des fpe£tacles agréables aux
fens 5 &: couler doucement fes jours fans
autres foucis que ceux qui naiftent de la fa-
îiété eile-rrtmxe 8c de l'abondance , eft-ce
être membre de Jefiîs-Chrift , 8c animé
de fon efprit ? Eh : qu'a de commun l'ef-
prit de Jefus-Chrift avec cette fageiîe de la
chair , qui n'eft ingénieufe qu'à fe juftifler
à elle-même , la moilefte des mœurs : qu'à
condamner l'obligation des fouftrances ,
comme une invention humaine ^^ une loi
DE L' I N C A R N A T I O N\ 107
injufte ; qui réduit toutes les maximes de
l'Évangile à n'être ni impie , ni ravilleiir ,
ni fornicateur , ni adultère ; qui confond
la nature avec la grâce , & regarde la
Croix de Jefus-Clirill comme un objet
étranger à la foi & à la piété ?
Ah ! ce n'eil pas ainii que ces hom.mes
Apolloliques , qui les premiers vinrent an-
noncer Jefus-Chrift à nos Pères , leur en
parlèrent , mes Frères : Non iîa dldicijVs Ephef,
Chrijlnm, L'efprit de Jefus-Chriil eft une 4. zo.
fainte avidité de fouffrances; une attention
continuelle à mortifier Famour propre ^ à
rompre la volonté , à réprimer fes defïrs ,
à retrancher à fes fens tous les adoucilTe-
mens inutiles: voilà le fonds .'u Chriilia-
nifme &: l'ame de la piété. Si vous n'avez
pas cet eiprit -, vous n'appartenez pas à Je-
fus-Chriil , dit TApôtre : en vain vous n'ê-
tes pas du nombre de ces impudiques &
de ces facriîeges , qui n'auront point de
part à fon Royaume; vous n'en êtes pas
moins étrangers par rapport .à lui : vosfen-
timens ne font pas les Tiens, vous vivez
encore fous la nature ; vous n'appartenez
pas à la grâce du Sauveur : vous périrez
donc 5 puifque c'ell en lui feul , dît l'Apô-
tre , que le Père a mis le faluî de nous tous.
On fe plaint quelquefois que nous ren-
dons la piété rebutante tk impraticable ,
en interdifant mille pîaifirs que je mvonde
autorife. Mais , mes Frères , que vous
difons-nous ? Permettez vous tous les plal-
firs que Jefus-Chrift lui-même fe fût per-
E6
io8 Pour la Fête
mis , la Foi ne vous en, permet point d'au-
tres : mêlez à la piété tous les adoucilTe-
mens que Jefus-Chrift lui-même y eût pu
mêler ; l'Evangile ne poulie pas plus loin
la condefcendance : fuivez tous les ufages
que Jelus-Chrifl lui-même eût pu fuivre ;
la Religion n'a point d'autre règle : tout
ce qui n'eft pas expreiTion des mœurs de
Jefus-Chrift , tout ce qui n'eft pas impref-
lion de l'Elprit de Jeius-Chrift , n'eft pas
toujours 5 à la vérité , une œuvre qui don-
ne la mort ; mais ne fauroit être auHi une
œuvre de vie , & efl du moins toujours
une démarche étrangère à fes membres j
de laquelle il leur fera rendre com.pte.
Voilà, î *cs Frères , le fondement de
toute piété ; l'Evangile du Courtifan , com-
me du Solitaire ; du Prince ^ commie du
peuple : voilà la fource principale des rè-
gles des mœurs , & où il faudroit remon-
ter pour trouver le point fixe , qui refont
toutes les difficultés que vous nous propo-
fez fans celTe pour autorifer tous les abus
de la vie mondaine. C'eft par votre con-
formité avec Jefus-Chriil , qu'il faut dé-
cider fi votre état eft chrétien ou profane ,
innocent ou criminel : toute autre règle eiî
fau/fe pour vous , puifque Jefus-Chrift feul
ell votre voie : les ufages- , les change-
roens des mœu»'s 8? àQS fiecles , les opi-
nions des homr/ics ne changent rien à cette
legle 5 puifque Jefus-Chrift étoit hier , eft
aujourd hui & fera toujours le mêmie, Mon
Dieu ! que les décifions du monde fur les
DE l'Incarnation. 109
devoirs feront un jour étrangement ren-
verfées ! & qu'on verra la probité , la ré-
gularité mondaine , qui raffure ici- bas tant
d'ames abufées par une apparence de ver-
tu , bien changer de nom, , lorfqu'on les
placera à côté de Jefus-Chrift crucifié ,
qu'on y cherchera fa reifemblance , &
qu'on le jugera fur ce modèle !
Il ell: vrai que ce qu'il y a ici de con-
folant pour nous , mes Frères , c'eft que
Jefus-Chrift en nous faifant une loi , par îe
caractère feul de fon miniftere , de la vio-
lence & du renoncement , nous rend en
même-tem.ps aimable la croix dont il nous
charge. Souffrir ici-bas étoit pour nous un
fort inévitable ; mais fans lui , Thommeeût
fouffert fans confolation & fans mérite : il
vient donc adoucir & fanâ:ifier nos fouf-
frances ; & loin de nous infpirer un nou-
veau joug , il vient rendre doux & léger
celui fous lequel nos pères gémiiîbient de-
puis tant de fiecles.
Premièrement , fon exemple ôte aux
fouffrances tout ce qu'elles avoientd'abje^l
& d'humiliant : il eft beau de fouitrir après
lui ; il eft glorieux de marcher fur fes tra-
ces. Jefus-Chrift a pleuré : les larm^es font
donc honorables à fes difciples : Jefus-
Chrift a fouffert la faim & la foif ; les fain-
tes rigueurs de l'abftinence confacrenî donc
le corps du fidèle : Jefus-Chrift a été hu-
milié 5 calomnié , méprifé ; les faintes hu-
miliations des difciples de la Crois font
donc devenues de titres d'honneur j &
iio Pour la Fête
îl eft des ignominies fouffertes pour la Juf-
tice 5 plus glorieufes même devant le mon-
de , que toute la gloire du monde même.
Secondement , Tonâiion de fa grâce
adoucit ce que la violence & le renonce-
ment avoient d'amer. Je conviens que fe
renoncQr fans ceffe foi-même ; fe difputer
tout ce qui flatte ; régler par la loi rigou-
reufe de l'efprit , les defirs les plus inno-
cens de la chair ; être né vain , magnifique ,
faftueux 5 & fe réduire à une modeflie fim-
ple &: chrétienne ; aimer la joie , les plai-
lîrs j les amufemens de la fociété & d«es
commerces , & renfermier la vivacité de
ces penchans dans le filence , dans la prière
& dans la retraite ; avoir reçu de la nature
un caractère mou , indolent , ennemi de
la contrainte , exceflîvement amoureux de
foi même , & affervir une chair qui fe re-
fufe au joug , aux devoirs les plus gênans
& les plus triftes : je conviens , dis-jé , que
cette fituation eft pénible ; & que cet état
de violence , s'il n'étoit mêlé d'aucun adou-
cifTement , lalferoit bientôt la foibieiTe de
l'homme.
Mais la fource des plaifirs véritables n'ed
pas dans les fens ; elle eft dans le cœur : or ,
c'eft là que Jefus-Chrift porte le remède &
la douceur de fa grâce. Tandis qu'au dehors
tout paroît trifle , rebutant , douloureux
pour l'âme fidèle , un Confolateur inviiible
remplace ces amertumes par des délices
que le cœur de Ihomme charnel n'a jamais
goûtées, & lui dit fans ce (Te au fond du
DE L'I N C ARN AT \ ON. Iii
cœur , comme autrefois le père de Samuel
difoit à Ton époufe affligée : Pourquoi vous
lailleriez- vous abattre par des maux qui ne
font qu'apparens ? retenez vos foupirs , &
elTuyez vos larmes : ne puis-je pas moi feul
vous tenir lieu de tout ce qui vous manque ,
& ma tendrefTe pour vous ne vaut-elle pas
mieux que tout ce que vous pleurez ? Anna , j. Rgg,
cur fies ? numquid non ego melior t'ibi fum , i. 8.
qiiàm dccem filii. En un mot, les plaifirs
des fens la laiiroient toujours trille , vuide ,
inquiète ; les rigueurs de la Croix la ren-
dent heureufe ; les pointes de la pénitence
qui percent fa chair , portent avec elles leur
remède ; & femblabie à ce buiiTon myfté-
rieux , tandis qu'elle ne paroit offrir aux
yeux des hommes , que de ronces & des
épines 5 la gloire du Seigneur eft cachée au
dedans , & avec lui il n'eft plus rien qu'el-
le ne poifede. Saintes douceurs des larmes
&: de la trifleffe de la pénitence ! divin fe-
cret de la grâce , que n'étes-vous plus con-
nu de l'homme pécheur !
Troifiémement enfin , les promeffes de
Jefus-Chrift ôtent aux fouffrances tout ce
qu'elles avoient d'inutile & de défefpérant.
Avant fa manifeftation dans notre chair , on
fouffroit pour la gloire , pour la patrie ,
pour la fortune , pour l'amitié ; mais l'or-
gueil étoit un foible dédommagement dans
les fouffrances , pour l'homme fur- tout
qui veut être heureux : les applaudiffemens
publics pouvoient charmer la douleur dans
ces premiers momens , où î'ivreffe &: la
112 Pour la Fête
nouveauté de la gloire &: d'un vam héroiT-
me furprend Tame , & la tire comme d'el-
le-miême ; mais l'ivrefTe pafrée , l'homime
fentoitbien fou malheur & fa folie : loin des
regards publics , tous ces héros de para-
de 5 ces m.ajtyrs de la vanité , rcîomboient
fur eux-mêmes , & cherchoient d'autres
adoucilTemens à leurs m.aux , que ceux de
la réputation & de la gloire : ainfi l'hom^me
foufFroit alors fans reiiburce , parce qu'il ce
fcuffroit que pour les hommes.
Mais le Rdele qui fouffre , qui fe punit
lui-miême , qui porte fa croix , qui l'îior-
tine fes fens &: réprimée fes defirs , a un
avenir éternel pour lui. Quand m.éme fes
peines feroicnt ici-bas fans confoktions ,
l'efpérance feule , qui -eft cachée dans fon
fein , les adouciroit : un coup d'csil fur les
années éternelles , rend à l'inftant la joie &
la férénité à fon amiC affligée : un Dieu ma-
iiifefté en chair , eft le garant de fa confian-
ce : en Jefus-Chrifî , fes foufxrances trou-
vent un prix & un mérite digne de Dieu :
par Jefus-Chrifl , elles font préfentées
comme un facrifîce de bonne odeur au
Père céleûe : avec Jefus-Chrift , elles ont
dé]à reçu en fa perfonne la gloire & l'im-
mortalité qu'il leur a promife.
Que ces vérités ccnfolantes vous fouticn-
nent , vous , mes Frères , qui êtes entrés
depuis long-temps dans les voies de la juftice
& du falut : ne lailTez point rallenrir votre
foi- fous la péfanteur de la Crois que vous
avez embraifée : iie vous découragez pas
DE l'Incarnation. 113
des rigueurs &: de la durée du chemin : ne
vous laifez pas dans ces routes faintes. Ah !
les jours de votre pèlerinage vont bientôt
finir : vous touchez déjà à la couronne im-
mortelle : ces momens rapides de tribula-
tion palleront comme un éclair : attendez
encore un peu ; le Seigneur ne tardera pas ^
&: il va paroître : vous le voyez aujourd'hui
defcendredans notre infirmité ; ah ! vous le
verrez bientôt venir dans fa y^oirc. Qu'eft-
ce que le court efpace de quelques jours de
larmes & de deuil , qui vont auln-tôt fe
perdre & s'anéantir dans l'abyme de l'éter-
nité ? mais que dis- je , fc perdre , fe chan-
ger en une vie nouvelle , en un jour ferein
& éternel , où le larmes feront elîuyées
& le deuil confolé ? Rien ne périt pour le
Jufte : vivez donc de la Foi : attendez Fin-
vifible comme fi vous le voyiez déjà : pen-
fez que toutes vos violences les plus fecret-
tes font remarquées parle Témoin fidèle
que vous avez dans le ciel ; que toutes vos
œuvres les plijs légères font comptées : que
toutes vos peines font mifes en dépôt dans
les Tabernacles éternels , & que vos fou-
pirs fervens font conlervés parmi fes par-
fums précieux, que les vieillards préfentent
autour de F Autel. Ainfi plus vous avancez
vers le terme , plus vous fentez votre ardeur
croître & vos forces fe renouveller. Quel
bonheur de voir dans peu , & comme en
un clin d'œil , ce nuage de notre rnortalité
difparoître 5 & le jour de l'éternité corn,-
mencer !
114 P ou R LA Fe TE
Nous n'avons pas les mêmes paroles de
confolation pour vous , mes Frères , qui
vivez encore félon la chair : il feroit inutile
de vous montrer des biens à venir , que
vous ne goûtez pas , que vous ne connoif-
fez pas , que vous ne croyez peut-être pas.
Il auroit donc fallu ici vous affermir dans la
dodlrine de la Foi , & finir en vous mon-
trant que l'union incompréhenlible de
l'homme avec Dieu dans ce i\Î5l'l:ere, con-
fond la raifon humaine , & rend la Foi ,
^ non-feulement néccflaire , mais encore rai-
fonnable : mais j'abrège.
III. 17
PARTIE X_vN eifet 5 mes Frères , ce n'étoit pas
aiTez que la fageffe de Dieu dans ce Myftere ,
eût confondu l'orgueil de l'homme , en ne
lui faifant trouver fon falut que dans les
humiliations & l'abailTement : qu'elle eût
mis un frein aux defirs déréglés de fa chair ,
en ne lui laiifant pour partage que les croix
& les foulfrances : il falloit encore pour re-
médier à toutes fes plaies , qu'elle captivât
fa raifon , ( qui depuis tant de fiecles favoit
fait fi triftement égarer dans fes penfées , )
en lui propofant pour l'objet unique de fon
culte, de fon efpérance , de fa confolation ,
de fa fcience , &: de fa fageffe , l'union du
Verbe avec notre chair ; c'eR-à-dire , Jefus-
Chrift la folie de la raifon humaine , & de
toutes les contradictions la plus incompré-
henfible , & la plus infenfée en apparence.
Le mioyen le plus sûr d'arrêrer ces defirs
infatiabies & inutiles , de tout favoir & de
DE l'Incarnation. 115
tout comprendre , qui jufques-là avoient
abufé les maîtres tant vantés de la fagefle
humaine; cette vaine confiance qui promet-
toit la découverte de la vérité aux feuls ef-
forts de i'efprit ; cette licence effrénée , qui
tous les jours enfantoit de nouveaux monf-
tres , en croyant trouver de nouvelles vé-
rités ; le moyen , dis- je, le plus sûr de
l'arrêter , étoit la folie de l'Evangile ; je
veux dire le verbe fait chair , & la fageffe
de Dieu inconnue aux puifTans & aux fages
du fiecle dans ce Myftere.
Par-là , vous comprenez d'abord , ô
homme ! que l'Auteur de votre être ne veut
pas vous fauver par la raifon , mais par la
Foi ; qu'il fe cache à vous ; qu'il ne faut plus
le chercher par les vains efforts de I'efprit ,
mais par les mouvemens du cœur ; que la
vérité qui doit vous délivrer , ne vous eft
ici bas montrée qu'en énigme , & qu'il faut
croire pour comprendre : Crédite & intel^
ligctis. Ce n'efi: pas que la Religion ne nous
propofe que des Myfteres qui nous paffent ,
& qu'elle nous interdlfe tout ufage de la
raifon : elle a fes lumières comme fes ténè-
bres , afin que d'une part l'obéiiîlince du fi-
dèle foit raifonnable , &: que de l'autre , elle
ne foit pas fans mérite. Nous voyons affez
pour éclairer ceux qui veulent connoître ;
nous ne voyons pas affez pour forcer ceux
qui refufent de voir : la Religion a affez de
preuves pour ne pas laiffer une ame fidèle
fans affurance & fans confolation ; elle n'en
a pas affez pour laiffer l'orgueil & l'incrédu-
îi6 Pour la Fête
lité fans réplique. Ainiî la Religion par Ton
côté lumineux , confole la raifon ; & Ton
côté obfcur lailTe à la Foi tout fon mé-
rite.
Cependant tout eft plein aujourd'hui de
Chrétiens philofophes , & de fidèles ju-
ges de la Foi. On adoucit tout ; on donne
un air de raifon à tout : en retenant le fonds
de la dofbnne chrétienne , & de l'efpé-
rance en Jefus-Chrift , on croit fe faire une
religion plus faine , en fe la faifant plus clai-
re & plus intelligible : tout ce qui tient tant
foit peu du prodige & du furprenant , on
s'en défie : on forme des doutes fur ces
flammes éternelles que la juflice divine a
préparées à Fimpudique & à Timpie : on
veut entrer dans les deifeins de Dieu fur les
deftinées des hommes ; & par des idées
toutes humaines de fa bonté , réformer ce
qu'ils ont , ou d'efirayant , ou d'incom-
préhenfible : on ofe examiner fi nous pou-
vons être les héritiers de la faute ou du châ-
timent de nos pères ; & fi notre profonde
corruption n'eft pas l'ouvrage de la nature ,
plutôt que du péché : on demande fans ce-
lé 5 pourquoi des penchans de plaifirs , qui
femblent être nés avec nous, peuvent nous
être imputés comme des crimes : on trouve
des inconvéniens dans l'hiftoire vénérable
de nos Livres faints : on s'érige en cenfeur
de ces faits éclatans &: merveilleux , que
des hommes infpirés nous y ont confervés ,
&: que le bras du Seigneur opéra autrefois
pour la délivrance de fon peuple : on cher-
DE l'Incarnation. 117
che cointnent il a pu créer un monde qui
n'étoit pas ; exterminer toute chair dans les
eaux du déluge; fauverla race des hommes
& des anirriaux dans un feul afyle ; ouvrir ôc
fermer la mer , pour faciliter la fuite àfon
peuple ; le nourrir dans le défert d'un pain
miraculeux ; le conduire dans une nuée
éclatante ; & ordonner même au Soleil de
prolonger fa courfe , pour achever de le
rendre vainqueur des ennemiis de fon nomi :
que dirai- je ! on veut trouver dans les for-
ces delà nature , la pofTibilité de ces pro-
diges éclatans , où la foi de nos Pères a tou-
jours reconnu le doigt de Dieu ; & l'on
change l'hiftoire de la Religion , & des ma-
nifeiiations du Seigneur aux hommes , en
des événemens prefque tous naturels , &
des monumens trop vantés d'une prudence
toute humaine. C'eft ainfi , ô mon Dieu î
nue l'homme infenfé fe difpute à lui-même
la confolation de croire que vous avez opé-
ré des merveilles en fa faveur , & qu'il fe
fait une étude d'infirmer les plus beaiix ti-
tres de fa gloire &: de fon efpérance.
Mais , m.es Frères , depuis que vous
adorez un Dieu fait homm.e , c'eit une fo-
lie 5 dit un Père , de vouloir raifoaner fur
tout ce que la Religion nous propofe
d'inacceiïible à la raifon. îl n'eft plus rien
d'incompréhenfihîe que Jefus - Chrift
Homme-Dieu n'applaniffe , & ne rende
croyable : ou renoncez donc à Jefus-
Chrift 5 ou avouez que Dieu peut faire ce
que vous ne pouvez comprendre : ou
12. 2
ii8 Pour la Fête
blafphêmez avec l'impie qu'il n eft plus que
le Fils de Marie ou de Joieph ; ou Ci vous
confefîez avec la piété qu'il eft le Chrift
Fils du Dieu vivant , ceflez de trouver des
difficultés dans les autres Myfteres de la
Foi : un Chrétien ne doit plus raifonner fur
les voies de Dieu , s'il raifonneconféqucm^
ment. Ainfi TApôtre appelle Jefus-Chrift
l'Auteur & le Confommateur de notre
Heh. Foi : Aucîorem fidei & confummatorem Je-
fiim : il en eft l'Auteur , parce qu'il nous
rinfpire ; il en eft le Confommateur , par-
ce qu'il en eft , pour ainfi dire y la perfec-
tion & le plus haut point ; & qu'après lui ,
la Foi ne peut rien nous propofer de plus
élevé , & de plus inaccellible à la raifon
humaine.
Méditons donc fans cefTc , mes Frères ,
le myftere de Jefus-Chrift Homme Dieu :
en lui nous trouverons le dénouement de
toutes les difficultés , parce qu'en lui nous
trouverons un noeud encore puis inexplica-
ble : il éclaire notre raifon en achevant de
la confondre , & nous conduira à l'intelli-
gence 5 en nous faifantfcntir la néceffité de
la Foi. Imitons la docilité de Marie , de-
venue aujourd'hui la Mère du Verbe in-
carné. L'envoyé du Ciel lui annonce qu'elle
fera vierge & féconde ; que ce qui îiaîtra
en elle , fera le Fils du Très-haut , & l'ou-
vrage unique de i'Efprit- faint : quoi de
plus propre à révolter la raifon toute en-
tière ? cependant fans héfiter, fans exami-
ner , fans demander de figne pour garant
DE L'Incarnation. 119
d'un Myftere û incroyable , elle croit &:
adore la puillance 6c les deffeins de Dieu
fur elle. Zacharie avoit trouvé dans l'âge
& dans la ftérilité d'Elizabeth , des raifons
fpécieufes pour douter de la promefle di-
vine ; & malgré les exemples célèbres de
Sara & de la mère de Samuel , il héfite
& fe défie. Marie au contraire , dans un
Myftere ou tout eft nouveau & incom-
préhenfible , où elle ne trouve rien dans
l'hiftoire des merveilles du Seigneur , qui
puilfe la raffurer par la re/Temblance , ne
veut point d'autre garant de fa foi , que la
toute-puiflance & la vérité de celui qui
l'exige. Une Vierge Cmple & innocente ,
croit fans héfiter : un Prêtre inftruit dans la
Loi , doue & fe défie de la promeire di-
vine. Les grandes connoilTances ôtent tou-
jours quelque chofe à la fimplicité de la
Foi ; &:par un deflin inévitable à la recher-
che des fciences humairiCS , inféparable
d'ordinaire de complaifance & d'orgueil ,
la foumiifion qui nous rend fidèles , femble
perdre d'un côté , ce que les lumières qui
nous rendent habiles , gagnent de l'au-
tre ; comme fi plus on ctoit éclairé , phis
on ne devolt pas voir clair dans la foibleiîe
de la raifon , & dans rincertituds & YohC
curité de {qs lumières.
Et certes , mes Frères , que fervent les
vaines réflexions fur la doctrine fainîe ? Si
le falut étoit le fruit de la raiicn , vous au-
riez fujet de vous défier de tout ce que
vous ne pouvez comprendre. Mais la juf-
I20 Pour la Fête
tice vient de la Foi , &: fe perfedionne par
la Foi : pourquoi craignez-vous donc ,
comme un écueil , de faintes obfcurités ,
qui font devenues votre voie & votre re-
mède ?
Vivez donc de la Foi , mes Frères ;
commencez par purifier votre cœur ; l'in-
nocence eftla fouice des véritables lumiè-
res : rappeliez Jefus-Chrift au dedans de
vous ; avec lui vous avez tous- les tréfors
dz la doctrine &: de la fagelTe : établifTez-
vous dans la charité ; c'eil le feul moyen
de trouver la vérité : on ne connoît Dieu ,
que lorfqu'on l'aime. Souvenez vous qu'un
cœur corrompu ne fauroit avoir une raifon
faine & épurée ; que plus vous approche*
rez de Dieu par la grâce 5 plus vous parti-
ciperez à fes lumières ; plus vous avance-
rez dans la voie de fes commandemens ,
plus vous croîtrez de clarté en clarté ; plus
enfin y vous fentirez s'éclaircir dans votre
efpritces vérités divines , que nous verrons
un jour à découvert 5 lorfqne nous lui fe-
rons devenus femblables, comme il devient
aujourd'iiui fcmblable à nous»
Aiifl fiit-il.
SERMON
^ ^"T",^,. ■ ,^
lÉllil^î^tïfE^ïîllil
SERMON
SUR LA PASSION
DE NOTRE SEIGNEUR
JESUS-CHRIST.
Ego in hoc natus fum , & ad hoc veni in mun-
dum , ut teiliraonium perhibeam veritati.
Cejl pour cela que je fuis né , & que je fuis venu
dans le monde , afin de rendre témoignage à la ve-
rité, Joan. 18. 57.
L 'Opposition à la vérité a tou-
jours été le caraâere le plus efTentiel
du monde , & la peine la plus univerfelle
du péché. Depuis que l'homme eût effacé
de fon cœur la loi éternelle , que la main
du Seigneur , en le formant , y avoit gra-
vée pour l'éclairer et pour le conduire ;
& qu'il eut fubflitué à cette lumière divi-
ne , née avec lui , fes paifions & fes té-
nèbres ; il fe forma entre lui & la vérûé ,
Uyjlcus. F
m Sur LA Passion
une oppofitioii invincible , qui alloit tou-
jours croUrant à mefure que le monde ,
tous les jours plus corrompu , s'éloignoit
de la pureté de fa fource , & que la
malice des hommes fe multiplioit fur la
terre.
11 efl: vrai , mes Frères , qu'au milieu
àQS ténèbres qui couvroient la face de l'u-
nivers 5 Dieu faifoit luire encore de temps
en tem.ps fa vérité & fa lumière. De fîecle
en fîecle paroilToient des hommes juftes
fufcités d'en haut , paur rendre témoi-
gnage à la vérité &: empêcher \qs erreurs
& les pafiions de prefcrire contre elle.
Depuis le fang d'Abel jufqu'à Jean-Bap-
tifte , le Giel avoit fourni à la terre une
tradition non interrompue de Prophètes ,
de Martyrs , & de témoins de la vérité :
les uns avoient rendu témoignage à la vé-
rité par leur fang com.me Abel ; les autres
par leur Religion , comme Enos ; quel-
ques-uns par leur innocence , comme
Noé ; d'autres par la foi , comme Abra-
ham ; Ifaac par fon obéifîance ; Job par fa
patience ; Moyfe par fes prodiges ; enfin ,
pour rendre le monde inexcufable , la vé-
rité eut dans tous les lîecles des témoins &
des défenfeurs , qui s'élevèrent contre le
inonde , &: qui conferverent parmi les
hommes le dépôt de la doé^rine & de la
vérité 5 que le monde , malgré {qs précau-
tions , n'avoit jamais pu éteindre tout-à-
fait fur la terre.
Cependant cette nuée de témoins , com-
I
DE Notre Seigneur, u,
me parle l'Apôtre , qui de fiecle en fiecle
avoit rendu témoignage à la vérité
avoientbien pu , je l'aviue , condamner lé
monde par la vérité ; mais ils n'avoient pas
délivre le monde par elle. La vérité avoit
donc befoin d'un plus grand témoignage :
il talion que celui qui eft la fageffe & la lu-
mière du Père , vînt lui-même nous ren-
dre témoignage de ce qu'il avoit vu : qu'il
confirmât la doftrine par fon fang ; que fa
doctrine purgeât la terre des erreurs , qui
l"[q" alors l'avoient inondée ; & que Jerus.
Chrift crucifié fût jufqu'à la fin des fiecles ,
le grand témoin de la vérité contre l'aveu-
glement du monde & l'erreur de fes maxi-
m.es.
, Le^myftere des douleurs & des ignomi-
mes du Sauveuj , nous offre donc auiour-
d hui deux fpectacles biens différens -d'un
cote le monde Ci aveugle , & fi oppofé à la
vente , qu après avoir rejette dans tous les
iiecles , le témoignage des Juftes & des
Prophètes , il rejette encore aujourd'hui
celui de Jefus-Chrift lui-même ; d'un au-
tre cote Jefus-Chrift fur la croix devenu
le grand temom de la vérité , pour con-
fondre jufqu a la fin l'aveuglement du mon-
de ; ceft-a-dire, la mort de Jefus-Chrift
devenue la plus grande preuve de l'oppo-
lition du monde pour la vérité , & le nJuc
grand témoignage de Ja vérité contre le
monde.
O mon Sauveur ! jufques ici nous avons
offert comme le monde, un cœur rebelle
Fi
124 Sur la Passion
à la vérité de votre dodeline : nous avons
écouté votre parole fainte , durant ces
jours de pénitence &: de falut , avec la
mêine infenfibilité que Jérufalem vous
écouta autrefois durant les jours de votre
miniilere. Mais aujourd'hui , Seigneur ,
où vous ne parlez plus que par vos dou-
leurs & par vos opprobres , où vous ne
faites plus entendre que la voix de votre
fan g ; aujourd'hui où attaché à ce trône
d'ignominie , vous êtes devenu le grand
témoin de la vérité contre le monde , ne
permettez pas qu'une inftrué^ion fi nou-
velle ^ £1 touchante , nous trouve encore
infenfibles. Nous venons mettre aux pieds
de votre croix , des cœurs à la vérité en-
core pleins depafîions & d'attachemens in-
juftes ; mais laiffez couler fur nous une
feule goutte de ce fang , que vous offrez
aujourd'hui pour nous à votre Père , &
nous ferons purifiés : jettez fur nous ,
comme fur ce pécheur heureux , qui ex-
pire à vos côtés , un regard de miféricor-
de , & nous ferons fauves : délivrez-nous
par la vérité 5 dont vous êtes aujourd'hui
le grand témoin , & nous pafierons de la
fervitude du monde & du péché à la fainte
liberté des enfans de Dieu. C'eft ce que
nous vous demandons profternés aux pieds
de votre croix : 0 Crux , ave.
DE Notre Seigneur, us
E monde n'a jamais aimé la vérité ^partie
parce que la vérité a toujours condamné le
monde : les homm.es veulent jouir tranquil-
lement de leurs erreurs & de leurs cri-
mes ; & comme cette faufle tranquillité ne
peut durer , qu'aufli long-temps qu'ils peu-
vent réuiïir à s'aveugler eux-mêmes , toute
lumière qui ouvre leurs yeux à la vérité ,
les blefTe & les révolte.
De-là les Juftes & les Prophètes , que
le Seigneur dans fa miféricorde , fufcita de
fîecle en fîecle à la terre , pour être les
témioins de la vérité , furent toujours
odieux aux hommes , & réprouvés d'un
monde dont ils venoient condamner les
maximes. Ifaïe , malgré le fang des Rois
dont il étoit illu , vit tout Jerufalem conf-
pirer fa perte , & vouloir éteindre dans
fon fang , la vérité qui ne mieurt pas avec
les Juftes qui meurent pour elle. Jérémie
ne fut pas plus favorablement traité de fon
peuple ; & les chaînes & les prifons de-
vinrent pour lui le prix de la vérité , dont
les perfécutions des méchans font toujours
ici-bas la recompenfe. Elle ne trouva dans
Ifraël que dss cœurs rebelles à la vérité ,
& les montagnes les plus inacceffibles ,
purent à peine lui fervir d'afyle contre les
embûches des im.pies. Enfin , le monde
toujours oppofé à la vérité s'eil toujours
élevé contre ceux qui venoient le troubler
dans la poifeiTion paifible où il étoit de
{es erreurs & de fes maxirues.
F3
126 SurlaPassion
Cependant il eft vrai que c'efl par la
condamnation & la mort de Jefbs-Chrift >
que le monde donne aujourd'hui la plus
grande & la plus éclatante preuve de fon
oppofition pour la vérité ; c'eft-à-dire ,
pour la vérité de fa doâ:rine , des Ecritu-
res , de Tes miracles , de fon innocence j
& de fa royauté ; fuivons toutes ces cir-
conilances.
Je dis 5 premièrement , une oppohtion
à la vérité de fa doârine ; & c'ôfl le refpeé^
humain qui la form:e , cette oppofition ,
même dans fes Difcipîes. En vain le .Sau-
veur les avoiî préparés au fcandale de fa
croix 5 en leur annonçant fouvent qu'il faî-
loit que le Chrift foulTrit , qu'il entrât
ainn dans fa gloire ; qu'ils ne dévoient fe
promettre de part à fon Royaume , qu'au-
tant qu'ils en auroient à l'amertume de fon
calice ; & que bienheureux ceux qui fouf-
frent ^ qui font perfécutés : en vain toute
fa doctrine n'étoit qu'une préparation aux
croix & aux fouffrances. Dès que le mon-
de fe déclare contre lui ; que les Prêtres
s'alTemblent ; que les Doreurs confpirent ;
que le peuple murmure ; que tout Jérufa
km le rejette , ilschancelent , ils font dé-
couragés ; & voici jufqu'où le refpeâ: hu-
main ^ & la crainte du monde les aveugle
fur la vérité de fa doâ:rine.
Dans Judas elle forme un perfide , qui
trahit fon divin Maître , &: qui fe joint à fes
ennemis pour le perdre. Ce Difciple in-
fortuné j intimidé par le déchaînement des
DE Notre Seigneur. 127
principaux de Jérufalem contre le Sau-
veur , ne fe contente pas de l'abandonner ;
il s'adrefle aux Princes des Prêtres : il
devient le principal miniftre de leur jaloufie
& de leur fureur : Que voulei'VOiis me doni j^^^^j^^
ner , leur dit-il , ù je vous le livrerai ? 26. i5«
Mais que peut vous donner le monde ,
Difciple infidèle , qui puiiTe remplacer ce
que vous allez perdre , & ce que vous
aviez reçu de Jeius-Chriil: ? Quoi ! la
gloire & Teftime des hommes ? mais votre
nom étoit écrit dans le Ciel , &: il va de-
venir à jamais Topprcbre & Thorreur de
toute la terre : le monde autorife le vice ;
mai? au fond il n'eilime que la vertu.
Quoi ! des titres & des honneurs ? mais
Jefus-Chrift vous avoit établi Pafteur de
fon troupeau , colomne de fon Eglife ,
Prince d'un nouveau peuple ; &: pour rem-
placer ces titres auguftes , le monde va
vous dégrader jufqu'aux minifteres les plus
vils & les plus infâmes : qu'on eft grand ,
quand on eft à Jefus-Chriil ! & qu'on eft
méprifable & dévoué à tout ce qu'il y a de
plus bas & de plus lâche , quand on eft ef^
clave du monde ! Quoi ! des biens & des
richeffes ! mais JeUis > Chrift vous avoit
confié les tréfors du Ciel ; il vous avoit
donné toute la terre pour votre partage :
tout étoit à vous ; & le monde ne vous
paye en échange que d'un vil prix qu'il vous
fait attendre long-temps , &: dent le premier
inftant de poiîefiion vous dégoûte : le
monde promet beaucoup , & ne donne
F4
îiS SurlaPassion
rien ; Jefus - Chrift donne toujours au-
delà de ce que nous attendons , & fes
dons furpalTent toujours fes promefTes,
Quoi encore ! des plaifirs réels & une
félicité durable ? mais Jefus-Chrift vous
auroit laifie la paix du cœur qui efl l'hé-
ritage de ies Difciples , & la feule fource
de vrais plaifirs ; & le monde ne va vous
laiffer que des remords cruels , un affreux
défefpoir 5 & tout le poids de votre cri-
me : le monde mené par les plaifirs aux
amertumes des paiTions ; Jefus - Chrift
mené par les croix à la paix du cœur , &
aux plaifirs tranquilles &: folides de l'inno-
cence. Que voulez-vous donc que vous
donne le monde ? comme on n'en peut
rien efpérer 5 on n en devroit auffi rien
craindre.
Mais la crainte des hommes qui avoit
été la première fource de la perfidie de
Judas 5 devient celle de la défection des
autres Difciples. Le Palpeur frappé , les
brebis font difperfées. Ils Tavoient fuivi
généreufement tandis qu'ils l'avoient vu
maître de la mort & de la vie , & attirer
après lui les Grands & le peuple par l'éclat
de {es prodiges : il leur paroiifoit beau
alors d'être de ce petit nombre de Difci-
ples qu'il avoit choifis ; ils ne rougiifoient
pas de lui appartenir , & ils s'en faifoient
même une gloire devant les hommes.
Mais dès qu'il eft faifi , lié , méprifé 5 ils
ie cachent ; ils ne le connoiffent plus ; fa
fcibleiTe les fcandalife ; fes opprobres tant
DE Notre Seigneur. 129
de fois annoncés les découragent. La vertu
applaudie , honorée , favorifée , ne manquç
jamais de fectateurs ; la vertu méprirée ou
perfécutée ne trouve plus perfonne qui ofe
fe faire un honneur de fe déclarer tout haut
pour elle.
Pierre lui-même , qui loin des dangers,
fe promettoit tout de fon courage , n'efî
pas à l'épreuve d'une Ci dangereufe tenta-
tion. On lui demande s'il n'eft pas DïCci-
pie de cet homme : Numquid & tu ex Dlf- y^^^
cipulls es hominh IJiius 1 c'eil-à-dire , s'il 18. 17,
n'eft pas du petit nombre de ces hommes
heureux , à qui le Père célelte avoit ré-
vélé le m.yftere du Chrift ; c'eft-à-dire , s'il
n'eft pas de ces dépodtaires de fa puiiTance ,
auxquels il a confié les clefs du Ciel & de
l'enfer ; le pouvoir de marcher fur les fer-
pens 5 & de difpofer à leur gré de toute
la nature ; c'eft-à-dire , s'il n'eft pas de ces
fondateurs de fon Evangile , qui vont
planter la Foi au m.ilieu ûqs ténèbres de
l'idolaîrie 5 conquérir tout Tunivers , ren-
verfer tous les autels profanes , confondre,
toutes \q.s feâes , éclairer toutes \qs na-
tions ., rendre muette toute la fcience des
Philofophes , foumettre les Cefars , por-
ter le falut à toute la terre ; & qui doivent
à la fin paroître au miilieu des ;iirs fur
douze trônes de lumière , pour juger l^s
douze Tribus d'Ifraël : c'eft-à-dire enfin ,
s'il n'eft pas de ces nouveaux miiniftres de
fon Sacerdoce 5 qui vont être ]qs premiers
Pafteurs de fon Eglife ^ les Pontifes des
^ S
130 SurlaPassion
biexTS véritables , les Melchifedechs d'un
peuple faint , les médiateurs d'une alliance
nouvelle , les conciliateurs des hommes
avec Dieu , aux pieds defquels les Princes
& les Rois de la terre viendront courber
leurs têtes fuperbes , & mettre leurs fcep-
tres & leurs couronnes ? Niimquid & tu ex
Difcipulls es hominis [film ? Ed-ce donc
d'avouer tant de grandeur , tant de gloire
& de magnificence , que vous rouglifez j
folble Difcip'e ? Numquid & tu ex Difci-
pulls es hominis ijlius ? Quelle folie de
fe faire une honte devant les homim.es du
titre de Difciple de Jefus-Chrift ! Le mon-
de avec toute fa gloire a-t-il rien de fi
grand , de (ï haut , de fi eftimable , de Ci
digne de la raifon , que la vertu véritable?
Cependant Pierre n'ofe s'avouer Difci-
ple du Sauveur ; une lâche timidité l'aveu-
gle ; il déclare qu'il ne connoît point cet
Maîîh. hcmime : Non novi homimm : il affeâ:e d'i-
lO. 72. gnorer jufqu'au nom de Ton divin Maître.
Lâche Difciple ! Mais c'cft là ce Jefus ,
qui de pêcheur de poiiTons , vous avoit fait
devenir pêcheurs d'homimes ; & qui pour
votre barque & vos filets , vous avoit éta-
bli le chef & le principal miniftre de fon
Eglife : Non novi hominem : il ne le connoît
plus. Mais c'eil là ce Fils au Dieu vivant
que vous aviez confelTé fi généreufement ,
il pour qui vous aviez tant de fois proteôé
que vous étiez prêt de m.ourir : Non novi
hcmincm : il ne veut plus le connoître.
Mais c'eft ià ce bon Maître qui vous avoit
DE Notre Seigneur 131
honoré de fa plus tendre familiarité : qui
vous avoit admis à fes plus fecrettes fa-
veurs , & toujours préféré à tous les autres
Difciples : il affefte d'en ignorer jufqu'au
nom : Non novl homimm. Mais c'eft là ce
Seigneur qui vous foutenoit flir les flots ; à
qui les vents & la mer obéilToient , cl que
vous aviez vu fur le Thabor environné
de tant de gloire & d'immortalité : il ne le
connoît plus : Non novi hominem. Mais
enfin c'efl là le Chrift , à qui tous les Pro-
phètes ont rendu témoignage ; cet Agneau
de Dieu , que Jean-Baptifte vous a mon-
tré ; que tous les facrifices avoient figuré ;
que tous vos pères avoient demandé ; que
les hommies appelloient , il n'y a qu'un mo-
ment 5 les uns Elie , les autres Jean-Bap-
tifte , ou quelqu'un d'entre les Prophètes ^
& que vous aviez reconnu vous-mêxme ,
pour le Fils & l'Envoyé de Dieu , qui
feul avoit les paroles de la vie éternelle : il
ne le connoît plus :,Non novi hominem. Il
oublie fes bienfaits , fes miracles , fa doc-
trine. Jufqu'où le refpe^t humain n'aveu-
gle*t-il pas un cœur foible &: timide î &
quand on craint encore les hommes , de
quoi peut- on répondre de foi-mêmie à Je-
fus-Chrift ?
Quelle foibleffe , mes Frères ! craindre
les yeux du monde , quand on obéit à
Dieu ! fe glorifier de fervir les Rois de la
terre , & avoir honte dn fervir celui que
les Rois eux-mêmes {ervQr.t y 8>C par qui
feuls ils ont droit de régner ! avoir eu la
F 6
132 s U R L A P A s s I O N
force de vieillir dans le fervice d'un monde
miférable , d'en foutenir les amertumes ,
les caprices , les alFujettiflemens , les dé-
goûts ; & n'avoir pas le courage de confa-
crer publiquement à Jefus-Chrift Iqs ref-
tes d'une vie mondaine ; & de remplir à
la vue des hommes , la grandeur des de-
vçirs qu'il nous impofe , & la nobleffe de
fes maximes. Quelle foibleiîe ! s'être fait
honneur de facrifier au monde & fouvent
à des maîtres injuftes & bizarres , Ton re-
pos 5 fa fauté 5 fa confcience ; & n'ofer pas
même facrifier du monde à Jefus-Chrilt ,
fes difcours frivoles & fes vaines cenfures 1
O mon Dieu ! le monde aura- 1 il toujours
des partifans déclarés de fes illufions pué-
riles? & la fublime fagelfe de votre doc-
trine , ne trouvera-t elle jamais que des
Difcipîes tremblans &: timides ? FoibleiTe
& timidité dans les Difcipîes , qui les
aveugle lur la vérité de la dod^rine de Je-
fus ChrilL
En fécond lieu , jaîcufîe dans les Prê-
tres & les Doâeurs y qui les aveugle fur
la vérité des Ecritures* C'eft là que Jefus-
Chrift les avoit fouvent renvoyés , comme
au témoignage le moins fufpeâ: de la vérité
Jo&n»'» ^^ ^^" miniftere : Lifi:( tes Ecritures leur
^Q, ' difoit-il fouvent; ce font elles qui rendent
témoignage de moi. Le fceptre de Juda
entre les mains d'un étranger ne leur per-
tnettoit plus de douter que les temps mar-
ques ne fufTent arrivés ; & que celui qui
âevcit être envoyé , ne dût enfin paroître ;
DE Notre Seigneur. 133
les aveugles éclairés , les boiteux redrefTés ,
les pauvres évangélifés , & mille autres
traits de fon miniftere , leur difoient aflez
que c'étoit de hii dont Ifaïe & les autres
Prophètes avoient parlé , Icrlqu'ils avoient
annoncé le Chrilt. Mais l'envie qui les
aveugle , l'emporte fur la vérité qui Iqs
éclaire : la grande réputation de Jefus-
Chrilt, & fon zèle contre leur hypocrifie j
forme en eux un aveuglement de jaloufie ,
qui ferm.e leurs yeux à tout ce qu'ils doi-
vent à la vérité : plus la fainteté de Jefus-
Chrift éclate , plus leur injufte pafiion s'ai-
grit &: s'allume ; & en voici toutes les dé-
marches & tous les carafteres.
Premièrement , la mBuvaife foi : Que Joan.
ferons-nous , difent-iis ? car cet homme fait ii'47.
plujîeurs prodiges , G* tout le peuple court
après lui, lis ne peuvent fe diiTimuler à
eux-mêmes la vérité de Ces miracles : Quia
hic homo mulîa Jï gna facit : ils en convien-
nent enfemble ; mais c'eft cela même qui les
aigrit & les aveugle : ils fe fentent diminuer
dans i'eftime du peuple , à mefure que la
réputation de Jefus-Chrift s'établit & s'aug-
mente : que ferons-nous , difent-iis ? Quid
facimus ? Aveugles , & conducteurs d'a-
veugles ! ce que vous ferez ? c'eft de vous
écrier avec le peuple : Que le Seimeur a 7-.,^ „
vijite IJraet ^ Cf quun grand Frophete a ete lû.
fufcité parmi vous : c'eft de lui dire avec le
Scribe inftruitdans le Royaume desCieux:
Maître , nous favons que vous êtes envoyé 7^^ ^
de Dieu ; car perjonne ne peut faire tes 2.
134 Sur LA Passion
ceuvrcs que vous faites , fi Dieu nejl avec
lui. Quid fcicimus ? ce que vous ferez ?
Joan. c'eft de dire avec TAveugle ^né : Sci-
9. 58. * gncur , nous croyons que vous êtes le Fils
Matth, de Dieu , avec une femme Tyrienne : Fils
25. 21» de David , ayc^ pitié de nous ; avec le
Luc 1. jufts Siméon : ]\ous mourrons en paix
29. 50. maintenant , puifque nos yeux ont vu le fa-
Joan, ^^^ ^^ Dieu ; avec les. Difciples : A qui
6. 69. pourrions nous aller déformais , puifque vous
avei les paroles de la vie éternelle ? Enfin
Marc, du moins avec les Démons : Nous [avons
^' ^4. qui vous êtes , 6 faint de Dieu î Quidfaci-
mus ? ce que vous ferez ? Ah ! Tyr &
Sidon , où il n'a jamais opéré de prodiges ,
pourroient dire : Que ferons-nous ? &
qui nous montrera le falut promis à la ter-
re i Les Nations qui le defiroient depuis
tant de fiecles auroient eu droit de dire :
que ferons-nous ? nous avons attendu la
lumière , & nous voici encore dans les
ténèbres. Les Rois & les Prophètes , qui
avoient tant fouhaité de le voir , auroient
pu s'écrier • Que ferons- nous , puifqu'il
tarde tant de venir ? & qui nous apprendra
le jour de fon arrivée ? mais vous à qui la
grâce de Dieu notre Sauveur a apparu ;
vous dont les yeux ont été aflez heureux ,
pour voir ce que tant de Prophètes avoient
prédit, ce que tant de Juftes avoient de-
firé , ce que tant de nations avoient atten-
du , ce que le Ciel avoit promis depuis
tant de (lecles à la terre; vous à qui le
Père célefie a montré fou Fils bien-aimé y
DE Notre Seigneur. 135
que pourriez-vous avoir à faire que de
l'écouter 5 &£ recevoir le falut depuis long-
temps promis à vos pères ?
Et voilà !e premier caraftere d'une in-
jufte jaloufie ; la mauvaife foi. On dif-
pute tout haut à ceux dont on regarde
l'élévation avec des yeux d'envie , des ta-
lens & des qualités louables , qu'on eft
forcé de leur accorder en fecret : on trou-
ve à leurs vertus mêmes un mauvais côté ,
quand on ne peut les traveftir en vices : la
même jaloufie nous éclaire fur ce qu'ils ont
d'ellimable , & nous les fait méprifer : on
. eil ravi de mettre le public contre eux, tan-
dis que notre confcience mieux inftruire les
juftifle ; ainfi le plaifir qu'on a de tromper
les autres à leur égard , n'eft jamais par-
fait 5 parce qu'on ne fauroit réulîîr à fe
tromper foi- même.
. Secondement j la bafleffe. Ils cherchent
eux-mêmes en fecret un faux témoignage
contre Jefus-Chrift , & ils n'en fauroient
trouver : Et quœrcbant falfum tefîimonium Matth»
contra Jefum , & non invencrunt. S'ils en ^^' 5^*
euifent cherché de véritable , ah ! tout eût
répondu en faveur de l'innocent : le peu»
pie fe fût écrié : Que Dieu n avait jamais Matth»
donné une telle puijfance aux hommes. Tant 9' 8.
de morts relTufcités , tant de malades gué-
ris auroient protefté , Quil ejl la réfurrec- J»an,
tion (s la vie. Tant de pécherelles conver- ^^' -5*
ties auroient publié qu'on ne peut réfifler
aux paroles de grâce & de falut qui Jortent Luc, 4.
de fa bouche, hes. pierres elles-mêmes du ^^^
î7
136 Sur LA Passion
temple auroicnt crié à leur manière : Que
Joan, 2. Iq :i^qIq ^q [a maifon de fin Père le dévore.
Que de lumiere-s'ils avoient voulu voir ! ÔC
fur combien de vérités faut-il s'aveugler ,
& à combien de bafîelTes eft-on réduit à fe
livrer , quand on s'eft une fois livré à cette
paillon injufte !
Et c'en eft le fécond caraftere. Les
voies que prend la jaloufie pour nuire ,
font toujours fecrettes , parce qu'elles font
toujours bafîes & rampantes. On fe glo-
rifie des autres partions : un ambitieux fe
fait honneur de fes prétentions & de fes
efpérances : un vindicatif met fa gloire à
faire éclater fon reffentiment : un volup-
tueux fe vante de fes excès & de fes dé-
bauches. Mais il y a je ne fais quoi de bas
dans la jaloufie , qui fait qu'on fe la cache
à foi-même : c'eft la paflion des âmes lâ-
ches ; c'eft un aveu fecret qu'on fe fait a
foi-même de fa propre médiocrité ; c'eft
un aveuglement , qui nous ferme les yeux
fur tout ce qu'il y a de plus bas & de plus
indigne : on eft capable de tout, dès qu'on
peut être ennemi du mérite & de l'inno-
cence.
Troifiémement , la duretés Ces Juges
corrompus livrent le Sauteur à l'infolence
& à la fureur de leurs ferviteurs &: de
leurs minières ; & la jaloufie toujours
cruelle , leur fait voir avec un plaifir inhu-
main les opprobres & les crachats dont on
le couvre : le fanâ:uaire même de la Juf-
tice , &: la majeflé du tribunal fur lequel
DE Notre Seigneur. 137
ils font aflîs , ne peut fervir d'aryle à un
innocent , contre les indignités & les ou-
trages. Ah ! l'Arche d'Ifraèl fut en sûreté
daxis le temple même de Dagon ; & 11-
dole elle-même refpe6^a, en tombant à fes
pieds , la majefté & la gloire de celui qui
rélîdoit en elle ; & Jefus-Chrift , l'Arche
du Nouveau Teftament , eft aujourd'hui
outragé au milieu même de fon fanfbuaire
& de fes Minières ; & fi l'on tombe à
{qs pieds 5 en fe profternant devant lui ,
ce font des hommages de dérifion , qui
infultent à fes douleurs & à fes ignomi-
nies.
Qu'il refte peu de fentiment d'humanité
dans un cœur , lequel après avoir regardé
d'un œil d'envie & de triftelTe , la proipé-
rité de fon frère , voit fes malheurs d'un
œil d'allégrefle & de complaifance ! troi-
fieme caraâ:ere de cette injufte pafîion ; la
dureté. Elle endurcit le cœur , & le ferme
à tous fentiments de piété & de tendrelTe :
on voit avec une joie fecrette les malheurs
& la décadence de Ces frères : on ne peut
être heureux que par leur infortune. Un
air de jubilation oC de réjouilTance étoit
répandu dans la maifon dAman , au feul
fpe6^acle des malheurs & du fupplice de
Mardochée. C'eft la pafiion d'un mauvais
cœur ; & c'eft pourtant ce qui fe palTe
tous les jours à nos yeux , & la pafTion
dominante des Cours : cette palTion cruelle
fait de la fociété un théâtre affreux , où
les hommes ne favent paroître enfemble
19. iS
Joan, 8
55.
138 Sur l a Passion
que pour fe dévorer & fe détruire , & où
la décadence des uns fait toujours le triom-
phe & la viâ:oire des autres. Quel aveu-
glement pour des Chrétiens , qui doivent
fe regarder comme frères , & comme hé-
ritiers des mêmes biens & des mêmes pro-
mefles !
Quatrièmement enfin , le facrifîce des
intérêts de la patrie. Nous n'avons point
Joan, d'autre Roi que Céfar , s'écrient-ils : ISJos
Rcgem non habemus nifi Cœfarem. Eux qui
fe vantoient auparavant de n'avoir jamais
été fujets ni efclaves de perfonne : Nemlni
fervlvimus unquam ; qui déteftoient le joug
des incirconcis ; qui avoient l'avantage
d être le peuple de Dieu , & de n'avoir
que le Seigneur pour Roi & pour Père ;
eux qui regardoient le fceptre des nations
comme une tyrannie , & qui croyoient que
tous les Rois &: tous les peuples devien-
droienî tributaires de Jérufalem , ils facri-
fîent cette gloire , ces avantages qui les
diftingucient de tous les autres peuples de
la terre , au plaifir affreux de voir périr
celui 9 avec la réputation duquel , une fe-
crette jaloufie les rendoit irréconciliables :
Nos Regcm non habemus , nijï Cœfarcm ;
ils renoncent à la gloire d'être le Royau-
me du Seigneur , à refpérance d'Ifraël ^
& aux promefles faites à leurs pères ,
pourvu que l'innocent périiTe. O pafîion
détéftable , comment êtes-vous née dans
le cœur de l'homme ? & faut-il que la
ruine du peuple & de la patrie vous tou-
DE Notre Seigneur. 139
que le plaifir affreux de vous
fatisfaire.
Oui 5 mes Frères , c'eft ici Ton dernier
cara6^ere. On facrifie tout , la Religion ,
l'Etat , les intérêts publics , la gloire de la
patrie à la bafleiTe de fon refîentiment. Tout
ce qui favorife les perfonnes que la jaloufie
nous rend odieiifes , nous devient odieux :
s'ils propofent des avis utiles aux peuples
& à l'Etat , nous les rejettons : s'ils en re-
jettent d'injuftes & de précieux , nous les
approuvons. Cette paflion aveugle fe glille
jufques dans le fanftuaire des Rois & dans
le confeil des Princes : divife ceux que
rintérêt commun , le bien public , l'amour
du Prince & de la patrie devoit réunir :
on cherche à fe détruire aux dépens des
affaires & des nécelîités publiques : les
malheurs publics ont pris mille fois leur
fource dans les jaloufîes particulières : on
oublie tout ce qu'on doit à la Patrie & à
foi-même , & il n'eft plus rien de facré
pour un cœur que la jaloufie aigrit &: infec-
te. Telle eft l'oppofition que la jaloufie des
Prêtres met dans leur cœur aux promeifes
& à la vérité des Ecritures.
En troifieme lieu , l'ingratitude , pouffée
jufqu'à la fureur , m.et dans le peuple une
oppofition infenfée à la vérité des miracles
du Sauveur. Témoins de tant de prodiges
qu'il avoit opérés à leurs yeux , ils paroif-
foient en foule à fa lliite avec fes Difci-
ples ; ils l'avoient même accompagné de-
puis peu dans fon entrée triomphante à
140 Sur la Passion
Jérufalem , faifant retentir les airs d'accla-
mations & de louanges ; & couvrant le
chemin de branches d'olivier , comme
pour en faire un trophée au Roi pacifique ,
qui venoit porter la paix &: le falut dans
Sion : cependant ce même peuple en fu-
rie fe déclare aujourd'hui contre Jefus-
Chrift , le fuit comme un féditieux , & de-
mande fa mort à Pilate. Qu'il foit cruci-
Luc. 19. fié , s'écrient-ils : Nous ne voulons pas que
'4» celui-ci règne fur nous. Quelle ingratitude !
ils vouloient l'établir Roi fur eux dan^s le
défert , lorfqu'il les rafTalioit d'une nourri-
ture miraculeufe ; 8c au milieu >de Jéru-
falem 5 ils ne le connoiiîent plus , & re-
gardent fon joug comm.e une indigne fer-
vitude.
C'e/l l'ingratitude , mes Frères , qui
forme toutes nos inconftances dans les
voies de Dieu. Touchés quelquefois de fa
grâce , & des bienfaits finguîiers dont il
nous a comblés en particulier 5 en nous
ménageant mille événemens heureux pour
notre falut , nous avons voulu le faire ré-
gner fur notre cœur ; nous l'avons fuivi
quelque temps ; nous avons été touchés de
reconnoillance fur les attentions de préfé*
rence & de bonté qu'il avoit eues pour
nous. Mais le monde, mais notre fcibleife,
mais des occafions pas affez évitées , ont
bientôt effacé ces fentimens de notre cœur ;
nous avons oublié fes bienfaits & nos pro-
m.effes ; & comme l'ingratitude & l'abus
des grâces en va toujours tarir la fource
DE Notre Seigneur. 141
d^ns le fein de Dieu , il nous a livrés à tou-
te la corruption de notre cœur ; nous nous
fommes déclarés fans ménagement contre
lui ; nous n'avons plus gardé de mefure
dans le défordre \ & pour étouffer les reftes
de nos anciens fentiments de vertu , nous
avons montré une nouvelle audace dans le
crime.
Ainfi j mes Frères , l'inconftance dans
les voies du falut , eft le plus grand obfta-
cle que la grâce trouve à combattre dans
nos cœurs. Nous ne fommes jamais un inf-
tant les m.êmes : tantôt touchés de Dieu ,
tantôt enivrés du monde ; tantôt fornant
des projets de retraite , & tantôt d'ambi-
tion ; tantôt fatigués des plaifirs 5 tantôt fen-
tant renaître un nouveau goût pour eux.
Notre cœur nous échappe à chaque inf-
tant : rien ne l'arrête ; rien ne le fixe : notre
inconftance nous devient à charge à nous-
mêmes. Nous voudrions pouvoir fixer no-
tre cœur , & lui faire prendre une confif-
tence durable dans le vice ou dans la vertu ;
& le premier objet le faifit & l'entraîne :
nous vivons dans une variation perpétuelle ,
fans règle , fans maxime , fans principe ;
ne pouvant nous répondre de nous-mêmes
pour un moment ; & ne prenant que dans
les inégalités de l'humeur & de l'imagina-
tion les règles de notre conduite.
Et voilà ce qui nous rend fi peu capables
de vérité & de vertu ; c'efl que la vertu de-
mande une vie uniforme , & facrifie conf-
tamment à l'ordre & au devoir 5 les inconf-
Î42 SurlaPassion
tances d'une imagination légère & variable.
Nous avons beau nous lafTer de notie pro-
pre inconftance ; nous nous lafîbns encore
bien plus de l'uniformité de la vertu : une
vie toujours la même ; toujours aflujettie
aux mêm.es loix ; toujours foumife aux mê-
mes règles ; toujours gênée par les mêmes
devoirs ; nous décourage &c nous rebute.
Ah ! s'il ne falloit pour être faint 5 que faire
une a6lion héroïque de vertu , un facrifice
éclatant , une démarche généreufe , il en
coûteroit moins à la démarche des hom-
mes : on trouve en foi afTez de réfôlution
pour fe faire une grande violence d'un mo-
ment : toutes les forces de l'ame femblent
fe réunir alors ; & la courte durée du com-
bat, en adoucit & en foulage la douleur.
Mais ce qui lafle dans la vertu , c'eft qu'un
facrifice fait , il s'en offre un autre qu'il faut
faire ; c'eft qu'une palîion vaincue , renaît
aufii-tôt 5 & qu'il faut encore de nouveaux
efforts pour la vaincre. Pierre aujourd'hui
trouve en lui affez de générofité pour tirer
le glaive , & défendre fon Maître contre
les facrileges qui l'infultent ; mais dès que
la tentation recommence y il fe décourage ,
& fuccombe : il eft aifé d'être en certains
momens héroïque & généreux ; ce qui
coûte 5 c'eft d'être par-tout confiant &: fi-
dèle. Aveuglement d'ingratitude 8c d'in-
conftance dans le peuple , qui refille à la
vérité des m.iracîes du vSauveur.
En quatrième lieu , aveuglement d'am-
bition dans Pilate , qui refiile à la vérité dé
fon innocence.
DE Notre Seigneur. 145
Le Sauveur du monde eft traîné devant
ce Magiftrat infidèle : tout prouve à Pilate
fon innocence : il avoue lui-même qu'il ne
trouve pas cet homme digne de mort ; mais
on le menace de Céfar : Non es amicus Cœ- Joan,
faris. Et voici tous les obftacles qu'une la- ^9» ï2.
che ambition met dans fon cceur à la vérité
qu'il connoît , & qu'il ne peut fe cacher à
lui-même.
^ Premièrement 5 un obftacle dedifTimuIa-
tion & de mauvaife foi. Ne pouvant s'a-
veugler fur l'innocence du Sau\^ur à la-
quelle fon filence , {qs réponfes , Ifes accu-
fations des Juifs , les fonges mêmes de fa
propre femme , tout enfin rendoit témoi.
gnage ; mais d'un autre côté ne voulant pas
fe mettre en danger d'exciter une fédition
dans Jérufalem , qui auroit pu déplaire à
Céfar 5 & lui attirer fa difgrace : il propofe
des expédienspour fauver Jefus-Chrift ; il
veut fe fervir de la circonftance de la Pâ-
que 5 où c'étoit la coutume d'accorder au
peuple la vie d'un criminel ; & par-là il leur
fait entendre contre les lumières de fa conf-
cience , que Jefus de Nazareth a bcfoia de
grâce ; & qu'il efl digne de mort , fi les
fuiîrages du peuple ne font tomber fur lui
l'indulgence toujours accordée au temps de
la Pâque.
Premier obftacle que l'ambition met
dans un cœur ; elle nous rend faux 5 lâ-
ches , timides , quand il faut foutenir les
intérêts de la juftice & de la vérité. Oa
craint toujours de déplaire j on veut tou-
144 SuRLA Passion
jours tout concilier , tout accommoder ;
on n'eft pas capable de droiture , de can-
deur ; d'une certaine noblelTe , qui infpire
l'amour de l'équité , & qui (eule fait les
grands hommes , les bons fujets , les Mi-
niflres hdeles , les Magiftrats illuftres, les
Héros chrétiens : on met en parallèle Jefus
& Barabbas , toujours prêta facrifierrun
ou l'autre , félon que le temps ou les occa-
fins peuvent le demander. Âinfi on ne fau-
roit compter fur un cœur en qui l'ambition
domine : il n'a rien de sûr , rien de ûxe ,
rien de grand ; fans principe , fans maxime ,
fans fentimens : il prend toutes les formes ;
il fe plie fans ceffe au gré des pafllons d'au-
trui ; il dit fans ccfle , com.me Pilate :
ly.Ti/ Q^^^ ^^^^^^ ^^^^^ ^^ duohus dimittl ? Le-
quel voulez-vous que je délivre ou que je
perde ? Prêt à tout également , félon que
le vent tourne , ou à foutenir l'équité , ou
à prêter fa prote6^ion à rinjuftice. On a
beau dire que l'ambition eft la pafllon des
l^randes âmes ; on n'eft grand que par l'a-
mour de la vérité , & lorfqu'on ne veut
plaire que par elle.
Secondement , un obftacle de haine pour
la vérité , qui fait qu'elle nous eft à charge.
La préférence que les Juifs donnent à Ba-
Ib'd -ù ^^bbasfur JefusXhrift , embarralTe Pilate :
lu Que fcrai-je donc de Jefus , qu'on appelle le
Chrifl 5 leur difoit-il ? Le Sauveur eft pour
lui un embarras ; fon innocence lui pefe ; il
^ voudroit bien que les Juifs en fîflent tout
Joaru ,£g^|g Yq^x aiîaire : Tollite eum vos , & Ce-
cundum
DE Notre Seigneur. 145
cundum Icgcm vcjlram judicatc ; la caufe de
l'innocent lui eft odieufe.
Second obftacle que l'ambition met dans
un cœur ; elle nous rend la juftice Se la vé-
rité odieufe. On eft embarrallé du bon
droit ; on voudroit que ceux qu'il faut per-
dre 5 pour plaire , eulfent toujours tort ; on
regarde comme un malheur d'être chargé
de leur caufe ; on cherche \qs moyens de
s'en débarraffer ; & loin d'embralfer avec
joier©cca{ion de prêter fon miniftere à l'in-
nocent ; on fuit la gloire d'une belle action,
com.me on devroit fuir l'infamie d'une baf-
feffe.
Troifiémement , un obftacle d'hypocri#
fie , qui fait fervir la vérité même aux vues
de l'ambition. Pilate ayant appris que Je-
fus étoit Galiléen le renvoie à Hérode ,
fous prétexte que la Galilée obéi/Tant à ce
Prince , c'étoit à lui à juger de la caufe de
JefusChrift. Ce n'eft pas le defir de con-
ferver la vie à un innocent , qui détermine
Pilate à cette démarche ; c'eft pour recou-
vrer l'amitié d'Kérode qu'il avoit perdue :
il fait fervir Jefus-Chrift à Ces fins 5 & le met
à profit pour fa propre utilité.
Troifieme obftacle ; un cœur ambitieux
eft d'autant plus éloigné de la vérité , qu'il
femble faire plus d'oftentation de l'aimer &
de la fuivre. C'eft ce vice qui fait toutes les
fauifes vertus ; & fous un règne fur-tout ,
où la vertu eft devenue la route sûre des fa-
veurs & des grâces , on fe fert , comme
Pilate , de Jefus-Chrift pour gagner la
Myjîens. ' Q '
14^ Sur LA Passion
bienveillance du Prince : après avoir tenté
toutes les autres voies , c'eft la dernière
rciîburce que l'ambition infpire ; elle em-
ploie tout ce qu'il y a de plus faint & de
plus facré , les apparences du zèle & de la
vertu. Quel m.alheur , quand on eft afTez
corrompu pour tourner Jefus-Chrift même
à fa propre perte ; pour faire de la vertu la
voie des paiTîons èc l'attrait du vice ; pour
employer la Religion à favorifer les deiirs
du fiecle qu'elle condamne ; pour changer
les refTources mêmes de la piété en des mo-
tifs de cupidité , & les armes mêmes. de la
vérité 5 en des inflnimens de duplicité &
de menfonge ! Qu'il refte peu d'efpérance
de falut aune ame qui peut abufer du don
de Dieu , & ne faire point d'autre ufage de
Jefus-Chrift , le Juge & l'ennemi du mon-
de , que de l'employei à parvenir aux hon-
neurs & à la bienveillance du monde mêm.e !
Enfin dernier obftacîe ; un obftacle de
faufle confcience , qui fait qu'en facrifiant
. la vérité à des intérêts humains , on croit
encore n'avoir rien à fe reprocher. Pilate
voyant que fes délais & fes tempéramens
ne fervent qu'à aigrir & allumer de plus en
plus la fureur des Juifs , livre enfin le Sau-
Luc.zi' veur à leur vengeance : Tradidit voluntcti
25* corum ; mais en même temps il lave fes
mains : il confent qu'on lefaife mourir ; &
il déclare qu'il n'eftpas coupable de la mort
Matth. ^s ce Jufte : înnocens e^o fum à fojiguirx
27. 24* jiLJli hujus.
Dernier obftacle que l'ambition oppofe
DE Notre Seigneur. 147
à la vérité ; on fe fait une faufTe confcience
^ur la plupart des démarches les plus oppo-
fées au devoir &:à la règle ; onie perfuade
que la nécefîiîé , les conjondures , les in-
térêts publics 5 les raifons d'Etat , les bien-
féances du nom , le devoir des places , en
rendant certaines tranfgrefîîons , comme
inévitables , les rendent en même temps in-
nocentes. Ainfi les complaifances qu'on a
contre fa confcience & fon devoir font tou-
jours néceflaires , dès-là qu'elles nous font
utiles : elles ont toujours certains côtés ,
par où elles ne nous offrent que les dehors
de la fagefle & de la prudence ; enfin , tout
ce qui fert à nos projets eft bientôt inno^
cent : Innoccns ego fum»
Aufîî l'ambition , ce vice qui forme
tant de haines , de jaloufies , de bafleires»,
d'injuftices ; ce vice , qui fe gliffe jufques
dans nos vertus , & dont les plus juiles
font à peine exempts ; ce vice , qui infeéle
toutes les Cours , & qui en eil comme l'a-
me 5 & le grand reilort qui donne le mou-
vement à tout : ce vice . dis-je , ell celui
fur lequel on a le moins de remords , &:
qu'on ne s'avife jamais de porter aux pieds
du Tribunal de la Pénitence. Les fuccès de
l'ambition nous ralTurent contre l'injuPâce
de fes voies ; & il fuffit d'avoir -été heu-
reux 5 pour fe perfuader qu'on n'eft pas
coupable.
J'ai dit en dernier lieu 5 un aveuglement
d'impiété dans Hérode , qui tourne en ri-
fée la Royauté de Jefus-Chrift. Il ne peut
G z
148 Sur LA Passion
fe diiîimuler à lui-même qu'il ne foit ufur-
pateur du Trône de David , & étranger
dans l'héritage de Sion : les frayeurs de fon
PrédéceiTeur , fur la nailfance du nouveau
Roi des Juifs , que les Mages venoient
adorer , n'étoient ni fî anciennes , ni fi ou-
bliées , & avoient été même marquées
par des traits trop publics & trop fanglans,
pour qu'elles ne fuilent pas venues jufqu'à
lui. Mais l'impiété traite toujours la vérité
de fuperftition &: de crédulité ; & voici ce
qu'elle produit en Hérode.
D'abord , un mouvement de curîofité :
il fouhaitoit de voir cet homme , dont la
renommée publioit des chofes fi merveil-
leufes : il fe promettoit d'en être lui-même
le témoin , & de voir quelqu'un des pro*
diges que le Sauveur avoit opérés dans la
Luc.i^, Judée : Sperabat fignum aliquod vidcre ah
eoficri : il ne cherche pas des inftruifbions ;
il ne veut qu'un fpeâacle. Il fait à Jefus-
Chrift mille queftions inutiles fur fa doc-
Ibid. f. ^j-jj^g ^ f^^ Çq^ miniftere : Interrogabat au- 1
^' tem eum multis fcrmonibus ; mais ce n'eft ]
pas pour connoître la vérité , c'eft pour en i
faire des dérifions , & fe confirmer dans -1
fon -incrédulité. Démarches ordinaires de
l'impiété : on voudroit des miracles pour
croire : on ne fe rend point à la voix de
tous les fiecles & de tous les peuples , qui
publient les prodiges éclatans , auxquels
î'Eglife doit fa nailîance & fon progrès : on
ne veut pas voir que l'Evangile reçu , &
fubfiftaat dans l'Univers , eft le plus grand
DE Notre Seigneur. 149
miracle que Dieu ait pu opérer fur la terre :
on veut être Chrétien par les fens ; & on ne
peut l'être que par la Foi. On fouhaite de
voir 5 comme Hérode , des hommes célè-
bres par la fîngularité de leurs lumières , &
par une réputation publique de zèle & de
vertu ; mais ce n'eft pas pour s'inflruire ;
c'eft pour propofer , comme Hérode , des
doutes fans fin , & des queftions vaines &
frivoles : Intcrrogabat autem eum multis fer^
monibus. On fe fait un bon air d'avoir des
difficultés fur la croyance commune : on
cherche à difcourir fur la vérité ; mais on
ne cherche pas la vérité : on parle toujours
de Religion , & on n'en a point : Interro-
gahat autcm eum multis fermonibus.
Ceux qui interrogeoient Jefus-Chrift
pour s'inftruire , fe conteiitoient de lui de-
mander : Maître , que faut-il faire pour mé-
riter la vie éternelle ? ils en venoient d'à- ^''^*
bord aux devoirs : ils couroient au remède
de leurs maux les plus preiles : ils vouloient
qu'il leur apprît d'abord à vaincre leurs
païïions 5 à pratiquer les préceptes de la
Loi 5 & à trouver la voie qui conduit à la
vie : Quid faciendo , vitam œternam poffl-
debo ? Ils vc'jîoient aller à la vérité par les
devoirs , & non pas douter de îa vérité ,
pour fe difpenfer des devoirs. Ceux-ci au
contraire , ne fe propofent dans leurs quef-
lions & dans leurs doutes, que de fe dire
à eux-mêmes 5 qu'au fond tout eft incer-
tain ; qu'on n'a rien de fatisfaifant à leur ré-
pondre ; & avoir l'audace de douter de la
150 S u R LA Pas SI ON "
vérité 5 eft pour eux une preuve décifive
contre elle. C'eil ainfi , ô mon Dieu ! que
votre Jufcice punit Torgucil d'une foible
raifon , en la livrant à {es propres ténèbres.
A la curiofité Hérocîe mêle la dérifion :
n'ayant pu même tirer de Jefus-Chrift une
feule parole , il le m.éprife , & toute fa
Luc -^z» ^our fuit fou exemple : Sprevlt autem il-
12. *" lum Hcrodes cum exerciîu fuo. Le filence du
Sauveur , fa modeilie , fa patience dans
les humiliations dont il efl: couvert , fon
humilité qui lui fait cacher fes talens divins
& fes œuvres admiirables devant Hérode ;
tout cela qui auroit dû être auprès de ce
Prince autant de preuves éclatantes de la
fainteté de Jefus-Chrift . ne fert qu'à le fai-
lepafTer pour un homme d'un efprit foible,
& d'une raifon égarée : on le revêt d'une
robe blanche , comme un infenfé , & on le
ibid, renvoie à Pilate : Et illujît indutum vefls
alhâ.
Et voilà , mes Frères , comme Jefus-
Chi'iftdans fes ferviteurs , eil tous les jours
îraité dans le monde , & fur-tout à la Cour
des Rois. Si les gens de bien s'y difpenfent
de certains plaifrs ; s'ils fe taifent à certains
difcours ; s'ils ne fe conforment pas à cer-
tains ufages ; s'ils fe font un fcrupule de
certains abus , que l'exemple commun au-
torife ; loin d'admirer en eux la force de la
grâce , & la grandeur de la Foi , qui peut
réfifter au terrent des plaiiirs & des exem-
ples , on traite leur piété , & la magnani-
mité de leur vertu ^ de petiteife d'efprit.
DE Notre Seigneur. 151
On les regarde comme des hommes oifeux
& bornés , qui manquent d'élévation & de
courage , & incapables de fuivre des rou-
tes plus brillantes ; on croit qu'il faut laifler
im certain détail de dévotion à ceux qui j
par la médiocrité de leurs taîens , n'ont rien
de mieux à faire : on s'applaudit de ne pas
leur reflembler : on s'eftime trop foi- mê-
me , peur fe croire en état de remiplir les
devoir fublimes de la Religion : on fe croit
né pour de plus grandes chofes , que pour
fervir Dieu , que pour fauver fou ame , que
pour mériter un Royaume immortel , que
pour être reçu dans cette Cité éternelle ,
où tous les Citoyens feront Rois , & où
toute grandeur anéantie , ils jouiront feuls
de l'immortalité & de la gloire.
Monde profane ! vous mépriferez tou-
jours Jefus-Chrift , parce que Jefus-Chrift
vous condamnera toujours ; fa croix vous
paroîtra toujours une folie , parce qu'elle
confondra toujours votre fauiie fagelTe.
Monde réprouvé ! vous rejetterez toujours
Jefus-Chrift , parce que Jefus-Chrifl vous
a rejette lui-même de fon héritage : vous
traiterez toujours fes Difciples d'infenfés ,
parce que leur conduite vous fait fans ceffe
fentir que vous l'êtes vous-mêm.e. Monde
miférable ! vous livrerez toujours Jefus-
Chrift , parce que Jefus-Chrift vous in-
commode 5 & vous emibarrafte : vous fa-
crifierez toujours la confcience & le devoir
à des intérêts vils &: rampans , parce que
vous ne connoilTez pas Dieu 5 & que vous
G4
I5Z Sur l a Pa ssion
n'aurez jamais d'autre divinité qu'une for-
tune de boue , qui vous coûte beaucoup ,
& qui ne peut jamais réufîîr à remplir vos
defîrs & votre attente. Monde injufte !
vous perfecuterez toujours Jelus-Chrift ,
parce que Jefus-Chrift n'eft venu que pour
détruire votre empire : vous foupçonnerez
toujours l'innocence , la vertu , la droiture
de fes ferviteurs , parce qu'il vous impor-
tera toujours de vous perfuader que la ver-
tu n'eft qu'une feinte , & que les plus gens
de bien vous refTembknt. Monde infenfé !
vous rougirez toujours de Jefus-CJirift ,
vous vous cacherez toujours de la piété/
comme d'une faibleffe , parce que vous pré-
férerez toujours la gloire des hommes à
celle de Dieu. La vérité ne vous délivrera
jamais , parce que vous la retiendrez tou-
jours dans l'injuftice ; & Jefus-Chrift trou-
vera jufqu'à la £n au milieu de vous ^ com-
me aujourd'hui à Jérufalem , un aveugle^
ment de rei^?eâ: humain , qui réfiftera à la
vérité de fa do(Strine ; un aveuglement de
jaloufîe , qui réfiflera à la vérité des Ecri-
tures ; un aveuglement de légèreté & d'in-
gratitude , qui réfilîera à la vérité de fes
miracles ; un aveuglement d'ambition^ qui
véfîftera à la vérité de fon innocence : en-
ûn j un aveuglement d'impiété , qui réfif-
tera à la vérité de fa Royauté. C^eft ainfi
:ue le monde fait éclater aujourd'hui toute
on oppolition pour la vérité , en condam-
ant Jefus-Chrift : il faut voir comment
« ?fus Chrift fur la Croix devient aujour-
DE Notre Seigneur. 153
d'hui le grund témoin de la vérité , pour
condamner le monde par e^Ie.
J-jA mort de Jefus Chrift eft le grand ^^'
témoignage de la vérité contre les erreurs
&: les préjugés des pafTions humaines ;&
c'eft aujourdhui proprement que le Père a
établi fon Fils , com.me il eft dit dans Ifaïe ,
le témoin de la vérité pour condamner le »^ -
monde qui la rejette : Ecce tejlem populis 55.4/'
dedl eum.
Or , nous avons vu que le monde , en
rejettant aujourd'hui Jefus-Chrift , s'a-
veugle fur la vérité des Ecritures , qui ren-
doient témoignage de lui ; fur la vérité de
fa do£^rine , qu'il lui avoit tant de fois an-
noncée ; fur la vérité de fes miracles , dont
il avoit été témoin ; fur la vérité de fon in-
nocence , dont il étoit convaincu ; & enfin ,
fur la vérité de fa Royauté , qu'il avoit au-
paravant reconnue. Jefus-Chrift lur la Croix
condamne aujourd'hui le monde , en ren-
dant un grand témoignage à toutes ces vé-
rités ; à la vérité des Ecritures , en les ac-
complilTant par fa mort ; à la vérité de fa
doctrine , en la confirmant par fes fouifran-
ces ; à la vérité de fes miracles , en les re-
nouvellant fur le Calvaire ; à la vérité de
fon innocence , en priant pour fes bour-
reaux ; enfin 5 à la vérité de fa Royauté ,
en établift^ant fa puinance 5 & conquérant
le monde par la Croix. Et c'eft ainfi qu'il
n'étoit venu dans le monde que pour ren-
dre témoignage à la vérité : Ego in hoc na- ^^^n. «.
G 5 57.
154, Sur la Passion
tus Jum j & ad hoc vcnl , ut tejlimonium
perhibeam vcritatL
En premier lieu, à la vérité des Ecri-
tures 5 en les accoinplifîant par fa mort.
Oui 5 mes Frères , la mort de Jefus Chrift
devient aujourd'hui la grande preuve de la
vérité des Ecritures : c'eft elle feule , qui
en juftifîe les Prophéties ; qui en développe
les prédirions ; qui en éclaircit les obfcu-
rités ; qui en explique les figures : c'eft la
clef facrée , qui ouvre les fept fccaux de
ce Livre fermé. Sans le dénouement de ce
grand facrifice , les Livres faints font in-
compréhenfibles ; les ténèbres des Prophé-
ties deviennent impénétrables ; le détail
du culte & des cérémonies de la Loi pa-
roît puérile ; une nuit épailTe eft répandue
fur ce Livre divin ; mais la mort de Jefus-
Chrift y répand un nouveau jour; à la faveur
de ce myftere préordonné avant tous les
fiecles , on voit clair dans toutes, fcs figu-
res : on découvre l'efprit de toutes fes cé-
rémonies ; on entre dans le fens de toutes
fes Prophéties ; on fent la vérité & la di-
vinité de nos Livres faints. C'efi: ici cet
Agneau occis depuis l'origine du monde ;
cet Abel , qui expire fous les coups d'une
indigne jaloufie ; cet Ifaac , obéillant juf-
qu'à la mort , & prêt à être immolé fur la
Montagne fainte ; ce Jofeph , livré par fes
propres frères , & devenu le Sauveur de
l'Egypte ; ce Job , rhom.me de douleur ,
&: méritant par fa patience , & par fes af-
fiiâ:ious 3 de rentrer en poirefîicn de fes
DE Notre Seigneur. 155
biens & de fa gloire ; ce David cliaffé de
Jérufalem , montant fur la montagne cou-
vert de honte & d'ignominie , accompagné
des anathêmes & des dérifions de fon Peu-
ple 5 qui l'outrage & qui l'infulte ; ce Jo-
nas enfeveli durant trois jours dans le fein
de l'abyme , & reflufcité pour fauver Ni-
nive. Enfin depuis le commencement des
chofes , il femble que Dieu n'eft attentif
qu'à préparer les hommes à ce myftere fan-
glant 5 éc en tracer de loin dans les Livres
faints 5 les fymboles & les figures. L'al-
liance de Sinaï , confirmée par le fang, nous
annonçoit que le fang de JefusChrift rati-
fieroit l'alliance nouvelle , que le Seigneur
devoit contracter avec les homm.es. L'a-
mertume des eaux de Mara , adoucie par
le bois myftérieux , nous figuroit la corrup-
tion des Nation? , purifiée par le bois facré
de la Croix. Le Serpent d'airain élevé , &
devenu le remède des plaies du Peuple ^
n'étoit que le fymbcle de Jefus-Chrift éle-
vé en Croix; & devenu le remède de nos
plaies & de nos fouillures. Enfin , on trou-
ve que jufqu'aux moindres circonflances
de la mort de Jefus-Chrift , touteft prédit
dans les Livres faints , & dès le commen-
cement annoncé aux hommes ; le fiel dont
il devoit être abreuvé ; les crachats dont on
le couvre; les doux , qui percent fes mains^
& {es pieds facrés ; le fort , qui partage fes
vêtemens ; la perfidie du Difciple , qui le
livre 5 &: qui décheoit de fon Apoftoîat ;
les deux malfaiteurs 5 au milieu defquels il
G6
156 Sur LA Passion
expire ; la lance qui ouvre ion côté ; fcs os ,
qui ne font pas brifés , la forte clameur
qu'il poulî'e vers fon père ; de forte que les
Prophéties ne paroifTcntplus qu'une hifcoire
claire & anticipée des douleurs & des op-
probres de la Croix.
Ceft ainfi que la mort de Jefus-Chrift
confirme tout , comme dit l'Apôtre , ac-
complit tout 5 juftifie tout. Ceft ainfi que
ce Myftere , qui révolte fi fort la raifon ,
& qui eft la folie du Gentil , & le fcandaîe
du Juif 5 eft pourtant lui-même la preuve
de notre Foi , la certitude de nos Livres
faints 5 & la confufion de l'incrédulité.
Ceft ainfi qu'il falloit que le Chrift fouffrît ,
& mourût 5 afin que les Ecritures fufient
accomplies ; que les Peuples tém.oins de
cet acccmplifTem.ent , fe foumâlfent à leur
autorité ; que ce livre divin fe répandît
dans toutes les Nations , & qu'il fiit jufqu a
îa fin des fiecles , le garant de notre Foi ,
le fondement de nos efpérances , la régie
immuable de notre culte , le rocher myfté-
rieux , où tous les efforts de l'orgueil hu-
main , & toute la violence des fuperftitions
& des Se6^es , viennent fe brifer ; & enfin
le monument éternel des mjféricordes du
Seigneur fur les hommes. Que de gran-
deur dans la balTeiTe de nos Myfteres ! C'eft
ainfi 5 ô mon Dieu ! que vous avez toujours
voulu confondre Torgueil de la raifon , &
vous jouer de la vaine fageffe des hommes
en cachant la fageffe & la fublimité de vos
voies j fous des apparences viles & infen-
ïi
DE Notre Seigneur. 157
fées 5 en nous conduifant à la vérité par
/y l'hu milité , & révoltant les foibîes lumières
^ d'une vaine raifon , pour en éclaircir les té-
nèbres. Premier témoignage que Jefus-
Chrift rend aujourd'hui à la vérité des Ecri-
tures , en les accompliirant par fa mort.
Il rend en fécond lieu , un témoignage
à la vérité de fa doâ:rine , en la confirmant
ar {qs opprobres & par fes fouffrances.
1 nous avoit appris que bienheureux ceux
qui fouffrent , & que la violence qu'on fe
fait à foi-même étoit l'unique reffource du
falut : toute fa do(î:l:rine fembloit fe réduire
à humilier i'efprit & à mortifier les fens.
Or 5 nul Philofophe jufqu'à lui n'avoit an-
noncé aux homm.es qu'il fallût aller à la fé-
licité par les humiliations & par les fouf-
frances : c'étoit-là ce fecret du Royaume des
Cieux , jufques-là inconnu aux enfans du
{îecle. Il talioit donc que fon exem.ple con-
firmât la nouveauté de fes préceptes ; qu'il
ne relTemblât point à ces faux fages qui
Tavoient précédé , lefquels , en préchant
pomipeufement le mépris de tout , jouif-
foient avec plaifir de tout ; & que les humi-
liations & les douleurs de fa mort , devinf-
fent le grand témoignage de la vérité de fa
doctrine.
Je dis les douleurs de fa mort ; & quel-
les douleurs ! le fiel & l'abfynte , dont on
l'abreuve ; Tinfeé^ion des crachats , dont on
couvre fon vifage adorable ; les coups de
fouet , qui déchirent fon corps facré ; les
foufflets barbares y qui le meurtrilfent ; la
158 Sur l a Pas sion
couronne d'épines , qui le perce ; la pe-
fanteur de la Croix , qui l'accable ; les
doux j qui l'y attachent ; les efforts inhu-
mains , qui le crucifient. Quelles douleur !
fon efprit affligé , par l'horreur de nos cri-
mes ; ion cœur contriftc , par l'inutilité de
fes fouffrances ; fon amour accablé , par
l'ingratitude de fon peuple , & par les mal-
heurs qui vont fondre fur cette nation Ci
chérie. Voilà le grand modèle qu'on nous
montre aujourd'hui , du haut de la mon-
tagne fainte ; & la réponfe décifîve à tous
vains prétextes.
Car , mes Frères , que peut oppofer
notre impénitence à ce grand exemple ?
Quoi ! notre innocence ? une vie régulière ,
exempte de certains excès , Se, qui femble
nous difpenfer de cette vie de larmes & de
m.ortification , qui ne paroît deflinée qu'à
punir les grands crimes ? Mais Jefu.sXhrift
faint , innocent , féparé des pécheurs , ne
remplit fon miniRere , que par les fouitran-
ces ; n'opère notre falut 5 que par la Croix ;
ne devient homme , que pour devenir
l'homme de douleurs : ne fuffit-il pas d'être
fon difciple , pour ne pouvoir fe difpenfer
de marcher far fes traces ?
Mais d'ailleurs, votre innocence? Grand
Dieu ! vous nous connoilfez : vous avez
compté nos pas dès le fein de nos m.eres :
vous avez fuivi les routes les plus fecretîes
de nos paflions : vous avez prévu nos coû-
tes 5 avant m.ême que nous fuillons tombés :
nos premières mœurs & nos dernières»
DE Notre Seigneur. 159
voles , tout eft également préfent à vos
yeux: Tu cognovijîi omnia ^ novijjlma & Ff'iit.
antiqua;Sc vous favez , grand Dieu ! quelle 5*
vie nous offrirons un jour à votre juftice ,
quand le voile fera tiré ; & que ce phan-
tôme de vertu qui nous abufe , tombera &
s'évanouira devant la lumière ^ l'éclat ter-
rible de vos jugemens & de votre juftice.
Quoi encore ? notre rang & l'élévation
où la Providence nous a fait naître ? Mais
Jefus-Chrift , le fuccefîéur de tant de
Rois , le Roi immortel des fiecles , a-t-il
cherché dans la grandeur de fes titres , des
raifons qui le difpenfaiîent de la Croix & de
la violence ? Au contraire , il veut ibufFrir
avec toutes les marques de fa grandeur; Ton
fceptre , fa pourpre , fa couronne ; comme
pour nous apprendre que la pénitence eft en-
core plus neceifaire aux Grands qu'au peu-
ple , parce qu'ils onîplus de crim,es à pleurer,
plus de paillons à vaincre , plus de fcan-
dales à réparer 5 plus de voluptés à ex-
pier ; que les marques mém.es de leur
grandeur ne font que les fources & les
inftrumens de leurs fouifrances ; & que le
privilège de leur état n'eft pas de jouir de
plus de plaifirs , mais d'en avoir plus à fa-
crifier que le commun des Fidèles.
Quoi encore? la foiblelTe de la ianté ,
& la délicateffe du tem.pérament ? Mais le
corps de Jefus-Chrift, form.é par TEfprit
faint 5 & le plus fenfible à la douleur qui
eût jamais paru fur la terre , eft m.eurtri &
brifé pour hous. Mais d'ailleurs 5 quelle ei!
l6o S U R L A P A s s I O N
cette foibleiTe de tempérament , qui a tant
de force pour foutenir la fatigue des paf-
iîons 5 & pour courir dans les voies de
l'iniquité ; & qui n'eft foible &: fans cou-
rage , que lorfqu'il faut aller à Dieu ,
& faire un feul pas dans les voies de la
juftice.
Quoi donc ? la bonté de Dieu , qui n'eft
pas un Maître fi cruel , & qui nous aime
trop 5 pour exiger que nous nous rendions
malheureux pour lui plaire ? Mais nous
aime-t-il plus qu'il n'a aimé fon Fils unique ,
& dans lequel feul nous fommes dignes
de fon amour ? Et cependant , quel calice
lui a-t-il ordonné de boire ? par quelles
tribulations l'a-t-il fait pafTer ? Si le Jujfte
cft traité avec tant de rigueur , referve-
ra t'il toute fon indulgence pour les cou-
pables ?
Quoi enfin ? les rigueurs & les difficul-
tés de la pénitence ? Mais , mes Frères ,
comparons la violence que la Religion
nous impofe , aux fouffrances de Jefus-
Chrift ; & foutenons , fi nous pouvons,
ce parallèle. Hélas ! nos violences confif-
tent plutôt à nous priver de quelques plai-
firs 5 qu'à fouffrir quelque peine ; à retran-
cher quelques fuperfluités , qu'à nous im-
pofer des privations douloureufes ; à ne
pas tout accorder aux fens , qu'à les mor-
tifier : & encore ces privations légères ,
par combien d'endroits font-elles adou-
cies ? la grandeur qui nous environne ,
labondance qui nous fuit , l'élévation qui
DE Notre Seigneur. 161
nous flatte , la magnificence qui nous
éblouit 5 tous les avantages au milieu def-
quels nous fommes nés. Que fouffrons-
Jious 5 mes Frères ? & fi nous ne foufFrons
pas, que pouvons nous prétendre aux pro-
mefîes qui ne fi^nt faites qu'à ceux qui fouf-
frent ? Second témoignage que Jefiis-
Chrift , fijr la Croix , rend à la vérité de
fa doctrine , en la confirmant par fes hu-
miliations & par fes fiDuffrances.
II rend en troifieme lieu , fur la Croix ,
témoignage à la vérité de {qs miracles , en
les renouvellant. Mais ce n'eft pas tant en
ouvrant les tombeaux , en brifant les ro-
chers j en obfcurcilfant le foleil , & cou-
vrant toute la terre de ténèbres 5 qu'il con-
firme aujourd'hui fa puifTance , & qu'il
rend témoignage à la vérité de tous fes
miracles : c'eft en convertiifaut un fcélérat
qui expire à fes côtés : c'eft en changeant
le cœur du Centenier même , qui préfide
à fon fupplice , Se le forçant de confelTer
tout haut fa puifTance & fa divinité : c'efl
en touchant les fpe^tateurs de fa miOrt , &
les obligeant de s'en retourner , frappant
leur poitrine , & répandant des larmes de
componction &: de pénitence : Et reverte-
bantur percutientcs peclora fua. Voilà le
grand miracle de la mort de Jefus- ^^' ^ *
Chrifl ; la converfion des grands pé-
cheurs j & remarquez en eiïez , dans le
caractère des pécheurs qu'il convertit fur
la Croix , la grandeur de fa puiflauce dans
fa foiblefle.
Luc,
i6i SurlaPassion
Le premier eft un fcélérat qui expire ,
lequel jufques-là avoitvécu fans Dieu dans
ce monde , & n'avoit point apporté d'au-
tre difpofition à la mort , que les horreurs
de la vie la plus criminelle. Cependant cet
heureux pécheur 5 dans ce dernier moment
où la converfîon eft prefque toujours dé-
fefpérée ; 011 les miarques de repentir qu'on
donne , on les donne plutôt à la punition
qu'on craint , qu'aux crimes qu'on détefte ;
où le pécheur eft eftrayé , mais où le cœur
lî'eft prefque jamais changé : dans ce der-
nier moment où Dieu jufques-là méprifé ,
méprife à fon tour , & îe retire ; où la
mefure eft comblée , où les grâces de re-
pentir font d'ordinaire refufées : dans ce
dernier moment où le pécheur eft déjà ju-
gé , & où la furprife de fa mort eu. d'or-
dinaire la jufte punition de l'impénitence ,
&: du défordre de toute fa vie : dans ce
dernier moment , cet heureux pécheur
trouve la grâce &: le fab^t^-La premnere
afperfion du fang de Jefus-Chrift, qui coule
de la Croix 5 purifie en un inftant toutes
les fouillures de fa vie : il reconnoît la
gloire & la divinité de fon Libérateur ,
tout chargé d'opprobres qu'il le voit : après
une vie toute de crimes , il reçoit en
mourant , de la bouche m.ême de Jefus-
Chrift , raffurance du pardon , & le der-
nier moment où il expire , devient le prix
de fon falut éternel.
Voilà 5 mes Frères , le grand miracle de
la mort de Jefus-Chrift i la converfîon
DE Notre Seigneur. 163
d'un pécheur mourant ; & cependant il
n'eft point de pécheur , qui ne fe promette
le même prodige en ce dernier moment.
On croiroit être infenfé d'attendre que le
Soleil s'éclipsât encore ; qu'on vît encore
les tombeaux s'ouvrir , les morts refîuf-
citer 5 le voile du Temple fe déchirer ;
que tous les miracles qui s'opèrent alors ,
fe renouvellalTent encore : quelle folie
donc de fe promettre le miracle de la con-
verfion opéré fur un pécheur mourant ;
prodige plus grand & plus merveilleux ,
que tous ks autres miracles qui fe palTent
fur le Calvaire ! Il falloit que ce grand fa-
crifice , prédit dans tous les fiecles & iî
nécefTaire au genre humain , fût marqué
par des circonitances uniques , & jufques-
là inouies ; que tout y fïit fingulier ; que
tout y rendît témoignage par fa nouveauté ,
à la gloire & à la divinité du Fils de l'hom-
me. Mais Jefus-Chrift mort une fois , il
ne meurt plus , dit TApôtre ; les rochers
nefe brifent plus ; les morts ne reiTufcitent
plus ; toute la terre ne fe couvre plus de
ténèbres ; le voile du Temple ne fe déchire
plus ; les pécheurs mourans ne fe couver-
tiflent plus ; &: les converfîons au lit de la
mort 5 n'ont que cet exemple & ce pro-
dige pour elles.
Le fécond pécheur , dont Jefus-Chrift
fur la Croix , opère la converfion , eft un
pécheur incrédule ; un Centenier Gentil ,
qui jufques-là n'avoit regardé Jefus-Chrift
qu'avec dérifion , & fa doftrine comme
i64 SurlaPassion
une impofture. Cependant l'incrédulîté 5
qui ferme Je cœur à toutes les grâces ,
qui rend inutiles tous les fecours de la
Religion , & change en poifon les remè-
des mêmes , l'incrédulité devient aujour-
d'hui le triomphe de Jefus-Chrift mou-
rant. Ce Centenier eft frappé des merveil-
les de fa mort : ce n'eft pas en demandant
des miracles 5 comme quelques-uns des
fpeâ:ateurs , qu'il arrive à la connoiiTance
de la vérité ; c'eft en confidérant Jciiis-
Chrift 5 fa puilfance dans fes opprobres , fa
douceur envers fes ennemis , fa patience
& fa majefté dans les tourmens , fon amour
pour les hommes 5 l'innocence de fes
mœurs , la fainteté & la divinité de fes
maximes : voilà le grand miracle qui le
touche. Il comprend que l'impofteur n'au-
roit pas eu recours à un moyen fi trille & fi
rebutant , pour féduire les hommes ; qu'elle
auroit flatté , ou leurs pafTions , ou leur
orgueil ; qu'elle leur auroit propofé ,
comme les autres Philofophes , > une doc-
trine agréable aux fens , ou flatteufe à ïeC-
prit & à la curiofité : mais qu'il n'y avoit
que le Fils de Dieu ^ qui pût fe faire des
difciplespar la Croix ; attirer les homm.es 5
en ne leur propofant que des perfécutions
& des foufFrances ; en leur interdifant
tous lesplaifirs, & ne leur promettant ici-
bas point d'autre récompenfe de leur atta-
chement à fa dodrine que les larmes , les
croix 5 & les violences : mais qu'il n'y avoit
que. le Maître des cœurs qui pût préten-
DE Notre Seigneur. 165
dre d'attirer tous les hommes par une loi
févere & humiliante , qui les alloit tous
révolter , & venir établir un nouveau culte
par les voies les plus propres à le renyerfer
& à réteindre : Verc Filius Dci crat ijle. Matth,
Enfin , la troifieme forte de pécheurs , ^^* 54-
que Jefus Chrift convertit fur la Croix ,
eft une troupe inutile de fpe<^ateurs , que
la feule curiofîté avoit attirés fur le Calvai- •
re. Libres des pafîîons qui animoient les
Scribes & les Pharifiens , & n'oppofant
point d'autre obftacle à la grâce , qu'une
indifférence coupable pour le falut , pref-
que toujours plus difficile à furmonter ,
que les paffions les plus criminelles ; tou-
chés du fpeâ:acle des fouffrances du Sau-
veur , & des grâces abondantes qui cou-
lent avec fon fang , ils fentent tout d'un
coup leur cœur changé & brifé d'une fainte
componâion : Et rcvcrtebantur percudcii' Luc
tes pccîora fua. 25. 4^.
L'oferai-je dire , mes Frères ? dans le
caraâ:ere de ces trois fortes de p écheurs ,
ne retrouvons-nous pas l'image de ceux
qui viennent affifter au récit & au fpeâacle
des fouffrances du Sauveur ? Des pécheurs
fcandaleux , & chargés de crimes , comrne
les deux fcélérats qu'on attache à la croix
à côté de Jefus-Chrift , qui ne viennent
aujourd'hui fur le Calvaire , & à ce faint
fpeftacle renouvelle dans nos Temples ,
que comme à un fupplice ; qui regardent
ces faints jours, ces jours heureux que
i'Eglife confacre aux myileres douloureux
ï66 S u R L A Passion
de Jefus-CIirift , & où la liberté des plal-
firs pjblics eft fufpendde , comme un joug
odieux qu'une vaine religion leur impofe ;
qui en murmarent , &L en comptent tous
les momens ^ comme s'ils étoient fur la
croix eux-mêmes : des pécheurs incrédu-
les, & qui n'afîiftent 5 comme le Cente*
nier 5 à ce fpeâiacle de Religion , que
pour fatisfaire aux devoirs d'une Charge ,
pour remplir les bienféances de leur rang ,
pour ne pas manquer à ce que tout le mon-
de lui-même exige d'eux ; mais qui en fe-
cret , regardent la Croix comme une folie ;
& infultent peut-être aux fouffrances de
Jefus-Chrift, &: à la piété & au deuil pu-
blic des Fidèles : enfin , des pécheurs mon-
dains & oileux, que la feule curiofité at-
tire au récit de la mort du Sauveur , qui
n'y apportent ni foi , ni componélion , ni
defir d'une vie plus fainte ; qui fuivent la
multitude , & ne viennent fur le Calvaire ,
que comme fpeâ:ateurs , que parce que la
foule y court , 6c que le monde lui-même
les y entraîne.
Renouveliez donc aujourd'hui à leur
égard , ô mon Sauveur ! les miracles du
Calvaire : le moment où vous expirez , eft
le moment des grâces & des miféricordes.
Il fort de votre côté ouvert , des fources
de bénédiâiions capables de purifier les
âmes les plus fouillées & les plus rebelles.
Tout eft favorable aux pécheurs aux pieds
de votre Croix: vos mains étendues pour
les recevoir ; votre cœur ouvert 8c prêt à
DE Notre Seigneur. ï6j
leur pardonner ; la fbif extrême que vous
avez de leur falut; la forte clameur que
vous pouifez pour eux vers le Trône de
votre Père. C'eil aujourd'hui , ô mon
Dieu ! le jour de vos miféricordes. Du
haut de ce Bois facré , jettez encore quel-
ques-uns de ces regards puiflans fur les pé-
cheurs qui vous environnent ; & confa-
crez la mémoire de ce grand jour par quel-
ques-unes de ces converfîons éclatantes ,
qui faifent fentir la vertu de votre fang , &
la perpétuité de votre facrifîce ! Troifieme
témoignage que Jefus-Chrift , fur la Croix ,
rend à la vérité de fes miracles , en les re-
ncuvellant.
Il rend en quatrième lieu , témoignage à
la vérité de fon innocence & de fa fainteté ,
en priant pour fes ennemis. En effet , mes
Frères , le caractère le moins équivoque
de la fainteté , c'efl d'aimer ceux qui nous
outragent , de prier pour le falut de ceux
qui veulent nous perdre , Se de combler
de biens ceux qui nous chargent de malé-
dictions & d'opprobres. Or , voilà le
grand témoignage que Jefus-Chrifc rend
aujourd'hui à fon innocence : il m.eurt pour
ceux qui le crucifient ; il meurt en deman-
dant grâce à fon Père pour fes ennemis. Il
ne méprife pas leur fureur & leurs outra-
ges -, c'eût été foufîrir en Philofophe : il ne
leur reproche pas fes bienfaits &: leur in-
gratitude ; c'eût été fouffrir en homme foi-
bie : il ne les menace pas de fa puLTance ;
c'eût été fouffrir en homme vain : il ne fe
1(58 Sur LA Passion
confole pas par refpérance de leur puni-
tion ; c'eût été fouffrir en homme piqué
& fenfible : il ne fe plaint pas même de
Fexcès de leur barbarie ; c'eût été fouffrir
en homme vulgaire. Il prie pojr eux ; il
n'eft occupé que de leur falut : il femble
oublier , dans ce dernier moment , Tes Dif-
ciples les plus fidèles ; il ne demande rien
pour eux à fon Père : il ne penfe qu'à fes
ennemis ; il ne prie , il ne parle que pour
eux. Il ne demande que pour eux des grâ-
ces à fon Père ; & c'efl fouffrir en Homme-
Dieu : ils le maudiffent , &: il les bénit : ils
demandent fa mort , & il demande Icut
grâce : ils veulent prendre fur eux & fur
leurs enfans , le crime de fon fang répanduj
& il ne veut pas qu'on le leur impute.
2;^^^ Père ! par donner- leur , dit- il , parce qu'ils
zj. 54* ^^ fdvent ce quils font. Souvenez- vous ,
ô mon Père ! que le fang de cette nou-
velle alliance , qu'ils répandent aujour-
d'hui , les met au nombre de vos enfans ;
que par le prix du facrifîce que je vous
offre , mes bourreaux deviennent mes
cohéritiers & mes frères ; que vous n'ctes
plus un Juge armé pour les perdre , mais
un Père toujours prêt à les fauver ; & qu'en
m'attachant à la Croix , ils fe font élevés
un afyle , qui doit les mettre à couvert de
vos foudres &: de vos vengeances : Pater ,
dimitte illis. Ne regardez pas les mains
qui m'ont percé ; ne regardez que le fang
qui coule de mes plaies , pour appaifer
votre juftice , 8c effacer le crime de ceux
qui
DE Notre Seigneur. î6ç
qui m'immolent : Pater dlmitte illis. Ils
ignorent encore que c'eft vous qui m'avez
envoyé ; pardonnez à des aveugles , qui
croient rendre gloire à votre nom , en me
mettant à mort. Ils ne favent pas que ce
fang qu'ils répandent , va fanâ:ifîer tout
l'univers ; que cette viclime qu'ils immo-
lent 5 efl le prix du falut de tous les hom-
mes ; que cette Croix , où ils m'ont atta-
ché 5 va devenir la vie & la réiiirredtion
de ceux qui dorment dans les ombres de
la mort j le remède des maux du genre
humain ; qu'elle va répandre dans toute la
terre j la connoifTance de votre nom , êc
vous form.er parmi tous les peuples , des
adorateurs en efprit & en vérité. Père
faint ! mais vous ^ qui voyez les grands,
avantages que le mionde va retirer de ma
Croix 5 ne leur imputez pas une faute fî
heureufe ; & pardonnez- leur le criîne de
ma mort , en faveur des biens inellimables
qui vont en revenir à la terre : Non cnim
fciunt quid faciunt» Ils ne favent pas qu'en
me faifant mourir , ils vont me rendre à
moi-même la gloire de l'immortalité; qu'en
effaçant mon nom de la terre des vivans ,
ils vont l'élever au delTus des Principautés
& des Puilfances ; qu'en m.e rejettant , ils
vont me faire connoître de tous les peu-
ples ; qu'en refufant de me faire reconnoitre
pour Roi 5 ils vont m'établir Prince du
liecle à venir , Juge de toutes les Tribus ,
Seigneur de toutes chofes , & m'airurer
toute puilfance dans le ciel & fur la terre.
Myjlercs. H
lyo Sur la Passion
Père faint ! mais vous , qui avez attaché la
gloire que vous m'avez prom.ife , à mes op-
probres & à mes fouiTrances , pardonnez à
ÀQS aveugles qui fervent , fans le favoir , à
Texaltation de mon nom , &: à l'aggrandif-
fement de mon Royaume : 'Non enim
fciunt quidfaciunt. Ils ne favent pas que le
crime de ma mort va combler la mefure de
leurs pères ; que vont venir des jours fur
eux , où l'on appellera heureufes , celles
qui n'ont point enfanté ; où Jerufaîem va
devenir une alîreufe folitude ; où fon autel
fera détruit , fon temple abandonné , &
devenu une trifte mazure ; fes citoyens ,
errans & fugitifs ; & votre héritage qu'ils
ont fouillé du fang innocent , livré à une
malédidion éternelle. Père jufte ! mais
vous qui leur préparez ces jours de vifite
& de colère , contentez-vous de ces cala-
mités temporelles dont vous allez les aiîli.
ger : fauvez les reftes d'Ifraèl ; épargnez
les branches d'une racine fainte ; fauvez un
peuple que vous avez choifi ; ne perdez pas
pour toujours mes frères félon le fang , les
os de mes os , &: la chair de ma chair : ne
retirez pas votre falut de Juda , d'où le
falut eft forti : épargnez les enfans des
Saints : ralTemblez enfin un jour les difper-
fions d'Ifraèl : réunilfez-les dans les der-
niers temps au trône dont ils fe font féparés :
rappeliezles dans l'enceinte de la véritable
Jéruf-^lem , afin qu'il n'y ait plus qu'un ber-
cail & qu'un Pafteur , & qu'ils vous of-
frent avec toutes les nations , non des
DE Notre Seigneur. 171
boucs & des taureaux , mais le renouvel-
lement & les lignes myftiques du Prand
lacnfice , que j'oftVe aujourd'hui à 'votre
gloire, Quatrième témoignage que Jefus-
V^hrilt, (urla Croix, rend à la vérité de fon
innocence , en priant pour {es ennemis.
£-iifin , il rend en dernier lieu , témoi-
gnage à la vérité de fa royauté , en con-
quérant le monde par la Croix. Le monde
lui avoit difputé la réalité & l'éclat de fa
Koyaute : il ne l'avoit traité de Roi que
par derifion : toutes les marques de fa
Koyaute avoient été de nouveaux oppro-
bres : le fceptre , un vil rofeau ; la pour-
pre , une robe d'ignominie ; la couronne ,
une couronne de douleur ; le trône, un
bois infâme, & le lit de fes opprobres &
de les louftrances. Mais aujourd'hui ces
marques honteufes d'une Rovauté fi humi-
liante , deviennent les figues glorieux de
fa puiffance & de fon empire. Ce foible
rofeau qui lui fert de fceptre , va renver-
1er tous les autels profanes , abattre tou-
tes les idoles , confondre toutes les fecles ,
anéantir tous les Empires , fraoper les
geans de la terre , & détruire toute' fcience
qui s eleve contre la fcience de Dieu. Cette
couronne , qui le couvre de douleur & de
contuuon , va orner les têtes des Céfars
plus pompeufcment , que les lauriers &
les diadèmes les plus fuperbes ; & un Roi
du premier trône du monde , & du fans? le
plus auaufte de l'univers , ira expofer fa
vie & fa liberté , pour en rapporter en
172. Sur LA Passion
triomphe , les débris précieux dans fa pa-
trie ; plus glorieux d'avoir enrichi fon
Royaume de ce faint & précieux tréfor ,
que s'il avoit conquis un Empire. Ce trône
d'ignominie 5 où il eft attache , fera bientôt
un trône de gloire, aux pieds duquel les
Princes & les Souverains viendront cour-
ber leurs têtes fuperbes ; un trône de puif-
lance & d'autorité , fur lequel il jugera
toutes les nations de la terre ; un trône
de grâce &: de miféricorde , aux pieds
duquel tous les peuples trouveront la vie
&t le falut^; un trône de fcience &: de doc-
trine , fjr lequel il inllruira jufqu'àla fin
tous les hommes 5 &: leur apprendra les
vérités de la vie éternelle ; enfin , un trône
de fagelTe & de confeil j d'où ce nouveau
Salomon gouvernera tous les peuples dans
la juilice . dans la paix & dans l'abondance.
La puiiîance & le règne des Rois de la
terre finilFent avec eux ; le règne de Jefus-
Chriil ne commence à éclater que par fa
niorc 5 &: fes opprobi'es iont la première
fource de fes grandeurs & de fa gloire.
Père faint ! votre Fils & véritable Jofeph ,
que nous pleurons , vit donc encore : la
malice de fes frères , qui l'ont livré , n'a
donc fervi qu'à faire éclater fa grandeur &
fa puiiTance : il eft fort! du puits fatal où
l'envie l'avoit enfeveli ; & tous les peuples
de l'Egypte & l'univers entier, reconnoitfa
domination & fon pouvoir fuprême : Filius
Gen.40* f""^ v/rft , ^ ipfi dominatur in omni tcrrâ
DE Notre Seigneur. 173
Mais 5 mes Frères , tout reconnoît au-
jourd'hui la fouveraineté de Jefus-Chrift :
fa Croix triomphe du Ciel &: de l'Enfer ;
de l'aveuglement des Juifs y de l'incrédu-
lité des Gentils , de la barlDarie des bour-
reaux 5 de Tendurciflement môme d'un
pécheur mourant. Toute la nature le con-
felTe 5 toutes les créatures le reconnoificnt;
hi nous lui ferm.erions tout feuls notre
cœur 5 & nous nous obftinerions tout feuls
à dire : Nous ne voulons pas que celui-ci
règne fur nous : Nolumus hune regnarc fu- Luck).
pcr nos» Les morts entendent aujourd'hui ^4»
fa voix ; & fortent de leurs tcm.be aux ; 6c
nous demeurerions encore enfeveîis dans
l'abyme de nos dilTolutioos , quoique fa
voix puiilante nous crie aujourd'hui aafond
de nos cœurs , du haut de fa Croix : Le-
vez-vous j ô vous ! qui dormez d'un fcm-
meil de mort ; f>rtez de la profondeur de
vos crimes & de vos ténèbres ; & ce Je-
fus que vous voyez crucifié pour vous ^
vous rendra la vie & la lumière que vous
avez perdue : Surge , qui dormis , & exurge I^P^'^^f*
à mortuls , & illuminahh te. Chrijlus. Les ^
rochers fc î^ifcnt , & nos cœurs plus in-
fenfibles ne fauroient s'amollir ? le voile du
Temple fe déchire ; & le voile impénétra-
ble , qui eft fur notre ccnfcience , fur ce
fanc^ruaire d'iniquité . &: qui uous empêche
depuis fi long- temips d'^n mianifefier au Prê-
tre les fouillures fecrettes , ne peut s'ou-
vrir & fe déchirer ; & nous tenons encore
cachés au-dedans de nous ces myiieres d'à-
H3
5. 14.
174 ^^UR LÀ Passion de N. S.
bomination , qui font de notre cœur le
temple des démons , Faiyle des efprits im-
mondes 5 & un théâtre affreux de re-
mords 5 de confufion & de trouble ? Ne
fortirons-nous pas enfin de ce Royaume de
ténèbres , où nous vivons , pour entrer
dans un Royaume de lumière ? ne nous
laiTeronsnous pas enfin d'avoir été jufques
ici les efclaves miférables d'un monde ,
qui n'a point de droit fijr nous , qui n'eft
pas digne de nous , qui ne peut rien faire
pour nous? &: refuferons-nQus de pren-
dre Jefus Chrift , qui vient de m.ourir pour
nous , pour notre Roi & notre Seigneur
véritable ? O mon Sauveur ! quelles ref^
fources peut-il refter à vos miféricordes
infinies pour les pécheurs , fi tout ce que
vous faites aujourd'hui pour eux n'excite
pas leur amour , leur componction &
leur reconnoilFance ; & s'ils obftinent en-
core à périr , malgré la voie que vous leur
ouvrez aujourd'hui par votre fang , pour
arriver à la vie éternelle ?,
Alnji foiî-îL
'75
fC ^^ ^^ ri—-—^^ ^ '^^^
i SERMON
SUR
LA RESURRECTION
DE NOTRE SEIGNEUR.
Traditus ei\ propter delifta nolira , 6c refurrexit
prcpter jufliiicatiûnem iiofiram.
Il a été livré à la mort pour nos péchés , & il çjl
rejjiifàté pour notre juflification, P\.om. 4. 2;.
C'E S T avec raifon , mes Frères , que
TEglife a célébré dès le commence-
ment le grand Myfrere que nous hono-
rons , comme le plus heureux de les jours ,
& fa folemnité par excellence. C'cft au-
jourdliui le grand jour du Seigneur , es
jour que le Seigneur a fait 5 ^ qu'il a fait
plus glorieux pour lui & pour fou Eglife ,
que tous les autres jours. Oui , m.es Frè-
res 5 c'eft en ce jour que le fcandale eft
ôté y que tous les myfteres ignominieux
H4
176 Sur la Résurrection
de Jefus-Chrifl fe développent ; que le fe-
cret de fes foiiffrances eft écJairci ; que
Vohfcunté de fes paraboles efl comprile ,
Ôc le lens àes Ecritures manifcrcé. C'eR
en ce jour que fa miiTion eft autorifée , fou
miniflere reconnu 5 fes promeiTes confir-
mées , fes prédiâ:ions accomplies , fa doc-
trine juftifîée 5 tous fes travaux couron-
nés. C'efl aujourd'hui que les Difciples
chancelans fe raîTurent , que leur trillefîe fc
change eu joie , que leur incrédulité eft
guérie , que les ennemis de la Religion
font confondus 5 que la Foi de tous les fie-
cles eft établie , que la vérité de nos Myfte-
res eft prouvée , que TEglife fort avec fon
Libérateiir triomphante du tombeau , que
la docilité de tous les peuples du monde eft
préparée , ^ tous les efprits d'erreur , qui
doivent s'élever un jour , convaincus de
contradi£i:ion ou d'impofture. C eft aujour-
d'hui enfin , que rimjnortaîité npus eft alfu-
ré:: ; les tribulations de la chair adoucies ;
les foufthnices de notre exil confolées ; &
une vie toute fpirituelle propbfée aux Chré-
tiens.
Oui 5 mes Freies^ Jefus-Chrift étoit
mort pour crucifier le vieil homme ; il reC
fufcitc pour former le nouveau : il étoit
mort pour délivrer des efclaves ; il rtiTuf-
cite pouf apprendre aux enfans à ufer fain-
tement de leur liberté : il étoit mort pour
payer nos dettes ; il rellufcite pour nous
combler de fes grâces : il étoit mort pour
flîuver des coupables j il reftufcite pour
DE Notre Seigneur. 177
inftruire & perfe6l:ionner des Juiîes : il
étoit mort pour fermer les portes de l'En-
fer ; il relliifcite poiîr nous ouvrir celles du
Ciel : en un mot , il étoit mort pour nos
péchés ; il reflufcite pour notre juflilîca^
tion : Traditus eji propter dclicîa nojlra , G"
refiirrcxit propter jiijlijîcat'ionem nQftram,
Pourquoi cela 5 mes Frères ? pour deux
raifons que je vous prie d'écouter avec at-
tention. Premjiérement 5 il reilufcite pour
notre justification ; parce que fa réfurrec-
ticn renferme les miotifs les plus- prellans
que la Religion puille nous fournir , pour
perfévérer dans la grâce de la juftiiicaîion ,
que nous venons de recevoir dans les Sa-
cremens ; c'eft miOn premier point : en fé-
cond lieu , parce que fa réfurreélion nous
propofe les moyens les plus sûrs d'y per-
févérer ; c'eft le fécond. La rciurreétiou
de .Teius-Chrift nous anime à perfévérer
dans la grâce reçue ; nous apprend à y per-
févérer ; elle ei\ le motif & le modèle de
notre perfévérance. Voilà le fens des pa-
roles de mon texte : Traditus eft propter
dcllcici nojlra , (s rcfurrcxit propter jufiifi"
cutîonem nojlram : c'eft là tout le fujet de
ce difcours.
ï . ^•
J— i Es principales fources de l'inconftan- partie
ce des hommes dans les voies de Dieu ,
font ou dans un affbibliilement de la foi ,
qui commence à s'éteindre , Se à jetter une
efpece de nuage fur les vérités de la doc-
trine fainte • ou dans la tiédeur de l'efpé.-
H 5
ly^ Sur la Résurrection
rance , qui n'ouvre plus le fein de la gloire
à leurs yeux , & ne réveille plus en eux le
deiir des biens éternels. Or, la piété chré-
tienne trouve dans le MyRere de la réfur-
reé^ion , des préfervatifs contre ces deux
ecueils; & des motifs très-puiflans pour
perfëvérer dans la grâce , où la participa-
tion aux faints Myfteres a dû vous établir
en ces jours, folemnels.
En effet , en premier lieu , fi l'afFûiblifTe-
ment de la Foi efî d'ordinaire la première
fource de nos rechûtes ; s'il y a toujours
une forte d'incrédulité qui devance le cri-
me ; s'il faut que l'efprit doute en quelque
mianiere des vérités que le cœur abandon-
re ; & que la Religion s'aHbiblille dans une
amje , où la piété s'éteint; qui peut douter
que la réfiirreclion de Jefus-Chrifr ne foit
le grand témoignage delà Foi chrétienne ,
& que tous les autres Myfteres ne trouvent
en celui-ci leur vérité & leur certitude ? En
effet 5 fi Jefus-Chrift n'efi pas reillifcité ,
difoit autrefois l'Apôtre aux Fidèles de
Corinthe , notre prédication eil: inutile ,
votre foi efi: vaine, & nous fommjes nous-
mêmes des im-pofieurs. Mais par une rai-
fcn contraire , fi Jefus-Chriii eft reiiûfcité ,
notre mjiniftere vient donc du Ciel , votre
foi eft certaine . la do£lrine de l'Evangile
eft divine , fés promiefTes font infaillibles.
Oui , mes Frères , fi la vertu du Père a
délivré Jefus-Chrift d'entre les morts , Je-
iu?-Chrift éioiî donc un Envoyé du Ciel ,
pour annoncer aux hommes la dcftrine dw
DE Notre Seigneur. 179
falut. Le Dieu véritable & fidèle n'auroit
pas voulu autorifer Timporture , en la revê-
tant du caradlere de la vérité , S: Tliono-
rant d'une grâce , dont jufqu'à Jefus-Chrii!
aucun homme mortel n'avoir été favorifé ,
puifqu'il reiîufcite pour ne plus mour-ir ;
prodige que Jefus-Chrift lui-même avoit
promis à fes Difciples & à fes ennemis ,
comme le témoignage le plus décifif de la
vérité de fon miinillere. Donc , fa réfurrec-
tion une fois établie 5 tous fes Myfteres font
prouvés, dit S.Auguftin, 6c la foi des
Chî-étiens n'a befoin que de ce feul témoi-
gnage : Rifurrcxlt Chrifluî , abjoluta rzs S.Aug,
Or 5 commie je parle ici à un peuple fidè-
le , qu'il faut édifier , & non pas convain-
cre , je ne m'arrête pas à vous montrer que
tout établit aujourd'hui îa vérité du miracle
éclatant de la réfurreâ:ion du Sauveur. Pre-
mièrement , les précautions mem.es de fes
ennnemis : ils avoient fcelîé le tombeau ; ils
Tavoient environné de foldats ; ils n'avoient
rien oublié pour éviter une furprife. Ils fe
fôuvenoicnt que ce Jefus qu'ils ont crucifié,
avoit prédit qu'il refluiciteroit le troificme
jour ; ils ne paroiiToient attentifs qu'à em-
pêcher les Difciples d^enîever le corps de
leur divin Maître : des e.inemis fi puilians,
fi vigilans , fi intéreifés'à n'être point fiir-
pns 5. n'avoient garde de fe lailfer furpren-
dre. Secondement , la dépofition des Sol-
dats : ils leur font publier , que pendant
qu'ils dormoient , les Difciples font venus
H 6
iSo Sl'r la Résurrection
enlever le corps de leur Maître. Mais fl un
proiond fcmmeil ne leur a pas permis de ]^
voir, con^ment peut-il leur permettre de
axiurer? Bailleurs une^-ultitude de fateî-
lites deinnes à veiller fur le fepukhre & à le
garder , peuvent-ils tous de concert & ea
mêiTie temps , s'être livrés au fommeii , & à
un fommeii fi profond & fi durable , qu e-
tant prefque afiis fur la pierre qui fermoit
î^r^- 1 ^"'^ ' ^^^ ^^^"^ ^^""^ ^^ ^en^Ps aux
l>iiciples de l'ouvrir , d'en tirer le corps
^fL^^rr-'^-Jf' ^^"s qu'un ouvrage fi long, fi
di.iicile , fl impraticable, fans bruit & fans
agitation , n'ait éveillé quelqu'un des Sol-
dats 5 & déconcerté une entreprife {{ témo.
raire & fi mfenfée ? De plus , ces Difciples
coûtent eux-mêmes : ils n'efperent plus
1 accomphiTement àcs promefies de Jcfus-
Chrixt; ils refufent même de s'en rapporter
au témoignage des ùûntes Femmes : des
efpriîs fi groillers & fi incrédules , font
bien éloignés de publier ce qu'ils ne croient
pas eux-mêmes. Troifiémement , ks ap-
paritions du Sauveur. Ce n'efi pas une
•leule fois qu il fe montre à fes Difciples •
on eût pu fe défier de riiluficn ; c'efi fort
iouvent : ce n eftpas en palfant ; l'imagina-
îion irappce peut pour un peu de temps ,
.upplcer a la vérité par fes images , & tranf-
porter au dehors fes propres fonges ; c'efi
pen(îant quarante jours : ce n'eft pas de
loin , & au milieu des airs , où le prefti^re
tut ete probable ; c'eft au' mii.jeu d'eu^ ,
mangeant , buvant avec eux. fc laifiant voir
DE Notre Seigneur. i8i
de leurs yeux &: toucher de leurs mains ,
&. les inftruifant , & leur parlant du Pvoyau-
ine de Dieu : ce n'eft pas à un feuî; il eft
des efprits plus crédules que les autres ;
c'eft à tous en commun , & à pluiieurs en
particulier : ce n'eft pas fous une figure nou-
velle : le changement eût été fiifpeâ: ; c'eft
avec Tes plaies, & tous les traits aufquels
on pouvoit encore le reconnoitre. Enfin ,
le martyre des Apôtres , pour rendre té-
m.oignage à la vérité de ce miracle , dont ils
avoient été témoins: Cujus nos omnes tcjïcs Acï, 2,
fumus. Quel intérêt ont-ils de le publier , ^^*
û Jeius-Chrift n'eft pas reirufcité i Quoi !
ils vont s'expofer aux plus cruels tourmiens
pour établir une doctrine qu'ils croient
eux-ménies fauilé ; ils vont tromper le gen-
re humain , fans attendre d'autre prix de
leur inipoflure que les feux , les roues &
les gibets ! Une faulTe perfuafion , en ma-
tière de Religion fur-tout , peut poufler
des efprits fimiples & crédules à des excès
& à des démarches extraordinaires. Mais
que des pêcheurs grofîîers , que des hom-
mes fans lettres , & de la lie du Peuple ,
entreprennent , de fang froid . d'aller fé-
duire l'univers , & de braver tous les gen-
res de mort les plus afireux , pour publier
que leur Maître eft reïïbfcité , & qu'ils
foient perfuadés qu'il ne Teft pas ; c'eft une
forte d'extravagance dont les hommes ne
font pas capables , & qui deviendroitun plus
grand prodige , que tous ceux mêmes que
i'incr.édulité contefte à la foi des Chrétiens.
i82 Sur la Résurrection
D'ailleurs ces Difciples ont abandonné
Jefus-Chrift pendant la vie , tandis qu'ils
le regardoient encore comme le Libéra-
teur promis à leurs pères, & le Chrift Fils
du Dieu vivant ; & ils le confefiérent gé-
néreufementfur les échafauts après fa mort,
lorfqu'ils ne doivent plus le regarder que
comme un fédu^leur , qui n'eft pas reiTuf-
cité félon fa promelie ? ils verferont tous
leur fan g pour un ho mime qui a abufé de
leur crédulité ' ils fe répandront dans tout
l'univers , com.me des défefpérés , pour
débiter un fait qu'ils croient fabuleux ? &C
parmi tous ces hommes foibles & timides ,
aucun d'eux ne fe démentira , &: ne confef-
fera au milieu des tourm^ens , fa fureur ni
fon extravagance ? Mais je fens que j'in-
fifte trop long- temps fur une vérité fi écla-
tante 5 & que votre religion eft bleffée des
foins que je fembie prendre pour la jufti-
fier.
Or voilà , mes Frères , comme la réfur-
rcétion du Sauveur foutient la foi de l'hom-
me jufte : il voit dans ce Myftere toute la
Religion allurée ; les châtimens dont elle
menace ^ certains ; fes promicflés , infailli-
bles ; fes préceptes 5 néceffaires ; fes con-
feils , importans ; fes obfervances , refpec-
tables ; le plus fimple détail de fon culte ,
digne de nos hommages. Dès-là que Jefus-
Chrift eft refTufcité , ah ! dès- lors je ne
trouve plus rien de (1 grand que la vertu ;
lien de plus à craindre que le vice ; rien de
plus infenfé que de négliger le foin de fon
DE Notre Seigneur. 183
ame ; rien de plus fage que de facrifîer <m
falut. Des-là les dérifions des impies fur la
fainteté de nos Myfteres , font des extra-
gances que j'ai peine à comprendre , & des
blafphémes dont j'ai horreur; les réflexions
des lages du monde fur les faintes obfcuri-
té de la Foi , des difcours d'enfant. Dès-
là l'Evangile me paroît ma feule règle ; les
exemples de Jefus-Chrift , mon modèle ;
les terreurs de la piété , des dons de Dieu;
la fécuriîé des libertins , une fureur déief-
péréc ; en un mot , l'infidélité aux grâces
reçues, & les rechûtes Idans les premiers
défordres , le plus grand des malheurs , &
le caraâ:ere des réprouvés.
Or 5 mes Frères , quoi de plus propre
à mettre un frein à Finconftance du cœur
de l'homme , &: à l'établir dans une piété
folide & durable , que ces grandes véri-
tés ? Ah ! aufii les Difciples , tém^oins de
la réfurreclion de Jefus-Chrift , ne fe dé-
mentent plus ; ils perfeverent tous jufqu'à
la fin dans la prière , & dans le miniftere
de la parole fainte ; il ne fe trouve plus
parmi eux de Judas , qui abandonne la vé-
rité connue. Dès que le Seigneur a apparu
à Pierre , c^t Apôtre ne retombe plus , 8c
confirme même fesfreres. Apeine Thomas
a-t-ii touchés les cicatrices gîorieufes de
fes plaies , qu'il adore fon Seigneur &c fon
Dieu 5 &: demeure à jamais fidèle. Les
Difciples dEmm.aiis ne l'ont pas plutôt re-
connu à la fraction du pain , qu'ils retour-
nent à Jerufalem fe réunir aux autres Dif-
i?4 Sur la Résurrection
ciples. Ah , mes Frères ! ne fommes-nous
pas tous ici les témoins de la réfurredion
de Jçfus-Chrift? ne fommes-nous pas les
enfans des Saints ^ qui le virent & qui i'a-
dorerent fur la montagne de Galilée? Nous
avons vu de leurs yeux , & touché de leurs
mains : nous avons même fenti , en ces
jours heureux 5 Jefus-Chrift reiîufcité au
dedans de nous parla grâce des Sacremens.
Eh ! pourquoi retournerions -nous donc
encore en arrière ? pourquoi rentrerions-
nous dans nos premières voies ? Si ce Myf-
tere rend notre foi inébranlable, pourquoi
laifferoit-il encore des inconftances à notre
cœur ? S'il feroit monftreux , après tant
de preuves , dit S. Auguftin , de ne pas
croire ; Feft-il moins de croire , & de vi-
vre comme (i Ton ne croyoit pas ? Un Fi-
dèle perfuadé qu'il relTufcitera pour jouir
d'un bonheur éternel , ou pour être livré
à àes flammes éternelles , peut-il oukiier
un fi grand intérêt , durant le feul inftant
qu'il paroit fur la terre ? & fi les biens fu-
gitifs , qui n'ont rien de réel y & que nous
ne goûtons qu'un moment , peuvent nous
féduire , la véritable félicité , des biens
,fansfin&fansmefure5une éternité de gloi-
re , de magnificence , de vrai bonheur ,
qui nous eft aujourd'hui montrée , ne fau-
roit-elle nous détromiper , & diHiper pour
toujours l'erreur.qui nous a fait prendre le
change , prendre l'ombre pour la vérité ,
la terre pour le ciel , & un temps qui fe pré-
cipite & qui va finir demain , pour Téternité
DE Notre Seigneur. 185
Second motif que je prends dans ceMyf-
tere , pour nous animera conferver la grâ-
ce reçue en ces jours faints. Non- feulement
ce Myftere aiîermit notre foi , mais encore
premièrement 5 il ralFure notre efpérance ;
iecondement , il la conlble -, troifiémement
il la corrige. La réfurredtion de Jefus-
Chrift railure notre efpérance. Nous fa-
vons 9 dit TApôire , que nous lui ferons un
jour femblables 5 & que nous fuivronsla
deftinée de notre Chef; nous favons qu'é-
tant le premier né d'entre fes frères , il ne
doit être que les prémices heureufes de
ceux qui dorment pour relfufciter ; & qu'u-
ne portion de notre nature n'a été délivrée
en lui de la mort &: de la corruption , que
pour fervir de g^^g^ k rcfpérancê de îa na-
ture entière : nous favons que fa réfurrec-
tion feroit inutile , fi nous ne devions pas
rcirufciter avec lui ; qu'il feroit dans le Ciel,
fans Eglife , fans facerdoce , fans facri-
fice ; & qu'il n'y feroit pas notre Pontife
éternel , s'il n'oifroit pas éternellement fon
corps myRique à fon Père. Ainiî nous fa-
vons que nos frères , qui nous ont précédés
avec le figue de la Foi , & qui dorment en
Jefus-Chriil dans le fommeil de la paix &
de l'unité , n'ont pas péri fans reffource ;
qu'il ont difparu à nos yeux , mais qu'ils
attendent la bienheureufe efpérance ; que
leurs corps ont été brûlés , tramés , dé-
chirés 5 mis en poufliere , la pâture des oi-
feaux du ciel , ou des animaux de la terre ;
mais que celui qui appelle les chofes qui ne
i26 Sur la Résurrection
font pas 5 comme celles qui font , rafTem-
blera des quatre vents les portions difper-
fées de leur chair ; démêlera dans toutes
les créatures ce qui appartient à fes Elus ;
reprendra.leurs reftes précieux que la révo-
lution des tem.ps , & la viciÏÏitude des cho-
fes a confondus , & qui font connus de lui
feul 5 & que pas un cheveu de leur tête ne
périra.
Or 5 dans ce fouvenir , mes Frères , que
de puilTans motifs pour affermir une aine
dans la grâce & dans le fervice de Dieu !
Je relfufciterai avec cette chair que je vais
deshonorer ; je la porterai aux yeux -de
Jefjs-Chrift & de fes Anges j encore mar-
quée des taches honteufes de mes ini-
quités. Hélas ! fi tout devoit mourir avec
moi 5 je pourrois tout permettre à mes
defirs corrompus : mais l'impie relfufcitera
comme le Jufte : la trompette fatale éveil-
lera 5 fans égard , tous ceux qui repofe-
ront fous l'empire de la m.ort : il faudra re-
paroitre fur la fcene à la face de tout l'uni-
vers ; & voir revivre des œuvres de ténè-
bres 5 que je croyois enfevelies dans un
éternel oubli. Quoi ! pendant toute l'éter-
nité 5 la honte de l'adlion que je vais com-
mettre 5 me fera reprochée ? ni les fiecles ,
ni les années , ni les tourmens , n'efface-
ront jamais cette circonftance honteufe de
ma vie ? un plaiiir fi rapide . qui n'eft déjà
plus lorfque je le goûte , &: dont je me
difpute moi-même , en le goûtant , la fauffe
douceur, par des remords &: ùqs agita-
DE Notre Seigneur. 187
tlons fecrettes ; ce moment fî fugitif fera
écrit dans le Livre des vengeances du Sei-
gneur en caractères immortels ; fera fcellé
dans les tréfors de la colère divine , & du-
rera autant que la juftice de Dieu même ?
Grand Dieu ! puifque mes afbions , mes
paroles , mes penfées , mes defirs , doi-
vent vivre à vos yeux pendant les années
éternelles , foute nez m.a foiblelTe ; & fai-
tes entendre à mon cœur 9 qu'un Chrétien
ne doit plus rien fe permettre 5 qui ne foit
digne de l'éternité !
En fécond lieu 5 la réfurreâion de Jefus-
Chrift confole notre efpérance. Car , mes
Frères , fi la piété a fes douceurs , elle a
aufTi fes amertumjes ; & les combats éter-
nels 5 ou qu'il faut fe livrer à foi-même ,
eu qu'il faut foutenir du côté de prefque
tous les objets qui nous environnent , en
font les épines & les violences. La vertu
ne fe conferve que par des facrifîces conti-
nuels ; & fi vous vous relâchez un mo-
ment 5 vous êtes perdu ; les pafîions re-
nailfent , ce femble , de leur propre dé-
faite : vous croyez avoir réfifté jufqu'au
fang 5 & rem.porté la victoire , qu'il faut
recom.mencer le combat. Or, on fe laiTe
d'être toujours aux prifes avec foi même ,
de porter toujours un Royaum.e divifé au-
dedans de foi : on panche naturellement à
vivre d'intelligence avec fon propre cœur ,
&: à jouir tranquillement de foi-même ;
& voilà lafource la plus commune de nos
rechûtes.
i88 Sur la Résurrection
Or 5 dans ces dangereufes épreuves ,
rien ne foiitient & ne confole Famé fîdele ,
comme refpérance de la rédiredion : elle
fait que ce corps de pcché qui l'appefantit ,
fera bientôt conforme à la refTemblance de
celui de Jcfus-Chrill glorieux & relTufcité.
Ainfi loin de s'abattre' fous le poids de fa
chair , elle fcnt que fa délivrance s'appro-
che : p]us Fange de Satan la prclTe , plus le
defir d'être délivrée de ce corps de m.ort ,
augmente : plus l'aiguillon du péché fe fait
fentir , plus elle fouhaite fa dilTolution ^l
fa réunion avec Jefus-Chrift : elle trouve
dans fa foiblefle une nouvelle force ;,fe3
tentations portent avec elles leur remède ;
&: tous les mouvemens qui FavertiiTent du
fond de fa corruption 5 la confolent par
l'efpérance de l'immortalité , qui la déli-
vrera de toutes fes miferes.
Dans les tribulations qui arrivent au
Jufte 5 du côté des créatures , il n'en eil
aucune que cette efpérance n'adouciile.
Job 5 fur fon fumier , voit tranquillement
Joh.^o, foncorpo tomber en pièces : Je fais , dlt-il,
25' 26. q^Q ^Q^ Rédempteur ejl vivant ; que je ref-
fufcitcrai de la terre au dernier jour ; que je
verrai mon Dieu & mon Sauveur avec cette
même chair , dont les vers & la pourriture
Ihid t' ^^"^ ^'^'^'^ ^^^'^ "^ cadavre. Cette douce efpé-
17. * ' rance ejl cachée dans mon fein. Et il ne
faut que cela , mes Frères , pour confoler
toute la rigueur de fes peines : Repojïta ejî
hœc fpes mea in finu meo. Nous nous ré-
jouilfons dans les tribulations , difoient les
DE Notre Seigneur. 189
premiers Fidèles , parce que nous atten-
dons JefiisChrirt du haut du ciel , qui ré-
formera la bairclie de notre corps , afin de
le rendre femblable à la gloire & à la clar-
té du fien , & que notre efpérance eft cer-
taine. Dans cette attente , on nous maudit ,
& nous béniiîbns : on nous charge di
chaînes , & nous fommes libres : on nou:;
foule aux pieds , & nous ne fommes poinr
abattus ; & nous avons toujours la tête
levée pour voir notre délivrance qui appro-
che. Ainfi parloient autrefois, par la bouche
de l'Apôtre , des Fidèles opprimés , per-
fécutcs , profcrits , traînés dans les pri-
fons & fur les échafauds ; il n'étoit plus de
tourmens û afircux qui ne leur paruffent
doux , dans la vue de la bienheureufe ef-
pérance.
AufTi , mes Frères , ils crcyoient fans
ceffe voir arriver Jefus-Chrift du haut des
airs : ils croyoient que chaque jour alloit
être le jour tant defiré de fon avènement :
c'étoit une erreur d'amour. On croit tou-
jours toucher à ce qu'on defire avec ardeur ;
& les Apôtres avoient befoin de toute leur
autorité , pour caLmer là-deiÏÏis la vive im-
patience de ces faints Difciples. Jefus-
Chrift lui-même avoit cru devoir prévenir
les pièges qu'on pouvoir tendre un jour far
ce point à la vivacité de leurs emprelTe-
mens , & à leur crédulité . en les averîif-
fnnt de n'ajouter pas foi trop facilement à
ceux qui viendroient leur annoncer qu'il
alloit paroître : Nolitc crcdcre, D^~la au
ipo Sur la Resurrectio!^
milieu des tourmens , ils défioient , avec
une fainte fierté , la barbarie des tyrans :
Vous pouvez bien déchirer nos corps , leur
difoient ils , le Spedateur célefte de notre
confeifion nous les rendra plus glorieux 8c
plus éclatans : les plaies cruelles , dont
vous défigurez nos membres , fe change-
ront en des rayons de lumière ; & votre
inhumanité augmentera notre gloire. Tel
étoit l'eTprit de ces fiecles heureux : une
vaine fpiritualiîé n'avoit pas encore interdit
ces divines cocfolations à la vertu : on n'a-
voit pas encore fermé le fein de la gloire
aux Fidèles , pour les en rendre plus di-
gnes : on n'avoit pas encore fait une per-
feâ:ion monfiriieure d'être indifférent aux
promefies de la Foi , pour y arriver plus
furemenf.on auroit en horreur de penfer
que le falut dût être le fruit affreux du dé-
fefpoir , ou de l'indifférence pour le falut
même ; & la bicnheureufe efpérance étoit
alors toute la piété & toute la perfedion
des Fidèles.
En effet , le Jufie feroit à plaindre s'il
n'y avoit pour lui d'eipérancé qu'en cette
vie. Si Jefiis-Chrifl n'eft point reffufcité ,
difoit autrefois l'Apôtre , & que nous n'ef-
pérlons en lui que pour cette vie , nous
fom.mes les plus malheureux de tous les
I. Cor, hommes : Si in hac vita tantàm in Chriflo
^ ^ * ^^' fpcrantes fumus , mifcrabiliores fumu; omnU
busIiGminibiis ; telle eil la deftinée du Chré-
tien. L'Evangile en un fens ne fait que des
malheureux félon le monde ; fes maximes
DE Notre Seigneur. 191
font triftes , & ne promettent rien de trop
agréable ici- bas ; & s'il n'y a plus rien à
efpérer après cette vie , rien n'égale Tinfor-
tune d'un difciple de Jefus-Chrilî. Or , fur
cette vérité inconteftable , vous n'avez ,
mon cher Auditeur , qu'à vous décider
vous même , pour connoître (i vous êtes
difciple de Jefus-Chrifl , ou enfant du fie-
cle 5 & par conféquent enfant de mort Sc
de perdition : la règle eft sûre. Sil n'y
avoit point de réfurrection à efpérer, fe-
riez-vous à plaindre ? Si vous n'attendiez
qu'un anéantilfement éternel après cette
vie 5 vous faites-vous affez de violence en
celle-ci , prenez- vous allez fur vous-même ,
mortifiez-vous afîez tous vos defirs , cru-
cifiez-vous afiéz votre chair , fouffrez-vous
alTez les mépris &: les injures , fuyez-vous
aifez les plaifirs , vivez-vous alfez féparé
du monde , veillez-vous afTezfur vos fens,
êtes-vous affez détaché de la gloire , des
Liens périffablcs , pour dire avec l'Apôtre :
Si nous n'efpérons en Jefas-Chrijl que pour Ihid,
cette vie , nous fommes les plus malheureux
de tous les hommes. Quand la Religion fe-
roit un fonge , qu'y perdriez- vous ? quand
tout ce qu'on nous dit de la réfurre6tion
à venir , &: des promieffes de la Foi , fe-
roient de fables , feriez-vous fort trempé
dans vos mefures ? quand tout mourroit
avec vous , auriez- vous de grands repro-
ches à vous faire au lit de la mort , fur ce
que vous n'auriez pas fait votre bonheur
de la vie préfente ; fur les plaifirs dont vous
1^1 Sur la Resurrectiom
vous y êtes abitenu ; fur les facrifîces , les
violences , les auftérités , les privations
que vous avez fouffert pour une éternité &
une avenir chimérique ? Si l'on venoit vous
déclarer que la Foi des Chrétiens eil une
invention humaine , trouveriez- vous beau-
coup à changer dans vos mœurs , dans
vos projets , dans vos affaires , dans toute
votre conduite ? Ah î les premiers Fidè-
les avoient droit de dire , que fi Jefus-
Chrift n'étoit pas reiTufcité , tout étoit
perdu pour eux. Des infortunés qui facri-
fioient tout à cette efpérance , qui fouf-
froient la faim . la foif , la nudité , l'exil ,
l'infamie , la perte des biens & de la vie
pour lui plaire^ &: dans la feule efpérance
S.Ignat. d'aller jouir de lui : Tantiim ut Chriflo
Mdvt. fruar ; des hommes qui n'avoient aucune
confolation fur la terre ; qui fe difputoient
les plus légers plaifirs ; qui regardoicnt la
vie préfente comme un exil , comme une
vallée de larmes ; ces hommes pouvoient
aiîurer hardiment , que s'il ne devoit point
y avoir de réfurre6^ion , rien n'égaloit leur
malheur fur la terre. Mais vous à qui la
Foi en Jefus-Chrift ne coûte rien ; vous
qui ne facrifiez à fespromeifes , ni plaifirs ,
ni goûts 5 nifuperfluités, ni penchans ;vous
qui fous FEvangile vivez aulli doucem.ent ,
aufTi agréablement , aufii mollement , que
fai-je ? auHi licencieufement peut-être ,
qu'on vit parmi ces nations infidèles , où
fon nom n'eit point connu ; qu'il foit relfuf-
cité 5 ou qu'il ne le foit pas , vous n'en
■ êtes
DE Notre Seigneur. 193
êtes ni plus ni moins à plaindre; la fai-uTeté
ou la vérité de fes promeiîes , ne change
rien à votre deilinée ; & dès- là vous n'êtes
plus Chrétien ; vous n'appartenez plus à
Jefus-Chrift ; vous n'avez plus de droit à
fon efpérance.
Et voilà en dernier lieu , comme la ré-
furre(B:ion de Jefus-Chriil: , non- feulement
allure o^confole , mais encore corrige notre
efpérance , en nous propofant les moyens,
qui feuls nous donnent droit d'efbérer ; en
nous faifanî entendre qu'il nciï pus poffible
de chercher fa félicité fur la terre , & d'ef-
pérer en Jefus-Chrifl , & que le iid2lQ qui
ne fouiTre rien ici-bas , ne fauroit auili rien
efpérer pour l'avenir.
Mais ce n'eil pas par cet endroit feul que
la réfurrediion de Jefus-Chrifl corrige no-
tre efpérance. En eiTet , une àes caufes les
plus ordinaires de nos rechûtes après la fo-
îemnité , eft de nous perfuader que le retour
à la grâce eft facile , & ainfi d'efpérer con-
tre ïefpérance. Or , le Myitere de la ré-
furrection de Jefus-Chriit corrige cette er-
reur fi commune &: Il dangerenfe ; car le
bienfait de la réfurrecticn n'a été en lui que
le prix du plus douloureux de tous les fa-
crifices ; &: il n'a mérité fa délivrance du
tombeau, qu'en devenant l'homme de dou-
leurs. Or la réfurrecticn de Jefus-Chrifl
e(l le m.odele de la nôtre ; c'erL-à-dire j cme
Çi nous retombons 5 il faudra palferpar de
terribles épreuves 5 pour arriver au renou-
vellement de la pénitence. Si je retombe ,
Myflerc. I
194 Sur la Résurrection
ô Dieu ! que ce plaifir rapide & frivole va
ine coûter cher ! quel calice à boire , pour
recouvrer la vie & l'innocence que je vais
perdre ! Je ne fai déjà que trop moi-même
ce qu'il en coûte pour revenir à Dieu ,
quand on a eu le malheur de s'éloigner de
lui ; & ce que les commencemens d'une
converfion ont de terrible pour le cœur :
eft- ce qu'après une rechute , cette entre-
prife aiiroit moias de difficulté ? Mais mes
mauvais pcnchans feront encore plus diffi-
ciles àfurmonter, mes chaînes fe feront for-
tifiées , mes foibles defîrs de falut refroi-
dis , le yeux du public même plus redou-
tables 5 par les inégalités de ma conduite ;
tout demandera de nouveaux efforts , tout
deviendra plus dégoûtante plu* pénible:
or , h j'ai eu tant de peine à faire une pre-
mière démarche que tout fembloit facili-
ter ; commicnt pourrois-je fi fort compter
fur une féconde , où tout m'offrira de nou-
veaux obfiacles ? Ainfi s'affermit dans la
perfcvérance une ame fidèle.
Mais 5 d'ailleurs , la grâce d'une féconde
pénitence vous fera-t elle accordée ? Se-
conde raifon que nous fournit ce Myfîere.
Sa^ez vous bien ce que c'ell que la grâce
de la converiion ; cette grâce qui nous fait
pafîer de la m.ort du péché à la vie & à la
réfurrection de la Juftice ? Ecoutez l'A-
pôtre, qui va vous l'apprendre : La mê-
me vertu furéminenîe de Dieu « dit^iî ,
qui a opéré fur Jefus-Chrifl pour le déli-
vrer d'entre les morts , doit opérer fur
DE Notre Seigneur. 195
nous ; pour nous retirer des voies des la
mort & de la perdition , pour nous faire
revenir à la vie de la grâce ; c'eft-à-dire ,
qu'il eft vrai que la réfurreé^ion fpirituelle
du pécheur , eft un ouvrage aufîi grand
pour Dieu que la réfurreclion corporelie
de Jefus-Chrift , que le miracle ell: ici égal ;
qu'il a befoin d'une vertu auiîi éclatante
pour l'un que pour l'autre ; & que s'il y a
quelque différence à faire , c'eft qu'en rcA
fufcitantron Fils , il commande à la mort ,
& il eil obéi , & la mort qui entend fa voix
ne réfifte point à fes ordres ; au lieu qu'ea
refRifcitant le pécheur , il commande à un
cœur corrompu , &: ce cœur fe défend ;
& ce cœur ou ne veut pas l'entendre , ou
même après l'avoir entendu , réfidQ k fes
ordres , &: repouffe la main , qui vient le
retirer du tombeau , ôc des ombres de la
mort. Or , étes-vous en droit d'attendre
de lui une féconde fois une faveur auiïî
fignalée ? pouvez-vous vous flatter qu'il opé-
rera encore une fois pour vous un prodi-
ge 5 qu'il n'a opéré qu'une fois en faveur
de fon Fils ? Qui ctcs-vous donc pour
vous promettre témérairement des coups
il miraculeux de la Puiffance divine ? De
toutes les grâces , celle de la converfion ,
eft la plus rare ; & vous la regarderiez com-
me une faveur de tous les jours ? Que fa-
vez-vous fi le Seigneur , après avoir fait
une fois éclater fur vous les merveilles de
fa miféricorde , en rompant les chaînes de
Ja mort &: du péché qui lioient- votre ame,
I 2
196 Sur la Résurrection
& en vous f a ifant revivre avec Jefus-Chrift
refTufcité d'une vie nouvelle , ne manifef-
tera pas à l'avenir en vous la févérité de
fa Juilice , en vous livrant pour toujours
aux defirs de vos pafTions infenfées ? Nous
lifcns bien dans les Livres faints que La-
zare 5 que la fille de Jaïre , que le jeune
lioîr.me de Naïm furent reirufcités ; mais
cous ne lifons pas qiHî ce bienfait fignaîé
leur ait été encore accordé. La féconde
mort fut pour eux la dernière ; &: dans
cette image 5 on veut nous faire compren'
dre . que le miracle d'une féconde réfur-
redion efl rarement accordé au pécheur.
Confervons donc précieufement , mes
Frères , un îréfor fi difficile à recouvrer 5 (î
nous avons été ailez heureux que de ref-
fufciter avec Jefus-Chrift dans la partici-
pation des faints Myfteres. Ah ! îi vous
connciîîiez , mes Frères , ce que vous per-
dez en perdant la grâce fan6^ifîante : fi vous
faviez que la perte de l'Univers entier n'eft
rien à fon égal : fi vous penfiez que c'efi: le
prix du Sang de Jefiis-Chrift , & le feul
fruit des fouffrances dont vous venez d'ê-
tre témoin : fi vous faifiez réflexion que
c'eil la dragme précieufe dont on acheté
réte rniîé : fi vous pouviez comprendre que
vous perdez tout ce que vous pouvez per-
dre de plus grand; tout ce que les créa-
tures 5 & le monde entier ne fiuroit vous
remplacer; que vous perdez ce que vous
ne pouvez plus recouvrer de vous-mê-
me 5 ce que celui feul que vous ofFenfez
DE Notre Seigneur 197
peut vous rendre ; que vous perdez ce que
tant de réprouvés fouhaiteront pendant
toute l'éternité , ce qui fera la félicité de
tant de Juftes dans le Ciel , ce qui eft re-
fufé à tant de pécheurs fur la terre : û vous
le pouviez comprendre , fans doute ce fou-
venir vous animeroit à perfévérer dans le
fervice de Dieu , où la grâce des Sacre-
mens vient de vous faire entrer. Vous ve-
nez d'en voir les motifs dans la réfurrec-
tion de Jefus-Chrift ; il faut vous en décou-
vrir les moyens que nous fournit le même
myftere.
ji
PARTIE
Efus-Chrijl rejfufcité d'entre les morts , ne ^^l:^
meurt plus , dit l'Apôtre : la mort n'a plus
d'empire fur lui , parce que fa Réfurre£tion Kom.
renferme un renouvellement entier & par- ^' ^'
fait ; qu'il n'a plus rien de terreftre au for-
tir du tombeau ; & que la mort a été abfor- I- Cor,
bée dans fa propre victoire. Or voilà le mo- ^^* 54*
dele & le moyen de notre perfévérance.
Voulez- vous donc ne plus retomber , mes
Frères ; il faut que tout ce qui éîoit en vous
de terreftre & de m.ortel foit détruit ; pour
ainfî dire , & que vous foyez un homme
tout renouvelle & tout célefte. Une paf-
fion négligée conferve toutes les autres ;
une feule plaie flattée attire fur elle les mau-
vaifes humeurs de tout le corps. Ainfî vo-
tre attention doit redoubler , votre vigilan-
ce croître ; & comme Jefus-Chrift n'a
compté fes travaux finis , & fa viéioire af-
iurée 5 que lorfque la mort a été entière-
13
198 Sur la Résurrection
ment abforbée en lui , & qu'elle n'a plus
eu ni armes , ni aiguillon , pour parler avec
TApôtre ; tandis qu'il vous reliera des paf-
iîons à combattre , des defîrs à réprimer ,
des vertus à perfeâionner , vous devez re-
garder votre réfurredion comme impar-
faite 5 & avancer fans cefle dans la reiTem-
blance de l'homme nouveau.
Cependant , l'erreur commune regarde
le temps Parcal comme un temps de relâche,
ment 5 de repos , de liberté , & de plaifîrs.
Mais je le répète , fî vous voulez conferver
la grâce de la réfurredion , il doit être pour
vous un temps de renouvellement & de fer-
veur ; en voici les raifons ; elles me pa-
roiffent dignes de votre attention.
En premier lieu , il n'eft que trop vrai
que la plupart des Fidèles croient avoir
droit de fe déîaffer , & de donner moins de
foins à leur falut éternel , quand une fois ils
font arrivés au bout de cette carrière de
pénitence ; qu'ils ne font confiner le privilè-
ge de la réfurreéiion que dans des m^œurs
plus douces 5 dans un ufage plus libre des
plaifirs de la table , du jeu , des fpedacles ,
& dans la rareté des prières publiques Se
des autres devoirs de la Religion. Or ,
pour faire fentir d'abord l'illufion d'une er-
reur fi vulgaire , & injurieufe à la fûnteté
de ce temps , il fuffiroit de vous dire que
l'alIégrefTe de l'Eglife en ces jours heu-
reux 5 n'eft fondée que fur la victoire que
Jefus-Chrift &: tous les Fidèles avec lui ,
remportent aujourd'hui fur le péché ; que
DE Notre Seigneur. 19.9
votre retour à la grâce fait tout le fujet de
fes cantiques de joie ; & que fi vous êtes
encore dans le péché , elle eil: encore cou-
verte d'un deuil invifible , & gémit , en fe-
cret devant fon Epoux : qu'ainfi . elle ne
paroît en ce jour triomphante & environ-
née de gloire , que pour célébrer le triom-
phe de la grâce fur vos cœurs ; & qu'elle
vous regarde comme autant de captifs ,
qu'elle vient de délivrer de l'empire de la
mort 5 &: de la puillance àes ténèbres. En
un mot 5 c'eft la dellinée de votre confcien-
ce qui décide toujours de fa joie • on de
fatriflelTe. Car d'ailleurs le temps de la vie
préfente n'eftpas le temps de fa joie ; étran-
gère 5 éloignée de fon EpouK , déchirée
par les fchifmes & les contentions . dcsho-
norée par les fcandales , afiligée par les
chûtes de (qs enfans , elle gémit fans celTe ;
elle foupire après fa délivrance ; 6c fes
chants de joie ne fauroient être que des de-
firs d'éternité , & de vifs empreffemens
d'être réunie à i'Eglife du Ciel , dont fon
Epoux elt le Pontife viable. Mais lailFons-
làles raifons qui la regardent elle-fcule ; &
arrêtons-nous à celles que nous fourniffent
nos propres difporiticns.
En effet j, en fécond lieu . iî après des
mœurs céfordonnécs 5 ce une vie toute
criminelle , vous avez été allez heureux ,
pour recouvrer en ces jours votre inno-
cence par la grâce des Sacremens y &
vous réconcilier avec Dieu , vous êtes
donc de nouveaux enfans de la grâce ,
I A
200 Sur la Résurrection
vous ne faites que de naître dans la juftice
&: dans la fainteîé : or , dans cet état d'en-
fance & de foiblede , comme vous êtes
plus aifé à féduire & à ébranler , il vous
faut auiïl plus de précautions , & plus de
fecours poui vous foutenir. D'ailleurs , {î
vous ne faites que de fortir de vos mœurs
criminelles , vous n'avez donc encore rien
£iik pour les expier : vous avez gémi au
Tribunal , il eft vrai ; vous vous y êtes dé-
claré pécheur ; vous y avez porté des {en-
timens vifs de componâ:ion , & une dc-
teftaticn fincere de vos crimes : nous y
avons eiïiiyé vos larmes , recueilli vos fou-
pirs , & conf^olé votre douleur , qui nous
rempliflbit nous-mêmes de confolation ;
mais ioin-CQ là les fculs fruits de la péni-
tence ? une vie entière dcplaiiirs & de dif^
fipation feroit-elie effacée par quelques
larmes paîTagercs ? & le péché feroit-il
expié dès qu'il eft remis ? Or, ii vous êtes
un nouveau Pénitent , eh ! où font ces tranf-
ports de zcle ,. cette indignation contre foi-
niême , cette avidité de fouifrance , qui
font toujours les prémices dé l'Efprit de
Dieu dans un cœur touché ? Vous n'avez
pas encore corn nencé , 2^ vous voulez
vous permettre des adouciilemens , que
les plus juil-es , après de longues années
de pénitence , n ofcroient encore s'accor-
der ? Eil-ii temps de fe repofer à l'entrée
même de la carrière ? Il peut arriver quel-
quefois que fur la fin de la courfe , on fe
lelache i & que la ferveur fe rallentiife
DE Notre Seigneur. 201
après pîuiieiirs années d'aufléritc : mais
du moins les commencemens ont été fer-
vens. Le Roi de Ninive fe met fous la
cendre , déchire fes vêtemens , afllige fa
chair par le jeûne & par le cilice : c'ell le
cara^lere de la première grâce ; hs efforts
qu'elle infpire d'abord font héroïques ; '6c
c'eft alors que le pécheur nouvellement
touché , a beioin de frein , & qu'il faut que
la ?age{fe d'un condudeur m.odere les fîiil-
lies , Se arrête l'impétuoiité du zeîe , èi de
l'efprit qui l'anime.
Mais vous , mon cher Auditeur , iî
vous comm.encez par la chair , comment
finirez-vous par l'efprit ? û vos premiè-
res démarches commencent par être îic-
des & lanp,uiirantes , comment foutien-
drez-vous les fecoulfes , les ennuis , les
dégoûts inféparables des fuites & de la
durée ?
De plus . votre propre expérience vous
apprendra que les tentations ne font jamais
plus violentes , que dans un com.mence-
mient de nouvelle vie. C'eft alors que le
démon furieux d'avoir laiile échapper fa
proie 5 met tout en œuvre pour la recou-
vrer : c'eft alors qu'il multipiie les atta-
ques , qu'il change tout en pièges , qu'il
reveille toutes les payons encoie à demi
vivantes , qu'il répand des dégoûts cc des
am.ertumes fur toutes nos démarches, qu'i-l
raflembie tous les obftacles , qu'il groilit
les difficultés ; en un m.oî y qu'ilépuife t©i2$
fes artifices , pour rentrer dans la mai Ibud^
Ï5
202 Sur la Résurrection
notre ame avec fept efprits impurs encore
plus méchans que lui. Or , li les tenta-
tions font d'un côté plus vives , la piété de
l'autre ell alors plus foible. C'eft une étin-
celle à peine allumée , 8?" qu'il faut entre-
tenir à force de foins & de m.énagemens :
c'eft une jeune plante que le vent le plis
léger eft capable d'abattre ; la moindre
ardeur des tentations, de faire féchcr. En
quel temps donc la fidélité & la vigiiarice
furent jamais plus nécelfaires ? Seriez-vous
fage de nepcnferqu'à vous rcpofcr & de
n'être point fur vos gardes , dans une con-
jon^iure où tout fe difpofe à vous atta-
quer ? N'eil-ce pas alors que la retraite^
la prière, l'éloignement du monde & des
plaiiirs , le commerce des gens ce bien ,
la pratique des œuvres de miféricorde, la
leâure des livres faints font pîu^ que ja-
mais de faifon ; & qu'aller expofer i;n tré-
for 5 que vous portez dans un cœur , fi
peu inflruit encore à fe défendre , c*eft
vouloir sûrement le perdre.
Enfin , je n'ajoute pas que l'Eglife en
cefaint temps , fournilîant moins de fecours
extérieurs à la piété des fidèles , vous de-
vez remplacer ce défaut par un renouvelle-
ment de zele & d'attention. En effet, dans
les jours de pénitence , dont nous venons
de fbrtir , il fembl© que la foi & la piété
étoient fcutenues par les dehors tout feuîs
du cuite. L'aiîiflance plus aiîidue à nos
Temples ; îa parole de l'Evangile plus
fouvent & en plus de lieiix annoncée j les
DE Notre Seigneitr. 203
prières de l'Eglife plus longue- & pîjs fo-
leninelles ; tout cet appareil de deuil & de
triftefie dont elle éroit couverte; le Touvc-
nir des MyHeres douloureux qu'elle nous
rappelloit ; la loi des jeûnes & des abili-
iiences ; les plaifirs publics fufpendus ; la
liberté des tables modérée ; le crime obli-
gé prefque de fe cacher , ou du moins de
le ménager ; le devoir Pafcal , auquel , fî
vous exceptez un certain nombre de pé-
cheurs invétérés , &: abfolument abandon-
nés de Dieu , tout le relie fe mettoit en
état de fatisfaire ; tout cela pouvoit fervir
de foutien à une piété naifTante. Mais dans
le temps où nous allons entrer .la vertu ne
trouve prefque plus rien dans \qs dehors
de la Religion , qui l'aide , qui la réveille j
qui la défende : toute la beauté de la Fille
du Roi eft , pour ainii dire , au dedans..
L'Eglife fuppofant que nous fommes de-
venus des hommes tout fpiriiucls & cé-
leRes par la réfurreclion , fournit à notre
piété moins de fecours fenubles; les jeûnes
celîent ; les prières publiques dimj'nuent ;
les chaires chrétiennes fe taifeat ; les céré-
monies du culte font plus unies & plus (im-
pies; les folemnités finifTent ; la révolution
des Myfteres s'accomplit ; l'Eglife de la
terre reiTufcitée eft une image de celle du
Ciel 5 où l'amour 5 l'adoration , l'adlion de
grâces & le filence tiennent lieu d'hymncsi
& de cantiques , & forment toute fa reli-
gion & tout fon culte.
Or 5 pour vous 5 qui êtes encore foibk
16
2C4 Sur la Resurrfctïcn
caiis la foi, cette privation de fccours fcn-
Jibjes , cette vie intérieure Si parfaite à les
dangers. Il eil: à craindre que ne trouvant
plus autour de vous les appuis extérieurs
de la piété , vous ne puiiTiez vous foutciiir
tout feul : il efl à craindre que la fin des
abilinences ne foit pour vous lin attrait
d'intempérance ol de volupté ; que l'é-
loignerrent des chofes faintes ne vous jette
dans l'oubli de Dieu ; que l'ufage plus
libre dies plailirs ne vous fraye le che-
irin au crime ; que la rareté des prières
publiques ne vous défaccoutume d'élever
votre cccur à Dieu ; que le fiîence des
chaires chrétiennes ne vous endorire 'fur
les vérités du faluî ; en un ir.ot , que la
fainte liberté de ce teirps ne foit pour vous
une cccalicn ce rechute & de libcrti-
Et pour lîiieuK vous développer cette
vérité 5 ( car on ne fauroit trop vous Kiire
entrer dans refprit de TEglife iiîr Tordre
& fur la f.n de les folemnités & de Tes Myi^
teres ; puifque c'eil là toute la piété de cet
exil o: de notre pèlerinage : ) 'remarquez ,
je vous prie , mes Frères , que depuis la
naiflance du Sauveur , jufqu'à fa réfurrec-
îioîî, & à ïeÛuiion de fon Efprit faint qiie
nous attendons , l'Eglife vous a tenu fous
ics Villes ,. pour ainfi dire , commie des pe-
tits qu'elle enfatitoit , & qu'elle vouloit
former à Jefus-Chrifî ; elle vous a fait
croître fuccefnvement par Ja grâce de
chaque my^ieiQ ; elle ne vciîsa point peidu
DE Notre Scigneur. 205
de vue , & vous a donné tous fes foins.
IVÎais déformais les myfteres de îa réfur-
re^lion , & de reiiufion de rEfprit faint.
accomplis , elle regarde fon ouvrage com-
me a/:hevé en vous ; elle f.ippofe que vous
êtes des hommes célefles , remplis de
tous les dons d'en haut , parvenus à la par-
faite reiTembîance de Jefus-Chrift glorifié ,
ik qui n'avez pkis befoin des fecours dont
elle avoit iufques-là fcutenu votre enfsnce.
Elle vous lailfe à vous-mêmes , elle fe re-
tire dans le fecret de fon Sanduaire ; elle
îie propofe plus à votre piété , que le myf-
tere ineffable derunité de l'eiTence divine^
&: de la Trinité des Perfonnes , qui fait la
feule occupation , tout le- culte , toute la
religion des Efprit céleftes , & des Bien-
heureux dans le Ciel : elle croit que me-
nant déformais fur la terre une vie toute
célefte 5 elle ne doit plus CiTrir à votre
piété que le même objet que l'Eghfe du
ciel offre à fes Elus , & qu'elle n'a plus
qu'à vous oflrir le fcin de la gloire , & le
myftere ineffable de la Trinité , loin de
vous iuivre encore , & de vous fecourir ,
comime elle a fait jufqu'ici , au milieu des
périls & des écueils qui font fur la terre.
Jugez fi ces jours de perfection , de gloi-
re 5 de vie célefte , de plénitude de ïEf-
prit faint pour des Chrétiens , peuvent de-
venir des jours de relâchement & de li-
cence ; & fi vDus devez vivre félon les
fens , dans un tem^ps où TEglife fuppofe que
votre vie eft enfin toute cachée en Dion
avec Jefus-Chrill;,
2o6 Sur la Resurrectiom
Mais après tout , quand une vie molle y
fenfuelle , moins attentive , moins accom-
pagnée de toutes les précautions &i de
toutes les violences de la piéié , ne feroit
pas dangereufe après la fainte foîemnité j
elle feroit du moins injufte pour la plupart
de vous 5 mes Frères , qui m'écoutez. Et
certes , mes Frères , ces jours de péni-
tence dont nous venons de forîir , ont-ils
afîez exténué votre chair , pour vous don-
ner droit à vous délalTer de vos peines?
qu'avez- vous fouffert durant ce temps con-
facré par TEglife à la mortification & aux
fouffrances de Jefus-Chrift ? en quoi l'a-
vez-vous diftingué des autres temps de Tan-
née ? Avez-vous paru dans nos Temples
fous la cendre & fous le cilice ? avez-vous
mêlé votre pain avec l'amertume de vos
larmes ? a-t-on vu plus de prières , plus
de retraite , plus d'au Hérité 5 ou du moins
plus de régularité dans vos mœurs ? avez-
vous feulement fatisfait aux loix de TEgli-
fe , & fait gémir fous le devoir auftere du
jeûne , accompli dans toute fon étendue ,
un corps que vous ne fauriez trop châtier?
Ah ! le Jufte arrivé au bout de cette car-
rière , a droit d'elTuyer fes larmes , de la-
ver fon vifage , de parfumer fa tète , de fe
revêtir de fes vêtemens de gloire & d'allé-
greffe ; de prendre part à la joie publique
de l'Eglife , &: de goûter avec elle les con-
folations fenlibles de ce faint temps ; lui qui,
loin de fe difpenfer de la févérité de fes
loix 5 y a ajouté des rigueurs de furcroit.
DE Notre Seigneur. 207
Mais vous qui , au lieu d'avoir été péni-
tent j avez été prévaricateur de la loi com-
mune même de la pénitence , vous qui
portez au myllere de la Réfurredl:ion une
chair auffi rebelle , des pafTions aulîi vives
& aufli entières qu'elles l'etoient avant ces
jours de macération & d'abftinence. Ah [
loin de vous permettre aujourd'hui des
délaflemens que vous n'avez pas mérités ,
vous devez vous mettre en état de reparer
votre lâcheté paiîée , d'accomplir ce qui a
manqué à votre pénitence , de changer ce
temps de joie en un temps de deuil & de
trifteife , & de commencer une carrière
que vous n'avez pas encore fournie.
Et fi vous fouhaitez d'apprendre avant
que je iîniiTe , en quoi conlîfte ce renou-
vellement qu'on vous demande , & quels
font en détail les moyens de conferver la
grâce de la réfurrection , ce qui doit être
le fruit de tout ce Difcours ; Je vous ré-
ponds que la grâce ne peut fe conferver y
que par les mêmes voies par où on l'a re-
couvrée ; que les fentimcns d'amour , de
componction , qui l'ont attirée dans votre
ame , feuls peuvent l'y entretenir ; & qu'il
en efl de l'homme fpirituel commue de
rhom.me terreftre , c'eft à-dire que fa ccn-
fervation n'a rien qui ne refîemble à fa pre-
mière formation. Or , je vous demande ,
comm.ent vous y êtes- vous pris en ces
jours folem>nels , pour recouvrer la grâce
de la fatisfaètion , s'il eft vrai que vous
l'ayez recouvrée ? quelles font les voies
2o8 Sur la Résurrection
par où vous êtes arrivé à cet état heureux?
ks larmes , la componction , une vive
horreur de vos fautes , un éloignement in-
fini des occafions qui vous avoient féduit ,
une conviction fincere de votre foiblelfe ,
& du befoin que vous aviez de prière & de
vigilance , un dégoût véritable du monde
&. de fes plaifirs , un goût de Dieu & de
tous les devoirs de la piété , une crainte
effective de mourir enfin dans votre péché.
Eh bien , mon cher Auditeur , voilà le
plan de vos devoirs jufqu'à la fin. Suivez
toujours ces routes heureufes , qui vous
ont conduit à votre délivrance ; voilà vo-
tre voie. Souvenez-vous que votre pro-
pre corruption combattant fans celTe en
vous la grâce de la fainteté , il fnut faire les
mêm.es eiforts pour la conferver, que vous
avez fait pour li retrouver; âc qu'ainfi vous
relûcher , c'eil tout perdre , & riiquer
tout le fruit de vos travaux pafles.
Voilà , mes Frères , les motifs & les
mo3'ens de perfévérance que nous fournit
aujourd'hui la rérurreâ:ion de Jefus-
Chrift. Souffrez donc , mes Frères , que
je finilTe ce difcours , cette carrière fainte ,
& l'ouvrage de mon miniflere , en vous
adreflant les mêmes paroles que l'Apôtre
adreflbit autrefois aux Fidèles nouvelle-
ment convertis à la Foi. Mes Frères ,
leur difoit-il, demeurez donc fermes , &
ne vous rengagez plus fous le joug de la
^ , dure fervitude dont la grâce de Jefus-
1. s.^" Chriit vient de vous délivrer : Staic ^ &
DE Notre Seigneur. 209
nolitc iterum jugo fcrvituîis contineri» Tout
ce que vous venez de fouffrir pour puri-
fier votre confcicnce , pour en éclaircir
les abymes au Tribunal facré ; ces larmes,
cette honte , ces aveux qui ont tant coûté à
votre foiblelfe , ces déchiremens du cœur;
tout cela , Tauriez-vous fouffert en vain? ,,.,
Tantii paffi ejîis fine eau fa ? N'allez donc 4. '^'
plus reprendre des chaînes , dont vous
n'avez pu vous-même foutenir la pefan-
teur : ne faites plus i^enaitre au milieu de
votre cœur ce ver dévorant , que vous
n'avez jamais pu calmer : ne rentrez plus
dans ces voies ameres de l'iniquité , que
vous avez trouve vous-même fi trilles &: fi
difficiles : Stats & nolite iurum jugo fer-
yitutis contimri. Comparez l'état où la
grâce des Sacremens vient devons établir ,
à celui où vous étiez avant que d'en ap-
procher. Ne fenîez-vous pas une joie fe-
crette au fond de la confcience : une dou-
ceur 5 une paix , que le monde & Tes par-
fions ne vous avoient jamais donnée : vos
troubles ne font-ils pas calmés , vos re-
mords appaifés ? Ne revoyez-vous pas
avec plus de plaifir ce temple , ces autels ,
tous ces fpectaclcs pompeux que l'E^^^life
étale aujourd'hui à vos yeux ? n'entendez-
vous pas ces chants d'allégrelle , &: fon in-
nocente harmonie , comme un prélude du
cantique éternel de la célefte Sion ? N'é-
coutez-vous pas la parole du falut qu'on
vous annonce , avec une coniblation fenfi-
ble , au lieu qu'elle étoit auparavant pour
110 Sur la Résurrection
vous un glaive perçant , qui portoit 1 ef-
froi & Ja douleur jufqu'au fond de votre
ame ? Rappeliez vos jours de diflblution
& de ténèbres : ont-ils rien de compa-
rable à ce que vous fentez aujourd'hui?
N'eft-ce pas ici véritablement pour vous 5
ce jour y ce grand jour que le Seigneur a
fait ? & en avez-vous jamais vu dans la ré^»
gion de la mort 5 dont vous venez de for-
tir 5 de fi ferein , de û heureux & de fi au-
gufte ? Demeurez donc fermes dans les
voies du Seigneur , où vous venez d'en-
trer ; & ne vous laffez jamais d'un joug ,
qui fait tout le bonheur & toute la conlb-
lation de ceux qui le portent : 5ti2t^. , Ù
noiitc iteriim jugo fervitutis continerL Vous
êtes devenus des enfans de lumière ; fou-
tencz cet heureux titre : vous venez d'être
faits héritiers du Ciel ; méprifez avec une
fainte fierté tout ce qui eft au delTous d'une
fî magnifique efpérance : vous voilà deve-
nus la Vi^lcire de Jefus-Chrift , le fruit de
fa mort , & le trophée de fa réfurrecftion ;
ne diminuez pas la gloire defon triomphe ,
en vous rengageant encore fous la fervi-
tude dure & honteufe de fon ennemi :
State , & noiitc iteràm jugo fervitutis con-
tineri. Que dirai-je de plus , m.es Frères ?
Les Anges qui environnent le trône de
l'Agneau dans le Ciel , & vos frères , qui
vous ont précédés avec le figne de la Foi ;
les faints Proteâ:eurs de cette Monarchie ,
qui ont annoncé Jefus-Chriil: à nos pères ,
vous regardent avec joie du haut de la
DE Notre Seigneur. 211
demeure célefte : ils célèbrent dans le fé-
joiir de l'immortalité votre délivrance ,
votre heureux retour à la grâce , & votre
réunion avec eux & avec toute l'Eglife du
Ciel : ils chantent aux pieds du trône le
Cantique de louange & d'aâ:ions de grâce.
Voudriez-vous fermer encore les Cieux
fur vous , vous féparer encore de la cha-
rité des Citoyens de la Jérufalem célefte ,
& rom.pre des liens fi heureux &: fi deli-
rables pour vous. Demeurez donc fermes ;
& ne pafiez plus de la fainte liberté des en-
fans de Dieu , à l'efclavage affreux du dé-
mon & du péché : State 5 & nolitc iterùm
jugo fervitutis contineri. Que puis- je vous
dire enfin? Vous avez même réjoui les
Anges de la terre , les Minières de l'E-
glife , qui ont été les témoins de vos lar-
mes 5 de vos foupirs , de la douleur de vo-
tre confeiîîon , de la fîncérité de votre pé-
nitence : ils vous ont appliqué avec joie le
fang de l'Agneau , &: le remède de vos
fouillures : ils vous ont réconcilié avec
rAuîel5& avec le Dieu qu'en y adore :
ils vous ont dcîiné le baifer de paix : ils
vous regardent comme leur ouvrage en
Jefus-Chrift . com^me des enfans de la Foi
qu'ils viennent d'enfanter, &: de former
pour le Ciel , par leurs prières , par leurs
gémiiTemens 5 & par les douleurs les plus
vives du zèle facerdotal. Voudriez-vous
remplir leur cœur d'amertume , par une
indigne spoftafie ; les obliger de gémir
encore entre le veftibule 6c l'Autel , de
lïi Sur la Résurrection de N. S.
demander à Dieu contre vous la vengeance
de fon Sang profané ; & au lieu que vous
êtes leur couronne , leur joie & leur con-
folation , devenir la plaie la plus doulou-
reufe de leur cœur ? Ne rendez donc pas ,
mes Frères 5 les foins de leur zèle , & les
travaux de votre pénitence , inutiles iStaîe ^
Ù noUte iterùmjugofervitutîs contineri, Con-
fervez letréfor que vous venez de recevoir,
jufqu'au jour du Seigneur , afin que vous
puifliez le lui préfenter à la réfurrec^ion
générale , comme le gage & le prix de la
bienheureufe immortalité.
Alnfi foit'iU
AVIS.
z.
E DlfcGurs fulvant cjl une mjînicîion
familière , faite dans quelque Afjemblée de
charité le jour de la Pentecôte. Il neft pas
écrit dans le goût des Sermons ; mais il neft
ni moins folide , ni moins touchant ; &
peut-être que Vair de /implicite qui y règne
ne le déprifcra point aux yeux des connoif^
feurs.
m
=:^
s E R M O
POUR LE JOUR
DE LA PENTECOTE.
Sur les camclcres de VEfprit de Jefiis-Chrijl
G* de refprit du monde.
Nos autem , non fpiritum hujiis mundi accepimus ,
fed Spiritum qui ex Deo elt.*^^
Poj/r noiij , nous n'avons point reçu Vefprit du
monde , mais Vefprit qui vient de Dieu. i. Cor.
&> iz.
L'E S p R I T de Dieu & refprit du
inonde , dit S. Augiiftin , forment ici-
bas deux cités , Babylone & Jérufalem ,
qui ont chacune leurs loix , leurs maxi-
mes 5 leurs citoyens , & qui s'élevant de-
puis le commencement du monde fur la
terre , ont toujours féparé invifibîement ôc
aux yeux de Dieu , les enfans du Ciel ,
des enfans du (iecle.
DE LA Pentecôte, 215
Ces deux efprits partagent tout l'uni-
vers , les villes , les empires , les fiiinilles :
ils font répandus fur tous les états , les
Grands & le peuple ; dans tous les lieux ,
le monde &: la retraite , la Cour &: les
cloîtres. Qui que vous foyez , vous qui
m'écoutez , vous appartenez à l'un de ces
deux efprits : vous êtes citoyen de l'une
de ces deux cités ; c'eft-à-dire , que vous
appartenez , ou à Babylone , ou à Jéru-
falem : vous êtes animé , ou de Tefprit de
Jefus-Chrift, ou de Tefprit du monde. Il
eft impcffible d'être en même temps à tous
les deux , dit Jefus-Chriil : il eft encore
plus im.poflible de n'être ni à l'un ni à l'au-
tre : on ne peut ni fe partager , ni ne pas
fe donner; & comme il faut nécelfaire-
ment qu'un domine dans notre cœur , il
eft nécelTaire que notre cœur appartienne
à un maître , à l'amour du m.onde, ou à
l'amour de Jefus-Chriil.
Voilà la utuation de tous les hommes ;
nous avons tous opté entre ces deux par-
tis. Nous fommes encore confondus en-
femble , à la vérité , par des dehors qui
nous font communs ; par des devoirs ex-
térieurs que nous rempliiroas tous égale-
ment ; par les nécefliîés corporelles auf-
quelles nous fommes tous encore affùjettis :
mais un efprit invi(ib!e nousfépare & nous
diltingue : nous portons au dedans un
homme intérieur bien différent ; le prin-
cipe qui nous pouiTe & qui nous anime ,
n'eil pas le même ; & Dieu qui ne juge de
ii6 Le Jour
nous 5 que par ce que nous femmes au de-
dans , fait bien déuiêler dans cette confu-
fîon où nous vivons , ceux qui ne font pas
à lui , de ceux qui lui appartiennent.
Il s'agit donc aujourd'hui de nous dé-
mêler nous-mêines : & de nous demander à
qui nous appartenons ; de quel côté efl no-
tre cœur; quel eft l'amour dominant ré-
pandu fur nos aérions , fur ne s defirs , fur
nos penfées ; en un mot , fî nous vivons
de l'Efprit du monde , ou de l'Efprit de
Jefus-Chrift.
Il eft fi aifé de fe faire illufion à foi nie -
me 5 &: de fe calmer fur quelques appa-
rences de bien , fur Féloignemcnt de cer-
tains excès , fur la participation même des
faints ?vlyfteres , tandis que le cœur eft
mondain , corrompu , mort aux yeux de
Dieu ; que nous ne faurions trop réveiller
là-deifus nos craintes & notre défiance.
Or mes Frères , pour nous juger nous-
mêmes 5 félon les règles de la Foi , &
éviter de nous féduire , nous n'avons qu'à
examiner ici ce que c'eft que l'Efprit de
Jefus-Chrift , &: ce que c'eft. que l'Efprit
du monde ; & en rembarquant les caractè-
res difterens que les Livres faints leur attri-
buent , décider auquel des deux nous ap-
partenons 5 & Cl nous pouvons dire en ce
grand jour avec la même coniiance que
l'Apôtre : Pour nous , nous n'avons pas
reçu l'efprit du monde , mais i'Efpiit qui
vient de Dieu.
Le
DE LA Pentecôte. 217
E premier caraftere de rEfprit de Je- j> ^•
fus-Chrill j c'eft d'être un Efprit de fépa-
ratioii , de recueillement & de prière. A
peine les Apôtres en ont été remplis , qu'ils
renoncent à tous les autres foins extérieurs ,
pour ne vaquer plus qu'à la prière , & au
miniftere faint de fa parole. Ces hommes,
qui auparavant ne pouvoient foutenir une
heure entière de recueillement avec Jefus-
Chrill; qui ignoroient même comment il
falîoit s'y prendre pour prier ; qui méri-
toient même que Jefus-Chrift leur repro-
chât , que jufques là ils n'avoient rien .de-
mandé en fon nom : ces hommes , dès que
l'Efprit de JefusChrift eft defcendu fur
eux , & qu'il a pris poiTefTion de leur cœur,
ils perféverent , dit faint Luc , dans la
prière avec les Fidèles ; ils fe rendent af-
iiduement au Temple aux différentes heu-
res de la journée , pour y lever leurs
mains pures au Ciel. Si la Sinagogue les
perfécuîe , ils trouvent dans la prière la
confolation la plus folide de leurs peines :
il Ton Iqs enferme dans des prifons , ils
font retentir ces lieux d'horreur , de can-
tiques d'allégrelle &: d'aftions de grâces :
fî Pierre , dans les liens & enlevé au trou-
peau y leur fait craindre que le Payeur
frappé 5 les brebis ne fe difperfent , ils ont
recours tous enfemble à la prière; &: ce
font , dit faint Luc , leurs fupplications '
ferventes & contiauelles , qi:i obtiennent
Myjlcrcs. K
2iS Le Jour
de Dieu la délivrance de cet Apôtre. Eiî-
£n 5 ces hommes fi charnels , fî diiîîpés , û
ennemis du recueillement & de la con-
trainte 5 deviennent tout d'un coup des
hommes de prière, des hommes intérieurs,
fpirituels , recueillis , dont la converfation
eil'dans le Ciel ; &: qui font au milieu de
Jérufalem , aufîi occupés de Jefus-Chrift ,
aufîi pleins de Tes merveilles & defes bien-
faits , que s'ils étoient encore fur la mon-
tagne de Gaiilée.
Voilà 5 mes Frères , le premier chan-
gem.ent que l'Efprit de Dieu opère dans
lîne am.e. Com_me il prend la place de Vef-
prit du m.onde dans fon cœur ; qu'il change
îés defirs y fes vues , fes inclinations , fes
pepfëes ; qu'il lui rend , ou indifTérens , ou
odieux 5 tous les objets qui l'environnent,
fur lefqueîs auparavant elle trouvoit tant de
plaifirs à fe répandre , & qu'il rappelle dans
fon cœuï le Dieu de paix & de confola-
tion 5 qui jrifques-là en avoit été banni ; il
lui fait trouver tout fon bonheur & tout
fcn plaifir en elle même : la plus douce
occ'jpaîion de cette ame que l'Efprit de
Dieu pouile & remplit , c'eft de fe rap-
peller à elle-même. Comme c'eft au de-
dans d'elre qu'elle trouva fon Dieu , elle
n'en fort qu'à regret , pour ainfî dire ; elle
y levient fans celFe au milieu mêm.e des
difiipations Se des devoirs extérieurs , que
la bienféance rend inévitables , & qui de-
vroient ^ ce femible , l'en diftraire : elle fe
fait au milieu même du tumulte & des en-
DE LA Pentecôte. 210
tretiens du fiecle , une folitude fecrette dans
ion cœur, où elle s'entretient fans celle
avec le Seigneur qui y fait fa demeure ;
ou elle fe plaint à lui de la trifte néce/îité
qm 1 engage encore en des occupations &
des bienfeances mondaines ; où elle lui fait
réparation par des retours continuels d'à-
niour & de zele , de tous les outrages
dont elle ed forcée d'être témoin : où
elle en appelle à fa Loi & à fa vérité , de
toutes les fauffes maximes qu'elle entend
lans ceiie débiter parmi les liQmmes ; où
enfin , elle vit & réiide bien plus que dans
les difîipations extérieures où {on état
l'engage , mais où (on cœur ne fe trouve
pas.
Et voilà pourquoi S. Paul appelle l'hom-
me Chrétien , l'homme fpirituel & inté-
rieur ; &: l'homme mgndain & pécheur
l'homme extérieur. C'eft-à-dire , que dès
.qu'une ame a reçu l'Efprit de Dieu , &
qu'elle en eft véritablement animée , toute
fa vie ell prefque invifible & intérieure ;
tout ce qu'elle fait , part de ce principe
divin & inviiible qui la remplit. Les ac^
tions même les plus communes deviennent
faintes par la Foi fecrette qui les purifie*
qu'elle mange , qu'elle fe réjouiife , qu'elle
pleure , qu'elle foit dans l'élévation ou
dans l'obfcurité , dans l'abondance ou dans
Ja mifere , dans la fauté ou dans la mala-
die , elle trouve dans tous fes états , des
lources de réflexions faintes. Tour ce
qu^elle voit , elle ne le voit plus qu'a^/ec
K2
110 Le Jour
les yeux de la Foi. Les événemens & les
viciflitudes du monde ; les révolations
àes Etats & des Empires ; la décadence
ou l'élévation des familles ; l'abondance
ou le malheur 'des fiecles ; la licence ou
le renouvellement des mœurs ; les chûtes
des Juftes ou la converfîon des pécheurs ;
î'affoiblilTement ou le règne de la vérité
parmi les hommes ; la difFenfion ou la paix
des Payeurs &: des Eglifes ; les difgraces
ou la faveur des particuliers ; enfin , toutes
ces révolutions éternelles , que la figure
du monde offre fans celle à nos yeux , &
qui ne réveillent dans les âmes mondaines,
que les paillons du monde , & des penfées
de chair &i de fang , font des inftruc-
tions fecrettes & continuelles à une anie
remplie & anim^ée de l'Efprit de Dieu.
Tout la rappelle aux vérités de la Foi ;
tout lui montre dans un nouveau jour , le
néant des chofes humaines . & la grandeur
des biens éternels : le monde entier n'eft
plus qu'un livre ouvert , où elle découvre,
fans celle les merveilles de Dieu , & l'a-
veuglement prodigieux de prefque tous
les hommes.
Ce n'eft pas que les objets des fens ne
puiifent quelquefois la furprendre & la fé-
duii e ; qu'elle ne fe laiiTe en certains mo-
mens , emporter au torrent; que fa foi
mclus attentive ne cède quelquefois à l'im-
preHlon des préjugés & des maximes hu-
maines ; & que les diffipations du monde
ne Ferriporteiit fouvent hors d'elle-même ,
DE LA Pentecôte. m
& ne lui faflent perdre de vue la préfence
du Dieu qu'elle porte dans fon cœur. Mais
ce ne font là que des furprifes & des ab-
fences d'un moment , pour ainfi dire : aver-
tie d'abord de fon égarement par les repro-
ches fecrets de TEfprit de Dieu qui habite
en elle , elle recueille aufli-tôt fon cœur éga-
ré ; elle rentre dans fon ame , d'où le monde
i'avoit Qpmme tirée ; elle revient dans ce
fan(B:uaire domeltique , y faire réparation à
fon Dieu de ce moment d'abfence & de
diiUpation , par des gémilfemens fecrets ,
& par des aveux touchans & finceres; que
plus elle fe répand au dehors , plus elle
trouve que le monde n'eft qu'un grand
vuide; & qu'un cœur où Dieu habite , eft
la fource des vrais plaifirs.
Voilà cet efprit de Foi , de recueille-
ment S: de prière , qui zc'J5 rend îchîui-
gnage que nous avons reçu l' efprit de Dieu ,
& qu'il habite en nous : voilà cette vie in-
térieure 6c fpirituelle qui diftingue les Juf-
tes des mondains , & qui eft le caractère
le plus effentiel de la piété chrétienne.
Aufîi les Juftes, dans les Livres faints ,
font ceux qui vivent de la Foi ; dont /la
converfation eft dans le Ciel ; qui n'ont de
goût que pour les chofes d en haut ; qui
lifent de ce monde comme s'ils n'en uibient
pas ; qui le regardent comme une figure
qui paffe ; qui n'arrêtent pas leurs yeux fur
les chofes viiîbles , mais qui attendent les
invifibles comme s'ils les voyoient déjà :
qui ne jugent pas de tout ce que les hom-
K S
222 Le Jour
mes eftiment fur ce qui paroît , mais fut
la vérité qui ne paroît pas ; qui font étran-
gers & voyageurs fur la terre ; qui font
citoyens du.fiecle à venir ; qui rapportent
tout à cette Patrie éternelle vers laquelle
ils marchent fans ce/Te ; & ne comptent
pour rien tout ce qui paiîe , & ne doit pas
demeurer toujours.
En effet , dès que l'Efprit de Dieu eft
devenu Fefprit dominant qui nous conduit
& qui nous anime , il doit régler nos defîrs ,
réform.er nos jugemens , renouveller nos
afFeâ:ions , fpiritualifer nos vues , nous ren-
dre à nous mêmes : nous ne devons plus
voir que par les yeux de l'Efprit ; agir que
par rimpre/Tion de cet Efprit ; ne plus de-
iîrer que les biens fpirituels : enfin , toute
notre vie doit être fpirituelle , & comme
ia vie de Dieu en nous. Car un cccîâvre
animé par un efprit étranger, n'a de mou-
vement que par lui ; point d'impreffions
que les fiennes ; point de penfées que cel-
les que Fefprit qui Thabite , forme en lui :
il n eitpius à lui , pour ainfi dire ; il efl à
refprit qui le remplit & qui le pofTede.
C'eft à nous maintenant , mes Frères , à
nous juger fur cettte règle. Trouvons- nous
en nous-mêmes ce premier caraâ:ere de
l'Efprit de Dieu ? Exaniinons ce qui domi-
ne dans nos jugemens, dans nos defîrs,
dans nos affetftions , dans nos vues , dans
nos projets , dans nos efpérances , dans nos
joies , &: dans nos chagrins : enfin , dans
tout le détail de notre vie. Je ne demande
DE LA Pentecôte. 223
pas fi refprit du monde nous féduit quel-
quefois. Hélas ! où ell: l'ame fîdele , qili au
milieu des périls dont nous fommes en-
vironnés , ne fe laiffe fouvent furprendre
par fes illufions & par {es artifices ? Pvlais
je demande , ii c'eft FEfprit de Dieu , ou
Telpritdu monde , qui nous pollede & qui
domine en nous.
Et quand je dis que je le demande , ce
n'eft pas que je l'ignore ; ce n'efl que pour
vous obliger à vous le demander à vous-
même : car d'ailleurs , les règles de la Foi
ne me permettent pas de douter que la vie
de la plupart des perfonnes qui m'écoutent ,
de celles mêmes qui vivent dans la pro-
fefTion extérieure de U ^«3^3 ^ -3 f^j^ ^^^
vie toute pleine de l'efprit du monde , &
parconféquent, vuide de l'Efprit de Dieu ,
indigne du falut & des promefiés éter-
nelles.
Premièrement 5 parce que c'eft une vie
toute extérieure , qui fe paffe toute hors
de notre cœur , &: par conféquent, loin de
Dieu. Les bienféances nous amufent , les
devoirs nous occupent , les plailirs nous
diflipent , les affaires nous inquiètent , l'inu-
tilité nous lafTe , rien de tout cela ne nous
rappelle à nous-mêmes & à notre cœur.
Les œuvres mêmes de la piété ne fauroient
fixer la dilîipation de notre ame : notre
cœur eft au monde , tandis que nous confa-
crons notre corps à des exercices pieux :
notre efprit erre fur mille vains objets, tan-
dis que notre bouche s'ouvre pour réciter
K4
224 Le Jour
de faints cantiques : notre imagination cft
pleine dephantômes dangereux , tandis que
îîous voulons y retracer le fouvenir des
•myfteres du falut : enfin , dans des mœurs ré-
glées au dehors , & louables aux yeux des
hommes , nous fommes toujours pourtant
étrangers à nous-mêmes : nous nous fuyons
nous-mêmes ; nous cherchons les amufe-
mens qui nous difîipent : nous craignons de
nous retrouver avec nous-mêmes ; marque
infaillible que Dieu n'y habite pas. Car fi
Dieu habitoiî en nous 5 nous nous plairions
avec nous-mêmes ; nous ne craindrions pas
notre cœur , ou nous trouverions notre tré-
for & le Dieu de toute notre confolation :
hôus siîrions de iapciûC r.zême à nous quit-
ter 5 parce que nous ne trouverions rietî au
dehors qui pût remplacer la préfence du
Dieu dont nous nous éloignons^ Mais
comime en revenant à nous , nous n y trou-
vons que nous-mêmes ; c'eft à-dire , un
cœur vuide de vrais plaifirs & de biens
folides , plein de pafiions , de defirs & d'in-
quiétudes , nous ne pouvons durer avec
nous mêmes ; & de-là nous juftifions les
inutilités & les plaifirs qui nous aident à
nous oublier ; nous foutenons qu'ils font
innocens , parce que nous en banifibns tout
ce qui peut aller au crime ^ mais nous ne
voyons pas que nous en retenons tout ce
qui dilTipe &: emipêche le recueillement ,
& que c'eft là notre grand crime.
Secondement , je dis que notre vis eit
une vie pleine de l'eiprit du monde , &
DE LA Pentecôte. 215
vuide de l'Efprit de Dieu ; non-feulement
parce que notre vie n'eft pas intérieure &
recueillie , mais encore parce que c'efl l'e^
prit du monde qui en forme les defirs , qui
en conduit les afFecTtions , qui en règle les
jugemens , qui en produit fes vues , qui en
anime toutes les démarches, ^ur toutes
les chofes qui nous environnent , fur tous
les événemens qui nous frappent-, fur tous
les objets qui nous intéreffent, nous pen-
fons comme le monde; nous jugeons com-
me le monde ; nous fentons comme le mon-
de ; nous agiiFons comme le monde. Les
affligions nous rebutent , les profpérités
nous élèvent , les mépris nous révoltent ,
les honneurs nous flattent. Ceux qui réuC-
fîflent dans le monde , nous les appelions
heureux; ceux qui échouent , nous paroif-
fent dignes d'être plaints. Nous envions
la fortune ou la faveur de nos fupérieurs ;
nous fouffrons impatiemment celle de nos
égaux ; nous regardons avec mépris la
condition de ceux que la nature nous afTu-
jettit. Les talens que le monde admire ,
nous les admirons dans les autres ; nous
nous les fouhaitons à nous-mêmes : la va-
leur 5 la réputation , la naiïïance , les agré-
mens du corps & de l'efprit , nous le* en-
vions 5 s'ils nous mancfuent : nous nous en
applaudifTons , fi nous les avons: enfin 5 nos
vues 5 nos jugemens , nos maximes j nos
defirs , nos eipérances font toutes m.ondaî-
nes. Il fe peut faire que nous parlions du
nioade avec m.épris ) mais dans le détail de
K5
zi6' Le Jour
la conduite , nos vues , nos jugemens, nos
Effeâions font toujours mondaines. Il fo
peut faire même que nous y mêlions quel-
ques fentim.ens chrétiens ; qu'en certaines
occafions nous ayons des vues conformes
à celles de la Foi ; que fur certains événe-
mens , nos difpofitions foient chrétiennes
& fpirituelles : mais ce ne font là que des
étincelles de Foi , pour ainfî dire , qui nous
échappent ; que des intervalles de grâce
qui n'interrompant que pour un inftant le
cours de nos difpofitions mondaines. Ce
qui domine dans la conduite , ce qui fait
Gom.me le corps de toute notre vie , ce que
nous fommes, même indépendamment de
nos réflexions , & lorfque nous agilfons
Baturellement ; en un mot , le principe
conllanî & comme univerfel de tous nos
fentimens intérieurs èi de toutes nos de-
marches extérieures , c'eft l'efprit du mon-
de : nous n'avons qu'à fonder notre cœur
pour en convenir. Or , l'Efprit de Dieu
ïî'eft point où règne l'efprit du monde : il
Kous pou ITe peut-être , il nous excite , il
nous, infpire de faints defîrs , il reveille
notre peu de foi ; m.ais il ne règne pas dans
notre CŒur ; il heurte à la porte ; mais
rous ne l'avons pas encore reçu : il laiffe
tomiber fur notre am^e quelques étincelles
cle fcn feu divin ; mais il n'y eft pas encore
t'enu lui-raêrre.
Nous appartenons donc encore au mon-
. de & à fon efprit. Sous des dehors reli-
gieux ôc réglés 5 notre cœur eH donC/ eji-
DE LA Pentecôte. 127
core mondain ; avec des apparences de vie ,
nous demeurons donc encore dans la mort
& dans le péché : voilà fur quoi on ne
s'examine guère. On juge de foi par la'
conduite extérieure qui eii irréprochable,
par certaines œuvres de Religion aufquel-
les le monde attache le nom &: la réputa-
tion de la piété ; mais on ne s'avife guère
de fe demander à foi-même : Eft-ce Felprit
du monde , ou l'Efprit de Jefus-Chrift ,
qui me conduit & qui m'anime? reiTcmblai-
je encore au monde par mes defirs , par mes
vues 5 par mes jugemens , parmes joies , pat
mes chagrins , par mes envies , par mes ani-
mofîtés 5 par mes délicateiies , par mon or-
gueil ; enfin , par toutes les difpolitions de
mon cœur ? Je n'appartiens donc pas à
l'Efprit de Jcfus-Chrift ; le monde eil: donc
encore l'Efprit invifible , qui m/anime & qui
me poiTede. Si mon cœur ne change ck ne
fe renouvelle , je périrai doue avec le mon-
de ; puifqu'il eft déjà jugé , que le falut n'eft
pas pour lui , & que fa condamnation eil
iaféparable de la m.ienne ^ tandis que nous«
ne formerons qu'un m.ême efprir & ua
même tout avec lui. Première Réflexion,,
E fécond caraétere de FEprit de Dieu , j^vZ;,
c'ed qu'il eft un efprit de renoncement &
de pénitence ; & ce cara£lere eft une faite,
néceftaire du recueillement , & de la vie;
intérieure dont nous venons de parier.
En effet , mes Frères , dès que l'Efprit
de Dieu nous rappelle à nous-mém.es ♦•&
2.28 L E J O U R
. qu'il nous fait habiter dans notre cœur , il
nous découvre nous-mêmes à nou&-^îéx»€s.
Il nous montre toute l'horreur de nos
mœurs paiTées ; il nous fait appercevoir en
Kous mille paflions & mille miferes , que
la dilTipation & l'aveuglement de la vie
mondaine nous avoient cachées ; il nous
développe toute la corruption de nos pen*
chans , toute l'enflure de notre cœur , toute
î'oppofition que nous portons en nous au
bien &: à la juftice , toutes les plaies que
le monde & les paflions ont faites à notre
ame ; 11 nous convaint que nous fom^mes
dans un défordre univerfel , par rapport
aux biens véritables; que notre volonté,
notre efprit , notre imagination , nosfens,
notre corps , que tout eft déréglé en nous ,
& révolté contre l'ordre , la vérité & îa
îoan P^^^^ • -^•''g"^^ mundum de peccaîo , dit
8.46,* Jefus-Chrlft.
Or 5 il eftimpofTible qu'en nous décou-
vrant ce dérèglement fecret &: univerfel de
toutes les facultés de notre am;e, il n'opère
en nous deux difpofitions : la première , de
rétablir l'ordre que le péché a troublé en
nous ; la féconde , de venger la juftice de
Dieu que ce défordre a outragée.
Je dis premièrement 5 de rétablir l'ordre
que le péché a troublé en nous : car les
lumières dont l'Efpriî de Dieu remplit un
cœur 5 ne font pas des lumières ftériles ; ce
font des lumières vives & efficaces ; il
operQ par- tout où il eft ; il fait aimer les vé-
Jtikés qu'il enfeigue , parce qu'il change le
DE LA Pentecôte. 119
cœur qu'il éclaire. Les aines mondaines
peuvent à la vérité connoître le dérègle-
ment de leur cœur , 5c la corruption de
leurs penchans ; mais elles ne laconnoifTent
que par rapport à leur repos qui en foufFre ,
& non pas à l'ordre qui en eft troublé ; &
comme ces lumières ne font que des re-
proches fecrets de leur amour propre ,
elles leur font bien haïr leurs maux ; mais
elles ne leur en font pas aimer le remède.
Mais une ame que TEfprit de Dieu a
renouvellée , hait en elle tout ce qu'elle y
découvre d'oppofé à la vérité & à la jufti-
ce. Les lumières nouvelles qui lui mon-
trent prefque fur chaque aftion le dérègle-
ment de fes affections & de (es penchans,
l'animent du faint zeîe , pour les rapp>ro-
cher de l'ordre & de la règle.
Ainfi , à mefure qu'elle fenî dans le dé-
tail de fa conduite , que fon cœur encore
corrompu par l'orgueil , fe révolte contre
la plus légère humiliation , elle les cherche
& lui en ménage ; qu'il fe livre à des anti-
pathies & à des animofités fecrettes, elle
le punit par des marques extérieures de
complaifance & de charité ,aufquelles elle
fe condamine ; qu'il a un goût violent pour
les diffipations &: po^ur les pîaifirs , elle le
châtie par le recueillement & par la retrai-
te ; qu'il conferve encore des attachemeas
vils & frivoles , pour la parure & pour la
vanité , elle le réduit par la fimplicité & par
la modeftie ; que les defirs de plaire infec-
ter tprefque encore toutes fes aâions , elle
230 L E J O U R
en fuit les occafions , ou elle en néglige les
moyens ; que certains devoirs le trouvent
toujours indocile & rebelle , elle y ajoute
même des œuvres de furcroh , afin qu'en
l'obligeant d'aller môme au delà , elfe lui
rende la règle plus fupportable.
Enfin , toute fon a^ention eil de réta-
blir dans fon cœur , par des violences con-
tinuelles 5 l'ordre que des paflions injuftes
y avoient troublé ; elle ne fe pardonne
rien ; ce qu'elle ne peut encore corriger ,
elle le détefte ; elle a recours aux gémifle-
mens , quand le foins & les efforts font
inutiles ; & elle fouffre plus des miferes
qu'elle ne peut encore guérir , que des
violences qu'elle fe fait pour fe délivrer de
celles dont la grâce la purifie.
Voilà la première difpofition de cet ef-
prit de renoncemicnt & de pénitence , que
l'Efprit de Dieu opère en nous ; 8^ de-îà ^
il eil aifé de juger fi nous l'avons reçu y
ou fi nous vivons encore de 1 efprit du
monde.
Car refprit du monde efl un efi^rit de
pareiTe & d'immortincation ; un efprit d'in-
dulgence pour tous nos penchans déré-
glés ; d'attention à les fatisfaire , d'habi-
leté à les juftifier 5 d'amour propre qui les
règle & le^ retient fur les tranfgreiTions
efiéntielles , pour s'en épargner les rem.ords,
mais qui fur tout le relie s'y livre & s'y
laifTe entraîner. Car il ne faut pas croire
que reprit du monde nous porte toujours
aux défordres grofiîers & déclarés 3 c'-€iî
DE LA Pentecôte. 231
un efprit artificieux qui , comme l'Efprit
de Dieu , fait prendre différentes formes :
Multiformis fpiritus : ce qu'il cherche ,
c'eft de corrompre le cœur & de le déré-
gler ; pourvu qu'il y réufTifTe , il lui eft égal
que ce foit par des paffions grofTieres , ou
par une multitude de penchans mondains ,
qui quoique féparément peut-être , & cotir
fidérés chacun en foi , ne foient pas cri-
minels , tous enfemble néanmoins , & fub-
fiftant habituellement dans le cœur , en
font un cœur mondain , & y forment un
état de mort & de péché , qui nous fépare
de Dieu &: nous prive de fon Efprit , com-
me la vie la plus criminelle.
Ainfi j'appelle un cœur mondain & vui-
de de l'Efprit de Dieu , dans une vie mê-
me d'ailleurs réglée , un cœur immiortifié^
ennemi de la violence , & qui fur tout ce
qui regarde fes defirs , ou indifférens , ou
légèrement mauvais , ne cherche qu'à fe
fatisfaire , & ne fauroit rien prendre fur
lui-même : un cœur qui ne veut s'interdire
que ce qui l'éloigné vifiblement de Dieu y
& qui encore fur les devoirs efTentiels ,
pouiîe la parelTe & l'indulgence pour ks
pafTions , jufqu'aux dernières .bornes qui
rapprochent du crime & de la tranfgreiHon,
fi même elles ne forment pas la tranfgreiiion
aux yeux de Dieu : un cœur qui fe livre à
fes animofités & à fes antipathies , pourvu
qu'elles n'aillent pas jufqu'à une haine ame-
re 8c furieufe ; à fes impatiences & à fon
luin^eur, pourvu qu'il ne les parte pas juf-
4
17,1 L E JO U R
qu'à l'éclat & au fcandale ; aux difTipations
& aux plaifîrs , pourvu qu'on en bannifle
les excès & le crime ; aux defîrs de plai-
re , pourvu qu'ils n'aient pas de fuite mar-
quée & criminelle ; à l'amour de l'éléva-
tion & de la fortune , pourvu qu'on n'y
emploie pas des mefures , ou odieufes ,
ou injufles ; à la recherche des aifes & des
commodités , pourvu qu'on n'y miêle pas
des voluptés coupables ; à la vanité & à la
magnificence, pourvu que le monde lui-
même n'en foit pas blefTé , & qu'on y
ajoute quelques largefTes faintes ; enfin , à
tous les adouciiîemens poÏÏibles fur les de-
voirs 5 pourvu qu'on paroifTe fauver les
devoirs eux-mêmes.
Voilà ce que j'appelle un cœur mon-
dain 5 &: oii l'Efprit de Dieu n'habite pas ,
j3arce que tous les penchans du monde y
îubfiftent ; au lieu que FEfprit de Dieu fait
en nous , dit l'Apôtre , des divifîons & des
réparations douîoureufes ; retranche , cou-
pe jufqu'au vif , va jufques dans les plus fe-
crets penchans de notre cœur féparer la
chair de Tefprit , les affeclic-ns humaines
des mouvemens de la Foi l'artifice des
psîlîons, des opérations de la grâce: Vi-
Hehr* y^^ (^ efficax , pertingens ufque ad divifio •
^^ncrn anima: ac fpirhus.
Or , eft-ce là l'efprit que nous avons
reçu ? Notre vie efl préfentement exemip-
te de grands- crimes ; mais quelle violence
faifons-nousà tous nos penchans? que nous
ep €Oute-t-iI pour oous combattre à tous
DE LA Pentecôte. 2^^
momens , & pour nous vaincre? que re-
fufons nous à notre cœur &: à nos defirs ?
qu'avançons-nous par Tufage de la piété
dont nous faifons profeflion , fur nos^ incli-
nations mondaines & déréglées ? où pla-
çons nous les facrifices & les violences dans ^
le détail de notre vie ? Le monde nous en
ménage; la fituation de notre fortune nous
en fait naître ; la malice des hommes nous
en fournit des occafions : où font celles que
nous nous ménageons à nous-mêmes i où
font celles que la Foi nous rend néceflaires ,
& où rÊfprit de Dieu nous pouiTe ? que
fouffrons-nous pour être à Dieu ? qu'en
coûte-t'il à nos palTions , à nos commo-
dités , à notre pareffe ? La régularité de
nos hiCÊurs eftpeut-étre une fuite du tempé-
rament , ou une bienféance que l'âge &
le monde lui-même nous impofe ; nous n'a-
vons eu rien à prendre fur nous pour en
venir là : ainfi , ne refufant rien d'ailleurs à
toutes nos inclinations , toute notre vie eft
une vie d'immortifîcation & de pareffe ;
nulle violence , nul renoncement , nul fa-
crifîce de nos aiTe6lions mondaines ; & par
conféquent nous appartenons encore au
monde , &: rEfprit de Dieu n*eft point en
nous.
La féconde difpofition de cet efprit de
renoncement & de pénitence , qui eft le
cara(9:ere de l'Efprit de Dieu , eft de ven-
ger la juflice de Dieu , que le défordre de
nos pallions a outragée : c'eft- à-dire , que
ce qui aous rend la violence indifpenfable,
46
2M L E J O U R
ii'eftpas feulement le befoin que nous avons
de régler & de réformer notre cœur, en
réprimant fes aifecTtions déréglées ; mais
encore l'obligation où nous femmes de fa-
tisfaire à la juftice de Dieu que nous avons
irritée par le dérèglement de nos affec-
tions. AuHi eft-ce le premier fentiment que
l'Efprit de Dieu opère dans une am.e re-
nouvellée : il la fait entrer dans les inté-
rêts de la juftice divine contre elle-même ;
il la pénètre de la crainte de fes jugemens ;
il l'anime d'un faint zèle contre une chair
qui a fervi à l'iniquité. L'efprit que je vous
promets, difoit Jefus-Chriil à fes Difci-
Joan,d, î^les , Convaincra le monde touchant la juf-
tice & touchant le jugement : Arguct mun-
i^uffi ae jujntia & judiclo ; c'elt» a- aire , il
fera connoître aux hommes combien ils
font devenus redevables à la juftice de
Dieu par leurs égaremens ; ce qu'ils doi-
vent fouffrir pour la fatisfaire ; ce que j'ai
fouffert moi-même pour les réconcilier
avec_ elle , & jufqu'où la juftice demande
qne Je pécheur fe punilîe iui-même , pour
expier fes crimes , & pour prévenir la fé-
vérité des Jugemens du Seigneur qui ne
peut les laiifer impunis : Argua mundiirn
de jujlitia & judicio.
Pour connoître donc fî nous avons reçu
l'Efprit de Dieu , il ny. a qu'à rentrer dans
notre cœur. Sentons-nous ce zèle de pé-
nitence 5 que les larmes , que les gémiife
rnens , que les violences ne faiiroient fa-
tisfaire 5 parce qu'il ne croit jamais Ini-mêv
DE LA Pentecôte. 235
me avoir afTez fatisfait à la juftice de Dieu ?
Faifoiis nous des devoirs de notre état , des
incommodités inféparables de la vie humai-
ne 5 de toutes les créatures qui nous envi-
ronnent, autant d'occafîons de facrifices &
de fouffrance ? Nous plaignons-nous de-
vant Dieu de la foibkffe de notre chair , &:
de ne pouvoir en faire par des fatisfaftions
rigoureufes , rinftriiment de notre péni-
tence , comme elle l'a été de nos crimes ?
La punillons nous du moins félon fes for-
ces , fi notre lâcheté & fafoibleffe ne nous
permettent pas daller au-delà ? Nous re-
gardons-nous comme àes crim.ineîs à qui
tous les plaifirs font interdits , & qui ne
peuvent éviter la morféteinelle qu'ils ont
encourue par leurs crirnes , qî}'^i) fe COIX-
fiîlî'rin^nt i une mort temporelle j c'ell-à-
dire , en mourant tous les jours par la pé-
nitence au monde , à leur chijir , à fes de-
firs & à toutes les créatures ?
Kéîas ! tous nos foins fe bornent à flatter
une chair que la juftice de Picil ne regarde
plus qu'avec horreur , & d'un œil d'indi-
gnation & de colère: nous ne fomnies ingé-
^nieux qu'à nous juftifier à nous-mêmes no»
tre immortification &: notre molleiTe : nous
regardons l'obligation de la pénitence , que
nos crimes paiTésnous rendent fi néceffaire
& fi effentielle , comme une obligation in-
différente & de furcroît. Loin d'être ani-
més d'un faint zèle contre notre corps ,
nous avons horreur de tout ce qui le gêne
& le mortifie ; loin d'entrer dans les iuté-
1^6 Le Jour
rets de la juftice de Dieu , nous plaidons
fans cefTe pour nous contre elle-même.
Nous trouvons mauvais qu'elle exige tant
de notre 'foiblefTe ; nous foutenons qu'on
poufTe trop loin la /evérité de {es préten-
tions ; nous adoucifîbns la rigueur de {qs
maximes ; nous leur donnons des interpré-
tations favorables à notre amour propre ;
nous diminuons fes droits pour augmenter
ceux de notre cupidité ; enfin , notre corps
nous eft plus cher que la juftice de Dieu
qui demande fa punition ; & l'efprit qui
nous anime , n'eft pas un efprit de zèle &
de pénitence , infcparable de l'Efprit de
Dieu ; c'eft un efprit de chair & de fang ,
qui ne pofTédera famais le Royaume pro-
mis à la croix &. à la violence.
Refl. -tl/Nfin 5 le dernier cara<B:ere de rEfprit
de Dieu , c'eft d être un Efprit de force &
de courage. Comme c'eft un Efprit qui a
vaincu le monde , qui a renverfé les Ido-
les , anéanti les fuperftitions , confondu les
préjugés 5 condamné les erreurs & les
fentes , combattu les payions ; en un mot y
comme c'eft un Efprit plus fort que le mon-
de 5 il ne craint pas le monde. AufTi les
Apôtres , auparavant foibles & timides ;
eux que la voix d'une femme avoit intimi-
dés ; eux que ia mort de Jefus-Chrift avoit
difperfés ; & qui cachés dans Jérufalem ,
n'ofoienî s'expofer à la fureur des Juifs ,
& rendre témoignage à l'innocence de leur
Maître , &: à la vérité de fa doSrine : dès
DE LA Pentecôte. 2.37
que rEfprit de Dieu eft defcendu fur eux,
ils ne connoiffent plus ces timides ménage-
mens; ils paroifTent avec une fainte fierté au
milieu de Jérufalem ; ils annoncent devant
les Prêtres & les Dodleurs, ce Jefus dont
ils n'ofoient auparavant fe déclarer lesDif-
cipîes. Non feulement ils ne craignent plus
les difcours publics ; mais ils méprifent les
menaces ; ils bravent les fupplices ; ils ré*
pondent hardiment qu'il eft plus jufte d'o-
béir à Dieu qu'aux hommes ; & com.me fi
la Judée n'avoit pas offert allez de périls &
afiez de pcrfécutions à leur courage, ils fe
répandentdanstout l'univers ; & la férocité
des peuples les plus barbares , 8c l'horreur
des tourmiens , & la cruauté des tyrans , &
l'attente de la mort la plus affreufe ; & le
monde entier révolté contr'eux , ne fait
qu'augmenter leur fermeté & leur conf-
tance.
Telle eft une ame pleine de TEfprit de
Dieu. Cet efpritqui humilie ou qui élevé à
fon gré les perfonnes ; qui fe joue des
Grands & des PnifTans ; quirenverfe ou qui
affermit les noms & les fortunes ; qui for-
me ou qui détruit les Royaumes & les Em-
pires ; cet efprit , fource de toute grandeur
dans le ciel & fur la terre 5 & devant lequel
tout eft néant , élevé une ame qu'il remplit,
7ai-deffus d'elle-même : il la fait participer
à fa grandeur & à fa fouveraineté ; il im-
prim.e en elle fescaraâ:eres divins de liberté
^v d'indépendance : il va la placer jufques
dans le fein de Dieu 5 d'où cette ame jet-
238 Le Jour
tant les j'^eux fur cet univers , les grandeurs
& les puifîauces de la terre ne lui parollFent
plus qu'un vain atome incapable de Tinti-
mider , & indigne même de ks regards ôc
de (es attentions.
Rien n'approche donc de l'élévation , de
la noblelFe , de la fermeté d'une ame que
l'Efprit de Dieu polFede. L'élévation t^ la
fermeté que le monde donne , eil toujours
mêlée de ménagement & de bairefîe , par-
ce qu^elle ell toujours foumife au monde, &
par quelque endroit dépendante de lui : au-
tant que nous tenons au monde, nous crai-
gnons le monde. Mais une ame jufte ne le
craint plus, parce qu'elle n'y tient plus : ùs
jugem.ens lui font indilTérens ; fes difcôurs
& fes déridons ne Tébranlent pas plus que.
le fon d'une cymbale retentiifante : elle fait
gloire de la vertu devant ceux mêmes qui
la méprifent : elle ne défère qu'à la vérité ;
elle ne ménage que la charité ; elle n'a point
de ces timides complaifances dont la piété
fouffre ; & qui loin d'édifier les pécheurs
qui les exigent de nous , les confirment
dans leurs erreurs injuftes. Voyez aujour-
d'hui les Difciples ; on traite leur zeie d'i-
vreife , & leur zèle ne fait que s'enflam-
mer ; on les prend pour des infenfés , &
Finjuftice des difcôurs publics ne fert qu'à
les confirmer dans leur fainte folie; on les
regarde comme des féduâieurs , & ils ne
font rien pour mettre le monde de leur cô-
té , que ce qu'ils ont fait pour le révolter
contr'eux ; c'eft-à-dire , le condamner ,
l'édifier &: le reprendre.
DE LA Pentecôte. 239
L^efprit du monde eft un efprit de fou-
pleffe & de ménagement. Comme l'a-
mour propre en cil le principe , il ne cher*
che la vérité , qu'autant que la vérité lui
peut plaire ; il ne fe déclare pour la piété ,
qu'autant que la piété trouve des paniians
favorables j il ne le fait honneur de la ver-
tu 5 que dans les lieux où la vertu Thonore,
Et voilà l'efprit qui nous régit , & qui nous
gouverne ; un efprit de timidité & de com-
plaifance : on craint d'être à Dieu , & dans
toutes les occafions où il s'agit de jfe dé-
clarer pour lui 5 on mollit & on fe mé-
nage ; & des qu'il faut s'expofer pour fa
gloire à la déri{îon& à la cenfure des hom-
miCs 5 on recule , & on fe fait de fa lâcheté
une faufle prudence ; & dès qu'il eft quef-
tion de déplaire pour ne pas manquer au de-
voir , on en croit la tranfgrefTion légitime ;
& la première chofe qu'on examine dans
les dém.arches que Dieu dem^ande de nous ,
c'eft fi le monde y donnera fon fuffrage; 6c
pour ne pas perdre l'eftime du monde, on
paroît encoîe mondain ; on parie fon lan-
gage , on applaudit à {es maximes , on
s'aiTujettit à fes ufages ; ^ pour éviter mê-
me d'être ennuyeux , on entre dans fes
plaifirs , on eft de fes difîipations 5 on par-
ticipe peut-être à fes crimes.
Nous n'avons qu'à nous juger de bonne
foi , pour convenir que c'eft là notre ca-
radlere. Toute notre vie n'eft qu'une fuite
de ménagemens & de complaifances , que
la Loi de Dieu réprouve : par-tout nous fa*
Z40 I- E Jour
crifions les lumières de notre confcîence
aux erreurs & aux préjugés de ceux avec
qui nous vivons. Nous connoifTons la vé-
rité , & cependant nous la retenons dans
l'injuftice ; nous applaudifTons aux maxi-
mes qui la combattent ; nous n'ofons réfîfter
à ceux qui la condamnent ; nous donnons
tous les jours à la flatterie & au defir de ne
pas déplaire , mille chofes que notre conf-
cience nous reproche , & d où notre goût
même nous éloigne : en un mot , no^is ne
vivons pas pour nous-mêmes & pour la
vérité ; nous vivons pour les autres & pour
la vanité : nous voulons plaire ; nous ne
pouvons nous pafTer du monde ; nous te*
nous à lui par des vues de gloire , de for-
tune , d'etablilTement , de crédit , de répu-
tation 5 d'amufement , mêm,e d'amitié &
de fociété ; & de-là vient que dès que la
vérité eft en concurrence avec quelqu'une
de ces pafTions , & qu'il faut leur donner
atteinte en fe déclarant pour elle , nous l'a-
bandonnons ; nous nous ménageons , nous
dilTimulons , nous nous faifons de faufles
maximes pour juftifier nos tem.péramens
injufles ; nous nous perfuadons que la vie
du monde, oùnousfommes engagés , nous
les rend inévitables. Ainfi toute notre vie
fe pafTe à déférer aux autres , à nous ac-
commoder à leurs pallions , à fuivre leurs
exemples , à confentir à leurs maximes :
nulle fermette , nulle réfiftance , nul cou-
rage ; tout nous ébranle , tout nous en-
traîne j la complaifance eft le grand reiîbrt
de
DE LA Pentecôte. 141
cîe toute notre conduite , & n'ayant peut-
être point de vices à nous 5 nous devenons
coupables de ceux de tous les autres j àC
nous ne pratiquons aucune vertu.
Cependant comme nous confervons dans
le cœur un relie d'amour pour la vérité j
que nous ne nous livrons au monde qu'à re-
gret j que nous en évitons les égaremens y
que nous nous diftinguons de lui par les ac-
tions extérieures de la piété , nous croyons
ne pas lui appartenir comme cqs âmes mon-
daines qui en font enivrées ; mais nous nous
trompons ; il eil sûr du moins que nous
n'appartenons pas à TEfprit de Dieu ; que
ce n'eft pas lui qui nous conduit & qui
nous poflede. Car cet efprlt divin eft un
Eiprit de force , de fermeté , de courage :
il ne craint pas le nîonde j parce qu'il mé-
prife le monde : il ne veut pas plaire au
monde .5 parce qu'il eft crucifié au monde :
il ne recherche pas les fuifrages du monde ^
parce qu'il jugç les jugemens du monde :
il ne ménage pas l'amitié du monde , parce
qu'il eft ennemi du monde : il ne fe laift*e
pas ébranler par les exemples du monde ,
parce qu'il a vaincu le monde. Le cara(fbere
le plus oppofé à i'Efprit de Dieu , c'eft ce
caradiere de la lâcheté & de la complaifaii*
ce ; & la marque la plus sûre que Dieu n'eft
pas dans un cœur, & qu'on eft encore au
monde , c'eft lorfqu'on le craint plus que la
vérité , qu'on le ménage aux dépens de la
vérité , qu'on veut lui plaire malgré la véri-
té 5 & qu'on lui facrlÊe fans celle la vérité*
MyJUrcs. JL
242- Le Jour de la Pentecôte.
Grand Dieu ! répandez aujourd'hui dans
nos cœurs ce triple efprit de recueille-
ment , de renoncement , de fermeté , qui
répandu autrefois fur vos Difciples , en fit
des hommes nouveaux , les vainqueurs du
monde, & les témoins delà vérité : anéan-
tiiîez en nous cet efprit du monde , cet ef-
prit de difTipation , d'imm.ortification , de
complaifance & de lâcheté y qui ferme de-
puis fi long-temps dans nos cœurs l'entrée
â votre Efprit divin : renouveliez en ce jour
aoos defirs , nos affeâiions , nos fentimens ,
nos penfées. Venez , Efprit de vérité j dans
nos cœurs , prendre la place du monde
miférable qui nous déplaît , & auquel nous
n'avons pas la force d'ofer déplaire ; Se
«près avoir établi ici-bas en nous votre
demeure j faites que nous devenions les
temples éternels de votre gloire & de
votre vérité.
Ainji foit'iU
î4î
^>
-=Sîa:
%
A :x;:;<:::-::>:^>:>:>:::
l:/!''^^.
XijrJ'
•SE
SERMON
POUR LA FETE
DE L'ASS OMPTIO Jf
DE LA Ste. vierge.
Sur les confoladons & la doire de la mort
de la fainte yiergc.
tndica mihî i quem diligit anima mea , ubi pafcas i
ubi cubes in meridié.
O vous qui êtes le -bien- aimé de mon ame t
inontrei-mQi-oÎL e/î le lieu de votre repos é de
vos pâturages éternels. Cant. i. 6,
TE L eft le langage de lame fîdele fur
la terre. Eloignée de {on époux , que
les nuages de la mortalité lui dérobent en-
core ; ne trouvant rien ici-bas qui puiile
confoler fon amour de cet éloigaement ^
que l'efperance de le voir bientôt finir;
foupirant fans ceffe iiprès cet heureux mo«»
L 2
244 L'Assomption
ment , qui doit lui ouvrir les Cieux , ^ lui
montrer TEpoux immortel qu'elle aime;
&: faifant de la durée & des amertumes de
fon exil , l'exercice de fon amour , & tout
le mérite de fa foi & de fa patience : O vous ,
s'écrie- 1- elle fans cefTe , qui êtcsk hUn-aimé
de mon cœur , montrez-moi ou ejl le lieu de
votre repos , & de vos pâturages éternels.
Maiscom^me les illufîons des fens mêlent
toujours à la foi des âmes les plus pures
mille attachemens inévitables > qui parta-
gent ici-bas leur amour ; qui rallentiffent
-en elles le defir des biens éternels , & qui
font 5 félon TApôtre ^ qu'elles voudroient
bien à la vérité être revêtues de l'immorta-
lité 5 mais fans être dépouillées de lamor-
n Cor, talité qu'elles aiment encore : Nulumiis
*• ^* cxfpoliari ^fedfupervefliri : on peut dire que
cette difpofition de détachement univerfel
de la vie &: de toutes les créatures ^ cette
trifteife fùif la longueur de cet exil , cette
joie & ce tréifaillement à la vue de la mort,
^ de l'heureufe délivrance j n'a été parfai-
te que dans Marie ; & qu'elle feule , en
ce jour confacré pari'Eglife à fa fortie de la
terre , & à fon exaltation dans le Ciel , a
droit 5 comme la véritable époufe , de te-
nir ce langage d'amour : O vous qui êtes le
hien-aimé de mon cœur ^montrei-moi où efllc
lieu de votre repos & de vos pâturages eter^
nels.
En effet , les amertumes & les abaifîe-
nens de fa vie mortelle trouvent aujour-
iJ'hui dans fa mort , & dans {on heureufe
DE LA Sainte Vierge. 2^45
AfTomption, leurconfolation & leur gloire.
A lexemple de fon cher Fils , la terre avoit
été pour elle un lieu d'opprobres & de fouf-
frances. Fille de douleur ; dégradée de
tous fes titres ; inconnue dans tous Tes dons;
confondue avec les autres mères de Juda ,
il étoit jufte enfin que la gloire de fon Fils
fût réparée en fa perfonne ; & que toujours
femblable à lui ^ les merveilles de fa mort
corrigeaflént lobfcurité de fa vie.
Ce font donc les confolations 8c la gloir«
de la mort de Marie , que nous allons dé-
velopper aujourd'hui , &: qui renferment
tout le Myftere que l'Eglife propofe à la
piété des Fidèles. Les confolations de fa
mort , qui compenfent les amertumes inté-
rieures dont fon ame fainte avoit toujours
été affligée durant fa vie ; la gloire de fa
mort , qui répare les humiliations qui Ta-
voient toujours accompagnée fur la terre :
voilà tout le fujet de ce Difcours. Nous
avons befoin de fon entremife pour obtenir
les lumières de TEfprit ùi'mt, Ave , Maria*
o
N peut dire que Marie avoit éprouvé j
trois fortes d'amertumes durant le cours P4KTIE
de fa vie mortelle ; & que ç'avoient été là
comme les trois traits qui avoient percé fon
cœur 5 & confommé le facrifice de fes dou-
leurs & de fes peines : une amertume de
déîailfement , une amertume de zèle , &
une amertume de defîrs. Or à ces troi^
amertumes , répondent trois confolations
à fa mort , qui vont nous développer la
L3
'Z4<^ L'ASSOMPTIOM
première circonftance de ce Myftere : une
. confoiation de force & de courage ; une
.confolaîion de paix &: de joie ; une con-
iblaîion de polIeiTion & de jouifTance. En-
trons dans le détail , & m'honorez de vo-
tre attention.
J'appelle en premier lieu l'amertume de
délaiirement que Marie avoir éprouvée ,
J'indifférence & les rigueurs apparentes
dont Jefus-Chrift avoit toujours femblé
payer fa tendreiîe & fes plus faints empref-
iemens. Nous ne voyons nulle part qu'il
Ja diiiingue par les égards & les tendres
attentions , que fembloit demander l'au-
torité qu'elle avoit fur lui., &c l'amour qu'il
avoit pour elle. Caché dans le Temple à
l'âge de douze ans , il paroît blâmer l'in-
quiétude où Tavoit jcttce la crainte de l'a-»
voir perdu ; & loin d être touché des al-
larmes & des emprellemens de fon amour ^
il ne lui parle que du Père qu'il a dans le
ciel , comme s'il avoit oublié qu'il eût une
inere fur la terre. Aux noces de Qana , de
peur , ce femble , que Marie ne partageât
iîvec lui dans Tefprit des conviés la gloire
du prodige qu'il ailoit opérer , il déclare
qu'il n'a rien de commun avec elle , &
que c'eft à fon Père feiil à lui marquer les
temps i^ les momens où il doit fe manifef-
ter ,par des miracles , comme c'eft de lui
feul qu'il tient la puiifance de les opérer.
Si les femmes de Jérufalem appellent heu-
reufe les entrailles qui l'ont porté , il fem-
hk ravir à Marie.wie louange que. l'Ange
DE LA Sainte Vierge. 247
lui-même lui avoit donnée , & leur annon-
cer qu'il n'y a d'heureux fur la terre , que
ceux qui obfervent la Loi de Dieu. Si
dans une autre occafion on le fait fouvenir
que fa mère & fes frères l'attendent avec
impatience , il répond , qu'il ne reconnoit
peur fa mère & pour fes frères , que ceux
qui font la volonté de fon Père qui eft dans
le Ciel. Enfin par-tout elle paroit oubliée ,
& toures les fois que les Evangéliiles noug
en parlent dans l'hiftoire de fon Fils , c'eft
pour nous rapporter quelque rigueur ap-
parente de Jefus-Chrift envers elle.
Telle avoit été la conduite de Dieu fux
cette fainte fille de Juda. Toujours éprou-
- vée par des délaiffemens & par des rigueurs
de la part de Jefas-Chrift ; toujours co*i-
d-jire par des voies dures &: rigoureufes ,
elle devoit fervir de modèle & de confola»
tion aux âmes que Dieu éprouve , aufquel-
les il ne fait jamais fentir un feul trait de
confolation dans ToLfervance de fes corn-
jTiandcmens ; & qu'il livre à tous les dé-
goûts & à toutes les féchereffes d'une ver-
tu trifte &: amere. Elle devoit leur appren-
dre que cette voie de délailTement, fi pé-
nible au goût des fens & de la nature , a
foii mérite & fes avantages aux yeux de la
Foi ; que c'eft d'ordinaire la voie des âmes
pures & parfaites ; que les goûts fenfibîes
font fouvent les appuis de la foibleffe , plu-
tôt que les fruits de la vertu ; que la Foi
feule des promefTes doit foutenir l'ame fi-
dèle ; que fuivre Jefus-Chrift par le feul
L4
t4* L'Assomption
' attrait des confolations attachées à fon joug^
c'eft courir après foi-même ; que le carac-
tère de Ja Foi eft d'attendre , de foupirer
& de foiifFrir ; que le temps de la vie pré-
fente eft le temps des privations 5 & non
des confolations ; que le Seigneur cfl ici-
bas un Dieu caché ; & que plus il veut
«unir une ame par une Foi vive & ferven*
te 5 plus il la prive de ces confolations hu-
maines , pour lui rendre cet exil encore
plus infupportabîe ; pour allumer chaque
jour en eile le defir de cette patrie immor-
telle , où pleins du Dieu qui nous rendra
heureux , nos cœurs ne pourront plus goû-
îer que ce bien ineftimable ; & où la vé-
rité vue à découvert , paroîtra toujours ai-
mable 5 parce que nous la verrons toujours
teik qu'elle eft.
Et en effet , Tétat de la Foi où nous vi*
vous, ne connfte pas feulement dans la
foumiffion de Tefprit à des vérités qui ne
nous font pas encore montrées par des lu-
mières claires & évidentes ; mais encore
par l'adhérence du cœur à des biens invi-
îibîes & éternels , dont la beauté ne fe fait
pas encore fenîîr à nous par des goûts &
Ses plaifirs fenfibles. La Foi renferme donc
•deux privations elfentielles , uiie privation
de lumières & une privation de plaifir : il
faut pouvoir croire ce qu'où ne voit pas ,
& aimer, pour ainli dire 5 ce qu'on ne
fent pas encore. C'eil l'état de la patrie de
voir toujours la vérité , & de fentir tou-
jours qu'elle eft aimable : mais il faut mé-
DE LA Sainte Vierge, i4f
rîter cet état heureux , en facrifiant fansr
cefle nos propres lumières , aux lumières
& aux vérités que nous ne voyons pas ,
& les plaifirs fenfibles qui nous environ-
nent , aux plaifirs invifibles & feuîs dignes
du cœur , que nous ne fentons pas en*
core.
Ce n'eft pas que le Seigneur n'avance
quelquefois à des âmes juftes & privilé-
giées ces dons ineffables qui leur font pré-
parés dans le ciel. Il en efl qu'il favorife-
de lumières extraordinaires , & aufquelles,
il révèle comme à Paul , des fecrets 8c,
des myfleres , qu'il n'efl pas prefque per-
mis à l'homme de publier. Il en eft d'au--
tres fur lefquelles il verfe abondamment
ces plaifirs fecrets & indicibles , que le
cœur de l'homme n'a jamais goûtés , 8c
qui ne pouvant porter la plénitude du DieUr
de toute confolation qui les remplit j font,
obligés de lui demander qu'il fu^endc l'a^
bondance de fes dons , ou qu'il les modère.,
Mais ces faveurs fortent de la voie com-p
mune de la Foi : fillufion même y efi à^
craindre : notre fiecîe & les flecles. pafTés,
en ont fourni de triftes exemples. Les fin-^
gularités de la piété dégénèrent fouvent eut
îanatifme. Tout efprit ne vient pas de Dieu;:
fouvent ccg lumières extraordinaires qu'oa
croit venir du Ciel , font des lueurs trom-^
peufes , qu'une imagination échauffée SÇv
féduitc produit , & qu'une vanité fecretté ,
confacre; & les Prifcillçs nous ont inflruitS;,
à Aous.défiçx d'une voie^ qui fous préte^t^
t5
2"5o L'Assomption
de nous mener à la perfeâion , nous con-
duit dans le précipice : fouvent ces goûts
feniib-es- ^ aboridans , qu'on croit être le
fruit ' de-lir grâce- 5 i font des fentimens hu-.
mùins , qu\ine tendreiîe naturelle excite,
& qui fiattent la cupidité fans coriiger la
vertu ; & tandis qu'on fe croit plein de
Dieu ^ on n'eft rempli que de foi-même.
La voie des privations eft toujours la plus
sûre 5 parce qu elle eft la plus conforme à
l'état ordinaire de la Foi. Ainfi loin de fe
décourager des dégoûts qu'on éprouve
dans les voies de Dieu , & de fe perfua-
der que nos hommages ne lui plaifent pas ,
parce que nous n'y trouvons aucun plaifir
nous-même ; il y a bien plus de lieu de
préfunier que plus les devoirs que nous
iùîrendphs, nous coûtant, plus ils ont de
2îlérite-à^ fés yeux ; & que les mêmes de-
points qui font la peine & la trifteife de
notre vertu , en font en même temps la su-
lété & l'excellence.
' y^ilà' les délaiifemens que Marie avoit
^fyrbi^vés fur la terre. Il étoit donc jufte
<|ue la préfei^ce vifible de J. C.fût la pre-
Jîîière cènfolation de fa mort ; qu'il Rit le
^eftateur de ce dernier combat-; qu'il vînt
îafoutenir dans cette dernière heur€ ; qu'elle
fît entre fes bras le facrifîce de fa vie ; qu'il
fûtlui:iï]êînè fon Angéconfolateur; & qu'il"
/ê'hâ^aîd^'aptànt plus de venir fe montrer à'
c?tte aniéîrnpatiente d'être réiïhie à lui ,
qfi'ilavoitp^mprefqûetou jours fërefufer & •
i^àà^îierj^ pourâinfitifrej à elle fui' la terre#^
DE LA Sainte Vierge, Z51
La féconde amertume que je remarque
dans la vie de la fainte Vierge , eft une
amertume de zèle. Avec quelle douleur
yoyoit - elle l'iautilité des prodiges , des
inftruftions ^i de tout le miniftere de Jefus-
Chrift dans la Judée ! Les pièges que le»
Scribes & les Phariliens dreiToient à fon in-
nocence ; la défe£lion même de Tes Difci-
pies; fa mort cruelle & ignominieufe ; l'in-
gratitude & l'endurciffement d'un peuple
qui le rejettoit ; toutes les promefTes faites
à leurs pères , tous les foins que le Sei»
gneur avoit pris autrefois de Jérufalem ,
terminés par fa réprobation & par fa perte.
Le malheur de (es frères félon la chair fai-
foit fon occupation la plus trifte & la plus
ordinaire : elle offroit fans ceffe pour eujç
les vertus de leurs ancêtres , des Abra»
hams 5 des Davids , des Prophètes , pour
appaifer la colère de Dieu & adoucir par
la mémoire de ces hommes fidèles , les
crimes de leurs defcendans. AufTi dans
l'Evangile on nous la repréfente par-tout ,
recueillie , occupée àes malheurs de Jé-
rufalem & des deffeins de colère que le
Seigneur alloit &ire éclater fur cette ville
infidèle.
Il falloit qu elle apprit aux âmes jufies ,
& à celles fur-tout qu'un faint afyle met à
couvert des périls du monde , à s'occuper
fouvent aux pieds des autels des maux 8ç
des befoins de l'Eglife ; à gémir fur lef
fcandales qui la deshonorent ; à folliciter les
grâces du ciel pour leurs ùçies feloa ia
h6
152 L As SOMPTIO N
chair , que îe torrent des plalfirs & cîcs
tentations humaines emportent , & qui vi-
vent dans un oubdi entier des chofes du
Ciel.
Ce fut un des principaux motifs qui dé-
termina le faint Fondateur des Vierges
* ferventes qui m'écoutent , à élever ces
pieux afyles , on elles répandent aujourd'hui
avec tant d'édification fur toute l'Eglife la
bonne odeur de Jefus- Chriir. Il voulut af-
fembler fous les mêmes loix de la charité
& du déponillement religieux des âmes
innocentes , qui cachées dans le fecret du
Sanétuaire , puifent gémir , comme la co-
lombe 5 fur les maux qui affligent l'Eglife ;
demander tous les jours au Seigneur , des
Pafteurs vigilans pour la conduire , des
Dc(5l€urs éclairés pour la défendre ; des
Prêtres irrépréhenfibles & zélés pour l'édi-
fier ; des Princes religieux pour la proté-
ger & pour l'étendre : demander l'extinc-
tion des fchifmcs & des erreurs ; le triom-
phe de la vérité ; la ceffation des conten^
tions & des tr&ubles ; l'établilTement de
la paix & de la charité : dcinander des lu-
mières & des £ècGurs puifTans pour les Mi-
nières de la parole qui font chargés de
l'œuvre de Dieu , & qui travaillent à rap-
peller les pécheurs de leurs voies égarées ;
enfin être auprès du Seigneur comme les
médiatrices cominuelles des Fidèles y les
relfources des maux de l'Eglife , les vi£li-
"^ Les Keligkufes de la Vijïtat'wn de Chatllot ^
pu étoit in Reinç d'AngUterre*
DE LA Sainte Vierge, 255
mes des péchés d'autnii ; & dans les lar-
mes &les privations de leur retraite , pren-
dre fur elles-mêmes les iniquités de leurs
frères. C'eft ce zèle de la gloire de Dieu ^
du progrès de la Foi & de la piété , ce de-
fir de la converfion des pécheurs &J de Tac-
croilfement du règne de Jefus-Chrift fur la
terre , qui eil comme l'ame & le caractère
particulier de ce faint Inilitut. D'autres fe
dévouent aux faintes rigueurs & aux ma-
cérations continuelles de la pénitence; ici
on fe confacre aux gémiifemens de la priè-
re , & aux faintes amertumes du zèle & de
la charité.
Et voilà cette amertume de zele & de
douleur , qui avoit toujours occupé le
cœur de Marie dans tous les états de fa vie
mortelle. Elle ne comptoit pour rien {a
propre gloire , fon élévation de grâce , de
lumière & de dignité , tandis qu'elle voyoit
le nom. de fon Fils hlafphémé par ibn propre
peuple, fon miniftere rejette , fcs prodiges
foupçonnés d'impoiiure, fes' Difciples per-
fécutés , & Ifraèl périr fans refîburce. Car
l'amour , lorsqu'il eft parfait 5 eft moins
touché de fes propres intérêts , que des in-
térêts de l'objet qu'il aime. Vous recon-
noiifez à ces traits , Vierges faintes , la foi
& le zele ardent de la pieufe * Princeffe qui
vous anime ici par fes exemples ; l'égare-
ment & l'incrédulité de fes peuples la tou-
che plus que leur révolte &: leurdéfeâion ;
& elle gémit bien plus fur la perte de leur
!^ La Reine d'Angleten^
254 L'As SOMPTION
foi , qr.e fur celle de fa couronne.
Ilfaiîoit donc que ce zèle d'amertume &:
de douleur , qui avoit rempli tout le cours
de la vie de Marie , fe changeât à fa mort
en une confolation de paix &: d'allégrefTe.
C'eft alors que les nuages de fa mortalité
étant déjà dilîipés , & fon ame fainte en-
trant déjà dans la lumière inacceflible des
confeils de Dieu , elle voit à découvert les
raifons profondes & adorables de la fageife
divine fur les événemens de fa vie , qui
avoient tant contrifté fon zèle & fa tendref*
fe. Elle voit l'utilité qui devoit revenir aux
hommes des opprobres de fon Fils , & de
l'en du rcilTe ment des Juifs ; les grands avan-
tages que l'Eglife alloit retirer de leur
haine envers Jefus-Chrift ; ce nombre in-
fini de Martyrs qui rendoient gloire à Dieu
par leurs tonrmens & par leur patience ;
cette multitude de Fidèles , qui rempla-
cera abondamment la Jerufalem incrédu-
le 5 & qui croîtra du fang même des Mar-
tyrs ; les Tyrans défarmés par la foibleïïe
de l'Evangile ; les Céfars convertis par
l'opprobre de Jefus-Chrift ; les Philofo-
phes ramenés par la folie de la Croix ; la
pompe & la magnificence de l'Eglife fuc-
céder à i'obfcurité de ces triftes commcn-
cemens ; la gloire de fon Fils rejaillir fur
elle-même , & fon culte devenir une des
plus confolantes reifources de la piété des
Fidèles.
C'eft ainfi qu'une ame jufte au lit de la
mort découvrira avec confolation toutes
DE LA Sainte Vierge. 255
les raifons de la fageffe divine dans les di-
vers événemens de fa vie. C'elt alors qu'elle
commencera à voir les rapports fecrets que
ces difgraces , ces atfiiâ:ions , ces fitua-
tions défagréables où elle avoit prefque
toujours vécu , avoient avec fa fan6^ifica-
tion éternelle. C'eft alors que Tordre des
defTeins éternels fur elle lui étant d'avance
manifefté , elle verra que tout avoit {es
raifons & fes utilités dans les voies par où
la main de Dieu l'avoit conduite ; que tout
à fon infçû coopéroit à fon falut que les
contradiâiions mêmes qu'on fufcitoit à fa
piété , étoient des miféricordes de Dieu
fur elle; que la malice & la perfidie qu'elle
avoit éprouvée de la part de ceux mêmes
qui lui dévoient une inviolable fidélité ,
n'étoit qu un moyen dont Dieu fe fervoit
pour purifier fa foi; que ces événemens fi
triées , & qui en renverfant fa fortune, pa.
roiiibient en même tem.ps fi funeftes à la
Religion , n'étoient que des voies sûres &
fecrettes , par où Dieu vouloit la fenftifier ;
& que la juilicede Dieu facrifioit des peu-
ples & des royaumes entiers qu'il livroit à
un efprit d'erreur & de révolte , qu'elle les
facrifioit , dis je , àfa sûreté & à fa fanâ:i-
fication particulière. Elle verra que la pro-
pagation du fchifme 6c de l'erreur 5 qui
avoit fi fort contrifté fon zèle & fa piété ^
fervoit à fortifier dans la Foi un petit nom-
bre d'ames juftes , qui vivoient au milieu
de la contagion , fans en être infeâées ; que
les maux de l'Eglife ; dont elle gémiiToit^
1^6 L* Assomption
contribuoîent àfa gloire & à fon triomphe ;
& qu'enfin en n'exauçant pas les defirs
de fon cœur , le Seigneur les accomplif-
foit d'une manière plus glorieufe à la Foi y
& plus utile à fon falut.
Hélas ! mes Frères , on regarde pré-
fentement robfcurité où vivent les âmes
juftes 5 leur éloignement du monde , de
fes intrigues , de fes prétentions , de fes
efpérances , de tout ce qui réveille les paf-
fions humaines 5 on le regarde comme une
vie rampante , inutile , oifeufe : on regarde
les œuvres de miféricorde 5 & les faintes
agitations , dont elles fe font des affaires
férieufes , comme de pieufes inquiétudes
que la vivacité ou la fimplicité de leur zèle
confacre. Mais dans ce dernier moment
tout ce que nous aurons fait de plus écla-
tant pour le monde y nous paroîtra infenfé
& puérile ; ces aérions célèbres que les
feom^miCS avoient fî fort admirées ; ces en-
treprifes conduites avec tant de jfecret &
de fageffe ; ces victoires , ces fuccès , ces
talens éminens qui nous feront jouer un fî
grand rôle dans nos hiftoires , tout cela nous
ne le regarderons plus alors que comme
des fcenes puériles , & des amufemens
d'enfant. Toute notre vie nous paroîtra
une enfance continuelle : tout ce que nous
avons fouffert pour le monde , ces foins
pour acquérir une vaine réputation ; ces
efforts pour parvenir ; ces complaifances
& ces affujettiffemens qui avoient tant
coûté à noue fierté y ces attentions pour
DE LA Sainte Vierge. 15^
àes maîtres , qui en avoient fi peu pour
nous , de toutes ces peines il ne nous en
reflera que le regret inutile de les avoir
perdues. Nous verrons que tous nos de-
fîr& & tous nos foins n'avoient pour objet
que des phantômes ; que nous courions
comme des infenfés après une fum.ée qui
s évanouit ; & que l'accompliflement mê-
me de nos defirs auroit été la plus terrible
de nos infortunes. Nous nous dirons alors
à nous-mêmes : Falloit-il tant s'agiter pour
ne rien faire ? hélas \ falloit-il mener une
vie fi laborieufe , pour ne trouver au bout
que le chagrin de s'être trompés 5 & rcf-
fembler à ceux qui fe font fatigués en fui-
vant une fauife route , êc qui ne feravifent
enfin que lorfque les forces leur manquent,
& qu'il n'eft plus temps d'en chercher une
nouvelle ? Que ne placions-nous mieux nos
foins &nos peines ? Les faveurs de la terre
fe font éloignées de nous à mefure que nous
courions après elles ; les faveurs du Ciel ,
les biens éternels 5 il fuffifoit de les defirer
pour les obtenir.
Àufii la dernière amertume de la vie de
Marie fur la terre, avoît été une amertume
de defir. Depuis fur-tout que fon cher Fils
eût quitté la terre , tous les defirs de fon
cœur le fuivirent dansleféjour de rim.mor-
talité : elle ne regarda plus cette vie mor-
telle que comme un long & trifie.exii : fé-
parée de l'objet unique de fon amour , tous
fes vœux , toutes fes penfées , tout ion
cœur fut dans le Ciel. Ainfi étrangère fur
25^ L' A s s O M P T I O N
la terre , cachée aux yeux des hommes ,
inconnue au monde , elle difoit fans celle
comme TEpoufe : 0 vous , le bien aimé de
mon cœur , montrei-moi oii efi le lieu de l'o-
trc repos & de vos pâturages éternels. Sans
celle 5 comme le Prophète , elle fe plai-
gnoit de la durée de Ton pèlerinage : fans
celte elle difoit comme lui : Quand irai-je ,
o mon Dieu , dans votre demeure éternelle ?
quand pcroîtrai-je devant la face de mon
Seigneur ? iMorte à toutes les créatures ;
plus unie à fon Fils par les efforts vifs &
continuels d'un cœur qui s'élevoit fans ccfTe
vers le Ciel , qu'attachée à la terre par les
foiblcs liens qui l'y retenoient encore ; dé-
chirée 5 pour ainfi dire , & par le mouve-
ment rapide qui portoit fans celle fon ame
vers fon Seigneur , &: par le poids d\ni
corps terreftre qui Farrêtoit encore ici-bas ,
elle mouroit tous les jours d'amour & de
trifteife ; &: la véhémence de fes delirs ,
qui faifoit la plus parfaite de Ces vertus ,
faifoit aufîi la plus vive de fes amertumes.
Nous ne fentons pas jufqu'où peut aller
Texcès de cette peine , nous que mille
liens attachent encore à la terre ; nous qui
tenons encore à tout ce qui nous environne ,
aux monde , à nos biens , à nos proches ,
à nos amis , à nos dignités , à notre for-
tune 5 à nous-mêmes. Nous ne fentons pas
ce que fouifre une ame , qui n'aime plus
rien ici-bas , qui ne vit plus que pour fon
Dieu 5 &: qui eft obligée de vivre loin de
lui dans ce lieu de larmes & de tentations j
DE LA Sainte Vierge. 25^
/ans cefTe expofée à le perdre , & jamais
sûre de le pofféder. Nos dégoûts de la vie
font des dégoûts de nos pafTions ; font des
inquiétudes fccrettes de nos crimes ; fout
des mécontentemens d'un monde qui nous
a trompé ; font un relTafiement de toutes
les créatures, dont nous avons abufé; font
des recherches de nous - mêmes. Nous
fommes fâchés de ne rien trouver ici- bas ,
qui puifTe nous rendre heureux ; & nous
voudrions , parmi les objets fenfibles qui
nous environnent, en rencontrer quelqu'un
où notre cœur pût fe repofer , & qui fût
capable de le fixer & de le fatisfaire.
Parmi les âmes mêmes confacrées au
Seigneur , il en eft peu qui fentent la trif-
tefîe de cet exil , & Féloignement où nous
y vivons de Dieu. On fent la dureté de la
croix qu'il faut porter pour être difciple de
Jefus-Chrift ; on fent la triftelTe &c les
amertumes de la vertu : mais on ne fent
pas la privation des biens ineffables que
Dieu a préparés à ceux qui l'aiment ; on ne.
fent pas les ténèbres d une raifon déchue
de fa dignité , toute enveloppée dans les
feus , & qui ne voit plus que confufément
les lumières éternelles de la vérité , en quoi
confiftoit toute fa félicité &: toute fon ex-
cellence : on ne [qui pas la foibleife &rim-
puilfance d'une volonté née pour jouir de
Dieu 5 & qui a befoin de fe faire une vio-
lence continuelle pour fe défendre de l'a-
m.our injufte des créatures , & pour aimer
l'Etre fuprême ; on ne fent pas en un mot ,
l6o UAsSOfTPTÏÔîT
cette contrariété de defirs entre la loi det
membres &: la loi de refprlt , qui rend îa
fervitude du corps R humiliante oL Gl infup-
portabîe à Famé fidèle. Ces grandes four*
ces des larmes & de la trifteile des Saints
fur la terre , & qui forment proprement
l'état & la vie de la Foi ^ n'entrent pour
rien dans notre piété ; & la raifon en cft ^
qu'avec le nom & les apparences de la ver-
tu , nos cœurs font encore fur la terre.
Mille attentions étrangères nous occupent
encore ; mille attachem.ens frivoles parta-
ient > afFoibliiTent encore l'amour que nous
devons à Dieu ; mille erreurs , qui nailfent
de la foiblefle de notre foi , nous font per-
dre de vue les vérités éternelles. Et ce
qu'il y a de plus triôe , c'eft que fouvent la
charité étouffée par cette multitude d'a-
mours injuftes ^ le defir des biens éternels
abfolument éteint 5 parmi tant d'objets fen-
fibles qui nous occupent & qui nous atta-
chent, nous perdons la grâce à notre infçû.
Nous fommes morts devant Dieu , que
nous nous croyons encore vivans , & fans
que nous fâchions par quel endroit la mort
eft entrée dans notre ame.
Mais l'a me fainte de Marie ne trou voit
plus rien en elle , qui ne vînt de la grâce t
plus de defîrs que pour le ciel ; plus de
mouvement que pour fon Dieu ; plus de
joie que dans l'efpérance de voir fon bien-
aimé. Cette ame pure , dont le cœur n'é-
toit pas répandu comme le nôtre fur mille
objets vains & injuftes , & toute recueillie
DE LA Sainte Vierge 2<5i
dans la charité ^ fentoit toute la défolation
qu'infpire un amour violent , lonqu'il cil
fépaT^ de ce qu'il aime. Auïîi fa inort n'efl:
que le temie de ics foupirs , la confolatioa
de fa tendrefTe , le but de tous fes defirs.
Elle retrouve ce qu'elle avoit comme per-
du : elle va rejoindre ce cher Fils , que la
malice des hommes , ou plutôt les ordres
rigoureux de fon Père avoient fépare d'elle.
Mais ce n'eft pas feulement fon<:œur qui
XSL fe réunir à ce qu'elle aime ; fon amour
ii*a plus rien à délirer ^ on rend fa félicité
entière & accomplie. On ne laiffe pas at-
tendre à fon corps la rédemption parfaite
fous l'empire de la mort 4 on lui avance ce
moment heureux de délivrance , qui n'eft
marqué pour les Elus qu'au jour de la ré-
vélation ; & elle va voir dans fa chair fon
Sauveur , qui en étoit le chafte fruit* Quel-
les furent alors les confolations ineffables
de cette union fi long-temps defîrée ! & qui
pourroit exprimer ici les tranfports du
cœur de Marie à la vue de fon Fils glo»
rieux & immortel , adoré des Anges &
^es Saints , & lui découvrant les richeifes
incompréhenfibles de fa divinité & de fa
gloire ? Mais ce font là des fecrets que
l'œil n'a jamais vu , & que le langage de
l'homme ne fauroit faire comprendre.
Ce qui nous regarde , mes Frères , c'eft
que la mort n'a rien que de confolant pour
une ame.jufte. Elle ne la .fépare que de ce
qu'elle n'avoit jamais aimé d'un monde ^
gu.elle avoi^ u.ouvé plein d'eajouis & dg.
%6i L' Assomption
pièges ; d'une terre , où elle avoit toujours
vécu comme étrangère; d'un corps , qu'elle
avoit toujours haï, combattu, crucifié,
& qui avoit été la matière de toute fes ten-
tations & la fource de toutes fes peines ; de
toutes les créatures , qui en foulageant (qs
befoins , les multiplioient , & aggravoient
fa fervitude. Elle s'applaudit d'avoir mé-
prifé à^s biens qui vont lui échapper ; dô
n'avoir pas mis fa confiance dans des hom-'-
liies qui ne peuvent plus rien pour elle ; '
de ne s'être pas bâti une cité permanente
dans un monde qui va périr ; à de n'avoir
pris de mefures que pour une autre vie ,
où les conditions ne changeront plus. Elle
touche enfin à ce moment heureux , qui va
la rendre à fon Seigneur , en qui feul elle
avoit toujours mis toute fa confiance : à ce
moment, qui va finir une vie trifte, morti-
fiée, péri lieu fe , lugubre, & commencer
le jour ferein de rÉternité.
Oui 5 mes Frères , le véritable fecret
de trouver la mort douce & confolante ,
c'eft de fe détacher par avance de tout ce
qu'elle nous enlèvera ; c'eft de mourir
chaque jour à quelqu'un de ces attachemens
fi chers qu elle rompra : c'eft de s'accoutu-
me à vivre feul avec Dieu au milieu de
toutes les créatures qui nous environnent :*
puifque'la mort n cft que la folitude éter-
nelle de l'ame kvec Dieu. Le pécheur
meurt bien plus , pour ainfi dire , qne le
jiifte : il meurt à tout ce qui l'environne,
i>aic« qu'il teaoit à tout. Autant de Uea»
DE LA Sainte Vierge. i6^
qu'il faut rompre , autant de morts parti-
culières qu'il endure : il meurt à fon corps ,
qu'il avoit toujours idolâtré : il meurt à Ces
biens & à fes places , qui avoient fait Tuni-
que objet de Tes foins & de fes defirs : il
meurt à fes plaifirs , dont il étoit l'efclave ;
à fes cfpérances , fur lefquelles il s'ap-
puyoit ; à fes édifices fuperbes , au milieu
defquels il croyoit s'être fait une demeure
éternelle ; à toutes les créatures prefque ,
qui fervoient toutes à fes pallions. Quel
déchirement, quand il faut rompre tout à
la fois tous ces liens injùftes , qui ratta-
chent encore à la terre ! Il fouiîre mille
morts dans une feule : toutes ces fépara*
•^tions portent chacune leur nom particu-
lier dans fon am* ; & le Prophète a rai-
fon de dire , que la mort du pécheur eft
la plus douloureufe &: la plus amere de
toutes.
Heureufe donc Tame qui , comme Ma-
rie 5 morte à tout depuis long-temps , n'é-
prouve alors de nouveau que le plaiîîr de
n'avoir plus rien à facrifier à l'Epoux cé-
leftej & qui habitant déjà par le cœur dans
le ciel , ne laille fur la terre que les exem-
ples d'une vie fainte , & le fouvenir d'une
mort précieufe. Mais fi la mort de Marie
fut toute remplie de confolations , qui la
dédommagèrent des amertumes qu'elle
avoit éprouvée durant fa vie , elle fut auflî
accompagnée d'une gloire qui répara les
abaiffemcns qu'elle avoit foufferts fur Id
terre.
2/54 L' A s s O M P T ï O ?î
Paktie -t Lus le Seigneur veut élever une ame-
à un degré fublîme de grâce , de lumière
6c de dignité, plus il TabailFe Ôc l'avilit aux
yeux des hommes; & comme s'il étoit ja-
loux que fes ferviteurs brillalient d'un au-
tre éclat que du fien , il eft , ce femble ,
attentif à les dépouiller de cette grandeur
que le monde donne , pour les rendre plus
dignes de cette grandeur véritable , qui eft
le fruit tout feul de la juftice & de la fain-
teté.
Les ahaiffemens de Marie fur la terre
font une preuve de cette vérité. Comme
ks defleins de Dieu fur elle lui préparoient
la plus haute élévation où la fimple créa-
ture puifTe atteindre , les voies par où elle
y eft conduite , font des voies d'humilia-
tion & <i'obfcurité. Or je remarque trois
fortes d'abailfemens dans la vie de la faintc
Vierge ; un abaiflement de privation , un
abailTement de dépendance , & un abaille*
ment de confufion 6c de mépris : 8c je diî
que fon AfTomption dans le Ciel , lui rend
aujourd'hui une triple gloire , proportion-
née aux abaifTemeus de fa vie mortelle ;
une gloire d'élévation & d'excellence , une
gloire de puiifance & d'autorité , une gloire
de vénération 5c d'hommage. Continuez à
tn'honorer de votre attention.
Plus on confidere la vie de la fainte Vier-
ge fur la terre , plus on y découvre une
fuite non-interrompue de privations triftes
&. himiiliajites : première forte d'abailFe-,
DE LA Sainte Vierge. 2*55
ment. Aucune créature n'avoit jufques-là
reçu du Ciel des litres plus auguftes &:
plus fublimesque cette fainte fîHe de Juda.
Elle étoit née du fang de David ; le privi-
lège de fa grâce avoit prévenu même celui
de fa naifTance ; elle étoit Vierge dans fa
fécondité ; enfin Taugufte qualité de Mère
de Dieu, rehauflbit en elle tous les autres
titres qu'elle tenoit de la naiiTance & de la
grâce : & cependant aucun de ces titres
pompeux n'a paru en elle , tandis qu'elle a
vécu fur la terre. Sa naiiTance fut toujours
©bfcurcie par la médiocrité de fa fortune :
l'excellence de fa grâce fut toujours cachée
fous une viejîmple & commune : l'éléva-
tion de fa dignité , & le titre augufte de
Mère de Dieu fut comme démenti par la
reffemblance de l'homme que fon Fils avoit
prife; la Judée la regard^mplement com-
me la m.ere de Jefus de Nazareth ; rien ne
la diftingue des autres mères de Juda.
Elle lailTeles hommes dans l'ignoraficc des
grandes chofes que le Seigneur avoit opé-
rées en elle : elle ne s'emprefîe pas de les
détromper , & de découvrir les m.erveilles
de Dieu : elle fouffre la privation de tout
ce qu'elle a de grand , c'eft-à-dire , de la
plus grande gloire qui puifîe être commu-
niquée à une pure créature : elle porte ce
dépouillement avec joie ; il ne lui échappe
rien , pas un mot ^ pas une démarche qui
pvifle trahir le fecret de fon humilité; &
ravie de vivre dans ccne privation , elle
fouhaite feulement que h gloire de fon
Myjlcres. M
266 L'Assomption ^
fils fôit connue, 6c fon Royaume établi
fur la terre.
C'eft aiîifi que par des privations conti-
nueîles 5 la fagefle de Dieu préparoit cette
aine célefle à la gloire où elle eft en ce
jour élevée. 7^out jfon foin avoit été de fe
cacher aux yeux des hommes , &: de fe
confondre avec les autres mères d'Ifraël ;
& il fembie que l'attention unique de Dieu
eft de la glorifier au jour de fa mort , 6c
de la diftinguer par un privilège fingulier ,
& qui devoir rendre témoignage dans tous
les (îeclcs à fon augufte qualité de Mère de
Dieu. Son corps pur 6c facré , com.mc
celui de fon Fils , ne voit pas la corruption :
la vertu du Père la délivre d'entre les
incrts : les Cicux s'ouvrent pour la rece-
voir, comme Jcfus-Chrift , triomphante 6c
gloneufe : client du tombeau environnée
de lumière , pour aller prendre pofrelîioîi
de f-3 gloire à la droite de fon Fils , avec la
niéme chair qu'elle lui avcit fournie pour
civrir le Ciel à tous les hommes ; elle eft
placée au-deffus de toutes les Principautés
&: de toutes les Puiilances. C'eft cette Ar-
che d'Ifraèl 5 dit le faintEvêque de Genè-
ve 5 qi:i après avoir été quelque temps fous
des tCLtes dans le défert ; c'eft*à-dire ,
dai'sun état obfcur & peu digne d'elle , eft
enfin introduite avec pomipe 6c avec éclat
par le véritable David dans la Jérufalcni
cékfte.
U fcmible en effet que Jefus-Chrift n'au-
rciî pas lefTufcité tout entier , 6c qu'une
DE LA Sainte Vierge. i(yj
partie de fa chair adorable auroit été alTu-
j^ttie en fa fainte Mère à la corruption , (î
Marie n'eût participé au privilège de fa
réfiirre(ftion glorieufe. Etoit - il convena-
ble qu'on laifsât fousTempire de la mort ,
k mère de celui qui étoitla réfurreâ:ion 8c
la vie ? Etoit-il jufte qu'une chair , de la-
quelle avoit été formée la.vidlime qui vç-
iioit d'ouvrir le Ciel aux hommes , n y fût
pas d'abord elle-même introduite? qu'un
corps qu'elle avoit préfervé par une grâce
fiîiguUerc à.%^ fouillures inévitaMes aux en-
t^ius d'Adain , p3i"ticipât à leur malédictiou^
& devînt la proie des vers & de la pourri-
ture? qu'un corps* qui avoit été fur la terre
le fallut u aire vivant du Verbe fait chair, ne
fût pas d'abord reçu lui-même clans le fanc-
tuaire éternel ? 8c c'ei^ pour honorer cette
mort •& cette refurrcâiion miraculeufe , &
-fatisfaire à la piété des Fidèles , que TE-
gliie a depuis long-temps inftitué la Fête
qui nous alTembJe. Voilà le prix que la
magnificence de Dieu réfervoit aux priva-
tions humiliantes de l^^ie de Marie. C'eft
en foufFrant avec joie que le£ hommes aient
ignoré jufqu'à fa mort tout ce que la grâce
avoit opéré en elle de grand , que le Sei-
gneur le fait éclater par un privilège , qu'une
tradition fainte a rendu vénérable à toute
i'Eglife , & que la piété de nos pères a fait
paffer jufqu'à nous, comme le gage im-
mortel de leur zèle 5c de leur refpeft pour
Marie.
Po;:T nous ^ ries Frères , Vv.w d(^ ibufFrir
2-58 L' A s s O M P T I O N
avec joie les privations qui nous humilient ,
& qui JaifFcnt ignorer aux hommes ce que
nous fbmmes : hélas ! tout notre foin eft
de nous montrer : toute notre vie eft une
étude de vanité , qui nous montre toujours
par les endroits par où nous croyons nous
diftinguer & plaire. Lors même que tou-
chés de Dieu , & revenus de nos égare-
mens 5 nous avons pris le parti d'une vie
chrétienne , nous voulons que le monde
conferve encore le fouvenir destalens mal-
heureux & des vains avantages que nous
avons facrifiés en rompant avec lui. Nous
fommes flattés qu'on fafTe encore valoir
par-là tous les jours notre facrifîce ; qu'on
nous falFe honneur de ce que nous avons
jugé nous-mêmes digne de mépris. Nous
nous en élevons même en fecret au defTus
des autres , comme û nous avions plus
donné à Dieu ; comme fî , plus nous pa-
roifîions nés pour le monde & pour les
plaifirs, plus il n'avoit pas fallu que la grâ-
ce , qui nous en a dégoûté , fut forte &
abondante ; comme fî les miféricordes du
Seigneur fur nous pouvoient^ devenir le
titre de notre ingratitude , & nous faire
oublier nos miferes. Ainfî ce qui a été l'oc-
cafion de nos chûtes & de nos malheurs,
devient fouvent dans la piété même le motif
de notre vanité déplorable : ce qui devroit
nous rendre plus méprifables à nos yeux ,
lîe fert fouvent qu'à nous infpirer du mé-
pris pour nos frères. Ainfî nous voulons
participer en même temps à la gloire du
DE LA Sainte Vierge, ^6^
monde & à la gloire de la vertu : nous
voulons qu'on loue en nous &Jes merveil-
les de la grâce , &: les taleiis de la vanité ;
& loin de cacher , comme Marie , aux
yeux des hommes ce que nous fommes,
nous voulons même qu'ils voient encore en
nous ce que nous fomm.es fâchés d'avoir
été.
Oui 5 m.es Frères , rien de plus rare que
de vouloir iîncérement que les hommes
oublient ce qui peut nous faire honneur
dans leur efprit. Nous regardons cet ou-
bli comme une injure : nous voudrions que
tout le monde lût fur notre front , pour
ainiî dire 5 nos talens 5 nos vertus , notre
rang& notre naiiîance ; & jufques dans ces
afyles faints 5 où l'on amis au pied de l'autel
les dépouilles du monde & de toute fa
gloire , on reprend fouvent d'une main
tout ce vain étalage , qu'on avoit femblé
facrifier de l'autre. On étale encore , fous
Tobfcurité du voile faint , le faux éclat du
mon-de & de la nailTance : on remonte en-
core fur une vaine boue , qu'on avoit foulée
aux pieds : on veut retrouver dans le lieu
de l'humilité 5 les diftinâions qu'on avoit
mépriféçs dans le monde ; & dans le fanc-
tuaire même de l'Epoux , on fe fait valoir
par d'aujres titres , que par le titre fublime
de fon hpoufe.
Mais s'il eft rare de porter avec foi cet
abaiffement de privation , dont Marie nous
donne l'exemple , il l'eft encore plus de
foutenir avec courage l'abaiffement de dé-
M3
270 L'Assomption
pcndance où elle vécut toujours. Toujours
Ibumife fur la terre , & dans tous les états
de fa vie mortelle , elle avoit toujours ref^
peâ:é cette voie de dépendance , comme
celle par où la grâce vouloit la conduire :
tantôt vivant dans une foumiflion entière
aux volontés de Jofeph ; tantôt attachée
aux ordres & à la deftinée de fon Fils ;
tantôt confiée au Difciple bien- aimé , & le
regardant comme le maître de fes aidions
& l'arbitte de fa conduite ; tantôt enfin
paroifiant à la fuite des Difciples , après la
mort de Jefùs-Chrift, comme une des au*
très fem.mes fidèles ; ne paroifTant entrer
en rien ; ne s'attribuant rien; ne voulant pas
partager arec les Apôtres le gouvernement
de l'Ëglife naiflante ; fe fôumettant à leurs
loix & à leur autorité ; n'affeélant aucune
prééminence dans cette fainte affemblée;
tout s'y paffant fans qu'il foit fait aucune
mention d'elle ; fans qu'elle afîeélât aucune
autorité ; & fe comportant comme une
lîmple fille xie l'Eglife, elle qui en étoit la
prote<^rice & la mère. Oui , Marie com-
blée de tous les dons & de toutes les lumie-
tes; revêtue de la dignité éminente à la-
quelle une pure créature ait jamais pu pré-
tendre ; le plus ferme appui fur la terre de-
puis la mort de fon Fils, de TEglife naif-
fante , en laifTe tout le foin aux Apôtres , &
neferéferve que la gloire de fe foumettre
la première à leurs décifions. Quelle leçon
pour réprimer l'orgueil & l'inquiétude des
Fidèles , qui fans participer à l'éminence
DE LA Sainte Vierge. 271
de fes dons & de Tes lumières, ne peuvent
imiter fa foumiilion & fa dépendance !
Pour nous , mi es Frères , ce n'eftpasia
foumiiîîon àTEglife qui nous coûte : cette
foumiiïion ne bleiîe , ni notre orgueil , ni
nospenchans, ni notre ambition, ni notre
fortune. Ce qui nous bleire , c'eft de dé-
pendre de ceux que nous croyons fort au-
deflbus de nous , c'eft de porter le poids
dune autorité qui paroît mal placée. Nous
adoucilfons mêm.e les dépendances les plus
inévitables de notre état,, par le mépris
fecret de ceux de qui nous dépendons :
nous nous vengeons de leur élévation p^jr
nos cenfures : notre orgueil , forcé de
leur obéir, fe.confole en les mépri Tant :
leurs ordres nous rendent ingénkux à dé-
couvrir leurs défauts ; & il eft rare que
nos fupérieurs & nos maîtres , aient fur
notre cteur la même autorité qu'ils ont îur
notre perfonne.
Auflî le fécond cara^lere dé gloire , a
laquelle Marie eft aujourd'hui élevée , op-
pofé à ce caractère de dépendance qu'elle
avoit tant aim.é , efl une gloire d'autorité
& d'empire. Elle reprend aujourd'hui dans
le ciel, à la droite de fon Fils cette puif*
fance qu'elle n'avoit pas voulu exercer fur
la terre : elle rentre dans tous {es droits :
elle eft établie fous Jefus Chrif^, la mé-
diatrice des Fidèles, le canal des grâces j
l'efpéranee & le foutien de l'Eglife , fafyle
des pécheurs , la protectrice des Juftes ,
larelfoiirce des peuples & des Em pires >
M 4
271 L'Assomption
la Reine du ciel & de la terre. Oui, mes
Frères , la puifTance de Marie n'a point
d'autres bornes , que celles de l'amour de
fon Fils pour elle. Il partage , pour ainfî
dire , avec elle Ton autorité : il la rend la
diftributrice de {es grâces ; il veut que
nous nous adre/Tions à elle , û nous vou-
lons tout obtenir de lui ; & rien n'eft plus
éloigné de refprit de la Foi , que de croire
honorer la puilîance de Jefus-Chrift, en
diminuant celle de fa fainte Mère. C'eiî
lui que nous honorons en elle : ce font Tes
dons que nous exaltons , en exaltant les
dons ineffables de Marie : p'efl fa puif-
fance que nous réclamons , en réclamant
celle de fa fainte Mère : & elle & nous ,
nous ne fommes ce que nous fommes , que
par lui ; & notre confiance en elle ne
perd fa fource , que dans les merveilles
que Jefus - Chrift veut bien opérer par
elle.
Ce n*eftpas , mes Frères , qu'il fuffife
de fe mettre fous la protedlion de Marie ,
6c de lui rendre quelques hommages ,
pour afîurer fon falut : le falut éternel eft
le prix de lobfervance feule de la Loi de
Dieu. Quiconque aime le monde, qui-
conque fe livre aux delîrs de la chair , qui-
conque ne rompt point Ces pafllons cri-
minelles 5 il a beau fe déclarer ferviteur de
Marie , elle ne le connoît pas : elle le re-
garde comme l'ennemi de fon Fils : elle
détefte la confiance qu'il met en elle , com-
me injurieufe à la Religion , & fur-tout
4
DE LA Sainte Vierge. 273
à la gloire de Jefus-Chrift. Elle aide de
fon entremife les pécheurs qui veulent re-
venir de leurs égaremens ; mais elle fol-^
licite elle-même la punition ^e ceux qui
fe font de fon entremife une fécurité 5c
une raifon pour y perfévérer.
Et certes , mes Frères 5 fi Jefus-Chrift
lui-même ne reconnoît pour fa mère, &
fes frères , que ceux qui font la volonté
du Père célefte ; Marie reconnoîtj^y,Qjle
pour fes enfans j les tranfgrelTeurs de cette
fainte volonté, &: les ennemis de la doc-
trine & de la Croix de fon Fils ? Si Je-
fus-Chrift 5 malgré les acclam.ations popu-
laires des femmes de Juda , ne fait pas
confiner le bonheur de Marie dans l'hon-
neur qu'elle a eu de le porter dans fon
chafte fein , mais dans fa fidélité à écoa-
.ter la parole de vie , & en obferver les
faintes maximes, nous nous croirions heu-
reux 5 nous 5 en portant fur notre corps
des marques confacrées au culte de Ma-
rie , fans avoir l'amour de Jefus-Chrift &
de fa vérité, gravé dans notre cœur ? Ma-
rie ne feroit donc plus que la protectrice
des pafTions que fon Fils condamne ? fa
puiiTance renverferoit donc Tceuvre de
l'Evangile , & ouvriroit aux hommes une
autre voiedefalut, que celle que Jefus-
- Chrift lui-même leur a frayée ? Quelle iiîu-
fion , mes Frères , de prendre dans le ref-
pe(ft que l'Eglife nous infpire euvers Ma-
rie , le motif de notre fécurité dans le
crime , & de fe perfuader qu'il fufiit de
.M5
274 L'Assomption
fe confier en fa prote£i:ion 5 pour obtenir
après une vie toute de crimes & de paf-
fions j la grâce du repentir & du pardon à
la mort! Eh! quoi mes Frères , notre con-
fiance en Jefus-Chrift lui-même , qui efl
Fauteur de la vie & du falut , feroit vaine,
fi nous ne vivions pas comme fes Difci-
î^les , & notre confiance en Marie feroit
plus puilTante , quoique nous marchions
dans les voies du monde & des pafTions?
T oiSrceux qui diront à Jefus-Chrift lui-
iTiême, -Seigneur 5 Seigneur, n'entreront
pas pour cela dans le Royaume des Cieux ;
& tous <:eux qui diroient à Marie , notre
Rein€ , notre refuge , notre efpérance , fe-
Toient admis dans la gloire que Jefus-Chrift
n'a promis qu'aux obfervateurs de fa Loi
fainîe ? Tous ceux même qui ont publié la
gloire de Jefus-Chrift fui la terre , qui
ont prophétifé en fou nom , qui ont annon-
cé fa dodrine & aggrandî fon Royaume ,
ine feront pas pour cela comptés parmi' ces
©uvriers fidèles , qu^l couronne de juftice ,
a la fainteté de leurs mœurs n'a foutenu
celle de leur miniftere ; & nous croirions
que tous ceux qui ont publié la. gloire de
Marie , qui ont paru zélés pour fon culte ,
qui en ont augmenté l'éclat & la magnifi-
cence , & chargé peut-être fes autels de
dons & d'oftrandes , feraient comptés par-
mi ces ferviteurs vigilans, à.qui la récom-
penfe des Juftes eft promife , fi l'innocence
de leur vie & la pureté de leur cœur^n'a
iauâifié la po$npe de eeshoûimages ? Noa ^
DE LA Sai\^te Tierce. 275
mes Frères 5 FEglife a toujours regardé
Marie comme le foutien de notre foiblcire^,
& non comme l'afyle de nos ps/lions ^
comme la reUburce de nos nécefîités , &
non comme la protedriee de nos crimes.
Marie ne compte pour fiens que ceux qui
appartiennent à Jefus-Chriil : elle ne re-
garde dans les hommages qu'on lui rend ^
que la pureté & la fidélité du cceur qui
les lui offre , & n'aime dans {es ferviîeurs
que l'innocence , la foi , la charité , &
toutes les vertus qui la rendirent elle-mê-
me agréable aux yeux de Dieu. Ceil ainfî
que fa puilfance & fon autorité dans le
ciel 5 couronnent aujourd'hui l'abaifîément
de dépendance où elle avoit toujours vécu
fur la terre.
Enfin , le dernier abaiifement de Marie
pen-dant fa vie mortelle, avoit été in abait
fement de mépris & de confufion. Soup»
çonnée par Jofeph , elle avoit porté dans
lefilence toute la honte d'un foupçon à hu>
miliant & û trif^e. Elle adoroit en fecret
les ordres du Seigneur fjr elle ; & fans dé-
couvrir à Jofeph le myflere ineffable qui
venoit de s'opérer dans fon fein ^ elle iaif-
foit à la fageffe du Très Haut le foin de
manifefler l'innocence de fa fen'ante. Elle
ufliffoit cette humiliatioi> à celle que le Ver-
be fait chair commençoit à éprouver dans
fes chaftes entrailles : elle fe foumettair
comme lui , à porter quelque temps la refl
femblaiice du péché , à faire un C^rn£çQ
de ùm inaocence aux ordres inconnus/ k
M 6
z'jô L'Assomption
adorables de la fageiTe divine , & à Te ré-
jouir même par avance de l'utilité qiie
Dieu fauroit bien retirer pour l'accomplif-
fement de fes delTeins éternels , de fon
humiliation & de fon opprobre.
Telle étoit la difpofition de Marie ; &
voilà pourquoi fa mort eft fuivie dune
l^loire de vénération & d'hommage : der-
nier caraôere. Tous les peuples & toutes
les nations ont entendu parler des merveil-
les de Dieu en elle : par- tout où la gloire
de Jefus-Chrifta trouvé des adorateurs, la
iîenne a trouvé des honneurs 6c des hom-
mages. A peine eut-elîe difparu de la terre,
que les hommes Apoftoliques lui adrefle-
rent des vœux : ces fiecles heureux & fî
honorables à la Foi , furent les premiers
dépofitaires du refpeâ: des Fidèles envers
Marie ; & il falloit bien que TEglife ^ en-
core jiaiflante , rendît déjà des honneurs
foleminels à cette Reine du ciel ; puilqu'il
s'éleva dès-lcrs , parmi les Fidèles , àes
hom.m.es ignorans & fuperftitieux , qui
frappés de féminence de îa gloire & de fa
dignité , changèrent la piété en fuperftition
& en idolâtrie ; lui offriient ôlqs facrifices,
ha lui rendirent à^s honneurs qui ne font
dûs qu'à rEternel. Ainiî à mefure que la
foi fe répandit , le culte de Marie s'établit
fur la terre : à mefure que l'Eglife , favo-
rifée par les Céfars , vit l'éclat & la mia-
gnificence , accompagner la fainteté de fes
myfteres ; les hommages rendus à Marie
devinrent plus pompeux & plus foleranels.
DE LA Sainte Vierge. 177
En vain parurent alors des efprits inquiets
& fuperbes , qui oferent lui difputer l'au-
gufte qualité de Mère de Dieu. Leurs
blafphêmes ne fervirent qu'à réveiller la
piété des Fidèles : de toutes parts s'élevè-
rent des autels & des Temples magnifi-
ques 5 confaçrés fous fa protedion & fous
fon nom , à la gloire de fon Fils : la Reli-
gion des peuples oppofa des monumens
publics élevés à l'honneur de Marie , aux
fecrettes entreprifes de (es ennemis ; des
Conciles s'aiTemblerent pour lui conferver
fes droits auguftes, & laiiîér à la pcftérité
dans leurs décifions , les titres vénérables
de leur r.efpeâ: , &c de celui de leurs pères
envers Marie ; & l'erreur , comme il ar-
rive toujours 5 ne réuflit qu a établir avec
plus d'éclat la vérité.
Que dis-je , mes Frères ! les Villes &
les Empires fe mirent fous fa protection
puiiTante : de faintes Sociétés aiîémblées à
fon nom , & dévouées à fon culte , s'é-
levèrent de toutes p^yts : les fléaux pu-
blics ceflerent par les vœux & les hom-
mages qu'on lui adreffa : nos Villes & nos
Provinces , frappées de la main de Dieu ,
virent tomber par fon entremife , le glaive
qui les châtioit ; & un de nos Rois , dont
la mémoire nous fera toujours chère , par*
ce qu'il futun Roi jufte & clément, fit pour
immortalifer le fouyenir d'un bienfait Ci fi-
gnaié, un hommage public à cette Reine des
cieux 5 de tout fon Royaume qu'elle venoit
de conferver & de délivrer de la plaie , qui
27? L* Assomption
fembîoit annoncer fa défôlation Si fa ruine.
L'Angleterre elle-même , avant qu'un
fchifme infortuné en eût fr^it un Royaume
de trouble & d'erreur , fe diftingua par fa
piété envers Marie : fes Rois la regardè-
rent comme la protedrice de leurs Etats :
{es plus faintsEvéques furent les défenfeurs
les plus zélés de fon culte : c'eft un dépôt
facré qu'ils avoient reçu de ces hommes
Apofloliques , qui fous les ordres du grand
Pontife faint Grégoire, vinrent établir dans
cette Ifîe célèbre, la Foi de Jefus-Chrift
fur les ruines de l'idolâtrie. La fcience qui
diftingua bientôt cette Eglife fiorifTante ,
loin de refroidir fon zèle envers Marie , le
rendit plus fervent & plus folemnel ; fa
piété augmenta avec fes lumières : l'orgueil
& les pafTions feules ont détruit ce qu'une
foi humble & éclairée avoit d'abord édifié.
Le Seigneur a retiré fon Efprit du milieu
de cette Eglife infidèle : il l'a livrée à un
efprit de menfonge &: de révolte , mais fes
châtimens ne font jamais fans miféricorde.
Il a voulu la punir ; il ne veut pas l'aban-
donner & la perdre : il s'eil encore réfervé
ffu m.ilieu d'elle un petit nombre d'Ifraéli-
tes Bdelesj que la contagion générale n'a pas
infedés , &. qui n'ont pas iléchi le genou
devant Baal : cette fainte fem.ence que la
èontédeDieulaiife encore au milieu de ces
Villes rebelles, fruârifiera en fon temps, &
les empêchera d'éprouver le môme fort
que Sodome & que Gomorre. Et encore
tous les jours une grande Reine , plus il-
DE LA Sainte Vierge. 279 -^
luftre par les couronnes qu elle a facrifiées '
àlà*conftance de fa foi , que par lapuilfance
& les grandes qualités qui les avoient mifes
fur fa tête , trouve ici aux pieds de Marie y
la plus douce confoiation de iç.s peines ; lui
offre fans celle un Royaume que l'héréfie a
infedé, des fujets que l'efprit de rébellion j
toujours inféparable de l'héréfie, a fafcinés;
avance aux pieds ào^s autels , les momens
de la miféricorde ; & contribue plus à la
converfion de fes peuples & au rétabliffe-
inent de la Royauté indignement violée ,
par les foupirs fervens q^u'elle ne ceiTe de»
répandre dans le fecret du Sanduaire , que
toutes les Puiffances de la terre ne fau-
roient y contribuer par la fageffe de leurs
confeils & par la for-ce de leurs armes.
Voilà , mes frères , le comble de gloi-
re où les humiliations paffageres ont con-
duit Marie ; & telle eft prefque toujours
la deftinée des Juftes , qui oi>t éprouvé
des revers & des humiliations fur la terre»
Chaque fiecle en fournit des exemples ; 6c
encore fous nos yeux un Roi * détrôné 5
expofé pendant fa vie à la cenfjre des in-
fenfés ; lui q\ii avoit vu fa foltaxée de foi-
bleffe , fon zèle d'imprudence , & fes mal-
heurs im-putés à lui feui., reprend après fa
mort le droit qu'il, avoit furl'eftime & fur la
vénération publique ; & s'attire des hom-
mages mille fois plus éclatans , que ceux
quûavoient environné fon trône.
Pour lufurpateur qui s'eft élevé par deî
* Jasqxkii Ih Roi d'Angleterre.
i8o L* A s s O M P T I O N
voies injuftes ; qui a dépouillé l'innocent
& chafTé l'héritier légitime pour fe mettre
à fa place & fe revêtir de fa dépouille ;
hélas ! fa gloire fera enfevelie avec lui dans
le tombeau ; fa mort développera la honte
de fa vie. C'eft alors que la digue qu'oppo-
foient aux difcours publics fes fuccès 6c fa
puiflance , étant ôtée , on fe vengera fur fa
mémoire des fauffes louanges qu'on avoit
été contraint de donner à fa perfonne : c'eft
alors que tous les grands motifs de crainte
& d'efpérance n'étant plus , on tirera le
^voile qui couvroit les circonftances les plus
honteufes de fa vie : on découvrira le motif
fecret de fes entreprifes glorieufes , que
l'adulation avoit tant exaltées ; & on en çx-
pofera l'indignité & la bafTeife. On regar-
dera de près ces vertus héroïques , que l'on
ne connoiiToit que fur la bonne foi des élo-
ges publics ; 6c on n'y trouvera que les
droits les plus facrés delà nature & delà
fociété , foulés aux pieds : on le dépouille-
ra alors de cette glpire barbare 6c injufte ,
dont il avoit joui : on lui rendra l'infamie 6c
la mauvaife foi de fes attentats , qu'on avoit
bien voulu fe cacher à foi- même. Loin de
régaler aux héros, on l'appell-era un fils dé-
naturé ; un de ces hommes , dont parle
faint Paul , fans culte, fans afFeâ:ion 6c fans
principe ; fa faulTe gloire n'aura duré qu'un
inftant , 6c fon- opprobre ne finira qu'avec
les fiecles : la dernière poftérité ne le connoî-
tra que par fes crimes; que par la piété filia-
le foulée aux pieds à la face des Rois 6c des
DE LA Sainte Vierge. 281
nations, qui ont eu la lâcheté d'applaudir à
fon ufurpation ; enfin , par l'attentat qui lui
a fait détrôner un père & un Roi jufte ,
pour fe mettte à fa place. Les hiftoires , fî.
deles dépofitaires de la vérité , conferve-
ront jufqu'à la fin fon nom avec fa honte ;
& le rang où il s'eft élevé aux dépens des
loix de l'honneur & dé la probité , en le
faifant entreç fur la fcene de l'univers , ne
fervira qu'à immortalifer fon ambition &
fon ignominie fur la terre.
Quelle inftrud^ion pourrois-je vous laif-
fcr-à vous , mes Frères , en finiffant cet
éloge de la mort & de l'exaltation de
Marie , finon de l'oppofer encore à la mort
du pécheur? Oui,. mes Frères, la mort
finit toute la gloire de l'homme qui a oublié
Dieu pendant fa vie ; elle lui ravit tout , elle
le dépouille de tout , elle l'anéantit dans
tout ce qu'il étoit de grand aux yeux des
hommes ; elle le laiffe feulfans force , fans
appui , fans reffource , entre les mains d'un
Dieu terrible. Ce nombre d'amis , de flat-
teurs , d'efclaves , de fujets , au milieu
defquels il fe croyoit immortel , ne peu-
vent phis rien pour lui : femblables à ceux
qui voient périr de loin un homme au mi-
lieu des flots 5 ils peuvent tout au plus , ac-
corder des larmes à fon malheur , ou faire
des vœux inutiles pour fa délivrance. Ainfi
feul aux prifes avec la mort , il tend en vain
les mains à toutes les créatures qui lui
échappent. Le pafié ne lui paroîtplus qu'un
inftant fugitif, quin'a fait que briller & dif-
28z L'Assomption, &c.
paroître ; l'avenir eft un abyme immenfe ,
où il ne voit ni fin , 'ni ilTue , & où il va fe
perdre & s'engloutir pour toujours , in-
certain de fa deltinée. Le monde qu'il
croyoit éternel, n'eft plus qu'un phantôme
qui fe diïïipe ; l'éternité qu'il regardoit
comme une chimère , eft un objet affreux
qu'il a fous les yeux , & qu'il touche déjà
de fes mains. Tout ce qu'il avoit cru réel
& folide , s'évanouit : tout ce qui lui avoit
paru frivole & chimérique , fe montre &
fe réalife ; & fon malheur lui donne de
nouvelles lumières , mais ne lui donne pas
de nouveaux penchans , & un nouveau
cœur : il meurt détrompé fans mourir
changé ; il meurt défefpéré , & ne meurt
pas pénitent.
Mais i'ame jufte , ah ! elle voit alors le
monde & l'éternité , des mêmes yeux
qu'elle les avoit toujours vus : rien ne
change , rien ne finit pour elle dans ce der-
nier moment, que fes humiliations & fes
fouffrances. Ainfi libre de tous les attache-
mens du monde & de la vanité , pleine de
bonnes œuvres , foutenue de îa foi des pro-
melTes , mure pour le Ciel , elle fcrm.e
les yeux fans regret à tous les vains objets
qu'elle n'avoit jamais vus qu'avec peine ;
elle s'envole dans le fein de Dieu , d'où
elle étoit fortie , & où elle avoit toujours
habité par fes defirs ; & rentre avec paix
& avec confiance dans la bienheureufe
Eternité.
Ainfi foit'iL
'- — ^^%:r — ==^
SERMON
POUR LA FETE
DE LA VISITATION
DE LA Ste. vierge.
Exurgens autem Maria in diebus illis ,
abiit in montana cum feflinatione , in civi-
tatem Juda.
Un peu aprh , Marie partit avec prompt
titude , & s\n alla dans les montagnes de
Judée , en une ville de la Tribu de Juda,
Luc. I. 39.
'eau prodige , mes
le timide j foible ,
un Pare , dans le S* Amh.
calme & dans la pudeur de la retraite ,
elle , qui n'a guère , ne pouvoit foutenir ,-
lans trouble & fans embarras , ja^^réfence
même d'un Ange , fe montre aujourd'hui
en public , s'expofe à la vue des hommes ,
& ne compte même pour rien , les allarm.es
& les périls d'un long & pénible voyagp.
284 La Visitatton
Incrédule , veut elle avoir pour garant
de fa maternité , le miracle de la fécondité
^'Elizabeth ? incertaine , vient - elle lui
confier le fecretde FambalTade de Gabriel,
pour favoir ce qu'elle en doit croire ? fîere
de fa nouvelle dignité , fe hâte-t-elle par
un des ces fecrets empreifemens qu'infpire
une vaine joie , d'en aller annoncer la nou-
velle à fa Coufine?
Ah ! s'écrie faint Ambroife , tout j^u-
blie ici la foi& ITiumiiité de ?vlarie. Con-
vaincue que le Tout-Puiifant fe plaît à faire
de grandes chofes 5 elle fait qu'il ne lui eft
pas plus difficile d'allier la fécondité avec
la virginité , qu'avec une honteufe ftérili-
té._ Elle commence à découvrir que Thif-
toire des Saras & des Annes , n'avoit été
qu'un prélude de ce qui fe paiTe à fes
yeux; & rentrant dans fon néant , à me-
lure que Dieu s'approche d'elle pour l'éle-
ver , Mère du Libérateur de Sion , que
tant de fiecles avoient promis , que tant
de Juftes avoient annoncé , que tant de
Rois & de Prophètes avoient fouhaité ,
cUq va rendre à Elizabeth les mêmes de-
voirs, que fon Fils doit un jour rendre à
Jean-Baptifte ; & comme lui , elle fe croit
. Matth. obligée d'accomplir toute juftice : Sic enim
«• is» decet nos implere omnem jujîitiam.
Ni la-bienféance , continue ce Père , fur
laquelle fonfexe eft fi délicat, & quifi fou-
vent lui tient lieu de vertu; ni la difficulté
des chemins , ni la longueur du voyage
n'allarment pas fa délicateife ; peu attentive
DE LA Sainte Vierge. 185
à tous les obftacles que ramour propre
grofTit & multiplie toujours avec tant d'art
& de fuccès , elle fe livre au divin pen-
chant qui l'entraîne , & fuit fans balancer
les impreffions du Dieu qu'elle porte dans
fon fein : Non à puhlico virginitatis pudor 5 5, ^^5^
non àjludio afpcritas montium , non ah of-
ficLO prolixitas itincris rctardaviu
Souffrez , mes Frères , que je m'arrête
à ces trois réflexions. Si je n'approfondis
pas le myftere , c*eft que nous avons en-
core plus befoin d'être touchés , que d'ê-
tre inftruits. Ces faits miraculeux fur quoi
la Religion eft fondée , confolent à la vé-
rité la raifon , & la mettent prefque d'in-
telligence avec la Foi ; mais d'ordinaire ils
laiifent au cœur toute fa tranquillité : ce
font des lueurs qui nous réjouiifentpour un
moment , félon l'expreiîîon de l'Evangile,
mais qui ne nous embraffent prefque ja-
mais. Ramenons donc à l'édification de
nos mœurs toutes les circonftances de ce
myftere.
Quels font les obilacles que notre amour
propre oppofe prefque toujours à la grâce ?
c'eft premièrement , une fauffe bienféance
qui nous fait ménager le fiecle & nous em-
pêche de nous déclarer tout haut pour
Jefus-Chrift ; c'eften fécond lieu , la diffi-
culté de la vertu qui nous allarme ; enfin,
c'eft la durée du chemin qui rallentit notre
zèle , & nous perfuade qu'on peut ufer d'à»
doucifiémens, & chercher des feutiers dé-
tournés & commodes , pour aider notre
x^6 La Visitation
foibleffe. Or , Marie entreprenant ce voya-
ge toute feule , nous confond fur ces rai-
fons infinies de bienféance , qui ne nous
permettent pas de fuivre l'attrait du Ciel î
c'eft ma première réflexion. Marie , mal-
gré la delicateffe de fon âge & de fon fexe,
allant joindre Elizabeth à travers les mon-
tagnes & les chemins lesplus difficiles, con-
damne notre lâcheté , que la difficulté de
la vertu effraye & retient dans le vice : c'efl
ma féconde réflexion. Enfin , Marie fe hâ-
tant toujours malgré la longueur du voya-
ge , nous apprend à ne pas ufer de détours y
ni adoucir par nos lenteurs & nosm.énage-
lîiens , les rigueurs de la voie évangélique :
c'efl: ma dernière réflexion. Voilà tout le
delfein de ce difcours. Demandons au
Saint-Efprit fes lumières par l'entremife
de cette Vierge fainte. Ave , Maria,
D
E toutes les erreurs qui ont aujour-
Partie d'htii cours dans le monde , il n'en ell pas
de moins contagieufe que celle qui attache
de la gloire au vice , & de la honte à la ver-
tu. Je le fais , mes Frères , & je ne veux
pas ici prêter au fiecle des defordres imagi-
naires. L'iniquité, m.algrc tout le dérègle-
ment du cœur humain , n'a pu encore trou*
ver parmi nous uns protection publique : on
ne voit guère de ces âmes défefpérées ,
qui fe fallent honneur de leur confufion ,
coirmie dit l'Apôtre , & qui mettent leur
gloire dans lear infamie : le crime traîne
toujours après foi certaine baifeife , dont
DE LA Sainte Vierge. 187
C13 eft bien aife de dérober le fpeftacle au
public ; & je ne faisparquels reftes de droi-
ture le fîecle lui-même ne peut s'empêcher
de condamner tout haut , ce que fa cor-
ruption lui fait autorifer en fecret.
Mais il eft des vices moins odieux , des
défordres plus heureux , ^Qs crimes polis ,
fî je lofe dire , qui femblent avoir prefcrit
contre l'Evangile , que le (îecle place ho-
norablement parmi les vertus, & qui tout-
à-coup n'offrant rien de trop noir , retien-
nent toute la malignité du vice 5 fans en
retenir la honte & les horreurs.
Or 5 je dis que c'eft de la fauffe idée
qu'on attache à ces prétendues vertus , qui
font 5 hélas ! dés vices trop réels , que naif-
feut ces égards fi peu chrétiens, ces frayeurs
coupables qui font que nous rougilfons de
Jefus-Chriil : je dis que de-là vient que
nous faifons tant d'a(ftions , malgré 'le cri
fecret de la confcience ; que nous en om.et-
tons tant d'autres dont nous fentons au de-
dans de nous la nécelhté \ le tout , pour ne
ptis choquer le monde. Comment ne pas fe
conformer, dit on , à des ufages qui ont
prévalu ? comment s'élever au-dclTus de la
multitude qui ne s'en fait point de fcrapule ?
Il eil clair que le mouds ne blâme point
telle chofe : eft-il aufli clair que TEvangile
la réprouve ? faut-il que je condamne tout
le monde par mes fîugularités ? De-là il ar-
rive que la pieté craintive &: tiniide , cher-
che les ténèbres ; ou bien elle eft obligée
d-'^ s'ajiîftcr aux' i....-iieres ùqs mondains 5
zS8 La Visitation
& de fe contrefaire comme David dans la
Cour du Rois Acbis : elle n'ofe prefque ja-
mais paroître tout ce qu'elle eft , tandis que
le vice applaudi aFeé^e Téclat , loin de
craindre de fe montrer. Eh ! n'étoit-ce pas
alTezquelafoibleiTe & la corruption de no-
tre cœur 5 nous rendit la vertu pénible &
dégoûtante? falloit-il que lè dérèglement
de l'efprit y attachât encore de la honte 5c
du mépris ?
Trouvons aujourd'hui dans la conduite
de Marie de quoi confondre le fîecle fur un
point au{îi important. Quel efl le motif qui
l'éloigné de Nazareth ? Un Ange vient de
lui annoncer qu'Elizabeth, malgré fon âge
& fa ftérilité , étoit devenue féconde ;
qu'elle-même avoit été remplie de la vertu
du Très-Haut, & que l'Emmanuel promis
depuis tant de fiecles , defcendu dans fon
fein 5 alloit enfin être la lumière des na-
tions & la gloire d'Ifraël. Mais cette am-
baffade fi augufte , fi extraordinaire , eft un
fecret pour le public Peut -elle compter
d'en être crue fur fa parole ? ne. doit-elle pas
s'attendre aux. difcours des infenfés , &
aux railleries des efprits qui fe piquent de
raifon ?
D'ailleurs , fortie du fang des Rois de
Juda , & depuis peu illuftrée par la quali-
té de Mère de Dieu , ne paroît-il pas con-
tre la bienféance , & n'eft-ce pas trop avi-
lir ce nouveau rang , que de s'aller abaiifer
jufqu'aux offices les plus vils envers une
femme qui étoit fi fa/t au-deiîbus d'eîièi
Enfin 5
DE lA Sainte Vierge. iS^
Enfin j les loix d'une auRcre padeur
'accommodent-elles bien ave c les halards
ôc les contre-temps allez inévitables dans
un long voyage ?
Ainfi s abule , ô mon Dieu ! une raifon
malade : ainfi trop ingénieiifes à fe rrom-
per , fe flactenc tous les jours ces âmes foi-
bles;, qui ont afiez de foi pour fouhaiter
d'atteindre à ces montagnes faintes de la
Tribu de Juda , mais qui nen ont pas af-
fwz pour entrer dans les voies qui peuvent
les y conduire !
Que de raifon ne fe dit- on pas à foi-
même pour s'étourdir! dans combien de'
mauvais prétextes lamour propre ne fe
rerrancbe-t-ri pas!
Un Grand gémit du tumulte qui l'envi-
ronne ; & livré aux foins de fa fortune ,
aux-^devoirs de fa charge , aux bienfcances '
de ion état . il oppofe fes foibles raifons à
la VOIX du Qel qui l'appelle ; veut mettre
Ditn même dans les intéras de fa foibîefTe;
^ croit que laiTuiettilTement à des loix
que le caprice ou la vanité des hommes ont
inventées , eft une bonne raifbn aux yeux
ae Dieu , pour le difpenfex des loix divines
ae l'Evangile.
Je ne faurois me donnrr des airs de fin-
gularité , m me condamnera une retraite
exernelie , vous d/ra une femme Chrétien-
ne : je voudrois bien que Vufage autorisât
une vie picis obfcure &c plus retirée dans
les ptrfonnes de mon rang, ^^ que le monde
nous fit pas une loi de certain tracas.
ipo La Visitation
dont je me palTerois, fans beaucoup de pei-
ne ,' mais quelle apparence que je me don-
ne du ridicule par desmanitres firgulicres,
&: que par piété j'aille devenir extraordi-
naire f
Mais dans le jour terrible de vos ven-
geances j5 ne jugez-vous pas les Grands
ôc le peuple fur le même Evangile , ô mon
Dieu ^ une fauiîe bienféance qui étouffe
dans tant de cœurs les femences de grâce
que vous y jettez j cette loi du fiecle , cet
Evangile des mondains , fera-t-il une ex-
ception dans les maximes générales de l'E-
vangile de Jefus-Chrift ^ Hh ! fi votre juf-
tice pouvoir fouffrir des adouciflem.ens
dans une loi dont vous avez prédit l'accom-
plifiem-ent jufqu'au point le plus léger j, fe-
roit-ceen faveur des PuifTans du fiecle que
vous vous relâcheriez ^ eux qui vous ont
difputé la plus mince mortification j & qui
pour TamiOur de vous n'ont jamais pu fe re-
trancher fur un feul plaifir ; ou en faveur de
ces inforrunés , qui parles ménagemens fe-
crets de votre Providence , en proie ici-bas^
à la faim , à la (oif ôc à tant d'autres cala-
mités 5 accablés fous la pefanteur du joug ,
n'ont pu toujours polTéder leurs âmes dans
leur patience ^
Quel efl ici , mesPrçres y notre aveu-
glement ! on ne veut pas d'une piété qui fe
fafle remarquer y & qui nous mette fur le
pied d'homme extraordinaire. Mais fi la
contagion eft univerfelle 3 pouvez-vous
VOUS en fauver fans être finguUer i mais û
DE LA Sainte Vierge. 191
!a foule entre dans la voie large , coai-
njenc voulez-vous fuivre le iencier évan-
gélique j 3c n'être pas remarqué f Eh quoi 1
parce que l innondation ailoic être géné-
rale ) Noé ne devoir donc pas bâtir une
Arche y ôc fe fauver avec fa feule familier*
Il falloir donc que Loth^ pour éviter la fin-
gularité, attendit tranquillement l'incendie
de Sodome ? Détrompez-vous ;, mes chers
Auditeurs; les Saints ont toujours* palTé
pour gens finguliers : nous fommes deve-
nus, difoit autrefois faint Paul , un fpeda-
cle aux Anges & aux hom.mes : la vie
commiUne ne fauroit être une vie chré-
tienne ,& Ton fe damne à coup sûr , quand
on ne veut fe fauver qu'avec la multitude
parce que la multitude ne connoît& ne fré-
quente que cette voie large & fpacieufe ,
qui mené à la perdition. Lt ne fentez-vous
pas vous-mêmes , mes Frères , fi vous êtes
de bonne foi là-deflus;) l'dlufion' de la créa-
ture ^ Quoi ! il y aura toujours des rafons
pour elle d'ofFenfer fon Dieu , &c de vivre
pour le monde que nous devons haïr & dé-
tefter , comme notre plus cruel ennemi 5
&ilnyen aura jamais de revenir à ce Dieu
fî bon ) fi tendre pour nous , f\ bienfaifanr,
ëc de le fervir ', tandis que tout nous crie ,
que n'étant faits que pour Dieu , ce n'eft
que pour Dieu que nous devons vivie ?
Chaque âge , chaque état fe fera des bien-
féances incompatibles avec l'Fvangile i
Une grande jeunefle fervira de prétexte à
celui-ci j une vieillefle infirme & languif-
i^2 La V I S I T A T 1 O îs^
faute à un autre ? Si tout nous rir , on s'ex-
cufcra furie tumulte & fur les embarras
de la fortune ? h la main du Seigneur s'ap-
pefantit fur nous j plus occupés de nos
malheurs^ que d-es crimes qui nous les ont
attirés^ on remettra fa converlîon à des
temps plus calmes ^ plus tranquilles :
Jouit-on d'une fanté parfaite ^ il faut four-
nir à mille foins, fe prêter aux bienféances
& aux dilTipations de fon rang & de fon
€t3t.Eft-on frappé d'une infirmiité qui nous
arrache au commerce du m.onde ^ ce ne
font que foucis & mefures pour la fanté,
X'affaire de l'Eternité demande trop d'at-
tention ; on n'efc capable de rien , dit-on :
on a îur la confcience des abimiesqui n'ont
jamais été bien approfondis> 6c qui dem^an-
dent du loifir ôcdc la liberté d'efprit: enfin,
on craint de n'aigrir fes maux parlesréflexi-
onsmêmes qui feules devroient les foulager.
Ainfi nous échappent tous les momens
de la grâce : ainfi repoulfons-nous la main
falutaire qui frappe à la porte de notre
cœur : & Ton eft fi ingénieux dans le fic-
ck à ne pas lailler échapper ces conjonc-
tures favorables qui nous offrent des ef-
pérances de fortune & d'établiffement !
Les Grands ont leurs moments ) dit-on ; &
le point } c'eft de favoir les prendre : m.ais
la clémence divine n a-t-elle pas les fiens i
Eh! quoi! mesFrereS;, croyons-nous que
notre Dieu foit un Dieu de toutes les heu-
res ; qu'il diftribue fes grâces félon nos ca-
prices j de que mille fois rebuté ^ lorfqu'il
DB LA Sainte Vierge. 293
s^eft offert à nous , il ne fe lallera pas enfin
de no, délais 6c de nos mépris ^ Ah ! di-
fons-le à notre honte ; les enfans du fiecre
font plus prudens que les enfans de lumiè-
re : rien n'échappe aux premiers , parce
que leur cupidité eft vive & agilEnite ; ôc
nous j nous l?.i (Tons perdre les occafions
les plus favorables , parce que notre cha-
rité eftfoible de languillante.
Carj, ô mon Dieu [combien de fois m'a-
vez-vous averti , follicité y importuné :>
d'entrer dans vas voies ! combien de fois
au fortir même du crime , loin de lancer
fur moi les foudres de votre iuftîce , m'a-
vez-vous tendu une main favorable , Se
profité du moment , où la pafïîon fatisfaice
6c plus calme , lailToit à la raifon la liberté
des réflexions y pour m'expofer les fuites
terribles d'une vie criminelle I Âh ! l'hom-
me 4e plus barbare fe Ldfferoit attendrir,
fi dans le temps même qu'il nous enfonce le
poignard dans le fein , nous prenions des
melures pour fa fureté ; & mon ame tou-
jours rebelle Ôc toujours animée a pu tenir
jufques-ici contre tous les efforts de votre
tendreiTe ^
Mais ne vouslafferez-vous pas enfin de
vos pourfuites & de mes rebuts ^ ferez-
vous toujours y Seigneur , à la porte de
mon cœur pour en folliciter l'entrée i ma
converfion dépend-elle de vous ou derfToiY
& ces grâces offertes que je refufe y pour-
rai-je les r'avoir à mon gré ^ ne m'avertif-
fcz vous pas qu'un temps viendra où je vou5
Nj
1^4 l'A Visitât lOîî
chcicherai , & où je ne vous rrouveraî
plus y Ôc qu'une mort funefte , en finiiTanc
mts crimes , commencera entin mon éter-
nel lupplice ^
Mais encore y dites-moi , ô homme fi
éclairé fur les bicnféances l lorfque par vos
dilîolutions de votre vie licencitufe 3 vous
criez le fcancale de votre Ville , la b;en-
féance étoit-elle un frein alTez puilîant pour
vous arrêter i lorfqu'oubliant votre carac-
tère 5 Miniftre du Seigneur , vous dcfccn-
diez de 1 autel facré pour vous donner en
fpc6lacle au public j &c violer vous-rnême
des loix dont vous étiez le dcpofuaire &c
le protecteur :, les difcours publics vous
ont-ils jamais coûté un feul plaifirf" lorfque
des cngagemens d éclat ;, &i une conduite
peu régulière :, rendoient cette femme la
fable de fon quartier & la honte de fa fa-
mille ,' que les amis d<. les proches lui en
faifoient des ouvertures fi touchantes ;
qu un mari juftement irrité en frémiiïbitj
qu'un ménage en tomboit à vue d'œd en
décadence , régloit-elle fes emportemens
fur ces loix gênantes & trop aufteres de
la bienféance ^ ah ! la paHion alors la plus
forte la rendoit infenfible à tout. Ce n'efl:
qu'avec vous , ô mon Dieu l que Ton efl:
timide Se circonfped : on n excède en pré-
cautions j, que lorfqu il s'agit de vous fer-
vir : on pefe alors fur tout ; on eft fenfible
à tout , on épaiffit même de vaines ombres,
ôc l'on tremble à l'afped des phancômts
que l'on s'eft formés.
DE LA Sainte Vierge. i^f
Ah ! je fens là-deflus toute l'injuftice
de ma conduite. Quand il a été queftion
de vousofFenfer , on m'a vu la tête levée ,
me faire honneur de mes défordres , 3c
erre pécheur d:r bonne foi : tranquille alors
furies intérêts de mon honneur, de ma
fortune , de ma confcience , de l'amitié ,
je facrifiois fans fcrupule ma réputation :,
mes biens ^ mes amis , mon faiut. Faut-il
revenir à vous f faut-il de certe région de
ténèbres , pafTer à une région de lumière ^
ah ! route ma force m'abandonne i je fens
expirer au premier obftacle tous mes pro-
jets de converfion ; je crois enfoncer com-
me Pierre , lors même que vous me tenez
par la main : ah I c'eft que votre amour
ne domine pas dans mon cœur , comme y
dom.inoit alors la pafïîon. Lorfqu'ila établi
ion empire dans un cœar , cet amour fa-
cré , il n'ed plus de difficulté qui rebute j
.les peines même font délicieufes ; & fain-
tement féduit par le divin attrait de la grâ-
ce , loin de fe grolTir à foi- même les obfla-
cies, le cœur devient ingénieux à fe les
cacher. Tel eft l'exemple que nous donne
aujourd'hui Marie ; les vaines raifons de
la chair & du fang ne larrêcent pas : Exur-
gens ahitt. La difficulté même des chemins,
les montagnes les plus inacceffibles n'alar-
ment pas fa foi: féconde inftrudion pour
ceux que la difficulté du falut empêche
d'entrer dans la voie évangélique : c'eft
ma féconde réflexion.
N4
1^6 La Visitation
j I^ JLL règne dans le (îecle deux erreurs fort
Pautie. oppoftes j mais ég?.lement dangereufes,
fur la difficulté du falut j & c'eft à ces deux
erreurs qu'il faut rapporter les vices & les
fau(res vertus des Chrétiens.
La première erreur , & celle que je
combats m.aintenant j eft de ceux qui vive-
ment frappés de Tidée qu'ils fe font de la
perfection chrétienne , effrayés au feul af-
pe(5t de la montagne évangélique , en
croient la route inacceffible -, Ôc fansfe fou-
venir que ce qui eft impodible aux hom-
mes ne Teft pas à Dieu ^ ils ne vieillifTent
dans l'iniquité y que parce qu'ds ne comp-
tent pas pouvoir jamais atteindre à la véri-
table juftice : illufion dangereufe qui ou-
trage la grâce du Sauveur.
Or 5 la conduite de Marie nous fournit
aujourd'hui de quoi détromper le fitcle
fur cette première illufion. Infpirce d en-
haut fur la route qu'elle doit tenir ;, les
montagnes les plus inaccertibles n'alar*
ment pas fa foibleife : yîbiit in montant.
Eh ! dit faint Ambroife , quelle autre roure
pouvoit-elle choifir f* la grâce approche
toujours le cœur de ces montagnes éter-
nelles où fe trouve notre t ré for : Quo emn
jam Deo pleria , nifi ad juperlora CQyifcende"
ret ç' Voilà Tinftrudion qui s'adreffe à ceux,
qui comptant trop peu fur la grâce , déSti-
perent de pouvoir jamais atteindre à cette
fainre Cité fituée fur la miontagne.
Je fens toute ma foibleife , me dites-
DE LA Sainte Vierge. 15)7
vous; j'ai de l'horreur pour le crime \ ÔC
je ne voudrois pas avoir fait tort à mon
prochain : mais il y a mille chofe que le
Prédicateur foudroie tous les jours en
chaire , de fur quoi je ne fauroîs me ga-
gner, jfe conviens qu'à vivre fur le pied
de l'Evangile , il faudroit s'y prendre d'u-
ne toute autre manière : je fais que Jefus-
Chrift menace d'une éternité de peines ,
ceux qui n'en fouffrent point ici-bas ; que
ceux qui cherchent trop à ménager leur
ame ? la perdent ; qu'il faut porter fa
eroix , & fe renoncer loi-même, pour être
fon difciple ; que la vie chrétienne eftune
profeilion publique de pénitence ; & que
comme on ne peut avoir accès auprès de
Dieu :> fans être incorporé en Jefus-Chrift,
on ne peut être incorporé en Jefus-Chriftj,
fans être crucifié avec lui: je le fais , ôc
c'eft juftement ce qui me fait défefpérer
d'être jamais homme de bien. Audi je fuis
de bonne foi ; je ne m'abufe point là-def-
fus. Je connoîs toute l'étendue de mes
obligations j Se fi j'embraflbis le parti de la
vertu j) je ne l'embraffèrois pas à demi ,* je
n'imiterois pas tant d'autres qui veulent al-
lier Dieu Se le monde , l'Evangile Se les
pkifirs ; Se qui pour vouloir être , & au
fiecle Se à Jefus-Chrift^ ne font au goûç
ni de l'un ? ni de l'autre.
Mais 5 Q homme ! quel eft ici ton éga-
ïement ! Tu fens ta foiblefle , & ton im->
puifTance : maisignorcs-tu que la gracê eft
le remède de la foibleiTe ? n'entends-tu pjii
Ni
298 Î-A Visitation
ces paroles confolanrcs du Sauveur des
hommes : Venez, a fnoi ^ vous tous qui êtes
folhles & fatigués y & je vous fonUgerai ^
l! nous déclare y il efl: vjrai ^ que fans lui
nous ne pouvons rien faire: mais n'eft-ce
pas nous aifurer en même rems qu'avec lui,
il n'efl: rien que nous ne puidions ;, & qu'il
n'efl: point d'obftacle que fa grâce ne fur-
monte 5 & point de foiblcfte qu'elle ne
guérJlTe^ Voilà , ô homme i où tu dois
chercher la force qui te manque. Qiie pen-
feroit-on d'un m.alade y qui , atteint d'une
langueur dangereufe y ne voudroit plus
prendre de mefures pour fa fanté j feule-
ment parce qu'il fe feroit ap perçu qu'il eft
malade ^ eh ! c'eft la maladie elle-même
qui vous avertir qu'il faut avoir recours à
l'art ^ aux remèdes.
La difficulté de l'entreprife vous arrête,
mon Frère ^ Ah ! s'il falloir , com.me au-
trefois , vous expofer à la fureur des ty-
rans ! fouffrir U perte des biens ;, de Thon-
neur, de la vie pour la Foi de Jefus-Chr:ft>
vous auriez quelque fujet de trembler à la
vue de votre foiblen^.- , quoique vous duf-
fîez dire alors avec TApôrre : Je puis tout
en celui qui me fortifie .-mais Dieu n'en exi-
ge pas tant. Tranquille au milieu de vos
'proches & de vos amis ; ne craignant 3 ni
pour votre fortune , ni pour votre vie j, que
-vou«'. dem.ande-t on ^lefcul facrificede vos
paflionsjl élo^qnemcntduvice, lahainedu
monde &' de fes maximes , la pratique des
. vertus évangéiiques j un peu plus d'habi-
DH LA Sainte Viergf. 199
tude avec la prière , plus d'amour pour la
retraite j, plus de ferveur dans la fréquenta*
tion de nos Sacremens j un ufage plus
chrétien de votre temps ; plus d'attention
fur vous-mêmes ; moins d'horreur pour la
croix de Jefus-Chrifl: : & rebuté , alarme ,
découragé , vous n'ofez tenter cette entre-
prife ^ Ôc vous facrifiez follement l'efpé-
rance d'une éternité de bonheur , à votre
molle (Te 3c à votre lâcheté ^
Généreux Fidèles des premiers temps ,
hélas ! les plus cruels fupplices ne pou-
voient vous féparer de la charité de Jefus-
Chrift : vous auriez tremblé pour votre
vertu , & vous auriez douté de votre
amour pour lui , fi cet amour ne vous eût
coûté tout votre fang : on vous regardoic
comme ce qu'il y a de plus infâme fur la
terre ; & votre plus douce confolation
étoit de n'en avoir point ici- bas , de d'être
jugés dignes de fouffrir des opprobres pour
le nom du Sauveur. Et en ces derniers
temps on croit qu'il encoûtetrop pour être
Chrétien , quand il en coûte un feul plaifir :
le Ciel, à ce prix-là, paroît trop cher.
Sommes-nous les fuccefleurs de votre Foi^
avons-nous une efpérance différente de la
vôtre i 5c\e Dieu que nous adorons , eft-
il devenu moins digne de nos emprefle-
mens ^
Et d'ailleurs , Chrétiens y vous vous fi-
gurez des amertumes dans le parti de la
vertu : mais fans parler des divines confo*
Utions que Dieu prépare ici-bas mêms^
Né
3C0 La Visitation
à Cfux qui Taiment -, fans parler de cette
paix intérieure , fruit de la bonne confcicn-
ce 5 qu'on peut appeller en même temps ,
&c un avant-goût & le gc-ge de la félicité
qui efî réfervee dans le c.el aux âmes fidè-
les j fans vous dire avec TApotre , que tout
ce qu'on peut fouffrir fur la terre n'eft pas
digne d'être comparé avec la récompenfe
qui nous attend : (i vous étiez de bonne
foi , de que vous voululTiez nous expofer
ici naïvement tous les défagrémens qui ac-
compagnent la vie du fiecle ', que ne diriez-
vous pas j (Sc.quene dit-on pas tous les
jours ià-defius dans le iîecle même ^ Beata
cfUA credldifti i s'écrie-t-on , comme autre-
fois EJizabeth 5 quand on voit une ame dé-
fabufée du monde : Qu'un tel ell; iieureux !
il. (ait fe paOer de ce que la Keligion nous
oblige de haïr ; il ell fage ; il penfe à une
autre vie , il choidc la meilleure part ; que
n'avons-noos le courage de faire comme
lui 1 c'eit bien-ll ce qu'il y a de plus folide;
tout le refte n'eft qu'amufem.ent : Se on n'y
trouve point de plaifir qui ne fe fafieache-
îer v^r mille chagrins.
En effet :> quelles font les fureurs d'un
mariage mal aiforti :, d'une paiTion m.épri-
fée 5 d'un jeu malheureux , d'un établiffe-
mcnt m.anqué 5 d'une amitié trahie :, d'un
lang perdu , d'une réputation fiétrie , d'un
procèi douteux, d'une faifon cruelle, d'une
taxe qui vous abîme , d'une alliance qui
. vous déshonore , d'un nom qui va s'étein-
dre ^ d'une mort qui vous enlevé une per«
DE LA Saiî^tf Vierge. ^di
fonne , ou chère , ou néceilaire ; d'une
famille mal élevée , d'une dilgrace encou-
rue :> d'une préférence iniuile ?
Avez-vous évité cous ces conrre-temps î
ah '. vous ne fauriez vous éviter vous-me^
me. Car enfin , 6 mon Dieu , le pécheur
a beau s'érourdir r un relie d'éducation
chrétienne plaide long-tcmspourvousdans
le fond de Ton cœur , &c empoi Tonne fes
douces joies ron fent le vuide du plaifir ;
il ert des momens de réflexion qui vous
tuent : le coeur , fait pour une félicité plus
folide , s'amufe :, mais ne fauroic fe fa-
lisfaire, il voltige aucour des créatures y
mais il ne peut s'y fixer ;il porte par-tout un
fond d'inquiétude & d'ennui ^ qui le re-
veille même au milieu des joies &i desamu-
femens^ enfin , on trouve fon remède dans
le mal même, le dégoût daîis la jouifTance ;
&L Ton ne fent de vivacité pour le plaifir ,
que dans le moment qui le précède.
C'eft là-*ie(îus que roule le fiecle ; on le
fent 5 on s en plaint , 6c on s y aime : on fe
famifiarife avec des chagrins que rien ne
parcage , dont rien ne dédommage ; & on
frém-it au feul foavenir des faintes rigueurs
de IT vangiie, que la Foi confole , que i'ef-
pérance fioutienc , que la charité adoucit:
Eh l que ne puis-je à mon tour vous expo-
fer ici le cœi^r d'un Jufte ^ Se vous y faire
rem.arquer cette chafte volupté , cette pai-
fible félicité qui fuit l'innocence I Quelles
fecrettes délices netrouve-t-il pas à vivre
de la Foi ^ à fe regarder comme étranger
;oi La Visitation
fur la terre , à foupirer fanscelTe après fa
patrie ! quels tranfporcs durant le cours de
ces prières ferventes y où les vues de la Foi
plus vives lui rapprochent l éternité ,& ne
luilaid'oientplus voir qu'en éloignementle
fîecle & fa figure l Quel dégoût au fortii*
de-là pour les vaines joies des mondains I
il les plaint :, il déplore leur égarement , il
les regarde comme des frénétiques qui
rient au lit delà mort:,ou comme des cou-
pables deftinés au fupplice , & qui fans le
lavoir 5 feréjouiflent , tandis qu'on les y
conduit.
Maisquene pouvez-vousledireicià ma
place j) Vierges faintes qui m'écoutez 1 inf-
truites fur ceschaftes délices qui accompa-
gnent l'innocence &c la piété , que de mer-
veilles de la grâce nous découvririez-vous ?
eh 1 que pourroit oppofer le fiecle à un
exemple (î confolant ^ L'âge , le fexe , la
nailîance , prétextes fi frivoles &: fi fou-
vent allégués , feroient ici confondus :
puifqu'on y voit Tâge le plus tendre :, le
fexe le plus délicat , la naifTance la plus
diftinguée ^ ajouter mêm^e aux rigueurs de
l'Evangile des rigueurs de furcroît , 3c
trouver dans la fainte pratique des vertus
rehgieufes plus de véritables douceurs^que
le fiecle tout entier n'en peut offrir à fes
plus déclarés partifans.
Et c'eft ici où jeveuxconfondre l'iniqui-
té par l'iniquité même. Un homme livré à
l'ambition fe laiffe-t-il rebuterpar les difE-
cultes qu'il trouve fur fon chemin i 11 fe
DE LA Sainte Vierge. ^05
refond , il fcmétan'iOrphofe , il force (on
naturel , & l'afluieint à fa pafïion. Né fier
3c orgueilleux ^ on le voit d'un air timide cC
fournis 5 effuyerles caprices d'un Miniftre ;
mériter par mille baffe ifes la protediond'un
fubalterne en crédit , Ôc fe dégrader juf-
qu à vouloir être redevable de fa fortune à
la vanité d'un Commis , ou à l'avarice d'un
efclave : vif &: ardent pour le plaifir , il
confume ennuyeufement dans des anti-
chambres , 6c à la fuite des Grands ^ des
momens qui lui promettoient ailleurs mille
agrémens ,* ennemi du travail & de l'em-
barras, il remplit des emplois pénibles,
prend non feulement fur fes ai Tes j> mais
encore fur fon fommeil & fur fa fanté , de
quoi y fournir ; enfin d'une humeur ferrée
èc épargnante;, il devient libéral ^ prodi-
gue m.ême ', tout efl: inondé de (ts dons ; 8c
il n'eft pas jufqu'à l'affabilité êc aux égards
d'un Dom.eftiquej, qui ne foient le prix de
fes large ffes.
A-t-on un engagement profane^ vous le
favez 5 ah ! on ne connoîr plus d'obftacîes :
rien ne coûte , quar.d il s'agit de fatisfaire
une palïîon : les difficultés mêmes ragoû-
tent 5 piquent , réveillent. Ce n'eft que
dans l'affaire du falut , où l'on fe fouvient
que 1 on eft foible , & où Ton trouve des
montagnes inaccefhbles.
Ah ! m.es Frères , le voluptueux , l'am-
bitieux s'élèveront contre nous au jour du
Seigneur \ ôc par le fouvenir de toutes les
peines quils ont effuyées pour fatisfaire
^04- La Vis itation
leur cupidicé, ils nous confondront devant
le tribunal de Jefus-Chritl: , fur les excu-
fes que nous allé^^uons pour iuftiher notre
foiblefTe.
Eh ! difons-nous donc à nous-même dès-
à-préfenc ce que cette voix du ciel difoic
autrefois à S. Auguflin effrayé 3 comme
nous ) de la difficulté du falut : Tu non po-
îeris quod ijfl& ijïa ^ & pourquoi ne pour-
rois'je pas faire ce que tant d'autres ont
fait avant moi ^ & font encore tous les
jours! Faut-il que je me traîne, ô mou
Dieu , dans le fiecle 5 & que je me laiffe
emporter au torrent y tandis qu'à mes yeux
tel 3c telle échappent au naufrage ;, & mar-
chent heurtufement vers le port ? n'étes-
vous pas mon Dieu comme le leur ? mon
ame n efl-elle pas fortie de vos mains ^ Se
lavée dans le iang de votre Fils ^ n'ai-je
pas U même efpérance ? ne fuis-je pas ap-
pelle au même héritage ? Ah ! il n'eft que
ma lâcheté qui m'cmpcchc de fuivre : mille
fois votre grâce m'a fait faire le prem.ier
pas f mais rebuté par les plus petits obfta-
cles 3 je fuis rentré dans mes voies. Or-
donnez-moi ^ Seigneur^ encore une fois
d'aller à vous ; mais ordonnez-le-moi de
cette voix forte de puiffante à laquelle un
cœur dur ne réfifte pas ^ & , comme
Pierre;, me dépouillant de tous ces vête-
mens qui m'embarralTènt ôc m'arrêtent ,
ribre & dégagé j'irai vous joindre , même
à travers les flots de la mer : oui , Sei-
gneur } j'irai à vous à travers les orages du
DE LA Sainte Vierge. 50J
fiecle i où les écueils font fi glifTans , les
naufrages fi ordinaires , & le falut fi diffi-
cile.
I j E monde ed fujet a une antre erreur m.
fur la difficulté du falut j bien différence de P^rtiEi
celle que je viens de combutre j & cette
erreur , quoique moins fpécieufe , eft ce-
pendant plus univerfelle ^ &C moins aifée à
corriger : or , voici en quoi elle confifte.
S'il eLl des gens que la fcvérité des maxi-
mes évangéliques rebute ^ &c empêche
d'entrer dans la voie qui conduit à la vie ,
comme nous venons de le voir ; il en eft
aulTi qui aiment à fe perfuader que le falut
ne renferme pas de fi grandes difficulté?.
Ces perfonnes nées avec un çara6tere tran-
quille (5c uni :, ne croient rien trouver dans
l'Evangile ;, qui gêne trop l'amour propre.
elles fe font un plan de vertu , où entrent
fous des noms déguifés l'ambition? le luxe,
la moUeiTe y la vanité ;, & d'autres pafnons
encore plus délicates : leur régalarité con-
fiée bien plus dans la fuite du mal , que
dans la pratique du bien ; & tranquilles fur
leur falut ? elles plaignent Tégarem^ent des
pécheurs qui refufent de fe fauver prefqu à
moins de f:ais que l'on ne fe dam.ne : illu-
fion groffirre ? injurieufe à la croix de
Jefus-Chrift, & que l'exemple de Marie va
pareillement confondre.
En effet , elle n'examine pas fi l'on peut
arriver à la cité de Juda par des chemins
moins rudes & moins fluigans : elle choi-
^o6 La Visitation.
fit , fans différer :, la voie la plus pénible ;
& c'eft dans la difficulté qu'elle trouve fa
sûreté. Telle efl l'inftrudlion que Marie
donne par fon exemple à ceux qui vou-
droient arriver à la célefte Jérufalem par
des voies comihodes& applanies, ôc lans
franchir les nnontagnes {aintes,fur lefquel-
les elle eft fondée. En effet, détrompons-
nous 5 mes Treres ,* il faut qu'il en coûte
pour fe fauvcr ; & le royaume des cieux ne
peut être le prix que des violences conti-
nuelles que nous aurons exercées fur nous-
mêmes. Cependant le monde eft plein de
ces fauffes maximes en matière de religion.
Uauftérité des Cloîtres eft faince :, dit on y
mais il ne feroit pas raifonnable d'en faire
une obligation à ceux que le ciel n'y ap-
pelle pas : il y a plufieurs demeures dans la
maifon du Père célefte ; & pour ne pas
mériter les prem.ieres , il ne s'enfuit pas
qu'on doive être exclus de toutes les au-
tres : enfin il eft des joies honnêtes que l'E-
vangile n'ordonne pas de s'interdire.
Lt là-deffus , qu'une femme ne donne
point d'atteinte à la foi conjugale ; qu'elle
ne foutienne pas un jeu outrée qu'elle évite
certains excès y dont le monde poli même
ne s'accommode pas ; que dans (es difcours
elle ne forte jamais de cette bienféance de
fi bon goût dans fon fexe ; qu'elle paroifie
dans nos temples aux jours folemnels pour
y participer à la chair facrée de l'Agneau j
qu'elle fe foit réglée à certaines libéralités
pour le foulagement des membres de Je-
DE LA Sainte Vierge. ^ .^cy
fus-Chrift ; la voilà calme fur TafFaîre du
fâlut : un Confefleur n a plus rien à faire ,
& tout revêtu qu'il eii de Taucorité de Je-
fus-C.hrift i il ne feroit pas bien reçu à vou-
loir déconcerter ce train de vie. Mais elle
eft fur fon rang d'une^ délicate (Te à ne rien
paficr ; mais elle aime le fafte ôc l'éclat j
mais elle cultive des amitiés tendres ; elle
fournit à des converfarions vives ; elle
fourit à un profane qui enveloppeagréable-
m.ent une ordure; 3c en faveur de l'efprît ^
elk fait grâce à la corruption du cœur. Mais
elle a fur fa beauté des délicattlfes ridi-
cules ; pour fa parure dts foins , que vous
payeriez , 6 mon Dieuj dune éternité de
bonheur 3 s'ils éto'ent employés à parer
l'amc des vertus cék (les. Mais l'abnégation
de foi-m.êm.e eft un nom cu'c le ne conr.oit
même pas , & il n- lui eft peut-être jamais
arrivé de fe gagner pour Jefus-Chnft fur
un feul defir \ ôc enfin toute fa religion fe
réduit aux intérêts de fon honneur 6c ?.ux
foins de ce corps de boue qu'eiie idoiâtre.
Ou l'Evangile eft une loi outrée > ou cette
perfonne n'eft pas chrétienne. Car , quoi
de m.oins compatible avec l'Evangile , par
conféquentavecleChriftianifme;, que cette
molleiie , cette fierté ;, cet amour- propre,
cette délicarefiTe dont elle ne fait aucun fcru-
pule ! N'importe ; Tuf^^ge veut qu'elle fe
radure , & qu'elle fe croie dans le bon
chemin , parce qu'elle n'eft pas encore au
fond du précipice.
Tel eft aujourd'hui l'entêtement du fie-
3c8 La Vis iTATio K
cle :, àe s'y faire des plans de religion ; d'i-
maginer une morale de bon goûc , qui ré-
concilie Jefus-Chrift avec Bélial ; qui ente
fur un fonds chrétien les plus pures maxi-
mes du paganiime; qui retienne du monde
les plaifirs , Tinucilité , la moUeiTe , l'am-
bition y &c de l'Evp.ngile une foi morte ôc
inutile jc'eft-à-direjqui d'une part retran-
che les crimes :, &c de l'autre les vertus.
Et c'eft là-deffus qu'on vit tranquille-
ment dans le fiede > & qu'on attend fans
frayeur , 6 mon Dieu ^ votre jugement
redoutable : tandis que le Jufte , au fond
d'un réduit obfcur , le vifage pâle &z dé-
fait 5 le corps afFoibli Se exténué par les
travaux d'une longue pénitence y le cœur
purifié par tant d'oraifons ferventes ^ vous
conjure avec le Prophète de n'entrer pas
en jugement avec lui , repafe dans l'amer-
tume de Ton cœur quelques fautes légères
que fa piété lui groffît , & que la feule fur-
prife a arrachées de fa foiblelfe, &c ne peut
fe raiïurer ni fur le tréfor infini de vos mi-
féricordes :, ni fur le pénible amas de tant
d'œuvres faintes en qui fa foi découvre des
taches. Qtdd ifia CAchate tenebrofius ^ s e-
crie S. Chryfoftome. Le crime conduit
quelquefois au repentir ,* mais cette vie
mondaine aboutit toujours à une triflc &
funefte impénirence.
Sur quoi l'efprit humain ne peut-il pas fe
féduire, puifqu'il a pu prendre ici le chan-
ge ! Que pouvoit-on ajouter, ô mon Dieu,
aux précautions que votre fagefle avoic
DE LA Sainte Vierge. 509
prifes pour faire fentir aux hommes que les
crcMx ik ic-s (ouifranccs leur font auili indif-
penfables , que le Sacremenc qui les régé-
nère ; & qu'il ert auffi peu poffible d'être
un vrai chrétien fans fouffrir ;, qu'il eft pcf-
fible d'être chrétien fans erre baptifé? A
quoi fe réduit l'Evangile tout entier qu'à
cette vérité? Combien de fois y eft-elle
répétée ^ fous combien d'images fenfibles
Ty avez- vous enveloppée -1
Et après cela la Religion , dit-on , n'in-
terdit pas tous les plaifirs. Mais pratiquez,
mon Frère ;, toutes les auilérités qu'elle or-
donne j & on vous permettra les plaifirs
qu'elle ne défend pas. Grimpez-vous fur
la montagne comme Marie ? Puifque fans
la pénitence & la mortification il n'y a point
de ialut 5 cet œil qui vous fcandalife, l'ar-
rachcz-vousf cette croix qui vous accable?
la portez-vous <? cette volonté propre qui
vous tyrannife , la rompez-vous ^ cette
chair qui voks eft fi chère , la châtiez-
vous ^ ce calice dont il faut boire pour être
alTis à la droite de Jefus-Chrift, en buvez-
vous ^
Mais que le fiecle s'abufe fur ce point ,
Je n'en fuis pas furprisitout y roule fur l'er-
reur ôc le menfonge; & de tout temps il eft
en polfeilion de juger peu fainement de ce
qui concerne le falut. Mais cette illufion
trouve des partifans parmi ceux même qui
font profclTion de piété ; de l'on peut dire
ici que les Elus tomberoient prefque dans
cxcte erreur ^ s'il étoit poflible.
510 I>A Visitation
Ttl depuis une converfioii d'cclac , vi:
de bonne foi fur fa réputation de pièce j,
qui encore livré à tous Tes défauts ;, vif j
coiere , vain , attaché , n'a pour route ver-
tu , qu'un train de vie mêlé de foiblefl'es ÔC
de bonnes œuvres , de tiédeur &c de dé-
votion j de grâce & d'amour-propre , de
facrennens & de rechûtes.
Telle croit avoir renoncé au monde & à
fes pompes , qui n'a renoncé qu'au tumjulre
& à l'embarras. Elle s'interdit les parties
û éclat -, mais elle en alTortit tous les jours
de moins tumultueufes & de plus délicates:
elle n'eft plus livrée au public , ôc expofée
à tous les importuns d'une ville j mais au
milieu d'un monde choifi elle goûte tout le
plaifir de la converfation , fans en goûter
les défagrémens: elle a banni un jeu ourré ;
mais elle n'a pas banni l'inutilité ^ la perte
du temps: elle n*a plus des empreflem.ens
profanes pour fe faire aimer j mais elle n'eft
pas fâchée de plaire : enfin le feul nom de
paflion alarme fa vertu ; mais peut-être
n'eft-ce que du nom dont elle s'alarme.
Une autre croit avoir déjà le Ciel en
engagement , qui parmi fes vertus re fau-
roit gueres compter qu'un Diredteur de
parade , quelques confcfTions réglées , ÔC
fon nom écrit dans toutes les alTemblées
pieufes d'une ville.
Enfin celle-ci fe figure avancer à pas de
géant dans la voie de lajuftice^ qui n'y mar-
che que par caprice. Elle fe hâte à certai-
nes reprifes j tantôt c eft une aumône ^ puis
BH LA Sainte Vierge. ;ii '■
une auftéricé , une autre fois une retraite : |
Dieu a les intervalles , fi je l'ofe dire y ôc
le monde a le fond. Il ienibie que votre ici, j
ô mon Dieu , plus durable que le ciel de la 1
terre , foit une loi fou pie &c variable. Oa
y retranche , on y ajoute à (on gré ; on Ta- !
jufte à 1 humeur , à l âge , à letat : en un J
mot , chacun fe fait un Lvangile à part , où ;
il trouve le fecrec de faire entrer fes foi- '.
bieiîis. ... ;
Oui , m.es Frères , Tefprit de la religion J
efl: peu connu de ceux même qui pafTenc
pour en pratiquer les maximies j & le re-
proche que Jefus-Chrift faifoit autrefois à i
fes Apôtres ^ on peut le faire encore au- ]
jourd hui à la plupart de ceux qui font pro- ^;
feiîion de le fui vie : Nejchls cujus fpirittis Luc. 6» *
efiis : Vous ne favez à quel efprit vous êtes SS» •'
appelles. •;
Ah ! que l'exemple de Marie les înf- j
truife. Que fa fidélité nous apprenne que '
ce n'eft pas une portion de nous-mêmes > 1
des intervalles de notre temps ;, quelques '
accès de ferveur , que Dieu demande de
nous; mais tout notre cœur ^ m.ais tous
nos defirs , mais toutes nos adtions , en un
mot } une entière conformité avec TEvan-
gile :, qui doit être notre règle en ce mon-
de y puifqu'il fera notre juge dans l'autre.
Oui , mes Frères , foyons fidèles à Dieu j
après cela efpéronstout de fa miféricorde.
Voyez de comibiende bénédictions la fidé-
lité de Marie eft fuivie : le Verbe commen-
ce fon miniilere , 6c fanftifie Jean-Baptif-
^%i La Visitation
te 5 le Précurfcur trefTaillit avant que de
naître : Eiifâbeth prophétife : Marie elle-
même , ju(ques-là li retenue fur les iTier-
Vtilies que Dieu avoit opérées en elle , les
d'écouvre par un faint tranfport :, 5c exalte
la puiffance & la miféricorde du Seigneur.
Quand fera -ce donc , ô mon Dieu ,
qu*ayant franchi à fon exemple ces mon-
tagnes fatales qui me féparent de vouS;, je
pourrai:, comme elle, célébrer les mer-
veilles de votre grâce ? Honteux de ma
tiédeur & de ma négligence 3 je fais de
vains efforts pour m'approcher de vous ;
mais y hélas ! à peine me fuis-je gagné fur
Uïie foibleffe , qu'afîoibli par la victoire
même, je retombe fous mon propre poids,
& me laifTe entraîner par une autre. Laflé
<i'être toujours aux prifes avec m.oi-meme:,
je compofe enfin avec mon amour-propre;
Se pour être tranquille fur m.es payons y
je ne leur refufe que le crime, ôc leur aban-
donne tout le Tefte.
Et encore > Seigneur 1 cette averfion
qui me refte pour le crime , vient-elle de
votre grâce "i Ah 1 Ci le fou venir d'un plaifir'
profane pouvoit périr avec le plaifir miême;
il je pouvois me vaincre fur ces retours
cruels que traîne après foi 1 ofFcnfe mortel-
le :, Si devenir tranquillement pécheur ;
que fais -je ce qu'une occafion n'arracheroit
pas de ma foiblelT- ? que fais je fi tous mes
projets de vertu n'y vicndroient pas trifte-
ment échouer } Non , ce n'eft pas le crime '
qjÀQ je haisic eil ma tranquillité que j'ai me.
Ahl
DE LA Sainte Vierge, 315
'Ali î Cl vGCie grâce étoit le principe facré
de ma haine , je baïrois toui: ce qui vous
ciépiaîc: on ne me verroit pas de propos
dcl'béré tomber tous les jours en tant d'in-
fidélités , qui donnent des atteintes fi fenfî-
bks à votre amour jon nem'entendroit pas
m'informer fi Touvent ^ s'il y a de l'offente
mortelle à me permettre un tel plaifir ; il
mt fuffiToit de (avoir qu'il vous déplaît.
Non encore une fois , ce n'efl pas 1 inno-
cence que je cherche ; c'eft l'inquiétude
que je fais : heureux fi de cette paix fauijè
êc périileufe , je ne paffe pas à un trôubîç,
éternel , banni pour toujours de la paix vé-
ritable qui accompagne la félicité de vos
.Sainte 1 Je vous la fouhaice.
Ahfifo'it'îL
'Myflcï^^* O
é
Il ^Si.y.* ^/#- *x;i>:* Il
U ' ^^
DISCOURS
SUR LES ŒUVRES
DE MISERICORDE,
Prononcé dans une Affemblée
de Charité.
Z)ans quel efprlt î faut Us
pratiquer*
Si Spirîtu vivîmus , Spiritu 5c ambulemu^'
Si nous vivom "par VEfprît , conàulfons-nou^
^ar VEfprit, Gai. 5. 15.
CE n'eft pas feulement pour vous ex4
hortcc à la miféricorde . , & vous
cxpoler fur cette vertu les obligations de
îa piété chrétienne , que je viens ici vous
entretenir , Mefdames : il me paroît peu
utile de borner tout le fruit de ce Difcours
& établir un devoir que vous accomplifle:&
àé']^f ^ aimoncer U loi de k charité à de$
^ DE M î s E R î C O îl D E. f i j
Colonnes que la châiicé eile-méms affrm-
ble.
Lorfquenous parlons au commun des
Fidèles , nous pouvons leur monrrer dans
les Livres falnts ces maximes décifives qui
nousordonnenr de fecourir nos freies affli-
gés ;, parce que la plupart d'enrr'èux les
ignorent: nous pouvons leur redire ces
anathémes terribles que TEfprit de Dieu y
prononce contre ceux qui ne font pas de
leur abondance un afyîe & une reilburcc
aux malheureux y parce qu'il sV trouvée
des âmes dures & impitoyables, qu'il f-auc
ébranler par ces vérités étonnantes : nous
pouvons leur ouvrir le Çtm de la gloire :Ôl'
en leur faifant voir un Royaume éternel
devenu la récompenfe d'un veire d'eau
froide, étaler tout le. prix du plus léger
oftce de m/iféricorde , parce que parmi
ceux qui nous écoutent , il en e(t toujours
dont la charité tiède & indolente abefoin
d'être ranimée.
Mais ici , Mefdames , où !a miféricorde
eft une vertu commune , il feroic inutile
d'entreprendre de Imfpirer : ici , ou ion
porte des cœurs fenlibles aux calamités de
nos frères , ces maximes effrayantes des
Livres faints contre l'inhumanité envers les
pauvres , feroient mal placées : ici enfin ou
la charité fe foutien t par une fociété de zele,
& s'anime parde faints exemples , on peut
e difpenfer de l'encourager ; il n'eft pref-
^ue plusbefoin que de l'indruire.
.Èloa deffeiD donc aujourd'hui , Mef.
f^\5 Sur lis (E u v r e s ^
dames , efi de vous entretenir fur refpriC
de la Foi dans la pratique des œuvres de
miféricorde , perfuadé que ces oeuvres ,
dans la plupart des âmes , ne font pas tou-
jours les fruits de cette charité qui n opère
jamais en vain ; que les mécomptes de la-
mour-propre détruifent fouvenc à notre
infu ce que la piété édihe j que l'œuvre du
Seigneur , entre les mains de l'homme , y
contrade plus comimunément qu'on ne
croit 5 je ne fais quoi d'humain & de défec-
tueux 3 capable d'en anéantir tout le mé-
rite \ & qu il n'arrive que trop fouvent y
hélas ! que nos foibleffes ont la meilleure
part à nos vertus.
Je vais donc ramener à trois règles prin-
cipales tout Tefprit de la piété chrétienne
fur les ofiices de la miféricorde ,* & en op-
pofant ces règles évangéliques^ aux abus
que la cupidité ne cdïc d'y mêler , faire
ledifcernement de lor davec la paille v
féparer ce que l homme y met du fien^
d'avec ce que la charité toute feule opère ;
Se établir des marques infaillibles, afin,
qu'on ne puiffe pas s'y méprendre.
^* La première règle fur Vefprit dans le^
^'^'^^^' quel on doit pratiquer les œuvres de mile-
ricorde , c'eft qu'il faut les regarder comme
des devoirs que nous acquittons
En effet , Mcfdames , une méprde a (lez
ordinaire parmi les perfonnes confacrees
AUX œuvres faintes , eft de fe figurer que
çss pieufes occupations ne font pas renkr-i
DE Miséricorde. ^17
inces dans le devoir ; ôc de les envifager
plutôt comme des pratiques louables qu'au-
ne charité abondance embrafle :, que com-
me des obligations réelles qu'une loi indif.
penfabie nous impofe. L'amour-propre fa-
vorife d'autant plus cette erreur , que l'ac-
complillementdu devoir tout feul n'a rien
qui nous flatte, parce qu'il n'a rien qui nous
diftingue : au lieu que les œuvres fur-ajou-
tées , en nous laifîant plus de lingularité >
nous laifTenc aulTi plus de complaifance.
On aime à fe'dire en fecret que le Juftc ne
borne pas fa fidélité aux feuls préceptes de
la loi 5 que fon zèle doit aller au-delà , de
que ces bornes imparfaites n'ont été mifes,
comm.e ditl'ApÔtre , que pour la foibleife
de 1 homme encore charnel : ainfi l'on fe
perfuade qu'on eft arrivé à la perfedrion
des-confeils, de l'on s'applaudit prefque
tout Das comme fi l'on en faifoit de reîle.
Cependant , Mefdamies , il s'en faut bien
que la Foi ne mette les offices de charité
rendus à nos frères , au rang de ces œuvres
arbitraires que la religion laifie au choix
des Fidèles; & parmi tous les devoirs de
votre état , la doctrine de Jeius-ChriO:
n'en connoît prefque pas de plus facrés &
de plus inviolables.
Car vous n'ignorez pas , premièrement,
que tout chrétien eft chargé du foin de foa
fr^re affligé, & que la loi quinousordonne
de l'ajmer, nous fait en même temps un de-
voir de le fecourir ; puifqu'on n'aime pas,
lundis qu'on peut être infenfible aux mal-
O 3
^î8 Sur lis (E u vr e s
heurs de ce qu'on aime. En effet ;> Mef-
darnes , le précepte de lamour du pro-
chain , h folcmnel dans i'Evangile , /i ef-
feiuiel à la Foi y fi infcparable de la piété
chrétienne ^ ne fe borne pas à nous défen-
dre feulement de ravir ce qui appartient à
nos frères 3 de blelTer leur réputation j de
nuire à leur fortune -, d'attenter à leur per-
ionne , de troubler leur repos. Les païens
S< les peuples les plus barbares ont eu des
lo}x quilesobiigeoientden'étre niinjuftes j>
ni ravilTeurs ^ ni fourbes , ni cruels : ce
font-làdesdevoirs qui fuivent la nature :> 6c
)ufquv.s-là vous n êtes pas encore chré-
tien.
La loi de la charité ^ particulière à la
Religion de Jefus-Chrift , va donc encore
plus loin. Ce ntiï rien pour elle de ne point
haïr :, il faut qu'elle aime : ce n'efl pas aiTez
de ne pas nuire , il faut qu'elle aide : c'effc
peu d'avoir les mains pures du biend'au-
trui , il faut qu'elle donne le fien. Ceft-à-
dire , que vous êtes injufte,> Ci vous n'êtes
pas bicnfaifant ; que vous haïiTez votre fre^
re alrligé, fi vous ne le foulagez pas , lors-
que vous le pouvez j que vous devenez
l'auteur de fon infortune^ lî vous n'en êtes
pas l'afyle ; en un mot :, que vous ufurpez
ce qui lui appartient ^ Ci vous lui refufez
votre bien propre.
Ce n'eft donc pas ici une œuvre de fur-
croît : dont le zèle puifTe s'applaudir ; c'eil
une loi com*mune , impofée à toute ame
fidelie. Car , Mefdames , par la grâce qui.
"DE Miséricorde. 5191
dans le Baptême nous alTocia â l'aflemblée
des Saints j nousdevinmestousles membres
d'un mcme corps socles enfans d'un même
père. DèS"iors nous contradâmes des liai-
fons intimes 3c facrées avec le refte des Fi-
dèles : dès-lors nous ne fûmes plus étran-
gers à leur égard ) &: ils ne le furent plus au
nôtre :_ dès-lors ils ne furent plus pouc
nous ni efclaves , ni nobles y ni roturiers ,
ni riches , ni indigens ; ils furent nos frè-
res : dès-lors leurs calamités devinrent les
nôtres , & leurs befoins nos befoins : dès-
lors j'augufte qualitédeChrétien, qui nous
unilioit à eux , ôta ce mur orgueilleux de
réparation , ôc ces différences vaines de
rang , de titres , de naifTance , que la na-
ture } ou les loix dufiecle , avoient mifes
entr'eux &: nous : tout ce qui arriva dans le
corps facrédesFideles j devintnotre affaire
propre : dès-!ors^ qu'un membre fouffrit ,
nous dûmes fouffrir auffi j & fansrenoncer
a ce liendivin quinousunittousfous JefuG^
Chrifl norre chef, & qui efl: le feul fonde-
ment de notre efpérance & de notre droit
aux promeffes éternelles , nous ne pûmes
plusrefufer aux befoins communs, nos.
foms , notre attention , & notre miniftere.
AufTi les premiers Fidèles ne pofféderene
d'abord rien en propre , parce que depuis
leurvocationàrEvangile n'étant plus qu'un
cœur & qu une ame enfemble , il leur pa-
rut inutile de demeurer poffeffcurs particu-
liersdes biens, qui étoîentdevenus les biens
de leurs frères , & dont la néceflîté toute
Icule devait régler lufage.
O4
2. CO'»
310 SUR.LES (SuVRtS
Je ne vous dis pas en fécond lieu ) que
plus vous êtes élevés dans le (îecle , plus
votre obligation eft ici rigoureufe ; de fans
entrer dans les grandes raifons qui étab'il-
fent cette maxime^ fouffrez que je me bor*
ne à une réPiexion toute feule. La profpé-
rité êc l'abondance des biens de la terre ne
nous difpenfent ni de la frugalité , ni de la
fimplicité ) ni de la violence évangélique.
En vain avons-nous amafîé;, comme ces
Ifraélites 3 plus de m?.nne que nos frères ,
nous n'en pouvons réferver pour notre ufli-
ge que la mefure prefcrite par la loi : Qiil
multiîm non abundavit : Si\xittmtv\x. J-efus-
f /is". Chrift n'auroit défendu la mollelTe, le luxe
& les plaidrs qu'aux pauvres Se aux m^al-
heureux , à qui l'infortune de leur condi-
tion rend cette défenfe aflez inutile.
Or :, Mefdames , cette grande vérité
fuppofée y (\ félon la règle de l*£vangile ,
il ne vous efl: pas permis de faire fervir vos
richelTes à la félicité de vos fens , & de
jouir de votre abondance j fi le riche efl
obligé de porter fa croix , de ne chercher
pas fa confolation en ce monde , & de fe
renoncer fans cefTe foi-même comme le
pauvre -, quel a pu être le delTein de la Pro-
vidence en répandant fur vous les biens de
la terre ^ & quel avantage peut-il vous ea
revenir à vous-mcm.es ^ Seroic-ce de four-
nir à des paffions désordonnées ç^mais vous
n'êtes plus redevables à la chair pour vivre J
félon la chair. Seroic-ce de foucenir lor^ \
D ï M î S E R I C 0 R B Ë. ^ ^ ir
gueil du rang & de ia nailTancef mais votre
vie doit être cachée en Dieu avec Jefus-
Chrift. Seroir-ce d'anialTer pour vos ne-
veux ^ mais vous ne devez plus théfaurifer
que pour le Ciel. Seroir-ce de couler vos
jours avec plus de tranquillité & d'indo-
lence ^ mais h vous ne pleurez pas , (i vous
nefoulTrez. (i vous ne combattez paS;> vous
êtes perdus. Seroit-ce de vous attacher
plus à la terre ? mais le Chrétien n'eil pas
de ce monde , il eft citoyen du (îecle à ve-
nir. Seroit-ce d'orner plus fuperbement vos
palais ? mais cette vaine magnificence ed
réprouvée dans le riche de i'Hvanglle. Se-
roii-ce de charger vos tables de mets plus
exquis i mais la chair de le fang ne polléde-
ront pas le royaumje de Dieu ; &: h vous ne
faites pénitence , vous périrez. Seroit-ce
de vous élever à de nouvelles dignités dans
le m.onde ? mais cette élévation ;, félon les
vues de la Foi , n'eft que le haut d'un pré-
cipice. Seroit-ce d'aggrandir vos poiref-
fions de vos héritages ? mais vous n'aggran-»
diriez jam.ais que le lieu de votre exil ,• ÔC
le gain du monde entier vous feroit inutile.
Cl vous veniez à perdre votre ame. Repafiez
fur tous les avantages que vous pouvez re-
tirer, félon le monde , de votre profpérité;
ils vous font prefque tous interdits par U
loi de Dieu.
Ce n'a donc pas été fon defîein de vous
les ménager , en vous faifant naître dans
l'abondance : ce n'cft donc pas pour vous<»
raêmes que vous êtes nés grands : ce n eft
*5iî ''Sur iesCSuvre^
pas pour vous , comme le difoit autrefois
le fage Mardochée à la pieufe Eflher , que
le Seigneur vous a élevée à ce poii:: de
grandeur qui vous environne : c'eft pour
vos frères ; c efl pour fon peuple affligé ,
c'eft pour être la protectrice des infortu--
nés : Et quls fiov'it 3 utrùm idcîrco ad reg'^
A \1^^' ^i^'f^i veneris , ut in tali t empare parjreris f
Si vous ne répondez pas aux deiieins de
Dieu fur vous , il fe fervira de quelqu'autrc
qui lui fera plus fidèle ; il tranfporcera cette
gloire ôc cette couronne qui vous étoit
deuinée. Ah l il faura bien pourvoir par
quelqu'autre voie à la délivrance de fon
peuple j car il ne permet pas que les fiens
périllent : mais vous 5c la maifon de votre
père périrez : Per al'iam occafionem libéra'^
*^''^- buntur Jiiddl ; & tu ^ & domus patris tuî >
peribitis. Vous n'êtes donc dans les deffeins
de Dieu, que les miniftresde fa providence
envers les créatures qui foufFrent ; vos
grands biens ne font donc que des dépots
facrés , que fa bonté a mis entre vos mains
comme pour y être plus à couvert de Tu-
furpation &c de la violence , &c confervés
plus sûrement à la veuve & à l'orphelin :
votre abondance n'eft donc que la portion
de vos frères : votre élévation dans l'ordre
de la fagelTe éternelle , n eft donc deftinee
qu'à leur fervir d'afyle ; votre autorité qu'à
les protéger ; vos dignités ^qu'à venger
leurs intérêts ; Véclat de votre nom qu'à les
confoler par vos offices ,' votre rang qu'à
leur adoucir l'inégalité de la condiûon&l«
DE M I S E R I € O R D ë.. f t*
malheur de lear deftinée , en vous abaif-
fanc juiqu'à leur rendre les plus vils minif-
teres ; vos exemples qu'à les afermir dans
la Foi :, ôc dans la foumifTion au Dieu qui
les frappe. En un mot , tout ce que vous
êtes 5 vous ne leces que pour eux. Votre
élévation ne feroit plus l'ouvrage de Dieu>
ôc il vous auroit réprouvés en répandant
fur vous ks biens de la terre , s'il vous les
avoir donnés pour un autre ufage.
Et certes , MefdameSj, lorfque des in-
fortunés voient une ame fidelle j> malgré la.
nailTance ^ les biens , le crédit y les digni-
tés qui la diftinguent , renoncer aux plaifirft
qui rendent la profpérité fi digne d'envie ,
fuir un monde qui la cherche , fe dérober
aux honneurs qui l'environnent , percée
f ufques dans leurs plus fombres retraites ,
ôc là faire de leur lèpre même un fpe(flaclc
agréable à Tes yeux , abaifler fes mains cha-
ritables jufquàleurs plus dégoûtantes mi-%
feres 5 verfer de Vhuile fur leurs plaies^
refpe6terleur chair hideufe comme le teca-
ple de l'Efprit faint , foulager kur douleuç-
par des paroles de confolationjCalmerleuj
impatience parles maximes de la Foi ^ pré-
venir leur honte de leurs befoins par de
faints artifices ? les tirer de l'occafîon de dut
péril par de fages ménagemens ; & eniir^
tout fouffrir , ou pour adoucir leurs pei*.
nés > ou pour aflurer leur falut : ah i c'eft-
alors qu'ils lèvent les yeux au Ciel y qu'ib
reconnoiflent un Dieu fage , difpenfateuî
^çs çhofe^ (i'içi-bas > ^ père commua d»
06
314 S tJ R I H s (E IT V R F 5 '
pauvre comrr.e du riche ;c>il alors qu'ils
publient les merveilles de fj. providence,
Qjae vous êtes riche en miféricorde > Sei-
gneur ! lui difent-îls ; vous n'abandonnez
jamais ceux qui efperenr en vous; votre
eell attentif aux befoins de vos créacures ,
ne permet jamais qu'elles fouiFrent au-delà
de leurs forces. Ceft alors qu'ils regardent
kur infortune avec des yeux chrctiers ; &
qu'ils commencent à comprendre combien
Dieu eft grand , & digne d être fervi , puif-
qu il peut fe formaer au milieu même de la
corruption du grand monde ôc des périls
de la profpérité :, des fervireurs il fidèles.
Voilà , Mefdam.es 3 à quoi la naillance ÔC
les biens doivent fervir : vous n'êtes puif-
fans fur la terre , que pour faire bénir par
ceux qui fouffrent ? la bonté de Dieu ik les
richelTes de fa miféricorde y qui leur a mé-
nagé dans votre abondance des reflources
^fi confolanres.
Mais i-e laiHe ces grandes maximes , (î
foiivent fans doute ici repérées ; & je dis ,
en troifieme lieu ^ que quand même on
ii'auroit aucun égard aux obligations com-
munes qu^impofe là-deflusla Religion > Ô€
le rang que vous tenez dans le monde,
■pour vous en particulier qui" m'écoutez >
les faintès occupations de la miféricorde ^
•& l attention particulière à l'œuvre qui
nous afTfmble , ne irroient pas moins dts
devoirs indifpenfables. Renouveliez ^ je
vous prie , votre âttenrion.
- Car , premièrement ^ qui que vous
D ï M I S E U I C O R D î. 5 1 f
foyez , qui marchez aujourd hui dans des
voies fâintes , & quidérrompés des erreurs
du monde te des pallions , ne connoiilez
plus rien de folide que la crainre du Sei-
gneur & la gloire de ie fervir j vos mœurs
o-u-elies toujours éré réglées par la loi f*
vos exemples n'onc-ils pas été autrefois ua
modèle de luxe , de plaidr , Ôc de mol-
lelle f* En repalTant fur vos jours de ténè-
bres y de fur ces premières années où vous
ne connoilTiez pas encore le don de Dieu ,
n'y trouvez -vous rien à vous reprocher iur
les (oins d'une vaine beauté, fur des attei> .
tions déplorables à corrom.pre les cœurs ,
fur des indécences de parure dont la piété
des amcs juftes gémilîoic alors, fur àçs
licences que le miOndeautorife ;, & où vos
-frères ont tant de fois trouvé Técueil de
leur innocence f* que fais-je ^ fur dts foi-
blelfes qui font aujourd'hui devant Dieu le
fuiet de vos foupirs !k la niatiere de votre
pénitence ? Vos citoyens , vos proches ,
vos amis , vos domeliiques n'ont-ils pa-s
mille fois péri fous vos yeux < votre rang
ne donnoit-il pas du crédit à vos pallions
& à vos exemples ^ Combien d âmes ;>
lorfque vous fuiviez des routes injuftes ,
avez-vous entraînées , à votre infu , avec
vous dans le précipice?
Eh ! ne faut-il donc pas qu'aujourd'hui
des exem.ples contraires réparent le fcan-
dale ? ne faut-il pas que vous foyez ur,Q
odeur de vie pour vos frères , comm.e vous
avez été une odeur de mort f ne faut-il pas
^iG Sur tEsCEtrvREs
que vous leviez :, pour aînii dire , fans rîeft
craindre , Téteiidart de la piété , comme
vous aviez levé autrefois celui du monde-
ôc des plailirs ? Une vertu obfcui e de pri-
vée peut-elle remplacer des maux publics î
& quand les offices d'une charité publique
ne feroient pour les autres que des prati-
ques arbitraires d'une piété édifiante , ne
deviennent-ils pas pour vous des devoirs^
indifpen fables ?
Secondement : Autrefois , lorfque vous
ne connoifliez rien de grand que le monde
& fes vanités , n'aviez-vous pas peut-être
donné du ridicule à la piété par des déri-
fionsinjuftes ^n'aviez-vous pas regardé les
offices publics de miféricorde , comme des
indifcrétions de zèle ^ ou des empreffe-
mens de vanité ^ loin de refpeâicr les per*
fonnes qui s'y confacroient , n'aftedliez-
vous pas d'en faire le fujetle plus ordinaire
de vos cenfures ^ ne di(iez-vous pas d'elle»
comm.e autrefois Pharaon desifraélites qui
vouloienc aller facrifier dans le défertj que
c'étoit roifivecé toute feule , & une vie
inutile qui leur faifoic chercher ces fortes
d'occupations & ces pieux amufemens ^
Exod, jy^acatis otlo , & îdcïrco dïcîtls : Eamus ,
S» ^7» ù* facrt jïcemu S Domino ^ Ne difiez-vous
pas comme ces Gouverneurs des Provinces
voifines de Jérufalem y lorfqu'ils voyoienc
Néhémias & les principaux du peuple de
Dieu, occupés à rebâtir le Temple: A quoi
a. r/Hr, s'amufent les foibles Juifs ^ ^uid Jud<tl
4^ 2. ' f/idunt imbeclUes i prétendeiu-il§ donc que
le monde leslaille faire;, ôc qu'on ne parle
pas d'une conduite fi bizarre Ôc fi fingu-
liere i Num dlmitîcnt eos genres f veulent- Ibld^
ils donc tout faire à la fois , ëc gagner le
Ciel en un feul jour j* Num [acrificabmu j, ihiâ.
& cowplebunt in una die ? vealcnt-ils que
les cendres de leur ville fe changent tout
d'un coup en des bâtimens fuperbes , ÔC
palTer en un inftant d'une extrémité à
l'autre ^ Numquid ddljicare poterunt lapi-
des de acervîs pulveris qui ccmbulîi funt ^ '^'^#
Car tels font encore aujourd'hui , ô mon
Dieu l iesdifcours infenfés du monde con-
tre la vertu. N'étoient-ce pas là autrefois
les vôtres f II faut donc que vos œuvres
publiques rendent à la piété l'honneur que
vos dérifions profanes lui avoient ôté ; il
faut donc quevous pratiquiez vous-mêmes
ee que vous avez Ç\ injuftementbiâmé dans
les autres Fidèles : il faut défavouer la té-
mérité de vos cenfures , en vous expofant
vous-mêmes à celles du monde ; & réparer
le tore que vous avez fait à la vertu , en
donnant des m.arques éclatantes de la vé*
nération que vous avez pour elle.
Troifiémement -.Quel ufagefaifiez-vou:»
autrefois de vos richeiTes ^ vos biens im-
menfes pouvoient-ils fuffîre aux jeux , au
luxe } aux caprices y aux pallions ^ Vous
faifiez fervir les dons de Dieu à l'iniquité :
or tout ce que vous employez à des ufages
iniuftes, vous l'ufurpiez fur le pauvre ôc
fur l'affligé. Eh ! comment voulez-vous
réparer cette injuftice, que par des fainteç
^i% SURLES (EUVRES
profuiîons ôc des largefles plus abondan-
tes ^
Quatrièmement enfin ^ cette première
faîlon de votre vie que vous avez confa-
crée au monde & à Tes erreurs , vous l'a-
vez paflee dans les plaifirs ÔC dans une mol-
le indolence : la félicité de vos lens étoic
alors votre unique affaire : vous n'étiez
attentives qu'à réveiller tous les jours par
de nouveaux artifices le dégoût & la fatié-
té inféparable de tout ce qui plaît hors de
Dieu : vous ne viviez que pour votre corps»
Ah ! unevertuoifeufe^ douce ^ aifée ^ ne
feroit donc plus pour vous qu'une illufion
dangereufe. Vous avez ménagé à vos fens
tout ce qui pouvoir les flatter : il faut donc
vous appliquer à les crucifier ; aller dans
ces lieux de miféricorde j où la piété ap-
pelle tant d'ames faintes ; vous approcher
des Lazares puans & couverts de plaies ;
re pas refufer votre miniftere & le fecours
de vos mains à leurs befoins extrêmes ; dc
malgré les frémiflemens fecrets de la natu-
re, accoutumer votre délicatefle à ces œu-
vres de religion ,• de furmonrer par votre
foi 3c par lardeur de votre amour , la foi-
blelîe d'une chair qui a fi fouvent triom-
phé de vous-mêmes. Vous croyez , en
vous confacrant à des exercices charita-
bles , aller au-delà de vos devoirs i ôc vous
voyez que vous n'avez pas encore rendu
un pour mille , & qu'il s'en faut bien que
la compenfatîon ne foit égale.
Ce qui vous abufe ici , Mefdames p vqu«
DE Miséricorde. 519
^ue la miféricorde de Jefus-Chrift a dé-
trompées du monde &appeUées à fou fer-
vice , & qui fait que vous comptez fi fore
fur le mérite de vos œuvres iaintes ; c'eft y
premièrement , qu'une erreur fecrette dc
délicate de vanité vous perfuade que les ti-
tres qui vousdiil:inguent5 donnent un nou-
veau mérite devant Dieu à vos œuvres de
religion ; que leur prix croît à proportion
de votre rang ,* que les démarches les plus
légères de piété font illuftrées , pour ainlî
dire , aux yeux du Seigneur par Téclat qui
vous environne. On fe repofe fur cette vai-
ne complaifance , que d injudies adulations
nourrilTent ; on fait entrer dans Tidée que
l'on a de fes œuvres , celle qu'on a de foi-
même ] Se onfe perfuade que ceux qui font
nés dans la foule , en faifant mille fois plus
que nous , méritent encore moins. Com-
me fi la charité toute feule ne difcernoit pas
nos mérites j comme Ci en Dieu il y avoit
acception de perfonnes ; com.m.e i\ ceux
qui ont plus reçu , n'écoient pas ceux donc
on demande davantage. Secondem^-nt ,
c'eft que vous ne jetcez d'ordinaire les yeux
fur vous-mêmes , qu'en vous oppofant à
ces perfonnes mondaines de votre état &
de votre rang , livrées aux plaiiirs ;, aux
paffionsjnfcnfées ;> à leurs propres égare-
mens , & qui négligent rout-à-fait le foin
de leur falut. Alors ce parallèle grolTi!: à
vos yeux votre propre mérite : vos œu-
vres comparées à leurs inutilités & à leurs
plaifus 3 vous paroiflent des abondances de
5^0 Sur les (S u vr es
juftice : tout ce que vous faites pour le
falut su-deflus d'elles :, vous croyez le faire
au-delà de vos devoirs ; ôc la tiédeur oà
vous vivez y oppofée à leur dérèglement >
{échange à vos yeux en vertu héroïque.
Semblables à cet Evêque de TApocalypfe,
qui malgré la tiédeur & l'indolence de fes.
mœurs , fe croyoit riche en bonnes œu-
vres } parce qu'il jugeoic fans doute de fa
vertu par la chute & les excès des faux
Dodeurs qui enfeignoient la doéVrine de
Balaam , & en fuivoient les voies honteu*
fes ; lui qui étoit aux yeux de celui qui
eft un témoin fidèle & véritable ';, pauvre y
niiférable , nud , ôc far le point d'être re-
jette de fa bouche.
Cette règle eft donc dangereufe. Ce
ii*eft pas par ces parallèles trompeurs qu'il
faut mefurerce que nous fommes devant
Dieu ; c'eft par la fainteté de la loi ; ct(k
par la fublimité de nos devoirs j c'cfl: par
l excellence de notre vocation yc'cù. par la
grandeur du maître que nous fervons ;
c'efl parla multitude desiniquités que nous
avons à expier ; c'eft par les foibleflTes jour-
nalières que notre tiédeur voit multiplier
à l'infini fans aucun changement ; en un
mot j) ce n'eft pas en nous comparant aux
pécheurs , qu'il faut faire honneur à nos
foibles vertus j c'eft en nous oppofant aux
Saints qui nous ont précédés , aux âmes
juftes qui marchent à nos yeux, Se quinous^
laiflent fi loin après elles dans la voie, qu'il
faut confondre notre langueur ôc notre im^
ni MiSîRiCORDï. 5^1
pénitence. Si la Pécherefle de Jérufalem
eut jugé de la profulion de fes parfums, ôc
de l'abondance de fes larmes , par Tinfen-
fibilité des autres femmes mondaines de
la Paleftine , ah 1 fans doute , elle n'eût pas
eu tant de honte de fe préfenter devant le
Sauveur :> ôc n'eût pas choiil [t:s pieds com-
me pour dérober à fes yeux les faints mi-
nifteresde.fa charité , qui lui pcroifToienc
fi difproportionnés aux défordresde fa vie:,
ii la femme Cananéenne eût oppofé fa dé-
marche fi pleine de foi à l'aveuglement des
autres femmes de Tyr , fans doute elle ne
fe fût j.am.ais comparée à un vil animal : iî
David lui-même n'eût jugé de fa péniten-
ce 5 de fes jeûnes , de fes larmes de de fes
macérations , que par la molleflc des au-
tres Cours Se l'exemple des Rois fes voi-
fins 5 plutôt que par fes crimes ^ ah 1 fans
doute il n'eût pas prié le Seigneur de n'en-
trer pas en jugement avec lui. Les déré-
glemens de nos frères n'ajourent donc rien
au mérite de nos œuvres ; ôc nous pou-
vons être plus juûes que le monde , fans
l'être encore aflèz pour Jcfus-Chriii.
L
A féconde règle à obferver dans la Re&l^
pratique des œuvres de miféricorde , eft
que non feulement il faut les regarder
comme des devoirs que nous acquittons >
mais encore en faire des remèdes journa-
liers contre nos foiblefîes de tous les jours..
Je m'explique. Vous le favez :> Mefda-.
jnes j les oeuvres extérieures de la piété
^;i Sur les (Euvres
n'ont de mérite devant le Seigneur :, qu'au-
tant qu'elles fervent à perfectionner notre
homme intérieur : car le Royaume de
Dieu efl: au-dedans de nous ; & tout ce que
nous faifons pour le falut efl inutile , s'il
ne fe rapporte au règlement du coeur } &
à Tentiere mortification des vices & des
defirs ;, qui mettent encore obflacle en
nous à la grâce de notre parfaite délivran-
ce. Or 5 fur cette maxime de la Foi , fou-
lagernos frères :, les revêtir j, les vifiter^
lesconfoler ^ les fervir même ) n'efl enco-
re que le corps de la piété : ce font les
offices du Chrétien -, ce n'efl; pas le Chré-
tien lui-même. Il faut donc que la vertu
croiile & fe purifie dans ces devoirs pu-
blics de miféricorde ; que nos im.perfec-
tions y trouvent leur remède : & que cha-
que œuvre fainte ferve à aftoiblir en nous
quelqu'une de nos pafTions : c'eft-à-dire ,
Mefdames , que pour encrer dans refpric
de la Foi fur la pratique des œuvres chari-
tables 5 il faut 5 avant que de s'y engager ,
mettre notre ame fur nos mains , Fenvifa-
ger aux pieds de Jefus-Chrift ; & dans
la lumière de fa grâce , examiner fous fes
yeux quels font encore nos penchans dé-
réglés 3 & choifir les offices de miféricorde
qui leur font le plus oppofés , &c qui pa-
roiiïent les plus propres à les déraciner
de notre cœur.
Ainfi vous aimez encore le monde , les
plaifirs j, les diffipations des jeux &c àes
commerces : préférez les œuvres qui vous
n "E M I S E R I CO RD ?. 5?^
en fcparent le plus , ik qui vous renferment
plus fouveiK dans la prière , dans le filencs
^ dans la retraire. Vous ères nées avec des
difpofirions de molle iTe (?^ d'indolence que
vous ne fauriez prefque furmonter ,* vous
ne prenez jamais rien fur vous-mêmes;
votre vertu n'eft prefque qu'un éloigne-
ment naturel du tumulte ôc des agitations
du monde que vous n'aimez pas , ôc une
vie plus douce & plus oiieule qu'on ne la
mené d'ordinaire dans le fiecle : ah ! les
œuvres les plus dures , les plus pénibles
de la miféricorde , les foins les plus dé-
£oûrans , les miiferes les plus hideufcs y
c'eft-îà votre partage. Vous aimez dans
la vertu même tout ce qui éclate , tout ce
-qm diftingue , tout ce qui attire les re-
gards publics : entrez dans les œuvres les
•plusobfcures , qui vous confondent le plus
avec le peuple , les plus expofées aux dé-
riiions des infenfés : laiffez aux autres le
premier rang Ôc tout l'honneur des encre-
prifcs de piété, de réfervez en pour vous
ies foins &: les fatigues. Vous retombez
fans celle dans les m.êmes vivacités ; tout
vous bleffe ; tout vous allum.e ; &z vous
décriez dans l'efprit de ceux qui vous ap-
prochent 5 la vertu par des foibleiTes qui
vous font propres : choififiez les œuvres
où il faut plus de douceur , plus de patien-
ce , être redevable aux fages & aux fous ^
ôc fupporter m.ême les plaintes , les cha-^
grins , les humeurs , les outrages quelque-
j^ois de .ceux qu'on veut foulager. Vgus
154 Stra LES (]EurREj
kntez des éloignemens injuftcs , &" dei
antipathies fccretces fur lefquelles vous
traitez votre cœur avec trop d indulgence ;
vous bornez prcfque toute votre vertu à
fuir ce que vous ne pouvez aimer ^ recher-
chez les œuvres qui vous rapprochent ,
qui vous donnent de nouvelles liaifons
avec les perfonnes que leur piété toute
feule devroit vous rendre chères ,* & accou-
tumez ainfi votre cœur à voir avec plaîfir
ce qu'il doit aimer fans feinte. Enfin , faites
de vos a^uvres de miféricorde les exercices
des vertus qui vous manquent.
Zachée , après avoir réparé fes injufti-
Ces y fit des largefles abondantes , 6c fa
inaifon même devint l'afyle de fon Libé-
rateur : mais c*eft qu'il vouloit par ces pro-
fufions achever d'éteindre dans fon cœur
cette foif infatiable des richeiies , qui juf-
ques-là l'avoit tyrannifé , & qui ne s'éteint
pas d'un feul coup. Magdelaine répandit
des parfums, & effuya de fes cheveux le$
pieds facrés de fon Maître : mais ceft
qu'elle fentoit encore fans doute un rede
d'attachement pour les inftrumens déplo-
rables de fes vanités & de fes plaifirs , &
que fon amour fe hâtoit d'en achever le
facrifice. Les femmes des ifraéHtes offrî-»
rent pour la conftrudion du Tabernacle ,
ce qu'elles avoient de plus précieux : mais
c'eft que ces dépouilles dePharaon , donc
le Seigneur les avoit revêtues , étoient ua
écueil pour leur foiblefle ^ & leur faifoient
Iregretter encore tous les jours la pompe
fc les uéfors de l'EgypcCa
Ce m I s e r I c o r b î , ^ff
Les œuvres extérieures de la piété ne
font iainres ;, Mefdames y qu'autant qu'el-
les nous lanûifient j &c elles ne nous lanc-
tifient ;, qu'autant qu'elles nous corrigent.
Cer fi Jefus-Chriû eft la fin de la Loi;, tous
les devoirs qu'elle nous impofe ne tendenc
donc qu'à former Jefus-Chrift en nous :
l'accomplidement de chaque précepte doit
donc ajouter comme un nouveau trait à
cet homme fpirituel. Nos œuvres ne font
comptées que par les progrès de cet ou-
vrage divin. S'il n'avp.nce pas, en vain nous
couvrons ^ nous vifirons ^ nous confolons
nos frères , nous ne faifons rien aux yeux
de Dieu ; parce qu'il ne voit de nous que
notre rtfTemblance avec fon Fils , & que
jc'eft en Jefus-Chrill: feulem>ent que nous
fommes dignes de fes regards ; tout ce qui
ne perfedionne pas cette reflemblance »
n'ajoute rien à notre mérite. Or y Jefus-
Chrift ne croit en nous que fur les ruines
du vieil Adam : il faut que l'un diminue ,
iîifin que l'autre croifle ; il n'eft que ce qui
mortifie les inclinations de la chair y qui
augmente la vie de Tefprit ; il n'eft que ce
qui contredit la nature corrompue , qui
conduife à fa perfeétion l'être chrétien j il
n'eft que ce qui-&ffoiblit ces penchans infi-
I nis qui s'oppofent encore en ngus à la Loi
de Dieu 3 qui donne de nouvelles forces
aux inclinations de la grâce. Tout eft pref-
I ique facrificedans la vie du Chrétien , Met
I dames ; car il vit de la Foi j & tout ce qui
I çart de la Foi coûte , parce ^u il çonuedi^
.'i^G SVK L E s (E V V R E $
toujours la vie des fens. Ainfi les œu-
vres de miféri corde doivent être comme
les facrifices journaliers de l'ame fidelle ;
l'Apôtre lui-même ne leur donne pasd'su-
tre nom : c'efi: par de telles hoTcies , di:-
il en exhortant les Fidèles aux pieux offi-
ces de la charité envers leurs Frères , qu'on
fe rend Dieu favorable : Talibus enhn bol--
Kf Jr.13. ^y^^ promereîHY Detis.
Or y on viole cette règle de la piété ea
deux manières. Premièrement :, de tous
les offices de miféricorde , nous choihf-
fons prefque toujours les plus conformes
à notre goût;) à notre caractcre, à nos
penchans.On eft vif, adif :> entreprenant ,
ennemi du repos, du recueillement ;> 6c
de la retraite : on entre dans toutes les en-
treprifes de piété ; on veut avoir part à
tout ; on a des foins de toutes les fortes ;
on ne vit pas un mom.ent pour foi s de ce-
pendant 5 on auroit befoin de recueillir
plus fcuvent fon ame aux pieds de Jeius-
Chrift , pour y réparer les dommages in-
féparables dès Minifteres tumultueux , Sc
renouveller les forces que les diUipations
les plus faintes ne laiffent pas d'affi^iblir.
On a apporté en naiffiant un coeur terr-
dre & miféricordieux -, on aime à foulager
ceux qui fouffrent ^ par une compaiTîoa
toute humaine. On eft né chagrin y aufte-
re 5 impérieux ; on embralTe des miniftereit
• qui nous écablitTent fur les autres , & qui
-nous rendant arbitres de leur conduite ^
•fourniflent à l'amour-propre l'occafion dç
fatisfairf
■deMisericordf. 5^7
fatisfaire ce penchant nacurel qu'on a de
corriger 3c de reprendre. On a plus de
^ouc pour une œuvre ;, ou pour un écablif-
lemenc ; cous les autres bcioins nous trou-
vent infentibles. Eniîn j, pour éviter ici
trop de détail , il l'on s'examine de près^
on verra que nos penchans déréglés ne
foufFrent jamais rien de ces exercices re-
ligieux ; que jufques dans la piccé , on évi-
te tout ce qui gêne ÔC qui déplaît ; que
Von ne fait que fe prêter à foi-même, lorf-
qu on s'imagine opérer des œuvres de fa-
lut y Se qu'on n'eft encore qu'homme , tan-
■dis qu'on croit être Chrétien.
Ce n'eft pas qu'il faille rélider à ces
penchans heureux qui inclinent notre ame
à la miféricorde ; ou qu'on rempliile ces
pieux devoirs fans mérite , dès qu'on les
remplit fans répugnance. Non , Mefda-
ines ) la Foi fait faire fervir la nature à la
grâce ; & ces difpofitions favorables que
nous portons en naifTant par la vertu^ font
des dons du Créateur , lefquels dans fes
<le(reins de miféricorde fur nous , doivent
jêcre comme les prémices de notre fanclii-
^îcation. Mais il faut prendre garde de ne
.pas borner-là tous nos efforts > la piété
va plus loin que la nature. On peut fuivre
ce que nos penchans nous infpirenc de
louable : mais fi vous en demeurez- là >
vous n'avez encore rien fait ; vous n'êtes
qu'au commencement de la voie : car elle
^fl rude êc difficile ; & quelqu'heureur
«g[ue fo\ent vos penchans ^ vous n'y eiuxe-
Myflerçs, p
f';8 StrR LFS (ÊUVREg
rez jamais bien avant > tandis que vous ne
fertz que vous prêter à eux , 6c les fui-
vre : cependant le tempérament feul fait
prtTque toute la vertu de la plupart de
ceux qui en font proiSriHoyi. La règle donc,
c'eil que les offices extérieurs de pieté ,
qui nous laiifent toujours auiïî fenfuels ,
auffi immortiiiés^auiïi imparfaits que nous
fom>mes , n'en ont que l'apparence, & n'en
peuvent avoir la force & la vertu.
La féconde manière dont on viole cette
règle eft encore plus coupable. Non feu-
lement on fe borne à une vertu toute na-
turelle ;, & les œuvres de miféricorde que
l'on choi(ît font toujours celles qui ne coû-
tent rien à l'amour-propre ^ & qui ne
nous corrigent jamais de nos foiblcdes ;
mais encore elles ne fervent fouvent qu'à
nous y entretenir.
En effst 5 combien de ces âmes abu*
fées , qui dans une vie toute mondaine ,
toute fenfuelle;) toute profane , ferafTurenc
fur quelques pratiques de miféricorde ;, &
fur l'abondance de leurs largeffes ? Ce font
de ces Filles de Tyr dont parle le P-o^
phete, qui vivant dansTiiifidélité > croient
appaifer la juftice du grand Roi ^ en mê-
lant à leurs plaiiirs quelques pieux offices
de charité , & le mérite de quelques libé-
ralités & de quelques offrandes : FHit
rf' 44- j'yrl ifi inuneribus vulîu.m ttium deprecahun^
*^* tUY, On feperfuade que la miféricorde fup-
plée à tout ; que la prière , la retraite , le
|:enoncemecic à foi-même ^ la haine du
DE M I s E» I C O R D E. 555
fnonde , Li fuite des pUifirs, la garde des
fcns , & toutes les maximes les plus Iîî-
violablcs de la vie chrétienne; Coût des de.
voirs que l'on peut racheter , pour ainii
dire , à prix d argent j que la Foi connoïc
ces forces de ccmpenfations ; & qu'une
indolence miféricordieufe ne fera pas dif-
tinguée de la vertu & de la judice. Mais ,
6 mon Dieu ! que votre Croix feroic d: u-
ce ! que votre dodrine fcroit favorc^ble
aux ftns î que la voie qui conduit a la vie
feroic aifc'e 1 <Sc que la couronne de Tim-
irortaiité feroit un prix attaché h de légers
cfïorts , s'd n'en coûtoît pour l'obrenir que
quelques laTgeills , donc nos plaillrs mê-
mes , nos paillons , notre luxe , notre C^ïi'
iualité ne fouffrent rien !
Non , Mefdames :, le Seigneur n'a pas
befoin de nos biens ; mais il demmde no-'
tre ccrur. La mifériccrde aide à expier les
crimes dont on fe rcpent , il e(t vrai ,* mx-'.is •
elle ne juftiFiC pas ceux qu'on aim.e : elle
eft le fecours de la pénitence , je le fais :
mais elle n'ed pas l'excufc de la volupté ;
€Île fupplée aux foibles efforts du pécheur
qui revient à Dieu ; la Foi nous l'apprend; '
mais elle ne m.et pas en siiceré rame mon-
daine qui réfute de fe convertir à lui ; en
im m.ot 3 elle eft le fruit de la vertu , 8c
non pas la reffource du vice. Car ce qu'il
y a ici de déplorable , c'eft que des mcrurs
qui nous paroitroient dangereufes; G elles
r'ctolent accomp:jgnées dequelquesofîtces ^
4e piété , perdent à nos yeux tout ce
P 2
^4^ Su R t E s (È U V R E s
qu'elles ont de doiueux j dès-que ces œa-
vres extérieures les fouciennenr. Et iî quel-
quefois les vérités du falut entendues ;, ou
la grâce plus forte trouble cette faulTepaix,
& jette des terreurs dans la confcience ;
ah ! la nudité couverte ^ la faim radaiiée ,
la mifere cdifolée , l'innocence protégée
s'oiirent à Tinftant , & calmentcet heureux
orage. Ce font des fignes de paix qui dif-
Tipent à Tinrtant nos alarmes ; c'eft cet arc
ofée 7. i^ï^onopeur dont parle le Prophète , yircus
t6. dolojus 0 lequel au milieu des nuages & des
tempêtes heureufes , que le doigt de Dieu
commençoit à exciter dans le cœur , vienc
nous promettre une faulTe férénité ; ôc di-
vertit notre efprit de l'image préfente du
danger. On s'endort dans ces triftes débris
de Religion , pour ainfi dire > comme s'ils
pouvoient nous fauver du naufrage ; &
des œuvres chrétiennes qui devroient être
le prix de notre falut, deviennent Tocca-
C\ox\ de notre perte éternelle.
Ah! Seigneur 5 éclairez ces âmes abu-
fées. Si parmi tant de perfonnes pieu Tes
qui m'écoutentj il s'en trouvoit quelqu'une
de ce caraéiere ; ne permettez pas que la
niiféricorde , qui délivre , qui fauve i qui
purifie j fc change jamais pour nous en
voie de perdition & de fcandale. Défen-
dez vous-même des illufions delà cupidité,
une vertu que vos Livres faints nous ont
rendue (î chère -, & en nous donnant ce
cœur miféricordieux & fenfible aux mife-
res de no$ frètes , doixaez-u.ous ea mémo
DE M I S E RI C OR D F. ^ 34!
temps ce cœur chrécieii:) qui ne fait , ni
dJifimuler , ni fe pardonner fes miferes
propres.
Je ne dis rien de la troifieme règle qui
confifte à prendre garde qu'il ne (e mcle
rien d'humain dans rinrention , &c que la
vue des hommes cachée au fond de nos
cœurs 5 & prefque im.perceptible à nous-
mêmes , ne nous falTe perdre devant Dieu
tout le mérite de la miféricorde.
Je finis en vous difanc feulement avec
faint Auguftin : Vous êtes ici devant Dieu;
interrogez votre cœur! yiïite Deiim es ; S.Aug.
huerroga cor tuum : ne vous en tenez pas
à la furface de vos defirs qui vous trom.-
pe p en ne vous offrant rien que de loua-
ble : allez à la fource :> fondez-en les vues
les plus fccrcttes ; îrit:)$ 'vide ; & là , m^,
voyez ce que vous avez fait jufqu'icî , 3c
quels en ont été les m.otifs les plus réels
de les plus enveloppés dans le cœur : Plde jv--,
quid fecifti & quid appetifii. Voyez fi les
œuvres obfcures> Se qui n'ont pour témoin
que l'œil invifible du Père célefte, réveillent
aufTi vivement votre zèle, quecelles qui font
publiques , & expofées aux regards Se aux
louanges des hommes : f^ide , &c. Voyez
fi dans celles où l'éclat efl: inévitable;, vous
êtes bien aife qu on vous oublie y qu'on
vous confonde dans la foule des perfonnes
qui s'y emploient ; & fi votre chari:é ne fe
refroidit point5dés que vous n'en avez p^s
les premiers honneurs ^ ride , &c. Voyez
fi les entreprifes picufes que le monde
^42- Sur LES OUVRES
blâme 5 ne vous trouvent pas un peu plus
îndiftérente i & (î les œuvres privées de
l'approbation des hornmes y ne vous en
font pss un peu moins chères : f^/de j C^T.
Voyez h le fuccès qui les fuit vous bleffe^
c?c h vous ères îngénieufe à en rejerter
toute la gloire fur les autres : Fide 3 &c^
Voyez ertîn , il vousn'agiliez que fous les
yeux de Dieu ; fi les hommes font pour
• vous comme s'ils n'étoient pas : h vous
êtes auÇCi aifeque le Seigneur foit glorifié
pnr vos opprobres , que par votre répu-
tation i il c'efl: vous-même ^ une vaine
gloire:, ou votre falut , que vous cherchez :
S. Aug. r-^^de qu'idjecifiï ; & quld appetijil y falutem
îiidm an laude?n hmnanam.
Bon Dieu i s écrie ce Père ^ que d'œu-
vres (aintes fur l^n^vjelles nous ccmprons
ici-bis y Grronî un jour rejettées ^ îorfque
le S^ig-ieur viendra juger les juftices ! que
de fruits de la chariié , lorlque nous croi-
rons en paroître devant lui les mains plei-
nes 5 fe trouveront gâtés par le ver fecret
d'une dangereuie complaifance L &c qu'il
nous reftera peu de choie , lor''que le Juge
de nos adions ne noas laiffant pour notre
partage éternel ;, que les œuvres qui au-
ront été les fruits & les dons de fa grâce ,
nous aura dépouillés de toutes cciies qui
paroiiîoient lui appartenir , mais qui n'ap-
parrenoientqn'à nous-niêmies^Et ne croyez
j)as , Mefdames , que les règles de la Foi
liir les offices de la charité , telles que je
viens de les expofer ^ qui femblent demau-
DE MiSERICORDÏ. ^ 345
dtv des précautions lî pénibles 5 foienc ca-
pables de dégoûter les âmes fidelles de ces
pieufes pratiques. Ah ! rien au contraire
n'ell plus propre à foutenir la vertu y à
ranimer le zèle , à confoler la piété &c la
miféricorde. Car que vous dîfoas-nous ^
que ces pratiques faintes font des devoirs ;
que vous ne devez pas les regarder comme
des œuvres de furcroit , & que la miféri-
corde eil: la vercu la plus nécedaire à
ceux qui naiifent d^ms l'abondance f mais
quoi de plus perfaafiF pour vous la rendre
aimable < Le commandement de Jefus-
Chritt lui ôteroit-il quelque chofe de Tes
cl-!armesç^& feroit-elle moins cliere à fcs
DiPjîpl.s :, pour i*avoit été davantage à
leur Maître ?
Que vous dlfons-nous? que les oeuvres de
miiéricorde doivent être les remèdes jour-
naliers de vos foiblefies de tous les jours ?
lAàh que peut-on dire de plus confolant ,
que de vous découvrir dans ces ofnces
religieux j une nouvelle fource de méiite ,
Se des tréfors cachés que la plupart dts
Fidèles n'y cherchent point f que peut-on
vous découvrir de plus heureux pour
vous; que de vous apprendre qu'ils peu-
vent fervir d'exercices à toutes les vertus
qui vous m.anqutrnt ; que tous vos maux
peuvent y trouver leurs remèdes ,* que la
patience:» la pudeur , Thumiliré ) la dou-
ceur j l'am.our de la prière & de la retraite,
f\ vous voulez ■> naîtront de la m^iféricorde;
ôc que danc un fcul devoir de piété ^ vous
P4
ri 44 Sur les (E u v r e 5,
recueillerez le mérite de tous les autres^
Que vous ûilons-nous enfin ? qu'il fuuc
agir fous les yeux de Dieu feul;, & ne
compter pourrit-n l'approbation ou la cen-
jure des hommes ? Mais que font devant
Dieu tous hommes enfemble , qui puilïe
mériter que î'ametideilefafie des attentions
fur eux f L'eftime du monde qu^elle mé-
prife y qu'tlle fuit j auquel elle a renoncé,
lui paroîtroit-elle un prix digne des ac-
tions qui peuvent lui valoir une félicité
éternelle ^ F-ft-ce ralentir fa charité , de
lui appr- ndre que le monde entier n'eft pas
digne d!elle j que Dieu feul mérite d être
fpedateur de^> œuvres que lui feul peut ré-
compenfer \ & que pour les mettre en sû-
icic , il fuffit de n'y chercher point d'autre
gloire que celle qui ne périra jamais ? Ah î
1 efprit de la Loi n'eft point oppofé à la
Loi même. Plus on avance dans la vérité,
plus on croît dans la chariié ; plus on con-
noît la Loi de l'amour , plus on iViime.
L'erreur perd infailliblement quand ou
l'approfondit ; mais la vérité n'en étale
que de nouveaux charmes. Ainfi ce fera
lorfque nous la verrons telle qu'elle ell: ,
que nous l'aimerons fans tiédeur } fans
mélange , fans retout 5c fans inconftance.
il #/»:# -^^^ ^yy^^ ti
DISCOURS
PROx\ONC É
DANS LA CEREMONIE
DE VABSOUTE,
Pour rappeller le fouvenir de la,
ferveur des premiers Chrétiens ^
Rememoramini autem priftinos dies.
Rappelle:^ en votre mémoire Us premUr^
temps, Hebr. lo, 32,
IL n'en edpas de la naiffancedePEglife^
mes Freres;, comme de celledes fuperf*
titions & des iedtes. Leur origine a cou-
jours quelque chofe de honteux. Comme
lorgueil & la licence en furent les pre-
mières fources , il faut tirer le voile fur
ces premiers temps, qui les établirent par-
mi les hommes. On y voit les pafïîons les
plus honçeufespréfidey à la naiitance de ces
54<5 S U R LA F F R V E U R
ouvr^îges de ténèbres ; leur donner la for-
ine , raccroiflement d< le progrès : & fem-
biabies à ces enfans infortunes ,-. qui font le
trifïe fruit du criîr.e de leurs pères , il ne
fanr pourles couvrir de confuiion , que les
lappeller à leur origine.
Mais pour nous , mes Frères , nous pou-
vons vous dire avec confiance : Rappeliez^
les anciens jours: Remcmoranv.nl autem prif»
îhios aies. Les premiers âges de l'Eglife
font les âges de fa ferveur & de fa gloire.
Souvenez-vous de ces temps heureux y
où la Foi encore naiiTante formoit tant de
Morryrs généreux > tant de Pénitens aufte-
res ;> tant de Vierges pures , tant de Paf-
teurs fidèles y tant de Miniftres irrépréhen-
fib'es: RemcmoYaminl y &c.
Rappeliez ces (îecles d'or , où l'Eglife
encore animée des prém^ices de rEfpric
qui venoit delà former , paroiffoit fans ta-
che 6^ fans ride ; fous des dehors tri (les de
obfcurs, brilioit d'un éclat célefte & divin;
empruntoit toute fa m.ajefté de (qs oppro-
bres & de fes fouffrances \ & foulée aux
pieds de ^ts perfécuteurs ^ devenoit pour-
tant un fpedacle digne des Anges & des
hommes : Ranemoram'înt , &c.
Souvenez-vous de ces jours glorieux ,
où le ChridianiTme ne comptoir que des
S?ints au nom-bre de fes enfans; où fes va-
fes les plus fragiles éroient plus forts que
toute la force d'un fiecle profane ; & où
"là Foi formoit parmi les (impies & les
îgnorans , ces Sages & ces Héros , que la
t>ÏS rRn.lîERS Chrïtîfn'?. 547
philofophie n'avoic fait: jafqaes-ià , ou
q^u'imaginer ) ou que promeccre : Ronie^
hforumJni autcm pîjlinos dus.
Rappeliez cette ferveur primitive 3 où
l'innocence des mœurs étoit , j'ofe le dire ,
le crime auquel on reconnoifTolt les Chré-
tiens \ ou ils ne devenoient fufpecls aux
tyrans , qu'en paroilTant peu conformes au
monde corrom.pu ,* & où la fuite des plai-
iîrs publics écoir le feul indice dont on fe
fervoit pour dénoncer les Fidèles : Reme»
7noraminî autem prifiinos dles.
Rappeliez cette rigueur de difcîpline ,
où leschutes publiques ne s'expioient que
par des châtimens publics; où le fpedfcacle
de la pénitence effaçoit le fcandale du cri-
me ; où la longueur ôc la févérité des ex*
piations^ paroiiToient encore une indulgen»
ce dans la rém.ifïîon des fautes ; où les pé-
cheurs regardoient la pénitence la plus ri-
goureufe :, comme une grâce , où ils folli«
citoient eux-mêmes le droit de punir leurs
crimes , & de les pleurer ; & où , proder-
iiés aux portes de nos Temples :, couverts
de cendre & de cilices , féparés de Tautel
faint; après avoirlong-temps gémi dans cet
état d'humiliation & de peine ^ ils rece«
voient le bienfait de la paix & de la récon»
cUiation ;. non pas comme le prix de leurs
longs travaux;, mais comme le fruit de la
charité ôc de la clémence de l'Eglife ; Re-*
menioYtimin} atitempr'tflînos die s.
Au fûuvenir de ces jours heureux ; à la
l^ue de ces foibles vertiges que la cérémo*»
P 6
54S* Sur la Ferveur
me d'aujourd'hui nous en retrace *, à l'im-
nienfe difproportion que nous trouvons en-
tre nos pères Se nous -, entre leur ferveur
êc notre létargie -, leur innocence & nos
déréglemens ; leurs auftérités & nos
mœurs fenfuelles •, les larmes & les expia-
tions de leur pénitence :, & les démarches
languiifantes de la notre : dans quelles d:f-
poiitions de terreur & de confufion ne de-
vons-nous pas entrer ? Ceft la réflexion !a
plus naturelle que nous fournit cette cé-
rémonie ^ & la feule à laquelle je m'ar-
rête.
L'Fgiife n'exige plus > il eft vrai , ces
épreuves longues de publiques par où il
f.illoit paflcr pour obtenir k pardon de Cts
fautes. Nous ne voyons plus ces différens
dégrés de pénitens féparés du refte des
Fidèles 5 &c admis fuccefTîvemem & pu-
bliquement 5 à la paix & à la réconcilia-
tion , f.'lonla mefure de leur ferveur , ou
la durée de leur pénitence. La difcipline
extérieure a changé ; le nombre des pé-
cheurs croiiTanr avec celui det. Fidèles , il
n'a plus été polTible de les fcparer tous^ ^
de les foumetire aux peines canoniques,
l'iélas l m.es Frères , que refteroit-il, dans
Failemblce fainte , fi l'on- en léj aroit en-
core aujcurd hui , comme autrefois;, les
immondes , les fornicateurs , les adultè-
res , les raviffturs , 8c tous les pécheurs
fournis alors à la pénitence publique ^
Mais ,mes Frères , les changemcns anu
1res à lapolice de TEglifen ont rien change
DÎS PREMIERS ChRSTIENS. 54 çf
à fou cfpric. La ferveur des Fidèles a pa
fe relâcher j la mukirade des coupables a
pu rendre impoiïible la durée de la publi-
cicé des peines ; la néctiXiié des temps a pu
fufpendredes loix que la néceiliré avoic
d'abord établies ; en un mot , la prudence
a pu changer au dehorSj, ce que le premier
zèle avoit d'abord ordonné: mais il y a une
loi fupérieure fixe& invifible, qui ne chan-
ge point i une obligation de pénitence in-
leparable de l Evangile ^ qui eft comme
lui 5 de tous les temps & de tous lieux, Se
que le relâchement des mœurs , loin d af-
foiblir , rend encore plus indifpenfable.
ToutChrénendoit crucifier fa chair avec
fes defirs ,* tout pécheur doit être puni :
foit que vous regardiez ce que vous devez
àlafainteré de la foi par votre Baptême,
ou à la juftice de Dieu par vos crimes , la
pénitence eil pour vous l'unique voie du
falut. Si vous ne vous renoncez pas fans
cefTe vous-même 5V0US n'êtes pas difciple
de Jeius-Chnft ; (i vous ne lavez pas dans
le fang delà pénitence le vêtement de juf-
tice que vous avez fouillé , vous n'entrerez
pas dam leRoyaume deDieu; deux vérités
immuables. En un mot j, fans la pénitence^
vouspérireztousi c'eft unarrêtquin'cxcepte
perfonne^ & dont il n'eft permisàperfonne
d'appeller. Or, quelle eft cette pénitence <*
Si vous la m.efurez par l'Evangile, renon-
cez-vous fans cefle vous-même ,* portez
votrecioix chaque jour; appeliez heureux
ceux qui pleurent 6c qui font affliges ; nf
5 f O S U R L A F E R V E U R
cherchez point votre consolation en ce
raonde -, perdez votre ame pour la fauver;
arrachez l'œil qui vous fcàndalifcine comp-
tez pour rien votre corps ; n'attendez le
Royaume de Dieu que de la violence ; re-
gardez votre chair comme l'ennemi le plus
dangereux de votre falut : aimez ceux qui
vous haïffent ; fouvenez-vous que les ab-
jedions &c les opprobres font le caradlere
des enfans de Dieu ^ mettez la coignée à la
racine de vos pafTipns , Se coupez jufqu'au
vif tout ce qui occupe en vain la terre de
votre cœur ; faites cela & vous vivrez.
Voilà la pénitence que vous impofe le
titre feul de Chrétien. A ce titre , vous
avez ajouté celui de pécheur. Il ne s'agit
plus de con'battre .& de fe faire violence
pour éviter de perdre la grâce ; c'eft le
devoir de toute ame fidelle , c eft la péni-
tence des innocens : il s'agit d'expier vos
crimes palTés ; il s'agit de pleurer des chû-
tes innombrables , ôc de déraciner àcs paf-
fions invétérées : nouveau genre de péni-
tence qui vous regarde j la pénitence des
pécheurs. Voilà des règles que le change-
jnent des temps n'a point changées.
Or 5 montrez-nous dans vos mœurs la
pénitence même des innocens. Je fuppofe
quevous n'avez point d'excès àpleurer^point
<ie voluptés profanes à expier^vous êtes dif-
ciple de Jefus-Chrift : cela fuffit. Or , vi-
vez-vous conformément à fon Evangile f
Renoncez-vous à tout ce qui flatte les
fens ^ vous difputez-vous une parole même
oifeufef* regardez-vous les afïliâ;ions coni-»
me des grâces ? éres-vous doux & humble
de cœur V aimez-vous ceux qui vous ca-
lomnient ? portez-vous la mortification de
Jefus-Chrift fur votre chair : haïffcz-vous
le monde comme l'ennemâ de Dieu < veil-
lez-vous, 3c priez-vous fans cefle ? choi*
filiez- vous la dernière place ^ & ce qui eft.
élevé aux yeux des hommes ^ eft-il mépri-
fable à vos yeux ^
■ Telle eft la pénitence des innocens. Sans
elle , fans cette conformité avec l'£vangile>
vous feriez plus chafte que Sufanne , plus
irrépréhenfible que Judith , plus charita-
ble que Corneille j vous êtes perdu.
Et cependant mes Frères , vous n'avez
été ni chaftes , ni tempérans , ni irrépro-
chables : vous êtes pécheurs , vous le fa-
Ycz: la pénitence des innocens ne fuffit plus
pour vous : vous devez à la judice de Dieu
des réparations infinies. Que de plaiiîrs
injuftes & honteux à expier 1 que de fcan-
dales à réparer 1 que d'horreurs à effacer 1-
quelle confcience m.onfirueufe à purifier l
livousfaut encorelapénitencedespécheurs.
Ma'S en quoi connfte cette pénitence f
Ah ! fi vous la mefurez par la juftice'de
Dieu qui l'exige y regardez la fainreté & la
majeflé de celui que vous avez outragé ;
regardez la terreur de fes jugemens , exer-
cés autrefois fur des prévarications que
vous compteriez à peine parmi vos fautes r
regardez l'univers entier innondé par le dé-
luge ; des villes coupables livrées à un feu
vengeur ; des murmurateurs engloutis j un
"5Ç1 SuRLA Ferveur
fîmpleviolement duSabbatfrappédemortj
une légère défiance de Moyfe punie par
rexcluiion de la terre promiTe : regardez
fon propre Fils devenu la vitl;me de nospé-
chés;>& quels châcimens fa juftice a tx.gés
de celui en qui il avoir misroure fa complai-
fance : regardez; & faites félon ce modèle.
Si vous en jugez par les règles que TE-
glife obfervoit envers les pécheurs qu'elle
foumetcoit à la pénitence publique -, pa-
roilFez ici , illuftres pénicens qui gémiiïiez
autrefois des années entières à la porte du
Temple , fous la cendre & fous le cilice ;
ôc par tout ce que l'Eglife exigeoit alors de
vous j, de jeûnes, de macérations j, de
privations a des prières ^ apprenez aux Fi-
dèles qui m'écoutent , ce qu'elle exigeroic
encore aujourd'hui , fi lafaintetéde fou
efprit décidoir de la févérité de fes règles.
Voilà la pénitence de ces pécheurs,
L'Eglife ne fait plus de cette pénitence une
poHce publique ; mais la juftice de Dieu y
qui eft immuable, vous difpenfe-t-elle de la
pénitence fecrettCf'L'Eglife elle-même, qui
ne s'eft relâchée qu'à regret de la difcipline
extérieure , en conferve toujours l'efprit ;
elle vous charge encore de vous impofer
en fecret des peines proportionnées à vos
fautes j de d'être à vous-même votre juge.
Et certes , mes Frères , de bonne foi ;
pourquoi croiriez-vous aujourd hui ; fur le
devoir de la pénitence ^ votre condition
plus favorable que celle des Fidèles des
premiers temps ^
Eft-c©
DF.S PREMIERS CHRETIENS. ^f^
Efi-ce que la juftice de Dieu à changé (es
règles i Mais vous favez qu'en Dieu , Un'y
a ni mutation , ni viciiTicude ; que tout
change autour de lui, mais qu'il demeure
toujours le même.
Hft-ce que vos crimes font moins énor-
mes que ceux de css premiers Fidèles^ Hé-
las 1 lis ne connoifToîent pas même les hor-
reurs que vous avalez comme l'eau. Une
feule chute en faifoit quelquefois des péni-
tens pubhcs ) &: après une vie entière de
fouiilures & d'iniquités ;, vous voudriez
êcre plus déchargés qu'eux de l'expiation
ëi de la pénitence.
Eil-ce que dans ces premjiers temps les
crimes étoient moins excufables; & mé-
r-.toient par-là des peines plus rigoureufes ^
-^^i^-'-l -iolâtriedoù forieoient cez premiers
d'iciples ; les dilTolurions du paganifme
dans leiquelles ils avoienc été élevés ; les
excès autorifés par la religion même qu ils
avo:ent fuccée avec le lait ; tout cela fem-
bloic rendre après leur converfion ;, leurs
chutes plus dignes d'indulgence ôc de gra.
ce : au -lieu que vous , nourris des paroles
de la Foi :, blanchis par la grâce de la régé-
nération au fortir du fein de vos mères ,
élevés dans une difcipline fainte , affermis
contre l'horreur du crime par les fecours
de la Religion & par les exemples des Juf-
tes, vous ne pouvez jaftiher vos chutes que
par un excè d'ingratitude & de corruption,
qui les rend plus criminelles ; 8c dignes
d'un châtiment plus long ôc plus févere*
I f 4 î> u R LA Ferveur
. Eft-cequela malice ayant prévalu , Ie5
crimes devenus plus comm.uns ^ font deve-
nus plus pardonnables ? Mais la m.ultitude
des coupables ne change rien à la nature
des crimes. Tous les hommes qui avoienc
corrompu leur voie du temps de Noé:> ne
furent pas moins frappés de Dieu 5 cC en-
gloutis fous les eaux , que l'infortuné
Àchsii 3 qui chargé contre Tordre du Ciel
de quelques dépouilles de Jéricho , Te
trouva le (eul ansthême au milieu d'ifrael:
de d'allieurs le grand nombre de crimiinels
irrire encore plus la vengeance divine ; 6<
c'eil: une folie de prétendre qu'à miefure
que Dieu eft plus outragé , il deviendra
plus indulgent & plus favorable.
Eft- ce en hn que la ferveur de ces pre-
TTAzrz rcmps rcndo:: les Fidtltfs pUi.^ pro*.
près à fouteair les rigueurs de la pénitence
plublique j au-lieu que nous , nés dans dts
fiecles plus relâchés ^ nous ne fommes plus
en état de les porter , ni 1 Eglifeen droit de
les exiger de notre fciblclTc ?
QiK)i , mjes Frères , la ferveur des pre-
miers Fidèles auroit arm^é Ttglife à leur
égard , de rigueur ôc de févériré j ôc TE-
gbfe auroit réfervé :> pour notre molleflè
ôc pour nos dcréglemens , Ton indulgence
&c fes grâces ? Les premiiers temps Tau-
roient donc vue une miere rigoureufe en-
vers des enfans zélés & fidèles; & elle
deviendroit en nos jours , pour des enfi^ns
rebelles 3c corrompus , une mère com-»
plaifaïue (Se facile ^ Ses châtimens écoiejii
r>n PREMiET^s Chrétien». ^sf
donc réfervés à des fieclesoù l'onfe repen»
toiu encore fi vivtment de fes fautes ; Ôc
pour les pénicens tiedes de nos jours , elle
n'auroiL plus que des faveurs &c des récom-
penfes ^ Cetoii: donc un malheur pour ct$
premiers difciples de la Foi , que Tabon-
dance de leur componction i puifqu'elle
leur atriroit une abondance de peines f leur
ferveur qui faifoit tout leur mérite , fai(oic
donc aufTi toute leur infortune j & notre
lâch-té fait tout notre bonheur, quoiqu'elle
falfe tout notre crime ? Et depuis quand
donc la vertu efl-elle devenue un titre oné'«
reux;, de le vice un privilège favorable f
Non y mes Frères y comparez-vous de
lionne foi à ces premiers difciples ^ vos
crimes à leurs crimes , &: leur pénitence à
îa vôtre. La Reiigiori ne change point ;
l'efprit deTEglife efi: encore le m.êm.ej Dieu
regarde toujours le péché des mêmes yeux:
fa jullice exige toujours les mêmes répara-
tions ; l'Evangile nous propofe encore les
mêmes maximes; le changem.ent des temps
ne change point les règles de les devoirs j
furquoipouvez-vcus donc croire que vous
ferez quitte devant Dieu de vos crimes ^ à
meilleur marché , C\ je lofe dire;» que cqs
premiers Fidèles ^ S'il y avoir des ditte-
rences à mettre ;, vous le voyez y elles fe
tourneroient contre vous.
Et cependant comparez votre pénitence
à la leur : vous favez jufqu'ou eft montée
la mefure de vos crim.es ? que faites-vous
pour les expiera Croyez -vous que quel-'
'^j6 Sur la Fervîtjr
ques légères prières imporées parunMinif-
tre 5 peu éclairé , ou trop indulgent ;, effa-
ceront devant Dieu ce cahos d'iniquités >
ou votre ame a prefque toujours été aby-
mée < croyez vous que confeffer fimple-
ment Tes crimes aux pieds du Prêrre , ce
foit les punir; & que des fautes qui ne s'ex-
pioientautrefoisquepar des années entières
de gémiffemens & de macérations , feront
expiées aujourd'hui j dès-qu'on s'en fera
déclaré coupable ^ croyez-vous qu'une vie
entière de volupté fera purifiée parla ii.m-
pleabfolutiondu Prêtre trop facilement ac-
cordée 3 tandis qu'une feule chute deman-
doit autrefois une vie entière de larmes de
de pénitence ^ Croyez-vous que la voie
ait été étroite pour les Fidèles des premiers
temps, 5»: qu'elle foît devenue fpacieufe Sc
commode pour vous f que le Royaume du
Ciel ait été pour eux le prix de la feule vio-
lence:) &c qu'il le foit devenu pour vous dç»
plaifirs Se de la parefTe ^ que le Seigneur
ait exigé d'eux jufqu'au dernier obole y 8c
qu'il vous remette à vous toute la dette ^
en un mot 3 que leurs crim^es rares &c peu
fréquens , expiés fous la cendre & fous le
eilice 3 pleures avec une foi vive & une
eompondtion abondante , aient irrité la
juftice de Dieu ; & que les vôtres plus in-
nombrables & plus honteux 3 fans être
punis Ôc expiés 3 vous attireront fa miféri-
corde , &: vous feront les garans de fa bonté
& de fa clémence?*
Et cependant où font vos larmes , vos
r>FS prfmiïrS Chrétiens. 5 57
tîlaccrations , vos jeunes;» vos privations ,
& la perfévérance de vos prières r où eft
cec efpric de compon6tion & d'humiliation
qui imprime à toutes nos actions un carac-
tère de pénitence ^ Que louiïVfrz-vous ?
de quoi vous privez-vous pour ioutenir le
titre de pénitenc^le feui titre qui vous reftc
pour prétendre au falut ^
Mais quedis-je , mes Frères < loin d'ê-
tre pénitens , êtes vous Chrétiens f Quand
vous n'auriez que les devoirs communs de
l'Evangile à remplir 5 fans avoir de cri-
mes à expier , n'auriez- vous rien à crain-
dre de la juftice de Dieu? Quelle vie que
votre vie ! quelles m.ceurs que les vôtres l
Quel fîecle a jamais pourfe plus loin le
faite , les plaifirs , l'oifiveté , la mollelTeÔC
la bizarrerie des excès ik des ufages ? quels
temps ont jamais été plus malheureux ;, ÔC
cependnnt plus outrés fur tout ce qui fait la
félicité des fens & les joies des enfans du
fiecle ? Choififfez les plus hommes de bien
d'entre vous j ces hommes vertueux que
le monde c«nonife ; ces femmes régulières
que la multitude approuve; ces Elus du.
fiecle , comme paris faint Auguftin , donc
la conduite au dehors eft irréprochable : ôC
voyez fi vous trouverez dans leurs maoeurs
des vertiges même de la première fainteté
des Chrétiens ; voyez fi vous y retrouve-
rez un feul de ces traits de la vie évangéli-
que j qui tous enfemble font feuls le carac-
tère des enfans de Dieu j voyez fi leur
vie foutiendra un feul des engagemens do
^5? Sur I â F e rv e .u r
leur Eapcême ; ii vous y reconnoîtrez déS
dilciplcs de Jefus- Chrill: , des enfans de la
Foi 3 des Citoyens du Ciel, des ennemis du
monde , des ho n:îmes crucifiés , des étran-
gers fur la terre ; & fî de tout ce petit
nombre d'hommes même en'.emble , que
le monde approuve le plus ? vous en pour-
riez former un feul Chrétien.
Ainfi nos devoirs font encore les me-^
mes qu'autrefois ; & les mœurs feules onc
changé : ainfi la Religion fubfide encore
pour nous juger ; 6^ la Foi qui dévoie
nous fauver, s'eft éteinte; ainfi l'Evangile
a paflé de nos pères à nous , & ne nous
fert plus que de condamnation , après
leur avoir fervi de règle : ainfi le corps
du ChriiVianifme fe foutient ;, ik lefpric
qui vivifie eil éteint dans nos cccurs; ôc
tout l'avantage que nous avons fur les in--
fidèles 3 c'eft que fortis d'une racine fainte,
rous fommes devenus des rameaux fauva-
ges qui ont dégénéré j &: que nous avons
enté fur l'olivier franc le gerrhe de linfidé-
lire , &z les moeurs corrompues du païen
^ de 1 idolâtre.
Ne regardez donc pas , mes Frères ,
les mœurs publiques comme un titre qui
vous rafiure -, c'eil le fiuit de cette infcruc-
tion. Rappeliez vous fans ce (Te aux règles
ëc aux devoirs : ne vous croyez pas en
«lueré 5 parce que vous êtes ia multitude ;
comme fi votre conformité avec le monde,
qui fait le caradtere des réprouvés , pou-
VQzc devenir le cicre de voire innocence»
Ï)Ë5 î'RrMîF.RS ChRîTIINS. t, f^
tr pour vous, mes FrereS;, qui revenus des
palïîons infenfées ? ères entrés depuis long-
tcms dans les voies de la componction ôcdu
{ciiur, rapprochez les foibles efforts de votre
pénîrence^duzcle&de lalainteaudéricé de
ces premiers pénitens : loin de vous énor-
gueliir de vos juftices défcélueufes , qui
dans un fiecle aufîi corrompu , parodient
des fingularités ^ des prodiges de vertu y
parce qu'elles mettent entre vos mœurs «Scies
mœurs du refle des hom.mjes , tous pervers
&: corrompus , une différence infinie , hu-
miliez-vous par ce qui vous refte de che*
miin à faire , pour approcher de la péni-
tence de de la ferveur des premiers temps;
Ôc penfez qu'il y a encore plus loin de vous
à ces premiers Fidèles , qu'il n'y a aujour-
d hui du refte des hommies à vous.
Ainfi , que les pécheirs tremblent , ÔC
que les juives fe raniment ; que les uns for-
tent de leur létargie, que les autres renou-
vellent fans celle leurs ferveurs ; que les
premiers aient horreur d'eux-mêmes ; que
les féconds ne fe regardent pas avec com-
plaifance j en un m.ot , que les uns foienc
f appés de leurs crimes , que les autjres ne
fe rafTurenr pj^s fur leurs vertus y afin que
tons enfembie ils puiiîent un jour écre réu*
nis dans iT-glife du Ciel , & y jouir de la
t>îenheureu(e immortalité.
ANALYSES
DES SERMONS
Contenus dans ce Volume.
LE JOUR DE LA PURIFICATION.
De la foumiffîon à la volonté de Dieu,
DIVISION. L Quelles font les four ce s fc^
crettesde notre révolte contre la volonté
de Dieu, IL Quels font les avantages qui ac^
compagnent la foumiffîon à fa volonté fainie,
I. V' SKTIE, Les principales four ces de notre
révolte contre la volonté de Dieu , font , pre-
iniérement , une vaine raifon qui rappelle
toujours les voies du Seigneur au jugement
de ies propres lumières : fecondement , \n\
fond d'amour- propre, qui fait que nous
ramenons tout à nous mêmes : troifiéme-
lîient 5 une faufTe vertu , qui fous prétexte
de chercher Dieu , ne fe cherche qu'elle*
mêuîe.
I. Une vaine raifon. Marie pou voit op-
pofer bien de doutes à Tordre de Dieu, qui
l'obligeoit de venir fe purifier dans le Tem-
ple ; cependant elle obéit , & nous ap-
prend par-là que c'ell au Seigneur à vou'
4oir , &: à la créature à fe foumettre. Pour
nous^
Analyfis des Szrmons, 5^1
nous 5 nous voulons toujours faire rendre
compte à Dieu de la conduite. S'agit-il de
fes voies générales fur le falut de tous les
hommes? on n'entend tous les jours dans le
monde que des réflexions infenféeslà-deifus:
Pourquoi tous les hommes ne font- ils pas
fauves ? pourquoi Dieu a-t il rendu le falut fi
difficile? pourquoi a-t-il fait les hommes (î
foibles ? &c. Mais s'il y a nécefTairemcnt des
myfteres incompréhenfibles au refte des Su-
jets, dans ie confeil des Souverains , pour-
quoi n'y en auroitil point dans les confeiîs
de Dieu , & s'il faut , dit l'Ecriture , refpec-
ter le fecret des Rois dans la conduite de
leurs peuples , le fecret du Roi des Rois dans
la difpenfation des chofes humaines , feroit-il
moins refpectable ? Si ce que nous connoif-
fons de [qî œuvres nous paroit fi divin & fi
adm.irable , concluons que ce que nous n'en
connoiifons pas , Feft aulTi. Mais ce n'ell pas
tout. S'agit il des deffeins éternels de Dieu
fiir nos deflinées particulières ? nous condam-
nons fa conduite à notre égard : nous nous en
prenons à fa providence de nous avoir placés
en certaines fituations où notre foiblcife trou-
ve des ecueils inévitables ; & nous ne pen-
fons pas que Dieu proportionne les grâces
aux états ; que toutes les fîtuations où fon
ordre nous place , loin d'être des écueils ,
peuvent devenir des moyens de falut pour
nous ; & que la plupart des daiigcrs & des
occafions dont nous nous plaignons , font
plus dans nos paffions que dans nos places.
z. Un amour exceiTif6c déréglé de nous-
Myjtcrcs. Q
3^2, Analyfzs des Sermons,
mêmes. Marie nous donne encore ici rexem-
pie de ia ioiimifîion à la volonté de Dieu. A
ne ccnfulter que les fentimens humains , tout
lui eût fourni des- prétextes pour s'y fouftrai-
Te 5 & refufer de venir au Temple s'afTujettir
à la loi de la purification ; les intér^s de fa
maternité divine , le prodige de Ton enfante-
ment 5 la honte même de fa pauvreté , & de
la nicdicité de fon offrande : mais elle n'écou-
te point la voix du fang & de la chair ; per-
fuadée que le premier facrifîce que Dieu de-
mande de nous , c'eft le facrifîce de nous-
mêmes. Pour nous , comme nous rapportons
tout à nous-mêmes , & que nous vivons com-
me fi Tunivers entier n'étoit fait que pour nous
fculs 5 nous voudrions que Dieu ne fût occu-
pé que de nous feuls; qu'il entrât dans le plan
de notre amour propre ; & qu'au lieu d'être le
modérateur de l'univers & le Dieu de toutes
les créatures, il ce fût que le Dieu de nos
pafTions & de nos caprices. De- là , premiè-
rement , l'affiiction ne nous trouve pas plus
foumis à Dieu que la profpérité ; & tout ce
qui trouble un feul inftant nos plaifirs , notre
orgueil , nos projets , nous aigrit & nous ré-
volte. De là , fecondem:cnî , comme nous
nous aimons beaucoup nous-miêmes , & que
nous ne mettons point de bornes à nos defirs,
nous ne fommes jamais contens de notre état,
de notre élévation , de nos places ; & parce
que nous n'avons pas tout ce que nous défi-
ions 5 nous comptons pour rien tout ce que
nous avons. De- là 5 troifiém^ement , comme
nous regardons tout ce que nous defirons com-
Analyfcs des Sermons. ^6^
tr.e notre partage ; les places & les honneurs
qui échappent à notre cupiditç , oc qui fe ré-
pandent fur les autres, nous le regardons
comiiie un bien qu'on nous ravit injuilement.
De ià , quatrièmement , comme nous croyons
avoir feuls la fagefle en partage, tout ce qui
ne s'ajufte pas à nos vues & à nos lumières
dans rarrangementdes chofesd'ici bas , trou-
ve auprès de nous fa condamnation & fa cen-
fure : nous ne faurions vouloir ce que Dieu
veut .-nous trouvons.de l'injuftice , de l'hu-
meur, de l'imprudence dans la difpenfation
des places & des faveurs ; fans psnfer qu'il fe
peut faire que les hom.mes aient tort, & faf.
fent des choix injuftes ; mais que Dieu a tou-
jours raifon, & fe fert de leurs miéprifes pour ac-
complir les deffeins éternels de fa providence.
Penfons de la forte : alors le monde , le
gouvernement des Etats & des Empires of-
frira à nos yeux un ordre & une fageiTe admi-
rable , parce que nous y verrons uii Dieu invi-
fible , fouverain modérateur de l'univers, fans
Tordre duquel un cheveu même ne tombe pas
de nos têtes ; parla volonté dq qui tout fe
fait ; & qui par des ménagemens inexplica-
bles , fait fervir aux deifeins de fa miféricorde ,
la m^hce même des hommes. Mais fi vous fé-
parez Dieu du fpeaacle de l'univers , fi vous
Pi y voyezplusîa volonté éternelle duSeigneur
qui en eft le reffort invisible , le monde n'eft
plus qu'un cahos , un théâtre de conflifion 8^
de trouble , où l'on ne voit point d'ordre • par
ce qu'on n'y voit que l'irrégularité des rjouve-
mens , fans en comprendre le fecret & ïu^^ao.
3^4 Analyfes des Sermons.
^. Une faulTe vertu , qui réfifte à Dieu fous
prétexte de le chercher : dernier écueil , que
l'exeinple de Marie nous apprend à év^iter.
En effet , û elle n'eût confulté que fon zcle
pour la gloire de fon Fils , elle devoit , ce
iemble , fe fouftraire à la loi de la purification ,
qui ne paroilibit propre qu'à confirmer l'incré-
dulité de fon peuple, en le faifant pafTerpour
lefimple fils de Marie &c de Jofeph. Mais Ma-
rie fe défie d'un zelc qui n'eftpas dans Tordre
de Dieu ; & rien ne lui paroît plus sûr même
dans la vertu , que de fe conformer à fa vo-
lonté fainte : & véritablement rien n'eft bon
pour nous , q^e ce que Dieu veut ; & toute
piété qui n'a pas pour fondement une confor-
mité continuelle à fa volonté fainte , eft une
fauffe vertu. C'eft par-là cependant que la
piété manque prefque toujours ; & nous ne
voulons jamais aller à Dieu par les voies que
fa main même nous a frayées. Prem,iérem.ent
les devoirs de notre état ne nous plaifcnt ja-
mais : nous leur fubftituons toujours des œu-
vres arbitraires que Dieu ne demande pas de
nous. Secondement , fi Dieu nous laille dans
im état d'iiinrm.ité habituelle, nous noi^sen
prenons à cet état , de notre tiédeur 5c de nos
infidcliiés dans le fervice de Dieu. Tscifié-
mement , nous fouffrons impatiemmcntnos
propres imperfections : nous voudrions n'a-
voir rien à nous reprocher & vivre contens de
nous-mêmes. Quatriémem.ent , fi les pécheurs
revêtus de l'autorité publique , mettent quel-
que obilacle à notre zèle ; nous ne gardons
plus de meuiie de charité avec eus. Cinquié-
Analyfis des Sermons, 365
mement , les clerc glor^cns de nos proches ,
de nos maîtres, CiC nos égaux avec qui iious
avons à vivre. îicus foîit iiiuipportables ; &
nous noJsTaiijr.5 une faulTe vertu de les cen-
furer, de les décrier , <k de les aigrir ; au
lieu que h 'ix-rkable vertu regarde les pé-
cheurs cîTtre 'les^mains de Dieu ; les fouffre
avec charité^, puilque Dieu ies fouîlre lui-
jr.ér-ne ; &: les ainic avec vendreiie , puirqu'ils
peuvent devenir les ani's de Dieu, & qu'ils
ibiit utiles auxxielleins de fa providence,
II. Parti e. Les avanîagcs qui accom-
pa^nerJ la fouml£lon, à la vrAonié de Dieu»
Trois fources fécondes de chagrins forrjient
tous les malheurs &toi:tes les inquiétudes de
la vie huniaine : les vaines prévoyances iiir
l'avenir 5 les agitations inîinies furie préfent ,
& les regrets mutiles ^jr le paile.
Or î. la fburçifîion à la volonté de Dieu
nous fait attendre , comme Marie , l'avenir
fdns inquiétude. Quelles allarmes la prédic-
tion du vieillard Siméon furladeftinée future
de fon Fils , ne dcvoit-eîlepas jettcr dansicn
ame fainte ? Cependant , comme le Prophète-^
elle jette toutes Tes penfées & toutes fes
fra3/eurs danslefein de Dieu ; & fa tranquilli-
té eft parfaite - parce que fa foumifTioneil en-
tière. Pour nous , les inquiétudes fur l'avenir
forment le poifon le plus amer de notre vie ;
& nous ne fommes malheureux , que parce que
nous ne favons pas nous renfermer dans le
momentpréfenf.nous nous tourmentons fans
celTe fur le lendemain , comm.e fi à chaque
jour ne fuffifoit pas fon mal. Toute notre vie
^66 Analyfes des Sermons.
n'eft qu'agitation , que trouble, que craintes ,
que précautions : mais une ame foumife à
Dieu 5 n'éprouve point ces troubles , ces
frayeurs , ces foucis , qui agitent les enmns
du (îecle ; parce qu'elle fait que l'avenir eil: ar-
rêté dans les confeils de fa providence ; &
que nos inquiétudes & nos foucis , ne pou-
vant changer la couleuymême d'un feul de
nos cheveux , ne changeront pas , à plus forte
raifon , l'ordre de fes volontés immuables ;
que d'ailleurs on ne rifque rien, en fe con-
fiant à lui fur tout ce qui doit arriver. Ce n'eft
pas que la Religion autorife la pareffe & l'im-
prudence : le Fidèle travaille comme fi tout
dépendoit de lui ; mais il eft tranquille fur l'é-
vénement , parce que tout dépend de Dieu.
Ainfi la prudence eft commune au Fidèle 8c
au mondain; mais la paix &: la tranquillité
n'eft que pour le Fidèle. Et quand je dis que
la prudence leur eft com.mune , c'eft le nom
feul qui leur eft commun ; car il y a bien de
la différence entre une prudence chrétienne
& foum.ife à Dieu , & une prudence toute hu- .
maine. La prudence du Fidèle, dit faint Jac- I
ques , eft , premièrement , chafte &: innocen-
te ; elle ne connoît de mefures légitimes que
celles que la confcience permet , & que la Ke*
ligion approuve : celle du pécheur au con- \
traire ne compte pour rien les crimes ,pour'l
arriver à fes fins. Secondement , celle du Fi-
dèle eft tranquille , & amie de la paix ; fes
mefures font toujours paifibles , parce qu'elles
font toujours foumifes à la volonté de Dieu :
celle du pécheur au contraire eft toujours agi-
Andyfes des Sermons, 367
tée,parcequ'elle ii'eft jamais foumife. 3. Celle
du Fidèle eft modefte ; il s'interdit les projets
ambitieux, &: n'a que des vues conformes à
fon état: celle du pécheur efl infatiable. Qua-
trièmement 5 celle du Fidèle eft humble ;il fe
défie toujours de fes propres lumières : celle
du pécheur au contraire eft pleine d'orgueil ;
il ne compte que fur l'habileté de fea meili-
Tçs, Cinquièmement , celle du Fideie n'eft
point foupçonneufe ; il aimeroit encore mieux
tomber dans le piège , que de juger témérai-
rement les intentions & les penfées de fes
frères : la prudence du pécheur ne trouve fa
sûreté que dans {qs foupçons & dans (es dé-
fiances. Sixièmement , celle du Fideie n'eft
point didimulée ; comme il ne veut tromper
perfonne , il n'a que faire de fe dégiiifer :
celle du pécheur n'eft q-u'une duplicité éter-
nelle. Septièmement , enfin celle du Fideie
eft pleine de miféricorde , &: des fruits des
bonnes œuvres ; il joint aux moyens humains
les pratiques de la vertu , & les fecours de la
prière : le pécheur au contraire regarde la
piété comme un obftacle à fon élévation.
2. La féconde fource de nos inquiétudes ,
eft une agitation infinie fur le préfent. Rien
n'arrive prefque jamais feloa nos deiirs: maisr
une ame fideie trouve , comme aiijonrd'huî
Marie 5 dans une foumifiion entière aux or-
dres de Dieu , une refîource toujours prête
aux embarras de fa fîtuation préfente. Tout
étoit incompréhenfible dans les deîTeins de
Dieu fur elle : mais la volonté de Dieu eft le
feul dénouement de fes doutes y &: la grande
Q4
560 Analyfes des Sermons,
conîcjr:ticiî de ies peines. Or , ce qui rend la
foumiffion à Ih volonté de Dieu fi confolante
dans les fituaîioiiS les plus diiiiciies où il nous
place . c'eil . premièrement .que c'eft la volonté
d*ûn pieu tout puiiTtint , à qui tout eft aifé ;
feconJenTèrit 5 d'im Dieu fage 5 qui ne fait
rien aii îiazard ^ qui voit ]es dilTérentes utilités
cet fiîO actions cù il nous place ; troiiiémement ,
d'un 'Didi bon , tendre &. mifericordieux ,
qui nous aime 5 & qui ne veut qiie notre faîut.
?. Les regrets fur le pafTé forment la der-
nière fouree des inquiétudes humaines. Nous
ne rappelions les événemens fâchtux dç.notre
vie 5 qu'avec des retours amicrs qui en empoi-
fcnnent le fou venir mous nous reprochons fans
ceiïe d'avoir été nous-mêmes les auteurs de
notre infortune. Or , x:'eft encore ici que la
fcùniifîîcii de Marie ei! pour nous un modèle.
Comme elle ne peut douter que la main du
Très-Haut feul ne Fait jufqu'ici conduite , elle
n'a pas de peine à fe perfuader que c'efl-lui-
mèiViQ qui la conduit aujourd'hui au Temple,
5c à fe foumettre au facrifice 5: à l'humiliation
que Dieu demande d'elle. Voilà la grande
fcitnce de la Foi. Le pafTé devroit être pour
nous une inftrudion continuelle , où nous de-
vrions étudier les volontés adorables du Sei-
giicuruirlcs deltlîîées des homm.esicependant
le fou venir du pafie , loin de nous inflruire ,
nous féduit , '6c ne fait que réveiller en nous
des pafllons injures. Tout paiTe , tout difpa-
roît j tout s'écoule à nos yeux ; & nous ne
voyons Dieu nulle part : nous n'y voyons que
les révolutions humaines. Les Patriarches 5
Analyfes des Sermons. 26c}
bien dlfFérens de nous , voyoient Dieu par-
tout ; & rep.îlîant fansceffe fur les différentes
voies , par où fa fagelFe les avoit conduits, ils
y admiroientles ména^gemens ineffables de fa
providence ,&: l'ordre de Tes volontés adora-
bles. Et voilà la grande fcience que nous ap-
prennent nos dnines, Ecritures : dans les au-
tres hifcoires 5 on n'y voit agir que les hom-
n:es;jnais dans l'hilloire des Livres faims,
c'efl Dieu feul qui fait tout. Aulîi nous ap-
prend-elle à ne regarder les différentes révo-
lutions qui ont agité l'univers 5 que comme
rhifloire des delFeins <k des volontés du Sei-
gneur fur les hoinines ; & c^eft l'inirructioa
que trouve à préfent une ame ûdch dans le
fouvenir du paffé , comme ce fera une des
grandes^confolations des Juftes dans le ciel ,
de voir a découvert l'ordre admirable des vo-
lonîés du Sei;:^neur dans tous les événemens
de leur vie pailée.-Ils verront avec quelle bonté
& quelle fagelTe Dieu faifoit tout fervir à là
lanaiEcation des liens ; tandis aue les d^-
cheursicrontilirpris & déieîpérés de voir mîe
croyant vivre fans joug & fans Dieu en 'ce
monde, ilsctoientnéanm.oins ' ' - i^-p'^nl
ae la lagefîe , qui Ici^ivci: c tc^ire^
mens 5^ ^;aurracca:r)pî;;Iemeju de t^i defi^rios
éternels.Kéflexioqqui jf^ule devrolt rau^-llsr
tous Iè3 hommes à uiie fou^r.iinon conîîî.ueî^
le 9'jx^voiontés du Seigneur : ^JiiKquo: , qu'Us
fe foumeiî.entou non^'à fa vofontéfaînte, il
eft certain qu'ijs agiffent toujours fous la main
ae Dieu: auifi en fe ré.vo]tant contre lui , ils
ne chanj^ent point les évémmens,: ils ne fbnt
que muiîiplier leurs crimes. Q ^
370 Anaïyfcs des Sermons,
S^^ =^^ ==^
LE JOUR DE LA PURIFICATION.
îl. Serm. Sur les difpojîtions nécejjaires pour^
fc confacrcr à Dizu par une nouvelle vie.
DIVISION. 'Nous apprenons dans ce myf-
tere , les difpofitions dans kfqucllcsilfaut
entrer pour fc confacrer à Dieu par une vie toute
nouvelle : nous y trouvons un efprit de facrifice
dans Jefus-Chrifi , qui s'offre à fon Père ; &• un
efprit de fidélité dans Marie qui Voffre, Or
voilà les dieux difpofitions qui rendent la con-
verfion fincere ù durable , & Voffande de nos
coeurs 5 agréable à Dieu, L Un efprit de facrifi-
ce j qui ne réferve rien en s'offrant, ÎL Un ef-
^rit de fidélité y qui ne fi dément plus fur rien
en le fervant,
I. Partie. Un efprit de facrifice qui ne ré-
fkïve rien en s'ofrant. Quoique Jefus-Chrift
ne foiî pas irr-irolé aujourd'hui dans le Tem- ^
pie , le facrifice qu'il fait de lui-mêine à fon/
Pere^, n'en eftp2s moins réel ; bien différent
en cela des autres premiers-nés qu'on venoit
lîieffre entre les mains des Pontifes^ & qu'on
préfentoit au Temple - plutôt pour les rache-
ter , que peur les confacrer au Seigneur.
Pour Jeflis-Chrift . dès qu'il entre dans le
Temple , dès-lors il accepte &: fouffre par
avance/iout ce qu'il doit fouffrir un jour pout
fon Père» Ainfi quoique ce qui fe pafîe au-
jourd hui dans le Temple , ne foit qu'une
iiçage du Calvaire ^ i'oblation n'en eli pas
moins réelle ^ dit famt Bernard^
Analyfes des Sermons. ^Ji ^
I. Et telle doit être la première condition
de notre facrifice, lorfque nous voulons nous
donner à Dieu , la réalité de l'offrande. La
clémence divine qui depuis le péché , pourroit
exiger de nous le facrifice de notre vie , a rem-
placé cette peine ; & le facrifice continuel de
la vie des fens, eft devenu la loi de mort im-
pofée à tout Fidèle : loi que nous avons tous
acceptée fur les fonts facrés , lorfqu'on vint
nous offrir au Seigneur dans le Temple. Voiià
la vie chrétienne ; une vie d^ renoncement 8c
de facrifice. Cependant y qu'eft-ce que fe con-
facrer à Dieu pour la plupart àes âmes , qui
revenues des égaremens du monde , veulent
le fervir ? c'eft fimplement étaler des dehors
plus religieux , & ne plus vivre dans un oubli
entier de Dieu & de la Religion. Mais fi vous
n'êtes ni moins ambitieux , ni moins attaché ^
ni moins fenfuel , ni moins fenfible , &c. vous
vous offrez au Seigneur comme les premiers-
rés dlfraël , qui étant rachetés auffi-îct , ne
devenoient pas fon partage ; c'eft à-dire 5 que
vous n'offrez à Dieu à votre place, qu'un vil
animal , des œuvres extérieures , une appa-
rence de piété , au lieu de votre cœur & de
vous-m.ême : Dieu ne fauroit fe contenter de-
cet échange ; il faut que le facrifice foit réeî*
Cependant la plupart des converfions y à I3
Cour fur-tout , font de ce caractère , tL ûib*
fiftent encore avec tautes les paillons , moins
marquées à la vérité , m.ais toujours aoi/H
jéeîies. On s'eft donné au Seigneur ; mais to\it
ce qui plaifoit , plaît encore ; dès-lors on n'a
point fait de iacrilice ; oa s'eft conteiité d'ôter
Q6
7p.^ Analrfis des Sermons,
la. peau de la viâime , d'en changet les dehors ;
irais on u'a pas touché ^u reilc ; & comme on
perfévere dans Tiifage des chofes fâintes ,
comnye on vit exempt de grands crimes,
comme on.fuitprefqiie les mêmes routes que
les Jiiiies^ peu s'en faut qu'on ne fe croie
Jldlfc©i:c^m^le eux ; èl ce n'eft pas par hypo-
crite : on.eft daiis Terreur de bonne foi ; on
cioit avoir fait à Dieu le facrifîce qu'il de-
rnandoit de nous ^ - quoique nous ne lui ayons
jamais fait aucun facrifice réel &: douloureux
de nos C^as^ de nos peochans , de nos efpé-
rances , de nos com.m.odités , de nos anti-
■psthies, &c. Détrompons nous ; c'eft le fa-
crifice du cœur , que Dieu dcm.ande ; tout
autre facrifice , n'efl: pas un facrifîce réel.
. 2. Mais ce n'efl pas afTez que l'ofFrande de
notre cœur fcit réelle : la féconde condition ,
c'ed qu'elle/oit univerfcJJe. Jefus-Chrift , dit
Saiiît Bernard, iaçri£e aujourd'hui à; fon Pe
rc y teus fes titres , toute fa [^loiie y fon inno-
cence même : il ne fe réferve rien , pour nous
apprendre, dit ce Père , que. l'iutégrité du
facrifioe en fait d'ordinaire tout ie mérite.
Pour nous , nous voulons bien retourner à
Dieu; mais nous ne voulons pas tout à-coup
. faire uii divorce univenel avec le monde : nous
nous figurons qu*il faut nous gagner fur cer-
.' tains points , avant que d'en vejiir aux autres.
Maisdeacommerïcemens fî m.énagés ne font
jamais heureux , & ne vont jamais loin. Il n'eu
eft pas de la ccnverflon , comme des ouvrages
des homm:es; elle n'eft point, lorfqu'elle n'eft
point entière* U ed vrai que la piété a Tes pro-
Analyfis des Sermons. 375
grès 5 & qu'elle fe perfe£lioniie de jour en
jour ; mais : le monde , & tout ce qu'il a de
crimuiei, doit être d'abord détruit dans notre
cœur; & tout ce qui eft incompatible avec la
vie chrétienne , doit ceiTer tout d'un coup. Je-
fus-Chriil facrifîe aujourd'hui à fon Père tous
fes titres & toute fa gloire ; lui qui eft Je Pon-
tife véritable , & le rédempteur d'Ifraèl; vou-
lantbien achetcrîe droit d'entrer dans le Tem-
ple, & être racheté comme un enfant ordi-
naire. Mais pour nous , qu'il eft rare que nous
n'ufîons pas de réferve , lorfqu'il eft queftion
fur-tout de faire au Seigneur un iacrifice de
toutes les vaines diftinâ:ions qui nous élèvent
aux yeux des hommes ! Nous voulons que nos
titres entrent , pour ainfi dire , dans tout ce
que nous faifons pour le Seigneur ; & les œu-
vres de religion qui nous confondent avec la
foule , ne font jamais de notre goût.
Jefus-Chrift lacrifie aujourd'hui à fon Père
fon innocence même , ann que rien ne man-
que à l'intégrité de fon facriilce.llparoîtdans
le Temple comme picheur , & prend fur lui
toute la honte du péché dont il eft exempt;
&: dans les facrifices que Dieu demande de
nous , nous voulons toujours fauver une vai-
ne réputation d innocence & de probité que
nous avons perdue*
3. La troiftem.e condition de notre offran-
de, c'efl qu'elle foit volontaire comme celle
de Jefus-Chrift. En effet, lefàcrifice que fait
aujourd'hui J. C. à fon Père , eft un homma-
ge de furcroîî , pour ainfi dire : ce n'eft point
un devoir nécejSaire puifque l'ouvrage du
374 Analyfes des Sermons,
falut des hommes 5 dontfon Père l'avoit char-
gé , pouvoir être confommé ^ fans qu^il y
ajoutât la honte de cette première démarche.
Mais il vouloit nous apprendre qu'une ame
qui revenue des égaremens du monde , fecon-
facre à Dieu , ne peut d'abord fe refufer à el-
le même de faints excès , & ne s'avifepas de
compter avec fon Seigneur , pour favoir au
jufte ce qu'elle lui doit; & loin que la tiédeur
de fon zèle attende toujours l'obligation iné-
vitable du devoir pour agir , elle fe fait un
devoir de tout ce qu'un zèle faint lui infpire.
Mais où font les âmes de ce caraftere ?
Lorfque touché de la grâce , on veut revenir
à Dieu, le premier foin eft de chercher de
toutes les manières de le fervir , la plus dou-
ce & la moins d^ure à l'amour propre. Loin
d'embraffer des rigueurs de furcroît , on étu-
die d'abord jufqu'où on peut pouiTer la con*
defcendance , pour s'en tenir à ces bornes
dangereufes. Mais qu'on aime peu fon Dieu ,
lorfqu'on peut fe prefcrire à foi-m.ême la
mefure de l'aimer ! les commencemens de
la vraie pénitence ne fauioient être ni û lan-
guiffans , ni û ménagés.
• IL Partie, La féconde difpojîtion d'une ame
qui veut fe donner à D'ieu^ doit être un efprit
de fidélité qui ne fe dément plus Jur rien en lé
fervant ; & c'eft ce que nous apprend l'exem-
ple de Marie,
. Nos infidélités ont leur fource, premiére-
ïRent 5 ou dans une prudence de la chair tou>
jours ingénieufe à trouver des incorivéniens-
aux deiïeins de la grâce fur notre ame ; fe-
Analyfes des Sermons, 375
condement, ou dans un orgueil & une com-
plaifance fecrette , qui trouve dans les dons
même de l'Eforit faint , Fécueil de la vertu ;
troiiîémement , ou enfin dans un décourage-
ment dangereux, qui à la vue des maux dont
il eft menacé, fe confulte trop foi- même, 8c
faitdefafoibleflelamefure defes devoirs. Or ,
la fidélité de Marie dans ce myftere nous four-
nit de grandes règles pour éviter ces écueils.
I. Docile , elle ne raifonne pas. Elle n'écou-
te rien de ce qu'elle pou voit fe dire pour fe dif-
penfer de la loi de la purification ; que c'étoit
îè dégrader publiquement de Thonneur de fa
divine maternité , & dérober à fon Fils la
gloire de fon éternelle origine , &c. Elle avoit
appris dans fa retraite , que trop de raifon ^
quand il s'agit des voies de Dieu , eft un excès
de lumière qui éblouit & qui égare ; & que
la vie de la Foi lailTe toujours des ténèbres &
des difficultés , pour ne pas ôter à l'am.e jufte
le mérite de fa docilité. Mais l'exemple de Ma-
rie a peu d'imitateurs , parmi ceux m.ême
qu'on regarde comme juftes. Nous prenons
prefque toujours dans les intérêts de la gloire
de Dieu , des prétextes pour nous difpenfer de
fa loi fainte ; & nous trouvons le ^ecret de
nous déguiferà nous-mêmes nos paflîons fous
le nom de la piété : en un mot , nous trouvons
des inconvéniens infinis , dès qu'il s'agit de
faire le bien ; & nous ne penfons pas quciuo-
tre devoir eft d'accomplir la loi qui eft claire,
& qu'après cela les inconvéniens douteux que
nous croyons appercevoir de loin , ne nous re-
gardent plus : c'eft l'affaire de celui qui nous
37^ Analyfes des Sermons.
ordonne d'obéir ; & puifque les inconvé-
niens que nous croyons appercevoir 5 ne l'ont
pas encore obligé de changer fa loi , ils ne
doivent rien changer aufîi à la fidélité de
notre obéifTance.
Une autre inftruâ:ion que nous donne ici la
docilité de Mafie , c'eil qu'élevée au degré le
plus fublime de la grâce , elle ne dédaigne pas
une cérémonie vulgaire du culte ; ellen'afFed:e
pas des voies plusfublimes , plus rpirituelles ,
& plus parfaites. Or , cet écueil eft à crain-
dre pour la piété : fouvent on croit avoir une
dévotion plus éclairée & de meilleur goût ,
enlaiiîant au peuple fîmple & grofner Iqs pra-
tiques les plus communes de laReligon , que
la piété publique a autorifées , & dont la /im-
plicite femble les deftiner à la multitude igno-
rante : on croit , en donnant moins aux fens
& à la chair qui ne fert de rien, agir plus fe»
Ion l'efprit qui eflutile à tout; & on ne penfe
pas que tout aide à la véritable piété , & que
rien n'eft petit & imparfait pour elle que les
œuvres qui manquent de ferveur.
2. Marie humble , ne s'élève pas. On ne
peut douter qu'elle n'eût été éclairée d'en haut
fur toute la fuite du miniflere de fon Fils^fon
divin cantique en eft une pi;euve : cependant
elle ne dédaigne pas d'être iniiriiite par le faint
vieillard Siméon: elle ne s'ej^iprefTe. pas de ra-
conter à fqn tour les grandes chofes que le
Seigneur /^yoit opérées en elle. -Or, lien de
plus rare, même dans la piété-, que cette fage
& modefle retenue , qui va à cacher fes pro-
pres dons 5 & à maaifeiler ceux des autres.
Ahhlyfes des Scrmàm'. \ ijj
5. Marie générenfe ui fe cîccôurags pirs.
On lui annoiîce qu'un glaive de douleur per-
cera fon ame ; que cet enfant qu'elle vient of-
frir 5 fera expofé comme un but aux traits de
la contradiction & de la calomnie: en ne pré-
fente à Ton efprlt que^ des images triftes Se: ef-
frayantes : cependant à tles préfàges fi funef-
tes elle offre une foi généreufe & foumife;
fille d'Abraham, elle en imite la fidélité &ie
courage : or , c'efl ici où Texemple de Marie
eft peu imité. La piété n'arrache pas toujours
ducœurdes parens les plus chrétiens l'amour
charnel & déréglé des enfans; 8t Ton n'offre
pas toujours au -Seigneur , comme elle , ni ce
qu'on a de meilleur , ni peut être ce qu'il de-
mandoit de nous.; Si un enfant paroît plus
propre que le§ autres à fontenir la gloire de
ion nom & i'^Rime publique , on le fépare
pour la terre : en vain mille traits d'une voca-
tion fainte, paroilfent^ déjà fur fa perfonne;
on réfîfte à l'ordre de Dieu : on regarde les
pkis faints mouvemens de la grâce , comme
des légèretés de l'enfance ;• &: fans le détour-
lier ouvertement d'un deffein louable , fous
préteste d'éprouver fa' vocation , On la lui fait
perdre. Ce n'eft pas que je prétende ici blâ-
mer les précautions d'une piudence chrétien-
ne Venais je blâme les vains prétextes delà
cliàir-& du i*ang. En effet , lorfque les îném.es
defirs de retraite fe trouvent dans ceux" de vos
çnfàns , qui par Tordre de leur nailîance , ou
par la médiocrité de leurs tulens, font moins
propres au monde , & à féconder la vanité de
vos projets ; vous n'êtes pas (î difficiles & fi
37^ i---^ ^njZ)//e5 des Sermons.
circoiïfpé^ts : loin de leu r repréfenter les încon-
véafens d'un choixtéméraire ; c'eft vous-même
qui fe leur infpirçz. Aufli arrive-t il de-là que la
honte âe vos familles devient le partage du Sei-
gneur. Après cela vous êtes allez injuiles pour
faire du dérèglement & de l'ignorance des per-
fonnes confacrées à Dieu , le fujet le plus or-
dinaire de vos dérifions & de vos cenfures ;
mais ne font-ce pas les mains de votre cupidi-
té qui ont placé fur FAutel , ces idoles mépri-
fables que vous infultez ? S'il n'y avoit point
dansFEglife tantde parens avares , ambitieux ,
injuftes , on n'y verroit pas tant de Miniflres
mondains , fcandaleux , ignorans. Telles font
les inftruftions que la Foi découvre dans ce
Myftere. Confacrons-nous donc aujourd'hui
au Seigneur avec Jefus-Chriil ; mais confa-
crons-nous fans referve j & répondons avec
fidélité 5 comme Marie, aux deffeins de Dieu
fur nous.
m ========^==========^^
L E MF S T E RE
DE L* Incarnation.
DIVISION. Le monde ne connoît de véritable
grandeur^ que celle qui frappe lesfens ; de
vrai bonheur , que celui de vivre dans lesplaifirs \
de raifon , que lafiznne : ce font là les trois er-
reurs principales 5 qui forment proprcm-ent toute
lafagejfe humaine , & que confond la fageffe
de Dieu cachée dans le Myftere de l'Incarnation,
L Un Dieu anéanti , rend les humiliaiions hono'
râbles. IL Un Dieu chargé de nos douleurs ,
Analyfis des Sermons, 379
rend les fouffrances aimables, 111, Un Dieu uni
à Vhomme , fait taire la raifon 5 & rend la foi
même raifonnahle.
L Partie, Un Dieu anéanti^ rend les humi-
liations honorables. Pour le comprendre , re-
marquons quels font les principaux cara<£leres
de Torgueil humain ; voyons enfuite Toppoii-
tion qu ils ont avec ranéantillement du Fils de
Dieu , dans fon union avec notre nature.
I. Le premier caraétere de Forgueil , efl
cette erreur qui fait que nous fortons , pour
ainfi dire , de nous- mêmes , & que pour nous
étourdir fur le fentiment intérieur & humiliant
de notre mifere , nous cherchons avec com-
plaifance dans les chofes qui font hors de nous,
les biens , les titres , la naiffance , &c. une
gloire dont la fource ne devroit être que dans
nous-mêmes. Or les circonftances extérieures
de l'incarnation diî Verbe , corrigent les hom-
mes de cette première erreur. De tous les^
Myfleres ^ celui de l'Incarnation avoit été an-
noncé delà manière la plus éclatante & laplus
pbmpeufe; cependant rien de plus obfcur aux
yeux des fens, que ce qui fe pafTe aujourd'hui
à Nazareth : c'eft un feul Ange qui eft envoyé ,
& encore fous la (implicite de la figure humai-
ne ; il eft envoyé à une Fille qui n'a rien qui la
diftingue dans fa tribu , que fa pudeur & (on.
innocence ; Nazareth, où^emyftere s'accom-
plit , eft la ville de Juda la plus méprifable :
perfonne, Jofeph lui-même l'époux de Marie,
n'eft informé de l'ambalTade céîefte. Dans tous
les autres myfteres , les abaiiîemens du Verbe
font mêles d'éclat & de grandeur ; ici tout efl
5 8o Analyfcs des Sermons.
obfcur : rien ne parle aux fens ; parce qu'ici le
delleiii delà fagelle divine efid'cii corriger les
erreurs, & de fubfiitûer hs nouvelles vues de
îa Foi aux anciennes illufions de la fageîfe hu-
maine. En e^cî 5 dans ce Myileie nous appre-
nons queTinnocence &la verîu font les feules
licheiles de riiomn-e ; que tout le mérite de
Tame £ds]e eii caché dans Ton cœur ; eu un
mot . que la grandeur qui n'eft que hors de
nous 5 neû qu'un preilige qui nous joue i èl
qu'on n'eft grand qu'autant qu'en clt fainî :
mais pIÛL-à-Di»ii que ce ne fût pas là encore
aujourd'hui une fageife inconnue au fieclô^l
2. Le fécond caractère de rorgueil humain,
eft cette forbleffe qui ne compte p'our rien le
mérite de la vertu memç,, tandis qu'il eit ca-
ché 5 8c qui ne liait du vice que l'a confufîon &
ropprobre ; comme û les hommes ne pou-
voient êtres grands ou méprifables, que dans
ridée des autres hommes : or , Tanéantiffe-
ment du Verbe dans ce Myflere , confond cet-
te vaine attention aux jugemens humains. Le
Fils de Dieu ne dcrfcendant fur la terre que
pour glorifier fon Pcfe , & reprendre dans le
cœur des hommes leshomm.agesqueles créa-
tures lui avoient ravis , ce deiîein dem.andoit,
ce femble , qu'il fe montrât à eux dans toute fa
gloire : cependant ce n'efl pas par î'éclat & la
majeflé , qu'il veut triompher de nos cœurs ;
c'eft par les humiliations & les opprobres : il
cache tout ce qu'il QÎï ; en un mot , il paroît
anéanti dans tous fes titres. D'où vient;uiie con-
duite fi furprenante? Laiffons les autres raifons
de Tobfcurité de fon miniftere j celles qui nous
Analyfcs des Sermons, 381
regardent , font , premièrement , qu'il vou-
loir apprendre aux Minières chargés de la dif-
peniation de l'Evangile , à ne rien changer à
Tordre de Dieu dans les fonctions de leur mi-
nidere,, fous prétexte de concilier plus facile-
ment à fa parole U^ fuffrages des hommes , &
à ne pas croire qi:e Dieu ibit plus glorifié par la
gloire qui leur revit^nt à eux-mcmes. Seconde-
ment , il vouloit apprendre aux Fidèles , que
les jugemens des hommes ne doivent jamais
décider de leurs devoirs ^qu'il ne faut pas s'en
tenir dans le feryice de Dieu à ce que le mon-
de approuve, mais à ce que Dieu demande de
nous ;qae i'obfcurité ed le plus sûr afyle delà
verni : cspendant prenons- y garde , les gens de
bien même comptent les hommes pour beau-
coup : C'^. qu ils loin à. leurs yeux & aux yeux
dz Dieii . ks intéreiie peu : ils ne paroilTent
touçliis qjîe de ce qu'ils font au:^ yeux des
hôTTiipc", : &ç Us {çnî fouvenî, hélas ! plus nat-
tas dé^&nfî'e? v^f^^s cJ.J'oa leur atJtribue , qu'ils
np 'r7;ith.«iTjilié?-:ps^ 13 vérité qui leur fait.fen-
tir^kuîî§4é|ar«jtsi&' leurs mifcr^s réeUes.
^. Ls iler^ii:^jÇ^x"a61:ere de l'orgueil^ eilcet-
t ^ i rn p oûu r§ ^X^z va n i té q u i c h e rc h e la gl o : re
Gans:jes, lKîi::!r;iIi^ti#;s mêmeç: car il n'eiiipref-
que, po^*.t(4il''*TyiÀté;ré*>lUs)i^& rien n'eft plus
W^S'V.Ç'lie Ji|tf2ii?i2f feu M^Jontaire ,quL ne con-
duj-t,qj:jV: l'hu9>jrwicQrc.>vçilà .réliueil. que les
aViéanî..i:feK^.^s du Verhe dans ce yi-yCiere nous
up^>renîjen,t:i: éviter.: il fe, revêt de k rclTem-
blancQ du ;péçhé vlîisk , c'cit pour en porter
toute la hoLitc : il fe charge de nos iniquités ,
mais pour eu être la vi-ctime : il veut paffer pour
381 Analyfes des Sermons,
un Samaritain & pour un ennemi de la Loi ,
mais c'eft pour être puni comme un fédu6î:eur:
enfin il fe cache , lorfqu'on veut le connoître
pour Roi ; mais , c'efl pour mourir comme un
efclave. Pour nous , hélas ! les œuvres humi-
liantes ne nous plaifent prefque jamais , que
parce que nous efpérons qu'elles tourneront à
notre gloire : cependant depuis l'anéantifle-
ment d'un Dieu , eft-il rien de plus injuile
pour l'homme , que de vouloir s'élever de
quelque manière que ce foit ?
II. Partie. Un Dieu chargé de nos douleurs
doit nous rendre lesfouffrances aimables. L'hom-
me innocent devoit mener une vie heureu-
se & tranquille , mais l'homme pécheur eft né
pour fouffrir ; cependant le plaifir eft encore
le penchant dominant de cet homme crimi-
nel , & condamné à fouffrir ; il n'a jamais pu
aimer les fouffrances. Il falloit donc qu'un
grand exemple lui rendît aimable ce qui lui
étoit devenu néceflaire , & qu'un Dieu fouffrît
tout pour fauver Thomme , afin que l'homme
apprit & aimât à fouffrir pour appaifer fon
Dieu. Aufîi le miniflere du Verbe incarné 5 ell
un miniftere de croix & de fouffrances : il n'an-
nonce que des croiK & des tribulations ; il
n'appelle heurei^^ que ceux qui fouffrent ; &
depeur qu'on ne dbnnâtun jour à fes maximes
des interprétations favorables à l'amour pro-
pre 5 il a voulu expirer entre les bras de la dou-
leur ; & fâ doârine n'eit que le récit de fes
exemples. Puis donc que le Verbe qui ne s'eft
incarné que pour nous montrer la voie du Ciel ,
& fatisfaire pour nous à la juilice divine , eft
Analyfcs des Sermons, 383
venu mener ici- bas une vie trifte&fouffrante,
le Chrétien ne peut plus fe flatter d'arriver au
falut par des routes douces & aifées ; car
rhomine Dieu étant le chefdes Chrétiens, nous
ne pouvons prétendre au falut que comme fes
membres : ck qu'eft-ce qu'être membre de
Jefijs-Chriil:? c'eft fuivre la deftinée du chef,
& lui être conforme. On languit toute fa vie
dans des mœurs indolentes & fenfuelles \ & fe
livrer fans ceffe à tous fes goûts, pourvu qu'ils
n'offrent point de crime , eft ce être confor-
m.e à Jefus-Chrift , & vivre comme il a vécu ?
eft-ce être animié de fon efprit ? Ce n'eft pas
ainfi que ces hommies apoftoliques , qui les
premiers vinrent annoncer Jefus-Chrift à nos
pères , leur en parlèrent : TEfprit de Jefus-
Chrift eft une fainîe avidité de fouffrances ,
une attention continuelle à mortifier l'amour
propre , & à retrancher à fes fens tous les
adoucilfemens inutiles. Voilà le fond du Chrif-
tianifme , &: l'Eforit de Jefvis Chriit; {[ vous
n'avez pas cet efprit , eu vain feriez-vous
cxem.pî des crimes grofners . vous n'apparte-
nez pas à Jefus-Chrift, & vous n'aurez point
de part à fon royaume.
Mais ce qu'il y a de confolant pour nous ; c'eft
que Jefus-Chrift en nous faifant une loi par le
caraâ:ere feul de fon miiniftere ^ de la violence
îkdu renoncement, nous rend en miême temps
aimiable la croix dont il nous charge. Souffrir
" ici-bas étoitpour nous un fort inévitable ; mais
fans Jefus-Chrifirhomme eût fouifert fans con-
foîation & fans mérite. Il eft donc venu adou-
cir &fan£lifier nos fouffrances.Premiérem.çnt,
. fon exemple leur ôte tout ce qu'elles avoient
3^4 Analyfes des Sermon^;.
d'abje6^& d'haimiliant: il eft beau de fouffrir
après lui ; il ell glorieux de marcher fur Tes tra-
ces. Secondement , l'oniftion de fa grâce adou-
cit ce que la violence & le renoncement avoient
d'amer. Je conviens que fe renoncer fans celfe
foi- même ; que ne point aimer le faile , la m.a-
gnilicence , la joie , les plaifirs , & fe réduire
à une m.odeflie fimple ^<. chrétienne , & ren-
fermer tous tes penchans dans le iilence , dans
la prière & dans la retraite , eft quelque chofe
de très-pénible ; mais la fource des plailirs vé-
ritables n'eft pas dans les fens , elle eft dans le
cœi;r : or , c'eft-îà que Jefus-Chrift porte le re-
mède 5 & la douceur de fa grâce ; tandis qu'au
dehors tout paroît trifte, rebutant, douloureux
pour une am.e fidèle , un confolateur invifîble
remplace ces amertumes par des délices que
le cceur de Ihomme charnel n'a jamais goû-
tées. Troifiémiement , les promefTes de Jefus»
Chrift ôtent aux fouiîrances tout ce qu'elles
avoient d inutile & de déferpérant*' Avant fa
manifeftaticn dans notre chair , on fouiFroit
pour la gloire , pour la patrie , &c. mais l'or-
gueil étoit un foible dédommagement dans .es
foufiVances , pour l'homme fur-tout qui veut
être heureux ; miaisle Fidèle qui fouffre « qui fe
punit lui m.ême, qui porte fa croix^ a un ave-
nir éternel pour lui ; quand môme fes peines
feroient ici bas fans confolation , l'efpérance
feule qui eft cachée dans fon fein , les adou-»
ciroit. Un Dieu manifefté en chair , eft le
garant de fa confiance : en Jefas- Chrift fes
fouitrances trouvent un prix & un mérite digne
de Dieu j en faut- il d'avantage pour nous
les
Analyfcs des Sermons. 385
les rendre aimables ?
III. Partie. Un Dieu uni à Vhomme fait
taire la raifon , & rend la Foi même raifonna-
ble. Tout eft plein aujourd'hui de chrétiens
philofophes 5 & de fidèles juges de la Foi : on
adoucit tout 5 on donne un air de raifon à
tout; on veut entrer dans les delFeins de Dieu ,
fur les deftinées des hommes ; on trouve des
inconvéniens dans Fhlftoire vénérable de nos
Livres faints , &c. Mais depuis que nous ado-
rons un Dieu fait homme , c'eft une folie, dit
im Père , de vouloir raifonner fur tout ce que
la Religion nous propofe d'inaccelFible à la
raifon: il n'eft plus rien d'incompréhenfible que
Jelus-Chrift homme-Dieu n'apolanilfe & ne
rendre croyable. Ou renoncez donc à Jefus-
Lhriltjou avouez que Dieu peut faire ce que
vous ne pouvez comprendre. Après le Myfte-
re de 1 Homme-Dieu , la Foi ne peut rien nous
propofer de plus élevé , & de plus inacceUi-
ble a la raifon humaine. Méditons donc ce
Myftere de Jefus-Chrift Homme-Dieu : il
éclairera notre raifon en achevant de la con-
fondre , & nous conduira à fintelligence , en
nous faifant fentir la nécciTité de la Foi. Imi-
tons Marie , qui dans un Myftere où tout eft
nouveau & mcompréhenfible , où elle ne trou-
. . -'" î'-^-^'-^'ii^iv- 5 uu Clic 11c irou-
ve nen dans 1 hiftoire des merveiHes du Sei-
gneur qui puHVe Ja railurerpar la reffemblan-
• ce , au lieu de dc:;'.er comme Zacharie , ne
■ veut point d'autre garant de fa Foi , que la
I toute-puilTance & la vérité de celui qui .l'exige.
Myjlires. r
3S6 Analyfes des Sermons.
■ t. ■■■■■' . .1 ' '*
LE VENDREDI SAINT.
Sur la Pajfion de Notre Seigneur Jefus-Chrlfl.
DIVISION. Voppofition à la vérité , a
toujours été le caractère le ]dus ejjenticl du
monde ; mais la mort de Jefus-Chrijl e/î la plus
<rrande preuve de Voppofition du monde pour Id
vérité 5 & en même temps le plus grand témoi-
gnage de la vérité contre le monde.
I. P A R T I E. La mort de Jefus-ChriJl ejl
ta plus grande preuve de Voppofition du monde
pour la.vérité ^ c eft-à-dire , pour la vérité de
fa doariiie , des Ecritures , de fes miracles ,
de fon innocence & de fa royauté.
I. Oppofition à la vérité de fa doârine ; &
c'eft le refped humain qui la forme cette op-
pofition même dans fes Difciples. Qu'étoit-ce
que fa doârine , finon une préparation aux
croix & aux fouffrances ? Cependant dès que
le monde fe déclare contre lui , les Difciples
chancelent , & font découragés ; & voici ]ul-
Gu où le refpea humain & la crainte du monde
les aveugle fur la vérité de fa do^rine. Dans
Judas , elle forme un perfide qui trahit fon di-
vin Maître & qui fe joint à fes ennemis pour
le perdre. Le même refpeft humain eft caufe
de la défe^ion des autres Difciples ; & Pierre
lui- même qui loin des dangers , fe promettoit
tout de fon courage , n^eR pas à l'épreuve d u^
jnc fi danpereufe tentation : ilsP'ofe s avouer le
Difciple du Sauveur , & affeÛe d'ignorer juf-
qu'au nom de fon divin Maître : Non novi
hcminem, . . , , 1- •
2. Oppofition à la vérité des Ecritures ,
Andyfcs des Sermons, 387
& c'eft ce que produit la jaloufie dans les Prê-
tres & dans ks Doreurs. Jefus - Chrift les
avoit fouvent renvoyés aux Ecritures , comme
au témoignage le moins fufpea de la vérité de
ion miniftere. Ce témoignage étoit clair, puiC-
que les prédirions des Propketes étoieiit ac-
complies : mais l'envie qui Iqs aveugle , l'em-
porte fur la vérité qui les éclaire ; &: voici
tous les caraé^eres de cette injufte pafîion. Pre-
mièrement, la mauvaife foi : ils ne peuvent fe
diflimuler à eux-mêmes la vérité de fes pro-
diges ; & au lieu de le reconnoitre pour le
MefTie , ils fe' demandent à eux-mêmes : Que
ferons- nous ? Quid facimus , quia hic homo
mulîafignafacitl Secondement, la baffeife :
ils cherchent eux-mêmes en fecret un faux té-
moignage contre Jefus- Chri/l.Troifiémement,
la dureté : ces Jugescorrompus livrent le Sau-
veur a 1 infolence& à la fureur de leursServi-
teurs & de leurs Minières. Quatrièmement ,
enhn le facrifice des intérêts de la patrie : eux
qui deteiloient le joug Aes Incirconcis, qui fe
yantoient auparavant de n'avoir jamais été fu-
jets m enclaves de perfonne , protègent qu'ils
n ont point d'autre Roi que Céfar.
3- Oppofiiion à la vérité des miracles du
Sauveur; & c eH l'ingraritude pouifée jufqu'à
la fureur , qui la met dans le peuple. Témoins
de tant de prodiges qu'il avoit opérés à leurs
yeux, li paioiiToient en fouîe à fa fuite avec
lesOi.cip.es; ils avoieut voulu l'établir Roi*
fur eux dans le défert , loriqu'il les rafTafioit
dune nourriture miracuîeufe ; & ce même
^^Ù:^''^ ' ^^''^'''' aujourd'hui con^
treJefas-Ciinft, le fuu comme un féditieux
Kl '
15 S8 Analyfes des Sermons»
& demande fa mort à Pilate.
4. Oppofîtioii à la vérité de fon innocence ;
& c'eft ce que produit dans Pilate une ambi-
tion aveugle. Le Sauveur du monde eft traîné
devant ce Magiftrat infidèle : tout prouve à Pi-
late fon innocence; illa reconnoît lui-même :
mais on le menace de la difgrace deCéfar; &
voici tous les obftacles qu'une lâche ambition
met dans fon cœur à la vérité qu'il ne peut fe
cacher à lui-même Premiéremient , un obfta-
cle de difîimulation & demauvaife foi : au lieu
de renvoyer abfolument Jefus-Chrift , il pro-
pofe des expédiens pour le fauver , & fait en-
tendre contre fa confcience, qu'il a befôin de
grâce. Secondement , un obftacle de haine
contre la vérité , qui fait qu'elle lui eft à char-
ge ; embarraffé de la préférence que les Juifs
donnent à Barrabbas , il demande ce qu'il fera
donc de ce Jefus qu'on appelle le Chrift. Troi-
fiémement , un obftacle d'hypocrifîe , qui fait
fervir jla.véribté^ même aux vues de l'ambition :
il renvoyé Jefus à Hérode 5 non pour>con-
ferver la vie à un innocent , mais pour reçour
vrer l'amitié de ce Prince , qu'il avoit perdue.
Quatrièmement , un obftacle de fauffe conf-
cicnce , qui fait qu'en facrifiant la vérité à des
intérêts humains , on croit encore n'avoir rien à
fe reprocher : Pilate voyant que les tempéra-
inens ne fervent qu'à allumer de plu^ en plus la
fureur des Juifs , livre enfin le Satiyeur à leur
vengeance ; mais en même temps il lave Ces
mains : il confent qu'on le faife mourir , & il
déclare qu'il n'eft pas coupable de la mort de ce
Jufte.
5. Oppojfîtion à la vérité de fa royauté ; &
Analyfcs des Sermons, 389
c^eftceque produit dansHérode fon impiété :
d'abord par un mouvement de curiofité , il fou-
haite de voir cet homme dont la renom.mée
publioit des chofes fi merveilleufes ; il fe pro-
met d'en être lui-même le témoin; il fait à
Jefus-Chrifl mille queftions inutiles ; m.ais en-
fuite 5 ne voyant aucun miracle , &: n'en pou-
vant même tirer une feule parole , il le mé-
prife , & toute fa Cour fuit fon exemple.
IL P A R T I E. La mort de Jefus-Chrijl
ejl le plus grand témoignage de la vérité con-
tre le monde.
1. La mort de Jefus Chrift rend témoi-
gnage à la vérité des Ecritures : c'eft la clef fa-
crée qui ouvre les fept fceaux de ce livré fer-
mé ; carfans le dénouem.ent de ce grand facrifi-
ce , hs livres faints font incompréhenfibles;
mais la mort de Jefus-Chriit y répand un
nouveau jour. A la faveur de ceMyftere on voit
clair dans toutes les figures , on découvre l'ef-
prit de toutes les cérémonies , on entre dans le
fens de toutes les prophéties , on fent la vérité
6c la divinité de nos Livres faints,
2. Elle rend tém.oignage à la vérité de fa
do6lrine , en la confirmant par fes opprobres
& par fes foufFrances. Toute la doctrine du
Sauveur fembloit fe réduire à humilier l'efprit
& à mortifier les fens : or comme nul Philo-
fophe jufqu'à lui ^ n'avoit annoncé aux hom-
mes , qu'il falloit aller à la félicité par les hu-
miliations &: par lesfcuifiances 5 il falloit que
l'exemple du Sauveur confirmât la nouveauté
de fes préceptes ; & c'efl ce qu'il a fait parles
humiliations & les douleurs de fa mort: auffi
notre impénitence n'a-t-elle rien à oppofer au
390 Analyfes des Sermons.
grand exemple qu'il nous donne aujourd'hui.
3. Jefus-Chrift rend témoignage fur la croix
à la vérité de fes miracles , en les renou-
vellant. Et ce ned pas tant en ouvrant les tom-
beaux^en brifant les rochers , en obfcurciflant
le foleii, &:c. c'eii en converti/Tant un fcélérat
qui expire à fes côtés ; c'eft en changeant le
cœur du Centenier même qui préfide à fon
fupplice 5 & le forçan'i de confeiîer tout haut
fa puilfance &: fa divinité ; c'eft en touchant
les fpeâ:ateurs de fa mort. Voilà le grand mi-
lacle de la mort de Jefus-Chrift; la conver-
sion des grands pécheurs.
4. Jefus Chrift rend témoignage fur la
croix à la vérité de fon innocence & de fa
fainteté , en priant pour (es ennemis. En effet ^
it Cijriiâer'd le îTiCins équivoque de la fainteté,
c'eil d aimer ceux qui nous outragent , & de
prier pour le falut de ceux_qui veulent nous
perdre : or voilà le grand témoignage que Je-
fus-Chrift rend aujourd'hui à fon innocence.
Il meurt pour ceux qui le crucifient 5 & il
meurt en demandant grâce- à fon Père pour
fes ennemis : Père , panhnnei-Uur , parce
rquih ne favcnt ce qu'ils font,
5. Jefus-Chrift rend témoignage à la vë-
lité de fa royauté , eu conquérant le monde
par fa croix. Le monde lui avoit difputé Té-
clat &: la réalité de fa royauté ; il ne l'avoit
traité de Roi que par dérifion : toutes les mar- -
ques de fa royauté avoient été de nouveaux
opprobres ; m.ais aujourd'hui ces marques
honteufes d'une royauté fi humiliante , devien-
nent les fignes glorieux de fa puiiîance & de
fon empire. Mais au lieu que la puiffance & le
Analyfcs des Sermons, 391
règne des Rois de la terre , finifTent avec eux,
le règne de Jefus-Chrift ne commence à écla-
ter que par fa mort ; & {es opprobres font la
première fource de fes grandeurs & de fa
gloire. En effet , depuis qu'il ed mort , tout
reconnoît fa fouveraineté : fa croix triomphe
du ciel & de l'enfer , de l'aveuglement des
Juifs 5 de l'incrédulité des Gentils , de la Bar-
barie des bourreaux , de i'endurciffement
même d'un pécheur mourant.
LE JOUR DE PAQUES.
Sur la Rijurrcciion de Notre Seigneur,
DIVISION. Jefiis-Chrijl mort pour nos pé-
chés 5 refpdfcite pour noue nidification.
Comment IL parce que la réjlirrecîion de Jefus-
Chrijl nous anime a perfévcrer dans la grâce
reçue : IL Parce truelle nous apprend à y perfé^
vérer, La réfurrecîion de Jefus- Chrijl eji le motif
£* le modèle de notre perfévérance,
L Partie. La réfurrecîion de JefusXhrljl
nous animt à perfévérer dans la grâce reçue.
En effet , les principales fources de i'inconftan-
ce des hommes dans les voies d^ Dieu , font
ou dans l'affoifoliiTement de la foi , ou dans la
tiédeur de l'efpérance : or , la piété chrétien-
ne trouve dans le myftere de la rcfurredion ,
des préfervatifs contre ct^s deux écueils , &:
des motifs très puiffans pour perfévérer dans
la grâce.
I. La piété trouve dans la réfurreélion de
Jefus -Chrift , tles préfervatifs contre l'affoi-
R4
392- Anallfis des Sermons.
blifTeinent de la Foi , & cette forte d'incré-
liulité que devance prefque toujours le cri-
me : car ce myftere eft le grand témoigna-
ge de la Foi chrétienne ; c'eft en lui que tous
lesautresmyfteres trouvent leur vérité & leur
certitude ; puifque , fi Jefus-Chrift eft refiuf-
cité j iiotte foi eft certaine , la do£lrine de
l'Evangile eu divine , fes promeffes font infail-
libles. En effet , û Jefus-Chrift eft relfufcité ,
il étoit donc un envoyé du Ciel , pour annon-
cer aux hommes la doctrine du falut : car
Dieu véritable & fidèle n'auroit pas voulu .
autorifer Tim.pofture , en la revêtant du caraç- j
tere de îa vérité : denc tout ce qu'il nous a '
annoncé j eft véritable. Or , Jefus Chrift eft
relTufcité : nous prouvons ce grand miracle
aux incrédules , premièrement , par les pré-
cautions mêmes que Cqs ennemis prirent d'a-
bord après fa mort; fecondement, parla dé-
pofition des foldats ; îroifiémement , pà'r les
apparitions du Sauveur ; quatriémiem.ent , par
le doute des Apôtres , avant de croire ce
miracle , & par tout ce qu'ils ont fouifert en-
fuite pour rendre témoignage à la vérité. Et
voilà ce qui foutient la foi de l'homme jufte :
il voit dans le myftere de la réfurreâ:ion , tou-
te la Religion alfurée; leschâtimens dont elle
menace , certains ; fes promeffes infaillibles 9
& fes préceptes néceffaires, &c. Or , quoi de
plus propre à mettre un frein à rinconftance
du cœur de l'homme , & à l'établir dans une
piété folide & durable , que ces grandes véri-
tés ? Aufîi les Difciples , témoins de la réfur-
reélion de Jefus-Chrift, ne fe démentent plus,
& perféverent jufqu'à la fin dans ïa prière , &
Analyfcs des Sermons, 393
dans le miiiiflere de la parole faintCo
Mais nous fommes les enfans des Saints qui
virent Jefus-Chrift reflufcité , & qui ladoie-
rentfur la montagne de Galilée : nous avons
vu dé leurs yeux , & touché de leurs mains :
pourquoi retournerions-nous donc encore en
arrière ? Si ce Myfîere rend notre foi certaine
& inébranlable , pourquoi laifTeroit il encore
des inconftances à notre cœur ? S'il feroit
monftrueux , après tant de preuves , dit faint
Auguftin , de ne pas croire , l'eft-il moins de
croire , & de vivre comme lî Ton ne croyoit
pas ?
z. La piété trouve dans la réfurreftion de
Jefus-Chrift des préfervatifs contre la tiédeur
de refpérance : car ce myftere , première-
ment, ralTure notreefpéranceyfecondement^
il la confole ; troifiémement , il la corrige.
Premièrement , la réfurre6^ion de Jefus-
Chrift rafîure notre efpérance , parce que
nous favons , comme dit l'Apôtre , que nous
lui ferons un jour femblabies , & que nous
fuivrons la defîinée de notre chef; que fa ré-
furredion feroit inutile 5 fî nous ne devions
pas relTufciter avec lui : nous favons nue nos
frères qui nous ont précédés avec le figne de
la Foi 5 & qui dorment en Jefus-Chriiî dans
le fomm.eil de la paix , n'ont pas péri fans
reffource, quoiqu'ils aient difparu à nos yeux.
Or , dans le fouvenir de ces vérités , que de
puiflans motifs pour affermir une ame dans la
grâce & dans le fervige de Dieu 1 puifque
nous re (Tu fc itérons pour ne plus mourir, nous
ne devons donc rien nous permettre q\n uq
foit digne de l'éternité bienheureufe.
R5
394 Analyfes des Sermons.
Secondement 5 elle confole notre efpéraiice.
Si la piété a Tes douceurs , elle a aufCi (es
amertumes- 5 puifque la vertu ne fe conferve
que par des combats & des facrrfices conti-
nuels ; & fi vous vous re^âchez un moment ,
vous êtes perdu. Or , dans ces dangereufes
épreuves , rien ne foutient &. ne confole l'amiC
jfïdele , comme refpérance de la rérurreâ:ion :
ce corps de péché qui Fappéfantit , elle fent
qu'il fera bientôt conforme à celui de Jefus-
Chrift glorieux & refiiifcité : dans les afflic^ons
qui lui arrivent du côté des créatures , il n'en
eft aucune que cette efpérance n'adouciffe.
C'eft par cette efpérance , que Job fur fon fu-
mier voyoit tranquillement fon corps tomber
en pièces : c'eft par cette efpérance que les
Apôtres '& les premiers Fidèles fe réjouif-
foient dans leurs tribulations : ils croyoient
fans cefî'e voir arriver Jefus-Chriftdu haut des
airs ; auÏÏi , au milieu des tourmiens , ils dé-
ficient avec une fainte fierté la barbarie des
t^'rans. Tel étoit l'efprit de ces (iecles heu-
reux : une vaine fpiriîualité n'avoit pas enco-
re interdi ces divines confolations à la ver-
tu. En effet , le jufte feroit bien à plaindre ,
t"û n'y avoir pour lui d'efpérance qu'en cette
vie,' L'Evangile , en un fens , ne fait que des
•malheureux felcn le monde ; & s'il n'y a plus
rien à efpérer après cette vie , rien n'égale
l'infortune d'unDifciple de Jefus-Chrift. Auf-
^ T:>oint de règle plus sûre que celle ci , pour
CDnnoître li l'on eft véritablement difciple de
^Jeftis-Ghrift , ou enfant du ficcle : feriez- vous
«à^plaindre, s'il n'y avoir point de réfurreâ:ion
à efpérer Ift vous n'attendiez qu'un anéantiife-
Analyfes des Sesrmons, 395
ment éternel après cette vie , vous faites-vous
allez de violence en celle-ci 5 pour dire avec
l'Apôtre : Si nous ncfpérons en Jcfus-Chrijï qu2
pour cette vie , nous fouîmes les plus mallieureux
de tous les /lommdi.Quand la Religion ne feroit
qu'un fonge , feriez-vous fort trompé dans vos
mefures ? Les premiers Fidèles avaient droit
de dire , que (i Jefus-Chrift n'étoit pas relTuf-
cité, tout étoit perdu pour eux ; eux qui facri-
fîoient tout à cette éfpérance ; eux qui n a-
voient aucune autre confolation fur la terre :
mais vous qui ne facriiiez aux promeiles de la
Foi 5 ni plaifîrs , ni goûts, ni fuperfluités ; que
Jeflis-Chrift foit relîufcité , ou qu'il ne le (bit
pas , en étesvous plus ou moins à plaindre ?
dès-là cependant vous n'êtes plus Chrétien.
Troifiémement , elle corrige notre éfpé-
rance , parce qu'elle nous propofe les moyens
^ui feuls nous donnent droit d'efpérer , en
nous apprenant qu'il n'eft pas pofTible de cher-
'Cher fa félicité fur la terre , & d'efpérer en
Jefus-Chrift. Mais de plus , comme une des
^taufes ordinaires de nos rechûtes après la [o-
lemnité , eft de nous perfuader que le retour
;à la grâce eft facile , & ainfi d'efpérer contre
l'efpérance , le myftere de la réfurreélion de
JefuS'ChrlR corrige cette erreur fî commune
&: fi dangereufe. Car , puifque le bienfait de
la réfurrcdion n'a été en Jefus-Chrift que le
prix du plus douloureux de tous les facrifî-
ces , &: que fa réfurrec^ion eft le modèle de
la nôtre , nous devons en conclurre , que fi
nous retombons , il faudra palier par de ter-
ribles épreuves , pour arriver au renouvelle-
.meûî^^ie la péritene-e 5 êc mêm^ la grâce d'une
R6
59^ Andlyfcs des Sermons.
lecoude pénitence nous fera- telle^ accordée,
cette grâce qui eft rare ? Confervons donc
prétieufement mi tréfcr Ci difficile à lecou-
vrer. >
II. Partie. La réfunecHon de Jefus-Chrijî
nous apprend a perfévérer^ elle ejl le modèle
de notre perféverance. Jejus-Chrijl rejTufcité
d'entre Us^ morts ne meurt plus , dit l'Apôtre ,
la mort na plus dkmp ire fur lui ; parce que fa
réfurredion rdifenne un renouvellement en-
tier & parfait ; qu'il n'a plus rien de terreftre
au Ibrtir du tombeau ; &}que la mort a été ah-
forhée dans fa propre victoire. Voilà le modèle
& le moyen de notre perfévérance. Voulons-
nous ne plus retomber? il faut que tout ce qui
étoit en nous de terreftre & de mortel foit dé-
truit , &: que nous foyons des hommes tout
renouvelles & tout céleftes. Cependant l'er-
reur commune regarde le temps Pafcal comme
un tem;ps de relâchement & de repos ; mais
c'eft tout le contraire. Si vous voulez confer-
ver la grâce de la réfurredion , il doit être
pour vous un temps de renouvellement & àe
ferveur ; en voici les raifons.
I. Si vous croyez pouvoir vous permettre
des mœurs plus douces , & un ufagie plus li-
bre des plaifirs dans le temjps Paical , *parce
que TEglife paroît dans l'allégreiîe en ce faint
temps 5 faitesiréfiexion que l'allégreiTe dé l'E-
glifen'eft fondée que fur laviâoire qne-Jefus-
Chriil , êc tous les Fidèles avec lui , rempor-
tent aujourd'hui fur le péché ; qu'a^infî , fi
vous êtes encore fous l'empire du péché, elle
cft encore couverte d'un deuil'^nvifible, &
gémit en feciet devant fon Epoux. D'ailleuis
Analyfcs des Sesrmons, ' 397
Je temps de la vie préfente n'eft pas le temps
de fa joie : elle y gémit fans cefle \ elle foupi-
re fans cefTe après fa délivrance ; & fes chants
de joie ne fauroient être que des defiis dëter-
nité , & de vifs empreffemens d'être réunie à
l'Eglife du Ciel. Voyez fi vous entrez dans TeC
prit de l'Eglife , en faifant confifter le privi-
lège de la réfurre6èion dans un ufage plus li-
bre des plaifirs , & dans la rareté des prières
& des autres devoirs de la Religion.
2. Si après une vie criminelle , vous avez
été affez heureux pour recouvrer en ces jours
votre innocence par la grâce des Sacremens 9
vous êtes donc de nouveaux enfans de la grâ-
ce : or dans cet état d'enfance &c de foiblelTe j
plus faciles à féduire , ne vous faut-il pas plus
de fecours & de précautions pour vous foute-
nir ? D'ailleurs fi vous ne faites que de fortir
de vos mœurs criminelles , vous n'avez donc
encore rien fait pour les expier. Vous avez gé-
mi au tribunal , il eft vrai ; mais ce ne font pas
là \^% feuls fruits de la pénitence. Vous n'avez
donc pas encore commencé à expier vos cri-
mes ; & vous voulez vous permettre àçs adou-
ciflemens ? eft-il temps de fe repofer à l'entrée
même de la carrière \ Il peut arriver quelque-
fois qu'à la fin de la courfe , on fe relâche»;
mais les commencemens doivent être fervens :
c*eft là le caraftere de la première grâce. Si
donc vous commencez par la chair , comment
fînirez-vous par l'efpwt ? De plus , votre pro-
pre expérience vous apprendra que les tenta-
tions ne font jamais plus violentes que dans un
commencement de nouvelle vie ; parce> qàe
le Démon , furieux d'avoir lailTé'écbapjîeip ii
^98 Analyfes des Sermons.
proie y tnQt tout en œuvre pour la recouvrer.
Les tentations étant donc alors plus vives ,
& la piété plus foible , n'eft-il pas évident que
la fidélité & la vigilance ne furent jamais plus
fiécefTaires que dans ces commencemens ?
3. Puifque l'Eglife , en ce faint temps , four-
nit moins de fecours extérieurs à la piété des
Fidèles , vous devez remplacer 'ce défaut par
un renouvellement de zèle & d'attention ;
car pour vous qui êtes encore foible dans la
Foi , cette privation de fecours fenfibles a
fes dangers. Il eft à craindre que ne trouvant
plus autour de vous les appuis extérieurs de
la piété , vous ne puifîiez vous foutenir tout
feul ; & que la fainte liberté de ce faint
temps 5 ne foit pour vous une occafion de
•chute & de libertinage. D'ailleurs entrez dans
l'efprit de l'Eglife: depuis la naiffance du Sau-
veur jufqu'à fa réfurreôion, & à l'efFufion de
•fon Efpriî faint que nous attendons , ellevous
a tenus fous fes ailes , pour ainii dire , corn-
•'me des petits qu'elle enfantoit , & qu'elle
vouloir formera Jefus-ChrilLMais déformais,
•ces Myfteres étant accomplis , elle regarde
Con ouvrage comme achevé en vous ; & vous
legardant coinme des hommes tout eélelies ,
fclie fe retire dans le fêcret de fon fanâ:uaire ,
'*& ne propofe à votre piété que le myftere
ine^ftable de-l*unité de l'elTence divine , & de
4a Trinité desperfonnes, qui fait toute l'occu-
-pation 8t tout le culte des Bienheureux ;.par-
-ce qu'elle croit que vous mènerez déformais
4ine vie toute célefte. Jugez fî vous devez vi-
•vre feîon les fens , dans un temps où l'Eglife
fupp^fe -que ^vaire vie eft^nfia tpute^caûhée
Anâlyfc^ des Sermons. 3:99
en jy'tcu avec Jefus-Chrift.
4. Mais fuppofons qu'une vie molle & moins
attentive ne fût pas dangereufe pour la piété
après lafolemnité fainte , elle feroit du moins
injufte pour la plupart des Fidèles. Le Jufte
arrivé au bout de cette fainte Quarantaine ,
a droit d'eiîuyer fes larmes, & de goûter avec
rEglife les confolations fenfibles de ce faint
temps ; lui , qui loin de fe difpenfer de la fa-
vérité de fes Loix , y a ajouté des rigueurs de
furcroit. Mais ceux qui au lieu d'avoir été pé-
nitens pendant le Carême , ont été prévarica-
teurs de la loi commune même de la péni^
tence ; qui ont porté au myftere de la Réfiir*
recèion des paffions au/Ti vives & aulîi entiè-
res qu elles Tétoient avant ces jours de ma-
cération & d'abftinence; ah ! ceux-là , loin de
fc permettre aujourd'hui des délalTem.ens ,
doivent fe mettre en état de réparer leur lâ-
cheté palTée , & changer ce temps de joie
en un temps de deuil & de trifteffe.
Au refte 5 la grâce ne peut fe conferver
que par les mêmes voies par où on Fa recou-
vrée. Vous avez employé , pour la recouvrer ,
les larmes , la componâ:ion , une vive hor-
reur de vos fautes , l'éloignement des occa-
fions , une conviâ:ion fincere de votre foi-
hlelïe , & du befoin que vous aviez de prière
& de vigilance , la fuite du monde & de
fes plailîrs , &c. Voilà le plan de vos devoirs
jufqu'à la fin : fuivez toujours ces routes heu-
.reufes , qui vous ont conduit à votrç délivran-
ce 5. Se vous perfévérerez. Vous relâcher, ce
feroit tout perdre , & rifquer tout le fruit
de vos travaux paffés.
400 Analyfes des Sermons.
LE JOUR DE LA PENTECOTE.
Caraclcres de VEfvrlt de Jefus-Chrijl y ù de
Vcjprit du monde.
L T ^ premier caraélere de
Caractère. JLj refprit de Jefus-Chrift ,
c'eft d'être un efprit de iéparation , de recueil-
lement & de prière. A peine les Apôtres en
ont été rempHs , qu'ils renoncent à tous les
autres foins extérieurs , pour ne vacqiier plus
qu'à la prière , & au miniftere faint de la pa-
role ; eux qui auparavant étoient (i charnels
& fi di/Tipés , & ignoroient même comment
il falloit s'y prendre pQur prier. Voilà le pre-
mier changement que l'Efprit de Dieu opère
dans une ame : au lieu du plaifir qu'elle trou-
voit auparavant à fe répandre fur les objets
extérieurs , la plus douce occupation d'une
ame que l'Efprit de Dieu pouffe & remplit ,
c'eft de fe rappeller à elle-même , parce que
c'eft au dedans d'elle qu'elle trouve fon Dieu :
aufîi n'en fort- elle qu'à regret ; & au milieu
même du tumulte & des entretiens du fieclcj
elle fe fait une folitude fecrette dans fon cœur,
\où elle s'entretient fans ceffe avec le Seigneur.
Voilà pourquoi l'Apôtre appelle l'homme
chrétien , l'homm.e fpirituel & intérieur ; &
l'hom.me mondain & pécheur, l'homme exté-
rieur 5 pour nous apprendre que dès qu'une
ame a reçu l'Efprit de Dieu , & qu'elle en eft
véritablement animé , toute fa vie eft pre/que
invifible ôt intérieure ; fes aftions les plus
Analyfes des Sermons, 401
communes deviennent faintes par la foi fe-
crette qui les purifie ^ l'Efprit faint i;^gle fes
defirs , réforme fes jugemèns , renouvelle fes
affections , fpiritu^life fes vues : t^out qe qu*el*
le voit , elle ne le voit plus qu'avec les yeux
de la Foi ; le monde entier n'ed plus qu'un li-
vre ouvert , où elle découvre fans ceffe les mer-
veilles de Dieu , & laveuglement prodigieux
de prefque tous les hommes.
Ce n eft pas que les objets des fens ne puif-
fent quelquefois la furprendre &: la féduire ;
mais ce ne font là que des furprifes & des
abfences d'un moment. Avertie d'abord de
fon égarement par les reproches fecrets de
l'Efprit de Dieu qui habite en elle , elle ren-
tre auHî-tôt en elle-même , d'où le monde
l'avoit comme tirée. Voilà cet efprit de foi ,
de recueillement 6c de prière , qui nous rend
témoignage que nous avons reçu l'Efprit de
Dieu : auffi les Juftes , ^lans les Livres faints,
font ceux qui vivent de la Foi ; qui étrangers
& voyageurs fur la terre , & citoyens du fie-
cle à venir , rapportent tout à cette patrie
éternelle , vers laquelle ils marchent fans
ceiTe , & ne comptent pour rien tout ce qiji
fe pafle.
C'effà nous maintenant à nous juger fur ce^-
te règle. Trouvons-nous-en noiis-mêmes ce
premier caractère de l'efprit (de Dieu ? Exa^-
minons ce qui domipe dans nos jugemens t,
dans nos defirs , dans nos affections , dans nos
vues 5 dans nos projets , dans nos efpérances ,
dans nos joies & d^ns nos chagrins. Héla,s!
notre vie eft une yie toute extérieure , qui fe
paffe toute hors de notre coeur , par confé*
401 Analyfes des Sermons,
quent loin de Dieu. C'eftrerprit du monde qui
forme nos defîrs , qui conduit nos affeé^ions ,
qui règle nos jugemens, qui produit nos vues,
qui anime toutes nos démarches. S'il arrive
qu'en certaines occafîons nous ayons quelque
fentimens chrétiens , & des vues conformes à
celles de la Foi ; ce ne font là que des étincel-
les de foi 5 pour ainfi dire , qui nous échap-
pent; que des intervalles de grâce , quinlnter^
rompent que pour un inftant le cours de nos
difpiofitions mondaines ; & ce qui domine dans
la conduite ,ce qui fait le corps de toute notre
vie 5 ce qui e^ le principe de tous nos fenti-
mens , c'eft refpiit du monde. Or , l'Efprit
de Di^u ne règne point où règne Tefprit du
inonde : nous appartenons donc encore an
inonde & à Ton efprit; & fous des dehors
religieux & réglés , notre cœur eft encore
mondain.
1 1. Caractère. Le fécond caraiftere de
refprit de Di^u , c'ejft qu'il eft im efprit de re-
noncement 6>c de pénitence ; & ce caractère
eftune fuite néceifaire du renoncement , & de
la vie intérieure dont nous venons de parler.
En effet , dès que l'Efprit de Dieu nous rap-
pelle à nous-mêmes , il nous découvre bien-
tôt que notre cœur , notre efprit , notre ima-
gination 5 nos fens , notre corps en un mot ,
que tout eft déréglé en nous ^ & révolté
contre Tordre , la vérité & la juftice. Or , il
eft impofîrble qu'en nous décoirvrant ce dérè-
glement univerfel , il n'opère en nous deux dif-
politions ; la première, de rétablir l'ordre que
le péché a troublé en nous ; la féconde , de
venger la juftice de Dieu que ce défordre a ou-
tragé.
Analyfcs des Sermons. 40^
h Difpojîtion. Rétablit l'ordre que le péché
a troublé en nous. Caries lumreres dont l'Ef-
prit de Dieu remplit un cœur , ne font pas des
lumières flériles : il fait aim.er les vérités qu'il
enfeigne. Ainfî une ame que TEfprit de Dieu a
renouvellée , hait en elle tout ce qu'elle y dé-
couvre d'oppofé à la vérité & à la juftice , &C
s'anime d'un faint zèle pour rapprocher fes af-
fe£^ions & fes penchans , de l'ordre & de la re*
gle. Il eftaifé de juger là delfus û nous avons
reçu l'Efprit de Dieu , ou fi nous vivons encore
de l'efprit du monde : car au lieu que l'ame que
TEfprit de Dieu poffede , met toute fon atten-
tion à rétablir dans fon cœur par des violences
continuelles 5 l'ordre que des payons injuiics
y avoient troublé 5 ^ qu'elle ne fe pardonne
rien ; l'efprit du monde au contraire -eu un ef-
prit de parefTe & d'immortification , un efprit
d'indulgence ponr^tous nt)s penchans déré-
glés 5 d'attention à les fatisfaire 5 d'habileté à
les jufiifrer , d'amour propre qui les TcgÏQ 5 &
îesretientfur les tranTgreflionsefTentielles pour
s'en épargner les remords , mais qui fur tout
le refle s'y livre , & s'y laiffe entraîner. Si
donc nous ne faifons aucune violence à nos
penchans ; s'il ire nous en coûte rien poirr nous
combattre &: peur nous vaincre ; fi nous ne
foufFroiîs rien pour être à Dieu ; fi la régularité
de notre vie eil peut-être fimplemcnt la fuite
de notre tempérament, ouunebienféanceque
l'âge & le monde lui-mêmiC nous impofe , &c.
nous appartenons encore au monde , & TEf-
prit de Dieu n'efl point en nous.
1 1, Difpofiîion, Venger la juftice de Dieu
que le défordre de nos pîîfîions a outragée ; 8c
404 Analyfes des Sermons,
c'eft là le premier fentiment que rEfprit de
Dieu opère dans une ame renouvellée. Il la
fait entrer dans les intérêts de la juftice divine
contre elle-même ; il la pénètre de la crainte de
fes jugemens; il Tanime d'un faintzele contre
une chair qui afervi à Tiniquité. Pour connoître
donc fî nous avons reçu refprit de Dieu , il n'y
a qu'à rentrer dans notre cœur. Sentons- nous
ce zèle de pénitence , que les larmes , que les
gémilTemens , que les violences ne lauroient
fatisfaire, parce qu'il ne croit jamais lui-même
avoir afTezîatisfait àlajuftice de Dieu ? Hélas 1
tous nos loins fe bornent à flatter une chair que
la Juiîice divine ne regarde plus que d'un œil
d'indignation & de colère ; loin dentrer dans
les intérêts de la juftice de Dieu , nous plaidons
fans cefTe pour nous contre elle-même; c'eft
donc un efprit de chair & de fang qui nous
poiTede , & l'efprit de Dieu n'habite point en
nous.
1 1 I. C A R A c T E R E. Le dernier carac-
tère de rEfprit de Dieu , c'eft d'être un efprit
de force & de courage. Comime c'eft un efprit
qui a vaincu le monde, & quieft plus fort que
le monde , il ne craint pas le monde. Auifi dès
que l'efprit de Dieu eft dèfcendu fur les Apô-
tres auparavant foibles & timides , ils annon-
cent avec une fainte fierté devant les Prêtres
.& les Dodeurs , ce Jefus dont ils n'ofoient
auparavant fe déclarer les difciples : ils fe ré-
pandent dans tout l'univers ; & le monde en-
tier révolté contre eux , ne ifait qu'augmenter
leur fermeté & leur conftance. Et telle eft une
ame pleine cje l'Efprit de Dieu : cet Efprit l'é-
levé au-defTus d'elle- même j il imprime en elle
Analyfcs des Sermons, 405
fes cara£teres divins de liberté & d'indépen-
dance ; il lui fait regarder les grandeurs & les
puiiîances de la terre comme un vain atome,
indigne même de Tes attentions. Aufli rien
n'approche de l'élévation , de la fermeté , de
la noblefié d'une ame que refprit de Dieu poC.
fede : comme elle ne tientplus aumonde 5 elle
ne le craint plus; Tes jugemens &fes déridons
lui font inditïérens : elle ne défère qu'à la vé-
rité; elle n'a point de ces timides complaifan-
ces , dont la piété fouffre 11 fort. L'efprit du
monde au contraire eft un efprit de fouplefle
& de ménagement ; comme l'amour-propre
en eft le principe , il ne cherche la vérité ,
qu'autant que la vérité lui peut plaire; il ne fe
fait honneur de la yertu , que dans les lieux
où la vertu l'honore. Si donc l'efprit qui nous
régit l-i qui nous gouverne , ei\ un efprit de
timidité, & de; compIaifance;fî nous craignons
d'être à Dieu ; fi dans toutes les occafîons , où
il s'agit de fe déclarer pour lui , nous mollif-
fon^ , npusnous ménageons ; fi dès qu'ileft
queftion de déplaire pour ne pas manquer au
devoir^ nous croyons la tranfgrefîîon légiti-
me ; fi la première chofe que nous examinons
dans les démarches que Dieu exige de nous ,
c'eft Cl lemonde y donnera fon fuffrage ; fi nous
paroilfons encore mondains , pour ne pas per-
dre l'eftime du monde ; fi nous parlons fon lan-
gage ; Cl nous applaudilfons à fes maximes ; û
nous nous alfujetti'Tons à fes ufages , en vain
iious nous flattons de conferver dans le cœur
un reile d'amour pour la vérité ; en vain
nous paroiifons ne nous livrer au monde qu'à
regret : détrompons-uous ;> ce n^eft pas i'Ef-
4^6 ^ Analyfcs des Sermons,
prit de Dieu , c'eft refprit du monde qui nous
conduit & qui nous poiTede.
g^ ^ • ^
LE JOUR DE UASSOMPTWN
DE LA Sainte vierge.
Sur les confolations & la gloire de la mort
de la Sainte Vierge,
DIVISION. L Les confolations de la
mort de Marie compcnfent les amertumes
dont fin ame fainte avoit toujours été affligée,
IL La gloire de la mort de Marie répare les hu-
miliations qui Vavoient toujours accompagnée
fui la terre,
L Partie. A trois fortes d'amertumes
qu'avoit éprouvées Marie , répondent trois
fortes de confolations ; à une amertume de
délailfement , une confolation de force & de
courage ; à une amertume de zèle , une con-
folation de paix & de joie ; à une amertume
de defir , une confolation de poiTeiïîon & de
jouiffance.
I. Jefus-Chrift avoit femblé indiiférent en-
vers Marie. Au Temple il paroît blâmer fon
inquiétude , & oublier qu'il a une mère fur la
terre ; à Cana il lui déclare qu'il n'a rien de
comm.un avec elle. Qu'on appelle heureufes
les entrailles qui l'ont porté, il annonce qu'il
n'y a d'heureux que ceux qui entendent la pa-
role de Dieu , & la pratiquent ; qu'on lui dife
que fa mère &: Çqs frères l'entendent, il répond
qu'il ne reconnoîî pour fa meie & pourfes £re-
Analyfes des Sermons. 407
res que ceux qui font la volonté de Dieu. Nous
voyons par-tout Marie éprouvée par des délaif-
fèmens ; elle devoit nous apprendre que cette
voie fî pénible à la nature , eft la voie ordinaire
des âmes pures & parfaites , & que plus Dieu
veut fe les unir par une foi vive & fervente ,
plus îi les prive des confolations humaines ;
mais il étoit jufte que la préfence vifible de
Jefus-Chrift fût la première confolation de
Marie à fa mort ; & qu'il fe hâtât d'autant
plus de venir fe montrer à elle , qu'il avoitparu
prefque toujours fe refufer à fes empreffe-
mens,
1, Le zèle de Marie lui caufoit une féconde
forte d'amertume. Elle voyoit avec douleur
l'inutilité des inflru^tions & des miracles de
Jefus-Chrift , les pièges que lui tendoient fes
ennemis , la défection de fesdifciplesmêmiCs ,
l'end urcilfement des Juifs , leur réprobation
&leur perte; il falloit quelle apprît aux âmes
judes à s'occuper aux pieds des autels des
maux & des befoinsde TEglife , &: àfolliciter
les grâces du Ciel pour leurs frères pécheurs
& impénitens ; mais ce zèle de douleur qui
avoit rempli le cours de la vie de Marie , de-
voit fe changera fa mort en une confolation de
paix & d'allégrefTc. Elle voit à découvert les
raifons de la fagefie divine fur les événemens
qui avoientcontrifté fa tendreilé 5 l'utilité des
opprobres de fon Fils , les avantages de la
haine même des Juifs envers lui , les Gentils
appelles , les Rois convertis , les Philofophes
déCabuiés j la P.eligion trioniphante. C'efl
ainfi qu'au lit de la niort une an:ie jufte voit
que tout avoit fon utilité dans les voies par où
4o8 Analyfes des Sermons,
Dieu Ta conduite; que les difgraces , les afflic-
tions, les contradidions , les perfidies , &c.
tout étoit pour elle entre les mains du Seigneur
des moyens de fan£i:ification; alors au con-
traire ceux qui n'ont travaillé que pourle mon-
de 5 reconnoilUent que leur vie n'a été qu'une
enfance continuelle , ^ fe repentent , mais trop
tard , d'avoir fi mal placé leurs foins & leurs
peines.
3. La dernière amertume de Marie avoit
été une amertume de defir. Séparée de Jefus-
Chrift 5 l'unique objet de fon am.our , tous fes
vœux 5 toutes (es penfées , tout fon cœur fut
dans le Ciel : fans celfe elle fe plaignoit de la
durée de fon pèlerinage , elle mouroit tous les
jours d'amour & de trifteiTe. Nous ne fentons
pas jufqu'où alloit l'excès de fes peines 5 nous
que mille liens attachent encore à la terre ; nos
dégoûts de la vie font des dégoûts de nos paf-
fîons , des recherches de nous-mêmes , un
dépit de ne pouvoir trouver dans le monde
aucun objet capable de fatisfaire notre cœur.
Parmi les âmes mêmes confacrées à Dieu , il
en eft peu qui fentent la trifteffe de cet exil ; on
fent la durée de fa croix & la triftelTe de la ver-
tu ; les grandes fources des larmes des Saints
n'entrent pour rien dans notre piété Mais
l'ame pure de Marie fentoit toute la défolation
qu'infpireun amour violent lorfqu'il eft féparé
de ce qu'il aime : auffi fa mort n'eft que le ter-
me de fes foupirs , la confolation de fa ten-
drefîe ; fon cœur va fe réunir à l'objet de fon
amour ; elle va voir dans fa chair fon Sauveur,
qui en étoit le chafte fruit. Quipourroit expri-
mer les tranfports da cœur de Marie à la vue
de
, - _ A^<^lyfif des Sermons. 409
de fon FiJs glorieux ! ce font des fecrets que
le langage des hommes ne peut faire compren-
dre : ce qui nous regarde , c'eft que la moi t ne
lepare le Juite que de ce qu'il n'avoit jamais
aime ; & que dès-lors il meurt , pour ainfi di-
re , bien moins que le Pécheur, qui mourant
a rnille objets auxquels il étoit attaché, fouffre
mille morts dans une feule.
IL Partie. A trois fortes d'abaiffemens
remarquables dans la vie de Marie fuccede
aujourd'hui une triple gloire : à un abailfe-
ment de privation , une gloire d'élévation &
d excellence ; à un abailTement de dépendan-
ce , une gloire de puifîance & d'autorité ; à
un abailTement deconfuiion & de mépris, une
gloire de vénération & d'hommage.
I. On voit dans la vie de Marie une fuite
non interrompue de privations triftes & humi-
liantes. Elle étoit née du fang de David ; le
privilège de fa grâce avoit prévenu celui de fa
naiffance , qWq étoitvierge dans fa fécondité :
enfin elle étoit Mère de Dieu : aucun de ces
titres n'a paru en elle tandis qu'elle a vécu fur
la terre ; ilsonttousétéouobfcurcis , ou igno-
res , ou même démentis en apparence : qWq
porte avec joie ce dépouillement ; & il ne Ipi
échappe rien qui puilfe trahir le fccrer de foa
humilité. Tout fon foin avoit été defeconfoa.
dre avec les autres mères dlfraèl ; aujourd'hui
toute 1 attention de Dieu efî de la àiïtiiiou^r
par un privilège fingulier. Sa chair n éprouve
point la corruption ; elle monte au ciel triom-
phante & glorieufe , pour s'y affeoir à côtéde
ion f^ils au-dejllis de toutes Iqs Principautés 6c
de toutes les Pulifances ; voilà le jui^eprix que
4IO Analyfcs des Sermons. ]
Dieu réfervait aux privations humiliantes de
la vie de Marie. Hx^ias ! nous n'imitons point
fon humiliié perfévérante : nous nous mon-
trons par tous les endroits propres à nous dif-
tinguer : lors même que revenus de nos égare-
inens , nous avons pris le parti d'une vie chré-
tienne , nous voulons que le monde conferve
lefouvenirde nos talens & de nos avantages:
nous fommes flattés qu'il faiTe valoir par-là no.
tre facrifice : & nous aimons à voir louer en
nous , avec les merveilles de la grâce , les ta-
lens de la vanité jufques dans les Cloîtres : on
reprend d'une main un vain étalage qu'on
âvoit femblé facrifîer de l'autre ; & on veut
retrouver dans le féjour de l'humilité , les dif-
tincrions qu'on avoit méprifées dans le monde.
2. Marie pendant fa vie mortelle avoit tou-
jours chéri la dépendance: foumife aux volon-
tés de Jofeph, attachée aux ordres & à ladef-
tinée de fon Fils , confiée au Difciple bien-
aimé , & le regardant comme l'arbitre de fa
conduite ; paroiifant à la fuite des Difciples
après la mort de Jefus-Chrift comme une autre
aes femmes fidèles , n'affe^ant aucune préé-
minence , aucune autorité , fe comportant
comme une fimple fille de TEglife^elle qui en
étoit la protedrice & la mère. Aujourd'hui elle
reprend dans le Ciel la puillance qu'elle n'avoit
pas voulu exercer fur la terre , elle eft établie
fous JefusChriftla médiatrice des Fidèles, la
dil^ributrice des grâces ; il veut que nous nous
adrefTions à elle pour tout obtenir de lui. Ce
n'eft pas qu'il fuffife de lui rendre quelques
hommages pour affurer fou falut : le falut eft
le prix de l'obiervance feule de la Loi de Dieu.
Anaiyfis des Sermons, 41 î
Marie regarde comme ennemis de Ton Fils
ceux qui aiment le monde , qui fe livrent aux
defirs de la chair^, qui tranfgreiTent fes volon-
tés faintes , qui n'ont point gravé dans le cœur
l'amour de ce divin Fils & de fa vérité. Marie
ne peut être contraire à Jefus- Chriil : fa puif-
fance ne peut renverfer Tœuvre de FErangile :
cllaeftla relTource de nos néceilités ;mais elle
n'eiîpas la protedrice de nos paflions : elle
n'airne dans fes ferviteurs que les vertus qui
la rendirent elle-même agréable aux yeux db
Dien,
3. Le dernier abailTement de Marie avoit
été'un abaiffement de mxpris Sc-de confuaon.
Elle avait porté dans le liîence la honte dû
foupçon de Jofeph : elle s etoit foumife com-
me J. C. à porter quelque temps la reffem-
^•blaace du péché, & à faire un facriiSce de
fou innocence a.ux ordres inconnus & adora-
bles de la fageiTe divine. Voilà pourquoi fa
..rnort efl fùivie d une gloire de vénération &:
d'hommage. Les hommes Apofloliques lui
adrelTerent des vœux : fon culte s'établit à
mefure que la foi fe répandit fur la terre.
,En vain Terreur lui difputa l'auguilè qualité
^de Mère de Dieu ; des Conciles s'aiTem.bÎp-
lentpour îaiiTer à lapoflérité dans leurs décl.
fions les titres de leur refpeft envers Marié.
Les Villes & les Empires fe mirent fous fa'
protedion : nos Provinces frappées de la main
de Dieu , virent tomber par fon entremife le
. glaive qui les châtioit ; & un de nos Rois fit ,
.pour immortallfer ce bienfait, un hommage
public de tout fon Royaume à cette Reine des
: Cieux qui veiioit de le confervcr. Que la mort
Si
412, Analyfes des Sermons,
du pécheur eft différente de celle de Marie !
elk lui ravit tout ; elle le dépouille de tout :
feul aux prifes avec elle , il tend en vain les
mains aux créatures qui lui échappent ; tout
ce qu'il avoit cru réel & folide s'évanouit ;
tout ce qu'il avoit cru frivole & chimérique ,
fe montre ^ fe réalife ; fon malheur lui donne
de nouvelles lumières, mais ne lui donne pas
un nouveau cœur ; il meurt détrompé , fans
mourir changé.
S^ 1 S3S^== g»
LE JOUR DE LA VISITATION.
Sur les ohjhidcs que notre amour propre oppofc
à la grâce,
IvisioN. Notre amour propre oppofe
prefque toujours trois obftacles à la grâ-
ce : premièrement, une faufTe bienféance ; fe-
condement , la difficulté de la vertu ; ou bien
troiiiémement, une faulfe perfuafion que nous
pouvons ufer d'adouciffemens dans la voie du
falut. Or Marie entreprenant ce voyage toute
feule 5 nous confond , premièrement , fur ces
raiibns infinies de bienféances qui ne nous per-
mettent pas de fuivre l'attrait du Ciel. Marie,
m.algré la délicateffe de fon âge , de fon fexe ,
allant joindre Elizabeth à travers les monta-
gnes &les chemins les plus difficiles, condam-
ne , fccondement , notre lâcheté , que la dif-
ficulté de la vertu effraye & retient dans le vi-
ce. Enfin Marie fe hâtant toujours malgré la
longueur du voyage , nous apprend , troifîé-
mement , à ne pas adoucirpar nos lenteurs 5c
D
Analyfcs des Sermons, 413
nos ménagemens la rigueur de la voie évan-
gilique.
I. Partie. Premier obftacle que nous op«
pofons à la grâce, une faulTe bienféance. Il eft
dès crimes dont le monde lui-même rougit, &
qu'il condamne hautement ; mais il eil: des vi-
ces moins odieux, des défordres plus heureux,
qui femblent avoir prefcriî contre l'Evangile,
& que le fiecle place honorablement parmi les
vertus. Orceft de lafauiTe idée qu'on attache
à ces prétendues vertus , que naiiTent ces
égards li peu chrétiens, ces frayeurs coupables
qui font que nous rougiflbns de Jefus-Chrift :
on n oie ne pas Ce conformer à des ufages qui
ont prévalu : on ne veut point condamner le
monde par des Tingularités attestées. La con-
duite de Marie a de quoiconfondie le monde
fur un point auiVi important : ellequirte Naza-
reth pour aller rendre viiite à Eiizabeth : com-
bien de raifons une fauiîe bienféance &c la
crainte des difcours du monde lui eût- elle fug-
gérées pour fe diipenfer de ce voyage. Pre-
miérem.ent , elle n'eft inftn:ite de la groirefie
d'Eiizabeth que par un Ang:- ; or croira-t-on
fur fa parole qu'elle ait reçu cette ambalîade
célefte? Secondement, fortie du fang des
Rois de Juda , & depuis peu devenue Mère
de^ Dieu , n efi-il pas contre la bienféance
qu'elle aille s'abaidér envers une femme fi fort
au-deilbus d'elle? Troifiémement , les loixde
la pudeur ne s'oppofent-elles pas à un voyage
fi long & û périlleux ? mais ces raifons n'ar-
rêtent pas Marie. Pour nous , hélas ! nous
n'en cherchons pas même de fi plaufibles pour
Dous étourdir ; &: les plus mauvais prétextes
S3
414 Analyfes des Sermons.
iuMcnt à notre amour- propre. La crainte de
nous donner du ridicule dans refprit du monde
efttoujourspournousuneraifonfufîifantepour
nous difpenfer des loix de FEvangiie : mais
quel ell notre aveuglement ! nous ne voulons
pas d'une piété qui fe faffe remarquer , & qui
nous mette fur le pied d'homm.e extraordi-
naire ? mais fi la contagion ell univerfelle , pou-
vons-nous nous en fauver, fans être finguliers?
Détrompons-nous : les Saints ont toujours pâl-
ie pour gens finguliers , parce que la vie corn-
mune ne fauroit être une vie chrétienne ; cl
c'eftune illufion groffiere de s'imaginer que
l'on a toujours des raifons d'oJTenfer Dieu, &
qu'on n'en a iamais de revenir à lui & de le
fervir : de-là il arrive que tous les momens de
îa grâce nous échappent. Mille fois Dieu nous
a avertis , follicités , importunés ; nous n'a-
vons eu que la crainte des vains difcours dii
monde à lui oppcfer : craignons qu'il ne felalfe
enfin de fes pourfuites & de nos rebuts. Notre
converfion ne dépend pas de nous , mais &c
Dieu ; & nous ne fommes pas aiîurés de r a-
voir à notre gré les grâces offertes que nous
aurons refufées. Mais de plus , nous qui fom-
mes fi éclairés fur les bienféances , lorfque par
nosdiiîblutions nous étions lefcandale de no-
tre Ville , la bienféance étoit-elle un frein aiiez
puiiTant pour nous arrêter ? Ce n'eft donc qu'a-
vec Dieu que nous fommes timides oc cir-
confpefts ; & nous n'excédons en précautions
que lorfqu'il s'agit de le fervir ! Sentons la-
delfus toute finjuiftice de notre conduite ?
II. Partie. Difficulté de la vertu :^ fé-
cond obftacle que l'amour propre oppofe à la
Analyfes des Sermons, 415
grâce. Il eft des gens qui vivement frappés de
l'idée qu'ils Te font de la perfection chrétienne ,
ne vieillirent dans l'iniquité, que parce qu'ils
ne comptent pas pouvoir jamais atteindre à la
véritable juftice : illufion dangereufe qui ou-
trage la grâce du Sauveur ; comme (i quel-
que chofe lui étoitim.pofTible. Or la conduite
de Marie nous fournit aujourd'hui de quoi dé-
tromper le iiecle fur cette illufion. Sans trop
réfléchir Cuv fd propre fûibleife , elle va à tra-
vers les montagnes les plus inacceiîlbles lAbiit
in montiina.
Je Cqus toute ma foibîefTe , dites-vous; je fais
que la vie chrétienne cii une profeiîion publi-
que de pénitence , qu'il faut porter fa croix &
le renoncer fci-meme pour être Difciple de
Jeflïs-Chriit ; je le fais ^ & c'eit juitcment ce
qui me fait défefpérer d'être j.unais homme de
bien 5 parce que je fens que quoique j'aie hor--
reur du crime , je ne faurois jamais me gagner
là-delïïis. Mais , ô homm.e ! quel eu: ici ton
égarement ! tu fens ta foibleiîe & ton impuif-
fance ; mais entends ces paroles du Sauveur :
Ventià mol , vous tous qui ctcsfoihles ùfitti-
gués ^ & je vous fouUigsniL Voilà où tu ciels
chercher la force qui te manque.
C'eflla difficulté de l'entreprife, dit2s-vous ,
qui vous arrête. Ah ! s'il falloiî comme au-
trefois vous expofer à la fureur des Tyrans
pour la foi de Jeais-Chriil, vous auriez quel-
que fujet de trembler à la vue de votre toi-
bleife 5 quoique vous duiTiez dire alors avec
l'Apôtre : Je puis tout en celui qui me fortifia.
Mais qu'exige-t-on de vous à préfent ? le (eut
facrifîce de vospaHions : & vous facrifîez foi-
S4
41^ Analyfes des Sermons.
lement Vefpévance d'une éternité de bonheur
à votre molleile & à votre lâcheté , bien dif-
férent en cela des Fidèles des premiers temps,
que les plus cruels fupplices ne pouvoient fépa-
rer de Tamour de Jefus Chrift , & maaintenant
ou croit qu'il en coûte trop pour être Chré-
tien 5 quand il en coûte un feul plaifir , comme
fi le Dieu que nous adorons étoit devenu
moins digne de nos empreiTemens.
Et d'ailleurs vous vous figurez des amertu-
mes dans le parti de la vertu : mais fo}ez de
bonne foi : expofez-nous naïvement tous les
défagrémens qui accompagnent la vie du fie--
de ; que ne direz- vous pas , & que ne dit-
on pas en effet là-defTus tous les jours dans le
m.onde ? à combien de chagrins alFreux la vie
du fîecle n'expofe-t-ellc pas ? Et quand on
parviendroit à les éviter , le pécheur peut-il s'é-
viter lui-miême ? il a beau s'étourdir ; il porte
partout un fonds d'inquiétude qui le reveille
même au milieu des joies & des amufemcns :
c'eft là-defTus que roule le fîecle ; on le fent ,
on s'en plaint , & on s'y aime : on fe familiarife
avec des chagrins que rien ne partage , dont
rien ne dédommage ; & on frémit au feul fou-
venir des faintes rigueurs de l'Evangile , que
la foi confole , que refpérance foutient , que
la charité adoucit.
Mais pour confondre l'iniquité par l'iniquité
elle- m^ême, dites-moi, je vous prie, un homme
livré à l'ambition ou à la volupté , fe laifTe t-il
rebuter par les difficultés qu'il trouve fur fon
chemin ? Ah ! craignons que l'ambitieux & le
voluptueux ne nous confondent devant le tri*
bunal de Jefus- Chrift , furies excufes que nous
Analyfes des Sermons, 417
alléguons pourjuftifier notre foibleffe dès qu'il
s'agit du falut.
III. Partie. Une autre erreur qui
règne dans le monde fur la difficulté du falut ,
c'eil de fe perfuader que le falut ne renferme
pas de il grandes difficultés. Des perfonnes
nées avec un caractère tranquille & uni , ne
croient rien trouver dans l'Evangile qui gêne
trop l'amour propre ; & tranquilles fur leur
falut 5 elles plaignent l'égarement des pécheurs
qui refufent de fe fauver prefqu'à moins de
fiais que l'on ne fe damne. Illufion grof-
fîere , injurieufe à la croix de Jefus-Chrift ,
& que l'exemple de Marie confond pareille-
ment , puifque fans examiner fi Ton peut arri-
ver à la Cité de Juda par des chemins moins
rudes &c moins fatiguans ,elle choilit fans dif-
férer la voie la plus pénible : par-là elle nous
apprend qu'il faut qu'il en coûte pour fe fau-
ver , & que le Royaume des Cieux ne peut
être le prix que des violences continuelles que
nous aurons exercées fur nous-mêmes. Ce-
pendant le monde eft plein de ces fauifes ma-
ximes en matière de religion , que l'auftérité
des Cloîtres eft fainte , mais que tout le monde
n'y eft pas appelle ; que puifqu'il y a plufieurs
demeures dans la maifon du Père célefle , pour
ne pas mériter les premières , il ne s'enfuit pas
qu'on doive être exclus de toutes les autres ;
enfin , que l'Evangile ne défend pas les joies
honnêtes : & là-deflus , pourvu qu'on ne donne
pas dans les excès les plus crians , on fe croit
dans le bon chemin, parce qu'on n'eftpas en»
core au fond du précipice.
Mais fur quoi l'efprit humain ne peut-il pas
41 8 Analyjes des Sermons^
feféduîre5puirqu'il a pu prendre ici le change?
Car enfin on ne peut rien ajouter aux précau-
tions que la fagefTe divine a prifes, pour faire
fentir aux hommes que les croix & les fouf-
frances leur fontaufliindirpenfables que le fa-
crement qui les régénère. Ce qu'il y a d'éton-
nant, c'eft que non-ieulementle fîecle, mais
ceux mêmes qui font profeiTlon de piété 5 fe
font illufion ià-deifus , & chacun fe fait un
Evangile à part où il trouve le fecret de faire
entrer {es foibleiTes , parce que Fefprit de la
Religion eft peu connu par ceux mêmes qui
paflent pour en pratiquer les maximes.
^ , ^ g;^— __, ■— S^
DISCOURS
Sur Vefprit dans lequel il faut pratiquer les
œuvres de miféricorde,
POur bien pratiquer les ouvres de miféri-
corde 5 il y a trois règles à obferver,
I. Règle. Cejl quilfaut les regarder com-
me des devoirs que nous acquittons, "Etï e^tt y
c*eft une méprife alTez ordinaire parmi les per-
fonnes confacrées aux œuvres fainîes, de fe fi-
gurer que ces pieufes occupations ne font pas
renfermées dans le devoir. L'amour propre
favorife d'autant plus cette erreur , que Tac-
compliffement du devoir tout feul n'a rien
qui nous flatte , parce qu'il n'a rien qui nous
diftingue ; au lieu que les œuvres furajou-
tées 5 en nouslaifiant plusdefingularité , nous
laiiîent auflî plus de compiaifance. Cependant
Analyfcs des Sermons, 419
il s'en faut bien que la Foi ne mette les offices
de chanté rendus à nos frères , au rang des
œuvres furajoutées ; elle ne connoît pas de
devoirs plus facrés & plus inviolables. En ef-
fet , premièrement , le précepte de l'amour
du prochain , fi eiïentiel à la Foi , ne fe borne
pas à nous défendre feulement de nuire à nos
frères : ce n'eft rien pour la loi de la charité ,
de ne point haïr ; il faut qu elle aime ; c'eft-à-
dire, que dans la Religion de Jefus-Chrift
vous êtes injufte , fi vous n'êtes pas bienfai-
fant ; vous haïfTez votre frère affligé , fi vous
ne le fbulagezpas , lorfque vous le pouvez. Ce
ne{^ donc pas ici une œuvre defurcroîî, dont
le zèle puilTe s'applaudir ; c'eft une loi com-
mune impofée à tout Fidèle , qui par les liai-
ions intimes & facrées que nous avons coii'
traélées au baptême avec tous les Chrétiens,
ne lui permet plus d'en regarder aucun comme
étranger à fon égard , mais l'oblige de les re-
garder tous comme Ces frères , comme l^s
membres d'un même corps , dont aucun ne
peut fouffrir , fans qu'il fouffre avec lui. Se-
condement 5 plus vous êtes élevés dans le fiQ-
cle 5 plus votre obligation efi ici rigoureufe.
La profpérité & l'abondance des biens de la
terre ne vous difpenfe ni de la frugalité , ni de
la fimplicité , ni de la violence évangélique ;
cette vérité fuppofée , quel a pu être le def-
fein de la providence , en répandant fur vous
les biens de la terre ? Seroit-ce de vous four-
nir les moyens de fatisfaire toutes vos pafiions?
Non , fans doute : vous n'êtes donc dans les
defTeins de Dieu que les minifires de fa pro-
vidence envers les créatures qui fouffrent :
4^0 Analyfes des Sermons.
votre abondance n'eft donc que la portion de
vos" frères affligés ; & Dieu vous auroit ré-
prouvés 5 en répandant fur vous les biens de
la terre , s'il vous les avoit donnés pour un au-
tre ufage que pour le foulagement des mal-
heureux. Troifîémement , pour vous en par-
ticulier qui m'écoutez , indépendamment de
I obligation que vous impofe là-deffus la Re-
ligion 5 & le rang que vous tenez , les faintes
occupations de la miféricorde n'en font pas
rnoins des devoirs indifpenfables. En premier
lieu , qui que vous foyez , qui marchez aujou-
d'hui dans des voies faintes , vos mœurs ont-
elles toujours été réglées par la Loi ? vos
exemples n'ont-iîs pas été autrefois un modèle
de luxe , de plaifir & de miOlîeiTe ? Eh ! ne
faut- il donc pas qu'aujourd'hui des exemples
contraires réparent le fcandale? En fécond lieu,
lorfque vous ne connoifliez rien de grand que
le m.onde & fes vanités , n'avez-vous pas peut-
être donné du ridicule à la piété par des dé-
ridons injuftes ? n'avez-vous pas regardé les
offices publics de m.iféricorde , comme des
indifcréîions de zeîe , ou comme des empref-
femens de vanité , loin de refpe61er les per-
fonnes qui s'y confacroient ? Il faut donc que
vos œuvres publiques rendent à la piété l'hon-
neur que vos déridons profanes lui avoieiit
été; & que vous pratiquiez vous-même ce
que vous avez Ç\ injuftement blâmé dans les
autres Fidèles. En troifieme lieu , vous faifiez
fervir autrefois vos richelTes , qui font des
dons de Dieu , à l'iniquité ; comment voulez-
vous réparer cette injuftice , que par de fain-
tes profufions & des largeifes plus abondantes ?
Analyfcs des Sermons. 411
enfin 5 dans cette première faifonde votre vie
que vous avez confacrée au monde & à fes er-
reurs , la félicité de vos fens étoit alors votre
unique aftaire : il faut donc aujourd'hui vous
appliquer à les crucifier ; aller dansces lieuxfe*
crets , dans ces maifon défolées , où l'indi-
gence cache tant de mifere ; vous approcher
des La2arespuans& couverts de plaies; &
malgré les frémiflemens fecrers de la nature ,
ne pas refnfer votre miniftere & le fecours de
vos mains à leurs befoins extrêmes.
La II Règle à ohfcrver dans la pratique
des œuvres de mifcricorde j ejî que non-feulement
il faut les regarder comme des devoirs que nous
acquittons , muiis encore en faire des remèdes
journaliers contre nos foihleffes de tous les jours.
En effet, les œuvres extérieures de la piété n'ont
de mérite devant le Seigneur , qu'autant qu'el-
les fervent à perfectionner notre homme in-
térieur. Cela étant , fouîager nos frères , les
revêtir , les vifiter , les confoler , les fervir
même , n'eft encore que le corps de la piété :
C€ font les offices du Chrétien ; ce n'eft pas le
Chrétien lui-même. Il faut donc que la vertu
croifle &: fe purifie dans ces devoirs publics
de miféricorde , & que chaque œuvre fainte
ferve à affoiblir en nous quelqu'une de nos
paffions ; c'eft-à-dire 5 que pour entrer dans
l'efprit de la Foi fur la pratique des œuvres
charitables , il faut , avant de s'y engager ,
examiner fur les yeux de Dieu quels font en-
*core nos penchans déréglés , & choifir les
/'ceuvres de miféricorde les plus propres à les
déraciner de notre cœur ; en un mot , faire
'^ de ces œuvres les exercices des vertus qui
4Z2. Analyfcî des Sermons,
nous manquent. Car les œuvres de la piété
nafont faintes , qu'autant qu'elles nous fan(^i-
fient i & elles ne nous fan<^ifîent qu'autant
qu'elles nous corrigent.
Or 5 on viole cette règle de la piété en deux
manières : premièrement, de tous les offices de
miféricorde^nous choifiiTons prefque toujours
les plus conformes à notre goût , à notre ca-
ra£îere , à nos penchans. Ce n'eil pas qu'il
faille rélifter à ces penchans heureux , qui in-
clinent notre ame à la miféricorde ; ou qu'on
remplille ces pieux devoirs fans mérite , dès
qu'on les remplit fans répugnance : au con-
traire 5 la Foi fait faire fervir la nature à la
grâce. Mais il faut prendre garde de ne pas
borner tous nos efforts à fuivre ces penchans ;
car la piété va bien plus loin que la nature.
Secondement , la féconde manière de violer
cette règle , eft encore plus coupable : non-
feulement on fe borne à une vertu toute na-
turelle 5 & les œuvres de miféricorde que l'on
choifît , font toujours celles qui ne coûtent rien
à l'amour propre , & qui ne nous corrigent ja-
mais de nos foibleffes ; mais encore elles ne
fervent fouvent qu'à nous y entretenir. En ef-
fet, combien de ces âmes abufées , qui dans
une vie toute mondaine , toute fenfuelle , tou-
te profane , fe raifurent fur quelques pratiques
de miféricorde , & fur l'abondance de leurs
largefies. Ah 1 le Seigneur n'a pas befoin de
nos biens ; mais il demande notre cœur, La
miféricorde aide à expier les crimes dont on
fe repent -, mais elle ne juilifie pas ceux que
l'on aime.
La III Règle ccnfijlc à prcndrs garde
Analyfcs des Sermons, 423
qull ne fc mêle rien cV humain dans rintentionj
Ù ({ue la vue des hommes , cachée au fond de
nos cœurs y (j prefque imperceptible à nous-
mêmes , ne nous faffe perdre devant Dieu tout
le mérite de la miféricorde.
Je vous dis avec faint Auguftin : Vous êtes
ici devant Dieu ; interrogez votre cœur ; fon-
dez-en les vues ies plus fecrettes , 6c voyez
quels ont été jurqu'ici les motifs les plus réels
de toutes ces actions extérieures. Voyez fi les
œuvres fecrettes réveillent auiîi vivement vo-
tre zèle , que celles qui font publiques. Voyez
fi dans celles où l'éclat eft inévitable , vous êtes
bien aife qu'on vous oublie & qu'on vous con-
fonde dans la foule des perfonnes qui s'y em-
ploient. Voyez Il les entreprifes pieufes que le
monde blâme , ne vous trouvent pas un peu
indifférent ; en un mot , fi c'ell vous même, la
gloire des hommes, ou votre falutque vousy
cherchez. On ne fauroit croire , conîimie faint
Augullin 5 combien d'œuvres faintes , fur lef-
queîies nous comptons ici-bas , feront un jour
rejettées^lorfque le Seigneurviendra juger les
juflices ; combien de fruits de la charité , lorf-
que nous croirons en paroître devant lui les
mains pleines,, fe trouveront gât s par le ver
fecret d'une dangereufe complaifance.
Fin des Analyfes,
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