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^~7PlM*-rt^/<:j^*^ yéC yU XA^ ^^
SERMONS
D E
Mo MASSILLON-,
E V É QU E
BE CLERMONT,
Ci' devant Prêtre de t Oratoire ,
VUN DES (lUARANTE DE l'ACADÉMII
Françoise.
•■■
C A R £ M E.
TOME TROISIÈME
ssz
4^
A PARIS, RUE 5. JACdUESy
EUVE ESTIENNE & FiLS , à la Vc
E T
Hérissant , à S. Paul & à S. Hilaîr»;
C LA Veuve Estienne & Fils , à la Vertu;
Cbez C et
C Jean
M. DCC. LX IX.
Av4Ç Approbation & PriviUgi du Rçi»
SERMONS
CONTENUS DANS CE TROISIÈME.
VOLUME.
POuR le Jeudi de la IIL Semaine
de Carême , Sur V incertitude de la.
juftice dans la Tiédeur , Page i
Pour le même jour , Sur la certitude d'une
chute dans la Tiédeur. 3 S
Pour le Vendredi de la IIL Semaine , La
Samaritaine» 7^
Pour le IV. Dimanche de Carême , Sut
V Aumône. lii
Pour le Lundi de la IV. Semaine , Sur
la Médifance. idi
Pour le Mardi de la IV. Semaine , Des
Doutes fur la Religion, 208
Pour le Mercredi de la IV. Semaine, Sur
tinjufiice du monde enyers les gens de
iien > 251
Pour le Jeudi de la IV, Semaine , Sur
h mon. 298
Pour le Vendredi de la IV. Semaine ;
Homélie Sur r Evangile de Laiare , 336
Pour le même Jour , Sur Us Fautes lé-
gères. 383
;^VX4
<:^l£0'^
SERMON
SERMON
POUR LE JEUDI
DE LA TROISIEME SEMAINE
DE CAREME.
^Sur i* incertitude de laju/lice dans la tiédeur^
Surgens Jefus de Syiiagoga , iiitroivitin.
domum Simonis ; focrus autem Simoai»
tenebatiir magnis febribus.
Jefiis étant forti de la Synagogue , enîra^
dans la maifcn de Simon , dont la hslle-mere
éiyoit une grojje fiéyre, Luc. 4 38.
I E N ne repréfente plus au
naturel l'état d'une ame tiède
ÔC languiflante , que l'état d'in-
firmité , eu l'Evangile nf.us
dépeint aujourd'hui la belle-
Uiere de Saint Pierre. On peut dire que la
Carèmç ^ Tome IIL A
2 Jeudi de la III. Semaine/
tiédeur 6c rindolence dans les voies de
Dieu , ""accompagnée (Time vie' d'ailleurs
exempte de grands crimes , efl une forte de
£évre fccrcîte ÔC dangereufe, qui mine peu
à peu les forces de Tame, qui altère toutes
fes bonnes difpofitions , qui affoiblit toutes
fes facultés, qui corrompt infenfiblement
tout l'intérieur, qui change fes goûts 5cfes
'f)enchans , qtii répand une amertume uni-
veifelle fur tolis les devoirs , qui la dégoûtô
de tout bien , 6c de toute nourriture fainte
ti utile , qui confume de jour en jour fa
vie Se fa fubUance , 5c finit enfin par un©
cxtindion entière , 5c une mort inévitable.
Cette langueur de l'ame dans les voie»
dufalut,eft d'autant plusdangereufe qu'elle
eftmoinsapperçuë.L-'exemtiondudéfordre
dans cet état d'infidélité nous railure : la
régularité extérieure de la conduite, qui -
nous attire de la part des hommes tous les
•éloges dûs à la vertu , nous flâte : le paral-
lèle fecret que nous faifons de nos mœurs-
avec les déréglemens de Ces pécheurs dé-
clarés que le monde 6c les pafiions entraî-
nent , achève de nous aveugler ; 6C nous
regardons notre état,comme un état moins
parfait , à la vérité , mais toujours sûr pour
le falut , puifque la confcience ne nous y
reproche qu'un fonds de pareffe , de négli-
gence dans nos devoirs, d'immortification,
d'amour de nous-mêm.es, 6c des infidélités
légères qui ne donnent pas la mort à l'amiC»
Cependant,puîfque les Livres faintsnous
repréîenteiit comme ésaiementrejettéesde
Sur là Tiédeur; y
Dîelt , 8c lame adultère ÔC Tame tiède , Sc
qu'ils prononcent le même anathême , &C
contre celui qui méprife l'œuvre de Dieu ,
ÔC contre celui qui la fait avec négligence;
il faut que l'état de tiédeur dans les voies
de Dieu , foit un état fort douteux pour le
falut , 5c par les difpofitions préfentes qu'il
met dans l'ame , & par celles où tôt ou
tard il ne manque pas de la conduire.
Je dis , premièrement , par les difpofî-
tions préfentes qu'il niet dans l'ame ; fa»
voir , un fonds d'indolence ^ d'amour de
foi-même , de dégoût de la vertu , d'infî-
, délité à la grâce, de mépris délibéré de
tout ce qu'on ne croit pas elTentiel dans les
devoirs : difpofitions qui forment un état
fort douteux pour le falut.
Secondement, par celles où la tiédeur
nous conduit tôt ou tard , qui font l'oubli
de Dieu , ÔC une chute groiîiére 6c dé-
clarée.
C'eft-à-dire , que je me propofe d'établir
deux vérités capitales en cette matière , qui
font fentir tout le danger d*une vie tiède ÔC
infidèle , ÔC qui , par leur importance, nous
fourniront le fujet de deuxdifcours difFè-
rcns. La première, c'eft qu'il eft fort dou-
teux que l'ame tiède confervedans cet état
habituel de tiédeur , la grâce fanftiiiante ,
êc la juftice qu'elle croit conferver , 6C
fur laquelle elle fe raffure. La féconde ,
c'eft que quand même il feroit moins dou-
teux fi elle conferve encore devant Dieil
ia grâce faii£iifiante , ou fi elle l'a perdue.
I . Joan
4 Jeudi de la III. Semaine.
il eft certain du moins qu'elle ne fauroit
la conferver long-tems.
L'incertitude de la juftice dans la tié-
deur : cette première vérité fera le fujet de
ce difcours.
La certitude de la chute dans la tiédeur ,
féconde vérité fur laquelle je vous inilruirai
dans le difcours fuivant. Implorons , 5Cc»
ij i ^ous dijivns que nous femmes fans /e'-
ché y dit un Apôtre, nous nous féduifcns
nous-mêmes y Ô' la réritc ncjî point en nous*
La vertu la plus pure n'eft donc jamais ici-
bas exemte de taches : l'homme , plein de
ténèbres & de paifions depuis le péché , ne
fauroit être toujours, nifi attentif à l'ordre,
qu'il ne fe méprenne quelquefois , 6c ne
s'en écarte ; ni ii touché des biens véritables
& invifîbles , qu'il ne fe laifFe quelquefois
furprendre'par les biens apparens , parce
qu'ils font nir nos fens des imprefTions vi-
»es 6c promptes , 6c qu'ils trouvent dans
nos cœurs des penchans toujours favora-
bles à leurs dangcreufes fédudions.
La fidélité que la Loi de Dieu exige des
âmes juftes-, n'exclut donc pas mûlleimper-
fe£lions inféparables de la condition de no-
ire nature , & dont la piété la plus attentive
ne peutfe défendre ; mais il en eft de (XQuyi
fortes : les unes qui échappent à la fragilité,
qui font bien moins des infidélités que des
furprifes , où le poids de la corruption a
plus de part que le choix de la volonté ,5<
^QUe le Seigneur , dit S. Auguftin y laiffe
Sur la Tiédeur: 5
aux âmes les plus fidèles, pour nourrir leur
humilité , pour exciter leurs gémiiTemens,'
pour rallumer leurs déiirs , le dégoût de
leur exil , & Tattente de leur délivrance :
les autres font celles qui nous plaifent- que
nous nous juftifions à no^is-mêmes, auf-
quelles il ne nous paroit pas poffible de re-
noncer , que nous regardons comme des
adouciiïemens nécelTaires à la vertu , où
nous ne voyons rien de criminel , parce
que nous n'y voyons point de crime , qui
entrent dans le pkn délibéré de nos mœurs
& de notre conduite , 6c qui forment cet
état d'indolence 5c de tiédeur dans les voies
de Dieu , qui damne tant de perfonnes , ÔC
dans le monde 6c dans les cloîtres , hqqs
•d'ailleurs avec des principes de vertu, une
horreur du crime , un fond de Religion 5C
de crainte de DieUi , ÔC des difpofîtions
heureufes pour le falut.
Or , je dis , que cet état de relâchement
-6c d'infidélité;cette négligence foutenuë ÔC
tranquille fur tout ce qui ne nousparoîtpas
elTentiel dans nos devoirs ; cette molle in-
dulgence pour tous nos penchan?,dès qu'ils
ne nous offrent point de crime ; en un mot,
cette vie toute naturelle , toute d'humeur,
de tempérament , d'amour propre, û com-
;niune parmi ceux qui fontprofelTîon publi-
que de piété , fi sûre en apparence ,îi glo-
rieufe même devant les hommes , & à la-
quelle l'erreur générale attache le nom de
vertu ôc de régularité ; je dis que cet état
•«ft un état fort douteux pour le falut , qu'il
A3
^ Jeudi de la ÏII. SEMAmg.
prend fa foiirce dans un cœur déréglé, où
l'Efprit Saint ne domino^lus , Sc que toutes
les régies de la foi nous conduifent à penfer,
qu'une ame de ce caraé^ère eft déyk déchue
fans le favoir , de la grâce ôc de la juitice
qu'elle croit conferver encore : Première-
ment , parce que le défir de la perfeâ:ion ,
eflentiel à la piété chrétienne , eft éteint
dans Ton cœur. Secondement , parce que
les régies de la foi , qui diftinguent le crir
me de la (impie ollcnfe , toujours prefque
fort incertaines à l'égard des autres pé-
cheurs , le font infiniment plus envers l'ame
tiède 5c infidèle. Troiiiémement , enfin ,
parce que de toutes les marques d'une cha*
rité vivante ÔC habituelle , il n'en efl plus
aucune qui paroilTe en elle. Suivons ces vé-
rités ; elles foat dignes de votre attention.
Toute ame chrétienne cd obligée de ten-
dre à la perfedlion de Ton état. Je dis obli-
gée : car quoique le degré de perfe£^ion
ne foit pas renfermé dans le précepte ; ten-
dre à la perfection , travailler à la perfec-
tion , eft néanmoins un commandement 5C
un devoir efTentiel pour toute ame fidèle.
.Soyez parfaits , dit Jefus-Chrill: , parce
que le Père célefte que vous fervez , eft
parfait. Je ne vois qu'un feul point d'efTen-
'tiel, difoit S. Paul; c'eft d'oublier tout ce
-que j'ai fait jufqu'ici ;6c qu'oublioit-il , mes
'Frères ? fes travaux infinis , fes fouffrances
continuelles , fes courfes apoftoliques, tant
de Peuples convertis à la Foi,tant d'F>glifes
illuûres fondées , tant de révéiatiaxis ôC dd
SuRLATiEDEUR' jr
prodiges : &. d'avancer fans celTe vers ce
qui me refte de chemin, à faire. Le déiirde
la perre£èion , les efforts continuels pour y
parvenir , les faintes inquiétudes fur les
obftacles innombrables qui nous arrêtent
fur notre route , non-feulement ne renfer-
ment donc pas un fimple confeii , Sc une
pratique réiervée aux cloîtres 6c aux dé-
îerts ; mais ils forment fétat eifentiel du
Chrétien , ôc la vie de la foi fur la terre.
Car la vie de la foi dont le Jufte vit ,
if cil qu'un défirnon interrompu que le ré-
gne de Dieu s'accomplilfc dans notre cœur,
un faint emprelfement de former en nous la
reifemblance parfaite deJefus-Chriftj&de
croître jufqu'à la plénitude de l'homme
nouveau ; un gémiirementcoatinuel, excité
par le fçntiment intérieur de nos propres
miféres , 5c par ce poids de corruption qui
appefantit notre ame , &: lui fait encore
porter tant de traits de l'homme tcrreftre ;
im combat journalier entre la loi de îefprit ,
qui voudroit fans cefTe nous élever au-def-
fus de nos affections fenfuellcs ; & la loi de
la chair, qui fans cefie nous rt^n traîne y erj
nous-mêmes : voilà l'état de la foi & de l^i
juftice chrétienne. Qui que vous foyez ^,
Grand , Peuple , Prince , Sujet, Solitaire ^
Courtifan, voilà la perfeôion où vous êtes
appelle : voilà le fonds 6c l'efprit de votre
vocation. On ne demande pas de vous
Tauftérité des Anachorètes , le fiîence ÔC la
folitude des déferts , la pauvreté des cloî-
tres j ruais ou demande que vous travailliez
A4
-8 Jeudi de la III. Semaine.
chaque jour à reprimer les défîrs qui s'op-
paient en vous à la* Loi de Dieu , à morti-
iîer ces penchans rebelles qui ont tant de
peine à plier fous le devoir & fous la régie;
en un mot , à avancer votre parfaite con-
form.ité avec Jefus-Chrift : voilà la me-
fure de perfeâ:ion où la grâce chrétienne
vous appelle, ÔC le devoir le plus effentiel
à Tame jufte.
Or dès-là que vous vous prêtez à tous
T'os penchans , pourvu qu'ils n'aillent pas
jufqu'à rinfraélion vifible & grofliére du
précepte ; dès que vous vous bornez à l'ef-.
ientiei de la Loi , que vous vous faites
comme un plan &. un état de la tiédeur ô€
de la négligence , que de propos délibéré
vous ne voulez pas pouffer plus loin votre
fidélité ; que vous dites vous-même , que
Vous ne iauriez foutenir une vie plus re-
cueillie cZ plus exacte ; dès-là vous renon-
cez au déiir de votre perfection : vous ne
vous propofez plus d'avancer fans celli
pour atteindre à ce point de juftice ÔC de
fainteté où Dieu vous appelle , 6c où fa
grâce ne celle de vous poulTer en fecret :
vous ne gémifl'ez plus fur ces miféres 6c ces
foibielTes qui vous retardent fur votre route:
vous ne fouhaitez plus que le régne de
Dieu s'accompliiTe dans votre cœur. Donc
dès-là vous abandonnez le grand ouvrage
delà fainteté, auquel il vous eft ordonné
de travailler : vous négligez le foin de vo-
tre ame ; vous n'entrez pas dans les def-
fciiis de la grâce , vous eu arrêtez les fainr
Sur LA Tiédeur. ^ ^
tes împrefTions ; vous n'êtes plus Chrétien :
c'ell-à-dire , que cette difpofitioii toute
feule , ce deiTein formel de fe borner à
rellentiel , 6c de regarder tout le refte
comme des excès louables ôc des œuvres
de furcroit , eil un état de mort 5c de pé-
ché , puifque c'eft un mépris déclaré de ce
grand commandement qui nous oblige
d'être parfaits , c'eft-à-dire , de travailler
à le devenir.
Cependant , quand nous venons vous
inflruire furlaperfe6^ion chrétienne , vous
la regardez comme le partage des cloîtres
5C des folitudes, &: à peine écoutez-vous
là-deiïïis nos inftruèlions. Vous vous trom-
pez , mes Frères : les âmes retirées em-
brafîent à la vérité certains moyens de pur
confeil , des jeûnes , des auftérités , des
veilles pour parvenir à la mortification des
pallions , à laquelle nous Tommes tous ap-
pelles : elles s'engagent à une perfeâ:ion de
moyens qui neit pas de notre état , je l'a-
voue ; mais la perfection de la fin où ces
moyens conduifent , qui eft le règlement
des a{Te£i:ions , le mépris du monde , le
détachement de nous-mêmes , la foumûf-
iiondes fens 5c de la chair à TeTprit , le
renouvellement du cœur , eft la perfeâ:ion
de tous les états , l'engagement de tous leg
Chrétiens , le vœu de notre Batême : donc ,
renoncer à cette perfeâ:ion , en fe bornant
par choix ÔC par état à une vie douce ,
tranquille , fenfuelle, mondaine , exempte
feukmejat de chute groffiére , c'ell renon-
lo Jeudi de la ÎII. Semaine.'
cer à la vocation chrétienne , OC changer
la grâce de la foi , qui nous a fait membres
de Jefus-Chrift , eu une indigne parelTe,
Première rai Ton.
Mjis quand cet état de tiédeur ne feroit
pas il doutei.ix pour le l'alut , par rapport
au défir de ia perfection , elïentiel à la vie
chrétienne , ÔC qui cil éteint dans l'ame tiè-
de 5C infidèle , il le feroit par Timpuillance
où il nous laiile , 6c où il la met elle-mê-
me , de difccrner dans fa conduite, les
infidélités qui peuvent aller au crime , de
celles qui demeurent de fimples offenfes.
Car , quoiqu'il foit vrai que tous les
péchés ne font pas des péchés à la mort ,
comme dit Saint Jean , 6c que la morale
chrétienne reconnoiile des fautes qui ne
font que contriiler en nous TEfprit-Saint ,
)6C d'autres qui l'éteignent tout-à-fait dans
rame : néanmoins, les régies qu'elle nous
fournit pour les difcerner , ne fauroient être
toujours ni sûres ni univerfelles , du mo-
ment qu'on les applique : il s'y trouve d'or-
dinaire par rapport à nous des circonftan-
ces qui leur font changer de nature. Je ne
parle pas ici des tranfgrefîions formelles
& manifeiles des préceptes marqu.és dans
la Loi , 5c qui ne lailfent aucun doute fur
l'énormité de l'ofFenfe : je parle de mille
tranfgrelTions douteufes & journalières de
haine ; de jaloufie , de médifance , de
fenfualité , de recherche de foi-méme ,
de vanité , de vivacité , de pareffe , de
duplicité , de négligence dans la pratic^ue
Sur LA TieDéur. li
Ses devoirs , de d^fir de parvenir ou de
plaire, où il efl mal-aifé de définir jurqiies
à quel point le précepte eft violé ; or je
dis , que c'eil par la difpofition du cœur
toute feule , qu'on peut décider de la me-
fure Se de la malice de ces fortes de fautes ;
que les régies y font toujours incertaines ,
& que fouvent ce qui n'eft que fragilité ou
furprife dans le Julie , eft crime ÔC cor-
ruption, non-feulement dans le pécheur,
mais aufîi dans l'ame tiède ÔC infidèle. En
voulez-vous des exemples tirés des Livres
faints ?
Saiil , malgré les ordres du Seigneur,
épargne le Roi d'Amalec , 6c tout ce qu il
y a de plus précieux dans la dépouille de
ce Prince infidèle, La faute ne paroît pas
confidérable ; mais comme elle part d'un
fonds d'orgueil , de relâchement dans les
voies de Dieu , 6c de vaine complaifance
en fa victoire , cette démarche commence
fa réprobation , 5c l'Efprit de Dieu fe re-
tire de lui. Jofué au contraire trop cré-
dule , épargne les Gabaonites , que le Sei-
gneur lui avoit ordonné d'exterminer , il
ne va pas le confulterdevant l'Arche avant
de faire alliance avec ces impofteurs.
Mais comme cette infidélité eft plutôt une
.précipitation & une furprife , qu'une défo-
-béilTance , ÔC qu'elle part d'un cœur en-
core fournis , religieux , fidèle , elle eft
légère aux yeux de Dieu , ÔC le pardon
fuit de près la faute. Or fi ce principe eft
incouteftable , fur qugi vous fondez-vous,.
ïi Jeudi de la III. Semaine.
lorfque voiis regardez vos infidélités joill*-
naliéres oC liabituolles comme légères ?
Connoiirez-vQiis toute îa corruption clevo-
tre cœur d'où elles partent ? Dieu la con-
noît, qui en eille fcriuatev.r &. le juge ;
& fes yeux font bien différens de ceux da
rhomme. Mais s'il eft permis de juger avant
le tems , dites-nous fi ce fonds d'indolence
6C d'infidélité qui eil en vous , deperféve-
rance volontaire dans un état qui déplaît
à Dieu , de mépris délibéré de tous les
devoirs que vous ne croyez pas elTentiels,
d'attentioiî à ne rien faire pour Dieu que
lorfqu'il ouvre l'enfer fous vos pieds;dites-
nous fi tout cela peut former à fes yeux un
état fort digne d'un cœur chrétien , 5c fî
àcs fautes qui partent d'un principe fi cor-
rompu peuvent être légères ÔC dignes d'in-
dulgence ?
Auln , mes Frères , Paul cet homme
miraculeux , ÔC à qui les fecrets du Ciel
avoient été révélés ; Paul qui ne vivoit plus
lui-même , mais en qui Jefus-Chrift tout
feul vivoit ; Paul qui fouhaitoit tous les
jours la diilolution du corps terreftre pour
être revêtu de l'immortalité ; cet Apôtre
toujours prêt à donner fa vie pour Ton
Maître , & d'être im.molé fur le facrifîce
de fa foi ; ce vafe d'élection à qui la conf«^
cience ne reprochoit rien , ne favoit pour-
tant s'il étoit digne d'amour ou de haine ;
s'il portoit encore au fond de fon cœur le
tréfor inviiible de la charité , ou s'il Tavoit
cperdu i ôc dans ces triftes perplexités , le
Sur la Tiédeur; r î-
^molgnage de fa coiifcience ne pouvoit
calmer fes frayeurs 5c fesincertitiides. Da-
vid , ce Roi i\ pénitent , qui faifoit fes dé-
lices de la méditation continuelle de la Loi
du Seigneur , & que TEfprit-Saint appelle
im Roi félon le cœur de Dieu ; David
tremble cependant que la malice de fes
fautes ne hiifoit pas allez connue ; que la
corruption de fon cœur ne lui en cache
toute rénormité : il le figure des abîmes
inconnus dans fa confcience , qui lui font
répandre un torrent de larmes devant la
fainteté de fon Dieu , 5c demander qu'il
l'aide à fe purifier de fes infidélités cachées
en les lui îaifant connoître : Et ab occultis pj^^ ^^^
meis manda me. Et vous qui ne veillez pointas-
fur votre cœur , vous qui dans des m.œurs
tiédes &: fenfuelles , vous permettez tous
les jours de propos délibéré , mille infidé-
lités, fur la malice defquelles vous igno-
rez le jugement que Dieu porte. Vous qui
éprouvez tous les jours ces mouvemens
douteux des paffions , où malgré toute vo-
tre indulgence pour vous-même, vous avez
tant de peine à démêler fi le conj^entement
if a pas fu ivi le plaifir , 6c û vous vous en
êtes tenu à ce degré périlleux qui fépare le
crime de la fimple offenfe : vous dont tou-
tes les aérions font prefque douteu fes , qui
êtes toujours à vous demander à vous-
même fi vous n'avez pas été trop loin ; qui
portez des embarras 5c des regrets fur la
confcience, que vous n'éclairciilez jamais
à fond : vous qui flottez éternçlleineut en-
t4 Jeudi de la III. Semaine; ^
tre le crime 6c les pures fautes , ÔC quîtotlt
au plus pouvez dire que vous n'êtes jamais
féparé que d'un petit degré de la mort ,
V. Reg, imo tantum gradu , ego morfquz divii'imur :
JW' 3» vous malgré tant de juftes fujets de crain-
te ; vous croiriez que l'état de votre conf-
cience vous eft parfaitement connu ; que
les décifions de votre amour propre fur vos
infidélités , font les décifions de Dieu mê-
me , 6c que le Seigneur que vous fervez
avec tant de tiédeur 6c de négligence ,
ne vous livre pas à vos propres erreurs ,
Se ne punit pas vos égaremens en vous les
faifant méconnoître ? vous croiriez confer-
ver encore la juftice ôcla grâce fanâ:ifiante?
6c vous vous calmeriez fur vos infidélités
vifibles 5c habituelles , par une prétendue
habitude invifible de jufiice , dont vous ne
voyez au- dehors aucune marque ?
O homme ! que vous connoiiTez peu les
îllufions du cœur humain, 5C les jugemens
terribles de Dieu fur les âmes qui vous
rellemblent ! Vous dites : je fuis riche, ja
fuis comblé de biens ; ( c'eft ce que le Sei-
gneur reprochoit autrefois à une ame tiède
èc infidèle ; ). ÔC vous ne voyez pas , ajoû-
toit-il , ( car le caractère de la tiédeur ,
c'eft l'aveuglement 6c la préfomption : )
vous ne voyez pas que vous êtes pauvre,
miférable, aveugle , & dénué de tout à mes
yeux : Et nefcis quia tu es ml fer , & mife^
^PQ.'iAj. rahilis , & paiiper , & cœcus , & nudus^
C'efi: donc la oeflinée d'une ame tiède 5C
infidèle de vivre dans rillufion, de fe croire
s UR LA Tiédeur.* î^
jiifte 6c agréable à Dieu , ^ d'être déchue
devant lui , fans le favoir , de la grâce ôC
de la juftice.
Et une réflexion que je vous prie do
faire ici , c'efl que la confiance des ames
dont je parle , eft d'autant plus mal fondée,
qu'il n'efl perfonne qui foit moins en état
rie juger de fon cœur , que l'ame tiède ÔC
infidèle. Car le pécheur déclaré ne peut
tfe difîimuler à lui-même fes crimes , &C il
fenî bien qu'il efl mort aux yeux de Dieu;
le JuHq , quoiqu'il ignore s'il efl digne d'a-
mour ou de haine , porte du moins une
confcience qui ne lui reproche rien : mais
l'am.e tiède & infidèle efl toujours un myf-
tère inexplicable à elle-même. Car la tié-
deur affolblillant en nous les lumières de
la foi, & fortifiant nos palfions , augmente
nos ténèbres ; chaque infidélité efl comme
un nouveau nuage répandu fur l'efprit 6C
fur le cœur , qui obfcurcit à nos yeux les
vérités du falut : ainfi votre cœur peu à peu
s'enveloppe, votre confcience s'embarralfe ,
vos lumières s'affoibliilentivous n'êtes plu§
cet homme fpirituel qui juge de tout. In-
fenliblement vous vous faites en fecret des
maxim^es qui diminuent à vos yeux vos
propres fautes ; Taveuglem.ent augtnente à
proportion de la tiédeur. Plus vous vous
relâchez , plus vous voyez d'un œil diffé-
rent les devoirs 6c les régies : ce qui pa-
roilToit autrefois elfentiel , ne parolt plus
qu'un vain fcrupule: les omifiions furlef-
£[uelles on aurait fenti dans le tems de la
id Jeudi de i^a III. Semaine.'
ferveur , de vifs remords , on ne les re?
garde plus même comme des fautes : les
principes , les jugemens , les lumières ;
tout ell changé.
Or , dans cette fituation , qui vous a dit
que vous ne vous trompez pas dans le ju-
gement que vous portez fur la nature de
vos infidélités, ÔC de vos chiites journa-
lières ? qui vous a dit , que ce qui vous pa-
roît fî léger > l'eft en effet, 6>C que les bor-
nes reculées que vous marquez au crime ,
6c en deçà defquelles tout ce qui en ap-
proche vous femble véniel , font en effet
les bornes de la loi ? Hélas ! les guides
les plus éclairés eux-mêmes , ne fauroient
voir clair dans une confcience tiède ÔC in-
fidèle : ce font-làdeces maux de langueur,
pour ainfi dire , où l'on ne connoît rien ,
où les Maitres de Tart ne fauroient parler
sûrement , ôc dont la caufe fecrette eft tou-
jours un énigme. Vous-même, dans cet
état de relâchement, vous fentez bien que
vous portez fur le cœurje ne fais quel em-
barras qui ne s'éclaircillent jamais allez à.
votre gré : qu'il vous refle toujours au
fond de la confcience je ne fais quoi d'inex-
plicable^ de fecret, que vous ne mani-
feflez jamais qu'à demi. Ce ne font point
des faits ; c'eit l'état Sc le fond de votre
ame que vous ne faites point connoîîre ;
vous fentez bien que la confefîion exté-
rieure de vos fautes , ne reflemble jamais
bien à vos difpofitions les plus intimes, 6C
ne peint pas votre intérieur tel qu'il ell en,
effei^
SuRLA Tiédeur. 17
effet ; 5c qu eiinii » il y a toujours dans
votre cœur quelque chofc de plus coupa-:
ble que les infidélités dont vous venez
vous accufer.
Et en effet , qui peut vous affurer que
dans ces recherches fecrettes & éternelles
de vous-même ; dans cette molleffe de
mœurs qui fait comme le fonds de votre
vie j dans cette attention à vous ménager
tout ce qui flàte les fens , à éloigner tout
ce qui vous gêne , à facrifier toujours ce
qui ne paroit pas effentieldans vos obliga-
tions à la parelTe 5c à l'indolence ; Tamour
de vous-même n'y eft pas monté jufqu'à
ce point fatal , qui fuffit pour le faire do-%
miner dans un cceur, 6>C en bannir la cha-
rité ? Qui pourrait vous répondre, fî dans
ces infidélités volontaires èc fî fréquentes ,
où raffuré par leur prétendue légèreté >
vous refiliez à la grâce qui vous en dé-
tourne en fecrçt, vous étouffez la voix de
la confcience qui vous les reproche , vous
«igillez toujours contre vos propres lu-
mières ; fi ce mépris intérieur de la voix
de Dieu , Ci cet abus formel âc journalier
des lumières 5c des grâces, n'cll pas un
outrage fait à la Bonté divine , un mépris
criminel de les dons , une malice dans i'é-
garement, qui n y l^^iffe plus d^excufe.una
préférence donnée de propos délibéré à
vos pçnchans §C à vous-même fur Jefus-
Chrift , qui ne peut partir que d'un cœur
çû tout amour de Tordre &C de la juftic^
^ft éteint l Qui pourroit vous dire, lî dans
Carême j Toiuq III, B
i8 Jeudi de la m. Semaiîce.
ces penfées , où votre efprit oifeiix a rap*
pelle mille fois des objets ou des évé-
nemens périlleux à la pudeur , votre len-
teur à les combattre n'a pas été criminelle^,
Se (i les efforts que vous avez fait enfuite,
ji'ont pas été un artifice de l'amour pro-
pre , qui a voulu après coup vous dégui-
îer à vous-même votre crime , 5c vou*
calmer fur la complaifance que vous leur
aviez déjà accordée ? Qui oferoit décider
enfin , fi dans ces antipathies 6c ces animo-
iités fccrettes, fur lefquelles vous ne vous
gênez jamais que foibîement, & toujours
par bienféance plus que par piété , voua
vous en êtes toujours tenu à ce pas glif-
faut , au-delà duquel fe trouve la haine
2)C la mort de Tame ? fi dans cette fenfibi-
iité outrée qui accompagne d'ordinaire
vos affligions , vos infirmités , vos pertes,,
vos difgraces , ce que vous appeliez (en^
timens inévitables à la nature , ne font pa*
lui dérèglement de votre cœur , ÔC une
révolte contre les ordres de la Providen*
ce ? fi dans toutes ces attentions Sc ces
emprefiemens dont on vous voit fi occupé
pour ménager , ou les intérêts de votre
fortune , ou les foins d'une vaine beauté ,
il n'y entre pas autant de vivacité qu'il ea
faut pour former le crime de l'ambition ^
©u autant de complaiiance en vous-même
& de défir de plaire , pour fouiller votre
cœur du crime de la volupté ? Grand Dieu l
gui a bien dvictrné , comme difoit autre.-
^ià vQire ferviieur Job , ces homes fatar
Sur L A Tiédeur.' ^ ify
îes , qui réparent dans un cœur la vie de la
mort , 5C la lumière des ténèbres ? Ce
font-là des abîmes fur lefqueis l'homme
peu inftruit ne peut que trembler , 6c dont
vous réfervez la manifeftation au jour ter-
rible de vos vengeances : Seconde raifon
tirée de l'incertitude des régies ; qui laif-
fent l'état d'une ame tiède fort douteux ,
tK qui la mettent elle-même dans Timpuif^
fance de fe connoître.
Mais une dernière raiion qui me paroît
encore plus dècinve', 6c plus terrible pour
l'ame tiède ; c'efl qu'on ne voit plus rien en
elle qui puifTe même faire préfumer qu'elle
conferve encore la grâce fanftifiante , ÔC
que tout conduit à penfer qu'elle l'a per-
due ; c'eft-à-dire , que de tous les caractè-
res d'une charité habituelle &C vivante > il
n'en eft plus aucun qui paroifle en elle.
Car , mes Frères , le premier caraftère
de la chanté , c'eft de nous remplir de cet
efprit de l'adoption des enfans , qui nous
fait aimer Dieu comme notre père, aimer
fa Loi bi la juftice de fes conimandemens^
& craindre plus la perte de fon amour ^
^ue tous les maux dont il nous menace.
Or cette attention toute feule qu'apporte
une ame tiède , à examiner fî une ofFenfc
eft vénielle ou fî elle va plus loin ; à diTpu»
ter à Dieu tout ce qu'elle peut lui refufesf
fans crime ; a n'étudier la Loi que pour
connoître jufqu'à quel point il eil permis
de la violer ; à prendre fans eelfe les inté*
X€U dô la cupidité contre ceux de la era^
20 Jeudi DE la III. Semaines.
ce , 5c jiillifier éternellement tout ce qitï
flatte les pafîions , contre la févérité des
régies qui Tinterdifent ; cette attention ,
dis- je, toute feule , ne peut partir que d'un
fond vuide de foi 6c de charité , d'un fond
où TEfpritde Dieu , cet efprit d'amour 6c
de dileclian ne paroit pas régner. Car il
n'eft que les enfans prodigues qiù chica-
nent ainfi avec le Père de famille , qui veuil-
lent ufer de leurs droits à la rigueur , ÔC
prendre tout ce qu'il leur appartient.
Et pour donner à cette réflexion tonte
fon étendue: cette difpofîtion qui fait qu'on
fe permet délibérément toutes les infidéli-
tés qu'on ne croit pas dignes d'une peine
éternelle , eft la difpofition d'un efclave ÔC
(d'un mercenaire; c'eft-à-dire , que fi l'oa
pouvoit fe promettre une pareille impuni-
té , 5c une même indulgence du côté de
Dieu , pour la tranfgrel?ion des points ef-
fentiels de la Loi , on les violeroit avec la
même facilité qu'on viole les moindres ,
c'efl-à-dire ,que fi une vengeance déclarée,
une calomnie noire y un attachement cri-
minel > ne dévoient avoir d'autres fuites
pour l'avenir , qu'un léger felfentiment ,
qu'un difcours de malignité & de médi-
fance , que des déiirs de plaire , 6c trop
de foin &. d'attention fur foi- même , ou
n'auroit p is plus d'horreur pour l'un que
pour l'autre : c'eft-à-dire , que lorfqu'oa
eft Bdéh a k Commandemens , ce n'efl:
pas la juftice que l'on aime, c'ell la peine
^ue Toû cxiûiit j ce n eft pas à Tordre &. è
Sur L A T ÎE DEUR.' zû
là loi q'-Toa s'ailnjettit , c'eit à fes châti-
mens ; ce n'eft pas le Seigneur qu on fe
propofe, c'eil: foi-même. Car tandis que
la gloire toute feule y elî intéreffée , 6£
qu'il ne doit nous revenir aucun dommage
de nos infidélités par leur légèreté , nous
ne craignons pas de lui déplaire ; nous nous
juftifions même en fecret ces fortes de tranf-
greiTions , en nous difant que quoiqu'elles
oifenfent le Seigneur , 5c lui foient défa-
gréables , elles ne donnent pas cependant
la mort à l'ame , ÔC ne damnent perfonne.
Ce qui le regarde, ne nous touche pas ; fai
gloire n'entre pour rien dans le diîcerne-
ment que nous faifons des œuvres permi-
fes ou défenduè's;c'eft notre intérêt tout feul
qui régie là-deffus notre fidélité ; SCrien ne
réveille notre tiédeur que les flammes
éternelles. Nous fommes même ravis de
l'impunité de ces fautes légères , de pou-
voir flitisfaire nos irfclinations lans qu'il
nous en arrive d'autre malheur que d'avoir
déplu à Dieu : nous aimons cette malheu-
reufe liberté , qui femble nous laiiTer le
droit d'être impunis ÔC infidèles ; nous ea
fommes les apologiftes ; nous la pouffons
même plus loin qu'elle va en eff^t : nous
voulons que tout foit véniel ; les jeux , les
plaifirs , les parures , les fenfu alités , les
vivacités , les animofités , les inutilités , les
fpeûacles ; que dirai- je ? nous, voudrions
que cette liberté fut univerfeile ; que riea
de ce qui plaît , ne fut puni : que le S^i^
gneuraefût ni juftej tii veugeur dql luiqui^,
il Jeudi de la IÎI. SEM/\mE-,
té , ÔC que nous puiiTians nous prêter 5
tous ï\oi penchans , 5c violer la fainteté
de fa Loi , fans craindre la fé vérité de fa
juftice. Pour peu qu'iuie nme tiède rentre
en elle-même , elle fentira que c'efl-là le
fond de (on cœur , 6C fa véritable difpofî-
tion.
Or y je vous demand'e ^ eft-ce là la fitua-
tion d'une ame qui conferve encore la
grâce 5cla charité ianélifiante; c'efl-à-dire,
■ d'une ame qui aime encore fon Dieu plus
que le monde , plus que toutes les créa-
' tures, plus que tous les piaifirs , plus que
toutes les fortunes , plus qu'elle-même ?
d'une ajne qui r^e trouve de joïe qu'à le
poiTéder , qui ne crain.t que de le perdre ^
qui ne connoit de malheur que celui de lui
avoir déplu. La charité que vous croyez
confcrver encore ^ cherche-t'eîle ainfi fes
propres intérêts ? Ne compte-f elle pour
rien de déplaire à ce qu'elle aime , pour-
vu que fes infidélités foient impunies ? S'a-
vife-t'elle de fupputer comme vous faites
tous les jours , jufqu'a quel point on peut
ruffenfer impunément , pour prendre là-
à^î(i)s fes mefures y. t^ fe permettre toutes
les tranigreffions aufquclles Fefpérancede
l'impunité e(t iittachée r Ne voit-elle riea
d'aimable dans fon Dieu , 6C de propre à
lui gagner les ' œ'^rs , que ^es chatifnens ?
Quand il ne feroit pas un Dieu terrible 5£
vengeur ;^ en feroit-elle moins touchée de
fes mifir- cordes infinies , de fe? beautés
cternclles , de ik Ytîrité ^ dfe la feiat-^îé-j^cfe
&k fag-lTo. I
s a R L A T I E D E U R. Z$
Ah î vous ne l'aimez plus , amc tiède ÔC
infidèle ! vous ne vivez plus pour lui ;
vous n'aimez plus, vous ne vivez plus que
pour vous-même. Ce refte de fidélité
qui vous éloigne encore du crime , n'eft
qu'un fonds de pareffe , de timidité, d'à-
mour-propre. Vous voulez vivre en pai»
avec vous-même; vous craignez les em-
barras d'une paflion ÔC les remords d'un©
confcience fouillée ; le crime eft pour vou»
une fatigue , ÔC c'eft tout ce qui vous dé*
plaît : vous aim.ez votre repos ; voilà
toute votre Religion : l'indolence eft la.
feule barrière qui vous arrête , ÔC toute
votre vertu fè borne à vous-même. Et
certes vous voudriez favoir fi cette iiifid-é-
litè eft une OiTenfe vénielle , ou fi elle va'
plus loin. Vous favez qu'elle déplaît à
-Dieu ; car ce point n'eft pas douteux ; 5C
cela ne fuffitpas paur vous l'interdire? àC
vous vaudriez fçavoir encore Ci elle lui dé-
plaît jufqu'à mériter une peine éternelle?
ÔC tant votre foin eft de vo.us informer fi
c'eft un crime digne de l'enfer ? Ah ! vousr
voyez bien que cette recherche n'aboutit
plus qu à vous-même ; que votre difpofitioii
va à ne compter pour rien le péché, en tant
qu'il eft OiTenfe de Dieu ,. 8c qu'il lui dé-
plaît : motif effentiel cependant , qui doit
vous le rendre haïlTable ; que vous ne fer-
vez pas le Seigneur dans la vérité , 5c dant
la charité que votre prétendue vertu u'eft
plus qu'un nature', timide ,. qui n'ofe s'ex-
f ofer- aii^ minaj^es. t'iiribieâ de. k loi ;.. c^ue
t4 Jeudi de la III. SexMaine^
vous n'êtes qifiui vil efclave à qui il faut
montrer des verges pour le contenir ; que
vous reîTemblez à ce ferviteur infidèle qui
avoit caché Ton talent , parce qu'il favoit
que fon maître étoitfévere, mais qui hors
de là , Teût dilTipé en folles dépenfes : 6C
que dans la préparation du cœur à laquel-
le feule Dieu regarde , vous haVfTez fa loi
fainte ; vous aimez tout ce qu'elle défend.
Vous n'êtes plus dans la charité; vous êtes
un enfant de mort 5c de perdition.
Le fécond carat^ère de la charité , dit
faint Bernard , c'eft d'être timorée , &: de
groffir nos fautes à nos propres yeux : elle
augmente , elle exagère tout, dit ce Père »
Sed aggravât , fed exagérât univerja. Ce
n eft pas que la charité nous trom.pe , £^
nous cache la vérité ; mais c'eft que déga-
geant notre ame des fens , elle épure la
vue de la foi , 6c la rend plus clairvoyante
fur les chofes fpirituelles ; 6c que d'ailleurs
tout ce qui déplaît à l'objet unique de no-
tre amour , paroît férieux 5c confldérable
à rame qui aime. Ainfi la charité ell: tou-
jo.irs humble , timide , défiante ; fans ceiîb
agitée par ces pieufes perplexités qui îa
lailTent dans le doute fur fon état : toujours
allarmée par ces délicateffes de la grâce ,
qui la font trem.bler fur chaque action qui
lu: font de l'incertitude où elles îa laillent,
une eipèce de martyre d^amour qui la pu-
rifie. Ce ne font pas ici ces fcrnpules vaiixs
ÔC putriles que nous blâmons daiîs les âmes
foibks j ce font ces pieufes frayeurs delà
gruc^
s U R L A TiEDEU R; 2^
grâce 8>C de la charité , inleparables de toute
ame fidèle- Elle opère fon faliit avec crain-
te ôc tremblement ; ÔC regarde qiielque-
fbis comme des crimes , des aérions qui
devant Dieu fouvent font des vertus , ÔC
prefque toujours de pures foibleiles. Ce
font-Jà ces faintes perplexités delà charité
qui prennent leur fource dans les lumières
mêmes de la foi ; cette voie a été la voie
des Juftes de tous les crimes.
Et cependant c'eft cette prétendue cha-
rité que vous croyez conferver encore au
milieu d'une vie tiède, Se de toutes vos in-
fidélités , qui vous les fait paroitre légè-
res : c'eftla charité elle-même que vous
fuppofez n'avoir point perdue , qui vous
rauure , qui din-iinuè vos fautes à vos yeux,
qui vous établit dans un état de paix & de
fécurité;enun mot qui non-feulement ban-
nit de votre cœur toutes ces allarmes pieu-
fes , toujours infèparables delà piété, mais
qui vous les fait regarder comme les foi-
biclles ÔC les excès de la piété même. Or ,
dites- moi , je vous prie , fi ce n'eft pas là
une contradiftion ; fi la charité fe dément
ainfi elle-même , ÔC fi vous pouvez beau-
coup compter fur un amour qui reffemble
fi fort à la haine ?
Enfin le dernier cara6i:ère delà charité,
c eft d'être vive 6c agi liante. Lifez tout ce
que l'Apôtre lui attribué d'adlivité ôC de
fécondité dans un cœur chrétien : elle opè-
re par-tout où elle eft ; elle ne peut être
0H-J:ife , difeirt le? S^i-îp. Ui:!X y.:i '-î cl-
2:6 Jeudi de la III. Semaine.
îefte que rien ne peut empêcher d'agir 5C
de le produire : il peut être à la vérité
quelquefois couvert 5c comme rallenti par
la multitude de nos foibleiles ; mais tandis
•qu'il n'eft pas encore éteint, il en fort tou-
jours , pour aind dire , quelques étincelles,
des vœux , des foupirs , des gémiiTemens,
des efforts , des œuvres. Les Sacremens la
raniment,lesMyilèresfaintsraîtendriflent,
les prières la réveillent , les leélures de
piété, les inftru6^îons de falut , les fpeâ:a-
clés de Religion , les faintes infpirations ,
les affligions mêmes , les difgraces , les in-
firmités corporelles , tout la rallume lorf-
qu'elle n'eft pas encore éteinte. Il eft écrit
au fécond Livre des Maccabées , que le
feu facré que les Juifs avoicnt caché du-
rant la captivité , fe trouva au retour cou-
vert d'une moulTe épaiffe , ÔC parut com-
me éteint aux e'nfans des Prêtres , qui le
retrouvèrent fous la conduite de Néhé-
mias. Mais comme ce n'étoit que la fur-
face feule qui étoit couverte , ÔC qu'au de-
dans ce feu facré confervoit encore tout®
fa vertu ; à peine feut on expofé aux
rayons du foleil , qu'on le vit fe rallumer
à 1 inftant , ÔC offrir aux yeux un éclat tout
V M h ^^^^^^^^^ ^ ^"^ a£livité furprenante : ^r-
i\^, 'ccnfiis ejl igais magnus ^ ita ut omnes ml--
rarentur.
Voilà Timage de la tiédeur d'une ame
véritablement jufle , 8c ce qui devroit vous
arriver fi la miultitude de vos infidélités ,
n'avoir fait que couvrir, SCrailentir, pour
SurlaTiedètjr. 27
^infî-dire , en vous le feu facré de la cha-
rité fans l'éteindre : voilà , dis-je, ce qui
devroit vous arriver , lorfque vous appro-
chez des Sacremens , 6c que vous venez
entendre la parole fainte. Lorfque Jefus-
Chriil , le foleii de juftice , lance fur vous
quelques traits de fa grâce 6c de fa lu-
mière , ôC vous infpire de faints défifs , on
devroit alors voir votre cœur fe rallumer ,
votre ferveur ferenouveller : vous devriez
alors parojtre tout de feu dans la pratique
de vos obligations ^ 6c furprendre les té-
moins les plus coniidens de votre vie , par
le renouvellement de vos mœurs 6c de
votre zèle : Acccnfus efl ignis magnus , ita
ut omnes miraraitur^
Et cependant rien ne vous ranime. Les
Sacremens que vous fréquentez , vous laif-
fent toute votre tiédeur ; la parole de l'E-
vangile que vous écoutez , tombe fur vo-
tre cœur , comme fur une terre aride , ou
elle meurt à Tinihut ; les fentimens du fa-
im que la grâce opère au dedans de vous ^
n ont jamais de fuite pour le renouvelle-
ment de vos m.œurs ; vous traînez par-tout
la même indolence' 5c la même langueur ;
vous fortez du pied des autels auiïi froid ,'
aufTi infenfible que vous y étiez venu ; on
ne voit point en vous de ces renouvelle-
mens de zèle & de ferveur , fi familiers
aux âmes juftes , ÔC dont elles trouvent
les motifs dans leurs propres chute* .• ce
que vous étiez hier , vous Têtes encore
aujourd'hui , mêmes infidélités & mêmes
C3
aS Jeudi de la III. Semaii^î;
foibleflcs ; vous n'avancez pdsd'un feulde*-'
gré dans la voie du falut. Tout le feu du
ciel ne fauroit plus rallumer cette préten-
due charité cachée au fond de votre cœur,
& fur laquelle vous vous rafllirez. Ah !
mon cher Auditeur , que je crains qu'elle
ne foit éteinte , 5c que vous ne foyez mort
aux yeux de Dieu ! Je ne veux pas ici pré-
venir les Jugemens fecrets du Seigneur fur
les confciences; mais je vous dis que vo-
tre état n'efi: point sûr ; je vous dis même
que fi l'on en juge par les régies de la foi ,
vous êtes dans la difgrace & dans la haine
de Dieu : je vous dis encore qu'une tié-
deur fi longue , fi conftante , fi durable ,
ne peut fubiiiler avec un principe de vie .
furnatureîle , qui de tems en tems du
moins , lailTe paroître îiu-dehors des niou-
vemens 6c des (îgnes , s'élève , s'anime ,
prend fon effort , comme pour fe dégager
des liens qui l'appefiintiffent ; 6c qi l'une
charité fi muette, il oifeufe, ôc fi conilam-
ment infenfible , n'eft plus.
Mais fi le grand danger de cet état , c'efl
qu'une ame tiède n'a pas même là-deilus de
fcrupule ; elle fent bien qu'elle pourroit
poulfer la ferveur 6c la fidélité plus loin :
mais elle regarde ce zèle 6c cette exactitude "
comme une perfeé^ion 6c une grâce réfer-
véeà certaines âmes , 6c non comme un
devoir : ainfi on fe fixe dans ce degré de
tiédeur où Ton efl tombé ; on n'a fait aucun
progrès dans la vertu , depuis les premiè-
res ardeurs, d'une converiion d'éclat. Il
s U R L A T I ED EU R. 1^
femble que lOL^tL- la tervcur emoulTée con-
tre les p^îdions criminelles qu'on avoit eu
d'abord à combattre , croit qu'il n'y a plus
qu'à jouir en paix du fruit de fa viftoire :
mille débris qui relient encore du premier
naufrage , on ne penfe point à les réparer ,
mille foibblelTes, mille inclinations corrom-
pues que nous ont lailfé nos premiers défor-
drcs , on les aime , loin de les réprimer.
Les Sacrem.ens ne ranim>ent plus la foi ; ils
l'amufent : la converfion n'eft plus la fin
qu'on fe propofe ; on la croit faite : les
confelhons ne font plus que de rédites SC
des peintures qui fe relfemblent : fe con-
felfer n'ell plus fe propofer un changement;
car que trouveroit-on à changer dans un
train de vie oii tout paroît à fa place , 5c
où nulle faute groiliére de conduite ne
frappe les fens ? c'efl s'acquitter fîmplement
d'un devoir de piété , & venir amufer le
Miniftre de Jefus-Chrift du récit de q 'e -
ques fautes légères dont on ne fe repent
point , tandis qu'on eft foi-même un crime
que Ton ignore. Auiîi la vertu de notre Mi-
niftère délivre encore quelquefoisde grands
pécheurs ; 6c nous voyons encore tons les
jours avec confolation des âmes touchées
après une vie entière de dilToîution 5c de
crime , venir fe jetter à nos pieds ; ÔC là ,
le cœur brifé de douleur , le vifage baigné
de larmes , nous furprendre par la gran-
deur de leur foi , nous attendrir par l'a-
bondance de leurs foupirs , 6c la vivacité
de leurcompondioii,& fortir de nos pieda
C3
j© Jeudi de la ÎII. Semalve,
juftiiîéei ; tandis que ces âmes tiédes ÔC in-
fidèles dont je parle , fans celle réconci-
liées 5c jamais pénitentes, portent toujours
au tribunal les mêmes foiblelTes dont elles
ne reçoivent jamais le pardon , parce
qu'elles ne les déteftent jamais comme il
faut , &. prouvent qu'il eil plus aifé depaf-
fer du crime à la vertu , que de la tiédeur
à la pénitence.
Hélas ! peut-être que le guide facré de
votre confcience ,,à qui vous ne venez re-
dire fans celle que de légères foibleiTcs, 5C
qui ne iluiroit voir la corruption du cœur
d'où elles partent, peut-être par un juge-
ment terrible de Dieu fur vous , qu'il efi
tranquille comme vous fur votre état : il
croit feuleinent que vous dormez , que
vous vous relâchez ; il fe contente d'animer-
votre négligence , de réveiller votre tié-
deur: il penfe de vous ce que les Difciples.
Jotfn.ii.pgnfoient autrefois de Lazare : Si dormit ,.
*** falvus crit ; qu'au fond ce fommeil , cette-
indolence dans les voies de Dieu , cette
tiédeur ne vous conduiront pas à la mort,.
Mais Jefas-Chrifl: qui vous voit tel que-
vous êtes , 5c qui ne juge pas comme rhom"-
me ; Jefus-Chrifl déclare que vous êtes
mort déjà depuis long-tems à fes yeux i:
j... Tune Jejus dixit eis manifejlè : La^arus
^ ^^^ymortuus eJLll le dit ouv Qrie ment y ma nifejlé,
c'efl-à-dire , que la chofe n'étoit pas nou-
velle ôC que Lazare , qu'il s croyoient feu-
lement languilTant , étoit mort depuis trois
jours : c'efl-à-dire , que loffqu'une. thutç-.
Sur la Tiède ur, 31
grofTiére 6c déclarée termine enfin la tié-
deur d'une anie infidèle , la mort qu'elle
portoit déjà depuis long-tems dans for^
cœur , ne fait que fe manifeller. Elle n'eft
nouvelle que pour les hommes , qui ne
Toyoient pa? ce qui fe palfoit au-dedans ;
mais devant Dieu , elle étoit morte comme
Lazare , depuis le jour prefque qu'elle fut
languilFante : Tune Je fus dix it eis manifef-
tè ; Laiarus mortuus ejh
On s'abufe fur ce que la confcienc?e ne
reproche rien de criminel ; 6c on ne voit
pas que c'eft cette tranquillité même , qui
en fait tout le danger, 5c peut-être aufîl
tout le crime. On fe croit en sûreté fur fon
état, parce qu'il offre plus d'innocence ÔC
de régularité que celui des am.es défcrdon-
nées : 6c on ne veutpaS comprendre qu'un's
vie toute naturelle ne fauroit être la vie de
îa Grace^SC-de la Foi ; 5c qu'un état conf-
tant de pareffe Si d'immortification , eft un
état de péché 5c de mort dans la vie chré-
tienne.
Ainfi , mon cher Auditeur , vous , que
ce difcours- regarde , renouveliez - vous
fans cefTe dans f'efprit de votre vocation :
refTufcitez tous les jours , félon l'avis de
TApôtre , par la prière , par la mortifica-
tion des fens , par la vigilance fur vos paf-
fîons, par une vie intérieure, par un retour
continuel vers votre cœur, cette première
grâce qui vous retira des égaremens du
monde , & vous fit entrer dans les voies
de Dieu. Comptez que la piété n'a de sûr
C4
32 Jeudi de la III. Semmni.
6C de conlolant que la lîdeiite ; qu'en vous
relâchant vous augmentez vos peines > par-
ce que vous multipliez vos liens ; qu'en re-
tranchant de vos devoirs le zèle , la fer-
veur , l'exadtitude , vous en retranchez
toutes les douceurs ; qu en ôtant de votre
état la fidélité , vous en ôtez la sûreté ; 5c
qu'en vous bornant à éviter le crime , vous
perdez tout le fruit de la vertu.
Et au fond, puifque vous avez déjà fa-
crifîé refTenticl , pourquoi tiendriez-vous
encore à des attachemens frivoles ? 5c faut-
il qu'après avoir fait les démarches les plus
pénibles 5c les plus héroïques pour votre
lalut , vous périlliez pour n'en vouloir pas
faire de plus légères ? Lorfque Naaman ,
peu touché de ce que le Prophète ne lui
ordonnoit pour guérir de fa lèpre , que
d'aller fe baig'ner dans les eaux du Jour-
dain , fe retiroit plein de mépris pour
l'homme de Dieu , comme (i fa guérifon
n'eût pu être attachée à un remède fi facile,
ceux de fli fuite le firent revenir defon er-
reur , en lui difant : Mais , Seigneur , fi
l'homme de Dieu vous eût ordonné des
chofes difficiles , vou<î auriez dû lui obéir:
vous avez abandonné votre patrie , vos
dieux 5c vos enfans,pour venir confulter
le Prophète , vous vous êtes expofé au
péril d'un long voyage, vous en avez fou-
tenu toutes les incommodités , pour recou-
vrer la fanté que vous avez perdue ; 6c
après tant de démarches pénibles, refufe-
riez-vous de tenter un expédient auiTi aifé
s U R L A T I E D E U R; 3.J
que celui ^tie vous propoie Thomme de
Dieu ? Ltji rem grandctn àïxijfa tïbi Pro- 4' ^^^
pheta ^ cenè faccre dcbucras, quatito ma- S' '3'
gis quia nujic dixit tibi : Lavare j & mun-
daberis*
Et voilù ce que je vous dis en finiflant ce
difcours. Vous avez abandonné le monde ,
5c les idoles que vous y adoriez autrefois ;
vous êtes revenu de liloin dans la voie de
Dieu ; vous avez eu tant de pafïïon à vain-
cre , tant d'obftacles à furmonter , tant de
chofesà facriiîer , tant de démarche diffi-
ciles à faire ; vous avez foutenu les peines ,
les dégoûts , les difcours infenfés , infépa-
rables d'une converfion d'éclat , il ne vous
refle plus qu'un pas à faire; on ne vous de-
mande plus qu'une vigilance exacte fur
vous-même. Si le facrince des pallions cri-
minelles n'étoit pas encore fait , 6c qu'on
Texigeât de vous , vous ne balanceriez pas
un moment ; vous le feriez quoiqu'il en
dût coûter : Et /i rem grandem dixïjjatibl
Vropheta , ccrtè facere debueras : Sc m.ani-
tenant qu'on ne vous demande que de fim*
pies purifications , pour ainfi dire ; qu'on ne
vous demande prefque que les mêmes cho-
fes que vous faites ; mais pratiquées avec
plus de ferveur , plus de fidélité , plus de
Foi, plus de vigilan-ce ; étes-vous excufable
de vous en difpenfer ? quamb magis quia
nunc dixit tibi : Lavare , & mundaberis*
Pourquoi rendriez-vouspar le refus d'une
chofe fi aifée , tous vos premiers efforts
mutiles ? pourquoi auriez- vous renoncé au
54 Jeudi de la III. Sem Ami^
monde & aux plaifirs criminels, pourtrou-
ver dans la piété le même écuèil que vous
aviez cru éviter en fuyant le crime ? ÔCne
feriez -vous pas à plaindre , fi après avoir
facrifîé à Dieu k principal , vous alliez
vous perdre pour vouloir lui difputer en-
core mille lacrifîces moins pénibles au
cœur ÔC à la nature ? Qucnto mugis quia
mine dixit tibi : Lavare , Ô* mundaberis*
Achevez donc en nous, ô mon Dieu,-
ce que votre grâce y a commencé : triom-
phez de nos langueurs 5c de nos foibleiles »
puifque vous avez déjà triomphé de nos
crimes : donnez-nous un cœur fervent ôC
fidèle , puifque vous nous avez déjà ôté un
cœur criminel 6c corrompu : infpirez-nous
cette bonne volonté qui fait les Juftes ,-
puifque vous avez éteint en nous cette vo-
lonté déréglée qui fait les grands pécheurs::
ne laiifez pas votre ouvrage imparfait ; ÔC
puifque vous nous avez fait entrer dans la
jainte carrière du falut, rendez-nous di-
gnes de la couronne promife à ceux qiii
auront légitimement combattu»
^infi, folt - IL
'^^
«
1^
M êîm ^ Sk t* ^^ 111^
j| §€§€** ^ *^ §€2€ Mç,
SECOND
SERMON
POUR LE JEUDI
DE LA TROISIEME SEMAINE
DE CARÊME.
Sur la certitude (Tune chute dans la Tiédeur i
Surgens Jefus de Synagoga , întroivit in do
mum Simonis j focrus autem Simonis^ tencbatuEr
Biagnis febribus.
Je/us étant forti de la Synagogue entra,
dans la maïfon de Slmon^ dont la belle-mers
avait une groj/e fiéyre, Luc. 4. j8^
~zjf%^5 UiSQUE Simon jiigea la pré-
' 1 i - j fencc de Jefiis-Chrift. néceffai^
\ re , pour la guérifon de fa bel-
^^1 le-mere, il falloit fans doute
mes Frères, que le mal fût pref-
fant, ôc menaçât d'une mort prochaine ; il
ÊUloit que les reiiièdos oi-dinaires fuiTent
3^ Jeudi de la III. SemaiÎT^.
venus iniitiies , 5c qif il n'y eut qu'un mira-
cle qui pût opérer fa guérilon , 5C la tirer
des portes de la mort : cependant TEvan-
gile ne l'a dit attaquée que d'une limple
fièvre. Par-tout ailleurs on n'a recours à
J. C. que pour reilufciter des morts, gué-
rir des paralytiques , rendre la vue 6c Toùie
à des fourds &. à des aveugles denaillance,
en un mot , pour guérir des maux incura-
bles à tout autre qu'au fouverain Maître de
la mort 6c de la vie des hommes : ici on
l'appelle pour rendre feulement la fanté à
un fébricitant. D'où vient que la toutc-
puiilance cil employée pour une infirmiîé
fi légère ? c'eft que cette fièvre étant 1 i-
mage naturelle de la tiédeur dans les voies
de Dieu , TEfprit faint a voulu nous faire
entendre par-là , que cette maladie fi légè-
re en apparence , 6c dont on ne craint
pas le danger ; cette tiédeur fi ordinaire
dans la piété, eft une maladie qui in-
manquablement tue l'ame , 5c qu'il faut
un miracle pour qu'elle ne conduife pas à
la mort.
Oiii , mes Frères , de toutes les maxi-
'mes de la Morale cnrétienne, il n'en efè
point fur laquelle l'expérience permette
moins de s'abufer , que fur celle qui nous
afiiire que le mépris des moindres obliga-
tions , conduit infenfiblement à la tranf-
grefiion des plus effentielles ; 6c que la né-
gligence dans les voies de Dieu , n'eft ja-
mais loin de la chiite. Celui qui méprife les
petites chofes , tombera peu à peu > dit
s U R t A T I E D E U R; 37
rEfprit faint: celui qui les méprife , c'elt-
à-dii^j , qui les viole de propos délibéré ,
qui en fait comme un plan 6c un état de
conduite : car fi vous y manquiez feule- ^
ment quelquefois par fragilité , ou par fur-
prife , c'efi: la deiîinée de tous les Juives ,
& ce difcours ne vous regarderoit plus :
mais les méprifer dans les fens déjà expli-
qué , 6c qui ne convient qu'aux âmes tié-
des 6C infidèles , c'eH: une voie qui aboutit
toujours à la perte de la juliicc. Première-
ment , parce que les grâces fpéciales , né-
celTaires pour perfévérer dans la vertu , n'y
font plus données. Secondement, parce
que les pafTions qui nous entraînent au vice,
s'y fortifient. Troifiémement enfin , parce
que tous les fecours extérieurs de la piété
y deviennent inutiles.
Développons ces trois réflexions : elles
renferment des inftniclions importantes fur
tout le détail de la vie chrétienne : utiles ,
non-feulement aux âmes qui fontprofeffion
d'une piété publique 6c déclarée , mais en-
core à celles qui font confifter toute la
vertu dans une bonne conduite , & dans
wvvQ, certaine régularité que le monde lui-
même exige. Implorons , 5Cc. Ave y Muria,
\JE s r une vérité du falut , dit Saint p^J^^^^
Auguftin , que l'innocence même de plus
juiles , a befoin du fecours continuel delà
grâce. L'homme livré au péché par le dé-
règlement de la nature , ne trouve preiqiie
plus en lui que Ôlqs principes d'erreur, ÔC
;^ JeDDÎ I^E la m. SEMAÎN^t.
Ses fources de corruption: la juilice 5c I^
Térité ; nées d'abord avec nous , nous iont
devenues comme étrangères : tous nos
penchans révoltés contre la Loi de Dieu ,
nous entraînent comme malgré nous vers
les objets illicites ; de forte nue pour ren-
trer dans Tordre , &C Ibumettre notre c^ur
à la Loi ; il faut que nous réfiftions fans
<:eire aux impreilions des fens , que nous
rompions nos inclinations les plus vives ,
& que nous nous roîdifTions fans relâche
contre nous-mêmes. 11 n'eftplus de devoir
qui ne nous coûte , plus de précepte mar-
qué dans la Loi , qui ne combatte quel-
qu'un de nos penchans; plus de démarche
dans la voie de Dieu , à laquelle tout notre
cœur ne fe refufe.
A ce poids de corruption , qui nous rend
le devoir û difficile , 5c rinjuftice fi na-
turelle ; ajoutez les pièges qui nous envi-
ronnent, les exemples qui nous entraînent,
les objets qui nous amolliffent , les occa-
fiôns qui nous furprennent, les complai-
fances qui nous afFoiblilTent , les afFii£tions
qui nous découragent , les profpérités qui
nous corrompent, les fituations qui nous
aveuglent, les bienféances qui nous gênent,
les contradiftions qui nous éprouvent ,
tout ce qui eft autour de nous , qui n'eft
pour nous qu'une tentation continuelle.
Je ne parle pas même des miféres qui
îfDus font propres , 6c des oppofirions par-
ticulières que nos mœurs paflces 6c nos
premières paillons ont laiiTé dans notre
s U R L A T lÎE D E U R. ^§
tœuT à Tordre 5c à la j uftice : ce goût pour
îe monde 6c pour (qs plaifirs ; ce dégoût
pour la vertu ÔC pour fes maximes ; cet
empire des ftns fortifié par une vie volup-
tueufe ; cette parefTe invincible à qui tout
coûte , ÔC à qui tout ce qui coûte devient
prefque impofTible ; cette fierté qui ne fait
'ni plier ni fe rompre ; cette inconflance du
cœur qui fe lafTe bien-tôt de lui-même , in-
capable de fuite 5c d'uniformité , qui ne
peut s'aiTujettir à la régie , parce que la ré-
gie eft toujours la miême ; qui veut , 6C qui
ne veut plus ; qui p aile en un clin d'ceil
d'un abattement exceffif à une joye vaine
-ÔC puérile T ^ ne met qu'un infiant entre
la réfolution la plus fincère^ 5c Tinfidé-
îité qui la viole.
Or, dans une fîtuation fimiférable^eh i
-que peut l'homme le plus, jufie , ô mon
Dieu ! iivTé à fa propre foiblelle , à tous les
pièges qui l'environnent, portant dans fon
cœur la fource de tous les égaremens , dC
dans fon efprit le principe de toute illufion?
La grâce de Jefus Chrill: toute feule peut
<lonc le délivrer de tant de miferes , l'é-
clairer au miliejj de tant de ténèbres , le
foutenir contre tant de difficultés , le rete-
nir fur des penchans fi rapides , l'affermir
contre tant d'attaques : fi on lelailTeun mo-
ment à lui-même , il tombe, ou il s'égare;
il une main toute- puiffante celle un inftant
de le retenir , le courant l'emporte : notre
confifiance dans la vertu efl donc un mira»
cle continuel de la grâce ; tgutes uos dé-
^o Jeudi de la III. Semaine
marches dans la voie de Ditii , font cîonc
de nouveaux mouvemens de rEfprit-faint ;
c'eft-à-dire , de ce Guide invifîble qui nous
pouffe &C qui nous mené : toutes nos ac-
tions de piété font donc des dons delà mi-
féricorde divine , puifque tout bon ufage
de notre liberté vient de lui , Sc qu'il cou-
ronne fes dons enrccompenfant nos méri-
tes : tous les momens de notre vie chré-
tienne, font donc comme une nouvelle créa-
tion dans la foi ÔC dans la piété ; c'eit-'a-dire
( cette création fpirituelle ne fuppofe pas
dans le Jufte un néant , mais un principe
de grâce ÔC une liberté qui coopère avec
elle ) c'eft-à-dire donc , que comme dans
l'ordre de la nature , nous retomberions
dans le néant , fi le Créateur celToit un inf-
tant de conferver Têtre qu'il nous a donné;
dans la vie de la grâce; nous retomberions
dans le péché 5c dans la mort, fi le Répa-
rateur ceiToit un feul moment de nous con-
tinuer par de nouveaux fecoursledon delà
juftice ÔC de la fiiinteté dont il a embeli no-
tre ame : telle ell la foiblelfe de l'homme ,
6c fa dépendance continuelle de la grâce de
Jeius-Chrill. La fidélité de l'ame jufte eft
donc les fruits des fecours continuels de la
grâce ; mais elle en efl aufli le principe :
c'eft la grâce toute feule qui peut opérer la
fidélité du Julie ; ÔC c'eft la fidélité du Jufte
toute feule qui mérite la confcrvation 6c
l'accroilTementde la grâce dans fon cœur.
Car , mes Frères , comme les voies de
Dieu fur nous font pleiiics d'éqir'té & de-
SurlaTiedeur. 4l
fagefle , il faut qu^il y ait un ordre dans la
diitribution de les grâces &C de fes dons:
il faut que le Seigneur fe communique plus
abondamment à Tame qui lui prépare plus
fidèlement les voies dans fon cœur ; qu'il
donne des marques plus continuelles de
fa protection 6c de les miféricordes au
Jufte , qui lui en donne de continuelles do:
fon amour ôc de fa fidélité , ÔC que le Ser-
viteur, qui fait valoir fon talent , foit ré-
Gdmpenfé à proportion de Tufage qu'il erï
a fû faire : il ell ji'.fte au contraire qu'une
ame tiède ÔC infidèle , qui fert fon Diea
avec négligence ÔC avec dégoût , le trou-
ve dégoûte 6c refroidi envers elle ; 5c
comme elle n'offre* plus rien à fes yeux
que de propre à- le rebuter , il n'eft pas»
furprenant qu'il la rej,ette de fa bouche^
félon Texpreffion de l'Efprit-faint , avec
I2 même cîegoi'.t 6c le miên:e foiîlevement:
qu'on rejette une boiilon tiède 6C deg-QÛ-
taprte. La peine inf^parable de la tiédeur
eil donc 1j privation desgraces de protec»
tion. Si vous vous refroidiiTez , Dieu fe;
refroidit à fon tour : fi vous vous bornes
à fon égard à ces devoirs effentiels que
vous ne pouvez lui refufer fans crime , il
fe borne à votre égard à des fecours gé^
néraux avec lefquels vous n'irez pas loin :
il fe retire de vous à proportion que^voiiy
vous retirez de lui ; 5c votre fidélité à le
fervir efl la mefure de celle qu'il apporte
lui-même à vous protéger.
Rien de plus jufte que cette conduite :
Carême j Tome ilL D
4î Jeudi de la III. Semaine.
car vous entrez en jugement avec votre
Dieu. Vous négligez toutes les occafions
où vous pourriez lui donner des marques
de votre jfîdélité ; il laiiTe paiTer toutes cel-
les où il pourroit vous en don ner de-fa bien-
veillance : vous lui difputez tout ce que
vous ne croyez pas lui devoir : vous êtes
en garde pour ne rien faire pour lui de fur-
croît : vous lui dites, ce femble , com-
me il difoit lui-même à ce ferviteur in-
jufte: Prenez ce qui vous appartient, 6C
MctL ^'^^ demandez pas davantage: n'étcs-vous
13. ^. P3S convenu du prix avec moi : Toile çuod
tuum ejl : nonne ex denario convcnijîi me"
cum ? Vous comptez avec votre Dieu ,
pour ainfi dire : toute votre attention eft
de prefcrire des bornes au droit qu'il a
fur votre cœur ; 5c toute fon attention
auiTi eft d'en mettre à ion tour à fes mifé-
ricordes fur votre ame , 6c de vous re-
fufer, s'il eil permis de parler ainfi, tout ce-
qu'il peut fe difpcnfer de vous accorder : il
paye votre inditîerence de la fienne. L'a-
mour eft le prix de l'amour tout feul ; 6c Ç\
vous ne fentez pas allez toute la terreur ÔC
retendue, de cette vérité ,.fouffrez que je
vous en développe les conféquences.
La première , c'cfl; que cet état de tié-
deur ÔC d'infidélité , éloignant de l'a me
îîéde les grâces de proteâion, ne lui laif-
fant plus que les fecours généraux, la lailTe^,,
pour ainfi dire , vuide de Dieu , ÔC com--
me entre les mains de fa propre foibleile : •
elle peut encore fans doute avec ces facours.
Sur la Tiédeur. 45
communs qui lui reftent, conferverla fidé-
lité qu'elle doit à Dieu : elle en a toujours
alTez pour pouvoir fe foutenir dans le bien :
mais {3 tiédeur ne lui permet pas d'en faire
ufage : c'eft-à-dire , elle eft encore aidée
de ces fecours avec lefquels on peutperfé-
vérer : mais elle ne l'eft plus de ceux avec
lefquels on perfévére infailliblement: ainlL
il n'eft plus de péril qui ne falTe fur cette
ame quelque impre/Tion dangereufe , b^
qui ne l'approche d'une chute. Je veux
qu'un naturel heureux , qu'un refle de pu-
deur 6c de crainte de Dieu , qu'une c5nf-
eience encare effrayée du crime , qu'une
réputation de vertu à conferver , la défende-
quelque tems contre elle-même ; néan--
moins comme ces relfources, prifcsîa plu-
part dans la nature, ne fauroient aller loin;
que les objets des fens au milieu defquels
elle vit , font tous les jours de nou\elles
plaies à fon cœur , 5c que la grâce moins-
abondante ne répare plus ces pertes jour-
nalières : ah ! les forces de jour en jour
s'affoibiilTent , la foi fe relâche , les vérités
s'obfcurciilent; plus elle avance , plus elle
empire : onfent bien foi-même qu'on ne
fort plus du monde ÔC des périls auiîi inno-
cents qu'on en fortoitautrefois;qu'on pouf-
fe plus loin la foiblelfe ÔC la complaifance ;
qu'on paiTe certaines bornes qu'on avoit
jufques-là refpeêlées ; que les difcours li-
bres nous trouvent plus indulgens , les mié-
difances plus favorables , les occafions plus^-
feciles , les plaifîrs moins retenus , le mon-
Di
'44 Jeudi de la llî. Semaine
de plus emprcirés ; qu'on en rapporte iiit
cœur à demi gagné , 5c qui ne tient plus
qu'à de foiblesbienféances ; qu'on fentfes
pertes , b^ qu'on ne fent plus rien qui les
répare; en^n que Dieu s'ertprefque retiré,
èC qu'il n'y a plus entre nous & le crime ,
d'autre barrière que notre foiblelTe. Voilà
où vous en êtes : jugez où vous en ferez
en peu de tems.
Je fais que cet état de relâchement 5c
d'infidélité vous trouble 5c vous inquiète:
que vous dites tous les jours que rien n'eft
plus heureux que de ne tenir plris à rien,8C
que vous enviez la dcftinée de ces âmes qui
fe donnent à Dieu fans réferve , & qui ne
g.irdent plus de mefures avec le monde.
Mais vous vous trompez : ce n'eft pas la foi
& la ferveur de ces âmes fidèles que vous
enviez : vous n'enviez dans leur deftinée
que la joye 5c le repos dont elles joùiiTent
dans le fervice de Dieu , 5c dont vous ne
fauriez joiiir vou.s-même : vous n'enviez
quel'infenfibiritéôc Ttieureufe indifférence
où elles font parvenues pour le monde , ^
pour tont ce qiie le monde eftime , dont
Famour fait tous vos troubles , vos re-
inords , vos peines fccrettes .• mais vous
n'enviez pas les facrifices qu'il leur a fallu
faire pour en venir là : vous n'enviez pas
les violences qu'elles ont eu à dévorer
pour s'établir dans cet état heureux d0
paix 6c de tri'uquiliité : vous n'env'ez pas^
ce qu'il leur en a coûté , pour mériter Ife
4on dïuiQ foi vive &L fervente : vous ea^
SurlaTiedeurI 4.^
viez le bonheur de leur état ; mais vous ne
voudriez pas qu'il vous en coûtât riiluCon
& la mollelle du vôtre.
AuiTi la féconde conféquence que je tire
des grâces de proteftion refufées à Tame
tiède , c'eft que le joug de Jefus-Chrift
devient pour elle un joug dur, accablant ,
înfupportable. Car , mes Frères , par le
dérèglement de notre nature ,. ayant perdu
le goût de la juflice 5c de la vérité, qui
fcûloit les plus chères délices de Thomm.e
innocent , nous n'^avonsplus de vivacité 6C
de fentiment , que pour les objets des fens
ÔC des pafîions. Les devoirs de la Loi qui
nous rappellent fans cefTe des fens àrefprit,
6»C qui nous font facrifîer les impreffions
préfentes des plaifirs , à refpérance des
promelTes futures ; ces devoirs , dis-je ,
lalTent bientôt notre foibleiTe , parce que
ce font des eiForts continuels que nous fai-
fons contre nous-mêmes : il faut donc que
l'onâion de la grâce adoucilTe ce joi;g ;,
qu'elle répande de fecrettes confolations
fur fon amertume , & qu'elle change la
triflelTe des devoirs en une joye fainte 5C
fenfible.
Or , Tame tiède , privée de cette onc-
tion , n'a plus pour elle que la pefanteur du
joug , fans les confolations qui radoucif-
fent ; le calice de Jefus-Chriil ne lui fait
plus fentir que fon amertume.Ainfi tous les
devoirs de la piété vous deviennent infipi-
des ; les pratiques du falut , enniiyeufes :-
votre confcience inquiète 6c embari-alTèe
4^ Jeudi de la III. Semaine.
par vos relâchemens 2>C vos infidélités, dont
vous ne pouvez vous juftifier l'innocence,
ne vous laille plus goûter de paix 6c de
joye dans le fer vice de Dieu : vous fentez
tout le poids des devoirs aufquels un refte
de foi & d'amour du repos vous empêche
d'être infidèle ; ÔC vous ne fentez pas le-
témoignage fecret de la confcience , qui
Tadoiicit ÔC qui foutient Tame fervente :
vous évitez certaines fociétés de plaifir, où
l'innocence fait toujours naufrage ; &. vous
ne trouvez dans la retraite qui vous en éloi-
gne qu'un ennui mortel , 6c un goût encore
plus vif 5c plus piquant des mêmes plaifirs
que vous vous etîbrcez de vous interdire :
vous priez ; ôc la prière n'eft plus pour vous
qu'un égarement ou une fatigue : vous vous
employez à des œuvres de miféricorde ; 6c
à moins que l'orgueil ou le tempéram.ent
ne vous y foutienne , tout ce qui s'y trouve
de mortifiant vous devient infupportabîe ;-
vous fréquentez des perfonnes de vertu ; ÔC
leur faciéré vous paroît d'un ennui à vous
dégoûter de la vertu même : la pliis légère
violence que vous vous faites pour le Ciel,
vous coûte de fi grands efforts , qu'il faut
que les plaifirs ÔC les amufem.ens du monde
viennent vous délalTer d'abord de cette fa-
tigue pafi^agére : la plus petite mortification
aJbbat votre corps ,..i^^^^ l'inquiétude ôcle
chagrin dans votre humeur , 6c ne vou^-
conloîeque parla prompte réfolution d'en
inteirompreàl'infiant la pratique: vous vi-
vez malbeureux &. fans fioufolation, parce
Sur LA Tiédeur. 47
que vous vous privez d'un certain monde
que vous aimez , ÔC que vous fubftituez à
Ùl place des devoirs que vous n aimez pas:
toute votre vie n*eft plus qu'un trifte ennui^
&. un dégoût perpétuel de vous même :
vous relTemblez aux Ifraèlites dans le dé-
fert; dégoûtés., d'un côté , de la manne
dont le Seigneur les obligeoit de fe nour-
rir ; ô( de l'autre , n'ofant plus revenir aux
viandes de l'Egypte qu'ils aimoient encore,.
6c que la crainte d'être frappés de Dieu ^
les portoit à s'interdire.
Or, cet état de violence ne fauroit du-
rer , on fe laile bientôt d'un refte de vertu
qui ne calme point le cœur , qui ne fou*
lage pas la raifon , qui ne contente pas
même l'amour propre ; on a bientôt fe-
coûé un refte de joug qui accable , 5c qu'on •
ne porte plus que par bienféiance , 5c non
par amour. Il eft il trifte de n'être rien j.
pour ainfi dire ; ni julle, ni mondain ; ni au
monde , ni à Jefus-Chrift ; ni dans les
plaifirs des fens , ni dans ceux de la grâce ;
qu'il eft impo-Hlble que cette fîtuation en-
nuyeufe d'indifférence Ôc de neutralité foit*-
durable. Il faut au cœur , ÔC à des cœurs-
furtout d'un certain caractère , un objet:
déclaré qui les occupe ÔC qui les intérefle;.
fî ce n'eft pas Dieu , ce fera bientôt le mon-
de : un cœur vif , emporté , extrême , tel
q le l'ont la plupart des hommes ^. ne fau-
roit être (îxé q.ie par des fentimens ; ÔC être
conftamment dégoûté de la vertu , c'eft.
oifrir déjà un cœur fenfible aux attraits du:
vke.
4^ Ieuui de la m. Semaikf.
Je fais , premièrement , qu'il eit des âmes
parelleiifes 6c indolentes qui paroiilent fe
maintenir dans cet état d'équilibre ÔC d'in-
fenfibilité ; qui n'offrent rien de vif ni au
monde ni à la vertu ; qui femblent égale-
ment éloignées par leur caraélère, &C des
ardeurs d'une piété fidèle , 6c des excès
d'un égarement profane ; qui confcrvent au
milieu des plaifirs du inonde , un fond de
retenue 5c de régularité qui annonce en-
core la vertu , ^-C au milieu des devoirs de
la religion ,un fond de molleire&. de relâ-
chement qui refpire encore l'air ÔClcs ma-
ximes du monde : ce font des coeurs tran*
quilles &. pareffeux , qui ne font \ ifs fur
rien, à qui l'indolence tient prefque lieu de
vertu ; SC qui pour n'être pas à ce point de.
piété qui fait les amcs fidcles, n'en viennent
pas pour cela à ce degré d'abcindonnement,.
qui fait les amcs égarées &C criminelles.
Je le fais , mes Frères : mais je fais auiîî
que cette pareffe de cœur ne nous défend
que des crimes qui coûtent, ne nouséloi-
gjie que de certains plailirs qu'il faudroit
acheter au prix de notre tranquillité , b(.
que l'amour du repos tout fejl peut Jious.
interdire. Elle ne nous lailTe vertueux
qu'aux yeux des hommes ,. lefquels con-
fondent l'indolence qui craint l'embarras ^
avec la piété qui fuit le vice : mais elle ne
nous défend pas contre nous-mêmes, con-
tre mille défirs illégitimics , mille complai-
fances criminelles , mille paffions plus fa-
crgites 5c moins pénibles, parce qu'elles
s UR LA TiEDE UR. 49
fe renferment dans le cœur; Hes jaloiilies
qui nous dévorent; des animo/ités qui nous
aigrilTent ; une ambition qui nous domine;
un orgueil qui nous corrompt ; un délir de
plaire qui nous polFéde ; un amour excefiif
de nous-mêmes qiii eft le principe de toute
notre conduite , ÔC qui infecte toutes nos
adlions ; c'efl-à-dire , que cette indolence
nous livre à toutes nos foiblelles fecrettes ,
en même-tems qu'elle nous fert de frein
contre dQS pailions plus éclatantes Sc plus
tumultueules , 5c que ce qui ne paroi t
qu'indolence aux yeux des hommes , eft
toujours une corruption 6c une ignominie
fecrette devant Dieu.
Je fais , en fécond lieu , que le goût de
la piété , 6c cette onclion qui adoucix la
pratique des devoirs cil un don fouvcnt re-
lufé aux âmes mêmes les plus faintes 6cles
plus fidèles. Mais il y a trois différences
elTcVitielles entre l'am.e fidèle à qui le Sei-
gneur refufe les confolations l'en (îbles de la
piété , ^ Famé tiède 5c mondaine que la
péfanteur du joug accable , 5c qui ne fau-
roit goûter les chofes de Dieu.
La première , c'eft que l'ame fidèle mal-
gré fa répugnance 6c îes dégoûts , confer-
vaut toujours unefoi ferme Scfolide, trou-
ve (on état 5c Texemtion du crime , où
elle vit depuis que Dieu l'a touchée, mille
fois plus heureux encore que celui où elle
vivoit , lorfqu'elle étoit livrée aux ègare-
mens des paffions ; & pénétrée de l'horreur
de fes excès palIès , elle ne voudroit pas
Carême j Tome llh E
^o Jeudi de la III. Semaine.
pour tous les plailirs de Ja terre , changer
la deftinée 8c le rengager dans fes premiers
vices : au lieu que Tame tiède 5c infidèle ,
dégoûtée de la vertu , regarde avec envie
les plaifirs 6c la vaine félicité du monde ;
6c comme fes dégoûts ne font que la fuite
ÔC la peine de la fciblelTe 5c de la tiédeur
de fa foi , le crime comm.ence à lui paroî-
tre la feule relTource des ennuis 6c de la
triflcile de la piété.
La féconde différence , c'efl que Tame
fidèle au milieu de fes dégoûts 5c de fes .
aridités , porte du moins une confcience '
qui ne lui reproche point de crime ; elle
eft du moins fouteimë par le témoignage
de fon propre cœur , 6c par une certaine
paix de Tinnocencc qui , quoiqu'elle ne foit
pas vive 5v fenfible , ne laifîe pas d'établir
au dedans de nous un calme que nous :
n'avions jamais éprouvé dans les voies de
l'égarement : au lieu que l'ame tiède ÔC in-
fidèle, fe permettant contre le tém.oignage
de foti propre cœur , mille tranfgrcflions
journalières dont elle ignore la malice ,
•porte toujours une confcience inquiète 5C '
douteufe ; 6C n'étant plus foutenuè , ni par i
le goût des devoirs , ni par la paix 6c le i
témoignage de la confcience , cet état
d'agitation & d'ennui finit bientôt par la i
paix funefte du crime.
Enfin la dernière différence , c'eft que les
dégoûts de l'ame fidèle n'étant que des
épreuves dent Dieu fe fert pour la purifier,
il fupplèe aux confolations fenfibles de la i
J!
Sur LA Tiédeur. ^j
vertu , qu'il lui refufe , par mille endroits
qui les remplacent , par une protection
plus puiffante , par une attention miiericor-
nieule à éloigner tous les périls qui pour-
roient la féduire , par des fecours plus
abondans de la grâce : car il ne veut pas
la perdre 5c la décourager ; il ne veut que
réprouver 5c lui faire expier par les amer-
tiunes ÔC les aridités de la vertu , les plai-
ffrs injultes du crime. Mais les dégoûts de
Tame infidèle ne lont pas des épreuves ; ce
font des pimitions : ce n'eft pas un Dieu
miféricordieuxquifurpendlesconiolations
delà grâce , fans fuCpendre la grâce elle-
même ; c'eft un Dieu févére qui fe venge
5c qui fe retire : ce n'eft pas un père ten-
dre , qui fupplée par la folidité de fa ten-
drede , ÔC par des fecours effedlifs , aux
rigueurs apparentes dont il eft obligé d'u-
'fer , c'eft un Juge févére qui ne commence
à priver le criminel de iniile adouciffe-
mens , que parce qu'il lui prépare un ar-
rêt de mort. Les aridités de la vertu trou-
veirt mille reflburces dans la vertu mê-
me ; celles de la tiédeur n'en fauroient
trouver ailleurs que dans les douceurs
trompeufes du vice.
Voilà ,, mes Frères , la deflinée inévita-
ble de la tiédeur , le malheur de la chute.
Venez nous dire après cela , que vous vou-
- lez vous faire une forte de vertu qui dure ;
que ces grands zèles ne fe foutiennent pas ;
qu'il vaut mieux ne pas le prendre fi haut ,
& aller^jufqu-au bout jièC qu'on ne va pas
E L
5^ Jeudi de la III. Semaine.
loin , quand on fe met hors d'aleine dès
Iqs premiers pas.
Je fais que tout excès , même dans la
piété, ne vient pas de l'Efprit de Dieu , qui
eft un efprit de difcretion 6c de fagelle ;
que le zèle qui renverfe Tordre de notre
état & de nos devoirs , n'efi: pas la piété
qui vient d'en haut , mais une illufion qui
liait de nous-mêmes ; que Findifcrétion efl
une fource de faulles vertus ; ÔC qu'on don^
ne fouvent à la vanité , ce qu'on croit don-
ner à la vérité. Mais je vous dis de la part
de Dieu , que pour perfévérer dans fes voies
il faut fe donner à lui fans réferve : je vous
fîis que pour fe foutenir dans la fidélité aux
devoirs elfentiels, il faut fans celle afîbiblir
lespalfionsqui nous en éloignent fans cefTe;
^ que les ménager , fous prétexte de n'al-
ler pas trop loin , .c'eft fe creufer à foi- mê-
me fon précipice. Je vous dis qu'il n'y a
que les âmes fidèles ÔC ferventes , qui non
contentes d'éviter le crime, évitent tout c«
qui peut y conduire ; qu'il n'y a , dis-je ,
que ces âmes qui perfévérent , qui fefou-
tîennent, qui honorent la piété par une
conduite foutenuè , égale, uniforme; 5C
au contraire qu'il n'y a qite les amcs tiédes
èc molles , les am.es qui ont commencé
leur pénitence par mettre des bornes à la
piété , &L à l'accommoder avec les plaifirs
& les maximes du monde ; qu'il n'y a que
ces âmes qui reculent , qui fe démentent,
qui reviennent à^eur vomiffement , 6c qui
deshonorent la piété par des inconftances
s U R L A T I E D E U R. 53
Se des inégalités d'éclat , 6c par une vie
mêlée , tantôt de retraite 5c de vertu , tan-
tôt de monde b^ de foibleiTe. Et j'en ap-
pelle ici à vous- mêmes , mes Frères : quand
vous voyez dans le monde une ame fe re-
lâcher de fa première fen-eur , fe rappro-
cher un peu plus des fociétés ÔC desplaifirs
qu'elle s'étoit d'abord fi févérement inter-
dits , rabattre infenfiblement de fa retraite,
de fa modeilie , de fa circonfpeclion , de
fes prières , de l'exa^litude à fes devoirs;
ne dites-vous pas vous-mêm.es qu'elle n'eft
pas loin de redevenir tout ce qu'elle étoit
autrefois ? Ne regardez- vous pas tous c. s
relâchemens , comme les préludes de la
chiite ? 5c ne comptez-vous pas que la ver-
tu efl prefque éteinte , dès que vous la
voyez affoiblie ? En faut-il tant même
pour réveiller vos cenfiires 5c vospréfages
finiftres 6c malins contre la piété ? Injulles
que vous êtes , vous condamnez une vertu
tiède ÔC infidèle , 6c vous nous condam i?7
nous-mêmes, quand nous exigeons uvc
vertu Bdéh 6c fervente : vous prétendez
qu'il ne faut pas le prendre fi haut pour fe
foutenir , ÔC vous pronhétifez qu'on va
tomber , dès qu'on s'y prend avec plus de
tiédeur ÔC de négligence !
C'eil donc dans le relâchement tout Ceu\
qu'il faut craindre les retours ôc les chûtes :
ce n'eil donc pas en fe donnant à Dieu fans
rèferve , qu*on fe dégoûte de lui, ôc qu'il
nous abandonne ; c'eil en le fervantavec
lâcheté : le moyen de fortir glorieux du
11.
Partie
54 Jeudi dj: la III. Semaine
combat > n'eft donc pas de inénager Ten-
iiemi ; c'efl de le vaincre : le fecret pour
n'être pas furpris , neil donc pas de s'en-
dormir dans la parelTe ÔC dans l'indolence;
c'eft d'être attentif far toutes fes voies : il
ne faut donc pas craindre d'en trop faire,
de peur de ne pouvoir fe Soutenir; au con-
traire , pour mériter la grâce de fe fou-
tenir, il faut d'abord ne laiiTer rien à faire.
Quelle illufion , m^es Frères ! on craint le
zèle comme dangereux à la perfévérance ,
èc c'eil le zèle feul qui l'obtient ; on fe
retranche dans une vie tiède ^ commode,
comme la {^uIq qui peut durer , ^ c'eft la
feule qui fe dément ; on évite la fidélité
comme Técueil de la piété y & la piété fans
fidélité n'elt jamais loin du naufrage.
C'eft ainfi que la tiédeur éloigne de famé
infidèle les grâces de proteèlion ; 5c que
ces grâces éloignées ôtantà notre foi toute
fa force , au joug de Jefus-Chrift toutes
fes confolations , nous laiiTent dans un état
de défaillance 6c de dépériiTement , où il
ne faut à l'innocence pour fuccomber que
le malheur d'être attaquée. Mais fi la per-
te de la jnih'ce eft inévitable dans la tié-
deur , du côté des grâces qui s'éloignent ;
qUs l'eft encore du côté des paiTions qui
fe fortifient.
V^E qui rend la vigilance fi néceffaire à
la piété chrétienne , ceû. que toutes les
paffions qui s'oppofent en nous à la loi de
DiQd y ne mcareut, pour ainfl dire , qu'a-
Sur LA Tiédeur. _ 55
vec nous. Nouspouvons bien les niToibîir
par le feconrs de ia grâce 6C d'une foi vive
te fervente, maisles penchans ^v les raci-
nes en demeurent toujours dans le cœur ;
nous portons toujours au dedans de nous
les principes des mêmes égaremens , que
nos larmes ont eftacés. Le crime peut être
mortdans nos cœurs ; n^ais le péché , com-
mue parle TApôtre , c'efl-à-dire , les incli-
nations corrompues qui ont formé tous nos
crimes , y habitent oC y vivent encore ; 5C
ce fond de corruption qui nous avoit éloi-
gné de Dieu, nous eil encore laiiTé dans
notre pénitence , pour fervir d'exercice
continuel à la vertu ; pour nous rendre
plus dignes de la couronne par les ocça-
fions éternelles de combat qu'il nous fiif-
cite ; pour humilier notre orgueil ; pour
nous faire fouvenir que le tems de la vie
préfente efl un tems de guerre 6c de péril ;
ÔC que par une deiliriée inévitable à la con-
dition de notre nature , il n'y a pref^fie
jamais qu'un pas à faire entre le relâche-
ment cC le crimie.
Il efl vrai que la graçe de Jefus-Chri/l,
nous tft donnée pour reprimer cespenchans
corrompus qui furvivfnt à notre conver-
fîon : mais comme nous venons de le dire ,
dans la tiédeur , la grâce ne nous offrant
piefque plus que des fecours généraux,
6c toutes les grâces de protection dont
nous nous fommes rendus indignes , étant
ou plus rares ou lufpenduès , il eft clair
que de cela même , les pallions doivent
E4
$6 Jeudi de la ÎII. Semaine.
prendre de nouvelles forces. Mais je dis
que non-feuJcinent les paillons fe fortifient
dans la vie tiède ^ infidèle , parce que
les grâces de proteélion qui les affoiblif-
fent y font plus rares , mais encore par
rétat tout feul du relâchement 5c de la tié-
deur elle-même ; car la vie tiède & infi-
dèle n'étant qu'une indulgence continuelle
pour toutes nos paillons ; une molle faci-
lité a leur accorder ians celle jufqu'à un
certain point tout ce qui les flâte ; une at-
tention mêmie d'amour propre à éloigner
tout ce qui pourroit , ou les réprimer , ou
les contraindre ; un ufage perpétuel de
tout ce qui efl le plus capable de les en-
flammer : il eli clair qu'acnés doivent tous
les jours y prendre de nouvelles forces.
En eirct , m.es Frères , il ne faut pas fe
figurer qu'en ne pouffant notre indulgence
pour nos pafllons , que jufqu'à certaines
bornes permifes , nous les appaifions , pour
ainfi dire , nous leur en accordions sfTez
pour les fatisfaire, ÔC pas affez pour fouil-
ler notre am,e y 6c mettre le trouble &
lé remord dévorant dans la confcience ;
nous figurer que nous puifîions jamais ar-
river à un certain état d'équilibre entre le
crime Sc la vertu , où d'un côté nos paf-
fions foient contentes par les adouciffe-
mens que nous leur permettons , ^l où de
l'autre notre confcience foit tranquille par
la fuite du crime que nous évitons. Car
voilà le plan que fe forme l'ame tiède , fa-
vorable à fon indolence ôC à fa pareiTe ^
Sur LA Tiédeur. 57
parce qu'il bannit également tout ce qu'il y
a de pénible dans le crime 5C dans la ver-
tu , qu'il refufe aux pafTions tout ce qui
troubleroit la confcience , Sc à la vertu
tout ce qui gêneroit ôC mortifîeroit trop
Tamour propre; mais cet état d'équilibre
& d'égalité eil une chimère. Les paiTions
ne connoillent pas mêm.e de bornes dans
le crime ; comment pourroient-elles^ s'en
tenir à celles de la tiédeur ? Les excès ne
peuvent les fatisfaire 6c les fixer ; com-
ment de fimples adouciilem.ens les fixe-
roient-ils ? plus vous leur accordez , plus
vous vous mettez hors d'état de pouvoir
rien leur refufer. Le véri^nble fecret pour
les appaifer n'eft pas de les favorifer juf-
qu'à un certain point ; c'^eft de les combat-
tre en tout : toute indulgence les rend plus
fiéres 6c plus indomptables ; c'eft un peu
d'eau jettée dans l'incendie , qui , loin de
Tappaifer , l'augmente ; c'efi: un peu de
pâture préfentce à un lion dévorant, qui ,
loin de calmer fa faim , la rend plus vive
6C plus violente : tout ce qui flâte les paf-
fions , les aigrit 5c les révolte.
Or , tel eft l'état d'une ame tiède 8c in-
fidèle : toutes les animofités qui ne vont
pas jufqu'à la vengeance déclarée , elle ie
les permet : tous les plaifirs où l'on ne voit
pas de crimaC palpable, elle fc les jurtifie;
toutes les parures &C tous les artifices^ où
l'indécence n'cft pas fcandaleufe , où il
n'entre ni paflion , ni viiè marquée , elle les
recherche : toutes tes vivacités fur l'avan*
58 Jeudi de la IIÎ Semaine.
cernent 6c fur la fortune qui ne nuifent à
perfonne , elle s'y livre fans réferve : tou-
tes les omillions qui paroilTent rouler fur
des devoirs arbitraires , ou qui n'intéref-
fent que légèrement des devoirs eifentiels ,
elle n'en fait pas de fcrupule: tout l'amour
du corps & de la perfonne , qui ne mène
pas direâement au crime , elle ne le comp-
te pour rien : toute la délicateiTc furie rang
& fur la gloire , qui peut compatir avec
une modération que le monde lui-même
demande , on s'en fait un mérite. Or ,
qu'arrive-t'il de là ? voulc7-vor.s le favoir ?
le voici , &. je vous prie d'écouter ces
réflexions.
Premièrement, c'efi: que tous les pcn-
chans qui s'oppofent en nous à la régie 5C
au devoir , s'étant fans ceffe fortifies , la
régie 6c le devoir trouvent enfuite en nous
des difficultés infurmontables ; de forte
que , les accomplir dans une occafion ef-
fentielle, où la loi de Dieu nous y oblige,
eft une eau rapide qu'il faut remonter mal-
gré le courant qu'il nous entraîne , un che-
val indompté & furieux qu'il faut arrêter
tout court fur le bord du précipice. Ainfî
votre fenfibilité fur les injures toujours
trop écoutée , a pouffé votre orgueil à un
tel point , que dans une occafion décifive ,
où vous croirez votre honneur eilentielle-
ment intéreilé , & où il s'agira de pardon-
ner , vous ne ferez plus maître de votre
reifentiment , 6c vous abandonnerez votre
cceur à toute la vivacité de la h^ine ôc de
SuRL A Tiédeur. 5f^
ia vengeance : ainfî , ces foins &C ces em-
prelîcmens à cultiver reflime des hommes,
ont il bien fortifié dans votre cœur le déiir
de mériter leurs louanges <X de vous con-
ferver leurs fufFrages , que dans une cir-
conftance elTentielle où il faudra facrifier la
vanité de leurs jugemens au devoir , 5C
s'expofer à leur cenfure 5c à leiu* dérifîon ,
pour ne pas manquer à votre ame ; les in-
térêts de la vanité l'emporteront fur ceux
de la vérité , 6c le refpecl humain fera plus
fort que la crainte de Dieu : ainfi , ces vi-
vacités fur la fortune ÔC fur l'avancement ,
nourries de longue m^ain , ont rendu l'am-
bition fî fort maitrefTe de votre cœur , que
dans une conjonâure délicate, où il fau-
dra détruire un concurrent pour vous éle-
ver , vous facriflerez votre confcience à.
votre fortune , 8c ferez injufte envers vo-
tre frère, de peur de vous manquera vous-
même : ainfî , enfin , pour éviter trop d«
détail , ces attachemens fufpeéls , ces en-
tretiens trop libres , ces complaifances
trop poufTées , ces défirs de plaire trop
écoutés , ont mis en vous des difpofitions
fi voifines du crime ôc de la volupté , que
vous ne ferez plus en état de réfifter dans
un péril où il s'agira d'aller plus loin ; la
corruption préparée par toute la fuite de
vos démarches palTées , s'allumxera à i'inf-
tant ; votre foibleffe l'emportera fur vos
réflexions ; votre cœur fe refufera à votre
fierté , à votre gloire , à votre devoir , à
vous-même. On a'eil pas long tems fidèle,,
6o Jeudi de la III. Semaine.
quand on trouve en foi tant dedifpofitions
a ne l'être pas.
Anifi, vous ferez furpris vous-même de
votre fragilité : vous vous redemanderez ,
que font devenues ces difpofîtions de pu-
deur Se de vertu , qui vous infpiroient au-
trefois tant d'horreur pour le crime : vous
ne vous connoîtrez plus vous-même: vous
ientirez en vous une pente malheureufe ^C
violente , que vous portiez à votre infçu
dans votre ame : peu à peu cet état vous
paroîtra moins affreux. Le cœur fe jufliHc
biQntot tout ce qui le captive: ce qui nous
plaît , ne nous allarme pas long-tems ; 6c
vous ajouterez au malheur de la chiVe , le
malheur du calme 6c de la fécurité.
. Telje efl la deftinée inévitable de la vie
tiede 5C infidèle: des pafTions qu'on a trop
ménagées ; des lionceaux , dit un Prophé-
te , qu'on nourrit fans précaution , croif
lent enfin , Se dévorent la main indifcrette
c[ui les a elle-même aidés à fe fortifier , Sc
a devenir redoutables : les pafîîons venues
a un certain point, fe rendent les maîtref
les. Vous avez beau alors vous ravifer ; il
n eft plus tems : vous avez couvé le feu
profane dans votre cœur ; il faut enfin
quil éclatte : vous avez nourri ce venm
au dedans de vous; il faut qu'il gagne, 6c
Il nelt plus tems de recourir aîi remède.
11 talloit vous y prendre de bonne heure ;
les commencemens du mal n'étoient pas
encore fans reflource ; vous l'avez laiifé
tortiher ; vous l'avez aigri par tout ce qui
Sur LA TiEDÈu R. 6i
poiivoit le rendre plus incurable ; il faut
qu'il prenne le deltus ; 6c que vous vous
trouviez la victime de votre indifcrétion
6c de votre indulgence.
Aulfi ne nous dites vous pas vous-même
tous les jours , mes Frères , que vous
avez les meilleures intentions du monde ,
que vous voudriez mieux faire que vous
ne faites , 5c qu'il vous femble que vous
défirez fincérement de vous fauver ; mais
qu'il arrive mille conjonftures dans la vie,
où l'on oublie toutes fes bonnes réfolutions,
6c où il faudroit être un Saint pour ne pas
fe lailler entraîner : &C voilà juftement ce
que nous vous difons , que malgré toutes
vos bonnes intentions prétendues , fi vous
ne fuyez , fi vous ne combattez , fi vous
i>e veillez , fi vous ne priez , fi vous ne pre-
nez fans cefife fur vous-même , il fe trou-
vera mille occafions où vous ne ferez plus
le m.aître de votre foiblefi'e : voilà ce que
nous vous difons , qu'il n'eft qu'une vie
mortifiée êc, vigilante qui puiile nous met-
tre à couvert des tentations & des périls ;
que c'efi: un abus de croire qu'on fera fi-
dèle dans ces momens où l'on efi: violem-
ment attaqué , lorfqu'on y porte un cœur
afFoibli , chancellant , 5c déjà tout prêt à
tomber : qu'il ny a que la m^aifon bâtie fur
le roc , qui rëlifle aux vents 5c à l'orage;
qu'il n'efi: que la vigne entourée d'un vafte
fofi'é, 6c fortifiée d'une tour inaccefilble,
qui ne foit pas expofée aux infultes des
pallans j §C qu'en lui mot, il faut être faiut
6i Jeudi de la III Semaine.
6c folidemeiit établi dans la vertu , pour
vivre exemt de crime.
Et quand je dis qu'il faut être faint : hé-
îas! mes Frères , les âmes les plus^ ferven-
tes 5c les plus fidèles elles-mêmes avec des
penchans mortifiés , une chair exténuée
par les rigueurs de la pénitence , une ima-
gination purifiée par la prière , un efprit
nourri de la vérité 8>C de la méditation de
la loi de Dieu , une foi forti-fiée parles Sa-
cremens ÔC par la retraite , fe trouvent
quelquefois dans des iîtuations fi terribles ,
que leur cœur fe révolte , leur imagi-
nation fe trouble 6(. s'égare ; qu'elles fe
voyent dans ces trifles agitations où elles
flottent long-tems entre la mort 5c la vic-
toire , 6i où femblables à un navire qui
fe défend contre les flots au milieu d'une
mer irritée , elles n'attendent de sûreté ,
que de celui qui commande aux vents &C
à l'orage : &. vous voudriez qu'avec un
cœur déjà à demi féduit , avec des pen-
chans voifins du crim^e , votre'foibleiTe fût
à l'épreuve des occalions , 6c que les ten-
tations les plus violentes vous trouvailent
toujours tranquille 6c inaccefïïble ? vous
voudriez que dans des mœurs tiédes , fen-
fueiles , mondaines, votre ame offrit aux
occafions , cette foi , cetfte force que la
piété la plus tendre êv la plus attentive
quelquefois ne donne pas elle-même?
vous voudriez que des paffions flâiées ,
nourries , ménagées , fortifiées , derneu-
raffeut dociles , immobiles , froides en pr^-
SurlaTiedeur. 63
fence des objets les plus capables de les
allumer; elles qui après des longues macé-
rations , 6C une vie entière de prière 6C
de vigilance ,, fc réveillent quelquefois
tout d'un coup , loin même des périls ,
5c font fentir aux plus julles par des
exemples funeftes , qu'il ne faut jamais
s'endormir , 6c que le plus haut point de
la vertu n'eft quelquefois que Tinilant qui
précède la chute r Telle eil notre dclH-
née , mes Frères , de n'être clairvoyans
que fur les périls qui regardent notre for-
tune ou notre vie , ÔC de ne pas connoî-
tre même ceux qui menacent notre fal'.it.
Mais défabufons-nous ; pour éviter le cri-
me, il faut quelque chofe de plus que la
tiédeur Sc l'indolence de la vertu ; tC la
vigilance ell le feul moyen que Jefus-
Chriil: nous ait iaillé pour conferver l'in-
nocence. Première reflexion.
Une féconde réflexion qu'on peut faire
fur cette vérité ; c'efc que les paillons fe
fortifiant de jour en jour dans la vie tiède
Se infidèle, non-feulemeat le devoir trouve
en nous des répugnances infurmontables <
mais encore le crime s'applanit, pour ainlî
dire , Sc on n'y fentpas plus de répugnance
que pour une (impie faute. En eltct , le
cœur, par ces intidélitès journalières infè-
l^arables de la tiédeur , arrivé enfin com-
me par autant de démarches infenfibles juf-
qu'à ces bornes périlleufes , qui ne féparent
plus que d'un point la vie , de la mort , le
crime , de l'innocence , franchit le dernier
64 Jeudi de la III. Semaine.
pas , fans prefque s'en appercevoir : com-
me il lui refloit peu de chemin à faire , 6c
qu'il n'a pas eu beforn d'un nouvel effort
pour palfer outre , il croit n'avoir pas été
plus loin que les autres fois : il avoit mis
en lui des difpofitions fi voifinesdu crime ,
qu'il a enfanté l'iniquité fans douleur , fans
répugnance, fans aucun mouvement mar-
que , lans s en appercevoir lui-men:ie j lem-
blableàun mourant queles langueurs d'une
longue 5c j^énible agonie , ont fi fort appro-
ché de fa fin , que le dernier foupir relfem-
hle à ceux qui l'ont précédé , ne lui coûte
pas plus d'cifbrts que les autres , 6c lailfe
même les fpe^lateurs incertains fi fon der-
nier moment eil arrivé , ou s'il refpire en-
core : 5c c'efl ce qui rend l'état d'une ame
tiède encore plus dangereux , que d'ordi-
naire on y meurt à la grâce fans s'en ap-
percevoir foi-même ; on devient ennemi de
Dieu , qu'on vit encore avec lui comme
avec un ami ; on cft dans le commerce des
chofes faintcs , ÔC on a perdu la grâce qui
nous donnoit droit d'en approcher.
Ainii , que les amcs que ce difcours re-
garde, nes'abufent point elles-mêmes , fur
ce que peut-être elles font jufqu'ici dé-
fendues d'une chiite grofliére : leur état
n'en efl fans doute que plus dangereux de-
vant Dieu : la peine la plus form.idable de
leur tiédeur , c'eft peut-être que déjà m.or-
tes à fes yeux , elles vivent fans aucune
chute marquée : c'eft qu'elles s'endorment
tranquillement dans la mort fur une appa-
rence
SurlaTiedeur, 6^
reHCe de vie qui les raiïure : c'eft qu'elles
ajoutent au danger de leur état , une fauire
paix qui les confirme dans cettte voie d'il-
Uifion ôC de ténèbres : c'eft enfin que le
Seigneur, par des jugemens terribles ÔC
fecrets , les frappe d'aveuglement, 6c pu-
nit la corruption de leur cœur , en permet-
tant qu'elles Tignorent.Une chute grofiiére
feroit , fi j'ofe le dire , un trait de bonté
6c de miféricorde de Dieu fur elle : elles
ouvriroient du moins les yeux alors : le
crime dévoilé &C apperçu , porteroit du
moins le trouble & l'inquiétude dans leur
confcience : le mal enfin découvert les fe-
roit peut être recourir au remède : au
lieu que cette vie réglée en apparence les
endort 5c les calme ,, leur rend inutile l'e-
xemple des âmes ferventes , leur perfuade-
que cette grande ferveur n'eft pas nécef»
faire , qu'il y entre plus de tempérament
que de grâce , que c'eft un zèle plutôt
qu'un devoir ; 6c leur fait écouter comme
de vaines exagérations , tout ce que nous
difons dans ces chaires chrétiennes , fur
Iqs chûtes inévitables dans une vie tiède ÔC
iufidéle. Seconde réflexion..
Enfin , une dernière réflexion à faire fur-
cette vérité , c'eft que telle efl la nature de
notre cœur , de demeurer toujours fort au-
deffous de ce qu'il fe propofe. Nous avons-
fait mille fois des réfolutions faintes ; nous^
avons projette de poulTer jufqu'à uncer»
taint point le détails des devoirs ôc de lai
conduite ; mais l'exécution a toujpiirK
Carême , Tome IIL F
66 Mardi de la III Semaine.
beaucoup diminué de T^ardeur de nospra*"
jets , 6c eft demeurée fort au deiïbus du
degré 011 nous voulions nous élever : ainfî
une ame tiède ; ne fe propofant pour le
plus haut point de fa vertu , que d'éviter
le crime ; vifant précifément au précepte ,,
c'eil- à-dire , à ce point rigoureux 6c pré-'
cis de la Loi , au defTous duquel fe trouve
immédiatement la mort &. la prévarica-
tion ; elle demeure infailliblement au def-
fous , 6c ne va jamais jufqu'à ce point ef-
fentiel qu'elle s'étoit propofé : c'eft donc
une maxime inconteftable , qu'il faut beau-
coup entreprendre pour exécuter peu , ÔC
vifer bien haut pour atteindre du moins au
îîiilieu. Or cette maxime fi. siire à l'égard
inême des plus juftes jl'eft infînimentpliis à
l'égard d'une ame tiède &C infidèle : car la
tiédeur aggravant tous fes liens, 6c augmen-
tant le poids de fa corruption ÔC de les mi-
féres;c'ei£ elle principalement qui doitpren-
dre un grand eïïbrpour atteindre du moins
au plus bas degré , 6c fe propofer la per-
fe£^ion des confeils , fi elle veut en demeu-
rer à Tobfervance du précepte ; c'efl à elle
fur-tout qu'il eft vrai de dire , qu'en ne vi-
fant précifément qu'à éviter le crime, char-
gée comme elle eft du poids de fa tiédeur 5C
de fes infidélités y elle retombera toujours
fort loin du lieu où elle a voit cru arriver ;
ÔC comme au-deflbus de cette vertu com-
mode 6c fenfuelle , il n'y a immédiatement
«jue le crime , les mêmes efforts qu'elle
cxojoit faire pour l'éviter ^ ne ferviront
s u R LA Tiédeur. 67
qu'à l'y concluire. Voilà des raifons toutes
prifes dans la foiblelTe que les paflions for-
tifiées laifTent à Tanie tiède 5c infidèle , êC
qui la conduilent inévitablement à lachiite.
Cependant , Tunique raifon que vous
nous alléguez pour perfévérer dans cet état
dangereux , c'eil que vous êtes foible , ôC'
que vous ne fautiez foutenir un genre de
vie plus retiré , plus recueilli , plus morti-
fié , plus parfait. Mais c'eft parce que vous
êtes foible , c'eft-à-dire , plein de dégoût
pour la vertu, de goût pour le monde , d'af-
fiijettiiremens à vos fens ; c'eft pour cela
même qu'une vie retirée y mortifiée , vous
devient rndifpenfable : c'ell: parce que vous
êtes foible , que vous devez éviter avec
plus de foin les occafions 6c les périls ^
prendre plus far vous-mêm^e , prier , veil-
ler , vous refufer les plaifirs les plus inno-
cens , 6c en venir à de faints excès de zèle
6c de ferveur , pour mettre une barrière
à votre foibleife. Vous êtes foible ? Et
parce que vous êtes foible , vous croyez
qu'il vous efl permis de vous expofer
plus qu'un autre , de craindre moins les
I périls , de négliger plus tranquillement les
remèdes , d'accorder plus à vos fens , de
conferver plus d'attachemens pour le m.on-
de , ÔC pour tout ce qui peut corrom-
pre votre cœur ? Quelle illufîon ! Vous
faites donc de votre foiblefle le titre de
votre fécurité ? vous trouvez donc dans le
befoin que vous avez de veiller 5c de prier,.
le privilège ^ui vous en difpenfe ? Et de-
F 2
6s Jeudi de la IIî. Semaine.
puis quand ies malades iont-ils autorifés à
fc peraiettre plus d'excès , bî. uler de moins
de précautions, que ceux qui jouillent d'une
fjnté parfaite ? La voie des privations à
toujours été celle des foibles 6c des infir-
mes ; 6c alléguer votre foiblelle , pour vous
difpenfer d'une vie plus fervente 6c plus
chrétienne ; c'eft alléguer vos m.aux pour
nous perfuader que vous n'avez pas befoin
de remède. Seconde raifon tirée des paf-
iions qui fe fortifient dans la tiédeur , ÔC
qui prouve que cet état finit toujours par
la chute ôc par la perte de la jultice.
A toutes ces raiions , je devois en ajou-
ter une troifiéme tirée des fecours exté-
rieurs de la Religion, néceiTaires pour foii-
tenir la piété , 5c qui deviennent inutiles à
Tame tiède &C infidèle..
Les Sacremens non-feulement ne lui font
plus d'aucune utilité ; mais ils lui devien-
nent même dangereux , ou par la tiédeur
avec laquelle elle en approche , ou par la
vaine confiance qu'ils lui infpirent : ce ne
font plus pour elle des relTources ; ce font
des remèdes accoutumés , ufés , fi j'ofe
parler ainfi , qui amufentfa langueur ; mais
qui ne la guérilTentpas : c'efi: la viandes des
forts , qui achevé de ruiner un efiomac
foible y loin de le rétablir : c'eft un fouffle
de l'Efprit-Saint^ qui ne pouvoit rallumer
le tifon encore fumant, achève de l'étein-
dre : c'eil-à- dire , que la grâce des Sacre-
mens reçue d^nsun cœur tiède & infidèle^
D'y opérant plus un accroillement de \i^
SurlaTiedeur. 69^
5c de force , y opère tôt ou tard la mort
2>C la condamnation y toujours attachée à
l'abus de cqs divins remèdes.
La prière , le canal des grâces ; cette
nourritare d'un cœur fidèle ; cet adoucif-
femient de la piété ; cet azile contre toutes
les attaques de Tennemi ;. ce cri d'une ame
touchée y qui rend le Seigneur fi attentif à
fes befoins : la prière fans laquelle Dieu
ne fe'^fait plus fentir à nous , fans laquelle,
nous ne connoilTons plus notre Père, nous
lie rendons plus grâces à notre Bienfai-
teur , nous n'appailons plus notre Juge ,
nous n'expofons plus nos plaies à notre
Médecin , nous vivons fans Dieu dans ce
monde , la prière enRn , il nécellaire à la
vertu la plus établie, n'elr plus pour Tam.e
tiède qu'une occupation oifeufe d'un efprit
égaré , d'un cœur fec ÔC partagé par mille
affections étrangères. Elle n'y trouve plus
ce goût , ce recueillement , ces confola-
tions qui font k fruit d'une vie fervente 6C
fidèle : elle n'y voit plus comme dans un
nouveau jour ks vérités faintes , qui con-
firment une ame dans le mépris du m.onde,
5c dans l'amour des biens éternels ,. Sc qui
au fortir delà , lui font regarder avec un
nouveau dégoût , tout ce que les hommes
infenfés admirent : elle n'en fort plus rem-
plie de cette foi vive , qui ne comipte plus
pour rien les dégoûts 6C les obflacles de
la vertu , 6c qui en dévore avec un faint
zèÏQ toutes les amertumes : elle ne fent
j)oint au fortir de là plus d'amour pour le
70 Jeudi de la III. Semaine.
devoir, plus d'horreur pour, le monde,
plus de réfolution pour en fuir les périls ,
plus de lumière pour en connoître le néant
& la mifére , plus de force pour fe h air
&. pour fe combattre elle-même , plus de
terreurs des Jugemens de Dieu , plus de
compon(^ion de {qs propres foiblelTes : elle
en fort feulement plus fatiguée de la vertu
qu'auparavant,plus remplie des phantômes
du monde , qui , dans ce moment ou elle
a été aux pieds de fon Dieu , ont ce iemble
agité plus vivement fon imagination flétrie
de toutes ces images ; plus aife de s'être
acquitées d'un devoir onéreux , où elle n'a
trouvé rien de plus confolant , que le plai-
fir de le voir finir ; plus empreifée d'aller
remplacer par des amufemens ÔC des infi-
délités , ce moment d'ennui ôc de gêne ;
en un mot, plus éloignée de Dieu , qu'elle
vient d'irriter par l'infidélité 6c l'irrévé-
rence de fa prière : voilà tout le fruit qu'elle
en a retiré. Enfin , tous les devoirs exté-
rieurs de la Religion qui foutiennent la
piété & qui la réveillent , ne font plus pour
î'ame tiède , que des pratiques mortes ÔC
inanimées , où fon cœur ne fe trouve plus,
où il entre plus d'abitude que de goût
6c d'efprit de piété , 6c où , pour toute
difpofition , on n'y porte que l'ennui de
faire toujours la même chofe.
Ainfi , mes Frères , la grâce dans cette
ame , fe trouvant fans ceiÏQ attaquée 5c af-
foiblie , ou par les tifages du monde qu'elle
fe permet , ou par ceux de la piété dont
Sur LA Tiédeur. 71
elle abufe ; ou par les objets des fens qui
nourrilTent fa corruption , ou par ceux de
la Religion qui augmentent fes dégoûts ,-
ou par les pbâfirs qui la diffipent , ou par
les devoirs qui la lalTent ; tout la faifant
pencher vers fa ruine , 5c rien ne la foûte-
nant: hélas! quelle dellinée pourroit-elle-
fepromettre ? La lampe qui manque d'huile
peut-elle éclairer long-tems ? Tarbre qui ne
tire prelque plus de fuc de la terre , peut-iî
tarder de fécher , 5c d'être jette au feu? Or
telle eft la fituation de Famé tiède : toute
livrée à elle-même , rien ne la foutient ;
toute pleine de foiblelTe 5c de langueur,
rien ne la défend;toute environnée d'ennuis
ÔC de dégoûts , rien ne la ranimer tout ce
qui confoleTame jufte , ne fait qu'augmen^
ter fa langueur;tout ce qui foutient une ame
fidèle , la dégoûte 5c Taccable; tout ce qui
rend aux autres le joug léger , appefantit le
lien ; & les fecours de la piété ne font plus
que fes fatigues ou fes crimes. Or , dans
cet état ! ô mon Dieu ! prefque abandonnée
de votre grâce, lailée de votre joug, dé-
goûtée d'elle- m.ême autant que de la vertu,,
affoiblie par fes maux ôc par les remèdes j^,
chancelante à chaque pas , un fouffle la ren-
verfe ; elle-même penche vers fa chute ,.
fans qu'aucun mouvement étranger la pouf-
fe , 5c pour la voir tomber il ne faut pas
même la voir attaquée.
Voilà les raifons qui prouvent la certitu-
de d'une chute dans la vie tiède 6c infidèle»
Maisfaudroit-il tant de preuves , mon cher
7i Jeudi De la îïl. Semaimî.
Auditeur , où vos propres malheurs vous
ont fi triftemeut inftruit ? Souvenez-vous
d'où vous êtes tombé , comme le difoit
autrefois TETprit de Dieu à une ame tiède:.
'^T^^'^^'r-Memor eflo undc excideris'. Remontez a la
fource des défordres où vous croupifTez
encore : vous la trouverez dans la négli-
fenceSc dans Tinfidélité dont nous parlons.
)i\Q naiffance de pafllon trop foiblement.
rejettée , une occaîion de périls trop fré-
quentée , des pratiques de piété trop fou-
vent omifes ou méprifées , des commodi-
tés trop fenfuellement recherchées, des dé-
firs de plaire trop écoutés , des le£lures~
dangereufes pas allez évitées : la fource eft
prelque imperceptible; le torrent d'iniquité
qui en eii forti , a inondé toute la capacité
de votre ame : ce n'étoit qu'une étincelle
qui a allumé ce grand incendie : ce fut un
peu de levain , qui , dans la fuite , a aigri 6c
corrompu toute la maffe. Mentor eji iinde
excideris. Souvenez-vous-en : vous n'auriez
jamais cru en venir où vous en êtes : vous
écoutiez toutce qu'on difoit là-de/Tus com-
me des exagérations de zèle 6c de fpiritua-
lité : vous auriez répondu de vous-même,
pour certaines démarches , fur lefqucllea
vous ne fentez prefque plus de remords,-
Memor exto unde excideris- Souvenez-vous
d'où vous êtes tombé: confidérez La pro-
fondeur de l'abîm.e où vous êtes : c'eft le
relâchement , ÔC des infidélités légères ,
qui vous y ont conduit comme par degrés^
Souvenez-vous-en , encore une fois j 6l
voyez
SurlaTiedeur. 73
Toyez û l'on peut appeller un état sûr , ce
qui a pu vous conduire au précipice ?
Tel eft Tartifice ordinaire du démon : il
ne propofe jamais le crime du premier
coup ; ce feroit apprivoifer fa proie , 6c
la mettre hors d'atteinte à Tes furpriles : il
connoît trop les routes par oii il faut entrer
dans le cœur : il fait qu il faut ralTurer peu
à peu la confcience timide contre l'horreur
du crime , ÔC ne propofer d'abord que des
fins honnêtes , 6c certaines bornes dans le
plaifir : il n'attaque pas d'abord en lion ;
c^eft en ferpent : il ne vous mène pas droit
au gouffre; il vous y conduit par des voies
détournées. Non , mes Frères , les crimes
re font jamais les coups d'elTai du cœur.
David fut iiidifcret 5c oiieux, avant d'être
adultère : Salomon fe laifTa amollir par la
magnificence 5Cpar les délices de la Royau-
té, avant de paroître fur les hauts lieux au
milieu des Femmes étrangères : Judas aima
l'argent avant de mettre à prix fon Maître:
Pierre préfama avant de le renoncer.
Le vice a {qs progrès comme la vertu :
comme le jour inllruit le jour , dit le Pro-
phète ,^ ainfi la nuit donne de triftes leçons
à la nuit ; & il n'y a pas loin entre un état
quifufpend toutes les grâces deproteâion,
qui fortifie toutes les palTions , qui rend
inutiles tous les fecours de la piété . ÔC mx
état où elle efl enfin tout-à-fait éteinte.
^ Qu'y a-t'il donc encore , m.on cher Au-
diteur , qui puilTe vous raffurer dans cette
vie de négligence 6c d'iu/idéliîi ? Sorc'it-
C^rômj j t orne [il. G
74 Jeudi de la III. SexMaine.
ce Texemption du crime , où vous vous,
êtes jufqu'ici confervé ? Je vous ai mon-
tré, ou qu'elle eft un crime elle-même,
ou qu*elle ne tarde pas d'y conduire. Se-
roit-ce l'amour du repos ? Mais vous n'y
trouvez , ni les plaifirs du rnonde , ni les
confolations de la vertu. Seroit-ce l'affu-
rance que Dieu n'en demande pas davan-
tage ? Mais comment l'ame tiède pourroit-
clle le contenter 6c lui plaire , puifqu'il la
rejette de fa bouche ? Seroit-ce le dérègle-
ment de prefque tous ceux qui vous envi-
ronnent , ôC qui vivent dans des excès
que vous évitez ? Mais leur deftinèe eft
peut-être moins à plaindre ôc moins dè-
îerpérée que la vôtre : ils connoifTent du
moins leurs maux , 6c vous prenez les vô-
tres pour une fanté parfaite. Seroit-ce la
crainte de ne pouvoir foûtenir une vie plus
vigilante, plus mortifiée, plus chrétienne?
Mais puifque vous avez pu foûtenir juf-
qu'ici un refte de vertu ÔC d'innocence
fans les douceurs 5c les confolations de la
grâce , ôC malgré les ennuis 6c les dégoûts
que votre tiédeur répandoit fur tous vos
devoirs : que fera- ce , lorfque l'efprit de
Dieu vous en adoucira le joug , 6c qu'une
vie plus fidèle 6c plus fervente vous aura
rendu toutes les grâces ÔC toutes les con-
folations dont votre tiédeur vous a privé ?
La piété n'eft trifte 5c infupportable , que
lorsqu'elle eft tiède 6c inhdéle.
Levez-vous donc , dit un Prophète î
ame lâche &. pareiTeufe ; rompez le char-
Sur LA Tiédeur. ^ç
tne fatal qui vous endort & qui vous en-
chaîne a votre propre pareffe. Le Seigneur
que vous croyez fervir , parce que vous ne
joutragez pas a découvert, n'eft pas le
JJieu des lâches, mais des forts : il n'eft
pas le rémunérateur de l'oifiveté Sc de l'in-
doJence mais des larmes , des veilles Sc
des combats ; il n'établit pas fur fes biens
e^lurfaCite éternelle le ferviteur inutile,
mais le ferviteur laborieux &: vigilant; 8c
chaiî^vTT'' ^l^i'Apôtre, n'eftpa^la
Z^^ ^ ^£^"S ' <: eft-à-dire , une indigne
molleire & une vie toute dans les fens ;
mais la force de la vertu de Dieu ; c'eft-à-
tin,!;n "^ foi agiffante, une vigilance con-
tinuelle , un facrifice généreux^de tous nos
penchans , un mépris confiant de tout ce
qui paffe , & un défîr tendre & enflammé
de ces biens invifibles qui ne pafferont ja-
mais, ceft ce que je vous fouhaite. '
^in/î foit - il.
-^)e( X.»ij^#>K;X M-X'L^ X>*.*4;:< > X II'
^i^
\:<^.ft A
SERMON
POUR LE VENDREDI
DE LA TROISIEME SEMAINE
DE CARÊME.
La Sa
maritaine.
Venît Jefus in civitatem Smaiiae quîe dici-
tur Sichar.
^efus vint en une ville de Samarie , nommée
Sichar, Joan. 4. 5,
E S voi'es de la grâce dans la
converlîon des pécheurs ne
font pas toujours les mêmes ,
mes Frères. Tantôt c'eft un ra-
yon vif 5c perçant , qui forti du
fein du Père des lumières , éclaire , frappe ,
abbat , emporte le cœur ; tantôt c'eft une
clarté plus tem.pérée , qui a fes progrès bC
fes fuccefiions , qui femble difputer quel-
que tems de la viftcire avec les nuages
qu'elle veut diiîiper, ^ qui ne prend ne-
La Sa m a r i t a i n e. 77
finie cîefllis qu'après que mille alternatives
'ont fait clouter à qui des deux demeure-
roit rhonneur du combat. C'ell quelque-
fois un Dieu fort , qui d'un feul coup ren-
verie les cèdres du Liban : quelquefois c'eil:
un Dieu patient , qui lutte avec un fimple
fils d'Abraham , ÔC lui laiiTe faire aflez
long- tems un triile effai de fes forces , ou
pour mieux dire de fa foibleiTe.
Sous dQs conduites û différentes , vous
êtes pourtant toujours le même , ô mon
Dieu 1 Quoique vous nous laifiiez toujours
entre les mains de notre coiifeil , par-tout
vous agilTez comme le maître des cœurs ;
6c a les doutes 5c les délais d'un Apôtre
rendirent autrefois plus de gloire à la vé-
rité de votre Réfurreâion, que la promipte
foumiiTion des autres Diiciples ; on peut
dire que les réfiflances 6c les oppofitions
d'une femme de Samarie , font prefque
plus éclater aujourd'hui la puifTance de vo-
tre g^race , que les foudaines converlioik
des réchereiles 5c des Sauls. Du moins ,
mes Frères , lorfque le Seigneur triomphe
d'-un cœur fans combattre , il femble qu'il
ne triomphe que pour lui-même ; ce font
des prodiges ; Sc il veut feulement qu'on
admire fa puifTance , &C l'empire qu'il a [ut
nos cœurs. Mais lorfque la converfion
d'une ame criminelle ed le fruit des efforts
réitérés de fa grâce , c'eft pour nous alors
qu'il triomphe ; ce font des leçons ; 6c fon
defleiri eft de nous faire fentir qu'il ne fait
rien en nous fans nous ; 5C que la grâce ne
t
'8 Vendredi de la III. Semalv^.
[ui ramènera jamais notre cœur , fî notre
cœur ne fe donne lui-même. En effet ,
pourquoi celui qui n'eût befoin que d'une
parole pour enlever les fils de Zébédée à
leurs filets , Lévi à fon bureau , Zachée à
fes injuftices , ménageroit-il û long-îems
aujourd'hui les pallions 5c les préjugés
d'une femme étrangère , s'il n'avcit voulu
nous tracer dans les défaites ÔC les réfif-
tances dont elle ufe avant que de fe ren-
dre , l'image de celles que nous oppofons
tous les jours à fa grâce.
Or , je remarque trois excufes princi-
pales qui lui fervent comme de rempart
contre toutes les inftances miféricordieu-
fes de Jefus-Chrift.
L'excufe de l'état. Elle efi: femme Sa-
maritaine ; ôC par là elle fe défend d'ac-
corder au Sauveur ce que fa bonté de-
,ld.'j^.(^, mande d'elle : Quomodo bïhero. à me ^ofcis
qux fum mulicr Samaritana ?
L'excufe de la difficulté. Le puits eft
profond , 5c on n'a pas de quoi puifer l'eau :
'^^ ^^' Puteus altus ejl ^ neqm in quo haurias ha-^
bes»
Enfin , l'excufe de la variété des opi-
nions ÔC des do£^rines > qui lui perfuade
qu'étant douteux s'il faut adorer à Jérufa-
lem ou à Garizim , elle peut fe difpenfer
de croire cet étranger qui lui parle , & de-
meurer dans l'état déplorable où elle fe
trouve : Patres nojîri in monte hoc adora-
f. 20. verunt , & vos dicitis quia Jerofoljmis ejl
Locus ubi adorarc o^ortet*.
La Samaritaine. 79
Or , dans les exciifes qii'oppofe cette
femme aux inftances de Jeiiis-Chrift ,
reconnoiflbns , dit Saint Auguftin , celles
que nous oppofons tous les jours à fa grâ-
ce : Audiamus ergo in illa nos : & in Ula
agnofcamiis nos»
L'exeufe de l'état. On trouve dans l'état
cil la Providence nous a fait naître , des
prétextes pour autorifer une vie toute
mondaine.
L'exeufe de la difficulté. On en trouve
dans l'idée impraticable qu'on fe forme de
la vertu.
Enfin , l'exeufe de la variété des opi-
nions ÔC des dodlrines fur les régies des
mœurs. On trouve dans ces incertitudes
& ces contradictions prétendues des mo-
tifs de fécurité qui nous calment fur nos
tranfgreflions les plus manifeftes. Confon-
dons ces trois excufes , en vous expofant
l'hilloire de notre Evangile. C'eft ce que
je me propofe , après avoir imploré , àc.
^ve ^ Maria»
1 OuT eft myflère Sc inftruaion , dit^^'-^'t* '
S. Auguftin, dans la conduite du Sauveur
envers la femme de Samarie , Sc dans les
oppositions que cette femme femble met-
tre à toutes les miféricordes du Sauveur
fur elle. En effet, d'un côté Jefus-Chrift
voulant, ce femble, ménager la foibleiTe
Se les paflions de cette pécherefTe , ne l'at-
taque pas d'abord à découvert. Il s'accom-
mode à ks préjugés , pour k$ mieux conv-
go Vendredi de la III. Semaine.
battre : il parle le langage de fes erreurs r
pour avoir occafion d'inlinuer la vérité : il
diïïlmule quelque tems Tes miféres : pour
la préparer à les mieux connoître , 5c de
peur que fon cœur ne fe révolte contre la
main qui va la guérir : il ufe de précautions
& lui cache , pour ainfi dire , tout l'appa-
reil 6c toute la rigueur des remèdes : Faw
latlm Intrat in cor-
- Mais , d'un autre côté , cette pécherefTe
en garde , ce femble , contre toutes les
avances miiericordieufes de Jefus-Chrift
n'oppole à la bonté 5c à la {iîgelTe de fes
précautions que des évafions 5c des arti-
fices ; 6C aufTi ingénieufe à échapper à la
grâce , que la grâce paroît attentive à la
pourfuivre , elle n'oublie rien ou pour co-
lorer fes refus , ou pour différer le mo-
ment de fa délivrance.
La première excufe qu'elle oppofe à
Jefus-Chrift , eft celle que nous avons ap-
peilée fexcufe de l'état. Elle fe perfuade
qu'étant femme. Samaritaine , il n'a pas
droit d'exiger d'elle les offices qu'il ea
exige : Quornodo bibcre à me pofcis , (]uce
fiim mulier Samaritana ? 5c quel'ufage ads-
tout tems interdit à Samarie , ôc que cet in-
connu femble vouloir aujourd'hui lui
prefcrire : l^on enim coutuntur Judœi Sa^
mar'itanis»
Or voilà la première excufe qu'on nous
oppofe tous les jours pour juftifier des
mœurs profanes 5c toutes mondaines. Lorf-
que nous vous propofoiis le modèle d'une
La Samaritaine. Si
conduite chrétienne; que nous voulons en-
treprendre de réduire un jeu outré ôc éter-
nel à un honnête délailement , de bannir
les fpeftaclcs , d'occuper la mollelTe 6c
Toifiveté , de ramener à la inodeftie le
fafte 5c l'indécence des ufages , d'interdire
certains plaifirs , de corriger certains abus,
de coniéiller Tufage de la prière , l'amour
de la retraite , les le£^ures faintes , le tra-
vail des mains , les œuvres de miféricor-
de , la fréquentation des Sacremens , les
foins domeftiques , les prières communes ,
en un mot tout le détail des mœurs chré-
tien'nes : vous nous répondez que cette
grande exactitude ne fauroit convenir à des
perfonnes attachées comme vousà la cour
& engagées dans le 'monde: Quomoda bh-
bere à mepqfcis , çuœju/n mulicr Samarita^
na ? que nous confondons vos obligations
avec celles des cloîtres 6c des déferts ; 6C
qu'iln'eft pas polTible d'allier la vie que nous
confeillons , avec les mœurs que l'ufag»
prefcrit : I^on enim coutuntur Judœi Sama"
rltanis. On fe plaint que nous condamnons
le monde fans le connoître ; que l'idée qu«
nous donnons de la vertu , eft unefingula-
rité ridicule ; qu'il faut que chacun fe fauve
en vivant conformément à fon état, 5c
qu'il feroit peu raifonnable d'exiger de
ceux qui ont à vivre à la Cour 6c au mi-
lieu du monde , tout ce qu'on pourroit
exiger de nous-mêmes.
mais , mes Frères , premièrement , Ut '"
Religion ne diiliiigue que deux fortes de
82 Vendredi de la ITI. Semalvé.
devoirs. Les uns fuivent l'état , il eft vrai ,
& ne conviennent qu'à ceux qui l'ont em-
braflé. Ainfi les devoirs du Prince , du fu-
jet , de rhomme public , du père de fa-
mille, du Miniftre appliqué à l'Autel faint ,
font différens. Les autres font inféparables
du Batême, 5c communs à tous ceux qui
ont été régénérés en Jefus-Chriftfans dif-
tinâ:ion de Juifs 6c de Gentils, de Prince 5c
de fujet, de Courtifan 5c de Solitaire. Ce
principe fuppofé , je vous demande , mes
Frères, pour être du monde ou de la Cour
en êtes-vous moins chrétiens? y a-t'il une
autre efpérance , un autre Evangile , un
sutre Batême pour vous , que pour ceux
qui habitent les déferts ? en êtes-vous moins
membres de Jefus-Chrift , difciples de la
Croix , étrangers fur la terre ? que peut
ajouter ou retrancher votre état de gens du
monde ou de la Cour , aux obligations ef-
fentielles de la foi ? Jefus-Chrift a-t'il
donné un Evangile à part à la Cour 6c au
monde? a-t'il marqué dans le fien des ex-
ceptions favorables au monde? a-t'il décla-
ré qu'il ne prétendoit pas comprendre le
monde dans la rigueur de fcs maximes ? Il
a dit , à la vérité , que le monde les com-
battroit , ces maximes faintes , 6c qu'il fe-
roit jugé par elles : or ce qui nous juge, c'eft
notre Loi ; 6C nous ne ferions pas jugés
comme tranfgreffeurs de ces maximes , fî
ces maximes n'étoient pas nos devoirs.
Vous êtes du monde? Mais la Péchereïïe
de l'Evangile étoit du monde ; fe crut-elle
La SamaritaIxVE. ?î
dîfpenfée de faire pénitence , 6c de pleurer
le reile de fes jours les égaremens du pre-
mier Sage ?, David étoit du monde 6c aflis
fur le Trône , fe perfuada-t'il que ce titre
dût modérer l'abondance de fes larm.es , ôC
la rigueur de fes auftérités ? lifez-en le dé-
tail dans ces Cantiques divins , qui en fu-
rent les fruits , &L qui en feront les monu-
micns immortels. Les Judits , les Efthers ,
les Paules , les Marcelles , étoient du mon-
de 6c forties d'un fang illuftre : furent-elles
mondaines , voluptueufes, environnées de
fafte , de molleiTe , d'indécence ? de plaifir ?
vous le favez ; 6c il eft inutile de vous rap-
porter ici ce qui eft venu jufqu'à nous de
leurs mœurs éc de leur conduite.
D'ailleurs , mes Frères , d'où eft venue
dans TEglife cette dijftin£lion de ceux qui
font du monde , d'avec ceux qui n'en font
pas? n'-eft-cepas de la corruption des mœurs
èC du relâchement de la Foi?Diflinguoiton
entre les premiers Fidèles ceux qui étoient
du monde , de ceux qui n'en étoient pas ?
Ah ! ils avoient tous renoncé au monde.
Les Miniftres de l'Autel , les faints Con-
feffeurs , les Vierges pures , les Femimes
partagées entre Jefus-Chrift ÔC les foins
du mariage , les (impies Fidèles , ceux mê-
mes qui étoient de la Maifon de Céfar , ils
vivoient tous féparés du monde ; ils n'a-
voient rien de commun avec le monde, ils
favoient tous que le falut n'étoit pas pour le^
monde ; être Chrétien 6c n'être plus du
monde , étoit alors la mé$UQ chofe , & fur
S4 Vendredi de la III Semaine.
ce point il n'y avoit entre eux aucune diffé-
rence. Vous êtes du monde , mon cher Au-
diteur ? mais c'eft là votre crime , & vous
en faites votre excufe ? Un Chrétien n'eft
plus de ce monde , c'eft un citoyen du ciel ;
c'eft un homme du fiécle à venir ; c'eft le
juge &C Tennemi du monde. Il n'y a plus de
monde pour Tame fidèle ; tout ce qui fe
pafTe , eil déjà pafTé pour elle : tout ce qui
doit périr , neii déjà plus à fes yeux. Vous
n'êtes venu , ô mon Dieu ! que pour con-
damner le monde; ÔC nous prétendons que
notre conformité avec lui deviendra le ti-
tre de notre innocence , ÔC nous juftiiîera
contre votre Loi même !
De plus , quand vous nous dites que
vous êtes du monde, que prétendez-vous
dire ? Que vous êtes difpenfés de faire pé-
nitence ? Mais fi le monde eft le féjour de
l'innocence, l'azile de toutes les vertus,
le proteâ:eur fidèle de la pudeur , de la
fainteté , de la tempérance ; vous avez rai-
fon. Que la prière eft moins néceiïaire ?
Mais fi dans le monde les périls font moins
fréquens que dans les folitudes , les pièges
nioins à craindre , les fèdu<ftions moins or-
dinaires, les chutes plus rares , 5c qu'il
faille moins de grâce pour s'y foutenir ; je
fuis pour vous. Que la retraite n'y fauroit
être un devoir. Mais fîlesentretiens y font
plus faints , les affemblées plus innocentes;
fi tout ce qu'on y voit , qu'on y entend,
élève à Dieu, nourrit la'foi , réveille la
piété , fert de foutien à la grâce : je ie veux.
La Samaritaine. 85
Qu'il en doit moins coûter pour fe fauver ?
Mais fi vous y avez moins de pafiions à
combattre , moins d'obftacles à furmonter;
(î le monde vous facilite tous les devoirs de
l'Evangile , Thumilité , l'oubli des injures,
le mépris des grandeurs humaines, la joie
dans les affliâ:ions , l'ufage chrétien des ri-
chefTes ; vous dites vrai , ÔC on vous l'ac-
corde. O homme ! tel eft votre aveugle-
ment , de compter vos malheurs parmi vos
privilèges ; de vous perfuader que ce qui
multiplie vos chaînes ; augmente votre li-
berté ; 6c de faire votre sûreté de vos pé-
rils mêmes.
Mais au fond , direz- vous , il faut pour-
tantfaire des différences ; ôc il fera toujours
vrai que ceux qui vivent dans les cloîtres
font obligés à plus de perfe£tion que ceux
qui vivent dans le monde. Et je vous dis
que vous vous trompez , ÔC qu'il faut être
plus ferme dans la foi , plus folidement
enraciné dans la charité , plus à l'épreuve
des dangers , pour fe foûtenir dans le mon-
de , que dans la folitude : 5c je vous dis
que il vous ne veillez avec plus de foin fur
tous les mouvem.ens de votre cœur , que le
Solitaire ÔC l'Anacoréte ; fi vous ne priez
avec plus de ferveur ; (î vous ne réfiftez
avec plus de fidélité ; fi vous n'attirez fur
.yous plus de fecpurs d'en haut , vous êtes
.j>erdu^ Cyfi fîifltles dangers 4'un état , qui
(décident cîe la mefure de la vertu qu'il de-
mande de nous : les vertus foibles trouvent
du moins un azile ôc des reffources dans la
86 Vendredi de la III. Semaine.
sûreté des cloîtres ÔC dans les fecours d'une
fainte difcipline ; au lieu que les vertus les
plus folides ne trouvent dans le monde que
des écuèils où elles fe brifent , ou des fé-
duélions qui les afFoiblilTent.
Et pour confondre ici une bonne fois
une erreur Ci univerfelle 6c fi injurieufe à la
piété chrétienne ; dites-moi je vous prie ,
vous qui voulez qu'on mette une il grande
différence entre les devoirs de votre état ,
êC ceux des cloîtres & des déferts ; quel-
les furent les vues de ces Saints Fondateurs
qui afiemblerent les hommes dans des foli-
tudes , 6c les affujettirent aux loix d'une
difcipline févère ? prétendirent-ils propofer
à leurs difcipies un nouvel Evangile , ou
ajouter des rigueurs inutiles aux maximes
que Jefus-Chriil propofe au commun
des Fidèles ?
Ecoutez-le , mes Frères. Tandis que
les Chrétiens formoient encore au milieu
du monde une alTemblée de Saints , dont le
monde lui-même n'étoit pas digne ; que les^
femmes annonçoient la piété par leur pu-
deur 6c leur modeftic ; que les Fidèles
brilloient comme des aftres purs au milieu
des nations corrompues ; 5c que les Payens
eux-mêmes refpeâ:oient dans la pureté de
leurs mœurs ; la fainteté de leur morale ;
alors il eût été inutile de fe retirer dans des
folitudes ; 6c l'aflemblée des Fitléles étoit
encore l'azile de la vertu ; 6c la vie com-
mune , la voie qui conduifoit au falut. Mais
depuis que la foi commença à s'afFoiblir ,
La Samaritaine. ^7
en commençant à s'étendre , 6c que le
monde devenu chrétien porta avec lui dans
l'Eglife fa corruption & fes maximes , alors
ceux que TEiprit de Dieu voulut préferver,
voyant les iniquités ôc les contradiftions
des villes ; que la vie commune n'y étoit
plus la vie chrétienne , ÔC que les ufages
avoient prévalu fur la loi , cherchèrent un
azile dans la retraite , élevèrent des lieux
de sûreté au milieu des déferts , a/Temble-
rent des hommes pour les y mettre à cou-
vert de la corruption générale ; mais ils ne
fe propoferent que d'y renouveller les an-
ciennes mœurs des Chrétiens fort altérées,
6c fort difficile à pratiquer dans le mon-
de ; qu'à faciliter à leurs difciples l'obfer-
vance de l'Evangile , régie propofée à
tous , 5c que tous font obligés d'obferver ;
de forte que toutes les précautions de re-
traite , de filence , d'auflérité , que nous
regardons comme il éloignées de notre
état , ne furent pourtant que des moyens ,
que ces faints pénitens crurent nécelTaires
pour obferver des devoirs qui leur étoient
communs avec nous. Ils fe prefcrivirent des
pratiques particulières , dont TEvangile ,
je l'avoué* : ne vous fait pas un précepte ,
mais ils ne voulurent , par le fecours de
ces pratiques particulières, qu'arriver plus
sûrement à l'obfervance même des pré-
ceptes. Ainfi ils renoncèrent au lien facré
du mariage , pour fe faciliter la pudeur 6C
la chafteté ordonnée à tous les Fidèles ; ils
fe foumirent aux loix d'un filençe xigou*
tS Vendredi de la III Semaine.
xeux , pour éviter plus sûrement les dif-
cours de vanité , d'oifiveté , de malignité ,
de dilîblution , interdits au refte des Chré-
tiens ; ils renoncèrent réellement aux biens
6c ai:>^ efpérances du monde , pour en
venir plus aifément à ce renoncement de
cœur , à ce mépris de tout ce qui pafTe ,
commandé à chacun de nous dans TEvan-
gile ; ils fe renfermèrent dans l'enceinte
d'une retraite auflère , pour s'éloigner fans
retour des plaifîrs ÔC des pompes du mon-
de auxquelles nous avons tous renoncé
dans notre Baptême ; ils s'impoferent le
joug des jeûnes , des veilles , des m.acé-
rations , pour dompter une chair que vous
êtes tous obligés de crucifier fans ceiTe, ôc
fe faire comme une loi domeftique de la
pénitence , dont l'Evangile vous a fait à
tous une loi indifpenfahle.
Or, que conclure de-là? qu'avec moins
de fecours qu'eux , nous avons pourtant
les n:êmes obligations à remplir qu'eux ;
que fans toutes les facilités que donne la
pratique des confeils pour ob.ferver le fond
de la Loi , nous fommes pourtant obligés
d'en accomplir tous les préceptes ; que fans
renoncer à tout comme eux, nous devons
pourtant être pauvres de cœur comme eux ,
t^ ufer de ce monde comme fî nous n'eii
ufionspas; que vivant au milieu de tous les
attraits de la chair, bC dans le lien honora-
ble des noces , nous devons pourtant pof-
féder com.me eux le vafe de notre corps
avec fainteté , ôc faire un pade avec nos
yeux
La Samaritaine. g^
^ux pour nepas même penfer à des objets
dangereux ; que dans l'ufage des viandes
6c la liberté des repas , nous devons ufer
d une cenfure rigoureufe envers nos fens ^
5C conferver, comme l'Anacoréte le plus
pénitent, toute la frugalité évangelique ;
que fans le vœu ôc la religion du filence ,
nous devons mettre une garde de circonf-
peaion fur notre langue , afin qu'il ne nous
échappe pas même une parole oifeufe , 6c
que tous nos difcours foient des di4:ours de
Dieu ; que dans une vie com^niune', il faut
pourtant trouver le fecret de porter fa
croix , fe renoncer fans cq{[q foi-même ,
être difciple de Jefus-Chrift 6c le fuivre ;
fans le fecours d'une retraite extérieure,
porter.au m.ilieu des entretiens 6c des com-
merces, une folitude , un calme au fond
de votre cœ-ir^où le Dieu de paix puiiTe
habiter'; fans fortir du monde, y renoncer
en effet, le mipnfer &: le hair; fans être
revêtu de poil de chameau, comme le So-
litaire , porter fous l'or &: fous la foie, un
homme pénitent, ÔC un corps revêtu de la
mortification de Jefus-Chrill ; ÔC en un
mot , que fans vous interdire tout ce qui
peut fiàter les fens , vous vous interdifiez
pourtant toute complaifance fenfuelle.
Venez nous dire après cela , dit Saint
Chryioftôme : il faut donc fe retirer fur les
montagnçs , 5c dékrter les villes. Eft-ce
que l'Evangile ii'ed plus que pour les Soil-
taires ? eft-ce que la chaileté , la tempéran»
ce , la pauvreté du cœur , le mépris du
Carêm&j Tome IIL H
ço Vendredi d£ laJIL Semaîn'E.
monde, le renoncement à Toi-même, pe
font plus que les vertus des cloîtres 6C des
déferts ? Quelle erreur donc des gens du
monde , de renvoyer aux Solitaires 8C aux
perfonnes retirées , toutes les auftérités
de la vie chrétienne ? Ah ! il en coûte bien
plus au Fidèle de fe fauver au milieu du
monde , qu'au Solitaire au fond de fa re-
traite. Il efî: bien plus difficile d'être chaile
au milieu des dangers ; humble dans les
diftinftions du rang Sc de la nailTance; tem-
pérant dans la liberté des repas ; pauvre
dans l'abondance des biens de la terre ; pé-
nitent dans des occafions éternelles de mol-
leile 6c de plaifir; doux ÔC patient dans les
concurrences infinies des intérêts 5c des
pafilons ; ÔC cependant Ci vous n'êtes tout
cela y vous êtes perdu. Mon Dieu ! les.
faintes rigueurs d'une difcipline févère fe-
roient bien plutôt inutiles au fond des dé-
ferts , où l'éloignement des dangers fem-
ble demander moins de précautions ; au
Heu qu'elles deviennent indifpenfables dans
le monde > où la vertu plus expofée ne
peut fe foûtenir qu'à la faveur des plus fé-
vères attentious..
Cependant j. mes Frères , malgré toute
îa sûreté des cloîtres ôc des déierts , ÔC
toutes les précautions que le zèle §C l'ex-
périence des faints Fondateurs a pu pren-
dre , pour préferver l'innocence , ceux
qui habitent ces pieux aziles ne laiiientpas
de tout craindre de leur foibleffe , 8c d'êtrç
iàns ceffe attentifs , de peur que renneicî
La Samaritaine. çr
ne les furprenne : ils ont de la peine à fe dé-
fendre contr'eux-mêmes , 5c tx'-ouvent dans
le lieu même de la paix ÔC de la sûreté , des
combats ÔC des agitations , où ils fe voyent
mille fois à la veille de perdre en un inftant
le fruit d'une vie entière de recueillement
2«C de pénitence ; ÔC vous , au milieu des
périls , vous croiriez que votre privilège
eft de vivre avec plus de fécurité 5c d'in-
dulgence pour vous-même ? vous , envi-
ronné fans celle de tout ce qui eft le plus
capable de corrompre le cœur , vous ,
dans un état où tout eft piège 5c tentation ,
vous croiriez que l'avantage de cet état eft
une indolence profonde ; une inutilité de
vie dangereufe même à la plus auftére re-
.traite \ une im.mortification , qui loin des
périls, deviendroit un péril elle-même?
Et depuis quand , ô mon Dieu l ceux qui
font expofés au milieu des flots font- ils
moins obligés de veiller à leur falut , que
ceux qui jouilfent du calme £>C de ia su--
reté d'un faint azile ?
Lorfque David , caché dans les àé(Qr\%
8c dans les montagnes de la Judée , pour
fe dérober à la fureur de Saùl : propofa à
ceux qui l'accompagnoient de fortir de
leurs antres & de leurs bois y pour aller
attaquer les Philidins : Quoi ? lui répondi-
rent-ils, nous ne fommes pas en sûreté re-
tranchés dans ces forêts 5c fur ces monta*
gués ; nous nous voyons à tous momens
fur le point de tomber entre les mains de
»atre ennemi > 5c que fera- ce , fi nous en
91 Ven^dredi de la III Semaine.
ibrtons , &C que nous defcendions dans la
I plaine pour aller attaquer les Philiftins ?
Jtég' uEcce nos hic in Judea conjijîentes timemus ;
^« 3- çnantô ma^is fi ierimus adversiis agmina
J^hiliftinoTum ? Et voilà ce que je pourrois
vous' dire ici : Quoi ? nous craignons , nous
au fond de nos retraites ; nous nous fommes
à nous-mêmes une tentation continuelle
dans la sûreté des aziles où la Providence
nous a conduits depuis le premier âge ;
nous y opérons notre falut avec tremble-
ment ; nous prions , nous gémilTons , nous
fentons que la retraite elle-même devien-
droit un écuëil pour nous , fi nous ne tra--
vaillons fans ceiTe au recueillement des
fens , & à la mortification des pafTions :
Ecce nos hic in Judea conjijlmtes timemus ,
êc vou-s voudriez nous perluader que nous
aurions moins à craindre ; que nous aurions,
befcin de moins de vigilance , de moins de
précautions , de moins de prière , fi nous
. vivons comme vous au miilieu du monde ,.
environnes de cettte foule de pièges , de
féduftions , d'illufions , d'exemples ; ea
un mot , d'ennemis qui vous environnent?
Quanta mau^ij Ji ierimus adver fus agmina
î^hilijîinoriimli^'à. pénitence toute feule fait
la sûreté de nos retraites ; 6c vous croiriez
que la molleile & les plaifirs ne feroient
j)lus un danger au milieu du monde même?
Mais après tout , mes Frères , ne com-
parez plus , fi vous voulez , les dangers ix^-
Snis que vous trouvez dans le monde, SC
fe précautions de violence ^ de prière ,.dfe:
La Samaritaine. r^
facrlfîce , de vigilance y qu'ils exigent de
vous , à la sûreté des cloîtres 5c des dé-
ferts , qui femblent en demander moins ;
comparez feulement l'hiftoire de votre vie ^
les diiîolutions de vos mœurs pafTées, avec
celle des faints pénitens qui les habitent ;
les fatisfa£^ions que vos devez à Dieu ^
avec celles qu'ils lui doivent eux-mêmes»
Quoi ? vous prétendez que des âmes reti-
rées ÔC innocentes , qui portent le joug du
Seigneur depuis une tendre jeunefle ; qui
élevées dans le fecret de Ion Tabernacle ,
n'ont même jam.ais connu la corruption du
monde , loin d'en avoir été infedrées , 6C
dont les fautes les'plus criminelles feroient
prefquedes vertus pour vous ; vous pré-
tendez que c'eft leur partage de gémir tou-
te leur vie fous la cendre & fous le cilice^
de refiîfer tout à leurs fens , de ne vivre
que pour mourir chaque jour ; tandis que
vous , dont les crimes ont , pourainfi dire^
prévenu les années ; vous qui n'ofez pref>
que ouvrir les yeux fur les horreurs d'une
vie paffée , dont les abîmes 5c les embar-
ras vous font tantbalanctrf.ir une pRemiére
démarche de changement ; vous , dis- je ^
vous nous foutiendrez que vos obligations
font moins auftéres ; que les jeux , les
plaifiTS y les fpeclacles , les profn lions , les
fenfualités , les excès de la table ^ vous
font moins interdits; que le Ciel doit bien
moins vous coûter qu'à ces amies pures 6C
innocentes ; que les lai mes , les jeûnes ,,
ks veiller , les macérations font leur affai-
94 Vendredi de la ÎIÎ. Semaine.
res Se non pas la vôtre ; que c'eft à elles à
fouiFrir , à prier , à gémir , à fe morti-
fier, 6C à vous à vivre dans l'indolence SC
dans l'ufage de tout ce qui flâte les fens ?
Grand Dieu ! que les hommes , rapprochés
de la vérité , paroîtront un jour injuftes >
infenfés , ÔC téméraires !
La Femme de Samarie s'abufoit donc ^
en oppofant à la grâce de Jefus-Chrift ,
fa qualité de Samaritaine. Si elle eût été
fille d'Abraham ÔC née dans Jérufalem , le
, fecours du Temple 5c des facriiîces, les inf-
truâ:ions de la Loi ÔC des Prophètes , l'a-
vantage d'être fortie d'un peuple faint , ôC
à qui les promefles avoîent été faites , tout
cela auroit pu la porter à fe faire de fon
-état une excufe ÔC une raifon de fécurité.
Mais que dit-elle, en difant qu'elle eft Sa-
. maritaine , iinon qu'elle habite au milieu
d'un peuple réprouvé, dans une terre où le
culte du Seigneur eft corrompu , où les ufa-
ges font des abus, les exemples des écuèilsj
les maximes àes erreurs ; en un mot, dans
une condition qui l'éloigné du falut , ÔC
l'enveloppe dans la condamnation générale
prononcée contre tous les adorateurs de
Garizim ? Et voilà quelle eft votre illufion.
Vous vous défendez fur ce que vous êtes
du monde ? Mais fi vous vivez dans le fond
d'une maifon fainte 5c retirée , vous auriez
bien plus de raifon de vous faire de votre
état un prétexte de fécurité , &. de croire
qu'ainfi éloigné des périls , vous n'avei
.pas befoiu de taat 4'auftérité & de vigilau-.
La Samaritaine. 95
ce ; mais d'alléguer que vous êtes du mon-
de , c'eft regarder les difficultés de falut
attachées à votre état , comme des adou-
cifTemens qui vousrapplanilTent.Vousnous
direz peut-être que ce font ces difficultés
mêmes qui vous arrêtent ; ÔC que nous fai-
fons la voie il difficile ^ que vous perde?
courage ; féconde excufe que la Femme
de Samarie oppofe à Jefus-Chrift ^ la
difficulté de Teutreprife.
In,
L n'eft prefque point de pécheur ^ quel-PAUTig»
que déplorée que (oit fa vie , qui ne comipte
fur une converfion à venir , comme fur une
dém-arche aifée ÔC facile, 5c qui là-deiîus
ne fe calme 6c ne vive tranquille dans fes
crimes : il n'en eft aucun , qui ^ lorfqu'ii
s'agit enfin de fe convertir , ne regarde
cette entreprife comme un ouvrage im-
poiTible , & qui là-delTus ne recule &. ne
perde courage. Or , voici le nouveau pré-
texte que la Femme de Samarie oppofe aux
nouvelles inftances de la grâce. File fe fi-
. gure des difficultés infurm.ontabks dans les
promeiTes de Jefus-Chrift ; la profon-
deur du puits , le défaut de moyens pour
y atteindre , tout la conduit à fe perfuader
que le bienfait dont on la fiàte eft une chi-
mère : Futueus altus ejî ^ iieque in quo hau*
rias h abc s.
Et voilà , mes Frères , Texcufe qu'on
oppofe encore tous les jours aux mouve-
mens fecrets de la grâce qui nous follicitent
à ua changemeat de vie ; le défaut de
96 Vendredi de la IîI. Semaine.
moyen , rimpofTibilIté de l'entreprife. En
premier lieu , on a des abîmes fur la conf-
' cience ; depuis fi long-tems on vit dans la
diiTolution , fans foi , fans culte, fans Sa-
cremens; comment fe réfoudre à éclaircir
ce cahos , 6C à creufer dans ces fatales
profondeurs ? Puteus altus eJL D'ailleurs
on eft d'un caractère /î fragile ; on a porté
en naiilant des inclinations fi vives pour le
plailîr ; on ne p'aroît pas né pour la dévo-
tion ; comment changer de tempérament
ÔC fe refondre tout entier? Puteus altus efî.
Enfin la vie chrétienne , telle que nous la
dépeignons , eft une entreprise qui fait
peur : le moyen de fe condamner à la re-
traite ; pafler les jours à la prière , à la lec-
ture , aux œuvres de miiéricorde ; morti-
fier les fens , fe difputer tout ce qui fait
/ plaifir , rompre avec tout Tunivers î heu-
reux ceux qui en ont la force ! mais il n'eit
pas donné à tout le monde de l'avoir ?
^ Puteus altus eft-
Mais revenons fur tous ces prétextes.
Premièrement , vous avez des abîmes fur
la confcience ; vous ne favez par où vous y
prendre pour commencer. Mais n'eft-ce
pas cet état déplorable lui-miême qni de-
vroit vous porter à tout entreprendre ?
Quoi } la connoilTimce que vous avez de
vos maux , vous éloigne du remède ? vous
regardez votre délivrance comme une pei-
ne ? vous reilemblez à un efclave qui refu-
feroit fa liberté , parce qu'il gém.iroit fous
lin ancien efclavage, 5c fous le poids d'une
infiiiité
La Samaritaine. 97
infinité de chaînes. Mais vous eft-il moins
pénible de porter ce fardeau d'iniquité fur
rotre cœur ? fouifrez-vous moins en ca-
chant vos plaVes, que fi vous les alhez dé-
couvrir aii Médecin charitable qui les gué-
rit ôc (^ui les purifie ? Que vous propofe-
t'on de fi difficile? d'écîaircir une confcience
<iont vous ne pouvez plus calmer les re-
mords ; d'en faire fortir des ferpens qui
vous déchirent, de vous ouvrir à un Mi-
ciftre de Jefiis-Chriit qui mêlera fes lar-
mes aux vôtres ; qui fera plus touché de
vos m.alhcurs , que fcandalifé de vos foi-
blefies ; qui ranimera votre efpérance , en
vous redifant avec bonté , qu'il y a des pé-
cheurs plus coupables que vous , dont la
grâce a fait de grands Saints : qui vous ai-
dera par {es prières ôc ks gémllfemens , â
fortir de Tétat déplorable ou vous éte-s ; qui
vous confoiera dans votre douleur ; qui
vous foutiendra dans votre foiblefie ; qui
vous ralTurera dans votre confufion ; 2c qui
fera moins le juge de votre confcience ,
que l'ami de votre adverfité , 5c le confi-
dent charitable de vos peines. Ah ! vous-
n'aui-ez pas plutôt ouvert ce cœur que vous
ne pouvez plus porter , que vous fentirez la
joye &C la férénité renaître au-dedans de
vous : ce glaive, qui vous perce , arraché :
ce poids , qui vous accable , tombé , ce
ver , qui vous ronge , expiré ; ces penfées
iombres , qui vous noircillent l'efprit ,dif-
paroîtront ; vous bénirez cent fois le mo^
ment heureux qui vous a vu prendre une
Carms , Tqhic iiU I
çS VexVdredi de la IIî. Semaîxe.
réfoliition fi nëceilaire à votre ialut, 5C an
repos même de votre ^'ie. Toute la diffi-
culté que je trouve ici , eil de vivre dans la
iîtuation où vous êtes ; de vous défendre,
6C contre la voix du Ciel quivous appelle,
ÔC contre la voix de votre confcience qui
vous condamne ; de vous fupporter vous-
même ennemi de Dieu depuis que vous
avez pu le connoître ; éloigné des Sacre-
mens , des confolations de la grâce, vi-
vant ieul avec vous-même , c'eft-à-dire ,
avec votre confcience blvos crimes : voilà
la peine. La converfion qu'on vous pro-
poie n'en eil que radouciilemeiit , & le
plus affuré remède.
Mais en fécond lieu , vous ne paroiiTez
point né pour la pieté , dites-vous ; vous
ne vous gagnerez jamais fur certains points,
par où cependant il faudroit commencer ;
toutes vos inclinations fe trouvent juile-
ment à l'autre extrémité de ce qu'on appel-
le vertu Se dévotion : Futeus altus ejî. Mais
premièrement , quand il devroit vous eu
coûter un peu plus qu'à un autre , n'avez-
vous pas plus qu'un autre de crimes 5c de
voluptés à réparer ? D'ailleurs , l'éternité
ne mérite-t'elle pas que vous vous fatîiez
quelque violence ? ne vous en êtes- vous ja»
mais fait pour le monde? cespenchansque
vous nous donnez pour 11 invincibles , ne
les avez-vous pas mille fois furmontéspar
des motifs de fortune , de gloire , de
bienféance ? ce malheureux tempéram.ent
que vous nous alléguez li fouvent , ne vous
L A s A M A R I T A I M E. 99
trouvez-vous pas tous les jours dans des
fituations où il faut le gêner , le contrain-
dre ? ÔC qu'eft la vie du inonde , ÔC de la
Cour fur-tout , qu'une éternelle contrainte
une gêne qui ne finit point ; une fuite d'oc-
cupations oppofées à vos penchans ; une
fcèneoii il laut toujours jouer le perfon-
nage d'un autre ? Ah ! ce n'eft pas à vous
fur-tout qui habitez les palais des Rois, à
venir nous alléguer des inclinations défac-
coûtumées de tout joug, 6c qui par un long
ufage d'indépendance , ne fauroient plus ie
contraindre : vous avez appris à prendre
fur vous-même, 6càfacrifier tous lesjourg
vos penchans à des intérêts plus forts ; de-
puis que vous avez dss pafTions , il a pres-
que toujours fallu , ou les furmonter , ou
les contrefaire ; flâter ceux que vous mé-
prifez : careiler ceux que vous haïllez ;
ramper devant ceux aufquels votre orgueil
eftinconfolable d'être forcé de céder : laif-
fer le plaifir pour le devoir : ah ! Je monde
vous a inftruits pour la vertu ; 6c les con-
traintes de la Cour 5c des pafTions , vous
ont difpofé plus que vous ne croyez à
celles de l'Evangile.
Que dirai-je encore ? peut-être vous en
auroit-il plus coûté de vous vaincre dans,
•une grande jeuneiTe : les pafllons alors plus
vives , les réflexions moins férieufes 6C
moins triftes , les plaiilrs plus féduifans
par leur nouveauté , lailfoient peut-être
alors à votre foiblelTe moins de liberté do
s'en défeadre ; mais à l'heure qu'il eft , quQ
I i
îoo Vendredi de la III. Semaine.
lafle par votre propre expérience , vous eti
avez connu le vuide 6c ramcrtume ; àTheii-
te qu'il eft queTâge , les emplois , les bien-
■féances marnes du monde , exigent de
vous des mœurs plus férieufes 5c plus ré-
glées : à riieure qu'il eft que des dégoûts,
des contretems, l'épreuve mille fois faite
de la légèreté , de la faulTeté , de la per-
fidie même des créatures , vous ont appris
ce qu'il falloit attendre des pafTions 6c des
engagemens profanes ; à riicure qu'il eft
que moins propre au monde , il commence
à fe refroidir à votre égard , 5c à vous
avertir qu'il cCt tcms de vous faire d'autres
pîalfirs 5c d'autres occupations que les
iiennes ; à l'heure qu'il eft que vous ne traî-
nez plus au milieu de fes amufemens ,
qu'une confcience inquiète , qu'un ennui
mortel que rien ne fauroit plus égayer ,
parce qu'il prend fa fource dans la trilleffe -
êc la maladie de votre ame que Dieu feul
peut fouiager; ah ! il vous en coûtera moins
que vous ne croyez de vous paiTer du mon-
de , de l'oublier , de le mépnfer : vous
portez déjà au dedans de vous les femences
de ces heureufes difpofitions ; vous ne l'ai-
mez déjà plus par raifon , par dégoût , par
l'inconli-ance toute feule du cœur ; que
fera- ce quand la grâce aidera ces prépara-
tions, de la natiu-e , que vous le haïrez par
un principe de foi 6c de piété , 6c que la lu»
miére au Ciel vous en aura découvert toute
la corruption , tous les périls , tout le
néant ÔC toute la mifére ï
La Samaritaine. ioî
Enfin , ne feinble-f il pas que vous ne
devez compter que fur vous-même ? Ta"
voue que fi l'ouvrage de la converiion étoit
l'ouvrage de Thomme feul , vous devriez
en déferpérer : mais ignorez-vous que ce
qui n'elt pas poflible à Thomme feul , l'eft
à l'homme aidé de Dieu ; que rien n'eft
difficile à la grâce, que les cœurs les plus
fragiles 5c les plus corrompus , font ceux
quelquefois où elle opère de plus grandes
chofes , ÔC que Textrêmité de nos miféres
eft fouvent la plus favorable difpofiLion à
l'excès de fes mifcricordes ? Hélas 1 laPé-
chereife de la Cité , étoit fragile , enivrée
du monde, pleine de paillons, ti. ne pa-
roiiToit pas née pour la vertu ; cependant
fut-il jamais d'amour plus vif pour Jefus-
Chrift , de pénitence plus prompte , plus
fervente, plus durable que la fiennep Au-
guftin étoit foible ; hélas ! fes défirs , fes
rechûtes , fes perplexités , fes agitations ,
fes elïbrts impuillans pour s'arracher à la
boiie, & le poids fatal qui Tyrentraînoità
l'inftant , vit-on jamais tant de foiblelTe ? êC
cependant TEglife a-t'elle vu de converlion
plus glorieufe à la grâce de Jefus-Chrill ?
Et pour ne pas fortir de notre Evangde , la
Femme de Samarie étoit foible ; la multi-
tude de fes mariages n'avoir piî la ramener
à des mœurs plus régulières , 6c fon mau-
vais caradère l'emportoit toujours : ce-
pendant le Sauveur ne triomphe-t'il pas
aujourd'hui de toute fa foibleiTe ? Ah ! c'eft
que la grâce change les inclinations , cor-
I 3
toi Vendredi de la III. Semaine.
tige le tempérament , forme un nou\«eaii
cœur , renouvelle tout l'homme; c'eft que
les vafes de boiie entre les mains de TOu-
vrier tout-puiilant, deviennent bientôt des
vafes d'élite , plus folides que l'airain , plus
hrillans que la lumière , plus purs que le
métal le plus précieux : c'eft en un mot ,
que la grâce eft plus forte que la nature*
Mais en dernier lieu, les rigueurs d'une
vie chrétienne vous épouvantent : car vous
ne vous flâtez point ^ dites-vous ; fi vous
preniez le parti de la vertu , vous ne vou-
driez pas le prendre à demi comme tant
d'autres : fi vous vous déclariez une fois :
vous voudriez que ce fût tout de bon ,
fans ménagement 5c fans réferve : mais
c'efi: cela même qui fait peur. AuiTi on ne
fait , ajoutez-vous , comment les chofes
iront après cette vie; mais l'Evangile exac-
tement accompli , ne femble pas fait pour
des hommes aufil foibles que nous le fom-
mes : Puteus altus cjl , neqm in quo hau*
ri as habes.
A cela , on n'a qu'à vous répondre d'a-
bord : fi vous croyez que l'Evangile eft
une Loi donnée de Dieu , vous devez fup-
pofer qu'elle porte les caractères divins
de fon Légiilateur ; que c'ell une Loi fa-
ge , équitable , m.odérée , conforme à nos
befoins , proportionnée à notre foiblefie,
utile à nos miféres ; que c'efi: un remède ,
6C non pas un piège ; le fecours , 6c non
ledife^poir de notre infirmité. Le Seigneur
n'eft pas un tyran bizarre , qui nefalfedes
La Samaritaine. 105
loîx que pour trouver , dans riinpofllbilité
de les obferver , des prétextes de nous
perdre : c'eft un Père miféricordieux , qui
ne penfe qu'à faciliter à fes enfans les voies
de la vie éternelle : c'eft un Maître géné-
reux , qui dans les ordres mêmes qu'il
nous prcicrit , a bien plus d'égard à nos
intérêts , qu'à fa propre gloire. Quelle
idée vous faites-vous donc de fa Loi fainte ?
c'eft une Loi raifonnable , confolante ,
feule capable de remédier à nos peines ,
&. d'établir une paix folide dans notre
cœur. Et quel autre intérêt , que le nô-
tre, auroit pu porter le Seigneur à don-
ner une Loi aux hommes? A-t'il befoin de
nos hommages ? lui revient- il quelque cho-
fe de nos vertus ? fa félicité efl-elle inté-
relTée à notre fidélité? Eft-ce une gloireà
lui , de s'alTujettir les hommes par des loix
capricieufes , où l'on puilTe dire qu'il ne
cherche que l'honneur de fe faire obéir , ÔC
de dominer furies confciences par les ter-
reurs &. les menaces dont il accompagne
fes préceptes ? Il n'a donc cherché que no-
tre intérêt §C notre confolation , en nous
prefcrivantles ordonnances admirables de
fa Loi farnte- En ne donnant point de loi
aux hommes , & nous laiiïant vivre au gré
de nos paiïions , il eût nourri parmi les
hommiCs la fource de tous les troubles >
l'origine de tous les malheurs : il eût fait
de la fociété une confuiion afFreufe , fans
liens, fans régie , fans équité , fans dépen-
dance ; où les feules payions , qui arment
I4
104 Vendredi de la III. Semain^è.
les hommes les uns contre les autres , les
auroient liés enfemble ; où nos feuls défirs
auroient décidé de nos droits. En mettant
des bornes à nos penchans , il en a donc
mis à nos peines : en nous marquant nos
devoirs , il nous a donc montré nos remè-
des : en ne nous lailTant point à nous-mê-
mes &. entre les mains de nos paillons , il
nous a donc empêché d'être nos propres
tyrans i en nous afiiijettilïant à fa Loi , il
n'a pas voulu tyrannifer notre cœur , mais
en fixer les inquiétudes.
Mais tel eft l'artifice du démon , dit S»
A'igiiltin : à la nailTance de la foi il tâchoit
de renverfer l'œuvre de Dieu^ ÔC d'anéan-
tir TEvangile , en rendant Jefus - Chrif^
mépriuible. Qui adorez-vous , diioit-il aux
Chrétiens par la bouche des Sages du Pa-
ganifme , un Juif ? un mort ? un crucifié ?
vii\ homme de néant y. 6>C qui n'a pu fe dé^
livrer lui-même delà mort ? Anteà çuid
diccbat ? quem colitis ? Judcum ? mortuum ?
truafixum ? nullius mcmenti homlmm , qui
non poîuiî à fe morteni dcpellcrc ? Quand il
a vu que ce moyen étoit inutile , continue
ce Père ; que ces blafphêmes n'étoient
plus écoutés qu'avec horreur ; que les peu-
ples en foule couroient adorer ce Cruci-
fié ; que malgré la puilTance des Céfars , la
fureur des tyrans y la fagelTe des Philofo-
phes , l'ancienne prefcriptioa deTidalatrie
ioutenuè delà iViajefté des loix de l'Em-
pire , de la crédulité de tous les fiécles ^ ^
de la magnificence des fuperilitions , Içs
La Samaritaine. ^ io|
Temples profanes ëtoient détruits , les
Idoles renverfées , la folie de la Croix
triomphante de tout l'univers : &C qu'un fi
grand événement , fi favorable tout feul à
la caufe des Chrétiens , fi marqué par des
caraftères de divinité , fî au-deflus de la
poiiibilité de toutes les entreprifes humai-
nes ; ayant encore pour lui Taccompliffe-
ment des prophéties , ne laifToit plus rieiî
à dire contre la vérité de TEvangile : il
s'^eft tourné d'un autre côté; il n'a plus ofé
traiter la doftrine de Jefus - Chrift de
fable ÔC d'impofture ; il eft convenu de fa
fainteté , de fa fublimitc , de la perfedion
de fes maximes. La Loi chrétienne , a-t'il
dit par la bouche des mondains , eft une
Loi admirable , fainte , divine ; il faut en
convenir : rien de fi beau ÔC de fi élevé
que les préceptes de. Jefus-Chrift ; mais
qui les pratique ? Mais commienî les ob-
ferver ? mais cette grande perfection eft-
elle pofîible en cette vie ? mais la foibleile
humaine peut-elle aller jufques-là ? mais
s'il y a eu autrefois des homn-;es qui ayent
fuivi à la lettre tout ce que lEvangile pref-
crit , fans doute ils étoient faits autrement
que nous ne le fommes. ? Cœpit à fide alio
me do dcrerrere. Magna lex ejl chriftiana ;
j)otens hx illa , divina , ine^abilis : fcd
quis illam impUt ? Les blafphémes de l'im-
piété font tombés d'eux mêmes ; ceux de
rimpofllbilité trouvent encore aujourd'hui
des partifans 5c des apologiftt^s au milieu
d'un monde profane , 5c qui ie glorifie du
ûom Chrctien.
to6 Vendredi r>E la III. Semaine.
D'ailleurs , ce qu'il y a ici d'injufie
dans'ies préjugés que l'on fe forme con-
tre la polTibilité de la vie chrétienne ,
c'eft que ceux qui s'en plaignent n'en ont
jamais fait l'épreuve : ils adoptent là-
delTus un langage qu'ils ont trouvé éta-
bli dans le monde ; ÔC fans connoître de
la piété que le fentiment de la corrup-
tion qui les en éloigne , ils prononcent
que les maximes de Jisus - Christ ne
font pas polTibles parce qu'ils le fouhai-
tent. Mais nous aurions droit de vous dire :
Eflayez de la vertu , avant de vous en
plaindre. Si vous aviez , félon la parole
de l'Evangile , commencé l'édifice , ÔC que
vous n'euHiez pu l'achever ; quoique le
mauvais fuccès de l'entreprife dut être at-
tribué à votre imprudence , fclon J. C. ,
& au défaut de précaution j ; néanmoins
vous pourriez nous dire que Tentreprife
pafle vos forces. Mais vous n'avez jamais
fait de démarche fincére de falut ; vous
avez jufqu'ici mené une vicfenfuelle, dif-
fipée , pleine de pafiioas 5c d'inutilités ;
pourquoi décidez-vous donc fur ce que
vous ne fauriez connoître ? Prononcez ; à
la bonne heure , fur la vie du monde , fur
le vuide & l'amertume defes plaifirs , fur
l'inquiétude 6c les fureurs de les revers ÔC
de fes injuftices , fur les agitations 6c le
tourment de fes efpérances , fur la perfidie
6c l'inconftancede fes amitiés 6c de fes pro-
inefTes ; vous le pouvez; vous êtes là-def-
iiis , à la Cour fur-tout plus que partout
La Samaritaine. 107
ailleurs , juges légitimes : décriez , exa*
gérez les difficultés , les peines , les dé-
goûts de la vie du monde 6C de la Cour,
on vous le permet , 6c votre propre expé-
rience vous en a affez inflruit pour nous
l'apprendre : mais pour la vie chrétienne,
ce n eft pas à vous à parler de fes rigueurs
bc de fes ennuis , c'eil un point que l'ex-
périence feule peut décider : effayez-en
premièrement; rompez avec le monde;
finilTez vos pafiions ; commiCncez à vivre
pour l'éternité : vous nous direz alors Ci le
joug de Jefus-Chrift eft aufli accablant
qu'on fe le figure , fî le vice eft plus aima-
ble que la vertu : nous vous écouterons
alors : mettez-vous feulement en état de
décider ; voilà tout ce que nous deman-
dons : peut-être céderez-vous d'abord à
la difficulté ; 5c alors vous nous reproche-
jez l'cftentation de nos promefles : peut-
être auffi vous en coiitera-t'il moins que
vous ne croyez ; ÔC fi cela eft , n êtes-vous
pas à plaindre , de refufer à votre falut des
efforts auffi légers que ceux qu'on vous
demande ?
Lorfque les Ifraèlites , fur le point d'en»-
trer dans la terre de Canaan , parurent re-
butés des difficultés de l'entreprife; 6c que
refufant d'avancer, ils ne celToient dédire
que ces villes étoient imprenables , ces
peuples invincibles , ÔC que cette terre
étoit Joute couverte de monftres 6c de
géans , qui dévoroient fes habitans : Ne- j^^f^^f^
quaquam ad hune fO£ulum yalemus afcçTi-iz-n^
îo8 Vendredi de la III. Semaine.
éere , quia jortior nob'is cjl ; terra dévorai
habitiitores fiios : Jofué ÔC Caleb qui ve-
noienî de vifîter cette terre heureiife , ÔC qui
en corinoilToient les douceurs ^ les agré-
mens , 5c l'abondance , leur parlèrent de la
forte : enfans dlfraèl , venez voir vous-
mêmes cette terre délicieufe que le Sei-
gneur vous propofe, & qui doit être votre
polTelTion éternelle : vous verrez que le lait
6c le miel y coulent de toutes parts : vous
dévorerez ces peuples terribles ^ qui allar-
ment tant votre foibleile , comme on dé-
vore le pain qiri fert tous les jours de nour-
riture à rhomme : vous y trouverez le
termje de vos travaux , le délalTement de
vos fatigues , la confolation de vos pei-
nes , le repos que vous cherchez en vain
depuis tant d'années , ?< enfin des dou-
ceurs que vous n'avez jamais goûtées , ni
dans la ferviîude de l'Egypte, ni dans les
voies arides 6C pénibles du défert : nous
l'avons nous-mêmes parcourue; & nous ne
venons ici aux pieds du tabernacle faint,
& devant toute l'allem^biée d'Ifraèl , que
pour être les témoins de la vérité , 5c les
garans des prom.efTes que le Seigneur a
'Num,^, faites à nos pères : Terra cjuam circuivimus
7. 8. valdè bona ejl \ & tradet JJominus humum
lucie C^ m elle manantem.
Et voilà, mes Frères, ce que nous pour-
rons vous dire ici, nous qui par les enga-
gemens d'un état faint , &. un Icngufagc
du joug de Tefus-Chrifi: , devons connoi-
ire quelles en font les douceurs ôc les coii:
La SAMARltAINE. lOf
folatîons , ÔC qui du moins pouvons rendre
témoignage à la vérité de Dieu , ÔC à la
gloire de ia grâce. Pourquoi vous laiflez-
vous décourager par des difficultés que
vous n'avez pas encore éprouvées ? Venez
voir vous-mêmes ce qui i'e palTe dans cette
terre heureufe où vous vous figurez des
difficultés fi infurmontables. Loin d'y trou-
ver ces monftres qui vous épouvantent, ÔC
que Terreur de votre imagination s'y figure;
d'y trouver ces ennuis, ces dégoûts, ces
horreurs que vous craignez tant 5c qui vous
arrêtent ; vous verrez que le lait 5c le miel
y coulent en abondance , vous y trouve-
rez des fources de confolations foli'des : le
repos que vous cherchez depuis fi long-
tems ; la paix du cœur , que le monde ÔC
les paffions ne donnent pas , ÔC que vous
n'avez pas encore trouvée ; toutes les rcf-
fources de la ^race, dont vous avez été
julqu ICI prives : nous en avons nous-mê-
mes fait une heureufe expérience, & nous
ne paroilTons ici devant l'autel faint ^ dans
l'aflemblée des Fidèles , que pour rendre
témoignage aux miféricordes du Seigneur
furies âmes qui reviennent à lui par une
fincére pénitence ; Terra quam circuivimus
raliè hona ejl 3 & tradeî Dominus hunium
laâe & mcllc man^inum.
Oui , mes Frères , fi vous connoiiTiezle
don de Dieu , comme le dit aujourd'hui le
Sauveur à \^ Femme de Sam^arie ^Ji feins Jom,4,
domuji Dci ; fi vous pouviez comprendi*e'^^
quelle joye la grâce répand fur les devoirs
jîô Vendredi de la III. SemaimeJ
les plus rigoureux de Ja vie chrétienne J
^ &. quelles font les confolations fecrettes
qui accompagnent les facrifices les plus pé-
niBles qu'on fait à Dieu : Si/cires : (i l'oii
pouvoit vous faire fentir d'avance com-
bien les hommes , les plaifirs , les préten-
tions , les efpérances , ÔC tout cet amas de
vanité 6c de fumée devient peu de chofe
à une ame touchée de Dieu : Si/cires : (i
vous pouviez comparer les inquiétudes qui
vous déchirent , les difficultés qui traver-
fcnt vos pa/rions,à la tranquillité dont vous
jouiriez dans la vertu , 6c aux facilités que
la grâce y ménage à notre foiblelTe ; en un
mot, Feau du puits de Jacob , figure des
plaifirs du monde , à l'eau que le Sauveur
promet à la Femme de Samarie , image
des douceurs de la vertu : Si/cires : lî vos
yeux pouvoient s'ouvrir, 6c connoître quel
don Dieu fait à une ame , lorfqu'il la dé-
livre de ks paffions , 8c qu'il met en leur
place dans fon cœur , la paix , la charité ,
la jullice : Si fcires donum Dd ; ah ! fans
doute , loin de différer encore , vous n'au-
riez pas affez de tout votre cœur pour de-
mander ce don célefle ; pas affez de larmes
pour pleurer les jours 5c les années que
vous en avez été privé. La fource de nos
craintes eft dans notre cœur ; 6c la vertu
n'efl appréhendée , que parce qu'elle n'eft
pa§ connue.
Mais tout le monde n'en parle pas com-
me vous , dit- on; ÔC ce que nous femblons
faire fi aifé , d'autres le font difficile, Der-
La Samaritaine. m
lîîére excufe que lu Femme de Samarie
oppofe aux inft.inces de Jefus-Chrill: , la
variété des opinions 6C des doctrines :
patres nojlri in monte hoc adoraverunt ; ^
ros dicitis quia Jerofolymis ejî Ipcus ubi
adorare oportet* Ce devoit être ici ma
dernière Partie.
En effet , Jefus-Chrift avoit conduit
infenfiblement cette Péchereffe au point
eflentiel de fa converHon ; à cette pallion
honteufe , qui feule s'oppofoit à la grâce
dans fon cœur : il lui avoit découvert
tout le fecret crimûnel de fa diffolutionôC
de fa conduite ; elle ne pouvoit plus difîî-
muler des égaremens dont elle voyoit le
Sauveur trop inllruit : le trouble , la honte ,
les remords commicncent à naître dans fon
ame : mais ce n'étoient-là que de foiblcs
commencemens ; la Cœur n'étoit point en-
core rendu, levais bien que vous êtes un ihid^-^
Frophète ^ lui dit-elle ; voilà tout le fruit /j,
qu'elle femble retirer de la vérité qui la
condamne. Semblable à la plupart de ces
am.es m.ondaines , lefquellesau fortir d'un
difcours ou le zèle du Miniilre aura déve-
loppé toute la honte de leurs foibleff^s les
plus fccrettes , 5c tracé la peinture de leur
cœur comme fi elles-mêmes l'avoient inf-
truit de tout ce qui s'y pafFe , fe conten- .
tent de dire que c'eft un Prophète : yideo
(]uia Propheta es tu j qu'on (e reconnoît
loi-même à tout ce qu'il dit ; qu'on diroit
qu'il voit dans les cœurs ÔC dans les plus
lecrets penchans de ceux qui Técoutem :
riz Vendredi DE LA III. Semaine.
mais voilà tout. On lui donne des louan-
ges qu'il méprife 6c dont il gémit devant
Dieu : ôc on ne fe corrige point ; ce qui
feroit fa gloire , fa confolation ÔC fa cou-
ronne.
Nos pcrcs y continué la Pécherefle , ont
adoré fur cette montagne ; ô" vous dites
mie Jerufalem eft le lieu ou il faut adorer*
Nouvel artifice dont elle s'aviie. Pour dé-
tourner la queftion de fes moeurs , qui lui
déplaît 5c qui l'embarraile , elle fe jette ha-
bilement fur une queftion de doctrine : les
conteftations entre Jerufalem ÔC Garizim ,
fur la vérité de leur culte & fur la fainteté
de leur Temple , n'avoient pas fini depuiç
que le traître 8c l'ambitieux Manafsès ^
avoitélevéTautelfacrilège fur la montagne
de Sa marie ; 5c chacun foutenant la gloire
de fa maifon &. la majefté de {i^s facrifeces ,
ï\s s'accufoient mutuellement , comme il
arrive prefque toujours , de fuperftition
& d'idolâtrie.
Or , voilà ce qui donne lieu à la ré-
ponfe de la Femm.e de Samarie : il femble
qu'elle veut par cette variété d'opinions 6C
de dodrines , juftiner iis défordres ; 6C
que l'incertitude où elle prétend qu'on eft
lur le lieu 6c fur les régies du véritable
culte , fiiffit pour autoriier fa tranquillité
dans l'état déplorable où elle fe trouve.
Ainfi c'eft comme fi elle répondoit à Jefus-
Chrifl: iMais Seigneur, à quoi s'en tenir ?
vous Juifs , vous prétendez qu'il faut ado-
rer à Jerufalem , 5c u'avoir point de com-
merce
l
La Samaritaine. ir^
înerce avec Samaric : nos pères ont tou-
jours adoré fur cette montagne ; ils nous
ont permis ce que vous condamnez. Pour
qui fe déclarer dans cette diverilté de lea-
timens ? Convenez premièrement des de-
voirs que le Seigneur exige de nous , du
Temple 6c de l'autel qu'il a clioifis ; 6C
après cela j'écouterai vos inftruclions , 5C
je pourrai m'en tenir à la fageiTe de vos
confeils & de vos iiTaximes^
Et voilà le prétexte dont on fè fert en-
core tous les jours dans le monde pour
s'étaurdir fur les vérités les plus terribles
du falut,la variété des Q;jin ons fur les ré-
gies des mœurs. On ne faîtà qui en croire ^
nous dit-on tous, les jours ; les luis vous
damnent, les autres vous iàuvent ; ici on.
vous palfe certains points ,, ailleurs y on îes
condamne • ici vous obfervez la Loi eit
TadouciiTant ,.aillem's vous ne radouciffez
qu'en la tranfgrelTant ; ici on a des raifons
pour défendr - , ailleurs on croit en avoir
pour permettre , eji un mot , ici vous êtes
tin Saint j. ici vcais navez pas encore corn-
ineiicé à être Clirétieji. Et là-deiTus , 6
mon Dieu ! le. pécheur infenfé conclut qu'il
n a qu'à vivre tranquille, dans fjs égare-
mens ; que l'Evangile ne renferme que
d/es opinions, 6c des prohlcme^; ; que cha-
cun le tourne félon Les préventions de foiî
propre: e:fprrt ;. &C qu'au fond il n'y a riea
de, trop affuré dans tout ce que: n<5us ieu^
dfons de votre Loi fc-iite,
Mais^Cins apporter i.ci tout Qe qui pour-
114 Vendredi de la III. Semaine.
roit confondre un prétexte fi injurieux i
Ja vérité & à la piété chrétienne , fouffrez
que je me contente de vous demander :
Ne tient-il qu'à l'uniformité des fentimens,
que vous fortiez de vos pafîions honteufes?
eft-ce à vous à venir nous alléguer la varié-
té des opinions 6c des do£irines fur les ré-
gies des mœurs ? Des âmes religieufes , ti-
morées , craintives , pourroient nous op-
pofer ces perplexités 5c ces incertitudes :
comme elles ne croyentjamaismarcherpar
im chemin alTez sûr ; que leurs devoirs
paroifTcnt fouvent incompatibles avec leur
fîtuation ; & que la décifion n'en efl pas
toujours facile ; il fe peut faire qu'elles
trouvent quelquefois dans le San6î:uaire ,
ici une indulgence qui les ralTure , ailleurs
une févéritéqui lesallarme; 5c qu'elles de-
meurent incertaines de la route qu'il fau-
droit tenir. IVlais pour vous , avez-vous
jamais trouvé une grande variété de fenti-
mens furie dérèglement de vos mœurs , ÔC
fur l'indignité de vos paiTions ? nos déciiîons
font-elles bien différentes fur la honte de
votre état ? n'avez-vous pas oui partout là-
delTus les mêmes oracles , que les fornica-
teurs , les adultères, les impudiques, les
adorateurs dldoles ne poiTéderont pas le
Royaume de Dieu ? Cette uniformité d'o-
pinions vous ramené f elle à la vérité que
vous ne faurîez vous diffimuler à vous-mê-
me ? Cependant c'eft vous feul qui vous
plaignez qu'on ne fait à quoi s'en tenir; car
c*eil le moade le plus déréglé qui tient es
La Samaritaine, hç
langage , & vous êtes le feul que tout fe
réiinit pour condamner.
Vous imitez la Femme de Samarîe. II
lî'éîoit pas queilion pour elle de favoir s'il
falloit adorer à Jérufalem ou à Garizim ;
puifqr.e le tems étoit venu, comme lui ré-
pond Jefus-Chrift , que cène feroit , ni
à Garizim, nia Jérufalem , mais par toute
la terre , que {on Père auroit des adora-
teurs en efprit ÔC en vérité : ce différend
ne la regardoit pas, pour ainfî dire ; ce
point pouvoit être douteux pour elle , 6c
on ne lui faifoit pas encore un crime del'i-
gnorer. Mais le dérèglement de fa con-
duite &: de fes commerces criminels étoit
clair pour elle ; il n'y avoit là-deffus ni à
Jérufdem , ni à Garizim même , aucune
-Loi quipûtTautorifer: elle connoilfoit fur
ce point fes obligations , 6c on demandoit
qu'elle les remplît. Mais au lieu de com-
mencer par le devoir qui étoit clair, ÔC qui
la regardoit toute feule , elle va chercher
des prétextes dans une variété de fentimens
qui ne la regardoient plu^. Commencez par
retrancher de vos mœurs tout ce que vous
yconnoiirez de vifiblement contraire à la
Loi de Dieu : tout ce que les fentimens 6c
toutes les opinions d'un commun accordy
condamnent : après cela vous aurez droit
devons plaindre de nos contentions pré-
• tendues ; après cela vous nous reproche-
rez, tant qu'il vous plaira , la ditference
des décifions 5c d^s conduites. De quoi
VOUS avifez-vous de nous reprocher qu'oa
Kl
iî6 Vendredi DE la IîI. SeMai^^.
ne fait , pour ainfi dire , où il fautadorer^
ni à qui s'adreiler pour marcher sûrement
& coiinoître ce que Dieu demande de
nous ? Vous n'en êtes pas encore- là ; ce
doute eft trop pieux & trop élevé pour
vous : iaiflez. ïa des dilLnlions qui vous font
ihut les, &C renoncez à des défordres , qui
non feulementn'ont pour eux aucun fuf*
frage, mais que vous ne pouvez pluivou»
jurtifîer à vous-même ; en un mot, foyez
adorateur en efprit ÔC en vérité , comme
le dit aujourd'hui Jefus-Chrift à la Femme
de Samarie , alors toutes les cantentioirS
humaines vous deviendtont indiffc-rentes;;
vous trouverez Dieu par- tout , parce que
vous ne chercherez que Dieu par-tout: la
variété des décidons vous fera feulemen-t
diplorer la trille deftinée de la vérité, tou-
jp 1rs expofée ici-bas à la contradiction';
c'eft à dire , ou à la févérité indiicrettc,
ou à l'indulgence exceiTive des hommes :
vous en gémirez cfévant le Seigneur ; vous
lui demanderez qu'il manifefte la vérité à
la terre ; qu'il répande un efprit de paix ÔC
de fagelfé fur ceux à qui la Foi , Finflruc*
tion & la dbflrine , font confiées ; qu'il pa»
cifîe, qu'il réunilFe , qu'il protège fon EgH-
fe :.qif il lui fufcite des Pafteurs fidèles pour
Ta go.uverner ; des Dofteurs éclairés pouf
l'injiruire ; dés Prêtres faints 5t zélés pour
rédifîer ; des Princes religieux pour la dé--
fendre :.que d's-je? qu'il prolonge les jours
d'i Prince- glorieux qui en b'innit les fcan-
dales , q;ù ei> caîm^ les dilTenfions , qui-hes
La Samaritaine. 117
prévient même par fa prudence , qui en ré-
pare les ruines , qui en foutientla gloire 6C
la majefté qui en fait la gloire lui-même ;
& qu'il donne à nos neveux des Rois qui
Fimitent , puifqu'ils ne feront pas alfez heu?
IQUK pour en avoir qui lui reilcmblent.
Voilà les difpofitions que la raifon 5c la
religion demanderoient de vous : mais fur
Tafîciire du falut ^ on ne fe pique pas de
prudence ; on ne fait ce qu'an ad-ore ,
comme le reproche J. C. à la FemmiC de
Samarie : ^os adoratis qucà nelcuis : on
veut retenir le fond de la Religion , de fcs
pères comine les Samaritains ; on veut y
mêler comm.e eux des ufages profanes &
favorables aux paillons : on fent bien qwQ
la confcience ne ratifie pas ce mélange , ÔC
qu'on n'eiV pas d'accord avec foi-même;
mais pour fe calmer on fuppofe que iious-
Biêmes ne le fommes pas Q,i\tTQ nous : on
iè fait de nos dilTenlions prétendues, une
raifon infenfée de, paix ÔC de fécurité ; oti
eft bien aife que la^ vérité foit conteftée-,
embrouillée , obfcurcie pour pouvoir fe
perfuader prefque qu'elle n'eft plus ; ^
nous fommea contens de nous-micmes :
quand nous avons pu ajouter à nos crimes
le malheu.r d'y être plus tranquilles.
Telle étoit la difpofition. de la Femme
da-S-amarie : ne pouvant plus fç défen-
dre, ni contre 1>3S. inftances du Sauveur ,
ni contre les remords de fa propre conf-
cience ; fr-appée de fes. égaremens.paffés ,
JUtirse par les coafokîions ^aorvluipro^
^.42i
iî8 Vendredi de la III. Semaine.
met dans des mœurs nouvelles ; elle vou*
droit encore renvoyer fa converllon à un
tems plus favorable. Quand le Mcjfie/cra,
f' aj. 'i;enu , répond-elle à Jelus-Chrift , iL nous
annoncera toute chofe. Voilà tout le fruit
qu'elle paroît tirer des paroles de Jefus-
^ Chrift ; un vain projet d'un changement à
T^enir ; un efpoir frivole , qu'un tems enfin
viendra où elle renoncera tout de bon à
fes dcréglemens : & c'efl-là que fe ter-
mine d'ordinaire tout le fruit de nos inftruc-
tions. Nous excitons les confciences , nous
ne les changeons pas : nous infpirons des
défirs , nous ne perfuadons pas les œu-
vres : nous entendons beaucoup de projets,
nous ne voyons prefque jamais de démar-
che. Mais le Sauveur ne permet pas à
cette Pécherellede s'abufer fur un point fî
dangereux. C'eft moi-même qui vous par-
le , lui dit-il , n'attendez point d'autre Pro-
phéte ; voici celui que le Ciel vous en-
voyé , pour vous retirer de vos voies éga-
rées ; ne renvoyez pas à un autre tems :
i\ je fors des frontières de Samari-e ; i\ vous
lailfez perdre ce moment heureux ; fi je
m'éloigne de votre cœur , vous périlTez
5f. 26. fans relTource : Ego fum qui loquor tecum*
Et voilà ce qu'il vous dit ici en fecret à
vous feul , mon cher Auditeur : voici ^xi'
fin le don de Dieu , l'heure de votre fa-
, lut , le moment de ma miféricorde ; n'en
attendez point d'autre ; il y a fi long-tems
q' e vous difffrez , que vous vous trompez
vt?us-méme par des retardemens Sc des
La Samaritaine. 119
projets inutiles de converfion : à mefure
que vos années avancent , vos defTeins de
changemens reculent 6c s'éloignent de
vous. Vous comptiez que Tâge vous fe«
roit revenir ; tC Tâge , en changeant tout
le refte , n'a pas changé votre cœur : vous
vous promettiez qu'une Situation plus tran-
quille , vous lailTeroit plus de loifir de
penfer à votre falut ; le loifir efl venu , ÔC
la volonté de me fervir eft à venir encore :
vous vous difiez à vous-même , que cer-
tains engagemens rompus , que certaines
bienféances infinies , vous mettriez tout de
bon ordre à votre confcience ; ces enga-
gemens ne font plus ; ces bienféances ont
fini , ÔC vos paîrions font encore les mê-
mes. Ah ! juiques à quand ferez-vous le
jouet de vos vaines efpérances ? Ne ren-
dez pas inutile ma grâce , qui aujourd'hui
vous trouble 6c vous rappelle : n'eft-cepas
déjà une faveur bien fignalée , que je vien-
ne vous chercher jufques dans une terre
infidèle ; que je vienne vous infpirer des
défirs de converfion jufques dans le palais
des Rois , dans le centre des plaifirs 5c des
paflions humaines. Si vous connoifiiez le
don de Dieu ; fi vous faifiez attention que
dans le tems même que des ténèbres pro-
fondes font répandues fur tout ce qui vous
environne , ÔC que mon nom eft a peine
connu de ceux avec qui vous vivez, vous
feule êtes recherchée, éclairée, touchée;
ah ! loin de diffirer encore , vous regarde-
xki ce moment ^ comme le moment décl-.
120 VËiVDREDT DE LA ÏIÎ. SEMAINE,
fif de votre éternité ; c'eft-à-dire , ou le
comble de mes miféricordes éternelles fur
votre ame , ou le terme fatal de ma bonté
& de ma patience.
Grand Dieu ! diiîîpez doîic y comme la
pouinére , les vains obfîacles que j'oppofe
encore à votre grâce : foutenez mes for-
ces chancelantes, 6c mes réfolutions tant
de fois infidèles : ne permettez plus que
ma foiblelTe triomphe de votre puilTance:
ne combattez plus avec moi que pour
vaincre: 6c reprenez vous-même un cœur
qîie j'ai bien pu vous ravir tout feul : mais
que je ne faurois plus tout feul vous ren-
dre ; afin que redevenu la conquête de
votre grâce , je puiife bénir mon Libé«
latsur dans tous les fiécles.
A-inJi fait - iL
^ ^
«
ÎEBJVtON
^ Sî^ Ic-^ éà -t^ ^^ S"*
iiti S€Sê ^ AJ». ^ S€§€ I
SERMON
POUR
LE QUATRIEME DIMANCHE
DE CARÊME
Sur V Aumône.
Accepit ergo Jefus panes"; Sc cûm gra-
tîas egiilet., diftribuit difcumbentibus.
Je/î/J' f r/r les fains ; d» ^*2nf /-«/Zi/w gra:^
ces , i/ /ei" dïjlrïbua aux Dijclples , C^ les Dif-
cibles à ceux gui étoient ajjls, Joan, ù, ii.
E n'eu pas fans myflére que !•
C. alTocie aujourd'hui les Dif-
cipl^s au prodige de la multi-
plication des pains , 6c qu'il fe
lert de leur miniftèrepour dif-
trlbuer la nourriture miraculeufe à un peu-
ple prellé de faim &Cdc mifére. Il pouvoir
fans doute encore faire pleuvoir la manne
dans le défert , 6c épargner à fes Difcipies
le foin d'une fî pénible.diftribution.
iii IV- Dimanche de Carême.
Mais ne pouvcit-ii yas aufl., après ovoïf
refliifcité Lazare , ne point employer leur
fecours pour le ciclitr ? fa voix tonte pnif-
fante qui vcnoit de brifer les chaînes de
la mort , auroit-elîe trouvé quelque réiif-r
tance dans de foibles liens que la inain de
l'homme avoit formés ? c'eft qu'il vouloit
leur tracer par avance dans cette fonction ,
l'exercice lacré de leur mmiftèrc; la part
qu'ils alloient avoir déformais à la réfur-
reftion fpirituelle des pécheurs ; 6c que
tout ce qu'ils délieroient fur la terre , fe-
roit délié dans le ciel.
Il pouvoit encore , lorfqu'il fut queftion
de payer le tribut à Céfar , fe paifer des
£lets de Pierre , pour-chercher une pièce
d'argent dans les entrailles d'un poilfon ;
lui qui des pierres mêmiCS , pouvoit fufci-
ter des enfans d'Abraham , auroit pii à
plus forte raifon , les changer en un mé-
tal précieux , ÔC y trouver le prix du tri-
but dû à Céfar ; mais en la perfonne du
Chef (le l'Eglife , il vouloit inftruire tous
fes Minières à refpeder ceux qui portent
le glaive; 6c à donner , en rendant l'hon-
neur 5c le tribut aux PuilTances établies
de Dieu , un exemple de foumifiion au
reile des Fidèles.
Ainfî , en fe fervant aujourd'hui de l'en-
tremife des Apôtres , poiir d'ftribuer aux
troupes le pain miraculeux, fon deffein e(ï
d'accoutumer tous fes Difciples à la mifé-
ricorde & à la libéralité envers les malheu-
reux : il vous établit les Miniftres de fa
s UR L*A U M Ô Nf E. 12 J
Providence ; 6c ne multiplie les biens de
îa terre entre vos mains , qu'afîn que delà
ils fe répandent fur cette multitude d'ia»
fortunés qui vous environne.
Il pourroit, fans doute , les nourrir lui»
même ; comme il nourrit autrefois les Pauls
& les Elies dans le défert : il pourroit ,
fans votre entremife , foulager des créatu-
res qui portent fon image ; lui dont la main
invilîble prépare la nourriture aux petits
corbeaux mêmes, qui l'invoquent dans leur
délaiffement : mais il veut vousaffocier au
mérite de fa libéralité ; il veut que vous
foyez placés entre lui 6c les pauvres , com-
me des nuées fécondes , toujours prêtes
à répandre fur eux les rofées bienfaifantes
que vous n'avez reçues que pour eux.
Tel eft l'ordre de fa Providence : il falloit
ménager à tous les hommes des moyens
de falut : les richeifes corromproient le
cœur , fi la charité n'en expioit les abus :
l'indigence laiïeroit la vertu , fi les fecours
de la miféricorde n'en adoucilfoient l'amer-
tume : les pauvres facilitent aux riches le
pardon de leurs plaifirs , les riches animent
les pauvres à ne pas perdre le mérite de
leurs fouffrances.
Appliquez - vous doiic , qui que vous
foyez , à toute la fuite de cet Evangile. Si
vous gémiflez fous le joug de l'indigence ,
la tendrelF^i ÔC l'attention de Jefus-Chrift
fur les befoins d'un peuple errant 5c dé-
pourvu , vous co ifolera : fi vous êtes né
dans Topuleace , l'exemple des Difciples
L i
124 IV. Dimanche de CARtME.
va vous inftriiire. Vous y verrez en pre*
mier lieu , les prétextes qu'on oppofe au
devoir de l'aumône , confondus : vous y
apprendrez en fécond lieu , quelles doivent
en être les régies. C'eft-à-dire , que dans
la première Partie de ce difcours , nous
établirons ce devoir contre toutes les vai-
nes excufes de la cupidité ; dans la féconde,
nous vous inftruirons fur la manière de l'ac-
complir , contre les défauts mêmes de la
charité : c'eft Finftruélion la plus naturelle
que nous préfente l'hiftoire de notre Evan-
gile. Implorons le fecours de l'Efprit-faint
par l'entremife de Marie. Ayt , Maria*
Fartxe. vJIn ne met guéres en queflion dans le
monde , fi la Loi de Dieu nous fait un pré-
cepte de l'aumône : l'Evangile eft fi précis
fur ce devoir ; l'efprit 6c le fond de la Reli-
gion y conduifent lî naturellement ; la feule
idée que nous avons de la Providence ,
dans la difpenfation des chofes temporel-
les , laiffe u peu de lieu fur ce point à l'o-
pinion &. au doute , que,quoique pluiieurs
ignorent toute l'étendue de cette obliga-
tion , il n'eft perfonne néanmoins qui ne
convienne du fond &C de la régie.
Qui l'ignore en effet , que le Seigneur ,
dont la Providence a réglé toutes chofes
avec un ordre fi admirable , 5c préparé
leur nourriture même aux animaux , n'au-
roit pas voulu laiffer des hommes créés à
fon image , en proie à la faim ÔC à Tindi-
gence , tandis qu'il répandrait à pleines
i
Sur l'A umô n e. t2$
mains fur un petit nombre d'heureux , la
rofée du ciel 6>C la graiiTe de la terre ; s'il
n'avoit prétendu que l'abondance des uns
fuppléât à la néceirité des autres p
Qui l'ignore , que tous les biens appar-
tenoient originairement à tous les hon"imes
en commun ; que la (impie nature ne con-
uoilToit , ni de propriété , ni de partage ;
ÔC qu'elle laiiToit d'abord chacun de nous
en polfeiTion de tout l'iniivers ? mais que
pour mettre des bornes à la cupidité , 6c
éviter les diffentions & les troubles , le
commun confcntement des peuples établit
que les plus fages, les plus miféricordieux,
les plus intégres, feroicnt aufli les plus opii-
lens ; qu'outre la portion du bien que la na-
ture leur deftinoit , ils fe chargeroient en-
core de celle des plus foibles , pour en être
les dépofitaires , ÔC la défendre contre les
ufurpations ôcles violences ; deforte qu'ils
furent établis par la nature même , comme
les tuteurs des malheureux; 5c que ce qu'ils
eurent de trop , ne fut plus que l'héritage
de leurs frères , confié à leurs foins 5c à
leur équité ?
Qui l'ignore enfin , que les liens de la
Religion ont encore relTerré ces premiers
nœuds que la nature avoit formés parmi
les hommes ; que la grâce de Jefus-Chrid ,
qui enfanta les premiers Fidèles , non-feu-
lement n'en fit qu'un cœur 5c qu'une ame ,
mais encore qu'une famille , d'où toute
propriété fut bannie ; & que l'Evangile ^
nous faifant une loi d'aimer nos frères com-
ti6 IV. Dimanche de Carême.
me nous-mêmes , ne nous permet plus ,
©Il d'ignorer leurs befoins , ou d'être in-
lenfibles à leurs peines ?
Mais il en eft du devoir de l'aumône ,
comme de tous les autres devoirs de la
loi : en général , en idée on n'ofe en con-
tredire l'obligation ; lacirconftance de l'ac-
complir eft-elle arrivée ? on ne manque ja-
mais de prétexte , ou pour s'en difpenfer
tout-à-fait , ou pour ne s'en acquitter qu'à
demi» Or, il femblequel'Efprit de Dieu a
voulu nous marquer tous ces prétextes dans
les réponfes que font les Difciples à Jefus-
Chrift , pour s'excufer de fecourir cette
multitude affamée qui l'avoitfuivi au dé-
fcrt.
En premier lieu , ils le font fouvenir
qu'à peine ont-ils de quoi fournir à leurs
propres befoins , & qu'il ne leur relie que
cinq pains d'orge , ÔC deux poilTons : iji
puer unus hic , çid habct quinque panes
- ' ^' hordeaccos & duos pifces ; & voilà le pre-
mier prétexte que la cupidité oppofe au
devoir de la miféricorde. A peine a-t'on le
nécellaire , on a un nom 6c un rang à fou-
tenir dans le monde , des enfans à établir ^
des créanciers àfatisfaire , des fonds à dé-?,
gager , des charges publiques à fupporter,
mille fraix de pure bienféance aufquels il
faut fournir ; or , qu'eft-ce qu'un revenu
qui n'eft pas infini , pour des dépcnfes de
Idid. tant de fortes ? Sed hœc quid inter tantos ?
Ainfi parle tous les jours le inonde , 6<: le
mondele plus brillant ÔCle plus fomptueux.
Sur l'Aumône. 127
Or, mes Frères , je fais que les bornes
du iiéceiraire ne font pas les mêmes pour
tous les états ; qu'elles augmentent à pro-
portion du rang ÔC de la naillance -, qu'une
étoile , comme parle l'Apôtre , doit diffé-
rer en clarté d'une autre étoile ; que mê-
me, dès les fiécles Apoftoliques , on vo-
yoit dans l'aiîemblée des Fidèles des hom-
mes rei^êtus d'une robe de diiHnclion ,
^ portant au doigt un anneau d^ , tandis
que les autres d'une condition plus obicure,
fe contentoient de fimples vétemens pour
couvrir leur nudité ; qu'ainfi la Religion
ne confond pas les états ; §C que fi elle dé-
fend à ceux qui habitent les palais des Rois
la moUefle des mœurs 6c le faite indécent
des vétemens , elle ue leur ordonne pas
aufli la pauvreté 8C la fimplicité de ceux
qui vivent au fond des chamips , ÔC de la
plus obfcure populace : je le fais.
Mais , mes Frères ^ c'eft une vérité
inconteftable , que ce qu'il y a de fuperflu
dans vos biens ne vous appartient pas ; que
c'eft la portion des pauvres ; 5c que vous
ne devez compter à vous de vos revenus ,
que ce qui eft nécelTaire pourfoutenir l'é-
tat où la Providence vous a fait naître. Je
vous demande donc , eft-ce l'Evangile ou
la cupidité , qui doit régler ce nécelfaire :
Oferiez-vous prétendre que toutes les va-
nités dont Tufai^e vous fait une loi , vous
fulfent comptées devant Dieu comme des
dépenfes inféparables de votre condition ?
prétendre que tout ce qui vous flâ.^e , vous
L4
12.8 IV. Dimanche de Carême.
accommode , nourrit votre orgueil , Satis-
fait vos caprices , corrompt votre cœur-,
vous foit pour cela néccflaire ? prétendra
que tout ce que vous facrifiez à la fortune
d'un enfant pour relever plus haut que fes
ancêtres ; tout ce que vous rifquez à un jeu
€xcefljf ; que ce luxe, ou qui ne convient
pas à votrenaiilance , ou qui en eftun abus^
iaient des droits inconteftahles qui doivent
être pris iur vos biens avant ceux de la cha^
rite ? prétendre enfin , que parce qu'un père
obfcur £<: échappé de la foule vous aura
laiiTé héritier de fes tréfors , 5C peut-être
auili de ùs inj.u/lices y il vous fera permis
d'oublier votre peuple ÔC la maifon de VC:-
tre père , vous mettre à côté des plus grands
noms , 6c foutenir le mêm.e éclat ^ parcs
que vous pouvez fournir à la même dé-
penfe ?
Si cela eft aînfî , mes Frères ; fi vous ne
comptez pour fuperflu que ce qui peut
échapper à vos plaisirs y à vos profulions,
à vos caprices , vous n'avez donc qu'à être
voluptueux , capricieux ^ diilolu , prodi-
gue , pour être difpenfé du devoir de Taur
mône. Plus vous aurez de paillons à fatisr .
faire , plus l'obligation d'être charitable
diminuera ; 5c vos excès que le Seigui^ur
vous ordonnoit d'expier par la miféricorde,
feront eux-mêm.es le privilège qui vous ea
décharge. Il faut donc qu'il y ait ici une ré-
gie à obferver ,. ÔC des bornes à fe prefcri-
re , différentes de celles de la cupidité : 6C
la voici la régie de la foi. Tout ce quinjB
Sur l'A um ôk e. 12^
tend qu'à nourrir la vie d^s fens , qu'à flâ-
ter les pafîîons , qu'à autorifer les pompes
& les abus du monde ; tout cela eft fuperflu
pour un Chrétien ; c'eii ce qu'il faut retran-
cher ÔC mettre à part; voilà le fonds ôcThé-
ritage des pauvres ; vous n'en êtes que le
dépofitaire , ÔC ne pouvez y toucher fans
ufurpatian ÔC fans injuftice. L'Evangile ^
mes Frères , réduit à peu le nécefTaire du
Chrétien , quelque élevé qu'il foit dans le
monde ; la religion retranche bien des
dépenfes ; ÔC li nous vivions tous félon les
régies de la Foi > nos befoins > qui ne fe-
Toientplus multipliés par nos payions , fe-
roient moindres ; nous trouverions la plus
grande partie de nos biens inutile ; & com-
me dans le premier âge de la foi , l'Eglife
ne verroit point d'indigent parmi les Fi-
dèles. Nos dépenfes augmentent tous les
jours , parce que tous les jours nos paf-
fîons fe multiplient ; l'opulence de nos
pères n'eft plus qu'un état pauvre 6c mal-
aifé pour nous ; 6c nos grands biens ne
peuvent phis fuffire , parce que rien ne
fuffit à qui ne fe refufe rien.
Et pour donner à cette vérité toute l'é-
tendue que le demande le fuiet que nous
traitons ; je vous demande en fécond lieu
mes Frères , l'élévation &C l'abondance où
vous êtes nés , vous difpenfent-elles de la
/implicite ^ de la frugahté , de la modeftie ,
de la violence évangélique ? Pour être nés
grands , vous n'en êtes pas moins Chré-
tieas. Eu vain ^ comme ces Ifraèiites daii&
130 IV. DlMAÎCCHE DE CaREME.
le défert avez-voiis amailé plus de manne
que vos frères ; vous n'en pouvez garder
pour votre ufage , que la mefure prefcrite
2. Cor. parla Lqj . q^i multiim : non abunciavit*
'^^* Hors de-là , Jefus-Chrift n'auroit défen-
du le fafte, les pompes, les plailirs , qu'aux
pauvres &. aux malheureux ; eux à qui
l'infortune de leur condition rend cette
défenfe fort inutile.
Or , cette vérité capitale fuppofée : fi
félon la régie de la foi , il ne vous eft pas
permis de faire fervir vos richelfes à la fé-
licité de vos fens ; fi le riche eft obligé de
porter fa croix ^ de ne chercher pas fa
confolation en ce monde , &C de fe renon-
cer fans celle foi-même comme le pauvre;
quel a pii être le delTein de la Providence ,
en répandant fur vous les biens de la terre,
& quel avantage peut-il vous en revenir à
vous mêmes ? Seroit-ce de fournir à vos
paflions défordonnées ? mais vous n'êtes
Î)lus redevables à la chair , pour vivre fe-
on la chair. Seroit-ce de foutenir Torgueil
du rang ^CdelanailfanceFmais tout ce que
vous donnez à la vanité , vous le retran-
chez de la charité. Seroit-ce de rhéfaurifer
pour vos neveux ? mais votre tréfornedoit
être que dans le ciel. Seroit-ce de pafler la
vie plus agréablement ? mais fi vous ne
pleurez , fi vous ne fouffrez , fî vous ne
combattez, vous êtes perdus. Seroit-ce de
vous attacher plus à la terre ? mais le Chré-
tien n'eftpas de ce monde, il ell citoyen du
fiécle à venir. Seroit-ce d'aggrandir vos
Sur l'Aumône. 137
poffefnons 5c vos héritages ? maïs vous
n'aggrandiriez jamais que le lieu de votre
exil ; ÔC le gain du monde entier vous fe-
roit inutile , (î vous veniez à perdre votre
ame. Seroit-ce de charger vos tables de
mets plus exquis ? mais vous favez que l'E-
vangile n'interdit pas moins la vie fenfuelle
6c voluptueule au riche , qu'à l'indigent ,
Rcpallez fur tous les avantages que vous
pouvez retirer félon le monde de votre
profpérité, ils vous font prefque tous in-
terdits par la Loi de Dieu.
Ce n'a donc pas étéfon deffcin de vous
les ménager , en vous faifant naître dans ^
l'abondance ; ce n'eft donc pas pour vous y
que vous êtes nés grands: ce n'ell pas pour
vous , comme le difoit autrefois IVlardo-
chée à la pieufe Efther , que le Seigneur
vous a élevée à ce point de grandeur 6c de
profpérité qui vous environne ; c'eft pour
Ion peuple affligé ; c'ell: pour être la pro-
teélrice des infortunés : Et quis novit utrum
ad regnum veneris y ut in tali tcmrore pa- ^MeA
rareris ? Si vous ne répondez pas à ce def- ^' ''^^
fein de Dieu fur vous, coîitinuoit ce fage
Juif, il fe fervira de quelque autre qui lui
fera plus fidèle; il lui tranfportera cette cou-
ronne qui vous étoit deftinée ; il faura bien
pourvoir par quclqu'autre voie , à l'afflic-
tion de fon peuple ; car il ne permet pas
que les fiens périlTent ; mais vous 8c la
maifon de votre père , périrez : Per aliam
occajiomm liberabuntur Judœi ; & tu , &
domus patris tulperibitis .Vous n'êtes donc ua^
Ï3i IV. DlxMANCHE DE CaREME.
dans les deiTeins de Dieu , que les Miniflres
de fa Providence envers les créatures qui
fou£Frent : vos grands biens ne font donc
que des dépôts facrés que fa bonté a mis
entre vos mains , pour y être plus à cou-
vert de Tufurpation <5c de la violence , ÔC
confervés plus sûrement à la veuve Sc à
Torphelin : votre abondance dans Tordre
de fa fageife , n'eil donc deftinée qu'àfup-
pléer à leur néceflité ; votre autorité , qu'à
les protéger ; vos dignités , qu'à venger
leurs intérêts ; votre rang , qu'à les con-
foler par vos offices : tout ce que vous êtes ,
vous ne l'êtes que pour eux ; votre éléva-
tion ne feroit plus l'ouvrage de Dieu , 5c il
vous auroit maudit en répandant fur vous
les biens de la terre , s'il vous les avoit
donnés pour un autre ufage.
Ah ! ne nous alléguez donc plus , pour
cxcufer votre dureté envers vos frères ,
des befoins que la Loi de Dieu condamne;
jufliiiez plutôt fa Providence envers les
créatures qui fouffrent ; faites-leur con-
noître, en rentrant dans fon ordre, qu'il y
a un Dieu pour elles comme pour vous ; &
bénir les confeils adorables de fa fagelle
dans la difpenfation des chofes d'ici-bas ^
qui leur a ménagé dans votre abondance
des refTources û confolantes.
Mais d'ailleurs ^ mes Frères , que peu-
vent retrancher à ces befoins que vous nous
alléguez tant, les largeiTes modiques qu'on
vous demande ? Le Seigneur n'exige pas de
VOUS une partie de vos fonds &. de vos hd-
Sur l'A u mône. 135
rîtages , quoiqu'ils lui appartienent tout
entiers , & qu'il ait droit de vous en dé-
pouiller : il vous laiile tranquilles poiTef-
feurs de ces terres , de ces palais , quî
vous diftinguent dans votre peuple , 6C
dont la piété de vos ancêtres enrichiffoit
autrefois nos Temples : il ne vous ordonne
pas comme à ce jeune Homme de l'E-
vangile 5 de renoncer à tout, de diftribuer
tout votre bien aux pauvres , &. de le fui-
vre : il ne vous fait pas une loi , comme
autrefois aux premiers Fidèles , de venir
porter tous vos tréfors aux pieds de vos
Pafteurs : il ne vous frappe pas d'anathême ,
comme il frappa Ananie 6c Saphire , pour
avoir ofé feulement retenir une portion d'un
bien qu'ils avoient reçu de leurs pères , vous
qui ne devez peut-être qu'aux malheurs pu-
blics , & à des gains odieux ou fufpedîs ,
l'accroiiTement de votre fortune : il confent
que vous appelliez les terres de vos noms,
comme dit le Prophète , & que vous tranf-
mettiez à vos enfans les poflefTions qui
vous font venues de vos ancêtres : il veut
feulement que vous en retranchiez une lé-
gère portion pour les infortunés qu'il laifTe
dans rindigence : il veut que tandis que
vous portez fur l'indécence 5>C le f afte de
vos parures , la nourriture d'un peuple
entier de malheureux , vous avez de quoi
couvrir la nudité defesferviteurs qui n'ont
pas où repofer leur tête : il veut que de
ces tables voluptueufes , où vos grands
biens peuvent à peine fuffirc à votre îenfua-
fî4 IV. Dimanche de Carême.
lité ; 6C aux profufions d'une délicateffe
infenfée ; vous laifliez du moins tomber
quelques miettes pour foulager des La-
zares preilés de la faim 5c de la misère : il
veut que tandis qu'on verra fur les murs de
vos palais des peintures d'un prix bizarre
&: excefîif , votre revenu puille fuffire
pour honorer les images vivantes de votre
Dieu ; il veut enfin que tandis que vous n'é-
pargnerez rien pour fatisfaire la fureur d'un
jeu outré ; ÔC que tout ira fondre dans ce
gouffre , vous ne veniez pas fupputer votre
dépenfe , mefurer vos forces , nous allé-
guer la médiocrité de votre fortune , 6C
l'embarras de vos affaires , quand il s'agira
de confoler i'afïlidion d'un Chrétien. 11 le
veut ; 6c n'a-t'il pas raifon de le vouloir ?
Quoi ] vous feriez riche pour le mal , 6C
pauvre pour le bien ? vos revenus fufîî-
Toient pour vous perdre , 6c ils ne fufîî-
roient pas pour vous fauver , ÔCpour ache-
ter le ciel ? ÔC parce que vous outrez l'a-
mour de vous même , il vous feroit per-
snis d'être barbare envers vos frères ?
Mais , mes Frères , d'où vient que c'eft
ici la feule circonflance , où vous dimi-
nuez vous-mêmes l'opinion qu'on a de vos
richefles ? Par-tout ailleurs , vous voulez
qu'on vous croye puifTans; vous vous don-
nez pour tels ; vous cachez même quel-
quefois fous des' dehors encore brillans ,
dus affaires déjà ruinées , pour foutenir
cette vaine réputation d'opulence. Cette
rauité ne vous abandonne doac , c|.ue lorf-.
Sur l' Aumône. ijj
qu'on vous fait foiivenir du devoir de la
miféricorde : alors peu contens d'avouer
la médiocrité de votre fortune , vous l'e-
xagérez ; 6C la dureté l'emporte dans votre
cœur , non-feulement fur la vérité , mais
encore fur la vanité. Ah ! le Seigneur re-
prochoit autrefois à un Evêque dans TA-
pocalypfe : l^ous dites ,Jc fuis riche, je fuis ^P^^'
comblé de bilans ; Ô^ vous ne fave^ pas que ^' '^*
vous êtes pauvre , nud j ^ miférable â^
mes yeux. Mais il devroit aujourdhui chan-
ger ce reproche à votre égard , §C vous
dire : O ! vous vous plaignez que vous
êtes pauvre, ôc dépourvu de tout; ÔC vous
ne voulez pas voir que vous êtes riche ,
comblé de biens , &C que dans un tems ou
prefque tous ceux qui vous environnent
louiirenî , vous feul ne manquez de rien k
mes yeux.
Et c'eft ici le fécond prétexte qu'on op-
pofe au devoir de l'aumône; la mifére gé-
nérale. Aufli les Difciples répondent en fé-
cond lieu au Sauveur pour s'excufer de fe-
courir cette multitude affamée, qu.e le lieu
eft défert ôc ftérile , que l'heure eft déjà
palTée , 5c qu'il faut renvoyer le peuple,
afin qu'il aille dans les bourgs, ÔC dans les
maifons voiiînes , acheter de quoi le nour-
rir .• JJeferîus eft locus hic , & jam hora MarcÈ
prcsteriit. Nouveau prétexte dont on fe fert^* 33»
pour fe difpenfer de la miféricorde : le
malheur des tems ; la flérilité ôC le dé-
ranî^ement des faifons.
Mais premièrement Jefus-Chriil n'au-
Ï3-5 IV. Dimanche de Carême.
roit-il pas pu répondre aux Difciples , dit
5. Chryfoftôme : C'eft parce que le lieu eft
défert & fiérile & que ce peuple ne fau-
joit y trouver de quoi foulager fa faim ,
qu'il ne faut pas le renvoyer à jeun , de
peur que les forces ne lui manquent en che-
min. Et voilà , mes Frères , ce que je
pourrois auiîi d'abord vous répondre : Les
tems font mauvais ; les faifons font fâcheu-
£qs : ah ' c'efl pour cela même que vous de-
veZ| entrer dans des inquiétudes plus vives
tf. plus tendres fur los befoins de vos frè-
res. Si le lieu eft défert ÔCftérile pour vous,
que doit-il être pour tant de malheureux ?
lî vous vous reilentez du malheur des tems ,
ceux qui n'ont pas les mêmes reifources
que vous , que n'en doivent-ils pas fouf-
frir ? fî les plaies de l'Egypte entrent juf-
ques dans les palais des Orands 6c de Pha-
raon même , quelle fera la défolation de la
cabane du pauvre ÔC du laboureur ; fi les
Princes d'Ilraèl , dans Samarie affligée , ne
trouvent plus de refTource dans leur aire ,
iii dans leur prefToir, félon l'expreiTiondu
Prophète, quelle fera l'extrémité d'une po-
pulace obfcure , réduite peut-être , com-
me cette mère infortunée , non à fe nour-
rir du fang de fon enfant , mais à faire de
fon innocence ÔC de fon ame , le prix fu-
nefte de fa néceHité ?
Mais d'ailleurs , ces fléaux dont nous
fommes affligés , ÔC dont vous vous plai-
gnez , font la peine de votre dureté envers
les pauvres j Dieu venge fur vos biens l'in- -
juftc
Sur l' Au m ô n e. 137
jufie lîfag.e que vous en faites ; ce fontles^
cris ÔC les gémiffemens des malheureux^
que vous abandonnez, qui attirent l'indi-
gnation du Ciel fur vos terres ÔC fur vos
campagnes. C'eft donc dans ces calamités
publiques , qu'il faut vous hâter d'appaifer
la colère de Dieu par l'abondance de vos
largefles ; c'eft alors qu'il faut plus que ja-
mais intérefler les pauvres dans vos malr-
heurs. Ah ! vous vous avifez de vousadref-
fer au Ciel, d'invoquer par dos fupplica-
tions générales , les faints Protefteurs de
cette Monarchie ,,pour obtenir des faifons.
Elus heureufes , la ceffation des iléaux pu-
lies , le retour delaférénité &de l'abon-
dance : mais ce n'eu pas là feulementqu'il.
faut porter vos vœux & vos prières : vous^
ne trouverez jamais les Saints fenfibles â
vos peines, tandis que vous ne le ferez pas;-**
vous-mêmes à celles de vos frères rvous
avez fur la terre les maîtres des vents ôC
des faifons ; adrelTez-vous aux pauvres , ce
font eux qui ont , pour aînfi dire yles clefs-
du Ciel; ce font leurs vœux , qui. règlent
les tems êC les faifons; qui nous ramènent"
des jours fereins ou funeiles; qui iiifpen-
dent au qui attirent les faveurs du Ciel :
car l'abondance n'eft donnée à la terre que.
pour leur fouragement ; 5c ce n'eii que.*
par rapporta eux,, que: le Ciel vous punit^^
Qu que le Ciel, vous favorife..
Mais pour achever de vous confondre^j;;
lïous ,. mes Frères , qui" nou^ alléguez fil
fcrtle malheur, dès tems :.la. rigueur pr6^
Çaî^ètm X Tome. UL* M
158 IV. Dimanche de Carême.
lendue de ces tems retranche-t'elle qneî-
<[ue chofe à vos plaifirs ? que fouffrent vos
pafTions des miféres publiques ? Si le mal-
heur des tems vous oblige à vous retran-
cher fur vos dépenfes , retranchez d'abord
tout ce que la Religion condamne dans l'u-
fage de vos biens ; réglez vos tables , vos
parures , vos jeux , vos trains ^ vos édifi-
ces fur le pied de l'Evangile ; que les re-
tranchemens de la charité ne viennent du
Tnoins qu'après tous les autres ; retranchez
vos crimes , avant que de retrancher vos
devoirs. C^eû le deffein de Dieu, quand il
frappe de ftérilité les Provinces 6c les
Royaumes , d'ôter aux Grands 6c aux
PuiiTans , les occaGons des diffolutions ÔC
des excès : entrez donc dans l'ordre de fa
juftice & de fa fageffe ; regardez - vous
comme des criminels publics que le Sei-
gneur châtie par des punitions publiques y
dites-lui , comme David ^ lorfqu'il vit la
main de Dieu appéfantie fur fqn peuple :
C'eft fur moi , Seigneur , qui fuis le feul
coupable , qui ai attiré votre indignation
fur fon Royaume en abufant de ma profpé-
rité , ÔC en me livrant à des pafTions hon-
teufes ; c'eft fur moi feul , que doit tomber
la fureur de votre bras : lArtatur , ob/ecro,
J^^l-^f' fnanus tua contra me : mais cqXIq populace
obfcure 5C affligée ; mais ces infortunés ^
qui dans une condition pénible , ne raan-
geoient leur pain qu'à la fueur de leur fronti
eh ! qu'ont-ils fait , Seigneur , pour être;
expoiés au glaive de votre vengeance î
s U R L'A U M ô N E. Î39
Egofum qui peccavl ; c^o inique egi : ijli
qui oves funt quid f'ccerunt ? ^
Voilà votre modèle : faites ceffer , en
finillant vos défordres , la caufe des mal-
heurs publics ; offrez à Dieu , en la per-
fonne des pauvres , le retranchement de
vos plaifirs 6c de vos profufions , comme
le feul facrifîce de juftice , capable de dé-
farmer fa colère ; & puifque ces fléaux ne
tombent fur la terre que pour punir l'abus
que vous avez fait de l'abondance , portez-
en auiTi tout feuls , en retranchant ces abus ,
la peine ôC Tamertume. Mais qu'on ne s'ap-
perçoive des malheurs publics , ni dans
l'orgueil des équipages , ni dans la fenfua-
lité des repas , ni dans la m^gnilicence des
édifices , ni dans la fureur du jeu ÔCl'entê-
tement des plaifirs , mais feulement dans
votre inhumanité envers les pauvres ; mais
que tout au- dehors , les fpeâacles , les af-
femblées profanes, les ré jouiflances publi-
ques , que tout aille même train , tandis
que la charité feule fe refroidira \ mais que
le luxe croiil'e même de jour en jour, 6C
que lamifericorde feule diminue ; m.ais que
le monde &. le démon , ne perdent rien au
malheur des tems , tandis que Jefus-Chrift
tout feul en foufFre dans fes membres affli-
gés ; mais que le riche , à couvert de fon
opulence , ne voye q^.\Q de loin les effets de
la colère du Ciel , tandis que le pauvre ÔC
l'innocent en deviendroitla trifte viclime*
Grand Dieu ! vous ne voudriez donc frap-
per que les malheureux en répandant de$
M 2
Ibld^
14©^ TV. Dimanche de Carsme;
fléaux fur la terre ? votre unique dcÏÏein fé^
roit'cionc d'achever d'écrafer ces infortunés
fiir qui votre main s'étoitdéjàfî fort appe-
fantie, en les faifant naître dans l'indigence
& dans la mifére? les puiiTans deTEgypte
feroientdonc épargnés-par l'Ange extermi-
nateur-, tandis que toute votre fureur vien-
droitfondre.furrîfraèlite affligé , fur fou
toit pauvre 5c dépourvu, ÔC marqué mê-
me du fang de rAgneau ? Gui , mes Fre^
res , lés, calamités publiques ne font deili*
nées qu'à' punir les riches ÔC les puiflans ;
& ce font-le^ riches 6c les puilîans tout
feuls quin'en fouffrent rien ; au cantraire.
en multi^liant-les malheureux , elles leur-
fourniiTent un nouveau prétexte de fe dif--
penfer du devoir-de la miférieorde.
Dernière excufe des Difeiples , fondés
fur le grand nombre de perfonnes qui ont
fuivi le Sauveur au déiert : Ce peuple cih
en fi grand nombre, difent-iis, que quand
nous achèterions pour^deux cens deniers
de pain , ,cela ne fufiiroit pas. Dernier pré-
texte qu'on oppofe au devoir ne l'aumône y
la multitude des pauvres. Oui , mes Frè-
res, ce qui devroit ranimer la charité ,
réteint: la multitude des malheureux vous,
endurcit à leurs miféres: plus le devoir aug-«.
mente > plus vous vous en, croyez déga^
gés ; 6c vous devenez cruels , pour avoiîJ-
trop d'occafions d-être charitables.
Mais en premier lieu ^_ d'où vient , je.?
vous prie, cette multitude de pauvres dont:
ncQUS-vo us plaignez ? Je fais que. le. malheur
SvK l'A u ivrô ne. t^i
ies tems peut eu augmenter le nombre r
jnais les guerres , les maladies populaires ,.
les dércglemens de5 iaifons que nous,
éprouvons , ont été de taus les fîécles : les.
calamités que nous voyons y ne font, pas^
nouvelles ,. nos pères les ont vâes^& ils.
en ont vu même de plus triftes ; des diden-
fions civiles , le père armé contre, l'enfant j,,
le frère contre le frere> les campagnesr
ravagées par leuri propres habitans ; le:
Royaume en- proie à des nations ennemies;,
perfonne en sûreté fous fon propre, toît :.
nous ne voyons pas c^s malheurs ; mais ont-
ils vil ce que nous voyons.? tant de miféres?
publiques 6c cachées ? tant de familles dé-
chues ? tant de citoyensautrefoisdillingués
aujourd'hui fur la poufllére , ÔC confondus,
avec le plus vil peuple? les arts devenus
prefqueinutiles? l'image de la faim 6cdela
mort répandue fur les villes 6cfur les cam.,
pagnes ? que dirai- je ? tant de défordres fe*
crets qui éclatent tous les jours , qui for*
tent de leurs ténèbres ,.& où. précipite le
défefpoirSc l'aiFreufenéceffité? D'où vient
cela , mes Frères In'eft- ce pas d'un luxe
qui engloutit tout, &. qui étoit inconnu à
nos pères ? de vos dépenfas qui ne connoif?
fent plus de bornes , 6c qui entraînent né-
ceffairement. avec, elles le. refroidilTement-
de l'a- charité?
Ah' ! l'Eglife-naiiTante n'étoit-eile pas
perfécutée ,. défolée.,. affligée ? les mal--
îleurs de nos fîécîés approchent-ils dé ceux
îâ? Oii jr foufFroitla profcriptiou des bien^t.
142 IV. Dimanche de Carême.
l'exil , la prlfon , les charges les plus oné*
leufes de l'Etat tomboient fur ceux qu'on
foupçonnoit d'être Chrétiens; en un mot ,
on ne vit jamais tant de calamités : 6c ce-
pendant il n'y avoit point de pauvres parmi
Idci, 4-34' eux y dit S. Luc : Nec çuifçuam egens erat
inter illos. Ah ! c'eft que des richeffes de
fimplicité fortoient du fonds de leur pau-
vreté même , félon Texpreffion de TA»
pôtre ; c'eft qu'ils donnoient félon leurs
forces ôC au-de là ; c'ell que des Provinces
les plus éloignées , par les foins des hom-
mes Apoftoiiques , couloienî des fleuves
de charité, qui venoient confoler les frères
ailemblés à Jérufalem , 5c plus expofés
que les autres à la fureur de la Synagogue»
Mais plus encore que tout cela : c'eft que
les plus puiiTans d'entre les premiers Fidé^
les étoient ornés de modeftie ; 5c que nos
grands biens peuvent à peiriC fuffire au
faftemonftrueux dont î'ufage nous fait une
loi: c'eft que leurs feftins étoient des repas
de fobriété bi de charité ; 5c que la fainte
abftinence même que nous célébrons , ne
peut modérer parmi nous les profufions ÔC
les excès des tables 5c des repas : ctO: que
n'ayant point ici bas de cité permanente ,
ils ne s'épuUbient pas pour y faire des éta-
blillemens briilans, pour iliuilrer leur nom,
pour élever leur poflérité > &C ennoblir
lelir oblx:urité ÔC leur roture ^ ils ne pen-
foienî qu'à s'alTurer une meilleure -condi-
tion dans \i patrie céleftè ; ÔC qu'aujour-
d'hui nui n'eft content de fon état j chacun
Sur L'Aumône. ^ 143
veut monter plus haut que fes ancêtres ; &
que leur patrimoine n'eft employé qu'à
acheter des titres ÔC des dignités qui puif-
fent faire oublier leur nom 6c la bairelîe de
leur origine : en un mot , c'eft que la di-
minution de ces premiers Fidèles , comme
parle l'Apôtre , faifoit toute la richelTe de
leurs frères affligés , 6c que nos profufions
font aujourd'hui toute leur mifére bL leur
indigence. Ce font donc , nos excès , mes
Frères , 5C notre dureté , qui multiplient
le nombre des malheureuxrn'excufez donc
plus là-deffus le défaut de vos aumônes ;
ce feroit faire de votre péché même votre
excufe. Ah ! vous vous plaignez que les
pauvres vous accablent y mais c'ell de quoi
ils auroient lieu de fe plaindre un jour eux-
mêmes : ne leur faites donc pas un crime
de votre infenfibilité , 5c ne leur reprochez
pas ce qu'ils vous reprocheront fans doute
un jour devant le tribunal de Jefus-Chrift,
Si chacun de vous , félon l'avis de l'A-
pôtre , mettoità partuue certaine portion
de Tes biens pour la fubfiftance des mal-
heureux ; fî dans la lupputation de vos
dépenfes 6c de vos revenus , cet article
étoit toujours le plus facré 6c le plus in-
violable ; eh ! nous verrions bientôt dimi-
nuer parmi nous le nombre des affligés :
nous verrions bientôt renaître dans l'Egli-
fe la paix , rallegrelTc , l'heureufe égalité
des premiers Chrétiens ; nous n'y verrions
plus avec douleur cette monftrueufe dif-
proportion , q^ui élève les uns Ç»C ks çhç^
144 rv. Dimanche de Carême.
fur le faîte de la profpérité & de Topi!-^
lence, tandis que les autres rampent fur la
terre , ôC géiniiïent dans l'abîme de l'indi-
gence 6C de Tafflidion l'û n'y auroit par-
mi nous de malheureux que les impies ;,
point de miféres fecrettes, que celles que
le péché opère dans les âmes ; point de
larmes, que des larmes de pénitence ; point
de foupirs que pour le Ciel; point de pau-
vres que ces heureux Difciples de l'Evan-
i»ile, quirenon<:ent à tautpour fuivre leur
, Vlaître :. nos villes feroient le féjour de;
'innocence 6c de la miférieorde ; la Re-^
; igion , uncommerce de charité : la terre ^
.'image du ciel, où dans diiî^reîites me-
:'ures de gloire, chacun ei^ également heu-
reux ; 6c les ennemis de la foi feroient
encore forces , comme autrefois , de ren»
dre gloire, à Dieu , 6c de convenir qu'il y
a quelque chofe de divin dans une Religioa
qui peut unir les hommes d'une manière (ï
nouvelle-
Mais ce qui fait ici la méprife , c'efl que
dans la pratique perfonne ne regarde l'au-
Hiônecomme une des plus efTentielles oblir
gâtions du Chriftianifme ; ainfi on n'a rien
de réglé fur ce point : fi l'on fait quelque
liargelTe , c'eii: toujours d'une façon arbi^
traire ; 54 quelque légère qu'elle pui iTe-
être, on eft content de foi-même , com^
me fî, on venoit. de faire une œuvre de:
furcroîtk
Car d'ailleurs-, mes Frères ,- quand vous>
fréteudez exciifer 1^ niadicité de. vo^.aut-
môxiei»
Sur l' a u m ô n e- 14$
laônes , en difant que le nombre des pau-
vres eft infini ; que croyez-vous dire par-
là ? vous dites que vos obligations à leur
égard font devenues plus indifpenfables ;
que votre miféricorde doit croître à me-
fureque les miféres croiiTent ; 5c que vous
contractez de nouvelles dettes, en même-
tems qu'il s'élève de nouveaux malheureux
fur la terre. C'efl alors, mes Frères ; c'eft
dans ces calamités publiques , que vous
devez vous retrancher même fur des dé-
penfes^ qui hors de-là vous feroient per-
uiifes év. peut-être néceffaires : c'eil alors
que vous ne devez plus vous regarder
que comme le premier pauvre , 5c pren-
dre , comme une aumône tout ce que
vous prenez pour vous-même : c'efi: alors
que vous n'êtes plus ni grand, ni homme
en place-, ni citoyen diitingué, ni femme
de naiiTance ; vous êtes fîmplement Fidèle,
membre de Jefus-Chrift ^ frère d'un Chré-
tien affligé.
Et certes dites-moi : tandis que les villes
Se les campagnes font frappées de cala-
mités ; que des hommes créés à l'image
de Dieu ^ ÔC rachetés de tout fon fang ,
broutent l'herbe comm.e des animaux , ôC
dans leur néceflité extrême^ vont chercher
à travers les champs , une nourriture que la
terre n'a pas faite pour l'hom.me, ôc qui
devient pour eux un.e nourriture de mort;
auriez-vous la force d'y être le feul heu-
reux ? Tandis que la face de tout un Rovau- ^'"/'^^^
ftl ' ç^ -y , prononcé
changée, 5C que tO Ut retenti^ de >/i ijo^i.
146 IV. DixMANCHE DE CaRÈME.
cris 5c de gémilTemens autour de votre
demeure fuperbe ; pourriez-vous confer-
ver au-dedans le même air de joye , de
pompe , de férénité , d'opulence ? Sc où
feroit rhumanité , la raifon , la Religion ?
Dans une république payenne , on vous
regarderoit comme un mauvais citoyen ;
dans une ibciété de fages Sc de mondains ,
comm.e une ame vile , fordide , fans no-
blelle , fans génërofité , fans élévation ; 6C
dans l'Eglife de Jefus-Chrift , fur quel
pied voulez-vous qu'on vous regarde ? eh !
comme un monftre indigne du nom de
Chrétien que vous portez , de la foi dont
vous vous glorifiez , des Sacremens dont
vous approchez, de l'entrée même de nos
Temples où vous venez , puifque ce font-
là les fymboles facrés de l'union qui doit
être parmi les Fidèles.
Cependant la main du Seigneur eft éten-
due fur nos peuples dans les villes ^ dans
îes campagnes ; vous le favez , 6c vous
vous en plaignez : le Ciel eft d'airain pour
ce Royaume affligé ; la mifére , la pau-»
vreté , la défolation , la mort marcnent
partout devant vous. Or , vous échappe-t'il
de ces excès de charité , devenus mainte--
nant une loi de difcrétion ÔC de juftice l
prenez-vous fur vous-même une partie des
calamités de vos frères ? vous voit- on feu-
lement toucher à vos profufions 6c à vos
voluptés , criminelles en toute forte de
tems , mais barbares 5C puniflables même
p^r -les loi? des hommes en celui-ci ? Que
Sur l'Aumône. 147
dlrâî-]e?ne mettez-vous pas peut-être à
profit les miféres publiques ? ne faites- vour
pas peut-être de l'indigence comme une
occafion barbare de gain ? n'achevez-vous
pas peut-être de dépouiller les malheu-
reux, en affeftant de leur tendre une main
fecourable ? 2>C ne favez-vous pas l'art in-
humain d'apprétier les larmes ÔClesnécef»
dtés de vos frères ? Entrailles cruelles! dit
l'Efprit de Dieu , quand vous ferez raffafîéj
vous vous fentirez déchiré : votre félicité
fera elle-même votre fupplice ; Sc le Sei-
gneur fera pleuvoir fur vous fa fureur 6c fa
guerre.
Mes Frères , que îa préfence des pauvre»
devant le tribunal de Jefus - Chrift fera
terrible pour la plupart des riches du mon«
de ! que ces accufateurs feront puiffans i
ê>C qu'il vous reftera peu de chofe à répon-
dre , quand ils vous reprocheront qu'il fal-
loit fi peu de fecours pour foulager leur
indigence ; qu'un feul jour retranché de
vosprofufions, auroit fuffi pour remédier
aux befoins d'une de leurs années ; que
c'eft leur propre bien que vous leur refufiez,
puifquc ce que vous aviez de trop leur ap-
partenoit ; qu'ainfi vous avez été non-feu-
lement cruels , mais encore injufies en le
leur refufant ; mais enfin que votre dureté
n'a fervi qu'à exercer leur patience , ÔC les
rendre plus dignes de l'immortalité , tandis
que vous alors , dépouillés pour toujours
de ces mêmes biens que vous n'avez pas
VQulu mettre eu sûreté dans le feiii de^
N ft
148 IV. DlMAN'CHE DE CaREME.
pauvres , n'aurez plus pour partage que la
î"nalédi6i:ion préparée à ceux qui auront vu
Jefus-Chriil fouffrant la faim, la foif ,
la nudité dans fes membres , 5c qui ne
Matth. l'auront pas foulage : l^udus eram , & non
*^' '♦3* cooveruiftis me. Telle eft Fillufion des pré-
textes dont onfefertpour fe difpenfer du
devoir de Taumone; établilTons mainte-
nant les régies qu'il faut obferver en Tac-
complilfant : 6c après avoir défendu cette
obligation contre toutes les vaines excufes
de la cupidité , tâchons de la fauver auflî
ûts défauts même de la charité.
Ni
E point fonner de la trompette pour
s'attirer les regards publics dans les offices
de miféricorde que nous rendons à nos
frères ; obferver Tordre de la jufticc même
dans la charité , ÔC ne pas préférer des be-
foins étrangers à ceux dont nous fommes
chargés ; paroitre touchés de l'infortune ,
& favoir confolcr les pauvres paf notre af-
fabilité autant que par nos dons ; enfin
éclairer même par notre vigilance , le fe-
cret de leur honte : voilà les régies que
nous prefcrit aujourdhui l'exemple du Sau-
veur , dans la pratique de la miféricorde.
. Premièrement , il s'en alla dans un lieu
défert 8c écarté , dit l'Evangile ^ il monta
fur une montagne où il s'aiïit avec fes Dif-
ciples. Son delTein , félon les faints Inter-
prêtes , étoit de dérober aux yeux des
villes voifines le prodige de la multiplica-»
tion çles pains ] ôc de n'avoir ppur témoins
r
Sur l' a u m ô x\ e." !40
de fa miféricorde , que ceux qui dévoient
en reilentir les effets. Première inftruction,
5>C première régie : le fecret de ta charité.
Oui , mes Frères , que de fruits de la
miféricorde 5 le vent brûlant de Torgueil
bi de la vaine coinplaifance, flétrit tous les
jours aux yeux de Dieu ! que d'aumônes
perdues pour Téternité ! que de tréfors
qu'on croyoit en sûreté dans le fcin des
pauvres, &C qui paroitrontun jour corrom-
pus par le ver & par la rouille I
A la vérité , il eft peu de ces hypocrî-
fies groiTiéres ÔC déclarées , qui publient
fur les toits le mérite de leurs œuvres
fainîes ; l'orgueil eft plus habile , 6c ne fe
démafque jamais tout-à-fait: mais qu'il eft
encore moins de véritables zèles de chari*
té , qui cherchent comme Jefus-Chrift ,
les lieux folitaires 6c écartés , pour y ca*
cher leurs faintes profufions ! on ne voit
prefque que de ces zèles failueux , qm
n'ont des yeux que pour des miféres d'é-
clat ; 5c qui veulent pieufement mettre le
public dans la confidence de leurs largelTes:
on prendra bien quelquefois des mefures
pour les cacher; mais on n*ell pas fâché
qu'une indifcrétionles trahilTe: on ne cher-
chera pas les regards publics ; mais on fera
ravi que les regards publics nous furpren-
nent ; 6c l'on regarde prefque comme per-
dues les libéralités qui font ignorées.
Hélas ! nos Temples 6c nos autels n'éta%
lent-ils pas de toutes parts avec leu rs dons,
les noms & les marques de leurs bienfai*
150 IV. DlMAKéMÊ DE CARE^rE;
teurs, c'eft-à-dire, les monumens pubIiiJ«r
tlela vanité de nos pères ÔC de la nôtre ?
Si l'on ne vouloit que l'œil invifible du
-Père célefte pour témoin , à quoi bon cette
vaine oftentation ? Craignez-vous que le
Seigneur n'oublie vos offrandes ? faut-il
que du fond du Sanftuaire , où nous Tado-
rons , il ne puille jetter fes regards fans en
retrouver le fouvenir ? Si vous ne vous
propofez que de lui plaire , pourquoi ex-
pofer vos largeiTes à d'autres yeux qu'aux
liens ? pourquoi fes Miniftres eux-mêmes ,
dans les fondrions les plus redoutables du
Sacerdoce , paroîtront-ils à l'autel , où ils
ne devroient porter que les péchés du peu-
ple , chargés ÔC revêtus des marques de
votre vanité ? pourquoi ces titres ÔC ces
infcriptions qui immortalifcnt fur des mur»
facrés vos dons 5c votre orgueil ? N'étoit-
£Q pas allez que ces dons fulfent écrits de
la main même du Seigneur dans le livre de
vie ? pourquoi graver fur le marbre qui
périra , le mérite d'une action que la cha-
rité avoit pu rendre immortelle ?
Ah ! Salomon , après avoir élevé le
Temple k plus pompeux & le plus ma-
gnifique qui fût jamais , n'y fit graver que
le nom redoutable du Seigneur ; 6c n'eut
garde de mêler les marques de la grandeur
de fa race avec celles de la majeilé éter-
nelle du Roi des Rois. On donne un nom
de piété à cet ufage ; on fe perfuade que
ces monumens publics follicitent les libé*
lalités des Fidèles. Mais le Seigneur a-t'il
Sur l'A u Mo n e, 151
chargé votre vanité du foin d'attirer des
largelFes à fes autels ? 6c vous a-fil per-
mis d'être moins modeftes, afin que vos
frères devinffent plus charitables ? Hélas î
les plus puiffans d'entre les prem iers Fidèles
portoient fimplement , comme* les plus
obfcurs , leur patrimoine aux pieds des
Apôtres : ils voyoientavec une fainte joye,
leurs nomsôc leurs biens confondus avec
ceux de leurs frères qui avoient moins of-
fert qu'eux : on ne les diftinguoit pas alors
dans l'affemblée des Fidèles à proportion
de leurs largefTes : les honneurs 6c les pre-
féances n'y étoicnt pas encore le prix des
dons 6c des offrandes ; bL Ton n'avoit garde
de changer la récompenfe éternelle qu'on
attendoit du Seigneur , en cette gloire fri-
vole , qu'on auroit pu recevoir des hom-
mes : & aujourd'hui l'Eglife u'a pas affez
de privilèges peur fatisfaire la vanité de
fes bienfaiteurs ; leurs places y font mar-
quées dans le fanftuaire ; leurs tombeaux
y paroilTent jufques fous l'autel , où ne de»
vroient repofer que les cendres des Mar*
tyrs ; on leur rend même des honneurs qui
devroient être réfervès à la gloire du Sa-
cerdoce ; 6c s'ils ne portent pas la main à
l'enccnfoir , ils veulent du moins partager
avec le Seigneur l'encens qui brûle furfes
autels. L'ufage autorife cet abus , il eft
vrai ; mais l'ufage ne juflifîe jamais ce qu'il
autorife.
La charité , mes Frères ; eft cette bonne
odeur de Jefus-Chrift qui s'évanouit ÔC
N4
I?2 IV. DlMAN^CHË DE CARLME."
s'éteint du moment qu'on la découvre. Ce
n'eil pas qu'il faille s'abflenir des offices pu-
blics de mJféricorde : nous devons à nos
frères l'édification &: l'exemple : il eft boa
qu'ils voyent nos œuvres ; mais il ne faut
pas que nous les voyions nous-mêmes ; ôC
notre gauche doit ignorer les dons que ré-
pand notre droite : les aérions mêmes ;
que le devoir rend les plus éclatantes, doi-
vent toujours être fecrettes dans la prépa-
ration du cœur : nous devons entrer pour
elles dans une manière de jalouiîe contre
les regards étrangers; &C ne croire leur in-
nocence en sûreté , qiîe lorfqu'elles font
fous les yeux de Dieu feul. Oui , mes
Frères , les aumônes qui ont prefque tou-
jours coulé en fecret , arrivent bien plus
pures dans le feia de Dieu même , que
celles qui, expofées même malgré nous
aux yeux des hommes , on été comme
grolïïes 6c troublées fur leur courfe par
les complaifances inévitables de l'amour
propre , 5c par les louanges des fpe6la-
îeurs : femblables à ces fleuves qui ont
prefque toujours coulé fous la terre , 6C
qui portent dans le fein de la mer des eaux
vives 6c pures , au lieu que ceux qui ont
traverfé à découvert les plaines ôC les cam-
pagnes , n'y portent d'ordinaire que àes
eauxbourbeufes,5c traînent toujours après
eux les débris , les cadavres , le limon
qu'ils ont amalTé fur leur route. Voilà donc
la première régie de charité que nous pref"
■crit aujourd'iuûle SauveBJ ; éviter ig h&9
Sur VAvMost: isj
5c roftcntation dans les œuvres de mifé-
ricorde ; ne vouloir y être remarqué . nî
par le rang qu'on y tient, ni par la gloire
d'en être le principal auteur , ni par le bruit
qu'elles peuvent faire dans le monde ; 6C
ne point perdre fur la terre ce que la cha-\
rite n'avoit amaffé que pour le Ciel.
La féconde circonftance que je remarqua
dans notre Evangile , c'eft que nul de toute
cette multitude qui s'offre à Jefus-Chriil ,
n'eft rejette : tous indifféremment font fou-
lages ; & on ne lit pas que le Gauveur ait
ufc à leur égard de diilinôion èC d€ préfé-
rence. Seconde régie ; la charité eft univer-
felle : elle bannit ces libéralité; de goût 8C
de caprice , qui ne fem.blent ouvrir le
cœur à certaines miféres, que peur le fer-
mer à toutes les autres. Vou* trouvez des
perfonnes dans le monde, qui fous pré-
texte qu elles ont leurs aumônes réglées ôC
des lieux deftinés pour les recevoir , font
infenfibles à tous les autres befoins. Envain
vous les avertiriez qu'une famille va tom-«
ber faute d'un léger fecours ; qu'une jeunç
perfonne eft fur le bord du précipice , fi
Ton ne fe hâte de lui tendre une main fe-»
courable ; qu'un établiiTement utile va
manquer , fi un renouvellement de chanté
nelefoutient : ce ne font pas-là des mifé-
res de leur goiit ; & en plaçant ailleurs
quelques largelTes , elles croyent acheter
le droit de voir d'un œil fec , & d'un cœur
indifférent , toutes les autres infortunes.
Je ùà$ que la charité a feu Qxdre &C A
154 IV. Dimanche de Carême.
mefure qu'elle doit iifer de difcernement;
6c que la juftice veut que certains befoins
foient préférés : mais je ne voudrois pas
cette charité méthodique , s'il eft permis
de parler ainf], qui fait précifément à quoi
s'en tenir ; qui a fes jours , fes lieux , fes
perfonnes , fes bornes ; qui hors de-làeft
Larbare, & qui peut convenir avec elle-
même de n'être touchée qu'en certains tems,
6c à l'égard de certains befoins: Ah ! eft-
on ainfi maître de fon cœur , quand on
aime véritablement fes frères ? peut- on u
fon gré fe marquer à foi-même les momens
d'ardeur 6c d'indifférence ? La charité , ce
faint amour efl-il fi régulier quand ilern-
brafe véritablement le cœur ? n'a-t'il pas ,
il je l'ofe dire , fes faillies 6c fes excès ? ÔC
ïie fe trouve-fil pas des occaiions (i tou-
chantes , où quand vous n'auriez qu'une
étincelle de charité dans le cœur , elle fe
fait fenîir , ôC ouvre à finitant vos entrail-
les 6c vos richelTes à votre frère ?
Je ne voudrois pas cette charité dure-
ment circonfpe£le , qui n'a jamais aifez
examiné , &: qui fe défie toujours de la
vérité des befoins qu'on lui expofe. Voyez
fi dans cette multitude que Jefus-Chrift
raffafie aujourd'hui , il s'attache à difcerner
ceux que la pareffe 6c l'efpérance toute
feule d'une nourriture corporelle, avoient
pu attirer au défert, ÔCqui auroienteu en-
core affez de force pour aller chercher à
manger dans les villes voifines : nul n'eft
excepté de ks divins bienfaits. N'eil-ce
Sur l'A um 6 né. 15$
pas déjà une allez grande mifére, que d'ê-
tre réduit à feindre même qu'on eft mal-
heureux ? Ne vaut-il pas mieux encore
donner à de faux befoins , que courir rifque
de refuferà des befoins véritables ? Quand
un impofteur féduiroit votre charité , qu'en
feroit-il ? n'eft-ce pas toujours J. C. qui
la reçoit de votre main ? & votre récom-
penfe eft-elle attachée à l'abus qu'on peut
faire de votre aumône , ou à l'intention
elle-même qui l'offre ?
De cette régie il en naît une troifiéme^
marquée encore dans l'hifloire de notre
Evangile : c'eft que non-feulemens la cha-
rité dcit être univerfelle , mais douce , af-
fable, compatiflante. Jefus-Chrift voyant
ce peuple errant ôC dépourvu au pied de la
montagne , eft touché de pitié : Mifertus -^nf^
ejl eis\ ce fpeftacle l'attendrit; la mifére ;^,i^»
de cette multitude réveille fa compafîion
& fa tendreile. Troifiéme régie : la dou-
ceur de la charité.
On accompagne fouvent la miférlcorde
de tant de dureté envers les malheureux ;
en leur tendant une main fecourabie , on
leur iriontre un vifage fî dur ÔC fi févère ,
qu'un fimple refus eût été moins accablant
pour eux , qu'une charité fi féche 5c fi fa-
Tpuche: car la pitié qui paroît touchée de
nos maux , les confole prefque autant que
la libéralité qui les foulage. On leur re-
proche leur force , leur parelle , leurs
mœurs errantes 5c vagabondes : on s'en
prend à eux de leur indigence ÔC de leia
Ï56 IV. DiMAxCHî- D£ Caremë.
n"iilëre ; 6c en les fecoiirant , on acheté
le droit de les infiilter. Mais s'il étoit per-
mis à ce malheureux que vous outragez ,
de vous répomlre : îi rabjeftion de fon état
ii'avoit pas mis le frein de la honte 6c dti
refpe£l iiir fa langue : Que me reprochez-
vous , vous diroit-il ? une vie oifeufe , 6c
des m.œurs inutiles 6c errantes ? mais quels
font les foins qui vous occupent dans vo-
tre opulence? les foucis de Fambition , les
iiiquiétudcs de la fortune, les mouvemens
des paillons , les rafinemens de la volupté:
je puis être un ferviteur inutile; mais n ê--
tes-vous pas vous-m.ême un fervii:eur infi-
dèle ? ah ! fi les plus coupables étoient les
plus pauvres & les plus malheureux ici-bas,
votre de/tinée auroit-elîe quelque chof«
au-deilus de la mJgnne ? vous me repro»
chez des forces dont je ne me fers pas ;
mais quel ufage faites-vous des vôtres ? je
ne devrois pas manger , parce que je ne tra-
vaille point; mais êtes- vous difpcnfé vous-
inêmede cette loi ? n'êtes- vous riche que
pour vivre dans une indigne mollelTe ? ah !
le Seigneur jugera entre vous 6c moi ; 5£
devant fon tribunal redou.tabie , on verra iî
vos voluptés ôC vos profulions vous étoient
plus permifes , que Tinnocent artifice dont
^e nie fers , pour trouver du foulagement
a mes peines.
Oui, mes Frères, offrons du moins aux
malheureux des cœurs fenfibles à leurs
miféres ; adoucillons du moins par notre
humanité le joug de Tindigence , lî la aie-.
Sur l'A u Mo ne: ïSy
«îîocnté de notre fortune ne nous permet
pas d'en foulager tout-à-fait nos frères.
Hélas ! on donne dans un fpediicle pro-
fane , corn me autrefois Auguftin dans fes
égarcmens , des larmes aux avantures chi-
mériques d'un perfonnage de théâtre ; on
honore des malheurs feints , d'une vérita-
ble fenfîbilité; on fort d'une repréfentation,
le cœur encore tout ému du récit de V'm^
fortune d'un héros fabuleux : &1 un micm-
bre de Jeius-Chrift , &: un héritier du
Ciel , & votre frerc que vous rencontrez
au fortir de-là couveit de pîayes , 5c qui
vous veut entretenir de l'excès de fes pei-
nes , vous trouve infenfiblc ? & vous dé-
tournez vos yeux de ce fpeâacle de reli*
• gion ? 6c vous ne daignez pas l'entendre ?
Bc vous l'éloignez même rudement, 6C
achevez de lui ierrer le cœur de triftefle ?
Ame inhum.aine ! avez-vous donc lailTé
toute votre fenlibilitë fur un théâtre infâ-
me ? le fpeâacle de Jefus*Chrift fouf*
frant dans un de fej membres , n'offre-t'il
rien qui foit digne de votre pitié ? ÔC faut-
il faire revivre pour vous toucher , l'ambi-
tion , la vengeance , la volupté , £>C toutes
les horreurs des fiécles Payens ?
Mais ce n'eft pas encore alTez d'offrir
des cœurs fenfibles aux miféres qui s'of-
frent à nous ; la charité va plus loin : elle
n'attend pas que le hazard lui ménage des
occafions de miféricorde ; elle fait les cher-
cher & les prévenir elle-même. Dernière
xégk ; la vigilance de la charité. Jefvis^
1^%^ IV. Dimanche de Carême.'
Chrift n'attend pas que ce peuple indigent
s'adreiTe à lui , ÔC vienne lui expofer fes
Jnan, c. befoius ! il les découvre le premier : Cum
^'- fublevaffet oculos Jésus ^ & 'vidijfet ; à
peine les a-fil découverts , qu'il commence
a chercher avec Philippe les moyens d'y
remédier. La charité qui n'eft pas vigilante,
inquiète fur les calamités qu'elle ignore ,
îngénieufe à découvrir celles qui fe ca-
chent, qui a bcfoin d'être follicitée, pref-
fée, importunée , ne reffemble point à la
charité de Jesus-Christ : il faut veiller ,
& percer les ténèbres que la honte oppofe
à nos largeiTes : ce n'elt pas ici un iimple
confèil ; c'eft une fuite du précepte de
l'aumône. Les Pafteurs , qui font les pères
des peuples , félon la foi , font obliges de
veiller fur leurs befoins fpirituels ; 5c c'eft-
là une des plus effentielles fondions de leur
ininiflère ; les riches 6c les puilTans font
établis de Dieu les pères .ôc les Pafteurs
des pauvres , félon le corps ; ils doivent
donc avoir les yeux ouverts fur leurs mi-
féres ; fi faute de veiller elles leur échap-
pent , ils font coupables devant Dieu de
toutes leurs fuites qu'un fecours offert à
propos auroit prévenues.
Ce n'eft pas qu'on veuille exiger que
vous découvriez tous les befoins fecrets
d'une Ville ; mais on exige des foins 6C
des attentions : on exige que vous , qui
dans un quartier , tenez le premier rang ,
ou par vos biens , ou par votre naiffance ,
ae loyez pas eiiviromié à votre infçû , dç
Sur L'AvMÔ>fE. î^^
■mille malheureux qui gém i lient en fecret,
dont les yeux font tous les jours bielles dé
la pompe de vos équipages ; 6C qui outre
leur mifére , fouffrent encore , pour ainfi
dire , de toute votre profpérité : on exige
que vous , qui au m.ilieu des plailirs de la
Cour , ou de la Ville , voyez couler dans
vos mains les fruits de la fueur bC des tra-
vaux de tant d'infortunés qui habitent vos
terres ÔC vos campagnes ; on exige que
vous connoilîlez ceux que les fatigues de
l'âge 6c de leurs labeurs ont épuifé , 8C
qui traînent au fond des champs les reiles
de leur caducité 5c de leur indigence ;
ceux qu'une fanté infirme rend inhabiles
au travail , la feule relTource de leur mifé-
re ; ceux que le fexe 5c l'âge expofcntàla
féduftion , ÔC dont vous pourriez préferver
l'innocence. Voilà ce qu'on exige , ôc ce
qu'on a droit d'exiger de vous : voilà les
pauvres dont Dieu vous a chargé , ÔC dont
vous lui répondrez ; les pauvres qu'il ne
laiffe fur la terre que pour vous , 5c aux-
quels fa Providence n'a aiïigné d'autres
reffources que vos biens ÔC vos largelTes.
Or , les connoiffez-vous feulement ?
chargez-vous leurs Pafleurs de vous les
faire connoître ? font-ce là les foins qui
vous occupent , quand vous paroilTez au
milieu de vos terres 6c de vos polfelîions?
Ah ! c'eft pour exiger de ces malheureux
vos droits avec barbarie ; c'eft pour arra-
cher de leurs entrailles le prix innocent de
leurs travaux 5, fans avoir égard àlewruii*
îdo IV. Dimanche DE Carême'
fére, au malheur des tems que vous noiî*
alléguez , à leurs larmes fouvent &. à leur
défefpoir : que dirai-je ? c'eft peut-être
pour opprimer leur foibleiïe , pour être
leur tyran , ôc non pas leur Seigneur 6C
leur père. O Dieu I ne maudiffez-vous pas
CCS races cruelles , ÔC ces richeffes d'ini-
quité? ne leur imprimez-vous pas des ca-
ractères de malheur & de défolation , qui
vont tarir la fource des familles ; qui font
fécher la racine d'une orgueilleufe pofté-
tité ; qui am.énent les divifions domefti-
ques , les difgraces éclatantes , la déca-
dence ÔC l'extinâion entière des maifons.
Hélas ! on eft furpris quelquefois de voir
les fortunes les mieux établies , s'écrouler
tout d'un coup ; ces noms antiques 5c au-
trefois fi illuftres , tombés dans robfcurité,
ne traîner plus à nos yeux que les triftes
débris de leur ancienne fplendeur; êC leurs
terres devenues la poire-îion de leurs con-
currens , ou de leurs efclaves. Ah ! fi l'on
pouvoit fuivre la trace de leurs malheurs ;
il leurs cendres ÔC les débris pompeux,
qui nous reftent de leur gloire dans l'or-
eueil de leurs maufolées,pouvoieiit parler:
Voyez-vous , nous diroient-ih , ces mar-
ques lugubres de notre grandeur? ce font
les larmes des pauvres, que nous négîi-.
gions , que nous opprimions , qui les ont
minées peu à peu , 6c enfin entièrement
renverfées : leurs clameurs ont attiré fur
nos palais la foudre du Ciel : le Seigneur a
foufflé fur ces fuperbes édifices &C fur no-
tre
Sur l' a u m ô n e. ï6i
tre fortune , 6c Ta diilipée comme de la
poLiiliére : que le nom des pauvres foit ho-
norable à vos yeux , Ci vous voulez que
vos noms ne périiTeiit jamais de la mémoire
des hommes : que la miféricorde foutienne.
vos maifons , fi vous voulez que votre pof*
térité ne foit pas enfevelie fous leurs rui*
nés : devenez fages à nos dépens ; 5C que
nos malheurs , en vous initruifant de nos
fautes , vous apprennent à les éviter.
Et voilà , mes Frères , ( pour en dire
quelque chofe avant de £nir , ) le premier
avantage de l'auniône chrétienne : des bé-
nédi£lions même temporelles. Le pain que'
j£SUS- Christ bénit fe nuiltlplie entre les
mains des Difciples qui les diilribucnt ^
cinq mille hommes en font ralTalîés ; 6C
douze corbeilles peuvent à peine contenir
les relies qu'on enlève : c'eft- à-dire , que
les largelTes de la charité font des biens de
bénédiction , qui fe multiplient à mefure
qu'on les dilirihue ^ ÔC qui portent avec
eux dans, nos maifons une fource de bon-
heur 5c d'abondance ; c'eft- à-dire , que c'eft
ici ce levain de charité caché dans trois
facs de farine, qui étend , grolht ; 5c aug-
mente toute la pâte. Oui , mes Frères ^
raumône eftun gdin ; c'eft une ufure fainte;
e'eft un bien qui rapporte ici-bas même au
centuple» Vous vous plaignez quelquefois
du coîitretems de vos aftaîres ; rien ne vous
réullvt; les hoftimcs vous trompent ;: vog;
conçurrens vous fupplantent ; vos m.aitres:
yoMS oublient l les éiéiueins vous coatra-î-
i6i IV. Dimanche i>e Carême,
lient ; les inefures les mieux concertées
échouent : ailociez-vous les pauvres ; par-
tagez avec eux raccroiiTement de votre
fortune ; augmentez vos largefTes à mefure
que votre profpérité augmente ; croiffez
pour eux comme pour vous : alors le fuc-
ۏs de vos entreprifes feraTafTiirede Dieu
même ; vous aurez trouvé le fecret de Tin-
téreiler dans votre fortune ; 5c il préfer-
vera , que dis-je? il bénira , il multipliera
des biens ou il verra mêlée la portion de
fes membres affligés.
C'eft une vérité confirmée par Texpé-
TÎence de tous les fiécles : on voit tous les
jours profpérer des familles charitables :
une Providence attentive préfide à leurs
affaires : où les autres fe ruinent y elles
s'enrichiflent : on les voit croître ^ 6c l'on
ne voit pas le canal fecret qui porte chez
elles î'accroiiTement : ce font de cestoifons
de Gédéon , toutes couvertes de la rofée
du Ciel ; tandis que tout ce qui les envi-
ronne > n'eft que ftérilité & féchêrefTe»
Vous-même qui m'écoutez , peut-être que
les grands biens dont vous faites aujour-
d'hui un ufage fi peu chrétien ^ peut-être
que les titres 6c les dignités > dont vous
avez hérité en nailTant, font les fruits delà
charité de vos ancêtres : peut-être vous re-
cueillez les bénédictions promifes à la m^
féricorde , 5c vous moiflbnnez ce qu'ils
ont femé ; peut-être que les largeiFes de îa
charité ont jette les premiers fondemensdft
f otre grandeur &I0& le monde , & con^
Sur l' a u m ô n e. i6^
mencé votre généalogie ; peut-être c'eft
elles du moins qui ont fait pafTer jufqu'»
nous les titres de votre origine.
Car , je vous prie , mes Frcres , qui a
confervé à la poilërité la defccndance de
tant de noms illuftres que nous refpeftons
aujourd'ui, fi ce ned les libéralités que
Jeuî-s ancêtres firent autrefois à nos Eglifes ?
C'eil dans les aâes de cqs pieufes dona-
tions , dont nos Temples ont été dépofi-
taires , 6c que la reconnoiiïance feule de
l'Eglife, 6c non la vanité des Fondateur» a
confervés , qu'on va chercher tous les
jours les plus anciens 5c les plus alTurés
nionum.ens de leur antiquité ; tous les au-
tres titres ont péri ; tout ce que la vanité
feule avoit élevé a prefivetout été détruit;
Iqs révolutions des tems ÔC des maifons ont
anéanti ces annales domeftiques , où étoit
marquée la fuite de leurs ayeux , ôc la
gloire de leurs alliances ; &, vous avez per-
mis , o mon Dieu î que les moiiumens de
la miféricorde fubfiftalTent ; que ce que la
charité avoit écrit ne fût jamais effacé , 6c
que les largcfTes faintes fuifent les feuls ti-
tres qui nous reftent , de leur ancienneté
6c de leur grandeur devant les hom.mes,
^ Tel eft le premier avantage de la mifé-
ricorde. Je ne dis rien du plaifir même
qu'on doit fentir àfoulager ceux qui fouf.
frent , à faire des heureux , à régner fur
les cœurs , à s'attirer l'innocent tribut de
leurs acclamations 6c de leurs actions de
grâces. Eh 1 quaad il ne nous reviendrok
164 IV, DlMAS'CHE RE GaREM^;
que le feu] plaifir de nos largeiïes , ne fe*
Toient-elles pas alTez payées pour un boîi
cœur ^ 5c qu'a de plus délicieux la maiedé
même du Trône , que le pouvoir de faire
cîes grâces ? les Princes feroient-ils fort
tauchés de leur grandeur ôc de leur puif-
lance, s'ils étoient condamnés à en joiiir
tout feuls ? Non , mes Frères , faites fer-
vir tant qu'il vous plaira vos biens à vos
plaifirs , à vos profufions , à vos capri-
ces ; vous n'en ferez jamais d'ufage , qui
vous laiiTe une joyo plus pure 6c plus digne
du cœur , qu'en foulageant des malheu-
reux.
Quoi de plus doux en effet , que de
pouvoir compter qu'il n'e/tpas un moment
dans la journée , où des âmes afrligées ne
îéventpour nous les mains au Ciel , 5c ne
fcéniifent le jour qui nous vit naître ? Ecou-
tez cette multitude que Jefus-Chrift vient.
de ralfafier ; les airs retentifTent de' leura
bénédictions 8c de leurs avions de grâce;,
ils s'écrient que c'eil un Prophète; ils'veu*
lent rétablir Roi fur eux. Ah ! fi les bornâ-
mes fe donuoient des m^aîtres , ce ne fe-
raient ni les plus nobles , ni les plus vaiî-
lans qu'ils choifiroienf; ce feroient les
plus miféricordieux , les plus humains,
Xes plus bienfaifans , les plus tendres *
des maîtres qui fuilent en même - t^ms
leurs pères.
Enfin , je n'ajoute pas que l'aumône:
chrétienne aide à expier les crimes de l'a-
s U R L' A U M ô N E. iSi
Voie de falut que la Providence vous ait
îTiénagée , à vous qui êtes nésdanslaprof-
péritc. Siraumône ne pouvoit pas fervir à
racheter nos ofFenfes , nous nous en plain-
drions, dit S. Chryfoftôme ; nous trouve-
rions mauvais que Dieu eût ôté aux hom-
mes un moyen fi facile de fahit : du m.oins
dirions-nous , fi à force d'argent on pou^
voit fe faire ouvrir les portes du Ciel , ÔC
acheter de tout fon bienla gloire des Saints^
on feroit heureux. Et bien , mon Frère ^
continue S. Cryfoftome, profitez de ca
privilège puifqu'on vous l'accorde ; hâtez-
vous , avant que vos richeffes vous échap-
pent, de les mettre en dépôt dans le feia
des pauvres . comme le prix du Royaume
éternel : la malice des hom.mes vous les aUf
roit peut- être enlevées; vos paillons les aur
roient peut-être englouties ; les révolu-
tions de la fortune les auroient peut- être fait-
pafTeren d'autres mains ; la mort du moins
vous auroit forcé tôt ou tard de vous en fé-
parer : ah ! la charité {^uIq hs met à cou^
vert de tous les accidciis;.el4e vous en rend
éternellem.ent polTeiTeur ; elle les m.et en
sûreté dans les Tabernacles éternels , ^
vous donne le droit d'en aller jouir dans le.
fein de Dieu mjéme.
N'êtes -vous pas heureux de pouvoir
vous aiïïirer l'entrée du ciel par des moyens
fi faciles ? de pouvoir , en revêtant ceux
qui font nuds , effacer du livre de la juflice
divine les immodeilies , le luxe , les nu-
«iUis ^ k§L iadéçoiGes de vos gremieiei au-
î66 IV- Dimanche de Carême;
nées ? de pouvoir , en rafTafîaiit ceux qui
ont faim , réparer tant de Carêmes mal ob-
fervés ; les abftinenccs , dont l'Eglife vous
fait une loi , prefque toujours violées , 6C
toutes les ienmalités de votre vie? de pou-
voir enlîn , en mettant l'innocence à cou-
vert dans des aziles de miféricorde , faire
oublier à Dieu la perte de tant d'ames , pour
iqui vous avez été un écuèil 5c une pierre
de fcandale ? Grand Dieu 1 quelle bonté
pour l'homme , de nous faire un mérite
d'une vertu qui coûte fi peu au cœur ! de
nous tenir compte des fentimens d'huma-
nité dont nous ne faurions nous dépouiller,
qu'en nous dépouillant de la nature même !
de vouloir accepter pour le prix du Royau-
me éternel des biens fragiles que nous te-
nons de votre libéralité ; que nous n'au-
rions pu toujours conferver ; 6c defquels ,
après un ufage court 5c rapide , il auroit
fallu en£n fe féparer ! cependant la miféri-
corde eft promile à celui qui l'aura faite: un
pécheur encore fenfible aux calamités de
les frères , ne fera pas long-tems infenfî-
hle aux infpirations du Ciel : la grâce fe ré-
ferve de grands droits fur une ame où la
charité n'a pas encore perdu les liens ; un
bon cœur ne fauroit être long-tems un
cœur endurci : ce fond d'humanité tout
feul , qui fait qu'on eft touché des miféres
d'autrui , eft comme une préparation de
falut oC de pénitence ; 6c la converfîoii
n*eft jamais défefpérée , tandis que la cha-»
fité u'eft pas eûcgie ét^iat^ Aimez dom
Sur l'Aumône. 167
les pauvres comme vos frères ; fecoiirez*
les comme vos enfans ; refpeftez-les com-
me Jefus-Chrift lui-même, afin qu'il vous
dife au grand jour : Venc^ ^ Us bénis de Matû^
mcn Pere , pcj^ede^ le Royaume qui vous^'}^*
étolt -préparé \ parce qu^ j avoïs faim ^ C5»
rous m^ave^ rajjajlé ; féîois malade , d»
'yoiis m^avei foulage : car ce que vous
avei fait au moindre de mes ferviteurs ,
vous Vave:( fait à moi-même, C'eft ce que
je vous fouhaite.
/iinji folt'ih
,^^:x:>c::.c.:;.<9:g;;
i^^^
SERMON
POURLELUNDI
DE LA QUATRIEME SEMAINE
DE CAREME.
Sur la Médifance.
Ipfe autem Jlsus non çredebat femetîp^
;fiim eis^
MiîsJesxjs. m fejïoît poiM i eux^lo^n^
s. 24,
pf 'Et OIENT CQs mêmes Pha-
rifîens qui venoient de décrier
dans refprit du peuple la con*--
duite de Jésus - CxHRIst , ôC
d'envenimer Tinnocence & la
falnteté de fes paroles , qui font iemblant
de croire en lui, 6c de fe ranger parmi fes^
Difcipics. Er tel eft , mes Frères ^ ie carac-
tère du chtraé^eur de cacher fous les de--
hors de l'eftime ôi les douceurs d-e l'ami--
lié 3, k fid £c rameitume da la médifance.
Sur la Médisance- 160
Or , quoique ce foit ici le feul vice que
nulle circoiilhnce ne fauroit jamais excu-
H ' .^'^^ r^^^^ ^^^'^^^ ^^ ^^ P^"s ingénieux
a fe aeguifer à roi-même , & à qui le mon-
de 5C la pieté font aujourd'hui plus de grâ-
ce. Ce n'elt pas que le caradère du médi-
^lant ne ioit odieux devant les hommes ,
comme^ il cfl abominable aux yeux de
Dieu , félon rexpreiïion de TE^prit-faint ,
mais on ne comprend dans ce nombre que
certains médifans d'une malignité plusnoire
&: plus groOiére , qui médiient fans art ÔC
fans ménagement; & qui avec a/Tez de ma-
lice pour cenfurer, n'ont pas allez de cet
efpnt qu'il faut pour plaire : or , les médi-
lans de ce caractère font plus rares ; ÔC fî
Ion n'ayoit à parier qu'à eux , il fuffiroit
d expoier ici ce que la médifance a d'indi-
gne de la raifon & de la religion , 6c en
mfp^rer de l'horreur à ceux qui s'en recon-
noillent coupables.
Mais il eft une autre forte de médifans
qiii condamnent ce vice , & qui fe le per-
mettent ; qui déchirent fans égard leurs
treres , ÔC qui s'applaudiilent encore de
leur modération ÔC de leur réferve ; qui
portent le trait juf:îu'au cœur ; mais , parce
qu il eft plus brillant 6c plus affilé , ne vo-
yent pas la plaïe qu'il a f^iite. Or , ce genre
de medifant eft répandu par- tout; le monde
en eit plein ; les aziles faints nen font pas
exemts : ce vice Uq ks affemblées des pé-
cheurs; il entre fouvent dans la fociété mê-
me des Jufies : 6C l'on peut dire ici que
Carême. Tcmc /. P
tyô Lundi de la IV. SexMainë.
tous fe font écartés du droit fentier , S
qu'il n'eu eil pas un leul qui ait confervé fà
langue pure 5c fes lèvres innocentes.
Il importe donc , mes Frères , de déve-
lopper aujourd'hui Tillufion des prétextes
dont on fe fert tous les jours dans le mon-
de pour jiiftifier ce vice, ÔC de l'attaquer
dans les circonlîances où vous le croyez le
plus innocent : car de vous le dépeindre en
général avec tout ce qu'il a de bas , de
cruel , d'irréparable , vous ne vous recon-
noitriez point à des traits il odieux? 6>C loin
de vous en infpirer de l'horreur , je vous
aiderois à vous perfuader à vous-mêmes
que vous n'en êtes pas coupables.
Or , quels font les prétextes qui adou-
cilTcnt , ou qui judiifient à vos yeux le vice
de la médiiance ? C'eft premièrement la lé-
gèreté des défauts que vous cenfurez : on
le periiiade que comme ce n'eft pas une af-
faire d'en être coupable, il n'yapasaufîî
grand mal d'e4i être cenfeur. C'eil en fé-
cond lieu îa notoriété publique , qui ayant
déjà instruit ceux qui nous écoutent de ce
qu'il y a de répréhenfible dans notre frère ,
fait que fa réputation ne perd rien par nos
dilcours. Enfin le zèle de la vérité 6c de
la gloire de Dieu , que ne nous permet pas
de nous taire fur les déréglemens qui le
déshonorent. Cr , oppofons à ces trois
prétextes trois vérités inconteftables. Au
prétexte de la légèreté des défauts s qiie
plus les défauts que vous cenfurez font lé-
gers , plus la médifance cil injuilc : pré*.
Sur la Medisancie. . 171
IViîéré vérité. Au prétexte de la notoriété
publique ; que plus les défauts de nos frè-
res font connus , plus la médiiance qui les
Cenfure eft cruelle: féconde vérité. Au pré-
texte du zèle ; que la même charité qui
nous fait hai'r faintement les pécheurs ,
nous fait couvrir la m.uititude de leurs fau-
tes : dernière vérité. Implorons , 5(.c. Avx ^
X-jA langue , dit un Apôtre, eft un feu Partie.
dévorant; un monde 6c un aflemblage d'i-
niquité ; un mal inquiet; une fource pleine
d'un venin rportel : Lingiia Ignis e/l ; uni' ^^'^o^- »•
verjïtas ïniquitatis ; inquiQtum maluni ; jsh^ ' *
fia yeneno rnortijero. Et voilà ce que j'appli-
querois à la langue du médifiint, fi j'avois
entrepris de vous donner une idée juile ÔC
naturelle de toute l'énormité de ce vice : je
vous aiirois dit que la langue du détracteur
eu. unieu dévorant, qui flétrit tout ce qu'il
touche ; qui exerce fa fureur fur le bon
'grain , comipe fur la paille , fur le profanç
c;ombe fur lefacré ; qui ne laiile partout
où ila palIé,, que îa ruine ?k la défolation ;
qui creufe ju'fques dans les entrailles de la
terre , 5c va s'attacher aux chofes les plus
cachées; qui change en de .viles cendres ^
?^^:fflV "°H- ^^^iî P^ru il n'y' a qu^ui mo-
îîxeatfî précieux Sc fi brillant ; quTdansIe
iems^hiênië qu'il paroit couvert 6c prefque
/éteint*, agit avec plus'de ylolence Sc de
Hangçr que jamais ; ^qui noircit ci^qu'il ne
peut confumer; & qui fait plaire Sc briller
i7i Lundi de la IV. Semaine.
quelquefois avant que de nuire : LingU/t
ignis ejî. Je vous aurois dit que la Médi-
fance eft un affemblage d'iniquités : un or-
gueil fecret qui nous découvre la paille
dans Toeil de notre frère , 6c nous cache
la poutre qui eft dans le nôtre : une envie
baife , qui bleiTée des talens ou de la prof-
périté d'autrui , en fait le fujet de fa cen-
lure , 5c s'étudie à obfcurcir Téclat de tout
ce qui relface : une haine déguiféc , qui ré-
pand fur fes paroles J'amertumecachée dans
le cœur : uiïe duplicité indigne , qui loue
en face ôc déchire en fecret: une légèreté
honteufe , qui ne fait pas fe vaincre ÔC fe
retenir fur un mot , 5c qui facrîHe fouvent
fa fortune Sc fon repos , à l'imprudence
d'une cenfure qui fait plaire : une barbare
de fang froid , qui va percer votre frère
abfent : uri fcandale , où vous êtes un fiijet
de chute 5c de péché à ceux qui vous
écoutent : une injuflice , où vous raviflez à
votre frefe ce qu'il a de plus cher: Lingua
vniverjïtas ini^^uitatls. Je vous aurois dit
que la médifance eft un mal inquiet , qui
trouble la fcciété ; qui jette la dilTenfioii
dans les Cours 6c dans les villes ; qui défu-
îiît les amitiés les plus étroites j qui eft la
fource des haines 5c des vengeances ; qui
remplit tous les lieux où elle entre de dé*
fordre 8i*de confufion y par tout enneinlè
de la paix, de la douceur,, de la politeffê
chrétienne: Li/i^w^ inqnletum malurn»^n^it
î'aurois ajouté que c'eft une fource pleine
d'un veuiu niond ', que tout ce qui en part
Sur la Médisance. 175
eft infe6lé , 5c infedle tout ce qui renviron-
11e ; que fes louanges mêmes font empoi-
fonnées ; fes applaudilTemens malins ; fou
filence criminel ; que fes geftes , fes mouve-
mens , fes regards ; que tout à fon poifon ,
6c le répand à fa manière ; Lingua plena.
yeneno mortifero»
Voilà ce que j'aurois dû vous dévelop-
per plus au long dans tout ce difcours , fi je
ne m'étois propofé que de vous peindre
toute riiorreur du vice que je vais com-
battre : mais je Tai déjà dit ; ce font là de
ces inveftives publiques , que perfonne ne
prend pour foi. Plus nous repréfentons le
vice odieux , moins on s'y rcconnoit foi-
même : ÔC quoiqu'on convienne du prin-
cipe , on n'en fait aucun ufage pour fe,?
mœurs; parce qu'on trouve toujours dans
ces peintures générales, des traits qui ne
nous reflem.blent pas. Je veux doîic me
borner ici à vous faire fentir toute l'injufticc
de ce qui vous paroît le plus innocent dans
la médifance : 5c de peur que vous ne vous
méconnoi/Iiez à ce que nous en dirons , ne
l'attaquer que dans les prétextes dont vous
vous fervez tous les jours pour la juflifier.
Or , le premier prétexte , qui auîorife
dans le monde prefque toutes les médifan-
ces , 6C qui fait que nos entretiens ne font
plus que d^s cenfures éternelles de nos frè-
res , c'eft la légèreté orétendue des vices
que nous cenfurons. On ne voudroit pas
perdre un homme de réputation , ÔC ruïner
fa fortune , en le déshonorant dans le mon-
P3
1.74- Lundi de la IV. Semaine,
de ; flétir une feaime fur le fonds de fa
conduite , 6c en venir à des points eifen-
tielss cela feroit trop noir 5c trop groilier :
mais fur mille défauts qui conduiient nos
jugemens aies croire coupables de tout le
tcIIq y mais de jetter dans Tefprit de ceux
qui nous écoutent , mille foupçons qui laif-
fent entrevoir ce qu'on n'oferoit dire ; mais
de faire des remarques fatyriques qui dé-
couvrent du myftère où perfonne n'en,
voyoit auparavant ; mais de donner du ri-
dicule , par des interprétations empoifon-
nées , à des manières qui jufques là n'a-
voient pas réveillé Tattention ; mais de laif-
fer tout entendre fur certains points , en
proteftant qu'on n'y entend pas finelfe foi-
inême , c'eft de quoi le monde fait peu de
fcrupule ; 6<: quoique les motifs , les cir-
coiiftances , les fuites de ces difcours foient
très-criminelles, la gaité en excufe la ma-
lignité auprès de ceux qui nous écoutent,.
èc nous en cache le crime à nous-mêmes.
Je dis premièrement les motifs. Je fais
que c'eft par l'innocence de l'intention fur-
tout , qu'on fe i^ûifie; que vous nous di-
tes tous les jours ^ que votre delTein n'eft
pa? de flétrir la réputation de votre frère ,.
inais de vous réjoiiir innocemment lur des
défauts qui ne le déshonorent pas dans le
monde. Vous réjouir de fes défauts , mon
cher Auditeur ! Mais quelle eil cette je 12
cruelle qui porte la trifteffe 6c famertume
dans le cœur de votre frère ? mais où eft
l'innocence d'un plaifir , lequel prend fa
Sur LA Médisance. 175
iburce dans des vices , qui devroient vous
iafpirer de la compailioii 5c de ia douleur ?
mais il Jefus-Chrifl nous défend dans
TEvangile d amufer l'ennui des converfa-
tions par des paroles oifeufes , vous fera-
t'il plus permis de Tégayer par des déridons
6c dQs cenlures ? mais i\ la loi maudit celui
qui découvre la honte de fes proches , ferez-
vous plus à couvert de la malédiélion , vous
qui ajoutez à cette découverte y la raillerie
& riîi fuite ? mais il celui qui appelle fou
frerc d'un terme de mépris , eft digne , feloa
Jefas-Chrift , d'une punition éternelle ;
celui qui le rend le mépris ÔC le jouet d'une
alTemblée profane , évitera-t'il le même
fupplice ? vous réjouir de fes défauts ! Mais
la charité fe rejouit-elle du mal ? mais eft-
ce-là fe réjouir dans le Seigneur ^ çomiP.^
l'ordonne l'Apôtre ? mais fi vous aimez vô-
tre frère comme vous-même , pouvez-
vous vous rejouir de ce qui l'afflige ? Ah I
TEglifeavoit horreur autrefois des fpefla-
clés des gladiateurs, ÔC ne croyoït pas que
des fidèles élevés dans la douceur &C dans
la bénignité de Jefus-Chrifi: pulTent inno-
cemment repaitre leurs yeux du fang 5c de
la mort de ces infortunés efclaves , 5c fe
faire un délaflement innocent d'un plaiflr fi
inhumain. Mais vous renouveliez vous mê-
mes des fpeâacles plus odieux pour égayer
votre ennui": vous amenez fur la fcène ,
non plus des fcélérats deftinés à la mort ,
mais des membres de Jefus-Chrift , vos
, frères; 5c là vous réjouiilez les fpeûateurs,
P4
I
ï7<5 LuKDi DE LA IV. Semaine.
des plaies que vous faites à leur perfonne
conlacrée par le batême !
Faut- il donc qu'il en coûtcà votre frère
pour vous réjouir ? ne fauriez- vous trouver
ce joie dans vos entretiens , s'il ne fournit
pour afnfi dire, Ton propre fang à vos plai-
îirs injuftes ? Eninez-voiis les uns les autres,
dit S. Paul , par des paroles de paix 6c de
charité, racontez les merveilles de Dieu
fur les Juftes , i'hiftoire de fes miféricordes
fur les pécheurs : rappeliez les vertus de
ceux qui nous ont précédés avec le ligne de
la foi : faites vous un faint delà ile ment du
récit des pieux exemples de vos frères avec
qui vous vivez : parlez avec une joie reli-
gieufe des victoires de la foi ; de Faggran-
diiTement du régne de Jefus-Chriit ; de
l'établifTement de la vérité ; de Textintlion
des erreurs ; des grâces que Jefus-Chrift
fait à Çon Eglife , en lui fufcitant des Paf-
teurs fidèles , des Docteurs éclairés , des
Princes religieux ; animez-vous à la vertu
par la vue du peu de folidité du monde ,
du vuide de fes plaifirs , 5c de la mifére des
pécheurs qui fe livrent à leurs pafilons dé-
réglées. Efl-ce que ces grands objets ne font
pas dignes de la jo'"e des Chrétiens ? c'eft
ainfî pourtant que les premiers Fidèles fe
réiouiffoient dans le Seigneur, 5c faifoient
de la douceur de leurs entretiens, une des
plus faintes coTifolations de leurs calamités
temporelles. C'eil notre cœur , mes Fie-
res , qui décide de nos plaiiirs : lui cœur
corrompu ne trouve de joie que dans tout
Sur la Médisance. 177
ce qui lui rappelle Timage de fes vices : les
joies innocentes ne conviennent qu'à la
vertu.
En effet , vous excufez la malignité de
vos cenlures fur l'innocence de vos inten-
tions. Mais approfondiiTons le fecret de
votre cœur : d'où vient que vos cenfures
portent toujours fur cette perfonne , 6c que
vous ne vousdélaffez jamais plus agréable-
ment 5C avec plus d'efprit , que lorfque
vous rappeliez fes défauts ? ne feroit-ce
point une jaloufie fecrctte ? fes talens , fa
fortune , fa faveur, fon pofte , fa réputa-
tion , ne vous blelferoient-ils pas encore
plus que fes défauts ? le trouveriez-i^ous fi
digne de cenfure , s'il avoit moins de qua-
lités qui le miCttent au dellus de vous ? fe-
riez-vous fi aife de faire remarquer fes en-
droits foibles , fi tout le monde ne lui en
trouvoit pas de fort avantageux ? Saùl au-
roit-il redit fi fouventavec tant de complai-
fance , que David n'étoit que le fils d'Ifaï,
s'il ne l'eût regardé comme un concurrent
plus digne que lui de l'Empire ? D'où vient
que les défauts de tout autre vous trouvent
plus indulgent ? qu'ailleurs vous excufez
tout ; ÔC qu'ici tout s'envenime dans votre
bouche ? Allez à la fource ; n'y a-t'il pas
quelque racine fecrette d'amertume dans
votre cœur ; 6c pouvez-vous juftifier par
l'innocence de vos intentions , des difcours
qui partent d'un principe fi corrompu ?
Vous nous afl'urez que ce n'efi ni haine ni
jaloufie contre votre frère ; je le veux :
îyS Lundi de la IV. Semiane.
mais n'y aiiroit-il pas peut-être dans vos
fatyres des motifs encore plus bas oC plus
honteux ? n'aifeélez-vous pas de cenfurer
votre frère devant un Grand qui ne Taime
pas ? ne voulez-vous pas faire votre cour ,
& vous rendre agréable , en rendant vo-
tre frère un objet de rifée ou de mépris ?
ne facrifîez-vous pas fa réputation à votre
fortune ? 6c ne cherchez- vous p<is à plaire ,
en donnant du ridicule à un hompe qui
ne plait pas ? Les Cours font (i remplies de
ces fatyres d'adulation bi de bas intérêts !
Les Grands font à plaindre dès qu'ils fe
livrent à des averfions injuftes : on a bien-
tôt trouvé des vices dans la vertu même
qui leur déplaît.
Mais ennn , vous ne vous fentez point
coupable , dites-vous , de tous ces lâcheâ
motifs ; 5C s'il vous arrive quelquefois de
médire de vos frères , c'cft en vous pure
indifcrétion 6c légèreté de langue. Mais
cft-ce donc par-là que vous vous croyez
plus innocent ? la légèreté ÔC Tindifcrétion ;
ce vice fr indigne de la gravité du Chré-
tien , fi éloigné du férieux 5c de la folidité
de la foi , fi fouvent condamné dans les
Livres faints , peut-il juilifier un autre vice?
Eh I qu'importe à votre frère que vous dé-
chirez , que ce foit en vous indifcrétion ou
malice? un dard décoché imprudemment,
fait-il une plaie moins dangereufe 5c moins
profonde que celui qu'on a tiré à deifein?
le coup mortel que vous portez à votre
frère, eftil plus léger, parce que c'eft
Sur la Médisance. ij^
rimprudence 5c la légèreté qui l'ont lancé?
5c que fait Tintention de Tintention où
l'aftion eft un crime ? mais d'ailleurs , n'en
efl-ce pas un , d'être capable d'indifcré-
tion fur la réputation de vos frères ? y a-t'iî
rien qui demande plusdecirconfpeftion 6C
de prudence ? tous les dev^oirs du Chriftia-
nifme ne font-ils pas renfermés dans celui
de la Charité r n'eft-ce pas-là , pour ainiî
dire , toute la Religion ; ÔC n'être pas ca^
pable d'attention ilir un point aulîi elTen-
tiel , n'elt-ce pas regarder comme un jeu
tout le reile ? Ah ! c'efl ici où il faut met-
tre une garde àc circonfpe<El:ion fur fa lan-
gue ; peler toutes les paroles , les lier
dans fon cœur , comme dit le Sage , &C
\zs laifTer mûrir dans fa bouche. Vous
échappe t'il jamais de ces difcours indif- Ece. tf^
crets contre vous-même? manquez-vous -^' -*3*.
quelquefois d'attention fur ce qui intéreffe-
\'otrc honneur 6c votre gloire f Quels
foins infatigables ! quelles mefures 1 qu'elle
induftrie î dans quel détail vous voit-oa
defcendre pour la ménager ÔC l'accroître ?
S'il vous arrive de vous blam.er c'efl tou-
jours avec des circonflances qui font vôtre
éloge: vous ne cenfurez en vous que des
défauts qui vous font honneur ; 6c en
avouant vos vices , vous ne voulez que
raconter vos vertus ; l'amour de vous-
même ramène tout à vous. Aimez votre
frère comme vous vous aimez , 5c tout
vous ramènera à lui; ÔC vous ferez inca-
pable d'indifcrétion fur fes intérêts, ÔC'
ïSo Lundi de la IV. Semaikf.
vous n'aurez plus hefoin de nos inftni8:ions
fur ce que vous devez à fa réputation ÔC à
fa gloire.
Mais fi ces médiiances que vous appel-
iez légères, font criminelles dans leurs mo-
tifs , elles ne le font pas moins dans leurs
circonftances.
Je pourrois d'abord vous faire remar-
quer que le monde familiarifé avec le cri-
me ; &C qui à force de voir les vices les
plus crians devenus les vices de la multi-
tude , n'en eft prefque plus touché ; appela
lé légères les médiiances qui roulent lur
les foiblefTes les plus criminelles 5C les plus
honteufes : les foupçons d'infidélité dans le
lien facré du mariage , ne font plus un dé-
cri formel ^ une flétrilTure elTentielle ; ce
font des difcours de dérifion 6c de plai-
fanterie : accufer un courtifan de perfidie
b(, de mauvaife foi , ce n'efl plus attaquer
fon honneur , c'efl donner du ridicule aux
proteflationsdefîncérité dont il nous amu-
îe : rendre fufpefte d'hypocrifie la piété la
plus fîncère , ce n'efl pas outrager Dieu
dans fes Saints , c'efl un langage de déri-
fion que l'ufage a rendu commun : en un
mot , hors les crimes que l'autorité publi-
que punit, 6c qui nous attirent, ou la dif-
grace du maître, ou la perte dss biens 6c
de la fortune ; tout le refle paroit léger ,
5c devient le fujet ordinaire des entretiens
& des cenfures publiques.
Mais ne pouffons pas plus loin cette ré-
flexion. Je veux que les défauts que vous
Sur la Médisance. i8î
publiez de votre frère foient légers : plus
ils font légers , plus vous êtes injulle de
les relever , plus il mérite que vous ufiez
d'indulgence à fon égard : plus il faut fup-
pofer en vous une malignité d'attention à
qui rien n'échappe ; une dureté de naturel ,
qui ne fauroit rien excufer. Si les défauts
de votre frère étoient elTentiels , vous l'é-
pargneriez ; vous le trouveriez digne de
votre indulgence ; la politelTe Sc la reli-
gion vous feroient un devoir de vous taire :
eh ! quoi ? parce qu'il n'a que de légères
foibielTes , vous le trouverez moins digne
de vos égards ? ce qui devroit vous le ren-
dre refpeâ:able, vous autorife à le décrier?
N'êtes-vous pas devenu au-dedans de vous,
dit l'Apôtre , un juge de penfées injuftes?
ÔC votre œil n e(t-il donc méchant , que
parce que votre frère ell: bon ?
D'ailleurs , les défauts qu.e vous cenfu-
rez font légers : mais en auriez-vous la
m,^me idée , Ci l'on vous les reprochoit à
vous-même ? Quand il vous eft revenu cer-
tains difcours tenus en votre abfence , iei-
quels , à la vérité, n'attaquoient pas eilen-
tiellement votre honneur 5c votre probité ;
mais qui répandoient dans le public quel-
ques-unes de vos foibleiTes , quelles ont
été vos difpofîtions ? Mon Dieu ! c'efl alors
que l'on groïTit tout ; que tout nous paroît
elTentiel ; que peu content d'exagérer Ja
malice des paroks , on fouille dans le fe-
cretde l'intention, ôC qu'on veut trouver
des motifs encore plus odieux que les dif-
t?2 Lundi h'e la IV. Semaine.
cours mêmes. O a beau nous dire alorf
que ce font-là des reproches qui n'intéref-
ftnt pas l'efTentiel , & qui au fond ne fau-
roieiit nous faire tort : on croit avoir été
infulté ; on en parle ; on s'en plaint ; on
éclate; on n'eil plus maître de fon reiTen-
timent; 5c tandis que tout le monde blâme
Texcèsde notre fenfîbilité, feuls nous nous
obiîinons à croire que l'affaire eu. férieufe,
^ que notre honneur y eil intérelTé. Ser-
vez-vous donc de cette régie dans les dé-
fauts que vous publiez de votre frère: ap-
pliquez-vous l'offenfe à vous-niême: tout
ed léger contre lui ; 5c fur ce qui vous
touche , tout paroît eflentiel à votre or-
gueil , 6c digne de vengeance.
Enfin , les vices que vous cenfurez font
légers , mais n'y ajoutez-vous rien du vô-
tre ? les donnez- vous pour ce qu'ils font?
ne mêlez-vous pas au récit que vous en
faites la malignité de vos conjeâures ?
ne les mettez-vous pas, en un certain point
de vue, qui les tire de leur état naturel ?
n'embellillez vous pas votre hiftoire ? 8c
pour faire un héros ridicule qui plaife," ne
le faites-vous pastel qu'on le fouhaite , 5c'
non pas tel qu'il eft en effet ? ffaccompa-
gnez-vous pas vos difcours de certains
geftes qui laiffent tout entendre ? de. cer-
taines expreffions qui ouvrent l'efprit de
ceux qui vous écoutent à mille foupçons
téméraires ôc flétriffans? de certain (ilençe
même qui donne plus à penfer que tout
ce que vous auriez pu dire ? Car » qu'il etf
Sur la Médisance. li^
difficile de fe tenir dans les bornes de la
vérité , quand on n'eft plus dans celles de
la charité ! plus ce qu'on cenfure ell léger ,
plus l'impoihire eft à craindre : il faut em-
bellir pour fe faire écouter ; 5c Ton de-
vient calomniateur , oùronn'avoitpascru
jnéme être médifant.
Voilà les circonftances qui vous regar-
dent ; mais fi à cet égard les médifances
que vous croyez légères font très-crimi-
nelles , le feront-elle moins par rapport
aux perfonnes qu'elles attaquent?
Premièrement , elle eft peut-être d\m
fexe , où fur certains points principale-
ment , les tâches les plus légères font ef-
fentielles; où tout bruit eft un déshonneur
public ; où toute raillerie eft un outrage ;
où tout foupçon eft une accufation en un
mot, où n'être pas loiié , eft prefque uu af-
front 5c une infamie. AulFi S. Paul veut
que les femmes chrétiennes foient ornées
cie pudeur ÔC de modellie ; c'eft-à-dire , il
veut que ces vertus ibient auHl vifibles en
elles , que les ornemens qui les couvrent ;
6c le plus bel éloge que TEfprit faint falTe
de Judith, après aroir parlé de fa beauté ,
de fa jeuneffe ^ de fes grands biens , eft
qu'il ne s'étoit jamais trouvé perfonne dans
tout Ifraèl qui eût mal parlé de fa con-
duite ; ÔC que fa réputation répondoit à fa
vertu.
Secondement , vos cenfures s'en pren-
nent peut-être à vos maîtres ; à ceux que
la Providence 4 établis fur vos têtes , H
ïÏ4 Lundi de la IV. Semaine.
aufquels la Loi de Dieu vous ordonne
de rendre le refpeâ: 6c la foumifllon qui
leur eft due. Car l'orgueil qui n'aime pas
la dépendance , fe dédommage toujours en
trouvant des foibleffes Sv des défauts dans
ceux aufquels il eft forcé d'obéir : plus ils
font élevés , plus ils font expofés à nos cen-
fures ; la malignité même efl bien plus
éclairée à leur égard: o i ne leur pardonne
rien : ceux quelquefois qui font les plus
accablés de leurs bienfaits , ou les plus ho-
norés de leur familiarité , font ceux qui
publient avec plus de témérité leurs im-
perfections 6c leurs vices ; ÔC outre le
devoir facré du refpeâ: qu'on viole , on fe
rend encore coupable du crime lâche ÔC
honteux de l'ingratitude.
Troifiémement , c'eft peut-être une per-
fonne conficrée à Dieu ; établie en dignité
dans TEglife, que vous cenfjrez ; laquelle
engagée par la fainteté de fon état à des
mœurs plus irrépréhenfibles , plus exem-
plaires 6c plus pures , fe trouve déshono-
rée Se flétrie par des cenfures , qui ne fe-
roient pas le m.ême tort à des perfonnes
engagées dans le monde. Aufli le Seigneur,
dans l'Ecriture , maudit ceux qui ne fe-
ront même que toucher à fes oints. Cepen-
dant les traits de la médifance ne font ja-
mais plus vifs , plus brillans ; plus applaudis
dans le monde , que lorfqu'ils portent fur
les Miaiftres des faints autels : le monde (î
indulgent pour lui-même , femble n'avoir
coflfervé de févérité qu'à leur égard ; &
il
Sur la Médisance. 185
il a pour eux des yeux plus cenfeurs , 5c
une langue plus empoifonnée que pour le
refte des hommes. Il eft vrai, ô mon
Dieu ! que notre converfation parmi les
peuples n'eft pas toujours fainte 6c à cou-
vert de tout reproche ; que nous adoptons
fouvent les mœurs , le fafte , l'indolence ,
roifiveté , les plaifirs du monde , que nous
aurions dû com.battre ; que nous mon-
trons aux Fidèles plus d'exemples d'or-
gueil & de négligence que de vertu ; que
nous fommes plus jaloux des prééminen-
ces , qu€ des devoirs de notre état ; &C
qu'il eft difficile que le monde honore ua
cara£lère que nous déshonorons nous-
m.êmes. Mais je vous l'ai dit fouvent , m.es
Frères , nos infidélités devroient faire le
fujet de vos larmes , plutôt que de votre
joïe 8<: de vos cenfures : Dieu punit d'or-
dinaire les déréglemens des peuples par la
corruption des Prêtres : & le plus terri-
ble fléau dont il frappe les Royaumes 5C
les Empires , c'eit de n'y point fiifciter
des Pafteurs vénérables &. des Miniftres
zélés , qui s'oppofent au torrent des diiTo-
lutions ; c'efl de permettre que la foi ÔC
la Religion s'afFoibliiTent jufqu'au milieu
de ceux qui en font les défenfeurs 6c les dé-
pofitaires ; c'eft que la lumière qui étolt
deftinée à vous éclairer , fe change en té-
nèbres ; que les coopércteurs de votre fa-
hit aident par leurs exemples à votre perte^
que du Sanftualre même d'où ne devrait
fortir que la bonne odeur de Jefjs-Chrift
Carême, Jçmç, UL Q
iS6 LvKDi DE LA IV. Semaine.
il en forte une odeur de mort 6c de fcan--
dale ; &. qu'enfin l'aboinination entre juf-
ques dans le lieu faint. Mais d'ailleurs , que
change le relâchement de nos mœurs à la
fainteté du caradère qui nous confacre ?
les vafes facrés qui fervent à l'autel , pour
être d'un métal vil , font-ils moins digne?
de votre refpect ? ÔC quand le Miniftre mé-
riteroit vos mépris , feriez vous moins fa-
criiége de ne pas refpe£ter fon minilière..
Que dirai-je enfin , vos détraquions ôC
Tos cenfures attaquent peut-être des per-
fonnes qui font une profefiion publique de
piété , & dont ceux qui vous écoutent ref-
pedoient la vertu. Vous leur perfuadez
donc qu'ils en avoient trop cru : vous les
autorifez à penfer qu'il y a peu de vérita-
bles gens de bien fur la terre ; que tous
ceux qu'on donne pour tels , examinés de
près ,. relTemblent au refte des hommes ;
vous confirmez les préjugés du monde
contre la vertu , ôc donnez un nouveau
crédit à ces difcours fi ordinaires ÔC fi in-
jurieux à la Religion , fur la piété des fer-
viteiirsde Jefus-Chrift. Or, tout cela vous
faroît-il fort léger ? Ah ! mes Frères , les
uftes font ici- bas comme des Arches fain-
tes , au milieu defquelles le Seigneur ré-
fide , 6c dont il venge rigoureufement Iqs.
mépris & les outrages : ils peuvent chan-
celer quelquefois dans la voie , comme
l'Arche d'Ifraèl , conduite en triomphe,
d'ans Jérufalem , car la vertu la plus pure-
&.U}j1u3 bxillmîç y a fei t^chei & f&s^.
Sur la Médisance. 187
cclipfes ; ÔC la plus fblide ne fe foutieiit
pas par-tout également : mais le Seigneur
s'indigne , que des téméraires , femblablcs
à Oza , fe mêlent de les redrefler ; 6c à
peine y touchent-ils, qu'il les frappe d'ana-
thême: il prend fur lui les plus légers mé-
pris dont on déshonore fes ferviteurs ; ÔC
ne peut foutfrir que la vertu , qui a piî
trouver des admirateurs parmi les tyrans
mêmes S>C les peuples les plus barbares ,
ne trouve fouvent que des cenfures ÔC
des dérifions parmi les Fidèles. Aufîi les
enfans d'irraèi furent dévorés fur Theure»
pour avoir infulté par des railleries le petit
nombre de cheveux de l'homme de Dieu,
ÔC cependant ce n'étoient-là que des indlf-
crétions puériles fi pardonnables à cet âge^
Le feu du Ciel defcendit fur lOfficier de
l'impie Ochozias 6c le confumaà Tinftant ^
pour avoir appelle par dérifîon Elie j l'hom-
me de Dieu ; & cependant c'étoit un courti-
fan de qui ondevoit exiger moins d'egartis^
pour l'auftérité 6c la funpliwité d'un Pro-
phète , ÔC pour la vertu d'un homme ruf-
tique en apparence ÔC odieux à fon maître*
Michol fj: frappée de ftérilité pour avoir
trop aigrem.eht cenfuré les faints excès
de joie ÔC de la piété de David devant
l'Arche ; ÔC cependant ce n'étoit là qu'une
délicateiïe de femme. Mais toucher à ceux
qui fervent le Seigneur , c'efî: toucher , dit.
l'Ecriture, à la prunelle de fon œil : il
maudit invifiblement ces cenfeurs témé-
raireis de la piété 5 &C s'il ne. les frappe p«ia
Q z
iSS Lundi de la III. Semaine.
de mort à Tiiiftant , comme autrefois , il
les marque fur le front dès cette vie d'un
caractère de réprobation , 6c leur refufe
pour eux-mêmes le don précieux de la
grâce &: de la fainteté qu'ils ont méprifé
dans les autres : bi cependant ce font les
gens de bien qui font aujourd'huile plus en
butte à la malignité des difcours publics ;
ÔC l'on peut dire que la vertu fait dans le
monde plus de cenfeurs que le vice.
Je n'ajoute pas , mes Frères , que fi ces
médifances , que vous appeliez légères ,
font très-criminelles dans leurs motifs ÔC
dans leurs circonftances , elles le font en-
core plus dans leurs fuites : je dis leurs
■fuites , toujours irréparables , mes Frères.
Vous pouvez expier le crinie de la volup-
té par la mortification 6c la pénitence ; le
crime de la haine , par l'amour de votre en-
nemi ; le crime de l'ambition , en renon-
çant aux honneurs §C aux pompes du fié-
çle ; le crime de l'injuftice , en reftituant
ce que vous avez ravi à vos frères ; le crime
même de Fimpiété Sc du libertinage , par
un refpe£l religieux OC public ; pour le
culte de vos pères : mais le o ime de la
détra£lion , quel remède , quelle vertu ,
peut'il le réparer ? Vous n'avez révélé
qu'à un feul les vices de votre frère : je
le veux : mais ce confident infortuné en
aura bientôt à fon tour plufîeurs autres ,
qui de leur côté ne regardant plus comme
un fecret , ce qu'ils viennent d'apprendre ,
en inftruiront les premiers venus : chacun
Sur la Médisance. 1^9
en les redifant y ajoutera de nouvelles cir-
conilances ; chacun y mettra quelque trait
envenimé de fa façon ; à mefure qu'on les
publiera , ils croîtront , ils grofliront : lem-
blable , dit S. Jacques , à une étincelle de
feu , qui portée en différens lieux par un
vent impétueux , embrafe les forêts 6c les
campagnes ; telle eft la deftinée de la dé-
tra£tion. Ce que vous avez dit en fecret ,
n'étoit rien. d'abord , ôc paroiiToit étouffé
& enîeveli fous la cendre ; mais ce feu ne
couve que pour fe rallumer avec plus de
fureur ; mais ce rien va emprunter de la
réalité en paffant par différentes bouches:
chacun y ajoutera ce que fa paffion , {on
intérêt , le caraâère de fon efprit 6c de fa
malignité , lui répréfentera comme vrai-
fem.blable : la fource fera prefque imper-
ceptible : mais groffe dans fa caurfe par
mille ruiffeaux étrangers , le torrent qui
s'en formera inondera la Cour , la Ville >
la Province; 5c ce qui n^étoit d'abord dans
fon origine qu'une plaifanterie fecrette ÔC
imjprudente , qu'une fimple réflexion j>
qu'une conjeciiure maligne, deviendra une
affaire férieufe, un décri formel 5c public >
le fujet de tous les entretiens , une flétrif-
fure éternelle pour votre frère. Et alors
reparez, fî vous pouvez , cette injuftice ÔC
ce fcandale ; rendez à votre frère Thonneur
que vous lui avez ravi. Irez-vous vous op-
pofer au dcchaînemicnt public , & chanter
tout feuî fes loiiangçs ? m^ais on vous pren-
dra pour un nouveau venu , qui ignorez ca
ipo Lundi de la IV. Semaine,
qui fe pafTe dans le monde ; êc vos louan-
ges venues trop tard , ne ferviront qu'à lui
attirer de nouvelles fatyres. Or , que de
crimes dans un feul ! les péchés de tout un
peuple deviennent les vôtres : vous médi-
îez par toutes les bouches de vos citoyens :
vous êtes encore coupable du crime de
ceux qui les écoutent. Quelle pénitence
peut expier des maux auxquels elle nefau-
roit plus remédier ? 6c vos larmes pour-
ront-elles effacer ce qui ne s'effacera ja-
mais de la mémoire des hommes ? Encore
fi le fcandale finiiToit avec vous, votre mort,
en le fîniffant , pourroit en être devant
Dieu l'expiation & le remède. Mais c'eft
im fcandale qui vous furvivra ; les hiftoires
fcandaleufes des Cours ne meurent jamais
avec leurs héros : des écrivains lafcifs ont
fait palier jufqu'à nous les fatyres , les dé-
réglemens des Cours qui nous ont précé-
dés ; ÔC il fe trouvera parmi nous des Au-
teurs licencieux qui inftruiront les âges à
venir , des bruits publics , des évenemiCns
fcandaleux , 8c des vices de la nôtre.
O mon Dieu ! ce font-là de ces péchés
dont nous ne connoilfons ni l'énormité, ni
l'étendue : mais nous favons qu'être une
pierre de fcandale à nos frères , c'cft dé-
truire par rapport à -eux , l'ouvrage de
la miffion de votre Fils , & anéantir le fruit
de fes travaux , de fa mort Sc de tout fon
miniftére. Telle eft fillufion du prétexte
que vous tirez de la légèreté de vos mé-
difances ; les motifs n'en font jamais inao-
Sur la Médisance. 191
cens ; les circonftaaces toujours crimi-
ijelles ; les fuites irréparables. Examinons
fi le prétexte de la notoriété publique fera
mieux fondé : c'eft ce qui me refte à vous
développer*
DUT,
'Ou vient, mes Frères, que la plu- ^^^^^^
part des préceptes font violés par ceux-
mêmes qui s'en difentobfervateurs, ÔC que
nous avons prefque plus de peine à faire
convenir le monde de fes tranfgrefîions ,.
qu'à l'en corriger ? C'eft qu'on ne prend
jamais les idées des devoirs dans le fond
de la Religion ; qu'on n'entre jamais dans
l'efprit pour décider fur la lettre ; ÔC qua
peu de gens remontent au principe , pour
éclaircir les doutes que la corruption for»
me fur le détail des conféquences.
Or, pour appliquer cette maxime à mon
fujet: quelles font les régies de l'Evangile
qui font aux Difciples de Jefus-Chrift un
crime de la médifance ? C'eft première-
ment le précepte de l'humilité chrétienne,
qui devant nous établir dans un profond
mépris de nous-mêmes , 5C ouvrir nos
yeux fur la multitude infinie de nos mifé-
res , doit les fermer en même tems à celles,
de nos frères : c'eft en fécond lieu le de-
voir de la charité , cette charité fi recom-
mandée dans l'Evangile ; le grand précepte:
de la Loi ; qui couvre les fautes qu'elle ne
peut corriger , qui excufe celles qu'elle ne
peut couvrir , qui ne fe réjouit point du
mal , 6c qui le cxoit difficilement y parce
ICI Lux\Di DE LA IV. Semaine.
qu'elle ne le fouhaite jamais : enfin , c'eft
la régie inviolable de la jr.ftice , laquelle
ne permettant jamais qu'on fafle à autrui ce
qu'on ne voudroit pas fouffrir foi-même ,
condamne tout ce qui fort de ces bornes
équitables. Or , les difcours de médifance,
qui roulent fur les fautes que vous appeliez
publiques , bleïïent ellentieilement ces trois
régies : jugez par-là de leur innocence.
Premiiérement , ils bleflent la régie de
l'humilité chrétienne. En effet , miOn cher
Auditeur , û vous étiez vivement touché
de vos propres miféres , dit S. Chryfofto-
me ; fi vous aviez fans celle votre péché
devant vos yeux, comme ce Roi pénitent
il ne vous refteroit , ni affez de loifîr , ni
aflez d'attention , pour remarquer les fautes
de vos frères. Plus elles feroient publi-
ques , plus vous béniriez en fecret le Sei-
gneur d'avoir détourné de vous cette in-
famie : plus vous fentiriez votre reconnoif-
fance fe réveiller , fur ce qu'étant tombé
peut-être, dans les mêmes égaremiCns , il
n'a pas permis qu'ils fuifent publiés fur les
toits , comme ceux de votre frère ; fur
ce qu'il a laiilé dans l'obfcurité vos œuvres
de ténèbres , qu'il les a , pour ainfi dire,
couvertes de fes ailes ; 5c m^énagé devant
les hommes un honneur 6c une innocence,
que vous aviez tant de fois perdue devant
lui : vous trembleriez en vous difant à
vous-même, que peut-être il n'a épargné
votre confufion en ce monde , que pour
la rendre plus amére ÔC plus durable dans
Tautre. Telles
Sur la Médisance 195
Telles font les dirpofitions de l'humilité
chrétienne fur les chutes publiques de no»
frères : nous devons en parler beaucoup
à nous-mêmes , ÔC prefque jamais aux au-
tres. Aulfi lorfque les Scribes ik. les Pha-
rilîens viennent préfenter au Sauveur une
femme furprife en adultère, S>C qu'ils veu-
lent le preifer d'en dire fon fentiment ;
quoique la faute de cette Péchereile fût
publique , Jefus-Chrift garde un profond
îllence ; ÔC à leurs malignes 5c prelTantes
iiiilances de s'expliquer , il fe contente de, * ^â
répondre : {Jue celui a entre vous qui eji
/ans péché , jette contrelle la première pier-
re ; comme s'il vouloit leur faire enten-
dre par-là que ce n'étoitpas à des pécheurs
comme eux , à comdamner ïi hautement le
crime de cette femme ; ÔC que pour avoir
îdroiî de jetter contr'elle une feule pierre,
il falloir être foi-mêm^c exemt de tout
■rep;-oche. Et voilà ce que je voudrois vous
dire aujourd'hui , mes Frères : la mauvaife
conduite de cette perfonne vient d'éclater :
feh-bien î que celui d'entre vous qui eft
fans péché, jette contr'elle la première
_ pierre ; Qui fine peccato eJl vejîrum , pri-
mus inillam lapidem mittat : lî devant Dieu
vous n'avez rien de plus criminel peut être
a vous reprocher ; parlez librement, con-
^ rfan^nez févérement fa faute, lancez con-
tr'elle les traits les plus piquans de la dé-
rifion 6c de la cenfure ; on vous le permet.
Ah ! vous qui en difcourez (1 hardiment,
vous êtes plvis heureufe qu'elle ; mais êt^-
C^rêmç, Tome JJL ' R
194 LiJNDi DE LA IV Semaine.
vous plus innocente ? on vous croit plus de
vertu , plus d'amour du devoir ; mais Dieu
qui vous connoît , en juge-t'il comme les
hommes ? mais fi les ténèbres qui cachent
votre honte venoient à fe difliper , les
pierres que vous jettez , nefe tourneroient-
elles pas contre vous-même ? mais fi un
événement imprévu trahifibit votre fecret ,
Taudace 5c la joie maligne avec laquelle
vouscenfurez ,n'ajoûteroit-ellepas un nou-
veau ridicule à votre confufion 6c à votre
Opprobre ? Ah ! vous ne devez ce phantôme
de réputation , dont vous vous glorifiez ,
qu'à des artifices ÔC à des ménagemens ,
que la juftice de Dieu peut confondre ÔC
déconcerter en un inftant : vous touchez
peut-être au moment oii il va révéler votre
honte ; ÔC loin de rougir dans le fecret 6c
dans le filence, lorfqu'on publie des fautes
qui font les vôtres , vous en parlez , vous
les racontez avec complaifance ; ÔC vous
fourniffez au public des traits dont il fera
peut-être ufageun jour contre vous-même:
c'efi: la menace ôc la prédi(^ion du Sau-
Matth, ^^^^ • Tous ceux qui s'arment du glaive ^
2C, ;2. périront par le glaive : vous percez votre
frère avec le glaive de la langue ; vous
ferez percé du même glaive à votre tour ;
Se quand vous feriez exemt des vices que
vous blâmez fi témérairepient en autrui ,
le Dieu jufte vous y livrera.
La honte eft toujours la punition la plus
^ ordinaire de l'orgueil. Pierre , le foir de la
^éne ne pouvoit fe lailer d'exagérer le
Sur la Médisance. 195
crime du Difciple qui devoit trahir fon
Maître : il étoit le plus ardent de tous à
s'informer de fon nom , ÔC à détefter fa
perfidie : &C au fortir de là , il tombe lui-
même dans l'infidélité , qu'il venoit de blâ-
mer avec tant de hauteur 6c de confiance.
Rien ne nous attire tant la colère ÔC l'a-
handon de Dieu, que le plaifir malin avec
lequel nous relevons les fautes de nos frè-
res ; 6C fa miféricorde s'indigne que ces
exemples affligeans , qu'il ne permet que
pour nous rappeller à notre propre foi-
blelTe, 6c réveiller notre vigilance, fia-
ient notre orgueil , ôC ne réveillent que
nos dérifions ôC nos cenfures.
Vous fortcz donc des régies de l'humî-
lité chrétienne , en ccnfurant les fautes de
votre frère , quelques publiques qu'elles
puiflent être : mais vous blellez encore ef-
lentiellement celles de la charité; car la''^or*it\
charité nagit pas en vain , dit l'Apôtre. '*'
Or , il les vices de votre frerc font con-
nus de ceux qui vous écoutent , il eft donc
inutile de venir de nouveau les raconter.
En effet , que pourriez-vous vous propo-
fer ? de blâmer îa conduite ? Mais n'en por-
te-t'il pas déjà affez la confufion ? voulez»
vous accabler un malheureux , 6c achever
de donner le dernier coup à un homme
déjà percé de mille traits m.ortels ? Il y a
déjà tant d'efprits noirs 5c malins , qui ont
exagéré fa faute , 6c qui la répandent avec
des couleurs capables de le noircir à ja-
mais i n'eft-il pa§ alfez puni? il eft digne de
Ri
t()6 Lundi de la IV. Se^îatke.
■votre pitié ; il ne Vcd plus' a^ vos cenfît-
res. Que vous propoferiez-vous donc ? de
plaindre fou infortune ? Mais qu'elle m mi-
nière de plaindre un malheureux, que de
rouvrir fes plaies ? la compalilon elî-elle fi
barbare? v^'-^^ encore ? de venir juiHfier
vos prophéties & vos foupçons précédens
fur la conduite? de venir nous dire , que
vous aviez toujours crû que tôt ou tard il
(En viendroit-là ? Mais vous venez donc
triompher de fon malheur? vcois venez vous
jipplaudir jde fa chute ? vous venez vous
faire honneur de la malignité de vos juge-
înens? Qiiellegloirejpour un Chrétien d'a-
voir pii ibupçonncr Ion frère ; de Tavoir
cru coupable avant qu'il le parût ; 6c d'a-
voir pu lire témérairement fes chutes dans
l'avenir , nous qui ne devons pas même les
voir lorsqu'elles font arrivées ? Ah 1 vous
prophétifcz fi jufte fur la deilinéed'autrui i
Toyez Prophète dans votre propre patrie ;
prévoyez les malheurs qui vous menacent:
pourquoi ne vous prophétifez-vous pas à
vous-même, que û vous ne fortcz de cette
pccafion 6c de ce péril , vous y périrez ? que
fi vous ne rompez cette liaifon , le public ,
qui en murmure déjà, éclatera enfin , 5C
qu'il ne fera plus tems de remédier aufcan-
dale? que fi vous ne revenez de ces ex-
cès , où Femportemient de l'âge 5c une
mauvaii^ éducation vous ont jette, vos af-
faires 5c votre fortune vont tomber fans
relTource ? c'eft ici où il faudroit exercer
yotre ^rt des conjefturçs. Quelle folie
Sui^XA Med'isance. l^f
ct'étre foi-iné*Re eiïvironné de précipices ,.
êc de regarder au loin ceux qui menacent
nos frères !
D'ailleurs , plus les chutes de votre frère
font publiques ^ plus vous devez être tou-
ché du fcandale qu'elles cauient à rEglife^
de l'avantage c^wo. les impies 6c les liber-
tins en tireront , pour blafphèmer le nom-
dû Seigneur , s'alîernTÎr clans le libertinage,
ù perfuader que ce font-là les foiblelTes de
tous les hommes ^ 6c que les plus vertueux-
foiit ceux qui favent mieux les cacher :
plus vous devez être affligé de roccafioii
que ces exemples publics d-e dérèglement
donnent aux âmes foibles de t-omiber dans^
les mêmes défordr^s : plus la charité vous
oblige de gémir : plus vaus devez fau-
haitcr que le fouveiur de ces fautes périffe ;
que le jour &C les lieux où elles ont éclaté'
foient effacés de la mémoire des hommes ;
plus enfin par votre fîlence-, vous devez*,
contribuer à les alToupir. Mais tout le
monde en parle , dites-vous ; votre filence;
n emipéchera pas les difcours publics ^ainfi
vous pouvez bien en parler à votre tour.
La conféquence eit barbare : parce que
vous ne pouvez pas remédier au Icandale ,•
il V0U3 fera permis de l'augmenter ? parce-
qiie vous ne pouvez pas fauver votre frère
de l'opprobre, vous achèverez de le couvrir
de boue S>v. d'infamie ? parce que tous pref-
tque lui jettent la pierre , il fera moins cruel
de la jetter à votre tour , ÔC de vous join-
dre à ceux qui le lapident 5c qui l'écrafent l
198 LuNiJi DE LA IV. Semaine.
Il eft fî beau , la Religion même à part,
lie fe déclarer pour les malheureux ! il y
a tant de dignité 5c de grandeur d'ame , à
prendre fous fa proteâ:ion ceux que tout
le monde abandonne ! &. quand les régies
de la charité ne nous en fcroient pas ua
devoir , les fentimens feuls de la gloire
6c de rhumanité devroient ici fuffire.
Aufll en troifîéme lieu , non-feulement
vous violez les régies faintcs de la charité;
mais de plus , vous êtes infra6):eur de cel-
les de la juftice. Car les fautes de votre frè-
re font publiques ; je le veux : mais placez-
vous dans la même fituation ; exigeriez-
vous de lui moins d'égards 6c moins d'hu-
manité , parce que votre chute ne feroit
plus un myftère? croiriez- vous que l'exem-
ple public donnât à votre frère contre
vous , un droit que vous en prenez contre
lui-même ? recevriez-vous , pour juftiiîer
fa malignité ; une excufc qui vous la ren-
droit encore plus odieufe tk plus cruelle ?
D'ailleurs , que favez-vous fi le premier
auteur de ces difcours public , n'eft point
un impofteur? il court tant de faux bruits
dans le monde , ÔC la malice des hommes
les rend fî crédules fur les défauts d'au-
trui; que favez-vous fî ce n'efl pas un en-
nemi , un concurrent , un envieux , qui a
répandu cette calomnie par des voyes fe-
Crettes , pour détruire celui qui traverfoit^
ou fes palfions , ou fa fortune ? ces exem-
ples font- ils fort rares ? fî ce n'efl pas un
imprudent , qui a donné lieu à tous ces
Sur la Médisance. ï95
difcours par rindifcrétion d'une parole lâ-
chée fans attention 5C recueillie avec ma-
lice ? ces méprifes font-elles impolTibles ? fi
ce n'ell pas une conje£lure débitée d'abord
comme t-elle , 6c donnée enfuke comme
une vérité ? ces altérations ne font-elles pas
du caraâ:ère des bruits publics ? Qu'y
avoit-il de plus vraifemblable parmi les
enfans de la captivité , que le dérèglement
prétendu de Sufanne ? les Juges du peuple
de Dieu , vénérables par leur âge &C par
leur dignité , dépofoient contr'elle ; to^^^t le
peuple on parloit comme d'une époufe in-
fidèle ; on le regardoit comme l'opprobre
dlfraèl : cependant c'étoit fa pudeur mê-
me, qui lui attiroit ces outrages ; &C s'il ne
fe fût trouvé de fon tems un Daniel , qui
osât douter d'un bruit public , le fang de
cette innocente alloit fouiller tout le peu-
ple. Et fans fortir de notre Evangile , les
difcours facriléges , qui traitoient Jefus-
Chrift d'impolleur ÔC de Samaritain , n'é-
toient-ils pas dei^enus les difcours publics
de toute la Judée ? Les Prêtres & les Pha-
rifiens, gens à qui la dignité de leur carac-
tère ÔC la régularité de leurs mœurs , atti-
roient le refpeft 6c la confiance des peu-
ples , les appuyoient de leur autorité : ce-
pendant voudriez-vous excufer ceux d'en-
tre les Juifs , qui fur des bruits fi com-
muns , parloient du Sauveur du monde
comme d'un féduâ:eur , qui impofoit à la
crédulité des peuples ? Vous vous expofez
donc à ia calomnie envers votre frère ;
R4
loé tuKDl DE LA IV. SeMAîNê;
quelque répandue que foient les cenfuref
qu'on fait de lui , fa fsute dont vous n'avez
pas été témoins , eft toujours douteufe
pour vous ; ÔC c'efc une injufticeque vous
lui faites , d'aller publiant ^ comme vrai .y
ce que vous ne favez que par des bruits
publics , fouvent faux , 5c toujours témé-
raires.
Mais je vais plus loin : quand même la
chute de votre frère feroit certaine , ôc
que la malignité des difcours n'y auroit
jien ajouté ; d'où pouvez-vous favoir (i
la honte même de voir fa faute publique ne
Ta pas fait revenir à lui , S>C ii un repentir
iincére 5c des kr nies abondantes , ne Tonî
pas déjà effacée & expiée devant Dieu ? il
lie faut pas toujours des années à la grâce
pour triompher d'un cœur rebelle : il ell
des victoires qu'elle ne veut pas devoir au-
îems ; 5c une chute-publique eft fouvent le
moment de miféricorde qui décide de la
converfion du pécheur. Or , fi votre frère
s'efl repenti., n'êtes-vous pas injufle ÔC
cruel , de faire revivre des fautes que fa
pénitence vient d'effacer, 5c que le, Sei-
gneur a oubliées ? Souvenez-vous de la
Péchereffe de l'Evangile: fes défordres
étoient publics , puifqu'elle avoit été la
Péchereffe de la Cité ; cependant lorfque le.
Pharilien les lui reproche ,. fes larmes 5C
fon amour les avoient effacés aux pieds dit
Sauveur : la bonté de Dieu lui avoi-t remis»
fa faute , 6^ la malignité des hommes na
pouvoit encore l'en abfoudre,.
Sur la Médisance. toi
Enfin , la chute de votre frère étoit pu-
blique: c' cil- à^- dire ^on favoit confufémenî
que fa conduite n'éfoit pas exemte de re-
proche ; ÔC vous venez en détailler les cir-
conitances , en éclaircir les faits , en dé-
velopper les motifs y. en expliquer tout le
myftére ; confirmer ce qu'on ne favoit qu'à
demi ; apprendre ce qu'on ne favoit point
du tout ; Se vous applaudir même d'avoir
paru plus inftruit que ceux qui vous écou-
tent , fur le malheiu: de votre frère : il luî
leftoit encore du moins une réputatioa
€hancelante ; il confervoit encore du moins
un reftè d'honneur , une étincelle de vie ,
bC vous achevez de l'éteindre. Je n'ajoute
pas que peut-être on tenoit ces bruits pu-
blics de certaines perfonnes fans aveu; gens
qui n'étoient ni d'ua poids . ni d'un carac-
tère à perfuader ; on n'ofoit encore y ajoiV
ter foi fur des rapports fi peu folides ; mai»
vous , qui par votre rang , votre naiflance^
vos dignités , vous êtes acquis de l'autorité
fur les efprits , vous ne lailTez plus de lieu
au doute 5c à Fincertitude ; votre nom feut
va fervir de preuve contre l'innocence de
votre frère ; ôc l'on va vous citer défor»
mais pour juftifier la vérité des difcours.
publics. Or , quoi de plus injufte 5c de
plus dur , 6c par Le tort que vous lui faites ,.
^ par le bien que vous manquez de lui fai-
re ? votre filence feul fur û faute ^ eut peut-
être arrêté ladiffamation publique, & l'oa
vous eût cité pour purifier fon innocence ;.,
eomnie on vous cite pour la noircir : 5C
102 Lundi de la IV. Semaine.
quel ufage plus refpeâabJe aiiriez-vous pi*i
faire de votre rang 6c de votre autorité ?
Plus vous êtes élevé, plus vous devez être
religieux ÔC circonrpe6l fur la réputation de
vos frères ; plus une ijoble décence doit
vous rendre réfervé fur leurs fautes , on
oublie les difcours du vulgaire ; ils meurent
en naiiïant : les paroles des Grands ne tom-
bent jamais en vain; & le public eft toujours
l'écho fidèle , ou des louanges qu'ils don-
nent, ou des CQnfures qui leur échappent.
Mon Dieu ! vous nous apprenez , en difîî-
mulant vous-mêmes les péchés des hom-
mes , à les difîîmuler à notre tour ; vous
attendez avec une patiencemiféricordieufe,
pour révéler nos fautes , le jour où les fe-
crets des cœurs feront manifeftés ; & nous
prévenons par une téméraire malignité , le
terns de vos vengeances; nous qui fommes
fî intéreiTéi que vous ne découvriez pas
encore les abîmes de nos cœurs Sc les myf.
téres des confciences.
Ainfi , mes Frères , vous fur-tout que
le rang 6c la naiffance élève au-deifus des
autres , ne vous contentez pas de mettre
un frein à votre langue; offrez encore aux
difcours de la médifance , un vifage trifte
& févere , félon l'avis de l'efprit Saint ,
im (îlence de défaveu &: d'indignation : car
le crime eft ici égal , & dans la malignité
de celui qui parle , ÔC dans la complaifance
de ceux qui écoutent. Entourons nosoreii-
les d'épines pour ne pas les laiiTer infeder
par des difcours empoifonnés ; c'eft-à-
Sur la'Medisakce. 20?
^Ire , ne les fermons pas feulement à ces
paroles de fang 5c d'amertume ; mais re-
jettons-les fur leur auteur d'une manière
aigre 5c piquante. Si la médifance trouvoit
moins d'approbateurs , le Royaume de
Jefus-Chrift feroit bientôt purgé de ce
fcandale : on plaît en m.édifant ; ÔC un vic^
qui plaît, devient bientôt un talent aima-
ble : nous animons la médifance par no*
appIaudilTemens ; Sc comme il n'eft per-
fonne qui ne veuille être applaudi , il n'eft
prefque aucun auffi qui ne fe faiTe un art 8C
un mérite de médire.
Mais ce qu'il y a ici de furprenant , c'eft
que la piété elle-même fcrt fouvent de pré-
texte à ce vice que la piété fincére déteile,
& qui fappe les premiers fondemens de la-
piété. Ce devoit être la dernière Partie de
ce difcours ; mais je n'en dirai qu'un mot.
Oui , miCS Frères , la médifance trouve
fouvent dans la piété même , des couleurs
qui la juftifient : elle fe revêt tous les jours
des apparences du zèle : la haine du vice
femble autorifer la cenfure des pécheurs ;
c^ux qui font profefîion de vertu croyent
fouvent honorer Dieu ÔC lui rendre gloire,
en déshonorant 6c décriant ceux qui l'of-
fenfent ; comme Ci le privilège de la piété,
dont l'ame eft la charité , étoit de nous
difpenfer de la charité même. Ce n'eft pas
que je veuille ici juftifier les difcours du
monde , 6c lui fournir des nouveaux traits
contre le zèle des gens de bien ; mais je
ne dois pas aufli diifimuler , que la liberté
ZC4 Lundi de la III.. Semalvî.
qu'on fe donne de cenfurer la conduite d&
fes frères , eft un des- abus les plus ordi-
naires de la piété.
^ Qr , mon cher Auditeur , vous que ce
^difcours regarde , écoutez les régies ciue
TEvan-gile prefcrit fur le zèle véritable , &
ne les oubliez jamais. Souvenez-vous pre-
mièrement , que le zèle qui nous fait gé-
mir des fcandales qui déshonorent TEglife ^
fe contente d'en gémir devant Dieu , de le
prier qu'il fefouvienne de fes miféricordes
anciennes ; qu'il jette des regards propices
fur fon peuple ; qu'il établiffe (on régne
dans tous les cœurs ; 6c qu'il ramène ks
pécheurs de leurs voies égarées. Voilà une
manière fainte de gémir fur les chu.tes de
vos frères : parlez-en fouvent à Dieu ; 6c
oubliez- les devant les hommes.-
Souvenez-vous fecondement ^ que la"
piété ne vous donne pas un droit d'empire
^ d'autorité fur vos frères : que fi vous
la'êtes pas. établi fur eux, ÔC refponfable de
leur conduite , s'ils tombent ou s'ils de-
meurent fermes , c'eft l'affaire an Seigneur.
^ non pas la vôtre : qu'ainii vos plaintes
publiques & éternelles fur leurs défordres^
partent d'un fond d'orgueil , de malignité,
de légèreté , d'inquiétude ; que lEglife a
fes Pafreurs pour veiller fur le troupeau ;
que l'Arche à {es Minières qui la foutien-
nent , fans qu'un, fecours étranger ÔC témé.
raire s'en mêle ; ÔC qu'enfin , loin de cor-
riger par-là vos frères , vous déshonorez
m piété ; vous juftifîez les difcours des
Sur la Médis an ce. lof .
impies contre l'homme de bien ; ^ vous
les aiitorifez à dire , comme autrefois dans
îa Sagefle : Pourquoi celui-ci croit-il avoir
droit de remplir les rues ^ les places pu-
bliques de plaintes 5c de clameurs contre
notre conduite ? 5c fe fait-il un pt)int de
vertu de nous diffamer dans Tefprit de nos
frères ? Impropcrat nohis peccdta iegis , ^^f^^*
diffamât in nos peccata dl/ciplinœ nojîrœ.
Souvenez-vous troiliémement , que le
7èl€ qui eft félon la Science , cherche le fa-
lut, 6C non la diffamation de fon frère;
qu'il veut édifier , mais qu'il n'aime pas à
■nuire ; qu'il s'étudie à fe rendre aimable ,
pour fe rendre plus utile ; qu'il ell: plus
touché du malheur ^ de la perte de fon
frère , qu'aigri 5c fcandalifé de fes fautes ;
qu'il voudroit pouvoir fe les cacher à ioi-
inême , loin (le les aller publier devant les
autres ; K que le zèle qui les cenfurc , loin
de diminuer le mal , ne fait qu'augmenter
le fcandale.
■ Souvenez vous quatrièmement , que ce
zèle cenfeur que vous faites paroître contre
votre frère lui efl inutile , puifqu'il n'en efl
pas témoin , qu'il eft même nuifîble à la
converfion , que vous reculez en i'aigrif-
fant par vos cenfures , s'il vient à les ap-
prendre ; nuifible à fa réputation que vous
bleffez , à la piété que vous décriez ; nui-
fible enfin à ceux qui vous écoutent ; qui
refpeâ:ant votre prétendue vertu, necroyent
pas qu'on puilfe s'égarer en fuivant vos tra-
cer , 5C ne mettent plus la médifanee au-
2o6 Lundi de la IV, Semaine.
nombre des vices. Le zèle eft humble, SC
il n'a des yeux que pour fes propres mi-
féres : il eft fimple , ôc il lui eft plus ordi-
naire de croire trop facilement le bien que
le mal ; il eft miféricordieux , 6c les fautes
d'autrui le trouvent toujours aufîi indul-
« gent , que fes propres fautes le trouvent
levére ; il eft délicat & timoré , 6c il aime
fouvent mieux manquer de blâmer le vice,
que s'expofer à cenfurer le pécheur.
Ainfi , vous , mes Frères , qui revenus
des égaremens du monde , fervez le Sei-
gneur, fouRrez que je fînifle en vousadref-
fant les mêmes paroles que Saint Cypriea
adreffoit autrefois à des ferviteurs de Jefus-
Chrift , lefquels , par un zèle indifcret , ne
faifoient pas de fcrupule de déchirer leurs
frères. Une langue qui a confellé Jefus-
Chrift ; qui a renoncé aux erreurs 6c aux
pompes du monde ; qui bénit tous les jours
le Dieu de paix aux pieds des autels ; qui
eft fouvent confacrée par la participation
des Myftères faints , ne doit plus erre in-
quiète , dangereufe , pleine de fiel ÔC d a-
merîume contre fes frères : c'eft une igno-
minie pour la Religion , que d'abord après
avoir offert au Seigneur des prières pures ,
ÔC un facrifice de louanges dans raflemblée
des Fidèles , vous alliez lancer les traits
venimeux du ferpent , contre ceux que
l'union de la foi , de la charité , des Sacre-
inens ; que leurs propres égaremens mê-
mes devroient vous rendre plus chers ôC
?. cypr, P^U^ refpeûables: Lingua Chryjlum confegé
Sur la Médisance. 207
non Jlnt maUiiCii , non turbulent ci \ non
conviais perjlrepens audiatur ; non contra
fratres & Dd facer dotes , pojl verba laU"
dis 3 ferpentis venena jaculetur*
Otons , par la fageffe 6c la modération
de nos difcours , aux ennemis de la vertu,
toute occafion de blafphêmer contr'elle ;
corrigeons nos frères , plus par la fainteté
de nos exemples , que par Taigreur de nos
cenfures : reprenons-les en vivant mieux
qu'eux , 5C non pas en parlant contre eux:
rendons laverturefpedablepar fa douceur?
encore plus que par fa févérité : attirons à
nous les pécheurs , en compatilTant à leurs
fautes , oC non en les cenfurant : qu'ils ne
s'apperçoivent de notre vertu , que par
notre charité ÔC notre indulgence ; ôc que
notre attention charitable à couvrir 5c ex-
cufer leurs vices , les porte à les condam.-
ner , 6c à s'en acculer plus févérement
eux-mêmes : par-là nous gagnerons nos
frères ; nous honorerons la piété ; nous
confondrons l'impiété ÔC le libertinage:
nous ôterons au monde ces difcours fi com-
muns 6c fi injurieux à la véritable vertu;
-& après avoir ufé de miféricorde enver^
nos frères, nous irons avec plus de con-
fiance nous préfenter aU Pjere des miféri-
'Cordes , 6c au Dieu de toute confolation,
Se la demander pour nous mêmes.
^Ainjî foit - îL
. :;>:a Crifrjîvî si i. . ,
5i^ £5^=^g==:^=:*'!^^=^^^gaH|^ ,
yTix *>, *. • x> «• «' ^ a^x %^ ^ >■ ^ ^<(- •* * ♦ X rf
1 1 .X À ^j '<^ <^ <' <r X i»^ y j^ X » » <> <!^2: o- X . 1 1
SERMON
POUR LE MARDI
DE LA QUATRIEME SEMAINE
DE CAR È M JE.
Des doutes fur la Religion,
Sed hune fcimus unde fît ; Christus aute».
CUm vcnerii , nemo fcit unde fie
Nous favons d'où çtluUcl vient ; mais pffui
le Christ , brfqu'il paroitra , perfannc ne faU'
ra d'où il vient* Joan 7. 27.
OiLA le grand.\prétêiite. que
Tin crédulité des Juifs appDfôit
à la do(^rine 6c au mtiiditere:d^
Jésus-Christ : tdesrdo-utes Smx
la 'vérité de fà Mitîiou. .Nous
favons qui vousétes-, 6c d'où vou^lyeiiôZ;,
lui difoient-ils : mais le Christ que nous
attendons , quand- il p^rcôtra , nous nefau-
irons d'où il vient. R n'eft donc pas clair
que vous foyez le Meffie promis à nos pè-
res
Doutes sur la Religion. 209 *
r^ ; peut-être eft-ce un elprit iinpoftaur ?
qui opère par vous despreftiges à nos yeux,
5c qui impofe à la créduiité du vulgaire :
tant de fédu61:eurs ont déjà paru dans la
JudéQ , Icfquels en fe difant le grand Pro-
phète qui doit venir , ont trompé les peu-
ples, 5c fe font enfin attiré la punition due
iV leur impofture. Ne tenez plus nos efprits
en fLifpens : Quo ufrnie animam noflram^^^'^* ^'
toUiti 6c fî vous voulez que nous'vous^^*
croyions le Christ, montrez-nous que ^
vous Têtes , d'une manière qui ne lailTe-
plus de lieu au doute ^ à la méprife.
Je n'oferois le dire ici , mes Frères , fi-
le langage des doutes fur la foi ii'étoit de--
venuli commun parmi nous, que nous n'a--
vons plus befoin de précaution pcurentre--
prendre de le combattre : voilà le prétexte-
prefquele plus univerfel dont on fe fert tous •
fes jours dans le monde , pour s'autorifer'
dans une- vie- route criminelle. Tout eft"
plein au jourd'hui de ces pécheurs , qui nous-
difent froidement qu'ils fe convertiroient ,-
s ils étoient bien sûrs que tout ce que nous^
leurs dîfoiïsdô la Religion fm véritable ;-
queiTeut-étreiin'y a rien après cette vie ;
qu'il^ORtdes doutes & des difficultés fur-
nos >IVlyiîères , auxquelles ils ne trouvent-'
point de-réponfe qui les fatisfaile ; qu'au"
fond, tout paroît alîcz incertain; ÔC qii'a--
rantde s'emrbarquer à fu ivre toutes les ma--
ximes févéres d^ l'Evangile ,. il faudroit^
être bien aiTuFé- qu& nos peines lïe feronr
pas perdues.- . f
210 Mardi de la IV. Semaine.
Or , je ne veux pas aujourd'hui confon-
dre rincrédulité par les grandes preuves
qui établilTent la vérité de la foi chrétien-
ne : outre que nous les avons déjà établies
ailleurs , c'eft un fujet trop vafte pour un
difcours , 5c qui n'eft pas même fouvent
à la portée de la plupart de ceux qui nous
écoutent j c'eft faire fouvent trop d'hon-
neur aux objections frivoles de prefque
tous ceux qui fe donnent pour efprits forts
dans le monde, que d'employer le férieux
de notre miniftère à les réfuter ÔC à les
combattre.
Il faut donc aujourd'hui tenter une voie
plus abrégée 5c plus facile. Mon delTein
n'eft pas d'entrer dans le fond des preuves
qui rendent témoignage à la vérité de la
foi i je veux feulement vous découvrir 1©
faux de l'incrédulité : J€ veux vous prou-
ver que la plupart de ceux qui fe difent
incrédules ^ ne le font pas ;. que prefque
tous les pécheurs , qui nous vantent , qui
îiQus allèguent fans celle leur» doutes >
comme le feul obi^açle à leur converfion ^
ne doutent point ; Sc que de tous les pré-
textes dont on fe fert pour ne pas changer
de vie, celui des doutes fur la Religion j.
qui eft devenu le plus commun y eil le
nioîns vrai 5c le moins fi ne ère*
Il paroit d'abord étonnant que j'entre-
prenne de prouver à ceux qui croyent avoir
des doutes fur la Religion ^ 6c qui nous les
Oppofetit fans celle ,, qu'ils ne doutent point
ea effet : cependgiat pour peu que Ton cou-
Doutes sur la Religion, ut
UoIiTe les hommes , ÔC qu'on faffe atten-
tion fur-tout au caraftère de ceux qui fe
vantent de douter , rien n'eft plus aifé que
de s'en convaincre. Je dis à leur caractère ,
où entre toujours le dérèglement , l'igno-
rance , ÔC la vanité ; ÔC voilà les trois four-
ces les plus ordinaires de leurs doutes : ils
en font honneur à l'incrédulité qu'il n'y
a prefque point de part.
C'eft premièrement , le dérèglement
qui les propofe , fans ofer les croire.
Première réflexion.
C'eft en fécond lieu , l'ignorance quî
les adopte , fans les comprendre. Secon-
de réflexion.
C'ell enfin la vanité qui s'en fait hon»
neur , fans pouvoir parvenir à s'en faire
une relTource. Dernière réflexion.
C'eft-à-dire que la plupart de ceux quî
fe difent incrédules dans le monde , font
aflez déréglés pour defirer de l'être ; trop
ignorans pour l'être en effet , 6c allez vains
cependant pour vouloir le paroître. Déve-
loppons ces trois réflexions devenues par*
mi nous d'un fi grand ufage ; & confon*
dons le libertinage plutôt que l'incrédulité ,
en le découvrant à lui-même. Ave, Maria,
Il faut d'abord convenir, mes Frères jParx^i^
6c il eft trifte pour nous que nous devions
cet aveu à la vérité : il faut , dis-je , con-
venir que notre fiècle 5c ceux de nos pères
ont vu de véritables incrédules. Dans la
dépravation des mœurs où nous vivons »
Si
il 2, Mardi de la IV. Semainf.
€c au milieu des fcandales qui depuis fi
long-tems affligent l'Eglife, il n'eft pas fur"»
prenant qu'il fe foit trouvé quelquefois des
hommes qui n'ayent plus voulu connoître
de Dieu; 8C que la foi iî affoiblie dans
tous , fe foit enfin en quelques-uns tout-à-
fait éteinte. Gomme dans tous les fiécles
paroifi'ent certaines âmes choiiies ôc ex-
traordinaires , que le Seigneur remplit de
fes grâces , de fes lumières , de fes dons
les plus éclatans , 6c en qui il prend plaifir
de verfer à pleines mains toutes lesricheffes
de fa miféricorde : on en voit aufîi en qui
riniquité eft , paurainfi dire , confommée j
èc que le Seigneur femble avoir marquées ^
pour faire éclater en elles les jugemens les
plus terribles de fa juftice , 6c les effets
les plus funeftes d€ fan abandon ÔC de
fa colère..
L'Eglifé, oii tous lés fcandales doivent
croître jufqu'à la fin , ne peut donc fe glo-
rifier d'être tout-à-fait purgée du fcandal©
de rinerédulité : elle a de tems en tems fes
aftres qui Téclairent , ^ fes monftres qui
-la défigurent ; ^' à côté de ces grands
hommes ; célèbres par leurs lumières 5c
par leur- fainteté , qui lui ont feryi de foii>
tien 5c d'ornement dans chaque.fiècls , elle
a viï s'élever auffi un€ tradition d'hommes
impies , dont les noms font encore aujour-
d'hui rhorreur- de l'univers , lefquels par
des écrits pleins de blafphême &C d'impiété,
'•ont ôfé attaquer les Myftèr^s dé Dieu , niéî;
ie falut^ ôç les promeffes faites à zios pères >.
nOUTE5 ÇUR LA RELIGION. 213*
reiiverfer le fondement de la foi , ôC prê-
cher le libertinage parmi les Fidèles.
Je ne prétends donc pas , mes Frères ,'.
que parmi tant de libertins qui parlent au
milieu de nous le langage de rincrédulité,.
il ne s'en trouve quelqu'un d'afiez corrom-
pu dans l'efprit &. dans le cœur , d'aiTez-
abandonné de Dieu , pour être en effet ÔC
réellement incrédule : je veux feulement*
établir que ces hommes impies-, 6c fermées-
dans rimpiëté , fontrares ; £c que parmi:
tous ceux qui vous vantent tous les jours^
leurs doutes ÔC leur incrédulité , di qui en
font une déplorable oflentation , il n'en efî
pas peut-être un feul fur le cœur duquel la
foi ne conferve encore fes droits , àc qui
ne craigne encore en fecret le Dieu qu'il
fait femblant de ne vouloir pas connoître^
Pour confondre nos prétendus incrédules^-
il n'eft pas toujours nécelTaire de les com^-
battre ; fouvent on ne combat que des
phantômes : il faut feulement les montrer
tels qu'ils font : Taffreufe décoration d'in-
crédulité dont ils fe parent , tom.be bien-
tôt ; 5c il ne leurrelle plus que leurs paf-
fiojns & leurs débauches.
Et voilà la première raifon fur qtîoi j'ai
établi lapropoiition générale , quQ la plu-
part de ceux- qui fe vantent d'avoir des
doutes, ne doutent point en effet; c'eft
que leurs doutes font des doutesde dérè-
glement, 6c non pas d'incrédulité. Pour*
quoi , mes Frères? parce que c'eft le dé-
régleaieût qui a foriîié leurs doutes,, &>.
2Î4 Mardi de la IV. Semaine.
non pas leurs doutes le dérèglement ; parce
qu'a(^uellement, c'eft à leurs paiTions , ÔC
non pas à leurs doutes , qu'ils tiennent ,
parce qu'enfin ils nattaquent d'ordinaire
Oe la Religion , que les vérités incommo-
des aux pallions. Voici des réflexions qui
me paroillent dignes de votre attention ; je
vais vous les expofer fans ornement , ôC
dans le même ordre qu'elles fe font offer-
tes à mon efprit.
Je dis en premier lieu ; parce que c'ellle
dérèglement qui a formé leurs doutes , 6C
non pas leurs doutes le dérèglement. Oiii ,
mes Frères , on n'a point encore vu de ces
hommes , qui affectent de fe dire incrédul-
les , lefquels ayent commencé par des dou-
tes fur les vérités de la foi , ÔC qui des dou-
tes foient tombés dans la débauche : on
commence par les paiïions ; les doutes vien-
nent enfuite: on fe laille d'abord emporter
aux égarem.ens de Tâge , 6c aux excès de
la débauche; ÔC quand on y a fait un cer-
tain chemin , & qu'il ne paroît plus pofîl-
ble de retourner fur fes pas , on fe dit à foi-
même pour fe calmer , qu'il n'y a rien
après cette vie , ou du moins on eft ravi de
trouver des gens qui nous le difent. Ce n'eft
donc pas le peu de certitude qu'on trouve
dans la Religion , qui fait conclure qu'il
faut s'abandonner au plaifir , & qu'il eft
inutile de fe faire violence , puifque tout
meurt avec nous , c'eft l'abandonnement
au plaifir qui jette dans l'incertitude fur la
Religion , & qui nous rendant la violence
Doutes sur la Religion. 21$
comme impofTihle , nous fait conclure
qu'aufTi-bieu elle eft inutile. La foi ne de-
vient donc fufpeâ:e que lorfqu'elle com-
mence à devenir incommode : 6C jufqu'icî
l'incrédulité n a point fait de voluptueux;
mais la volupté a prefque fait tous les
incrédules.
Et une preuve de ce que je dis , vous
que ce difcours regarde , c'eft que tandis
que vous avez vécu avec pudeur ôc avec
innocence , vous n avez pas douté. Rappel-
iez ces tems heureux où les painons n'a-
voient pas encore gâté votre cœur , la foi
de vos pères ne vous offroit rien que d'au-
gufte ôC de refpe6lable ; la raifon plioit fans
peine fous le joug de l'autorité ; vous ne
vous aviliez pas de vous former à vous-mê»
mes des difficultés 6c des doutes ; dès que
les mœurs ont changé , les vues fur la Re-
ligion n'ont plus été les mêmes. Ce n'eft
donc pas la foi qui a trouvé dans votre raU
fon de nouvelles difficultés; c'eft la prati-
que des devoirs qui a rencontré dans votre
cœur de nouveaux obftacîes. Et iî vous
nous dites que vos premières impreffions
il favorables à la foi , ne venoient que des
préjugés de l'éducation 8<. de l'enfance;
nous vous répondrons , que les fécondes fî
favorables à l'impiété , ne vous font ve-
nues que des préjugés des pallions ÔC de la
débauche ; §C que préjugés pour préjugés ,,
îl nous fem.ble qu'il vaut encore mieux s'ea
tenir à ceux qui font formés dans Finno-
ceuce y ôc qui nous portent à la vertu ^
ti& Wardi de la IV. Semaine.'
qu'à ceux qui font nés dans rinfamie deT
pafTions , 6c qui ne prêchent que le liber--
tinage ê< le crime.
Ainfi rien n'ell plus humiliant pour Tin-
crédulité , que de la rappeller à fon origi-
ne : elle porte un fau^; nom de fcience 6C
de lumiiére ; 6c c'eft un enfant de crime 6c
de ténèbre. Ce n'ell donc pas la force de
la raifon qui a mené là nos prétendus in-
crédules : c'eft la foiblelTe d'un cœur cor-
rompu qui n'a pu furmonter fes penchans
ks plus honteux ; c'eft même une lâcheté
de courage, qui ne pouvant foutenir 6c
regarder d'un œil ferme les terreurs 6c les-
menaces de la Religion , tâche de s'étour-
dir , en redifant fans celle que ce font des
frayeurs puériles : c'efl un homme qui a
peur la nuit, 5c qui chante en marchanf-
tout feul dans les ténèbres , pour fe raffu-
rer lui-même : la débauche nous rend tou-
jours lâches 6c craintifs ; 5C ce n'eft qu'un
excès de peur des pei«es éternelles , qui fait-
qu'un libertin nous prêche 6>C nous chante
fans ceûe qu'elles font douteufes : il trem-
ble , 5c il veutfe rairurercontrelui-mêmer
il ne p£ut pas foutenir en même-tems la:
vue de fes crimes ÔC celledu fupplice qut
lès attend: cette Foi ]([ vénérable , 5c dontj-
il parle avec tam de mépris, l'effraye pour-
tant , le trouble encore plus que les autres*:
pécheurs, qui fans douterde fes châtimens,
ire lailTenî pas fouvent d'être infidèles à fes
préceptes : c'eft un lâche qui cache fa peur
lous-uiiefaiiiTe- oitentation de bravoure;.
Non . .
Doutes suh la Religion. 217
Non , mes Frères , nos prétendus efprits
forts fe donnent pour des hommes fermes
ÔC courageux : fuivez-les de près ; ce font
les plus foibles 5c les plus lâches de tous
les hommes.
D'ailleurs , il n'eil pas étonnant que le
dérèglement nous mené à des doutes fur la
Religion : il faut appeller Tincrédulité au
fecours des paîTions ; car elles font trop
foibles ÔCtrop injufïes pour fe [outenir tou-
tes feules. Nos lumières , nos fentlmens ,
notre confcience , tous les combats au de-
dans de nous : il faut donc leur chercher un
appui , 5C les détendre contre nous-mê-
mes ; ( car on efl bien aife de fe juiHfîer à
foi-même tout ce qui plait. ) On ne veut
pas que des palTions qui nous font chères ,
loient criminelles , ni avoir à foutenir ians
ceiTe les intérêts de fes plaiflrs contre ce ix
de fa confcience : on veut jouir tranquille-
ment de fes crimes , 5C fc délivrer de ce
cenfeur importun , qui prend fans celfe au
dedans de nous le pnrti de la vertu contre,
nous-mêmes. Ce n'elt jouir qu'à demi de
{es pallions , tandis que les remords nous
en difputent le plaifir : c'elt acheter trop
chèrement le crime , que de Tacheter au
prix même du repos qu'on y cherche : il
faut , ou finir fes débauches , ou tâcher de
s'y calmer ; 5c comme il en coûteroit trop
de les finir , dC qu'on ne fauroit s'y calmer
qu'en doutant dQs vérités qui nous trou-
blent , on fe les donne à foi-même com-
me douteufes ; 6c pour parvenir à être
Carême, Toms ilL T
2i8 Mardi DE LA ly. Semaine.
tranquille , on s'efforce de fe perfuader
qu'on eft incrédule.
C'efc-à-dire, que le grand effort du dérè-
glement eft de nous conduire au défir de
l'incrédulité : on voudroit pouvoir arriver
à l'affreufe fécurité de l'incrédule ; on re-
garde cet état d'endurciflement entier com-
me ua état heureux , on fe fait mauvais
gré d'être né avec une confcienceplus foi-
fcle 6c plus craintive : on envie la deftinée
de ceux qu'on croit fermes 6c inébranlables
dans l'impiété ; lefquels peut-être à leur
tour , livrés en fecret aux remords les plus
triftes, 5c fe faifluit honneur d'une fermeté
qu'ils n'ont point , regardent notre fort
avec envie , parce que ne jugeant de nous
que par les difcours de libertinage que
nous tenons , ils nous prennent pour ce
qu'ils paroilTent eux-mêmes être à nos
yeux , c'efii-a-dire , pour ce que nous ne
ïbmmes pas , 6c pour ce que 6c eux &
nous voudrions être. Et c'eft ainfi , ô mon
Dieu ! que ces f-j-x héros de Timpiété vi-
vent dans une iliufion perpétuelle, fe don-
nent fans ceiT^ le change à eux-mêmes, ÔC
ne paroilTenî ce qu'ils ne font pas , que
parce qu'ils fouhaitent de l'être : Us vou-
droient bien que la P»-eligion fût un fonge ;
ils difent dans leur cœur qu'il n'y a point
ff, 13 i.de Dieu : Dixit in/îpiens in corde fiio : l^on
ejl Dms ; c'eft-à-dire , ce langage impie
eft le délir de leur cœur : ils délireroient
qu'il n'y eût point de Dieu ; que cet Etre fi
grand 5c û iiéceflaire fût une chimère j
Doutes sur la Religiom. h^
qu'ils fuirent eux feuls les maîtx*-es de leur
dcftinée ; qu'ils n'eulTent à répondre qu'à
eux-mêmes des horreurs de leur vie 5c de
l'indignité de leurs pafîions ; que tout finît
avec eux ; ê»C qu'il n'y eût point au-delà du
tombeau du Juge fupréme ôC éternel , ven-
geur du vice , & rémunérateur de la vertu ;
ils le défirent ; ils TanéantifTent autant qu'ils
peuvent par les fouhaits impies de leur
cœur ; mais ils ne peuvent effacer du fond
de leur être , l'idée de fa puilTance 6c la
crainte de fa juftice : Dixit injipiens in cor*
de fiio , 'Non ejl Deiis,
En effet , il feroit trop trifte 6c trop
vulgaire pour un homme vain , abîmé dans
la débauche , de fe dire en fecret à lui-
même : Je fuis encore trop foible ÔC trop
abandonné au plaifir , pour en fortir &
mener une vie plus régulière 5c plus chré-
tienne. Ce prétexte lui laifferoit encore
tous fes remords : c'eft bien plutôt fait de
fe dire à foi-méme : Il ell inutile de mieux
vivre , parce qu'il n'y a rien après la vie.
Ce prétexte efl bien plus commode , parce
qu'il finit tout ; c'eft le plus favorable à la
pareffe , parce qu'il nous éloigne des Sa-
cremens 6c de tous les autres affujettiffe-
mens de la Religion. Il eft bien plus court
de fe dire à foi-méme qu'il n'y a rien , ôC
de vivre comme fi en effet on en étoit per-
fuadé : c'eft fe délivrer tout d'un coup^ de
tout joug ÔC de toute contrainte: c'eft finir
toutes les mefures gênantes que les pé-
cheurs d'un autre caraûêre gardent encore
T z
220 Mardi de la îîL Semaime.
avec la Religion ôc avec l:i confcience. Ce
prétexte d'incrédulité , en nous pcrfuadant
que nous doutons en effet, nous laifTe dans
im certain état d'indoiciice fur tout ce qui
regarde le falut, qui nous empêche de nous
approfondir nous-mêmes , éc de faire des
réflexions trop trlfles fur nos pafilons: nous
nous lalilons mollement entraîner au cours
fatal qui nous emporte , {ur le préjugé gé-
néral , que nous ne craignons rien : nous
avons peu de remords , parce que nous
nous fuppofons incrédules , ôC que cette
fuppolition nous laillc prefque la même
fécurité que l'impiété véritable: du moins
c'eft une diverfion qui émoulTe ÔC qui fuf-
pend la fenfibiiité de la confcience; & en
faifant , que nous nous preno.ns toujours
pour ce que nous ne foinmes pas , elle
lait que nous vivons , comme il nous étions
©n eftet ce que nous de/irons d'être.
C'eft- à-dire, qu'il hv.t regarder le parti
delà plijpart de ces prétendus efprits forts ,
^ de ces iDcré-didcs de débauche ^ de li-
bertinage , comme un parti d'hommes foi-
bles , diifolus , di flip es , lefquels n'ayant
pas la force de vivre chrétiennement , ni
la fermeté même d'être impies, demeurent
dans cet état d'éioignement de la Religion,
comme le plus commode à la parelTe ; £<
comme ils ne font rien pour en fortir , ils
croyeat y tenir en effet: c'eft une elpéce de
neutralité entre la foi & l'irréligion , dont
rindclence s'accommode ; parce qu'il faut
du mouvement pour prendre un parti , ôC
Doutes sur la Relîgion\ 221
que pour demeurer neutre , il n'y a qu à ne
point penfer , êv vivre d'habitude : ainiioa
ne s'approfondit 6(. on ne fe décide jamais
foi-meme. L'impiété ferme , déclarée, a
je ne fais quoi qui fait horreur : la Reli-
gion , d'un autre côté , offre des objets qui
allarment , 5c qui n'accommodent pas les
pallions. Que faire entre ces deux cxtrêm.i*
lés , dont l'une révolte la raiibn , &. l'au-
tre les fens ? on dem.eure indécis ÔC chan-
celant ; on jouit en attendant , du calme
que cet état d'indécilîon 6c d'indifférence
nous laiffe : on vit fans vouloir favoir ce
qu'on eft ; parce qu'il eft plus commode de
n'être rien , ÔC de vivre fans penfer & fans
fe connoitre. Non , mes Frères , je le ré-
pète ; ce ne font pas ici des incrédules , ce
font des homm^es lâches qui n'ont pas la
force de prendre un parti ; qui ne favent
que vivre voluptueufement , fans régie ,
fans morale , fouvent fans bienféance ; 5c
qui fans être impies, vivent pourtant ilins
religion , parce que la religion demande
de la fuite , de la raifon , de l'élévation
de la fermeté , de grands fentimens , £C
qu'ils en font incapables. Voilà pourtant
les héros dont Timpiété s'honore; voilà les
fuiTrages dont elle fe fait un rempart , &C
qu'elle oppofe à la religion en nous inful-
tant ; voilà les partifans avec lefquels elle
- fe croit invincible : 6-C il faut bien que {es
reffourcesfoientfoibles 5C miférables,puif-
qu'elle ell réduite à les chercher dans des
homm.es de ce caraftcre.
T 3
222 Mardi de la IV. Semaine.
Première raifon qui prouve que ce ne
font pas les doutes qui jettent dans le dé-
règlement ; mais le dérèglement tout feuî
qui nous jette dans les doutes, La féconde
raifon n'eft qu'une nouvelle preuve de la
première : c'efl qu'aduellement fî Ton ne
change point de vie , ce n eft pas à fes
doutes que l'on tient, c'eft à les feules
pafîions.
Car je ne vous demande ici que de la
bonne foi , à vous qui nous alléguez fans
celle vos doutes fur nos Myftères. Lorfque
vous penfez quelquefois à fortir de cet
abîme de vice ÔC de débauche où vous
vivez ; & que les pafTions plus tranquilles
vous permettent quelque retour fur vous-
même, vous oppofez-vous alors vos incer-
titudes un la Religion ? vous dites-vous à
vous-même : Mais fi je reviens , il faudra
croire des chofes qui paroiflent incroya-
bles ? eft-ce-là la grande difficulté? Ah î
vous vous dites en fecret à vous-m.ême :
Mais il je reviens , il faudra finir ce com-
merce , m^nterdire ces excès > rompre ces
fociétés , éviter ces lieux y en venir à des
démarches que je ne fouticndrai jamais^.
& prendre un genre de vie auquel toutes
mes inclinations répugnent. Voilà à quoi
vous tenez ; voilà le mur de féparation qui
vous éloigne de DieiT. Vous parlez tant
aux autres de vos doutes ; d'où vient que
vous ne vous en parlez point à vous-même?
ce n'eft donc pas ici une affaire de raifon
& de croyance , c'eft une affaire de cœiu"
Doutes sur la Religion. 223
Se de dérèglement : 6c le délai de votre
converfion ne prend pas fa iource dans vos
incertitudes fur la foi , mais dans le doute
feul oûvous laiiîe la violence 5c l'empire
de vos pafllons , de pouvoir jamais vous
affranchir de leur fervitude 5c de leur in-
famie. Voilà mes Frères , les chaînes
véritables qui lient nos prétendus incrédu-
les à leurs propres miféres.
Et ce qui confirme encore cette vérité ,
c'efl que la plupart de ces hommes qui fe
donnent pour incrédules , vivent pourtant
dans des variations perpétuelles fur le point
même de l'incrédulité.En certains momens
les vérités de la Religion les touchent :
ils fe fentent agités de vifs remords ; ils
cherchent mémQ des hommes habiles 8>C
renommés , dss ferviteurs de Dieu , pour
s'entretenir avec eux 6c s'inlîruire: eji d'au-
tres , ils fe moquent de ces vérités j ils
traitent les ferviteurs de Dieu avec déri-
fîon , & la piété elle-même de chim^ :
il n'efl guéres de ces pécheurs , de ceux
même qui font le plus d'oflentation de leur
incrédulité , que le fpectacle d'une mort
inopinée , qu'un accident funefie , qu'une
j)erte douloureufe ; qu'un renverfement de
fortune , qu'une difgrace éclatante , n'ait
quelquefois jette dans des réflexions triflis
fur fon état , Sc dans des déiirs d'une vie
plus chrétienne ; il n'en eil guéres , qui
dans ces fituations affligeantes , ne cher-
chent de la confolation auprès des gens de
bien, ne faffent quelque démarche qui lailTe
T 4
224 Mardi de la IV. Sem.m.vs.
erpérer une forte d'amandeinent. Ce n'efl
pas à leurs compagnons d'impiété , de li-
bertinage , qu'ils ont recours alors pour
fe confoler ; ce n'eft pas dans ces railleries
impies de nos Myiîères , & dans cette
philofophie affreule , qu'ils cherchent un
adoucilîement à leurs peines : ce font-là
les difcours de la joie & de la débauche ,
êc non pas de Tafflièlion 6c de la douleur:
c'en: la religion de la table , des plaiiirs , des
excès ; ce n'eft pas celle du férieux des
contre- tems 6c de la triftefle : le goût de
l'impiété tomibe pour eux avec celui des
pîaifîrs. Or , fi leur incrédulité avoit fou
fondement dans des incertitudes réelles fur
la Religion , tant que ces incertitudes fub-
fifteroient , l'incrédulité fcroit toujours la
même ; mais comme leurs doutes ne naif-
fent que de leurs paiîions , & que leurs
paflîons ne font pas toujours les mêmes ,
ni également vives ÔC maîtrefles de leur
cœur , leurs doutes changent fans cefTe
commue leurs paillons; ils croilTent , ils
diminuent , ils s'éciipfent , ils reparoiffent,
ils font dans laméme volubilité 5c toujours
dans le m.cme degré que leurs pafîions ; en
un mot , ils fui\ ent la deftinée <ies paf-
fjons , parce qu'ils ne font que les paflions
elle*- miêmes.
En effet , mes Frères , pour ne lailTer
plus rien à dire fur ce fiijet , 6c achever de
vous faire fentir combien cette profeflion
d'incrédulité , dont on s'honore , eft mé-
prifable ; c'eft que répondez à toutes les
Doutes sur la Religion. 225
ditTicultes cl^in pécheur qui le vante d^être
incrédule ; reduiiez-le à n'avoir plus rien
à vous répliquer , il ne ie rend pas encore;
vous ne Pavez pas encore pour cela gagné:
il le renferme en lui-même , comme s'il
avoit encore des raifons plus accablantes
qu il ne daigne pas mettre en avant : il
tient bon, & oppofe un air myilérieux ôC
décidé , à toutes les preuves qu'il ne peut
réfoudre. Vous avez pitié alors de fa fu-
reur 5C de fyn entêtement : vous vous
tromipez ; ne foyez touché que de fa vie
libertine & de fa mauvaife foi : car qu'une
maladie UiOrtellc le frappe au fortir de-là ;
courez autour du lit de fa douleur ; ah !
vous trouvez ce prétendu incrédule con-
vaincu ; fes doutes cellent, fes incertitudes
finiffent , tout cet appareil déplorable d'in-
crédulité s'évanouit &: fe déconcerte ; il
n'en eft plus même queftioii ; il a recouri
ati Dieu de fes pères ; il redoute fes juge-
miCns qu'il faifoit femblant de ne pas croire.
Le Minière de Jefus-Chrift appelle n'a
pas befoin d'entrer en conteftation pour le
détromper de fon impiété : le pécheur mou-
rant prévient là-delTus fes foins 5C fon rni-
niftère: il a honte de fes blafphêmes pailés;
il s'en repent ; il en avoiie le laux 6c hi
mauvaife foi ; il en fait une réparation pu-
blique à la majeilé R à la vérité de la Re-
ligion : il ne deniande plus de preuves ; il
ne dem:ande que des confolations. Cepen-
dant cette maladie ne lui a pas donné de
nouvelles lumières fur la foi ; le coup , qui
ii6 Jeudi de la IV. Sex\îal\e.
frappe fa chair , n'a pas ëciairci les cloutes
de ion efprit : Ah! c'eft qu'il touche fou
cœur ; c'eft qu'il finit fes dérëglemens ;
c'eft en un mot , que fes doutes étoient
dans {es paftîons ; 5c que tout ce qui va
éteindre les paillons , éteint en même-tems
fes doutes.*
Il peut arriver, je l'avoue, qu'il fe trou-
ve quelquefois des pécheurs , qui pouiTent
jufqu'à ce dernier moment leur fureur 6c
leur impiété; qui meurent en vomiiTant,
avec leur am.e impie , des bldfphémes con-
tre le D'iQu qui va les juger, & qu'ils ne
veulent pas connoître. Car, ô mon Dieu î
vous êtes terrible dans vos jugen:ens , 6C
vous permettez quelquefois que l'impie
meure dans fon impiété. Mais ces exemples
font rares ; & vous favez vous-m.êmes ,
mes Frères , qu'un fîëcle entier fournit à
peine un de ces afîreiix fpeâ:acles. Mais
voyez dans ce dernier moment tous les au-
tres, qui s'étoient fait honneur de leur in-
crédulité dans l'opinion publique ; voyez
au lit de la mort.un pécheur, quijufques-
là avoit paru le plus ferme dans l'impiété ,
2>C le plus déterminé à ne rien croire ; il
devancç lui-m.éme la prcpcfition qu'on al-
loit lui faire de recourir aux remèdes de
l'Eglife ; il lève les mains au Ciel ; il donne
des marques écktantes , fincéres d'une Re-
ligion qui ne s'étoit jamais effacée du fond
de fon cœi r ; il ne rejette plus , comme
des terreurs puéri'es , les menacis ÔC les
châtimens de la vie future j que dis-je ? ce
Doutes sur la Religion. 227
pécheur autrefois fi ferme , (1 fier dans fa
prétendue incrédulité, (i fortau-deflus des
frayeurs vulgaires , devient alors plus foi-
hle , plus timide , plus crédule, que Tame
la plus populaire ; fes craintes font plus
exceffives , {a religion même plus fuperfii-
tieufe , fes pratiques de culte plus fimples
■plus vulgaires , plus outrées que celles du
îlmple peuple ; & comme un excès n'eft
jamais loin de l'excès qui lui ell oppofé ,
on le voit pafier en un moment , de l'im-
piété , à la fiiperfiition ; de la fermeté du
philofophe , à la foibltlTe de Tignorant ÔC
du fimple.
Et c'efi: ici ou je voudrais en r.ppeller ,
avec Tertullien , à ce pécheur mourant,
& le faire parler ici à ma place contre
l'incrédulité : c'efi ici ou , à 1 honneur de
la Religion de nos pere^ , je ne voudrois
pas d'autre témoin de la ioiblciTe & de la
mauvaife foi de Tinipie , que cet am.e qui
expire , ôc qui ne peut plus parler que le
langage de la vérité : c'cit ici où je vou-
drois ailembler tous les incrédules autour
du lit de fa mort ; ôc pour les confondre
par un témoignage qui ne fauroit leur être
fufpeé^ , lui dire avec Tertullien : O ame 1
avant que vous fortiez de ce corps ter-
refire , dont vous allez vous détacher ,
fouffrez que je vous appelle ici en témoi-
gnage : Ccnji/Ie in mcdio , anima : parlez Tem^
dans ce dernier moment où vous ne don-
nez rien à la vanité , & où vous devez tout
H la vérité ; dites-nous Ci vous regardez le
228 Mardi de la IV. Semaine,
Dieu terrible , entre les mains duquel vous
allez torrber , coiimie un être chimérique
dont on fait pe-'r aux efprits foibles 6C
crédules ? dites-iiOUS il tout diiparoillant
à vos yeux , n toutes les créatures re-
tombant pour vous dans le néant , Dieu
ieul ne vous paroit pas immortel , immua-
ble , l'Etre de tous les ilécles ÔC de Tétcr-
nité , ÔC qui remplit le Ciel 6c la terre ?
Nous conientons maintenant , nous que
vous avez toujours regardés comme des
eiprits fuperltititu.x K vulgaires, nous con-
fcDtons que vous fby.ez le juge entre nous
5c rincrédulité , à laqr.elle vous avez tou-
jours paru 11 favorable : ^^ te tcftlmonium
flùgitant Chi'.Jiiani , ab extranea advcrsiis
tues. Quoique vous ayez été jufques ici
étrangère par rapport à la foi , ÔC enne-
mie de la Religion , la Religion s'en rap-
porte à vous contre ceux que le lien af-
freux de rimpiété vous avoit fi étroitement
unis : A te tejtimonium ftagitant Chrijliani ,
. ab extranea adversus tuos. Si tout meurt
avec vous , pourquoi la mort vous pafoit-
elle fi fort à craindre : Lur in totum times
mortem ^Jî nïhil ejî tibi tlmendum pojl mor-
tem ? Pourquoi ces mains fuppliantes vers
le Ciel , s'il n'y a point ae Dieu qui puilTe
felaiifer toucher à vos gémillemens 5c écou-
ter vos prières ? fi vous n'êtes rien vous-
même , pourquoi démentez-vous donc le
néant de votre être , ÔC tremblez- vous fur
les fuites de votre defiinée r Si nîhil es ij?Ja,
cur mcmiris in te ? D'où vous viennent
Doutes sur la Religion. 22^
dans ce dernier moment, ces fentimens de
crainte , de reipe£t pour TEtre luprême ?
n'eft-ce pas parce que vous les aviez tou-
jours eus , que vous aviez impole au pu-
blic , par une faulTe oftentation d'impiété,
6c que la mort ne fuit que développer les
difpofitions de foi êv de religion , que vous
aviez toujours confervces pendant votre
vie A te tefiLmonLum Jiagitant Chriftiani ,
nh extranca adversus tuos*
Oui, m.es Frères, fi nous pouvions dé-
truire les pallions , nous aurions bientôt
ramené tous les incrédules : ^ une der-
nière raifon qui achevé de le dém.ontrer ,
c'eft que s'ils paroilTent fe révolter contre
rincompréhenlibiiité de nos myitères , ^ce
n'eft que pour en venir au point qui les
touche , 6C pour attaquer les vérités qui
intércilent les pafiîons ; c'efc-à-dire , la
vérité d'un avenir, & leternité des peuîes
futures ; c'eft toujours ià-le fruit 6L la con-
clufion favorite de leurs doutes.
En eff:t , (1 la religion ne propoioit que
des my itères qui pallent la r^ ion , ians y
ajouter des maximes & des vérités qui gê-
nent les palTions, nous pouvons ailurer har-
diment que les incrédules feroient raresj les
vérités ou les erreurs abitraites, qu'il eitia-
différent de croire ou de nier , n'uitérellent
prefque perfonne. Vous trouverez peu de
ces hommes épris de la feule venté, qui
deviennent partifans &C défenfeurs zélés de
certains points de pure fpéculation , 5C
^ui n'ont rapport à rien , feulement , par-
7' 30 Mardi de la IV. Semaine.
ce qu'ils les croyent vrais. Les vérités abf-
traites des mathématiques ont trouvé ea
nos jours quelques fe£lateurs zélés ÔC elli-
niables , qui fe iont dévoilés à développer
ce qu'il y a de plus impénétrable dans les
fecrets infinis 6c dans les abîmes profonds
de cette fcience ; mais ces fe^lateurs ont
été quelques hommes rares bc uniques :
la contagion n'étoit pas à craindre ; aufil
n'a-t'elle pas gagné ; on les admire , mais
on feroit bien taché de les imiter. Si la Re-
ligion ne propofoit que des vérités aufîî
ablèraites , aulTi indifférentes à la félicité
des fens , aulFi peu intéreirantes pour les
paiîions ÔC pour l'amour propre ^ les im-
pies feroient encore plus rares que les ma-
thématiciens. On en veut aux vérités de
la Religion , parce qu'elles nous m.enacent:
on ne s'élève point contre les autres , parce
que leur vérité , ou leur faufleté , ne dé-
cide de rien pour nous.
Et ne nous dites pas que ce n'efl: pas par
intérêt propre , mais par amour tout ieul
de la vérité , que l'incrédule ne le rend
point à des myièères que la raifon rejette.
Je fais bien que le prétendu incrédule s'en
vante , 5c voudroit nous le faire accroire :
mais qu'importe la vérité à des hommes
qui ne la cherchent pas , qui ne l'aiment
pas , qui ne la connoifTent pas , qui ne veu-
lent pas même la connoître , 6c qui m dé-
firent que de fe la cacher à eux-mêmes ?
que leur importe une vérité qui les paiTe ,
à laquelle ils n'ont jamais donné un ieul
Doutes sur la Religion. £31
moinent l'érieux ; qui n'ayant rien qui flàte
les pafllons , ne fauroit interelTer ces hom-
mes de chair ôc de iang , 5c plongés dans
une vie voluptueufe ? il leur importe de »
vivre au gré de leurs déiirs déréglés , ÔC
cependant de n'avoir rien à craindre après
cette vie ; voilà la feule vérité qui les in-
téreffe : palTez-leur ce point \ robfcurité
de tous les autres myflères ne les occu-
pera pas feulement : ils conviendront de f
tout , pourvu qu'on les lailTe jouir tran-
quillement de leurs crimes.
AuiTi la plupart des impies qui nous ont
lailTé par écrit les triftes fruits de leur im-
piété , fe font attachés à prouver qu'il n'y
avoit rien au-delfus de nous ; que tout
mouroit avec le corps , &C que les peines
ou les récompenfes futures , étoi.T-nt des
fables : il falloit commencer par mettre les
paffîoas dans jeur intérêts pour fe faire
des fectateurs. S'ils ont attaqué les autres
points de la foi , ce n'a été que pour en
venir-ià ; pour conclure qu'il n'y avoit
rien après cette vie ; que les vices : ou les
vertus, étoient des noms que la politique
avoit inventés pour contenir les peuples ;
& que les pafîions n' étoient que des pen-
chans naturels 6C innocens , que chacun
pouvoit fuivre, parce que chacun les trou-
voit en foi.
Voilà pourquoi les impies , dans la Sa-
geife , & les Saducéens eux - mômes ,
dans l'Evangile , qu'on peut regarder com-
me les pères ôc les prédéccfleurs de no«
232 Mardi de la ÎV. Seivîaine.
incrédules , ne s'amiifoient point à réfuter
la vérité des miracles rapportés dans les li-
vres de Moyie , 6c que Dieu opéra autre-
fois en faveur de fon peuple ; ni la pro-
mcile du Médiateur faite à leurs pères : ils
n'attaquoient que la réfurreârion des morts
^ rimmortalité des âmes : ce point déci-
doit de tout pour eux. L'homme meurt
comme la béte , diioient-ils dans la Sa-
gelTe : nous ignorons il leur nature eCt dif-
férente : mais toujours leur fin t< Leur def-
tinée eft égale ; ne nous inquiétons donc
point de l'avenir qui n'eft point ; jouilTons
de la vie ; ne nous refufons aucun plaifir-:
le tems eft court ; hâtons nous de vivî-e ,
parce que nous mourrons demain , 5c que
tout mourra avec nous. Non , mes Frè-
res , les paflîons ont toujours été le léul
berceau de rincrédulité , on ne fecouè le
joug de la foi , que pouir fécouer le joug
des devoirs ; bi h\ Religion n'auroit jamais
eu d'ennemis, fi elle n'avoit été l'ennemie
du dérèglement 6c du vice.
Mais il les doutes de nos incrédules ne
font pas réels , parce que c'eit le dérègle-
ment feul qui les forme ; ils font encore
faux , parce que c'eit l'ignorance qui les
adopte fans les comprendre , 6c la vanité
qui s'en fait honneur , fans pouvoir s'en
faire une reffource : c'eft ce qui nous refte
à développer.
Parti E-x^N" pourroit faire à la plupart dé ceux
qui nous vantent fans cciTe leurs doutes
fur
Doutes sur la Religiov. 235
fur la Religion , & qui trouvent que tout
eft plein de contradiftions dans ce que la
foi nous oblige de croire : on pourroit ,
dis-je , leur faire la même réponfe que
Tertullien faifoit autrefois aux Payens fur
tous les reproches qu'ils formoient contre
les myfléres 5c la do£trine de Jefus-Chrift,
Ils condamnent , difoit ce Père , ce qu'ils
n'entendent pas ; ils blâment ce qu'ils n'ont
jamais examiné , Sc qu'ils ne connoif-
feiit que par oui-dire ; ils blafphêment ce
qu'ils ignorent ; 6c ils l'ignorent , parce
qu'ils le haïlTent trop , pour vouloir ie don-
ner la peine de l'apprciondir & de le con-
noître. Malunt nef cire y quia, jam oàerunt.
Or , rien n'eft plus indécent 8c plus infenfé > M
continue ce Père, que de décider fièrement
fur ce que l'on ignore ; 5c tout ce que la
Religion demanderoit de ces hommes fri-
voles ScdilTolus, qui s'élèvent fi fort con-
tr'elle, c'ell qu'ils ne la condamnaflent pas
avant de l'avoir bien connue : Unum gejiit
interdum , ne ignorata damnetur^^
Voilà , mes Frères , où en font prefque
tous ceux qui fe donnent dans le monde
pour incrédules : ils n'ont jamais appro-
fondi , ni les difficultés , ni les preuves ref-
peélables de la Religion ; ils n'en favent
pas même alTez pour en douter. Ils la haif-
fent ; car comment aimer ce qui nous con-
damne; 6c cette haine eft la feule fcience
qui forme leurs doutes , 6C qui leur ap-
prend à la combattre : Malunt ne/cire, quia
jam oderum.
Carême , Tome* 11 L V-
234 Mardi de la IV. Semaine.
En effet , quand je vois d'un coup d'œiî
tout ce que les fiëcles chrétiens ont eu de
plus grands hommes , de génies plus éle-
vés , de favans plus profonds ÔC plus éclai-
rés , lefquels après une vie entière d'étude ,
& une application infatigable, fe font fou-
rnis avec une humble docilité aux myftères
de la foi : ont trouvé les preuves de la
Religion (i éclatantes , qu'il leur a paru
qpe la raifon la plus fiére 6c la plus indo-
cile , ne pouvoit refufer de fe rendre ; l'ont
défendue contre les blafphêmes des Payens;
ont rendu muette la vaine philofophie
des Sages du fiécle , 6c fait triompher
la folie de la croix , de toute la fagefle
6c de toute l'érudition de Rome ou d'A-
thènes ; il me femble que pour revenir à
combattre des myiléres depuis fi long-
tems ÔC fi univerfellement établis ; que
pour être y fî j'ofe m'exprimer ainfi , reçu
appellant de la foumiffion de tant de fiécles^
des écrits de tant de grands hommes , de
tant de viâ:oires que la foi a remiportées ,
du cônfentement de l'univers , en un mot ,
'^d'''une prefcription fi longue ÔC fi bien af-
fermie ; il £audroit, ou de nouvelles preu-
ves qu'on n'eiit pas encore confondues ,
ou de noiivelles difîicultés dont perfonne
î>e fe fût encore avifé , ou de nouveaux
moyens qui découvrilTent dans la Religion
un foible qu'on n'avait pas encore décou-
vert. 11 me fem.ble que pour s'élever tout
feul: contre tant de témoignages , tant de
jiodiges y tant de fiécles , tant de monu-
Doutes sur la RELicroN. 235
mens divins , tant de perfonnages fameux ,
tant d'ouvrages que les tems ont confa»-
crés , que toutes les attaques de Fincrédu-
lité ont rendu d'âge en âge plus triom-
phans & plus immortels , en un mot , tant .
d'événemens étonnans , ÔC jufques-là
înouis , qui établilFent la foi des Chré-
tiens ; il faudroit des raifons bien décilives
& bien évidentes , des lumières bien ra-
res & bien nouvelles , pour entreprendre
ou d'en douter , ou de la combattre. Hors
de-là on aura droit de nous regarder com-
me un infenfé , qui vicndroit tout feul dé-
fier de loin une armée entière , leulement
pour faire oftentation de fon vain défi , ÔC
îe parer d'une fauffe bravoure.
Cependant lorfc^ue vous approfondilTez
la plupart de ces hommes qui fe difent in-
crédules , qui fe recrient fans celle contre
les préjugés populaires , qui nous vantent
leurs doutes ^ ÔC nous défient d'y fatisfaire
6c d'y répondre ; vous trouvez qu'ils n'ont
pour toute fcience , que quelques doutes
ufés &C vulgaires, qu'on a débités dans tous
les tems , 6c qu'on débite encore tous
les jours dans le monde ; qu'ils ne favent
qu'un certain jargon de libertinage qui
paile de main en main , qu'on reçoit fans
l'examiner 5c qu'on répète fans l'entendre:
vous trouvez que toute leur capacité £c
leur étude fur la Religion , fe réduit à cer-
tains difcours de libertinage , qui courent
les rues r s'il eii permis de parler aihfi ; à
certaines maximes rebattues , &. qui à for--
V 2.
27,6 Mardi de la IV. Semain'e.
ce n'être redites , commencent à tenir de
la baiTeife du proverbe. Vous n'y trouvez
nul fonds , nul principe , nulle fuite de
doctrine , nulle connoiiîance de la Religion
qu'ils attaquent : ce font des hommes dif-
iipés par les plaifirs , 6c qui feroient bien
fâchés d'avoir un moment de refte , pour
examiner ennuyeufement des vérités qu'ils
xic fe foucientpas de connoitre , des hom-
mes d'un caractère léger Sc fuperficiel , in-
capables d'attention 5c d'examen , 6c qui
ne fauroient foutenir un feul inftant de fe-
lieux Se de méditation tranquille ôcrainfe;,
difons-le encore, des hommes noyés dans
la volupté , 6c en qui la débauche a peut-
être même abruti Sc éteint ce que la na-
ture pouvoit leur avoir donné de pénétra-
tion 6c de lumières.
Voilà les ennemis redoutables que l'im-
plété oppofe à la fcience de Dieu : voilà
les hom.mes frivoles , dilTipés , ignorans y
qui ofent taxer de crédulité , ÔC d'ignoran-
ce , tout ce que les iîécles chrétiens ont
eu & ont encore de Docteurs plus con-
fojTimés , bu de perfonnages plus habiles
& plus célèbres : ils ne iàvent que le lan-
gage des doutes , mais ce font des doutes
qu'ils ont appris ; ils ne les ont pas for-
înés ; ils répètent ce qu'ils ont ouï ; c'eft
une tradition d'ignorance&Cd'impiété qu'ils
ont reçue : aulTi ils ne doutent pas ;■ ils ne
font que conferver à ceux qui les fuivront ,
Je langage de l'irréligion & clés doutes :
iteii.e font jpas incrédules ; ils se. font ^ae-
Doutes sur la Religion. 2^7
les échos de rincrédiilité : en un mot , ils
favent ce qu'il faut dire pour douter , mais
ils n'en favent pas allez pour douter eux-
mêmes.
Et une preuve de ce que j'avance , c'eft
que dans tous les autres doutes , on ne
doute que pour s'éclaircir; on cherche tout
ce qui peut cpnduire à la vérité qu'on ne
voit encore qu'à demi. Mais ici on ne dou-
te que pour douter ; preuve que le doute
ne nous intérefTepasplusquela vérité qu'il
nous cache : on feroitbien fâché qu'il fallut
fe donner la peine d'éclaircir le vrai ou le
faux des incertitudes qu'on prétend avoir
fur nos Myftères. Oui , mes Frères , fi la
peine de ceux qui doutent étoit une obli-
gation indifpenfable de chercher la vérité ^
nul ne douteroit ; nul ne voudroit acheter à
ce prix le plaifir de fe dire incrédule ; nul
peut-être même n'en feroit capable : preuve
décifive qu'on ne doute point ; qu'on n'eft
pas plus attaché à fes doutes , qu'à la Reli-
gion ; ( car on n'efi: guéres plus inftruit fur
l'un que fur l'autre ; mais feulement qu'on
a perdu ces premiers fentimens de retenue
6c de foi , qui nous lailloient, encore uii
refte de refpeâ: pour la Religion de nos
pères. Aiuii on fait bien de l'honneur à des
hommes ii dignes en mêmje-temjs , 5c de
pitié & de mépris , de croire qu'ils ont pris
un parti , qu'ils ont embralTé un fiflême :
on leur fait bien de l'honneur de les ranger
parmi les impies fe£tateurs d'un Socin , de
les q^u^Ufier des titres affreux de Déiftes qm
238 Mardi de la IV. Semaine. ^
d'Athées : hélas ! ils ne font rien ; ils ne
tiennent à rien ; du moins ils ne favent eux-
mêmes ce qu'ils font , ils ne fauroient nous
le dire; ÔC ce qu'il y a ici de déplorable ,
c'eft qu'ils ont trouve le fecret de fe former
un état plus méprifable , plus bas, plus in-
digne de la raifon ; que celui de l'impiété ;
ÔC que c'eft les honorer , de leur donner le
titre odieux d'incrédule , qui avoit été juf-
ques ici la honte de Thumanité , ÔC le plus
grand opprobre de Thomm.e.
Et pour finir cet article par une réfle-
xion , qui confirme la même vérité , 6c qui
eft bien humiliante pour nos prétendus in-
crédules , c'eft qu'eux qui nous traitent fi
fort d'efprits foibies &. crédules ; eux qui
vantent tant la raifon , qui nous accufent
fans celTe de nous faire une religion des pré-
jugés populaires , 6c de ne croire que parce
que ceux qui nous ont précédés ont cru i
eux , dis- je , ils ne font incrédules & ne
doutent, que fur i'autorité;déplorabIe d'un
libertin à qui ils ont oui dire fouvent , que
tout ce qu'on leur prêche d'un avenir n'efl
qu'un épouvantai! pour allarmer hs enfans
& le peuple , voilà toute leur fcience 5c
tout l'ufage qu'ils ont fait de la raifon. Ils
font impies , fans examen & par crédu-
lité , comme ils nous accufent d'être fidè-
les ; mais par une crédulité qui ne peut
trouver d'excufes que dans la fureur 6C
dans l'extravagance : c'efi: l'autorité d'un
feul difcours im.pie , prononcé d'un ton
ferme ôc décifif , qui a fubjugué leur rai-
Doutes sur la Religion. 239
fon , 5c qui les a rangés du côté de rim-
piété. Ils nous trouvent trop crédules de
nous rendre à l'autorité des Prophètes ,
des Apôtres > des hommes infpirés de
Dieu , des prodiges éclatans opérés pour
établir la vérité de nos myftéres , ôc à
cette tradition vénérable de faints Paileurt
qui nous ont tranfmis d'âge en âge le dé-
pôt de la do£lrine 5c de la vérité , c'eft-à-
dire , à la plus grande autorité qui ait ja-
mais paru fur la terre ; 5c ils fe croyent
moins crédules , & il leur femble plus di-
gne deraifon, de déférer à l'autorité d'un
impie , qui dans un moment de débauche ,.
prononce d'im ton ferme qu'il n'y a point
de Dieu , & ne le croit pas peut-être lui-
même. Ah ! mies Frères , que Thomme
s'avilit 6c fe rend méprifable , quand il fe
fait une fauile gloire de n'être plus foumis
à Dieu !
Aufîî , mes Frères , pourquoi croyez-
vous que les prétendus incrédules , dont
nous parlons , fouhaitent fi fort de voir des
impies véritables , fermes &. intrépides
dans rimpiété ; qu'ils en cherchent, qu'ils
en attirent même des pays étrangers, com-
me un Spinofa , fi le fait eft vrai qu'on l'ap»
pella en France paur le confulter 5c pour
l'entendre ? c'efl que nos incrédules ne font
point fermes dans l'incrédulité , ne trou-
vent perfonne qui le foit , 5c voudroient
pour fe rafi'urer , rencontrer quelqu'un qui
leur parût véritablement affermi dans ce
parti affreux ; ils cherchent dans l'autorité
240 Mardi de la IV. Semaine.
des relToiirces ôc des défenfes contre leur
propre confcience ; ÔC n'ofant devenir tout
leuls impies , ils attendent d'un exemple
ce que leur raifon 5c leur cœur même leur
refufe ; 6c par-là ils retombent dans une
crédulité bien plus puérile 5c plus infen-
fée , que celle qu'ils reprochent aux Fidè-
les. Un Spinofa , ce m.onltre , qui après
avoir embralTé différentes religions , finit
par n'en avoir aucune , n'étoit pas emprefle
de chercher quelque impie déclaré qui
raffermît dans le parti de Tirrcligion 6c de
rathëïfme : il s'étoit form.é à lui-même ce
cahos impénétrable d'impiété , cet ouvrage
de confuiion ÔC de ténèbres , où le feul
déCiT de ne pas croire en Dieu peut fou-
tenir l'ennui ÔC le dégoût de ceux qui le
lifent ; où hors l'impiété tout eft intelligi-
ble ; ÔC qui à la honte de l'humanité , fe-
roit tombé en nailfant dans un oubli éter-
nel , 6c n'auroit jamais trouvé de Ieâ:eur^
s'il n'eût attaqué TÇ^tre fuprême : cet im-
pie , dis-je , vivoit caché , retiré , tran-
quille ; iî faifoit fon unique occupation de
fes productions ténébreufes , Sc n'avoit
befoin pour fe raffurer que de lui-même.
Mais ceux qui le cherchoient avec tant
d'emprellement , qui vouloient le voir ,-
l'entendre, le confulter , ces hommes fri-
voles ôc diflolus , c'étoient des infenfés ,
qui fouhaitoient de devenir impies ; &: qui
ne trouvant pas dans le témoignage de
tous les iîécles , de toutes les nations , ôC
de tous les grands hommes que la Reli-
DOVTES SUR LA RELIGION. 241
^vQn a eus , afiez d'autorité pour demeurer
fidèles , cherchoient dans le témoignage
feui d'un homme obfcur, d'un transfuge
de toutes les religions , d'un m^onflre obli-
gé de fe cacher aux yeux de tous les hom-
mes , une autorité déplorable 6c moni-
trueufe qui les affermit dans l'impiété , 6c
qui les défendît contre leur propre con-
fcience. Grand Dieu ! que les impies fe ca-
chent ici de honte 6c de confufion ; qu'ils
celTent de faire oftentation d'une incrédu-
lité qui eft le fruit de leur dérèglement 6C
de leur ignorance , Sc qu'ils ne parlent
plus qu'en rougilTant contre la foumilTion
du Fidèle. C'ell: un langage de mauvaife-
foi ; ils donnent à la vanité , ce que nous
donnons à la vérité : Erubefcant impii . . .
{juce loçuunthr adyersiis JuJIu/n iiîiçiùtatem ^J'>
in fuperbia & in ahujîom, ' ^*
Je dis la vanité ; 5c c'eil la grande 5c la
dernière raifon qui fait léntir encore mieux
tout le faux & tout le foible de l'incrédu-
lité. Oui , mes Frères , tous nos prétendus
incrédules font de faux braves , quife don-
nent pour ce qu'ils ne font pas : ils regar^
dent rincrèdul:{é comme Uh bon air : ils fe
vantent fans celle de ne rien croire ; 6c à
force de s'en vanter , ils fe le perfuadent à
eux-mêmes : fembhbles à certains hommes
nouveaux que nous voyons parmi nous ,
lefquels touchent prefque encore à Tobf-
curité ôc à la roture de leurs ancêtres , ÔC
veulent pourtant qu'on les croye d'une
ïiaiiTance liluftre & defcendus à^s plus
Carême , Tom^ ÎIL X
i.
24i Mardi de la IV. Semaine.
grands noms , à force de le dire , de raiïu-
rer , de le publier, ils parviennent ps^fque
à fe le periuader à eux-mêmes. Il en efl
ain(î de nos prétendus incrédules : ils ton?
client encore , pour ainfi die , à la foi
qu'ils ont reçue en naiiTant, qui coule en-
core avec leur iang, 6c qui n'eft pas eiTa-
cée de leur cœur : mais c'eftpour eux une
manière de roture ê>C de baffeiTe dont ils
rougiilent ; à force de dire qu'ils ne croyent
rien , de Fallurer , de s'en vanter , ils
croyent ne rien croire , 6c en ont bien
meilleure opinion, d'eux-mêmes.
Premièrement, parce que cette profef-
fion déplorable d'incrédulité fuppofe des
lumières non communes , de la force & de
la fupériorité d'efprit , 6c une fingularité
qui plaît ÔC qui flâte : au lieu que les paf-
lions'ne ruppofenî que du dérèglement 6c
de la débauche, ÔC que tous les hommes
font capables de dérèglement , mais ne le
font pas de cette fiipériorité m.erveilleufe
que la vaine impiété s'attribue.
Secondement , parce que la foi cfl fi
éteinte dans le (iécle où nous vivons ; qu'on
ne fauroit prefque trouver dans le monde
fies homimes qui fe piquent d'efprit , 6C
d'un peu plus de lecture ÔC de connoiffan-
ces , que les autres , lefquels ne fe per-
mettent fur nos Myflères &C fur ce que la
P^eligion a déplus augulleScdeplus facré,
des objections 5C des doutes. On auroit
donc honte de paroitre religieux 5c fidèles
avec eux: ce font des hommes que feilime
DoUTieS SUR LA ReLIGIOM. ' 24Î
publique élève , 5>C auxquels il paroît beau
de relTéftibler : on croit qu'en adoptant leur
langage, on adopte leurs talens &. leur ré-
putation : 6c ilfenible que ce leroit faire un
av^eu public de foiblelTe t<. de médiocrité,
de n'ofer , ou les imiter , ou du moins la
contrefaire : vanité miférabie Sc puérile.
D'ailleurs, parce que l'on a oui dire que
certains grands hommes, fameux 6c fort
eftimés dans leur liécle, ne croyoient pas ,
6c,que le fou venir de leurs talens 6c de leurs
grandes actions , n'eft venu jufques à nous,
qu'avec celui de leur irréligion ; on fe fait
honneur de ces grands exemples; il paroît
glorieux de ne rien croire d'après de fi il-
Ir.ftres modèles ; on a fans ceiÏQ leurs noms
dans la bouche : c'eft un faux relief qu'on
fe donne, où il entre moins d'incrédulité
que de vanité rifible 5c depetitelled'efprit;
puifquerienn'eft fipetitScii miférabie, que
de fe donner pour ce qu'on n'efl pas , & fe
faire honneur du perfonnage d'un autre.
Tioifiém-ement enfin , parce que c'ell
d'ordinaire une fociété de libertinage, qui
nous fait parler le langage de rim.piété ;
qu'on veut paroître tel que ceux à qui les
plaifirs ÔC la débauche nous lient , 6c qu'il
leroit honteux d'être dilTolu , Scdeparoitre
croire encore , devant les témoins ÔC les
complices de nos défordres. Le parti d'un
débauché qui croit encore , Q(i un parti
foible 5c vulgaire ; afin que la débauche foit
de bon air , il faut y ajouter l'impiété 5c le
iibertiaage ; autrement ce feroit être dé-
Xi
244 Mardi de la IV. Semaine.
bauché en novice , il faut Fêtre en impie
^ en fcélérat : on laiiïe à ceux qui ne font
point exercés dans le crime , à craindre
encore un enfer 5c fes peines ; ce refte de
Religionparoît fe fentir encore un peu trop
de l'enfance ÔC du collège. Mais quand on
a fait un certain chemin dans la débauche,
ah ! il faut fe mettre au-delTus de ces foi-
bleffes vulgaires : on a bien meilleure opi-
nion de foi , quand on a pu perfuader aux
autres qu'on n'en efr plus là : on fe miOque
même de ceux qui paroiiTent encore crain-
dre : on leur dit d'un ton d'ironie ÔC d'im-
piété , comme autrefois la femme de Job
à cet homme Jufte : Adhuc tu permancs
in Jimplicitatc tua ? Et quoi vous en êtes
encore-là ? vous êtes allez limple pour croi-
re tous ces ccmtes dont on vous a fait peur
quand vous étiez encore au berceau ? vous
ne voyez pas que ce font-là des vifions
d'efprits foibles , ^ que les plus habiles
qui nous prêchent tant pour nous le prou-
ver , n'en croj^ent rien eux-mêmes ? Adhuc
tu permancs injtrnplicitate tua*
O mon Dieu ! que l'impie , qui femble
vous mépriier avec tant de hauteur , eH
petit 6<: méprifable lui-même ! C'eft un
lâche , qui vous infulte tout haut, 5C qui
vous craint encore en fecret ; c'efî: un glo-
jîeux ; qui fe vante de ne rien craindre , 6v
qui ne nous dit pas tout ce qui fe pafle dans
fon cœur ; c'eil un impofleur , qui voudroit
Tious impoiér , ÔC qui ne peut réuflir à fe
tremper lui-même \ c'eft un infexifé qui
Doutes sur la Religion. 14$
prend fur lui toutes les horreurs de l'im-
piété , 5C qui ne peut parvenir à s'en faire
une trifte relTource ; c'eft un furieux , qui
ne pouvant arriver à l'irréligion , ni étein-
dre les terreurs de fa confcience , éteint
en lui toute pudeur ÔC toute décence , ÔC
tâche au moins de s'en faire un honneur
impie devant les hommes ; que dirai- je en-
fin ? c'eft un homme ivre & emporté ,5C
qui facrifie fa Religion qu'il conferve en-
core , fon Dieu qu'il craint , fa confcience
qu'il fent , fon faiut éternel qu'il efpére , à
la déplorable vanité deparoître incrédule.
Quel abandon de Dieu ! ÔC quel abîme de
fureur ÔC d'extravagance !
Ce que je fouhaiterois , mes Frères ,'
X'ous qui confervez encore du refpe£^ pour
la Religion de nos pères, 6c c'eft ici le
fruit de tout ce difcours ; ce que je fou-
haiterois , c'eft que vous fentifîiez combien
tous ces hommes , qui fe donnent pour ef-
prits forts , 5c que vous eftimez tant q le'-
quefois , font méprifables ; c'eft que vous
comprifîiez enfin , que la profeŒon d'in-
crédulité, qui eftprefque devenue un bon
air parmi nous , eft de tous les cara£lères
le plus frivole , le plus lâche , le plus di-
gne de rifée ; c'eft que vous puifliez con-
noître ce que cette oftentation d'impiété ,
que la corruption de nos mœurs a rendu
fi commune aujourd'hui même aux deux
fexes , cache de tout ce qu'il y a de plus
bas ôc de plus honteux , félon le monde
iTiême.
X3
246 Mardi de la IV. Semaine.
Premièrement , de dérèglement. On
n'en vient-ià que lorfque le cœur efl pro-
fondement corrompu ; qu'on vit actuelle-
ment en fecret dans la plus honteufe dé-
bauche ; 5c que fi Ton étoit connu pour
ce qu'on eft , on feroit â jamais déshonoré .
même devant les hommes^*
Secondement , de bafleile. On fait le
philofophe &C Tefprit fort , êc on eft en
fecret le pécheur le plus rampant , le plus
dilTolu , le plus foible , le plus abandonné ,
Je plus efclave de toutes les pafTions indi-
gnes de la pudeur 6c de la raifon même.
Troiiiémement , de mauvaife foi ^
d*imipo(lure. On joue un perfonnage em-
prunté; on fe donne pour ce qu'on ri'ell
point ; 5c tandis qu'on déclame ii fort con-
tre les gens de bien , S>C qu'on les traite
d'hypocrites 5c d'impofteurs , on eft foi-
m.ême le fourbe qu'on décrie , &C l'hypo-
crite de rimpiété ÔC du libertinage.
Quatrièmement , d'oftentation 6c de
muuvaife vanité. On fait le brave , 6c 011
tremble en fecret ; t< au premier fignal de
la mort , on fe trouve plus lâche & plus
timide que le fimple peuple ; on fait fem-
blantd'infuîter tout haut un Dieu que l'on
craint encore en fecret , ÔC qu'on efpére
de fe rendre un jour favorable : caradère
puérile 6c fanfaron , 6c que le monde lui-
même a toujours regardé comme le der-
nier , le plus vil &C le plus rifible de tous
les caractères.
Cinquièmement, de témérité. On ofe
Doutes sur la Religion. 247
fans fcience , fans doftrine , faire Thabile
fur ce qu'on n'entend pas ; condamner tout
ce qui a paru de plus grands hommes dans
chaque (iécle ; êc décider fur des points
importans aufquels on n'a jamais donné, &C
on n'eft pas m.ême capable de donner un
feul moment d'attention férieufe : caractère
indécent, 5c qui ne convient qu'à des hom-
mes qui du côté de l'honneur n'ont plus
rien à perdre.
Sixiéme'.nent , d'extravagance. On fe
fait une gloire de paroitrc fans Religion :
c'eit-à-dire , fans caractère , fans mœurs,
fans probité , fans crainte de Dieu ÔC des
hommes : capable de tout , excepté de
vertu 6c d'innocence.
Septièmement , de fuperftition. Nous
avons vu ces prétendus efprits forts , qui
refufent de confulter les oracles des faints
Prophètes , confulter des Devins , accor-
der aux hommes la fcience de l'avenir
qu'ils refufent à Dieu ; donner dans des
crédulités puériles , tandis qu'ils fc révol-
tent contre la majefté de la foi : attendre
leur élévation ÔC leur fortune d'un oracle
impofleur , 6c ne vouloir pss efpérer leur
falut des oracles de nos Livres faints ; 6C
en un mot , croire ridiculement aux dé-
mons , tandis qu'ils fe font un honneur de
ne pas croire enDieu,
Enfin , ce qu'il y a ici de plus déplorable
c'eft que tous ces caractères forment ua
état où il n'y a prefque plus de reffource de
falut. Car un impie de bonne foi , s'il en
X4
248 Mardi de la IV. Semaîne.
eft quelqu'un de ce caraélère , peut-être
tout d'un coup frappé de Dieu , 6c être
comme accablé fous le poids de la gloire
6c de la majefté qu'il blafphémoit fans la
connoitre : le Seigneur , dans fa miféri-
corde , peut encore ouvrir les yeux à cet
infortuné ; faire luire la lumière dans Tes
ténèbres , ÔC lui découvrir la vérité qu'il
ne combat , que parce qu'il l'ignore ; il Y a
encore en lui des relTources : dé la droi-
ture , de la fuite , des principes , d'erreur
& d'illufion , je l'avoue , mais du moins
des principes : il fera de bonne-foi à Dieu,
dès qu'il le connoitra , comme il a étéfon
ennemi avant de le connoitre. Mais les in-
crédules dont nous parlons , n'ont prefque
plus de voie pour revenir à Dieu ; ils in-
fultent le Seigneur qu'ils connoilfent ; ils
blafphémentla Religion qu'ils confervent
eiîcore dans le cœur ; ils réiiiîent à la ccn-
fcience qui prend en fecret le parti de la foi
contre eux-mêmes : la lumière de Dieu a
beau luire dans leur cœur; elle ne fertqu'à
rendre la mauvaiie foi de leur impiété plus
inexcufable. S'ils étoient abfolumentavei>
gles , ils feroient dignes de pitié , 6c leur
péché feroit moindre , dit Jefus-Chrift :
mais maintenant ils voyent ; & c'eft ce qui
fait que le crime de leur irréligion n'eft
plus qu'un blafphême contre i'Elprit-faint,
qui dcm.eure à jamais fur leur tête.
Réparons donc, mes Frères, par no-
tre rei'pe6^ pour la Religion de r.os pères ; '
par une reconnoillance continuelle envers
Doutes sur la Religion. 249
le Seigneur qui nous a fait naître dans la
voie du faluî , dans laquelle tant de peu-
ples 6c de nations n'ont pas encore été ju-
gé dignes d'entrer: réparons, dis- je , le
icandale de Fincrédulité fi commun dans
ce (îécle , Il autorifé parmi nous ; &C qui
devenu plus hardi par le grand nombre ôC
la qualité de fes partifans, ne fe renferme
plus dans ces ténèbres obfcures où la crain-
te le retenoit , 6c oie fe montrer prefqu à
vifage découvert, bravant en quelque forte
la Religion du Prince CC le zèle des Paf-
t2urs. Ayons horreur de ces hommes im-
pies 5c méprifables , qui mettent leur gloi-
re à tourner en rifée la.nrajefié de la Re-
ligion qu'ils profelTent : fuyons-les comme
des montres indignes de vivre , non-feu-
lement parmi les Fidèles , mais encofe
parmi des hommes que l'honneur , la pro-
bité 5c la raifon lient enfemble : loin d'ap-
plaudir à leurs difcours impies , couvrons-
les de confufion par le mépris dont ils font
dignes. Il eil fi bas &C fi lâche , félon le
monde même , de déshonorer la Reli-
gion dans laquelle on vit: il eft li beau , §C
il y a tant de dignité à fe faire un honneur
de la refpec^er ÔC de la défendre même
avec un air d'autorité 6c d'indignation ,
contre les difcours infenfés qui l'attaquent.
Otons à rincréduHté, en la méprifant , la
gloire déplorable qu'elle cherche : les in-
crédules feront rares parmi nous dès qu'ils
feront méprifés ; 5c la même vanité qui
forme leurs doutes,les aura bientôt anéaa-
r^o Mardi de la IV. Semain^f.
tis ou cachés , dès que ce fera parmi
nous un opprobre de paroître impie , êc
une gloire d'être Fidèle. C'eft sin/i que
nous verrons finir ce fcandale , 6«C que
nous glorifierons tous enfemble le Sei-
gneur dans la même foi , ^ dans Tat-
tcnîe des promefî'es éternelles.
^infi Jhit - IL
i\È §?s^ f^ ife f-^ §§§? |]^fe
^!XX;<D-:>c-o-c-::::-:>::::-::>0':>î:;-:>:r:-o-;:><:::-:>î:>:>:>:>;-:;X.A [^
SERMON
POUR LE MERCREDI
DE LA QUATRIEME SEMAINE
DE CAREME
Sur l'injujiice du monde envers les
gens de bien.
Da gloriam Deo ; nos fcimus quia hîc
homo peccator eft,
Rendei g^^^^^^ ^ Dieu ; nous /avons qili
cet homme efi un pécheur, Joan. ^. 24.
Ue peut fe promettre la vertu
la plus pure Sc la plus irrépré-
henfible de Tinjudice du mon-
de , puifqu'il a pu trouver au-
trefois dans la fainteté miém.e
de Jefus-Chrift , des fu jets de kandale 6<- de
cenfiire ? S'il opère aux yeux des Juifs des
prodiges éclatans , s'il rend aujourd'hui la
vue à un^ aveugle né ; ils l'accufèut d'être
2^1 Mercredi de la IV. Semaine.
vioiateur du Sabbat; d'opérer ces miracles
au nom de Béelzebuth , plutôt qu'au nom
du Seigneur , 5c de ne vouloir par cespref-
tiges qu'anéantir 5c détruire la Loi de
5. ^r"' Moyfe : Non ejl hU homoà Deo , qui Saè-
batum non cvjiodit ; c'eft-à-dire , qu'ils at-
taquent fes intentions , pour rendre Tes œu-
vres fu fpeâies ÔC criminelles.
S'il honore de fa préfence la table des
Pharifiens , pour prendre de-là occafion
de les rappeller ôc de les inflruire , ils le
regardent comme un pécheur , & comme
uu homme de bonne chère Ecce homo
Mattk, ^,Qj-^y; ^ potator vinl ; c'eft-à-dire , qu'ils
^'* '^* lui font uu crime de les œuvres, lorfqu'il
leur importe de ne pas examiner la droi*
turc de fes intentions.
Enfin , s'il paroît dans le Temple armé
de zèle 5c de févérité , pour venger les
profanations qui déshonorent ce lieu faint ,
le zèle de la gloire de fon Père qui le dé-
vore , n'eft plus dans leur bouche qu'une
ufurpation injufte d'une autorité qui ne lui
appartient pas , c'eft-à-dire , qu'ils fe jet-
tent fur des reproches vagues 6c fans fon-
dement , quand ils n'ont rien à dire contre
fes intentions 6c contre fes œuvres.
^ Je le dis en gémiifant , mes Frères , la
piété des gens de bien ne trouve pas aujour-
d'hui plus d'indulgence parmi nous , que la
fainteté de Jefus-Chrift en trouva autre-
fois dans la Judée. Les Juftes font devenus
l'objet des dérifîons & de la cenfure publi-
que \ ôc dans un lîécie ou les défordres
Injustice du monde , 5cc. 255
font fi communs , 011 les excès 6c les fcan-
dales fournilTent tant de matière à la ma-
lignité des difcours 5c des cenfures , on fait
grâce à tout , excepté à la vertu 5c à l'in-
nocence.
Oiii , mes Frères , fi ce qui paroît de la
conduite des gens de bien eft irréprocha-
ble , ÔC ne donne point de prife à la cen-
fure ; vous vous retranchez fur leurs inten-
tions , qui ne paroiiTent point ; vous les
accufez d'aller à leurs fins , ÔC d'avoir leurs
defi'eins 6c leurs viies. Non eft hic homo
à peo*
Si leur vertu femble fe rapprocher de
vous quelquefois , 5c rabbattre de fa févé-
rité pour nous attirer à Dieu , en fe confor-
mant à nos mœurs 6c à nos manières ; fans
vous mettre en peine de leurs intentions ,
vous leur faites un crime des com.plaifances
les plus innocentes , 5c des relâchemens
les plus dignes d'indulgence : Eca homo
vordx C^ potator vinL
Enfin, fi leur vertu, embrafèe d'un feu
divin , ne garde plus de micflires avec le
monde , Sc ne lailTe rien à dire , ni contre
leurs intentions , ni contre leurs œuvres ,
vous vous répandez en difcours vagues , en
reproches fans fondement , Contre leur
zèle 5c leur piété même.
Or , foufFrez , mes Frères , que je m'é-
lève une fois ici contre un abus fi honteux
à la Religion , H injurieux à TEfprit qui
forme les Saints , il fcandaleux parmi des
Chrétiens, û capables d'^ttixeî biX nous ces
^54 Mercredi de la IV. Semaine''.
malédiélions éternelles qui changèrent 3lT'
tr-efois Théritage du Seigneur en une terre
déferte 6c abandonnée , & fi digne du zèle
de notre miniftère.
Vous attaquez les intentions des gens de
bien quand vous n'avez rien à dire contre
leurs œuvres ; ÔC c'eft une témérité. Vous
exagérez leurs foibleiles, 6c vous leur fai-
tes des crimes des imperfections les plus
légères ; ôc c'eft une inhumanité. Vous
tournez même en ridicule leur ferveur 5C
leur zèle , 6c c'eft une impiété. Et voilà,
ines Frères, les trois caractères de l'injuf-
tice du m.onde envers les gens de bien. Une
injuftice de témérité qui foupçonne tou-
jours leurs intentions. Une injullice d'in-
humanité qui ne fait point de grâce à leurs
plus légères imperfe£lions. Une injuilice
d'impiété , qui fait de leur zèle ÔC cîc leur
fainteté , un fujetde mépris ÔC de dérilion.
Puiilent cqs vérités , ô mon Dieu ! rendre
à la vertu l'honneur &. la gloire qui lui font
dues , 5c forcer le m.onde lui-mcmc à ref-
peârer des Juiles qu'il n'eit pas digne de
poiTéder ! ^ye , Maria.
ï- JlVÎen n'eft plus grand , 5v plus digne
Partie. ^^ refpeâ: fur la terre , que la véritable
vertu : le monde lui-même eu. forcé d'en
convenir. L'élévation des feniimens , la
noblelfe des motifs , l'empire fur les paf-
fions , la patience dans les adverfités , la
douceur dans les injures , le mépris de
ibi-mèmc dans les louanges , le courage
Injustice du monde , Scc. 155
dans les difficultés , Tauftérité dans les
plaifirs , la fidélité dans les devoirs , l'éga-
lité dans tous les événcmens de la vie; en
un mot tout ce que la Philofophie a fait
entrer dans l'idée de fon Sage , ne trouve fa
réalité que dans le Difciple de TEvangiie.
Plus même nos mœurs font corrompues,
plus nos (iécles font dilTolus ,plus une ame
juite , qui fait conferver au milieu de la
corruption générale mjuftice &C fon inno-
cence , inérite Tadmiration publique ; 5c
il les Payens eux-mêmes refpectoient fi
fort les Chrétiens dans un tems où tous les
Chrétiens étoient faints , à plus forte rai-
fon ceux des Chrétiens , qui font encore
juftes parmi nous , font dignes de notre
vénération 5c de nos hommages , aujour-
d'hui où lafainteté eft devenue fi rare parmi
les Fidèles.
Il eil donc bien trille pouj notre minif-
tère , que la corruption de nos mœurs
nous oblig;^ à faire ici ce que les premiers
défenfeurs de la foi faifoient autrefois avec,
tant de dignité devant les tribunaux Payens;
c'eil-à-dire , l'apologie des ferviteurs de
Jefus-Chrift ; & qu'il faille apprendre à
des Chrétiens à honorer ceux qui font pro-
feiïion de l'être : cependant rien n'eft plus
néceilaire ; 6c ce qui paroît le plus dominer
aujourd'hui dans le langage du monde, ce
font les cenfures ôclesdérifions de la piété.
J'avoue que le monde femble refpeÔerla
vertu en idée ; mais il méprife toujours
ceux qui en font prgfeffigu ;U convient quG
1^6 Mercredi de la IV. Semaine.
fienn'eft plus eflimablequ'une piétéfolide
ÔC fîiicére ; mais il fe plaint qu'on ne la
trouve nulle part; 5c en féparant toujours
la vertu de ceux qui la pratiquent , il ne
fait femblant de refpe<Sler le phantôme de
la fainteté ÔC de la juftice , que pour avoir
?lus de droit de méprifer ÔC de cenfurer le
ufte.
Or , le premier objet fur lequel tom-
bent d'ordinaire les difcours du monde
contre la vertu , c'efl fur la droiture des
intentions des gens de bien. Comme ce qui
paroît de leurs allions donne d'ordinaire
peu de prife à la malignité 5c à la cenfure ,
on fe retranche fur leurs intentions : on pré-
tend , aujourd'hui fur-tout , où fous un
Prince aulTi grand que religieux , la vertu
autrefois étrangère ÔC moquée à la Cour,
y eft devenue la voie la plus sûre des grâ-
ces 5c des récompenfes ; on prétend que
c'eil-là où vifent ceux qui en font une pro-
feilion publique ; qu'ils ne veulent qu'aller
à leurs fins , Sc que ceux qui paroifîent les
plus faints 6c les plus déiinterefles , n'ont
par deiïïis les autres , que plus d'art 6c
plus d'adreffe : li on leur fait grâce fur la
bailefle de ce motif , on leur en prête
d'autres auifi indignes de l'élévation, delà
vertu &C de la fincérité chrétienne. Aufîi ,
qu'une ame touchée de fes égaremens re-
vienne à Dieu ; ce n'eft pas Dieu qu'elle
cherche , c'efl le monde par une voie plus
fine 5c plus détournée : ce n'eft pas la grâ-
ce qui a changé fou cœur , c'eft l'âge qui
commence
Injustice du monde , 8cc. 257
commence à effacer fes traits , ÔC qui ne
la retire des plaifirs , que parce que les
plaifirs commencent à la fuir eux-mêmes.
Si le zèle embralfe des œuvres de miféri-
corde , ce n'eft pas qu'on foit charitable ;
c'eft qu'on veut devenir important : (i l'on
fe renferme dans la prière ôC dans la re*
traite , ce n'eft pas la piété qui craint Iq^
périls du monde , c'eft une iingularité ÔC
une oftentation qui veut s'en attirer les fuf-
frages : enfin , le mérite des plus faintes
a£lions eft toujours déprifé dans la bouche
des mondains , par les foupçons dont ils
noirciifent les intentions.
Or , je trouve dans cette témérité trois
caraftères odieux qui en font fentir tout le
ridicule 6c toute Tinjuftice : c'eft une té-
mérité d'indifcrétion , puifque vous jugez,
vous décidez fur ce que vous ne pouvez
connoître ; c'eft une témérité de corrup-
tion , puifque d'ordinaire on ne fuppofe
dans les autres que ce qu'on fent en foi-
même : enfin une témiérité de contradic-
tion , puifque vous trouvez injuftes 6c in-
fenfés à votre égard , les mêmes foupçons
qui vous paroiifent fî bien fondés contre
votre frère. Ne perdez pas , je vous prie ^
la fuite de ces vérités.
Je dis d'abord , une témérité d'indifcré-
tion. Car , mes Frères , à Dieu feul eft
réfervé le jugement des intentions 6c des
penfées : lui feul qui voit le fecret des
cœurs , peut en juger: ils ne feront mani^
feftés que dans ce jour redoutable où fa
258 Mercredi de la îV. Semaine;
lumière kiira dans les ténèbres. Un voile
inipènétrable eft répandu ici- bas fur les
profondeurs du cœur humain : il faut donc
attendre que le voile foit déchiré ; que les
paffions honteufes qui fe cachent, comme
parle l'Apôtre foient manifeftées; 6c que
le myftère d'iniquité , qui opère en fecret,
foit révélé : jufqucs*là , ce qui fe paile
dans le cœur des homnes , caché à notre
connoifTance , eft interdit à la témérité de
nos jugemens ; lors même que ce que
nous voyons de la conduite de nos frères
ne leur eft pas favorable > la charité nous
•oblige de luppofer que ce que nous ne
voyons pas le re^lifie & le répare, êcd'ex-
cufer les défauts des aérions qui nous blef-
fent , par l'innocence des intentions qui
nous font cachées. Or, fi la Religion doit
nous rendre indulgen» ôc favorables , mê-
me à leurs vices , louffriroit-elle que nous
fuflions cruels ÔC inexorables , même à
leurs vertus ?
En effet , mes Frères , ce qui rend îcî
votre témérité plus injuile , plus noire >
plus cruelle , c'eft la nature de vos foup-
çons. Car fi vous ne foupçonniez les gens
de bien que de quelqu'une de ces foibleifes
inféparables de la condition humaine ; de
trop de fenfîbilité dans les injures ; de trop
d'attention à leurs intérêts , de trop d'infle-
xibilité dans leurs fentimens ; nous aurions
droit de vous répondre , comme nous di«
ions dans la fuite , que vous exigez des
gens de bien une exemption de tout dé-
Injustice du monde, 6cc. 25^)
faut , ôc un degré de perfection qui n'eil:
pas de cette vie. Mais vous n'en demeurez
pas-là .- vous attaquez leur probité &: la
droiture de leur cœur ; vous les foupçonnez
de noirceur , de difllmulation, d'hypocri-
fie ; de faire fervir à leurs vues ÔC à leurs
paiïions , les chofes les plus faintes ; d'être
des impofteurs publics , 6c de fe jouer de
Dieu & des hommes , 6c cela fur les feules
apparences de la vertu. Quoi, mes Frè-
res ! vous n'oferiez , après le crime k plus
éclatant , porter d'un criminel convaincu,
un jugement (i cruel 6c fi odieux ; vous
regarderiez plutôt fa faute comme un de
ces malheurs qui peuvent arriver à tous les
hommes , 5c dont un méchant miCment
peut nous rendre capables ; 5c vous le por-
tez d'un homme de bien ? &C vous foup»
çonnez du Juile fur une vie fainte 6c loua-
ble , ce que des moeurs fcandaleufes ÔC
criminelles n'oferoient vous faire fcupçon*
ner d'un pécheur ? 5c vous regardez com-
me un bon mot contre les lerviteurs dç
Dieu , ce qui vous paroitroit uïiq barbarie
contre un homme flétri de mille crimes ?
Faut-il donc que la vertu foit le feul crime
qui ne mérite point d'indulgence , qu'il fuf-
fife de fervir Jefus-Chrift pour être indi-
gne de tout ménagement ; 6c que les fain-
tes pratiques de la piété, qui auroient di\
attirer du refpe6^ à votre frère , deviennent
lesfeuls titres qui les confondent dans votre
efprit avec les fcélérats 6c les impies ?
Je conviens que Thypocrite elt digne d.^
i6o Mercredi de la IV. Semaine.
l'exécration de Dieu 5c des hommes : que
l'abus qu'il fait de la Religion efl le plus
grand de tous les crimes ; que les dériiions
5c les fatyres font trop douces pour dé-
crier un vice qui mérite l'horreur du genre
humain ; 5c qu'un théâtre profane a eu tort
de ne donner que du ridicule à un carac-
tère fi abominable,fi honteux 6cli affligeant
pour l'Eglife ; ÔC qui doit plutôt exciter
les larmes ÔC l'indignation , que la rifée des
Fidèles.
Mais je dis que ce déchaînement éternel
contre la vertu ; que ces foupçons témé-
raires qui confondent toujours Thomme de
bien avec l'hypocrite ; que cette malignité,
qui , en faifant des éloges pompeux de la
juftice , ne trouve prefqu'aucun Juile qui
les mérite : je dis que ce langage , dont
on fait Ç\ peu de fcrupule dans le monde ,
anéantit la Religion , & tend à rendre
toute vertu fufpecle : je dis que par-là vous
fournixTez des armes aux impies , dans ud
fiécle où tant d'autres fcandales n'autori-
fent que trop l'impiété. Vous leur aidez à
croire qu'il n'y a plus de Julles fur la terre ;
que les Saints même qui ont autrefois édi-
fié l'Eglife , & dont nous honorons la mé-
moire , n'ont donné aux hommiCs que le
fpeâ:acle d'une fauife vertu y dont ils n'a-
voient que le phantôme ÔC les apparences ;
6c que l'Evangile n'a jam.ais formé que des
Pharifiens ôc des hypocrites. Comaprenez-
vous , mes Frères , tout le crimje de ces
dériiians infeiifées ? vous croyez rire delà
Injustice du monde , 5cc. i6î
fauffe vertu , & vous blafphémez contre
la Religion. Je le répète ; en vous défiant
de la fincérité des Juftes que vous voyez ,
rimpie conclut que ceux qui les ont précé-
dées ôc que nous ne voyons pas , leur
étoient femblables ; que les Martyrs eux-
mêmes , qui couroient à la mort avec tant
de fermeté , ÔC qui rendoient à la vérité le
témoignage le plus éclatant &C le m.oins fut
peft que l'homme pu ilTe lui rendre, n'é-
toient que des furieux qui cherchoient une
gloire humaine par une vaine oftentation
de courage 6c d'héroïfme ; 5c qu'enfin , la
tradition vénérable de tant de Saints , qui
de fiécle en fiécle ont honoré &L édifiéTE-
glife , n'eft qu'une tradition de fourberie
ÔC d'artifice. Et plût à Dieu que ce ne fût
ici qu'un emportement de zèle 5c d'exagé-
ration 1 ces blafphêmes, qui font horreur,
ÔC qui auroient dû être enfévelis avec le
paganifme , nous avons encore la douleur
de les entendre parmi nous. Et vous-mê-
mes , qui en frémiiTez , vous les mettez
pourtant fans le vouloir , dans la bouche
de l'impie ; ce font vos cenfares éternelles
de la piété , qui ont rendu en nos jours
rim.piété Cl commune ÔC fi impie.
Je n'ajoute pas que par-là tout devient
douteux ÔC incertains dans la fociété. Il n'y
a donc plus , ni bonne foi , ni droiture >
ni fidélité parmi les hommes. Car s'il ne
faut plus compter fiir la fincérité 6c fur la
vertu des Jultes ; fi leur piété n'eft que le
Zîiafque de leurs paflions ^ nous ne compte-
262 Mercredi de la IV. Semaine.
rons pas fans doute plus fur la probité des
pécheurs ÔC des mondains ; tous les hom*
mes ne feront donc plus que des fourbes 6C
des fcélérats dont il faudra fe défier; 5c ne
vivre avec eux , que comme avec des en-
nemis d'autant plus à craindre , qu'ils ca-
chent fous les dehors de l'amitié & de l'hu-
manité , le delTein , ou de nous tromper >
ou de nous perdre. Il n'y a qu'un cœur
profondément mauvais 6c corrompu , qui
puilTe fuppofer tant de noirceur £c de cor-
ruption dans les autres.
Et voilà le fécond cara£lère de cette té-
mérité dont nous parlons. Oui , mes Frè-
res , ce fond de malignité , qui voit le
crime à travers même les apparences de la
vertu , &C qui attribue à des œuvres faintes
des intentions criminelles , ne peut partir
que d'une ame noire ^ corrompue. Com-
me les paflions vous ont gâté le cœur , à
vous que ce difcours regarde ; que vous
êtes capable de toute duplicité ÔC de toute
balTefTe ; que vous n'avez rien de droit ,
rien de noble , rien de (ineére : vousfoup-
çonnez aifément vos frères d'être ce que
vous êtes : vous ne fauriez vous perfuader
qu'il y ait encore des cœurs fimples , fincé-
res ÔC généreux fur la terre : vous croyez
voir partout ce que vous fentez en vous-
même : vous ne pouvez comprendre que
l'honneur , la fidélité , la fincérité , ôC
tant d'autres vertus toujours faulles dans
votre cœur , ayent quelque chofe de plus,
vrai ÔC de plus réel , dans le cœur des
Injustice du monde , 5cc. 16^
perfonnes mêmes les plus refpedlables par
leur élévation ou par leur caractère : vous
relTemblez aux courtilans du Roi des Am-
monites ; comme ils n'avoient point d'autre
occupation que d'être fans celle attentifs à
fe fupplanter les uns les autres , & à fe
drefler mutuellement des pièges , ils n'eu-
rent pas de peine à croire que David n'al-
loit pas de meilleure foi avec leur maitre.
Vous croyez , difolent-ils à ce Prince >
que David penfe à honorer la m.émoire de
votre père , en vous envoyant des députés
qui viennent vous confoler fur fa m.ort :
Futas qucd pTCpter honorem patris tin mi- t. Re^
fera David ad te conjolatores ? ce ne font^^' 5^
pas des confolateurs qu'il vous envoyé , ce
font des efpions , c'eft un ïowrhe qui fous
les dehors pompeux d'une ambaOade ha-
norable ÔC pleine d'amitié , vient faire exa-
miner les endroits foibles de votre Royau-
me , ÔC prendre des mefures pour voua
furprendre : Et non ideo m inveftigaret &
€xploraret civitatcm, C'eft le malheur des. i^M}
Cours fur-tout : comme on y eft né 6c
qu'on y vit dans le faux , on croit le voir
dans la vertu au in- bien que dans le vice :
comme c'eli: une fcène où chacun joueua
perfonnage emprunté , on croit que l'hom-
me de bien ne fait qu'y jouer le perfonnage
de la vertu : la fincérité rare ou inutile , y
paroît toujours impoiTible.
Un bon cœur ^ un cœur droit , fîmple
6c fincére , ne peut prefque comprendre
qu'il y ait des impofleurs fur la terre ; il
204 Mercredi de la IV. Semaine.
trouve dans fon propre fonds Tapologie de
tous les autres hommes , & mefure , par
ce qui lui en coûteroit à lui-même pour
n'être pas de bonne foi , ce qu'il en doit
coûter aux autres. Aufli , mes Frères , exa-
minez ceux qui forment ces foupçons af-
freux ÔC téméraires contre les gens de bien:
vous trouverez que ce font d'ordinaire des
hommes déréglés 6c corrompus, qui cher-
chent même à fe calmer dans leurs diflblu-
tions , en fuppofant que leurs foibleffes
font des foiblelTes de tous les hommes ,
que ceux qui paroiflent les plus vertueux ,
n'ont par deilus eux que plus d'habileté
pour les cacher ; ôc qu'au fond , fi on les
voyoit de près , on trouveroit qu'ils font
faits comme les autres hommes : ils font
de cette penfée injufle une relTource af-
freiife à leurs débauches. Ils s'afFermiiTent
dans le défordre , en y aflbcianttous ceux
que la crédulité des peuples appelle gens
de bien : ils fe font une idée affreufe du
genre humain , pour être moins effrayés
de celle qu'ils font obligés d'avoir d'eux-
mêmes ; & tachent de fe perfuader qu'il
n'y a plus de vertu , afin que le vice plus
commun leur paroifTe plus cxcufable ;
comme fi , ô luon Dieu ! la multitude des
crimifnels pou\oit ôter à votre juflice le
droit de punir le crime.
Mais on a vu tant d'hypocrites , dites-
vous , qui ont abufé fi long-tems le mon-
de , qu'on regardoit comme des Saints ôC
des amis de Dieu , ôC qui cependant n'é-
toieiit
Tnjiïstice du moî^de , 8cc. 265
tCnent que des hommes pervers 5c cor-
rompus.
Je l'avoue avec douleur , mes Frères :
mais que voulez-vous conclure de là ? que
tous les gens de bien leur reffemblent ? la
conféquence efl affreufe : 5c où en feroit
le genre humain , il vous raifonniez ainfî
fur tout le refte des hommes. On a vu tant
d'époufes infidèles: ny a-t'il donc plus do
pudeur ÔC deêdélité dans le lien facré du
mariage ? tant de Magiilrats ont vendu
leur honneur 5C leur miniftère : la juftice-
ÔC l'intégrité font-elles donc ba'^nies de
tous les Tribunaux ries hiftoires nous ont
confervé le fouvenir de tant de Princes
perfides , difîimulés , fans foi , fans hon-
neur ; également infidèles à leurs ennemis^
à leurs alliés , à leurs fujets : la droiture »
ia vérité , la Religion n'environnent- elles
donc plus le trône ? Levez les yeux , 6c re-
gardez le Prince grand ôc refpe^table , qui
l'honore 6>C qui le remplit. Les fiécles paffés
ont vu tant de fujets diftingués par leurs
noms , par leurs charges , par les bienfaits
de leur Souverain , trahir le Prince 6C la
patrie , ÔC entretenir avec l'ennemi des in-
telligences criminelles : trouveriez-vous le
maître que vous fervez avec tant de zèle
6C de valeur, équitable, fi là-deiTus la fi-
délité d'un chacun de vous lui devenoitfuf-
pe£^e ? Pourquoi donc un foupçon qui fait
horreur envers tous les autres hommes , ne
fera-t'il fupportable que contre les gens de
bien ? pourquoi une coiiféquence ridiculô
Çfirême , Ym§ lU^ Z
266 Mercredi de la IV. Semaine.
par-tout ailleurs , ne feroit-ellefenféeque
contre la vertu ? La perfidie d'un feul Ju-
das vous fait-eîlc conclure que tous les au-
tres Difcipks fufTent des traîtres 5c des in-
fidèles FThypocrifie de Simon le Magicien
prouve-t'elie que la converfion de tous les
autres Difciples qui embraflbient la foi ,
ne fût qu'un artifice pour arriver à leurs
fins ; ÔC qu'ils ne inarchafTent pas droit ,
comme lui , dans la voie de Dieu ? Quoi
déplus injufle 6c de plus iufenfé , que de
faire à tous un crime de la faute d'un feul.^
il efi: difficile, je l'avoue , que le vice ne
fe pare quelquefois des apparences de la
vertu ; que Tange de ténèbres ne fe transfi-
gure quelquefois eii Ange de lumière ; 6C
que les paillons , qui mettent tout en œu-
vre pour réuffir , ne s'avifent pas quelque-
fois d'appeller à leurs fecours les apparen-
ces mêmes de la piété , fous un régne fur-
tout où la piété honorée . eft preique le
chemin de la fortune 6c des grâces. Mais
c'eft une extravagance de faire retomber
fur toute vertu Tuiage impie que quelques-
uns peuvent faire de la vertu même ; & de
croire que quelques abus découverts dans
une proîefTion fainte ôc vénérable , désho-
norent généralement tous ceux qui l'ont
embraflee. C'eft , mes Frères , que nous
haillons tous les hommes qui ne nous ref-
femblentpas ; 5c que nous fommes ravis
de pouvoir condamner la vertu , parce que
la vertu elle-même nous condamne.
Mais on y a été fi fouvent trompé , dites-
Injustice du monde , 8cc- i6j
Vous. Je le veux : mais je vous réponds ;
quand même vous vous tromperiez , en ne
voulant pas foupçonner vos frères , 8c en
rendant à une fauffe vertu Teftimie 6c Thon-
neur qui ne font dus qu'à la vertu véritable;
qu'en feroit-il ? que vous arriveroit-il de fi
trifte , de Ci honteux , de votre crédulité ?
vous auriez jugé félon les régies de la cha-
rité , qui ne croit pas facilement le mal ,
& qui fe réjouit même des apparences du
bien ; félon les régies de la juftice , qui
n'eft pas capable envers les autres d'une
malignité dont elle ne voudroit pas qu'oa
usât à fon égard ; félon les régies de la
prudence , qui ne juge que fur ce qu'elle
voit, & laiffe au Seigneur le jugement des
intentions & des penfées ; enfin , félon les
régies de la bonté 6c de l'humanité , qui
préfume toujours en faveur de fes frères.
Et qu'y auroit-il dans cette méprife qui
-dût tant vous allarmer ? il eft fi beau de fe
tromper par un motif d'humanité ôc d'in-
dulgence : ces erreurs font tant d'honneur
à un bon cœur : il n'y a que des hommes
vrais ÔC vertueux qui en foient capables ;
mais comme vous ne l'êtes pas , vous ai-
mez encore mieux vous tromper , en dé-
gradant l'homme de bien de l'honneur qui
lui eft dû , qu'en courant rifquc de ne pas
couvrir d'hypocrite de la confufion qu'il
mérite.
Mais d'ailleurs , d'où vous vient ce zèle
&ce déchaînement contre l'abus quel'hy-
pQCrite fait de la vertu véritable ? prenea-
Z i
268 Mercredi de la IV. Semalve;
vous Cl fort à cœur les intérêts de la gloîfè
de Dieu , que vous veùilliez le venger de
ces impofteurs qui le déshonorent p que
vous importe que le Seigneur foit fervi
avec un cœur double ou fincére , vous qui
ne le fervez 6c qui ne le connoilTez même
pas ? qu'y a-t'il qui vous intérelTe fi fort
dans la droiture oudans rhypocrifiedefes
adorateurs , vous qui ne favez pas même
comment on Tadore ? Ah ! s'il étoit le Dieu
de votre cœur , fî vous l'aimiez comme
votre Seigneur 5c votre Père , il fa gloire
vous étoit chère , on pardonneroit du moins
à un excès de zèle, l'audace avec laquelle
vous vous élevez contre l'outrage , que
fait à Dieu 6^. à Ton cuite, la vertu iîmulée
de l'hypocrite. Les Juftes qui Taiment 6c
qui le fervent , auroient , ce femble , plus
de droit d'éclater contre un abus fi inju-
rieux à la piété fincére. Mais vous qui vi-
vez comme les payens qui n'ont point
d'efpérance , abimé dans le défordre , ÔC
dont toute la vie n'efl qu'un crime conti-
nuel ; ah î ce n'efl pas à vous à prendre
les intérêts de la gloire de Dieu contre les
faulles vertus qui font tant de tort ÔC tant
de peine à i'Eglife : qu'il foit fervi de bonne
foi , ou par pure grimace ; ce n'efl pas une
affaire qui vous regarde. D'où vient donc
lui zèle fi déplacé ? Voulez-vous le favoir ?
ce n'eft pas le Seigneur que vous voulez
venger , ce n'efl pas fa gloire qui vous in-
térelle , c'efi: celle des gens de bien que ,
rous cherchez à flétrir : ce n'efl pas l'hy- •
Injustice du monde , 5cc. 269
pocrifie qui vous bkffe , c'eft la piété
qui vous déplaît : vous n'êtes pas le cen-
feur du vice ; vous n êtes que rennemi
de la vertu : en un mot, vousne haïllez
dans rhypocrite , que la reffcmblance de
l'homme de bien.
En effet , il vos cenfures partoient d'un
fonds de religion 6c de zèle véritable , ah f
vous ne rappelleriez qu'avec douleur l'hif-
toire de ces impofteurs qui ont pu quel-
quefois réulTir à tromper le monde : que
dis- je ? loin de nous alléguer ces exemples
avec un air triomphant , vous gémiriez dit
fcandale dont ils ont affligé rÈglife ; loin
de vous applaudir lorfque vous nous en
renouveliez le fouvenir, vous fouhaiteriez
que ces trilles événemens fulTent effacés
de la mémioire des hommes, La Loimau-
diiToit celui qui découvroit la honte 6c la
turpitude de ceux qui lui avoient donné la
vie ; mais c'eft la honte 5c le déshonneur
de l'Eglife votre mère, que vous expofez
avec plaifîr à la dérifion publique. Prenez-
vous foin de rappeller certaines circonf-
tances humiliantes pour votre maifon , 5C
qui ont déshonoré autrefois le nom 6c la
vie de quelqu'vui de vos ancêtres? ne vou-
driez-vous pas effacer ces traits odieux
des hiftoires qui les ont confervés à la
poftériîé ? Ne regardez-vous pas , comme
les ennemis de votre nom, ceux qui vont
fouiller dans les fiécles paffés , pour y
déterrer ces endroits odieux , 5c les faire
revivre dans la mémoire des hommes ?
Z3
zyo Mercredi de la IV. Semaine.
ïi'oppofez-vous pas à leur malignité cette
ïnaxime d'équité , que les fautes font per-
fonnelles ; &: qu'il eft injufle de faire re-
tomber fur tous ceux qui ont porté votre
nom , la mauvaife conduite d'un feul qui
l'a déshonoré ?
Appliquez-vous la régie à vous-même :
l'Eglife eft votre maifon ; les Juftes feuls
font vos proches , vos frères , vos prédé-
ceifeurs, vos ancêtres ; eux feuls compo-
fent cette famille des premiers nés à la-
quelle vous devez être éternellement réuni,
tes impies feront un jour comme s'ils n'a-
voient jamais été ; les liens du fang , de
la nature , de la fociété qui vous unifient
â eux , périront ; un cahos immenfe ÔC
éternel les féparera des enfans de Dieu ;
ils ne feront plus , ni vos frères , ni vos
ayeux , ni vos proches ; ils feront rejet-
tes , oubliés , effacés de la terre des vi-
vans , inutiles aux defleins de Dieu , re-
tranchés pour toujours de fon Royaume,
6c ne tenant plus par aucun lien à la fociété
des Juftes , qui feront alors feuls vos frè-
res , vos ancêtres , votre peuple , votre
tribu. Que faites-vous donc en décou-
vrant avec complaifance l'ignominie de
quelque faux jufte qui déshonore leur hif-
toire ? c'eft votre maifon , votre nom ,
vos proches > vos ancêtres que vous dés-
honorez ; vous venez flétrir l'éclat de tant
d'aftions glorieufes qui ont rendu leur mé-
moire immortelle dans tous les fiécles , par
l'infidélité d'un feul , qui portant le même
Injustice du mond^ , 8cc. 271
nom qu'eux , l'avilit par des mœurs ÔC une
conduite fort diffemblable : c'eft donc fur
vous-mÔJi:e que retombe cet opprobre ; à
moins que vous n'ayez déjà renoncé à la
fociété des Saints , & que vous n'aimiez
mieux choiflr votre partage éternel avec
les impies 6C les infidèles.
Mais ce qu'il y a ici de plus bizarre dans
cette témérité qui veut toujours juger 6c
noircir les intentions fecrettcs des gens de
bien, c'eft qu'en cela vous tombez en con-
tradiâion avec vous-mêmes : dernier ca-
raftère de cette témérité.
Oui , mes Frères, vous les accufezd*al-
1er à leurs fins , d'avoir leurs vues dans les
actions les plus faintes, ^ de ne jouer que
le perfonnage de la vertu. jMais vous fied-
il , à vous qui vivez à la Cour , de leur
faire ce reproche ? toute votre vie ell une-
feinte éternelle ; vous jouez par-tout im
rôle qui n'eft point le vôtre ; vous flâtez
ceux que vous n'aimez pas ; vous rampez
devant d'autres que vous méprifez ; vous
faites rem.preflé auprès de ceux de qui
vous attendez des grâces , quoiqu'au fond
vous regardiez leur faveur avec envie ,
& que vous les croyiez indignes de leur
élévation ; e-i un mot, toute votre vie eft
un perfonnage continuel. Par-tout votre
cœur dément votre conduite ; par-tout
votre vifage eil la contradi£lion de vos
fentimens ; vous êtes les hypocrites du
monde , de l'ambition , de la faveur , de
la fortune , ôc il vous appartient bien après
Z 4
ayi Mercredi de la IV. Semaine.
cela de venir accnferles Jiiftes des mêmes
feintes, & de faire fonner fi haut leiirdif-
fimuîation 5c leur prétendue hypocrifie :
quand vous n'auriez rien à vous reprocher
là-delTus , on écoutera la témérité de vos
cenfiires ; ou plutôt vous avez raifon d'être
jaloux de la gloire des artifices 6c des baf-
feiles , 6c de trouver mauvais que les Juf-
tes veuillent fe mêler d'un art qui vous
appartient 8C qui vous eft propre.
D'ailleurs , vous vous récriez û fort
lorfque le monde > trop attentif à vos dé-
marches , interprète malignem.ent certai-
nes vifites marquées , certaines aiTiduites
fufpe^les , certains regards affectés ; voiis
dites n haut alors , que fi cela eft ainfi y
perfbnne ne fera plus innocent; qu'il n'y
aura plus de femme régulière dans le mon-
de ; que rien n'efî fi aifé que de donner un
air de crime aux chofes les plus innocen-
tes ; qu'il faut donc fe bannir de la fociété ^
& s'interdire tout commerce avec le genre
humain : vous déclamez alors fi vivement
contre la malignité des hommes , qui fur
des démarches inditïérentes , vous prêtent
des intentions criminelles. Mais les Juftes
donnent-ils plus de lieu à la témérité des
foupçons que vous formez contr'eux ? ÔC
s'il vous eft permis d'aller chercher en eux
le crime fous les apparences même de îa
vertu , pourquoi trouvez-vous û mauvafs
que îe monde ofe le fvippofer en vous , *ÔC
vous croire criminel fous les apparences du
crime {nême ?
t
Injustice du monde , Sec. ÎJ$
Enfin , lorfque nous vous reprochons ,
femmes du monde , votre afîiduité aux
fpe£tacles , 6c aux lieux où Tinnocence
court tant de rifques ; l'indécence ÔC Tim-
modeitie de vos parures ; vous nous ré-
pondez que vous n'avez point de mauvai-
les intentions , que \ous ncn voulez à per-
fonne ; vous voulez qu'on vous pafTe des
mœurs indécentes 5c criminelles fur la pré-
tendue innocence de vos intentions que
tout dément au- dehors ; 5c vous ne (au-
riez palTer aux gens de bien des mœurs
faintcs &. louables fur la droiture de leur
cœur , dont tout parolt au- dehors vous
répondre. Vous exigez qu'on juge voâ
intentions pures , Icrique vos œuvres ne
le font pas ; 6c vous croyez avoir droit
de vous perfuuder que les intentions des
gens de bien ne font pas innocentes , lorf-
que toutes leurs aftions le paroifTent. Cef-
fez donc , ou de nous faire l'apologie d«
vos vices , ou la cenfure de leur vertu.
C'efl ainfi , mes Frères, que tout s'em-
poifonne entre nos miains , 6c que tout nous
éloigne de Dieu : le fpeÛacle mêm.e de la
vertu , devient pour nous un prétexte de
vice; & les exemples eux-miémes de la
piété , font les écuèils de notre innocence.
Il femble , ô mon Dieu ! que le monde ne
nous fournit pas allez d'occafions de nous
perdre ; que les exemples des pécheurs
ne fufKfent pas pour autorifer nos égare-
mens : nous allonsleurchercher un appui
jufques dans les vertus mêmes des Juiles,
274 Mercredi de la IV. Semaine.
Mais vous nous direz que le monde n'a
pas il grand tort de cenfurer ceux qui fe
donnent pour gens de bien , qu'on en voit
tous les jours qui font plus vifs que les
autres hommes fur la fortune , plus em-
preiTés pour le plaifir , plus délicats fur
les injures , plus fiers dans rélëvation ,
plus attachés à leurs intérêts. C'eft ici la
féconde injuflice du monde envers les gens
de bien : non-feulement on interprète ma-
lignement leurs intentions , ce qui eftune
témérité ; mais encore on examine leurs
plus légères imperfeâions , 6c c'eft una
inhumanité.
fARTiE. vJ^N peut dire que le monde eft envers
les Juiles un cenîeur plus févére que TE-
vangile même ; qu'il exige d'eux plus de
perte£lion , 5c que leurs foibleiTes trou-
vent devant le tribunal des hommes moins
d'indulgence , qu'elles n'en trouveront un
jour devant le tribunal de Dieu même.
Or 5 je dis que cette attention a exagé-
rer les défauts les plus légers des gens de
bien , féconde injuftice où le monde tombe
â leur égard , eft une inhum.anité , par rap-
port à la foibleïïe de Thomme , à la diffi-
culté de la vertu , 6c enfin aux maximes
du monde même. Ne vous laifez pas , mes
Frères , de m'écouter.
Une inhumanitépar rapport à la foibleffe
de rhomme. Oui, m.es Frères, c'efî une
illuiion de croire qu'il y ait parmi les hom-
mes des vertus parfaites ; ce n'eft pas h
V.
Injustice du monde , 8cc. 275
Condition de cette vie mortelle : chacun
prefqiie porte dans la piété fes défauts , fes
humeurs £>C fes propres foibleiTes : la grâce
corrige la nature , mais ne la détruit pas;
l'Efprit de Dieu , qui crée en nous un
homme nouveau , y laiiTe encore bien des
traits de l'ancien ; la converiîon finit nos
vices , mais n'éteint pas nos paflions : en
un mot, elle forme en nous le chrétien ,
mais elle nous laiiTe encore l'homme. Les
plus Juftes confervent donc encore bien
des reftes du pécheur : David , ce mo-
dèle de pénitence ^ mêloit encore à {qs
vertus trop d'indulgence pour fes enfans,
& des regards de complaifance fur la mul-
titude de fon peuple ÔC fur la profpérité
de fon régne : la mère des enfans de
Zébédée , mialgré la foi qui Tattachoit à
Jefus-Chrift , n'avoit rien perdu de fa
vivacité pour Télévation de (es enfans, ÔC
pourleur alTurer les premières places dans
un Royaume terreftre : les Apôtres eux-
mêmes difputoient encore entr'eux des
rangs & des préféances : nous ne ferons
parfaitement délivrés de toutes ces mifé-
res , que lorfque nous ferons délivrés de
ce corps de mort qui en eft la fource. La
vertu la plus éclatante a donc toujours ici-
bas fes tâches 5c fes difformités , qu'il ne
faut pas regarder de trop près j &. il y a
toujours dans les plus Juftes des endroits
par où ils reffemblent au refte des hom-
mes. Tout ce qu'on peut donc exiger de
la foibleffe humaine, c'eft que les vertus
27<5 Mercredi de la IV. Semaine .
remportent fur les vices , le bon fur le
mauvais ; c'eft que reffentiel foit réglé ,
& qu'on travaille fans celle à régler le
rcfte.
Et certes , mes Frères , pleins de paf-
fions , comme nous fommes , dans la con-
dition miferable de cette vie ; chargés d'un
corps de péché qui appéfantit notre ame;
efclaves de nos fens & de la chair ; portant
au- dedans de nous une contradiction éter-
nelle à la Loi de Dieu ; en proie à mille
défirs qui combattent contre notre ame ;
les jouets éternels de notre inconftance ôC
de rinftabilité de notre cœur ; ne trouvant
rien en nous qui favorife nos devoirs ; vifs
pour tout ce qui nous éloigne de Dieu ;
dégoûtés de tout ce qui nous en approche ;
n'aimant que ce qui nous perd ; ne haïlfant
que ce qui nous fauve: foibles pour le bien;
toujours prêts pour le mal ; ÔC en un mot,
trouvant dans la vertu Técuèil de la vertu
même ; doit-il vous paroître étrange , que
des hommes environnés ,paîtris de tant de
miféres , en lailîent encore paroître quel-
ques-unes ; que des hommes fi corrompus
ne foient pas toujours également faints ? 6C
f\ vous aviez de Téquité , ne les trouveriez*
vous pas plus dignes d'admiration d'avoir -
encore quelques vertus , que dignes de
cenfure pour conferver encore quelques
vices ?
D'ailleurs , Dieu a fes raifons en laiiTant
encore aux plus gens de bien certaines foi-
bielles fenûbles , qui vous frappent ÔC qui
LvjusTî?;e du momde , 5Cc. iff
vous révoltent. Premièrement , il veut
par-là les humilier , ôc mettre leur vertu
plus en sûreté en la leur cachant à eux-mê-
mes. Secondement , il veut ranimer leur
vigilance ; car il ne laifle des Amorrhéens
dans la terre de Canaan , c'eft-à-dire ,
d€s palTions dans le cœur de fes ferviteurs ,
que de peur que délivrés de tous leurs en-
nemis, ils ne s'endorment dans roifiveté ,
Se dans une dangereufe confiance. Troifié-
raement , il veut exciter en eux un défir
continuel de la patrie éternelle , ÔC leur
rendre Texil de cette vie plus amer , par le
fentiment des miféres dont ils ne fauroient
obtenir ici-bas une entière délivrance. Qua-
trièmement , peut-être aulTi pour ne pas
décourager les pécheurs par le fpeftacle
d'une vertu trop parfaite , 5C à laquelle ils
croiroient ne pouvoir jamais atteindre.
Cinquièmement , c'eft pour ménager aux
Juftes une matière continuelle de prière 6C
de pénitence , en leur lailîant une fource
continuelle de péché. Sixièmement, pour
prévenir les honneurs exceflifs que le mon-
de pourroit rendre à leur vertu , fi elle
étoit 11 pure ôC {\ éclatante , 6c de peur
qu'elle ne trouvât fa récompenle ou fon
écueil , dans les vaines louanges des hom-
mes. Que dirai-je enfin ? c'eft peut-être
encore pour achever d'endurcir & d'aveu-
gler les ennemis de la piété ; vous con-
firmer , vous qui m'écoutez , par les foi-
blelTes des gens de bien , dans l'opinion
iafenfée qu'il n'y a point de véritable ver^
278 Mercredi de la IV. Semaine;
tu fur la terre ; vous autorifer dans vos dé*
fordres , en leur en fuppofant de fembla-
feles ; 5c vous rendre inutile tout exemple
de la piété des Juftes. Vous triomphez des
foiblefles des gens de bien ; ÔC leurs foi-
blelTes font peut-être des punitions de Dieu
fur vous , & des moyens dont fa juftice fe
fert pour nourrir vos préventions injuftes
contre la vertu , 6c achever de vous en-
durcir dans le crime. Dieu eft terrible dans
fés jugemens ; & la confommation de Fini-
quité eft d'ordinaire la fuite de l'iniquité
même.
Mais en fécond lieu, quand la foiblefle
de l'homme ne rendroit pas barbares Sc in-
humaines vos cenfures fur les défauts qui
peuvent refter encore aux gens de bien ,
elles le feroient par rapport à la difficulté
toute feule de la vertu.
Car , de bonne- foi , mes Frères , vous
paroît-il Çi aifé de vivre félon Dieu , ôC de
marcher dans les voies étroites du falut ,
que vous deviez être fi impitoyables en-
vers les Juftes , dès qu'ils s'en écartent un
feul moment ? Eft-il û naturel de fe renon-
cer fans cefle foi-même, d'être toujours en
garde contre Cou propre cœur , d'en vain-
cre les antipathies , d'en reprimer ks pen-
chans , d'en abattre la fierté , d'en fixer
Tinconflance ? Eft-il fi facile de retenir les
faillies de Tefprit , d'en modérer les juge-
mens , d'en défavouer les foupçons , d'en
adoucir l'aigreur , d'en étouffer la maligni-
té ? Eit-ce une aifaire fi aifée d'être Ten*
Injustice du monde , 8cc. 179
ïiemi éternel de fon propre corps , d'en
vaincre la parelFe , d'en mortifier les goûts ,
d'en crucifier les défirs ?Eft-il fi naturel de
pardonner les injures , de foufirir les mé-
pris , d'aimer & de combler de biens ceux
qui nous font du mal . de facrifier fa for-
tune pour ne-pas manquer à fa confcience,
de s'interdire des plaifirs 011 tous nos pen-
chans nous entraînent , de réfifier aux
exemples , de foutenir tout feul le parti
de la vertu contre la multitude qui le con-
damne ? Tout cela vous paroit-il fi aifé ,
que ceux qui s'en écartent d'un feul point,
ne vous femblent dignes d'aucune indul-
gence ? que nous dites-vous vous-mêmes
tous les jours fur les difiîcultés d'une vie
chrétienne , lorfque nous vous propofons
ces régies faintes ? Eft-il fi étonnant qu'ua
homme qui marche depuis (i long-tems par
des chemins rudes 6c efcarpés, chancelle
ou tombe même quelquefois de lafiitude
ou de foiblelTe ?
Barbares que nous fommes ! 6c cepen-
dant la plus légère imperfection dans les
gens de bien , anéantit dans notre efprit
toutes les qualités les plus eftimiables ; ÔC
cependant , loin de faire grâce à leurs foi-
blefi[es en faveur de leur vertu , c'efl leur
vertu elle-même qui nous rend plus cruels
ÔC plus inexorables envers leurs foiblefies.
11 luffit, ce femble , d'être Jufie , pour ne
mériter plus d'indulgence : nous avons des
yeux pour leurs vices ; nous n'en avons
que pour les vertus ; un moment de foi',
iSo Mercredi de la IV. SëxMAimê.'
biefTe efface de notre fouvenir une vie en*.
tïére de fidélité ôc d'innocence.
Mais en quoi , mes Frères , votre in-
juftice envers les gens de bien eft plus
cruelle , c'eft que ce font vos exemples ,
vos défordres , vos cenfures elles-mêmes
qui les ébranlent, qui les afFoibliflent , qui
les forcent quelquefois de vous imiter ;
c*eft la corruption de vos mœurs , qui de-
vient tous les jours le piège le plus dange-
reux de leur innocence ; ce font Iqs déri-
ilons infenfées que vous faites fanscelfe de
•la vertu , qui les obligent fouvent pour les
éviter de le couvrir des apparences du vi-
ce. Et comment voulez-vous que la piété
des plus juftes fe conferve toujours pure
au milieu des mœurs d'aujourd'hui ; dans
im monde pervers , où les ufages fout des
abus , où les bienféances font des crimes,
^11 les paiïions font les feuls liens de la fo-
ciété , 6c où les plus fages &C les plus ver-
tueux font ceux qui ne retranchent du cri-
me que le fcandale ? Comment voulez-vous
que parmi ces dérifions éternelles , qui
jettent un ridicule fur les gens de bien , qui
leur font honte delà vertu , qui les forcent
fouvent de contrefaire le vice ; comment
voulez-vous qu'au milieu de tant de défor-
dres , autorifés par les mœurs publiques ,
par des applaudiifemens infenfés , par des
exemples que le rang ÔC les dignités ren-
dent refpeÔables , par le ridicule dont on
couvre ceux qui ofent en faire fcrupule, 8£
enfin , par la foiblefle même de leur cœur ;
comment
Injustice du monde, &c. 381
comment voulez-vous que les Tulles réfiA
tent toujours à ce torrent fatal ; ^ qu'obli-
gés de fe roidir fans ceile contre ce cours
rapide 5c impétueux , qui entraîne tout le
relie des hommes , la force ou rattention
leur manquant un inftant , ils ne s'y lailTent
pas quelquefois aller eux-mêmes ? Vous
êtes leurs féduâeurs ; 6c vous trouvez
mauvais qu'ils fe laiiTent feduire ? Ne leur
reprochez donc plus vos fcandales qui af-
foibliffent leur foi, 6c qu'ils vous reproche»
ront devant le tribunal de Jefus-Chrift ;
bi. ne triomphez plus de leurs fo.iblelTes
qui font votre ouvrage y & doat ils de-
manderont un jour vengeance contre vous>
mêmes.
Aufîi j'ai dit en dernier lieu y que par
rapport à vos maximes mêmes , votre in-
jiiilice envers les gens de bien , ne fauroit
être ei^cufée de dureté ou d'extravagance ^
jugez-en vous-même. Vous dites tous les
jours qu'un tel avec fa dévotion ne laiffe
pas d'aller à fes fins ; qu'un autre eft fort
exaft à faire fa caur ; qu'un autre encore
a une vertu fi fenfible 5>: il délicate, qu'urie-
piqaûre le blelTeôCle révolte ; que celui-ci
ne pardonne point ; que. celle-là n'eH pas;
fâchée encore de plaire ; qu'une autre a
une vertu fort commode , ôc mène une
vie douce 5c agréable ; qu'une autre enfiii
eft toute paîtrie d'humeur 5c de caprice , ÔC
que dans l'enceiiite de fa inaifon , perfbnn-e
ne peut compatir avec elle i que fai-)e ï car
les difcours 8c les fatyresn^finiirent paalîUK:
282 Mercredi de la IV. SemawS.
cet article ; 5c là-deiTus vous décidez fié-.
rement qu'une dévotion mêlée de tant des
défauts ne fauroit jamais en faire des Sainta
& les conduire au falut :■_ voilà vos maxi-
mes. Et cependant lorfque nous venons
nous-mêmes vous annoncer ici que la vie
mondaine , oifeufe , fenfuelk , difllpée ^
& prefque toute profane que vous menez ,
^e fauroit être une voie de falut , vous noua
foutenez que vous n'y voyez point de mal ;
vous nous accufez de dureté ,6c d'outrer
les régies 5c les devoirs de votre état ;,
vous ne croyez pas qu'il en faille davan*
tage pour fe fauver. Mais ,. mes Frères ,
ûe quel côté eô ici la dureté , ÔC l'injuftice?
ajoutent à kur piété quelques endroits qui
vousreffemblent ; parce qu'iJs mêknt quel-
^les.uns de vos défauts à une infinité de
vertus 5c d^ bonnes œuvres > qui ks repa-
ient; & vous vous croyez dans la Voie du
falut , vous qui n'avez que ces défauts ,
fans la piét^ eîle-mêm.e qui les purifie ? O
homme ! qui êtes-vous donc pour fauver
ceux que le Seigneur condamne , 5c poi;r
condamner ceux qu'il juôifie.
Ce n^eil pas. aiTes ^ & vous allez voÎ3^
encore combien peu fur ce point ^ vous
vous accordez avec vous-mêmes. En effets
lorfque \qs gens de bien vivent dans une re-
traite entière x qu'ils ne gardent plus de
mefures avec Iç monde ; qi>ils fe cachent
yoiir toujours aux yeux du public ; qu'il*,
^ittejit jûiêçie cextakes glaces dQ faysiiX
Injustice du moxde , 8cc. 2S3
êC de dirtinâion : qu'ils fe dépouillent de
leurs charges 6C de leurs dignités , pour
vaquer uniquement à leur {al\t ; qu'ils mé-
cent une vie de larmes , de prière , de mor-
tification , de lilence ; ( 6c ces exemples ,
rotre fiécle a été aflez heureux pour vous
en fournir ; ) qu'avez-vous ditalors? qu'ils
-pouiToîent les chofes trop loin; qu'on leur
donnoit des confeils violens ^ que leur
2èle n'était pas félon la fcience ; que fitout
îe monde les im^itoit ^ les devoirs publics
feroient négligés ;queperfonneuerendroit
plus à la patrie Sc à l'Etat , les fervices
dont il ne peutfe paffer; qu'il ne faut point
tent de (ingiîîarité ; ÔC que la véritable dé-
votion y c'Q'à de vivre uniment , & de
remplir lesde\oirs de l'état où Dieu nous
a plactîs : voilà vos maximes. Mais d'un
autre côté^lorfque les gens de bien ac-
cordent avec la piété les devoirs de leur
état, ÔC les intérêts innocent de leur for-
tune ; qu'ils gardent encore certaines me-
fures de bienféance ÔC de fociété avec le
inonde ; qu'ils paroillent aux lieux d'où leur
rang ne leur permet pas de fe bannir; qu'ils
participent encoj^e à certains plaifirs publics
que la lituation où ils fe trouvent leur rend
inévitables ; en un mot, qu'ils font prudens
dans le bien , & fimples dans le mal ; ah î
vous dites alors qu'ils font faits com.me les
autres hommes ; qu'à ce prix-là il: vous pa*
roit fort aifé defervir Dieu ; qu'il n'y a rien
dans leur dévotion qui vous falTe peur ; 5C
^Ufi VQUi fsii^ibkntdtuu grand Samt ^ s'il
Aa i
2^4 Mercredi de la IV. Semaî^^e;
n'en falloir pas davantage. La vertu a beau
paroître fous différentes faces , il fuffit
qu'elle foit vertu ^ pour vous déplaire 6C
mériter vos cenfures. Accoxdez-vous donc
avec vous-mêmes : vous voulez que les
gens de bien foient faits comme vous , 6C
vous les condamnez dès qu'ils vousiefTern-
blent..
Vous renouveikz.rtnjuftice 8c la dureté
des Juifs de notre Evangile. Lorfque Jean-
Baptifte parut dans le défert , revêtu âb
poil de chameau V ne mangeant ni ne bu-
vant ,. 8c donnant à la Judée le fpe£lacle
d'une vertu plus auftère que celle de tou-S
les Juftes & de.tous les Prophètes qui l'a-
voient précédé; ils regardaient^ dit Jefus-
Chrift , l'auitérité de iès mœurs commç
l'illulion d'un efprit impofîeur , qui k fér
duifoit 5c ne lepouffoità ces excès , qu^
pour lui faire trouver dans la vanité le dé-
dommagement de fa pénitence. Le fils de
l'Homme au contraire , vint enfuite, con-
tinue le Sauveur ,. mangeant 6c buvant ;
leur propofanî dans fa conduite le modèle
d'une vertu plus à portée dç la. foiblelTc
humaine ; 5c pour fe.rvir d-exemple à tous,
menant une vie limple 5c commune que
tous puiiTenî imiter :ell-il plus à couvert de
leurs cenfures ? ah ! ils le font palier pouj"
un hom.me de plaliir 5c de bonne chère , 6c
la condefcendance de fa vertu n'eii phis
dans leur efprit , qu'un relâchement qui îa.
flétrit ÔC la déshonore. Les vertus les plus
diifeiobiabks oe réuffiffent qu'à s'attireils^^
Injustice du mo.vde , Scc. iS"^
mêmes reproches. Ah ! mes Frères , que
les gens de bien feroient à plahidre ,. s'ils
avoieiitàêtre jugés devant le Tribunal des
hommes ! mais ils favent que le monde
qui ks juge eft déjà lui-même jugé.
Et ce qu'il y a ici de plus déplorable-,
mes Frères , dans la févérlté avec laquelle
vous condamne-'z les plus légères imperfec-
tions des gen-s de bien ^ c'elè que (î un pé-
cheur célèbre 5c fcandaleux y après unt vie
entière de crimes S>C d'excès , donne feule-
ment au lit de la mort quelques foibles man-
ques de repeaîir ; s'il prononce feulement
le nom d'un Dieu qu'il n'a jamiais connu , êC
qu'il a toujours blafphêmd: s'il confenten-
fin , après bien des délais 6c des répU'-
gnaiices , à recevoir les grâces & les der-
niers remèdes de l'Egliie , qu'on n'ofoit
même lui propofer ; ah ! vous le rangez
parmi les Saints : vous dites qu'il a fait une
mort chrétienne ,.qu*ils'eû reconnu , qu'il
a dem.andépardon à Dieu ; & là-delTus vous
êfpérez tout de fon falut , 5c vous ne dou-
tez plus que le Seigneur ne lui ait faitmifé*
licorde ? quelques marques forcées de re-
ligiou qu'on lui a, arrachées, fuffifent, félon
vous , pour lui alTurer le Royaume de
Dieu , où rien de fouillé n'entrera ; fuffi-
fent ,. dis- je , malgré les défordres 6^ les
abominations de toute fa vie ; 6c une vie
entière de vertu ne fuffitpas dans votre et
prit pour l'aifurer aune ame fidèle, dès
qu'elle y mêle les plus petites infidélités.:
ïQiis. iauv^z rimpièfui ks Jig.ae.s.k5.gius fri^
286 Mercredi DE LA IV. Semaine.^ ^
voles 6c les plus équivoques de la piété ;
.& vous damnez le Juûe fur les marques les
plus légères 6c les plus excufabies de Thu-
znaiMté'^C de la foiblefle*
Je pourrois ajouter, mes Frères , qu^à
ne confulter même que vos propres inté-
rêts , les imperfeiSions des gens de bien
^evroient vous trouver plus indulgens 5C
plus favorables. Car, mes Frères , eux
feuls vous épargnent , cachent vos vices ^
adouciflent vos défauts , excufent vos fau-
tes , relèvent ee qu'il y a de loiiable dans
vos vertus* Tandis que le monde , que vos
égaux , que vos envieux , que vos con-
eurrens , que vos amis prétendus peut-être
diminuent vos talens ôc vos fervices , par*
îent avec mépris de vos bonnes qualités ,
donnent du ridicule à vos défauts , comp-
tent vos malbeurs parmi vos fautes , exa-
gèrent vos fautes mêmes , empoifonnent
vos difcour-s 5c vos démarches les plus in*
lîocentes > les gens de bien tout feuls vous
excufent ^ vous juiiiiient, font les apolo>-
giftes de vos vertus , ou ks fages diEim.ula-
teurs de vos vices ; eux feuls rompent les
entretiens , où votre gloire 5c votre répu-
tation font attaquées ; eux feuls ne fe joi-
gnent point au public contre vous ; ÔC ils
font les feuls pour qui vous manquez d'hu-
manité y 5C à qui vous ne pardonnez pas
même les vertus qui les rendent eiiimables*
Ah î m.es Frères, rendez- leur du moins ce:
qu'ils vous prêtent ; épargnez vos protec*
teurs ôC vos aj^^ologiftes y. ôc ii'infiiiBezjgaâj
Injustice du monde , Scc. iff
en les décriant , les feuls témoignages favo*
râbles qui vous reftent parmi les hommes.
Mais je n en dis pas allez mon- feulement
les gens de bien ne fe joignent point à
ïa malignité du public contre vous , mais
evix feuls font vos amis véritables ; eux
feuls font touchés de vos maux ^ fenfibles à
vos égarem.ens , occupés de votre falut ;
ils vous portent dans le cœur; en excufant
vos pafTions ÔC vos défordres devant les
hommes > ils en gémiifent tous les jours de-
vant Dieu ; ils lèvent les mains au Ciel pour
vous -, ils foliicitent votre çonverlion ; ils
demandent grâce pour vos crimes ; 6C .
vous ne fauri^z rendre juftice à leur vertu
& à leur innocence ? ah! ils peuvent faire-
au Seigneur contre vous ks mêmes plain-
tes que lui faifoit autrefois le Prophète Je-
îémie contre les Juifs de fon tems y cen-
feurs injuftes de fa piété 6c de fa conduite*
Seigneur , difoit cet homme de Dieu ^
écoutez Les difcours 6c les cenfures que
les eaneniis de votre nom répandent contre ^
moi : \^tt£nde ,, Domina , ad me, & audif^'^"^
'Vccem adverfariorum meorum* EQi-ce ainfi ,
ô mon Dieu ! qu'ils me rendent le bien poui?
le mal, qu'ils payent d'ingratitude ÔC d'in-
humanité la fincérité de ma tendreffe pour
eiix y & q^^e les pièges q^u'lls me tendent
tmis les jours , font le feul prix de mon
ïèle pour leur falut? Numquidredditurpro Zdid.ti
èono malum yqiiia fod^runt foveum anlmœ^^'-^
meie ? Vois m'êtes témoin , Seigneur ,^
que jeae j^arois eiiygue gràfejQGe g^uepoi^
2SS Mercredi de la IV. Semaine.
vous parier en leur faveur ; vous favez qus
mes iarmes ne coulent devant vous que
pour effacer leurs crimes ; que mes prières
ne montent jufqu'à votre Trône que pour
attirer fur eux vos miféricordes éternelles:
vous vous fouvenez , Dieu de nos pères ,
de tous les foupirs que j'ai répandus à vos
pieds , pour détourner votre colère prête à
éclater fur leurs têtes , avec quelle douleur
je les ai viîs courir à leur perte , 5c com-
bien leurs prévarications m'ont toujours
trouvé plus fenfibte que leur mépris êC
leurs dérifronsinjulks r Recordare quoifle-
terim in confpcB.u tuo , ut laquer er pro eis
konurn , d* avertcrem indignationein tuant
ab eis.
Vous fentez fans ck)ute îà-delTus y mes
Frères , toute i'injuftice de votre condui-
te : mais que feroit-ce, (r en achevant ce
que je m'étois d'abord propofé , je vous
montrois que non feulement vous donnez
aux bonnes œuvres des gens de bien , des
motifs corrompus ; ce qui cft une témérité:
non-feulement vous exagérez leurs plus
légères foiblelfes ; ce qui efl: une inhuma-
Bité : mais encore quand vous n'avez rienà
dire contre la droiture de leurs intentions y
6c que leurs défauts ne donnent point de
prife à vos cenfures , vous vous retranchez
à donner du ridicule mêrsie à leur vcîim $.
ce qui eli une impiété»
Oui , mes Frères , une impiété. Vous
faites de la Religion un jeu , une fcène co-
3mquc.j. vcus ia,tiaduifsi euQQre comme
Injustice du monde , 8cc. 2.89
autrefois les payeiis far un théâtre infâme ;
& là vous expofez à la riféc àQS fpe£la-
teurs fes myftères faints , ôc ce que la terre
a de plus facré ÔC de plus refpeâable^
Vous pouvez excufer vos paflions fur la
foibleife du tempérament , 6c fur la fragi-
lité humaine ; mais vos déridons de la vertu
ne fauroient trouver d'excufe que dans un.
mépris impie delà vertu même: cependant
ce langage d'irréligion 5c de blafphême fî
autorifé dans le monde , n'eft plus qu'un
enjouement , un jeu d'efprit , un langage
dont la vanité elle-même s'honore.
Mais , mes Frères , par-lâ vous perfé-
cutez la vertu , ÔC vous vous la rendez inu-
tile à vous-même ; vous déshonorez la
vertu , ÔC vous la rendez inutile aux au-
tres ; vous tentez la vertu , ^C vous la ren-
dez infouîenable à elle-miême.
Vous perfécutez la vertu , 6c vous vous
la rendez inutile à vous-mêmes. Oui , mon
cher Auditeur , l'exemple cIqs gens de
vbien étoit un moyen de falut que la bonté
de Dieu vous avoit préparé : or , fa juftice
indignée des dériiions que vous faites de
fes miféricordes fur fes fcrviteurs , les re-
tire à jamais de vous ; ÔC il vous punit du
mépris que vous faites de la piété, en vous
refufant le don de la piété mêm.e. Les Rois
de la terre vengent avec éclat les injures
qu'on fait à leurs ftatuès; parce que ce font
des monumens publics 6v. facrés qui les re-
préfentent , 6c qui expriment au naturel la
ma j elle de leurs traits & de leur vifage.
Carême , Tom^ UL B b
290 Mercredi de la III. Semaine.
mais les Jiilles font ici bas les ftatiiè's vi-
vantes du grand Roi , les images véritables
d'un Dieu laînt ; c'efl en eux qu'il peint la
majeflé de Tes traits les plus purs &C les plus
brillans ; ê»C il frappe toujours d'un anathê*
me éternel le^^riléges qui ofent en faire
le fujet de leurs dérilions ÔC de leurs ou-
trages.
D'ailleurs , quand même le Seigneur ,
pour punir vos dérifions de la piété , ne
vous refuferoit pas le don ineftimabledela
j)iété même, elles vous form.ent an rclpecl:
humain invincible , qui ne vous permettra
jamais d'en prendre le parti. Car , je vous
prie; fi jamais lalTé du monde , de vos dé-
îbrdres , de vous-même , vous voulez re-
venir à Dieu , i^ fauver votre ame que
vous perdez , comment oferezvous vous
déclarer pour la piété , vous qui en avez
fait i\ fouvent des plaiKmteries publiques
tfC profanes ? comment pourrez-vous vous
faire une gloire des devoirs de la Religion ;
vous à qui on entend dire tous les jours ,
qu'on perd l'efprit dès qu'on devient dé-
vot ; qu'un tel 6c»une telle avoient mille
bonnes qualités , qui les faifoient fouhaiter
par-tout ; mais qi-e la dévotion les a gâtés à
unpoint qu'ils font devenus infupportables ;
qu'ils alTe^lent de fe donner du ridicule ;
qu'il iemble qu'il faut renoncer au fens com-
mun dès qu'on a levé l'étendart de la piété;
que le Seigneur vous préferve de cette ma-
nie ; que vous tâchez d'être honnête hom-
me; mais que Dieu merci , vous n'êtes pas
LVJUSTICE DU MONDE , 5Cd. IÇÎ
^évot. Quel langage ! c'eft-à-dire , que
Dieu merci , vous êtes ma^ué d'avance
du caractère des réprouvés , que vous pou-
vez bien vous répondre que vous ne chan-
gerez point, ÔC que vous mourrez tel que
vous êtes. Quelle impiété !'^ c'eft parmi
des Chrétiens , qu'on tient tous les jours
ces difcours avec oftentation 6c avec com-
plaifance !
Ah , mes Frères ! pq-mettez ici une ré-
flexion à ma douleur. Les Patriarches , ces
hommes fî vénérable» , fi puiflans , même
félon le monde , ne fe faifoient connoître
aux Rois Se aux peuples des différens pays
où l'ordre du Seigneur les conduiioit, que
par ces termes religieux : Je crains le
Seigneur : Tlmeo Deum* Ils ne fe renom-
moient pas par la grandeur de leur race ,
dont l'origine touchoit encore à celle de
Tunivers , par la gloire de leurs ancêtres ,
par l'éclat du fang d'Abraham , de cet
homme le vainqueur des Rois , le modèle
de tous les Sages de la terre , S>C le feul hé-
ros dont le monde pouvoit alors fe glori-
fier. Nous craignons le Seigneur, c'étoit-
là leur titre le plus pompeux, leur no-
blefle la plus augufte , le feul caractère par
où ils vouloient être diftingués de tous les
autres honimes ; c'étoitle ligne magnifique
qui paroiflbit à la tête de leurs tentes & de
leurs troupeaux , qui brilloit dans leurs
étendarts , 5c qui portoit par-tout avec eux
la gloire de leur nom 5c celle du Dieu de
leurs pères. Et nous , mes Frères , noui
Bb z
2^2. Mercredi de la IV. Semaine;
nous défendons de la réputation d'homme
jufte 6c craignant Dieu > comme d'un titre
de honte ÔC d'infamie : nous étalons avec
orgueil les vaines dillin^lionsdurang 5c de
la naiiTance : les marques frivoles de nos
noms 6c de nos dignités , nous précédent ,
nous annoncent par-tout; 5c nous cachons
le figne glorieux du Dieu de nos pères , 6c
nous nous glorifions même de n'être pas
du nombre de ceux qui le craignent 5C qui
l'adorent. O Dieu ! laiiTez donc à ces hom-
mes infenfés une gloire lî afFreufe : con-
fondez leur extravagance Sc leur impiété ,
en permettant qu'ils fe glorifient jufqu'à la
fin de leur confufion Sc de leur ignominie.
Ce n'efi: pas tout , mes Frères , non-
feulement par ces dérifions déplorables
vous vous rendez la vertu inutile à vous-
mêmes , vous la rendez encore odieufe 6C
inutile aux autres ; c'eft-à-dire , non-feule-
ment vous vous fermez à vous-mêmes
toutes les voies de votre retour à Dieu ,
vous les fermez encore à une infinité d'a-
mes que la grâce prelTe en fecret de fortir
de leurs crimes & de vivre chrétienne-
ment ; qui n'ofent fe déclarer de peur de
s'expofer à vos railleries profanes ; qui ne
craignent dans une nouvelle vie que le ridi-
cule que vous donnez à la v^ertu ; qui n'op-
pofent en fecret que ce feul obftacle à la
voix du Ciel qui les appelle ; 5c balancent
dans la grande affaire de l'éternité , entre
les jugemens de Dieu & vos dérifions in-
fenlées.
Injustice du monde , 5cc. 293
C'eil-à-dire , que par-là vous anéantif-
fez le fruit de l'Evangile que nous annon-
çons, 6C rendez notre miniftère inutile*
vous ôtez à la Religion fa terreur 5c fa ma-
jefté , 6C répandez fur tout l'extérieur de
la piété , un ridicule qui retombe fur la
Religion même : vous perpétuez dans le
monde les préjugés contre la vertu , 6C
m.aintenez parmi les hommes rillufion la
plus univerfelle dont le démon fe fert pour
les féduire , qui efr de traiter la piété de
travers &C de folie : vous autoriiez les bla£-
phêmes des libertins 6c des impies : vous
accoutumez les pécheurs à fe faire du vice
6c du dérèglement , un fjjjet d'cftentation
& de gloire ; 6c à regarder la débauche
comme un bon air, en Toppofant au ridi-
cule de la vertu. Que dirai-je enfin ? par
vous la piété devient la fable du monde , le
jouet des impies , la honte des pécheurs ,
le fcandale des foibles , l'écuèii même des
Juftes : par vous le vice eft en honneur ,
la vertu eft avilie , les vérités s'affoibliffent,
la foi s'éteint , la religion s'anéantit , la
corruption gagne ; 5c comme le Prophète
l'avoit prédit, la défolation perfévére juf-
qu'à la confommation 6c la fin.
Ajoutons encore ; par vous la vertu de-
vient infoutenable à elle-même : vos déri-
fîons deviennent Técueil de la piété même
des Juftes ; vous ébranlez leur foi ; vous
découragez leur zèle ; vous fufpendez
leurs bons délirs ; vous étouffez dans leur
cceur les plus vives imprelîions de la gra*
Bb 3
294 MexRCRedi de la IV. Semaine.
ce ; vous les arrêtez fur mille démarches
de ferveur & de vertu , qu'ils nofent ex^
pofer à Timipiété de vos cenfures ; vous les
oLligez mjalgré eux de fe conformer encore
à vos ufages &. à vos m.aximes qu'ils détef-
tent , à rabattre de leur retraite , de leurs
aufléritës , de leurs prières ; & à ne confa-
crêr à ces devoirs que des momens déro-
bés qui puillciit échapper à vos regards &
à vos railleries ; 6c par-là vous privez TE-
glife de l'édification de leurs exemples ; les
loibles , du fecours qu'ils y trouveroient ,
les pécheurs , de la confufion qui leur en
reviendroit ; les Juftes , d'une confolation
qui les foutiendroit ; 5c la Religion , d'un
fpectacle qui l'honore.
Hélas , mes Frères ! les tyrans ne fai-
foient autrefois des dérifîons publiques des
Chrétiens , qu'en leur reprochant leurs fu-
perilitions prétendues : ils fe moquoient ,
des honneurs publics qu'ils leur voyent
rendre à Jefus-Chrift , à un Crucifié , 6C
de la préférence qu'ils lui donnoient fur
Jupiter ôc fur les Dieux de l'Empire , dont
la pompe 5c la magnificence des Temples
& des autels , l'ancienneté des loix , & la
majeilé des Céfars , rendoient le culte ref-
peâable ; du refte : ils donnoient des élo-
ges publics à leurs mœurs ; ils admiroient
leur modeitie , leur frugalité , leur charité,
leur patience , leur vie innocente 6c mor-
tifiée , leur éloignement des cirques 6c des
plaiiîrs publics , ils ne pouvoient s'empê-
cher de regarder avec vénération les mœurs
Injustice du monde , &c. 295
fàges , retirées , pudiques , douces , bien-
faifantes de ces hommes fimples ÔC fidè-
les. Vous au contraire plus infenfés , vous
ne trouv^ejpas mauvais qu'ils adorent
Jefus-ChriftT^^^ qu'ils mettent dans le
myftère de la Croix leur confiance 6c leur
faîut ; mais vous trouvez ridicule qu'ils
s'interdifent les plaifirs public ; qu'ils vi-
vent dans la pratique de la retraite, de la
mortification , de la prière ; mais vous les
trouvez dignes de vos dériiions &C de vos
cenfures , parce qu'ils font humbles , fim-
ples , chafles 6c modefles ; 5c la vie chré-
tienne qui a pu trouver des admirateurs
jufques parmi les tyrans , ne trouve auprès
de vous que des traits moqueurs 6c des
railleries profanes.
Quelle folie , mes Frères ! de ne trou-
ver dignes de rifée dans un monde , qui
n'eft lui-même tout entier , qu'un amas de
niaiferies 6c d'extravagances ; de n'y trou-
ver dignes de rifée que ceux qui en con-
lîoifTent le frivole , & qui i:e penfent qu'à
fe mettre à couvert de la colère à venir !
quelle folie de ne mcprifer dans les hom-
mes que les feules qualités qui les rendent
agréables à Dieu , refpe6^ables aux An-
ges , utiles à leurs frères ! quelle folie de
croire qu'un bonheur ou un malheur éter-
nei nous attend , t\. de trouver ridicules
ceux qu'un lî grand intérêt occupe !
Refpeâ:ons la vertu , mes Frères ; elle
feule lur la terre mérite notre admiration
& nos hommages. Si nous fommes encore
Bb 4
^9^ Mercredi de la IV. Semalve;
trop foibies pour en remplir les devoirs 1
foyons aiïez équitables pour en eftimer l'é-
clat ÔC riiinocence ; fi nous ne pouvons pas
vivre comme les Juftes , fouhaitons de le
devenir , envions leur deftinée ; fi nous ne
pouvons pas encore imiter leurs exemples ,
regardons les dérifions de la vertu , non-
feulement comme des blafphêmes contre
l'Efprit-faint , mais comme des outrages
faits à l'humanité, que la vertu toute feule
honore : reprochons-nous les vices qui ne
nous permettent pas de relfemibler aux
gens de bien , loin de leur reprocher les
vertus qui nous les rendent dillemblables ;
en un m.ot , par notre refpcci: véritable
pour la piété , méritons d'obtenir un jour
le don de la piété même.
Et vous, mes Frères , qui fervez le Sei-
gneur , fouvenez-vous que les intérêts de
la vertu font entre vos mainj ; que les foi-
LlefTes , que les taches que vous y mêlez ,
dev'ennent , pour ainfi dire , les taches
de la Religion même; comprenez tou.t ce
que le monde attend de vous , 5c quels en-
gagemens vous contraé^ez envers le public
lorfque vous vous déclarez pour le parti
de la piété ; 6c avec quelle dignité , quelle
fidélité , quelle élévation vous devez fou-
tenir le caraâ:ère 5c le perfonnage de fer-
viteur de Jefus-Chrift. Oui, mes Frères ,
foutenons avec majeflé les intérêts de la
vertu , 5<. les regards de ceux qui la mépri-
fent : achetons le droit d'être infenfibles à
leurs ceafures , en n'y donnant point de
ÎNJUSlritl DU MONDE , &C. ^^*f
iîeii: forçons le monde de refpeaer ce
qu'il ne fauroit aimer : ne failons pas de la
profefllon fainte de la piété , un gain ior-
dide , un vil intérêt , une vie ^1 n'^in-.eur 5C
de caprice , un titre de moilefle ^ d oïli-
veté , une luigularité qui nous honore , im
entêtement qui nous flàte un eiprit de
divifion qui nous fépare : f?^^^^^^^-^^^^ P'^^
de r éternité, la voie du Ciel , la règle de
nos devoirs , la réparation de nos crimes ,
un efprit de modeftie qui nous cache , une
componaion qui nous humilie, une dou-
ceur qui nous rapproche de nos treres ,
une charité qui les fouffre , une indulgence
qui les attire , un efprit de paix qui nous
les lie : & enfin , une union de coeurs , de
défirs , d'affeaions , de biens ^ de maux
fur la terre, qui fera l'image K 1 efperance
de cette union éternelle , que la chant®
^oit coufumer dans le cieL
/i/n/f foh - iU
j>^ X :♦;:» »»:x ^- ;< -^ss^ x j* ■« « ♦x ■» x il I
SERMON
POUR LE JEUDI
DE LA QUATRIEME SEMAINE,
DE CARÊME.
Sur la Mon.
Com approquinquaret Jefus porta? civitâtisj; ^
ccce defuLdus efferebatur fiiius unicus matiis
fuse.
]efus étant près de la porte de la Ville , il ar*
tiva quon portoit en terre un mort , qui étoit U
fils unique de fa mère» Luc. 7. ii.
^^^SjAiMAis mort fut -elle accom-
lîpagnée de circonftances plus
^j touchantes ? C'eft un fils uni-
1 que , le feul fuccelTeur du nom ,
des titres , de la fortune de fes
ancêtres , que la mort enlève à une mère
veuve 6c défolée : elle le lui ravit dans la
fleur de Tâge, 6c à Tentrée prefque de la vie;
en un tems où échappé aux accidens de
Tenfance, 6>c parvenu à ce premier degré de
Sur la Mort. 299
force 8c de raifon , qui commence Thom-
me, il paroilToit le moins expofé aux iiir-
prifes delà mort, 6c lailToit enfin refpirer
Ja îendrelle maternelle de toutes les frayeurs
qui fuivent les progrès incertains de l'édu-
cation. Les citoyens en foule accourent
-mêler leurs larmes à celles de cette mère
défolée : ailidus à fes cotes , ils cherchent
à diminuer fa douleur, par la confolation
de ces difcours vagues 6c communs ,
qu'une trifteffe profonde n'écoute guéres ;
ils entourent avec elle le trifle cercueil ;
ils parent les obféques de leur deuil ÔC de
leur préfence : Tappareil de cette pompe
funèbre efl pour eux un fpeétacle ; mais
eft-il une inftruâion ? ils en font frappés,
attendris ; mais en font-ils mioins attachés
à la vie ? ÔC le fouvenir de cette mort ne
va t'il pas périr dans leur efprit, avec le
bruit &. la décoration des funérailles ?
A de femblableé exem.ples , mes Frè-
res, nous apportons tous les jours les mê-
mes difpofitions. Les fentimens qu'une
mort inopinée réveille dans nos cœurs ; font
des fentimens d'une journée, comame fî la
mort elle-même devoit être l'affaire d'un
jour. On s'épuife en vaines réflexions fur
rinconltance des chofes humaines ; mais
l'objet qui nous frappoit , une fois difparu,
le cœur redevenu tranquille fe trouve le
même. Nos projets , nos foins , nos atta-
chemens pour la terre , ne font pas moins
vifs , que fi nous travaillons pour c\qs an-
nées éternelles : êc au fortir d'un fpeclacle
%oô Jeudi de la IV. Semaine.
lugubre, où l'on a vu quelquefois la naif-
fance , la jeunefTe , les titres , la réputation
fondre tout d'un coup , 6c fe perdre pour
toujours dans le tombeau , on rentre dans
le monde, plus occupé , plus empreilé que
jamais de tous ces vains objets , dont on
vient de voir de Tes propres yeux , Se tou-
cher prefque de fes mains le néant &C la
poufTiere.
Cherchons donc aujourd'hui les raifons
d'un égarement fi déplorable. D'où vient
que les hommes s'occupent fi peu de la
mort ; 6c que cette penfée fait fur eux des
impreflions fi peu durables ? Le voici : l'in-
certitude de \îi mort nous amufe , 6c en
éloigne le fouvenir de notre efprit ; la cer-
titude de la mort nous effraye , ÔC nous
oblige à détourner les yeux de cette trifte
image : ce qu'elle a d'incertain , nous en-
dort 5c nous raffure ; ce qu'elle a de ter-
rible 5c de certain , nous en fait craindre
la penfée. Or , je veux aujourd'hui com-
battre la dangéreufe fécurité des premiers ,
& l'injufle frayeur des aiitres. La mort
eft incertaine ; vous êtes donc téméraire
de ne pas vous en occuper , ÔC de vous
y lailTer fiirprendre: la mort eft certaine ;
vous êtes donc infenfè d'en craindre le fou-
venir , 5c vous ne devez jamais la perdre
de viië. Penfez à la mort , parce que vous
ne favez à quelle heure elle arrivera ; pen-
fez à la mort , parce qu'elle doit arriver ;
c'eft le fujet de ce difcours. Implorons ^
êCe. yiye j Maria*
Sur la Mort. 30^
HjE premier pas que Thomme fait ^^^^p^^'^^^
la vie , eft aufli le premier qui l'approche
du tombeau : dès que fes yeux s'ouvrent
à la lumière , l'arrêt de mort lui eft pro-
noncé ; 5c comme li c'étoit pour lui ua
crime de vivre , il fuffit qu'il vive , pour
mériter de mourir. Ce n'étoit point là no-
tre première deftinée : l'Auteur de notre
être avoit d'abord animé notre boue d'un
fouffle d'immortalité : il avoit mis en nous
un germe de vie , que la révolution des
tems 6c des années n'auroit , ni aftbibli ,
ni éteint : Ton ouvrage étoit concerté avec
tant d'ordre , qu'il eût pii délier la durée
des fiécles , 5c que rien d'étranger n'en eût
pu jamais diiloudre , ni altérer même Tliar-
monie. Le péché feul fécha ce germe di-
vin , renverfa cet ordre heureux , arma
toutes les créatures contre l'homme ; 5C
Adam devint mortel , dès qu'il devint pé-
cheur : Ccjl par le péché ^ dit l'Apôtre , Rom, fi
que la mort ejî entrée dans le monde.
Nous la portons donc tous , en naiffant,
dans le iein : il fembie que nous avons lucé
dans les entrailles de nos mères , un poifoa
lent , avec lequel nous venons au monde ,
qui nous fait languir ici-bas , les uns plus ,
les autres moins ; mais qui finit toujours ,
parle trépas : nous mourons tous les jours;
chaque inilant nous dérobe une portion de
notre vie , ÔC nous avance d'un pas vers le
tombeau : le corps dépérit, la fanté s'ufe,
tout ce qui nous environne nous détruit;
302 Jeudi de la IV. Semaine.
les alimens nous corrompent , les remèdes
nous affolbliiTeiit j ce feu fpirituel qui nous
anime au dedans , nous confume , ÔC toute
notre vie neft qu'une longue ÔC pénible
agonie. Or , dans cette fituation , quelle
image devroit être plus familière à l'iiom-
me , que celle de la mort ? Un criminel
condamné à mourir, quelque part qu'il
jette les yeux , que peut- il voir que ce
trifte objet ? ÔC le plus ou le moins que nous
avons à vivre , fait-il une différence affez
grande , pour nous regarder comme im-
. mortel fur la terre ?
Il eft vrai que la m.efure de nos deftî-
nées n'eft pas égale : les uns voyent croître
en paix jufqu'à l'âge le plus reculé , le
nombre de leurs années , 6c héritiers des
bénédi£^ions de l'ancien tems , ils meurent
pleins de jours, au milieu d'une nombreufe
poftérité ; les autres , arrêtés dès le milieu
de leur courfe , voyent , comme le Roi
Ezéchias , les portes du tombeau s'ouvrir
3^' en un âge encore floriiïant , & cherchent en
vain , comme lui j le refie de leurs années \
enfin , il en eft qui ne font que fe montrer
à la terre , qui finilTent du matin au foir ,
&: qui femblables à la fleur des champs ,
ne mettent prefque point d'intervalle entre
rinftant qui les voit éclore , 6C celui qui
les voit fécher ôC difparoître. Le moment
fatal m.arqué à chacun , eft un fecret écrit
dans le livre éternel que l'Agneau feul a
droit d'ouvrir. Nous vivons donc tous ,
incertains de la durée de nos jours; ôt
SurlaMort. 30Î
cette incertitude , fi capable toute feule de
nous rendre attentifs à cette dernière heu-
re , endort elle-même notre vigilance.
Nous ne fongeons point à la mort , parce
que nous ne favons où la placer dans les
différens âges de notre vie. Nous ne regar-
dons pas même la vieillelle comme le ter-
me du moins sur 8c inévitable : le doute
fi Ton y parviendra , qui devroit , ce fem-
ble , borner eu deçà nos efpérances , fait
que nous les étendons même au-delà de cet
âge. Notre crainte ne pouvant pofer fur
rien de certain , n'eft plus qu'un ientiment
vague 6c confus , qui ne porte fur rien du
tout ; de forte que Tincertitude qui ne de-
vroit tomber que fur le plus ou le moins ,
nous rend tranquilles fur le fonds même.
Or je dis d'abord , m.es Frères , que de
toutes les difpoiitions , c'eft ici la plus té-
méraire 5cla moins {Qn{ée : j'en appelle à
vous-mêmes. Un malheur qui peut arriver
chaque jour , eft-il plus à méprifer qu'un
autre qui ne vous menaceroit qu'au bout
d'un certain nombre d'années ? Quoi ? par-
ce qu'on peut vous redem.ander votre ame
à chaque inftant, vous la polTéderiez en
paix , comme il vous ne deviez jamais la
perdre ? parce que le péril eft toujours pré-
fent , l'attention feroit moins néceffaire? ÔC
dans quelle autre affaire que celle du fa-
lut, l'incertitude devient-elle une raifon de
fécurité ôc de négligence ? La conduite de
ce ferviteur de l'Evangile , qui fous pré-
texte que fon maitre tardoit de revenir ,
fo4 Jeudi de la IV. Semaine.
6c qu'il ignoroit 1 lieiire de fou arrivée^
ufoit de Tes biens , comme n'en devant plus
rendre compte , vous paroît-elle fort pru-
dente ? De quels autres motifs Jefus-
Chrifl s'eft-il fervi pour nous exhorter à
veiller fans celle ? ôc qu'y a t-il dans la Re-
ligion de plus propre à réveiller notre vigi-
lance , que rincertitude de ce dernier jour ?
Ah , mes Frères ! 11 Fheure étoit marquée
à chacun de nous ; lî le Royaume de Dieu
venolt avec obfervation : Il en nailTantnous
portions écrit fur notre front , le nombre
de nos années 6c le jour fatal qui les verra
finir , ce^point de vue fixe 5C certain, quel-
que éloigné qu'il pût être , nous occupe-
roit , nous troubleroit , ne nous lailleroit
pas un moment tranquilles : nous trouve-
rions toujours trop court l'intervalle que
nous verrions encore devant nous : cette
image toujours préfente malgré nous à no-
tre efprit , nous dégoûteroit de tout; nous
rendroit les plaidrs inlipides , la fortune
iudilïerente , le monde entier à charge 6C
«nnuyeux : ce moment terrible , que nous
ne pourrions plus perdre de vue , réprime-
roit nos paiTions , éteindroit nos haines ,
défarmeroit nos vengeances , calmeroit les
révoltes de la chair , viendroit fe m.éler à
tous nos projets; 5c notre vie ainil déter-
minée à un certain nombre de jours précis
ÔC connus , ne feroit qu'une préparation à
ce dernier moment. Sommes-nous fages,
mes Frères ? la mort , vue de loin à un
point sûr 2>C marqué , nous effrayeroit ;
nous
Sur la Mort. 3^5.
iious détacheroit du monde 5C de nous*
mêmes , nous rappelleroit à Dieu , nous
occuperoiî fans cefTe; &C cette même mort
incertaine, qui peut arriver chaque jour ,
chaque inilant ; ÔC cette mort qui doit
nous furprendre , qui doit venir quand
nous y penferons le moins ; Sc cette mort
qui e(è peut-être" à la porte , ne nous oc-
cupe point , nous laifTe tranquilles : que
dis-je ! nous laiiïe toutes nos paiTions ,
tous nos attachemeiîs criminels, toute no-
tre vivacité pour le monde , pour les pîai-
firs , pour la fortune , 5c parce qu'il n'eft
pas sûr (î nous ne m.ourrons pas aujour-
d'hui , nous vivons commue fi nos années
devroicnt être éternelles.
Remarquez en effet , mes Frères , quo
cette incertitude eft accompagnée de toutes
les circonftances les plus capables d'allar^
mer . ou du moins d'occuper un homme
fage , & qui fait quelque ufage de fa rai-»
fon. Premièrement , la furprife de ce der»
nier jour , que vous avez à craindre , n'eft
pas un de ces accidents rares , uniques, qui
ne tombent que fur quelques malheureux,
& qu'il ell: plus prudent de méprifer que
de prévoir. H ne s'agit pas ici , pour que
la mort vous farprenne , que la foudre
tombe fur vous , que vous foyez enfeveîis
fous lt?5 ruines de vos palais , qu'un nau-
frage vous engloutiffe fous les eaux , ni de
tant d'autres, malheurs , quç leur lingula-
rité rend plus terribles, &C cependant m.oins
appréhendés: ç'eft un m^alheur familier;.
tujS* 12,
J9^
jo6 Jeudî de la IV. Semaine.
il n'eft pas de jour qui ne vous en four-'
nlfTe des exemples ; prefque tous les hom-
mes font furpris de la mort ; tous l'ont
vu approcher , lorfqu'ils la croyent en-
core loia ; tous fe difoient à eux-mêmes ,
comme Tinfenfé de l'Evangile : Mcn ame^
repcfe^-vous » vous kive^ du bien pour
plujieurs années. Ainfi font morts vos pro-
ches , vos amis , tous ceux prefque que
vous avez vil mourir ; tous vous ont lailTé
vous-même étonné de la promptitude de
leur mort : vous en avez cherché des rai-
fons dans Timprudence du malade , dans
rigno/ance de 1 art , dans le choix des re-
mèdes ; mais la m^eilleure 5c la feule, c'eft
que le jour du Seigneur nous furprend
toujours. La t^rre eft comme un vafte
champ de bataille où Ton efî tous les jours
aux prifes avec l'ennemi : vous en êtes
Ibrtiheureufemçnt aujourd'hui ; mais vous
y avez vu périr des gens qui fe promet-
toient d'en fortir comme vous : il faudra
demain rentrer en lice ; qui vous a dit que
le fort, fi bizarre pour les autres , fera
toujours conûamment heureux pour vous
feul ? ÔC puifqu'eniîn vous devez y périr y
êtes-vous raifonnable d'y bâtir une de-
meure ftnbh ôC permanente , fur le lieu
même deftinée peut-être à vous fervir de
fépulture ? Mettez- vous dans telle fitua»
tion qu'il vous plaira , il n'eft point de mo-,
ment qui ne puiffe être pour vous le der-
iiier , 6c qui ne Tait été à vos yeux de>
quelques-uns. de vos. fireres ; f oint d'oa^*^
SurlaMort. 307
tioîî d'éclat qui ne puiffe être terminée
par les ténèbres éternelles du tombeau ;
t<. Hérode eft frappé au milieu des applau-
di ffcmens infenfés de fon peuple : point de
jour foiemnel qui ne puille finir par votre
pompe funèbre ; 5c Jézabel fut précipitée
le jour mêm>e qu'clî^voit choifi pour fe
montrer avec plus d?îàfte 6c d'oftentation
aux fenêtres de Ton palais : point de feflin
délicieux qui nepuiife être pour vous une
nourriture de m.ort : ^ Baltazar expire
autour d'une table fomptueufe : point de
fommeil qui ne puiffe vous conduire à un
fommeil éternel : 5c Holopherne au milieu
de fon armée , vainqueur des R-oyaumiCS
& des Provinces y expire fous le glaive
d'une (impie fcn^ne d'Ifraèî : point de
crime qui ne puilfe finir vos crimes ; 6C
Zamibri trouve une mort infâme dans les
tentes mêmes des filles de Madian : point
de maladie qui ne puiflç être le terme fatal
de vos jours , 6c vous voyez tous les jours
les infirmxités les plus légères tromper les
conj e^èures de Tart 6c Tattente des malades,
6c tourner tout d'un coup à la mort 1 ea
im mot , repréfentez-vous dans quelque
circonflance de votre vie ^ où vous puiffiez
jamais vous trouver , à peine pourrez-vous
compter ceux qui y ont été furpris ; ÔC rien
ne peut vous garantir que vous ne le krez
pas vous-même. Vous le dites? vous en con-
venez ; & cet aveu fi terrible n'cft qu'ua
difcours que vous donnez à Tufage , Sc ne
vous coudait jamais à une feule précautioa^
Ce 2
3oR Jeudi î)e la ÏV. Semaîne.
qui puiffe vous mettre à couvert du pérîL
Secondement ,. fi cette incertitude ne
rouîoit que fur l'heure , fur le lieu , ou
fur le genre de votre mort y elle ne paroî-
troit pas fi aifreufe : car enfin , qu'importe
au Chrétien , dit Saint Auguilin , de mou-
rir au mùlieu de fcs proches ^ ou dans des.
contrées étrangères ; dans le lit de fa dou-
leur , ou dans le fein des ondes ? pourvût
qu'il meure dans la piété ôc dans la jufticee.
Mais ce qu'il y a ici de terrible , c'efl qu'il
eil incertain fi vous mourrez dans le Sei-
gneur , ou dans votre péché f c'eft que.
vous ignorez ce que vous ferez dans cette,
autre terre , où les conditions ne change-
ront plus ; Qntre les mains de qui tombera
votre ame , feule , étrangère , tremblante ,
au fortir du corps ; fi elle fera environnée
de lumière^ & portée aux pieds du Trône
fur les ailes des Efprits. bienheureux , ou
enveloppée d'un nuage affreux , ÔC pré-
cipitée dans les abîmes : vous êtes entre,
ces deux éternités ; vous ne favez à la-
quelle des deux vous appartiendrez : la
îriort feule vous découvrira ce fecret ; 5C
dans cette incertitude^ vous êtes tranquil-
le ? 6c vous la laiffez venir indolemment^,
comune fi elle ne devoit décider de rieu
pour vous ? Ah , mes Frères , fi tout de-
voit finir avec nous y l'impie auroit encoi"e.
tort de dire : Ne penfons point à la fin do:
îiotre vie ; mangeons êc bûvoiis , nous,
mourrons demain : plus il trouveroit de
douceur à vivre >, plus, il auroit raifon à^
Sur la Mort. 309
craindre la mort , qui ne fcroit plus pour
lui cependant qu'une celTation entière de
fon être. Mais nous à qui la foi découvTe
au delà , des peines ou des réconipenfes
éternelles; nous qui devons arriver à la
mort incertains fur cette terrible alterna-
tive , n'y a-t'il pas de la folie > que dis-j^e ?
de la fureur; (en ne tenant pas à la vérité
le même difcours que l'impie : Mangeons
ÔC buvons , nous mourrons demain ; ) mais
de vivre comme fi nous penfious com.me
lui ? Eh ! pouvons-nous être un feul instant
fans nous occuper de ce moment décifif ,
6c fans adoucir par les précautions de la
foi ce que cette incertitude peut jetter de
trouble ÔC de frayeur dans une ame qui n'a
pas encore renoncé à fes efpérances éter-
nelles ?
Troifiémement , dans toutes les autres
incertitudes , ou le nombre de ceux qui
partagent avec nous le même péril , peut
BOUS ralTurer ; ou des reflburces dont nous
pouvons nous fîâter , nous laiiTent pius
tranquilles ; ou enfin ^ tout au pire , la iur>
prife n'eit qu'une iniliudion > qui nous ap-
prend , à nos dépens ,. à être une autre fois
plus fur nos gardes. Mais dans l'incertitude
terrible dont il s'agit , miCs Frères ^ le
nombre de ceux qui courent le niéme rif-
que que nous , ne diminue rien au nôtre i
toutes les refiburces dont nous pouvons
nous flâter a.u lit de la mort, font d'ordi-
naire desillufions ; & la Religion elle-mê-
me qui les faut nitiU en efp ère prefque rien i
310 Jeudi de la IV. Semaine.
enfin y la fiirprife cil fiins retour ; nous ne
mcurons qu ime fois ; ÔC nous ne pouvons
plus mettre à profit notre imprudence pour
une autre occafion. Notre malheur nous
détrompe , il efl vrai ; mais ces nouvelles
lumières qui difîipent notre erreur ^ deve-
nues inutiles par rimmutabilité de notre
état, ne font plus que des lumières cruelles
qui vont nous déchirer éternellement , ÔC
faire îa matière la plus douloureufe de notre
fupplice , plutôt que des réflexions fages
qui puiîTent nous conduire au repentir.
Surquoi pouvez-vous donc juftifier cet
oubli profond 5c incompréheniîble , dans
lequel vous vivez de votre dernier jour ?
fur la jeunefTe qui femble vous promettre
encore une longue fuites d'années ? La jeu-
nelle ? mais le fils de la veuve de Naïm
ëtcit jeune ; la mort refpe£le-t'elle les âges
& les rangs ? La jeunelFe ? mais c'eft juge-
ment ce qui me feroit craindre pour vous ;
des mœurs licencieufes , des plaifirs extrê-
mes ; des pafîions outrées , les excès de
la table y les mouvemens deTambition y les
dangers de la guerre , les défîrs de la
gloire , les faillies de la vengeance ; n efl-
ce pas dans ces beaux jours que la plupart
des hommes MnilTent leur courfe ? Adonias
eût vieilli , s'il n'eût été voluptueux ; Ab-
falom y s'il eût été libre d'ambition ; le fils
du Roi de Sichem , s'il n'eût pas aimé
Dina ; Jonathas , fi la gloire lïe lui eût
creufé un tombeau fur les montagnes de
Gdboé» La ieimeile l mais faut-ii reu^m-
SùrlaMort. 31Î
veller Ici la douleur de la nation , 5c redou-
bler des larmes qui coulent encore ? faut-
il. aigrir la plaie qui faigne encore ÔC qui
faignera long-tems dans le cœur du grand
Prince qui nous écoute ? Une jeune Prin-
ceffe , les délices de la Cour ; un jeune
Prince , l'efpérance de FEtat ; l'enfant
même , le fruit précieux de leur tendreffe
6c des vœuK publics ; la cruelle mort ne
vient- elle pas de les moifîbnner tous en-
femble en un clin d'œil ? ÔC cet augufte
palais rempli , il y a peu de jours y de tant
de gloire , de majefté , de magnificence i
ncR-ïl pas devenu , ce femble , pour tou-
jours une maifon de deliil 5c de triilelTe ?
La jeuneiTe ? que la France feroitheureufe^
il Ton eût pu compter fur cette relTource \
hélas ! c'eit la faifcn des périls , &v lécueil
Je plus ordinaire de la vie.
Sur quoi vous rafTurez-vous donc en-
core ? fur la force du tempérament ? Mais
qu'eft-ce que la fanté la mieux établie? une
étincelle qu'un fouffle éteint : il ne faut
qu'un jour d'infirmité pour détruire le
corps le plus robuile du monde. Je n'exa-
mine pas après cela fi vous ne vous flâtez
point même là-defTus; fi un corps ruiné par
les défordres de vos premiers ans , ne vous
annonce pasau-dedans de vousunerépoiife
de mort ; Ci des infirmités habituelles ne
vous ouvrent pas de loin les portes dutora-
bea-i ; fi des indices fâcheux ne vous mena-
cent pas d'un accident foudain : je veux
gue vous prolong^iez vo^jaurs au-delà œè»
512 Jeudi de la ÏV. Semaine:
me de vos efpérances. Kéias , mes Frères
ce qui doit finir , peut-il vous paroître
long ? regardez derrière vous ; où l'ont vos
premières années ? que lailTent-elles de réel .
dans votre fbuvenir? pas plus qu'un fonge
de la nuit : vous rêvez que vous avez vécu:
voilà tout ce qui vous en refte : tout cet
intervalle qui s'ed écoulé depuis votre
iiaiilance juiqucs aujourd'hui , ce n'eft
qu'un trait rapide qu'à peine vous avez vu
pailer : quand vous auriez commencé à
vivre avec le monde , le pailé ne vous pa-
roitroit pas plus long ni plus réel ; tous les
fiécles qui ont coulé jufqu'à nous, vous les
regarderiez comme des inilans fugitifs :
tous les peuples qui ont paru 6c difparu
dans l'univers; toutes les révolutions d'Em-
pires &C de Royaumes ; tous ces grands
ëvénem.ens qui embéliffent nos hilloires ,
ne feroient pour vous que les diftëremes
fcènes d'un Tpeûacle que vous auriez vu
finir en un jour. Rappeliez feulement les
victoires , les prifes de places , les traités
glorieux , les magnificence^, les événe-
mens pompeux des premières années de ce
régne ; voiis y touchez encore : vous en
avez été la plupart , non-feulement fpe6ta-
îeurs, mais vous en avez partagé les périls
ÔC la gloire : ils paiTerantd^s nos annales
jufqu'à nos derniers neveux ; mais pour
vous,cen'efl déjà plus qu'un fonge ^ qu'un
éclair qui a difparu , 5c que chaque' jour
efface même de votre fouvenir? Qu'efl-ce
doac ^ue le peu de chemin qui vous rcfte.à
Sur L A Mort. 315
faire? croyons-nous que les jours à venir
ayent plus de réalité que les paiTésp les an-
nées paroilTent longues quand elles font en-
core loin de nous ; arrivées , elles difpa-
roilTent , elles nous ëchapent en un inftant ;
& nous n'aurons pas tourné la tête , que
nous nous trouverons , comme par un en-
chantemeet, au term.e fatal qui nous paroît
encore Ci loin , & ne devoir jamais arriver.
Regardez le n-i^nde tel que vous lavez vu,
dans vos premières années , & tel qu©
V0US le voyez aujourd'hui : un€ nouvelle
Cour a fuccédé à celle que vos premiers
ans ont vue; de nouveaux perfonnages
font m.ontés fur la fcène , les grands rôles
font remplis par de nouveaux acieurs ; êç
font de nouveaux événemens , de nouvelles
intrigues , de nouvelles paflions de nou-
vaux héros dans la vertu , comme dans
le vice » qui font le fujet des louanges,
des dériiions , des cenfures publiques :
un nouveau monde s'eft élevé infeniible*
ment , ÔC fans que vous vous en foyez ap-.
perçu , fur hs débris du premier : tout
paife avec vous ÔC comme vous : une rapi-
dité que rien n'arrête , entraine tout dans
les abîmes de l'éternité : nos ancêtres nous
en frayèrent hier le chem.in ; 6c nous allons
le frayer demain à ceux qui viendront après
nous. Les âges fe renouvellent ; la figure du
inoode paffe fans celle ; les morts 6c les
vivans fe remplacent 6c fe fuccédent conti-
nu.ellement ; rien ne dem.eure ; tout chan-
ge., tout s'ufe, tout s'éteint; Dieu feul
Carême, ^ Tome UL D. d
314 Jeudi de la IV. Semaine.
demeure toujours le même , le torrent des
fiécles qui entraîne tous les hommes , coule
devant fes yeux ; 5c il voit avec indigna-
tion , de foibles mortels , eniportés par ce
cours rapide , Tinfulte en panant ; vouloir»
faire de ce feul inftant tout leur bonheur ;
èC tomber au forîir dc-là entre les mains
de fa colère 6c de fa vengeance. Où font
maintenant parmi nous les Sages , dit TA-
pôtre ? 6c un homme , fut-ii capable de
gouverner l'univers , peut-il mériter ce
nom , dès qu'il peut oublier ce qu'il ell ÔC
ce qu'il doit être ?
Cependant , mes Frères , quelle impref"
lion fait fur nous rindabilité de tout ce
qui paiTe ? la mort de nos proches , de nos
amis , de nos concurrens , de nos maîtres ?
Nous ne penfons pas que nous les allons fui-
vre de près ; nous ne penfons qu'à nous re*
vêtir de leurs dépouilles : nous ne penfons
pas au peu de tems qu'ils en ont joiii ; nous
îie penfons qu'au plaifir qu'ils ont eu de les
polTéder ; nous nous hâtons de profiter du
débris les uns des autres : nous relTem.blons
à ces foldats infenfés , qui au fort de la
mêlée , ôc dans le tems que leurs compa-
gnons tombent de toutes parts à leurs cô-
tés fous le fer 6c le feu des ennemis , fe
chargent avidement de leurs habits ; ÔC à
peine en font-ils revêtus, qu'un coup mor-
tel leur, ôte avec la vie cette folle décoïa-
-tion-dont ils venoient de fe parer. Ain^ le
£ls fe revêt â.Qs dépouilles du père , lui
ferme les yeux , fuccéde à fon rang , à fa
Sur LA Mort. ^15
fortune, à fes dignités , conduit Tappareil
de fes funérailles , 6c fe retire plus occu-
pé, plus touché des nouveaux titres dont
il eft revêtu , qu'inftruit des derniers avis
d'un père mourant ; qu'affligé de fa perte ,
ou du moins défabufé des chofes d'ici-bas
par un fpeclacle qui lui en met fous lesyeux
le néant, 6c qui lui annonce inceffamment
ia mxême deftinée. La mort de ceux qui
nous environnent n'eft pas pour nous une
inftru6lion plus utile ; un tel laiiTe un pofte
vacant , 5C on s'empreffe de le demander ;
un autre vous avance d'un degré dans le
fervice ; celui-ci finit avec lui des préten-
tions qui vous auroient incommodé; celui-
là vous laiiTé l'oreille ÔC la faveur du maî-
tre , & c'étoit le feul qui pouvoit vous la
difputer : ùii autre enfin vous approche-
d'une dignité , 8c vous ouvre les voies à
inie élévation où vous- n'auriez pu préten-
dre qu'après lui ; ÔC là-delïïis , on fe rani-
me , on prend de nouvelles mefures , on
fait de nouveaux projets ; 5C loin defe dé-
tromper par l'exemple de ceux que l'on
voit difparoître , il fort de leurs cendres
mêmes des étincelles fatales qui viennent
rallumer tous nos défirs , tous nos attache-
mens pour le monde ; 5c la mort cette ima-
ge Il trifte de notre mifére , la mort rani-
me plus de paiTions parmi les hommes , que
toutes les illufions mêmes de la vie. Qu'y
a-t'il donc qui puiffe nous détacher de ce
monde miférable , puifqiie la mort même
ae fert qu'à reilerrer les liens , ôc nous
Ddi
3ï6 Jeudi de la III. Semaine
affermir dans Terreur qui nous y attache ?
Ici, mes Frères, je ne vous demande
que de la raifon. Quelles font les confé-
quences naturelles , que le bon fens tout
feul doit tirer de Tincertitude de la mort ?
Premièrement , Theure de la mort efî
incertaine ; chaque année , chaque jour ,
chaque moment peut être le dernier de no-
tre vie : donc c'eit Une folie de s'attacher à
tout ce qui doit pafTer en un infiant, 5c de
perdre par-làleieulbien qui nepallerapas:
donc tout ce que vous faites uniquement
pour la terre doit vous paroitre perdu ,
puifque vous n'y tenez a rien , que vous n'y
pouvez ccmipter fur rien ^ & que vous
n'en emporterez rien que ce que vous aurez
fait pour le Ciel : donc les Royaumes du
monde &: toute leur gloire, ne doivent pas
balancer un moment les intérêts de \otre
éternité , puifque les grandes fortunes ne
vous afliirent pas plus de jours que les mé-
diocres ; 5c que l'unique avantage qui peut
vous en revenir , c'ell un cliagrin plus
amer , quand il faudra au lit de la mort
s'en féparer pour toujours ; donc tous vos
foins , tous vos mouvemens , tous vos dé-
firs doivent fe réunir à vous ménager wne
fortune durable , un bonheur éternel que
perfonne ne puilfe plus vous ravir.
Secondem.ent, l'heure de votre mort eft
incertaine : donc* vous devez miOUrir cha-
que jour ; ne vous permettre aucune aélion
dans laquelle vous ne voululliez point être
furpris ; regarder toutes vos démarches ;
Sur la Mort. ^17
comme les démarches d'un mourant qui at-
tend à tous mom.ens qu'on vienne lui rede-
mander Ton ame ; faire toutes vos ceu\res
comm.e fi vous deviez à l'inilant en ailer
rendre compte ; & puifque vous ne pou-
vez pas répondre du tems qui fuit , régler
tellement le préfent , que vous np.yei^pas
befoin de Tavenir pour le réparer.
Enfin , rheure de votre mort eft incer-
tauie : donc ne différez pas votre pénitence;
ne tardez pas de vous convertir au Sei-
gneur , le tems prelfe ; vous ne pouvez
pas même vous répondre &un jour , &
vous renvoyez a un avenir éloigne k incer-
tain. Si vous aviez imprudeinîrjentavaléun
poifon mortel , renverriez- \ ous à un tems
éloigné le remède qui preffe , & qui feul
peut vous conferver la vie ? la mort quz
vous porteriez dans le fein , vous permet^
troit-elle des délais ÔC des remifes. Voilà
votre état. Si vous ctes fage , .prenez à
Imitant vos précautions : vous portez h
mort dans votre sm.e , puifque vous y por-
tez le péché : hâtez- vous d'y rem.cdier ;
tous les iMlîans font précieux à qui ne peut
fe repondre d'aucun : le brcuviwe emi^oi.
ionne qui mte^be votre ame , ne fauroit
vous mener loin ; la bonté de Dieu vous
offre encore le remède , hâtez^vou>, en-
core une fois , d'en ufer , tandis qu'il vous
en laiffe le tems. Faudroit-il des exhorta-
tions pour vous y réfoudre ? ne devroit-il
pas luffire qu'on vous montrât le bienfait de
la guenfon ? faut-il exhorter un infortuné
Dd3
3iS Jeudi de la IV. Semaine.
que les flots entraînent , à faire des efforts
pour fe gérantir du naufrage? devriez-vous
avoir befoin là-dellus de nos miniftère ?
Vous touchez à votre dernière heure; vous
allez paroitre en un clin d'oeil devant le
Tribunal de Dieu. Vous pouvez employer
utilement le moment qui vous reï^c. Pref-
que tous ceux qui meurent tous les jours à
vos yeux le lailfent échapper , ÔC meurent
fans en avoir fait aucun ufag'e : vous imitez
leur négligence ; la m.eme furprife vous at-
tend ; vous mourrez comme eux avant que
d'avoir commencé à mieux vivre. On le
leur avoit annoncé , & nous vous l'annon-
çons : leur malheur vous laiiTe infenfibles,
ê>C le fors infortuné qui vous attend ne tou-
chera pas davantage; ceux à qui nous l'an-
noncerons un jour : c'éil une fucceiîion
d'aveuglem.ent qui paile des pères aux en-
fans §C qui fe perpétue fur la terre : nous
voulons tous mieux vivre , 6c nous mou-
rons tous avant d'avoir bien vécu.
Voilà, mes Frères, les' réflexions fa-
ges ÔC naturelles , où doit nous conduire
l'incertitude de notre dernière heure. Mais
fî de ce qu'elle eft incertaine, vous êtesim-
prudens de ne pas vous en occuper davan-
tage , que fi elle ne devoit jamais arriver j
ce que fa certitude à de terrible 5c d'ef-
frayant , vous excufe encore moins de fo-
lie, d'éloigner cette trille image , com.me
capable d'empoifonner tout le repos ÔC
toute la douceur de votre vie. C'ell ce qui
xne relie à vous expofer.
Sur la Mort. 2ip
JL/'Homme n'aime pas à s'occuper de n.
fon néant 6c de fa baffeffe : tout ce qui lePAiinjt^
rappelle à Ion origine , le rappelle en mê-
me tems à fa fin ; bleile fon orgueil , inté-
relle Tamour de fon être , attaque par le
fondement toutes fes pallions , & le jette
dans des penfées noires & funeftes. Mou-
rir ; difparoitre à tout ce qui nous environ-
ne ; entrer dans les abimes ^de rëternité ;
■ devenir cadavre , la pâture des vers , l'hor-
reur des hommes , le dépôt hideux d'un
tombeau; ce fpectacîe tout feul fouléve
tous les fens , trouble la raifon , noircit
l'imagination, empoifonne toute la douceur
de la vie : on n'ofe fixer {qs regards fur une
image fi affreufe : nous éloignons cette
penfée comme la pl4istrifie 6c la plus amere
de toutes ; tout ce qui nous en rappelle le
fouvenir, nous le craignons , nous le fu-
yons, comme s'il devoit hâter pour nous
cette dernière heure. Sous prétexte de
tendrefie , nous n'aimons pas même qu'on
nous parle des perfonnes chères que la mort
nous a ravies ; on prend foin de dérober à
nos regards hs lieux qu'elles habitoient ,
les peintures où leurs traits font encore vî-
vans, tout ce qui pourroit réveiller en
nous avec leur idée , celle de la mort qui
vient de nous les enlever. Que dirai-je ?
nous craignons les récits lugubres ; nous
pouffons là-deffus nos frayeurs jufqu'aux
plus puériles fuperftitions ; nous croyons
voir par-tout des préfagcs finiftres de notre
Dd4
32^0 Jeudi de la IV. Se^v^alve.
mort, dans les rêveries d'un fonge , dans
le chant na6liirne d'un oifeau , dans un
nombre fortuit de convives , dans des évé-
nemens encore plus ridicules: nous croyons
la voir par tout , 6c c'efl pour cela même
que nous tâchons de la perdre de vue.
Or , mes Frères , ces frayeurs excefîî-
ves étoicnt pardonnables à des Payens
pour qui la mort étoit le plus grand des
malheurs , puisqu'ils n'attendoient rien au-
^elà du tombeau ; & que vivant fans efpë-
lance , ils mouroientfans confolation.Mais
on doit être furpris que h mort foit û terri-
ble à des Chrétiens , 5c que la terreur de
cette image leur ferve même de prétexte
pour l'éloigner de leur penfée.
Car en premier lieu , je veux que vous
ayez raifon de craindre cette dernière heu-
re ; mais comme elle eft certaine , je ne
comprends pas , q::e parce qu'elle vous pa-
Toit terrible , vous ne deviez pas vous en
occuper 5c la prévenir: il me femble au con-
traire , que plus le malheur dont vous êtes
menacé eft affreux , plus vous devez ne
pas le perdre de vue , &: prendre fans ceffe
des mefures pour n'en être pas furpris.
Quoi ? plus le péril vous frappe &: vous
épouvante , plus il vous rendroit indolent
& inappliqué ? les terreurs outrées de vo-
tre imagination vous guériroient de cette
crainte fage même qui opère le falut , 5c
parce que vous craignez trop , vous ne
penferiez à rien ? Mais quel eft l'homme
jque l'idée trop v;ve du danger caljne 8C
Sur LA Mort. ^u
faiïiîre ? quoi ? s'il falioit marcher par iiA
fentier étroit ^ efcarpé , entouré de toutes
parts des précipices , ordonneriez - vous
qu'on vous bandât les yeux pour ne pas
voir le danger , &C de peur que la profon-
deur de l'abîme ne vous fit tourner la tête?
Ah ! mon cher Auditeur , vous voyez vo-
tre tombeau ouvert à vos pieds , cet objet
affreux vous allarmiC ; 6v au lieu de prendre
dans la fageffe de la Religion , toutes les
précautions qu'elle vous offre pour ne pas
tomber inopinément dans ce gouffre , vous
vous bandez vous-même les yeux pour ne
le pas voir; vous vous faites des diverfîons
réjoùiffantes peur en effacer Fidée de votre
efprit ; ôc femblable à ces viâimes infortu-
nées du paganifm.e, vous courez au bûcher
les yeux bandés , couronné de fleurs , en-
vironné de danfes êc de cris de joïe , potir
ne pas penfer au terme fatal où cet appareil
vous conduit , & de peur de voir l'autel ,
e'eft-a-dire , le lit de la mort , où vous al-
lez à l'inllant être immolç.
De plus , fi en éloignant cette penfée,
vous pouviez aufii éloigner la mort , vos
frayeurs auroient du moins une excufe.
Mais penfez-y, ou n'y penfez pas , la mort
avance toujours ; chaque effort que vous
faites pour en éloigner le fouvenir , vous
rapproche d'elle ; ÔC à l'heure m.arquée ,
elle arrivera. Qu'avancez-vous donc en
détournant votre efprit de cette penfée ?
Diminuez-vous le danger ? vous l'augmen»
Jez ; vous vous rendez la furprife iuévi$a*
312 Jeudi de la IV. Semaine.
hle, Adoiiciirez-voiis l'horreur de ce fpec-
tacle en vous le dérobant ? ah ! vous lui
lailTez tout ce qu'il a de plus terrible ? Si
vous vous rendiez la penfce de la mort plus
familière , votre efprit foible 6c timide s'y
îiccoûtumeroit infenfiblement ; vous pour-
riez peu à peu fixer vos regards , &. l'en-
vifager fans trouble , ou du moins avec
réfignation ; au lit de la mort , elle ne fe-
roit plus pour vous un fpecStacle nouveau.
Un danger prévu de loin n'a rien qui éton*
ne: la mort n'eft formidable que la pre-
iniére fois qu'on en rappelle le fou venir ;'
6c elle n'eft à craindre que lorfquelle eft
imprévue.
Mais d'ailleurs , quand cette penfée vous
troubleroit , feroit fur vous des impreHions
de frayeur 6c de triftelTe , où feroit l'in-
convénient r n'êtes-vous fur la terre qiie
pour y vivre dans un calme indolent, 6c ne
vous y occuper que d'images douces ôC
riantes ? On en pcrdroit la raifon , dites-
vous , il l'on y penfoit tout de bon. On eA
perdroit la raifon ? mais tant d'ames fidèles
qui mêlent cette penfée à toutes leurs ac-
tions , 5c qui font du fouvenir de cette
dernière heure le frein de leurs pallions ^
& le plus puifiant motif de leur fidélité ;
mais tant d'illuf-ires pénitens , qui s'enfer-
moient tout vivans dans des tombeaux ,
pour ne pas perdre de vue l'image de là
mort ; mais les Saints qui mouroient tous
les jours ; comme l'Apôtre , pour ne pas
anourix éternellement , en ont-ils perdu la
Sur la Mort. 3^^
i^aifon ? Vous en perdriez la raifon ? c'eS
là-dire , vous regarderiez le monde , com-
me un exil ; les plaifirs comme une ivref-'
fe ; le péché , comme le plus grand des
malheurs ; les place? ^ les honneurs , la fa-
veur , la fortune, comme des fonges ; le
falut , comme la grande ÔC unique affaire:
eft-ce-là perdre la raifon ? HeureuTe folie !
ÔC que n'êtes- vous dès aujourd'hui du nom-
bre de ces Sages infenfés ! Vous en* per-
driez la raifon ? oui , cette raifon faulfe ,
mondaine , orgueilleufe, charnelle, infen-
fée qui vous féduit ; oui , cette raifon cor-
rompue qui obfcurcit la foi , qui autorife
les paffîons , qui nous fait préférer le temsi
à Téternité , prendre l'ombre pour la vé-
rité , 5c qui égare tous les hommes'; oui ,
cette raifon déplorable , cette vai'ne phi-
lofophie , qui regarde comme une foibleffe
de craindre un avenir , 5c qui parce qu'elle
le craint trop , fait femblant , ou s'efforce
de ne le pas croire. Mais cette raifon fage,
éclairée, modérée-, chrétienne : m.ais cette
orudence du ferpent^fi recommandée dans
! ^Evangile, c'eft dans ce fouvenir que vous
.a trouveriez ; mars cette fageffe préféra-
ble , dit l'Efprit-faint , à tous les tréfors.
ÔC à tous les honneurs de la terre ; cette
fageffe fi honorable à l'homimie , &C qui l'é-
léve fi haut au'-deffus de lui-macm.e ; cette
fageffe qui a formé tant de héros Chré-
tiens , c'eft l'image toujours préfente de
votre dernière heure , qui en em,Lellira
votre, aine. Mais pette penfée , ajoutez-
5 M Jeudi de la IV. Semaine.
vous ; ii Fou s'étoit mis en tête de Tappro^
fonciir 5c de s'en occuper fans ceiTe, leroit
, capable de faire tout quitter , 6c ne jettcr
^ans des réfolutions violentes ÔC extrêmes :
C*eft-à-dire , de vous détacher du monde ,
de vos vices , de vos pallions , de l'infa-
mie de vos déiordres , pour vous faire
mener une vie chalte, réglée , chrétienne ,
feule digne de la raifon : voilà ce que le
}r\onàe appelle des réfolutions violentes 5C,
extrêmes. Mais déplus, fous prétexte d'é-
viter de prétendus excès , vous ne pren-
driez pas même les réfolutions les plus né-
cefîaires ? commencez toujours: les pre-
miers tranfports fe rallentiifent bien-tôt; 5C
il e(ï bien plus aifé de modérer les excès
de la piété , que de ranimer fa langueur
iS>C fa pare/Te. Mais d'ailleurs , ne craignez
rien de la ferveur exceifive &. des empor-
temens de votre zèle , vous n'irez jamais
trop loin de ce côté là. Un cœur indo-
lent , fenfuel , comme le vôtre , nourri dans
les plaifirs 5c dans la pareffe , fsns goiit
pour tout ce qui regarde le feivice de
Dieu , ne nous promet pas de grandes in-
difcrétions dans les démarches d'une vie
chrétienne : vous ne vous connoiffez pas
vous-m.ême; vous n'avez pas éprouvé
quels obftacles toutes vos inclinations \ont
mettre aux pratiques les plus communes
de la piété. Prenez feulement des me-
fures contre la tiédeur 6c le décourage-
ment : voilà le feul écueil que vous avez
à craindre. Vous vous rappeliez Thifloire
Sur la Mort. 32I
fie Pierre , qui fe fît ordonner de remet-
tre le glaive, comme fi ion zèle eût dû le
mener trop loin; 6c qui au fortir de-là vint
échouer contre la voix d'une lîmple fem-
me , 5c trouva dans fa lâcheté , la tenta-
tion qu'il ne fembloit craindre que de fa
ferveur ÔC de fon courage. Quelle illulion!
de peur d'en faire trop pour Dieu , on ne
fait rien du tout: la crainte de donner trop
d'attention à fon falut, nous empêche d'y
travailler , êc Ton fe perd de peur de fe
fauver trop sûrement : on craint les excès
chimériques de la piété , t< on ne craiiït
point l'éloignement 6c le mépris réel delà
piété elle-même. La crainte d'en trop faire
pour votre fortune 6c pour votre éléva-
tion , ÔC de la pouffer trop loin , vous ar-
rête-t'elle ? refroidit-elle la vivacité de vos
démarches 6c de votre ambition ! n'cft-c-e
pas cette efpéranCe elle-même qui les fou-
tient 6c qui les animer Rien n'eft dg trop
pour le monde ; 5c tout eft excès pour
'Dieu: on craint 6c on fe reproche de n'en
faire pas aflez pour une fortune de boue ;
6c on s'arrête de peur d'en faire trop pour
la fortune de fon é^rnité.
Mais j8 vais plus loin , 5c je dis que c'eft
à vous une ingratitude criminelle envers
Dieu , d'éloigner la penfée de la mort ,
feulement parce qu'elle vous trouble ÔC
vous allarme : car cette imprefîîon de
crainte 5c de terreur , efl une grâce (ingu-
liére dont Dieu vous favorife. Hélas î com-
bien eft-il d'impies qui la méprifent , qui fe
ii6 Jeudi de la IV. Semaine.*
font un mérite affreux de la voir appf ochef
avec fermeté , ÔC qui la regardent comme
l'anéantillement entier de leur être ? com-
bien de Sages bi de Philofophes dans le
Chriflianiime , qui , fans renoncer à la foi
bornent toutes leurs réflexions , toute la
fupériorité de leurs lumières à la voir arri-
ver tranquillement ; 5c ne raifonnent toute
leur vie , que pour fe préparer en ce dernier
moment, à une confiance 5c à une férenité
d'efprit , aulTi puérile que les frayeurs les
plus vulgaires, ÔC qui elt Tufage, le plus
infenfé qu'on pu ille faire delaraifon même?
■combien de ces hommes follement amou-
reux de la valeur ÔC de la gloire , qui , au
milieu des combats , vont au danger com-
me à un fpe6):acle , fans remords , fans in-
quiétude , fans réflexion fur les fuites de
leur dellinée ? ( cette témérité , la valeur
de la nation la rend encore plus familière
parmi nous; que par-tout ailleurs ; ÔC je
parle devant une Cour où ceux qui la com-
pofent , font en polleflion d'en donner l'e-
xemple aux autres : ) combien de pécheurs
dans la tranquillité des villes ÔC dans Foifi-
veté d'une vie privée , livrés à i'endurcif-
'fement ^< à un fens réprouvé , ne font plus
touchés de cette image ?_combien d'autres
, enfin , qui par les fuites d'un caractère
trop vif, trop frivole , trop léger , ÔC peu
,. propre aux réflexions trifles &C férieufes ,
• .paifent toute leur vie fans avoir penfé une
• fois feulem.ent qu'ils dévoient mourir?
•- C'eft donc une grâce fignalée que Dieu
Sur la MorT; 227
fous fait , de donner à cette penfée tant
de force oC d'afcendant fur votre ame :.
c'eft donc vrai-femblablement la voie par
. laquelle il veut vous ramener à lui : il vous
fortiez jamais de vos égaremens , vous n en
fortiez que par- là : votre falut paroit at^
taché à ce remède. Que faites vous donc
en éloignant cette penfée , parce qu'elle
v^ous jette dans des frayeurs falutaires ?
vous vous privez du feul fecours qui peut
vous faciliter votre retour à Dieu : vous
rendez inutile une grâce qui vous ell pro-
pre : vous favez , pour ainfi dire , mauvais
gré à Dieu de vous en avoir favorilé ; 6C
vous vous reprochez à vous-même d'y
être trop feniible. Tremblez , mon cher
Auditeur , que votre cœur ne fe ralfure
contre fes frayeurs falutaires ; que vous ne
voyiez d'un œil tranquille les fpeâacles les
plus lugubres ; que Dieu ne retire de vous
ce moyen de falut , ÔC qu'il ne vous endur-
ciiTe contre toutes ces terreurs de reli-
gion. Un bienfait non-feulement m>éprifé ,
mais regardé même comme une peine , eft
bientôt luivi de l'indignation , ou du moins
de rindiîîerence du bienfaiteur. Alors l'i-
mage de la mort vous laillera toute votre
tranquillité : vous courez à un plaifîr au
fortir d'une pompe lugubre : vous verrez
des mêmes yeux , ou un cadavre hideux ,
ou l'objet criminel de votre pafTion : alors
vous en viendrez même jufqu'à vous fa-
voir bon gré de vous être mis au-delTus
de ces craintes vijgaires j jufqu'à vous ap-
5^8 j£U5i DE LA III. Semaine;
plaiidir d'un changement fi terrible pOUf
votre faliît. Mettez donc à profit pour le
règlement de vos mœurs , cette fenfibilité,
tandis que Dieu vous la laiiTe encore: rap-
prochez de vous tous les objets propres à
retracer en vous cette image, tandis qu'elle
peut encore troubler la fauife paix de vos
pafiions : venez quelquefois uir les tom-
beaux de vos ancêtres , méditer eii pré-
fence de leurs cendres fur la vanité de«
choies d'ici-bas : venez les interroger
quelquefois fur ce qui leur refie dans le fé-
jour ténébreux de la mort , de leurs plai-
firs , de leur dignité 5c de leur gloire :
venez vous-même ouvrir ces trifi:es de-
meures , &C de t©ut ce qu'ils ont été autre-
fois aux yeux des hommes : voyez ce qu'ils
font maintenant : des fpe6lres dont vous
ne pouvez foûtenir la préfence , des amas
de vers ôc de pourriture ; voilà ce qu'ils
fout aux yeux des hommes : mais que font-
ils devant Dieu ? Defcendez vous-même
en efprit dans ces lieux d'horreur Sc d'in-
fection , 6c choifilTez-y d'avance votre pla-
ce : repréfentez«vous vous - même dans
cette dernière heure , étendu fur le lit de
votre douleur , aux prifes avec la mort ,
vos membres engourdis , 6C déjà faifis d'un
froid mortel ; votre langue déjà liée des
chaînes de la mort ; vos yeux ûxqs , im-
inobiles , couverts d'un nuage confus , de-
vant qui tout commence à difparoître ; vos
proches 6c vos amis autour de vous , fai-
ia^t des vœux inutiles j)Our votre fanté.;
redoublant
Sur LA Mort. 319
tèdoiiblant votre frayeur 5c vos regrets ,
par la teiidrelle de leurs foupirs 6c Tabon-
dance de leurs larmes ; le Minifire du Sei-
gneur à vos côtés , le iigne du falut , alors
votre feule reiTource entre fes mains , des
paroles de foi , de miféricorde 5c de con-
£ance à la bouche. Rapprochez ce fpec-
taclc il inflruciif , fi intt^relTant : vous mê-
me alors dans les triftes agitations de ce
dernier combat , ne donnant plus de mar-
ques de vie que dans les convuHions qui
annoncent votre mort ; tout le monde
anéanti pour vous ; dépouillé pour tou-
jours de vos dignités &L de va^ titres ; ac-
compagné de vos feules œuvres , 5c près
de paroîîre devant Dieu. Ce n'efl pas ici
une prédiâ:ion ; c'eft Thiftoire de tous ceux
qui meurent chaque jour à vos yeux , 6c
c'eft davance la vôtre. Rappeliez ce mo»
ment terrible : vous y viendrez, 6c le jour
peut-être n'ell pas loin , 6c peut-être y tou-
chez-vous dîjà. Mais enfin , vous y vien-
drez ; 6c quelque loin qu'il puiife être , ce
fera demain , 6c vous y arriverez en un
infiant ; 5c la feule ecnfc'ation que vous
aurez alors , fera d'avoir fait de toute
votre vie l'étude , la reflource ÔC la prépa»
ratiûu de votre mort,
Enfin , K c'eft ma derpîére raifon , re-
montez à la fource de ces frayeurs excef-
Cves qui vous rendent l'image Si la penfee
de ia inort d terribles , vous h trouverez
faus doute dans leii embarras: d*unc conf-
çience criminelle : ce n'çft pas la mort qu$
r
350 Jeudi de la IV. Semaine.
vous craignez , c'eft la jnftice de Dieu qui
vous attend au-delà , pour punir les infi-
délités 5c les défordres de votre vie : c'eft;
que vous n'êtes pas en état de vous préfen-
ter devant lui tout couvert des plaies les
plus honteufes , qui défigurent en vous fon
image ; 5c que mourir pour vous dans la.
fituatlon où vous êtes , ce feroit périr pour
toute la durée des fîécles. Purifiez donc
votre confcience ; finilTez 5c expiez vos
palTiOîis criminelles ; rappeliez Dieu dans,
votre cœur : n'offrez plus rien à fes yeux
digne de fa colère & de fes châtimens ;;
mettez- vous en état d'efpérer quelque'
chofe de fes miféricbrdcs infinies après la
mort , alors vous verrez approcher ce der-.
jiier moment- avec moins de crainte &^ de
fai(]lTement ; ÔC le facrifice que vous aurez,
déjà fait à pieu du monde 6c de vos paf-
■fions, non-feulement vous facilitera, mais
Tbus rendra même doux 6c confolant , le.
facrifice que vous lui ferez alors de votre
vie.
Car dites- moi , mes Frères , qu'à la mort-
de fi effrayant pour une ame fidèle? de
quoi la fépare-t'elle ? d'un monde qui pé-*
rira , ^ qui efi: la patrie des réprouvés ; de
fes richeifes qui rembarrafîeut , dont l'ufa-
ge efi: environné de périls , 2>C qu'il lui étoit
défendu de faire fervir à la félicité de fes
fens ; de fes proches , de fes amis j qu'elle
ne fait que devancer , ÔC qui vont bientôt
là fuivre ; de fon corps ^ quiavoit été juf~
^^ues-l.à j ou l'éçueil de ion iiinQçeîiç.e:,>.Qa.
Sur la Mort. jjt
FGbfi:acle perpéti-ei de Tes faints défirs ; de
fes maitres 6c de (es fujets , dont les pre-
miers exigeoient fouvent d'elle des corn-
pLafances criminelles, Sc les autres la ren-
doient refponiable de leurs infidëlltës 5c de
leurs crimes ; de les places & de fes digni-
tés , qui en multipliant fes devoirs , au-
gmentoient fes périls ; enfin de la vie , qui
n'étoit pour elle qu'un exil , ÔC un défir
d'en être délivrée. Que lui rend la mort
pour ce qu'elle lui ôte ? elle lui rend des:
biens imimuables,5c que perfonne nepourrav
plus lui ravir ; des plaifirs éternels , 5C
qu'elle goûtera fans crainte êc fans amer*
tume ; la polTeiTion de Dieu même ,. af-
furée 6c paifible , 6c dont elle ne pourra
plus déchoir; la délivrance de toutes fes:
paillons ,. qui a voient été pour elle une
lource continuelle d'inquiétudes 6c de pei-
nes ; une paix inaltérable , qu'elle n'avoit
jamais pu trouver dans le mond*e ; la. dif-
folution de tous les liens qui L'attach oient
à la terre , êc qui; l'y retenoient comme:
captive ; enfin la fociété des Juftes 6c des;
Bienheureux , pour celle des hommes pé-
cheurs dont elle fe fépare. Et qu'y^at'il:
donc de fi doux dans cette vie , ô mom
Dieu , pour une ame fidèle , qui puiiTe ly-
attaciierf C'eft pour elle une vallée de lar-
mes,. où les périls font infinis , les combats;
journaliers , les vidloires rares , les chûtes;
ijiévitables ; où les violences doivent être?
continuelles ;; où il faut tout refufex à fes^
ieiis i QÛ tout. uûus. tente ^, 6c tout nous, dk
3Î^ Jeudi de la IV. Semain^e,
Wterdit ; où ce qui plaît le plus , eft ce
^u il faut le plus fuir ôc craindre ; en un
^ot y où fî vous ne foufFrez ^ fi vous ne
pleurez, fi vous ne refiliez jufqu'au fang
il vous ne combattez fans celte , il vous ne
vaus haïfiez vous-même , vous êtes perdu.
Q^e trouvez-vous là de il aimable y de fi-
attirant, de fi capable d'attacher une ame-
chrétienne? ÔC mourir,, n'eft-ce pas un
triomphe & un gain pour elle ?
Aufii , mes Frères , la mort eil le feut
point de vue ^ la feule confolation qui
loutientla fidélité des Juftes. Gémiifént-ils
d'ans, r'aîiîiélion ? ils favent que leur fin efl:
pr-ociie ; que les tribulations courtes 5C
paflagéres de cette vie, feront fuivies d'urr
poids de gloire éternelle; 5c dans cette
penlée ils trouvent une fource inépuifable
de patience, de fermeté ,.d'allegrcire. Sen-
tent-ils la loi des membres s élever contre
lalbi: de refprit , §C exciter en eux ces mou-
yemens dangereux, quiportentFinnocence
|ufques iiir le bord du précipice ? ils n'i-
gnorentpas qu'après la diilokition du corp».
terreilre ,. on le iewr rendra célefie 5c fpi-
xitL^eL; & qu'alors délivrés de toutes ces
:miféres ,. ils feront femblables aux Anges
dit Ciel ;.ÔC ca fou venir les foutient 8c Iqs
fQrti&. Sont- ils accablés fous la pefanteuF
du JAUg de Jefus-Chrili ; ôc leur foi^ plus
foible , ed-elle fur le point de fe ralientir ,.
©îj de fiiccGraber fous le poids des. devoirs.
aurllères de l' Evangile ?: akl la jaur du Sel*
Sur la Mort. ^33
ïleureufe récompenfe ; & la fin de leur
courfe qu'ils voyant déjà , les anime , 6C
leur fait reprendre de nouvelles forces.
Ecoutez comme TApôtre confolq^it autre-
fois les premiers Fidèles : Mes Frères, leur
difoit-il , le tems eft court , le jour appro-
che , le Seigneur eft à la porte , &. il ne
tardera pas : réjouilTez-vous donc; je vous.
le dis encore , réjouifTez-vous. C'étoit-là
toute la confolation de ces hommes perfé-^
-cutés , outragés, profcrits , foulé aux pieds,
regardés comme les balayures du monde ,
l'opprobre des Juifs , 5c la rifée des Gen-
tils. Ils favoient que la mort alloit eiTuycr
leurs larmes ; qu'alors il 11 *y auroit plus
pour eux , ni deuil , ni douleur , ni fouf-
îrance ; que tout y feroit nouveau i 6c cette
penféeadoucilToit toutes leurs peines. Ah l
qui eût dit à ces généreux Conteifeurs de la
foi que le Seigneur ne leur feroit pas goû-
ter la mort , 6c qu'il les lailleroit vivre
éternellement fur la terre , eût ébranlé leur
foi , tenté leur conftance ; 6c en leur ôtant
cette efpérance, on leur eût ôté toute leur
confolation.
Vous n'en êtes pas fans doute furprîs ,
mes Frères ; parce que pour des hommes
affligés Se malheureiix» comme ils étoieilt,
la m.ortdevoit paroître unerelTource. Vous
vous trompez ; ah ! ce n'étoient pas leurs
perfécutions &C leurs fouifrances qui fai«
foient leur malheur Sc leur trifteiTe; c'étoit»
là , leur joie., leur confolation , îeup gloire:
419US AQiu glorifions dans ks tri^^ilâùoi^^î
5^4 J^UDI DE LA IV. SeMATKE.
Rom. ;. ciifoient-ils : Gloriamur in tribulationibus t
^* cétoit réloignement où ils Vivoient encore
de Jefiis-Chriil ; c'étoit-là la fource de'
leurs larmes , oC tout ce qui leur rendoit la
mort fi défirable. Taudis que nous fommes,
dans le corps , difoit 1 Apôtre , nous iom-
mes éloignés du Seigneur ; 6c cet éloigne-
mentétoit un étattrifte êv violent pour ces
hommes fidèles ; toute la piété confifte à
fouhaiter notre réunion avec Jefus-Chriil
notre Chef , à foupirer après l'heureux mo-
rnent qui nous incorporera avec tous les
Elus dans ce corps myflique , qui fe forme
depuis la naiffance du monde , de toute
langue , de toute tribu ; de toute- nation ;.
qui eft la fin de tous les delTeins de Dieu ,,
& qui doit le glorifier avec Jefus-Chrift
dans tous les fiécles. Nous fommes ici bas
comme des branches féparées de leur fep ;
comnye des ruifleaux éloignés de leur four-
ce ; comme des étrangers errans loin de
leur patrie ; comme des captifs enchaînés
dans une prifon qui attendent leur déli-
vrance ; comme des enfans bannis pour
qr.elque tems de l'héritage 5C de la niaifon
paternelle ; en un mot, comme des mem-
bres féparés de leur corps. Depuis que;
Jefiis-Chrift notre Chef, eft monté aui
Giel , ce n'eft plus ici le lieu de notre de-
meure j. nous attendons la bienheuieufe;
efpéî-ance ÔC Tavénement du Seigneur: ce:
defir fait toute notre piété 6c notre confQv
lation :. 5c ne pas défirer cet heureux mor-
mont gcmr un. Chriiieii,, &JeLCxamdre.>
SurlaMort. ' 555^
5c iç regarder même comme le plus grand
des malheurs , c'eit dire aiiathém.e à Jefiis-
Chrift ; c'eft ne vouloir avoir aucune part
avec lui^ c'eft renoncer aux promeiTes dé
la foi , 6c au titre glorieux de citoyen dit
Ciel ; c'eft chercher notre bonheur fur la
t^rre,, douter d'un" avenir , regarder lai
Religion comme un fonge. , 5c croire que
tout doit finir avec nous..
Non , mjes Frères y la mort n'a rien que
de doux 6c de defirable pour une ame
jufte : arrivée à cet heureux mioment ,.elle
voit fans regret périr un monde , qui ne
lui avoit jamais paru qu'un amas de fu-
mée , & qu'elle ii avoit jamais aimé : fes
yeux fe ferment avec plaifir à tous ces
vains fpe£lacles qu'onre la terre ; qu'elle
avoit toujours regardés comme une déco-
ration d'un moment, & dont elh n'avoit
jpas laifle de craindre les dangereufes illu-
îîns : elle foent fans inquiétude ; que dis-
,je ? avec plaiiir , ce corps m.ortel qui avoit
été la matière de toutes fes tentations , 6c
la fource fatale de toutes fes ïclhleiTts , fe.
revêtir de l'im^ mortalité : elle ne regrette-
rien fur la terre , où elle ne laiile rien , 6C
çil'Qii fon cœur s'envole comme fon ame;;
elle ne fe plaint pas mêmiC d'être enlevée'
au milieu de fa courfe , & de finir fes jours
en un âge en cor floriiTant ; au contraire ,
elle remercie fon Libérateur d'avoir abrégé
fes peines avec fes an nées ,de n'avoir exigé
d'elle que la moTtië de fa dette pour le
prix.de_fQaitêmite , & d'avoir, ejanfomaié
33^ Jeudi de la IV. Semaine.
dans peu fou facrifice , de peur qu'un plus
long féjour dans un monde corrompu , ne
pervertît Ton cœur. Ses violences , fes auf-
térités , qui avoient tant coûté à la foiblelTe
de fa chair , font alors la plus douce de fes
penfées ; elle voit que tout s'évanouit , hors
ce qu'elle a fait pour Dieu ; que tout l'a-
bandonne , fes biens, [es proches, fes
amis, fes dignités, hormis fes œuvres;
6c elle eft tranfportée de joie de n'avoir
pas mis fa coniiance dans la faveur des
Princes , dans les enfans des hommes ,
dans les vaines efpérances de la fortune ,
dans tout ce qui va périr ; mais dans le
Seigneur tout feul qui demeure éternelle-
ment , 5c dans le fein duquel elle va trou-
ver la paix 5c la félicité que les créatures
ne donnent point. Ainfi tranquille fur le
pafTé , méprifant le préfent , tranfportée
de toucher enfin à cet avenir , le feul objet
de fes défîrs , voyant déjà le fein d'Abra-
ham ouvert pour la recevoir , ÔC le Fils de
l'HommaC afiis à la droite du Père , tenant
en fes mains la couronne d'immortalité ,
elle s'endort dans le Seigneur ; elle efl por-
tée par les Efprits bienheureux dans la de-
meure des Saints , & s'en retourne dans le
lieu d'où elle étoit fortie. PuifTlez-vous ,
mes Frères , voir ainfi terminer votre COUI',
fe; c'çil ce que je vous fouhaite-
>c:..>:^^
1^^=^^^
SERMON
POUR LE VENDREDI
CE LA QUATRIEME SEMAINE
DE CARÊME.
Homélie fur t Evangile de La^are^
Veni , & vide.
Venci^ 6» voy?^. Joan. n: 54;
L n'efl point de pécheur invé-
téré qui eût la force de fe fouf-
frir dans l'horreur de fon état^ ,
s'il pouvoit fe voir au naturel
ÔC fe connoître. Une ame qui
a vieilli dans le crime ntii fupportable à
elle-même, que parce que la même paf-
fion qui fait tous fes malheurs , les lui ca,-
che ; &C que fon défordre efl en méme-
tems 5c le glaive cruel qui fait la plaie ,
ÔC le bandeau fatal qui le dérobe aux yeux
du malade.
Voilà pourquoi TEglife , pour décou-^;-
Qriu^^i Imi ifl Ff '
338 Vend,. DE la IV. Semaine.
vrir le pécheur à lui-même durant ce tems
de pénitence , nous repréfente prefque tous
les jours , fous de nouvelles images , l'état
déplorable d'une ame , qui croupit depuis
long-téms dans fon péché : tantôt fous la
figure d'un paralytique de trente-huit ans ;
c'eft pour nous marquer Tinfenfibilité ÔC la
paix funefte qui fuit toujours l'habileté du
crime : tantôt fous le fymbole d'un prodi-
gue réduit à vivre avec les plus vils ani-
maux ; 6C fous ces traits , elle veut nous
faire fentir fon aviliffement ÔC fa honte :
tantôt fous rimagc d'un aveugle né ; gv
c'eft pour nous peindre l'horreur ÔC la pro-
fondeur de fes ténèbres : tantôt enfin fous
la parabole d'un efprit fourd &. muet; 6C
c'eft pour nons figurer plus vivement i'af-
ferviilement où l'habitude criminelle re-
tient toutes les puiiTances d'une amiC in-
fortunée.
Aujourd'hui , comme pour raffembler
tous ces traits différens fous luie feule
image encore plus terrible 5c plus tou-
chante, l'Eglife nous propofe Lazaredans
1^' tombeau ; mort depuis quatre jours,
exhalant déjà l'infeélion 5c la puanteur ,"
les pieds & les mains liés , le vifage cou-
Vert d'un voile lugubre , 5c n'excitant plus
que l'horreur de ceux-même que la ten-
ctreffe 5c le fang lui avoient le plus étroite-^
ment unis pendant fa vie. -.:
Venez donc , &. voyez , vous , mon
cher Auditeur , qui vivez depuis tant d'an-
nées fous le joug honteux du défordre^
Homélie sur Lazarei 3?^
8C qui n'êtes point touché du malheur de
votre état. Fènl , & vide. Accourez à ce
tombeau que la voix de Jefus-Chrift va
ouvrir aujourd'hui à vos yeux ; Sc venez
voir dans ce fpe£lacle d'infe£i:ion ÔC de
pourriture, rimage naturelle de votre ame;
J^eni , & vide. Vous courez à des fpefta-
cles profanes, pour y voir vos pafllons re-
préfentées fous des couleurs agréables ôC
trompeufes : venez les voir ici exprimées
au naturel : venez voir dans ce cadavre
tnfeâ: 5c puant , ce que vous êtes aux yeux
de Dieu, Sc combien votre état eft digne
de vos larmes : Vcni , & vide.
Mais de peur qu'en expofant ici feule-
ment toute rhorreur de l'état d'une ame
qui vit dans le defordre , je la trouble ÔC
la décourage , fans lui tendre la main, ôC
lui aider à fortir de cet abîme-; pour ne
rien omettre de riiiiloire de notre Evangi-
le, je la partagerai en trois réflexions ;
vous verrez dans la première , combien eft
affreux &C déplorable l'état d'une ame qui
vit dans l'habitude du defordre : je vous
montrerai dans la féconde , par quels
moyens elle en peut fortir j 5c dans la troi-
fiéme , quels font les motifs qui détermi-
nent Jefus-Chrift à opérer le miracle de
fa réfurreélion ÔC de fa délivrance. O moa
Dieu ! faites entendre aujourd'hui votre
voix puilTante à ces âmes infortunées qui
repofent dans les ténèbres ÔC dans les om-
bres de la mort : ordonnez encore une
fois à fes offemens arides de fe ranimer .
Fi z
340 Vend, de la IV. Semaine.
Se de recouvrer la lumière §C la vie de là^
grâce qu'ils ont perdiie. Ave ^ Maria,
'^^^'^^^'J E remarque d'abord trois clrconilances
principales dans le fpe<B:acle déplorable
qu'oifre à nos yeux Lazare mort Sc qïïÏc^
veli. Premièrement , devenu déjà un amas
de vers 5c de pourriture , il répand l'in-
fe6lion & la puanteur: Jamfœtet; 6c voilà
la profonde corruption d'une ame dans le
J)éché d'habitude. Secondement, un voile
lugubre couvre fes yeux Sc fon vifage ;
£t faciès ejusfudario eraî ligata\ &C voilà
l'aveuglement funefte d'une ame dans le
4)éché d'habitude. Enfin, iîparoît dans le
./tombeau les mains &. les pieds liés : Liga,*
tus pedes & manus infinis ; ^ voilà la
trifte ferviîude d'une ame dans le péché
d'habituds. Or, c'eft cette corruption pro-
fonde , ce funefte aveuglement , cette trifte
fervitude figurés par le fpeélacle de La-
zare , mort 6c enfeveli , qui forment pré-
tifément toute l'horreur &. toute la miierg
d'une ame morte depuis long-tems aux
yeux de Dieu.
En premier lieu , il n'e/l pas d'image
)lus naturelle d'une ame qui cr<fupitdans
le défordre , que celle d'un cadavre déjà
en proie aux vers 6c à la pourriture. Aufîi
les Livres faints nous rcpréfentent par-tout
l'état du péché fous l'idée d'une mort af-
freufe ; &. il femble que l'Efprit de Dieu
n'a trouvé rien de plus propre que cette
trille image , pour nous fi;ire entrevoir dif
ri
Homélie SUR La z ARE. 341
moins toute la difformité d'une ame en qui
le péché habite.
Or, la mort produit deux effets fur le
corps où elle s'attache ; elle le prive de la
vie ; elle altère enfuite tous Tes traits , 6C
corrompt tous Ces m.embres. Elle le piive
de la vie; 6>C c'cft par-là que lepéché com-
mence à défigurer la beauté de Tame. Car,
mes Frères , Dieu eft la vie de nos âmes,
Ja lumière de nos efprits , le mouvement,
pour ainiî dire, de nos cœurs. Notre juftice,
notre fageife , notre vérité , ne font que
l'union d'un Dieu julle , fage , véritable
avec notre ame : toutes nos vertu ne font
que les différentes influences de fon Efprit
qui habite en nous : c'efl lui. qui excite nos
honz défîrs , qui forme nosfaintes penfée?,
qui produit nos lumières pures , qui opère
nos volontés julles ; de forte que toute la
vie fpiritueile 5c furnaturelle de notre ame^
n'eil que la vie de Dieu en nous , comme
parle l'Apôtre.
Or , par un feul péché cette vie cefTe ,'
cette lumière s'éteint , cet Efprit fe retire,
tous ces mouvemens (ont fufpendus. Ainfî
l'ame fans Dieu efl une ame fans vie , fans
mouvement , fans luiniére , fans vérité ,
fans juftice , fans charité : ce n^d phis
qu'un cahos , un cadavre : fa vie n'efl plus
çju'une vie imaginaire ÔC fantafîique : 5C
femblable à ces cadavres , qu'un efprit
étranger anime , elle paroît vivre 6c agir ,
mais elle demeure dans la mort: Fiyens , ./^J""*
mortua ^.
34^ Vend, de la IV. SemaTxVE.
Voilà le premier degré de mort , que
tout péché qui répare une ame de Dieu
introduiten elle : mais l'habitude du péché^
cfuieft comme une mort invétérée, va plus
loin. Aufii Lazare non-feulement n'*a plus
de vie dans le tombeau ; mais comme il
y ed depuis quatre jours , la corruption de
Ion cadavre commence à répandre Tinfec-
tion : Jam Jœtet , quaîriduanus ejl enim*
Car quoique le premier péché , qui nous
fait perdre la grâce , nous laiiTe aux yeux
de Dieu , fans vie 5c fans mouvement ; on
peut dire néanmoins qu'il nous refte encore
certaines femences de viefpirituelle , cer-
tames imprefîions de TEfprit- Saint , cer-
taines facilités àrecouvrer la grâce perdue^
La foi n&â. pas encore éteinte ; les fenti-
d|nens de vertu , pas encore effacés ;la fen-
ijbiiité aux vérités du fcilut , pas encore
endurcie : c'eft un cadavre , à la vérité ;
mais qui depuis peu expiré , conferve en-
core }^ ne fais quelles impreiTions de cha-
leur qui femblent partir d'un refte dévie*
Mais à mefure que Tame demeure dans
]a mort y ÔC pcrfévérée dans le crime , la
^race fe retire ; tout s'éteint en elle , tout
«'altère , tout fe corrompt > 6c fa corrup*
tion devient univerfelie : Jant fatet > quar
H^iduanus ejl enim.
Je dis univerfelie : oui , mes Frères ,
tout change y tout fe corrompt dans une
ame par la continuité du défordre : les
dons de la nature , la douceur , la droi-
ture i rhiimauité , la pudeur , les taleuSk
H OM E L I g s U R L A 2 A R E. 543
même de refprit ; les bienfaits de<a grâce,
les fentimens de Religion , les remords de
la confcience , les terreurs de la foi , la
foi elle-même ; la corruption entre dans
tout, altère tout, 6c change en pourriture
' & en fpeftacle d horreur , 5c les dons du
Ciel , & les bienfaits de la terre : rien ne
demeure dans Ta première iituation : les
traits les plus beaux font ceux qui devien-
nent les plus hideux ÔC les plus méconnoif-
fables ; les agrémens de l'efprit deviennent
raflaifonnement des pafTions 5c de la dé-
bauche ; les fentimens de religion fe chan-
gent en libertinage \ la fiipériorité à^s lu-
mières , en orgueil 6c en inie affreufe phi-
lofophie ; la noblelTe des fentimens n'eft
plus qu'une ambition fans borne 5c fans
mefure; la bonté 5c la tendrelTe du cœur ,
qu'un abandonnem.ent à des amours im-
purs ÔC profanes ; les principes de gloire
ÔC d'honneur , qui avoient paffé en nous
avec le fang de nos ancêtres , qu'une of-
tentation de vanité , & la foiirce de nos
haines 5c de nos vengeances ; notre rang,
notre élévation , Toccafion de nos envies,
.de nos baffes jaloufies ; enfin nos biews
ôc notre profpérité ,rinftrumentfuiicftedc
,tous nos crimes: Jamjœtet , quainduanus
fjl enim.
Mais la corruption ne fe borne pas aU
pécheur tout feul : un cadavre ne fauroit
être iong-tems caché fans qu'une odeur de
mort fe répande à Tentour : on ne peut
îiroupir Iong-tems dans le défordre , fans
Ff4
344 ^^ENTD. BE LA IV. ^tMXlW:
que l'odeur d'une mauva ife vie fe faiTe fefi-^
tir. On a beau cacher fous des mefures
pénibles Tignominie d'une conduite défor-
donnée ; on a beau blanchir le fépulcre
plein depourriture Sc d'infe<fl:ion , la puan-
teur le répand ; le crime fe trahit tôt ou
tard lui-même : une fumée noire 5c em-
pesée foit toujours de ce feu profane qu'on
cachoit avec tant de foin. Une vie déréglée
,ft manifef^e par mille endroits : le public
défabufé ouvre enfin îes'yeux ; 6c plus on
eft découvert , ÔC plus on fe découvre : on
s'accoutume à fon ignominie ; on fe lafTe
de la gêne 5c de la contrainte : le crime qui
coûte encore des attentions ÔC des mefuref^
paraît trop acheté : on fe démafque ; on fe-
coue ce rcfte de joiig ÔC de pudeur, qui
nous faifoit encore craindre les yeux dç^
hommes 5 on veut jouir du défordre, fans
précaution ôC fans embarras : ÔC alors des
domeftiques , des amis , des proches ; la
Cour , la Ville , la Prorince , tout fe fent
de rinfeftion de nos déréglemens ÔC de
nos exemples. Notre rang , notre élévation
ne fervent plus qu'à rendre plus éclatant ÔC
plus immortel , le fcandale de nos déré-
glemens : en mille lieux nos excès fervent
de modèle. Le fpedtaele de nos mœurs
ralïïire peut-être en fecretdes confcience^
que le crime troubloit encore : peut-être
même on nous cite ; on fe fert de notre
exemple pour féduire l'innocence ÔC vain-
cre une pudeur encore craintive ; ÔC juff
qu'après notre mort, le bruit de nos diiTçh
lutions fouillera encore la mémoire des
hommes ; embellira peut- être deshiftoires
lafcives ; 6c long-tems après nous, ÔC dans
les âges qui nous fuivront , le fouvenir de
nos crimes fera encore des coupables.
Enfin , mais je n'olerois le dire ici ; la
corruption que Thabitude du crime met
dans tout l'intérieur du pécheur eft (i unî-
verfelle , qu'elle infecte ion corps n:ême ,
la débauche lailTe fur fa chair des traces
honteufes de (qs défordres : l'infcftion de
fon ame fe répand fouvent jufqlies fur un
corps qu'il a fait fervir à 1" ignominie. Il
dit par avance à la pourriture, comme Job:
f^ous êtes mon F ère \& aux ^-ers , ceftvous ^^^
qui mavei formé ; ^ la corruption de fon
corps eft une image afFreufe de celle de fon
am.e : Jam fœtet , quatriduanus efi cnlm.
Grand Dieu ! puis-je donc me flâter
que vous voudriez encore jetter fur moi
quelques regards de miféricorde ? ne fre-
in irez- vous pas encore à la vue de ces amas
de crimes 6^ de pourriture , que mon amq
offre à vos yeux , comme vous frémille^
aujourd'hui fur le tombeau de Lazare? ah/
détournez , Seigneur , vos yeux faints 5Ç
terribles de ma profonde milere ; mais fai-
tes que je ne les en détourne plus moi-mê-
me , ÔC que je ne me regarde plus qu'avec
toute l'horreur que mon état mérite :
6tez le bandeau qui me cache moi-mê-
me à moi-même ; mes maux feront k
demi guéris , dès que je pourrai les voir^
& les connoître.
JO0 1%
>4<^ V£VD. DE LA IV. SEMAmE/
Et voilà la féconde circonftance de l'étaî
déplorable de Lazare ; un voile lugubre
couvroit fon vifage : Etfacks ejiis /iidario
trat ligata : c'eft ravêuglement profond
qui forme le fécond caracftère de l'habitude
criminelle.
Pavoue que tout péché eft une erreur
qui nous fait prendre le faux bien pour le
bien véritable : c'eftun faux jugement qui
nous fait chercher dans la créature le re-
pos, la grandeur, Tindépendance, que nous
ne pouvons trouver qu'en Dieu feul : c'eÛ
un nuage qui dérobe à nos yeux l'ordre ,
la vérité , la juftice , & fubftitue à leur
place de vains phantômes. Cependant une
première chiite n'éteint pas tout-à-fait nos
lumières : elle n'eft pas toujours fuivie
d'une nuit profonde. A la vérité , TEfprit
de Dieu , fource de toute lumière , fe re-
tire , ÔC n'habite plus en nous ; mais il
Teôe encore dans Tame des traces de clar^-
té : ainfi lorfque le foleil ne fait que fe dé-
rober à notre hémifphere , il demeure en-
core dans les airs certaines imprefîions de
fa lumière , qui forment encore comme un
jour imparfait , ce n'eft qu'à mefure qu'il fe
retire , qu'arrive enfin la nuit profonde. De
même à mefure que le péché dégénère en
habitude , la lumière de Dieu fe retire , les
ténèbres croifTent & augmentent , & arrive
enfin la nuit profonde & l'aveuglement en^
tJer : Etfacies ejusfudarioerat ligata*
Et alors tout devient une occafîon d'er-
reur àl'ame criminelle j tout change de face
Homélie sur Lazard. 54"^
h fes yeux ; les pafTions les plus honteufe's
ne font plus que des foibleiles : les attache^
mens les plus criminels , des fiiupathics que
nous avons portées en naifîant , bi. dont
nous trouvons la deftinée dans nos cœurs ;
les excès de la table , les plaifirs innocens
de la fociéîé ; les vengeances , un jufle ref-
feiitiment ; les difcours de licence & de li-
bertinage y des faillies agréables 6c applau-
dies ; les inëdifances-les plus affreufes , un
langage ufité, & dont il n ya quelesefprits
foibles qui puilTent fe faire un fcrupule ; les
loix de i'Eglife , àQs ufages furrannés ; le
devoir du tems pafcal , une bienféance
qu'on donne à la coiiîunie 5c non à la Reli*
gion ; la févérité des jugemens dt Dieu ,
des déclamations outrées , qui font tort à
fa bonté 6c à f a clémence ; la mort dans le
péché , fuite inévitable d'une vie crimi-
nelle , des prédirions où il entre plus de
zèle que de vérité , ^ démenties par la
confiance qui nous promet un retour avant
jce dernier moment ; enfin , le Ciel, la ter-
re , Tenfer , toutes les créatures , la Reli-
gion , le monde , les crimes , les vertus »
les biens &: les maux , les chofes préfentes
& les futures > tout change de face auK
yeux d'une ame qui vit dans Thabitude du
crime > tout fe montre à elle fous de faulTes
apparences ; toute fa vie n'efi: plus qu'un
preftige Scuneméprife continuelle. Hélas I
il vous pouviez déchirer le voile fatal qut
couvre vos yeux comme ceux de Lazare ^
ÔC vous voir comme lui enfeveli dans les
'34^, Veivd. m la IV. Semaîk^e:
ténèbres , tout couvert de pourriture , &
répandant au loin Pinfeclion 6c une odeur
de mort ! mais maintenant tout cela eft ca-
tac. i^.ché à vos yeux, dit Jefus-Chrift : Nunc
auîem hœc abfcondita [uni ah oculis tuis ;
vous ne voyez de vous-même que les em-
belliffemens 5c les dehors pompeux du
tombeau funefte où vous croupifTez ; votre
rang , votre naiiTance , vos takns , vos di-
gnités , vos titres ; c'eft-à-dire, les tro-
phées &: les ornemens que la Vanité^des
hommes y a élevés : mais ôtez la pferre
qui couvre ce lieu d'horreur ; regardez de-
dans ; ne jugez pas de vous par ces dehors
pompeux qui ne font qu'embellir votre ca-
davre fi^oyezce que vous êtes aux yeux de
Dieu ; Se /i la corruption 6c l'aveuglement
profond de votre amc ne vous touche pas
aiTez , que fa fervitudedu moins vous ri-
veille ^ vous rappelle à vous-même.
Dernière circonftance de l'état de Lazarç
mort 8c enfeveli ; il avoit les mains ÔC les
pieds liés : Ligatus pèches & maniis in(îi^
lis ; 8c voilà l'image de la trifte fervitude
d'une ame , depuis long-tems affujettie au
péché.
Oui , mes Frères , le m. onde a beau dé-^
erierla vie chrétienne comme unevied'af-
fujettilTement 5c de fervitude ; le régne de
la juftice efl: un régne de liberté; Tame fi-
dèle 6c foumife à Dieu devient maîtreffe
de toutes les créatures ; le Jufte eft au-
deiïïis de tout, parce qu'il eft détaché de
tout j il eft maître du monde , parce qu'il
ftléprife le monde ; il ne dépend ni de Tes
maîtres , parce qif il ne les lert que pour
•^Dieii ; ni de fes amis , parce qu'il ne les
aime que dans Tordre de la charité 5c delà
juftice , ni de fes inférieurs, parce qu'il
n'en exige aucune complaifance injufte ; ni
de fa fortune , parce qu'il la craint ; ni des
jugemens des hommes, parce qu'il ne
craint que ceux de Dieu , ni des ëvéne-
inens , parce qu'il les regarde tous danj
l'ordre delaProvidence; ni de fes pallions
mêmes , parce que la charité qui eft en lui
en efl la régie 6c la mefure. Le Juite feui
. jouit donc proprement d'une parfaite li-
berté : fupërieur au monde , à lui-même,
à toutes les créatures , à tous les événemens,
il commence dès cette vie à régner avec
Jefus-Chrift ; tout lui eu fournis , ÔC il
n'ell lui-même foumis qu'à Dieu feul.
Mais le pécheur qui paroit vivre fans
joug 5C fans régie , eft pourtant un vil
efclave : il dépend de tout , de fon corps ,
de fes penchans , de fes caprices , de fes
Î rallions , de fes biens , de la fortune , de
!es maîtres , de fes fujets , de fes am.is,de
fes ennemis , de fes protecteurs , de fes
envieux , ce toutes les créatures qui l'en-
vironnent ; autant des Dieux aufquels , ou
l'amour , ou la crainte l'affujettit ; autant
d'idoles qui multiplient fâ fervitude , tandis
qu'il fe croit plus libre en fecoi.a.it Tobéif-
lance qu'il doit à Dieu feul : Qu.^ ejl ido- ç^i ^^
loritm fervltus ; il multiplie fes maîtres , ae,
en refufaiu de fe foumettre à celui feul qui
350 Vend, be la IV. Semaine,
a"end libre ceux qui le fervent , 6c qui fait
même de fes ferviteurs les maîtres du mon-
de , ÔC tout ce que le monde enferme.
Je fais que la paiïîon,dans les commen-
cemens , ménage encore , pour ainfi dire ,
îa liberté du cœur : elle nous laifTe croire
quelque-tems que nous fommes maîtres de
nos penchans ÔC de notre deftinée : elle
nous amufe d'un vain efpoir de rompre ,
quand il nous plaira , nos chaînes : elle lâ-
che le frein par lequel elle nous tient , de
peur que nous nous appercevions trop tôt
de notre fervitude : mais quand une fois
elle fe fent maîtreiTe ^ 6c qu'elle ne craint
plus nos retours 5c nos inconftances ; ah!
c'eft alors qu'elle nous fait fentir tout le
poids, ôC toute l'amertume de notre fer-
vitude : Ligatus pedes & manus injîhis.
Servitude honteufe par l'aifujettilTement
de l'ame déréglée aux fens ; fa raifon , fa
fierté , fa gloire , ^q% réflexions , tout cède
au charme impérieux qui l'entraîne : hon^
teufe par l'indignité des démarches que là
force de îa paition obtient d'elle ; le rang,
le fexe , le devoir , tout eft oublié ; on dé-
vore les rebuts les plus outrageans ; on fait
les avances les plus humiliantes ; on laiffe
entrevoir les emportemens les plus indi-
gnes ôc les plus méprifables : honteufes par
les devoirs les plus importans , ôc les in-
térêts les plus férieux de la fortune facrifiés
à la paflion injufte : honteufe par l'aviliffe-
ment &C le mépris public qu'attire toujours
uue vie déréglée : hojoteufe enfin par leî
Homélie sur Lazare. S5T
mœurs dëfordonnées continuées quelque-
fois jufques dans une vieillelle avancée ;
Tâge augmente la fragilité ; la railon aiîbi-
blie par les anciens défordres, n'offre plus
de réiiftance ; le corps ufé par fes dérégle-
mens , s'y laiffe comme aller de lui-même ,
6c fupplée par les égaremens d'une im.agi-
nation corrompue , ce qui manque à la
vivacité de fes plaillrs : Ligatus jicdis Ô*
manus inflitis.
Je ne parle pas des obftacles qui traver-
fent toujours la pallion ; des intérêts ÔCdes
devoirs , qui la combattent ; des mefures
& des ménagemens , qui la gênent ; d«s
contretemps, qui la découvrent; des iitua-
tions 5c des dégoûts , qui Tempoifonnent.
On voudroit rompre fes chaînes , &: on
retombei l'inilant fous leur propre poids ;
ÔC dans le crime même,'infenfible au plaiiir
devenu dégoûtanj^j-aa. ne fent plus que la
dure fervitude qui l'a rendu néceilaire :
Ligatus pedes ^ manus inftitis.
Vous vous plaignez quelquefois des ri-
gueurs de la vertu , mon cher Auditeur ;
vous craignez la vie chrétienne, comme
une vie d'aiîujettilTement 5c de triftelfe :
inais qu'y trouveriez-vous de fi trifte , que
ce que vous éprouvez dans le défordre ?
Ah ! li vous oliez vous plaindre de l'amer-
tume 5c de la tyrannie da vos palfions ; fî
vous ofiez avouer les troubles, les dégoûts ,
les fureurs , les agitations de votre ame ;
f\ vous étiez de bonne-foi fur ce qui fe palTe
de tiilîe daas votre cœur , il n eft point de
3^1 Vend, de la ÎV. Semaine.'
deftinée qui ne vous parut préférable à la
x^otre : mais vous diilimulezles inquiétudes
du crime que vous fentez : 5c vous exagé-
rez les rigueurs delà vertu que vous n'avez
jamais connue. Mais pour tendre la main
à votre foiblelTe , continuons l'hiftoirc de
notre Evangile , 5c voyons dans la réfur-
reâion de Lazare , quels font les moyens
que la bonté de Dieu vous offre pour for-
tir de cet état déplorable.
II. T
fMTXE- JLjA force de la vertu de Dieu , dit l'A-
pôtre , ne paroit pas moins dans la conver-
fîon des pécheurs , que dans la réfurreâ:ion
des morts ; 6c la même vertu furéminente,
qui opéra fur Jesus-Christ pour le déli-
vrer du tombeau , doit opérer fur l'ame de-
puis long-tems morte dans le péché , pour
la rappeller à la vie de la grâce. J'y trouve
feulement cette différence , que la voix
toute-puiifante de Dieu n'éprouve aucune
Téfîftance dans le cadavre qu'il ranime ôC
qu'il rappelle à la vie , au lieu que l'ame
morte & corrompue ,pour ainfi dire, par
la vieillelfe du crime , nefemble conferver
encore un refte de force ÔC de mouvement,
que pour s'oppofer à cette voix de vertu qui ^
fe fait entendre dans l'abîme où elle eft en- *
fevelie , 5c qui veut lui rendre la vie ôc la
lumière. Cependant quelque difficile que
foit la converfion d'une ame de ce caraftère,
6c quelques rares qu'en foientles exemples,
l'Efprit de Dieu pour nous apprendre à ne»
iamais défefpérer de \^ jj^çxkçfxde divine,
Iqrfquç
Ho M E LIE s U R L AZAR E. 353
lorfqiie nous voulons fîncérementfortir du
crime , nous en propofe aujourd'hui les
moyens dans la réfurre^ftion de Lazare.
Le premier , c'eft la confiance en Jefus-
Chrill. Si vous avic^ été ici , dit une des
fœurs de Lazare au Sauveur, mon j'rere nz
fer oit pas mort \ mais je fais quo. tout ce que
vous dcmand'zre-^ à Dieu , Dieu vous Vac^
cordera* Je fuis moi- même la refumcliort
& la vie , lui répond Jefus-Chrift ; le cro*
yci'Vcus ? Oui , Seigneur , dit- elle ,j^aitou^
jours cru que vous étier le Chrifl , Fils du
Dieu vivant. C'eft par où commence le mi-
racle de la réfiirreftion de Lazare , par une
confiance entière que Jefus-Chrift eft af-
fez puiiïant pour le délivrer dç la mort ^
de la corruption.
Car, m.es Frères , Fillu/ion dont le dé-
mon fe fert tous les jour^ , pour rendre
inutiles nos défirs de converfion , ÔC en ar-
rêter les démarches ; c'eft de nous jetter
dans la défiance ôc dans le découragement ;
il retrace vivement à notre imagination les
horreurs d'une vie entière de crime : il
nous dit en fecret ce que \qs fœurs de La-
zare difent à Jeilis-Chrift ; mais dans ua
fens bien différent ; qu'il auroit fallu s'y
prendre plutôt ; qu'on ne revient pas de i\
loin ; qu'il n'eft plus tems d'elTayer d'ua
changement ; ÔL que la vieiîlelTe & linfec-
tion de nos playes ne paroit plus lailTer de
reflburce : Jam fcerec , quatriduanus efl
enim. Et là-deffus on s'c^bandonne à la pa«
reffe &C à l'indolence \ Si aj)rès ^voir iiiii^
Carêm , Tom^ IIL Q |
554 VenDv i>e la IV. SsîvrAiNE;
I3 jiiftice de Dieu par nos égaremens '|^
nous outrageous fa miféricorde par l'excès
de notre défiance.
J'avoue , mes Frères , qu'il' en coûte à
Uine ame depuis long-tems morte dans le;
péché ,. pour revenir à Dieu ; qu'il eft difïï-
cile , aprè;s tant d'années de défordre , de;
fè faire un coeur nouveau & de nouvelles^
inclinations ; & qu'il eft même à propos
que les obftacles ,. les peines, les diffi-
<tUltés ,, qui accompagnent toujours la con-
verfion des âmes de ce caraôère , falTent
fentir aux grands pécheurs combien il eft
terrible d'avoir été pr^fque une vie. entière
éloigné de Dieu.,
Mais je dis , que dès qu'une ame tou*^
<;hée de fes crimes ,. veut fincérement re-
venir à lui , fes playes , quelle qu'en puilTe^
être l'infeftion 5c la vieillelTe , ne doivent
glus allanner fa confiance: je dis que (es
misères doivent augmenter fa componc-
tion , mais non pasfon découragement; je
dis^ que la première démarche de fa péni-
tejicedoit êtr€ d'adorer Jefus-Chrift corn-
mç U r€/urreâion.& la vie. ;. une confiance^
fëc.rette ,_ que. nos miféres font toujours^:
moindres que fes miféricordes ; une per-
fuafion intime ^que le fang de lefus-Ghrift
çftipluspuiflant pour laver nos fouillures ^
que. notre corruption ne fauroit l'être pour,
ejî. contraâerr :: je dis que. moins l'ame crîA
minell'e trouve cn«lléde5.reifourcespQui> lai
wtU'.plusellè doit en attendre, de celUi:
5111; {Êgjkîtià.éiifiknl*^ de, la gac^
Homélie sur Lazare. 35s
fur le néant de la nature ; ôC que plus elle
forme d'oppofition au bien , plus elle oiFre
en un fens de difpofition à la puilTance ÔC à
la miféricorde divine , qui veut que tout
bien paroilFe venir d'en haut , 5c que rhom»
me ne s'attribue rien à lui-même.
Et en effet , mon cher Auditeur , quelle
que puilTe être l'horreur de vos crimes
paffés y le Seigneur n'eft pas bien éloigné
de vous faire grâce , dès qu'il vous infpire
le défîr ÔC la réfoiution de la demander. II
eft écrit dans Thiftoire des Juges , que le
père de Samfon , effrayé de l'apparition
de TAnge du Seigneur qui après lui avoir
annoncé la naiifance d'un fils , & ordonné
d'offrir un facrifice , avoit , comme un feu
dévorant , confiimé Thoflie & le bûcher ,
& difparu enfuite a Ces yeux ; qu'effrayé
dis-je , de ce (peâacle , il crut qu'il alloit
être lui-même frappé de mort avec fa fem-
me , parce qu'iU avaient vu le Seigneur :
Avorte morumur ^quia, yidimus Dominum, ^^^'^^*
Mais fon épaufe lainte &. éclairée, con- ^2*^^*
damna fa défiance. Si le Seigneur , lui ré-
pondit-elle, vouloit nous perdre , il n'aii-
roit pas fait defceadre le feu du ciel fur no-
tre facrifice ; il ne Feut pas reçu de nos
mains j Une nous eut pas découvert fesfe-
crets & fes merveilles , Sc ce que nau5
avions ignoré jurqii'ici i Si Domïrms nés ^^/^
vdht cccidcre ^ de manlbus nojlrls holo- )^►23>
. çaiifium & tibamenta ncn fufcepijffet „ me
. cfiendiffet Twbis hiX.c omnia r t^Çi^ ^n ^Ui^
35^ Vend, de la IV. Semalve.
Et voilà ce que je vous réponds aujour-
d'hui. Vous croyez votre mort 6c votre
perte inévitable ; l'état de votre confcience
vous décourage ; en vain des étincelles de
^race 6c de lumière tom.bent dans votre
cœur , vous touchent , vous follicitent ,
■&'font toutes prêtes à confumerle facri-
fice de vos pafTions ; vous vous perfuadez
que c'eftfait de vous fans reffource. Mais fi
le Seigneur vouloit vous abandonner 5C
vous perdre , il ne feroit pas defcendre le
feu du ciel fur votre cœur : il n'allumeroît
pas en vous de faints défirs 6c des fentimens .
de pénitence : Si Vominus nos vellet ocçi'-
dere , de manibus nojlrïs holocaiiflum &il^
hamenta non fufcepijfet '. s'il vouloit vous
laiiîer mourir dans raveuglement de vos
paiîions y û ne vous montreroit pas \qs vé-
rités du falut ; il ne vous les mettroit pas
dans un jour qui vous éclaii^e &C qui vous
trouble : il n'ouvriroît pas vas yeux fur les
malheurs à venir que vous vous préparez :
Nec ojlendiffet nobis kœc omniéi , mque ea
çuœ Jum Ventura dixiffet. D'ailleurs , que
favez-vous Ç\ Jefus-Chrift n'a pas permis
que vous tombaiïiez dans cet état déplora*
bîe , pour faire du prodige de votre con-
verlion » un attrait pour la converfion de
vos frères l que favez-vous fi fa miféricorde
n'a pas ménagé à vos paflions l'éclat qui les
a rendu publiques, ann que mille pécheurs
témoins de vos égaremens , ne défefpé-
'^Tent pas de leur retour ^ ÔC foient animas
par le fpeûacie de votre pértitence ï que
Homélie sur Lazare. 557
favez-vous (î vos crimes ôc vos fcandales
mêmes ne font pas entrés dans les defleins
de la bonté du Seigneur fur vos frères , SC
fi votre état qui paroît défcfpéré , comme
celui de Lazare , eft bien moins un préjugé
de mort pour vous , qu'une occafion de
manifeiier la gloire de Dieu ? înfirmitas hcec
non ejl ad morîem , fcd^ro gloria Dei.
Lorfque fa grâce ramené un pécheur or-
dinaire , le fruit de fa conversion fe borne à
lui feul ; mais quand elle va choifir un pé-
cheur d'éclat ,un Lazare depuis long-tems
mort 5c corrompu ; ah ! les vues de fa mi-
féricorde font alors plus étendues : elle pré-
pare en un feul changement , mille change-
mens à venir : elles le forme mille élus eu
un feul ; 6c les crimes d'un pécheur de-
viennent la fémence de mille juftes : Infir-
mitas hœc non ejî ad mortem yfed pro gld"
rïa Dei. Vous perdez courage en fentant
l'extrémité de vos miféres , mais peut-être
c'eft cette extrémité elle-même qui vous
approche plus du moment heureux de vo-
tre converfîon , 6<: que la bonté de Dieu
vous a réfervé pour être un monument pu-
blic de l'excès de fes miféricordes envers
les plus grands pécheurs. Croyei feulement
comme le dit Jefus-Chrift aux lœurs de
Lazare , 6C 'yous verre^ la gloire de Dieu l
vous verrez vos proches , vos am.is , vos
fujets , \qs complices de vos égaremens
devenir les imitateurs de votre pénitence:
vous verrez lés âmes les plus déplorées
4^upirer après k bçjah^ui de voîrc iion-
35^ Vlkd. de la IV". Semalve,
velle vie ; tc le monde lui-même forcé de
rendre gloire à Dieu , 5c en rappellant vos
excès palTés , admirer le prodige de votre
deftinée préfente : Quoniamji credideris ^
videbis gloriam Dtï^ Prenez dans vos mi-
féres mèn'ie de nouveaux motifs de con-
fiance r béniiTez- par avance la fagefTe mifé-
ricordieufe de celui qui faura tirer de vos
payions wn nouvel avantage pour fa gloire:
tout coopère au fakit des fiens , 5c il ne
permet de grands excès que pour opérer
cle grandes miféricordcs. Dieu veut tou-
jours le falut de fa créature ; 6c des que
nous voulons retourner à lui , nous ne de-
vons pas craindre que fa juilice nous rebute^
mais que notre volonté ne foit pas fincère»
Et la preuve la plus décifive de notre
iîncérité y c'eft Téloignement des occa-
.lîons y qui mettent un obftacle invincible à
Botre rcfurre£lion &: à notre délivrance :
obftacles figurés par la pierre qui fermoit
l'entrée du tombeau de Lazare, ÔC que Je-
fus-Chrift commence par ordonner qu'on
©te , avant d'opérer le miracle de la réfur-
re£lion ^ Tolliu lapidu^m ; ôtez la pierre»
Second, moyen marqué dans notre Evaa*
Ea efïet y on voit tous les jours A^s pé-
^cîieurs laiTés du défordre y qui voudroieut
.revenir à Dieu : mais qui ne peuvent fe ré-
foudre à fortirdu milieu; de ces objets y de
ces lieux , de ces (îtuations , de ces écueiis
qui les ont éloignés d^ lui : ils fe perfuadent
Homélie si/r Lazare. 559
nîr le cours d'une vie déforcioniiée ; enua
mot , reiTufciter avant qiie d'ôter la pierre:
ris font même quelques efforts : ils s'adref-
fent à des hommes de Dieu ; ils prennent
des mefures de changement ; mais de ces;
mefuresqiH n'éloignant pas les périls j.n'a-
vancent point leur sûreté ; & toute leur
vie fe pafTetriûement à détefler leurs chaî-
nes , & à ne pouvoir parvenir à les rom*-
pre.
D'où vient cela ,. mes Frères ?'c'eft que
les pallions ne commencent à s'affoiblir y
queparl'éloignementdes objets quilesont
allumées , c'eil une erreur deeroirequele
cœur puilTe changer , tandis que tout ce^
qui l'environne eil encore à notre égard le
même.. Vous voulez devenir chafte; êc
vous vivez au milieu des périls y des liai»
fons , des familiarités ^ des pluilirs , qvit
ont mille fois corrompu votre ame : vous
voudriez commencer à faire quelques réfle-
xions férieufes fur votre éternité , ÔC à
mettre quelque intervalle entre la vie 6c la
mort ; & vous n'en voulez point mettre-
cntrela mort 5c les dilTipations qui vous
empêchent de penfer à votre falut ; 6C vous
attendez que le goiit d'une vie chrétienne:
vous vienne au milieu des agitations ,. des»
plàifîrs , des inutilités ,. des efpéranceshu-
maines , dont vous ne voulez rien rabat-
tre : vous voulez que votre cœur fe faffede
nouvelles inclinations au milieu detoutce
qui nourrit & fortifie les anciennes j, St
qiie.la,lamgede.ia fûiôè. de. la. gf^ce.>ie5
360 VekO. 13E LA IV. SeMATKE/
rallume au milieu des vents 5c des tenî-^
pêtes : elle qui dans le fecret même du Sanc-
tuaire , s'éteint fouvent , faute d^iuile 6C
de nourriture , 6c fait aux âmes tiédes 6C
retirées , un danger de la sûreté même de
leur retraite.
Vous venez nous dire après cela que
vous ne manquez pas de bonne volonté ;
mais que le m.oment n'ell pas encore venu,
Et comment peut-il venir au milieu de tout
ce qui l'éloigné ? mais quelle eft cette bon-
ne volonté renfermée au-dedans de vous ,
qui n'a jamais de fuite , qui ne conduit ja-
mais à rien de réel , 6c n'a aucune démar-
che férieufe de changement ? c'eft-à-dire,
vous voudriez changer, fans qu'il vous en
coûtât rien ; vous voudriez vous fauver ,
comme vous vous êtes perdus ; vous vou-
driez que les mêmes mœurs , qui ont éloi-
gné votre cœur de Dieu , l'en rapprochaf-
lent; ÔC que ce qui a été jufqu'ici l'occa-
fion de votre perte, devint lui-même la
voie 6cla facilité de votre falut. Comjmen-
cez par éloigner les occafions qui ont été
tant de fois , ÔC qui fon encore tous les
jours recueil de votre innocence ; ôtez la
pierre , qui ferme l'entrée de la grâce à
votre am.e : Tollite lapidem : après cela
vous aurez droit de demander à Dieu qu'il
achève en vous fon ouvrage. Alors feparé
de tous les objets qui nourrilToient en vous
' des paiTions injuftes , vous pourrez lui di-
re : C'ell à vous maintenant , ô mon Dieu !
i changer inou ç^m ; je vqus ai facrifié
Homélie sur Lazare, -^ôi
tous les attachemens qui pouvoient le re-
tenir encore ; j'ai éloigné de moi tous les
ecueils , où ma foiblelle auroit pu encore
faire naufrage : j'ai changé tous les dehors
qui dépendoient de moi : c'eft à vous ,
Seigneur , qui feui pouvez changer les-
cœurs , à faire maintenant le refte , à bri-
fer les liens invifibles , à furmonter les obf-
tacles intérieurs , à triompher de ma cor-;
ruption toute entière : j'ai ôté la pierre fa-
tale , qui m'empêchoit d'entendre votre
voix ; faites-la retentir à préfent jufques
dans l'abîme où je fuis encore enfeveli : or-
donnez-moi de fortir de ce tom^beau fatal ,
de ce lieu d'infeftion ôc de pourriture ;
mais ordonnez-le moi avec cette parole
puiiTante , qui fe fait entendre aux morts ,
& qui efl pour eux une parole de réfurrec-
tion & de vie : confiez-moi à vos Difci-
pies , pour me délier de ces liens qui tien-
nent toutes les puilTances de mon ame cap-^
tives ; 6c que le miniftère de votre Eglife
mette le dernier fçeau à ma réfurreètion
^ à ma délivrance.
Et voilà , mes Frères , le dernier moyen
propofé dans notre Evangile. Dès que la
pierre fut ôtée , le Sauveur dit à haute
voiX ; Laiare fortei dehors. Lazare fort ,
encore les pieds ÔC les mains liés ; 6c Jefus-
Chrifl le remet à fes Difcipies pour le dé-
lier : Solvite &Jimu abire.
Remarquez ici , mes Frères , que Jefiis-
Chriit n'ordonne aux Difcipies de délier
Lazare , qu'après qu'U s'e/l montré tQUt
Cjirèmç. TvmsIII^ H h
361 Vend, de la TV. Semaine.
entier hors du tombeau. Il faut fe mani-
fefter à rZglife , dit S. Bernard , avant de
recevoir par Ion miniilère le bienfait; de no-
tre ddiivrance. Laiare , forte[ dehors \
c'eft-à-dire j continue ce Père , jufques à
quand demeurerez-vous caché 6c enfeveli
au- dedans de votre confcience ? jufques à
quand cèlerez- vous votre iniquité dans vo-
^^^' tre fein ? Qiioufque confcienti£& tuœ. caligo
te dctinet.
Vous n'ignorez pas fans doute , mes
Frères , que la rémiffion de nos crimes ne
nous eit accordée que par le canal 5c le
miniiière de TEglife , 6c qu'il faut venir
découvrir 6c préfenter nos liens à la piété
des Minières , qui feuls ont l'autorité de
lier 5C de délier fur la terre ; ce n'eft pas
fur quoi vous avez befoin d'être inftruits.
Mais je dis qu'afîn que la converlîon foit fo-
îide 5c durable , il faut fe m.ontrer tout en-
tier hors du tombeau comme Lazare. Il ne
Vagit pas ici d'une confeiîion ordinaire: un
pécheur invétéré doit remonter jufqu'àfon
enfance ; jufqu'à la première naiflance de
fes pafiions ; jufqu'aux commencemens
de fa vie , qui ont été ceux de fes crimes.
Il ne faut plus lailTer de doutes 6c d'obfcu-
rités dans la confcience, laifTer dans les té-
nèbres les premières mœurs , fous pré-
texte qu'elles ont été déjà révélées au Prê-
tre : il faut une manifeilation univerfelle ;
ne compter pour rien tout ce qu'on a fait
jufqu'ici ; les Sacremens reçus, 6c les con-
fefTions faites dans la vie mondaine & déré-
Homélie sur Lazare. 363
glée , les mettre même au nombre de nos
crimes ; regarder la confcience comme un
cahos , où jufqu'ici on n'a pas porté la lu-
mière , ÔC fur laquelle toutes nos fauïïes
pénitences palTée n'ont fait que répandre
de nouvelles ténèbres.
Car , hélas , mes Frères ! une ame qui
revient à Dieu après les égaremens du
monde ÔC des pallions , doit préfumer
qu'ayant vécu julques-là dans desaiFe£lions
éc des habitudes criminelles , tous les Sa»
cremens reçus en cet état ont été pour elle
des profanations 6c des crimes.
Premièrement , parce que n'ayant ja»
mais eu de douleur véritable de fcs fau-
tes , ni par conféquent de volonté lincère
de s'en corriger , les remèdes de l'Eglife ,
loin de la purifier , ont achevé de la fouil-
ler ,6c de rendre fes maux plus incurables.
Secondement , parce qu'elle ne s'ell: ja-
mais connue elle-même; ôC qu'ainfieile n'a
pu fe faire connoître au tribunal. Car 3
hélas , mes Frères ! le monde au miliea
duquel cette ame a toujours vécu , ôC où
elle a toujours penfé 6c jugé de tout com-
me le monde ; le monde , dis-je , ne trou-
vant de fenfé 5c de raifonnable , que fes
maximes ôC fes façons de penfer ; le monde
connoît-il afTez la fainteté de lEvangile ,
les obligations de la foi , retendue des
devoirs , pour entrer dans le détail des
tranfgre liions que la foi condamne ?
Troifiémement enfin , parce que , quand
même elle aviroit connu toutes fes miférei»
Hh i
364 Vend, de la IV. Seimainê;
n'en ayant jamais eu de douleur iincèfô J
elle n'a pii les faire connoître ; car il n'y â
que la douleur qui fâche s'expliquer comme
il faut , 6c repréfenter au naturel les maux
qu'elle fent & qu'elle abhorre : il faut avoir
le cœur touché pour favoir fe faire enten-
dre fur les plaies 6c les mileres du cœur
même. Un pécheur touché d'une paiîioii
profane , en parle plus vivement , plus élo-
quemment : rien ne lui échappe des maux
infenfés &. déplorables qu'il endure ; il en-
tre dans tous les replis de fon cœur , fes
jaloufies , fes craintes , fes efpérances.
Comme il n'y a que l'efprit de l'homme ,
dit l'Apôtre , qui fâche ce qui fe paffe dans
l'homme , il n'y a que le cœur aufli qui
puiiïe favoir ce qui fe palTe dans le cœur.
La douleur donne des yeux pour tout voir,
êc des paroles pour tout dire ; elle a un
langage que rien ne fauroit imiter : ainfî une
ame mondaine , ôc encore liée par le cœur
à tous fes défordres , a beau venir s'ac-
cufer , elle ne fauroit fe faire connoitre :
fans avoir un deffein formel de diilimuler
fes plaies , elle ne les montre jamais dans
toute leur horreur , parce qu'elle ne les fent
pas , 6c n'en eft pas frappée elle-même : fes
paroles fe fentent toujours de l'infenlibilité
de fon cœur ; 6c il efl impoilible qu'elle
montre dans toute leur laideur des diffor-
mités qu'elle ne connoît pas , 6c qu'elle
aime encore : elle doit donc regarder tout
^'^ tems de fa viepalTée , comme un tems de
Témb ^^^ ^ d'aveuglement , où elle ne
H O M E L I E s U R L A Z A R E. 365
s'eft jamais vue qu'avec des yeux de chair
6c de fang ; jamais jugée que par des juge-
mens depailion 6c d'amour propre; jamais
accufée qu'avec un langage d'erreur b^
d'impénitence ; jam.ais montrée que dans
un jour faux ÔC imparfait. Ce n'efl donc
pas aiïez d'ôter la pierre du tombeau ; il
faut que cette amiC criminelle en forte elle-
même ; qu'elle fe montre , pour ainfi dire ,
au grand jour ; qu'elle manifefte toute fa
vie ; 5c que depuis le premier agejufqu'au
jour heureux de fa délivrance, rien ne puifle
échapper aux yeux des Miniftres prêts à
la délier.
Mais cette démarche , dites -vous , à
des difficultés qui peuvent jetter le trouble,
l'embarras , le découragement dans la
confcience , 5c fufpendre la réfolution d'un
changement de vie. Quoi , mes Frères ,
vous entrez dans des difculîions fi pénibles
& fi infinies , pour éclaircir vos affaires tem-
porelles ; 6c pour établir l'ordre ÔC la sû-
reté dans votre confcience , Sc pour ne
laiffer plus rien de douteux dans l'affaire de
votre éternité , vous vous plaindriez dès
qu'il doit vous en coûter quelques foins 5c
quelques recherches? Vous dites fi fouvent
vous-mêmes quand il s'agit d'ujie démar-
che décifive pour la ruine 6c pour la confer-
vation de votre fortune , qu'il ne faut rien
rifquer , rien négliger ; qu'il faut tout voir
foi-même , tout éclaircir , tout approfon-
dir , 5c n'avoir rien à fe reprocher ; 5c cette
niaxime fi raifonnable fur des intérêts paf-
Hh 3
^66 Vend, de la IV. Semaine.
fagers 5C frivoles , le feroit moins fur le
grand 6c fur l'unique intérêt du falut ?
Ah , mes Frères ! que nou^ avons peu
de foi ! Et qu'avons-nous de plus important
en cette vie , que le foin de m>ettre en état
ce compte redoutable , que nous devons
rendre au Juge éternel , èc au Scrutateur
de nos cœurs 6c de nos penfées ? c'eft-à-
dire , le foin de régler notre confcience ,
d'en diiîiper les ténèbres , d'en purifier les
fouillures , d'en éclaircir les intérêts éter-
nels , d'en affurer les efpérances , nous af-
furer nous-mêmes, autant que la condition
préfente le permet , de fon état 5c de fes
di{|;>ofîtions ; ôc n'aller*pas paroître devant
Dieu comme des infenfés , inconnus à nous-
mêmes , incertains de ce que nous ^fem-
mes , êc de ce que nous devons être pour
toujours. Tels font les moyens de conver-
fîon , marqués dans le miracle de laréfur-
reélion de Lazare : achevons l'hiftoire de
notre Evangile ; ÔC voyons quels font les
motifs qui déterminent Jefus-Chrift à
l'opérer.
JL Our entrer d'abord dans notre fujet ,'
III- ^ ôv ne pas perdre de vue la fuite de l'Evan-
gile ; le premier motif que le Sauveur pa-
roît fe propofer dans la réfurre£lion de La-
zare; c'eft de confoler les larmes , &: de
récompenfer les prières 5c la piété de ^qs
deux fœurs. Seigneur y lui difent- elles >
celui que vous aimei ejl malade : 6C voilà ,
mes Frères , le premier motif qui déter-
Partie.
Homélie sur Lazare. 397
mine fouvent Jefiis-Chrift à opérer la
converfion d'un grand pécheur ; les larmes
6c les prières des âmes juftes qui la dem.an-
dent.
Oui , mes Frères , foit que le Seigneur
veuille par-là rendre la vertu plus refpec-
table aux pécheurs , en ne leur accordant
des grâces que par Tentremife des âmes
juftes ;' foit qu'il ait delTein de lier plus étroi-
tement fes membres ; 6c de les confommer
dans l'unité 5c dans la charité, en rendant
les miniftères des uns, utiles 5c nécelTaires
aux autres ; il eft certain que c'eft dans les
prières des gens de bien , que la conver-
fion des plus grands pécheurs trouve tous
les jours fa foui ce. Comme tout fe fait
pour les Juftes dans l'Eglife , dit l'Apôtre,
on peut dire aufli que tout fe fait par eux ;
6c comme les pécheurs n'y font fouiferts ,
que pour exercer leur vertu , ou ranimer
leur vigilance , ils n'y font rappelles auiÏÏ
de leurs égaremens , que pour confoler
leur foi , éc récompenfer leurs gémilTe-
mens ÔC leurs prières.
C'eft donc un commencement de juftice
pour les plus grands pécheurs , que d'ai-
mer les âmes juftes ; c'eft un préjugé de
vertu , que de la refpe£ler dans ceux qui la
pratiquent : c'eft une efpérance de conver-
fion , que de rechercher la fociété des gens
de bien , eftimer leur confiance , ÔC les
intéreffer à notre falut ; 5C quand m.ême
notre cœur gémiroit encore fous des liens
injuftes , 6c que l'amour du monde 5c des
Hh4
3^8 Vend, de la IV. Sema^e.
plaifirs nous éloigneroit encore de Dîeu^
dès que nous commençons à aimer {qs fer-
viteurs , nous faifons comme le premier
pas dans fon fervice. Il femble que notre
cœur fe lafTe déjà de fes paffions , dès que
nous nous plaifons avec ceux qui les con-
damnent; éc que le goût de la vertu n'eft
pas loin , dès que nous pouvons goûter
ceux que la vertu feule rend aimables.
D'ailleurs ^ les Juftes inftruits par nous-
mêmes de nos foibleiles , les ont fans ceile
prëfentes devant le Seigneur : ils gémiffent
devant lui fur les chaînes qui nous lient en-
core au monde 6c à fes amufemens: ils lui
offrent quelques foibles défirs de vertu ,
que nous leur confions quelquefois , pouj?
obliger fa bonté à nous en accorder de
plus vifs & de plus efficaces : ils portent
jufqu'aux pieds de fon Trône quelques^
commencemens de bien qu'ils ont apperçu
en nous , pour nous en obtenir de fa miié-
ricorde la perfedion & la plénitude. Plus,
touchés de nos malheurs que de leurs be-
foins , ils s'oublient, faintement eux-mê-
mes , pour fauver leurs frères qui périf-
fent à leurs yeux : eux feuls nous aiment
pour nous-mêmes , parce qu'eux. feuls n'ai-
ment en nous que notre faiut : le monde
peut nous donner des créatures , des adu-
lateurs , des compagnons de plaifir , de
fociété , de débauche ; mais la vertu toute
feule nous donne des amis.
Et c'eft ici > où vous qui m'écoutez ,
gui autrefois , comme peut-être Marie ,
Homélie $uR Lazare. 3^^
étiez efclaves du monde & des pafTions ,
& qui depuis , touchées de la grâce , ne
bougez plus comme elle des pieds du Sau-
veur ; c'eft ici où vous devez vous fou-
venir que déformais un des plus importans
points de votre nouvelle vie , eft de de-
mander continuellement à Jefus-Chrifl ,
comme la fœur de Lazare , la réfurreûion
de vos frères ; la converiion de ces amcs
infortunées , qui ont été les complices de
vos pallions criminelles , 6c qui encore fous
la puiiTance de la mort 6c du péché , traî-
nent triftement leurs chaînes dans les voies
du monde 5c de l'égarem^ent. Vous devez
dire fans CQÏÏe à Jefus-Chrift dans Ta-
mertume de votre cceur comme la fœur
de Lazare : Seigneur , celui qui vous ai-
me^ ejî malade s ^^^ âmes pour qui j'ai été
unécueil, 5c qui vous ont moins oiTenfé
que moi , font cependant encore dans les
ténèbres de la mort , & dans la corruption
du péché ; & je jouis d'une délivrance dont
, j'étois plus indigne qu'elles ! Ah , Sei-
gneur ! le plaifir que j'ai d'être à vous ne
fera jamais parfait , tandis que je verrai
mes frères périr triftement à mes yeux: je
ne jouirai qu'à demi du fruit de vos mifé-
ricordes , tandis que vous les refuferez à
des âmes pour qui j'ai été moi-même une
occafion funefle de chiite : & je ne croirai
jamais que vous m'ayez pardonné mes
crimes , tandis que je les verrai encore
lub/if}er dans les pécheurs , que mes exem^
pies ôc mes paffions ont éloignés de vous
370 Vend, de la IV. Semaine/
JJomine , ccce qiiem amas infirmatur.
Ce n'eft pas , mes Frères , que vous de-
viez Çi fort compter fur les prières des gens
de bien , que vous attendiez d'elles feules
le changement de votre cœur ôc le don de
la pénitence. Car c'eft-ià une illufion afTez
ordinaire parmi les perfonnes , furtout les
plus élevées dans le monde : on croit qu'en
refpe£lant la vertu ; qu'en favorifant les
gens de bien ; qu'en les intérefTant à folli-
citer auprès de Dieu notre converfion , nos
chaînes tomberont d'elles-mênies , fans
qu'il nous en coûte aucun effort pour noua
en dégager : on fe railure fur ce refte de
foi 6c de religion , -qui nous rend la vertu
dans les autres encore chère ÔC refpeâ:a-
ble : on fe fait bon gré de n*en être pas en-
core venu à ce point de libertinage £^
d'impiété , fî commun dans le monde , qui
fait de la vertu des cenfures , êc des déri-
fîons publiques. Mais hélas , mes Frères ,
il ne îervit de rien au Roi de Jehu d'avoir
rendu des honneurs publics au faint homme
Jonadab : fes vices fubfifloient toujours
avec le refpeâ: qu'il eut pour la vertu de
l'homme de Dieu, Il fut inutile à Hérode
d'honorer la piété de Jean-Baptifte , ôC
d'aimer même la fainte liberté de fes dif-
cours : la déférence qu'il eût pour le pré-
curfeur, lui lailTa toujours tout l'emporte-
ment de fa paffion criminuelle. Les hon-
neurs que nous rendons à la vertu attirent
des fecours à notre foibleife ; mais ils ne
juftifient pas nos égaremens \ les prières
Homélie sur Lazare. 371
des gens de bien rendent le Seigneur plus
attentif à nos befoins ; mais non pas plus
indulgent pour nos crimes : elles nous ob-
tiennent la viéloire des paffions que nous
commençons à détefter ; mais non pas de
celles que nous aimons , 6C dans lefquelles
nous voulons continuer de vivre : en un
mot , elles aident nos bons défirs ; mais
elles n'autorifent pas notre impénitence.
Le miracle de la réfurre£i:ion de Lazare
apprend donc aux âmes juftes à folliciter
la converfion de leurs frères ; mais la con-
verfion 6c la délivrance de leurs frères ,
fert encore à ranimer leur tiédeur 6c leur
lâciieté. Second motif que fe propofe Je-
fus-Chrift : il veut réveiller par la nou-
veauté de ce prodige , la foi de fes Difci-.
pies encore foible ÔC languilTante : Gaudeo
propter vos ut credatis»
Et tel êft le fruit que JefusChrift fe
propofe tous les jours des miracles de la
grâce : il opère à vos yeux des conver-
fions foudaines & furprenantes , vous qui
marchez depuis long-tems dans fes voies ,
pour confondre par la ferveur & par le
zèle de ces âmes depuis peu relTufcitées ,
votre tiédeur 5c votre indolence. Oui ,
mes Frères , rien n'efi: plus propre à nous
couvrir de confufion , & à nous faire trem-
bler fur les infidélités que nous mêlons à
une pieté tiède ÔC languilTante , que de
voir une ame enfevelie , il n'y a qu'un mo-
ment , dans la corruption de la mort 5c dit
péché-, & dont les égaremens a voient peut-
%-]! Vend, de la IV. Semaine.
être fervi de matière à la vanité de notre
zèle , &C à la malignité de nos cenfiires ;
de la voir , dis-je , un inllant après vivi-
fiée par la grâce , libre de fes chaînes ,
marcher à pas de géant dans la voie de
Dieu ; plus avide de mortification ; qu'elle
ne Tavoit été des plailirs ; plus féparée en-
core du monde 6c de fes amufemens ,
qu'elle n'y avoit paru attachée ; fe difputer
les délaïïemens les plus innocens ; ne met-
tre prefque point de bornes à la vivacilé
^ aux transports de fa pénitence, 6c faire
tous les jours de nouveaux progrès dans
la piété ; tandis que nous , après bien des
années de vertu , hélas ! nous languillons
encore dans les commencemicns de cette
fainte carrière ; tandis que nous , après
tant de grâces reçues , après tant de véri-
tés connues , après tant de Sacremens fré-
quentés , hélas 1 nous tenons encore au
monde ÔC à nous-mêmes par mille liens
injuftes t nous en fommes encore aux pre-
miers élemens de la foi 5c de la vie chré-
tienne , ÔC plus éloignés encore que nous
ne l'étions au commencement de ce zèle
6c de cette ferveur qui fait tout le prix ÔC
toute la sûreté d'une piété fidèle.
Mes Frères , la prédidion terrible de
Jefus-Chrift s'accomplit tous les jours à
nos yeux. Des publicains â>C des pécheurs ;
des perfonnes d'une conduite fcandaleufe ,
même félon le monde , ôc auiîi éloignées
du Royaume de Dieu , que l'Orient l'eft
de l'Occident , fe çonvertiffent , font pé-
Homélie SUR Laz AU e! 575
Iiîtence , furprennent le mondeparle fpec-
tacle d'une vie retirée , mortifiée , 6c re-
poferont dans le fein d'Abraham 5c de Ja»
cob ; 6c peut-être que nous , qu'on re-
garde comme les enfans du Royaume ; M
peut-être que nous , dont les mœurs n'of- '
irent rien aux yeux du monde que de ré*
gulier 6c de louable ; peut être que nous,
qu'on propofe comme des modèles de
conduite ÔC de vertu ! peut-être que nous ,
que lé monde canonife , & qui nous glo-
rifions du nom 6c des apparences de la
piété, hélas ! peut-être nous ferons rejet-
tés ÔC confondus, avec les infidèles , pour
avoir toujours opéré notre falut avec né-
gligence, & confervé un cœur encore tout
mondain au milieu des œuvres de la piété
inême : Fllii auîem re^ni ejicientur in /^-A^û^M. Si
ncèras exteriores. ^ ^' ^
Ainfi , mes Frères , vous que ce dif-
cours regarde , ne jugez pas de vous-mê-
mes , en vous comparant en fecret à ces
âmes défordonnées , que le monde 6c les
pafiions entraînent. On peut être plus jufte
que le monde , ÔC ne l'être pas encore affez
pour Jefus-Chrifi: : car le monde e/l fï
corrompu ; l'Evangile y eft fi ignoré ; la
Foi fi éteinte ; les régies 6c les vérités fi af-
foiblies , que ce qui eft vertu par rapport à
lui , peut être encore une grande iniquité
devant Dieu.
Comparez-vous plutôt à ces faints Pé-
iiitens , qui édifièrent autrefois l'Eglife par
ïe prodige de leurs auftérités , 6c dont la
374 Vekd. de la IV. Semaine.
vie nous paroît encore aujourd'hui fi in-
croyable ; à ces Martyrs généreux qui li-
vroient leurs corps pour la vérité , &. qui
au milieu des plus cruels tourmens , étoieiit
tranfportés de joie à la vue des promeffes
éternelles ; à ces Fidèles des premiers tems,
qui mouroient tous les jours pour Jefus-
Chrift y ôC qui dans les perfécutions , 6c
dans la perte de leurs biens , de leurs en-
fans , de leur patrie , croyoient tout pofle-
der , parce qu'ils navoient pas perdu la foi
& refpérance d'une vie meilleure : voilà les
modèles fur lefquels vous devez mefurer
votre vertu pour la trouver encore défec-
tueufe ôC toute mondaine. Si vous ne leur
reflemblez pas , envain ne reflemblez-vous
pas au monde , vous périrez comme lui ;
il ne fuffit pas de ne point imiter les cri-
mes des mondains , il faut encore avoir les
vertus des Juftes.
Enfin , non-feulement la bonté de Jefus-
Chrift dans ce miracle veut préparer à fes
Difciples 5c aux Juifs fidèles , un nouveau
motif de croire en lui; mais fa juftice y
ménage encore aux Juifs incrédules une
nouvelle occalion d'endurciffement 6c d'in-
crédulité : dernière circonfîance de notre
Evangile. Ils prennent des mefures pour
le perdre : ils veulent faire mourir Lazare
lui-même , pour n'avoir plus au milieu
d'eux un témoin fi éclatant de la puilTance
de Jefus-Chrift. Ils avoient accordé des
larmes à fa mort : & Judœos gui vénérant
cum eaplorames: à peine eft-il reflucité.
Homélie sur Lazare. J75
Îu'll ne leur paroît plus digne que de leur
ureur ÔC de leur vengeance. Et voilà ,
nies Frères , le feul fruit que la plupart
d'entre-vous retirez d'ordinaire des mira-
cles de la grâce ; c'eft- à-dire , de la con-
ver/îon , 6c de la réfurreftion fpirituelle des
grands pécheurs. Avant que la miféricor-
de^ de J-efus-Chrift eut jette fur une ame
criminelle des regards de grâce 6c de fa-
lut ; & tandis que livrée à tout l'emporte-
ment des pafîîons, elle étoit non-feulement
morte dans fon péché, mais répandoit par-
tout Tinfeâion bi. la mauvaife odeur de fes
déréglemens 6C de fes fcandales , vous pa-
roiiliez touchés de fes égarement & de
fpn ignominie ; vous déploriez le malheur
de fa deftinée ; vous mêliez vos larmes 6c
vos regrets , aux regrets ôc aux larmes de
fes amis ôc de fes proches : Et Judceos gui
yenerans cum ea plorantes ; & le dérange-
ment public de fa conduite trouvoit en
vous une douleur ôc une compaffîon d'hu-
manité ; mais à peine la grâce de Jefus-
Chrift l'a rappellée à la vie ; à peine fortie
du tombeau ôc de l'abime de corruption
où elle étoit enfevelie , rend-elle gloire à
fon Libérateur par les faintes ardeurs d'une
piété tendre 6c fîncère , que vous deve-
nez les cenfeurs de fa piété même : vous
aviez paru touchés de l'excès de {qs vices ,
êc vous faites des dérifîons publiques de
l'excès prétendu de la vertu : vous aviez
blâmé fon ardeur pour les plaifirs, 6c vous
condamnez fou amour pour Dieu. Accgr-
§7^ Vend, de la IV. Semaine.'
idez-vous donc avec vous-mêmes ; ÔC felteé
^race , ou au Jiifte ou au pécheur.
Oui , mes Frères , fi le bonheur d'un©
ame qui à vos yeux revient de fes égare-
mens , ne vous fait point d'envie; fi le re-
tour iincère d'un pécheur , qui peut-être
autrefois étoit de vos plailîrs ôC de vos ex-
cès , vous iaiffe toute votre indifférence
pour le falut , ah ! du moins n infultez pas
au bonheur de fa deftinée ; du moins ne
înéprifez pas en lui le don de Dieu ; ne
trouvez pas dans les miracles mêmes de
la grâce , fi capables de vous ouvrir les
yeiix , un nouveau motif d'aveuglement 6c
d'incrédulité ; 6c ne changez pas les bien-
faits de Dieu fur vos frères , en un juge-
ment terrible de juftice contre vous.
Vous êtes furpris quelquefois , mes Frè-
res, en lifant l'hiftoire de notre Evangile,
que la dureté ÔC l'aveuglement des Juifs
pût réfifter aux prodiges les plus éclatans
de Jefus-Chrift : vous ne comprenez pas
comment la réfurreftion des morts, lagué-
rifon des aveugles-nés , 6c tant d'autres
merveilles opérés à leurs yeux , ne les
forçoient pas à reconnoitre la vérité de fon
miniftère , ÔC la fainteté de fa doctrine: vous
dites qu'il n'en faudroit pas tant pour vous
convaincre qu'un feul de ces miracles fulîi-
roit , 5c que vous vous rendriez à l'inftant.
Mais , mes Frères , vous vous condam-
nez par votre propre bouche ; ( car fans
réfuter ici ce vain difcours par ces preuves
hautes ÔC fublimes que la Religion fournît
contfç
Homélie SUR Lazare. 377
fcontre l'impiété , 6c que nous avons em-
ployées ailleurs ; ) de bonne foi , n'eft-ce
pas un miracle plus étonnant 5c plus diffi-
cile , qu'une am,e livrée au crime 6c aux
paiîîons les plus honteufes , née avec des
penchans de volupté , de fierté , de ven-
geance , d'ambition , Sc plus éloignée que
perfonne , par le caraftère de fon cœur ,
du Royaume de Dieu , 6c de toutes les
maximes de la piété chrétienne ; que cette
ame renonce tout d'un coup à fes plaifîrs,
rompe les attachemens les plus vifs , ré-
prime les pafTions les plus violentes , étei»
gne , change les inclinations les plus enra-
cinées , oublie les injures , les foins du
corps , de la fortune ; ne trouve plus de
goût qu'à la prière , à la retraite , à la pra-
tique des devoirs les plus trilles 5c les plus
dégoiitans , 6c offre aux yeux du public un
changement , une réfurreâ:ion fi palpable,
le fpeâ:acle d'une vie fi différente de la pre-
mière , que le monde , que le libertinage
lui-même foit forcé de rendre gloire à la
vérité de fon changement , 5c qu'on ne la
Teconnoiffe plus elle-même ; n'ell-ce pas >
dis- je, un miracle plus étonnant §C plus
difficile ?
Or , la miférîcorde de Jefus-Chrifl
n'opére-t'elle pas tous les jours de ce pro-*
àïges à vos yeux ? fa parole f^ynte, quoi-
que dans des bouches foibles 6c languiilan-
tes ,, ne reifufGite-t'elle pas encore tous ks
jours d;es Lazares ? Vous les voyez ; voitô
les connoiffez ; vous en paroiffez furpris ^
}7^ VexN^d. de la IV. Semaine.
& cependant en êtes-vous touchés ? ces
merveilles que le doigt de Dieu fait éclater
avec tant de majefté, vous rappellent-elles
à la vérité 5c à la lumière ? ces change-
mens mille fois plus furprenans que la ré-
furreâ:ion des morts , vous convainquent-
ils ? vous attirent-ils à Jefus-Chrift ? vous
rendent- ils la foi que vous avez perdue ?
Hélas ! femblables aux Juifs , tout vo»
tre foin eft d'en combattre ou d'en affoi-
blir la vérité. Vous difputez à la grâce la
gloire de ces prodiges : vous en cherchez
les motifs dans des caufes toutes humai-
nes : vous les regardez comme des prefti-
ges 5c des impcftures : vous attribuez aux.
artifices de l'homme les plus éclatantes
opérations de rEfprit- Saint : vous voulez
qu'une nouvelle vie ne foit qu'un nouveau
piège qu'on tend à la crédulité publique ,
Se une voie nouvelle pour mieux arriver à
fes fins. Ainfi les œuvres de la toute-puif-
fance de Jefus-Chrifl: , vous endurcifTent ;
ainiî les prodiges mêmes de fa grâce con-
ibmment votre aveuglement ; ainfi vous
faites tout fervir à votre perte ; Jefus-
Chrift eil pour vous une pierre de chiite
6c dQ:fcandale^ où il auroit dû être une
fourcQ de vie 5c de falut. Les exemples des.
pécheurs vous fouillent 6c vous corrom-
pent ; leur pénitence vaus révolte 6c vous
endurcit.
Grand Dieu ! fbuiîrez donc que pour
Enir enfin les égaremens d^une vie toute
ciimiaelle ^ j'élève aujourd'hui ma vclii
Homélie sur Lazare. 379
vers vous , du fond de rabîme où je lan-
guis depuis tant d'années : les chaînas im-
pures dont je fuis lié , m'attachent par tant
de nœuds à la profondeur du gouffre où
je. traîne mes triftes jours , que malgré
tous mes bons défirs , je demeure toujours
immobile , ÔC ne faurois prefque plus faire
d'effort pour me dégager , 5c retourner ù
vous , ô mon Dieu ! que j'ai abandonné.
Mais , Seigneur , du fond de ce gouffre oii
vous me voyez lié 6c enfeveli , comme uii
autre Lazare , j'ai encore du m.oins la voix
du cœur libre pour porter jufqu'au pied
de votre Trône mes regrets , mes foupirs
6C mes larmes : D^ ^rcfundis cUmuvi *id pj: j^^^,
te y Domine. î- '^/^î?
La voix d'un pécheur qui revient à vous.
Seigneur , efi: toujours pour vous une voix
agréable : c'eft cette voix de Jacob qui
réveille toute votre tendreffe , lors même
qu'elle ne vous préfente que des mains
d'Efaii, 6c toutes pleines encore defang &
de crimes ; Domine exai/di vocem meam.
Ah \ vous avez affez jufqu'ici , Seigneur,
détourné vos oreilles faintes de mes dif-
cours de licence 8C de blafphéme : rendez-
les aujourd'hui attenti\'es aux plus triilesi
expreffions de ma douleur; ôc que la nou-
veauté du langage. que je vous tiens , a.
mon Dieu ! attire à ma prière une attention;
plus favorable-: Fiant aiires tiice intendantes;
in vocem â:prec\itionis mcœ>
Je ne viens pas ici^, grand Dieu, excu-
kx. dev3U!^; vQiis: mes défojdres , en vaiifc
Hz.
3^0 Vend, de la IV. Semaine.'
alléguant les occafions qui m'ont féduit ?
les exemples qui m'ont entraîné , le mal-
heur de mes engagemens ^ & le caradlère
de mon cœur ôc de ma foiblefTe : cachez-
vous , Seigneur „ les horreurs de ma vie
paflee : le feul moyen de les excufer , c'eil
de ne vouloir pas les regarder 6c les con-
noître ; hélas ! il je n'en puis foutenir moi-
même k feul fpeâacle; (î mes crimes fuyent
ÔC craignent mes propres yeux , 6c s'il faut
que j'en détourne la vue pour ménager mes
terreurs 6c ma foibleiïes ; comment pour-
roient-ils ^ Seigneur , foutenir la fainteté
de vos regards , 11 vous les examinez avec -
cet oeil de févérité , qui trouve des taches
dans la vie la plus pure ÔC la plus louable ?
Si iniquitates obfervaveris y Domine 'y Do-^.
mine , quix fufiinebit ?
Mais vous n'êtes pas , Seigneur , un Dieu
femblable à l'homme , à qui il en coûte,
toujours de pardonner 6c d'oublier les ou^
îrages d'un ennemi : la bonté 5c la miféri»
corde font nées dans votre fein éternel ; la,
clémence elè le premier caraé^ère de votre
Etrefuprême; & vous n'avez point d'enne-
mis , que ceux qui ne veulent pas mettre:
leur confiance dans les richeiles abondant,es
de VQsmiféricordes: Quia apiid Dominunz
miferieoriia ^ ^ cojiiofa a£ud mm re*
demptio.
Otii , Seigneur ! à quelque heure qu'une-
9îne criminelle revienne à vous \ dès le^
matift de l'a vie » ou fur le déclin de Tage ;,
a^^rès les égar^men3t dQS grçmiéres moeurs^
Homélie sur Lazare. 3R1
bu après une vie entière de difTolution &
de licence , vous voulez , ô mon Dieu !
qu'on efpére encore en vous ; & vous nous
alTurez que le plus haut point de nos cri-
mes , n'eft encore que le premier degré de
vos miféricordes : A cujlodiâ matutinà uf-
que ai noctemfperet ifra'él in Domino»
Mais auiîî » grand Dieu ! fî vous exaucez
mes défirs ; fi vous me rendez une fois la
vie 6c la lumière que j'ai perdue ; û vous
brifez ces chaînes de la mort qui me lient
encore ; fi vous me tendez la main , pour
me retirer de l'abîme où je fuis plongé, ah !
je ne cefierai , Seigneur, de publier vos
miféricordes éternelles .-j'oublierai le mon-
de entier , pour ne plus m'occuper que des
merveilles de votre grâce fur mon ame: je
rendrai gloire tous les m.omens de ma vie
au Dieu qui m'aura délivré : ma bouche
fermée pour jamais à la vanité , ne pourra
plus fuffire aux tranfports de mon amour
oC de m^a reconnoifiance; 5c votre créature^
qui gémit encore feus l'empire du monde
Se du péché ^ rendue à fon Seigneur vérita-
ble , bénira fon Libérateur dans les fiécks
des fiécles.
38i Vend de la IV. Semaine.
AVIS.
ON s^appercevra , fans doute , en llfant
le Sermon fuivant , que les vérités qu'il
renferme ont déjà été traitées dans les deu:^
difcours que ton trouve le Jeudi de lu troi-
Jiéme Semaine de Carême , intitulés , run ;
De rincertitude de la juftice dans la tié-
deur ; & Vautre : De la certitude d'une
chiite dans la tiédeur. Comme la matière
eft extrêmement importante , ô* mérite d'ê-
tre traitée avec foin 3 elle s'étendit Jî fort
entre les mains du P. Majfdlon , lorfqu*il
voulut la remanier , qiiil lui fut impojfible
de tout renfermer dans un feul difcours : il
prit donc le parti d'en faire d'eux \ & de
traiter Jéparement les deux vérités qu'il avoit
d'abord réunies.
Peut-être ne fera- 1 il pas inutile pour les
perfcnnes qui fe deftinent à la Chaire ^ quel-
les voyent comment ce grand homme f avoit
prefemer les mêmes jujets fous différens
points de vue , é* donner un nouveau -jour
& une nouvelle force à des vérités fur hf-
quelles on avroit cru qu^il n'y avoit plus
rien à dire. Nous ne faifons point VAnalyfe,
de ce Sermon : celles qui ont été faites des
deux Sermons y Sur la tiédeur^ peuymk
[ervir pour cdui-ci.
SECOND
SERMON
• POUR LE VENDREDI
DE LA QUATRIEME SEMAINE
DE CAREME.
Sur les fautes légères,
înfir mitas haec non eil ad mortent.
Cttu maladis m va ^oint à la mort-
Joan. II. 4,
^g^^l- E que le Sauveur dit aujourd'hui
de la maladie de Lazare , nous
^^m le difons fouvent des maux de
gj notre ame , m.es chers Audi-
teurs : cependant fous prétexte
quek plupart de nos foiblefTe:? ne font pas
du nombre- de celles qui conduifent à la
mort ^ 5c qii'cUes na touchent pas au
fonds de la grâce 6< de la juilice qui eil en
nous ^ nous les regardons comme légères
584 Vend, de la IV. Semaine.
ÔC prefqiie de nulle conféquence dans la
vie Chrétienne. Cette erreur li dangereufe
eft pourtant commune au Jufte , 6c au
pécheur ; au mondain , 6c au Solitaire ;
au Prêtre appliqué à l'Autel faint , 6c à
l'homme engagé dans le tumulte du iié-
cle ; à la Vierge confacrée au Seigneur ,
Se à la femme chrétienne ; partagée en-
tre Jefus-Chrift & les foins du mariage.
Jugez de l'importance de cette matière.,
par fon étendue : tout le monde prefque
regarde des mêmes yeux ces infidélités
journalières 6c habituelles , que le poids
de la corruption femble rendre inévita-
ble à la piété la plus attentive : on fe
les permet fans fcrupule ; on s'en reçon-
noît coupable fans componction : on s'en
accufe fans amendement ; on vit fans nulle-
précaution pour les éviter; ôc de-là cette
indolence 5c cette molIelTe dans les voiea
du falut j qui damnent tant de perfon-
nés , nées d'ailleurs avec des principes
de vertu ÔC des fentimens heureux poair
le Ciel.
Cependant , m.es Frères , la fidélité à
nos moindres obligations eft la pratique la
plus elTentieile à la piété chrétienne : elle
feule fait les JuHes ; à elle feule les pro-
méfies de la perfévérance font faites ; à,
elle feule les Saints qui nous ont précédés
doivent la couronne d'immortalité dont ils
jouifleat. Il nQR point- de piété véritable
fans cette exaâitude ; 8c l'état oii l'on.fe
feoxae 4 QbiexYçr l'êffentiel de h Loi ^. ea
fe
Faute? légère^. 5^5
(e permettant toutes les tranfgrefîions qui
ne font pas renfermées dans le précepte ,
eft un état chimérique dans les principes
delà Religion ; un état où perfonne n'a pu
encore atteindre ; 6c dont aucun Saint ne
nous a lailfé le modèle.
En effet , ce qui nous abufe ici , c'eft
que nous n'enviiageons les infidélités dont
je parle que par rapport à la^Loi dont
elles ne violent pas les points principaux,
ÔC de ce côté-là , elles nous paroilTent lé*
gères : mais cette régie de nos jugemens
eft très-défeâueufe , puifque la malice de
nos œuvres ne fe prend pas feulement du
côté de la Loi qu'elles blelfent , mais en-
core du côté du cœur qui les produit ,
6c des fuites où elles nous conduifent. Or,
voilà les deux endroits par où je prétends
vous faire confidérer aujourd'hui les infi-
délités légères , & cet état de tiédeur 6C
de mollelfe dont je parle ; 6c vous con-
viendrez que ridée de légèreté qu'on leur
attache , eft une idée fort injufte. Premié'
rement , nous examinerons la corruption
du principe d'où elles partent d'ordinaire ;
ÔC du moins elles vous paroîtr ont fort fouil-
lées : première réflexion. Secondement :
nous ensuivrons les effets ; ôc vous ne
pourrez vous empêcher de convenir que
ou moins elles vous feront tôt ou tardru-
îieftes : dernière réflexion. Ainfi , foit que
i^ous les confidériez dans leur principe ,
ou dans leurs fuites , vous ne les regarde-
rez plus comme lég'éres , 5C vous treai-
ï.
Ï'aetie
^86 Veno. de la IV. Semaine."
blerez fur un état fi peu sûr pour le faîuti
Développons ces deux importantes vé-
rités. Ave^ Maria.
OI les hommes avoient feulement de la
majefté de Dieu , l'idée que la foi devroit
leur en donner , il feroit inutile de venir ici
juftifier fa Loi , ÔC prouver que tout ce qui
rofîenfe,nepeut être léger. La fainteté 6c
Texcellence de fa nature , oppofée à la
profondeur de notre néant , donne aux ou-
trages que nous lui faifons , quelques légers
qu'ils nous paroiflent , une énormité qui
nous efl inconnue , mais toujours qui croit
à proportion de notre baifeife , ôc de la
grandeur de l'Etre que nous ofFenfons.
Àufl] , mes Frères , lorfqu'un Royaume
frappe de playes , des murmurateurs en-
gloutis , des téméraires dévorés par le feu
du Ciel , 5c mille punitions foudaines 6t
éclatantes , fervoient comme d'appareil
auprès d'un peuple charnel à la majefté du
Dieu d'Abraham : fa Loi paroiiToit terrible
6c vénérable dans fes plus légères circonf-
tances. Un peudeboisfecrettementamaiTé
pour fecourir fa propre indigence, étoit
im violement du Sabbat, 6c une prévarica-
tion digne de m^ort : une jaloufie naiifante ,
im feul murmure étoit puni de lèpre dans
la fœur même du condufteur d'Iiraèl , ÔC
vous rendoit anathême au relie du peuple ;
une fimpîe défiance dans les plus cruelles
perplexités , vous fermoit l'entrée de la
terre de Caiiaan , ôi iie laiffoit à Moif©
Fautes légères. 3S7
iitiême que la trifte confolation de mourir
après l'avoir faluée de loin : enfin un léger
butin réfervé des dépouilles de Jéricho , li-
vroit Tarméedu Seigneur en proie aux na-
tions , 6c vous rendoit coupable d'un crime
qui ne pouvoit plus être expié que dans
votre fang.
Et certes , mes Frères , fi nous ne con-
fidérions que la grandeur de l'Etre fuprê-
me 3 ce qui lui déplaît, ce qui ToiFenfe ,
pourroit-il jamais paroitre léger ? fi Dieu
n'écoutoit que le foin de fa gloire , ÔC ce
qu'exige fon infinie majefté , outragée par
la créature , toutes les lois que méprifant
fes Commandemens , nous lui défobéi'f-
fons , même dans les chofes les moins con-
fidérables ; que n'aurions-nous pas à crain-
dre ? Ce n'eft pas que je veuille ici con-
fondre les fautes vénielles avec les fautes
mortelles ; la différence eft bien grande ;
les premières ne nous privent pas de l'a-
mour de Dieu , quoiqu'elles raffoibliifent;
les autres bannilfent la charité de notre
cœur : les 'premières ne font que contrifier
l'Efprit -Saint dans nos âmes ; les autres l'y
éteignent tout-à-faiî î mais néanmoins ,
toute infidélité , quelque légère qu'elle
puiffe être , eft en un fens très-véritable,
une préférence injufte que nous faifons de
la vile créature au Créateur : en violant la
Loi de Dieu dans les points les moins -f-
fentiels , il eft vrai de dire en un fens , q :e
nous préférons le plaifir injufte , qui nous
revien; de cette légère tranfgreffion , à la
A^ Vend, dê la IV. Semaine.
Loi de Dieu , à Dieu lui-même qui iioiï^
la défend : or , la préférence de la créa-
ture à Dieu , dans quelque circonftance
que ce foit , quelque petite qu'elle foit ,
n'eft-elle pas un outrage que nous lui fai-
fons ? 5c un outrage fait à un Etre fi grand ,
C faint , û digne de nos hommages , pour-
ra-t'il jamais être regardé comme une
bagatelle , fur-tout fi nous faifons atten-
tion que nous fommes dans rimpolîibilité
de trouver dans notre propre fonds , de
quoi expier une feule de ces fautes , 6c
qu'elles ne peuvent être lavées que dans
le fang du Fils de Dieu ?
Mais ce n'eft pas à ces confidérations que
je prétends m'arrêter aujourd'hui : je ne
veux point prendre hors de vous-même le
danger de cet état qui vous paroit fi siir ; 6c
pour ne laiiler ici aucune évafion à Terreur
que je combats , je veux les confidérer ,
ces fautes , dans la difpofition même de
votre cœur d'où elles partent ; ôc voici
toutes les réflexions qui m'ont paru déci-
Cves fur cette vérité fi imponante : je vais
vous les propofer fimiplement 5c fans art ;
écoutez-les attentivement, je vous prie.
Premièrement , dès - là que vous ne
vous difputez plus ces infidélités légères ,
2< que vous vous faites comme un état de
la Îîmr4e exîenfion du crime , c'eft-à-dire ,
de la tiédeur ÔC de la négligence ; dès-lors
vous renoncez au déiir de votre pérfec*
tion ; vous n'êtes plus contrifté desfoiblef-
fes & des chûtes qui vous retardent fur vo«
Fautes légères. 389
tre route ; vous ne vous propofez plus d'a-
vancer pour atteindre à ce point où Dieu
v^ous demande , 6c vers lequel fa grâce ne
ceffe de vous pouffer en fecret. Cependant
il vous eft ordonné d'être parfait , parce
que le Père célefte , que vous fervez , eft
parfait. Je dis ordonné ; car quoique le
degré de perfeâion ne foit pas renfermé
dans le précepte , tendre à la perfection ,
travailler à la perfection , eft néanmoins
un commandement 6c un devoir indifpenfk-
ble à tout Chrétien. Donc dès-là que vouâ
vous bornez à ce que vous jugez Teffentiel
de la Loi ; que vous vous permettez toutes
les tranfgreirions légères qui ne donnent
pas la mort à l'ame , vous ne fon^Qi plus à
devenir parfait : vous laiffez-là cet ouvrage
auquel Jefus-Chrift vous a ordonné de
travailler. Or , je vous le demande : cette
difpofition toute feule , qui n"'eft autre cho-
fe qu'un mépris formel, une tranfgrefii^n
certaine de ce grand commandement oui
vous oblige d'être parfaits , c'eft-à-dire ,
de travailler à le devenir ; eft-elle une
preuve que votre ame foit vivante aux
yeux de Dieu ?& ne doit-elle pas au moins
vous infpirer des doutes far votre état ?
Secondement , cette attention toute
feule que vous apportez à examiner fi une
offenfe eft vénielle , ou fi elle va plus loin ;
à difputer au Seigneur tout ce que vous
pouvez lui refuferfans crime; à n'étudier
la Loi que pour connoître jufqu'à quel
point il vous eft permis de la violer ; cette
Kkj
590 Vend. »e la IV. Semaine.'
feufe attention , dis- je , ne peut partir que
d'un fond d'amour propre ; d'un fond où
la foi 5c la charité font au moins bien lan-
guilLintes ; d'un fond ennemi de la Croix
de Jefus-Chrift ; d'un fond où 1 Efprit
de Dieu ne paroît pas régner ; car il n'eft
que les enfans prodigues qui chicanent
ainfi avec le Père cëlefte , qui veuillent
lifer de leurs droits à la rigueur , 6c prendre
tout ce qui leur appartient ; il n'eft que les
vierges folles qui attendent ainii l'extrémité
pour obéir à lEpoux.
Troifiémement eu effet , cette difpofi-
tion qui fait qu'on le permet tout ce qu'on
ne croit pas digne d'une peine éternelle ,
eft la difpofition d'un efclave 5c d'un mer-
cenaire : c'eft-à-dire , que fi l'on pouvoit
fe promettre une pareille indulgence pour
îa tranfgrelîion des points -eiTentiels de la
Loi , on les violeroit avec autant de faci-
lité , qu'on viole les moindres ; c'eft-à-
dire , que lorfqu'on eft fidèle au comman-
dement , ce n'eil pas la juilice que l'on ai-
me , c'eft la peine que Ton craint ; cen'eft
pas le Seigneur qu'on .fe propofe , c'efl
ibi-même ; car tandis que fa gloire feule y
çil intéreilée , 6c qu'il ne doit nous revenir
aucun dommage de nos infidélités , ah !
nous ne craignons plus de lui déplaire : nous
excufonsméme ces fautes en difant qu'elles
ne donnent pas la mort à Tame ; c'efl-à-
dire , qu'elles ne font que déplaire à Dieu ,
fans nous mériter une peine éternelle : ce
Ç[ui le regarde ne nous touche pas ; fon hon-
Fautes légères. 591
neiir n'entre pour rien dans le difcernement
que nous faifons des aâions permifes 5C
défendues : c'eft notre pur intérêt qui régie
là-defTus notre fidélité. Gr , je vous de-
mande : eft-celàlafîtuation d'une ame qui
aime encore ? ÔC comment appeller une
difpofition fi injurieufe à Dieu?peut-on ne
pas craindre qu'elle ne foit criminelle ? La
charité que vous croyez pourtant avoir ,
cherche-t'elle ainfi les propres intérêts ?
Ah ! quand on aime véritablement , tout
ce qui déplaît à ce qu'on aime , nous tou-
che : on ne s'avife pas de péfer jufqu'à
quel degré on peut lui déplaire fans mériter
fes châtimens , pour prendre là-deflus fes
mefiires , ôc l'offenfer dès-lors qu'il n'y
aura plus de fupplice à craindre : cette fup-
putation part d'un cœur qui n'aime point
du tout. Vous voudriez favoir fi ce jeu , ce
fpeftacle , cette liberté , ce difcours qui
nuit à la réputation de votre frère , ces
plaifirs , ce luxe , cette omifiion , cette
inutilité de vie efi: une ofTenfe vénielle ou
mortelle. Vous (avez qu'elle déplaît au
Seigneur; car ce point n'eftpas douteux ;
6c cela ne vous fuffit pas pour vous l'inter-
dire ? & vous voudriez favoir encorefi elle
lui déplaît jufqu'à mériter une peine éter-
nelle ? ÔC tout votre foin eft d'éclaircir fi
c'eft un crime digne de Tenfer? Eh ! vous
voyez bien , mon cher Auditeur , que cette
recherche n'aboutit phis qu'à vous-même;
que votre difpofition va à ne compter pour
rien le péché , en tant qu'il eft oiîenfé de
Kk4
592 Vekd. de la IV. Semaine.
Dieu, &C qu'il lui déplaît; (motif elTentiel
cependant qui doit vous le rendre haïfla-
ble ; ) que vous ne fervez pas le Seigneur
dans la fîncérité & dans la juftice ; que vo-
tre piété n'eft qu'un naturel timide , qui
n'oie s'expofer aux menaces terribles de la
foi ; que vous reflemblez à ce ferviteur in-
£déle , qui avoit caché fon talent , parce
que le maître étoit auftère , mais qui hors
de-là l'eût diiTipé en folles dépenfes ; 6C
que dans la préparation du cœur à laquelle
feule le Seigneur regarde , vous êtes peut-
être un enfant de mort ÔC un tranfgreiïeuf
déclaré de la Loi.
En quatrième lieu , cet état de relâche-
ment 8c d'infidélité , fans avoir mêmiC égard
fiisx diipontions qui vous y ont conduit i
cet état en lui-même eiï un état fort dou-
teux , dont nul Do6teurne voudroit vous
garantir la sûreté ; 6c qui du moins eft plu»
voifm du crime, que de la vertu. En effet,
qui peut vous aiTiirer que dans ces recher-
ches fecrettes 5c éternelles de vous-mê-
me ; dans cette moileifc des mœurs qui fait
tout le fond de votre vie ; dans cette atten-
tion à vous ménager tout ce qui flâte vo3
fens : à éloigner tout ce qui vous gêne ,
même aux dépens de vos moindres obliga-
tions , l'amour propre n'y eft pas entré juf-
qu à ce point fatal qui fufîît pour le faire
dominer dans un cœur 5c en bannir la chari-
té F Qui pourroit vous dire fi dans ces pen-
fées où votre efprit oifeux a rappelle mil-
le fois des objets ou des événemens péril-
Fautes légères. 39*5
leiix à la pudeur , votre lenteur à les com-
battre n'a pas été criminelle ; ÔC fi les ef-
forts que vous avez faits enfuite n'ont pas
été un artifice de l'amour propre , qui a
voulu vous déguifer à vous-même votre
crime , 6c vous calmer fur la complaifance
que vous leur aviez déjà accordée ? Qui
oferoit décider, il dans ces aigreurs 6C
dans-ces refrcidilfemensfecretsfur lefquels
vous ne vous gênez que foiblement, ÔC
fou vent par bienféance plus que par piété,
vous vous en êtes toujours tenu à ce pas
gliflant , au-delà duquel le trouve la haine
ôC la mort de l'ame ? Qui fait fi dans la fen-
fibiliîé qui accompagne d'ordinaire vos af-
flictions , vos contre-tems ôc vos peines ,
ce que vous appeliez fentimens inévitables
à la nature , ne font pas un dérèglement de
votre cœur , un affûibliflement criminel de
la foi , 6c une révolte contre la Providen-
ce ? fi dans tous ces foins , où l'on vous
voit defceiidre pour ménager les intérêts
de votre fortune , pour relever les grâces
d'une vaine beauté , il n'y entre pas autant
de vivacité qu'il en faut pour former le cri-
me, ou de l'avarice, ou de Tambition, ou
de la volupté? fi dans l'ufage de vos lens,
6c dans cette délicatelle qui ne fe refufe
rien , 6c qui ne cherche qu'à réveiller le
goût par de nouveaux artifices , le plaifir
que vous goûtez au-delà de la nécefiité
n'elî pas le vice d'intempérance ?
Grand Dieu ! qui a bien compris les
progrès ôc les diminutions iufenfibles de
§94 Vjlnd. de la IV. Semaine.
votre grâce dans les âmes ? qui a bien dif.
cerné ces bornes fatales qui feparent dans
un cœur la vie de la mort , & la lumière
des ténèbres ? comme difoit le faint hom-
me Job. Un peu plus , ou un peu moins
de complaifance , un mouvem.ent du cœur
plus délibéré , ou plus prom^pt ; un aâ:e
de la volonté plus achevé , ou plus im-
parfait ; une omiHion où il entre plus ou
moins de mépris ; une penfée arrivée feu-
lement jufques au degré qui précède le
crime , ou poufTée un peu au-delà ; ah !
ce font des abîmes fur lefquels Thomme
peu inftruit ne peut que trembler , 6c dont
vous réfervez la manifeftation au jour ter-
rible de vos vengeances. Cependant , mon
cher Auditeur , vous êtes tranquille dans
iin état où il n'eft pas une feule de vos ac-
tions , qui à votre insii , ne puiHe être un
crime devant Dieu.
Ah ! c'eft pour cela que les plus grands
Saints , aufquels la confcience ne reprocha
rien ; qui châtient leurs corps ÔC le rédui-
fent en fervitude ; ces hommes toujours
attentifs fur eux-mêmes ; toujours en garde
contre le péché ; qui s'abftiennent même
des œuvres les plus permifes de peur de
fcandalifer leurs frères ; qui opèrent leur
falut dans une crainte &C un tremblement
continuel , ne favent cependant s'ils font
dignes d'amour ou de haine , s'ils portent
encore au fond de leur cœur le tréfor in-
vifible de la charité ou s'ils l'ont perdu.
Et vous , mon cher Auditeur , dans des
Fautes légères. 39;
mœurs toutes fenfuelles ; vous qui vous
permettez tous les jours , de propos déli>
béré , des infidélités fur la malice defquel-
les vous ignorez le jugement que Dieu
porte ; vous qui ne prenez aucun foin de
conferver le tréfor de la grâce , ÔC qui vi-
viez content au milieu des périls , où il eft
prefque impoflible de ne pas la perdre ;
vous qui éprouvez tous les jours ces mo-
mens douteux despafTions , ou malgré tou-
te votre indulgence pour vous - même ,
vous avez tant de peine à démêler fi le
confentement n'a pas fuivi le plaifir , 6c fi
vous vous en êtes tenu à ce degré péril-
leux qui fépare l'offenfe vénielle de la mor-
telle : vous dont toutes les aérions font
prefque douteufes ; qui êtes toujours à
vous demander fi vous n'avez pas été trop
loin ; qui portez des embarras 6c des re-
grets fur la confcience , que vous n'éclair-
ciffez jamais à fond : vous qui flottez éter-
nellement entre le crime 6c les pures fau-
tes , & qui tout au plus pouvez dire ,
comme David , que vous n'êtes jamais fé-
pare que d'un petit degré de la mort : Uno 2. Rc^
tantiim gradu , morfque dividimur : vous ^i'
malgré tant de juftes fujets de crainte ,
vous croiriez conferver encore la charité ,
6c vous vous calmeriez fur vos infidélités
vifibles ÔC journalières, par une prétendue
habitude invifible de juftice dont vous ne
voyez au- dehors que des marques équivo-
ques. Jugez vous-même fi votre confiance
eft bien fondée : je ne veux ici que vous
396 Vend, de la IV. Semaine.
1. Cor.feul pour arbitre : Vos ij.Ji judicate quod
Cinquièmement , quoiqu'il foit vrai que
tous les péchés ne font pas des péchés à la
mort , comme dit S. Jean , 6c que la mo-
rale chrétienne reconnoifle des fautes qui
ne font que contrifter rEfprit-faint , 6C
d'autres qui le bannilTeut tout-à-fait de l'â-
me ; néanm.oins les régies qu elle nous four-
nit pour les diftinguer , ne fauroient être
ni sûres , niuniverfelles, du moment qu'on
les applique : il s'y trouve toujours , par
rapport à nous , des circonftances qui leur
font changer de nature. C'eft donc la dif-
pofition du cœur , qui décide de la mefure
êC de la qualité de nos fautes : fouvent ce
qui n'eft que fragilité ou furprife dans le
Jufte , eft malice 5c corruption dans le pé-
cheur. En voulez-vous des exemples ?
Saùl , malgré les ordres du Seigneur , épar-
gne le Roi d'Amalec , ÔC ce qu'il y a de
plus précieux dans les dépouilles de ce
prince infidèle : la faute ne paroît pas con-
fidérable ; mais comme elle part d'un fond
d'orgueil , de révolte ôc de vaine com-
plailance en fa viâ:oire , cette démarche
commence fa réprobation , 5c l'eTprit de
Dieu fe retire de lui Jo fué , au contraire,
épargne les Gabaonites que le Seigneur lui
avoit ordonné d'exterminer; il ne va pas
le confulter devant l'Arche avant de faire
alliance avec ces impofleurs : mais com-
me cette infidélité eft plutôt une furprife
qu'une défcbéillance , 5c que cette faute
F A U T E § L E G E R E f* ;0
^artd*un cœur encore fournis, religieux ,
fidèle ; elle eft légère aux yeux de Dieu ,
6C le pardon fuit de près l'ofFenfe.
Or, mon cher Auditeur , fi ce principe
eft inconteftable , furquoî vous fondez-
vous , lorfque vous regardez vos infidéli-
tés comme des fautes légères ? connoilTez-
vous toute la corruption de votre cœur ,
d*oii elles partent ? Dieu la connoît , lui
qui en eft le Scrutateur 5c le Juge , ôcdont
les yeux (ont bien diiïerens de ceux de
l'homme. Mais s'il eft permis de juger
avant le tcms , dites-nous fi ce fond d'in-
<iolence 6c de langueur habituelle qui eft
en vous ; de perfévérance volontaire dans
un état qui déplaît à Dieu ; de mépris dé-
libéré des devoirs que vous ne croyez pas
efi*entiels ; d'attention à ne rien faire pour
le Seigneur , que lorfqu'il ouvre l'enfer
fous vos pieds : dites-nous fi tout cela doit
former à fes yeux un état fort digne d'un
Chrétien ; 6c il les fautes qui partent d'un
principe Ci corrompu , peuvent être devant
lui fort légères bt dignes d'indulgence ?
Mon Dieu ! que vous no lis découvrirez de
chofes nouvelles , lorfque vous viendrez
juger les juftices ÔC manifefter les fecrets
des cœurs !
Sixièmement , ce qui doit encore plus
vous faire trembler fur votre état de tié-
deur 5c d'indolence , c'eft que je ne vois
rien en vous qui puilfe même vous faire
préfumer que vous confervez encore cette
grâce fanâiifiaute fux laquelle vous compte^
^9^ Vend, de la IV. Semaine;
tant , parce que vous vous abftenez des cri-
mes groiïîers : car lorfque la charité eft
encore dans le cœur , elle fe manifefte
toujours par quelques fîgnes ; c'eft un ar-
bre dont la racine efl cachie dans Famé ,
mais qu'on peut connoître par fes fruits.
Or , en premier lieu , le caractère de la
charité , c'eft de grofîîr nos fautes à nos
propres yeux , dit S. Bernard : elle aug-
mente ; elle exagère tout : Sed aggravât y
fcd exaggerat univerfa ; elle nous fait re-
garder comme des crimes , des avions qui
devant Dieu ne font que de pures foiblef-
fes : ce font- là de ces pieufes erreurs de
la grâce qui ont leur fource dans les lu-
mières mêmes de la foi ; c'eft ainfi que les
Juftes fe regardent comme des pécheurs
indignes des miféricordes du Seigneur , 6C
fe mettent dans leur efprit , au - delTous
de tous leurs frères. Et cependant , mon
cher Auditeur , c'eft cette prétendue cha-
rité que vous croyez conferver encore au
milieu de votre tiédeur 5c de toutes vos in-
fidélités , qui vous les fait paroître légères;
c'eftparce que vous croyez qu'au fond vous
aimez encore le Seigneur , ÔC ne voudriez
pas l'ofFenfer dans les points eflentiels , que
ces fautes journalières vous trouvent li peu
fenfible ; que vous dites de vous - même
qu'à la vérité vous n'êtes pas un Saint ,
mais qu'auiîi vous n'êtes pas bien mauvais,,
c'eft votre charité elle-même qui vous
raffure, qui diminue vos fautes à vos yeux,,
qui vous calme , qui vous endort. Eh ! àx^
Fautes légères.' ^ç^
tes-moi, je vous prie , fi ce n'eft pas-là une
contradiction ? fi la charité fe dément ainfî
elle-même, &C fi vous diivez beaucoup
compter fur un amour qui refifemble il fort
à la haine ?
D'ailleurs, la charité eft humble , timide,
défiante , fans cefie agitée par ces pieufes
perplexités qui la lailîent dans le doute fur
fon état; toujours allarmée par ces déli-
catefies de la grâce , qui la font trembler
fur chaque a&on ; qui lui font de l'incer-
titude où elles la jettent , une efpèce de
martyre d'amour qui la purifie : elie opère
fon falut avec crainte & tremblement :
cette voie a été dans tous les tems la voie
des Juftes. Or , la charité fur laquelle
vous comptez , eft tranquille , indolente ,
préfomptueufe : c'eft elle qui calme vos
frayeurs ; qui bannit de votre cœur toutes
ces allarmes toujours inféparables de la
piété; qui vous établit dans un état de
paix ÔC de confiance ; qui vous fait dire ,
comme à cet Evêque de l'Apocalypfe : Je
fuis riche ; je ii aihQfoin de perfonne. Ah ,
mon cher Auditeur ! la charité eft-elle fi
différente d'elle-même ? il faut que l'une
des deux foit faulfe , ou celle que vous
croyez avoir , ou celle dont les Jufi:es
dans tous les fiécles , ont été jufques-icî
favorifés. Or, je vous demande , décidez
vous-même fur laquelle des deux ce terri-
ble foupçon doit tomber.
En^n , la charité opère par-tout où elle
jçft ; elle ne peut être oileufe , difent lef
iyoo Vend, de la IV. Semainï:
Saints ; c'efî: un feu célefte dont rien né
peut empêcher Vaùivité : il peut être , à
la vérité, quelquefois couvert, ÔC comme
rallenti par la multitude de nos foibleil'es ;
mais tandis qu'il n'eft pas encore éteint,
sh ! il en fort toujours quelques étincelles ,
des vœux , des foupirs , des efforts , des
œuvres : les Sacremens la renouvellent ;
Iqs Myftèreslaints la raniment; les prières
la réveillent ; les leâiures pieufes , les mf-
truftions de falut , les fpe£i:acles de reli-
gion, les faintes infpirations , tout la ral-
lume , lorfqu'elle n'eft pas encore éteinte.
Il eft écrit , au fécond Livre des Macha-
bées , que le feu facré que les Juifs a voient
caché pendant la captivité dans les entrail-
les de la terre , fe trouva au retour couvert
d'une moufTe épaifle , 6c parut comme
éteint aux enfans des Prêtres qui le retrou-
vèrent fous lacc-nduitedeNéhémias. Mais
comme ce n'étoit que la furface feule qui
étoit couverte , &*qu'au-dedans ce feu fa-
cré confervoit encore toute fa vertu ; à
peine Teut-on expofé aux rayons du fo-
leil, à peine le ciel eut-il lancé defTus
quelques traits de lumière, qu'on le vit fe
rallumer à Tinftant , ôC offrir aux yeux le
fpeâacle prefque d'un grand incendie :
ÈéMach. IJiqii^ tempus affuit qub fol reful/it , accen-
** *^' fus ejl ignis magnus j ita ut omnes mira-
rçntur. Ah ! voilà , mon cher Auditeur , l'i-
mage de la tiédeur d'une ame véritable-
ment jufte ; voilà ce qui devroit vous arri-
ver | fi la multitude de vos iafidélités , Ci la
longueur
Fautes légères. 4^1
longueur de votre captivité , 6c la durée de
vos chaînes n'avoit fait que couvrir & ral-
lentir en vous le feu facré de la charité
fans réteindre ; voilà, dis-je, ce qui de-
vroit vous arriver lorfque vous approchez
des Sacremens ; lorfque vous venez enten-
dre la parole de falut ; lorfque Jefus-
Chrift , le Soleil de juftice , lance fur vous
quelques traits céleftes de fa grâce. On de-
vroit alors voir tout votre cœur fe rallu-
mer ; votre ferveur fe renouveller : votre
charité vous embrafer : vous devriez alors
être tout de feu dans la pratique de vos
obligations : ^ccenfus eft ignis magnus y
ita ut omnes mirarentur. Et-cependantrien
ne vous ranime ; les Sacremens que vous
fréquentez , vous laiflent toute votre tié-
deur ; la parole de TEvangile que vous en«
tendez , tombe fur votre cœur , comme
fur une terre aride où elle produit quelques
vains défirs , & eft en même-tems étouffée ;
les mouvemens de falut que la grâce opère
au dedans de vous , n'ont jamais de fuites
pour le renouvellem.ent de vos mœurs ,
ÔC expirent prefque en naiffant ; vous traî-
nez partout la même indolence 5c la même
langueur : vous fortez du pied des autels
aulîi froid que vous y êtes venu : on ne
voit point en vous ces renouvellemens de
zèle &C de ferveur (i familiers aux Juftes ,
6c dont ils prennent les motifs dans leurs
propres chutes : ce que vous étiez hier ,
vous Têtes aujourd'hui; mêmes infidehtés
& mêmes foibleffes , vous n'avancez pas
Carême i Tome IlL Ll
^02,. VêKD, de la IV. Semaikï:!
d'un feiil degré dans la voie du falut , 8C
tout le feu du ciel ne fauroit rallumer cette
prétendue charité, cachée au fond de vo-
tre cœur , fur laquelle vous vous raiTurez.
Ah , mon cher Auditeur ! que je crains ,
qu'elle ne foit éteinte , 6c que vous ne
foyez mort aux yeux du Seigneur. Je ne
veux point ici troubler votre confcience :
mais je vous dis que votre état n'eft point
sûr : je vous dis feulement que fi l'on en
juge par les régks de la foi , il eft plus
vraifemblable que vous êtes dans la dif-
grace 6c dans la haine de Dieu.
Hélas ! peut-être le Guide fpirituel de
votre confcience , à qui vous ne venez re-
dire fans cefi'e que de légères infirmités, ÔC
qui ne fauroit voir la corruption du cœur
d'où elles pjrtent ; peut- être que perfuadé
que vous dormez , que vous vous relâ-
chez feulement , il fe contente d'animer
votre vigilance , 5c de réveiller votre fer-
veur ; il penfe de vous ce que les Difciples
^^^'''^^' difent aujourd'hui de Lazare : Sidormity
fahus ern\ qu'au fond , ce fommeil , ces
chûtes légères , cette tiédeur , ne vous
conduiront pas à la mort, & ne vous ex-
cluront pas du falut. Mais Jefus-Chrifi: qui
vous voit tel que vous êtes ; Jefus-Chrift
qui ne juge pas comme l'homme ; Jefus-
Chrift déclare que vous êtes mort déjà de-
îllâ, P^''^^ long-tems à (qs yeux : Tune JefilscH-
f>t4* ^i-t eîs manifejiè : Laiarus mortuus cjl»
Cette vérité vous furprend , mes Frères^
mais je ferais bien plus ilirpris fi le contrai^
Fautes légères. '405,
re arrlvoit : car fi vous voulez faire atten-
tion en fécond lieu , aux fuites que traînent
infailliblement après foi la tiédeur ôc l'ha-
bitude dans les fautes légères , vous con-
viendrez que quand même il feroit dou-
teux , fî vous confervez encore la charité,
ou il vous l'avez perdue , il eft certain
que vous ne fauriez la conferverlong-tems
en cet état : dernière réflexion.
CIL
Elui qui méprife les petites chofes , dit^^^-^^s*
i'Efprit faint , tombera peu à peu dans les
grandes ; c'eft une des plus inconteftables
maximes de la Religion : méprifer les pe-
tits devoirs ; c'eft-à-dire , les vdoler de
propos délibéré : en faire un plan 6c un
état de conduite ; ( car fî vous y manquiez
quelquefois, feulement par fragilité, ou
par furprife , c'eft la deftinée de tous les
Juftes , &: ce difcours ne vous regarderoit
pas ; ) mais les méprifer dans le lens que
je viens de l'expliquer ; dans ce fens qui
convient à toutes les âmes tiédes ÔC in«^
fidèles , c'eft une voie qui aboutit toujours
au crime. Renouveliez votre attention ; 6C
voici les motifs fur lefquels je fonde la
vérité de cette maxime.
Premièrement, cette voie aboutit tôt ou
tard au crim.e ; parce que Dieu fe retire de
l'ame tiède 6c infidèle. En effet, mes Fre=
res , l'innocence même des plus juftes a
befoin d'un fecours continuel de la grâce.
Si le Seigneur cciTe un moment de veiller
fax eux , d'être attçmif aux dangers qui Is^
LU
404 Vend, de la ÎV. Semaiî^.
environnent , de les garder comme la pru*
nelle de fon œil , de les couvrir de fon
bouclier, ils deviennent la proïe du lioa
rugiiTant, qui tourne fans cefle autour d'eux
pour les dévorer.
La fidélité du Jufte eft donc le fruit des
fecours journaliers de la grâce ; mais elle
en eft auflî le principe ; c'eft la grâce qui
opère la fidélité du Jufle ; mais c'efl la fidé-
lité du Jufte qui attire la grâce dans fon
ame. Si vous cefTez de correfpondre ; elle
s'arrête : fi vous n'offrez plus de vaiffeau
vuide pour la recevoir; cette huile célefle
ne coale plus : fi vous manquez de faire
valoir le talent ; on vous l'ôte .- fi vous
négligez de cultiver l'arbre ; il féche peu
à peu , 6c on le maudit : fi vous vous re-
froidiifez , Dieu fe refroidit à fon tour : fî
vous vous bornez à fon égard à ces de-
voirs indifpenfables que vous ne fauriez
lui refufer fans encourir des peines éter-
nelles ; il fe borne auffi pour vous à ces
fecours généraux avec lelquels vous n'irez
pas loin , avec lefquels vous ne ferez ja-
mais fidèle dans la tentation : il fe retire
de vous à proportion que vous vous reti-
Tez de lui ; 6c votre fidélité à le fervir efl
la mefure de celle qu'il apporte à vous
protéger.
Eh ! dequoi vous plaindriez-vous, ame
infidèle , lorfqu'il en ufe de la forte ? en-
trez en jugement avec votre Seigneur , ôC
voyez fi fa conduite n'eft pas j^ufte. Vous
tt'êtes ^lus attemivç à lui plaire^ il ne reiS
Fautes légères. 405
plus à vous favorifer : vous négligez mille
occafion où vous pouviez lui donner des
marques de votre fidélité ; il lailTe pafTer
toutes celles où il pourroit vous' en don-
ner de fa bienveillance ; vous chicanez
avec votre Dieu , fi j'ofe parler ainfi ; vous
lui difputez tout ce que vous ne croyez
pas lui devoir ; toute votre attention eftde
prefcrire des bornes au droit qu'il a fur
votre cœur ; vous lui dites , comme il di-
foit lui-même à ce ferviteur ; Prenez ce qui
vous appartient : n'êtes-vous pas convenu
du prix avec moi ? ne m'en demandez pas
davantage : Toile quoi tuum efl : nonne ex Matt^}^
denarlo conveni/ii mecum 1 rien de tendre ,io.i3./4#
rien de fervent ne vous échappe ; vous
fupputez tout ce que vous lui donnez ,
comme fi vous craignez d'aller trop loin ;
& il fuppute à fon tour avec vous , 6c il
eft attentif à vous refufer ces grâces fpé-
ciales qu'il v^ous accordoit auparavant.
Trouve-t'on mauvais qu'un Souverain ,
dansladiflribution de fes faveurs, partage
mieux ceux de fes fuiets qui s'appliquent
avec plus de foin ÔC de vigilance à le fer-
vir ? Eh ! que ferviroit donc la fidélité du
Jufle , s'il ne devoit avoir aucun avantage
fur le pécheur? quel feroit le centuple pro-
mis dès cette vie au ferviteur vigilant, fî
le Maître ne le dilîinguoit pas dans le par-
tage de fes grâces , du ferviteur inutile ?
Vous êtes trop jufte , Seigneur ; ÔC vos
jugemens font trop équitables.
Or , que coucUixe de-là , mes Frères ? i^
■406 Vend, de la IV. Semaine.
voici : Que cet état d'infidélité habituelle
éloignant de i'ame toutes les grâces de pro-
teâ:ion ; tout ce que vous vous permettez
de léger o^ontre quelque précepte , vous
prive des fecours deftinés pour en faciliter
i'accomplilTement , lorfque la circonftance
du précepte arrive. Vous n'avez pris au-
cun foin d'éviter ces entretiens , ces liber-
tés , ces regards , ces leftures qui pou-
voient vous conduire à la perte de la pu-
deur ; parce que vous n'y voyiez rien de
criminel , 6c ne croyiez pas qu'on put vous
les interdire : vous avez éloigné de vous
les grâces attachées à la coniervation de
cette vertu ;&C dans une occafion effentielle
où il s'agira de la conferver , ou de la per-
dre tout-à-fait , comme vous n'aurez plus
à oppofer au danger que votre propre foi-
blelTe , vous périrez. Car quelle autre def-
tinée pourriez-vous vous promettre ? Les
Jiiftes dans ces occafions périlleufes , en-
vironnés des fecours d'en haut , fuccom-
bent quelquefois ; du moins ils ont de la
peine à fortir vainqueurs, & flottent long-
tems entre la- victoire 6c la défaite : jugez
fi vous devez vous promettre un heureux
fuccès , vous qui n'apportez à ce combat
que vos propres forces ; c'efl - à - dire _,
mille acheminemensiecrets au crime dans
lequel l'ennemi s'efforce de vous entraî-
ner ; ÔC fi le Seigneur ne combattant plus
pour vous ^ vous pouvez manquer de de-
venir fa proie.
Secondement ^ cette voie de tiédeur 5|
Fautes légères. 407
3Mnfidélité aboutit tôt ou tard au crime :
parce que non-feulement ces fautes légères
nous privent des fecours a£luels nécefîaires
àla confervation de la juftice ; mais par une
fuite infaillible, elles rallentilTent encore la
charité qui eft au-dedans de vous ; elles
minent peu à peu cette habitude de fain-
teté , 5c font enfin écrouler tout l'édifice
chrétien : ce font des ronces multipliées ,
qui peu à peu couvrent enfin tout le champ
éc étouffent la bonne fémence.
On vous a dit que ces fautes , quelle que
foitleur quantité, ne peuvent jamais d'elles
mêmes monter à ce point fatal qui fait le
crime , 6c éteint tout-à-fait la grâce. Mais
que veut- on dire par-là ? qu'elles n'épui-
fent pas toute la vigueur de l'ame ; qu'elles
n'affoibliflent pas toutes fes puiiTances fpi-
rituelles , qu'elles ne rallentifient pas fa
foi ; qu'elle n'attiédilTent pas fon efpéran-
ce ; qu'elles n'introduiient pas jufques dans
le fond de fon être des fe m en ces de cor-
ruptions , qui dans leur tems produiront des
fruits de mort ; qu'elles ne font pas au
cœur de ces playes dangereufes , qui atti-
rent de leur côté les attaques de Satan ,6C
lui montrent le chemin delà viéloire ;6C
enfin , qu'elles ne refiemblent pas à ces
fyptômes fréquens qui tôt ou tard finif-
fent par la mort ? Que veut-on dire par-là >
que 11 charité femblable à un feu facré ne
$'ufepas, 5c ne fe confommepaselle-mê-
ine , lorsqu'on ne prend aucun foin de la
nourrir & de Tentreteûir f que toutes cg^
r
40S Vend. déXa IV. SexMAine.
infidélités faifant croître l'homme de péché
en nous , il ne s'enfuit pas nécdllairement
que Jefus-Chrift y diminue ? qu'elles ne
contriftent pas l"Efprit-faint dans notre
cœur ; qu'elles ne lui ôtent pas tout ce
qui pouvoit lui rendre la demeure de notre
ame agréable ; qu'elles ne changent pas
notre maifon intérieure , où il avoit cru
trouver fes délices, en un trifteexil , où il
n'eft plus qu'à regret où il pouiTe fans
cefle des gémilTemens ineffables fur les mal-
heurs qui nous menacent ; où il me femble
plus refter que pour méditer une retraite;
ÔC où tout le convie à s'en retourner dans
le fein de Dieu , 8c à céder fa place aux
efprits impurs qui s'en font déjà rendu les
maîtres ? Prétend-on donner atteinte aux
plus incontestables vérités de la Religion ,
en établiiTant cette régie de doârine? Non
certes , mes Frères ; car en Jefus-Chrift
il n'y a pas oui 6c non : il n'eft que l'iniqui-
té &C le menfonge qui fe détruifent ÔC fe
eontredifent eux-mêmes.
Troifiémement, cet état d'infidélité ÔC
de tiédeur conduit tôt ou tard à la mort,
parce qu'il fait prendre tous les jours de
nouvelles forces àla concupifcence : car
à mefure que vous favorifez l'amour pro-
pre , en ne lui refufant aucun des adoucif-
femensque vous pouvez lui permettre fans
crime , vous l'accoutumez peu à peu ne
pouvoir plus fe palier de tout ce qui le flâie,
vous fortifiez toutes les inclinations cor-
rompues de vptie ame y vous mettez ea
Fautes légères. 405
vous de nouveaux obilacles à l'occomplif-
fement de tous les préceptes ; vous vous
rendez la Loi de Dieu plus pénible , non-
feulement parce qu'il ftut l'accomplir 6c
porterie joug fans cette ondion quil'adou-
cit , 6c qui n'eft la récomipenfe que de la
fidélité ; mais encore parce que vous avez
îailTé croître tous les penchans qui s'op-
pofent en vous à la Loi de Dieu : de forte
qu'accomplir le précepte dans la circonf-
tance où la Loi vous y oblige , eft pour
vous une montagne qu'il faut franchir ; une
eau rapide qu'il faut remonter malgré la
PSî^.te^qui vous entraine ; un lion furieux
qu'il faut apprivoifer tout-à-coup îorfque
fa proi'e eft préfente ; en un mot , une en-
treprife à laquelle toutes vos inclinations ie
refufent ÔC oppofent de nouvelles difficul-
tés. Ainfî tou.t ce que vous vous êtes per-
mis de malignités enveloppées, de traits
mordans , de cenfures , de railleries , de
légers mépri'j , de fiers refroidiiTemens
concre votre frère , par les fuites d'une an-
tipathie naturelle que vous n'avez jamais
pris loin de reprimer , s'il vient à vous faire
un aifront éclatant , vous rendront la loi
du pardon impolfible. Ainli cette vivacité
fir votre gloire , ces empreïïcmens à être
di^:ingucdu côté de l'eltimc , ces feins à
ménager là-deiTus les jugemens des hom-
mes , l'emporteront fur la vérité 5c fur la
juftice dans une occafion oii vous ne pour-
rez plus fauver votre réputation lans noir-
cir celle de votre prochùin, Ain fi cet ufage
Carême ^ Tome iil. Mm
4îo Vend, de la IV. Semaine.
de menfoiige 5c de duplicité, dans les pointa
indifFérens; dès que vous ferez inlérefTé à
n être pas fîncére , ne vous laifTera pas pres-
que la liberté de vous déclarer pour la vé-
rité , ôc de lui facrifier inême vos intérêts.
Ainfi ces complaifances douteufes que vous
avez pour cette perfonne , ces commence-
mens^de pafilon que vous négligez , vous
mettront hors d^état de réliiler iorfqu'il s'a-
gira d'aller plus loin : la corruption forti-
liée par toute la fuite de vos démarches
paiTces , l'emportera fur vos réflexions ;
vous n'en ferez plus maître ; votre cœur
fe refufera à votre iierté , à votre gloire ,
à vous-même. Car , mes Frères , on ri'eft
pas long-tems fidèle , dès qu'il en coûte
tant pour Têtre.
Au lieu que celui qui travaille fans ceïïb
à affciblir les niouvemens de la cupidité ,
foUiTre moins quand il faut la foumettre à
ia Loi : il tî^ouve un cœur dqcilv' , oC une
volonté déjà préparée par un long exer-
cice de violence : tant de viftoires légères
dans des combats où il ne s'agilToit que de
ia gloire , lui facilitent celles qu'il rem-
porte , lorfqu'il s'agit du falut : tous ces pe-
tits peuples , qu'il avoit domptés fur ion
chemin , Tavoient fi fort accoutumé à vain-
cre , quk fa feule approche , Jéricho tom-
be fans qu il lui en coûte ni peine > ni dan-
ger ;*& uoiir le ciir.? fans figure , une lon-
gue pratique d'abnégntion dans les plus
légères occaiions Ta il fauitem.ent familia-
riié avec k violeiice chrétienne , que dai'*s
Fautes légères. 411
îa cîrconftance du précepte , ah ! il lui en
coLiteroit prefque plus pour être infidèle ;
il faudroit plus prendre fur lui-mêiBe , que
pour accomplir la loi.
Quatrièmement, non-feulement le pré-
cepte devient plus difficile à Tame tiède
6c infidèle ; m.ais encore le crime s'appla-
nit , 5c elle n'y trouve pas plus de difficul-
té, qu'aune fimple infidélité : nouvelle rai-
fon qui prouve toujours que l'état ne tar-
de pas de conduire au péché qui tue î'ame.
En effet , le cœur par ces ofFenfes légères
multipliées, arrivant enfin comme par au-
tant de démarches infenfibles jufqu'à ces
bornes pèrilleufes qui ne féparentplus que .
d'un point la vie ÔC la mort , franchit ce
dernier pas fans prefques'en appercevoir :
comme il lui reftoit peu de chemin à faire,
6c qu'il n'a pas eu befoin , pour ainfî dire ,
d'un nouvel effort , il croit n'avoir pas été
plus loin que les autres fois : il avoit mis
au-dedans de lui cIqs difpofitions fi voifi-
nes du crim.e , qu'il enfante le péché fans
douleur , fans peine , fans aucun mouve-
ment marqué, fansconnoître lui-même le
fruit de mort qu'il produit. Et voilà ce qui
rend , mes Frères , l'état dont je parle ,
encore plus terrible , c'cfl que d'ordinai-
re , on y meurt à la grâce fans le favoir ; on
devient ennemi de Dieu , qu'on vit encore
avec lui comme un ami & un enfant >; on
efl dans le commerce des chofes faintes ,
& on a perdu cette foi qui les rend utiles ;
pn fe lave fans ceiTe dans le bain de la pé»
Mmi
412. Vend, de la IV. Semalve.
nitence , ôc on s'y falit de plus en plus : on
fe prëfente encore à la table du Père cé-
lefte ; on ufe encore de tous les privilèges
des Jufces , & on n'élu plus qu'un témé-
raire profanateur , 5c il nous a depuis long-
tems rejettes de fa bouche comme une
boiiïbn tiède & dégoûtante. Grand Dieu !
aufîi , que de faux juftes feront fiirpris ,
lorfque vous viendrez manifefter les fe-
crets des cœurs &. les confeils des conf-
ciences î que de brebis étrangers qui vi-
voient en sûreté dans votre bercail , ÔC
qui fe nourrilToient de vos pâturages , fe-
ront rangées parmi les boucs ! 6c que les
îénébres qui nous cachent ici-bas l'état de
notre ame , devroient bien allarmer notre
foi ÔC ranimer notre vigilance ! que nous
devons craindre de n'être femblables àl'in.
fortuné Aman , lequel n'étant point infor-
mé de fa difgrace , vint hardiment fe pré-
fenter à la table du Prince , & voulut ufer
de tous les droits d'un favori , lui dont le
fupplice éîoit déjà conclu !
En cinquième lieu , mes Frères , pour
achever de vous convaincre , que cet état,
où l'on ne fe propofe que de ne pas tranf-
-greifer mortellement les préceptes , con-
duit infailliblement au crime : remarquez
s'il vous plaît , que la nature du cœur hu-
main efl telle qu'il refte toujours au-def-
fous de ce qu'il fe propofe ; parce que l'ef-
prit qui promet eft prompt , ôC que la chair
qui exécute eft foible. Le Jufte prend fou
effort pour arriver à la plus haute perfec-
Fautes légères. 413
tîon , 8c il demeure dans un degré infé-
rieur ; nous-mêmes mille fois dans des
momens de zèk' &C de ferveur , nous avons
pris des réfolutions vives de retraite , de
détachement , de péiiitence ; 6c Texécu-
tion a toujours diminué heaucoup l'ardeur
des projets : il faut beaucoup entrepren-
dre pour exécuter peu ; fe promettre à
foi-même des grandes chofes pour en ve-
nir aux m.édiocres, & vifer bien haut pour
- atteindre du moins au milieu. Or , vous
ne vous propofez que d'éviter les crimes ,
vous vifez préciiement à ce point au-def-
fous duquel eft la mort & la prévarica-
tion : vous refierez au-deflbus ; vous ne
viendrez jamais àboutd'obferver les com-
mandemens : il falloit vous propofer quel-
que chofe de plus élevé pour en venir-là.
L'expérience là-dellus eftdéciiive, 6c la
raifon n'en eft pas difficile ; c'eft que nos
réfolutions dans la préparation du cœur
6c dans la pratique, nerereffemblentpas ;
tandis qu'elles font encore dans la prépa-
ration du cœur , qui fe les propofe , rien
ne les contredit, rien ne les arrête ; elles
ne trouvent point d'obflacles à combat-
tre , point de difficultés à furmonter , ÔC
là , elles ne perdent rien de leur ferveur
êC de leur perfeftion ;" mais àès qu'il s'a-
fit d'exécuter , & qu'elles paroilfent au
ehors , ah ! les inclinations de la chair les
rallent! lient : les ennemis de notre falut les
traverfent : les hommies , ou les ébranlent
par leur féduciion , ou les font échoue^
Mm 3
414 Vend, de la IV. Semaine.
par leur malice ; en un mot, elles perdent
toujours fur le chemin la moitié de leur
force, & Ton cil heureux quand il en échap-
pe encore quelque choie , £c qu'à travers
tous ces périls, on peut du moins fauver
quelques débris du naufrage.
Or, concluez delà, mon cher Audi-
teur, ce que vous devez vous promettre ,
vous qui ne vous propofez que de ne pas
tranigrefler ouvertement les préceptes, 6C
qui ne voulez pas monter plus hai:t , vous
n'arriverez jamais à ce point ; vous iuc-
comberez dans toutes les occaiions ; vous
vous trouverez toujours fort au-deifous de
vos projets. Afpirez à la fidélité , à la fer-
veur , à la vigilance , à la perfedion de
votre état : Jefus-Chrilt ne vous a point
laillé d'autres moyens pour acconiplir les
commandemens ; Sc vouloir les obTerver
fans cela , cqH entreprendre d'aller à la
fin , fans paifer par la voie qui feule peut y
conduire.
Mais à quoi bon tant de raifons ? Qu'op-
poferez - vous à l'expérience de tous les
fiécles , à la vôtre même , mon cher Au-
diteur ? faut-il tant de preuves : où vos
propres m.alheurs vous ont li triftement
inflruit ? Souvenez - vous d'où vou.s êtes
tombé , comm.e ledifoit autrefois l'Efprit
de Dieu à cet Evêque de l'Apocalipfe :
'j>^^r 9 r Memor cflo unde excideris ; remontez à la
première origuie de vos deiordres , vous
la trouverez dans les infidélités les plus,
légères ; u;.i fentiment de plaiiir néglige m-
Fautes légères. 419
ment rejette ; une occafion de péril trop
fréquentée-: une liberté douteufetrop fou-
vent prife ; des pratiques de piété omifes :
la fource en eil prefque imperceptible ; le
fleiive qui en eft forîi , a inondé toute la
terre de votre cœur : ce fut d'abord ce
petit nuage qu^ vit Elie , 6C qui depuis a
couvert tout le ciel de votre ame : ce fut
cette pierre légère que Daniel vit deicen-
dre de la montagne ; 6c qui devenue en-
.fuite une malTe énorme, a renverfé Scbri-
fé rimage de Dieu en vous ; c'étoit un pe-
tit grain de fénévé , qui depuis a cru com-
me un grand arbre , & poulie tant de fruits
de mort : ce fut un peu de levain, qui de-
puis a aigri toute la pâte : Mcmor efio unde
excideris.
Vous n'auriez jamais cru en venir oii
vous en êtes : vous regardiez tout ce qu'on
difoit là-dcfTus, dans la chaire chrétienne,
comme des prédictions qui ne dévoient pas
tomber flir vous : vous auriez répondu d *
vous-mémiC pour de certaines actions fur
lefquelles aujourd'hui vous ne Tentez pref-
que plus de remords : Mcmor ejlo undj ex-
cideris» Souvenez - vous d'où vous êtes
tombé : levez la tête, 5c confidérez la pro-
fondeur de cet abîme : ce font des infidéli-
tés légères qui vous y ont conduit, comme
par degrés ; des démarches infeniibles qui
vous ont mené û loin : ibuvenez-vous d'où
vous êtes tombé, encoreunefois; ÔC n'ap-
peliez puis léger ce qui a pu vous cou?
duire au fond du précipice.
Mrn 4
4i5 Vend, de la IV. Semalve.
C'eft l'artifice du démon , mon cher Au-
ciiteur ; il ne propofe jamais le crime du
premier coup. Voyez comme il s'y prend
quand il veut tenter le Sauveur du mon-
de : il commence par lui propofer de chan-
ger les pierres en pain ; c'eft-à-dire , de
relâcher un peu de l'auilérité de fon jeû-
ne : de Te jetterduhautdu Temple ; c'eft-à-
dire ^de s'expofcr témérairement au péril
fur une fauile confiance en la proteâ:ioii
du Seigneur ; avant que d'ofer lui propo-
fer de le proilerner devant lui ÔC de l'ado-
rer. Ce feroit elFaroucher fa proie ; il ccn-
noit trop les routes par où il peut entrer
dans le cœur humain ; il fait qu'il faut raf-
furerpeu à peu la confcience timide con-
tre l'horreur de l'iniquité , 5c ne propofer
d'abord que des fins honnêtes , 6c certai-
nes bornes dans le plaifîr : il n'attaque pas
d'abord en lion ; c'eft un ferpent : il ne
vous mène pas droit au vice j il vous y con-
duit par des détours.
Grand Dieu ! vous qui vîtes dans leur
naiilance iesdéréglemensdes pécheurs qui
m'écoutent , ÔC qui depuis en avez remar-
qué tous les progrès , vous favez que la
honte de cette fille chrétienne n'a commen-
cé quQ par de légères complaifances 5c de
vains projets d'une honnête amitié ; que les
infidélités de cette perfo-nne engagée dans
im lien honorable, n'étoient d'abord que
de petits emprelTemens pour plaire , ÔC
•iine iecreîte joye d'y avoir réulTi : vous fa-
vez qu'une démangeaifon de tout favoir ^
Fautes légères. 41^'
5c de décider fur tout ; des lefturesper-
nicieufes à la foi , pas allez redoutées ;
ôc une fecrette envae de fe diftiiiguer du
côté de TeTprit , ont conduit peu à peu cet
incrédule au libertinage 6C à l'irréligion :
vous favez que cet homme n'eft dans le
fond de la débauche ôc de TendurcilTe-
lîient , que pour avoir étouffé d'abord
mille remords fur certaines aâions dou-
teufes , 6c s'être fait de fauffes maximes
pour fe calmer : vous favez enfin , que cet-
te ame infidèle , après une converfion d'é-
clat , n'a rendu fa première foi vaine , ÔC
n'efl revenue à fon vomiffement , que pour
avoir mêlé quelques adouciiTemens à fa
ferveur , manqué aux précautions qu'elle
s'étoit prefcrites , 6c moins craint des oc-
caiions dont votre Efprit l'avoieat tout-à*
coup éloignée.
Non , mon cher Auditeur , les crimes
ne font jamais les coups d'eflaidu cœur*
David fut indifcret & oifeux avant que
d'être adultère : Salomon fe laiffa amollir
par les délices de la Royauté , avant que
de paroître f.ir les hauts lieux au milieu
des femmes étrangères : Judas aima l'ar-
gent avant que de mettre à prix fon Maî-
tre : Pierre préfuma avant que de le re-
noncer : Magdelaine , fîms doute , voulut
plaire avant que d'être la Péchereffe de Jé-
rufalem : 5c pour ne pas fortir de notre
Evangile , Lazare fuclanguiilant avant que
d'exhaler i'infcclion ÔC la puanteur dans le
tombeau. Le vice a fes progrès : comme
4tS Vend, de la IV. SemaiK^e;
la vertu : comme le jour inftruit ie jour^
ainf] dit le Prohéte , la nuit donne de
f'unefles leçons à la nuit ; 6c il n'y a pas
loin entre les infidélités qui furpendent la
grâce , qui fortifient les pjffions , qui nous
rendent inutiles tous les fecours de la pié-
té , 5c celles qui nous la font tout-à-fait
perdre. Or, encore une fois , tout ce qui
peut conduire au péché 5c à la mort ; que
dis-je ? tout ce qui y mène infailliblement
peut-il paffcr peur léger dans TeTprit d'un
Chrétien encore touché du foin de fon
£îlut ?
Mais après tout , mon cher Auditeur ,
quand mcme on vous accorderoit que ces
infidélités font légères ; qu'auriez - vous
avancé pour votre juflification ? Ah ! c'ciî:
pour cela même que vous êtes moins par-
donnable , lorfque vous vous les permet-
tez de propos délibéré : plus elles font lé-
gères , moins il doit vous en coûter pour
les éviter. Ah I fî Ton vous demandoit
des aâions héroïques, il faudroit prendre
fur vous-mêmes , ôc vaincre ou périr : que
pouvez-vous donc alléguer ici pour vous
défendre de la fidélité à vos plus légères
obligations ? ne vous condamnez-vous pas
vous - même par votre propre bouche ?
Lorfque Naaman , indigné de ce que le
Prophète ne lui ordonnoit pour guérir de
fa lèpre , que d'à s'aller baigner dans les
eaux du Jourdain , fe retiroit plein de mé-
pris pourFhomme de Dieu , comme fî fa
guérifon n'eût pu être le fruit d'un remè-
Fautes légères. 4f^
de fi facile ; ceux de fa fuite le firent re-
venir de fon courroux , en lui difant :
Mais, Seigneur , fi l'homme de Dieu vous
avoit ordonné des ehofes difficiles , vous
auriez dû lui obiir; 5c pourquoi i'.ifule-
riez-vous de vous foumettre à fes ordres ,
parce qu'il n'exige de vous peur votre gué-
rifon, qu'une démarche autTi aifée que celle i
de vous aller baigner dans les eaux du
Jourdain ? Et Ji rem grandcm dixijjet tibi ^' ^^
Propheta , cerîé faeere d: hueras , çuanto^' ^'
mil gis gui a nunc dixit tibi : Lavare , d»
mundaberis» Vous avez abandonné votre
patrie , vos Dieux , vo: eiifaiis : vous vous
êtes expofé aux pérIK- d'un long voyage ;
vous en avez foutcau tou:e? les incommo-
dités pour retrouver la f?:nîé que vous
avez perdue ; ôc pourquoi après tant de dé-
marches pénibles refuferiez vous de tenter
un expédient aufîi aifé qus celui que vous
propofe le Prophète ?
Et voilà , mon cher Auditeur , cç qu9
je vous dis en finiiTant ce difcours. Vous
avez abandonné le miOnde 5c les idoles
que vous adoriez autrefois : vous êtes re-
venu de fi loin dans la voie de Dieu ÔC
dans le goût de la piété : vous avez rom*
pu tous les engagemens des pafïïons les
plus criminelles : vous avez loutenu \q^
peines , les dégoûts , les travaux , , les
violences d'une converfion d'éclat ; il ne
vous refce plus qu'un pas à faire ; on ne
vous demande plus qu'une légère atten-
tion fur vous-même. Si les premiers facrl'
410 V£\D. DE LA IV. Semaine.
fices de vos pallions criminelles n'étoienî
pas encore faits , ÔC qu'on les exigeât de
vous , vous ne balanceriez point , vous les
feriez quoiqu'il dût vous en coûter : Et fi
rem grandem tibl dixijfet Propheta , certé
facere debucras. Et maintenant qu'on ne
vous demande que des facriiices légers ,
que de /impies purifications , qu'on ne
vous demande prefque que les mêmes cho-
fes que vous faites, mjais pratiquées avec
plus de ferveur , plus de foi , plus de vi-
gilance ; êtes-vous excufable de vous en
difpenfer ? Quanto magjs quia dixit tibl :
Lavare & mundahcris. Pourquoi rendriez-
vous tous vos premiers efforts inutiles par
ces légères infidélités ? pourquoi auriez-
vous renoncé au monde 5c aux plaifirs
criminels , pour trouv*?r dans la piété le
même écuèil que vous aviez cru éviter en
fortant à^s \^4.2z de l'iniquité ? 6c ne fe-
riez-vous pas à plaindre , après avoir fa-
crifié à Dieu le principal , de vous perdre
pour lui difputer encore mille petits fa-
crifices moins pénibles au cœur 6c à la
nature : Quantd magls quia dlxlt tibl :
Lavare , & mundaberls. Achevez , Sei-
gneur , en nous ce que votre grâce y a
commencé ; triomphez de notre langueur
5c de nos foibleffes , après avoir triomphé
de nos crimes: donnez-nous un cœur fer-
vent 5c fidèle , puifqiie vous nous avez
ôté un cœur criminel 5c diflolu ; infpirez-
nous ZQtXQ bonne volonté qui fait \qs Juf-
tÊS,puifque vous avez éteint en nous cet»
Fautes légères. 421
te volonté rébelle qui fait les grands pé-
cheurs ; ne laifTez pas votre ouvrage im-
parfait ; 6c rendez-nous dignes de la ré-
compenfe ÔC de la vie immortelle qui n'eft
promife qu'à ceux qui auront été fidèles
dans les petites chofes comme dans les
grandes.
Alnjl foit-'iL
ANALYSES
DES SERMONS
contenus cî^ns ce Volume.
LE JEUDI DE LA 211. SEMAINE-
I. SeRxM. S::r la Tiédeur.
LA tiédeur rend notre juflice incertaine.
ï. Perce quelle cceint en nous le dcfir
de L? perfeâion, IL Parce quelle nous met
hors d'état de difccrner les crimes a avec
les Jimples offmjes. IIÎ. Pai.ce quelle ne
laijjc plus dans Vame aucun carauère de
la charité habiruelle^
I. Vérité. Tout Chrétien eft obligé
de tendre à la i^erfecxion de for état. Je-
fus-Chrîfl Tordonne : So^^ez parfaits ,
nous dit- il , parce que le Père célelle que
vous fervez , eft parfait. St. Paul regarde
ce point comme le feul eflentiel: oubliant
tout ce qui eil derrière lui , fans celle il
avance vers ce qui lui refte de chemin à
^aire. C'eft en cela que coiififte la vie de la
Analyfes des Sermons, 4^3
Fôî ; elle n'eft qu'un défir non interrompu
que le régne de Dieu s'accompHife dans
notre cœur , qu'un laint emprelTement de
former en nous la reiTemblance parfaite de
Jefus-Chrid , qu'un ;5émiiTement excité
par le fentiment de nos miféres 5c de no-
tre corruption , qu'un combat journalier
de Tefprit contre la chair. Or ccdéfir delà
perfeâion ne fubfîde plus dans uneamequi
fe borne à l'effentiel de la Loi , qui fe fait
lui pian de fa négligence , qui regarde
comme des œuvres de lurcroît celles qu'elle
pourroit faire de plus.
En vain regardez- vous la perfeftion Chré-
tienne comme le partage des Cloîtres & des
Solitudes. Les moyens qu'employent les
amcs retirées du monde pour y parvenir ,
ne font que de confeii , je l'avoue ; m.ais
la fin à laquelle elles tendent eit de précep-
te , c'cftla fin générale de tous les états.
îL Vérité. Tous les péchés ne font
pas mortels ; mais il y a mille îranfgref-
fîons dou^j?ufe3 p::rrapport?.îix circonllan-
ces , ÔC fur lesquelles il eft difHcile de faire
l'applicanon à^s régies établies , pour dif-
cerner le crime d'avec la fimple oifenfe.
C'eft par la d.r -aiition du cœur toute feule
qu'on peut décide;* dç ia malice de ces for-
tes de îautes. Saiii -'pargne le Roi des Ama-
îécites , 5c il eft rcpro>.ivé de Dieu ; Jofué
épargne les Gabaonites , 6^ Dieu lui par-
tiotîae : c'eft que l'innd élite de l'un vient
d'un fond d'orgueil , d'un cœur relâché
dans les voiç§ dg Dieu j 6C que celle de l'au-
Si2.4 Analyfes des Sermons,
tre efl une précipitation , une furprife , SC
part d'un cœur encore fournis 6c religieux.
Or connoilTez-vous toute la corruption du
vôtre ! Paul ne fe flâte pas de connoître
le fien ; il ne fait s'il eft cligne d'amour ou
de haine : David ell dans la même incerti-
tude ; il prie Dieu de le purifier de fes infi-
délités cachées; ôc vous croyez connoître
l'état de votre confcience, vous dont pref
que toutes les aftions font douteufes,vous
qui êtes toujours à vous demander à vous-
même fi vous n'avez pas été trop loin ; 6c
vous vous calmez fur des infidélités vili-
bles ÔC habituelles par une prétendue ha-
bitude invifible de juftice , dont vous ne
voyez aucune marque au-dehors. Ah ! vous
ne favez pas que vous êtes pauvre , mifé-
rable , aveugle : h'efcis quia tu es mifir ,
Une ame tiède efi: moins capable que
toute autre de juger de fon état ; la tiédeur
épaifîît fes ténèbres , elle calme {<^z remords;
les guides les plus expérimentés font dans
rembarras , elle y eft toujours elle-même,
& fent en foi quelque chofe de plus cou-
pable que les infidélités dont elle s'accufe.
Il fuffit d'en faire le détail pour montrer
combien il eft en effet difficile de décider
il elles ne font pas de vrais crimes.
IIÎ. Vérité. La charité habituelle a
trois caractères incompatibles avec l'état
•de tiédeur, i^. La charité nous fait aimer
Dieu ôc fa loi par-delfus toutes chofes.Ce
çaraftèrepeut-il fubfifler ^vec l'attention
'Alnayfes ies Sermons. 425
à étudier (es droits contre Dieu même, à
ne faire que ce à quoi on fe croit étroite-
ment obligé , à n'éviter que ce qui eft vifi-
blement cligne des peines éternelles ? Agir
ain(i,c'eil: fe conduire en enfant prodigue;
c'eft fe comporter en efchive: c'eft n'aimer
véritablement que fa propre fatisfadion ^
que fes intérêts , que foi- même.
z°. Un autre caractère de la charité, efl
d'être timorée : elle rend Ta me plus clair-
voyante , elle l'entretient dans un faint
tremblement , dans depieufes perplexités,
dans une défiance continiielle ; au contraire
la prétendue charité des amestiédes eft ce
qui les ralTure ; peut-elle être (i oppofée à
elle-même , 6c produire des effets il dif*
férens ?
3^. Enfin lâchante cft vive 8c agiiïante*
C'eft un feu qui peut quelquefois être cou*
vert ; mais il en fort toujours des étincelles,
êC enfin il fe rallume. Rien en ranimant
celle des âmes tiedes , qu'il ef^ à craindre
qu'elle nefoit réellement éteinteîcependant
elles dem.eurent tranquilles dans cet état
elles s'y fixent ilms fcrupule ; elles fe cro-
yent tout au plus endormies : peut-être par
un jugement terrible de Dieu , leur guide
penfe-t'il de même , tandis que Jesus-
Christ les déclare mortes , comme au-
trefois Lazare. Ah ! c'eft la tranquillité mê-
me de cet état qui en fait tout le danger .y.
6c peut- être aufli tout le crime. Com.prenez
qu'une vie toute naturelle n'efi: point la vie
de la grâce , ÔC qu'iuie vie de. pareffe eil iu$
Carèmç , Tom^ IIL N n
41^ ^^natyfes des Sermon fl
état de tiiort. Au commeneement de votre
converiion vous avez fait les plus grands
efforts , les plus pénibles facrinces ; pour-
quoi les rendriez- vous inutiles , en rerufant
d'en faire de moins coniidérables ? Si rem
grandem dixijfet tibi Propheta y certé fa~ '
^ere dzbueras , quanio m^agis quia nunc
dixiî tibi :. Lavare & mundaberis*
lE JEUDI DE LA IIL SEMAINE^
II. Serm. Sur la Tiédeur.
LA tiédeur annonce une chute certaine -^
I. Farce que les grâces fféciulcs nécef-
Jaiies pour per/évércr duns la vertu , m
font plus données dans cet état» II. Parcs
que les pajpons qui nous entraînent au vice y
s y fortifient. IIl. 'carceque tous Us fe cour S
extérieurs de la p\eie y deviennent inutiles.
I. Partie. VinmcLUce même des plus
jujles a befoin du lueurs continuel de- la
frace, C'eit elle f^'.ile qui opère leur fidé-
ité ; mais c'eil aufll leur fidélité feule qui
mérite la confervation de la grâce. Il faut
que Dieu donn? des marques plus conti-
nuelles de prote-iiion à ceux qui lui en don-
nent de continuelles d'amour : il eit juilc
3U contraire qu'il paye rindifîerence deî
3mes tiédcs par la lienne ; ainfi la peine in
féparable de la tiédeur eft laprivatiojii.dej
grâces, de pro.teâ:io,n..
Analyfes des Sermons, 427
Cette privation a deux conféqiiences ter-
ribles pour ces âmes infortunées. Premiè-
rement , elles demeurent vuides de Dieu ^
6c comj-ne abandonnées à leur propre foi-
bleile , ayant quelques refîburces prifes
dans la nature., mais qui ne fauroient aller
loin ; ayant des fecours généraux aveclef-
quels on peut perfévérer, mais n'ayant plus
ces grâces fpéciales , avec lefquelles oa
perférére infailliblemient. Secondement,!©
joug de Jeu; s - Ch ri it devient accablant
pour elles ; Ton calice amer ; les devoirs
gefans ; la retraite ennuyeufe ; les prières
Fatigantes ; les mortifications inflipporta-
blés ; la vie , un dégoût perpétuel ; leur
état , \m étaflle violence 2>C de neutralité
qui ne peut être durable , parce qu'il faut^
fur tout à certains cœurs , un objet déclarer
fî ce n'efl pas Dieu qui les intéreffe refera
bientôt le monde.
Il eft vrai qu'il y 3 des âmes qui paroif^
fent fe maintenir dans une efpèce d'équili-
bre 6c d'inienfibilité ; mais il eft vrai aufîî
que CQt état ne défend que des crimes qui
coûtent 6c qui embarraffent ;. il lailTe fub*
fifter les pa fiions & les foiblelfes fecrettes y,
qui formient toujours uae corruption aux-
yeiix de Dieu.
Il eft vrai encore que Fonction qui adou-
cit la pratique des devoirs , manque fou-
vent aux âmes les plus faintes ; mais entre
elles ^ les âmes tiédes il y a trois diiïeren-
ces. Premiérem.ent, l'ame fîdéie fe trouve
Xiialgré fes dégoûts plus heureufe qu elle:
42-8 ^ jn^ndyfes ics Scrmont.
n'étoit avant fa converfion , au lien c{tte
i'ame tiède commence à regarder le crime
comme la refToiirce de fes ennuis. Seconde-
ment , Tame iîdéle eft foutenue au milieu
de Tes aridités par le calme d'une confcience
qui ne lui reproche point de crimes ; au
lieu que Tame tiède porte une confcience
iaquiette, 5c que n'ayant plus defoutien y
cet état d'agitation finit par lapaixfunefte
du péché. Troifiémem.ent, les dégoûts de
Tame fidèle font des épreuves , ceux de
i'ame tiède font des punitions. L'une trouve
en Dieu un père tendre qui fupplèe par une
protedion puiiîante aux douceur qu'ail lui
refufe; l'autre éprouve la févérité d'un Juge
qui , à la fouftraftion des adoucilTemens ,.
va faire fuccèder un arrêt de mort.
Il eft vrai enfin que tout excès , même
dans la piété , ne vient pas de TEfprit de
Dieu ; mais il n'eft pas moins vrai qu'on ne
perfévére qu'en fe donnant à Dieu fans ré-
ferve ; que les âmes qui veulent accommo-
der la piété avec les maximes du monde ^
qiii fe relâchent de leur première ferveur >
fontfjr le point de retomber dans le crime;
Se que c'elifur ces indices que les gens miê-'
me du monde, prophétifent la rechute des^
perfonnes qui s'étoient converties»
II. Partie. Nous j) cuvons nffoibllr
nos paffions , mais elles ne meurent gu^avec
nous.' cejl en les comSattant çuon les ap-
vaife ; en les ménageant , on Us rend in-
domptables y la tiédeur netf.nt rien autre
4J10JS quun^. indulgcnse. habituelle €B%sr^
^Andyfcs des Sermortf. 429
tes paJ[Lons , les fortifie donc continuelle^
ment. De cette nouvelle force qu'elles ac-
quièrent, s'enfuivent trois effets également
funeiles. Preiniéreirient , dans les occafîons
eiTentielles , le devoir trouve en nous des
difficultés infurmontables ; il en trouve bien
quelquefois dans les aines les plus ferven-
tes & qui mortifient le plus leurs penchans;
comment des cœurs à demi féduits feroient-
ils à répreuve de ces difficultés ? Seconde-
ment , le crime s'applanit ôc n'excite pas
en nous plus de répugnance qu'une fimple
faute ; nous nous fommes fi fort approchés
du crime que nous franchiffons le dernier
pas fans le favoir ; une apparence de vie
nous ralTure , & nous nous endormons tran-
quillement dans la mort. Troifiémement ,/
notre cœur demeurant toujours au-deflbus
de ce qu'il fepropofe, nous tombons dans
le crime y parce que nous n^avons réfolu
précifément que de l'éviter ; les Jufles mê-
mes doivent beaucoup entreprendre pour
exécuter peu : à combien plus forte raifort
y font obligées les âmes tiédes , que le
poix de leurs infidélités fait tomber tou-
jours fort loin du lieu ou elles avoient cru
arriver ? En vain voudrions- nous nous ex»
cufer , en difant que nous fommes foibles y
c'eft précifément parce que nous lefom-
ines , que nous devons être plus circonf-
peéls & plus fervens».
III. Partie. Les fe cours extérieurs
de la Religion font inutiles aux âmes tiédes*
Premiéremeiu , les Sacremens font pour
'43^ Analyfes des Sermons,
eîies des remèdes iifés , dangereux par la
tiédeur avec l::qiielle elles en approchent,
6c par la confiance qu'ils leurs infpirent :
n'opérant plus en elles un accroiilcmentde
vie, ils Y opèrent la mort. Secondement,
la prière n'eft plus pour elles qu'une occu-
patL3n oiieufe , où elles ne trouvent aucun
goût, d'où elles ne tirent aucun fruit: rien
ne les fouticnt, ni ne les détend, ni les
ranime ; tout les dégoûte , tout les fatigue,
tout les accable ; dans cet état un foufFie
lesrenverfe,^ pour les voir tomber, iln'eil
pas même nécelFaire de les voir attaquées.
Au refte , où l'expérience parle , les rai-
fonnemens font inutiles. Souvenez- vous
d'où vous, êtes tombés , pécheurs : remon-
tez à la fource de vos défojdres : cette
fource étoit imperceptible; ilenertforti un
torrent qui vous inonde : la tiédeur vous a
conduit infeniîbkmcnt dans Tabiine où
vous êtes. Le démon ne propofe pas le cri-
me du premier coup ; il attaque en ferpent
avant que d'attaquer en lion. Les crimes ne
font pas le coup d'elfai du cœur ; la chute
de David fut préparée par roifi-eté &C par
l'indiCcrétion ; celle de Salomon par une
vie molle ; c-:\[q de Judas , par l'amour de
l'argent ; celle de Pierre , par la préfomp-
îion. Levez-vous donc, âmes lâches : le
Seigneur eit le Dieu des forts : il ne recom-
penie que le courage oC le travail ; fou
Royaume n'efl pas la chair 5c le fang , vm^-
la force ôc la vertu de Dieu.
Analyfss as Sermons» ^fî
VENDREDI DE LA IIL SEMAINE,
La Samaritaine,
^Emhldblcs CL la femme de Samarle , nou^
ij oppqfons à la grâce de Jcfiis-ChriJI îrolS'
exciifcs. I. Celle de Cétat. II. Celle de lu
difficulté. lîL Celle de la var:e:é des opi^
nions CJ> des doârines fur la régie des
mœurs,
I. Partie. Lorfqu'^on nous propofe le
modèle d'une vie chrétieiine, nous répon-
dons qu'une vie Ç\ réglée elt inaiiable avec
notre état , 5c que le monde a fes ufages
comme le cloître. Mais , r°. La Religion
ne diilingue que deux fortes de devoirs ^
dont les uns font particuliers à chaque état;
les autres fans diftinCi-ions d'état , font com-
muns à touscrjx qui ont é'ri^baptifésrEtes-
vous moins' Chrétiens que les Solitaires ?"
avez- vous une autre efpérance ; un autre
Evaiigile , un autre Chei , une autre patrie,
d'autres obligations eilentielles ,. ou au
moins des exceptions ÔC des difpenfes ac-
cordées par J. C» ? fes maximes font les
devoirs du monde , puifque c'eii par elles
que le monde fera jugé.
2°. Cette diftincftion de ceux qui font du
ïv.onàQ , d'avec ceux qui n'en font pas , ne
provient que de la corruption dts mœurs.
Elle étoit inconnue aux premiers iîdéies ; ils
avoient tous renoncé au monde; être Chi^r-
43 i ^Analyfes ies Sermons* ^
tien 5 êC n'être plus du monde , c étoîtpouf
eux la même chafe ; vous êtes du monde ^
dites-vous , c'eft votre crime, 6c vous en
faites votre excufe.
3°. De quoi prétendez- vous être difpenfëî
en difant que vous êtes du monde ? De la
pénitence ? oui , (i vous y vivez plusfainte-
ment. De la prière? oui,fi vous y avez moins
befoin du feccurs de la grâce. De la re-
traite ? oui , lî le commerce du monde vous
porte à Dieu. De la vigilance , des efforts?
oui , fi les pallions font moins vives dans
le monde , les obftacles plus rares y les de*
voirs plus faciles à remplir.
4°. La foi doit être plus ferme dans le
monde que dans le cloître , la charité plus
enracinée^ la vigilance plus foutenue,.la
prière plus fervente , la réfiftance plus fi-
dèle ; les pratiques du cloître ne font que
des moyens particuliers prefcritspourfairô
obferver plus sûrement des devoirs com*
miins à tous les états : avec moins de fe-
cours 5C plus d'obftacles , vous avez les
mêmes obligations à remplir ; des vertus y
{'ans la pratiq-je defquelles vous êtes per-
dus , font plus difficiles à pratiquer dans
îe monde que dans le cloître. Les auftérités
que vous reléguez dans le cloître, y font
donc'^oins néceilaires que dans le m.onde:
cependant les Solitaires trouvent encore
dans leurs azilcs des fujets de crainte, des
combats , des agitations ; 5c vous au mi-
lieu des périls j vous feriez difpenfés de
veiller l
5°.
'Analyfes des Sermons, 433
5° .Enfin, comparez votre vie paiTée avec
celle des Solitaires , les fatistaâ:ions que
vous devez à Dieu avec -celles qu'ils lui
doivent ; 6c vous verrez fi les géminemens,
les privations , les auftérités font leur par-
tage plutôt que le votre. Si la femme de
notre Evangile fût née à Jérufalem , cet
avantage auroiî pu lui faire un m.otif de
fécurité : vous pourriez en avoir un, fi vous
viviez dans la iblitude : vous êtes du mon-
de , comme elle étoit de Samarie; comme
elle , vous nous oppofez un état qui vous
éloigne du falut.
II. Partie. On diffère fa converfion :
parce qu'on feflâte que c'eft une démarche
facile ; lorfqu'il s'agit enfin de fe convertir,
on fe rebute par la difficulté de l'entreprife.
Le moyen , dit-on de fonder les abîmes
d'une confcience ï\ long-tems fouillée , de
refondre un caraftère fragile ÔC oppofé à
la piété , de mener une vie chrétienne ,
dont le détail eft effrayant.
i^.Mais, l'état déplorable de votre conf-
cience devroit lui- même vous porter à l'en-
treprife qui vous fait peur. Eft-ce donc la
connoillance de vos maux qui vous éloigne
du remède? eil-ce le fentiment de votre
efclavage qui vous fait refufer votre li-
berté ? fcuffrez-vous moins en cachant vos
plaies? C'eft votre foularement qu'on vous
propofe , en vous invitant à les découvrir
au Miniitre de Jefus-Chrifl ; vous avez
toutàattendre de fa charité ; dès que vous
aurez ouvert votre cœur , la paix y renaî-
Carême > Tom^ ILL O 5
434 Analyfes des Sermons.
trera; toute la difficulté que je trouve îcî ^
eil: de vivre dans la fltuation où vous êtes.
2°. Vous défefpérez de pouvoir réfor-
mer votre caractère. Mais quand cette ré-
forme vous couteroit plus qu'à un autre ,
ii'avez-vous point plus de crime à expier ?
d'ailleurs Féternité ne mérite-t'elle pas que
vous vous faffiez les violences que vous
vous faites tous les jours pour le monde ?
N'êtes-vous pas obligé fans ceiïe de fur-
monter vos penchans, de gêner votre tem-
pérament , de facrifîer vos inclinations , de
vaincre vos palhons , ou de les contrefaire ?
Ces contraintes vous ont difpofé plus que
vous ne croyez à celks^xie TEvangile. De
plus, cette reforme eft peut-être moins dif-
ficile maintenant ; l'expérience vous a défa-
bufé ; la bienféance exige de vous des
«nœurs plus férieufes \ mille contretems
vous orft dégoûté du monde , 6c vous ont
appris qu'il vous goûtoit moins. Au milieu
de {qs anuifemens vous ne trouvez plus
qu'inquiétude 6c qu'ennui ; tout cela vous
prépare à l'oublier ; à le méprifer. Enfin la
converfion eil-elle l'ouvrage de l'homme ?
ce qu'il ne peut feul , ne le peut-il pas aidé
de Dieu ? Les cœurs les plus corrompus
font quelquefois ceux ou la grâce opère de
plus grandes chofes ; elle change les incli-
nations j elle forme un cœur nouveau , elle
(cft plus forte que la nature.
3°. Les rigueurs d'une vie chrétienne
vous épouvantent , il ne vous femble pas
que des hommes puiiTeat accomplir exac-.
y^nalyfcs des Sermons, Aie
femant l'Evangile. C'eft une excufe inju-
neufe à Dieu ; l'Evangile étant fa Loi , eft
néceiTairement une Loi fage , conforme à
nos befoins , proportionnée à notre foi-
blelTe, utile à nos miféres: Dieu en la don-
nant n'a point chercîié (on intérêt, mais le
nôtre ; & rien en effet de il propre que
cette Loi à nous rendre heureux : mais tz\
cft l'artifice du démon , dit Saint Auguftin;
if ayant pu anéantir l'Evangile en rendant
leius-Chrill méprifable , i\ a efiayé de
l'anéantir, en faifant paifer cette Lo'i pour
impraticable : Lex illa divlna , imffabilis ;
fed quis lllam emvlet ? D'ailleurs cette ex-
cufe eft injufte dans la bouche de ceux qui
l'allèguent ; ils fe plaignent de rimpofTib^
lité de la vie chrétienne , 6c ils n'en ont ja-
mais fait l'épreuve : qu'ils prononcent fur
les peines 6^ les dégoûts de la vie du mon-
de , leur jugement eft recevable ; n'ayant
point elTayé de la vertu ,ils ne doivent pas
décider de ce qu'ils ne connoiflent point.
Rebutés com.me les Ifraêlites , ils difent
que la terre oii on veut les faire entrer eft
couverte de m.onflres 5c de géans : Terni
dévorât habltores fuos. Témoins du con-
traire , nous leur difons , comme Jofué 6c
Caleb , que cette terre q£i excellente :
Terra quam clrcuïyimus vaidè bona ejl.
Oui , {\ vous connoilîîez le don de Dieu ,
les confolations qu'on éprouve à fon fer-
vice , la tranquillité qu'on y goûte , les fa-
cilités que la grâce y ménage à notre foi-
bleUe , vous ae différeriez pas un inflaiiS;
43^ Analyfes des Sermons*
votre conver/ion : vous ne craignez la ver-
tu, que parce que vous ne la connoillez pas.
lîl. Partie. La dernière excu(e qu'op-
pofe le pécheur , c'eft la variété des opi-
nions fur le règlement des mœurs ; de
cette variété il conclut que l'Evangile ne
renfermant rien de trop aifuré , il peut
vivre tranquille dans fes égaremens.
Mais 1°. il n'y a que des âmes timorées
qui puiiTent fe plaindre que cette variété
d'opinions les jette dans la perplexité : ne
croyant jamais marcher par un chemin af-
fez sûr, elles ont des doutes fur lefquels il
n'eft pas toujours facile de prononcer , 5c
elles peuvent trouver dans le Sanctuaire
ici une indulgence qui les ralfure, ailleurs
une févérité qui les allarme. Mais le dérè-
glement de la Samaritaine étoit clair pour
elle; il n'y avoit ni à Jérufalcm , ni à Ga-
rizim aucune loi qui pût Tautorifer : de
même , pécheurs, il n'y a point de variété
de fentiinens par rapport à vos pallions
honteufe : par-tout on vous condamne ;
par>tout on vous dit que les fornicateurs ,
les adultères , les impudiques , les adora-
teurs d'idoles n'entreront point dans le
Royaum.e de Dieu. Cette uniformité d'o-
pinions ne vous ramené point à la vérité.
Comm.encez donc par renoncer à des dé-
fordres qui n'ont pour eux aucun fuffrage,
pas même le votre : adorez Dieu en efprit
ÔC en vérité ; alors ne cherchant que Dieu
par-tout , par-tout vous le trouverez ; alors
vous gémirez devt^nt le Seigneur de la va-
Analyfes des Sermons. 437
riété des décifions , 6c vous lui demande-
rez qu'il manifeile fa vérité.
2^. On n'allègue cette frivole excufe ,
que parce qu'on ne veut point fe conver-
tir. A l'exemple des Samaritains , on ne
fait ce qu'on adore : on veut retenir com-
me eux le fond de la Religion ; mais com-
me eux on y veut mêler des ufages pro-
fanes 6c favorables aux pallions : la conf-
cience ne ratifiant point ce mélange , on
n'eft pas d'accord avec foi- même : pour fe
calmer, on fuppofc que les Miniftres eux-
mêmes ne font pas d'accord entr'eux ; on
fonde fa fécurité fur leurs dilfenfions pré-
tendues , ÔC parce qu'on craint la vérité ,
on eft bien aife qu'elle foit obfcurcie.
Telle étoit la difpofition de la Scimari-
taine. Sollicitée au-dedans 6c au-dehors ,
elle vouloir encore différer fa converfion :
Quand le Meiîîe fera venu , dit-elle , il
nous annoncera toutes chofes; c'eft moi-
même , lui répond Jefus-Chrift, 5c fî vous
JaiiTez perdre l'heureux moment où je vous
parle , vous périffez fans reffource. Jefus-
Chrift nous dit la même chofe : Voici le
don de Dieu ; ne différez plus une conver-
fion que vous avez attendue en vain de
l'âge , du loilîr, de la rupture de vos enga-
gemens : voici le moment favorable , re-
gardez le , ou comme le comble de mes
miféricordes fur votre ame , ou comme
le terme fatal de ma bonté 6C de ma
patience,
Oo 5
43^ Analyjts des Sermons,
LE IF. BIM. DE CARÊME,
Sur [Aumône,
DIVISION. I. Le devoir de [Aumône
établi contre les vaines excufes de la,
cupidité, II. Le devoir de f Aumône Jauvé des
défauts même de la charité,
I. Partie. Un peu d'attention à la fa-
fagefle de la Providence , aux loix de la Na-
ture , à celles de la Religion , fufîît pour
perfuader le monde que Taumône eft un
devoir. Mais on allègue différens pré'
textes pour s'en difpenfer : on n'eil pas
aflez riche ; les tems font malheureux ; il
y a trop de pauvres à fecourir.
Première Èxcufe, Sans avoir un revenu
infini , on a , dit-on , une infinité de dé-
penfes à faire. Mais s'il eft vrai d'une part
que les bornes du néceffaire ne font pas
également étroites dans tous les états : de
l'autre : il eft inconteftable que le fuperflii
des riches appartient aux pauvres. Ce prin-
cipe fiippolé , je fais quatre queftions. Je
demande premièrement , û c'eft à la cupi-
dité à régler le néceffaire ? Si c'étoit à elle^
plus on auroit de pafTions à fatisfaire ,
moins on feroit obligé d'être charitable;
c'eft donc à la foi à le régler ; or la foi ad-
juge aux pauvres ce qui ne tend qu'à nour-
rir la vie des fens , qu'à flâter les paiiions,
qu'à autorifer les pompes &C les abus du
'yinalyfes des Sermcns'» 439
monde. Je demande fecôndement , fi pour
être né riche on en eft moins Chrétien ?
Non , fans doute , ou bien il faut dire que
ce n'eft qu'aux pauvres que Jefus-Chrifî:
a défendu le fafte 5c les plaifirs. L'Evangiîe
interdit aux riches tous les avantages qu'ils
peuvent , félon le monde , retirer de leur
profpérité. Ce n'eft pas pour vous que vous
êtes nés opulens , mais pour la veuve êC
l'orphelin : vos biens font des dépôts mis
en vos mains pour leur être confervés plus
sûrement ; vous iij(êtes que les minières de
la Providence envers eux ; fans cela votre
élévation ne feroit pas l'ouvrage de Dieu.
Je demande troifiémement, ce que peuvent
retrancher au befoiiis prétendus des riches,
les modiques largeiTes qu'on leur demande?
Dieu n'exige pas qu'ils vendent leurs biens,
leurs Palais ; mais il exige que la dépenfe
qu'ils feront ne les mette point hors d'état
de couvrir la nudité de fes ferviteurs ; que
-de leurs tables délicates il tombe quelques
miettes pour les Lazare ; que leur goût
pour les peintures ne leur faffe pas oublier
les images vivantes de Jefus-Chrift ; que
tandis que le jeu eil un gouffre où va fon-
dre tout leur bien , ils n'en allèguent pas la
médiocrité , lorfqu'il s'agit de foulager
• leurs frères. Je demande quatrièmement^
pourquoi c'eft ici la feule circonllance où
ils fe plaignent de la m.odicité de leurs re-
venus , eux , qui en toute autre occafion
veulent paffer pqur riches ? Ah ! ils difent
qu'ils font pauvres , ÔC eux feuls ne ve«-
Oo 4
44^ '^nalyfes des Sermons
lent pas voir qu'ils font comblés de bîensj
Seconde Excufe. Les tems font malheu-
reux , dites-vous. Mais , premièrement ,
c'eft précifément pour cela que vous devez
vous attendrir envers les indigens : fi vous
vous refîentez de ces malheurs combien
n'en doivent-ils pas foufFrir? Secondement,
ce malheur des tems eil la peine de votre
dureté envers les pauvres ; c'ell donc par
des aumônes, S>C non par de vaines priè-
res , qu'il faut appaifer la colère de Dieu :
les pauvres ont les clefs du Ciel : leurs
vœux règlent les tems*ôc les faifons : ce
n'ell que par rapport à eux que Dieu vous
punit ou vous favorife. Troifiémement ,
vos palTionsfouffrent-elles de la mifére pu-
blique? Si elle vous oblige à quelque re-
tranchement, retranchez du moins vos cri-
jnes, avant que de retrancher vos devoirs*
Dieu , en frappant de ftérilité les Provinces,
veut ôter aux Grands les occalions des
excès : regardez vous comme des criminels
publics : portez feuls l'amertume des fléaux
qui ne font deftinés qu'à vous punir. Si les
divers abui que vous faites de vos richeïTes
vont toujours leur train , malgré ces fléaux,
fi l'indigence feule en fouifre , Dieu , en les
faifant pleuvoir fur la terre , n'auroit donc
voulu frapper que des malheureux ?
Troi/iémc Excufe- H y a , dit- on , trop de
pauvres à fecourir. Mais, premièrement,
d'où vient cette multitude d'indigens que
nos pères n'ont point vue dans les plus
grandes calamités ? N'ef^ce pas d'un luxe
^Analyfes des Sermons"*^ 44Î
^u! engloutit tout? Il n'y avait point d'indl-
gens parmi les premiers Chrétiens ; pour*
quoi y en a-t'il tant parmi nous ? C'eft que
leurs pauvres mêmes étoient charitables ,
& que nos riches font cruels : c'eft qu'ils
étoient tous modeftes 5c fobres , 6c que
nous fommes faftueux &C intempérans :
c'eft qu'ils n'avoient d'ambition que pour
le Ciel ; Sc que nous n'en avons que pour
la terre : c'efl que leurs retranchemens fal-
foient la richelTe du pauvre , 5c que nos
profufîons font fa mifere. Si chacun met-
toit à part une certaine portion de fes biens
pour la fubllftance des indigens , on verroit
renaître l'égalité ,1a fainteté même des pre-
miers Fidèles : tout changeroit de face ; ôC
\qs ennemis de la foi feroient encore forcés
de reconnoître la divinité de notre Reli-
gion. SecondementjC'eft précifément parce
que le nombre des pauvres eft grand, que
le devoir de l'aumône eft plus indifpenfa-
ble : la miféricorde doit croître avec les
miféres : elle doit interdire , comme fuper-
flues, des dépenfes qui hors delà feroient
peut-être néceffaires : ni l'humanité , ni la
raifon, ni la Religion ne vous permettent
point d'être feuls heureux. Alors les excès
de charité font pour vous une loi de juftice;
alors vosprofunons méritent d'être punies
même par les loix des hommes ; peut-être
cependant favez- vous mettre à profit ÔC ap-
prétier la néceflité des pauvres. Dieu les
vengera , iis feront vos accufateurs : ÔC dé-
pouillés pour jamais de vos biens, il ne vous
44^ Analyfes ies Sermons. ^ .
reftera pour partage que la inalédîfiîcm
prononcée contre les riches impitoyables r
î^udus eram , &c* ite in ignem , Ô-c.
IL Partie. Il y a quatre régies à ob-
ferver en accomplilTant le devoir de Tau-
mône : la charité doit être fecrette , uiii-
verfelle , douce 5c vigilante.
i*'. Jefus-Chriiî: multipliant les pains
dans un lieu écarté , afin de n'avoir pour
témoins de fa miféricorde que ceux qui en
doivent reflentir les effets , nous apprend
que notre charité doit être fecrette ; fans
cette condition nos aumônes font perdues
pour réternité. On voit peu de gens qui
publient leurs œuvres fur ies toits ; mais
on en voit beaucoup qui n'ont des yeux
que pour les miféres d'éclat : il y en a qui
prennent des mefures pour cacher leurs
largeffes , m.ais qui ne font pas fâchés
qu'une indifcrétion les trahiffe : on n'eft
pas plus humble dans fes libéralités envers
les Temples du Seigneur ; fur les murs fa»
crés , des infcriptions immortalifent l'or»
gueil des bienfaiteurs ; à l'autel , le Prêtre
eft revêtu des marques de leur vanité. Sa»
lomon dans le Temple de Jérufalem ne fît
graver que le nom du Seigneur : les plus
riches d'entre les premiersFidéles voyoient
avec plaifir leurs noms confondus avec
ceux de leurs frères qui avoient fait moins
de largelTes. La charité eft cette bonne-
odeur de Jefus-Chrift qui s'évanouit dès
qu'on la découvre : il eft bon que nos frè-
res voyent nos œuvres y mais il ne faut pas
Analyfes des Sermons, 'J^^
que nous les voyions nous-même : feni-
blables à ces fleuves qui ont prefque tou-
jours coulé fous la terre, les anmônes fe=
crettes arrivent bien plus pures dans le feiii
de Dieu.
2^. Jefus-Chrift ne rejcttant perfonne
de cette multitude qui s'offre à lui , nous
apprend que notre charité doit être univer-
felle : il condamne ces libéralités de goût
6c de caprice, qui ne femblent ouvrir no-
tre cœur à certaines mîféres, que pour le
fermer à toutes \^ autres ; qui ont leurs
jours fixes , leurs lieux, leurs perfonnes la
vraie charité n'eft pas fi méthodique .• il
condamne cet examen que nous faifons des
befoins qu'on nous expofe; la vraie cha-
rité i\Q{x point fi (crupuleufe ; c'eft Jefus-
Chriil qui reçoit l'aum.ône donnée même
à un impofteur , ôc la récompenfe eft at-
tachée à l'intention de celui qui la donne.
3°. Jefi.is-Chrifi: attendri à la vue d'un
peuple errant ôc dépourvu , nous apprend
que notre charité doit être douce. Vous-
accompagnez fouvent vos aumônes de tant
de dureté , que le refus feroit moins ac-
cablent , vous reprochez ?.ux pauvres leurs
forces , ÔC vous ne faites aucun ufage
des vôtres ; leur parefie , ÔC vous vivez
dans une molleiTe indigne ; leur vie inu-
tile, 5c la vôtre eft criminelle. La pitié
qui compatit à leurs maux , les confoîe
autant que la charité qui les foulage. Au
théâtre , les malheurs d'un Héros fabu-
leux vous attendriffent \ Jefus-Chriil fouf-
^/\4 ^nalyfès des Sermons,
frant dans un de fes membres eft-il nidigne
de vGtre pitié ?
4^. Jefus-Chriil découvrant le premier
les befoins du peuple , nous apprend que
notre charité doit être vigilante. Cette vi-
gilance eft une fuite du précepte de Tau-
mône. Les riches font les palpeurs des
pauvres félon le corps ; 6c ils font coupa-
bles devant Dieu des fuites qu'aiirôit pré-
venu un fecours offert à propos. On n'exi-
ge pas que vous découvriez tous les befoins
fecrets d'une Ville ; mais on exige que
dans votre quartier vous ne foyez pas en-
vironnés à votre infçû de mille malheu-
reux , qui font blefles de votre pompe 5c
de votre profpérité ; que dans vos terres
vous connoiffiez les perfonnes que Tépui-
fément ÔC les infirmités , le fexe & Tâge
mettent ou hors d'état de gagner leur vie ,
ou en danger de perdre leur innocence.
Voilà les régies de l'aumône chrétienne;
en voici les fruits. Premièrement , elle eft
une fource de bénédiélions , même tem-
porelle : c'eft une ufure fainte , elle inté-
relTeffe Dieu dans notre fortune. Seconde-
ment , elle nous caufe la joie la plus pure
que nos biens puiiTent nous procurer : quel
plaifir de faire des heureux ! quelle con-
îblation de penfer que des âmes affligées
lèvent les mains au Ciel pour nous ? f roi-
fîémement , elle aide à expier les crimes
de l'abondance , à nous ouvrir les portes
du Ciel : la grâce fe réferve de grands
droits fur une ame où la charité n'a pas
Analyfes des Sermons, 44^
encore perdu les fîens : la converfion d'un
bon cœur n'eft jamais défefpérée. Aimez
donc , fecourez , refpeâ:ez les pauvres ,
afin qu'au grand jour Jeius-Chrifl vous
dife : Vernie h bénît de mon Père , ^C'
LE LUNDI DE LA IV, SEMAINE
Sur lit Mèdïfance»
DIVISION. Rien de plus frivole que
les prétextes qui juJiLJîent à nos yeux
la médlfance. Elle ne peut être excujée :
I. Ni pur la légèreté des défauts que nous
cenfuroiis ; II. Ni par la notoriété publia
que s III. Ni par le ^éle de la vérité & de
la gloire de Dieu»
I. Partie. En vain prétendez - vous
excufer vos médifances par la légèreté des
défauts que vous cenfurez ; les motifs ea
font toujours mauvais , les circonftances
criminelles , les fuites irréparables.
i^. Tout votre but, dites- vous , eft de
vous réjouir fur des défauts qui ne désho-
norent pas. Joie cruelle , qui attrifte vo-
tre frère ! plaifir pervers , qui naît d'un
vice ! Une parole oifeufe qÙ. interdite; dé-
couvrir la honte de Tes proches eil un cri-
ine ; un terme de mépris eft , félon Jefus-
Chriil , digne d'une punition éternelle, 5C
vous feriez innocent ! La charité fe ré-
jouit-elle du mai? un Chrétien peut-il s'é-
it4^ y^naîyjes àcs Sermons,
fayer aux dépens d'un membre de Jefus*
]hrift ? n'y a-t'il pas mille fujets édifians
de converiation , dignes de la joye des
Fidèles ? approfondirez le fecret de votre
cœur?n'eft-ce point d'une jaloufiefecrette
que nailTent vos cenfures? elles tombent
toujours fur la même perfonne , & tout
autre vous trouve indulgent. Ne voulez-
vous point flâter un Grand à qui votre
frère ne plaît pas ? ne facrifiez-vous point
fa réputation à votre fortune? Non , di-
tes-vous ; fî je médis quelquefois , c'eft
pure indifcrétion. Je le veux : ce vice Ç\
indigne d'un Chrétien , peut-il en juftifier
un autre ? votre frère fouifret'il moins de
vptre indifcrétion , qu'il ne fouifriroit de
votre malice ? fa réputation en ell-elle
moins flétrie ? n'eft-ce pas un crime d'être
capable d'indifcretion en ce point? Quelle
attention fcrupuleufe n'avez-vous pas fur
ce qui intérefle votre honneur ! en ayant (î
peu pour ce qui touche votre frère , l'ai-
mez-vous comme vous-même ?
2^. Le monde aujourd'hui appelle légè-
res des médifances qui ne le font point.
Je fuppofe que les vôtres le foienten eftet,
& je dis qu'elles font toujours criminelles
dans leurs circonftances. Premièrement ,
votre frère n'a que des défauts légers ; il
en efl donc plus digne de votre indulgen-
ce , de votre refpeâ ; 6c vous le décriez /
quelle dureté , quelle injuftice ! Seconde-
ment , auriez-vous la même idée des dé-
fauts-que vous cenfurez , fi oa vous les
Analyfes ies Sermons. 447
^eprochoit à vous-même ? Alors vous grot
^riez tout ; tout vous paroîtroit elTentieU
Faut-il que tout foit léger contre votre fre*
re , ÔC que contre vous tout foit digne de
vengeance? Troifiémement, en cenfurant
des défauts même légers , n'y ajoutez-
vous rien du votre ? ne donnez-vous point
à penfer , par des conjeâures malignes ,
par certains gefles , par certaines expref-
îions , même par un certain filence ? Qua-
trièmement , la perfonne que vous atta-
quez n'ell-elle point d'un fexe où tout bruit
eft un déshonneur public , où n'être pas
loué eft prefque un affront ? Cinquième-
ment , n'eft-ce point à vos maîtres que
s'en prennent vos cenfures , à ceux que
Dieu a établis fur vos têtes , 6c que fa loi
vous ordonne de refpeâer l Sixiém.ement,
ne cenfurez-vous point les Oints du Sei-
gneur , aufquels ils vous défend de tou-
cher ? Leur converfatioa peut n'être pas
toujours fainte : mais, outre que c'eft ordi-
nairement pour punir le dérèglement des
peuples , que Dieu permet qu'il forte du
Sanftuaire même une odeur de mort ; 5C
que dès-lors les infidélités des Prêtres doi-
vent plutôt être le fujet de vos larmes que
c^lui de vos cenfures ; quand miême le
Miniftre mériteroiî quelques mépris , pou-
yez-vous , fans facrilège , ne pas refpefter
fon miniftère ? Septièmement , enfin n'at-
taquez-vous point des perfbnnes qui font
une profefTion publique de piété ? Vous au-
tgrifez don^î^^ceux qui vous écx)Utent à peu-
iWS ^ Andyfes des Sermons,
1er qu'il y a eu peu de vrais gens de bîefl.
fur la terre , ÔC vous confirmez les préju-
gés du monde contre la vertu ? Les Juftes
peuvent chanceler quelquefois -,' mais ils
font les ferviteurs de Dieu , qui prend fur
lui les plus légers mépris dont on ofe les
déshonorer : il vengea Elifée , Elie , Da-
vid , de déridons qui fembloient pardon-
nables : toucher à ceux qui le fervent ,
c'efl toucher à la prunelle de fon œil.
3°. Enfin lesmédifances même que vous
appeliez légères , font criminelles par rap-
port à leurs fuites toujours irréparables.
Tous les crimes peuvent être expiés par
les vertus contraires ; nul remède , nulle
vertu ne peut réparer celui de la détrac-
tion. Vous n'avez révélé qu'à un feul les
vices de votre frère ; mais ce confident en
aura bien-tôt d'autres qui inftruiront les
premiers venus de ce qu'ils auront appris ;
chacun , en le racontant , y ajoutera de
nouvelles circonftances : ainfi une fource
prefque imperceptible , mais groflle dans
fa courfe par mille ruiiTeaux étrangers ,
deviendra un torrent qui inondera la cour,
la Ville , & la Province j en un mot votre
frère fur qui vous n'avez voulu que plai-
fanter , fera décrié formellement , flétri
éternellement. En vain , pour vous oppo-
fer au déchaînemen^ptlblic , chanterez-
vous fes louanges , vous ferez feul , &. vos
éloges venus trop tard , ne lui attiteront
que des fatyres : vous médifez par la bou-
che de vos citoyens j vous êtes coupables
du
AncLÏyfes des Sermons. 449
du crime de ceux qui les écoutent : quelle
pénitence pourra expier de tels maux ? vo-
tre mort même n'y remédiera pas ; le
fcandale vous fuivra , & des Auteurs li-
cencieux réterniferont.
II. P A R T I E. La médifance , lors mê-
me qu'elle roule fur des fautes publiques ,
efl criminelles : parce qu'alors même elle
hlcïÏQ rhumilité , la charité , la juilice.
i^. L'humilité , en nous repréfentant vi-
vement nos fautes , nous ôte le loilir de
remarquer celles de nos frères : elle nous
fait bénir Dieu de ce qu'étant tombés peut-
être dans les mêmes égaremens , nous
n'avons pas été déshonorés comme eux :
elle nous fait craindre qu'il n'ait épargné
notre confulîon en ce monde , que pour la
rendre plus amére 6c plus durable en l'au-
tre. Que celui d'entre vous gui ejl fans pé-
chè j, difoit Jesus- ChrIST , yme contre
cette jemme la première pierre : je vous dis
aujourd'hui la même cnofe cette perfonne
vient de perdre fa réputation, 5c vous vous
glorifiez encore de la vôtre : vous êtes plus
heureufe qu'elle; êtes vous plus innocente?
Dieu , peut être , va révéler votre honte:
vous vous armez du glaive de la langue ;
vous ferez percée du même glaive ; 6c
quand vous feriez exempte des vices que
vous blâmez , Dieu vous y livrera. En ef-
fet , la honte ell la punition de l'orgueil r
Pierre y le plus ardent à dételier la perfidie
de Judas^ tombe lui-même dans l'infidélitéa.
Rien ne nous attire taSt l'abeoidon dç DieUj.
4?^ Analyfss des Sermons*
que le plaifîr malin avec lequel nous rele-
vons les fautes de nos frères.
2*^. La charité ne nous permet pas plus
que l'humilité de cenfurer des fautes mê-
me publiques. Elle n agit point en vain: or,
quoi de plus inutile que de divulguer ce qui
eft déjà public ? Quel eft votre objet ? De
blâmer votre frère ? mais , percé de mille
traits , il eft afTez puni : il mérite déformais
toute votre pitié. De plaindre fon infor-
tune? mais lacompafîion r'ouvre-t'elle les
plaies d'un malheureux ? De juflifier vos
foupçons précédens? mais vous venez donc
triompher de fa chute, & vous glorifier de
la malignité de vos jugemens ? Ah ! vous
çtes vous-même dans une occafion de pé-
ché dont le public murmure déjà : c'eft ici
pli il faudroit exercer votre art des conjec-
tures. D'ailleurs, la charité gémit des fcan-
dales , de l'avantage qu'en tirent les im-
pies 6c les libertins , de l'occaiion qu'ils
donnent aux âmes foibles de tomber dans
les miêmes défordres ; vous devez donc par
votre filence contribuer à les afloupir.
Quand tout le monde en parleroit , con-
clure que vous pouvez en parler à votre
K>ur ^ c'e/i barbarie : rhiunanité feule-
nous apprend qu'il eft beau de fe déclarer
pour les malheureux.
3°. Enfin, en cenfurant des fautes mêmes
publiques , vous violez ks ioix mêmes de
l'équité. Car premièrement , mettez vou^.
â la place de votre, frerercroiriez-vous que
Analyfes Je s Sermon^-, 45^
droit que vous prenez contre lui ? Secon-
dement , que favez vous ï\ le premier au-
teur de ces difcours publics n'eft point un
impofteur ? Un ennemi , un concurrent^
un envieux peuvent avoir calomnié votre
frère : le public a peut-être recueilli avec
malice une fimple indifcrétion , 6v réalifé
une pure conjefture.Sufanne d été décriée;
n'étoit-elle pas innocente? Jesus-Ciirist
l'a été; excuferiez-vous ceux quiparloient
de lui comme d'un féduâ:eur ? vous vous
expofez donc à la calomnie envers votr^
frère, Troifiémement , que favez- vous li
fon repentir n'a pas déjà expié fa faute de-
vant Dieu ? en ce cas , quelle infuftice dg
faire revivre des fautes que le Seigneur a
oubliées i Quatrièmement , en favoit con^
fufément que la conduite de votre frero
n'étoit pas exemte de reproche \ pourquoi
venez -vous éclaircir les faits , expliquer
tout le myftère , étouffer un refte d'hon-
neur qu'il confervoit encore ? Cinquième"^
ment, peut-être par un rau^, par une naif»
fance qui donnent de l'autorité fur les ef-^
prits , confirmiez vous des bruits qu'on ne
tenoitque de certaines perfonnes fans aveu:
votre iilençe fèul eût pu arrêter la diffama-*
tion publique , ÔC votre cenfiire l'autorife»
Ah ! Dieu lui-même diflimule les péchési
des hommes ; diiîimulons les à notre tour ^
Je ne prévenons point le tems de fçs vea-
geances»
IIÏ. Partie. Enfin la médifançe fe
COUVîQ ^uel^u^oil du voile de la piété. Si
(4Si Andyfes Jès Sermons.
Ton cenfure les pécheurs , c'eft par zèle^
dit-on ; c'eft par haine pour le vice. C'efl
une illufîon ; la piété , dont la charité eu.
l'ame , ne nous difpenfe point de la charité.
Voici donc les régies que prefcrit l'Evaa-
gile fur le véritable zèle. Premièrement ,
le vrai zèle gémit des fcandales qui dèsho.-
jiorent l'Eglife , mais il n'en gémit que de-
vant Dieu ; il lui en parle fouvent dans fes
prières, mais il les oublie devant les hom-
mes. Secondement, la piété ne nous donne
point d'empire fur nos frères ; s'ils tom-
bent , ou s^ils demeurent fermes , c'eft l'af-
faire du Seigneur ; nos plaintes fur leurs
défordres partent d'un fonds d'orgueil, de
malignité, de légèreté ,. d'inquiétude ; elles
déshonorent la piété y juftifient les dif-
cours des impies contre l'homime de bien.
Troifiémement , le zèle réglé cherche le
falut 5c non la diffamation du pécheur ; il
fe rend aimable pour fe rendre utile ; il eft
plus touché du malheur de fon frère qu'ai-
gri de fes fautes ; il voudroit pouvoir fe les
cacher à foi- même ,. §C il fent bien que les^
cenfurer^ c'eft augmenter îe fcandale.Qua-
triemement , ce zèle eenfeur eft inutile à
celui qu'il attaque puifqu'il eft abfent , il
lui eft nuidble puifqu'il ne fert qu'à raigri.r
. en blellant fa. réputation ; il eft nuifible à
ceux qui vous écoutent,. ÔC leur apprend à
ne plus mettre îa médifance au rang d^s
vices. Le vrai zèîe eft humbte ,. fîmple ^
miféricordieux , déli-cat §C timoré ; une
langue c^ui a çonfellé JeXus-Chrift ^e dQk
yinatyfès des S er titans. ^ *45f
plus être inquiète , dangereufe , plaine de
fiel 6c d'amertume contre fes frères : Lin-
gua Chrifium conjcjja non fit maledica > non
turbulenta ; non convitiis ^er/lrepms au-'
diatur. S. Cyprien.
lE MJRDl DE LA IV, SEMAINE.
Des doutes fur la Religion,
DI V I s I O iV. La plupart de ceux gui fi
difent Incrédules , m le fini pas en
effet. I. Cefi le dérèglement qui propofe
les doutes , fans> ofir les croire. II. èefi
V Ignorance qui les adopte y (ans les com-
prendre* III. Cefii la vanité qui s en fait
honneur , funs pouvoir s\n faire une ref-
fource.
I. Partie. Trois réflexions montrent
que les doutes des prétendus incrédules
font des doutes de dérèglement. Premiè-
rement , c'eit le déréglem.ent qui a formé
leurs doutes , 8c non pas leurs doutes îe
dérèglement. Secondement , c'eft à leurs
paHions qu'ils tieixnent , 6c non à leurs
doutes. TroifiemiCment , ils n'attaquent
que les vérités incommodes aux parfioiis.
1°. On n*a encore viï perfonne commen-
cer par des doutes fiir la foi ; 5c les dou-
tes , tomiber dans la débauche : on fe livre
d'abord au piaitîr ; enfuite on croit qu'il
;Bit impoffibÎQ de fe ïmQ violexiçe i enfin ^
454 ^Andyfcs^ des Sermons.
on conclud que cette violence eft inutile*'
Que penfoit on avant que d'avoir renoncé
à la pudeur ? alors , le cœur n'étant point
gâté , la foi paroifToit refpe£lable , la rai-
ion étoit foumife , on ne fe formoit pas
même des difficultés : dès que les mœurs
on changé , on a eu des doutes : ce n'eft
donc pas la force de la raifon qui les a en-
fantés , c'eft la corruption du cœur , c'eft
même une lâcheté de courage : on ne peut
foutenir les terreurs de la Religion y on ta-*
che de s'étourdir en les traitant de frayeur?
puériles : on cache fa peur fous une often-
tation de bravoure. D'ailleurs , quelbefoin
n'ont pas les pafîions du fécours des dou-
tes ? combattues au-dedans ÔC au-dehors>
elles font trop foibles , il faut les foutenir;
elles font trop chères ; il faut les juftifîer ;
les vérités de la Religion les troublent , il
faut tâcher de fe pcrfuader qu'on ne les
croit pas, ç'eft-à-dire , que le grand effort
du dérèglement efl de nous conduire au dé-
fîr de l'incrédulité. Si donc l'infenfé dit qu'il
n'y a point de Dieu y c'eft dans fon cœur
qu'il le dit : ce langage en efl le défît : il
voudroit qu'il n'y eût point de vengeur du
vice : il l'anéantit donc par fes fouhaits ;
mais ils font aufTi ftériles qu'ils font impies:
l'idée d'une puifTanceinfînieSc d'une juflioe
redoutable , demeure toujours au fond d^
fon être ^ êc ramené fes remords. Les caî-
meroit-iî en fe difant qu'il efl trop livré à.
la débauche pour e;î foitir ? c'eft bien plu»
aét fait d^ft dire;, ^ue a'y ayaatrieiî agr^â
Anaîyfes des Sermons* 455
la vie , il eft inutile de mieux vivre : cette
idée le délivre de toute contrainte , l'en»
tretient dans l'indolence , l'empêche de
s'approfondir lui-même : elle émoulle au
moins la feniibilité d^ fa confcience ; 6c ea
faifant qu'il fe prend pour ce qu'il n'eft
pas , elle fait qu'il vit comme s'il étoit ce
qu'il vaudroit être : trop diiTolu pour con-
fentir à mener une vie chrétienne , trop
foible pour braver un vengeur qu'il recoii-
coitroit fans répugnance , il fe tient dans
une efpéce de neutralité contre la foi 6^
l'irréligion > 5c vit fans vouloir favoir ce
qu'il cil en effets
2°. Une féconde raifon qui n'eft qu'une,
fuite de la première , c'eiî que les préten-
dus incrédules , s'ils ne changent pas ac-
tuellement de vie ,. tiennent à leurs paf-
fions ; & non à leurs doutes. Font-ils quel-
que retour fur eux-mêmes ? leur em.barras
n'eft plus de favoir comment ils pourront
croire des chofes qui révoltent leur raifon^
mais de favoir comment ils pourront me-
ner une vie contre laquelle leurs inclina-
tions font révoltées. D'ailleurs il vivent
pour la plupart dans les variations conti-
nuelles fur leur incrédulité mêmie : en cer-
tains momens ils font touchés des vérités
de la Religion > en d'autres ils s'en moc»
quent : tantôt ils cherchent des Serviteurs,
de Dieu ^ pau? s'inftruire , tantôt ils les
traitent avec dérifion-». D'où vient, cette vi--
çiiîiîud;e? c'eft que leurs paflîofts n'étant pas
t9u|Qurs. égaleineîit vive.s j, lç;urs dfiu.te qvÀ
^45^ . Analyfks des Sermons,
en naiflent doivent changer comme elleî î
fi leur incrédulité prétendue venoit d'incer-
titudes réelles fur la Religion , ces incer-
titudes fubfillant , l'incrédulité feroit tou-
jours la même. De plus , répondez aux dif-
ficultés d'un prétendu iucrédule , réduifez-
le à ne pouvoir répliquer : il ne fe rend pas
encore : fon air myftèrieux 6c décidé vous
fait gémir de fon entêtement ; gémiiTez
plutôt de fa mauvaife foi : qu'au iortir de
là , une maladie mortelle le frappe ; vous
le trouverez convaincu , confus , repentant,
tremblant , &. demandant , non pas des
preuves , mais des confolations. Son efprit
vient-il donc d'être éclairci ? non : ^qs paf-
fions vont s'éteindre, fes doutes s'éteigneiît
avec elles : appeliez en avec Tertullien à
ce pécheur mourant , il avouera qu'il en
avoit impofé au public par une faulfe of-
tentation d'impiété.
2°. Enfin , ce qui achevé de prouver que
les doutes ne viennent que du dérègle-
ment , ce qu'ils n'ont pour objet fixe
que les vérités incommodes aux paflions.
Si la Religion ne propofoit que des myf-
tères j que des vérités fpéculatives ; ies ia-
crédules feroient rares ; elle propofe des
maximes qui gênent , des vérités qui me-
nacent ; c'eft fur celles-là qu'on a des dou-
tes , ou c'eil à caufe d'elles qu'on fe vanîe
d'en avoir fur les autres. E^vain croiriez-
vous que c'eft par amour p^ur la vérité ,
que l'incrédule ne fe rendp<Sintà des myf-
tèxçs (|^ue la raifgn rejette ; ces vérités se
l'iutérelTal
^ndyfes des Sermons. 457
ï'întéreflent point ; ce qui rintérefle eft de
vivre au gré de fes déiirs , & de n'avoir
rien à craindre après cette vie : palTez-lui
ce pojnt ; il conviendra de tout. Aufll les
maîtres de l'impiété fe font attachés à
prouver que tout mouroit avec le corps ;
que les peines éternelles étoient des fables;
& ce n'a été que pour en venir là , qu'ils
ont attaqué les autres points de la foi ;
voilà pourquoi les impies dans la SagefTe
& les Sadducéens dans l'Evangile n'atta-
quent que la réfurreclion des morts ÔC
l'immortalité de l'ame : voilà le point
décifif : on ne fecoue le joug de la foi , que
pour fecouer celui des devoirs ; la Reli-
gion n'auroit point d'ennemis, fi elle n'é-
tait pas ennemie du vice.
II. .Partie. C'e/I l^ ignorance oui adopte
les doutes fans les comprendre* Les préten-
dus incrédules blâment ce qu'ils n'ont
point examiné ; ils blafphêment ce qu'ils
ignorent ; ils haïllent la Religion , 5c cette
haine ell la feule fcience qui forme leurs
doute : Malunt ncfcire , quia jam oderunc,
'En effet , pour combattre des vérités re-
çues dans tous les fiécles par les plus grands
hommes, par les génies les plus élevés , il
faudroit des raifons bien décifives , des lu-
mières bien rares 6c bien nouvelles. Ce^
pendant approfondirez ces efprits forts; ils
n'ont pour toute fcience que des doutes
lifés &C vulgaires : ils ne favent qu'un cer-
tain jargon de libertinagerils n'ont ni fonds
|ii principes , ni fuite : ce font des hoin-;
Carême» Tonu lll* Q q
45^ AnalyfiS des Sermons,
mes légers , fuperficiels , en qui peut-être
la débauche a éteint toute pénétration : ce
font des hommes frivoles , diillpés , igno-
rans qui ne favent que répéter ce qu'ils ont
entendu : échos de l'incrédulité , fans être
incrédules , ils favent ce qu'il faut dire
pour douter; mais ils n'en favent pas affez
poar douter eux-mêmes : ils ne doutent
pas pour s'éclaircir ; ils n'achéteroient
pas fi cher le plaifir de fe dire incrédules;
ils en feroient même incapables : ne les
appeliez ni Sociniens , ni Déifies , ni
Athées ; ce feroit encore les honorer : ils
ne font rien : du moins ils ne favent eux-
mêmes ce qu'ils font.
Et ce qui efl bien remarquable , c'eft
qu'eux qui nous traitent d'efprits crédules,
de nous rendre à la plus grande autorité
qui ait paru fur la terre; déférent à l'auto-
rité d'un libertin , qui , dans un moment
de débauche , a dit qu'il n'y avoit point
de Dieu , quoique peut-être il ne le crût
pas lui-même. Ils décèlent affez leur igno-
rance , lorfqu'ils cherchent des impies vé-
ritables 6c intrépides dans l'incrédulité :
Spinofa le fut ; ôC il ne chercha perfonae
qui l'affermît dans l'irréligion : ceux qui
s'emprelTerent de le confulter , attefterent
par cet empreffement même leur peu de
fermeté & leurs remords;ils firent voir que
leur incrédulité prétendue n'étoit en effet
qu'un défir formel de devenir impies.
III. Partie. Cefl la vanité qui fi fait
honneur de$ doutes fans pouvoir s\n fain
Analyfis des Sermons^ 4^9
une reffource. Les prétendus incrédules font
de faux braves qui fe donnent pour ce
qu'ils ne font pas , 6c qui à force de dire
qu'ils ne croyent rien , croyent ne rien
croire, ôC en ont meilleure opinion d'eux-
xnêmes : Premièrement , parce que cette
profefîion d'incrédulité fuppofe une fupé-
riorité d'efprit, au lieu que les paiTions ne
fuppofent que du dérèglement. Seconde-
ment , parce qu'aujourd'hui ceux qui fe
piquent d'un peu plus de connoilTances que
les autres , fe permettant des doutes far la
Religion , ÔC certains prétendus grands
hommes , qui nous ont précédés , ayant
fait profeflion de ne pas croire, on s'ima-
gine partager la réputation des uns 6c àQ%
autres en adoptant leur langage , 6c fe faire
honneur en les prenant pour modèles.
Troifiémement, parce que ceux avec qui
on eft lié paç la débauche , parailTant ne
pas croire , il feroit honteux de paroître
croire , 6c d'être dilTolu comme eux .• être
débauché , & admettre un Enfer , c'eft être
débauché en Novice , c'eft fe fentir encore
de l'enfance 6c du Collège : la débauche
eft de bon air; quand on a pu perfuader
aux autres qu'on s'eft mis au-deffus de ces
foibleifes vulgaires ; on fe moque de ceux
qui paroifTent encore craindre, & on iu-
fulte à leur fimplicité : Adhuc permams in
Jimplicitate tua*
Mais quelle reffource trouve-t'on dans
ces doutes dont on fe fait honneur?aucune :
limpie brave Dieu tout haut, Se il le craiut
4^0 'Analyfes des Sermons» ^
en fecret : c'efl: un impofieur , qui ne peiltl
s'en impofer à lui-même ; im furieux , qui
fait taire la pudeur , parce qu'il ne peut
faire taire fa confcience ; un homme ivre
& emporté , qui facrifie tout à la déplora-
ble vanité de paroître incrédule.. Ah ! com-
prenons ce qu'une telle profelîion cache
de tout ce qu'il y a de plus bas &. de plus
honteux félon le monde même , i. de dé-
règlement, 2. de balTeffe, 3. de mauvaife
foi6cd'impoihire,4. d'oftentation ÔC d'in-
digne vanité , 5. de témérité , 6. d'extra-
vagance , 7. enfin , de fuperftition : je dis
de fuperiiition , puifque nous avons vu
ces prétendus efprits forts , confulter les
devins, donner dans des crédulités puéri-
les , attendre d'un oracle impofteur leur
élévation & leur fortune , 5c ne croyant
point en Dieu , croire ridiculement aux
démons. Souvenons-nous que ces homm.es
pervers font prefquc fans reilource pour
le falut : s'ils étoient abfolument aveu-
gles , leur péché feroit moindre ; mainte-
nant ils voyent , & leur crime eft un blaf-
phême contre le Saint-Efprit , qui de-^
meure à jamais fur leurs têtes.
^Analyfes des Sermons. 4^X
LE MERCREDI DE LA IV^ SEM^
De Vlnju{îice du monde enyers Us Gens
de bien*
DIVISION. I. Le monde attaque les in^
tentions des gens de bien , quand il na
rien à dire contre leurs œuvres y & cejl
une témérité. IL // exagère leurs foiblcffeS
Cλ leur fait des crimes des'imperfeâicm les
plus légères» , & c*ejl une inhumanité, III. Il
tourne même en ridicule leur ferveur & leur
7èlc , C^ cejl une impiété,
I. Partie. Injujlice de témérité qui
foupçonne toujours les intentions des gens
de bien. Le monde femble refpefter la ver-
tu en idée ; mais il méprife toujours ceux
qui en font profelTion : or le premier ob-
jet fur lequel tombent d'ordinaire les dif-
cours du monde contre les gens de bien ,
c'eft fur la droiture de leurs intentions ,
fur lefquelles on fe retranche , parce que
d'ordinaire leurs aftions donnent peu de
prife à la malignité 6c à la cenfure : or il
y a dans cette témérité trois carac):ères
odieux qui en font fentir tout le ridicule
& toute l'injuftice.
I °. C'eft une témérité d'indifcrétion : car
à Dieu feul efl réfervé le jugement des in-
tentions 5c des penfées ; en jugeant donc
des intentions de votre frère, vous décidez
de ce que vous ne pouvez connoitre. Mais
Qq 3
'4^2 ^ Analyfes des SermOftS.
ce qui rend ici votre témérité plus înjuftej
plus noire, plus cruelle, c'eft la nature de
vos foupçons : car vous ne vous contentez
pas de foLipçonner les gens de bien de quel-
qu'une de ces foiblelles inféparables de la
condition humaine ; vous attaquez leur
probité 5C la droiture de leur cœur; vous
les foupçonnez de noirceur, de diflimula-
tion , d'hyprocrifie ; en un mot , de fe
jouer de Dieu 6c des hommes , 6c cela ,
liir les feules apparences de la vertu. Ain*
fî , v^is portez d'une homme de bien uil
jugement que vous n'ofericz pas porter ,
après le crime le plus éclatant , d'un cri-
minel convaincu : faut-il donc que la vertu
foit le feul crime qui ne mérite point d'in-»
dulgence de votre part ?
L'hypocrifie, j'en conviens , eft digne de
Texécration de Dieu ÔC des hommes : maisF
je foutiensquecesfonpçons téméraires qui
confondent toujours l'homme de bien
avec l'hypocrite ; fournillent des armes
21ÎX impies , &. leur aident à croire qu'il
n'y a plus de Juftes fur la terre ; que ies
Saints mêmes qui ont autrefois édifié l'E-
glife , n'ont donné aux hommes que le
lpe6^acle d'une fauile vertu ; 5c que l'E-
vangile n'a jamais formé que des Phari-
iiens ÔC des hypocrites : cela doit faire
comprendre tout le crime de ces dérifions
infenfées : on croit rire de la faulTe vertu ,
6c on fait blafphémer contre la Religion.
Ajoutez que par-là tout devient douteux
& incertain dans la fociété : car fi ceux
Analyfes des Sermons. 465
qu*on appelle gens de bien ne font félon
vous que des impofteurs & des hypocri-
tes , nous ne comptons pas davantage fur
la probité des pécheurs ÔC des mondains ;
il n'y a donc plus ni bonne-foi , ni droi-
ture , ni fidélité parmi les hommes.
2*^. C'eft une témérité de corruption : en
effet , ce fonds de malignité qui voit le cri-
me à travers même les apparences de la
vertu , Se qui attribue à des œuvres fain-
tes des intentions criminelles, ne peut par-
tir que d'une ame noire ê«C corrompue,
comme les pafîions vous ont gâté le cœur,
à vous que ce difcours regarde , que vous
êtes capable de toute duplicité & de toute
baffelfe , vous foupçonnez aifément vos
frères d'être ce que vous êtes. Un boa
cœur , un cœur droit , fîmple 6c fincère ,
ne peut prefque comprendre qu'il y ait de;s
împofteurs fur la terre , parce qu'il trouve
dans fon propre fonds l'apologie de tous
les autres hommes : auiîi qu'on examine
ceux qui forment ces foupçons affreux ÔC
téméraires contre les gens de bien , on
trouvera j^ue ce font d'ordinaire des hom-
mes déréglés ÔC corrompus , qui tâchent
de fe perfuader qu'il n'y a plus de vertu ,
véritable , afin que le vice plus commua
leur paroilfe plus excufable.
Mais , dites-vous , on a vu tant d'hypo-
crites qu'on regardoit comme des Saints ,
qui , cependant n'étoient que des hommes
pervers 6c corrompus , on ne peut le nier.
Mais que voulez-vous conclure de-là ? que
Qq4
4^4 ^Analyfes ies S er nions,
tous les gens de bien leur reflemblent ? &
ou en feroit le genre humain , Ç\ vous rai-
fonniez ainfi fur le refte des hommes : on
a vii tant d'époufes infidèles , tant de Ma-
fiftrats iniques , 6Cc. dont la pudeur 6c la
délité font bannies du mariage , 6c la juf-
tiee ÔC l'intégrité de tous les Tribunaux ?
Quoi de plus injufte & de plus infenfé,que
de faire à tous un crime de la faute de
quelques-uns ? La fource de cette in juftice^
c'eft que nous haïilons tous les hommes qui
ne nous reflemblent pas ; & nous fommes
ravis de pouvoir condamner la vertu,parce
que la vertu elle-même nous condamne.
Mais on y a été fi fouvent trompé, dites-
vous. Je le veux ; mais je vous réponds ,
quand même vous vous tromperiez en ne
voulant pas foupçonner vos frères , que
vous arriveroit-il de fi trifte ÔC de fi hon-
teux de votre crédulité ? vous auriez jugé
félon les régies de la charité , de la pru-
dence , de la juftice : 5c qu'y auroit-il dans
cette méprife qui dût tant vous allarmer ?
il eft fi beau de fe tromper par un motif
d'humanité 6c d'indulgence !
Et d'ailleurs , d'où vous vient ce zèle &
ce déchaînement contre l'abus que l'hypo-
crite fait de la vertu véritable ? que vous
importe que le Seigneur foit fervi avec un
cœur double ou fincère , vous qui ne le
fervez ÔC qui ne le connoiifez même pas ?
Ah ! ce n'eft pas Thypocrifie qui vous blelTe^
c'efi: la piété qui vous déplaît ; fi vos cen-
fures partoient d'un fond de Religion 6c
'^Analyfis des Sernlonf* 4^5
He zèle véritable , vous ne rappelleriez
qu'avec douleur Thiftoire de ces impof-
teurs , qui ont piï quelquefois réuftir à
tromper le monde , & vous fouhaiteriez
que ces triftes événemens fuïïent effacés
de la mémoire des hommes î
3°. C'eft une témérité de contradiôion.
Le monde accufe les gens de bien d'aller
à leurs fins , d'avoir leurs vues dans les
allions les plus faintes , ÔC de ne jouer que
le perfonnage de la vertu : mais fied-t'il à
ceux, fur-tout, qui vivent à la Cour de
faire ce reproche aux gens de bien , eux
dont toute la vie eft une feinte éternelle ?
Quand ils n'auront rien à fe reprocher là-
deflus , on écoutera alors la témérité de
leurs cenfures.
D'ailleurs , les gens du monde fe récrient
il fort , lorfqu'on eft trop attentif à des dé-
marches qui font félon eux indifférentes ,
& qu'on les interprête malignement ; mais
les Juftes donnent-ils plus de lieu à la té-
mérité des foupçons que le monde forme
contre eux? Les gens du monde exigent
qu'on juge leurs intentions pures , lorfque
leurs œuvres ne le font pas ; 6c ils croyent
avoir droit de nous perfuader que les in-
tentions des gens de bien ne font pas inno-
centes , lorfque toutes leurs aâiions le
paroiifent : quelle contradiftion 1
II. Partie. Le monde exagère l'es fol*
hUjJes des gens de bien , & leur fait un crime
des imperfeâlons les ^lus légères , & c*ejh
une inhumanités
4^(5 Analyfa des Sermons»
i^. Une inhumanité par rapport à lafoî-
blelTe de Thomme : car c'eft une illufion
de croire qu'il y ait parmi les hommes
des vertus parfaites ; ce n'eii: pas la condi-
tion de cette vie mortelle : chacun pref-
que porte dans la piété , fes défauts , fes
humeurs , 6c fes propres foiblelTes : la grâ-
ce corrige la nature , mais ne la détruit
pas : ce n'eft que dans le Ciel que nous
ferons parfaitement délivrés de toutes nos
■ miféres. Tout ce qu'on peut donc exiger
de la foible/îe humaine , c'eft que TelTen-
tiel foit réglé, 6c qu'on travaille fans celTe
à régler le refte , & dans le fonds portant
comme nous faifons , au dedans de nous
une contradiôion éternelle à la Loi de
Dieu , foibles pour le bien , toujours prêts
pour le mal , doit-il paroître étrange que
des hommes environnés , paîtris de mifé-
rcs , en laiflent encore paroître quelques-
unes ! ôc fi le monde avoit de l'équité, ne
trouveroit-il pas les gens de bien plus di-
gnes d'admiration d'avoir encore quelques
vertus , que dignes de cenfure pour con-
ferrer encore quelques vices ?
D'ailleurs , Dieu a fes raifons , en laif-
fant encore aux gens de bien certaines foi-
bleiles fenfibles : il veut par-là les tenir
dans l'humilité , ranimer leur vigilance ,
exciter en eux un défir continuel de la
patrie céiefte, empêcher que les pécheurs
ne fe découragent par le fpe£^acle d'une
vertu trop parfaite,ménager aux Juftes une
matière continuelle de prière ôc de péni-
Analyfts êes Sermons, ^dy
tence , prévenir les honneurs excefîifs que
le monde pourroit rendre à leur vertu , fî
elle étoit ^\ pure 6c fi éclatante ; peut-être
enfin , Dieu veut par-là achever d'endurcir
ÔC d'aveugler les ennemis de la pitté.
2®- Une inhumanité par rapport à la dif-
ficulté toute feule de la vertu. Vous pa-
roît-il aifé , mondains , de vivre feloa
Dieu , ÔC de marcher dans les voies étroi-
tes du Salut, que vous deviez être {\ im-
pitoyables envers les Juftes , dès qu'ils s'en
écartent un feul moment ? Que ne nous-
dites-vous pas vous-mêmes tous les jours
fur les difficultés d'une vie chrétienne ,
lorfque nous vous en propofons les régies
faintes ? cependant, par une barbarie étran-
ge , la plus légère imperfection dans \t^
gens de bien , anéantit dans notre efprit
toutes leurs qualités les plus eftimables ; 6C
loin de faire grâce à leurs foiblefles en fa-
veur de leurs vertus , c'eft leur vertu elle
même qui vous rend plus cruels ÔC plus
inexorables envers leurs foiblefles.
Mais en quoi l'injuftice du monde en-
vers les gens de bien eft plus cruelle, c'eft
que ce font vos cenfures , mondains , ÔCla
corruption de vos mœurs , qui deviennent
tous les jours le piège le plus dangereux
de leur innocence : comment voulez-voua
que la piété des plus juftes fe conferve
toujours pure au milieu des moeurs d'au-
jourd'hui ? vous êtes les fédu£leurs des
gens de bien ; ÔC vous trouvez mauvais
qu'ils fe UiiTent fédiûre ?
4^8 ^Analyfes des Sermons i
3 °. IJwQ inhiimanitépar rapport aux ma-
ximes du monde même. Je vous en fais
juges : vous dites tous les jours qu'un tel
avec fa dévotion ne laifTe pas d'aller à fes
fins ; qu'un autre eft fort ei^é^e à faire fa
cour; que celle-ci a une vertu fort com-
mode ; que celle-là eft toute paîtrie d'hu-
meur , &. infupportable dans ion domefti-
que, ÔCc. 6c là'delTus vous décidez fière-
ment qu'une dévotion mêlée de tant de
défauts ne fauroit jamais en faire des
Saints ; cependant , lorfque nous venons
vous annoncer ici nous-mêmes que la vie
mondaine , oifcufe , fenfuelle , 6c prefque
toute profane que vous menez ^ ne fauroit
être une voie de Salut , vous nous foute-
nez que vous n'y voyez point de mal , &
que vous ne croyez pas qu'il en faille da-
vantage pour fe fauver : mais de quei
côté efl ici l'inhum.anité & l'injuftice ?
vous damnez les gens de bien, parce qu'ils
ajoutent à leur piété quelques défauts qui
vous reilemblent ; 6c vous vo-us croyez
dans la voie du Salut , vous qui n'avez que .
ces défauts fans la piété qui les purifie»
Ce n'efi: pas affez : les gens de bien quit-
tent-ils tout pour fe donner entièrement à
Dieu ? vous dites qu'ils pouffent les chofes
trop loin. Tâchent-ils d'accorder avec la
piété les devoirs de leur état , 6c les inté-
rêts innocens de leur fortune ? vous dites
alors qu'ils font faits comme les autres
hommes , ÔC que vous feriez bientôt ua
grand faint, s'il n'en falloit pas davantage;
accordez - vous donc avec vous - même.
Mais ce qu'il y a de plus déplorable
danslafévérité avec laquelle vous condam*
nez les gens de bien, c'eft que fî un pécheu?
célèbre ÔC fcandaleux , après bien des dé-
lais 6c des répugnances , prononce enfin
feulement le nom d'un Dieu qu'il n'a ja-
mais connu, ÔC qu'il a toujours blafphêmé;
il ne vous en faut pas davantage , vous le
rangez parmi les Saints, ÔC vous dites qu'il
a fait une mort chrétienne : vous fauvez
donc l'impie fur les fignes les plus frivoles
&. les plus équivoques de la piété : ÔC vous
damnez le Jufte fur les marques les plus
légères de l'humanité 6c de la foibleile ,
fans fonger qu'il eft même de votre intérêt
de ménager les imperfeftions des gens de
bien ; puifqu'eux feuls vous épargnent ,
adoucilTent vos défauts , excufentvos fau-
tes ; je n'en dis pas aiïez , eux feuls font vos
amis véritables , eux feuls font touches de
vos maux , & occupés de votre falut.
III. Partie, he monde tourne en ridicule
la ferveur & le ^èle des gens de bien , Ô*
cejl une impiété. Oui une impiété : car
en effet , les gens du monde font de la Re-
ligion , un jeu 6c une fcéne comique, fans
penfer que par ces dérifions , 6c ces cenfu-
res , 1°. Ils perfécutent la vertu , ÔC fe la
rendent inutile à eux-mêmes : car Dieu
pour les punir les prive fouvent de l'exem-
ple des gens de bien , qui étoit un moyen
de falut que fa bonté leur avoit préparé :
OU bien accoutumés à décrier la vertu, ÔC
<47Q Analyfes des Sermons^
à la tourner en ridicule , fi jamais lafles cîif
inonde ils veulent revenir à Dieu , le ref-
peâ humain les arrête , ils n'ofent plus
changer ni de mœurs ni de langage.
2^. Par ces dérifîons vous déshonorez la
vertu, 6c vous la rendez inutile aux autres,
qui n'ofent fe déclarer pour la piété , par-
ce qu'ils craignent de s'expofer à vos rail-
leries profanes , 6c n'oppofent en fecret
que ce feul obftacle à la voix de Dieu qui
les appelle : ainfi , par-là vous anéantiifez
le fruit de TEvangile , 6c rendez notre
miniflère inutile.
3°. Par vos cenfures vous tentez la ver*
tu , & la rendez infoutenable à elle-mê-
me : car vos dérifions deviennent l'écueil
de la piété même des Juftes ; vous ébran-
lez leur foi , vous découragez leur zèle ,
vous fufpendez leurs bons défirs ; ôc par-
là vous privez TEglife de l'édification de
leurs exemples ; les foiblefi'es du fecours ,
qu'ils y trouveroient ; ÔC les pécheurs , de
la confufion qui leur en reviendroit:n'eft^
ce pas là le comble de l'impiété ?
Jînalyfes des Sermons» 4ft
LE JEUDI DE LA IV. SEMAINE.
De la Mort.
DlviSIOiV. I. La mort ejl incertaine: VOUS
êtes donc téméraire , de ne pas vous en
occuper , & de vous y laijjcr furprendre.
II. La mort ejl certaine , vous êtes donc in^
fenfé d^en craindre le fouvenir , & vous ns
devei jamais la perdre de vue.
I. Partie. La mort ejî incertaine : pen*
fil'y donc , puifque vous ne fave^ à quelle
heure elle arrivera. Cependant c'eft fon
incertitude même qui fait que nous n'y
penfons pas : or , je dis que c'efl-là de tou-
tes les difpofîtions la pljs téméraire & la
moins fenfée. En effet , un malheur qui
peut arriver chaque jour , eil-il plus à mé-
prifer qu'un autre qui ne vous ménaceroit
qu'au bout d'un certain nombre d'années ?
Quoi ! parce que le péril eft toujours pré-
fent , l'attention feroit moins nécelTaire ?
ce devroit être tout le contraire. AufTi , le
grand motif dont Jefus-Chrift s'eft fervi
pour nous exhorter à veiller fans celle ,
c'eft l'incertitude du dernier jour. Il n'eft
point en eiFet de motif plus preilant que
celui-là: car fi la mort vue de loin, mais
à un point sûr ôc marqué , nous efFrayeroit
nous détacheroit dn monde , nous occu-
peroit fans ceflje; fon incertitude , fi nous
^ft j^natyjh des Sermons'!
étions fages , devroit faire fur nous des îm»
prefîîons infiniment plus fortes. Remar-
quez en effet que cette incertitude eft ac-
compagnée de toutes les circonftances les
plus capables d'allarmer , ou du moins ,
d*occuper un homme fage.
i°.La furprife de ce dernier jour que
vous avez. à craindre, n'eft pas un accident
rare ; c'eft un malheur familier : il n'eft
pas de. jour qui ne vous en fournilTe des
exemples , puifque prefque tous les hom-
mes font furpris de la mort.
2^. Si cette incertitude ne rouloit que fur
rheure , fur le lieu , ou fur le genre de vo-
tre mort ; elle ne paroîtroit pas Ci affreu-
fe ; mais ce qu'il y a ici de terrible , c'efl
qu'il eft incertain , fi vous mourrez dans le
Seigneur ou dans votre péché : la mort
feule vous découvrira ce fecret ; 6c dans
cette incertitude vous êtes tranquille ?
3°. Dans toutes les autres incertitudes ,
ou le nombre de ceux qui partagent avec
nous les mêmes périls peut nous raffurer,
ou des reflburces dont nous pouvons nous
flâter , nous laifi^ent plus tranquilles , ou
enfin , tout au pis , la furprife n'efl qu'une
înftruâ:ion pour l'avenir. Mais dans l'incer-
titude terrible de la mort , rien de cela ne
s'y trouve ; ôc fur-tout la furprife eft fans
retour, parce que nous ne mourons qu'une
fois ; &: cependant nous ne fommes point
allarmés !
Mais , fur quoi donc pouvez-vous jufti-
fier cet oubli in comprénenfîble dans lequel
vous
Analyjïs des Sermon fi 47?
vous vivez de votre dernier jour ? Sur la
jeunelTe ? mais la mort refpecte-t'elle les
âges non plus que les rangs ? fur la force
du tempérament ? mais qu'eft-ce que la
fanté la mieux établie ? une étincelle qu'un
fouffle éteint. Après tout , prolongez vos
jours au-delà même de vos efpérances ; ce
qui doit finir peut-il vous paroitre lon-g.
Tirons les conféquences naturelles de
rincertitude delà m.ort : la première , c'efl
que la mort étant incertaine ^ c'eft une fo-
lie de s'attacher à ce qui doit pailer en ua
înftant ; la féconde , c'eft que nous devons
donc mourir chaque jour , Sc ne nous per-
mettre aucune aéîion dans laquelle nous
ne vauluiîions point être furpris;^ la troi-
lième , c'eft que nous ne devons pas dif-
férer notre pénitence. Voilà les réflexions
fages Se naturelles où doit nous conduire
l'incertitude de notre dernière heure.
II. Partie. La mon ejl certaim-pen-
fi^-y donc , parce quelle doit arriver* Rien
ne nous effraye tant que ce qui nous rap-
pelle lefo-uvenir de la mort; aufli eft-ce ce
que nous fuyons avec le plus de foin. Mais
fi ces frayeurs étoient pardonnables à des
Payens , on doit être furpris que la mort
foit terrible à des Chrétiens , 6c que la
terreur de cette image leur ferve même de:
prétexte pour l'éloigner de leur penfée.
Car, i*^. Je veux que vous ayezraifon de:
craindre la mort: mais puifqu'elle efl cer-
taine^ je ne comprends pas que parce qu'eî-
ie.vou5 p^roît terrtblej^vauâae^ deviez ga$
474 Analyfes ies Sermons.
vous en occuper 5c la prévenir ; an con»
traire, plus le malheur dont vous êtes me*
iiacé elt affreux , plus vous devez ne pas
le perdre de vue , & prendre fans ccffe
des mefures pour n'en être pas furpris.
2°. Si en éloignant cette penfée , vous
pouviez au0i éloigner la mort,vos frayeurs
auroient du moins une excufe : mais pen-
fez-y , n'y penfez pas , la mort avance tou-
jours. Que gagnez-vous donc en détour-
nant votre e^rit de cette penfée ? vous
vous rendez la furprife inévitable.
3^. Quand cette penfée feroit fur vous
des impreffions de frayeur 5c de trifteffe^
où feroit l'inconvénient ? vous n'êtes pas
fur la terre pour ne vous y occuper que
d'images douces ÔC riantes.
Mais , dites-vous , fi on penfoit tout de
bon à la mort , on en perdroit la raifon.
Mais tant d'ames fidèles qui mêlent cette
penfée à toutes leurs a£^ions , en ont-elles
perdu la raifon ? Vous en perdriez cette
raifon fauife , mondaine , orguelUeufe ,
charnelle , qui vaus féduit ; mais vous y
acquerriez la véritable fagelîe y puifque
cette penfée vous apprendroit à regarder
le monde comme un exil , les plaifirs com-
me une ivreile , le péché comme le plus
grand des maux , les honneurs 5c la for-
tune comme des fonges , le falut comme
la grap.de ÔC unique affaire.
Mais ^ ajoutez-vous ^ cette penfée , i on
rapprofoiidilToit > feroit capable de faire
tout quittera & de jettei daû& des iHoki-^,
Analyfès des Sermons'* 475
tîons violentes & extrêmes. C'eft-à-dire ,
elle feroit capable de vous détacher- du
monde , de vos vices , de vos paillons ,
pour vous faire mener une vie chrétienne
leule digne de la raifon : voilà ce qu^on
appelle des réfolutions violentes ôc extrê-
mes. D'ailleurs , ne craignez rien ; quand
vous iriez d'abord trop loin , les premiers
tranfports fe rallentiront bientôt : prenez
feulement des m.euires contre la tiédeur ÔC
le relâchement : voilà, indolent 6c fenfuel
comime vous êtes , le ieid écueil que vous
avez à craindre. Outre cela , quelle iilu>
fion ? de peur de faire trop pour Dieu , on
ne fait rien du tout; tandis qu'on ne trouve
jamais rien de trop pour le monde.
4°. C'eii: à vous une ingratitude crimi-
nelle envers Dieu , d'éloigner la penfée de
la mort , feulement parce qu'elle vous
trouble 5c vous allarme : cette imprefîîon
de crainte ÔC de terreur , eft une grâce
iinguliére dont Dieu vous favorife , tandis
qu'il la refufe à tant d'autres : c'eft par la
penfée de la mort qu'il veut vous ramener
à lui j c'eit à ce remède que votre falut pa-
roit attaché. Tremblez plutôt que votre
cœur ne fe raffure contre ces frayeurs fa-
lutaires , 6c que Dieu ne retire de vous ce
moyen de falut : ainiî , mettez à profit pour
le règlement de vos mœurs cette fenfibili-
té , tandis que Dieu vous la lailTe encore,
5^. Remontez à la fource de ces frayeurs
cxcefTives, qui vous rendent l'image ôC la
' penfée de la mort fi terrible ; vous la UOU'
Rr 2.
476 y^naly/es des Sermons-»,
verez furtout dans les embarras d'une cont
cience criminelle. Ce n'eft pas la mort^.
que vous craignez , c'eft la juftice de Dieu.
qui vous attend au-delà : purifiez donc vo-
tre confcience , alors vous verrez arriver
ce dernier moment avec moins de crainte
& de faififTement. En effet , qu'a la mort
d'effrayant pour une ame jufte ? elle ne lui
ôte que des chofes dont l'ufage eft envi-
ronné de plaifirs fouvent criminels , ôC
quelle ne pouvoit conferver long-tems ,.
éc elle lui rend des biens immuables , SC.
des plaifirs éternels, quelle goûtera fans
crainte 5c fans remords. Auiîi la mort eft,
îe point de viie ÔC la feule confolation qui
foutient la fidélité des Juftes : arrivés à.
cet heureux moment , ils voyent fans re-
gret périr un monde qui ne leur avoit
jamais paru qu'un amas de fumée ,&: qu'ils
n'avoient jamiais aimé.
LE FEND. DE LA IF. SEMAINE..
Homélie, fur V Evangile de Laiare..
DIVISION. Trois. Réflexions renferme-
ront toute Œijloire de notre Evangde^
I. Combien ufl affreux & déplorable l et at^
d'une ame qui vit dans Vkabitude du dèj or-
dre. II. ?ar quels moyens elle en peut for tir..
III. Quels font les motifs qui déterminent^
JesuS-ChRIST k opérer h rruracle de j^
réfurreâiQn 6 i^ A délinansi^^
'yfnatyfes des Sermons. 477
I. Réflexion. Combien ejl affreux &
déplorable fétat dune ami qui vit dans
r habitude du défordre»
1°. Lazare devenu déjà un amas de vers
& de pourriture , répand rinfe(^ion 5c la
puanteur : Jam fœtet ; &. voilà la profonde
corruption d'une ame dans le péché d'ha-
bitude. Car il n'eft pas d'image plus natu-
relle d'une ame qui croupit dans ledéfor-
dre , que celle d\in cadavre déjà en proie
aux vers ÔC à la pourriture. Or la mort
produit deux effets fur le corps ou elle
s'attache : elle le prive de la vie; elle ahére
enfuite tous fes traits , 8c corrompt toiis fes
membres. Elle le prive de la vie ; &: c'eft
par- là que le péché commence à défigurer
la beauté de l'ame : car Dieu eft la vie de
nos âmes , la lumière de nos efprits , le
mouvement, pour ainfi dire, de nos cœurs;,
cr, par un feul péché , cette vie , ceffe j.
cette lumière s'éteint , cet efprit fe retire,
tous ces mouvemens font fufpendus-.
Ainfi l'ame fans Dieu , eft une ame fans
vie : mais l'habitude du péché , qui eft une
mort invétérée ,. va. plus loin. Lazare ré-
pend rinfeftion dans le tombeau ,. parce
qu'il y eft depuis quatre jours : Jam fœtet ^.
quatriduanus eft enim. Le premier péché
en nous faifant perdre la grâce , nous lailTe
à la vérité fans vie aux yeux de Dieu ; on
peut dire néanmoins qu'il nous refte encore
certaines femences de vie fpirituelle , cer-
toines facilités à recouvrer la grâce perduer
aaaiî àmefur.e ^iierame gerJÈvére- daos îg.
47? Analyfcs des Sermonf,
crime , tout s'éteint, tout fe corrompt Qti
elle , la corruption devient univerfelle ÔC
change en un fpedacle d'horreur ÔC les
dons de la grâce , &C les dons de la nature.
Mais comme un cadavre ne fauroit être
long-tems caché , fans qu'une odeur de
mort fe répande à l'entour , on ne peut
croupir long-tems dans le défordre fans
que l'odeur d'une mauvaife vie ne fe faile
bientôt fentir : ainfi la corruption ne fe
borne pas au pécheur tout feul : or fes ex-
cès venant à être connus , fervent de mo-
dèle en mille lieux , & le fpe£i:acle de fes
mœurs ralTure peut-être en fecret , des
confciences que le crime troubloit encore,
Nous ajoutons, il nous l'olions , que la
corruption que l'habitude du crime met
dans tout l'intérieur du pécheur efl fi uni'
verfellc, qu'elle infede fon corps même.
2"^. Un voile lugubre couvre les yeux ÔC
le vifage de Lazare : Et faciès ejus fudario
erat ligata ; Sc voilà l'aveuglement funefte
d'une ame dans le péché d'habitude. J'a-
voue que tout péché eft une erreur qui nous
fuit prendre les faux biens pour le bien véri-
table ; cependant une première chiite n'é-
teint pas tout-à-fait nos lumières : mais à
mefure que le péché dégénère en habitude^
la lumière de Dieu fe retire , les ténèbres
croilTent, Sc arrive enfin la nuit profonde ,
&. l'aveuglement entier; alors tout devient
une Qccafion d'erreur à l'ame criminelle ,
parce que tout change de face à fes yeux^
j*^. Lazare paroit dans le lambeau ^ les
Analyfes êes Sermons. 479
mains & les pieds liés : Ligatus peies &
manus injlltis ; & voilà la trifte fervitude
d'une ame dans le péché d'habitude. Le
inonde a beau décrier la vie chrétienne
comme une vie d'affujettiffement 6c de
fervitude , le régne de la juftice eft un
régne de liberté ; parce quel'ame fidèle ôC
foumife à Dieu devient indépendante , SC
même maîtrefle de toutes les créatures : le
pécheur , au contraire , quoiqu'il paroiÏÏe
vivre fans joug ÔC fans régie , n'ell pour*,
tant qu'un vil efclave, dépendant de tout,
de fon corps , de fes paillons , de fes biens,
de (^s amis , de fes ennemis>&Cc. D'abord,
la paiTion ménage encore , pour ainfi dire,
la liberté du cœur ; mais dès qu'une fois
elle fe fent maîtreiTe, combien nous fait-
elle fentir tout le poids 6c toute l'amertume
de notre fervitude : fervitude honteufe par
rafTujettiiTement de l'ame déréglée aux
fens , par l'indignité des démarches que la
force de la pallion obtient d'elle ; par le
facrifice des devoirs les plus importans à
la palTion injufte ; par l'avililTement &. le
mépris public qu'attire toujours une vie
déréglée , ÔCc.
On fe plaint quelquefois des rigueurs
de la vertu , ÔC l'ont craint la vie chré-
tienne comme une vie d'alfujettillement ôC
de triflelTe ; mais on conviendrait qu'il ne
s'y trouve rien de fi trifte que ce que l'on
éprouve dans le dcfordre , d l'an ofoit fe
plaindre de l'am rtumQ SC dek tyrannie
de fës pâiliQn^
4^0 y^naïyfes des Sermons.
II. Réflexion. Far quels moyens Camt
peuc fortir de l'habitude au defordre.
Le premier moyen , c'ell la confiance en
Jes us-Christ. Si vous avu{ été ici , dit
une des Sœurs de Lazare au Sauveur, mon
frère ru fer oit pas rrtort ; mais Je Jais que
tout ce que vous demander s^ à Dieu , Dieu
^^ous ^accordera» AuiTi rillufîion dont le
démon fe fert tous les jours , pour rendre
inutiles nos déilrs de converiion , c'eft de
Dous jetter dans la déiîan-ce 6c le découra-
gement : 8c là-delTus on s'al>andanne à la.
pareile 6c à l'indolence ; 5c après avoir ir-
rité la JLîftic^ de Dieu par nos égaremens,
nous outrageons fa miféricorde par l'excès
de notre défiance. Ce n'eft pas que je pré-
tende qu'il n'en coûte à une ame depuis
long-tem-s morte dans le péchi, pour re-
venir à Dieu : mais je dis que fcs miféres
doivent augmenter fa compond^ion , 6C
non pas fon découragement; ÔC que la pre-
mière démarche de fa pénitence doit être
d'adorer Jefiîs-Chrill: comme la rèfurrec
tion & la vie , avec une confiance le-
erette que nos miféres font toujours moin^
dres que fes miiericordes. En effet , queliie-
que puiiTc être l'horreur de vos crimes paf-
fés , il eft à croire que le Seigneur n'eil pas
éloigné de vous faire grâce, dès qu'il vous
infpire le défir ÔC la rt^folution de la de-
mander : c'eftdonc à tort que l'état de vo-
tre confcience vous décourage, 6c que vous^
V0U5 perfuadez qaec'eft fait de vous fans
îeilource. Je vous répouàs coisme îa-inejre:
Analyses des SermonS' 45^
de Samfon à fon mari : Si le Seigneur voij.
loit vous perdre , il ne feroit pas defcen-
dre le feu du ciel fur votre cœur : s'il vou-
loit vous laiffer mourir dans l'aveuglement
de vos paffious , il ne vous montreroit pas
les vérités du falut : il ne vous les mettroit
pas dans un jour qui vous éclaire 6c qui vous
trouble. Dieu veut toujours le falut de fa
créature ; dès que nous voulons retourner
a lui , ne nous défions que de notre volonté.
D'ailleurs , 8c ceci doit bien nous ralTu-
rer; que favez-vous fi Jefus-Chrift n'a
pas permis que vous tombaflîez dans cet
état déplorable , pour faire du prodige de
votre converiion un attrait pour la con ver-
lion de vos frères , & pour manifefter fa
gloire.
Second Moyen. L'éloignement des occa-'
«ions qui mettent un obftacle invincible à
notre refurredion & à notre délivrance ;
obftacles figures par la pierre qui fermoit
1 entrée du tombeau de Lazare.. & que Je-
fus - Chnft commande qu'^n Ôte avant
de le reTufciter : ToIHh UpO..^.
Et voila pourquoi i^^ deVécheurspaf-
fent tnftement leur vie à âétefler leurs
Chaînes . 8c a ne pouvoir parvenir à lés
romore ; c eft qu en prenant des mefureî
de diangement , ds ne prenn^^ pas de ces
tnefures qui éloignent les pénis par l'éloi-
gnement des occafions : c'etf une erreur de
croire que le cœur puiffe cAanger , tandis
que tout ce qui l'environne eleii'core à
°°2 '^"■'^i' '"^'""- C'eft donc une pu?
4Sz Analyfes des Sermons»
re illufîon de venir nous dire que vous ne
manquez pas de bonne volonté , mais que
le moment n'eft pas encore venu. Com-
ment peut-il venir au milieu de tout ce qui
l'éloigné ? &. quelle eft cette bonne volon-
té renfermée au-dedans de vous qui ne
conduit jamais à rien de réel , 5c à aucune
démarche férieufe de changement ? c'eft-
à dire , que vous voudriez changer fans
qu'il vous en coûtât rien. Conf.mencez par
éloigner toutes ces occafîons fatales à vo-
tre innocence ; ôtez la pierre qui ferme
à la grâce l'entrée de votre cœur ; après
cela vous aurez droit de demander à Dieu
qu'il achevé en vous fon ouvrage.
Troifièmc & dernier Moyen. Le mmilte.
re de l'Egiife qui délie nos liens ; moyen
marqué dans l'Evangile par ces paroles
que le Sauveur addreffe à fes Apôtres :
Solvite &Jinïu abire \ déliez-le , & le lail-
fez aller.
Il n'eft pas queftion ici de vous appren-
dre que la rémiffion de nos crimes ne nous
eft accordée que par le miniftère de 1 fc.-
glife : vous ne l'ignorez pas. Ce que je dis,
c'eft que comme Jefus - Chrift n ordon-
na à fes Difciples de délier Lazare qu a-
près qu'il fut forti entièrement du tom-
beau , de même le pécheur d'habitude ne
doit efpérer £^'être c}éli^ qu'en te^montrant
tout entic>r hors du tombeau de les delor-
dres : iiliut une manifeftation universelle
qui remonte iufqu'aux commencemens de
fa vie , £ans compter fur les SacremenJ
^ Analyfes des Sermons, 4Î3
qu il a reçus 5c qu'il doit mettre au nom-
bre de {qs crimes : Premièrement parce
que n'ayant pas eu de douleur véritable
«e fes fautes, les remèdes de rEglife , loin
ae le purifier , ont achevé de le fouiller.
Secondement , parce que ne s'étant pas
connu , il n'a pu fe faire connoître. Troi-
sièmement , parce que quand même il fe
jeroit connu , comme il n'y a que la dou-
leur qui fâche s'expliquer comme il faut ,
jamais il ne s'eft fait connoître , s'iTn'a ja-
mais eu de douleur véritable. Et c'eil en
vain qu'il allégueroit les difficultés d'une
telle démarche pour s'en difpen fer: les dif-
ficultés nous rebutent-elles jamais , iorf-
qu'il s'agit d'èclaircir nos affaires ?
III. Re FLEXION. Quels font les mo^
tifs qui déterminent Jefus-Chrijî à opérer
le miracle de fa réfurrcâion & de fa dé^
livrance.
Le premier Motif que le Seigneur paroît
Xe.propofer dans la réfurrection dp Laza-
re , e'eft de.confoler les larmôs .'k de ré-
compenfer les prières ÔC la piété de fes
deux fœurs : & voilà auffi le premier ma-
tif qui détermine Jbuvent Jefus - Chrifè
à opérer la converWn d'un grand pécheur;
les larmes 5c les prières des âmes Jude^
qui la demandent. Comme tout fe fait pour
les Juftes dans l'Eglife , dit l'Apôtre , on
peut dire aufîi que tout fe fait par eux :
c'elt donc une efpèrance de couveriion
pour les plus grands pécheurs que de re.
chercher la fociété des gens de bien , elH<
Ss h
4^4 Analyjes des Sermons*
mer leur confiance, & les intérefler à leur
falut. Il femble que notre cœur fe lafle
déjà de fes paflîons , dès que nous nous
plaifons avec ceux qui les condamnent. Et
vous qui autrefois, comme peut-être Ma-
rie , étiez efclaves du monde , 6c qui depuis
touchés de la grâce, ne bougez plus com-
me elle des pieds du Sauveur , que défor-
mais un àQs plus importans devoirs de vo-
tre nouvelle vie , foit de demander conti-
nuellement à Jefus - Chrift la réfurrec-
tion de vos Frères , ftc de lui dire, comme
elle : Seigneur , celui que vous aimei ejl
malade, mais que les pécheurs , d'un autre
côté , ne comptent pas {[ fort fur les priè-
res des gens de bien , qu'ils attendent d'el-
les feules le changement de leur cœur , ôC
le don de la pénitence ; ce feroit une pure
îllufion : les prières des gens de bien ren-
dent le Seigneur plus attentif à nos befoins
mais non pas plus indulgent pour nos cri-
mes.
Le fécond motif. C*eft de ranimer la tié-
deur & la lâcheté des Juiles , comme Je-
fus-Chrift en relTufcitant Lazare , voulut
réveiller la foi de fes Difciples encore foi-
ble & languilfante. (^udeo propter 'Vos ,
leur dit-il , ut credati^ En effet , il opère
des converfions foudaines ÔC furprenantes
aux yeux de ceux qui marchent depuis long-
tems dans fes voies , pour confondre par
la ferveur 5c par le zèle de ces âmes de-
puis peu reffufcitées , leur tiédeur ôc leur
indolence.
Analyfcs des Sermons* 4^5
Troifième motif La juftice divine y mé-
nage pour certains pécheurs , comme pour
ces Juifs incrédules qui furent témoins de
la réfurreftion de Lazare , une nouvelle
occafion d'endurciffement & d'incrédulité.
Et c'eft-là en effet le feul fruit que la plu-
part des gens du monde retirent d'ordinaire
de la converfion , 6C de la réfurreftion fpi-
rituelle des grands pécheurs ; ils ne font
que s'endurcir davantage dans le mal.
Avant que la miféricorde de Jefus-Chrift
eût jette fur une ame criminelle des re-
gards de la grâce 6c de falut,ils paroilfoient
touchés de fes égaremens ôc de fon igno-
minie ; mais à peine la grâce de Jefus-
Chrift l'a rappellée à la vie ; ils devien-
nent les cenfeurs de fa piété même , ÔC ils
trouvent dans les miracles même de la grâ-
ce fi capables d'ouvrir les yeux , un nou-
veau motif d'aveuglement ÔC d'incrédulité.
Fin des Analyfes*
De l'Imprimerie de C. F. Simon , Fils . împrimeu
de la Reine , & de Mgr, l'Archevêque. 1769,
I