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Full text of "Sermons de M. Massillon, évéque de Clermont : carême"

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f 


^~7PlM*-rt^/<:j^*^  yéC  yU  XA^  ^^ 


SERMONS 

D  E 

Mo  MASSILLON-, 

E V  É  QU  E 

BE    CLERMONT, 

Ci' devant  Prêtre  de  t Oratoire  , 

VUN     DES    (lUARANTE     DE     l'ACADÉMII 

Françoise. 


•■■ 

C  A  R  £  M  E. 
TOME    TROISIÈME 

ssz 

4^ 

A   PARIS,   RUE  5.  JACdUESy 

EUVE  ESTIENNE  &  FiLS  ,  à  la  Vc 
E   T 

Hérissant  ,  à  S.  Paul  &  à  S.  Hilaîr»; 


C  LA  Veuve  Estienne  &  Fils  ,  à  la  Vertu; 
Cbez  C  et 

C  Jean 


M.    DCC.    LX  IX. 
Av4Ç   Approbation   &   PriviUgi    du   Rçi» 


SERMONS 

CONTENUS    DANS    CE    TROISIÈME. 
VOLUME. 

POuR   le  Jeudi  de  la  IIL  Semaine 
de  Carême  ,  Sur  V incertitude  de  la. 
juftice  dans  la  Tiédeur  ,  Page  i 

Pour  le  même  jour ,  Sur  la  certitude  d'une 
chute  dans  la  Tiédeur.  3  S 

Pour  le  Vendredi  de  la  IIL  Semaine ,  La 
Samaritaine»  7^ 

Pour  le  IV.  Dimanche  de  Carême ,  Sut 
V  Aumône.  lii 

Pour  le  Lundi  de  la  IV.  Semaine ,  Sur 
la  Médifance.  idi 

Pour  le  Mardi  de  la  IV.  Semaine ,  Des 
Doutes  fur  la  Religion,  208 

Pour  le  Mercredi  de  la  IV.  Semaine,  Sur 
tinjufiice  du  monde  enyers  les  gens  de 
iien  >  251 

Pour  le  Jeudi  de  la  IV,  Semaine ,  Sur 
h  mon.  298 


Pour  le  Vendredi  de  la  IV.  Semaine  ; 
Homélie  Sur  r Evangile  de  Laiare  ,     336 

Pour  le  même  Jour  ,   Sur  Us  Fautes  lé- 
gères. 383 


;^VX4 


<:^l£0'^ 


SERMON 


SERMON 

POUR    LE    JEUDI 

DE  LA  TROISIEME  SEMAINE 


DE  CAREME. 

^Sur  i* incertitude  de  laju/lice  dans  la  tiédeur^ 

Surgens  Jefus  de  Syiiagoga ,  iiitroivitin. 
domum  Simonis  ;  focrus  autem  Simoai» 
tenebatiir  magnis  febribus. 

Jefiis  étant  forti  de  la  Synagogue  ,  enîra^ 
dans  la  maifcn  de  Simon ,  dont  la  hslle-mere 
éiyoit  une  grojje  fiéyre,  Luc.  4  38. 

I E  N  ne  repréfente  plus  au 
naturel  l'état  d'une  ame  tiède 
ÔC  languiflante ,  que  l'état  d'in- 
firmité ,  eu  l'Evangile  nf.us 
dépeint  aujourd'hui  la  belle- 
Uiere  de  Saint  Pierre.  On  peut  dire  que  la 
Carèmç  ^  Tome  IIL  A 


2  Jeudi  de  la  III.  Semaine/ 
tiédeur  6c  rindolence  dans  les  voies  de 
Dieu  , ""accompagnée  (Time  vie'  d'ailleurs 
exempte  de  grands  crimes ,  efl  une  forte  de 
£évre  fccrcîte  ÔC  dangereufe,  qui  mine  peu 
à  peu  les  forces  de  Tame,  qui  altère  toutes 
fes  bonnes  difpofitions ,  qui  affoiblit  toutes 
fes  facultés,  qui  corrompt infenfiblement 
tout  l'intérieur,  qui  change  fes  goûts  5cfes 
'f)enchans ,  qtii  répand  une  amertume  uni- 
veifelle  fur  tolis  les  devoirs ,  qui  la  dégoûtô 
de  tout  bien  ,  6c  de  toute  nourriture  fainte 
ti  utile  ,  qui  confume  de  jour  en  jour  fa 
vie  Se  fa  fubUance  ,  5c  finit  enfin  par  un© 
cxtindion  entière  ,  5c  une  mort  inévitable. 

Cette  langueur  de  l'ame  dans  les  voie» 
dufalut,eft  d'autant  plusdangereufe  qu'elle 
eftmoinsapperçuë.L-'exemtiondudéfordre 
dans  cet  état  d'infidélité  nous  railure  :  la 
régularité  extérieure  de  la  conduite,  qui - 
nous  attire  de  la  part  des  hommes  tous  les 
•éloges  dûs  à  la  vertu  ,  nous  flâte  :  le  paral- 
lèle fecret  que  nous  faifons  de  nos  mœurs- 
avec  les  déréglemens  de  Ces  pécheurs  dé- 
clarés que  le  monde  6c  les  pafiions  entraî- 
nent ,  achève  de  nous  aveugler  ;  6C  nous 
regardons  notre  état,comme  un  état  moins 
parfait ,  à  la  vérité  ,  mais  toujours  sûr  pour 
le  falut ,  puifque  la  confcience  ne  nous  y 
reproche  qu'un  fonds  de  pareffe  ,  de  négli- 
gence dans  nos  devoirs,  d'immortification, 
d'amour  de  nous-mêm.es,  6c  des  infidélités 
légères  qui  ne  donnent  pas  la  mort  à  l'amiC» 

Cependant,puîfque  les  Livres  faintsnous 
repréîenteiit  comme  ésaiementrejettéesde 


Sur  là  Tiédeur;  y 

Dîelt ,  8c  lame  adultère  ÔC  Tame  tiède  ,  Sc 
qu'ils  prononcent  le  même  anathême  ,  &C 
contre  celui  qui  méprife  l'œuvre  de  Dieu  , 
ÔC  contre  celui  qui  la  fait  avec  négligence; 
il  faut  que  l'état  de  tiédeur  dans  les  voies 
de  Dieu  ,  foit  un  état  fort  douteux  pour  le 
falut ,  5c  par  les  difpofitions  préfentes  qu'il 
met  dans  l'ame  ,  &  par  celles  où  tôt  ou 
tard  il  ne  manque  pas  de  la  conduire. 

Je  dis  ,  premièrement  ,  par  les  difpofî- 
tions  préfentes  qu'il  niet  dans  l'ame  ;  fa» 
voir ,  un  fonds  d'indolence  ^  d'amour  de 
foi-même  ,  de  dégoût  de  la  vertu  ,  d'infî- 
, délité  à  la  grâce,  de  mépris  délibéré  de 
tout  ce  qu'on  ne  croit  pas  elTentiel  dans  les 
devoirs  :  difpofitions  qui  forment  un  état 
fort  douteux  pour  le  falut. 

Secondement,  par  celles  où  la  tiédeur 
nous  conduit  tôt  ou  tard  ,  qui  font  l'oubli 
de  Dieu ,  ÔC  une  chute  groiîiére  6c  dé- 
clarée. 

C'eft-à-dire ,  que  je  me  propofe  d'établir 
deux  vérités  capitales  en  cette  matière ,  qui 
font  fentir  tout  le  danger  d*une  vie  tiède  ÔC 
infidèle ,  ÔC  qui ,  par  leur  importance,  nous 
fourniront  le  fujet  de  deuxdifcours  difFè- 
rcns.  La  première,  c'eft  qu'il  eft  fort  dou- 
teux que  l'ame  tiède  confervedans  cet  état 
habituel  de  tiédeur  ,  la  grâce  fanftiiiante  , 
êc  la  juftice  qu'elle  croit  conferver  ,  6C 
fur  laquelle  elle  fe  raffure.  La  féconde  , 
c'eft  que  quand  même  il  feroit  moins  dou- 
teux fi  elle  conferve  encore  devant  Dieil 
ia  grâce  faii£iifiante  ,  ou  fi  elle  l'a  perdue. 


I .  Joan 


4        Jeudi  de  la  III.  Semaine. 

il  eft  certain  du  moins  qu'elle  ne  fauroit 

la  conferver  long-tems. 

L'incertitude  de  la  juftice  dans  la  tié- 
deur :  cette  première  vérité  fera  le  fujet  de 
ce  difcours. 

La  certitude  de  la  chute  dans  la  tiédeur , 
féconde  vérité  fur  laquelle  je  vous  inilruirai 
dans  le  difcours  fuivant.  Implorons  ,  5Cc» 

ij  i  ^ous  dijivns  que  nous  femmes  fans  /e'- 
ché  y  dit  un  Apôtre,  nous  nous  féduifcns 
nous-mêmes  y  Ô'  la  réritc  ncjî point  en  nous* 
La  vertu  la  plus  pure  n'eft  donc  jamais  ici- 
bas  exemte  de  taches  :  l'homme  ,  plein  de 
ténèbres  &  de  paifions  depuis  le  péché ,  ne 
fauroit  être  toujours,  nifi  attentif  à  l'ordre, 
qu'il  ne  fe  méprenne  quelquefois  ,  6c  ne 
s'en  écarte  ;  ni  ii  touché  des  biens  véritables 
&  invifîbles ,  qu'il  ne  fe  laifFe  quelquefois 
furprendre'par  les  biens  apparens ,  parce 
qu'ils  font  nir  nos  fens  des  imprefTions  vi- 
»es  6c  promptes ,  6c  qu'ils  trouvent  dans 
nos  cœurs  des  penchans  toujours  favora- 
bles à  leurs  dangcreufes  fédudions. 

La  fidélité  que  la  Loi  de  Dieu  exige  des 
âmes  juftes-,  n'exclut  donc  pas  mûlleimper- 
fe£lions  inféparables  de  la  condition  de  no- 
ire nature  ,  &  dont  la  piété  la  plus  attentive 
ne  peutfe  défendre  ;  mais  il  en  eft  de  (XQuyi 
fortes  :  les  unes  qui  échappent  à  la  fragilité, 
qui  font  bien  moins  des  infidélités  que  des 
furprifes ,  où  le  poids  de  la  corruption  a 
plus  de  part  que  le  choix  de  la  volonté  ,5< 
^QUe  le  Seigneur ,  dit  S.  Auguftin  y  laiffe 


Sur  la  Tiédeur:  5 

aux  âmes  les  plus  fidèles,  pour  nourrir  leur 
humilité  ,  pour  exciter  leurs  gémiiTemens,' 
pour  rallumer  leurs  déiirs  ,  le  dégoût  de 
leur  exil ,  &  Tattente  de  leur  délivrance  : 
les  autres  font  celles  qui  nous  plaifent-  que 
nous  nous  juftifions  à  no^is-mêmes,  auf- 
quelles  il  ne  nous  paroit  pas  poffible  de  re- 
noncer ,  que  nous  regardons  comme  des 
adouciiïemens  nécelTaires  à  la  vertu  ,  où 
nous  ne  voyons  rien  de  criminel ,  parce 
que  nous  n'y  voyons  point  de  crime  ,  qui 
entrent  dans  le  pkn  délibéré  de  nos  mœurs 
&  de  notre  conduite  ,  6c  qui  forment  cet 
état  d'indolence  5c  de  tiédeur  dans  les  voies 
de  Dieu  ,  qui  damne  tant  de  perfonnes ,  ÔC 
dans  le  monde  6c  dans  les  cloîtres ,  hqqs 
•d'ailleurs  avec  des  principes  de  vertu,  une 
horreur  du  crime  ,  un  fond  de  Religion  5C 
de  crainte  de  DieUi  ,  ÔC  des  difpofîtions 
heureufes  pour  le  falut. 

Or  ,  je  dis  ,  que  cet  état  de  relâchement 
-6c  d'infidélité;cette  négligence  foutenuë  ÔC 
tranquille  fur  tout  ce  qui  ne  nousparoîtpas 
elTentiel  dans  nos  devoirs  ;  cette  molle  in- 
dulgence pour  tous  nos  penchan?,dès  qu'ils 
ne  nous  offrent  point  de  crime  ;  en  un  mot, 
cette  vie  toute  naturelle  ,  toute  d'humeur, 
de  tempérament ,  d'amour  propre,  û  com- 
;niune  parmi  ceux  qui  fontprofelTîon  publi- 
que de  piété  ,  fi  sûre  en  apparence  ,îi  glo- 
rieufe  même  devant  les  hommes ,  &  à  la- 
quelle l'erreur  générale  attache  le  nom  de 
vertu  ôc  de  régularité  ;  je  dis  que  cet  état 
•«ft  un  état  fort  douteux  pour  le  falut ,  qu'il 

A3 


^        Jeudi  de  la  ÏII.  SEMAmg. 
prend  fa  foiirce  dans  un  cœur  déréglé,  où 
l'Efprit  Saint  ne  domino^lus  ,  Sc  que  toutes 
les  régies  de  la  foi  nous  conduifent  à  penfer, 
qu'une  ame  de  ce  caraé^ère  eft  déyk  déchue 
fans  le  favoir ,  de  la  grâce  ôc  de  la  juitice 
qu'elle  croit  conferver  encore  :  Première- 
ment ,  parce  que  le  défir  de  la  perfeâ:ion  , 
eflentiel  à  la  piété  chrétienne  ,  eft  éteint 
dans  Ton  cœur.   Secondement ,  parce  que 
les  régies  de  la  foi ,  qui  diftinguent  le  crir 
me  de  la  (impie  ollcnfe  ,  toujours  prefque 
fort  incertaines  à  l'égard  des  autres  pé- 
cheurs ,  le  font  infiniment  plus  envers  l'ame 
tiède  5c  infidèle.  Troiiiémement ,  enfin  , 
parce  que  de  toutes  les  marques  d'une  cha* 
rité  vivante  ÔC  habituelle ,  il  n'en  efl  plus 
aucune  qui  paroilTe  en  elle.  Suivons  ces  vé- 
rités ;  elles  foat  dignes  de  votre  attention. 
Toute  ame  chrétienne  cd  obligée  de  ten- 
dre à  la  perfedlion  de  Ton  état.  Je  dis  obli- 
gée :  car  quoique  le  degré  de  perfe£^ion 
ne  foit  pas  renfermé  dans  le  précepte  ;  ten- 
dre à  la  perfection  ,  travailler  à  la  perfec- 
tion ,  eft  néanmoins  un  commandement  5C 
un  devoir  efTentiel  pour  toute  ame  fidèle. 
.Soyez  parfaits  ,  dit   Jefus-Chrill:  ,  parce 
que  le  Père  célefte  que  vous  fervez  ,  eft 
parfait.  Je  ne  vois  qu'un  feul  point  d'efTen- 
'tiel,  difoit  S.  Paul;  c'eft  d'oublier  tout  ce 
-que  j'ai  fait  jufqu'ici  ;6c  qu'oublioit-il ,  mes 
'Frères  ?  fes  travaux  infinis ,  fes  fouffrances 
continuelles ,  fes  courfes  apoftoliques,  tant 
de  Peuples  convertis  à  la  Foi,tant  d'F>glifes 
illuûres  fondées  ,  tant  de  révéiatiaxis  ôC  dd 


SuRLATiEDEUR'  jr 

prodiges  :  &.  d'avancer  fans  celTe  vers  ce 
qui  me  refte  de  chemin,  à  faire.  Le  déiirde 
la  perre£èion ,  les  efforts  continuels  pour  y 
parvenir  ,  les  faintes  inquiétudes  fur  les 
obftacles  innombrables  qui  nous  arrêtent 
fur  notre  route  ,  non-feulement  ne  renfer- 
ment donc  pas  un  fimple  confeii ,  Sc  une 
pratique  réiervée  aux  cloîtres  6c  aux  dé- 
îerts  ;  mais  ils  forment  fétat  eifentiel  du 
Chrétien  ,  ôc  la  vie  de  la  foi  fur  la  terre. 
Car  la  vie  de  la  foi  dont  le  Jufte  vit , 
if  cil  qu'un  défirnon  interrompu  que  le  ré- 
gne de  Dieu  s'accomplilfc  dans  notre  cœur, 
un  faint  emprelfement  de  former  en  nous  la 
reifemblance  parfaite  deJefus-Chriftj&de 
croître  jufqu'à  la  plénitude  de  l'homme 
nouveau  ;  un  gémiirementcoatinuel, excité 
par  le  fçntiment  intérieur  de  nos  propres 
miféres ,  5c  par  ce  poids  de  corruption  qui 
appefantit  notre  ame  ,  &:  lui  fait  encore 
porter  tant  de  traits  de  l'homme  tcrreftre  ; 
im  combat  journalier  entre  la  loi  de  îefprit , 
qui  voudroit  fans  cefTe  nous  élever  au-def- 
fus  de  nos  affections  fenfuellcs  ;  &  la  loi  de 
la  chair,  qui  fans  cefie  nous  rt^n  traîne  y  erj 
nous-mêmes  :  voilà  l'état  de  la  foi  &  de  l^i 
juftice  chrétienne.  Qui  que  vous  foyez  ^, 
Grand  ,  Peuple  ,  Prince  ,  Sujet,  Solitaire  ^ 
Courtifan,  voilà  la  perfeôion  où  vous  êtes 
appelle  :  voilà  le  fonds  6c  l'efprit  de  votre 
vocation.  On  ne  demande  pas  de  vous 
Tauftérité  des  Anachorètes ,  le  fiîence  ÔC  la 
folitude  des  déferts ,  la  pauvreté  des  cloî- 
tres j  ruais  ou  demande  que  vous  travailliez 

A4 


-8  Jeudi  de  la  III.  Semaine. 
chaque  jour  à  reprimer  les  défîrs  qui  s'op- 
paient  en  vous  à  la*  Loi  de  Dieu  ,  à  morti- 
iîer  ces  penchans  rebelles  qui  ont  tant  de 
peine  à  plier  fous  le  devoir  &  fous  la  régie; 
en  un  mot ,  à  avancer  votre  parfaite  con- 
form.ité  avec  Jefus-Chrift  :  voilà  la  me- 
fure  de  perfeâ:ion  où  la  grâce  chrétienne 
vous  appelle,  ÔC  le  devoir  le  plus  effentiel 
à  Tame  jufte. 

Or  dès-là  que  vous  vous  prêtez  à  tous 
T'os  penchans ,  pourvu  qu'ils  n'aillent  pas 
jufqu'à  rinfraélion  vifible  &  grofliére  du 
précepte  ;  dès  que  vous  vous  bornez  à  l'ef-. 
ientiei  de  la  Loi  ,  que  vous  vous  faites 
comme  un  plan  &.  un  état  de  la  tiédeur  ô€ 
de  la  négligence  ,  que  de  propos  délibéré 
vous  ne  voulez  pas  pouffer  plus  loin  votre 
fidélité  ;  que  vous  dites  vous-même  ,  que 
Vous  ne  iauriez  foutenir  une  vie  plus  re- 
cueillie cZ  plus  exacte  ;  dès-là  vous  renon- 
cez au  déiir  de  votre  perfection  :  vous  ne 
vous  propofez  plus  d'avancer  fans  celli 
pour  atteindre  à  ce  point  de  juftice  ÔC  de 
fainteté  où  Dieu  vous  appelle  ,  6c  où  fa 
grâce  ne  celle  de  vous  poulTer  en  fecret  : 
vous  ne  gémifl'ez  plus  fur  ces  miféres  6c  ces 
foibielTes  qui  vous  retardent  fur  votre  route: 
vous  ne  fouhaitez  plus  que  le  régne  de 
Dieu  s'accompliiTe  dans  votre  cœur.  Donc 
dès-là  vous  abandonnez  le  grand  ouvrage 
delà  fainteté,  auquel  il  vous  eft  ordonné 
de  travailler  :  vous  négligez  le  foin  de  vo- 
tre ame  ;  vous  n'entrez  pas  dans  les  def- 
fciiis  de  la  grâce ,  vous  eu  arrêtez  les  fainr 


Sur  LA  Tiédeur.  ^  ^ 
tes  împrefTions  ;  vous  n'êtes  plus  Chrétien  : 
c'ell-à-dire  ,  que  cette  difpofitioii  toute 
feule  ,  ce  deiTein  formel  de  fe  borner  à 
rellentiel  ,  6c  de  regarder  tout  le  refte 
comme  des  excès  louables  ôc  des  œuvres 
de  furcroit  ,  eil  un  état  de  mort  5c  de  pé- 
ché ,  puifque  c'eft  un  mépris  déclaré  de  ce 
grand  commandement  qui  nous  oblige 
d'être  parfaits ,  c'eft-à-dire  ,  de  travailler 
à  le  devenir. 

Cependant  ,  quand  nous  venons  vous 
inflruire  furlaperfe6^ion  chrétienne  ,  vous 
la  regardez  comme  le  partage  des  cloîtres 
5C  des  folitudes,  &:  à  peine  écoutez-vous 
là-deiïïis  nos  inftruèlions.  Vous  vous  trom- 
pez ,  mes  Frères  :  les  âmes  retirées  em- 
brafîent  à  la  vérité  certains  moyens  de  pur 
confeil ,  des  jeûnes  ,  des  auftérités  ,  des 
veilles  pour  parvenir  à  la  mortification  des 
pallions  ,  à  laquelle  nous  Tommes  tous  ap- 
pelles :  elles  s'engagent  à  une  perfeâ:ion  de 
moyens  qui  neit  pas  de  notre  état ,  je  l'a- 
voue ;  mais  la  perfection  de  la  fin  où  ces 
moyens  conduifent ,  qui  eft  le  règlement 
des  a{Te£i:ions  ,  le  mépris  du  monde  ,  le 
détachement  de  nous-mêmes  ,  la  foumûf- 
iiondes  fens  5c  de  la  chair  à  TeTprit  ,  le 
renouvellement  du  cœur ,  eft  la  perfeâ:ion 
de  tous  les  états ,  l'engagement  de  tous  leg 
Chrétiens ,  le  vœu  de  notre  Batême  :  donc , 
renoncer  à  cette  perfeâ:ion  ,  en  fe  bornant 
par  choix  ÔC  par  état  à  une  vie  douce  , 
tranquille  ,  fenfuelle,  mondaine  ,  exempte 
feukmejat  de  chute  groffiére  ,  c'ell  renon- 


lo     Jeudi  de  la  ÎII.  Semaine.' 

cer  à  la  vocation  chrétienne  ,  OC  changer 
la  grâce  de  la  foi ,  qui  nous  a  fait  membres 
de  Jefus-Chrift  ,  eu  une  indigne  parelTe, 
Première  rai  Ton. 

Mjis  quand  cet  état  de  tiédeur  ne  feroit 
pas  il  doutei.ix  pour  le  l'alut ,  par  rapport 
au  défir  de  ia  perfection  ,  elïentiel  à  la  vie 
chrétienne ,  ÔC  qui  cil  éteint  dans  l'ame  tiè- 
de 5C  infidèle  ,  il  le  feroit  par  Timpuillance 
où  il  nous  laiile  ,  6c  où  il  la  met  elle-mê- 
me ,  de  difccrner  dans  fa  conduite,  les 
infidélités  qui  peuvent  aller  au  crime  ,  de 
celles  qui  demeurent  de  fimples  offenfes. 

Car  ,  quoiqu'il  foit  vrai  que  tous  les 
péchés  ne  font  pas  des  péchés  à  la  mort  , 
comme  dit  Saint  Jean  ,  6c  que  la  morale 
chrétienne  reconnoiile  des  fautes  qui  ne 
font  que  contriiler  en  nous  TEfprit-Saint , 
)6C  d'autres  qui  l'éteignent  tout-à-fait  dans 
rame  :  néanmoins,  les  régies  qu'elle  nous 
fournit  pour  les  difcerner ,  ne  fauroient  être 
toujours  ni  sûres  ni  univerfelles ,  du  mo- 
ment qu'on  les  applique  :  il  s'y  trouve  d'or- 
dinaire  par  rapport  à  nous  des  circonftan- 
ces  qui  leur  font  changer  de  nature.  Je  ne 
parle  pas  ici  des  tranfgrefîions  formelles 
&  manifeiles  des  préceptes  marqu.és  dans 
la  Loi ,  5c  qui  ne  lailfent  aucun  doute  fur 
l'énormité  de  l'ofFenfe  :  je  parle  de  mille 
tranfgrelTions  douteufes  &  journalières  de 
haine  ;  de  jaloufie  ,  de  médifance  ,  de 
fenfualité  ,  de  recherche  de  foi-méme  , 
de  vanité  ,  de  vivacité  ,  de  pareffe  ,  de 
duplicité ,  de  négligence  dans  la  pratic^ue 


Sur  LA  TieDéur.  li 

Ses  devoirs  ,  de  d^fir  de  parvenir  ou  de 
plaire,  où  il  efl  mal-aifé  de  définir  jurqiies 
à  quel  point  le  précepte  eft  violé  ;  or  je 
dis ,  que  c'eil  par  la  difpofition  du  cœur 
toute  feule  ,  qu'on  peut  décider  de  la  me- 
fure  Se  de  la  malice  de  ces  fortes  de  fautes  ; 
que  les  régies  y  font  toujours  incertaines  , 
&  que  fouvent  ce  qui  n'eft  que  fragilité  ou 
furprife  dans  le  Julie  ,  eft  crime  ÔC  cor- 
ruption, non-feulement  dans  le  pécheur, 
mais  aufîi  dans  l'ame  tiède  ÔC  infidèle.  En 
voulez-vous  des  exemples  tirés  des  Livres 
faints  ? 

Saiil  ,  malgré  les  ordres  du  Seigneur, 
épargne  le  Roi  d'Amalec  ,  6c  tout  ce  qu  il 
y  a  de  plus  précieux  dans  la  dépouille  de 
ce  Prince  infidèle,  La  faute  ne  paroît  pas 
confidérable  ;  mais  comme  elle  part  d'un 
fonds  d'orgueil ,  de  relâchement  dans  les 
voies  de  Dieu ,  6c  de  vaine  complaifance 
en  fa  victoire  ,  cette  démarche  commence 
fa  réprobation  ,  5c  l'Efprit  de  Dieu  fe  re- 
tire de  lui.  Jofué  au  contraire  trop  cré- 
dule ,  épargne  les  Gabaonites ,  que  le  Sei- 
gneur lui  avoit  ordonné  d'exterminer  ,  il 
ne  va  pas  le  confulterdevant  l'Arche  avant 
de  faire  alliance  avec  ces  impofteurs. 
Mais  comme  cette  infidélité  eft  plutôt  une 
.précipitation  &  une  furprife  ,  qu'une  défo- 
-béilTance  ,  ÔC  qu'elle  part  d'un  cœur  en- 
core fournis  ,  religieux  ,  fidèle  ,  elle  eft 
légère  aux  yeux  de  Dieu ,  ÔC  le  pardon 
fuit  de  près  la  faute.  Or  fi  ce  principe  eft 
incouteftable ,  fur  qugi  vous  fondez-vous,. 


ïi       Jeudi  de  la  III.  Semaine. 

lorfque  voiis  regardez  vos  infidélités  joill*- 
naliéres  oC  liabituolles  comme  légères  ? 
Connoiirez-vQiis  toute  îa  corruption  clevo- 
tre  cœur  d'où  elles  partent  ?  Dieu  la  con- 
noît,  qui  en  eille  fcriuatev.r  &.  le  juge  ; 
&  fes  yeux  font  bien  différens  de  ceux  da 
rhomme.  Mais  s'il  eft  permis  de  juger  avant 
le  tems  ,  dites-nous  fi  ce  fonds  d'indolence 
6C  d'infidélité  qui  eil  en  vous ,  deperféve- 
rance  volontaire  dans  un  état  qui  déplaît 
à  Dieu  ,  de  mépris  délibéré  de  tous  les 
devoirs  que  vous  ne  croyez  pas  elTentiels, 
d'attentioiî  à  ne  rien  faire  pour  Dieu  que 
lorfqu'il  ouvre  l'enfer  fous  vos  pieds;dites- 
nous  fi  tout  cela  peut  former  à  fes  yeux  un 
état  fort  digne  d'un  cœur  chrétien  ,  5c  fî 
àcs  fautes  qui  partent  d'un  principe  fi  cor- 
rompu peuvent  être  légères  ÔC  dignes  d'in- 
dulgence ? 

Auln  ,  mes  Frères  ,  Paul  cet  homme 
miraculeux  ,  ÔC  à  qui  les  fecrets  du  Ciel 
avoient  été  révélés  ;  Paul  qui  ne  vivoit  plus 
lui-même  ,  mais  en  qui  Jefus-Chrift  tout 
feul  vivoit  ;  Paul  qui  fouhaitoit  tous  les 
jours  la  diilolution  du  corps  terreftre  pour 
être  revêtu  de  l'immortalité  ;  cet  Apôtre 
toujours  prêt  à  donner  fa  vie  pour  Ton 
Maître  ,  &  d'être  im.molé  fur  le  facrifîce 
de  fa  foi  ;  ce  vafe  d'élection  à  qui  la  conf«^ 
cience  ne  reprochoit  rien  ,  ne  favoit  pour- 
tant s'il  étoit  digne  d'amour  ou  de  haine  ; 
s'il  portoit  encore  au  fond  de  fon  cœur  le 
tréfor  inviiible  de  la  charité ,  ou  s'il  Tavoit 
cperdu  i  ôc  dans  ces  triftes  perplexités ,  le 


Sur   la  Tiédeur;       r î- 

^molgnage  de  fa  coiifcience   ne  pouvoit 
calmer  fes  frayeurs  5c  fesincertitiides.  Da- 
vid ,  ce  Roi  i\  pénitent ,  qui  faifoit  fes  dé- 
lices de  la  méditation  continuelle  de  la  Loi 
du  Seigneur  ,  &  que  TEfprit-Saint  appelle 
im  Roi   félon    le  cœur  de  Dieu  ;  David 
tremble  cependant  que  la  malice  de  fes 
fautes  ne  hiifoit  pas  allez  connue  ;  que  la 
corruption  de  fon  cœur  ne  lui  en  cache 
toute  rénormité  :  il  le   figure  des  abîmes 
inconnus  dans  fa  confcience  ,  qui  lui  font 
répandre  un  torrent  de  larmes  devant   la 
fainteté  de  fon  Dieu  ,  5c  demander   qu'il 
l'aide  à  fe  purifier  de  fes  infidélités  cachées 
en  les  lui  îaifant  connoître  :  Et  ab  occultis    pj^^  ^^^ 
meis  manda  me.  Et  vous  qui  ne  veillez  pointas- 
fur  votre  cœur  ,  vous  qui  dans  des  m.œurs 
tiédes   &:  fenfuelles  ,  vous  permettez  tous 
les  jours  de  propos  délibéré  ,  mille  infidé- 
lités, fur  la  malice  defquelles  vous   igno- 
rez le  jugement  que  Dieu  porte.  Vous  qui 
éprouvez   tous  les  jours  ces  mouvemens 
douteux  des  paffions ,  où  malgré  toute  vo- 
tre indulgence  pour  vous-même,  vous  avez 
tant  de  peine  à  démêler  fi  le  conj^entement 
if  a  pas  fu ivi  le  plaifir  ,  6c   û  vous  vous  en 
êtes  tenu  à  ce  degré  périlleux  qui  fépare  le 
crime  de  la  fimple  offenfe  :  vous  dont  tou- 
tes les  aérions  font  prefque  douteu  fes ,  qui 
êtes  toujours  à  vous  demander  à  vous- 
même  fi  vous  n'avez  pas  été  trop  loin  ;  qui 
portez  des  embarras  5c  des  regrets  fur  la 
confcience,  que  vous  n'éclairciilez  jamais 
à  fond  :  vous  qui  flottez  éternçlleineut  en- 


t4      Jeudi  de  la  III.  Semaine;  ^ 

tre  le  crime  6c  les  pures  fautes ,  ÔC  quîtotlt 

au  plus  pouvez  dire  que  vous  n'êtes  jamais 

féparé  que  d'un  petit  degré  de  la  mort  , 

V.  Reg,  imo  tantum  gradu ,  ego  morfquz  divii'imur  : 

JW'  3»  vous  malgré  tant  de  juftes  fujets  de  crain- 
te ;  vous  croiriez  que  l'état  de  votre  conf- 
cience  vous  eft  parfaitement  connu  ;  que 
les  décifions  de  votre  amour  propre  fur  vos 
infidélités ,  font  les  décifions  de  Dieu  mê- 
me ,  6c  que  le  Seigneur  que  vous  fervez 
avec  tant  de  tiédeur  6c  de  négligence  , 
ne  vous  livre  pas  à  vos  propres  erreurs , 
Se  ne  punit  pas  vos  égaremens  en  vous  les 
faifant  méconnoître  ?  vous  croiriez  confer- 
ver  encore  la  juftice  ôcla  grâce  fanâ:ifiante? 
6c  vous  vous  calmeriez  fur  vos  infidélités 
vifibles  5c  habituelles  ,  par  une  prétendue 
habitude  invifible  de  jufiice  ,  dont  vous  ne 
voyez  au- dehors  aucune  marque  ? 

O  homme  !  que  vous  connoiiTez  peu  les 
îllufions  du  cœur  humain,  5C  les  jugemens 
terribles  de  Dieu  fur  les  âmes  qui  vous 
rellemblent  !  Vous  dites  :  je  fuis  riche,  ja 
fuis  comblé  de  biens  ;  (  c'eft  ce  que  le  Sei- 
gneur reprochoit  autrefois  à  une  ame  tiède 
èc  infidèle  ;  ).  ÔC  vous  ne  voyez  pas ,  ajoû- 
toit-il  ,  (  car  le  caractère  de  la  tiédeur  , 
c'eft  l'aveuglement  6c  la  préfomption  :  ) 
vous  ne  voyez  pas  que  vous  êtes  pauvre, 
miférable, aveugle  ,  &  dénué  de  tout  à  mes 
yeux  :  Et  nefcis  quia  tu  es  ml  fer  ,  &  mife^ 

^PQ.'iAj.  rahilis  ,  &  paiiper  ,  &  cœcus  ,  &  nudus^ 
C'efi:  donc  la  oeflinée  d'une  ame  tiède  5C 
infidèle  de  vivre  dans  rillufion, de  fe  croire 


s  UR  LA  Tiédeur.*        î^ 

jiifte  6c  agréable  à  Dieu ,  ^  d'être  déchue 
devant  lui  ,  fans  le  favoir ,  de  la  grâce  ôC 
de  la  juftice. 

Et  une  réflexion  que  je  vous  prie  do 
faire  ici ,  c'efl  que  la  confiance  des  ames 
dont  je  parle  ,  eft  d'autant  plus  mal  fondée, 
qu'il  n'efl  perfonne  qui  foit  moins  en  état 
rie  juger  de  fon  cœur  ,  que  l'ame  tiède  ÔC 
infidèle.  Car  le  pécheur  déclaré  ne  peut 
tfe  difîimuler  à  lui-même  fes  crimes  ,  &C  il 
fenî  bien  qu'il  efl  mort  aux  yeux  de  Dieu; 
le  JuHq  ,  quoiqu'il  ignore  s'il  efl  digne  d'a- 
mour ou  de  haine  ,  porte  du  moins  une 
confcience  qui  ne  lui  reproche  rien  :  mais 
l'am.e  tiède  &  infidèle  efl toujours  un  myf- 
tère  inexplicable  à  elle-même.  Car  la  tié- 
deur affolblillant  en  nous  les  lumières  de 
la  foi,  &  fortifiant  nos  palfions ,  augmente 
nos  ténèbres  ;  chaque  infidélité  efl  comme 
un  nouveau  nuage  répandu  fur  l'efprit  6C 
fur  le  cœur ,  qui  obfcurcit  à  nos  yeux  les 
vérités  du  falut  :  ainfi  votre  cœur  peu  à  peu 
s'enveloppe, votre  confcience  s'embarralfe , 
vos  lumières  s'affoibliilentivous  n'êtes  plu§ 
cet  homme  fpirituel  qui  juge  de  tout.  In- 
fenliblement  vous  vous  faites  en  fecret  des 
maxim^es  qui  diminuent  à  vos  yeux  vos 
propres  fautes  ;  Taveuglem.ent  augtnente  à 
proportion  de  la  tiédeur.  Plus  vous  vous 
relâchez  ,  plus  vous  voyez  d'un  œil  diffé- 
rent les  devoirs  6c  les  régies  :  ce  qui  pa- 
roilToit  autrefois  elfentiel ,  ne  parolt  plus 
qu'un  vain  fcrupule:  les  omifiions  furlef- 
£[uelles  on  aurait  fenti  dans  le  tems  de  la 


id       Jeudi  de  i^a  III.  Semaine.' 
ferveur ,  de  vifs  remords  ,  on  ne  les  re? 
garde  plus  même  comme  des  fautes  :  les 
principes  ,  les  jugemens  ,  les  lumières  ; 
tout  ell  changé. 

Or  ,  dans  cette  fituation  ,  qui  vous  a  dit 
que  vous  ne  vous  trompez  pas  dans  le  ju- 
gement que  vous  portez  fur  la  nature  de 
vos  infidélités,  ÔC  de  vos  chiites  journa- 
lières ?  qui  vous  a  dit ,  que  ce  qui  vous  pa- 
roît  fî  léger  >  l'eft  en  effet,  6>C  que  les  bor- 
nes reculées  que  vous  marquez  au  crime  , 
6c  en  deçà  defquelles  tout  ce  qui  en  ap- 
proche vous  femble  véniel ,  font  en  effet 
les  bornes  de  la  loi  ?  Hélas  !  les  guides 
les  plus  éclairés  eux-mêmes ,  ne  fauroient 
voir  clair  dans  une  confcience  tiède  ÔC  in- 
fidèle :  ce  font-làdeces  maux  de  langueur, 
pour  ainfi  dire  ,  où  l'on  ne  connoît  rien  , 
où  les  Maitres  de  Tart  ne  fauroient  parler 
sûrement ,  ôc  dont  la  caufe  fecrette  eft  tou- 
jours un  énigme.  Vous-même,  dans  cet 
état  de  relâchement,  vous  fentez  bien  que 
vous  portez  fur  le  cœurje  ne  fais  quel  em- 
barras qui  ne  s'éclaircillent  jamais  allez  à. 
votre  gré  :  qu'il  vous  refle  toujours  au 
fond  de  la  confcience  je  ne  fais  quoi  d'inex- 
plicable^ de  fecret,  que  vous  ne  mani- 
feflez  jamais  qu'à  demi.  Ce  ne  font  point 
des  faits  ;  c'eit  l'état  Sc  le  fond  de  votre 
ame  que  vous  ne  faites  point  connoîîre  ; 
vous  fentez  bien  que  la  confefîion  exté- 
rieure de  vos  fautes ,  ne  reflemble  jamais 
bien  à  vos  difpofitions  les  plus  intimes,  6C 
ne  peint  pas  votre  intérieur  tel  qu'il  ell  en, 

effei^ 


SuRLA  Tiédeur.         17 

effet  ;  5c  qu  eiinii  »  il  y  a  toujours  dans 
votre  cœur  quelque  chofc  de  plus  coupa-: 
ble  que  les  infidélités  dont  vous  venez 
vous  accufer. 

Et  en  effet ,  qui  peut  vous  affurer  que 
dans  ces  recherches  fecrettes  &  éternelles 
de  vous-même  ;  dans  cette  molleffe  de 
mœurs  qui  fait  comme  le  fonds  de  votre 
vie  j  dans  cette  attention  à  vous  ménager 
tout  ce  qui  flàte  les  fens  ,  à  éloigner  tout 
ce  qui  vous  gêne ,  à  facrifier  toujours  ce 
qui  ne  paroit  pas  effentieldans  vos  obliga- 
tions à  la  parelTe  5c  à  l'indolence  ;  Tamour 
de  vous-même  n'y  eft  pas  monté  jufqu'à 
ce  point  fatal  ,  qui  fuffit  pour  le  faire  do-% 
miner  dans  un  cceur,  6>C  en  bannir  la  cha- 
rité ?  Qui  pourrait  vous  répondre,  fî  dans 
ces  infidélités  volontaires  èc  fî  fréquentes  , 
où  raffuré  par  leur  prétendue  légèreté  > 
vous  refiliez  à  la  grâce  qui  vous  en  dé- 
tourne en  fecrçt,  vous  étouffez  la  voix  de 
la  confcience  qui  vous  les  reproche  ,  vous 
«igillez  toujours  contre  vos  propres  lu- 
mières ;  fi  ce  mépris  intérieur  de  la  voix 
de  Dieu  ,  Ci  cet  abus  formel  âc  journalier 
des  lumières  5c  des  grâces,  n'cll  pas  un 
outrage  fait  à  la  Bonté  divine  ,  un  mépris 
criminel  de  les  dons ,  une  malice  dans  i'é- 
garement,  qui  n  y  l^^iffe  plus  d^excufe.una 
préférence  donnée  de  propos  délibéré  à 
vos  pçnchans  §C  à  vous-même  fur  Jefus- 
Chrift ,  qui  ne  peut  partir  que  d'un  cœur 
çû  tout  amour  de  Tordre  &C  de  la  juftic^ 
^ft  éteint  l  Qui  pourroit  vous  dire,  lî  dans 

Carême  j  Toiuq  III,  B 


i8  Jeudi  de  la  m.  Semaiîce. 
ces  penfées  ,  où  votre  efprit  oifeiix  a  rap* 
pelle  mille  fois  des  objets  ou  des  évé- 
nemens  périlleux  à  la  pudeur ,  votre  len- 
teur à  les  combattre  n'a  pas  été  criminelle^, 
Se  (i  les  efforts  que  vous  avez  fait  enfuite, 
ji'ont  pas  été  un  artifice  de  l'amour  pro- 
pre ,  qui  a  voulu  après  coup  vous  dégui- 
îer  à  vous-même  votre  crime  ,  5c  vou* 
calmer  fur  la  complaifance  que  vous  leur 
aviez  déjà  accordée  ?  Qui  oferoit  décider 
enfin  ,  fi  dans  ces  antipathies  6c  ces  animo- 
iités  fccrettes,  fur  lefquelles  vous  ne  vous 
gênez  jamais  que  foibîement,  &  toujours 
par  bienféance  plus  que  par  piété  ,  voua 
vous  en  êtes  toujours  tenu  à  ce  pas  glif- 
faut  ,  au-delà  duquel  fe  trouve  la  haine 
2)C  la  mort  de  Tame  ?  fi  dans  cette  fenfibi- 
iité  outrée  qui  accompagne  d'ordinaire 
vos  affligions ,  vos  infirmités ,  vos  pertes,, 
vos  difgraces  ,  ce  que  vous  appeliez  (en^ 
timens  inévitables  à  la  nature  ,  ne  font  pa* 
lui  dérèglement  de  votre  cœur  ,  ÔC  une 
révolte  contre  les  ordres  de  la  Providen* 
ce  ?  fi  dans  toutes  ces  attentions  Sc  ces 
emprefiemens  dont  on  vous  voit  fi  occupé 
pour  ménager  ,  ou  les  intérêts  de  votre 
fortune  ,  ou  les  foins  d'une  vaine  beauté  , 
il  n'y  entre  pas  autant  de  vivacité  qu'il  ea 
faut  pour  former  le  crime  de  l'ambition  ^ 
©u  autant  de  complaiiance  en  vous-même 
&  de  défir  de  plaire  ,  pour  fouiller  votre 
cœur  du  crime  de  la  volupté  ?  Grand  Dieu  l 
gui  a  bien  dvictrné  ,  comme  difoit  autre.- 
^ià  vQire  ferviieur  Job ,  ces  homes  fatar 


Sur  L  A  Tiédeur.'  ^  ify 
îes  ,  qui  réparent  dans  un  cœur  la  vie  de  la 
mort  ,  5C  la  lumière  des  ténèbres  ?  Ce 
font-là  des  abîmes  fur  lefqueis  l'homme 
peu  inftruit  ne  peut  que  trembler  ,  6c  dont 
vous  réfervez  la  manifeftation  au  jour  ter- 
rible de  vos  vengeances  :  Seconde  raifon 
tirée  de  l'incertitude  des  régies  ;  qui  laif- 
fent  l'état  d'une  ame  tiède  fort  douteux  , 
tK  qui  la  mettent  elle-même  dans  Timpuif^ 
fance  de  fe  connoître. 

Mais  une  dernière  raiion  qui  me  paroît 
encore  plus  dècinve',  6c  plus  terrible  pour 
l'ame  tiède  ;  c'efl  qu'on  ne  voit  plus  rien  en 
elle  qui  puifTe  même  faire  préfumer  qu'elle 
conferve  encore  la  grâce  fanftifiante  ,  ÔC 
que  tout  conduit  à  penfer  qu'elle  l'a  per- 
due ;  c'eft-à-dire  ,  que  de  tous  les  caractè- 
res d'une  charité  habituelle  &C  vivante  >  il 
n'en  eft  plus  aucun  qui  paroifle  en  elle. 

Car  ,  mes  Frères ,  le  premier  caraftère 
de  la  chanté ,  c'eft  de  nous  remplir  de  cet 
efprit  de  l'adoption  des  enfans  ,  qui  nous 
fait  aimer  Dieu  comme  notre  père,  aimer 
fa  Loi  bi  la  juftice  de  fes  conimandemens^ 
&  craindre  plus  la  perte  de  fon  amour  ^ 
^ue  tous  les  maux  dont  il  nous  menace. 

Or  cette  attention  toute  feule  qu'apporte 
une  ame  tiède  ,  à  examiner  fî  une  ofFenfc 
eft  vénielle  ou  fî  elle  va  plus  loin  ;  à  diTpu» 
ter  à  Dieu  tout  ce  qu'elle  peut  lui  refufesf 
fans  crime  ;  a  n'étudier  la  Loi  que  pour 
connoître  jufqu'à  quel  point  il  eil  permis 
de  la  violer  ;  à  prendre  fans  eelfe  les  inté* 
X€U  dô  la  cupidité  contre  ceux  de  la  era^ 


20  Jeudi  DE  la  III.  Semaines. 
ce  ,  5c  jiillifier  éternellement  tout  ce  qitï 
flatte  les  pafîions  ,  contre  la  févérité  des 
régies  qui  Tinterdifent  ;  cette  attention  , 
dis- je,  toute  feule  ,  ne  peut  partir  que  d'un 
fond  vuide  de  foi  6c  de  charité  ,  d'un  fond 
où  TEfpritde  Dieu  ,  cet  efprit  d'amour  6c 
de  dileclian  ne  paroit  pas  régner.  Car  il 
n'eft  que  les  enfans  prodigues  qiù  chica- 
nent ainfi  avec  le  Père  de  famille  ,  qui  veuil- 
lent ufer  de  leurs  droits  à  la  rigueur ,  ÔC 
prendre  tout  ce  qu'il  leur  appartient. 

Et  pour  donner  à  cette  réflexion  tonte 
fon  étendue:  cette  difpofîtion  qui  fait  qu'on 
fe  permet  délibérément  toutes  les  infidéli- 
tés qu'on  ne  croit  pas  dignes  d'une  peine 
éternelle  ,  eft  la  difpofition  d'un  efclave  ÔC 
(d'un  mercenaire;  c'eft-à-dire  ,  que  fi  l'oa 
pouvoit  fe  promettre  une  pareille  impuni- 
té ,  5c  une  même  indulgence  du  côté  de 
Dieu ,  pour  la  tranfgrel?ion  des  points  ef- 
fentiels  de  la  Loi ,  on  les  violeroit  avec  la 
même  facilité  qu'on  viole  les  moindres  , 
c'efl-à-dire  ,que  fi  une  vengeance  déclarée, 
une  calomnie  noire  y  un  attachement  cri- 
minel >  ne  dévoient  avoir  d'autres  fuites 
pour  l'avenir  ,  qu'un  léger  felfentiment  , 
qu'un  difcours  de  malignité  &  de  médi- 
fance  ,  que  des  déiirs  de  plaire  ,  6c  trop 
de  foin  &.  d'attention  fur  foi- même  ,  ou 
n'auroit  p  is  plus  d'horreur  pour  l'un  que 
pour  l'autre  :  c'eft-à-dire  ,  que  lorfqu'oa 
eft  Bdéh  a  k  Commandemens  ,  ce  n'efl: 
pas  la  juftice  que  l'on  aime,  c'ell  la  peine 
^ue  Toû  cxiûiit  j  ce  n  eft  pas  à  Tordre  &.  è 


Sur   L  A    T  ÎE  DEUR.'  zû 

là  loi  q'-Toa  s'ailnjettit ,  c'eit  à  fes  châti- 
mens  ;  ce  n'eft  pas  le  Seigneur  qu  on  fe 
propofe,  c'eil:  foi-même.  Car  tandis  que 
la  gloire  toute  feule  y  elî  intéreffée  ,  6£ 
qu'il  ne  doit  nous  revenir  aucun  dommage 
de  nos  infidélités  par  leur  légèreté  ,  nous 
ne  craignons  pas  de  lui  déplaire  ;  nous  nous 
juftifions  même  en  fecret  ces  fortes  de  tranf- 
greiTions ,  en  nous  difant  que  quoiqu'elles 
oifenfent  le  Seigneur ,  5c  lui  foient  défa- 
gréables  ,  elles  ne  donnent  pas  cependant 
la  mort  à  l'ame  ,  ÔC  ne  damnent  perfonne. 
Ce  qui  le  regarde,  ne  nous  touche  pas  ;  fai 
gloire  n'entre  pour  rien  dans  le  diîcerne- 
ment  que  nous  faifons  des  œuvres  permi- 
fes  ou  défenduè's;c'eft  notre  intérêt  tout  feul 
qui  régie  là-deffus  notre  fidélité  ;  SCrien  ne 
réveille  notre  tiédeur  que  les  flammes 
éternelles.  Nous  fommes  même  ravis  de 
l'impunité  de  ces  fautes  légères  ,  de  pou- 
voir flitisfaire  nos  irfclinations  lans  qu'il 
nous  en  arrive  d'autre  malheur  que  d'avoir 
déplu  à  Dieu  :  nous  aimons  cette  malheu- 
reufe  liberté  ,  qui  femble  nous  laiiTer  le 
droit  d'être  impunis  ÔC  infidèles  ;  nous  ea 
fommes  les  apologiftes  ;  nous  la  pouffons 
même  plus  loin  qu'elle  va  en  eff^t  :  nous 
voulons  que  tout  foit  véniel  ;  les  jeux  ,  les 
plaifirs  ,  les  parures  ,  les  fenfu alités  ,  les 
vivacités ,  les  animofités  ,  les  inutilités ,  les 
fpeûacles  ;  que  dirai- je  ?  nous,  voudrions 
que  cette  liberté  fut  univerfeile  ;  que  riea 
de  ce  qui  plaît ,  ne  fut  puni  :  que  le  S^i^ 
gneuraefût  ni  juftej  tii  veugeur  dql  luiqui^, 


il     Jeudi  de  la  IÎI.  SEM/\mE-, 

té  ,  ÔC  que  nous  puiiTians  nous  prêter  5 
tous  ï\oi  penchans ,  5c  violer  la  fainteté 
de  fa  Loi ,  fans  craindre  la  fé vérité  de  fa 
juftice.  Pour  peu  qu'iuie  nme  tiède  rentre 
en  elle-même  ,  elle  fentira  que  c'efl-là  le 
fond  de  (on  cœur  ,  6C  fa  véritable  difpofî- 
tion. 

Or  y  je  vous  demand'e  ^  eft-ce  là  la  fitua- 
tion  d'une  ame  qui  conferve  encore  la 
grâce  5cla charité  ianélifiante;  c'efl-à-dire, 

■  d'une  ame  qui  aime  encore  fon  Dieu  plus 
que  le  monde  ,  plus  que  toutes   les  créa- 

'  tures,  plus  que  tous  les  piaifirs  ,  plus  que 
toutes  les  fortunes ,  plus  qu'elle-même  ? 
d'une  ajne  qui  r^e  trouve  de  joïe  qu'à  le 
poiTéder  ,  qui  ne  crain.t  que  de  le  perdre  ^ 
qui  ne  connoit  de  malheur  que  celui  de  lui 
avoir  déplu.  La  charité  que  vous  croyez 
confcrver  encore  ^  cherche-t'eîle  ainfi  fes 
propres  intérêts  ?  Ne  compte-f  elle  pour 
rien  de  déplaire  à  ce  qu'elle  aime  ,  pour- 
vu que  fes  infidélités  foient  impunies  ?  S'a- 
vife-t'elle  de  fupputer  comme  vous  faites 
tous  les  jours  ,  jufqu'a  quel  point  on  peut 
ruffenfer  impunément ,  pour  prendre  là- 
à^î(i)s  fes  mefures  y.  t^  fe  permettre  toutes 
les  tranigreffions  aufquclles  Fefpérancede 
l'impunité  e(t  iittachée  r  Ne  voit-elle  riea 
d'aimable  dans  fon  Dieu  ,  6C  de  propre  à 
lui  gagner  les  '  œ'^rs  ,  que  ^es  chatifnens  ? 
Quand  il  ne  feroit  pas  un  Dieu  terrible  5£ 
vengeur  ;^  en  feroit-elle  moins  touchée  de 
fes  mifir- cordes  infinies  ,  de  fe?  beautés 
cternclles ,  de  ik  Ytîrité  ^  dfe  la  feiat-^îé-j^cfe 
&k  fag-lTo.  I 


s  a  R    L  A    T  I  E  D  E  U  R.  Z$ 

Ah  î  vous  ne  l'aimez  plus ,  amc  tiède  ÔC 
infidèle  !  vous  ne  vivez  plus  pour  lui  ; 
vous  n'aimez  plus,  vous  ne  vivez  plus  que 
pour  vous-même.  Ce  refte  de  fidélité 
qui  vous  éloigne  encore  du  crime  ,  n'eft 
qu'un  fonds  de  pareffe ,  de  timidité,  d'à- 
mour-propre.  Vous  voulez  vivre  en  pai» 
avec  vous-même;  vous  craignez  les  em- 
barras d'une  paflion  ÔC  les  remords  d'un© 
confcience  fouillée  ;  le  crime  eft  pour  vou» 
une  fatigue  ,  ÔC  c'eft  tout  ce  qui  vous  dé* 
plaît  :  vous  aim.ez  votre  repos  ;  voilà 
toute  votre  Religion  :  l'indolence  eft  la. 
feule  barrière  qui  vous  arrête  ,  ÔC  toute 
votre  vertu  fè  borne  à  vous-même.  Et 
certes  vous  voudriez  favoir  fi  cette  iiifid-é- 
litè  eft  une  OiTenfe  vénielle  ,  ou  fi  elle  va' 
plus  loin.  Vous  favez  qu'elle  déplaît  à 
-Dieu  ;  car  ce  point  n'eft  pas  douteux  ;  5C 
cela  ne  fuffitpas  paur  vous  l'interdire?  àC 
vous  vaudriez  fçavoir  encore  Ci  elle  lui  dé- 
plaît jufqu'à  mériter  une  peine  éternelle? 
ÔC  tant  votre  foin  eft  de  vo.us  informer  fi 
c'eft  un  crime  digne  de  l'enfer  ?  Ah  !  vousr 
voyez  bien  que  cette  recherche  n'aboutit 
plus  qu  à  vous-même  ;  que  votre  difpofitioii 
va  à  ne  compter  pour  rien  le  péché,  en  tant 
qu'il  eft  OiTenfe  de  Dieu  ,.  8c  qu'il  lui  dé- 
plaît :  motif  effentiel  cependant ,  qui  doit 
vous  le  rendre  haïlTable  ;  que  vous  ne  fer- 
vez  pas  le  Seigneur  dans  la  vérité  ,  5c  dant 
la  charité  que  votre  prétendue  vertu  u'eft 
plus  qu'un  nature',  timide  ,.  qui  n'ofe  s'ex- 
f  ofer-  aii^  minaj^es.  t'iiribieâ  de.  k  loi  ;..  c^ue 


t4  Jeudi  de  la  III.  SexMaine^ 
vous  n'êtes  qifiui  vil  efclave  à  qui  il  faut 
montrer  des  verges  pour  le  contenir  ;  que 
vous  reîTemblez  à  ce  ferviteur  infidèle  qui 
avoit  caché  Ton  talent ,  parce  qu'il  favoit 
que  fon  maître  étoitfévere,  mais  qui  hors 
de  là  ,  Teût  dilTipé  en  folles  dépenfes  :  6C 
que  dans  la  préparation  du  cœur  à  laquel- 
le feule  Dieu  regarde  ,  vous  haVfTez  fa  loi 
fainte  ;  vous  aimez  tout  ce  qu'elle  défend. 
Vous  n'êtes  plus  dans  la  charité;  vous  êtes 
un  enfant  de  mort  5c  de  perdition. 

Le  fécond  carat^ère  de  la  charité  ,  dit 
faint  Bernard  ,  c'eft  d'être  timorée  ,  &:  de 
groffir  nos  fautes  à  nos  propres  yeux  :  elle 
augmente  ,  elle  exagère  tout,  dit  ce  Père  » 
Sed  aggravât  ,  fed  exagérât  univerja.  Ce 
n  eft  pas  que  la  charité  nous  trom.pe  ,  £^ 
nous  cache  la  vérité  ;  mais  c'eft  que  déga- 
geant notre  ame  des  fens  ,  elle  épure  la 
vue  de  la  foi ,  6c  la  rend  plus  clairvoyante 
fur  les  chofes  fpirituelles  ;  6c  que  d'ailleurs 
tout  ce  qui  déplaît  à  l'objet  unique  de  no- 
tre amour  ,  paroît  férieux  5c  confldérable 
à  rame  qui  aime.  Ainfi  la  charité  ell:  tou- 
jo.irs  humble  ,  timide  ,  défiante  ;  fans  ceiîb 
agitée  par  ces  pieufes  perplexités  qui  îa 
lailTent  dans  le  doute  fur  fon  état  :  toujours 
allarmée  par  ces  délicateffes  de  la  grâce  , 
qui  la  font  trem.bler  fur  chaque  action  qui 
lu:  font  de  l'incertitude  où  elles  îa  laillent, 
une  eipèce  de  martyre  d^amour  qui  la  pu- 
rifie. Ce  ne  font  pas  ici  ces  fcrnpules  vaiixs 
ÔC  putriles  que  nous  blâmons  daiîs  les  âmes 
foibks  j  ce  font  ces  pieufes  frayeurs  delà 

gruc^ 


s  U  R     L  A    TiEDEU  R;  2^ 

grâce  8>C  de  la  charité ,  inleparables  de  toute 
ame  fidèle-  Elle  opère  fon  faliit  avec  crain- 
te ôc  tremblement  ;  ÔC  regarde  qiielque- 
fbis  comme  des  crimes  ,  des  aérions  qui 
devant  Dieu  fouvent  font  des  vertus ,  ÔC 
prefque  toujours  de  pures  foibleiles.  Ce 
font-Jà  ces  faintes  perplexités  delà  charité 
qui  prennent  leur  fource  dans  les  lumières 
mêmes  de  la  foi  ;  cette  voie  a  été  la  voie 
des  Juftes  de  tous  les  crimes. 

Et  cependant  c'eft  cette  prétendue  cha- 
rité que  vous  croyez  conferver  encore  au 
milieu  d'une  vie  tiède,  Se  de  toutes  vos  in- 
fidélités ,  qui  vous  les  fait  paroitre  légè- 
res :  c'eftla  charité  elle-même  que   vous 
fuppofez  n'avoir  point  perdue  ,  qui  vous 
rauure  ,  qui  din-iinuè  vos  fautes  à  vos  yeux, 
qui  vous  établit  dans  un  état  de  paix  &  de 
fécurité;enun  mot  qui  non-feulement  ban- 
nit de  votre  cœur  toutes  ces  allarmes  pieu- 
fes , toujours  infèparables  delà  piété,  mais 
qui  vous  les  fait  regarder  comme  les  foi- 
biclles  ÔC  les  excès  de  la  piété  même.  Or  , 
dites- moi ,  je  vous  prie  ,  fi  ce  n'eft  pas  là 
une  contradiftion  ;  fi  la  charité  fe  dément 
ainfi  elle-même  ,  ÔC  fi  vous  pouvez  beau- 
coup compter  fur  un  amour  qui  reffemble 
fi  fort  à  la  haine  ? 

Enfin  le  dernier  cara6i:ère  delà  charité, 
c  eft  d'être  vive  6c  agi  liante.  Lifez  tout  ce 
que  l'Apôtre  lui  attribué  d'adlivité  ôC  de 
fécondité  dans  un  cœur  chrétien  :  elle  opè- 
re par-tout  où  elle  eft  ;  elle  ne  peut  être 
0H-J:ife  ,  difeirt  le?  S^i-îp.  Ui:!X  y.:i  '-î  cl- 


2:6      Jeudi  de  la  III.  Semaine. 

îefte  que  rien  ne  peut  empêcher  d'agir  5C 
de  le  produire  :  il  peut  être  à  la  vérité 
quelquefois  couvert  5c  comme  rallenti  par 
la  multitude  de  nos  foibleiles  ;  mais  tandis 
•qu'il  n'eft  pas  encore  éteint,  il  en  fort  tou- 
jours ,  pour  aind  dire  ,  quelques  étincelles, 
des  vœux  ,  des  foupirs  ,  des  gémiiTemens, 
des  efforts ,  des  œuvres.  Les  Sacremens  la 
raniment,lesMyilèresfaintsraîtendriflent, 
les  prières  la  réveillent  ,  les  leélures  de 
piété,  les  inftru6^îons  de  falut ,  les  fpeâ:a- 
clés  de  Religion  ,  les  faintes  infpirations , 
les  affligions  mêmes ,  les  difgraces ,  les  in- 
firmités corporelles ,  tout  la  rallume  lorf- 
qu'elle  n'eft  pas  encore  éteinte.  Il  eft  écrit 
au  fécond  Livre  des  Maccabées  ,  que  le 
feu  facré  que  les  Juifs  avoicnt  caché  du- 
rant la  captivité  ,  fe  trouva  au  retour  cou- 
vert d'une  moulTe  épaiffe ,  ÔC  parut  com- 
me éteint  aux  e'nfans  des  Prêtres  ,  qui  le 
retrouvèrent  fous  la  conduite  de  Néhé- 
mias.  Mais  comme  ce  n'étoit  que  la  fur- 
face  feule  qui  étoit  couverte ,  ÔC  qu'au  de- 
dans ce  feu  facré  confervoit  encore  tout® 
fa  vertu  ;  à  peine  feut  on  expofé  aux 
rayons  du  foleil ,  qu'on  le  vit  fe  rallumer 
à  1  inftant ,  ÔC  offrir  aux  yeux  un  éclat  tout 
V  M  h  ^^^^^^^^^  ^  ^"^  a£livité  furprenante  :  ^r- 
i\^,  'ccnfiis  ejl  igais  magnus  ^  ita  ut  omnes  ml-- 
rarentur. 

Voilà  Timage  de  la  tiédeur  d'une  ame 
véritablement  jufle  ,  8c  ce  qui  devroit  vous 
arriver  fi  la  miultitude  de  vos  infidélités , 
n'avoir  fait  que  couvrir,  SCrailentir, pour 


SurlaTiedètjr.  27 
^infî-dire  ,  en  vous  le  feu  facré  de  la  cha- 
rité fans  l'éteindre  :  voilà  ,  dis-je,  ce  qui 
devroit  vous  arriver  ,  lorfque  vous  appro- 
chez des  Sacremens  ,  6c  que  vous  venez 
entendre  la  parole  fainte.  Lorfque  Jefus- 
Chriil ,  le  foleii  de  juftice  ,  lance  fur  vous 
quelques  traits  de  fa  grâce  6c  de  fa  lu- 
mière ,  ôC  vous  infpire  de  faints  défifs  ,  on 
devroit  alors  voir  votre  cœur  fe  rallumer  , 
votre  ferveur  ferenouveller  :  vous  devriez 
alors  parojtre  tout  de  feu  dans  la  pratique 
de  vos  obligations  ^  6c  furprendre  les  té- 
moins les  plus  coniidens  de  votre  vie  ,  par 
le  renouvellement  de  vos  mœurs  6c  de 
votre  zèle  :  Acccnfus  efl  ignis  magnus ,  ita 
ut  omnes  miraraitur^ 

Et  cependant  rien  ne  vous  ranime.  Les 
Sacremens  que  vous  fréquentez  ,  vous  laif- 
fent  toute  votre  tiédeur  ;  la  parole  de  l'E- 
vangile que  vous  écoutez  ,  tombe  fur  vo- 
tre cœur  ,  comme  fur  une  terre  aride  ,  ou 
elle  meurt  à  Tinihut  ;  les  fentimens  du  fa- 
im que  la  grâce  opère  au  dedans  de  vous  ^ 
n  ont  jamais  de  fuite  pour  le  renouvelle- 
ment de  vos  m.œurs  ;  vous  traînez  par-tout 
la  même  indolence'  5c  la  même  langueur  ; 
vous  fortez  du  pied  des  autels  auiïi  froid  ,' 
aufTi  infenfible  que  vous  y  étiez  venu  ;  on 
ne  voit  point  en  vous  de  ces  renouvelle- 
mens  de  zèle  &  de  ferveur  ,  fi  familiers 
aux  âmes  juftes  ,  ÔC  dont  elles  trouvent 
les  motifs  dans  leurs  propres  chute*  .•  ce 
que  vous  étiez  hier  ,  vous  Têtes  encore 
aujourd'hui ,  mêmes  infidélités  &  mêmes 

C3 


aS  Jeudi  de  la  III.  Semaii^î; 

foibleflcs  ;  vous  n'avancez  pdsd'un  feulde*-' 
gré  dans  la  voie  du  falut.  Tout  le  feu  du 
ciel  ne  fauroit  plus  rallumer  cette  préten- 
due charité  cachée  au  fond  de  votre  cœur, 
&  fur  laquelle  vous  vous  rafllirez.  Ah  ! 
mon  cher  Auditeur  ,  que  je  crains  qu'elle 
ne  foit  éteinte  ,  5c  que  vous  ne  foyez  mort 
aux  yeux  de  Dieu  !  Je  ne  veux  pas  ici  pré- 
venir les  Jugemens  fecrets  du  Seigneur  fur 
les  confciences;  mais  je  vous  dis  que  vo- 
tre état  n'efi:  point  sûr  ;  je  vous  dis  même 
que  fi  l'on  en  juge  par  les  régies  de  la  foi , 
vous  êtes  dans  la  difgrace  &  dans  la  haine 
de  Dieu  :  je  vous  dis  encore  qu'une  tié- 
deur fi  longue  ,  fi  conftante  ,  fi  durable  , 
ne  peut  fubiiiler  avec  un  principe  de  vie  . 
furnatureîle  ,  qui  de  tems  en  tems  du 
moins ,  lailTe  paroître  îiu-dehors  des  niou- 
vemens  6c  des  (îgnes ,  s'élève  ,  s'anime  , 
prend  fon  effort ,  comme  pour  fe  dégager 
des  liens  qui  l'appefiintiffent  ;  6c  qi l'une 
charité  fi  muette,  il  oifeufe,  ôc  fi  conilam- 
ment  infenfible  ,  n'eft  plus. 

Mais  fi  le  grand  danger  de  cet  état ,  c'efl 
qu'une  ame  tiède  n'a  pas  même  là-deilus  de 
fcrupule  ;  elle  fent  bien  qu'elle  pourroit 
poulfer  la  ferveur  6c  la  fidélité  plus  loin  : 
mais  elle  regarde  ce  zèle  6c  cette  exactitude  " 
comme  une  perfeé^ion  6c  une  grâce  réfer- 
véeà  certaines  âmes ,  6c  non  comme  un 
devoir  :  ainfi  on  fe  fixe  dans  ce  degré  de 
tiédeur  où  Ton  efl  tombé  ;  on  n'a  fait  aucun 
progrès  dans  la  vertu  ,  depuis  les  premiè- 
res ardeurs,  d'une  converiion   d'éclat.  Il 


s  U  R    L  A     T  I  ED  EU  R.  1^ 

femble  que  lOL^tL-  la  tervcur  emoulTée  con- 
tre les  p^îdions  criminelles  qu'on  avoit  eu 
d'abord  à  combattre  ,  croit  qu'il  n'y  a  plus 
qu'à  jouir  en  paix  du  fruit  de  fa  viftoire  : 
mille  débris  qui  relient  encore  du  premier 
naufrage  ,  on  ne  penfe  point  à  les  réparer  , 
mille  foibblelTes, mille  inclinations  corrom- 
pues que  nous  ont  lailfé  nos  premiers  défor- 
drcs ,  on  les  aime  ,  loin  de  les  réprimer. 
Les  Sacrem.ens  ne  ranim>ent  plus  la  foi  ;  ils 
l'amufent  :  la  converfion  n'eft  plus  la  fin 
qu'on  fe  propofe  ;  on  la  croit  faite  :  les 
confelhons  ne  font  plus  que  de  rédites  SC 
des  peintures  qui  fe  relfemblent  :  fe  con- 
felfer  n'ell  plus  fe  propofer  un  changement; 
car  que  trouveroit-on  à  changer  dans  un 
train  de  vie  oii  tout  paroît  à  fa  place  ,  5c 
où  nulle  faute  groiliére  de  conduite  ne 
frappe  les  fens  ?  c'efl  s'acquitter  fîmplement 
d'un  devoir  de  piété ,  &  venir  amufer  le 
Miniftre  de  Jefus-Chrift  du  récit  de  q  'e  - 
ques  fautes  légères  dont  on  ne  fe  repent 
point ,  tandis  qu'on  eft  foi-même  un  crime 
que  Ton  ignore.  Auiîi  la  vertu  de  notre  Mi- 
niftère  délivre  encore  quelquefoisde  grands 
pécheurs  ;  6c  nous  voyons  encore  tons  les 
jours  avec  confolation  des  âmes  touchées 
après  une  vie  entière  de  dilToîution  5c  de 
crime ,  venir  fe  jetter  à  nos  pieds  ;  ÔC  là  , 
le  cœur  brifé  de  douleur  ,  le  vifage  baigné 
de  larmes  ,  nous  furprendre  par  la  gran- 
deur de  leur  foi  ,  nous  attendrir  par  l'a- 
bondance de  leurs  foupirs ,  6c  la  vivacité 
de  leurcompondioii,&  fortir  de  nos  pieda 

C3 


j©  Jeudi  de  la  ÎII.  Semalve, 
juftiiîéei  ;  tandis  que  ces  âmes  tiédes  ÔC  in- 
fidèles dont  je  parle  ,  fans  celle  réconci- 
liées 5c  jamais  pénitentes,  portent  toujours 
au  tribunal  les  mêmes  foiblelTes  dont  elles 
ne  reçoivent  jamais  le  pardon  ,  parce 
qu'elles  ne  les  déteftent  jamais  comme  il 
faut ,  &.  prouvent  qu'il  eil  plus  aifé  depaf- 
fer  du  crime  à  la  vertu  ,  que  de  la  tiédeur 
à  la  pénitence. 

Hélas  !  peut-être  que  le  guide  facré  de 
votre  confcience  ,,à  qui  vous  ne  venez  re- 
dire fans  celle  que  de  légères  foibleiTcs,  5C 
qui  ne  iluiroit  voir  la  corruption  du  cœur 
d'où  elles  partent,  peut-être  par  un  juge- 
ment terrible  de  Dieu  fur  vous ,  qu'il  efi 
tranquille  comme  vous  fur  votre  état  :  il 
croit  feuleinent  que  vous  dormez  ,  que 
vous  vous  relâchez  ;  il  fe  contente  d'animer- 
votre  négligence  ,  de  réveiller  votre  tié- 
deur: il  penfe  de  vous  ce  que  les  Difciples. 

Jotfn.ii.pgnfoient  autrefois  de  Lazare  :  Si  dormit ,. 

***  falvus  crit  ;  qu'au  fond  ce  fommeil ,  cette- 
indolence  dans  les  voies  de  Dieu  ,  cette 
tiédeur  ne  vous  conduiront  pas  à  la  mort,. 
Mais  Jefas-Chrifl:  qui  vous  voit  tel  que- 
vous  êtes ,  5c  qui  ne  juge  pas  comme  rhom"- 
me  ;  Jefus-Chrifl  déclare  que  vous  êtes 
mort  déjà  depuis  long-tems  à  fes  yeux  i: 

j...  Tune  Jejus  dixit  eis  manifejlè  :  La^arus 
^  ^^^ymortuus  eJLll  le  dit  ouv Qrie ment  y  ma nifejlé, 
c'efl-à-dire  ,  que  la  chofe  n'étoit  pas  nou- 
velle ôC  que  Lazare  ,  qu'il  s  croyoient  feu- 
lement languilTant ,  étoit  mort  depuis  trois 
jours  :  c'efl-à-dire  ,  que  loffqu'une.  thutç-. 


Sur  la  Tiède  ur,  31 
grofTiére  6c  déclarée  termine  enfin  la  tié- 
deur d'une  anie  infidèle  ,  la  mort  qu'elle 
portoit  déjà  depuis  long-tems  dans  for^ 
cœur  ,  ne  fait  que  fe  manifeller.  Elle  n'eft 
nouvelle  que  pour  les  hommes  ,  qui  ne 
Toyoient  pa?  ce  qui  fe  palfoit  au-dedans  ; 
mais  devant  Dieu  ,  elle  étoit  morte  comme 
Lazare  ,  depuis  le  jour  prefque  qu'elle  fut 
languilFante  :  Tune  Je  fus  dix  it  eis  manifef- 
tè  ;  Laiarus  mortuus  ejh 

On  s'abufe  fur  ce  que  la  confcienc?e  ne 
reproche  rien  de  criminel  ;  6c  on  ne  voit 
pas  que  c'eft  cette  tranquillité  même  ,  qui 
en  fait  tout  le  danger,  5c  peut-être  aufîl 
tout  le  crime.  On  fe  croit  en  sûreté  fur  fon 
état,  parce  qu'il  offre  plus  d'innocence  ÔC 
de  régularité  que  celui  des  am.es  défcrdon- 
nées  :  6c  on  ne  veutpaS  comprendre  qu'un's 
vie  toute  naturelle  ne  fauroit  être  la  vie  de 
îa  Grace^SC-de  la  Foi  ;  5c  qu'un  état  conf- 
tant  de  pareffe  Si  d'immortification ,  eft  un 
état  de  péché  5c  de  mort  dans  la  vie  chré- 
tienne. 

Ainfi  ,  mon  cher  Auditeur  ,  vous  ,  que 
ce  difcours-  regarde  ,  renouveliez  -  vous 
fans  cefTe  dans  f'efprit  de  votre  vocation  : 
refTufcitez  tous  les  jours  ,  félon  l'avis  de 
TApôtre  ,  par  la  prière  ,  par  la  mortifica- 
tion des  fens ,  par  la  vigilance  fur  vos  paf- 
fîons,  par  une  vie  intérieure,  par  un  retour 
continuel  vers  votre  cœur,  cette  première 
grâce  qui  vous  retira  des  égaremens  du 
monde  ,  &  vous  fit  entrer  dans  les  voies 
de  Dieu.  Comptez  que  la  piété  n'a  de  sûr 

C4 


32  Jeudi  de  la  III.  Semmni. 

6C  de  conlolant  que  la  lîdeiite  ;  qu'en  vous 
relâchant  vous  augmentez  vos  peines  >  par- 
ce que  vous  multipliez  vos  liens  ;  qu'en  re- 
tranchant de  vos  devoirs  le  zèle  ,  la  fer- 
veur ,  l'exadtitude  ,  vous  en  retranchez 
toutes  les  douceurs  ;  qu  en  ôtant  de  votre 
état  la  fidélité  ,  vous  en  ôtez  la  sûreté  ;  5c 
qu'en  vous  bornant  à  éviter  le  crime ,  vous 
perdez  tout  le  fruit  de  la  vertu. 

Et  au  fond,  puifque  vous  avez  déjà  fa- 
crifîé  refTenticl ,  pourquoi  tiendriez-vous 
encore  à  des  attachemens  frivoles  ?  5c  faut- 
il  qu'après  avoir  fait  les  démarches  les  plus 
pénibles  5c  les  plus  héroïques  pour  votre 
lalut ,  vous  périlliez  pour  n'en  vouloir  pas 
faire  de  plus  légères  ?  Lorfque  Naaman  , 
peu  touché  de  ce  que  le  Prophète  ne  lui 
ordonnoit  pour  guérir  de  fa  lèpre  ,  que 
d'aller  fe  baig'ner  dans  les  eaux  du  Jour- 
dain ,  fe  retiroit  plein  de  mépris  pour 
l'homme  de  Dieu ,  comme  (i  fa  guérifon 
n'eût  pu  être  attachée  à  un  remède  fi  facile, 
ceux  de  fli  fuite  le  firent  revenir  defon  er- 
reur ,  en  lui  difant  :  Mais  ,  Seigneur  ,  fi 
l'homme  de  Dieu  vous  eût  ordonné  des 
chofes  difficiles ,  vou<î  auriez  dû  lui  obéir: 
vous  avez  abandonné  votre  patrie  ,  vos 
dieux  5c  vos  enfans,pour  venir  confulter 
le  Prophète  ,  vous  vous  êtes  expofé  au 
péril  d'un  long  voyage,  vous  en  avez  fou- 
tenu  toutes  les  incommodités ,  pour  recou- 
vrer la  fanté  que  vous  avez  perdue  ;  6c 
après  tant  de  démarches  pénibles,  refufe- 
riez-vous  de  tenter  un  expédient  auiTi  aifé 


s  U  R     L  A    T  I  E  D  E  U  R;  3.J 

que  celui  ^tie  vous  propoie  Thomme  de 
Dieu  ?  Ltji  rem  grandctn  àïxijfa  tïbi  Pro-    4'  ^^^ 
pheta  ^  cenè  faccre   dcbucras,  quatito    ma- S'  '3' 
gis  quia  nujic  dixit  tibi  :  Lavare  j  &  mun- 
daberis* 

Et  voilù  ce  que  je  vous  dis  en  finiflant  ce 
difcours.  Vous  avez  abandonné  le  monde  , 
5c  les  idoles  que  vous  y  adoriez  autrefois  ; 
vous  êtes  revenu  de  liloin  dans  la  voie  de 
Dieu  ;  vous  avez  eu  tant  de  pafïïon  à  vain- 
cre ,  tant  d'obftacles  à  furmonter ,  tant  de 
chofesà  facriiîer  ,  tant  de  démarche  diffi- 
ciles à  faire  ;  vous  avez  foutenu  les  peines  , 
les  dégoûts ,  les  difcours  infenfés  ,  infépa- 
rables  d'une  converfion  d'éclat ,  il  ne  vous 
refle  plus  qu'un  pas  à  faire;  on  ne  vous  de- 
mande plus  qu'une  vigilance  exacte  fur 
vous-même.  Si  le  facrince  des  pallions  cri- 
minelles n'étoit  pas  encore  fait  ,  6c  qu'on 
Texigeât  de  vous  ,  vous  ne  balanceriez  pas 
un  moment  ;  vous  le  feriez  quoiqu'il  en 
dût  coûter  :  Et /i  rem  grandem  dixïjjatibl 
Vropheta  ,  ccrtè  facere  debueras  :  Sc  m.ani- 
tenant  qu'on  ne  vous  demande  que  de  fim* 
pies  purifications ,  pour  ainfi  dire  ;  qu'on  ne 
vous  demande  prefque  que  les  mêmes  cho- 
fes  que  vous  faites  ;  mais  pratiquées  avec 
plus  de  ferveur  ,  plus  de  fidélité  ,  plus  de 
Foi,  plus  de  vigilan-ce  ;  étes-vous  excufable 
de  vous  en  difpenfer  ?  quamb  magis  quia 
nunc  dixit  tibi  :  Lavare  ,  &  mundaberis* 
Pourquoi  rendriez-vouspar  le  refus  d'une 
chofe  fi   aifée  ,  tous  vos  premiers  efforts 
mutiles  ?  pourquoi  auriez- vous  renoncé  au 


54  Jeudi  de  la  III.  Sem Ami^ 
monde  &  aux  plaifirs  criminels,  pourtrou- 
ver  dans  la  piété  le  même  écuèil  que  vous 
aviez  cru  éviter  en  fuyant  le  crime  ?  ÔCne 
feriez -vous  pas  à  plaindre  ,  fi  après  avoir 
facrifîé  à  Dieu  k  principal  ,  vous  alliez 
vous  perdre  pour  vouloir  lui  difputer  en- 
core mille  lacrifîces  moins  pénibles  au 
cœur  ÔC  à  la  nature  ?  Qucnto  mugis  quia 
mine  dixit  tibi  :  Lavare  ,  Ô*  mundaberis* 

Achevez  donc  en  nous,  ô  mon  Dieu,- 
ce  que  votre  grâce  y  a  commencé  :  triom- 
phez de  nos  langueurs  5c  de  nos  foibleiles  » 
puifque  vous  avez  déjà  triomphé  de  nos 
crimes  :  donnez-nous  un  cœur  fervent  ôC 
fidèle  ,  puifque  vous  nous  avez  déjà  ôté  un 
cœur  criminel  6c corrompu  :  infpirez-nous 
cette  bonne  volonté  qui  fait  les  Juftes  ,- 
puifque  vous  avez  éteint  en  nous  cette  vo- 
lonté déréglée  qui  fait  les  grands  pécheurs:: 
ne  laiifez  pas  votre  ouvrage  imparfait  ;  ÔC 
puifque  vous  nous  avez  fait  entrer  dans  la 
jainte  carrière  du  falut,  rendez-nous  di- 
gnes de  la  couronne  promife  à  ceux  qiii 
auront  légitimement  combattu» 

^infi,  folt  -  IL 


'^^ 


« 


1^ 


M  êîm  ^  Sk   t*  ^^  111^ 

j|   §€§€**    ^   *^    §€2€    Mç, 
SECOND 

SERMON 

POUR  LE  JEUDI 
DE  LA  TROISIEME  SEMAINE 

DE  CARÊME. 

Sur  la  certitude  (Tune  chute  dans  la  Tiédeur i 

Surgens  Jefus  de  Synagoga  ,  întroivit  in  do 
mum  Simonis  j  focrus  autem  Simonis^  tencbatuEr 
Biagnis  febribus. 

Je/us  étant  forti  de  la  Synagogue  entra, 
dans  la  maïfon  de  Slmon^  dont  la  belle-mers 
avait  une  groj/e  fiéyre,  Luc.  4.  j8^ 


~zjf%^5  UiSQUE   Simon    jiigea  la  pré- 
'    1  i    -  j   fencc  de  Jefiis-Chrift.  néceffai^ 
\   re  ,  pour  la  guérifon  de  fa  bel- 


^^1   le-mere,  il  falloit  fans  doute 
mes  Frères,  que  le  mal  fût  pref- 


fant,  ôc  menaçât  d'une  mort  prochaine  ;  il 
ÊUloit  que  les  reiiièdos  oi-dinaires  fuiTent 


3^  Jeudi  de  la  III.  SemaiÎT^. 

venus  iniitiies ,  5c  qif  il  n'y  eut  qu'un  mira- 
cle qui  pût  opérer  fa  guérilon  ,  5C  la  tirer 
des  portes  de  la  mort  :  cependant  TEvan- 
gile  ne  l'a  dit  attaquée  que  d'une  limple 
fièvre.  Par-tout  ailleurs  on  n'a  recours  à 
J.  C.  que  pour  reilufciter  des  morts,  gué- 
rir des  paralytiques ,  rendre  la  vue  6c  Toùie 
à  des  fourds  &.  à  des  aveugles  denaillance, 
en  un  mot ,  pour  guérir  des  maux  incura- 
bles à  tout  autre  qu'au  fouverain  Maître  de 
la  mort  6c  de  la  vie  des  hommes  :  ici  on 
l'appelle  pour  rendre  feulement  la  fanté  à 
un  fébricitant.  D'où  vient  que  la  toutc- 
puiilance  cil  employée  pour  une  infirmiîé 
fi  légère  ?  c'eft  que  cette  fièvre  étant  1  i- 
mage  naturelle  de  la  tiédeur  dans  les  voies 
de  Dieu  ,  TEfprit  faint  a  voulu  nous  faire 
entendre  par-là  ,  que  cette  maladie  fi  légè- 
re en  apparence  ,  6c  dont  on  ne  craint 
pas  le  danger  ;  cette  tiédeur  fi  ordinaire 
dans  la  piété,  eft  une  maladie  qui  in- 
manquablement  tue  l'ame  ,  5c  qu'il  faut 
un  miracle  pour  qu'elle  ne  conduife  pas  à 
la  mort. 

Oiii  ,  mes  Frères  ,  de  toutes  les  maxi- 
'mes  de  la  Morale  cnrétienne,  il  n'en  efè 
point  fur  laquelle  l'expérience  permette 
moins  de  s'abufer ,  que  fur  celle  qui  nous 
afiiire  que  le  mépris  des  moindres  obliga- 
tions ,  conduit  infenfiblement  à  la  tranf- 
grefiion  des  plus  effentielles  ;  6c  que  la  né- 
gligence dans  les  voies  de  Dieu  ,  n'eft  ja- 
mais loin  de  la  chiite.  Celui  qui  méprife  les 
petites  chofes ,  tombera  peu  à  peu  >  dit 


s  U  R     t  A     T  I  E  D  E  U  R;  37 

rEfprit  faint:  celui  qui  les  méprife  ,  c'elt- 
à-dii^j ,  qui  les  viole  de  propos  délibéré  , 
qui  en  fait  comme  un  plan  6c  un  état  de 
conduite  :  car  fi  vous  y  manquiez  feule-  ^ 
ment  quelquefois  par  fragilité  ,  ou  par  fur- 
prife  ,  c'efi:  la  deiîinée  de  tous  les  Juives  , 
&  ce  difcours  ne  vous  regarderoit  plus  : 
mais  les  méprifer  dans  les  fens  déjà  expli- 
qué ,  6c  qui  ne  convient  qu'aux  âmes  tié- 
des  6C  infidèles  ,  c'eH:  une  voie  qui  aboutit 
toujours  à  la  perte  de  la  juliicc.  Première- 
ment ,  parce  que  les  grâces  fpéciales ,  né- 
celTaires  pour  perfévérer  dans  la  vertu ,  n'y 
font  plus  données.  Secondement,  parce 
que  les  pafTions  qui  nous  entraînent  au  vice, 
s'y  fortifient.  Troifiémement  enfin  ,  parce 
que  tous  les  fecours  extérieurs  de  la  piété 
y  deviennent  inutiles. 

Développons  ces  trois  réflexions  :  elles 
renferment  des  inftniclions  importantes  fur 
tout  le  détail  de  la  vie  chrétienne  :  utiles  , 
non-feulement  aux  âmes  qui  fontprofeffion 
d'une  piété  publique  6c  déclarée  ,  mais  en- 
core à  celles  qui  font  confifter  toute  la 
vertu  dans  une  bonne  conduite  ,  &  dans 
wvvQ,  certaine  régularité  que  le  monde  lui- 
même  exige.  Implorons ,  5Cc.  Ave  y  Muria, 

\JE  s  r  une  vérité  du  falut  ,  dit  Saint p^J^^^^ 
Auguftin  ,  que  l'innocence  même  de  plus 
juiles ,  a  befoin  du  fecours  continuel  delà 
grâce.  L'homme  livré  au  péché  par  le  dé- 
règlement de  la  nature  ,  ne  trouve  preiqiie 
plus  en  lui  que  Ôlqs  principes  d'erreur,  ÔC 


;^  JeDDÎ  I^E  la  m.  SEMAÎN^t. 
Ses  fources  de  corruption:  la  juilice  5c  I^ 
Térité  ;  nées  d'abord  avec  nous  ,  nous  iont 
devenues  comme  étrangères  :  tous  nos 
penchans  révoltés  contre  la  Loi  de  Dieu  , 
nous  entraînent  comme  malgré  nous  vers 
les  objets  illicites  ;  de  forte  nue  pour  ren- 
trer dans  Tordre  ,  &C  Ibumettre  notre  c^ur 
à  la  Loi  ;  il  faut  que  nous  réfiftions  fans 
<:eire  aux  impreilions  des  fens  ,  que  nous 
rompions  nos  inclinations  les  plus  vives  , 
&  que  nous  nous  roîdifTions  fans  relâche 
contre  nous-mêmes.  11  n'eftplus  de  devoir 
qui  ne  nous  coûte  ,  plus  de  précepte  mar- 
qué dans  la  Loi  ,  qui  ne  combatte  quel- 
qu'un de  nos  penchans;  plus  de  démarche 
dans  la  voie  de  Dieu  ,  à  laquelle  tout  notre 
cœur  ne  fe  refufe. 

A  ce  poids  de  corruption  ,  qui  nous  rend 
le  devoir  û  difficile  ,  5c  rinjuftice  fi  na- 
turelle ;  ajoutez  les  pièges  qui  nous  envi- 
ronnent, les  exemples  qui  nous  entraînent, 
les  objets  qui  nous  amolliffent ,  les  occa- 
fiôns  qui  nous  furprennent,  les  complai- 
fances  qui  nous  afFoiblilTent ,  les  afFii£tions 
qui  nous  découragent  ,  les  profpérités  qui 
nous  corrompent,  les  fituations  qui  nous 
aveuglent,  les  bienféances  qui  nous  gênent, 
les  contradiftions  qui  nous  éprouvent  , 
tout  ce  qui  eft  autour  de  nous  ,  qui  n'eft 
pour  nous  qu'une  tentation  continuelle. 

Je  ne  parle  pas  même  des  miféres  qui 
îfDus  font  propres ,  6c  des  oppofirions  par- 
ticulières que  nos  mœurs  paflces  6c  nos 
premières  paillons  ont  laiiTé  dans  notre 


s  U  R  L  A  T  lÎE  D  E  U  R.  ^§ 

tœuT  à  Tordre  5c  à  la  j  uftice  :  ce  goût  pour 
îe  monde  6c  pour  (qs  plaifirs  ;  ce  dégoût 
pour  la  vertu  ÔC  pour  fes  maximes  ;  cet 
empire  des  ftns  fortifié  par  une  vie  volup- 
tueufe  ;  cette  parefTe  invincible  à  qui  tout 
coûte ,  ÔC  à  qui  tout  ce  qui  coûte  devient 
prefque  impofTible  ;  cette  fierté  qui  ne  fait 
'ni  plier  ni  fe  rompre  ;  cette  inconflance  du 
cœur  qui  fe  lafTe  bien-tôt  de  lui-même  ,  in- 
capable de  fuite  5c  d'uniformité  ,  qui  ne 
peut  s'aiTujettir  à  la  régie ,  parce  que  la  ré- 
gie eft  toujours  la  miême  ;  qui  veut ,  6C  qui 
ne  veut  plus  ;  qui  p aile  en  un  clin  d'ceil 
d'un  abattement  exceffif  à  une  joye  vaine 
-ÔC  puérile  T  ^  ne  met  qu'un  infiant  entre 
la  réfolution  la  plus  fincère^  5c  Tinfidé- 
îité  qui  la  viole. 

Or,  dans  une  fîtuation  fimiférable^eh  i 
-que  peut  l'homme  le  plus,  jufie  ,  ô  mon 
Dieu  !  iivTé  à  fa  propre  foiblelle  ,  à  tous  les 
pièges  qui  l'environnent,  portant  dans  fon 
cœur  la  fource  de  tous  les  égaremens  ,  dC 
dans  fon  efprit  le  principe  de  toute  illufion? 
La  grâce  de  Jefus  Chrill:  toute  feule  peut 
<lonc  le  délivrer  de  tant  de  miferes  ,  l'é- 
clairer au  miliejj  de  tant  de  ténèbres  ,  le 
foutenir  contre  tant  de  difficultés  ,  le  rete- 
nir fur  des  penchans  fi  rapides ,  l'affermir 
contre  tant  d'attaques  :  fi  on  lelailTeun  mo- 
ment à  lui-même  ,  il  tombe,  ou  il  s'égare; 
il  une  main  toute- puiffante  celle  un  inftant 
de  le  retenir  ,  le  courant  l'emporte  :  notre 
confifiance  dans  la  vertu  efl  donc  un  mira» 
cle  continuel  de  la  grâce  ;  tgutes  uos  dé- 


^o  Jeudi  de  la  III.  Semaine 

marches  dans  la  voie  de  Ditii ,  font  cîonc 
de  nouveaux  mouvemens  de  rEfprit-faint  ; 
c'eft-à-dire  ,  de  ce  Guide  invifîble  qui  nous 
pouffe  &C  qui  nous  mené  :  toutes  nos  ac- 
tions de  piété  font  donc  des  dons  delà  mi- 
féricorde  divine  ,  puifque  tout  bon  ufage 
de  notre  liberté  vient  de  lui  ,  Sc  qu'il  cou- 
ronne fes  dons  enrccompenfant  nos  méri- 
tes :  tous  les  momens  de  notre  vie  chré- 
tienne, font  donc  comme  une  nouvelle  créa- 
tion dans  la  foi  ÔC  dans  la  piété  ;  c'eit-'a-dire 
(  cette  création  fpirituelle  ne  fuppofe  pas 
dans  le  Jufte  un  néant  ,  mais  un  principe 
de  grâce  ÔC  une  liberté  qui  coopère  avec 
elle  )  c'eft-à-dire  donc  ,  que  comme  dans 
l'ordre  de  la  nature  ,  nous  retomberions 
dans  le  néant ,  fi  le  Créateur  celToit  un  inf- 
tant  de  conferver  Têtre  qu'il  nous  a  donné; 
dans  la  vie  de  la  grâce;  nous  retomberions 
dans  le  péché 5c  dans  la  mort,  fi  le  Répa- 
rateur ceiToit  un  feul  moment  de  nous  con- 
tinuer par  de  nouveaux  fecoursledon  delà 
juftice  ÔC  de  la  fiiinteté  dont  il  a  embeli  no- 
tre ame  :  telle  ell  la  foiblelfe  de  l'homme  , 
6c  fa  dépendance  continuelle  de  la  grâce  de 
Jeius-Chrill.  La  fidélité  de  l'ame  jufte  eft 
donc  les  fruits  des  fecours  continuels  de  la 
grâce  ;  mais  elle  en  efl  aufli  le  principe  : 
c'eft  la  grâce  toute  feule  qui  peut  opérer  la 
fidélité  du  Julie  ;  ÔC  c'eft  la  fidélité  du  Jufte 
toute  feule  qui  mérite  la  confcrvation  6c 
l'accroilTementde  la  grâce  dans  fon  cœur. 
Car  ,  mes  Frères  ,  comme  les  voies  de 
Dieu  fur  nous  font  pleiiics  d'éqir'té  &  de- 


SurlaTiedeur.  4l 

fagefle  ,  il  faut  qu^il  y  ait  un  ordre  dans  la 
diitribution  de  les  grâces  &C  de  fes  dons: 
il  faut  que  le  Seigneur  fe  communique  plus 
abondamment  à  Tame  qui  lui  prépare  plus 
fidèlement  les  voies  dans  fon  cœur  ;  qu'il 
donne  des    marques  plus  continuelles  de 
fa    protection   6c  de  les   miféricordes   au 
Jufte  ,  qui  lui  en  donne  de  continuelles  do: 
fon  amour  ôc  de  fa  fidélité  ,  ÔC  que  le  Ser- 
viteur, qui  fait  valoir  fon  talent  ,  foit  ré- 
Gdmpenfé  à  proportion  de  Tufage  qu'il  erï 
a  fû  faire  :  il  ell  ji'.fte  au  contraire  qu'une 
ame  tiède  ÔC  infidèle  ,  qui  fert  fon   Diea 
avec  négligence  ÔC  avec  dégoût  ,  le  trou- 
ve   dégoûte  6c  refroidi   envers   elle  ;   5c 
comme  elle  n'offre*  plus  rien  à  fes  yeux 
que  de  propre  à-  le  rebuter  ,  il  n'eft  pas» 
furprenant  qu'il  la  rej,ette  de  fa  bouche^ 
félon  Texpreffion  de  l'Efprit-faint ,  avec 
I2  même  cîegoi'.t  6c  le  miên:e  foiîlevement: 
qu'on  rejette  une  boiilon  tiède  6C  deg-QÛ- 
taprte.  La  peine  inf^parable  de  la  tiédeur 
eil  donc  1j  privation  desgraces  de  protec» 
tion.  Si  vous  vous  refroidiiTez  ,   Dieu  fe; 
refroidit  à  fon  tour  :  fi  vous  vous  bornes 
à  fon  égard  à  ces  devoirs  effentiels   que 
vous  ne  pouvez  lui  refufer  fans  crime  ,  il 
fe  borne  à  votre  égard  à  des  fecours  gé^ 
néraux  avec  lefquels  vous  n'irez  pas  loin  : 
il  fe  retire  de  vous  à  proportion  que^voiiy 
vous  retirez  de  lui  ;  5c  votre  fidélité  à  le 
fervir  efl  la  mefure  de  celle  qu'il  apporte 
lui-même  à  vous  protéger. 

Rien  de  plus  jufte  que  cette  conduite  : 
Carême  j  Tome  ilL  D 


4î  Jeudi  de  la  III.  Semaine. 
car  vous  entrez  en  jugement  avec  votre 
Dieu.  Vous  négligez  toutes  les  occafions 
où  vous  pourriez  lui  donner  des  marques 
de  votre  jfîdélité  ;  il  laiiTe  paiTer  toutes  cel- 
les où  il  pourroit  vous  en  don  ner  de-fa  bien- 
veillance :  vous  lui  difputez  tout  ce  que 
vous  ne  croyez  pas  lui  devoir  :  vous  êtes 
en  garde  pour  ne  rien  faire  pour  lui  de  fur- 
croît  :  vous  lui  dites,  ce  femble  ,  com- 
me il  difoit  lui-même  à  ce  ferviteur  in- 
jufte:  Prenez  ce  qui  vous  appartient,  6C 
MctL  ^'^^  demandez  pas  davantage:  n'étcs-vous 
13.  ^.  P3S  convenu  du  prix  avec  moi  :  Toile  çuod 
tuum  ejl  :  nonne  ex  denario  convcnijîi  me" 
cum  ?  Vous  comptez  avec  votre  Dieu , 
pour  ainfi  dire  :  toute  votre  attention  eft 
de  prefcrire  des  bornes  au  droit  qu'il  a 
fur  votre  cœur  ;  5c  toute  fon  attention 
auiTi  eft  d'en  mettre  à  ion  tour  à  fes  mifé- 
ricordes  fur  votre  ame  ,  6c  de  vous  re- 
fufer,  s'il  eil  permis  de  parler  ainfi,  tout  ce- 
qu'il  peut  fe  difpcnfer  de  vous  accorder  :  il 
paye  votre  inditîerence  de  la  fienne.  L'a- 
mour eft  le  prix  de  l'amour  tout  feul  ;  6c  Ç\ 
vous  ne  fentez  pas  allez  toute  la  terreur  ÔC 
retendue,  de  cette  vérité  ,.fouffrez  que  je 
vous  en  développe  les  conféquences. 

La  première  ,  c'cfl;  que  cet  état  de  tié- 
deur ÔC  d'infidélité  ,  éloignant  de  l'a  me 
îîéde  les  grâces  de  proteâion,  ne  lui  laif- 
fant plus  que  les  fecours  généraux,  la  lailTe^,, 
pour  ainfi  dire  ,  vuide  de  Dieu  ,  ÔC  com-- 
me  entre  les  mains  de  fa  propre  foibleile  :  • 
elle  peut  encore  fans  doute  avec  ces  facours. 


Sur  la  Tiédeur.         45 

communs  qui  lui  reftent,  conferverla  fidé- 
lité qu'elle  doit  à  Dieu  :  elle  en  a  toujours 
alTez  pour  pouvoir  fe  foutenir  dans  le  bien  : 
mais  {3  tiédeur  ne  lui  permet  pas  d'en  faire 
ufage  :  c'eft-à-dire  ,  elle  eft   encore  aidée 
de  ces  fecours  avec  lefquels  on  peutperfé- 
vérer  :  mais  elle  ne  l'eft  plus  de  ceux  avec 
lefquels  on  perfévére  infailliblement:  ainlL 
il  n'eft  plus  de  péril  qui  ne  falTe  fur  cette 
ame   quelque   impre/Tion    dangereufe  ,  b^ 
qui  ne  l'approche  d'une  chute.   Je    veux 
qu'un  naturel  heureux  ,  qu'un  refle  de  pu- 
deur 6c  de  crainte  de  Dieu  ,  qu'une  c5nf- 
eience  encare  effrayée  du  crime  ,  qu'une 
réputation  de  vertu  à  conferver ,  la  défende- 
quelque   tems   contre   elle-même  ;  néan-- 
moins  comme  ces  relfources,  prifcsîa  plu- 
part dans  la  nature,  ne  fauroient  aller  loin; 
que  les  objets  des  fens  au  milieu  defquels 
elle  vit ,  font  tous   les  jours  de  nou\elles 
plaies  à  fon  cœur  ,  5c  que  la  grâce  moins- 
abondante  ne  répare  plus  ces  pertes  jour- 
nalières :  ah  !  les  forces  de  jour  en  jour 
s'affoibiilTent  ,  la  foi  fe  relâche  ,  les  vérités 
s'obfcurciilent;  plus  elle  avance  ,  plus  elle 
empire  :  onfent  bien  foi-même  qu'on  ne 
fort  plus  du  monde  ÔC  des  périls  auiîi  inno- 
cents  qu'on  en  fortoitautrefois;qu'on  pouf- 
fe plus  loin  la  foiblelfe  ÔC  la  complaifance  ; 
qu'on  paiTe   certaines  bornes  qu'on  avoit 
jufques-là  refpeêlées  ;  que  les  difcours  li- 
bres nous  trouvent  plus  indulgens ,  les  mié- 
difances  plus  favorables ,  les  occafions  plus^- 
feciles ,  les  plaifîrs  moins  retenus ,  le  mon- 

Di 


'44  Jeudi  de  la  llî.  Semaine 

de  plus  emprcirés  ;  qu'on  en  rapporte  iiit 
cœur  à  demi  gagné  ,  5c  qui  ne  tient  plus 
qu'à  de  foiblesbienféances  ;  qu'on  fentfes 
pertes  ,  b^  qu'on  ne  fent  plus  rien  qui  les 
répare;  en^n  que  Dieu  s'ertprefque  retiré, 
èC  qu'il  n'y  a  plus  entre  nous  &  le  crime  , 
d'autre  barrière  que  notre  foiblelTe.  Voilà 
où  vous  en  êtes  :  jugez  où  vous  en  ferez 
en  peu  de  tems. 

Je  fais  que  cet  état  de  relâchement  5c 
d'infidélité  vous  trouble  5c  vous  inquiète: 
que  vous  dites  tous  les  jours  que  rien  n'eft 
plus  heureux  que  de  ne  tenir  plris  à  rien,8C 
que  vous  enviez  la  dcftinée  de  ces  âmes  qui 
fe  donnent  à  Dieu  fans  réferve  ,  &  qui  ne 
g.irdent  plus  de  mefures  avec  le  monde. 
Mais  vous  vous  trompez  :  ce  n'eft  pas  la  foi 
&  la  ferveur  de  ces  âmes  fidèles  que  vous 
enviez  :  vous  n'enviez  dans  leur  deftinée 
que  la  joye  5c  le  repos  dont  elles  joùiiTent 
dans  le  fervice  de  Dieu  ,  5c  dont  vous  ne 
fauriez  joiiir  vou.s-même  :  vous  n'enviez 
quel'infenfibiritéôc  Ttieureufe  indifférence 
où  elles  font  parvenues  pour  le  monde  ,  ^ 
pour  tont  ce  qiie  le  monde  eftime  ,  dont 
Famour  fait  tous  vos  troubles  ,  vos  re- 
inords  ,  vos  peines  fccrettes  .•  mais  vous 
n'enviez  pas  les  facrifices  qu'il  leur  a  fallu 
faire  pour  en  venir  là  :  vous  n'enviez  pas 
les  violences  qu'elles  ont  eu  à  dévorer 
pour  s'établir  dans  cet  état  heureux  d0 
paix  6c  de  tri'uquiliité  :  vous  n'env'ez  pas^ 
ce  qu'il  leur  en  a  coûté  ,  pour  mériter  Ife 
4on  dïuiQ  foi  vive  &L  fervente  :  vous  ea^ 


SurlaTiedeurI  4.^ 

viez  le  bonheur  de  leur  état  ;  mais  vous  ne 
voudriez  pas  qu'il  vous  en  coûtât  riiluCon 
&  la  mollelle  du  vôtre. 

AuiTi  la  féconde  conféquence  que  je  tire 
des  grâces  de  proteftion  refufées  à  Tame 
tiède  ,  c'eft  que  le  joug  de  Jefus-Chrift 
devient  pour  elle  un  joug  dur,  accablant , 
înfupportable.  Car  ,  mes  Frères  ,  par  le 
dérèglement  de  notre  nature  ,.  ayant  perdu 
le  goût  de  la  juflice  5c  de  la  vérité,  qui 
fcûloit  les  plus  chères  délices  de  Thomm.e 
innocent ,  nous  n'^avonsplus  de  vivacité  6C 
de  fentiment ,  que  pour  les  objets  des  fens 
ÔC  des  pafîions.  Les  devoirs  de  la  Loi  qui 
nous  rappellent  fans  cefTe  des  fens  àrefprit, 
6»C  qui  nous  font  facrifîer  les  impreffions 
préfentes  des  plaifirs  ,  à  refpérance  des 
promelTes  futures  ;  ces  devoirs  ,  dis-je  , 
lalTent  bientôt  notre  foibleiTe  ,  parce  que 
ce  font  des  eiForts  continuels  que  nous  fai- 
fons  contre  nous-mêmes  :  il  faut  donc  que 
l'onâion  de  la  grâce  adoucilTe  ce  joi;g  ;, 
qu'elle  répande  de  fecrettes  confolations 
fur  fon  amertume  ,  &  qu'elle  change  la 
triflelTe  des  devoirs  en  une  joye  fainte  5C 
fenfible. 

Or  ,  Tame  tiède  ,  privée  de  cette  onc- 
tion ,  n'a  plus  pour  elle  que  la  pefanteur  du 
joug  ,  fans  les  confolations  qui  radoucif- 
fent  ;  le  calice  de  Jefus-Chriil  ne  lui  fait 
plus  fentir  que  fon  amertume.Ainfi  tous  les 
devoirs  de  la  piété  vous  deviennent  infipi- 
des  ;  les  pratiques  du  falut  ,  enniiyeufes  :- 
votre  confcience  inquiète  6c  embari-alTèe 


4^      Jeudi  de  la  III.  Semaine. 
par  vos  relâchemens  2>C  vos  infidélités, dont 
vous  ne  pouvez  vous  juftifier  l'innocence, 
ne  vous  laille  plus  goûter  de  paix  6c  de 
joye  dans  le  fer  vice  de  Dieu  :  vous  fentez 
tout  le  poids  des  devoirs  aufquels  un  refte 
de  foi  &  d'amour  du  repos  vous  empêche 
d'être  infidèle  ;   ÔC  vous  ne  fentez  pas  le- 
témoignage  fecret  de  la  confcience  ,   qui 
Tadoiicit  ÔC  qui  foutient  Tame  fervente  : 
vous  évitez  certaines  fociétés  de  plaifir,  où 
l'innocence  fait  toujours  naufrage  ;  &.  vous 
ne  trouvez  dans  la  retraite  qui  vous  en  éloi- 
gne qu'un  ennui  mortel ,  6c  un  goût  encore 
plus  vif  5c  plus  piquant  des  mêmes  plaifirs 
que  vous  vous  etîbrcez  de  vous  interdire  : 
vous  priez  ;  ôc  la  prière  n'eft  plus  pour  vous 
qu'un  égarement  ou  une  fatigue  :  vous  vous 
employez  à  des  œuvres  de  miféricorde  ;  6c 
à  moins  que  l'orgueil  ou  le  tempéram.ent 
ne  vous  y  foutienne  ,  tout  ce  qui  s'y  trouve 
de  mortifiant  vous  devient  infupportabîe  ;- 
vous  fréquentez  des  perfonnes  de  vertu  ;  ÔC 
leur  faciéré  vous  paroît  d'un  ennui  à  vous 
dégoûter  de  la  vertu  même  :  la  pliis  légère 
violence  que  vous  vous  faites  pour  le  Ciel, 
vous  coûte  de  fi  grands  efforts  ,  qu'il  faut 
que  les  plaifirs  ÔC  les  amufem.ens  du  monde 
viennent  vous  délalTer  d'abord  de  cette  fa- 
tigue pafi^agére  :  la  plus  petite  mortification 
aJbbat  votre  corps  ,..i^^^^  l'inquiétude  ôcle 
chagrin  dans  votre  humeur  ,   6c  ne  vou^- 
conloîeque  parla  prompte  réfolution  d'en 
inteirompreàl'infiant  la  pratique:  vous  vi- 
vez malbeureux  &.  fans  fioufolation,  parce 


Sur  LA  Tiédeur.  47 

que  vous  vous  privez  d'un  certain  monde 
que  vous  aimez  ,  ÔC  que  vous  fubftituez  à 
Ùl  place  des  devoirs  que  vous  n  aimez  pas: 
toute  votre  vie  n*eft  plus  qu'un  trifte  ennui^ 
&.  un  dégoût  perpétuel  de  vous  même  : 
vous  relTemblez  aux  Ifraèlites  dans  le  dé- 
fert;  dégoûtés.,  d'un  côté  ,  de  la  manne 
dont  le  Seigneur  les  obligeoit  de  fe  nour- 
rir ;  ô(  de  l'autre  ,  n'ofant  plus  revenir  aux 
viandes  de  l'Egypte  qu'ils  aimoient  encore,. 
6c  que  la  crainte  d'être  frappés  de  Dieu  ^ 
les  portoit  à  s'interdire. 

Or,  cet  état  de  violence  ne  fauroit  du- 
rer ,  on  fe  laile  bientôt  d'un  refte  de  vertu 
qui  ne  calme  point  le  cœur  ,  qui  ne  fou* 
lage    pas   la  raifon  ,  qui  ne  contente  pas 
même  l'amour  propre  ;  on  a  bientôt   fe- 
coûé  un  refte  de  joug  qui  accable ,  5c  qu'on  • 
ne  porte  plus  que  par  bienféiance  ,  5c  non 
par  amour.    Il  eft  il  trifte  de  n'être   rien  j. 
pour  ainfi  dire  ;  ni  julle,  ni  mondain  ;  ni  au 
monde  ,   ni  à  Jefus-Chrift  ;  ni  dans  les 
plaifirs  des  fens  ,  ni  dans  ceux  de  la  grâce  ; 
qu'il  eft  impo-Hlble  que  cette  fîtuation  en- 
nuyeufe  d'indifférence  Ôc  de  neutralité foit*- 
durable.  Il  faut  au  cœur  ,  ÔC  à  des  cœurs- 
furtout  d'un  certain  caractère  ,  un   objet: 
déclaré  qui  les  occupe  ÔC  qui  les  intérefle;. 
fî  ce  n'eft  pas  Dieu  ,  ce  fera  bientôt  le  mon- 
de :  un  cœur  vif  ,  emporté  ,  extrême  ,  tel 
q  le  l'ont  la  plupart  des  hommes  ^.  ne  fau- 
roit être  (îxé  q.ie  par  des  fentimens  ;  ÔC  être 
conftamment  dégoûté  de  la  vertu  ,  c'eft. 
oifrir  déjà  un  cœur  fenfible  aux  attraits  du: 
vke. 


4^  Ieuui  de  la  m.  Semaikf. 

Je  fais ,  premièrement ,  qu'il  eit  des  âmes 
parelleiifes  6c  indolentes  qui  paroiilent  fe 
maintenir  dans  cet  état  d'équilibre  ÔC  d'in- 
fenfibilité  ;  qui  n'offrent  rien  de  vif  ni  au 
monde  ni  à  la  vertu  ;  qui  femblent  égale- 
ment éloignées  par  leur  caraélère,  &C  des 
ardeurs  d'une  piété  fidèle  ,  6c  des  excès 
d'un  égarement  profane  ;  qui  confcrvent  au 
milieu  des  plaifirs  du  inonde  ,  un  fond  de 
retenue  5c  de  régularité  qui  annonce  en- 
core la  vertu  ,  ^-C  au  milieu  des  devoirs  de 
la  religion  ,un  fond  de  molleire&.  de  relâ- 
chement qui  refpire  encore  l'air  ÔClcs ma- 
ximes du  monde  :  ce  font  des  coeurs  tran* 
quilles  &.  pareffeux  ,  qui  ne  font  \  ifs  fur 
rien,  à  qui  l'indolence  tient  prefque  lieu  de 
vertu  ;  SC  qui  pour  n'être  pas  à  ce  point  de. 
piété  qui  fait  les  amcs  fidcles,  n'en  viennent 
pas  pour  cela  à  ce  degré  d'abcindonnement,. 
qui  fait  les  amcs  égarées  &C  criminelles. 

Je  le  fais  ,  mes  Frères  :  mais  je  fais  auiîî 
que  cette  pareffe  de  cœur  ne  nous  défend 
que  des  crimes  qui  coûtent,  ne  nouséloi- 
gjie  que  de  certains  plailirs  qu'il  faudroit 
acheter  au  prix  de  notre  tranquillité  ,  b(. 
que  l'amour  du  repos  tout  fejl  peut  Jious. 
interdire.  Elle  ne  nous  lailTe  vertueux 
qu'aux  yeux  des  hommes  ,.  lefquels  con- 
fondent l'indolence  qui  craint  l'embarras  ^ 
avec  la  piété  qui  fuit  le  vice  :  mais  elle  ne 
nous  défend  pas  contre  nous-mêmes, con- 
tre mille  défirs  illégitimics ,  mille  complai- 
fances  criminelles  ,  mille  paffions  plus  fa- 
crgites  5c  moins  pénibles,  parce  qu'elles 


s  UR   LA   TiEDE  UR.  49 

fe  renferment  dans  le  cœur;  Hes  jaloiilies 
qui  nous  dévorent;  des  animo/ités  qui  nous 
aigrilTent  ;  une  ambition  qui  nous  domine; 
un  orgueil  qui  nous  corrompt  ;  un  délir  de 
plaire  qui  nous  polFéde  ;  un  amour  excefiif 
de  nous-mêmes  qiii  eft  le  principe  de  toute 
notre  conduite  ,  ÔC  qui  infecte  toutes  nos 
adlions  ;  c'efl-à-dire  ,  que  cette  indolence 
nous  livre  à  toutes  nos  foiblelles  fecrettes , 
en  même-tems  qu'elle  nous  fert  de  frein 
contre  dQS  pailions  plus  éclatantes  Sc  plus 
tumultueules  ,  5c  que  ce  qui  ne  paroi t 
qu'indolence  aux  yeux  des  hommes  ,  eft 
toujours  une  corruption  6c  une  ignominie 
fecrette  devant  Dieu. 

Je  fais  ,  en  fécond  lieu  ,  que  le  goût  de 
la  piété  ,  6c  cette  onclion  qui  adoucix  la 
pratique  des  devoirs  cil  un  don  fouvcnt  re- 
lufé  aux  âmes  mêmes  les  plus  faintes  6cles 
plus  fidèles.  Mais  il  y  a  trois  différences 
elTcVitielles  entre  l'am.e  fidèle  à  qui  le  Sei- 
gneur refufe  les  confolations  l'en  (îbles  de  la 
piété  ,  ^  Famé  tiède  5c  mondaine  que  la 
péfanteur  du  joug  accable  ,  5c  qui  ne  fau- 
roit  goûter  les  chofes  de  Dieu. 

La  première  ,  c'eft  que  l'ame  fidèle  mal- 
gré fa  répugnance  6c  îes  dégoûts ,  confer- 
vaut  toujours unefoi  ferme  Scfolide,  trou- 
ve (on  état  5c  Texemtion  du  crime  ,  où 
elle  vit  depuis  que  Dieu  l'a  touchée,  mille 
fois  plus  heureux  encore  que  celui  où  elle 
vivoit  ,  lorfqu'elle  étoit  livrée  aux  ègare- 
mens  des  paffions  ;  &  pénétrée  de  l'horreur 
de  fes  excès  palIès  ,  elle  ne  voudroit  pas 

Carême  j   Tome  llh  E 


^o  Jeudi  de  la  III.  Semaine. 
pour  tous  les  plailirs  de  Ja  terre  ,  changer 
la  deftinée  8c  le  rengager  dans  fes  premiers 
vices  :  au  lieu  que  Tame  tiède  5c  infidèle  , 
dégoûtée  de  la  vertu ,  regarde  avec  envie 
les  plaifirs  6c  la  vaine  félicité  du  monde  ; 
6c  comme  fes  dégoûts  ne  font  que  la  fuite 
ÔC  la  peine  de  la  fciblelTe  5c  de  la  tiédeur 
de  fa  foi ,  le  crime  comm.ence  à  lui  paroî- 
tre  la  feule  relTource  des  ennuis  6c  de  la 
triflcile  de  la  piété. 

La  féconde  différence  ,  c'efl  que  Tame 
fidèle  au  milieu  de  fes  dégoûts  5c  de  fes    . 
aridités  ,  porte  du  moins  une  confcience    ' 
qui  ne  lui  reproche  point  de  crime  ;  elle 
eft  du  moins  fouteimë  par  le  témoignage 
de  fon  propre  cœur  ,  6c  par  une  certaine 
paix  de  Tinnocencc  qui ,  quoiqu'elle  ne  foit 
pas  vive  5v  fenfible  ,  ne  laifîe  pas  d'établir 
au  dedans  de  nous   un  calme  que  nous   : 
n'avions  jamais  éprouvé  dans  les  voies  de 
l'égarement  :  au  lieu  que  l'ame  tiède  ÔC  in- 
fidèle, fe  permettant  contre  le  tém.oignage 
de  foti  propre  cœur  ,  mille  tranfgrcflions 
journalières  dont  elle  ignore  la  malice  , 
•porte  toujours  une  confcience  inquiète  5C  ' 
douteufe  ;  6C  n'étant  plus  foutenuè  ,  ni  par  i 
le  goût  des  devoirs  ,  ni  par  la  paix  6c  le  i 
témoignage  de  la   confcience  ,    cet  état 
d'agitation  &  d'ennui  finit  bientôt  par  la  i 
paix  funefte  du  crime. 

Enfin  la  dernière  différence ,  c'eft  que  les 
dégoûts  de  l'ame  fidèle  n'étant  que  des 
épreuves  dent  Dieu  fe  fert  pour  la  purifier, 
il  fupplèe  aux  confolations  fenfibles  de  la  i 


J! 


Sur  LA  Tiédeur.  ^j 

vertu  ,  qu'il  lui  refufe  ,  par  mille  endroits 
qui  les  remplacent  ,  par  une  protection 
plus  puiffante ,  par  une  attention  miiericor- 
nieule  à  éloigner  tous  les  périls  qui  pour- 
roient  la  féduire  ,  par  des  fecours  plus 
abondans  de  la  grâce  :  car  il  ne  veut  pas 
la  perdre  5c  la  décourager  ;  il  ne  veut  que 
réprouver  5c  lui  faire  expier  par  les  amer- 
tiunes  ÔC  les  aridités  de  la  vertu  ,  les  plai- 
ffrs  injultes  du  crime.  Mais  les  dégoûts  de 
Tame  infidèle  ne  lont  pas  des  épreuves  ;  ce 
font  des  pimitions  :  ce  n'eft  pas  un  Dieu 
miféricordieuxquifurpendlesconiolations 
delà  grâce  ,  fans  fuCpendre  la  grâce  elle- 
même  ;  c'eft  un  Dieu  févére  qui  fe  venge 
5c  qui  fe  retire  :  ce  n'eft  pas  un  père  ten- 
dre ,  qui  fupplée  par  la  folidité  de  fa  ten- 
drede  ,  ÔC  par  des  fecours  effedlifs  ,  aux 
rigueurs  apparentes  dont  il  eft  obligé  d'u- 
'fer ,  c'eft  un  Juge  févére  qui  ne  commence 
à  priver  le  criminel  de  iniile  adouciffe- 
mens ,  que  parce  qu'il  lui  prépare  un  ar- 
rêt de  mort.  Les  aridités  de  la  vertu  trou- 
veirt  mille  reflburces  dans  la  vertu  mê- 
me ;  celles  de  la  tiédeur  n'en  fauroient 
trouver  ailleurs  que  dans  les  douceurs 
trompeufes  du  vice. 

Voilà  ,,  mes  Frères ,  la  deflinée  inévita- 
ble de  la  tiédeur  ,  le  malheur  de  la  chute. 
Venez  nous  dire  après  cela  ,  que  vous  vou- 
-  lez  vous  faire  une  forte  de  vertu  qui  dure  ; 
que  ces  grands  zèles  ne  fe  foutiennent  pas  ; 
qu'il  vaut  mieux  ne  pas  le  prendre  fi  haut , 
&  aller^jufqu-au  bout  jièC  qu'on  ne  va  pas 

E    L 


5^      Jeudi  de  la  III.  Semaine. 

loin  ,  quand  on  fe  met  hors  d'aleine  dès 

Iqs  premiers  pas. 

Je  fais  que  tout  excès  ,  même  dans  la 
piété,  ne  vient  pas  de  l'Efprit  de  Dieu ,  qui 
eft  un  efprit  de  difcretion  6c  de  fagelle  ; 
que  le  zèle  qui  renverfe  Tordre  de  notre 
état  &  de  nos  devoirs  ,  n'efi:  pas  la  piété 
qui  vient  d'en  haut ,  mais  une  illufion  qui 
liait  de  nous-mêmes  ;  que  Findifcrétion  efl 
une  fource  de  faulles  vertus  ;  ÔC  qu'on  don^ 
ne  fouvent  à  la  vanité  ,  ce  qu'on  croit  don- 
ner à  la  vérité.  Mais  je  vous  dis  de  la  part 
de  Dieu ,  que  pour  perfévérer  dans  fes  voies 
il  faut  fe  donner  à  lui  fans  réferve  :  je  vous 
fîis  que  pour  fe  foutenir  dans  la  fidélité  aux 
devoirs  elfentiels,  il  faut  fans  celle  afîbiblir 
lespalfionsqui  nous  en  éloignent  fans  cefTe; 
^  que  les  ménager  ,  fous  prétexte  de  n'al- 
ler pas  trop  loin  ,  .c'eft  fe  creufer  à  foi- mê- 
me fon  précipice.  Je  vous  dis  qu'il  n'y  a 
que  les  âmes  fidèles  ÔC  ferventes ,  qui  non 
contentes  d'éviter  le  crime,  évitent  tout  c« 
qui  peut  y  conduire  ;  qu'il  n'y  a  ,  dis-je  , 
que  ces  âmes  qui  perfévérent ,  qui  fefou- 
tîennent,  qui  honorent  la  piété  par  une 
conduite  foutenuè  ,  égale,  uniforme;  5C 
au  contraire  qu'il  n'y  a  qite  les  amcs  tiédes 
èc  molles ,  les  am.es  qui  ont  commencé 
leur  pénitence  par  mettre  des  bornes  à  la 
piété  ,  &L  à  l'accommoder  avec  les  plaifirs 
&  les  maximes  du  monde  ;  qu'il  n'y  a  que 
ces  âmes  qui  reculent ,  qui  fe  démentent, 
qui  reviennent  à^eur  vomiffement ,  6c  qui 
deshonorent  la  piété  par  des  inconftances 


s  U  R    L  A    T  I  E  D  E  U  R.  53 

Se  des  inégalités  d'éclat  ,  6c  par  une  vie 
mêlée  ,  tantôt  de  retraite  5c  de  vertu  ,  tan- 
tôt de  monde  b^  de  foibleiTe.  Et  j'en  ap- 
pelle ici  à  vous- mêmes ,  mes  Frères  :  quand 
vous  voyez  dans  le  monde  une  ame  fe  re- 
lâcher de  fa  première  fen-eur  ,  fe  rappro- 
cher un  peu  plus  des  fociétés  ÔC  desplaifirs 
qu'elle  s'étoit  d'abord  fi  févérement  inter- 
dits ,  rabattre  infenfiblement  de  fa  retraite, 
de  fa  modeilie  ,  de  fa  circonfpeclion  ,  de 
fes  prières ,  de  l'exa^litude  à  fes  devoirs; 
ne  dites-vous  pas  vous-mêm.es  qu'elle  n'eft 
pas  loin  de  redevenir  tout  ce  qu'elle  étoit 
autrefois  ?  Ne  regardez- vous  pas  tous  c.  s 
relâchemens  ,  comme  les  préludes  de  la 
chiite  ?  5c  ne  comptez-vous  pas  que  la  ver- 
tu efl  prefque  éteinte  ,  dès  que  vous  la 
voyez  affoiblie  ?  En  faut-il  tant  même 
pour  réveiller  vos  cenfiires  5c  vospréfages 
finiftres  6c  malins  contre  la  piété  ?  Injulles 
que  vous  êtes ,  vous  condamnez  une  vertu 
tiède  ÔC  infidèle  ,  6c  vous  nous  condam  i?7 
nous-mêmes,  quand  nous  exigeons  uvc 
vertu  Bdéh  6c  fervente  :  vous  prétendez 
qu'il  ne  faut  pas  le  prendre  fi  haut  pour  fe 
foutenir  ,  ÔC  vous  pronhétifez  qu'on  va 
tomber  ,  dès  qu'on  s'y  prend  avec  plus  de 
tiédeur  ÔC  de  négligence  ! 

C'eil  donc  dans  le  relâchement  tout  Ceu\ 
qu'il  faut  craindre  les  retours  ôc  les  chûtes  : 
ce  n'eil  donc  pas  en  fe  donnant  à  Dieu  fans 
rèferve  ,  qu*on  fe  dégoûte  de  lui,  ôc  qu'il 
nous  abandonne  ;  c'eil  en  le  fervantavec 
lâcheté  :  le  moyen  de  fortir  glorieux  du 


11. 

Partie 


54  Jeudi  dj:  la  III.  Semaine 
combat  >  n'eft  donc  pas  de  inénager  Ten- 
iiemi  ;  c'efl  de  le  vaincre  :  le  fecret  pour 
n'être  pas  furpris  ,  neil  donc  pas  de  s'en- 
dormir dans  la  parelTe  ÔC  dans  l'indolence; 
c'eft  d'être  attentif  far  toutes  fes  voies  :  il 
ne  faut  donc  pas  craindre  d'en  trop  faire, 
de  peur  de  ne  pouvoir  fe  Soutenir;  au  con- 
traire ,  pour  mériter  la  grâce  de  fe  fou- 
tenir,  il  faut  d'abord  ne  laiiTer  rien  à  faire. 
Quelle  illufion  ,  m^es  Frères  !  on  craint  le 
zèle  comme  dangereux  à  la  perfévérance  , 
èc  c'eil  le  zèle  feul  qui  l'obtient  ;  on  fe 
retranche  dans  une  vie  tiède  ^  commode, 
comme  la  {^uIq  qui  peut  durer  ,  ^  c'eft  la 
feule  qui  fe  dément  ;  on  évite  la  fidélité 
comme  Técueil  de  la  piété  y  &  la  piété  fans 
fidélité  n'elt  jamais  loin  du  naufrage. 

C'eft  ainfi  que  la  tiédeur  éloigne  de  famé 
infidèle  les  grâces  de  proteèlion  ;  5c  que 
ces  grâces  éloignées  ôtantà  notre  foi  toute 
fa  force  ,  au  joug  de  Jefus-Chrift  toutes 
fes  confolations ,  nous  laiiTent  dans  un  état 
de  défaillance  6c  de  dépériiTement  ,  où  il 
ne  faut  à  l'innocence  pour  fuccomber  que 
le  malheur  d'être  attaquée.  Mais  fi  la  per- 
te de  la  jnih'ce  eft  inévitable  dans  la  tié- 
deur ,  du  côté  des  grâces  qui  s'éloignent  ; 
qUs  l'eft  encore  du  côté  des  paiTions  qui 
fe  fortifient. 

V^E  qui  rend  la  vigilance  fi  néceffaire  à 
la  piété  chrétienne  ,  ceû.  que  toutes  les 
paffions  qui  s'oppofent  en  nous  à  la  loi  de 
DiQd  y  ne  mcareut,  pour  ainfl  dire  ,  qu'a- 


Sur  LA  Tiédeur.      _  55 

vec  nous.  Nouspouvons  bien  les  niToibîir 
par  le  feconrs  de  ia  grâce  6C  d'une  foi  vive 
te  fervente,  maisles  penchans  ^v  les  raci- 
nes en  demeurent  toujours  dans  le  cœur  ; 
nous  portons  toujours  au  dedans  de  nous 
les  principes  des  mêmes  égaremens  ,  que 
nos  larmes  ont  eftacés.  Le  crime  peut  être 
mortdans  nos  cœurs  ;  n^ais  le  péché  ,  com- 
mue parle  TApôtre  ,  c'efl-à-dire  ,  les  incli- 
nations corrompues  qui  ont  formé  tous  nos 
crimes ,  y  habitent  oC  y  vivent  encore  ;  5C 
ce  fond  de  corruption  qui  nous  avoit  éloi- 
gné de  Dieu,  nous  eil  encore  laiiTé  dans 
notre  pénitence  ,  pour  fervir  d'exercice 
continuel  à  la  vertu  ;  pour  nous  rendre 
plus  dignes  de  la  couronne  par  les  ocça- 
fions  éternelles  de  combat  qu'il  nous  fiif- 
cite  ;  pour  humilier  notre  orgueil  ;  pour 
nous  faire  fouvenir  que  le  tems  de  la  vie 
préfente  efl  un  tems  de  guerre  6c  de  péril  ; 
ÔC  que  par  une  deiliriée  inévitable  à  la  con- 
dition de  notre  nature  ,  il  n'y  a  pref^fie 
jamais  qu'un  pas  à  faire  entre  le  relâche- 
ment cC  le  crimie. 

Il  efl  vrai  que  la  graçe  de  Jefus-Chri/l, 
nous  tft  donnée  pour  reprimer  cespenchans 
corrompus  qui  furvivfnt  à  notre  conver- 
fîon  :  mais  comme  nous  venons  de  le  dire , 
dans  la  tiédeur  ,  la  grâce  ne  nous  offrant 
piefque  plus  que  des  fecours  généraux, 
6c  toutes  les  grâces  de  protection  dont 
nous  nous  fommes  rendus  indignes  ,  étant 
ou  plus  rares  ou  lufpenduès  ,  il  eft  clair 
que  de  cela  même  ,  les  pallions   doivent 

E4 


$6  Jeudi  de  la  ÎII.  Semaine. 
prendre  de  nouvelles  forces.  Mais  je  dis 
que  non-feuJcinent  les  paillons  fe  fortifient 
dans  la  vie  tiède  ^  infidèle  ,  parce  que 
les  grâces  de  proteélion  qui  les  affoiblif- 
fent  y  font  plus  rares  ,  mais  encore  par 
rétat  tout  feul  du  relâchement  5c  de  la  tié- 
deur elle-même  ;  car  la  vie  tiède  &  infi- 
dèle n'étant  qu'une  indulgence  continuelle 
pour  toutes  nos  paillons  ;  une  molle  faci- 
lité a  leur  accorder  ians  celle  jufqu'à  un 
certain  point  tout  ce  qui  les  flâte  ;  une  at- 
tention mêmie  d'amour  propre  à  éloigner 
tout  ce  qui  pourroit ,  ou  les  réprimer  ,  ou 
les  contraindre  ;  un  ufage  perpétuel  de 
tout  ce  qui  efl  le  plus  capable  de  les  en- 
flammer :  il  eli  clair  qu'acnés  doivent  tous 
les  jours  y  prendre  de  nouvelles  forces. 

En  eirct ,  m.es  Frères  ,  il  ne  faut  pas  fe 
figurer  qu'en  ne  pouffant  notre  indulgence 
pour  nos  pafllons  ,  que  jufqu'à  certaines 
bornes  permifes ,  nous  les  appaifions ,  pour 
ainfi  dire  ,  nous  leur  en  accordions  sfTez 
pour  les  fatisfaire,  ÔC  pas  affez  pour  fouil- 
ler notre  am,e  y  6c  mettre  le  trouble  & 
lé  remord  dévorant  dans  la  confcience  ; 
nous  figurer  que  nous  puifîions  jamais  ar- 
river à  un  certain  état  d'équilibre  entre  le 
crime  Sc  la  vertu  ,  où  d'un  côté  nos  paf- 
fions  foient  contentes  par  les  adouciffe- 
mens  que  nous  leur  permettons  ,  ^l  où  de 
l'autre  notre  confcience  foit  tranquille  par 
la  fuite  du  crime  que  nous  évitons.  Car 
voilà  le  plan  que  fe  forme  l'ame  tiède  ,  fa- 
vorable à  fon  indolence  ôC  à  fa  pareiTe  ^ 


Sur  LA  Tiédeur.  57 

parce  qu'il  bannit  également  tout  ce  qu'il  y 
a  de  pénible  dans  le  crime  5C  dans  la  ver- 
tu ,  qu'il  refufe  aux  pafTions  tout  ce  qui 
troubleroit  la  confcience  ,  Sc  à  la  vertu 
tout  ce  qui  gêneroit  ôC  mortifîeroit  trop 
Tamour  propre;  mais  cet  état  d'équilibre 
&  d'égalité  eil  une  chimère.  Les  paiTions 
ne  connoillent  pas  mêm.e  de  bornes  dans 
le  crime  ;  comment  pourroient-elles^  s'en 
tenir  à  celles  de  la  tiédeur  ?  Les  excès  ne 
peuvent  les  fatisfaire  6c  les  fixer  ;  com- 
ment de  fimples  adouciilem.ens  les  fixe- 
roient-ils  ?  plus  vous  leur  accordez  ,  plus 
vous  vous  mettez  hors  d'état  de  pouvoir 
rien  leur  refufer.  Le  véri^nble  fecret  pour 
les  appaifer  n'eft  pas  de  les  favorifer  juf- 
qu'à  un  certain  point  ;  c'^eft  de  les  combat- 
tre en  tout  :  toute  indulgence  les  rend  plus 
fiéres  6c  plus  indomptables  ;  c'eft  un  peu 
d'eau  jettée  dans  l'incendie  ,  qui ,  loin  de 
Tappaifer  ,  l'augmente  ;  c'efi:  un  peu  de 
pâture  préfentce  à  un  lion  dévorant,  qui , 
loin  de  calmer  fa  faim  ,  la  rend  plus  vive 
6C  plus  violente  :  tout  ce  qui  flâte  les  paf- 
fions  ,  les  aigrit  5c  les  révolte. 

Or  ,  tel  eft  l'état  d'une  ame  tiède  8c  in- 
fidèle  :  toutes  les  animofités  qui  ne  vont 
pas  jufqu'à  la  vengeance  déclarée  ,  elle  ie 
les  permet  :  tous  les  plaifirs  où  l'on  ne  voit 
pas  de  crimaC  palpable,  elle  fc  les  jurtifie; 
toutes  les  parures  &C  tous  les  artifices^  où 
l'indécence  n'cft  pas  fcandaleufe  ,  où  il 
n'entre  ni  paflion ,  ni  viiè  marquée ,  elle  les 
recherche  :  toutes  tes  vivacités  fur  l'avan* 


58  Jeudi  de  la  IIÎ  Semaine. 
cernent  6c  fur  la  fortune  qui  ne  nuifent  à 
perfonne  ,  elle  s'y  livre  fans  réferve  :  tou- 
tes les  omillions  qui  paroilTent  rouler  fur 
des  devoirs  arbitraires  ,  ou  qui  n'intéref- 
fent  que  légèrement  des  devoirs  eifentiels , 
elle  n'en  fait  pas  de  fcrupule:  tout  l'amour 
du  corps  &  de  la  perfonne  ,  qui  ne  mène 
pas  direâement  au  crime ,  elle  ne  le  comp- 
te pour  rien  :  toute  la  délicateiTc  furie  rang 
&  fur  la  gloire  ,  qui  peut  compatir  avec 
une  modération  que  le  monde  lui-même 
demande  ,  on  s'en  fait  un  mérite.  Or  , 
qu'arrive-t'il  de  là  ?  voulc7-vor.s  le  favoir  ? 
le  voici  ,  &.  je  vous  prie  d'écouter  ces 
réflexions. 

Premièrement,  c'efi:  que  tous  les  pcn- 
chans  qui  s'oppofent  en  nous  à  la  régie  5C 
au  devoir  ,  s'étant  fans  ceffe  fortifies  ,  la 
régie  6c  le  devoir  trouvent  enfuite  en  nous 
des  difficultés  infurmontables  ;  de  forte 
que  ,  les  accomplir  dans  une  occafion  ef- 
fentielle,  où  la  loi  de  Dieu  nous  y  oblige, 
eft  une  eau  rapide  qu'il  faut  remonter  mal- 
gré le  courant  qu'il  nous  entraîne  ,  un  che- 
val indompté  &  furieux  qu'il  faut  arrêter 
tout  court  fur  le  bord  du  précipice.  Ainfî 
votre  fenfibilité  fur  les  injures  toujours 
trop  écoutée  ,  a  pouffé  votre  orgueil  à  un 
tel  point ,  que  dans  une  occafion  décifive  , 
où  vous  croirez  votre  honneur  eilentielle- 
ment  intéreilé  ,  &  où  il  s'agira  de  pardon- 
ner ,  vous  ne  ferez  plus  maître  de  votre 
reifentiment ,  6c  vous  abandonnerez  votre 
cceur  à  toute  la  vivacité  de  la  h^ine  ôc  de 


SuRL  A  Tiédeur.  5f^ 

ia  vengeance  :  ainfî ,  ces  foins  &C  ces  em- 
prelîcmens  à  cultiver  reflime  des  hommes, 
ont  il  bien  fortifié  dans  votre  cœur  le  déiir 
de  mériter  leurs  louanges  <X  de  vous  con- 
ferver  leurs  fufFrages  ,  que  dans  une  cir- 
conftance  elTentielle  où  il  faudra  facrifier  la 
vanité  de  leurs  jugemens  au  devoir  ,  5C 
s'expofer  à  leur  cenfure  5c  à  leiu*  dérifîon  , 
pour  ne  pas  manquer  à  votre  ame  ;  les  in- 
térêts de  la  vanité  l'emporteront  fur  ceux 
de  la  vérité  ,  6c  le  refpecl  humain  fera  plus 
fort  que  la  crainte  de  Dieu  :  ainfi  ,  ces  vi- 
vacités fur  la  fortune  ÔC  fur  l'avancement , 
nourries  de  longue  m^ain  ,  ont  rendu  l'am- 
bition fî  fort  maitrefTe  de  votre  cœur  ,  que 
dans  une  conjonâure  délicate,  où  il  fau- 
dra détruire  un  concurrent  pour  vous  éle- 
ver ,  vous  facriflerez  votre  confcience  à. 
votre  fortune  ,  8c  ferez  injufte  envers  vo- 
tre frère,  de  peur  de  vous  manquera  vous- 
même  :  ainfî ,  enfin  ,  pour  éviter  trop  d« 
détail ,  ces  attachemens  fufpeéls ,  ces  en- 
tretiens trop  libres ,  ces  complaifances 
trop  poufTées  ,  ces  défirs  de  plaire  trop 
écoutés  ,  ont  mis  en  vous  des  difpofitions 
fi  voifines  du  crime  ôc  de  la  volupté  ,  que 
vous  ne  ferez  plus  en  état  de  réfifter  dans 
un  péril  où  il  s'agira  d'aller  plus  loin  ;  la 
corruption  préparée  par  toute  la  fuite  de 
vos  démarches  palTées ,  s'allumxera  à  i'inf- 
tant  ;  votre  foibleffe  l'emportera  fur  vos 
réflexions  ;  votre  cœur  fe  refufera  à  votre 
fierté  ,  à  votre  gloire  ,  à  votre  devoir  ,  à 
vous-même.  On  a'eil  pas  long  tems  fidèle,, 


6o      Jeudi  de  la  III.  Semaine. 
quand  on  trouve  en  foi  tant  dedifpofitions 
a  ne  l'être  pas. 

Anifi,  vous  ferez  furpris  vous-même  de 
votre  fragilité  :  vous  vous  redemanderez  , 
que  font  devenues  ces  difpofîtions  de  pu- 
deur  Se  de  vertu  ,  qui  vous  infpiroient  au- 
trefois tant  d'horreur  pour  le  crime  :  vous 
ne  vous  connoîtrez  plus  vous-même:  vous 
ientirez  en  vous  une  pente  malheureufe  ^C 
violente  ,  que  vous  portiez  à  votre  infçu 
dans  votre  ame  :  peu  à  peu  cet  état  vous 
paroîtra  moins  affreux.  Le  cœur  fe  jufliHc 
biQntot  tout  ce  qui  le  captive:  ce  qui  nous 
plaît ,  ne  nous  allarme  pas  long-tems  ;  6c 
vous  ajouterez  au  malheur  de  la  chiVe  ,  le 
malheur  du  calme  6c  de  la  fécurité. 
.  Telje  efl  la  deftinée  inévitable  de  la  vie 
tiede  5C  infidèle:  des  pafTions  qu'on  a  trop 
ménagées  ;  des  lionceaux  ,  dit  un  Prophé- 
te  ,  qu'on  nourrit  fans  précaution  ,  croif 
lent  enfin  ,  Se  dévorent  la  main  indifcrette 
c[ui  les  a  elle-même  aidés  à  fe  fortifier ,  Sc 
a  devenir  redoutables  :  les  pafîîons  venues 
a  un  certain  point,  fe  rendent  les  maîtref 
les.  Vous  avez  beau  alors  vous  ravifer  ;  il 
n  eft  plus  tems  :  vous  avez  couvé  le  feu 
profane  dans  votre  cœur  ;  il  faut  enfin 
quil  éclatte  :  vous  avez  nourri  ce  venm 
au  dedans  de  vous;  il  faut  qu'il  gagne,  6c 
Il  nelt  plus  tems  de  recourir  aîi  remède. 
11  talloit  vous  y  prendre  de  bonne  heure  ; 
les  commencemens  du  mal  n'étoient  pas 
encore  fans  reflource  ;  vous  l'avez  laiifé 
tortiher  ;  vous  l'avez  aigri  par  tout  ce  qui 


Sur  LA  TiEDÈu  R.  6i 

poiivoit  le  rendre  plus  incurable  ;  il  faut 
qu'il  prenne  le  deltus  ;  6c  que  vous  vous 
trouviez  la  victime  de  votre  indifcrétion 
6c  de  votre  indulgence. 

Aulfi  ne  nous  dites  vous  pas  vous-même 
tous  les  jours  ,  mes  Frères  ,  que  vous 
avez  les  meilleures  intentions  du  monde , 
que  vous  voudriez  mieux  faire  que  vous 
ne  faites ,  5c  qu'il  vous  femble  que  vous 
défirez  fincérement  de  vous  fauver  ;  mais 
qu'il  arrive  mille  conjonftures  dans  la  vie, 
où  l'on  oublie  toutes  fes  bonnes  réfolutions, 
6c  où  il  faudroit  être  un  Saint  pour  ne  pas 
fe  lailler  entraîner  :  &C  voilà  juftement  ce 
que  nous  vous  difons ,  que  malgré  toutes 
vos  bonnes  intentions  prétendues ,  fi  vous 
ne  fuyez  ,  fi  vous  ne  combattez  ,  fi  vous 
i>e  veillez  ,  fi  vous  ne  priez ,  fi  vous  ne  pre- 
nez fans  cefife  fur  vous-même  ,  il  fe  trou- 
vera mille  occafions  où  vous  ne  ferez  plus 
le  m.aître  de  votre  foiblefi'e  :  voilà  ce  que 
nous  vous  difons ,  qu'il  n'eft  qu'une  vie 
mortifiée  êc,  vigilante  qui  puiile  nous  met- 
tre à  couvert  des  tentations  &  des  périls  ; 
que  c'efi:  un  abus  de  croire  qu'on  fera  fi- 
dèle dans  ces  momens  où  l'on  efi:  violem- 
ment attaqué  ,  lorfqu'on  y  porte  un  cœur 
afFoibli ,  chancellant ,  5c  déjà  tout  prêt  à 
tomber  :  qu'il  ny  a  que  la  m^aifon  bâtie  fur 
le  roc  ,  qui  rëlifle  aux  vents  5c  à  l'orage; 
qu'il  n'efi:  que  la  vigne  entourée  d'un  vafte 
fofi'é,  6c  fortifiée  d'une  tour  inaccefilble, 
qui  ne  foit  pas  expofée  aux  infultes  des 
pallans  j  §C  qu'en  lui  mot,  il  faut  être  faiut 


6i       Jeudi  de  la  III  Semaine. 

6c  folidemeiit  établi  dans  la  vertu  ,  pour 

vivre  exemt  de  crime. 

Et  quand  je  dis  qu'il  faut  être  faint  :  hé- 
îas!  mes  Frères ,  les  âmes  les  plus^  ferven- 
tes 5c  les  plus  fidèles  elles-mêmes  avec  des 
penchans  mortifiés ,  une   chair  exténuée 
par  les  rigueurs  de  la  pénitence  ,  une  ima- 
gination purifiée  par  la  prière  ,   un  efprit 
nourri  de  la  vérité  8>C  de  la  méditation  de 
la  loi  de  Dieu  ,  une  foi  forti-fiée  parles  Sa- 
cremens  ÔC  par  la  retraite  ,   fe  trouvent 
quelquefois  dans  des  iîtuations  fi  terribles  , 
que  leur   cœur  fe  révolte  ,  leur    imagi- 
nation fe  trouble  6(.  s'égare  ;  qu'elles  fe 
voyent  dans  ces  trifles  agitations  où  elles 
flottent  long-tems  entre  la  mort  5c  la  vic- 
toire ,  6i  où  femblables  à  un  navire  qui 
fe  défend  contre  les  flots  au  milieu  d'une 
mer  irritée  ,  elles  n'attendent  de  sûreté , 
que  de  celui  qui  commande  aux  vents  &C 
à  l'orage  :   &.  vous  voudriez  qu'avec  un 
cœur  déjà  à  demi  féduit ,  avec  des  pen- 
chans voifins  du  crim^e  ,  votre'foibleiTe  fût 
à  l'épreuve  des  occalions ,  6c  que  les  ten- 
tations les  plus  violentes  vous  trouvailent 
toujours  tranquille  6c  inaccefïïble  ?  vous 
voudriez  que  dans  des  mœurs  tiédes  ,  fen- 
fueiles  ,  mondaines,  votre  ame  offrit  aux 
occafions  ,  cette  foi  ,  cetfte  force  que  la 
piété  la  plus  tendre  êv  la  plus  attentive 
quelquefois   ne    donne    pas   elle-même? 
vous  voudriez  que   des   paffions    flâiées  , 
nourries ,  ménagées  ,   fortifiées  ,    derneu- 
raffeut  dociles ,  immobiles ,  froides  en  pr^- 


SurlaTiedeur.  63 

fence  des  objets  les  plus  capables  de  les 
allumer;  elles  qui  après  des  longues  macé- 
rations ,  6C  une  vie  entière  de  prière  6C 
de  vigilance  ,,  fc  réveillent  quelquefois 
tout  d'un  coup  ,  loin  même  des  périls  , 
5c  font  fentir  aux  plus  julles  par  des 
exemples  funeftes  ,  qu'il  ne  faut  jamais 
s'endormir  ,  6c  que  le  plus  haut  point  de 
la  vertu  n'eft  quelquefois  que  Tinilant  qui 
précède  la  chute  r  Telle  eil  notre  dclH- 
née  ,  mes  Frères  ,  de  n'être  clairvoyans 
que  fur  les  périls  qui  regardent  notre  for- 
tune ou  notre  vie  ,  ÔC  de  ne  pas  connoî- 
tre  même  ceux  qui  menacent  notre  fal'.it. 
Mais  défabufons-nous  ;  pour  éviter  le  cri- 
me,  il  faut  quelque  chofe  de  plus  que  la 
tiédeur  Sc  l'indolence  de  la  vertu  ;  tC  la 
vigilance  ell  le  feul  moyen  que  Jefus- 
Chriil:  nous  ait  iaillé  pour  conferver  l'in- 
nocence. Première  reflexion. 

Une  féconde  réflexion  qu'on  peut  faire 
fur  cette  vérité  ;  c'efc  que  les  paillons  fe 
fortifiant  de  jour  en  jour  dans  la  vie  tiède 
Se  infidèle,  non-feulemeat  le  devoir  trouve 
en  nous  des  répugnances  infurmontables  < 
mais  encore  le  crime  s'applanit,  pour  ainlî 
dire ,  Sc  on  n'y  fentpas  plus  de  répugnance 
que  pour  une  (impie  faute.  En  eltct  ,  le 
cœur,  par  ces  intidélitès  journalières  infè- 
l^arables  de  la  tiédeur  ,  arrivé  enfin  com- 
me par  autant  de  démarches  infenfibles  juf- 
qu'à  ces  bornes  périlleufes ,  qui  ne  féparent 
plus  que  d'un  point  la  vie  ,  de  la  mort ,  le 
crime ,  de  l'innocence ,  franchit  le  dernier 


64  Jeudi  de  la  III.  Semaine. 
pas  ,  fans  prefque  s'en  appercevoir  :  com- 
me il  lui  refloit  peu  de  chemin  à  faire  ,  6c 
qu'il  n'a  pas  eu  beforn  d'un  nouvel  effort 
pour  palfer  outre  ,  il  croit  n'avoir  pas  été 
plus  loin  que  les  autres  fois  :  il  avoit  mis 
en  lui  des  difpofitions  fi  voifinesdu  crime  , 
qu'il  a  enfanté  l'iniquité  fans  douleur ,  fans 
répugnance,  fans  aucun  mouvement mar- 
que  ,  lans  s  en  appercevoir  lui-men:ie  j  lem- 
blableàun  mourant  queles  langueurs  d'une 
longue  5c  j^énible agonie ,  ont  fi  fort  appro- 
ché de  fa  fin  ,  que  le  dernier  foupir  relfem- 
hle  à  ceux  qui  l'ont  précédé  ,  ne  lui  coûte 
pas  plus  d'cifbrts  que  les  autres  ,  6c  lailfe 
même  les  fpe^lateurs  incertains  fi  fon  der- 
nier moment  eil  arrivé  ,  ou  s'il  refpire  en- 
core :  5c  c'efl  ce  qui  rend  l'état  d'une  ame 
tiède  encore  plus  dangereux  ,  que  d'ordi- 
naire on  y  meurt  à  la  grâce  fans  s'en  ap- 
percevoir foi-même  ;  on  devient  ennemi  de 
Dieu  ,  qu'on  vit  encore  avec  lui  comme 
avec  un  ami  ;  on  cft  dans  le  commerce  des 
chofes  faintcs ,  ÔC  on  a  perdu  la  grâce  qui 
nous  donnoit  droit  d'en  approcher. 

Ainii ,  que  les  amcs  que  ce  difcours  re- 
garde, nes'abufent  point  elles-mêmes ,  fur 
ce  que  peut-être  elles  font  jufqu'ici  dé- 
fendues d'une  chiite  grofliére  :  leur  état 
n'en  efl  fans  doute  que  plus  dangereux  de- 
vant Dieu  :  la  peine  la  plus  form.idable  de 
leur  tiédeur  ,  c'eft  peut-être  que  déjà  m.or- 
tes  à  fes  yeux  ,  elles  vivent  fans  aucune 
chute  marquée  :  c'eft  qu'elles  s'endorment 
tranquillement  dans  la  mort  fur  une  appa- 
rence 


SurlaTiedeur,  6^ 

reHCe  de  vie  qui  les  raiïure  :  c'eft  qu'elles 
ajoutent  au  danger  de  leur  état ,  une  fauire 
paix  qui  les  confirme  dans  cettte  voie  d'il- 
Uifion  ôC  de  ténèbres  :  c'eft  enfin  que  le 
Seigneur,  par  des  jugemens  terribles  ÔC 
fecrets ,  les  frappe  d'aveuglement,  6c  pu- 
nit la  corruption  de  leur  cœur  ,  en  permet- 
tant qu'elles  Tignorent.Une  chute  grofiiére 
feroit ,  fi  j'ofe  le  dire  ,  un  trait  de  bonté 
6c  de  miféricorde  de  Dieu  fur  elle  :  elles 
ouvriroient  du  moins  les  yeux  alors  :  le 
crime  dévoilé  &C  apperçu  ,  porteroit  du 
moins  le  trouble  &  l'inquiétude  dans  leur 
confcience  :  le  mal  enfin  découvert  les  fe- 
roit peut  être  recourir  au  remède  :  au 
lieu  que  cette  vie  réglée  en  apparence  les 
endort  5c  les  calme  ,,  leur  rend  inutile  l'e- 
xemple des  âmes  ferventes  ,  leur  perfuade- 
que  cette  grande  ferveur  n'eft  pas  nécef» 
faire  ,  qu'il  y  entre  plus  de  tempérament 
que  de  grâce  ,  que  c'eft  un  zèle  plutôt 
qu'un  devoir  ;  6c  leur  fait  écouter  comme 
de  vaines  exagérations ,  tout  ce  que  nous 
difons  dans  ces  chaires  chrétiennes  ,  fur 
Iqs  chûtes  inévitables  dans  une  vie  tiède  ÔC 
iufidéle.  Seconde  réflexion.. 

Enfin  ,  une  dernière  réflexion  à  faire  fur- 
cette  vérité  ,  c'eft  que  telle  efl  la  nature  de 
notre  cœur  ,  de  demeurer  toujours  fort  au- 
deffous  de  ce  qu'il  fe  propofe.  Nous  avons- 
fait  mille  fois  des  réfolutions  faintes  ;  nous^ 
avons  projette  de  poulTer  jufqu'à  uncer» 
taint  point  le  détails  des  devoirs  ôc  de  lai 
conduite  ;    mais  l'exécution    a    toujpiirK 

Carême ,   Tome  IIL  F 


66  Mardi  de  la  III  Semaine. 
beaucoup  diminué  de  T^ardeur  de  nospra*" 
jets  ,  6c  eft  demeurée  fort  au  deiïbus  du 
degré  011  nous  voulions  nous  élever  :  ainfî 
une  ame  tiède  ;  ne  fe  propofant  pour  le 
plus  haut  point  de  fa  vertu  ,  que  d'éviter 
le  crime  ;  vifant  précifément  au  précepte  ,, 
c'eil- à-dire  ,  à  ce  point  rigoureux  6c  pré-' 
cis  de  la  Loi ,  au  defTous  duquel  fe  trouve 
immédiatement  la  mort  &.  la  prévarica- 
tion ;  elle  demeure  infailliblement  au  def- 
fous ,  6c  ne  va  jamais  jufqu'à  ce  point  ef- 
fentiel  qu'elle  s'étoit  propofé  :  c'eft  donc 
une  maxime  inconteftable  ,  qu'il  faut  beau- 
coup entreprendre  pour  exécuter  peu  ,  ÔC 
vifer  bien  haut  pour  atteindre  du  moins  au 
îîiilieu.  Or  cette  maxime  fi.  siire  à  l'égard 
inême  des  plus  juftes  jl'eft  infînimentpliis  à 
l'égard  d'une  ame  tiède  &C  infidèle  :  car  la 
tiédeur  aggravant  tous  fes  liens,  6c  augmen- 
tant le  poids  de  fa  corruption  ÔC  de  les  mi- 
féres;c'ei£  elle  principalement  qui  doitpren- 
dre  un  grand  eïïbrpour  atteindre  du  moins 
au  plus  bas  degré  ,  6c  fe  propofer  la  per- 
fe£^ion  des  confeils ,  fi  elle  veut  en  demeu- 
rer à  Tobfervance  du  précepte  ;  c'efl  à  elle 
fur-tout  qu'il  eft  vrai  de  dire  ,  qu'en  ne  vi- 
fant précifément  qu'à  éviter  le  crime,  char- 
gée comme  elle  eft  du  poids  de  fa  tiédeur  5C 
de  fes  infidélités  y  elle  retombera  toujours 
fort  loin  du  lieu  où  elle  a  voit  cru  arriver  ; 
ÔC  comme  au-deflbus  de  cette  vertu  com- 
mode 6c  fenfuelle ,  il  n'y  a  immédiatement 
«jue  le  crime  ,  les  mêmes  efforts  qu'elle 
cxojoit  faire  pour  l'éviter  ^  ne  ferviront 


s  u  R  LA  Tiédeur.  67 

qu'à  l'y  concluire.  Voilà  des  raifons  toutes 
prifes  dans  la  foiblelTe  que  les  paflions  for- 
tifiées laifTent  à  Tanie  tiède  5c  infidèle  ,  êC 
qui  la  conduilent  inévitablement  à  lachiite. 
Cependant  ,    Tunique  raifon   que  vous 
nous  alléguez  pour  perfévérer  dans  cet  état 
dangereux  ,  c'eil  que  vous  êtes  foible  ,  ôC' 
que  vous  ne  fautiez  foutenir  un  genre  de 
vie  plus  retiré  ,  plus  recueilli ,  plus  morti- 
fié ,  plus  parfait.  Mais  c'eft  parce  que  vous 
êtes  foible  ,  c'eft-à-dire  ,   plein  de  dégoût 
pour  la  vertu,  de  goût  pour  le  monde  ,  d'af- 
fiijettiiremens  à  vos  fens  ;  c'eft  pour  cela 
même  qu'une  vie  retirée  y  mortifiée  ,  vous 
devient  rndifpenfable  :  c'ell:  parce  que  vous 
êtes  foible ,    que  vous  devez  éviter  avec 
plus  de  foin  les  occafions   6c  les    périls  ^ 
prendre  plus  far  vous-mêm^e  ,  prier  ,  veil- 
ler ,  vous  refufer  les  plaifirs  les  plus  inno- 
cens  ,  6c  en  venir  à  de  faints  excès  de  zèle 
6c  de  ferveur  ,  pour  mettre  une  barrière 
à  votre  foibleife.   Vous   êtes  foible  ?   Et 
parce  que  vous  êtes  foible  ,  vous  croyez 
qu'il   vous  efl   permis   de    vous    expofer 
plus  qu'un  autre  ,  de  craindre  moins  les 

I  périls ,  de  négliger  plus  tranquillement  les 
remèdes  ,  d'accorder  plus  à  vos  fens  ,  de 
conferver  plus  d'attachemens  pour  le  m.on- 
de  ,  ÔC  pour  tout  ce  qui  peut  corrom- 
pre votre  cœur  ?  Quelle  illufîon  !  Vous 
faites  donc  de  votre  foiblefle  le  titre  de 
votre  fécurité  ?  vous  trouvez  donc  dans  le 
befoin  que  vous  avez  de  veiller  5c  de  prier,. 
le  privilège  ^ui  vous  en  difpenfe  ?  Et  de- 

F  2 


6s  Jeudi  de  la  IIî.  Semaine. 
puis  quand  ies  malades  iont-ils  autorifés  à 
fc  peraiettre  plus  d'excès ,  bî.  uler  de  moins 
de  précautions, que  ceux  qui  jouillent  d'une 
fjnté  parfaite  ?  La  voie  des  privations  à 
toujours  été  celle  des  foibles  6c  des  infir- 
mes ;  6c  alléguer  votre  foiblelle ,  pour  vous 
difpenfer  d'une  vie  plus  fervente  6c  plus 
chrétienne  ;  c'eft  alléguer  vos  m.aux  pour 
nous  perfuader  que  vous  n'avez  pas  befoin 
de  remède.  Seconde  raifon  tirée  des  paf- 
iions  qui  fe  fortifient  dans  la  tiédeur  ,  ÔC 
qui  prouve  que  cet  état  finit  toujours  par 
la  chute  ôc  par  la  perte  de  la  jultice. 

A  toutes  ces  raiions ,  je  devois  en  ajou- 
ter une  troifiéme  tirée  des  fecours  exté- 
rieurs de  la  Religion, néceiTaires  pour  foii- 
tenir  la  piété  ,  5c  qui  deviennent  inutiles  à 
Tame  tiède  &C  infidèle.. 

Les  Sacremens  non-feulement  ne  lui  font 
plus  d'aucune  utilité  ;  mais  ils  lui  devien- 
nent même  dangereux  ,  ou  par  la  tiédeur 
avec  laquelle  elle  en  approche  ,  ou  par  la 
vaine  confiance  qu'ils  lui  infpirent  :  ce  ne 
font  plus  pour  elle  des  relTources  ;  ce  font 
des  remèdes  accoutumés  ,  ufés  ,  fi  j'ofe 
parler  ainfi  ,  qui  amufentfa  langueur  ;  mais 
qui  ne  la  guérilTentpas  :  c'efi:  la  viandes  des 
forts  ,  qui  achevé  de  ruiner  un  efiomac 
foible  y  loin  de  le  rétablir  :  c'eft  un  fouffle 
de  l'Efprit-Saint^  qui  ne  pouvoit  rallumer 
le  tifon  encore  fumant,  achève  de  l'étein- 
dre :  c'eil-à- dire  ,  que  la  grâce  des  Sacre- 
mens  reçue  d^nsun  cœur  tiède  &  infidèle^ 
D'y  opérant  plus  un  accroillement  de  \i^ 


SurlaTiedeur.  69^ 

5c  de  force  ,  y  opère  tôt  ou  tard  la  mort 
2>C  la  condamnation  y  toujours  attachée  à 
l'abus  de  cqs  divins  remèdes. 

La  prière  ,   le  canal  des  grâces  ;    cette 
nourritare  d'un  cœur  fidèle  ;  cet  adoucif- 
femient  de  la  piété  ;  cet  azile  contre  toutes 
les  attaques  de  Tennemi  ;.  ce  cri  d'une  ame 
touchée  y  qui  rend  le  Seigneur  fi  attentif  à 
fes  befoins  :   la  prière  fans  laquelle  Dieu 
ne  fe'^fait  plus  fentir  à  nous ,  fans  laquelle, 
nous  ne  connoilTons  plus  notre  Père,  nous 
lie  rendons  plus  grâces  à   notre  Bienfai- 
teur ,  nous   n'appailons  plus  notre  Juge , 
nous  n'expofons  plus  nos  plaies  à   notre 
Médecin  ,  nous  vivons  fans  Dieu  dans  ce 
monde  ,  la  prière  enRn  ,  il  nécellaire  à  la 
vertu  la  plus  établie,  n'elr  plus  pour  Tam.e 
tiède  qu'une  occupation  oifeufe  d'un  efprit 
égaré  ,  d'un  cœur  fec  ÔC  partagé  par  mille 
affections  étrangères.  Elle  n'y  trouve  plus 
ce  goût  ,   ce  recueillement ,   ces  confola- 
tions  qui  font  k  fruit  d'une  vie  fervente  6C 
fidèle  :  elle  n'y  voit  plus  comme  dans  un 
nouveau  jour  ks  vérités  faintes  ,  qui  con- 
firment une  ame  dans  le  mépris  du  m.onde, 
5c  dans  l'amour  des  biens  éternels ,.  Sc  qui 
au  fortir  delà  ,  lui  font  regarder  avec  un 
nouveau  dégoût ,  tout  ce  que  les  hommes 
infenfés  admirent  :  elle  n'en  fort  plus  rem- 
plie de  cette  foi  vive  ,  qui  ne  comipte  plus 
pour  rien  les  dégoûts  6C  les  obflacles  de 
la  vertu  ,  6c  qui  en  dévore  avec  un   faint 
zèÏQ  toutes   les  amertumes  :   elle  ne  fent 
j)oint  au  fortir  de  là  plus  d'amour  pour  le 


70  Jeudi  de  la  III.  Semaine. 
devoir,  plus  d'horreur  pour,  le  monde, 
plus  de  réfolution  pour  en  fuir  les  périls  , 
plus  de  lumière  pour  en  connoître  le  néant 
&  la  mifére  ,  plus  de  force  pour  fe  h  air 
&.  pour  fe  combattre  elle-même  ,  plus  de 
terreurs  des  Jugemens  de  Dieu  ,  plus  de 
compon(^ion  de  {qs  propres  foiblelTes  :  elle 
en  fort  feulement  plus  fatiguée  de  la  vertu 
qu'auparavant,plus  remplie  des  phantômes 
du  monde  ,  qui ,  dans  ce  moment  ou  elle 
a  été  aux  pieds  de  fon  Dieu ,  ont  ce  iemble 
agité  plus  vivement  fon  imagination  flétrie 
de  toutes  ces  images  ;  plus  aife  de  s'être 
acquitées  d'un  devoir  onéreux  ,  où  elle  n'a 
trouvé  rien  de  plus  confolant ,  que  le  plai- 
fir  de  le  voir  finir  ;  plus  empreifée  d'aller 
remplacer  par  des  amufemens  ÔC  des  infi- 
délités ,  ce  moment  d'ennui  ôc  de  gêne  ; 
en  un  mot,  plus  éloignée  de  Dieu  ,  qu'elle 
vient  d'irriter  par  l'infidélité  6c  l'irrévé- 
rence de  fa  prière  :  voilà  tout  le  fruit  qu'elle 
en  a  retiré.  Enfin  ,  tous  les  devoirs  exté- 
rieurs de  la  Religion  qui  foutiennent  la 
piété  &  qui  la  réveillent ,  ne  font  plus  pour 
î'ame  tiède  ,  que  des  pratiques  mortes  ÔC 
inanimées ,  où  fon  cœur  ne  fe  trouve  plus, 
où  il  entre  plus  d'abitude  que  de  goût 
6c  d'efprit  de  piété  ,  6c  où  ,  pour  toute 
difpofition  ,  on  n'y  porte  que  l'ennui  de 
faire  toujours  la  même  chofe. 

Ainfi  ,  mes  Frères  ,  la  grâce  dans  cette 
ame  ,  fe  trouvant  fans  ceiÏQ  attaquée  5c  af- 
foiblie ,  ou  par  les  tifages  du  monde  qu'elle 
fe  permet ,  ou  par  ceux  de  la  piété  dont 


Sur  LA  Tiédeur.  71 

elle  abufe  ;  ou  par  les  objets  des  fens  qui 
nourrilTent  fa  corruption  ,  ou  par  ceux  de 
la  Religion  qui  augmentent  fes  dégoûts  ,- 
ou  par  les  pbâfirs  qui  la  diffipent ,  ou  par 
les  devoirs  qui  la  lalTent  ;  tout  la  faifant 
pencher  vers  fa  ruine  ,  5c  rien  ne  la  foûte- 
nant:  hélas!  quelle  dellinée  pourroit-elle- 
fepromettre  ?  La  lampe  qui  manque  d'huile 
peut-elle  éclairer  long-tems  ?  Tarbre  qui  ne 
tire  prelque  plus  de  fuc  de  la  terre  ,  peut-iî 
tarder  de  fécher ,  5c  d'être  jette  au  feu?  Or 
telle  eft  la  fituation  de  Famé  tiède  :  toute 
livrée  à  elle-même  ,   rien   ne  la  foutient  ; 
toute  pleine  de  foiblelTe  5c  de  langueur, 
rien  ne  la  défend;toute  environnée  d'ennuis 
ÔC  de  dégoûts  ,  rien  ne  la  ranimer  tout  ce 
qui  confoleTame  jufte  ,  ne  fait  qu'augmen^ 
ter  fa  langueur;tout  ce  qui  foutient  une  ame 
fidèle  ,  la  dégoûte  5c  Taccable;  tout  ce  qui 
rend  aux  autres  le  joug  léger  ,  appefantit  le 
lien  ;  &  les  fecours  de  la  piété  ne  font  plus 
que  fes  fatigues  ou  fes  crimes.  Or  ,   dans 
cet  état  !  ô  mon  Dieu  !  prefque  abandonnée 
de  votre  grâce,  lailée  de  votre  joug,  dé- 
goûtée d'elle- m.ême  autant  que  de  la  vertu,, 
affoiblie  par  fes  maux  ôc  par  les  remèdes  j^, 
chancelante  à  chaque  pas ,  un  fouffle  la  ren- 
verfe  ;   elle-même  penche  vers  fa  chute  ,. 
fans  qu'aucun  mouvement  étranger  la  pouf- 
fe ,  5c  pour  la  voir  tomber  il  ne  faut  pas 
même  la  voir  attaquée. 

Voilà  les  raifons  qui  prouvent  la  certitu- 
de d'une  chute  dans  la  vie  tiède  6c  infidèle» 
Maisfaudroit-il  tant  de  preuves ,  mon  cher 


7i  Jeudi  De  la  îïl.  Semaimî. 
Auditeur ,  où  vos  propres  malheurs  vous 
ont  fi  triftemeut  inftruit  ?  Souvenez-vous 
d'où  vous  êtes  tombé  ,  comme  le  difoit 
autrefois  TETprit  de  Dieu  à  une  ame  tiède:. 
'^T^^'^^'r-Memor  eflo  undc  excideris'.  Remontez  a  la 
fource  des  défordres  où  vous  croupifTez 
encore  :  vous  la  trouverez  dans  la  négli- 

fenceSc  dans  Tinfidélité  dont  nous  parlons. 
)i\Q  naiffance  de  pafllon  trop  foiblement. 
rejettée ,  une  occaîion  de  périls  trop  fré- 
quentée ,  des  pratiques  de  piété  trop  fou- 
vent  omifes  ou  méprifées  ,  des  commodi- 
tés trop  fenfuellement recherchées,  des  dé- 
firs  de  plaire  trop  écoutés  ,  des  le£lures~ 
dangereufes  pas  allez  évitées  :  la  fource  eft 
prelque  imperceptible;  le  torrent  d'iniquité 
qui  en  eii  forti ,  a  inondé  toute  la  capacité 
de  votre  ame  :  ce  n'étoit  qu'une  étincelle 
qui  a  allumé  ce  grand  incendie  :  ce  fut  un 
peu  de  levain ,  qui ,  dans  la  fuite  ,  a  aigri  6c 
corrompu  toute  la  maffe.  Mentor  eji  iinde 
excideris.  Souvenez-vous-en  :  vous  n'auriez 
jamais  cru  en  venir  où  vous  en  êtes  :  vous 
écoutiez  toutce  qu'on  difoit  là-de/Tus  com- 
me des  exagérations  de  zèle  6c  de  fpiritua- 
lité  :  vous  auriez  répondu  de  vous-même, 
pour  certaines  démarches ,  fur  lefqucllea 
vous  ne  fentez  prefque  plus  de  remords,- 
Memor  exto  unde  excideris- Souvenez-vous 
d'où  vous  êtes  tombé:  confidérez  La  pro- 
fondeur de  l'abîm.e  où  vous  êtes  :  c'eft  le 
relâchement ,  ÔC  des  infidélités  légères  , 
qui  vous  y  ont  conduit  comme  par  degrés^ 
Souvenez-vous-en  ,  encore  une  fois  j   6l 

voyez 


SurlaTiedeur.  73 

Toyez  û  l'on  peut  appeller  un  état  sûr  ,  ce 
qui  a  pu  vous  conduire  au  précipice  ? 

Tel  eft  Tartifice  ordinaire  du  démon  :  il 
ne  propofe  jamais  le  crime  du  premier 
coup  ;  ce  feroit  apprivoifer  fa  proie ,  6c 
la  mettre  hors  d'atteinte  à  Tes  furpriles  :  il 
connoît  trop  les  routes  par  oii  il  faut  entrer 
dans  le  cœur  :  il  fait  qu  il  faut  ralTurer  peu 
à  peu  la  confcience  timide  contre  l'horreur 
du  crime  ,  ÔC  ne  propofer  d'abord  que  des 
fins  honnêtes ,  6c  certaines  bornes  dans  le 
plaifir  :  il  n'attaque  pas  d'abord  en  lion  ; 
c^eft  en  ferpent  :  il  ne  vous  mène  pas  droit 
au  gouffre;  il  vous  y  conduit  par  des  voies 
détournées.  Non  ,  mes  Frères ,  les  crimes 
re  font  jamais  les  coups  d'elTai  du  cœur. 
David  fut  iiidifcret  5c  oiieux,  avant  d'être 
adultère  :  Salomon  fe  laifTa  amollir  par  la 
magnificence  5Cpar  les  délices  de  la  Royau- 
té,  avant  de  paroître  fur  les  hauts  lieux  au 
milieu  des  Femmes  étrangères  :  Judas  aima 
l'argent  avant  de  mettre  à  prix  fon  Maître: 
Pierre  préfama  avant  de  le  renoncer. 
Le  vice  a  {qs  progrès  comme  la  vertu  : 
comme  le  jour  inllruit  le  jour  ,  dit  le  Pro- 
phète ,^  ainfi  la  nuit  donne  de  triftes  leçons 
à  la  nuit  ;  &  il  n'y  a  pas  loin  entre  un  état 
quifufpend  toutes  les  grâces  deproteâion, 
qui  fortifie  toutes  les  palTions ,  qui  rend 
inutiles  tous  les  fecours  de  la  piété .  ÔC  mx 
état  où  elle  efl  enfin  tout-à-fait  éteinte. 

^  Qu'y  a-t'il  donc  encore  ,  m.on  cher  Au- 
diteur ,  qui  puilTe  vous  raffurer  dans  cette 
vie  de  négligence  6c  d'iu/idéliîi  ?  Sorc'it- 
C^rômj  j   t  orne  [il.  G 


74  Jeudi  de  la  III.  SexMaine. 
ce  Texemption  du  crime  ,  où  vous  vous, 
êtes  jufqu'ici  confervé  ?  Je  vous  ai  mon- 
tré,  ou  qu'elle  eft  un  crime  elle-même, 
ou  qu*elle  ne  tarde  pas  d'y  conduire.  Se- 
roit-ce  l'amour  du  repos  ?  Mais  vous  n'y 
trouvez  ,  ni  les  plaifirs  du  rnonde ,  ni  les 
confolations  de  la  vertu.  Seroit-ce  l'affu- 
rance  que  Dieu  n'en  demande  pas  davan- 
tage ?  Mais  comment  l'ame  tiède  pourroit- 
clle  le  contenter  6c  lui  plaire  ,  puifqu'il  la 
rejette  de  fa  bouche  ?  Seroit-ce  le  dérègle- 
ment de  prefque  tous  ceux  qui  vous  envi- 
ronnent ,  ôC  qui  vivent  dans  des  excès 
que  vous  évitez  ?  Mais  leur  deftinèe  eft 
peut-être  moins  à  plaindre  ôc  moins  dè- 
îerpérée  que  la  vôtre  :  ils  connoifTent  du 
moins  leurs  maux  ,  6c  vous  prenez  les  vô- 
tres pour  une  fanté  parfaite.  Seroit-ce  la 
crainte  de  ne  pouvoir  foûtenir  une  vie  plus 
vigilante, plus  mortifiée,  plus  chrétienne? 
Mais  puifque  vous  avez  pu  foûtenir  juf- 
qu'ici un  refte  de  vertu  ÔC  d'innocence 
fans  les  douceurs  5c  les  confolations  de  la 
grâce ,  ôC  malgré  les  ennuis  6c  les  dégoûts 
que  votre  tiédeur  répandoit  fur  tous  vos 
devoirs  :  que  fera- ce  ,  lorfque  l'efprit  de 
Dieu  vous  en  adoucira  le  joug  ,  6c  qu'une 
vie  plus  fidèle  6c  plus  fervente  vous  aura 
rendu  toutes  les  grâces  ÔC  toutes  les  con- 
folations dont  votre  tiédeur  vous  a  privé  ? 
La  piété  n'eft  trifte  5c  infupportable  ,  que 
lorsqu'elle  eft  tiède  6c  inhdéle. 

Levez-vous  donc  ,    dit  un  Prophète  î 
ame  lâche  &.  pareiTeufe  ;  rompez  le  char- 


Sur  LA  Tiédeur.         ^ç 
tne  fatal  qui  vous  endort  &  qui  vous  en- 
chaîne  a  votre  propre  pareffe.  Le  Seigneur 
que  vous  croyez  fervir ,  parce  que  vous  ne 
joutragez  pas  a  découvert,  n'eft  pas  le 
JJieu  des  lâches,  mais  des  forts  :  il  n'eft 
pas  le  rémunérateur  de  l'oifiveté  Sc  de  l'in- 
doJence     mais  des  larmes  ,  des  veilles  Sc 
des  combats  ;  il  n'établit  pas  fur  fes  biens 
e^lurfaCite  éternelle  le  ferviteur  inutile, 
mais  le  ferviteur  laborieux  &:  vigilant;  8c 
chaiî^vTT''  ^l^i'Apôtre,  n'eftpa^la 
Z^^    ^  ^£^"S  '  <:  eft-à-dire  ,  une  indigne 
molleire     &  une  vie  toute  dans  les  fens  ; 
mais  la  force  de  la  vertu  de  Dieu  ;  c'eft-à- 
tin,!;n  "^  foi  agiffante,  une  vigilance  con- 
tinuelle ,  un  facrifice  généreux^de  tous  nos 
penchans  ,  un  mépris  confiant  de  tout  ce 
qui  paffe  ,  &  un  défîr  tendre  &  enflammé 
de  ces  biens  invifibles  qui  ne  pafferont  ja- 
mais, ceft  ce  que  je  vous  fouhaite.        ' 


^in/î  foit  -  il. 


-^)e(         X.»ij^#>K;X  M-X'L^         X>*.*4;:<  >  X  II' 


^i^ 


\:<^.ft  A 


SERMON 

POUR    LE    VENDREDI 
DE  LA  TROISIEME  SEMAINE 

DE  CARÊME. 


La  Sa 


maritaine. 


Venît  Jefus  in  civitatem   Smaiiae  quîe  dici- 
tur  Sichar. 

^efus  vint  en   une  ville  de  Samarie  ,   nommée 
Sichar,  Joan.  4.  5, 

E  S  voi'es  de  la  grâce  dans  la 
converlîon  des  pécheurs  ne 
font  pas  toujours  les  mêmes  , 
mes  Frères.  Tantôt  c'eft  un  ra- 
yon vif  5c  perçant ,  qui  forti  du 
fein  du  Père  des  lumières ,  éclaire  , frappe  , 
abbat ,  emporte  le  cœur  ;  tantôt  c'eft  une 
clarté  plus  tem.pérée  ,  qui  a  fes  progrès  bC 
fes  fuccefiions ,  qui  femble  difputer  quel- 
que tems  de  la  viftcire  avec  les  nuages 
qu'elle  veut  diiîiper,  ^  qui  ne  prend  ne- 


La   Sa  m  a  r  i  t  a  i  n  e.         77 

finie  cîefllis  qu'après  que  mille  alternatives 
'ont  fait  clouter  à  qui  des  deux  demeure- 
roit  rhonneur  du  combat.  C'ell  quelque- 
fois un  Dieu  fort ,  qui  d'un  feul  coup  ren- 
verie  les  cèdres  du  Liban  :  quelquefois  c'eil: 
un  Dieu  patient ,  qui  lutte  avec  un  fimple 
fils  d'Abraham  ,    ÔC  lui  laiiTe  faire   aflez 
long- tems  un  triile  effai  de  fes  forces ,  ou 
pour  mieux  dire  de  fa  foibleiTe. 

Sous  dQs  conduites  û  différentes ,  vous 
êtes  pourtant  toujours  le  même ,  ô  mon 
Dieu  1  Quoique  vous  nous  laifiiez  toujours 
entre  les  mains  de  notre  coiifeil ,  par-tout 
vous  agilTez  comme  le  maître  des  cœurs  ; 
6c  a  les  doutes  5c  les  délais  d'un  Apôtre 
rendirent  autrefois  plus  de  gloire  à  la  vé- 
rité de  votre  Réfurreâion,  que  la  promipte 
foumiiTion  des  autres  Diiciples  ;  on  peut 
dire  que  les  réfiflances  6c  les  oppofitions 
d'une  femme  de  Samarie  ,  font  prefque 
plus  éclater  aujourd'hui  la  puifTance  de  vo- 
tre g^race  ,  que  les  foudaines  converlioik 
des  réchereiles  5c  des  Sauls.  Du  moins  , 
mes  Frères ,  lorfque  le  Seigneur  triomphe 
d'-un  cœur  fans  combattre  ,  il  femble  qu'il 
ne  triomphe  que  pour  lui-même  ;  ce  font 
des  prodiges  ;  Sc  il  veut  feulement  qu'on 
admire  fa  puifTance  ,  &C  l'empire  qu'il  a  [ut 
nos  cœurs.  Mais  lorfque  la  converfion 
d'une  ame  criminelle  ed  le  fruit  des  efforts 
réitérés  de  fa  grâce  ,  c'eft  pour  nous  alors 
qu'il  triomphe  ;  ce  font  des  leçons  ;  6c  fon 
defleiri  eft  de  nous  faire  fentir  qu'il  ne  fait 
rien  en  nous  fans  nous  ;  5C  que  la  grâce  ne 


t 


'8  Vendredi  de  la  III.  Semalv^. 
[ui  ramènera  jamais  notre  cœur  ,  fî  notre 
cœur  ne  fe  donne  lui-même.  En  effet  , 
pourquoi  celui  qui  n'eût  befoin  que  d'une 
parole  pour  enlever  les  fils  de  Zébédée  à 
leurs  filets ,  Lévi  à  fon  bureau  ,  Zachée  à 
fes  injuftices  ,  ménageroit-il  û  long-îems 
aujourd'hui  les  pallions  5c  les  préjugés 
d'une  femme  étrangère  ,  s'il  n'avcit  voulu 
nous  tracer  dans  les  défaites  ÔC  les  réfif- 
tances  dont  elle  ufe  avant  que  de  fe  ren- 
dre ,  l'image  de  celles  que  nous  oppofons 
tous  les  jours  à  fa  grâce. 

Or  ,  je  remarque  trois  excufes  princi- 
pales qui  lui  fervent  comme  de  rempart 
contre  toutes  les  inftances  miféricordieu- 
fes  de  Jefus-Chrift. 

L'excufe  de  l'état.  Elle  efi:  femme  Sa- 
maritaine ;  ôC  par  là  elle  fe  défend  d'ac- 
corder au  Sauveur  ce  que  fa  bonté  de- 

,ld.'j^.(^,  mande  d'elle  :  Quomodo  bïhero.  à  me  ^ofcis 
qux  fum  mulicr  Samaritana  ? 

L'excufe  de  la  difficulté.  Le  puits  eft 
profond ,  5c  on  n'a  pas  de  quoi  puifer  l'eau  : 

'^^  ^^'  Puteus  altus  ejl  ^  neqm  in  quo  haurias  ha-^ 
bes» 

Enfin  ,  l'excufe  de  la  variété  des  opi- 
nions ÔC  des  do£^rines  >  qui  lui  perfuade 
qu'étant  douteux  s'il  faut  adorer  à  Jérufa- 
lem  ou  à  Garizim  ,  elle  peut  fe  difpenfer 
de  croire  cet  étranger  qui  lui  parle  ,  &  de- 
meurer dans  l'état  déplorable  où  elle  fe 
trouve  :   Patres  nojîri  in  monte  hoc  adora- 

f.  20.  verunt ,  &  vos  dicitis  quia  Jerofoljmis  ejl 
Locus  ubi  adorarc  o^ortet*. 


La    Samaritaine.        79 

Or  ,  dans  les  exciifes  qii'oppofe  cette 
femme  aux  inftances  de  Jeiiis-Chrift  , 
reconnoiflbns  ,  dit  Saint  Auguftin  ,  celles 
que  nous  oppofons  tous  les  jours  à  fa  grâ- 
ce :  Audiamus  ergo  in  illa  nos  :  &  in  Ula 
agnofcamiis  nos» 

L'exeufe  de  l'état.  On  trouve  dans  l'état 
cil  la  Providence  nous  a  fait  naître  ,  des 
prétextes  pour  autorifer  une  vie  toute 
mondaine. 

L'exeufe  de  la  difficulté.  On  en  trouve 
dans  l'idée  impraticable  qu'on  fe  forme  de 
la  vertu. 

Enfin  ,  l'exeufe  de  la  variété  des  opi- 
nions ÔC  des  dodlrines  fur  les  régies  des 
mœurs.  On  trouve  dans  ces  incertitudes 
&  ces  contradictions  prétendues  des  mo- 
tifs de  fécurité  qui  nous  calment  fur  nos 
tranfgreflions  les  plus  manifeftes.  Confon- 
dons ces  trois  excufes ,  en  vous  expofant 
l'hilloire  de  notre  Evangile.  C'eft  ce  que 
je  me  propofe  ,  après  avoir  imploré  ,  àc. 
^ve  ^  Maria» 

1  OuT  eft  myflère  Sc  inftruaion  ,  dit^^'-^'t*  ' 
S.  Auguftin,  dans  la  conduite  du  Sauveur 
envers  la  femme  de  Samarie  ,  Sc  dans  les 
oppositions  que  cette  femme  femble  met- 
tre à  toutes  les  miféricordes  du  Sauveur 
fur  elle.  En  effet,  d'un  côté  Jefus-Chrift 
voulant,  ce  femble,  ménager  la  foibleiTe 
Se  les  paflions  de  cette  pécherefTe  ,  ne  l'at- 
taque pas  d'abord  à  découvert.  Il  s'accom- 
mode à  ks  préjugés ,  pour  k$  mieux  conv- 


go  Vendredi  de  la  III.  Semaine. 
battre  :  il  parle  le  langage  de  fes  erreurs  r 
pour  avoir  occafion  d'inlinuer  la  vérité  :  il 
diïïlmule  quelque  tems  Tes  miféres  :  pour 
la  préparer  à  les  mieux  connoître  ,  5c  de 
peur  que  fon  cœur  ne  fe  révolte  contre  la 
main  qui  va  la  guérir  :  il  ufe  de  précautions 
&  lui  cache  ,  pour  ainfi  dire  ,  tout  l'appa- 
reil 6c  toute  la  rigueur  des  remèdes  :  Faw 
latlm  Intrat  in  cor- 

-  Mais ,  d'un  autre  côté  ,  cette  pécherefTe 
en  garde  ,  ce  femble  ,  contre  toutes  les 
avances  miiericordieufes  de  Jefus-Chrift 
n'oppole  à  la  bonté  5c  à  la  {iîgelTe  de  fes 
précautions  que  des  évafions  5c  des  arti- 
fices ;  6C  aufTi  ingénieufe  à  échapper  à  la 
grâce  ,  que  la  grâce  paroît  attentive  à  la 
pourfuivre  ,  elle  n'oublie  rien  ou  pour  co- 
lorer fes  refus  ,  ou  pour  différer  le  mo- 
ment de  fa  délivrance. 

La  première  excufe  qu'elle  oppofe  à 
Jefus-Chrift  ,  eft  celle  que  nous  avons  ap- 
peilée  fexcufe  de  l'état.  Elle  fe  perfuade 
qu'étant  femme.  Samaritaine  ,  il  n'a  pas 
droit  d'exiger  d'elle  les  offices  qu'il  ea 
exige  :  Quornodo  bibcre  à  me  pofcis  ,  (]uce 
fiim  mulier  Samaritana  ?  5c  quel'ufage  ads- 
tout  tems  interdit  à  Samarie  ,  ôc  que  cet  in- 
connu femble  vouloir  aujourd'hui  lui 
prefcrire  :  l^on  enim  coutuntur  Judœi  Sa^ 
mar'itanis» 

Or  voilà  la  première  excufe  qu'on  nous 
oppofe  tous  les  jours  pour  juftifier  des 
mœurs  profanes  5c  toutes  mondaines.  Lorf- 
que  nous  vous  propofoiis  le  modèle  d'une 


La    Samaritaine.         Si 

conduite  chrétienne;  que  nous  voulons  en- 
treprendre de  réduire  un  jeu  outré  ôc  éter- 
nel à  un  honnête  délailement ,  de  bannir 
les  fpeftaclcs  ,  d'occuper  la  mollelTe  6c 
Toifiveté  ,  de  ramener  à  la  inodeftie  le 
fafte  5c  l'indécence  des  ufages ,  d'interdire 
certains  plaifirs ,  de  corriger  certains  abus, 
de  coniéiller  Tufage  de  la  prière ,  l'amour 
de  la  retraite  ,  les  le£^ures  faintes ,  le  tra- 
vail des  mains  ,  les  œuvres  de  miféricor- 
de  ,  la  fréquentation  des  Sacremens  ,  les 
foins  domeftiques ,  les  prières  communes  , 
en  un  mot  tout  le  détail  des  mœurs  chré- 
tien'nes  :  vous  nous  répondez  que  cette 
grande  exactitude  ne  fauroit  convenir  à  des 
perfonnes  attachées  comme  vousà  la  cour 
&  engagées  dans  le 'monde:  Quomoda  bh- 
bere  à  mepqfcis ,  çuœju/n  mulicr  Samarita^ 
na  ?  que  nous  confondons  vos  obligations 
avec  celles  des  cloîtres  6c  des  déferts  ;  6C 
qu'iln'eft  pas  polTible  d'allier  la  vie  que  nous 
confeillons ,  avec  les  mœurs  que  l'ufag» 
prefcrit  :  I^on  enim  coutuntur  Judœi  Sama" 
rltanis.  On  fe  plaint  que  nous  condamnons 
le  monde  fans  le  connoître  ;  que  l'idée  qu« 
nous  donnons  de  la  vertu  ,  eft  unefingula- 
rité  ridicule  ;  qu'il  faut  que  chacun  fe  fauve 
en  vivant  conformément  à  fon  état,  5c 
qu'il  feroit  peu  raifonnable  d'exiger  de 
ceux  qui  ont  à  vivre  à  la  Cour  6c  au  mi- 
lieu du  monde  ,  tout  ce  qu'on  pourroit 
exiger  de  nous-mêmes. 

mais ,  mes  Frères ,  premièrement  ,  Ut  '" 
Religion  ne  diiliiigue  que  deux  fortes  de 


82  Vendredi  de  la  ITI.  Semalvé. 
devoirs.  Les  uns  fuivent  l'état ,  il  eft  vrai , 
&  ne  conviennent  qu'à  ceux  qui  l'ont  em- 
braflé.  Ainfi  les  devoirs  du  Prince  ,  du  fu- 
jet ,  de  rhomme  public  ,  du  père  de  fa- 
mille, du  Miniftre  appliqué  à  l'Autel  faint , 
font  différens.  Les  autres  font  inféparables 
du  Batême,  5c  communs  à  tous  ceux  qui 
ont  été  régénérés  en  Jefus-Chriftfans  dif- 
tinâ:ion  de  Juifs  6c  de  Gentils, de  Prince  5c 
de  fujet,  de  Courtifan  5c  de  Solitaire.  Ce 
principe  fuppofé  ,  je  vous  demande  ,  mes 
Frères,  pour  être  du  monde  ou  de  la  Cour 
en  êtes-vous  moins  chrétiens?  y  a-t'il  une 
autre  efpérance  ,  un  autre  Evangile  ,  un 
sutre  Batême  pour  vous ,  que  pour  ceux 
qui  habitent  les  déferts  ?  en  êtes-vous  moins 
membres  de  Jefus-Chrift  ,  difciples  de  la 
Croix  ,  étrangers  fur  la  terre  ?  que  peut 
ajouter  ou  retrancher  votre  état  de  gens  du 
monde  ou  de  la  Cour ,  aux  obligations  ef- 
fentielles  de  la  foi  ?  Jefus-Chrift  a-t'il 
donné  un  Evangile  à  part  à  la  Cour  6c  au 
monde?  a-t'il  marqué  dans  le  fien  des  ex- 
ceptions favorables  au  monde?  a-t'il  décla- 
ré qu'il  ne  prétendoit  pas  comprendre  le 
monde  dans  la  rigueur  de  fcs  maximes  ?  Il 
a  dit ,  à  la  vérité  ,  que  le  monde  les  com- 
battroit ,  ces  maximes  faintes ,  6c  qu'il  fe- 
roit  jugé  par  elles  :  or  ce  qui  nous  juge,  c'eft 
notre  Loi  ;  6C  nous  ne  ferions  pas  jugés 
comme  tranfgreffeurs  de  ces  maximes  ,  fî 
ces  maximes  n'étoient  pas  nos  devoirs. 
Vous  êtes  du  monde?  Mais  la  Péchereïïe 
de  l'Evangile  étoit  du  monde  ;  fe  crut-elle 


La    SamaritaIxVE.         ?î 

dîfpenfée  de  faire  pénitence ,  6c  de  pleurer 
le  reile  de  fes  jours  les  égaremens  du  pre- 
mier Sage  ?, David  étoit  du  monde  6c  aflis 
fur  le  Trône  ,  fe  perfuada-t'il  que  ce  titre 
dût  modérer  l'abondance  de  fes  larm.es ,  ôC 
la  rigueur  de  fes  auftérités  ?  lifez-en  le  dé- 
tail dans  ces  Cantiques  divins  ,  qui  en  fu- 
rent les  fruits  ,  &L  qui  en  feront  les  monu- 
micns  immortels.  Les  Judits  ,  les  Efthers , 
les  Paules ,  les  Marcelles ,  étoient  du  mon- 
de 6c  forties  d'un  fang  illuftre  :  furent-elles 
mondaines ,  voluptueufes,  environnées  de 
fafte  ,  de  molleiTe ,  d'indécence  ?  de  plaifir  ? 
vous  le  favez  ;  6c  il  eft  inutile  de  vous  rap- 
porter ici  ce  qui  eft  venu  jufqu'à  nous  de 
leurs  mœurs  éc  de  leur  conduite. 

D'ailleurs ,  mes  Frères ,  d'où  eft  venue 
dans  TEglife  cette  dijftin£lion  de  ceux  qui 
font  du  monde  ,  d'avec  ceux  qui  n'en  font 
pas?  n'-eft-cepas  de  la  corruption  des  mœurs 
èC  du  relâchement  de  la  Foi?Diflinguoiton 
entre  les  premiers  Fidèles  ceux  qui  étoient 
du  monde  ,  de  ceux  qui  n'en  étoient  pas  ? 
Ah  !  ils  avoient  tous  renoncé  au  monde. 
Les  Miniftres  de  l'Autel  ,  les  faints  Con- 
feffeurs ,  les  Vierges  pures ,  les  Femimes 
partagées  entre  Jefus-Chrift  ÔC  les  foins 
du  mariage  ,  les  (impies  Fidèles ,  ceux  mê- 
mes qui  étoient  de  la  Maifon  de  Céfar  ,  ils 
vivoient  tous  féparés  du  monde  ;  ils  n'a- 
voient  rien  de  commun  avec  le  monde,  ils 
favoient  tous  que  le  falut  n'étoit  pas  pour  le^ 
monde  ;  être  Chrétien  6c  n'être  plus  du 
monde  ,  étoit  alors  la  mé$UQ  chofe  ,  &  fur 


S4  Vendredi  de  la  III  Semaine. 
ce  point  il  n'y  avoit  entre  eux  aucune  diffé- 
rence. Vous  êtes  du  monde ,  mon  cher  Au- 
diteur ?  mais  c'eft  là  votre  crime  ,  &  vous 
en  faites  votre  excufe  ?  Un  Chrétien  n'eft 
plus  de  ce  monde ,  c'eft  un  citoyen  du  ciel  ; 
c'eft  un  homme  du  fiécle  à  venir  ;  c'eft  le 
juge  &C  Tennemi  du  monde.  Il  n'y  a  plus  de 
monde  pour  Tame  fidèle  ;  tout  ce  qui  fe 
pafTe ,  eil  déjà  pafTé  pour  elle  :  tout  ce  qui 
doit  périr ,  neii  déjà  plus  à  fes  yeux.  Vous 
n'êtes  venu  ,  ô  mon  Dieu  !  que  pour  con- 
damner le  monde;  ÔC  nous  prétendons  que 
notre  conformité  avec  lui  deviendra  le  ti- 
tre de  notre  innocence  ,  ÔC  nous  juftiiîera 
contre  votre  Loi  même  ! 

De  plus ,  quand  vous  nous  dites  que 
vous  êtes  du  monde,  que  prétendez-vous 
dire  ?  Que  vous  êtes  difpenfés  de  faire  pé- 
nitence ?  Mais  fi  le  monde  eft  le  féjour  de 
l'innocence,  l'azile  de  toutes  les  vertus, 
le  proteâ:eur  fidèle  de  la  pudeur  ,  de  la 
fainteté  ,  de  la  tempérance  ;  vous  avez  rai- 
fon.  Que  la  prière  eft  moins  néceiïaire  ? 
Mais  fi  dans  le  monde  les  périls  font  moins 
fréquens  que  dans  les  folitudes ,  les  pièges 
nioins  à  craindre ,  les  fèdu<ftions  moins  or- 
dinaires,  les  chutes  plus  rares  ,  5c  qu'il 
faille  moins  de  grâce  pour  s'y  foutenir  ;  je 
fuis  pour  vous.  Que  la  retraite  n'y  fauroit 
être  un  devoir.  Mais  fîlesentretiens  y  font 
plus  faints  ,  les  affemblées  plus  innocentes; 
fi  tout  ce  qu'on  y  voit ,  qu'on  y  entend, 
élève  à  Dieu,  nourrit  la'foi  ,  réveille  la 
piété ,  fert  de  foutien  à  la  grâce  :  je  ie  veux. 


La    Samaritaine.  85 

Qu'il  en  doit  moins  coûter  pour  fe  fauver  ? 
Mais  fi  vous  y  avez  moins  de  pafiions  à 
combattre  ,  moins  d'obftacles  à  furmonter; 
(î  le  monde  vous  facilite  tous  les  devoirs  de 
l'Evangile  ,  Thumilité  ,  l'oubli  des  injures, 
le  mépris  des  grandeurs  humaines,  la  joie 
dans  les  affliâ:ions ,  l'ufage  chrétien  des  ri- 
chefTes  ;  vous  dites  vrai  ,  ÔC  on  vous  l'ac- 
corde. O  homme  !  tel  eft  votre  aveugle- 
ment ,  de  compter  vos  malheurs  parmi  vos 
privilèges  ;  de  vous  perfuader  que  ce  qui 
multiplie  vos  chaînes  ;  augmente  votre  li- 
berté ;  6c  de  faire  votre  sûreté  de  vos  pé- 
rils mêmes. 

Mais  au  fond  ,  direz- vous ,  il  faut  pour- 
tantfaire  des  différences  ;  ôc  il  fera  toujours 
vrai  que  ceux  qui  vivent  dans  les  cloîtres 
font  obligés  à  plus  de  perfe£tion  que  ceux 
qui  vivent  dans  le  monde.  Et  je  vous  dis 
que  vous  vous  trompez  ,  ÔC  qu'il  faut  être 
plus  ferme  dans  la  foi ,  plus  folidement 
enraciné  dans  la  charité  ,  plus  à  l'épreuve 
des  dangers ,  pour  fe  foûtenir  dans  le  mon- 
de ,  que  dans  la  folitude  :  5c  je  vous  dis 
que  il  vous  ne  veillez  avec  plus  de  foin  fur 
tous  les  mouvem.ens  de  votre  cœur ,  que  le 
Solitaire  ÔC  l'Anacoréte  ;  fi  vous  ne  priez 
avec  plus  de  ferveur  ;  (î  vous  ne  réfiftez 
avec  plus  de  fidélité  ;  fi  vous  n'attirez  fur 
.yous  plus  de  fecpurs  d'en  haut ,  vous  êtes 
.j>erdu^  Cyfi  fîifltles  dangers  4'un  état  ,  qui 
(décident  cîe  la  mefure  de  la  vertu  qu'il  de- 
mande de  nous  :  les  vertus  foibles  trouvent 
du  moins  un  azile  ôc  des  reffources  dans  la 


86  Vendredi  de  la  III.  Semaine. 
sûreté  des  cloîtres  ÔC  dans  les  fecours  d'une 
fainte  difcipline  ;  au  lieu  que  les  vertus  les 
plus  folides  ne  trouvent  dans  le  monde  que 
des  écuèils  où  elles  fe  brifent ,  ou  des  fé- 
duélions  qui  les  afFoiblilTent. 

Et  pour  confondre  ici  une  bonne  fois 
une  erreur  Ci  univerfelle  6c  fi  injurieufe  à  la 
piété  chrétienne  ;  dites-moi  je  vous  prie  , 
vous  qui  voulez  qu'on  mette  une  il  grande 
différence  entre  les  devoirs  de  votre  état , 
êC  ceux  des  cloîtres  &  des  déferts  ;  quel- 
les furent  les  vues  de  ces  Saints  Fondateurs 
qui  afiemblerent  les  hommes  dans  des  foli- 
tudes ,  6c  les  affujettirent  aux  loix  d'une 
difcipline  févère  ?  prétendirent-ils  propofer 
à  leurs  difcipies  un  nouvel  Evangile ,  ou 
ajouter  des  rigueurs  inutiles  aux  maximes 
que  Jefus-Chriil  propofe  au  commun 
des   Fidèles  ? 

Ecoutez-le  ,  mes  Frères.   Tandis   que 
les  Chrétiens  formoient  encore  au  milieu 
du  monde  une  alTemblée  de  Saints ,  dont  le 
monde  lui-même  n'étoit  pas  digne  ;  que  les^ 
femmes  annonçoient  la  piété  par  leur  pu- 
deur 6c  leur  modeftic  ;   que  les   Fidèles 
brilloient  comme  des  aftres  purs  au  milieu 
des  nations  corrompues  ;  5c  que  les  Payens 
eux-mêmes  refpeâ:oient  dans  la  pureté  de 
leurs  mœurs  ;  la  fainteté  de  leur  morale  ; 
alors  il  eût  été  inutile  de  fe  retirer  dans  des 
folitudes  ;  6c  l'aflemblée  des  Fitléles  étoit 
encore  l'azile  de  la  vertu  ;  6c  la  vie  com- 
mune ,  la  voie  qui  conduifoit  au  falut.  Mais 
depuis  que  la  foi  commença  à  s'afFoiblir  , 


La   Samaritaine.         ^7 

en  commençant  à  s'étendre ,  6c  que  le 
monde  devenu  chrétien  porta  avec  lui  dans 
l'Eglife  fa  corruption  &  fes  maximes ,  alors 
ceux  que  TEiprit  de  Dieu  voulut  préferver, 
voyant  les  iniquités  ôc  les  contradiftions 
des  villes  ;  que  la  vie  commune  n'y  étoit 
plus  la  vie  chrétienne  ,  ÔC  que  les  ufages 
avoient  prévalu  fur  la  loi ,  cherchèrent  un 
azile  dans  la  retraite  ,  élevèrent  des  lieux 
de  sûreté  au  milieu  des  déferts ,  a/Temble- 
rent  des  hommes  pour  les  y  mettre  à  cou- 
vert de  la  corruption  générale  ;  mais  ils  ne 
fe  propoferent  que  d'y  renouveller  les  an- 
ciennes mœurs  des  Chrétiens  fort  altérées, 
6c  fort  difficile  à  pratiquer  dans  le  mon- 
de ;  qu'à  faciliter  à  leurs  difciples  l'obfer- 
vance  de  l'Evangile ,  régie  propofée  à 
tous ,  5c  que  tous  font  obligés  d'obferver  ; 
de  forte  que  toutes  les  précautions  de  re- 
traite ,  de  filence  ,  d'auflérité  ,  que  nous 
regardons  comme  il  éloignées  de  notre 
état ,  ne  furent  pourtant  que  des  moyens , 
que  ces  faints  pénitens  crurent  nécelTaires 
pour  obferver  des  devoirs  qui  leur  étoient 
communs  avec  nous.  Ils  fe  prefcrivirent  des 
pratiques  particulières ,  dont  TEvangile  , 
je  l'avoué*  :  ne  vous  fait  pas  un  précepte  , 
mais  ils  ne  voulurent ,  par  le  fecours  de 
ces  pratiques  particulières,  qu'arriver  plus 
sûrement  à  l'obfervance  même  des  pré- 
ceptes. Ainfi  ils  renoncèrent  au  lien  facré 
du  mariage  ,  pour  fe  faciliter  la  pudeur  6C 
la  chafteté  ordonnée  à  tous  les  Fidèles  ;  ils 
fe  foumirent  aux  loix  d'un  filençe  xigou* 


tS  Vendredi  de  la  III  Semaine. 
xeux ,  pour  éviter  plus  sûrement  les  dif- 
cours  de  vanité ,  d'oifiveté  ,  de  malignité , 
de  dilîblution ,  interdits  au  refte  des  Chré- 
tiens ;  ils  renoncèrent  réellement  aux  biens 
6c  ai:>^  efpérances  du  monde  ,  pour  en 
venir  plus  aifément  à  ce  renoncement  de 
cœur  ,  à  ce  mépris  de  tout  ce  qui  pafTe  , 
commandé  à  chacun  de  nous  dans  TEvan- 
gile  ;  ils  fe  renfermèrent  dans  l'enceinte 
d'une  retraite  auflère  ,  pour  s'éloigner  fans 
retour  des  plaifîrs  ÔC  des  pompes  du  mon- 
de auxquelles  nous  avons  tous  renoncé 
dans  notre  Baptême  ;  ils  s'impoferent  le 
joug  des  jeûnes ,  des  veilles  ,  des  m.acé- 
rations ,  pour  dompter  une  chair  que  vous 
êtes  tous  obligés  de  crucifier  fans  ceiTe,  ôc 
fe  faire  comme  une  loi  domeftique  de  la 
pénitence ,  dont  l'Evangile  vous  a  fait  à 
tous  une  loi  indifpenfahle. 

Or,  que  conclure  de-là?  qu'avec  moins 
de  fecours  qu'eux ,  nous  avons  pourtant 
les  n:êmes  obligations  à  remplir  qu'eux  ; 
que  fans  toutes  les  facilités  que  donne  la 
pratique  des  confeils  pour  ob.ferver  le  fond 
de  la  Loi ,  nous  fommes  pourtant  obligés 
d'en  accomplir  tous  les  préceptes  ;  que  fans 
renoncer  à  tout  comme  eux,  nous  devons 
pourtant  être  pauvres  de  cœur  comme  eux , 
t^  ufer  de  ce  monde  comme  fî  nous  n'eii 
ufionspas;  que  vivant  au  milieu  de  tous  les 
attraits  de  la  chair,  bC  dans  le  lien  honora- 
ble des  noces ,  nous  devons  pourtant  pof- 
féder  com.me  eux  le  vafe  de  notre  corps 
avec  fainteté  ,  ôc  faire  un  pade  avec  nos 

yeux 


La    Samaritaine.  g^ 

^ux  pour  nepas  même  penfer  à  des  objets 
dangereux  ;  que  dans  l'ufage  des  viandes 
6c  la  liberté  des  repas  ,  nous  devons  ufer 
d  une  cenfure  rigoureufe  envers  nos  fens  ^ 
5C  conferver,  comme  l'Anacoréte  le  plus 
pénitent,  toute  la  frugalité  évangelique  ; 
que  fans  le  vœu  ôc  la  religion  du  filence , 
nous  devons  mettre  une  garde  de  circonf- 
peaion  fur  notre  langue ,  afin  qu'il  ne  nous 
échappe  pas  même  une  parole  oifeufe  ,  6c 
que  tous  nos  difcours  foient  des  di4:ours  de 
Dieu  ;  que  dans  une  vie  com^niune',  il  faut 
pourtant  trouver  le  fecret   de  porter  fa 
croix  ,  fe  renoncer  fans  cq{[q  foi-même  , 
être  difciple  de  Jefus-Chrift  6c  le  fuivre  ; 
fans  le  fecours  d'une  retraite  extérieure, 
porter.au  m.ilieu  des  entretiens  6c  des  com- 
merces,  une  folitude  ,  un  calme  au  fond 
de  votre  cœ-ir^où  le  Dieu  de  paix  puiiTe 
habiter';  fans  fortir  du  monde,  y  renoncer 
en  effet,  le  mipnfer  &:  le  hair;  fans  être 
revêtu  de  poil  de  chameau,  comme  le  So- 
litaire ,  porter  fous  l'or  &:  fous  la  foie,  un 
homme  pénitent,  ÔC  un  corps  revêtu  de  la 
mortification  de  Jefus-Chrill  ;  ÔC  en  un 
mot ,  que  fans  vous  interdire  tout  ce  qui 
peut  fiàter  les  fens  ,  vous  vous  interdifiez 
pourtant  toute  complaifance  fenfuelle. 

Venez  nous  dire  après  cela  ,  dit  Saint 
Chryioftôme  :  il  faut  donc  fe  retirer  fur  les 
montagnçs  ,  5c  dékrter  les  villes.  Eft-ce 
que  l'Evangile  ii'ed  plus  que  pour  les  Soil- 
taires  ?  eft-ce  que  la  chaileté ,  la  tempéran» 
ce ,  la  pauvreté  du  cœur ,  le  mépris  du 

Carêm&j  Tome  IIL  H 


ço  Vendredi  d£  laJIL  Semaîn'E. 
monde,  le  renoncement  à  Toi-même,  pe 
font  plus  que  les  vertus  des  cloîtres  6C  des 
déferts  ?  Quelle  erreur  donc  des  gens  du 
monde  ,  de  renvoyer  aux  Solitaires  8C  aux 
perfonnes  retirées  ,  toutes  les  auftérités 
de  la  vie  chrétienne  ?  Ah  !  il  en  coûte  bien 
plus  au  Fidèle  de  fe  fauver  au  milieu  du 
monde  ,  qu'au  Solitaire  au  fond  de  fa  re- 
traite. Il  efî:  bien  plus  difficile  d'être  chaile 
au  milieu  des  dangers  ;  humble  dans  les 
diftinftions  du  rang  Sc  de  la  nailTance;  tem- 
pérant dans  la  liberté  des  repas  ;  pauvre 
dans  l'abondance  des  biens  de  la  terre  ;  pé- 
nitent dans  des  occafions  éternelles  de  mol- 
leile  6c  de  plaifir;  doux  ÔC  patient  dans  les 
concurrences  infinies  des  intérêts  5c  des 
pafilons  ;  ÔC  cependant  Ci  vous  n'êtes  tout 
cela  y  vous  êtes  perdu.  Mon  Dieu  !  les. 
faintes  rigueurs  d'une  difcipline  févère  fe- 
roient  bien  plutôt  inutiles  au  fond  des  dé- 
ferts ,  où  l'éloignement  des  dangers  fem- 
ble  demander  moins  de  précautions  ;  au 
Heu  qu'elles  deviennent indifpenfables  dans 
le  monde  >  où  la  vertu  plus  expofée  ne 
peut  fe  foûtenir  qu'à  la  faveur  des  plus  fé- 
vères  attentious.. 

Cependant  j.  mes  Frères  ,  malgré  toute 
îa  sûreté  des  cloîtres  ôc  des  déierts  ,  ÔC 
toutes  les  précautions  que  le  zèle  §C  l'ex- 
périence des  faints  Fondateurs  a  pu  pren- 
dre ,  pour  préferver  l'innocence  ,  ceux 
qui  habitent  ces  pieux  aziles  ne  laiiientpas 
de  tout  craindre  de  leur  foibleffe  ,  8c  d'êtrç 
iàns  ceffe  attentifs ,  de  peur  que  renneicî 


La  Samaritaine.  çr 
ne  les  furprenne  :  ils  ont  de  la  peine  à  fe  dé- 
fendre contr'eux-mêmes ,  5c  tx'-ouvent  dans 
le  lieu  même  de  la  paix  ÔC  de  la  sûreté ,  des 
combats  ÔC  des  agitations ,  où  ils  fe  voyent 
mille  fois  à  la  veille  de  perdre  en  un  inftant 
le  fruit  d'une  vie  entière  de  recueillement 
2«C  de  pénitence  ;  ÔC  vous  ,  au  milieu  des 
périls  ,  vous  croiriez  que  votre  privilège 
eft  de  vivre  avec  plus  de  fécurité  5c  d'in- 
dulgence pour  vous-même  ?  vous  ,  envi- 
ronné fans  celle  de  tout  ce  qui  eft  le  plus 
capable  de  corrompre  le  cœur  ,  vous  , 
dans  un  état  où  tout  eft  piège  5c  tentation  , 
vous  croiriez  que  l'avantage  de  cet  état  eft 
une  indolence  profonde  ;  une  inutilité  de 
vie  dangereufe  même  à  la  plus  auftére  re- 
.traite  \  une  im.mortification  ,  qui  loin  des 
périls,  deviendroit  un  péril  elle-même? 
Et  depuis  quand  ,  ô  mon  Dieu  l  ceux  qui 
font  expofés  au  milieu  des  flots  font- ils 
moins  obligés  de  veiller  à  leur  falut ,  que 
ceux  qui  jouilfent  du  calme  £>C  de  ia  su-- 
reté  d'un  faint  azile  ? 

Lorfque  David  ,  caché  dans  les  àé(Qr\% 
8c  dans  les  montagnes  de  la  Judée  ,  pour 
fe  dérober  à  la  fureur  de  Saùl  :  propofa  à 
ceux  qui  l'accompagnoient  de  fortir  de 
leurs  antres  &  de  leurs  bois  y  pour  aller 
attaquer  les  Philidins  :  Quoi  ?  lui  répondi- 
rent-ils,  nous  ne  fommes  pas  en  sûreté  re- 
tranchés dans  ces  forêts  5c  fur  ces  monta* 
gués  ;  nous  nous  voyons  à  tous  momens 
fur  le  point  de  tomber  entre  les  mains  de 
»atre  ennemi  >  5c  que  fera- ce  ,  fi  nous  en 


91    Ven^dredi  de  la  III  Semaine. 

ibrtons  ,  &C  que  nous  defcendions  dans  la 
I        plaine  pour  aller  attaquer  les  Philiftins  ? 
Jtég'  uEcce  nos  hic  in  Judea  conjijîentes  timemus  ; 
^«  3-      çnantô  ma^is  fi  ierimus   adversiis   agmina 
J^hiliftinoTum  ?  Et  voilà  ce  que  je  pourrois 
vous' dire  ici  :  Quoi  ?  nous  craignons ,  nous 
au  fond  de  nos  retraites  ;  nous  nous  fommes 
à  nous-mêmes  une  tentation  continuelle 
dans  la  sûreté  des  aziles  où  la  Providence 
nous  a  conduits  depuis  le  premier  âge  ; 
nous  y  opérons  notre  falut  avec  tremble- 
ment  ;  nous  prions ,  nous  gémilTons ,  nous 
fentons  que  la  retraite  elle-même  devien- 
droit  un  écuëil  pour  nous ,  fi  nous  ne  tra-- 
vaillons  fans   ceiTe  au  recueillement  des 
fens ,   &  à  la  mortification  des  pafTions  : 
Ecce  nos  hic  in  Judea  conjijlmtes  timemus  , 
êc  vou-s  voudriez  nous  perluader  que  nous 
aurions  moins  à  craindre  ;  que  nous  aurions, 
befcin  de  moins  de  vigilance  ,  de  moins  de 
précautions ,  de  moins  de  prière  ,  fi  nous 
.  vivons  comme  vous  au  miilieu  du  monde  ,. 
environnes  de  cettte  foule  de  pièges  ,  de 
féduftions ,  d'illufions  ,  d'exemples  ;    ea 
un  mot ,  d'ennemis  qui  vous  environnent? 
Quanta  mau^ij  Ji   ierimus  adver fus  agmina 
î^hilijîinoriimli^'à.  pénitence  toute  feule  fait 
la  sûreté  de  nos  retraites  ;  6c  vous  croiriez 
que  la  molleile  &  les  plaifirs  ne  feroient 
j)lus  un  danger  au  milieu  du  monde  même? 
Mais  après  tout ,  mes  Frères  ,  ne  com- 
parez plus ,  fi  vous  voulez  ,  les  dangers  ix^- 
Snis  que  vous  trouvez  dans  le  monde,  SC 
fe  précautions  de  violence  ^  de  prière  ,.dfe: 


La    Samaritaine.         r^ 

facrlfîce  ,  de  vigilance  y  qu'ils  exigent  de 
vous ,  à  la  sûreté  des  cloîtres  5c  des  dé- 
ferts  ,  qui  femblent  en  demander  moins  ; 
comparez  feulement  l'hiftoire  de  votre  vie  ^ 
les  diiîolutions  de  vos  mœurs  pafTées,  avec 
celle  des  faints  pénitens  qui  les  habitent  ; 
les  fatisfa£^ions  que  vos  devez  à  Dieu  ^ 
avec  celles  qu'ils  lui  doivent  eux-mêmes» 
Quoi  ?  vous  prétendez  que  des  âmes  reti- 
rées ÔC  innocentes  ,  qui  portent  le  joug  du 
Seigneur  depuis  une  tendre  jeunefle  ;  qui 
élevées  dans  le  fecret  de  Ion  Tabernacle  , 
n'ont  même  jam.ais  connu  la  corruption  du 
monde  ,  loin  d'en  avoir  été  infedrées  ,  6C 
dont  les  fautes  les'plus  criminelles  feroient 
prefquedes  vertus  pour  vous  ;  vous  pré- 
tendez que  c'eft  leur  partage  de  gémir  tou- 
te leur  vie  fous  la  cendre  &  fous  le  cilice^ 
de  refiîfer  tout  à  leurs  fens ,  de  ne  vivre 
que  pour  mourir  chaque  jour  ;  tandis  que 
vous ,  dont  les  crimes  ont ,  pourainfi  dire^ 
prévenu  les  années  ;  vous  qui  n'ofez  pref> 
que  ouvrir  les  yeux  fur  les  horreurs  d'une 
vie  paffée  ,  dont  les  abîmes  5c  les  embar- 
ras vous  font  tantbalanctrf.ir  une  pRemiére 
démarche  de  changement  ;  vous ,  dis- je  ^ 
vous  nous  foutiendrez  que  vos  obligations 
font  moins  auftéres  ;  que  les  jeux  ,  les 
plaifiTS  y  les  fpeclacles ,  les  profn lions  ,  les 
fenfualités ,  les  excès  de  la  table  ^  vous 
font  moins  interdits;  que  le  Ciel  doit  bien 
moins  vous  coûter  qu'à  ces  amies  pures  6C 
innocentes  ;  que  les  lai  mes ,  les  jeûnes  ,, 
ks  veiller ,  les  macérations  font  leur  affai- 


94  Vendredi  de  la  ÎIÎ.  Semaine. 
res  Se  non  pas  la  vôtre  ;  que  c'eft  à  elles  à 
fouiFrir  ,  à  prier  ,  à  gémir  ,  à  fe  morti- 
fier,  6C  à  vous  à  vivre  dans  l'indolence  SC 
dans  l'ufage  de  tout  ce  qui  flâte  les  fens  ? 
Grand  Dieu  !  que  les  hommes ,  rapprochés 
de  la  vérité ,  paroîtront  un  jour  injuftes  > 
infenfés ,  ÔC  téméraires  ! 

La  Femme  de  Samarie  s'abufoit  donc  ^ 
en  oppofant  à  la  grâce  de  Jefus-Chrift  , 
fa  qualité  de  Samaritaine.  Si  elle  eût  été 
fille  d'Abraham  ÔC  née  dans  Jérufalem  ,  le 

,  fecours  du  Temple  5c  des  facriiîces,  les  inf- 
truâ:ions  de  la  Loi  ÔC  des  Prophètes  ,  l'a- 
vantage d'être  fortie  d'un  peuple  faint ,  ôC 
à  qui  les  promefles  avoîent  été  faites ,  tout 
cela  auroit  pu  la  porter  à  fe  faire  de  fon 

-état  une  excufe  ÔC  une  raifon  de  fécurité. 
Mais  que  dit-elle,  en  difant  qu'elle  eft  Sa- 

.  maritaine ,  iinon  qu'elle  habite  au  milieu 
d'un  peuple  réprouvé,  dans  une  terre  où  le 
culte  du  Seigneur  eft  corrompu ,  où  les  ufa- 
ges  font  des  abus, les  exemples  des  écuèilsj 
les  maximes  àes  erreurs  ;  en  un  mot,  dans 
une  condition  qui  l'éloigné  du  falut ,  ÔC 
l'enveloppe  dans  la  condamnation  générale 
prononcée  contre  tous  les  adorateurs  de 
Garizim  ?  Et  voilà  quelle  eft  votre  illufion. 
Vous  vous  défendez  fur  ce  que  vous  êtes 
du  monde  ?  Mais  fi  vous  vivez  dans  le  fond 
d'une  maifon  fainte  5c  retirée  ,  vous  auriez 
bien  plus  de  raifon  de  vous  faire  de  votre 
état  un  prétexte  de  fécurité  ,  &.  de  croire 
qu'ainfi  éloigné  des  périls  ,  vous  n'avei 
.pas  befoiu  de  taat  4'auftérité  &  de  vigilau-. 


La  Samaritaine.  95 
ce  ;  mais  d'alléguer  que  vous  êtes  du  mon- 
de ,  c'eft  regarder  les  difficultés  de  falut 
attachées  à  votre  état ,  comme  des  adou- 
cifTemens  qui  vousrapplanilTent.Vousnous 
direz  peut-être  que  ce  font  ces  difficultés 
mêmes  qui  vous  arrêtent  ;  ÔC  que  nous  fai- 
fons  la  voie  il  difficile  ^  que  vous  perde? 
courage  ;  féconde  excufe  que  la  Femme 
de  Samarie  oppofe  à  Jefus-Chrift  ^  la 
difficulté  de  Teutreprife. 

In, 
L  n'eft  prefque  point  de  pécheur  ^  quel-PAUTig» 
que  déplorée  que  (oit  fa  vie  ,  qui  ne  comipte 
fur  une  converfion  à  venir  ,  comme  fur  une 
dém-arche  aifée  ÔC  facile,  5c  qui  là-deiîus 
ne  fe  calme  6c  ne  vive  tranquille  dans  fes 
crimes  :  il  n'en  eft  aucun  ,  qui  ^  lorfqu'ii 
s'agit  enfin  de  fe  convertir  ,  ne  regarde 
cette  entreprife  comme  un  ouvrage  im- 
poiTible  ,  &  qui  là-delTus  ne  recule  &.  ne 
perde  courage.  Or  ,  voici  le  nouveau  pré- 
texte que  la  Femme  de  Samarie  oppofe  aux 
nouvelles  inftances  de  la  grâce.  File  fe  fi- 
.  gure  des  difficultés  infurm.ontabks  dans  les 
promeiTes  de  Jefus-Chrift  ;  la  profon- 
deur du  puits  ,  le  défaut  de  moyens  pour 
y  atteindre  ,  tout  la  conduit  à  fe  perfuader 
que  le  bienfait  dont  on  la  fiàte  eft  une  chi- 
mère :  Futueus  altus  ejî  ^  iieque  in  quo  hau* 
rias  h  abc  s. 

Et  voilà  ,  mes  Frères  ,  Texcufe  qu'on 
oppofe  encore  tous  les  jours  aux  mouve- 
mens  fecrets  de  la  grâce  qui  nous  follicitent 
à  ua  changemeat  de  vie  ;  le  défaut  de 


96    Vendredi  de  la  IîI.  Semaine. 
moyen  ,  rimpofTibilIté  de  l'entreprife.  En 
premier  lieu  ,  on  a  des  abîmes  fur  la  conf- 

'  cience  ;  depuis  fi  long-tems  on  vit  dans  la 
diiTolution  ,  fans  foi  ,  fans  culte,  fans  Sa- 
cremens;  comment  fe  réfoudre  à  éclaircir 
ce  cahos  ,  6C  à  creufer  dans  ces  fatales 
profondeurs  ?  Puteus  altus  eJL  D'ailleurs 
on  eft  d'un  caractère  /î  fragile  ;  on  a  porté 
en  naiilant  des  inclinations  fi  vives  pour  le 
plailîr  ;  on  ne  p'aroît  pas  né  pour  la  dévo- 
tion ;  comment  changer  de  tempérament 
ÔC  fe  refondre  tout  entier?  Puteus  altus  efî. 
Enfin  la  vie  chrétienne  ,  telle  que  nous  la 
dépeignons ,  eft  une  entreprise  qui  fait 
peur  :  le  moyen  de  fe  condamner  à  la  re- 
traite ;  pafler  les  jours  à  la  prière  ,  à  la  lec- 
ture ,  aux  œuvres  de  miiéricorde  ;  morti- 
fier les  fens ,  fe  difputer  tout  ce  qui  fait 

/  plaifir  ,  rompre  avec  tout  Tunivers  î  heu- 
reux ceux  qui  en  ont  la  force  !  mais  il  n'eit 
pas   donné  à  tout  le  monde  de  l'avoir  ? 

^  Puteus  altus  eft- 

Mais  revenons  fur  tous  ces  prétextes. 
Premièrement  ,  vous  avez  des  abîmes  fur 
la  confcience  ;  vous  ne  favez  par  où  vous  y 
prendre  pour  commencer.  Mais  n'eft-ce 
pas  cet  état  déplorable  lui-miême  qni  de- 
vroit  vous  porter  à  tout  entreprendre  ? 
Quoi  }  la  connoilTimce  que  vous  avez  de 
vos  maux  ,  vous  éloigne  du  remède  ?  vous 
regardez  votre  délivrance  comme  une  pei- 
ne ?  vous  reilemblez  à  un  efclave  qui  refu- 
feroit  fa  liberté  ,  parce  qu'il  gém.iroit  fous 
lin  ancien  efclavage,  5c  fous  le  poids  d'une 

infiiiité 


La  Samaritaine.  97 

infinité  de  chaînes.  Mais  vous  eft-il  moins 
pénible  de  porter  ce  fardeau  d'iniquité  fur 
rotre  cœur  ?  fouifrez-vous  moins  en  ca- 
chant vos  plaVes,  que  fi  vous  les  alhez  dé- 
couvrir aii  Médecin  charitable  qui  les  gué- 
rit ôc  (^ui  les  purifie  ?  Que  vous  propofe- 
t'on  de  fi  difficile?  d'écîaircir  une  confcience 
<iont  vous  ne  pouvez  plus  calmer  les  re- 
mords ;  d'en  faire  fortir  des  ferpens  qui 
vous  déchirent,  de  vous  ouvrir  à  un  Mi- 
ciftre  de  Jefiis-Chriit  qui  mêlera  fes  lar- 
mes aux  vôtres  ;  qui  fera  plus  touché  de 
vos  m.alhcurs ,  que  fcandalifé  de  vos  foi- 
blefies  ;  qui  ranimera  votre  efpérance  ,  en 
vous  redifant  avec  bonté  ,  qu'il  y  a  des  pé- 
cheurs plus  coupables  que  vous  ,  dont  la 
grâce  a  fait  de  grands  Saints  :  qui  vous  ai- 
dera par  {es  prières  ôc  ks  gémllfemens ,  â 
fortir  de  Tétat  déplorable  ou  vous  éte-s  ;  qui 
vous  confoiera  dans  votre  douleur  ;  qui 
vous  foutiendra  dans  votre  foiblefie  ;  qui 
vous  ralTurera  dans  votre  confufion  ;  2c  qui 
fera  moins  le  juge  de  votre  confcience  , 
que  l'ami  de  votre  adverfité  ,  5c  le  confi- 
dent charitable  de  vos  peines.  Ah  !  vous- 
n'aui-ez  pas  plutôt  ouvert  ce  cœur  que  vous 
ne  pouvez  plus  porter  ,  que  vous  fentirez  la 
joye  &C  la  férénité  renaître  au-dedans  de 
vous  :  ce  glaive,  qui  vous  perce  ,  arraché  : 
ce  poids ,  qui  vous  accable  ,  tombé  ,  ce 
ver  ,  qui  vous  ronge  ,  expiré  ;  ces  penfées 
iombres  ,  qui  vous  noircillent  l'efprit  ,dif- 
paroîtront  ;  vous  bénirez  cent  fois  le  mo^ 
ment  heureux  qui  vous  a  vu  prendre  une 
Carms ,  Tqhic  iiU  I 


çS  VexVdredi  de  la  IIî.  Semaîxe. 
réfoliition  fi  nëceilaire  à  votre  ialut,  5C  an 
repos  même  de  votre  ^'ie.  Toute  la  diffi- 
culté que  je  trouve  ici ,  eil  de  vivre  dans  la 
iîtuation  où  vous  êtes  ;  de  vous  défendre, 
6C  contre  la  voix  du  Ciel  quivous appelle, 
ÔC  contre  la  voix  de  votre  confcience  qui 
vous  condamne  ;  de  vous  fupporter  vous- 
même  ennemi  de  Dieu  depuis  que  vous 
avez  pu  le  connoître  ;  éloigné  des  Sacre- 
mens ,  des  confolations  de  la  grâce,  vi- 
vant ieul  avec  vous-même  ,  c'eft-à-dire  , 
avec  votre  confcience  blvos  crimes  :  voilà 
la  peine.  La  converfion  qu'on  vous  pro- 
poie  n'en  eil  que  radouciilemeiit  ,  &  le 
plus  affuré  remède. 

Mais  en  fécond  lieu  ,  vous  ne  paroiiTez 
point  né  pour  la  pieté  ,  dites-vous  ;  vous 
ne  vous  gagnerez  jamais  fur  certains  points, 
par  où  cependant  il  faudroit  commencer  ; 
toutes  vos  inclinations  fe  trouvent  juile- 
ment  à  l'autre  extrémité  de  ce  qu'on  appel- 
le vertu  Se  dévotion  :  Futeus  altus  ejî.  Mais 
premièrement  ,  quand  il  devroit  vous  eu 
coûter  un  peu  plus  qu'à  un  autre  ,  n'avez- 
vous  pas  plus  qu'un  autre  de  crimes  5c  de 
voluptés  à  réparer  ?  D'ailleurs  ,  l'éternité 
ne  mérite-t'elle  pas  que  vous  vous  fatîiez 
quelque  violence  ?  ne  vous  en  êtes- vous  ja» 
mais  fait  pour  le  monde?  cespenchansque 
vous  nous  donnez  pour  11  invincibles  ,  ne 
les  avez-vous  pas  mille  fois  furmontéspar 
des  motifs  de  fortune  ,  de  gloire  ,  de 
bienféance  ?  ce  malheureux  tempéram.ent 
que  vous  nous  alléguez  li  fouvent ,  ne  vous 


L  A  s  A  M  A  R  I  T  A  I  M  E.  99 

trouvez-vous  pas  tous  les  jours  dans  des 
fituations  où  il  faut  le  gêner  ,  le  contrain- 
dre  ?  ÔC  qu'eft  la  vie  du  inonde  ,  ÔC  de  la 
Cour  fur-tout ,  qu'une  éternelle  contrainte 
une  gêne  qui  ne  finit  point  ;  une  fuite  d'oc- 
cupations oppofées  à  vos  penchans  ;  une 
fcèneoii  il  laut  toujours  jouer  le  perfon- 
nage  d'un  autre  ?  Ah  !  ce  n'eft  pas  à  vous 
fur-tout  qui  habitez  les  palais  des  Rois,  à 
venir  nous  alléguer  des  inclinations  défac- 
coûtumées  de  tout  joug,  6c  qui  par  un  long 
ufage  d'indépendance ,  ne  fauroient  plus  ie 
contraindre  :  vous  avez  appris  à  prendre 
fur  vous-même,  6càfacrifier tous  lesjourg 
vos  penchans  à  des  intérêts  plus  forts  ;  de- 
puis que  vous  avez  dss  pafTions ,  il  a  pres- 
que toujours  fallu  ,  ou  les  furmonter  ,  ou 
les  contrefaire  ;  flâter  ceux  que  vous  mé- 
prifez  :  careiler  ceux  que  vous  haïllez  ; 
ramper  devant  ceux  aufquels  votre  orgueil 
eftinconfolable  d'être  forcé  de  céder  :  laif- 
fer  le  plaifir  pour  le  devoir  :  ah  !  Je  monde 
vous  a  inftruits  pour  la  vertu  ;  6c  les  con- 
traintes de  la  Cour  5c  des  pafTions ,  vous 
ont  difpofé  plus  que  vous  ne  croyez  à 
celles  de  l'Evangile. 

Que  dirai-je  encore  ?  peut-être  vous  en 
auroit-il  plus  coûté  de  vous  vaincre  dans, 
•une  grande  jeuneiTe  :  les  pafllons  alors  plus 
vives  ,  les  réflexions  moins  férieufes  6C 
moins  triftes ,  les  plaiilrs  plus  féduifans 
par  leur  nouveauté  ,  lailfoient  peut-être 
alors  à  votre  foiblelTe  moins  de  liberté  do 
s'en  défeadre  ;  mais  à  l'heure  qu'il  eft ,  quQ 

I  i 


îoo  Vendredi  de  la  III.  Semaine. 

lafle  par  votre  propre  expérience  ,  vous  eti 
avez  connu  le  vuide  6c  ramcrtume  ;  àTheii- 
te  qu'il  eft  queTâge  ,  les  emplois  ,  les  bien- 
■féances  marnes  du  monde  ,  exigent  de 
vous  des  mœurs  plus  férieufes  5c  plus  ré- 
glées :  à  riieure  qu'il  eft  que  des  dégoûts, 
des  contretems,  l'épreuve  mille  fois  faite 
de  la  légèreté  ,  de  la  faulTeté  ,  de  la  per- 
fidie même  des  créatures ,  vous  ont  appris 
ce  qu'il  falloit  attendre  des  pafTions  6c  des 
engagemens  profanes  ;  à  riicure  qu'il  eft 
que  moins  propre  au  monde  ,  il  commence 
à  fe  refroidir  à  votre  égard  ,  5c  à  vous 
avertir  qu'il  cCt  tcms  de  vous  faire  d'autres 
pîalfirs  5c  d'autres  occupations  que  les 
iiennes  ;  à  l'heure  qu'il  eft  que  vous  ne  traî- 
nez plus  au  milieu  de  fes  amufemens  , 
qu'une  confcience  inquiète  ,  qu'un  ennui 
mortel  que  rien  ne  fauroit  plus  égayer  , 
parce  qu'il  prend  fa  fource  dans  la  trilleffe  - 
êc  la  maladie  de  votre  ame  que  Dieu  feul 
peut  fouiager;  ah  !  il  vous  en  coûtera  moins 
que  vous  ne  croyez  de  vous  paiTer  du  mon- 
de ,  de  l'oublier  ,  de  le  mépnfer  :  vous 
portez  déjà  au  dedans  de  vous  les  femences 
de  ces  heureufes  difpofitions  ;  vous  ne  l'ai- 
mez déjà  plus  par  raifon ,  par  dégoût ,  par 
l'inconli-ance  toute  feule  du  cœur  ;  que 
fera- ce  quand  la  grâce  aidera  ces  prépara- 
tions, de  la  natiu-e  ,  que  vous  le  haïrez  par 
un  principe  de  foi  6c  de  piété ,  6c  que  la  lu» 
miére  au  Ciel  vous  en  aura  découvert  toute 
la  corruption  ,  tous  les  périls  ,  tout  le 
néant  ÔC  toute  la  mifére  ï 


La  Samaritaine.         ioî 

Enfin  ,  ne  feinble-f  il  pas  que  vous  ne 
devez  compter  que  fur  vous-même  ?  Ta" 
voue  que  fi  l'ouvrage  de  la  converiion  étoit 
l'ouvrage  de  Thomme  feul ,  vous  devriez 
en  déferpérer  :  mais  ignorez-vous  que  ce 
qui  n'elt  pas  poflible  à  Thomme  feul  ,  l'eft 
à  l'homme  aidé  de  Dieu  ;  que  rien  n'eft 
difficile  à  la  grâce,  que  les  cœurs  les  plus 
fragiles  5c  les  plus  corrompus  ,  font  ceux 
quelquefois  où  elle  opère  de  plus  grandes 
chofes ,  ÔC  que  Textrêmité  de  nos  miféres 
eft  fouvent  la  plus  favorable  difpofiLion  à 
l'excès  de  fes  mifcricordes  ?  Hélas  1  laPé- 
chereife  de  la  Cité  ,  étoit  fragile  ,  enivrée 
du  monde,  pleine  de  paillons,  ti.  ne  pa- 
roiiToit  pas  née  pour  la  vertu  ;  cependant 
fut-il  jamais  d'amour  plus  vif  pour  Jefus- 
Chrift  ,  de  pénitence  plus  prompte  ,  plus 
fervente,  plus  durable  que  la  fiennep  Au- 
guftin  étoit  foible  ;  hélas  !  fes  défirs  ,  fes 
rechûtes  ,  fes  perplexités  ,  fes  agitations  , 
fes  elïbrts  impuillans  pour  s'arracher  à  la 
boiie,  &  le  poids  fatal  qui  Tyrentraînoità 
l'inftant ,  vit-on  jamais  tant  de  foiblelTe  ?  êC 
cependant  TEglife  a-t'elle  vu  de  converlion 
plus  glorieufe  à  la  grâce  de  Jefus-Chrill  ? 
Et  pour  ne  pas  fortir  de  notre  Evangde ,  la 
Femme  de  Samarie  étoit  foible  ;  la  multi- 
tude de  fes  mariages  n'avoir  piî  la  ramener 
à  des  mœurs  plus  régulières ,  6c  fon  mau- 
vais caradère  l'emportoit  toujours  :  ce- 
pendant le  Sauveur  ne  triomphe-t'il  pas 
aujourd'hui  de  toute  fa  foibleiTe  ?  Ah  !  c'eft 
que  la  grâce  change  les  inclinations ,  cor- 

I  3 


toi  Vendredi  de  la  III.  Semaine. 
tige  le  tempérament  ,  forme  un  nou\«eaii 
cœur  ,  renouvelle  tout  l'homme;  c'eft  que 
les  vafes  de  boiie  entre  les  mains  de  TOu- 
vrier  tout-puiilant,  deviennent  bientôt  des 
vafes  d'élite ,  plus  folides  que  l'airain  ,  plus 
hrillans  que  la  lumière  ,  plus  purs  que  le 
métal  le  plus  précieux  :  c'eft  en  un  mot , 
que  la  grâce  eft  plus  forte  que  la  nature* 

Mais  en  dernier  lieu,  les  rigueurs  d'une 
vie  chrétienne  vous  épouvantent  :  car  vous 
ne  vous  flâtez  point  ^  dites-vous  ;  fi  vous 
preniez  le  parti  de  la  vertu  ,  vous  ne  vou- 
driez pas  le  prendre  à  demi  comme  tant 
d'autres  :  fi  vous  vous  déclariez  une  fois  : 
vous  voudriez  que  ce  fût  tout  de  bon  , 
fans  ménagement  5c  fans  réferve  :  mais 
c'efi:  cela  même  qui  fait  peur.  AuiTi  on  ne 
fait  ,  ajoutez-vous ,  comment  les  chofes 
iront  après  cette  vie;  mais  l'Evangile  exac- 
tement accompli ,  ne  femble  pas  fait  pour 
des  hommes  aufil  foibles  que  nous  le  fom- 
mes  :  Puteus  altus  cjl  ,  neqm  in  quo  hau* 
ri  as  habes. 

A  cela  ,  on  n'a  qu'à  vous  répondre  d'a- 
bord :  fi  vous  croyez  que  l'Evangile  eft 
une  Loi  donnée  de  Dieu  ,  vous  devez  fup- 
pofer  qu'elle  porte  les  caractères  divins 
de  fon  Légiilateur  ;  que  c'ell  une  Loi  fa- 
ge  ,  équitable  ,  m.odérée  ,  conforme  à  nos 
befoins  ,  proportionnée  à  notre  foiblefie, 
utile  à  nos  miféres  ;  que  c'efi:  un  remède , 
6C  non  pas  un  piège  ;  le  fecours  ,  6c  non 
ledife^poir  de  notre  infirmité.  Le  Seigneur 
n'eft  pas  un  tyran  bizarre  ,  qui  nefalfedes 


La  Samaritaine.         105 

loîx  que  pour  trouver  ,  dans  riinpofllbilité 
de  les  obferver  ,  des  prétextes  de  nous 
perdre  :  c'eft  un  Père  miféricordieux  ,  qui 
ne  penfe  qu'à  faciliter  à  fes  enfans  les  voies 
de  la  vie  éternelle  :  c'eft  un  Maître  géné- 
reux ,  qui  dans  les  ordres  mêmes  qu'il 
nous  prcicrit ,  a  bien  plus  d'égard  à  nos 
intérêts  ,  qu'à  fa  propre  gloire.  Quelle 
idée  vous  faites-vous  donc  de  fa  Loi  fainte  ? 
c'eft  une  Loi  raifonnable  ,  confolante  , 
feule  capable  de  remédier  à  nos  peines , 
&.  d'établir  une  paix  folide  dans  notre 
cœur.  Et  quel  autre  intérêt  ,  que  le  nô- 
tre, auroit  pu  porter  le  Seigneur  à  don- 
ner une  Loi  aux  hommes?  A-t'il  befoin  de 
nos  hommages  ?  lui  revient- il  quelque  cho- 
fe  de  nos  vertus  ?  fa  félicité  efl-elle  inté- 
relTée  à  notre  fidélité?  Eft-ce  une  gloireà 
lui ,  de  s'alTujettir  les  hommes  par  des  loix 
capricieufes  ,  où  l'on  puilTe  dire  qu'il  ne 
cherche  que  l'honneur  de  fe  faire  obéir  ,  ÔC 
de  dominer  furies  confciences  par  les  ter- 
reurs &.  les  menaces  dont  il  accompagne 
fes  préceptes  ?  Il  n'a  donc  cherché  que  no- 
tre intérêt  §C  notre  confolation  ,  en  nous 
prefcrivantles  ordonnances  admirables  de 
fa  Loi  farnte-  En  ne  donnant  point  de  loi 
aux  hommes ,  &  nous  laiiïant  vivre  au  gré 
de  nos  paiïions  ,  il  eût  nourri  parmi  les 
hommiCs  la  fource  de  tous  les  troubles  > 
l'origine  de  tous  les  malheurs  :  il  eût  fait 
de  la  fociété  une  confuiion  afFreufe ,  fans 
liens,  fans  régie  ,  fans  équité  ,  fans  dépen- 
dance ;  où  les  feules  payions ,  qui  arment 

I4 


104  Vendredi  de  la  III.  Semain^è. 
les  hommes  les  uns  contre  les  autres  ,  les 
auroient  liés  enfemble  ;  où  nos  feuls  défirs 
auroient  décidé  de  nos  droits.  En  mettant 
des  bornes  à  nos  penchans  ,  il  en  a  donc 
mis  à  nos  peines  :  en  nous  marquant  nos 
devoirs  ,  il  nous  a  donc  montré  nos  remè- 
des :  en  ne  nous  lailTant  point  à  nous-mê- 
mes &.  entre  les  mains  de  nos  paillons  ,  il 
nous  a  donc  empêché  d'être  nos  propres 
tyrans  i  en  nous  afiiijettilïant  à  fa  Loi ,  il 
n'a  pas  voulu  tyrannifer  notre  cœur  ,  mais 
en  fixer  les  inquiétudes. 

Mais  tel  eft  l'artifice  du  démon  ,  dit  S» 
A'igiiltin  :  à  la  nailTance  de  la  foi  il  tâchoit 
de  renverfer  l'œuvre  de  Dieu^  ÔC  d'anéan- 
tir TEvangile  ,  en  rendant  Jefus  -  Chrif^ 
mépriuible.  Qui  adorez-vous  ,  diioit-il  aux 
Chrétiens  par  la  bouche  des  Sages  du  Pa- 
ganifme  ,  un  Juif  ?  un  mort  ?  un  crucifié  ? 
vii\  homme  de  néant  y.  6>C  qui  n'a  pu  fe  dé^ 
livrer  lui-même  delà  mort  ?  Anteà  çuid 
diccbat  ?  quem  colitis  ?  Judcum  ?  mortuum  ? 
truafixum  ?  nullius  mcmenti  homlmm  ,  qui 
non  poîuiî  à  fe  morteni  dcpellcrc  ?  Quand  il 
a  vu  que  ce  moyen  étoit  inutile  ,  continue 
ce  Père  ;  que  ces  blafphêmes  n'étoient 
plus  écoutés  qu'avec  horreur  ;  que  les  peu- 
ples en  foule  couroient  adorer  ce  Cruci- 
fié ;  que  malgré  la  puilTance  des  Céfars  ,  la 
fureur  des  tyrans  y  la  fagelTe  des  Philofo- 
phes  ,  l'ancienne  prefcriptioa  deTidalatrie 
ioutenuè  delà  iViajefté  des  loix  de  l'Em- 
pire ,  de  la  crédulité  de  tous  les  fiécles  ^  ^ 
de  la  magnificence  des  fuperilitions  ,  Içs 


La  Samaritaine. ^  io| 
Temples  profanes  ëtoient  détruits  ,  les 
Idoles  renverfées  ,  la  folie  de  la  Croix 
triomphante  de  tout  l'univers  :  &C  qu'un  fi 
grand  événement ,  fi  favorable  tout  feul  à 
la  caufe  des  Chrétiens  ,  fi  marqué  par  des 
caraftères  de  divinité  ,  fî  au-deflus  de  la 
poiiibilité  de  toutes  les  entreprifes  humai- 
nes ;  ayant  encore  pour  lui  Taccompliffe- 
ment  des  prophéties  ,  ne  laifToit  plus  rieiî 
à  dire  contre  la  vérité  de  TEvangile  :  il 
s'^eft  tourné  d'un  autre  côté;  il  n'a  plus  ofé 
traiter  la  doftrine  de  Jefus  -  Chrift  de 
fable  ÔC  d'impofture  ;  il  eft  convenu  de  fa 
fainteté  ,  de  fa  fublimitc  ,  de  la  perfedion 
de  fes  maximes.  La  Loi  chrétienne  ,  a-t'il 
dit  par  la  bouche  des  mondains  ,  eft  une 
Loi  admirable  ,  fainte  ,  divine  ;  il  faut  en 
convenir  :  rien  de  fi  beau  ÔC  de  fi  élevé 
que  les  préceptes  de.  Jefus-Chrift  ;  mais 
qui  les  pratique  ?  Mais  commienî  les  ob- 
ferver  ?  mais  cette  grande  perfection  eft- 
elle  pofîible  en  cette  vie  ?  mais  la  foibleile 
humaine  peut-elle  aller  jufques-là  ?  mais 
s'il  y  a  eu  autrefois  des  homn-;es  qui  ayent 
fuivi  à  la  lettre  tout  ce  que  lEvangile  pref- 
crit ,  fans  doute  ils  étoient  faits  autrement 
que  nous  ne  le  fommes.  ?  Cœpit  à  fide  alio 
me  do  dcrerrere.  Magna  lex  ejl  chriftiana  ; 
j)otens  hx  illa  ,  divina  ,  ine^abilis  :  fcd 
quis  illam  impUt  ?  Les  blafphémes  de  l'im- 
piété font  tombés  d'eux  mêmes  ;  ceux  de 
rimpofllbilité  trouvent  encore  aujourd'hui 
des  partifans  5c  des  apologiftt^s  au  milieu 
d'un  monde  profane ,  5c  qui  ie  glorifie  du 
ûom  Chrctien. 


to6  Vendredi  r>E  la  III.  Semaine. 

D'ailleurs  ,  ce  qu'il  y  a  ici  d'injufie 
dans'ies  préjugés  que  l'on  fe  forme  con- 
tre la  polTibilité  de  la  vie  chrétienne  , 
c'eft  que  ceux  qui  s'en  plaignent  n'en  ont 
jamais  fait  l'épreuve  :  ils  adoptent  là- 
delTus  un  langage  qu'ils  ont  trouvé  éta- 
bli dans  le  monde  ;  ÔC  fans  connoître  de 
la  piété  que  le  fentiment  de  la  corrup- 
tion qui  les  en  éloigne  ,  ils  prononcent 
que  les  maximes  de  Jisus  -  Christ  ne 
font  pas  polTibles  parce  qu'ils  le  fouhai- 
tent.  Mais  nous  aurions  droit  de  vous  dire  : 
Eflayez  de  la  vertu  ,  avant  de  vous  en 
plaindre.  Si  vous  aviez  ,  félon  la  parole 
de  l'Evangile  ,  commencé  l'édifice ,  ÔC  que 
vous  n'euHiez  pu  l'achever  ;  quoique  le 
mauvais  fuccès  de  l'entreprife  dut  être  at- 
tribué à  votre  imprudence ,  fclon  J.  C.  , 
&  au  défaut  de  précaution  j  ;  néanmoins 
vous  pourriez  nous  dire  que  Tentreprife 
pafle  vos  forces.  Mais  vous  n'avez  jamais 
fait  de  démarche  fincére  de  falut  ;  vous 
avez  jufqu'ici  mené  une  vicfenfuelle,  dif- 
fipée  ,  pleine  de  pafiioas  5c  d'inutilités  ; 
pourquoi  décidez-vous  donc  fur  ce  que 
vous  ne  fauriez  connoître  ?  Prononcez  ;  à 
la  bonne  heure  ,  fur  la  vie  du  monde  ,  fur 
le  vuide  &  l'amertume  defes  plaifirs  ,  fur 
l'inquiétude  6c  les  fureurs  de  les  revers  ÔC 
de  fes  injuftices  ,  fur  les  agitations  6c  le 
tourment  de  fes  efpérances ,  fur  la  perfidie 
6c  l'inconftancede  fes  amitiés  6c  de  fes  pro- 
inefTes  ;  vous  le  pouvez;  vous  êtes  là-def- 
iiis ,  à  la  Cour  fur-tout  plus  que  partout 


La  Samaritaine.  107 
ailleurs ,  juges  légitimes  :  décriez  ,  exa* 
gérez  les  difficultés  ,  les  peines  ,  les  dé- 
goûts de  la  vie  du  monde  6C  de  la  Cour, 
on  vous  le  permet ,  6c  votre  propre  expé- 
rience vous  en  a  affez  inflruit  pour  nous 
l'apprendre  :  mais  pour  la  vie  chrétienne, 
ce  n  eft  pas  à  vous  à  parler  de  fes  rigueurs 
bc  de  fes  ennuis  ,  c'eil  un  point  que  l'ex- 
périence feule  peut  décider  :  effayez-en 
premièrement;  rompez  avec  le  monde; 
finilTez  vos  pafiions  ;  commiCncez  à  vivre 
pour  l'éternité  :  vous  nous  direz  alors  Ci  le 
joug  de  Jefus-Chrift  eft  aufli  accablant 
qu'on  fe  le  figure  ,  fî  le  vice  eft  plus  aima- 
ble que  la  vertu  :  nous  vous  écouterons 
alors  :  mettez-vous  feulement  en  état  de 
décider  ;  voilà  tout  ce  que  nous  deman- 
dons :  peut-être  céderez-vous  d'abord  à 
la  difficulté  ;  5c  alors  vous  nous  reproche- 
jez  l'cftentation  de  nos  promefles  :  peut- 
être  auffi  vous  en  coiitera-t'il  moins  que 
vous  ne  croyez  ;  ÔC  fi  cela  eft  ,  n  êtes-vous 
pas  à  plaindre ,  de  refufer  à  votre  falut  des 
efforts  auffi  légers  que  ceux  qu'on  vous 
demande  ? 

Lorfque  les  Ifraèlites ,  fur  le  point  d'en»- 
trer  dans  la  terre  de  Canaan ,  parurent  re- 
butés des  difficultés  de  l'entreprife;  6c  que 
refufant  d'avancer,  ils  ne  celToient  dédire 
que  ces  villes  étoient  imprenables  ,  ces 
peuples  invincibles  ,  ÔC  que  cette  terre 
étoit  Joute  couverte  de  monftres  6c  de 
géans  ,  qui  dévoroient  fes  habitans  :  Ne- j^^f^^f^ 
quaquam  ad  hune  fO£ulum  yalemus    afcçTi-iz-n^ 


îo8  Vendredi  de  la  III.  Semaine. 

éere  ,  quia  jortior  nob'is  cjl  ;  terra  dévorai 
habitiitores  fiios  :  Jofué  ÔC  Caleb  qui  ve- 
noienî  de  vifîter  cette  terre  heureiife ,  ÔC  qui 
en  corinoilToient  les  douceurs  ^  les  agré- 
mens ,  5c  l'abondance  ,  leur  parlèrent  de  la 
forte  :  enfans  dlfraèl  ,  venez  voir  vous- 
mêmes  cette  terre  délicieufe  que  le  Sei- 
gneur vous  propofe,  &  qui  doit  être  votre 
polTelTion  éternelle  :  vous  verrez  que  le  lait 
6c  le  miel  y  coulent  de  toutes  parts  :  vous 
dévorerez  ces  peuples  terribles  ^  qui  allar- 
ment  tant  votre  foibleile  ,  comme  on  dé- 
vore le  pain  qiri  fert  tous  les  jours  de  nour- 
riture à  rhomme  :  vous  y  trouverez  le 
termje  de  vos  travaux  ,  le  délalTement  de 
vos  fatigues  ,  la  confolation  de  vos  pei- 
nes ,  le  repos  que  vous  cherchez  en  vain 
depuis  tant  d'années  ,  ?<  enfin  des  dou- 
ceurs que  vous  n'avez  jamais  goûtées ,  ni 
dans  la  ferviîude  de  l'Egypte,  ni  dans  les 
voies  arides  6C  pénibles  du  défert  :  nous 
l'avons  nous-mêmes  parcourue;  &  nous  ne 
venons  ici  aux  pieds  du  tabernacle  faint, 
&  devant  toute  l'allem^biée  d'Ifraèl  ,  que 
pour  être  les  témoins  de  la  vérité  ,  5c  les 
garans  des  prom.efTes  que  le  Seigneur  a 
'Num,^,  faites  à  nos  pères  :  Terra  cjuam  circuivimus 
7.  8.  valdè  bona  ejl  \  &  tradet  JJominus  humum 
lucie  C^  m  elle  manantem. 

Et  voilà,  mes  Frères,  ce  que  nous  pour- 
rons vous  dire  ici,  nous  qui  par  les  enga- 
gemens  d'un  état  faint ,  &.  un  Icngufagc 
du  joug  de  Tefus-Chrifi:  ,  devons  connoi- 
ire  quelles  en  font  les  douceurs  ôc  les  coii: 


La    SAMARltAINE.  lOf 

folatîons  ,  ÔC  qui  du  moins  pouvons  rendre 
témoignage  à  la  vérité  de  Dieu  ,  ÔC   à   la 
gloire  de  ia  grâce.  Pourquoi  vous  laiflez- 
vous  décourager  par  des  difficultés  que 
vous  n'avez  pas  encore  éprouvées  ?  Venez 
voir  vous-mêmes  ce  qui  i'e  palTe  dans  cette 
terre  heureufe  où  vous  vous  figurez  des 
difficultés  fi  infurmontables.  Loin  d'y  trou- 
ver ces  monftres  qui  vous  épouvantent,  ÔC 
que  Terreur  de  votre  imagination  s'y  figure; 
d'y  trouver  ces  ennuis,  ces  dégoûts,    ces 
horreurs  que  vous  craignez  tant  5c  qui  vous 
arrêtent  ;  vous  verrez  que  le  lait  5c  le  miel 
y  coulent  en  abondance  ,  vous  y  trouve- 
rez des  fources  de  confolations  foli'des  :  le 
repos  que  vous   cherchez   depuis  fi  long- 
tems  ;  la  paix  du  cœur  ,  que  le  monde  ÔC 
les  paffions  ne  donnent  pas ,  ÔC  que  vous 
n'avez  pas  encore  trouvée  ;  toutes  les  rcf- 
fources  de  la  ^race,  dont  vous  avez    été 
julqu  ICI  prives  :  nous  en  avons  nous-mê- 
mes fait  une  heureufe  expérience,  &  nous 
ne  paroilTons  ici  devant  l'autel  faint  ^  dans 
l'aflemblée  des  Fidèles ,  que  pour  rendre 
témoignage  aux  miféricordes  du  Seigneur 
furies  âmes  qui  reviennent  à  lui  par  une 
fincére  pénitence  ;  Terra  quam  circuivimus 
raliè  hona  ejl  3  &  tradeî  Dominus  hunium 
laâe  &  mcllc  man^inum. 

Oui ,  mes  Frères  ,  fi  vous  connoiiTiezle 
don  de  Dieu  ,  comme  le  dit  aujourd'hui  le 
Sauveur  à  \^  Femme  de  Sam^arie  ^Ji  feins  Jom,4, 
domuji  Dci  ;  fi  vous  pouviez  comprendi*e'^^ 
quelle  joye  la  grâce  répand  fur  les  devoirs 


jîô  Vendredi  de  la  III.  SemaimeJ 

les  plus  rigoureux  de  Ja  vie  chrétienne  J 
^  &.  quelles  font  les  confolations  fecrettes 
qui  accompagnent  les  facrifices  les  plus  pé- 
niBles  qu'on  fait  à  Dieu  :  Si/cires  :  (i  l'oii 
pouvoit  vous  faire  fentir  d'avance   com- 
bien les  hommes ,  les  plaifirs  ,  les  préten- 
tions ,  les  efpérances ,  ÔC  tout  cet  amas  de 
vanité  6c  de  fumée  devient  peu  de  chofe 
à  une  ame  touchée  de  Dieu  :  Si/cires  :  (i 
vous  pouviez  comparer  les  inquiétudes  qui 
vous  déchirent ,  les  difficultés  qui  traver- 
fcnt  vos  pa/rions,à  la  tranquillité  dont  vous 
jouiriez  dans  la  vertu  ,  6c  aux  facilités  que 
la  grâce  y  ménage  à  notre  foiblelTe  ;  en  un 
mot,  Feau  du  puits  de  Jacob  ,  figure  des 
plaifirs  du  monde  ,  à  l'eau  que  le  Sauveur 
promet  à  la  Femme  de  Samarie ,  image 
des  douceurs  de  la  vertu  :  Si/cires  :  lî  vos 
yeux  pouvoient s'ouvrir,  6c  connoître  quel 
don  Dieu  fait  à  une  ame  ,  lorfqu'il  la  dé- 
livre de  ks  paffions ,  8c  qu'il  met  en  leur 
place  dans  fon  cœur  ,  la  paix  ,  la  charité  , 
la  jullice  :  Si  fcires  donum  Dd  ;  ah  !  fans 
doute ,  loin  de  différer  encore  ,  vous  n'au- 
riez pas  affez  de  tout  votre  cœur  pour  de- 
mander ce  don  célefle  ;  pas  affez  de  larmes 
pour  pleurer  les  jours  5c  les  années  que 
vous  en  avez  été  privé.  La  fource  de  nos 
craintes  eft  dans  notre  cœur  ;  6c  la  vertu 
n'efl  appréhendée ,  que  parce  qu'elle  n'eft 
pa§  connue. 

Mais  tout  le  monde  n'en  parle  pas  com- 
me vous ,  dit- on;  ÔC  ce  que  nous  femblons 
faire  fi  aifé ,  d'autres  le  font  difficile,  Der- 


La  Samaritaine.        m 

lîîére  excufe  que  lu  Femme  de  Samarie 
oppofe  aux  inft.inces  de  Jefus-Chrill: ,  la 
variété  des  opinions  6C  des  doctrines  : 
patres  nojlri  in  monte  hoc  adoraverunt  ;  ^ 
ros  dicitis  quia  Jerofolymis  ejî  Ipcus  ubi 
adorare  oportet*  Ce  devoit  être  ici  ma 
dernière  Partie. 

En  effet  ,  Jefus-Chrift  avoit  conduit 
infenfiblement  cette  Péchereffe  au  point 
eflentiel  de  fa  converHon  ;  à  cette  pallion 
honteufe  ,  qui  feule  s'oppofoit  à  la  grâce 
dans  fon  cœur  :  il  lui  avoit  découvert 
tout  le  fecret  crimûnel  de  fa  diffolutionôC 
de  fa  conduite  ;  elle  ne  pouvoit  plus  difîî- 
muler  des  égaremens  dont  elle  voyoit  le 
Sauveur  trop  inllruit  :  le  trouble ,  la  honte , 
les  remords  commicncent  à  naître  dans  fon 
ame  :  mais  ce  n'étoient-là  que  de  foiblcs 
commencemens  ;  la  Cœur  n'étoit  point  en- 
core rendu,  levais  bien  que  vous  êtes  un  ihid^-^ 
Frophète  ^  lui  dit-elle  ;  voilà  tout  le  fruit /j, 
qu'elle  femble  retirer  de  la  vérité  qui  la 
condamne.  Semblable  à  la  plupart  de  ces 
am.es  m.ondaines  ,  lefquellesau  fortir  d'un 
difcours  ou  le  zèle  du  Miniilre  aura  déve- 
loppé  toute  la  honte  de  leurs  foibleff^s  les 
plus  fccrettes ,  5c  tracé  la  peinture  de  leur 
cœur  comme  fi  elles-mêmes  l'avoient  inf- 
truit  de  tout  ce  qui  s'y  pafFe ,  fe  conten-  . 
tent  de  dire  que  c'eft  un  Prophète  :  yideo 
(]uia  Propheta  es  tu  j  qu'on  (e  reconnoît 
loi-même  à  tout  ce  qu'il  dit  ;  qu'on  diroit 
qu'il  voit  dans  les  cœurs  ÔC  dans  les  plus 
lecrets  penchans  de  ceux  qui  Técoutem  : 


riz  Vendredi  DE  LA  III.  Semaine. 
mais  voilà  tout.  On  lui  donne  des  louan- 
ges qu'il  méprife  6c  dont  il  gémit  devant 
Dieu  :  ôc  on  ne  fe  corrige  point  ;  ce  qui 
feroit  fa  gloire ,  fa  confolation  ÔC  fa  cou- 
ronne. 

Nos  pcrcs  y  continué  la  Pécherefle  ,  ont 
adoré  fur  cette  montagne  ;  ô"  vous  dites 
mie  Jerufalem  eft  le  lieu  ou  il  faut  adorer* 
Nouvel  artifice  dont  elle  s'aviie.  Pour  dé- 
tourner la  queftion  de  fes  moeurs ,  qui  lui 
déplaît  5c  qui  l'embarraile  ,  elle  fe  jette  ha- 
bilement  fur  une  queftion  de  doctrine  :  les 
conteftations  entre  Jerufalem  ÔC  Garizim  , 
fur  la  vérité  de  leur  culte  &  fur  la  fainteté 
de  leur  Temple ,  n'avoient  pas  fini  depuiç 
que  le  traître  8c  l'ambitieux  Manafsès  ^ 
avoitélevéTautelfacrilège  fur  la  montagne 
de  Sa  marie  ;  5c  chacun  foutenant  la  gloire 
de  fa  maifon  &.  la  majefté  de  {i^s  facrifeces , 
ï\s  s'accufoient  mutuellement ,  comme  il 
arrive  prefque  toujours  ,  de  fuperftition 
&  d'idolâtrie. 

Or ,  voilà  ce  qui  donne  lieu  à  la  ré- 
ponfe  de  la  Femm.e  de  Samarie  :  il  femble 
qu'elle  veut  par  cette  variété  d'opinions  6C 
de  dodrines  ,  juftiner  iis  défordres  ;  6C 
que  l'incertitude  où  elle  prétend  qu'on  eft 
lur  le  lieu  6c  fur  les  régies  du  véritable 
culte ,  fiiffit  pour  autoriier  fa  tranquillité 
dans  l'état  déplorable  où  elle  fe  trouve. 
Ainfi  c'eft  comme  fi  elle  répondoit  à  Jefus- 
Chrifl:  iMais  Seigneur,  à  quoi  s'en  tenir  ? 
vous  Juifs  ,  vous  prétendez  qu'il  faut  ado- 
rer à  Jerufalem  ,  5c  u'avoir  point  de  com- 
merce 


l 


La  Samaritaine.  ir^ 
înerce  avec  Samaric  :  nos  pères  ont  tou- 
jours  adoré  fur  cette  montagne  ;  ils  nous 
ont  permis  ce  que  vous  condamnez.  Pour 
qui  fe  déclarer  dans  cette  diverilté  de  lea- 
timens  ?  Convenez  premièrement  des  de- 
voirs que  le  Seigneur  exige  de  nous  ,  du 
Temple  6c  de  l'autel  qu'il  a  clioifis  ;  6C 
après  cela  j'écouterai  vos  inftruclions  ,  5C 
je  pourrai  m'en  tenir  à  la  fageiTe  de  vos 
confeils  &  de  vos  iiTaximes^ 

Et  voilà  le  prétexte  dont  on  fè  fert  en- 
core tous  les  jours  dans  le  monde  pour 
s'étaurdir  fur  les  vérités  les  plus  terribles 
du  falut,la  variété  des  Q;jin  ons  fur  les  ré- 
gies des  mœurs.  On  ne  faîtà  qui  en  croire  ^ 
nous  dit-on  tous,  les  jours  ;  les  luis  vous 
damnent,  les  autres  vous  iàuvent  ;  ici  on. 
vous  palfe  certains  points ,,  ailleurs  y  on  îes 
condamne  •  ici  vous  obfervez  la  Loi  eit 
TadouciiTant  ,.aillem's  vous  ne  radouciffez 
qu'en  la  tranfgrelTant  ;  ici  on  a  des  raifons 
pour  défendr  -  ,  ailleurs  on  croit  en  avoir 
pour  permettre  ,  eji  un  mot ,  ici  vous  êtes 
tin  Saint  j.  ici  vcais  navez  pas  encore  corn- 
ineiicé  à  être  Clirétieji.  Et  là-deiTus  ,  6 
mon  Dieu  !  le. pécheur  infenfé  conclut  qu'il 
n  a  qu'à  vivre  tranquille,  dans  fjs  égare- 
mens  ;  que  l'Evangile  ne  renferme  que 
d/es  opinions,  6c  des  prohlcme^;  ;  que  cha- 
cun le  tourne  félon  Les  préventions  de  foiî 
propre:  e:fprrt  ;.  &C  qu'au  fond  il  n'y  a  riea 
de,  trop  affuré  dans  tout  ce  que:  n<5us  ieu^ 
dfons  de  votre  Loi  fc-iite, 

Mais^Cins  apporter  i.ci  tout  Qe  qui  pour- 


114  Vendredi  de  la  III.  Semaine. 

roit  confondre  un  prétexte  fi  injurieux  i 
Ja  vérité  &  à  la  piété  chrétienne  ,  fouffrez 
que  je  me  contente  de  vous  demander  : 
Ne  tient-il  qu'à  l'uniformité  des  fentimens, 
que  vous  fortiez  de  vos  pafîions  honteufes? 
eft-ce  à  vous  à  venir  nous  alléguer  la  varié- 
té des  opinions  6c  des  do£irines  fur  les  ré- 
gies des  mœurs  ?  Des  âmes  religieufes ,  ti- 
morées ,  craintives ,  pourroient  nous  op- 
pofer  ces  perplexités  5c  ces  incertitudes  : 
comme  elles  ne  croyentjamaismarcherpar 
im  chemin  alTez  sûr  ;  que  leurs  devoirs 
paroifTcnt  fouvent  incompatibles  avec  leur 
fîtuation  ;  &  que  la  décifion  n'en  efl  pas 
toujours  facile  ;  il  fe  peut  faire  qu'elles 
trouvent  quelquefois  dans  le  San6î:uaire  , 
ici  une  indulgence  qui  les  ralTure  ,  ailleurs 
une  févéritéqui  lesallarme;  5c  qu'elles  de- 
meurent incertaines  de  la  route  qu'il  fau- 
droit  tenir.  IVlais  pour  vous  ,  avez-vous 
jamais  trouvé  une  grande  variété  de  fenti- 
mens  furie  dérèglement  de  vos  mœurs ,  ÔC 
fur  l'indignité  de  vos  paiTions  ?  nos  déciiîons 
font-elles  bien  différentes  fur  la  honte  de 
votre  état  ?  n'avez-vous  pas  oui  partout  là- 
delTus  les  mêmes  oracles  ,  que  les  fornica- 
teurs  ,  les  adultères,  les  impudiques,  les 
adorateurs  dldoles  ne  poiTéderont  pas  le 
Royaume  de  Dieu  ?  Cette  uniformité  d'o- 
pinions vous  ramené  f  elle  à  la  vérité  que 
vous  ne  faurîez  vous  diffimuler  à  vous-mê- 
me ?  Cependant  c'eft  vous  feul  qui  vous 
plaignez  qu'on  ne  fait  à  quoi  s'en  tenir;  car 
c*eil  le  moade  le  plus  déréglé  qui  tient  es 


La  Samaritaine,  hç 
langage  ,  &  vous  êtes  le  feul  que  tout  fe 
réiinit   pour  condamner. 

Vous  imitez  la  Femme  de  Samarîe.   II 
lî'éîoit  pas  queilion  pour  elle  de  favoir  s'il 
falloit  adorer  à  Jérufalem  ou  à  Garizim  ; 
puifqr.e  le  tems  étoit  venu,  comme  lui  ré- 
pond Jefus-Chrift  ,  que   cène  feroit ,   ni 
à  Garizim,  nia  Jérufalem  ,  mais  par  toute 
la  terre  ,  que  {on  Père  auroit  des  adora- 
teurs en  efprit  ÔC  en  vérité  :  ce  différend 
ne  la  regardoit  pas,  pour  ainfî  dire  ;   ce 
point  pouvoit  être  douteux  pour  elle  ,   6c 
on  ne  lui  faifoit  pas  encore  un  crime  del'i- 
gnorer.  Mais  le  dérèglement  de  fa  con- 
duite &:  de  fes  commerces  criminels  étoit 
clair  pour  elle  ;  il  n'y  avoit  là-deffus  ni  à 
Jérufdem  ,  ni  à  Garizim  même  ,    aucune 
-Loi  quipûtTautorifer:  elle  connoilfoit  fur 
ce  point  fes  obligations ,  6c  on  demandoit 
qu'elle  les  remplît.  Mais  au  lieu  de  com- 
mencer par  le  devoir  qui  étoit  clair,  ÔC  qui 
la  regardoit  toute  feule ,  elle  va  chercher 
des  prétextes  dans  une  variété  de  fentimens 
qui  ne  la  regardoient  plu^.  Commencez  par 
retrancher  de  vos  mœurs  tout  ce  que  vous 
yconnoiirez  de  vifiblement  contraire  à  la 
Loi  de  Dieu  :  tout  ce  que  les  fentimens  6c 
toutes  les  opinions  d'un  commun  accordy 
condamnent  :  après  cela  vous  aurez  droit 
devons  plaindre  de  nos  contentions  pré- 
•  tendues  ;  après  cela  vous  nous  reproche- 
rez, tant  qu'il  vous  plaira  ,  la  ditference 
des   décifions  5c  d^s  conduites.   De   quoi 
VOUS  avifez-vous  de  nous  reprocher  qu'oa 

Kl 


iî6  Vendredi  DE  la  IîI.  SeMai^^. 

ne  fait ,  pour  ainfi  dire  ,  où  il  fautadorer^ 
ni  à  qui  s'adreiler  pour  marcher  sûrement 
&  coiinoître  ce  que  Dieu  demande  de 
nous  ?  Vous  n'en  êtes  pas  encore- là  ;  ce 
doute  eft  trop  pieux  &  trop  élevé  pour 
vous  :  iaiflez.  ïa  des  dilLnlions  qui  vous  font 
ihut  les,  &C  renoncez  à  des  défordres  ,  qui 
non  feulementn'ont  pour  eux  aucun  fuf* 
frage,  mais  que  vous  ne  pouvez  pluivou» 
jurtifîer  à  vous-même  ;  en  un  mot,  foyez 
adorateur  en  efprit  ÔC  en  vérité  ,  comme 
le  dit  aujourd'hui  Jefus-Chrift  à  la  Femme 
de  Samarie ,  alors  toutes  les  cantentioirS 
humaines  vous  deviendtont  indiffc-rentes;; 
vous  trouverez  Dieu  par- tout ,  parce  que 
vous  ne  chercherez  que  Dieu  par-tout:  la 
variété  des  décidons  vous  fera  feulemen-t 
diplorer  la  trille deftinée  de  la  vérité,  tou- 
jp  1rs  expofée  ici-bas  à  la  contradiction'; 
c'eft  à  dire  ,  ou  à  la  févérité  indiicrettc, 
ou  à  l'indulgence  exceiTive  des  hommes  : 
vous  en  gémirez  cfévant  le  Seigneur  ;  vous 
lui  demanderez  qu'il  manifefte  la  vérité  à 
la  terre  ;  qu'il  répande  un  efprit  de  paix  ÔC 
de  fagelfé  fur  ceux  à  qui  la  Foi ,  Finflruc* 
tion  &  la  dbflrine  ,  font  confiées  ;  qu'il  pa» 
cifîe,  qu'il  réunilFe  ,  qu'il  protège fon  EgH- 
fe  :.qif  il  lui  fufcite  des  Pafteurs  fidèles  pour 
Ta  go.uverner  ;  des  Dofteurs  éclairés  pouf 
l'injiruire  ;  dés  Prêtres  faints  5t  zélés  pour 
rédifîer  ;  des  Princes  religieux  pour  la  dé-- 
fendre  :.que  d's-je?  qu'il  prolonge  les  jours 
d'i  Prince-  glorieux  qui  en  b'innit  les  fcan- 
dales ,  q;ù  ei>  caîm^  les  dilTenfions ,  qui-hes 


La  Samaritaine.        117 

prévient  même  par  fa  prudence  ,  qui  en  ré- 
pare les  ruines ,  qui  en  foutientla  gloire  6C 
la  majefté  qui  en  fait  la  gloire  lui-même  ; 
&  qu'il  donne  à  nos  neveux  des  Rois  qui 
Fimitent ,  puifqu'ils  ne  feront  pas  alfez  heu? 
IQUK  pour  en  avoir  qui  lui  reilcmblent. 

Voilà  les  difpofitions  que  la  raifon  5c  la 
religion  demanderoient  de  vous  :  mais  fur 
Tafîciire  du  falut  ^  on  ne  fe  pique  pas  de 
prudence  ;  on  ne  fait  ce  qu'an    ad-ore  , 
comme  le  reproche  J.  C.  à  la  FemmiC   de 
Samarie  :   ^os  adoratis  qucà  nelcuis  :   on 
veut  retenir  le  fond  de  la  Religion  ,  de  fcs 
pères  comine  les  Samaritains  ;  on  veut  y 
mêler  comm.e  eux  des  ufages  profanes  & 
favorables  aux  paillons  :  on  fent  bien  qwQ 
la  confcience  ne  ratifie  pas  ce  mélange  ,  ÔC 
qu'on  n'eiV pas  d'accord  avec  foi-même; 
mais  pour  fe  calmer  on  fuppofe  que  iious- 
Biêmes  ne  le  fommes  pas  Q,i\tTQ  nous  :  on 
iè  fait  de  nos  dilTenlions  prétendues,  une 
raifon  infenfée  de,  paix  ÔC  de  fécurité  ;  oti 
eft  bien  aife  que  la^  vérité  foit  conteftée-, 
embrouillée  ,  obfcurcie  pour  pouvoir  fe 
perfuader  prefque  qu'elle  n'eft  plus  ;  ^ 
nous    fommea  contens  de  nous-micmes  : 
quand  nous  avons  pu  ajouter  à  nos  crimes 
le  malheu.r  d'y  être  plus  tranquilles. 

Telle  étoit  la  difpofition.  de  la  Femme 
da-S-amarie  :  ne  pouvant  plus  fç  défen- 
dre, ni  contre  1>3S.  inftances  du  Sauveur  , 
ni  contre  les  remords  de  fa  propre  conf- 
cience ;  fr-appée  de  fes.  égaremens.paffés , 
JUtirse  par  les  coafokîions  ^aorvluipro^ 


^.42i 


iî8  Vendredi  de  la  III.  Semaine. 
met  dans  des  mœurs  nouvelles  ;  elle  vou* 
droit  encore  renvoyer  fa  converllon  à  un 
tems   plus  favorable.  Quand  le  Mcjfie/cra, 

f'  aj.  'i;enu  ,  répond-elle  à  Jelus-Chrift  ,  iL  nous 
annoncera  toute  chofe.  Voilà  tout  le  fruit 
qu'elle  paroît  tirer  des  paroles  de  Jefus- 
^  Chrift  ;  un  vain  projet  d'un  changement  à 
T^enir  ;  un  efpoir  frivole  ,  qu'un  tems  enfin 
viendra  où  elle  renoncera  tout  de  bon  à 
fes  dcréglemens  :  &  c'efl-là  que  fe  ter- 
mine d'ordinaire  tout  le  fruit  de  nos  inftruc- 
tions.  Nous  excitons  les  confciences ,  nous 
ne  les  changeons  pas  :  nous  infpirons  des 
défirs  ,  nous  ne  perfuadons  pas  les  œu- 
vres :  nous  entendons  beaucoup  de  projets, 
nous  ne  voyons  prefque  jamais  de  démar- 
che. Mais  le  Sauveur  ne  permet  pas  à 
cette  Pécherellede  s'abufer  fur  un  point  fî 
dangereux.  C'eft  moi-même  qui  vous  par- 
le ,  lui  dit-il ,  n'attendez  point  d'autre  Pro- 
phéte  ;  voici  celui  que  le  Ciel  vous  en- 
voyé ,  pour  vous  retirer  de  vos  voies  éga- 
rées ;  ne  renvoyez  pas  à  un  autre  tems  : 
i\  je  fors  des  frontières  de  Samari-e  ;  i\  vous 
lailfez  perdre  ce  moment  heureux  ;  fi  je 
m'éloigne  de  votre  cœur  ,   vous   périlTez 

5f.  26.  fans  relTource  :  Ego  fum  qui  loquor  tecum* 
Et  voilà  ce  qu'il  vous  dit  ici  en  fecret  à 
vous  feul  ,  mon  cher  Auditeur  :  voici  ^xi' 
fin  le  don  de  Dieu  ,  l'heure  de  votre  fa- 
,  lut ,  le  moment  de  ma  miféricorde  ;  n'en 
attendez  point  d'autre  ;  il  y  a  fi  long-tems 
q'  e  vous  difffrez  ,  que  vous  vous  trompez 
vt?us-méme  par  des  retardemens  Sc  des 


La  Samaritaine.  119 
projets  inutiles  de  converfion  :  à  mefure 
que  vos  années  avancent ,  vos  defTeins  de 
changemens  reculent  6c  s'éloignent  de 
vous.  Vous  comptiez  que  Tâge  vous  fe« 
roit  revenir  ;  tC  Tâge ,  en  changeant  tout 
le  refte  ,  n'a  pas  changé  votre  cœur  :  vous 
vous  promettiez  qu'une  Situation  plus  tran- 
quille ,  vous  lailTeroit  plus  de  loifir  de 
penfer  à  votre  falut  ;  le  loifir  efl  venu  ,  ÔC 
la  volonté  de  me  fervir  eft  à  venir  encore  : 
vous  vous  difiez  à  vous-même  ,  que  cer- 
tains engagemens  rompus  ,  que  certaines 
bienféances  infinies ,  vous  mettriez  tout  de 
bon  ordre  à  votre  confcience  ;  ces  enga- 
gemens ne  font  plus  ;  ces  bienféances  ont 
fini  ,  ÔC  vos  paîrions  font  encore  les  mê- 
mes. Ah  !  juiques  à  quand  ferez-vous  le 
jouet  de  vos  vaines  efpérances  ?  Ne  ren- 
dez pas  inutile  ma  grâce  ,  qui  aujourd'hui 
vous  trouble  6c  vous  rappelle  :  n'eft-cepas 
déjà  une  faveur  bien  fignalée  ,  que  je  vien- 
ne vous  chercher  jufques  dans  une  terre 
infidèle  ;  que  je  vienne  vous  infpirer  des 
défirs  de  converfion  jufques  dans  le  palais 
des  Rois  ,  dans  le  centre  des  plaifirs  5c  des 
paflions  humaines.  Si  vous  connoifiiez  le 
don  de  Dieu  ;  fi  vous  faifiez  attention  que 
dans  le  tems  même  que  des  ténèbres  pro- 
fondes font  répandues  fur  tout  ce  qui  vous 
environne  ,  ÔC  que  mon  nom  eft  a  peine 
connu  de  ceux  avec  qui  vous  vivez,  vous 
feule  êtes  recherchée,  éclairée,  touchée; 
ah  !  loin  de  diffirer  encore ,  vous  regarde- 
xki  ce  moment  ^  comme  le  moment  décl-. 


120  VËiVDREDT  DE  LA  ÏIÎ.  SEMAINE, 
fif  de  votre  éternité  ;  c'eft-à-dire  ,    ou  le 
comble  de  mes  miféricordes  éternelles  fur 
votre  ame  ,  ou  le  terme  fatal  de  ma  bonté 
&  de  ma  patience. 

Grand  Dieu  !  diiîîpez  doîic  y  comme  la 
pouinére  ,  les  vains  obfîacles  que  j'oppofe 
encore  à  votre  grâce  :  foutenez  mes  for- 
ces chancelantes,  6c  mes  réfolutions  tant 
de  fois  infidèles  :  ne  permettez  plus  que 
ma  foiblelTe  triomphe  de  votre  puilTance: 
ne  combattez  plus  avec  moi  que  pour 
vaincre:  6c  reprenez  vous-même  un  cœur 
qîie  j'ai  bien  pu  vous  ravir  tout  feul  :  mais 
que  je  ne  faurois  plus  tout  feul  vous  ren- 
dre ;  afin  que  redevenu  la  conquête  de 
votre  grâce  ,  je  puiife  bénir  mon  Libé« 
latsur  dans  tous  les  fiécles. 


A-inJi  fait  -  iL 


^     ^ 

« 


ÎEBJVtON 


^  Sî^  Ic-^   éà    -t^  ^^   S"* 
iiti  S€Sê  ^  AJ».  ^  S€§€   I 

SERMON 

POUR 

LE  QUATRIEME  DIMANCHE 

DE  CARÊME 

Sur  V Aumône. 

Accepit  ergo  Jefus  panes";  Sc  cûm  gra- 
tîas  egiilet.,  diftribuit  difcumbentibus. 

Je/î/J'  f  r/r  les  fains  ;  d»  ^*2nf  /-«/Zi/w  gra:^ 
ces ,  i/  /ei"  dïjlrïbua  aux  Dijclples ,  C^  les  Dif- 
cibles  à  ceux  gui  étoient  ajjls,  Joan,  ù,   ii. 

E  n'eu  pas  fans  myflére  que  !• 
C.  alTocie  aujourd'hui  les  Dif- 
cipl^s  au  prodige  de  la  multi- 
plication des  pains  ,  6c  qu'il  fe 
lert  de  leur  miniftèrepour  dif- 
trlbuer  la  nourriture  miraculeufe  à  un  peu- 
ple prellé  de  faim  &Cdc  mifére.  Il  pouvoir 
fans  doute  encore  faire  pleuvoir  la  manne 
dans  le  défert ,  6c  épargner  à  fes  Difcipies 
le  foin  d'une  fî  pénible.diftribution. 


iii    IV-  Dimanche  de  Carême. 

Mais  ne  pouvcit-ii  yas  aufl.,  après  ovoïf 
refliifcité  Lazare  ,  ne  point  employer  leur 
fecours  pour  le  ciclitr  ?  fa  voix  tonte  pnif- 
fante  qui  vcnoit  de  brifer  les  chaînes  de 
la  mort ,  auroit-elîe  trouvé  quelque  réiif-r 
tance  dans  de  foibles  liens  que  la  inain  de 
l'homme  avoit  formés  ?  c'eft  qu'il  vouloit 
leur  tracer  par  avance  dans  cette  fonction  , 
l'exercice  lacré  de  leur  mmiftèrc;  la  part 
qu'ils  alloient  avoir  déformais  à  la  réfur- 
reftion  fpirituelle  des  pécheurs  ;  6c  que 
tout  ce  qu'ils  délieroient  fur  la  terre  ,  fe- 
roit  délié  dans  le  ciel. 

Il  pouvoit  encore  ,  lorfqu'il  fut  queftion 
de  payer  le  tribut  à  Céfar ,  fe  paifer  des 
£lets  de  Pierre  ,  pour-chercher  une  pièce 
d'argent  dans  les  entrailles  d'un  poilfon  ; 
lui  qui  des  pierres  mêmiCS ,  pouvoit  fufci- 
ter  des  enfans  d'Abraham  ,  auroit  pii  à 
plus  forte  raifon  ,  les  changer  en  un  mé- 
tal précieux  ,  ÔC  y  trouver  le  prix  du  tri- 
but dû  à  Céfar  ;  mais  en  la  perfonne  du 
Chef  (le  l'Eglife  ,  il  vouloit  inftruire  tous 
fes  Minières  à  refpeder  ceux  qui  portent 
le  glaive;  6c  à  donner  ,  en  rendant  l'hon- 
neur 5c  le  tribut  aux  PuilTances  établies 
de  Dieu  ,  un  exemple  de  foumifiion  au 
reile  des  Fidèles. 

Ainfî ,  en  fe  fervant  aujourd'hui  de  l'en- 
tremife  des  Apôtres  ,  poiir  d'ftribuer  aux 
troupes  le  pain  miraculeux,  fon  deffein  e(ï 
d'accoutumer  tous  fes  Difciples  à  la  mifé- 
ricorde  &  à  la  libéralité  envers  les  malheu- 
reux :  il  vous  établit  les  Miniftres  de  fa 


s  UR    L*A  U  M  Ô  Nf  E.  12 J 

Providence  ;  6c  ne  multiplie  les  biens  de 
îa  terre  entre  vos  mains ,  qu'afîn  que  delà 
ils  fe  répandent  fur  cette  multitude  d'ia» 
fortunés   qui  vous   environne. 

Il  pourroit,  fans  doute  ,  les  nourrir  lui» 
même  ;  comme  il  nourrit  autrefois  les  Pauls 
&  les  Elies  dans  le  défert  :  il  pourroit , 
fans  votre  entremife  ,  foulager  des  créatu- 
res qui  portent  fon  image  ;  lui  dont  la  main 
invilîble  prépare  la  nourriture  aux  petits 
corbeaux  mêmes,  qui  l'invoquent  dans  leur 
délaiffement  :  mais  il  veut  vousaffocier  au 
mérite  de  fa  libéralité  ;  il  veut  que  vous 
foyez  placés  entre  lui  6c  les  pauvres ,  com- 
me des  nuées  fécondes  ,  toujours  prêtes 
à  répandre  fur  eux  les  rofées  bienfaifantes 
que  vous  n'avez  reçues  que  pour  eux. 

Tel  eft  l'ordre  de  fa  Providence  :  il  falloit 
ménager  à  tous  les  hommes  des  moyens 
de  falut  :  les  richeifes  corromproient  le 
cœur  ,  fi  la  charité  n'en  expioit  les  abus  : 
l'indigence  laiïeroit  la  vertu  ,  fi  les  fecours 
de  la  miféricorde  n'en  adoucilfoient  l'amer- 
tume :  les  pauvres  facilitent  aux  riches  le 
pardon  de  leurs  plaifirs ,  les  riches  animent 
les  pauvres  à  ne  pas  perdre  le  mérite  de 
leurs  fouffrances. 

Appliquez  -  vous  doiic  ,  qui  que  vous 
foyez  ,  à  toute  la  fuite  de  cet  Evangile.  Si 
vous  gémiflez  fous  le  joug  de  l'indigence  , 
la  tendrelF^i  ÔC  l'attention  de  Jefus-Chrift 
fur  les  befoins  d'un  peuple  errant  5c  dé- 
pourvu ,  vous  co  ifolera  :  fi  vous  êtes  né 
dans  Topuleace  ,  l'exemple  des  Difciples 

L  i 


124  IV.  Dimanche  de  CARtME. 
va  vous  inftriiire.  Vous  y  verrez  en  pre* 
mier  lieu  ,  les  prétextes  qu'on  oppofe  au 
devoir  de  l'aumône  ,  confondus  :  vous  y 
apprendrez  en  fécond  lieu ,  quelles  doivent 
en  être  les  régies.  C'eft-à-dire  ,  que  dans 
la  première  Partie  de  ce  difcours  ,  nous 
établirons  ce  devoir  contre  toutes  les  vai- 
nes excufes  de  la  cupidité  ;  dans  la  féconde, 
nous  vous  inftruirons  fur  la  manière  de  l'ac- 
complir ,  contre  les  défauts  mêmes  de  la 
charité  :  c'eft  Finftruélion  la  plus  naturelle 
que  nous  préfente  l'hiftoire  de  notre  Evan- 
gile. Implorons  le  fecours  de  l'Efprit-faint 
par  l'entremife  de  Marie.  Ayt ,  Maria* 

Fartxe.  vJIn  ne  met  guéres  en  queflion  dans  le 
monde ,  fi  la  Loi  de  Dieu  nous  fait  un  pré- 
cepte de  l'aumône  :  l'Evangile  eft  fi  précis 
fur  ce  devoir  ;  l'efprit  6c  le  fond  de  la  Reli- 
gion y  conduifent  lî  naturellement  ;  la  feule 
idée  que  nous  avons  de  la  Providence  , 
dans  la  difpenfation  des  chofes  temporel- 
les ,  laiffe  u  peu  de  lieu  fur  ce  point  à  l'o- 
pinion &.  au  doute  ,  que,quoique  pluiieurs 
ignorent  toute  l'étendue  de  cette  obliga- 
tion ,  il  n'eft  perfonne  néanmoins  qui  ne 
convienne  du  fond  &C  de  la  régie. 

Qui  l'ignore  en  effet ,  que  le  Seigneur  , 
dont  la  Providence  a  réglé  toutes  chofes 
avec  un  ordre  fi  admirable  ,  5c  préparé 
leur  nourriture  même  aux  animaux  ,  n'au- 
roit  pas  voulu  laiffer  des  hommes  créés  à 
fon  image  ,  en  proie  à  la  faim  ÔC  à  Tindi- 
gence  ,  tandis  qu'il  répandrait  à  pleines 


i 


Sur  l'A  umô  n  e.  t2$ 

mains  fur  un  petit  nombre  d'heureux  ,  la 
rofée  du  ciel  6>C  la  graiiTe  de  la  terre  ;  s'il 
n'avoit  prétendu  que  l'abondance  des  uns 
fuppléât  à  la  néceirité  des  autres  p 

Qui  l'ignore  ,  que  tous  les  biens  appar- 
tenoient  originairement  à  tous  les  hon"imes 
en  commun  ;  que  la  (impie  nature  ne  con- 
uoilToit ,  ni  de  propriété  ,  ni  de  partage  ; 
ÔC  qu'elle  laiiToit  d'abord  chacun  de  nous 
en  polfeiTion  de  tout  l'iniivers  ?  mais  que 
pour  mettre  des  bornes  à  la  cupidité  ,  6c 
éviter  les  diffentions  &  les  troubles  ,  le 
commun  confcntement  des  peuples  établit 
que  les  plus  fages,  les  plus  miféricordieux, 
les  plus  intégres,  feroicnt  aufli  les  plus  opii- 
lens  ;  qu'outre  la  portion  du  bien  que  la  na- 
ture leur  deftinoit ,  ils  fe  chargeroient  en- 
core de  celle  des  plus  foibles ,  pour  en  être 
les  dépofitaires ,  ÔC  la  défendre  contre  les 
ufurpations  ôcles  violences  ;  deforte  qu'ils 
furent  établis  par  la  nature  même  ,  comme 
les  tuteurs  des  malheureux;  5c  que  ce  qu'ils 
eurent  de  trop  ,  ne  fut  plus  que  l'héritage 
de  leurs  frères  ,  confié  à  leurs  foins  5c  à 
leur  équité  ? 

Qui  l'ignore  enfin  ,  que  les  liens  de  la 
Religion  ont  encore  relTerré  ces  premiers 
nœuds  que  la  nature  avoit  formés  parmi 
les  hommes  ;  que  la  grâce  de  Jefus-Chrid , 
qui  enfanta  les  premiers  Fidèles ,  non-feu- 
lement n'en  fit  qu'un  cœur  5c  qu'une  ame  , 
mais  encore  qu'une  famille  ,  d'où  toute 
propriété  fut  bannie  ;  &  que  l'Evangile  ^ 
nous  faifant  une  loi  d'aimer  nos  frères  com- 


ti6    IV.  Dimanche  de  Carême. 

me  nous-mêmes  ,  ne  nous  permet  plus  , 
©Il  d'ignorer  leurs  befoins  ,  ou  d'être  in- 
lenfibles  à  leurs  peines  ? 

Mais  il  en  eft  du  devoir  de  l'aumône  , 
comme  de  tous  les  autres  devoirs  de  la 
loi  :  en  général  ,  en  idée  on  n'ofe  en  con- 
tredire l'obligation  ;  lacirconftance  de  l'ac- 
complir eft-elle  arrivée  ?  on  ne  manque  ja- 
mais de  prétexte  ,  ou  pour  s'en  difpenfer 
tout-à-fait ,  ou  pour  ne  s'en  acquitter  qu'à 
demi»  Or,  il  femblequel'Efprit  de  Dieu  a 
voulu  nous  marquer  tous  ces  prétextes  dans 
les  réponfes  que  font  les  Difciples  à  Jefus- 
Chrift  ,  pour  s'excufer  de  fecourir  cette 
multitude  affamée  qui  l'avoitfuivi  au  dé- 
fcrt. 

En  premier  lieu  ,  ils  le  font  fouvenir 
qu'à  peine  ont-ils  de  quoi  fournir  à  leurs 
propres  befoins  ,  &  qu'il  ne  leur  relie  que 
cinq  pains  d'orge ,  ÔC  deux  poilTons  :  iji 
puer    unus    hic  ,  çid  habct   quinque  panes 

-  '  ^'  hordeaccos  &  duos  pifces  ;  &  voilà  le  pre- 
mier prétexte  que  la  cupidité  oppofe  au 
devoir  de  la  miféricorde.  A  peine  a-t'on  le 
nécellaire  ,  on  a  un  nom  6c  un  rang  à  fou- 
tenir  dans  le  monde  ,  des  enfans  à  établir  ^ 
des  créanciers  àfatisfaire  ,  des  fonds  à  dé-?, 
gager  ,  des  charges  publiques  à  fupporter, 
mille  fraix  de  pure  bienféance  aufquels  il 
faut  fournir  ;  or  ,  qu'eft-ce  qu'un  revenu 
qui  n'eft  pas  infini ,  pour  des  dépcnfes  de 

Idid.  tant  de  fortes  ?  Sed  hœc  quid  inter  tantos  ? 
Ainfi  parle  tous  les  jours  le  inonde  ,  6<:  le 
mondele  plus  brillant  ÔCle plus  fomptueux. 


Sur   l'Aumône.         127 

Or,  mes  Frères ,  je  fais  que  les  bornes 
du  iiéceiraire  ne  font  pas  les  mêmes  pour 
tous  les  états  ;  qu'elles  augmentent  à  pro- 
portion du  rang  ÔC  de  la  naillance  -,  qu'une 
étoile  ,  comme  parle  l'Apôtre  ,  doit  diffé- 
rer en  clarté  d'une  autre  étoile  ;  que  mê- 
me, dès  les  fiécles  Apoftoliques  ,  on  vo- 
yoit  dans  l'aiîemblée  des  Fidèles  des  hom- 
mes rei^êtus  d'une  robe  de  diiHnclion  , 
^  portant  au  doigt  un  anneau  d^ ,  tandis 
que  les  autres  d'une  condition  plus  obicure, 
fe  contentoient  de  fimples  vétemens  pour 
couvrir  leur  nudité  ;  qu'ainfi  la  Religion 
ne  confond  pas  les  états  ;  §C  que  fi  elle  dé- 
fend à  ceux  qui  habitent  les  palais  des  Rois 
la  moUefle  des  mœurs  6c  le  faite  indécent 
des  vétemens ,  elle  ue  leur  ordonne  pas 
aufli  la  pauvreté  8C  la  fimplicité  de  ceux 
qui  vivent  au  fond  des  chamips  ,  ÔC  de  la 
plus  obfcure  populace  :  je  le  fais. 

Mais  ,  mes  Frères  ^  c'eft  une  vérité 
inconteftable  ,  que  ce  qu'il  y  a  de  fuperflu 
dans  vos  biens  ne  vous  appartient  pas  ;  que 
c'eft  la  portion  des  pauvres  ;  5c  que  vous 
ne  devez  compter  à  vous  de  vos  revenus , 
que  ce  qui  eft  nécelTaire  pourfoutenir  l'é- 
tat où  la  Providence  vous  a  fait  naître.  Je 
vous  demande  donc  ,  eft-ce  l'Evangile  ou 
la  cupidité  ,  qui  doit  régler  ce  nécelfaire  : 
Oferiez-vous  prétendre  que  toutes  les  va- 
nités dont  Tufai^e  vous  fait  une  loi  ,  vous 
fulfent  comptées  devant  Dieu  comme  des 
dépenfes  inféparables  de  votre  condition  ? 
prétendre  que  tout  ce  qui  vous  flâ.^e ,  vous 

L4 


12.8  IV.  Dimanche  de  Carême. 
accommode  ,  nourrit  votre  orgueil ,  Satis- 
fait vos  caprices  ,  corrompt  votre  cœur-, 
vous  foit  pour  cela  néccflaire  ?  prétendra 
que  tout  ce  que  vous  facrifiez  à  la  fortune 
d'un  enfant  pour  relever  plus  haut  que  fes 
ancêtres  ;  tout  ce  que  vous  rifquez  à  un  jeu 
€xcefljf  ;  que  ce  luxe,  ou  qui  ne  convient 
pas  à  votrenaiilance  ,  ou  qui  en  eftun  abus^ 
iaient  des  droits  inconteftahles  qui  doivent 
être  pris  iur  vos  biens  avant  ceux  de  la  cha^ 
rite  ?  prétendre  enfin  ,  que  parce  qu'un  père 
obfcur  £<:  échappé  de  la  foule  vous  aura 
laiiTé  héritier  de  fes  tréfors  ,  5C  peut-être 
auili  de  ùs  inj.u/lices  y  il  vous  fera  permis 
d'oublier  votre  peuple  ÔC  la  maifon  de  VC:- 
tre  père ,  vous  mettre  à  côté  des  plus  grands 
noms ,  6c  foutenir  le  mêm.e  éclat  ^  parcs 
que  vous  pouvez  fournir  à  la  même  dé- 
penfe  ? 

Si  cela  eft  aînfî ,  mes  Frères  ;  fi  vous  ne 
comptez  pour  fuperflu  que  ce  qui  peut 
échapper  à  vos  plaisirs  y  à  vos  profulions, 
à  vos  caprices ,  vous  n'avez  donc  qu'à  être 
voluptueux  ,  capricieux  ^  diilolu  ,  prodi- 
gue ,  pour  être  difpenfé  du  devoir  de  Taur 
mône.  Plus  vous  aurez  de  paillons  à  fatisr  . 
faire ,  plus  l'obligation  d'être  charitable 
diminuera  ;  5c  vos  excès  que  le  Seigui^ur 
vous  ordonnoit  d'expier  par  la  miféricorde, 
feront  eux-mêm.es  le  privilège  qui  vous  ea 
décharge.  Il  faut  donc  qu'il  y  ait  ici  une  ré- 
gie à  obferver  ,.  ÔC  des  bornes  à  fe  prefcri- 
re ,  différentes  de  celles  de  la  cupidité  :  6C 
la  voici  la  régie  de  la  foi.  Tout  ce  quinjB 


Sur  l'A  um  ôk  e.         12^ 

tend  qu'à  nourrir  la  vie  d^s  fens  ,  qu'à  flâ- 
ter  les  pafîîons ,  qu'à  autorifer  les  pompes 
&  les  abus  du  monde  ;  tout  cela  eft  fuperflu 
pour  un  Chrétien  ;  c'eii  ce  qu'il  faut  retran- 
cher ÔC  mettre  à  part;  voilà  le  fonds  ôcThé- 
ritage  des  pauvres  ;  vous  n'en  êtes  que  le 
dépofitaire ,  ÔC  ne  pouvez  y  toucher  fans 
ufurpatian  ÔC  fans  injuftice.  L'Evangile  ^ 
mes  Frères ,  réduit  à  peu  le  nécefTaire  du 
Chrétien  ,  quelque  élevé  qu'il  foit  dans  le 
monde  ;  la  religion  retranche  bien  des 
dépenfes  ;  ÔC  li  nous  vivions  tous  félon  les 
régies  de  la  Foi  >  nos  befoins  >  qui  ne  fe- 
Toientplus  multipliés  par  nos  payions ,  fe- 
roient  moindres  ;  nous  trouverions  la  plus 
grande  partie  de  nos  biens  inutile  ;  &  com- 
me dans  le  premier  âge  de  la  foi ,  l'Eglife 
ne  verroit  point  d'indigent  parmi  les  Fi- 
dèles. Nos  dépenfes  augmentent  tous  les 
jours ,  parce  que  tous  les  jours  nos  paf- 
fîons  fe  multiplient  ;  l'opulence  de  nos 
pères  n'eft  plus  qu'un  état  pauvre  6c  mal- 
aifé  pour  nous  ;  6c  nos  grands  biens  ne 
peuvent  phis  fuffire  ,  parce  que  rien  ne 
fuffit  à  qui  ne  fe  refufe  rien. 

Et  pour  donner  à  cette  vérité  toute  l'é- 
tendue que  le  demande  le  fuiet  que  nous 
traitons  ;  je  vous  demande  en  fécond  lieu 
mes  Frères ,  l'élévation  &C  l'abondance  où 
vous  êtes  nés ,  vous  difpenfent-elles  de  la 
/implicite  ^  de  la  frugahté  ,  de  la  modeftie , 
de  la  violence  évangélique  ?  Pour  être  nés 
grands ,  vous  n'en  êtes  pas  moins  Chré- 
tieas.  Eu  vain  ^  comme  ces  Ifraèiites  daii& 


130  IV.  DlMAÎCCHE  DE  CaREME. 
le  défert  avez-voiis  amailé  plus  de  manne 
que  vos  frères  ;  vous  n'en  pouvez  garder 
pour  votre  ufage  ,  que  la  mefure  prefcrite 
2.  Cor.  parla  Lqj  .  q^i  multiim  :  non  abunciavit* 
'^^*  Hors  de-là  ,  Jefus-Chrift  n'auroit  défen- 
du le  fafte,  les  pompes,  les  plailirs ,  qu'aux 
pauvres  &.  aux  malheureux  ;  eux  à  qui 
l'infortune  de  leur  condition  rend  cette 
défenfe  fort  inutile. 

Or  ,  cette  vérité  capitale  fuppofée  :  fi 
félon  la  régie  de  la  foi ,  il  ne  vous  eft  pas 
permis  de  faire  fervir  vos  richelfes  à  la  fé- 
licité de  vos  fens  ;  fi  le  riche  eft  obligé  de 
porter  fa  croix  ^  de  ne  chercher  pas  fa 
confolation  en  ce  monde ,  &C  de  fe  renon- 
cer fans  celle  foi-même  comme  le  pauvre; 
quel  a  pii  être  le  delTein  de  la  Providence  , 
en  répandant  fur  vous  les  biens  de  la  terre, 
&  quel  avantage  peut-il  vous  en  revenir  à 
vous  mêmes  ?  Seroit-ce  de  fournir  à  vos 
paflions  défordonnées  ?  mais  vous  n'êtes 

Î)lus  redevables  à  la  chair  ,  pour  vivre  fe- 
on  la  chair.  Seroit-ce  de  foutenir  Torgueil 
du  rang  ^CdelanailfanceFmais  tout  ce  que 
vous  donnez  à  la  vanité  ,  vous  le  retran- 
chez de  la  charité.  Seroit-ce  de  rhéfaurifer 
pour  vos  neveux  ?  mais  votre  tréfornedoit 
être  que  dans  le  ciel.  Seroit-ce  de  pafler  la 
vie  plus  agréablement  ?  mais  fi  vous  ne 
pleurez  ,  fi  vous  ne  fouffrez  ,  fî  vous  ne 
combattez,  vous  êtes  perdus.  Seroit-ce  de 
vous  attacher  plus  à  la  terre  ?  mais  le  Chré- 
tien n'eftpas  de  ce  monde,  il  ell  citoyen  du 
fiécle  à  venir.  Seroit-ce  d'aggrandir  vos 


Sur  l'Aumône.  137 

poffefnons  5c  vos  héritages  ?  maïs  vous 
n'aggrandiriez  jamais  que  le  lieu  de  votre 
exil  ;  ÔC  le  gain  du  monde  entier  vous  fe- 
roit  inutile ,  (î  vous  veniez  à  perdre  votre 
ame.  Seroit-ce  de  charger  vos  tables  de 
mets  plus  exquis  ?  mais  vous  favez  que  l'E- 
vangile n'interdit  pas  moins  la  vie  fenfuelle 
6c  voluptueule  au  riche  ,  qu'à  l'indigent , 
Rcpallez  fur  tous  les  avantages  que  vous 
pouvez  retirer  félon  le  monde  de  votre 
profpérité,  ils  vous  font  prefque  tous  in- 
terdits par  la  Loi  de  Dieu. 

Ce  n'a  donc  pas  étéfon  deffcin  de  vous 
les  ménager  ,  en  vous  faifant  naître  dans  ^ 
l'abondance  ;  ce  n'eft  donc  pas  pour  vous  y 
que  vous  êtes  nés  grands:  ce  n'ell pas  pour 
vous  ,  comme  le  difoit  autrefois  IVlardo- 
chée  à  la  pieufe  Efther  ,  que  le  Seigneur 
vous  a  élevée  à  ce  point  de  grandeur  6c  de 
profpérité  qui  vous  environne  ;  c'eft  pour 
Ion  peuple  affligé  ;  c'ell:  pour  être  la  pro- 
teélrice  des  infortunés  :  Et  quis  novit  utrum 
ad  regnum  veneris  y  ut  in  tali  tcmrore  pa-  ^MeA 
rareris  ?  Si  vous  ne  répondez  pas  à  ce  def-  ^'  ''^^ 
fein  de  Dieu  fur  vous,  coîitinuoit  ce  fage 
Juif,  il  fe  fervira  de  quelque  autre  qui  lui 
fera  plus  fidèle;  il  lui  tranfportera  cette  cou- 
ronne qui  vous  étoit  deftinée  ;  il  faura  bien 
pourvoir  par  quclqu'autre  voie  ,  à  l'afflic- 
tion de  fon  peuple  ;  car  il  ne  permet  pas 
que  les  fiens  périlTent  ;  mais  vous  8c  la 
maifon  de  votre  père  ,  périrez  :  Per  aliam 
occajiomm  liberabuntur  Judœi  ;  &  tu  ,  & 
domus  patris  tulperibitis  .Vous  n'êtes  donc    ua^ 


Ï3i  IV.  DlxMANCHE  DE  CaREME. 
dans  les  deiTeins  de  Dieu  ,  que  les  Miniflres 
de  fa  Providence  envers  les  créatures  qui 
fou£Frent  :  vos  grands  biens  ne  font  donc 
que  des  dépôts  facrés  que  fa  bonté  a  mis 
entre  vos  mains ,  pour  y  être  plus  à  cou- 
vert de  Tufurpation  <5c  de  la  violence  ,  ÔC 
confervés  plus  sûrement  à  la  veuve  Sc  à 
Torphelin  :  votre  abondance  dans  Tordre 
de  fa  fageife ,  n'eil  donc  deftinée  qu'àfup- 
pléer  à  leur  néceflité  ;  votre  autorité  ,  qu'à 
les  protéger  ;  vos  dignités  ,  qu'à  venger 
leurs  intérêts  ;  votre  rang  ,  qu'à  les  con- 
foler  par  vos  offices  :  tout  ce  que  vous  êtes , 
vous  ne  l'êtes  que  pour  eux  ;  votre  éléva- 
tion ne  feroit  plus  l'ouvrage  de  Dieu  ,  5c  il 
vous  auroit  maudit  en  répandant  fur  vous 
les  biens  de  la  terre ,  s'il  vous  les  avoit 
donnés  pour  un  autre  ufage. 

Ah  !  ne  nous  alléguez  donc  plus  ,  pour 
cxcufer  votre  dureté  envers  vos  frères  , 
des  befoins  que  la  Loi  de  Dieu  condamne; 
jufliiiez  plutôt  fa  Providence  envers  les 
créatures  qui  fouffrent  ;  faites-leur  con- 
noître,  en  rentrant  dans  fon  ordre,  qu'il  y 
a  un  Dieu  pour  elles  comme  pour  vous  ;  & 
bénir  les  confeils  adorables  de  fa  fagelle 
dans  la  difpenfation  des  chofes  d'ici-bas  ^ 
qui  leur  a  ménagé  dans  votre  abondance 
des  refTources  û  confolantes. 

Mais  d'ailleurs  ^  mes  Frères  ,  que  peu- 
vent retrancher  à  ces  befoins  que  vous  nous 
alléguez  tant, les largeiTes  modiques  qu'on 
vous  demande  ?  Le  Seigneur  n'exige  pas  de 
VOUS  une  partie  de  vos  fonds  &.  de  vos  hd- 


Sur   l'A  u  mône.         135 

rîtages  ,  quoiqu'ils  lui  appartienent  tout 
entiers ,  &  qu'il  ait  droit  de  vous  en  dé- 
pouiller :  il  vous  laiile  tranquilles  poiTef- 
feurs  de  ces  terres  ,  de  ces  palais ,  quî 
vous  diftinguent  dans  votre  peuple  ,  6C 
dont  la  piété  de  vos  ancêtres  enrichiffoit 
autrefois  nos  Temples  :  il  ne  vous  ordonne 
pas  comme  à  ce  jeune  Homme  de  l'E- 
vangile 5  de  renoncer  à  tout,  de  diftribuer 
tout  votre  bien  aux  pauvres ,  &.  de  le  fui- 
vre  :  il  ne  vous  fait  pas  une  loi ,  comme 
autrefois  aux  premiers  Fidèles ,  de  venir 
porter  tous  vos  tréfors  aux  pieds  de  vos 
Pafteurs  :  il  ne  vous  frappe  pas  d'anathême , 
comme  il  frappa  Ananie  6c  Saphire  ,  pour 
avoir  ofé  feulement  retenir  une  portion  d'un 
bien  qu'ils  avoient  reçu  de  leurs  pères ,  vous 
qui  ne  devez  peut-être  qu'aux  malheurs  pu- 
blics ,  &  à  des  gains  odieux  ou  fufpedîs  , 
l'accroiiTement  de  votre  fortune  :  il  confent 
que  vous  appelliez  les  terres  de  vos  noms, 
comme  dit  le  Prophète ,  &  que  vous  tranf- 
mettiez  à  vos  enfans  les  poflefTions  qui 
vous  font  venues  de  vos  ancêtres  :  il  veut 
feulement  que  vous  en  retranchiez  une  lé- 
gère portion  pour  les  infortunés  qu'il  laifTe 
dans  rindigence  :  il  veut  que  tandis  que 
vous  portez  fur  l'indécence  5>C  le  f  afte  de 
vos  parures  ,  la  nourriture  d'un  peuple 
entier  de  malheureux  ,  vous  avez  de  quoi 
couvrir  la  nudité  defesferviteurs  qui  n'ont 
pas  où  repofer  leur  tête  :  il  veut  que  de 
ces  tables  voluptueufes  ,  où  vos  grands 
biens  peuvent  à  peine  fuffirc  à  votre  îenfua- 


fî4    IV.  Dimanche  de  Carême. 

lité  ;  6C  aux  profufions  d'une  délicateffe 
infenfée  ;  vous  laifliez  du  moins  tomber 
quelques  miettes  pour  foulager  des  La- 
zares  preilés  de  la  faim  5c  de  la  misère  :  il 
veut  que  tandis  qu'on  verra  fur  les  murs  de 
vos  palais  des  peintures  d'un  prix  bizarre 
&:  excefîif  ,  votre  revenu  puille  fuffire 
pour  honorer  les  images  vivantes  de  votre 
Dieu  ;  il  veut  enfin  que  tandis  que  vous  n'é- 
pargnerez rien  pour  fatisfaire  la  fureur  d'un 
jeu  outré  ;  ÔC  que  tout  ira  fondre  dans  ce 
gouffre ,  vous  ne  veniez  pas  fupputer  votre 
dépenfe  ,  mefurer  vos  forces ,  nous  allé- 
guer la  médiocrité  de  votre  fortune  ,  6C 
l'embarras  de  vos  affaires  ,  quand  il  s'agira 
de  confoler  i'afïlidion  d'un  Chrétien.  11  le 
veut  ;  6c  n'a-t'il  pas  raifon  de  le  vouloir  ? 
Quoi  ]  vous  feriez  riche  pour  le  mal ,  6C 
pauvre  pour  le  bien  ?  vos  revenus  fufîî- 
Toient  pour  vous  perdre ,  6c  ils  ne  fufîî- 
roient  pas  pour  vous  fauver  ,  ÔCpour  ache- 
ter le  ciel  ?  ÔC  parce  que  vous  outrez  l'a- 
mour de  vous  même  ,  il  vous  feroit  per- 
snis  d'être  barbare  envers  vos  frères  ? 

Mais ,  mes  Frères ,  d'où  vient  que  c'eft 
ici  la  feule  circonflance  ,  où  vous  dimi- 
nuez vous-mêmes  l'opinion  qu'on  a  de  vos 
richefles  ?  Par-tout  ailleurs  ,  vous  voulez 
qu'on  vous  croye  puifTans;  vous  vous  don- 
nez pour  tels  ;  vous  cachez  même  quel- 
quefois fous  des' dehors  encore  brillans  , 
dus  affaires  déjà  ruinées  ,  pour  foutenir 
cette  vaine  réputation  d'opulence.  Cette 
rauité  ne  vous  abandonne doac ,  c|.ue  lorf-. 


Sur  l' Aumône.  ijj 

qu'on  vous  fait  foiivenir  du  devoir  de  la 
miféricorde  :  alors  peu  contens  d'avouer 
la  médiocrité  de  votre  fortune  ,  vous  l'e- 
xagérez ;  6C  la  dureté  l'emporte  dans  votre 
cœur  ,  non-feulement  fur  la  vérité  ,  mais 
encore  fur  la  vanité.  Ah  !  le  Seigneur  re- 
prochoit  autrefois  à  un  Evêque  dans  TA- 
pocalypfe  :  l^ous  dites  ,Jc  fuis  riche,  je  fuis  ^P^^' 
comblé  de  bilans  ;  Ô^  vous  ne  fave^  pas  que  ^'  '^* 
vous  êtes  pauvre  ,  nud  j  ^  miférable  â^ 
mes  yeux.  Mais  il  devroit  aujourdhui  chan- 
ger ce  reproche  à  votre  égard  ,  §C  vous 
dire  :  O  !  vous  vous  plaignez  que  vous 
êtes  pauvre,  ôc  dépourvu  de  tout;  ÔC  vous 
ne  voulez  pas  voir  que  vous  êtes  riche , 
comblé  de  biens ,  &C  que  dans  un  tems  ou 
prefque  tous  ceux  qui  vous  environnent 
louiirenî ,  vous  feul  ne  manquez  de  rien  k 
mes  yeux. 

Et  c'eft  ici  le  fécond  prétexte  qu'on  op- 
pofe  au  devoir  de  l'aumône;  la  mifére  gé- 
nérale. Aufli  les  Difciples  répondent  en  fé- 
cond lieu  au  Sauveur  pour  s'excufer  de  fe- 
courir  cette  multitude  affamée,  qu.e  le  lieu 
eft  défert  ôc  ftérile  ,  que  l'heure  eft  déjà 
palTée  ,  5c  qu'il  faut  renvoyer  le  peuple, 
afin  qu'il  aille  dans  les  bourgs,  ÔC  dans  les 
maifons  voiiînes ,  acheter  de  quoi  le  nour- 
rir .•  JJeferîus  eft  locus  hic  ,  &  jam  hora  MarcÈ 
prcsteriit.  Nouveau  prétexte  dont  on  fe  fert^*  33» 
pour  fe  difpenfer  de  la  miféricorde  :  le 
malheur  des  tems  ;  la  flérilité  ôC  le  dé- 
ranî^ement  des  faifons. 

Mais  premièrement  Jefus-Chriil  n'au- 


Ï3-5  IV.  Dimanche  de  Carême. 
roit-il  pas  pu  répondre  aux  Difciples  ,  dit 
5.  Chryfoftôme  :  C'eft  parce  que  le  lieu  eft 
défert  &  fiérile  &  que  ce  peuple  ne  fau- 
joit  y  trouver  de  quoi  foulager  fa  faim  , 
qu'il  ne  faut  pas  le  renvoyer  à  jeun  ,  de 
peur  que  les  forces  ne  lui  manquent  en  che- 
min. Et  voilà  ,  mes  Frères  ,  ce  que  je 
pourrois  auiîi  d'abord  vous  répondre  :  Les 
tems  font  mauvais  ;  les  faifons  font  fâcheu- 
£qs  :  ah  '  c'efl  pour  cela  même  que  vous  de- 
veZ| entrer  dans  des  inquiétudes  plus  vives 
tf.  plus  tendres  fur  los  befoins  de  vos  frè- 
res. Si  le  lieu  eft  défert  ÔCftérile  pour  vous, 
que  doit-il  être  pour  tant  de  malheureux  ? 
lî  vous  vous  reilentez  du  malheur  des  tems , 
ceux  qui  n'ont  pas  les  mêmes  reifources 
que  vous ,  que  n'en  doivent-ils  pas  fouf- 
frir  ?  fî  les  plaies  de  l'Egypte  entrent  juf- 
ques  dans  les  palais  des  Orands  6c  de  Pha- 
raon même ,  quelle  fera  la  défolation  de  la 
cabane  du  pauvre  ÔC  du  laboureur  ;  fi  les 
Princes  d'Ilraèl ,  dans  Samarie  affligée ,  ne 
trouvent  plus  de  refTource  dans  leur  aire  , 
iii  dans  leur  prefToir,  félon  l'expreiTiondu 
Prophète,  quelle  fera  l'extrémité  d'une  po- 
pulace obfcure  ,  réduite  peut-être  ,  com- 
me cette  mère  infortunée  ,  non  à  fe  nour- 
rir du  fang  de  fon  enfant ,  mais  à  faire  de 
fon  innocence  ÔC  de  fon  ame ,  le  prix  fu- 
nefte  de  fa  néceHité  ? 

Mais  d'ailleurs ,  ces  fléaux  dont  nous 
fommes  affligés ,  ÔC  dont  vous  vous  plai- 
gnez ,  font  la  peine  de  votre  dureté  envers 
les  pauvres  j  Dieu  venge  fur  vos  biens  l'in-  - 

juftc 


Sur  l' Au  m  ô  n  e.  137 
jufie  lîfag.e  que  vous  en  faites  ;  ce  fontles^ 
cris  ÔC  les  gémiffemens  des  malheureux^ 
que  vous  abandonnez,  qui  attirent  l'indi- 
gnation  du  Ciel  fur  vos  terres  ÔC  fur  vos 
campagnes.  C'eft  donc  dans  ces  calamités 
publiques ,  qu'il  faut  vous  hâter  d'appaifer 
la  colère  de  Dieu  par  l'abondance  de  vos 
largefles  ;  c'eft  alors  qu'il  faut  plus  que  ja- 
mais intérefler  les  pauvres  dans  vos  malr- 
heurs.  Ah  !  vous  vous  avifez  de  vousadref- 
fer  au  Ciel,  d'invoquer  par  dos  fupplica- 
tions  générales ,  les  faints  Protefteurs  de 
cette  Monarchie  ,,pour  obtenir  des  faifons. 

Elus  heureufes ,  la  ceffation  des  iléaux  pu- 
lies  ,  le  retour  delaférénité  &de  l'abon- 
dance :  mais  ce  n'eu  pas  là  feulementqu'il. 
faut  porter  vos  vœux  &  vos  prières  :  vous^ 
ne  trouverez  jamais  les  Saints  fenfibles  â 
vos  peines,  tandis  que  vous  ne  le  ferez  pas;-** 
vous-mêmes  à  celles  de  vos  frères  rvous 
avez  fur  la  terre  les  maîtres  des  vents  ôC 
des  faifons  ;  adrelTez-vous  aux  pauvres ,  ce 
font  eux  qui  ont ,  pour  aînfi  dire  yles  clefs- 
du  Ciel;  ce  font  leurs  vœux  ,  qui.  règlent 
les  tems  êC  les  faifons;  qui  nous  ramènent" 
des  jours  fereins  ou  funeiles;  qui  iiifpen- 
dent  au  qui  attirent  les  faveurs  du  Ciel  : 
car  l'abondance  n'eft  donnée  à  la  terre  que. 
pour  leur  fouragement  ;  5c  ce  n'eii  que.* 
par  rapporta  eux,,  que:  le  Ciel  vous  punit^^ 
Qu  que  le  Ciel,  vous  favorife.. 

Mais  pour  achever  de  vous  confondre^j;; 
lïous ,.  mes  Frères  ,  qui"  nou^  alléguez  fil 
fcrtle  malheur,  dès  tems  :.la.  rigueur  pr6^ 

Çaî^ètm  X  Tome.  UL*  M 


158    IV.  Dimanche  de  Carême. 

lendue  de  ces  tems  retranche-t'elle  qneî- 
<[ue  chofe  à  vos  plaifirs  ?  que  fouffrent  vos 
pafTions  des  miféres  publiques  ?  Si  le  mal- 
heur  des  tems  vous  oblige  à  vous  retran- 
cher fur  vos  dépenfes ,  retranchez  d'abord 
tout  ce  que  la  Religion  condamne  dans  l'u- 
fage  de  vos  biens  ;  réglez  vos  tables ,  vos 
parures  ,  vos  jeux  ,  vos  trains  ^  vos  édifi- 
ces fur  le  pied  de  l'Evangile  ;  que  les  re- 
tranchemens  de  la  charité  ne  viennent  du 
Tnoins  qu'après  tous  les  autres  ;  retranchez 
vos  crimes ,  avant  que  de  retrancher  vos 
devoirs.  C^eû  le  deffein  de  Dieu,  quand  il 
frappe  de  ftérilité   les   Provinces   6c    les 
Royaumes  ,   d'ôter   aux  Grands   6c  aux 
PuiiTans ,  les  occaGons  des  diffolutions  ÔC 
des  excès  :  entrez  donc  dans  l'ordre  de  fa 
juftice  &  de  fa  fageffe  ;  regardez  -  vous 
comme  des  criminels  publics  que  le  Sei- 
gneur châtie  par  des  punitions  publiques  y 
dites-lui ,  comme  David  ^  lorfqu'il  vit  la 
main  de  Dieu  appéfantie  fur  fqn  peuple  : 
C'eft  fur  moi ,  Seigneur  ,  qui  fuis  le  feul 
coupable  ,  qui  ai  attiré  votre  indignation 
fur  fon  Royaume  en  abufant  de  ma  profpé- 
rité  ,  ÔC  en  me  livrant  à  des  pafTions  hon- 
teufes  ;  c'eft  fur  moi  feul ,  que  doit  tomber 
la  fureur  de  votre  bras  :  lArtatur  ,  ob/ecro, 
J^^l-^f'  fnanus  tua  contra  me  :  mais  cqXIq  populace 
obfcure  5C  affligée  ;  mais  ces  infortunés  ^ 
qui  dans  une  condition  pénible ,  ne  raan- 
geoient  leur  pain  qu'à  la  fueur  de  leur  fronti 
eh  !  qu'ont-ils  fait ,  Seigneur ,  pour   être; 
expoiés  au  glaive  de  votre  vengeance  î 


s  U  R    L'A  U  M  ô  N  E.  Î39 

Egofum  qui  peccavl  ;  c^o  inique  egi  :  ijli 
qui  oves  funt  quid  f'ccerunt  ?  ^ 

Voilà  votre  modèle  :  faites  ceffer  ,  en 
finillant  vos  défordres  ,  la  caufe  des  mal- 
heurs publics  ;  offrez  à  Dieu  ,  en  la  per- 
fonne  des  pauvres  ,  le  retranchement  de 
vos  plaifirs  6c  de  vos  profufions  ,  comme 
le  feul  facrifîce  de  juftice  ,  capable  de  dé- 
farmer  fa  colère  ;  &  puifque  ces  fléaux  ne 
tombent  fur  la  terre  que  pour  punir  l'abus 
que  vous  avez  fait  de  l'abondance  ,  portez- 
en  auiTi  tout  feuls ,  en  retranchant  ces  abus , 
la  peine  ôC  Tamertume.  Mais  qu'on  ne  s'ap- 
perçoive  des  malheurs  publics  ,  ni  dans 
l'orgueil  des  équipages ,  ni  dans  la  fenfua- 
lité  des  repas ,  ni  dans  la  m^gnilicence  des 
édifices  ,  ni  dans  la  fureur  du  jeu  ÔCl'entê- 
tement  des  plaifirs ,  mais  feulement  dans 
votre  inhumanité  envers  les  pauvres  ;  mais 
que  tout  au- dehors  ,  les  fpeâacles ,  les  af- 
femblées  profanes, les  ré jouiflances publi- 
ques ,  que  tout  aille  même  train  ,  tandis 
que  la  charité  feule  fe  refroidira  \  mais  que 
le  luxe  croiil'e  même  de  jour  en  jour,  6C 
que  lamifericorde  feule  diminue  ;  m.ais  que 
le  monde  &.  le  démon  ,  ne  perdent  rien  au 
malheur  des  tems  ,  tandis  que  Jefus-Chrift 
tout  feul  en  foufFre  dans  fes  membres  affli- 
gés ;  mais  que  le  riche  ,  à  couvert  de  fon 
opulence  ,  ne  voye  q^.\Q  de  loin  les  effets  de 
la  colère  du  Ciel ,  tandis  que  le  pauvre  ÔC 
l'innocent  en  deviendroitla  trifte  viclime* 
Grand  Dieu  !  vous  ne  voudriez  donc  frap- 
per que  les  malheureux  en  répandant  de$ 

M  2 


Ibld^ 


14©^  TV.  Dimanche  de  Carsme; 
fléaux  fur  la  terre  ?  votre  unique  dcÏÏein  fé^ 
roit'cionc  d'achever d'écrafer  ces  infortunés 
fiir  qui  votre  main  s'étoitdéjàfî  fort  appe- 
fantie,  en  les  faifant  naître  dans  l'indigence 
&  dans  la  mifére?  les  puiiTans  deTEgypte 
feroientdonc  épargnés-par l'Ange  extermi- 
nateur-,  tandis  que  toute  votre  fureur  vien- 
droitfondre.furrîfraèlite  affligé  ,  fur  fou 
toit  pauvre  5c  dépourvu,  ÔC  marqué  mê- 
me du  fang  de  rAgneau  ?  Gui ,  mes  Fre^ 
res  ,  lés, calamités  publiques  ne  font  deili* 
nées  qu'à'  punir  les  riches  ÔC  les  puiflans  ; 
&  ce  font-le^  riches  6c  les  puilîans  tout 
feuls  quin'en  fouffrent  rien  ;  au  cantraire. 
en  multi^liant-les  malheureux  ,  elles  leur- 
fourniiTent  un  nouveau  prétexte  de  fe  dif-- 
penfer  du  devoir-de  la  miférieorde. 

Dernière  excufe  des  Difeiples  ,  fondés 
fur  le  grand  nombre  de  perfonnes  qui  ont 
fuivi  le  Sauveur  au  déiert  :  Ce  peuple  cih 
en  fi  grand  nombre,  difent-iis,  que  quand 
nous  achèterions  pour^deux  cens  deniers 
de  pain  ,  ,cela  ne  fufiiroit  pas.  Dernier  pré- 
texte qu'on  oppofe  au  devoir  ne  l'aumône  y 
la  multitude  des  pauvres.  Oui ,  mes  Frè- 
res,  ce  qui  devroit  ranimer  la  charité  , 
réteint:  la  multitude  des  malheureux  vous, 
endurcit  à  leurs  miféres:  plus  le  devoir  aug-«. 
mente  >  plus  vous  vous  en, croyez  déga^ 
gés  ;  6c  vous  devenez  cruels ,  pour  avoiîJ- 
trop  d'occafions  d-être  charitables. 

Mais  en  premier  lieu  ^_  d'où  vient ,  je.? 
vous  prie,  cette  multitude  de  pauvres  dont: 
ncQUS-vo us  plaignez  ?  Je  fais  que.  le.  malheur 


SvK  l'A  u  ivrô  ne.  t^i 

ies  tems  peut  eu  augmenter  le  nombre  r 
jnais  les  guerres ,  les  maladies  populaires  ,. 
les  dércglemens  de5  iaifons  que  nous, 
éprouvons ,  ont  été  de  taus  les  fîécles  :  les. 
calamités  que  nous  voyons  y  ne  font,  pas^ 
nouvelles ,.  nos  pères  les  ont  vâes^&  ils. 
en  ont  vu  même  de  plus  triftes  ;  des  diden- 
fions  civiles ,  le  père  armé  contre,  l'enfant  j,, 
le  frère  contre  le  frere>  les  campagnesr 
ravagées  par  leuri  propres  habitans  ;  le: 
Royaume  en-  proie  à  des  nations  ennemies;, 
perfonne  en  sûreté  fous  fon  propre,  toît  :. 
nous  ne  voyons  pas  c^s  malheurs  ;  mais  ont- 
ils  vil  ce  que  nous  voyons.?  tant  de  miféres? 
publiques  6c  cachées  ?  tant  de  familles  dé- 
chues ?  tant  de  citoyensautrefoisdillingués 
aujourd'hui  fur  la  poufllére  ,  ÔC  confondus, 
avec  le  plus  vil  peuple?  les  arts  devenus 
prefqueinutiles?  l'image  de  la  faim  6cdela 
mort  répandue  fur  les  villes  6cfur  les  cam., 
pagnes  ?  que  dirai- je  ?  tant  de  défordres  fe* 
crets  qui  éclatent  tous  les  jours  ,  qui  for* 
tent  de  leurs  ténèbres  ,.&  où.  précipite  le 
défefpoirSc  l'aiFreufenéceffité?  D'où  vient 
cela  ,  mes  Frères  In'eft- ce  pas  d'un  luxe 
qui  engloutit  tout,  &.  qui  étoit  inconnu  à 
nos  pères  ?  de  vos  dépenfas  qui  ne  connoif? 
fent  plus  de  bornes ,  6c  qui  entraînent  né- 
ceffairement.  avec,  elles  le.  refroidilTement- 
de  l'a-  charité? 

Ah'  !  l'Eglife-naiiTante  n'étoit-eile  pas 
perfécutée  ,.  défolée.,. affligée  ?  les  mal-- 
îleurs  de  nos  fîécîés  approchent-ils  dé  ceux 
îâ?  Oii  jr  foufFroitla  profcriptiou  des  bien^t. 


142    IV.  Dimanche  de  Carême. 
l'exil ,  la  prlfon  ,  les  charges  les  plus  oné* 
leufes  de  l'Etat  tomboient  fur  ceux  qu'on 
foupçonnoit  d'être  Chrétiens;  en  un  mot , 
on  ne  vit  jamais  tant  de  calamités  :  6c  ce- 
pendant il  n'y  avoit  point  de  pauvres  parmi 
Idci, 4-34' eux  y  dit  S.  Luc  :  Nec  çuifçuam  egens  erat 
inter  illos.    Ah  !  c'eft  que  des  richeffes  de 
fimplicité  fortoient  du  fonds  de  leur  pau- 
vreté   même  ,   félon  Texpreffion   de  TA» 
pôtre  ;  c'eft  qu'ils  donnoient  félon  leurs 
forces  ôC  au-de  là  ;  c'ell  que  des  Provinces 
les  plus  éloignées  ,  par  les  foins  des  hom- 
mes Apoftoiiques  ,  couloienî  des  fleuves 
de  charité,  qui  venoient  confoler  les  frères 
ailemblés  à  Jérufalem  ,  5c   plus  expofés 
que  les  autres  à  la  fureur  de  la  Synagogue» 
Mais  plus  encore  que  tout  cela  :  c'eft  que 
les  plus  puiiTans  d'entre  les  premiers  Fidé^ 
les  étoient  ornés  de  modeftie  ;  5c  que  nos 
grands  biens    peuvent  à  peiriC  fuffire  au 
faftemonftrueux  dont  î'ufage  nous  fait  une 
loi:  c'eft  que  leurs  feftins  étoient  des  repas 
de  fobriété  bi  de  charité  ;  5c  que  la  fainte 
abftinence  même  que  nous  célébrons  ,  ne 
peut  modérer  parmi  nous  les  profufions  ÔC 
les  excès  des  tables  5c  des  repas  :  ctO:  que 
n'ayant  point  ici  bas  de  cité  permanente  , 
ils  ne  s'épuUbient  pas  pour  y  faire  des  éta- 
blillemens  briilans,  pour  iliuilrer  leur  nom, 
pour  élever  leur  poflérité  >  &C    ennoblir 
lelir  oblx:urité  ÔC  leur  roture  ^  ils  ne  pen- 
foienî  qu'à  s'alTurer  une  meilleure -condi- 
tion dans  \i  patrie  céleftè  ;  ÔC  qu'aujour- 
d'hui nui  n'eft  content  de  fon  état  j  chacun 


Sur  L'Aumône.    ^      143 
veut  monter  plus  haut  que  fes  ancêtres  ;  & 
que  leur  patrimoine  n'eft  employé   qu'à 
acheter  des  titres  ÔC  des  dignités  qui  puif- 
fent  faire  oublier  leur  nom  6c  la  bairelîe  de 
leur  origine  :  en  un  mot ,  c'eft  que  la  di- 
minution de  ces  premiers  Fidèles ,  comme 
parle  l'Apôtre  ,  faifoit  toute  la  richelTe  de 
leurs  frères  affligés  ,  6c  que  nos  profufions 
font  aujourd'hui  toute  leur  mifére  bL  leur 
indigence.  Ce  font  donc  ,  nos  excès  ,  mes 
Frères  ,  5C  notre  dureté  ,  qui  multiplient 
le  nombre  des  malheureuxrn'excufez  donc 
plus  là-deffus  le  défaut  de  vos  aumônes  ; 
ce  feroit  faire  de  votre  péché  même  votre 
excufe.  Ah  !  vous  vous  plaignez  que   les 
pauvres  vous  accablent  y  mais  c'ell  de  quoi 
ils  auroient  lieu  de  fe  plaindre  un  jour  eux- 
mêmes  :  ne  leur  faites  donc  pas  un  crime 
de  votre  infenfibilité  ,  5c  ne  leur  reprochez 
pas  ce  qu'ils  vous  reprocheront  fans  doute 
un  jour  devant  le  tribunal  de  Jefus-Chrift, 
Si  chacun  de  vous  ,  félon  l'avis  de  l'A- 
pôtre ,  mettoità  partuue  certaine  portion 
de  Tes  biens  pour  la  fubfiftance  des   mal- 
heureux ;  fî  dans  la  lupputation   de  vos 
dépenfes  6c  de   vos   revenus ,   cet  article 
étoit  toujours  le  plus  facré  6c  le  plus  in- 
violable ;  eh  !  nous  verrions  bientôt  dimi- 
nuer parmi  nous  le  nombre  des  affligés  : 
nous  verrions  bientôt  renaître  dans  l'Egli- 
fe  la  paix  ,  rallegrelTc  ,  l'heureufe  égalité 
des  premiers  Chrétiens  ;  nous  n'y  verrions 
plus  avec  douleur  cette  monftrueufe  dif- 
proportion  ,  q^ui  élève  les  uns  Ç»C  ks  çhç^ 


144  rv.  Dimanche  de  Carême. 
fur  le  faîte  de  la  profpérité  &  de  Topi!-^ 
lence,  tandis  que  les  autres  rampent  fur  la 
terre  ,  ôC  géiniiïent  dans  l'abîme  de  l'indi- 
gence 6C  de  Tafflidion  l'û  n'y  auroit  par- 
mi nous  de  malheureux  que  les  impies  ;, 
point  de  miféres  fecrettes,  que  celles  que 
le  péché  opère  dans  les  âmes  ;  point  de 
larmes,  que  des  larmes  de  pénitence  ;  point 
de  foupirs  que  pour  le  Ciel;  point  de  pau- 
vres que  ces  heureux  Difciples  de  l'Evan- 
i»ile,  quirenon<:ent  à  tautpour  fuivre  leur 
,  Vlaître  :.  nos  villes  feroient  le  féjour  de; 
'innocence  6c  de  la  miférieorde  ;  la  Re-^ 
;  igion ,  uncommerce  de  charité  :  la  terre  ^ 
.'image  du  ciel,  où  dans  diiî^reîites  me- 
:'ures  de  gloire,  chacun  ei^  également  heu- 
reux ;  6c  les  ennemis  de  la  foi  feroient 
encore  forces ,  comme  autrefois  ,  de  ren» 
dre  gloire,  à  Dieu  ,  6c  de  convenir  qu'il  y 
a  quelque  chofe  de  divin  dans  une  Religioa 
qui  peut  unir  les  hommes  d'une  manière  (ï 
nouvelle- 
Mais  ce  qui  fait  ici  la  méprife  ,  c'efl  que 
dans  la  pratique  perfonne  ne  regarde  l'au- 
Hiônecomme  une  des  plus  efTentielles  oblir 
gâtions  du  Chriftianifme  ;  ainfi  on  n'a  rien 
de  réglé  fur  ce  point  :  fi  l'on  fait  quelque 
liargelTe  ,  c'eii:  toujours  d'une  façon  arbi^ 
traire  ;  54  quelque  légère  qu'elle  pui iTe- 
être,  on  eft  content  de  foi-même  ,  com^ 
me  fî,  on  venoit.  de  faire  une  œuvre  de: 
furcroîtk 

Car  d'ailleurs-,  mes  Frères  ,- quand  vous> 
fréteudez  exciifer  1^  niadicité  de.  vo^.aut- 

môxiei» 


Sur    l'  a  u  m  ô  n  e-         14$ 
laônes ,  en  difant  que  le  nombre  des  pau- 
vres eft  infini  ;  que  croyez-vous  dire  par- 
là  ?  vous  dites  que  vos  obligations  à  leur 
égard  font  devenues  plus  indifpenfables  ; 
que  votre  miféricorde  doit  croître  à   me- 
fureque  les  miféres  croiiTent  ;  5c  que  vous 
contractez  de  nouvelles  dettes,  en  même- 
tems  qu'il  s'élève  de  nouveaux  malheureux 
fur  la  terre.  C'efl  alors,  mes  Frères  ;  c'eft 
dans  ces  calamités   publiques ,  que   vous 
devez  vous  retrancher  même  fur  des   dé- 
penfes^  qui  hors  de-là  vous  feroient  per- 
uiifes  év.  peut-être  néceffaires  :  c'eil  alors 
que  vous   ne  devez   plus    vous   regarder 
que  comme  le  premier  pauvre  ,  5c  pren- 
dre ,  comme    une  aumône  tout  ce  que 
vous  prenez  pour  vous-même  :  c'efi:  alors 
que  vous  n'êtes  plus  ni  grand,  ni  homme 
en  place-,  ni  citoyen  diitingué,  ni  femme 
de  naiiTance  ;  vous  êtes  fîmplement  Fidèle, 
membre  de  Jefus-Chrift  ^  frère  d'un  Chré- 
tien affligé. 

Et  certes  dites-moi  :  tandis  que  les  villes 
Se  les  campagnes  font  frappées  de  cala- 
mités ;  que  des  hommes  créés  à  l'image 
de  Dieu  ^  ÔC  rachetés  de  tout  fon  fang  , 
broutent  l'herbe  comm.e  des  animaux ,  ôC 
dans  leur  néceflité  extrême^  vont  chercher 
à  travers  les  champs ,  une  nourriture  que  la 
terre  n'a  pas  faite  pour  l'hom.me,  ôc  qui 
devient  pour  eux  un.e  nourriture  de  mort; 
auriez-vous  la  force  d'y  être  le  feul  heu- 
reux ?  Tandis  que  la  face  de  tout  un  Rovau-  ^'"/'^^^ 

ftl  '  ç^  -y      ,      prononcé 

changée,  5C    que  tO  Ut  retenti^  de  >/i  ijo^i. 


146  IV.  DixMANCHE  DE  CaRÈME. 
cris  5c  de  gémilTemens  autour  de  votre 
demeure  fuperbe  ;  pourriez-vous  confer- 
ver  au-dedans  le  même  air  de  joye  ,  de 
pompe  ,  de  férénité  ,  d'opulence  ?  Sc  où 
feroit  rhumanité ,  la  raifon  ,  la  Religion  ? 
Dans  une  république  payenne  ,  on  vous 
regarderoit  comme  un  mauvais  citoyen  ; 
dans  une  ibciété  de  fages  Sc  de  mondains , 
comm.e  une  ame  vile  ,  fordide ,  fans  no- 
blelle  ,  fans  génërofité  ,  fans  élévation  ;  6C 
dans  l'Eglife  de  Jefus-Chrift  ,  fur  quel 
pied  voulez-vous  qu'on  vous  regarde  ?  eh  ! 
comme  un  monftre  indigne  du  nom  de 
Chrétien  que  vous  portez  ,  de  la  foi  dont 
vous  vous  glorifiez  ,  des  Sacremens  dont 
vous  approchez,  de  l'entrée  même  de  nos 
Temples  où  vous  venez  ,  puifque  ce  font- 
là  les  fymboles  facrés  de  l'union  qui  doit 
être  parmi  les  Fidèles. 

Cependant  la  main  du  Seigneur  eft  éten- 
due fur  nos  peuples  dans  les  villes  ^  dans 
îes  campagnes  ;  vous  le  favez  ,  6c  vous 
vous  en  plaignez  :  le  Ciel  eft  d'airain  pour 
ce  Royaume  affligé  ;  la  mifére  ,  la  pau-» 
vreté  ,  la  défolation  ,  la  mort  marcnent 
partout  devant  vous.  Or ,  vous  échappe-t'il 
de  ces  excès  de  charité  ,  devenus  mainte-- 
nant  une  loi  de  difcrétion  ÔC  de  juftice  l 
prenez-vous  fur  vous-même  une  partie  des 
calamités  de  vos  frères  ?  vous  voit- on  feu- 
lement toucher  à  vos  profufions  6c  à  vos 
voluptés  ,  criminelles  en  toute  forte  de 
tems ,  mais  barbares  5C  puniflables  même 
p^r  -les  loi?  des  hommes  en  celui-ci  ?  Que 


Sur  l'Aumône.  147 

dlrâî-]e?ne  mettez-vous  pas  peut-être  à 
profit  les  miféres  publiques  ?  ne  faites- vour 
pas  peut-être  de  l'indigence  comme  une 
occafion  barbare  de  gain  ?  n'achevez-vous 
pas  peut-être  de  dépouiller  les  malheu- 
reux, en  affeftant  de  leur  tendre  une  main 
fecourable  ?  2>C  ne  favez-vous  pas  l'art  in- 
humain d'apprétier  les  larmes  ÔClesnécef» 
dtés  de  vos  frères  ?  Entrailles  cruelles!  dit 
l'Efprit  de  Dieu  ,  quand  vous  ferez  raffafîéj 
vous  vous  fentirez  déchiré  :  votre  félicité 
fera  elle-même  votre  fupplice  ;  Sc  le  Sei- 
gneur fera  pleuvoir  fur  vous  fa  fureur  6c  fa 
guerre. 

Mes  Frères ,  que  îa  préfence  des  pauvre» 
devant  le  tribunal  de  Jefus  -  Chrift  fera 
terrible  pour  la  plupart  des  riches  du  mon« 
de  !  que  ces  accufateurs  feront  puiffans  i 
ê>C  qu'il  vous  reftera  peu  de  chofe  à  répon- 
dre ,  quand  ils  vous  reprocheront  qu'il  fal- 
loit  fi  peu  de  fecours  pour  foulager  leur 
indigence  ;  qu'un  feul  jour  retranché  de 
vosprofufions,  auroit  fuffi  pour  remédier 
aux  befoins  d'une  de  leurs  années  ;  que 
c'eft  leur  propre  bien  que  vous  leur  refufiez, 
puifquc  ce  que  vous  aviez  de  trop  leur  ap- 
partenoit  ;  qu'ainfi  vous  avez  été  non-feu- 
lement cruels  ,  mais  encore  injufies  en  le 
leur  refufant  ;  mais  enfin  que  votre  dureté 
n'a  fervi  qu'à  exercer  leur  patience ,  ÔC  les 
rendre  plus  dignes  de  l'immortalité ,  tandis 
que  vous  alors ,  dépouillés  pour  toujours 
de  ces  mêmes  biens  que  vous  n'avez  pas 
VQulu  mettre  eu  sûreté  dans  le  feiii  de^ 

N  ft 


148  IV.  DlMAN'CHE  DE  CaREME. 
pauvres ,  n'aurez  plus  pour  partage  que  la 
î"nalédi6i:ion  préparée  à  ceux  qui  auront  vu 
Jefus-Chriil  fouffrant  la  faim,  la  foif , 
la  nudité  dans  fes  membres  ,  5c  qui  ne 
Matth.  l'auront  pas  foulage  :  l^udus  eram  ,  &  non 
*^'  '♦3*  cooveruiftis  me.  Telle  eft  Fillufion  des  pré- 
textes dont  onfefertpour  fe  difpenfer  du 
devoir  de  Taumone;  établilTons  mainte- 
nant les  régies  qu'il  faut  obferver  en  Tac- 
complilfant  :  6c  après  avoir  défendu  cette 
obligation  contre  toutes  les  vaines  excufes 
de  la  cupidité ,  tâchons  de  la  fauver  auflî 
ûts  défauts  même  de  la  charité. 


Ni 


E  point  fonner  de  la  trompette  pour 
s'attirer  les  regards  publics  dans  les  offices 
de  miféricorde  que  nous  rendons  à  nos 
frères  ;  obferver  Tordre  de  la  jufticc  même 
dans  la  charité  ,  ÔC  ne  pas  préférer  des  be- 
foins  étrangers  à  ceux  dont  nous  fommes 
chargés  ;  paroitre  touchés  de  l'infortune  , 
&  favoir  confolcr  les  pauvres  paf  notre  af- 
fabilité autant  que  par  nos  dons  ;  enfin 
éclairer  même  par  notre  vigilance ,  le  fe- 
cret  de  leur  honte  :  voilà  les  régies  que 
nous  prefcrit  aujourdhui  l'exemple  du  Sau- 
veur ,  dans  la  pratique  de  la  miféricorde. 
.    Premièrement ,  il  s'en  alla  dans  un  lieu 
défert  8c  écarté ,  dit  l'Evangile  ^  il  monta 
fur  une  montagne  où  il  s'aiïit  avec  fes  Dif- 
ciples.  Son  delTein  ,  félon  les  faints  Inter- 
prêtes ,  étoit  de   dérober  aux  yeux    des 
villes  voifines  le  prodige  de  la  multiplica-» 
tion  çles  pains  ]  ôc  de  n'avoir  ppur  témoins 


r 


Sur   l'  a  u  m  ô  x\  e."  !40 

de  fa  miféricorde ,  que  ceux  qui  dévoient 
en  reilentir  les  effets.  Première  inftruction, 
5>C  première  régie  :  le  fecret  de  ta  charité. 

Oui  ,  mes  Frères  ,  que  de  fruits  de  la 
miféricorde  5  le  vent  brûlant  de  Torgueil 
bi  de  la  vaine  coinplaifance,  flétrit  tous  les 
jours  aux  yeux  de  Dieu  !  que  d'aumônes 
perdues  pour  Téternité  !  que  de  tréfors 
qu'on  croyoit  en  sûreté  dans  le  fcin  des 
pauvres,  &C  qui  paroitrontun  jour  corrom- 
pus par  le  ver  &  par  la  rouille  I 

A  la  vérité  ,  il  eft  peu  de  ces  hypocrî- 
fies  groiTiéres  ÔC  déclarées  ,  qui  publient 
fur  les  toits  le  mérite  de  leurs  œuvres 
fainîes  ;  l'orgueil  eft  plus  habile  ,  6c  ne  fe 
démafque  jamais  tout-à-fait:  mais  qu'il  eft 
encore  moins  de  véritables  zèles  de  chari* 
té ,  qui  cherchent  comme  Jefus-Chrift  , 
les  lieux  folitaires  6c  écartés ,  pour  y  ca* 
cher  leurs  faintes  profufions  !  on  ne  voit 
prefque  que  de  ces  zèles  failueux  ,  qm 
n'ont  des  yeux  que  pour  des  miféres  d'é- 
clat ;  5c  qui  veulent  pieufement  mettre  le 
public  dans  la  confidence  de  leurs  largelTes: 
on  prendra  bien  quelquefois  des  mefures 
pour  les  cacher;  mais  on  n*ell  pas  fâché 
qu'une  indifcrétionles  trahilTe:  on  ne  cher- 
chera pas  les  regards  publics  ;  mais  on  fera 
ravi  que  les  regards  publics  nous  furpren- 
nent  ;  6c  l'on  regarde  prefque  comme  per- 
dues les  libéralités  qui  font  ignorées. 

Hélas  !  nos  Temples  6c  nos  autels  n'éta% 
lent-ils  pas  de  toutes  parts  avec  leu  rs  dons, 
les  noms  &  les  marques  de  leurs  bienfai* 


150  IV.  DlMAKéMÊ  DE  CARE^rE; 
teurs,  c'eft-à-dire,  les  monumens  pubIiiJ«r 
tlela  vanité  de  nos  pères  ÔC  de  la  nôtre  ? 
Si  l'on  ne  vouloit  que  l'œil  invifible  du 
-Père  célefte  pour  témoin  ,  à  quoi  bon  cette 
vaine  oftentation  ?  Craignez-vous  que  le 
Seigneur  n'oublie  vos  offrandes  ?  faut-il 
que  du  fond  du  Sanftuaire ,  où  nous  Tado- 
rons ,  il  ne  puille  jetter  fes  regards  fans  en 
retrouver  le  fouvenir  ?  Si  vous  ne  vous 
propofez  que  de  lui  plaire  ,  pourquoi  ex- 
pofer  vos  largeiTes  à  d'autres  yeux  qu'aux 
liens  ?  pourquoi  fes  Miniftres  eux-mêmes , 
dans  les  fondrions  les  plus  redoutables  du 
Sacerdoce  ,  paroîtront-ils  à  l'autel ,  où  ils 
ne  devroient  porter  que  les  péchés  du  peu- 
ple ,  chargés  ÔC  revêtus  des  marques  de 
votre  vanité  ?  pourquoi  ces  titres  ÔC  ces 
infcriptions  qui  immortalifcnt  fur  des  mur» 
facrés  vos  dons  5c  votre  orgueil  ?  N'étoit- 
£Q  pas  allez  que  ces  dons  fulfent  écrits  de 
la  main  même  du  Seigneur  dans  le  livre  de 
vie  ?  pourquoi  graver  fur  le  marbre  qui 
périra  ,  le  mérite  d'une  action  que  la  cha- 
rité avoit  pu  rendre  immortelle  ? 

Ah  !  Salomon  ,  après  avoir  élevé  le 
Temple  k  plus  pompeux  &  le  plus  ma- 
gnifique qui  fût  jamais  ,  n'y  fit  graver  que 
le  nom  redoutable  du  Seigneur  ;  6c  n'eut 
garde  de  mêler  les  marques  de  la  grandeur 
de  fa  race  avec  celles  de  la  majeilé  éter- 
nelle du  Roi  des  Rois.  On  donne  un  nom 
de  piété  à  cet  ufage  ;  on  fe  perfuade  que 
ces  monumens  publics  follicitent  les  libé* 
lalités  des  Fidèles.  Mais  le  Seigneur  a-t'il 


Sur  l'A  u  Mo  n  e,  151 

chargé  votre  vanité  du  foin  d'attirer  des 
largelFes  à  fes  autels  ?  6c  vous  a-fil  per- 
mis d'être  moins  modeftes,  afin  que  vos 
frères  devinffent  plus  charitables  ?  Hélas  î 
les  plus  puiffans  d'entre  les  prem  iers  Fidèles 
portoient  fimplement  ,  comme*  les  plus 
obfcurs  ,  leur  patrimoine  aux  pieds  des 
Apôtres  :  ils  voyoientavec  une  fainte  joye, 
leurs  nomsôc  leurs  biens  confondus  avec 
ceux  de  leurs  frères  qui  avoient  moins  of- 
fert qu'eux  :  on  ne  les  diftinguoit  pas  alors 
dans  l'affemblée  des  Fidèles  à  proportion 
de  leurs  largefTes  :  les  honneurs  6c  les  pre- 
féances  n'y  étoicnt  pas  encore  le  prix  des 
dons  6c  des  offrandes  ;  bL  Ton  n'avoit  garde 
de  changer  la  récompenfe  éternelle  qu'on 
attendoit  du  Seigneur  ,  en  cette  gloire  fri- 
vole ,  qu'on  auroit  pu  recevoir  des  hom- 
mes :  &  aujourd'hui  l'Eglife  u'a  pas  affez 
de  privilèges  peur  fatisfaire  la  vanité  de 
fes  bienfaiteurs  ;  leurs  places  y  font  mar- 
quées dans  le  fanftuaire  ;  leurs  tombeaux 
y  paroilTent  jufques  fous  l'autel ,  où  ne  de» 
vroient  repofer  que  les  cendres  des  Mar* 
tyrs  ;  on  leur  rend  même  des  honneurs  qui 
devroient  être  réfervès  à  la  gloire  du  Sa- 
cerdoce ;  6c  s'ils  ne  portent  pas  la  main  à 
l'enccnfoir  ,  ils  veulent  du  moins  partager 
avec  le  Seigneur  l'encens  qui  brûle  furfes 
autels.  L'ufage  autorife  cet  abus  ,  il  eft 
vrai  ;  mais  l'ufage  ne  juflifîe  jamais  ce  qu'il 
autorife. 

La  charité  ,  mes  Frères  ;  eft  cette  bonne 
odeur  de  Jefus-Chrift  qui  s'évanouit  ÔC 

N4 


I?2  IV.  DlMAN^CHË  DE  CARLME." 
s'éteint  du  moment  qu'on  la  découvre.  Ce 
n'eil  pas  qu'il  faille  s'abflenir  des  offices  pu- 
blics de  mJféricorde  :  nous  devons  à  nos 
frères  l'édification  &:  l'exemple  :  il  eft  boa 
qu'ils  voyent  nos  œuvres  ;  mais  il  ne  faut 
pas  que  nous  les  voyions  nous-mêmes  ;  ôC 
notre  gauche  doit  ignorer  les  dons  que  ré- 
pand notre  droite  :  les  aérions  mêmes  ; 
que  le  devoir  rend  les  plus  éclatantes,  doi- 
vent toujours  être  fecrettes  dans  la  prépa- 
ration du  cœur  :  nous  devons  entrer  pour 
elles  dans  une  manière  de  jalouiîe  contre 
les  regards  étrangers;  &C  ne  croire  leur  in- 
nocence en  sûreté  ,  qiîe  lorfqu'elles  font 
fous  les  yeux  de  Dieu  feul.  Oui  ,  mes 
Frères ,  les  aumônes  qui  ont  prefque  tou- 
jours coulé  en  fecret ,  arrivent  bien  plus 
pures  dans  le  feia  de  Dieu  même ,  que 
celles  qui,  expofées  même  malgré  nous 
aux  yeux  des  hommes ,  on  été  comme 
grolïïes  6c  troublées  fur  leur  courfe  par 
les  complaifances  inévitables  de  l'amour 
propre ,  5c  par  les  louanges  des  fpe6la- 
îeurs  :  femblables  à  ces  fleuves  qui  ont 
prefque  toujours  coulé  fous  la  terre  ,  6C 
qui  portent  dans  le  fein  de  la  mer  des  eaux 
vives  6c  pures  ,  au  lieu  que  ceux  qui  ont 
traverfé  à  découvert  les  plaines  ôC  les  cam- 
pagnes ,  n'y  portent  d'ordinaire  que  àes 
eauxbourbeufes,5c  traînent  toujours  après 
eux  les  débris  ,  les  cadavres  ,  le  limon 
qu'ils  ont  amalTé  fur  leur  route.  Voilà  donc 
la  première  régie  de  charité  que  nous  pref" 
■crit  aujourd'iuûle  SauveBJ  ;  éviter  ig  h&9 


Sur  VAvMost:         isj 

5c  roftcntation  dans  les  œuvres  de  mifé- 
ricorde  ;  ne  vouloir  y  être  remarqué  .  nî 
par  le  rang  qu'on  y  tient,  ni  par  la  gloire 
d'en  être  le  principal  auteur  ,  ni  par  le  bruit 
qu'elles  peuvent  faire  dans  le  monde  ;  6C 
ne  point  perdre  fur  la  terre  ce  que  la  cha-\ 
rite  n'avoit  amaffé  que  pour  le  Ciel. 

La  féconde  circonftance  que  je  remarqua 
dans  notre  Evangile  ,  c'eft  que  nul  de  toute 
cette  multitude  qui  s'offre  à  Jefus-Chriil  , 
n'eft  rejette  :  tous  indifféremment  font  fou- 
lages ;  &  on  ne  lit  pas  que  le  Gauveur  ait 
ufc  à  leur  égard  de  diilinôion  èC  d€  préfé- 
rence. Seconde  régie  ;  la  charité  eft  univer- 
felle  :  elle  bannit  ces  libéralité;  de  goût  8C 
de  caprice  ,  qui  ne  fem.blent  ouvrir  le 
cœur  à  certaines  miféres,  que  peur  le  fer- 
mer à  toutes  les  autres.  Vou*  trouvez  des 
perfonnes  dans  le  monde,  qui  fous  pré- 
texte qu  elles  ont  leurs  aumônes  réglées  ôC 
des  lieux  deftinés  pour  les  recevoir  ,  font 
infenfibles  à  tous  les  autres  befoins.  Envain 
vous  les  avertiriez  qu'une  famille  va  tom-« 
ber  faute  d'un  léger  fecours  ;  qu'une  jeunç 
perfonne  eft  fur  le  bord  du  précipice  ,  fi 
Ton  ne  fe  hâte  de  lui  tendre  une  main  fe-» 
courable  ;   qu'un  établiiTement  utile  va 
manquer  ,  fi  un  renouvellement  de  chanté 
nelefoutient  :  ce  ne  font  pas-là  des  mifé- 
res de  leur  goiit  ;  &  en  plaçant  ailleurs 
quelques  largelTes ,  elles  croyent  acheter 
le  droit  de  voir  d'un  œil  fec  ,  &  d'un  cœur 
indifférent ,  toutes  les  autres  infortunes. 
Je  ùà$  que  la  charité  a  feu  Qxdre  &C  A 


154  IV.  Dimanche  de  Carême. 
mefure  qu'elle  doit  iifer  de  difcernement; 
6c  que  la  juftice  veut  que  certains  befoins 
foient  préférés  :  mais  je  ne  voudrois  pas 
cette  charité  méthodique ,  s'il  eft  permis 
de  parler  ainf],  qui  fait  précifément  à  quoi 
s'en  tenir  ;  qui  a  fes  jours ,  fes  lieux  ,  fes 
perfonnes  ,  fes  bornes  ;  qui  hors  de-làeft 
Larbare,  &  qui  peut  convenir  avec  elle- 
même  de  n'être  touchée  qu'en  certains  tems, 
6c  à  l'égard  de  certains  befoins:  Ah  !  eft- 
on  ainfi  maître  de  fon  cœur  ,  quand  on 
aime  véritablement  fes  frères  ?  peut- on  u 
fon  gré  fe  marquer  à  foi-même  les  momens 
d'ardeur  6c  d'indifférence  ?  La  charité  ,  ce 
faint  amour  efl-il  fi  régulier  quand  ilern- 
brafe  véritablement  le  cœur  ?  n'a-t'il  pas , 
il  je  l'ofe  dire  ,  fes  faillies  6c  fes  excès  ?  ÔC 
ïie  fe  trouve-fil  pas  des  occaiions  (i  tou- 
chantes ,  où  quand  vous  n'auriez  qu'une 
étincelle  de  charité  dans  le  cœur  ,  elle  fe 
fait  fenîir  ,  ôC  ouvre  à  finitant  vos  entrail- 
les 6c  vos  richelTes  à  votre  frère  ? 

Je  ne  voudrois  pas  cette  charité  dure- 
ment circonfpe£le ,  qui  n'a  jamais  aifez 
examiné  ,  &:  qui  fe  défie  toujours  de  la 
vérité  des  befoins  qu'on  lui  expofe.  Voyez 
fi  dans  cette  multitude  que  Jefus-Chrift 
raffafie  aujourd'hui ,  il  s'attache  à  difcerner 
ceux  que  la  pareffe  6c  l'efpérance  toute 
feule  d'une  nourriture  corporelle,  avoient 
pu  attirer  au  défert,  ÔCqui  auroienteu  en- 
core affez  de  force  pour  aller  chercher  à 
manger  dans  les  villes  voifines  :  nul  n'eft 
excepté  de  ks  divins   bienfaits.  N'eil-ce 


Sur   l'A  um  6  né.  15$ 

pas  déjà  une  allez  grande  mifére,  que  d'ê- 
tre réduit  à  feindre  même  qu'on  eft  mal- 
heureux ?  Ne  vaut-il  pas  mieux  encore 
donner  à  de  faux  befoins ,  que  courir  rifque 
de  refuferà  des  befoins  véritables  ?  Quand 
un  impofteur  féduiroit  votre  charité  ,  qu'en 
feroit-il  ?  n'eft-ce  pas  toujours  J.  C.  qui 
la  reçoit  de  votre  main  ?  &  votre  récom- 
penfe  eft-elle  attachée  à  l'abus  qu'on  peut 
faire  de  votre  aumône  ,  ou  à  l'intention 
elle-même  qui  l'offre  ? 

De  cette  régie  il  en  naît  une  troifiéme^ 
marquée  encore  dans  l'hifloire  de  notre 
Evangile  :  c'eft  que  non-feulemens  la  cha- 
rité dcit  être  univerfelle  ,  mais  douce  ,  af- 
fable,  compatiflante.  Jefus-Chrift  voyant 
ce  peuple  errant  ôC  dépourvu  au  pied  de  la 
montagne ,  eft  touché  de  pitié  :  Mifertus  -^nf^ 
ejl  eis\  ce  fpeftacle  l'attendrit;  la  mifére  ;^,i^» 
de  cette  multitude  réveille  fa  compafîion 
&  fa  tendreile.  Troifiéme  régie  :  la  dou- 
ceur de  la  charité. 

On  accompagne  fouvent  la  miférlcorde 
de  tant  de  dureté  envers  les  malheureux  ; 
en  leur  tendant  une  main  fecourabie  ,  on 
leur  iriontre  un  vifage  fî  dur  ÔC  fi  févère , 
qu'un  fimple  refus  eût  été  moins  accablant 
pour  eux  ,  qu'une  charité  fi  féche  5c  fi  fa- 
Tpuche:  car  la  pitié  qui  paroît  touchée  de 
nos  maux  ,  les  confole  prefque  autant  que 
la  libéralité  qui  les  foulage.  On  leur  re- 
proche leur  force  ,  leur  parelle  ,  leurs 
mœurs  errantes  5c  vagabondes  :  on  s'en 
prend  à  eux  de  leur  indigence  ÔC  de  leia 


Ï56  IV.  DiMAxCHî-  D£  Caremë. 
n"iilëre  ;  6c  en  les  fecoiirant  ,  on  acheté 
le  droit  de  les  infiilter.  Mais  s'il  étoit  per- 
mis à  ce  malheureux  que  vous  outragez  , 
de  vous  répomlre  :  îi  rabjeftion  de  fon  état 
ii'avoit  pas  mis  le  frein  de  la  honte  6c  dti 
refpe£l  iiir  fa  langue  :  Que  me  reprochez- 
vous  ,  vous  diroit-il  ?  une  vie  oifeufe  ,  6c 
des  m.œurs  inutiles  6c  errantes  ?  mais  quels 
font  les  foins  qui  vous  occupent  dans  vo- 
tre opulence?  les  foucis  de  Fambition  ,  les 
iiiquiétudcs  de  la  fortune,  les  mouvemens 
des  paillons  ,  les  rafinemens  de  la  volupté: 
je  puis  être  un  ferviteur  inutile;  mais  n  ê-- 
tes-vous  pas  vous-m.ême  un  fervii:eur  infi- 
dèle ?  ah  !  fi  les  plus  coupables  étoient  les 
plus  pauvres  &  les  plus  malheureux  ici-bas, 
votre  de/tinée  auroit-elîe  quelque  chof« 
au-deilus  de  la  mJgnne  ?  vous  me  repro» 
chez  des  forces  dont  je  ne  me  fers  pas  ; 
mais  quel  ufage  faites-vous  des  vôtres  ?  je 
ne  devrois  pas  manger ,  parce  que  je  ne  tra- 
vaille point;  mais  êtes- vous  difpcnfé  vous- 
inêmede  cette  loi  ?  n'êtes- vous  riche  que 
pour  vivre  dans  une  indigne  mollelTe  ?  ah  ! 
le  Seigneur  jugera  entre  vous  6c  moi  ;  5£ 
devant  fon  tribunal  redou.tabie  ,  on  verra  iî 
vos  voluptés  ôC  vos  profulions  vous  étoient 
plus  permifes ,  que  Tinnocent  artifice  dont 
^e  nie  fers ,  pour  trouver  du  foulagement 
a  mes  peines. 

Oui,  mes  Frères,  offrons  du  moins  aux 
malheureux  des  cœurs  fenfibles  à  leurs 
miféres  ;  adoucillons  du  moins  par  notre 
humanité  le  joug  de  Tindigence ,  lî  la  aie-. 


Sur  l'A  u  Mo  ne:         ïSy 

«îîocnté  de  notre  fortune  ne  nous  permet 
pas  d'en   foulager  tout-à-fait  nos  frères. 
Hélas  !  on  donne  dans  un  fpediicle  pro- 
fane ,  corn  me  autrefois  Auguftin  dans  fes 
égarcmens  ,  des  larmes  aux  avantures  chi- 
mériques d'un  perfonnage  de  théâtre  ;  on 
honore  des  malheurs  feints ,  d'une  vérita- 
ble fenfîbilité;  on  fort  d'une  repréfentation, 
le  cœur  encore  tout  ému  du  récit  de  V'm^ 
fortune  d'un  héros  fabuleux  :  &1  un  micm- 
bre  de  Jeius-Chrift  ,  &:  un  héritier  du 
Ciel ,  &  votre  frerc  que  vous  rencontrez 
au  fortir  de-là  couveit  de  pîayes  ,  5c  qui 
vous  veut  entretenir  de  l'excès  de  fes  pei- 
nes ,  vous  trouve  infenfiblc  ?  &  vous  dé- 
tournez vos  yeux  de  ce  fpeâacle  de  reli* 
•  gion  ?  6c  vous  ne  daignez  pas  l'entendre  ? 
Bc  vous   l'éloignez  même  rudement,  6C 
achevez  de  lui  ierrer  le  cœur  de  triftefle  ? 
Ame   inhum.aine  !  avez-vous  donc  lailTé 
toute  votre  fenlibilitë  fur  un  théâtre  infâ- 
me ?  le  fpeâacle  de  Jefus*Chrift   fouf* 
frant  dans  un  de  fej  membres  ,  n'offre-t'il 
rien  qui  foit  digne  de  votre  pitié  ?  ÔC  faut- 
il  faire  revivre  pour  vous  toucher  ,  l'ambi- 
tion ,  la  vengeance ,  la  volupté ,  £>C  toutes 
les  horreurs  des  fiécles  Payens  ? 

Mais  ce  n'eft  pas  encore  alTez  d'offrir 
des  cœurs  fenfibles  aux  miféres  qui  s'of- 
frent à  nous  ;  la  charité  va  plus  loin  :  elle 
n'attend  pas  que  le  hazard  lui  ménage  des 
occafions  de  miféricorde  ;  elle  fait  les  cher- 
cher &  les  prévenir  elle-même.  Dernière 
xégk  ;  la  vigilance  de  la  charité.  Jefvis^ 


1^%^  IV.  Dimanche  de  Carême.' 
Chrift  n'attend  pas  que  ce  peuple  indigent 
s'adreiTe  à  lui ,  ÔC  vienne  lui  expofer  fes 
Jnan,  c.  befoius  !  il  les  découvre  le  premier  :  Cum 
^'-  fublevaffet   oculos    Jésus  ^   &  'vidijfet  ;   à 

peine  les  a-fil  découverts ,  qu'il  commence 
a  chercher  avec  Philippe  les  moyens  d'y 
remédier.  La  charité  qui  n'eft  pas  vigilante, 
inquiète  fur  les  calamités  qu'elle  ignore  , 
îngénieufe  à  découvrir  celles  qui  fe  ca- 
chent, qui  a  bcfoin  d'être  follicitée,  pref- 
fée,  importunée  ,  ne  reffemble  point  à  la 
charité  de  Jesus-Christ  :  il  faut  veiller  , 
&  percer  les  ténèbres  que  la  honte  oppofe 
à  nos  largeiTes  :  ce  n'elt  pas  ici  un  iimple 
confèil  ;  c'eft  une  fuite  du  précepte  de 
l'aumône.  Les  Pafteurs  ,  qui  font  les  pères 
des  peuples ,  félon  la  foi ,  font  obliges  de 
veiller  fur  leurs  befoins  fpirituels  ;  5c  c'eft- 
là  une  des  plus  effentielles  fondions  de  leur 
ininiflère  ;  les  riches  6c  les  puilTans  font 
établis  de  Dieu  les  pères  .ôc  les  Pafteurs 
des  pauvres ,  félon  le  corps  ;  ils  doivent 
donc  avoir  les  yeux  ouverts  fur  leurs  mi- 
féres  ;  fi  faute  de  veiller  elles  leur  échap- 
pent ,  ils  font  coupables  devant  Dieu  de 
toutes  leurs  fuites  qu'un  fecours  offert  à 
propos  auroit  prévenues. 

Ce  n'eft  pas  qu'on  veuille  exiger  que 
vous  découvriez  tous  les  befoins  fecrets 
d'une  Ville  ;  mais  on  exige  des  foins  6C 
des  attentions  :  on  exige  que  vous ,  qui 
dans  un  quartier  ,  tenez  le  premier  rang , 
ou  par  vos  biens ,  ou  par  votre  naiffance  , 
ae  loyez  pas  eiiviromié  à  votre  infçû ,  dç 


Sur   L'AvMÔ>fE.         î^^ 

■mille  malheureux  qui  gém i lient  en  fecret, 
dont  les  yeux  font  tous  les  jours  bielles  dé 
la  pompe  de  vos  équipages  ;  6C  qui  outre 
leur  mifére  ,  fouffrent  encore  ,  pour  ainfi 
dire  ,  de  toute  votre  profpérité  :  on  exige 
que  vous  ,  qui  au  m.ilieu  des  plailirs  de  la 
Cour ,  ou  de  la  Ville  ,  voyez  couler  dans 
vos  mains  les  fruits  de  la  fueur  bC  des  tra- 
vaux de  tant  d'infortunés  qui  habitent  vos 
terres  ÔC  vos  campagnes  ;  on  exige  que 
vous  connoilîlez  ceux  que  les  fatigues  de 
l'âge  6c  de  leurs  labeurs  ont  épuifé  ,  8C 
qui  traînent  au  fond  des  champs  les  reiles 
de  leur  caducité  5c  de  leur  indigence  ; 
ceux  qu'une  fanté  infirme  rend  inhabiles 
au  travail ,  la  feule  relTource  de  leur  mifé- 
re ;  ceux  que  le  fexe  5c  l'âge  expofcntàla 
féduftion  ,  ÔC  dont  vous  pourriez  préferver 
l'innocence.  Voilà  ce  qu'on  exige  ,  ôc  ce 
qu'on  a  droit  d'exiger  de  vous  :  voilà  les 
pauvres  dont  Dieu  vous  a  chargé  ,  ÔC  dont 
vous  lui  répondrez  ;  les  pauvres  qu'il  ne 
laiffe  fur  la  terre  que  pour  vous  ,  5c  aux- 
quels fa  Providence  n'a  aiïigné  d'autres 
reffources  que  vos  biens  ÔC  vos  largelTes. 
Or  ,  les  connoiffez-vous  feulement  ? 
chargez-vous  leurs  Pafleurs  de  vous  les 
faire  connoître  ?  font-ce  là  les  foins  qui 
vous  occupent  ,  quand  vous  paroilTez  au 
milieu  de  vos  terres  6c  de  vos  polfelîions? 
Ah  !  c'eft  pour  exiger  de  ces  malheureux 
vos  droits  avec  barbarie  ;  c'eft  pour  arra- 
cher de  leurs  entrailles  le  prix  innocent  de 
leurs  travaux  5,  fans  avoir  égard  àlewruii* 


îdo    IV.  Dimanche  DE  Carême' 
fére,  au  malheur  des  tems  que  vous  noiî* 
alléguez  ,  à  leurs  larmes  fouvent  &.  à  leur 
défefpoir  :  que  dirai-je  ?   c'eft  peut-être 
pour  opprimer  leur  foibleiïe  ,    pour  être 
leur  tyran  ,  ôc  non  pas  leur  Seigneur  6C 
leur  père.  O  Dieu  I  ne  maudiffez-vous  pas 
CCS  races  cruelles ,  ÔC  ces  richeffes  d'ini- 
quité? ne  leur  imprimez-vous  pas  des  ca- 
ractères de  malheur  &  de  défolation  ,  qui 
vont  tarir  la  fource  des  familles  ;  qui  font 
fécher  la  racine  d'une  orgueilleufe  pofté- 
tité  ;   qui  am.énent  les  divifions  domefti- 
ques ,  les  difgraces  éclatantes ,  la  déca- 
dence ÔC  l'extinâion  entière  des  maifons. 
Hélas  !  on  eft  furpris  quelquefois  de  voir 
les  fortunes  les  mieux  établies  ,  s'écrouler 
tout  d'un  coup  ;  ces  noms  antiques  5c  au- 
trefois fi  illuftres  ,  tombés  dans  robfcurité, 
ne  traîner  plus  à  nos  yeux  que  les  triftes 
débris  de  leur  ancienne  fplendeur;  êC  leurs 
terres  devenues  la  poire-îion  de  leurs  con- 
currens ,  ou  de  leurs  efclaves.  Ah  !  fi  l'on 
pouvoit  fuivre  la  trace  de  leurs  malheurs  ; 
il  leurs  cendres  ÔC  les  débris  pompeux, 
qui  nous  reftent  de  leur  gloire  dans  l'or- 
eueil  de  leurs  maufolées,pouvoieiit  parler: 
Voyez-vous ,  nous  diroient-ih  ,  ces  mar- 
ques lugubres  de  notre  grandeur?  ce  font 
les  larmes   des  pauvres,  que  nous  négîi-. 
gions  ,  que  nous  opprimions ,  qui  les  ont 
minées  peu  à  peu ,  6c  enfin  entièrement 
renverfées  :  leurs  clameurs  ont  attiré  fur 
nos  palais  la  foudre  du  Ciel  :  le  Seigneur  a 
foufflé  fur  ces  fuperbes  édifices  &C  fur  no- 
tre 


Sur  l'  a  u  m  ô  n  e.         ï6i 

tre  fortune  ,  6c  Ta  diilipée  comme  de  la 
poLiiliére  :  que  le  nom  des  pauvres  foit  ho- 
norable à  vos  yeux ,  Ci  vous  voulez  que 
vos  noms  ne  périiTeiit  jamais  de  la  mémoire 
des  hommes  :  que  la  miféricorde  foutienne. 
vos  maifons ,  fi  vous  voulez  que  votre  pof* 
térité  ne  foit  pas  enfevelie  fous  leurs  rui* 
nés  :  devenez  fages  à  nos  dépens  ;  5C  que 
nos  malheurs  ,  en  vous  initruifant  de  nos 
fautes ,  vous  apprennent  à  les  éviter. 

Et  voilà ,  mes  Frères ,  (  pour  en  dire 
quelque  chofe  avant  de  £nir ,  )  le  premier 
avantage  de  l'auniône  chrétienne  :  des  bé- 
nédi£lions  même  temporelles.  Le  pain  que' 
j£SUS- Christ  bénit  fe  nuiltlplie  entre  les 
mains  des  Difciples  qui  les  diilribucnt  ^ 
cinq  mille  hommes  en  font  ralTalîés  ;  6C 
douze  corbeilles  peuvent  à  peine  contenir 
les  relies  qu'on  enlève  :  c'eft- à-dire  ,  que 
les  largelTes  de  la  charité  font  des  biens  de 
bénédiction  ,  qui  fe  multiplient  à  mefure 
qu'on  les  dilirihue  ^  ÔC  qui  portent  avec 
eux  dans,  nos  maifons  une  fource  de  bon- 
heur 5c  d'abondance  ;  c'eft- à-dire ,  que  c'eft 
ici  ce  levain  de  charité  caché  dans  trois 
facs  de  farine,  qui  étend  ,  grolht  ;  5c  aug- 
mente toute  la  pâte.  Oui  ,  mes  Frères  ^ 
raumône  eftun  gdin  ;  c'eft  une  ufure  fainte; 
e'eft  un  bien  qui  rapporte  ici-bas  même  au 
centuple»  Vous  vous  plaignez  quelquefois 
du  coîitretems  de  vos  aftaîres  ;  rien  ne  vous 
réullvt;  les  hoftimcs  vous  trompent  ;:  vog; 
conçurrens  vous  fupplantent  ;  vos  m.aitres: 
yoMS  oublient  l  les  éiéiueins  vous  coatra-î- 


i6i  IV.  Dimanche  i>e  Carême, 
lient  ;  les  inefures  les  mieux  concertées 
échouent  :  ailociez-vous  les  pauvres  ;  par- 
tagez avec  eux  raccroiiTement  de  votre 
fortune  ;  augmentez  vos  largefTes  à  mefure 
que  votre  profpérité  augmente  ;  croiffez 
pour  eux  comme  pour  vous  :  alors  le  fuc- 
ۏs  de  vos  entreprifes  feraTafTiirede  Dieu 
même  ;  vous  aurez  trouvé  le  fecret  de  Tin- 
téreiler  dans  votre  fortune  ;  5c  il  préfer- 
vera  ,  que  dis-je?  il  bénira  ,  il  multipliera 
des  biens  ou  il  verra  mêlée  la  portion  de 
fes  membres  affligés. 

C'eft  une  vérité  confirmée  par  Texpé- 
TÎence  de  tous  les  fiécles  :  on  voit  tous  les 
jours  profpérer  des  familles  charitables  : 
une  Providence  attentive  préfide  à  leurs 
affaires  :  où  les  autres  fe  ruinent  y  elles 
s'enrichiflent  :  on  les  voit  croître  ^  6c  l'on 
ne  voit  pas  le  canal  fecret  qui  porte  chez 
elles  î'accroiiTement  :  ce  font  de  cestoifons 
de  Gédéon ,  toutes  couvertes  de  la  rofée 
du  Ciel  ;  tandis  que  tout  ce  qui  les  envi- 
ronne >  n'eft  que  ftérilité  &  féchêrefTe» 
Vous-même  qui  m'écoutez  ,  peut-être  que 
les  grands  biens  dont  vous  faites  aujour- 
d'hui un  ufage  fi  peu  chrétien  ^  peut-être 
que  les  titres  6c  les  dignités  >  dont  vous 
avez  hérité  en  nailTant,  font  les  fruits  delà 
charité  de  vos  ancêtres  :  peut-être  vous  re- 
cueillez les  bénédictions  promifes  à  la  m^ 
féricorde  ,  5c  vous  moiflbnnez  ce  qu'ils 
ont  femé  ;  peut-être  que  les  largeiFes  de  îa 
charité  ont  jette  les  premiers  fondemensdft 
f  otre  grandeur  &I0&  le  monde  ,  &  con^ 


Sur  l'  a  u  m  ô  n  e.  i6^ 

mencé  votre  généalogie  ;  peut-être  c'eft 
elles  du  moins  qui  ont  fait  pafTer  jufqu'» 
nous  les  titres  de  votre  origine. 

Car ,  je  vous  prie  ,  mes  Frcres ,  qui  a 
confervé  à  la  poilërité  la  defccndance  de 
tant  de  noms  illuftres  que  nous  refpeftons 
aujourd'ui,  fi  ce  ned  les  libéralités   que 
Jeuî-s  ancêtres  firent  autrefois  à  nos  Eglifes  ? 
C'eil  dans  les  aâes  de  cqs  pieufes  dona- 
tions ,  dont  nos  Temples  ont  été  dépofi- 
taires ,  6c  que  la  reconnoiiïance  feule  de 
l'Eglife,  6c  non  la  vanité  des  Fondateur»  a 
confervés  ,   qu'on  va  chercher   tous  les 
jours  les  plus  anciens  5c  les  plus  alTurés 
nionum.ens  de  leur  antiquité  ;  tous  les  au- 
tres titres  ont  péri  ;  tout  ce  que  la  vanité 
feule avoit  élevé  a  prefivetout  été  détruit; 
Iqs  révolutions  des  tems  ÔC  des  maifons  ont 
anéanti  ces  annales  domeftiques ,  où  étoit 
marquée  la  fuite  de  leurs  ayeux  ,  ôc   la 
gloire  de  leurs  alliances  ;  &,  vous  avez  per- 
mis ,  o  mon  Dieu  î  que  les  moiiumens  de 
la  miféricorde  fubfiftalTent  ;  que  ce  que  la 
charité  avoit  écrit  ne  fût  jamais  effacé ,  6c 
que  les  largcfTes  faintes  fuifent  les  feuls  ti- 
tres qui  nous  reftent ,  de  leur  ancienneté 
6c  de  leur  grandeur  devant  les  hom.mes, 
^  Tel  eft  le  premier  avantage  de  la  mifé- 
ricorde. Je  ne  dis  rien  du  plaifir   même 
qu'on  doit  fentir  àfoulager  ceux  qui  fouf. 
frent ,  à  faire  des  heureux  ,  à  régner  fur 
les  cœurs ,  à  s'attirer  l'innocent  tribut  de 
leurs  acclamations  6c  de  leurs  actions  de 
grâces.  Eh  1  quaad  il  ne  nous  reviendrok 


164  IV,  DlMAS'CHE  RE  GaREM^; 
que  le  feu]  plaifir  de  nos  largeiïes ,  ne  fe* 
Toient-elles  pas  alTez  payées  pour  un  boîi 
cœur  ^  5c  qu'a  de  plus  délicieux  la  maiedé 
même  du  Trône  ,  que  le  pouvoir  de  faire 
cîes  grâces  ?  les  Princes  feroient-ils  fort 
tauchés  de  leur  grandeur  ôc  de  leur  puif- 
lance,  s'ils  étoient  condamnés  à  en  joiiir 
tout  feuls  ?  Non  ,  mes  Frères ,  faites  fer- 
vir  tant  qu'il  vous  plaira  vos  biens  à  vos 
plaifirs ,  à  vos  profufions  ,  à  vos  capri- 
ces ;  vous  n'en  ferez  jamais  d'ufage  ,  qui 
vous  laiiTe  une  joyo  plus  pure  6c  plus  digne 
du  cœur  ,  qu'en  foulageant  des  malheu- 
reux. 

Quoi  de   plus  doux  en  effet  ,  que  de 
pouvoir  compter  qu'il  n'e/tpas  un  moment 
dans  la  journée  ,  où  des  âmes  afrligées  ne 
îéventpour  nous  les  mains  au  Ciel ,  5c  ne 
fcéniifent  le  jour  qui  nous  vit  naître  ?  Ecou- 
tez cette  multitude  que  Jefus-Chrift  vient. 
de  ralfafier  ;  les  airs   retentifTent  de'  leura 
bénédictions  8c  de  leurs  avions  de  grâce;, 
ils  s'écrient  que  c'eil  un  Prophète;  ils'veu* 
lent  rétablir  Roi  fur  eux.  Ah  !  fi  les  bornâ- 
mes fe  donuoient  des  m^aîtres  ,  ce  ne  fe- 
raient  ni  les  plus  nobles  ,  ni  les  plus  vaiî- 
lans  qu'ils   choifiroienf;    ce  feroient   les 
plus   miféricordieux  ,  les  plus  humains, 
Xes  plus  bienfaifans  ,  les  plus  tendres   * 
des  maîtres  qui  fuilent  en  même  -  t^ms 
leurs  pères. 

Enfin  ,  je  n'ajoute  pas  que  l'aumône: 
chrétienne  aide  à  expier  les  crimes  de  l'a- 


s  U  R     L'  A  U  M  ô  N  E.  iSi 

Voie  de  falut  que  la  Providence  vous  ait 
îTiénagée  ,  à  vous  qui  êtes  nésdanslaprof- 
péritc.  Siraumône  ne  pouvoit  pas  fervir  à 
racheter  nos  ofFenfes ,  nous  nous  en  plain- 
drions, dit  S.  Chryfoftôme  ;  nous  trouve- 
rions mauvais  que  Dieu  eût  ôté  aux  hom- 
mes un  moyen  fi  facile  de  fahit  :  du  m.oins 
dirions-nous  ,  fi  à  force  d'argent  on  pou^ 
voit  fe  faire  ouvrir  les  portes  du  Ciel  ,  ÔC 
acheter  de  tout  fon  bienla  gloire  des  Saints^ 
on  feroit  heureux.  Et  bien  ,  mon  Frère  ^ 
continue  S.  Cryfoftome,  profitez  de  ca 
privilège  puifqu'on  vous  l'accorde  ;  hâtez- 
vous  ,  avant  que  vos  richeffes  vous  échap- 
pent, de  les  mettre  en  dépôt  dans  le  feia 
des  pauvres  .  comme  le  prix  du  Royaume 
éternel  :  la  malice  des  hom.mes  vous  les  aUf 
roit  peut- être  enlevées;  vos  paillons  les  aur 
roient  peut-être  englouties  ;  les  révolu- 
tions de  la  fortune  les  auroient  peut- être  fait- 
pafTeren  d'autres  mains  ;  la  mort  du  moins 
vous  auroit  forcé  tôt  ou  tard  de  vous  en  fé- 
parer  :  ah  !  la  charité  {^uIq  hs  met  à  cou^ 
vert  de  tous  les  accidciis;.el4e  vous  en  rend 
éternellem.ent  polTeiTeur  ;  elle  les  m.et  en 
sûreté  dans  les  Tabernacles  éternels ,  ^ 
vous  donne  le  droit  d'en  aller  jouir  dans  le. 
fein  de  Dieu  mjéme. 

N'êtes -vous  pas  heureux  de  pouvoir 
vous  aiïïirer  l'entrée  du  ciel  par  des  moyens 
fi  faciles  ?  de  pouvoir ,  en  revêtant  ceux 
qui  font  nuds ,  effacer  du  livre  de  la  juflice 
divine  les  immodeilies ,  le  luxe ,  les  nu- 

«iUis  ^  k§L  iadéçoiGes  de  vos  gremieiei  au- 


î66  IV-  Dimanche  de  Carême; 
nées  ?  de  pouvoir ,  en  rafTafîaiit  ceux  qui 
ont  faim  ,  réparer  tant  de  Carêmes  mal  ob- 
fervés  ;  les  abftinenccs ,  dont  l'Eglife  vous 
fait  une  loi  ,  prefque  toujours  violées ,  6C 
toutes  les  ienmalités  de  votre  vie?  de  pou- 
voir enlîn  ,  en  mettant  l'innocence  à  cou- 
vert dans  des  aziles  de  miféricorde ,  faire 
oublier  à  Dieu  la  perte  de  tant  d'ames  ,  pour 
iqui  vous  avez  été  un  écuèil  5c  une  pierre 
de  fcandale  ?  Grand  Dieu  1  quelle  bonté 
pour  l'homme  ,  de  nous  faire  un  mérite 
d'une  vertu  qui  coûte  fi  peu  au  cœur  !  de 
nous  tenir  compte  des  fentimens  d'huma- 
nité dont  nous  ne  faurions  nous  dépouiller, 
qu'en  nous  dépouillant  de  la  nature  même  ! 
de  vouloir  accepter  pour  le  prix  du  Royau- 
me éternel  des  biens  fragiles  que  nous  te- 
nons de  votre  libéralité  ;  que  nous  n'au- 
rions pu  toujours  conferver  ;  6c  defquels  , 
après  un  ufage  court  5c  rapide  ,  il  auroit 
fallu  en£n  fe  féparer  !  cependant  la  miféri- 
corde eft  promile  à  celui  qui  l'aura  faite:  un 
pécheur  encore  fenfible  aux  calamités  de 
les  frères ,  ne  fera  pas  long-tems  infenfî- 
hle  aux  infpirations  du  Ciel  :  la  grâce  fe  ré- 
ferve  de  grands  droits  fur  une  ame  où  la 
charité  n'a  pas  encore  perdu  les  liens  ;  un 
bon  cœur  ne  fauroit  être  long-tems  un 
cœur  endurci  :  ce  fond  d'humanité  tout 
feul ,  qui  fait  qu'on  eft  touché  des  miféres 
d'autrui ,  eft  comme  une  préparation  de 
falut  oC  de  pénitence  ;  6c  la  converfîoii 
n*eft  jamais  défefpérée ,  tandis  que  la  cha-» 

fité  u'eft  pas  eûcgie  ét^iat^  Aimez  dom 


Sur  l'Aumône.  167 

les  pauvres  comme  vos  frères  ;  fecoiirez* 
les  comme  vos  enfans  ;  refpeftez-les  com- 
me Jefus-Chrift  lui-même,  afin  qu'il  vous 
dife  au  grand  jour  :  Venc^  ^  Us  bénis  de  Matû^ 
mcn  Pere  ,  pcj^ede^  le  Royaume  qui  vous^'}^* 
étolt  -préparé  \  parce  qu^  j  avoïs  faim  ^  C5» 
rous  m^ave^  rajjajlé  ;  féîois  malade ,  d» 
'yoiis  m^avei  foulage  :  car  ce  que  vous 
avei  fait  au  moindre  de  mes  ferviteurs  , 
vous  Vave:(  fait  à  moi-même,  C'eft  ce  que 
je  vous  fouhaite. 


/iinji  folt'ih 


,^^:x:>c::.c.:;.<9:g;; 


i^^^ 


SERMON 

POURLELUNDI 

DE     LA     QUATRIEME     SEMAINE 

DE  CAREME. 

Sur  la  Médifance. 

Ipfe  autem  Jlsus  non  çredebat  femetîp^ 
;fiim  eis^ 

MiîsJesxjs. m  fejïoît poiM  i  eux^lo^n^ 
s.  24, 

pf  'Et  OIENT  CQs  mêmes  Pha- 
rifîens  qui  venoient  de  décrier 
dans  refprit  du  peuple  la  con*-- 
duite  de  Jésus  -  CxHRIst  ,  ôC 
d'envenimer  Tinnocence  &  la 
falnteté  de  fes  paroles  ,  qui  font  iemblant 
de  croire  en  lui,  6c  de  fe  ranger  parmi  fes^ 
Difcipics.  Er  tel  eft ,  mes  Frères  ^  ie  carac- 
tère du  chtraé^eur  de  cacher  fous  les  de-- 
hors  de  l'eftime  ôi  les  douceurs  d-e  l'ami-- 

lié  3,  k  fid  £c  rameitume  da  la  médifance. 


Sur  la  Médisance-       160 

Or ,  quoique  ce  foit  ici  le  feul  vice  que 

nulle  circoiilhnce  ne  fauroit  jamais  excu- 

H  '  .^'^^  r^^^^  ^^^'^^^  ^^  ^^  P^"s  ingénieux 
a  fe  aeguifer  à  roi-même  ,  &  à  qui  le  mon- 
de 5C  la  pieté  font  aujourd'hui  plus  de  grâ- 
ce. Ce  n'elt  pas  que  le  caradère  du  médi- 
^lant  ne  ioit  odieux  devant  les  hommes  , 
comme^  il  cfl  abominable  aux  yeux  de 
Dieu  ,  félon  rexpreiïion  de  TE^prit-faint , 
mais  on  ne  comprend  dans  ce  nombre  que 

certains  médifans  d'une  malignité plusnoire 
&:  plus  groOiére  ,  qui  médiient  fans  art  ÔC 
fans  ménagement;  &  qui  avec  a/Tez  de  ma- 
lice  pour  cenfurer,  n'ont  pas  allez  de  cet 
efpnt  qu'il  faut  pour  plaire  :  or  ,  les  médi- 
lans  de  ce  caractère  font  plus  rares  ;  ÔC  fî 
Ion  n'ayoit  à  parier  qu'à  eux  ,  il  fuffiroit 
d  expoier  ici  ce  que  la  médifance  a  d'indi- 
gne de  la  raifon  &  de  la  religion  ,  6c  en 
mfp^rer  de  l'horreur  à  ceux  qui  s'en  recon- 
noillent  coupables. 

Mais  il  eft  une  autre  forte  de  médifans 
qiii  condamnent  ce  vice  ,  &  qui  fe  le  per- 
mettent ;  qui  déchirent  fans  égard  leurs 
treres ,  ÔC  qui  s'applaudiilent  encore  de 
leur  modération  ÔC  de  leur  réferve  ;  qui 
portent  le  trait  juf:îu'au  cœur  ;  mais ,  parce 
qu  il  eft  plus  brillant  6c  plus  affilé  ,  ne  vo- 
yent  pas  la  plaïe  qu'il  a  f^iite.  Or ,  ce  genre 
de  medifant  eft  répandu  par- tout;  le  monde 
en  eit  plein  ;  les  aziles  faints  nen  font  pas 
exemts  :  ce  vice  Uq  ks  affemblées  des  pé- 
cheurs;  il  entre  fouvent  dans  la  fociété  mê- 
me des  Jufies  :  6C  l'on  peut  dire  ici  que 

Carême.   Tcmc  /.  P 


tyô   Lundi  de  la  IV.  SexMainë. 

tous  fe  font  écartés  du  droit  fentier  ,  S 
qu'il  n'eu  eil  pas  un  leul  qui  ait  confervé  fà 
langue  pure  5c  fes  lèvres  innocentes. 

Il  importe  donc  ,  mes  Frères ,  de  déve- 
lopper aujourd'hui  Tillufion  des  prétextes 
dont  on  fe  fert  tous  les  jours  dans  le  mon- 
de pour  jiiftifier  ce  vice,  ÔC  de  l'attaquer 
dans  les  circonlîances  où  vous  le  croyez  le 
plus  innocent  :  car  de  vous  le  dépeindre  en 
général  avec  tout  ce  qu'il  a  de  bas  ,  de 
cruel ,  d'irréparable  ,  vous  ne  vous  recon- 
noitriez  point  à  des  traits  il  odieux?  6>C  loin 
de  vous  en  infpirer  de  l'horreur  ,  je  vous 
aiderois  à  vous  perfuader  à  vous-mêmes 
que  vous  n'en  êtes  pas  coupables. 

Or  ,  quels  font  les  prétextes  qui  adou- 
cilTcnt ,  ou  qui  judiifient  à  vos  yeux  le  vice 
de  la  médiiance  ?  C'eft  premièrement  la  lé- 
gèreté des  défauts  que  vous  cenfurez  :  on 
le  periiiade  que  comme  ce  n'eft  pas  une  af- 
faire d'en  être  coupable,  il  n'yapasaufîî 
grand  mal  d'e4i  être  cenfeur.  C'eil  en  fé- 
cond lieu  îa  notoriété  publique ,  qui  ayant 
déjà  instruit  ceux  qui  nous  écoutent  de  ce 
qu'il  y  a  de  répréhenfible  dans  notre  frère , 
fait  que  fa  réputation  ne  perd  rien  par  nos 
dilcours.  Enfin  le  zèle  de  la  vérité  6c  de 
la  gloire  de  Dieu ,  que  ne  nous  permet  pas 
de  nous  taire  fur  les  déréglemens  qui  le 
déshonorent.  Cr  ,  oppofons  à  ces  trois 
prétextes  trois  vérités  inconteftables.  Au 
prétexte  de  la  légèreté  des  défauts  s  qiie 
plus  les  défauts  que  vous  cenfurez  font  lé- 
gers ,  plus  la  médifance  cil  injuilc  :  pré*. 


Sur  la  Medisancie.  .  171 
IViîéré  vérité.  Au  prétexte  de  la  notoriété 
publique  ;  que  plus  les  défauts  de  nos  frè- 
res font  connus ,  plus  la  médiiance  qui  les 
Cenfure  eft  cruelle:  féconde  vérité.  Au  pré- 
texte du  zèle  ;  que  la  même  charité  qui 
nous  fait  hai'r  faintement  les  pécheurs  , 
nous  fait  couvrir  la  m.uititude  de  leurs  fau- 
tes :  dernière  vérité.  Implorons ,  5(.c.  Avx  ^ 

X-jA  langue  ,  dit  un  Apôtre,  eft  un  feu  Partie. 
dévorant;  un  monde  6c  un  aflemblage  d'i- 
niquité ;  un  mal  inquiet;  une  fource  pleine 
d'un  venin  rportel  :  Lingiia  Ignis  e/l  ;  uni'  ^^'^o^-  »• 
verjïtas  ïniquitatis  ;  inquiQtum  maluni  ;  jsh^  '  * 
fia  yeneno  rnortijero.  Et  voilà  ce  que  j'appli- 
querois  à  la  langue  du  médifiint,  fi  j'avois 
entrepris  de  vous  donner  une  idée  juile  ÔC 
naturelle  de  toute  l'énormité  de  ce  vice  :  je 
vous  aiirois  dit  que  la  langue  du  détracteur 
eu.  unieu  dévorant,  qui  flétrit  tout  ce  qu'il 
touche  ;  qui  exerce  fa  fureur  fur  le  bon 
'grain  ,  comipe  fur  la  paille ,  fur  le  profanç 
c;ombe  fur  lefacré  ;  qui  ne  laiile  partout 
où  ila  palIé,,  que  îa  ruine  ?k  la  défolation  ; 
qui  creufe  ju'fques  dans  les  entrailles  de  la 
terre  ,  5c  va  s'attacher  aux  chofes  les  plus 
cachées;  qui  change  en  de  .viles  cendres ^ 
?^^:fflV  "°H-  ^^^iî  P^ru  il  n'y' a  qu^ui  mo- 
îîxeatfî  précieux  Sc  fi  brillant  ;  quTdansIe 
iems^hiênië  qu'il  paroit  couvert  6c  prefque 
/éteint*,  agit  avec  plus'de  ylolence  Sc  de 
Hangçr  que  jamais  ;  ^qui  noircit  ci^qu'il  ne 
peut  confumer;  &  qui  fait  plaire  Sc  briller 


i7i     Lundi  de  la  IV.  Semaine. 

quelquefois  avant  que  de  nuire  :  LingU/t 
ignis  ejî.  Je  vous  aurois  dit  que  la  Médi- 
fance  eft  un  affemblage  d'iniquités  :  un  or- 
gueil fecret  qui  nous  découvre  la  paille 
dans  Toeil  de  notre  frère  ,  6c  nous  cache 
la  poutre  qui  eft  dans  le  nôtre  :  une  envie 
baife  ,  qui  bleiTée  des  talens  ou  de  la  prof- 
périté  d'autrui  ,  en  fait  le  fujet  de  fa  cen- 
lure  ,  5c  s'étudie  à  obfcurcir  Téclat  de  tout 
ce  qui  relface  :  une  haine  déguiféc  ,  qui  ré- 
pand fur  fes  paroles  J'amertumecachée  dans 
le  cœur  :  uiïe  duplicité  indigne ,  qui  loue 
en  face  ôc  déchire  en  fecret:  une  légèreté 
honteufe ,  qui  ne  fait  pas  fe  vaincre  ÔC  fe 
retenir  fur  un  mot ,  5c  qui  facrîHe  fouvent 
fa  fortune  Sc  fon  repos ,  à  l'imprudence 
d'une  cenfure  qui  fait  plaire  :  une  barbare 
de  fang  froid  ,  qui  va  percer  votre  frère 
abfent  :  uri  fcandale  ,  où  vous  êtes  un  fiijet 
de  chute  5c  de  péché  à  ceux  qui  vous 
écoutent  :  une  injuflice  ,  où  vous  raviflez  à 
votre  frefe  ce  qu'il  a  de  plus  cher:  Lingua 
vniverjïtas  ini^^uitatls.  Je  vous  aurois  dit 
que  la  médifance  eft  un  mal  inquiet ,  qui 
trouble  la  fcciété  ;  qui  jette  la  dilTenfioii 
dans  les  Cours  6c  dans  les  villes  ;  qui  défu- 
îiît  les  amitiés  les  plus  étroites  j  qui  eft  la 
fource  des  haines  5c  des  vengeances  ;  qui 
remplit  tous  les  lieux  où  elle  entre  de  dé* 
fordre  8i*de  confufion  y  par  tout  enneinlè 
de  la  paix,  de  la  douceur,,  de  la  politeffê 
chrétienne:  Li/i^w^  inqnletum  malurn»^n^it 
î'aurois  ajouté  que  c'eft  une  fource  pleine 
d'un  veuiu  niond  ',  que  tout  ce  qui  en  part 


Sur  la  Médisance.  175 
eft  infe6lé ,  5c  infedle  tout  ce  qui  renviron- 
11e  ;  que  fes  louanges  mêmes  font  empoi- 
fonnées  ;  fes  applaudilTemens  malins  ;  fou 
filence  criminel  ;  que  fes  geftes ,  fes  mouve- 
mens  ,  fes  regards  ;  que  tout  à  fon  poifon  , 
6c  le  répand  à  fa  manière  ;  Lingua  plena. 
yeneno  mortifero» 

Voilà  ce  que  j'aurois  dû  vous  dévelop- 
per plus  au  long  dans  tout  ce  difcours ,  fi  je 
ne  m'étois  propofé  que  de  vous  peindre 
toute  riiorreur  du  vice  que  je  vais  com- 
battre :  mais  je  Tai  déjà  dit  ;  ce  font  là  de 
ces  inveftives  publiques  ,  que  perfonne  ne 
prend  pour  foi.  Plus  nous  repréfentons  le 
vice  odieux  ,  moins  on  s'y  rcconnoit  foi- 
même  :  ÔC  quoiqu'on  convienne  du  prin- 
cipe ,  on  n'en  fait  aucun  ufage  pour  fe,? 
mœurs;  parce  qu'on  trouve  toujours  dans 
ces  peintures  générales,  des  traits  qui  ne 
nous  reflem.blent  pas.  Je  veux  doîic  me 
borner  ici  à  vous  faire  fentir  toute  l'injufticc 
de  ce  qui  vous  paroît  le  plus  innocent  dans 
la  médifance  :  5c  de  peur  que  vous  ne  vous 
méconnoi/Iiez  à  ce  que  nous  en  dirons  ,  ne 
l'attaquer  que  dans  les  prétextes  dont  vous 
vous  fervez  tous  les  jours  pour  la  juflifier. 

Or ,  le  premier  prétexte  ,  qui  auîorife 
dans  le  monde  prefque  toutes  les  médifan- 
ces ,  6C  qui  fait  que  nos  entretiens  ne  font 
plus  que  d^s  cenfures  éternelles  de  nos  frè- 
res ,  c'eft  la  légèreté  orétendue  des  vices 
que  nous  cenfurons.  On  ne  voudroit  pas 
perdre  un  homme  de  réputation  ,  ÔC  ruïner 
fa  fortune ,  en  le  déshonorant  dans  le  mon- 

P3 


1.74-  Lundi  de  la  IV.  Semaine, 
de  ;  flétir  une  feaime  fur  le  fonds  de  fa 
conduite  ,  6c  en  venir  à  des  points  eifen- 
tielss  cela  feroit  trop  noir  5c  trop  groilier  : 
mais  fur  mille  défauts  qui  conduiient  nos 
jugemens  aies  croire  coupables  de  tout  le 
tcIIq  y  mais  de  jetter  dans  Tefprit  de  ceux 
qui  nous  écoutent ,  mille  foupçons  qui  laif- 
fent  entrevoir  ce  qu'on  n'oferoit  dire  ;  mais 
de  faire  des  remarques  fatyriques  qui  dé- 
couvrent du  myftère  où  perfonne  n'en, 
voyoit  auparavant  ;  mais  de  donner  du  ri- 
dicule ,  par  des  interprétations  empoifon- 
nées ,  à  des  manières  qui  jufques  là  n'a- 
voient  pas  réveillé  Tattention  ;  mais  de  laif- 
fer  tout  entendre  fur  certains  points  ,  en 
proteftant  qu'on  n'y  entend  pas  finelfe  foi- 
inême  ,  c'eft  de  quoi  le  monde  fait  peu  de 
fcrupule  ;  6<:  quoique  les  motifs  ,  les  cir- 
coiiftances ,  les  fuites  de  ces  difcours  foient 
très-criminelles,  la  gaité  en  excufe  la  ma- 
lignité auprès  de  ceux  qui  nous  écoutent,. 
èc  nous  en  cache  le  crime  à  nous-mêmes. 
Je  dis  premièrement  les  motifs.  Je  fais 
que  c'eft  par  l'innocence  de  l'intention  fur- 
tout ,  qu'on  fe  i^ûifie;  que  vous  nous  di- 
tes tous  les  jours  ^  que  votre  delTein  n'eft 
pa?  de  flétrir  la  réputation  de  votre  frère  ,. 
inais  de  vous  réjoiiir  innocemment  lur  des 
défauts  qui  ne  le  déshonorent  pas  dans  le 
monde.  Vous  réjouir  de  fes  défauts  ,  mon 
cher  Auditeur  !  Mais  quelle  eil  cette  je  12 
cruelle  qui  porte  la  trifteffe  6c  famertume 
dans  le  cœur  de  votre  frère  ?  mais  où  eft 
l'innocence  d'un  plaifir  ,  lequel  prend  fa 


Sur  LA  Médisance.  175 
iburce  dans  des  vices ,  qui  devroient  vous 
iafpirer  de  la  compailioii  5c  de  ia  douleur  ? 
mais  il  Jefus-Chrifl  nous  défend  dans 
TEvangile  d  amufer  l'ennui  des  converfa- 
tions  par  des  paroles  oifeufes ,  vous  fera- 
t'il  plus  permis  de  Tégayer  par  des  déridons 
6c  dQs  cenlures  ?  mais  i\  la  loi  maudit  celui 
qui  découvre  la  honte  de  fes  proches ,  ferez- 
vous  plus  à  couvert  de  la  malédiélion  ,  vous 
qui  ajoutez  à  cette  découverte  y  la  raillerie 
&  riîi fuite  ?  mais  il  celui  qui  appelle  fou 
frerc  d'un  terme  de  mépris ,  eft  digne ,  feloa 
Jefas-Chrift  ,  d'une  punition  éternelle  ; 
celui  qui  le  rend  le  mépris  ÔC  le  jouet  d'une 
alTemblée  profane  ,  évitera-t'il  le  même 
fupplice  ?  vous  réjouir  de  fes  défauts  !  Mais 
la  charité  fe  rejouit-elle  du  mal  ?  mais  eft- 
ce-là  fe  réjouir  dans  le  Seigneur  ^  çomiP.^ 
l'ordonne  l'Apôtre  ?  mais  fi  vous  aimez  vô- 
tre frère  comme  vous-même  ,  pouvez- 
vous  vous  rejouir  de  ce  qui  l'afflige  ?  Ah  I 
TEglifeavoit  horreur  autrefois  des  fpefla- 
clés  des  gladiateurs,  ÔC  ne  croyoït  pas  que 
des  fidèles  élevés  dans  la  douceur  &C  dans 
la  bénignité  de  Jefus-Chrifi:  pulTent  inno- 
cemment repaitre  leurs  yeux  du  fang  5c  de 
la  mort  de  ces  infortunés  efclaves  ,  5c  fe 
faire  un  délaflement  innocent  d'un  plaiflr  fi 
inhumain. Mais  vous  renouveliez  vous  mê- 
mes des  fpeâacles  plus  odieux  pour  égayer 
votre  ennui":  vous  amenez  fur  la  fcène  , 
non  plus  des  fcélérats  deftinés  à  la  mort , 
mais  des  membres  de  Jefus-Chrift  ,  vos 
,    frères;  5c  là  vous  réjouiilez  les  fpeûateurs, 

P4 


I 


ï7<5    LuKDi  DE  LA  IV.  Semaine. 

des  plaies  que  vous  faites  à  leur  perfonne 

conlacrée  par  le  batême  ! 

Faut- il  donc  qu'il  en  coûtcà  votre  frère 
pour  vous  réjouir  ?  ne  fauriez- vous  trouver 
ce  joie  dans  vos  entretiens  ,  s'il  ne  fournit 
pour  afnfi  dire,  Ton  propre  fang  à  vos  plai- 
îirs  injuftes  ?  Eninez-voiis  les  uns  les  autres, 
dit  S.  Paul ,  par  des  paroles  de  paix  6c  de 
charité,  racontez  les  merveilles  de  Dieu 
fur  les  Juftes ,  i'hiftoire  de  fes  miféricordes 
fur  les  pécheurs  :  rappeliez  les  vertus  de 
ceux  qui  nous  ont  précédés  avec  le  ligne  de 
la  foi  :  faites  vous  un  faint  delà ile ment  du 
récit  des  pieux  exemples  de  vos  frères  avec 
qui  vous  vivez  :  parlez  avec  une  joie  reli- 
gieufe  des  victoires  de  la  foi  ;  de  Faggran- 
diiTement  du  régne  de   Jefus-Chriit  ;  de 
l'établifTement  de  la  vérité  ;  de  Textintlion 
des  erreurs  ;  des  grâces  que  Jefus-Chrift 
fait  à  Çon  Eglife  ,  en  lui  fufcitant  des  Paf- 
teurs  fidèles  ,  des  Docteurs  éclairés  ,  des 
Princes  religieux  ;  animez-vous  à  la  vertu 
par  la  vue  du  peu  de  folidité  du  monde  , 
du  vuide  de  fes  plaifirs ,  5c  de  la  mifére  des 
pécheurs  qui  fe  livrent  à  leurs  pafilons  dé- 
réglées. Efl-ce  que  ces  grands  objets  ne  font 
pas  dignes  de  la  jo'"e  des  Chrétiens  ?  c'eft 
ainfî  pourtant  que  les  premiers  Fidèles  fe 
réiouiffoient  dans  le  Seigneur,  5c  faifoient 
de  la  douceur  de  leurs  entretiens,  une  des 
plus  faintes  coTifolations  de  leurs  calamités 
temporelles.  C'eil  notre  cœur  ,  mes  Fie- 
res  ,  qui  décide  de  nos  plaiiirs  :  lui  cœur 
corrompu  ne  trouve  de  joie  que  dans  tout 


Sur  la  Médisance.       177 

ce  qui  lui  rappelle  Timage  de  fes  vices  :  les 
joies  innocentes  ne  conviennent  qu'à  la 
vertu. 

En  effet ,  vous  excufez  la  malignité  de 
vos  cenlures  fur  l'innocence  de  vos  inten- 
tions. Mais  approfondiiTons  le  fecret  de 
votre  cœur  :  d'où  vient  que  vos  cenfures 
portent  toujours  fur  cette  perfonne  ,  6c  que 
vous  ne  vousdélaffez  jamais  plus  agréable- 
ment 5C  avec  plus  d'efprit  ,  que  lorfque 
vous  rappeliez  fes  défauts  ?  ne  feroit-ce 
point  une  jaloufie  fecrctte  ?  fes  talens ,  fa 
fortune  ,  fa  faveur,  fon  pofte  ,  fa  réputa- 
tion ,  ne  vous  blelferoient-ils  pas  encore 
plus  que  fes  défauts  ?  le  trouveriez-i^ous  fi 
digne  de  cenfure  ,  s'il  avoit  moins  de  qua- 
lités qui  le  miCttent  au  dellus  de  vous  ?  fe- 
riez-vous  fi  aife  de  faire  remarquer  fes  en- 
droits foibles  ,  fi  tout  le  monde  ne  lui  en 
trouvoit  pas  de  fort  avantageux  ?  Saùl  au- 
roit-il  redit  fi  fouventavec  tant  de  complai- 
fance ,  que  David  n'étoit  que  le  fils  d'Ifaï, 
s'il  ne  l'eût  regardé  comme  un  concurrent 
plus  digne  que  lui  de  l'Empire  ?  D'où  vient 
que  les  défauts  de  tout  autre  vous  trouvent 
plus  indulgent  ?  qu'ailleurs  vous  excufez 
tout  ;  ÔC  qu'ici  tout  s'envenime  dans  votre 
bouche  ?  Allez  à  la  fource  ;  n'y  a-t'il  pas 
quelque  racine  fecrette  d'amertume  dans 
votre  cœur  ;  6c  pouvez-vous  juftifier  par 
l'innocence  de  vos  intentions ,  des  difcours 
qui  partent  d'un  principe  fi  corrompu  ? 
Vous  nous  afl'urez  que  ce  n'efi  ni  haine  ni 
jaloufie  contre  votre  frère  ;   je  le  veux  : 


îyS  Lundi  de  la  IV.  Semiane. 
mais  n'y  aiiroit-il  pas  peut-être  dans  vos 
fatyres  des  motifs  encore  plus  bas  oC  plus 
honteux  ?  n'aifeélez-vous  pas  de  cenfurer 
votre  frère  devant  un  Grand  qui  ne  Taime 
pas  ?  ne  voulez-vous  pas  faire  votre  cour  , 
&  vous  rendre  agréable  ,  en  rendant  vo- 
tre frère  un  objet  de  rifée  ou  de  mépris  ? 
ne  facrifîez-vous  pas  fa  réputation  à  votre 
fortune  ?  6c  ne  cherchez- vous  p<is  à  plaire  , 
en  donnant  du  ridicule  à  un  hompe  qui 
ne  plait  pas  ?  Les  Cours  font  (i  remplies  de 
ces  fatyres  d'adulation  bi  de  bas  intérêts  ! 
Les  Grands  font  à  plaindre  dès  qu'ils  fe 
livrent  à  des  averfions  injuftes  :  on  a  bien- 
tôt trouvé  des  vices  dans  la  vertu  même 
qui  leur  déplaît. 

Mais  ennn  ,  vous  ne  vous  fentez  point 
coupable  ,  dites-vous  ,  de  tous  ces  lâcheâ 
motifs  ;  5C  s'il  vous  arrive  quelquefois  de 
médire  de  vos  frères ,  c'cft  en  vous  pure 
indifcrétion  6c  légèreté  de  langue.  Mais 
cft-ce  donc  par-là  que  vous  vous  croyez 
plus  innocent  ?  la  légèreté  ÔC  Tindifcrétion  ; 
ce  vice  fr  indigne  de  la  gravité  du  Chré- 
tien ,  fi  éloigné  du  férieux  5c  de  la  folidité 
de  la  foi ,  fi  fouvent  condamné  dans  les 
Livres  faints ,  peut-il  juilifier  un  autre  vice? 
Eh  I  qu'importe  à  votre  frère  que  vous  dé- 
chirez ,  que  ce  foit  en  vous  indifcrétion  ou 
malice?  un  dard  décoché  imprudemment, 
fait-il  une  plaie  moins  dangereufe  5c  moins 
profonde  que  celui  qu'on  a  tiré  à  deifein? 
le  coup  mortel  que  vous  portez  à  votre 
frère,  eftil  plus  léger,  parce  que  c'eft 


Sur  la  Médisance.       ij^ 

rimprudence  5c  la  légèreté  qui  l'ont  lancé? 
5c  que  fait  Tintention  de  Tintention  où 
l'aftion  eft  un  crime  ?  mais  d'ailleurs ,  n'en 
efl-ce  pas  un  ,  d'être  capable  d'indifcré- 
tion  fur  la  réputation  de  vos  frères  ?  y  a-t'iî 
rien  qui  demande  plusdecirconfpeftion  6C 
de  prudence  ?  tous  les  dev^oirs  du  Chriftia- 
nifme  ne  font-ils  pas  renfermés  dans  celui 
de  la  Charité  r  n'eft-ce  pas-là  ,  pour  ainiî 
dire  ,  toute  la  Religion  ;  ÔC  n'être  pas  ca^ 
pable  d'attention  ilir  un  point  aulîi  elTen- 
tiel ,  n'elt-ce  pas  regarder  comme  un  jeu 
tout  le  reile  ?  Ah  !  c'efl  ici  où  il  faut  met- 
tre une  garde  àc  circonfpe<El:ion  fur  fa  lan- 
gue ;  peler  toutes  les  paroles  ,  les  lier 
dans  fon  cœur  ,  comme  dit  le  Sage  ,  &C 
\zs  laifTer  mûrir  dans  fa  bouche.  Vous 
échappe  t'il  jamais  de  ces  difcours  indif-  Ece.  tf^ 
crets  contre  vous-même?  manquez-vous -^' -*3*. 
quelquefois  d'attention  fur  ce  qui  intéreffe- 
\'otrc  honneur  6c  votre  gloire  f  Quels 
foins  infatigables  !  quelles  mefures  1  qu'elle 
induftrie  î  dans  quel  détail  vous  voit-oa 
defcendre  pour  la  ménager  ÔC  l'accroître  ? 
S'il  vous  arrive  de  vous  blam.er  c'efl  tou- 
jours avec  des  circonflances  qui  font  vôtre 
éloge:  vous  ne  cenfurez  en  vous  que  des 
défauts  qui  vous  font  honneur  ;  6c  en 
avouant  vos  vices  ,  vous  ne  voulez  que 
raconter  vos  vertus  ;  l'amour  de  vous- 
même  ramène  tout  à  vous.  Aimez  votre 
frère  comme  vous  vous  aimez  ,  5c  tout 
vous  ramènera  à  lui;  ÔC  vous  ferez  inca- 
pable d'indifcrétion  fur  fes  intérêts,    ÔC' 


ïSo      Lundi  de  la  IV.  Semaikf. 
vous  n'aurez  plus  hefoin  de  nos  inftni8:ions 
fur  ce  que  vous  devez  à  fa  réputation  ÔC  à 
fa  gloire. 

Mais  fi  ces  médiiances  que  vous  appel- 
iez légères,  font  criminelles  dans  leurs  mo- 
tifs ,  elles  ne  le  font  pas  moins  dans  leurs 
circonftances. 

Je  pourrois  d'abord  vous  faire  remar- 
quer que  le  monde  familiarifé  avec  le  cri- 
me ;  &C  qui  à  force  de  voir  les  vices  les 
plus  crians  devenus  les  vices  de  la  multi- 
tude ,  n'en  eft  prefque  plus  touché  ;  appela 
lé  légères  les  médiiances  qui  roulent  lur 
les  foiblefTes  les  plus  criminelles  5C  les  plus 
honteufes  :  les  foupçons  d'infidélité  dans  le 
lien  facré  du  mariage ,  ne  font  plus  un  dé- 
cri  formel  ^  une  flétrilTure  elTentielle  ;  ce 
font  des  difcours  de  dérifion  6c  de  plai- 
fanterie  :  accufer  un  courtifan  de  perfidie 
b(,  de  mauvaife  foi ,  ce  n'efl  plus  attaquer 
fon  honneur  ,  c'efl  donner  du  ridicule  aux 
proteflationsdefîncérité  dont  il  nous  amu- 
îe  :  rendre  fufpefte  d'hypocrifie  la  piété  la 
plus  fîncère  ,  ce  n'efl  pas  outrager  Dieu 
dans  fes  Saints  ,  c'efl  un  langage  de  déri- 
fion que  l'ufage  a  rendu  commun  :  en  un 
mot ,  hors  les  crimes  que  l'autorité  publi- 
que punit,  6c  qui  nous  attirent,  ou  la  dif- 
grace  du  maître,  ou  la  perte  dss  biens  6c 
de  la  fortune  ;  tout  le  refle  paroit  léger  , 
5c  devient  le  fujet  ordinaire  des  entretiens 
&  des  cenfures  publiques. 

Mais  ne  pouffons  pas  plus  loin  cette  ré- 
flexion. Je  veux  que  les  défauts  que  vous 


Sur  la  Médisance.  i8î 
publiez  de  votre  frère  foient  légers  :  plus 
ils  font  légers  ,  plus  vous  êtes  injulle  de 
les  relever ,  plus  il  mérite  que  vous  ufiez 
d'indulgence  à  fon  égard  :  plus  il  faut  fup- 
pofer  en  vous  une  malignité  d'attention  à 
qui  rien  n'échappe  ;  une  dureté  de  naturel , 
qui  ne  fauroit  rien  excufer.  Si  les  défauts 
de  votre  frère  étoient  elTentiels  ,  vous  l'é- 
pargneriez ;  vous  le  trouveriez  digne  de 
votre  indulgence  ;  la  politelTe  Sc  la  reli- 
gion vous  feroient  un  devoir  de  vous  taire  : 
eh  !  quoi  ?  parce  qu'il  n'a  que  de  légères 
foibielTes ,  vous  le  trouverez  moins  digne 
de  vos  égards  ?  ce  qui  devroit  vous  le  ren- 
dre refpeâ:able,  vous  autorife  à  le  décrier? 
N'êtes-vous  pas  devenu  au-dedans  de  vous, 
dit  l'Apôtre  ,  un  juge  de  penfées  injuftes? 
ÔC  votre  œil  n  e(t-il  donc  méchant  ,  que 
parce  que  votre  frère  ell:  bon  ? 

D'ailleurs ,  les  défauts  qu.e  vous  cenfu- 
rez  font  légers  :  mais  en  auriez-vous  la 
m,^me  idée  ,  Ci  l'on  vous  les  reprochoit  à 
vous-même  ?  Quand  il  vous  eft  revenu  cer- 
tains difcours  tenus  en  votre  abfence  ,  iei- 
quels  ,  à  la  vérité,  n'attaquoient  pas  eilen- 
tiellement  votre  honneur  5c  votre  probité  ; 
mais  qui  répandoient  dans  le  public  quel- 
ques-unes de  vos  foibleiTes  ,  quelles  ont 
été  vos  difpofîtions  ?  Mon  Dieu  !  c'efl  alors 
que  l'on  groïTit  tout  ;  que  tout  nous  paroît 
elTentiel  ;  que  peu  content  d'exagérer  Ja 
malice  des  paroks  ,  on  fouille  dans  le  fe- 
cretde  l'intention,  ôC  qu'on  veut  trouver 
des  motifs  encore  plus  odieux  que  les  dif- 


t?2  Lundi  h'e  la  IV.  Semaine. 
cours  mêmes.  O  a  beau  nous  dire  alorf 
que  ce  font-là  des  reproches  qui  n'intéref- 
ftnt  pas  l'efTentiel ,  &  qui  au  fond  ne  fau- 
roieiit  nous  faire  tort  :  on  croit  avoir  été 
infulté  ;  on  en  parle  ;  on  s'en  plaint  ;  on 
éclate;  on  n'eil  plus  maître  de  fon  reiTen- 
timent;  5c  tandis  que  tout  le  monde  blâme 
Texcèsde  notre  fenfîbilité,  feuls  nous  nous 
obiîinons  à  croire  que  l'affaire  eu.  férieufe, 
^  que  notre  honneur  y  eil  intérelTé.  Ser- 
vez-vous donc  de  cette  régie  dans  les  dé- 
fauts que  vous  publiez  de  votre  frère:  ap- 
pliquez-vous l'offenfe  à  vous-niême:  tout 
ed  léger  contre  lui  ;  5c  fur  ce  qui  vous 
touche ,  tout  paroît  eflentiel  à  votre  or- 
gueil ,  6c  digne  de  vengeance. 

Enfin ,  les  vices  que  vous  cenfurez  font 
légers  ,  mais  n'y  ajoutez-vous  rien  du  vô- 
tre ?  les  donnez- vous  pour  ce  qu'ils  font? 
ne  mêlez-vous  pas  au  récit  que  vous  en 
faites  la  malignité  de  vos  conjeâures  ? 
ne  les  mettez-vous  pas,  en  un  certain  point 
de  vue,  qui  les  tire  de  leur  état  naturel  ? 
n'embellillez  vous  pas  votre  hiftoire  ?  8c 
pour  faire  un  héros  ridicule  qui  plaife,"  ne 
le  faites-vous  pastel  qu'on  le  fouhaite  ,  5c' 
non  pas  tel  qu'il  eft  en  effet  ?  ffaccompa- 
gnez-vous  pas  vos  difcours  de  certains 
geftes  qui  laiffent  tout  entendre  ?  de.  cer- 
taines expreffions  qui  ouvrent  l'efprit  de 
ceux  qui  vous  écoutent  à  mille  foupçons 
téméraires  ôc  flétriffans?  de  certain  (ilençe 
même  qui  donne  plus  à  penfer  que  tout 
ce  que  vous  auriez  pu  dire  ?  Car  »  qu'il  etf 


Sur  la  Médisance.       li^ 

difficile  de  fe  tenir  dans  les  bornes  de  la 
vérité  ,  quand  on  n'eft  plus  dans  celles  de 
la  charité  !  plus  ce  qu'on  cenfure  ell  léger , 
plus  l'impoihire  eft  à  craindre  :  il  faut  em- 
bellir pour  fe  faire  écouter  ;  5c  Ton  de- 
vient calomniateur ,  oùronn'avoitpascru 
jnéme  être  médifant. 

Voilà  les  circonftances  qui  vous  regar- 
dent ;  mais  fi  à  cet  égard  les  médifances 
que  vous  croyez  légères  font  très-crimi- 
nelles ,  le  feront-elle  moins  par  rapport 
aux  perfonnes  qu'elles  attaquent? 

Premièrement ,  elle  eft  peut-être  d\m 
fexe  ,  où  fur  certains  points  principale- 
ment ,  les  tâches  les  plus  légères  font  ef- 
fentielles;  où  tout  bruit  eft  un  déshonneur 
public  ;  où  toute  raillerie  eft  un  outrage  ; 
où  tout  foupçon  eft  une  accufation  en  un 
mot,  où  n'être  pas  loiié  ,  eft  prefque  uu  af- 
front 5c  une  infamie.  AulFi  S.  Paul  veut 
que  les  femmes  chrétiennes  foient  ornées 
cie  pudeur  ÔC  de  modellie  ;  c'eft-à-dire  ,  il 
veut  que  ces  vertus  ibient  auHl  vifibles  en 
elles ,  que  les  ornemens  qui  les  couvrent  ; 
6c  le  plus  bel  éloge  que  TEfprit  faint  falTe 
de  Judith,  après  aroir  parlé  de  fa  beauté  , 
de  fa  jeuneffe  ^  de  fes  grands  biens ,  eft 
qu'il  ne  s'étoit  jamais  trouvé  perfonne  dans 
tout  Ifraèl  qui  eût  mal  parlé  de  fa  con- 
duite ;  ÔC  que  fa  réputation  répondoit  à  fa 
vertu. 

Secondement  ,  vos  cenfures  s'en  pren- 
nent peut-être  à  vos  maîtres  ;  à  ceux  que 
la  Providence  4  établis  fur  vos  têtes ,  H 


ïÏ4  Lundi  de  la  IV.  Semaine. 
aufquels  la  Loi  de  Dieu  vous  ordonne 
de  rendre  le  refpeâ:  6c  la  foumifllon  qui 
leur  eft  due.  Car  l'orgueil  qui  n'aime  pas 
la  dépendance  ,  fe  dédommage  toujours  en 
trouvant  des  foibleffes  Sv  des  défauts  dans 
ceux  aufquels  il  eft  forcé  d'obéir  :  plus  ils 
font  élevés ,  plus  ils  font  expofés  à  nos  cen- 
fures  ;  la  malignité  même  efl  bien  plus 
éclairée  à  leur  égard:  o  i  ne  leur  pardonne 
rien  :  ceux  quelquefois  qui  font  les  plus 
accablés  de  leurs  bienfaits ,  ou  les  plus  ho- 
norés de  leur  familiarité  ,  font  ceux  qui 
publient  avec  plus  de  témérité  leurs  im- 
perfections 6c  leurs  vices  ;  ÔC  outre  le 
devoir  facré  du  refpeâ:  qu'on  viole  ,  on  fe 
rend  encore  coupable  du  crime  lâche  ÔC 
honteux  de  l'ingratitude. 

Troifiémement ,  c'eft  peut-être  une  per- 
fonne  conficrée  à  Dieu  ;  établie  en  dignité 
dans  TEglife,  que  vous  cenfjrez  ;  laquelle 
engagée  par  la  fainteté  de  fon  état  à  des 
mœurs  plus  irrépréhenfibles  ,  plus  exem- 
plaires 6c  plus  pures  ,  fe  trouve  déshono- 
rée Se  flétrie  par  des  cenfures ,  qui  ne  fe- 
roient  pas  le  m.ême  tort  à  des  perfonnes 
engagées  dans  le  monde.  Aufli  le  Seigneur, 
dans  l'Ecriture  ,  maudit  ceux  qui  ne  fe- 
ront même  que  toucher  à  fes  oints.  Cepen- 
dant les  traits  de  la  médifance  ne  font  ja- 
mais plus  vifs ,  plus  brillans  ;  plus  applaudis 
dans  le  monde  ,  que  lorfqu'ils  portent  fur 
les  Miaiftres  des  faints  autels  :  le  monde  (î 
indulgent  pour  lui-même  ,  femble  n'avoir 
coflfervé  de  févérité  qu'à  leur  égard  ;  & 

il 


Sur  la  Médisance.  185 
il  a  pour  eux  des  yeux  plus  cenfeurs  ,  5c 
une  langue  plus  empoifonnée  que  pour  le 
refte  des  hommes.  Il  eft  vrai,  ô  mon 
Dieu  !  que  notre  converfation  parmi  les 
peuples  n'eft  pas  toujours  fainte  6c  à  cou- 
vert de  tout  reproche  ;  que  nous  adoptons 
fouvent  les  mœurs  ,  le  fafte  ,  l'indolence  , 
roifiveté  ,  les  plaifirs  du  monde ,  que  nous 
aurions  dû  com.battre  ;  que  nous  mon- 
trons aux  Fidèles  plus  d'exemples  d'or- 
gueil &  de  négligence  que  de  vertu  ;  que 
nous  fommes  plus  jaloux  des  prééminen- 
ces ,  qu€  des  devoirs  de  notre  état  ;  &C 
qu'il  eft  difficile  que  le  monde  honore  ua 
cara£lère  que  nous  déshonorons  nous- 
m.êmes.  Mais  je  vous  l'ai  dit  fouvent ,  m.es 
Frères ,  nos  infidélités  devroient  faire  le 
fujet  de  vos  larmes ,  plutôt  que  de  votre 
joïe  8<:  de  vos  cenfures  :  Dieu  punit  d'or- 
dinaire les  déréglemens  des  peuples  par  la 
corruption  des  Prêtres  :  &  le  plus  terri- 
ble fléau  dont  il  frappe  les  Royaumes  5C 
les  Empires  ,  c'eit  de  n'y  point  fiifciter 
des  Pafteurs  vénérables  &.  des  Miniftres 
zélés  ,  qui  s'oppofent  au  torrent  des  diiTo- 
lutions  ;  c'efl  de  permettre  que  la  foi  ÔC 
la  Religion  s'afFoibliiTent  jufqu'au  milieu 
de  ceux  qui  en  font  les  défenfeurs  6c  les  dé- 
pofitaires  ;  c'eft  que  la  lumière  qui  étolt 
deftinée  à  vous  éclairer  ,  fe  change  en  té- 
nèbres ;  que  les  coopércteurs  de  votre  fa- 
hit  aident  par  leurs  exemples  à  votre  perte^ 
que  du  Sanftualre  même  d'où  ne  devrait 
fortir  que  la  bonne  odeur  de  Jefjs-Chrift 
Carême,  Jçmç,  UL  Q 


iS6  LvKDi  DE  LA  IV.  Semaine. 
il  en  forte  une  odeur  de  mort  6c  de  fcan-- 
dale  ;  &.  qu'enfin  l'aboinination  entre  juf- 
ques  dans  le  lieu  faint.  Mais  d'ailleurs ,  que 
change  le  relâchement  de  nos  mœurs  à  la 
fainteté  du  caradère  qui  nous  confacre  ? 
les  vafes  facrés  qui  fervent  à  l'autel ,  pour 
être  d'un  métal  vil ,  font-ils  moins  digne? 
de  votre  refpect  ?  ÔC  quand  le  Miniftre  mé- 
riteroit  vos  mépris ,  feriez  vous  moins  fa- 
criiége  de  ne  pas  refpe£ter  fon  minilière.. 
Que  dirai-je  enfin  ,  vos  détraquions  ôC 
Tos  cenfures  attaquent  peut-être  des  per- 
fonnes  qui  font  une  profefiion  publique  de 
piété  ,  &  dont  ceux  qui  vous  écoutent  ref- 
pedoient  la  vertu.  Vous  leur  perfuadez 
donc  qu'ils  en  avoient  trop  cru  :  vous  les 
autorifez  à  penfer  qu'il  y  a  peu  de  vérita- 
bles gens  de  bien  fur  la  terre  ;  que  tous 
ceux  qu'on  donne  pour  tels ,  examinés  de 
près  ,.  relTemblent  au  refte  des  hommes  ; 
vous  confirmez  les  préjugés  du  monde 
contre  la  vertu  ,  ôc  donnez  un  nouveau 
crédit  à  ces  difcours  fi  ordinaires  ÔC  fi  in- 
jurieux à  la  Religion  ,  fur  la  piété  des  fer- 
viteiirsde  Jefus-Chrift.  Or,  tout  cela  vous 

faroît-il  fort  léger  ?  Ah  !  mes  Frères  ,  les 
uftes  font  ici- bas  comme  des  Arches  fain- 
tes  ,  au  milieu  defquelles  le  Seigneur  ré- 
fide  ,  6c  dont  il  venge  rigoureufement  Iqs. 
mépris  &  les  outrages  :  ils  peuvent  chan- 
celer quelquefois  dans  la  voie  ,  comme 
l'Arche  d'Ifraèl  ,  conduite  en  triomphe, 
d'ans  Jérufalem  ,  car  la  vertu  la  plus  pure- 
&.U}j1u3  bxillmîç  y  a  fei  t^chei  &  f&s^. 


Sur  la  Médisance.  187 
cclipfes  ;  ÔC  la  plus  fblide  ne  fe  foutieiit 
pas  par-tout  également  :  mais  le  Seigneur 
s'indigne  ,  que  des  téméraires ,  femblablcs 
à  Oza  ,  fe  mêlent  de  les  redrefler  ;  6c  à 
peine  y  touchent-ils, qu'il  les  frappe  d'ana- 
thême:  il  prend  fur  lui  les  plus  légers  mé- 
pris dont  on  déshonore  fes  ferviteurs  ;  ÔC 
ne  peut  foutfrir  que  la  vertu  ,  qui  a  piî 
trouver  des  admirateurs  parmi  les  tyrans 
mêmes  S>C  les  peuples  les  plus  barbares  , 
ne  trouve  fouvent  que  des  cenfures  ÔC 
des  dérifions  parmi  les  Fidèles.  Aufîi  les 
enfans  d'irraèi  furent  dévorés  fur  Theure» 
pour  avoir  infulté  par  des  railleries  le  petit 
nombre  de  cheveux  de  l'homme  de  Dieu, 
ÔC  cependant  ce  n'étoient-là  que  des  indlf- 
crétions  puériles  fi  pardonnables  à  cet  âge^ 
Le  feu  du  Ciel  defcendit  fur  lOfficier  de 
l'impie  Ochozias  6c  le  confumaà  Tinftant  ^ 
pour  avoir  appelle  par  dérifîon  Elie  j  l'hom- 
me de  Dieu  ;  &  cependant  c'étoit  un  courti- 
fan  de  qui  ondevoit  exiger  moins  d'egartis^ 
pour  l'auftérité  6c  la  funpliwité  d'un  Pro- 
phète ,  ÔC  pour  la  vertu  d'un  homme  ruf- 
tique  en  apparence  ÔC  odieux  à  fon  maître* 
Michol  fj:  frappée  de  ftérilité  pour  avoir 
trop  aigrem.eht  cenfuré  les  faints  excès 
de  joie  ÔC  de  la  piété  de  David  devant 
l'Arche  ;  ÔC  cependant  ce  n'étoit  là  qu'une 
délicateiïe  de  femme.  Mais  toucher  à  ceux 
qui  fervent  le  Seigneur  ,  c'efî:  toucher  ,  dit. 
l'Ecriture,  à  la  prunelle  de  fon  œil  :  il 
maudit  invifiblement  ces  cenfeurs  témé- 
raireis  de  la  piété  5  &C  s'il  ne.  les  frappe  p«ia 

Q  z 


iSS  Lundi  de  la  III.  Semaine. 
de  mort  à  Tiiiftant ,  comme  autrefois  ,  il 
les  marque  fur  le  front  dès  cette  vie  d'un 
caractère  de  réprobation  ,  6c  leur  refufe 
pour  eux-mêmes  le  don  précieux  de  la 
grâce  &:  de  la  fainteté  qu'ils  ont  méprifé 
dans  les  autres  :  bi  cependant  ce  font  les 
gens  de  bien  qui  font  aujourd'huile  plus  en 
butte  à  la  malignité  des  difcours  publics  ; 
ÔC  l'on  peut  dire  que  la  vertu  fait  dans  le 
monde  plus  de  cenfeurs  que  le  vice. 

Je  n'ajoute  pas ,  mes  Frères ,  que  fi  ces 
médifances  ,  que  vous  appeliez  légères  , 
font  très-criminelles  dans  leurs  motifs  ÔC 
dans  leurs  circonftances ,  elles  le  font  en- 
core plus  dans  leurs  fuites  :  je  dis  leurs 
■fuites ,  toujours  irréparables ,  mes  Frères. 
Vous  pouvez  expier  le  crinie  de  la  volup- 
té par  la  mortification  6c  la  pénitence  ;  le 
crime  de  la  haine ,  par  l'amour  de  votre  en- 
nemi ;  le  crime  de  l'ambition  ,  en  renon- 
çant aux  honneurs  §C  aux  pompes  du  fié- 
çle  ;  le  crime  de  l'injuftice  ,  en  reftituant 
ce  que  vous  avez  ravi  à  vos  frères  ;  le  crime 
même  de  Fimpiété  Sc  du  libertinage  ,  par 
un  refpe£l  religieux  OC  public  ;  pour  le 
culte  de  vos  pères  :  mais  le  o  ime  de  la 
détra£lion  ,  quel  remède ,  quelle  vertu , 
peut'il  le  réparer  ?  Vous  n'avez  révélé 
qu'à  un  feul  les  vices  de  votre  frère  :  je 
le  veux  :  mais  ce  confident  infortuné  en 
aura  bientôt  à  fon  tour  plufîeurs  autres  , 
qui  de  leur  côté  ne  regardant  plus  comme 
un  fecret ,  ce  qu'ils  viennent  d'apprendre , 
en  inftruiront  les  premiers  venus  :  chacun 


Sur  la  Médisance.       1^9 
en  les  redifant  y  ajoutera  de  nouvelles  cir- 
conilances  ;  chacun  y  mettra  quelque  trait 
envenimé  de  fa  façon  ;  à  mefure  qu'on  les 
publiera  ,  ils  croîtront ,  ils  grofliront  :  lem- 
blable ,  dit  S.  Jacques ,  à  une  étincelle  de 
feu  ,  qui  portée  en  différens  lieux  par  un 
vent  impétueux  ,  embrafe  les  forêts  6c  les 
campagnes  ;  telle  eft  la  deftinée  de  la  dé- 
tra£tion.  Ce  que  vous  avez  dit  en  fecret  , 
n'étoit  rien. d'abord  ,  ôc  paroiiToit  étouffé 
&  enîeveli  fous  la  cendre  ;  mais  ce  feu  ne 
couve  que  pour  fe  rallumer  avec  plus  de 
fureur  ;  mais  ce  rien  va  emprunter  de  la 
réalité  en  paffant  par  différentes  bouches: 
chacun  y  ajoutera  ce  que  fa  paffion ,  {on 
intérêt ,  le  caraâère  de  fon  efprit  6c  de  fa 
malignité ,  lui  répréfentera  comme  vrai- 
fem.blable  :  la  fource  fera  prefque  imper- 
ceptible :   mais  groffe  dans  fa  caurfe  par 
mille  ruiffeaux  étrangers  ,  le  torrent  qui 
s'en  formera  inondera  la  Cour ,  la  Ville  > 
la  Province;  5c  ce  qui  n^étoit  d'abord  dans 
fon  origine  qu'une  plaifanterie  fecrette  ÔC 
imjprudente  ,     qu'une   fimple    réflexion  j> 
qu'une  conjeciiure  maligne,  deviendra  une 
affaire  férieufe,  un  décri  formel  5c  public  > 
le  fujet  de  tous  les  entretiens ,  une  flétrif- 
fure  éternelle  pour  votre  frère.  Et  alors 
reparez,  fî  vous  pouvez  ,  cette  injuftice  ÔC 
ce  fcandale  ;  rendez  à  votre  frère  Thonneur 
que  vous  lui  avez  ravi.  Irez-vous  vous  op- 
pofer  au  dcchaînemicnt  public  ,  &  chanter 
tout  feuî  fes  loiiangçs  ?  m^ais  on  vous  pren- 
dra pour  un  nouveau  venu ,  qui  ignorez  ca 


ipo  Lundi  de  la  IV.  Semaine, 
qui  fe  pafTe  dans  le  monde  ;  êc  vos  louan- 
ges venues  trop  tard  ,  ne  ferviront  qu'à  lui 
attirer  de  nouvelles  fatyres.  Or  ,  que  de 
crimes  dans  un  feul  !  les  péchés  de  tout  un 
peuple  deviennent  les  vôtres  :  vous  médi- 
îez  par  toutes  les  bouches  de  vos  citoyens  : 
vous  êtes  encore  coupable  du  crime  de 
ceux  qui  les  écoutent.  Quelle  pénitence 
peut  expier  des  maux  auxquels  elle  nefau- 
roit  plus  remédier  ?  6c  vos  larmes  pour- 
ront-elles effacer  ce  qui  ne  s'effacera  ja- 
mais de  la  mémoire  des  hommes  ?  Encore 
fi  le  fcandale  finiiToit  avec  vous,  votre  mort, 
en  le  fîniffant  ,  pourroit  en  être  devant 
Dieu  l'expiation  &  le  remède.  Mais  c'eft 
im  fcandale  qui  vous  furvivra  ;  les  hiftoires 
fcandaleufes  des  Cours  ne  meurent  jamais 
avec  leurs  héros  :  des  écrivains  lafcifs  ont 
fait  palier  jufqu'à  nous  les  fatyres ,  les  dé- 
réglemens  des  Cours  qui  nous  ont  précé- 
dés ;  ÔC  il  fe  trouvera  parmi  nous  des  Au- 
teurs licencieux  qui  inftruiront  les  âges  à 
venir ,  des  bruits  publics ,  des  évenemiCns 
fcandaleux  ,  8c  des  vices  de  la  nôtre. 

O  mon  Dieu  !  ce  font-là  de  ces  péchés 
dont  nous  ne  connoilfons  ni  l'énormité,  ni 
l'étendue  :  mais  nous  favons  qu'être  une 
pierre  de  fcandale  à  nos  frères  ,  c'cft  dé- 
truire par  rapport  à -eux  ,  l'ouvrage  de 
la  miffion  de  votre  Fils ,  &  anéantir  le  fruit 
de  fes  travaux  ,  de  fa  mort  Sc  de  tout  fon 
miniftére.  Telle  eft  fillufion  du  prétexte 
que  vous  tirez  de  la  légèreté  de  vos  mé- 
difances  ;  les  motifs  n'en  font  jamais  inao- 


Sur  la  Médisance.  191 
cens  ;  les  circonftaaces  toujours  crimi- 
ijelles  ;  les  fuites  irréparables.  Examinons 
fi  le  prétexte  de  la  notoriété  publique  fera 
mieux  fondé  :  c'eft  ce  qui  me  refte  à  vous 
développer* 

DUT, 
'Ou  vient,  mes  Frères,  que  la  plu- ^^^^^^ 
part  des  préceptes  font  violés  par  ceux- 
mêmes  qui  s'en  difentobfervateurs,  ÔC  que 
nous  avons  prefque  plus  de  peine  à  faire 
convenir  le  monde  de  fes  tranfgrefîions ,. 
qu'à  l'en  corriger  ?  C'eft  qu'on  ne  prend 
jamais  les  idées  des  devoirs  dans  le  fond 
de  la  Religion  ;  qu'on  n'entre  jamais  dans 
l'efprit  pour  décider  fur  la  lettre  ;  ÔC  qua 
peu  de  gens  remontent  au  principe ,  pour 
éclaircir  les  doutes  que  la  corruption  for» 
me  fur  le  détail  des  conféquences. 

Or,  pour  appliquer  cette  maxime  à  mon 
fujet:  quelles  font  les  régies  de  l'Evangile 
qui  font  aux  Difciples  de  Jefus-Chrift  un 
crime  de  la  médifance  ?  C'eft  première- 
ment le  précepte  de  l'humilité  chrétienne, 
qui  devant  nous  établir  dans  un  profond 
mépris  de  nous-mêmes  ,  5C  ouvrir  nos 
yeux  fur  la  multitude  infinie  de  nos  mifé- 
res  ,  doit  les  fermer  en  même  tems  à  celles, 
de  nos  frères  :  c'eft  en  fécond  lieu  le  de- 
voir de  la  charité  ,  cette  charité  fi  recom- 
mandée dans  l'Evangile  ;  le  grand  précepte: 
de  la  Loi  ;  qui  couvre  les  fautes  qu'elle  ne 
peut  corriger  ,  qui  excufe  celles  qu'elle  ne 
peut  couvrir  ,  qui  ne  fe  réjouit  point  du 
mal ,  6c  qui  le  cxoit  difficilement  y  parce 


ICI    Lux\Di  DE  LA  IV.  Semaine. 

qu'elle  ne  le  fouhaite  jamais  :  enfin  ,  c'eft 
la  régie  inviolable  de  la  jr.ftice  ,  laquelle 
ne  permettant  jamais  qu'on  fafle  à  autrui  ce 
qu'on  ne  voudroit  pas  fouffrir  foi-même  , 
condamne  tout  ce  qui  fort  de  ces  bornes 
équitables.  Or  ,  les  difcours  de  médifance, 
qui  roulent  fur  les  fautes  que  vous  appeliez 
publiques ,  bleïïent  ellentieilement  ces  trois 
régies  :  jugez  par-là  de  leur  innocence. 
Premiiérement ,  ils  bleflent  la  régie  de 
l'humilité  chrétienne.  En  effet ,  miOn  cher 
Auditeur  ,  û  vous  étiez  vivement  touché 
de  vos  propres  miféres ,  dit  S.  Chryfofto- 
me  ;  fi  vous  aviez  fans  celle  votre  péché 
devant  vos  yeux,  comme  ce  Roi  pénitent 
il  ne  vous  refteroit ,  ni  affez  de  loifîr  ,  ni 
aflez  d'attention ,  pour  remarquer  les  fautes 
de  vos  frères.  Plus  elles  feroient  publi- 
ques ,  plus  vous  béniriez  en  fecret  le  Sei- 
gneur d'avoir  détourné  de  vous  cette  in- 
famie :  plus  vous  fentiriez  votre  reconnoif- 
fance  fe  réveiller ,  fur  ce  qu'étant  tombé 
peut-être,  dans  les  mêmes  égaremiCns  ,  il 
n'a  pas  permis  qu'ils  fuifent  publiés  fur  les 
toits  ,  comme  ceux  de  votre  frère  ;  fur 
ce  qu'il  a  laiilé  dans  l'obfcurité  vos  œuvres 
de  ténèbres  ,  qu'il  les  a  ,  pour  ainfi  dire, 
couvertes  de  fes  ailes  ;  5c  m^énagé  devant 
les  hommes  un  honneur  6c  une  innocence, 
que  vous  aviez  tant  de  fois  perdue  devant 
lui  :  vous  trembleriez  en  vous  difant  à 
vous-même,  que  peut-être  il  n'a  épargné 
votre  confufion  en  ce  monde  ,  que  pour 
la  rendre  plus  amére  ÔC  plus  durable  dans 
Tautre.  Telles 


Sur  la  Médisance       195 

Telles  font  les  dirpofitions  de  l'humilité 
chrétienne  fur  les  chutes  publiques  de  no» 
frères  :  nous  devons  en  parler  beaucoup 
à  nous-mêmes ,  ÔC  prefque  jamais  aux  au- 
tres. Aulfi  lorfque  les  Scribes  ik.  les  Pha- 
rilîens  viennent  préfenter  au  Sauveur  une 
femme  furprife  en  adultère,  S>C  qu'ils  veu- 
lent le  preifer  d'en  dire  fon  fentiment  ; 
quoique  la  faute  de  cette  Péchereile  fût 
publique  ,  Jefus-Chrift  garde  un  profond 
îllence  ;  ÔC  à  leurs  malignes  5c  prelTantes 
iiiilances  de  s'expliquer  ,  il  fe  contente  de,  *  ^â 
répondre  :  {Jue  celui  a  entre  vous  qui  eji 
/ans  péché  ,  jette  contrelle  la  première  pier- 
re ;  comme  s'il  vouloit  leur  faire  enten- 
dre par-là  que  ce  n'étoitpas  à  des  pécheurs 
comme  eux ,  à  comdamner  ïi  hautement  le 
crime  de  cette  femme  ;  ÔC  que  pour  avoir 
îdroiî  de  jetter  contr'elle  une  feule  pierre, 
il  falloir  être  foi-mêm^c  exemt  de  tout 
■rep;-oche.  Et  voilà  ce  que  je  voudrois  vous 
dire  aujourd'hui ,  mes  Frères  :  la  mauvaife 
conduite  de  cette  perfonne  vient  d'éclater  : 
feh-bien  î  que  celui  d'entre  vous  qui  eft 
fans  péché,  jette  contr'elle  la  première 
_  pierre  ;  Qui  fine  peccato  eJl  vejîrum  ,  pri- 
mus  inillam  lapidem  mittat  :  lî  devant  Dieu 
vous  n'avez  rien  de  plus  criminel  peut  être 
a  vous  reprocher  ;  parlez  librement,  con- 
^  rfan^nez  févérement  fa  faute,  lancez  con- 
tr'elle les  traits  les  plus  piquans  de  la  dé- 
rifion  6c  de  la  cenfure  ;  on  vous  le  permet. 
Ah  !  vous  qui  en  difcourez  (1  hardiment, 
vous  êtes  plvis  heureufe  qu'elle  ;  mais  êt^- 

C^rêmç,  Tome  JJL  '    R 


194    LiJNDi  DE  LA  IV  Semaine. 
vous  plus  innocente  ?  on  vous  croit  plus  de 
vertu ,  plus  d'amour  du  devoir  ;  mais  Dieu 
qui  vous  connoît ,  en  juge-t'il  comme  les 
hommes  ?  mais  fi  les  ténèbres  qui  cachent 
votre  honte  venoient  à  fe  difliper  ,   les 
pierres  que  vous  jettez ,  nefe  tourneroient- 
elles  pas  contre  vous-même  ?   mais  fi  un 
événement  imprévu  trahifibit  votre  fecret , 
Taudace  5c  la  joie  maligne  avec  laquelle 
vouscenfurez  ,n'ajoûteroit-ellepas  un  nou- 
veau ridicule  à  votre  confufion  6c  à  votre 
Opprobre  ?  Ah  !  vous  ne  devez  ce  phantôme 
de  réputation  ,  dont  vous  vous  glorifiez  , 
qu'à  des  artifices  ÔC  à  des  ménagemens  , 
que  la  juftice  de  Dieu  peut  confondre  ÔC 
déconcerter  en  un  inftant  :   vous  touchez 
peut-être  au  moment  oii  il  va  révéler  votre 
honte  ;  ÔC  loin  de  rougir  dans  le  fecret  6c 
dans  le  filence,  lorfqu'on  publie  des  fautes 
qui  font  les  vôtres  ,  vous  en  parlez  ,  vous 
les  racontez  avec  complaifance  ;  ÔC  vous 
fourniffez  au  public  des  traits  dont  il  fera 
peut-être  ufageun  jour  contre  vous-même: 
c'efi:  la  menace  ôc  la  prédi(^ion  du  Sau- 
Matth,  ^^^^  •    Tous  ceux  qui  s'arment  du  glaive  ^ 
2C,  ;2.     périront  par  le  glaive  :  vous  percez  votre 
frère  avec  le  glaive  de  la  langue  ;   vous 
ferez  percé  du  même  glaive  à  votre  tour  ; 
Se  quand  vous  feriez  exemt  des  vices  que 
vous  blâmez  fi  témérairepient  en  autrui , 
le  Dieu  jufte  vous  y  livrera. 

La  honte  eft  toujours  la  punition  la  plus 

^  ordinaire  de  l'orgueil.  Pierre  ,  le  foir  de  la 

^éne  ne  pouvoit  fe  lailer  d'exagérer  le 


Sur  la  Médisance.  195 
crime  du  Difciple  qui  devoit  trahir  fon 
Maître  :  il  étoit  le  plus  ardent  de  tous  à 
s'informer  de  fon  nom  ,  ÔC  à  détefter  fa 
perfidie  :  &C  au  fortir  de  là  ,  il  tombe  lui- 
même  dans  l'infidélité  ,  qu'il  venoit  de  blâ- 
mer avec  tant  de  hauteur  6c  de  confiance. 
Rien  ne  nous  attire  tant  la  colère  ÔC  l'a- 
handon  de  Dieu,  que  le  plaifir  malin  avec 
lequel  nous  relevons  les  fautes  de  nos  frè- 
res ;  6C  fa  miféricorde  s'indigne  que  ces 
exemples  affligeans ,  qu'il  ne  permet  que 
pour  nous  rappeller  à  notre  propre  foi- 
blelTe,  6c  réveiller  notre  vigilance,  fia- 
ient notre  orgueil ,  ôC  ne  réveillent  que 
nos  dérifions  ôC  nos  cenfures. 

Vous  fortcz  donc  des  régies  de  l'humî- 
lité  chrétienne  ,  en  ccnfurant  les  fautes  de 
votre  frère  ,  quelques  publiques  qu'elles 
puiflent  être  :  mais  vous  blellez  encore  ef- 
lentiellement  celles  de  la  charité;   car  la''^or*it\ 
charité  nagit  pas  en  vain  ,   dit  l'Apôtre.  '*' 
Or  ,  il  les  vices  de  votre  frerc  font  con- 
nus de  ceux  qui  vous  écoutent ,  il  eft  donc 
inutile  de  venir  de  nouveau  les  raconter. 
En  effet  ,  que  pourriez-vous  vous  propo- 
fer  ?  de  blâmer  îa  conduite  ?  Mais  n'en  por- 
te-t'il  pas  déjà  affez  la  confufion  ?  voulez» 
vous  accabler  un  malheureux  ,  6c  achever 
de  donner  le  dernier  coup  à  un  homme 
déjà  percé  de  mille  traits  m.ortels  ?  Il  y  a 
déjà  tant  d'efprits  noirs  5c  malins  ,  qui  ont 
exagéré  fa  faute  ,  6c  qui  la  répandent  avec 
des  couleurs  capables  de  le  noircir  à  ja- 
mais i  n'eft-il  pa§  alfez  puni?  il  eft  digne  de 

Ri 


t()6  Lundi  de  la  IV.  Se^îatke. 
■votre  pitié  ;  il  ne  Vcd  plus' a^  vos  cenfît- 
res.  Que  vous  propoferiez-vous  donc  ?  de 
plaindre  fou  infortune  ?  Mais  qu'elle  m  mi- 
nière de  plaindre  un  malheureux,  que  de 
rouvrir  fes  plaies  ?  la  compalilon  elî-elle  fi 
barbare?  v^'-^^  encore  ?  de  venir  juiHfier 
vos  prophéties  &  vos  foupçons  précédens 
fur  la  conduite?  de  venir  nous  dire  ,  que 
vous  aviez  toujours  crû  que  tôt  ou  tard  il 
(En  viendroit-là  ?  Mais  vous  venez  donc 
triompher  de  fon  malheur?  vcois  venez  vous 
jipplaudir  jde  fa  chute  ?  vous  venez  vous 
faire  honneur  de  la  malignité  de  vos  juge- 
înens?  Qiiellegloirejpour  un  Chrétien  d'a- 
voir pii  ibupçonncr  Ion  frère  ;  de  Tavoir 
cru  coupable  avant  qu'il  le  parût  ;  6c  d'a- 
voir pu  lire  témérairement  fes  chutes  dans 
l'avenir ,  nous  qui  ne  devons  pas  même  les 
voir  lorsqu'elles  font  arrivées  ?  Ah  1  vous 
prophétifcz  fi  jufte  fur  la  deilinéed'autrui  i 
Toyez  Prophète  dans  votre  propre  patrie  ; 
prévoyez  les  malheurs  qui  vous  menacent: 
pourquoi  ne  vous  prophétifez-vous  pas  à 
vous-même,  que  û  vous  ne  fortcz  de  cette 
pccafion  6c  de  ce  péril ,  vous  y  périrez  ?  que 
fi  vous  ne  rompez  cette  liaifon  ,  le  public  , 
qui  en  murmure  déjà,  éclatera  enfin  ,  5C 
qu'il  ne  fera  plus  tems  de  remédier  aufcan- 
dale?  que  fi  vous  ne  revenez  de  ces  ex- 
cès ,  où  Femportemient  de  l'âge  5c  une 
mauvaii^  éducation  vous  ont  jette,  vos  af- 
faires 5c  votre  fortune  vont  tomber  fans 
relTource  ?  c'eft  ici  où  il  faudroit  exercer 
yotre  ^rt  des  conjefturçs.    Quelle  folie 


Sui^XA  Med'isance.  l^f 
ct'étre  foi-iné*Re  eiïvironné  de  précipices ,. 
êc  de  regarder  au  loin  ceux  qui  menacent 
nos  frères  ! 

D'ailleurs ,  plus  les  chutes  de  votre  frère 
font  publiques  ^  plus  vous  devez  être  tou- 
ché du  fcandale  qu'elles  cauient  à  rEglife^ 
de  l'avantage  c^wo.  les  impies  6c  les  liber- 
tins en  tireront ,  pour  blafphèmer  le  nom- 
dû  Seigneur ,  s'alîernTÎr  clans  le  libertinage, 
ù  perfuader  que  ce  font-là  les  foiblelTes  de 
tous  les  hommes  ^  6c  que  les  plus  vertueux- 
foiit  ceux   qui  favent  mieux  les  cacher  : 
plus  vous  devez  être  affligé  de  roccafioii 
que  ces  exemples  publics  d-e  dérèglement 
donnent  aux  âmes  foibles  de  t-omiber  dans^ 
les  mêmes  défordr^s  :  plus  la  charité  vous 
oblige  de  gémir  :    plus   vaus  devez  fau- 
haitcr  que  le  fouveiur  de  ces  fautes  périffe  ; 
que  le  jour  &C  les  lieux  où  elles  ont  éclaté' 
foient  effacés  de  la  mémoire  des  hommes  ; 
plus  enfin  par  votre  fîlence-,    vous   devez*, 
contribuer  à  les  alToupir.    Mais    tout   le 
monde  en  parle  ,  dites-vous  ;  votre  filence; 
n  emipéchera  pas  les  difcours  publics  ^ainfi 
vous  pouvez  bien  en  parler  à  votre  tour. 
La  conféquence  eit  barbare  :  parce    que 
vous  ne  pouvez  pas  remédier  au  Icandale  ,• 
il  V0U3  fera  permis  de  l'augmenter  ?  parce- 
qiie  vous  ne  pouvez  pas  fauver  votre  frère 
de  l'opprobre,  vous  achèverez  de  le  couvrir 
de  boue  S>v.  d'infamie  ?  parce  que  tous  pref- 

tque  lui  jettent  la  pierre ,  il  fera  moins  cruel 
de  la  jetter  à  votre  tour  ,  ÔC  de  vous  join- 
dre à  ceux  qui  le  lapident  5c  qui  l'écrafent  l 


198  LuNiJi  DE  LA  IV.  Semaine. 
Il  eft  fî  beau  ,  la  Religion  même  à  part, 
lie  fe  déclarer  pour  les  malheureux  !  il  y 
a  tant  de  dignité  5c  de  grandeur  d'ame  ,  à 
prendre  fous  fa  proteâ:ion  ceux  que  tout 
le  monde  abandonne  !  &.  quand  les  régies 
de  la  charité  ne  nous  en  fcroient  pas  ua 
devoir ,  les  fentimens  feuls  de  la  gloire 
6c  de  rhumanité  devroient  ici  fuffire. 

Aufll  en  troifîéme  lieu  ,  non-feulement 
vous  violez  les  régies  faintcs  de  la  charité; 
mais  de  plus ,  vous  êtes  infra6):eur  de  cel- 
les de  la  juftice.  Car  les  fautes  de  votre  frè- 
re font  publiques  ;  je  le  veux  :  mais  placez- 
vous  dans  la  même  fituation  ;  exigeriez- 
vous  de  lui  moins  d'égards  6c  moins  d'hu- 
manité ,  parce  que  votre  chute  ne  feroit 
plus  un  myftère?  croiriez- vous  que  l'exem- 
ple public  donnât  à  votre  frère  contre 
vous  ,  un  droit  que  vous  en  prenez  contre 
lui-même  ?  recevriez-vous ,  pour  juftiiîer 
fa  malignité  ;  une  excufc  qui  vous  la  ren- 
droit  encore  plus  odieufe  tk  plus  cruelle  ? 
D'ailleurs  ,  que  favez-vous  fi  le  premier 
auteur  de  ces  difcours  public  ,  n'eft  point 
un  impofteur?  il  court  tant  de  faux  bruits 
dans  le  monde  ,  ÔC  la  malice  des  hommes 
les  rend  fî  crédules  fur  les  défauts  d'au- 
trui;  que  favez-vous  fî  ce  n'efl  pas  un  en- 
nemi ,  un  concurrent ,  un  envieux  ,  qui  a 
répandu  cette  calomnie  par  des  voyes  fe- 
Crettes  ,  pour  détruire  celui  qui  traverfoit^ 
ou  fes  palfions ,  ou  fa  fortune  ?  ces  exem- 
ples font- ils  fort  rares  ?  fî  ce  n'efl  pas  un 
imprudent ,  qui  a  donné  lieu  à  tous  ces 


Sur  la  Médisance.       ï95 

difcours  par  rindifcrétion  d'une  parole  lâ- 
chée fans  attention  5C  recueillie  avec  ma- 
lice ?  ces  méprifes  font-elles  impolTibles  ?  fi 
ce  n'ell  pas  une  conje£lure  débitée  d'abord 
comme  t-elle ,  6c  donnée  enfuke  comme 
une  vérité  ?  ces  altérations  ne  font-elles  pas 
du  caraâ:ère  des  bruits  publics  ?  Qu'y 
avoit-il  de  plus  vraifemblable  parmi  les 
enfans  de  la  captivité  ,  que  le  dérèglement 
prétendu  de  Sufanne  ?  les  Juges  du  peuple 
de  Dieu  ,  vénérables  par  leur  âge  &C  par 
leur  dignité  ,  dépofoient  contr'elle  ;  to^^^t  le 
peuple  on  parloit  comme  d'une  époufe  in- 
fidèle ;  on  le  regardoit  comme  l'opprobre 
dlfraèl  :  cependant  c'étoit  fa  pudeur  mê- 
me, qui  lui  attiroit  ces  outrages  ;  &C  s'il  ne 
fe  fût  trouvé  de  fon  tems  un  Daniel  ,  qui 
osât  douter  d'un  bruit  public  ,  le  fang  de 
cette  innocente  alloit  fouiller  tout  le  peu- 
ple. Et  fans  fortir  de  notre  Evangile  ,  les 
difcours  facriléges  ,  qui  traitoient  Jefus- 
Chrift  d'impolleur  ÔC  de  Samaritain  ,  n'é- 
toient-ils  pas  dei^enus  les  difcours  publics 
de  toute  la  Judée  ?  Les  Prêtres  &  les  Pha- 
rifiens,  gens  à  qui  la  dignité  de  leur  carac- 
tère ÔC  la  régularité  de  leurs  mœurs ,  atti- 
roient  le  refpeft  6c  la  confiance  des  peu- 
ples ,  les  appuyoient  de  leur  autorité  :  ce- 
pendant voudriez-vous  excufer  ceux  d'en- 
tre les  Juifs  ,  qui  fur  des  bruits  fi  com- 
muns ,  parloient  du  Sauveur  du  monde 
comme  d'un  féduâ:eur  ,  qui  impofoit  à  la 
crédulité  des  peuples  ?  Vous  vous  expofez 
donc  à  ia  calomnie  envers  votre  frère  ; 

R4 


loé  tuKDl  DE  LA  IV.  SeMAîNê; 
quelque  répandue  que  foient  les  cenfuref 
qu'on  fait  de  lui ,  fa  fsute  dont  vous  n'avez 
pas  été  témoins  ,  eft  toujours  douteufe 
pour  vous  ;  ÔC  c'efc  une  injufticeque  vous 
lui  faites ,  d'aller  publiant  ^  comme  vrai  .y 
ce  que  vous  ne  favez  que  par  des  bruits 
publics ,  fouvent  faux  ,  5c  toujours  témé- 
raires. 

Mais  je  vais  plus  loin  :  quand  même  la 
chute  de  votre  frère  feroit  certaine  ,  ôc 
que  la  malignité  des  difcours  n'y  auroit 
jien  ajouté  ;  d'où  pouvez-vous  favoir  (i 
la  honte  même  de  voir  fa  faute  publique  ne 
Ta  pas  fait  revenir  à  lui ,  S>C  ii  un  repentir 
iincére  5c  des  kr nies  abondantes ,  ne  Tonî 
pas  déjà  effacée  &  expiée  devant  Dieu  ?  il 
lie  faut  pas  toujours  des  années  à  la  grâce 
pour  triompher  d'un  cœur  rebelle  :  il  ell 
des  victoires  qu'elle  ne  veut  pas  devoir  au- 
îems  ;  5c  une  chute-publique  eft  fouvent  le 
moment  de  miféricorde  qui  décide  de  la 
converfion  du  pécheur.  Or  ,  fi  votre  frère 
s'efl  repenti.,  n'êtes-vous  pas  injufle  ÔC 
cruel ,  de  faire  revivre  des  fautes  que  fa 
pénitence  vient  d'effacer,  5c  que  le, Sei- 
gneur a  oubliées  ?  Souvenez-vous  de  la 
Péchereffe  de  l'Evangile:  fes  défordres 
étoient  publics  ,  puifqu'elle  avoit  été  la 
Péchereffe  de  la  Cité  ;  cependant  lorfque  le. 
Pharilien  les  lui  reproche  ,.  fes  larmes  5C 
fon  amour  les  avoient  effacés  aux  pieds  dit 
Sauveur  :  la  bonté  de  Dieu  lui  avoi-t  remis» 
fa  faute  ,  6^  la  malignité  des  hommes  na 
pouvoit  encore  l'en  abfoudre,. 


Sur  la  Médisance.       toi 

Enfin  ,  la  chute  de  votre  frère  étoit  pu- 
blique: c' cil- à^- dire  ^on  favoit  confufémenî 
que  fa  conduite  n'éfoit  pas  exemte  de  re- 
proche ;  ÔC  vous  venez  en  détailler  les  cir- 
conitances ,  en  éclaircir  les  faits ,  en  dé- 
velopper les  motifs  y.  en  expliquer  tout  le 
myftére  ;  confirmer  ce  qu'on  ne  favoit  qu'à 
demi  ;  apprendre  ce  qu'on  ne  favoit  point 
du  tout  ;  Se  vous  applaudir  même  d'avoir 
paru  plus  inftruit  que  ceux  qui  vous  écou- 
tent ,  fur  le  malheiu:  de  votre  frère  :  il  luî 
leftoit  encore  du  moins  une  réputatioa 
€hancelante  ;  il  confervoit  encore  du  moins 
un  reftè  d'honneur  ,  une  étincelle  de  vie  , 
bC  vous  achevez  de  l'éteindre.  Je  n'ajoute 
pas  que  peut-être  on  tenoit  ces  bruits  pu- 
blics de  certaines  perfonnes  fans  aveu;  gens 
qui  n'étoient  ni  d'ua  poids  .  ni  d'un  carac- 
tère à  perfuader  ;  on  n'ofoit  encore  y  ajoiV 
ter  foi  fur  des  rapports  fi  peu  folides  ;  mai» 
vous ,  qui  par  votre  rang  ,  votre  naiflance^ 
vos  dignités ,  vous  êtes  acquis  de  l'autorité 
fur  les  efprits  ,  vous  ne  lailTez  plus  de  lieu 
au  doute  5c  à  Fincertitude  ;  votre  nom  feut 
va  fervir  de  preuve  contre  l'innocence  de 
votre  frère  ;  ôc  l'on  va  vous  citer  défor» 
mais  pour  juftifier  la  vérité  des  difcours. 
publics.  Or  ,  quoi  de  plus  injufte  5c  de 
plus  dur  ,  6c  par  Le  tort  que  vous  lui  faites ,. 
^  par  le  bien  que  vous  manquez  de  lui  fai- 
re ?  votre  filence  feul  fur  û  faute ^  eut  peut- 
être  arrêté  ladiffamation  publique,  &  l'oa 
vous  eût  cité  pour  purifier  fon  innocence  ;., 
eomnie  on  vous  cite  pour  la  noircir  :    5C 


102     Lundi  de  la  IV.  Semaine. 

quel  ufage  plus  refpeâabJe  aiiriez-vous  pi*i 
faire  de  votre  rang  6c  de  votre  autorité  ? 
Plus  vous  êtes  élevé,  plus  vous  devez  être 
religieux  ÔC  circonrpe6l  fur  la  réputation  de 
vos  frères  ;   plus  une  ijoble  décence  doit 
vous  rendre  réfervé  fur  leurs  fautes  ,   on 
oublie  les  difcours  du  vulgaire  ;  ils  meurent 
en  naiiïant  :  les  paroles  des  Grands  ne  tom- 
bent jamais  en  vain;  &  le  public  eft  toujours 
l'écho  fidèle  ,  ou  des  louanges  qu'ils  don- 
nent, ou  des  CQnfures  qui  leur  échappent. 
Mon  Dieu  !  vous  nous  apprenez  ,  en  difîî- 
mulant  vous-mêmes  les  péchés  des  hom- 
mes ,  à  les  difîîmuler  à  notre  tour  ;  vous 
attendez  avec  une  patiencemiféricordieufe, 
pour  révéler  nos  fautes  ,  le  jour  où  les  fe- 
crets  des  cœurs  feront  manifeftés  ;  &  nous 
prévenons  par  une  téméraire  malignité  ,  le 
terns  de  vos  vengeances;  nous  qui  fommes 
fî  intéreiTéi  que   vous  ne  découvriez  pas 
encore  les  abîmes  de  nos  cœurs  Sc  les  myf. 
téres  des  confciences. 

Ainfi ,  mes  Frères ,  vous  fur-tout  que 
le  rang  6c  la  naiffance  élève  au-deifus  des 
autres ,  ne  vous  contentez  pas  de  mettre 
un  frein  à  votre  langue;  offrez  encore  aux 
difcours  de  la  médifance  ,  un  vifage  trifte 
&  févere  ,  félon  l'avis  de  l'efprit  Saint , 
im  (îlence  de  défaveu  &:  d'indignation  :  car 
le  crime  eft  ici  égal  ,  &  dans  la  malignité 
de  celui  qui  parle ,  ÔC  dans  la  complaifance 
de  ceux  qui  écoutent.  Entourons  nosoreii- 
les  d'épines  pour  ne  pas  les  laiiTer  infeder 
par  des  difcours  empoifonnés  ;   c'eft-à- 


Sur  la'Medisakce.  20? 
^Ire  ,  ne  les  fermons  pas  feulement  à  ces 
paroles  de  fang  5c  d'amertume  ;  mais  re- 
jettons-les  fur  leur  auteur  d'une  manière 
aigre  5c  piquante.  Si  la  médifance  trouvoit 
moins  d'approbateurs  ,  le  Royaume  de 
Jefus-Chrift  feroit  bientôt  purgé  de  ce 
fcandale  :  on  plaît  en  m.édifant  ;  ÔC  un  vic^ 
qui  plaît,  devient  bientôt  un  talent  aima- 
ble :  nous  animons  la  médifance  par  no* 
appIaudilTemens  ;  Sc  comme  il  n'eft  per- 
fonne  qui  ne  veuille  être  applaudi ,  il  n'eft 
prefque  aucun  auffi  qui  ne  fe  faiTe  un  art  8C 
un  mérite  de  médire. 

Mais  ce  qu'il  y  a  ici  de  furprenant ,  c'eft 
que  la  piété  elle-même  fcrt  fouvent  de  pré- 
texte à  ce  vice  que  la  piété  fincére  déteile, 
&  qui  fappe  les  premiers  fondemens  de  la- 
piété.  Ce  devoit  être  la  dernière  Partie  de 
ce  difcours  ;  mais  je  n'en  dirai  qu'un  mot. 
Oui ,  miCS  Frères ,  la  médifance  trouve 
fouvent  dans  la  piété  même ,  des  couleurs 
qui  la  juftifient  :  elle  fe  revêt  tous  les  jours 
des  apparences  du  zèle  :  la  haine  du  vice 
femble  autorifer  la  cenfure  des  pécheurs  ; 
c^ux  qui  font  profefîion  de  vertu  croyent 
fouvent  honorer  Dieu  ÔC  lui  rendre  gloire, 
en  déshonorant  6c  décriant  ceux  qui  l'of- 
fenfent  ;  comme  Ci  le  privilège  de  la  piété, 
dont  l'ame  eft  la  charité  ,  étoit  de  nous 
difpenfer  de  la  charité  même.  Ce  n'eft  pas 
que  je  veuille  ici  juftifier  les  difcours  du 
monde  ,  6c  lui  fournir  des  nouveaux  traits 
contre  le  zèle  des  gens  de  bien  ;  mais  je 
ne  dois  pas  aufli  diifimuler ,  que  la  liberté 


ZC4    Lundi  de  la  III..  Semalvî. 
qu'on  fe  donne  de  cenfurer  la  conduite  d& 
fes  frères  ,  eft  un  des-  abus  les  plus  ordi- 
naires de  la  piété. 

^  Qr  ,  mon  cher  Auditeur  ,  vous  que  ce 
^difcours  regarde  ,  écoutez  les  régies  ciue 
TEvan-gile  prefcrit  fur  le  zèle  véritable  ,  & 
ne  les  oubliez  jamais.  Souvenez-vous  pre- 
mièrement ,  que  le  zèle  qui  nous  fait  gé- 
mir des  fcandales  qui  déshonorent  TEglife  ^ 
fe  contente  d'en  gémir  devant  Dieu  ,  de  le 
prier  qu'il  fefouvienne  de  fes  miféricordes 
anciennes  ;  qu'il  jette  des  regards  propices 
fur  fon  peuple  ;  qu'il  établiffe  (on  régne 
dans  tous  les  cœurs  ;  6c  qu'il  ramène  ks 
pécheurs  de  leurs  voies  égarées.  Voilà  une 
manière  fainte  de  gémir  fur  les  chu.tes  de 
vos  frères  :  parlez-en  fouvent  à  Dieu  ;  6c 
oubliez- les  devant  les  hommes.- 

Souvenez-vous  fecondement  ^  que  la" 
piété  ne  vous  donne  pas  un  droit  d'empire 
^  d'autorité  fur  vos  frères  :  que  fi  vous 
la'êtes  pas.  établi  fur  eux,  ÔC  refponfable  de 
leur  conduite ,  s'ils  tombent  ou  s'ils  de- 
meurent fermes ,  c'eft  l'affaire  an  Seigneur. 
^  non  pas  la  vôtre  :  qu'ainii  vos  plaintes 
publiques  &  éternelles  fur  leurs  défordres^ 
partent  d'un  fond  d'orgueil ,  de  malignité, 
de  légèreté  ,  d'inquiétude  ;  que  lEglife  a 
fes  Pafreurs  pour  veiller  fur  le  troupeau  ; 
que  l'Arche  à  {es  Minières  qui  la  foutien- 
nent ,  fans  qu'un,  fecours  étranger  ÔC  témé. 
raire  s'en  mêle  ;  ÔC  qu'enfin  ,  loin  de  cor- 
riger par-là  vos  frères ,  vous  déshonorez 
m  piété  ;  vous  juftifîez  les  difcours  des 


Sur  la  Médis  an  ce.  lof  . 
impies  contre  l'homme  de  bien  ;  ^  vous 
les  aiitorifez  à  dire ,  comme  autrefois  dans 
îa  Sagefle  :  Pourquoi  celui-ci  croit-il  avoir 
droit  de  remplir  les  rues  ^  les  places  pu- 
bliques de  plaintes  5c  de  clameurs  contre 
notre  conduite  ?  5c  fe  fait-il  un  pt)int  de 
vertu  de  nous  diffamer  dans  Tefprit  de  nos 
frères  ?  Impropcrat  nohis  peccdta  iegis  ,  ^^f^^* 
diffamât  in  nos  peccata  dl/ciplinœ  nojîrœ. 

Souvenez-vous  troiliémement ,  que  le 
7èl€  qui  eft  félon  la  Science  ,  cherche  le  fa- 
lut,  6C  non  la  diffamation  de  fon  frère; 
qu'il  veut  édifier  ,  mais  qu'il  n'aime  pas  à 
■nuire  ;  qu'il  s'étudie  à  fe  rendre  aimable  , 
pour  fe  rendre  plus  utile  ;  qu'il  ell:  plus 
touché  du  malheur  ^  de  la  perte  de  fon 
frère  ,  qu'aigri  5c  fcandalifé  de  fes  fautes  ; 
qu'il  voudroit  pouvoir  fe  les  cacher  à  ioi- 
inême  ,  loin  (le  les  aller  publier  devant  les 
autres  ;  K  que  le  zèle  qui  les  cenfurc ,  loin 
de  diminuer  le  mal ,  ne  fait  qu'augmenter 
le  fcandale. 

■  Souvenez  vous  quatrièmement ,  que  ce 
zèle  cenfeur  que  vous  faites  paroître  contre 
votre  frère  lui  efl  inutile  ,  puifqu'il  n'en  efl 
pas  témoin  ,  qu'il  eft  même  nuifîble  à  la 
converfion  ,  que  vous  reculez  en  i'aigrif- 
fant  par  vos  cenfures  ,  s'il  vient  à  les  ap- 
prendre ;  nuifible  à  fa  réputation  que  vous 
bleffez  ,  à  la  piété  que  vous  décriez  ;  nui- 
fible enfin  à  ceux  qui  vous  écoutent  ;  qui 
refpeâ:ant  votre  prétendue  vertu, necroyent 
pas  qu'on  puilfe  s'égarer  en  fuivant  vos  tra- 
cer ,  5C  ne  mettent  plus  la  médifanee  au- 


2o6  Lundi  de  la  IV,  Semaine. 
nombre  des  vices.  Le  zèle  eft  humble,  SC 
il  n'a  des  yeux  que  pour  fes  propres  mi- 
féres  :  il  eft  fimple  ,  ôc  il  lui  eft  plus  ordi- 
naire de  croire  trop  facilement  le  bien  que 
le  mal  ;  il  eft  miféricordieux  ,  6c  les  fautes 
d'autrui  le  trouvent  toujours  aufîi  indul- 
«  gent ,  que  fes  propres  fautes  le  trouvent 

levére  ;  il  eft  délicat  &  timoré  ,  6c  il  aime 
fouvent  mieux  manquer  de  blâmer  le  vice, 
que  s'expofer  à  cenfurer  le  pécheur. 

Ainfi  ,  vous ,  mes  Frères ,  qui  revenus 
des  égaremens  du  monde  ,  fervez  le  Sei- 
gneur, fouRrez  que  je  fînifle  en  vousadref- 
fant  les  mêmes  paroles  que  Saint  Cypriea 
adreffoit  autrefois  à  des  ferviteurs  de  Jefus- 
Chrift  ,  lefquels ,  par  un  zèle  indifcret ,  ne 
faifoient  pas  de  fcrupule  de  déchirer  leurs 
frères.  Une  langue  qui  a  confellé  Jefus- 
Chrift  ;  qui  a  renoncé  aux  erreurs  6c  aux 
pompes  du  monde  ;  qui  bénit  tous  les  jours 
le  Dieu  de  paix  aux  pieds  des  autels  ;  qui 
eft  fouvent  confacrée  par  la  participation 
des  Myftères  faints ,  ne  doit  plus  erre  in- 
quiète ,  dangereufe  ,  pleine  de  fiel  ÔC  d  a- 
merîume  contre  fes  frères  :  c'eft  une  igno- 
minie pour  la  Religion  ,  que  d'abord  après 
avoir  offert  au  Seigneur  des  prières  pures  , 
ÔC  un  facrifice  de  louanges  dans  raflemblée 
des  Fidèles ,  vous  alliez  lancer  les  traits 
venimeux  du  ferpent  ,  contre  ceux  que 
l'union  de  la  foi ,  de  la  charité  ,  des  Sacre- 
inens  ;  que  leurs  propres  égaremens  mê- 
mes devroient  vous  rendre  plus  chers  ôC 
?.  cypr,  P^U^  refpeûables:  Lingua  Chryjlum  confegé 


Sur  la  Médisance.        207 

non  Jlnt  maUiiCii ,   non    turbulent  ci   \    non 
conviais  perjlrepens  audiatur  ;    non   contra 
fratres  &  Dd  facer dotes  ,  pojl  verba  laU" 
dis  3  ferpentis  venena  jaculetur* 

Otons ,  par  la  fageffe  6c  la  modération 
de  nos  difcours ,  aux  ennemis  de  la  vertu, 
toute  occafion  de  blafphêmer  contr'elle  ; 
corrigeons  nos  frères ,  plus  par  la  fainteté 
de  nos  exemples ,  que  par  Taigreur  de  nos 
cenfures  :  reprenons-les  en  vivant  mieux 
qu'eux  ,  5C  non  pas  en  parlant  contre  eux: 
rendons  laverturefpedablepar  fa  douceur? 
encore  plus  que  par  fa  févérité  :  attirons  à 
nous  les  pécheurs ,  en  compatilTant  à  leurs 
fautes  ,  oC  non  en  les  cenfurant  :  qu'ils  ne 
s'apperçoivent  de  notre  vertu  ,  que  par 
notre  charité  ÔC  notre  indulgence  ;  ôc  que 
notre  attention  charitable  à  couvrir  5c  ex- 
cufer  leurs  vices  ,  les  porte  à  les  condam.- 
ner  ,  6c  à  s'en  acculer  plus  févérement 
eux-mêmes  :  par-là  nous  gagnerons  nos 
frères  ;  nous  honorerons  la  piété  ;  nous 
confondrons  l'impiété  ÔC  le  libertinage: 
nous  ôterons  au  monde  ces  difcours  fi  com- 
muns 6c  fi  injurieux  à  la  véritable  vertu; 
-&  après  avoir  ufé  de  miféricorde  enver^ 
nos  frères,  nous  irons  avec  plus  de  con- 
fiance nous  préfenter  aU  Pjere  des  miféri- 
'Cordes ,  6c  au  Dieu  de  toute  confolation, 
Se  la  demander  pour  nous  mêmes. 

^Ainjî  foit  -  îL 

.  :;>:a  Crifrjîvî  si  i.  .       , 


5i^  £5^=^g==:^=:*'!^^=^^^gaH|^ , 
yTix  *>,  *.  •    x>  «•  «'    ^  a^x %^  ^    >■  ^  ^<(-    •*  *  ♦  X  rf 

1 1  .X  À ^j  '<^  <^  <'  <r  X       i»^  y  j^       X  »  »  <>  <!^2:        o-  X .  1 1 

SERMON 

POUR    LE    MARDI 
DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE 

DE  CAR  È  M  JE. 

Des  doutes  fur  la   Religion, 

Sed  hune  fcimus  unde  fît  ;  Christus  aute». 
CUm  vcnerii ,  nemo  fcit  unde  fie 

Nous  favons  d'où  çtluUcl  vient  ;  mais  pffui 
le  Christ  ,  brfqu'il  paroitra  ,  perfannc  ne  faU' 
ra  d'où  il  vient*  Joan  7.  27. 

OiLA  le  grand.\prétêiite.  que 
Tin  crédulité  des  Juifs  appDfôit 
à  la  do(^rine  6c  au  mtiiditere:d^ 
Jésus-Christ  :  tdesrdo-utes  Smx 
la  'vérité  de  fà  Mitîiou.  .Nous 
favons  qui  vousétes-,  6c  d'où  vou^lyeiiôZ;, 
lui  difoient-ils  :  mais  le  Christ  que  nous 
attendons ,  quand- il  p^rcôtra ,  nous  nefau- 
irons  d'où  il  vient.  R  n'eft  donc  pas  clair 
que  vous  foyez  le  Meffie  promis  à  nos  pè- 
res 


Doutes  sur  la  Religion.    209         * 

r^  ;  peut-être  eft-ce  un  elprit  iinpoftaur  ? 
qui  opère  par  vous  despreftiges  à  nos  yeux, 
5c  qui  impofe  à  la  créduiité  du  vulgaire  : 
tant  de  fédu61:eurs  ont  déjà  paru  dans  la 
JudéQ  ,  Icfquels  en  fe  difant  le  grand  Pro- 
phète qui  doit  venir  ,  ont  trompé  les  peu- 
ples,  5c  fe  font  enfin  attiré  la  punition  due 
iV  leur  impofture.  Ne  tenez  plus  nos  efprits 
en  fLifpens  :  Quo  ufrnie  animam  noflram^^^'^*  ^' 
toUiti  6c  fî  vous  voulez  que  nous'vous^^* 
croyions  le  Christ,   montrez-nous  que  ^ 

vous  Têtes ,  d'une  manière  qui  ne  lailTe- 
plus  de  lieu  au  doute  ^  à  la  méprife. 

Je  n'oferois  le  dire  ici ,  mes  Frères  ,  fi- 
le langage  des  doutes  fur  la  foi  ii'étoit  de-- 
venuli  commun  parmi  nous,  que  nous  n'a-- 
vons  plus  befoin  de  précaution  pcurentre-- 
prendre  de  le  combattre  :  voilà  le  prétexte- 
prefquele  plus  univerfel  dont  on  fe  fert  tous  • 
fes  jours  dans  le  monde  ,  pour  s'autorifer' 
dans  une- vie- route  criminelle.  Tout  eft" 
plein  au  jourd'hui  de  ces  pécheurs ,  qui  nous- 
difent  froidement  qu'ils  fe  convertiroient  ,- 
s  ils  étoient  bien  sûrs  que  tout  ce  que  nous^ 
leurs  dîfoiïsdô  la  Religion  fm  véritable  ;- 
queiTeut-étreiin'y  a  rien  après  cette  vie  ; 
qu'il^ORtdes  doutes  &  des  difficultés  fur- 
nos  >IVlyiîères  ,  auxquelles  ils  ne  trouvent-' 
point  de-réponfe  qui  les  fatisfaile  ;  qu'au" 
fond,  tout  paroît  alîcz  incertain;  ÔC  qii'a-- 
rantde  s'emrbarquer  à  fu ivre  toutes  les  ma-- 
ximes  févéres  d^  l'Evangile  ,.  il  faudroit^ 
être  bien  aiTuFé-  qu&  nos  peines  lïe  feronr 
pas  perdues.-    .  f 


210    Mardi  de  la  IV.  Semaine. 

Or ,  je  ne  veux  pas  aujourd'hui  confon- 
dre rincrédulité  par  les  grandes  preuves 
qui  établilTent  la  vérité  de  la  foi  chrétien- 
ne :  outre  que  nous  les  avons  déjà  établies 
ailleurs ,  c'eft  un  fujet  trop  vafte  pour  un 
difcours ,  5c  qui  n'eft  pas  même  fouvent 
à  la  portée  de  la  plupart  de  ceux  qui  nous 
écoutent  j  c'eft  faire  fouvent  trop  d'hon- 
neur aux  objections  frivoles  de  prefque 
tous  ceux  qui  fe  donnent  pour  efprits  forts 
dans  le  monde,  que  d'employer  le  férieux 
de  notre  miniftère  à  les  réfuter  ÔC  à  les 
combattre. 

Il  faut  donc  aujourd'hui  tenter  une  voie 
plus  abrégée  5c  plus  facile.  Mon  delTein 
n'eft  pas  d'entrer  dans  le  fond  des  preuves 
qui  rendent  témoignage  à  la  vérité  de  la 
foi  i  je  veux  feulement  vous  découvrir  1© 
faux  de  l'incrédulité  :  J€  veux  vous  prou- 
ver que  la  plupart  de  ceux  qui  fe  difent 
incrédules  ^  ne  le  font  pas  ;.  que  prefque 
tous  les  pécheurs ,  qui  nous  vantent ,  qui 
îiQus  allèguent  fans  celle  leur»  doutes  > 
comme  le  feul  obi^açle  à  leur  converfion  ^ 
ne  doutent  point  ;  Sc  que  de  tous  les  pré- 
textes dont  on  fe  fert  pour  ne  pas  changer 
de  vie,  celui  des  doutes  fur  la  Religion  j. 
qui  eft  devenu  le  plus  commun  y  eil  le 
nioîns  vrai  5c  le  moins  fi  ne  ère* 

Il  paroit  d'abord  étonnant  que  j'entre- 
prenne de  prouver  à  ceux  qui  croyent  avoir 
des  doutes  fur  la  Religion  ^  6c  qui  nous  les 
Oppofetit  fans  celle ,,  qu'ils  ne  doutent  point 
ea  effet  :  cependgiat  pour  peu  que  Ton  cou- 


Doutes  sur  la  Religion,  ut 
UoIiTe  les  hommes ,  ÔC  qu'on  faffe  atten- 
tion fur-tout  au  caraftère  de  ceux  qui  fe 
vantent  de  douter  ,  rien  n'eft  plus  aifé  que 
de  s'en  convaincre.  Je  dis  à  leur  caractère  , 
où  entre  toujours  le  dérèglement ,  l'igno- 
rance ,  ÔC  la  vanité  ;  ÔC  voilà  les  trois  four- 
ces  les  plus  ordinaires  de  leurs  doutes  :  ils 
en  font  honneur  à  l'incrédulité  qu'il  n'y 
a  prefque  point   de  part. 

C'eft  premièrement  ,  le  dérèglement 
qui  les  propofe  ,  fans  ofer  les  croire. 
Première   réflexion. 

C'eft  en  fécond  lieu  ,  l'ignorance  quî 
les  adopte  ,  fans  les  comprendre.  Secon- 
de  réflexion. 

C'ell  enfin  la  vanité  qui  s'en  fait  hon» 
neur  ,  fans  pouvoir  parvenir  à  s'en  faire 
une  relTource.  Dernière  réflexion. 

C'eft-à-dire  que  la  plupart  de  ceux  quî 
fe  difent  incrédules  dans  le  monde  ,  font 
aflez  déréglés  pour  defirer  de  l'être  ;  trop 
ignorans  pour  l'être  en  effet ,  6c  allez  vains 
cependant  pour  vouloir  le  paroître.  Déve- 
loppons ces  trois  réflexions  devenues  par* 
mi  nous  d'un  fi  grand  ufage  ;  &  confon* 
dons  le  libertinage  plutôt  que  l'incrédulité , 
en  le  découvrant  à  lui-même.  Ave,  Maria, 

Il  faut  d'abord  convenir,  mes  Frères  jParx^i^ 
6c  il  eft  trifte  pour  nous  que  nous  devions 
cet  aveu  à  la  vérité  :  il  faut ,  dis-je  ,  con- 
venir que  notre  fiècle  5c  ceux  de  nos  pères 
ont  vu  de  véritables  incrédules.  Dans  la 
dépravation  des  mœurs  où  nous  vivons  » 

Si 


il 2,    Mardi  de  la  IV.  Semainf. 

€c  au  milieu  des  fcandales  qui  depuis  fi 
long-tems  affligent  l'Eglife,  il n'eft  pas  fur"» 
prenant  qu'il  fe  foit  trouvé  quelquefois  des 
hommes  qui  n'ayent  plus  voulu  connoître 
de  Dieu;  8C  que  la  foi  iî  affoiblie  dans 
tous ,  fe  foit  enfin  en  quelques-uns  tout-à- 
fait  éteinte.  Gomme  dans  tous  les  fiécles 
paroifi'ent  certaines  âmes  choiiies  ôc  ex- 
traordinaires ,  que  le  Seigneur  remplit  de 
fes  grâces  ,  de  fes  lumières ,  de  fes  dons 
les  plus  éclatans ,  6c  en  qui  il  prend  plaifir 
de  verfer  à  pleines  mains  toutes  lesricheffes 
de  fa  miféricorde  :  on  en  voit  aufîi  en  qui 
riniquité  eft ,  paurainfi  dire ,  confommée  j 
èc  que  le  Seigneur  femble  avoir  marquées  ^ 
pour  faire  éclater  en  elles  les  jugemens  les 
plus  terribles  de  fa  juftice  ,  6c  les  effets 
les  plus  funeftes  d€  fan  abandon  ÔC  de 
fa  colère.. 

L'Eglifé,  oii  tous  lés  fcandales  doivent 
croître  jufqu'à  la  fin  ,  ne  peut  donc  fe  glo- 
rifier d'être  tout-à-fait  purgée  du  fcandal© 
de  rinerédulité  :  elle  a  de  tems  en  tems  fes 
aftres  qui  Téclairent  ,  ^  fes  monftres  qui 
-la  défigurent  ;  ^'  à  côté  de  ces  grands 
hommes  ;  célèbres  par  leurs  lumières  5c 
par  leur-  fainteté  ,  qui  lui  ont  feryi  de  foii> 
tien  5c  d'ornement  dans  chaque.fiècls ,  elle 
a  viï  s'élever  auffi  un€  tradition  d'hommes 
impies ,  dont  les  noms  font  encore  aujour- 
d'hui rhorreur-  de  l'univers ,  lefquels  par 
des  écrits  pleins  de  blafphême  &C  d'impiété, 
'•ont  ôfé  attaquer  les  Myftèr^s  dé  Dieu  ,  niéî; 
ie  falut^  ôç  les  promeffes  faites  à  zios  pères  >. 


nOUTE5  ÇUR  LA  RELIGION.  213* 
reiiverfer  le  fondement  de  la  foi  ,  ôC  prê- 
cher le  libertinage  parmi  les  Fidèles. 

Je  ne  prétends  donc  pas ,  mes  Frères  ,'. 
que  parmi  tant  de  libertins  qui  parlent  au 
milieu  de  nous  le  langage  de  rincrédulité,. 
il  ne  s'en  trouve  quelqu'un  d'afiez  corrom- 
pu dans  l'efprit  &.  dans  le  cœur  ,  d'aiTez- 
abandonné  de  Dieu  ,  pour  être  en  effet  ÔC 
réellement  incrédule  :  je  veux  feulement* 
établir  que  ces  hommes  impies-,  6c  fermées- 
dans  rimpiëté  ,  fontrares  ;  £c  que  parmi: 
tous  ceux  qui  vous  vantent  tous  les  jours^ 
leurs  doutes  ÔC  leur  incrédulité  ,  di  qui  en 
font  une  déplorable  oflentation  ,  il  n'en  efî 
pas  peut-être  un  feul  fur  le  cœur  duquel  la 
foi  ne  conferve  encore  fes  droits  ,  àc  qui 
ne  craigne  encore  en  fecret  le  Dieu  qu'il 
fait  femblant  de  ne  vouloir  pas  connoître^ 
Pour  confondre  nos  prétendus  incrédules^- 
il  n'eft  pas  toujours  nécelTaire  de  les  com^- 
battre  ;  fouvent  on  ne  combat  que  des 
phantômes  :  il  faut  feulement  les  montrer 
tels  qu'ils  font  :  Taffreufe  décoration  d'in- 
crédulité dont  ils  fe  parent ,  tom.be  bien- 
tôt ;  5c  il  ne  leurrelle  plus  que  leurs  paf- 
fiojns  &  leurs  débauches. 

Et  voilà  la  première  raifon  fur  qtîoi  j'ai 
établi  lapropoiition  générale  ,  quQ  la  plu- 
part de  ceux-  qui  fe  vantent  d'avoir  des 
doutes,  ne  doutent  point  en  effet;  c'eft 
que  leurs  doutes  font  des  doutesde  dérè- 
glement, 6c  non  pas  d'incrédulité.  Pour* 
quoi  ,  mes  Frères?  parce  que  c'eft  le  dé- 
régleaieût  qui  a  foriîié  leurs  doutes,,  &>. 


2Î4  Mardi  de  la  IV.  Semaine. 
non  pas  leurs  doutes  le  dérèglement  ;  parce 
qu'a(^uellement,  c'eft  à  leurs  paiTions  ,  ÔC 
non  pas  à  leurs  doutes ,  qu'ils  tiennent , 
parce  qu'enfin  ils  nattaquent  d'ordinaire 
Oe  la  Religion ,  que  les  vérités  incommo- 
des aux  pallions.  Voici  des  réflexions  qui 
me  paroillent  dignes  de  votre  attention  ;  je 
vais  vous  les  expofer  fans  ornement  ,  ôC 
dans  le  même  ordre  qu'elles  fe  font  offer- 
tes à  mon  efprit. 

Je  dis  en  premier  lieu  ;  parce  que  c'ellle 
dérèglement  qui  a  formé  leurs  doutes  ,  6C 
non  pas  leurs  doutes  le  dérèglement.  Oiii , 
mes  Frères  ,  on  n'a  point  encore  vu  de  ces 
hommes ,  qui  affectent  de  fe  dire  incrédul- 
les ,  lefquels  ayent  commencé  par  des  dou- 
tes fur  les  vérités  de  la  foi ,  ÔC  qui  des  dou- 
tes foient  tombés  dans  la  débauche  :  on 
commence  par  les  paiïions  ;  les  doutes  vien- 
nent enfuite:  on  fe  laille  d'abord  emporter 
aux  égarem.ens  de  Tâge  ,  6c  aux  excès  de 
la  débauche;  ÔC  quand  on  y  a  fait  un  cer- 
tain chemin  ,  &  qu'il  ne  paroît  plus  pofîl- 
ble  de  retourner  fur  fes  pas ,  on  fe  dit  à  foi- 
même  pour  fe  calmer  ,  qu'il  n'y  a  rien 
après  cette  vie ,  ou  du  moins  on  eft  ravi  de 
trouver  des  gens  qui  nous  le  difent.  Ce  n'eft 
donc  pas  le  peu  de  certitude  qu'on  trouve 
dans  la  Religion  ,  qui  fait  conclure  qu'il 
faut  s'abandonner  au  plaifir  ,  &  qu'il  eft 
inutile  de  fe  faire  violence  ,  puifque  tout 
meurt  avec  nous ,  c'eft  l'abandonnement 
au  plaifir  qui  jette  dans  l'incertitude  fur  la 
Religion  ,  &  qui  nous  rendant  la  violence 


Doutes  sur  la  Religion.  21$ 
comme  impofTihle  ,  nous  fait  conclure 
qu'aufTi-bieu  elle  eft  inutile.  La  foi  ne  de- 
vient donc  fufpeâ:e  que  lorfqu'elle  com- 
mence à  devenir  incommode  :  6C  jufqu'icî 
l'incrédulité  n  a  point  fait  de  voluptueux; 
mais  la  volupté  a  prefque  fait  tous  les 
incrédules. 

Et  une  preuve  de  ce  que  je  dis  ,   vous 
que  ce  difcours  regarde  ,  c'eft  que  tandis 
que  vous  avez  vécu  avec  pudeur  ôc  avec 
innocence ,  vous  n  avez  pas  douté.  Rappel- 
iez ces  tems  heureux  où  les  painons  n'a- 
voient  pas  encore  gâté  votre  cœur  ,  la  foi 
de  vos  pères  ne  vous  offroit  rien  que  d'au- 
gufte  ôC  de  refpe6lable  ;  la  raifon  plioit  fans 
peine  fous  le  joug  de  l'autorité  ;  vous  ne 
vous  aviliez  pas  de  vous  former  à  vous-mê» 
mes  des  difficultés  6c  des  doutes  ;  dès  que 
les  mœurs  ont  changé ,  les  vues  fur  la  Re- 
ligion n'ont  plus  été  les  mêmes.  Ce  n'eft 
donc  pas  la  foi  qui  a  trouvé  dans  votre  raU 
fon  de  nouvelles  difficultés;  c'eft  la  prati- 
que des  devoirs  qui  a  rencontré  dans  votre 
cœur  de  nouveaux  obftacîes.   Et  iî  vous 
nous  dites  que  vos  premières  impreffions 
il  favorables  à  la  foi ,  ne  venoient  que  des 
préjugés  de  l'éducation  8<.  de  l'enfance; 
nous  vous  répondrons ,  que  les  fécondes  fî 
favorables  à  l'impiété  ,  ne  vous  font  ve- 
nues que  des  préjugés  des  pallions  ÔC  de  la 
débauche  ;  §C  que  préjugés  pour  préjugés  ,, 
îl  nous  fem.ble  qu'il  vaut  encore  mieux  s'ea 
tenir  à  ceux  qui  font  formés  dans  Finno- 
ceuce  y  ôc  qui  nous  portent  à  la  vertu  ^ 


ti&    Wardi  de  la  IV.  Semaine.' 

qu'à  ceux  qui  font  nés  dans  rinfamie  deT 
pafTions ,  6c  qui  ne  prêchent  que  le  liber-- 
tinage  ê<  le  crime. 

Ainfi  rien  n'ell  plus  humiliant  pour  Tin- 
crédulité  ,  que  de  la  rappeller  à  fon  origi- 
ne :  elle  porte  un  fau^;  nom  de  fcience  6C 
de  lumiiére  ;  6c  c'eft  un  enfant  de  crime  6c 
de  ténèbre.  Ce  n'ell  donc  pas  la  force  de 
la  raifon  qui  a  mené  là  nos  prétendus  in- 
crédules :  c'eft  la  foiblelTe  d'un  cœur  cor- 
rompu qui  n'a  pu  furmonter  fes  penchans 
ks  plus  honteux  ;  c'eft  même  une  lâcheté 
de  courage,  qui  ne  pouvant  foutenir  6c 
regarder  d'un  œil  ferme  les  terreurs  6c  les- 
menaces  de  la  Religion  ,  tâche  de  s'étour- 
dir ,  en  redifant  fans  celle  que  ce  font  des 
frayeurs  puériles  :  c'efl  un  homme  qui  a 
peur  la  nuit,  5c  qui  chante  en  marchanf- 
tout  feul  dans  les  ténèbres ,  pour  fe  raffu- 
rer  lui-même  :  la  débauche  nous  rend  tou- 
jours lâches  6c  craintifs  ;  5C  ce  n'eft  qu'un 
excès  de  peur  des  pei«es  éternelles ,  qui  fait- 
qu'un  libertin  nous  prêche  6>C  nous  chante 
fans  ceûe  qu'elles  font  douteufes  :  il  trem- 
ble ,  5c  il  veutfe  rairurercontrelui-mêmer 
il  ne  p£ut  pas  foutenir  en  même-tems  la: 
vue  de  fes  crimes  ÔC  celledu  fupplice  qut 
lès  attend:  cette  Foi  ]([ vénérable  ,  5c  dontj- 
il  parle  avec  tam  de  mépris,  l'effraye  pour- 
tant ,  le  trouble  encore  plus  que  les  autres*: 
pécheurs,  qui  fans  douterde  fes  châtimens, 
ire  lailTenî  pas  fouvent  d'être  infidèles  à  fes 
préceptes  :  c'eft  un  lâche  qui  cache  fa  peur 
lous-uiiefaiiiTe-  oitentation  de  bravoure;. 

Non . . 


Doutes  suh  la  Religion.  217 
Non  ,  mes  Frères  ,  nos  prétendus  efprits 
forts  fe  donnent  pour  des  hommes  fermes 
ÔC  courageux  :  fuivez-les  de  près  ;  ce  font 
les  plus  foibles  5c  les  plus  lâches  de  tous 
les  hommes. 

D'ailleurs ,  il  n'eil  pas  étonnant  que  le 
dérèglement  nous  mené  à  des  doutes  fur  la 
Religion  :  il  faut  appeller  Tincrédulité  au 
fecours  des  paîTions  ;  car  elles  font  trop 
foibles  ÔCtrop  injufïes  pour  fe  [outenir  tou- 
tes feules.  Nos  lumières  ,  nos  fentlmens , 
notre  confcience  ,  tous  les  combats  au  de- 
dans de  nous  :  il  faut  donc  leur  chercher  un 
appui ,  5C  les  détendre  contre  nous-mê- 
mes ;  (  car  on  efl  bien  aife  de  fe  juiHfîer  à 
foi-même  tout  ce  qui  plait.  )  On  ne  veut 
pas  que  des  palTions  qui  nous  font  chères , 
loient  criminelles  ,  ni  avoir  à  foutenir  ians 
ceiTe  les  intérêts  de  fes  plaiflrs  contre  ce  ix 
de  fa  confcience  :  on  veut  jouir  tranquille- 
ment de  fes  crimes  ,  5C  fc  délivrer  de  ce 
cenfeur  importun  ,  qui  prend  fans  celfe  au 
dedans  de  nous  le  pnrti  de  la  vertu  contre, 
nous-mêmes.  Ce  n'elt  jouir  qu'à  demi  de 
{es  pallions ,  tandis  que  les  remords  nous 
en  difputent  le  plaifir  :  c'elt  acheter  trop 
chèrement  le  crime  ,  que  de  Tacheter  au 
prix  même  du  repos  qu'on  y  cherche  :  il 
faut ,  ou  finir  fes  débauches  ,  ou  tâcher  de 
s'y  calmer  ;  5c  comme  il  en  coûteroit  trop 
de  les  finir ,  dC  qu'on  ne  fauroit  s'y  calmer 
qu'en  doutant  dQs  vérités  qui  nous  trou- 
blent ,  on  fe  les  donne  à  foi-même  com- 
me douteufes  ;  6c  pour  parvenir  à  être 

Carême,   Toms  ilL  T 


2i8     Mardi  DE  LA  ly.  Semaine. 
tranquille  ,  on  s'efforce  de  fe  perfuader 
qu'on  eft  incrédule. 

C'efc-à-dire,  que  le  grand  effort  du  dérè- 
glement eft  de  nous  conduire  au  défir  de 
l'incrédulité  :  on  voudroit  pouvoir  arriver 
à  l'affreufe  fécurité  de  l'incrédule  ;  on  re- 
garde cet  état  d'endurciflement  entier  com- 
me ua  état  heureux  ,  on  fe  fait  mauvais 
gré  d'être  né  avec  une  confcienceplus  foi- 
fcle  6c  plus  craintive  :  on  envie  la  deftinée 
de  ceux  qu'on  croit  fermes  6c  inébranlables 
dans  l'impiété  ;  lefquels  peut-être  à  leur 
tour ,  livrés  en  fecret  aux  remords  les  plus 
triftes,  5c  fe  faifluit  honneur  d'une  fermeté 
qu'ils  n'ont  point ,  regardent  notre  fort 
avec  envie  ,  parce  que  ne  jugeant  de  nous 
que  par  les  difcours  de  libertinage  que 
nous  tenons  ,  ils  nous  prennent  pour  ce 
qu'ils  paroilTent  eux-mêmes  être  à  nos 
yeux  ,  c'efii-a-dire  ,  pour  ce  que  nous  ne 
ïbmmes  pas ,  6c  pour  ce  que  6c  eux  & 
nous  voudrions  être.  Et  c'eft  ainfi ,  ô  mon 
Dieu  !  que  ces  f-j-x  héros  de  Timpiété  vi- 
vent dans  une  iliufion  perpétuelle,  fe  don- 
nent fans  ceiT^  le  change  à  eux-mêmes,  ÔC 
ne  paroilTenî  ce  qu'ils  ne  font  pas  ,  que 
parce  qu'ils  fouhaitent  de  l'être  :  Us  vou- 
droient  bien  que  la  P»-eligion  fût  un  fonge  ; 
ils  difent  dans  leur  cœur  qu'il  n'y  a  point 
ff,  13  i.de  Dieu  :  Dixit  in/îpiens  in  corde fiio  :  l^on 
ejl  Dms  ;  c'eft-à-dire  ,  ce  langage  impie 
eft  le  délir  de  leur  cœur  :  ils  délireroient 
qu'il  n'y  eût  point  de  Dieu  ;  que  cet  Etre  fi 
grand  5c  û  iiéceflaire  fût  une  chimère  j 


Doutes  sur  la  Religiom.  h^ 
qu'ils  fuirent  eux  feuls  les  maîtx*-es  de  leur 
dcftinée  ;  qu'ils  n'eulTent  à  répondre  qu'à 
eux-mêmes  des  horreurs  de  leur  vie  5c  de 
l'indignité  de  leurs  pafîions  ;  que  tout  finît 
avec  eux  ;  ê»C  qu'il  n'y  eût  point  au-delà  du 
tombeau  du  Juge  fupréme  ôC  éternel ,  ven- 
geur du  vice  ,  &  rémunérateur  de  la  vertu  ; 
ils  le  défirent  ;  ils  TanéantifTent  autant  qu'ils 
peuvent  par  les  fouhaits  impies  de  leur 
cœur  ;  mais  ils  ne  peuvent  effacer  du  fond 
de  leur  être  ,  l'idée  de  fa  puilTance  6c  la 
crainte  de  fa  juftice  :  Dixit  injipiens  in  cor* 
de  fiio  ,   'Non  ejl  Deiis, 

En  effet ,  il  feroit  trop  trifte  6c  trop 
vulgaire  pour  un  homme  vain ,  abîmé  dans 
la  débauche  ,  de  fe  dire  en  fecret  à  lui- 
même  :  Je  fuis  encore  trop  foible  ÔC  trop 
abandonné  au  plaifir  ,  pour  en  fortir  & 
mener  une  vie  plus  régulière  5c  plus  chré- 
tienne. Ce  prétexte  lui  laifferoit  encore 
tous  fes  remords  :  c'eft  bien  plutôt  fait  de 
fe  dire  à  foi-méme  :  Il  ell  inutile  de  mieux 
vivre  ,  parce  qu'il  n'y  a  rien  après  la  vie. 
Ce  prétexte  efl  bien  plus  commode ,  parce 
qu'il  finit  tout  ;  c'eft  le  plus  favorable  à  la 
pareffe  ,  parce  qu'il  nous  éloigne  des  Sa- 
cremens  6c  de  tous  les  autres  affujettiffe- 
mens  de  la  Religion.  Il  eft  bien  plus  court 
de  fe  dire  à  foi-méme  qu'il  n'y  a  rien  ,  ôC 
de  vivre  comme  fi  en  effet  on  en  étoit  per- 
fuadé  :  c'eft  fe  délivrer  tout  d'un  coup^  de 
tout  joug  ÔC  de  toute  contrainte:  c'eft  finir 
toutes  les  mefures  gênantes  que  les  pé- 
cheurs d'un  autre  caraûêre  gardent  encore 

T  z 


220  Mardi  de  la  îîL  Semaime. 
avec  la  Religion  ôc  avec  l:i  confcience.  Ce 
prétexte  d'incrédulité ,  en  nous  pcrfuadant 
que  nous  doutons  en  effet,  nous  laifTe  dans 
im  certain  état  d'indoiciice  fur  tout  ce  qui 
regarde  le  falut,  qui  nous  empêche  de  nous 
approfondir  nous-mêmes ,  éc  de  faire  des 
réflexions  trop  trlfles  fur  nos  pafilons:  nous 
nous  lalilons  mollement  entraîner  au  cours 
fatal  qui  nous  emporte  ,  {ur  le  préjugé  gé- 
néral ,  que  nous  ne  craignons  rien  :  nous 
avons  peu  de  remords  ,  parce  que  nous 
nous  fuppofons  incrédules  ,  ôC  que  cette 
fuppolition  nous  laillc  prefque  la  même 
fécurité  que  l'impiété  véritable:  du  moins 
c'eft  une  diverfion  qui  émoulTe  ÔC  qui  fuf- 
pend  la  fenfibiiité  de  la  confcience;  &  en 
faifant ,  que  nous  nous  preno.ns  toujours 
pour  ce  que  nous  ne  foinmes  pas  ,  elle 
lait  que  nous  vivons ,  comme  il  nous  étions 
©n  eftet  ce  que  nous  de/irons  d'être. 

C'eft-  à-dire,  qu'il  hv.t  regarder  le  parti 
delà  plijpart  de  ces  prétendus  efprits  forts  , 
^  de  ces  iDcré-didcs  de  débauche  ^  de  li- 
bertinage ,  comme  un  parti  d'hommes  foi- 
bles  ,  diifolus  ,  di flip es  ,  lefquels  n'ayant 
pas  la  force  de  vivre  chrétiennement ,  ni 
la  fermeté  même  d'être  impies,  demeurent 
dans  cet  état  d'éioignement  de  la  Religion, 
comme  le  plus  commode  à  la  parelTe  ;  £< 
comme  ils  ne  font  rien  pour  en  fortir  ,  ils 
croyeat  y  tenir  en  effet:  c'eft  une  elpéce  de 
neutralité  entre  la  foi  &  l'irréligion  ,  dont 
rindclence  s'accommode  ;  parce  qu'il  faut 
du  mouvement  pour  prendre  un  parti ,  ôC 


Doutes  sur  la  Relîgion\  221 
que  pour  demeurer  neutre ,  il  n'y  a  qu  à  ne 
point  penfer  ,  êv  vivre  d'habitude  :  ainiioa 
ne  s'approfondit  6(.  on  ne  fe  décide  jamais 
foi-meme.  L'impiété  ferme ,  déclarée,  a 
je  ne  fais  quoi  qui  fait  horreur  :  la  Reli- 
gion ,  d'un  autre  côté  ,  offre  des  objets  qui 
allarment ,  5c  qui  n'accommodent  pas  les 
pallions.  Que  faire  entre  ces  deux  cxtrêm.i* 
lés  ,  dont  l'une  révolte  la  raiibn  ,  &.  l'au- 
tre les  fens  ?  on  dem.eure  indécis  ÔC  chan- 
celant ;  on  jouit  en  attendant ,  du  calme 
que  cet  état  d'indécilîon  6c  d'indifférence 
nous  laiffe  :  on  vit  fans  vouloir  favoir  ce 
qu'on  eft  ;  parce  qu'il  eft  plus  commode  de 
n'être  rien  ,  ÔC  de  vivre  fans  penfer  &  fans 
fe  connoitre.  Non  ,  mes  Frères ,  je  le  ré- 
pète ;  ce  ne  font  pas  ici  des  incrédules ,  ce 
font  des  homm^es  lâches  qui  n'ont  pas  la 
force  de  prendre  un  parti  ;  qui  ne  favent 
que  vivre  voluptueufement  ,  fans  régie  , 
fans  morale ,  fouvent  fans  bienféance  ;  5c 
qui  fans  être  impies,  vivent  pourtant  ilins 
religion  ,  parce  que  la  religion  demande 
de  la  fuite  ,  de  la  raifon  ,  de  l'élévation 
de  la  fermeté  ,  de  grands  fentimens  ,  £C 
qu'ils  en  font  incapables.  Voilà  pourtant 
les  héros  dont  Timpiété  s'honore;  voilà  les 
fuiTrages  dont  elle  fe  fait  un  rempart ,  &C 
qu'elle  oppofe  à  la  religion  en  nous  inful- 
tant  ;  voilà  les  partifans  avec  lefquels  elle 
-  fe  croit  invincible  :  6-C  il  faut  bien  que  {es 
reffourcesfoientfoibles  5C  miférables,puif- 
qu'elle  ell  réduite  à  les  chercher  dans  des 
homm.es  de  ce  caraftcre. 

T  3 


222    Mardi  de  la  IV.  Semaine. 

Première  raifon  qui  prouve  que  ce  ne 
font  pas  les  doutes  qui  jettent  dans  le  dé- 
règlement ;  mais  le  dérèglement  tout  feuî 
qui  nous  jette  dans  les  doutes,  La  féconde 
raifon  n'eft  qu'une  nouvelle  preuve  de  la 
première  :  c'efl  qu'aduellement  fî  Ton  ne 
change  point  de  vie  ,  ce  n  eft  pas  à  fes 
doutes  que  l'on  tient,  c'eft  à  les  feules 
pafîions. 

Car  je  ne  vous  demande  ici  que  de  la 
bonne  foi ,  à  vous  qui  nous  alléguez  fans 
celle  vos  doutes  fur  nos  Myftères.  Lorfque 
vous  penfez  quelquefois  à  fortir  de  cet 
abîme  de  vice  ÔC  de  débauche  où  vous 
vivez  ;  &  que  les  pafTions  plus  tranquilles 
vous  permettent  quelque  retour  fur  vous- 
même,  vous  oppofez-vous  alors  vos  incer- 
titudes un  la  Religion  ?  vous  dites-vous  à 
vous-même  :  Mais  fi  je  reviens ,  il  faudra 
croire  des  chofes  qui  paroiflent  incroya- 
bles ?  eft-ce-là  la  grande  difficulté?  Ah  î 
vous  vous  dites  en  fecret  à  vous-m.ême  : 
Mais  il  je  reviens ,  il  faudra  finir  ce  com- 
merce ,  m^nterdire  ces  excès  >  rompre  ces 
fociétés ,  éviter  ces  lieux  y  en  venir  à  des 
démarches  que  je  ne  fouticndrai  jamais^. 
&  prendre  un  genre  de  vie  auquel  toutes 
mes  inclinations  répugnent.  Voilà  à  quoi 
vous  tenez  ;  voilà  le  mur  de  féparation  qui 
vous  éloigne  de  DieiT.  Vous  parlez  tant 
aux  autres  de  vos  doutes  ;  d'où  vient  que 
vous  ne  vous  en  parlez  point  à  vous-même? 
ce  n'eft  donc  pas  ici  une  affaire  de  raifon 
&  de  croyance  ,  c'eft  une  affaire  de  cœiu" 


Doutes  sur  la  Religion.  223 
Se  de  dérèglement  :  6c  le  délai  de  votre 
converfion  ne  prend  pas  fa  iource  dans  vos 
incertitudes  fur  la  foi ,  mais  dans  le  doute 
feul  oûvous  laiiîe  la  violence  5c  l'empire 
de  vos  pafllons ,  de  pouvoir  jamais  vous 
affranchir  de  leur  fervitude  5c  de  leur  in- 
famie. Voilà  mes  Frères  ,  les  chaînes 
véritables  qui  lient  nos  prétendus  incrédu- 
les à  leurs  propres  miféres. 

Et  ce  qui  confirme  encore  cette  vérité , 
c'efl  que  la  plupart  de  ces  hommes  qui  fe 
donnent  pour  incrédules ,  vivent  pourtant 
dans  des  variations  perpétuelles  fur  le  point 
même  de  l'incrédulité.En  certains  momens 
les  vérités  de  la  Religion  les  touchent  : 
ils  fe  fentent  agités  de  vifs  remords  ;  ils 
cherchent  mémQ  des  hommes  habiles  8>C 
renommés  ,  dss  ferviteurs  de  Dieu  ,  pour 
s'entretenir  avec  eux  6c  s'inlîruire:  eji  d'au- 
tres ,   ils  fe  moquent  de  ces  vérités  j  ils 
traitent  les  ferviteurs  de  Dieu  avec  déri- 
fîon  ,  &  la  piété  elle-même  de  chim^     : 
il  n'efl  guéres  de  ces  pécheurs  ,  de  ceux 
même  qui  font  le  plus  d'oflentation  de  leur 
incrédulité  ,  que  le  fpectacle  d'une  mort 
inopinée  ,  qu'un  accident  funefie  ,  qu'une 
j)erte  douloureufe  ;  qu'un  renverfement  de 
fortune  ,  qu'une  difgrace  éclatante  ,   n'ait 
quelquefois  jette  dans  des  réflexions  triflis 
fur  fon  état ,  Sc  dans  des  déiirs  d'une  vie 
plus  chrétienne  ;  il  n'en  eil  guéres  ,    qui 
dans  ces  fituations  affligeantes ,  ne   cher- 
chent de  la  confolation  auprès  des  gens  de 
bien,  ne  faffent  quelque  démarche  qui  lailTe 

T  4 


224  Mardi  de  la  IV.  Sem.m.vs. 
erpérer  une  forte  d'amandeinent.  Ce  n'efl 
pas  à  leurs  compagnons  d'impiété  ,  de  li- 
bertinage ,  qu'ils  ont  recours  alors  pour 
fe  confoler  ;  ce  n'eft  pas  dans  ces  railleries 
impies  de  nos  Myiîères  ,  &  dans  cette 
philofophie  affreule  ,  qu'ils  cherchent  un 
adoucilîement  à  leurs  peines  :  ce  font-là 
les  difcours  de  la  joie  &  de  la  débauche  , 
êc  non  pas  de  Tafflièlion  6c  de  la  douleur: 
c'en:  la  religion  de  la  table ,  des  plaiiirs ,  des 
excès  ;  ce  n'eft  pas  celle  du  férieux  des 
contre- tems  6c  de  la  triftefle  :  le  goût  de 
l'impiété  tomibe  pour  eux  avec  celui  des 
pîaifîrs.  Or  ,  fi  leur  incrédulité  avoit  fou 
fondement  dans  des  incertitudes  réelles  fur 
la  Religion  ,  tant  que  ces  incertitudes  fub- 
fifteroient ,  l'incrédulité  fcroit  toujours  la 
même  ;  mais  comme  leurs  doutes  ne  naif- 
fent  que  de  leurs  paiîions  ,  &  que  leurs 
paflîons  ne  font  pas  toujours  les  mêmes , 
ni  également  vives  ÔC  maîtrefles  de  leur 
cœur  ,  leurs  doutes  changent  fans  cefTe 
commue  leurs  paillons;  ils  croilTent ,  ils 
diminuent ,  ils  s'éciipfent ,  ils  reparoiffent, 
ils  font  dans  laméme volubilité 5c  toujours 
dans  le  m.cme  degré  que  leurs  pafîions  ;  en 
un  mot ,  ils  fui\  ent  la  deftinée  <ies  paf- 
fjons  ,  parce  qu'ils  ne  font  que  les  paflions 
elle*-  miêmes. 

En  effet ,  mes  Frères ,  pour  ne  lailTer 
plus  rien  à  dire  fur  ce  fiijet ,  6c  achever  de 
vous  faire  fentir  combien  cette  profeflion 
d'incrédulité  ,  dont  on  s'honore  ,  eft  mé- 
prifable  ;  c'eft  que  répondez  à  toutes  les 


Doutes  sur  la  Religion.     225 
ditTicultes  cl^in  pécheur  qui  le  vante  d^être 
incrédule  ;  reduiiez-le  à  n'avoir  plus  rien 
à  vous  répliquer ,  il  ne  ie  rend  pas  encore; 
vous  ne  Pavez  pas  encore  pour  cela  gagné: 
il  le  renferme  en  lui-même  ,  comme  s'il 
avoit  encore  des  raifons  plus  accablantes 
qu  il  ne  daigne  pas  mettre  en  avant  :   il 
tient  bon,  &  oppofe  un  air  myilérieux  ôC 
décidé  ,  à  toutes  les  preuves  qu'il  ne  peut 
réfoudre.  Vous  avez  pitié  alors  de  fa  fu- 
reur 5C   de  fyn   entêtement  :   vous   vous 
tromipez  ;  ne  foyez  touché  que  de  fa  vie 
libertine  &  de  fa  mauvaife  foi  :  car  qu'une 
maladie  UiOrtellc  le  frappe  au  fortir  de-là  ; 
courez  autour  du  lit  de  fa  douleur  ;  ah  ! 
vous  trouvez  ce  prétendu  incrédule  con- 
vaincu ;  fes  doutes  cellent,  fes  incertitudes 
finiffent ,  tout  cet  appareil  déplorable  d'in- 
crédulité s'évanouit  &:  fe  déconcerte  ;   il 
n'en  eft  plus  même  queftioii  ;  il  a  recouri 
ati  Dieu  de  fes  pères  ;  il  redoute  fes  juge- 
miCns  qu'il  faifoit  femblant  de  ne  pas  croire. 
Le  Minière   de  Jefus-Chrift  appelle  n'a 
pas  befoin  d'entrer  en  conteftation  pour  le 
détromper  de  fon  impiété  :  le  pécheur  mou- 
rant prévient  là-delTus  fes  foins  5C  fon  rni- 
niftère:  il  a  honte  de  fes  blafphêmes  pailés; 
il  s'en  repent  ;  il  en  avoiie  le  laux  6c  hi 
mauvaife  foi  ;  il  en  fait  une  réparation  pu- 
blique à  la  majeilé  R  à  la  vérité  de  la  Re- 
ligion :  il  ne  deniande  plus  de  preuves  ;  il 
ne  dem:ande  que  des  confolations.  Cepen- 
dant cette  maladie  ne  lui  a  pas  donné  de 
nouvelles  lumières  fur  la  foi  ;  le  coup  ,  qui 


ii6  Jeudi  de  la  IV.  Sex\îal\e. 
frappe  fa  chair  ,  n'a  pas  ëciairci  les  cloutes 
de  ion  efprit  :  Ah!  c'eft  qu'il  touche  fou 
cœur  ;  c'eft  qu'il  finit  fes  dérëglemens  ; 
c'eft  en  un  mot  ,  que  fes  doutes  étoient 
dans  {es  paftîons  ;  5c  que  tout  ce  qui  va 
éteindre  les  paillons ,  éteint  en  même-tems 
fes  doutes.* 

Il  peut  arriver,  je  l'avoue,  qu'il  fe  trou- 
ve quelquefois  des  pécheurs ,  qui  pouiTent 
jufqu'à  ce  dernier  moment  leur  fureur  6c 
leur  impiété;  qui  meurent  en  vomiiTant, 
avec  leur  am.e  impie  ,  des  bldfphémes  con- 
tre le  D'iQu  qui  va  les  juger,  &  qu'ils  ne 
veulent  pas  connoître.  Car,  ô  mon  Dieu  î 
vous  êtes  terrible  dans  vos  jugen:ens  ,  6C 
vous  permettez  quelquefois  que  l'impie 
meure  dans  fon  impiété. Mais  ces  exemples 
font  rares  ;  &  vous  favez  vous-m.êmes  , 
mes  Frères  ,  qu'un  fîëcle  entier  fournit  à 
peine  un  de  ces  afîreiix  fpeâ:acles.  Mais 
voyez  dans  ce  dernier  moment  tous  les  au- 
tres,  qui  s'étoient  fait  honneur  de  leur  in- 
crédulité dans  l'opinion  publique  ;  voyez 
au  lit  de  la  mort.un  pécheur,  quijufques- 
là  avoit  paru  le  plus  ferme  dans  l'impiété  , 
2>C  le  plus  déterminé  à  ne  rien  croire  ;  il 
devancç  lui-m.éme  la  prcpcfition  qu'on  al- 
loit  lui  faire  de  recourir  aux  remèdes  de 
l'Eglife  ;  il  lève  les  mains  au  Ciel  ;  il  donne 
des  marques  écktantes ,  fincéres  d'une  Re- 
ligion qui  ne  s'étoit  jamais  effacée  du  fond 
de  fon  cœi  r  ;  il  ne  rejette  plus  ,  comme 
des  terreurs  puéri'es  ,  les  menacis  ÔC  les 
châtimens  de  la  vie  future  j  que  dis-je  ?  ce 


Doutes  sur  la  Religion.  227 
pécheur  autrefois  fi  ferme  ,  (1  fier  dans  fa 
prétendue  incrédulité,  (i  fortau-deflus  des 
frayeurs  vulgaires  ,  devient  alors  plus  foi- 
hle  ,  plus  timide  ,  plus  crédule,  que  Tame 
la  plus  populaire  ;  fes  craintes  font  plus 
exceffives  ,  {a  religion  même  plus  fuperfii- 
tieufe  ,  fes  pratiques  de  culte  plus  fimples 
■plus  vulgaires  ,  plus  outrées  que  celles  du 
îlmple  peuple  ;  &  comme  un  excès  n'eft 
jamais  loin  de  l'excès  qui  lui  ell  oppofé  , 
on  le  voit  pafier  en  un  moment ,  de  l'im- 
piété ,  à  la  fiiperfiition  ;  de  la  fermeté  du 
philofophe  ,  à  la  foibltlTe  de  Tignorant  ÔC 
du  fimple. 

Et  c'efi:  ici  ou  je  voudrais  en  r.ppeller  , 
avec  Tertullien  ,  à  ce  pécheur  mourant, 
&  le  faire  parler  ici  à  ma  place  contre 
l'incrédulité  :  c'efi  ici  ou  ,  à  1  honneur  de 
la  Religion  de  nos  pere^ ,  je  ne  voudrois 
pas  d'autre  témoin  de  la  ioiblciTe  &  de  la 
mauvaife  foi  de  Tinipie  ,  que  cet  am.e  qui 
expire  ,  ôc  qui  ne  peut  plus  parler  que  le 
langage  de  la  vérité  :  c'cit  ici  où  je  vou- 
drois ailembler  tous  les  incrédules  autour 
du  lit  de  fa  mort  ;  ôc  pour  les  confondre 
par  un  témoignage  qui  ne  fauroit  leur  être 
fufpeé^  ,  lui  dire  avec  Tertullien  :  O  ame  1 
avant  que  vous  fortiez  de  ce  corps  ter- 
refire  ,  dont  vous  allez  vous  détacher  , 
fouffrez  que  je  vous  appelle  ici  en  témoi- 
gnage :  Ccnji/Ie  in  mcdio  ,  anima  :  parlez  Tem^ 
dans  ce  dernier  moment  où  vous  ne  don- 
nez rien  à  la  vanité  ,  &  où  vous  devez  tout 
H  la  vérité  ;  dites-nous  Ci  vous  regardez  le 


228  Mardi  de  la  IV.  Semaine, 
Dieu  terrible  ,  entre  les  mains  duquel  vous 
allez  torrber  ,  coiimie  un  être  chimérique 
dont  on  fait  pe-'r  aux  efprits  foibles  6C 
crédules  ?  dites-iiOUS  il  tout  diiparoillant 
à  vos  yeux ,  n  toutes  les  créatures  re- 
tombant pour  vous  dans  le  néant  ,  Dieu 
ieul  ne  vous  paroit  pas  immortel ,  immua- 
ble ,  l'Etre  de  tous  les  ilécles  ÔC  de  Tétcr- 
nité  ,  ÔC  qui  remplit  le  Ciel  6c  la  terre  ? 
Nous  conientons  maintenant ,  nous  que 
vous  avez  toujours  regardés  comme  des 
eiprits  fuperltititu.x  K  vulgaires, nous  con- 
fcDtons  que  vous  fby.ez  le  juge  entre  nous 
5c  rincrédulité  ,  à  laqr.elle  vous  avez  tou- 
jours paru  11  favorable  :  ^^  te  tcftlmonium 
flùgitant  Chi'.Jiiani ,  ab  extranea  advcrsiis 
tues.  Quoique  vous  ayez  été  jufques  ici 
étrangère  par  rapport  à  la  foi ,  ÔC  enne- 
mie de  la  Religion  ,  la  Religion  s'en  rap- 
porte à  vous  contre  ceux  que  le  lien  af- 
freux de  rimpiété  vous  avoit  fi  étroitement 
unis  :  A  te  tejtimonium  ftagitant  Chrijliani , 
.  ab  extranea  adversus  tuos.  Si  tout  meurt 
avec  vous ,  pourquoi  la  mort  vous  pafoit- 
elle  fi  fort  à  craindre  :  Lur  in  totum  times 
mortem  ^Jî  nïhil  ejî  tibi  tlmendum  pojl  mor- 
tem  ?  Pourquoi  ces  mains  fuppliantes  vers 
le  Ciel ,  s'il  n'y  a  point  ae  Dieu  qui  puilTe 
felaiifer  toucher  à  vos  gémillemens  5c  écou- 
ter vos  prières  ?  fi  vous  n'êtes  rien  vous- 
même  ,  pourquoi  démentez-vous  donc  le 
néant  de  votre  être  ,  ÔC  tremblez- vous  fur 
les  fuites  de  votre  defiinée  r  Si  nîhil  es  ij?Ja, 
cur  mcmiris  in  te  ?   D'où  vous  viennent 


Doutes  sur  la  Religion.     22^ 

dans  ce  dernier  moment,  ces  fentimens  de 
crainte  ,  de  reipe£t  pour  TEtre  luprême  ? 
n'eft-ce  pas  parce  que  vous  les  aviez  tou- 
jours eus  ,  que  vous  aviez  impole  au  pu- 
blic ,  par  une  faulTe  oftentation  d'impiété, 
6c  que  la  mort  ne  fuit  que  développer  les 
difpofitions  de  foi  êv  de  religion ,  que  vous 
aviez  toujours  confervces  pendant  votre 
vie  A  te  tefiLmonLum  Jiagitant  Chriftiani  , 
nh  extranca  adversus  tuos* 

Oui,  m.es  Frères,  fi  nous  pouvions  dé- 
truire les  pallions  ,  nous  aurions  bientôt 
ramené  tous  les  incrédules  :  ^  une  der- 
nière raifon  qui  achevé  de  le  dém.ontrer  , 
c'eft  que  s'ils  paroilTent  fe  révolter  contre 
rincompréhenlibiiité  de  nos  myitères  ,  ^ce 
n'eft  que  pour  en  venir  au  point  qui  les 
touche  ,  6C  pour  attaquer  les  vérités  qui 
intércilent  les  pafiîons  ;  c'efc-à-dire  ,  la 
vérité  d'un  avenir,  &  leternité  des  peuîes 
futures  ;  c'eft  toujours  ià-le  fruit  6L  la  con- 
clufion  favorite  de  leurs  doutes. 

En  eff:t ,  (1  la  religion  ne  propoioit  que 
des  my itères  qui  pallent  la  r^  ion  ,  ians  y 
ajouter  des  maximes  &  des  vérités  qui  gê- 
nent les  palTions,  nous  pouvons  ailurer  har- 
diment que  les  incrédules  feroient  raresj  les 
vérités  ou  les  erreurs abitraites,  qu'il  eitia- 
différent  de  croire  ou  de  nier ,  n'uitérellent 
prefque  perfonne.  Vous  trouverez  peu  de 
ces  hommes  épris  de  la  feule  venté,  qui 
deviennent  partifans  &C  défenfeurs  zélés  de 
certains  points  de  pure  fpéculation  ,  5C 
^ui  n'ont  rapport  à  rien  ,  feulement ,  par- 


7' 30  Mardi  de  la  IV.  Semaine. 
ce  qu'ils  les  croyent  vrais.  Les  vérités  abf- 
traites  des  mathématiques  ont  trouvé  ea 
nos  jours  quelques  fe£lateurs  zélés  ÔC  elli- 
niables ,  qui  fe  iont  dévoilés  à  développer 
ce  qu'il  y  a  de  plus  impénétrable  dans  les 
fecrets  infinis  6c  dans  les  abîmes  profonds 
de  cette  fcience  ;  mais  ces  fe^lateurs  ont 
été  quelques  hommes  rares  bc  uniques  : 
la  contagion  n'étoit  pas  à  craindre  ;  aufil 
n'a-t'elle  pas  gagné  ;  on  les  admire  ,  mais 
on  feroit  bien  taché  de  les  imiter.  Si  la  Re- 
ligion ne  propofoit  que  des  vérités  aufîî 
ablèraites ,  aulTi  indifférentes  à  la  félicité 
des  fens ,  aulFi  peu  intéreirantes  pour  les 
paiîions  ÔC  pour  l'amour  propre  ^  les  im- 
pies feroient  encore  plus  rares  que  les  ma- 
thématiciens. On  en  veut  aux  vérités  de 
la  Religion  ,  parce  qu'elles  nous  m.enacent: 
on  ne  s'élève  point  contre  les  autres ,  parce 
que  leur  vérité  ,  ou  leur  faufleté  ,  ne  dé- 
cide de  rien  pour  nous. 

Et  ne  nous  dites  pas  que  ce  n'efl:  pas  par 
intérêt  propre ,  mais  par  amour  tout  ieul 
de  la  vérité  ,  que  l'incrédule  ne  le  rend 
point  à  des  myièères  que  la  raifon  rejette. 
Je  fais  bien  que  le  prétendu  incrédule  s'en 
vante  ,  5c  voudroit  nous  le  faire  accroire  : 
mais  qu'importe  la  vérité  à  des  hommes 
qui  ne  la  cherchent  pas ,  qui  ne  l'aiment 
pas ,  qui  ne  la  connoifTent  pas  ,  qui  ne  veu- 
lent pas  même  la  connoître  ,  6c  qui  m  dé- 
firent que  de  fe  la  cacher  à  eux-mêmes  ? 
que  leur  importe  une  vérité  qui  les  paiTe , 
à  laquelle  ils  n'ont  jamais  donné  un  ieul 


Doutes  sur  la  Religion.     £31 

moinent  l'érieux  ;  qui  n'ayant  rien  qui  flàte 
les  pafllons ,  ne  fauroit  interelTer  ces  hom- 
mes de  chair  ôc  de  iang  ,  5c  plongés  dans 
une  vie  voluptueufe  ?  il  leur  importe  de  » 
vivre  au  gré  de  leurs  déiirs  déréglés  ,  ÔC 
cependant  de  n'avoir  rien  à  craindre  après 
cette  vie  ;  voilà  la  feule  vérité  qui  les  in- 
téreffe  :  palTez-leur  ce  point  \  robfcurité 
de  tous  les  autres  myflères  ne  les  occu- 
pera pas  feulement  :  ils  conviendront  de  f 
tout ,  pourvu  qu'on  les  lailTe  jouir  tran- 
quillement de  leurs  crimes. 

AuiTi  la  plupart  des  impies  qui  nous  ont 
lailTé  par  écrit  les  triftes  fruits  de  leur  im- 
piété ,  fe  font  attachés  à  prouver  qu'il  n'y 
avoit  rien  au-delfus  de  nous  ;  que  tout 
mouroit  avec  le  corps ,  &C  que  les  peines 
ou  les  récompenfes  futures  ,  étoi.T-nt  des 
fables  :  il  falloit  commencer  par  mettre  les 
paffîoas  dans  jeur  intérêts  pour  fe  faire 
des  fectateurs.  S'ils  ont  attaqué  les  autres 
points  de  la  foi  ,  ce  n'a  été  que  pour  en 
venir-ià  ;  pour  conclure  qu'il  n'y  avoit 
rien  après  cette  vie  ;  que  les  vices  :  ou  les 
vertus,  étoient  des  noms  que  la  politique 
avoit  inventés  pour  contenir  les  peuples  ; 
&  que  les  pafîions  n' étoient  que  des  pen- 
chans  naturels  6C  innocens  ,  que  chacun 
pouvoit  fuivre,  parce  que  chacun  les  trou- 
voit  en  foi. 

Voilà  pourquoi  les  impies ,  dans  la  Sa- 
geife  ,  &  les  Saducéens  eux  -  mômes  , 
dans  l'Evangile  ,  qu'on  peut  regarder  com- 
me les  pères  ôc  les  prédéccfleurs  de  no« 


232    Mardi  de  la  ÎV.  Seivîaine. 
incrédules ,  ne  s'amiifoient  point  à  réfuter 
la  vérité  des  miracles  rapportés  dans  les  li- 
vres de  Moyie  ,  6c  que  Dieu  opéra  autre- 
fois en  faveur  de  fon  peuple  ;   ni  la  pro- 
mcile  du  Médiateur  faite  à  leurs  pères  :  ils 
n'attaquoient  que  la  réfurreârion  des  morts 
^  rimmortalité  des  âmes  :  ce  point  déci- 
doit  de  tout  pour  eux.  L'homme  meurt 
comme  la  béte  ,  diioient-ils  dans  la  Sa- 
gelTe  :  nous  ignorons  il  leur  nature  eCt  dif- 
férente :  mais  toujours  leur  fin  t<  Leur  def- 
tinée  eft  égale  ;  ne  nous  inquiétons  donc 
point  de  l'avenir  qui  n'eft  point  ;  jouilTons 
de  la  vie  ;  ne  nous  refufons  aucun  plaifir-: 
le  tems  eft  court  ;  hâtons   nous  de  vivî-e  , 
parce  que  nous  mourrons  demain  ,  5c  que 
tout   mourra  avec  nous.  Non  ,  mes  Frè- 
res ,  les  paflîons  ont  toujours  été  le  léul 
berceau  de  rincrédulité ,  on  ne  fecouè  le 
joug  de  la  foi  ,  que  pouir  fécouer  le  joug 
des  devoirs  ;  bi  h\  Religion  n'auroit  jamais 
eu  d'ennemis,  fi  elle  n'avoit  été  l'ennemie 
du  dérèglement  6c  du  vice. 

Mais  il  les  doutes  de  nos  incrédules  ne 
font  pas  réels ,  parce  que  c'eit  le  dérègle- 
ment feul  qui  les  forme  ;  ils  font  encore 
faux  ,  parce  que  c'eit  l'ignorance  qui  les 
adopte  fans  les  comprendre  ,  6c  la  vanité 
qui  s'en  fait  honneur  ,  fans  pouvoir  s'en 
faire  une  reffource  :  c'eft  ce  qui  nous  refte 
à  développer. 

Parti E-x^N"  pourroit  faire  à  la  plupart  dé  ceux 
qui  nous  vantent  fans  cciTe  leurs  doutes 

fur 


Doutes  sur  la  Religiov.     235 

fur  la  Religion  ,  &  qui  trouvent  que  tout 
eft  plein  de  contradiftions  dans  ce  que  la 
foi  nous  oblige  de  croire  :  on  pourroit , 
dis-je  ,  leur  faire  la  même  réponfe  que 
Tertullien  faifoit  autrefois  aux  Payens  fur 
tous  les  reproches  qu'ils  formoient  contre 
les  myfléres  5c  la  do£trine  de  Jefus-Chrift, 
Ils  condamnent ,  difoit  ce  Père  ,  ce  qu'ils 
n'entendent  pas  ;  ils  blâment  ce  qu'ils  n'ont 
jamais  examiné  ,  Sc  qu'ils  ne  connoif- 
feiit  que  par  oui-dire  ;  ils  blafphêment  ce 
qu'ils  ignorent  ;  6c  ils  l'ignorent  ,  parce 
qu'ils  le  haïlTent  trop ,  pour  vouloir  ie  don- 
ner la  peine  de  l'apprciondir  &  de  le  con- 
noître.  Malunt  nef  cire  y  quia,  jam  oàerunt. 
Or ,  rien  n'eft  plus  indécent  8c  plus  infenfé  >  M 

continue  ce  Père,  que  de  décider  fièrement 
fur  ce  que  l'on  ignore  ;  5c  tout  ce  que  la 
Religion  demanderoit  de  ces  hommes  fri- 
voles  ScdilTolus,  qui  s'élèvent  fi  fort  con- 
tr'elle,  c'ell  qu'ils  ne  la  condamnaflent  pas 
avant  de  l'avoir  bien  connue  :  Unum  gejiit 
interdum  ,  ne  ignorata  damnetur^^ 

Voilà  ,  mes  Frères  ,  où  en  font  prefque 
tous  ceux  qui  fe  donnent  dans  le  monde 
pour  incrédules  :  ils  n'ont  jamais  appro- 
fondi ,  ni  les  difficultés ,  ni  les  preuves  ref- 
peélables  de  la  Religion  ;  ils  n'en  favent 
pas  même  alTez  pour  en  douter.  Ils  la  haif- 
fent  ;  car  comment  aimer  ce  qui  nous  con- 
damne; 6c  cette  haine  eft  la  feule  fcience 
qui  forme  leurs  doutes  ,  6C  qui  leur  ap- 
prend à  la  combattre  :  Malunt  ne/cire,  quia 
jam  oderum. 

Carême ,  Tome*  11 L  V- 


234    Mardi  de  la  IV.  Semaine. 

En  effet ,  quand  je  vois  d'un  coup  d'œiî 
tout  ce  que  les  fiëcles  chrétiens  ont  eu  de 
plus  grands  hommes ,  de  génies  plus  éle- 
vés ,  de  favans  plus  profonds  ÔC  plus  éclai- 
rés ,  lefquels  après  une  vie  entière  d'étude , 
&  une  application  infatigable,  fe  font  fou- 
rnis avec  une  humble  docilité  aux  myftères 
de  la  foi  :  ont  trouvé  les  preuves  de  la 
Religion  (i  éclatantes ,  qu'il  leur  a  paru 
qpe  la  raifon  la  plus  fiére  6c  la  plus  indo- 
cile ,  ne  pouvoit  refufer  de  fe  rendre  ;  l'ont 
défendue  contre  les  blafphêmes  des  Payens; 
ont  rendu  muette  la  vaine  philofophie 
des  Sages  du  fiécle  ,  6c  fait  triompher 
la  folie  de  la  croix  ,  de  toute  la  fagefle 
6c  de  toute  l'érudition  de  Rome  ou  d'A- 
thènes ;  il  me  femble  que  pour  revenir  à 
combattre  des  myiléres  depuis  fi  long- 
tems  ÔC  fi  univerfellement  établis  ;  que 
pour  être  y  fî  j'ofe  m'exprimer  ainfi ,  reçu 
appellant  de  la  foumiffion  de  tant  de  fiécles^ 
des  écrits  de  tant  de  grands  hommes ,  de 
tant  de  viâ:oires  que  la  foi  a  remiportées  , 
du  cônfentement  de  l'univers  ,  en  un  mot , 
'^d'''une  prefcription  fi  longue  ÔC  fi  bien  af- 
fermie ;  il  £audroit,  ou  de  nouvelles  preu- 
ves qu'on  n'eiit  pas  encore  confondues  , 
ou  de  noiivelles  difîicultés  dont  perfonne 
î>e  fe  fût  encore  avifé  ,  ou  de  nouveaux 
moyens  qui  découvrilTent  dans  la  Religion 
un  foible  qu'on  n'avait  pas  encore  décou- 
vert. 11  me  fem.ble  que  pour  s'élever  tout 
feul:  contre  tant  de  témoignages ,  tant  de 
jiodiges  y  tant  de  fiécles ,  tant  de  monu- 


Doutes  sur  la  RELicroN.    235 

mens  divins ,  tant  de  perfonnages  fameux , 
tant  d'ouvrages  que  les  tems  ont  confa»- 
crés  ,  que  toutes  les  attaques  de  Fincrédu- 
lité  ont  rendu  d'âge  en  âge  plus  triom- 
phans  &  plus  immortels ,  en  un  mot ,  tant  . 
d'événemens  étonnans  ,  ÔC  jufques-là 
înouis  ,  qui  établilFent  la  foi  des  Chré- 
tiens ;  il  faudroit  des  raifons  bien  décilives 
&  bien  évidentes  ,  des  lumières  bien  ra- 
res &  bien  nouvelles ,  pour  entreprendre 
ou  d'en  douter  ,  ou  de  la  combattre.  Hors 
de-là  on  aura  droit  de  nous  regarder  com- 
me un  infenfé  ,  qui  vicndroit  tout  feul  dé- 
fier de  loin  une  armée  entière  ,  leulement 
pour  faire  oftentation  de  fon  vain  défi  ,  ÔC 
îe  parer  d'une  fauffe  bravoure. 

Cependant  lorfc^ue  vous  approfondilTez 
la  plupart  de  ces  hommes  qui  fe  difent  in- 
crédules ,  qui  fe  recrient  fans  celle  contre 
les  préjugés  populaires  ,  qui  nous  vantent 
leurs  doutes  ^  ÔC  nous  défient  d'y  fatisfaire 
6c  d'y  répondre  ;  vous  trouvez  qu'ils  n'ont 
pour  toute  fcience ,  que  quelques  doutes 
ufés  &C  vulgaires, qu'on  a  débités  dans  tous 
les  tems ,  6c  qu'on  débite  encore  tous 
les  jours  dans  le  monde  ;  qu'ils  ne  favent 
qu'un  certain  jargon  de  libertinage  qui 
paile  de  main  en  main  ,  qu'on  reçoit  fans 
l'examiner  5c  qu'on  répète  fans  l'entendre: 
vous  trouvez  que  toute  leur  capacité  £c 
leur  étude  fur  la  Religion  ,  fe  réduit  à  cer- 
tains difcours  de  libertinage  ,  qui  courent 
les  rues  r  s'il  eii  permis  de  parler  aihfi  ;  à 
certaines  maximes  rebattues ,  &.  qui  à  for-- 

V  2. 


27,6  Mardi  de  la  IV.  Semain'e. 
ce  n'être  redites ,  commencent  à  tenir  de 
la  baiTeife  du  proverbe.  Vous  n'y  trouvez 
nul  fonds  ,  nul  principe  ,  nulle  fuite  de 
doctrine ,  nulle  connoiiîance  de  la  Religion 
qu'ils  attaquent  :  ce  font  des  hommes  dif- 
iipés  par  les  plaifirs  ,  6c  qui  feroient  bien 
fâchés  d'avoir  un  moment  de  refte  ,  pour 
examiner  ennuyeufement  des  vérités  qu'ils 
xic  fe  foucientpas  de  connoitre  ,  des  hom- 
mes d'un  caractère  léger  Sc  fuperficiel ,  in- 
capables d'attention  5c  d'examen  ,  6c  qui 
ne  fauroient  foutenir  un  feul  inftant  de  fe- 
lieux  Se  de  méditation  tranquille  ôcrainfe;, 
difons-le  encore,  des  hommes  noyés  dans 
la  volupté ,  6c  en  qui  la  débauche  a  peut- 
être  même  abruti  Sc  éteint  ce  que  la  na- 
ture pouvoit  leur  avoir  donné  de  pénétra- 
tion 6c  de  lumières. 

Voilà  les  ennemis  redoutables  que  l'im- 
plété  oppofe  à  la  fcience  de  Dieu  :  voilà 
les  hom.mes  frivoles  ,  dilTipés ,  ignorans  y 
qui  ofent  taxer  de  crédulité ,  ÔC  d'ignoran- 
ce ,  tout  ce  que  les  iîécles  chrétiens  ont 
eu  &  ont  encore  de  Docteurs  plus  con- 
fojTimés ,  bu  de  perfonnages  plus  habiles 
&  plus  célèbres  :  ils  ne  iàvent  que  le  lan- 
gage des  doutes  ,  mais  ce  font  des  doutes 
qu'ils  ont  appris  ;  ils  ne  les  ont  pas  for- 
înés  ;  ils  répètent  ce  qu'ils  ont  ouï  ;  c'eft 
une  tradition  d'ignorance&Cd'impiété  qu'ils 
ont  reçue  :  aulTi  ils  ne  doutent  pas  ;■  ils  ne 
font  que  conferver  à  ceux  qui  les  fuivront , 
Je  langage  de  l'irréligion  &  clés  doutes  : 
iteii.e  font  jpas  incrédules  ;  ils  se.  font  ^ae- 


Doutes  sur  la  Religion.  2^7 
les  échos  de  rincrédiilité  :  en  un  mot ,  ils 
favent  ce  qu'il  faut  dire  pour  douter  ,  mais 
ils  n'en  favent  pas  allez  pour  douter  eux- 
mêmes. 

Et  une  preuve  de  ce  que  j'avance  ,  c'eft 
que  dans  tous  les  autres  doutes  ,  on  ne 
doute  que  pour  s'éclaircir;  on  cherche  tout 
ce  qui  peut  cpnduire  à  la  vérité  qu'on  ne 
voit  encore  qu'à  demi.  Mais  ici  on  ne  dou- 
te que  pour  douter  ;  preuve  que  le  doute 
ne  nous  intérefTepasplusquela  vérité  qu'il 
nous  cache  :  on  feroitbien  fâché  qu'il  fallut 
fe  donner  la  peine  d'éclaircir  le  vrai  ou  le 
faux  des  incertitudes  qu'on  prétend  avoir 
fur  nos  Myftères.  Oui ,  mes  Frères  ,  fi  la 
peine  de  ceux  qui  doutent  étoit  une  obli- 
gation indifpenfable  de  chercher  la  vérité  ^ 
nul  ne  douteroit  ;  nul  ne  voudroit  acheter  à 
ce  prix  le  plaifir  de  fe  dire  incrédule  ;  nul 
peut-être  même  n'en  feroit  capable  :  preuve 
décifive  qu'on  ne  doute  point  ;  qu'on  n'eft 
pas  plus  attaché  à  fes  doutes ,  qu'à  la  Reli- 
gion ;  (  car  on  n'efi:  guéres  plus  inftruit  fur 
l'un  que  fur  l'autre  ;  mais  feulement  qu'on 
a  perdu  ces  premiers  fentimens  de  retenue 
6c  de  foi  ,  qui  nous  lailloient,  encore  uii 
refte  de  refpeâ:  pour  la  Religion  de  nos 
pères.  Aiuii  on  fait  bien  de  l'honneur  à  des 
hommes  ii  dignes  en  mêmje-temjs  ,  5c  de 
pitié  &  de  mépris ,  de  croire  qu'ils  ont  pris 
un  parti  ,  qu'ils  ont  embralTé  un  fiflême  : 
on  leur  fait  bien  de  l'honneur  de  les  ranger 
parmi  les  impies  fe£tateurs  d'un  Socin  ,  de 
les  q^u^Ufier  des  titres  affreux  de  Déiftes  qm 


238  Mardi  de  la  IV.  Semaine.  ^ 
d'Athées  :  hélas  !  ils  ne  font  rien  ;  ils  ne 
tiennent  à  rien  ;  du  moins  ils  ne  favent  eux- 
mêmes  ce  qu'ils  font ,  ils  ne  fauroient  nous 
le  dire;  ÔC  ce  qu'il  y  a  ici  de  déplorable  , 
c'eft  qu'ils  ont  trouve  le  fecret  de  fe  former 
un  état  plus  méprifable  ,  plus  bas,  plus  in- 
digne de  la  raifon  ;  que  celui  de  l'impiété  ; 
ÔC  que  c'eft  les  honorer  ,  de  leur  donner  le 
titre  odieux  d'incrédule  ,  qui  avoit  été  juf- 
ques  ici  la  honte  de  Thumanité  ,  ÔC  le  plus 
grand  opprobre  de  Thomm.e. 

Et  pour  finir  cet  article  par  une  réfle- 
xion ,  qui  confirme  la  même  vérité  ,  6c  qui 
eft  bien  humiliante  pour  nos  prétendus  in- 
crédules ,  c'eft  qu'eux  qui  nous  traitent  fi 
fort  d'efprits  foibies  &.  crédules  ;  eux  qui 
vantent  tant  la  raifon  ,  qui  nous  accufent 
fans  celTe  de  nous  faire  une  religion  des  pré- 
jugés populaires ,  6c  de  ne  croire  que  parce 
que  ceux  qui  nous  ont  précédés  ont  cru  i 
eux  ,  dis- je  ,  ils  ne  font  incrédules  &  ne 
doutent,  que  fur  i'autorité;déplorabIe  d'un 
libertin  à  qui  ils  ont  oui  dire  fouvent ,  que 
tout  ce  qu'on  leur  prêche  d'un  avenir  n'efl 
qu'un  épouvantai!  pour  allarmer  hs  enfans 
&  le  peuple  ,  voilà  toute  leur  fcience  5c 
tout  l'ufage  qu'ils  ont  fait  de  la  raifon.  Ils 
font  impies ,  fans  examen  &  par  crédu- 
lité ,  comme  ils  nous  accufent  d'être  fidè- 
les ;  mais  par  une  crédulité  qui  ne  peut 
trouver  d'excufes  que  dans  la  fureur  6C 
dans  l'extravagance  :  c'efi:  l'autorité  d'un 
feul  difcours  im.pie  ,  prononcé  d'un  ton 
ferme  ôc  décifif ,  qui  a  fubjugué  leur  rai- 


Doutes  sur  la  Religion.  239 
fon  ,  5c  qui  les  a  rangés  du  côté  de  rim- 
piété.  Ils  nous  trouvent  trop  crédules  de 
nous  rendre  à  l'autorité  des  Prophètes  , 
des  Apôtres  >  des  hommes  infpirés  de 
Dieu  ,  des  prodiges  éclatans  opérés  pour 
établir  la  vérité  de  nos  myftéres  ,  ôc  à 
cette  tradition  vénérable  de  faints  Paileurt 
qui  nous  ont  tranfmis  d'âge  en  âge  le  dé- 
pôt de  la  do£lrine  5c  de  la  vérité  ,  c'eft-à- 
dire  ,  à  la  plus  grande  autorité  qui  ait  ja- 
mais paru  fur  la  terre  ;  5c  ils  fe  croyent 
moins  crédules  ,  &  il  leur  femble  plus  di- 
gne deraifon,  de  déférer  à  l'autorité  d'un 
impie  ,  qui  dans  un  moment  de  débauche ,. 
prononce  d'im  ton  ferme  qu'il  n'y  a  point 
de  Dieu  ,  &  ne  le  croit  pas  peut-être  lui- 
même.  Ah  !  mies  Frères  ,  que  Thomme 
s'avilit  6c  fe  rend  méprifable  ,  quand  il  fe 
fait  une  fauile  gloire  de  n'être  plus  foumis 
à  Dieu  ! 

Aufîî ,  mes  Frères  ,  pourquoi  croyez- 
vous  que  les  prétendus  incrédules ,  dont 
nous  parlons ,  fouhaitent  fi  fort  de  voir  des 
impies  véritables  ,  fermes  &.  intrépides 
dans  rimpiété  ;  qu'ils  en  cherchent,  qu'ils 
en  attirent  même  des  pays  étrangers,  com- 
me un  Spinofa  ,  fi  le  fait  eft  vrai  qu'on  l'ap» 
pella  en  France  paur  le  confulter  5c  pour 
l'entendre  ?  c'efl  que  nos  incrédules  ne  font 
point  fermes  dans  l'incrédulité  ,  ne  trou- 
vent perfonne  qui  le  foit  ,  5c  voudroient 
pour  fe  rafi'urer  ,  rencontrer  quelqu'un  qui 
leur  parût  véritablement  affermi  dans  ce 
parti  affreux  ;  ils  cherchent  dans  l'autorité 


240  Mardi  de  la  IV.  Semaine. 
des  relToiirces  ôc  des  défenfes  contre  leur 
propre  confcience  ;  ÔC  n'ofant  devenir  tout 
leuls  impies ,  ils  attendent  d'un  exemple 
ce  que  leur  raifon  5c  leur  cœur  même  leur 
refufe  ;  6c  par-là  ils  retombent  dans  une 
crédulité  bien  plus  puérile  5c  plus  infen- 
fée  ,  que  celle  qu'ils  reprochent  aux  Fidè- 
les. Un  Spinofa  ,  ce  m.onltre  ,  qui  après 
avoir  embralTé  différentes  religions ,  finit 
par  n'en  avoir  aucune ,  n'étoit  pas  emprefle 
de  chercher  quelque  impie  déclaré  qui 
raffermît  dans  le  parti  de  Tirrcligion  6c  de 
rathëïfme  :  il  s'étoit  form.é  à  lui-même  ce 
cahos  impénétrable  d'impiété ,  cet  ouvrage 
de  confuiion  ÔC  de  ténèbres ,  où  le  feul 
déCiT  de  ne  pas  croire  en  Dieu  peut  fou- 
tenir  l'ennui  ÔC  le  dégoût  de  ceux  qui  le 
lifent  ;  où  hors  l'impiété  tout  eft  intelligi- 
ble ;  ÔC  qui  à  la  honte  de  l'humanité  ,  fe- 
roit  tombé  en  nailfant  dans  un  oubli  éter- 
nel ,  6c  n'auroit  jamais  trouvé  de  Ieâ:eur^ 
s'il  n'eût  attaqué  TÇ^tre  fuprême  :  cet  im- 
pie ,  dis-je  ,  vivoit  caché  ,  retiré  ,  tran- 
quille ;  iî  faifoit  fon  unique  occupation  de 
fes  productions  ténébreufes  ,  Sc  n'avoit 
befoin  pour  fe  raffurer  que  de  lui-même. 
Mais  ceux  qui  le  cherchoient  avec  tant 
d'emprellement ,  qui  vouloient  le  voir  ,- 
l'entendre,  le  confulter  ,  ces  hommes  fri- 
voles ôc  diflolus  ,  c'étoient  des  infenfés  , 
qui  fouhaitoient  de  devenir  impies  ;  &:  qui 
ne  trouvant  pas  dans  le  témoignage  de 
tous  les  iîécles ,  de  toutes  les  nations  ,  ôC 
de  tous  les  grands  hommes  que  la  Reli- 


DOVTES  SUR  LA  RELIGION.  241 
^vQn  a  eus ,  afiez  d'autorité  pour  demeurer 
fidèles  ,  cherchoient  dans  le  témoignage 
feui  d'un  homme  obfcur,  d'un  transfuge 
de  toutes  les  religions  ,  d'un  m^onflre  obli- 
gé de  fe  cacher  aux  yeux  de  tous  les  hom- 
mes ,  une  autorité  déplorable  6c  moni- 
trueufe  qui  les  affermit  dans  l'impiété ,  6c 
qui  les  défendît  contre  leur  propre  con- 
fcience.  Grand  Dieu  !  que  les  impies  fe  ca- 
chent ici  de  honte  6c  de  confufion  ;  qu'ils 
celTent  de  faire  oftentation  d'une  incrédu- 
lité qui  eft  le  fruit  de  leur  dérèglement  6C 
de  leur  ignorance  ,  Sc  qu'ils  ne  parlent 
plus  qu'en  rougilTant  contre  la  foumilTion 
du  Fidèle.  C'ell:  un  langage  de  mauvaife- 
foi  ;  ils  donnent  à  la  vanité ,  ce  que  nous 
donnons  à  la  vérité  :  Erubefcant  impii .  . . 
{juce  loçuunthr  adyersiis  JuJIu/n  iiîiçiùtatem  ^J'> 
in  fuperbia  &  in  ahujîom,  '  ^* 

Je  dis  la  vanité  ;  5c  c'eil  la  grande  5c  la 
dernière  raifon  qui  fait  léntir  encore  mieux 
tout  le  faux  &  tout  le  foible  de  l'incrédu- 
lité. Oui ,  mes  Frères ,  tous  nos  prétendus 
incrédules  font  de  faux  braves ,  quife  don- 
nent pour  ce  qu'ils  ne  font  pas  :  ils  regar^ 
dent  rincrèdul:{é  comme  Uh  bon  air  :  ils  fe 
vantent  fans  celle  de  ne  rien  croire  ;  6c  à 
force  de  s'en  vanter  ,  ils  fe  le  perfuadent  à 
eux-mêmes  :  fembhbles  à  certains  hommes 
nouveaux  que  nous  voyons  parmi  nous  , 
lefquels  touchent  prefque  encore  à  Tobf- 
curité  ôc  à  la  roture  de  leurs  ancêtres  ,  ÔC 
veulent  pourtant  qu'on  les  croye  d'une 
ïiaiiTance  liluftre  &  defcendus  à^s  plus 

Carême  ,  Tom^  ÎIL  X 


i. 


24i  Mardi  de  la  IV.  Semaine. 
grands  noms ,  à  force  de  le  dire  ,  de  raiïu- 
rer  ,  de  le  publier,  ils  parviennent  ps^fque 
à  fe  le  periuader  à  eux-mêmes.  Il  en  efl 
ain(î  de  nos  prétendus  incrédules  :  ils  ton? 
client  encore  ,  pour  ainfi  die  ,  à  la  foi 
qu'ils  ont  reçue  en  naiiTant,  qui  coule  en- 
core avec  leur  iang,  6c  qui  n'eft  pas  eiTa- 
cée  de  leur  cœur  :  mais  c'eftpour  eux  une 
manière  de  roture  ê>C  de  baffeiTe  dont  ils 
rougiilent  ;  à  force  de  dire  qu'ils  ne  croyent 
rien  ,  de  Fallurer  ,  de  s'en  vanter  ,  ils 
croyent  ne  rien  croire  ,  6c  en  ont  bien 
meilleure  opinion,  d'eux-mêmes. 

Premièrement,  parce  que  cette  profef- 
fion  déplorable  d'incrédulité  fuppofe  des 
lumières  non  communes ,  de  la  force  &  de 
la  fupériorité  d'efprit  ,  6c  une  fingularité 
qui  plaît  ÔC  qui  flâte  :  au  lieu  que  les  paf- 
lions'ne  ruppofenî  que  du  dérèglement  6c 
de  la  débauche,  ÔC  que  tous  les  hommes 
font  capables  de  dérèglement ,  mais  ne  le 
font  pas  de  cette  fiipériorité  m.erveilleufe 
que  la  vaine  impiété  s'attribue. 

Secondement  ,  parce  que  la  foi  cfl  fi 
éteinte  dans  le  (iécle  où  nous  vivons  ;  qu'on 
ne  fauroit  prefque  trouver  dans  le  monde 
fies  homimes  qui  fe  piquent  d'efprit ,  6C 
d'un  peu  plus  de  lecture  ÔC  de  connoiffan- 
ces ,  que  les  autres  ,  lefquels  ne  fe  per- 
mettent fur  nos  Myflères  &C  fur  ce  que  la 
P^eligion  a  déplus  augulleScdeplus  facré, 
des  objections  5C  des  doutes.  On  auroit 
donc  honte  de  paroitre  religieux  5c  fidèles 
avec  eux:  ce  font  des  hommes  que  feilime 


DoUTieS    SUR    LA   ReLIGIOM.  '    24Î 

publique  élève  ,  5>C  auxquels  il  paroît  beau 
de  relTéftibler  :  on  croit  qu'en  adoptant  leur 
langage,  on  adopte  leurs  talens  &.  leur  ré- 
putation :  6c  ilfenible  que  ce  leroit  faire  un 
av^eu  public  de  foiblelTe  t<.  de  médiocrité, 
de  n'ofer  ,  ou  les  imiter  ,  ou  du  moins  la 
contrefaire  :  vanité  miférabie  Sc  puérile. 
D'ailleurs,  parce  que  l'on  a  oui  dire  que 
certains  grands  hommes,  fameux  6c  fort 
eftimés  dans  leur  liécle,  ne  croyoient  pas , 
6c,que  le  fou  venir  de  leurs  talens  6c  de  leurs 
grandes  actions ,  n'eft  venu  jufques  à  nous, 
qu'avec  celui  de  leur  irréligion  ;  on  fe  fait 
honneur  de  ces  grands  exemples;  il  paroît 
glorieux  de  ne  rien  croire  d'après  de  fi  il- 
Ir.ftres  modèles  ;  on  a  fans  ceiÏQ  leurs  noms 
dans  la  bouche  :  c'eft  un  faux  relief  qu'on 
fe  donne,  où  il  entre  moins  d'incrédulité 
que  de  vanité  rifible  5c  depetitelled'efprit; 
puifquerienn'eft  fipetitScii  miférabie,  que 
de  fe  donner  pour  ce  qu'on  n'efl  pas ,  &  fe 
faire  honneur  du  perfonnage  d'un  autre. 

Tioifiém-ement  enfin  ,  parce  que  c'ell 
d'ordinaire  une  fociété  de  libertinage,  qui 
nous  fait  parler  le  langage  de  rim.piété  ; 
qu'on  veut  paroître  tel  que  ceux  à  qui  les 
plaifirs  ÔC  la  débauche  nous  lient ,  6c  qu'il 
leroit  honteux  d'être  dilTolu ,  Scdeparoitre 
croire  encore ,  devant  les  témoins  ÔC  les 
complices  de  nos  défordres.  Le  parti  d'un 
débauché  qui  croit  encore  ,  Q(i  un  parti 
foible  5c  vulgaire  ;  afin  que  la  débauche  foit 
de  bon  air ,  il  faut  y  ajouter  l'impiété  5c  le 
iibertiaage  ;  autrement  ce  feroit  être  dé- 

Xi 


244    Mardi  de  la  IV.  Semaine. 

bauché  en  novice  ,  il  faut  Fêtre  en  impie 
^  en  fcélérat  :  on  laiiïe  à  ceux  qui  ne  font 
point  exercés  dans  le  crime  ,  à  craindre 
encore  un  enfer  5c  fes  peines  ;  ce  refte  de 
Religionparoît  fe  fentir  encore  un  peu  trop 
de  l'enfance  ÔC  du  collège.  Mais  quand  on 
a  fait  un  certain  chemin  dans  la  débauche, 
ah  !  il  faut  fe  mettre  au-delTus  de  ces  foi- 
bleffes  vulgaires  :  on  a  bien  meilleure  opi- 
nion de  foi ,  quand  on  a  pu  perfuader  aux 
autres  qu'on  n'en  efr  plus  là  :  on  fe  miOque 
même  de  ceux  qui  paroiiTent  encore  crain- 
dre :  on  leur  dit  d'un  ton  d'ironie  ÔC  d'im- 
piété ,  comme  autrefois  la  femme  de  Job 
à  cet  homme  Jufte  :  Adhuc  tu  permancs 
in  Jimplicitatc  tua  ?  Et  quoi  vous  en  êtes 
encore-là  ?  vous  êtes  allez  limple  pour  croi- 
re tous  ces  ccmtes  dont  on  vous  a  fait  peur 
quand  vous  étiez  encore  au  berceau  ?  vous 
ne  voyez  pas  que  ce  font-là  des  vifions 
d'efprits  foibles  ,  ^  que  les  plus  habiles 
qui  nous  prêchent  tant  pour  nous  le  prou- 
ver ,  n'en  croj^ent  rien  eux-mêmes  ?  Adhuc 
tu  permancs  injtrnplicitate  tua* 

O  mon  Dieu  !  que  l'impie ,  qui  femble 
vous  mépriier  avec  tant  de  hauteur  ,  eH 
petit  6<:  méprifable  lui-même  !  C'eft  un 
lâche  ,  qui  vous  infulte  tout  haut,  5C  qui 
vous  craint  encore  en  fecret  ;  c'efî:  un  glo- 
jîeux  ;  qui  fe  vante  de  ne  rien  craindre ,  6v 
qui  ne  nous  dit  pas  tout  ce  qui  fe  pafle  dans 
fon  cœur  ;  c'eil  un  impofleur ,  qui  voudroit 
Tious  impoiér ,  ÔC  qui  ne  peut  réuflir  à  fe 
tremper  lui-même  \  c'eft  un  infexifé  qui 


Doutes  sur  la  Religion.  14$ 
prend  fur  lui  toutes  les  horreurs  de  l'im- 
piété ,  5C  qui  ne  peut  parvenir  à  s'en  faire 
une  trifte  relTource  ;  c'eft  un  furieux  ,  qui 
ne  pouvant  arriver  à  l'irréligion  ,  ni  étein- 
dre les  terreurs  de  fa  confcience  ,  éteint 
en  lui  toute  pudeur  ÔC  toute  décence  ,  ÔC 
tâche  au  moins  de  s'en  faire  un  honneur 
impie  devant  les  hommes  ;  que  dirai- je  en- 
fin ?  c'eft  un  homme  ivre  &  emporté  ,5C 
qui  facrifie  fa  Religion  qu'il  conferve  en- 
core  ,  fon  Dieu  qu'il  craint ,  fa  confcience 
qu'il  fent ,  fon  faiut  éternel  qu'il  efpére ,  à 
la  déplorable  vanité  deparoître  incrédule. 
Quel  abandon  de  Dieu  !  ÔC  quel  abîme  de 
fureur  ÔC  d'extravagance  ! 

Ce  que  je  fouhaiterois  ,  mes  Frères  ,' 
X'ous  qui  confervez  encore  du  refpe£^  pour 
la  Religion  de  nos  pères,  6c  c'eft  ici  le 
fruit  de  tout  ce  difcours  ;  ce  que  je  fou- 
haiterois ,  c'eft  que  vous  fentifîiez  combien 
tous  ces  hommes  ,  qui  fe donnent  pour  ef- 
prits  forts ,  5c  que  vous  eftimez  tant  q  le'- 
quefois ,  font  méprifables  ;  c'eft  que  vous 
comprifîiez  enfin  ,  que  la  profeŒon  d'in- 
crédulité, qui  eftprefque  devenue  un  bon 
air  parmi  nous ,  eft  de  tous  les  cara£lères 
le  plus  frivole  ,  le  plus  lâche  ,  le  plus  di- 
gne de  rifée  ;  c'eft  que  vous  puifliez  con- 
noître  ce  que  cette  oftentation  d'impiété , 
que  la  corruption  de  nos  mœurs  a  rendu 
fi  commune  aujourd'hui  même  aux  deux 
fexes  ,  cache  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
bas  ôc  de  plus  honteux  ,  félon  le  monde 
iTiême. 

X3 


246    Mardi  de  la  IV.  Semaine. 

Premièrement  ,  de  dérèglement.  On 
n'en  vient-ià  que  lorfque  le  cœur  efl  pro- 
fondement corrompu  ;  qu'on  vit  actuelle- 
ment en  fecret  dans  la  plus  honteufe  dé- 
bauche ;  5c  que  fi  Ton  étoit  connu  pour 
ce  qu'on  eft ,  on  feroit  â  jamais  déshonoré  . 
même  devant  les  hommes^* 

Secondement  ,  de  bafleile.  On  fait  le 
philofophe  &C  Tefprit  fort ,  êc  on  eft  en 
fecret  le  pécheur  le  plus  rampant ,  le  plus 
dilTolu  ,  le  plus  foible  ,  le  plus  abandonné  , 
Je  plus  efclave  de  toutes  les  pafTions  indi- 
gnes de  la  pudeur  6c  de  la  raifon  même. 

Troiiiémement  ,  de  mauvaife  foi  ^ 
d*imipo(lure.  On  joue  un  perfonnage  em- 
prunté; on  fe  donne  pour  ce  qu'on  ri'ell 
point  ;  5c  tandis  qu'on  déclame  ii  fort  con- 
tre les  gens  de  bien  ,  S>C  qu'on  les  traite 
d'hypocrites  5c  d'impofteurs  ,  on  eft  foi- 
m.ême  le  fourbe  qu'on  décrie  ,  &C  l'hypo- 
crite de  rimpiété  ÔC  du  libertinage. 

Quatrièmement  ,  d'oftentation  6c  de 
muuvaife  vanité.  On  fait  le  brave  ,  6c  011 
tremble  en  fecret  ;  t<  au  premier  fignal  de 
la  mort  ,  on  fe  trouve  plus  lâche  &  plus 
timide  que  le  fimple  peuple  ;  on  fait  fem- 
blantd'infuîter  tout  haut  un  Dieu  que  l'on 
craint  encore  en  fecret  ,  ÔC  qu'on  efpére 
de  fe  rendre  un  jour  favorable  :  caradère 
puérile  6c  fanfaron  ,  6c  que  le  monde  lui- 
même  a  toujours  regardé  comme  le  der- 
nier ,  le  plus  vil  &C  le  plus  rifible  de  tous 
les  caractères. 

Cinquièmement,  de  témérité.  On  ofe 


Doutes  sur  la  Religion.    247 

fans  fcience  ,  fans  doftrine  ,  faire  Thabile 
fur  ce  qu'on  n'entend  pas  ;  condamner  tout 
ce  qui  a  paru  de  plus  grands  hommes  dans 
chaque  (iécle  ;  êc  décider  fur  des  points 
importans  aufquels  on  n'a  jamais  donné,  &C 
on  n'eft  pas  m.ême  capable  de  donner  un 
feul  moment  d'attention  férieufe  :  caractère 
indécent,  5c  qui  ne  convient  qu'à  des  hom- 
mes qui  du  côté  de  l'honneur  n'ont  plus 
rien  à  perdre. 

Sixiéme'.nent ,  d'extravagance.  On  fe 
fait  une  gloire  de  paroitrc  fans  Religion  : 
c'eit-à-dire  ,  fans  caractère  ,  fans  mœurs, 
fans  probité  ,  fans  crainte  de  Dieu  ÔC  des 
hommes  :  capable  de  tout  ,  excepté  de 
vertu  6c  d'innocence. 

Septièmement  ,  de  fuperftition.  Nous 
avons  vu  ces  prétendus  efprits  forts  ,  qui 
refufent  de  confulter  les  oracles  des  faints 
Prophètes  ,  confulter  des  Devins  ,  accor- 
der aux  hommes  la  fcience  de  l'avenir 
qu'ils  refufent  à  Dieu  ;  donner  dans  des 
crédulités  puériles  ,  tandis  qu'ils  fc  révol- 
tent contre  la  majefté  de  la  foi  :  attendre 
leur  élévation  ÔC  leur  fortune  d'un  oracle 
impofleur  ,  6c  ne  vouloir  pss  efpérer  leur 
falut  des  oracles  de  nos  Livres  faints  ;  6C 
en  un  mot ,  croire  ridiculement  aux  dé- 
mons ,  tandis  qu'ils  fe  font  un  honneur  de 
ne  pas  croire  enDieu, 

Enfin  ,  ce  qu'il  y  a  ici  de  plus  déplorable 
c'eft  que  tous  ces  caractères  forment  ua 
état  où  il  n'y  a  prefque  plus  de  reffource  de 
falut.  Car  un  impie  de  bonne  foi  ,  s'il  en 

X4 


248  Mardi  de  la  IV.  Semaîne. 
eft  quelqu'un  de  ce  caraélère  ,  peut-être 
tout  d'un  coup  frappé  de  Dieu  ,  6c  être 
comme  accablé  fous  le  poids  de  la  gloire 
6c  de  la  majefté  qu'il  blafphémoit  fans  la 
connoitre  :  le  Seigneur  ,  dans  fa  miféri- 
corde  ,  peut  encore  ouvrir  les  yeux  à  cet 
infortuné  ;  faire  luire  la  lumière  dans  Tes 
ténèbres  ,  ÔC  lui  découvrir  la  vérité  qu'il 
ne  combat ,  que  parce  qu'il  l'ignore  ;  il  Y  a 
encore  en  lui  des  relTources  :  dé  la  droi- 
ture ,  de  la  fuite  ,  des  principes ,  d'erreur 
&  d'illufion  ,  je  l'avoue  ,  mais  du  moins 
des  principes  :  il  fera  de  bonne-foi  à  Dieu, 
dès  qu'il  le  connoitra  ,  comme  il  a  étéfon 
ennemi  avant  de  le  connoitre.  Mais  les  in- 
crédules dont  nous  parlons ,  n'ont  prefque 
plus  de  voie  pour  revenir  à  Dieu  ;  ils  in- 
fultent  le  Seigneur  qu'ils  connoilfent  ;  ils 
blafphémentla  Religion  qu'ils  confervent 
eiîcore  dans  le  cœur  ;  ils  réiiiîent  à  la  ccn- 
fcience  qui  prend  en  fecret  le  parti  de  la  foi 
contre  eux-mêmes  :  la  lumière  de  Dieu  a 
beau  luire  dans  leur  cœur;  elle  ne  fertqu'à 
rendre  la  mauvaiie  foi  de  leur  impiété  plus 
inexcufable.  S'ils  étoient  abfolumentavei> 
gles  ,  ils  feroient  dignes  de  pitié ,  6c  leur 
péché  feroit  moindre  ,  dit  Jefus-Chrift  : 
mais  maintenant  ils  voyent  ;  &  c'eft  ce  qui 
fait  que  le  crime  de  leur  irréligion  n'eft 
plus  qu'un  blafphême  contre  i'Elprit-faint, 
qui  dcm.eure  à  jamais  fur  leur  tête. 

Réparons   donc,  mes  Frères,  par  no- 
tre rei'pe6^  pour  la  Religion  de  r.os  pères  ;  ' 
par  une  reconnoillance  continuelle  envers 


Doutes  sur  la  Religion.     249 

le  Seigneur  qui  nous  a  fait  naître  dans  la 
voie  du  faluî ,  dans  laquelle  tant  de  peu- 
ples 6c  de  nations  n'ont  pas  encore  été  ju- 
gé dignes   d'entrer:  réparons,  dis- je  ,  le 
icandale  de  Fincrédulité  fi  commun  dans 
ce  (îécle  ,  Il  autorifé  parmi  nous  ;  &C  qui 
devenu  plus  hardi  par  le  grand  nombre  ôC 
la  qualité  de  fes  partifans,  ne  fe  renferme 
plus  dans  ces  ténèbres  obfcures  où  la  crain- 
te le  retenoit ,  6c  oie  fe  montrer  prefqu  à 
vifage  découvert,  bravant  en  quelque  forte 
la  Religion  du  Prince  CC  le  zèle  des  Paf- 
t2urs.  Ayons  horreur  de  ces  hommes  im- 
pies 5c  méprifables  ,  qui  mettent  leur  gloi- 
re à  tourner  en  rifée  la.nrajefié  de  la  Re- 
ligion qu'ils  profelTent  :  fuyons-les  comme 
des  montres  indignes  de  vivre  ,  non-feu- 
lement parmi   les   Fidèles ,  mais  encofe 
parmi  des  hommes  que  l'honneur ,  la  pro- 
bité 5c  la  raifon  lient  enfemble  :  loin  d'ap- 
plaudir à  leurs  difcours  impies ,  couvrons- 
les  de  confufion  par  le  mépris  dont  ils  font 
dignes.  Il  eil  fi  bas  &C  fi  lâche  ,  félon  le 
monde  même  ,  de    déshonorer   la  Reli- 
gion dans  laquelle  on  vit:  il  eft  li  beau  ,  §C 
il  y  a  tant  de  dignité  à  fe  faire  un  honneur 
de  la  refpec^er  ÔC  de  la  défendre   même 
avec  un  air  d'autorité  6c  d'indignation  , 
contre  les  difcours  infenfés  qui  l'attaquent. 
Otons  à  rincréduHté,  en  la  méprifant ,  la 
gloire  déplorable  qu'elle  cherche  :  les  in- 
crédules feront  rares  parmi  nous  dès  qu'ils 
feront   méprifés  ;  5c  la  même  vanité  qui 
forme  leurs  doutes,les  aura  bientôt  anéaa- 


r^o  Mardi  de  la  IV.  Semain^f. 
tis  ou  cachés  ,  dès  que  ce  fera  parmi 
nous  un  opprobre  de  paroître  impie  ,  êc 
une  gloire  d'être  Fidèle.  C'eft  sin/i  que 
nous  verrons  finir  ce  fcandale  ,  6«C  que 
nous  glorifierons  tous  enfemble  le  Sei- 
gneur dans  la  même  foi  ,  ^  dans  Tat- 
tcnîe  des  promefî'es  éternelles. 


^infi  Jhit  -  IL 


i\È  §?s^  f^  ife  f-^  §§§?  |]^fe 

^!XX;<D-:>c-o-c-::::-:>::::-::>0':>î:;-:>:r:-o-;:><:::-:>î:>:>:>:>;-:;X.A  [^ 


SERMON 

POUR     LE     MERCREDI 

DE     LA     QUATRIEME     SEMAINE 

DE  CAREME 

Sur  l'injujiice  du  monde  envers  les 
gens  de  bien. 

Da  gloriam  Deo  ;  nos  fcimus  quia  hîc 
homo  peccator  eft, 

Rendei  g^^^^^^  ^  Dieu  ;  nous  /avons  qili 
cet  homme  efi  un  pécheur,  Joan.  ^.  24. 

Ue  peut  fe  promettre  la  vertu 
la  plus  pure  Sc  la  plus  irrépré- 
henfible  de  Tinjudice  du  mon- 
de ,  puifqu'il  a  pu  trouver  au- 
trefois dans  la  fainteté  miém.e 
de  Jefus-Chrift ,  des  fu jets  de  kandale  6<-  de 
cenfiire  ?  S'il  opère  aux  yeux  des  Juifs  des 
prodiges  éclatans ,  s'il  rend  aujourd'hui  la 
vue  à  un^  aveugle  né  ;  ils  l'accufèut  d'être 


2^1  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 

vioiateur du  Sabbat; d'opérer  ces  miracles 
au  nom  de  Béelzebuth  ,  plutôt  qu'au  nom 
du  Seigneur ,  5c  de  ne  vouloir  par  cespref- 
tiges    qu'anéantir  5c    détruire  la  Loi  de 

5.  ^r"'  Moyfe  :  Non  ejl  hU  homoà  Deo  ,  qui  Saè- 
batum  non  cvjiodit  ;  c'eft-à-dire  ,  qu'ils  at- 
taquent fes  intentions ,  pour  rendre  Tes  œu- 
vres fu  fpeâies  ÔC  criminelles. 

S'il  honore  de  fa  préfence  la  table  des 
Pharifiens  ,  pour  prendre  de-là  occafion 
de  les  rappeller  ôc  de  les  inflruire  ,  ils  le 
regardent  comme  un  pécheur  ,  &  comme 
uu  homme  de  bonne  chère  Ecce  homo 
Mattk,  ^,Qj-^y;  ^  potator  vinl  ;  c'eft-à-dire  ,   qu'ils 

^'*  '^*  lui  font  uu  crime  de  les  œuvres,  lorfqu'il 
leur  importe  de  ne  pas  examiner  la  droi* 
turc  de  fes  intentions. 

Enfin  ,  s'il  paroît  dans  le  Temple  armé 
de  zèle  5c  de  févérité  ,  pour  venger  les 
profanations  qui  déshonorent  ce  lieu  faint , 
le  zèle  de  la  gloire  de  fon  Père  qui  le  dé- 
vore ,  n'eft  plus  dans  leur  bouche  qu'une 
ufurpation  injufte  d'une  autorité  qui  ne  lui 
appartient  pas ,  c'eft-à-dire  ,  qu'ils  fe  jet- 
tent fur  des  reproches  vagues  6c  fans  fon- 
dement ,  quand  ils  n'ont  rien  à  dire  contre 
fes  intentions  6c  contre  fes  œuvres. 

^  Je  le  dis  en  gémiifant ,  mes  Frères  ,  la 
piété  des  gens  de  bien  ne  trouve  pas  aujour- 
d'hui plus  d'indulgence  parmi  nous ,  que  la 
fainteté  de  Jefus-Chrift  en  trouva  autre- 
fois dans  la  Judée.  Les  Juftes  font  devenus 
l'objet  des  dérifîons  &  de  la  cenfure  publi- 
que \  ôc  dans  un  lîécie  ou   les  défordres 


Injustice  du  monde  ,  5cc.  255 
font  fi  communs  ,  011  les  excès  6c  les  fcan- 
dales  fournilTent  tant  de  matière  à  la  ma- 
lignité des  difcours  5c  des  cenfures ,  on  fait 
grâce  à  tout ,  excepté  à  la  vertu  5c  à  l'in- 
nocence. 

Oiii ,  mes  Frères  ,  fi  ce  qui  paroît  de  la 
conduite  des  gens  de  bien  eft  irréprocha- 
ble ,  ÔC  ne  donne  point  de  prife  à  la  cen- 
fure  ;  vous  vous  retranchez  fur  leurs  inten- 
tions ,  qui  ne  paroiiTent  point  ;  vous  les 
accufez  d'aller  à  leurs  fins ,  ÔC  d'avoir  leurs 
defi'eins  6c  leurs  viies.  Non  eft  hic  homo 
à   peo* 

Si  leur  vertu  femble  fe  rapprocher  de 
vous  quelquefois ,  5c  rabbattre  de  fa  févé- 
rité  pour  nous  attirer  à  Dieu  ,  en  fe  confor- 
mant à  nos  mœurs  6c  à  nos  manières  ;  fans 
vous  mettre  en  peine  de  leurs  intentions  , 
vous  leur  faites  un  crime  des  com.plaifances 
les  plus  innocentes ,  5c  des  relâchemens 
les  plus  dignes  d'indulgence  :  Eca  homo 
vordx  C^  potator  vinL 

Enfin,  fi  leur  vertu,  embrafèe  d'un  feu 
divin  ,  ne  garde  plus  de  micflires  avec  le 
monde  ,  Sc  ne  lailTe  rien  à  dire  ,  ni  contre 
leurs  intentions  ,  ni  contre  leurs  œuvres  , 
vous  vous  répandez  en  difcours  vagues ,  en 
reproches  fans  fondement  ,  Contre  leur 
zèle  5c  leur  piété  même. 

Or ,  foufFrez  ,  mes  Frères  ,  que  je  m'é- 
lève une  fois  ici  contre  un  abus  fi  honteux 
à  la  Religion  ,  H  injurieux  à  TEfprit  qui 
forme  les  Saints  ,  il  fcandaleux  parmi  des 
Chrétiens,  û capables  d'^ttixeî  biX  nous  ces 


^54  Mercredi  de  la  IV.  Semaine''. 
malédiélions  éternelles  qui  changèrent  3lT' 
tr-efois  Théritage  du  Seigneur  en  une  terre 
déferte  6c  abandonnée  ,  &  fi  digne  du  zèle 
de  notre  miniftère. 

Vous  attaquez  les  intentions  des  gens  de 
bien  quand  vous  n'avez  rien  à  dire  contre 
leurs  œuvres  ;  ÔC  c'eft  une  témérité.  Vous 
exagérez  leurs  foibleiles,  6c  vous  leur  fai- 
tes des  crimes  des  imperfections  les  plus 
légères  ;  ôc  c'eft  une  inhumanité.  Vous 
tournez  même  en  ridicule  leur  ferveur  5C 
leur  zèle  ,  6c  c'eft  une  impiété.  Et  voilà, 
ines  Frères,  les  trois  caractères  de  l'injuf- 
tice  du  m.onde  envers  les  gens  de  bien.  Une 
injuftice  de  témérité  qui  foupçonne  tou- 
jours leurs  intentions.  Une  injullice  d'in- 
humanité qui  ne  fait  point  de  grâce  à  leurs 
plus  légères  imperfe£lions.  Une  injuilice 
d'impiété  ,  qui  fait  de  leur  zèle  ÔC  cîc  leur 
fainteté  ,  un  fujetde  mépris  ÔC  de  dérilion. 
Puiilent  cqs  vérités  ,  ô  mon  Dieu  !  rendre 
à  la  vertu  l'honneur  &.  la  gloire  qui  lui  font 
dues  ,  5c  forcer  le  m.onde  lui-mcmc  à  ref- 
peârer  des  Juiles  qu'il  n'eit  pas  digne  de 
poiTéder  !  ^ye  ,  Maria. 

ï-  JlVÎen  n'eft  plus  grand  ,  5v  plus  digne 
Partie.  ^^  refpeâ:  fur  la  terre ,  que  la  véritable 
vertu  :  le  monde  lui-même  eu.  forcé  d'en 
convenir.  L'élévation  des  feniimens  ,  la 
noblelfe  des  motifs  ,  l'empire  fur  les  paf- 
fions ,  la  patience  dans  les  adverfités  ,  la 
douceur  dans  les  injures  ,  le  mépris  de 
ibi-mèmc  dans  les  louanges ,  le  courage 


Injustice  du  monde  ,  Scc.  155 
dans  les  difficultés  ,  Tauftérité  dans  les 
plaifirs  ,  la  fidélité  dans  les  devoirs  ,  l'éga- 
lité dans  tous  les  événcmens  de  la  vie; en 
un  mot  tout  ce  que  la  Philofophie  a  fait 
entrer  dans  l'idée  de  fon  Sage ,  ne  trouve  fa 
réalité  que  dans  le  Difciple  de  TEvangiie. 
Plus  même  nos  mœurs  font  corrompues, 
plus  nos  (iécles  font  dilTolus  ,plus  une  ame 
juite  ,  qui  fait  conferver  au  milieu  de  la 
corruption  générale  mjuftice  &C  fon  inno- 
cence ,  inérite  Tadmiration  publique  ;  5c 
il  les  Payens  eux-mêmes  refpectoient  fi 
fort  les  Chrétiens  dans  un  tems  où  tous  les 
Chrétiens  étoient  faints  ,  à  plus  forte  rai- 
fon  ceux  des  Chrétiens ,  qui  font  encore 
juftes  parmi  nous  ,  font  dignes  de  notre 
vénération  5c  de  nos  hommages ,  aujour- 
d'hui où  lafainteté  eft  devenue  fi  rare  parmi 
les  Fidèles. 

Il  eil  donc  bien  trille  pouj  notre  minif- 
tère  ,  que  la  corruption  de  nos  mœurs 
nous  oblig;^  à  faire  ici  ce  que  les  premiers 
défenfeurs  de  la  foi  faifoient  autrefois  avec, 
tant  de  dignité  devant  les  tribunaux  Payens; 
c'eil-à-dire  ,  l'apologie  des  ferviteurs  de 
Jefus-Chrift  ;  &  qu'il  faille  apprendre  à 
des  Chrétiens  à  honorer  ceux  qui  font  pro- 
feiïion  de  l'être  :  cependant  rien  n'eft  plus 
néceilaire  ;  6c  ce  qui  paroît  le  plus  dominer 
aujourd'hui  dans  le  langage  du  monde,  ce 
font  les  cenfures  ôclesdérifions  de  la  piété. 
J'avoue  que  le  monde  femble  refpeÔerla 
vertu  en  idée  ;  mais  il  méprife  toujours 
ceux  qui  en  font  prgfeffigu  ;U  convient  quG 


1^6  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 
fienn'eft  plus  eflimablequ'une  piétéfolide 
ÔC  fîiicére  ;  mais  il  fe  plaint  qu'on  ne  la 
trouve  nulle  part;  5c  en féparant toujours 
la  vertu  de  ceux  qui  la  pratiquent  ,  il  ne 
fait  femblant  de  refpe<Sler  le  phantôme  de 
la  fainteté  ÔC  de  la  juftice  ,  que  pour  avoir 

?lus  de  droit  de  méprifer  ÔC  de  cenfurer  le 
ufte. 
Or  ,  le  premier  objet  fur  lequel  tom- 
bent d'ordinaire  les  difcours  du  monde 
contre  la  vertu  ,  c'efl  fur  la  droiture  des 
intentions  des  gens  de  bien.  Comme  ce  qui 
paroît  de  leurs  allions  donne  d'ordinaire 
peu  de  prife  à  la  malignité  5c  à  la  cenfure , 
on  fe  retranche  fur  leurs  intentions  :  on  pré- 
tend ,  aujourd'hui  fur-tout ,  où  fous  un 
Prince  aulTi  grand  que  religieux  ,  la  vertu 
autrefois  étrangère  ÔC  moquée  à  la  Cour, 
y  eft  devenue  la  voie  la  plus  sûre  des  grâ- 
ces 5c  des  récompenfes  ;  on  prétend  que 
c'eil-là  où  vifent  ceux  qui  en  font  une  pro- 
feilion  publique  ;  qu'ils  ne  veulent  qu'aller 
à  leurs  fins ,  Sc  que  ceux  qui  paroifîent  les 
plus  faints  6c  les  plus  déiinterefles  ,  n'ont 
par  deiïïis  les  autres  ,  que  plus  d'art  6c 
plus  d'adreffe  :  li  on  leur  fait  grâce  fur  la 
bailefle  de  ce  motif  ,  on  leur  en  prête 
d'autres  auifi indignes  de  l'élévation,  delà 
vertu  &C  de  la  fincérité  chrétienne.  Aufîi , 
qu'une  ame  touchée  de  fes  égaremens  re- 
vienne à  Dieu  ;  ce  n'eft  pas  Dieu  qu'elle 
cherche ,  c'efl  le  monde  par  une  voie  plus 
fine  5c  plus  détournée  :  ce  n'eft  pas  la  grâ- 
ce qui  a  changé  fou  cœur ,  c'eft  l'âge  qui 

commence 


Injustice  du  monde  ,  8cc.  257 
commence  à  effacer  fes  traits  ,  ÔC  qui  ne 
la  retire  des  plaifirs  ,  que  parce  que  les 
plaifirs  commencent  à  la  fuir  eux-mêmes. 
Si  le  zèle  embralfe  des  œuvres  de  miféri- 
corde  ,  ce  n'eft  pas  qu'on  foit  charitable  ; 
c'eft  qu'on  veut  devenir  important  :  (i  l'on 
fe  renferme  dans  la  prière  ôC  dans  la  re* 
traite  ,  ce  n'eft  pas  la  piété  qui  craint  Iq^ 
périls  du  monde  ,  c'eft  une  iingularité  ÔC 
une  oftentation  qui  veut  s'en  attirer  les  fuf- 
frages  :  enfin  ,  le  mérite  des  plus  faintes 
a£lions  eft  toujours  déprifé  dans  la  bouche 
des  mondains ,  par  les  foupçons  dont  ils 
noirciifent  les  intentions. 

Or  ,  je  trouve  dans  cette  témérité  trois 
caraftères  odieux  qui  en  font  fentir  tout  le 
ridicule  6c  toute  Tinjuftice  :  c'eft  une  té- 
mérité d'indifcrétion  ,  puifque  vous  jugez, 
vous  décidez  fur  ce  que  vous  ne  pouvez 
connoître  ;  c'eft  une  témérité  de  corrup- 
tion ,  puifque  d'ordinaire  on  ne  fuppofe 
dans  les  autres  que  ce  qu'on  fent  en  foi- 
même  :  enfin  une  témiérité  de  contradic- 
tion ,  puifque  vous  trouvez  injuftes  6c  in- 
fenfés  à  votre  égard  ,  les  mêmes  foupçons 
qui  vous  paroiifent  fî  bien  fondés  contre 
votre  frère.  Ne  perdez  pas  ,  je  vous  prie  ^ 
la  fuite  de  ces  vérités. 

Je  dis  d'abord  ,  une  témérité  d'indifcré- 
tion. Car ,  mes  Frères  ,  à  Dieu  feul  eft 
réfervé  le  jugement  des  intentions  6c  des 
penfées  :  lui  feul  qui  voit  le  fecret  des 
cœurs  ,  peut  en  juger:  ils  ne  feront  mani^ 
feftés  que  dans  ce  jour  redoutable  où  fa 


258  Mercredi  de  la  îV.  Semaine; 

lumière kiira  dans  les  ténèbres.  Un  voile 
inipènétrable  eft  répandu  ici- bas  fur  les 
profondeurs  du  cœur  humain  :  il  faut  donc 
attendre  que  le  voile  foit  déchiré  ;  que  les 
paffions  honteufes  qui  fe  cachent,  comme 
parle  l'Apôtre  foient  manifeftées;  6c  que 
le  myftère  d'iniquité  ,  qui  opère  en  fecret, 
foit  révélé  :  jufqucs*là ,  ce  qui  fe  paile 
dans  le  cœur  des  homnes ,  caché  à  notre 
connoifTance  ,  eft  interdit  à  la  témérité  de 
nos  jugemens  ;  lors  même  que  ce  que 
nous  voyons  de  la  conduite  de  nos  frères 
ne  leur  eft  pas  favorable  >  la  charité  nous 
•oblige  de  luppofer  que  ce  que  nous  ne 
voyons  pas  le  re^lifie  &  le  répare,  êcd'ex- 
cufer  les  défauts  des  aérions  qui  nous  blef- 
fent ,  par  l'innocence  des  intentions  qui 
nous  font  cachées.  Or,  fi  la  Religion  doit 
nous  rendre  indulgen»  ôc  favorables ,  mê- 
me à  leurs  vices ,  louffriroit-elle  que  nous 
fuflions  cruels  ÔC  inexorables  ,  même  à 
leurs  vertus  ? 

En  effet  ,  mes  Frères  ,  ce  qui  rend  îcî 
votre  témérité  plus  injuile  ,  plus  noire  > 
plus  cruelle  ,  c'eft  la  nature  de  vos  foup- 
çons.  Car  fi  vous  ne  foupçonniez  les  gens 
de  bien  que  de  quelqu'une  de  ces  foibleifes 
inféparables  de  la  condition  humaine  ;  de 
trop  de  fenfîbilité  dans  les  injures  ;  de  trop 
d'attention  à  leurs  intérêts ,  de  trop  d'infle- 
xibilité dans  leurs  fentimens  ;  nous  aurions 
droit  de  vous  répondre  ,  comme  nous  di« 
ions  dans  la  fuite ,  que  vous  exigez  des 
gens  de  bien  une  exemption  de  tout  dé- 


Injustice  du  monde,  6cc.    25^) 
faut ,    ôc  un  degré  de  perfection  qui  n'eil: 
pas  de  cette  vie.  Mais  vous  n'en  demeurez 
pas-là  .-  vous  attaquez  leur  probité  &:  la 
droiture  de  leur  cœur  ;  vous  les  foupçonnez 
de  noirceur  ,  de  difllmulation,  d'hypocri- 
fie  ;  de  faire  fervir  à  leurs  vues  ÔC  à  leurs 
paiïions ,  les  chofes  les  plus  faintes  ;  d'être 
des  impofteurs  publics ,  6c  de  fe  jouer  de 
Dieu  &  des  hommes  ,  6c  cela  fur  les  feules 
apparences  de  la  vertu.  Quoi,  mes  Frè- 
res !  vous  n'oferiez  ,  après  le  crime  k  plus 
éclatant ,  porter  d'un  criminel  convaincu, 
un  jugement  (i  cruel  6c  fi  odieux  ;  vous 
regarderiez   plutôt  fa  faute  comme  un  de 
ces  malheurs  qui  peuvent  arriver  à  tous  les 
hommes  ,  5c  dont  un   méchant  miCment 
peut  nous  rendre  capables  ;  5c  vous  le  por- 
tez d'un  homme  de  bien  ?  &C  vous  foup» 
çonnez  du  Juile  fur  une  vie  fainte  6c  loua- 
ble ,  ce  que  des  moeurs  fcandaleufes  ÔC 
criminelles  n'oferoient  vous  faire  fcupçon* 
ner  d'un  pécheur  ?  5c  vous  regardez  com- 
me un  bon  mot  contre  les   lerviteurs  dç 
Dieu  ,  ce  qui  vous  paroitroit  uïiq  barbarie 
contre  un  homme  flétri  de  mille  crimes  ? 
Faut-il  donc  que  la  vertu  foit  le  feul  crime 
qui  ne  mérite  point  d'indulgence ,  qu'il  fuf- 
fife  de  fervir  Jefus-Chrift  pour  être  indi- 
gne de  tout  ménagement  ;  6c  que  les  fain- 
tes pratiques  de  la  piété,  qui  auroient  di\ 
attirer  du  refpe6^  à  votre  frère  ,  deviennent 
lesfeuls  titres  qui  les  confondent  dans  votre 
efprit  avec  les  fcélérats  6c  les  impies  ? 
Je  conviens  que  Thypocrite  elt  digne  d.^ 


i6o  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 
l'exécration  de  Dieu  5c  des  hommes  :  que 
l'abus  qu'il  fait  de  la  Religion  efl  le  plus 
grand  de  tous  les  crimes  ;  que  les  dériiions 
5c  les  fatyres  font  trop  douces  pour  dé- 
crier un  vice  qui  mérite  l'horreur  du  genre 
humain  ;  5c  qu'un  théâtre  profane  a  eu  tort 
de  ne  donner  que  du  ridicule  à  un  carac- 
tère fi  abominable,fi  honteux  6cli  affligeant 
pour  l'Eglife  ;  ÔC  qui  doit  plutôt  exciter 
les  larmes  ÔC  l'indignation ,  que  la  rifée  des 
Fidèles. 

Mais  je  dis  que  ce  déchaînement  éternel 
contre  la  vertu  ;  que  ces  foupçons  témé- 
raires qui  confondent  toujours  Thomme  de 
bien  avec  l'hypocrite  ;  que  cette  malignité, 
qui ,  en  faifant  des  éloges  pompeux  de  la 
juftice  ,  ne  trouve  prefqu'aucun  Juile  qui 
les  mérite  :  je  dis  que  ce  langage ,  dont 
on  fait  Ç\  peu  de  fcrupule  dans  le  monde  , 
anéantit  la  Religion  ,  &  tend  à  rendre 
toute  vertu  fufpecle  :  je  dis  que  par-là  vous 
fournixTez  des  armes  aux  impies  ,  dans  ud 
fiécle  où  tant  d'autres  fcandales  n'autori- 
fent  que  trop  l'impiété.  Vous  leur  aidez  à 
croire  qu'il  n'y  a  plus  de  Julles  fur  la  terre  ; 
que  les  Saints  même  qui  ont  autrefois  édi- 
fié l'Eglife  ,  &  dont  nous  honorons  la  mé- 
moire ,  n'ont  donné  aux  hommiCs  que  le 
fpeâ:acle  d'une  fauife  vertu  y  dont  ils  n'a- 
voient  que  le  phantôme  ÔC  les  apparences  ; 
6c  que  l'Evangile  n'a  jam.ais  formé  que  des 
Pharifiens  ôc  des  hypocrites.  Comaprenez- 
vous ,  mes  Frères ,  tout  le  crimje  de  ces 
dériiians  infeiifées  ?  vous  croyez  rire  delà 


Injustice  du  monde  ,  5cc.  i6î 
fauffe  vertu ,  &  vous  blafphémez  contre 
la  Religion.  Je  le  répète  ;  en  vous  défiant 
de  la  fincérité  des  Juftes  que  vous  voyez  , 
rimpie  conclut  que  ceux  qui  les  ont  précé- 
dées ôc  que  nous  ne  voyons  pas ,  leur 
étoient  femblables  ;  que  les  Martyrs  eux- 
mêmes  ,  qui  couroient  à  la  mort  avec  tant 
de  fermeté  ,  ÔC  qui  rendoient  à  la  vérité  le 
témoignage  le  plus  éclatant  &C  le  m.oins  fut 
peft  que  l'homme  pu ilTe  lui  rendre,  n'é- 
toient  que  des  furieux  qui  cherchoient  une 
gloire  humaine  par  une  vaine  oftentation 
de  courage  6c  d'héroïfme  ;  5c  qu'enfin  ,  la 
tradition  vénérable  de  tant  de  Saints ,  qui 
de  fiécle  en  fiécle  ont  honoré  &L  édifiéTE- 
glife  ,  n'eft  qu'une  tradition  de  fourberie 
ÔC  d'artifice.  Et  plût  à  Dieu  que  ce  ne  fût 
ici  qu'un  emportement  de  zèle  5c  d'exagé- 
ration 1  ces  blafphêmes,  qui  font  horreur, 
ÔC  qui  auroient  dû  être  enfévelis  avec  le 
paganifme  ,  nous  avons  encore  la  douleur 
de  les  entendre  parmi  nous.  Et  vous-mê- 
mes ,  qui  en  frémiiTez  ,  vous  les  mettez 
pourtant  fans  le  vouloir  ,  dans  la  bouche 
de  l'impie  ;  ce  font  vos  cenfares  éternelles 
de  la  piété  ,  qui  ont  rendu  en  nos  jours 
rim.piété   Cl  commune  ÔC  fi  impie. 

Je  n'ajoute  pas  que  par-là  tout  devient 
douteux  ÔC  incertains  dans  la  fociété.  Il  n'y 
a  donc  plus  ,  ni  bonne  foi  ,  ni  droiture  > 
ni  fidélité  parmi  les  hommes.  Car  s'il  ne 
faut  plus  compter  fiir  la  fincérité  6c  fur  la 
vertu  des  Jultes  ;  fi  leur  piété  n'eft  que  le 
Zîiafque  de  leurs  paflions  ^  nous  ne  compte- 


262  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 

rons  pas  fans  doute  plus  fur  la  probité  des 
pécheurs  ÔC  des  mondains  ;  tous  les  hom* 
mes  ne  feront  donc  plus  que  des  fourbes  6C 
des  fcélérats  dont  il  faudra  fe  défier;  5c  ne 
vivre  avec  eux  ,  que  comme  avec  des  en- 
nemis d'autant  plus  à  craindre  ,  qu'ils  ca- 
chent fous  les  dehors  de  l'amitié  &  de  l'hu- 
manité ,  le  delTein  ,  ou  de  nous  tromper  > 
ou  de  nous  perdre.  Il  n'y  a  qu'un  cœur 
profondément  mauvais  6c  corrompu  ,  qui 
puilTe  fuppofer  tant  de  noirceur  £c  de  cor- 
ruption dans  les  autres. 

Et  voilà  le  fécond  cara£lère  de  cette  té- 
mérité dont  nous  parlons.  Oui  ,  mes  Frè- 
res ,  ce  fond  de  malignité  ,  qui  voit  le 
crime  à  travers  même  les  apparences  de  la 
vertu  ,  &C  qui  attribue  à  des  œuvres  faintes 
des  intentions  criminelles  ,  ne  peut  partir 
que  d'une  ame  noire  ^  corrompue.  Com- 
me les  paflions  vous  ont  gâté  le  cœur  ,  à 
vous  que  ce  difcours  regarde  ;  que  vous 
êtes  capable  de  toute  duplicité  ÔC  de  toute 
balTefTe  ;  que  vous  n'avez  rien  de  droit  , 
rien  de  noble  ,  rien  de  (ineére  :  vousfoup- 
çonnez  aifément  vos  frères  d'être  ce  que 
vous  êtes  :  vous  ne  fauriez  vous  perfuader 
qu'il  y  ait  encore  des  cœurs  fimples ,  fincé- 
res  ÔC  généreux  fur  la  terre  :  vous  croyez 
voir  partout  ce  que  vous  fentez  en  vous- 
même  :  vous  ne  pouvez  comprendre  que 
l'honneur  ,  la  fidélité  ,  la  fincérité  ,  ôC 
tant  d'autres  vertus  toujours  faulles  dans 
votre  cœur  ,  ayent  quelque  chofe  de  plus, 
vrai  ÔC  de  plus  réel ,  dans  le  cœur  des 


Injustice  du  monde  ,  5cc.  16^ 
perfonnes  mêmes  les  plus  refpedlables  par 
leur  élévation  ou  par  leur  caractère  :  vous 
relTemblez  aux  courtilans  du  Roi  des  Am- 
monites ;  comme  ils  n'avoient  point  d'autre 
occupation  que  d'être  fans  celle  attentifs  à 
fe  fupplanter  les  uns  les  autres  ,  &  à  fe 
drefler  mutuellement  des  pièges  ,  ils  n'eu- 
rent pas  de  peine  à  croire  que  David  n'al- 
loit  pas  de  meilleure  foi  avec  leur  maitre. 
Vous  croyez  ,  difolent-ils  à  ce  Prince  > 
que  David  penfe  à  honorer  la  m.émoire  de 
votre  père  ,  en  vous  envoyant  des  députés 
qui  viennent  vous  confoler  fur  fa  m.ort  : 
Futas  qucd  pTCpter  honorem  patris  tin  mi-  t.  Re^ 
fera  David  ad  te  conjolatores  ?  ce  ne  font^^'  5^ 
pas  des  confolateurs  qu'il  vous  envoyé  ,  ce 
font  des  efpions  ,  c'eft  un  ïowrhe  qui  fous 
les  dehors  pompeux  d'une  ambaOade  ha- 
norable  ÔC  pleine  d'amitié  ,  vient  faire  exa- 
miner  les  endroits  foibles  de  votre  Royau- 
me ,  ÔC  prendre  des  mefures  pour  voua 
furprendre  :  Et  non  ideo  m  inveftigaret  & 
€xploraret  civitatcm,  C'eft  le  malheur  des.  i^M} 
Cours  fur-tout  :  comme  on  y  eft  né  6c 
qu'on  y  vit  dans  le  faux ,  on  croit  le  voir 
dans  la  vertu  au  in- bien  que  dans  le  vice  : 
comme  c'eli:  une  fcène  où  chacun  joueua 
perfonnage  emprunté ,  on  croit  que  l'hom- 
me de  bien  ne  fait  qu'y  jouer  le  perfonnage 
de  la  vertu  :  la  fincérité  rare  ou  inutile  ,  y 
paroît  toujours  impoiTible. 

Un  bon  cœur  ^  un  cœur  droit  ,  fîmple 
6c  fincére  ,  ne  peut  prefque  comprendre 
qu'il  y  ait  des  impofleurs  fur  la  terre  ;  il 


204  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 

trouve  dans  fon  propre  fonds  Tapologie  de 
tous  les  autres  hommes ,  &  mefure  ,  par 
ce  qui  lui  en  coûteroit  à  lui-même  pour 
n'être  pas  de  bonne  foi ,  ce  qu'il  en  doit 
coûter  aux  autres.  Aufli ,  mes  Frères ,  exa- 
minez ceux  qui  forment  ces  foupçons  af- 
freux ÔC  téméraires  contre  les  gens  de  bien: 
vous  trouverez  que  ce  font  d'ordinaire  des 
hommes  déréglés  6c  corrompus,  qui  cher- 
chent même  à  fe  calmer  dans  leurs  diflblu- 
tions  ,  en  fuppofant  que  leurs  foibleffes 
font  des  foiblelTes  de  tous  les  hommes , 
que  ceux  qui  paroiflent  les  plus  vertueux  , 
n'ont  par  deilus  eux  que  plus  d'habileté 
pour  les  cacher  ;  ôc  qu'au  fond  ,  fi  on  les 
voyoit  de  près  ,  on  trouveroit  qu'ils  font 
faits  comme  les  autres  hommes  :  ils  font 
de  cette  penfée  injufle  une  relTource  af- 
freiife  à  leurs  débauches.  Ils  s'afFermiiTent 
dans  le  défordre  ,  en  y  aflbcianttous  ceux 
que  la  crédulité  des  peuples  appelle  gens 
de  bien  :  ils  fe  font  une  idée  affreufe  du 
genre  humain  ,  pour  être  moins  effrayés 
de  celle  qu'ils  font  obligés  d'avoir  d'eux- 
mêmes  ;  &  tachent  de  fe  perfuader  qu'il 
n'y  a  plus  de  vertu  ,  afin  que  le  vice  plus 
commun  leur  paroifTe  plus  cxcufable  ; 
comme  fi ,  ô  luon  Dieu  !  la  multitude  des 
crimifnels  pou\oit  ôter  à  votre  juflice  le 
droit  de  punir  le  crime. 

Mais  on  a  vu  tant  d'hypocrites  ,  dites- 
vous  ,  qui  ont  abufé  fi  long-tems  le  mon- 
de ,  qu'on  regardoit  comme  des  Saints  ôC 
des  amis  de  Dieu  ,  ôC  qui  cependant  n'é- 

toieiit 


Tnjiïstice  du  moî^de  ,  8cc.  265 
tCnent  que  des  hommes  pervers  5c  cor- 
rompus. 

Je  l'avoue  avec  douleur ,  mes   Frères  : 
mais  que  voulez-vous  conclure  de  là  ?  que 
tous  les  gens  de  bien  leur  reffemblent  ?  la 
conféquence  efl  affreufe  :  5c  où  en  feroit 
le  genre  humain  ,  il  vous  raifonniez  ainfî 
fur  tout  le  refte  des  hommes.  On  a  vu  tant 
d'époufes  infidèles:  ny  a-t'il  donc  plus  do 
pudeur  ÔC  deêdélité  dans  le  lien  facré  du 
mariage  ?  tant  de  Magiilrats  ont  vendu 
leur  honneur  5C  leur  miniftère  :  la  juftice- 
ÔC  l'intégrité  font-elles  donc  ba'^nies  de 
tous  les  Tribunaux  ries  hiftoires  nous  ont 
confervé  le  fouvenir  de  tant   de  Princes 
perfides ,  difîimulés  ,   fans  foi ,  fans  hon- 
neur ;  également  infidèles  à  leurs  ennemis^ 
à  leurs  alliés  ,  à  leurs  fujets  :  la  droiture  » 
ia  vérité  ,  la  Religion  n'environnent- elles 
donc  plus  le  trône  ?  Levez  les  yeux  ,  6c  re- 
gardez le  Prince  grand  ôc  refpe^table ,  qui 
l'honore  6>C  qui  le  remplit.  Les  fiécles  paffés 
ont  vu  tant  de  fujets  diftingués  par  leurs 
noms ,  par  leurs  charges ,  par  les  bienfaits 
de  leur  Souverain ,  trahir  le  Prince  6C  la 
patrie ,  ÔC  entretenir  avec  l'ennemi  des  in- 
telligences criminelles  :  trouveriez-vous  le 
maître  que  vous  fervez  avec  tant  de  zèle 
6C  de  valeur,  équitable,  fi  là-deiTus  la  fi- 
délité d'un  chacun  de  vous  lui  devenoitfuf- 
pe£^e  ?  Pourquoi  donc  un  foupçon  qui  fait 
horreur  envers  tous  les  autres  hommes  ,  ne 
fera-t'il  fupportable  que  contre  les  gens  de 
bien  ?  pourquoi  une  coiiféquence  ridiculô 

Çfirême ,  Ym§  lU^  Z 


266  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 

par-tout  ailleurs ,  ne  feroit-ellefenféeque 
contre  la  vertu  ?  La  perfidie  d'un  feul  Ju- 
das vous  fait-eîlc  conclure  que  tous  les  au- 
tres Difcipks  fufTent  des  traîtres  5c  des  in- 
fidèles FThypocrifie  de  Simon  le  Magicien 
prouve-t'elie  que  la  converfion  de  tous  les 
autres  Difciples  qui  embraflbient  la  foi , 
ne  fût  qu'un  artifice  pour  arriver  à  leurs 
fins  ;  ÔC  qu'ils  ne  inarchafTent  pas  droit  , 
comme  lui ,  dans  la  voie  de  Dieu  ?  Quoi 
déplus  injufle  6c  de  plus  iufenfé  ,  que  de 
faire  à  tous  un  crime  de  la  faute  d'un  feul.^ 
il  efi:  difficile,  je  l'avoue  ,  que  le  vice  ne 
fe  pare  quelquefois  des  apparences  de  la 
vertu  ;  que  Tange  de  ténèbres  ne  fe  transfi- 
gure quelquefois  eii  Ange  de  lumière  ;  6C 
que  les  paillons  ,  qui  mettent  tout  en  œu- 
vre pour  réuffir ,  ne  s'avifent  pas  quelque- 
fois d'appeller  à  leurs  fecours  les  apparen- 
ces mêmes  de  la  piété  ,  fous  un  régne  fur- 
tout  où  la  piété  honorée  .  eft  preique  le 
chemin  de  la  fortune  6c  des  grâces.  Mais 
c'eft  une  extravagance  de  faire  retomber 
fur  toute  vertu  Tuiage  impie  que  quelques- 
uns  peuvent  faire  de  la  vertu  même  ;  &  de 
croire  que  quelques  abus  découverts  dans 
une  proîefTion  fainte  ôc  vénérable  ,  désho- 
norent généralement  tous  ceux  qui  l'ont 
embraflee.  C'eft  ,  mes  Frères  ,  que  nous 
haillons  tous  les  hommes  qui  ne  nous  ref- 
femblentpas  ;  5c  que  nous  fommes  ravis 
de  pouvoir  condamner  la  vertu  ,  parce  que 
la  vertu  elle-même  nous  condamne. 
Mais  on  y  a  été  fi  fouvent  trompé ,  dites- 


Injustice  du  monde  ,  8cc-    i6j 

Vous.  Je  le  veux  :  mais  je  vous  réponds  ; 
quand  même  vous  vous  tromperiez  ,  en  ne 
voulant  pas  foupçonner  vos  frères  ,  8c  en 
rendant  à  une  fauffe  vertu  Teftimie  6c  Thon- 
neur  qui  ne  font  dus  qu'à  la  vertu  véritable; 
qu'en  feroit-il  ?  que  vous  arriveroit-il  de  fi 
trifte  ,  de  Ci  honteux  ,  de  votre  crédulité  ? 
vous  auriez  jugé  félon  les  régies  de  la  cha- 
rité ,  qui  ne  croit  pas  facilement  le  mal , 
&  qui  fe  réjouit  même  des  apparences  du 
bien  ;  félon  les  régies  de  la  juftice  ,  qui 
n'eft  pas  capable  envers  les  autres  d'une 
malignité  dont  elle  ne  voudroit  pas  qu'oa 
usât  à  fon  égard  ;  félon  les  régies  de  la 
prudence  ,  qui  ne  juge  que  fur  ce  qu'elle 
voit,  &  laiffe  au  Seigneur  le  jugement  des 
intentions  &  des  penfées  ;  enfin  ,  félon  les 
régies  de  la  bonté  6c  de  l'humanité  ,  qui 
préfume  toujours  en  faveur  de  fes  frères. 
Et  qu'y  auroit-il  dans  cette  méprife  qui 
-dût  tant  vous  allarmer  ?  il  eft  fi  beau  de  fe 
tromper  par  un  motif  d'humanité  ôc  d'in- 
dulgence :  ces  erreurs  font  tant  d'honneur 
à  un  bon  cœur  :  il  n'y  a  que  des  hommes 
vrais  ÔC  vertueux  qui  en  foient  capables  ; 
mais  comme  vous  ne  l'êtes  pas  ,  vous  ai- 
mez encore  mieux  vous  tromper  ,  en  dé- 
gradant l'homme  de  bien  de  l'honneur  qui 
lui  eft  dû  ,  qu'en  courant  rifquc  de  ne  pas 
couvrir  d'hypocrite  de  la  confufion  qu'il 
mérite. 

Mais  d'ailleurs ,  d'où  vous  vient  ce  zèle 
&ce  déchaînement  contre  l'abus  quel'hy- 
pQCrite  fait  de  la  vertu  véritable  ?  prenea- 

Z  i 


268  Mercredi  de  la  IV.  Semalve; 

vous  Cl  fort  à  cœur  les  intérêts  de  la  gloîfè 
de  Dieu  ,  que  vous  veùilliez  le  venger  de 
ces  impofteurs  qui  le  déshonorent  p  que 
vous   importe  que  le  Seigneur  foit  fervi 
avec  un  cœur  double  ou  fincére  ,  vous  qui 
ne  le  fervez  6c  qui  ne  le  connoilTez  même 
pas  ?  qu'y  a-t'il  qui  vous  intérelTe  fi  fort 
dans  la  droiture  oudans  rhypocrifiedefes 
adorateurs  ,  vous  qui  ne  favez  pas  même 
comment  on  Tadore  ?  Ah  !  s'il  étoit  le  Dieu 
de  votre  cœur ,   fî  vous  l'aimiez  comme 
votre  Seigneur  5c  votre  Père  ,  il  fa  gloire 
vous  étoit  chère ,  on  pardonneroit  du  moins 
à  un  excès  de  zèle,  l'audace  avec  laquelle 
vous  vous  élevez  contre  l'outrage  ,  que 
fait  à  Dieu  6^.  à  Ton  cuite,  la  vertu  iîmulée 
de  l'hypocrite.  Les  Juftes  qui  Taiment  6c 
qui  le  fervent ,  auroient ,  ce  femble  ,  plus 
de  droit  d'éclater  contre  un  abus  fi  inju- 
rieux à  la  piété  fincére.  Mais  vous  qui  vi- 
vez comme  les  payens  qui  n'ont  point 
d'efpérance  ,  abimé  dans  le  défordre ,  ÔC 
dont  toute  la  vie  n'efl  qu'un  crime  conti- 
nuel ;  ah  î  ce  n'efl  pas  à  vous  à  prendre 
les  intérêts  de  la  gloire  de  Dieu  contre  les 
faulles  vertus  qui  font  tant  de  tort  ÔC  tant 
de  peine  à  i'Eglife  :  qu'il  foit  fervi  de  bonne 
foi ,  ou  par  pure  grimace  ;  ce  n'efl  pas  une 
affaire  qui  vous  regarde.  D'où  vient  donc 
lui  zèle  fi  déplacé  ?  Voulez-vous  le  favoir  ? 
ce  n'eft  pas  le  Seigneur  que  vous  voulez 
venger  ,  ce  n'efl  pas  fa  gloire  qui  vous  in- 
térelle  ,  c'efi:  celle  des  gens  de  bien   que  , 
rous  cherchez  à  flétrir  :  ce  n'efl  pas  l'hy-  • 


Injustice  du  monde  ,  5cc.  269 
pocrifie  qui  vous  bkffe  ,  c'eft  la  piété 
qui  vous  déplaît  :  vous  n'êtes  pas  le  cen- 
feur  du  vice  ;  vous  n  êtes  que  rennemi 
de  la  vertu  :  en  un  mot,  vousne  haïllez 
dans  rhypocrite  ,  que  la  reffcmblance  de 
l'homme  de  bien. 

En  effet ,  il  vos  cenfures  partoient  d'un 
fonds  de  religion  6c  de  zèle  véritable  ,  ah  f 
vous  ne  rappelleriez  qu'avec  douleur  l'hif- 
toire  de  ces  impofteurs  qui  ont  pu  quel- 
quefois réulTir  à  tromper  le  monde  :  que 
dis- je  ?  loin  de  nous  alléguer  ces  exemples 
avec  un  air  triomphant ,  vous  gémiriez  dit 
fcandale  dont  ils  ont  affligé  rÈglife  ;  loin 
de  vous  applaudir  lorfque  vous  nous  en 
renouveliez  le  fouvenir,  vous  fouhaiteriez 
que  ces  trilles  événemens  fulTent  effacés 
de  la  mémioire  des  hommes,  La  Loimau- 
diiToit  celui  qui  découvroit  la  honte  6c  la 
turpitude  de  ceux  qui  lui  avoient  donné  la 
vie  ;  mais  c'eft  la  honte  5c  le  déshonneur 
de  l'Eglife  votre  mère,  que  vous  expofez 
avec  plaifîr  à  la  dérifion  publique.  Prenez- 
vous  foin  de  rappeller  certaines  circonf- 
tances  humiliantes  pour  votre  maifon  ,  5C 
qui  ont  déshonoré  autrefois  le  nom  6c  la 
vie  de  quelqu'vui  de  vos  ancêtres?  ne  vou- 
driez-vous  pas  effacer  ces  traits  odieux 
des  hiftoires  qui  les  ont  confervés  à  la 
poftériîé  ?  Ne  regardez-vous  pas  ,  comme 
les  ennemis  de  votre  nom,  ceux  qui  vont 
fouiller  dans  les  fiécles  paffés  ,  pour  y 
déterrer  ces  endroits  odieux ,  5c  les  faire 
revivre  dans   la  mémoire  des  hommes  ? 

Z3 


zyo  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 
ïi'oppofez-vous  pas  à  leur  malignité  cette 
ïnaxime  d'équité  ,  que  les  fautes  font  per- 
fonnelles  ;  &:  qu'il  eft  injufle  de  faire  re- 
tomber fur  tous  ceux  qui  ont  porté  votre 
nom  ,  la  mauvaife  conduite  d'un  feul  qui 
l'a  déshonoré  ? 

Appliquez-vous  la  régie  à  vous-même  : 
l'Eglife  eft  votre  maifon  ;  les  Juftes  feuls 
font  vos  proches ,  vos  frères ,  vos  prédé- 
ceifeurs,  vos  ancêtres  ;  eux  feuls  compo- 
fent  cette  famille  des  premiers  nés  à  la- 
quelle vous  devez  être  éternellement  réuni, 
tes  impies  feront  un  jour  comme  s'ils  n'a- 
voient  jamais  été  ;  les  liens  du  fang  ,  de 
la  nature  ,  de  la  fociété  qui  vous  unifient 
â  eux  ,  périront  ;  un  cahos  immenfe  ÔC 
éternel  les  féparera  des  enfans  de  Dieu  ; 
ils  ne  feront  plus ,  ni  vos  frères  ,  ni  vos 
ayeux  ,  ni  vos  proches  ;  ils  feront  rejet- 
tes ,  oubliés  ,  effacés  de  la  terre  des   vi- 
vans  ,  inutiles  aux  defleins  de  Dieu  ,  re- 
tranchés pour  toujours  de  fon  Royaume, 
6c  ne  tenant  plus  par  aucun  lien  à  la  fociété 
des  Juftes ,  qui  feront  alors  feuls  vos  frè- 
res ,  vos  ancêtres ,  votre   peuple  ,  votre 
tribu.    Que  faites-vous   donc   en  décou- 
vrant avec   complaifance  l'ignominie   de 
quelque  faux  jufte  qui  déshonore  leur  hif- 
toire  ?  c'eft  votre    maifon  ,  votre  nom , 
vos  proches  >  vos  ancêtres  que  vous  dés- 
honorez ;  vous  venez  flétrir  l'éclat  de  tant 
d'aftions  glorieufes  qui  ont  rendu  leur  mé- 
moire immortelle  dans  tous  les  fiécles ,  par 
l'infidélité  d'un  feul ,  qui  portant  le  même 


Injustice  du  mond^  ,  8cc.  271 
nom  qu'eux  ,  l'avilit  par  des  mœurs  ÔC  une 
conduite  fort  diffemblable  :  c'eft  donc  fur 
vous-mÔJi:e  que  retombe  cet  opprobre  ;  à 
moins  que  vous  n'ayez  déjà  renoncé  à  la 
fociété  des  Saints  ,  &  que  vous  n'aimiez 
mieux  choiflr  votre  partage  éternel  avec 
les  impies  6C  les  infidèles. 

Mais  ce  qu'il  y  a  ici  de  plus  bizarre  dans 
cette  témérité  qui  veut  toujours  juger  6c 
noircir  les  intentions  fecrettcs  des  gens  de 
bien,  c'eft  qu'en  cela  vous  tombez  en  con- 
tradiâion  avec  vous-mêmes  :  dernier  ca- 
raftère  de  cette  témérité. 

Oui  ,  mes  Frères,  vous  les  accufezd*al- 
1er  à  leurs  fins  ,  d'avoir  leurs  vues  dans  les 
actions  les  plus  faintes,  ^  de  ne  jouer  que 
le  perfonnage  de  la  vertu.  jMais  vous  fied- 
il ,  à  vous  qui  vivez  à  la  Cour  ,  de  leur 
faire  ce  reproche  ?  toute  votre  vie  ell  une- 
feinte  éternelle  ;  vous  jouez  par-tout  im 
rôle  qui  n'eft  point  le  vôtre  ;  vous  flâtez 
ceux  que  vous  n'aimez  pas  ;  vous  rampez 
devant  d'autres  que  vous  méprifez  ;  vous 
faites  rem.preflé  auprès  de  ceux  de  qui 
vous  attendez  des  grâces  ,  quoiqu'au  fond 
vous  regardiez  leur  faveur  avec  envie  , 
&  que  vous  les  croyiez  indignes  de  leur 
élévation  ;  e-i  un  mot,  toute  votre  vie eft 
un  perfonnage  continuel.  Par-tout  votre 
cœur  dément  votre  conduite  ;  par-tout 
votre  vifage  eil  la  contradi£lion  de  vos 
fentimens  ;  vous  êtes  les  hypocrites  du 
monde  ,  de  l'ambition  ,  de  la  faveur  ,  de 
la  fortune ,  ôc  il  vous  appartient  bien  après 

Z  4 


ayi  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 
cela  de  venir  accnferles  Jiiftes  des  mêmes 
feintes, &  de  faire  fonner  fi  haut  leiirdif- 
fimuîation  5c  leur  prétendue  hypocrifie  : 
quand  vous  n'auriez  rien  à  vous  reprocher 
là-delTus ,  on  écoutera  la  témérité  de  vos 
cenfiires  ;  ou  plutôt  vous  avez  raifon  d'être 
jaloux  de  la  gloire  des  artifices  6c  des  baf- 
feiles ,  6c  de  trouver  mauvais  que  les  Juf- 
tes  veuillent  fe  mêler  d'un  art  qui  vous 
appartient  8C  qui  vous  eft  propre. 

D'ailleurs ,  vous  vous  récriez  û  fort 
lorfque  le  monde  >  trop  attentif  à  vos  dé- 
marches ,  interprète  malignem.ent  certai- 
nes vifites  marquées  ,  certaines  aiTiduites 
fufpe^les  ,  certains  regards  affectés  ;  voiis 
dites  n  haut  alors  ,  que  fi  cela  eft  ainfi  y 
perfbnne  ne  fera  plus  innocent;  qu'il  n'y 
aura  plus  de  femme  régulière  dans  le  mon- 
de ;  que  rien  n'efî  fi  aifé  que  de  donner  un 
air  de  crime  aux  chofes  les  plus  innocen- 
tes ;  qu'il  faut  donc  fe  bannir  de  la  fociété  ^ 
&  s'interdire  tout  commerce  avec  le  genre 
humain  :  vous  déclamez  alors  fi  vivement 
contre  la  malignité  des  hommes  ,  qui  fur 
des  démarches  inditïérentes ,  vous  prêtent 
des  intentions  criminelles.  Mais  les  Juftes 
donnent-ils  plus  de  lieu  à  la  témérité  des 
foupçons  que  vous  formez  contr'eux  ?  ÔC 
s'il  vous  eft  permis  d'aller  chercher  en  eux 
le  crime  fous  les  apparences  même  de  îa 
vertu  ,  pourquoi  trouvez-vous  û  mauvafs 
que  îe  monde  ofe  le  fvippofer  en  vous ,  *ÔC 
vous  croire  criminel  fous  les  apparences  du 
crime  {nême  ? 


t 


Injustice  du  monde  ,  Sec.    ÎJ$ 

Enfin  ,  lorfque  nous  vous  reprochons , 
femmes  du  monde  ,  votre  afîiduité  aux 
fpe£tacles  ,  6c  aux  lieux  où  Tinnocence 
court  tant  de  rifques  ;  l'indécence  ÔC  Tim- 
modeitie  de  vos  parures  ;  vous  nous  ré- 
pondez que  vous  n'avez  point  de  mauvai- 
les  intentions ,  que  \ous  ncn  voulez  à per- 
fonne  ;  vous  voulez  qu'on  vous  pafTe  des 
mœurs  indécentes  5c  criminelles  fur  la  pré- 
tendue innocence  de  vos  intentions  que 
tout  dément  au- dehors  ;  5c  vous  ne  (au- 
riez palTer  aux  gens  de  bien  des  mœurs 
faintcs  &.  louables  fur  la  droiture  de  leur 
cœur  ,  dont  tout  parolt  au- dehors  vous 
répondre.  Vous  exigez  qu'on  juge  voâ 
intentions  pures  ,  Icrique  vos  œuvres  ne 
le  font  pas  ;  6c  vous  croyez  avoir  droit 
de  vous  perfuuder  que  les  intentions  des 
gens  de  bien  ne  font  pas  innocentes ,  lorf- 
que toutes  leurs  aftions  le  paroifTent.  Cef- 
fez  donc ,  ou  de  nous  faire  l'apologie  d« 
vos  vices  ,  ou  la  cenfure  de  leur  vertu. 

C'efl  ainfi  ,  mes  Frères,  que  tout  s'em- 
poifonne  entre  nos  miains ,  6c  que  tout  nous 
éloigne  de  Dieu  :  le  fpeÛacle  mêm.e  de  la 
vertu  ,  devient  pour  nous  un  prétexte  de 
vice;  &  les  exemples  eux-miémes  de  la 
piété  ,  font  les  écuèils  de  notre  innocence. 
Il  femble  ,  ô  mon  Dieu  !  que  le  monde  ne 
nous  fournit  pas  allez  d'occafions  de  nous 
perdre  ;  que  les  exemples  des  pécheurs 
ne  fufKfent  pas  pour  autorifer  nos  égare- 
mens  :  nous  allonsleurchercher  un  appui 
jufques  dans  les  vertus  mêmes  des  Juiles, 


274  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 

Mais  vous  nous  direz  que  le  monde  n'a 
pas  il  grand  tort  de  cenfurer  ceux  qui  fe 
donnent  pour  gens  de  bien  ,  qu'on  en  voit 
tous  les  jours  qui  font  plus  vifs  que  les 
autres  hommes  fur  la  fortune  ,  plus  em- 
preiTés  pour  le  plaifir  ,  plus  délicats  fur 
les  injures  ,  plus  fiers  dans  rélëvation  , 
plus  attachés  à  leurs  intérêts.  C'eft  ici  la 
féconde  injuflice  du  monde  envers  les  gens 
de  bien  :  non-feulement  on  interprète  ma- 
lignement leurs  intentions ,  ce  qui  eftune 
témérité  ;  mais  encore  on  examine  leurs 
plus  légères  imperfeâions  ,  6c  c'eft  una 
inhumanité. 

fARTiE.  vJ^N  peut  dire  que  le  monde  eft  envers 
les  Juiles  un  cenîeur  plus  févére  que  TE- 
vangile  même  ;  qu'il  exige  d'eux  plus  de 
perte£lion  ,  5c  que  leurs  foibleiTes  trou- 
vent devant  le  tribunal  des  hommes  moins 
d'indulgence  ,  qu'elles  n'en  trouveront  un 
jour  devant  le  tribunal  de  Dieu  même. 

Or  5  je  dis  que  cette  attention  a  exagé- 
rer les  défauts  les  plus  légers  des  gens  de 
bien  ,  féconde  injuftice  où  le  monde  tombe 
â  leur  égard  ,  eft  une  inhum.anité  ,  par  rap- 
port à  la  foibleïïe  de  Thomme  ,  à  la  diffi- 
culté de  la  vertu  ,  6c  enfin  aux  maximes 
du  monde  même.  Ne  vous  laifez  pas ,  mes 
Frères  ,  de  m'écouter. 

Une  inhumanitépar  rapport  à  la  foibleffe 
de  rhomme.  Oui,  m.es  Frères,  c'efî  une 
illuiion  de  croire  qu'il  y  ait  parmi  les  hom- 
mes des  vertus  parfaites  ;  ce  n'eft  pas  h 


V. 


Injustice  du  monde  ,  8cc.  275 
Condition  de  cette  vie  mortelle  :  chacun 
prefqiie  porte  dans  la  piété  fes  défauts ,  fes 
humeurs  £>C  fes  propres  foibleiTes  :  la  grâce 
corrige  la  nature  ,  mais  ne  la  détruit  pas; 
l'Efprit  de  Dieu  ,  qui  crée  en  nous  un 
homme  nouveau  ,  y  laiiTe  encore  bien  des 
traits  de  l'ancien  ;  la  converiîon  finit  nos 
vices  ,  mais  n'éteint  pas  nos  paflions  :  en 
un  mot,  elle  forme  en  nous  le  chrétien  , 
mais  elle  nous  laiiTe  encore  l'homme.  Les 
plus  Juftes  confervent  donc  encore  bien 
des  reftes  du  pécheur  :  David  ,  ce  mo- 
dèle de  pénitence  ^  mêloit  encore  à  {qs 
vertus  trop  d'indulgence  pour  fes  enfans, 
&  des  regards  de  complaifance  fur  la  mul- 
titude de  fon  peuple  ÔC  fur  la  profpérité 
de  fon  régne  :  la  mère  des  enfans  de 
Zébédée  ,  mialgré  la  foi  qui  Tattachoit  à 
Jefus-Chrift  ,  n'avoit  rien  perdu  de  fa 
vivacité  pour  Télévation  de  (es  enfans,  ÔC 
pourleur  alTurer  les  premières  places  dans 
un  Royaume  terreftre  :  les  Apôtres  eux- 
mêmes  difputoient  encore  entr'eux  des 
rangs  &  des  préféances  :  nous  ne  ferons 
parfaitement  délivrés  de  toutes  ces  mifé- 
res ,  que  lorfque  nous  ferons  délivrés  de 
ce  corps  de  mort  qui  en  eft  la  fource.  La 
vertu  la  plus  éclatante  a  donc  toujours  ici- 
bas  fes  tâches  5c  fes  difformités  ,  qu'il  ne 
faut  pas  regarder  de  trop  près  j  &.  il  y  a 
toujours  dans  les  plus  Juftes  des  endroits 
par  où  ils  reffemblent  au  refte  des  hom- 
mes. Tout  ce  qu'on  peut  donc  exiger  de 
la  foibleffe  humaine,  c'eft  que  les  vertus 


27<5  Mercredi  de  la  IV.  Semaine  . 
remportent  fur  les  vices  ,  le  bon  fur  le 
mauvais  ;  c'eft  que  reffentiel  foit  réglé  , 
&  qu'on  travaille  fans   celle  à  régler  le 
rcfte. 

Et  certes  ,  mes  Frères  ,  pleins  de  paf- 
fions ,  comme  nous  fommes ,  dans  la  con- 
dition miferable  de  cette  vie  ;  chargés  d'un 
corps  de  péché  qui  appéfantit  notre  ame; 
efclaves  de  nos  fens  &  de  la  chair  ;  portant 
au- dedans  de  nous  une  contradiction  éter- 
nelle à  la  Loi  de  Dieu  ;  en  proie  à  mille 
défirs  qui  combattent  contre  notre  ame  ; 
les  jouets  éternels  de  notre  inconftance  ôC 
de  rinftabilité  de  notre  cœur  ;  ne  trouvant 
rien  en  nous  qui  favorife  nos  devoirs  ;  vifs 
pour  tout  ce  qui  nous  éloigne  de  Dieu  ; 
dégoûtés  de  tout  ce  qui  nous  en  approche  ; 
n'aimant  que  ce  qui  nous  perd  ;  ne  haïlfant 
que  ce  qui  nous  fauve:  foibles  pour  le  bien; 
toujours  prêts  pour  le  mal  ;  ÔC  en  un  mot, 
trouvant  dans  la  vertu  Técuèil  de  la  vertu 
même  ;  doit-il  vous  paroître  étrange  ,  que 
des  hommes  environnés  ,paîtris  de  tant  de 
miféres ,  en  lailîent  encore  paroître  quel- 
ques-unes ;  que  des  hommes  fi  corrompus 
ne  foient  pas  toujours  également  faints  ?  6C 
f\  vous  aviez  de  Téquité ,  ne  les  trouveriez* 
vous  pas  plus  dignes  d'admiration  d'avoir  - 
encore  quelques  vertus  ,  que  dignes  de 
cenfure  pour  conferver  encore  quelques 
vices  ? 

D'ailleurs ,  Dieu  a  fes  raifons  en  laiiTant 
encore  aux  plus  gens  de  bien  certaines  foi- 
bielles  fenûbles ,  qui  vous  frappent  ÔC  qui 


LvjusTî?;e  du  momde  ,  5Cc.    iff 
vous  révoltent.    Premièrement  ,  il  veut 
par-là  les  humilier  ,  ôc  mettre  leur  vertu 
plus  en  sûreté  en  la  leur  cachant  à  eux-mê- 
mes. Secondement  ,  il  veut  ranimer  leur 
vigilance  ;  car  il  ne  laifle  des  Amorrhéens 
dans  la   terre  de   Canaan  ,   c'eft-à-dire  , 
d€s  palTions  dans  le  cœur  de  fes  ferviteurs  , 
que  de  peur  que  délivrés  de  tous  leurs  en- 
nemis, ils  ne  s'endorment  dans  roifiveté  , 
Se  dans  une  dangereufe  confiance.  Troifié- 
raement ,  il  veut  exciter  en  eux  un  défir 
continuel  de  la  patrie  éternelle  ,  ÔC  leur 
rendre  Texil  de  cette  vie  plus  amer ,  par  le 
fentiment  des  miféres  dont  ils  ne  fauroient 
obtenir  ici-bas  une  entière  délivrance.  Qua- 
trièmement ,  peut-être  aulTi  pour  ne  pas 
décourager  les  pécheurs  par  le  fpeftacle 
d'une  vertu  trop  parfaite  ,  5C  à  laquelle  ils 
croiroient  ne   pouvoir  jamais   atteindre. 
Cinquièmement  ,  c'eft  pour  ménager  aux 
Juftes  une  matière  continuelle  de  prière  6C 
de  pénitence  ,  en  leur  lailîant  une  fource 
continuelle  de  péché.  Sixièmement,  pour 
prévenir  les  honneurs  exceflifs  que  le  mon- 
de pourroit  rendre  à  leur  vertu  ,  fi  elle 
étoit  11  pure  ôC  {\  éclatante  ,    6c  de  peur 
qu'elle  ne  trouvât  fa  récompenle  ou  fon 
écueil ,  dans  les  vaines  louanges  des  hom- 
mes. Que  dirai-je  enfin  ?  c'eft  peut-être 
encore  pour  achever  d'endurcir  &  d'aveu- 
gler les  ennemis  de  la  piété  ;  vous  con- 
firmer ,  vous  qui  m'écoutez  ,  par  les  foi- 
blelTes  des  gens  de  bien  ,  dans  l'opinion 
iafenfée  qu'il  n'y  a  point  de  véritable  ver^ 


278  Mercredi  de  la  IV.  Semaine; 

tu  fur  la  terre  ;  vous  autorifer  dans  vos  dé* 
fordres  ,  en  leur  en  fuppofant  de  fembla- 
feles  ;  5c  vous  rendre  inutile  tout  exemple 
de  la  piété  des  Juftes.  Vous  triomphez  des 
foiblefles  des  gens  de  bien  ;  ÔC  leurs  foi- 
blelTes  font  peut-être  des  punitions  de  Dieu 
fur  vous  ,  &  des  moyens  dont  fa  juftice  fe 
fert  pour  nourrir  vos  préventions  injuftes 
contre  la  vertu  ,  6c  achever  de  vous  en- 
durcir dans  le  crime.  Dieu  eft  terrible  dans 
fés  jugemens  ;  &  la  confommation  de  Fini- 
quité  eft  d'ordinaire  la  fuite  de  l'iniquité 
même. 

Mais  en  fécond  lieu,  quand  la  foiblefle 
de  l'homme  ne  rendroit  pas  barbares  Sc  in- 
humaines vos  cenfures  fur  les  défauts  qui 
peuvent  refter  encore  aux  gens  de  bien  , 
elles  le  feroient  par  rapport  à  la  difficulté 
toute  feule  de  la  vertu. 

Car  ,  de  bonne- foi  ,  mes  Frères  ,  vous 
paroît-il  Çi  aifé  de  vivre  félon  Dieu  ,  ôC  de 
marcher  dans  les  voies  étroites  du  falut  , 
que  vous  deviez  être  fi  impitoyables  en- 
vers les  Juftes  ,  dès  qu'ils  s'en  écartent  un 
feul  moment  ?  Eft-il  û  naturel  de  fe  renon- 
cer fans  cefle  foi-même,  d'être  toujours  en 
garde  contre  Cou  propre  cœur  ,  d'en  vain- 
cre les  antipathies  ,  d'en  reprimer  ks  pen- 
chans ,  d'en  abattre  la  fierté  ,  d'en  fixer 
Tinconflance  ?  Eft-il  fi  facile  de  retenir  les 
faillies  de  Tefprit ,  d'en  modérer  les  juge- 
mens ,  d'en  défavouer  les  foupçons ,  d'en 
adoucir  l'aigreur ,  d'en  étouffer  la  maligni- 
té ?  Eit-ce  une  aifaire  fi  aifée  d'être  Ten* 


Injustice  du  monde  ,  8cc.  179 
ïiemi  éternel  de  fon  propre  corps ,  d'en 
vaincre  la  parelFe  ,  d'en  mortifier  les  goûts , 
d'en  crucifier  les  défirs  ?Eft-il  fi  naturel  de 
pardonner  les  injures ,  de  foufirir  les  mé- 
pris ,  d'aimer  &  de  combler  de  biens  ceux 
qui  nous  font  du  mal .  de  facrifier  fa  for- 
tune pour  ne-pas  manquer  à  fa  confcience, 
de  s'interdire  des  plaifirs  011  tous  nos  pen- 
chans  nous  entraînent  ,  de  réfifier  aux 
exemples  ,  de  foutenir  tout  feul  le  parti 
de  la  vertu  contre  la  multitude  qui  le  con- 
damne ?  Tout  cela  vous  paroit-il  fi  aifé  , 
que  ceux  qui  s'en  écartent  d'un  feul  point, 
ne  vous  femblent  dignes  d'aucune  indul- 
gence ?  que  nous  dites-vous  vous-mêmes 
tous  les  jours  fur  les  difiîcultés  d'une  vie 
chrétienne  ,  lorfque  nous  vous  propofons 
ces  régies  faintes  ?  Eft-il  fi  étonnant  qu'ua 
homme  qui  marche  depuis  (i  long-tems  par 
des  chemins  rudes  6c  efcarpés,  chancelle 
ou  tombe  même  quelquefois  de  lafiitude 
ou  de  foiblelTe  ? 

Barbares  que  nous  fommes  !  6c  cepen- 
dant la  plus  légère  imperfection  dans  les 
gens  de  bien  ,  anéantit  dans  notre  efprit 
toutes  les  qualités  les  plus  eftimiables  ;  ÔC 
cependant ,  loin  de  faire  grâce  à  leurs  foi- 
blefi[es  en  faveur  de  leur  vertu  ,  c'efl  leur 
vertu  elle-même  qui  nous  rend  plus  cruels 
ÔC  plus  inexorables  envers  leurs  foiblefies. 
11  luffit,  ce  femble  ,  d'être  Jufie  ,  pour  ne 
mériter  plus  d'indulgence  :  nous  avons  des 
yeux  pour  leurs  vices  ;  nous  n'en  avons 
que  pour  les  vertus  ;  un  moment  de  foi', 


iSo  Mercredi  de  la  IV.  SëxMAimê.' 
biefTe  efface  de  notre  fouvenir  une  vie  en*. 
tïére  de  fidélité  ôc  d'innocence. 

Mais  en  quoi  ,  mes  Frères ,  votre  in- 
juftice  envers  les  gens  de  bien  eft  plus 
cruelle  ,  c'eft  que  ce  font  vos  exemples  , 
vos  défordres ,  vos  cenfures  elles-mêmes 
qui  les  ébranlent,  qui  les  afFoibliflent ,  qui 
les  forcent  quelquefois  de  vous  imiter  ; 
c*eft  la  corruption  de  vos  mœurs ,  qui  de- 
vient tous  les  jours  le  piège  le  plus  dange- 
reux de  leur  innocence  ;  ce  font  Iqs  déri- 
ilons  infenfées  que  vous  faites  fanscelfe  de 
•la  vertu  ,  qui  les  obligent  fouvent  pour  les 
éviter  de  le  couvrir  des  apparences  du  vi- 
ce. Et  comment  voulez-vous  que  la  piété 
des  plus  juftes  fe  conferve  toujours  pure 
au  milieu  des  mœurs  d'aujourd'hui  ;  dans 
im  monde  pervers ,  où  les  ufages  fout  des 
abus  ,  où  les  bienféances  font  des  crimes, 
^11  les  paiïions  font  les  feuls  liens  de  la  fo- 
ciété  ,  6c  où  les  plus  fages  &C  les  plus  ver- 
tueux font  ceux  qui  ne  retranchent  du  cri- 
me que  le  fcandale  ?  Comment  voulez-vous 
que  parmi  ces  dérifions  éternelles  ,  qui 
jettent  un  ridicule  fur  les  gens  de  bien  ,  qui 
leur  font  honte  delà  vertu ,  qui  les  forcent 
fouvent  de  contrefaire  le  vice  ;  comment 
voulez-vous  qu'au  milieu  de  tant  de  défor- 
dres ,  autorifés  par  les  mœurs  publiques  , 
par  des  applaudiifemens  infenfés ,  par  des 
exemples  que  le  rang  ÔC  les  dignités  ren- 
dent refpeÔables ,  par  le  ridicule  dont  on 
couvre  ceux  qui  ofent  en  faire  fcrupule,  8£ 
enfin ,  par  la  foiblefle  même  de  leur  cœur  ; 

comment 


Injustice  du  monde,  &c.  381 
comment  voulez-vous  que  les  Tulles  réfiA 
tent  toujours  à  ce  torrent  fatal  ;  ^  qu'obli- 
gés de  fe  roidir  fans  ceile  contre  ce  cours 
rapide  5c  impétueux  ,  qui  entraîne  tout  le 
relie  des  hommes  ,  la  force  ou  rattention 
leur  manquant  un  inftant ,  ils  ne  s'y  lailTent 
pas  quelquefois  aller  eux-mêmes  ?  Vous 
êtes  leurs  féduâeurs  ;  6c  vous  trouvez 
mauvais  qu'ils  fe  laiiTent  feduire  ?  Ne  leur 
reprochez  donc  plus  vos  fcandales  qui  af- 
foibliffent  leur  foi,  6c  qu'ils  vous  reproche» 
ront  devant  le  tribunal  de  Jefus-Chrift  ; 
bi.  ne  triomphez  plus  de  leurs  fo.iblelTes 
qui  font  votre  ouvrage  y  &  doat  ils  de- 
manderont un  jour  vengeance  contre  vous> 
mêmes. 

Aufîi  j'ai  dit  en  dernier  lieu  y  que  par 
rapport  à  vos  maximes  mêmes ,  votre  in- 
jiiilice  envers  les  gens  de  bien  ,  ne  fauroit 
être  ei^cufée  de  dureté  ou  d'extravagance  ^ 
jugez-en  vous-même.  Vous  dites  tous  les 
jours  qu'un  tel  avec  fa  dévotion  ne  laiffe 
pas  d'aller  à  fes  fins  ;  qu'un  autre  eft  fort 
exaft  à  faire  fa  caur  ;  qu'un  autre  encore 
a  une  vertu  fi  fenfible  5>:  il  délicate,  qu'urie- 
piqaûre  le  blelTeôCle  révolte  ;  que  celui-ci 
ne  pardonne  point  ;  que.  celle-là  n'eH  pas; 
fâchée  encore  de  plaire  ;  qu'une  autre  a 
une  vertu  fort  commode  ,  ôc  mène  une 
vie  douce  5c agréable  ;  qu'une  autre  enfiii 
eft  toute  paîtrie  d'humeur  5c  de  caprice ,  ÔC 
que  dans  l'enceiiite  de  fa  inaifon  ,  perfbnn-e 
ne  peut  compatir  avec  elle  i  que  fai-)e  ï  car 
les  difcours  8c  les  fatyresn^finiirent  paalîUK: 


282  Mercredi  de  la  IV.  SemawS. 

cet  article  ;  5c  là-deiTus  vous  décidez  fié-. 
rement  qu'une  dévotion  mêlée  de  tant  des 
défauts  ne  fauroit  jamais  en  faire  des  Sainta 
&  les  conduire  au  falut  :■_  voilà  vos  maxi- 
mes. Et  cependant  lorfque  nous  venons 
nous-mêmes  vous  annoncer  ici  que  la  vie 
mondaine  ,  oifeufe ,  fenfuelk  ,  difllpée  ^ 
&  prefque  toute  profane  que  vous  menez , 
^e  fauroit  être  une  voie  de  falut ,  vous  noua 
foutenez  que  vous  n'y  voyez  point  de  mal  ; 
vous  nous  accufez  de  dureté  ,6c  d'outrer 
les  régies  5c  les  devoirs  de  votre  état  ;, 
vous  ne  croyez  pas  qu'il  en  faille   davan* 
tage  pour  fe  fauver.  Mais ,.  mes  Frères , 
ûe  quel  côté  eô  ici  la  dureté ,  ÔC  l'injuftice? 
ajoutent  à  kur  piété  quelques  endroits  qui 
vousreffemblent  ;  parce  qu'iJs  mêknt  quel- 
^les.uns  de  vos  défauts  à  une  infinité   de 
vertus  5c  d^  bonnes  œuvres  >  qui  ks  repa- 
ient; &  vous  vous  croyez  dans  la  Voie  du 
falut  ,  vous  qui  n'avez  que  ces  défauts  , 
fans  la  piét^  eîle-mêm.e  qui  les  purifie  ?  O 
homme  !  qui  êtes-vous  donc  pour  fauver 
ceux  que  le  Seigneur  condamne  ,  5c  poi;r 
condamner  ceux  qu'il  juôifie. 

Ce  n^eil  pas.  aiTes  ^  &  vous  allez  voÎ3^ 
encore  combien  peu  fur  ce  point  ^  vous 
vous  accordez  avec  vous-mêmes.  En  effets 
lorfque  \qs  gens  de  bien  vivent  dans  une  re- 
traite entière  x  qu'ils  ne  gardent  plus  de 
mefures  avec  Iç  monde  ;  qi>ils  fe  cachent 
yoiir  toujours  aux  yeux  du  public  ;  qu'il*, 
^ittejit  jûiêçie  cextakes  glaces  dQ  faysiiX 


Injustice  du  moxde  ,  8cc.    2S3 

êC  de  dirtinâion  :  qu'ils  fe  dépouillent  de 
leurs  charges  6C  de  leurs  dignités  ,  pour 
vaquer  uniquement  à  leur  {al\t  ;  qu'ils  mé- 
cent  une  vie  de  larmes ,  de  prière ,  de  mor- 
tification ,  de  lilence  ;  (  6c  ces  exemples  , 
rotre  fiécle  a  été  aflez  heureux  pour  vous 
en  fournir  ;  )  qu'avez-vous  ditalors?  qu'ils 
-pouiToîent  les  chofes  trop  loin;  qu'on  leur 
donnoit  des  confeils  violens  ^  que  leur 
2èle  n'était  pas  félon  la  fcience  ;  que  fitout 
îe  monde  les  im^itoit  ^  les  devoirs  publics 
feroient  négligés  ;queperfonneuerendroit 
plus  à  la  patrie  Sc  à  l'Etat ,  les  fervices 
dont  il  ne  peutfe  paffer;  qu'il  ne  faut  point 
tent  de  (ingiîîarité  ;  ÔC  que  la  véritable  dé- 
votion y  c'Q'à  de  vivre  uniment  ,  &  de 
remplir  lesde\oirs  de  l'état  où  Dieu  nous 
a  plactîs  :  voilà  vos  maximes.  Mais  d'un 
autre  côté^lorfque  les  gens  de  bien  ac- 
cordent avec  la  piété  les  devoirs  de  leur 
état,  ÔC  les  intérêts  innocent  de  leur  for- 
tune ;  qu'ils  gardent  encore  certaines  me- 
fures  de  bienféance  ÔC  de  fociété  avec  le 
inonde  ;  qu'ils  paroillent  aux  lieux  d'où  leur 
rang  ne  leur  permet  pas  de  fe  bannir;  qu'ils 
participent  encoj^e  à  certains  plaifirs  publics 
que  la  lituation  où  ils  fe  trouvent  leur  rend 
inévitables  ;  en  un  mot,  qu'ils  font  prudens 
dans  le  bien  ,  &  fimples  dans  le  mal  ;  ah  î 
vous  dites  alors  qu'ils  font  faits  com.me  les 
autres  hommes  ;  qu'à  ce  prix-là  il:  vous  pa* 
roit  fort  aifé  defervir  Dieu  ;  qu'il  n'y  a  rien 
dans  leur  dévotion  qui  vous  falTe  peur  ;  5C 
^Ufi  VQUi fsii^ibkntdtuu  grand  Samt  ^  s'il 

Aa  i 


2^4  Mercredi  de  la  IV.  Semaî^^e; 
n'en  falloir  pas  davantage.  La  vertu  a  beau 
paroître  fous  différentes  faces  ,  il  fuffit 
qu'elle  foit  vertu  ^  pour  vous  déplaire  6C 
mériter  vos  cenfures.  Accoxdez-vous  donc 
avec  vous-mêmes  :  vous  voulez  que  les 
gens  de  bien  foient  faits  comme  vous ,  6C 
vous  les  condamnez  dès  qu'ils  vousiefTern- 
blent.. 

Vous  renouveikz.rtnjuftice  8c  la  dureté 
des  Juifs  de  notre  Evangile.  Lorfque  Jean- 
Baptifte  parut  dans  le  défert ,  revêtu  âb 
poil  de  chameau  V  ne  mangeant  ni  ne  bu- 
vant ,.  8c  donnant  à  la  Judée  le  fpe£lacle 
d'une  vertu  plus  auftère  que  celle  de  tou-S 
les  Juftes  &  de.tous  les  Prophètes  qui  l'a- 
voient précédé;  ils  regardaient^  dit  Jefus- 
Chrift ,  l'auitérité  de  iès  mœurs  commç 
l'illulion  d'un  efprit  impofîeur  ,  qui  k  fér 
duifoit  5c  ne  lepouffoità  ces  excès  ,  qu^ 
pour  lui  faire  trouver  dans  la  vanité  le  dé- 
dommagement de  fa  pénitence.  Le  fils  de 
l'Homme  au  contraire  ,  vint  enfuite,  con- 
tinue le  Sauveur  ,.  mangeant  6c  buvant  ; 
leur  propofanî  dans  fa  conduite  le  modèle 
d'une  vertu  plus  à  portée  dç  la.  foiblelTc 
humaine  ;  5c  pour  fe.rvir  d-exemple  à  tous, 
menant  une  vie  limple  5c  commune  que 
tous  puiiTenî  imiter  :ell-il  plus  à  couvert  de 
leurs  cenfures  ?  ah  !  ils  le  font  palier  pouj" 
un  hom.me  de  plaliir  5c  de  bonne  chère ,  6c 
la  condefcendance  de  fa  vertu  n'eii  phis 
dans  leur  efprit ,  qu'un  relâchement  qui  îa. 
flétrit  ÔC  la  déshonore.  Les  vertus  les  plus 
diifeiobiabks  oe  réuffiffent  qu'à  s'attireils^^ 


Injustice  du  mo.vde  ,  Scc.  iS"^ 
mêmes  reproches.  Ah  !  mes  Frères  ,  que 
les  gens  de  bien  feroient  à  plahidre  ,.  s'ils 
avoieiitàêtre  jugés  devant  le  Tribunal  des 
hommes  !  mais  ils  favent  que  le  monde 
qui  ks  juge  eft  déjà  lui-même  jugé. 

Et  ce  qu'il  y  a  ici  de  plus  déplorable-, 
mes  Frères ,  dans  la  févérlté  avec  laquelle 
vous  condamne-'z  les  plus  légères  imperfec- 
tions des  gen-s  de  bien  ^  c'elè  que  (î  un  pé- 
cheur célèbre  5c  fcandaleux  y  après  unt  vie 
entière  de  crimes  S>C  d'excès  ,  donne  feule- 
ment au  lit  de  la  mort  quelques  foibles  man- 
ques de  repeaîir  ;  s'il  prononce  feulement 
le  nom  d'un  Dieu  qu'il  n'a  jamiais  connu ,  êC 
qu'il  a  toujours  blafphêmd:  s'il  confenten- 
fin  ,  après  bien  des  délais  6c  des  répU'- 
gnaiices  ,  à  recevoir  les  grâces  &  les  der- 
niers remèdes  de  l'Egliie  ,  qu'on  n'ofoit 
même  lui  propofer  ;  ah  !  vous  le  rangez 
parmi  les  Saints  :  vous  dites  qu'il  a  fait  une 
mort  chrétienne  ,.qu*ils'eû reconnu  ,  qu'il 
a  dem.andépardon  à  Dieu  ;  &  là-delTus  vous 
êfpérez  tout  de  fon  falut ,  5c  vous  ne  dou- 
tez plus  que  le  Seigneur  ne  lui  ait  faitmifé* 
licorde  ?  quelques  marques  forcées  de  re- 
ligiou  qu'on  lui  a, arrachées,  fuffifent,  félon 
vous ,  pour  lui  alTurer  le  Royaume  de 
Dieu  ,  où  rien  de  fouillé  n'entrera  ;  fuffi- 
fent ,.  dis- je  ,  malgré  les  défordres  6^  les 
abominations  de  toute  fa  vie  ;  6c  une  vie 
entière  de  vertu  ne  fuffitpas  dans  votre  et 
prit  pour  l'aifurer  aune  ame  fidèle,  dès 
qu'elle  y  mêle  les  plus  petites  infidélités.: 
ïQiis.  iauv^z  rimpièfui  ks  Jig.ae.s.k5.gius  fri^ 


286  Mercredi  DE  LA  IV.  Semaine.^  ^ 
voles  6c  les  plus  équivoques  de  la  piété  ; 
.&  vous  damnez  le  Juûe  fur  les  marques  les 
plus  légères  6c  les  plus  excufabies  de  Thu- 
znaiMté'^C  de  la  foiblefle* 

Je  pourrois  ajouter,  mes  Frères  ,  qu^à 
ne  confulter  même  que  vos  propres  inté- 
rêts ,  les  imperfeiSions  des  gens  de  bien 
^evroient  vous  trouver  plus  indulgens  5C 
plus  favorables.  Car,  mes  Frères  ,    eux 
feuls  vous  épargnent ,  cachent  vos  vices  ^ 
adouciflent  vos  défauts  ,  excufent  vos  fau- 
tes ,  relèvent  ee  qu'il  y  a  de  loiiable  dans 
vos  vertus*  Tandis  que  le  monde ,  que  vos 
égaux  ,  que  vos  envieux  ,  que  vos   con- 
eurrens  ,  que  vos  amis  prétendus  peut-être 
diminuent  vos  talens  ôc  vos  fervices  ,  par* 
îent  avec  mépris  de  vos  bonnes  qualités  , 
donnent  du  ridicule  à  vos  défauts  ,  comp- 
tent vos  malbeurs  parmi  vos  fautes ,  exa- 
gèrent vos  fautes  mêmes  ,  empoifonnent 
vos  difcour-s  5c  vos  démarches  les  plus  in* 
lîocentes  >  les  gens  de  bien  tout  feuls  vous 
excufent  ^  vous  juiiiiient,  font  les  apolo>- 
giftes  de  vos  vertus ,  ou  ks  fages  diEim.ula- 
teurs  de  vos  vices  ;  eux  feuls  rompent  les 
entretiens ,  où  votre  gloire  5c  votre  répu- 
tation font  attaquées  ;  eux  feuls  ne  fe  joi- 
gnent point  au  public  contre  vous  ;  ÔC  ils 
font  les  feuls  pour  qui  vous  manquez  d'hu- 
manité y  5C  à  qui  vous  ne  pardonnez  pas 
même  les  vertus  qui  les  rendent  eiiimables* 
Ah  î  m.es  Frères,  rendez- leur  du  moins  ce: 
qu'ils  vous  prêtent  ;  épargnez  vos  protec* 
teurs  ôC  vos  aj^^ologiftes  y.  ôc  ii'infiiiBezjgaâj 


Injustice  du  monde  ,  Scc.    iff 
en  les  décriant ,  les  feuls  témoignages  favo* 
râbles  qui  vous  reftent  parmi  les  hommes. 
Mais  je  n  en  dis  pas  allez  mon- feulement 
les  gens   de  bien  ne  fe  joignent  point  à 
ïa  malignité  du  public  contre  vous  ,  mais 
evix  feuls  font  vos  amis  véritables  ;  eux 
feuls  font  touchés  de  vos  maux  ^  fenfibles  à 
vos  égarem.ens  ,  occupés  de  votre   falut  ; 
ils  vous  portent  dans  le  cœur;  en  excufant 
vos  pafTions  ÔC  vos  défordres  devant  les 
hommes  >  ils  en  gémiifent  tous  les  jours  de- 
vant Dieu  ;  ils  lèvent  les  mains  au  Ciel  pour 
vous  -,  ils  foliicitent  votre  çonverlion  ;  ils 
demandent    grâce  pour   vos  crimes  ;  6C    . 
vous  ne  fauri^z  rendre  juftice  à  leur  vertu 
&  à  leur  innocence  ?  ah!  ils  peuvent  faire- 
au  Seigneur  contre  vous  ks  mêmes  plain- 
tes que  lui  faifoit  autrefois  le  Prophète  Je- 
îémie  contre  les  Juifs  de  fon  tems  y  cen- 
feurs  injuftes  de  fa  piété  6c  de  fa  conduite* 
Seigneur ,  difoit  cet  homme  de    Dieu  ^ 
écoutez  Les  difcours  6c  les  cenfures  que 
les  eaneniis  de  votre  nom  répandent  contre  ^ 

moi  :  \^tt£nde  ,,  Domina  ,  ad  me,  &  audif^'^"^ 
'Vccem  adverfariorum  meorum*  EQi-ce  ainfi  , 
ô  mon  Dieu  !  qu'ils  me  rendent  le  bien  poui? 
le  mal,  qu'ils  payent  d'ingratitude  ÔC  d'in- 
humanité la  fincérité  de  ma  tendreffe  pour 
eiix  y  &  q^^e  les  pièges  q^u'lls  me  tendent 
tmis  les  jours  ,  font  le  feul  prix  de  mon 
ïèle  pour  leur  falut?  Numquidredditurpro  Zdid.ti 
èono  malum  yqiiia  fod^runt  foveum  anlmœ^^'-^ 
meie  ?  Vois  m'êtes   témoin  ,  Seigneur  ,^ 
que  jeae  j^arois  eiiygue  gràfejQGe  g^uepoi^ 


2SS  Mercredi  de  la  IV.  Semaine. 
vous  parier  en  leur  faveur  ;  vous  favez  qus 
mes  iarmes  ne  coulent  devant  vous  que 
pour  effacer  leurs  crimes  ;  que  mes  prières 
ne  montent  jufqu'à  votre  Trône  que  pour 
attirer  fur  eux  vos  miféricordes  éternelles: 
vous  vous  fouvenez  ,  Dieu  de  nos  pères  , 
de  tous  les  foupirs  que  j'ai  répandus  à  vos 
pieds ,  pour  détourner  votre  colère  prête  à 
éclater  fur  leurs  têtes ,  avec  quelle  douleur 
je  les  ai  viîs  courir  à  leur  perte ,  5c  com- 
bien leurs  prévarications  m'ont  toujours 
trouvé  plus  fenfibte  que  leur  mépris  êC 
leurs  dérifronsinjulks  r  Recordare  quoifle- 
terim  in  confpcB.u  tuo  ,  ut  laquer er  pro  eis 
konurn ,  d*  avertcrem  indignationein  tuant 
ab  eis. 

Vous  fentez  fans  ck)ute  îà-delTus  y  mes 
Frères  ,  toute  i'injuftice  de  votre  condui- 
te :  mais  que  feroit-ce,  (r  en  achevant  ce 
que  je  m'étois  d'abord  propofé  ,  je  vous 
montrois  que  non  feulement  vous  donnez 
aux  bonnes  œuvres  des  gens  de  bien  ,  des 
motifs  corrompus  ;  ce  qui  cft  une  témérité: 
non-feulement  vous  exagérez  leurs  plus 
légères  foiblelfes  ;  ce  qui  efl:  une  inhuma- 
Bité  :  mais  encore  quand  vous  n'avez  rienà 
dire  contre  la  droiture  de  leurs  intentions  y 
6c  que  leurs  défauts  ne  donnent  point  de 
prife  à  vos  cenfures  ,  vous  vous  retranchez 
à  donner  du  ridicule  mêrsie  à  leur  vcîim  $. 
ce  qui  eli  une  impiété» 

Oui ,  mes  Frères ,  une  impiété.  Vous 
faites  de  la  Religion  un  jeu  ,  une  fcène  co- 
3mquc.j.  vcus  ia,tiaduifsi  euQQre  comme 


Injustice  du  monde  ,  8cc.  2.89 
autrefois  les  payeiis  far  un  théâtre  infâme  ; 
&  là  vous  expofez  à  la  riféc  àQS  fpe£la- 
teurs  fes  myftères  faints ,  ôc  ce  que  la  terre 
a  de  plus  facré  ÔC  de  plus  refpeâable^ 
Vous  pouvez  excufer  vos  paflions  fur  la 
foibleife  du  tempérament ,  6c  fur  la  fragi- 
lité humaine  ;  mais  vos  déridons  de  la  vertu 
ne  fauroient  trouver  d'excufe  que  dans  un. 
mépris  impie  delà  vertu  même:  cependant 
ce  langage  d'irréligion  5c  de  blafphême  fî 
autorifé  dans  le  monde  ,  n'eft  plus  qu'un 
enjouement ,  un  jeu  d'efprit ,  un  langage 
dont  la  vanité  elle-même  s'honore. 

Mais  ,  mes  Frères  ,  par-lâ  vous  perfé- 
cutez  la  vertu  ,  ÔC  vous  vous  la  rendez  inu- 
tile à  vous-même  ;  vous  déshonorez  la 
vertu  ,  ÔC  vous  la  rendez  inutile  aux  au- 
tres ;  vous  tentez  la  vertu  ,  ^C  vous  la  ren- 
dez infouîenable  à  elle-miême. 

Vous  perfécutez  la  vertu  ,  6c  vous  vous 
la  rendez  inutile  à  vous-mêmes.  Oui ,  mon 
cher  Auditeur  ,  l'exemple  cIqs  gens  de 
vbien  étoit  un  moyen  de  falut  que  la  bonté 
de  Dieu  vous  avoit  préparé  :  or  ,  fa  juftice 
indignée  des  dériiions  que  vous  faites  de 
fes  miféricordes  fur  fes  fcrviteurs ,  les  re- 
tire à  jamais  de  vous  ;  ÔC  il  vous  punit  du 
mépris  que  vous  faites  de  la  piété,  en  vous 
refufant  le  don  de  la  piété  mêm.e.  Les  Rois 
de  la  terre  vengent  avec  éclat  les  injures 
qu'on  fait  à  leurs  ftatuès;  parce  que  ce  font 
des  monumens  publics  6v.  facrés  qui  les  re- 
préfentent ,  6c  qui  expriment  au  naturel  la 
ma j elle  de  leurs  traits  &  de  leur  vifage. 

Carême ,  Tom^  UL  B  b 


290  Mercredi  de  la  III.  Semaine. 
mais  les  Jiilles  font  ici  bas  les  ftatiiè's  vi- 
vantes du  grand  Roi ,  les  images  véritables 
d'un  Dieu  laînt  ;  c'efl  en  eux  qu'il  peint  la 
majeflé  de  Tes  traits  les  plus  purs  &C  les  plus 
brillans  ;  ê»C  il  frappe  toujours  d'un  anathê* 
me  éternel  le^^riléges  qui  ofent  en  faire 
le  fujet  de  leurs  dérilions  ÔC  de  leurs  ou- 
trages. 

D'ailleurs ,  quand  même  le  Seigneur  , 
pour  punir  vos  dérifions  de  la  piété  ,  ne 
vous  refuferoit  pas  le  don  ineftimabledela 
j)iété  même,  elles  vous  form.ent  an  rclpecl: 
humain  invincible  ,  qui  ne  vous  permettra 
jamais  d'en  prendre  le  parti.  Car ,  je  vous 
prie;  fi  jamais  lalTé  du  monde  ,  de  vos  dé- 
îbrdres ,  de  vous-même  ,  vous  voulez  re- 
venir à  Dieu  ,  i^  fauver  votre  ame  que 
vous  perdez  ,  comment  oferezvous  vous 
déclarer  pour  la  piété  ,  vous  qui  en  avez 
fait  i\  fouvent  des  plaiKmteries  publiques 
tfC  profanes  ?  comment  pourrez-vous  vous 
faire  une  gloire  des  devoirs  de  la  Religion  ; 
vous  à  qui  on  entend  dire  tous  les  jours  , 
qu'on  perd  l'efprit  dès  qu'on  devient  dé- 
vot ;  qu'un  tel  6c»une  telle  avoient  mille 
bonnes  qualités  ,  qui  les  faifoient  fouhaiter 
par-tout  ;  mais  qi-e  la  dévotion  les  a  gâtés  à 
unpoint  qu'ils  font  devenus  infupportables  ; 
qu'ils  alTe^lent  de  fe  donner  du  ridicule  ; 
qu'il  iemble  qu'il  faut  renoncer  au  fens  com- 
mun dès  qu'on  a  levé  l'étendart  de  la  piété; 
que  le  Seigneur  vous  préferve  de  cette  ma- 
nie ;  que  vous  tâchez  d'être  honnête  hom- 
me; mais  que  Dieu  merci ,  vous  n'êtes  pas 


LVJUSTICE  DU  MONDE  ,  5Cd.  IÇÎ 
^évot.  Quel  langage  !  c'eft-à-dire  ,  que 
Dieu  merci ,  vous  êtes  ma^ué  d'avance 
du  caractère  des  réprouvés ,  que  vous  pou- 
vez bien  vous  répondre  que  vous  ne  chan- 
gerez point,  ÔC  que  vous  mourrez  tel  que 
vous  êtes.  Quelle  impiété  !'^  c'eft  parmi 
des  Chrétiens ,  qu'on  tient  tous  les  jours 
ces  difcours  avec  oftentation  6c  avec  com- 
plaifance  ! 

Ah  ,  mes  Frères  !  pq-mettez  ici  une  ré- 
flexion à  ma  douleur.  Les  Patriarches ,  ces 
hommes  fî  vénérable» ,  fi  puiflans ,  même 
félon  le  monde  ,  ne  fe  faifoient  connoître 
aux  Rois  Se  aux  peuples  des  différens  pays 
où  l'ordre  du  Seigneur  les  conduiioit,  que 
par  ces   termes   religieux  :    Je   crains   le 
Seigneur  :  Tlmeo  Deum*  Ils  ne  fe  renom- 
moient  pas  par  la  grandeur  de  leur  race  , 
dont  l'origine  touchoit  encore  à  celle  de 
Tunivers  ,  par  la  gloire  de  leurs  ancêtres , 
par  l'éclat  du  fang  d'Abraham  ,   de  cet 
homme  le  vainqueur  des  Rois ,  le  modèle 
de  tous  les  Sages  de  la  terre  ,  S>C  le  feul  hé- 
ros dont  le  monde  pouvoit  alors  fe  glori- 
fier. Nous  craignons  le  Seigneur,  c'étoit- 
là  leur  titre  le  plus  pompeux,  leur  no- 
blefle  la  plus  augufte ,  le  feul  caractère  par 
où  ils  vouloient  être  diftingués  de  tous  les 
autres  honimes  ;  c'étoitle  ligne  magnifique 
qui  paroiflbit  à  la  tête  de  leurs  tentes  &  de 
leurs  troupeaux  ,  qui  brilloit  dans  leurs 
étendarts ,  5c  qui  portoit  par-tout  avec  eux 
la  gloire  de  leur  nom  5c  celle  du  Dieu  de 
leurs  pères.  Et  nous  ,  mes  Frères  ,    noui 

Bb  z 


2^2.  Mercredi  de  la  IV.  Semaine; 
nous  défendons  de  la  réputation  d'homme 
jufte  6c  craignant  Dieu  >  comme  d'un  titre 
de  honte  ÔC  d'infamie  :  nous  étalons  avec 
orgueil  les  vaines  dillin^lionsdurang  5c  de 
la  naiiTance  :  les  marques  frivoles  de  nos 
noms  6c  de  nos  dignités ,  nous  précédent , 
nous  annoncent  par-tout;  5c  nous  cachons 
le  figne  glorieux  du  Dieu  de  nos  pères ,  6c 
nous  nous  glorifions  même  de  n'être  pas 
du  nombre  de  ceux  qui  le  craignent  5C  qui 
l'adorent.  O  Dieu  !  laiiTez  donc  à  ces  hom- 
mes infenfés  une  gloire  lî  afFreufe  :  con- 
fondez leur  extravagance  Sc  leur  impiété  , 
en  permettant  qu'ils  fe  glorifient  jufqu'à  la 
fin  de  leur  confufion  Sc  de  leur  ignominie. 
Ce  n'efi:  pas  tout ,  mes  Frères ,  non- 
feulement  par  ces  dérifions  déplorables 
vous  vous  rendez  la  vertu  inutile  à  vous- 
mêmes  ,  vous  la  rendez  encore  odieufe  6C 
inutile  aux  autres  ;  c'eft-à-dire  ,  non-feule- 
ment vous  vous  fermez  à  vous-mêmes 
toutes  les  voies  de  votre  retour  à  Dieu , 
vous  les  fermez  encore  à  une  infinité  d'a- 
mes  que  la  grâce  prelTe  en  fecret  de  fortir 
de  leurs  crimes  &  de  vivre  chrétienne- 
ment ;  qui  n'ofent  fe  déclarer  de  peur  de 
s'expofer  à  vos  railleries  profanes  ;  qui  ne 
craignent  dans  une  nouvelle  vie  que  le  ridi- 
cule que  vous  donnez  à  la  v^ertu  ;  qui  n'op- 
pofent  en  fecret  que  ce  feul  obftacle  à  la 
voix  du  Ciel  qui  les  appelle  ;  5c  balancent 
dans  la  grande  affaire  de  l'éternité  ,  entre 
les  jugemens  de  Dieu  &  vos  dérifions  in- 
fenlées. 


Injustice  du  monde  ,  5cc.  293 
C'eil-à-dire  ,  que  par-là  vous  anéantif- 
fez  le  fruit  de  l'Evangile  que  nous  annon- 
çons,  6C  rendez  notre  miniftère  inutile* 
vous  ôtez  à  la  Religion  fa  terreur  5c  fa  ma- 
jefté  ,  6C  répandez  fur  tout  l'extérieur  de 
la  piété  ,  un  ridicule  qui  retombe  fur  la 
Religion  même  :  vous  perpétuez  dans  le 
monde  les  préjugés  contre  la  vertu  ,  6C 
m.aintenez  parmi  les  hommes  rillufion  la 
plus  univerfelle  dont  le  démon  fe  fert  pour 
les  féduire  ,  qui  efr  de  traiter  la  piété  de 
travers  &C  de  folie  :  vous  autoriiez  les  bla£- 
phêmes  des  libertins  6c  des  impies  :  vous 
accoutumez  les  pécheurs  à  fe  faire  du  vice 
6c  du  dérèglement ,  un  fjjjet  d'cftentation 
&  de  gloire  ;  6c  à  regarder  la  débauche 
comme  un  bon  air,  en  Toppofant  au  ridi- 
cule de  la  vertu.  Que  dirai-je  enfin  ?  par 
vous  la  piété  devient  la  fable  du  monde ,  le 
jouet  des  impies  ,  la  honte  des  pécheurs  , 
le  fcandale  des  foibles ,  l'écuèii  même  des 
Juftes  :  par  vous  le  vice  eft  en  honneur  , 
la  vertu  eft  avilie  ,  les  vérités  s'affoibliffent, 
la  foi  s'éteint ,  la  religion  s'anéantit ,  la 
corruption  gagne  ;  5c  comme  le  Prophète 
l'avoit  prédit,  la  défolation  perfévére  juf- 
qu'à  la  confommation  6c  la  fin. 

Ajoutons  encore  ;  par  vous  la  vertu  de- 
vient infoutenable  à  elle-même  :  vos  déri- 
fîons  deviennent  Técueil  de  la  piété  même 
des  Juftes  ;  vous  ébranlez  leur  foi  ;  vous 
découragez  leur  zèle  ;  vous  fufpendez 
leurs  bons  délirs  ;  vous  étouffez  dans  leur 
cceur  les  plus  vives  imprelîions  de  la  gra* 

Bb  3 


294  MexRCRedi  de  la  IV.  Semaine. 

ce  ;  vous  les  arrêtez  fur  mille  démarches 
de  ferveur  &  de  vertu  ,  qu'ils  nofent  ex^ 
pofer  à  Timipiété  de  vos  cenfures  ;  vous  les 
oLligez  mjalgré  eux  de  fe  conformer  encore 
à  vos  ufages  &.  à  vos  m.aximes  qu'ils  détef- 
tent ,  à  rabattre  de  leur  retraite  ,  de  leurs 
aufléritës ,  de  leurs  prières  ;  &  à  ne  confa- 
crêr  à  ces  devoirs  que  des  momens  déro- 
bés qui  puillciit  échapper  à  vos  regards  & 
à  vos  railleries  ;  6c  par-là  vous  privez  TE- 
glife  de  l'édification  de  leurs  exemples  ;  les 
loibles ,  du  fecours  qu'ils  y  trouveroient  , 
les  pécheurs ,  de  la  confufion  qui  leur  en 
reviendroit  ;  les  Juftes  ,  d'une  confolation 
qui  les  foutiendroit  ;  5c  la  Religion  ,  d'un 
fpectacle  qui  l'honore. 

Hélas  ,  mes  Frères  !  les  tyrans  ne  fai- 
foient  autrefois  des  dérifîons  publiques  des 
Chrétiens ,  qu'en  leur  reprochant  leurs  fu- 
perilitions  prétendues  :  ils  fe  moquoient , 
des  honneurs  publics  qu'ils  leur  voyent 
rendre  à  Jefus-Chrift  ,  à  un  Crucifié  ,  6C 
de  la  préférence  qu'ils  lui  donnoient  fur 
Jupiter  ôc  fur  les  Dieux  de  l'Empire  ,  dont 
la  pompe  5c  la  magnificence  des  Temples 
&  des  autels ,  l'ancienneté  des  loix  ,  &  la 
majeilé  des  Céfars ,  rendoient  le  culte  ref- 
peâable  ;  du  refte  :  ils  donnoient  des  élo- 
ges publics  à  leurs  mœurs  ;  ils  admiroient 
leur  modeitie  ,  leur  frugalité ,  leur  charité, 
leur  patience  ,  leur  vie  innocente  6c  mor- 
tifiée ,  leur  éloignement  des  cirques  6c  des 
plaiiîrs  publics ,  ils  ne  pouvoient  s'empê- 
cher de  regarder  avec  vénération  les  mœurs 


Injustice  du  monde  ,  &c.  295 
fàges ,  retirées  ,  pudiques  ,  douces ,  bien- 
faifantes  de  ces  hommes  fimples  ÔC  fidè- 
les. Vous  au  contraire  plus  infenfés ,  vous 
ne  trouv^ejpas  mauvais  qu'ils  adorent 
Jefus-ChriftT^^^  qu'ils  mettent  dans  le 
myftère  de  la  Croix  leur  confiance  6c  leur 
faîut  ;  mais  vous  trouvez  ridicule  qu'ils 
s'interdifent  les  plaifirs  public  ;  qu'ils  vi- 
vent dans  la  pratique  de  la  retraite,  de  la 
mortification  ,  de  la  prière  ;  mais  vous  les 
trouvez  dignes  de  vos  dériiions  &C  de  vos 
cenfures ,  parce  qu'ils  font  humbles ,  fim- 
ples ,  chafles  6c  modefles  ;  5c  la  vie  chré- 
tienne qui  a  pu  trouver  des  admirateurs 
jufques  parmi  les  tyrans ,  ne  trouve  auprès 
de  vous  que  des  traits  moqueurs  6c  des 
railleries  profanes. 

Quelle  folie ,  mes  Frères  !  de  ne  trou- 
ver dignes  de  rifée  dans  un  monde ,  qui 
n'eft  lui-même  tout  entier  ,  qu'un  amas  de 
niaiferies  6c  d'extravagances  ;  de  n'y  trou- 
ver  dignes  de  rifée  que  ceux  qui  en  con- 
lîoifTent  le  frivole  ,  &  qui  i:e  penfent  qu'à 
fe  mettre  à  couvert  de  la  colère  à  venir  ! 
quelle  folie  de  ne  mcprifer  dans  les  hom- 
mes que  les  feules  qualités  qui  les  rendent 
agréables  à  Dieu  ,  refpe6^ables  aux  An- 
ges ,  utiles  à  leurs  frères  !  quelle  folie  de 
croire  qu'un  bonheur  ou  un  malheur  éter- 
nei  nous  attend  ,  t\.  de  trouver  ridicules 
ceux  qu'un  lî  grand  intérêt  occupe  ! 

Refpeâ:ons  la  vertu ,  mes  Frères  ;  elle 
feule  lur  la  terre  mérite  notre  admiration 
&  nos  hommages.  Si  nous  fommes  encore 

Bb  4 


^9^  Mercredi  de  la  IV.  Semalve; 

trop  foibies  pour  en  remplir  les  devoirs  1 
foyons  aiïez  équitables  pour  en  eftimer  l'é- 
clat ÔC  riiinocence  ;  fi  nous  ne  pouvons  pas 
vivre  comme  les  Juftes  ,  fouhaitons  de  le 
devenir  ,  envions  leur  deftinée  ;  fi  nous  ne 
pouvons  pas  encore  imiter  leurs  exemples , 
regardons  les  dérifions  de  la  vertu  ,  non- 
feulement  comme  des  blafphêmes  contre 
l'Efprit-faint ,  mais  comme  des  outrages 
faits  à  l'humanité,  que  la  vertu  toute  feule 
honore  :  reprochons-nous  les  vices  qui  ne 
nous  permettent  pas  de  relfemibler  aux 
gens  de  bien  ,  loin  de  leur  reprocher  les 
vertus  qui  nous  les  rendent  dillemblables  ; 
en  un  m.ot  ,  par  notre  refpcci:  véritable 
pour  la  piété  ,  méritons  d'obtenir  un  jour 
le  don  de  la  piété  même. 

Et  vous,  mes  Frères ,  qui  fervez  le  Sei- 
gneur ,  fouvenez-vous  que  les  intérêts  de 
la  vertu  font  entre  vos  mainj  ;  que  les  foi- 
LlefTes  ,  que  les  taches  que  vous  y  mêlez  , 
dev'ennent ,  pour  ainfi  dire  ,  les  taches 
de  la  Religion  même;  comprenez  tou.t  ce 
que  le  monde  attend  de  vous ,  5c  quels  en- 
gagemens  vous  contraé^ez  envers  le  public 
lorfque  vous  vous  déclarez  pour  le  parti 
de  la  piété  ;  6c  avec  quelle  dignité  ,  quelle 
fidélité  ,  quelle  élévation  vous  devez  fou- 
tenir  le  caraâ:ère  5c  le  perfonnage  de  fer- 
viteur  de  Jefus-Chrift.  Oui,  mes  Frères  , 
foutenons  avec  majeflé  les  intérêts  de  la 
vertu  ,  5<.  les  regards  de  ceux  qui  la  mépri- 
fent  :  achetons  le  droit  d'être  infenfibles  à 
leurs  ceafures ,  en  n'y  donnant  point  de 


ÎNJUSlritl  DU  MONDE  ,    &C.      ^^*f 
iîeii:  forçons  le  monde  de  refpeaer  ce 
qu'il  ne  fauroit  aimer  :  ne  failons  pas  de  la 
profefllon  fainte  de  la  piété  ,  un  gain  ior- 
dide  ,  un  vil  intérêt ,  une  vie  ^1  n'^in-.eur  5C 
de  caprice  ,  un  titre  de  moilefle  ^  d  oïli- 
veté  ,  une  luigularité  qui  nous  honore ,  im 
entêtement  qui  nous  flàte     un  eiprit  de 
divifion  qui  nous  fépare  :  f?^^^^^^^-^^^^  P'^^ 
de  r éternité,  la  voie  du  Ciel  ,  la  règle  de 
nos  devoirs ,  la  réparation  de  nos  crimes  , 
un  efprit  de  modeftie  qui  nous  cache ,  une 
componaion  qui  nous  humilie,  une  dou- 
ceur qui  nous  rapproche  de   nos  treres  , 
une  charité  qui  les  fouffre ,  une  indulgence 
qui  les  attire  ,  un  efprit  de  paix  qui  nous 
les  lie  :  &  enfin ,  une  union  de  coeurs ,  de 
défirs ,  d'affeaions ,  de  biens  ^  de  maux 
fur  la  terre,  qui  fera  l'image  K  1  efperance 
de  cette  union  éternelle  ,  que  la  chant® 
^oit  coufumer  dans  le  cieL 

/i/n/f  foh  -  iU 


j>^ X :♦;:» »»:x      ^-  ;<  -^ss^      x j* ■« « ♦x       ■»  x il I 

SERMON 

POUR    LE    JEUDI 
DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE, 

DE  CARÊME. 

Sur  la  Mon. 

Com  approquinquaret  Jefus    porta?  civitâtisj;       ^ 
ccce   defuLdus   efferebatur   fiiius    unicus   matiis 
fuse. 

]efus  étant  près  de  la  porte  de  la  Ville ,  il  ar* 
tiva  quon  portoit  en  terre  un  mort ,  qui  étoit  U 
fils  unique  de  fa  mère»  Luc.  7.  ii. 


^^^SjAiMAis  mort  fut -elle  accom- 

lîpagnée   de   circonftances    plus 

^j  touchantes  ?  C'eft  un  fils  uni- 

1  que  ,  le  feul  fuccelTeur  du  nom  , 

des  titres ,  de  la  fortune  de  fes 


ancêtres  ,  que  la  mort  enlève  à  une  mère 
veuve  6c  défolée  :  elle  le  lui  ravit  dans  la 
fleur  de  Tâge,  6c  à  Tentrée  prefque  de  la  vie; 
en  un  tems  où  échappé  aux  accidens  de 
Tenfance,  6>c  parvenu  à  ce  premier  degré  de 


Sur  la  Mort.  299 

force  8c  de  raifon  ,  qui  commence  Thom- 
me,  il  paroilToit  le  moins  expofé  aux  iiir- 
prifes  delà  mort,  6c  lailToit  enfin  refpirer 
Ja  îendrelle  maternelle  de  toutes  les  frayeurs 
qui  fuivent  les  progrès  incertains  de  l'édu- 
cation. Les  citoyens  en   foule  accourent 
-mêler  leurs  larmes  à  celles  de  cette  mère 
défolée  :  ailidus  à  fes  cotes ,  ils  cherchent 
à  diminuer  fa  douleur,  par  la  confolation 
de   ces    difcours    vagues    6c    communs  , 
qu'une  trifteffe  profonde  n'écoute  guéres  ; 
ils  entourent  avec  elle  le  trifle  cercueil  ; 
ils  parent  les  obféques  de  leur  deuil  ÔC  de 
leur  préfence  :  Tappareil  de  cette  pompe 
funèbre  efl  pour  eux  un  fpeétacle  ;   mais 
eft-il  une  inftruâion  ?  ils  en  font  frappés, 
attendris  ;  mais  en  font-ils  mioins  attachés 
à  la  vie  ?  ÔC  le  fouvenir  de  cette  mort  ne 
va  t'il  pas  périr  dans  leur  efprit,  avec  le 
bruit  &.  la  décoration  des  funérailles  ? 

A  de  femblableé  exem.ples ,  mes  Frè- 
res, nous  apportons  tous  les  jours  les  mê- 
mes difpofitions.  Les  fentimens  qu'une 
mort  inopinée  réveille  dans  nos  cœurs  ;  font 
des  fentimens  d'une  journée,  comame  fî  la 
mort  elle-même  devoit  être  l'affaire  d'un 
jour.  On  s'épuife  en  vaines  réflexions  fur 
rinconltance  des  chofes  humaines  ;  mais 
l'objet  qui  nous  frappoit ,  une  fois  difparu, 
le  cœur  redevenu  tranquille  fe  trouve  le 
même.  Nos  projets  ,  nos  foins ,  nos  atta- 
chemens  pour  la  terre  ,  ne  font  pas  moins 
vifs ,  que  fi  nous  travaillons  pour  c\qs  an- 
nées éternelles  :  êc  au  fortir  d'un  fpeclacle 


%oô    Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 

lugubre,  où  l'on  a  vu  quelquefois  la  naif- 
fance ,  la  jeunefTe  ,  les  titres ,  la  réputation 
fondre  tout  d'un  coup ,  6c  fe  perdre  pour 
toujours  dans  le  tombeau  ,  on  rentre  dans 
le  monde,  plus  occupé  ,  plus  empreilé  que 
jamais  de  tous  ces  vains  objets  ,  dont  on 
vient  de  voir  de  Tes  propres  yeux  ,  Se  tou- 
cher prefque  de  fes  mains  le  néant  &C  la 
poufTiere. 

Cherchons  donc  aujourd'hui  les  raifons 
d'un  égarement  fi  déplorable.  D'où  vient 
que  les  hommes  s'occupent  fi  peu  de  la 
mort  ;  6c  que  cette  penfée  fait  fur  eux  des 
impreflions  fi  peu  durables  ?  Le  voici  :  l'in- 
certitude de  \îi  mort  nous  amufe  ,  6c  en 
éloigne  le  fouvenir  de  notre  efprit  ;  la  cer- 
titude de  la  mort  nous  effraye  ,  ÔC  nous 
oblige  à  détourner  les  yeux  de  cette  trifte 
image  :  ce  qu'elle  a  d'incertain  ,  nous  en- 
dort 5c  nous  raffure  ;  ce  qu'elle  a  de  ter- 
rible 5c  de  certain  ,  nous  en  fait  craindre 
la  penfée.  Or  ,  je  veux  aujourd'hui  com- 
battre la  dangéreufe  fécurité  des  premiers , 
&  l'injufle  frayeur  des  aiitres.  La  mort 
eft  incertaine  ;  vous  êtes  donc  téméraire 
de  ne  pas  vous  en  occuper  ,  ÔC  de  vous 
y  lailTer  fiirprendre:  la  mort  eft  certaine  ; 
vous  êtes  donc  infenfè  d'en  craindre  le  fou- 
venir ,  5c  vous  ne  devez  jamais  la  perdre 
de  viië.  Penfez  à  la  mort  ,  parce  que  vous 
ne  favez  à  quelle  heure  elle  arrivera  ;  pen- 
fez à  la  mort ,  parce  qu'elle  doit  arriver  ; 
c'eft  le  fujet  de  ce  difcours.  Implorons  ^ 
êCe.  yiye  j  Maria* 


Sur  la  Mort.  30^ 

HjE  premier  pas  que  Thomme  fait  ^^^^p^^'^^^ 
la  vie ,  eft  aufli  le  premier  qui  l'approche 
du  tombeau  :  dès  que  fes  yeux  s'ouvrent 
à  la  lumière  ,  l'arrêt  de  mort  lui  eft  pro- 
noncé ;  5c  comme  li  c'étoit  pour  lui  ua 
crime  de  vivre  ,  il  fuffit  qu'il  vive  ,  pour 
mériter  de  mourir.  Ce  n'étoit  point  là  no- 
tre première  deftinée  :  l'Auteur  de  notre 
être  avoit  d'abord  animé  notre  boue  d'un 
fouffle  d'immortalité  :  il  avoit  mis  en  nous 
un  germe  de  vie  ,  que  la  révolution  des 
tems  6c  des  années  n'auroit ,  ni  aftbibli , 
ni  éteint  :  Ton  ouvrage  étoit  concerté  avec 
tant  d'ordre  ,  qu'il  eût  pii  délier  la  durée 
des  fiécles ,  5c  que  rien  d'étranger  n'en  eût 
pu  jamais  diiloudre ,  ni  altérer  même  Tliar- 
monie.  Le  péché  feul  fécha  ce  germe  di- 
vin ,  renverfa  cet  ordre  heureux  ,  arma 
toutes  les  créatures  contre  l'homme  ;  5C 
Adam  devint  mortel ,  dès  qu'il  devint  pé- 
cheur :  Ccjl  par  le  péché  ^  dit  l'Apôtre  ,  Rom,  fi 
que  la  mort  ejî  entrée  dans  le  monde. 

Nous  la  portons  donc  tous  ,  en  naiffant, 
dans  le  iein  :  il  fembie  que  nous  avons  lucé 
dans  les  entrailles  de  nos  mères ,  un  poifoa 
lent ,  avec  lequel  nous  venons  au  monde  , 
qui  nous  fait  languir  ici-bas ,  les  uns  plus , 
les  autres  moins  ;  mais  qui  finit  toujours  , 
parle  trépas  :  nous  mourons  tous  les  jours; 
chaque  inilant  nous  dérobe  une  portion  de 
notre  vie  ,  ÔC  nous  avance  d'un  pas  vers  le 
tombeau  :  le  corps  dépérit,  la  fanté  s'ufe, 
tout  ce  qui  nous  environne  nous  détruit; 


302     Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 

les  alimens  nous  corrompent ,  les  remèdes 
nous  affolbliiTeiit  j  ce  feu  fpirituel  qui  nous 
anime  au  dedans ,  nous  confume  ,  ÔC  toute 
notre  vie  neft  qu'une  longue  ÔC  pénible 
agonie.  Or ,  dans  cette  fituation  ,  quelle 
image  devroit  être  plus  familière  à  l'iiom- 
me ,  que  celle  de  la  mort  ?  Un  criminel 
condamné  à  mourir,  quelque  part  qu'il 
jette  les  yeux  ,  que  peut- il  voir  que  ce 
trifte  objet  ?  ÔC  le  plus  ou  le  moins  que  nous 
avons  à  vivre  ,  fait-il  une  différence  affez 
grande ,  pour  nous  regarder  comme  im- 
.  mortel  fur  la  terre  ? 

Il  eft  vrai  que  la  m.efure  de  nos  deftî- 
nées  n'eft  pas  égale  :  les  uns  voyent  croître 
en  paix  jufqu'à  l'âge  le  plus  reculé  ,  le 
nombre  de  leurs  années ,  6c  héritiers  des 
bénédi£^ions  de  l'ancien  tems ,  ils  meurent 
pleins  de  jours,  au  milieu  d'une  nombreufe 
poftérité  ;  les  autres ,  arrêtés  dès  le  milieu 
de  leur  courfe  ,  voyent  ,  comme  le  Roi 
Ezéchias ,  les  portes  du  tombeau  s'ouvrir 
3^'  en  un  âge  encore  floriiïant ,  &  cherchent  en 
vain ,  comme  lui  j  le  refie  de  leurs  années  \ 
enfin  ,  il  en  eft  qui  ne  font  que  fe  montrer 
à  la  terre  ,  qui  finilTent  du  matin  au  foir  , 
&:  qui  femblables  à  la  fleur  des  champs  , 
ne  mettent  prefque  point  d'intervalle  entre 
rinftant  qui  les  voit  éclore  ,  6C  celui  qui 
les  voit  fécher  ôC  difparoître.  Le  moment 
fatal  m.arqué  à  chacun  ,  eft  un  fecret  écrit 
dans  le  livre  éternel  que  l'Agneau  feul  a 
droit  d'ouvrir.  Nous  vivons  donc  tous  , 
incertains  de  la  durée  de  nos  jours;  ôt 


SurlaMort.  30Î 

cette  incertitude  ,  fi  capable  toute  feule  de 
nous  rendre  attentifs  à  cette  dernière  heu- 
re ,  endort  elle-même  notre  vigilance. 
Nous  ne  fongeons  point  à  la  mort ,  parce 
que  nous  ne  favons  où  la  placer  dans  les 
différens  âges  de  notre  vie.  Nous  ne  regar- 
dons pas  même  la  vieillelle  comme  le  ter- 
me du  moins  sur  8c  inévitable  :  le  doute 
fi  Ton  y  parviendra ,  qui  devroit ,  ce  fem- 
ble  ,  borner  eu  deçà  nos  efpérances ,  fait 
que  nous  les  étendons  même  au-delà  de  cet 
âge.  Notre  crainte  ne  pouvant  pofer  fur 
rien  de  certain  ,  n'eft  plus  qu'un  ientiment 
vague  6c  confus  ,  qui  ne  porte  fur  rien  du 
tout  ;  de  forte  que  Tincertitude  qui  ne  de- 
vroit tomber  que  fur  le  plus  ou  le  moins  , 
nous  rend  tranquilles  fur  le  fonds  même. 
Or  je  dis  d'abord  ,  m.es  Frères ,  que  de 
toutes  les  difpoiitions ,  c'eft  ici  la  plus  té- 
méraire 5cla  moins  {Qn{ée  :  j'en  appelle  à 
vous-mêmes.  Un  malheur  qui  peut  arriver 
chaque  jour ,  eft-il  plus  à  méprifer  qu'un 
autre  qui  ne  vous  menaceroit  qu'au  bout 
d'un  certain  nombre  d'années  ?  Quoi  ?  par- 
ce qu'on  peut  vous  redem.ander  votre  ame 
à  chaque  inftant,  vous  la  polTéderiez  en 
paix  ,  comme  il  vous  ne  deviez  jamais  la 
perdre  ?  parce  que  le  péril  eft  toujours  pré- 
fent ,  l'attention  feroit  moins  néceffaire?  ÔC 
dans  quelle  autre  affaire  que  celle  du  fa- 
lut,  l'incertitude  devient-elle  une  raifon  de 
fécurité  ôc  de  négligence  ?  La  conduite  de 
ce  ferviteur  de  l'Evangile  ,  qui  fous  pré- 
texte que  fon  maitre  tardoit  de  revenir  , 


fo4     Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 

6c  qu'il  ignoroit  1  lieiire  de  fou  arrivée^ 
ufoit  de  Tes  biens ,  comme  n'en  devant  plus 
rendre  compte  ,  vous  paroît-elle  fort  pru- 
dente ?  De  quels  autres  motifs  Jefus- 
Chrifl  s'eft-il  fervi  pour  nous  exhorter  à 
veiller  fans  celle  ?  ôc  qu'y  a  t-il  dans  la  Re- 
ligion de  plus  propre  à  réveiller  notre  vigi- 
lance ,  que  rincertitude  de  ce  dernier  jour  ? 
Ah  ,  mes  Frères  !  11  Fheure  étoit  marquée 
à  chacun  de  nous  ;  lî  le  Royaume  de  Dieu 
venolt  avec  obfervation  :  Il  en  nailTantnous 
portions  écrit  fur  notre  front  ,  le  nombre 
de  nos  années  6c  le  jour  fatal  qui  les  verra 
finir ,  ce^point  de  vue  fixe  5C  certain,  quel- 
que éloigné  qu'il  pût  être  ,  nous  occupe- 
roit ,  nous  troubleroit ,  ne  nous  lailleroit 
pas  un  moment  tranquilles  :  nous  trouve- 
rions toujours  trop  court  l'intervalle  que 
nous  verrions  encore  devant  nous  :  cette 
image  toujours  préfente  malgré  nous  à  no- 
tre efprit ,  nous  dégoûteroit  de  tout;  nous 
rendroit  les  plaidrs  inlipides ,  la  fortune 
iudilïerente  ,  le  monde  entier  à  charge  6C 
«nnuyeux  :  ce  moment  terrible  ,  que  nous 
ne  pourrions  plus  perdre  de  vue ,  réprime- 
roit  nos  paiTions ,  éteindroit  nos  haines  , 
défarmeroit  nos  vengeances ,  calmeroit  les 
révoltes  de  la  chair ,  viendroit  fe  m.éler  à 
tous  nos  projets;  5c  notre  vie  ainil  déter- 
minée à  un  certain  nombre  de  jours  précis 
ÔC  connus ,  ne  feroit  qu'une  préparation  à 
ce  dernier  moment.  Sommes-nous  fages, 
mes  Frères  ?  la  mort ,  vue  de  loin  à  un 
point  sûr  2>C  marqué ,  nous  effrayeroit  ; 

nous 


Sur  la  Mort.  3^5. 

iious  détacheroit  du  monde  5C  de  nous* 
mêmes  ,  nous  rappelleroit  à  Dieu  ,  nous 
occuperoiî  fans  cefTe;  &C  cette  même  mort 
incertaine,  qui  peut  arriver  chaque  jour  , 
chaque  inilant  ;  ÔC  cette  mort  qui  doit 
nous  furprendre  ,  qui  doit  venir  quand 
nous  y  penferons  le  moins  ;  Sc  cette  mort 
qui  e(è  peut-être"  à  la  porte  ,  ne  nous  oc- 
cupe point ,  nous  laifTe  tranquilles  :  que 
dis-je  !  nous  laiiïe  toutes  nos  paiTions  , 
tous  nos  attachemeiîs  criminels,  toute  no- 
tre vivacité  pour  le  monde  ,  pour  les  pîai- 
firs ,  pour  la  fortune ,  5c  parce  qu'il  n'eft 
pas  sûr  (î  nous  ne  m.ourrons  pas  aujour- 
d'hui ,  nous  vivons  commue  fi  nos  années 
devroicnt  être  éternelles. 

Remarquez  en  effet ,  mes  Frères  ,  quo 
cette  incertitude  eft  accompagnée  de  toutes 
les  circonftances  les  plus  capables  d'allar^ 
mer .  ou  du  moins  d'occuper  un  homme 
fage  ,  &  qui  fait  quelque  ufage  de  fa  rai-» 
fon.  Premièrement ,  la  furprife  de  ce  der» 
nier  jour ,  que  vous  avez  à  craindre ,  n'eft 
pas  un  de  ces  accidents  rares ,  uniques,  qui 
ne  tombent  que  fur  quelques  malheureux, 
&  qu'il  ell:  plus  prudent  de  méprifer  que 
de  prévoir.  H  ne  s'agit  pas  ici ,  pour  que 
la  mort  vous  farprenne  ,  que  la  foudre 
tombe  fur  vous ,  que  vous  foyez  enfeveîis 
fous  lt?5  ruines  de  vos  palais ,  qu'un  nau- 
frage vous  engloutiffe  fous  les  eaux  ,  ni  de 
tant  d'autres,  malheurs  ,  quç  leur  lingula- 
rité  rend  plus  terribles,  &C  cependant  m.oins 
appréhendés:  ç'eft  un  m^alheur  familier;. 


tujS*    12, 
J9^ 


jo6      Jeudî  de  la  IV.  Semaine. 
il  n'eft  pas  de  jour  qui  ne  vous  en  four-' 
nlfTe  des  exemples  ;  prefque  tous  les  hom- 
mes font  furpris   de  la   mort  ;   tous  l'ont 
vu  approcher ,    lorfqu'ils  la   croyent  en- 
core loia  ;  tous  fe  difoient  à  eux-mêmes  , 
comme  Tinfenfé  de  l'Evangile  :  Mcn  ame^ 
repcfe^-vous  »    vous    kive^    du    bien    pour 
plujieurs  années.  Ainfi  font  morts  vos  pro- 
ches ,  vos  amis ,  tous  ceux  prefque  que 
vous  avez  vil  mourir  ;  tous  vous  ont  lailTé 
vous-même  étonné  de  la  promptitude  de 
leur  mort  :  vous  en  avez  cherché  des  rai- 
fons  dans  Timprudence  du  malade  ,  dans 
rigno/ance  de  1  art ,  dans  le  choix  des  re- 
mèdes ;  mais  la  m^eilleure  5c  la  feule,  c'eft 
que  le  jour   du  Seigneur  nous  furprend 
toujours.  La  t^rre  eft  comme   un   vafte 
champ  de  bataille  où  Ton  efî  tous  les  jours 
aux  prifes  avec  l'ennemi  :  vous   en   êtes 
Ibrtiheureufemçnt  aujourd'hui  ;  mais  vous 
y  avez  vu  périr  des  gens  qui  fe  promet- 
toient  d'en  fortir  comme  vous  :  il  faudra 
demain  rentrer  en  lice  ;  qui  vous  a  dit  que 
le  fort,  fi  bizarre  pour  les  autres  ,  fera 
toujours  conûamment  heureux  pour  vous 
feul  ?  ÔC  puifqu'eniîn  vous  devez  y  périr  y 
êtes-vous   raifonnable  d'y  bâtir  une  de- 
meure ftnbh  ôC  permanente  ,  fur  le  lieu 
même  deftinée  peut-être  à  vous  fervir  de 
fépulture  ?  Mettez- vous  dans  telle  fitua» 
tion  qu'il  vous  plaira  ,  il  n'eft  point  de  mo-, 
ment  qui  ne  puiffe  être  pour  vous  le  der- 
iiier  ,    6c  qui  ne  Tait  été  à  vos  yeux  de> 
quelques-uns.  de  vos.  fireres  ;  f  oint  d'oa^*^ 


SurlaMort.  307 

tioîî  d'éclat  qui  ne  puiffe   être   terminée 
par  les  ténèbres  éternelles  du  tombeau  ; 
t<.  Hérode  eft  frappé  au  milieu  des  applau- 
di ffcmens  infenfés  de  fon  peuple  :  point  de 
jour  foiemnel  qui  ne  puille  finir  par  votre 
pompe  funèbre  ;  5c  Jézabel  fut  précipitée 
le  jour  mêm>e  qu'clî^voit  choifi  pour  fe 
montrer  avec  plus  d?îàfte  6c  d'oftentation 
aux  fenêtres  de  Ton  palais  :  point  de  feflin 
délicieux  qui  nepuiife  être  pour  vous  une 
nourriture  de  m.ort  :    ^  Baltazar   expire 
autour  d'une  table  fomptueufe  :  point  de 
fommeil  qui  ne  puiffe  vous  conduire  à  un 
fommeil  éternel  :  5c  Holopherne  au  milieu 
de  fon  armée  ,  vainqueur  des  R-oyaumiCS 
&  des  Provinces  y  expire  fous  le  glaive 
d'une  (impie   fcn^ne   d'Ifraèî  :   point  de 
crime  qui  ne  puilfe  finir  vos  crimes  ;   6C 
Zamibri  trouve  une  mort  infâme  dans  les 
tentes  mêmes  des  filles  de  Madian  :  point 
de  maladie  qui  ne  puiflç  être  le  terme  fatal 
de  vos  jours ,  6c  vous  voyez  tous  les  jours 
les  infirmxités  les  plus  légères  tromper  les 
conj e^èures  de  Tart  6c  Tattente  des  malades, 
6c  tourner  tout  d'un  coup  à  la  mort  1  ea 
im  mot ,  repréfentez-vous  dans   quelque 
circonflance  de  votre  vie  ^  où  vous  puiffiez 
jamais  vous  trouver  ,  à  peine  pourrez-vous 
compter  ceux  qui  y  ont  été  furpris  ;  ÔC  rien 
ne  peut  vous  garantir  que  vous  ne  le  krez 
pas  vous-même.  Vous  le  dites?  vous  en  con- 
venez ;  &  cet  aveu  fi  terrible  n'cft  qu'ua 
difcours  que  vous  donnez  à  Tufage  ,  Sc  ne 
vous  coudait  jamais  à  une  feule  précautioa^ 

Ce  2 


3oR     Jeudi  î)e  la  ÏV.  Semaîne. 

qui  puiffe  vous  mettre  à  couvert  du  pérîL 
Secondement  ,.  fi   cette  incertitude  ne 
rouîoit  que  fur  l'heure  ,  fur  le  lieu  ,    ou 
fur  le  genre  de  votre  mort  y  elle  ne  paroî- 
troit  pas  fi  aifreufe  :  car  enfin  ,  qu'importe 
au  Chrétien  ,  dit  Saint  Auguilin  ,  de  mou- 
rir au  mùlieu  de  fcs  proches  ^  ou  dans  des. 
contrées  étrangères  ;  dans  le  lit  de  fa  dou- 
leur ,  ou  dans  le  fein  des  ondes  ?   pourvût 
qu'il  meure  dans  la  piété  ôc  dans  la  jufticee. 
Mais  ce  qu'il  y  a  ici  de  terrible ,  c'efl  qu'il 
eil  incertain  fi  vous  mourrez  dans  le  Sei- 
gneur ,  ou  dans  votre  péché  f  c'eft  que. 
vous  ignorez  ce  que  vous  ferez  dans  cette, 
autre  terre  ,  où  les  conditions  ne  change- 
ront plus  ;  Qntre  les  mains  de  qui  tombera 
votre  ame ,  feule  ,  étrangère  ,  tremblante  , 
au  fortir  du  corps  ;  fi  elle  fera  environnée 
de  lumière^  &  portée  aux  pieds  du  Trône 
fur  les  ailes  des  Efprits.  bienheureux  ,  ou 
enveloppée  d'un  nuage  affreux ,  ÔC  pré- 
cipitée dans  les  abîmes  :   vous   êtes  entre, 
ces  deux   éternités  ;  vous  ne  favez  à  la- 
quelle des  deux  vous  appartiendrez  :    la 
îriort  feule  vous  découvrira  ce  fecret  ;  5C 
dans  cette  incertitude^  vous  êtes  tranquil- 
le ?  6c  vous  la  laiffez  venir  indolemment^, 
comune  fi  elle  ne  devoit  décider   de  rieu 
pour  vous  ?  Ah  ,  mes  Frères  ,  fi  tout  de- 
voit finir  avec  nous  y  l'impie  auroit  encoi"e. 
tort  de  dire  :  Ne  penfons  point  à  la  fin  do: 
îiotre  vie  ;   mangeons  êc  bûvoiis  ,    nous, 
mourrons  demain  :  plus  il  trouveroit  de 
douceur  à  vivre  >,  plus,  il  auroit  raifon  à^ 


Sur  la  Mort.  309 

craindre  la  mort ,  qui  ne  fcroit  plus  pour 
lui  cependant  qu'une  celTation  entière  de 
fon  être.  Mais  nous  à  qui  la  foi  découvTe 
au  delà  ,  des  peines  ou  des  réconipenfes 
éternelles;  nous  qui  devons  arriver  à  la 
mort  incertains  fur  cette  terrible  alterna- 
tive ,  n'y  a-t'il  pas  de  la  folie  >  que  dis-j^e  ? 
de  la  fureur;  (en  ne  tenant  pas  à  la  vérité 
le  même  difcours  que  l'impie  :  Mangeons 
ÔC  buvons ,  nous  mourrons  demain  ;  )  mais 
de  vivre  comme  fi  nous  penfious  com.me 
lui  ?  Eh  !  pouvons-nous  être  un  feul  instant 
fans  nous  occuper  de  ce  moment  décifif , 
6c  fans  adoucir  par  les  précautions  de  la 
foi  ce  que  cette  incertitude  peut  jetter  de 
trouble  ÔC  de  frayeur  dans  une  ame  qui  n'a 
pas  encore  renoncé  à  fes  efpérances  éter- 
nelles ? 

Troifiémement  ,  dans  toutes  les  autres 
incertitudes  ,  ou  le  nombre  de  ceux  qui 
partagent  avec  nous  le  même  péril  ,  peut 
BOUS  ralTurer  ;  ou  des  reflburces  dont  nous 
pouvons  nous  fîâter  ,  nous  laiiTent  pius 
tranquilles  ;  ou  enfin  ^  tout  au  pire ,  la  iur> 
prife  n'eit  qu'une  iniliudion  >  qui  nous  ap- 
prend ,  à  nos  dépens ,.  à  être  une  autre  fois 
plus  fur  nos  gardes.  Mais  dans  l'incertitude 
terrible  dont  il  s'agit ,  miCs  Frères  ^  le 
nombre  de  ceux  qui  courent  le  niéme  rif- 
que  que  nous  ,  ne  diminue  rien  au  nôtre  i 
toutes  les  refiburces  dont  nous  pouvons 
nous  flâter  a.u  lit  de  la  mort,  font  d'ordi- 
naire desillufions  ;  &  la  Religion  elle-mê- 
me qui  les  faut  nitiU  en  efp  ère  prefque  rien  i 


310    Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 

enfin  y  la  fiirprife  cil  fiins  retour  ;  nous  ne 
mcurons  qu  ime  fois  ;  ÔC  nous  ne  pouvons 
plus  mettre  à  profit  notre  imprudence  pour 
une  autre  occafion.  Notre  malheur  nous 
détrompe  ,  il  efl  vrai  ;  mais  ces  nouvelles 
lumières  qui  difîipent  notre  erreur  ^  deve- 
nues inutiles  par  rimmutabilité  de  notre 
état,  ne  font  plus  que  des  lumières  cruelles 
qui  vont  nous  déchirer  éternellement ,  ÔC 
faire  îa  matière  la  plus  douloureufe  de  notre 
fupplice  ,  plutôt  que  des  réflexions  fages 
qui  puiîTent  nous  conduire  au  repentir. 

Surquoi  pouvez-vous  donc  juftifier  cet 
oubli  profond  5c  incompréheniîble  ,  dans 
lequel  vous  vivez  de  votre  dernier  jour  ? 
fur  la  jeunefTe  qui  femble  vous  promettre 
encore  une  longue  fuites  d'années  ?  La  jeu- 
nelle  ?   mais  le  fils  de  la  veuve  de  Naïm 
ëtcit  jeune  ;  la  mort  refpe£le-t'elle  les  âges 
&  les  rangs  ?  La  jeunelFe  ?  mais  c'eft  juge- 
ment ce  qui  me  feroit  craindre  pour  vous  ; 
des  mœurs  licencieufes ,  des  plaifirs  extrê- 
mes ;  des  pafîions  outrées  ,  les  excès   de 
la  table  y  les  mouvemens  deTambition  y  les 
dangers    de  la   guerre  ,   les    défîrs   de   la 
gloire  ,  les  faillies  de  la  vengeance  ;  n  efl- 
ce  pas  dans  ces  beaux  jours  que  la  plupart 
des  hommes  MnilTent  leur  courfe  ?  Adonias 
eût  vieilli ,  s'il  n'eût  été  voluptueux  ;  Ab- 
falom  y  s'il  eût  été  libre  d'ambition  ;  le  fils 
du   Roi  de  Sichem  ,  s'il  n'eût  pas  aimé 
Dina  ;  Jonathas ,  fi  la  gloire  lïe  lui  eût 
creufé  un  tombeau  fur  les  montagnes   de 
Gdboé»  La  ieimeile  l  mais  faut-ii  reu^m- 


SùrlaMort.  31Î 

veller  Ici  la  douleur  de  la  nation  ,  5c  redou- 
bler des  larmes  qui  coulent  encore  ?  faut- 
il.  aigrir  la  plaie  qui  faigne  encore  ÔC  qui 
faignera  long-tems  dans  le  cœur  du  grand 
Prince  qui  nous  écoute  ?  Une  jeune  Prin- 
ceffe  ,  les  délices  de  la  Cour  ;  un   jeune 
Prince  ,  l'efpérance   de    FEtat  ;    l'enfant 
même  ,  le  fruit  précieux  de  leur  tendreffe 
6c  des  vœuK  publics  ;  la  cruelle  mort  ne 
vient- elle  pas  de  les  moifîbnner  tous  en- 
femble  en  un  clin  d'œil  ?  ÔC  cet  augufte 
palais  rempli ,  il  y  a  peu  de  jours  y  de  tant 
de  gloire  ,  de  majefté  ,  de  magnificence  i 
ncR-ïl  pas  devenu  ,  ce  femble  ,  pour  tou- 
jours une  maifon  de  deliil  5c  de  triilelTe  ? 
La  jeuneiTe  ?  que  la  France  feroitheureufe^ 
il  Ton  eût  pu  compter  fur  cette  relTource  \ 
hélas  !  c'eit  la  faifcn  des  périls ,  &v  lécueil 
Je  plus  ordinaire  de  la  vie. 

Sur  quoi  vous  rafTurez-vous  donc  en- 
core ?  fur  la  force  du  tempérament  ?  Mais 
qu'eft-ce  que  la  fanté  la  mieux  établie?  une 
étincelle  qu'un  fouffle  éteint  :  il  ne  faut 
qu'un  jour  d'infirmité  pour  détruire  le 
corps  le  plus  robuile  du  monde.  Je  n'exa- 
mine pas  après  cela  fi  vous  ne  vous  flâtez 
point  même  là-defTus;  fi  un  corps  ruiné  par 
les  défordres  de  vos  premiers  ans ,  ne  vous 
annonce  pasau-dedans  de  vousunerépoiife 
de  mort  ;  Ci  des  infirmités  habituelles  ne 
vous  ouvrent  pas  de  loin  les  portes  dutora- 
bea-i  ;  fi  des  indices  fâcheux  ne  vous  mena- 
cent pas  d'un  accident  foudain  :  je  veux 
gue  vous  prolong^iez  vo^jaurs  au-delà œè» 


512      Jeudi  de  la  ÏV.  Semaine: 

me  de  vos  efpérances.  Kéias  ,  mes  Frères 
ce  qui  doit  finir  ,  peut-il  vous  paroître 
long  ?  regardez  derrière  vous  ;  où  l'ont  vos 
premières  années  ?  que  lailTent-elles  de  réel  . 
dans  votre  fbuvenir?  pas  plus  qu'un  fonge 
de  la  nuit  :  vous  rêvez  que  vous  avez  vécu: 
voilà  tout  ce  qui  vous  en  refte  :  tout  cet 
intervalle  qui  s'ed  écoulé  depuis  votre 
iiaiilance  juiqucs  aujourd'hui  ,  ce  n'eft 
qu'un  trait  rapide  qu'à  peine  vous  avez  vu 
pailer  :  quand  vous  auriez  commencé  à 
vivre  avec  le  monde  ,  le  pailé  ne  vous  pa- 
roitroit  pas  plus  long  ni  plus  réel  ;  tous  les 
fiécles  qui  ont  coulé  jufqu'à  nous,  vous  les 
regarderiez  comme  des  inilans  fugitifs  : 
tous  les  peuples  qui  ont  paru  6c  difparu 
dans  l'univers;  toutes  les  révolutions  d'Em- 
pires &C  de  Royaumes  ;  tous  ces  grands 
ëvénem.ens  qui  embéliffent  nos  hilloires , 
ne  feroient  pour  vous  que  les  diftëremes 
fcènes  d'un  Tpeûacle  que  vous  auriez  vu 
finir  en  un  jour.  Rappeliez  feulement  les 
victoires  ,  les  prifes  de  places ,  les  traités 
glorieux  ,  les  magnificence^,  les  événe- 
mens  pompeux  des  premières  années  de  ce 
régne  ;  voiis  y  touchez  encore  :  vous  en 
avez  été  la  plupart ,  non-feulement  fpe6ta- 
îeurs,  mais  vous  en  avez  partagé  les  périls 
ÔC  la  gloire  :  ils  paiTerantd^s  nos  annales 
jufqu'à  nos  derniers  neveux  ;  mais  pour 
vous,cen'efl  déjà  plus  qu'un  fonge  ^  qu'un 
éclair  qui  a  difparu  ,  5c  que  chaque' jour 
efface  même  de  votre  fouvenir?  Qu'efl-ce 
doac  ^ue  le  peu  de  chemin  qui  vous  rcfte.à 


Sur  L A  Mort.  315 

faire?  croyons-nous  que  les  jours  à  venir 
ayent  plus  de  réalité  que  les  paiTésp  les  an- 
nées paroilTent  longues  quand  elles  font  en- 
core loin  de  nous  ;  arrivées  ,  elles  difpa- 
roilTent ,  elles  nous  ëchapent  en  un  inftant  ; 
&  nous  n'aurons  pas  tourné  la  tête ,  que 
nous  nous  trouverons  ,  comme  par  un  en- 
chantemeet,  au  term.e  fatal  qui  nous  paroît 
encore  Ci  loin  ,  &  ne  devoir  jamais  arriver. 
Regardez  le  n-i^nde  tel  que  vous  lavez  vu, 
dans  vos  premières  années  ,  &  tel  qu© 
V0US  le  voyez  aujourd'hui  :  un€  nouvelle 
Cour  a  fuccédé  à  celle  que  vos  premiers 
ans  ont  vue;  de  nouveaux  perfonnages 
font  m.ontés  fur  la  fcène  ,  les  grands  rôles 
font  remplis  par  de  nouveaux  acieurs  ;  êç 
font  de  nouveaux  événemens ,  de  nouvelles 
intrigues ,  de  nouvelles  paflions  de  nou- 
vaux  héros  dans  la  vertu  ,  comme  dans 
le  vice  »  qui  font  le  fujet  des  louanges, 
des  dériiions  ,  des  cenfures  publiques  : 
un  nouveau  monde  s'eft  élevé  infeniible* 
ment ,  ÔC  fans  que  vous  vous  en  foyez  ap-. 
perçu ,  fur  hs  débris  du  premier  :  tout 
paife  avec  vous  ÔC  comme  vous  :  une  rapi- 
dité que  rien  n'arrête  ,  entraine  tout  dans 
les  abîmes  de  l'éternité  :  nos  ancêtres  nous 
en  frayèrent  hier  le  chem.in  ;  6c  nous  allons 
le  frayer  demain  à  ceux  qui  viendront  après 
nous.  Les  âges  fe  renouvellent  ;  la  figure  du 
inoode  paffe  fans  celle  ;  les  morts  6c  les 
vivans  fe  remplacent  6c  fe  fuccédent  conti- 
nu.ellement  ;  rien  ne  dem.eure  ;  tout  chan- 
ge., tout  s'ufe,  tout  s'éteint;  Dieu  feul 
Carême, ^  Tome  UL  D.  d 


314  Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 
demeure  toujours  le  même  ,  le  torrent  des 
fiécles  qui  entraîne  tous  les  hommes ,  coule 
devant  fes  yeux  ;  5c  il  voit  avec  indigna- 
tion ,  de  foibles  mortels ,  eniportés  par  ce 
cours  rapide ,  Tinfulte  en  panant  ;  vouloir» 
faire  de  ce  feul  inftant  tout  leur  bonheur  ; 
èC  tomber  au  forîir  dc-là  entre  les  mains 
de  fa  colère  6c  de  fa  vengeance.  Où  font 
maintenant  parmi  nous  les  Sages ,  dit  TA- 
pôtre  ?  6c  un  homme  ,  fut-ii  capable  de 
gouverner  l'univers  ,  peut-il  mériter  ce 
nom  ,  dès  qu'il  peut  oublier  ce  qu'il  ell  ÔC 
ce  qu'il  doit  être  ? 

Cependant ,  mes  Frères ,  quelle  impref" 
lion  fait  fur  nous   rindabilité  de  tout  ce 
qui  paiTe  ?  la  mort  de  nos  proches ,  de  nos 
amis ,  de  nos  concurrens ,  de  nos  maîtres  ? 
Nous  ne  penfons  pas  que  nous  les  allons  fui- 
vre  de  près  ;  nous  ne  penfons  qu'à  nous  re* 
vêtir  de  leurs  dépouilles  :  nous  ne  penfons 
pas  au  peu  de  tems  qu'ils  en  ont  joiii  ;  nous 
îie  penfons  qu'au  plaifir  qu'ils  ont  eu  de  les 
polTéder  ;  nous  nous  hâtons  de  profiter  du 
débris  les  uns  des  autres  :  nous  relTem.blons 
à  ces  foldats  infenfés ,  qui   au   fort  de  la 
mêlée ,  ôc  dans  le  tems  que  leurs  compa- 
gnons tombent  de  toutes  parts  à  leurs  cô- 
tés fous  le  fer  6c  le  feu  des  ennemis ,  fe 
chargent  avidement  de  leurs  habits  ;  ÔC  à 
peine  en  font-ils  revêtus,  qu'un  coup  mor- 
tel leur,  ôte  avec  la  vie  cette  folle  décoïa- 
-tion-dont  ils  venoient  de  fe  parer.  Ain^  le 
£ls  fe  revêt  â.Qs  dépouilles  du  père  ,   lui 
ferme  les  yeux  ,  fuccéde  à  fon  rang  ,  à  fa 


Sur  LA  Mort.  ^15 

fortune,  à  fes  dignités ,  conduit  Tappareil 
de  fes  funérailles  ,  6c  fe  retire  plus  occu- 
pé, plus  touché  des  nouveaux  titres  dont 
il  eft  revêtu  ,  qu'inftruit  des  derniers  avis 
d'un  père  mourant  ;  qu'affligé  de  fa  perte  , 
ou  du  moins  défabufé  des  chofes  d'ici-bas 
par  un  fpeclacle  qui  lui  en  met  fous  lesyeux 
le  néant,  6c  qui  lui  annonce  inceffamment 
ia  mxême  deftinée.  La  mort  de  ceux  qui 
nous  environnent  n'eft  pas  pour  nous  une 
inftru6lion  plus  utile  ;  un  tel  laiiTe  un  pofte 
vacant ,  5C  on  s'empreffe  de  le  demander  ; 
un  autre  vous  avance  d'un  degré  dans  le 
fervice  ;  celui-ci  finit  avec  lui  des  préten- 
tions qui  vous  auroient  incommodé;  celui- 
là  vous  laiiTé  l'oreille  ÔC  la  faveur  du  maî- 
tre ,  &  c'étoit  le  feul  qui  pouvoit  vous  la 
difputer  :  ùii  autre  enfin  vous  approche- 
d'une  dignité ,  8c  vous  ouvre  les  voies  à 
inie  élévation  où  vous- n'auriez  pu  préten- 
dre qu'après  lui  ;  ÔC  là-delïïis  ,  on  fe  rani- 
me ,  on  prend  de  nouvelles  mefures ,  on 
fait  de  nouveaux  projets  ;  5C  loin  defe  dé- 
tromper par  l'exemple  de  ceux  que  l'on 
voit  difparoître ,  il  fort  de  leurs  cendres 
mêmes  des  étincelles  fatales  qui  viennent 
rallumer  tous  nos  défirs ,  tous  nos  attache- 
mens  pour  le  monde  ;  5c  la  mort  cette  ima- 
ge Il  trifte  de  notre  mifére  ,  la  mort  rani- 
me plus  de  paiTions  parmi  les  hommes ,  que 
toutes  les  illufions  mêmes  de  la  vie.  Qu'y 
a-t'il  donc  qui  puiffe  nous  détacher  de  ce 
monde  miférable  ,  puifqiie  la  mort  même 
ae  fert  qu'à  reilerrer  les  liens  ,  ôc  nous 

Ddi 


3ï6    Jeudi  de  la  III.  Semaine 
affermir  dans  Terreur  qui  nous  y  attache  ? 

Ici,  mes  Frères,  je  ne  vous  demande 
que  de  la  raifon.  Quelles  font  les  confé- 
quences  naturelles ,  que  le  bon  fens  tout 
feul  doit  tirer  de  Tincertitude  de  la  mort  ? 

Premièrement ,  Theure  de  la  mort  efî 
incertaine  ;  chaque  année  ,  chaque  jour  , 
chaque  moment  peut  être  le  dernier  de  no- 
tre vie  :  donc  c'eit  Une  folie  de  s'attacher  à 
tout  ce  qui  doit  pafTer  en  un  infiant,  5c  de 
perdre  par-làleieulbien  qui  nepallerapas: 
donc  tout  ce  que  vous  faites  uniquement 
pour  la  terre  doit  vous  paroitre  perdu  , 
puifque  vous  n'y  tenez  a  rien ,  que  vous  n'y 
pouvez  ccmipter  fur  rien  ^  &  que  vous 
n'en  emporterez  rien  que  ce  que  vous  aurez 
fait  pour  le  Ciel  :  donc  les  Royaumes  du 
monde  &:  toute  leur  gloire,  ne  doivent  pas 
balancer  un  moment  les  intérêts  de  \otre 
éternité  ,  puifque  les  grandes  fortunes  ne 
vous  afliirent  pas  plus  de  jours  que  les  mé- 
diocres ;  5c  que  l'unique  avantage  qui  peut 
vous  en  revenir  ,  c'ell  un  cliagrin  plus 
amer  ,  quand  il  faudra  au  lit  de  la  mort 
s'en  féparer  pour  toujours  ;  donc  tous  vos 
foins ,  tous  vos  mouvemens ,  tous  vos  dé- 
firs  doivent  fe  réunir  à  vous  ménager  wne 
fortune  durable  ,  un  bonheur  éternel  que 
perfonne  ne  puilfe  plus  vous  ravir. 

Secondem.ent,  l'heure  de  votre  mort  eft 
incertaine  :  donc*  vous  devez  miOUrir  cha- 
que jour  ;  ne  vous  permettre  aucune  aélion 
dans  laquelle  vous  ne  voululliez  point  être 
furpris  ;  regarder  toutes  vos  démarches  ; 


Sur  la  Mort.  ^17 

comme  les  démarches  d'un  mourant  qui  at- 
tend à  tous  mom.ens  qu'on  vienne  lui  rede- 
mander Ton  ame  ;  faire  toutes  vos  ceu\res 
comm.e  fi  vous  deviez  à  l'inilant  en  ailer 
rendre  compte  ;  &  puifque  vous  ne  pou- 
vez pas  répondre  du  tems  qui  fuit ,  régler 
tellement  le  préfent ,  que  vous  np.yei^pas 
befoin  de  Tavenir  pour  le  réparer. 

Enfin  ,  rheure  de  votre  mort  eft  incer- 
tauie  :  donc  ne  différez  pas  votre  pénitence; 
ne  tardez  pas  de  vous  convertir  au  Sei- 
gneur ,  le  tems  prelfe  ;   vous  ne  pouvez 
pas  même  vous  répondre  &un  jour  ,   & 
vous  renvoyez  a  un  avenir  éloigne  k  incer- 
tain. Si  vous  aviez  imprudeinîrjentavaléun 
poifon  mortel  ,  renverriez- \  ous  à  un  tems 
éloigné  le  remède  qui  preffe  ,  &  qui  feul 
peut  vous  conferver  la  vie  ?  la  mort  quz 
vous  porteriez  dans  le  fein  ,  vous  permet^ 
troit-elle  des  délais  ÔC  des  remifes.  Voilà 
votre  état.  Si  vous  ctes  fage  ,  .prenez  à 
Imitant  vos  précautions  :  vous  portez   h 
mort  dans  votre  sm.e  ,  puifque  vous  y  por- 
tez  le  péché  :  hâtez- vous  d'y  rem.cdier  ; 
tous  les  iMlîans  font  précieux  à  qui  ne  peut 
fe  repondre  d'aucun  :  le  brcuviwe  emi^oi. 
ionne  qui  mte^be  votre  ame  ,   ne  fauroit 
vous  mener  loin  ;  la  bonté  de  Dieu  vous 
offre  encore  le  remède  ,   hâtez^vou>,  en- 
core une  fois ,  d'en  ufer ,  tandis  qu'il  vous 
en  laiffe  le  tems.  Faudroit-il  des  exhorta- 
tions  pour  vous  y  réfoudre  ?  ne  devroit-il 
pas  luffire  qu'on  vous  montrât  le  bienfait  de 
la  guenfon  ?  faut-il  exhorter  un  infortuné 

Dd3 


3iS  Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 
que  les  flots  entraînent ,  à  faire  des  efforts 
pour  fe  gérantir  du  naufrage?  devriez-vous 
avoir  befoin  là-dellus  de  nos  miniftère  ? 
Vous  touchez  à  votre  dernière  heure;  vous 
allez  paroitre  en  un  clin  d'oeil  devant  le 
Tribunal  de  Dieu.  Vous  pouvez  employer 
utilement  le  moment  qui  vous  reï^c.  Pref- 
que  tous  ceux  qui  meurent  tous  les  jours  à 
vos  yeux  le  lailfent  échapper  ,  ÔC  meurent 
fans  en  avoir  fait  aucun  ufag'e  :  vous  imitez 
leur  négligence  ;  la  m.eme  furprife  vous  at- 
tend ;  vous  mourrez  comme  eux  avant  que 
d'avoir  commencé  à  mieux  vivre.  On  le 
leur  avoit  annoncé ,  &  nous  vous  l'annon- 
çons :  leur  malheur  vous  laiiTe  infenfibles, 
ê>C  le  fors  infortuné  qui  vous  attend  ne  tou- 
chera pas  davantage;  ceux  à  qui  nous  l'an- 
noncerons un  jour  :  c'éil  une  fucceiîion 
d'aveuglem.ent  qui  paile  des  pères  aux  en- 
fans  §C  qui  fe  perpétue  fur  la  terre  :  nous 
voulons  tous  mieux  vivre  ,  6c  nous  mou- 
rons tous  avant  d'avoir  bien  vécu. 

Voilà,  mes  Frères,  les' réflexions  fa- 
ges  ÔC  naturelles  ,  où  doit  nous  conduire 
l'incertitude  de  notre  dernière  heure.  Mais 
fî  de  ce  qu'elle  eft  incertaine,  vous  êtesim- 
prudens  de  ne  pas  vous  en  occuper  davan- 
tage ,  que  fi  elle  ne  devoit  jamais  arriver  j 
ce  que  fa  certitude  à  de  terrible  5c  d'ef- 
frayant ,  vous  excufe  encore  moins  de  fo- 
lie,  d'éloigner  cette  trille  image  ,  com.me 
capable  d'empoifonner  tout  le  repos  ÔC 
toute  la  douceur  de  votre  vie.  C'ell  ce  qui 
xne  relie  à  vous  expofer. 


Sur  la  Mort.  2ip 

JL/'Homme  n'aime  pas   à   s'occuper  de     n. 
fon  néant  6c  de  fa  baffeffe  :  tout  ce  qui  lePAiinjt^ 
rappelle  à  Ion  origine  ,  le  rappelle  en  mê- 
me tems  à  fa  fin  ;  bleile  fon  orgueil  ,  inté- 
relle  Tamour  de  fon  être  ,  attaque  par  le 
fondement  toutes  fes  pallions ,  &  le  jette 
dans  des  penfées  noires  &  funeftes.  Mou- 
rir ;  difparoitre  à  tout  ce  qui  nous  environ- 
ne ;  entrer  dans  les  abimes  ^de  rëternité  ; 
■  devenir  cadavre  ,  la  pâture  des  vers  ,  l'hor- 
reur des  hommes ,  le  dépôt  hideux  d'un 
tombeau;   ce  fpectacîe  tout  feul  fouléve 
tous  les  fens  ,  trouble  la   raifon  ,  noircit 
l'imagination,  empoifonne  toute  la  douceur 
de  la  vie  :  on  n'ofe  fixer  {qs  regards  fur  une 
image  fi   affreufe  :  nous  éloignons  cette 
penfée  comme  la  pl4istrifie  6c  la  plus  amere 
de  toutes  ;  tout  ce  qui  nous  en  rappelle  le 
fouvenir,  nous  le  craignons ,  nous  le  fu- 
yons, comme  s'il  devoit  hâter  pour  nous 
cette  dernière    heure.    Sous   prétexte  de 
tendrefie  ,  nous  n'aimons  pas  même  qu'on 
nous  parle  des  perfonnes  chères  que  la  mort 
nous  a  ravies  ;  on  prend  foin  de  dérober  à 
nos  regards  hs  lieux  qu'elles  habitoient , 
les  peintures  où  leurs  traits  font  encore  vî- 
vans,  tout  ce  qui  pourroit  réveiller   en 
nous  avec  leur  idée  ,  celle  de  la  mort  qui 
vient  de  nous  les  enlever.  Que  dirai-je  ? 
nous  craignons  les  récits  lugubres  ;  nous 
pouffons  là-deffus  nos  frayeurs  jufqu'aux 
plus  puériles  fuperftitions  ;  nous  croyons 
voir  par-tout  des  préfagcs  finiftres  de  notre 

Dd4 


32^0  Jeudi  de  la  IV.  Se^v^alve. 
mort,  dans  les  rêveries  d'un  fonge  ,  dans 
le  chant  na6liirne  d'un  oifeau  ,  dans  un 
nombre  fortuit  de  convives ,  dans  des  évé- 
nemens  encore  plus  ridicules:  nous  croyons 
la  voir  par  tout ,  6c  c'efl  pour  cela  même 
que  nous  tâchons  de  la  perdre  de  vue. 

Or  ,  mes  Frères ,  ces  frayeurs  excefîî- 
ves  étoicnt  pardonnables  à  des  Payens 
pour  qui  la  mort  étoit  le  plus  grand  des 
malheurs  ,  puisqu'ils  n'attendoient  rien  au- 
^elà  du  tombeau  ;  &  que  vivant  fans  efpë- 
lance  ,  ils  mouroientfans  confolation.Mais 
on  doit  être  furpris  que  h  mort  foit  û  terri- 
ble à  des  Chrétiens  ,  5c  que  la  terreur  de 
cette  image  leur  ferve  même  de  prétexte 
pour  l'éloigner  de  leur  penfée. 

Car  en  premier  lieu  ,  je  veux  que  vous 
ayez  raifon  de  craindre  cette  dernière  heu- 
re ;  mais  comme  elle  eft  certaine ,  je  ne 
comprends  pas ,  q::e  parce  qu'elle  vous  pa- 
Toit  terrible  ,  vous  ne  deviez  pas  vous  en 
occuper  5c  la  prévenir:  il  me  femble  au  con- 
traire ,  que  plus  le  malheur  dont  vous  êtes 
menacé  eft  affreux  ,  plus  vous  devez  ne 
pas  le  perdre  de  vue  ,  &:  prendre  fans  ceffe 
des  mefures  pour  n'en  être  pas  furpris. 
Quoi  ?  plus  le  péril  vous  frappe  &:  vous 
épouvante  ,  plus  il  vous  rendroit  indolent 
&  inappliqué  ?  les  terreurs  outrées  de  vo- 
tre imagination  vous  guériroient  de  cette 
crainte  fage  même  qui  opère  le  falut ,  5c 
parce  que  vous  craignez  trop  ,  vous  ne 
penferiez  à  rien  ?  Mais  quel  eft  l'homme 
jque  l'idée  trop  v;ve  du  danger  caljne  8C 


Sur  LA  Mort.  ^u 

faiïiîre  ?  quoi  ?  s'il  falioit  marcher  par  iiA 
fentier  étroit  ^  efcarpé ,  entouré  de  toutes 
parts  des  précipices  ,  ordonneriez  -  vous 
qu'on  vous  bandât  les  yeux  pour  ne  pas 
voir  le  danger  ,  &C  de  peur  que  la  profon- 
deur de  l'abîme  ne  vous  fit  tourner  la  tête? 
Ah  !  mon  cher  Auditeur  ,  vous  voyez  vo- 
tre tombeau  ouvert  à  vos  pieds ,  cet  objet 
affreux  vous  allarmiC  ;  6v  au  lieu  de  prendre 
dans  la  fageffe  de  la  Religion  ,  toutes  les 
précautions  qu'elle  vous  offre  pour  ne  pas 
tomber  inopinément  dans  ce  gouffre ,  vous 
vous  bandez  vous-même  les  yeux  pour  ne 
le  pas  voir;  vous  vous  faites  des  diverfîons 
réjoùiffantes  peur  en  effacer  Fidée  de  votre 
efprit  ;  ôc  femblable  à  ces  viâimes  infortu- 
nées du  paganifm.e,  vous  courez  au  bûcher 
les  yeux  bandés  ,  couronné  de  fleurs ,  en- 
vironné de  danfes  êc  de  cris  de  joïe ,  potir 
ne  pas  penfer  au  terme  fatal  où  cet  appareil 
vous  conduit ,  &  de  peur  de  voir  l'autel , 
e'eft-a-dire ,  le  lit  de  la  mort ,  où  vous  al- 
lez à  l'inllant  être  immolç. 

De  plus ,  fi  en  éloignant  cette  penfée, 
vous  pouviez  aufii  éloigner  la  mort  ,  vos 
frayeurs  auroient  du  moins  une  excufe. 
Mais  penfez-y,  ou  n'y  penfez  pas ,  la  mort 
avance  toujours  ;  chaque  effort  que  vous 
faites  pour  en  éloigner  le  fouvenir ,  vous 
rapproche  d'elle  ;  ÔC  à  l'heure  m.arquée , 
elle  arrivera.  Qu'avancez-vous  donc  en 
détournant  votre  efprit  de  cette  penfée  ? 
Diminuez-vous  le  danger  ?  vous  l'augmen» 
Jez  ;  vous  vous  rendez  la  furprife  iuévi$a* 


312  Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 
hle,  Adoiiciirez-voiis  l'horreur  de  ce  fpec- 
tacle  en  vous  le  dérobant  ?  ah  !  vous  lui 
lailTez  tout  ce  qu'il  a  de  plus  terrible  ?  Si 
vous  vous  rendiez  la  penfce  de  la  mort  plus 
familière  ,  votre  efprit  foible  6c  timide  s'y 
îiccoûtumeroit  infenfiblement  ;  vous  pour- 
riez peu  à  peu  fixer  vos  regards ,  &.  l'en- 
vifager  fans  trouble  ,  ou  du  moins  avec 
réfignation  ;  au  lit  de  la  mort ,  elle  ne  fe- 
roit  plus  pour  vous  un  fpecStacle  nouveau. 
Un  danger  prévu  de  loin  n'a  rien  qui  éton* 
ne:  la  mort  n'eft  formidable  que  la  pre- 
iniére  fois  qu'on  en  rappelle  le  fou  venir  ;' 
6c  elle  n'eft  à  craindre  que  lorfquelle  eft 
imprévue. 

Mais  d'ailleurs ,  quand  cette  penfée  vous 
troubleroit ,  feroit  fur  vous  des  impreHions 
de  frayeur  6c  de  triftelTe  ,  où  feroit  l'in- 
convénient r  n'êtes-vous  fur  la  terre  qiie 
pour  y  vivre  dans  un  calme  indolent,  6c  ne 
vous  y  occuper  que  d'images  douces  ôC 
riantes  ?  On  en  pcrdroit  la  raifon  ,  dites- 
vous  ,  il  l'on  y  penfoit  tout  de  bon.  On  eA 
perdroit  la  raifon  ?  mais  tant  d'ames  fidèles 
qui  mêlent  cette  penfée  à  toutes  leurs  ac- 
tions ,  5c  qui  font  du  fouvenir  de  cette 
dernière  heure  le  frein  de  leurs  pallions  ^ 
&  le  plus  puifiant  motif  de  leur  fidélité  ; 
mais  tant  d'illuf-ires  pénitens ,  qui  s'enfer- 
moient  tout  vivans  dans  des  tombeaux  , 
pour  ne  pas  perdre  de  vue  l'image  de  là 
mort  ;  mais  les  Saints  qui  mouroient  tous 
les  jours  ;  comme  l'Apôtre  ,  pour  ne  pas 
anourix  éternellement ,  en  ont-ils  perdu  la 


Sur  la  Mort.  3^^ 

i^aifon  ?  Vous  en  perdriez  la  raifon  ?  c'eS 
là-dire  ,  vous  regarderiez  le  monde  ,  com- 
me un  exil  ;  les  plaifirs  comme  une  ivref-' 
fe  ;  le  péché  ,  comme  le  plus  grand  des 
malheurs  ;  les  place?  ^  les  honneurs  ,  la  fa- 
veur ,  la  fortune,  comme  des  fonges  ;  le 
falut ,  comme  la  grande  ÔC  unique  affaire: 
eft-ce-là  perdre  la  raifon  ?  HeureuTe  folie  ! 
ÔC  que  n'êtes- vous  dès  aujourd'hui  du  nom- 
bre de  ces  Sages  infenfés  !  Vous  en*  per- 
driez la  raifon  ?  oui ,  cette  raifon  faulfe  , 
mondaine  ,  orgueilleufe,  charnelle,  infen- 
fée  qui  vous  féduit  ;  oui ,  cette  raifon  cor- 
rompue qui  obfcurcit  la  foi  ,  qui  autorife 
les  paffîons  ,  qui  nous  fait  préférer  le  temsi 
à  Téternité  ,  prendre  l'ombre  pour  la  vé- 
rité ,  5c  qui  égare  tous  les  hommes';  oui , 
cette  raifon  déplorable  ,  cette  vai'ne  phi- 
lofophie ,  qui  regarde  comme  une  foibleffe 
de  craindre  un  avenir ,  5c  qui  parce  qu'elle 
le  craint  trop  ,  fait  femblant ,  ou  s'efforce 
de  ne  le  pas  croire.  Mais  cette  raifon  fage, 
éclairée,  modérée-,  chrétienne  :  m.ais  cette 
orudence  du  ferpent^fi  recommandée  dans 
!  ^Evangile,  c'eft  dans  ce  fouvenir  que  vous 
.a  trouveriez  ;  mars  cette  fageffe  préféra- 
ble ,  dit  l'Efprit-faint  ,  à  tous  les  tréfors. 
ÔC  à  tous  les  honneurs  de  la  terre  ;  cette 
fageffe  fi  honorable  à  l'homimie  ,  &C  qui  l'é- 
léve  fi  haut  au'-deffus  de  lui-macm.e  ;  cette 
fageffe  qui  a  formé  tant  de  héros  Chré- 
tiens ,  c'eft  l'image  toujours  préfente  de 
votre  dernière  heure  ,  qui  en  em,Lellira 
votre,  aine.  Mais  pette  penfée  ,  ajoutez- 


5 M     Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 
vous  ;  ii  Fou  s'étoit  mis  en  tête  de  Tappro^ 
fonciir  5c  de  s'en  occuper  fans  ceiTe,  leroit 
,  capable  de  faire  tout  quitter  ,  6c  ne  jettcr 
^ans  des  réfolutions  violentes  ÔC  extrêmes  : 
C*eft-à-dire  ,  de  vous  détacher  du  monde  , 
de  vos  vices  ,  de  vos  pallions  ,   de  l'infa- 
mie  de  vos   déiordres  ,  pour   vous  faire 
mener  une  vie  chalte,  réglée  ,  chrétienne  , 
feule  digne  de  la  raifon  :   voilà  ce  que  le 
}r\onàe  appelle  des  réfolutions  violentes  5C, 
extrêmes.  Mais  déplus,  fous  prétexte  d'é- 
viter de  prétendus  excès ,  vous  ne  pren- 
driez pas  même  les  réfolutions  les  plus  né- 
cefîaires  ?  commencez  toujours:  les  pre- 
miers tranfports  fe  rallentiifent  bien-tôt;  5C 
il  e(ï  bien  plus  aifé  de  modérer  les  excès 
de  la  piété  ,  que  de  ranimer  fa  langueur 
iS>C  fa  pare/Te.  Mais  d'ailleurs ,  ne  craignez 
rien  de  la  ferveur  exceifive  &.  des  empor- 
temens  de  votre  zèle  ,  vous  n'irez  jamais 
trop  loin  de  ce  côté  là.  Un  cœur  indo- 
lent ,  fenfuel ,  comme  le  vôtre ,  nourri  dans 
les  plaifirs  5c  dans  la  pareffe  ,  fsns  goiit 
pour  tout  ce  qui  regarde   le  feivice   de 
Dieu  ,  ne  nous  promet  pas  de  grandes  in- 
difcrétions  dans  les  démarches  d'une  vie 
chrétienne  :  vous  ne  vous  connoiffez  pas 
vous-m.ême;    vous   n'avez   pas   éprouvé 
quels  obftacles  toutes  vos  inclinations  \ont 
mettre  aux  pratiques  les  plus  communes 
de  la  piété.  Prenez    feulement    des  me- 
fures  contre  la  tiédeur  6c  le  décourage- 
ment :  voilà  le  feul  écueil  que  vous  avez 
à  craindre.  Vous  vous  rappeliez  Thifloire 


Sur  la  Mort.  32I 

fie  Pierre  ,  qui  fe  fît  ordonner  de  remet- 
tre le  glaive,  comme  fi  ion  zèle  eût  dû  le 
mener  trop  loin;  6c  qui  au  fortir  de-là  vint 
échouer  contre  la  voix  d'une  lîmple  fem- 
me ,  5c  trouva  dans  fa  lâcheté  ,  la  tenta- 
tion qu'il  ne  fembloit  craindre  que  de  fa 
ferveur  ÔC  de  fon  courage.  Quelle  illulion! 
de  peur  d'en  faire  trop  pour  Dieu  ,  on  ne 
fait  rien  du  tout:  la  crainte  de  donner  trop 
d'attention  à  fon  falut,  nous  empêche  d'y 
travailler  ,  êc  Ton  fe  perd  de  peur  de  fe 
fauver  trop  sûrement  :  on  craint  les  excès 
chimériques  de  la  piété  ,  t<  on  ne  craiiït 
point  l'éloignement  6c  le  mépris  réel  delà 
piété  elle-même.  La  crainte  d'en  trop  faire 
pour  votre  fortune  6c  pour  votre  éléva- 
tion ,  ÔC  de  la  pouffer  trop  loin  ,  vous  ar- 
rête-t'elle  ?  refroidit-elle  la  vivacité  de  vos 
démarches  6c  de  votre  ambition  !  n'cft-c-e 
pas  cette  efpéranCe  elle-même  qui  les  fou- 
tient  6c  qui  les  animer  Rien  n'eft  dg  trop 
pour  le  monde  ;  5c  tout  eft  excès  pour 
'Dieu:  on  craint  6c  on  fe  reproche  de  n'en 
faire  pas  aflez  pour  une  fortune  de  boue  ; 
6c  on  s'arrête  de  peur  d'en  faire  trop  pour 
la  fortune  de  fon  é^rnité. 

Mais  j8  vais  plus  loin ,  5c  je  dis  que  c'eft 
à  vous  une  ingratitude  criminelle  envers 
Dieu  ,  d'éloigner  la  penfée  de  la  mort  , 
feulement  parce  qu'elle  vous  trouble  ÔC 
vous  allarme  :  car  cette  imprefîîon  de 
crainte  5c  de  terreur  ,  efl  une  grâce  (ingu- 
liére  dont  Dieu  vous  favorife.  Hélas  î  com- 
bien eft-il  d'impies  qui  la  méprifent ,  qui  fe 


ii6     Jeudi  de  la  IV.  Semaine.* 

font  un  mérite  affreux  de  la  voir  appf ochef 
avec  fermeté  ,  ÔC  qui  la  regardent  comme 
l'anéantillement  entier  de  leur  être  ?  com- 
bien de  Sages  bi  de  Philofophes  dans  le 
Chriflianiime ,  qui ,  fans  renoncer  à  la  foi 
bornent  toutes  leurs  réflexions ,  toute  la 
fupériorité  de  leurs  lumières  à  la  voir  arri- 
ver tranquillement  ;  5c  ne  raifonnent  toute 
leur  vie ,  que  pour  fe  préparer  en  ce  dernier 
moment,  à  une  confiance  5c  à  une  férenité 
d'efprit ,  aulTi  puérile  que  les  frayeurs  les 
plus  vulgaires,  ÔC  qui  elt  Tufage,  le  plus 
infenfé  qu'on  pu ille  faire  delaraifon  même? 
■combien  de  ces  hommes  follement  amou- 
reux de  la  valeur  ÔC  de  la  gloire  ,  qui ,  au 
milieu  des  combats ,  vont  au  danger  com- 
me à  un  fpe6):acle  ,  fans  remords ,  fans  in- 
quiétude ,  fans  réflexion  fur  les  fuites  de 
leur  dellinée  ?  (  cette  témérité  ,  la  valeur 
de  la  nation  la  rend  encore  plus  familière 
parmi  nous;  que  par-tout  ailleurs  ;  ÔC  je 
parle  devant  une  Cour  où  ceux  qui  la  com- 
pofent ,  font  en  polleflion  d'en  donner  l'e- 
xemple aux  autres  :  )  combien  de  pécheurs 
dans  la  tranquillité  des  villes  ÔC  dans  Foifi- 
veté  d'une  vie  privée  ,  livrés  à  i'endurcif- 
'fement  ^<  à  un  fens  réprouvé  ,  ne  font  plus 
touchés  de  cette  image  ?_combien  d'autres 
,  enfin  ,  qui  par  les  fuites  d'un  caractère 
trop  vif,  trop  frivole  ,  trop  léger  ,  ÔC  peu 
,.  propre  aux  réflexions  trifles  &C  férieufes  , 

•  .paifent  toute  leur  vie  fans  avoir  penfé  une 

•  fois   feulem.ent    qu'ils    dévoient  mourir? 
•- C'eft  donc  une  grâce  fignalée  que  Dieu 


Sur  la  MorT;  227 

fous  fait ,  de  donner  à  cette  penfée  tant 
de  force  oC  d'afcendant  fur  votre  ame  :. 
c'eft  donc  vrai-femblablement  la  voie  par 
.  laquelle  il  veut  vous  ramener  à  lui  :  il  vous 
fortiez  jamais  de  vos  égaremens ,  vous  n  en 
fortiez  que  par- là  :   votre  falut  paroit  at^ 
taché  à  ce  remède.  Que  faites  vous  donc 
en  éloignant  cette  penfée  ,  parce  qu'elle 
v^ous   jette  dans  des  frayeurs  falutaires  ? 
vous  vous  privez  du  feul  fecours  qui  peut 
vous  faciliter  votre  retour  à  Dieu  :  vous 
rendez  inutile  une  grâce  qui  vous  ell  pro- 
pre :  vous  favez  ,  pour  ainfi  dire ,   mauvais 
gré  à  Dieu  de  vous  en  avoir  favorilé  ;  6C 
vous  vous   reprochez  à  vous-même  d'y 
être  trop  feniible.  Tremblez  ,  mon  cher 
Auditeur  ,  que  votre  cœur  ne  fe   ralfure 
contre  fes  frayeurs  falutaires  ;  que  vous  ne 
voyiez  d'un  œil  tranquille  les  fpeâacles  les 
plus  lugubres  ;  que  Dieu  ne  retire  de  vous 
ce  moyen  de  falut ,  ÔC  qu'il  ne  vous  endur- 
ciiTe  contre   toutes   ces  terreurs  de  reli- 
gion. Un  bienfait  non-feulement  m>éprifé  , 
mais  regardé  même  comme  une  peine  ,  eft 
bientôt  luivi  de  l'indignation  ,  ou  du  moins 
de  rindiîîerence  du  bienfaiteur.  Alors  l'i- 
mage de  la  mort  vous  laillera  toute  votre 
tranquillité  :  vous  courez  à  un  plaifîr  au 
fortir  d'une  pompe  lugubre  :  vous  verrez 
des  mêmes  yeux  ,  ou  un  cadavre  hideux , 
ou  l'objet  criminel  de  votre  pafTion  :  alors 
vous  en  viendrez  même  jufqu'à  vous  fa- 
voir  bon  gré  de  vous  être  mis  au-delTus 
de  ces  craintes  vijgaires  j  jufqu'à  vous  ap- 


5^8    j£U5i  DE  LA  III.  Semaine; 

plaiidir  d'un  changement  fi  terrible  pOUf 
votre  faliît.  Mettez  donc  à  profit  pour  le 
règlement  de  vos  mœurs ,  cette  fenfibilité, 
tandis  que  Dieu  vous  la  laiiTe  encore:  rap- 
prochez de  vous  tous  les  objets  propres  à 
retracer  en  vous  cette  image,  tandis  qu'elle 
peut  encore  troubler  la  fauife  paix  de  vos 
pafiions  :  venez  quelquefois  uir  les  tom- 
beaux de  vos  ancêtres  ,  méditer  eii  pré- 
fence  de  leurs  cendres  fur  la  vanité  de« 
choies  d'ici-bas  :  venez  les  interroger 
quelquefois  fur  ce  qui  leur  refie  dans  le  fé- 
jour  ténébreux  de  la  mort ,  de  leurs  plai- 
firs ,  de  leur  dignité  5c  de  leur  gloire  : 
venez  vous-même  ouvrir  ces  trifi:es  de- 
meures ,  &C  de  t©ut  ce  qu'ils  ont  été  autre- 
fois aux  yeux  des  hommes  :  voyez  ce  qu'ils 
font  maintenant  :  des  fpe6lres  dont  vous 
ne  pouvez  foûtenir  la  préfence  ,  des  amas 
de  vers  ôc  de  pourriture  ;  voilà  ce  qu'ils 
fout  aux  yeux  des  hommes  :  mais  que  font- 
ils  devant  Dieu  ?  Defcendez  vous-même 
en  efprit  dans  ces  lieux  d'horreur  Sc  d'in- 
fection ,  6c  choifilTez-y  d'avance  votre  pla- 
ce :  repréfentez«vous  vous  -  même  dans 
cette  dernière  heure  ,  étendu  fur  le  lit  de 
votre  douleur  ,  aux  prifes  avec  la  mort  , 
vos  membres  engourdis ,  6C  déjà  faifis  d'un 
froid  mortel  ;  votre  langue  déjà  liée  des 
chaînes  de  la  mort  ;  vos  yeux  ûxqs  ,  im- 
inobiles ,  couverts  d'un  nuage  confus ,  de- 
vant qui  tout  commence  à  difparoître  ;  vos 
proches  6c  vos  amis  autour  de  vous  ,  fai- 
ia^t  des  vœux  inutiles  j)Our  votre  fanté.; 

redoublant 


Sur  LA  Mort.  319 

tèdoiiblant  votre  frayeur  5c  vos  regrets  , 
par  la  teiidrelle  de  leurs  foupirs  6c  Tabon- 
dance  de  leurs  larmes  ;  le  Minifire  du  Sei- 
gneur à  vos  côtés ,  le  iigne  du  falut ,  alors 
votre  feule  reiTource  entre  fes  mains ,  des 
paroles  de  foi ,  de  miféricorde  5c  de  con- 
£ance  à  la  bouche.  Rapprochez  ce  fpec- 
taclc  il  inflruciif ,  fi  intt^relTant  :  vous  mê- 
me alors  dans  les  triftes  agitations  de  ce 
dernier  combat ,  ne  donnant  plus  de  mar- 
ques de  vie  que  dans  les  convuHions  qui 
annoncent  votre  mort  ;   tout  le   monde 
anéanti  pour  vous  ;   dépouillé  pour  tou- 
jours de  vos  dignités  &L  de  va^  titres  ;  ac- 
compagné de  vos  feules  œuvres  ,    5c  près 
de  paroîîre  devant  Dieu.  Ce  n'efl  pas  ici 
une  prédiâ:ion  ;  c'eft  Thiftoire  de  tous  ceux 
qui  meurent  chaque  jour  à  vos  yeux  ,   6c 
c'eft  davance  la  vôtre.  Rappeliez  ce  mo» 
ment  terrible  :  vous  y  viendrez,  6c  le  jour 
peut-être  n'ell  pas  loin  ,  6c  peut-être  y  tou- 
chez-vous dîjà.  Mais  enfin  ,  vous  y  vien- 
drez ;  6c  quelque  loin  qu'il  puiife  être  ,  ce 
fera  demain  ,  6c  vous  y  arriverez  en  un 
infiant  ;    5c  la  feule  ecnfc'ation  que  vous 
aurez  alors  ,    fera   d'avoir   fait    de    toute 
votre  vie  l'étude ,  la  reflource  ÔC  la  prépa» 
ratiûu  de  votre  mort, 

Enfin  ,  K  c'eft  ma  derpîére  raifon  ,  re- 
montez  à  la  fource  de  ces  frayeurs  excef- 
Cves  qui  vous  rendent  l'image  Si  la  penfee 
de  ia  inort  d  terribles ,  vous  h  trouverez 
faus  doute  dans  leii  embarras:  d*unc  conf- 
çience  criminelle  :  ce  n'çft  pas  la  mort  qu$ 


r 


350     Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 
vous  craignez  ,  c'eft  la  jnftice  de  Dieu  qui 
vous  attend  au-delà  ,  pour  punir  les  infi- 
délités 5c  les  défordres  de  votre  vie  :  c'eft; 
que  vous  n'êtes  pas  en  état  de  vous  préfen- 
ter  devant  lui  tout  couvert  des  plaies  les 
plus  honteufes ,  qui  défigurent  en  vous  fon 
image  ;  5c  que  mourir  pour  vous  dans  la. 
fituatlon  où  vous  êtes  ,  ce  feroit  périr  pour 
toute  la  durée  des   fîécles.   Purifiez  donc 
votre  confcience  ;  finilTez  5c  expiez  vos 
palTiOîis  criminelles  ;  rappeliez  Dieu  dans, 
votre  cœur  :  n'offrez  plus  rien  à  fes  yeux 
digne  de  fa  colère  &  de  fes  châtimens  ;; 
mettez- vous    en    état    d'efpérer    quelque' 
chofe  de  fes  miféricbrdcs  infinies  après  la 
mort ,  alors  vous  verrez  approcher  ce  der-. 
jiier  moment- avec  moins  de  crainte  &^  de 
fai(]lTement  ;  ÔC  le  facrifice  que  vous  aurez, 
déjà  fait  à  pieu  du  monde  6c  de  vos  paf- 
■fions,  non-feulement  vous  facilitera,  mais 
Tbus  rendra  même  doux  6c  confolant ,  le. 
facrifice  que  vous  lui  ferez  alors  de  votre 
vie. 

Car  dites- moi ,  mes  Frères ,  qu'à  la  mort- 
de  fi  effrayant  pour  une  ame  fidèle?  de 
quoi  la  fépare-t'elle  ?  d'un  monde  qui  pé-* 
rira  ,  ^  qui  efi:  la  patrie  des  réprouvés  ;  de 
fes  richeifes  qui  rembarrafîeut ,  dont  l'ufa- 
ge  efi:  environné  de  périls  ,  2>C  qu'il  lui  étoit 
défendu  de  faire  fervir  à  la  félicité  de  fes 
fens  ;  de  fes  proches ,  de  fes  amis  j  qu'elle 
ne  fait  que  devancer  ,  ÔC  qui  vont  bientôt 
là  fuivre  ;  de  fon  corps  ^  quiavoit  été  juf~ 
^^ues-l.à  j  ou  l'éçueil  de  ion  iiinQçeîiç.e:,>.Qa. 


Sur  la  Mort.  jjt 

FGbfi:acle  perpéti-ei  de  Tes  faints  défirs  ;  de 
fes  maitres  6c  de  (es  fujets ,  dont  les  pre- 
miers exigeoient  fouvent  d'elle  des  corn- 
pLafances  criminelles,  Sc  les  autres  la  ren- 
doient  refponiable  de  leurs  infidëlltës  5c  de 
leurs  crimes  ;  de  les  places  &  de  fes  digni- 
tés ,  qui  en  multipliant  fes  devoirs  ,  au- 
gmentoient  fes  périls  ;  enfin  de  la  vie  ,  qui 
n'étoit  pour  elle  qu'un  exil ,  ÔC  un  défir 
d'en  être  délivrée.  Que  lui  rend  la  mort 
pour  ce  qu'elle  lui  ôte  ?  elle  lui  rend  des: 
biens  imimuables,5c  que  perfonne  nepourrav 
plus  lui  ravir  ;  des  plaifirs  éternels  ,  5C 
qu'elle  goûtera  fans  crainte  êc  fans  amer* 
tume  ;  la  polTeiTion  de  Dieu  même  ,.  af- 
furée  6c  paifible  ,  6c  dont  elle  ne  pourra 
plus  déchoir;  la  délivrance  de  toutes  fes: 
paillons  ,.  qui  a  voient  été  pour  elle  une 
lource  continuelle  d'inquiétudes  6c  de  pei- 
nes ;  une  paix  inaltérable  ,  qu'elle  n'avoit 
jamais  pu  trouver  dans  le  mond*e  ;  la.  dif- 
folution  de  tous  les  liens  qui  L'attach oient 
à  la  terre  ,  êc  qui;  l'y  retenoient  comme: 
captive  ;  enfin  la  fociété  des  Juftes  6c  des; 
Bienheureux  ,  pour  celle  des  hommes  pé- 
cheurs dont  elle  fe  fépare.  Et  qu'y^at'il: 
donc  de  fi  doux  dans  cette  vie  ,  ô  mom 
Dieu  ,  pour  une  ame  fidèle  ,  qui  puiiTe  ly- 
attaciierf  C'eft  pour  elle  une  vallée  de  lar- 
mes,.  où  les  périls  font  infinis ,  les  combats; 
journaliers ,  les  vidloires  rares  ,  les  chûtes; 
ijiévitables  ;  où  les  violences  doivent  être? 
continuelles  ;;  où  il  faut  tout  refufex  à  fes^ 
ieiis  i  QÛ  tout.  uûus.  tente  ^,  6c  tout  nous,  dk 


3Î^  Jeudi  de  la  IV.  Semain^e, 
Wterdit  ;  où  ce  qui  plaît  le  plus ,  eft  ce 
^u  il  faut  le  plus  fuir  ôc  craindre  ;  en  un 
^ot  y  où  fî  vous  ne  foufFrez  ^  fi  vous  ne 
pleurez,  fi  vous  ne  refiliez  jufqu'au  fang 
il  vous  ne  combattez  fans  celte  ,  il  vous  ne 
vaus  haïfiez  vous-même ,  vous  êtes  perdu. 
Q^e  trouvez-vous  là  de  il  aimable  y  de  fi- 
attirant,  de  fi  capable  d'attacher  une  ame- 
chrétienne?  ÔC  mourir,,  n'eft-ce  pas  un 
triomphe  &  un  gain  pour  elle  ? 

Aufii ,  mes  Frères  ,  la  mort  eil  le  feut 
point  de  vue  ^  la  feule  confolation  qui 
loutientla  fidélité  des  Juftes.  Gémiifént-ils 
d'ans,  r'aîiîiélion  ?  ils  favent  que  leur  fin  efl: 
pr-ociie  ;  que  les  tribulations  courtes  5C 
paflagéres  de  cette  vie,  feront  fuivies  d'urr 
poids  de  gloire  éternelle;  5c  dans  cette 
penlée  ils  trouvent  une  fource  inépuifable 
de  patience,  de  fermeté  ,.d'allegrcire.  Sen- 
tent-ils la  loi  des  membres  s  élever  contre 
lalbi:  de  refprit ,  §C  exciter  en  eux  ces  mou- 
yemens dangereux,  quiportentFinnocence 
|ufques  iiir  le  bord  du  précipice  ?  ils  n'i- 
gnorentpas  qu'après  la  diilokition  du  corp». 
terreilre  ,.  on  le  iewr  rendra  célefie  5c  fpi- 
xitL^eL;  &  qu'alors  délivrés  de  toutes  ces 
:miféres  ,.  ils  feront  femblables  aux  Anges 
dit  Ciel  ;.ÔC  ca  fou  venir  les  foutient  8c  Iqs 
fQrti&.  Sont- ils  accablés  fous  la  pefanteuF 
du  JAUg  de  Jefus-Chrili  ;  ôc  leur  foi^  plus 
foible  ,  ed-elle  fur  le  point  de  fe  ralientir ,. 
©îj  de  fiiccGraber  fous  le  poids  des.  devoirs. 
aurllères  de  l' Evangile  ?:  akl  la  jaur  du  Sel* 


Sur  la  Mort.  ^33 

ïleureufe  récompenfe  ;  &  la  fin  de  leur 
courfe  qu'ils  voyant  déjà  ,  les  anime  ,  6C 
leur  fait  reprendre    de   nouvelles   forces. 
Ecoutez  comme  TApôtre  confolq^it  autre- 
fois les  premiers  Fidèles  :  Mes  Frères,  leur 
difoit-il ,  le  tems  eft  court ,  le  jour  appro- 
che ,  le  Seigneur  eft  à  la  porte  ,  &.  il  ne 
tardera  pas  :  réjouilTez-vous  donc;  je  vous. 
le  dis  encore ,  réjouifTez-vous.  C'étoit-là 
toute  la  confolation  de  ces  hommes  perfé-^ 
-cutés ,  outragés,  profcrits ,  foulé  aux  pieds, 
regardés  comme  les  balayures  du  monde  , 
l'opprobre  des  Juifs  ,  5c  la  rifée  des  Gen- 
tils. Ils  favoient  que  la  mort  alloit  eiTuycr 
leurs  larmes  ;  qu'alors  il  11  *y  auroit  plus 
pour  eux  ,  ni  deuil ,  ni  douleur  ,  ni  fouf- 
îrance  ;  que  tout  y  feroit  nouveau  i  6c  cette 
penféeadoucilToit  toutes  leurs  peines.  Ah  l 
qui  eût  dit  à  ces  généreux  Conteifeurs  de  la 
foi  que  le  Seigneur  ne  leur  feroit  pas  goû- 
ter la  mort ,   6c  qu'il  les  lailleroit  vivre 
éternellement  fur  la  terre  ,  eût  ébranlé  leur 
foi ,  tenté  leur  conftance  ;  6c  en  leur  ôtant 
cette  efpérance,  on  leur  eût  ôté  toute  leur 
confolation. 

Vous  n'en  êtes  pas  fans  doute  furprîs  , 
mes  Frères  ;  parce  que  pour  des  hommes 
affligés  Se  malheureiix»  comme  ils  étoieilt, 
la  m.ortdevoit  paroître  unerelTource.  Vous 
vous  trompez  ;  ah  !  ce  n'étoient  pas  leurs 
perfécutions  &C  leurs  fouifrances  qui  fai« 
foient  leur  malheur  Sc  leur  trifteiTe;  c'étoit» 
là ,  leur  joie.,  leur  confolation , îeup gloire: 
419US  AQiu  glorifions  dans  ks  tri^^ilâùoi^^î 


5^4        J^UDI  DE  LA  IV.  SeMATKE. 
Rom.  ;.  ciifoient-ils  :  Gloriamur  in  tribulationibus  t 
^*  cétoit  réloignement  où  ils  Vivoient  encore 

de  Jefiis-Chriil  ;   c'étoit-là  la   fource   de' 
leurs  larmes ,  oC  tout  ce  qui  leur  rendoit  la 
mort  fi  défirable.  Taudis  que  nous  fommes, 
dans  le  corps  ,  difoit  1  Apôtre  ,  nous  iom- 
mes  éloignés  du  Seigneur  ;  6c  cet  éloigne- 
mentétoit  un  étattrifte  êv  violent  pour  ces 
hommes  fidèles  ;   toute  la  piété  confifte  à 
fouhaiter  notre  réunion  avec  Jefus-Chriil 
notre  Chef ,  à  foupirer  après  l'heureux  mo- 
rnent  qui  nous  incorporera  avec  tous  les 
Elus  dans  ce  corps  myflique  ,  qui  fe  forme 
depuis  la  naiffance  du   monde  ,   de  toute 
langue  ,  de  toute  tribu  ;  de  toute- nation  ;. 
qui  eft  la  fin  de  tous  les  delTeins  de  Dieu  ,, 
&  qui  doit  le  glorifier  avec  Jefus-Chrift 
dans  tous  les  fiécles.  Nous  fommes  ici  bas 
comme  des  branches  féparées  de  leur  fep  ; 
comnye  des  ruifleaux  éloignés  de  leur  four- 
ce  ;  comme  des  étrangers  errans  loin  de 
leur  patrie  ;  comme  des  captifs  enchaînés 
dans  une  prifon  qui  attendent  leur  déli- 
vrance ;  comme  des  enfans  bannis  pour 
qr.elque  tems  de  l'héritage  5C  de  la  niaifon 
paternelle  ;  en  un  mot,  comme  des  mem- 
bres féparés  de  leur  corps.  Depuis  que; 
Jefiis-Chrift  notre  Chef,    eft    monté   aui 
Giel ,  ce  n'eft  plus  ici  le  lieu  de  notre  de- 
meure j.  nous  attendons   la   bienheuieufe; 
efpéî-ance  ÔC  Tavénement  du  Seigneur:  ce: 
defir  fait  toute  notre  piété  6c  notre  confQv 
lation  :.  5c  ne  pas  défirer  cet  heureux  mor- 
mont  gcmr  un.  Chriiieii,,  &JeLCxamdre.> 


SurlaMort.  '  555^ 
5c  iç  regarder  même  comme  le  plus  grand 
des  malheurs ,  c'eit  dire  aiiathém.e  à  Jefiis- 
Chrift  ;  c'eft  ne  vouloir  avoir  aucune  part 
avec  lui^  c'eft  renoncer  aux  promeiTes  dé 
la  foi ,  6c  au  titre  glorieux  de  citoyen  dit 
Ciel  ;  c'eft  chercher  notre  bonheur  fur  la 
t^rre,,  douter  d'un"  avenir  ,  regarder  lai 
Religion  comme  un  fonge. ,  5c  croire  que 
tout  doit  finir  avec  nous.. 

Non  ,  mjes  Frères  y  la  mort  n'a  rien  que 
de  doux  6c  de  defirable  pour  une  ame 
jufte  :  arrivée  à  cet  heureux  mioment  ,.elle 
voit  fans  regret  périr  un  monde  ,  qui  ne 
lui  avoit  jamais  paru  qu'un  amas  de  fu- 
mée ,  &  qu'elle  ii  avoit  jamais  aimé  :  fes 
yeux  fe  ferment  avec  plaifir  à  tous  ces 
vains  fpe£lacles  qu'onre  la  terre  ;    qu'elle 
avoit  toujours  regardés  comme  une  déco- 
ration d'un  moment,  &  dont  elh  n'avoit 
jpas  laifle  de  craindre  les  dangereufes  illu- 
îîns  :  elle  foent  fans  inquiétude  ;  que  dis- 
,je  ?  avec  plaiiir  ,  ce  corps  m.ortel  qui  avoit 
été  la  matière  de  toutes  fes  tentations ,  6c 
la  fource  fatale  de  toutes  fes  ïclhleiTts ,  fe. 
revêtir  de  l'im^ mortalité  :  elle  ne  regrette- 
rien  fur  la  terre  ,  où  elle  ne  laiile  rien  ,  6C 
çil'Qii  fon  cœur  s'envole  comme  fon  ame;; 
elle  ne  fe  plaint  pas  mêmiC  d'être  enlevée' 
au  milieu  de  fa  courfe ,  &  de  finir  fes  jours 
en  un  âge  en  cor  floriiTant  ;  au  contraire  , 
elle  remercie  fon  Libérateur  d'avoir  abrégé 
fes  peines  avec  fes  an  nées  ,de  n'avoir  exigé 
d'elle  que  la  moTtië  de  fa  dette  pour  le 
prix.de_fQaitêmite ,  &  d'avoir,  ejanfomaié 


33^     Jeudi  de  la  IV.  Semaine. 
dans  peu  fou  facrifice  ,  de  peur  qu'un  plus 
long  féjour  dans  un  monde  corrompu  ,  ne 
pervertît  Ton  cœur.  Ses  violences ,  fes  auf- 
térités ,  qui  avoient  tant  coûté  à  la  foiblelTe 
de  fa  chair  ,  font  alors  la  plus  douce  de  fes 
penfées  ;  elle  voit  que  tout  s'évanouit ,  hors 
ce  qu'elle  a  fait  pour  Dieu  ;  que  tout  l'a- 
bandonne ,    fes  biens,    [es  proches,    fes 
amis,  fes  dignités,  hormis  fes  œuvres; 
6c  elle  eft  tranfportée  de  joie  de  n'avoir 
pas  mis  fa  coniiance  dans  la  faveur  des 
Princes ,    dans  les  enfans  des   hommes  , 
dans  les  vaines  efpérances  de  la  fortune  , 
dans  tout  ce  qui  va  périr  ;   mais  dans   le 
Seigneur  tout  feul  qui  demeure  éternelle- 
ment ,  5c  dans  le  fein  duquel  elle  va  trou- 
ver la  paix  5c  la  félicité  que  les  créatures 
ne  donnent  point.  Ainfi  tranquille   fur  le 
pafTé  ,  méprifant  le  préfent ,   tranfportée 
de  toucher  enfin  à  cet  avenir  ,  le  feul  objet 
de  fes  défîrs ,  voyant  déjà  le  fein  d'Abra- 
ham ouvert  pour  la  recevoir  ,  ÔC  le  Fils  de 
l'HommaC  afiis  à  la  droite  du  Père  ,  tenant 
en  fes  mains  la  couronne  d'immortalité  , 
elle  s'endort  dans  le  Seigneur  ;  elle  efl  por- 
tée par  les  Efprits  bienheureux  dans  la  de- 
meure des  Saints ,  &  s'en  retourne  dans  le 
lieu  d'où  elle  étoit  fortie.  PuifTlez-vous , 
mes  Frères ,  voir  ainfi  terminer  votre  COUI', 
fe;  c'çil  ce  que  je  vous  fouhaite- 


>c:..>:^^ 


1^^=^^^ 


SERMON 

POUR    LE    VENDREDI 

CE    LA     QUATRIEME     SEMAINE 

DE  CARÊME. 

Homélie  fur  t Evangile  de  La^are^ 

Veni  ,  &  vide. 

Venci^  6»  voy?^.  Joan.  n:  54; 

L  n'efl  point  de  pécheur  invé- 
téré qui  eût  la  force  de  fe  fouf- 
frir  dans  l'horreur  de  fon  état^  , 
s'il  pouvoit  fe  voir  au  naturel 
ÔC  fe  connoître.  Une  ame  qui 
a  vieilli  dans  le  crime  ntii  fupportable  à 
elle-même,  que  parce  que  la  même  paf- 
fion  qui  fait  tous  fes  malheurs ,  les  lui  ca,- 
che  ;  &C  que  fon  défordre  efl  en  méme- 
tems  5c  le  glaive  cruel  qui  fait  la  plaie  , 
ÔC  le  bandeau  fatal  qui  le  dérobe  aux  yeux 
du  malade. 

Voilà  pourquoi  TEglife  ,   pour  décou-^;- 
Qriu^^i  Imi  ifl  Ff  ' 


338    Vend,. DE  la  IV.  Semaine. 

vrir  le  pécheur  à  lui-même  durant  ce  tems 
de  pénitence  ,  nous  repréfente  prefque  tous 
les  jours ,  fous  de  nouvelles  images ,  l'état 
déplorable  d'une  ame  ,  qui  croupit  depuis 
long-téms  dans  fon  péché  :  tantôt  fous  la 
figure  d'un  paralytique  de  trente-huit  ans  ; 
c'eft  pour  nous  marquer  Tinfenfibilité  ÔC  la 
paix  funefte  qui  fuit  toujours  l'habileté  du 
crime  :  tantôt  fous  le  fymbole  d'un  prodi- 
gue réduit  à  vivre  avec  les  plus  vils  ani- 
maux ;  6C  fous  ces  traits  ,  elle  veut  nous 
faire  fentir  fon  aviliffement  ÔC  fa  honte  : 
tantôt  fous  rimagc  d'un  aveugle  né  ;  gv 
c'eft  pour  nous  peindre  l'horreur  ÔC  la  pro- 
fondeur de  fes  ténèbres  :  tantôt  enfin  fous 
la  parabole  d'un  efprit  fourd  &.  muet;  6C 
c'eft  pour  nons  figurer  plus  vivement  i'af- 
ferviilement  où  l'habitude  criminelle  re- 
tient toutes  les  puiiTances  d'une  amiC  in- 
fortunée. 

Aujourd'hui ,  comme  pour  raffembler 
tous  ces  traits  différens  fous  luie  feule 
image  encore  plus  terrible  5c  plus  tou- 
chante, l'Eglife  nous  propofe  Lazaredans 
1^' tombeau  ;  mort  depuis  quatre  jours, 
exhalant  déjà  l'infeélion  5c  la  puanteur  ," 
les  pieds  &  les  mains  liés ,  le  vifage  cou- 
Vert  d'un  voile  lugubre  ,  5c  n'excitant  plus 
que  l'horreur  de  ceux-même  que  la  ten- 
ctreffe  5c  le  fang  lui  avoient  le  plus  étroite-^ 
ment  unis  pendant  fa  vie.  -.: 

Venez  donc  ,  &.  voyez  ,  vous  ,  mon 
cher  Auditeur  ,  qui  vivez  depuis  tant  d'an- 
nées fous  le  joug  honteux  du  défordre^ 


Homélie  sur  Lazarei     3?^ 

8C  qui  n'êtes  point  touché  du  malheur  de 
votre  état.  Fènl  ,  &  vide.  Accourez  à  ce 
tombeau  que  la  voix  de  Jefus-Chrift  va 
ouvrir  aujourd'hui  à  vos  yeux  ;  Sc  venez 
voir  dans  ce  fpe£lacle  d'infe£i:ion   ÔC  de 
pourriture,  rimage  naturelle  de  votre  ame; 
J^eni ,  &  vide.  Vous  courez  à  des  fpefta- 
cles  profanes,  pour  y  voir  vos  pafllons  re- 
préfentées  fous  des  couleurs  agréables  ôC 
trompeufes  :  venez  les  voir  ici  exprimées 
au  naturel  :  venez  voir  dans  ce  cadavre 
tnfeâ:  5c  puant ,  ce  que  vous  êtes  aux  yeux 
de  Dieu,  Sc  combien  votre  état  eft  digne 
de  vos  larmes  :  Vcni  ,  &  vide. 

Mais  de  peur  qu'en  expofant  ici  feule- 
ment toute  rhorreur  de  l'état  d'une  ame 
qui  vit  dans  le  defordre ,  je  la  trouble  ÔC 
la  décourage  ,  fans  lui  tendre  la  main,  ôC 
lui  aider  à  fortir  de  cet  abîme-;  pour  ne 
rien  omettre  de  riiiiloire  de  notre  Evangi- 
le,  je  la  partagerai  en  trois  réflexions  ; 
vous  verrez  dans  la  première  ,  combien  eft 
affreux  &C  déplorable  l'état  d'une  ame  qui 
vit  dans  l'habitude  du  defordre  :  je  vous 
montrerai  dans  la  féconde  ,  par  quels 
moyens  elle  en  peut  fortir  j  5c  dans  la  troi- 
fiéme  ,  quels  font  les  motifs  qui  détermi- 
nent Jefus-Chrift  à  opérer  le  miracle  de 
fa  réfurreélion  ÔC  de  fa  délivrance.  O  moa 
Dieu  !  faites  entendre  aujourd'hui  votre 
voix  puilTante  à  ces  âmes  infortunées  qui 
repofent  dans  les  ténèbres  ÔC  dans  les  om- 
bres  de  la  mort  :  ordonnez  encore  une 
fois  à  fes  offemens  arides  de  fe  ranimer  . 

Fi  z 


340    Vend,  de  la  IV.  Semaine. 

Se  de  recouvrer  la  lumière  §C  la  vie  de  là^ 

grâce  qu'ils  ont  perdiie.  Ave  ^  Maria, 

'^^^'^^^'J  E  remarque  d'abord  trois  clrconilances 
principales  dans  le  fpe<B:acle  déplorable 
qu'oifre  à  nos  yeux  Lazare  mort  Sc  qïïÏc^ 
veli.  Premièrement ,  devenu  déjà  un  amas 
de  vers  5c  de  pourriture  ,  il  répand  l'in- 
fe6lion  &  la  puanteur:  Jamfœtet;  6c  voilà 
la  profonde  corruption  d'une  ame  dans  le 
J)éché  d'habitude.  Secondement,  un  voile 
lugubre  couvre  fes  yeux  Sc  fon  vifage  ; 
£t  faciès  ejusfudario  eraî  ligata\  &C  voilà 
l'aveuglement  funefte  d'une  ame  dans  le 
4)éché  d'habitude.  Enfin,  iîparoît  dans  le 
./tombeau  les  mains  &.  les  pieds  liés  :  Liga,* 
tus  pedes  &  manus  infinis  ;  ^  voilà  la 
trifte  ferviîude  d'une  ame  dans  le  péché 
d'habituds.  Or,  c'eft cette  corruption  pro- 
fonde ,  ce  funefte  aveuglement ,  cette  trifte 
fervitude  figurés  par  le  fpeélacle  de  La- 
zare ,  mort  6c  enfeveli ,  qui  forment  pré- 
tifément  toute  l'horreur  &.  toute  la  miierg 
d'une  ame  morte  depuis  long-tems  aux 
yeux  de  Dieu. 

En  premier  lieu  ,  il  n'e/l  pas  d'image 
)lus  naturelle  d'une  ame  qui  cr<fupitdans 
le  défordre  ,  que  celle  d'un  cadavre  déjà 
en  proie  aux  vers  6c  à  la  pourriture.  Aufîi 
les  Livres  faints  nous  rcpréfentent  par-tout 
l'état  du  péché  fous  l'idée  d'une  mort  af- 
freufe  ;  &.  il  femble  que  l'Efprit  de  Dieu 
n'a  trouvé  rien  de  plus  propre  que  cette 
trille  image  ,  pour  nous  fi;ire  entrevoir  dif 


ri 


Homélie  SUR  La  z  ARE.  341 

moins  toute  la  difformité  d'une  ame  en  qui 
le  péché  habite. 

Or,  la  mort  produit  deux  effets  fur  le 
corps  où  elle  s'attache  ;  elle  le  prive  de  la 
vie  ;  elle  altère  enfuite  tous  Tes  traits ,  6C 
corrompt  tous  Ces  m.embres.  Elle  le  piive 
de  la  vie;  6>C  c'cft  par-là  que  lepéché  com- 
mence à  défigurer  la  beauté  de  Tame.  Car, 
mes  Frères ,  Dieu  eft  la  vie  de  nos  âmes, 
Ja  lumière  de  nos  efprits  ,  le  mouvement, 
pour  ainiî  dire,  de  nos  cœurs.  Notre  juftice, 
notre  fageife  ,  notre  vérité ,  ne  font  que 
l'union  d'un  Dieu  julle  ,  fage  ,  véritable 
avec  notre  ame  :  toutes  nos  vertu  ne  font 
que  les  différentes  influences  de  fon  Efprit 
qui  habite  en  nous  :  c'efl  lui. qui  excite  nos 
honz  défîrs ,  qui  forme  nosfaintes  penfée?, 
qui  produit  nos  lumières  pures ,  qui  opère 
nos  volontés  julles  ;  de  forte  que  toute  la 
vie  fpiritueile  5c  furnaturelle  de  notre  ame^ 
n'eil  que  la  vie  de  Dieu  en  nous  ,  comme 
parle  l'Apôtre. 

Or  ,  par  un  feul  péché  cette  vie  cefTe  ,' 
cette  lumière  s'éteint ,  cet  Efprit  fe  retire, 
tous  ces  mouvemens  (ont  fufpendus.  Ainfî 
l'ame  fans  Dieu  efl  une  ame  fans  vie  ,  fans 
mouvement ,  fans  luiniére  ,  fans  vérité  , 
fans  juftice  ,  fans  charité  :  ce  n^d  phis 
qu'un  cahos ,  un  cadavre  :  fa  vie  n'efl  plus 
çju'une  vie  imaginaire  ÔC  fantafîique  :  5C 
femblable  à  ces  cadavres  ,  qu'un  efprit 
étranger  anime  ,  elle  paroît  vivre  6c  agir  , 
mais  elle  demeure  dans  la  mort:  Fiyens  ,  ./^J""* 
mortua  ^. 


34^    Vend,  de  la  IV.  SemaTxVE. 

Voilà  le  premier  degré  de  mort  ,  que 
tout  péché  qui  répare  une  ame  de  Dieu 
introduiten  elle  :  mais  l'habitude  du  péché^ 
cfuieft  comme  une  mort  invétérée,  va  plus 
loin.  Aufii  Lazare  non-feulement  n'*a  plus 
de  vie  dans  le  tombeau  ;  mais  comme  il 
y  ed  depuis  quatre  jours  ,  la  corruption  de 
Ion  cadavre  commence  à  répandre  Tinfec- 
tion  :  Jam  Jœtet  ,  quaîriduanus  ejl  enim* 
Car  quoique  le  premier  péché  ,  qui  nous 
fait  perdre  la  grâce  ,  nous  laiiTe  aux  yeux 
de  Dieu  ,  fans  vie  5c  fans  mouvement  ;  on 
peut  dire  néanmoins  qu'il  nous  refte  encore 
certaines  femences  de  viefpirituelle  ,  cer- 
tames  imprefîions  de  TEfprit- Saint  ,  cer- 
taines facilités  àrecouvrer  la  grâce  perdue^ 
La  foi  n&â.  pas  encore  éteinte  ;  les  fenti- 
d|nens  de  vertu  ,  pas  encore  effacés  ;la  fen- 
ijbiiité  aux  vérités  du  fcilut ,  pas  encore 
endurcie  :  c'eft  un  cadavre  ,  à  la  vérité  ; 
mais  qui  depuis  peu  expiré  ,  conferve  en- 
core }^  ne  fais  quelles  impreiTions  de  cha- 
leur qui  femblent  partir  d'un  refte  dévie* 
Mais  à  mefure  que  Tame  demeure  dans 
]a  mort  y  ÔC  pcrfévérée  dans  le  crime  ,  la 
^race  fe  retire  ;  tout  s'éteint  en  elle  ,  tout 
«'altère  ,  tout  fe  corrompt  >  6c  fa  corrup* 
tion  devient  univerfelie  :  Jant  fatet  >  quar 
H^iduanus  ejl  enim. 

Je  dis  univerfelie  :  oui  ,  mes  Frères  , 
tout  change  y  tout  fe  corrompt  dans  une 
ame  par  la  continuité  du  défordre  :  les 
dons  de  la  nature  ,  la  douceur  ,  la  droi- 
ture i  rhiimauité  ,  la  pudeur ,  les  taleuSk 


H  OM  E  L  I  g  s  U  R  L  A  2  A  R  E.  543 
même  de  refprit  ;  les  bienfaits  de<a  grâce, 
les  fentimens  de  Religion  ,  les  remords  de 
la  confcience  ,  les  terreurs  de  la  foi  ,  la 
foi  elle-même  ;  la  corruption  entre  dans 
tout,  altère  tout,  6c  change  en  pourriture 

'  &  en  fpeftacle  d  horreur  ,  5c  les  dons  du 
Ciel ,  &  les  bienfaits  de  la  terre  :  rien  ne 
demeure  dans  Ta  première  iituation  :  les 
traits  les  plus  beaux  font  ceux  qui  devien- 
nent les  plus  hideux  ÔC  les  plus  méconnoif- 
fables  ;  les  agrémens  de  l'efprit  deviennent 
raflaifonnement  des  pafTions  5c  de  la  dé- 
bauche ;  les  fentimens  de  religion  fe  chan- 
gent en  libertinage  \  la  fiipériorité  à^s  lu- 
mières ,  en  orgueil  6c  en  inie  affreufe  phi- 
lofophie  ;  la  noblelTe  des  fentimens  n'eft 
plus  qu'une  ambition  fans  borne  5c  fans 
mefure;  la  bonté  5c  la  tendrelTe  du  cœur  , 
qu'un  abandonnem.ent  à  des  amours  im- 
purs ÔC  profanes  ;  les  principes  de  gloire 
ÔC  d'honneur ,  qui  avoient  paffé  en  nous 
avec  le  fang  de  nos  ancêtres  ,  qu'une  of- 
tentation  de  vanité  ,  &  la  foiirce  de  nos 
haines  5c  de  nos  vengeances  ;  notre  rang, 
notre  élévation  ,  Toccafion  de  nos  envies, 
.de  nos  baffes  jaloufies  ;  enfin  nos  biews 
ôc  notre profpérité  ,rinftrumentfuiicftedc 

,tous  nos  crimes:  Jamjœtet ,  quainduanus 
fjl  enim. 

Mais  la  corruption  ne  fe  borne  pas  aU 
pécheur  tout  feul  :  un  cadavre  ne  fauroit 
être  iong-tems  caché  fans  qu'une  odeur  de 
mort  fe  répande  à  Tentour  :  on  ne  peut 
îiroupir  Iong-tems  dans  le  défordre  ,  fans 

Ff4 


344     ^^ENTD.  BE  LA  IV.    ^tMXlW: 
que  l'odeur  d'une  mauva  ife  vie  fe  faiTe  fefi-^ 
tir.  On  a  beau  cacher  fous  des  mefures 
pénibles  Tignominie  d'une  conduite  défor- 
donnée  ;  on  a  beau  blanchir  le  fépulcre 
plein  depourriture  Sc  d'infe<fl:ion  ,  la  puan- 
teur le  répand  ;  le  crime  fe  trahit  tôt  ou 
tard  lui-même  :  une  fumée  noire  5c  em- 
pesée foit  toujours  de  ce  feu  profane  qu'on 
cachoit  avec  tant  de  foin.  Une  vie  déréglée 
,ft  manifef^e  par  mille  endroits  :  le  public 
défabufé  ouvre  enfin  îes'yeux  ;  6c  plus  on 
eft  découvert ,  ÔC  plus  on  fe  découvre  :  on 
s'accoutume  à  fon  ignominie  ;  on  fe  lafTe 
de  la  gêne  5c  de  la  contrainte  :  le  crime  qui 
coûte  encore  des  attentions  ÔC  des  mefuref^ 
paraît  trop  acheté  :  on  fe  démafque  ;  on  fe- 
coue  ce  rcfte  de  joiig  ÔC  de  pudeur,  qui 
nous  faifoit  encore  craindre  les  yeux   dç^ 
hommes  5  on  veut  jouir  du  défordre,  fans 
précaution  ôC  fans  embarras  :  ÔC  alors  des 
domeftiques  ,  des  amis ,  des  proches  ;  la 
Cour  ,  la  Ville  ,  la  Prorince  ,  tout  fe  fent 
de  rinfeftion  de  nos  déréglemens  ÔC  de 
nos  exemples.  Notre  rang ,  notre  élévation 
ne  fervent  plus  qu'à  rendre  plus  éclatant  ÔC 
plus  immortel ,  le  fcandale  de  nos   déré- 
glemens :  en  mille  lieux  nos  excès  fervent 
de  modèle.  Le  fpedtaele  de  nos  mœurs 
ralïïire  peut-être  en  fecretdes  confcience^ 
que  le  crime  troubloit  encore  :  peut-être 
même  on  nous  cite  ;  on  fe  fert  de  notre 
exemple  pour  féduire  l'innocence  ÔC  vain- 
cre une  pudeur  encore  craintive  ;  ÔC  juff 
qu'après  notre  mort,  le  bruit  de  nos  diiTçh 


lutions  fouillera  encore  la  mémoire  des 
hommes  ;  embellira  peut- être  deshiftoires 
lafcives  ;  6c  long-tems  après  nous,  ÔC dans 
les  âges  qui  nous  fuivront ,  le  fouvenir  de 
nos  crimes  fera  encore  des  coupables. 

Enfin  ,  mais  je  n'olerois  le  dire  ici  ;  la 
corruption  que  Thabitude  du  crime  met 
dans  tout  l'intérieur  du  pécheur  eft  (i  unî- 
verfelle  ,  qu'elle  infecte  ion  corps  n:ême  , 
la  débauche  lailTe  fur  fa  chair  des  traces 
honteufes  de  (qs  défordres  :  l'infcftion  de 
fon  ame  fe  répand  fouvent  jufqlies  fur  un 
corps  qu'il  a  fait  fervir  à  1" ignominie.  Il 
dit  par  avance  à  la  pourriture,  comme  Job: 
f^ous  êtes  mon  F  ère  \&  aux  ^-ers  ,  ceftvous  ^^^ 
qui  mavei  formé  ;  ^  la  corruption  de  fon 
corps  eft  une  image  afFreufe  de  celle  de  fon 
am.e  :  Jam  fœtet ,  quatriduanus  efi  cnlm. 

Grand  Dieu  !  puis-je  donc  me  flâter 
que  vous  voudriez  encore  jetter  fur  moi 
quelques  regards  de  miféricorde  ?  ne  fre- 
in irez- vous  pas  encore  à  la  vue  de  ces  amas 
de  crimes  6^  de  pourriture  ,  que  mon  amq 
offre  à  vos  yeux ,  comme  vous  frémille^ 
aujourd'hui  fur  le  tombeau  de  Lazare?  ah/ 
détournez  ,  Seigneur  ,  vos  yeux  faints  5Ç 
terribles  de  ma  profonde  milere  ;  mais  fai- 
tes que  je  ne  les  en  détourne  plus  moi-mê- 
me ,  ÔC  que  je  ne  me  regarde  plus  qu'avec 
toute  l'horreur  que  mon  état  mérite  : 
6tez  le  bandeau  qui  me  cache  moi-mê- 
me à  moi-même  ;  mes  maux  feront  k 
demi  guéris  ,  dès  que  je  pourrai  les  voir^ 
&  les  connoître. 


JO0    1% 


>4<^     V£VD.  DE  LA  IV.   SEMAmE/ 

Et  voilà  la  féconde  circonftance  de  l'étaî 
déplorable  de  Lazare  ;  un  voile  lugubre 
couvroit  fon  vifage  :  Etfacks  ejiis  /iidario 
trat  ligata  :  c'eft  ravêuglement  profond 
qui  forme  le  fécond  caracftère  de  l'habitude 
criminelle. 

Pavoue  que  tout  péché  eft  une  erreur 
qui  nous  fait  prendre  le  faux  bien  pour  le 
bien  véritable  :  c'eftun  faux  jugement  qui 
nous  fait  chercher  dans  la  créature  le  re- 
pos, la  grandeur,  Tindépendance,  que  nous 
ne  pouvons  trouver  qu'en  Dieu  feul  :  c'eÛ 
un  nuage  qui  dérobe  à  nos  yeux  l'ordre , 
la  vérité  ,  la  juftice  ,  &  fubftitue  à  leur 
place  de  vains  phantômes.  Cependant  une 
première  chiite  n'éteint  pas  tout-à-fait  nos 
lumières  :  elle  n'eft  pas  toujours  fuivie 
d'une  nuit  profonde.  A  la  vérité ,  TEfprit 
de  Dieu  ,  fource  de  toute  lumière ,  fe  re- 
tire ,  ÔC  n'habite  plus  en  nous  ;  mais  il 
Teôe  encore  dans  Tame  des  traces  de  clar^- 
té  :  ainfi  lorfque  le  foleil  ne  fait  que  fe  dé- 
rober à  notre  hémifphere ,  il  demeure  en- 
core dans  les  airs  certaines  imprefîions  de 
fa  lumière ,  qui  forment  encore  comme  un 
jour  imparfait ,  ce  n'eft  qu'à  mefure  qu'il  fe 
retire  ,  qu'arrive  enfin  la  nuit  profonde.  De 
même  à  mefure  que  le  péché  dégénère  en 
habitude ,  la  lumière  de  Dieu  fe  retire  ,  les 
ténèbres  croifTent  &  augmentent ,  &  arrive 
enfin  la  nuit  profonde  &  l'aveuglement  en^ 
tJer  :  Etfacies  ejusfudarioerat  ligata* 

Et  alors  tout  devient  une  occafîon  d'er- 
reur àl'ame  criminelle  j  tout  change  de  face 


Homélie  sur  Lazard.  54"^ 
h  fes  yeux  ;  les  pafTions  les  plus  honteufe's 
ne  font  plus  que  des  foibleiles  :  les  attache^ 
mens  les  plus  criminels ,  des  fiiupathics  que 
nous  avons  portées  en  naifîant  ,  bi.  dont 
nous  trouvons  la  deftinée  dans  nos  cœurs  ; 
les  excès  de  la  table  ,  les  plaifirs  innocens 
de  la  fociéîé  ;  les  vengeances  ,  un  jufle  ref- 
feiitiment  ;  les  difcours  de  licence  &  de  li- 
bertinage y  des  faillies  agréables  6c  applau- 
dies ;  les  inëdifances-les  plus  affreufes ,  un 
langage  ufité,  &  dont  il  n  ya  quelesefprits 
foibles  qui  puilTent  fe  faire  un  fcrupule  ;  les 
loix  de  i'Eglife  ,  àQs  ufages  furrannés  ;  le 
devoir  du  tems  pafcal  ,  une  bienféance 
qu'on  donne  à  la  coiiîunie  5c  non  à  la  Reli* 
gion  ;  la  févérité  des  jugemens  dt  Dieu  , 
des  déclamations  outrées ,  qui  font  tort  à 
fa  bonté  6c  à  f a  clémence  ;  la  mort  dans  le 
péché  ,  fuite  inévitable  d'une  vie  crimi- 
nelle ,  des  prédirions  où  il  entre  plus  de 
zèle  que  de  vérité  ,  ^  démenties  par  la 
confiance  qui  nous  promet  un  retour  avant 
jce  dernier  moment  ;  enfin  ,  le  Ciel,  la  ter- 
re ,  Tenfer  ,  toutes  les  créatures  ,  la  Reli- 
gion ,  le  monde  ,  les  crimes ,  les  vertus  » 
les  biens  &:  les  maux  ,  les  chofes  préfentes 
&  les  futures  >  tout  change  de  face  auK 
yeux  d'une  ame  qui  vit  dans  Thabitude  du 
crime  >  tout  fe  montre  à  elle  fous  de  faulTes 
apparences  ;  toute  fa  vie  n'efi:  plus  qu'un 
preftige  Scuneméprife  continuelle.  Hélas  I 
il  vous  pouviez  déchirer  le  voile  fatal  qut 
couvre  vos  yeux  comme  ceux  de  Lazare  ^ 
ÔC  vous  voir  comme  lui  enfeveli  dans  les 


'34^,   Veivd.  m  la  IV.  Semaîk^e: 

ténèbres  ,  tout  couvert  de  pourriture  ,  & 
répandant  au  loin  Pinfeclion  6c  une  odeur 
de  mort  !  mais  maintenant  tout  cela  eft  ca- 
tac.  i^.ché  à  vos  yeux,  dit  Jefus-Chrift  :  Nunc 
auîem  hœc  abfcondita  [uni  ah  oculis  tuis  ; 
vous  ne  voyez  de  vous-même  que  les  em- 
belliffemens  5c  les  dehors  pompeux  du 
tombeau  funefte  où  vous  croupifTez  ;  votre 
rang ,  votre  naiiTance  ,  vos  takns ,  vos  di- 
gnités ,  vos  titres  ;  c'eft-à-dire,  les  tro- 
phées &:  les  ornemens  que  la  Vanité^des 
hommes  y  a  élevés  :  mais  ôtez  la  pferre 
qui  couvre  ce  lieu  d'horreur  ;  regardez  de- 
dans ;  ne  jugez  pas  de  vous  par  ces  dehors 
pompeux  qui  ne  font  qu'embellir  votre  ca- 
davre fi^oyezce  que  vous  êtes  aux  yeux  de 
Dieu  ;  Se  /i  la  corruption  6c  l'aveuglement 
profond  de  votre  amc  ne  vous  touche  pas 
aiTez  ,  que  fa  fervitudedu  moins  vous  ri- 
veille  ^  vous  rappelle  à  vous-même. 

Dernière  circonftance  de  l'état  de  Lazarç 
mort  8c  enfeveli  ;  il  avoit  les  mains  ÔC  les 
pieds  liés  :  Ligatus  pèches  &  maniis  in(îi^ 
lis  ;  8c  voilà  l'image  de  la  trifte  fervitude 
d'une  ame  ,  depuis  long-tems  affujettie  au 
péché. 

Oui ,  mes  Frères ,  le  m. onde  a  beau  dé-^ 
erierla  vie  chrétienne  comme  unevied'af- 
fujettilTement  5c  de  fervitude  ;  le  régne  de 
la  juftice  efl:  un  régne  de  liberté;  Tame  fi- 
dèle 6c  foumife  à  Dieu  devient  maîtreffe 
de  toutes  les  créatures  ;  le  Jufte  eft  au- 
deiïïis  de  tout,  parce  qu'il  eft  détaché  de 
tout  j  il  eft  maître  du  monde  ,  parce  qu'il 


ftléprife  le  monde  ;  il  ne  dépend  ni  de  Tes 
maîtres ,  parce  qif  il  ne  les  lert  que  pour 
•^Dieii  ;  ni  de  fes  amis  ,  parce  qu'il  ne  les 
aime  que  dans  Tordre  de  la  charité  5c  delà 
juftice  ,  ni  de  fes  inférieurs,  parce  qu'il 
n'en  exige  aucune  complaifance  injufte  ;  ni 
de  fa  fortune  ,  parce  qu'il  la  craint  ;  ni  des 
jugemens  des  hommes,  parce  qu'il  ne 
craint  que  ceux  de  Dieu  ,  ni  des  ëvéne- 
inens ,  parce  qu'il  les  regarde  tous  danj 
l'ordre  delaProvidence;  ni  de  fes  pallions 
mêmes ,  parce  que  la  charité  qui  eft  en  lui 
en  efl  la  régie  6c  la  mefure.  Le  Juite  feui 
.  jouit  donc  proprement  d'une  parfaite  li- 
berté :  fupërieur  au  monde  ,  à  lui-même, 
à  toutes  les  créatures ,  à  tous  les  événemens, 
il  commence  dès  cette  vie  à  régner  avec 
Jefus-Chrift  ;  tout  lui  eu  fournis ,  ÔC  il 
n'ell  lui-même  foumis  qu'à  Dieu  feul. 

Mais  le  pécheur  qui  paroit  vivre  fans 
joug  5C  fans  régie  ,  eft  pourtant  un  vil 
efclave  :  il  dépend  de  tout ,  de  fon  corps  , 
de  fes  penchans ,  de  fes  caprices  ,  de  fes 

Î rallions ,  de  fes  biens ,  de  la  fortune  ,  de 
!es  maîtres ,  de  fes  fujets ,  de  fes  am.is,de 
fes  ennemis  ,  de  fes  protecteurs  ,  de  fes 
envieux  ,  ce  toutes  les  créatures  qui  l'en- 
vironnent ;  autant  des  Dieux  aufquels ,  ou 
l'amour  ,  ou  la  crainte  l'affujettit  ;  autant 
d'idoles  qui  multiplient  fâ  fervitude  ,  tandis 
qu'il  fe  croit  plus  libre  en  fecoi.a.it  Tobéif- 
lance  qu'il  doit  à  Dieu  feul  :  Qu.^  ejl  ido-  ç^i  ^^ 
loritm  fervltus  ;  il  multiplie  fes  maîtres  ,  ae, 
en  refufaiu  de  fe  foumettre  à  celui  feul  qui 


350    Vend,  be  la  IV.  Semaine, 

a"end  libre  ceux  qui  le  fervent  ,  6c  qui  fait 
même  de  fes  ferviteurs  les  maîtres  du  mon- 
de ,  ÔC  tout  ce  que  le  monde  enferme. 

Je  fais  que  la  paiïîon,dans  les  commen- 
cemens ,  ménage  encore ,  pour  ainfi  dire  , 
îa  liberté  du  cœur  :  elle  nous  laifTe  croire 
quelque-tems  que  nous  fommes  maîtres  de 
nos  penchans  ÔC  de  notre  deftinée  :  elle 
nous  amufe  d'un  vain  efpoir  de  rompre  , 
quand  il  nous  plaira  ,  nos  chaînes  :  elle  lâ- 
che le  frein  par  lequel  elle  nous  tient ,  de 
peur  que  nous  nous  appercevions  trop  tôt 
de  notre  fervitude  :  mais  quand  une  fois 
elle  fe  fent  maîtreiTe  ^  6c  qu'elle  ne  craint 
plus  nos  retours  5c  nos  inconftances  ;  ah! 
c'eft  alors  qu'elle  nous  fait  fentir  tout  le 
poids,  ôC  toute  l'amertume  de  notre  fer- 
vitude :  Ligatus  pedes  &  manus  injîhis. 

Servitude  honteufe  par  l'aifujettilTement 
de  l'ame  déréglée  aux  fens  ;  fa  raifon  ,  fa 
fierté  ,  fa  gloire  ,  ^q%  réflexions  ,  tout  cède 
au  charme  impérieux  qui  l'entraîne  :  hon^ 
teufe  par  l'indignité  des  démarches  que  là 
force  de  îa  paition  obtient  d'elle  ;  le  rang, 
le  fexe  ,  le  devoir  ,  tout  eft  oublié  ;  on  dé- 
vore les  rebuts  les  plus  outrageans  ;  on  fait 
les  avances  les  plus  humiliantes  ;  on  laiffe 
entrevoir  les  emportemens  les  plus  indi- 
gnes ôc  les  plus  méprifables  :  honteufes  par 
les  devoirs  les  plus  importans  ,  ôc  les  in- 
térêts les  plus  férieux  de  la  fortune  facrifiés 
à  la  paflion  injufte  :  honteufe  par  l'aviliffe- 
ment  &C  le  mépris  public  qu'attire  toujours 
uue  vie  déréglée  :  hojoteufe  enfin  par  leî 


Homélie  sur  Lazare.  S5T 

mœurs  dëfordonnées  continuées  quelque- 
fois jufques  dans  une  vieillelle  avancée  ; 
Tâge  augmente  la  fragilité  ;  la  railon  aiîbi- 
blie  par  les  anciens  défordres,  n'offre  plus 
de  réiiftance  ;  le  corps  ufé  par  fes  dérégle- 
mens ,  s'y  laiffe  comme  aller  de  lui-même , 
6c  fupplée  par  les  égaremens  d'une  im.agi- 
nation  corrompue  ,  ce  qui  manque  à  la 
vivacité  de  fes  plaillrs  :  Ligatus  jicdis  Ô* 
manus  inflitis. 

Je  ne  parle  pas  des  obftacles  qui  traver- 
fent  toujours  la  pallion  ;  des  intérêts  ÔCdes 
devoirs  ,  qui  la  combattent  ;  des  mefures 
&  des  ménagemens  ,  qui  la  gênent  ;  d«s 
contretemps,  qui  la  découvrent;  des  iitua- 
tions  5c  des  dégoûts  ,  qui  Tempoifonnent. 
On  voudroit  rompre  fes  chaînes  ,  &:  on 
retombei  l'inilant  fous  leur  propre  poids  ; 
ÔC  dans  le  crime  même,'infenfible  au  plaiiir 
devenu  dégoûtanj^j-aa.  ne  fent  plus  que  la 
dure  fervitude  qui  l'a  rendu  néceilaire  : 
Ligatus  pedes  ^  manus  inftitis. 

Vous  vous  plaignez  quelquefois  des  ri- 
gueurs de  la  vertu  ,  mon  cher  Auditeur  ; 
vous  craignez  la  vie  chrétienne,  comme 
une  vie  d'aiîujettilTement  5c  de  triftelfe  : 
inais  qu'y  trouveriez-vous  de  fi  trifte  ,  que 
ce  que  vous  éprouvez  dans  le  défordre  ? 
Ah  !  li  vous  oliez  vous  plaindre  de  l'amer- 
tume 5c  de  la  tyrannie  da  vos  palfions  ;  fî 
vous  ofiez  avouer  les  troubles,  les  dégoûts , 
les  fureurs  ,  les  agitations  de  votre  ame  ; 
f\  vous  étiez  de  bonne-foi  fur  ce  qui  fe  palTe 
de  tiilîe  daas  votre  cœur ,  il  n  eft  point  de 


3^1    Vend,  de  la  ÎV.  Semaine.' 

deftinée  qui  ne  vous  parut  préférable  à  la 
x^otre  :  mais  vous  diilimulezles  inquiétudes 
du  crime  que  vous  fentez  :  5c  vous  exagé- 
rez les  rigueurs  delà  vertu  que  vous  n'avez 
jamais  connue.  Mais  pour  tendre  la  main 
à  votre  foiblelTe  ,  continuons  l'hiftoirc  de 
notre  Evangile  ,  5c  voyons  dans  la  réfur- 
reâion  de  Lazare  ,  quels  font  les  moyens 
que  la  bonté  de  Dieu  vous  offre  pour  for- 
tir  de  cet  état  déplorable. 

II.      T 

fMTXE-  JLjA  force  de  la  vertu  de  Dieu  ,  dit  l'A- 
pôtre ,  ne  paroit  pas  moins  dans  la  conver- 
fîon  des  pécheurs ,  que  dans  la  réfurreâ:ion 
des  morts  ;  6c  la  même  vertu  furéminente, 
qui  opéra  fur  Jesus-Christ  pour  le  déli- 
vrer du  tombeau  ,  doit  opérer  fur  l'ame  de- 
puis long-tems  morte  dans  le  péché ,  pour 
la  rappeller  à  la  vie  de  la  grâce.  J'y  trouve 
feulement  cette  différence  ,  que  la  voix 
toute-puiifante  de  Dieu  n'éprouve  aucune 
Téfîftance  dans  le  cadavre  qu'il  ranime  ôC 
qu'il  rappelle  à  la  vie  ,  au  lieu  que  l'ame 
morte  &  corrompue  ,pour  ainfi  dire,  par 
la  vieillelfe  du  crime ,  nefemble  conferver 
encore  un  refte  de  force  ÔC  de  mouvement, 
que  pour  s'oppofer  à  cette  voix  de  vertu  qui  ^ 
fe  fait  entendre  dans  l'abîme  où  elle  eft  en-  * 
fevelie  ,  5c  qui  veut  lui  rendre  la  vie  ôc  la 
lumière.  Cependant  quelque  difficile  que 
foit  la  converfion  d'une  ame  de  ce  caraftère, 
6c  quelques  rares  qu'en  foientles  exemples, 
l'Efprit  de  Dieu  pour  nous  apprendre  à  ne» 
iamais  défefpérer  de  \^  jj^çxkçfxde  divine, 

Iqrfquç 


Ho  M  E  LIE   s  U  R  L  AZAR  E.    353 

lorfqiie  nous  voulons  fîncérementfortir  du 
crime  ,  nous  en  propofe  aujourd'hui  les 
moyens  dans  la  réfurre^ftion  de  Lazare. 

Le  premier  ,  c'eft  la  confiance  en  Jefus- 
Chrill.  Si  vous  avic^  été  ici  ,  dit  une  des 
fœurs  de  Lazare  au  Sauveur,  mon  j'rere  nz 
fer  oit  pas  mort  \  mais  je  fais  quo.  tout  ce  que 
vous  dcmand'zre-^  à  Dieu  ,  Dieu  vous  Vac^ 
cordera*  Je  fuis  moi- même  la  refumcliort 
&  la  vie  ,  lui  répond  Jefus-Chrift  ;  le  cro* 
yci'Vcus  ?  Oui ,  Seigneur ,  dit- elle  ,j^aitou^ 
jours  cru  que  vous  étier  le  Chrifl  ,  Fils  du 
Dieu  vivant.  C'eft  par  où  commence  le  mi- 
racle de  la  réfiirreftion  de  Lazare  ,  par  une 
confiance  entière  que  Jefus-Chrift  eft  af- 
fez  puiiïant  pour  le  délivrer  dç  la  mort  ^ 
de  la  corruption. 

Car,  m.es  Frères ,  Fillu/ion  dont  le  dé- 
mon fe  fert  tous  les  jour^ ,  pour  rendre 
inutiles  nos  défirs  de  converfion  ,  ÔC  en  ar- 
rêter les  démarches  ;  c'eft  de  nous  jetter 
dans  la  défiance  ôc  dans  le  découragement  ; 
il  retrace  vivement  à  notre  imagination  les 
horreurs  d'une  vie  entière  de  crime  :  il 
nous  dit  en  fecret  ce  que  \qs  fœurs  de  La- 
zare difent  à  Jeilis-Chrift  ;  mais  dans  ua 
fens  bien  différent  ;  qu'il  auroit  fallu  s'y 
prendre  plutôt  ;  qu'on  ne  revient  pas  de  i\ 
loin  ;  qu'il  n'eft  plus  tems  d'elTayer  d'ua 
changement  ;  ÔL  que  la  vieiîlelTe  &  linfec- 
tion  de  nos  playes  ne  paroit  plus  lailTer  de 
reflburce  :  Jam  fcerec  ,  quatriduanus  efl 
enim.  Et  là-deffus  on  s'c^bandonne  à  la  pa« 
reffe  &C  à  l'indolence  \  Si  aj)rès  ^voir  iiiii^ 
Carêm ,  Tom^  IIL  Q  | 


554    VenDv  i>e  la  IV.  SsîvrAiNE; 
I3  jiiftice  de  Dieu  par  nos  égaremens '|^ 
nous  outrageous  fa  miféricorde  par  l'excès 
de  notre  défiance. 

J'avoue ,  mes  Frères ,  qu'il'  en  coûte  à 
Uine  ame  depuis  long-tems  morte  dans  le; 
péché ,.  pour  revenir  à  Dieu  ;  qu'il  eft  difïï- 
cile ,  aprè;s  tant  d'années  de  défordre  ,  de; 
fè  faire  un  coeur  nouveau  &  de  nouvelles^ 
inclinations  ;  &  qu'il  eft  même  à  propos 
que  les  obftacles  ,.  les  peines,  les  diffi- 
<tUltés ,,  qui  accompagnent  toujours  la  con- 
verfion  des  âmes  de  ce  caraôère ,  falTent 
fentir  aux  grands  pécheurs  combien  il  eft 
terrible  d'avoir  été  pr^fque  une  vie. entière 
éloigné  de  Dieu., 

Mais  je  dis  ,  que  dès  qu'une  ame  tou*^ 
<;hée  de  fes  crimes  ,.  veut  fincérement  re- 
venir à  lui ,  fes  playes ,  quelle  qu'en  puilTe^ 
être  l'infeftion  5c  la  vieillelTe  ,  ne  doivent 
glus  allanner  fa  confiance:  je  dis  que  (es 
misères  doivent  augmenter  fa  componc- 
tion ,  mais  non  pasfon  découragement; je 
dis^  que  la  première  démarche  de  fa  péni- 
tejicedoit  êtr€  d'adorer  Jefus-Chrift  corn- 
mç  U  r€/urreâion.&  la  vie.  ;.  une  confiance^ 
fëc.rette  ,_  que.  nos  miféres  font  toujours^: 
moindres  que  fes  miféricordes  ;  une  per- 
fuafion  intime  ^que  le  fang  de  lefus-Ghrift 
çftipluspuiflant  pour  laver  nos  fouillures  ^ 
que.  notre  corruption  ne  fauroit  l'être  pour, 
ejî.  contraâerr  ::  je  dis  que.  moins  l'ame crîA 
minell'e  trouve  cn«lléde5.reifourcespQui>  lai 
wtU'.plusellè  doit  en  attendre,  de  celUi: 
5111;  {Êgjkîtià.éiifiknl*^  de,  la  gac^ 


Homélie  sur  Lazare.    35s 

fur  le  néant  de  la  nature  ;  ôC  que  plus  elle 
forme  d'oppofition  au  bien  ,  plus  elle  oiFre 
en  un  fens  de  difpofition  à  la  puilTance  ÔC  à 
la  miféricorde  divine  ,  qui  veut  que  tout 
bien  paroilFe  venir  d'en  haut ,  5c  que  rhom» 
me  ne  s'attribue  rien  à  lui-même. 

Et  en  effet ,  mon  cher  Auditeur ,  quelle 
que  puilTe  être  l'horreur  de  vos  crimes 
paffés  y  le  Seigneur  n'eft  pas  bien  éloigné 
de  vous  faire  grâce  ,  dès  qu'il  vous  infpire 
le  défîr  ÔC  la  réfoiution  de  la  demander.  II 
eft  écrit  dans  Thiftoire  des  Juges  ,  que  le 
père  de  Samfon  ,  effrayé  de  l'apparition 
de  TAnge  du  Seigneur  qui  après  lui  avoir 
annoncé  la  naiifance  d'un  fils ,  &  ordonné 
d'offrir  un  facrifice  ,  avoit ,  comme  un  feu 
dévorant ,  confiimé  Thoflie  &  le  bûcher  , 
&  difparu  enfuite  a  Ces  yeux  ;  qu'effrayé 
dis-je  ,  de  ce  (peâacle  ,  il  crut  qu'il  alloit 
être  lui-même  frappé  de  mort  avec  fa  fem- 
me ,  parce  qu'iU  avaient  vu  le  Seigneur  : 
Avorte  morumur  ^quia,  yidimus  Dominum,  ^^^'^^* 
Mais  fon  épaufe  lainte  &.  éclairée,  con-  ^2*^^* 
damna  fa  défiance.  Si  le  Seigneur  ,  lui  ré- 
pondit-elle, vouloit  nous  perdre  ,  il  n'aii- 
roit  pas  fait  defceadre  le  feu  du  ciel  fur  no- 
tre facrifice  ;  il  ne  Feut  pas  reçu  de  nos 
mains  j  Une  nous  eut  pas  découvert  fesfe- 
crets  &  fes  merveilles ,  Sc  ce  que  nau5 
avions  ignoré  jurqii'ici  i  Si  Domïrms  nés  ^^/^ 
vdht  cccidcre  ^  de  manlbus  nojlrls  holo-  )^►23> 
.  çaiifium  &  tibamenta  ncn  fufcepijffet  „  me 
.  cfiendiffet  Twbis  hiX.c  omnia  r  t^Çi^  ^n  ^Ui^ 


35^    Vend,  de  la  IV.  Semalve. 

Et  voilà  ce  que  je  vous  réponds  aujour- 
d'hui. Vous  croyez  votre  mort  6c  votre 
perte  inévitable  ;  l'état  de  votre  confcience 
vous  décourage  ;  en  vain  des  étincelles  de 
^race  6c  de  lumière  tom.bent  dans  votre 
cœur ,  vous  touchent  ,  vous  follicitent , 
■&'font  toutes  prêtes  à  confumerle  facri- 
fice  de  vos  pafTions  ;  vous  vous  perfuadez 
que  c'eftfait  de  vous  fans  reffource.  Mais  fi 
le  Seigneur  vouloit  vous  abandonner  5C 
vous  perdre ,  il  ne  feroit  pas  defcendre  le 
feu  du  ciel  fur  votre  cœur  :  il  n'allumeroît 
pas  en  vous  de  faints  défirs  6c  des  fentimens . 
de  pénitence  :  Si  Vominus  nos  vellet  ocçi'- 
dere  ,  de  manibus  nojlrïs  holocaiiflum  &il^ 
hamenta  non  fufcepijfet '.  s'il  vouloit  vous 
laiiîer  mourir  dans  raveuglement  de  vos 
paiîions  y  û  ne  vous  montreroit  pas  \qs  vé- 
rités du  falut  ;  il  ne  vous  les  mettroit  pas 
dans  un  jour  qui  vous  éclaii^e  &C  qui  vous 
trouble  :  il  n'ouvriroît  pas  vas  yeux  fur  les 
malheurs  à  venir  que  vous  vous  préparez  : 
Nec  ojlendiffet  nobis  kœc  omniéi  ,  mque  ea 
çuœ  Jum  Ventura  dixiffet.  D'ailleurs  ,  que 
favez-vous  Ç\  Jefus-Chrift  n'a  pas  permis 
que  vous  tombaiïiez  dans  cet  état  déplora* 
bîe  ,  pour  faire  du  prodige  de  votre  con- 
verlion  »  un  attrait  pour  la  converfion  de 
vos  frères  l  que  favez-vous  fi  fa  miféricorde 
n'a  pas  ménagé  à  vos paflions  l'éclat  qui  les 
a  rendu  publiques,  ann  que  mille  pécheurs 
témoins  de  vos  égaremens  ,  ne  défefpé- 
'^Tent  pas  de  leur  retour  ^  ÔC  foient  animas 
par  le  fpeûacie  de  votre  pértitence  ï  que 


Homélie  sur  Lazare.  557 
favez-vous  (î  vos  crimes  ôc  vos  fcandales 
mêmes  ne  font  pas  entrés  dans  les  defleins 
de  la  bonté  du  Seigneur  fur  vos  frères ,  SC 
fi  votre  état  qui  paroît  défcfpéré  ,  comme 
celui  de  Lazare ,  eft  bien  moins  un  préjugé 
de  mort  pour  vous  ,  qu'une  occafion  de 
manifeiier  la  gloire  de  Dieu  ?  înfirmitas  hcec 
non  ejl  ad  morîem  ,  fcd^ro  gloria  Dei. 

Lorfque  fa  grâce  ramené  un  pécheur  or- 
dinaire ,  le  fruit  de  fa  conversion  fe  borne  à 
lui  feul  ;  mais  quand  elle  va  choifir  un  pé- 
cheur d'éclat  ,un  Lazare  depuis  long-tems 
mort  5c  corrompu  ;  ah  !  les  vues  de  fa  mi- 
féricorde  font  alors  plus  étendues  :  elle  pré- 
pare en  un  feul  changement ,  mille  change- 
mens  à  venir  :  elles  le  forme  mille  élus  eu 
un  feul  ;  6c  les  crimes  d'un  pécheur  de- 
viennent la  fémence  de  mille  juftes  :  Infir- 
mitas hœc  non  ejî  ad  mortem  yfed  pro  gld" 
rïa  Dei.  Vous  perdez  courage  en  fentant 
l'extrémité  de  vos  miféres ,  mais  peut-être 
c'eft  cette  extrémité  elle-même  qui  vous 
approche  plus  du  moment  heureux  de  vo- 
tre converfîon  ,  6<:  que  la  bonté  de  Dieu 
vous  a  réfervé  pour  être  un  monument  pu- 
blic de  l'excès  de  fes  miféricordes  envers 
les  plus  grands  pécheurs.  Croyei  feulement 
comme  le  dit  Jefus-Chrift  aux  lœurs  de 
Lazare  ,  6C  'yous  verre^  la  gloire  de  Dieu  l 
vous  verrez  vos  proches  ,  vos  am.is  ,  vos 
fujets  ,  \qs  complices  de  vos  égaremens 
devenir  les  imitateurs  de  votre  pénitence: 
vous  verrez  lés  âmes  les  plus  déplorées 
4^upirer  après  k  bçjah^ui  de  voîrc  iion- 


35^  Vlkd.  de  la  IV".  Semalve, 
velle  vie  ;  tc  le  monde  lui-même  forcé  de 
rendre  gloire  à  Dieu  ,  5c  en  rappellant  vos 
excès  palTés ,  admirer  le  prodige  de  votre 
deftinée  préfente  :  Quoniamji  credideris  ^ 
videbis  gloriam  Dtï^  Prenez  dans  vos  mi- 
féres  mèn'ie  de  nouveaux  motifs  de  con- 
fiance r  béniiTez- par  avance  la  fagefTe  mifé- 
ricordieufe  de  celui  qui  faura  tirer  de  vos 
payions  wn  nouvel  avantage  pour  fa  gloire: 
tout  coopère  au  fakit  des  fiens  ,  5c  il  ne 
permet  de  grands  excès  que  pour  opérer 
cle  grandes  miféricordcs.  Dieu  veut  tou- 
jours le  falut  de  fa  créature  ;  6c  des  que 
nous  voulons  retourner  à  lui ,  nous  ne  de- 
vons pas  craindre  que  fa  juilice  nous  rebute^ 
mais  que  notre  volonté  ne  foit  pas  fincère» 
Et  la  preuve  la  plus  décifive  de  notre 
iîncérité  y  c'eft  Téloignement  des  occa- 
.lîons  y  qui  mettent  un  obftacle  invincible  à 
Botre  rcfurre£lion  &:  à  notre  délivrance  : 
obftacles  figurés  par  la  pierre  qui  fermoit 
l'entrée  du  tombeau  de  Lazare,  ÔC  que  Je- 
fus-Chrift  commence  par  ordonner  qu'on 
©te  ,  avant  d'opérer  le  miracle  de  la  réfur- 
re£lion  ^  Tolliu  lapidu^m  ;  ôtez  la  pierre» 
Second,  moyen  marqué  dans  notre  Evaa* 

Ea  efïet  y  on  voit  tous  les  jours  A^s  pé- 

^cîieurs  laiTés  du  défordre  y  qui  voudroieut 
.revenir  à  Dieu  :  mais  qui  ne  peuvent  fe  ré- 
foudre  à  fortirdu  milieu;  de  ces  objets  y  de 
ces  lieux  ,  de  ces  (îtuations ,  de  ces  écueiis 
qui  les  ont  éloignés  d^  lui  :  ils  fe  perfuadent 


Homélie  si/r  Lazare.  559 
nîr  le  cours  d'une  vie  déforcioniiée  ;  enua 
mot ,  reiTufciter  avant  qiie  d'ôter  la  pierre: 
ris  font  même  quelques  efforts  :  ils  s'adref- 
fent  à  des  hommes  de  Dieu  ;  ils  prennent 
des  mefures  de  changement  ;  mais  de  ces; 
mefuresqiH  n'éloignant  pas  les  périls  j.n'a- 
vancent  point  leur  sûreté  ;  &  toute  leur 
vie  fe  pafTetriûement  à  détefler  leurs  chaî- 
nes ,  &  à  ne  pouvoir  parvenir  à  les  rom*- 
pre. 

D'où  vient  cela ,.  mes  Frères  ?'c'eft  que 
les  pallions  ne  commencent  à  s'affoiblir  y 
queparl'éloignementdes  objets  quilesont 
allumées  ,  c'eil  une  erreur  deeroirequele 
cœur  puilTe  changer  ,  tandis  que  tout  ce^ 
qui  l'environne  eil  encore  à  notre  égard  le 
même..  Vous  voulez  devenir  chafte;  êc 
vous  vivez  au  milieu  des  périls  y  des  liai» 
fons ,  des  familiarités  ^  des  pluilirs  ,  qvit 
ont  mille  fois  corrompu  votre  ame  :  vous 
voudriez  commencer  à  faire  quelques  réfle- 
xions férieufes  fur  votre  éternité ,  ÔC  à 
mettre  quelque  intervalle  entre  la  vie  6c  la 
mort  ;  &  vous  n'en  voulez  point  mettre- 
cntrela  mort  5c  les  dilTipations  qui  vous 
empêchent  de  penfer  à  votre  falut  ;  6C  vous 
attendez  que  le  goiit  d'une  vie  chrétienne: 
vous  vienne  au  milieu  des  agitations  ,.  des» 
plàifîrs  ,  des  inutilités  ,.  des  efpéranceshu- 
maines ,  dont  vous  ne  voulez  rien  rabat- 
tre :  vous  voulez  que  votre  cœur  fe  faffede 
nouvelles  inclinations  au  milieu  detoutce 
qui  nourrit  &  fortifie  les  anciennes  j,  St 
qiie.la,lamgede.ia  fûiôè.  de.  la.  gf^ce.>ie5 


360  VekO.  13E  LA  IV.  SeMATKE/ 
rallume  au  milieu  des  vents  5c  des  tenî-^ 
pêtes  :  elle  qui  dans  le  fecret  même  du  Sanc- 
tuaire ,  s'éteint  fouvent  ,  faute  d^iuile  6C 
de  nourriture  ,  6c  fait  aux  âmes  tiédes  6C 
retirées ,  un  danger  de  la  sûreté  même  de 
leur  retraite. 

Vous  venez  nous  dire  après  cela  que 
vous  ne  manquez  pas  de  bonne  volonté  ; 
mais  que  le  m.oment  n'ell  pas  encore  venu, 
Et  comment  peut-il  venir  au  milieu  de  tout 
ce  qui  l'éloigné  ?  mais  quelle  eft  cette  bon- 
ne volonté  renfermée  au-dedans  de  vous  , 
qui  n'a  jamais  de  fuite ,  qui  ne  conduit  ja- 
mais à  rien  de  réel  ,  6c  n'a  aucune  démar- 
che férieufe  de  changement  ?  c'eft-à-dire, 
vous  voudriez  changer,  fans  qu'il  vous  en 
coûtât  rien  ;  vous  voudriez  vous  fauver  , 
comme  vous  vous  êtes  perdus  ;  vous  vou- 
driez que  les  mêmes  mœurs  ,  qui  ont  éloi- 
gné votre  cœur  de  Dieu  ,  l'en  rapprochaf- 
lent;  ÔC  que  ce  qui  a  été  jufqu'ici  l'occa- 
fion  de  votre  perte,  devint  lui-même  la 
voie  6cla  facilité  de  votre  falut.  Comjmen- 
cez  par  éloigner  les  occafions  qui  ont  été 
tant  de  fois ,  ÔC  qui  fon  encore  tous  les 
jours  recueil  de  votre  innocence  ;  ôtez  la 
pierre ,  qui  ferme  l'entrée  de  la  grâce  à 
votre  am.e  :  Tollite  lapidem  :  après  cela 
vous  aurez  droit  de  demander  à  Dieu  qu'il 
achève  en  vous  fon  ouvrage.  Alors  feparé 
de  tous  les  objets  qui  nourrilToient  en  vous 
'  des  paiTions  injuftes ,  vous  pourrez  lui  di- 
re :  C'ell  à  vous  maintenant ,  ô  mon  Dieu  ! 
i  changer  inou  ç^m  ;  je  vqus  ai  facrifié 


Homélie  sur  Lazare,  -^ôi 
tous  les  attachemens  qui  pouvoient  le  re- 
tenir encore  ;  j'ai  éloigné  de  moi  tous  les 
ecueils  ,  où  ma  foiblelle  auroit  pu  encore 
faire  naufrage  :  j'ai  changé  tous  les  dehors 
qui  dépendoient  de  moi  :  c'eft  à  vous , 
Seigneur  ,  qui  feui  pouvez  changer  les- 
cœurs  ,  à  faire  maintenant  le  refte  ,  à  bri- 
fer  les  liens  invifibles ,  à  furmonter  les  obf- 
tacles  intérieurs  ,  à  triompher  de  ma  cor-; 
ruption  toute  entière  :  j'ai  ôté  la  pierre  fa- 
tale ,  qui  m'empêchoit  d'entendre  votre 
voix  ;  faites-la  retentir  à  préfent  jufques 
dans  l'abîme  où  je  fuis  encore  enfeveli  :  or- 
donnez-moi de  fortir  de  ce  tom^beau  fatal , 
de  ce  lieu  d'infeftion  ôc  de  pourriture  ; 
mais  ordonnez-le  moi  avec  cette  parole 
puiiTante  ,  qui  fe  fait  entendre  aux  morts  , 
&  qui  efl  pour  eux  une  parole  de  réfurrec- 
tion  &  de  vie  :  confiez-moi  à  vos  Difci- 
pies ,  pour  me  délier  de  ces  liens  qui  tien- 
nent toutes  les  puilTances  de  mon  ame  cap-^ 
tives  ;  6c  que  le  miniftère  de  votre  Eglife 
mette  le  dernier  fçeau  à  ma  réfurreètion 
^  à  ma  délivrance. 

Et  voilà ,  mes  Frères ,  le  dernier  moyen 
propofé  dans  notre  Evangile.  Dès  que  la 
pierre  fut  ôtée  ,  le  Sauveur  dit  à  haute 
voiX  ;  Laiare  fortei  dehors.  Lazare  fort  , 
encore  les  pieds  ÔC  les  mains  liés  ;  6c  Jefus- 
Chrifl  le  remet  à  fes  Difcipies  pour  le  dé- 
lier :  Solvite  &Jimu  abire. 

Remarquez  ici ,  mes  Frères ,  que  Jefiis- 
Chriit  n'ordonne  aux  Difcipies  de  délier 
Lazare  ,  qu'après  qu'U  s'e/l  montré  tQUt 

Cjirèmç.  TvmsIII^  H  h 


361  Vend,  de  la  TV.  Semaine. 
entier  hors  du  tombeau.  Il  faut  fe  mani- 
fefter  à  rZglife  ,  dit  S.  Bernard  ,  avant  de 
recevoir  par  Ion  miniilère  le  bienfait;  de  no- 
tre ddiivrance.  Laiare  ,  forte[  dehors  \ 
c'eft-à-dire  j  continue  ce  Père  ,  jufques  à 
quand  demeurerez-vous  caché  6c  enfeveli 
au- dedans  de  votre  confcience  ?  jufques  à 
quand  cèlerez- vous  votre  iniquité  dans  vo- 
^^^'  tre  fein  ?  Qiioufque  confcienti£&  tuœ.  caligo 
te  dctinet. 

Vous  n'ignorez  pas  fans  doute  ,   mes 
Frères  ,  que  la  rémiffion  de  nos  crimes  ne 
nous  eit  accordée  que  par  le  canal  5c  le 
miniiière  de  TEglife  ,    6c  qu'il  faut  venir 
découvrir  6c  préfenter  nos  liens  à  la  piété 
des  Minières  ,  qui  feuls  ont  l'autorité  de 
lier  5C  de  délier  fur  la  terre  ;   ce  n'eft  pas 
fur  quoi  vous  avez  befoin  d'être  inftruits. 
Mais  je  dis  qu'afîn  que  la  converlîon  foit  fo- 
îide  5c  durable  ,  il  faut  fe  m.ontrer  tout  en- 
tier hors  du  tombeau  comme  Lazare.  Il  ne 
Vagit  pas  ici  d'une  confeiîion  ordinaire:  un 
pécheur  invétéré  doit  remonter  jufqu'àfon 
enfance  ;  jufqu'à  la  première  naiflance  de 
fes  pafiions  ;    jufqu'aux    commencemens 
de  fa  vie ,  qui  ont  été  ceux  de  fes  crimes. 
Il  ne  faut  plus  lailTer  de  doutes  6c  d'obfcu- 
rités  dans  la  confcience,  laifTer  dans  les  té- 
nèbres les  premières  mœurs  ,    fous   pré- 
texte qu'elles  ont  été  déjà  révélées  au  Prê- 
tre :  il  faut  une  manifeilation  univerfelle  ; 
ne  compter  pour  rien  tout  ce  qu'on  a  fait 
jufqu'ici  ;  les  Sacremens  reçus,  6c  les  con- 
fefTions  faites  dans  la  vie  mondaine  &  déré- 


Homélie  sur  Lazare.  363 
glée  ,  les  mettre  même  au  nombre  de  nos 
crimes  ;  regarder  la  confcience  comme  un 
cahos ,  où  jufqu'ici  on  n'a  pas  porté  la  lu- 
mière ,  ÔC  fur  laquelle  toutes  nos  fauïïes 
pénitences  palTée  n'ont  fait  que  répandre 
de  nouvelles  ténèbres. 

Car  ,  hélas ,  mes  Frères  !  une  ame  qui 
revient  à  Dieu  après  les  égaremens  du 
monde  ÔC  des  pallions  ,  doit  préfumer 
qu'ayant  vécu  julques-là  dans  desaiFe£lions 
éc  des  habitudes  criminelles  ,  tous  les  Sa» 
cremens  reçus  en  cet  état  ont  été  pour  elle 
des  profanations  6c  des  crimes. 

Premièrement ,  parce  que  n'ayant  ja» 
mais  eu  de  douleur  véritable  de  fcs  fau- 
tes ,  ni  par  conféquent  de  volonté  lincère 
de  s'en  corriger  ,  les  remèdes  de  l'Eglife  , 
loin  de  la  purifier  ,  ont  achevé  de  la  fouil- 
ler ,6c  de  rendre  fes  maux  plus  incurables. 
Secondement ,  parce  qu'elle  ne  s'ell:  ja- 
mais connue  elle-même;  ôC  qu'ainfieile  n'a 
pu  fe  faire  connoître  au  tribunal.  Car  3 
hélas ,  mes  Frères  !  le  monde  au  miliea 
duquel  cette  ame  a  toujours  vécu  ,  ôC  où 
elle  a  toujours  penfé  6c  jugé  de  tout  com- 
me le  monde  ;  le  monde  ,  dis-je  ,  ne  trou- 
vant de  fenfé  5c  de  raifonnable  ,  que  fes 
maximes  ôC  fes  façons  de  penfer  ;  le  monde 
connoît-il  afTez  la  fainteté  de  lEvangile  , 
les  obligations  de  la  foi ,  retendue  des 
devoirs  ,  pour  entrer  dans  le  détail  des 
tranfgre liions  que  la  foi  condamne  ? 

Troifiémement  enfin  ,  parce  que ,  quand 
même  elle  aviroit  connu  toutes  fes  miférei» 

Hh  i 


364  Vend,  de  la  IV.  Seimainê; 
n'en  ayant  jamais  eu  de  douleur  iincèfô  J 
elle  n'a  pii  les  faire  connoître  ;  car  il  n'y  â 
que  la  douleur  qui  fâche  s'expliquer  comme 
il  faut ,  6c  repréfenter  au  naturel  les  maux 
qu'elle  fent  &  qu'elle  abhorre  :  il  faut  avoir 
le  cœur  touché  pour  favoir  fe  faire  enten- 
dre fur  les  plaies  6c  les  mileres  du  cœur 
même.  Un  pécheur  touché  d'une  paiîioii 
profane  ,  en  parle  plus  vivement ,  plus  élo- 
quemment  :  rien  ne  lui  échappe  des  maux 
infenfés  &.  déplorables  qu'il  endure  ;  il  en- 
tre dans  tous  les  replis  de  fon  cœur ,  fes 
jaloufies  ,  fes  craintes ,  fes  efpérances. 
Comme  il  n'y  a  que  l'efprit  de  l'homme  , 
dit  l'Apôtre  ,  qui  fâche  ce  qui  fe  paffe  dans 
l'homme ,  il  n'y  a  que  le  cœur  aufli  qui 
puiiïe  favoir  ce  qui  fe  palTe  dans  le  cœur. 
La  douleur  donne  des  yeux  pour  tout  voir, 
êc  des  paroles  pour  tout  dire  ;  elle  a  un 
langage  que  rien  ne  fauroit  imiter  :  ainfî  une 
ame  mondaine ,  ôc  encore  liée  par  le  cœur 
à  tous  fes  défordres  ,  a  beau  venir  s'ac- 
cufer  ,  elle  ne  fauroit  fe  faire  connoitre  : 
fans  avoir  un  deffein  formel  de  diilimuler 
fes  plaies ,  elle  ne  les  montre  jamais  dans 
toute  leur  horreur ,  parce  qu'elle  ne  les  fent 
pas ,  6c  n'en  eft  pas  frappée  elle-même  :  fes 
paroles  fe  fentent  toujours  de  l'infenlibilité 
de  fon  cœur  ;  6c  il  efl  impoilible  qu'elle 
montre  dans  toute  leur  laideur  des  diffor- 
mités qu'elle  ne  connoît  pas ,  6c  qu'elle 
aime  encore  :  elle  doit  donc  regarder  tout 
^'^  tems  de  fa  viepalTée  ,  comme  un  tems  de 
Témb  ^^^  ^  d'aveuglement ,  où  elle  ne 


H  O  M  E  L  I  E  s  U  R  L  A  Z  A  R  E.  365 
s'eft  jamais  vue  qu'avec  des  yeux  de  chair 
6c  de  fang  ;  jamais  jugée  que  par  des  juge- 
mens  depailion  6c  d'amour  propre;  jamais 
accufée  qu'avec  un  langage  d'erreur  b^ 
d'impénitence  ;  jam.ais  montrée  que  dans 
un  jour  faux  ÔC  imparfait.  Ce  n'efl  donc 
pas  aiïez  d'ôter  la  pierre  du  tombeau  ;  il 
faut  que  cette  amiC  criminelle  en  forte  elle- 
même  ;  qu'elle  fe  montre  ,  pour  ainfi  dire , 
au  grand  jour  ;  qu'elle  manifefte  toute  fa 
vie  ;  5c  que  depuis  le  premier  agejufqu'au 
jour  heureux  de  fa  délivrance,  rien  ne  puifle 
échapper  aux  yeux  des  Miniftres  prêts  à 
la  délier. 

Mais  cette  démarche  ,  dites -vous  ,  à 
des  difficultés  qui  peuvent  jetter  le  trouble, 
l'embarras  ,  le  découragement  dans  la 
confcience ,  5c  fufpendre  la  réfolution  d'un 
changement  de  vie.  Quoi  ,  mes  Frères  , 
vous  entrez  dans  des  difculîions  fi  pénibles 
&  fi  infinies ,  pour  éclaircir  vos  affaires  tem- 
porelles ;  6c  pour  établir  l'ordre  ÔC  la  sû- 
reté dans  votre  confcience  ,  Sc  pour  ne 
laiffer  plus  rien  de  douteux  dans  l'affaire  de 
votre  éternité  ,  vous  vous  plaindriez  dès 
qu'il  doit  vous  en  coûter  quelques  foins  5c 
quelques  recherches?  Vous  dites  fi  fouvent 
vous-mêmes  quand  il  s'agit  d'ujie  démar- 
che décifive  pour  la  ruine  6c  pour  la  confer- 
vation  de  votre  fortune  ,  qu'il  ne  faut  rien 
rifquer  ,  rien  négliger  ;  qu'il  faut  tout  voir 
foi-même  ,  tout  éclaircir  ,  tout  approfon- 
dir ,  5c  n'avoir  rien  à  fe  reprocher  ;  5c  cette 
niaxime  fi  raifonnable  fur  des  intérêts  paf- 

Hh  3 


^66     Vend,  de  la  IV.  Semaine. 
fagers  5C  frivoles ,  le  feroit  moins  fur  le 
grand  6c  fur  l'unique  intérêt  du  falut  ? 

Ah  ,  mes  Frères  !  que  nou^  avons  peu 
de  foi  !  Et  qu'avons-nous  de  plus  important 
en  cette  vie  ,  que  le  foin  de  m>ettre  en  état 
ce  compte  redoutable  ,  que  nous  devons 
rendre  au  Juge  éternel ,  èc  au  Scrutateur 
de  nos  cœurs  6c  de  nos  penfées  ?  c'eft-à- 
dire  ,  le  foin  de  régler  notre  confcience  , 
d'en  diiîiper  les  ténèbres ,  d'en  purifier  les 
fouillures  ,  d'en  éclaircir  les  intérêts  éter- 
nels ,  d'en  affurer  les  efpérances ,  nous  af- 
furer  nous-mêmes,  autant  que  la  condition 
préfente  le  permet ,  de  fon  état  5c  de  fes 
di{|;>ofîtions  ;  ôc  n'aller*pas  paroître  devant 
Dieu  comme  des  infenfés ,  inconnus  à  nous- 
mêmes  ,  incertains  de  ce  que  nous  ^fem- 
mes ,  êc  de  ce  que  nous  devons  être  pour 
toujours.  Tels  font  les  moyens  de  conver- 
fîon  ,  marqués  dans  le  miracle  de  laréfur- 
reélion  de  Lazare  :  achevons  l'hiftoire  de 
notre  Evangile  ;  ÔC  voyons  quels  font  les 
motifs  qui  déterminent  Jefus-Chrift  à 
l'opérer. 

JL  Our  entrer  d'abord  dans  notre  fujet  ,' 
III-  ^  ôv  ne  pas  perdre  de  vue  la  fuite  de  l'Evan- 
gile ;  le  premier  motif  que  le  Sauveur  pa- 
roît  fe  propofer  dans  la  réfurre£lion  de  La- 
zare; c'eft  de  confoler  les  larmes  ,  &:  de 
récompenfer  les  prières  5c  la  piété  de  ^qs 
deux  fœurs.  Seigneur  y  lui  difent- elles  > 
celui  que  vous  aimei  ejl  malade  :  6C  voilà  , 
mes  Frères ,  le  premier  motif  qui  déter- 


Partie. 


Homélie  sur  Lazare.  397 
mine  fouvent  Jefiis-Chrift  à  opérer  la 
converfion  d'un  grand  pécheur  ;  les  larmes 
6c  les  prières  des  âmes  juftes  qui  la  dem.an- 
dent. 

Oui ,  mes  Frères ,  foit  que  le  Seigneur 
veuille  par-là  rendre  la  vertu  plus  refpec- 
table  aux  pécheurs ,  en  ne  leur  accordant 
des  grâces  que  par  Tentremife  des  âmes 
juftes  ;'  foit  qu'il  ait  delTein  de  lier  plus  étroi- 
tement fes  membres  ;  6c  de  les  confommer 
dans  l'unité  5c  dans  la  charité,  en  rendant 
les  miniftères  des  uns,  utiles  5c  nécelTaires 
aux  autres  ;  il  eft  certain  que  c'eft  dans  les 
prières  des  gens  de  bien  ,  que  la  conver- 
fion des  plus  grands  pécheurs  trouve  tous 
les  jours  fa  foui  ce.  Comme  tout  fe  fait 
pour  les  Juftes  dans  l'Eglife  ,  dit  l'Apôtre, 
on  peut  dire  aufli  que  tout  fe  fait  par  eux  ; 
6c  comme  les  pécheurs  n'y  font  fouiferts  , 
que  pour  exercer  leur  vertu  ,  ou  ranimer 
leur  vigilance  ,  ils  n'y  font  rappelles  auiÏÏ 
de  leurs  égaremens  ,  que  pour  confoler 
leur  foi ,  éc  récompenfer  leurs  gémilTe- 
mens  ÔC  leurs  prières. 

C'eft  donc  un  commencement  de  juftice 
pour  les  plus  grands  pécheurs  ,  que  d'ai- 
mer les  âmes  juftes  ;  c'eft  un  préjugé  de 
vertu ,  que  de  la  refpe£ler  dans  ceux  qui  la 
pratiquent  :  c'eft  une  efpérance  de  conver- 
fion ,  que  de  rechercher  la  fociété  des  gens 
de  bien  ,  eftimer  leur  confiance  ,  ÔC  les 
intéreffer  à  notre  falut  ;  5C  quand  m.ême 
notre  cœur  gémiroit  encore  fous  des  liens 
injuftes ,  6c  que  l'amour  du  monde  5c  des 

Hh4 


3^8  Vend,  de  la  IV.  Sema^e. 
plaifirs  nous  éloigneroit  encore  de  Dîeu^ 
dès  que  nous  commençons  à  aimer  {qs  fer- 
viteurs  ,  nous  faifons  comme  le  premier 
pas  dans  fon  fervice.  Il  femble  que  notre 
cœur  fe  lafTe  déjà  de  fes  paffions ,  dès  que 
nous  nous  plaifons  avec  ceux  qui  les  con- 
damnent; éc  que  le  goût  de  la  vertu  n'eft 
pas  loin  ,  dès  que  nous  pouvons  goûter 
ceux  que  la  vertu  feule  rend  aimables. 

D'ailleurs  ^  les  Juftes  inftruits  par  nous- 
mêmes  de  nos  foibleiles ,  les  ont  fans  ceile 
prëfentes  devant  le  Seigneur  :  ils  gémiffent 
devant  lui  fur  les  chaînes  qui  nous  lient  en- 
core au  monde  6c  à  fes  amufemens:  ils  lui 
offrent  quelques  foibles  défirs  de  vertu  , 
que  nous  leur  confions  quelquefois ,  pouj? 
obliger  fa  bonté  à  nous  en  accorder  de 
plus  vifs  &  de  plus  efficaces  :  ils  portent 
jufqu'aux  pieds  de  fon  Trône   quelques^ 
commencemens  de  bien  qu'ils  ont  apperçu 
en  nous ,  pour  nous  en  obtenir  de  fa  miié- 
ricorde  la  perfedion  &  la  plénitude.  Plus, 
touchés  de  nos  malheurs  que  de  leurs  be- 
foins ,  ils   s'oublient,  faintement  eux-mê- 
mes ,  pour  fauver  leurs  frères  qui  périf- 
fent  à  leurs  yeux  :  eux  feuls  nous  aiment 
pour  nous-mêmes ,  parce  qu'eux. feuls  n'ai- 
ment en  nous  que  notre  faiut  :  le  monde 
peut  nous  donner  des  créatures ,  des  adu- 
lateurs ,  des   compagnons   de  plaifir  ,   de 
fociété  ,  de  débauche  ;  mais  la  vertu  toute 
feule  nous  donne  des  amis. 

Et  c'eft  ici  >  où  vous  qui  m'écoutez  , 
gui  autrefois  ,  comme  peut-être  Marie , 


Homélie  $uR  Lazare.    3^^ 
étiez  efclaves  du  monde  &  des  pafTions , 
&  qui  depuis  ,  touchées  de  la  grâce  ,  ne 
bougez  plus  comme  elle  des  pieds  du  Sau- 
veur ;   c'eft  ici  où  vous  devez  vous  fou- 
venir  que  déformais  un  des  plus  importans 
points  de  votre  nouvelle  vie  ,  eft  de  de- 
mander continuellement  à  Jefus-Chrifl , 
comme  la  fœur  de  Lazare  ,  la  réfurreûion 
de  vos  frères  ;  la  converiion  de  ces  amcs 
infortunées ,  qui  ont  été  les  complices  de 
vos  pallions  criminelles ,  6c  qui  encore  fous 
la  puiiTance  de  la  mort  6c  du  péché  ,  traî- 
nent triftement  leurs  chaînes  dans  les  voies 
du  monde  5c  de  l'égarem^ent.  Vous  devez 
dire  fans  CQÏÏe  à   Jefus-Chrift  dans  Ta- 
mertume  de  votre  cceur   comme  la  fœur 
de  Lazare  :   Seigneur ,  celui  qui  vous  ai- 
me^ ejî  malade  s  ^^^  âmes  pour  qui  j'ai  été 
unécueil,  5c  qui  vous  ont  moins  oiTenfé 
que  moi ,  font  cependant  encore  dans  les 
ténèbres  de  la  mort ,  &  dans  la  corruption 
du  péché  ;  &  je  jouis  d'une  délivrance  dont 
,  j'étois  plus  indigne  qu'elles  !  Ah  ,    Sei- 
gneur !  le  plaifir  que  j'ai  d'être  à  vous  ne 
fera  jamais  parfait  ,  tandis  que  je  verrai 
mes  frères  périr  triftement  à  mes  yeux:  je 
ne  jouirai  qu'à  demi  du  fruit  de  vos  mifé- 
ricordes  ,  tandis  que  vous  les  refuferez  à 
des  âmes  pour  qui  j'ai  été  moi-même  une 
occafion  funefle  de  chiite  :  &  je  ne  croirai 
jamais   que  vous  m'ayez   pardonné   mes 
crimes  ,  tandis  que  je  les  verrai  encore 
lub/if}er  dans  les  pécheurs ,  que  mes  exem^ 
pies  ôc  mes  paffions  ont  éloignés  de  vous 


370     Vend,  de  la  IV.  Semaine/ 

JJomine ,  ccce  qiiem  amas  infirmatur. 

Ce  n'eft  pas ,  mes  Frères ,  que  vous  de- 
viez Çi  fort  compter  fur  les  prières  des  gens 
de  bien  ,  que  vous  attendiez  d'elles  feules 
le  changement  de  votre  cœur  ôc  le  don  de 
la  pénitence.  Car  c'eft-ià  une  illufion  afTez 
ordinaire  parmi  les  perfonnes  ,  furtout  les 
plus  élevées  dans  le  monde  :  on  croit  qu'en 
refpe£lant  la  vertu  ;  qu'en  favorifant  les 
gens  de  bien  ;  qu'en  les  intérefTant  à  folli- 
citer  auprès  de  Dieu  notre  converfion ,  nos 
chaînes  tomberont  d'elles-mênies  ,    fans 
qu'il  nous  en  coûte  aucun  effort  pour  noua 
en  dégager  :  on  fe  railure  fur  ce  refte  de 
foi  6c  de  religion  , -qui  nous  rend  la  vertu 
dans  les  autres  encore  chère  ÔC  refpeâ:a- 
ble  :  on  fe  fait  bon  gré  de  n*en  être  pas  en- 
core venu  à  ce  point  de  libertinage    £^ 
d'impiété ,  fî  commun  dans  le  monde  ,  qui 
fait  de  la  vertu  des  cenfures ,  êc  des  déri- 
fîons  publiques.  Mais  hélas ,  mes  Frères  , 
il  ne  îervit  de  rien  au  Roi  de  Jehu  d'avoir 
rendu  des  honneurs  publics  au  faint  homme 
Jonadab  :  fes  vices   fubfifloient    toujours 
avec  le  refpeâ:  qu'il  eut  pour  la  vertu  de 
l'homme  de  Dieu,  Il  fut  inutile  à  Hérode 
d'honorer  la   piété  de  Jean-Baptifte ,  ôC 
d'aimer  même  la  fainte  liberté  de  fes  dif- 
cours  :  la  déférence  qu'il  eût  pour  le  pré- 
curfeur,  lui  lailTa  toujours  tout  l'emporte- 
ment de  fa  paffion  criminuelle.  Les  hon- 
neurs que  nous  rendons  à  la  vertu  attirent 
des  fecours  à  notre  foibleife  ;  mais  ils   ne 
juftifient  pas  nos  égaremens  \  les  prières 


Homélie  sur  Lazare.  371 
des  gens  de  bien  rendent  le  Seigneur  plus 
attentif  à  nos  befoins  ;  mais  non  pas  plus 
indulgent  pour  nos  crimes  :  elles  nous  ob- 
tiennent la  viéloire  des  paffions  que  nous 
commençons  à  détefter  ;  mais  non  pas  de 
celles  que  nous  aimons ,  6C  dans  lefquelles 
nous  voulons  continuer  de  vivre  :  en  un 
mot ,  elles  aident  nos  bons  défirs  ;  mais 
elles  n'autorifent  pas  notre  impénitence. 

Le  miracle  de  la  réfurre£i:ion  de  Lazare 
apprend  donc  aux  âmes  juftes  à  folliciter 
la  converfion  de  leurs  frères  ;  mais  la  con- 
verfion  6c  la  délivrance  de  leurs  frères  , 
fert  encore  à  ranimer  leur  tiédeur  6c  leur 
lâciieté.  Second  motif  que  fe  propofe  Je- 
fus-Chrift  :  il  veut  réveiller  par  la  nou- 
veauté de  ce  prodige  ,  la  foi  de  fes  Difci-. 
pies  encore  foible  ÔC  languilTante  :  Gaudeo 
propter  vos  ut  credatis» 

Et  tel  êft  le  fruit  que  JefusChrift  fe 
propofe  tous  les  jours  des  miracles  de  la 
grâce  :  il  opère  à  vos  yeux  des  conver- 
fions  foudaines  &  furprenantes  ,  vous  qui 
marchez  depuis  long-tems  dans  fes  voies  , 
pour  confondre  par  la  ferveur  &  par  le 
zèle  de  ces  âmes  depuis  peu  relTufcitées  , 
votre  tiédeur  5c  votre  indolence.  Oui  , 
mes  Frères ,  rien  n'efi:  plus  propre  à  nous 
couvrir  de  confufion  ,  &  à  nous  faire  trem- 
bler fur  les  infidélités  que  nous  mêlons  à 
une  pieté  tiède  ÔC  languilTante  ,  que  de 
voir  une  ame  enfevelie ,  il  n'y  a  qu'un  mo- 
ment ,  dans  la  corruption  de  la  mort  5c  dit 
péché-,  &  dont  les  égaremens  a  voient  peut- 


%-]!      Vend,  de  la  IV.  Semaine. 
être  fervi  de  matière  à  la  vanité  de  notre 
zèle  ,  &C  à  la  malignité  de  nos  cenfiires  ; 
de  la  voir  ,  dis-je  ,  un  inllant  après  vivi- 
fiée par  la  grâce  ,  libre  de  fes  chaînes  , 
marcher  à  pas  de  géant  dans  la  voie  de 
Dieu  ;  plus  avide  de  mortification  ;  qu'elle 
ne  Tavoit  été  des  plailirs  ;  plus  féparée  en- 
core du  monde   6c  de   fes   amufemens  , 
qu'elle  n'y  avoit  paru  attachée  ;  fe  difputer 
les  délaïïemens  les  plus  innocens  ;  ne  met- 
tre prefque  point  de  bornes  à  la  vivacilé 
^  aux  transports  de  fa  pénitence,  6c  faire 
tous  les  jours  de  nouveaux  progrès  dans 
la  piété  ;  tandis  que  nous ,  après  bien  des 
années  de  vertu  ,  hélas  !  nous  languillons 
encore  dans  les  commencemicns  de  cette 
fainte  carrière  ;  tandis  que  nous  ,   après 
tant  de  grâces  reçues  ,  après  tant  de  véri- 
tés connues  ,  après  tant  de  Sacremens  fré- 
quentés ,  hélas  1  nous  tenons  encore  au 
monde  ÔC  à  nous-mêmes  par  mille  liens 
injuftes  t  nous  en  fommes  encore  aux  pre- 
miers élemens  de  la  foi  5c  de  la  vie  chré- 
tienne ,  ÔC  plus  éloignés  encore  que  nous 
ne  l'étions  au  commencement  de  ce  zèle 
6c  de  cette  ferveur  qui  fait  tout  le  prix  ÔC 
toute  la  sûreté  d'une  piété  fidèle. 

Mes  Frères ,  la  prédidion  terrible  de 
Jefus-Chrift  s'accomplit  tous  les  jours  à 
nos  yeux.  Des  publicains  â>C  des  pécheurs  ; 
des  perfonnes  d'une  conduite  fcandaleufe , 
même  félon  le  monde  ,  ôc  auiîi  éloignées 
du  Royaume  de  Dieu  ,  que  l'Orient  l'eft 
de  l'Occident ,  fe  çonvertiffent ,  font  pé- 


Homélie  SUR  Laz AU e!  575 
Iiîtence  ,  furprennent  le  mondeparle  fpec- 
tacle  d'une  vie  retirée  ,  mortifiée ,  6c  re- 
poferont  dans  le  fein  d'Abraham  5c  de  Ja» 
cob  ;  6c  peut-être  que  nous  ,  qu'on  re- 
garde comme  les  enfans  du  Royaume  ;  M 
peut-être  que  nous ,  dont  les  mœurs  n'of-  ' 
irent  rien  aux  yeux  du  monde  que  de  ré* 
gulier  6c  de  louable  ;  peut  être  que  nous, 
qu'on  propofe  comme  des  modèles  de 
conduite  ÔC  de  vertu  !  peut-être  que  nous , 
que  lé  monde  canonife  ,  &  qui  nous  glo- 
rifions du  nom  6c  des  apparences  de  la 
piété,  hélas  !  peut-être  nous  ferons  rejet- 
tés  ÔC  confondus,  avec  les  infidèles ,  pour 
avoir  toujours  opéré  notre  falut  avec  né- 
gligence,  &  confervé  un  cœur  encore  tout 
mondain  au  milieu  des  œuvres  de  la  piété 
inême  :  Fllii  auîem  re^ni  ejicientur  in  /^-A^û^M.  Si 
ncèras  exteriores.                                       ^      ^' ^ 

Ainfi ,  mes  Frères ,  vous  que  ce  dif- 
cours  regarde  ,  ne  jugez  pas  de  vous-mê- 
mes ,  en  vous  comparant  en  fecret  à  ces 
âmes  défordonnées  ,  que  le  monde  6c  les 
pafiions  entraînent.  On  peut  être  plus  jufte 
que  le  monde ,  ÔC  ne  l'être  pas  encore  affez 
pour  Jefus-Chrifi:  :  car  le  monde  e/l  fï 
corrompu  ;  l'Evangile  y  eft  fi  ignoré  ;  la 
Foi  fi  éteinte  ;  les  régies  6c  les  vérités  fi  af- 
foiblies ,  que  ce  qui  eft  vertu  par  rapport  à 
lui ,  peut  être  encore  une  grande  iniquité 
devant  Dieu. 

Comparez-vous  plutôt  à  ces  faints  Pé- 
iiitens ,  qui  édifièrent  autrefois  l'Eglife  par 
ïe  prodige  de  leurs  auftérités ,  6c  dont  la 


374  Vekd.  de  la  IV.  Semaine. 
vie  nous  paroît  encore  aujourd'hui  fi  in- 
croyable ;  à  ces  Martyrs  généreux  qui  li- 
vroient  leurs  corps  pour  la  vérité  ,  &.  qui 
au  milieu  des  plus  cruels  tourmens ,  étoieiit 
tranfportés  de  joie  à  la  vue  des  promeffes 
éternelles  ;  à  ces  Fidèles  des  premiers  tems, 
qui  mouroient  tous  les  jours  pour  Jefus- 
Chrift  y  ôC  qui  dans  les  perfécutions ,  6c 
dans  la  perte  de  leurs  biens  ,  de  leurs  en- 
fans  ,  de  leur  patrie ,  croyoient  tout  pofle- 
der ,  parce  qu'ils  navoient  pas  perdu  la  foi 
&  refpérance  d'une  vie  meilleure  :  voilà  les 
modèles  fur  lefquels  vous  devez  mefurer 
votre  vertu  pour  la  trouver  encore  défec- 
tueufe  ôC  toute  mondaine.  Si  vous  ne  leur 
reflemblez  pas ,  envain  ne  reflemblez-vous 
pas  au  monde  ,  vous  périrez  comme  lui  ; 
il  ne  fuffit  pas  de  ne  point  imiter  les  cri- 
mes des  mondains ,  il  faut  encore  avoir  les 
vertus  des  Juftes. 

Enfin ,  non-feulement  la  bonté  de  Jefus- 
Chrift  dans  ce  miracle  veut  préparer  à  fes 
Difciples  5c  aux  Juifs  fidèles  ,  un  nouveau 
motif  de  croire  en  lui;  mais  fa  juftice  y 
ménage  encore  aux  Juifs  incrédules  une 
nouvelle  occalion  d'endurciffement  6c  d'in- 
crédulité :  dernière  circonfîance  de  notre 
Evangile.  Ils  prennent  des  mefures  pour 
le  perdre  :  ils  veulent  faire  mourir  Lazare 
lui-même  ,  pour  n'avoir  plus  au  milieu 
d'eux  un  témoin  fi  éclatant  de  la  puilTance 
de  Jefus-Chrift.  Ils  avoient  accordé  des 
larmes  à  fa  mort  :  &  Judœos  gui  vénérant 
cum  eaplorames:  à  peine  eft-il  reflucité. 


Homélie  sur  Lazare.     J75 

Îu'll  ne  leur  paroît  plus  digne  que  de  leur 
ureur  ÔC  de  leur  vengeance.  Et  voilà  , 
nies  Frères  ,  le  feul  fruit  que  la  plupart 
d'entre-vous  retirez  d'ordinaire  des  mira- 
cles de  la  grâce  ;  c'eft- à-dire  ,  de  la  con- 
ver/îon ,  6c  de  la  réfurreftion  fpirituelle  des 
grands  pécheurs.  Avant  que  la  miféricor- 
de^  de  J-efus-Chrift  eut  jette  fur  une  ame 
criminelle  des  regards  de  grâce  6c  de  fa- 
lut  ;  &  tandis  que  livrée  à  tout  l'emporte- 
ment des  pafîîons,  elle  étoit  non-feulement 
morte  dans  fon  péché,  mais  répandoit  par- 
tout Tinfeâion  bi.  la  mauvaife  odeur  de  fes 
déréglemens  6C  de  fes  fcandales  ,  vous  pa- 
roiiliez  touchés  de  fes  égarement  &  de 
fpn  ignominie  ;  vous  déploriez  le  malheur 
de  fa  deftinée  ;  vous  mêliez  vos  larmes  6c 
vos  regrets ,  aux  regrets  ôc  aux  larmes  de 
fes  amis  ôc  de  fes  proches  :  Et  Judceos  gui 
yenerans  cum  ea  plorantes  ;  &  le  dérange- 
ment public  de  fa  conduite  trouvoit  en 
vous  une  douleur  ôc  une  compaffîon  d'hu- 
manité ;  mais  à  peine  la  grâce  de  Jefus- 
Chrift  l'a  rappellée  à  la  vie  ;  à  peine  fortie 
du  tombeau  ôc  de  l'abime  de  corruption 
où  elle  étoit  enfevelie ,  rend-elle  gloire  à 
fon  Libérateur  par  les  faintes  ardeurs  d'une 
piété  tendre  6c  fîncère ,  que  vous  deve- 
nez les  cenfeurs  de  fa  piété  même  :  vous 
aviez  paru  touchés  de  l'excès  de  {qs  vices , 
êc  vous  faites  des  dérifîons  publiques  de 
l'excès  prétendu  de  la  vertu  :  vous  aviez 
blâmé  fon  ardeur  pour  les  plaifirs,  6c  vous 
condamnez  fou  amour  pour  Dieu.  Accgr- 


§7^     Vend,  de  la  IV.  Semaine.' 
idez-vous  donc  avec  vous-mêmes  ;  ÔC  felteé 
^race ,  ou  au  Jiifte  ou  au  pécheur. 

Oui ,  mes  Frères  ,  fi  le  bonheur  d'un© 
ame  qui  à  vos  yeux  revient  de  fes  égare- 
mens ,  ne  vous  fait  point  d'envie;  fi  le  re- 
tour iincère  d'un  pécheur  ,  qui  peut-être 
autrefois  étoit  de  vos  plailîrs  ôC  de  vos  ex- 
cès ,  vous  iaiffe  toute  votre  indifférence 
pour  le  falut ,  ah  !  du  moins  n  infultez  pas 
au  bonheur  de  fa  deftinée  ;  du  moins  ne 
înéprifez  pas  en  lui  le  don  de  Dieu  ;  ne 
trouvez  pas  dans  les  miracles  mêmes  de 
la  grâce  ,  fi  capables  de  vous  ouvrir  les 
yeiix ,  un  nouveau  motif  d'aveuglement  6c 
d'incrédulité  ;  6c  ne  changez  pas  les  bien- 
faits de  Dieu  fur  vos  frères ,  en  un  juge- 
ment terrible  de  juftice  contre  vous. 

Vous  êtes  furpris  quelquefois ,  mes  Frè- 
res, en  lifant  l'hiftoire  de  notre  Evangile, 
que  la  dureté  ÔC  l'aveuglement  des  Juifs 
pût  réfifter  aux  prodiges  les  plus  éclatans 
de  Jefus-Chrift  :  vous  ne  comprenez  pas 
comment  la  réfurreftion  des  morts,  lagué- 
rifon  des  aveugles-nés  ,  6c  tant  d'autres 
merveilles  opérés  à  leurs  yeux  ,  ne  les 
forçoient  pas  à  reconnoitre  la  vérité  de  fon 
miniftère ,  ÔC  la  fainteté  de  fa  doctrine:  vous 
dites  qu'il  n'en  faudroit  pas  tant  pour  vous 
convaincre  qu'un  feul  de  ces  miracles  fulîi- 
roit ,  5c  que  vous  vous  rendriez  à  l'inftant. 

Mais ,  mes  Frères  ,  vous  vous  condam- 
nez par  votre  propre  bouche  ;  (  car  fans 
réfuter  ici  ce  vain  difcours  par  ces  preuves 
hautes  ÔC  fublimes  que  la  Religion  fournît 

contfç 


Homélie  SUR  Lazare.  377 
fcontre  l'impiété  ,  6c  que  nous  avons  em- 
ployées ailleurs  ;  )  de  bonne  foi ,  n'eft-ce 
pas  un  miracle  plus  étonnant  5c  plus  diffi- 
cile ,  qu'une  am,e  livrée  au  crime  6c  aux 
paiîîons  les  plus  honteufes ,  née  avec  des 
penchans  de  volupté  ,  de  fierté  ,  de  ven- 
geance ,  d'ambition  ,  Sc  plus  éloignée  que 
perfonne ,  par  le  caraftère  de  fon  cœur , 
du  Royaume  de  Dieu  ,  6c  de  toutes  les 
maximes  de  la  piété  chrétienne  ;  que  cette 
ame  renonce  tout  d'un  coup  à  fes  plaifîrs, 
rompe  les  attachemens  les  plus  vifs  ,  ré- 
prime les  pafTions  les  plus  violentes ,  étei» 
gne  ,  change  les  inclinations  les  plus  enra- 
cinées ,  oublie  les  injures  ,  les  foins  du 
corps  ,  de  la  fortune  ;  ne  trouve  plus  de 
goût  qu'à  la  prière  ,  à  la  retraite ,  à  la  pra- 
tique des  devoirs  les  plus  trilles  5c  les  plus 
dégoiitans ,  6c  offre  aux  yeux  du  public  un 
changement ,  une  réfurreâ:ion  fi  palpable, 
le  fpeâ:acle  d'une  vie  fi  différente  de  la  pre- 
mière ,  que  le  monde  ,  que  le  libertinage 
lui-même  foit  forcé  de  rendre  gloire  à  la 
vérité  de  fon  changement ,  5c  qu'on  ne  la 
Teconnoiffe  plus  elle-même  ;  n'ell-ce  pas  > 
dis- je,  un  miracle  plus  étonnant  §C  plus 
difficile  ? 

Or  ,  la  miférîcorde  de  Jefus-Chrifl 
n'opére-t'elle  pas  tous  les  jours  de  ce  pro-* 
àïges  à  vos  yeux  ?  fa  parole  f^ynte,  quoi- 
que dans  des  bouches  foibles  6c  languiilan- 
tes  ,,  ne  reifufGite-t'elle  pas  encore  tous  ks 
jours  d;es  Lazares  ?  Vous  les  voyez  ;  voitô 
les  connoiffez  ;  vous  en  paroiffez  furpris  ^ 


}7^  VexN^d.  de  la  IV.  Semaine. 
&  cependant  en  êtes-vous  touchés  ?  ces 
merveilles  que  le  doigt  de  Dieu  fait  éclater 
avec  tant  de  majefté,  vous  rappellent-elles 
à  la  vérité  5c  à  la  lumière  ?  ces  change- 
mens  mille  fois  plus  furprenans  que  la  ré- 
furreâ:ion  des  morts ,  vous  convainquent- 
ils  ?  vous  attirent-ils  à  Jefus-Chrift  ?  vous 
rendent- ils  la  foi  que  vous  avez  perdue  ? 

Hélas  !  femblables  aux  Juifs  ,  tout  vo» 
tre  foin  eft  d'en  combattre  ou  d'en  affoi- 
blir  la  vérité.  Vous  difputez  à  la  grâce  la 
gloire  de  ces  prodiges  :  vous  en  cherchez 
les  motifs  dans  des  caufes  toutes  humai- 
nes :  vous  les  regardez  comme  des  prefti- 
ges  5c  des  impcftures  :  vous  attribuez  aux. 
artifices  de  l'homme  les  plus  éclatantes 
opérations  de  rEfprit- Saint  :  vous  voulez 
qu'une  nouvelle  vie  ne  foit  qu'un  nouveau 
piège  qu'on  tend  à  la  crédulité  publique  , 
Se  une  voie  nouvelle  pour  mieux  arriver  à 
fes  fins.  Ainfi  les  œuvres  de  la  toute-puif- 
fance  de  Jefus-Chrifl: ,  vous  endurcifTent  ; 
ainiî  les  prodiges  mêmes  de  fa  grâce  con- 
ibmment  votre  aveuglement  ;  ainfi  vous 
faites  tout  fervir  à  votre  perte  ;  Jefus- 
Chrift  eil  pour  vous  une  pierre  de  chiite 
6c  dQ:fcandale^  où  il  auroit  dû  être  une 
fourcQ  de  vie  5c  de  falut.  Les  exemples  des. 
pécheurs  vous  fouillent  6c  vous  corrom- 
pent ;  leur  pénitence  vaus  révolte  6c  vous 
endurcit. 

Grand  Dieu  !  fbuiîrez  donc  que  pour 
Enir  enfin  les  égaremens  d^une  vie  toute 
ciimiaelle  ^  j'élève  aujourd'hui  ma  vclii 


Homélie  sur  Lazare.  379 
vers  vous  ,  du  fond  de  rabîme  où  je  lan- 
guis depuis  tant  d'années  :  les  chaînas  im- 
pures dont  je  fuis  lié  ,  m'attachent  par  tant 
de  nœuds  à  la  profondeur  du  gouffre  où 
je.  traîne  mes  triftes  jours  ,  que  malgré 
tous  mes  bons  défirs ,  je  demeure  toujours 
immobile  ,  ÔC  ne  faurois  prefque  plus  faire 
d'effort  pour  me  dégager  ,  5c  retourner  ù 
vous  ,  ô  mon  Dieu  !  que  j'ai  abandonné. 
Mais  ,  Seigneur ,  du  fond  de  ce  gouffre  oii 
vous  me  voyez  lié  6c  enfeveli ,  comme  uii 
autre  Lazare  ,  j'ai  encore  du  m.oins  la  voix 
du  cœur  libre  pour  porter  jufqu'au  pied 
de  votre  Trône  mes  regrets ,  mes  foupirs 
6C  mes  larmes  :  D^  ^rcfundis  cUmuvi  *id  pj:  j^^^, 
te  y  Domine.  î-  '^/^î? 

La  voix  d'un  pécheur  qui  revient  à  vous. 
Seigneur  ,  efi:  toujours  pour  vous  une  voix 
agréable  :  c'eft  cette  voix  de  Jacob  qui 
réveille  toute  votre  tendreffe  ,  lors  même 
qu'elle  ne  vous  préfente  que  des  mains 
d'Efaii,  6c  toutes  pleines  encore  defang  & 
de  crimes  ;  Domine  exai/di  vocem  meam. 

Ah  \  vous  avez  affez  jufqu'ici ,  Seigneur, 
détourné  vos  oreilles  faintes  de  mes  dif- 
cours  de  licence  8C  de  blafphéme  :  rendez- 
les  aujourd'hui  attenti\'es  aux  plus  triilesi 
expreffions  de  ma  douleur;  ôc  que  la  nou- 
veauté du  langage. que  je  vous  tiens  ,  a. 
mon  Dieu  !  attire  à  ma  prière  une  attention; 
plus  favorable-:  Fiant  aiires  tiice  intendantes; 
in  vocem  â:prec\itionis  mcœ> 

Je  ne  viens  pas  ici^,  grand  Dieu,  excu- 
kx.  dev3U!^;  vQiis:  mes  défojdres ,  en  vaiifc 

Hz. 


3^0  Vend,  de  la  IV.  Semaine.' 
alléguant  les  occafions  qui  m'ont  féduit  ? 
les  exemples  qui  m'ont  entraîné  ,  le  mal- 
heur de  mes  engagemens  ^  &  le  caradlère 
de  mon  cœur  ôc  de  ma  foiblefTe  :  cachez- 
vous  ,  Seigneur  „  les  horreurs  de  ma  vie 
paflee  :  le  feul  moyen  de  les  excufer  ,  c'eil 
de  ne  vouloir  pas  les  regarder  6c  les  con- 
noître  ;  hélas  !  il  je  n'en  puis  foutenir  moi- 
même  k  feul  fpeâacle;  (î  mes  crimes  fuyent 
ÔC  craignent  mes  propres  yeux  ,  6c  s'il  faut 
que  j'en  détourne  la  vue  pour  ménager  mes 
terreurs  6c  ma  foibleiïes  ;  comment  pour- 
roient-ils  ^  Seigneur  ,  foutenir  la  fainteté 
de  vos  regards  ,  11  vous  les  examinez  avec  - 
cet  oeil  de  févérité  ,  qui  trouve  des  taches 
dans  la  vie  la  plus  pure  ÔC  la  plus  louable  ? 
Si  iniquitates  obfervaveris  y  Domine  'y  Do-^. 
mine  ,   quix  fufiinebit  ? 

Mais  vous  n'êtes  pas ,  Seigneur ,  un  Dieu 
femblable  à  l'homme  ,  à  qui  il  en  coûte, 
toujours  de  pardonner  6c  d'oublier  les  ou^ 
îrages  d'un  ennemi  :  la  bonté  5c  la  miféri» 
corde  font  nées  dans  votre  fein  éternel  ;  la, 
clémence  elè  le  premier  caraé^ère  de  votre 
Etrefuprême;  &  vous  n'avez  point  d'enne- 
mis ,  que  ceux  qui  ne  veulent  pas  mettre: 
leur  confiance  dans  les  richeiles  abondant,es 
de  VQsmiféricordes:  Quia  apiid  Dominunz 
miferieoriia  ^  ^  cojiiofa  a£ud  mm  re* 
demptio. 

Otii ,  Seigneur  !  à  quelque  heure  qu'une- 
9îne  criminelle  revienne  à  vous  \  dès  le^ 
matift  de  l'a  vie  »  ou  fur  le  déclin  de  Tage  ;, 
a^^rès  les  égar^men3t  dQS  grçmiéres  moeurs^ 


Homélie  sur  Lazare.    3R1 

bu  après  une  vie  entière  de  difTolution  & 
de  licence  ,  vous  voulez  ,  ô  mon  Dieu  ! 
qu'on  efpére  encore  en  vous  ;  &  vous  nous 
alTurez  que  le  plus  haut  point  de  nos  cri- 
mes ,  n'eft  encore  que  le  premier  degré  de 
vos  miféricordes  :  A  cujlodiâ  matutinà  uf- 
que  ai  noctemfperet  ifra'él  in  Domino» 

Mais  auiîî  »  grand  Dieu  !  fî  vous  exaucez 
mes  défirs  ;  fi  vous  me  rendez  une  fois  la 
vie  6c  la  lumière  que  j'ai  perdue  ;  û  vous 
brifez  ces  chaînes  de  la  mort  qui  me  lient 
encore  ;  fi  vous  me  tendez  la  main  ,  pour 
me  retirer  de  l'abîme  où  je  fuis  plongé,  ah  ! 
je  ne  cefierai ,  Seigneur,  de  publier  vos 
miféricordes  éternelles  .-j'oublierai  le  mon- 
de entier  ,  pour  ne  plus  m'occuper  que  des 
merveilles  de  votre  grâce  fur  mon  ame:  je 
rendrai  gloire  tous  les  m.omens  de  ma  vie 
au  Dieu  qui  m'aura  délivré  :  ma  bouche 
fermée  pour  jamais  à  la  vanité  ,  ne  pourra 
plus  fuffire  aux  tranfports  de  mon  amour 
oC  de  m^a  reconnoifiance;  5c  votre  créature^ 
qui  gémit  encore  feus  l'empire  du  monde 
Se  du  péché  ^  rendue  à  fon  Seigneur  vérita- 
ble ,  bénira  fon  Libérateur  dans  les  fiécks 
des  fiécles. 


38i      Vend  de  la  IV.  Semaine. 
AVIS. 

ON  s^appercevra  ,  fans  doute  ,  en  llfant 
le  Sermon  fuivant  ,  que  les  vérités  qu'il 
renferme  ont  déjà  été  traitées  dans  les  deu:^ 
difcours  que  ton  trouve  le  Jeudi  de  lu  troi- 
Jiéme  Semaine  de  Carême  ,  intitulés  ,  run  ; 
De  rincertitude  de  la  juftice  dans  la  tié- 
deur ;  &  Vautre  :  De  la  certitude  d'une 
chiite  dans  la  tiédeur.  Comme  la  matière 
eft  extrêmement  importante  ,  ô*  mérite  d'ê- 
tre traitée  avec  foin  3  elle  s'étendit  Jî  fort 
entre  les  mains  du  P.  Majfdlon  ,  lorfqu*il 
voulut  la  remanier  ,  qiiil  lui  fut  impojfible 
de  tout  renfermer  dans  un  feul  difcours  :  il 
prit  donc  le  parti  d'en  faire  d'eux  \  &  de 
traiter  Jéparement  les  deux  vérités  qu'il  avoit 
d'abord  réunies. 

Peut-être  ne  fera- 1  il  pas  inutile  pour  les 
perfcnnes  qui  fe  deftinent  à  la  Chaire  ^  quel- 
les voyent  comment  ce  grand  homme  f avoit 
prefemer  les  mêmes  jujets  fous  différens 
points  de  vue  ,  é*  donner  un  nouveau -jour 
&  une  nouvelle  force  à  des  vérités  fur  hf- 
quelles  on  avroit  cru  qu^il  n'y  avoit  plus 
rien  à  dire.  Nous  ne  faifons  point  VAnalyfe, 
de  ce  Sermon  :  celles  qui  ont  été  faites  des 
deux  Sermons  y  Sur  la  tiédeur^  peuymk 
[ervir  pour  cdui-ci. 


SECOND 

SERMON 

•  POUR    LE     VENDREDI 
DE  LA  QUATRIEME  SEMAINE 

DE  CAREME. 

Sur  les  fautes  légères, 

înfir mitas  haec  non  eil  ad  mortent. 

Cttu  maladis  m  va  ^oint    à    la  mort- 
Joan.   II.  4, 


^g^^l-  E  que  le  Sauveur  dit  aujourd'hui 
de  la  maladie  de  Lazare  ,  nous 
^^m  le  difons  fouvent  des  maux  de 
gj  notre  ame  ,  m.es  chers  Audi- 
teurs :  cependant  fous  prétexte 
quek  plupart  de  nos  foiblefTe:?  ne  font  pas 
du  nombre- de  celles  qui  conduifent  à  la 
mort  ^  5c  qii'cUes  na  touchent  pas  au 
fonds  de  la  grâce  6<  de  la  juilice  qui  eil  en 
nous  ^  nous  les  regardons  comme  légères 


584     Vend,  de  la  IV.  Semaine. 

ÔC  prefqiie  de  nulle  conféquence  dans  la 
vie  Chrétienne.  Cette  erreur  li  dangereufe 
eft  pourtant  commune  au  Jufte  ,  6c  au 
pécheur  ;  au  mondain  ,  6c  au  Solitaire  ; 
au  Prêtre  appliqué  à  l'Autel  faint ,  6c  à 
l'homme  engagé  dans  le  tumulte  du  iié- 
cle  ;  à  la  Vierge  confacrée  au  Seigneur  , 
Se  à  la  femme  chrétienne  ;  partagée  en- 
tre Jefus-Chrift  &  les  foins  du  mariage. 
Jugez  de  l'importance  de  cette  matière., 
par  fon  étendue  :  tout  le  monde  prefque 
regarde  des  mêmes  yeux  ces  infidélités 
journalières  6c  habituelles  ,  que  le  poids 
de  la  corruption  femble  rendre  inévita- 
ble à  la  piété  la  plus  attentive  :  on  fe 
les  permet  fans  fcrupule  ;  on  s'en  reçon- 
noît  coupable  fans  componction  :  on  s'en 
accufe  fans  amendement  ;  on  vit  fans  nulle- 
précaution  pour  les  éviter;  ôc  de-là  cette 
indolence  5c  cette  molIelTe  dans  les  voiea 
du  falut  j  qui  damnent  tant  de  perfon- 
nés  ,  nées  d'ailleurs  avec  des  principes 
de  vertu  ÔC  des  fentimens  heureux  poair 
le  Ciel. 

Cependant ,  m.es  Frères ,  la  fidélité  à 
nos  moindres  obligations  eft  la  pratique  la 
plus  elTentieile  à  la  piété  chrétienne  :  elle 
feule  fait  les  JuHes  ;  à  elle  feule  les  pro- 
méfies  de  la  perfévérance  font  faites  ;  à, 
elle  feule  les  Saints  qui  nous  ont  précédés 
doivent  la  couronne  d'immortalité  dont  ils 
jouifleat.  Il  nQR  point-  de  piété  véritable 
fans  cette  exaâitude  ;  8c  l'état  oii  l'on.fe 
feoxae  4  QbiexYçr  l'êffentiel  de  h  Loi  ^.  ea 

fe 


Faute?  légère^.  5^5 
(e  permettant  toutes  les  tranfgrefîions  qui 
ne  font  pas  renfermées  dans  le  précepte  , 
eft  un  état  chimérique  dans  les  principes 
delà  Religion  ;  un  état  où  perfonne  n'a  pu 
encore  atteindre  ;  6c  dont  aucun  Saint  ne 
nous  a  lailfé  le  modèle. 

En  effet ,  ce  qui  nous  abufe  ici  ,  c'eft 
que  nous  n'enviiageons  les  infidélités  dont 
je  parle  que  par  rapport  à  la^Loi  dont 
elles  ne  violent  pas  les  points  principaux, 
ÔC  de  ce  côté-là  ,  elles  nous  paroilTent  lé* 
gères  :  mais  cette  régie  de  nos  jugemens 
eft  très-défeâueufe  ,  puifque  la  malice  de 
nos  œuvres  ne  fe  prend  pas  feulement  du 
côté  de  la  Loi  qu'elles  blelfent ,  mais  en- 
core du  côté  du  cœur  qui  les  produit  , 
6c  des  fuites  où  elles  nous  conduifent.  Or, 
voilà  les  deux  endroits  par  où  je  prétends 
vous  faire  confidérer  aujourd'hui  les  infi- 
délités légères ,  &  cet  état  de  tiédeur  6C 
de  mollelfe  dont  je  parle  ;  6c  vous  con- 
viendrez que  ridée  de  légèreté  qu'on  leur 
attache  ,  eft  une  idée  fort  injufte.  Premié' 
rement ,  nous  examinerons  la  corruption 
du  principe  d'où  elles  partent  d'ordinaire  ; 
ÔC  du  moins  elles  vous  paroîtr  ont  fort  fouil- 
lées :  première  réflexion.  Secondement  : 
nous  ensuivrons  les  effets  ;  ôc  vous  ne 
pourrez  vous  empêcher  de  convenir  que 
ou  moins  elles  vous  feront  tôt  ou  tardru- 
îieftes  :  dernière  réflexion.  Ainfi  ,  foit  que 
i^ous  les  confidériez  dans  leur  principe  , 
ou  dans  leurs  fuites  ,  vous  ne  les  regarde- 
rez plus  comme  lég'éres ,  5C  vous  treai- 


ï. 

Ï'aetie 


^86    Veno.  de  la  IV.  Semaine." 
blerez  fur  un  état  fi  peu  sûr  pour  le  faîuti 
Développons   ces  deux  importantes  vé- 
rités. Ave^  Maria. 

OI  les  hommes  avoient  feulement  de  la 
majefté  de  Dieu  ,  l'idée  que  la  foi  devroit 
leur  en  donner ,  il  feroit  inutile  de  venir  ici 
juftifier  fa  Loi ,  ÔC  prouver  que  tout  ce  qui 
rofîenfe,nepeut  être  léger.  La  fainteté  6c 
Texcellence  de  fa  nature  ,  oppofée  à  la 
profondeur  de  notre  néant ,  donne  aux  ou- 
trages que  nous  lui  faifons ,  quelques  légers 
qu'ils  nous  paroiflent ,  une  énormité  qui 
nous  efl  inconnue  ,  mais  toujours  qui  croit 
à  proportion  de  notre  baifeife  ,  ôc  de  la 
grandeur  de  l'Etre  que  nous  ofFenfons. 
Àufl] ,  mes  Frères  ,  lorfqu'un  Royaume 
frappe  de  playes  ,  des  murmurateurs  en- 
gloutis ,  des  téméraires  dévorés  par  le  feu 
du  Ciel ,  5c  mille  punitions  foudaines  6t 
éclatantes  ,  fervoient  comme  d'appareil 
auprès  d'un  peuple  charnel  à  la  majefté  du 
Dieu  d'Abraham  :  fa  Loi  paroiiToit  terrible 
6c  vénérable  dans  fes  plus  légères  circonf- 
tances.  Un  peudeboisfecrettementamaiTé 
pour  fecourir  fa  propre  indigence,  étoit 
im  violement  du  Sabbat,  6c  une  prévarica- 
tion digne  de  m^ort  :  une  jaloufie  naiifante , 
im  feul  murmure  étoit  puni  de  lèpre  dans 
la  fœur  même  du  condufteur  d'Iiraèl ,  ÔC 
vous  rendoit  anathême  au  relie  du  peuple  ; 
une  fimpîe  défiance  dans  les  plus  cruelles 
perplexités  ,  vous  fermoit  l'entrée  de  la 
terre  de  Caiiaan ,  ôi  iie  laiffoit  à  Moif© 


Fautes  légères.  3S7 
iitiême  que  la  trifte  confolation  de  mourir 
après  l'avoir  faluée  de  loin  :  enfin  un  léger 
butin  réfervé  des  dépouilles  de  Jéricho  ,  li- 
vroit  Tarméedu  Seigneur  en  proie  aux  na- 
tions ,  6c  vous  rendoit  coupable  d'un  crime 
qui  ne  pouvoit  plus  être  expié  que  dans 
votre  fang. 

Et  certes ,  mes  Frères ,  fi  nous  ne  con- 
fidérions  que  la  grandeur  de  l'Etre  fuprê- 
me  3  ce  qui  lui  déplaît,  ce  qui  ToiFenfe  , 
pourroit-il  jamais  paroitre  léger  ?  fi  Dieu 
n'écoutoit  que  le  foin  de  fa  gloire  ,  ÔC   ce 
qu'exige  fon  infinie  majefté  ,  outragée  par 
la  créature  ,  toutes  les  lois  que  méprifant 
fes  Commandemens  ,  nous  lui  défobéi'f- 
fons  ,  même  dans  les  chofes  les  moins  con- 
fidérables  ;  que  n'aurions-nous  pas  à  crain- 
dre ?  Ce  n'eft  pas  que  je  veuille  ici   con- 
fondre les  fautes  vénielles  avec  les  fautes 
mortelles  ;  la  différence  eft  bien  grande  ; 
les  premières  ne  nous  privent  pas  de  l'a- 
mour de  Dieu  ,  quoiqu'elles  raffoibliifent; 
les  autres  bannilfent  la  charité  de  notre 
cœur  :  les 'premières  ne  font  que  contrifier 
l'Efprit  -Saint  dans  nos  âmes  ;  les  autres  l'y 
éteignent  tout-à-faiî  î  mais   néanmoins  , 
toute   infidélité  ,  quelque    légère  qu'elle 
puiffe  être  ,  eft  en  un  fens  très-véritable, 
une  préférence  injufte  que  nous  faifons  de 
la  vile  créature  au  Créateur  :  en  violant  la 
Loi  de  Dieu  dans  les  points  les  moins  -f- 
fentiels  ,  il  eft  vrai  de  dire  en  un  fens ,  q  :e 
nous  préférons  le  plaifir  injufte  ,  qui  nous 
revien;  de  cette  légère  tranfgreffion  ,   à  la 


A^  Vend,  dê  la  IV.  Semaine. 
Loi  de  Dieu  ,  à  Dieu  lui-même  qui  iioiï^ 
la  défend  :  or ,  la  préférence  de  la  créa- 
ture à  Dieu  ,  dans  quelque  circonftance 
que  ce  foit ,  quelque  petite  qu'elle  foit , 
n'eft-elle  pas  un  outrage  que  nous  lui  fai- 
fons  ?  5c  un  outrage  fait  à  un  Etre  fi  grand  , 
C  faint ,  û  digne  de  nos  hommages ,  pour- 
ra-t'il  jamais  être  regardé  comme  une 
bagatelle ,  fur-tout  fi  nous  faifons  atten- 
tion que  nous  fommes  dans  rimpolîibilité 
de  trouver  dans  notre  propre  fonds ,  de 
quoi  expier  une  feule  de  ces  fautes ,  6c 
qu'elles  ne  peuvent  être  lavées  que  dans 
le  fang  du  Fils  de  Dieu  ? 

Mais  ce  n'eft  pas  à  ces  confidérations  que 
je  prétends  m'arrêter  aujourd'hui  :  je  ne 
veux  point  prendre  hors  de  vous-même  le 
danger  de  cet  état  qui  vous  paroit  fi  siir  ;  6c 
pour  ne  laiiler  ici  aucune  évafion  à  Terreur 
que  je  combats  ,  je  veux  les  confidérer  , 
ces  fautes  ,  dans  la  difpofition  même  de 
votre  cœur  d'où  elles  partent  ;  ôc  voici 
toutes  les  réflexions  qui  m'ont  paru  déci- 
Cves  fur  cette  vérité  fi  imponante  :  je  vais 
vous  les  propofer  fimiplement  5c  fans  art  ; 
écoutez-les  attentivement,  je  vous  prie. 

Premièrement  ,  dès  -  là  que  vous  ne 
vous  difputez  plus  ces  infidélités  légères  , 
2<  que  vous  vous  faites  comme  un  état  de 
la  Îîmr4e  exîenfion  du  crime ,  c'eft-à-dire  , 
de  la  tiédeur  ÔC  de  la  négligence  ;  dès-lors 
vous  renoncez  au  déiir  de  votre  pérfec* 
tion  ;  vous  n'êtes  plus  contrifté  desfoiblef- 
fes  &  des  chûtes  qui  vous  retardent  fur  vo« 


Fautes  légères.  389 
tre  route  ;  vous  ne  vous  propofez  plus  d'a- 
vancer pour  atteindre  à  ce  point  où  Dieu 
v^ous  demande  ,  6c  vers  lequel  fa  grâce  ne 
ceffe  de  vous  pouffer  en  fecret.  Cependant 
il  vous  eft  ordonné  d'être  parfait  ,  parce 
que  le  Père  célefte  ,  que  vous  fervez  ,  eft 
parfait.  Je  dis  ordonné  ;  car  quoique  le 
degré  de  perfeâion  ne  foit  pas  renfermé 
dans  le  précepte  ,  tendre  à  la  perfection  , 
travailler  à  la  perfection  ,  eft  néanmoins 
un  commandement  6c  un  devoir  indifpenfk- 
ble  à  tout  Chrétien.  Donc  dès-là  que  vouâ 
vous  bornez  à  ce  que  vous  jugez  Teffentiel 
de  la  Loi  ;  que  vous  vous  permettez  toutes 
les  tranfgreirions  légères  qui  ne  donnent 
pas  la  mort  à  l'ame  ,  vous  ne  fon^Qi  plus  à 
devenir  parfait  :  vous  laiffez-là  cet  ouvrage 
auquel  Jefus-Chrift  vous  a  ordonné  de 
travailler.  Or  ,  je  vous  le  demande  :  cette 
difpofition  toute  feule  ,  qui  n"'eft  autre  cho- 
fe  qu'un  mépris  formel,  une  tranfgrefii^n 
certaine  de  ce  grand  commandement  oui 
vous  oblige  d'être  parfaits ,  c'eft-à-dire  , 
de  travailler  à  le  devenir  ;  eft-elle  une 
preuve  que  votre  ame  foit  vivante  aux 
yeux  de  Dieu  ?&  ne  doit-elle  pas  au  moins 
vous  infpirer  des  doutes  far  votre  état  ? 

Secondement  ,  cette  attention  toute 
feule  que  vous  apportez  à  examiner  fi  une 
offenfe  eft  vénielle  ,  ou  fi  elle  va  plus  loin  ; 
à  difputer  au  Seigneur  tout  ce  que  vous 
pouvez  lui  refuferfans  crime;  à  n'étudier 
la  Loi  que  pour  connoître  jufqu'à  quel 
point  il  vous  eft  permis  de  la  violer  ;  cette 

Kkj 


590    Vend.  »e  la  IV.  Semaine.' 

feufe  attention  ,  dis- je  ,  ne  peut  partir  que 
d'un  fond  d'amour  propre  ;  d'un  fond  où 
la  foi  5c  la  charité  font  au  moins  bien  lan- 
guilLintes  ;  d'un  fond  ennemi  de  la  Croix 
de  Jefus-Chrift  ;  d'un  fond  où  1  Efprit 
de  Dieu  ne  paroît  pas  régner  ;  car  il  n'eft 
que  les  enfans  prodigues  qui  chicanent 
ainfi  avec  le  Père  cëlefte ,  qui  veuillent 
lifer  de  leurs  droits  à  la  rigueur ,  6c  prendre 
tout  ce  qui  leur  appartient  ;  il  n'eft  que  les 
vierges  folles  qui  attendent  ainii  l'extrémité 
pour  obéir  à  lEpoux. 

Troifiémement  eu  effet ,  cette  difpofi- 
tion  qui  fait  qu'on  le  permet  tout  ce  qu'on 
ne  croit  pas  digne  d'une  peine  éternelle  , 
eft  la  difpofition  d'un  efclave  5c  d'un  mer- 
cenaire :  c'eft-à-dire  ,   que  fi  l'on  pouvoit 
fe  promettre  une  pareille  indulgence  pour 
îa  tranfgrelîion  des  points  -eiTentiels  de  la 
Loi ,  on  les  violeroit  avec  autant  de  faci- 
lité ,  qu'on   viole  les   moindres  ;  c'eft-à- 
dire  ,  que  lorfqu'on  eft  fidèle  au  comman- 
dement ,  ce  n'eil  pas  la  juilice  que  l'on  ai- 
me ,  c'eft  la  peine  que  Ton  craint  ;  cen'eft 
pas   le  Seigneur  qu'on  .fe  propofe ,   c'efl 
ibi-même  ;  car  tandis  que  fa  gloire  feule  y 
çil  intéreilée ,  6c  qu'il  ne  doit  nous  revenir 
aucun  dommage  de  nos  infidélités ,  ah  ! 
nous  ne  craignons  plus  de  lui  déplaire  :  nous 
excufonsméme  ces  fautes  en  difant  qu'elles 
ne  donnent  pas  la  mort  à  Tame  ;  c'efl-à- 
dire  ,  qu'elles  ne  font  que  déplaire  à  Dieu  , 
fans  nous  mériter  une  peine  éternelle  :  ce 
Ç[ui  le  regarde  ne  nous  touche  pas  ;  fon  hon- 


Fautes    légères.      591 

neiir  n'entre  pour  rien  dans  le  difcernement 
que  nous  faifons  des  aâions  permifes  5C 
défendues  :  c'eft  notre  pur  intérêt  qui  régie 
là-defTus  notre  fidélité.  Gr  ,  je  vous  de- 
mande :  eft-celàlafîtuation  d'une ame  qui 
aime  encore  ?  ÔC  comment  appeller  une 
difpofition  fi  injurieufe  à  Dieu?peut-on  ne 
pas  craindre  qu'elle  ne  foit  criminelle  ?  La 
charité  que  vous  croyez  pourtant  avoir  , 
cherche-t'elle  ainfi  les  propres  intérêts  ? 
Ah  !  quand  on  aime  véritablement ,  tout 
ce  qui  déplaît  à  ce  qu'on  aime  ,  nous  tou- 
che :  on  ne  s'avife  pas  de  péfer  jufqu'à 
quel  degré  on  peut  lui  déplaire  fans  mériter 
fes  châtimens  ,  pour  prendre  là-deflus  fes 
mefiires ,  ôc  l'offenfer  dès-lors  qu'il  n'y 
aura  plus  de  fupplice  à  craindre  :  cette  fup- 
putation  part  d'un  cœur  qui  n'aime  point 
du  tout.  Vous  voudriez  favoir  fi  ce  jeu  ,  ce 
fpeftacle ,  cette  liberté  ,  ce  difcours  qui 
nuit  à  la  réputation  de  votre  frère  ,  ces 
plaifirs ,  ce  luxe  ,  cette  omifiion  ,  cette 
inutilité  de  vie  efi:  une  ofTenfe  vénielle  ou 
mortelle.  Vous  (avez  qu'elle  déplaît  au 
Seigneur;  car  ce  point  n'eftpas  douteux  ; 
6c  cela  ne  vous  fuffit  pas  pour  vous  l'inter- 
dire ?  &  vous  voudriez  favoir  encorefi  elle 
lui  déplaît  jufqu'à  mériter  une  peine  éter- 
nelle ?  ÔC  tout  votre  foin  eft  d'éclaircir  fi 
c'eft  un  crime  digne  de  Tenfer?  Eh  !  vous 
voyez  bien  ,  mon  cher  Auditeur  ,  que  cette 
recherche  n'aboutit  phis  qu'à  vous-même; 
que  votre  difpofition  va  à  ne  compter  pour 
rien  le  péché ,  en  tant  qu'il  eft  oiîenfé  de 

Kk4 


592    Vekd.  de  la  IV.  Semaine. 

Dieu,  &C  qu'il  lui  déplaît;  (motif  elTentiel 
cependant  qui  doit  vous  le  rendre  haïfla- 
ble  ;  )  que  vous  ne  fervez  pas  le  Seigneur 
dans  la  fîncérité  &  dans  la  juftice  ;  que  vo- 
tre piété  n'eft  qu'un  naturel  timide  ,  qui 
n'oie  s'expofer  aux  menaces  terribles  de  la 
foi  ;  que  vous  reflemblez  à  ce  ferviteur  in- 
£déle ,  qui  avoit  caché  fon  talent ,  parce 
que  le  maître  étoit  auftère  ,  mais  qui  hors 
de-là  l'eût  diiTipé  en  folles  dépenfes  ;  6C 
que  dans  la  préparation  du  cœur  à  laquelle 
feule  le  Seigneur  regarde  ,  vous  êtes  peut- 
être  un  enfant  de  mort  ÔC  un  tranfgreiïeuf 
déclaré  de  la  Loi. 

En  quatrième  lieu ,  cet  état  de  relâche- 
ment 8c  d'infidélité ,  fans  avoir  mêmiC  égard 
fiisx  diipontions  qui  vous  y  ont  conduit  i 
cet  état  en  lui-même  eiï  un  état  fort  dou- 
teux ,  dont  nul  Do6teurne  voudroit  vous 
garantir  la  sûreté  ;  6c  qui  du  moins  eft  plu» 
voifm  du  crime,  que  de  la  vertu.  En  effet, 
qui  peut  vous  aiTiirer  que  dans  ces  recher- 
ches fecrettes  5c  éternelles  de  vous-mê- 
me ;  dans  cette  moileifc  des  mœurs  qui  fait 
tout  le  fond  de  votre  vie  ;  dans  cette  atten- 
tion à  vous  ménager  tout  ce  qui  flâte  vo3 
fens  :  à  éloigner  tout  ce  qui  vous  gêne  , 
même  aux  dépens  de  vos  moindres  obliga- 
tions ,  l'amour  propre  n'y  eft  pas  entré  juf- 
qu  à  ce  point  fatal  qui  fufîît  pour  le  faire 
dominer  dans  un  cœur  5c  en  bannir  la  chari- 
té F  Qui  pourroit  vous  dire  fi  dans  ces  pen- 
fées  où  votre  efprit  oifeux  a  rappelle  mil- 
le fois  des  objets  ou  des  événemens  péril- 


Fautes  légères.  39*5 
leiix  à  la  pudeur  ,  votre  lenteur  à  les  com- 
battre n'a  pas  été  criminelle  ;  ÔC  fi  les  ef- 
forts que  vous  avez  faits  enfuite  n'ont  pas 
été  un  artifice  de  l'amour  propre ,  qui  a 
voulu  vous  déguifer  à  vous-même  votre 
crime ,  6c  vous  calmer  fur  la  complaifance 
que  vous  leur  aviez  déjà  accordée  ?  Qui 
oferoit  décider,  il  dans  ces  aigreurs  6C 
dans-ces  refrcidilfemensfecretsfur  lefquels 
vous  ne  vous  gênez  que  foiblement,  ÔC 
fou  vent  par  bienféance  plus  que  par  piété, 
vous  vous  en  êtes  toujours  tenu  à  ce  pas 
gliflant ,  au-delà  duquel  le  trouve  la  haine 
ôC  la  mort  de  l'ame  ?  Qui  fait  fi  dans  la  fen- 
fibiliîé  qui  accompagne  d'ordinaire  vos  af- 
flictions ,  vos  contre-tems  ôc  vos  peines  , 
ce  que  vous  appeliez  fentimens  inévitables 
à  la  nature  ,  ne  font  pas  un  dérèglement  de 
votre  cœur ,  un  affûibliflement  criminel  de 
la  foi ,  6c  une  révolte  contre  la  Providen- 
ce ?  fi  dans  tous  ces  foins ,  où  l'on  vous 
voit  defceiidre  pour  ménager  les  intérêts 
de  votre  fortune ,  pour  relever  les  grâces 
d'une  vaine  beauté  ,  il  n'y  entre  pas  autant 
de  vivacité  qu'il  en  faut  pour  former  le  cri- 
me, ou  de  l'avarice,  ou  de  Tambition,  ou 
de  la  volupté?  fi  dans  l'ufage  de  vos  lens, 
6c  dans  cette  délicatelle  qui  ne  fe  refufe 
rien ,  6c  qui  ne  cherche  qu'à  réveiller  le 
goût  par  de  nouveaux  artifices  ,  le  plaifir 
que  vous  goûtez  au-delà  de  la  nécefiité 
n'elî  pas  le  vice  d'intempérance  ? 

Grand  Dieu  !  qui  a  bien  compris  les 
progrès  ôc  les  diminutions  iufenfibles  de 


§94  Vjlnd.  de  la  IV.  Semaine. 
votre  grâce  dans  les  âmes  ?  qui  a  bien  dif. 
cerné  ces  bornes  fatales  qui  feparent  dans 
un  cœur  la  vie  de  la  mort ,  &  la  lumière 
des  ténèbres  ?  comme  difoit  le  faint  hom- 
me Job.  Un  peu  plus  ,  ou  un  peu  moins 
de  complaifance  ,  un  mouvem.ent  du  cœur 
plus  délibéré  ,  ou  plus  prom^pt  ;  un  aâ:e 
de  la  volonté  plus  achevé  ,  ou  plus  im- 
parfait ;  une  omiHion  où  il  entre  plus  ou 
moins  de  mépris  ;  une  penfée  arrivée  feu- 
lement jufques  au  degré  qui  précède  le 
crime  ,  ou  poufTée  un  peu  au-delà  ;  ah  ! 
ce  font  des  abîmes  fur  lefquels  Thomme 
peu  inftruit  ne  peut  que  trembler  ,  6c  dont 
vous  réfervez  la  manifeftation  au  jour  ter- 
rible de  vos  vengeances.  Cependant ,  mon 
cher  Auditeur  ,  vous  êtes  tranquille  dans 
iin  état  où  il  n'eft  pas  une  feule  de  vos  ac- 
tions ,  qui  à  votre  insii ,  ne  puiHe  être  un 
crime  devant  Dieu. 

Ah  !  c'eft  pour  cela  que  les  plus  grands 
Saints ,  aufquels  la  confcience  ne  reprocha 
rien  ;  qui  châtient  leurs  corps  ÔC  le  rédui- 
fent  en  fervitude  ;  ces  hommes  toujours 
attentifs  fur  eux-mêmes  ;  toujours  en  garde 
contre  le  péché  ;  qui  s'abftiennent  même 
des  œuvres  les  plus  permifes  de  peur  de 
fcandalifer  leurs  frères  ;  qui  opèrent  leur 
falut  dans  une  crainte  &C  un  tremblement 
continuel ,  ne  favent  cependant  s'ils  font 
dignes  d'amour  ou  de  haine  ,  s'ils  portent 
encore  au  fond  de  leur  cœur  le  tréfor  in- 
vifible  de  la  charité  ou  s'ils  l'ont  perdu. 
Et  vous ,  mon  cher  Auditeur  ,  dans  des 


Fautes    légères.      39; 
mœurs  toutes  fenfuelles  ;  vous  qui  vous 
permettez  tous  les  jours  ,  de  propos  déli> 
béré  ,  des  infidélités  fur  la  malice  defquel- 
les  vous  ignorez  le  jugement   que   Dieu 
porte  ;  vous  qui  ne  prenez  aucun  foin  de 
conferver  le  tréfor  de  la  grâce ,  ÔC  qui  vi- 
viez content  au  milieu  des  périls  ,  où  il  eft 
prefque  impoflible  de  ne  pas  la  perdre  ; 
vous  qui  éprouvez  tous  les  jours  ces  mo- 
mens  douteux  despafTions ,  ou  malgré  tou- 
te votre  indulgence  pour  vous  -  même  , 
vous  avez  tant  de  peine  à  démêler  fi  le 
confentement  n'a  pas  fuivi  le  plaifir ,   6c  fi 
vous  vous  en  êtes  tenu  à  ce  degré  péril- 
leux qui  fépare  l'offenfe  vénielle  de  la  mor- 
telle :  vous  dont  toutes   les  aérions  font 
prefque  douteufes  ;  qui    êtes  toujours  à 
vous  demander  fi  vous  n'avez  pas  été  trop 
loin  ;  qui  portez  des  embarras  6c  des  re- 
grets fur  la  confcience  ,  que  vous  n'éclair- 
ciffez  jamais  à  fond  :  vous  qui  flottez  éter- 
nellement entre  le  crime  6c  les  pures  fau- 
tes ,  &   qui  tout  au  plus  pouvez    dire  , 
comme  David  ,  que  vous  n'êtes  jamais  fé- 
pare que  d'un  petit  degré  de  la  mort  :  Uno    2.  Rc^ 
tantiim  gradu  ,  morfque   dividimur  :  vous  ^i' 
malgré  tant  de  juftes  fujets  de   crainte  , 
vous  croiriez  conferver  encore  la  charité  , 
6c  vous  vous  calmeriez  fur  vos  infidélités 
vifibles  ÔC  journalières,  par  une  prétendue 
habitude  invifible  de  juftice  dont  vous  ne 
voyez  au- dehors  que  des  marques  équivo- 
ques. Jugez  vous-même  fi  votre  confiance 
eft  bien  fondée  :  je  ne  veux  ici  que  vous 


396    Vend,  de  la  IV.  Semaine. 
1.  Cor.feul  pour  arbitre  :  Vos  ij.Ji  judicate  quod 

Cinquièmement ,  quoiqu'il foit  vrai  que 
tous  les  péchés  ne  font  pas  des  péchés  à  la 
mort ,  comme  dit  S.  Jean  ,  6c  que  la  mo- 
rale chrétienne  reconnoifle  des  fautes  qui 
ne  font  que  contrifter  rEfprit-faint  ,  6C 
d'autres  qui  le  bannilTeut  tout-à-fait  de  l'â- 
me ;  néanm.oins  les  régies  qu  elle  nous  four- 
nit pour  les  diftinguer  ,  ne  fauroient  être 
ni  sûres ,  niuniverfelles,  du  moment  qu'on 
les  applique  :  il  s'y  trouve  toujours  ,  par 
rapport  à  nous ,  des  circonftances  qui  leur 
font  changer  de  nature.  C'eft  donc  la  dif- 
pofition  du  cœur ,  qui  décide  de  la  mefure 
êC  de  la  qualité  de  nos  fautes  :  fouvent  ce 
qui  n'eft  que  fragilité  ou  furprife  dans  le 
Jufte  ,  eft  malice  5c  corruption  dans  le  pé- 
cheur. En  voulez-vous  des  exemples  ? 
Saùl ,  malgré  les  ordres  du  Seigneur  ,  épar- 
gne le  Roi  d'Amalec  ,  ÔC  ce  qu'il  y  a  de 
plus  précieux  dans  les  dépouilles  de  ce 
prince  infidèle  :  la  faute  ne  paroît  pas  con- 
fidérable  ;  mais  comme  elle  part  d'un  fond 
d'orgueil ,  de  révolte  ôc  de  vaine  com- 
plailance  en  fa  viâ:oire  ,  cette  démarche 
commence  fa  réprobation  ,  5c  l'eTprit  de 
Dieu  fe  retire  de  lui  Jo fué  ,  au  contraire, 
épargne  les  Gabaonites  que  le  Seigneur  lui 
avoit  ordonné  d'exterminer;  il  ne  va  pas 
le  confulter  devant  l'Arche  avant  de  faire 
alliance  avec  ces  impofleurs  :  mais  com- 
me cette  infidélité  eft  plutôt  une  furprife 
qu'une  défcbéillance  ,  5c  que  cette  faute 


F  A  U  T  E  §    L  E  G  E  R  E  f*         ;0 

^artd*un  cœur  encore  fournis,  religieux  , 
fidèle  ;  elle  eft  légère  aux  yeux  de  Dieu  , 
6C  le  pardon  fuit  de  près  l'ofFenfe. 

Or,  mon  cher  Auditeur  ,  fi  ce  principe 
eft  inconteftable  ,  furquoî  vous  fondez- 
vous  ,  lorfque  vous  regardez  vos  infidéli- 
tés comme  des  fautes  légères  ?  connoilTez- 
vous  toute  la  corruption  de  votre  cœur  , 
d*oii  elles  partent  ?  Dieu  la  connoît  ,  lui 
qui  en  eft  le  Scrutateur  5c  le  Juge ,  ôcdont 
les  yeux  (ont  bien  diiïerens  de  ceux  de 
l'homme.  Mais  s'il  eft  permis  de  juger 
avant  le  tcms  ,  dites-nous  fi  ce  fond  d'in- 
<iolence  6c  de  langueur  habituelle  qui  eft 
en  vous  ;  de  perfévérance  volontaire  dans 
un  état  qui  déplaît  à  Dieu  ;  de  mépris  dé- 
libéré des  devoirs  que  vous  ne  croyez  pas 
efi*entiels  ;  d'attention  à  ne  rien  faire  pour 
le  Seigneur  ,  que  lorfqu'il  ouvre  l'enfer 
fous  vos  pieds  :  dites-nous  fi  tout  cela  doit 
former  à  fes  yeux  un  état  fort  digne  d'un 
Chrétien  ;  6c  il  les  fautes  qui  partent  d'un 
principe  Ci  corrompu  ,  peuvent  être  devant 
lui  fort  légères  bt  dignes  d'indulgence  ? 
Mon  Dieu  !  que  vous  no  lis  découvrirez  de 
chofes  nouvelles  ,  lorfque  vous  viendrez 
juger  les  juftices  ÔC  manifefter  les  fecrets 
des  cœurs  ! 

Sixièmement ,  ce  qui  doit  encore  plus 
vous  faire  trembler  fur  votre  état  de  tié- 
deur 5c  d'indolence  ,  c'eft  que  je  ne  vois 
rien  en  vous  qui  puilfe  même  vous  faire 
préfumer  que  vous  confervez  encore  cette 
grâce  fanâiifiaute  fux  laquelle  vous  compte^ 


^9^    Vend,  de  la  IV.  Semaine; 

tant ,  parce  que  vous  vous  abftenez  des  cri- 
mes groiïîers  :  car  lorfque  la  charité  eft 
encore  dans  le  cœur  ,  elle  fe  manifefte 
toujours  par  quelques  fîgnes  ;  c'eft  un  ar- 
bre dont  la  racine  efl  cachie  dans  Famé  , 
mais  qu'on  peut  connoître  par  fes  fruits. 
Or ,  en  premier  lieu  ,  le  caractère  de  la 
charité  ,  c'eft  de  grofîîr  nos  fautes  à  nos 
propres  yeux  ,  dit  S.  Bernard  :  elle  aug- 
mente ;  elle  exagère  tout  :  Sed  aggravât  y 
fcd  exaggerat  univerfa  ;  elle  nous  fait  re- 
garder comme  des  crimes ,  des  avions  qui 
devant  Dieu  ne  font  que  de  pures  foiblef- 
fes  :  ce  font- là  de  ces  pieufes  erreurs  de 
la  grâce  qui  ont  leur  fource  dans  les  lu- 
mières mêmes  de  la  foi  ;  c'eft  ainfi  que  les 
Juftes  fe  regardent  comme  des  pécheurs 
indignes  des  miféricordes  du  Seigneur ,  6C 
fe  mettent  dans  leur  efprit  ,  au  -  delTous 
de  tous  leurs  frères.  Et  cependant  ,  mon 
cher  Auditeur  ,  c'eft  cette  prétendue  cha- 
rité que  vous  croyez  conferver  encore  au 
milieu  de  votre  tiédeur  5c  de  toutes  vos  in- 
fidélités ,  qui  vous  les  fait  paroître  légères; 
c'eftparce  que  vous  croyez  qu'au  fond  vous 
aimez  encore  le  Seigneur ,  ÔC  ne  voudriez 
pas  l'ofFenfer  dans  les  points  eflentiels ,  que 
ces  fautes  journalières  vous  trouvent  li  peu 
fenfible  ;  que  vous  dites  de  vous  -  même 
qu'à  la  vérité  vous  n'êtes  pas  un  Saint , 
mais  qu'auiîi  vous  n'êtes  pas  bien  mauvais,, 
c'eft  votre  charité  elle-même  qui  vous 
raffure,  qui  diminue  vos  fautes  à  vos  yeux,, 
qui  vous  calme ,  qui  vous  endort.  Eh  !  àx^ 


Fautes  légères.'  ^ç^ 
tes-moi,  je  vous  prie  ,  fi  ce  n'eft  pas-là  une 
contradiction  ?  fi  la  charité  fe  dément  ainfî 
elle-même,  &C  fi  vous  diivez  beaucoup 
compter  fur  un  amour  qui  refifemble  il  fort 
à  la  haine  ? 

D'ailleurs,  la  charité  eft  humble ,  timide, 
défiante  ,  fans  cefie  agitée  par  ces  pieufes 
perplexités  qui  la  lailîent  dans  le  doute  fur 
fon  état;  toujours  allarmée  par  ces  déli- 
catefies  de  la  grâce  ,  qui  la  font  trembler 
fur  chaque  a&on  ;  qui  lui  font  de  l'incer- 
titude où  elles  la  jettent  ,  une  efpèce  de 
martyre  d'amour  qui  la  purifie  :  elie  opère 
fon  falut  avec  crainte  &  tremblement  : 
cette  voie  a  été  dans  tous  les  tems  la  voie 
des  Juftes.  Or  ,  la  charité  fur  laquelle 
vous  comptez  ,  eft  tranquille  ,  indolente  , 
préfomptueufe  :  c'eft  elle  qui  calme  vos 
frayeurs  ;  qui  bannit  de  votre  cœur  toutes 
ces  allarmes  toujours  inféparables  de  la 
piété;  qui  vous  établit  dans  un  état  de 
paix  ÔC  de  confiance  ;  qui  vous  fait  dire , 
comme  à  cet  Evêque  de  l'Apocalypfe  :  Je 
fuis  riche  ;  je  ii  aihQfoin  de  perfonne.  Ah  , 
mon  cher  Auditeur  !  la  charité  eft-elle  fi 
différente  d'elle-même  ?  il  faut  que  l'une 
des  deux  foit  faulfe ,  ou  celle  que  vous 
croyez  avoir  ,  ou  celle  dont  les  Jufi:es 
dans  tous  les  fiécles  ,  ont  été  jufques-icî 
favorifés.  Or,  je  vous  demande ,  décidez 
vous-même  fur  laquelle  des  deux  ce  terri- 
ble foupçon  doit  tomber. 

En^n  ,  la  charité  opère  par-tout  où  elle 
jçft  ;  elle  ne  peut  être  oileufe ,  difent  lef 


iyoo    Vend,  de  la  IV.  Semainï: 

Saints  ;  c'efî:  un  feu  célefte  dont  rien  né 
peut  empêcher  Vaùivité  :  il  peut  être  ,  à 
la  vérité,  quelquefois  couvert,  ÔC  comme 
rallenti  par  la  multitude  de  nos  foibleil'es  ; 
mais  tandis  qu'il  n'eft  pas  encore  éteint, 
sh  !  il  en  fort  toujours  quelques  étincelles , 
des  vœux ,  des  foupirs  ,  des  efforts  ,  des 
œuvres  :  les  Sacremens  la  renouvellent  ; 
Iqs  Myftèreslaints  la  raniment;  les  prières 
la  réveillent  ;  les  leâiures  pieufes  ,  les  mf- 
truftions  de  falut  ,  les  fpe£i:acles  de  reli- 
gion, les  faintes  infpirations  ,  tout  la  ral- 
lume ,  lorfqu'elle  n'eft  pas  encore  éteinte. 
Il  eft  écrit ,  au  fécond  Livre  des  Macha- 
bées ,  que  le  feu  facré  que  les  Juifs  a  voient 
caché  pendant  la  captivité  dans  les  entrail- 
les de  la  terre ,  fe  trouva  au  retour  couvert 
d'une  moufTe  épaifle  ,  6c  parut  comme 
éteint  aux  enfans  des  Prêtres  qui  le  retrou- 
vèrent fous  lacc-nduitedeNéhémias.  Mais 
comme  ce  n'étoit  que  la  furface  feule  qui 
étoit  couverte  ,  &*qu'au-dedans  ce  feu  fa- 
cré confervoit  encore  toute  fa  vertu  ;  à 
peine  Teut-on  expofé  aux  rayons  du  fo- 
leil,  à  peine  le  ciel  eut-il  lancé  defTus 
quelques  traits  de  lumière,  qu'on  le  vit  fe 
rallumer  à  Tinftant ,  ôC  offrir  aux  yeux  le 
fpeâacle  prefque  d'un  grand  incendie  : 
ÈéMach.  IJiqii^  tempus  affuit  qub  fol  reful/it ,  accen- 
**  *^'  fus  ejl  ignis  magnus  j  ita  ut  omnes  mira- 
rçntur.  Ah  !  voilà  ,  mon  cher  Auditeur ,  l'i- 
mage de  la  tiédeur  d'une  ame  véritable- 
ment jufte  ;  voilà  ce  qui  devroit  vous  arri- 
ver |  fi  la  multitude  de  vos  iafidélités ,  Ci  la 

longueur 


Fautes   légères.      4^1 

longueur  de  votre  captivité  ,  6c  la  durée  de 
vos  chaînes  n'avoit  fait  que  couvrir  &  ral- 
lentir  en  vous  le  feu  facré  de  la  charité 
fans  réteindre  ;  voilà,  dis-je,  ce  qui  de- 
vroit  vous  arriver  lorfque  vous  approchez 
des  Sacremens  ;  lorfque  vous  venez  enten- 
dre la  parole  de  falut  ;  lorfque  Jefus- 
Chrift  ,  le  Soleil  de  juftice ,  lance  fur  vous 
quelques  traits  céleftes  de  fa  grâce.  On  de- 
vroit  alors  voir  tout  votre  cœur  fe  rallu- 
mer ;  votre  ferveur  fe  renouveller  :  votre 
charité  vous  embrafer  :  vous  devriez  alors 
être  tout  de  feu  dans  la  pratique  de  vos 
obligations  :  ^ccenfus  eft  ignis  magnus  y 
ita  ut  omnes  mirarentur.  Et-cependantrien 
ne  vous  ranime  ;  les  Sacremens  que  vous 
fréquentez ,  vous  laiflent  toute  votre  tié- 
deur ;  la  parole  de  TEvangile  que  vous  en« 
tendez  ,  tombe  fur  votre  cœur ,  comme 
fur  une  terre  aride  où  elle  produit  quelques 
vains  défirs  ,  &  eft  en  même-tems  étouffée  ; 
les  mouvemens  de  falut  que  la  grâce  opère 
au  dedans  de  vous ,  n'ont  jamais  de  fuites 
pour  le  renouvellem.ent  de  vos  mœurs  , 
ÔC  expirent  prefque  en  naiffant  ;  vous  traî- 
nez partout  la  même  indolence  5c  la  même 
langueur  :  vous  fortez  du  pied  des  autels 
aulîi  froid  que  vous  y  êtes  venu  :  on  ne 
voit  point  en  vous  ces  renouvellemens  de 
zèle  &C  de  ferveur  (i  familiers  aux  Juftes  , 
6c  dont  ils  prennent  les  motifs  dans  leurs 
propres  chutes  :  ce  que  vous  étiez  hier  , 
vous  Têtes  aujourd'hui;  mêmes  infidehtés 
&  mêmes  foibleffes  ,  vous  n'avancez  pas 
Carême  i  Tome  IlL  Ll 


^02,.   VêKD,  de  la  IV.  Semaikï:! 

d'un  feiil  degré  dans  la  voie  du  falut ,  8C 
tout  le  feu  du  ciel  ne  fauroit  rallumer  cette 
prétendue  charité,  cachée  au  fond  de  vo- 
tre cœur  ,  fur  laquelle  vous  vous  raiTurez. 
Ah  ,  mon  cher  Auditeur  !  que  je  crains  , 
qu'elle  ne  foit  éteinte  ,  6c  que  vous  ne 
foyez  mort  aux  yeux  du  Seigneur.  Je  ne 
veux  point  ici  troubler  votre  confcience  : 
mais  je  vous  dis  que  votre  état  n'eft  point 
sûr  :  je  vous  dis  feulement  que  fi  l'on  en 
juge  par  les  régks  de  la  foi ,  il  eft  plus 
vraifemblable  que  vous  êtes  dans  la  dif- 
grace  6c  dans  la  haine  de  Dieu. 

Hélas  !  peut-être  le  Guide  fpirituel  de 
votre  confcience  ,  à  qui  vous  ne  venez  re- 
dire fans  cefi'e  que  de  légères  infirmités,  ÔC 
qui  ne  fauroit  voir  la  corruption  du  cœur 
d'où  elles  pjrtent  ;  peut- être  que  perfuadé 
que  vous  dormez  ,  que  vous  vous  relâ- 
chez feulement  ,  il  fe  contente  d'animer 
votre  vigilance  ,  5c  de  réveiller  votre  fer- 
veur ;  il  penfe  de  vous  ce  que  les  Difciples 
^^^'''^^' difent  aujourd'hui  de  Lazare  :  Sidormity 
fahus  ern\  qu'au  fond  ,  ce  fommeil  ,  ces 
chûtes  légères  ,  cette  tiédeur  ,  ne  vous 
conduiront  pas  à  la  mort,  &  ne  vous  ex- 
cluront pas  du  falut.  Mais  Jefus-Chrifi:  qui 
vous  voit  tel  que  vous  êtes  ;  Jefus-Chrift 
qui  ne  juge  pas  comme  l'homme  ;  Jefus- 
Chrift  déclare  que  vous  êtes  mort  déjà  de- 
îllâ,  P^''^^  long-tems  à  (qs  yeux  :  Tune  JefilscH- 
f>t4*  ^i-t  eîs  manifejiè  :  Laiarus  mortuus  cjl» 
Cette  vérité  vous  furprend  ,  mes  Frères^ 
mais  je  ferais  bien  plus  ilirpris  fi  le  contrai^ 


Fautes  légères.  '405, 
re  arrlvoit  :  car  fi  vous  voulez  faire  atten- 
tion en  fécond  lieu ,  aux  fuites  que  traînent 
infailliblement  après  foi  la  tiédeur  ôc  l'ha- 
bitude dans  les  fautes  légères ,  vous  con- 
viendrez que  quand  même  il  feroit  dou- 
teux ,  fî  vous  confervez  encore  la  charité, 
ou  il  vous  l'avez  perdue  ,  il  eft  certain 
que  vous  ne  fauriez  la  conferverlong-tems 
en  cet  état  :  dernière  réflexion. 

CIL 
Elui  qui  méprife  les  petites  chofes ,  dit^^^-^^s* 
i'Efprit  faint ,  tombera  peu  à  peu  dans  les 
grandes  ;  c'eft  une  des  plus  inconteftables 
maximes  de  la  Religion  :  méprifer  les  pe- 
tits devoirs  ;  c'eft-à-dire  ,  les  vdoler  de 
propos  délibéré  :  en  faire  un  plan  6c  un 
état  de  conduite  ;  (  car  fî  vous  y  manquiez 
quelquefois,  feulement  par  fragilité,  ou 
par  furprife  ,  c'eft  la  deftinée  de  tous  les 
Juftes ,  &:  ce  difcours  ne  vous  regarderoit 
pas  ;  )  mais  les  méprifer  dans  le  lens  que 
je  viens  de  l'expliquer  ;  dans  ce  fens  qui 
convient  à  toutes  les  âmes  tiédes  ÔC  in«^ 
fidèles  ,  c'eft  une  voie  qui  aboutit  toujours 
au  crime.  Renouveliez  votre  attention  ;  6C 
voici  les  motifs  fur  lefquels  je  fonde  la 
vérité  de  cette  maxime. 

Premièrement,  cette  voie  aboutit  tôt  ou 
tard  au  crim.e  ;  parce  que  Dieu  fe  retire  de 
l'ame  tiède  6c  infidèle.  En  effet,  mes  Fre= 
res  ,  l'innocence  même  des  plus  juftes  a 
befoin  d'un  fecours  continuel  de  la  grâce. 
Si  le  Seigneur  cciTe  un  moment  de  veiller 
fax  eux ,  d'être  attçmif  aux  dangers  qui  Is^ 

LU 


404  Vend,  de  la  ÎV.  Semaiî^. 
environnent  ,  de  les  garder  comme  la pru* 
nelle  de  fon  œil  ,  de  les  couvrir  de  fon 
bouclier,  ils  deviennent  la  proïe  du  lioa 
rugiiTant,  qui  tourne  fans  cefle  autour  d'eux 
pour  les  dévorer. 

La  fidélité  du  Jufte  eft  donc  le  fruit  des 
fecours  journaliers  de  la  grâce  ;  mais  elle 
en  eft  auflî  le  principe  ;  c'eft  la  grâce  qui 
opère  la  fidélité  du  Jufle  ;  mais  c'efl  la  fidé- 
lité du  Jufte  qui  attire  la  grâce  dans  fon 
ame.  Si  vous  cefTez  de  correfpondre  ;  elle 
s'arrête  :  fi  vous  n'offrez  plus  de  vaiffeau 
vuide  pour  la  recevoir;  cette  huile  célefle 
ne  coale  plus  :  fi  vous  manquez  de  faire 
valoir  le  talent  ;  on  vous  l'ôte  .-  fi  vous 
négligez  de  cultiver  l'arbre  ;  il  féche  peu 
à  peu  ,  6c  on  le  maudit  :  fi  vous  vous  re- 
froidiifez  ,  Dieu  fe  refroidit  à  fon  tour  :  fî 
vous  vous  bornez  à  fon  égard  à  ces  de- 
voirs indifpenfables  que  vous  ne  fauriez 
lui  refufer  fans  encourir  des  peines  éter- 
nelles ;  il  fe  borne  auffi  pour  vous  à  ces 
fecours  généraux  avec  lelquels  vous  n'irez 
pas  loin ,  avec  lefquels  vous  ne  ferez  ja- 
mais fidèle  dans  la  tentation  :  il  fe  retire 
de  vous  à  proportion  que  vous  vous  reti- 
Tez  de  lui  ;  6c  votre  fidélité  à  le  fervir  efl 
la  mefure  de  celle  qu'il  apporte  à  vous 
protéger. 

Eh  !  dequoi  vous  plaindriez-vous,  ame 
infidèle  ,  lorfqu'il  en  ufe  de  la  forte  ?  en- 
trez en  jugement  avec  votre  Seigneur  ,  ôC 
voyez  fi  fa  conduite  n'eft  pas  j^ufte.  Vous 
tt'êtes  ^lus  attemivç  à  lui  plaire^  il  ne  reiS 


Fautes  légères.  405 
plus  à  vous  favorifer  :  vous  négligez  mille 
occafion  où  vous  pouviez  lui  donner  des 
marques  de  votre  fidélité  ;  il  lailTe  pafTer 
toutes  celles  où  il  pourroit  vous'  en  don- 
ner de  fa  bienveillance  ;  vous  chicanez 
avec  votre  Dieu  ,  fi  j'ofe  parler  ainfi  ;  vous 
lui  difputez  tout  ce  que  vous  ne  croyez 
pas  lui  devoir  ;  toute  votre  attention  eftde 
prefcrire  des  bornes  au  droit  qu'il  a  fur 
votre  cœur  ;  vous  lui  dites ,  comme  il  di- 
foit  lui-même  à  ce  ferviteur  ;  Prenez  ce  qui 
vous  appartient  :  n'êtes-vous  pas  convenu 
du  prix  avec  moi  ?  ne  m'en  demandez  pas 
davantage  :  Toile  quoi  tuum  efl  :  nonne  ex  Matt^}^ 
denarlo  conveni/ii  mecum  1  rien  de  tendre  ,io.i3./4# 
rien  de  fervent  ne  vous  échappe  ;  vous 
fupputez  tout  ce  que  vous  lui  donnez  , 
comme  fi  vous  craignez  d'aller  trop  loin  ; 
&  il  fuppute  à  fon  tour  avec  vous  ,  6c  il 
eft  attentif  à  vous  refufer  ces  grâces  fpé- 
ciales  qu'il  v^ous  accordoit  auparavant. 
Trouve-t'on  mauvais  qu'un  Souverain  , 
dansladiflribution  de  fes  faveurs, partage 
mieux  ceux  de  fes  fuiets  qui  s'appliquent 
avec  plus  de  foin  ÔC  de  vigilance  à  le  fer- 
vir  ?  Eh  !  que  ferviroit  donc  la  fidélité  du 
Jufle  ,  s'il  ne  devoit  avoir  aucun  avantage 
fur  le  pécheur?  quel  feroit  le  centuple  pro- 
mis dès  cette  vie  au  ferviteur  vigilant,  fî 
le  Maître  ne  le  dilîinguoit  pas  dans  le  par- 
tage de  fes  grâces  ,  du  ferviteur  inutile  ? 
Vous  êtes  trop  jufte  ,  Seigneur  ;  ÔC  vos 
jugemens  font  trop  équitables. 
Or  ,  que  coucUixe  de-là ,  mes  Frères  ?  i^ 


■406    Vend,  de  la  IV.  Semaine. 
voici  :  Que  cet  état  d'infidélité  habituelle 
éloignant  de  i'ame  toutes  les  grâces  de  pro- 
teâ:ion  ;  tout  ce  que  vous  vous  permettez 
de  léger  o^ontre  quelque  précepte ,    vous 
prive  des  fecours  deftinés  pour  en  faciliter 
i'accomplilTement ,  lorfque  la  circonftance 
du  précepte   arrive.   Vous  n'avez  pris  au- 
cun foin  d'éviter  ces  entretiens ,  ces  liber- 
tés ,  ces  regards  ,  ces   leftures   qui  pou- 
voient  vous  conduire  à  la  perte  de  la  pu- 
deur ;  parce  que  vous  n'y  voyiez   rien  de 
criminel ,  6c  ne  croyiez  pas  qu'on  put  vous 
les  interdire  :  vous  avez  éloigné  de  vous 
les  grâces  attachées  à  la  coniervation  de 
cette  vertu  ;&C  dans  une  occafion  effentielle 
où  il  s'agira  de  la  conferver ,  ou  de  la  per- 
dre tout-à-fait ,  comme  vous  n'aurez  plus 
à  oppofer  au  danger  que  votre  propre  foi- 
blelTe  ,  vous  périrez.  Car  quelle  autre  def- 
tinée  pourriez-vous  vous  promettre  ?  Les 
Jiiftes  dans  ces  occafions  périlleufes ,  en- 
vironnés des  fecours  d'en  haut  ,  fuccom- 
bent  quelquefois  ;  du  moins  ils  ont  de  la 
peine  à  fortir  vainqueurs,  &  flottent  long- 
tems  entre  la- victoire  6c  la  défaite  :  jugez 
fi  vous  devez  vous  promettre  un  heureux 
fuccès  ,  vous  qui  n'apportez  à  ce  combat 
que  vos  propres  forces  ;  c'efl  -  à  -  dire  _, 
mille  acheminemensiecrets  au  crime  dans 
lequel  l'ennemi  s'efforce  de  vous  entraî- 
ner ;  ÔC  fi  le  Seigneur  ne  combattant  plus 
pour  vous  ^  vous  pouvez  manquer  de  de- 
venir fa  proie. 

Secondement  ^  cette  voie  de  tiédeur  5| 


Fautes  légères.  407 
3Mnfidélité  aboutit  tôt  ou  tard  au  crime  : 
parce  que  non-feulement  ces  fautes  légères 
nous  privent  des  fecours  a£luels  nécefîaires 
àla  confervation  de  la  juftice  ;  mais  par  une 
fuite  infaillible,  elles rallentilTent  encore  la 
charité  qui  eft  au-dedans  de  vous  ;  elles 
minent  peu  à  peu  cette  habitude  de  fain- 
teté  ,  5c  font  enfin  écrouler  tout  l'édifice 
chrétien  :  ce  font  des  ronces  multipliées  , 
qui  peu  à  peu  couvrent  enfin  tout  le  champ 
éc  étouffent  la  bonne  fémence. 

On  vous  a  dit  que  ces  fautes ,  quelle  que 
foitleur  quantité,  ne  peuvent  jamais  d'elles 
mêmes  monter  à  ce  point  fatal  qui  fait  le 
crime  ,  6c  éteint  tout-à-fait  la  grâce.  Mais 
que  veut- on  dire  par-là  ?  qu'elles  n'épui- 
fent  pas  toute  la  vigueur  de  l'ame  ;  qu'elles 
n'affoibliflent  pas  toutes  fes  puiiTances  fpi- 
rituelles  ,  qu'elles  ne  rallentifient  pas  fa 
foi  ;  qu'elle  n'attiédilTent  pas  fon  efpéran- 
ce  ;  qu'elles  n'introduiient  pas  jufques  dans 
le  fond  de  fon  être  des  fe  m  en  ces  de  cor- 
ruptions ,  qui  dans  leur  tems  produiront  des 
fruits  de  mort  ;  qu'elles  ne   font  pas  au 
cœur  de  ces  playes  dangereufes ,  qui  atti- 
rent de  leur  côté  les  attaques  de  Satan  ,6C 
lui  montrent  le  chemin  delà  viéloire  ;6C 
enfin  ,  qu'elles  ne  refiemblent   pas  à  ces 
fyptômes  fréquens   qui  tôt  ou  tard  finif- 
fent  par  la  mort  ?  Que  veut-on  dire  par-là  > 
que  11  charité  femblable  à  un  feu  facré  ne 
$'ufepas,  5c  ne  fe  confommepaselle-mê- 
ine ,  lorsqu'on  ne  prend  aucun  foin  de  la 
nourrir  &  de  Tentreteûir  f  que  toutes  cg^ 


r 


40S  Vend.  déXa  IV.  SexMAine. 
infidélités  faifant  croître  l'homme  de  péché 
en  nous ,  il  ne  s'enfuit  pas  nécdllairement 
que  Jefus-Chrift  y  diminue  ?  qu'elles  ne 
contriftent  pas  l"Efprit-faint  dans  notre 
cœur  ;  qu'elles  ne  lui  ôtent  pas  tout  ce 
qui  pouvoit  lui  rendre  la  demeure  de  notre 
ame  agréable  ;  qu'elles  ne  changent  pas 
notre  maifon  intérieure ,  où  il  avoit  cru 
trouver  fes  délices,  en  un  trifteexil  ,  où  il 
n'eft  plus  qu'à  regret  où  il  pouiTe  fans 
cefle  des  gémilTemens  ineffables  fur  les  mal- 
heurs qui  nous  menacent  ;  où  il  me  femble 
plus  refter  que  pour  méditer  une  retraite; 
ÔC  où  tout  le  convie  à  s'en  retourner  dans 
le  fein  de  Dieu ,  8c  à  céder  fa  place  aux 
efprits  impurs  qui  s'en  font  déjà  rendu  les 
maîtres  ?  Prétend-on  donner  atteinte  aux 
plus  incontestables  vérités  de  la  Religion , 
en  établiiTant  cette  régie  de  doârine?  Non 
certes ,  mes  Frères  ;  car  en  Jefus-Chrift 
il  n'y  a  pas  oui  6c  non  :  il  n'eft  que  l'iniqui- 
té &C  le  menfonge  qui  fe  détruifent  ÔC  fe 
eontredifent  eux-mêmes. 

Troifiémement,  cet  état  d'infidélité  ÔC 
de  tiédeur  conduit  tôt  ou  tard  à  la  mort, 
parce  qu'il  fait  prendre  tous  les  jours  de 
nouvelles  forces  àla  concupifcence  :  car 
à  mefure  que  vous  favorifez  l'amour  pro- 
pre ,  en  ne  lui  refufant  aucun  des  adoucif- 
femensque  vous  pouvez  lui  permettre  fans 
crime  ,  vous  l'accoutumez  peu  à  peu  ne 
pouvoir  plus  fe  palier  de  tout  ce  qui  le  flâie, 
vous  fortifiez  toutes  les  inclinations  cor- 
rompues de  vptie  ame  y  vous  mettez  ea 


Fautes  légères.  405 
vous  de  nouveaux  obilacles  à  l'occomplif- 
fement  de  tous  les  préceptes  ;  vous  vous 
rendez  la  Loi  de  Dieu  plus  pénible  ,  non- 
feulement  parce  qu'il  ftut  l'accomplir  6c 
porterie  joug  fans  cette  ondion  quil'adou- 
cit ,  6c  qui  n'eft  la  récomipenfe  que  de  la 
fidélité  ;  mais  encore  parce  que  vous  avez 
îailTé  croître  tous  les  penchans  qui  s'op- 
pofent  en  vous  à  la  Loi  de  Dieu  :  de  forte 
qu'accomplir  le  précepte  dans  la  circonf- 
tance  où  la  Loi  vous  y  oblige  ,  eft  pour 
vous  une  montagne  qu'il  faut  franchir  ;  une 
eau  rapide  qu'il  faut  remonter  malgré  la 
PSî^.te^qui  vous  entraine  ;  un  lion  furieux 
qu'il  faut  apprivoifer  tout-à-coup  îorfque 
fa  proi'e  eft  préfente  ;  en  un  mot ,  une  en- 
treprife  à  laquelle  toutes  vos  inclinations  ie 
refufent  ÔC  oppofent  de  nouvelles  difficul- 
tés. Ainfî  tou.t  ce  que  vous  vous  êtes  per- 
mis de  malignités  enveloppées,  de  traits 
mordans  ,  de  cenfures ,  de  railleries  ,  de 
légers  mépri'j  ,  de  fiers  refroidiiTemens 
concre  votre  frère  ,  par  les  fuites  d'une  an- 
tipathie naturelle  que  vous  n'avez  jamais 
pris  loin  de  reprimer ,  s'il  vient  à  vous  faire 
un  aifront  éclatant ,  vous  rendront  la  loi 
du  pardon  impolfible.  Ainli  cette  vivacité 
fir  votre  gloire ,  ces  empreïïcmens  à  être 
di^:ingucdu  côté  de  l'eltimc  ,  ces  feins  à 
ménager  là-deiTus  les  jugemens  des  hom- 
mes  ,  l'emporteront  fur  la  vérité  5c  fur  la 
juftice  dans  une  occafion  oii  vous  ne  pour- 
rez plus  fauver  votre  réputation  lans  noir- 
cir celle  de  votre  prochùin,  Ain  fi  cet  ufage 
Carême ^  Tome  iil.  Mm 


4îo  Vend,  de  la  IV.  Semaine. 
de  menfoiige  5c  de  duplicité, dans  les  pointa 
indifFérens;  dès  que  vous  ferez  inlérefTé  à 
n  être  pas  fîncére ,  ne  vous  laifTera  pas  pres- 
que la  liberté  de  vous  déclarer  pour  la  vé- 
rité ,  ôc  de  lui  facrifier  inême  vos  intérêts. 
Ainfi  ces  complaifances  douteufes  que  vous 
avez  pour  cette  perfonne  ,  ces  commence- 
mens^de  pafilon  que  vous  négligez  ,  vous 
mettront  hors  d^état  de  réliiler  iorfqu'il  s'a- 
gira d'aller  plus  loin  :  la  corruption  forti- 
liée  par  toute  la  fuite  de  vos  démarches 
paiTces ,  l'emportera  fur  vos  réflexions  ; 
vous  n'en  ferez  plus  maître  ;  votre  cœur 
fe  refufera  à  votre  iierté  ,  à  votre  gloire  , 
à  vous-même.  Car ,  mes  Frères ,  on  ri'eft 
pas  long-tems  fidèle  ,  dès  qu'il  en  coûte 
tant  pour  Têtre. 

Au  lieu  que  celui  qui  travaille  fans  ceïïb 
à  affciblir  les  niouvemens  de  la  cupidité  , 
foUiTre  moins  quand  il  faut  la  foumettre  à 
ia  Loi  :  il  tî^ouve  un  cœur  dqcilv' ,  oC  une 
volonté  déjà  préparée  par  un  long  exer- 
cice de  violence  :  tant  de  viftoires  légères 
dans  des  combats  où  il  ne  s'agilToit  que  de 
ia  gloire  ,  lui  facilitent  celles  qu'il  rem- 
porte ,  lorfqu'il  s'agit  du  falut  :  tous  ces  pe- 
tits peuples ,  qu'il  avoit  domptés  fur  ion 
chemin  ,  Tavoient  fi  fort  accoutumé  à  vain- 
cre ,  quk  fa  feule  approche ,  Jéricho  tom- 
be fans  qu  il  lui  en  coûte  ni  peine  >  ni  dan- 
ger ;*&  uoiir  le  ciir.?  fans  figure  ,  une  lon- 
gue pratique  d'abnégntion  dans  les  plus 
légères  occaiions  Ta  il  fauitem.ent  familia- 
riié  avec  k  violeiice  chrétienne ,  que  dai'*s 


Fautes    légères.      411 

îa  cîrconftance  du  précepte  ,  ah  !  il  lui  en 
coLiteroit  prefque  plus  pour  être  infidèle  ; 
il  faudroit  plus  prendre  fur  lui-mêiBe ,  que 
pour  accomplir  la  loi. 

Quatrièmement,  non-feulement  le  pré- 
cepte devient  plus  difficile  à  Tame  tiède 
6c  infidèle  ;  m.ais  encore  le  crime  s'appla- 
nit ,  5c  elle  n'y  trouve  pas  plus  de  difficul- 
té, qu'aune  fimple  infidélité  :  nouvelle  rai- 
fon  qui  prouve  toujours  que  l'état  ne  tar- 
de pas  de  conduire  au  péché  qui  tue  î'ame. 
En  effet ,  le  cœur  par  ces  ofFenfes  légères 
multipliées,  arrivant  enfin  comme  par  au- 
tant de  démarches  infenfibles  jufqu'à  ces 
bornes  pèrilleufes  qui  ne  féparentplus  que  . 
d'un  point  la  vie  ÔC  la  mort ,  franchit   ce 
dernier  pas  fans  prefques'en  appercevoir  : 
comme  il  lui  reftoit  peu  de  chemin  à  faire, 
6c  qu'il  n'a  pas  eu  befoin ,  pour  ainfî  dire  , 
d'un  nouvel  effort ,  il  croit  n'avoir  pas  été 
plus  loin  que  les  autres  fois  :  il  avoit  mis 
au-dedans  de  lui  cIqs  difpofitions  fi  voifi- 
nes  du  crim.e  ,  qu'il  enfante  le  péché  fans 
douleur  ,  fans  peine  ,  fans  aucun  mouve- 
ment marqué,  fansconnoître  lui-même  le 
fruit  de  mort  qu'il  produit.  Et  voilà  ce  qui 
rend ,  mes  Frères ,  l'état  dont  je  parle  , 
encore  plus  terrible  ,  c'cfl  que  d'ordinai- 
re ,  on  y  meurt  à  la  grâce  fans  le  favoir  ;  on 
devient  ennemi  de  Dieu  ,  qu'on  vit  encore 
avec  lui  comme  un  ami  &  un  enfant  >;  on 
efl  dans  le  commerce  des  chofes  faintes  , 
&  on  a  perdu  cette  foi  qui  les  rend  utiles  ; 
pn  fe  lave  fans  ceiTe  dans  le  bain  de  la  pé» 

Mmi 


412.  Vend,  de  la  IV.  Semalve. 
nitence ,  ôc  on  s'y  falit  de  plus  en  plus  :  on 
fe  prëfente  encore  à  la  table  du  Père  cé- 
lefte  ;  on  ufe  encore  de  tous  les  privilèges 
des  Jufces ,  &  on  n'élu  plus  qu'un  témé- 
raire profanateur ,  5c  il  nous  a  depuis  long- 
tems  rejettes  de  fa  bouche  comme  une 
boiiïbn  tiède  &  dégoûtante.  Grand  Dieu  ! 
aufîi ,  que  de  faux  juftes  feront  fiirpris  , 
lorfque  vous  viendrez  manifefter  les  fe- 
crets  des  cœurs  &.  les  confeils  des  conf- 
ciences  î  que  de  brebis  étrangers  qui  vi- 
voient  en  sûreté  dans  votre  bercail ,  ÔC 
qui  fe  nourrilToient  de  vos  pâturages ,  fe- 
ront rangées  parmi  les  boucs  !  6c  que  les 
îénébres  qui  nous  cachent  ici-bas  l'état  de 
notre  ame  ,  devroient  bien  allarmer  notre 
foi  ÔC  ranimer  notre  vigilance  !  que  nous 
devons  craindre  de  n'être  femblables  àl'in. 
fortuné  Aman  ,  lequel  n'étant  point  infor- 
mé de  fa  difgrace  ,  vint  hardiment  fe  pré- 
fenter  à  la  table  du  Prince  ,  &  voulut  ufer 
de  tous  les  droits  d'un  favori  ,  lui  dont  le 
fupplice  éîoit  déjà  conclu  ! 

En  cinquième  lieu  ,  mes  Frères ,  pour 
achever  de  vous  convaincre ,  que  cet  état, 
où  l'on  ne  fe  propofe  que  de  ne  pas  tranf- 
-greifer  mortellement  les  préceptes  ,  con- 
duit infailliblement  au  crime  :  remarquez 
s'il  vous  plaît ,  que  la  nature  du  cœur  hu- 
main efl  telle  qu'il  refte  toujours  au-def- 
fous  de  ce  qu'il  fe  propofe  ;  parce  que  l'ef- 
prit  qui  promet  eft  prompt ,  ôC  que  la  chair 
qui  exécute  eft  foible.  Le  Jufte  prend  fou 
effort  pour  arriver  à  la  plus  haute  perfec- 


Fautes   légères.       413 

tîon ,  8c  il  demeure  dans  un  degré  infé- 
rieur ;  nous-mêmes  mille  fois  dans  des 
momens  de  zèk'  &C  de  ferveur  ,  nous  avons 
pris  des  réfolutions  vives  de  retraite  ,  de 
détachement ,  de  péiiitence  ;  6c  Texécu- 
tion  a  toujours  diminué  heaucoup  l'ardeur 
des  projets  :  il  faut  beaucoup  entrepren- 
dre pour  exécuter  peu  ;  fe  promettre  à 
foi-même  des  grandes  chofes  pour  en  ve- 
nir aux  m.édiocres,  &  vifer  bien  haut  pour 
-  atteindre  du  moins  au  milieu.  Or ,  vous 
ne  vous  propofez  que  d'éviter  les  crimes , 
vous  vifez  préciiement  à  ce  point  au-def- 
fous  duquel  eft  la  mort  &  la  prévarica- 
tion :  vous  refierez  au-deflbus  ;  vous  ne 
viendrez  jamais  àboutd'obferver  les  com- 
mandemens  :  il  falloit  vous  propofer  quel- 
que chofe  de  plus  élevé  pour  en  venir-là. 
L'expérience  là-dellus  eftdéciiive,  6c  la 
raifon  n'en  eft  pas  difficile  ;  c'eft  que  nos 
réfolutions  dans  la  préparation  du  cœur 
6c  dans  la  pratique,  nerereffemblentpas  ; 
tandis  qu'elles  font  encore  dans  la  prépa- 
ration du  cœur  ,  qui  fe  les  propofe ,  rien 
ne  les  contredit,  rien  ne  les  arrête  ;  elles 
ne  trouvent  point  d'obflacles  à  combat- 
tre ,  point  de  difficultés  à  furmonter  ,  ÔC 
là ,  elles  ne  perdent  rien  de  leur  ferveur 
êC  de  leur  perfeftion  ;"  mais  àès  qu'il  s'a- 

fit  d'exécuter  ,  &  qu'elles  paroilfent  au 
ehors ,  ah  !  les  inclinations  de  la  chair  les 
rallent! lient  :  les  ennemis  de  notre  falut  les 
traverfent  :  les  hommies  ,  ou  les  ébranlent 
par  leur  féduciion  ,  ou  les  font  échoue^ 

Mm  3 


414  Vend,  de  la  IV.  Semaine. 
par  leur  malice  ;  en  un  mot,  elles  perdent 
toujours  fur  le  chemin  la  moitié  de  leur 
force, &  Ton  cil  heureux  quand  il  en  échap- 
pe encore  quelque  choie  ,  £c  qu'à  travers 
tous  ces  périls,  on  peut  du  moins  fauver 
quelques  débris  du  naufrage. 

Or,  concluez  delà,  mon  cher  Audi- 
teur, ce  que  vous  devez  vous  promettre  , 
vous  qui  ne  vous  propofez  que  de  ne  pas 
tranigrefler  ouvertement  les  préceptes,  6C 
qui  ne  voulez  pas  monter  plus  hai:t ,  vous 
n'arriverez  jamais  à  ce  point  ;  vous  iuc- 
comberez  dans  toutes  les  occaiions  ;  vous 
vous  trouverez  toujours  fort  au-deifous  de 
vos  projets.  Afpirez  à  la  fidélité  ,  à  la  fer- 
veur ,  à  la  vigilance ,  à  la  perfedion  de 
votre  état  :  Jefus-Chrilt  ne  vous  a  point 
laillé  d'autres  moyens  pour  acconiplir  les 
commandemens  ;  Sc  vouloir  les  obTerver 
fans  cela  ,  cqH  entreprendre  d'aller  à  la 
fin  ,  fans  paifer  par  la  voie  qui  feule  peut  y 
conduire. 

Mais  à  quoi  bon  tant  de  raifons  ?  Qu'op- 
poferez  -  vous  à  l'expérience  de  tous  les 
fiécles ,  à  la  vôtre  même  ,  mon  cher  Au- 
diteur ?  faut-il  tant  de  preuves  :  où  vos 
propres  m.alheurs  vous  ont  li  triftement 
inflruit  ?  Souvenez  -  vous  d'où  vou.s  êtes 
tombé  ,  comm.e  ledifoit  autrefois  l'Efprit 
de  Dieu  à  cet  Evêque  de  l'Apocalipfe  : 
'j>^^r  9  r  Memor  cflo  unde  excideris  ;  remontez  à  la 
première  origuie  de  vos  deiordres  ,  vous 
la  trouverez  dans  les  infidélités  les  plus, 
légères  ;  u;.i  fentiment  de  plaiiir  néglige  m- 


Fautes  légères.  419 
ment  rejette  ;  une  occafion  de  péril  trop 
fréquentée-:  une  liberté  douteufetrop  fou- 
vent  prife  ;  des  pratiques  de  piété  omifes  : 
la  fource  en  eil  prefque  imperceptible  ;  le 
fleiive  qui  en  eft  forîi ,  a  inondé  toute  la 
terre  de  votre  cœur  :  ce  fut  d'abord  ce 
petit  nuage  qu^  vit  Elie  ,  6C  qui  depuis  a 
couvert  tout  le  ciel  de  votre  ame  :  ce  fut 
cette  pierre  légère  que  Daniel  vit  deicen- 
dre  de  la  montagne  ;  6c  qui  devenue  en- 
.fuite  une  malTe  énorme,  a  renverfé  Scbri- 
fé  rimage  de  Dieu  en  vous  ;  c'étoit  un  pe- 
tit grain  de  fénévé  ,  qui  depuis  a  cru  com- 
me un  grand  arbre ,  &  poulie  tant  de  fruits 
de  mort  :  ce  fut  un  peu  de  levain,  qui  de- 
puis a  aigri  toute  la  pâte  :  Mcmor  efio  unde 
excideris. 

Vous  n'auriez  jamais  cru  en  venir  oii 
vous  en  êtes  :  vous  regardiez  tout  ce  qu'on 
difoit  là-dcfTus,  dans  la  chaire  chrétienne, 
comme  des  prédictions  qui  ne  dévoient  pas 
tomber  flir  vous  :  vous  auriez  répondu  d  * 
vous-mémiC  pour  de  certaines  actions  fur 
lefquelles  aujourd'hui  vous  ne  Tentez  pref- 
que  plus  de  remords  :  Mcmor  ejlo  undj  ex- 
cideris» Souvenez  -  vous  d'où  vous  êtes 
tombé  :  levez  la  tête,  5c  confidérez  la  pro- 
fondeur de  cet  abîme  :  ce  font  des  infidéli- 
tés légères  qui  vous  y  ont  conduit,  comme 
par  degrés  ;  des  démarches  infeniibles  qui 
vous  ont  mené  û  loin  :  ibuvenez-vous  d'où 
vous  êtes  tombé,  encoreunefois;  ÔC  n'ap- 
peliez puis  léger  ce  qui  a  pu  vous  cou? 
duire  au  fond  du  précipice. 

Mrn  4 


4i5    Vend,  de  la  IV.  Semalve. 

C'eft  l'artifice  du  démon ,  mon  cher  Au- 
ciiteur  ;  il  ne  propofe  jamais  le  crime  du 
premier  coup.  Voyez  comme  il  s'y  prend 
quand  il  veut  tenter  le  Sauveur  du  mon- 
de :  il  commence  par  lui  propofer  de  chan- 
ger les  pierres  en  pain  ;  c'eft-à-dire  ,  de 
relâcher  un  peu  de  l'auilérité  de  fon  jeû- 
ne :  de  Te  jetterduhautdu  Temple  ;  c'eft-à- 
dire  ^de  s'expofcr  témérairement  au  péril 
fur  une  fauile  confiance  en  la  proteâ:ioii 
du  Seigneur  ;  avant  que  d'ofer  lui  propo- 
fer de  le  proilerner  devant  lui  ÔC  de  l'ado- 
rer. Ce  feroit  elFaroucher  fa  proie  ;  il  ccn- 
noit  trop  les  routes  par  où  il  peut  entrer 
dans  le  cœur  humain  ;  il  fait  qu'il  faut  raf- 
furerpeu  à  peu  la  confcience  timide  con- 
tre l'horreur  de  l'iniquité  ,  5c  ne  propofer 
d'abord  que  des  fins  honnêtes ,  6c  certai- 
nes bornes  dans  le  plaifîr  :  il  n'attaque  pas 
d'abord  en  lion  ;  c'eft  un  ferpent  :  il  ne 
vous  mène  pas  droit  au  vice  j  il  vous  y  con- 
duit par  des  détours. 

Grand  Dieu  !  vous  qui  vîtes  dans  leur 
naiilance  iesdéréglemensdes  pécheurs  qui 
m'écoutent ,  ÔC  qui  depuis  en  avez  remar- 
qué tous  les  progrès  ,  vous  favez  que  la 
honte  de  cette  fille  chrétienne  n'a  commen- 
cé quQ  par  de  légères  complaifances  5c  de 
vains  projets  d'une  honnête  amitié  ;  que  les 
infidélités  de  cette  perfo-nne  engagée  dans 
im  lien  honorable,  n'étoient  d'abord  que 
de  petits  emprelTemens  pour  plaire  ,  ÔC 
•iine  iecreîte  joye  d'y  avoir  réulTi  :  vous  fa- 
vez qu'une  démangeaifon  de  tout  favoir  ^ 


Fautes  légères.  41^' 
5c  de  décider  fur  tout  ;  des  lefturesper- 
nicieufes  à  la  foi ,  pas  allez  redoutées  ; 
ôc  une  fecrette  envae  de  fe  diftiiiguer  du 
côté  de  TeTprit ,  ont  conduit  peu  à  peu  cet 
incrédule  au  libertinage  6C  à  l'irréligion  : 
vous  favez  que  cet  homme  n'eft  dans  le 
fond  de  la  débauche  ôc  de  TendurcilTe- 
lîient ,  que  pour  avoir  étouffé  d'abord 
mille  remords  fur  certaines  aâions  dou- 
teufes ,  6c  s'être  fait  de  fauffes  maximes 
pour  fe  calmer  :  vous  favez  enfin ,  que  cet- 
te ame  infidèle  ,  après  une  converfion  d'é- 
clat ,  n'a  rendu  fa  première  foi  vaine ,  ÔC 
n'efl  revenue  à  fon  vomiffement ,  que  pour 
avoir  mêlé  quelques  adouciiTemens  à  fa 
ferveur  ,  manqué  aux  précautions  qu'elle 
s'étoit  prefcrites  ,  6c  moins  craint  des  oc- 
caiions  dont  votre  Efprit  l'avoieat  tout-à* 
coup  éloignée. 

Non  ,  mon  cher  Auditeur ,  les  crimes 
ne  font  jamais  les  coups  d'eflaidu  cœur* 
David  fut  indifcret  &  oifeux  avant  que 
d'être  adultère  :  Salomon  fe  laiffa  amollir 
par  les  délices  de  la  Royauté  ,  avant  que 
de  paroître  f.ir  les  hauts  lieux  au  milieu 
des  femmes  étrangères  :  Judas  aima  l'ar- 
gent avant  que  de  mettre  à  prix  fon  Maî- 
tre :  Pierre  préfuma  avant  que  de  le  re- 
noncer :  Magdelaine  ,  fîms  doute  ,  voulut 
plaire  avant  que  d'être  la  Péchereffe  de  Jé- 
rufalem  :  5c  pour  ne  pas  fortir  de  notre 
Evangile  ,  Lazare  fuclanguiilant  avant  que 
d'exhaler  i'infcclion  ÔC  la  puanteur  dans  le 
tombeau.  Le  vice  a  fes  progrès  :  comme 


4tS  Vend,  de  la  IV.  SemaiK^e; 
la  vertu  :  comme  le  jour  inftruit  ie  jour^ 
ainf]  dit  le  Prohéte  ,  la  nuit  donne  de 
f'unefles  leçons  à  la  nuit  ;  6c  il  n'y  a  pas 
loin  entre  les  infidélités  qui  furpendent  la 
grâce  ,  qui  fortifient  les  pjffions ,  qui  nous 
rendent  inutiles  tous  les  fecours  de  la  pié- 
té ,  5c  celles  qui  nous  la  font  tout-à-fait 
perdre.  Or,  encore  une  fois  ,  tout  ce  qui 
peut  conduire  au  péché  5c  à  la  mort  ;  que 
dis-je  ?  tout  ce  qui  y  mène  infailliblement 
peut-il  paffcr  peur  léger  dans  TeTprit  d'un 
Chrétien  encore  touché  du  foin  de  fon 
£îlut  ? 

Mais  après  tout ,  mon  cher  Auditeur  , 
quand  mcme  on  vous  accorderoit  que  ces 
infidélités  font  légères  ;  qu'auriez  -  vous 
avancé  pour  votre  juflification  ?  Ah  !  c'ciî: 
pour  cela  même  que  vous  êtes  moins  par- 
donnable ,  lorfque  vous  vous  les  permet- 
tez de  propos  délibéré  :  plus  elles  font  lé- 
gères ,  moins  il  doit  vous  en  coûter  pour 
les  éviter.  Ah  I  fî  Ton  vous  demandoit 
des  aâions  héroïques,  il  faudroit  prendre 
fur  vous-mêmes ,  ôc  vaincre  ou  périr  :  que 
pouvez-vous  donc  alléguer  ici  pour  vous 
défendre  de  la  fidélité  à  vos  plus  légères 
obligations  ?  ne  vous  condamnez-vous  pas 
vous  -  même  par  votre  propre  bouche  ? 
Lorfque  Naaman  ,  indigné  de  ce  que  le 
Prophète  ne  lui  ordonnoit  pour  guérir  de 
fa  lèpre  ,  que  d'à  s'aller  baigner  dans  les 
eaux  du  Jourdain  ,  fe  retiroit  plein  de  mé- 
pris pourFhomme  de  Dieu  ,  comme  fî  fa 
guérifon  n'eût  pu  être  le  fruit  d'un  remè- 


Fautes  légères.  4f^ 
de  fi  facile  ;  ceux  de  fa  fuite  le  firent  re- 
venir de  fon  courroux  ,  en  lui  difant  : 
Mais,  Seigneur  ,  fi  l'homme  de  Dieu  vous 
avoit  ordonné  des  ehofes  difficiles ,  vous 
auriez  dû  lui  obiir;  5c  pourquoi  i'.ifule- 
riez-vous  de  vous  foumettre  à  fes  ordres  , 
parce  qu'il  n'exige  de  vous  peur  votre  gué- 
rifon,  qu'une  démarche  autTi  aifée  que  celle  i 

de  vous  aller  baigner  dans  les  eaux  du 
Jourdain  ?  Et  Ji  rem  grandcm  dixijjet  tibi  ^'  ^^ 
Propheta  ,  cerîé  faeere  d: hueras  ,  çuanto^'  ^' 
mil  gis  gui  a  nunc  dixit  tibi  :  Lavare  ,  d» 
mundaberis»  Vous  avez  abandonné  votre 
patrie  ,  vos  Dieux ,  vo:  eiifaiis  :  vous  vous 
êtes  expofé  aux  pérIK-  d'un  long  voyage  ; 
vous  en  avez  foutcau  tou:e?  les  incommo- 
dités pour  retrouver  la  f?:nîé  que  vous 
avez  perdue  ;  ôc  pourquoi  après  tant  de  dé- 
marches pénibles  refuferiez  vous  de  tenter 
un  expédient  aufîi  aifé  qus  celui  que  vous 
propofe  le  Prophète  ? 

Et  voilà  ,  mon  cher  Auditeur  ,  cç  qu9 
je  vous  dis  en  finiiTant  ce  difcours.  Vous 
avez  abandonné  le  miOnde  5c  les  idoles 
que  vous  adoriez  autrefois  :  vous  êtes  re- 
venu de  fi  loin  dans  la  voie  de  Dieu  ÔC 
dans  le  goût  de  la  piété  :  vous  avez  rom* 
pu  tous  les  engagemens  des  pafïïons  les 
plus  criminelles  :  vous  avez  loutenu  \q^ 
peines  ,  les  dégoûts ,  les  travaux  ,  ,  les 
violences  d'une  converfion  d'éclat  ;  il  ne 
vous  refce  plus  qu'un  pas  à  faire  ;  on  ne 
vous  demande  plus  qu'une  légère  atten- 
tion fur  vous-même.  Si  les  premiers  facrl' 


410    V£\D.  DE  LA  IV.  Semaine. 
fices  de  vos  pallions  criminelles  n'étoienî 
pas  encore  faits ,  ÔC  qu'on  les  exigeât  de 
vous ,  vous  ne  balanceriez  point ,  vous  les 
feriez  quoiqu'il  dût  vous  en  coûter  :  Et  fi 
rem  grandem   tibl  dixijfet  Propheta  ,  certé 
facere  debucras.  Et  maintenant  qu'on  ne 
vous  demande  que  des  facriiices  légers , 
que    de  /impies  purifications  ,  qu'on  ne 
vous  demande  prefque  que  les  mêmes  cho- 
fes  que  vous  faites,  mjais  pratiquées  avec 
plus  de  ferveur  ,  plus  de  foi ,  plus   de  vi- 
gilance ;  êtes-vous  excufable  de  vous  en 
difpenfer  ?  Quanto  magjs  quia  dixit  tibl  : 
Lavare  &  mundahcris.  Pourquoi  rendriez- 
vous  tous  vos  premiers  efforts  inutiles  par 
ces  légères  infidélités  ?  pourquoi  auriez- 
vous  renoncé  au  monde    5c  aux  plaifirs 
criminels ,  pour  trouv*?r  dans  la  piété   le 
même  écuèil  que  vous  aviez  cru  éviter  en 
fortant  à^s  \^4.2z  de  l'iniquité  ?  6c  ne  fe- 
riez-vous  pas  à  plaindre  ,  après  avoir  fa- 
crifié  à  Dieu  le  principal ,  de  vous  perdre 
pour  lui  difputer  encore  mille  petits  fa- 
crifices  moins  pénibles  au  cœur  6c  à  la 
nature  :  Quantd  magls  quia  dlxlt  tibl   : 
Lavare  ,  &  mundaberls.    Achevez  ,  Sei- 
gneur ,  en  nous  ce  que  votre  grâce  y  a 
commencé  ;  triomphez  de  notre  langueur 
5c  de  nos  foibleffes ,  après  avoir  triomphé 
de  nos  crimes:  donnez-nous  un  cœur  fer- 
vent 5c  fidèle  ,  puifqiie  vous  nous    avez 
ôté  un  cœur  criminel  5c  diflolu  ;  infpirez- 
nous  ZQtXQ  bonne  volonté  qui  fait  \qs  Juf- 
tÊS,puifque  vous  avez  éteint  en  nous  cet» 


Fautes    légères.      421 

te  volonté  rébelle  qui  fait  les  grands  pé- 
cheurs ;  ne  laifTez  pas  votre  ouvrage  im- 
parfait ;  6c  rendez-nous  dignes  de  la  ré- 
compenfe  ÔC  de  la  vie  immortelle  qui  n'eft 
promife  qu'à  ceux  qui  auront  été  fidèles 
dans  les  petites  chofes  comme  dans  les 
grandes. 


Alnjl  foit-'iL 


ANALYSES 

DES       SERMONS 

contenus  cî^ns  ce  Volume. 

LE  JEUDI  DE  LA  211.  SEMAINE- 
I.  SeRxM.  S::r  la  Tiédeur. 

LA  tiédeur  rend  notre  juflice  incertaine. 
ï.  Perce  quelle  cceint  en  nous  le  dcfir 
de  L? perfeâion,  IL  Parce  quelle  nous  met 
hors  d'état  de  difccrner  les  crimes  a  avec 
les  Jimples  offmjes.  IIÎ.  Pai.ce  quelle  ne 
laijjc  plus  dans  Vame  aucun  carauère  de 
la  charité  habiruelle^ 

I.  Vérité.  Tout  Chrétien  eft  obligé 
de  tendre  à  la  i^erfecxion  de  for  état.  Je- 
fus-Chrîfl  Tordonne  :  So^^ez  parfaits  , 
nous  dit- il ,  parce  que  le  Père  célelle  que 
vous  fervez ,  eft  parfait.  St.  Paul  regarde 
ce  point  comme  le  feul  eflentiel:  oubliant 
tout  ce  qui  eil  derrière  lui  ,  fans  celle  il 
avance  vers  ce  qui  lui  refte  de  chemin  à 
^aire.  C'eft  en  cela  que  coiififte  la  vie  de  la 


Analyfes  des  Sermons,  4^3 
Fôî  ;  elle  n'eft  qu'un  défir  non  interrompu 
que  le  régne  de  Dieu  s'accompHife  dans 
notre  cœur  ,  qu'un  laint  emprelTement  de 
former  en  nous  la  reiTemblance  parfaite  de 
Jefus-Chrid  ,  qu'un  ;5émiiTement  excité 
par  le  fentiment  de  nos  miféres  5c  de  no- 
tre corruption ,  qu'un  combat  journalier 
de  Tefprit  contre  la  chair.  Or  ccdéfir  delà 
perfeâion  ne  fubfîde  plus  dans  uneamequi 
fe  borne  à  l'effentiel  de  la  Loi ,  qui  fe  fait 
lui  pian  de  fa  négligence  ,  qui  regarde 
comme  des  œuvres  de  lurcroît  celles  qu'elle 
pourroit  faire  de  plus. 

En  vain  regardez- vous  la  perfeftion  Chré- 
tienne comme  le  partage  des  Cloîtres  &  des 
Solitudes.  Les  moyens  qu'employent  les 
amcs  retirées  du  monde  pour  y  parvenir  , 
ne  font  que  de  confeii ,  je  l'avoue  ;  m.ais 
la  fin  à  laquelle  elles  tendent  eit  de  précep- 
te ,  c'cftla  fin  générale  de  tous  les  états. 

îL  Vérité.  Tous  les  péchés  ne  font 
pas  mortels  ;  mais  il  y  a  mille  îranfgref- 
fîons  dou^j?ufe3  p::rrapport?.îix  circonllan- 
ces ,  ÔC  fur  lesquelles  il  eft  difHcile  de  faire 
l'applicanon  à^s  régies  établies ,  pour  dif- 
cerner  le  crime  d'avec  la  fimple  oifenfe. 
C'eft  par  la  d.r  -aiition  du  cœur  toute  feule 
qu'on  peut  décide;*  dç  ia  malice  de  ces  for- 
tes de  îautes.  Saiii  -'pargne  le  Roi  des  Ama- 
îécites ,  5c  il  eft  rcpro>.ivé  de  Dieu  ;  Jofué 
épargne  les  Gabaonites ,  6^  Dieu  lui  par- 
tiotîae  :  c'eft  que  l'innd élite  de  l'un  vient 
d'un  fond  d'orgueil  ,  d'un  cœur  relâché 
dans  les  voiç§  dg  Dieu  j  6C  que  celle  de  l'au- 


Si2.4  Analyfes  des  Sermons, 
tre  efl  une  précipitation ,  une  furprife  ,  SC 
part  d'un  cœur  encore  fournis  6c  religieux. 
Or  connoilTez-vous  toute  la  corruption  du 
vôtre  !  Paul  ne  fe  flâte  pas  de  connoître 
le  fien  ;  il  ne  fait  s'il  eft  cligne  d'amour  ou 
de  haine  :  David  ell  dans  la  même  incerti- 
tude ;  il  prie  Dieu  de  le  purifier  de  fes  infi- 
délités  cachées;  ôc  vous  croyez  connoître 
l'état  de  votre  confcience,  vous  dont  pref 
que  toutes  les  aftions  font  douteufes,vous 
qui  êtes  toujours  à  vous  demander  à  vous- 
même  fi  vous  n'avez  pas  été  trop  loin  ;  6c 
vous  vous  calmez  fur  des  infidélités  vili- 
bles  ÔC  habituelles  par  une  prétendue  ha- 
bitude invifible  de  juftice  ,  dont  vous  ne 
voyez  aucune  marque  au-dehors.  Ah  !  vous 
ne  favez  pas  que  vous  êtes  pauvre  ,  mifé- 
rable  ,  aveugle  :    h'efcis  quia  tu  es  mifir  , 

Une  ame  tiède  efi:  moins  capable  que 
toute  autre  de  juger  de  fon  état  ;  la  tiédeur 
épaifîît  fes  ténèbres ,  elle  calme  {<^z  remords; 
les  guides  les  plus  expérimentés  font  dans 
rembarras  ,  elle  y  eft  toujours  elle-même, 
&  fent  en  foi  quelque  chofe  de  plus  cou- 
pable que  les  infidélités  dont  elle  s'accufe. 
Il  fuffit  d'en  faire  le  détail  pour  montrer 
combien  il  eft  en  effet  difficile  de  décider 
il  elles  ne  font  pas  de  vrais  crimes. 

IIÎ.  Vérité.  La  charité  habituelle  a 
trois  caractères  incompatibles  avec  l'état 
•de  tiédeur,  i^.  La  charité  nous  fait  aimer 
Dieu  ôc  fa  loi  par-delfus  toutes  chofes.Ce 
çaraftèrepeut-il  fubfifler  ^vec  l'attention 


'Alnayfes  ies  Sermons.  425 

à  étudier  (es  droits  contre  Dieu  même,  à 
ne  faire  que  ce  à  quoi  on  fe  croit  étroite- 
ment obligé  ,  à  n'éviter  que  ce  qui  eft  vifi- 
blement  cligne  des  peines  éternelles  ?  Agir 
ain(i,c'eil:  fe  conduire  en  enfant  prodigue; 
c'eft  fe  comporter  en  efchive:  c'eft  n'aimer 
véritablement  que  fa  propre  fatisfadion  ^ 
que  fes  intérêts  ,  que  foi- même. 

z°.  Un  autre  caractère  de  la  charité,  efl 
d'être  timorée  :  elle  rend  Ta  me  plus  clair- 
voyante ,  elle  l'entretient  dans  un  faint 
tremblement ,  dans  depieufes  perplexités, 
dans  une  défiance  continiielle  ;  au  contraire 
la  prétendue  charité  des  amestiédes  eft  ce 
qui  les  ralTure  ;  peut-elle  être  (i  oppofée  à 
elle-même  ,  6c  produire  des  effets  il  dif* 
férens  ? 

3^.  Enfin  lâchante  cft  vive  8c  agiiïante* 
C'eft  un  feu  qui  peut  quelquefois  être  cou* 
vert  ;  mais  il  en  fort  toujours  des  étincelles, 
êC  enfin  il  fe  rallume.  Rien  en  ranimant 
celle  des  âmes  tiedes  ,  qu'il  ef^  à  craindre 
qu'elle  nefoit  réellement  éteinteîcependant 
elles  dem.eurent  tranquilles  dans  cet  état 
elles  s'y  fixent  ilms  fcrupule  ;  elles  fe  cro- 
yent  tout  au  plus  endormies  :  peut-être  par 
un  jugement  terrible  de  Dieu  ,  leur  guide 
penfe-t'il  de  même  ,  tandis  que  Jesus- 
Christ  les  déclare  mortes  ,  comme  au- 
trefois Lazare.  Ah  !  c'eft  la  tranquillité  mê- 
me de  cet  état  qui  en  fait  tout  le  danger  .y. 
6c  peut- être aufli  tout  le  crime.  Com.prenez 
qu'une  vie  toute  naturelle  n'efi:  point  la  vie 
de  la  grâce  ,  ÔC  qu'iuie  vie  de.  pareffe  eil  iu$ 

Carèmç ,  Tom^  IIL  N  n 


41^  ^^natyfes  des  Sermon fl 

état  de  tiiort.  Au  commeneement  de  votre 
converiion  vous  avez  fait  les  plus  grands 
efforts ,  les  plus  pénibles  facrinces  ;  pour- 
quoi les  rendriez- vous  inutiles ,  en  rerufant 
d'en  faire  de  moins  coniidérables  ?  Si  rem 
grandem  dixijfet  tibi  Propheta  y  certé  fa~  ' 
^ere  dzbueras  ,  quanio  m^agis  quia  nunc 
dixiî  tibi  :.  Lavare  &  mundaberis* 

lE  JEUDI  DE  LA  IIL  SEMAINE^ 
II.   Serm.    Sur  la  Tiédeur. 

LA  tiédeur  annonce  une  chute  certaine  -^ 
I.  Farce  que  les  grâces  fféciulcs  nécef- 
Jaiies  pour  per/évércr  duns  la  vertu  ,  m 
font  plus  données  dans  cet  état»  II.  Parcs 
que  les  pajpons  qui  nous  entraînent  au  vice  y 
s  y  fortifient.  IIl.  'carceque  tous  Us  fe  cour  S 
extérieurs  de  la  p\eie y  deviennent  inutiles. 

I.    Partie.   VinmcLUce  même  des  plus 
jujles  a  befoin    du  lueurs    continuel   de-  la 

frace,  C'eit  elle  f^'.ile  qui  opère  leur  fidé- 
ité  ;  mais  c'eil  aufll  leur  fidélité  feule  qui 
mérite  la  confervation  de  la  grâce.  Il  faut 
que  Dieu  donn?  des  marques  plus  conti- 
nuelles de  prote-iiion  à  ceux  qui  lui  en  don- 
nent de  continuelles  d'amour  :  il  eit  juilc 
3U  contraire  qu'il  paye  rindifîerence  deî 
3mes  tiédcs  par  la  lienne  ;  ainfi  la  peine  in 
féparable  de  la  tiédeur  eft  laprivatiojii.dej 
grâces,  de  pro.teâ:io,n.. 


Analyfes  des  Sermons,  427 

Cette  privation  a  deux  conféqiiences  ter- 
ribles pour  ces  âmes  infortunées.  Premiè- 
rement ,  elles  demeurent  vuides  de  Dieu  ^ 
6c  comj-ne  abandonnées  à  leur  propre  foi- 
bleile  ,  ayant  quelques  refîburces  prifes 
dans  la  nature.,  mais  qui  ne  fauroient  aller 
loin  ;  ayant  des  fecours  généraux  aveclef- 
quels  on  peut  perfévérer,  mais  n'ayant  plus 
ces  grâces  fpéciales  ,  avec  lefquelles  oa 
perférére  infailliblemient.  Secondement,!© 
joug  de  Jeu; s  -  Ch ri it  devient  accablant 
pour  elles  ;  Ton  calice  amer  ;  les  devoirs 
gefans  ;  la  retraite  ennuyeufe  ;  les  prières 
Fatigantes  ;  les  mortifications  inflipporta- 
blés  ;  la  vie  ,  un  dégoût  perpétuel  ;  leur 
état ,  \m  étaflle  violence  2>C  de  neutralité 
qui  ne  peut  être  durable  ,  parce  qu'il  faut^ 
fur  tout  à  certains  cœurs ,  un  objet  déclarer 
fî  ce  n'efl  pas  Dieu  qui  les  intéreffe  refera 
bientôt  le  monde. 

Il  eft  vrai  qu'il  y  3  des  âmes  qui  paroif^ 
fent  fe  maintenir  dans  une  efpèce  d'équili- 
bre 6c  d'inienfibilité  ;  mais  il  eft  vrai  aufîî 
que  CQt  état  ne  défend  que  des  crimes  qui 
coûtent  6c  qui  embarraffent  ;.  il  lailTe  fub* 
fifter  les  pa fiions  &  les  foiblelfes  fecrettes  y, 
qui  formient  toujours  uae  corruption  aux- 
yeiix  de  Dieu. 

Il  eft  vrai  encore  que  Fonction  qui  adou- 
cit la  pratique  des  devoirs  ,  manque  fou- 
vent  aux  âmes  les  plus  faintes  ;  mais  entre 
elles  ^  les  âmes  tiédes  il  y  a  trois  diiïeren- 
ces.  Premiérem.ent,  l'ame  fîdéie  fe  trouve 
Xiialgré  fes  dégoûts  plus  heureufe  qu  elle: 


42-8  ^       jn^ndyfes  ics  Scrmont. 
n'étoit  avant  fa  converfion  ,   au  lien  c{tte 
i'ame  tiède  commence  à  regarder  le  crime 
comme  la  refToiirce  de  fes  ennuis.  Seconde- 
ment ,  Tame  iîdéle  eft  foutenue  au  milieu 
de  Tes  aridités  par  le  calme  d'une  confcience 
qui  ne  lui  reproche  point  de  crimes  ;  au 
lieu  que  Tame  tiède  porte  une  confcience 
iaquiette,  5c  que  n'ayant  plus  defoutien  y 
cet  état  d'agitation  finit  par  lapaixfunefte 
du  péché.  Troifiémem.ent,  les  dégoûts  de 
Tame  fidèle  font  des  épreuves  ,  ceux   de 
i'ame  tiède  font  des  punitions.  L'une  trouve 
en  Dieu  un  père  tendre  qui  fupplèe  par  une 
protedion  puiiîante  aux  douceur  qu'ail  lui 
refufe;  l'autre  éprouve  la  févérité  d'un  Juge 
qui ,  à  la  fouftraftion  des  adoucilTemens ,. 
va  faire  fuccèder  un  arrêt  de  mort. 

Il  eft  vrai  enfin  que  tout  excès  ,  même 
dans  la  piété  ,  ne  vient  pas  de  TEfprit  de 
Dieu  ;  mais  il  n'eft  pas  moins  vrai  qu'on  ne 
perfévére  qu'en  fe  donnant  à  Dieu  fans  ré- 
ferve  ;  que  les  âmes  qui  veulent  accommo- 
der la  piété  avec  les  maximes  du  monde  ^ 
qiii  fe  relâchent  de  leur  première  ferveur  > 
fontfjr  le  point  de  retomber  dans  le  crime; 
Se  que  c'elifur  ces  indices  que  les  gens  miê-' 
me  du  monde,  prophétifent  la  rechute  des^ 
perfonnes  qui  s'étoient  converties» 

II.  Partie.  Nous  j)  cuvons  nffoibllr 
nos  paffions  ,  mais  elles  ne  meurent  gu^avec 
nous.'  cejl  en  les  comSattant  çuon  les ap- 
vaife  ;  en  les  ménageant ,  on  Us  rend  in- 
domptables y  la  tiédeur  netf.nt  rien  autre 
4J10JS   quun^.   indulgcnse.  habituelle  €B%sr^ 


^Andyfcs  des  Sermortf.  429 

tes  paJ[Lons  ,  les  fortifie  donc  continuelle^ 
ment.  De  cette  nouvelle  force  qu'elles  ac- 
quièrent, s'enfuivent  trois  effets  également 
funeiles.  Preiniéreirient ,  dans  les  occafîons 
eiTentielles  ,  le  devoir  trouve  en  nous  des 
difficultés  infurmontables  ;  il  en  trouve  bien 
quelquefois  dans  les  aines  les  plus  ferven- 
tes &  qui  mortifient  le  plus  leurs  penchans; 
comment  des  cœurs  à  demi  féduits  feroient- 
ils  à  répreuve  de  ces  difficultés  ?  Seconde- 
ment ,  le  crime  s'applanit  ôc  n'excite  pas 
en  nous  plus  de  répugnance  qu'une  fimple 
faute  ;  nous  nous  fommes  fi  fort  approchés 
du  crime  que  nous  franchiffons  le  dernier 
pas  fans  le  favoir  ;  une  apparence  de  vie 
nous  ralTure ,  &  nous  nous  endormons  tran- 
quillement dans  la  mort.  Troifiémement ,/ 
notre  cœur  demeurant  toujours  au-deflbus 
de  ce  qu'il  fepropofe,  nous  tombons  dans 
le  crime  y  parce  que  nous  n^avons  réfolu 
précifément  que  de  l'éviter  ;  les  Jufles  mê- 
mes doivent  beaucoup  entreprendre  pour 
exécuter  peu  :  à  combien  plus  forte  raifort 
y  font  obligées  les  âmes  tiédes  ,  que  le 
poix  de  leurs  infidélités  fait  tomber  tou- 
jours fort  loin  du  lieu  ou  elles  avoient  cru 
arriver  ?  En  vain  voudrions- nous  nous  ex» 
cufer  ,  en  difant  que  nous  fommes  foibles  y 
c'eft  précifément  parce  que  nous  lefom- 
ines  ,  que  nous  devons  être  plus  circonf- 
peéls  &  plus  fervens». 

III.  Partie.  Les  fe cours  extérieurs 
de  la  Religion  font  inutiles  aux  âmes  tiédes* 
Premiéremeiu ,  les  Sacremens  font  pour 


'43^  Analyfes  des  Sermons, 

eîies  des  remèdes  iifés ,  dangereux  par  la 
tiédeur  avec  l::qiielle  elles  en  approchent, 
6c  par  la  confiance  qu'ils  leurs  infpirent  : 
n'opérant  plus  en  elles  un  accroiilcmentde 
vie,  ils  Y  opèrent  la  mort.  Secondement, 
la  prière  n'eft  plus  pour  elles  qu'une  occu- 
patL3n  oiieufe  ,  où  elles  ne  trouvent  aucun 
goût,  d'où  elles  ne  tirent  aucun  fruit:  rien 
ne  les  fouticnt,  ni  ne  les  détend,  ni  les 
ranime  ;  tout  les  dégoûte  ,  tout  les  fatigue, 
tout  les  accable  ;  dans  cet  état  un  foufFie 
lesrenverfe,^  pour  les  voir  tomber,  iln'eil 
pas  même  nécelFaire  de  les  voir  attaquées. 
Au  refte  ,  où  l'expérience  parle  ,  les  rai- 
fonnemens  font  inutiles.  Souvenez- vous 
d'où  vous,  êtes  tombés ,  pécheurs  :  remon- 
tez à  la  fource  de  vos  défojdres  :  cette 
fource  étoit imperceptible;  ilenertforti  un 
torrent  qui  vous  inonde  :  la  tiédeur  vous  a 
conduit  infeniîbkmcnt  dans  Tabiine  où 
vous  êtes.  Le  démon  ne  propofe  pas  le  cri- 
me du  premier  coup  ;  il  attaque  en  ferpent 
avant  que  d'attaquer  en  lion.  Les  crimes  ne 
font  pas  le  coup  d'elfai  du  cœur  ;  la  chute 
de  David  fut  préparée  par  roifi-eté  &C  par 
l'indiCcrétion  ;  celle  de  Salomon  par  une 
vie  molle  ;  c-:\[q  de  Judas ,  par  l'amour  de 
l'argent  ;  celle  de  Pierre  ,  par  la  préfomp- 
îion.  Levez-vous  donc,  âmes  lâches  :  le 
Seigneur  eit  le  Dieu  des  forts  :  il  ne  recom- 
penie  que  le  courage  oC  le  travail  ;  fou 
Royaume  n'efl  pas  la  chair  5c  le  fang ,  vm^- 
la  force  ôc  la  vertu  de  Dieu. 


Analyfss  as  Sermons»  ^fî 

VENDREDI  DE  LA  IIL  SEMAINE, 
La  Samaritaine, 

^Emhldblcs  CL  la  femme  de  Samarle  ,  nou^ 
ij  oppqfons  à  la  grâce  de  Jcfiis-ChriJI  îrolS' 
exciifcs.  I.  Celle  de  Cétat.  II.  Celle  de  lu 
difficulté.  lîL  Celle  de  la  var:e:é  des  opi^ 
nions  CJ>  des  doârines  fur  la  régie  des 
mœurs, 

I.  Partie.  Lorfqu'^on  nous  propofe  le 
modèle  d'une  vie  chrétieiine,  nous  répon- 
dons qu'une  vie  Ç\  réglée  elt  inaiiable  avec 
notre  état ,  5c  que  le  monde  a  fes  ufages 
comme  le  cloître.  Mais  ,  r°.  La  Religion 
ne  diilingue  que  deux  fortes  de  devoirs  ^ 
dont  les  uns  font  particuliers  à  chaque  état; 
les  autres  fans  diftinCi-ions  d'état ,  font  com- 
muns à  touscrjx  qui  ont  é'ri^baptifésrEtes- 
vous  moins'  Chrétiens  que  les  Solitaires  ?" 
avez-  vous  une  autre  efpérance  ;  un  autre 
Evaiigile ,  un  autre  Chei ,  une  autre  patrie, 
d'autres  obligations  eilentielles  ,.  ou  au 
moins  des  exceptions  ÔC  des  difpenfes  ac- 
cordées par  J.  C»  ?  fes  maximes  font  les 
devoirs  du  monde  ,  puifque  c'eii  par  elles 
que  le  monde  fera  jugé. 

2°.  Cette  diftincftion  de  ceux  qui  font  du 
ïv.onàQ ,  d'avec  ceux  qui  n'en  font  pas ,  ne 
provient  que  de  la  corruption  dts  mœurs. 
Elle  étoit  inconnue  aux  premiers  iîdéies  ;  ils 
avoient  tous  renoncé  au  monde;  être  Chi^r- 


43  i  ^Analyfes  ies  Sermons*  ^ 

tien  5  êC  n'être  plus  du  monde  ,  c  étoîtpouf 
eux  la  même  chafe  ;  vous  êtes  du  monde ^ 
dites-vous  ,  c'eft  votre  crime,  6c  vous  en 
faites  votre  excufe. 

3°.  De  quoi  prétendez- vous  être  difpenfëî 
en  difant  que  vous  êtes  du  monde  ?  De  la 
pénitence  ?  oui ,  (i  vous  y  vivez  plusfainte- 
ment.  De  la  prière?  oui,fi  vous  y  avez  moins 
befoin  du  feccurs  de  la  grâce.  De  la  re- 
traite ?  oui ,  lî  le  commerce  du  monde  vous 
porte  à  Dieu.  De  la  vigilance  ,  des  efforts? 
oui ,  fi  les  pallions  font  moins  vives  dans 
le  monde ,  les  obftacles  plus  rares  y  les  de* 
voirs  plus  faciles  à  remplir. 

4°.  La  foi  doit  être  plus  ferme  dans  le 
monde  que  dans  le  cloître  ,  la  charité  plus 
enracinée^  la  vigilance  plus  foutenue,.la 
prière  plus  fervente  ,  la  réfiftance  plus  fi- 
dèle ;  les  pratiques  du  cloître  ne  font  que 
des  moyens  particuliers  prefcritspourfairô 
obferver  plus  sûrement  des  devoirs  com* 
miins  à  tous  les  états  :  avec  moins  de  fe- 
cours  5C  plus  d'obftacles  ,  vous  avez  les 
mêmes  obligations  à  remplir  ;  des  vertus  y 
{'ans  la  pratiq-je  defquelles  vous  êtes  per- 
dus ,  font  plus  difficiles  à  pratiquer  dans 
îe  monde  que  dans  le  cloître.  Les  auftérités 
que  vous  reléguez  dans  le  cloître,  y  font 
donc'^oins  néceilaires  que  dans  le  m.onde: 
cependant  les  Solitaires  trouvent  encore 
dans  leurs  azilcs  des  fujets  de  crainte,  des 
combats ,  des  agitations  ;  5c  vous  au  mi- 
lieu des  périls  j  vous  feriez  difpenfés  de 
veiller  l 

5°. 


'Analyfes  des  Sermons,  433 

5°  .Enfin,  comparez  votre  vie  paiTée  avec 
celle  des  Solitaires ,  les  fatistaâ:ions  que 
vous  devez  à  Dieu  avec -celles  qu'ils  lui 
doivent  ;  6c  vous  verrez  fi  les  géminemens, 
les  privations ,  les  auftérités  font  leur  par- 
tage plutôt  que  le  votre.  Si  la  femme  de 
notre  Evangile  fût  née  à  Jérufalem  ,  cet 
avantage  auroiî  pu  lui  faire  un  m.otif  de 
fécurité  :  vous  pourriez  en  avoir  un,  fi  vous 
viviez  dans  la  iblitude  :  vous  êtes  du  mon- 
de ,  comme  elle  étoit  de  Samarie;  comme 
elle  ,  vous  nous  oppofez  un  état  qui  vous 
éloigne  du  falut. 

II.  Partie.  On  diffère  fa  converfion  : 
parce  qu'on  feflâte  que  c'eft  une  démarche 
facile  ;  lorfqu'il  s'agit  enfin  de  fe  convertir, 
on  fe  rebute  par  la  difficulté  de  l'entreprife. 
Le  moyen  ,  dit-on  de  fonder  les  abîmes 
d'une  confcience  ï\  long-tems  fouillée  ,  de 
refondre  un  caraftère  fragile  ÔC  oppofé  à 
la  piété  ,  de  mener  une  vie  chrétienne  , 
dont  le  détail  eft  effrayant. 

i^.Mais,  l'état  déplorable  de  votre  conf- 
cience devroit  lui-  même  vous  porter  à  l'en- 
treprife  qui  vous  fait  peur.  Eft-ce  donc  la 
connoillance  de  vos  maux  qui  vous  éloigne 
du  remède?  eil-ce  le  fentiment  de  votre 
efclavage  qui  vous  fait  refufer  votre  li- 
berté ?  fcuffrez-vous  moins  en  cachant  vos 
plaies?  C'eft  votre  foularement  qu'on  vous 
propofe  ,  en  vous  invitant  à  les  découvrir 
au  Miniitre  de  Jefus-Chrifl  ;  vous  avez 
toutàattendre  de  fa  charité  ;  dès  que  vous 
aurez  ouvert  votre  cœur  ,  la  paix  y  renaî- 
Carême  >  Tom^  ILL  O  5 


434  Analyfes  des  Sermons. 

trera;  toute  la  difficulté  que  je  trouve  îcî  ^ 

eil:  de  vivre  dans  la  fltuation  où  vous  êtes. 

2°.  Vous  défefpérez  de  pouvoir  réfor- 
mer votre  caractère.  Mais  quand  cette  ré- 
forme vous  couteroit  plus  qu'à  un  autre  , 
ii'avez-vous  point  plus  de  crime  à  expier  ? 
d'ailleurs  Féternité  ne  mérite-t'elle  pas  que 
vous  vous  faffiez  les  violences  que  vous 
vous  faites  tous  les  jours  pour  le  monde  ? 
N'êtes-vous  pas  obligé  fans  ceiïe  de  fur- 
monter  vos  penchans,  de  gêner  votre  tem- 
pérament ,  de  facrifîer  vos  inclinations ,  de 
vaincre  vos  palhons ,  ou  de  les  contrefaire  ? 
Ces  contraintes  vous  ont  difpofé  plus  que 
vous  ne  croyez  à  celks^xie  TEvangile.  De 
plus,  cette  reforme  eft  peut-être  moins  dif- 
ficile maintenant  ;  l'expérience  vous  a  défa- 
bufé  ;  la  bienféance  exige  de  vous  des 
«nœurs  plus  férieufes  \  mille  contretems 
vous  orft  dégoûté  du  monde ,  6c  vous  ont 
appris  qu'il  vous  goûtoit  moins.  Au  milieu 
de  {qs  anuifemens  vous  ne  trouvez  plus 
qu'inquiétude  6c  qu'ennui  ;  tout  cela  vous 
prépare  à  l'oublier  ;  à  le  méprifer.  Enfin  la 
converfion  eil-elle  l'ouvrage  de  l'homme  ? 
ce  qu'il  ne  peut  feul ,  ne  le  peut-il  pas  aidé 
de  Dieu  ?  Les  cœurs  les  plus  corrompus 
font  quelquefois  ceux  ou  la  grâce  opère  de 
plus  grandes  chofes  ;  elle  change  les  incli- 
nations j  elle  forme  un  cœur  nouveau ,  elle 
(cft  plus  forte  que  la  nature. 

3°.  Les  rigueurs  d'une  vie  chrétienne 
vous  épouvantent ,  il  ne  vous  femble  pas 
que  des  hommes  puiiTeat  accomplir  exac-. 


y^nalyfcs  des  Sermons,  Aie 

femant  l'Evangile.  C'eft  une  excufe  inju- 
neufe  à  Dieu  ;  l'Evangile  étant  fa  Loi ,  eft 
néceiTairement  une  Loi  fage ,  conforme  à 
nos  befoins  ,  proportionnée  à  notre  foi- 
blelTe,  utile  à  nos  miféres:  Dieu  en  la  don- 
nant n'a  point  chercîié  (on  intérêt,  mais  le 
nôtre  ;  &  rien  en  effet  de  il  propre  que 
cette  Loi  à  nous  rendre  heureux  :  mais  tz\ 
cft  l'artifice  du  démon  ,  dit  Saint  Auguftin; 
if  ayant  pu  anéantir  l'Evangile  en  rendant 
leius-Chrill  méprifable  ,  i\  a  efiayé  de 
l'anéantir,  en  faifant  paifer  cette  Lo'i  pour 
impraticable  :  Lex  illa  divlna ,  imffabilis  ; 
fed  quis  lllam  emvlet  ?  D'ailleurs  cette  ex- 
cufe eft  injufte  dans  la  bouche  de  ceux  qui 
l'allèguent  ;  ils  fe  plaignent  de  rimpofTib^ 
lité  de  la  vie  chrétienne  ,  6c  ils  n'en  ont  ja- 
mais fait  l'épreuve  :  qu'ils  prononcent  fur 
les  peines  6^  les  dégoûts  de  la  vie  du  mon- 
de ,  leur  jugement  eft  recevable  ;  n'ayant 
point  elTayé  de  la  vertu  ,ils  ne  doivent  pas 
décider  de  ce  qu'ils  ne  connoiflent  point. 
Rebutés  com.me  les  Ifraêlites  ,  ils  difent 
que  la  terre  oii  on  veut  les  faire  entrer  eft 
couverte  de  m.onflres  5c  de  géans  :  Terni 
dévorât  habltores  fuos.  Témoins  du  con- 
traire ,  nous  leur  difons ,  comme  Jofué  6c 
Caleb  ,  que  cette  terre  q£i  excellente  : 
Terra  quam  clrcuïyimus  vaidè  bona  ejl. 
Oui ,  {\  vous  connoilîîez  le  don  de  Dieu  , 
les  confolations  qu'on  éprouve  à  fon  fer- 
vice  ,  la  tranquillité  qu'on  y  goûte  ,  les  fa- 
cilités que  la  grâce  y  ménage  à  notre  foi- 
bleUe ,  vous  ae  différeriez  pas  un  inflaiiS; 


43^  Analyfes  des  Sermons* 

votre  conver/ion  :  vous  ne  craignez  la  ver- 
tu, que  parce  que  vous  ne  la  connoillez  pas. 

lîl.  Partie.  La  dernière  excu(e  qu'op- 
pofe  le  pécheur  ,  c'eft  la  variété  des  opi- 
nions fur  le  règlement  des  mœurs  ;  de 
cette  variété  il  conclut  que  l'Evangile  ne 
renfermant  rien  de  trop  aifuré  ,  il  peut 
vivre  tranquille  dans  fes  égaremens. 

Mais  1°.  il  n'y  a  que  des  âmes  timorées 
qui  puiiTent  fe  plaindre  que  cette  variété 
d'opinions  les  jette  dans  la  perplexité  :  ne 
croyant  jamais  marcher  par  un  chemin  af- 
fez  sûr,  elles  ont  des  doutes  fur  lefquels  il 
n'eft  pas  toujours  facile  de  prononcer ,  5c 
elles  peuvent  trouver  dans  le  Sanctuaire 
ici  une  indulgence  qui  les  ralfure,  ailleurs 
une  févérité  qui  les  allarme.  Mais  le  dérè- 
glement de  la  Samaritaine  étoit  clair  pour 
elle;  il  n'y  avoit  ni  à  Jérufalcm ,  ni  à  Ga- 
rizim  aucune  loi  qui  pût  Tautorifer  :  de 
même  ,  pécheurs,  il  n'y  a  point  de  variété 
de  fentiinens  par  rapport  à  vos  pallions 
honteufe  :  par-tout  on  vous  condamne  ; 
par>tout  on  vous  dit  que  les  fornicateurs , 
les  adultères ,  les  impudiques ,  les  adora- 
teurs d'idoles  n'entreront  point  dans  le 
Royaum.e  de  Dieu.  Cette  uniformité  d'o- 
pinions ne  vous  ramené  point  à  la  vérité. 
Comm.encez  donc  par  renoncer  à  des  dé- 
fordres  qui  n'ont  pour  eux  aucun  fuffrage, 
pas  même  le  votre  :  adorez  Dieu  en  efprit 
ÔC  en  vérité  ;  alors  ne  cherchant  que  Dieu 
par-tout ,  par-tout  vous  le  trouverez  ;  alors 
vous  gémirez  devt^nt  le  Seigneur  de  la  va- 


Analyfes  des  Sermons.  437 

riété  des  décifions  ,  6c  vous  lui  demande- 
rez qu'il  manifeile  fa  vérité. 

2^.  On  n'allègue  cette  frivole  excufe  , 
que  parce  qu'on  ne  veut  point  fe  conver- 
tir. A  l'exemple  des  Samaritains  ,  on  ne 
fait  ce  qu'on  adore  :  on  veut  retenir  com- 
me eux  le  fond  de  la  Religion  ;  mais  com- 
me eux  on  y  veut  mêler  des  ufages  pro- 
fanes 6c  favorables  aux  pallions  :  la  conf- 
cience  ne  ratifiant  point  ce  mélange  ,  on 
n'eft  pas  d'accord  avec  foi- même  :  pour  fe 
calmer,  on  fuppofc  que  les  Miniftres  eux- 
mêmes  ne  font  pas  d'accord  entr'eux  ;  on 
fonde  fa  fécurité  fur  leurs  dilfenfions  pré- 
tendues ,  ÔC  parce  qu'on  craint  la  vérité  , 
on  eft  bien  aife  qu'elle  foit  obfcurcie. 

Telle  étoit  la  difpofition  de  la  Scimari- 
taine.  Sollicitée  au-dedans  6c  au-dehors  , 
elle  vouloir  encore  différer  fa  converfion  : 
Quand  le  Meiîîe  fera  venu  ,  dit-elle  ,  il 
nous  annoncera  toutes  chofes;  c'eft  moi- 
même  ,  lui  répond  Jefus-Chrift,  5c  fî  vous 
JaiiTez  perdre  l'heureux  moment  où  je  vous 
parle  ,  vous  périffez  fans  reffource.  Jefus- 
Chrift  nous  dit  la  même  chofe  :  Voici  le 
don  de  Dieu  ;  ne  différez  plus  une  conver- 
fion que  vous  avez  attendue  en  vain  de 
l'âge  ,  du  loilîr,  de  la  rupture  de  vos  enga- 
gemens  :  voici  le  moment  favorable  ,  re- 
gardez le  ,  ou  comme  le  comble  de  mes 
miféricordes  fur  votre  ame ,  ou  comme 
le  terme  fatal  de  ma  bonté  6C  de  ma 
patience, 

Oo  5 


43^  Analyjts  des  Sermons, 

LE  IF.    BIM.    DE    CARÊME, 

Sur  [Aumône, 

DIVISION.  I.  Le  devoir  de  [Aumône 
établi  contre  les  vaines  excufes  de  la, 
cupidité,  II.  Le  devoir  de  f  Aumône  Jauvé  des 
défauts  même  de  la  charité, 

I.  Partie.  Un  peu  d'attention  à  la  fa- 
fagefle  de  la  Providence ,  aux  loix  de  la  Na- 
ture ,  à  celles  de  la  Religion ,  fufîît  pour 
perfuader  le  monde  que  Taumône  eft  un 
devoir.  Mais  on  allègue  différens  pré' 
textes  pour  s'en  difpenfer  :  on  n'eil  pas 
aflez  riche  ;  les  tems  font  malheureux  ;  il 
y  a  trop  de  pauvres  à  fecourir. 

Première  Èxcufe,  Sans  avoir  un  revenu 
infini ,  on  a  ,  dit-on  ,  une  infinité  de  dé- 
penfes  à  faire.  Mais  s'il  eft  vrai  d'une  part 
que  les  bornes  du  néceffaire  ne  font  pas 
également  étroites  dans  tous  les  états  :  de 
l'autre  :  il  eft  inconteftable  que  le  fuperflii 
des  riches  appartient  aux  pauvres.  Ce  prin- 
cipe fiippolé ,  je  fais  quatre  queftions.  Je 
demande  premièrement ,  û  c'eft  à  la  cupi- 
dité à  régler  le  néceffaire  ?  Si  c'étoit  à  elle^ 
plus  on  auroit  de  pafTions  à  fatisfaire  , 
moins  on  feroit  obligé  d'être  charitable; 
c'eft  donc  à  la  foi  à  le  régler  ;  or  la  foi  ad- 
juge aux  pauvres  ce  qui  ne  tend  qu'à  nour- 
rir la  vie  des  fens ,  qu'à  flâter  les  paiiions, 
qu'à  autorifer  les  pompes  &C  les  abus  du 


'yinalyfes  des  Sermcns'»  439 

monde.  Je  demande  fecôndement ,  fi  pour 
être  né  riche  on  en  eft  moins  Chrétien  ? 
Non  ,  fans  doute  ,  ou  bien  il  faut  dire  que 
ce  n'eft  qu'aux  pauvres  que  Jefus-Chrifî: 
a  défendu  le  fafte  5c  les  plaifirs.  L'Evangiîe 
interdit  aux  riches  tous  les  avantages  qu'ils 
peuvent ,  félon  le  monde ,  retirer  de  leur 
profpérité.  Ce  n'eft  pas  pour  vous  que  vous 
êtes  nés  opulens ,  mais  pour  la  veuve  êC 
l'orphelin  :  vos  biens  font  des  dépôts  mis 
en  vos  mains  pour  leur  être  confervés  plus 
sûrement  ;  vous  iij(êtes  que  les  minières  de 
la  Providence  envers  eux  ;  fans  cela  votre 
élévation  ne  feroit  pas  l'ouvrage  de  Dieu. 
Je  demande  troifiémement,  ce  que  peuvent 
retrancher  au  befoiiis  prétendus  des  riches, 
les  modiques  largeiTes  qu'on  leur  demande? 
Dieu  n'exige  pas  qu'ils  vendent  leurs  biens, 
leurs  Palais  ;  mais  il  exige  que  la  dépenfe 
qu'ils  feront  ne  les  mette  point  hors  d'état 
de  couvrir  la  nudité  de  fes  ferviteurs  ;  que 
-de  leurs  tables  délicates  il  tombe  quelques 
miettes  pour  les  Lazare  ;   que  leur  goût 
pour  les  peintures  ne  leur  faffe  pas  oublier 
les  images  vivantes  de  Jefus-Chrift  ;   que 
tandis  que  le  jeu  eil  un  gouffre  où  va  fon- 
dre tout  leur  bien  ,  ils  n'en  allèguent  pas  la 
médiocrité  ,  lorfqu'il  s'agit  de  foulager 
•  leurs  frères.  Je  demande  quatrièmement^ 
pourquoi  c'eft  ici  la  feule  circonllance  où 
ils  fe  plaignent  de  la  m.odicité  de  leurs  re- 
venus ,  eux  ,  qui  en  toute  autre  occafion 
veulent  paffer  pqur  riches  ?  Ah  !  ils  difent 
qu'ils  font  pauvres ,  ÔC  eux  feuls  ne  ve«- 

Oo  4 


44^  '^nalyfes  des  Sermons 

lent  pas  voir  qu'ils  font  comblés  de  bîensj 

Seconde  Excufe.  Les  tems  font  malheu- 
reux ,  dites-vous.  Mais ,  premièrement  , 
c'eft  précifément  pour  cela  que  vous  devez 
vous  attendrir  envers  les  indigens  :  fi  vous 
vous  refîentez  de  ces  malheurs  combien 
n'en  doivent-ils  pas  foufFrir?  Secondement, 
ce  malheur  des  tems  eil  la  peine  de  votre 
dureté  envers  les  pauvres  ;  c'ell  donc  par 
des  aumônes,  S>C  non  par  de  vaines  priè- 
res ,  qu'il  faut  appaifer  la  colère  de  Dieu  : 
les  pauvres  ont  les  clefs  du  Ciel  :  leurs 
vœux  règlent  les  tems*ôc  les  faifons  :  ce 
n'ell  que  par  rapport  à  eux  que  Dieu  vous 
punit  ou  vous  favorife.  Troifiémement  , 
vos  palTionsfouffrent-elles  de  la  mifére  pu- 
blique? Si  elle  vous  oblige  à  quelque  re- 
tranchement, retranchez  du  moins  vos  cri- 
jnes,  avant  que  de  retrancher  vos  devoirs* 
Dieu ,  en  frappant  de  ftérilité  les  Provinces, 
veut  ôter  aux  Grands  les  occalions  des 
excès  :  regardez  vous  comme  des  criminels 
publics  :  portez  feuls  l'amertume  des  fléaux 
qui  ne  font  deftinés  qu'à  vous  punir.  Si  les 
divers  abui  que  vous  faites  de  vos  richeïTes 
vont  toujours  leur  train ,  malgré  ces  fléaux, 
fi  l'indigence  feule  en  fouifre ,  Dieu ,  en  les 
faifant  pleuvoir  fur  la  terre  ,  n'auroit  donc 
voulu  frapper  que  des  malheureux  ? 

Troi/iémc  Excufe-  H  y  a  ,  dit- on  ,  trop  de 
pauvres  à  fecourir.  Mais,  premièrement, 
d'où  vient  cette  multitude  d'indigens  que 
nos  pères  n'ont  point  vue  dans  les  plus 
grandes  calamités  ?  N'ef^ce  pas  d'un  luxe 


^Analyfes  des  Sermons"*^  44Î 
^u!  engloutit  tout?  Il  n'y  avait  point  d'indl- 
gens  parmi  les  premiers  Chrétiens  ;  pour* 
quoi  y  en  a-t'il  tant  parmi  nous  ?  C'eft  que 
leurs  pauvres  mêmes  étoient  charitables , 
&  que  nos  riches  font  cruels  :  c'eft  qu'ils 
étoient  tous  modeftes  5c  fobres  ,  6c  que 
nous  fommes  faftueux  &C  intempérans  : 
c'eft  qu'ils  n'avoient  d'ambition  que  pour 
le  Ciel  ;  Sc  que  nous  n'en  avons  que  pour 
la  terre  :  c'efl  que  leurs  retranchemens  fal- 
foient  la  richelTe  du  pauvre  ,  5c  que  nos 
profufîons  font  fa  mifere.  Si  chacun  met- 
toit  à  part  une  certaine  portion  de  fes  biens 
pour  la  fubllftance  des  indigens ,  on  verroit 
renaître  l'égalité  ,1a  fainteté  même  des  pre- 
miers Fidèles  :  tout  changeroit  de  face  ;  ôC 
\qs  ennemis  de  la  foi  feroient  encore  forcés 
de  reconnoître  la  divinité  de  notre  Reli- 
gion. SecondementjC'eft  précifément  parce 
que  le  nombre  des  pauvres  eft  grand,  que 
le  devoir  de  l'aumône  eft  plus  indifpenfa- 
ble  :  la  miféricorde  doit  croître  avec  les 
miféres  :  elle  doit  interdire  ,  comme  fuper- 
flues,  des  dépenfes  qui  hors  delà  feroient 
peut-être  néceffaires  :  ni  l'humanité  ,  ni  la 
raifon,  ni  la  Religion  ne  vous  permettent 
point  d'être  feuls  heureux.  Alors  les  excès 
de  charité  font  pour  vous  une  loi  de  juftice; 
alors  vosprofunons  méritent  d'être  punies 
même  par  les  loix  des  hommes  ;  peut-être 
cependant  favez- vous  mettre  à  profit  ÔC  ap- 
prétier  la  néceflité  des  pauvres.  Dieu  les 
vengera ,  iis  feront  vos  accufateurs  :  ÔC  dé- 
pouillés pour  jamais  de  vos  biens,  il  ne  vous 


44^  Analyfes  ies  Sermons.    ^  . 

reftera  pour  partage  que  la  inalédîfiîcm 
prononcée  contre  les  riches  impitoyables  r 
î^udus  eram  ,  &c*  ite  in  ignem  ,  Ô-c. 

IL  Partie.  Il  y  a  quatre  régies  à  ob- 
ferver  en  accomplilTant  le  devoir  de  Tau- 
mône  :  la  charité  doit  être  fecrette ,  uiii- 
verfelle  ,  douce  5c  vigilante. 

i*'.  Jefus-Chriiî:  multipliant  les  pains 
dans  un  lieu  écarté  ,  afin  de  n'avoir  pour 
témoins  de  fa  miféricorde  que  ceux  qui  en 
doivent  reflentir  les  effets ,  nous  apprend 
que  notre  charité  doit  être  fecrette  ;  fans 
cette  condition  nos  aumônes  font  perdues 
pour  réternité.  On  voit  peu  de  gens  qui 
publient  leurs  œuvres  fur  ies  toits  ;  mais 
on  en  voit  beaucoup  qui  n'ont  des  yeux 
que  pour  les  miféres  d'éclat  :  il  y  en  a  qui 
prennent  des  mefures  pour  cacher  leurs 
largeffes  ,  m.ais  qui  ne  font  pas  fâchés 
qu'une  indifcrétion  les  trahiffe  :  on  n'eft 
pas  plus  humble  dans  fes  libéralités  envers 
les  Temples  du  Seigneur  ;  fur  les  murs  fa» 
crés ,  des  infcriptions  immortalifent  l'or» 
gueil  des  bienfaiteurs  ;  à  l'autel ,  le  Prêtre 
eft  revêtu  des  marques  de  leur  vanité.  Sa» 
lomon  dans  le  Temple  de  Jérufalem  ne  fît 
graver  que  le  nom  du  Seigneur  :  les  plus 
riches  d'entre  les  premiersFidéles  voyoient 
avec  plaifir  leurs  noms  confondus  avec 
ceux  de  leurs  frères  qui  avoient  fait  moins 
de  largelTes.  La  charité  eft  cette  bonne- 
odeur  de  Jefus-Chrift  qui  s'évanouit  dès 
qu'on  la  découvre  :  il  eft  bon  que  nos  frè- 
res voyent  nos  œuvres  y  mais  il  ne  faut  pas 


Analyfes  des  Sermons,  'J^^ 

que  nous  les  voyions  nous-même  :  feni- 
blables  à  ces  fleuves  qui  ont  prefque  tou- 
jours coulé  fous  la  terre,  les  anmônes  fe= 
crettes  arrivent  bien  plus  pures  dans  le  feiii 
de  Dieu. 

2^.  Jefus-Chrift  ne  rejcttant  perfonne 
de  cette  multitude  qui  s'offre  à  lui ,  nous 
apprend  que  notre  charité  doit  être  univer- 
felle  :  il  condamne  ces  libéralités  de  goût 
6c  de  caprice,  qui  ne  femblent  ouvrir  no- 
tre cœur  à  certaines  mîféres,  que  pour  le 
fermer  à  toutes  \^  autres  ;  qui  ont  leurs 
jours  fixes ,  leurs  lieux,  leurs  perfonnes  la 
vraie  charité  n'eft  pas  fi  méthodique  .•  il 
condamne  cet  examen  que  nous  faifons  des 
befoins  qu'on  nous  expofe;  la  vraie  cha- 
rité i\Q{x  point  fi  (crupuleufe  ;  c'eft  Jefus- 
Chriil  qui  reçoit  l'aum.ône  donnée  même 
à  un  impofteur ,  ôc  la  récompenfe  eft  at- 
tachée à  l'intention  de  celui  qui  la  donne. 

3°.  Jefi.is-Chrifi:  attendri  à  la  vue  d'un 
peuple  errant  ôc  dépourvu ,  nous  apprend 
que  notre  charité  doit  être  douce.  Vous- 
accompagnez  fouvent  vos  aumônes  de  tant 
de  dureté  ,  que  le  refus  feroit  moins  ac- 
cablent ,  vous  reprochez  ?.ux  pauvres  leurs 
forces  ,  ÔC  vous  ne  faites  aucun  ufage 
des  vôtres  ;  leur  parefie  ,  ÔC  vous  vivez 
dans  une  molleiTe  indigne  ;  leur  vie  inu- 
tile, 5c  la  vôtre  eft  criminelle.  La  pitié 
qui  compatit  à  leurs  maux  ,  les  confoîe 
autant  que  la  charité  qui  les  foulage.  Au 
théâtre  ,  les  malheurs  d'un  Héros  fabu- 
leux vous  attendriffent  \  Jefus-Chriil  fouf- 


^/\4  ^nalyfès  des  Sermons, 

frant  dans  un  de  fes  membres  eft-il  nidigne 

de  vGtre  pitié  ? 

4^.  Jefus-Chriil  découvrant  le  premier 
les  befoins  du  peuple ,  nous  apprend  que 
notre  charité  doit  être  vigilante.  Cette  vi- 
gilance eft  une  fuite  du  précepte  de  Tau- 
mône.  Les  riches  font  les  palpeurs  des 
pauvres  félon  le  corps  ;  6c  ils  font  coupa- 
bles devant  Dieu  des  fuites  qu'aiirôit  pré- 
venu un  fecours  offert  à  propos.  On  n'exi- 
ge pas  que  vous  découvriez  tous  les  befoins 
fecrets  d'une  Ville  ;  mais  on  exige  que 
dans  votre  quartier  vous  ne  foyez  pas  en- 
vironnés à  votre  infçû  de  mille  malheu- 
reux ,  qui  font  blefles  de  votre  pompe  5c 
de  votre  profpérité  ;  que  dans  vos  terres 
vous  connoiffiez  les  perfonnes  que  Tépui- 
fément  ÔC  les  infirmités ,  le  fexe  &  Tâge 
mettent  ou  hors  d'état  de  gagner  leur  vie , 
ou  en  danger  de  perdre  leur  innocence. 

Voilà  les  régies  de  l'aumône  chrétienne; 
en  voici  les  fruits.  Premièrement ,  elle  eft 
une  fource  de  bénédiélions ,  même  tem- 
porelle :  c'eft  une  ufure  fainte  ,  elle  inté- 
relTeffe  Dieu  dans  notre  fortune.  Seconde- 
ment ,  elle  nous  caufe  la  joie  la  plus  pure 
que  nos  biens  puiiTent  nous  procurer  :  quel 
plaifir  de  faire  des  heureux  !  quelle  con- 
îblation  de  penfer  que  des  âmes  affligées 
lèvent  les  mains  au  Ciel  pour  nous  ?  f  roi- 
fîémement  ,  elle  aide  à  expier  les  crimes 
de  l'abondance  ,  à  nous  ouvrir  les  portes 
du  Ciel  :  la  grâce  fe  réferve  de  grands 
droits  fur  une  ame  où  la  charité  n'a  pas 


Analyfes  des  Sermons,  44^ 

encore  perdu  les  fîens  :  la  converfion  d'un 
bon  cœur  n'eft  jamais  défefpérée.  Aimez 
donc ,  fecourez  ,  refpeâ:ez  les  pauvres  , 
afin  qu'au  grand  jour  Jeius-Chrifl  vous 
dife  :  Vernie  h  bénît  de  mon  Père  ,   ^C' 


LE  LUNDI  DE  LA  IV,  SEMAINE 

Sur    lit  Mèdïfance» 

DIVISION.  Rien  de  plus  frivole  que 
les  prétextes  qui  juJiLJîent  à  nos  yeux 
la  médlfance.  Elle  ne  peut  être  excujée  : 
I.  Ni  pur  la  légèreté  des  défauts  que  nous 
cenfuroiis  ;  II.  Ni  par  la  notoriété  publia 
que  s  III.  Ni  par  le  ^éle  de  la  vérité  &  de 
la  gloire  de  Dieu» 

I.  Partie.  En  vain  prétendez  -  vous 
excufer  vos  médifances  par  la  légèreté  des 
défauts  que  vous  cenfurez  ;  les  motifs  ea 
font  toujours  mauvais  ,  les  circonftances 
criminelles ,  les  fuites  irréparables. 

i^.  Tout  votre  but,  dites- vous  ,  eft  de 
vous  réjouir  fur  des  défauts  qui  ne  désho- 
norent pas.  Joie  cruelle ,  qui  attrifte  vo- 
tre frère  !  plaifir  pervers  ,  qui  naît  d'un 
vice  !  Une  parole  oifeufe  qÙ.  interdite;  dé- 
couvrir la  honte  de  Tes  proches  eil  un  cri- 
ine  ;  un  terme  de  mépris  eft  ,  félon  Jefus- 
Chriil ,  digne  d'une  punition  éternelle,  5C 
vous  feriez  innocent  !  La  charité  fe  ré- 
jouit-elle du  mai?  un  Chrétien  peut-il  s'é- 


it4^  y^naîyjes  àcs  Sermons, 

fayer  aux  dépens  d'un  membre  de  Jefus* 
]hrift  ?  n'y  a-t'il  pas  mille  fujets  édifians 
de  converiation  ,  dignes  de  la  joye  des 
Fidèles  ?  approfondirez  le  fecret  de  votre 
cœur?n'eft-ce  point  d'une  jaloufiefecrette 
que  nailTent  vos  cenfures?  elles  tombent 
toujours  fur  la  même  perfonne ,  &  tout 
autre  vous  trouve  indulgent.  Ne  voulez- 
vous  point  flâter  un  Grand  à  qui  votre 
frère  ne  plaît  pas  ?  ne  facrifiez-vous  point 
fa  réputation  à  votre  fortune?  Non  ,  di- 
tes-vous ;  fî  je  médis  quelquefois  ,  c'eft 
pure  indifcrétion.  Je  le  veux  :  ce  vice  Ç\ 
indigne  d'un  Chrétien  ,  peut-il  en  juftifier 
un  autre  ?  votre  frère  fouifret'il  moins  de 
vptre  indifcrétion  ,  qu'il  ne  fouifriroit  de 
votre  malice  ?  fa  réputation  en  ell-elle 
moins  flétrie  ?  n'eft-ce  pas  un  crime  d'être 
capable  d'indifcretion  en  ce  point?  Quelle 
attention  fcrupuleufe  n'avez-vous  pas  fur 
ce  qui  intérefle  votre  honneur  !  en  ayant  (î 
peu  pour  ce  qui  touche  votre  frère  ,  l'ai- 
mez-vous  comme  vous-même  ? 

2^.  Le  monde  aujourd'hui  appelle  légè- 
res des  médifances  qui  ne  le  font  point. 
Je  fuppofe  que  les  vôtres  le  foienten  eftet, 
&  je  dis  qu'elles  font  toujours  criminelles 
dans  leurs  circonftances.  Premièrement  , 
votre  frère  n'a  que  des  défauts  légers  ;  il 
en  efl  donc  plus  digne  de  votre  indulgen- 
ce ,  de  votre  refpeâ  ;  6c  vous  le  décriez  / 
quelle  dureté  ,  quelle  injuftice  !  Seconde- 
ment ,  auriez-vous  la  même  idée  des  dé- 
fauts-que  vous  cenfurez ,  fi  oa  vous  les 


Analyfes  ies  Sermons.  447 

^eprochoit  à  vous-même  ?  Alors  vous  grot 
^riez  tout  ;  tout  vous  paroîtroit  elTentieU 
Faut-il  que  tout  foit  léger  contre  votre  fre* 
re  ,  ÔC  que  contre  vous  tout  foit  digne  de 
vengeance?  Troifiémement,  en  cenfurant 
des   défauts  même  légers  ,  n'y  ajoutez- 
vous  rien  du  votre  ?  ne  donnez-vous  point 
à  penfer  ,  par  des  conjeâures  malignes  , 
par  certains  gefles  ,  par  certaines  expref- 
îions  ,  même  par  un  certain  filence  ?  Qua- 
trièmement ,   la  perfonne  que  vous  atta- 
quez n'ell-elle  point  d'un  fexe  où  tout  bruit 
eft  un  déshonneur  public  ,   où  n'être  pas 
loué  eft  prefque  un  affront  ?  Cinquième- 
ment ,  n'eft-ce  point  à  vos  maîtres   que 
s'en  prennent  vos  cenfures  ,   à  ceux  que 
Dieu  a  établis  fur  vos  têtes  ,  6c  que  fa  loi 
vous  ordonne  de  refpeâer  l  Sixiém.ement, 
ne  cenfurez-vous  point  les  Oints  du  Sei- 
gneur ,  aufquels  ils  vous  défend  de  tou- 
cher ?   Leur  converfatioa  peut  n'être  pas 
toujours  fainte  :  mais,  outre  que  c'eft  ordi- 
nairement pour  punir  le  dérèglement  des 
peuples  ,  que  Dieu  permet  qu'il  forte  du 
Sanftuaire  même  une  odeur  de  mort  ;  5C 
que  dès-lors  les  infidélités  des  Prêtres  doi- 
vent plutôt  être  le  fujet  de  vos  larmes  que 
c^lui  de  vos  cenfures  ;    quand  miême  le 
Miniftre  mériteroiî  quelques  mépris ,  pou- 
yez-vous ,  fans  facrilège  ,  ne  pas  refpefter 
fon  miniftère  ?  Septièmement ,  enfin  n'at- 
taquez-vous point  des  perfbnnes  qui  font 
une  profefTion  publique  de  piété  ?  Vous  au- 
tgrifez  don^î^^ceux  qui  vous  écx)Utent  à  peu- 


iWS  ^  Andyfes  des  Sermons, 
1er  qu'il  y  a  eu  peu  de  vrais  gens  de  bîefl. 
fur  la  terre ,  ÔC  vous  confirmez  les  préju- 
gés du  monde  contre  la  vertu  ?  Les  Juftes 
peuvent  chanceler  quelquefois  -,'  mais  ils 
font  les  ferviteurs  de  Dieu ,  qui  prend  fur 
lui  les  plus  légers  mépris  dont  on  ofe  les 
déshonorer  :  il  vengea  Elifée  ,  Elie  ,  Da- 
vid ,  de  déridons  qui  fembloient  pardon- 
nables :  toucher  à  ceux  qui  le  fervent  , 
c'efl  toucher  à  la  prunelle  de  fon  œil. 

3°.  Enfin  lesmédifances  même  que  vous 
appeliez  légères ,  font  criminelles  par  rap- 
port à  leurs  fuites  toujours  irréparables. 
Tous  les  crimes  peuvent  être  expiés  par 
les  vertus  contraires  ;  nul  remède  ,  nulle 
vertu  ne  peut  réparer  celui  de  la  détrac- 
tion. Vous  n'avez  révélé  qu'à  un  feul  les 
vices  de  votre  frère  ;  mais  ce  confident  en 
aura  bien-tôt  d'autres  qui  inftruiront  les 
premiers  venus  de  ce  qu'ils  auront  appris  ; 
chacun  ,  en  le  racontant ,  y  ajoutera  de 
nouvelles  circonftances  :  ainfi  une  fource 
prefque  imperceptible  ,  mais  groflle  dans 
fa  courfe  par  mille  ruiiTeaux  étrangers  , 
deviendra  un  torrent  qui  inondera  la  cour, 
la  Ville ,  &  la  Province  j  en  un  mot  votre 
frère  fur  qui  vous  n'avez  voulu  que  plai- 
fanter ,  fera  décrié  formellement  ,  flétri 
éternellement.  En  vain  ,  pour  vous  oppo- 
fer  au  déchaînemen^ptlblic  ,  chanterez- 
vous  fes  louanges ,  vous  ferez  feul ,  &.  vos 
éloges  venus  trop  tard  ,  ne  lui  attiteront 
que  des  fatyres  :  vous  médifez  par  la  bou- 
che de  vos  citoyens  j  vous  êtes  coupables 

du 


AncLÏyfes  des  Sermons.  449 

du  crime  de  ceux  qui  les  écoutent  :  quelle 
pénitence  pourra  expier  de  tels  maux  ?  vo- 
tre mort  même  n'y  remédiera  pas  ;  le 
fcandale  vous  fuivra  ,  &  des  Auteurs  li- 
cencieux réterniferont. 

II.  P  A  R  T  I  E.  La  médifance  ,  lors  mê- 
me qu'elle  roule  fur  des  fautes  publiques , 
efl  criminelles  :  parce  qu'alors  même  elle 
hlcïÏQ  rhumilité  ,  la  charité  ,  la  juilice. 

i^.  L'humilité  ,  en  nous  repréfentant  vi- 
vement nos  fautes  ,  nous  ôte  le  loilir  de 
remarquer  celles  de  nos  frères  :  elle  nous 
fait  bénir  Dieu  de  ce  qu'étant  tombés  peut- 
être   dans  les  mêmes  égaremens  ,    nous 
n'avons  pas  été  déshonorés  comme  eux  : 
elle  nous  fait  craindre  qu'il  n'ait  épargné 
notre  confulîon  en  ce  monde  ,  que  pour  la 
rendre  plus  amére  6c  plus  durable  en  l'au- 
tre. Que  celui  d'entre  vous  gui  ejl  fans  pé- 
chè  j,   difoit   Jesus- ChrIST  ,  yme    contre 
cette  jemme  la  première  pierre  :  je  vous  dis 
aujourd'hui  la  même  cnofe  cette  perfonne 
vient  de  perdre  fa  réputation,  5c  vous  vous 
glorifiez  encore  de  la  vôtre  :  vous  êtes  plus 
heureufe  qu'elle;  êtes  vous  plus  innocente? 
Dieu ,  peut  être  ,  va  révéler  votre  honte: 
vous  vous  armez  du  glaive  de  la  langue  ; 
vous  ferez   percée  du  même  glaive  ;  6c 
quand  vous  feriez  exempte  des  vices  que 
vous  blâmez  ,  Dieu  vous  y  livrera.  En  ef- 
fet ,  la  honte  ell  la  punition  de  l'orgueil  r 
Pierre  y  le  plus  ardent  à  dételier  la  perfidie 
de  Judas^  tombe  lui-même  dans  l'infidélitéa. 
Rien  ne  nous  attire  taSt  l'abeoidon  dç  DieUj. 


4?^  Analyfss  des  Sermons* 

que  le  plaifîr  malin  avec  lequel  nous  rele- 
vons les  fautes  de  nos  frères. 

2*^.  La  charité  ne  nous  permet  pas  plus 
que  l'humilité  de  cenfurer  des  fautes  mê- 
me publiques.  Elle  n  agit  point  en  vain:  or, 
quoi  de  plus  inutile  que  de  divulguer  ce  qui 
eft  déjà  public  ?  Quel  eft  votre  objet  ?  De 
blâmer  votre  frère  ?  mais  ,  percé  de  mille 
traits ,  il  eft  afTez  puni  :  il  mérite  déformais 
toute  votre  pitié.  De  plaindre  fon  infor- 
tune? mais  lacompafîion  r'ouvre-t'elle  les 
plaies  d'un  malheureux  ?  De  juflifier  vos 
foupçons  précédens?  mais  vous  venez  donc 
triompher  de  fa  chute,  &  vous  glorifier  de 
la  malignité  de  vos  jugemens  ?  Ah  !  vous 
çtes  vous-même  dans  une  occafion  de  pé- 
ché dont  le  public  murmure  déjà  :  c'eft  ici 
pli  il  faudroit  exercer  votre  art  des  conjec- 
tures.  D'ailleurs,  la  charité  gémit  des  fcan- 
dales  ,  de  l'avantage  qu'en  tirent  les  im- 
pies 6c  les  libertins  ,  de  l'occaiion  qu'ils 
donnent  aux  âmes  foibles  de  tomber  dans 
les  miêmes  défordres  ;  vous  devez  donc  par 
votre  filence  contribuer  à  les  afloupir. 
Quand  tout  le  monde  en  parleroit  ,  con- 
clure que  vous  pouvez  en  parler  à  votre 
K>ur  ^  c'e/i  barbarie  :  rhiunanité  feule- 
nous  apprend  qu'il  eft  beau  de  fe  déclarer 
pour  les  malheureux. 

3°. Enfin,  en  cenfurant  des  fautes  mêmes 
publiques ,  vous  violez  ks  ioix  mêmes  de 
l'équité.  Car  premièrement ,  mettez  vou^. 
â  la  place  de  votre,  frerercroiriez-vous  que 


Analyfes  Je  s  Sermon^-,  45^ 

droit  que  vous  prenez  contre  lui  ?  Secon- 
dement ,  que  favez  vous  ï\  le  premier  au- 
teur de  ces  difcours  publics  n'eft  point  un 
impofteur  ?  Un  ennemi ,  un  concurrent^ 
un  envieux  peuvent  avoir  calomnié  votre 
frère  :  le  public  a  peut-être  recueilli  avec 
malice  une  fimple  indifcrétion  ,  6v  réalifé 
une  pure  conjefture.Sufanne  d  été  décriée; 
n'étoit-elle  pas  innocente?  Jesus-Ciirist 
l'a  été;  excuferiez-vous  ceux  quiparloient 
de  lui  comme  d'un  féduâ:eur  ?  vous  vous 
expofez  donc  à  la  calomnie  envers  votr^ 
frère,  Troifiémement  ,  que  favez- vous  li 
fon  repentir  n'a  pas  déjà  expié  fa  faute  de- 
vant Dieu  ?  en  ce  cas ,  quelle  infuftice  dg 
faire  revivre  des  fautes  que  le  Seigneur  a 
oubliées  i  Quatrièmement ,  en  favoit  con^ 
fufément  que  la  conduite  de  votre  frero 
n'étoit  pas  exemte  de  reproche  \  pourquoi 
venez -vous  éclaircir  les  faits  ,  expliquer 
tout  le  myftère  ,  étouffer  un  refte  d'hon- 
neur qu'il  confervoit  encore  ?  Cinquième"^ 
ment,  peut-être  par  un  rau^,  par  une  naif» 
fance  qui  donnent  de  l'autorité  fur  les  ef-^ 
prits ,  confirmiez  vous  des  bruits  qu'on  ne 
tenoitque  de  certaines  perfonnes  fans  aveu: 
votre  iilençe  fèul  eût  pu  arrêter  la  diffama-* 
tion  publique  ,  ÔC  votre  cenfiire  l'autorife» 
Ah  !  Dieu  lui-même  diflimule  les  péchési 
des  hommes  ;  diiîimulons  les  à  notre  tour  ^ 
Je  ne  prévenons  point  le  tems  de  fçs  vea- 
geances» 

IIÏ.  Partie.  Enfin  la  médifançe  fe 
COUVîQ  ^uel^u^oil  du  voile  de  la  piété.  Si 


(4Si  Andyfes  Jès  Sermons. 
Ton  cenfure  les  pécheurs ,  c'eft  par  zèle^ 
dit-on  ;  c'eft  par  haine  pour  le  vice.  C'efl 
une  illufîon  ;  la  piété  ,  dont  la  charité  eu. 
l'ame ,  ne  nous  difpenfe  point  de  la  charité. 
Voici  donc  les  régies  que  prefcrit  l'Evaa- 
gile  fur  le  véritable  zèle.  Premièrement , 
le  vrai  zèle  gémit  des  fcandales  qui  dèsho.- 
jiorent  l'Eglife  ,  mais  il  n'en  gémit  que  de- 
vant Dieu  ;  il  lui  en  parle  fouvent  dans  fes 
prières,  mais  il  les  oublie  devant  les  hom- 
mes. Secondement,  la  piété  ne  nous  donne 
point  d'empire  fur  nos  frères  ;  s'ils  tom- 
bent ,  ou  s^ils  demeurent  fermes ,  c'eft  l'af- 
faire du  Seigneur  ;  nos  plaintes  fur  leurs 
défordres  partent  d'un  fonds  d'orgueil,  de 
malignité,  de  légèreté  ,.  d'inquiétude  ;  elles 
déshonorent  la  piété  y  juftifient  les  dif- 
cours  des  impies  contre  l'homime  de  bien. 
Troifiémement ,  le  zèle  réglé  cherche  le 
falut  5c  non  la  diffamation  du  pécheur  ;  il 
fe  rend  aimable  pour  fe  rendre  utile  ;  il  eft 
plus  touché  du  malheur  de  fon  frère  qu'ai- 
gri de  fes  fautes  ;  il  voudroit  pouvoir  fe  les 
cacher  à  foi- même ,.  §C  il  fent  bien  que  les^ 
cenfurer^  c'eft  augmenter  îe  fcandale.Qua- 
triemement ,  ce  zèle  eenfeur  eft  inutile  à 
celui  qu'il  attaque  puifqu'il  eft  abfent ,  il 
lui  eft  nuidble  puifqu'il  ne  fert  qu'à  raigri.r 
.  en  blellant  fa.  réputation  ;  il  eft  nuifible  à 
ceux  qui  vous  écoutent,.  ÔC  leur  apprend  à 
ne  plus  mettre  îa  médifance  au  rang  d^s 
vices.  Le  vrai  zèîe  eft  humbte ,.  fîmple  ^ 
miféricordieux  ,  déli-cat  §C  timoré  ;  une 
langue  c^ui  a  çonfellé  JeXus-Chrift  ^e  dQk 


yinatyfès  des  S er titans.  ^  *45f 
plus  être  inquiète  ,  dangereufe  ,  plaine  de 
fiel  6c  d'amertume  contre  fes  frères  :  Lin- 
gua  Chrifium  conjcjja  non  fit  maledica  >  non 
turbulenta  ;  non  convitiis  ^er/lrepms  au-' 
diatur.  S.  Cyprien. 

lE  MJRDl  DE  LA  IV,  SEMAINE. 

Des  doutes  fur  la  Religion, 

DI  V  I  s  I  O  iV.  La  plupart  de  ceux  gui  fi 
difent  Incrédules  ,  m  le  fini  pas  en 
effet.  I.  Cefi  le  dérèglement  qui  propofe 
les  doutes  ,  fans>  ofir  les  croire.  II.  èefi 
V Ignorance  qui  les  adopte  y  (ans  les  com- 
prendre* III.  Cefii  la  vanité  qui  s  en  fait 
honneur  ,  funs  pouvoir  s\n  faire  une  ref- 
fource. 

I.  Partie.  Trois  réflexions  montrent 
que  les  doutes  des  prétendus  incrédules 
font  des  doutes  de  dérèglement.  Premiè- 
rement ,  c'eit  le  déréglem.ent  qui  a  formé 
leurs  doutes ,  8c  non  pas  leurs  doutes  îe 
dérèglement.  Secondement ,  c'eft  à  leurs 
paHions  qu'ils  tieixnent  ,  6c  non  à  leurs 
doutes.  TroifiemiCment  ,  ils  n'attaquent 
que  les  vérités  incommodes  aux  parfioiis. 
1°.  On  n*a  encore  viï  perfonne  commen- 
cer par  des  doutes  fiir  la  foi  ;  5c  les  dou- 
tes ,  tomiber  dans  la  débauche  :  on  fe  livre 
d'abord  au  piaitîr  ;  enfuite  on  croit  qu'il 
;Bit  impoffibÎQ  de  fe  ïmQ  violexiçe  i  enfin  ^ 


454  ^Andyfcs^  des  Sermons. 

on  conclud  que  cette  violence  eft  inutile*' 
Que  penfoit  on  avant  que  d'avoir  renoncé 
à  la  pudeur  ?  alors  ,  le  cœur  n'étant  point 
gâté ,  la  foi  paroifToit  refpe£lable  ,  la  rai- 
ion  étoit  foumife  ,  on  ne  fe  formoit  pas 
même  des  difficultés  :  dès  que  les  mœurs 
on  changé  ,  on  a  eu  des  doutes  :  ce  n'eft 
donc  pas  la  force  de  la  raifon  qui  les  a  en- 
fantés ,  c'eft  la  corruption  du  cœur ,  c'eft 
même  une  lâcheté  de  courage  :  on  ne  peut 
foutenir  les  terreurs  de  la  Religion  y  on  ta-* 
che  de  s'étourdir  en  les  traitant  de  frayeur? 
puériles  :  on  cache  fa  peur  fous  une  often- 
tation  de  bravoure.  D'ailleurs ,  quelbefoin 
n'ont  pas  les  pafîions  du  fécours  des  dou- 
tes ?  combattues  au-dedans  ÔC  au-dehors> 
elles  font  trop  foibles ,  il  faut  les  foutenir; 
elles  font  trop  chères  ;  il  faut  les  juftifîer  ; 
les  vérités  de  la  Religion  les  troublent ,  il 
faut  tâcher  de  fe  pcrfuader  qu'on  ne  les 
croit  pas,  ç'eft-à-dire  ,  que  le  grand  effort 
du  dérèglement  efl  de  nous  conduire  au  dé- 
fîr  de  l'incrédulité. Si  donc  l'infenfé  dit  qu'il 
n'y  a  point  de  Dieu  y  c'eft  dans  fon  cœur 
qu'il  le  dit  :  ce  langage  en  efl  le  défît  :  il 
voudroit  qu'il  n'y  eût  point  de  vengeur  du 
vice  :  il  l'anéantit  donc  par  fes  fouhaits  ; 
mais  ils  font  aufTi  ftériles  qu'ils  font  impies: 
l'idée  d'une  puifTanceinfînieSc  d'une  juflioe 
redoutable ,  demeure  toujours  au  fond  d^ 
fon  être  ^  êc  ramené  fes  remords.  Les  caî- 
meroit-iî  en  fe  difant  qu'il  efl  trop  livré  à. 
la  débauche  pour  e;î  foitir  ?  c'eft  bien  plu» 
aét fait  d^ft  dire;,  ^ue  a'y  ayaatrieiî  agr^â 


Anaîyfes  des  Sermons*  455 
la  vie  ,  il  eft  inutile  de  mieux  vivre  :  cette 
idée  le  délivre  de  toute  contrainte ,  l'en» 
tretient  dans  l'indolence  ,  l'empêche  de 
s'approfondir  lui-même  :  elle  émoulle  au 
moins  la  feniibilité  d^  fa  confcience  ;  6c  ea 
faifant  qu'il  fe  prend  pour  ce  qu'il  n'eft 
pas  ,  elle  fait  qu'il  vit  comme  s'il  étoit  ce 
qu'il  vaudroit  être  :  trop  diiTolu  pour  con- 
fentir  à  mener  une  vie  chrétienne  ,  trop 
foible  pour  braver  un  vengeur  qu'il  recoii- 
coitroit  fans  répugnance ,  il  fe  tient  dans 
une  efpéce  de  neutralité  contre  la  foi  6^ 
l'irréligion  >  5c  vit  fans  vouloir  favoir  ce 
qu'il  cil  en  effets 

2°.  Une  féconde raifon  qui  n'eft  qu'une, 
fuite  de  la  première  ,  c'eiî  que  les  préten- 
dus incrédules  ,  s'ils  ne  changent  pas  ac- 
tuellement de  vie ,.  tiennent  à  leurs  paf- 
fions  ;  &  non  à  leurs  doutes.  Font-ils  quel- 
que retour  fur  eux-mêmes  ?  leur  em.barras 
n'eft  plus  de  favoir  comment  ils  pourront 
croire  des  chofes  qui  révoltent  leur  raifon^ 
mais  de  favoir  comment  ils  pourront  me- 
ner une  vie  contre  laquelle  leurs  inclina- 
tions font  révoltées.  D'ailleurs  il  vivent 
pour  la  plupart  dans  les  variations  conti- 
nuelles fur  leur  incrédulité  mêmie  :  en  cer- 
tains momens  ils  font  touchés  des  vérités 
de  la  Religion  >  en  d'autres  ils  s'en  moc» 
quent  :  tantôt  ils  cherchent  des  Serviteurs, 
de  Dieu  ^  pau?  s'inftruire  ,  tantôt  ils  les 
traitent  avec  dérifion-».  D'où  vient,  cette  vi-- 
çiiîiîud;e?  c'eft  que  leurs  paflîofts  n'étant  pas 
t9u|Qurs.  égaleineîit  vive.s  j,  lç;urs  dfiu.te  qvÀ 


^45^  .  Analyfks  des  Sermons, 
en  naiflent  doivent  changer  comme  elleî  î 
fi  leur  incrédulité  prétendue  venoit  d'incer- 
titudes réelles  fur  la  Religion  ,  ces  incer- 
titudes fubfillant ,  l'incrédulité  feroit  tou- 
jours la  même.  De  plus ,  répondez  aux  dif- 
ficultés d'un  prétendu  iucrédule  ,  réduifez- 
le  à  ne  pouvoir  répliquer  :  il  ne  fe  rend  pas 
encore  :  fon  air  myftèrieux  6c  décidé  vous 
fait  gémir  de  fon  entêtement  ;  gémiiTez 
plutôt  de  fa  mauvaife  foi  :  qu'au  iortir  de 
là ,  une  maladie  mortelle  le  frappe  ;  vous 
le  trouverez  convaincu ,  confus ,  repentant, 
tremblant  ,  &.  demandant  ,  non  pas  des 
preuves ,  mais  des  confolations.  Son  efprit 
vient-il  donc  d'être  éclairci  ?  non  :  ^qs  paf- 
fions  vont  s'éteindre,  fes  doutes  s'éteigneiît 
avec  elles  :  appeliez  en  avec  Tertullien  à 
ce  pécheur  mourant ,  il  avouera  qu'il  en 
avoit  impofé  au  public  par  une  faulfe  of- 
tentation  d'impiété. 

2°.  Enfin ,  ce  qui  achevé  de  prouver  que 
les  doutes  ne  viennent  que  du  dérègle- 
ment ,  ce  qu'ils  n'ont  pour  objet  fixe 
que  les  vérités  incommodes  aux  paflions. 
Si  la  Religion  ne  propofoit  que  des  myf- 
tères  j  que  des  vérités  fpéculatives  ;  ies  ia- 
crédules  feroient  rares  ;  elle  propofe  des 
maximes  qui  gênent ,  des  vérités  qui  me- 
nacent ;  c'eft  fur  celles-là  qu'on  a  des  dou- 
tes ,  ou  c'eil  à  caufe  d'elles  qu'on  fe  vanîe 
d'en  avoir  fur  les  autres.  E^vain  croiriez- 
vous  que  c'eft  par  amour  p^ur  la  vérité , 
que  l'incrédule  ne  fe  rendp<Sintà  des  myf- 
tèxçs  (|^ue  la  raifgn  rejette  ;  ces  vérités  se 

l'iutérelTal 


^ndyfes  des  Sermons.  457 

ï'întéreflent  point  ;  ce  qui  rintérefle  eft  de 
vivre  au  gré  de  fes  déiirs  ,  &  de  n'avoir 
rien  à  craindre  après  cette  vie  :  palTez-lui 
ce  pojnt  ;  il  conviendra  de  tout.  Aufll  les 
maîtres  de  l'impiété  fe  font  attachés  à 
prouver  que  tout  mouroit  avec  le  corps  ; 
que  les  peines  éternelles  étoient  des  fables; 
&  ce  n'a  été  que  pour  en  venir  là  ,  qu'ils 
ont  attaqué  les  autres  points  de  la  foi  ; 
voilà  pourquoi  les  impies  dans  la  SagefTe 
&  les  Sadducéens  dans  l'Evangile  n'atta- 
quent que  la  réfurreclion  des  morts  ÔC 
l'immortalité  de  l'ame  :  voilà  le  point 
décifif  :  on  ne  fecoue  le  joug  de  la  foi ,  que 
pour  fecouer  celui  des  devoirs  ;  la  Reli- 
gion n'auroit  point  d'ennemis,  fi  elle  n'é- 
tait pas  ennemie  du  vice. 

II. .Partie.  C'e/I  l^ ignorance  oui  adopte 
les  doutes  fans  les  comprendre*  Les  préten- 
dus incrédules  blâment  ce  qu'ils  n'ont 
point  examiné  ;  ils  blafphêment  ce  qu'ils 
ignorent  ;  ils  haïllent  la  Religion  ,  5c  cette 
haine  ell  la  feule  fcience  qui  forme  leurs 
doute  :  Malunt  ncfcire ,  quia  jam  oderunc, 
'En  effet  ,  pour  combattre  des  vérités  re- 
çues dans  tous  les  fiécles  par  les  plus  grands 
hommes,  par  les  génies  les  plus  élevés  ,  il 
faudroit  des  raifons  bien  décifives ,  des  lu- 
mières bien  rares  6c  bien  nouvelles.  Ce^ 
pendant  approfondirez  ces  efprits  forts;  ils 
n'ont  pour  toute  fcience  que  des  doutes 
lifés  &C  vulgaires  :  ils  ne  favent  qu'un  cer- 
tain jargon  de  libertinagerils  n'ont  ni  fonds 
|ii  principes ,   ni  fuite  :  ce  font  des  hoin-; 

Carême»  Tonu  lll*  Q  q 


45^  AnalyfiS  des  Sermons, 

mes  légers ,  fuperficiels ,  en  qui  peut-être 
la  débauche  a  éteint  toute  pénétration  :  ce 
font  des  hommes  frivoles ,  diillpés ,  igno- 
rans  qui  ne  favent  que  répéter  ce  qu'ils  ont 
entendu  :  échos  de  l'incrédulité  ,  fans  être 
incrédules ,  ils  favent  ce  qu'il  faut  dire 
pour  douter;  mais  ils  n'en  favent  pas  affez 
poar  douter  eux-mêmes  :  ils  ne  doutent 
pas  pour  s'éclaircir  ;  ils  n'achéteroient 
pas  fi  cher  le  plaifir  de  fe  dire  incrédules; 
ils  en  feroient  même  incapables  :  ne  les 
appeliez  ni  Sociniens  ,  ni  Déifies  ,  ni 
Athées  ;  ce  feroit  encore  les  honorer  :  ils 
ne  font  rien  :  du  moins  ils  ne  favent  eux- 
mêmes  ce  qu'ils  font. 

Et  ce  qui  efl  bien  remarquable  ,  c'eft 
qu'eux  qui  nous  traitent  d'efprits  crédules, 
de  nous  rendre  à  la  plus  grande  autorité 
qui  ait  paru  fur  la  terre;  déférent  à  l'auto- 
rité d'un  libertin ,  qui ,  dans  un  moment 
de  débauche  ,  a  dit  qu'il  n'y  avoit  point 
de  Dieu  ,  quoique  peut-être  il  ne  le  crût 
pas  lui-même.  Ils  décèlent  affez  leur  igno- 
rance ,  lorfqu'ils  cherchent  des  impies  vé- 
ritables 6c  intrépides  dans  l'incrédulité  : 
Spinofa  le  fut  ;  ôC  il  ne  chercha  perfonae 
qui  l'affermît  dans  l'irréligion  :  ceux  qui 
s'emprelTerent  de  le  confulter ,  attefterent 
par  cet  empreffement  même  leur  peu  de 
fermeté  &  leurs  remords;ils  firent  voir  que 
leur  incrédulité  prétendue  n'étoit  en  effet 
qu'un  défir  formel  de  devenir  impies. 

III.  Partie.  Cefl  la  vanité  qui  fi  fait 
honneur  de$  doutes  fans  pouvoir  s\n  fain 


Analyfis  des  Sermons^  4^9 

une  reffource.  Les  prétendus  incrédules  font 
de  faux  braves  qui  fe  donnent  pour  ce 
qu'ils  ne  font  pas ,  6c  qui  à  force  de  dire 
qu'ils  ne  croyent  rien  ,  croyent  ne  rien 
croire,  ôC  en  ont  meilleure  opinion  d'eux- 
xnêmes  :  Premièrement  ,  parce  que  cette 
profefîion  d'incrédulité  fuppofe  une  fupé- 
riorité  d'efprit,  au  lieu  que  les  paiTions  ne 
fuppofent  que  du  dérèglement.  Seconde- 
ment ,  parce  qu'aujourd'hui  ceux  qui  fe 
piquent  d'un  peu  plus  de  connoilTances  que 
les  autres ,  fe  permettant  des  doutes  far  la 
Religion  ,  ÔC  certains  prétendus  grands 
hommes ,  qui  nous  ont  précédés  ,  ayant 
fait  profeflion  de  ne  pas  croire,  on  s'ima- 
gine partager  la  réputation  des  uns  6c  àQ% 
autres  en  adoptant  leur  langage  ,  6c  fe  faire 
honneur  en  les  prenant  pour  modèles. 
Troifiémement,  parce  que  ceux  avec  qui 
on  eft  lié  paç  la  débauche  ,  parailTant  ne 
pas  croire  ,  il  feroit  honteux  de  paroître 
croire  ,  6c  d'être  dilTolu  comme  eux  .•  être 
débauché ,  &  admettre  un  Enfer  ,  c'eft  être 
débauché  en  Novice ,  c'eft  fe  fentir  encore 
de  l'enfance  6c  du  Collège  :  la  débauche 
eft  de  bon  air;  quand  on  a  pu  perfuader 
aux  autres  qu'on  s'eft  mis  au-deffus  de  ces 
foibleifes  vulgaires  ;  on  fe  moque  de  ceux 
qui  paroifTent encore  craindre,  &  on  iu- 
fulte  à  leur  fimplicité  :  Adhuc  permams  in 
Jimplicitate  tua* 

Mais  quelle  reffource  trouve-t'on  dans 
ces  doutes  dont  on  fe  fait  honneur?aucune  : 
limpie  brave  Dieu  tout  haut,  Se  il  le  craiut 


4^0  'Analyfes  des  Sermons»  ^ 

en  fecret  :  c'efl:  un  impofieur ,  qui  ne  peiltl 
s'en  impofer  à  lui-même  ;  im  furieux  ,  qui 
fait  taire  la  pudeur  ,  parce  qu'il  ne  peut 
faire  taire  fa  confcience  ;  un  homme  ivre 
&  emporté  ,  qui  facrifie  tout  à  la  déplora- 
ble vanité  de  paroître  incrédule..  Ah  !  com- 
prenons ce  qu'une  telle  profelîion  cache 
de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  bas  &.  de  plus 
honteux  félon  le  monde  même  ,  i.  de  dé- 
règlement, 2.  de  balTeffe,  3.  de  mauvaife 
foi6cd'impoihire,4.  d'oftentation  ÔC d'in- 
digne vanité  ,  5.  de  témérité  ,  6.  d'extra- 
vagance ,  7.  enfin  ,  de  fuperftition  :  je  dis 
de  fuperiiition  ,  puifque  nous  avons  vu 
ces  prétendus  efprits  forts ,  confulter  les 
devins,  donner  dans  des  crédulités  puéri- 
les ,  attendre  d'un  oracle  impofteur  leur 
élévation  &  leur  fortune ,  5c  ne  croyant 
point  en  Dieu  ,  croire  ridiculement  aux 
démons.  Souvenons-nous  que  ces  homm.es 
pervers  font  prefquc  fans  reilource  pour 
le  falut  :  s'ils  étoient  abfolument  aveu- 
gles ,  leur  péché  feroit  moindre  ;  mainte- 
nant ils  voyent ,  &  leur  crime  eft  un  blaf- 
phême  contre  le  Saint-Efprit  ,  qui  de-^ 
meure  à  jamais  fur  leurs  têtes. 


^Analyfes  des  Sermons.         4^X 

LE  MERCREDI  DE  LA  IV^  SEM^ 

De   Vlnju{îice  du   monde   enyers   Us  Gens 
de  bien* 

DIVISION.  I.  Le  monde  attaque  les  in^ 
tentions  des  gens  de  bien ,  quand  il  na 
rien  à  dire  contre  leurs  œuvres  y  &  cejl 
une  témérité.  IL  //  exagère  leurs  foiblcffeS 
Cλ  leur  fait  des  crimes  des'imperfeâicm  les 
plus  légères» ,  &  c*ejl  une  inhumanité,  III.  Il 
tourne  même  en  ridicule  leur  ferveur  &  leur 
7èlc  ,  C^  cejl  une  impiété, 

I.  Partie.  Injujlice  de  témérité  qui 
foupçonne  toujours  les  intentions  des  gens 
de  bien.  Le  monde  femble  refpefter  la  ver- 
tu en  idée  ;  mais  il  méprife  toujours  ceux 
qui  en  font  profelTion  :  or  le  premier  ob- 
jet fur  lequel  tombent  d'ordinaire  les  dif- 
cours  du  monde  contre  les  gens  de  bien  , 
c'eft  fur  la  droiture  de  leurs  intentions , 
fur  lefquelles  on  fe  retranche  ,  parce  que 
d'ordinaire  leurs  aftions  donnent  peu  de 
prife  à  la  malignité  6c  à  la  cenfure  :  or  il 
y  a  dans  cette  témérité  trois  carac):ères 
odieux  qui  en  font  fentir  tout  le  ridicule 
&  toute  l'injuftice. 

I  °.  C'eft  une  témérité  d'indifcrétion  :  car 
à  Dieu  feul  efl  réfervé  le  jugement  des  in- 
tentions 5c  des  penfées  ;  en  jugeant  donc 
des  intentions  de  votre  frère,  vous  décidez 
de  ce  que  vous  ne  pouvez  connoitre.  Mais 

Qq  3 


'4^2  ^  Analyfes  des  SermOftS. 
ce  qui  rend  ici  votre  témérité  plus  înjuftej 
plus  noire,  plus  cruelle,  c'eft  la  nature  de 
vos  foupçons  :  car  vous  ne  vous  contentez 
pas  de  foLipçonner  les  gens  de  bien  de  quel- 
qu'une de  ces  foiblelles  inféparables  de  la 
condition  humaine  ;  vous  attaquez  leur 
probité  5C  la  droiture  de  leur  cœur;  vous 
les  foupçonnez  de  noirceur,  de  diflimula- 
tion  ,  d'hyprocrifie  ;  en  un  mot  ,  de  fe 
jouer  de  Dieu  6c  des  hommes ,  6c  cela , 
liir  les  feules  apparences  de  la  vertu.  Ain* 
fî  ,  v^is  portez  d'une  homme  de  bien  uil 
jugement  que  vous  n'ofericz  pas  porter  , 
après  le  crime  le  plus  éclatant ,  d'un  cri- 
minel convaincu  :  faut-il  donc  que  la  vertu 
foit  le  feul  crime  qui  ne  mérite  point  d'in-» 
dulgence  de  votre  part  ? 

L'hypocrifie,  j'en  conviens ,  eft  digne  de 
Texécration  de  Dieu  ÔC  des  hommes  :  maisF 
je  foutiensquecesfonpçons  téméraires  qui 
confondent  toujours  l'homme  de  bien 
avec  l'hypocrite  ;  fournillent  des  armes 
21ÎX  impies  ,  &.  leur  aident  à  croire  qu'il 
n'y  a  plus  de  Juftes  fur  la  terre  ;  que  ies 
Saints  mêmes  qui  ont  autrefois  édifié  l'E- 
glife  ,  n'ont  donné  aux  hommes  que  le 
lpe6^acle  d'une  fauile  vertu  ;  5c  que  l'E- 
vangile n'a  jamais  formé  que  des  Phari- 
iiens  ÔC  des  hypocrites  :  cela  doit  faire 
comprendre  tout  le  crime  de  ces  dérifions 
infenfées  :  on  croit  rire  de  la  faulTe  vertu  , 
6c  on  fait  blafphémer  contre  la  Religion. 
Ajoutez  que  par-là  tout  devient  douteux 
&  incertain  dans  la  fociété  :  car  fi  ceux 


Analyfes  des  Sermons.  465 

qu*on  appelle  gens  de  bien  ne  font  félon 
vous  que  des  impofteurs  &  des  hypocri- 
tes ,  nous  ne  comptons  pas  davantage  fur 
la  probité  des  pécheurs  ÔC  des  mondains  ; 
il  n'y  a  donc  plus  ni  bonne-foi ,  ni  droi- 
ture ,  ni  fidélité  parmi  les  hommes. 

2*^.  C'eft  une  témérité  de  corruption  :  en 
effet ,  ce  fonds  de  malignité  qui  voit  le  cri- 
me à  travers  même  les  apparences  de  la 
vertu ,  Se  qui  attribue  à  des  œuvres  fain- 
tes  des  intentions  criminelles,  ne  peut  par- 
tir que  d'une  ame  noire  ê«C  corrompue, 
comme  les  pafîions  vous  ont  gâté  le  cœur, 
à  vous  que  ce  difcours  regarde ,  que  vous 
êtes  capable  de  toute  duplicité  &  de  toute 
baffelfe  ,  vous  foupçonnez  aifément  vos 
frères  d'être  ce  que  vous  êtes.  Un  boa 
cœur  ,  un  cœur  droit ,  fîmple  6c  fincère  , 
ne  peut  prefque  comprendre  qu'il  y  ait  de;s 
împofteurs  fur  la  terre  ,  parce  qu'il  trouve 
dans  fon  propre  fonds  l'apologie  de  tous 
les  autres  hommes  :  auiîi  qu'on  examine 
ceux  qui  forment  ces  foupçons  affreux  ÔC 
téméraires  contre  les  gens  de  bien  ,  on 
trouvera  j^ue  ce  font  d'ordinaire  des  hom- 
mes déréglés  ÔC  corrompus ,  qui  tâchent 
de  fe  perfuader  qu'il  n'y  a  plus  de  vertu  , 
véritable ,  afin  que  le  vice  plus  commua 
leur  paroilfe  plus  excufable. 

Mais ,  dites-vous ,  on  a  vu  tant  d'hypo- 
crites qu'on  regardoit  comme  des  Saints  , 
qui ,  cependant  n'étoient  que  des  hommes 
pervers  6c  corrompus  ,  on  ne  peut  le  nier. 
Mais  que  voulez-vous  conclure  de-là  ?  que 

Qq4 


4^4  ^Analyfes  ies  S er nions, 

tous  les  gens  de  bien  leur  reflemblent  ?  & 
ou  en  feroit  le  genre  humain  ,  Ç\  vous  rai- 
fonniez  ainfi  fur  le  refte  des  hommes  :  on 
a  vii  tant  d'époufes  infidèles ,  tant  de  Ma- 

fiftrats  iniques ,  6Cc.  dont  la  pudeur  6c  la 
délité  font  bannies  du  mariage  ,  6c  la  juf- 
tiee  ÔC  l'intégrité  de  tous  les  Tribunaux  ? 
Quoi  de  plus  injufte  &  de  plus  infenfé,que 
de  faire  à  tous  un  crime  de  la  faute  de 
quelques-uns  ?  La  fource  de  cette  in  juftice^ 
c'eft  que  nous  haïilons  tous  les  hommes  qui 
ne  nous  reflemblent  pas  ;  &  nous  fommes 
ravis  de  pouvoir  condamner  la  vertu,parce 
que  la  vertu  elle-même  nous  condamne. 

Mais  on  y  a  été  fi  fouvent  trompé, dites- 
vous.  Je  le  veux  ;  mais  je  vous  réponds  , 
quand  même  vous  vous  tromperiez  en  ne 
voulant  pas  foupçonner  vos  frères ,  que 
vous  arriveroit-il  de  fi  trifte  ÔC  de  fi  hon- 
teux de  votre  crédulité  ?  vous  auriez  jugé 
félon  les  régies  de  la  charité  ,  de  la  pru- 
dence ,  de  la  juftice  :  5c  qu'y  auroit-il  dans 
cette  méprife  qui  dût  tant  vous  allarmer  ? 
il  eft  fi  beau  de  fe  tromper  par  un  motif 
d'humanité  6c  d'indulgence  ! 

Et  d'ailleurs ,  d'où  vous  vient  ce  zèle  & 
ce  déchaînement  contre  l'abus  que  l'hypo- 
crite fait  de  la  vertu  véritable  ?  que  vous 
importe  que  le  Seigneur  foit  fervi  avec  un 
cœur  double  ou  fincère  ,  vous  qui  ne  le 
fervez  ÔC  qui  ne  le  connoiifez  même  pas  ? 
Ah  !  ce  n'eft  pas  Thypocrifie  qui  vous  blelTe^ 
c'efi:  la  piété  qui  vous  déplaît  ;  fi  vos  cen- 
fures  partoient  d'un  fond  de  Religion  6c 


'^Analyfis  des  Sernlonf*  4^5 

He  zèle  véritable  ,  vous  ne  rappelleriez 
qu'avec  douleur  Thiftoire  de  ces  impof- 
teurs  ,  qui  ont  piï  quelquefois  réuftir  à 
tromper  le  monde  ,  &  vous  fouhaiteriez 
que  ces  triftes  événemens  fuïïent  effacés 
de  la  mémoire  des  hommes  î 

3°.  C'eft  une  témérité  de  contradiôion. 
Le  monde  accufe  les  gens  de  bien  d'aller 
à  leurs  fins  ,  d'avoir  leurs  vues  dans  les 
allions  les  plus  faintes  ,  ÔC  de  ne  jouer  que 
le  perfonnage  de  la  vertu  :  mais  fied-t'il  à 
ceux,  fur-tout,  qui  vivent  à  la  Cour  de 
faire  ce  reproche  aux  gens  de  bien ,  eux 
dont  toute  la  vie  eft  une  feinte  éternelle  ? 
Quand  ils  n'auront  rien  à  fe  reprocher  là- 
deflus ,  on  écoutera  alors  la  témérité  de 
leurs   cenfures. 

D'ailleurs ,  les  gens  du  monde  fe  récrient 
il  fort ,  lorfqu'on  eft  trop  attentif  à  des  dé- 
marches qui  font  félon  eux  indifférentes  , 
&  qu'on  les  interprête  malignement  ;  mais 
les  Juftes  donnent-ils  plus  de  lieu  à  la  té- 
mérité des  foupçons  que  le  monde  forme 
contre  eux?  Les  gens  du  monde  exigent 
qu'on  juge  leurs  intentions  pures ,  lorfque 
leurs  œuvres  ne  le  font  pas  ;  6c  ils  croyent 
avoir  droit  de  nous  perfuader  que  les  in- 
tentions des  gens  de  bien  ne  font  pas  inno- 
centes ,  lorfque  toutes  leurs  aâiions  le 
paroiifent  :  quelle  contradiftion  1 

II.  Partie.  Le  monde  exagère  l'es  fol* 
hUjJes  des  gens  de  bien  ,  &  leur  fait  un  crime 
des  imperfeâlons  les  ^lus  légères  ,  &  c*ejh 
une  inhumanités 


4^(5  Analyfa  des  Sermons» 

i^.  Une  inhumanité  par  rapport  à  lafoî- 
blelTe  de  Thomme  :  car  c'eft  une  illufion 
de  croire  qu'il  y  ait  parmi  les  hommes 
des  vertus  parfaites  ;  ce  n'eii:  pas  la  condi- 
tion de  cette  vie  mortelle  :  chacun  pref- 
que  porte  dans  la  piété ,  fes  défauts ,  fes 
humeurs ,  6c  fes  propres  foiblelTes  :  la  grâ- 
ce corrige  la  nature  ,  mais  ne  la  détruit 
pas  :  ce  n'eft  que  dans  le  Ciel  que  nous 
ferons  parfaitement  délivrés  de  toutes  nos 
■  miféres.  Tout  ce  qu'on  peut  donc  exiger 
de  la  foible/îe  humaine ,  c'eft  que  TelTen- 
tiel  foit  réglé,  6c  qu'on  travaille  fans  celTe 
à  régler  le  refte  ,  &  dans  le  fonds  portant 
comme  nous  faifons  ,  au  dedans  de  nous 
une  contradiôion  éternelle  à  la  Loi  de 
Dieu  ,  foibles  pour  le  bien ,  toujours  prêts 
pour  le  mal ,  doit-il  paroître  étrange  que 
des  hommes  environnés  ,  paîtris  de  mifé- 
rcs ,  en  laiflent  encore  paroître  quelques- 
unes  !  ôc  fi  le  monde  avoit  de  l'équité,  ne 
trouveroit-il  pas  les  gens  de  bien  plus  di- 
gnes d'admiration  d'avoir  encore  quelques 
vertus ,  que  dignes  de  cenfure  pour  con- 
ferrer  encore  quelques  vices  ? 

D'ailleurs ,  Dieu  a  fes  raifons ,  en  laif- 
fant  encore  aux  gens  de  bien  certaines  foi- 
bleiles  fenfibles  :  il  veut  par-là  les  tenir 
dans  l'humilité  ,  ranimer  leur  vigilance  , 
exciter  en  eux  un  défir  continuel  de  la 
patrie  céiefte,  empêcher  que  les  pécheurs 
ne  fe  découragent  par  le  fpe£^acle  d'une 
vertu  trop  parfaite,ménager  aux  Juftes  une 
matière  continuelle  de  prière  ôc  de  péni- 


Analyfts  êes  Sermons,  ^dy 

tence ,  prévenir  les  honneurs  excefîifs  que 
le  monde  pourroit  rendre  à  leur  vertu  ,  fî 
elle  étoit  ^\  pure  6c  fi  éclatante  ;  peut-être 
enfin ,  Dieu  veut  par-là  achever  d'endurcir 
ÔC  d'aveugler  les  ennemis  de  la  pitté. 

2®-  Une  inhumanité  par  rapport  à  la  dif- 
ficulté toute  feule  de  la  vertu.  Vous  pa- 
roît-il  aifé  ,  mondains  ,  de  vivre  feloa 
Dieu  ,  ÔC  de  marcher  dans  les  voies  étroi- 
tes du  Salut,  que  vous  deviez  être  {\  im- 
pitoyables envers  les  Juftes ,  dès  qu'ils  s'en 
écartent  un  feul  moment  ?  Que  ne  nous- 
dites-vous  pas  vous-mêmes  tous  les  jours 
fur  les  difficultés  d'une  vie  chrétienne  , 
lorfque  nous  vous  en  propofons  les  régies 
faintes  ?  cependant,  par  une  barbarie  étran- 
ge ,  la  plus  légère  imperfection  dans  \t^ 
gens  de  bien ,  anéantit  dans  notre  efprit 
toutes  leurs  qualités  les  plus  eftimables  ;  6C 
loin  de  faire  grâce  à  leurs  foiblefles  en  fa- 
veur de  leurs  vertus ,  c'eft  leur  vertu  elle 
même  qui  vous  rend  plus  cruels  ÔC  plus 
inexorables  envers  leurs  foiblefles. 

Mais  en  quoi  l'injuftice  du  monde  en- 
vers les  gens  de  bien  eft  plus  cruelle,  c'eft 
que  ce  font  vos  cenfures  ,  mondains  ,  ÔCla 
corruption  de  vos  mœurs  ,  qui  deviennent 
tous  les  jours  le  piège  le  plus  dangereux 
de  leur  innocence  :  comment  voulez-voua 
que  la  piété  des  plus  juftes  fe  conferve 
toujours  pure  au  milieu  des  moeurs  d'au- 
jourd'hui ?  vous  êtes  les  fédu£leurs  des 
gens  de  bien  ;  ÔC  vous  trouvez  mauvais 
qu'ils  fe  UiiTent  fédiûre  ? 


4^8  ^Analyfes  des  Sermons i 

3  °.  IJwQ  inhiimanitépar  rapport  aux  ma- 
ximes du  monde  même.  Je  vous  en  fais 
juges  :  vous  dites  tous  les  jours  qu'un  tel 
avec  fa  dévotion  ne  laifTe  pas  d'aller  à  fes 
fins  ;  qu'un  autre  eft  fort  ei^é^e  à  faire  fa 
cour;  que  celle-ci  a  une  vertu  fort  com- 
mode ;  que  celle-là  eft  toute  paîtrie  d'hu- 
meur ,  &.  infupportable  dans  ion  domefti- 
que,  ÔCc.  6c  là'delTus  vous  décidez  fière- 
ment qu'une  dévotion  mêlée  de  tant  de 
défauts  ne  fauroit  jamais  en  faire  des 
Saints  ;  cependant ,  lorfque  nous  venons 
vous  annoncer  ici  nous-mêmes  que  la  vie 
mondaine  ,  oifcufe  ,  fenfuelle  ,  6c  prefque 
toute  profane  que  vous  menez  ^  ne  fauroit 
être  une  voie  de  Salut ,  vous  nous  foute- 
nez  que  vous  n'y  voyez  point  de  mal ,  & 
que  vous  ne  croyez  pas  qu'il  en  faille  da- 
vantage pour  fe  fauver  :  mais  de  quei 
côté  efl  ici  l'inhum.anité  &  l'injuftice  ? 
vous  damnez  les  gens  de  bien,  parce  qu'ils 
ajoutent  à  leur  piété  quelques  défauts  qui 
vous  reilemblent  ;  6c  vous  vo-us  croyez 
dans  la  voie  du  Salut ,  vous  qui  n'avez  que  . 
ces  défauts  fans  la  piété  qui  les  purifie» 

Ce  n'efi:  pas  affez  :  les  gens  de  bien  quit- 
tent-ils tout  pour  fe  donner  entièrement  à 
Dieu  ?  vous  dites  qu'ils  pouffent  les  chofes 
trop  loin.  Tâchent-ils  d'accorder  avec  la 
piété  les  devoirs  de  leur  état ,  6c  les  inté- 
rêts innocens  de  leur  fortune  ?  vous  dites 
alors  qu'ils  font  faits  comme  les  autres 
hommes  ,  ÔC  que  vous  feriez  bientôt  ua 
grand  faint,  s'il  n'en  falloit  pas  davantage; 


accordez  -  vous  donc  avec  vous  -  même. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable 
danslafévérité  avec  laquelle  vous  condam* 
nez  les  gens  de  bien,  c'eft  que  fî  un  pécheu? 
célèbre  ÔC  fcandaleux  ,  après  bien  des  dé- 
lais 6c  des  répugnances  ,  prononce  enfin 
feulement  le  nom  d'un  Dieu  qu'il  n'a  ja- 
mais connu,  ÔC  qu'il  a  toujours  blafphêmé; 
il  ne  vous  en  faut  pas  davantage  ,  vous  le 
rangez  parmi  les  Saints,  ÔC  vous  dites  qu'il 
a  fait  une  mort  chrétienne  :  vous  fauvez 
donc  l'impie  fur  les  fignes  les  plus  frivoles 
&.  les  plus  équivoques  de  la  piété  :  ÔC  vous 
damnez  le  Jufte  fur  les  marques  les  plus 
légères  de  l'humanité  6c  de  la  foibleile , 
fans  fonger  qu'il  eft  même  de  votre  intérêt 
de  ménager  les  imperfeftions  des  gens  de 
bien  ;  puifqu'eux  feuls  vous  épargnent  , 
adoucilTent  vos  défauts ,  excufentvos  fau- 
tes ;  je  n'en  dis  pas  aiïez ,  eux  feuls  font  vos 
amis  véritables  ,  eux  feuls  font  touches  de 
vos  maux  ,  &  occupés  de  votre  falut. 

III.  Partie,  he  monde  tourne  en  ridicule 
la  ferveur  &  le  ^èle  des  gens  de  bien  ,  Ô* 
cejl  une  impiété.  Oui  une  impiété  :  car 
en  effet ,  les  gens  du  monde  font  de  la  Re- 
ligion ,  un  jeu  6c  une  fcéne  comique,  fans 
penfer  que  par  ces  dérifions ,  6c  ces  cenfu- 
res ,  1°.  Ils  perfécutent  la  vertu  ,  ÔC  fe  la 
rendent  inutile  à  eux-mêmes  :  car  Dieu 
pour  les  punir  les  prive  fouvent  de  l'exem- 
ple des  gens  de  bien  ,  qui  étoit  un  moyen 
de  falut  que  fa  bonté  leur  avoit  préparé  : 
OU  bien  accoutumés  à  décrier  la  vertu,  ÔC 


<47Q  Analyfes  des  Sermons^ 

à  la  tourner  en  ridicule  ,  fi  jamais  lafles  cîif 
inonde  ils  veulent  revenir  à  Dieu  ,  le  ref- 
peâ  humain  les  arrête  ,  ils  n'ofent  plus 
changer  ni  de  mœurs  ni  de  langage. 

2^.  Par  ces  dérifîons  vous  déshonorez  la 
vertu,  6c  vous  la  rendez  inutile  aux  autres, 
qui  n'ofent  fe  déclarer  pour  la  piété  ,  par- 
ce qu'ils  craignent  de  s'expofer  à  vos  rail- 
leries profanes ,  6c  n'oppofent  en  fecret 
que  ce  feul  obftacle  à  la  voix  de  Dieu  qui 
les  appelle  :  ainfi ,  par-là  vous  anéantiifez 
le  fruit  de  TEvangile  ,  6c  rendez  notre 
miniflère  inutile. 

3°.  Par  vos  cenfures  vous  tentez  la  ver* 
tu  ,  &  la  rendez  infoutenable  à  elle-mê- 
me :  car  vos  dérifions  deviennent  l'écueil 
de  la  piété  même  des  Juftes  ;  vous  ébran- 
lez leur  foi  ,  vous  découragez  leur  zèle , 
vous  fufpendez  leurs  bons  défirs  ;  ôc  par- 
là  vous  privez  TEglife  de  l'édification  de 
leurs  exemples  ;  les  foiblefi'es  du  fecours , 
qu'ils  y  trouveroient  ;  ÔC  les  pécheurs ,  de 
la  confufion  qui  leur  en  reviendroit:n'eft^ 
ce  pas  là  le  comble  de  l'impiété  ? 


Jînalyfes  des  Sermons»  4ft 

LE  JEUDI  DE  LA  IV.  SEMAINE. 

De  la   Mort. 

DlviSIOiV.  I.  La  mort  ejl incertaine:  VOUS 
êtes  donc  téméraire  ,  de  ne  pas  vous  en 
occuper  ,  &  de  vous  y  laijjcr  furprendre. 
II.  La  mort  ejl  certaine  ,  vous  êtes  donc  in^ 
fenfé  d^en  craindre  le  fouvenir  ,   &  vous  ns 
devei  jamais  la  perdre  de  vue. 

I.  Partie.  La  mort  ejî  incertaine  :  pen* 
fil'y  donc  ,  puifque  vous  ne  fave^  à  quelle 
heure  elle   arrivera.   Cependant  c'eft   fon 
incertitude    même  qui  fait  que  nous  n'y 
penfons  pas  :  or ,  je  dis  que  c'efl-là  de  tou- 
tes les  difpofîtions  la  pljs  téméraire  &  la 
moins  fenfée.  En  effet ,  un  malheur   qui 
peut  arriver  chaque  jour ,  eil-il  plus  à  mé- 
prifer  qu'un  autre  qui  ne  vous  ménaceroit 
qu'au  bout  d'un  certain  nombre  d'années  ? 
Quoi  !  parce  que  le  péril  eft  toujours  pré- 
fent ,  l'attention  feroit  moins  nécelTaire  ? 
ce  devroit  être  tout  le  contraire.  AufTi ,  le 
grand  motif  dont  Jefus-Chrift  s'eft  fervi 
pour  nous  exhorter  à  veiller  fans  celle  , 
c'eft  l'incertitude  du  dernier  jour.  Il  n'eft 
point  en  eiFet  de  motif  plus  preilant  que 
celui-là:  car  fi  la  mort  vue  de  loin,  mais 
à  un  point  sûr  ôc  marqué ,  nous  efFrayeroit 
nous  détacheroit  dn  monde ,  nous   occu- 
peroit  fans  ceflje;  fon  incertitude  ,  fi  nous 


^ft  j^natyjh  des  Sermons'! 
étions  fages ,  devroit  faire  fur  nous  des  îm» 
prefîîons  infiniment  plus  fortes.  Remar- 
quez en  effet  que  cette  incertitude  eft  ac- 
compagnée de  toutes  les  circonftances  les 
plus  capables  d'allarmer ,  ou  du  moins  , 
d*occuper  un  homme  fage. 

i°.La  furprife  de  ce  dernier  jour  que 
vous  avez. à  craindre,  n'eft  pas  un  accident 
rare  ;  c'eft  un  malheur  familier  :  il  n'eft 
pas  de.  jour  qui  ne  vous  en  fournilTe  des 
exemples  ,  puifque  prefque  tous  les  hom- 
mes font  furpris  de  la  mort. 

2^.  Si  cette  incertitude  ne  rouloit  que  fur 
rheure ,  fur  le  lieu  ,  ou  fur  le  genre  de  vo- 
tre mort  ;  elle  ne  paroîtroit  pas  Ci  affreu- 
fe  ;  mais  ce  qu'il  y  a  ici  de  terrible  ,  c'efl 
qu'il  eft  incertain  ,  fi  vous  mourrez  dans  le 
Seigneur  ou  dans  votre  péché  :  la  mort 
feule  vous  découvrira  ce  fecret  ;  6c  dans 
cette  incertitude  vous  êtes  tranquille  ? 

3°.  Dans  toutes  les  autres  incertitudes , 
ou  le  nombre  de  ceux  qui  partagent  avec 
nous  les  mêmes  périls  peut  nous  raffurer, 
ou  des  reflburces  dont  nous  pouvons  nous 
flâter  ,  nous  laifi^ent  plus  tranquilles ,  ou 
enfin  ,  tout  au  pis ,  la  furprife  n'efl  qu'une 
înftruâ:ion  pour  l'avenir.  Mais  dans  l'incer- 
titude terrible  de  la  mort ,  rien  de  cela  ne 
s'y  trouve  ;  ôc  fur-tout  la  furprife  eft  fans 
retour, parce  que  nous  ne  mourons  qu'une 
fois  ;  &:  cependant  nous  ne  fommes  point 
allarmés  ! 

Mais ,  fur  quoi  donc  pouvez-vous  jufti- 
fier  cet  oubli  in  comprénenfîble  dans  lequel 

vous 


Analyjïs  des  Sermon  fi  47? 

vous  vivez  de  votre  dernier  jour  ?  Sur  la 
jeunelTe  ?  mais  la  mort  refpecte-t'elle  les 
âges  non  plus  que  les  rangs  ?  fur  la  force 
du  tempérament  ?  mais  qu'eft-ce  que  la 
fanté  la  mieux  établie  ?  une  étincelle  qu'un 
fouffle  éteint.  Après  tout  ,  prolongez  vos 
jours  au-delà  même  de  vos  efpérances  ;  ce 
qui  doit  finir  peut-il  vous  paroitre  lon-g. 

Tirons  les  conféquences  naturelles  de 
rincertitude  delà  m.ort  :  la  première  ,  c'efl 
que  la  mort  étant  incertaine  ^  c'eft  une  fo- 
lie de  s'attacher  à  ce  qui  doit  pailer  en  ua 
înftant  ;  la  féconde ,  c'eft  que  nous  devons 
donc  mourir  chaque  jour  ,  Sc  ne  nous  per- 
mettre aucune  aéîion  dans  laquelle  nous 
ne  vauluiîions  point  être  furpris;^  la  troi- 
lième  ,  c'eft  que  nous  ne  devons  pas  dif- 
férer notre  pénitence.  Voilà  les  réflexions 
fages  Se  naturelles  où  doit  nous  conduire 
l'incertitude  de  notre  dernière  heure. 

II.  Partie.  La  mon  ejl  certaim-pen- 
fi^-y  donc  ,  parce  quelle  doit  arriver*  Rien 
ne  nous  effraye  tant  que  ce  qui  nous  rap- 
pelle lefo-uvenir  de  la  mort;  aufli  eft-ce  ce 
que  nous  fuyons  avec  le  plus  de  foin.  Mais 
fi  ces  frayeurs  étoient  pardonnables  à  des 
Payens  ,  on  doit  être  furpris  que  la  mort 
foit  terrible  à  des  Chrétiens  ,  6c  que  la 
terreur  de  cette  image  leur  ferve  même  de: 
prétexte  pour  l'éloigner  de  leur  penfée. 

Car,  i*^.  Je  veux  que  vous  ayezraifon  de: 
craindre  la  mort:  mais puifqu'elle  efl  cer- 
taine^ je  ne  comprends  pas  que  parce  qu'eî- 
ie.vou5  p^roît  terrtblej^vauâae^  deviez  ga$ 


474  Analyfes  ies  Sermons. 
vous  en  occuper  5c  la  prévenir  ;  an  con» 
traire,  plus  le  malheur  dont  vous  êtes  me* 
iiacé  elt  affreux  ,  plus  vous  devez  ne  pas 
le  perdre  de  vue ,  &  prendre  fans  ccffe 
des  mefures  pour  n'en  être  pas  furpris. 
2°.  Si  en  éloignant  cette  penfée  ,  vous 
pouviez  au0i  éloigner  la  mort,vos  frayeurs 
auroient  du  moins  une  excufe  :  mais  pen- 
fez-y ,  n'y  penfez  pas ,  la  mort  avance  tou- 
jours. Que  gagnez-vous  donc  en  détour- 
nant votre  e^rit  de  cette  penfée  ?  vous 
vous  rendez  la  furprife  inévitable. 

3^.  Quand  cette  penfée  feroit  fur  vous 
des  impreffions  de  frayeur  5c  de  trifteffe^ 
où  feroit  l'inconvénient  ?  vous  n'êtes  pas 
fur  la  terre  pour  ne  vous  y  occuper  que 
d'images  douces  ÔC  riantes. 

Mais ,  dites-vous ,  fi  on  penfoit  tout  de 
bon  à  la  mort  ,  on  en  perdroit  la  raifon. 
Mais  tant  d'ames  fidèles  qui  mêlent  cette 
penfée  à  toutes  leurs  a£^ions  ,  en  ont-elles 
perdu  la  raifon  ?  Vous  en  perdriez  cette 
raifon  fauife  ,  mondaine  ,  orguelUeufe  , 
charnelle  ,  qui  vaus  féduit  ;  mais  vous  y 
acquerriez  la  véritable  fagelîe  y  puifque 
cette  penfée  vous  apprendroit  à  regarder 
le  monde  comme  un  exil ,  les  plaifirs  com- 
me une  ivreile  ,  le  péché  comme  le  plus 
grand  des  maux ,  les  honneurs  5c  la  for- 
tune comme  des  fonges ,  le  falut  comme 
la  grap.de  ÔC  unique  affaire. 

Mais  ^  ajoutez-vous  ^  cette  penfée ,  i  on 
rapprofoiidilToit  >  feroit  capable  de  faire 
tout  quittera  &  de  jettei  daû&  des  iHoki-^, 


Analyfès  des  Sermons'*  475 
tîons  violentes  &  extrêmes.  C'eft-à-dire  , 
elle  feroit  capable  de  vous  détacher-  du 
monde  ,  de  vos  vices  ,  de  vos  paillons , 
pour  vous  faire  mener  une  vie  chrétienne 
leule  digne  de  la  raifon  :  voilà  ce  qu^on 
appelle  des  réfolutions  violentes  ôc  extrê- 
mes. D'ailleurs  ,  ne  craignez  rien  ;  quand 
vous  iriez  d'abord  trop  loin  ,  les  premiers 
tranfports  fe  rallentiront  bientôt  :  prenez 
feulement  des  m.euires  contre  la  tiédeur  ÔC 
le  relâchement  :  voilà,  indolent  6c  fenfuel 
comime  vous  êtes  ,  le  ieid  écueil  que  vous 
avez  à  craindre.  Outre  cela  ,  quelle  iilu> 
fion  ?  de  peur  de  faire  trop  pour  Dieu ,  on 
ne  fait  rien  du  tout;  tandis  qu'on  ne  trouve 
jamais  rien  de  trop  pour  le  monde. 

4°.  C'eii:  à  vous  une  ingratitude  crimi- 
nelle envers  Dieu ,  d'éloigner  la  penfée  de 
la  mort ,  feulement  parce  qu'elle  vous 
trouble  5c  vous  allarme  :  cette  imprefîîon 
de  crainte  ÔC  de  terreur  ,  eft  une  grâce 
iinguliére  dont  Dieu  vous  favorife ,  tandis 
qu'il  la  refufe  à  tant  d'autres  :  c'eft  par  la 
penfée  de  la  mort  qu'il  veut  vous  ramener 
à  lui  j  c'eit  à  ce  remède  que  votre  falut  pa- 
roit  attaché.  Tremblez  plutôt  que  votre 
cœur  ne  fe  raffure  contre  ces  frayeurs  fa- 
lutaires ,  6c  que  Dieu  ne  retire  de  vous  ce 
moyen  de  falut  :  ainiî ,  mettez  à  profit  pour 
le  règlement  de  vos  mœurs  cette  fenfibili- 
té ,  tandis  que  Dieu  vous  la  lailTe  encore, 
5^.  Remontez  à  la  fource  de  ces  frayeurs 
cxcefTives,  qui  vous  rendent  l'image  ôC  la 
'  penfée  de  la  mort  fi  terrible  ;  vous  la  UOU' 

Rr  2. 


476  y^naly/es  des  Sermons-», 

verez  furtout  dans  les  embarras  d'une  cont 
cience  criminelle.  Ce  n'eft  pas  la  mort^. 
que  vous  craignez ,  c'eft  la  juftice  de  Dieu. 
qui  vous  attend  au-delà  :  purifiez  donc  vo- 
tre  confcience  ,  alors  vous  verrez  arriver 
ce  dernier  moment  avec  moins  de  crainte 
&  de  faififTement.  En  effet ,  qu'a  la  mort 
d'effrayant  pour  une  ame  jufte  ?  elle  ne  lui 
ôte   que  des  chofes  dont  l'ufage  eft  envi- 
ronné de   plaifirs   fouvent  criminels  ,  ôC 
quelle  ne  pouvoit  conferver  long-tems  ,. 
éc  elle  lui  rend  des  biens  immuables  ,  SC. 
des  plaifirs  éternels,  quelle  goûtera  fans 
crainte  5c  fans  remords.  Auiîi  la  mort  eft, 
îe  point  de  viie  ÔC  la  feule  confolation  qui 
foutient  la  fidélité  des  Juftes  :  arrivés  à. 
cet  heureux  moment ,  ils  voyent  fans  re- 
gret  périr  un   monde   qui  ne  leur  avoit 
jamais  paru  qu'un  amas  de  fumée  ,&:  qu'ils 
n'avoient  jamiais  aimé. 


LE  FEND.  DE  LA  IF.  SEMAINE.. 

Homélie,  fur  V Evangile  de  Laiare.. 

DIVISION.  Trois.  Réflexions  renferme- 
ront toute  Œijloire  de  notre  Evangde^ 
I.  Combien  ufl  affreux  &  déplorable  l  et at^ 
d'une  ame  qui  vit  dans  Vkabitude  du  dèj or- 
dre. II.  ?ar  quels  moyens  elle  en  peut  for  tir.. 
III.  Quels  font  les  motifs  qui  déterminent^ 
JesuS-ChRIST  k  opérer  h  rruracle  de  j^ 
réfurreâiQn  6  i^  A  délinansi^^ 


'yfnatyfes  des  Sermons.  477 

I.  Réflexion.  Combien  ejl  affreux  & 
déplorable  fétat  dune  ami  qui  vit  dans 
r habitude  du   défordre» 

1°.  Lazare  devenu  déjà  un  amas  de  vers 
&  de  pourriture  ,  répand  rinfe(^ion  5c  la 
puanteur  :  Jam  fœtet  ;  &.  voilà  la  profonde 
corruption  d'une  ame  dans  le  péché  d'ha- 
bitude. Car  il  n'eft  pas  d'image  plus  natu- 
relle d'une  ame  qui  croupit  dans  ledéfor- 
dre  ,  que  celle  d\in  cadavre  déjà  en  proie 
aux  vers  ÔC  à  la  pourriture.  Or  la  mort 
produit  deux  effets  fur  le  corps  ou  elle 
s'attache  :  elle  le  prive  de  la  vie;  elle  ahére 
enfuite  tous  fes  traits ,  8c  corrompt  toiis  fes 
membres.  Elle  le  prive  de  la  vie  ;  &:  c'eft 
par- là  que  le  péché  commence  à  défigurer 
la  beauté  de  l'ame  :  car  Dieu  eft  la  vie  de 
nos  âmes ,  la  lumière  de  nos  efprits  ,  le 
mouvement,  pour  ainfi  dire,  de  nos  cœurs;, 
cr,  par  un  feul  péché  ,  cette  vie  ,  ceffe  j. 
cette  lumière  s'éteint ,  cet  efprit  fe  retire, 
tous  ces  mouvemens  font  fufpendus-. 

Ainfi  l'ame  fans  Dieu  ,  eft  une  ame  fans 
vie  :  mais  l'habitude  du  péché  ,  qui  eft  une 
mort  invétérée  ,.  va.  plus  loin.  Lazare  ré- 
pend rinfeftion  dans  le  tombeau  ,.  parce 
qu'il  y  eft  depuis  quatre  jours  :  Jam  fœtet  ^. 
quatriduanus  eft  enim.  Le  premier  péché 
en  nous  faifant  perdre  la  grâce  ,  nous  lailTe 
à  la  vérité  fans  vie  aux  yeux  de  Dieu  ;  on 
peut  dire  néanmoins  qu'il  nous  refte  encore 
certaines  femences  de  vie  fpirituelle  ,  cer- 
toines  facilités  à  recouvrer  la  grâce  perduer 
aaaiî  àmefur.e  ^iierame  gerJÈvére-  daos  îg. 


47?  Analyfcs  des  Sermonf, 

crime  ,  tout  s'éteint,  tout  fe  corrompt  Qti 
elle ,  la  corruption  devient  univerfelle  ÔC 
change  en  un  fpedacle  d'horreur  ÔC  les 
dons  de  la  grâce  ,  &C  les  dons  de  la  nature. 

Mais  comme  un  cadavre  ne  fauroit  être 
long-tems  caché  ,  fans  qu'une  odeur  de 
mort  fe  répande  à  l'entour  ,  on  ne  peut 
croupir  long-tems  dans  le  défordre  fans 
que  l'odeur  d'une  mauvaife  vie  ne  fe  faile 
bientôt  fentir  :  ainfi  la  corruption  ne  fe 
borne  pas  au  pécheur  tout  feul  :  or  fes  ex- 
cès venant  à  être  connus ,  fervent  de  mo- 
dèle en  mille  lieux  ,  &  le  fpe£i:acle  de  fes 
mœurs  ralTure  peut-être  en  fecret  ,  des 
confciences  que  le  crime  troubloit  encore, 
Nous  ajoutons,  il  nous  l'olions ,  que  la 
corruption  que  l'habitude  du  crime  met 
dans  tout  l'intérieur  du  pécheur  efl  fi  uni' 
verfellc,  qu'elle  infede  fon  corps  même. 

2"^.  Un  voile  lugubre  couvre  les  yeux  ÔC 
le  vifage  de  Lazare  :  Et  faciès  ejus  fudario 
erat  ligata  ;  Sc  voilà  l'aveuglement  funefte 
d'une  ame  dans  le  péché  d'habitude.  J'a- 
voue que  tout  péché  eft  une  erreur  qui  nous 
fuit  prendre  les  faux  biens  pour  le  bien  véri- 
table ;  cependant  une  première  chiite  n'é- 
teint pas  tout-à-fait  nos  lumières  :  mais  à 
mefure  que  le  péché  dégénère  en  habitude^ 
la  lumière  de  Dieu  fe  retire ,  les  ténèbres 
croilTent,  Sc  arrive  enfin  la  nuit  profonde  , 
&.  l'aveuglement  entier;  alors  tout  devient 
une  Qccafion  d'erreur  à  l'ame  criminelle  , 
parce  que  tout  change  de  face  à  fes  yeux^ 

j*^.  Lazare  paroit  dans  le  lambeau  ^  les 


Analyfes  êes  Sermons.  479 

mains  &  les  pieds  liés  :  Ligatus  peies  & 
manus  injlltis  ;  &  voilà  la  trifte  fervitude 
d'une  ame  dans  le  péché  d'habitude.  Le 
inonde  a  beau  décrier  la  vie  chrétienne 
comme  une  vie  d'affujettiffement  6c  de 
fervitude  ,  le  régne  de  la  juftice  eft  un 
régne  de  liberté  ;  parce  quel'ame  fidèle  ôC 
foumife  à  Dieu  devient  indépendante  ,  SC 
même  maîtrefle  de  toutes  les  créatures  :  le 
pécheur  ,  au  contraire ,  quoiqu'il  paroiÏÏe 
vivre  fans  joug  ÔC  fans  régie ,  n'ell  pour*, 
tant  qu'un  vil  efclave,  dépendant  de  tout, 
de  fon  corps ,  de  fes  paillons  ,  de  fes  biens, 
de  (^s  amis ,  de  fes  ennemis>&Cc.  D'abord, 
la  paiTion  ménage  encore ,  pour  ainfi  dire, 
la  liberté  du  cœur  ;  mais  dès  qu'une  fois 
elle  fe  fent  maîtreiTe,  combien  nous  fait- 
elle  fentir  tout  le  poids  6c  toute  l'amertume 
de  notre  fervitude  :  fervitude  honteufe  par 
rafTujettiiTement  de  l'ame  déréglée  aux 
fens ,  par  l'indignité  des  démarches  que  la 
force  de  la  pallion  obtient  d'elle  ;  par  le 
facrifice  des  devoirs  les  plus  importans  à 
la  palTion  injufte  ;  par  l'avililTement  &.  le 
mépris  public  qu'attire  toujours  une  vie 
déréglée ,  ÔCc. 

On  fe  plaint  quelquefois  des  rigueurs 
de  la  vertu  ,  ÔC  l'ont  craint  la  vie  chré- 
tienne comme  une  vie  d'alfujettillement  ôC 
de  triflelTe  ;  mais  on  conviendrait  qu'il  ne 
s'y  trouve  rien  de  fi  trifte  que  ce  que  l'on 
éprouve  dans  le  dcfordre  ,  d  l'an  ofoit  fe 
plaindre  de  l'am  rtumQ  SC  dek  tyrannie 
de  fës  pâiliQn^ 


4^0  y^naïyfes  des  Sermons. 

II.  Réflexion.  Far  quels  moyens  Camt 
peuc  fortir  de  l'habitude  au  defordre. 

Le  premier  moyen  ,  c'ell  la  confiance  en 
Jes us-Christ.  Si  vous  avu{  été  ici  ,  dit 
une  des  Sœurs  de  Lazare  au  Sauveur,  mon 
frère  ru  fer  oit  pas  rrtort  ;  mais  Je  Jais  que 
tout  ce  que  vous  demander s^  à  Dieu  ,  Dieu 
^^ous  ^accordera»  AuiTi  rillufîion  dont  le 
démon  fe  fert  tous  les  jours ,  pour  rendre 
inutiles  nos  déilrs  de  converiion  ,  c'eft  de 
Dous  jetter  dans  la  déiîan-ce  6c  le  découra- 
gement :  8c  là-delTus  on  s'al>andanne  à  la. 
pareile  6c  à  l'indolence  ;  5c  après  avoir  ir- 
rité la  JLîftic^  de  Dieu  par  nos  égaremens, 
nous  outrageons  fa  miféricorde  par  l'excès 
de  notre  défiance.  Ce  n'eft  pas  que  je  pré- 
tende qu'il  n'en  coûte  à  une  ame  depuis 
long-tem-s  morte  dans  le  péchi,  pour  re- 
venir à  Dieu  :  mais  je  dis  que  fcs  miféres 
doivent  augmenter  fa  compond^ion  ,  6C 
non  pas  fon  découragement;  ÔC  que  la  pre- 
mière démarche  de  fa  pénitence  doit  être 
d'adorer  Jefiîs-Chrill:  comme  la  rèfurrec 
tion  &  la  vie  ,  avec  une  confiance  le- 
erette  que  nos  miféres  font  toujours  moin^ 
dres  que  fes  miiericordes.  En  effet ,  queliie- 
que  puiiTc  être  l'horreur  de  vos  crimes  paf- 
fés  ,  il  eft  à  croire  que  le  Seigneur  n'eil  pas 
éloigné  de  vous  faire  grâce,  dès  qu'il  vous 
infpire  le  défir  ÔC  la  rt^folution  de  la  de- 
mander :  c'eftdonc  à  tort  que  l'état  de  vo- 
tre confcience  vous  décourage, 6c  que  vous^ 
V0U5  perfuadez  qaec'eft  fait  de  vous  fans 
îeilource.  Je  vous  répouàs  coisme  îa-inejre: 


Analyses  des  SermonS'  45^ 

de  Samfon  à  fon  mari  :  Si  le  Seigneur  voij. 
loit  vous  perdre ,  il  ne  feroit  pas  defcen- 
dre  le  feu  du  ciel  fur  votre  cœur  :  s'il  vou- 
loit  vous  laiffer  mourir  dans  l'aveuglement 
de  vos  paffious ,  il  ne  vous  montreroit  pas 
les  vérités  du  falut  :  il  ne  vous  les  mettroit 
pas  dans  un  jour  qui  vous  éclaire  6c  qui  vous 
trouble.  Dieu  veut  toujours  le  falut  de  fa 
créature  ;  dès  que  nous  voulons  retourner 
a  lui ,  ne  nous  défions  que  de  notre  volonté. 
D'ailleurs ,  8c  ceci  doit  bien  nous  ralTu- 
rer;  que  favez-vous  fi  Jefus-Chrift  n'a 
pas  permis  que  vous  tombaflîez  dans  cet 
état  déplorable ,  pour  faire  du  prodige  de 
votre  converiion  un  attrait  pour  la  con ver- 
lion  de  vos  frères ,  &  pour  manifefter  fa 
gloire. 

Second  Moyen.  L'éloignement  des  occa-' 
«ions  qui  mettent  un  obftacle  invincible  à 
notre  refurredion  &  à  notre  délivrance  ; 
obftacles  figures  par  la  pierre  qui  fermoit 
1  entrée  du  tombeau  de  Lazare..  &  que  Je- 
fus  -  Chnft  commande  qu'^n  Ôte  avant 
de  le  reTufciter  :  ToIHh  UpO..^. 

Et  voila  pourquoi  i^^  deVécheurspaf- 
fent  tnftement  leur  vie  à  âétefler  leurs 
Chaînes  .  8c  a  ne  pouvoir  parvenir  à  lés 
romore  ;  c  eft  qu  en  prenant  des  mefureî 
de  diangement ,  ds  ne  prenn^^  pas  de  ces 
tnefures  qui  éloignent  les  pénis  par  l'éloi- 
gnement des  occafions  :  c'etf  une  erreur  de 
croire  que  le  cœur  puiffe  cAanger ,  tandis 
que  tout  ce  qui  l'environne  eleii'core  à 
°°2  '^"■'^i'  '"^'""-  C'eft  donc  une  pu? 


4Sz  Analyfes  des  Sermons» 

re  illufîon  de  venir  nous  dire  que  vous  ne 
manquez  pas  de  bonne  volonté  ,  mais  que 
le  moment  n'eft  pas  encore  venu.  Com- 
ment peut-il  venir  au  milieu  de  tout  ce  qui 
l'éloigné  ?  &.  quelle  eft  cette  bonne  volon- 
té renfermée  au-dedans  de  vous  qui  ne 
conduit  jamais  à  rien  de  réel ,  5c  à  aucune 
démarche  férieufe  de  changement  ?  c'eft- 
à  dire  ,  que  vous  voudriez  changer  fans 
qu'il  vous  en  coûtât  rien.  Conf.mencez  par 
éloigner  toutes  ces  occafîons  fatales  à  vo- 
tre innocence  ;  ôtez  la  pierre  qui  ferme 
à  la  grâce  l'entrée  de  votre  cœur  ;  après 
cela  vous  aurez  droit  de  demander  à  Dieu 
qu'il  achevé  en  vous  fon  ouvrage. 

Troifièmc  &  dernier  Moyen.  Le  mmilte. 
re  de  l'Egiife  qui  délie  nos  liens  ;  moyen 
marqué  dans  l'Evangile  par  ces  paroles 
que  le  Sauveur  addreffe  à  fes  Apôtres  : 
Solvite  &Jinïu  abire  \  déliez-le ,  &  le  lail- 
fez  aller. 

Il  n'eft  pas  queftion  ici  de  vous  appren- 
dre que  la  rémiffion  de  nos  crimes  ne  nous 
eft  accordée  que  par  le  miniftère  de  1  fc.- 
glife  :  vous  ne  l'ignorez  pas.  Ce  que  je  dis, 
c'eft  que  comme  Jefus  -  Chrift  n  ordon- 
na à  fes  Difciples  de  délier  Lazare  qu  a- 
près  qu'il  fut  forti  entièrement  du  tom- 
beau ,  de  même  le  pécheur  d'habitude  ne 
doit  efpérer  £^'être  c}éli^  qu'en  te^montrant 
tout  entic>r  hors  du  tombeau  de  les  delor- 
dres  :  iiliut  une  manifeftation  universelle 
qui  remonte  iufqu'aux  commencemens  de 
fa  vie ,  £ans  compter  fur  les  SacremenJ 


^  Analyfes  des  Sermons,  4Î3 

qu  il  a  reçus  5c  qu'il  doit  mettre  au  nom- 
bre de  {qs  crimes  :  Premièrement  parce 
que  n'ayant  pas  eu  de  douleur  véritable 
«e  fes  fautes,  les  remèdes  de  rEglife  ,  loin 
ae  le  purifier ,  ont  achevé  de  le  fouiller. 
Secondement ,  parce  que  ne  s'étant  pas 
connu  ,  il  n'a  pu  fe  faire  connoître.  Troi- 
sièmement ,  parce  que  quand  même  il  fe 
jeroit  connu  ,  comme  il  n'y  a  que  la  dou- 
leur qui  fâche  s'expliquer  comme  il  faut  , 
jamais  il  ne  s'eft  fait  connoître  ,  s'iTn'a  ja- 
mais eu  de  douleur  véritable.  Et  c'eil  en 
vain  qu'il  allégueroit  les  difficultés  d'une 
telle  démarche  pour  s'en  difpen fer: les  dif- 
ficultés  nous  rebutent-elles  jamais ,  iorf- 
qu'il  s'agit  d'èclaircir  nos  affaires  ? 

III.  Re  FLEXION.  Quels  font  les  mo^ 
tifs  qui  déterminent  Jefus-Chrijî  à  opérer 
le  miracle  de  fa  réfurrcâion  &  de  fa  dé^ 
livrance. 

Le  premier  Motif  que  le  Seigneur  paroît 
Xe.propofer  dans  la  réfurrection  dp  Laza- 
re ,  e'eft  de.confoler  les  larmôs  .'k  de  ré- 
compenfer  les  prières  ÔC  la  piété  de  fes 
deux  fœurs  :  &  voilà  auffi  le  premier  ma- 
tif  qui  détermine  Jbuvent  Jefus  -  Chrifè 
à  opérer  la  converWn  d'un  grand  pécheur; 
les  larmes  5c  les  prières  des  âmes  Jude^ 
qui  la  demandent.  Comme  tout  fe  fait  pour 
les  Juftes  dans  l'Eglife  ,  dit  l'Apôtre ,  on 
peut  dire  aufîi  que  tout  fe  fait  par  eux  : 
c'elt  donc  une  efpèrance  de  couveriion 
pour  les  plus  grands  pécheurs  que  de  re. 
chercher  la  fociété  des  gens  de  bien  ,  elH< 

Ss  h 


4^4  Analyjes  des  Sermons* 

mer  leur  confiance,  &  les  intérefler  à  leur 
falut.  Il  femble  que  notre  cœur  fe  lafle 
déjà  de  fes  paflîons  ,  dès  que  nous  nous 
plaifons  avec  ceux  qui  les  condamnent.  Et 
vous  qui  autrefois,  comme  peut-être  Ma- 
rie ,  étiez  efclaves  du  monde ,  6c  qui  depuis 
touchés  de  la  grâce,  ne  bougez  plus  com- 
me elle  des  pieds  du  Sauveur ,  que  défor- 
mais un  àQs  plus  importans  devoirs  de  vo- 
tre nouvelle  vie  ,  foit  de  demander  conti- 
nuellement à  Jefus  -  Chrift  la  réfurrec- 
tion  de  vos  Frères  ,  ftc  de  lui  dire,  comme 
elle  :  Seigneur ,  celui  que  vous  aimei  ejl 
malade,  mais  que  les  pécheurs  ,  d'un  autre 
côté  ,  ne  comptent  pas  {[  fort  fur  les  priè- 
res des  gens  de  bien  ,  qu'ils  attendent  d'el- 
les feules  le  changement  de  leur  cœur ,  ôC 
le  don  de  la  pénitence  ;  ce  feroit  une  pure 
îllufion  :  les  prières  des  gens  de  bien  ren- 
dent le  Seigneur  plus  attentif  à  nos  befoins 
mais  non  pas  plus  indulgent  pour  nos  cri- 
mes. 

Le  fécond  motif.  C*eft  de  ranimer  la  tié- 
deur &  la  lâcheté  des  Juiles ,  comme  Je- 
fus-Chrift  en  relTufcitant  Lazare ,  voulut 
réveiller  la  foi  de  fes  Difciples  encore  foi- 
ble  &  languilfante.  (^udeo  propter  'Vos  , 
leur  dit-il ,  ut  credati^  En  effet  ,  il  opère 
des  converfions  foudaines  ÔC  furprenantes 
aux  yeux  de  ceux  qui  marchent  depuis  long- 
tems  dans  fes  voies ,  pour  confondre  par 
la  ferveur  5c  par  le  zèle  de  ces  âmes  de- 
puis peu  reffufcitées ,  leur  tiédeur  ôc  leur 
indolence. 


Analyfcs  des  Sermons*  4^5 

Troifième  motif  La  juftice  divine  y  mé- 
nage pour  certains  pécheurs ,  comme  pour 
ces  Juifs  incrédules  qui  furent  témoins  de 
la   réfurreftion  de  Lazare  ,  une  nouvelle 
occafion  d'endurciffement  &  d'incrédulité. 
Et  c'eft-là  en  effet  le  feul  fruit  que  la  plu- 
part des  gens  du  monde  retirent  d'ordinaire 
de  la  converfion  ,  6C  de  la  réfurreftion  fpi- 
rituelle  des  grands  pécheurs  ;  ils  ne  font 
que  s'endurcir    davantage    dans   le   mal. 
Avant  que  la  miféricorde  de  Jefus-Chrift 
eût  jette  fur  une  ame  criminelle  des  re- 
gards de  la  grâce  6c  de  falut,ils  paroilfoient 
touchés  de  fes  égaremens  ôc  de  fon  igno- 
minie ;  mais  à  peine  la   grâce  de  Jefus- 
Chrift  l'a  rappellée  à  la  vie  ;  ils  devien- 
nent les  cenfeurs  de  fa  piété  même  ,  ÔC  ils 
trouvent  dans  les  miracles  même  de  la  grâ- 
ce fi  capables  d'ouvrir  les  yeux  ,  un  nou- 
veau motif  d'aveuglement  ÔC  d'incrédulité. 


Fin  des  Analyfes* 


De  l'Imprimerie  de  C.   F.  Simon  ,   Fils  .    împrimeu 
de  la  Reine  ,   &  de  Mgr,  l'Archevêque.  1769, 


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