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Full text of "Sermons de M. Massillon, évêque de Clermont : petit-carême"

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» 


SERMONS 

D  E 

M.  MASSILLON, 


PETIT-CAREME 


SERMONS 

D  E 

M.  MASS'ILLON. 

É  V  Ê  Q  U  E 
DE     CLERMONT, 

Ci  dcvamî  Prùrs  de  VOrâtoirc, 

L'un  des  Quarante  de  l'Académie 
Françoise. 


PETIT-CAREME 


A  PARIS,  RUE  S,  JACQUES  , 

r La  Veuve  Estienne  &  Fils  ,  à  la  Vertu' 
Chez-^  E  T 

C  Jean  Hérissant  à  S.  Paul  &  à  S,  Hilaire» 

^t'd  c~crTrx  I X. 

Avec    Approbation  G"  Privikgc  du  Roî, 


PRÉFACE, 


E  s  Sermons  du  P.  Maflîllon 
j  ont  été  prêches  vingt  ans  de 
fuite ,  à  Paris  ou  à  la  Cour  ,  avec 
un  fuccès  toujours  égal.  C'eft  le 
préjugé  le  moins  équivoque  &  le 
plus  déciiif ,  en  faveur  de  ce  genre 
d'ouvrages.  Un  talent  médiocre  a 
quelquefois  lav  ogue  ;  &  tant  qu'il 
ne  fera  pas  effacé  par  un  talent 
fupérieur ,  on  le  verra  s'attirer ,  6c 
fe  conferver  même  pour  un  temps  , 
l'eftime  &  les  applaudilfemens  du 
Public.  Mais ,  réunir  en  fa  faveur , 
&  fixer  conftamment  les  fuffrages 
d'une  multitude  libre  &  indépen- 
dante ,  toujours  prête  à  fe  retirer 
dès  qu'on  ceffe  de  l'attacher  Ôc  de 

a  iij 


V)  PRÉFACE. 

lui  plaire  ,  c'eft  ce  qui  n'eft  donné 
qu'aux  génies  du  premier  ordre. 
Il  n'appartient  qu'aux  Bofïuets  , 
aux  Bourdaloues  5  &  à  ceux  qui 
leur  refleriiblent  9  d'exercer  un 
euipire  perpétuel  fur  les  efprits  & 
fur  les  coeurs. 

Nous  pouvons  donc  nous  difpen- 
1er  de  faire  ici  Féloge  des  Sermons 

du  P.  MaffiUon.  Q^'^j^"^^^^'^^^^" 
nous  à  l'approbation  conitante  & 
unanime  de  toute  la  France  /  D'ail- 
leurs ^  le  Public  s'appercevra  bien- 
tôt que  les  Sermons  que  nous  lui 
présentons',  font  dans  le  vrai  goût 
de  la  Chaire  :  c'eft  au  cœur  que 
parle  le  P.  Maffillon  ,  c'eft  le  cœur 
qu'il  aiFefte  &  qu'il  intérefle  :  or 
quiconque  a  le  fecret  d'aller  au 
cœur  5  foit  qu'on  l'écoute  ,  foit 
qu'on  le  life ,  eft  fur  de  plaire , 
éc  de  plaire  toujours. 

Ce  pathétique  qui  fait  la  princi- 
pale force  de  l'éloquence  ,  &  le 
caractère  propre  de  notre  Orateur , 


PREFACE.        vîj 

manquoit  prefqu'entiérement  à  la 
Chaire  ,  lorfque  le  miniftere  de  la 
parole  lui  fut  confié.  On  en  avoit 
heureufement  banni  tous  ces  traits 
entaflës  d^une  érudition  déplacée  ^ 
aflemblage  bizarre  du  facré  &  du 
prophane  ,  propre  à  impofer  au 
vulgaire  ignorant  ,  plus  propre 
encore  à  révolter  rhomme  fenfé. 
Mais  le  commun  des  Prédicateurs 
îgnoroit  l'art  d'intérefler  par  le  fen- 
timent  ,  quoique  de -là  dépende 
tous  les  fuccès  du  difcours  ;  & 
combien  d'autres  défauts  n'avoit-on 
pas  encore  à  leur  reprocher/  Auflî, 
lorfque  le  P.  Maflîllon  arriva  de  la 
Province ,  le  R.  P.  de  la  Tour , 
Général  de  l'Oratoire  ,  lui  deman- 
dant ce  qu'il  penfoit  des  Prédica* 
teurs  les  plus  fuivis  :  Je  leur  trouve ^ 
répondit-il,  bien  de  refpriî  &  des 
talens  :  mais  fi  je  prêche  ,  je  ne  prê- 
cherai pas  comme  eux.  Il  tint  parole, 
il  prêcha ,  &  s'ouvrit  une  route 
toute  nouvelle. 

a  iv 


vîij       PREFACE. 

Qu'on  ne  le  foupçonne  pas  néan- 
moins d'avoir  confondu  le  P.  Bour- 
daloue  avec  les  autres  Orateurs  de 
fon  temps.  Pouvoit-il  ne  pas  applau- 
dir à  ce  grand  homme ,   duquel  il 
eft  vrai  de  dire ,  comme  Quintilien 
le    difoit   de  Ciceron  :  Quil  faut 
juger  du  progrès  que  Von  a  fait  dans 
V éloquence ,   par   le  goût   que   l'on 
trouve  à  la  lecîure  dejes  Ouvrages,. 
Trop  connoiflèur  pour  s'y  me'pren- 
dre  5  à  peine  eut-il  entendu  le  P. 
Bourdaloue  ,  qu'il  l'admira  ;  &  s'il 
ne  le  prit  pas  en  tout  pour  fon 
modèle ,  c'eft  que  fon  talent  le  por- 
toic  vers  un  autre  genre  d'éloquence. 
Or  il  étoit  fortement  perfuadë  que 
pour  réuffir  en  quelque  genre  que 
ce  foit ,  Ton  doit  étudier  fon  talent, 
&  le  fuivre  ;  en  un  mot  ,  travailler 
de  génie;  que  s'attacher  fervilement 
à  .copier  la  manière   d'un  autre  , 
quelque  parfait  qu'il  foit  ,   à  moins 
que  fa  manière  ne  fe  trouve  aflbrtie 
aux  difpofitions  que  la  nature  a 


PREFACE.         ]x 

mlfes  en  nous ,  c'eft  s'expofer  à  ne 
jamais  rien  faire  qui  ait  un  certain 
feu  ,  &  ce  tour  original  qui  fait  le 
me'rite  des  bons  Ouvrages. 

Pour  la  plupart  des  autres  Pre'di- 
cateurs ,  outre  ce  défaut  d'onftion 
&  de  fentiment  que  le  P.  Maffillon 
trouvoit  à  rédire^ans  leurs  Ser- 
mons ,  il  reprochoit  à  plufieurs 
d'entrer  dans  un  trop  grand  détail 
fur  les  conditions ,  &  fur  les  mœurs 
extérieures  ,  moyen  infaillible  pour 
ennuyer  les  trois  quarts  de  fon 
Auditoire  ,  toujours  compofé  de 
perfonnes  qui  différent  toutes  entre 
elles ,  ou  par  l'âge  ,  ou  par  l'état , 
ou  par  la  condition.  Tandis  que 
vous  inftruifez  le  Magiftrat  fur  les 
devoirs  de  fa  charge  ,  devez- vous 
vous  flatter  d'attirer  l'attention  de 
tout  ce  qui  n'exerce  point  les  fonc- 
tions de  la  Magiftrature/  &  tous 
ceux  qui  ne  font  point  engagés  dans 
le  conuîierce  ,  feront- ils  curieux 
d'entendre  des  vérités  qui  n'atta- 


K  PRÉFACE. 

quent  que  les  fraudes  &  l'avarice 
des  Négocians  ?    Non  fans  doute  : 
l'intérêt  que  nous  avons  à  ce  que 
l'on  nous  dit ,   peut  feul  nous  y 
rendre  attentifs.  Cela  étant,  toutes 
les  vérités  que  le  Prédicateur  an- 
nonce ,  &  que  nous  ne  pouvons  pas 
nous  appliquer perfonnellement,  ne 
nous  intéreiTant  point ,  ce  n'eii  plus 
qu'avec  ennui  &  avec  dégoût ,  que 
nous  les  écoutons  ;  &  nous  fojjpirons 
après  la  fin  d'un  discours  qui  ne 
s'adreife  point  à  nous. 

Le  Prédicateur  doit  donc  être 
fobre  &  réfervé  dans  la  peinture 
des  mœurs  extérieures  &  des  con- 
ditions ,  s'il  defire  être  écouté 
attentivement.  Veut  -  il  attacher 
tout  fon  Auditoire  F  qu'il  attaque 
les  paflions  qui  font  les  mêmes  dans 
tous  les  hommes  ,  malgré  la  diffé- 
rence des  objets  vers  lefquels  elles 
fe  portent.  En  peignant  d'après 
nature  les  mouvemens,  les  rufes, 
îa  foupleffe  des  paffions  ^  rien  de  ce 


P  RÉ  F  A^C  F.         xf 

que  Ton  dit  ne  peut  être  étranger 
pour  aucun  de  ceux  qui  écoutent. 

Enfin  le  Père  Maflîllon  n'approu- 
voit  pas  que  Ton  s'arrêtât  fi  long- 
temps à  établir  des  vérités  que 
perfonne  n'ignore  ,  des  maximes 
générales  ,  dont  tout  le  monde 
convient  :  il  vouloit  que  l'en  s'ap- 
pliquât principalement  à  découvrir 
ces  malheureux  prétextes  que  l'a- 
mour propre  trop  ingénieux  ne 
manque  jamais  de  fuggérer  pour 
Tecouer  le  joug  de  la  loi  ;  (k  qu'après 
les  avoir  découverts  ,  l'on  en  fît 
fentir  avTC  force  toute  Tillufion. 

Il  fe  fit  donc  une  manière  de  com- 
pofer  qu'il  ne  dut  qu'à  lui-même  ; 
&  fans  autre  guide  que  fon  propre 
génie ,  &  ce  talent  original  qu'il 
avoit  reçu  de  la  nature ,  il  fut  fe 
garantir  des  défauts  qu'il  avoit  cru 
remarquer  dans  les  autres.  Chez 
lui,  rien  d'inutile  &  de  fuperflu. 
Dès  la  première  phrafe ,  fuppofànt 
les  principes ,  ou  les  établiflànt  ea 

a  vj 


3dj       PREFACE. 

deux  mots ,  il  cherche  les  raifons 
fur  lefquelles  chacun  en  particulier , 
fans  contefter  l'exiftence  de  la  loi , 
ni  la  nécefiité  de  lui  obéir  ,   fe  met 
dans  le  cas  de  la  difpenfe  ;  il  cher- 
che ces  raifons  dans  le  cœur  de  ceux 
qui  récoutent ,  dans  l'attache  à  "ces 
paflions  5  dont  les  intérêts  nous  font 
malheureufement  plus    chers   que 
notre  falut,  paflions  auxquelles  nous 
voudrions  bien  ne  pas  renoncer , 
fans  être  forcés  cependant  de  nous 
regarder  comme  infradteurs  de  la 
loi.  C'eft-là  qu'il  découvre  la  fource 
întariiTable  de  tous  ces  frivoles  pré- 
textes ,  &  de  ces  tempéramens  que 
rhomme  imagine  pour  allier  Dieu 
&  le  monde  ,  Jefus-Chrifl  &  Bélial. 
Nous  fommes  tentés  d'accorder  à 
nos  paflions   tout  ce  qu'elles  défi- 
rent 5  mais  nous  voudrions  en  mê- 
me-temps nous  mettre  à  l'abri  des 
remords  qui  viennent  empoifonner 
nos  plaifirs  :  car  pour  peu  qu'il  refte 
de  intiment  de  Religion  dans  une 


P  R  E  F  A  C  E,.      xiij 

ame  ,  le  remord,  eft  infëparable  du 
vice  ;  &  pour  calmer  les  allarmies 
d'une  confcience  qui  n'eft  pas  en- 
core endurcie  ,  il  faut  lui  perfuader 
qu'elle  n'eft  pas  coupable.  Que  fai- 
fons-nous  donc /nous  avons  recours 
à  mille  fubtilite's,  à  desfubterfuges, 
à  des  exceptions  ,  à  des  modifica- 
tions ,  qui  laiffent  fubiîfter  le  pré- 
cepte en  lui-même ,  anéantiffent 
totalement  pour  chacun  de  nous  en 
particulier  l'obligation  de  l'accom- 
plir. Ainiî  la  confcience  eft  raiTure'e 
contre  les  erreurs  de  la  loi  ;  elle 
apprend  à  ne  plus  redouter  fes 
menaces.  Que  craindroit  -  elle  en 
effet  ?  la  loi  ne  punit  que  les  pré- 
varicateurs ;  or ,  où  la  loi  cefle 
d'obliger  ,  il  n'y  a  point  de  pré- 
varication. 

Que  fait  le  P.  Maffillon  /  afin  de 
diffiper  ces  ténèbres ,  qui  pour  être 
volontaires  n'en  font  pas  moins 
épaifles  ,  il  vous  m.et  votre  propre 
coeur  fous  les  yeux ,  félon  Texpref- 


xjv       PREFACE. 

lion  du  Prophète  :  il  vous  force  de 
vous  y  voir  tel  que  vous  êtes  ,  & 
tout  autre  que  vous  ne  croyez  être, 
c'eft-à-dire  le  jouet  déplorable  de 
mille  pàfEons  qui  obfcurciffent  les 
lumières  de^  votre  efprit ,  &C  cor- 
rompent la  droiture  de  votre  coeur: 
il  vous  force  de  reconnoître  que 
ce  n'eft  pas  de  ce  fond  de  lumière 
&  de  droiture  naturelle  que  Dieu 
a  mis  en  vous ,  encore  moins  des 
lumières  de  l'Evangile ,  que  vous 
tirez  les  raifons  par  lefquelles  vous 
prétendez  être  difpenfé  de  la  loi , 
que  le  langage  que  vous  tenez  eft 
le  langage  des  pallions  ,  &  qu  elles 
feules  vous  infpirent.  Ceflez  donc 
d'être  vicieux ,  &  vous  ceiTerez 
bientôt  d'alléguer  ces  prétextes 
comme  des  raifons  décilîves.  Et 
c'eft  ici  fur  -  tout  que  triomphe 
l'éloquence  du  P.  MaffiUon,  Lorf- 
qu'après  avoir  démafqué  les  rufes 
éc  les  artifices  de  l'amour  propre  , 
il  en  montre  dans  tout  leur  jour 


PREFACE.        XV 

la  mifere  &  la  fauffeté  ;  avec  quelle 
force  &  quelle  véhémence  ne  les 
combat-il  pas  / 

C'efl  un  torrent  impétueux  qui 
renverfe  tout  ce  qu'il  rencontre  ; 
c'eft ,  pour  ainfi  dire  ,  un  déluge 
de  raifons  toutes  convainquantes  , 
toutes  intéreffantes  ,  qui  à  Fappuî 
les  unes  des  autres  ,  viennent  coup 
fur  coup  confondre  &  accabler  le 
pécheur.  Cependant  le  pécheur  ac- 
cablé &  confondu ,  n  ayant  rien  à 
répliquer,  voit  avec  étonnement 
que  le  Prédicateur  loin  d'être  épuifé , 
a  mille  traits  encore  dont  il  pour- 
roit  le  percer.  Et  ce  qui  forme  le 
caraftere  diftinûif  de  l'éloquence 
du  P.  MaffiUon  ,  c'eft  que  tous  fes 
traits  portent  droit  au  cœur  :  c'eft 
de  ce  côté- là  qu'il  dirige  toujours 
fes  coups  ;  ce  qui  eft  limpîement 
raifon  &  preuve  dans  les  autres  , 
prend  dans  fa  bouche  la  teinture 
du  fentiment  :  non  -  feulement  il 
convainc ,  mais  il  touche ,  il  remue^ 


Kvj       PREFACE. 

il  attendrit;  il  ne  fe  contente  pas  de 
vous  prouver  que  le  parti  de  la  ver- 
tu eil  le  plus  raifonnable  &  le  plus 
digne  deThomme ,  dans  fes  difcours 
la  vertu  vous  paroît  fouveraine- 
ment  aimable  ;  vous  n'y  trouvez 
que  des  douceurs  &  des  confola- 
tions  ;  vous  voudriez  déjà  être  en 
poffeffion  d'un  bien  fans  lequel 
vous  n'imaginez  plus  de  bonheur. 
H  ne  fe  borne  pas  à  faire  fentir 
rinjuftice  &  la  déraifon  diu  vice ,  il 
le  fait  trouver  difforme  ,  haïflkble  ; 
vous  ne  pouvez  plus  vous  fouffrir 
fous  l'empire  de  ce  cruel  tyran  ; 
vous  ne  l'envifagez  plus  que  comme 
l'ennemi  juré  de  votre  félicité  : 
entrant  dans  une  fainte  indignation 
contre  vous  -  même  ,  vous  vous 
trouvez  fi  aveugle  ,  fi  injufte  ,  fi 
malheureux,  que  vous  ne  voyez 
d'autre  reffource  que  de  vous  jctter 
entre  les  bras  de  la  vertu. 

Des  Sermons  compofés  dans  ce 
goût  ne  pouvoient  manquer  d'être 


PREFACE.      xvij 

pcoutésavec  une  extrême  attention. 
Chacun  fe  reconnoît  dans  ces  ta- 
bleaux vifs  &  naturels  ,  où  le  Pré- 
dicateur peint  le  cœur  humain  ,  & 
montre  les  relTorts  qui  le  font 
mouvoir  :  chacun  s'imagine  que 
c'eft  à  lui  que  le  difcours  s'adreife , 
que  rOrateur  n'en  veut  qu'à  lui  : 
de-là  l'effet  prodigieux  de  fes  inC» 
trudions.  Après  l'avoir  entendu  , 
on  ne  s'arrétoit  point  à  faire  Tëloge 
oula critique  du  Sermon;  l'Auditeur 
fe  retiroit  dans  un  morne  iilence, 
l'air  penfif ,  les  yeux  baiffe's  ,  le  re- 
cueillement fur  le  vifage ,  empor- 
tant l'éguillon  que  l'Orateur  chré- 
tien lui  avoit  l'aifle  dans  le  cœur. 
Ces  fuffrages  muets ,  valent  bien 
les  plus  grands  applaudiflemens  ; 
ceux  ci  flattent  le  Miniftre  ,  &lui 
prouvent  qu'il  a  fu  plaire  ;  ceux-là 
le  confolent  &  l'alTurent  qu'il  a 
touche'.  Auffi ,  lorfque  le  P.  Maf- 
iillon  eut  prêché  fon  premier  Avent 
à  Verfailles,  Louis  XI V^,  lui  dit  ces 


Xvîij     PREFACE. 

paroles  remarquables  :  Mon  père  y 
jai  entendu  plu/leurs  grands  Orateurs 
dans  ma  chapelle  ,  fen  ai  été  jort 
content  :  pour  vaus  ^  toutes  les  fois 
que  je  vous  ai  entendu  ,  fai  été  très^ 
mécontent  de  moi-même.  Eloge  par- 
fait ,  qui  honore  également  le  gpût 
&  la  piété  du  Monarque  &  le  talent 
du  Prédicateur. 

Le  ftyle  du  P.  MaflîUon,  quoique 
noble  &  di^ne  de  la  majelié  de  la 
Chaire  ,  n'en  eft  pas  moins  limple 
&  à  la  portée  du  peuple,  La  viva- 
cité de  fon  imagination  ne  prête  à 
fes  expreffions  ,  que  ce  qu'il  faut 
d'agrément  pour  fatisfaire  l'hom- 
me d'efp  rit,  fans  que  la  multitude 
foit  réduite  à  admirer  ce  qu'elle 
n'entend  pas. 

Ennemi  de  tout  ce  qui  relient 
Faffeftation  dans  le  ftyle  ,  il  l'étoit 
encore  plus  de  ces  penfées  qui  n'ont 
d'autre  mérite  que  le  brillant ,  qui 
ne  font  qu'amufer  l'elprit  &  le 
détourner  de  l'attention  qu'il  doit 


PREFACE.       xjx 

aux  vérités  importantes  qu'on  lui 
annonce.  Le  P.  Mafîîlion  n'offre 
par-tout  que  des  idées  grandes  & 
fublimes  qui  éievent  Famé  ,  qui 
montrent  la  Religion  fous  ce  ca- 
raûere  de  nobleffe  &  de  majefté 
qui  lui  eft  propre  ,  &  qu'elle  fem- 
ble  perdre  quelquefois ,  parcequ'on 
l'a  confiée  à  des  mains ,  qui  loin 
de  renibeilir  ,  ne  peuvent  que  la 
défigurer. 

On  croira  fans  doute  que  des 
difcours  fi  éloquens,  dans  lefquels 
il  y  a  d'autant  plus  d'art  qu'il  n'y 
paroit  rien  que  de  naturel ,  étoient 
le  fruit  d'un  travail  long  &  pénible, 
&  que  cette  belle  &  noble  fimpli- 
cité,  qui  ferefufe  fou  vent  aux  eiforts 
mêmes  des  plus  grands  hommes  , 
n'eft  pas  venue  fe  préfenter  à  lui , 
fans  qu'il  l'ait  long  -  temps  recher- 
chée :  point  du  tout.  Ces  Sermons 
ont  été  compofés  avec  une  facilité 
qui  tient  du  prodige  ;  pas  un  feuî- 
qui  ait  coûté  plus  de  dix  à  douze 


XX        PREFACE. 

jours.  Combien  de  gens ,  même  du 
métier  ,  trouveroient  que  ce  temps 
fuffiroit  à  peine  pour  en  former  & 
pour  en  bien  digérer  le  plan  /  En 
1704,  il  parut  pour  la  féconde  fois 
à  la  Cour.  Louis  XIV  après  lui 
avoir  témoigné  dans  les  termes_les 
plus  gracieux  fon  extrême  fatisfac- 
tion  ,  ajouta ,  Et  je  veux ,  mon  père , 
vous  entendre  déformais  tous  les  deux 
ans.  Sur  le  champ  le  Père  MaffiUon 
forma  le  deifein  de  ne  venir  à  Ver- 
failles  qu'avec  des  Sermons  nou- 
veaux. Il  eft  ficheux  qu'un  tel  pro- 
jet n'ait  point  eu  de  fuite.  A  n'en 
juger  que  par  cette  abondance  , 
cette  richeife  ,  cette  variété  qui  rè- 
gne dans  tout  ce  qui  eft  forti  de  fa 
plnme  ,  on  fent  qu'il  étoit  parfaite- 
ment en  état  de  l'exécuter. 

En  1718,  déjà  nommé  à  l'Eveché 
de  Cleroiont ,  il  fut  chargé  de  prê- 
cher le  Carême  devant  le  Roi,  qui 
entroit  alors>  dans  cet  âge  ,  où  la 
raifon  commence  à  fe  développer. 


PREFACE.  5rxî 
Il  crut  qu  en  cette  occalion  il  de- 
voit  prêcher  pour  le  Prince  lui- 
même  ,  &  pour  rinftruire  des  de- 
voirs de  la  Royauté.  Mais  pour  cela 
il  falloit  des  Sermons  tous  difFérens 
de  ceux  qu'il  avoit  prêche's  juf- 
qu  alors  ,  lefquels  ,  &  pour  le  fond 
des  chofes  &  pour  la  manière ,  ne 
pouvoient  convenir  à  un  jeune 
Prince  de  neuf  ans.  Il  inventa  donc, 
pour  ainfi  dire ,  un  nouveau  genre 
d'éloquence  ;  le  ftyle ,  Finflrudiion  ,' 
tout  fut  proportionné  à  l'âge  du 
jeune  Monarque.  Dans  le  ftyie,  il  y 
répandit  plus  de  vivacité  ,  plus 
d'agrémens  ,  plus  de  fleurs  ,  &  mê- 
me quelque  chofe  d'académique. 
Les  inftrudions,  dépouillées  de  la 
fécherefle  du  raifonnement ,  furent 
des  maximes  fur  les  devoirs  des 
Princes,  exprimées  en  peu  de  mots^ 
mais  préfentées  de  manière  à  faire 
une  vive  imprefîîon  fur  l'efprit  ÔC 
fur  le  cœur.  Ce  ftyle  &  cette  façoa 
d'inftruire  étoient  quelque  chofe  d^ 


xxij  PREFACE. 
tout  nouveau  pour  le  P.  MaffîHon  ; 
cependant  fîx  fernaines  fuffirent 
pour  compofer  ces  dix  Sermons  fi 
idmii  es  ,  îî  vantés ,  qui  renferment 
m  abrège'  tout  ce  qui  peut  former 
m  Prince  chéri  de  Dieu  &  des 
.lommes  ,  &  qui  furent  fouvent  in- 
terrompus ,  ou  par  les  applaudiffe- 
mens  ,  pu  par  les  larmes  de  fon 
augufte  auditoire. 

A  l'égard  de  Faction ,  cette  partie 
fî  efîentielle  à  l'Orateur  ,  ce  ne  fut 
pas  d'abord  par  cet  endroit  qu'il  fe 
fit  admirer.  Le  goût  du  temps  n'étoit 
pas  le  fien.  Il  ne  pouvoit  fouiFrir 
qu'au  lieu  de  cet  air  naturel  qui 
porte  avec  foi  la  conviftion  ,  Ton 
prît  un  certain  air  emprunté ,  &  un 
ton  de  Déclamateur ,  qui  faifant 
regarder  les  Miniftres  de  Jefus- 
Chrift  comme  des  gens  qui  ne 
montent  en  chaire  que  pour  jouer 
un  perfonnage ,  ôte  prefque  toute 
la  force  &  toute  croyance  à  leurs 
^difcours.  Il  falloit  donc  s'attendre 


PREFACE,  xxiiî 
que  l'Auditeur  ,  gâté  par  ce  goûc 
de  déclamation  prefque  générale- 
ment répandu  ,  fe  révolteroit  d'a- 
bord contre  la  manière  de  dire  du 
P.  Maflîllon  ,  dans  laquelle  aucune 
des  règles  qu'on  s'étoit  faites  ,  ne 
paroiflbit  obfervée.  Mais  comme 
il  faifoit  néanmoins  une  impreflîon 
extraordinaire  fur  les  efprits,  onfe 
rendit  bien-tôt  à  l'expérience  :  on 
ne  s'embarrafla  plus  de  ces  préten- 
dues règles  que  l'Orateur  paroiflbit 
négliger  ;  &  le  public  s'élevant  au 
deflus  des  préjugés  ,  conclut  avec 
raifon  qu'il  falloit  fans  doute  que  fà 
manière  de  dire  fût  bonne,  &  qu'elle 
fut  même  la  meilleure  ,  puifque 
nul  autre  Prédicateur  ne  faifoit  à 
beaucoup  près  ,  une  imprellîon 
aufïï  vive. 

Au  relie  il  feroit  fort  difficile  de 
faire  comprendre  à  ceux  qui  ne 
l'ont  point  entendu  ,  ce  que  c'étoit 
que  fon  aftion.  Elle  lui  étoit  telle- 
ment  propre  qu'on  peut   aflurer 


xxjv      PREFACE. 
que  comme  il  n'eut  point  de  mo- 
dèle à  fuivre,  il  n'a  point  formé 
d'ëleve  qui  l'ait  imité. 

On  le  voyoit  arriver  dans  la 
chaire  comme  un  homme  qni 
vient  de  méditer  profondément 
un  fujet.  Dès  qu'il  paroît,  fon  air 
recueilli  &  pénétré  annonce  déjà 
la  grandeur  &  l'importance  des 
vérités  dont  il  va  vous  entretenir. 
Il  n'a  pas  ouvert  la  bouche  ,  ÔC 
l'auditoire  eft  faifi.  Il  parle  enfin  , 
mais  ce  n'eft  pas  comme  un  Ora- 
teur qui  vient  débiter  avec  art  un 
difcours  dont  il  a  chargé  fa  mé- 
moire. Tout  coule  de  fource.  II 
parle  de  l'abondance  du  cœur,  ne 
pouvant  contenir  au  dedant  de  lui 
les  vérités  dont  il  eft  plein.  Un  feu 
intérieur  le  dévore  ,  il  faut  qu'il 
lui  ouvre  une  ilTue ,  &  qu'il  le  laif. 
fe  éclater  au- dehors.  Aufli  rien  en 
lui  qui  ne  foit  animé  ,  tout  parle  » 
tout  perfuade  ,  tout  remue  ,  tout 
tattendrit,  tout  porte  dans  famé  la 

conviftioiî 


PREFACE,      xx^ 

convidtion  &  le  fentiment  ;  ÔC  cela 
n'étoit  point  du  tout  un  effet  de 
Fart  dans  le  P.  MailiUon.  C'e'toit  un 
talent  naturel,  qui  lui  faifoit  expri- 
mer &  dire  les  chofes  avec  force 
&  vivacité ,  parcequ  il  les  fentoits 
de  même. 

11  faifoit  donc  proprement  con- 
fifler  tout  le  mérite  de  Taftion  ,  à 
paroitre  bien  pénétré  lui-même 
des  vérités  dont  il  vouloit  con- 
vaincre fes  Auditeurs.  Jamais  per- 
fonne  n'a  porté  ce  talent  plus  loin 
que  le  Père  MaffiUon  :  c'eft  le  té- 
moignage que  le  Public  en  a  ren- 
du ,  &  réloge  qu'en  ont  fait  toutes 
les  perfonnes  de  goût.  Seroit-il  per- 
mis de  rapporter  à  ce  fujet  un  trait 
remarquable  par  fa  fingularité ,  ôc 
qui  nous  échappe  ?  L'Afteur  le 
plus  parfiit  qu'ait  eu  le  Théâtre 
François  voulut  l'entendre  :  il  fut 
frappé  du  vrai  qu'il  trouva  dans 
fa  manière  de  prononcer  ,  &  dit  à 
un   autre  Afteur  qui  l'avoit  ac- 

b 


Kxvj      PREFACE. 

compagne  ;  Mon  ami  ,  voilà  un 
Orateur  ,  &  nous  ,  nous  ne  fommes 
que  des  Comédiens, 

11  n'eft  pas  befoin  d'avertir  le  Pu- 
blic que  c  eft  ici  la  première  édi- 
tion des  Sermons  du  P.  Maffillon.  II 
eft  vrai  qu'on  imprima  fous  fon 
nom  ,  il  y  a  près  de  quarante  ans , 
quatre  ou  cinq  petits  volumes  ; 
mais  plus  de  la  moitié  des  Sermons 
que  renferme  ce  Recueil ,  font  de 
diiférens  Prédicateurs ,  dont  quel- 
ques -  uns  même  ont  revendiqué 
publiquement  ce  qui  leur  appar- 
tenoit ,  entr'autres ,  feu  M.  Poncet 
de  la  Rivière  Evêque  d'Angers. 
L'Edition  du  P.  Bretonneau  vient 
d'en  réclamer  trois  qu'il  a  ,  dit-  il , 
trouvés  dans  le  Manufcrit  de  ce 
Prédicateur  ,  &  que  nous  ne  trou- 
vons point  en  effet  dans  celui  du 
P,  Maffillon.  Pour  les  autres  dont 
les  Auteurs  ne  nous  font  point 
connus  ,  en  attendanr  que  quel- 
qu'un veuille  les  adopter ,  ils  ne 


PREFACE,    xxviî 

jouiront  pas  fans  doute  plus  long- 
temps de  la  réputation  que  leur 
donnoit  une  origine  Hippofëe. 

A  regard  d'une  vingtaine  de  Ser- 
mons que  l'on  pourroit  appeller  avec 
un  peu  plus  de  fondement,  Sermons 
du  P.  Maflllion  ,  qu'on  prenne  la 
peine  de  les  confronter  avec  l'Ori- 
ginal que  nous  donnons  aujourd'hui  ^ 
la  diffe'rence  eft  palpable  ;  iî  l'on  y 
trouve  quelques  traits  de  reflem- 
blance  ,  c'eft  celle  qui  peut  fe  trou- 
ver entre  un  fquelette  ,  &  Un  corps 
vivant  plein  de  fuc  &  d'embon- 
point ;  entre  un  original  de  Mi- 
chel Ange  ,  &  la  copie  de  ce  même 
tableau  f  iite  par  quelque  apprentif 
fans  talent. 

On  retrouve  dans  ces  pièces  in- 
formes des  lambeaux  du  P.  Maffil- 
Ion  ,  &  même  dans  quelques- une$ 
d'afles  longs  morceaux  de  fes  véri- 
tables Sermons.  Mais  quelle  com- 
paraifon  entre  un  mauvais  aflbrti- 
ment  de  lambeaux  coufus  enfemble 

b  ij 


sacviij  PREFACE. 
par  un  copifte  qui  d'ordinaire,  pôuf 
ne  rien  dire  de  pis  ,  n'eft  pas  un 
homme  de  métier ,  &  un  diicours 
tel  qu'il  fort  des  mains  d'un  il 
grand  maître. 

D'ailleurs,  notre  Edition  contient 
près  de  cent  Sermons ,  dont  plu- 
lieurs  même  n'ont  jamais  été  pro- 
noncés. Oa  y  trouve  un  Avent,  & 
un  Carême  complet ,  fans  compter 
le    Petit  -  Carême    qu'il    compofa 
pour  le  Roi  en   171 8.  Nous  don- 
nons au-ffi  plufieurs  Oraifons  funè- 
bres, plufieurs  Difcours  &  Panégy- 
riques qui  n'ont  jamais  vu  le  jour , 
les     Conférences     Eccléfiaftiques 
qu'il  fit  dans  le  Séminaire  S.  Ma- 
gloire  en   arrivant  à  Paris  ,  celles 
qu'il  a  fcites  à  fes  Curés   pendant 
fon  Epifcopat  ;   les   Difcours  qu'il 
prononçoit  à  la  tête  des  Synodes 
qu'il  aflembloit  tous  les  ans  :  nous 
donnons  enfin  un  Ouvrage  auquel 
il  a  confacré  pendant  quelques  an- 
nées toutes  les  heures  de  loifir  que 


P  R  E  F  A  C  E.  xxjH 
fui  laiflbient  les  fondions  Epifco- 
pales.  Ce  font  des  Paraphrafes  fur 
une  Partie  des  Pfeaumes.  Ce  qu'on 
peut  dire  de  ces  différentes  pièces  , 
c  eft  qu  elles  font  toutes  frappées- 
au  coin  de  FAuteur.  Le  rrjême  goût: 
règne  par-tout.  Toujours  même- 
élévation  &  même  nobleïTe ,  foit 
dans  le  ftyle ,  foit  dans  les  penféesi: 
toujours  ce  pathétique  qui  enlevé  ^ 
toujours  ces  peintures  du  cœur 
huinain  fi  vraies  &  fi  ititérefïantes;,, 
La  Cour  fe  fouvient  encore  des^ 
applaudiflemens  qu'elle  donna  au 
Petit-Caréme.  Les  conférences  Ec- 
cléfiaftiques  commencèrent  à  lui 
faire  la  réputation  :  fes  Sermons  I^ 
portèrent  à  ce  haut  degré  dans  le* 
quel  elle  s'eft  foutenue  jufqu'à  ïw 
fin  :  fes  Oraifons  Synodales  ont 
plus  d'une  fois  attendri  les  Curés 
jufques  aux  larmes  :  &  nous  ne 
craignons  point  d'affurrr  que  le 
Public  regrettera  qu'il  n'ait  pas-; 
a^heyé  ce  qu'il  avoit  commencié 


îtxx      PREFACE. 

fur  les  Pfeaumes  ;  il  n  eft  peut-être 
point  d'Ouvrage  où  foient  mieux 
développe's  les  mouvemens  d'un 
cœur  qui  gémit  fur  fes  ëgaremens 
;pai3rés  ,  &  qui  défabufë  du  monde 
&  des  faux  biens  ,  reconnoît  enfin^ 
que  n'ayant  été  créé  que  pour 
Dieu  5  il  ne  peut  trouver  qu'en  I3ieu 
-fa  cônfolation  &  fon  bonheur. 

Voici  donc  un  Recueil  exaft  & 

lidele  des  Ouvrages  du  P.  Maflil- 

îon  5  tels  qu'il  avoit  pris  la  peine 

de  les  revoir ,  de  les  corriger  &  de 

les  copier  une  féconde  fois  de  fa 

.propre  main.  Que  nous  refte-t-il  à 

defirer  ,  linon  que  le  cœur  s'ouvrjî 

aux  faintes   vérités   fi  dignement 

établies  dans  ces  Difcours  ,  &  qu'ils 

.opèrent  fur  ceux  qui  les  liront  , 

les  mêmes  effets  de  grâce  &  de 

,  converfîon  qu'ont  fouvent  reffenti 

ceux  qui  les  entendoient  f 


jju«n 


A  VER  TI  S  S  E  ME  NT. 

LEs  Sermons  que  nous  mettons 
ici  à  la  tête  de  tous  les  autres  , 
font  ne'anmoins  les  derniers  qu'ait 
compofé  le  P.  Maffillon,.  Mais  nous 
avons  cru  devoir  leur  accorder  ce 
rang  d'honneur ,  tant  à  caufe  de 
l'approbation  authentique  dont 
notre  augufte  Monarque  (^)  a  bien 
voulu  les  honorer  ,  &  que  pour 
fatisfaire  à  la  curioiîté  du  Public, 
qui  paroît  les  attendre  avec  un 
empreffement  plus  marqué.  Ceux* 
ci  d'ailleurs  ont  cet  avantage  ,  qjii^ 
non  -feulement  ils  ont  ëtë  prêches 
devant  le  Roi ,  com.me  la  plupart 
des  autres  favoient  été  devant 
Louis  XIV,  mais  ils  ont  été  prêches 
uniquement  pour  le  Roi ,  &  pour 
fa  Cour. 

Nous  pourrions  ajouter  à  cela 

C*}  Ces  Sermons  ont  été  prélentés  manufciiîs, 
au  Roi. 


'AVERTISSEMENT, 

l'importance  des  matières  qui  font 
traitées  dans  ces  Sermons.  Ils  for- 
ment pour  les  Princes  &  pour  les 
Grands  ,  comme  un  corps  de  mo- 
rale, où  les  devoirs  de  leur  e'tat  font 
un  détail  également  noble  &  inté- 
reffant. 

A  la  fuite  de  ces  Sermons ,  nous 
avons  mis  un  Difcours  Sur  les  vices 
&  les  Vertus  des  Grands.  La  reffem- 
blance  du  fujet  nous  y  eût  déter- 
minés ,  quand  nous  n'y  aurions  pas 
été  obligés  ,  pour  rapprocher  un 
peu  ce  Volume  de  la  grofleur  de 
ceux  qui  le  fuivent.  Les  mêmes 
raifons  ont  fait  placer  à  la  fin  le 
Dif:ours  Sur  la  Bénédiclion  des 
Drapeaux  du  Régiment  de  Catinaty. 


SERMON  S 

-Contenus  dans  ce  Volume. 

Ourla  Fête  de  la  Purification 

de  la  Sainte  Vierge  ,  Des  exem^ 

pies  des  Grands  ^  page   i. 

Pour  le  I.  Dimanche  de  Carême, 

Sur  les  tentations  des  Grands  ^27^. 

Pour  le  IL  Dimanche  de  Carême , 

Sur  le  refpectque  les  Grands  doivent 

à  la  Religion ,  5  i . 

Pour  le  IIÏ.  Dimanche  de  Carême  , 

Sur   le  malheur   des   Grands  qui 

abandonnent  Dieu  ,  81. 

Pour  le  IV.  Dimanche  de  Carême  , 

Sur  riiumanité  des  Grands  envers 

le  Peuple  ^  106. 

Pour  le  jour  de  l'Incarnation  ,  Sur 

les   caraSeres  de  la  Grandeur  de 

Jefus-Chrift  ,  131. 

Pour  le  Dimanche  de  la  paffion,.  Sur 

la  fauj]eté  de  la  gloire  humaine^  i  5^» 


Pour  le  Dimanche  des  Rameaux  ; 
Sur  les  écueils  de  la  piété  des 
Grands  ,  179* 

Pour  le  Vendredi  Saint ,  Sur  les 
obfiacies  que  la  vérité  trouve  dans 
le  cœur  des  Grands^  210. 

Pour  le  jour  de  Pâque ,  Sur  le 
triomphe  de  la  Religion ,         237. 

Sermon jur  les  vices  &  les  vertus  des 
Grands  ,  26 3, 

Difcours  prononcé  à  une  Bénédiciion 
des  Drapeaux  du  Régiment  de  Ca-^ 
tinat  <y  309 


AVIS    DE  L'AUTEUR. 

CEs  Sermons  ne  font  que  des  En* 
tretiens  particuliers  ,  faits  pour 
tinjlruclion  du  Roi  avant  fa  Majo^ 
rite  ,  &  pour  les  perfonnes  de  la  Cour 
qui  compofoient  Jeules  l'auditoire  de 
la  Chapelle  du  Château  des  Thuille- 
ries ,  quand  ces  Difcours  y  furent 
prononcés. 

SERMON 


SERMON 

POUR   LA    FETE 
DE     LA 

PURIFICATION 
DE   LA   SAINTE   VIERGE. 

Dss  exemples  des  Grands, 

Ecce  pofîtus  eft  hic  in  ruinam  &  in  refur- 
reûionem  multorum  in  Ifrael. 

Celui  que  vous  yoye^  ,  ejl  établi  pour  la  ruine 
&  pour  la  réfurreciion  de  plujîeurs  en  JfiaëU 
Luc.  2.  34. 

SIRE, 

Elle   eft  la  dcftinée  des 
Rois  5c  des  Princes  de  la 


C^F 


jfe^    >    :^  d'être  établis  pour 

fc    ;s;^^i||^    perte  comme  pour   le 
falut  du  re/le  de?  hommes  ;  5c  quand 
le  Ciel  les  donne  au  monde  ,  on  peut 
Petit  Carême,  A 


2        La  Purification. 
dire  que  ce  font  des  bienfaits ,  ou  des 
châtimens  publics  que  fa  miféricorde 
ou  fa  juflice  prépare  aux  peuples. 

Oui ,  Sire  ,  en  ce  jour  heureux  où 
vous  fûtes  donné  à  la  France  ,  ôc  où 
porté  dans  le  Temple  faint ,  le  Pontife 
vous  marqua  fur  les  Autels ,  du  figne 
facré  de  la  Foi ,  il  fut  vrai  de  dire  de 
vous  :  Cet  Enfant  augufle  vient  de 
naître  pour  la  perte  comme  pour  le 
falut  de  plufieufs. 

Jefus-Chrifl:  lui-même ,  prenant  pof- 
feOlon  aujourd'hui  dans  le  Temple  de 
fa  nouvelle  royauté ,  n'eft  pas  exempt 
de  cette  loi.  Il  eft  vrai  que  fes  exem- 
ples ,  fes  miracles ,  &  fa  do£i:rine  qui 
vont  affurer  le  falut  à  tant  de  brebis 
d'Ifraël ,  ne  deviendront  une  occa(îon 
de  chute  6c  de  fcandale  pour  le  refte 
des  Juifs ,  que  par  Tincrédulité  qui  les 
rendra  plus  inexcufables  ;  6c  qu'ainfî 
le  même  Evangile  qui  fera  le  falut  8c 
la  rédemption  des  uns ,  fera  la  ruine 
bi  la  condamnation  des  autres. 

Heureux  les  Princes  &:  les  Grands , 
(î  leur  fainteté  toute  fev^le  étoit ,  pour 
les  hommes  corrompus ,  une  occafion 
de  cenfure  &  de  fcandale  ;  6c  fi  leurs 
exemples  ,  comme  ceux  de  Jefus- 
Chrift  ,  ne  devenoient  l'écueil  &  la 


Exemples  des  Grands.  ^ 
condamnation  du  vice  ,  qu*en  le  ren- 
dant plus  ioexcufable  ,  en  devenant 
l'appui  6c  le  modèle  de  la  vertu  ! 

Ainfi ,  mes  Frères ,  vous  que  la  Pro^ 
vidence  a  élevés  au-deifus  des  autres 
hommes  ,  &  vous  fur-tout ,  Sire  ^ 
vous  que  la  main  de  Dieu  ,  protectri- 
ce de  cette  Monarchie  ,  a  comme  re- 
tiré du  milieu  des  ruines  ôc  des  débris 
de  la  Maifon  Royale,  pour  vous  placer 
fur  nos  têtes  :  vous ,  qu'il  a  rallumé 
comme  une  étincelle  précieufe  dans 
le  fein  même  des  ombres  de  la  mort  ^ 
où  il  venoit  d'éteindre  toute  votre  au- 
gufte  race  ,  6c  où  vous  étiez  fur  le 
point  de  vous  éteindre  vous-même  : 
oui  ,  Sire  ,  je  Je  répète  ;  voilà  les 
deftinées  que  le  Ciel  vous  prépare  : 
vous  êtes  établi  pour  la  perte  comme 
pour  le  faîut  de  pîufieurs  :  Pofitus  in 
ridnam  &  in  refurrecîionem  multorum 
in  îfraeL 

Les  exemples  des  Princes  8c  des 
Grands  roulent  fur  cette  alternative 
inévitable  :  ils  ne  fauroient  ni  fe  perdre, 
ni  fe  fauver  tout  feuls.  Vérité  capitale 
qui  va  faire  le  fujet  de  ce  Difcours. 


A 


^-  V^i 


La  Purification. 
Sire  , 


îARTiE.  \^Omme  le  premier  penchant  des 
peuples  eft  d'imiter  les  Rois  ,  le  pre- 
mier devoir  des  Rois ,  eft  de  donner 
de  faints  exemples  aux  peuples.  Les 
hommes  ordinaires  ne  femblent  naître 
que  pour  eux  feuls  :  leurs  vices  ou  leurs 
vertus  font  obfcures  comme  leur  deC- 
tinée  :  confondus  dans  la  foule ,  s'ils 
tombent,  ou  s'ils  demeurent  fermes  , 
c'eft  également  à  l'infu  du  public  ; 
leur  perte  ou  leur  falut  fe  borne  à  leur 
perfonne  :  ou  du  moins  leur  exemple 
peut  bien  féduire  £<:  détourner  quel- 
quefois de  la  vertu  ,  mais  il  ne  fauroit 
impofer  ÔC  aurorifer  le  vice. 

Les  Princes  Sc  les  Grands  au  con- 
traire ne  femblent  nés  que  pour  les 
autres.  Le  même  rang  qui  les  donne 
en  fpe£lacle  ,  les  propofë  pour  mo- 
dèles ;  leurs  mœurs  forment  bientôt 
les  mœurs  publiques  ;  on  fuppofe  que 
ceux  qui  méritent  nos  hommages ,  ne 
font  pas  indignes  de  notre  imitation  ; 
la  foule  n'a  point  d'autre  loi,  que  \qs 
exemples  de  ceux  qui  commandent  : 
leur  vie  fe  reproduit ,  pour  ainfi  dire, 
dans  le  public  ;  ôc  fî  leurs  vices  trou- 
vent des  cenfeurs ,  c'eft  d'ordinaire 


Exemples  des  Grands.      5 
parmi   ceux- mêmes   qui  les  imitent. 

Aufli  la  même  grandeur  qui  favorife 
les  pafTions ,  les  contraint  6c  les  gêne  ; 
&  com.me  dit  un  Ancien  ,  plus  l'élé-     ^^f  ^^ 
vation  femble  nous  donner  de  licence  ^'J^^^? 
par  l'autorité  ,  plus  elle  nous  en  ote  ^^i^i^^ 
par  les  bienféances.  licentia 

Mais  d'où  viennent  ces  fuites  inévi-  eft.  Sal- 
tables  que  les  exemples  des  Grands  ont  *"j^* 
toujours  parmi  les  peuples  :  le  voici  \ 
du  côté  des  peuples  ,  c'eft  la  vanité  6c 
l'envie  de  plaire  ;  du  côté  des  Grands , 
c'eft  l'étendue  ôc  la  perpétuité. 

Je  dis  la  vanité  du  côté  des  peuples. 
Oui  5  mes  Frères ,  le  monde  ,  toujours 
inexplicable  ,  a  de  tout  temps  attaché 
également  de  la  honte  &  aux  vices  5c à 
la  vertu.  Il  donne  du  ridicule  à  l'hom- 
me jufie  ;  il  perce  de  mille  traitsThom- 
me  diiïblu  :  les  pafîions  &.  les  œuvres 
faintes  fourniflent  la  même  matière  k 
fes  dérifions  6c  à  Tes  cenfures  ;  6c  par 
une  bizarrerie  ,  que  fes  caprices  feuls 
peuvent  juftiiier  ,  il  a  trouvé  le  fecret 
de  rendre  en  même  temps  ,  5c  le  vice 
méprifable,  ÔC  la  vertu  ridicule.  Or, 
les  exemples  de  diiïblntion  dans  les 
Grands ,  en  autorifant  le  vice  ,  en  an- 
nobliflent  la  honte  6c  l'ignominie,  5c 
lui  ôtent  ce  qu'il  a  de  méprifable  aux 

A  iij 


6  L  A    P  U  R  I  F  I  C  A  T  I  O  N . 

yeux  du  public  ;  leurs  pafiions  devien- 
nent bientôt  dans  les  autres,  de  nou- 
veaux titres  d'honneurs  ,  ôc  la  vanité 
feule  peut  leur  former  des  imitateurs. 

Notre  nation  fur^tout ,  ou  plus  vai- 
ne y  OU  plus  frivole  ,  comme  on  l'en 
accu  Te  ;  ou  pour  parler  plus  équitable- 
ment  5c  lui  faire  plus  d'honneur ,  plus 
attachée  à  fes  Maîtres  ÔC  plus  fefpec- 
sueufe  envers  les  Grands ,  fe  fait  une 
gloire  de  copier  leurs  mœurs,  comme 
un  devoir  d'aimer  leur  perfonne  :  on 
eft  flatté  d'une  reiTemblance ,  qui  nous 
rapprochant  de  leur  conduite  ,  fembîe 
nous  rapprocher  de  leur  rang.  Tout 
devient  honorable  ,  diaprés  de  grands 
modèles  •,  6c  fouvent  Fomentation  tou- 
te feule  nous  jette  dans  des  excès  aux- 
quels rincllnation  fe  refufe.  La  Ville 
croiroit  dégénérer,  en  ne  copiant  pas 
les  mœurs  de  la  Cour  •;  le  Citoyea 
obfcur  ,  en  imitant  la  licence  des 
Grand? ,  croit  mettre  à  fes  pafTions  le 
fceau  de  la  grandeur  5c  de  la  nobleiïe; 
6c  le  défordre  dont  le  goût  lui-même 
fe  laife  bientôt ,  la  vanité  toute  feule 
le  perpétue. 

Mais,  Sire  ,  d'un  autre  côté,  tout 
reprend  fa  place  dans  un  Etat  où  les 
Grands 5  Scie  Prince  fur-  tout 5  adorent 


Exemples  des  Grands.  7 
k  Seigneur.  La  piété  eft  en  honneur  , 
dès  qu'elle  a  de  grands  exemples  pour 
elle.  Les  Juftes  ne  craignent  plus  ce 
ridicule  que  le  monde  jette  fur  la  ver- 
tu ,  5c  qui  efl  l'écueil  de  tant  d'ames 
foibles.  On  craint  Dieu  fans  craindre 
les  hommes.  La  venu  n'eft  pins  étran- 
gère à  la  Cour  ;  le  délordre  lui-même 
n'y  va  plus  la  tête  levée  ;  il  eii:  réduit 
à  fe  cacher ,  ou  à  fe  couvrir  des  appa- 
rences de  la  fagefle.  La  licence  ne  pa- 
roît  pius  revêtue  de  l'autorité  publi- 
que ;  ôc  fi  le  vice  n'y  perd  rien  ,  le 
fcandale  du  mioins  diminue.  En  un 
mot  5  les  devoirs  de  la  Religion  en- 
trent dans  Tordre  public  ;  ils  devien- 
nent une  bienféance  que  le  monde 
lui-même  nous  impofe  :  le  culte  peut 
encore  être  méprifé  en  fecretpar  l'im- 
pie  ;  mais  il  eft  vengé  du  moins  par  la 
majeflé  &  la  décence  publique.  Le 
Temple  faint  peur  encore  voir  aux 
pieds  de  Tes  autels, des  pécheurs  &  des 
incrédules  ;  mais  il  n'y  voit  plus  de 
profanateurs.  Le  zele  de  votre  augufle 
Bifaïeul  avoir  par  des  Icix  féveres  puni 
fouvent  5  6c  toujours  flétri  de  Ton  in- 
dignation ÔC  de  fa  difgrace  ,  ce  fcan- 
dale dans  fon  Royaume  :  il  peut  fe 
trouver  encore  des  hommes  corrom-, 

A  iv 


s  La  PuRrFic  ATiaN. 
pus  qui  refufent  à  Dieu  leur  cœur; 
mais  ils  n'oferoient  lui  refufer  leurs 
hommages  :  en  un  mot  ,  il  peut  être 
encore  aifé  de  Ce  perdre  ;  mais  du 
m.oins  il  n'eil  pas  honteux  de  fe 
fauver. 

Or ,  quand  Texemple  des  Grands 
ne  ferviroit  qu'à  autorifer  la  vertu  ; 
qu'à  la  rendre  refpeâiable  fur  la  terre  j 
qu'à  luiôter  ce  ridicule  impie  ôc  infea- 
fé  que  le  monde  lui  donne  ;  qu'à  met- 
tre les  Juflcs  à  couvert  de  la  tentation 
desdérifions  6c  des  cenfures;  qu'à  éta- 
blir qu'il  n'eft  pas  honteux  à  l'homme 
de  fervir  le  Dieu  qui  l'a  fait  naître  ÔC 
qui  le  conferve  ;  que  le  culte  qu'on  lui 
lend  efl  le  devoir  le  plus  glorieux  8c 
le  plus  honorable   à   la   créature  ,  6c 
que  le  titre  du  ferviteur  du  Très  Haut, 
ell  mille  fois  plus  grand  &:  plus  réel  , 
que  tous  les  titres  vains  8c  pompeujc 
qui  entourent  le  diadème  des  Souve- 
rains :  quand  l'exemple   des  Grands 
n'auroit  que  cet  avantage,  quel  hon- 
neur   pour   la    Religion  ,  ÔC  quelle 
abondance  de  bénédi(Stions   pour  un 
Empire  1 

Sire  ,  heureux  le  peuple  qui  trou- 
ve Tes  modèles  dans  Tes  maîtres  ;  qui 
peut  imiter  ceux  qu'il  eil  obligé  de  ref- 


Exemples  des  Grm:ds,  9 
fed:er  ;  qui  apprend  dans  leurs  exem- 
ples à  obéir  à  leurs  ioix  ;  &  qui  n'eft 
pas  contraint  de  détourner  les  regards 
de  ceux  à  qui  il  doit  des  hommages  ! 

Mais  quand  les  exemples  des  Grands 
ne  trouveroient  pas  dans  la  vanité 
feule  des  peuples ,  u^ne  imitation  tou- 
jours fûre  ;  l'intérêt  ÔC  l'envie  de  leur 
plaire  y  leur  donneroit  autant  d'iml-^ 
tateurs  de  leurs  aâiions  ,  que  leur  au^ 
toriré  forme  de  prétendans  à  leurs 
grâces. 

Le  jeune  Roi  Roboam  oublie  îe$^ 
confeils   d'un   père  le  plus  fage  des 
Rois  ;  une   jeuneffe   inconjfîdérée  eft: 
bientôt  appeilée   aux  premières  pla- 
ces,  5c  partage  fes  faveurs,  en  imitant: 
fes  défordresv 

Les  Grands  veulent  être  applaudis  >; 
&:  comme  l'imitation  ell  de  tous  les- 
applaudiiTemens  le:  plus  Hattetir  ôc  le- 
moins  équivoque  y  on  eiï  fur  de  leur 
pîaire ,  dès  qu'on  s'étudie  à  leur  reiTem^ 
bler  :.  ils  font  ravis  de  trouver  dans^: 
leurs  imitareurs-^  rapoiogia  de  leuras 
vices, êî  ils  cherchent  avec  complaifan- 
ce  dans  tout  ce  qui  les  environne  ^  de: 
q-uoife  ratîurer  contre  eux-mêmes,. 

Ainfi  l'ambition  ,  dontles  voies  fors e 
taujouis  longues  5c pénibles -5  eft  char^i 


lo  La  Purifica  t  ro  n, 
mée  de  fe  frayer  un  chemin  plus  court 
&:  plus  agréable  :  le  pk^'fir,  d'ordinaire 
irréconciliable  avec  la  fortune  ,  en  de- 
vient i'artifan  &  le  miniflre  'y  les  par- 
lions déjà  (i  favorifées  par  nos  pen- 
chans  ,  trouvent  encore  dans  refpoir 
de  la  récompenfe  ,  un  nouvel  attrait 
qui  les  anime  ;  tous  les  motifs  fe  réu- 
niHent  contre  la  vertu.  Et  s'il  eft  il 
mal  aifé  de  fe  défendre  du  vice  qui 
plaît  ;  qu'il  eft  difficile  de  ne  pas  s'y 
livrer ,  lorfque  de  plus  il  nous  honore  ! 
Tel  eft  ,  Sire  ,  le  malheur  des 
Grands  que  des  paiTions  injuftes  en- 
traînent. Leur  exemple  corrompt  tous 
ceux  que  leur  autorité  leur  foumet  : 
ïls  répandent  leurs  mœurs ,  en  diftri- 
buant  leurs  grâces  ;  tout  ce  qui  dépend 
d'eux,  veut  vivre  comme  eux.  Sike,. 
n'eftimez  dans  les  hommes  que 
Famour  du  devoir;  êCvos  bienfaits  ne 
tomberont  que  fur  le  mérite  :  con- 
daninez  dans  les  autres ,  ce  que  vous 
ne  fauriez  vous  juftifîer  à  vous-  même  ; 
ks  imitateurs  des  paftions  des  Grands 
infultent  à  leurs  vices  5  en  les  imitant* 
Quel  mialheur  !  quand  le  Souverain  ^ 
peu  content  de  fe  livrer  au  défordre^ 
femble  le  confacrer  par  les  grâces  dont 
|i  rkonore  dans  ceux  qui  en  hai  ou 


Exemples  des  Grands,  iï 
les  imitateurs ,  ou  les  honteux  minif- 
tres  /  quel  opprobre  pour  un  Empire  ! 
quelle  indécence  pour  la  majefté  du 
Gouvernement  !  quel  découragement 
pour  une  nation  ,  &:  pour  les  fujets 
habiles  6c  vertueux  ^  à  qui  le  vice  en- 
levé leurs  eraces  deilinées  à  leurs  talens 
ÔC  à  leurs  fervices  !  quel  décri  &  quel 
avilillement  pour  le  Prince  dans  l'opi- 
nion des  Cours  étrangères  /  &  delà 
quel  déluge  de  maux  dans  le  peuple  ! 
Les  places  occupées  par  des  hommes 
corrompus  ;  les  payions  toujours  pu- 
nies par  le  m.épris  ,  devenues  la  voie 
des  honneurs  &  de  la  gloire  ;  l'autorité 
établie  pour  maintenir  l'ordre  &  la 
pudeur  des  loix ,  méritée  par  les  excès 
qui  les  violent;  les  mœurs  corrompues 
dans  leur  fource  ;  les  allres  qui  dé- 
voient marquer  nos  routes ,  changés 
en  des  feux  errans  qui  nous  égarent, 
les  bienféances  même  publiques ,  dont 
le  vice  eft  toujours  jaloux  ,  renvoyées 
comme  les  ufages  furannés ,  à  Tanti- 
que  gravité  de  nos  pères  :  le  défor- 
dre  débarraiïe  de  la  gêne  même  des 
ménagemens  ;  la  modération  dans  ie 
vice  ,  devenue  prefque  auffi  ridicule 
que  la  vertu. 
Mais  5  Sire  ^  fî  îa  juRice  gc  ta 

A  vj 


ti     La  Purification. 

piété  dans  les  Grands  prennent  lapîgt- 
ce  des  paHions  5c  de  la  licence  ,  quelle 
fource  de  bénédidions  pour  les  peu- 
ples !  C'eft  la  vertu  qui  diftribue  les 
grâces  ;  c'eil  elle  qui  les  reçoit  : 
les  honneurs  vont  chercher  l'homme 
fage  qui  les  mérite  5c  qui  les  fuit ,  6c 
fuient  l'homme  vendu  à  l'iniquité  j 
qui  court  après  :  les  fonctions  publi- 
ques ne  font  confiées  qu'à  ceux  qui  fe 
dévouent  au  bien  public  :  le  crédit  6c 
l'intrigue  ne  mènent  à  rien  ;  le  mérite 
ÔC  les  fervices  n'ont  befoin  que  d'eux- 
mêmes  :  le  goût  même  du  Souverain 
ne  décide  pas  de  feslargefTes  ;  rien  ne 
lui  paroît  digne  de  récompenfe  danS' 
fes  fujets  ,  que  les  talens  utiles  à  fa. 
patrie  :  les  faveurs  annoncent  tou- 
jours le  mérite  ,  ou  le  fuivent  de  près  i. 
iin'y ademéconrens  dans  l'Ftat,  que 
les  hommes  oifeux  &  inutiles.  La 
parefîe  5c  la  médiocrité  murmurent 
toutes  feules  contre  la  fagefle  6c 
l'équité  des  choix;  les  talens  fe  déve- 
loppent par  les  rccompenfes  qui  lés- 
attendent  :  chacun  cherche  à  fe  ren»- 
d're  utile  au  public  ;  §c  toute  l'habilé- 
té  de.i'am.bidon  fe  réduit  à  fe  rendre; 
digne  des  places  auxquelles  on  afpireo.. 
Eiï.  un.  motj  les  peuples  font  foulages  g, 


Exemples  des  Grands,  rjt 
les  foibles  foutenus  ,  les  vicieux  laiÉ 
fés  dans  la  boue  ,  les  Juiles  honorés  9- 
Dieu  bénit ,  dans  les  Grands  qui  tien- 
nent ici-bas  fa  place  :  &C  fi  l'envie  de 
leur  plaire  peut  former  des  hypocri- 
tes ,  outre  que  le  raafque  tombe  tôt 
ou  tard  ,  ôc  que  l'hypocrifie  fe  trahit 
toujours  par  quelque  endroit  elle- 
même  ,  c'eil  du  moins  un  hommage 
que  le  vice  rend  à  la  vertu  ,  en  s'ho- 
norant  même  de  Tes  apparences. 

Voilà  du  côté  des  peuples ,  les  fui- 
tes que  la  vanité  6<:  Fenvie  de  plaire 
attachent  toujours  aux  exemples  dès- 
Grands  :  de  leur  côté  ,  c'efl:  retendue 
Se  la  perpétuité  qui  en  font  comme  le 
lignai  ou  du  défordre  ,  ou  de  la  vertu 
parmi  les  hommiCs.. 

J  E  dis  rétendue  ,  une  étendue  d'au-      n, 
torité.  Que  de  miniflres  de  leurs  paf  Partie^^- 
lions,  n'enveloppent-ils  pas  dans  leur 
condamnation  &:  dans  leur  deftinée? 
Si  un  amour  outré  de   la  gloire  les 
enivre,    tout  leur  fouffle  la  défolation 
5c  la  guerre  ;  6c  alors ,  Sire  ,  que  de. 
peuples  facrifiés  à  l'idole  de   leur  or- 
gueil !  que  de  lang  répandu  ,   qui  crie- 
vengeance  contre  leur  tête  /   que  de 
calamités  publiques  j  dont  ils  foût  les 


î4    La   Purification, 

fetils  auteurs  !  que  de  voix  plaintives 
s'élèvent  au  Ciel  contre  des  hommes 
nés  pour  le  malheur  des  autres  hom- 
mes !  que  de  crimes  naiffent  d'un  feul 
crime!  Leurs  larmes  pourroient-elîes 
jamais  laver  les  campagnes  teintes  du 
fang  de  tant  d'innocens  ;  ÔC  leur  re- 
pentir tout  feul  peut- il  défarmer  la 
colère  du  Ciel  ,  tandis  qu'il  laifTe  en- 
core après  lui  tant  de  troubles  £v  de 
malheurs  fur  la  terre? 

Sire  ,  regardez  toujours  la  guerre 
comme  le  plus  grand  fléau  dont  Dieu 
puilFe  affliger  un  Empire  ;  cherchez  à 
défarmer  vos  ennemis ,  plutôt  qu'à  les 
vaincre  ;  Dieu  ne  vous  a  confié  le  glai- 
ve, que  pour  la  fûreré  de  vos  peuples, 
6c  non  pour  le  mialheur  de  vos  voifîns, 
L'Empire  fur  lequel  le  Ciel  vous  a  éta- 
bli 5  eil  afiez  vafte  ;  foyez  plus  jaloux 
d'en  foulager  les  miferes  ,  que  d'en 
étendre  les  limites  ;  mettez  plutôt  vo- 
tre gloire  à  réparer  les  m.alheurs  des 
guerres  paffées ,  qu'à  en  entreprendre 
de  nouvelles  ;  rendez  votre  règne  im- 
mortel par  la  félicité  de  vos  peuples  , 
plus  que  parle  nombre  de  vos  conquê- 
tes ;  ne  médirez  pas  fur  votre  puif^ 
fance  ,  la  iuflîce  de  vos  entreprifes;  ÔC 
n'oubliez  jamais  que  dans  les  guerres 


Exemple's  des  Grands  15 
les  plus  juiles  ,  les  vi6î:oires  traînent 
toujours  après  elles  autant  de  calami- 
tés pour  un  Etat ,  que  les  plus  fanglan- 
tes  défaites. 

Mais  il  l'amour  du  plaidr  l'emporte 
dans  les  Souverains  fur  la  gloire  ;  hé- 
las !  tout  fert  à  leurs  paiTions  ;  tout 
s'empreiTe  pour  en  être  les  minidres  y 
tout  en  facilite  le  fuccès  ;  tout  en  ré- 
veille les  defirs  ;  tout  proie  des  armes 
à  la  volupté.  Des  fu:ets  indignes  la 
favorifent;  les  adulateurs  lui  donnent 
des  titres  d'honneurs  ;  des  Auteurs 
profanes  la  chantent  &:  l'embellilTent; 
les  arts  s*épuifent  pour  en  diverfifier 
les  plaifirs  ;  tous  les  talens  defdnés  par 
l'Auteur  de  la  nature  à  fervir  à  l'or- 
dre êi  à  la  décoration  de  la  fociété  ^ 
lie  fervent  plus  qu'à  celle  du  vice  ;. 
tout  devient  les  minières ,  6c  par-la  les 
complices  de  leurs  pafTions  injufles» 
SiFvE  ,  qu'on  eil  à  plaindre  dans  la 
grandeur  !  Les.pafrions  ,  qui  s'ufenr 
parle  temps,  s'y  perpétuent  par  les  reC- 
fburces;  les  dégoûts,  toujours  infépa- 
rabies  du  défordre,  y  font  réveillés  par 
la  diverfité  des  plaifirs  ;  le  tumulte 
feul  ,  5c  l'agitation  qui  environne  le' 
Trône  ,  en  bannit  les  réflexions ,  ôc  ne 
lailTe  jamais  un  inftant  le  Souverain 


î5      L  A    P  U  R  I  F  I  C  A  T  I  O  N. 

avec  lui-même.  Les  Nathans#us- mê- 
mes ,  les  Prophètes  du  Seigneur  fe  tai- 
fent  &  s'afFoibliiTenten  l'approchant  i 
tout  lui  met  fans  celle  fous  rœil  fa 
gloire  ;  tout  lui  parle  de  fa  puifTance  ; 
&:  perfonne  n'ofe  lui  montrer  même 
de  loin  Tes  foibleiTes. 

A  rétendue  de  l'autorité ,  ajoutées 
encore  une  étendue  d'éclat  ;  ce  n'eft 
pas  à  leur  nation  feule  que  fe  bornent 
l'imprefllon  5c  Teffet  contagieux  de 
kurs  exemples.  les  Grands  font  en 
fpeélacle  à  tout  l'unive-rs  ;  leurs  ac^ 
tions  palTent  de  bouche  en  bouche ,  ds 
province  en  province  ,  de  nation  en 
nation  :  rien  n'eft  privé  dans  leur  vie  ; 
tout  appartient  au  public  :  l'Etranger, 
dans  les  Cours  les  plus  éloignées ,  a  les 
yeux  fur  eux,  comme  le  Citoyen  :  ils 
vont  fe  faire  des  imitateurs  jufques 
dans  les  lieux  où  leur  puifTance  lecr 
forme  des  ennemis  :  le  monde  entier 
fe  fent  de  leurs  vertus,  ou  de  leurs 
vices  :  ils  font,  fi  je  i'ofe  dire,  citoyens 
de  l'univers  ;  au  milieu  de  tous  les  peur 
pies,  fe  paiTent  des  événemens  qui 
prennent  leur  fource  dans  leurs  exeiB*- 
pics  :  ils  îoaî  chargés  devant  Dieu  da 
la  ju 'lice,  ou  des  iniquités  des  nations; 
&  leurs  vices  j  ou  leurs  vertus  ont-des? 


Exemples  des  Grands,  17 
bornes  encores  plus  étendues  que  celles 
de  leur  Empire. 

La  France  fur-  tout ,  qui  depuis  long- 
temps fixe  tous  les  regards  de  l'Europe, 
eft  encore  plus  en  rpe6i:acle  qu'aucune 
autre  nation.  Les  étrangers  y  vien- 
nent en  foule  étudier  nos  mœurs  ,  6c 
les  porter  enfuite  dans  les  contrées  les 
plus  éloignées  :  nous  y  voyons  même 
les  enfans  des  Souverains,  s'éloigner 
'des  plaifirs  6c  de  la  magnificence  de 
leur  Cour;  venir  ici  comme  des  hom- 
mes privés  ,  fubftiîuer  à  la  langue  6c 
aux  manières  de  leur  nation  ,  la  poli- 
tefle  de  la  nôtre  ;  6c  comme  le  Trô- 
ne a  toujours  leurs  premiers  regards  5 
fe  former  fur  la  fageife  dl  la  m^odéra- 
tion  ,  ou  fur  l'orgueil  5c  les  excès  du 
Prince  qui  le  remplit.  Sire,  montrez» 
leur  un  Souverain  qu'ils  puiflent  imi- 
ter :  que  vos  vertus  6c  la  fageiïe  de  vo- 
tre Gouvernement  les  frappent  encore 
plus  que  votre  puifFarxe  :  qu'ils  Coknt 
encore  plus  furpris  de  la  juftice  de  vo- 
tre règne  ,  que  de  la  miagnificence  de 
votre  Cour.  Ne  leur  montrez  pas  vos 
riche ffes ,  comme  ce  Roi  de  Juda,  aux 
Etrangers  venus  de  Babylone  ;  mon- 
trez-leur votre  amour  pour  vos  fujets  ^ 
Se  leur  amour  pour  vous,  qui  eft  le  vé» 


i8     La  Purification. 

ritable  tréfor  des  Souverains.  Soyez  le 
modèle  des  bons  Pvois  ;  6c  en  faifant 
l'admiration  des  Etrangers,  vous  ferez 
le  bonheur  de  vos  peuples. 

Mais  ce  n*eft  pas  feulement  aux 
hommes  deîeuriiecle,  que  les  Princes 
Se  les  Grands  font  redevables  :  leurs 
evemples  ont  un  caraélere  de  perpétui- 
té quiintéreile  tous  les  ikcles  à  venir. 

Les  vices .  ou  les  vertus  des  homm.es 
du  commiun  m^eurent  d'ordinaire  avec 
eux  :  leur  mémoire  périt  avec  leur  per- 
fonne  :  le  jour  de  la  manifeftation  , 
tout  feul  révélera  leurs  a£tion5  aux 
yeux  de  Tunivers  ;  mais  en  attendant, 
leurs  œuvres  font  enfevelies  ,  &C  repo- 
fent  fous  1  obfcuriîé  du  même  tom- 
beau ,  que  leurs  cendres. 

Mais  les  Princes  6c  les  Grands,  Sirf, 
font  de  tous  les  fieclcs  ;  leur  vie  ,  liée 
avec  les  événemens publics ,  pafleavec 
eux  d'âge  en  âge  ;  leurs  pafllons  ,  ou 
confervées  dans  des  monumens  pu- 
blics ,  ou  immortalifées  dans  nos  HiC- 
toires  ,  ou  chantées  par  une  Poéfie 
lafcive ,  iront  encore  préparer  des  piè- 
ges à  la  dernière  poftérité  :  le  monde 
eft  encore  plein  d'écrits  pernicieux  qui 
ont  tranfmis  jufqu'à  nous  les  défordres 
des  Cours  précédentes.  Les  diflblutions 


Exemples  des  Grands.  19 
des  Grands  ne  meurent  point ,  leurs 
exemples  prêcheront  encore  le  vice^ou 
la  vertu  à  nos  plus  reculés  neveux  ;  ôc 
rhiftoire  de  leurs  mœurs  aura  la  même 
durée  5   que  celle  de  leur  ilecle. 

Que  d'engagemens  heureux.  Sire, 
leur  état  feul  ne  forme- t-il  pas  aux 
Grands  ÔC  aux  Rois  pour  la  piéré  6c 
pour  la  jufiice  !  S'ils  y  trouvent  plus 
d'attraits  pour  le  vice  ,  que  de  puif- 
fans  motifs  n'y  trouvent  ■  ils  pas  aufîî 
pour  la  vertu  !  Quelle  noble  retenue  ne 
doit  pas  accompagner  des  aérions  qui 
feront  écrites  en  caraûeres  ineffaça- 
bles dans  le  livreMe  la  pofterité!  quelle 
gloire  mieux  placée,  que  de  ne  point 
fe  livrer  à  des  vices  ÔC  à  des  pafTions  , 
dont  le  fouvenir  fouillera  l'hiftoire  de 
tous  les  temps,  5c  les  hommes  de  tous 
les  (iecles  1  quelle  émulation  plus  loua- 
ble ,  que  de  laiifer  des  exemples  qui 
deviendront  les  titres  les  plus  précieux 
de  la  Monarchie  ,  &  les  monumens 
publics  de  la  jullice  &.  de  la  vertu  !  en- 
fin ,  quoi  de  plus  grand  que  d'être  né 
pour  le  bonheur  même  des  (iecles  à 
venir  ;  de  compter  que  nos  exemples 
feuls  form.eront  une  fuccefTion  de  ver- 
tu ôc  de  crainte  du  Seigneur  parmi  les 
hommes  ^  5c  que  de  nos  cendres  mê- 


20     La  Purification. 
mes  il  en  renaîtra  d'âge  en  âge  ,  des 
Princes  qui  nous  feront  femblables  ! 

Telle  eft ,  Sire  ,  la  deftinée  des  bons 
Rois  ;  &  tel  fut  votre  augulle  Bifaïeul , 
ce  grand  Roi  que  nous  vous  propofe- 
rons  toujours  pour  modèle.  Hélas  /  il 
le  fera  de  tous  les  Rois  à  venir.  N'ou- 
bliez jamais  ces  derniers  momens ,  où 
cet  héroïque  Vieillard,  comme  aujour- 
d'hui Siméon  ,  vous  tenant  entre  fes 
bras  j  vous  baignant  de  fes  larmes  pa- 
ternelles 5  ôc  offrant  au  Dieu  de  fes  pè- 
res ,  ce  relie  précieux  de  fa  race  roya- 
le ,  quitta  la  vie  avec  joie ,  puifque  fes 
yeux  voyoient  l'Enfant  miraculeux  , 
que  Dieu  réfervoit  encore  pour  être  le 
faluî  de  la  nation ,  ÔC  la  gloire  d'IfraëL 
Sire  ,  ne  perdez  jamais  de  vue  ce 
grand  fpeâ:acle  :  ce  père  des  Rois 
mourant  ,  6c  voyant  revivre  en  vous 
feul  l'efpérance  de  toute  fa  poftérité 
éteinte  ;  recon:)miandant  votre  enfance 
41a  tendre  &  refpeclacle  Dépofitai- 
re  (0  û^  votre  première  éducation  , 
laquelle  en  formant  vos  premières  in- 
clinations, &  pour  ainfi  dire  ,  vo«  pre- 
mières paroles,  fut  fur  le  point  de  re- 
cueillir vos  derniers  foupirs  ;  confiant 

(i)  Madame  la  DucheJJh  de  Vantadour, 


Exemples  des  Grands,  it 
le  facré  dépôt  de  votre  Perfonne  au 
pieux  Prince  (i)  qui  vous  infpire  des 
fentimens  dignes  de  votre  Sang ,  à  l'il- 
luftre  Maréchal  (  2, ) ,  qui  a  reçu  comme 
une  vertu  héréditaire,  la  fcience  d'éle- 
ver les  Rois;  ÔC  qui ,  devenu  un  des 
premiers  fujets  de  l'Etat  ,  vous  ap- 
prendra à  devenir  le  plus  grand  Roi 
de  votre  fîecle;  au  Prélat  fidèle  (^)  qui, 
après  avoir  gouverné  fagement  TEgli- 
fe  ,  lui  formera  en  vous  fon  plus  zélé 
Proteé^eur  ;  enfin  ,  à  toute  la  nation  ; 
dont  vous  êtes  en  même  temps ,  ÔC  le 
précieux  pupile  ,  ôc  le  père. 

Puiiîîez  vous  5  Sire  ,  n'effacer  jamais 
de  votre  fouvenir  les  maximes  de  fagef- 
fe  que  ce  grand  Prince  vous  Idïilà  dans 
ces  derniers  momens ,  comme  un  héri- 
tage plus  précieux  que  fa  Couronne. 
Il  vous  exhorta  à  foulager  vos  peu- 
ples :  foyez-en  le  père  ,  &  vous  en  fe« 
rez  doublement  la  maître. 

Il  vous  infpira  l'horreur  de  la  guer- 
re ,  8c  vous  exhorta  de  ne  pas  fuivre 
là-deflus  fon  exemple  :  foyez  un  Prin- 
ce  pacifique  ;   les  conquêtes  les  plus 

Çi)  Le  Duc  du  Maine, 

(z)  Le  Maréchal  de  Fille roy. 

(^)  Vancisn  £véqus  de  Frejus, 


22    La  Purification. 

glorieufes  font  celles  qui  nous  gagnent 
les  cœurs. 

li  vous  avertit  de  craindre  le  Seigneur: 
marchez  devant  lui,  dans  l'innocence; 
vous^ne  régnerez  heureufement, qu'au- 
tant que  vous  régnerez  faintement. 

Sire  ,  que  les  dernières  paroles  de 
ce  grand  Roi ,  de  ce  Patriarche  de  vo- 
tre Famille  Royale,  foient  comme  cel- 
le? du  Patriarche  Jacob  mourant ,  les 
prédiâ:ions  de  ce  qui  doit  arriver  ua 
jour  à  fa  race  ;  ôc  puifTent  fes  dernières 
inftru6tions  devenir  la  prophétie  de 
votre  Règne.  Ainfifoit-iL 


*r     ♦"  ♦   ♦    »   **'*       1.    ^*V   ♦    ♦   ♦   ♦    ♦      :r* 

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S  E  R  M  O  N 

POUR 

LE  PREMIER    DIMANCHE 

DE  CAREME. 

Sur  Us  tentations  des  G-^ids, 

Jeilis  dnâiu  eft  in  de(èrnim  à  Spiriru  ,  ut 
tentarenir  à  diabolo. 

Jejus  fjt  conduit  par  rEfjprîî  dans  U  iéfirt  : 
^ir^'  y  être  tenté  par  le  diable^  Matth.  4.  i  • 

O  I  R  E  , 

LE  s  lignes  éclatans  qui  avoient 
accompagnés  la  naiJacce  5c  les 
commencemens  de  la  vie  de  J.  C. 
ce  perir.etroient  pas  au  démon  digoo- 
rer  que  le  Très-Hau:  ce  le  defrinàt^  à 
de  grandes  chofes. 

Plus  il  entrevoit  les  premières  lueurs 
de  la  grandeur  future  •  plus  il  fe  hâte 


14      ï.   D  I  M.    D  E    C  A  R  E  M  E. 

de  lui  drelTer  des  pièges.  Sa  defcen- 
dance  des  Rois  de  Juda  ;  fon  droit  à 
la  Couronne  defes  Ancêtres  ;  les  Pro- 
phéties qui  annonçoient  que  dans  les 
derniers  temps ,  Dieu  fufciteroit  de 
îa  race  de  David,  le  Prince  de  la  paix, 
ôc  le  Libérateur  de  fon  peuple  :  tout 
ce  qui  annonce  la  grandeur  de  Jefus- 
Chrift,  arme  la  malice  du  tentateur 
contre  fon  innocence. 

Les  Grands,  Sire,  font  les  premiers 
objets  de  fa  fureur.  Plus  expofés  que 
les  autres  hommes  à  fes  féduftions  5C 
à  fes  pièges,  il  commence  de  bonne 
heure  à  leur  en  préparer  ;  6c  comme 
leur  chute  lui  répond  de  celle  de  tous 
ceux  prefque  qui  dépendent  d'eux ,  il 
ralTemble  tous  fes  traits  pour  le  perdre, 
^^tjh»      Change^  ces  pierres  en  pain  ,  dit- il  à 

*^'  ^*  Jefus-Chrift:  il  Tattaque  d'abord  par  le 
plaifir  ;  ôc  c'eft  le  premier  piège  qu'il 
dreffe  à  leur  innocence. 

Ibid.f»  Puifque  VOUS  êtes  Fils  deDieu^  ajou- 
te-t-il  ,  il  enverra  fes  Anges  pour  vous 
garder  :  il  coqtinue  par  l'adulation  ;  ÔC 
c'eft  lin  trait  encore  plus  dangereux 
dont  il  empoifonne  leur  ame. 

£hid,  f.    Enfin,  je  vous  donnerai  les  Royaumes 

^'  du  monde  ,  &  toute  leur  gloire  :  il  finit 

par  l'ambition  ;  6c  c'eft  la  dernière  ôc 

U 


Tentations  des  Grands.  25 
ia  plus  fùre  reiTource  qu'il  emploie  , 
pour  triompher  de  leur  foiblcfTe. 

Ainfi,  le  plaifir  commence  à  leur 
corrompre  le  cœur  ;  l'adulation  l'affer- 
mit dans  l'égarement  ,  6c  lui  ferme 
toutes  les  voles  de  la  vérité  ;  Tambi- 
ûon  confomme  l'aveuglement  ,  ôC 
achevé  de  creufer  le  précipice.  Expo- 
fons  ces  vérités  importantes  ,  après 
avoir  imploré  ,  &c.  Ave ,  Maria, 
SIRE, 


E  premier  écueil  de  notre  inno-      j^ 
ce  ,  c'eft  le  plaifîr.  Les  autres  paffions  Paktîht, 
plus  tardives  ne   fe   développent ,  ÔC 
ne  mûriffent,  pourainfi  dire,  qu'avec 
îa  raifon  :  celle  ci  la  prévient ,  ôc  nous 
nous  trouvons  corrompus,  avant  pref- 
que  d'avoir  pu  connoîrrc  ce  que  nous 
fommes.  Ce  penchant  infortuné  ,  qui 
fouille  tout  le  cours  de  la  vie  de?  lum- 
mes ,  prend  toujours  fa  fource  dans 
les  premières  mœurs  :  c'eft  le  premier 
trait  empoifonné  qui  bleiTerame  :  c'eft 
lui  qui  efface  fa  première  beauté  ;  ÔC 
c'eft  de  lui  que  coulent  en  fuite  tous 
fes  autres  vices. 

Mais  ce  premier  écueil  de  la  vie 
humaine  devient  comme  Fécueil  pri- 
vilégié de  la  vie  des  Grands.  Dans  les 

Petit  Carinie,  B 


%6      ï.   D  I  M.    D  E    C  A  R  E  M  E. 

autres  hommes ,  cette  paflîon  déplo- 
rable n'exerce  jamais  qu'à  demi  Ton 
empire  :  les  obilacles  la  traverfent ,  la 
crainte  des  difcours  publics  la  retient  ; 
l'amour  de  la  fortune  la  partage. 

Dans  les  Princes  ôc  dans  les  Grands , 
ou  elle  ne  trouve  point  d'obftacle  ,  ou 
les  obilacles  eux-  mêmes  facilement 
Lcartés,  l'enflâment  5c  l'irritent.  Hélas! 
quels  obilacles  a  jamais  trou^^é  làdef- 
fus  la  volonté  de  ceux  oui  tiennent  en 
leurs  mains  la  fortune  publique  ?  Les 
occafions  préviennent  prefque  leurs 
deiirs  t  leurs  regards  j  Ci  j'ofe  parler 
ainfi ,  trouventpar  tout  des  crimes  qui 
les  attendent .:  l'indécence  du  fiecle  , 
6c  l'avililTement  des  Cours  ,  honore 
même  d'éloges  publics,  les  attraits  qui 
réufTiiTent  à  les  féduire  :  on  rend  des 
hommages  indignes  à  l'effronterie  la 
plus  honteufe  :  un  bonheur  (î  honteux 
eft  regardé  avec  envie,  au  lieu  de  l'être 
avec  exécration  ;  ÔC  l'adulation  pu- 
blique couvre  l'infamie  du  crime  pu- 
blic. Non  :  Sire  ,  les  Princes  ,  dès 
qu'ils  fe  livrent  au  vice  ,  ne  connoif- 
fent  plus  d'autre  frein  que  leur  volon- 
té ;  6c  leurs  paOïons  ne  trouvent  pas 
plus  de  réfiilance  ,  que  leurs  ordres. 

David  veut  jouir  de  fon  crime  t 


Tentations  des  Grands.  17 
Télite  de  Ton  armée  eil  bientôt  facri- 
fiée  ,  8c  par-là  périt  le  feu!  témoin  in- 
commode à  fon  incontinence.  Rien  ne 
coûte  ,  &  rien  ne  s'oppofe  aux  payons 
des  Grands  :  ainfi  la  facilité  des  paf^ 
fions  en  devient  un  nouvel  attrait  i 
devant  eux,  toutes  les  voies  du  crime 
s'applanifTent ,  &  tout  ce  qui  plaît,  efi: 
bientôt  poffible. 

La  crainte  du  Public  eft  un  autre 
frein  pour  la  licence  du  commun  des 
hommes.  Quelque  corrompues  que 
foient  nos  mœurs,  le  vice  n'a  pas  en- 
core perdu  parmi  nous  toute  fa  honte , 
il  refle  encore  une  forte  de  pudeur 
publique  qui  nous  force  à  le  cachet*  ; 
6cle  monde  lui  même,  qui  fem.ble  s'en 
faire  honneur  ,  lui  attache  pourtant 
encore  une  efpece  de  flétriiTure  6c 
d'opprobre  :  il  favofife  les  pafîions  ; 
Se  impofe  pourtant  des  bienféances 
qui  les  gêne  :  il  fait  des  leçons  publi- 
ques du  vice  6c  de  la  volupté  ;  5c  il 
exige  pourtant  le  feciet ,  &  une  forte 
de  ménagement  de  ceux  qui  s'y  li- 
vrent. 

Mais  les  Princes  8c  les  Grands  ont 
fecoué  ce  joug  :  ils  ne  font  pas  afîezde 
cas  des  hommes ,  pour  redouter  leurs 
cenfures.  Les  hommages  publics  qu'on 

B  ij 


2.^  î.  D I  M.  DE  Carême. 
leur  rend  ,  les  rallurent  fur  le  mépris 
fecret  qu'on  a  pour  eux  :  ils  ne  crai- 
gnent pas  un  Public  qui  les  crainr ,  Si 
qui  les  reCpeB:e  ;  6c  à  la  hoite  du  (le- 
cle  ,  ils  Te  flattent  avec  raifon  ,  qu'on 
a  pour  leurs  paffions  les  mêmes  égards 
que  p3ur  leur  perfonne.  La  diftance 
qu'il  y  a  d'eux  au  peuple  ,  le  leur  mon- 
tre dans  un  point  de  vue  Ci  éloigné  , 
qu'ils  le  regardent  comme  s'il  n'étoit 
pas  :  ils  méprifent  des  traits  partis  de 
il  loin  ,  8c  qui  ne  fauroient  venir  juf- 
qu'à  eux  ;  ÔCprefque  toujours  ,  deve- 
nus les  feuls  objets  de  la  cenfure  publi- 
que ,  ils  font  les  feuls  q;ii  l'ignorent,  ^ 
Ainfi  plus  on  ed  grand  ,  Sire  ,  plus  M 
on  eil  redevable  au  Public.  L'éiéva-  ^ 
tion  qui  bleife  déjà  l'orgueil  de  ceux 
qui  nous  font  fournis ,  les  rend  des 
cenfeùrs  plus  féveres  ôc  plus  éclairés 
de  nos  vices  :  il  femble  qu'ils  veulent 
regagner  par  les  cenfures,  ce  qu'ils 
perdent  par  la  foumifTion  ;  ils  fe  ven- 
gent de  la  fervitude  par  la  liberté  des 
difcours.  Non  ,  SiRE  ,  les  Grands  fe 
crpient  tout  permis  ,  8>C  on  ne  par- 
donne rien  aux  Grands  ;  ils  vivent 
comme  s'ils  n'avoient  point  de  fpe^^a- 
teurs  j  5c  cependant  ils  font  tout  feuls 
comme  le  fpeciacle  éternel  durefte  de 
îa  terre. 


Tentations  des  Grands.  i$ 
Enfin  5  l'ambition  6c  l'amour  de  la 
fortune  dans  les  autres  hommes ,  par^ 
tage  l'amour  du  plaifîr.  Les  foins  qu'elle 
exige  ,  font  autant  de  momens  déro- 
bés à  la  volupté  ;  le  diiiir  de  parvenir 
fufpend  du  mo^ns  des  pnfnons ,  qui 
de  tout  temps  en  onc  été  i^obllacle  :  on 
ne  fauroit  allier  les  mouvcmens  fages 
&  mefurés  de  l'ambition ,  a-ec  le  loHir, 
l'oifiveté  ,  ÔC  prefque  toujours  le  dé- 
rangement 5c  les  extravagances  du 
vice.  En  un  mot ,  la  débauche  a  tou- 
jours été  recueil  inévitable  de  l'éléva- 
tion ;  6c  jufques  ici  les  plaifirs  ont  ar- 
rêté bien  des  efpérances  de  fortune,  ôC 
l'ont  rarement  avancée. 

Mais  les  Princes  6c  les  Grands  qui 
n'ont  plus  rien  à  defirer  du  côté  de  la 
fortune ,  n'y  trouvent  rien  auiTi  qui  gê- 
ne leurs  plaifirs.  La  naiffance  leur  a 
tout  donné  ;  ils  n'ont  plus  qu^à  jouir  , 
pour  ainfî  dire  ,  d'eux  mêmes  :  leurs 
ancêtres  ont  travaillé  pour  eux  ;  le 
plailir  devient  l'unique  foin  qui  les 
occupe  :  i's  Ce  repofent  de  leur  éléva^ 
tiofl  fur  leurs  titres  ;  tout  le  refte  eft 
pour  les  palTions. 

AuHi  les  enfans  des  hommes  illuf- 
très  font  d'ordinaire  les  fucceffeurs-^ 
du  rang  6c  des  honneurs  de  leurs  pé-- 

B  iij 


30      L   D  I  M.   D  E    C  A  REM  Eo 

tes ,  ÔC  ne  le  font  pas  de  leur  gloire  & 
de  leurs  vertus.  L'élévation  dotrr  la 
naiflance  les  met  en  poiïeffîon ,  les 
empêche  toute  feule  de  s'ein  rendre 
dignes  :  héritiers  d'un  grand  nom  ,  il 
leur  paroît  inutile  de  s'en  faire  un  à 
eux  mêmes  :  ils  goûtent  les  fruits 
d'une  gloire  dont  ils  n'ont  pas  goûté 
Famertume  :  le  fang  ÔC  les  travaux  de 
leurs  ancêtres  deviennent  le  titre  de 
leur  moUefle  Se  de  leur  oifiveté  :  la 
nature  a  tout  fait  pour  eux  ;  elle  ne 
laiiTe  plus  rien  à  faire  au  mérite  :  ôc 
fouvent  répoque  glorieufe  de  l'éléva- 
tion d'une  race  ,  devient  un  moment 
après  elle  même  ,  fous  un  indigne 
héritier  ,  le  (ignal  de  fa  décadence  ÔC 
de  fon  opprobre.  Les  exemples  là-def- 
fusfont  de  toutes  les  nations  ÔC  de  tous 
les  (iecles. 

Salo-non  avoit  porté  la  gloire  de  fon 
nom  jufqu'aux  extrémités  de  la  terre  : 
l'éclat  ÔC  la  magnificence  de  fon  règne 
avoit  furpaffé  celle  de  tous  les  Rois 
d'Orient:  un  fils  infenfé  devient  le  jouet: 
de  fes  propres  fujets ,  ÔC  voit  dix  Tri- 
bus fe  choifir  un  nouveau  maître.  Les 
enfans  de  la  gloire  ôc  de  la  magnificen- 
ce font  rarement  les  enfans  de  la  fagef 
fe  ôcde  la  vertu  jôC  il  eft  prefque  plus. 


TtNTATÏONS  DES  GRANDE.  ^ï 
rare  de  foutenir  la  gloire  ÔC  les  hon- 
neurs auxquels  on  fuccede,  que  de  les 
acquérir  foi- même. 


L 


E  plaifir  eft  donc  le  premier  écueil  H. 
des  Grands ,  &  c'eft  par  là  que  le  ten-  Partie; 
tateur  commence  à  les  féduire  ;  il  con- 
tinue par  Tadulaîion.  Le  plaifir  cor- 
ro  upt  le  cœur  par  le  vice  ;  l'adulation 
achevé  de  ie  fermer  à  la  verm  :  les  at- 
traits qui  environnent  le  Trône  fo.uf- 
flent  de  toutes  parts  la  volupté;  l'adu- 
lation la  juftifie  :  le  défordre  laifTe 
toujours  au  fond  de  l'ame  le  ver  dé- 
vorant; mais  leflatreur  traite  le  remord 
de  foibleffe  ,  enhardit  la  timidité  du 
crime ,  &  lui  ôte  la  feule  reflburce 
qui  poiïvoit  le  ramener  à  la  pudeur  de 
Tordre  6c  de  la  raifon. 

Si  RE  ,  quel  fléau  pour  les  Grands  ,- 
que  ces  hommes  nés  pour  applaudir 
à  leurs  paflions ,  ou  pour  drefler  des 
pièges  à  leur  innocence  !  quel  malheur 
pour  les  peuples ,  quand  les  Princes 
5c  les  Puiffans  fe  livrent  à  ces  ennemis 
de  leur  gloire ,  parce  qu'ils  le  font  de 
la  fageife  &  de  la  vérité  !  Les  fléaux 
des  guerres  &  des  flérilités  font  des' 
fléaux  paiTagers,  6c  des  temps  plus  heu- 
reux   ramènent   bientôt  la  paix  ôC- 

B  iv 


3.1  T.  D I  M.  DE  Carême. 
l'abondance  :  les  peuples  en  font ??fïli- 
gés  ;  mais  la  fagefle  du  Gouvernement 
leur  laiffe  efpérer  des  îeiTources.  Le 
âéau  de  l'adulation  ne  permet  plus 
d'en  attendre;  c'efl  une  calamité  pour 
l'Etat,  qui  en  promet  tcujourF  de  nou- 
velles :  ropurcfllon  des  peuples ,  dé- 
guifée  au  Souverain  ,  ne  leur  annonce 
que  des  charges  plus  onéreufes  :  les 
gémiflemens  les  plus  touchans  que 
forme  la  miïere  publique  ,  paiFent 
bientôt  pour  des  murmures  :  les  re- 
montrances les  plus  jufles  6c  les  plus 
refpeélueufes ,  l'aduîation  lr:s  traveflit 
en  une  témérité  puniflable  ;  &  Tim- 
pofTibilité  d'obéir  n'a  plus  d'ijutre  nom 
que  la  rébellion  Sc  la  mauvaife  volon- 
Ffit,^,XQ  qui  refufe.  Que  le  Seigneur  ,  difoit 
autrefois  un  faint  Roi ,  confonde  ces 
langues  trompeufes  &  ces  lèvres  fauf- 
fes,qui  cherchent  à  nous  perdre  j 
parce  qu'elles  ne  s'étudient  qu'à  nous 
plaire. 

S  I  R  E  ,  défiez- vous  de  ceux  qui  9 
pour  autorifer  les  profufions  immen- 
fes  des  Rois  ,  leur  grofTiifen:  fans 
eefîe  l'opulence  de  leurs  peuples. 
Vous  fuccédez  à  une  Monarchie  flo- 
rillante  ,  il  eil  vrai ,  m.ais  que  les  per- 
tes paiTées  orit  accablée.  Le  zelè  d^ 


Tentations  des  Grands.   33 
vos  Sujets  eftinépuifable  ;  mais  ne  me- 
furez  pas  là-delîus  les  droits  que  vous' 
avez  fur  eux  ;  leurs  forces  ne  répon- 
dront de  long-temps  à  leur  zèle  :  les' 
lîécefTités  de  l'Etat  les   ont  épuifés  ;;^ 
iàiflezrîes  refpirer    de   leur   accable-- 
ment  :  vous  augmenterez  vos  refibur- 
ces ,  en  augmentant    leur    tendreïfe» 
Ecoutez  les  confeils  des  Sages  &  de^ 
Vieilljards  auxquels  votre  enfance  eff 
confiée  ,  &  qui  préfiderent  auK  con- 
feils de   votre   augude   Bifaïeul  ;  ôC 
fouvenez  vous  de  ce  jeune    Roi   de- 
Jljda,  dont  je  vous  ai  déjà  cité  rexem^"' 
plé  5  qui  pour  avoir  préféré  les  avi^ 
d*une  jeunelTe  incoîTfidérée  ,  à  la  fa* 
gefle  5c  à  la  maturité  de  ceux  aux  con- 
ièils  defquels  Salomon  Ton  père  étoîê^^ 
redevable  de  la  gloire  ôc  de  la  prof^ 
périté  de  fon  règne  ,  &  qui  lui  con> 
feilloient  d'affermir  les    commerrce- 
iriens  du  fien  par  le  fouiagement  de  Ter 
peuples ,  vit  un  nouveau  Royaume  fé^ 
former  des  débris  de  celui  de  Juda;  Ôk- 
pour  avoir  voulu  esiiger  deTes  fujets- 
au-  delà  de  ce  qu'ils  lui  dévoient,  il  per.  • 
dit  leur  amour  &  leur  fidélité  qui   lui' 
ètoiem  ('lîc;  Lescon'eilsc/gréables  font- 
raremcnt^escon/cils  aiï'e^è  ;  d^  ce  qiTi  " 
flotte- les-  Soiiverairrs  ,  fait  d'oîdinalfs^' 
Iq. malheur  d€ s  Sujets,-         B>  y^ 


j4    !•  D'iîvî.  DE  Gare  ME, 

Oui,  Sire  ^  par  Tadulation^les  vices- 
des  Grands  fe  fortifient  ;  leurs  vertus 
mêmes  fe  corrompent.  Leurs  vices  fe 
fortifient  :  5c  quelle  reflburce  peut- il 
refier  à  des  paiîions  qui  ne  trouvent  au- 
tour d'elles  que  des  éloges  ?Hélas!com-- 
ment  pourrions-nous  haïr&  corriger 
ceux  de  nos  défauts  que  l'on  loue,  puif- 
que  ceux  même  qu'on  cenfure  trouvent 
encore  au- dedans  de  nous  ,  non  feu- 
lement des  penchans ,  mais  des  rai- 
fons  même  qui  les  défendent  ?  Nous 
nous  faifons  à  nous-  mêmes  l'apologie 
de  nos  vices  :  l'illufion  peut- elle  fe 
diffiper  ,  lorfque  tout  ce  qui  nous  en- 
vironne nous  les  donne  pour  des  ver^ 
tus  ? 

Leurs  vertus  mêrnes  fe  corrom- 
pent :  c'eft  l'expérience  de  tous  les 
îiccles  5  difoit  AfTuérus  ;  les  îuggeftions 
flatteufes  des  méchsns  ont  toujours 
perverti  les  inclinations  louables  des 
meilleurs  Princes  ;  &  les  plus  ancien- 
nes hiftoires  nous  en  fourniffent  des- 
^^R- T<ç  exemples  i  Et  ex  veterihus  probatur 
j^.  hijtoriis.  .  .  o .  quomodo  maUs  quorum-" 

dam  fuggejîionibus ,  Regum  fluclia  de- 
p»mventur.  C'étoit  un  Roi  infidèle  qui 
faifoit  cet  aveu  public  à  fes  fujers  :  les 
œnfeils.fpécieux  ôc  iniques. d'un  flat*. 


Tentations  des  GkA>JDs.  35 
feur  alloient  fouiller  toute  la  gloire 
de  Ton  Empire  :  la  fidélité  du  feul  Mar- 
dochée  arrêta  le  bras  prêt  à  tomber  fiir 
les  innocens.  Un  feul  fujet  fidèle  dé- 
cide fouvent  de  la  félicité  d'un  règne 
6c  de  la  gloire  du  Souverain  ;  ôc  il  ne 
faut  aufli  qu'un  feul  adulateur  ,  pour 
flétrir  toute  la  gloire  du  Prince ,  & 
faire  tout  le  malheur  d'un  Empire. 

En  effet ,  l'adulation  enfante  l'or- 
gueil, &  l'orgueil  eft  toujours  l'écueil' 
fatal  de  toutes  les  vertus.  L'adulateur, 
en  prêtant    aux  Grands  les  qualités 
louables  qui  leur  manquent ,  leur  fait 
perdre  celles  mêm.es  que  la  nature  leur 
avoit  données  ;   il  change  en  fources 
de  vice  ,  des  pcnchans  qui  étoienî  en 
eux  des  efpérances  de  vertu.  Le  cou- 
rage dégénère  enpréfomptidn;  la  ma- 
jefté  qu'infpire  la  naiffance  ,  qui  fied- 
fi  bien  au  Souverain,  n'efl  plus  qu'une 
vaine  fierté  ,   qui  l'avilit  Sc  le  dégra- 
de ;  l'amour  de  la  gloire  ,  qui  coule 
en  eux  avec  le  fang  des  R.ois  leurs  an- 
cêtres ,  devient  une  vanité  iafenfée  ^- 
qui  voudroit  voir  l'univers  entier  à^ 
leurs  pieds;  qui  cherche  à  combartre  5- 
feulement  pour  avoir  rhonneur  fri- 
vole de  vaincre;  6c  qui,  loiifde  domp-^ 
îer  leurs  ennemis -5  leu?  esï  fait  de  noa-^ 


3/J  I.  D  IM.  DE  Carême. 
veaux  ,  5c  arme  contre  eux  leur^; 
voifms  &  leurs  alliés  .-riiumanité  (i 
aimable  dans  Télévaiion  ,  5c  qui  eft 
comme  le  premier  fenriment  qu'on 
verfe  dès  Tenfance  ,  dans  l'ame  des 
Rois ,  fe  bornant  à  des  larsefies  ou- 
trées,  6c  à  une  familiamé  fans  réferve 
pour  un  petit  nombre  de  favoris  ,  ne 
leur  laifle  plus  qu'une  dure  infenfibi- 
lité  pour  les  miferes  publiques  :  les 
devoirs  mêmes  de  la  Religion  dont  ils 
font  les  premiers  Proteôeurs ,  ÔC  qui 
avoient  fait  la  plus  ferieufe  occupa- 
tion de  leur  premier  âge  ,  ne  leur  pa- 
roiflent  plus  bientôt  que  les  amufe- 
mens  puériles  de  Tenfance.  Non  , 
Sire  ,  les  Princes  naiifent  d'ordinaire 
vertueux  ,  &  avec  des  inclinatiorrs 
dignes  de  leirr  fang  :  la  nailFance  nous 
les  donne  tels  qu'ils  devroient  être, 
l'adulation  toute  feule  les  fait  tels 
q:u'ils  font. 

Gâtés  par  les  louanges,  on  n'ofè- 
roit  plus  leur  parler  le  langage  de  la 
vérité  :  eux   feuls  ignorent  dans  leur 
Etat  5  ce  qu'eux  feuls  devroient  con- 
noître  :  ils  envoient  des  Miniflres  pour^ 
êîre  infoîmés  de  ce   qui  fe  pafîe  de- 
pjùs"  fécret  dans  les  Cours  ôc  dans  léss 
ïïbyjâumess  lès-  pjus: éloignés  ;  &  pcT^- 


Tentations  des  Grands.  37  - 
ibnne  n'oferoit  leur  apprendre  ce  qui 
fe  paffe  dans  leur  propre  Royaume  : 
les  difcours  flatteurs  affiegent  leur 
Trône  ,  s'emparent  de  toutes  les  ave- 
nues ,  6c  ne  laiffent  plus  d'accès  à  la^ 
vérité.  Ainfi  le  Souverain  eft  feul 
étranger  au  milieu  de  Tes  peuples  ;  il 
croit  manier  les  reflbrts  les  plus  fecrets 
de  l'Empire  ,  6f  il  en  ignore  les  évé- 
nemens  les  plus  publics  :  on  lui  cache 
fes  pertes  ;  on  lui  grofTitfes  avantages: 
on  lui  diminue  les  miferes  publiques  : 
on  le  joue  à  force  de  le  refpeéler  :  il 
ne  voit  plus  rien  tel  qu'il  eft  ,  tout 
lui  paroît  tel  qu'il  le  fouhaite. 

Telles  font  les  trilles  fuites  de  l'adu- 
lation. Cependant   ,    Sire  ,  c'eft  là 
le  vice  le  plus  comni»un  des  Cours  ,  ÔC 
recueil  des  meilleurs  Princes.  A  peine 
le  jeune  Roi  Joas  eut-  il  perdu  le  fidelè  - 
Pontife  Joïada ,  ce  fage  tuteur  de  fou' 
enfance,  &  le  feul  homme  par  qui  la- 
vérité  alloit  encore  jufqu'aux  pieds  de 
fon  Trône  ;   que  féduit  par  les  flatte- 
ries des  Courtifans ,  âh  l'Ecriture  ,  il 
fe  livra  à  leurs  mauvais  confeils ,  Sc  à 
fes  propres  foiblelTes  :  Ddinitus  obfe-  2.  P^ra/'/, 
quiis  eonim  ^  acquicvlt  cis.  24,17... 

C'eft  l'adulation  qui  fait  d'un   bon 
Prince ,  un  Prixice  né  pour  k  malheiji: 


' 


^8      I.    D  I  M.    D  E    C  A  R  E  M  Ë. 

de  fon  peuple  :  c'eft  elle  qui  fait  d\i 
fceptre  un  joug  acablant  ;  ÔC  qui  à 
force  de  louer  les  foibleffes  des  Rois  j 
rend  leurs  vertus  mêmes  inépuifables. 

Oui  5  SiRE  5  quiconque  flatte  Tes 
maîtres ,  les  trahit  :  la  perfidie  qui  les 
trompe  ,  efl  aufli  criminelle  que  celle 
qui  les  détrône  :  la  vérité  eft  le  premier 
hommage  qu'on  leur  doit;  il  n'y  a  pas 
loin  de  la  mauvaife  foi  du  flatteur  à 
celle  du  rébelle  :  on  ne  tient  plus  à 
Thonneur  6c  au  devoir  ,  dès  qu'on  ne 
tient  plus  à  la  vérité  qui  feule  honore 
l'homme  ,  &qui  efl  la  bafe  de  tous  les 
devoirs.  La  même  infamie  qui  punit 
la  perfidie  &  la  révolte  ,  devroit  être 
deflinée  à  l'adulation  :  la  fureté  pu- 
blique doit  fuppléer  aux  loix  qui  ont 
omis  de  la  compter  parmi  les  grands 
crimes  auxquels^  elles  décernent  des 
fupplices  ;  car  il  eil  aufîî  criminel 
d'attenter  à  la  bonne- foi  des  Princes , 
qu'à  leur per Tonne  facrée  ;  de  manquer 
à  leur  égard  de  vérité,  que  de  m.anquer 
de  fidélité  ;  puifque  l'ennemi  qui  veut 
nous  perdre  ,  eft  encore  moins  à  crain- 
dre, que  l'adulateur  qui  ne  cherche 
qu'à  nous  plaire. 

Mais  l'adulation  îa  plus  dangereuse 
eft  dans  iâ  bouche  de  ceux  qui,  p.ar 


Tentations  des  Grands.   3^ 
la  faînteté  de  leur  caraâ:ere,font  éta- 
blis  les  Miniflres  de  la  vérité.  Allez  , 
dit  le  Seigneur  à  l'eTprit  de  menfon- 
ge  :  entrez  dans  la  bouche  des  Pro- 
phètes du  Roi  Achab  :  vous  réuiïirez  : 
vous  le  tromperez  ;  ÔC  fa  fédu^lion  eft 
inévitable  :     Decipies   &   prœvakbiSi    i.Kegj 
Hélas  !  fî  l'adulation  a  tant  de  char-  ^**^^- 
mes  5  lors  même  que  les  vices  &  les 
diflolutions  du  flatteur  en  afFoibliiïent 
l'autorité,  6c  la  rendent  fufpeâie  ; 
quelle  féduélionne  forme-t-elle  point, 
lorfqu'elle  ell  confacrée  par  les  appa- 
rences mêmes  de  la  vertu  ?  Quel  avi- 
liflement  pour  nous  ,    (î  nous  faifons 
du  miniftere   même  de  la  vérité  ,  un 
miniftere  d'adulation  ÔC  de  menfon- 
ge  ;  fi  dans  ces  Chaires  mêmes  defti- 
nées  à    inllruire    ÔC    à   corriger  les 
Grands ,  nous  leur  donnons  des  fauffes 
louanges  qui   achèvent  de  les  féduire  ; 
fi  le  feul  canal  par  où  la  vérité  peut 
encore   aller  jufqju'à  eux  ,   n'y  porte 
qu'une  lueur  trompeufe  qui  leur  aide 
à  fe  méconnoître  ;  fi  nous  empruntons 
lé    langage  flatteur    6c  rampant  des 
Cours  j  en   venant  leur  annoncer  la 
parole  généreufe  ^   fijblime  du  Sei- 
gneur ;  ôc  fi  5  loin  d'être  ici  les  maîtres- 
Scle5  docteurs  des  Rois  ^  nous  ne  foin=5- 


Jp     î.   D  I  M.    D  E    C  A  R  E  M  Ë. 

mes  que  Jes  vils  efcîaves  de  la  vanité 
dL  de  la  fortune/  Mais  quel  mslhcur 
pour  les  Grands,   de  trouver   d'indi- 
gnes ApologiAes de  leurs  vices,  parmi'' 
ceux  qui  en  auroient  dû  être  les  Cen- 
feurs  ;  d'entendre  autour  de  leur  Trô- 
ne, les  Minières  8c  les  Interprètes  de^ 
la  Religion  ,  parler  comme  le  Courti- 
fan;  &  trouver  àçs  adulateurs ,  où  ils* 
auroient  dû  trouver  des  Ambroifes  V 
O  vous,  Sire  ,  que  Dieu  a  ét?blr 
pour  commander  aux  homnies ,  n'ai- 
mez dans  les  hommes  que   la  vérité  ;■ 
elle  feule  les  rend  aimable^.  Fermer 
Foreille  aux  difcours  qui  voué  ilattentr 
le  flatteur  hait  votre  pcrforne  ;  il  n'aU 
me  que  vos  faveurs.  Ecowtez  les  Icman- 
ges  qui  nous  prêtent  de  faufies  vertus  f 
comme  des  reproches  publics  de  nos 
vices  véritcbles.  Scu\enez  -  vous  que 
l'amour  des  peuples  eftrclcge  le  moins 
fufpcéî  du  Souverain.  Les  bons  &  les 
mauvais    Princes   oYit  etc  égslemeit- 
loués  pendant  leur  vie  :  il  femble  mê- 
me que  les  bafies  flatteries  ont  été  eit- 
core  plus  pro- louées  à  ces  dernierro- 
La  haine  publique  le  cache  d'ordinaire 
fous  l'adulation  :  Sire,  rendez- vous-^ 
digne  d'être  Icué  j^5c  vous  mép^niciez^^ 
les:  louanges*^ 


L 


Tentatioî^s  des  Grands.  4r 


'Adulation  ferme  donc  le  cœur  à  la  nr> 
vérité  ,  maïs  l'ambition  eft  bientôt  leP^i^TîE, 
trifte  fruit  de  l'aveuglement  où  jette 
i'adulation  ,  8c  achevé  de  creufer  le 
précipice  :  c'eil  le  dernier  piège  que  le 
démon  rend  aujourd  huià  JefusChriftr 
Je  vous  donnerai  les  Royaumes  du  mon- 
de ,  &  toute  leur  gloire. 

Oui ,  Sire  ,  c'eft  l'adulation  qui 
mené  toujours  les  Grands  à  la  gloire 
infenfée  5c  mal-entendue  de  l'ambi- 
tion :  6c  ce  defîr  infenfé  de  gloire  ,  oa 
ne  menetil  point  un  cœur  qui  s'y 
livre  ? 

Cette  pafTion  infortunée  rend  d'a- 
bord malheureux  l'ambitieux  qu'elle 
poffede  ;  elle  l'avilit  enfuite  ,  &:  le  dé* 
grade  ;  enfin  ,  elle  le  conduit  à  une 
faufle  gloire ,  par  des  moyens  injuftes , 
qui  lui  font  perdre  la  gloire  véritable. 
Tels  font  les  cara(fi:ercs  honteux  de 
Tambition  ;  de  ce  vice  dont  le  monde 
honore  Tes  Héros,  Sc  dont  ils  s'hono- 
rent fi  fort  eux-  mêmes. 

Ce  n'eft  pas  que  je  prétende  autorî- 
fer  dans  les  Grands,  non  plus  que  dans 
le  refle  des  hommes,  une  vie  molle  ÔC 
obfcure  ,  des  fentîmens  bas  &  timides  ; 
§c  fous  prétexte  deblâmer  rambltion  ^ 


4î      I.   D  I  M.    D  E    C  A  R  E  M  E. 

confacrer  Toiliveté  ôc  l'indolence. 
Je  fais  qu'il  y  a  une  noble  émulation 
qui  mené  à  la  gloire  par  le  devoir  :  la 
lîailFance  nous  l'infpire  ,  ôC  la  Religion 
l'autorife  :  c'eft  elle  qui  donne  aux 
Empires  des  Citoyens  illufires  ,.-  des 
MiniUres  fage?  5claborieux,de  vaillans 
Généraux  j  des  Auteurs  célèbres  ,  des 
Princes  dignes  des  louanges  de  la  poC- 
térité.  La  piété  véritable  n'eft  pas  une 
protcfllon  de  puriilanimité  ÔC  de  pa- 
re/Te :  !a  Religion  n'abat  &.  n'amollit 
Tpomt  ie  cœur  ;  elle  Tannoblit  6C  l'éle- 
vé ;  elle  feule  fait  former  de  gnmds 
hommes  :  on  efl  toujours  petit ,  qivmd 
on  n'eil  grand  que  par  la  varjté.  Ainiî, 
la  moilefle  5c  Toifîveté  bleflent  égale- 
ment les  règles  de  la  piété  ,  &  les  de- 
voirs de  la  vie  civile  ;  &  le  citoyen 
inutile  n'eu:  pas  moins  profcriî  par 
l'Evangile  ,  que  par  la  fociété. 

Mais  Tambicion  ,  ce  defir  infitiable 
de  s'élever  au-defTus,  &  fur  les  ruines 
mêmes  des  autres  ;  ce  ver  qui  pique  îe 
cœur ,  6c  ne  le  lailTe  jamais  tranquille; 
cette  paflîon  ,  qui  eft  le  grand  reîTort 
des  intrigues,  &  de  toutes  les  agita- 
tions des  Cours  ;  qui  forme  les  révolu- 
tions des  Etats  ,  6c  qui  donne  tous  les 
jours  à  l'univers  de  nouveaux  fpcda- 


Tentations  des  Grands.  43 
des  :  cette  pafTion  ,  qui  ofe  tout  ,  6c  à 
laquelle  rien  ne  coûte  ,  efl  un  vice 
encore  plus  pernicieux  aux  Empires  ,. 
que  la  parefle  même. 

Déjà  il  rend  malheureux  celui  qui 
en  eft  poiTédé  :  l'ambitieux  ne  joui: de 
rien  ;  ni  de  fa  gloire ,  il  la  trouve  obf- 
cure  ;  ni  de  Tes  places ,  il  veut  monter 
plus  haut  ;  ni  de  fa  profpérité  ,  il  feche 
&  dépérit  au  milieu  de  fon  abondance; 
ni  des  hommages  qu'on  lui  rend  ,  ils 
ibnt  empoifonnés  par  ceux  qu'il  eft 
obligé  de  rendre  lui  même  ;  ni  de  fa 
faveur  ,  elle  devient  amere  ,  dès  qu'il 
faut  la  partager  avec  Tes  concurrens  ; 
ni  de  fon  repos  ,  il  eft  malheureux  ^  à 
mefure  qu'il  eft  obligé  d'être  plus  tran- 
quille: c'eft  un  Aman,  l'objet  fouvent 
des  defirs  5c  de  l'envie  publique  ,  ôC 
qu'un  feul  honneur  refufé  à  fon  ex- 
ceftîve  autorité  ,  rend  infupportable  à 
lui-même. 

L'ambition  le  rend  donc  malheu- 
reux ;  mais  de  plus  ,  elle  l'avilit  ÔC  le 
dégrade.  Que  de  bafTjTas  pour  parve- 
nir /  ilfautparoître  ,  non  pas  tel  qu'on 
eft,  mais  tel  qu'on  nous  fouhaite.  Baf- 
fefte  d'adulation  ;  on  encenfe  &  on 
adore  l'idole  qu'on  méprife  :  bafTefte 
de  lâcheté  ;  il  faut  favoir  efluyer  des: 


44      î.    D  î  M.    D  E    C  A  R  E  M  E. 

dégoûts  5  dévorer  des  rébuts ,  6c  les  re- 
cevoirprefquecomme  des  grâces  :  bciC- 
fefTe  de  difîimulation  ;  point  de  ferti- 
mens  à  foi  :  êc  ne  penfer  que  d'après 
les  autres  :  baife iTe  de  dérèglement  ; 
devenir  les  complices ,  5c  peut-être  les 
miniftres  des  partions  de  ceux  de  qui 
nous  dépendons  ,  ÔC  entrer  en  part  de 
Iturs  défordres  ,  pour  participer  plus 
fûrement  à  leurs  grâces  :  enfin ,  balfefTe 
même  d'hypocrifie  ;  emprunter  quel- 
quefois les  apparences  de  la  piété  ; 
jouer  rhomme  de  bien  pour  parvenir  ^ 
6c  faire  fervir  à  rambition  ,  la  Reli- 
gion même  qui  la  condamne.  Ce  n'efV 
point  là  une  peinture  imaginée  ;  ce 
font  les  mœurs  des  Cours,  6c  Thiftoire 
de  la  plupart  de  ceux  qui  y  vivent. 

Qu'on  nou.s  dife  après  cela  ,  que  c'eft 
le  vice  des  grandes  âmes  :  c'elt  le  ca- 
raâere  d'un  cœur  lâche  8c  rampant; 
c'eft  le  trait  le  plus  marqué  d'une  ame 
vile.  Le  devoir  tour  feul  peut  nous  me* 
ner  à  la  gloire  :  celle  qu'on  doit  aux 
baifeires  5c  aux  intrigues  de  l'ambition, 
porte  toujours  avec  elle  un  cara6l:ere  de 
honte  qui  nous  déshonore  :  elle  ne 
prom-ct  les  Royauines  du  monde  ,  ÔC 
toute  leur  gloire, qu'à  ceux  qui  fe  prof^ 
cernent  devant  l'iniquité  ,  5c  qui  fe. 


Tentations  des  Grands.    4s 

dégradent  honreiireai3nt  eux  mêmes  : 
Si  ca  UnSy  a  loriveris  me.  On  reproche  Matth» 
toujours  vos  bairelTes  à  votre  élévation;  4-  9- 
vos  places  rappellent  fans  celle  les 
aviliiremens  qui  les  ont  méritées  ;  ^ 
les  titres  de  vos  honneurs  5c  de  vos  di- 
gnités, deviennent  eux-mêmes  hs  traits 
publics  de  votre  ignominie.  Mais  dans 
l'eTprit  de  Tambideux,  le  fuccès  couvre 
la  honte  des  moyens.  Il  veut  parvenir  ; 
&  tout  ce  qui  le  mené  là  ,  efi:  la  feule 
gloire  qu'il  cherche  :  il  regarde  ces 
vertus  Romaines  qui  ne  veulenr  rien 
devoir  qu'à  la  probité  ,  à  rhonneui"  Sc 
aux  fer vices^ comme  des  venus  de  ro- 
man Se  de  théâtre ,  ôc  croit  que  l'élé- 
vation des  fentimens  pouvoit  faire  au- 
trefois les  héros  de  la  gloire  ;  maii?  que 
c'eft  la  bafTefle  &  l'avililTcment  qui 
font  aujourd'hui  ceux  de  la  fortune. 

Au/îî  l'injuftice  de  cette  paflion  en 
e(ï  un  dernier  trait  encore  plus  odieux 
que  fes  inquiétudes  ôc  fa  honte.  Oui , 
mes  Frères ,  un  ambitieux  ne  connoît 
de  loi  que  celle  qui  le  favorife  Le 
crim3  qui  l'élevé  ,  e(ï  pour  lui  corn  ne 
une  vertu  quirannoblu.  A  ni  infidèle; 
l'amitié  n'ell  plus  rien  pour  lui  dès 
qu'elle  intérefle  fa  fortune  :  mauvais 
citoyen;  la  vérité  ne  lai  parolt  eiluna- 


46      1.    D  I  M.    DE    C  A  R  E  M  E. 

ble  ,  qu'autant  qu'elle  lui  efl  utile  :  le 
mérite  ,  qui  entre  en  concurrence  avec 
lui ,  efr  un  ennemi  auquel  il  ne  pardon- 
ne point:  l'intérêt  public  cède  toujours 
à  Ton  intérêt  propre  :  il  éloigne  des 
fujets  capables ,  éc  fe  fubilitue  à  leur 
place  :  il  facrifie  à  Tes  jaloufîes  le  falut 
de  TEtat  ;  8c  il  verroit  avec  moins  de 
regret  les  affaires  publiques  périr  entre 
fes  mains ,  que  fauvées  par  les  foins  5>C 
par  les  lumières  d'un  autre. 

Telle  eft  l'ambition  dans  la  plupart 
des  hommes  ;  inquiette  ,  honteufe  , 
injufte.  Mais ,  Sire  ,  fi  ce  poifon  ga- 
gne &  infede  le  cœur  du  Prince  ;  fi 
le  Souverain,  oubliant  qu'il  eft  le  pro- 
teâ:eur  de  la  tranquillité  publique  , 
préfère  fa  propre  gloire  à  l'amour  ôc 
au  falut  de  fes  peuples  ;  s'il  aime 
mieux  conquérir  des  Provinces  ,  que 
régner  fur  les  cœurs  ;  s'il  lui  paroît 
plus  glorieux  d'être  le  deftruâ-eur  de 
fes  voidns ,  que  le  père  de  fon  peuple  ; 
fi  le  deuil  5c  la  défolation  de  Ces  fujets, 
eft  ie  feul  chant  de  joie  qui  accompa- 
gne fes  viâ:oires  ;  s*il  fait  fervir  à  lui 
feul  une  puiftance  qui  ne  lui  eft  donnée 
que  pour  rendre  heureux  ceux  qu'il 
gouverne  ;  en  un  mot  ;  s'il  n'eft  Roi 
que  pour  le  malheur  des  hommes  ;  ôC 


Tentations  des  Grands.  47 
que  comme  ce  Roi  de  Babylone ,  ii  ne 
veuille  élever  la  ftatue  impie  ,  l'idole 
de  fa  grandeur  ,  que  fur  les  larmes  ôc 
les  débris  des  peuples  6c  des  nations  i 
grand  Dieu  !  quel  fléau  pour  la  terre  ! 
quel  préfent  faites-vous  aux  hommes 
dans  votre  colère  ,  en  leur  donnant  un 
tel  maître  ! 

Sa  gloire,  Sire  ,  fera  toujours  fouil- 
lée de  fang.  Quelque  infenfé  chantera 
peut-être  fes  vi6loires  ;  ivals  les  Pro- 
vinces 5  les  villes ,  les  campagnes  en 
pleureront  :  on  lui  drelTera  des  monu- 
mens  fuperbes  ,  pour  immonalifer  fes 
conquêtes  ;  mais  les  cendres  encore 
fumî^ntes  de  taut  de  villes  autrefois 
floriifimtes  ;  mais  la  défolation  de  tant 
de  campagnes  dépouillées  de  leur  an- 
cienne beauté;  mais  les  ruines  de  tant 
de  murs  ,  fous  lefqueîles  des  citoyens 
paifibles  ont  été  enfevelis  ;  mais  tant 
de  calamités  qui  fubfîfleront après  lui, 
feront  des  monumens  lugubres  ,  qui 
immortaliferont  fa  vanité  5c  fa  folie. 
Il  aura  palfé  comme  un  torrent  pour 
ravager  la  terre  ,  &  non  comme  un 
fleuve  majellueuxpour  y  porter  la  joie 
6c  l'abondance  :  fon  nom  fera  écrit 
dans  les  annales  de  la  poftérité  parmi 
les  conquérans ,  mais  ii  ne  le  fera  pas 


4?  î.  D  I  M.  D  E  C  A  R  E  M  E. 
parmi  les  bons  Rois  ;  5c  l'on  ne  rap- 
pellera i'hifloire  de  Ton  rejne  ,  que 
pour  rappeller  le  fouvenir  des  maux 
qu'il  a  faits  aux  hommes.  Ainfi  Ton 
orgueil  {a)  ,  dit  l'Efpritde  Dieu  ,  fera 
monté  jufqu'au  Ciel:  fa  têt3  aura  tou- 
ché d3ns  les  nuées  :  fes  fuccès  auront 
égalé  {es  defirs  ;  &  tout  cet  amas  de 
gloire  ne  fera  plus  à  la  fin  qu'un  mon- 
ceau de  boue  qui  ne  laifTera  après 
elle  que  l'infeâion  8c  l'opprobre. 

Grand  Dieu  !  vous  qui  êtes  le  Pro- 
îe6teur  de  l'enfance  des  Rois  ,  5c  (ur- 
îout  des  Rois  pupilles  ,  éloignez  tous 
ces  pièges  de  l'enfant  précieux  que 
vous  nous  avez  laifle  dans  votre  mifé- 
ricorde.  Il  peut  vous  dire  ,  comme 
autrefois  un  Roi  félon  votre  cœur  : 
Pf>  1^.  Monpcre  G*  nia  merc  m'ont  abandonné, 
^^'  A  peine  avois-je  les  yeux  ouverts  à  la 
lumière,  qu'une  mort  prématurée  les 
ferma  en  même  temps  à  Adélaïde  qui 
m'avoit  porté  dans  fon  fein  ,  &  dont 
les  traits  aimables  &C  majeftueux  font 
encore  peints  fur  mon  vifage  ;  6c  au 
Prince  pieux  de  qui  je  tiens  la  vie  ,  ÔC 
dont  les    fentimens    religieux  feront 

(a)  Si  afcenderit  iifque  ad  Cœlum  fuperbia 
ejus  ,  &  caput  ejiis  nubes  tetigerit  .•  quaii 
i^erquilinium  in  fine  perdetur.  Job,  20.  6.  7. 

toujours 


Tentations  des  Grands.   49 

toujours  gravés  dans  mon  cœur  :  Pater 
meus  &  mater  mea  dcreliquerunt  mé* 
Mais  vous  ,  Seigneur  !  qui  êtes  le  Père 
des  Rois,  ÔC  le  Dieu  de  mes  pères  ; 
vous  m'avez  pris  fous  votre  protec- 
tion ,  ôc  mis  à  couvert  fous  l'ombre  de 
vos  aîles  ÔC  de  votre  bonté  paternelle  : 
Dominus  autem  affumpjît  me,  Xbidp 

Grand  Dieu  !  gardez  donc  Ton  in- 
nocence comme  un  tréfor  encore  plus 
eftimable  que  fa  Couronne  :  faites- 
la  croître  avec  fon  âge  :  prenez  fon 
cœur  entre  vos  mains ,  5c  que  le  feu 
impur  de  la  volupté  ne  profane  ja* 
mais  un  fanâ:uaire  que  vous  vous  êtes 
réfervé  depuis  tant  de  fiecles  :  Cujîodl  pr  ^^^ 
innocentiam.  27. 

Voyez  ces  femences  de  droiture  6c 
de  vérité  ,  que  vous  avez  jettées  dans 
fon  ame  ;  cet  efprit  de  juftice  5c  d'équi- 
té qui  fe  développe  de  jour  en  jour  , 
ÔC  qui  paroît  être  né  avec  lui  ;  cette 
averdon  naifTanre  pour  les  artifices  5c 
les  faufles  louages  du  flatteur  ;  6c  ne 
permettez  pasque  Tadulation  corrom- 
pe jamais  ces  préfages  heureux  de  notre 
félicité  future:  Et  vfJ<;  aquitatem,  j^'^^ 

Qu'il  règne  pour  notre  bonheur  , 
8C  il  régnera  pour  fa  gloire.  Que  fon 
unique   ambition   foit  de  rendre  fes 

F^tit  Carême,  C 


Ibid. 


50  î.  DiM.  DE  Carême. 
flijets  heureux  ;  que  fon  titre  le  plus 
chéri  fcit  celui  de  Roi  bienfaifant  5c 
pacifique  :  il  ne  fera  grand  qu'autant 
qu'il  fera  cher  à  fon  peuple.  Qu'il  Toit 
le  modela  de  tous  les  bons  Rois  ;  6C 
que  ce  Prince  pacifique  puiffe  laiiTer 
encore  après  lui  des  Princes  qui  lui 
reiFemblent  :  Quoniam  funt  rdiquîa, 
homini  pacifico,  R.ecevez  ces  vœux ,  ô 
mon  Dieu  /  &C  qu'ils  foient  pour  nous 
leis  gages  de  la  tranquillité  de  la  vie 
préfente  ,  6c  lefpérance  de  la  future  ! 
Ainji  foit-  il. 


Se  -^   J^  ^  -al. 


SERMON 

POUR 
LE  SECOND   DIMANCHE 

DE  CAREME. 

Sur  le  refpcci  que  les  Grands  doivent 
à  la  Religion, 

Et  ecce  apparueriintillis  Moyfes   &  Elias 
cum  Jefu  loquentes. 

En  même-temps  Us  virent  paraître  Moyfe  & 
Elie  ,  qui  s'entretenoientavec  J,  Matth.  17.  3* 

IRE, 

C"^  E  font  les  deux  plus  grands  hom- 
^  mes  qui  euirent  encore  paru  fur 
la  terre  ,  qui  viennent  aujourd'hui  fur 
la  ^nonragne  Sainte  ,  rendre  ho  m  r?';  âge 
*  à  la  gloire  ôc  à  la  grandeur  de  Jeibs- 
i^Chrift. 

■  C  ij 


'it      I  I.   D  I  M.   D  E    C  A  R  E  M  E. 

Moïfe  ,  ce  Dieu  de  Pharaon ,  ce 
Légiflateur  des  peuples ,  ce  Vainqueur 
des  Rois  ,  ce  Maître  de  la  nature  ,  ÔC 
plus  grand  encore  par  le  titre  de  fervi- 
teur  fidèle  de  la  maifon  du  Seigneur, 

Elie  ,  cet  homme  miraculeux;  la 
terreur  des  Princes  impies  ;  qui  pou- 
voit  faire  defcendre  le  feu  du  Ciel,  ou 
s'y  élever  lui  même  fur  un  char  de 
gloire  ôc  de  lumière  ;  6c  plus  célèbre 
encore  par  le  zèle  Saint  qui  le  dévo- 
roit ,  que  par  toutes  les  merveilles  qui 
accompagnèrent  fa  vie. 

Cependant  l'un  5c  l'autre  n'avoient 
été  grands  ,  que  parce  qu'ils  avoient 
éré  les  images  de  Jefus  Chrift.  Ils  vien- 
.nent  donc  adorer  celui  qu'ils  avoient 
figuré  ,  5c  rendre  à  ce  divin  original  la 
puidance  §C  la  gloire  qui  appartien- 
nent à  lui  feul  5  5c  dont  ils  n'avoient 
été  eux-mêmes  que  comme  les  précur- 
feurs  ^  les  dépofitaires. 

Telle  eft,   Sire,   la  deftinée  des 
Princes  êc  des  Grands  de  la  terre.  IIs' 
'  ne  font  grands  ,  que  parce  qu'ils  font! 
les  images  de  la  gloire  du  Seigneur  , 
êc  les  dépofitaires  de  fa  puiffance.  Ils^ 
doivent   donc  foutenir  les  intérêts  de 
Dieu  ,    dont  ils  repréfentent  la  ma- 
jeflé  ;  &  refpeaer  la  Religion  ,  qui 


Sur  le  Respect  ,  &c.  53 
ftule  les  rend  eux-mêmes  refpeétables. 

Je  dis  refpeâier  :  elle  exige  d'eux  un 
refpec^  de  fidélité ,  figuré  par  MoiTe  , 
qui  leur  en  fafTe  obferver  les  maximes^ 
éc  un  refpe£t  de  zèle,  repré fente  dans 
Elle  ,  qui  les  rende  Protecteurs  de  fa 
doctrine  &  de  fa  vérité. 

Fidèles  dans  robfervance  de  fes 
maximes  ;  7élés  dans  la  défenfe  de  fa 
doctrine  6c  de  fa  vérité.  Ave  ,  Maria» 


JL^ 


SIRE, 


Tre  né  Grand  ,  ôc  vivre  en  Chré- 
tien ,  n'ont  rien  d'incompatible  ,  ni  j^ 
dans  les  fonctions  de  l'autorité ,  ni  PrtiB| 
dans  les  devoirs  de  la  Religion.  Ce 
feroit  dégrader  l'Evangile  ,  ÔC  adop- 
ter les  anciens  blafphêmes  de  fes  en- 
nemis, de  le  regarder  comme  la  Reli- 
gion du  peuple  ,  ÔC  une  feCle  de  gens 
obfcurs. 

11  eft  vrai  que  les  Céfars ,  5c  les  Puif- 
fans  félon  le  fiecle  ,  ne  crurent  pas 
d'abord  en  JefusChrift,  Mais  ce  n'efi: 
pas  que  fadoâirine  réprouvât  leur  état; 
elle  ne  réprouvoit  que  leurs  vices  ; 
il  falloit  même  montrer  au  monde 
que  la  puifTance  de  Dieu  n'avoit  pas 
befoin  de  celle  des  hommes  ;  que  le 

C  iij 


54      ÎI.    DîM.    DE    Ca  R  EME» 

crédit  &  Tautorité  du  fiecie  éioit  inu- 
tile à  une  doâ:rine  dcfcendue  du  Ciel  ; 
qu'elle  fe  ruffilbit  à  elle-même  pour 
s'établir  dans  Tunivers  ;  qtie  toutes  les 
PuiiTances  du  fiecie  ,  en  fe  déclarant 
contre  elle  ÔC  en  la  perfécutant  j  dé- 
voient l'affermir  ;  oc  que  fi  elle  n'eut 
pas  eu  d'abord  les  Grands  pour  enne- 
mis ,  elle  eut  manqué  du  principal 
caractère  qui  les  rendit  eniuice  fes 
Diiciples. 

La  loi  de  l'Evangile  efl  donc  la  loi 
de  tous  les  Etats.  Plus  mô.ne  la  nalA 
fance  nous  élevé  au  delTus  des  autres 
hommes ,  plus  la  Religion  nous  four- 
nit des  motifs  de  fidélité  envers  Dieu.. 
Je  dis  des  motifs  y  de  reconnoilTance 
&  de  juftice. 

Oui ,  mes  Frères ,  ce  n'eflpas  le  ha- 
fard  qui  vous  a  fait  naître  Grands  5c 
PuifTans.  Dieu  ,  dès  le  commence- 
ment des  fiecles  ,  vous  avez  defliné 
cette  gloire  temporelle  ^  marqués  du 
fceau  de  fa  grandeur  ,  &  féparés  de  la 
foule  ,  par  l'éclat  des  titres ,  ôc  des 
diilinâilons  humaines.  Que  lui  aviez- 
vous  fjit ,  pour  être  ainfi  préférés  nu 
refle  àcs  hommes  ,  ÔC  à  tant  d'infor- 
tunés .  flir  tout ,  qui  ne  Ce  nourrillent 
que  d'uii  paia  de  larmes  ôc  d'amer- 


Sur  le  Respect  ,  8cc.  55 
tume  ?  Ne  font  ils  pas  comme  vous 
l'ouvrage  de  fes  mains  &:  rachetés  du 
même  prix  ?  n'êtes-vous  pas  fortis  de 
la  même  boue  ?  n'êtes  vous  pas  peut- 
être  chargés  de  plus  de  crimes  ?  le  fang 
dont  vous  êtes  iflus,  quoique  plus  illuf- 
tre  aux  yeux  des  hommes  ,  ne  coule- 
t- il  pas  de  la  même  fourceempoifon- 
née  5  qui  a  infedé  tout  le  genre  hu- 
main ?  Vous  avez  reçu  de  la  nature 
un  nom  plus  glorieux  ;  mais  en  avez- 
vous  reçu  une  ame  d'une  autre  efpe- 
ce  ,  &  deflinée  à  un  autre  Royaume 
éternel,  que  celle  des  hommes  les  plus 
vulgaires  ?  Qu'avez  •  vous  au  -  deffus 
d'eux  devant  celui  qui  ne  connoît  de 
titres  6c  de  diftinâ:ions  dans  fes  créa- 
tures ,  que  les  dons  de  fa  grâce  ?  Ce- 
pendant Dieu  ,  leur  père  comme  le 
vôtre  ,  les  livre  au  travail,  à  la  peine , 
à  la  mifere  5c  à  l'afHiciîon  ;  5c  il  ne  ré- 
ferve  pour  vous ,  que  la  joie  ,  le  repos, 
l'éclat  ÔC  l'opulence  :  ils  naliFent  pour. 
fouiFrir  ^  pour  porter  le  poids  du  jour 
6c  de  la  chaleur  ,  pour  fournir  de  leurs 
peines  &  de  leurs  fueurs  à  vos  plaifirs 
&'à  vos  proRifions  ;  pour  traîner  ,  fi 
j'ofe  parier  ainfî ,  comixe  de  vils  ani- 
maux le  char  de  votre  grandeur  8c  de 
votre  indolence.  Cette  diftance  énor- 

C  vi 


'5^     IL  DiM.  DE  Carême. 
me  que  Dieu  laifle  entre  eux  ôc  vous 
a-t-elle  jamais  été  feulement  l'objet  de 
vos  réflexions ,  loin  de  l'être  de  votre 
reconnoiflance  ?  Vous  vous  êtes  trou- 
vés en   naiiFant  en  pofTefllon  de  tous 
ces  avantages  ;  5c  fans   remonter  au 
fouverain  difpenfateur  des  chofes  hu- 
maines ,   vous  avez  cru  qu'ils   vous 
étoient  dûs ,  parce  que  vous  en  aviez 
toujours  joui.  Hélas  !  vous  exigez  de 
vos  créatures  une    reconnoiffance   fi 
vive  5   fi  marquée  ,    il  fou  tenue  ,   un 
aifujett^fTemenc  fi  déclaré  de  ceux  qui 
vous  font  redevables  de  quelques  fa- 
veurs; ils  ne  faurolent  fans  crime  ou- 
blier un  inftant  ce  qu'ils  vous  doivent  j 
vos  bienfaits  vous  donnent  fur  eux  un 
droit  qui   vous  les  afTujettit  pour  tou- 
jcurs  :  mefurez  là  defllis  ce  que  vous 
devez  au  Seigneur,  le  bienfaiteur  de 
vos  pères  Sc  de  toute  votre  race.  Quoi  ! 
vos  faveurs  vous  font  des  efclaves ,  8c 
les  bienfaits  de  Dieu  ne  lui  feroient 
que  des  ingrats  &  des  rebelles  ? 

Ainfi ,  mes  Frères ,  plus  vous  avei 
reçu  de  lui ,  plus  il  attend  de  vous. 
Mais  hélas  1  cette  loi  de  reconnoiffan- 
ce ,  que  tout  ce  qui  vous  environne 
vous  annonce  ,  &  qui  devroit  être  y 
pourainû  dire  y  écrite  fur  les  portes  de 


Sur  le  Respect  ,  &c.  57 
fur  les  murs  de  vos  palais ,  fur  vos  terres 
ôt  Tur  vos  titres ,  fur  Téciat  de  vos  di- 
gnités 6c  de  vos  vêtemens ,  n'eft  point 
même  écrite  dans  votre  cœur  !  Dieu 
répandra  fes  propres  dons  ,  mes  Frè- 
res, puifque  loin  de  lui  en  rendre  la 
gloire  qui  lui  eft  due ,  vous  les  tournez 
contre  lui-  même  :  ils  ne  paieront  point 
à  votre  poftérité  ;  il  tranfportera  cette 
gloire  à  une  race  plus  fidèle  :  vos  dcC- 
cendans  expieront  peut  -  être  dans  la 
peine  ôc  dans  la  calamité  le  crime  d© 
votre  ingratitude  ;  &  les  débris  de  vo- 
tre élévation  feront  comme  un  mo« 
Bument  éternel ,  où  le  doigt  de  Dieiî 
écrira  jufqu'à  la  fin  Tufage  injuile  que 
vous  en  avez  fait«^ 

Que  dis  je  !  il  multipliera  peut-être 
fes  dons  ;  il  vous  accablera  de  nou- 
veaux bienfaits  ;  il  vous  élèvera  encore 
plus  haut  que  vos  ancêtres  :  mais  il^ 
vous  favorifera  dans  fa  cokre  ;  fes> 
bienfaits  feront  des  châtimens  ;  votre 
profpérité  confommera  votre  aveugle- 
ment 6c  votre  orgueil;  ce  nouvel  éclat 
ne  fera  qu'un  nouvel  attrait  pour  vof^^ 
paillons  ;  Sc  raccroiflement  de  votre 
fortune  verra  croître  dans  le  même  de- 
gré vos  dilTolutions ,  votre  irréligiou^, 
iSi  voire  impénitencet- 


5?    ir.  DiM.  DE  Carejvte. 

C'eft  donc  une  erreur ,  mes  Frère?  ^"v 
de  regarder  la  naiffance  &  le  rang 
comme  un  privilège  qui  diminue  6c 
adoucit  à  votre  égard  vos  devoirs  en- 
vers Dieu  ,  6c  les  règles  féveres  de 
TEvangile.  Au  contraire  ,  il  exigera 
plus  de  ceux  a  qui  il  aura  plus  donné  y, 
fes  bienfaits  deviendront  la  mefure  de 
vos  devoirs ,  &C  comme  il  vous  a  diftin- 
gué  des  autres  hommes  par  des  lar- 
geiTes  plus  abondantes ,  il  demande 
que  vous  vous  en  diftinguiez  auiïl  par 
tme  plus  grande  fidélité.  Mais  outre  la 
xeconnoiffance  qui  vous  y  engage  5 
plus  tout  allume  les  pafltons  dans  votre 
état,  plus  vous  avez  befoin  de  vigi- 
lance pour  vous  défendre-  11  faut  aux 
Grands  de  grcndes  vertus  ;  la  prorpé- 
rité  eft  comme  une  perfécution  conti- 
nuelle  contre  la  Foi  ;  2>C  (I  vous  n'avez 
pas  touxe  la  force  &  le  courage  des 
Samrs  ,  vous  aurez  bientôt  plus  de 
vices  &  de  foibklîes  que  le  refle  des 
hommes. 

Maïs  d'ailleurs,  fur  quoi  prétendez- 
vous  que  Dieu  doit  fe  relâcher  en  vo- 
tre faveur,  &  exiger  moins  de  •  ous  que- 
du  commun  des  Fidèles  ?  Avez-  vous 
ir!oin<  de  plailirs  à  fxpier  ?  votre  in- 
«locence  eii-elie  le  une  ^ui  vous  doaa^ 


Sur  le  Respect,  Sec.  sf 
yroit  à  fon  indulgence  ?  vous  ètes- 
vous  moins  livrés  aux  delirs  de  la  chair , 
pour  vous  croire  plus  di fpenfés  des 
violences  qui  la  mortifient  ÔC  la  punif- 
fent  ?  Votre  élévation  a  multiplié  vos 
crimes  ;  6C  elle  adouciroit  votre  péni- 
tence ?  vos  excès  vous  diUinguent  en- 
core plus  du  peuple  que  votre  rang  j 
êc  vous  prétendriez  trouver  là  -  delfus 
dans  la  Religion  des  exceptions  qui- 
vous  ftjfTent  favorables  ? 

Quelle  idée  de  la  divinité   avons- 
nous,  mes  Frères?  quel  Dieu  de  chaif 
&  de  fang  nous  formons  nous?  Quoi! 
dans  ce  jour  terrible  où  Dieu  feul  fer^ 
grand  ;    où  le  Roi  5c  l'efclave  feront 
Gonfondas  ,    où  les  œuvres  feules  fe- 
ront pefées  ,  Dieu  n'cxerceroit  que 
des   jugemens   favorables  envers  cer 
hommes  que  nous  a  ppeiloos  grands  ? 
ces  hommes  qu'il  avoir  comblés  â^ 
biens  ,  qui  avoieur  été  les  heureux  de 
la  terre  ,  qui  s'étoient  fait  lei  bas  une 
injufte  félicité,  5c  c^ui  oubliant  pref- 
que  tous  l'auteur  de  leur  profi^cnté 
n*avoient  vécu^  que  pont  eux-  mêmes  ? 
êc  il  s'armeroit  alors  de  route  fa  févé- 
rite  contre  le  pauvre  qu'il  avoir  tou- 
jours-affligé  ?  ôc  il  rérerveroit  toute  la 
tigmiiï  de  fes  jugemens ,  pour  des  ia* 

G  si-- 


6o  IL  DiM.  DE  Carem^f. 
fortunés  qui  n'avoient  palTé  que  des 
jours  de  deuil ,  &  des  nuits  laborieufes 
fur  la  terre  ;  &  qui  fouvent  l'avoient 
béni  dans  leur  affliâ:ion  ,  6c  invoqué 
dan«  leur  délaiflement  &  leur  amer- 
tume ?  Vous  êtes  jufte  !  Seigneur,  6C- 
Yos  jugemens  feront  équitables. 

Mais ,  SiRE  5  quand  ces  motifs  de 
juftice  ôC  de  reconnoiffance  n'enga- 
geroient  pas  les  Grands  à  la  fidélité, 
qu'ils  doivent  par  tant  de  litres  à  Dieu  ;, 
que  de  nrotifs  n'en  trouvent-ils  pas 
encore  en  eux  mêmes  ? 

N'eft-ce  pas  en  effet  la  fageffe  8c  la 
crainte  de  [>feu  toute  feule  ,  qui  peut, 
îendre  les  Princes  &  les  Grands  plus^ 
aimables  aux  peuples  ?  C'eil  par  elle ,, 
ëifoit  autrefois  un    jeune  Roi  ,  que 
je  deviendrai  illuftre  parmi  les  na- 
tions ;  que  les  vieillards  refpeâ:eront: 
ma  jeuneife  ;  que  les  Princes  qui  font 
autour  de  mon   trône  bailleront  par 
fefpeâ:  les  yeux  devant  moi  ;  que  les 
Rois    voifins  ^    quelques  redoutables 
qu'ils  foient  y  me  craindront  ;   que  je 
ferai  aimé  dans  la  paix  &  redouté  dans 
%>.^8.ia  guerre;  Per  hanc  timchunt  me  Reget 
'*J-  ^5'  horrendi  :  in  miiltitudine  viJ&bor  bonus' 
&  in  belio  fords^  G'eft  par  elle  que: 
mon  regrie  feia  ag^réabk  à  votie  peu?; 


Sur  le  respect  ,    8cc.    61 
pie  5  6  mon  Dieu  !  que  je  le  gouver- 
nerai juftement ,  ÔC  que  je  ferai  digne 
du   trône   de  mes   pères   :  Per  hanc    ^^P»  ^ 
difponam  populum  tuum  jujîèy  &  era^^* 
dignus  fediam  patris  meL 

Non  ,  Sire  ,  ce  ne  fera  ni  la  force 
de  vos  armées  ,  ni  l'étendue  de  votre 
Empire  ,  ni  la  magnificence  de  votre: 
Cour  ,    qui  vous  rendront  cher  à  vos 
peuples  ;  ce  feront  les  vertus  qui  font 
les  bons  Rois ,  la  juftice ,  l'humanité  ^ 
la   crainte   de  Dieu.   Vous   êtes  um 
grand  Roi  par  votre  naiifance  ;   mais 
vous  ne  pouvez  être  un  Roi  cher  à  vos 
peuples  que  par  vos  vertus   :  les  paf- 
fions  qui  vous  éloignent  de  Dieu ,  nous; 
rendent   toujours   injuftes  &  odieux 
aux  hommes  ;  les  peuples  fouiïrent 
toujours  des  vices  du  Souverain  :  tout 
€e  qui  outre  l'autoriré,  rafFoibiit  &  la. 
dégrade  ;  les  Princes  dominés  par  îes^ 
paflîons  font  toujours  des  maîtres  in- 
commodes 5c  bizarres  ;  le  Gouverne- 
ment n'a  plus  de  règle ,  quand  le  maître 
lui  même  n'en  a  point  :  ce  n'eft  plus  la 
fjgeiTe  ,  6c  l'intérêt  public^  qui  préfi- 
dent  aux  Confeiis,  c'eft  l'intérêt  des 
paiTions ,  le  caprice  ÔC  le  e;oût  forment 
les  décifions ,  que  devoit  diéler  ramous 
lic^oidie  j,  5c  le  plaiiir  devient  le  grand 


Sap.  7. 
14* 


6z     ï  I.   D  I  M.    D  E    C  A  R  E  M  E<r 

leiTort  de  toute  la  prudence  de  l'Em- 
pire. Oui  5  Sire  ,  la  fageife  ôc  la  piété 
du  Souverain  toute  feule  peut  faire 
le  bonhaur  des  Sujets ,  êc  le  Hoi  qui 
craint  Dieu  ^  eft  toujours  cher  à  fon 
peuple. 

Mais  (i  la  crainte  de  Dieu  rend' 
dans  les  Princes  êc  le?  Grands  l'auto- 
rité aimable,  c'eft  elle  encore,  Sire, 
qui  la  rend  glorieufe.  Tous  les  biens 
éc  tous  les  fuccès ,  difoit  encore  un 
fage  Roi ,  me  font  venus  avec  elle  ;  & 
c'eil  par  elle ,  que  l'honneur  5c  la  gloire 
m'ont  toujours  accompagné  :  Et  in- 
numcrahilis  honejlas  per  manum  illius^ 
Dieu  ne  prend  pas  fous  fa  proteâion 
ceux  qui  ne  vivent  pas  fous  ces  or- 
dres. 

Je  (ais  que  l'impie  profpere  quel- 
quefois ,  qu'il  paroît  élevé  comme  le 
cèdre  du  ï.iban  ,  6c  qu'il  femble  inful^ 
ter  le  Ciel  par  une  gloire  orgueilleule, 
qu'il  ne  croit  tenir  que  de  lui  même- 
Mrfis  attendez  :  fon  élévation  va  lui 
creufer  elle  même  fon  précipice  :  la 
m 3 in  du  Seigneur  l'arrachera  bientôt 
de  d^îTus  la  terre.  La  fin  de  l'impie  ef^ 
prefque  toujo  irs  Bm  honneur  ;  tôt  ou^ 
tard  il  f  lut  enfin  que,  cet  édifice  d'or- 
gueil 5c  d'injuHice  b'écroule  :  la  hont»; 


Sur  le  Respect  ,  8cc.  6j 
&:  les  malheurs  vont  fuccéder  ici  bas- 
à  la  gloire  de  fes  fuccès  :  on  le  verra 
peut  ê^re  traîner  une  vieilleiTe  rrifte 
&  déshonorée  ;  il  finira  par  l'ignoini- 
lïie  ;  Dieu  aura  Ton  toar  ^  6c  la  gloire 
de  l'homme  injuile  ne  defcendra  pas 
avec  lui  dans  le  tombeau. 

Repafîêz  fur  les  flecles  qui  nous  ont 
précédé  ,  comme  difoit  autrefois  un 
Prince  Juif  à  Tes  enfans  :  Cogltate  ge-  ^^  Micc^ 
ncrationes  Jïngulas;  6c  vous  verrez  que  <>.  6u 
le  Seigneur  a  toujours  foufîîé  fur  les 
races  orgueilleufes ,  &.  en  a  fait  fécher 
la  racine  ;  que  la  prorpérité  des  impies 
a'a  jamais  pafle  à  leurs  defcendans  ; 
que  les  Trônes  eux- mêmes,  &lesfuc- 
cefîîons  Royales  ont  manqué  fous  des 
Princes  fainéans  5c  efféminés  ;  &  que 
1  hiftoîre  des  crimes  &  des  excès  des 
Grands,  eft  en  même  temps  l'hiftoire 
de  leurs  malheurs  6c  de  leur  déca- 
dence. 

Mais  enfin  ,  Sire,  en  q,uoi  les  Prin- 
ces 5c  les  Grands  font  moins  excufa- 
blés  lorfqu'lls  abandonnent  Dieu  9 
c'eil  que  d'ordinaire  ils  naiiTent  avec: 
dfls  inclinations  plus  nobles  6c  plus^ 
ifôureufe  pour  la  vertu,  que  le  peuple» 

J'étois  encore  enfant,  difoit  le  Roi 
Salomon  :  mais  je  me  trouvois  déjà  les- 


64     1 1.   D  I  M.   D  E   C  A  R  E  M  Ê, 

lumières  d'un  âge  avancé  ,  ÔC  je  ferî» 
tois  que  je  devois  à  ma  naiffanee  une 
ame  bonne  ôc  des  fentimens  plus  éle- 
Sap  8.  vés  que  ceux  d^s  autres  hommes  ;  Puer 
autcm  eram  ingeniofus ,  ù  fonitusfunt 
animam  bonam. 

Le  fang,  l'éducation  ^  l'hiftoire  des 
ancêtres,  jette  dans  le  cœur  des  Grands 
&  des  Princes  ,  des  femences  ,  8C 
comme  une  tradition  naturelle  de 
vertu.  Le  peuple  livré  en  naifTant  à 
un  naturel  brute  ôc  inculte ,  ne  trouve 
en  lui  pour  les  devoirs  fublimes  de  la 
Foi ,  que  la  pefanteur  &  la  balTelFe 
d'une  nature  laidée  à  elle-même  :  les 
bienféances  inféparables  du  rang,  ÔC 
qui  font  comme  la  première  école  de 
la  vertu  ,  ne  gênent  pas  Tes  paffions  :• 
l'éducation  fortifie  le  vice  de  la  naif^ 
fance  ;  les  obj'ets  vils  qui  l'environ- 
nent, lui  abattent  le  cœur  &  les  fen» 
timens  :  il  ne  fent  rien  au  defTus  de  ce 
qu'il  eft  ;  né  dans  les  fens  &  dans  la 
boue,  il  s'élève  difficilement  au  deffus' 
de  lui  même.  Il  y  a  dans  les  maximes 
de  r Evangile  une  nobleffe  5c  une  élé- 
vation ,  où  les  cœurs  vils  &  ram^jans^ 
ne  fauroient  atteindre  :  la  Religion  y, 
qui  fait  les  grandes  âmes,  ne  paroisr 
feice  que  poux  elles  i  ôc  il  faut  être 


Sur  le  Respect  ,  Sec.  6$ 
grand  ,  ou  le  devenir ,  pour  être  Chré- 
tien. 

Je  n'ignore  pas  que  la  grâce  fupplée 
à  la  nature  ;  que  la  chair  ôc  le  fang  ne 
donnent  aucun  droit  au  royaume  de 
Dieu  ,  que  les  premiers  Héros  de  la 
Foi  fortirent  d'entre  le  peuple;  que  les 
vafës  de  boue  entre  les  mains  de  l'ou- 
vrier fouverain,  deviennent  bientôt  des 
vafes  de  gloire  6c  de  magnificence  ;  ÔC 
que  tout  Chrétien  eft  né  grand ,  parce- 
qu'il  eft  né  pour  le  Ciel. 

Mais  une  haute  naifTance  nous  pré- 
pare 5  pour  ain(i  dire  ,  aux  fentimens 
nobles  6c  héroïques  qu'exige  la  Foi  : 
un  fang  plus  pur  s'élève  plus  aifément  ^ 
il  en  doit  moins  coûter  de  vaincre  les 
paiïions  à  ceux  qui  font  nés  pour  rem- 
porter des  vi61oires  :  le  menfonge  8c 
la  duplicité  entrent  plus  difficilement 
dans  un  cœur  à  qui  la  vérité  ne  fauroit 
nuire  ,  ÔC  qui  n'a  rien  à  craindre  ni  à 
efpérer  des  hommes  :  l'efpérance  d'une 
fortune  éclatante  ne  peut  corrompre 
la  probité  de  ceux  qui  ne  voient  plus 
de  fortune  au  deiTus  de  la  leur ,  5c  qui 
tiennent  en  leurs  mains  la  fortune  êc 
la  deftinée  publique  :  le  refpeâ:  hu- 
main n'intimide  ÔC  n'arrête  pas  la  vertu 
des  Grands ,  eux  que  tout  le  monde 


66  IL  DïM.  DE  Carême. 
fait  gloire  d'imiter ,  Sc  dont  les  mœurs 
deviennent  toujours  la  loi  de  la  mul- 
titude :  la  balfelTe  de  la  débauche  ÔC 
de  la  dilToIun'on  trouve  rpoins  d'accès 
dans,une  ame  que  fa  naidance  defline 
à  de  grandes  chofes  :  la  règle  &  les 
devoirs  font  moins  étrangers  à  ceux 
qui  font  établis  pour  maintenir  l'or- 
dre &:  la  régie  parmi  les  peuples:  s'ils 
font  entourés  de  plus  de  pièges ,  ils 
trouvent  en  eux  plus  de  freins  ÔC  plus 
de  reifources  :  la  nature  toute  feule  a 
environné  leur  ame  d'une  garde  d'hon- 
neur 6c  de  gloire  :  enfin  ,  les  premiers 
penchans  dans  les  Grands  font  pour 
îa  vertu  ;  5c  ils  dégénèrent  dès  qu'ils 
les  tournent  au  vice.  Ils  doivent  donc 
à  la  Religion  un  refpeâ:  de  fidélité  qui 
leur  en  fafTe  obferver  les  maximes  ; 
mais  ils  lui  doivent  encore  un  refpeâ: 
de  zèle  qui  les  rende  défenfeurs  de  fa 
do6irine  5c  de  fa  vérité, 

îi    T 

Paktie.  *^  ^  Religion  eft  la  fin  de  tous  les 
deifeins  de  Dieu  fur  la  terre  ;  tout  ce 
qu'il  a  fait  ici  bas  ,  il  ne  l'a  fait  que 
pour  elle  ;  tout  doit  fervir  à  l'agran- 
diiTement  de  ce  Royaume  de  Jefus- 
Chrift.  Les  vertus  ,  &  les  vices  ;  le& 
Grands ,  ÔC  le  peuple  >  k$  bons  &  ie& 


Sur  le  Respect  ,  5cc.  6j 
mauvais  fuccès  ;  l'abondance  ,  ou  les 
calamités  publiques  ;  l'élévation,  ou  la 
décadence  des  Empires;  tout  enfin  9 
dans  l'ordre  des  confeils  éternels  ,  doit 
coopérer  à  la  formation  6c  à  l'accroif 
fément  de  cette  fainte  Jérufalem.  Les 
Tyrans  l'ont  purifiée  par  les  perfécu- 
tions  ;  les  Fidèles  la  perpétuent  par 
la  charité  ;  les  incrédules  &  les  liber- 
tins l'éprouvent  H.  l'aifermiOent  par  les 
fcandales  :  les  Jufles  font  les  témoins 
de  fa  ^oï\  les  Payeurs  ,  ks  dépofitai- 
res  de  fa  doârrine  ;  les  Princes  U.  les 
puiiTans  5  les  proteâeurs  de  fa  vérité. 

Ce  n'eil  pas  affez  pour  eux  d'obéir  à 
{es  îoix  ;  c'ell:  le  devoir  de  tout  Fidèle. 
La  majeflé  de  fon  culte  ,  la  fainteté  de 
fes  maximes  ,  le  dépôt  de  fa  vérité  doi- 
vent trouver  une  fûre  proreâ:ion  dans 
leur  autorité  6c  dans  leur  zèle. 

Je  dis  la  ma^efîé  de  fon  culte.  Rien  , 
Sire  ,  n'honore  plus  la  Religion  ,  que 
de  voir  les  Grands  6c  les  Princes  con- 
fondus aux  pieds  des  Autels  avec  le 
refle  des  Fidèles  ,  dans  les  devoirs 
communs  6c  extérieurs  de  la  Foi.  C'eft 
à  eux  à  oppofer  leurs  hommages  pu 
blics  5c  refpeé^ueux  dans  le  Temple 
Saint ,  aux  irrévérences  6c  aux  profana- 
tions publiques  ;  ÔC  à  venir  montrer  à 


é8  II.  D  I M.  DE  Carême. 
la  multitude  ,  combien  il  eft  indécent 
à  de  fujets  de  paroître  fans  pudeur  ôc 
fans  contrainte  aux  pieds  du  Sanc- 
tuaire 5  devant  lequel  les  Princes  6c 
les  Rois  eux-mêmes  s'anéantiiTent  :  ils 
doivent  cet  exemple  aux  peuples  ,  ôc 
ce  refpec^  à  la  majefté  du  culte  fainr. 
Hélas  !  ils  regardent  comme  une  bien- 
féance  de  leur  rang  ,  d'autorifer  par 
leur  préfence  les  plaifirs  publics  ,  ôc 
ils  croiroient  fouvent  fe  dégrader  en 
paroiiTant  à  la  tête  des  cantiques  de 
joie  ,  &C  des  folemnités  faintes  de  la 
Religion  !  Ils  fe  font  un  intérêt  d'Etat 
de  donner  du  crédit  par  leur  exemple 
aux  amufemensdu  théâtre  5c  aux  vains 
fpe£tacles  du  fiecle  ;  TEglife  eft- elle 
donc  moins  intéreffée ,  que  leurs  exem- 
ples en  donnent  aux  fpeâ:acles  facrés 
&.  religieux  de  la  Foi  ? 

Les  plailirs  publics  n'ont  pas  befoin 
de  prote£^ion.  Hélas  !  la  corruption 
des  hommes  leur  répond  aflez  de  la 
perpétuité  de  leur  crédit  &:  de  leur 
durée  :  ÔC  s'ils  font  néceffaires  aux 
Etats ,  l'autorité  n'a  que  faire  de  s'en 
mêler;  de  tous  les  befoins  publics  , 
c'eft  celui  qui  court  moins  de  rifque. 

Mais  les  devoirs  de  la  Religion ,  qui 
ae  trouvent  xka  pour  eux  dans  nos 


SaR  LE  Respect  ,  8Cc.     6fp 

cœurs ,  il  faut  que  de  grands  exemples 
les  foutiennent  :  le  culte  achevé  de 
s'avilir  ,  dès  que  les  Princes  ôc  les 
Grands  le  négligent.  Dieu  ne  paroît 
plus  fi  grand  ,  fi  j'ofe  parler  ainfi  ,  dès 
qu'on  ne  compte  que  le  peuple  parmi 
fes  adorateurs  :  fa  parole  n'eft  plus 
écoutée  ,  on  perd  tous  les  jours  fon 
autorité ,  dès  qu'elle  n'eft  plus  deflinée 
qu*à  être  le  pain  des  pauvres  &  des 
petits.  Les  devoirs  publics  de  la  piété 
font  abandonnés  ;  tout  tombe  ÔC  lan- 
guit ,  û  la  Religion  du  Prince  6c  des 
Grands  ne  le  foutient  8c  ne  le  ranime. 
C''eft  ici  où  l'intérêt  du  culce  fe  trouve 
mêlé  avec  celui  de  l'Etat  ;  où  il  im- 
porte au  Souverain  de  maintenir  ÔC 
les  dehors  auguftes  de  la  Religion ,  ôC 
l'unité  de  fa  do6lrine  ,  qui  foutien- 
nent eux-mêmes  le  Trône  ;  ÔC  d'accou- 
tumer fes  fujets  à  rendre  à  Dieu  &  à 
l'Eglife  le  refpeét  &  la  foumifîîon  qui 
leur  font  dûs ,  de  peur  qu'ils  ne  les  lui 
refufent  enfuite  à  lui-même.  Les  trou- 
bles de  l'Fglife  ne  font  jamais  loin  de 
ceux  de  l'Etat  :  on  ne  refpeâe  guère 
le  joug  des  Puilfances ,  quand  on  eft 
parvenu  à  fecouer  le  joug  de  la  Foi, 
Et  l'hérefie  a  beau  fe  laver  de  cet  op- 
probre ;  elle  a  par-  tout  allumé  le  feu. 


fo  IL  DiM.  DE  Carême. 
de  la  fédition  ;  elie  eft  née  dans  îa 
révolte  :  en  ébranlant  les  fondemens 
de  la  Foi ,  elle  a  ébranlé  les  Trônes  6c 
les  Empires  ;  &.  par-toiu  ,  en  formant 
des  fecStateurs ,  elle  a  formé  des  ré- 
belles. Elle  a  beau  dire  que  les  perfe- 
cutions  des  Princes  lui  mirent  en  main 
les  armes  d'une  jufle  défenfe  ;  i'Eglife 
n'oppofa  jamais  aux  perfécutions  que 
la  patience  5c  la  fermeté  :  fa  foi  fut  le 
feul  glaive  avec  lequel  elle  vainquit 
les  Tyrans  :  ce  ne  fut  pas  en  répandant 
le  fangde/es  ennemis ,  qu'elle  multi- 
plia fes  difcipîes  ;  le  fang  de  Tes  mar- 
tyrs tout  feul  fut  la  femence  de  Tes  Fi- 
dèles. Ses  premiers  Doâ:eurs  ne  furent 
pas  envoyés  dans  Tunivers  comme  des 
lions  pour  porter  par-tout  le  meurtre 
&  le  carnage,  mais  comme  des  agneaux 
pour  être  eux  mêmes  égorgés  ;  ils 
prouvèrent ,  non  en  combEttant ,  mais 
en  mourant  pour  la  Foi ,  la  vérité  de 
leur  mifTion  :  on  devoir  les  traîner  de- 
vant les  Rois  pour  y  être  jugés  comme 
,  des  criminels  ,  &  non  pour  y  patokre 
les  a/mes  à  la  main  ,  Se  les  forcer  de 
leur  être  favorables  :  ils  refpedoient 
le  fceutre  dans  des  mains  même  }  ro- 
fancs  8c  idolâtres  ;  &  ils  auroient  cru 
déshonorer   &   détruire   l'œuvie   de 


Sur  le  Respect,  Sec,  yt 
Dieu  en  recourant  pour  l'établir  à  des 
refTources  humaines. 

Les  Princes  afFermiffent  donc  leur 
autorité  en  aifemniirint  l'autorité  de  la 
Religion.  AufTi  c'eft  à  eux  que  le  culte 
doit  fa  première  magnificence  :  ce  fut 
fous  les  plu?  grands  Rois  de  la  race  de 
David  ,  que  le  Te  ii  'edu  Seigneur  vit 
revivre  fa  gloire  8c  fa  maieflé.  Les  Cé- 
fars ,  fous  l'Evangile  tirèrent  l't.glife 
de  l'obfcurité  où  les  perfécurions  l'a- 
voient  laifTée  :  les  Charlcmagnes  ,  les 
fainr  Louis,  relevèrent  l'éclat  de  leur 
règne  en  relevant  celui  du  culte  ;  Se 
les  monumens  publics  de  leur  piété  , 
que  les  temps  n'ont  pu  détruire ,  6c  que 
nous  refpe£lons  encore  parmi  nous  , 
font  plus  d'honneur  à  leur  mémoire  , 
que  fts  ftatues  &  les  infcriptions  qui 
en  immortalifant  les  victoires  ÔC  les 
conquêtes,  n'immorralifent  d'ordinaire 
que  la  vanité  des  Princes  &  le  mal- 
heur des  fa  jets. 

Mais  les  mêmes  motifs  qui  obligent 
les  Grands  à  foutenir  la  majeflé  &  la 
décence  exiérieure  du  culte  ,  les  ren- 
dent en  même  temps  proteâ:eurs  de  la 
fainteté  de  fes  maximes  :  il  fnut  qu'ils 
apprennent  au  peuple  à  refpeâ:er  la 
pieté  en  refpeftant  eux-mêmes  ceux 


7^    lî*  î^iM»  i^E  Carême. 
qui  la  pratiquent  ;  c'eft  une  prote£lio» 
publique  qu'ils  doivent  à  la  vertu. 

Oui ,  SiKE  ,  les  gens  de  bien  font  la 
feule  fource  du  bonheur  ÔC  de  la  prof^ 
périté  des  Empires.  C'ed  pour  eux 
feuls  que  Dieu  accorde  aux  peuples 
l'abondance  &  la  tranquillité  :  s'il  fe 
fut  trouvé  dix  JuPres  dans  Sodôme  y 
Je  feu  du  ciel  ne  feroit  jamais  tombé 
fur  cette  ville  criminelle.  L'Etat  péri- 
roit  ;  le  Trône  feroit  renverfé  ,  nos 
villes  abîmées,  6c  réduites  en  cendres , 
ÔC  nous  aurions  le  même  fort  que  So- 
dôme 6c  Gomorrhe  ,  fi  Dieu  ne  voyoit 
encore  au  milieu  de  nous  des  fervi- 
îeurs  fidèles  ;  s'il  ne  nous  laiffoit  en- 
core une  femence  fainte  ;  fi  l'innocence 
peut-être  de  l'Enfant  augufte  ÔC  pré- 
cieux j  la  feule  femence  qui  nous  refte 
du  fang  de  nos  Rois  ,  n'arrêtoit  les 
foudres  que  la  diiTolution  publique  de 
nos  mœurs  auroit  dû  déjà  attirer  fur 
Sîom*  p.  nos  têtes  :  Nljî  Dominus  reliquiffet  noi 
$>•  bis  femen  ^  ficut  Sodomafacii  eJfemuSj 

(yjîcut  Gomorrha  fimiksfuiffcmus.  Les 
Princes ,  SiRE  ,  font  donc  intéreffés 
à  protéger  la  vertu  ,  puifqus  les  Em- 
pires &.  les  Monarchies ,  &  le  monde 
entier  ne  fubfiftera  ,  que  tant  qu'il  y 
aura  de  la  vertu  fur  la  terre. 

Mai? 


Sur  le  Respect  ;  5cc.  yj 
Mais  ce  n'eft  pas  ,  Sire  ,  pour  un 
iimple  refpeâ: ,  que  les  Princes  doivent 
honorer  les  gens  de  bien  :  c'ell:  par  la 
confiance  ;  ils  ne  trouveront  d'amis 
'fidèles ,  que  ceux  qui  font  fidèles  à 
Dieu  :  c'efl:  par  les  emplois  publics  ; 
l'autorité  n'eft  fûre  ÔC  bien  placée 
qu'entre  les  mains  de  ceux  qui  la  crai- 
;gnent  :  c'eft  par  des  préférences  ;  les 
grands  talens  font  quelquefois  les  plus 
dangereux  ,  fi  la  crainte  de  Dieu  ne 
fait  les  rendre  utiles  :  c'efi:  par  l'accès 
auprès  de  leur  perfonne  ;  la  familia- 
rité n'a  rien  à  craindre  de  ceux  qm 
4-erpe<51:erGient  même  nos  rebuts  &  nos 
mauvais  traitemens  :  c'efi  enfin  pair 
les  grâces  ;  nos  bienfaits  ne  fauroient 
faire  des  ingrats  ,  de  ceux  que  le  de- 
'  voir  tout  feul  ôc  la  confcience  nous 
attachent. 

Quel  bonheur,  SiRE  ,  pour  un  fie- 
<:le  5  pour  un  Empire  ,  pour  les  peu- 
ples ,  lorfque   Dieu  leur  donne  dans 
'  fa  miféricorde  des  Princes  favorables 
à  la  piété  !  Par  eux  ,  croifient  6c  s'ani- 
I  ment  les  talens  utiles  à  l'Eglife  :  par 
i  eux ,  fe  forment  ôc  font  protégés  des 
ouvriers  fidèles,  deftinés  à  répandre  la 
'fciencedu  falut ,  à  arracher  les  fcanda- 
I les  du  Royaume  de  Jefus-Chrifl ,  Scà 
I     Petit  Carême,  D 


74  II'  DiM.  DE  Carême, 
ranimer  la  Foi  par  des  ouvrages  pleins 
de  l'efprit  qui  les  a  diûés  :  par  eux  9 
s'élèvent  au  milieu  de  nous  des  maifons 
fâintes  5  des  établiflennens  pieux  oii 
l'innocence  eïï  préfervée  ,  où  le  vice 
fauve  du  naufrage,trouve  un  port  heu- 
reux :  par  eux  enfin ,  nos  neveux  trou- 
veront encore  cesreflburces  publiques 
de  falut  ,  monumens  heureux  !  qui 
perpétuent  la  piété  dans  les  Empires, 
qui  alTurent  aux  Princes  la  reconnoif- 
fance  des  âges  à  venir  ,  qui  mettent  la 
pollérité  dans  leurs  intérêts ,  ÔC  qui  les 
rendent  les  héros  de  tous  les  fiecîes. 
.  Non  ,  Sire  ,  la  gloire  des  monu- 
mens que  l'orgueil  6c  l'adulation  ont 
élevés  ,  fera,  ou  enfevelie  dans  l'oubli 
parles  temps,  ou  effacée  par  les  cenfu- 
res  8c  les  jugemens  plus  équitables  de 
la  poftérité.  Les  races  futures  difpute- 
ront  à  la  plupart  des  Souverains  les 
titres  6c  les  honneurs  que  leur  lîecle 
leur  aura  déférés  ;  mais  la  gloire  des 
'fecours  publics  accordés  à  la  piété ,  6c 
qui  fub lifteront  après  eux ,  ne  leur  fera 
pas  difputée  :  6c  quelque  grand  qu'ait 
été  le  Roi  que  nous  pleurons  encore  , 
de  tous  les  monumens  élevés  (î  juge- 
ment pour  immortalifer  la  gloire  de 
;fon  règne  ,  les  deux  édifices  pieux  ÔC 


Sur  le  Respect  ,  ^c.  j% 
auguftes,  où  la  valeur  d'un  côté,  6c  la 
nobleffe  du  fexe  de  l'autre  ,  trouve- 
ront jufqu'à  la  fin,des  relTources  fûres 
ÔC  publiques  ,  font  les  titres  qui  lui 
répondent  le  plus  des  éloges  &  des 
a(àions  de  grâces  de  la  poftérité. 

Tel  eft  le  zeîe  de  protection  que  les 
Princes  &  les  Grands  doivent  à  la 
fainteté  des  maximes  de  la  Religion, 
Mais  ils  le  doivent  encore  au  dépôt  fa- 
cré  de  fa  doctrine  6c  de  fa  vérité  ;  6c 
notre  fiecle  fur- tout ,  où  l'irréligion 
'fait  tant  de  progrès  ,  doit  encore  plus 
réveiller  là-  delTus  leur  attention  ÔC  leur 
se  le. 

J'avoue  que  les  impies  ont  été  de 
tous  les  fiecles  ;  que  chaque  âge  ÔC 
chaque  nation  ont  vu  des  efprîts  noirs 
ÔC  fuperbes  5  dire  non  feulement  dans 
leur  cœur  &  en  fecret ,  mais  ofer 
blafphêmer  tout  haut  qu'il  n'y  a  point 
de  Dieu  ,  Scque  dès  le  temps  même  de 
Salomon  ,  où  le  fouvenir  des  merveil- 
les du  Seigneur  en  Egypte  ÔC  dans  le 
défert  étoit  encore  fî  récent  ,  ils  pro- 
pofoient  déjà  contre  tout  culte  rendu 
au  Très-Haut  ,  ces  doutes  impies  qui 
font  devenus  le  langage  vulgaire  de 
l'incrédulité. 

Mais  s'il  a  paru  autrefois  des  im- 

Dij 


y6      ï  I.    D  I  M.    D  E    C  A  R  E  M  E, 

pies  ,  le  monde  lui-même  les  a  regar- 
dés avec  horreur  ;  6c  ces  ennemis  de 
Dieu  n'ont  paru  fur  la  terre  ,  que  pour 
être  comme  le  rebut  5c  Tanathême  de 
tous  les  hommes. 

Aujourd'hui  ,  hélas  !  l'impiété  ek 
prefque  devenue  un  air  de  dillin6bion 
8c  de  gloire  :  c'efi:  un  titre  qui  hono- 
re ;  5c  fouvent  on  fe  le  donne  à  foi- 
même  par  une  affreufe  oftentation  , 
tandis  que  la  confcience  n'ofe  encore 
fecouer  le  joug,  ôc  nous  le  refufe.  Au- 
jourd'hui c'efl  un  mérite  qui  donne 
accès  auprès  des  Grands  ;  qui  relevé  , 
pour  ainfi  dire,  la  baiTelIe  du  nom  ôC 
de  la  naifTance  ;  qui  donne  à  des  hom- 
mes obfcurs  ,  auprès  des  Princes ,  du 
peuple,  un  privilège  de  familiarité, 
dont  nos  mœurs  mêmes,  toutes  cor- 
rompues qu'elles  font ,  rougiffent  ;  ÔC 
l'impiété ,  qui  devroit  avilir  l'éclat  mê^^ 
me  de  la  naifTance  5c  de  la  gloire ,  dé- 
core 5c  annoblit  l'obfcuritéôc  la  rotu- 
re. Ce  font  les  Grands  qui  ont  donné 
du  crédita  l'impie  ;  c'eftà  euxà  le  dé- 
grader 8c  à  le  confondre. 

Quelle  honte  pour  la  Religion,  mes 
Frères  !  Les  plus  grands  hommes  du 
Paganifme  ne  parloient  qu'avec  reC- 
pe<à  des  fuperftitions  de  l'Idolâtrie  , 


Sur  le  Respect  ,  6cc.  77 
idont  ils  connoiiroient  la  puérilité  ÔC 
l'extravagance  :  ils  penfoient  avec  les 
fages  ;  5c  ils  n'ofoient  parler  que  com- 
me  le  peuple.  Ils  n'auroientofé,  avec 
toute  leur  réputation  6c  leurs  lumiè- 
res ,  infulter  tout  haut  un  culte  fi  in- 
fenfé  ,  mais  que  la  majefté  des  loix  de 
l'Empire  ôcranciennetérendoient  ref- 
pedable:  ôc  Socrate  lui-mêmiej  l'hon- 
neur de  I2  Grèce ,  ce  premier  Phiio- 
fophe  du  rr:onde ,  fî  eflimé  de  tous  les 
iiecles  ,  &;  qui  devoir  être  fi  cher  au 
fien  5  perd  la  vie  par  un  arrêt  public 
d'Athènes  ,  pour  avoir  parlé  avec 
moins  de  circonfpe^lion  de  ces  Dieux 
bizarres  ,  auxquels  fes  citoyens  dé- 
voient moins  de  refpeâ:  &  d'honneur 
qu'à  lui-même. 

Et  parmi  nous ,  le  Dieu  du  Ciel  6c 
delà  terre  eft  infulté  hautement  ,  fans 
que  le  zèle  public  fe  réveille  !  &  fous 
TEmpire  même  de  la  Foi  ,  des  hom- 
mes vils  ôc  ignorans  font  des  déridons 
publiques  d'une    doâ:rine  defcendue 
du  Ciel ,  6c  on  applaudit  à  l'impiété  ! 
5c  dans   un  Royaume  où  le  titre  de^ 
Chrétien  honore  nos  Rois ,  l'incrédu- 
lité impunie  devient  miême  un  titre- 
d'honneur  pour  des  fujets!  Les  vaines- 
idoles  auroient  donc  eu  le  miniilere- 

Diij. 


IL  DiM.  DE  Carême. 

public  pour  vengeur  contre  les  Savans 
6c  les  fages  ;  6c  le  feul  Dieu  véritable 
ne  l'auroit  pas  contre  les  libertins  ôc 
les  infenfés  !   , 

Vengez  l'honneur  de  la  Religion  , 
vous  5  mes  Frères ,  dont  les  illuflres 
ancêtres  en  ont  été  les  premiers  dépo- 
(îtalres  ,  6c  dont  vous  devez  être  par 
conféquent  les  premiers  défenfeurs  .' 
éloignez   l'impie  d'auprès  de   vous  f 
n*ayez  jamais  pour  amis  les  ennemis 
de  Dieu.  Il  y  a  tant  de  dignité  pour 
les  Grands ,  à  ne  pas  fouffrir  qu'on  in-       | 
fuite   6c  qu'on  avilifle  devant  eux  la 
foi  de  leurs  pères  !  Ce  doit  être  pour 
vous,  manquer  de  refpeâ:  à  votre  rang, 
que  d'en  manquer  en  votre  préfence 
à  la  Religion  que  vous  profeffez  :  c'eft 
un    langage    indécent    qui  blefle  les 
égards  ÔC  les  attentions  qui  vous  font 
dues  :  on  vous  méprife  j  en  méprîfant 
devant  vous  le  Dieu  que  vous  adorez» 
N'écoutez  donc  qu'avec  une  indigna- 
tion qui  ferme  la  bouche  à  l'incrédule, 
lés  difcours  de  l'incrédulité  :  comme 
c'eft  la  vanité  feule  qui  fait  les  impies, 
ils  feront  rares ,  dès  qu'ils  feront  mé- 
prife s. 

Ayez  vous-même  un  noble  &  reli- 
gieux lefpeâ  pour  Iqs  vérités  de  la 


Sur  le  Respect  ,  8cc.      79 
Religion.  La  véritable    élévation   de 
Fefprit ,  c'eft  de  pouvoir  fentir  toute 
la  majefté  &  toute  la  lublimité  de   la 
Foi  5  les  grandes  lumières  nous  con- 
duifent  elles-mêmes  à  la  foumiflîon  ; 
Fincfédulité  efl  le-  vice  des  efprits  foi- 
bles  ôc  bornés  :  c'eil  tout  igorer .  que 
de  vouloir  tout  connoître.  Les  eontra- 
dirions  &C  les  abîmes  de  l'impiété  font  ; 
encore  plus  incompréhenfibles  que  les 
M3'fleres  de  la  Foi  ;  8c  il  y  a  encore 
moins  de  refTource  pour  la  rai  Ton  à^ 
fecouer  tout  joug,  qu'à  obéir  ôc  à  fe; 
foumettre. 

Que  votre  refpeâ:  ÔC  votre  zèle  pour" 
îa  religion  de  vos  pères  ,  cultivent  6c 
fafTent  croître  celui  du  jeune  Prince  9 
auprès  duquel  vos  noms  ôc  vos  digni^ 
tés  vous  attachent  5  &;  dont  l'éduça- 
îioneîl,  pour  ainfi  dire,  confiée  à  tous; 
ceux  qui  ont  Thonneur  de  rapprocher 
de  plus  près  :  qu'il  retrouve   en  vous 
les  premiers  témoins  de  la  Foi  ,  que 
fes  ancêtres  placèrent  fur  le  Trône  : 
que  le  zelepour  la  défenfe  de  TEglife  j, 
qui  coule  en  lui  avec  le  fang  ,  foit  en-' 
core  réveillé  Si  animé  par  vos  exem- 
ples :  que  les  erreurs  ôc  les  prof3nes> 
nouveautés  foient  les  premiers  enne- 
mis qu'il  fe  propofe  de  combattre  j  5é: 

D  iy 


ÎQ  II.  DiM.  DE  Carême.. 
qu'il  foir  encore  plus  jalouK  qu'on  ne 
touche  point  aux  anciennes  bornes  de 
la  Foi ,  qu'à  celles  de  la  Monarchie. 
Que  la  tranquillité  de  Ton  règne  ,  6 
mon  Dieu  !  devienne  celle  de  rÉglife:: 
que  les  troubles  qui  l'agitent,  foient 
calmés  ,  avant  qu'il  puiffe  les^^connoî- 
tre  :  que  la  concorde  5c  l'union  réta- 
blies parmi  nous ,  préviennent  la  févé- 
rite  de  Tes  loix,  ôc  ne  laifTent  plus  rien 
à  faire  à  Ton  zèle  :  que  fon  règne  Toit  le 
legne  de  la  paix  5cde  la  vérité  :  que  le 
lion  ôc  l'agneau  vivent  enfemble  pai- 
iîblement  fous  fon  Empire  ;  ôC  que  cet; 
Enfant  miraculeux  ,  comme  dit  Ifaïe, 
les  mené  encore  ,  &  les  voye  réunis: 
II.  <5.  dans  les  mêmes  pâturages:  Et  puerp^r- 
vulus  minahlt  eos.  Que  le  camp  des  In- 
fidèles &.  des  i'hiliftins  ne  fe  réjouifle. 
plus  de  nos  diffentions;  5c  que  s'ils  en- 
tendent encore  des  clameurs  autour  de 
l'Arche  ,  ce  ne  foient  plus  celles  qui; 
annoncent  fes  périls ,  êï  des  malheurs; 
nouveaux,  mais  fes  triomphes  &.  fai 
gloire.  Ainfî  foit  ■  iL 


^^^M^ 


■9'^'^S^1^Ï93^P- 


Si 


S  E  R  M  O 

POUR 
tE    TROISIEME     DIMANCHE' 

DE  CAREME. 

^r  le  malheur  des  Grands  qui  ahark^'- 
donnent  Dieu, 

Cùm  immSfcus   fpiritus  exierit  de  homî» 
ne  ,  ambulat  per  loca  inaquola  ,  guéerens  re-* 
quism,  &  non  jnveniîa 
» 

Lorfqiie  Vtfpriî  immonde  efl  font  d'un  hows 
me  ,  il  s^en  va  pnr  cf^j-  //g«:ii:  arides  ,  cherchant 
du  repçs  ,  (&•  //  n'en  trouve  points  Luc.  ii.  24«r 


Sx 


RE 


Et   efprit  inquiet  8c  immonde,' 
qui  fort,  ôc  rentre  dans  l'homme 
d*où  il  eft  forti  ;  qui  changé  fans  celTs 
de  lieu  ;  qui  effaie  de-toutes  les  fitua- 
tioiis  5  ê^  ne  pçut  fe  plaire  ^  &  fe  j&xe? 


ti  m;  DîM,  DE  Carême. 
dans  aucune;  qui  court  toujours  pour^ 
découvrir  des  fentiers  agréables  ôc  dé- 
licieux ,  &.  qui  ne  marche  jamais  que 
par  des  lieux  triftes  ôC  arides  ;  qui  cher- 
che le  repos,  6c  ne  le  trouve  pas;  c'eft 
l'imagede  l'humeur  &  du  caraftere  des 
Grands  de  la  terre;  toujours  plus  in^ 
quiets ,  plus  agités  &  plus  malheureux 
que  le  (impie  peuple ,  dès  que  livrés  à 
leurs  pafTions  Se  à  eux-mêmes ,  ils  ont 
abandonné  Dieu, 

C'éft  la  figure  naturelle  de  cet  état 
d'élévation  6c  de  profpérité  ,  fi  envié 
d*u  monde ,  &:  fi  peu  digne  d'envie 
félon  Dieu.  Le  bonheur  ,  Sire  ,  n'eft 
pas  af  aché  à  l'éclat  du  r^g  &  des  ti- 
tres 'y  il  n'efl  attaché  qu'^i'innocence 
de  la  vie  :  ce  n'eft  pas  ce  qui  nous 
élevé  au-defTus  des  autres  hommes  j 
qui  nous  rend  heureux  ,  c'efl  ce  qui 
nous  réconcilie  avec  Dieu.  Vous  por- 
tez la  plus  belle  Couronne  de  l'uni- 
vers ;  mais  fi  la  piété  ne  vous  aide  à  la 
foutenir  5  elle  va  devenir  le  fardeau 
même  qui  vous  accablera.  En  un  mot, 
point  de  bonheur  où  il  n'y  a  point  de 
arepos  ;  5c  point  de  repos  où  Dieu  n'efl  • 
point. . 

Ainfi l'élévation  toute  feulé  ne  fait" 
ppsleJ^ODliéur  des  Grands,  fi  elle  n'eili 


Malheur  des  GkANm^Scc.  S5 
accompagnée  de  la  vertu  ,  &  de  la 
crainte  du  Seigneur  :  au  contraire  plus 
on  ell  grand,  plus  on  vit  malheureux, 
ft  Ton  ne  vit  point  avec  Dieu. 

Vérité  importante  qui  va   faire  le 
fujet  de  ce  Difcours.  Implorons,  ôCCo  ^ 
Ave ,  Maria, 

SIRE,. 

Sirhomme  n*étoit  fait  que  pour  la ^ 
terre  ,  plus  il  y  occuperoit  de  place  3 . 
5c  plus  il  feroiî  heureux. 

Mais  l'homme  eft  né  pour  le  Ciel  i  ' 
M  porte  écrits  dans  Ton  cœur,  les  titreg- 
auguftes  6c  ineffaçables  de  fon  origi- 
ne ;  il  peut  Tes  avilir ,  mais  il  ne  peut 
les  effacer.  L'univers  entier   feroit  fa-; 
polTeifion  6c  fon  parta^^e  ,   qu'il  fenti» 
roit  toujours  qu'il  fe  dégrade  ^  âc  ne  - 
fe  fatisfait  pas  en  s'y  fixant  i  tous  les  ; 
objets  qui  l'attachent  ici- bas  ^   l'arra- 
chent,  pour  ainfi  dire  ,   du    fein  de 
Dieu  ,  fon  origine  &  fon  repos  éter- 
nel ^  5c  laifTent  une  plaie  de  remords^ 
^ d'inquiétude  dans  fon  ame  ^   qu'ils- 
ne  fauroient  plus  fermer  eux-mêmes?  . 
il  fent  toujours  la  douleur  fecrette  de.' 
là  rupture  6c  de  la  féparatioa  ;  5t  tout  • 
ce  qui  altère  fon  union  avec  Dieu  ,  k 
jend  irréconciliable  avec  Itii- même-  . 


^4    IIÎ.  DiM.  DE  Carême» 

Cependant  nous  nous  promettons 
toujours  iei-bas   une    injufte  félicité. 
Nous  courons  tous  dans    cette  terre 
aride,  comme  refprit  de  notre  Evan- 
gile , ,  après  un  bonheur  &  un  repos 
que  nous  ne  faurions  trouver.  A  peine 
détrompés  par  la  poflefTion  d'un  objet, , 
du  bonheur  qui  fembloit  nous  y  at- 
tendre ,  un  nouveau- defir  nous   jette 
dans  la  mêm»  illufion  ;  Se  palfant  Tans 
celTe  de  j'eTpérance  du  bonheur  au  dé»  - 
gpût,  8c  du  dégoût  à  refpérance,  tout 
ce. qui  nous  fait  fentir  notre  méprife  ^, 
dévient  lui  même  l'attrait  qui  la  per- 
pétue.. 

Il  fembîe  d'abord  que  cette  erreur  r 
ne  devroit  être  à  craindre  que  pour  le 
peuple.  La  baiTefle  de  fa  fortune  laif- 
fant  toujours  un  efpace  immenfe  au- 
défibs  de  lui ,  il  feroit  moins  étonnant 
qu'il  fe  figurât  une  félicité  imaginaire 
dans  les  fituations  élevées ,  où  il  ne 
peut  atteindre;  Sc. qu'il  crût  ,  car  tel 
eft  l'homme ,  que  tout  ce  qu'il  ne  peut 
asoir  5  c'eft  cela  même  qui  eJft  le  bon- 
li£ur  qu'il  cherche. 

Mais  l'éclat  durang,  dés  tiires  8C: 
dëela  naiflance  ,  dKîipe  bientôt  cette  • 
ifaiée  iriulion.  On  a  beau  monter,  6C:. 
.êto/pprté 'futies^aîles  de  la  fortunes 


Malheur  des  Grands,  6cc.  85' 
aii-deiras  de  tous  les  autres ,  la  félicité 
fe  trouve  toujours  placée  plus  haut  que 
nous  mêmes  :  plus  on  s'élève  ,  plus 
elle  femble  s'éloigner  de  nous.  Les 
chagrins  6c  les  noirs  fbucis  montent^. 
6c  vont  s'afleorr  même  avec  le  Souve- 
rain fur  le  Trône  :  le  diadème  qui 
orne  le  front  augulle  des  Rois ,  n'eft 
fouvent  armé  que  de  pointes  ÔC  d'épi- 
nes qui  le  déchirent  ;  5c  les  Grands  j 
loin  d'être  les  plus  heureux  ,  ne  font 
que  les  trides  témoins  qu'on  ne  peut 
Têtre  fans  la  vertu  fur  la  terre. 

Ileil  vrai  même  que  l'élévation  nous 
rend  plus  malheureux  ,  fi  elle  ne  nous 
rend  pas  plus  fidèles  à  Dieu.  Les  paf- 
fions  y  font  plus  violentes  ;  l'ennui  plus  < 
à  charge  ;  la  bizarrerie  plus  inévita- 
ble :  c*eft  à  dire  ,  le  vuide  de  tout  ce 
qui  n'efl  pas  Dieu ,  plus  fenfîble  &- 
plus  affreux.. 


E  s  pafTions  plus  violentes.  Oui ,      ^-'^ 
Sire  ,  les  paflîons  font  tous  nos  mal-^^^^^^v 
heurs  ;  &  tout  ce  qui  les  flatte  8c  les 
irrite,augmente  nos  peines.  Un  Grand 
voluptueux   eil   plus    malheureux  §c 
pius  à  plaindre  que  le  dernier  ÔC  le  ' 
plus  vil  d'entre  le  peuple  :  tout  lui  aide 
à  afïbuvir  fon  injufte  paûîon  >  ôc  towit 


ÏÏ6  ni.  DiM.  DE  Carême* 
ce  qui  l'afTouvit,  la  réveille  :  fesdefîrs 
croiffent  avec  fes  crimes  ;  plus  il  fe  • 
livre  à  Tes  penchans ,  plus  il  en  de- 
vient le  jouet  6c  Tefclave  :  fa  profpé" 
rite  rallume  fans  cefle  le  feu  honteux 
qui  le  dévore  ,  &  le  fait  renaître  de  : 
fes  propres  cendres  :  les  fens  deve- 
nus fes  maîtres ,  deviennent  fes  tyrans  t 
îï  fe  raflaiie  de  plaifirs ,  ÔC  fa  fatiété 
fait  elle-même  fon  fupplice  ;  &  les 
plaifirs  enfantent  eux-mêmes,  dit 
TEfprit  de  Dieu  ,  le  ver  qui  le  ronge 
Johi  24.ôcqui  le  dévore  :  Et  dulcedo  illiusver' 
(^®*  mis.  Ainfi  fes  inquiétudes  naiiTent  de 
fon  abondance  :  fes  defirs  toujours 
fatisfaits ,  ne  lui  lailfant  plus  rien  à 
defirer  ,  le  laiffent  triftement  avec 
lui-même  :  l'excès  de  fes  plaifirs  en 
augmente  de  jour  en  jour  le  vuide;  ÔC 
plus  il  en  goûte  ,  plus  ils  deviennent 
trilles  ÔC  amers.  , 

Son  rang  même  ,  fes  bienféances  j 
fes  devoirs ,  tout  empoifonne  fa  paf- 
iion  criminelle.  Son  rang  ;  plus  il  efl 
élevé  5  plus  il  en  coûte  pour  la  dérober 
aux  regards  Si  à  la  cenfure  publique  3 
^s  bienféances;  plus  il  en  efl  jaloux  ^ 
plus  les  allarmes  qu'une  indifcrétioo 
jne  trahiffe  fes  précautions  &  fes  me- 
fisresj  font  cruelles  i  fes  devoirs:  parc^. 


I 


Malheur  DES  Grands  5  Stc, 
qu*il  les  faut  toujours  prendre  fur  fes 
plaifirs. 

Non ,  Sire  ,  lé  Trône  où  vous  êtes 
alTis ,  a  autour  de  lui  encore  plus  de 
remparts  qui  le  défendent  contre  la 
volupté  ,  que  d'attraits  qui  l'y  enga- 
gent :  fi  tout  dreflê  des  pièges  à  la 
jçunefle  des  Rofs  ,.  tout  leur  tend  le& 
mains  aufli  pour  leur  aider  à  les  éviter» 
Donnez-vous  à  vos  peuples  à  qui  vous 
vous  devez  ;  le  poifon  de  la  volupté  ne 
trouvera  gueres  de  moment  pour  in- 
feâ:er  votre  cœur  :  elle  n'habite  ÔC  ne 
fe  plaît  qu'avec  ToiAveté  &  l'indolen-^ 
ce.  Que  les  foins  de  la  Royauté  en  de- 
viennent pour  vous  les  plus  chers  plai- 
firs ;  ce  n'efl  pas  régner ,  de  ne  vivre 
que  pour  foi- même.  Les  Rois  ne  font 
que  les  conducteurs  des  peuples  :  ib 
ont  à  la  vérité  ce  nom  &  ce  droit  par- 
la naiflance  ;  mais  ils  ne  le  mérirenî 
que  par  les  foins  &  l'application.  Auffî 
les  règnes  oiliVs  forment  un  vuide 
obfcur  dans  nos  annalef^elles  n'ont  pas 
daigné  même  compter  les  années  de 
îavie  des  Rois  fainéans  ;  il  fembîe  que 
n'ayant  pas  régné  eux-mêmes ,  ils  n'ont 
pas  vécu  :  c'eft  un  chaos  qu'on  a  de  la 
fçine  à  écîaircir  encore  aujourd'hui  ; 
loin  de  décorer  nos  hifloires ,  ils  ne 


?B    III.  DiM.  DE  Carême. 

font  tfae  les  obfcurcir  &  les  embarraf^ 
fer  ;  &  ils  font  plus  connus  par  les 
grands  hommes  qui  ont  vécu  fous  leur 
règne  ,  que  par  eux-mêmes. 

Je  ne  parle  pas  ici  de  toutes  les  au- 
tres paflions  5  qui  plus  violentes  dans 
l'élévation  ,  font  fur  le  cœur  des 
Grands  des  plaies  plus  douîoureufes  6c 
plus  profondes.  L'ambition  y  efl:  plus 
démefurée.  Hélas  !  le  citoyen  obfcur 
vit  content  dans  la  médiocrité  de  fa 
dediaée  :  héritier  de  la  fortune  de  fes 
pères ,  il  fe  borne  à  leur  nom  5c  à  leur 
état  ;  il  regarde  fans  envie ,  ce  qu'il  ne 
pourroit  fouhaiter  fans  extravagance  ; 
tous  fes  defîrs  font  renfermés  dans  ce 
qu'il  pofiede  ;  6c  s'il  forme  quelque- 
fois des  projets  d'élévation,  ce  font  de 
ces  chimères  agréables  qui  amufent  le 
loifir  d'un  efprit  oifeux  ^  mais  non  pas 
des  inquiétudes  qui  le  dévorent. 

Au    Grand  ,  rien  ne  fuffit ,   parce  " 
qu'il  peut  prétendre  à  tout  :  fes  defjrs 
croifTent  avec  fa  fortune  ;  tout  ce  qui  '■ 
QÛ  plus  élevé  que  lui  ,  le  fait  paroître 
petit  à  fes  yeux  ;  il  eft  moins  flatté  de 
îaifler  tant  d*hommes  derrière  lui,  que  • 
rongé  d'en  avoir  encore  qui  le  préce- 
éent;  il  ne  croit  rien  avoir  ,  s'il  n'^  ^ 
tout  ;  fon  ame  eft  toujours  aride  és^ 


Malheur  des  Grands  ,  Sec.  S5 
altérée  ;  6c  il  ne  jouit  de  rien  5  fi  ce 
n'eft  de  fes  malheurs  ÔC  de  fes  inquié- 
tudes. 

Ce  n'eft  pas  tout.  De  l'ambition  ^ 
nailTent  les  jaloufies  dévorantes  ;  ÔC 
cette  pafîlon  fi  balTe  &  fi  lâche ,  eft 
pourtant  le  vice  &  le  malheur  des 
Grands.  Jaloux  de  la  réputation  d'au- 
trui  j  la  gloire  qui  ne  leur  appartient 
pas  f  eft  pour  eux  comme  une  tache 
qui  les  flétrit  ÔC  qui  les  déshonore  : 
jaloux  des  grâces  qui  tombent  à  côté, 
d'eux  5  il  fembie  qu'on  leur  arrache 
celles  qui  fe  répandent  fur  les  autres  : 
jaloux  de  la  faveur ,  on  eft  digne  de 
leur  haine  &  de  leur  mépris ,  dès  qu'on 
l'eft  de  l'amitié  ÔC  de  la  confiance  du 
Maître:  jaloux  même  des  fuccès  glo^ 
rieux  à  l'Etat ,  la  joie  publique  eft  fou- 
vent  pour  eux  un  chagrin  fecret  ÔC 
domeftique  ;  les  viéloires  remportées 
par  leurs  rivaux  fur  les  ennemis  ,  leur 
font  plus  ameres  qu'à  nos  ennemis 
mêmes  ;  leur  maifon  ,  comme  celle 
d'Aman  ,  eft  une  maifon  de  deuil  ÔC 
de  triftelfe ,  tandis  que  Mardochée 
triomphe  ,  ôc  reçoit  au  milieu  de  la 
capitale  les  acclamations  publiques;. 
6c  peu  contens  d'être  fenfibles  à  la 
gloire  des  événemens  j  ils  cherchent  à 


^o  in.  Dim:  de  Carême, 
fe  confoler  en  s'efforçant  de  les 
obfcurcir  par  la  malignité  des  ré- 
flexions 5c  des  cenfures.  Enfin ,  cette 
injufte  pafTiOD  tourne  toute  en  amer- 
tume ;  &  on  trouve  le  fecret  de  n'être 
jamais  heureux  ,  foit  par  Tes  propres 
maux  ,  foit  par  les  biens  qui  arrivent 
aux  autres. 

Enfin,  parcourez  toutes  les  pafTions; 
c*eft  fur  les  cœurs  des  Grands  qui/ 
vivent  dans  l'oubli  de  Dieu  ,  qu'elles 
exercent  un  empire  plus  trifte  &  plus 
tyrannique.  leurs  difgraces  font  plus 
accablantes  ;  plus  l'orgueil  efl  excef- 
iîf  5  plus  l'humiliation  efl  amere  :  leur 
haine  plus  violente  ,  comme  une 
faulTe  gloire,  les  rend  plus  vains;  le 
mépris  aufTi  les  trouve  plus  furieux 
&  plus  inexorables  :  leurs  craintes  plus 
excefîives  ;  ext^mpts  de  maux  réels  , 
ils  s'en  forment  même  de  chimériques, 
6c  la  feuille  que  le  vent  agite  ,  eft' 
comme  la  montagne  qui  va  s'écrouler 
fur  eux  :  leu?s  infirmités  plus  affli- 
geantes ;  plus  on  tient  à  la  vie  ,  plus 
tout  ce  qui  la  menace  ,  nous  allarme. 
Accoutumés  à  tout  ce  que  lés  fens 
offrent  de  plus  doux  5c  de  plus  riant , 
la  plus  légère  douleur  déconcerte  tou- 
teJeur  félicité  ,  ÔC  leur  eft  infoutena- 


Malheur  des  Grands  ,  êcc.  ^r 
ble  :  ils  ne  favent  ufer  fagement ,  ni  de 
la  maladie  5  ni  de  la  fanté  ;  ni  des  biens^  - 
ni  des  maux  inféparables  de  la  condi- 
tion humaine  :  les  plaifirs  abrègent 
leurs  jours  ;  6c  les  chagrins  qui  fuivent 
toujours  les  plaifirs  ,  précipitent  le^ 
refte  de  leurs  années.  La  fanté  déjà 
ruinée  par  l'intempérance  ,  fuccombe 
fous  la  multiplicité  des  remèdes  :  l'ex- 
cès des  attentions  achevé  ce  que 
n'avoit  pu  faire  l'excès  des  plaifirs  ;  ÔC 
s'ils  fe  font  défendus  les  excès ,  la  mol- 
lelTe  6c  l'oifiveté  feules  déviennent 
pour  eux  une  efpece  de  maladie  6c  de 
langueur  qui  épuifent  toutes  les  pré- 
cautions de  l'art ,  6c  que  les  précau- 
tions ufent  6c  épuifent  elles-mêmes. 
Enfin  leurs  affujettifTemens  plus  trif- 
tes  :  élevés  à  vivre  d'humeur  6c  de 
caprice  ,  tout  ce  qui  les  gêne  6c  les 
contraint,  les  accable  :loin  delà  Cour^. 
ils  croient  vivre  dans  un  trifle  exil  ; 
fous  lés  yeux  du  Maître  ,  ils  fe  plai- 
gnent fans  cefTe  de  raifujettifTement 
des  devoirs  6c  de  la  contrainte  des 
bienféances  :  ils  ne  peuvent  porter  ni 
la  tranquillité  d'une  condition  privée  , 
ni  la  dignité  d'une  vie  publique  :  le 
repos  leur  efl  aufli  infupportable  que 
î'agi^tation,  ou  plutôt  ils  font  partout 


■fi  lîl.  DiM.  DE  Carême, 
à  charge  à  eux-mêmes.  Tout  eft  un 
joug  pefant  ,  à  quiconque  veut  vivre 
fans  joug  6c  fans  règle. 

Non  ,  mes  Frères  ,  un  Grand  dans 
le  crime ,  eft  plus  malheureux  qu*un 
autre  pécheur  :  la  profpérité  l'endur- 
cit y  pour  alnfi  dire  ,  au  plaifir ,  6c  ne 
lui  la^fle  de  fenfibilité  que  pour  la  pei- 
ne. Vous  l'avez  voulu  ,  ô  mon  Dieu  ! 
que  l'élévation  qu'on  regarde  comme 
une  reffource  pour  les  Grands  qui 
vivent  dans  l'oubli  de  vos  ccmmande- 
mens  ,  foit  elle-même  leur  ennui  6c 
leur  fupplice^ 

II.      J  E   dis   leur   ennui  ;    6c    c'eft  une 

RÉFtEx. féconde  léflexion  que  me-fourniî  le 
malheur  de.^  Grands  qui  ont  abardon- 
né  Dieu  :  non  feulement  les  pafîîons 
font  plus  violentes  dans  cet  étF.t  fi  heu- 
reux aux  yeux  du  monde ,  mais  l'ennui 
y  devient  plus  infupporcable. 

Oui ,  mes  Frères  ^  l'ennui  qui  paroit 
devoir  être  le  partage  du  peuple  ,  ne 
s'eft;  pourtant  ^  ce  femble  ^  réfugié  que 
che2  les  Grands  ;  c'eft  comme  leur  om- 
bre qui  les  fait  par- tout.  Les  piaifirs 
prefque  tous  épuifés  pour  eux,  ne  leur 
oâffent  plus  qu'une  trifte  uniformité 
qui  endort  ou  qui  lafle  ;  ils  ont  beau 


Malheur  des  Grands  ,  8cc.  93 
les  diverfîfier  ,  ils  diveriifient  leur  en- 
nui. En  vain  ils  le  font  honneur  de 
paroître  à  la  tête  de  toutes  les  réjouif- 
fances  publiques  :  c'efl  une  vivacité 
d'oilentation  ;  le  cœur  n'y  prend  pref' 
que  plus  de  part  :  le  long  ufage  des 
plaifîrs  les  leur  a  rendus  inutiles  :  ce 
font  des  reiTources  ufées ,  qui  fe  nui- 
fent  chaque  jour  à  elles- mênies.  Sem- 
blables à  un  malade  à  qui  une  longue 
langueur  a  rendu  tous  les  mets  infipi- 
des ,  ils  eiîaient  de  tout,  8c  rien  ne  les 
pique  6c  ne  les  réveille  ;  5c  un  dv4goût 
affreux  ,  dit  Job  ,  fuccede  à  l'iniiant 
à  une  vaine  efpérance  de  plaifir  ,  dont 
leur  ame  s'étoit  d'abord  flattée  ;  Et  Job,  ir| 
fpes  illorum  abominano  animœ,  ^^* 

Toute  leur  vie  n'efl  qu'une  précau- 
tion pénible  contre  l'ennui  ;  &  toute 
leur  vie  n'efl:  qu'un  ennui  pénible  elle- 
même  :  ils  l'avancent  même  ,  en  fè 
hâtant  de  multiplier  les  plai/îrs  :  tout 
efl  déjà  ufé  pour  eux  à  l'entrée  même 
de  la  vie  ;  ÔC  leurs  premières  années 
éprouvent  déjà  les  dégoûts  Sc  l'iniî- 
pidité  que  la  lalTitude  5c  le  long 
ufage  de  tout  femblent  attacher  à  la 
vieillefle. 

îl  faut  au  Julie  moins  de  pîaifirs ,  êC 
Tes  jours  font  plus  heureux  ôC  plus 


Il  î.    D  I  M.    D  E    C  A  R  E  M  E» 

tranquilles.  Tout  eil  délalTement  pour 
un  cœur  innocent.  Les  plaifirs  doux 
6c  permis  qu'offre  la  nature  ,  fades  Bc 
ennuyeux  pour  l'homme  diflblu  .  con- 
fervent  tout  leur  agrément  pour  l'hom- 
me de  bien.  Il  n'y  a  même  que  les 
plai(îrs  innocens  qui  laifTent  une  joie 
pure  dans  l'ame  :  tout  ce  qui  la  fouille, 
l'attrifte,  ôcla  noircit.  Les  faintes  fami- 
liarités &  les  jeux  chaftes  6c  pudiques 
d'Ifaac  6c  de  Rebecca  dans  la  Cour  du 
Roi  de  Gerare  ,  fuffifoient  à  ces  âmes 
pures  ÔC  fidelles  :  c'étoit  un  plaifir  affez 
vif  pour  David  ,  de  chanter  fur  laiyre 
les  louaftges  du  Seigneur ,  ou  de  dan- 
fer  avec  le  refte  de  fon  peuple  autour 
de  l'Arche  fainte  :  les  feftins  d'hofpi- 
talité  faifoient  les  fêtes  les  plus  agréa- 
bles des  premiers  Patriarches ,  ÔC  la 
brebis  la  plus  grafle  fuffifoit  pour  les 
délices  de  ces  tables  innocentes. 

Il  faut  moins  de  joie  au-dehors  à 
celui  qui  la  porte  déjà  dans  le  cœur  ; 
elle  fe  répand  delà  fur  les  objets  les 
plus  indifferens.  Mais  fi  vous  ne  por- 
tez pas  au- dedans  la  fource  de  la  joie 
véritable  ,  c'eft-à-dire  la  paix  de  la 
confcience  ,  ôc  l'innocence  du  cœur, 
en  vain  vous  la  cherchez  au- dehors  : 
yalTemblez  tous  les  amufemens  autour 


Mâlkeur  des  Grands  ,  ê<c.  95 
de  vous  -,  il  s'y  répandra  toujours  da 
fond  de  votre  ame  une  amertume  qui 
les  empoifonnera  :  rafinez  fur  tous  les 
plaifirs ,  fubtilifez-IeSj  mettezles  dans 
le  creufet  ;  de  toutes  ces  transforma- 
tions ,  il  n'en  fortira  6c  réfultera 
jamais  que  l'ennui. 

Grand  Dieu  /  ce  qui  nous  éloigne 
de  vous  ,  eft  cela  même  qui  devroit 
nous  rappeller  à  vous.  Plus  la  profpérité 
multiplie  nos  plaifirs  ,  plus  elle  nous 
en  détrompe  ;  ÔC  les  Grands  font  moins 
excufables  ÔC  plus  malheureux  de  ne 
pass'aitacheràvous,ômonDieu  !  par- 
ce qu'ils  Tentent  mieux  5c  plus  fouvent 
le  vuide  de  tout  ce  qui  n'eft  pas  vous. 

C/T  non  feulement  ils  font  plus  mal-    ni, 
heureux  par  l'ennui  qui  les  pourfuit  Reflex-; 
par- tout ,  mais  encore  par  la  bizarre- 
rie ÔC  le  fond  d'humeur  ÔC  de  caprice 
qui  en  font  inféparables.  Lorfqu'il  fera 
raflafié  ,  dit  Job  ,  fon  efprit  paroîtra 
trille  ÔC  agité  ;  l'inégalité  de  fon  hu- 
meur imitera  l'inconilaiice  des  flots 
de  la  mer  ;  6c  les  penfées  les  plus  noi- 
res 5c  les  plus  fombres  viendront  fon- 
dre dans  fon  ame  :  Cumfatiatusfueritj  Job,  iq; 
arclahitur  y  œfluahit  ^  &  omnis  dolor^^' 
drruetfuper  cum. 


■i)6  II I.  D  I  M.  DE  Carême.' 

Telle  eftjSiRE,  la  deflinée  des 
Princes  5c  des  Grands  qui  vivent  dans 
l'oubli  de  Dieu  ,  8c  qui  n'ufent  de 
leur  profpérité  que  pour  la  félicité  de 
leurs  fens.  Ennuyés  bientôt  de  tout , 
tout  leur  eft  à  charge  -,  6c  ils  font  à 
charge  à  eux-mêmes.  Leurs  projets  fe 
détruifent  les  uns  les  autres  ;  5c  il  n'en 
refaite  jamais  qu'une  incertitude  unî- 
verfeile  que  le  caprice  forme  ,  6c  que 
lui  feul  peut  fixer.  Leurs  ordres  ne 
font  jamais  un  moment  après  les  inter- 
prêtes fûrs  de  leur  volonté  :  on  déplaît 
en  obéiflant  :  il  faut  les  deviner  ,  6C 
cependant  ils  font  une  énigme  inex- 
plicable à  eux-mêmes.  Toutes  leurs 
démarches ,  dit  1  Efprit  faint ,  font 
vagues ,  incertaines  ,  incompréhenfî- 
prov.7.bles  :  Vagifiintgreffusejus^  &  inve/ti- 
^.  gabiles.  On  a  beau  s'attacher  à  les  fui- 

vre  ;  on  les  perd  de  vue  à  chaque 
inftant  :  ils  changent  de  fentier  ;  on 
s'égare  avec  eux  ,  ÔC  on  les  manque 
encore  :  ils  fe  laiTeat  des  hommages 
qu'on  leur  rend  ,  Sc  ils  font  piqués  de 
ceux  qu'on  leur  refufe  :  les  ferviteurs 
les  plus  (ideles  les  importunent  par 
leur  fincérité  ,  6c  ne  réufTifTent  pas 
mieux  à  plaire  par  leur  complaifance. 
Maîtres  bizarres  5c  incommodes ,  tout 

ce 


Malheur  des  Grands,  Scc.  97 

ce  qui  les  environne ,  porte  le  poids  de 
leurs  caprices  &C  de  leur  humeur ,  ôC 
ils  ne  peuvent  les  porter  eux-mêmes  : 
ils  ne  femblent  nés  que  pour  leur  mal- 
heur 5  &  pour  le  malheur  de  ceux  qui 
les  fervent. 

Voyez  Saûl  au  milieu  de  Tes  pros- 
pérités 5c  de  fa  gloire.  Quel  homme 
auroit  dû  paffer  des  jours  plus  agréa-; 
blés  6c  plus  heureux  ?  D'une  fortune 
obfcure  5c  privée  il  s'etoit  vu  élever 
fur  le  Trône  :  fon  règne  avoit  com- 
mencé par  des  vi<^oires  :  un  fils  digne 
de  lui  fuccéder ,  fembloit  afTurer  la 
Couronne  à  fa  race  :  toutes  les  Tribus 
foumifes  fourniffoient  à  fa  magnifi- 
cence 6c  à  fes  plaifirs ,  6c  lui  obéif- 
foient  comme  un  feul  homme  :  que 
lui  manquoit  -  il  pour  être  heureux  ,  fî 
Ton  pouvoit  l'être  fans  Dieu  ? 

Il  perd  la  crainte  du  Seigneur  ^  5c 
avec  elle ,  il  perd  fon  repos  &  tout  le 
bonheur  de  fa  vie.  Livré  à  un  efprit 
mauvais ,  ÔC  aux  vapeurs  noires  ôl  bi- 
zarres qui  lagitent ,  on  ne  le  connoît 
plus,  6c  il  ne  fe  connoît  plus  lui-mê- 
me. La  harpe  d'unberger ,  loind'amu- 
fer  fa  triftefle  ,  redouble  fa  fureur.  Ses 
louanges  &  fes  viftoires  chantées  par 
les  filles  de  Juda ,  font  pour  lui  corn* 
Pmt  CaHms.  E 


^S  lïï,  DlM.  DE  CaREMÉ, 
me  des  cenfures  §C  des  opprobres  :  iî 
fe  dérobe  aux  hommages  publics ,  6C 
si  ne  peut  fe  dérober  à  lui  -  même* 
David  lui  déplaît,  en  paroiflant  aux 
pieds  de  Ton  Trône  ,  6cs*en  éloignant, 
il  eft  encore  plus  fur  de  déplaire  :  tou- 
ché de  fa  fidélité ,  il  fait  fon  éloge  :  6C 
fe  reconnoît  moins  julle  ÔC  moins  in- 
nocent que  lui  ;  6c  le  lendemain  il  lui 
dreiTe  des  embûches  pour  s'en  affurer 
&  lui  faire  perdre  la  vie.  La  tendrelTe 
de  fon  propre  fils  l'ennuie  ÔC  lui  de-: 
vient  fufpe61:e.  Tous  les  Courtifan^ 
cherchent  ,  étudient  ce  qui  pourroit 
adoucir  fo-n  humeur  fombre  &  bizar- 
re ;  foins  inutiles  !  lui-même  ne  le  fait 
pas.  Il  a  négligé  Samuel ,  pendant  la 
vie  de  ce  Prophète  ,  &  iî  s'avife  de  le 
rappelier  du  tombeau  6c  de  le  conful- 
ter  après  fa  mort  :  il  ne  croit  plus  en 
Dieu  ,  ôc  il  eft  aflez  crédule  pour  aller 
interroger  les  démons.  Il  eft  impie  , 
6c  il  eft  fuperftitieux  ;  deftin  >  pour  le 
dire  ici  en  paflant ,  aflez  ordinaire  aux 
incrédules.  Ils  traitent  d'impofteurs 
les  Samuels ,  les  Prophètes  autrefois 
envoyés  de  Dieu  :  ils  regardent  com- 
me une  force  d'efprit  de  méprifer  ces 
Interprêtes  refpeàables  des  confeils 
éternels ,  ôc  de  fe  mocquer  des  pré- 


Malheur  dhs  Grands, 8cc.  99 
dirions  que  les  événemens  ont  tou- 
tes juftifiées  :  ils  refufent  au  Très- 
Haut  la  connoiflance  de  l'avenir ,  &  le 
pouvoir  d'en  favorifer  fes  ferviteurs 
Hdeles  ;  6c  ils  ont  la  foiblefTe  populaire 
d'aller  confulter  une  Pythonifle. 

Oui  5  mes  Frères ,  le  malheureux 
état  des  Grands  dans  le  crime,  eft  une 
preuve  éclatante  ,  qu'un  Dieu  préfide 
aux  chofes  humaines.  Si  les  hommes 
ennemis  de  Dieu,  pouvoient  être  heu» 
reux  ,  ils  le  feroient  du  moins  fur  le 
Trône  ;  mais  quiconque  ,  dit  un  Roi 
lui-même  ,  quiconque,  fût- il  maître 
de  l'univers  ,  s'éloigne  de  la  règle  ÔC 
de  la  fagefle  ,  il  s'éloigne  du  feul  bon-j 
heur  où  l'homme  puifle  afpirer  fur  la 
terre  :  Sapientiam  cnim  &  difciplinam 
qui  abjicit  ,  infellx  eft» 

Plus  même  vous  êtes  élevé  ,  plus 
vous  êtes  malheureux  :  comme  rien  ne 
vous  contraint ,  rien  auflî  ne  vous  fixe  ; 
moins  vous  dépendez  des  autres ,  plus 
vous  êtes  livré  à  vous-même  :  vos  ca- 
prices naiflent  de  votre  indépendan- 
ce ;  vous  retournez  fur  vous  votre 
autorité  :  vos  partions  ayant  eflayé  de 
tout ,  6c  tout  ufé ,  il  ne  vous  refte  plus 
qu'à  vous  dévorer  vous-même  :  vos 
bizarreries   deviennent  l'unique  ref- 

E  ij 


ÎOO   ï  IL   D  î  M.   DE    C  A  R  E  M  E. 

fource  de  votre  ennui  6c  de  votre  fa- 
tiété  ;  n3  pouvant  plus  varier  les  plai- 
flrs  déjà  tous  épuifés ,  vous  ne  fauriez 
plus  trouver  de  variété  que  dans  les 
inégalités  éternelles  de  votre  humeur; 
&  vous  vous  en  prenez  fans  cefle  à 
vous  5  du  vuide  que  tout  ce  qui  vous 
environne  laifle  audedans  de  vous-, 
même. 

Et  ce  n'eftpas  ici  une  de  ces  vaines 
images  que  le  difcours  embellit  ,  ÔC 
où  l'on  fupplée  par  les  ornemens  à  la 
reffemblance.  Approchez  des  Grands; 
jettez  les  yeux  vous-même  fur  une  de 
ces  perfonnes  qui  ont  vieilli  dans  les 
paflîons ,  ÔC  que  le  long  ufage  des  plai- 
firs  ont  rendu  également  inhabiles ,  6c 
au  vice ,  5c  à  la  vertu.  Quel  nuage 
éternel  fur  l'humeur  !  quel  fond  de 
chagrin  6cde  caprice!  Rien  ne  plaît, 
parce  qu'on  ne  fauroit  plus  foi-même 
fe  plaire  :  on  fe  venge  fur  tout  ce  qui 
nous  environne  ,  des  chagrins  fecrets 
qui  nous  déchirent  ;  il  femble  qu'on 
fait  un  crime  au  refte  des  hommes  de 
l'impuiflance  où  Ton  eft  d'être  encore 
auHi  criminel  qu'eux  :  on  leur  repro- 
che en  fecret  tout  ce  qu'on  ne  peut 
plus  fe  permettre  à  foi- même  ;  5c  l'on 
tncCl  iiumeur  à  la  place  des  plaiiirs. 


Malheur  des  Grands, &c.  ioi 
Non  ,  mes  Frères ,  tournez- vous  de 
tous  les  côtés  ,  les  Grands  féparés  de 
Dieu,  ne  font  plus  que  les  triiles  jouets 
de  leurs  pallions ,  de  leurs  caprices  9 
des  événemens  ,  &  de  toutes  les  cho- 
fes  humaines.  Eux  feuîs  Tentent  le 
malheur  d'une  ame  livrée  à  elle-mê- 
me ,  en  qui  toutes  les  reifources  des 
fens  6c  des  plaifirs  ne  laiflent  qu'un 
vuide  affreux;  &.  à  qui  le  monde  en- 
tier ,  avec  tout  cet  amas  de  gloire  6C 
de  fumée  qui  l'environne  ,  devient 
inutile  ,  fi  Dieu  n'eft  point  avec  elle: 
ils  font  comme  les  témoins  illuflres 
de  rinuîfiîiance  des  créatures ,  &  de 
la  néceffité  d'un  Dieu  &:  d'une  Reli- 
gion f.ir  la  terre.  Eux  feuls  prouvent 
au  rede  des  homm.es  ,  qu'il  ne  faut 
attendre  de  bonheur  ici-bas  que  dans 
la  vertu  6c  dans  l'innocence  ;  que  tout 
ce  qui  augmente  nos  pafîîons ,  multi- 
plie nos  peines  ;  que  les  heureux  du 
mot^de  n'en  font,  pourainfî  dire,  que 
les  premiers  martyrs,  6c  que  Dieu  feu! 
peut  fufïire  à  un  cœur  qui  n'ell  fait 
que  pour  lui  feuL 

Dieu  de  mes  pères ,  difoit  autrefois 
un  jeune  Roi  ,  6c  qui  dès  l'enfance 
comme  vous ,  Sire  ,  étoit  monté  fur 
le  Trône  5  Dieu  de  mes  pères  j  vous 

Eiij 


ioz  IIÎ.  DiM.  DE  Carême. 
m'avez  établi  Prince  fur  votre  peuple 
6c  Juge  des  enfans  d'ifraël  :  au  fortir 
prefque  du  berceau ,  vous  m'avez  pla- 
cé fur  le  Trône  ;  6c  en  un  âge  où  l'on 
ignore  encore  l'art  de  fe  conduire  foi- 
même  ,  vous  m'avez  choifi  pour  être 

gap,^,'j,condu^euï  d'un  grand  peuple  :  Dèus 
patrum  meorum  ,  tu  eligijli  meRegem 
populo  tuo.  Vous  m'avez  environné 
de  gloire  ,  de  profpérité  6c  d'abon- 
dance ;  mais  la  magnificence  de  vos 
dons  fera  elle-même  la  fource  de  mes 
malheurs  5c  de  mes  peines ,  fi  vous  n'y 
ajoutez  l'amour  de  vos  commande- 
mens  6c  la  fagefle.  Envoyez-la- m^oi  du 
haut  des  Cieux  ,  où  elle  ailifte  fans 
celle  à  vos  côtés  :  c'ell  elle  qui  préfide 
aux  bons  confeils,  ÔC  qui  donnera  à 
ma  jeunelTe  toute  la  prudence  des 
Vieillards  ,  5c  toute  la  majeflé  des 
Rois  mes  ancêtres  ;  elle  feule  m'adou- 
cira les  "foucis  de  l'autorité  êc  le  poids 

Ibid,  f.  de  ma  Couronne  :  Ut  me  eu  m  fit  &  nu- 

•.  cum  laboret  ;  elle  feule  me  fera  palier 

des  jours  heureux  ,  5c  me  foutiendra 
dans  les  ennuis  &  les  penfées  inquiet- 
tes  que  la  Royauté  traîne  après  elle  : 

I^p3  «.Et  erit  allocutio  cogitationis  j  &  tœdii 
mei.  Je  ne  trouverai  de  repos  au  mi- 
lieu même  de  la  magnificence  de  mes 


Malheur  des  Grands, Sec.  103 
Palais  5  6c  parmi  les  hommages  qu'on 
m'y  rendra  ,  qu'avec  elle  :  Intrans  in  jn^^f^ 
domum  mcam  ,  conqulefcam  cum  illâ,  ^(j. 
Les  plaiiirs  finilFent  par  l'amertume  , 
le  Trône  lui-même,  grand  Dieu  !   (i 
vous  n'y  êtes  aiïîs  avec  le  Souverain  , 
€(t  le  iiege  des  noirs  foucis.  Mais  votre 
crainte  6^  la  fageiîe  ne  laiflent  point  de 
regret  après  elles  :  on  ne  s'ennuie  point 
de  les  polTéder  *,  6c  la  joie  même  ÔC  la 
paix  ne  fe  trouvent  jamais   qu'avec 
elles  :  Nec  en'im   hahct  amaritudlneni  ji^i^, 
£onvcrfatio  illius ,  ncc  tœdium^fcd  l^ti- 
îiam  &  gaudium» 

Heureux  donc  le  Prince  ,  ô  mon 
Dieu  !  qui  ne  croit  commencer  à  ré- 
gner ,  que  lorfqu'il  commence  à  vous 
craindre  ;  qui  ne  fe  propole  d'aller  à  la 
gloire  que  par  la  vertu  ;  5c  qui  regarde 
comme  un  malheur  de  commander 
aux  autres ,  s'il  ne  vous  eflpas  fournis 
lui-même  ! 

Donnez  donc  ,  grand  Dieu  !  votre 
fagefle  ÔC  votre  jugement  au  Roi  ,  ÔC 
votre  juflice  à  cet  Entant  de  tant  de 
Rois.  Vous  qui  êtes  le  fecours  du  pu-  pr  ^j, 
pille  ,  rendez- lui  par  l'abondance  de  j,  ' 
vos  bénédiftions,  ce  que  vous  lui  avess 
ôté  ,  en  le  privant  des  exemples  d'un 
père  pieux,  6c  des  leçons  d'gn  augufte 

E  iv 


104  lïl'  Dr  M.  DE  Carême. 
Bifaïeul  :  réparez  Tes  pertes  par  Tac- 
croifTement  de  vos  grâces  ôc  de  vos 
bienfaits  :  vous  feul  ,  grand  Dieu  1 
teoez-lui  lien  de  tout  ce  qui  lui  man- 
que :  regardez  avec  des  yeux  paternels 
cet  En  ont  augufte  que  vous  avez  , 
pour  ainfî  dire  ,  iaifle  feul  fur  la  terre , 
^  dont  vous  êtes  par  conféquent  le 
premier  auteur  6c  le  père  :  que  fon 
enfance  ,  qui  le  rend  û  cher  à  la  na- 
tion 5  réveille  les  entrailles  de  votre 
miféricorde  &  de  votre  tendrelTe  :  en- 
vironnez fa  jcuneife  des  fecours  fin- 
guîiers  de  votre  proteéèion  :  la  foi- 
hleUe  de  fon  âge ,  ôc  les  grâces  qui 
brillent  déjà  dans  fes  premières  années, 
nous  arrachent  tous  les  jours  des  lar- 
mes de  crainte  6c  de  tendrelTe  ;  raiTu- 
rez  nos  frayeurs ,  en  éloignant  de  lui 
tous  les  périls  qui  pourroient  menacer 
fa  vie ,  ^  récompenfez  notre  tendre!^ 
fe  5  en  le  rendant  lui-même  tendre  êc 
humain  pour  fes  peuples  :  rendez- le 
heureux  en  lui  confervant  votre  crainte 
qui  feule  fait  îe  bonheur  des  peuples 
éc  des  Rois  :  aflurez  la  félicfté  de  fon 
règne  par  la  bonté  de  fon  cœur  &  par 
l'innocence  de  fa  vie  :  que  votre  loi 
fainte  foit  écrite  au  fond  de  fon  ame 
Se  autour  de  fon  diadème  ,  pour  lui 


Malheur  DES  Grands, 8rc.  105 
en  adoucir  le  poids  :  qu'il  ne  fente  les 
foucis  de  la  Royauté,  que  par  fa  fenfî- 
bilité  aux  miferes  publiques  ;  &  que 
fa  piété  ,  plus  encore  que  fa  puiflance 
ôc  fesvi(àoires,  fafletoutfon  bonheiï| 
&  le  nôtre.  AinfiJ^it-iU 


I0<5 


SERMON 

POUR 
LE    QUATRIEME    DIMANCHE 

DE  CAREME. 

Sut    Vhumanité    des    Grands    envers 
le  Peuple, 

Cùm  fublevafTet  oculos  Jefus  ,&  vîdifleti 
quia  multitudo  maxima  venir  ad  eum. 

Jefus  ayant  levé  les  yeiix^Sf  voyant  une  gran- 
de foule  de  peuple  qui  venoit  à  lui,  Jean  }  6,  j. 


S 


I  RE  , 


CE  n*eft  pas  la  toute- pu î (Tan ce  de 
Jefus-Chrift  &  la  merveille  des 
pains  multipliés  par  fa  feule  parole  ^ 
qui  doivent  aujourd'hui  nous  toucher 
ôc  nous  furprendre.  Celui  par  qui  tout 
éiQÏt  fait  9  pouvoit  tout  fans  doute  fur 


Humanité  DES  Grands, Sec.  107 
des  créatures  qui  font  fon  ouvrage  ; 
&  ce  qui  frappe  le  plus  les  fens  dans 
ce  prodige  ,  n'eft  pas  ce  que  je  choifis 
aujourd'hui  pour  nous  confoler  ôC 
nous  inftruire. 

C'eft  fon  humanité  envers  les  peu* 
pies.  Il  voit  une  multitude  errante  , 
ÔC  affamée  aux  pieds  de  la  montagne  9 
&  fes  entrailles  fe  troublent  ;  6c  fa  pitié 
fe  réveille  ;  6c  il  ne  peut  refufer  aux 
befoins  de  ces  infortunés ,  non  feule- 
ment fon  fecours,  mais  encore  facom- 
palTion  &  fa  tendreffe  :  Vidit  turbam  ^^«& 
multam  ,    &  mifertus  ejl   eis,  '^*  ^^^ 

Par  tout  il  laiffe  échapper  des  traîtj 
d'humanité  pour  les  peuples.  A  la  vue 
des  malheurs  qui  menacent  Jérufalem  ^ 
il  foulage  fa  douleur  par  fa  pitié  ôc  par 
fes  larmes. 

Quand  deux  Difciples  veulent  faire 
defcendre  le  feu  du  Ciel  fur  une  ville 
de  Samarie  ,  fon  humanité  s'iniérefle 
pour  ce  peuple  contre  leur  zèle-,  &  il 
leur  reproche  d*ignorer  encore  Tefprit 
de  douceur  6c  de  chariié ,  dont  ils  vont 
être  les  miniftres. 

Si  les  Apôtres  éloignent  rudement 
une  foule  d'enfans  qui  s'empreffent 
autour  de  lui ,  fa  bonté  s'oiFenfe  çiï'on 
veuille  l'empê«her  4'être  acceifible  j  S 

Evj 


iro^    IV^.    DlM.    DE    Car  EMET, 
plus  un  teCpeâ:  mal  entendu  éloigne  de 
lui  les  foibles  ôc  les  petits  ,  plus  fa  clé- 
mence  ÔC    fon    alFabiiité    s'en,  rap- 
prochent. 

Grande  leçon  d'humanité  envers  les 
peuples  y  que  Je  fus  Chrift  donne  au- 
jourd'hui aux  Princes  ôc  aux  Grands, 
Is  ne  font  grands  que  pour  les  autres 
Hommes  ;  Se  ils  ne  jouiffentproprement 
de.  leur  grandeur  ,.  qu'autant  qu'ils  la 
amendent  utile  aux  autres  hommes. 

Ce  ft-à  dire  l'huryxani té  envers  les  pei 
pies,  eft  le  premier  devoir  des  Grands  ;. 
^l'humanité  envers  les  peuples  ,  ell: 
Tufageleplus  délicieux, de  la  grandeur.,. 

SIRE^ 

^  X  Oute  puiflance  vient  de  Dieu  ;  & 
i'.AaTîE.  tout  ce  qui  vient  de  Dieu  ,  n'eft;  établi; 
que  pour  l'utilité  des  hommes.  Les 
Grands  feroient  inutiles  fur  la  terre,, 
s'il  ne  s'y  trouvoit  des  pauvres  ÔC  des 
malheureux.  Ils  ne  doivent  leur  éléva- 
tion qu'aux  befoins  publics  ;  6c  loim 
^e  les  peuples  foient  faits  pour  eux  9, 
iis  ne  font  eux-mêmes  tout  ce  qu'ils 
ffint  y  que  pour  les  peuples. 

Quelle  afFreufe  Providence ,  iî  toute 

a'étoit  gi% 


Humanité  des  Grande,  Stc.  ro^ 
cée  fur  la  terre,  que  pour  fervir  aux 
plaifirs  d'un  petit  nombre  d'heureux 
qui  l'habitent,  &  qui  fouvent  ne  con- 
noiflent  pas  le  Dieu  qui  les  comble  de 
bienfaits  !: 

Si  Dieu  en  élevé  quelques-  uns ,  c'eft 
donc  pour  être  l'appui  &  la  relFource 
des  autres.  Il  fe  décharge  fur  eux  du 
foin  des  foibles  ôc  des  petits  :  c'eftpar- 
là  qu'ils  entrent  dans  l'ordre  des  con- 
feils  de  la  Sageffe  éternelle.  Tout  ce 
qu'il  y  a  de  réel  dans  leur  grandeur  y 
c'eft  Tufage  qu'ils  en  doivent  faire  pour 
ceux  qui  foufFrent  ;  c'eft  le  feul  trait  de 
diftinàion  que  Dieu  ait  mis  en  eux  :; 
ils  ne  font  que  les  miniftres  de  fa  bonté 
&  de  fa  providence  ;  ÔC  ils  perdent  le 
droit  ôc  le  titre  qui  les  fait  Grands  ^ 
dès  qu'ils  ne  veulent  l'être  que  pour 
eux-mêmes. 

L'humanité  envers  les  peuples  eÛ: 
donc  le  premier  devoir  des  Grands  ; 
&  rhumanité  renferme  l'atTabilité  ,  la 
prote6tion  ,  8c  les  largelfes. 

Je  dis  l'atfabilité.  Oui ,  Sire  ^  oib 

peut  dire  que  la  fierté,  qui  d'ordinaire 

t.  eil  le  vice  des  Grandsjne  devroit  être 

que  eoniîme  la   trifte  reflburce  de  la 

îoture  6c  de  Fôbfcurité.  Il  parokroit: 

^imn  glus  gardoanaWe  à.  ceux  ^ui  jaaif|f 


110  IV.  DiM.  DE  Carême, 
fent ,  pour  aini  rfire ,  dans  la  boue ,  de 
s'enfler ,  de  fe  hauffer ,  ôc  de  tâcher  de 
fe  mettre  par  l'enflure  fecrette  de  l'or- 
gueil ,  de  niveau  avec  ceux  au  de  flous 
defquels  ils  fe  trouvent  fi  fort  par  la 
naiflance.  Rien  ne  révolte  plus  les 
hommes  d'une  naiflance  obfcure  ôc 
vulgaire,  que  la  diftance  énorme  que  le 
hazard  a  mife  entr'eux  &  les  Grands  ; 
ils  peuvent  toujours  fe  flatter  de  cette 
vaine  perfuafion  ,  que  la  nature  a  été 
injufte  de  les  faire  naître  dans  l'obA 
curité  ,  tandis  qu'elle  a  réfervé  l'éclat 
du  fang  6c  des  titres  pour  tant  d'autres 
dont  le  nom  fait  tout  le  mérite  :  plus 
ils  fe  trouvent  bas ,  moins  ils  fe  croient 
à  leur  place.  Aufli  l'infolence  &  la  hau- 
teur deviennent  fouvent  le  partage  de 
la  plus  vile  populace  ;  &  plus  d'une 
fois  les  anciens  règnes  de  la  Monar- 
chie l'ont  vue  fe  foulever  ,  vouloir 
fecouer  le  joug  des  Nobles  ÔC  des 
Grands ,  5c  conjurer  leur  extinâion  ÔC 
leur  ruine  entière. 

Les  Grands  au  contraire  ,  placés  fi 
haut  par  la  nature  ,  ne  fauroient  plus 
trouver  de  gloire  qu'en  s'abaiflant.  Ils 
n'ont  plus  de  diftinâ:ion  à  fe  donner 
du  côté  du  rang  &  de  la  naiifance  ; 
ils  ne  peuvent  $*eo  dgaocr  que  parTaQ 


HuMÂNîT^  DES  Grands  ,  &c.  iir 

fabilité  ;  6c  s'il  eft  encore  un  orgueil 
qui  puilFe  leur  être  permis ,  c'eft  celui 
de  Ce  rendre  humains  ÔC  accefïïbles. 

Il  eft  vrai  même  que  l'affabilité  eft 
comme  le  caraélere  inféparable  ÔC  la 
plus  fûre  marque  de  la  grandeur.  Les 
defcendans  de  ces  races  illuftres  6c  an- 
ciennes, auxquels  perfonne  ne  difpute 
la  fiipériorité  du  nom  6c  l'antiquité  de 
Torigine  ,  ne  portent  point  fur  leur 
front  l'orgueil  de  leur  naiflance  :  ils 
vous  -la  laifleroient  ignorer  ,  (î  elle 
pouvoit  être  ignorée  :  les  monumens 
publics  en  parlent  ,  fans  qu'ils  en 
parlent  eux  mêmes.  On  ne  fent  leur 
élévation  ,  que  par  une  noble  {implici- 
te :  ils  fe  rendent  encore  plus  reipec- 
tables ,  en  ne  fouiFrant  qu'avec  peine  le 
refpe£^  qui  leur  eft  dû  ;  &  parmi  tant 
de  titres  qui  les  diftinguent,  la  poli- 
tefle  &  Taffabilité  font  la  feule  diftinc- 
tion  qu'ils  affectent.  Ceux  au  contraire 
qui  fe  parent  d'une  antiquité  douteu- 
fe  5  &  à  qui  l'on  difpute  tout  bas  Vccht 
&  les  prééminences  de  leurs  ancêtres, 
craignent  toujours  qu'on  n*ignore  la 
grandeur  de  leur  race  ,  l'ont  fans  cefle 
dans  la  bouche  ,  croient  en  alTurer  la 
vérité  par  une  affe£lation  d'orgueil  ÔC 
de  hauteur ,  mettent  la  fierté  à  la  plac« 


IÎ2  ÎV.  DiM.  DE  Carême. 
des  litres  ;  ôc  en  exigeant  au-delà  de 
ce  qui  leur  eu  dû  ,  ils  font  qu'on  leur 
con telle  mênnie  ce  qu'on  devroit  leur 
rendre. 

En  effet ,  on  eft  moins  touché  de  foa 
élévation ,  quand  on  eft  né  pour  être 
Grand.  Quiconque  eft  ébloui  de  ce  de- 
gré éminent  où  la  naiflance  ÔC  la  for- 
tune Font  placé  ,  c'eft-à-dire  ,  qu'il 
n'étoit  pas  fait  pour  monter  fi  haut  : 
les  plus  hautes  places  font  toujours 
au-deftbus  des  grandes  âmes  ;  rien  ne 
les  enfle  6c  ne  les  éblouit  ,  parce  que 
rien  n'eft  plus  haut  qu'elles. 

La  fierté  prend  donc  fa  fource  dans 
la  médiocrité  ,  ou  n'eft  plus  qu'une  ru- 
fe  qui  la  cache  :  c'eft  une  preuve  cer- 
taine ,  qu'on  perdroit  en  fe  montrant 
de  trop  près.  On  couvre  de  la  fierté,des 
défauts  6c  des  foibleftes  ,  que  la  fierté 
trahit  ÔC  manifefte  elle  même  :  on  fait 
de  l'orgueil ,  le  fupplément  ,  fi  j'ofe 
parler  ai nfi  ,  du  mérite  *,  ôc  on  ne  fait 
pas  que  le  mérite  n'a  rien  qui  lui 
reflemble  moins  que  l'orgueil. 

Aufli  les  plus  grands  hommes,  SiRE,' 
5c  les  plus  grands  Rois  ont  toujours 
été  les  plus  affables.  Une  fjmple  fem-r 
me  ,  Thécuite,  venoit  expofer  fîmpîe-; 
ii^ûtàDaYidfes  chagrins  dameûigues? 


Humanité  des  Grands, 5rc.  113 
5c  fi  l'éclat  du  Trône  étoit  tempéré  par 
l'atFabilité  du  Souverain  ,  l'affabilité 
du  Souverain  relevoit  l'éclat  ôc  la  ma- 
jeflé  du  Trône. 

Nos  Rois ,  Sire  ,  ne  perdent  rien 
à  fe  rendre  acceffibles  :  l'amour  des 
peuples  leur  répond  du  refpefl:  qui 
leur  eft  dû.  Le  Trône  n'eil  élevé  que 
pour  être  1  afyle  de  ceux  qui  viennent 
implorer  votre  juTcice  ou  votre  clé- 
mence :  plus  vous  en  rendez  l'accès 
facile  à  vos  fujets  ,  plus  vous  en  aug- 
mentez l'éclat  5c  la  majeflé.  Et  n'efl- 
il  pas  juile  que  la  nation  de  l'univers  , 
qui  aime  le  plus  Tes  m.aîtres ,  ait  auffî 
plus  de  droit  de  les  approcher  ?  Mon- 
trez ,  Sire  ,  à  vos  peuples  tout  ce  que 
le  Ciel  a  mis  en  vous  de  dons  ôc  de 
talens  aimables  ;  laiffez-leur  voir  de 
près  le  bonheur  qu'ils  attendent  de 
votre  règne  ;  les  charmes  &C  la  majeflé 
de  votre  Perfonne ,  la  bonté  &  la  droi- 
ture de  votre  cœur,  affureront  toujours 
plus  les  hommages  qui  font  dus  à 
votre  rang ,  que  votre  autorité  5c  votre 
puiffance. 

Ces  Princes  invifibles  &  efféminés, 
ces  Aftuérus  devant  lefquels  c'étoit  un 
crime  digne  de  mort  ,  pour  Efther 
même ,  d'ofer  paroître  fans  ordre  j  ôC 


ÎI4  IV.  DiM.  DE  Carême. 
dont  la  feule  préfence  gfaçoit  le  fang 
dans  les  veines  des  fupplians  ,  n'é- 
toient  plus,  vus  de  près  ,  que  de  foi- 
blés  idoles ,  fans  ame  ,  fans  vie  ,  fans 
courage  ,  fans  vertu  ;  livrés  dans  le 
fond  de  leurs  Palais  à  de  vils  efcîayes  ; 
féparés  de  tout  commerce ,  comme 
s'ils  n'avoient  pas  été  dignes  de  ie 
montrer  aux  hommes  ,  ou  que  des 
hommes  faits  comme  eux  n'euflent 
pas  été  dignes  de  les  voir  :  l'obfcurité 
5c  la  folitude  en  faifoient  toute  la 
lîiajeflé. 

Il  y  a  dans  l'affabilité  une  forte  de 
confiance  en  foi-même  ,  qui  iled  bien 
aux  Grands  ;  qui  fait  qu'on  ne  craint 
point  de  s'avilir  en  s'abailD^nt,  ôc  qui 
eil  comme  une  efpece  de  valeur  êC 
de  courage  pacifique  :  c'efl  être  foi- 
ble  6c  timide  ,  que  d'être  inacceiTible 
6c  fier. 

D'ailleurs ,  Sire  ,  en  quoi  les  Prin- 
ces 6c  les  Grands  qui  n'offrent  jamais 
aux  peuples  qu'un  front  févere  &  dé- 
daigneux ,  font  plus  inexcufables  ;  c'efl: 
qu'il  leur  en  coûte  û  peu  de  fe  conci- 
lier les  cœurs  :  il  ne  faut  pour  cela  ni 
effort ,  ni  étude  ;  une  feule  parole  ,  un 
fourire  gracieux,  un  feul  regard  fuffit. 
Le  peuple  leur  compte  tout  :  leur  rang 


Humanité  des  Grands  ,  5Cc.  1 1 5 
donne  du  prix  à  tout.  La  feule  férénité 
du  vifage  du  Roi ,  dit  l'Ecriture ,  eft  la 
vie  5c  la  félicité  des  peuples  ;  &  fon  air 
doux  6c  humain  eft  pour  les  cœurs  de 
fds  fujets,  ce  que  la  rofée  du  foir  eft 
pour  les  terres  feches  6c  arides  :  înrrov,i6» 
hilaritate  vultûs  Régis  ,  vita  ;  &  ck-  ^S* 
mcntia  ejus  quaji  imbcrferotinus. 

Et  peut-on  laiiTer  aliéner  des  cœurs 
qu'on  peut  gagner  à  fi  bas  prix  ?  N'eft- 
ce  pas  s'avilir  foi-même,  que  de  dépri- 
fer  à  ce  point  toute  l'humanité  ?  6c 
mérite- 1- on  le  nom  de  Grand,  quand 
on  ne  fait  pas  même  fentir  ce  que 
valent  les  hommes  ? 

La  nature  n*a-t-elle  pas  déjà  impofé 
une  aflez  grande  peine  aux  peuples  5c 
aux  malheureux ,  de  les  avoir  fait  naî- 
tre dans  k  dépendance ,  &c  comme 
dans  l'efclavage  ?  N'eft-  ce  pas  allez  que 
la  baiïeiTe^ou  le  m.alheur  de  leur  condi- 
tion leur  fafte  un  devoir ,  6c  comme 
une  loi ,  de  ramper  ÔC  de  rendre  des 
hommages  ?  faut- il  encore  leur  aggra- 
ver le  joug  par  le  mépris ,  ôc  par  une 
fierté  qui  en  eft  fi  digne  elle-même  ? 
Ne  fuffit-il  pas  que  leur  dépendance 
foit  une  peine  ?  faut- il  encore  les  en 
faire  rougir  comme  d'un  crime  ?  &  û 
quelqu'un  de  voit  être  honteux  de  fon 


îi6  IV.  DîM.  DE  Carême. 
état,  feroii-ce  ie  pauvre  qui  le  fouffre, 
ou  le  Grand  qui  en  abufe  ? 

Il  efl  vrai  que  fouvent ,  c'eft  Thu- 
meur  toute  feule ,  plutôt  que  l'orgiieil , 
qui  efface  du  front  des  Grands  cette 
férénité  qui  les  rend  accefiibles  êc  affa- 
bles :  c'efr  une  inégalité  de  caprice  , 
plus  que  de  fierté.  Occupas  de  leurs 
plaifirs  ,  &  laiies  des  hommages  ,  ils 
ne  les  reçoivent  plus  qu'avec  dégoût  ; 
il  femble  que  l'affabilité  leur  devienne 
un  devoir  importun  ,  &  qiii  leur  efr  à 
charge.  A  force  d'être  honorés  •  ils  font 
fatigués  des  honneurs  qu'on  leur  rend  ; 
6c  ils  fe  dérobent  fouvent  aux  homma- 
ges publics ,  pour  fe  dérober  à  la  fati- 
gue d'y  paroître  fenfibles.  Mais  qu'il 
faut  être  né  dur  pour  fe  faire  même  une 
peine  de  paroître  humain!  N'eft-cepas 
une  barbarie ,  non  feuJement  de  n'être 
pas  touché  ,  mais  de  recevoir  même 
avec  ennui  les  marques  d'amour  &  de 
refpe<^  que  nous  donnent  ceux  qui 
nous  font  fournis  ?  n'efl-ce  pas  déclarer 
tout  haut  qu'on  ne  mérite  pas  l'affec- 
tion des  peuples ,  quand  on  en  rebute 
les  plus  tendres  témoignages  ?  peut  on 
alléguer  là-deffus  les  momens  d'hu- 
meur ÔC  de  chagrin  que  les  foins  de 
la  grandeur  ÔC  de  l'autorité  traînent 


HaMANixé  DES  Grands,  5cc.  115^ 
après  foi  ?  l'humeur  eft-elle  donc  le 
privilège  des  Grands ,  pour  être  l'ex- 
cufe  de  leurs  vices  ? 

Hélas  !  s'il  pouvoit  être  quelquefois 
permis  d'être  fombre ,  bizarre ,  cha- 
grin ,  à  charge  aux  autres  5c  à  foi-mê- 
me y  ce  devroit  être  à  ces  infortunés 
que  la  faim,  la  mifere,  les  calamités, 
les  nécefîîtés  domelliques ,  8c  tous  les 
plus  noirs  foucis  environnent  :  ils  fe- 
roient  bien  plus  dignes  d'excufe  ,  fi , 
portant  déjà  le  deuil ,  l'amertume  ,  le 
défefpoir  fouvent  dans  le  cœur ,  ils  en 
laiflbient  échapper  quelques  traits  au- 
dehors.  Mais  que  les  Grands  ,  que  les 
heureux  du  monde  à  qui  tout  rit ,  ÔC 
que  les  joies  6c  les  plaifîrs  accompa- 
gnent par  -  tout  ,  prétendent  tirer  de 
leur  félicité  même  un  privilège  qui  ex- 
cufe  leurs  chagrins  bizarres  ÔC  leurs 
caprices  ?  qu'il  leur  Toit  plus  permis 
d'être  fâcheux  ,  inquiets ,  inaborda- 
bles ,  parce  qu'ils  font  plus  heureux  ? 
qu'ils  regardent  comme  un  droit  ac- 
quis à  la  profpérité ,  d'accabier  encore 
du  poids  de  leur  humeur,  des  malheu- 
reux qui  gémilTent  déjà  fous  le  joug  de 
leur  autorité  6c  de  leur  puiffance  ? 
grand  Dieu  !  feroit-ce  donc  là  le  privi- 
lège des  Grands ,  ou  la  punition  du 


îlS  ÏV.  DlM.  DE  Cajieme. 
mauvais  ufage  qu'ils  font  de  la  gran- 
deur? car  il  eft  vrai  que  les  caprices  êc 
les  noirs  chagrins  femblent  être  le  par*, 
îage  des  Grands  ,  ÔC  l'innocence  de  la 
joie  &  de  la  férénité  n'eft  que  pour  le 
peuple. 

Mais  raffabilité  qui  prend  fa  fource 
dans  i*hunriaàité  ,  n'eft  pas  une  de  ces 
vertus  fuperficielles  qui  ne  réfident  que 
fur  le  vifage  ;  c'eft  un  fentiment  qui 
naît  de  la  tendreffe  6c  de  la  bonté  du 
cœur.  L'affabilité  ne  feroitplus  qu'une 
infulte  6c  une  dérifion  pour  les .  mal- 
heureux, Cl  en  leur  montrant  un  vifa- 
ge doux  5c  ouvert  ,  elle  leur  fermoit 
nos  entrailles  ;  ÔC  ne  nous  rendoit  plus 
acceffibles  à  leurs  plaintes ,  que  pour 
nous  rendre  plus  fenfibles  à  leurs 
peines. 

Les  malheureux  6c  les  opprimés 
n*ont  droit  de  les  approcher  ,  que  pour 
trouver  auprès  d'eux  la  proteàion  qui 
leur  manque.  Oui ,  mes  Frères  ,  les 
lolx  qui  ont  pourvu  à  la  défenfe  des 
foibles ,  ne  fuffifent  pas  pour  les  met- 
tre à  couvert  de  rinjuftice  &  de  l'op- 
preffion  :  la  mifere  ofe  rarement  ré- 
clamer les  loix  établies  pour  la  proté- 
ger ;  6c  le  crédit  fouvent  leur  impofe. 
filence. 


Humanité  des  Grands,  8cc.  lîf 
C'eft  donc  aux  Grands  à  remettre  îe 
peuple  fous  ia  proteâ:ion  des  loix  :  la 
veuve  ,  l'orphelin ,  tous  ceux  qu'on 
foule  ÔC  qu'on  opprime  ,  ont  un  droit 
acquis  à  leur  crédit  6c  à  leur  puiffance  ; 
elle  ne  leur  eft  donnée  que  pour  eux  : 
c'eft  à  eux  d  porter  aux  pieds  du  Trône 
les  plaintes  ôc  les  gémiffemens  de  l'op- 
primé :  ils  font  comme  le  canal  de 
communication  ^  ÔC  le  lien  des  peuples 
avec  le  Souverain  ,  puifque  le  Souve- 
rain n'eft  lui-même  que  le  père  6C  le 
pafteur  des  peuples.  Ainfi  ,  ce  font  les 
peuples  tous  feuls  qui  donnent  aux 
Grands  le  droit  qu'ils  ont  d'approcher 
du  Trône  ;  &  c'eft  pour  les  peuples 
tous  feuls,  que  le  Trône  lui-même  eft 
élevé.  En  un  mot  ,  ôc  les  Grands  ,  6C 
le  Prince  ,  ne  font ,  pour  ainfi  dire  ^ 
que  les  hommes  du  peuple. 

Mais  fi ,  loin  d'être  les  protecteurs 
de  fa  foiblefte ,  les  Grands  6c  les  Mi- 
niftres  des  Rois  en  font  eux-mêmes  les 
opprefteurs  ;  s'ils  ne  font  plus  que 
comme  ces  tuteurs  barbares  qui  dé- 
pouillent eux-mêmes  leurs  pupilles  : 
Grand  Dieu  !  les  clameurs  du  pauvre 
6c  *de  l'opprimé  monteront  devant 
vous  :  vous  maudirez  ces  races  cruel  - 
ies  ;  vous  lancerez  vos  foudres  fur  lêê 


's  20  I  V.  D  I  M.  D  E  C  A  R  E  M  EV 
Géants;  vous  renverferez  tout  cet  édi- 
fice d'orgueil,  d'injuflice  6cde  profpé- 
rité ,  qui  s'étoit  élevé  fur  les  débris  de 
tant  de  malheureuic  ;  5c  leur  profpérité 
fera  enfevelie  fous  fes  ruines. 

AufTi  la  profpérité  des  Grands  6c  des 
Minières  des  Souverains  ,  qui  ont  été 
les  oppreiTeurs  âss  peuples,  n'a  jamais 
porté  que  la  honte,  l'ignominie  ,  6cla 
malédiction  à  leurs  defcendans.  On  a 
vu  fortir  de  cette   tige  d'iniquité  des 
rejettons  honteux  qui  ont  été  l'op- 
probre de  leur  nom  6c  de  leur  iîecle. 
Le  Seigneur  a  foufîlé  fur  l'amas  de  leurs 
richefTes  injufles,  6c  l'a  difîîpé  comme 
delà  poufTiere;  ÔC s'il laiiTe encore  traî- 
ner fur  la  terre  des  reftes  infortunés  de 
leur  race ,  c'eft  pour  les  faire  fervir  de 
monument  éternel  à  fes  vengeances  , 
&  perpétuer  la  peine  d'un  crime  qui 
perpétue  prefque  toujours  avec  lui  l'af- 
fliâion  6c  la  mifere  publique  dans  les 
Empires. 

La  proteSion  des  foibles  eft  donc 
le  feul  ufage  légitime  du  crédit  &  de 
l'autorité  ;  mais  les  fecours  6c  les  lar- 
geffes  qu'ils  doivent  trouver  dans  notre 
abondance  ,  forment  le  dernier  carac- 
tère de  l'humanité. 

Oui  j  mes  Frères ,  fi  c'eft  Dieu  feul 

qui 


Humanité  des  Grands  ,  êcc.  iii 
qui  vous  a  fait  naître  ce  que  vous  êtes  ^ 
quel  a  pu  être  fon  deflein  ,  en  répan- 
dant avec  tant  de  profufion  fur  vous 
les  biens  de  la  terre  ?  A  t-il  voulu  vous 
faciliter  le  luxe  ,  les  psiTions  ,  6c  bs 
plaifirs  qu'il  condamne  ?  font  ce  des 
préfens  qu'il  vous  ait  faits  dans  fa  colè- 
re ?  Si  cela  eft  ;  fi  c'eft  pour  vous  feuls  ^ 
qu'il  vous  a  fait  naître  dans  la  profpé- 
rité  Se  dans  l'opulence  ;  jouifTez  en  , 
à  la  bonne  heure  ;  faites  vous ,  fi  vous 
le  pouvez  y  une  injuile  félicité  fur  la 
terre  ;  vivez  comme  fi  tout  étoit  fait 
pour  vous  ;  multipliez  vos  plaifirs  ; 
hâtez  vous  de  jouir;  le  temps  efl  court, 
n'attendez  plus  rien  au  delà  que  la 
mort  ê<  le  Jugement  :  vous  avez  reçu 
ici- bas  70- re  récompenfe. 

Mais ,  fi  dans  les  defieins  de  Dieu> 
vos  biens  doivent  être  les  refiburces  ÔC 
les  fac  lires  de  votre  falut ,  il  ne  laiffe 
donc  des  pauvres  5<^  des  malheureux  fur 
la  terre  qje  pour  vous  :  vous  leur  tenez 
donc  ici  b':s  la  place  de  Dieu  même  : 
VQUS  êtes ,  pour  ainfi  dire ,  leur  provi- 
dence vifible  :  ils  ont  droit  de  vous  ré- 
clamer, &  de  vous  cxpcf  r  leurs  be- 
foins  :  vos  biens  font  leurs  biens ,  &  vos 
largeffes  le  feul  patrimoine  que  Die» 
leur  ait  affigné  fur  la  terre. 
P&tit  Carcms»  F 


111  IV.  DiM.  DE  Carême; 

p  Et  qu'y- a- 1-  il  dans  votre  état  de  plus 

digne  d'envie  que  le  pouvoir  de  faire 
des  heureux  ?  Si  l'humanité  envers  les 
peuples,  eft  le  premier  devoir  des 
Grands  ,  n'eft  elle  pas  aufîi  Tufage  le 
plus  délicieux  de  la  grandeur  ? 

Quand  toute  la  Religion  ne  feroît 
pas  elle-même  un  motif  univerfel  de 
charité  envers  nos  frères  ;  &  que  no- 
tre humanité  à  leur  égard  ,  ne  feroit 
payée  que  par  le  plaifir  de  faire  des 
heureux ,  &  de  foulager  ceux  qui  fouf- 
frent  ;  en  faudroit-il  davantage  pour 
.    un  bon  cœur  ?  quiconque  n'eft  pas 
fenfible  à  un  plaifir  fi  vrai ,  fi  touchant , 
fi  digne  du  cœur ,  il  n'eft  pas  né  Grand, 
il  ne  mérite  pas  même  d'être  homme. 
Qu'on  eft  digne  de  mépris ,  dit  faint, 
Ambroife  ,  quand  on  peut  faire  des 
heureux  ,  5c  qu'on  ne  le  veut   pas  ! 
S,Amhr,Jnfelix  cujus  in  potejîate  ejl  tantorum 
in  Nab.  animas  à  morte  defcendere  ,  &  non  ejl 
^'  voluntas. 

Il  femble  même  que  c*eft  une  malé- 
diction attachée  à  la  grandeur.  Les 
perfonnes  nées  dans  une  fortune 
obfcure  6c  privée ,  n'envient  dans  les 
Grands  que  le  pouvoir  de  faire  des 
grâces ,  ôc  de  contribuer  à  la  félicité 


Humanité  des  Grands,  8cc.  1x5 
d'autrui  :  on  fent  qu'à  leur  place  on 
feroit  trop  heureux  de  répandre  la 
joie  &  rallégrelTe  dans  les  cœurs ,  en 
y  répandant  des  bienfaits  ;  6c  de  s'af- 
furer  pour  toujours  leur  amour  ÔC  leur 
reconnoilFance.  Si  dans  une  condition 
médiocre  on  forme  quelquefois  de  ces 
defirs  chimériques  de  parvenir  à  de 
grandes  places ,  le  premier  ufage  qu'on 
fe  propofe  de  cette  nouvelle  éléva- 
tion ,  c'eft  d'être  bienfaifant ,  6c  d'en 
faire  part  à  tous  ceux  qui  nous  envi- 
ronnent :  c'eft  la  première  leçon  de  la 
nature  ,  6c  le  premier  fentiment  que 
les  hommes  du  commun  trouvent  en 
eux.  Ce  n'eft  que  dans  les  Grands  feuls, 
qu'il  eft  éteint  :  il  femble  que  la  gran- 
deur leur  donne  un  autre  cœur ,  plus 
dur  &  plus  infenfible  que  celui  du  ref- 
te  des  hommes  ;  que  plus  on  eft  à 
portée  de  foulager  des  malheureux  f 
moins  on  eft  touché  de  leurs  miferes  ; 
que  plus  on  eft  le  maître  de  s'attirer 
Tamour  ÔC  la  bienveillance  des  hom- 
mes ,  moins  on  en  fait  cas  ;  ÔC  qu'il 
fuffit  de  pouvoir  tout  ,  pour  n'être 
touché  de  rien. 

Mais  quel  ufage  plus  doux  6c  plus 
flatteur  ,  mes  Frères  ,  pourriez-  vous 
faire  de  votre  élévation  6c  de  votre 

F  ij 


114  IV.  DiM.  DE  Carême. 
opulence  ?  Vous  auirer  des  homma^ 
ges  ?  mais  l'orgueil  lui  même  s'enlalfe. 
Commander  aux  hommes  ÔC  leur  don- 
ner des  loix  ?  mais  ce  font  là  les  foins 
de  l'autorité  ,  ce  n'en  eft  pa^  !e  plnifir. 
Voir  autour  de  vous  multiplier  3  l'in- 
fini vos  ferviteurs  6c  vos  efcl^ves  1 
mai?  ce  font  des  témoins  qui  vous  em- 
barraflent  ÔC  vous  gênent  ,  plutôt 
qu'une  pompe  qui  vous  décore.  Habi- 
ter des  Palais  fomptueux  ?  mais  vous 
vous  édifiez  ,  dit  Job  ,  des  folitudes  ^ 
où  les  foucis  6c  les  noirs  chagrins  vien- 
nent bientôt  habiter  avec  vous.  Y  ra{^ 
fembler  tous  les  plaifirs  ?  ils  peuvent 
remplir  ces  vaftes  édifices ,  mais  ils  h'iC- 
feront  toujours  votre  cœur  vuide.  Trou- 
ver tous  les  jours  dans  votre  opulence 
de  nouvelles  reflburces  à  vos  caprices  ? 
la  variété  des  refTources  tarit  bientôt  : 
tout  eft  bientôt  épuifé  ;  il  faut  revenir 
fur  fes  pas ,  6c  recommencer  fans  cet 
fe  ce  que  l'ennui  rend  infipide  ,  6c  ce 
que  Toifiveté  a  rendu  néceffaire.  Em- 
ployez tant  qu'il  vous  plaira  vos  biens 
6c  votre  autorité  à  tous  les  ufages  que 
l'orgueil  ÔC  les  plaifirs  peuvent  inven- 
ter ,  vous  ferez  raflafîié  ,  mais  vous  ne 
ferez  pas  fatisfait  :  ils  vous  montre- 
ront la  joie  ,  mais  ils  ne  la  laifleront 
pas  dans  votre  cœur. 


HumanitjS  des  Grands,  8cc.  115 
Employez  les  à  faire  des  heureux  ; 
à  rendre  la  vie  plus  douce  &.  plus  fup- 
portable  à  des  infortunés,  que  l'excès 
de  la  mifere  a  peut  être  réduits  mille 
fois  à  fouhaiter,  comme  Job,  que  le 
jour  qui  les  vit  naître  ,  eu;  été  lui-  mê- 
me la  nuit  éternelle  de  leur  tombeau  : 
vous  fentirez  alors  le  pîaifir  d'être  né 
Gr?nd  ;  vous  goûterez  la  véritable 
douceur  de  votre  état  :  c'eftle  feul  pri- 
vilège qui  le  rend  digne  d'envie.  Tou- 
te cette  vaine  montre  qui  vous  envi- 
ronne ,  eft  pour  les  autres  :  ce  pîaifir 
eft  pour  vous  feul  :  tout  le  refte  a  fes 
amertumes  ;  ce  pîaifir  feul  les  adou- 
cit toutes.  La  joie  de  faire  du  bien  efl 
tout  autrement  douce  6c  touchante 
que  la  joie  de  le  recevoir:  revenez-y 
encore  ;  c'efl  un  plaifîr  qui  ne  s'ufe 
point  :  plus  on  le  goûte  ,  plus  on  fe 
rend  digne  de  le  goûter.  On  s'accou- 
tume à  fa  prorpérité  propre  ,'  &  on  y 
devient  infenfible  ,  mais  on  fent  tou- 
jours la  joie  d  être  l'auteur  de  la  prof- 
périté  d'auîfui  :  chaque  bienfait  porte 
avec  lui  ce  tribut  doux  &  fecret  dans 
notre  ame  :  le  long  ufage  qui  endurcit 
le  cœur  à  tous  les  j  l^firs  ,  le  rend  ici 
tous  les  jours  plus  fenfible. 

Et  qu'a  la  majefté  du  Trône  elle- 

F  iij 


'si^îV.  DiM.  DE  Carême. 
même  ,  Sire  ,  de  plus  délicieux ,  que 
le  pouvoir  de  faire  des  grâces  ?  Que 
feroit  la  puiiTance  des  Roisjs'ils  fe  con- 
damnoient  à  en  jouir  tout  feuls?  une 
trifte  folitude,  l'horreur  de  fes  fujets  eft 
îe  fupplice  du  Souverain.  C'ell  Fufa- 
ge  dft  l'autorité  ,  qui  en  fait  le  plus 
doux  plaiiir  ;  ôc  le  plus  doux  ufage 
de  l'autorité ,  c'eft  la  clémence  &  la 
libéralité  ,  qui  la  rendent  aimable. 

Nouvelle  raifon  :  outre  le  plaifîr  de 
faire  du  bien  ,  qui  nous  paye  comp- 
tant de  notre  ptaifir  ;  montrez  de  la 
douceur  ôC  de  1  humanité  dans  l'ufage 
de  votre  puiilance  ,  dit  rEfprii  de 
Dieu  ,  5c  c*eft  la  gloire  la  plus  fûre  5c 
la  plus  durable  où  les  Grands  puiiTent 
Ecclî,  j.  atteindre  :  In  manfuetudine  opéra  tua 
^^'  perjîce  ,  £f  fuper  hominum  gloriam  dl» 
Lige  ris. 

Non  ,  Sire  ;  ce  n'efl  pas  le  rang  , 
les  titres ,  la  puilfance,  qui  rendent  les 
Souverains  aimables  :  ce  n'eft  pas  mê- 
me les  talens  glorieux  que  le  monde 
admire  ;  la  valeur  ,  la  fupériorité  du 
génie ,  l'art  de  manier  les  efprits  &.  de 
gouverner  les  peuples  :  ces  grands  ta- 
lens ne  les  rendent  aimables  à  leurs  fu- 
jets ,  qu'autant  qu'ils  les  rendent  hu- 
mains ÔC  bienfaifans.  Vous  ne  feres 


Humanité  des  Grands,  8cc.  117 
grand  ,  qu'autant  que  vous  leur  ferez 
cher:  l'amour  des  peuples  a  toujours 
été  la  gloire  la  plus  réelle  6c  la  moins 
équivoque  des  Souverains  ;  ÔC  les 
peuples  n'aiment  guère  dans  les  Sou- 
verains que  les  vertus  qui  rendent  leur 
règne  heureux. 

Et  en  effet ,  eft-  il  pour  les  Princes 
une  gloire  plus  pure  &  plus  touchante 
que  celle  de  régner  fur  les  cœurs  ? 
La  gloire  des  conquêtes  eft  toujours 
fouillée  de  fang  ;  c'eft  le  carnage  ÔC  la 
mort  qui  nous  y  conduit  ;  6<.  il  faut 
faire  des  malheureux  pour  fe  raflurer  : 
l'appareil  qui  l'environne  eft  funefte 
&  lugubre  ;  &;  fou  vent  le  conquérant 
luLmême  ,  s'il  eft  humain  ,  eft  forcé 
de  verfer  des  larmes  fur  ks  propres 
vi£^oires. 

Mais  la  gloire ,  Sire  ,  d'être  cher  à 
fon  peuple  ,  6c  de  le  rendre  heureux , 
n'eft  environnée  que  de  la  joie  ÔC  de 
l'abondaRce.  11  ne  faut  point  élever 
de  ftatues  &  de  colomnes  fuperbes 
pour  l'immortalifer  :  elle  s'élève  dans 
le  cœur  de  chaque  fujet  un  monument 
plus  durable  que  l'airain  &  le  bronze  , 
parce  que  l'amour,  dont  il  eft  l'ouvra- 
ge ,  eft  plus  fort  que  la  mort  :  le  titre 
de  conquérant  n'eft  écrit  que  fur  le 

F  iv 


ii8  IV.  DiM.  DE  Carême. 
marbre  ;  le  titre  de  père  du  peuple  eft 
gravé  dans  les  cœurs. 

Et  quelle  félicité  pour  le  Souverain  , 
de  regarder  fon  Royaume  comme  fa 
famille  ,  fes  fujets  comme  fes  enfans , 
de  compter  que  leurs  cœurs  font  en- 
core plus  à  lui  que  leurs  biens  ÔC  leurs 
perfonnes  ;  &  devoir,  pour  ainfi  dire, 
ratifier  chaque  jour  le  premier  choix 
de  la  nation  qui  éleva  fes  ancêtres  fur 
le  Trône  !  La  gloire  des  conquêtes  ÔC 
des  triomphes  a  t  elle  rien  qui  égale 
ce  plailir  ?  Mais  de  plus ,  Sire  ,  fi  la 
gloire  des  conquérans  vous  touche  j 
commencez  par  gagner  les  cœurs  de 
vos  fujets  .'Cette  conquête  vous  répond 
de  celle  de  l'univers.  Un  Roi  cher  à 
une  nation  valeureufe  comme  !a  vôtre  , 
n'a  plus  rien  à  craindre  que  l'excès  de 
fes  profpérités  &  de  Ces  viôoires. 

Ecoutez  cette  muhitude  que  Jefus- 
Chrift  r?iraflie  aujourd'hui  dans  le  dé- 
fert  :  ils  veulent  l'érablir  Roi  fur  eux. 
'Joan»  6.  Ut  râpèrent  eum  ^  &  facerent  eum  Re- 
*5«  gem.  Ils  lui  dreflent  déjà  un  Trône 
dans  leur  cœur ,  ne  pouvant  le  faire 
remonter  encore  fur  celui  de  David 
&  des  Rois  de  Juda  (es  ancêtre?  :  ils 
ne  reconnoiffent  fon  droit  à  la  Royau- 
té y  que  par  fon  humanité*  Ah  !  fi  les 


Humanité*  des  Grands,  5cc.  119 
hommes  fe  donnoienr  des  maîtres,  ce 
ne  feroit  ni  les  plus  nobles ,  ni  les  plus 
v^iilans  ,  qu'ils  choifiroient;  ce  feroit 
les  plus  tendres ,  les  plus  humains  j 
des  maîtres  qui  fuflent  en  même-temps 
leurs  pères. 

Heureufe  la  nation  ,  grand  Dieu  , 
à  qui  vous  deftinez  dans  votre  miféri- 
corde  un  Souverain  de  ce  caradere. 
D'heureux  préfages  femblent  nous  le 
promettre  ;  la  clémence  &  la  maje/lé 
peintes  fur  le  front  de  cet  augufle  En- 
fant nous  annoncent  déjà  la  félicité  de 
ros  peuples  ;  fes  inclinations  douces 
&  bienfaifantes  rafllirent  &:  font 
croître  tous  les  jours  nos  efpérances. 
Cultivez  donc,  ô  mon  Dieu ,  ces  pre- 
miers gages  de  notre  bonheur.  Ren- 
dez-le aufîî  tendre  pour  fes  peuples, 
que  le  Prince  pieux  auquel  il  doit  la 
naiffance,  ÔC  que  vous  n*avez  fait  que 
montrer  à  la  terre  :  il  ne  vouioit  ré- 
gner ,  vous  le  favez  ,  que  pour  nous 
rendre  heureux  ;  nos  miferes  étoient 
fes  miferes  ;  nos  affliâ:ions  étoient  les 
fiennes  ;  ÔC  fon  cœur  ne  faifoit  qu'un 
cœur  avec  le  nôtre.  Que  la  clémence 
&  la  miféricorde  croiiTent  donc  avec 
l'âge  dans  cet  enfant  précieux ,  &  cou- 
lent en  lui  avec  le  fang  d'un  père  û 

F  V 


130     I  V.   D  I  M.   D  E  C  A  R  E  M  E. 

humain  ,  ÔC  fi  miféricordieux  :  que  la 
douceur  &  la  majefté  de  fon  front  foit 
toujours  un  image  de  celle  de  fon 
ame  :  que  Ton  peuple  lui  fb it  au fli  cher 
qu'il  eft  lui  même  cher  à  fon  peuple: 
qu'il  prenne  dans  la  tendreffe  de  la 
nation  pour  lui  ,  la  règle  8c  la  mefure 
de  l'amour  qu'il  doit  avoir  pour  elle  : 
par-là  il  fera  aufli  grand  que  fon  Bi- 
faïeul  ;  plus  glorieux  que  tous  fes  an- 
cêtres ;  ÔC  fon  humanité  fera  la  fburce 
de  notre  félicité  fur  la  terre,  ÔC  de  foa 
bonheur  dans  le  Ciel.  AinJlfoitiL 


SERMON 

POUR    LE   JOUR 
D  E 

L' INCARNATION, 

Sur  les  car  acier  es  de  la  grandeur  ds 
Jefus  -  Chrijî» 

Hic  erit  magnuî. 

Il  fera  grand,  Luc.  i.  33* 


Si 


RE  , 


QUAND  les  hommes  auguî-en?: 
d'un  jeune  Prince  y  qu'il  fèr^^ 
grands ,  cette  idée  ne  réveille  en  eux: 
que  des  victoires  &  des  profpérités^ 
temporelîes ,  ils  n'établiflênt  fa  gran* 
deur  future  que  for  des  malheurs  pq^ 
bîics,  &  les  mêmes  (ignés  qui  annoiî* 
cent  réclatde  fa  gloire  ,  font  comme 

F  ^i 


"îgz      L'Incarnation. 

des  préfages  finiftres  ,  qui  ne  promet- 
tent que  des  calamités  au  refte  de  la 
terre. 

Mais  ce  n'eft  pas  à  ces  marques  vai- 
nes 6c  lugubres  de  grandeur ,  que 
l'Ange  annonce  aujourd'hui  à  Marie  , 
que  Jefus  Chrift  fera  grand  ;  le  lan- 
gage du  Ciel  Ôcde  la  vérité  ne  reflem- 
ble  pas  à  l'erreur  &  à  la  vanité  des 
adulations  humaines;  &.  Dieu  ne  parle 
point  comme  l'homme. 

Jefus- Chrift  fera  grand  ,  parcequ'il 
tue»  I.  fera  le  Saint  &  le  Fils  de  Dieu  :  Sanc- 
35'  tum  y  vocabitur  Filins  Del  ;  parcequ'il 

Matîh,  fauvera  fon  peuple  :  Ipfe  enim  falvum 
I.  ïi,     faciet  populumfiium  ;  parceque  fon  re- 
lue. I.  gne  ne  finira  point  :  Et  regni  ejas  non 
13-         crit finis.  Tels  font  les  caraâ:eres  de  fa 
grandeur  :  une  grandeur  de  fainteté  ; 
une  grandeur  de   miféricotde  ;    une 
grandeur  de  perpétuité  ôc  de  durée. 

Et  voilà  les  cara6î:eres  de  la  véritable 
grandeur.  Ce  n'eft  pas  5  Sire,  dans 
l'élévation  de  la  nailfance,  dans  l'éclat 
des  titres  &  des  vidoires ,  dans  l'éten- 
due de  la  puiflance  ôc  de  l'autorité , 
,  que  les  Princes  ôc  les  Grands  doivent 

la  chercher:  ils  ne  feront  grands ,  com- 
me Jefus  Chrift  ,  qu'autant  qu'ils  fe- 
ront faints  9  qu'ils  feront  utiles  aux 


GrandeurdeJ.  C.  133 
jpeu^es ,  8c  que  leur  vie  &  leur  régne 
deviendra  un  modèle  qui  fe  perpétue- 
ra dans  tous  les  fiecles  ;  c'eft- à-dire  , 
qu'ils  auront  comme  Jefus  Chrift  une 
grandeur  de  fainteré  ,  une  grandeur 
de  miféricorde  ,  une  grandeur  de  per- 
pétuité ôc.de  durée. 
SIRE, 

X-»'Origine  éternelle  de  Jefus- Chrift,  p^j^^jjr, 
fon  titre  de  Fils  de  Dieu  ,    qui  eft  le 
titre  eflentiei  de  fa  fainteté ,  î'eft  aufti 
de  fa  grandeur  &:  de  fon  éminence.  Il 
n'eft  pas  appelle  grand  ,    parcequ'il 
compte  des  Rois  6c  des   Patriarches 
parmi  fes  ancêtres ,    bi  que  le  fang  le 
plus  augufte  de  l'univers  coule  dans  fes 
veines  ?  Il  eft  grand  ,  parcequ'il  eft  le 
Saint  5c  le  Fils  du  Très  haut  :  toute  fa 
grandeur  a  fa  fource  dans  le  fein  de 
Dieu ,  d'où  il  eft  forri  ;  &  le  grand  myf^ 
teres  de  Ces  voies  éternelles  ,   qui  fe 
manifefte  aujourd'hui ,   vapuifertout 
fon  éclat  dans  fa  naiftance  divine. 

Nous  n'avons  de  grand  que  ce  qui 
nous  vient  de  Dieu.  Oui ,  mes  Frères , 
que  les  grands  fe  vantent  d'avoir  com- 
me Jefus- Chrift  des  Princes  5c  des 
Rois  parmi  leurs  ancêtres  :  s'ils  n'ont 
point  d'autre  gloire  que  celle  de  leur$ 


134  L'Incarnation, 
aïeuls  ;  (î  toute  leur  grandeur  efl  daa^ 
leur  nom  ;  d  leurs  titres  font  leurs  uni- 
ques vertus  ;  s'il  faut  rappeller  les  fié- 
cles  pafles ,  pour  les  trouver  dignes  de 
nos  hommages  ;  leur  naiiTance  les  avi- 
lit ÔC  les  déshonore  ,  même  félon  le 
monde  :  on  oppofe  fans  ceffe  leur  nom 
à  leur  perfonne  :  îe  fouvenir  de  leurs 
aïeuls  devient  leur  opprobre  :  les  Hif- 
toires  où  font  écrites  les  grandes  ac- 
tions de  leurs  pères ,  ne  font  plus  que 
des  témoins  qui  dépofent  contr'eux  : 
on  cherche  ces  glorieux  ancêtres  dans 
leurs  indignes  fucceffeurs  :  on  rede- 
mande à  leurs  noms  les  vertus  qui  ont 
autrefois  honoré  la  patrie  ;  &  cet  amas 
de  gloire  ,  dont  ils  ont  hérité  ,  n'eft 
plus  qu*un  poids  de  honte  ,  qui  les  flé- 
trit &  qui  les  accable. 

Cependant  ,  la  plupart  portent  fur 
leur  front  l'orgueil  de  leur  origine.  Ils 
comptent  les  degrés  de  leur  grandeur 
par  des  fîécles  qui  ne  font  plus  ,  par 
des  dignités  qu'ils  ne  poéfldent  plus  , 
par  des  actions  qu'ils  n*ont  point  fai- 
tes ,  par  des  aïeuls  dont  il  ne  refte 
qu'une  vile  pouflfiere  j  par  des  monu» 
mens  que  les  temps  ont  effacés  ;  &  fe 
croient  au-deffus  des  autres  hommes  ^ 
parcequ'ii  leur  relie  plus  de  àébtif 


Grandeur  DE  L  C.     135 

domeftiques  de  la  rcipidité  des  temps, 
&  qu'ils  peuvent  produire  plus  de  ti- 
tres que  les  autres  hommes  de  la  vani- 
té des  chofes  humaines. 

Sans  doute  une  haute  nailTance  ed 
une  prérogative  illuftre  ,  à  laquelle  le 
confentement  des  nations  a  attaché 
de  tout  temps  des  diftin étions  d'hon- 
neur 6c  d'hommage.  Mais  ce  n'eft 
qu'un  titre  ,   ce  n'eft  pas  une  vertu  ; 
c'eft  un  engagement  à  la  gloire  ,  ce 
n'eft  pas  elle  qui  la  donne  :  c'eft  une 
leçon  domeftique  ,  6c  un  motif  hono^ 
rable  de  grandeur  ;   mais  ce  n'eft  pas 
ce  qui  nous  fait  grands  :  c'eft  une  fuo- 
ceflîon  d'honneur  5c  de  mérite  ;  mais 
elle  manque  6c  s'éteint  en  nous ,  dès 
que  nous  héritoiîs  du  nom  fans  hériter 
des  vertus  qui  l'ont   rendu   illuftre  :: 
nous  commençons ,  pour  ainfi  dire  ^ 
une  nouvelle  race  ;  nous  devenons  des 
hommes  nouveaux  ;  la  noblefle  n'eft 
plus  que  pour  notre  nom  ,  ôc  la  roture 
pour  notre  perfonne. 

Mais  fi  devant  le  monde  même  la 
iiaiff*ance  fans  la  vertu  n'eft  plus  qu'un; 
vain  titre,  qui  nous  reproche  fans 
cefle  notre  oifîveté  ÔC  notre  baflefte  ; 
^'eft-elle  devant  Dieu ,  qui  ne  voit  de 
grand  Se  de  réel  en  nous  j  que  les  douf 


î3^      L'Incarnation. 

de  fa  grâce  6c  de  fon  efprit  qu*il  y  a 

mis  lui-même. 

C'eft  donc  notre  naiflance  félon  la 
Foi ,  qui  fait  le  plus  glorieux  de  tous 
nos  titres.  Nous  ne  fommes  grands  , 
que  parce  que  nous  fommes  ,  comme 
Jefus-Chrilt,  enfans  de  Dieu  ,  5c  que 
nous  foutenons  la  nobielfe  5c  l'excel- 
lence d'une  il  haute  origine.  C'eft  elle 
qui  élevé  le  Chrcrien  au  delTus  des  Rois 
&.  des  Princes  de  la  terre  :  c*eft  par  elle 
que  nous  entrons  aujourd'hui  dans  tous 
les  droits  de  Jefus  Chrift  ;  que  touteft 
à  nous  ;  que  tout  l'Univers  n'eft  pas 
pour  nous  ;  que  les  Patriarches ,  6c  tous 
les  Elus  des  liecles  pîifles  font  nos  ancê- 
tres ,  que  nous  devenons  héritiers  d'un 
Royaume  éternel,  que  nous  jugerons 
les  Anges  6c  les  hommes ,  ÔC  que  nous 
verrrons  un  jour  à  nos  pieds  toutes  les 
Nations  5c  les  puilTances  du  fîecle. 

Telle  eft,  Sire,  la  prérogative  des 
enfans  de  Dieu.  Aufîî  nos  Rois  ont  mis 
le  titre  de  Chrétien  à  la  tête  de  tous  les 
titres  qui  entourent  6c  annobliflent 
leur  Couronne  ;  ôc  le  plus  faint  de  vos 
Prédécefleurs  n'alloit  pas  chercher  la 
fource  ÔC  l'origine  de  fa  grandeur  dans 
le  nombre  des  Villes  &  des  Provinces 
foumifes  à  fou  Empire  ,  mais  dans  le. 


Grandeur  de  J.  C.  137 
lieu  feul  où  il  avoit  été  mis  par  le  Bap- 
tême au  nombre  des  enf^ns  de  Dieu. 

Mais  ,.SiRE  5  ce  n'eft  pas  aflez,  dit 
faint  Jean  ,  d'en  porter  le  nom  ,  il  faut 
l'être  en  efFet:  Ut  filii  Dei  nominemur  j,  Ep»  ^• 
&  Jïmus,  Si  les  enfans  des  Rois  dégé-  Joan.iM 
nérant  de  leur  augufte  naifrance,n'a- 
voient  que  des  inclinations  bafTes  6c 
vulgaires  ,  s'ils  fe  propofoient  la  for- 
tune du  vil  artifan  ,  comme  l'objet  le 
plus  digne  de  leur  cœur,ÔC  feul  capable 
de  remplir  leurs  grandes  deflinées  ;  H 
perdant  de  vue  le  Trône  où  ils  doi- 
vent un  jour  être  élevés^ ,  ils  ne  con- 
noiffoient  rien  de  plus  grand  que  de 
ramper  dans  la  boue  ,  ^  d'être  confon- 
dus par  les  fentimcns  ôc  leurs  occu- 
pations avec  la  plus  vile  populace  ; 
quel  opprobre  pour  leur  nom  &  pour 
leur  nation  qui  attendroit  de  tels  maî- 
tres ? 

Tels ,  &  encore  plus  coupables  , 
SiRE  ,  font  les  enfans  de  Dieu  ,  quand 
ils  fe  dégradent  jusqu'à  vivre  comme 
les  enfans  du  lîecle.  La  grâce  de  votre 
baptême  vous  a  élevé  encore  pins  haut 
que  la  gloire  de  votre  naiflance,  quoi- 
qu'elle foit  la  plus  augufte  de  l'uni- 
vers :  par  celle  ci  ,  vous  n'êtes  qu'un 
Roi  temporel  j  l'autre  vous  rend  héri- 


138  L'ÎNTCA  RN  A  TI  O  N. 
tier  d'un  Royaume  éternel  :  la  pre- 
mière ne  vous  fait  que  l'enfant  des 
Rois  ;  par  l'autre  vous  êtes  devenu 
l'enfant  de  Dieu.  Tous  les  jours  nous 
voyons  croîire  &  fe  développer  dans 
Votre  Majefté  ,  des  fentimens  5c  des 
inclinations  dignes  delà  naiffance  que 
fous  avez  eue  des  Rois  vos  ancêtres  ; 
mais  ce  ne  feroit  rien  ,  fi  vous  n'en 
montriez  encore  ,  qui  répondiflent  à 
la  grandeur  de  la  naiîTance  que  vous 
tenez  de  Dieu  ,  lequel  vous  a  mis  par 
le  baptême  au  nombre  de  Tes  enfans. 
Or,  partout  ce  qu'exige  une  naiffan- 
ce Royale ,  jugez ,  vSire  ,  de  ce  qv^e  doit 
exiger  une  naiflance  toute  divine.  Si  les- 
enfans  des  Rois  doivent  êt?e  au-defTus 
des  autres  hommes  ;  fi  la  moindre  baf- 
fefle  les  déshonora  ;  fi  le  plus  léger  dé- 
faut de  courage  eil  une  tâche  qui  flé- 
trit tout  l'éclat  de  leur  naiffance  ;  fi  oilt 
leur  fait  un  crime  d'une  fimple  inéga- 
lité d'humeur  ;  s'il  faut  qu'ils  foient 
plus  vaillans ,  plus  fages ,  plus  circon^ 
pe<fts ,  plus  doux  ,  plus  affables  ,  p!us 
humains  ,  plus  grands  que  le  refte  des 
hommes  ;  fi  le  monde  exige  tant  des 
enfans  de  îa  terre  ,  qu'elVce  que  Dieu 
ne  doit  pas  demander  des  enfans  du 
Ciel  ?  quelle  innocence  ?  quelle  pureté 


Grandeur  DE  J.  C.  139 
de  defirs  ?  quelle  élévation  de  fenti- 
mens  ?  quelle  fupériorité  au  deflus  des 
fens  ôcdes  paflîons  ?  quel  mépris  pour 
tout  ce  qui  n'eftpas  éternel?  Qu'il  faut 
être  grand  pour  fbutenir  Féminence 
d'une  Cl  haute  origine  /  Premier  carac- 
tère de  la  grandeur  de  Jefus-Chrift  , 
une  grandeur  de  fainteté  :  Hic  crit 
magnuSy  &  Fillus  Altlffïmi  vocabitur. 


Ais  en  fécond  lieu ,  il  fera  grand,      ^î» 
parce  qu'il  fauvera   Ton  peuple  :  Ipfe  ^^^^^^* 
enim  falvum  faciet  populum  fuum;  fé- 
cond caraé^ere  de  fa   grandeur  ,  une 
grandeur  de  miféricorde. 

Il  ne  defcend  fur  la  terre  que  pour 
combler  les  horrtm^s  de  fes  bienfaits-. 
Nous  étions  fous  la  fervitude  &  fous 
la  malédié^ion  ;  5c  il  vient  rompre  nos 
chaînes ,  &  nous  mettre  en  liberté  : 
nous  étions  ennemis  de  Dieu.,&C  étran- 
gers à  fes  promeiTes;  5c  il  vient  nous 
réconcilier  avec  lui ,  5c  nous  rendre 
citoyens  des  Saints  ,  ôc  enfans  d'une 
nouvelle  alliance  :  nous  vivions  fans 
loi ,  fang  joug ,  fans  Dieu  dans  ce  mon- 
de; 6c  il  vient  être  notre  loi ,  notre  vé- 
rité, notre  juftice,  ÔC  répandre  l'abon- 
dance de  fes  dons  &  de  fes  grâces  fur 
tout  l'univers.  En  un  mot ,  il  vient  re- 


140     L' Incarnation. 

nouveller  toute  la  nature;  fân(PJfiercc 
qui  étoit  fouillé  ;  fonifier  ce  qui  étoit 
foible  ;  iauver  ce  qui  étoit  perdu  ;  réu- 
nir ce  qui  étoit  di/iré.  Qj elle  gran- 
deur! car  il  n'y  a  ritn  f<e  fi  grand  que 
de  pouvoir  étie  utile  à  tous  les  hom- 
mes. 

Et  telle  eft  la  grandeur  où  les  Prin-        ^ 
ces  ô(  les  Souverains  5  &.  tout  ce  qui       M 
porte  le  nom  de  Grand  fur  In  terre, doit      fl 
afpirer  :   ils  ne   peuvent  être  grands 
qu*cn  fe  rendant  utiles  aux  peuples  , 
&  leur  portant,  comme  Jefus  Chrifl, 
la  lihcrté  ,  la  paix  &:  l'abondance. 

Je  dis  la  liberté,  non  celle  qui  fa- 
vorife  les  paflîons  &c  la  licence  :  c'eft 
un  nouveau  joug  8c  une  itrviiude  hon- 
teufe,  que  ce  tunelle  libertinage  ;  6c 
la  règle  des  mœurs  eft  le  premier  prin- 
cipe de  la  félicité  ÔC  l'affermifTement 
des  Empires.  Ce  n'eft  pas  celle  encore^ 
ou  qui  s'élève  contre  l'autorité  légiti- 
me ,  ou  qui  veut  partager  avec  le  Sou- 
verain celle  qui  rcfide  en  lui  feul  ;  ÔC 
fou?  prétexte  de  la  modérer  ,  l'anéan- 
tir &:  l'éteindre.  Il  n'y  a  de  bonheur 
pour  les  peuples  que  dans  l'ordre  6c 
dans  la  foumifTion  :  pour  peu  qu'ils 
s'écartent  du  point  fixe  de  l'obéiiTan- 
ce  ,  le  Gouvernement  n'a  plus  de  ré- 


Grandeur  de  J.  C.   i4t 

gîe  :  chacun  veut  erre  à  lui-même  fa 
loi  ;  la  confulion  ,  les  troubles ,  les  dif^ 
fendons ,  les  attentats ,  l'impunité  naif- 
fjnt  bientôt  de  Tindépendancc  ;  ÔC  les 
Souverains  ne  fauroient  rendre  leurs 
fajets  heureux  ,  quJ^n  les  tenant  fou- 
rnis à  l'aiKorité  ,  &  leur  rendant  en 
même  temps  l'affujetthrement  doux  ÔC 
air^^ible. 

Lv>  liberté,  Sîre  ,  que  les  Princes 
doivent  à  leurs  peuples ,  c'efl  la  liber- 
té des  loix.  Vous  ères  le  maître  de  la 
vie  &  de  la  fc^rtune  de  vt)s  fuiets  ;  mais 
vous  ne  pouvez  en  d  fpoH-r  que  félon 
\e<  loix  :  vous  ne  connoilT.z  que  Dieu 
feu'e  au  delTas  de  vous,  il  ell  v>'ai;  mais 
les  loix  doii'ent  avoir  plus  d'autorité 
que  vous-même  :  vous  ne  commandez 
pas  à  des  efclaves  ;  vou^  co  nmandez  à 
une  nation  libre  6c  belliqueufe  ,  aufîî 
jaloufe  de  fa  liberté  que  de  fa  fidélité  p 
&  dont  la  foumiflîon  efl  d'autant  plus 
fûre  ,  qu'elle  eft  fondée  fur  l'amour 
qu'elle  a  pour  fes  maîtres.  Ses  Rois 
peuvent  tout  fur  elle  ,  parceque  fa 
tendrelfe  8c  fa  fidélité  ne  mettent  point 
de  bornes  à  fon  obéiflance;  mais  il  faut 
que  fes  Rois  en  mettent  eux  mêmes  à 
leur  autorité  ,  &  que  plus  fon  amour 
«3  connoît  point  d'autre  loi  qu'uû©. 


Î42.  L'ÏNCARNATIOPf. 
foumiflion  aveugle  ,  plus  fes  Roîf 
n'exigent  de  fa  foumiflion  que  ce  que 
les  loix  leur  permettent  d'en  exiger  : 
autrement  ils  ne  font  plus  les  pères  6C 
les  proteâeursde  leurs  peuples,  ils  en 
font  les  ennemis  5c  les  opprefleurs  ; 
ils  ne  régnent  pas  fur  leurs  fujets ,  ils 
les  fubjuguent. 

La  puiffance  de  votre  augufte  Bi- 
faïeul  fur  la  nation  a  paflie  celle  de 
tous  les  Rois  vos  ancêtres  :  un  règne 
long  ÔC  glorieux  l'avoit  affermie  :  fa 
haute  fageiTe^la  foutenoit  ;  ÔC  l'amour 
de  fes  fujets  n'y  mettoit  prefque  plus 
de  bornes:  cependant  il  a  fu  plus  d'une 
fois  la  faire  céder  aux  loix;  les  prendre 
pour  arbitres  entre  lui  6c  fes  fujets,  6c 
foumettre  noblement  fes  intérêts  à 
leurs  décifions. 

Ce  n'efl:  donc  pas  îe  Souverain,  c'eft 
la  loi ,  Sire  ,  qui  doit  régner  fur  les 
peuples.  Vous  n'en  êtes  que  leminiftre 
&  le  premier  dépofitaire  :  c'eft  elle  qui 
doit  régler  l'ufage  de  l'autoritéjôc  c'eft 
par  elle  que  l'autorité  n'efl  plus  un  joug 
pour  les  fujets ,  mais  une  règle  qui  les 
conduit  ;  un  fecours  qui  les  protège  ; 
une  vigilance  paternelle  ,  qui  ne  s'af- 
fire  leur  fou miflîof^,  que  parce  qu'elle 
s'afTure  leur  tendreffe.  Les  hommes 


I 


Grandeur  de  J.  C.  143 
croient  être  libres ,  quand  ils  ne  font 
gouvernés  que  par  les  loix  :  leur  fou- 
mifTijn  fait  alors  tout  leur  bonheur  , 
parcequ'elle  fait  toute  leur  tranquillité 
&.  toute  leur  confiance.  Les  paflions  j 
les  volontés  in  juftes,  les  defîrs  exceffifs 
&  ambitieux  que  les  Princes  mêlent  à 
l'ufage  de  l'autorité  ,  loin  de  l'étendre, 
ratîbibliffent  :  ils  deviennent  moins 
puiifans  dès  qu'ils  veulent  l'être  plus 
que  les  loix  :  ils  perdent  en  croyant 
gagner:  tout  ce  qui  rend  lautorité  in- 
jufte  Î>C  odieufe  ,  l'énervé  &  la  dimi- 
nue :  la  fource  de  leur  puiffance  efl: 
dans  le  cœur  de  leurs  fujets  ;  &  quel- 
que abfolus  qu'ils  paroiflent,  on  peut 
dire  qu'ils  perdent  leur  véritable 
pouvoir  ,  dès  qu'ils  perdent  l'amour 
de  ceux  qui  les  fervent. 

J'ai  dit  encore  la  paix  6c  l'abondan- 
ce ,  qui  font  toujours  les  fruits  heu- 
reux de  la  liberté  dont  nous  venons 
de  parler  :  6c  voilà  les  biens  que  Jefus- 
Chrift  vient  apporter  fur  la  terre  ;  il 
n'eft  grand,  que  parcequ'ileftle bien- 
faiteur de  tous  les  hommes. 

Oui ,  SîRE  5  il  faut  être  utile  aux 
hommes,  pour  être  grand  dans  l'opi- 
nion des  hommes.  C'eft  la  reconnoif^ 
fance  ,  qui  les  porta  autrefois  à  fe  faire 


144  L*  Incarnation. 
des  Dieux  mêmes  de  leurs  bienfaiteurs  î 
ils  adorèrent  la  terre  qui  les  nourrie- 
foit  ;  le  foleil  qui  les  édairoit  ;  des 
Princes  bienfaifans  ;  un  Jupiter  Roi 
de  Crète,  un  Ofirls  Roi  d*Egypte,  qui 
avoient  donné  des  loix  fages  à  leurs 
fujets  ,  qui  avoient  été  les  pères  de 
leurs  peuples,  6c  les  avoient  rendus 
heureux  pendant  leur  règne  :  Tamour 
&  le  reO  >cl  qu'infpire  la  reconnoif- 
fance  fut  fi  vif ,  qu'il  dégénéra  même 
en  culte. 

I!  faut  mettre  les  hommes  dans  les 
intérêts  de  notre  gloire  ,  fi  nous  vou-î 
Ions  qu'el'e  foit  immortelle  ;  &  nous 
ne  pouvons  les  y  mettre  que  par  nos 
bienfaits  Les  grands  talens  &  les  lî- 
tre<? ,  qui  nous  élèvent  au  deiTus  d'eux, 
&:  qui  ne  font  rien  à  leur  bonheur  , 
lefî  ébîouiilent  fans  les  toucher  ,  6C 
de^'iennenr  plutôt  l'objet  de  l*envie  , 
que  de  raiïe£fcion  8c  de  TeHime  publi- 
que. Les  louanges  que  nous  donnons 
aux  autres ,  fe  rapportent  toujours  par 
q-^eîque  endroit  à  nous-mêmes  :  c'eft 
Tin  érêt  ou  la  vanité  qui  en  fort  Ie« 
fources  fecrertes  ;  car  tous  les  hommes 
font  vains ,  ôc  n'agiflent  prefque  que 
peureux,  6C  d'ordinaire  ils  n'aiment 
pas  à  donner  en  pure  perte  des  louanH 


Grandeur  de  J.  C.  145 
ges  qui  les  humilient  9  ôc  qui  font 
comme  des  aveux  publics  de  la  /upé- 
riorité  qu'on  a  fur  eux  :  mais  la  recon-: 
noiflance  l'emporte  fur  la  vanité  ;  ôc 
l'orgueil  fouiïre  fans  peine  que  nos 
bienfaiteurs  foienten  même-temps  nos 
fupérieurs  6c  nos  maîtres. 

Non  ,  Sire  ,  un  Prince  qui  n'a  eu 
que  des  vertus  militaires  ,  n'eft  pas 
alTuré  d'être  grand  dans  la  poftérité. 
Il  n'a  travaillé  que  pour  lui  :  il  n*a 
rien  fait  pour  fes  peuples  :  ÔC  ce  font 
les  peuples  qui  atTurent  toujours  la 
gloire  ÔC  la  grandeur  du  Souverain.  II 
pourra  pafler  pour  un  grand  Conqué- 
rant ;  mais  on  ne  le  regardera  jamais 
comme  un  grand  Roi  :  il  aura  gagné 
des  batailles  ;  mais  il  n'aura  pas  ga- 
gné le  cxur  de  fes  fujets  :  il  aura  con- 
quis des  Provinces  étrangères  ;  mais 
il  aura  épuifé  les  (îennes  :  en  un  mot  , 
il  aura  conduit  habilement  des  ar-, 
mées  ;  mais  il  aura  mal  gouverné  fes  j 

fujets. 

Mais,  Sire  ,  un  Prince  qui  n'a  cher- 
ché fa  gloire  que  dans  le  bonheur  de 
fes  fujets  ;  qui  a  préféré  la  pa'X  ÔC  la 
tranquillité  qui  feule  peut  les  rendre 
heureux  ,  à  des  vié^oires  qui  n'euffenc 
été  que  pour  lui  feui  ,  &  qui  n'au- 

Pètit  Carêms.  G 


14-6  L'Incarnation. 
roient  abouti  qu'à  flatter  fa  vanité  :  un 
Prince  qui  ne  s'eft  regardé  que  comme 
l'homme  de  Tes  peuples  ;  qui  a  cru  que 
fes  tréfors  les  plus  précieux  éioientles 
cœurs  de  Ces  fujers  :  un  Prince  qui  par 
la  fagefle  de  fes  loix  ôc  de  fes  exem- 
ples a  banni  lesdéfordres  de  fon  Etat, 
corrigé  les  abus ,  confervé  la  bien- 
féance  des  mœurs  publiques  ,  main- 
tenu chacun  à  fa  place  ;  réprimé  le 
luxe  ÔC  la  licence  ,  toujours  plus  fu- 
nefles  aux  Empires  que  les  guerres  8c 
les  calamités  les  plus  triftes  ,  rendu 
au  culte  ÔC  à  la  Religion  de  fes  pères 
l'autorité ,  l'éclat,  la  majefté,  l'unifor- 
mité  qui  en  perpétuent  le  refpe6t  par- 
mi les  peuples  ;  maintenu  le  facré  dé- 
pôt de  la  Foi  contre  toutes  les  entre- 
prifes  des  efprits  indociles  &  inquiets  ; 
qui  a  regardé  fes  fujets  comme  fes  en- 
fans  ,  fon  Royaume  comme  fa  famille, 
&  qui  n'a  ufé  de  fa  puifTance  que  pour 
la  félicité  de  ceux  qui  la  lui  avoient 
confiée  :  un  Prince  de  ce  cara6tere  fera 
toujours  grand  ,  parce  qu'il  l'eft  dans 
le  cœur  des  peuples.  Les  pères  raconte- 
ront à  leurs  enfans  le  bonheur  qu'ils 
eurent  de  vivre  fous  un  fi  bon  maître; 
ceux-ci  le  rediront  à  leurs  neveux;  ÔC 
dans  chaque  famille,  ce fouvenir  con- 


Grandeur  de  J.  C.  147 
fervé  d'âge  en  âge  deviendra  comme 
un  monument  domeftique  élevé  dars 
l'enceinte  des  murs  paternels,  qui  per- 
pétuera la  mémoire  d'un  iî  bon  Roi 
dans  tous  les  fiécles. 

Non  ,  Sire  ,  ce  ne  font  pas  les  fta^ 
tues  ôC  les  infcriptions  ,  qui  immorta- 
iifent  les  Princes  ;  elles  deviennent 
tôt  ou  tard  le  trifte  jouet  des  temps  6c 
de  la  viciiTitude  des  chofes  humaines. 
En  vain  Rome  &  la  Grèce  avoient 
autrefois  multiplié  à  l'infini  les  images 
de  leurs  Rois  6c  de  leurs  Céfars  ,  ôc 
épuifé  toute  la  fcience  de  l'art  pour 
les  rendre  plus  précieufes  aux  fîécles 
fuivans  ;  de  tous  ces  monumens  fu- 
perbes  à  peine  un  feul  eft  venu  jufqu'à 
nous.  Ce  qui  n'eft  écrit  que  fur  le 
marbre  ÔC  fur  l'airain,  efl  bientôt  efFa- 
cé  ;  ce  qui  eu  écrit  dans  les  cœurs  y 
demeure  toujours. 


A 


Ufli  le  dernier  caraôere  de  la  m» 
grandeur  de  Jefus-Chrift  ,  c'eft  la  du-  P-^^*^^^* 
rée  6c  la  perpétuité  de  fon  règne  : 
Et  regnlejus  non  erlt  finis.  îi  étoit  hier, 
il  eft  aujourd'hui ,  &  il  fera  dans  tous 
les  fiécles  :  fes  bienfaits  perpétueront 
fa  royauté  8c  fa  puiflance  :  les  hommes 
de  tous  les  temps  le  reconnoîtront  y 

Gij 


14S  L'Incarnation. 
l'adoreront  comme  leur  Chef,  leur 
Libérateur  ,  leur  Pontife  toujours  vi- 
vant, 6c  quis'oiFre  toujours  pour  nous 
à  fon  Père  :  il  fera  même  le  Prince  de 
l'éternité  :  il  régnera  fur  tous  les  Elus 
dans  le  Ciel  ;  6c  l'Egîife  triomphante 
ne  fera  pas  moins  fon  royaume  6c  fon 
héritage ,  que  celle  qui  combat  fur  la 
terre.  C  efl  ici  une  grandeur  de  perpé- 
tuité 6c  de  durée. 

En  effet ,  la  gloire  qui  doit  finir 
avec  nous  eft  toujours  faufle.  Elle  étoit 
donnée  à  nos  titres  plus  qu'à  nos  ver- 
tus :  c'étoit  un  faux  éclat  qui  environ- 
noit  nos  places  ,  mais  qui  ne  fortoit 
pas  de  nous-mêmes  :  nous  étions  fans 
cefle  entourés  d'admirateurs  ,  &  vui- 
des  au- dedans  des  qualités  qu'on  ad- 
mire :  cette  gloire  étoit  le  fruit  de 
Terreur  8c  de  l'adulation  ;  &  il  n'eft 
pas  étonnant  de  la  voir  finir  avec  elles. 
Telle  eil  la  gloire  de  la  plupart  des 
Princes  8c  des  Grands  :  on  honore 
leurs  cendres  encore  fumantes  ,  d'un 
refle  d'éloge  :  on  ajoute  encore  cette 
vaine  décoration  à  celle  de  leur  pom- 
pe funèbre  ;  mais  tout  s'éclipfe  ôc  s'é- 
vanouit le  lendemain  :  on  a  honte  des 
louanges  qu'on  leur  a  données  ;  c'eft 
un  langage  furanné  6c  infipide  qu'on 


Grandeur  de  J.  C.  149 
n'oferoit  plus  parler  :  on  en  voit  prcf- 
que  rougir  les  monumens  publics  où 
elles  font  encore  écrites,  ôc  où  elles 
ne  femblent  fubfifler  que  pour  rappel- 
1er  publiquement  le  fouvenir  qui  les 
défavoue.  Ainfi  les  adulations  ne  fur- 
vivent  jamais  à  leurs  héros  ;  &  les  élo- 
ges mercenaires ,  loin  d'immortalifer 
la  gloire  des  Princes  ,  n'immortaîifent 
que  la  balTeffe  ,  l'intérêt ,  âc  la  lâcheté 
de  ceux  qui  ont  été  capables  de  les 
donner. 

Pour  connoître  la  grandeur  vérita- 
ble des  Souverains  &  des  Grands ,  il 
faut  la  chercher  dans  les  fiecles  qui 
font  venus  après  eux  :  plus  même  ils 
s'éloignent  de  nous  5  plus  leur  gloire 
croît  ôc  s'affermit  ,  lorfqu'elle  a  pris 
fa  fource  dans  l'amour  des  peuples.. 
On  difpute  encore  aujourd'hui  à  un 
de  vos  plus  vaillans  Prédécelfeurs  5  les 
éloges  magnifiques  que  fon  liecle  lui 
donna  à  Tenvi  ;  6c  malgré  la  gloire 
de  Marignan  ,  on  doute  fi  la  valeur 
doit  le  faire  compter  parmi  les  grands 
Rois  qui  ont  occupé  votre  Trône  ;  ÔC 
avec  moins  de  ces  talens  brillans  qui 
font  les  Héros ,  8c  plus  de  ces  vertus 
pacifiques  qui  font  les  bons  Rois ,  fon 
Pfédéceffeur  fera  toujours  grand  dans 

G  iij 


î5o  L'Incarnation. 
nos  Hidoires,  parce  qu'il  fera  toujours 
cher  à  la  nation  dont  il  fut  le  père-  On 
îie  compte  pour  rien  les  éloges  donnés 
aux  Souverains  pendant  leur  règne  ^ 
s'ils  ne  font  répétés  fous  les  règnes  fui- 
vans  :  c'efl  ià  que  la  poflérité  toujours 
équitable ,  ou  les  dégrade  d'une  gloire 
dont  ils  n'étoient  redevables  qu'à  leur 
puiifance ,  6c  à  leur  rang ,  ou  leur  con- 
ferve  un  rang,  qu'ils  durent  à  leur  ver- 
tu bien  plus  qu'à  leur  puiffance.  11  faut 
Sire  ,  que  la  vie  d'un  grand  Roi  puifle 
être  propofée  comme  une  règle  à  Ces 
fucceffeurs  :  5c  que  fon  r'^gne  devienne 
le  modèle  de  tous  les  règnes  à  venir  : 
c'efl  par  là  qu'il  fera  ,  fi  je  l'ofe  dire  ^ 
éternel  ,  comme  le  règne  de  Jefus- 
Chrift  :  Et  ngni  ejus  non  erit  finis. 

Le  règne  de  David  fut  toujous  le 
modèle  des  bons  Rois  de  Juda  ,  5c  fa 
durée  égala  celle  du  Trône  de  Jéru- 
falem.  Ce  ne  furent  pas  fes  victoires 
toutes  feules  ,  qui  le  rendirent  le  mo- 
dèle des  Rois  fes  fuccelTeurs  :  Saiil  en 
avoir  remporté  comme  lui  fur  les  Phi- 
liftins  ôc  fur  les  Amalécites.  Ce  fut  fa 
piété  envers  Dieu  ;  fon  amour  pour 
fon  peuple  ;  fon  zèle  pour  la  loi  ôc  pour 
la  Religion  de  fes  pères  :  fa  foumifïioa 
à  Dieu  dans  les  difgraces  ;  fa  modéra- 


Grandeur  de  J.  C  151' 
tion  dans  la  vi£^oire  6c  dans  la  profpé- 
rité  ;  Ton  refped^  pour  les  Prophètes , 
qui  venoient  de  la  part  de  Dieu  l'aver- 
tir de  Tes  devoirs ,  &  lui  ouvrir  les  yeux 
fur  Tes  foibleiTes  ;  les  larmes  publiques 
de  pénitence  ôC  de  piété  dont  il  baigna 
fon  Trône  ,  pour  expier  le  fcandale 
de  fa  chute  ;  les  richefles  immenfes 
qu'il  amaffa  pour  élever  un  Temple 
au  Dieu  de  Ces  pères ,  fa  confiance  dans 
le  grand  Prêtre  ÔC  dans  les  Miniftres 
du  culte  faint  ;  le  foin  qu'il  prit  d'inf- 
pirer  à  Ton  fils  Salomon  les  maximes 
de  la  vertu  ÔC  de  la  fageffe  ;  6c  enfin 
le  bon  ordre ,  6c  la  juftice  des  loix  qu'il 
établit  dans  tout  Ifraël. . 

Voilà ,  SiRE  ,  la  grandeur  que  Vo- 
tre Majefté  doit  Ce  propofer.  Régnez 
de  manière  que  votre  règne  puifTe  être 
éternel  ;  que  non  feulement  il  vous 
allure  la  royauté  immortelle  desEnfans 
de  Dieu  ,  mais  encore  que  dans  tous 
les  âges  qui  fuivront ,  on  vous  propofe 
aux  Princes  vos  fuccefTeurs  comme  le 
modèle  des  bons  Rois. 

Ce  ne  fera  pas  feulement  en  rem- 
portant des  viâ:oires  ,  que  vous  de- 
viendrez un  grand  Roi  :  ce  fera  votre 
amour  pour  vos  peuples ,  votre  fidélité 
^nvers  Dieu ,  votre  zèle  pour  la  Reli- 

G  iv 


'i5i  L' Incarnation. 
gion  de  vos  Pères ,  vorre  attention  à 
rendre  vos  fujets  heureux  ,  qui  feront 
de  votre  règne  k  plus  bel  endroit  de 
nos  Hiftoires ,  ôc  le  modèle  de  tous 
les  règnes  à  venir. 

Ainrlez  vos  peuples  ,  SiRE  ;  &  que 
ces  mêmes  paroles  fi  fouvent  portées 
à  vos  oreilles ,  trouvent  toujours  un 
accès  favorable  dans  votre  cœur. 
Soyez  tendre ,  humain,  affable,  touché 
de  leurs  miferes ,  compatifTant  à  leurs 
befoins ,  &  vous  ferez  un  grand  Roi  ; 
2^  la  durée  de  votre  règne  égalera  celle 
de  la  Monarchie.  Dieu  vous  a  établi 
fur  une  nation  qui  aime  fes  Princes  , 
^  qui  par  cela  feul  mérite  d'en  être 
aimée.  Dans  un  Royaume  où  les  peu- 
ples naiflent  ,  pour  ainfi  dire  ,  bons 
fujets ,  il  faut  que  les  Souverains  en 
naiffant  ,  naiflent  de  bons  maîtres. 
Vous  voyez  déjà  tous  les  cœurs  voler 
après  vous.  Sire  ,  l'amour  ne  peut  fe 
payer  que  par  l'amour  ;  Ôc  vous  ne  fe- 
riez pas  digne  de  la  tendrefle  de  vos 
fujets  ,  fi  vous  leur  refufiez  la  vôtre. 

Il  n'y  a  point  d'autre  gloire  pour  les 
Rois  :  leur  grandeur  eft  toute  dans  l'a- 
mour de  leurs  peuples  :  ce  font  eux 
qui  perpétuent  de  iiecle  en  fiecle  la 
mémoire  des  bons  Princes.  Et  quelle 


Grandeur    d  e  J.  C.  i  5  3 

gîoireen  effet  pour  un  Roi,  de  régner 
encore  après  fa  mort  fur  les  cœurs  de 
fes  fujets  !  d'être  fur  que  dans  tous  ies 
temps  à  venir  ,  les  peuples ,  ou  regret- 
teront de  n'avoir  pas  vécu  fous  Ton  rè- 
gne ,  ou  fe  féliciteront  d'avoir  un  Roi 
qui  lui  reffennble!  Quelle  gloire.  SiRE, 
de  faire  dire  de  foi  dans  toute  la  fuite 
des  (îecles,  comme  la  Reine  de  Saba 
le  difoit  de  Salomon  :  Heureux  ceux 
qui  le  virent  &  qui  vécurent  fous  la 
douceur  de  Ces  loix  &de  fon  Empire/ 
heureux  Tâge  qui  montra  à  la  terre  un 
fi  bon  maître!  heureufes  les  villes  6c 
les  campagnes ,  qui  virent  revivre  fous 
fon  règne  l'abondance,  la  paix,  la 
joie  ,  la  juftice  ,  l'innocence  des  âges 
les  plus  fortunés!  heureufe  la  nation 
que  le  Ciel  favorifera  un  jour  d'un 
Prince  qui  lui  foit  femblable. 

Grand  Dieu  !  c'eft  vous  feul  qui 
donnez  les  bons  Rois  aux  peuples  ;  ôC 
c'eft  le  plus  grand  don  que  vous  puif- 
lîez  faire  à  la  terrô.Vous  tenez  encore 
entre  vos  mains  l'Enfant  augufte  que 
vous  deftinez  à  la  Monarchie  :  fon  âge, 
(bn  innocence  le  laifient  encore  l'ou- 
vrage commencé  de  vos  miféricordes: 
il  n'eft  pas  encore  forti  de  defibus  la 
maia  qui  le  forme   ôc  qui  l'achevé, 

Gv 


r54  L"  r N'  cr A- K  n  A  t  rO' Pî'<r 
Grand  Dieu  !  il  eft  encore  temps,  for^ 
mez  le  pour  le  bonheur  des  peuples  à 
qui  vous  l'avez  réfervé  ;  ÔC  que  cette 
prière  (i  fouvent  ici  renouvellée ,  ne 
lafTe  pas  votre  bonté ,  puifqu'elle  inté* 
refle  (i  fort  le  falut  &  la  félicité  d'une 
nation  que  vous  avez  toujours  pro» 
îégée. 

C'eft  fous  les  bons  Rois  que  votre 
culte  s'affermit  ;  que  la  Foi  triomphe 
des  erreurs  ;  que  TafFreufe  incrédulité 
eft  bannie  ou  obligée  de  fe  cacher  ;^ 
que  les  nouvelles  do^irines  font  prof- 
©rites  ;  que  les  efprits  rebelles  ne  trou- 
vent de  proteâ:ion  &  de  fureté  ,  que 
dans  l'obélifance  ÔC  dans  l'unité  ;   que 
'yos  Minières ,  pai(ibles  dans  l'exerGi- 
ce  de  leurs  fonâions ,  ÔC  veillant  fans^ 
teiïe   à   la   confervation    du  dépôt  j- 
voient  l'autorité  de  l'Empire  donner 
lies  mains  à  celles  du  Sacerdoce  ;  &  que 
'SOUS  les  cœurs ,  déjà  réunis  aux  pieds 
du  Trône,  portent  la  même  union  ÔC 
lia  même  concorde  aux  pieds  des  au- 
îjels.  Ajoutez  donc  en  lui  de  jour  en 
îpur,  ô  mon  Dieu,  de  ces  traita  heu- 
î5eux  qui  promettent  de  bons  Rois  à 
Ibiîïs  peuples  :  que  l'ouvrage  de  vos 
miféricordes  croiife  ,  5c  fe  développe 
ks  jpuxs.  en  lui  avec  fes  années* 


Grandeur  de  J.  C.  155 
Nous  ne  vous  demandons  pas  qu'il  de- 
vienne le  vainqueur  de  l'Europe,  nous 
vous  demandons  qu'il  foit  le  père  de 
fon  peuple.  C'eft  la  puifTance  de  votre 
bras ,  qui  nous  l'a  confervé  ;  en  frap- 
pant autour  de  fon  berceau  tout  le 
refte  de  fa  famille  royale  ;  que  ce  foit 
elle  qui  nous  le  forme  ,  ÔC  qui  nous^ 
le  prépare  :  il  eft  ,  comme  Moïfe ,  l'en- 
fant fauve  des  funérailles  de  toute  fa 
race  ;  qu'il  foit  comme  lui  ,  le  fauveur 
êc  le  libérateur  de  fon  peuple,  &  que 
ce  premier  prodige  ,  qui  l'a  retiré  d\M 
fein  de  la  mort ,  foit  pour  nous  le  pré^ 
fage  afTuré  de  ceux  que  vous  nous  fai- 
tes efpérer  fous  fon  Emi^lte^Alnfifoit^iî^ 


îll 


156 


=;Stf-i=«g=3ss3ES«a 


SERMON 

POUR     LE    DIMAN  CHE 
DE    LA   PASSION. 

V 

Sm  la  faujfeté  de  la  gloire 
humaine» 

Si  ego  glorifico  meiprum  ,  gloria  hieanihîî 
eft. 

Si  je  me  glorifie  moi-même ,  ma  gloire  n^ejî 
rien,  Joan.  8.  54. 


Si 


RE, 


Sî  la  gloire  du  monde  fans  la  crain- 
te du  Dieu  étoit  quelque  chofe 
de  réel  ,  quel  homme  jufques-là  avoit 
paru  fur  la  terre  ,  qui  eût  plus  de  lieu 
de  Te  glorifier  lui-même  que  Jefus- 
Chrift  ? 

Outre  la  gloire  de  defcendre  d'une 
race  royale ,  5c  de  compter  les  David 
^  les  Salomon  parmi  k$  ancêtres  ; 


Sur  la  Gloire  Humaine.  157 
avec  quel  éclat  n'avoit-  il  pas  paru  dans 
le  monde  ? 

Suivez- le  dans  tout  le  cours  de  fa 
vie  :  toute  la  nature  lui  obéit  :  les  eauK 
s^afFermifTent  fous  Tes  pieds  :  les  morts 
entendent  fa  voix  ;  les  démons ,  frap- 
pés de  fa  puifiance  ,  vont  fe  cacher 
loin  de  lui:  les  Cieux  s'ouvrent  fui  la 
tête  5  cC  annoncent  eux-mêmes  aux 
hommes  fa  gloire  &:  fa  magnificence: 
la  boue  entre  fes  mains  rend  la  lumiè- 
re aux  aveugles  ;  tous  les  lieux  par  où 
il  paiTe  ,  ne  font  marqués  que  par  fes 
prodiges:  il  lit  dans  les  cœurs  :  il  voit 
l'avenir  comme  le  préfent:  il  entraîne 
après  lui  les  villes  &  les  peuples  :  per- 
fonne  avant  lui  n'avoit  parié  comme  il 
parle  ;  ÔC  charmées  de  fon  éloquence 
célefte,  les  femmes  de  Juda  appellent 
heureufe  les  entrailles  qui  l'ont  porté. 

Quel  homme  s'étoit  jamais  montré 
fur  la  terre  environné  de  tant  de  gloi- 
re ?  ôc  cependant  il  nous  apprend  que 
s'il  fe  l'attribue  à  lui-même  ,  &  que  fa 
gloire  ne  foie  qu'une  gloire  humaine  , 
fa  gloire  n'efl  plus  rien  :  Si  ego  glorifico 
meipfiim  ,  gloria  mea  nihil  eft. 

La  probité  mondaine ,  les  grands 
talens ,  les  fuc.ès  éclatans  ne  font  donc 
plus  rien  ,  dès  qu'ils  ne   font  cp^ 


158     D  I  M.    D  E    L  A    P  A  s  s  I  O  N. 

vertus  de  l'homme  ;  ôc  il  n'y  a  point 
de  gloire  véritable  fans  la  crainte  de 
Dieu  :  c'eft  ce  qui  va  faire  le  fujet  de 
ce  difcours. 

SIRE, 

^'  Il  y  a  long-  temps  que  les  hommes  y 
*  toujours  vains  y  font  leur  idole  de  la 
gloire.  Ils  la  perdent  la  plupatt  en  la 
cherchant;  &  croient  l'avoir  trouvée, 
quand  on  donne  à  leur  vanité  les  louan- 
ges qui  ne  font  dues  qu'à  la  vertu.^ 

Il  n'eft  point  de  Prince  ni  de  Grande 
malgré  la  baflefle  &.  le  dérèglement  de 
fes  mœurs  &  de  fes  penchans  ,  à  qui 
de  vaines  adulations  ne  promettent  la 
gloire    6(    l'immiortalité  ;   ÔC  qui  ne 
compte  fur  les  fufFrages  delapoftériié, 
où  fon  nom  même  nepafTera  peut-être 
pas,  &c  où  du  moins  il  ne  fera  conniLi 
que  par  fes  vices.  Il  eft  vrai  que  le  mon- 
de qui  avoit  élevé  ces  idoles  de  boue  y 
les  renverfe  lui  même  le  lendemain-, 
&  qu'il  fe  venge  à  loifif  dans  les  âges 
fuivans  par  la  liberté  de  fes  cenfures  y 
de  la  contrainte  ÔC  de  l'injullice  de  fes^ 
éloges. 

Il  n'attend  pas  même  fi  tard  :  les  ap* 
plaudiffemens  publics  qu'on  donne  â^ 
îa  plupart  des  Grands  pendant   le^r 


Sur  la  gloire  Humaine,  i 
vie  ,  font  prefque  toujours  à  l'inftant 
démentis  par  les  jugemens  &  les  dis- 
cours fecrets  :  leurs  louanges  ne  font 
que  réveiller  l'idée  de  leurs  défauts  ; 
éc  à  peine  fortis  de  la  bouche  même 
de  celui  qui  les  publie ,  elles  vont ,  s'il 
m'eft  permis  de  parler  ainfi  .  expirer 
dans  fon  cœur  qui  les  défavoue. 

Mais  fila  gloire  humaine  efl:  prefque 
toujours  dégradée  devant  le  Tribunal 
même  du  monde  ,  auroit-elle  quelque 
chofe  de  plus  réel  aux  yeux  de  Dieu  y 
devant  qui  il  n'y  a  de  véritables  grands 
que  ceux  qui  le  craignent  ?  Qui  autem  -judît^^ 
timent  te  ,  magni  crunt  apud  te  penC-  ip»- 
omnia* 

Et  pour  mettre  cette  vérité  dans  un 
point  de  vue  qui  nous  la  montre  toute 
entière  ;  remarquez  ,  je  vous  prie  ,  mes 
Frères ,  que  les  hommes  ont  de  tout 
temps  établi  la  gloire  dans  l'honneur  5c 
la  probité  ,  dans  l'éminence  ôcla  dif- 
tinâ:ion  des  talens  ,  ÔC  enfin  dans  les 
fiiccès  éclatans. 

Or  ,  fans  la  crainte  de  Dieu  toute 
probité  humaine  eft  ou  faufle  ,  ou  du 
moins  elle  n'eil  pas  fûre  ;  les  plus 
grands  talens  deviennent  dangereux- 
ou  à  celui  qui  s'en  glorifie,  ou  à  ceux 
auprès  defi^uels  il  en  fait  ufage  j  ÔC  en^ 


i6o  DiM.  DE  LA  Passion. 

fin  ,  les  fuccès  les  plus  éclatans ,  ou 
prennent  leur  fource  dans  le  crime  , 
ou  ne  font  fouvent  que  des  crimes 
éclatans  eux-mêmes  :  5"/  ego  glorifico 
mcipfum  ,  glorla  mca  nihil  ejl. 

Je  dis ,  premièrement ,  que  la  pro- 
bité humaine  fans  la  crainte  de  Dieu 
eîl  prefque  toujours  faufle  ,  ou  du 
iDoins  qu'elle  n'eft  jamais  fûre. 

Je  fais  que  le  monde  fe  vante  d'un 
phantôme  d'honneur  ôc  de  probité  in- 
dépendant de  la  Religion.  II  croit 
qu'on  peut  être  fidèle  aux  hommes , 
fans  être  fidèle  à  Dieu  ;  être  orné  de 
toutes  les  vertus  que  demande  la  So- 
ciété 5  fans  avoir  celles  qu'exige  TEvan- 
gile  ;  &  en  un  mot,  être  honnête  hom- 
me j  fans  être  Chrétien. 

On  pourroit  iaiffer  au  monde  cette 
foible  confoiation  ;  ne  pas  lui  difputer 
une  gloire  aufîî  vaine  &  auffi  frivole 
qui  lui-même  ;  &  puifqu'il  renonce 
aux  vertu?  des  Saints  ,  lui  paffer  du 
moins  celles  des  hommes.  C'eft  Tat- 
taquer  par  fon  endroit  fenfible  ôC  dans 
fon  dernier  retranchement ,  de  vou- 
loir lui  ôter  le  feul  nom  de  bien  qui 
luirefte  ,  &  qui  ie  confole  de  la  perte 
de  tous  les  autres;  Se  de  le  dépoiTéder 
d'un  honneur  ôc  d'une  probité  qu'il 


Sur  la  Gloire  Humaine.  i6i 
croit  n'appartenir  qu'à  lui  feul ,  & 
qu'il  difpute  fouvent  aux  Juftes. 

Ne  le  troublons  donc  pas  dans  une 
polTeiTion  fi  paifible  ôc  en  même-  temps 
fi  injufte.  Convenons  qu'au  milieu  de- 
là dépravation  ÔC  de  la  décadence  des 
mœurs  publiques  ,  le  monde  a  encore 
fauve  du  débris  des  reftes  d'honneur 
&  de  droiture  ;  que  malgré  les  vices 
6c  les  pafllons  qui  les  dominent  5  pa- 
roiffent  encore  fous  fes  étendards  des 
hommes  fidèles  à  l'amitié  ,  zélés  pour 
la  patrie  ,  rigides  amateurs  de  la  vé- 
rité 5  efclaves  religieux  de  leur  parole, 
vengeurs  de  l'injuftice  ,  proteâ:eurs  de 
la  foibîeffe  ;  en  un  mot,  partifans  du 
plaifir  5  &  néanmoins  fedateurs  de  la 
vertu. 

Voilà  les  juftes  du  monde  ,  ces  hé- 
ros d'honneur  &  de  probité  qu'il  fait 
tant  valoir  ;  qu'il  oppofe  même  tous 
les  jours  avec  une  efpece  d'infulte  ôc 
d'oftentation  aux  véritables  Juflcs  de 
l'Evangile.  Il  les  dégrade  pour  élever 
fon  idole  ;  il  fe  vante  que  l'honneur  6c 
la  véritable  probité  ne  réfide  que  chez 
lui  :  il  nous  laifle  l'obfcurité  ,  lespeti- 
teffes,  les  travers ,  ÔC  tout  le  faux  de  la 
vertu  ;  ÔC  s'en  arroge  à  lui-  même  l'hé- 
roïfme  Se  la  gloire.  Mais  qu'il  feroit 


j6i  D I M.  DE  LA  Passion. 

aifé  de  venger  l'honneur  de  Dieu  con- 
tre le  culte  vain  ôc  pompeux  que  le 
monde  rend  à  fon  idole  l  il  n'y  auroit 
qu'à  foufflsr  fur  cet  édifice  d  orgueil 
6c  de  vanité ,  à  peine  en  retrouveriez- 
vous  les  foibles  vefliges. 

Ces  hommes  vertueux  dont  le  mon- 
de fe  fait  tant  d'honneur,  n'ont  au  fond 
fouvent  pour  eux  que  Terreur  publi- 
ques. Amib  fidèles,  je  le  veux;  mais c'eft 
le  goût ,  la  vanité  ou  l'intérêt ,  qui  les 
lie  i  ÔC  dans  leurs  amis ,  ils  n'aiment 
qu*eux  mêmes  :  bons  citoyens ,  il  efl 
vrai  ;  mais  la  gloire  6c  les  honneurs  qui 
nous  reviennent  en  fervant  la  Patrie  , 
font  i*unique  lien  ÔC  le  feul  devoir  qui 
les  attache  :  amateurs  de  la  vérité,  je 
l'avoue  ;  mais  ce  n'eft  pas  elle  qu'ils 
cherchent  ,  c'eft  le  crédit  &  la  confian- 
ce qu'elle  leur  acquiert  parmi  les  hom- 
mes :  obfervateurs  de  leur  parole, mais 
deû  un  orgueil  qui  trouveroit  de  la 
lâcheté  ÔC  de  l'inconflance  à  fe  dédire  ^ 
ce  n'eft  pas  une  vertu  qui  fe  fait  une 
religion  de  Tes  promefTes  :  vengeurs  de 
l'injullice  ;  mais  en  la  puniiTanc  dans 
les  autres ,  ils  ne  veulent  que  publier 
qu'ils  n'en  font  pas  capables  eux-mê- 
mes :  proteâ:eufs  de  la  foibleffe  ;  mais 
ils  veulent  avoir  des  panégyrilles  de 


Sur  la  Gloire  Humaine.  i6^ 
leur  générofité;  ÔC  les  éloges  des  oppri- 
més font  ce  que  leur  offre  de  plus  tou- 
chant leur  oppreffion  &  leur  mifere. 
En  un  mot,  dit  FEcriture  ,  on  les  ap- 
pelle miféricordieux,  ils  ont  toutes  les 
vertus  pour  le  public;  mais  n'étant  pas 
fidèles  à  Dieu  ,  ils  n'en  ont  pas  une 
feule  pour  eux-  mêmes  :  Multi  homines  Pro-^* 
mlferîcordcs  vocantiir  ;  virum  autem  *°* 
fidcUm  quis  invenlet  ? 

Mais  quand  la  probité  du  monde  ne 
feroit  pas  prefque  toujours  fauffe,  il 
faudroit  convenir  du  moins  qu'elle 
n'eft  jamais  fûre.  La  Religion  toute 
feule  allure  la  vertu  ,  parce  que  les 
motifs  qu'elle  nous  fournit  font  par- 
tout les  mêmes.  La  honte  ÔC  l'opprobre 
en  feroient  le  prix  devant  les  hommes  ^ 
qu'elle  n'en  paroîtroit  que  plus  belle 
&  plus  glorieufe  à  l'homme  de  bien  :  Ca 
vie  même  feroit  en  péril ,  qu'il  ne  vou- 
droit  pas  la  racheter  aux  dépens  de  fa 
vertu  :  le  fecret  êc  l'impunité  ne  font 
pas  pour  lui  des  attraits  pour  le  vice  ^ 
puifque  Dieu  eft  le  feul  témoin  qu'il 
craint,  6c  le  reproche  de  fa  confcien- 
ce  la  feule  peine  qui  l'afflige  :  la  gloire 
même  6c  les  acclamations  publiques 
le  foiliciteroient  à  une  entreprife  am- 
bitieufe  6c  injuile  ,  qu'il  préféréroit  le 


'154  I^iM.  DE  LA  Passion. 
devoir  5c  la  règle  qui  le  condamnent , 
aux  applaudilTemens  de  l'univers  qui 
l'approuve.  Enfin  changez  tant  qu'il 
vous  plaira  les  fituations  d'un  véritable 
Jufte  :  le  monde  peut  varier  à  Ton 
égard  ;  les  fuffrages  publics  qui  Télé- 
vent  aujourd'hui  ,  peuvent  demain  le 
dégrader  &  l'abattre  ;  fa  fortune  peut 
changer  :  mais  fa  vertu  ne  changera 
point  avec  fa  fortune- 

Il  ne  s'agit  pas  ici  de  nous  alléguer 
des  exemples  où  la  piété  la  plus  eftimée 
s*efl  démentie  plus  d'une  fois  :  outre 
que  le  monde  efl  plein  de  faux  jufles , 
&  que  tous  ceux  qui  en  portent  le  nom 
aux  yeux  des  homm.es ,  n'en  ont  pas  le 
mérite  devant  Dieu  ;  ça  été  de  tout 
temps  l'injufticedu  monde ,  d'attribuer 
à  la  vertu  les  foiblefTes  de  l'homme. 
Le  Jufte  peut  tomber  :  mais  la  vertu 
feule  peut  le  défendre  ,  ou  le  relever 
de  fes  chûtes  :  elle  feule  marche  fûre- 
ment ,  parce  que  les  principes  fur  lef- 
quels  elle  s'appuye  font  toujours  ks 
mêmes  :  les  occafîons  ne  l'autorifent 
pas  contre  le  devoir  >  parce  que  les  oc- 
cafions  ne  changent  jamais  rien  aux 
relies  :  la  lumière  6c  les  regards  pu- 
blics font  pour  elle  comme  ia  folirude 
&.  les  ténebi'ts  :  en  un  mot  ^  elk  ne 


Sur  la  Gloire  Humaine.  i6'^ 
compte  les  hommes  pour  rien  ,  parce 
que  Dieu  feul  qui  la  voit ,  doit  être 
fon  Juge. 

Trouvez  ,  fi  vous  îe  pouvez  ,  la  mê- 
me fûreré  dans  les  vertus  humaines. 
Nées  le  plus  fouvent  dans  l'orgueil  ÔC 
dans  l'amour  de  la  gloire,  elles  y  trou- 
vent un  moment  après  leur  tombeau  : 
formées  par  les  regards  publics,  elles 
vont  s'éteindre  le  lendemain  ,  comme 
ces  feux  paffagers  ,  dans  le  fecret  5C 
dans  les  ténèbres  :  appuyées  fur  les  cir- 
condances  ,  fur  les  occafions  ,  fur  les 
jugemens  des  hommes ,  elles  tombent 
fans  cefTe  avec  ces  appuis  fragiles  :  les 
triftes  fruits  de  l'amour  propre  ,  elles 
font  toujours  fous  l'inconftancede  fon 
empire  :  enfin  le  foibîe  ouvrage  de 
l'hotiime,  elles  ne  font,  comme  lui,  à 
l'épreuve  de  rien. 

Qu'il  s'offre  à  ce  vertueux  du  fiecle 
une  occafion  fûre  de  décréditer  un  em- 
nemi ,  ou  de  fupplanter  un  concur- 
rent ;  pourvu  qu'il  conferve  la  réputa- 
tion 6c  la  gloire  de  la  modération  ,  il 
fera  peu  touché  d'en  avoir  le  mérite  : 
que  fa  vengeance  n'intéreffe  point  fon 
honneur ,  elle  ne  fera  plus  indigne  de 
fa  vertu  :  placez  le  dans  une  fituation 
où  il  puiffe  accorder  fa  pafîion  avec 


i66  D  I  M.  DE  LA  Passion* 

reflime  publique  ,  il  ne  s'embarralîera 
pas  de  l'accorder  avec  Ton  devoir  :  en 
un  mot ,  qu'il  paffe  toujours  pour  hon:i- 
me  de  bien ,  c'eft  la  même  chofe  pour 
lui  que  de  l'être. 

Tout  Ifraël  paroît  applaudir  d'abord 
à  la  révolte  d'Abfalom  :  Achitophel  , 
cet  homme  (i  fage  &  fi  vertueux  dans 
l'eilime  publique  ,  6c  dont  les  confeils 
étoient  regardés  comme  les  confeils  de 
Dieu,  préfère  pourtant  le  parti  du  cri- 
me 5  où  il  îTouve  les  fufFrages  publics 
&  Tefpérance  de  fon  élévation,  à  celui 
de  la  juftice  qui  ne  lui  offre  plus  que 
le  devoir. 

Non ,  mes  Frères ,  rien  n'ell  fur  dans 
les  vertus  humaines, fî  la  vertu  de  Dieu 
ne  les  foutient  ÔC  ne  les  fixe.  Soyez 
bienfdifant ,  jufle  ,  généreux ,  fincere  : 
vous  pouvez  être  utile  au  public;  mais 
vous  devenez  inutile  à  vous-même  : 
vous  faites  des  œuvres  louables  aux 
yeux  des  hommes;  mais  en  ferez- vous 
jamais  une  véritable  vertu  ?  Tout  eft 
faux  ôc  vuide  dans  un  cœur  que  D'eu 
ne  remplit  point ,  c'eft  un  Roi  lui  mê- 
me qui  parle  ;  SCconnoitre  votre  jufti- 
ce  8c  votre  vertu,  ô  mon  Dieu  !  c'eft  la 
feule  racine  qui  porte  des  fruits  d'im- 
mortalité^, ÔC  la  fource  de  la  véritable 


Sur  la  Gloire  Humaine.  i6y 

^o\te:Vani  autem  funt  omnes  hqmi-  ^^P*  H> 
ncs  in  quitus  non  fubejl  fcientia  Dd, 
C'efl:  donc  en  vain  qu'on  met  la  véri- 
table gloire  dans  l'honneur  ÔC  la  pro- 
bité mondaine  :  on  n'ell:  grand  que  par 
le  cœur  ;  ôC  le  cœur  vuide  de  Dieu  n'a 
plus  que  le  faux  ÔC  les  bairefles  de 
l'homme. 


M 


Ais  peut-être  que  les  vertus  civi       ^^* 
les  toutes  feules  font  trop  obfcures ,  ÔC 
que  la  diftin6bion  ôc  la  Supériorité  des 
grands  talens   nous  donnera  plus  de 
droit  à  la  gloire. 

Hélas  1  Sire  ,  que  font  les  grands 
talens  ,  que  de  grands  vices ,  (î  les 
ayant  reçus  de  Dieu  ,  nous  ne  les  em- 
ployons que  pour  nous-mêmes  ?  que 
deviennent-ils  entre  nos  mains  ?  fou- 
vent  l'inftrument  des  malheurs  pu- 
blics ;  toujours  la  fource  de  notre  con- 
damnation 6c  de  notre  perte. 

Qu'eft-ce  qu'un  Souverain  né  avec 
une  valeur  bouillante  ,  ôc  dont  les 
éclairs  brillent  déjà  de  toutes  parts  dès 
fes  plus  jeunes  ans  ,  fi  la,  crainte  de 
Dieu  ne  le  conduit  &  ne  le  modère  ? 
un  aftre  nouveau  &  malfaifant ,  qui 
n'annonce  que  des  calamités  à  la  terre. 
Plus  il  croîtra  dans  cette  fcience  fu-, 


l6?    DlM.    DE    LA    PaSSTON. 

nèfle  ,  plus  les  miferes  publiques  croî- 
tront avec  lui  :  Tes  entreprifes  les  plus 
téméraires  n'offriront  qu'une   foible 
digue  à  l'impétuofîté  de  fa  courfe  :  il 
croira  effacer  par  l'éclat  de  Tes  vi£loires 
leur  témérité  ou  leur  injuflice  :  Tefpé- 
rance  du  fuccès  fera  le  feul  titre  qui 
juilifîera  l'équité  de  Tes  armes  :  tout  ce 
qui  lui  paroitra  glorieux  ,    deviendra 
légitime  :  il  regarderais momens  d'un 
repos  fage  ôc  majeilueux,  comme  une 
oifiveté  honteufe  ÔC  des  momens  qu'on 
dérobe  à  fa  gloire  :  fes  voifins  devien- 
dront Tes  ennemis ,  dès  qu'ils  pourront 
devenir  fa  conquête  ;  fes  peuples  eux- 
mêmes  fourniront   de  leurs  larmes  ôC 
de  leur  fang  la  trifle  matière  de  fes 
triomphes  :   il  épuifera  5c  renverfera 
fes  propres  Etats  pour  en  conquérir  de 
nouveaux  ;  il  armera  contre  lui  les 
peuples  ôc  les  nations  ;  il  troublera  la 
paix  de  l'univers  ;  il  Ce  rendra  célèbre 
en  faifanc  de  millions  de  malheureux. 
Quel  fléau  pour  le  genre  humain  !  ôC 
s'il  y  a  un  peuple  fur  la  terre  capable 
de  lui  donner  des  éloges ,  il  n'y  a  qu'à 
lui  fouhaiter  un  tel  me  îcre. 

Repaffez  fur  tous  les  grands  talens 
qui  rendent  les  hommes  illuHres  ;  s'ils 
font  donnés  aux  impies  ,  c'eft  toujours 

pour 


Sur  la  Gloire  Humaine.  j6^ 
pour  le  malheur  de  leur  nation  &  de 
leur  fiecle.  Les  vaftesconnoiiTances  em- 
poifonnées  par  l'orgueil ,  ont  enfanté 
ces  chefs  &^ces  dodeurs  célèbres  de 
menronge,qui  dans  tous  les  âges  ont  le- 
vé l'étendard  du  fchifmeôc  de  l'erreur, 
6c  formé  dans  le  fein  même  du  Chriilia- 
nifme  les  Ce^es  qui  le  déchirent. 

Ces  beaux  efprits  (i  vantés ,  ÔC  qui 
par  des  talens  heureux  ont  rapproché 
leur  fiecle  du  goût  ôc  de  la  politefle  des 
anciens  ;  dès  que  leur  cœur  s'eft  cor- 
rompu ,  ils  n'ont  laiffé  au  monde  que 
des  ouvrages  lafcifs  ÔC  pernicieux  ,  ou 
le  poifon  préparé  par  des  mains  habi- 
les, infeâe  tous  les  jours  les  mœurs 
publiques ,  ôc  où  les  fîecles  qui  nous 
fuivront  .  viendront  encore  puifer  la 
licence  5c  la  corruption  du  nôtre. 

Tournez- vous  d'un  autre  côté.'com- 
ment  ont  paru  fur  la  terre  ces  génies 
fupérieurs,  mais  ambitieux  8c  inquiets, 
nés  pour  faire  mouvoir  les  reflbns  des 
Etats  ÔC  des  Empires ,  ÔC  ébranler  l'u- 
nivers entier  ?  Les  peuples  &  les  Rois 
font  devenus  le  jouet  de  leur  ambition 
ÔC  de  leurs  intrigues  :  les  dilTenfions 
civiles  ÔC  les  malheurs  domeftiques  ont 
été  les  théâtres  lugubres  y  où  ont^brilié 
leurs  grands  talens. 
Petit  Carême.  H 


170    DîM,  DE  LA  Pass  lO  ^?. 

Ua  feiîl  hoTiine  obfcur  avec  ces 
avantages  éminens  di  la  nature,  mais 
fgns  confcience  ôc  fans  probité  ,  a  pu 
s'élever  les  fiecles  pafîés  fur  les  débris 
de  fa  patrie,  changer  la  face  entière 
d'une  nation  voifme  5c  belliqueufe  ,  fî 
jaloufe  de  fes  loix  ÔC  de  fa  liberté  ;  fe 
faire  rendre  des  honin:iages  que  fes  ci- 
toyens difputent  même  à  leurs  Rois  ; 
renverfer  le  Trône,  6c  donnera  l'uni- 
vers le  fpeè^acle  d'un  Souverain  ,  dont 
la  couronne  ne  put  mettre  la  tête  fa- 
crée  à  couvert  de  l'Arrêt  inoui  qui  le 
condamna  à  la  perdre. 
/  Efprits  vaftes  ,  mais  inquiets  &  tur- 
bulens  ;  capables  de  tout  foutenir  hors 
le  repos  ;  qui  tournent  fans  celle  au- 
tour du  pivot  même  qui  les  fixe  ÔC  qui 
les  attache;  &.  qui  femblabîes  à  Sam- 
fon  ,  fans  être  animés  de  fon  efprit , 
aimentencore  mieux  ébranler  l'édifice 
ôcêtre  écrafé  fous  fes  ruines  ,  que  de 
ne  pas  s'agiter  8c  fiire  ufage  de  leurs 
talens  6c  de  leur  force.  Malheur  au  fie- 
cle  qui  produit  de  ces  hommes  rares  ÔC 
merveilleux  !  chaque  nation  a  eu  là- 
deiTus  fes  leçons  5c  fes  exemples  do- 
meftiques. 

Mais  enfin  ,  (î  ce  n*efl  pas  un  mal- 
keur  pour  leur  fiecle  ,  c'eft  du  moins 


Sur  la  Gloire  Humaine,  171 
un  malheur  pour  eux-mêmes  :  fembla- 
bles  à  un  navire  fans  gouvernail,  que 
des  vents  favorables  pouiTent  à  plei-i 
nés  voiles  ;  plus  notre  courfe  efl  rapi- 
de ,  plus  le  naufrage  efl:  inévitable. 
Rien  n'efl  fi  dangereux  pour  foi ,  que 
les  grands  talens  ,  dont  la  Foi  ne  règle 
p:is  l'ufage.  Les  vaines  louanges  qu'at- 
tirent ces  qualités  brillantes ,  corrom- 
pent le  cœur  j  ôc  plus  on  étoit  né  avec 
de  grandes  qualités ,  plus  la  corrup- 
tion efl  profonde  5c  défefpérée.  Dieu 
abandonne  l'orgueîl  à  lui-même  :  ces 
hommes  fi  vantés  expient  fouvent  dans 
la  honte  d'une  chute  éclatante  l'injuf- 
tice  des  âpplaudifiemens  publics  ;  leurs 
vices  déshonorent  leurs  talens.  Ces 
vafles  génies,  nés  pour  foutenir  l'Etat, 
ne  foit  plus  ,  dit  Job ,  que  de  foibles 
rofeaux  ,  qui  ne  peuvent  fe  foutenir 
eux  •  mêmes.  On  a  vu  plus  d'une  fois 
les  pierres  mêmes  les  plus  brillantes 
du  fan^tuaire  s'avilir  ,  éc  fe  traîner  in- 
dignement dans  la  boue  ;  8<:  les  plus 
grands  talens  font  fouvent  livrés  aux 
plu?  grandes  foibleffes  :  Qai  ducit  fa-  .  ,  ,  ^ 
ccrdotes  inglorlos  ^  &  opîimates  fup-  ig^  '^'' 
plantât. 


Hij 


172.  DîM.  DE  LA  Passion. 

Ijl  L- /E  s  fuccès  écîatans ,  5c  les  grands 
Partie,  cvénemens  ^^^^î  ics  fuivent  ,  ne  méri- 
tent pas  plus  de  louanges  dans  les  en- 
nemis de  Dieu  ,  6c  ne  leur  donnent 
pas  plus  de  droit  à  la  gloire  ,  que  leurs 
talens. 

Je  fais  que  le  monde  y  attache  de  la 
gloire;  ôc  que  d'ordinaire  chez- lui ,  ce 
ne  font  pas  les  vertus,  mais  les  fuccès, 
qui  font  les  grands  hommes.  Les  Pro- 
vinces conquifes,  les  batailles  gagnée?, 
les  négociations  difficiles  terminées  , 
le  Trône  chancelant  affermi  ;  voilà  ce 
que  publient  les  titres  6c  les  infcrip- 
tions',  &  à  quoi  le  monde  confacre 
des  éloges  &  des  monumens  publics , 
pour  en  immortalifer  la  mémoire. 

Je  ne  veux  pas  qu'on  abatte  ces 
marques  de  la  reconnoiflance  publi- 
que :  tout  ce  qui  efl  utile  aux  hommes, 
eft  digne  ,  en  un  fens  ,  de  la  recon- 
noilTance  des  hommes.  Comme  l'ému- 
lation donne  les  fujets  illuftres  aux 
Empires ,  il  faut  que  les  récompenfes 
excitent  l'émulation  ,  &  que  les  fuc- 
cès voient  toujours  marcheraprès  eux 
les  récompenfes., 

Le  gouvernement  politique  ne  fon- 
de pas  les  cœurs  ;  il  ne  pefe  que  les 


Sur  la  Gloire  Humaine.  17^ 
aérions.  H  eli  même  en  ce  genre  des 
erreurs  nécelîaires  à  Tordre  public  : 
tout  ce  qui  i'embellit  ,  doit  être  gîc- 
rieux  ;  &  les  mœurs  ou  les  motifs  qui 
ne  déshonorent  que  la  perfonne ,  ne 
doivent  pas  tenir  des  fuccès  qui  ont 
honoré  la  patrie. 

Mais,s'il  eft  permis  au  monde  d'exal- 
ter la  gloiîe  de  Tes  héros,  il  n'eft  pas 
défendu  à  la  vérité  de  ne  pas  parler 
comme  le  monde  :  hélas  !  il  en  eft  fi 
peu  qu'il  ne  dégrade  lui  même.  Ceux 
que  la  diftance  desternps  5c  des  lieux 
éloigne  de  Tes  regards  ,  font  les  feuls 
à  couvert  de  fes  traits  :  ceux  qui  vi- 
vent fous  fes  yeux  ,  n'échappent  guè- 
re à  fa  cenfure;  8c  il  celTe  de  les  ad- 
mirer 5  dès  qu'il  a  le  loifir  de  les  con- 
noître  :  ôc  en  cela  ne  Faccufons  point 
de  malignité  Se  d'injuflice  ;  il  faut 
l'en  croire  ,  puifqu'il  parle  contre  lui- 
même. 

Et  en  effet ,  percez  jufques  dans  les 
motifs  des  actions  les  plus  éclatantes 
&  des  plus  grands  événemens  :  tout 
en  eft  brillant  au  dehors,  vous  voyez 
le  héros  :  entrez  plus  avant  ,  cherchez 
l'homme  lui-même  :  c'eft  là  que  vous 
ne  trouverez  plus ,  dit  le  Sage  ,  que  Sap.  15, 
de  la  cendre  ôc  de  la  boue  :    Cinis  ejl  iq. 

Hiij 


174     C)IM.    DE    LA   PaSSIONT, 
cnimcor  ejus  i  &  terra  fupcrvacua^fpcs 
illius. 

L'ambition ,  la  jaloufie,  la  témérité, 
le  hafard  ,  la  crainte  fcuvent  ÔC  le  dé- 
fefpoir  ont  donné  les  plus  grands  fpec- 
tacles  ôc  les  événemens  les  pliis  bril- 
lans  à  la  terre.  David  ne  devoit  peiu- 
être  les  viâ:oires  &  la  fidélité  de  Joab , 
qu'à  fa  jaloufie  contre  Abner.  Ce  font 
fcuvent  les  plus  vils  reilbrts  ,  qui  nous 
font  marcher  vers  la  gloire  ;  ÔC  pref- 
que  toujours  les  voies  qui  nous  y  ont 
conduits ,  nous  en  dégradent  elles» 
mêmes. 

Auflî,  écoutez  ceux  qui  ont  appro- 
ché autrefois  de  ces  hommes  que  la 
gloire  des  fuccès  avoir  rendu  céle- 
.bres  :  fouvent  i^s  ne  leur  trouvoient 
de  grand  que  le  nom  ;  Ihom.me  défa- 
vouoit  le  héros:  leur  réputation  rou- 
glifoit  de  la  bafTefle  de  leurs  mœurs  6c 
de  leurs  penchans  :  la  familiarité  tra- 
hilToit  la  gloire  de  leurs  fuccès  :  il 
falloii  rappellerl'époque  de  leurs  gran- 
des avions  pour  fe  perfuader  que  c'é- 
toit  eux  qui  les  avoient  faites.  Ainfi 
ces  décorations  fi  magnifiques,  qui 
nouscblouiirent,^  quiembelllifent  nos 
hiîloires ,  cachent  fouvent  les  perfon- 
nages  les  plus  vris  6c  les  plus  vulgaires. 


Sur  la  Gloire  Humaine.  17$ 
Non  ,  Sire  ,  il  n'y  a  de  grand  dans 
les  hommes  que  ce  qui  vient  de  Dieu. 
La  droiture  du  cœur  ,  la  vérité  ,  l'in- 
nocence  6c  la  règle  des  mœurs ,  l'em- 
pire Cuv  les  pafTions ,  vciià  la  véritable 
grandeur,  Bc  la  feule  gloire  réelle  que 
perfonne  ne  peut  nous  difputer  :  tout 
ce  que  les  homm.es  ne  trouvent  que 
dans  eux  mêmes ,  eft  fali,  pour  ainiï 
dire  j  par  la  même  bouc  dont  ils  font 
formés.  Le  fige  tout  feul  dit  ul  grand 
Roi ,  eft  en  polT^ilion  de  ia  vériiable 
gloire  ;  celle  du  pécheur  n'efl:  qu'un 
opprobre  5c  une  ignominie:  Gioricm  Prov,^» 
fapientcs pojjïdebunî j  Jïulîorum  exalta-  35» 
tio  îgnominia» 

La  Pveligion  ,  la  piété  envers  Dieu, 
la  fidélité  à  tous  les  devoirs  qu'il  nous 
impofe  à  l'égard  des  autres  &  de  nous- 
mêmes  ,  une  confcience  pure  &  à  l'é- 
preuve de  tout  ;  un  cœur  qui  m.arche 
droit  dans  ia  jufiice  &  dans  la  vérité  ; 
fupérieur  à  tous  les  obiiacles  qui  pour* 
rolent  l'arrêter  ;  infenfible  à  tous  les 
attraits  rolTembiés  autour  de  lui  pour 
le  corrompre  ,  élevé  au  deiîus  de  tout 
ce  qui  fe  palTe ,  5c  fournis  à  Dieu  feul; 
voilà  la  véritable  gloire ,  ôc  la  baze  de 
tout  ce  qui  fait  les  grands  hommes.  Si 
vous  frappez  ce  fondement,  tout  l'édi- 

Hiv 


1^6  D  I  M.  DE  LA  Passion. 
fîce  s'écroule  ;  toutes  les  vertus  tom- 
bent ;   &  il  ne  r^fte  plus  rien  parce- 
qu'il  ne  refle  que  nous-nnêmcs. 

SiRE  ,  votre  règne  feroit  plein  de 
merveilles  ;    vous  porteriez  la  gloire 
de   votre  nom  jufqu'aux  extrêmitez 
de  la  terre;  vos  jours  ne  feroient  mar- 
quez que  par   vos  triomphes  ;  vous 
ajouteriez     de    nouvelles    couronnes 
à  celles  des  Rois  vos  ancêtres  ,  ]*uni- 
vers  entier  retentiroit  de  vos  louan- 
ges :  fi  Dieu  n'éroit  point  avec  vous  ; 
il  l'orgueil  plutôt  que  la  juilice  &  la 
piété   étoit  l'ame  de  vos  entrcprifes 
vous  ne  feriez  point  un  grand  Roi 
vos  profpérités  feroient   des   crimes 
vos  triomphes  ,  des  malheurs  publics 
vous  feriez  l'efFroi  &.  la  terreur  de  vos 
voifins  ;   mais  vous  ne  feriez  pas  le 
père  de  votre  peuple  :    vos  pafTions 
feroient  vos  feules  vertus  :  &   malgré 
les  éloges  que  l'adularion  ,  la  compa- 
gne imim.ortelle  des  Rois ,  vous  auroit 
donnez  ;   aux  yeux  de  Dieu  y  ôc  peut- 
être  même  de  la  poflérité  ,   elles  ne 
paroîtroient    plus   que  de    véritables 
vices. 

Ce  n'efl  donc  pas  cette  gloire  hu- 
maine j  grand  Dieu  !  que  nous  vous 
demandons  pour  cet  Enfant  auguile  : 


Sur  la  Gloire  Humaine.  177 
elle  paroît  déjà  peinte  fur  la  majefté 
de  fon  front  ;  elle  coule  même  dans 
fes  veines  avec  le  fang  des  Rois  fes 
ancêtres  ;  5c  vous  l'avez  fait  naître 
grand  aux  yeux  des  hommes ,  dès  que 
vous  l'avez  fait  naître  du  fang  des  Hé* 
ros  :  c'eft  la  gloire  qui  vient  de  vous» 
Rehauffez  les  dons  de  la  nature,  dont 
vous  l'avez  annobli  par  l'éclat  imm.or- 
tel  de  la  piété.  Ajoutez  à  tontes  les 
qualitez  aimables  qui  le  rendent  déjà 
les  délices  de  fon  peuple  ,  toutes  cel- 
les qui  peuvent  le  rendre  agréable  k 
vos  yeux.  LailTez  à  fa  naiffance  ôc  à  la 
valeur  de  la  nation  le  foin  de  cette 
gloire  qui  vient  du  monde  ;  nous  ne 
vous  demandons  ,  grand  Dieu  !  que 
de  veiller  au  foin  de  fa  confervation 
5c  de  fon  falut.  L'hifloire  de  fes  ancê- 
îres  eft  un  titre  qui  no^is  répond  de 
l'éclat  ôC  des  propérités  de  fon  règne  ;: 
mais  vous  feul  pouvez  répondre  de 
î'innocence  ôc.  de  la  fainteté  de  fa  vie;^ 
La  gloire  du  monde  efl  comme  i'héri- 
sage  qu'il  a  reçu  de  fes  pères  félon  la 
chair  ;  mais  vous  ,  grand  Dieu  !  qui- 
ètes fon  père  félon  la  foi ,  donnez^lul 
là  fagelTe  qui  eft  la  gloire  &  Fliérirag^ 
de  vos  en  fan  s. 

Que  foa  cœut  fok  toujours  emm 

Mii| 


17»  1^1  M.  DE  LA  Passion.  ' 

vos  mains ,  &  fon  cœur  fera  encore 
plus  grand  que  Tes  fuccès  &  fes  triom- 
phes :  qu'il  vous  craigne,  grand  Dieu! 
fes  ennemis  le  craindront  ;  fes  peuples 
l'aimeront  ;  il  deviendra  à  l'univers 
un  fpedacle  digne  de  l'admiration  de 
tous  les  fiecles ,  ôc  comme  nous  n'au- 
rons plus  rien  à  craindre  pour  fa  gloi- 
re*, nous  n'aurons  plus  rien  aufîî  à  fou- 
haiterpournotre  bonheur.  AinJifoitiL 


179 

Ifi-à-       H?-       -^       -*-       -«-       ■»-       -4-*^ 
ft^     \é-       -«-       Hjf-       "»-       4-       'è-  ^ 

1  .4.  •    .«.       HÎI-       4-        -4.       ^       -f  I 

SERMON 

POUR  LE  DIMANCHE 
DES    RAMEAUX. 

Sur  les  écueils  Ac  la  piété  des 
Grands. 

Ecce  R€X  tuus  venit  tibi  manfuetiis. 

Voici  votre  Roi  qui  vient  à  mous  ,  plein  de 
douceur.  Matth.  21.5. 

O  I  RE  , 

PAa-tout  ailleurs  Jefus-Chrift  fem- 
ble  n'exercer  qu'avec  une  forte  de 
ménagement  ,  les  foné^ions  éclatan- 
tes de  Ton  nniniftere.  Il  Ce  dérobe  aux 
emprefTémens  d'un  peuple  qui  veut 
rélever  fur  le  Trône  ;  il  choifit  le 
fommetfolitaire  d'une  montagne  écar- 
tée pour  manifefter  fa  gloire  à  trois 
Difciples  ;  les  dénions  eux  mêmes 
qui  veulent  la  publier,  font  forcés  par 
fes  ordres  de  la  cacher  6c  de  la  taire, 

Hvj 


%^.o  DîM.  DÈS  Rameaux. 

Aujourd'hui  il  paroît  en  Roi ,  Sc 
comme  un  Roi  qui  vient  prendre  pof- 
feflîon  de  fon  Empire  :  il  foulFre  des 
hommages  publics  ;  il  difpofe  en  maî- 
tre de  l'appareil  innocent  de  fon  triom- 
^îath.  ph^  •  ^i^i^^  9  <2"^'^  Dominus  his  opus 
|aE»4.>  habet.  Il  entre  dans  le  Temple  ;  bi  pat 
deschâtimens  éclatans  il  rend  à  ce  lieu 
facré  la  majefté  que  Findécence  d'un 
trafic  honteux  lui  avoit  ôtée.  Ce  n'efl 
plus  cet  homme  qui  fe  dérobe  aux  re- 
gards publics;  c'eft  le  fils  de  David  qui 
(danne  des  loix,  qui  exerce  un  autorité 
iiiprême  ,  ÔC  qui  veut  avoir  tout  Jéru- 
falem  pour  témoin  de  fon  zèle  6c  de  fa 
puiffance. 

Il  eft  donc  ici  le  modèle  de  la  piété 
àcs  Grandf.  Les  vertus  privées  ne  leur 
fuSiient  pas  ;  il  leur  faut  encore  les 
vertus  publiques  :  ce  iêroit  peu  de  les 
avoir  iufques  ici  exhortés  à  la  piété  j 
feilentiei  eft  de  leur  montrer  qu'elle 
€ft  la  piété  de  leurétat.Quoique  TEvaa- 
giîe  propofe  à  tous  la  même  doÔrine  ^ 
Mine  propofe  pas  à  tous  les  mêmes  ré- 
gies :  les  devoirs  changent  avec  Tétat  t 
iplus  il  eft  élevé  ^  plus  ils  fe  multiplient; 
plus  nos  places  nous  rendent  redeva- 
bles au  public  5  plus  elles  exigent  dès 
î^tm  PubliquÊS  ;  6c,  nouâ  devenQiis 


ECUEILS  DE  LA  PlETE'jgCC.    l^î 

mauvais,  fi  nous  ne  fommes  bons  que 
pour  nous-mêmes. 

Or  la  piété  des  Grands  a  trois  écueils 
à  craindre  ,  qui  peuvent  changer  ea 
wes  toutes  leurs  vertus. 

Premièrement,  une  piété  oifive  & 
renfermée  en  elle-même,  quiieséloi^ 
gne  des  foins  &  des  devoirs  publics. 

Secondement  ,  une  piété  foible  y. 
timide,  fcrupuleufe  ,  qui  jette  l'indé- 
cifion  dans  leurs  entreprifes  &  dans 
toute  leur  conduite. 

Enfin  ,  une  piété  crédule  6c  bornéej. 
facile  à  recevoir  l'imprefllon  du  préju- 
gé ,  incapable  de  revenir  quand  une 
fois  elle  l'a  reçue. 

C'eft-  à-  dire ,  qu'il  faut  à  la  piété  des 
Grands  la  vigilance  publique  ,  qui  fait 
agir  ;  le  courage  Se  l'élévation ,  qui 
font  décider  &  entreprendre  ;  enfin  , 
ou  les  lumières  qui  empêchent  ;  d'être 
furpris  ,  ou  une  noble  docilité  qui  fe 
fait  une  gloire  de  revenir  j  dès  qu'elle 
a  fenti  qu'on  Ta  furprife,^ 


L 


SIRE^ 


A  piété  véritable  efi:  Tordre  de  là      e 
ibciétéo-Elle  laifle  chacun  à  fa  place;fait  Partis^ 
sb  l'état  où  Dieu:  nous  a  placé  j^  rimi- 


lîi  DiM.  DES  Rameaux* 
que  voie  de  notre  falut  ;  ne  met  pas 
une  perfeâ:ion  chimérique  dans  des 
œuvres  que  Dieu  ne  demande  pas  de 
nous  ;  ne  fort  pas  de  l'ordre  de  fes  de- 
voirs pour  s*en  faire  d'étrangers  ;  6c 
regarde  comme  des  vices,  les  vertus 
qui  ne  font  pas  de  notre  état. 

Tout  ce  qui  trouble  l'harmonie  pu- 
blique eft  un  excès  de  ThommCjôC  non 
un  zèle  &  une  perfection  de  la  vertu: 
la  Religion  défavoue  les  œuvres  les 
plus  faintes  qu'on  fubftitue  aux  de- 
voirs ;  &.  l'on  n*eft  rien  devant  Dieu  , 
quand  on  n'eft  pas  ce  que  Ton  doit  être. 

Il  y  a  donc  une  piété, pour  ainfidire, 
propre  à  chaque  état.  L'homme  public 
n'eft  point  vertueux  s'il  n'a  que  les  ver- 
tus de  Ihomme  privé;  le  Prince  s'égare 
6c  fe  perd  par  la  même  voie  qui  auroil 
fauve  le  fujet  ;  6c  le  Souverain  en  lui 
peut  devenir  très  criminel ,  tandis  que 
rhomme  eft  irréprochable. 

Auiîî  k  premier  écueil  de  la  piété 
des  Grands  eft  de  les  retirer  des  foins 
publics  5c  de  les  renfermer  en  eux- 
mêmes.  Comme  l'indolence  &c  IVmour 
du  lepos  eft  le  vice  ordinaire  des 
Grands ,  il  devient  errore  plus  dange- 
reux &  plus  incorngible  ,  quand  ils  le 
couvient  du  prétexte  de  la  vertu.  La 


ECUEILS  DE  LA  PIETE%  5CC.  1S3 
gloire  peut  réveiller  quelquefois  dans 
les  Grands  rafToupiffement  de  la  paref- 
fe  ;  mais  celui  qui  a  pour  principe  une 

S>iété  mal-entendue,eften  garde  contre 
a  gloire  même,ÔC  ne  laiflfe  plus  de  ref- 
fource.  Un  refte  d'honneur  5c  de  ref- 
pe£t  pour  le  public  2>C  pour  la  place 
qu'on  occupe,  rompt  fou  vent  les  char- 
mes d'une  oifiveté  honteufe  ,  6c  rend 
aux  peuples  le  Souverain  qui  fe  doit  à 
eux  ;  mais  quand  ce  repos  indigne  eft 
occupé  par  des  exercices  pieux  ,  il  de- 
vient à  Tes  yeux  honorable  :  on  peut 
rougir  d'un  vice  ;  mais  on  Ce  fait  hon- 
neur de  ce  qu'on  croit  une  vertu. 

Mais,  Si  RE  5  un  Grand  ,  un  Prince 
n'eft  pas  né  pour  lui  feul  ;  il  fe  doit  à  fes 
fujets  :  les  peuples  en  l'élevant ,  lui 
ont  confié  la  puifTance  Sc  l'autorité,  ÔC 
fe  font  réfervés  en  échange  Ces  foins  , 
fon  temps,fa  vigilance.  Ce  n'eft  pas  une 
idole  qu'ils  ont  voulu  Ce  faire  pour  l'a. 
dorer;  c'eft  un  furveillant  qu'ils  ont 
mis  à  leur  tête  pour  les  protéger  ôc 
pour  les  défendre  :  ce  n'eft  pas  de  ces 
divinités  inutiles  qui  ont  des  yeux  & 
ne  voient  point,  une  langue  &  ne 
parlent  point,  des  mains  &  n'agiifent 
point',  ce  font  de  ces  Dieux  qui  les  pré- 
cèdent, comme  parle  rEcriture,  pour 


1^4  I^iM.  DES  Rameaux; 
les  conduire  &  les  défendre  :  ce  font 
les  peuples  qui ,  par  Tordre  de  Dieu  , 
les  ont  faits  tout  ce  qu'ils  font  j  c'eft  à 
eux  à  n'être  ce  qu'ils  font  que  pour  les 
peuples.  Oui,  Sire  ,  c'eft  le  choix  de 
îa  nation  qui  mit  d'abord  le  fceptre 
entre  les  mains  de  vos  ancêtres  :  c'eft 
elle  qui  les  éleva  fur  le  bouclier  milir 
taire  ôf  les  proclama  Souverains.  Le 
Royaume  devint  enfuite  l'héritage  de 
leurs  fucceffeurs  ;  mais  ils  le  durent 
originairement  au  confentement  libre 
des  fujets  r  leur  naiiTance  feule  les  mit 
enfuite  en  polTefTion  du  Trône  ;  mais 
ce  furent  les  fuffrages  publics  qui  atta- 
chèrent d'abord  ce  droit  &  cette  pré- 
rogative à  leur  naiifance  :  en  un  mot , 
comme  la  première  fource  de  leur  au- 
torité vient  de  nous,  les  Rois  n'en  doi^ 
vent  faire  ufage  que  pour  nous.  Les 
Hatteurs  ,  Sire,  vous  rediront  fans 
ceffe  ,  que  vous  êtes  le  maître  6c  que 
vous  n'êtes  comptableàperfonne  de  vos 
a£bions  :  il  eft  vrai  que  perfonne  n'ell 
en  droit  de  vous  en  demander  comp- 
te ;  mais  vous  vous  le  devez  à  vous- 
même ,  ô(  (î  je  Tofe  dire ,  vous  It  dever 
à  la  France  qui  vous  attend  ,  &  à  toute 
FEurope  qui  vous  regarde  :  vous  êtes 
k  lîiaitre  de  vos  fujets  3.  mais  vous  n'en^ 


ECUEILS  DE  LA  PlEXé  ,  8CC.    185 

aurez  que  le  titre ,  fi  vous  n'en  avez 
pas  ies  vertus  :  tout  vous  eft  permis  : 
mais  cette  licence  eft  l'écueil  de  l'auto- 
rité ,  loin  d'en  être  le  privilège  :  vous 
pouvez  négliger  les  foins  de  la  Royauté^ 
mais  comme  ces  Rois  fainéans  û désho- 
norés dans  nos  Hiftoires ,  vous  n'aurez 
plus  qu'un  vain  nom  de  Roi  ,  dès  que 
vous  n'en  remplirez  pas  les  fcknâiions 
auguftes. 

Quel  feroit  donc  ce  phantôme  de 
piété  qui  feroit  une  vertu  aux  Grands 
&  au  Souverain  de  craindre  5c  d'évi- 
ter la  diiTipation  des  foins  publics;  de 
ne  vacquer  qu'à  des  pratiques  religieu- 
fes  ,  comme  des  hommes  privés  ÔC 
qui  n'ont  à  répondre  que  d'eux-mê- 
mes ;  de  fe  renfermer  au  milieu  d'un 
petit  nombre  de  confidens  de  leurs 
pieufes  illufions ,  8c  de  fuir  prefque  la 
vue  du  refte  de  la  terre  ?  Sire  ,  un 
Prince  établi  pour  gouverner  les  hom- 
mes ,  doit  connoître  les  hommes  :  le 
choix  des  fujets  eft  la  première  fource 
du  bonheur  public;  6c  pour  les  choifîr, 
il  faut  les  connoître.  Nul  n'eft  à  fa  pla- 
ce dans  un  Etat  où  le  Prince  ne  juge 
pas  par  lui-  même  :  le  mérite  eft  négli- 
gé ,  parce  qu'il  eft  ,  ou  trop  modefte 
pour  s'emprelFer,  ou  trop  noble  pour 


1Î6   DiM.  DES  Rameaux. 

devoir  Ton  élévation  à  des  foliicita- 
tions  ÔC  à  des  baiTeffes  :  l'intrigue  fup- 
plante  les  plus  grands  talens  ;[de5  hom- 
mes fouples  5c  bornés  s'élèvent  aux 
premières  places,  6c  les  meilleurs  fu- 
jers  demeurent  inutiles.  Souvent  un 
David  feul  capable  de  fauver  l'Etat , 
n'employé  fa  valeur  dans  l'oi/iveté  des 
champs ,  que  contre  des  animauK  (au- 
vages  ;  tandis  que  des  Chefs  timides  , 
effrayés  de  la  feule  préfence  de  Goliath, 
font  à  la  tête  des  armées  du  Seigneur. 
Souvent  un  Mardochée  ,  dont  la  fidé- 
lité eil  même  écrite  dans  les  monu- 
mens  publics ,  qui  par  fa  vigilance  ,  a 
découvert  autrefois  des  complots  fu- 
neftes  au  Souveraine  à  l'empire,  feul 
en  état  par  fa  probité  5c  par  fon  expé- 
rience de  donner  de  bons  confeils  ôc 
d'être  appelle  aux  premières  places  , 
rampe  à  la  porte  du  Palais  ;  tandis  qu'un 
orgueilleux  Amian  ei\  à  la  rêre  de  tour, 
&abufede  fon  autorité  5c  de  la  con- 
fiance du  maître. 

Ainfi  les  fon£lions  effentielles  aux 
Grands  ne  font  pas  la  prière  ^  la  re- 
traite. Elles  doivent  les  préparer  aux 
foins  publics ,  5c  non  les  en  détourner; 
ils  doivent  Ce  fan^lifier  en  contribuant 
au  fcdut  §c  à  la  félicité  de  leurs  peu» 


ECUEîLS  DE  LA  PlETÉ  ,  &C.   1 

pies  ;  les  grâces  de  leur  état  font  des 
grâces  de  travail ,  de  foins ,  de  vigilan- 
ce :  quiconque  leur  promet  ,  dit  l'E- 
vangile ,  qu'ils  trouveront  Jefus-  Chrifl 
dans  le  défert ,  ou  dans  le  fecret  de 
leur  Palais ,  efl  un  faux  Prophète  :  Ecce  Mouh* 
in  defcrto ,  eccc  in  penctralibiis  ynolitc  H*  ^^' 
credere.  Ils  y  feront  feuis  6c  livrés  à  eux- 
mêmes.  Dieu  n'eft  point  avec  nous 
dans  les  fituations  qu'il  ne  demande  ' 
pas  de  nous  ;  &  le  calme  où  nous  nous 
croyons  le  plus  en  fureté,  fila  main  du 
Seigneur  ne  nous  y  conduit  ôc  ne  nous 
y  foutient  ,  devient  lui-même  le  gouf- 
fre qui  nous  voit  périr  fans  reiTource. 
Une  piété  oifive  &.  retirée  ne  fan£^ifie 
pas  le  Souverain  ,  elle  l'avilit  ôc  le  dé- 
grade. 

Et  quoi  !  Sire  :  tandis  que  celui  que 
fon  rang  ÔC  fa  nailfance  établiiTent  dé- 
poiîtaire  de  l'autorité  publique,  ferea- 
fermeroit  dans  l'enceinte  d'un  petit 
nombre  de  devoirs  pieux  8c  fecrets;  les 
foins  publics  feroieni  abandonnés  ;  les 
affaires  demeureroient  ;  les  fubalternes 
abuferoient  de  leur  autorité  ;  les  loix 
céderoient  la  place  à  l'injuilice  ÔC  à  la 
violence  ;  les  peuples  feroient  comme 
des  brebis  fans  pafteur  ;  tout  l'Etat 
dans  la  confufion  5c  dans  le  défordre  l 


i88  DiM.  DES  Rameaux. 

&  Dieu  ,  auteur  de  l'ordre  public, 
regarderoit  avec  des  yeux  de  complai- 
fance  une  piéié  oifive  qui  le  renver- 
fe  ?  K  les  peuples ,  expoiés  à  la  merci 
des  flots  5  n'auroient  pas  droit  de  dire 
à  ce  pilote  endormi  ÔC  infidtle  ,  avec 
plus  de  raifon  que  les  difciples  fur  la 
mer  ne  le  difoient  à  Jefus  Chrift  : 
Seigneur  ,  il  vous  eft  donc  indifférent 
que  nous  périfTions  ;  ÔC  notre  perte  ou 
notre  falut,  n'eft  plus  une  affaire  qui 
Mare.  4.  vous  intéreffe  ?  Magijîer  ,  non  ad  te 
3^*  pertinet  ,  quia  perimus  ?  La  Religion 
autoriferoit  donc  des  abus  que  la  rai- 
fon elle  même  condamne. 

Mais  la  Religion  elle-même  n'efl- 
elle  pas  nécelFairement  liée  à  l'ordre 
public  ?  elle  tombe  ou  s'affoiblit  avec 
lui.  Les  mœurs  fouffrent  toujours  de 
la  foibîefle  des  loix  :  la  confunon  du 
gouvernement  ell  aufTi  funefle  à  la 
piété  des  peiïples  qu'au  bonheur  des 
Empires  :  le  bon  ordre  de  la  fociéré  eft 
la  première  bafe  des  vertus  chrétien- 
nes ;  l'obfervance  des  Ipï'x.  de  l'Etat 
doit  préparer  les  voies  ^  celle  de  l'E- 
vangile. L'Egîife  ne  doit  compter  fur 
rien  dans  un  Empire  où  Je  gouverne- 
ment n'a  rien  de  fixe.  Auflî  les  Etats 
où  la  multitude  gouverne  ,  ôc  ceux  ou 


ECUEILS  DE  LA  PIETÉ,  8CC.    îSp 

elle  partage  la  puiiîance  avec  le  Sou- 
verain ,  fans  cefle  expofés  à  des  révo- 
lutions j  fe  départent  aufil  facilement 
des  loix  que  du  culte  de  leurs  pères; 
les  foulévemens  y  font  aufîi  impunis 
que  les  erreurs  ;  6c  c'efl  là  où  l'héréfie 
a  toujours  trouvé  fon  premier  afyle  ; 
elle  fe  fortifie  au  milieu  de  la  confu- 
iioa  des  loix  6c  de  la  foibleffe  de  l'au- 
torité :  elle  doit  toujours  fa  naiflance 
ou  fon  progrés  aux  troubles  &  aux  dif- 
feafions  publiques  :  les  ragnes  les  plus 
foibles  ôc  les  plus  agités  onr  toujours 
éiè  parmi  nous ,  comme  par-toiit  ail- 
leurs ,  les  règnes  funeftes  de  (on  ac- 
croifTement  ôc  de  fa  puilfance;  ôc  dès 
que  l'harmonie  civile  fe  dément,  tou- 
te la  Religion  elle  même  chancelle. 

AufTi  les  plus  faints  Rois  de  Juda  , 
Sire  ,  mêloient  les  devoirs  de  la  piété 
avec  ceux  de  la  Royauté.  Le  pieux 
Jofaphat  au  fortir  du  Temple  ,  où  il 
venoit  tous  les  jours  offrir  fes  vœux: 
Se  fes  facrifices  au  Dieu  de  fes  pères  , 
envoyoit  ,  dit  l'Ecriture  ,  dans  toutes 
les  villes  de  Juda  des  hommes  habiles 
ôc  des  Prêtres  éclairés ,  pour  rétablir 
l'autorité  des  loix  5c  la  pureté  du  culte 
que  les  malheurs  des  règnes  précédens 
avoient  fort  altérées. 


îpo    DîM.  DES  Rameaux. 

David  lui-même  ,  malgré  ces  pieux 
cantiques  qui  faifoient  Ton  occupation 
6c  Tes  plus  chères  délices  ,  ÔC  qui  inf- 
truiront  jufqu'à  la  fin  les  peuples  ÔC 
les  Rois  5  paroi  (Toit  fans  celle  à  la  tête 
de  fes  armées  5cdes  affaires  publiques; 
fes  yeux  étoient  ouverts  fous  tous  les 
befoins  de  l'Etat  ;  Sc  ne  pouvant  fuf- 
fire  feul  à  tout ,  il  alloit  chercher  juf^ 
qu'aux  extrémités  de  la  Judée  des 
hommes  fidèles  pour  les  faire  alTeoir 
à  fes  côtés  ôc  partager  avec  eux  les 
Pf.  100.  foins  qui  environnent  le  Trône  :  Oculi 
meicid  fidèles  terrœ^  utfcdcantmccum. 
Les  plus  pieuk  Kob  vos  prédécef- 
feurs ,  ont  toujours  été  les  plus  appli- 
qués à  leurs  peuples.  Celui  fur- tout 
que  l*Eglife  honore  d'un  culte  public, 
defcendoit  même  dans  le  détail  des 
différends  de  fes  fujets  ;  5c  comme  il 
en  étoit  le  père  ,  il  ne  dédaignoit  pas 
d'en  être  l'arbitre.  Jaloux  des  droits 
de  fa  Couronne  ,  il  vouloir  la  tranf- 
mettre  à  fes  fuccelTeurs  avec  le  même 
éclat  8c  les  mêmes  prérogatives,  qu'il 
l'avoir  reçue  de  fes  pères  :  il  croyoit 
que  l'innoceace  de  la  vie  feule  ne  fuf- 
fit  pas  au  Souverain  ;  qu'il  doit  vivre 
en  Roi ,  pour  vivre  en  Saint  ,•  6c  qu'il 
«e  fauroit  être  l'homme  de  Dieu ,  s*il 


ECUEÎLS  DE  LA  PIETÉ  ,   êCC  19! 
n*eft   pas    l'homme  de    Tes  peuples. 

Il  eft:  vrai  5  Sire  ,  que  la  piété  dans 
les  Grands  va  quelquefois  dans  un 
autre  excès.  Eiie  les  jette  dans  une 
multitude  de  foias  &  de  détails  inuti- 
les ;  ils  Ce  croient  obligé  de  tout  voir 
de  leurs  yeux ,  &  de  tout  toucher  de 
leurs  mains  :  les  plus  grandes  affaires 
les  trouvent  fouvent  infenfibîes ,  tan- 
dis que  les  plus  petits  objets  réveillent 
leur  attention  ôc  leur  zeie  :  ils  ont  les 
foilicitudes  de  l'homme  privé;  ils  n'ont 
pas  celles  de  l'homme  public  :  ils  peu- 
vent avoir  la  piété  du  fujet;  ils  n'ont 
pas  celle  du  Prince.  Ce  n'eftpas  à  eux 
cependant  à  abandonner  le  gouvernail 
pour  vaquer  à  des  fondions  obfcures , 
quin'inrérefTentpas  la  fureté  publique  ; 
leurs  mains  font  premièrement  defti- 
nées  à  manier  ces  relTorts  principaux 
des  Etats,  qui  font  mouvoir  toute  la 
machine  ;  &  tout  doit  être  grand  dans 
la  piété  des  Grands. 

Mil. 
Ais  fi  l'ina^f^ion  en  eft  le  premier  parties 
écueil ,  l'incertitude  8c  Tindécifion  , 
que  traîne  d'ordinaire  après  foi  une 
confcience  timide  5c  fcrupuleufe,  ne 
paroîlTent  pas  moins  à  craindre. 
Ce  n'eil  pas  que  je  prétende  autori-, 


Î92.  DiM.  DES  Rameaux. 
fer  ici  cette  fagelle  profane  ,  qui  fait 
toujours  marcher  les  intérêts  de  l'Etat 
avant  ceux  de  l'Evangile  ;  ni  cette  er- 
reur commune ,  qui  ne  croit  pas  l'exac- 
titude des  règles  de  l'Evangile  compa- 
tible avec  les  maximes  du  Gouverne- 
ment ÔC  les  intérêts  de  l'Etat. 

Dieu  ,  qui  eft  auteur  des  Empires  , 
ne  l'eft  il  pas  des  loix  qui  les  gouver- 
nent 1  A-t-il  établi  des  PuilTances  qui 
ne  puiffent  fe  Soutenir  que  par  le  cri- 
me 1  &  les  Rois  feroient-ils  Ton  ouvra- 
ge ,  sMs  ne  pouvoient  régner ,  fans  que 
la  fraude  5c  l'injuftice  fuHent  les  com- 
pagnes inféparables  de  leur  règne  ? 
N'efl:  ce  pas  la  jullice  ôc  le  jugement, 
qui  foutiennent  les  Trônes  ?  la  loi  de 
Dieu  ne  doir-elle  pas  être  écrite  fur 
le  front  du  Souverain  ,  comme  la  pre- 
mière loi  de  l'Empire  ?  Et  s'il  falloit 
toujours  la  violer  ,  pour  maintenir  la 
tranquilité  des  focietés  humaines , 
ou  la  loi  de  Dieu  feroit  faulTe,  ou  les 
focietés  humaines  ne  feroient  pas  l'ou-' 
vrage  de  Dieu. 

Quelle  erreur  ,  mes  Frères,  de  (e 
perfuader  que  ceux  qui  font  en  place,, 
ne  doivent  pas  regarder  de  fi  près  à 
la  rigidité  des  règles  faintes  !  que  les 
Empires  5c  les  Monarchies  ne  fe  mè- 
nent 


ECUEILS    DE    LA   ^lET^  ,  8CC.    T95 

nent  point  par  des  maximef;  de  Reli- 
gion -,  que  la  loi  de  Dieu  eft  îa  règle 
du  particulier,  mais  que  ies  Etats  ont 
une  règle  fupérieure  à  la  loi  de  Dieu 
même  ;  que  tout  tomberoit  dans  îa  lan- 
gueur ÔC  dans  l'inaction  ,  (î  les  maxi- 
mes du  Chriftianifme  conduifoientles 
aiFaires  publiques  ,  6c  qu'il  n'eft  pas 
pofTible  d'être  en  même- temps,  8C 
l'homme  de  l'Etat  6c  l'homme  de  Dieu! 

Quoi  !  mes  Frères  ,  la  juftice  ,  la 
vérité  ,  la  bonne  foi  feroient  funeiles 
au  gouvernement  des  Etats  &  des 
Empires  ?  la  Religion  ,  qui  fait  tout  le 
bonheur  ÔC  toute  la  fureté  des  peuples 
&  des  Rois,  en  deviendroitelle  même 
recueil  ?  un  bras  de  chair  foutiendroit 
plus  fûrement  ies  Royaumes ,  que  la 
main  de  Dieu  qui  les  a  élevés  ?  les 
peuples  ne  pourroient  devoir  l'abon- 
dance ôc  la  tranquillité  qu'à  la  fraude 
ôC  à  la  mau'/aife  foi  de  ceux  qui  les 
gouvernent  ?  6c  les  Miniftres  des  Rois 
ne  pourroient  acheter  que  par  la  perte 
de  leur  falut ,  le  falut  de  la  patrie  ? 
Quel  outrage  pour  la  Religion  6c  pour 
tant  de  bons  Rois  ,  qui  n'ont  régné 
heareufement  que  par  elle  / 

J^avoue,  SiaE  ,  que  iorfque  ieSouJ 
verain  eft  ambitieux  ,  6c  médite  des 

Petit  Carêmç.  l 


194   DîM.  DES  Rameaux. 
entreprifes    injuftes  ,  l'artifice  Sc    îâ 
lîiauvaife  foi ,  deviennent  comme  iné- 
vitables à  Tes  Miniflres  ,  ou  pour  ca-; 
cher  Tes  mauvais  delFeins,  ou  pour  co- 
lorer Tes  injuftices.  Mnis  que  le  Prince 
foit  jufte  5c  craignant  Dieu,  la  juftice 
&  la  vérité  fumront  alors  pour  foute- 
fiir  un  Trône  qu'elles-mêmes  ont  éle- 
vé :   l'habileté    de   fes    Minières  ne 
fera  plu?  que  dans  leur  équité  5c  dans 
leur  droiture  :  on  ne  donnera  plus  à 
ia  fraude  &  à  la  difîîmulation  les  noms 
pompeux  d'art  de  régner  ,  5c  de  fcien- 
ce  des  affaires.  En  un  mot  ,  donnez- 
nioi  des  Davids ,  Si  des  Pharaons  amis 
du   peuple  de  Dieu  ;  Se  ils  pourront 
avoir  des  Nathans  5c  des  Joiephs  pour 
leurs  MiniUres. 
S.Aug,      C'efl  donc  déshonorer  la  Religion  5 
de  av.     (jit  faint  Auguftin  ,  de  croire  qu'elle 
'        ne  doit  pas  être  confîjltée  dans  le  gou- 
vernement   des    Républiques  6c   des 
Empires.  Mais  c'eft  lui  faire  un  égal 
outrage  de  prendre  dans  une  piéré  mal- 
entendue  des  motifs  d'indécifion  6c 
d'incertitude  ,^  qui    entrevoient   par- 
tout les  apparences  du  mal ,  &  qui  op- 
pofent  fans  cefle  un  phantôme  de  Re-; 
ligion  aux  entreprifes  les  plus  juftes  5 
&  aux  maximes  les  plus  capitales. 


EcuEiLS  DE  LA  Pieté,  Sec.  19$ 
C'eft  à  la  fageffe  humaine  6c  cor- 
rompue à  être  incertaine  8c  timide  : 
toujours  enveloppée  fous  des  faufles 
apparences,  elle  doit  toujours  crain- 
dre qu'un  coup  d'oeil  plus  heureux  ne 
la  perce  enfin  ÔC  ne  la  démafque. 
Mais  la  fagelTe  qui  vient  du  ciel ,  nous 
rend  plus  décidés  ôC  plus  tranquilles  : 
on  marche  avec  bien  plus  de  fécurité, 
quand  on  ne  veut  marcher  que  dans 
la  lumière  :  l'homme"  vertueux  tout 
feul  a  droit  d'aller  la  tête  levée,  5c  de 
défier  la  prudence  timide  6c  incertaine 
de  l'homme  trompeur  :  une  fainte 
fierté  fied  bien  à  la  vérité. 

AufTi ,  c'ell  fe  faire  une  faufle  idée 
de  iâ  piété,  de  fe  la  figurer  toujours 
timide ,  foible  ,  indécife ,  Tcrupuleufe, 
bornée ,  fe  faifant  un  crime  de  Tes  de- 
voirs ,  6c  une  vertu  de  fcs  foibleiTes  ; 
obligée  d'agir,  8c  n'oTant  entrepren- 
dre; toujours  fufpendue  entre  les  in- 
térêts publics  5c  Tes  pieu  Tes  frayeurs  ; 
&  ne  faifant  ufage  de  la  Religion  ,  que 
pour  mettre  le  trouble  &  la  confusion, 
où  elle  auroit  dû  mettre  l'ordre  &  la 
règle.  Ce  font-là  les  défauts  que  les 
hommes  mêlent  fou  vent  à  la  piété  ; 
mais  ce  ne  font  pas  ceux  de  la  piété 
même  :  c'ell  le  caractère  d'un  efprit 


/ 


îc)6    DiM.  DES  Rameaux. 

foibie  5C  borné  ;  mais  ce  n'efî  pas  une 
fuite  de  l'élévation  ôc  de  la  fagclTe  de 
la  Religion  :  en  un  mot ,  c'eft  l'excès 
de  la  vertu  ;  mais  la  vertu  finit  tou- 
jours où  l'excès  commence. 

Non  ,  Sire  ^  la  piété  véritable  élevé 
l^efprit ,  annoblit  le  cœur  ,  affermit  le 
courage.  On  efl  né  pour  de  grandes 
chofes  5  quand  on  a  la  force  de  Ce 
vaincre  foi- même  :  l'homme  de  bien 
efl  capable  de  tout ,  dès  qu'il  a  pu  fe 
mettre  par  la  Foi  au  deïTus  de  tout  : 
c'efl  le  hafard  qui  fait  les  Héros  ;  c'eft 
une  valeur  de  tous  les  jours  qui  fait  le 
Jufle  :  les  paiïîons  peuvent  nous  placer 
bien  haut  ;  mais  il  n'y  a  que  la  vertu 
qui  nous  élevé  au  -  defTus  de  nous- 
mêmes. 

Quel  règne ,  Sire  ,  plus  glorieux  en  • 
Ifrsël  que  celui  de  Sa!omon,tandis  qu'il 
demeura  fidèle  à  la  loi  de  (es  pe^s  ? 
quel  gouvernement  plus  fage  6c  plus 
abfoiu  ?  tous  les  rsfinemens  de  poli- 
tique ont  ils  jamais  pouffé  (i  loin  l'art 
de  régner  ÔC  de  conduire  les  peuples  ? 
Quelle  gloire  ôC  quelle  magnificence 
environnoit  fon  Trône  ?  la  piété  en 
avililfoit  elle  la  majellé  ?  Quel  Prince 
vit  jamais  (es  fujets  plus  foumis  ;  fes 
voifins  s'ellimer  plus  heureux  de  fon 


ECUEILS  DE  LA  PIETÉ  ,  8CC.    197 

alliance  ;  ÔC  des  Souverains  à  la  tête 
des  Empires  plus  vaiies  hi  pluspuiiTans 
que  le  iien  ,  avoir  pour  fa  perfonne 
des  égards  6c  des  déférences  qu'ils  ne 
dévoient  pas  à  fa  Couronne  ?  Les  Sages 
ÔQS  autres  nations  ne  fe  regardoient- 
ils  pas  comme  des  infenfés  devant  lui  ? 
ne  venoit-on  pas  des  contrées  les  plus 
éloignées  admirer  Tordre  ÔC  l'harmonie 
qui  lui  faifoit  gouverner  tous  fes  fujets 
comme  un  feul  homme  ?  N'eft-ce  pas 
dans  les  préceptes  divins  qu'il  nous  a 
laiflss  5  que  les  Princes  apprennent  en- 
core tous  les  jours  à  régner  ?  5c  la  piété 
feroit  elle  recueil  du  gouvernement  , 
puifque  c'efl  elle  feule  qui  lui  valut  la 
fageiTe  ? 

Heureux,  s'il  ne  fut  pas  forti  de  fes 
premières  voies  ,  &  (1  les  égaremens 
de  fa  vieillefTe  n'euffent  pas  flétri  la 
gloire  de  fon  règne ,  êc  altéré  le  bon- 
heur de  fes  fujets  ?  Ils  ne  commencè- 
rent à  éprouver  des  charges  exceflives, 
&  ne  celTererit  d'être  heureux,  que  lorf- 
qu'il  cefla  lui-même  d'être  fidèle  à 
Dieu  •,  &:  que  corrompu  parles  femmes 
étrangères ,  il  ne  mit  plus  de  bornes  à 
{es  profufions  5c  à  TopprefTion  de  {e$ 
peuples  5  6c  prépara  à  fon  fiis  le  foule- 
vement  qui    fépara   dix   Tribus   du 

lii; 


198    DiM.  DÈS  Rameaux. 
Royaume  de  David  &  leur  donna  un 
nouveau  Maître. 

Hélas  !  les  iiommes  pour  excufer 
leurs  vices  cherchent  à  décrier  la  ver« 
tu  :  comme  elle  efl  incommode  aux 
pafTions  ,  ils  voudroient  fe  perfuader 
qu'elle  eft  funefte  à  la  conduite  des 
Etats  6c  des  Empires,  5c  lui  oppofer 
l'intérêt  public  ,  pour  fe  cacher  à  foi- 
même  l'intérêt  perfonnel  qui  feul  en 
nous  s'oppofe  à  elle.  La  crainte  du  Sei- 
gneur eft  la  feule  fource  de  la  vérita- 
ble fagefle  ;  &  ce  qui  met  l'ordre  dans 
l'homme  ,  peut  feul  le  mettre  dans  les 
Etats. 
in.  Tî 
«^^^^^^'.X-!;  Nfin  5  rindécifion  5c  l'incertitude 
fconduifent  fouvent  au  préjugé  Se  à  la 
furprife  ,  &  c'eft  le  dernier  écneil  de 
la  piété  des  Grands. 

Oui ,  mes  Frères ,  la  piété  a  fcs  er- 
reurs comme  le  vice.  Plus  on  aime  la 
vérité  ,  plus  tout  ce  qui  fe  couvre  de 
fes  apparences  peut  nous  fédnire  :  la 
vertu  fimple  8c  ilncere .  juge  des  autres 
par  elle-même  :  c'eft  prefque  toujours 
notre  propre  obliquité  ,  qui  nous  inf- 
truit  à  la  défiance  ;  on  eft  m.oins  en  gar- 
de contre  la  fraude  &  rartifice,  quand 
on  n'a  jamais  fait  ufage  que  de  la  droi- 


ECUEILS  DE  LA  PlEXé  ,  &C.   I99 

tiire  ÔC  de  la  fimplicité  ;  &  les  Juftes 
font  plus  expofez  à  être  furprls,  parce- 
qu*ils  ignorent  eux-mêmes  l'art  de  fur- 
prendre. 

Mais  c'efl  dans  les  Grands  fur- tout, 
Sire  ,  que  la  pleié  doit  craindre  les  pré- 
jugés 6c  la  furprife.  Outre  que  les  fuites 
en  font  plus  dangereu  Tes,  c'eftque  nés, 
difoit  autrefois  AiTuerus  •  plus  droits 
&:  plus  finceres  ,  ils  font  d'autant  plus 
fufceptibles  de  préjugés,  qu'ils  aiment 
moins  la  peine  del'eKamen  5c  Temibar- 
ras  xle  la  défiance  ,  &  qu'ils  trouvent 
plus  court  5c  plus  aifé  de  juger  fur  ce 
qu'on  leur  dit ,  que  de  l'approfondir 
éc  de  s'en  convaincre  :  Dumaurcs  prin-  jrjih,  16^^ 
cipumjïmplicesj  &  exfiia  natura  alios  6, 
ajîimantes  ,  calUdâ  fraude  dccipiunt. 

Et  de  combien  de  fortes  de  préju- 
gés la  piété  dans  les  Grands  ne  peut- 
elle  pas  les  rendre  capables?  Préjugée 
de  crédulité.  C'eft  la  piété  elle-même 
qui  ouvre  fouvent  leurs  oreilles  à  la 
malignité  de  la  calomnie  ;  &  plus  ib 
aiment  la  venu  ,  plus  aifément  on  leur 
rend  fufpeâis  de  difiblution&de  vice  , 
ceux  qu'une  baife  jaloufie  a  intérêt  de 
perdre.  Mais  tout  zèle  ,  qui  cherche  à 
nuire,  doit  leur  être  fufpeéît:.  La  vérita- 
ble piété  y  ou  ne  croit  pas  facilement  le 

I  iv 


zoo  DiM.  DES  Rameaux. 
mal  5  ou  loin  de  le  publier ,  le  cache  dii 
moins  &  Texcufe  :  elle  ne  cherche  pas 
à  rendre  fon  frère  odieux  à  Tes  maî- 
tres ;  elle  ne  cherche  qu'à  le  réconcilier 
avec  Dieu  :  les  délations  fecrettes  fe 
propofent  plus  le  renverfement  de  la 
fortune  d'autrui,  que  le  règlement  de 
Tes  mœurs  ;  &  d'ordinaire  le  délateur 
découvre  plus  Tes  propres  vices ,  que 
les  vices  de  Ton  frère. 

Préjugés  de  confiance.  L'hypocrite 
prend  fouvent  auprès  d'eux  la  place  de 
l'homme  de  bien  :  ils  donnent  aux  ap- 
parences de  la  piété  l'accès  5  les  places , 
la  confiance  ,  qui  n'étoient  dueç  qu'à 
la  piété  elle-même  :  ils  chargent  de 
foins  publics  ceux  qui  par  leurs  lumiè- 
res bornées  n'étoient  nés  que  pour  va- 
quer aux  fonâ:ions  les  plus  obfcures  : 
des  mœurs  réglées  tiennent  lieu  auprès 
d'eux  des  plus  grands  talens  ôc  des  fer- 
vices  lespîus  importans  ;  6c  ils  décrient 
la  vertu  par  les  faveurs  mêmes  dont  ils 
l'honorent. 

Enfin  5  préjugés  de  zèle.  C'eft  ici  où 
les  Princes  les  plus  pieux  ont  trouvé 
fouvent  dans  leur  zeîe  même  l'écueil 
de  leurpiété:  les  Conftantinsjes  Théo- 
dofes  onr  vu  autrefois  leur  amour  pour 
TEglife  fe  tourner  contre  l'Eglife  mê- 


ECUEÎLS  DE  LA  PIETÉ  ,  êCC.    201 

me  5  5c  favorifer  l'erreur  par  un  zèle 
de  la  vérité.  Les  Princes  ,  Sire  ,   ne 
doivent  toucher  à  la  Religion  que  pour 
la  protéger  ôc  pour  la  défendre  :  leur 
zèle  n'eft  utile  à  1  Eglife,  que  lorfqu'il 
eft  demandé  par  les  Palleurs  :  les  foili- 
citations  des  dépofitaires  de  la  doélri- 
nés  font  les  feules  qui  doivent  avoir  du 
crédit  auprès  d'eux ,  lorfqu'il  s'agit  de 
la  âo&inne  elle-même  ;  toute  autre  voix 
que  la  voix  unanime  des  Pailcurs  doit 
leur  être  fufpe£te.  C'efî  ici  où  ils  ne 
doivent  fe  réserver  que  Ihonneur  de  la 
proteâion  ,   6c  leur  laifTer  celui  de  la 
décifion  &  du  Jugement.  Les  El\  êques 
font  leurs  fujets  ;   mais  ils  font  leurs 
pères  félon  la  Foi  :   leur  nailTance  les 
foumet  à  Tautorité  du  liône  :  mais 
fur  les  myileres  de  la  Foi  ,    Tautorité 
du  Trône  fait^gloire  de  fe  foumettre  à 
celle  de  î'Eglife.  Les  Princes  n'en  font 
que  les  premiers  en  fans  ;  5c  nos  Rois 
ont  toujours  regardé  le  titre  de  (es  fils 
<tînés  j  commue  le  plus  beau  titre  de  leur 
Couronne  :  ils  n'ont  point  d'auirc  droit 
que  de  faire  exécuter  fes  décrets  ;    5c 
ens'y  foum.ettapt  les  prem.iers,  donner 
l'exemple  de  la  foumiffion  aux  autres 
Fidèles.  Dès  qu'ils  ont  voulu  aller  plus 
loin  jôc  ufurper  fur  la  doibrine  un  drok 

I  V 


loi  DiM.  DES  Rameaux. 
réfervé  au  Sacerdoce  ,  ils  ont  aigri  îei 
maux  de  l'Eglife  loin  d'y  renr/édier  : 
leurs  tempéramens  ont  été  de  nouvel- 
les plaies  Se  ont  enfanté  de  nouveaux 
excès  :  toutes  les  conciliations  inventées 
pour  calmer  les  efprirs  rebelles  &  les 
ramener  à  l'unité ,  les  ont  autorifés 
dans  ieur  réparation  6c  leur  révolte  ,  bC 
leur  autorité  a  toujours  perpémé  les 
erreurs  ,  quand  elle  a  \culuTe  mêler 
toute  feule  de  les  rapprocher  de  la  véri- 
té. Ils  peuvent  environner  l'Arche  ti  la 
garder  comme  David  ;  mais  ce  n'eft 
pas  à  eux  à  y  porter  les  mains  :  le  Trône 
eft  élevé  pour  être  l'appui  5t  l'aTyle  de 
la  do£^rine  faitue  ;  mais  il  ne  doit 
jam^'ais  en  être  la  règle  ,  ni  le  Tribunal 
d'où  partent  fes  décifions. 

Hclas  !  fi  les  paiîîons  5c  les  intérêts 
humainî^n'environnoient  pas  le  Trône, 
fans  doure  la  piété  des  Souverains  fe- 
roit  la  plus  fûre  relTource  de  i  Egiife  ; 
mais  fouvent ,  ou  l'on  fait  agir  leur  re- 
ligion'contre  leurs  propres  ir!té»*êts,  ou 
Ton  fe  fert  du  vain  prétexte  de  leurs 
intérêts  ,  pour  les  faire  agir  contre  la 
Religion  même. 

Les  préjugés  font  donc  prefque  iné- 
vitEbles  à  la  piété  des  Grands  ;  mais 
c'ell  i'obilination  dans  le  préjugé,  qui 


I 


ECUEILS  DE  LA  PIETÉ,  5CC.    20^ 

rend  le  mal  plus  incurable.  Il  ne  lui  eft 
pas  honteux  d'avoir  pu  être  furpris  : 
hélas  !  comment  pouproient-ils  s'en  dé- 
fendre? Tout  ce  qui  les  environne  pres- 
que s'érudie  à  les  tromper;  eil-il  éton- 
nant que  rattention  fe  relâche  quel- 
quefois ,  ôc  qu'ils  puiik.'nt  Ce  laifTer 
féduire  ?  L'artifice  eft  plus  habile  6ç 
plus  perfévérant  que  la  défiance  ;  Il 
prend  toutes  les  formes,  6c  met  à  pro- 
fit tous  pes  momens  ;  &  quand  tous 
ceux  prefque  qui  nous  approchent  , 
ont  intérêt  que  nous  nous  trompions, 
nos  précautions  elles-mêmes  les  aident 
fouvent  à  nous  conduire  au  piège. 

Mais  ,  SiRÇ  ,  s'il  n'eft  pas  honteux 
aux  Princes  d'être  furpris  ,  malheur 
inévitable  à  l'autorité  fuprême  ,  il  leur 
eft  glorieux  d'avouer  qu'ils  ont  pu 
l'être  ;  rien  n'eft  plus  grand  dans  le 
Souverain  ,  que  de  vouloir  être  dé- 
trompé ,  &C  d'avoir  la  force  de  con- 
venir foi-mémede  fa  méprife.  Aftuérus 
ne  crut  point  déroger  à  la  majefté  de 
l'Empire  ,  en  déclarant ,  même  par  un 
Edit  public ,  que  fa  bonne- foi  a  voit  été 
Turprife  par  les  artifices  d'Aman.  C'eft 
,_un  mauvais  orgueil  de  croire  qu'on 
ne  peut  avoir  tort  ;  c'qft  une  foibleffe 
de  nVfef  reculer,  quand  on  fent  qu'ch 

I  vj 


104  DiM.  DES  Rameaux. 
nous  a  fait  faire. une  faufle  démarche  ; 
les  variations  qui  nous  ramènent  au 
vrai  ,  aftermiffent  l'autorité  ,  loin  de 
raiFoiblir  :  ce  n'efi:  pas  fe  démentir  , 
que  de  revenir  de  fa  méprife.  Ce  n'eft 
pas  montrer  aux  peuples  Tinconftance 
du  Gouvernement  ;  c'eft  leur  en  étaler 
l'équité  ÔC  la  droiture.  Les  peuples  fa- 
vent  aflez  8c  voient  aiTez  fouvent  , 
que  les  Souverains  peuvent  fe  trom- 
per ;  mais  ils  voient  rarement  qu'ils 
fâchent  fe  défabufer  5c  convenir  de 
leur  méprife  :  il  ne  faut  pas  craindre 
qu'ils  refpeâent  moins  la  puiffance  , 
qui  avoue  fon  tort  5c  qui  fe  condamne 
elle  même;  leur  refpetk  ne  s'afFoiblit 
qu'envers  celle ,  ou  qui  ne  le  connoît 
pas ,  ou  qui  le  juflifie  ;  &  dans  leur 
efi^rit  rien  ne  déshonore  l'autorité  que 
la  foible^fe  qui  fe  laiffe  furprendre  ,  6c 
la  mauvaife  gloire  qui  croiroit  s'avilir 
en  convenant  de  fon  erreur  ÔC  de  fa 
furprife. 

SîRE,  fermez  l'oreille  aux  mauvais  , 
confeils  &  aux  infinuations  dangereu- 
fes  de  l'adulation  :  mais  comme  elles 
fe  couvrent  du  voile  du  bien  public, 
^  que  tôt  ou  tard  elles  trouvent  accès 
ÊLîprès  du  Trône  ;  fi  l'inattention  vous 
h$  a  fait  fuivre  ,  que  l'intérêi  feul  de 


ECUEILS  DE  LA  PIETÉ  ,  &C.  10$ 
votre  gloire  ,  quand  vous  ferez  dé- 
trompé ,  vous  le  fafTe  à  l'inftant  défa- 
vouer.  Il  eft  encore  plus  glorieux  d'a- 
vouer fa  furprife  ,  que  de  n'avoir  pas 
été  furpris  :  rien  n'ed  plus  beau  dans 
le  Souverain  ,  qui  ne  dépend  de  per- 
fonne ,  que  de  vouloir  toujours  dépen- 
dre de  ia  vérité.  On  craindra  de  vous 
împofer ,  quand  l'impofture  &  l'adula- 
tion démafquées  n'auront  plus  à  atten- 
dre que  votre  défaveu  &  votre  colère. 
C'eft  l'orgueil  des  Rois  tout  feul ,  qui 
autorife  Ôc  enhardit  les  adulations  6c 
les  mauvais  confeils  :  6c  s'il  eft  vrai , 
que  ce  font  d'ordinaire  les  adulateurs 
qui  font  les  mauvais  Rois  ,  il  eft  enco- 
re plus  vrai  que  ce  font  les  mauvais 
Rois ,  qui  forment  ÔC  multiplient  les 
adulateurs. 

C'eft  en  évitant  ces  écueils  ,  que  îa 
piété  des  Grands  deviendra  refpeéta- 
ble  ;  qu'ils  lui  rendron-  la  gloire  &  la 
dignité  que  les  dérifions  du  monde  ou 
les  foibleiTes  de  la  fauffe  vertu  lui  ont 
prefque  ôtée;  ôc  qu'on  n'entendra  plus 
fe  perpétuer  parmi  les  bom  mes  ce  blaf- 
phême  (i  injurieux  à  la  Religion  :  Que 
les  Princes  pieux  font  les  moinspiopres 
à  gouverner  ;  5c  qie  la  pieté  peut  en 
faire  de  grands  Saints,  mais  qu'elle 


'ro6    DiM.  DES  Rameaux. 
n'en   faira  jamais  de    Grands   Roîs. 

Puiflent  ces  difcours  licencieux  , 
Sire  ,  ne  jamais  bleffer  l'innocence  de 
vos  oreilles  !  mais  Ci  l'adulation  ofe  les 
porter  un  jour  jufques  aux  pieds  de 
votre  Trône  ,  qu'il  en  forte  des  éclairs 
&  des  foudres  ,  pour  confondre  ces 
ennemis  de  la  Religion  &  de  votre 
véritable  gloire.  Ecoutez  ces  adula- 
tions impies ,  comme  des  blafphêmes 
contre  la  majeilé  des  Rois  ;  comme  des 
outrages  faits  à  vos  plus  glorieux  ancê- 
tres ;  aux  Charlemagnes,  aux  S  Louis, 
à  votre  auguile  Bifaïeul.  C'ed  par  une 
piété  tendre  &C  fincere  ,  qu'ils  devin- 
rent des  grands  Rois  ;  leur  zeie  pour  la 
Religion  les  a  encore  plus  illuflrésque 
leurs  vî(^oires  ;  les  louanges  que  TE- 
glife  leur  donnera  à  jamais  ,  dureront 
autant  que  lEglife  elle-même  ;  leurs 
grandes  aérions ,  ou  auroientété  enfé- 
velies  dans  la  révolution  des  temps,  ou 
n'euilent  eu  qu'un  éclat  vulgaire  ,  fila 
piété  ne  les  eût  immortalifées. 

Soyez  ,  Sire  ,  comme  eux  le  défen- 
feur  de  la  gloire  de  Dieu  ,  ôc  il  ne  per- 
mettra pas  que  la  vôtre  s'efface  jamais 
de  la  mémoire  des  hommes.  Juilifiez  ^ 
en  vous  pronofant  ces  grands  modèles , 
que  la  j^htè  ne  déshonore  point  les 


ECUEILS  DE  LA  PIETÉ  ,  5CC.  207 
Rois  ;  que  les  paiïîons  toutes  feules 
aviliflent  le  Trône  &  dégradent  le  Sou- 
verain ;  qu'on  n'eft  pas  digne  de  régner, 
quand  on  ne  règne  pas  fur  foi- même  , 
ÔC  que  pour  être  dans  les  âges  fuivans 
aufTi  grand  qu'eux  aux  yeux  des  hom- 
mes 5  il  faut  avoir  été  comme  eux  fidè- 
le à  Dieu. 

Grand  Dieu  !  plus  le  Trône  eft  en- 
vironné de  pièges  ,  plus  les  Rois  ont 
befoin  que  vous  les  environniez  de 
votre  proteâion  ,  5c  des  fecours  de 
votre  grande  miféricorde  :  mais  plus 
une  tend»  e  jeunelTe  ÔC  une  enfance  dé- 
laiffée  à  elle-même  Se  à  tous  les  périls 
de  la  royauté ,  expofe  cet  Enfant  au- 
gufte  ,  plus  il  doit  devenir  robjet  de 
vos  foins  ^  de  votre  tendreile  pater- 
nelle. 

Armez  de  bonne  heure  l'innocence 
de  fon  cœur  contre  les  dériiions  qui 
aviliiTent  la  piété  ,  ôc  contre  les  écueiis 
de  la  piété  même  :  donnez  lui  ces  ver- 
tus ,  qui  fanâ:ifient  Thomm^e  5c  qui 
font  en  môme  temips  le  grand  Roi.  Fai- 
tes qu'il  refpefle  ceiiX  qui  vous  fer- 
vent; ^"l  qu'il  ferve  lui  même  le  Dieu 
de  fes  pères  avec  cette  majeflé  ,  qui 
feule  peut  rendre  les  Rois  refpe£ta- 


io§    DiM.  DES  Rameaux. 

Jettez  les  yeux  fur  lui  du  haut  du 
ciel  ,  grand  Dieu  !  ÔC  voyez  ici  à  vos 
pieds  cet  enfant  augufte  5c  précieux  5 
la  feule  reifource  de  la  Monarchie  , 
l'Enfant  de  l'Europe  ,  le  gage  facré  de 
la  paix  des  peuples  Se  des  nations  :  les 
entrailles  de  votre  miféricorde  n'en 
font  elles  pas  émues  ?  regardez-le  5 
grand  Dieu  !  avec  les  yeux  &  la  ten- 
dreffe  de  toute  la  nation. 

Ecoutez  la  prerrieîe  voix  de  fon 
cœur  innocent ,  qui  vous  dit  ici ,  com- 
me autrefois  un  Saint.  Roi  :  Dieu  de 
mes  pères  ,  regardez  moi  :  laiflez- 
vous  toucher  de  piété  à  la  vue  des  périls 
que  mon  âge  ai.  mon  rang  me  prépa- 
rent ,  &  qui  vont  m'entourer  de  toutes 
Pf,  8j.  parts  au  fortir  de  Tenfance  :  Refpice  in 
^^*  me  ù  mifererc  mei:  foyez  vous-même 
le  défenfeur  de  mon  Trône  5c  de  ma 
jeuntlfe  :  confervez  FEmpire  à  TEnfant 
de  tant  de  Rois,  ôc  qui  neconnoît  pas 
de  titre  plus  glorieux  que  d'être  le  pre- 
mier-né de  Vos  Enfans  :  Dd  imperium 
pucro  tuo. 

Mais  que  la  confervation  d'une 
Couronne  terreflre  ,  grand  Dieu  !  ne 
foit  pas  le  feul  de  vos  bienfaits.  Sau- 
vez le  Eils  d'Adélaïde,  à^s^  Blanches, 
des  Clotildes  j   ôC  de  tant  de  pieufes 


ECUEILS  DE  LA  PlETli  ,  5CC.  lOp 
Princeffes ,  qui  me  portent  encore  de- 
vant vous  dans  leur  fein  5  comme  l'en- 
fant de  leur  amour  ÔC  de  leurs  plus 
chères  efpérances  :  Etfalvumfacfilium 
ancillœ  tuez  :  &  puifque  Tinnocence 
attire  toujours  fur  elle  vos  regards  les 
plus  propices  ôc  les  plus  tendres  ;  con- 
fervez-la  mol  5  grand  Dieu  !  auffi  long- 
temps que  ma  couronne  :  afin  qu'après 
avoir  régné  par  vous  heureufemenr  fur 
la  terre,]^^  puiiFe  régner  avec  vous  éter- 
nellement dans  le    Ciel  AinfiJoit-iL 


,«T     .éh.     --j-js. 


iro 

SERMON 

POUR 
LE    VENDREDI    SAINT. 

Sur  les  ohjlacles  que   la  vérité  trouve 
dans  le  cœur  des  Grands» 

Aftiterunt  Reges  terrs  ,  &  Principes  con- 
venerunt  in  unum  ,  adversùs  Dominum  ,  8c 
adversùs  Chriilum  ejus. 

Les  Rois  de  la  terre  fe  font  pré  fentes  ,  & 
les  Princes  fe  font  aJJ'emblés  contre  le  Seigneur 
&  contre  fon  Chrijl.  Pf.  2.  2. 

O  IRE, 

TOUTES  les  PuifTances  de  la  terre 
femblent  fe  réunir  aujourd'hui , 
pour  condamner  Jefus  Chrilt  à  la  mort; 
ÔC  la  mort  de  Jefus-Chrift  n'eft  qu'une 
condamnation  éclatanfe  des  pafîions 
des  Grands  Se  des  Fuiffans  de  la  terre. 
C'efl  un  Pontife  éternel  qui  s*oiFre 
lui-même  pour  fon  peuple  comme  la 


Sur  les  Obstacles  ,  Sec.  m 
feule  vi6lime  capable  d'expier  Ces  ini- 
quités ,  ^  d'appaifer  la  colère  de  Dieu: 
c'eft  un  iMiniftre  6c  un  Envoyé  de  fon 
perejqui  rend  témoignage  par  fon  fang 
à  la  vérité  ,  de  fa  miiTion  5cde  fon  Mi- 
niilerej  c'eft  un  Roi  qui  entre  en  pof- 
fefTion  par  fa  mort  de  TEmpire  de  l'uni- 
vers :  il  réunit  en  fa  per Tonne  tous  les 
titres  glorieux  dont  l'orgueil  des  hom- 
mes fe  pare. 

Cependant  ce  Pontife  eft  livré  au- 
jourd'hui par  la  jaloufie  de?  Grands- 
Prêtres  ;  ce  Miniilre  §C  cet  Envoyé  du 
Ciel  oppofe  envain  fon  innocence  à 
l'ambition  &  à  la  lâcheté  d'un  Miniflre 
de  Céfar:  ce  Roi  ,  à  qui  toutes  les  na- 
tions ont  été  données  comme  fon  héri- 
tage 5  devient  le  jouet  de  l'indifférence 
6c  de  la  vaine  curiofiré  d'un  Roi  ufur* 
pateur  de  la  Judée.  Il  falloir  que  tout 
ce  qui  porte  le  nom  de  Grand  fur  la 
terrcja  jaloufie  des  Pontifes,  la  lâche- 
té de  Pilate ,  &.  l'indifférence  d'Héro- 
de  ,  en  condamnant  Jefus-Chriil: ,  fif- 
fent éclater  fa  glandeur&  fapuiflance: 
Ajîitcrunî  Regcs  terrce  ,  &c. 

De  toutes  les  inftruâ:ions  que  nous 
offre  aujourd'hui  le  fpeâ:acle  de  la 
Croix,  il  n'en  ell  pas  ici  de  plus  con- 
venable :  6c  puifque  nous  ne  faurions 


tïi  Vendredi  Saint, 
en  expofer  à  votre  piété  toutes  les  cir- 
confiances .  contentons  nous  de  vous 
y  montrer  les  obftacles  que  la  vérité 
trouve  dans  le  cœur  des  Grands  de  la 
terre  ;  c'eft  à  dire  ,  Jelus-Chrift  con- 
damné à  la  fïïort  par  les  pafTions  des 
Grandsjôc  les  pafllons  des  Grands  con- 
damnées par  la  mort  de  Jefus  Chrifl. 

SIRE, 

I.  A-jA  vérité  ,  toujours  odieufe  aux 
Partie.  Qj^nds  ,  trouve  encore  aujourd'hui 
fur  la  terre  les  mêmes  ennemis  qui  l'at- 
tachèrent autrefois  avec  Jefus-Chrift 
fur  la  Croix  :  la  jaloufie  la  perfécute  ; 
un  lâche  intérêt  la  facrifie  ;  FindifFé- 
rence  la  méprife  &  la  tourne  même 
en  ri  fée. 

Mais  de  toutes  les  pafîîons  que  les 
hommes  oppofent  à  la  vérité ,  la  jalou- 
fie eft  la  plusdangereufe,  parce  qu'elle 
eft  la  plus  incurable,  C'eft  un  vice  qui 
mené  à  tout,  parce  qu'on  fe  le  déguife 
toujours  à  ^3i-même,  c'eft  l'ennemi 
éternel  du  mérite  6c  de  la  vertu  ;  tout 
ce  que  les  hommes  admirent ,  l'en- 
flamme &:  l'irrite;  il  ne  pardonne  qu'au 
vice  5c  à  robfcurité  ;  6c  il  faut  être  in- 
digne des  regards  publics  pour  méri- 
ter fes  égards  6c  fon  indulgence. 


Sur  les  Obstacles  ,  &c.  213 
Si  les  prodiges  de  Jeuîs  •  Chrift 
avoient  moins  éclaté  dans  la  Judée., 
les  Princes  des  Prêtres  îriOins  éblouis 
de  fa  gloire  ,  ne  lui  eulîeni  pas  diîputé 
fon  innocence  ;  6c  ieur  zèle  jaloux  ne 
Pauroit  pas  trouvé  digne  de  mort,  s'il 
ne  l'eut  été  des  louanges  Ôc  des  accla- 
mations publiques  :  Quid  facinius  y 
quia  hic  homo  înulîa  fignaficit  1 

Telle  ed  l'imprefTion  de  haine  &  de  Joan,  ir; 
jaîoufie  que  la  grande  renommée  de  47* 
Jefus-Chrin:  fait  fur  le  cœur  des  Pon- 
tifes 5c  des  Prêtres,  des  dépofitaires 
de  la  Loi  ôc  de  la  Religion.  Hélas  ! 
faut-il  que  le  San.£luaire  lui-même  de- 
viennent prefque  toujours  l'afyie  d'une 
paillon  (î  méprifable  ;  que  les  dons 
éclatans  de  l'Efprit  de  paixSc  de  chari- 
té mettent  l'amertume  ôc  la  divifion 
parmi  fes  Miaiftres  ;  que  la  moilTon  fi 
abondante  8c  qui  manque  d'ouvriers, 
excite  des  fentimens  de  jaîoufie  parmi 
le  petit  nombre  de  ceux  qui  travaillent; 
que  les  Anges  deftinés  au  miniilere  en 
puilTent  arracher  les  fcandales  du 
Royaume  de  Jefus-Chrill:  ,  fans  y  en 
mettre  fouvent  un  nouveau  ;  que  dès 
la  naiffince  de  l'Evangile  cette  trifte 
zizanie  fe  foit  gliiTée  parmi  fes  plus 
faints  ouvriers  j  éc  que  l'Eglife  fouvent 


114  Vendredi  Saint. 
foie  prefque  aiiiiî  affligée  par  le  faux 
zèle  qui  la  défend  ,  que  par  Terreur 
même  qui  l'attaque  ?  pourvu  que  Jefus- 
CliriJi  foit  annoncé  ,  la  gloire  n'eft- 
elle  pas  commune  à  tous  ceux  qui  l'ai- 
ment ?  ne  partageons- nous  pas  Ces 
triomphes ,  dès  que  nous  ne  corfibat- 
tons  que  pour  lui  ?  ÔC  tous  les  fuccès 
qui  agrandiffeoî"  fon  Royaume  ,  ne 
deviennent  ils  pas  les  nôtres?  C'eftlui 
feul  qui  donne  l'ace  roi  (Te  ment  ;  8c  nos 
foib'es  travaux  ne  font  plus  comptés 
pour  rien  ,  dès  que  nous  les  comptons 
nous-mêmes  pour  quelque  chofe. 

Tous  les  traits  les  plus  odieux  fem- 
blent  Ce  réunir  dans  un  cœur  où  domi- 
ne la  palTîon  injuilede  l'envie.  Cepen- 
dant, c'eft  le  vice  ÔC  comme  la  conta- 
gion uni/erfelle  des  Cours ,  ôc  fouvent 
la  première  fource  de  la  décadence  des 
Empires.  Il  n'ed  point  de  badefTe  que 
cette  paHRon  ,  ou  ne  confacre  ,  ou  ne 
juftifie:  elle  éteint  même  les  fentimens 
les  plus  nobles  de  Té  du  cation  Se  de  la 
naiiTance  ;  Se  dès  que  ce  poifon  a  ga- 
gné le  cœur,  on  trouve  des  âmes  de 
boue  ,  où  la  nature  avoit  d'abord  pla- 
cé des  âmes  grandes  ^Cbien  nées. 

La  mauvaife  foi  n'eflplus  comptée 
pour  rien.  Ces  Grands  Prêtres  cher-. 


$VK  LES  Obstacles  ,  Scc.  21^ 
chent  eux-mêmes  de  faux  témoignages 
contte  Jefus-Chrift  :  eux  qui  dévoient 
profcrire  ces  hommes  infâmes  qui  font 
Un  trafic  honteux  de  la  vérité  &  de 
l'innocence  des  autres  hommes  ;  ils  fe 
les  affocient ,  &C  favorifent  le  crime 
quifavorife  leur  pafîîon. 

C'eft  ainfi  que  ce  vice  ne  rougit  point 
de  Ce  faire  des  appuis  honteux  &  mé- 
prifables.  Les  hommes  les  plus  décriés 
Se  les  plus  perdus ,  on  les  adopte  ,  dès 
qu'ils  veulent  bien  adopter  Ôc  fervir 
l'amertume  fecrette  qui  nous  dévore  ; 
ils  nous  deviennent  chers  ,  dès  qu'ils 
peuvent  devenir  les  vils  indrumens  de 
notre  pafîîon  ;  8c  ce  qui  devoir  les  ren- 
dre encore  plus  hideux  à  no.  yeux  , 
eiTaceen  un  inftant  toutes  leurs  tâches. 
Le  monde  ne  manque  jamais  de  ces 
hommes  vendus  à  l'iniquité  ,  dont  l'u- 
nique emploi  efl  de  noircir  auprès  des 
Grands  ceux  qui  ont  le  malheur  de 
leur  déplaire, ou  quiplaifen:  trop  pour 
être  de  leur  goût  ;  ôc  ces  hommes  cor- 
rompus 8>C  qu'on  devroit  bannir  de  la 
fociété,  ne  manquent  jamais  de  trou- 
ver des  Grands  qui  les  écoutent  &quî 
les  protègent.  On  érige  en  mérite  le 
zèle  qu'ils  étalent  pour  nos  intérêts  ; 
&:  on  leur  fait  une  vertu  d'un  minifterc 


iï6    Vendredi  Saint. 

infâme,  dont  on  rougit  tout  bas  foî- 
même  :  Doeg  ridumcen  devient  cher 
à  Saùl  5  dès  qu'il  devient  le  minillre  de 
fa  jaloulie5c  de  fa  haine  contre  David.4 

Mais  de  quoi  n'eil  pas  capable  un 
cœur  que  la  ialoude  noircit  5c  enveni- 
me? non  feulement  on  applaudit  à  rim- 
podure;  mais  on  ne  craint  pas  de  s'en 
rendre  coupable  foi-  même.  Ces  Pon- 
tifes, témoins  des  prodiges  ôc  de  la 
fainteté  de  Jeuis-Chrift,  ce  pouvant 
ignorer  qu'il  eil  Fils  de  David  &  def- 
cendu  des  Rois  de  Juda  ;  ayant  oui  de 
fa  propre  bouche,  qu'il  falloit  rendre 
à  Dieu  ce  qui  ell  à  Dieu  ,  6c  à  Céfar  ce 
qui  ed  à  Céfar  ,  le  font  pourtant  paifer 
pour  un  féditieux,  un  ennemi  de  Céfar 
5c  qui  veut  en  ufiirper  la  fouveraine 
puiilance  ;  un  impie  qui  veut  renverfer 
la  loi,  ôc  le  temple  de  fes pères;  enfin, 
pour  un  homme  de  néant ,  né  dans  la 
boue  Scdans  la  plus  vile  populace. 

Cette  paiTion  amere  efr  comme  une 
phrénéfie ,  qui  change  tous  les  objets  à 
nos  yeux:  rien  ne  nous  paroît  plus  fous 
fa  forme  naturelle.  David  a  beau  rem- 
porter des  viâ:oires  fur  les  Philiflins  , 
ôc  alTurer  la  couronne  à  fon  maître  : 
aux  yeux  de  Saiil ,  ce  n'eft  plus  qu'un 
ambitieux  qui  veut  monter  lui-même 

fur 


Sur  les  Obstacles  5  5cc.  117 
fur  le  Trône.  En  vain  Jérémie  juilific  la 
vérité  de  fes  prédi6bions  par  les  événe- 
mens  ôc  par  la  fainteté  de  fa  vie  ;  les 
Prêtres  jaloux  de  fa  réputation  ,  pu- 
blient que  c'eft  un  impoileur  6c  un  traî- 
tre qui  annonce  les  malheurs  &  la  rui- 
ne entière  de  Jérufalem  ,  plus  pour  dé- 
courager fes  citoyens  &  favorifer  l'en-; 
nemi,  que  pour  prévenir  la  deftru(âion 
entière  de  fa  Patrie* 

Tout  s'empoifonne  entre  les  mains  de 
cette  funefte  pafîîonrla  piété  la  plus  avé- 
rée n'eft  plus  qu'une  hypocrifie  mieux 
conduite  ;  la  valeur  la  plus  éclatante, 
un^  pure  oftentation  ,  ou  un  bonheur 
qui  tient  lieu  de  mérite  ;  la  réputation 
la  mieux  établie ,  une  erreur  publique, 
où  il  entre  plus  de  prévention  que  de 
vérité  ;  les  talens  les  plus  utiles  à  l'Etat, 
une  ambition  démefurée  ,  qui  ne  ca- 
che qu'un  grand  fonds  de  tiiédiocrité 
6c  d'inTuffifance  ;  le  zèle  pour  la  patrie, 
un  art  de  fe  faire  valoir  6c  de  fe  rendre 
nécelTaire  ;  les  faccès  mêmes  les  plus 
glorieux  ,  un  aiTembiagede  circonstan- 
ces heureufes ,  qu'on  doit  à  la  b'zarfe- 
îie  du  hafard  plus  qu'à  la  CsgQiTe  des 
mefures  ;  la  naiiTance  la  plus  illufrre  , 
un  grand  nom  fur  lequel  on  efl  enté 
Se  qu'on  ne  tient  pas  de  ks  ancêtres. 
Petit  Carême.  K 


2i8     Vendredi  Saint. 

Enfin  la  langue  du  jaloux  flétrit  tout 
ce  qu'elle  touche  ;  &  ce  langage  (î  hon- 
teux eft  pourtant  le  langage  commua 
des  Cours.  C'eft  lui  qui  lie  les  foclétés 
6c  les  commerces  :  chacun  fe  cache  la 
plaie  fecrette  de  Ton  cœur  ;  6c  chacun 
fêla  communique  :  on  a  honte  du  nom 
du  vice  ;  6c  l'on  fe  fait  honneur  du 
vice  même. 

Enfin  il  emprunte  même  les  appa- 
rences du  zcle  ôc  de  l'amour  du  bien 
public  :  les  intérêts  de  la  nation  &  la 
confervation  du  temple  ÔC  de  la  loi , 
paroifTent  confacrer  la  jaloufie  des 
Pontifes  contre  Jefus-Chrift. 

Le  zèle  du  bien  public  devient  tous 
les  jours  comme  la  décoration  Sc  l'apo- 
logie de  ce  vice.  Il  femble  qu'on  ne 
craint  que  pour  l'Etat  ;  Sc  on  n'envie 
que  les  places  de  ceux  qui  gouvernent  ; 
on  blâme  le  choix  du  maître  ,  comme 
tombant  fur  des  fujets  incapables;  mais 
ce  n'eft  pas  l'intérêt  public  qui  nous 
pique,  c'eft  la  jaloufie  6c  le  chagrin  de 
n'avoir  pas  été  nous-mêmes!  choifîs  : 
les  places  où  nous  alpirons  ,  ne  font 
jamais  félon  nous  données  au  mérite  ; 
la  faveur  du  maître  6c  le  bien  de  l'Etat, 
ne  nous  paroilTent  jamais  aller  enfem- 
ble  :  on  fe  donne  pour  amateur  de  la 


Sur  les  Obstacles,  8cc.  iif 
patrie  ;  6c  on  n'en  aime  que  les  hon- 
îiears  ÔCles  prééminences.  Aman  trou- 
ve la  puliTance  5c  la  religion  des  Juifs 
dangereufe  à  l'Empire  ;  mais  ce  n'eft 
pas  l'Etat  qu'il  a  deiîein  de  fauver  ; 
c'efl:  Mardochée  qu'il  veut  perdre.  Les 
courtifans  de  Darius  accufent  Daniel 
d'avoir  violé  la  loi  des  Perfes  :  mais  ce 
n'eil  pas  de  la  majefté  de  la  loi ,  dont 
ils  font  jaloux  :  c'eft  la  gloire  ôclafa-» 
veur  de  Daniel  qu'ils  haïiTent. 

Tout  eil  plein  dans  les  cours  de  ces 
zeles^de  jaloufie.  On  étale  le  titre  de 
bon  citoyen ,  &  on  cache  deflbus  celui 
de  jaloux:  on  a  fans  cefTe  l'Etat  dans  la 
bouche,  &  la  jalouiie  dans  le  cœur  :  on 
paroît  contriftc  quand  les  événemens 
font  malheureux  ,  bc  ne  répondent  pas 
aux  vues  8c  aux  mefures  de  ceux  qui 
font  en  place  ;  &:  l'on  s'applaudit  plus 
du  blâme  qui  en  retombe  fu r  eux,  qu'on 
n'efl  touché  des  maux  qui  en  peuvent 
revenir  à  la  patrie. 

Et  voilà  un  des  plus  triftes  effets  de 
cette  paffion  infortunée.  Ces  Pontifes 
demandent  que  le  fan  g  du  Jufte  folt 
fur  eux  6c  fur  leurs  enfans.  La  défola- 
tion  du  Temple  Se  de  la  Cité  fainte,  la 
ceiTation  des  facrifices,  la  difperfion  de 
Juda  3  la  perte  de  tout  ne  leur  paroît 

Kij 


^^o    Vendredi  Saint. 
lien  ,  pourvu   que  l'innocent  périfTe. 

Et  combien  de  fois  a  t-on  vu  des 
hommes  publics  facrificr  l'Etat  à  leurs 
jaloufies  particulières  ,  faire  échouer 
des  entreprifes  glorieufes  à  la  patrie  , 
de  peur  que  la  gloire  n'en  rejaillît  fur 
leurs  rivaux;  ménager  des  événemens 
capables  de  rcnverfer  l'Empire  pour 
enfévelir  leurs  concurrens  fous  fes  rui- 
nes; ÔC  rifquer  de  tout  perdre  pour  faire 
périr  un  feul  homme  ?  Les  Hidoires 
des  cours  ôc  des  Empires  fonrremphes 
de  ces  traits  honteux;  Se  chaque  fîecîe 
prefque  en  a  vu  de  trifies  exemples. 
Mais  le  véritable  zele  du  bien  public 
ne  cherche  qu'à  fe  rendre  utile  ;  8c  à 
l'hommevertueux&quiaimerEiatJes 
fervices  tiennent  lieu  de  recompenfe. 

Première  paiTiondans  les  Pontifes, 
qui  livre  aujourd'hui  Jefus-Chrift;  la 
jaloufie  :  mais  en  fécond  lieu  ,  c'efl  un 
lâche  intérêt  dans  Pilate  qui  le  con- 
damne. 


II,  V^Uijmes  Frères,  la  pafTion,  le  Dieu 
PARTIE,  des  Grands  ,  c'efl:  la  fortune.  Ils  veu- 
lent plaire  à  Céfar  ,  &  c'eft  le  feul 
devoir  qui  les  occupe.  Tout  ce  qui 
favorife  ieur  élévation  ,  s'accorde  tou- 
jours avec  leur  confcience.  La  probi- 


Sur  les  Obstacles,  Scc.  2.2./ 
té  qui  nuiroit  à  leur  fortune  ,  &  qui 
leur  feroir  perdre  la  faveur  du  maître  , 
n'ell  plus  pour  eux  que  la  vertu  des 
for?.  Mais  dès-  là  qu'on  craint  plus  la 
difrrrace  de  Céfar;  que  le  reproche  de 
fa  confcience  ,  fî  Ton  n'a  pas  encore 
facrifîé  Thonneur  &  la  probité  ,  ce 
n'eft  pas  le  cœur  &  la  volonté  ,  c'eft 
Toccafion  ,  qui  a  manqué  aux  plus 
grands  crimes. 

En  effet  ,  il  paroît  d'abord  dans  ïe 
caraâiere  de  Pilate  des  reftes  de  droi- 
ture 5c  de  probité  :  fa  confcience  s'é- 
lève en  faveur  de  l'innocent  ;  il  fem- 
ble  lui-même  plaider  fa  caufe  ;  il  n'ofe 
le  délivrer  ,  8c  il  fouhaite  pourtant 
qu'on  le  délivre  :  premier  degré  de 
l'ambition  ;  la  lâcheté.  On  aime  le  de- 
voir ôc  réquité  ,  lorfqu'il  eft  utile  ou 
glorieux  de  fe  déclarer  pour  elle;  qu'on 
peut  compter  fur  les  fulfrages  publics  ;- 
que  notre  fermeté  va  nous  donner  en 
45e£lacle  au  monde ,  ôc  que  nous  deve- 
nons plus  grands  aux  yeux  des  hom- 
mes par  la  défenfe  héroïque  de  la  vé- 
rité ,  que  nous  ne  l'aurions  été  par  fa: 
difîîmulation  5c  la  foupleife.  Nous- 
cherchons  la  gloire  5c  les  applaudifle- 
mens  dans  le  devoir  ;  6c  prefque  tou- 
jours c'efl:  la  vanité ,  qui  donne  des  de- 
fenfeurs  à  la  vérité.  K  iij; 


12,2  Vendredi  Saint. 

A  la  lâcheté  fuccede  la  crainte.  Os 
menace  Pilate  de  Tindignation  de  Cé- 
Joan,  ^^^  '"  ^^  hune  dimittis  ,  non  es  amicus 
ig,  IX.    Cœfaris ;  à  cette  raifon  tous  les  droits 
les  plus  facrés   s'évanouillënt  ,  5c  ne 
font  plus  comptés  pour  rien.  On  n'eil 
pas  digne  de  Iburenir  la  jullice  &  la 
vérité  ,  quand  on  peut  aimer  quelque 
chofe  plus  qu'elle  :  une  démarche  op- 
pofée  à  l'honneur  ÔC  à  la  confcience  ^ 
eft  bien  plus  à  craindre  pour  une  ame 
noble   que  la  colère   de  Céfar.  Mais 
d'ailleurs ,  Sire  ,  c'eft  fervir  la  gloire 
du  Prince  ,  que  de  ne  pas  fervir  à  fes 
panions.  Il  eil  be^au  d'ofer  s'expofer 
àfon  indignation  ,  plutôt  que  de  man- 
quer à  la  fidélité  qu'on  lui  a  jurée  ;  ôc 
fi  les  Princes ,  comm.e  vous ,  peuxent 
compter  fur  un  ami   fidèle  .  il  faut 
qu'ils  le  cherchent  parmi  ceux  qui  les 
ont  alFez  aimés  pour  aïoir  eu  le  cou- 
rage d'ofer  quelquefois  leur  déplaire: 
plus  ceux  qui   leur  applaudiffent  fans 
Qt^Qy  font  nomibreux  ,  plus  l'homm.e 
vertueux  ,  qui  ne  fe  joint  point  aux 
adulations  publiques  ,  doit    leur  être 
refpei^able.  Mais  cet  héroïfme  de  fi» 
délité  efc  rare  dans  les  Cours  :  à  peine 
fe  trouva-t-il  un  Daniel  dans  l'Empire 
parmi  tous  les  Satrapes  y  (^ui  ne  coa- 


Sur  les  Obstacles  ,  &c.  123 
Hoiffoient  point  d*autre  loi  que  la  vo- 
lonté du  Prince.  Telle  efl  la  deftinée 
des  Souverains  ;  la  même  puiiTance 
qui  multiplie  autour  d'eux  ,  les  adula- 
teurs ,  y  rend  auiTi  les  amis  plus  rares- 

Aufll  la  craiî^te  de  déplaire  à  Céfar 
conduit  Pilace  au  dernier  degré  de  la 
lâche. é  :  il  abandonne  ÔC  livre  Jefus- 
Chriil:.  Les  cris  de  ce  peuple  furieux 
ne  peuvent  être  calmés  que  parle  fang 
du  Jufte  :  s'exporer  à  leur  violence,  ce 
feroit  allumer  le  feu  de  la  fédition  ;  il 
vaut  encore  mieux  que  l'innocent  pé- 
rilFe  ,  que  fi  toute  la  nation  alloit  Ce 
révolter  contre  Céfar  ;  &  il  faut  ache- 
ter le  bien  public  par  un  crime. 

Et  voilà  toujours  le  grand  prétexte 
de  l'abus  que  ceux  qui  font  en  place 
font  de  l'autorité  ;  il  n'eft  point  d*in- 
juilice  que  le  bien  public  ne  jufîilîe  t 
il  femble  que  le  bonheur  5c  la  fureté 
publique  ne  puiffent  fubfifier  que  par 
des  crimes;  que  l'ordre  Sc  la  tranquil- 
lité des  Empires  ne  foient  jamais  dûs 
qu'à  rinjuftice  5c  à  l'iniquité;  &  qu'il 
faille  renoncer  à  la  vertu  pour  fe  dé- 
vouer à  la  patrie. 

Non,  Sire,  je  l'ai  déjà  dit  ailleurs  ^ 
&  on  ne  fauroit  trop  le  redire  ;  la  loi 
de  Dieu  eft  toute  la  force  &  toute  is 

Kiv 


224      Vendredi  Saint. 
sûreté  des  loix  humaines  :  tout  ce  qnl 
attire  la  colère  du  Ciel  fur  les  Etats , 
Ke  fauroit  faire  le  bonheur  des  peu- 
ples :  l'ordre  &L  l'utilité  publique  ne 
peuvent  être  le  fruit  du  crin:ie  :   on 
fert  mal  la  patrie  quand  on  la  fert  aux 
dépens  des  règles  faintes  :  c'eft  fapper 
les  fondemcns  de  l'édifice ,  pour  Tem- 
bellir  &:  l'élever  plus  haut  ;  c'eft  en  af- 
foiblillant  Tes  principaux  appuis  ,   y 
ajouter  des  vains  ornemens  qui  hâtent 
fa  ruine.  Les  Empires  ne  peuvent  fe 
foutenir  que  par  l'équité  des  mêmes 
loix  qui  les  ont  formés  ;  &:  l'injuflice 
a  bien  pu  détrôner  des  Souverains  , 
mais  elle  n'a  jamais  affermi  les  trôner» 
Les  Minières  qui  ont  outré  la  puiiTan- 
ce  des  Rois  ,  l'ont  toujours  affoiblie  i 
ils  n'ont  élevé  leur  maître  que  fur  la 
ruine  de  leurs  Etats  ;   &  leur  zèle  n'a 
été  utile  aux  Céfars,  qu'autant  qu'il  a 
refpeâ:é  les  loix  de  l'Empire^ 

C'eft  donc  la  jaloufie  dans  les  Prin- 
ces des  Prêtres ,  qui  perfécute  aujour- 
d'hui Jefus  Chrift  ;  un  vil  intérêt  dans 
Pilate ,  qui  le  livre  ;  &  enfin  une  in- 
différence criminelle  dans  Hérode  , 
qui  en  fait  un  fujet  de  mépris  6c  de 
rifée. 

Hélas  /  quelle  autre  déftinée  pout^ 


?UR  Les  obstacles,  5cc.  iif 
Voit  fe  promettre  la  doftrine  de  TÊ- 
vangile  ,  en  fe  foumetrant  à  une  Cour 
fuperbe  6c  voluptueufe  ?  la  doftrine 
fainte  n'offre  rien  ,    qui  ne  combatte 
Torgueil  6c  la  volupté  ;    &  il  n'y  a  de' 
grand  pour  ceux  qui  hcbitent  les  Pa- 
lais des  Rois,  que  le  plaidr  ôc  la  gloirg»* 
Si  vous  n'y  paroiiTez  pas  fous  ces  éten- 
dards ,  ou  l'on  vous  prend  pour  un  cen- 
feur  5c  un  ennemi ,  ou  ils  vous  mépri* 
fent  comme  un  homme   d'une  autre* 
gfpece  5c  un  nouveau  venu  qui  vienr 
porter  au  milieu   d'eux  un    langage-' 
inoui  5c  des  manières  étrangères. 

Nous-  m.êmes ,  dans  ces  chaires  chré- 
tiennes ,  qui  feules  leur  parlent  encore 
le  langage  de  la  vérité  ;  nous  mêmesy. 
nous  venons  fouvent  ici  affoiblir  ce^ 
langage  divin  ;  refpeéler  ce  que  nous^ 
devrions  combattre  ;  adoucir  par  des^ 
idées  humaines  î-a  févérité  dès  regles^^ 
faintes  ;■  autorifer  prefque  leur^  pré- 
jugés ,  avant  d'ofer  combattre  leur^- 
palTions  ;  ÔC  fous  prétexte  de  ne  pas  îes«= 
révolter  contre  la  vérité  ,  la  leur  reû*- 
dre  prefque  mécotinoiU'able,. 

Hérode  ,  inftruit  des-  merveille^f 
qu'on publioit  de  Jeius-  Chrifl ,  s'at teDd^ 
à  lui  voir  ©pérer  de^  prodiges  ,~^  dansa 
c€itè  attente  ,  ii  le.  voit  arriver  à  âa 


t:i6  Teindre  Dr  S^aint.. 
Cour  avec  joie  :  ce  n'eft  pas  la  vente 
qui  l'intérefTe  ,  e'eft  une  vaine  curiofi- 
té  qu*il  veut  fa tis faire  ,  &  faire  fervir 
Jefus-Chrlftde  fpedacle  à  Ton  loifir  oC 
à  fon  oifiveté.  Gar  c'eft  de  tout  temps  ^ 
que  la  plupart  des  Princes  6c  des 
tjrands  ont  fait  de  la  Religion  un  fpec- 
tacle-  :  les  myfleres  les  plus  augufles  5c 
les  plus  terribles ,  égayés  par  tous  les 
attraits  d'une  harmonie  recherchée  y 
deviennent  pour  eux  comme  des  ré- 
jDuiflances  profanes  qui  les  amufentf 
ils  ne  cherchent  que  le  plaifir  des  fens 
jufques  dans  les  devoirs  d'un  culte: 
qui  n'eft  établi  que  pour  les  combat- 
tre ::il  faut  que  la  R.eligion  ,  pour  leur 
■  plaire  ,  emprunte  les  joies  6c  tour  Tap- 
pareil  du  fiecle  ,•  6c  qu'un  Tpedacle 
digne  des  Anges  ,  ait  encore  befoin 
ée  décoration  pour  être  un  fpe(^acle 
digne  d'eux. 

Hérode  fait  à  Jefus  -  Chrifl:  des 
Musi  îT.^"^^^®'^'^  vaines  8c  frivoles  :  întcrrc- 
^  gabat  eum  multis  fermonibus  :  de  ces^ 

queftions ,  où  l'orgueil  &:  l'irréligion 
ont  plus  de  part  que  l'amour  de  la- 
vérité  ;  qu'on  propofe  plutôt  pour  fe 
feire  une  gloire  de  fes  doutes ,  que  pat- 
un  delir  fincere  de  les  éciaircir  ;  de 
lîSEâ  queiliûos  qui  n'aboutiiîent  à.  tieni 


r      Sur  les  obstacles,  êcc.  227 

'qu'à  nous  afFermir  dans  l'incrédulité  , 
qui  n'ont  de  férieux  que  raveugle* 
ment  d'où  elles  prennent  leur  fource  ; 
de  ces  quefltons  où  Ton  difcourt  des 
vérités  éternelles  du  fahit ,  comme  de 
ces  vérités  douteufes  ÔC  peu  intéref- 
fantes  que  Dieu  a  livrées  à  l'oifiveté 
&:  à  la  difpute  des  hommes  ;  où  l'orï 
traite  ce  qui  doit  décider  du  bonheur 
ou  du  malheur  éternel  ,  comme  un 
problême  indifférent  dont  les  deux; 
côtés  ont  leur  vraifemblance  ,  &  ou 
l'on  peut  opter  :  de  ces  queftions  en^ 
fin,  qui  font  plutôt  des  déridons  fecvet^ 
tes  de  la  Foi,  que  les  recherches ref^ 
pe£lueuresd'un  véritable  Fidèle» 

Et  voilà  le  feul  ufage  que  la  pfuj- 
part  des  Grands  font  de  Jefus  Chriâ^. 
des  queftions  éternelles  fur  la  Reli- 
gion :  Interrogahat  eum  multis fermonB^ 
bus  :  faifant  de  Jefus  Chrift  ôc  de  Cà 
dofbrine  un  fujet  oifeux  &:  frivole 
d'entretien  &C  de  conteftation  ,  au  lïem 
d'en  faire  l'objet  de  leur  efpérance  ^ 
de  leur  culte  ;  s'informant  de  la  vérif- 
ié d'un  avenir  ,  ÔC  de  cette  autre  pa^ 
trie  qui  nous  attend  après  le  trépas^ 5) 
avec  moins  d'intérêt ,  qu'ils  n'écoure-- 
ïoient  les  relations  d'une  terre  inconi- 
nue  ôc  peut-être  fabuîéufe  ,  où  nul 


^l^     Vendredi  Saint. 
mortel  n'a  pu  encore  aborder  ;  parlant  ' 
des  faits  miraculeux  qui  établifient  la 
certitude  bL  la  divinité  de  la  Religion 
de  leurs  pères ,  avec  la  même  incerti- 
tude qu'ils  parleroient  d'un  point  peu 
important  d'hiRoire  qu'on  n'a  pas  en- 
core éclairci  ;   êc  par  la  manière  peu 
férieufe  dont  ils  veulent  s'inftruire  de^ 
la  Foi  5  montrant  qu'ils  l'ont  toutà- 
fait  perdue. 

Auffi   Jefus-Chrift  n'oppofe   qu'un 
lîlence  profond  à   la  vanité  des  quef- 
îjons  d'Hérode.  On  ne  mérite  les  ré- 
ponfes  de  la  vérité  y  que  lorfque  c'eft 
Ife  defir  de  h  connoître  qui  Tinterro» 
ge  ;  2^  c'eft'  dans  le  cœur  de  ceux  q^ui 
parlent  ÔC  dirputent  plus  fur  la  Reli- 
gion ,  qu'elle  eil  d'ordinaire  plus  effa- 
cée. Oui,  mes  Frères,  on  a  déjà  trouvé 
la  vérité  quand  on  la  cherche  de  bonne 
fui  :  il  ne  faut  pour  la  trouver  ,  ni  creu- 
fèr  dans  les  abîmes,  ni  s'élever  au  def- 
£is  des  airs  ;  il  ne  faut  que  l'écouter 
au-  dedans  de  nous-mêmes.  Un  cœur 
innocent  6i  docile   entend  d'aj^ord  fa^ 
voix  ;  les  doutes  6c  les^  recherches  que 
forment  l'orgueil  ,  loin  de  la  rappro- 
cher de  nous ,,  ferment  les  yeux  à. fat 
lumière  :  elle  aveugle  les  Sages  &  les; 
fiigas  orgueiiieiix  dé  fes  myfteres,,  ôC 


Sur  les  Obstacles,  Scc.    ti^^ 
ne  fe  communique  qu'à  ceux  qui  font 
gloire  d'en  être  les  Difciples.  ta  fou- 
mifTion  eft  la  fource  des  lumières  :  plus 
on  veut  raifonner  ,   plus  on  s'égare  : 
plus  on  doute  ,  plus  Dieu  permet  que 
les  doutes  augmentent  :  la  raifon  une 
fois  fortie  de  la  règle  ,  ne  trouve  plus 
tien  qui  Tarrête  ;  plus  elle  avance ,  plus- 
elle  fe  creufe  de  précipices.  Auiïî  l'hé- 
réfie,  d'abord  timide  dans  fa  naifTancCy 
va  toujours  croiiTant ,  &  ne  garde  plus 
de  m.efures  dans  Tes  progrès  :  elle  n'en 
vouloit  d'abord  parmi  nous  qu'aux  abus> 
prétendus  du  culte  ;  elle  a  depuis  atta- 
qué le  culte  lui-même  :  eilefe  plaignoit 
que  nous  dégradions  Je  fus- Chrift  de  fa 
qualité  de  m.édiateur  ;  elle  a   enfanté 
des  Difciples  qui  l'ont  dégradé   de  fa 
divinité  &  de  fa  naiffance  éternelle  :: 
elle  vouloit  réformer  la  Religion  ;  elle^ 
a  fini   par  les  approuver  toutes  ,  ou^ 
pour  mieux  dire,  par  n*en  plus  avoir 
&:  n'en  plus  connoître  aucune  relie  pré- 
rendoit  s'en  tenir  àla  lettre  aux  livres; 
faints  ;  ôc  cette  lettre  a  été  pour  elle 
une  lettre  de  mon  ;  &  Ces  faux-Pro- 
phêtes  y  ont  puifé  un  fanatifme  ÔC  des- 
vifions  fur  l'avenir,  que  révénement: 
a  démenties  5c  dont  elle  a  rougi  elle- 
même..  Non,  mes  Frères  ^  la  Foi  eiiie 


^t^o  Vendredi  Saint^ 
feul  point  qui  peut  fixer  Tefprit  liir- 
main  ,  fi  vouspaffez  au  delà ,  vousfl'a- 
vez  plus  de  route  aflurée;  vous  entrez 
dans  une  terre  ténébreufe  &  couverte 
des  ombres  de  la  mort;  vous  n'y  voyez 
plus  que  des  phantômes,  les  triftes  en- 
fans  des  ténèbres  ;  6c  comme  la  raifon 
n'a  plus  de  frein  j  Terreur  auffi  n'a  plus 
de  bornes. 

En  effet  les  queftions  d'Hérode  le 

vconduifent  à  faire  de  Jefus  Chrift  un 

Mhîd,  y.  ^yjgj  ^g  fijC^g  .  ^pj-^ylt:  autem  illum  He- 

rodes  ;  &  toute  fa  Cour  fuit  fon  exem- 
ple :  Cum  exercitu  fuo,  La  vertu  la  plus 
pure,  dès  qu'elle  déplaît  au  Souverain,, 
eft  bientôt  digne  de  l'oubli  6c  du  mé- 
pris même  du  courtifan  :  c'eft  le  goût 
.  du  Prince ,  qui  décide  prefque  tou- 
jours pour  eux  de  la  vérité  ôc  du  mé- 
rite :  leur  Religion  eft  toute,  pour  ainfî 
dire  ,  fur  le  vifage  du  maître:  c'eft  là 
leur  loi  8c  leur  Evangile  ;  &  ils  n*ont 
rien  de  plus  fixe  dans  leur  culte  que  les 
caprices  6c  les  pafTions  de  l'idole  qu'ib- 
adorent. 
p»  Auftî  l'attention,   Sire,   la. plus- 

eflentielle  que  les  Rois  doivent  à  I^^ 
place  où  Dieu  les  a  fait  afteoir,  c'eft  de' 
rendre  la  Religion  refpeâ:able  ,  en  ne 
ik  permettant  jamais  la  plus  légère  dé>- 


Sur  les  Obstacles  ,  Scc.  t^-w 
rîfîon  qui  puille  en  blefler  la  majeflé; 
Les  plus  jeunes  années  de  votre  au- 
gurteBifaïeul ,  ne  le  virent  jamais  s'é- 
carter de  cette  règle  :  ce  fut  pour  lui  la; 
règle  de  tous  les  temps  Se  de  tous  les 
lieux.  Son  refpeA  pour  la  Religion  de 
£es  pères ,  impofa  toujours  devant  lui 
un  fjlence  éternel  à  l'impiété:  fon  lan- 
gage fut  toujours  le  langage  du  pre- 
mier Roi  Chrétien,  c'eft  à  dire,  le  lan- 
gage refpeé^able  de  la  Foi.  L'irréligion 
étoit  le  feul  crime  auquel  il  ne  pardon- 
noit  point  :  tout  étoit  férieux  pour  lui 
fîir  cet  article  :  nulle  joie  ,  nulplaiiîr 
n'autorifa  jamais  devant  lui  la  moindre 
dérifion  qui  pût  intérefler  le  culte  de 
{es  ancêtres  :  religieux  jufqu'au  milieu 
des  réjouiifances  d'une  Cour  jeune  6c 
florifTante,  la  Foi  ne  foufFrit  jamais  des 
plaifirs  ÔC  des  difTipations  inévitables  à 
la  jeunefTe  des  Rois.  Sur  ce  point ,. 
Sire,  tout  devient  capital  dans  la  bou- 
che d'un  Souverain  :  une  fimple  légè- 
reté va  autorifer  la  licence  de  l'impiété 
ou  faire  de  nouveaux  impies  :  on  croit 
plaire  en  enchérifTant^  ôc  les  railleries 
du  maître  deviennent  bientôt  des  blaf^ 
phêmes  dans  la  bouche  du  courtifan,^ 
Telles  font  les  paflions  que  les 
Grands  oppofent  à  la  vérité  ,  6c  qui 


xjî    Vendredi    Sa  pn  t^ 

eondamnent  Jefus-  Chrift  à  la  morC 
Que  ne  puis  je  achever  ,  ÔC  vous  mon- 
trer les  psflîons  de?  Grands  condam- 
nées par  la  mort  de  Jefus-Chrift  ! 

Hélas  /  en  eft-il  une  feule  que  fa 
croix  ne  confonde  ?  Il  ne  meurt  que 
pour  rendre  témoignage  à  la  vérité  ;  il 
en  ell  le  premier  Martyr  :  ôc  les  Grands 
craignent  la  vérité  ;  &.  il  eft  rare  qu'elle 
ait  accès  auprès  de  leur  Trône.  Il  n'eu 
Roi  quepour  être  la  viâimede  fon  peu- 
ple ;  6c  les  peuples  font  d'ordinaire  la 
viâiime  de  l'ambition  des  Princes  5c 
des  Rois.  Les  marques  de  fon  autorité, 
fon  fceptre  ,  fa  couronne ,  font  les  inf- 
trumens  de  fes  fouifrances  ;  &  l'uni- 
que ufage  que  les  Grands  font  de  leiir 
autorité  .  c'eil  de  la  faire  fervir  à  leurs 
plaifirs  injuftes.  Au  milieu  de  fes  pei- 
nes ôc  de  fes  douleurs  il  n'efl:  occupé 
que  de  nos  intérêts  ;  6c  les  Qxzxxàs  au 
milieu  de  leurs  plaifirs  ne  daignervt 
pas  même  s'occuper  des  peines  &  des 
fouifrances  de  leurs  frères.  Il  fouffre  à 
notre  place  ;  &  les  Grands  croient  que 
tout  doit  fouifrir  pour  eux.  Il  vient  Je 
tous  les  Peuples  ne  faire  qu'un  peuple, 
réconcilier  toutes  les  nations ,  éteindre-* 
routes  les  guerres;  &  c'eftla  vanité  des^ 
Grands  5  qui  les.  allume  &  qiii  les.  éiei»- 


Sur  les  Obstacles  ,  5cc.  23:^ 
nife  fur  la  terre.  Que  dirai- je  ?  Il  n'eft 
Pvoi  que  parce  qu'il  eft  Sauveur  •;  fes 
bienfaits  forment  tous  fes  titres  ;  fes 
qualités  gîorieufes  ne  font  que  les  dif- 
férens  ot^ces  de  fon  amour  pour  nous; 
tout  ce  qu'il  eiï  de  plus  grand,!!  ne  Teft 
que  pour  les  hommes  ;  il  efl  tout  à  nos 
ufages  :  ôc  les  Grands  ne  comptent  le 
refte  des  hommes  pour  rien ,  &  ne 
croient  être  nés  que  pour  eux-mêmes. 

Voilà,  Sire  ,  le  grand  modèle  des 
Rois.  Du  haut  de  fa  croix  il  inftruit  les 
Grands  6c  les  Princes  de  la  terre  :  Re- 
gardez ,  leur  dit  il,  Ôcfaires  félon  ce 
modèle  :  j'ai  quitté  mon  Royaume,  Ô£ 
je  fuis  defcendu  de  ma  gloire  pour  fau- 
ver  mes  fujets  ;  vous  n'êres  Rois  que 
pour  eux  ,  ÔC  leur  bonheur  doit  être 
Tunique  objet  de  tous  les  foins  atta- 
chés à  votre  couronne.  Oui  ,  Sire  j 
c'eft  un  Roi  qui  donne  fa  vie  pour  fon 
peuple  ;  ÔC  il  ne  vous  demande  que 
votre  amourpour  le  vôtre:  c'eftun  Roi- 
qui  ne  va  conquérir  le  monde  que  pour 
r.acquérir  à  Dieu  ;  ne  combattez  que 
pour  lui ,  5c  vous  ferez  toujours  fur  de 
la  vi(^oire  :  c'eft  un  Roi  qui  fait  de  la 
croix  fon  Trône  ,  8c  le  lieu  de  fes  dou- 
leurs 8>C  de  fes  foufFrances  ;  regardez  le 
vôtre  comme  un  lieu  de  foins  ôc  de  tra^ 


134  Vendredi  Saint. 
Tail ,  &:  non  comme  le  (îege  de  la  vo- 
lupté ÔC  de  la  molleffe  :  c'eftun  Roi  qui 
ne  veut  régner  que  fur  les  cœurs  :  Tu- 
fage  le  plus  glorieux  de  votre-autorité, 
c'eft  celui  qui  vous  afilirera  l'amour  de 
vos  peuples  :  c'eft  un  Roi  qui  vient  ap- 
porter la  pnis  ,  la  vérité  ,  la  juftice  aux 
hommes,  ôc  qui  ne  veut  que  les  ren- 
dre hf  ureux  :  Sire  ,  régnez  pour  norre 
bonheur,  &L  vous  régnerez  pour  le 
vôtre. 

O  mon  Sauveur  1  c'eft  aujourd'hui 
que  vous  commencez  à  régner  vous- 
même  fur  toutes  les  nations  ;  vos  der- 
niers foupirs  font  comme  les  prémices 
facrées  de  votre  règne  :  &  c'eil  par  la 
croix  que  vous  allez  conquérir  Tuni- 
vers  :  grand  Dieu  !  que  ce  ibit  elie  qui 
affermifle  ie  règne  de  1  enfantprécieux 
que  vous  voyez  ici  à  vos  pieds  :  que  la 
Religion  en  confacre  les  prémices ,  & 
en  couronne  la  durée:  ce  font  Tes  glo- 
rieux ancêtres  qui  Font  placée  parmi 
nous  fur  le  Trône  ;  que  ce  foit  elle  qui 
y  foutienne  l'Enfant  augufie  qui  ne 
peut  vous  offrir  encore  que  fon  inno- 
cence, la  foi  de  Tes  pères,  les  malheurs 
qui  ont  entouré  fon  berceau  royal ,  ÔC 
la  tendreffe  la  plus  vive  de  fes   fujets. 

Confervez  l'Enfant  de  tant  de  Saints 


Sur  les  Obstacles,  8cc.  235 
Se  de  tant  de  Proteâ:eurs  de  la  Foi  fain- 
te.  Ils  expofereiît  autrefois  leur  vie  ÔC 
leur  couronne  pour  aller  recouvrer 
votre  héritage  ;  confervez  le  (len  à  cet 
Enfant  précieux  :  afin  qu'il  puilîe  un 
jour  défendre  ÔC  protéger  l'Eglife,  que 
le  père  vous  donne  aujourd'hui  com- 
me rhériiage  que  vous  avez  acquis  par 
votre  fang.  Ils  revinrent  chargés  des 
dépouilles  facrées  de  la  croix  ;  que  ce 
dépôt  faint  dont  ils  enrichirent  cette 
Ylllc  régnante  ,  que  ce  gage  précieux 
de  l'A  piété  de  Tes  pères  ,  ibllicite  au- 
jourd'hui fur-îout  vos  grâces  en  fa  fa- 
veur: n*abandonnez  pas  l'héritier  de 
tant  de  Princes  ,  qui  ont  été  les  pre- 
miers défenfeurs  de  votre  nom  ôc  de 
votre  gloire.  Les  coups  de  votre  colère 
l*ont  épargné  au  milieu  des  débris  de 
fon  augurte  famille  ;  iailfez- nous  , 
grand  Dieu  ,  jouir  de  votre  bienfait 
que  nous  avons  acheté  fi  cher  :  que  ce 
reile  heureux  de  tant  de  têtes  auguftes 
que  nous  avons  vu  tomber  à  la  fois  , 
répare  nos  pertes  Se  elfuye  nos  larmes: 
comblez-le  lui  feul  de  toutes  les  grâces 
que  vous  aviez  réfervées  dans  vos  tré- 
fors  éternels  à  tant  de  Princes  qui  dé- 
voient régnera  fa  place ,  6C  auxquels  fa- 
couronne  étoit  deftinée  :  réunilTez  en 


zi6  Vendredi  Saint.^ 
lui  tout  ce  que  vous  deviez  partager 
fur  les  autres  ;  Scque  Ton  règne  ralTem- 
bîe  toutes  les  bénédidlions,  &  tous  \^s 
genres  de  bonheur  ,  que  nous  nous 
promettions  fép'dïément  fous  les  rè- 
gnes des  Princes  qu'une  mort  préma- 
turée nous  a  enlevés ,  6c  auxquels  vous 
n'avez  refufé  fans  doute  fur  la  terre 
une  couronne  que  la  naifTance  leur 
deilinoit ,  que  pour  leur  en  préparer 
dans  le  Ciel  une  éternelle. ^/n/ij où- i/» 


'■K^ 


137 

SERMON 

POUR    LE   JOUR 

DE   PASQUES- 

Sur  le  triomphe  de  la  Religion, 

■  Expolians  principatus  &  poteftates  ,  tra- 
duxir  Lonfidenter ,  pdlàm  triumphaiis  illos  ia 

fcmcripio. 

Jefiis-Chrifl  ayant  défarmé  les  Principautés 
&  les  Puiffances  ,  il  les  a  menées  hautement 
en  triomphe  à  la  face  de  tout  le  monde  ,  après 
les  avoir  vaincues  en  fa  propre  perfonne.  Col. 

2*    15. 

O  IRE  , 

LEs  vains  triomphes  des  Conqiié- 
rans  n'étoîent  qu'un  fpeâ:acle  d'or- 
gueil ,  de  larmes  ,  de  défefpoir  6c  de 
mort  :  c'étoit  le  triomphe  lugubre  des 
pailions  humaines;  &  ils  ne  laiflbient 
après  eux  que  les  triftes  marques  de 
l'ambition  des  vainqueurs  6c  de  la 
fervitude  des  vaincus. 


X38     Le  Jour   de  Pasques. 

Le  triomphe  de  Jeftis-Chrift  eil  au- 
jourd'hui pour  les  nations  mêmes  qui 
deviennent  fa  conquête  ,  un  triomphe 
de  paix,  de  liberté  &  de  gloire. 

Il  triomphe  de  Tes  ennemis  ;  mais 
pour  les  délivrer  ÔC  les  aflbcier  à  fa 
puilFance  ,  il  triom|5he  du  péché;  mais 
en  effaçant. 6c  attachant  à  la  croix  cet 
écrit  fatal  de  notre  condamnation  ,  il 
en  fait  couler  fur  nous  une  fource  de 
fainteté  6c  de  grâce  :  il  triomphe  de 
la  mort  ,  mais  pour  nous  afTurer  l'im- 
mortalité. 

Telle  eft  la  gloire  de  la  Religion  : 
elle  n'offre  d'abord  que  les  opprobres 

&  les  fouffrances  de  la   croix  :  mais 

» 

c'eft  un  triomphe  glorieux  8c  le  plus 
grand  fpeciracle  que  l'homme  puiiTe 
donner  à  la  terre.  Rien  ici  bas  n'eft 
plus  grand  que  la  vertu  :  tous  les  au- 
tres genres  de  gloire  ,  on  les  doit  au 
hafard ,  ou  à  l'adulation  ÔC  à  l'erreur 
publique;  celle-ci  on  ne  la  doit  qu'à 
Dieu  5c  à  foi- même.  On  en  fait  une 
honte  aux  Princes  6c  aux  Pullfans;  6C 
cependant  c'eft  par  elle  feule  qu'ils 
peuvent  être  Grands  ,  puifque  c'eil 
par  elle  feule  qu'ils  peuvent  triompher 
de  leurs  ennemis  ,  de  leurs  paflions  9 
5c  de  ia  mort  même. 


Triomphe  de  la  Religion,  i^f 
Expofons  ces  vérités  fi  honorables 
à  la  Foi  ;  ÔC  confacrons  à  la  gloire  de 
la  Religion  l'inftruâiion  de  ce  der- 
nier jour  ,  qui  eft  le  grand  jour  des 
triomphes  de  Jefus-Chrift. 


L 


SIRE, 


'A  gloire  des  Princes  8c  des  Grands  I. 
a  trois  écueils  à  craindre  fur  la  terre  :  Paî^tie*; 
la  maligaité  de  l'envie,  ou  les  inconf- 
tances  de  la  fortune  qui  robfcurciflenf, 
les  pafîîo  is  qui  la  déshonorent  ;  enfin, 
la  mort  mêiie  qui  l'enfévelit ,  &  qui 
change  en  cenfures  les  vaines  adula- 
tions qui  l'avoient  exaltée. 

La  Religion  feule  les  rnet  à  couvert 
de  ces  écueils  inévitables  ,  ÔC  où  toute 
la  gloire  humaine  vient  d'ordinaire 
échouer  :  elle  les  élevé  au  delTus  des 
événemens  ÔC  de  Tenvie:  elle  leur  af- 
fujettit  leurs  pafTions  ;  enfin  elle  leur 
alTure  après  leur  mort  la  gloire  que  la 
malignité  leur  avoit  peut-être  refufée 
pendant  leur  vie.  C'eft  ce  qui  fait  au- 
jourd'hui le  triomphe  de  Jefus  Chriiî , 
ôc  c'eil  ce  modèle  glorieux  que  nous 
propofons  aux  Grands  de  la  terre. 

Toute  la  gloire  de  fa  fainteté  §C  de 
fes  prodiges  n'avoit  pu  le  fauver  des 


240  Le  Jour  de  Pasques. 
traits  de  l'envie  ;  ÔC  fon  innocence 
avoir  paru  fuccomber  aux  PuifTances 
des  ténèbres  qui  Tavoient  opprimée. 
Mais  fa  rérurre(5lion  attache  à  (on  char 
de  triomphe  ces  Principautés  ôc  ces 
PuilTances  mêmes  :  fa  gloire  fort  triom- 
phante du  fein  de  fes  opprobres  :  fa 
croix  devient  le  fignal  éclatant  de  fa 
vi6^oire  :  la  Judée  feule  l'avoit  rejet- 
te ;  ÔC  l'univers  entier  l'adore. 

Oui  j  mes  Frères  ,  quelle  que  puif- 
fe  être  la  gloire  des  Grands  fur  la 
terre  ,  elle  a  toujours  à  craindre  ,  pre- 
mièrement ,  la  malignité  de  l'envie 
qui  cherche  à  Tobfcurcir.  Hélas  /  c'eft 
à  la  Cour  fur  tout ,  où  cette  vérité  n'a 
pas  befoin  de  preuve.  Quelle  eft  la 
vie  la  plus  brillante  où  l'on  ne  trouve 
des  tâches  ?  où  font  les  vi6i:oires  qui 
n'aient  une  de  leurs  faces  peu  gio* 
rieufe  au  vainqueur  ?  quels  font  les 
fuccè?  5  où  les  uns  ne  prêtent  au  ha- 
fard  les  mômes  événemens  ,  dont  les 
autres  font  honneur  aux  talons  6c  à  la 
fageife  ?  quelles  font  les  a6i:îons  héroï- 
ques qu'on  ne  dégrade  en  y  cherchant 
des  motifs  lâches  8c  rampans  ?  en  un 
mot ,  où  font  les  Héros  ,  dont  îa  ma- 
lignité ,  ôc  peut-être  la  vérité  ne  fafîe 
des  hommes  ? 

Tant 


Triomphe  DE  la  Religîôk.  14% 
Tant  que  vous  n'aurez  que  cette 
gloire  où  le  monde  afpire  ,  le  monde 
vous  la  difputera  :  ajoutes-y  la  gloire 
de  la  vertu  ;  le  monde  la  craint  ôc  I5 
fuit  ,  mais  le  monde  pourtant  la  ref^ 

P        Non  ,  Sire,  un  Prince  qui  craint 
Dieu  ôc  qui  gouverne  fagement  Tes 
peuples-,  n'a  plus  rien  à  craindre  des 
hommes.  Sa  gloire  toute  feule  auroit 
—    pu  faire  des  envieux;  fa  piété  rendra 
wF  fa  gloire  même  refpeâabie:  fes  entre- 
prifes  auf oient  trouvé  des  cenfeurs  ; 
fa  piété  fera  l'apologie  de  fa  condui- 
te :  fes  profpérités   auroient  excité  la 
jaloufie  ou  la  défiance  de  fes  voifîns  ; 
il  en  deviendra  par  fa  piété  Tafyle  ôC 
Tarbitre  :  fes  démarches  ne  feront  ja- 
mais fufpeâ:es  ,  parce  qu'elles  feront 
toujours  annoncées  par  la  juflice  :  on 
ne  fera  pas  en  garde  contre  fon  ambi- 
tion ,  parce  que  fon  ambition  fera  tou- 
jours réglée  par  fes  droits  ;  il  n'attirera 
point  fur  fes  Etats  le  fléau  de  la  guer- 
re ,  parce  qu'il  regardera  comme  un 
crime  de  la  porter  fan?  raifon  dans  les 
Etats  étranger?   :   il  réconciliera    les 
peuples  ÔC  les  Rois ,  loin  de  les  divifer 
pour  les  alfoibîîr  6c  élever  fa  puiiTance 
fur  leurs  divifions  ÔC  fur  leur  foiblefTe  : 
Petit  Carême,  L 


i4î  Le  jour  de  Pasques. 
fa  modération  fera  !e  plus  sûr  rampart 
de  fon  empire  :  il  n'aura  pas  befoia 
de  garde  qui  veille  à  la  porte  de  fon 
Palais;  les  cœurs  de  Tes  fujets  entou- 
reront Ton  Trône  &  brilleront  autour, 
à  la  place  des  glaives  qui  le  défendent  : 
fon  autorité  lui  fera  inutile  pour  fe 
faire  obéir  ;  les  ord*-es  les  plus  fûre- 
ment  accomplis  font  ceux  que  l'amour 
exécute  ;  6c  la  fourniHion  fera  fans 
murmure  ,  parce  qu'elle  fera  fans  con- 
trainte- :  toute  fa  puiffance  l'auroit 
rendu  à  peine  maître  de  fes  peuples  ; 
par  la  vertu  il  deviendra  l'arbitre  mê- 
me des  Souverains.  Tel  étoit ,  SiRt , 
un  de  vos  plus  faints  PrédéceiTeurs  à 
qui  l'Eglife  rend  des  honneurs  publics , 
ÔC  qu'elle  regarde  comme  le  protecteur 
de  votre  Monarchie.  Les  Rois  fes  voi- 
fîns  loin  d'envier  fa  puiflance,  avoient 
recours  à  fa  fagefTe  :  ils  s'en  remet- 
toient  à  lui  de  leurs  différends  &  de 
leurs  intérêts  :  fans  être  leur  vainqueur, 
il  étoit  leur  Juge  &  leur  arbitre  ;  6c  la 
vertu  toute  feule  lui  donnoit  fur  toute 
l'Europe  un  Empire  bien  plus  fur  6c 
plus  glorieux ,  que  n'auroient  pu  lui 
donner  fes  vi(î^oires.  La  puifTance  ne 
nous  fait  que  de  fujets  6c  des  efcla- 
ves  :  la  vertu  toute  feule  nous  rend 
maître  des  hommes* 


Triomphe  de  la  Religion.  145 
Mais  11  elle  nous  met  au  de  (Tu  s  de 
î'envie  ;  c'eft  elle  encore  qui  nous 
rend  fupéfieurs  aux  événemens.  Oui  , 
Sire  ,  les  plus  grandes  profpérités  ont 
toujours  ici  bas  des  retours  à  craindre: 
Dieu  qui  ne  veut  pas  que  notre  cœur 
s'attache  où  notre  tréfor  &  notre  boa- 
heur  ne  fe  trouvent  point ,  fait  quel- 
quefois du  plus  haut  point  de  notre 
élévation  le  premier  degré  de  notre 
décadence  :  la  gloire  des  hommes 
montée  à  fon  plus  grand  éclat ,  s*atti* 
re  ,  pour  ainfi  dire  ,  à  elle-même  des 
nuages  :  Thiftoire  des  Etats  &  des  Em- 
pires n'efl  elle-même  que  l'hiftoire  de 
la  fragilité  ÔC  de  l'inconftance  des  cho- 
fes  humaines  :  les  bons  bL  les  mauvais 
fuccès  femblent  s'être  partagé  la  durée 
des  ans  8c  des  fiécles  ;  ^  nous  venons 
de  voir  le  règne  le  plus  longSc  le  plus 
glorieux  de  b  Monarchie  ,  finir  par 
des  revers  5c  par  des  difgraces. 

Mais  fur  les  débris  de  cette  gloire 
humaine  ,  votre  pieux  &  augufle  Bi- 
-faïeul  fut  s'en  élever  une  plus  folide  6C 
plus  immortelle.  Tout  fembla  fondre 
&  s'éclipfer  auîour-de  lui  :  mais  c'eft 
alors  que  nous  le  vîmes  à  découvert 
lui  même,  plus  grand  parla  (implicite 
de  fa  foi  ÔC  par  la  confiance  de  fa  piété , 

Lij 


244  Le  jour  de  Pasques. 
que  par  Téclat  de  Tes  conquêtes  :  fes 
profpérités  nous  a  voient  caché  fa  vé- 
ritable gloire  :  nous  n'avions  vu  que 
fes  fjccès ,  nous  vîmes  alors  toutes  fes 
vertus  :  il  falloit  que  fes  malheurs 
égalaiT^nt  fes  profpérités  ;  qu'il  vît 
tomber  autour  de  lui  tous  les  Princes 
les  appuis  de  fon  Trône  ;  que  votre  vie 
îîiênae  fût  menacée  ,  cette  vie  fi  chère 
à  la  nation ,  ôc  le  feul  gage  de  fes  mi- 
féricordes  ,  que  Dieu  laiiTe  encore  à 
fon  peuple  :  il  falloit  qu'il  demeurât 
tout  feul  avec  fa  vertu  ,  pour  paroître 
tout  ce  qu'il  étoit  :  fes  fuccès  inouis 
lui  avoient  valu  le  nom  de  Grand  ;  fes 
fentimens  héroïques  ÔC  chrétiens  dans 
î'adverfiré  ,  lui  en  ontalfuré  pour  tous 
les  âges  à  venir  le  nom  ôC  le  mérite. 

Non ,  mes  Frères ,  il  n'eft  que  la  Re- 
ligion qui  puiffe  nous  mettre  au-deflus 
des  événemens  ;  tous  les  autres  motifs 
nous  lailTent  toujours  en^re  les  mains 
de  notre  foibleffe  :  la  raifon  ,  la  Philo- 
fophie  promettoit  la  confiance  à  fon 
Sage  ;  mais  elle  ne  la  donnoit  pas  : 
la  fermeté  de  l'orgueil  n'étoit  que  la 
dernière  relîburce*du  découragememt; 
Se  l'on  cherchoit  une  vaine  confola-; 
tion  ,  en  faifant  femblant  de  méprifei* 
des  maux  qu*on  n'étoit  pas  capable  dq 


Triomphe  de  la  Religion.  245 
vaincre.  La  plaie  qui  blefle  le  cœur  , 
ne  peut  trouver  Ton  remède  que  dans 
,  le  cœur  même  ;  or  ia  Religion  toute 
feule  porte  fon  remède  dans  le  cœur* 
Les  vains  préceptes  de  la  Phiiofophie 
nous  prêchoient  une  infenfibilité  ri- 
dicule ,  comme  s'ils  avoient  pu  étein- 
dre les  Tentimens  naturels,  fans  étein- 
dre la  nature  elle  même.  La  Foi  nous 
laiîfe  fenfibles  ;  mais  elle  nous  rend 
fournis  ,  6c  cette  fenfibilité  fait  elle- 
même  tout  îe  mérite  de  notre  foumif 
fîon  :  notre  fainte  phiiofophie  neù. 
pas  inteofîble  aux  peines  \  mais  elle  eft 
fupéfieure  à  la  douleur- C'étoiîôier  aux 
hommes  la  gloire  de  la  fermeté  dans 
les  Souffrances ,  que  de  leur  en  ôter  le 
fentiment;5clarageire  payenne  ne  vou- 
loir les  rendre  infenfibles,  que  parce- 
qu'elle  ne  pouvoir  les  rendre  foumis 
5c  patiens  :  elle  apprenoit  à  l'orgueil 
à  cacher  6v.  non  à  furmonrer  les  fenfî- 
bilités  ôc  Tes  foiblefies  :  elle  formoit 
des  héros  de  théâtre  ,  dont  les  grands 
fentimens  n'étoient  que  pour  les  Spec- 
tateurs,  ÔC  afpiîoiî  plus  à  la  gloire  de 
paroître  confiant,  qu'à  la  vertu  même 
de  la  confiance. 

Mais  la  Foi  nous  laiiïe  tout  le  mérite 
de  la  fermeté  ,  &:  ne  veut  pas  même 

L  iij 


t4.6  Le  jour  de  Pasque^, 
en  avoir  l'honneur  devant  les  hom» 
mes.  Elle  facrifie  à  Dieu  feul  les  fenti» 
mens  de  la  nature  ;  ôc  ne  veut  pour 
témoin  de  fou  facrifice  que  celui  feul 
qui  peut  en  erre  le  rémunérateur  :  elle 
feuîe  donne  de  la  réalité  à  toutes  les 
autres  vertus  j  parce  qu'elle  feule  en 
bannit  Porgueil  qui  les  corrompt  ,  ou 
qui  n'en  fait  que  des  phantômes. 

Ainfî  5  qu'on  vante  Télévation  &  la 
iupériorité  de  vos  lumières  ;  qu'une 
haute  fageffe  vous  faiîe  regarder  com- 
me l'ornement  5c  le  prodige  de  votre 
îîécle  :  fi  cette  gloire  n'eft  qu'au  de- 
hors ;  fi  la  Religion ,  qui  feule  élevé 
le  cœur  ,  n'efl:  pas  la  première  bafe  ; 
le  premier  échec  de  fadverfité  renver- 
fera  tout  cet  édifice  de  philoiophie  6c 
de  fauffe  fageffe  ,  tous  ces  appuis  de 
chair  s'écrouleront  fous  votre  m^in  ; 
ils  deviendront  inutiles  à  votre  tmU 
heur  :  on  cherchera  vos  grandes  qua- 
lités dans  votre  découragement  ;  5c 
votre  gloire  ne  fera  plus  qu'un  poids 
ajouté  à  votre  affliâion  qui  vous  la 
rendra  plus  infupportable.  Le  monde 
£d  vante  de  faire  des  heureux  ;  mais  la 
Religion  toute  feule  peut  nous  rendre 
grands  au  milieu  de  nos  m.allieurs 
mêmeSa 


Triomphe  de  la  Religion.  xA^i 
1    Remier  triomphe  de  Je  fus-  Chrift  ;      *•    , 

PARTIE» 

il  triomphe  de  la  malignité  de  l'en- 
vie 8c  de  tous  les  opprobres  qu'elle 
lui  avoient  attirés  de  la  part  de  fes  en- 
nemis. Mais  il  triomphe  encore  du  pé- 
ché :  il  eqnmene  captif  ce  premier  au- 
teur de  la  captivité  de  tous  les  hommes: 
il  nous  rétablit  dans  tous  les  droits 
glorieux  dont  nous  étions  déchus ,  6C 
nous  rend  par  la  grâce  la  fupériorité 
fur  nos  pallions ,  que  nous  avions  per- 
due avec  l'innocence. 

Second  avantage  de  la  Religfon  : 
elle  nous  éleva  au-delTus  de  nos  paf- 
lîons  ,  6c  c'eil  le  plus  haut  degré  de 
gloire  où  l'homme  puiiTe  ici-bas  at- 
teindre. Oui ,  mes  Frères  :  en  vain  le 
monde  infulte  tous  les  jours  à  la  piété 
par  des  dérifions  infenfées  ;  en  vain  , 
pour  cacher  la  honte  des  paillons  ,  il 
fait  prefque  à  l'homme  de  bien  une 
honte  de  la  vertu  ;  en  vain  il  la  repré- 
fente  ,  aux  Grands  fur  tout ,  comme 
une  foiblede  ,  &  com^ne  l'écueil  de 
leur  gloire  ;  en  vain  il  autorife  leurs 
paHîons,  par  \ç^%  grands  exemples  qui 
les  ont  précédés ,  ôc  par  l'hiftoire  des 
Souverains  qui  ont  allié  la  licence  des 
mœurs  avec  u*n  règne  glorieux  6C  l'é- 

L  iv 


24^  Le  jour  de  Pasques. 
clat  des  vi(^oires  ôc  des  conquêtes  % 
leurs  vices  venus  jufqu'à  nous ,  5c  rap- 
pelles d'âge  en  âge ,  formeront  jufqu'à 
la  fin  le  trait  honteux  ,  qui  efFace  l'é- 
clat de  leurs  grandes  aérions  ,  ôc  qui 
déshonore  leur  hilloire. 

Plus  même  ils  font  élevés  ,  plus  le 
dérèglement  des  mœurs  les  dégrade  j 
&  leur  ignominie ,  dit  TEfprit  de  Dieu, 
2.  Macc»  ^^^'^^  ^  proportion  de  leur  gloire.  Outre 
i*  24,     que  leur  rang ,  en  les  plaçant  au  deffus 
de  nos  têtes  ,  expofe  leurs  vices  com- 
me leur  perfonne  aux  yeux  du  public. 
Quelle  honte  lorfque  ceux  qui  font 
établis  pour  régler  les  pafTions  de  la 
multitude  ,  deviennent  eux- mêmes  les 
vils  jouets  de  leurs   pafTîons  propres  ; 
êc  que  la  force  ,  l'autorité ,  la  pudeur 
des  loix  fe  trouvent  confiée  à  ceux  qui 
ne  connoifTent  de  loi  ,  que  le  mépris 
-   public   de    toute    biénféance   &  leur 
propre  foiblelfe  !  Ils  dévoient  régler  les 
mœurs   publiques  ;  ôc  il  les  corrom- 
pent :  ilsétoient  donnés  de  Dieu  pour 
être  les  proteâieurs  de  la  vertu  ;  &  ils 
deviennent  les  appuis  5c  les  modèles 
du  vice. 

Toute  la  gloire  humaine  ne  fauroit 
jamais  effacer  l'opprobre  que  leur  laifle 
ie  défordre  des  mœurs ,  ôc  l'emporte- 


Triomphe  de  la  Religion.  249 
ment  des  pafTions  ;   les   vi6loires  ies 
plus  éclatantes  ne  couvrent  pas  la  hon- 
te de  leurs  vices  :  on  loue  les  actions  y 
Se  l'on  méprife  la  perfonne  :  c'eft  de 
tout  temps ,  qu'on  a  vu  la  réputation^ 
la  plus  brillante  échouer  contre   les 
mœurs  du  héros  ;  ôc  Tes  lauriers  flétris 
par  fes  foiblelTes.   Le  monde  qui  fem- 
ble  méprifer  la  vertu ,  n'eftime  6c  ne 
rerpe8:e  portant  qu'elle  :  il  élevé  de^ 
nionun:îens  fuperbes  aux  grandes  se» 
lions  des  conquérans  ;   il  fait  reîentif 
la  terre  du  bruit  de  leurs  louanges;, 
une  poéfie  pompeufe  les  chante  6(.  les 
immortalife  ;    chaque   Achille   a  fori 
Homère  ;   l'éloquence   s'épuife   pou? 
leur  donner  du  luftre  r  l'appareil  def 
éloges  eft  donné  à  l'ufage  &  à  la  van** 
té  ;  l'admiration  fecrette  &  les  louan- 
ges réelles  &C  finceres  ,  on  ne  les  dor.» 
ne  qu'à  la  vertu  5c  à  la  vérité. 

Et  en  effet  ^  le  bonheur  ou  la  ténic'* 
îité  ont  pu  faire  des  héros  ;  mais  la 
vertu  toute  feule  peut  former  de 
grands  hommes,  il  en  cotite  biea- 
moins  dé  remporter  des  viclt^'res  que* 
de  fe  vaincre  foi-même  :  il  ell  biem 
plus  aifé  de  conquérir  des  provii^cca^^ 
êc  de  dompter  des  peuples- ,  que  de 
dompter  une  paiBoa  .la  ir  orale»  mime 


250  Le  jour  de  Pasques; 
des  Payens  en  efl  convenue.  Du  moinâ^ 
les  combats  où  préGde  la  fermeté  ,  la 
grandeur  du  courage,  la  fcience mili- 
taire ,  font  de  ces  allions  rares  ,  que 
Ton  peut  compter  aifément  dans  le 
cours  d'une  longue  vie  ;  ÔC  quand  il 
ne  faut  être  grand  que  certains  mo- 
mens  ,  la  nature  ramaife  toutes  fes 
forces  ,  ôc  l'orgueil  pour  un  peu  de 
temps  pe^ut  fupplécr  à  la  vertu.  Mais  les 
combats  de  la  Foi  font  de?  combats  de 
tous  les  jours  :  on  a  affaire  à  des  enne- 
mis qui  renaillent  de  leur  propre  dé- 
faite :  fi  vous  vous  laffez  un  inftant  9. 
vous  périlîez  :  la  viâoire  même  a  fes 
dangers;  l'orgueil ,  loin  de  vous  aider, 
devieotle  plus  dangereux  ennemi  que 
^ous  ayez  à  combattre  :  tout  ce  qui 
vous  environne  fournit  des  armes  con* 
pre  vous  ;  votre  cœur  lui-même  vous 
drelTe  des  embûches  ;  il  faut  fans  céfle 
recommencer  le  combat.  En  un  mot, 
on  peut  être  quelquefois  plus  fort  ou 
plus  heureux  que  fes  ennemis  ;  mais 
qu'il  eft  grand  d'être  toujours  plus  fort 
^pe  foi  même  ! 

Telle  eft  portant  la  gloire  de  la 
Religion.  La  Philofophie  découvroit 
la  honte  des  paiFions  ;  mais  elle  n'ap- 
^fêHQir  £>a§  à  les  vaiflcre  ^  ôc  ces  pré- 


Triomphe  de  la  Religion.  251 
ceptes  pompeux  étoient  plutôt  l'éloge 
de  la  vertu  ,  que  le  remède  du  vice. 

Il  étoitmême  néceflaire  à  la  gloire 
&  au  triomphe  de  la  Religion  que  les 
plus  grands  génies  ,  ÔC  toute  la  force 
de  la  rai  Ton  humaine  fe  fut  épuifée 
pour  rendre  les  hommes  vertueux.  Si 
les  Socrates  6c  les  Platons  n'avoient 
pas  été  les  Do£^eurs  du  monde  avant 
Jefus  Chrift  ,  ÔCn'euflent  pas  entrepris 
en  vain  dérégler  les  mœurs, 6c  de  cor- 
riger les  hommes  par  la  force  feule  de 
la  raifon  ;  l'homme  auroit  pu  faire  hon^ 
neur  de  fa  vertu  à  la  fupériorité  de  fô 
raifon  5  ou  à  la  beauté  de  la  vertu  mê- 
me :  mais  ces  prédicateurs  de  la  fagefle 
ne  firent  point  de  Sages  ;  &  il  failoit 
que  les  vains  elTais  de  la  philofophie 
prcparalfent  de  nouveaux  triomphes^ 
ia  grâce. 

C'eft  elle  enfin  qui  a  montré  à  fe 
terre  le  véritable  Sage  ,  que  tout  le 
faite  Se  tout  l'appareil  de  la  raifon  hu^ 
maine  nous  annonçoit  depuis  fi  long- 
temps. Elle  n'a  pas  borné  toute  fa  gloire- 
corn  me  la  Philofophie  à  effayer  à'ew 
former  à  peine  un  dans  chaque  fiecle 
parmi  les  hommes  :  elle  en  a  peuple 
les  villes,  les  Empires,  les  défères  ;  ^ 
Fimlverî  entiersa  été  pour  elle  un  autre 


252  Le  jour  de  Pasques 
Licée  ,  où  au  milieu  des  places  publi- 
ques elle  a  prêché  la  fagelTe  à  tous  les 
^  o  hommes.  Ce  n'eft  pas  feulement  par- 
jt.  ^^  /  mi  les  peuples  les  plus  polis,  qu'elle  a 
choifi  fes  Sages  ;  le  Grec  ÔC  le  Barbare  , 
le  Romain  6c  le  Scythe  ont  été  égale- 
ment appelles  à  fa  divine  philofophie  : 
ce  n'eft  pas  aux  Savans  tous  feuls ,; 
qu'elle  a  réfervé  la  connoiffance  fubli- 
me  de  Tes  my itères;  le  fimple  a  prophé- 
iifé  comme  le  r3ge;ôclesigrj  or  ans  eux- 
mêmes  font  devenus  fes  douleurs  ê>C 
fes  apôtres.  Il  falloir  que  ia  véritable 
lageliê  pût  devenir  la  fageffe  de  tous 
ks  hommes.     • 

Que  dirai  je  ?  Sa  doélrine  étoit  in- 
ênfée  en  apparence  ;  &  lès  Philcfo- 
phes  foumirent  leur  raifon  orgueilleu» 
le  à  cette  fainte  folie  :  elle  n'annon- 
i|oit  que  des  croix  ÔC  des  fouffrances  ; 
èc  les  Céfars-  devinrent  fes  difciples  : 
«lie  feule  vint  apprendre  aux  hom- 
mes ,  que  la  chafleté  ,  1  humilité  ,  la 
nem.pérance  pouvoient  être  afîlfes  fur 
lie  Trône  ;  ^  que  ie  liège  ûts  paflîons 
Bc  des  piaiiirs  pouvoir  devenir  le 
Sege  de  la  vertu  6c  de  l'innocence* 
Quelle  gloire  pour  la  Religion  ! 

Mais  ^  Sire  ,  iî  la  piété  des  Grands; 
.t^  gjioneuie;  à  k  Religion  5.  c'eH  Is 


Triomphe  de  la  Religion.  1^3 

Religion  toute  feuie  qui  fait  la  gloire 
véritable  des  Grands.  De  tous  leurs 
titres ,  le  plus  honorable  c'eft  la  vertu- 
Un  Prince  maître  de  Tes  pafîîons  ;  ap- 
prenant fur  lui  -  même  à  commander 
aux  autres  ;  ne  voulant  goûter  de  l'au- 
torité ,  que  les  foins  6c  les  peines  que 
le  devoir  y  attache  ;  plus  touché  de  Tes 
fautes  que  des  vaines  louanges  qui  les^ 
lui  déguifent  en  vertus  ;  regardant 
comme  l'unique  privilège  de  Ton  rang  , 
l'exemple  qu'il  eft  obligé  de  donner 
aux  peuples  ;  n'ayant  point  d'autre 
frein  ni  d'autre  règle  que  Tes  defirs  ,  ÔC 
faifant  pourtant  à  tous  fes  delirs  un 
f;ein  de  la  règle  même  ;  voyant  autour 
de  lui  tous  les  hommes  prêts  à  fervir  à 
fes  pafîîons ,  ôC  ne  fe  croyant  fait  lui-- 
même que  pour  fervir  à  leus  befoins  ; 
pouvant  abufer  de  tout,  ÔC  fe  refufant 
même  ce  qu'il  auroiteu  droitde  fe  per- 
mettre :  en  un  mot ,  entouré  de  tous 
les  attraits  du  vice  ,  ÔC  ne  leur  mon^ 
trant  jamais  que  la  vertu  ;  un  Prince 
de  ce  caraôere  efl  le  plus  grand  fpec- 
tacle  que  la  Foi  puiÏÏe  donner  à  la  ter- 
re  :  une  feule  de  fes  journées  eompre 
plus  d'actions  glorieufes  que  la  longue 
carrière  d'un  conquérant;  l'un  a  été  la 
héros  d'un  jour  ^  l'autre  l'eû  de  iQixm: 
la  vie» 


2  54      Ï-E    JOUR    DE   PaSQUES. 


n.    C'J 


'Eft  ainfi  que  Jefus  Chrift  trîom- 
Partie*  ^^^  aujourd'hui  du  péché  ;  mais  il 
triomphe  encore  de  la  mort  ;  il  nous 
ouvre  les  portes  de  T'im mortalité ,  que 
le  péché  nous  avoit  fermées  ;  ÔC  le  fein 
même  de  Ton  tombeau  enfante  tous  les 
hommes  à  la  vie  éternelle. 

C'eft  le  dernier  trait  qui  achevé  le 
triomphe  de  la  Pvcligion.  L'impiété  ne 
donnoità  l'homme  que  la  même  fin  , 
qu'à  la  bête  :  tout  devoit  mourir  avec 
fon  corps  ;  &:  cet  être  fi  noble  ,  feul 
capable  d'aimer  6c  de  eonnoître  ,  n'é- 
toit  pourtant  qu'un  vil  afTemblage  de 
boue  que  le  hafard  avoit  formé ,  6c 
que  le  hafard  feul  alloit  difToudre  pour 
toujours. 

La  fuperfiiiion  payenne  lui  promet- 
toit  au -delà  du  tombean  une  félicité 
oifeufe  ,  où  les  vains  phantômes  des 
fens  doivent  faire  tout  le  bonheur 
d^un  homme  qui  ne  peut  être  heureux 
que  parla  vérité. 

La  Religion  nous  ouvre  des  efpéran- 
ces  plus  nobles  6c  plus  fublimes  :  elle 
rend  à  l'homme  rimm.ortalité  ,  que 
l'impiété  de  la  Philofophie  avoit  voulu 
lui  ravir,  Se  fubftitue  lapoffeiîloo  éter- 
adie  du  bien  fouverain  à  ces  champf 


Triomphe  de  la  Religion.  25$ 

fabuleux  &  à  ces  idées  puériles  de 
bonheur  que  la  fuperftition  avoir  ima- 
ginées. 

Mais  cette  immortalité  quieft  la  plus 
douce  efpérance  de  la  Foi ,  n'efl  pro- 
mife  qu'à  la  Foi  même  :  Tes  promefles 
font  la  récompenfede  fes  maxirnes;  ÔC 
pour  ne  mourir  jamais  même  devant 
les  hommes  ,  il  faut  avoir  vécu  félon; 
Dieu. 

Oui,  mes  Frères,  cette  immortalité  y 
même  de  renommée  ,  que  la  vanité 
promet  ici- bas  dans  le  fouvenir  des 
hommes  ,  les  Grands  ne  peuvent  la 
mériter  que  par  la  vertu. 

La  mort  eil  prefque  toujours  l'écueiï 
êC  le  terme  fatal  de  leur  gloire  :  les  vai- 
nes louanges ,  dont  on  les  avoit  abufés 
pendant  leur  vie  ,  defcendetit  prefque 
aufîî-  tôt  avec  eux  dans  l'oubli  du  tom- 
beau :  ils  ne  furvivent  pas  long-temps  à 
eux  mêmes  ;  ou  s'il  en  refte  quelque 
fouvenir  parmi  les  hommes,  ils  en  font 
plus  redevables  à  la  malignité  des  cen- 
fures ,  qu'à  la  vanité  des  éloges  :  leurs 
louanges  n'ont  eu  que  la  même  durée 
que  leurs  bienfaits  :  ils  ne  font  plus- 
rien  ,  dès  qu'ils  ne  peuvent  plus  rien^ 
Leurs  adulateurs  même  deviennent: 
iemscenfeurs'î  (.car  l'adulation  dégéne^ 


z$6  Le  jour  de  Pasques. 
re  toujours  en  ingratitude;  )  de  nouvel- 
les efpérances  forment  un  nouveau  lan- 
gage ;  on  élevé  fur  les  débris  de^a  gloi- 
re du  mort  la  gloire  du  vivant  ;  on  em- 
beiiit  de  fes  dépouilles  5c  de  fes  vertus 
celui  qui  prend. fa  place.  Les  Grands 
font  proprement  le  jouet  des  paillons 
des  hommes;  leur  gloire  n'a  point  de 
confiftance  alTurée  ,  Sc  elle  augmente 
ou  diminue  avec  les  intérêts  de  ceux 
qui  les  louent. 

Combien  de  Princes  vantés  pendant 
leur  vie  ,  n'ont  pas  même  laiffé  leur 
nom  à  la  poflérité  ;  ôc  que  font  les  hif- 
Eoires  des  Etats  Sc^des  Empires  qu'un 
petit  relie  de  noms  &  d'aélions ,  échap- 
pé de  cette  foule  innombrable  qui  de- 
puis la  nailTance  des  llecles  e£t  demeu- 
rée dans  l'oubli  ! 

Qu'ils  vivent  félon  Dieu  ,  6c  leur 
nom  ne  périra  jamais  de  la  mémoire 
des  hommes.  Les  princes  religieux  fon2 
écrits  en  caraâ:eres  ineffaçables  dans 
ies  annales  de  l'univers.  Les  viâ:oire3 
&.  les  conquêtes  font  de  tous  les  liecles 
&  de  tous  les  règnes ,  ÔC  elles  s'effacenr, 
pour  aînfi  dire ,  ies  unes  les  autres  davis 
Bos  hifVoires  :  mais  les  grandes  avions 
de  piété  plus  rares,  y  confervent  tou- 
jours tout  leur  éclata  Un  Prince  pieui*: 


Triomphe  de  la  Religion.  157 
fe  démêle  toujours  de  la  foule  des  au- 
tres Princes  dans  la  pollérité  :  fa  tête 
ÔC  fon  nom  s'élève  au-  deiTus  de  toute 
cette  multitude  ,  comme  celle  de  Saul 
s'élevoitau-deffusde  toute  la  multitu- 
de des  Tribus:  fa  gloire  va  même  croif- 
fant  en  s'éloignant ,  &  plus  les  fiecies 
fe  corrompent ,  plus  il  devient  un 
grand  fpeélacle  pai^a  vertu. 

Oui ,  SiRE  ,  on  a  prefque  oublié  les 
noms  de  ces  premiers  conquérans,  qui 
jetterent  dans  les  Gaules  les  premiers 
fondemens  de  votre  Monarchie,  ils 
font  plus  connus  par  les  Fables  Se  par 
les  Romans  ,  que  par  l'Hiffoire  ;  6C 
Ton  difpute  même  s'il  faut  les  mettre 
au  nombre  de  vos  auguftes  Prédécef- 
feurs  :  ils  font  demeurés  comme  enfé- 
velis  dans  les  fondemens  de  l'Empire 
qu'ils  ont  élevé ,  ôc  leur  valeur  qui  a 
perpétué  la  conquête  du  Royaume  à 
leurs  defcendans,  n'a  pu  y  perpétuer 
leur  mémoire. 

Mais  le  premier  Prince  qui  a  fart 
affeoir  avec  lui  la  Religion  fur  le  Trône 
des  François ,  a  immortalifé  tous  fes 
titres  par  celui  de  Chrétien  :  la  France 
a  confervé  chèrement  la  mémoire  du 
Grand  Clovis:  ta  Foi  eft  devenue,  pour 
sinfi  dire ,  la  première  U  la  plus  fûre 


^5^  Le  Jour  de  Pasques. 
époque  de  rHifîoire  de  la  Monarchie; 
&  nous  ne  commençons  à  connoître 
vos  ancêtres  ,  que  depuis  qu'ils  ont 
commencé  eux-mêmes  à  connoître 
Jefus-Chrift. 

Les  fainrs  Rois  dont  les  noms  font 
écrits  dans  nos  annales ,  feront  toujours 
ks  titres  les  plus  précieux  de  la  Monar- 
chie, 5c  les  modèles  iilufires  que  cha- 
que fiecle  propofera  à  leurs  fucctlTeurs, 

C'eft  fur  la  vie,  Sire  ,  de  ces  pieux 
Princes  vos  ancêi;res,  qu'on  a  déjà  fixé 
vos  premiers  regards  :  on  vous  anime 
tous  les  jours  à  la  vertu  par  ces  grands 
exemples.  Soutenez-vous  des  Charle- 
magnes  &  des  Saint  Louis  qui  ajoutè- 
rent à  l'éclat  de  la  Couronne  que  vous 
portez;  l'éciat  immortel  delà  juftice  6c 
de  la  pitié  ;  c*eil  ce  que  répètent  tous 
les  jours  à  Votre  Majefté  de  fages  inf- 
truétions  :  ne  remontez  pas  même  û 
haut ,  vous  touchez  à  des  exemples 
d'autant  plus  intérelTans  ,  qu'ils  doi- 
vent vous  être  plus  chers  ;  6c  la  piété 
coule  de  plus  près  dans  vos  veines 
avec  le  fangd'un  Père  pieux  &  d'un 
augufte  Bifaïeul. 

Vous  ères ,  Sire  ,  le  feul  héritier 
de  leur  Trône  ipuiiïiez- vous  l'être  de 
leurs  vertus  l  puifTent  ces  grands  mo-. 


Triomphe  de  la  Religion.  259 
deles  revivre  en  vous  par  l'imitation  ^ 
plus  encore  que  par  le  nom  !  puifTiez- 
vous  devenir  vous-  même  le  modèle 
des  Rois  vos  fuccelîeurs  / 

Déjà  ,  (i  notre  tendreffe  ne  nousfé- 
duit  pas  ;  fi  une  enfance  cultivée  par 
tant  de  foins  ÔC  par  des  mains  fi  habi- 
les ,  ÔC  où  l'excellence  de  la  nature 
femble  prévenir  tous  les  jours  celle  de 
l'éducation  ,  ne  nous  fait  pas  de  nos 
defirs  de  vaines  prédissions  ;  déjà  s'ou- 
vrent à  nous  de  fi  douces  efi^érances  : 
déjà  nous  voyons  briller  de  loin  les 
premières  lueurs  de  notre  profpérité 
future  :  déjà  la  majeflé  de  vos  ancê- 
tres peinte  fur  votre  front  ,  nous  an- 
nonce vos  grandes  deftinées.  Puiffiez- 
vous  donc  ,  Sire,  5c  ce  fouhait  les 
renferme  tous  ;  puifiiez  -  vous  être  un 
jour  aufli  grand  que  vous  nous  êtes 
cher  ! 

Grand  Dieu  !  fi  ce  n'étoient  là  que 
mes  vœux  6c  mes  prières ,  les  derniè- 
res fans  doute  que  mon  miniftere  ^ 
attaché  déformais  par  les  jugemens 
fecrets  de  votre  Providence  au  foin 
d'une  de  vos  Eglifes  ,  noe  permettra 
de  vous  oiFrir  dans  ce  lieu  augufte  ;  fi 
ce  n'étoient  là  que  mes  vœux  ôC  mes 
prières  \  &  qui  fuis  -  je  pour  efpérei 


i6o  Le  Jour  de  Pasques. 
qu'elles  pufTent  monter  jufqu'à  votre 
Trône  ?  Mais  ce  font  les  vœux  de  tant 
de  faints  Rois  qui  ont  gouverné  la  Mo- 
narchie ,  &  qui  mettant  leurs  couron- 
nes devant  l'Autel  éternel  aux  pieds  de 
TAgneau,  vous  demandent  pour  cet 
Enfant  augufte  la  couronne  de  juftice 
qu'ils  ont  eux- mêmes  méritée. 

Ce  font  les  vœux  du  Prince  pieux 
fur  tout  qui  lui  donna  la  nailTance;  6c 
qui  profterné  dans  le  Ciel ,  comme 
nous  refpérons  ,  devant  la  face  de  vo- 
tre  gloire ,  ne  cefie  de  vous  demander 
que  cet  unique  héritier  de  fa  couron- 
ne le  devienne  aufil  des  Grâces  ^  des 
mifcricordes  dont  vous  l'aviez  prévenu 
lui  mê  ne. 

Ce  ioni  les  vœux  de  tous  ceux  qui 
m'écouient ,  ÔCquiou  chHft;ésdu  foin 
de  ion  enfance  ,  ou  arrachés  de  plus 
près  à  fa  perfonne  facrée  ,  répandent 
ici  leur  cœur  en  votre  préfence  ;  afia 
que  cet  Enfant  précieux ,  qui  e{\  ccm- 
me  Tenfant  de  nos  foupirs  &  de  nos 
larmes ,  non  feulement  ne  périiTe  pas, 
mais  devienne  lui-même  le  falut  de 
fon  peuple. 

Que  dirai  je  encore  ?  ce  {bnt,ô  moa 
Dieu  .'  les  vœux  que  toute  la  nation 
¥Ous  oifre  aujourd'hui  par  ma  bouche 


Triomphe  de  la  Religion.  i6i 
cette  nation  que  vous  avez  protégée 
dès  le  commencement ,  8c  qui  malgré 
fes  crimes  eft  encore  la  portion  la  plus 
florilTante  de  votre  Eglife. 

Pourrez- vous ,  grand  Dieu  !  fermer 
à  tant  de  vœux  les  entrailles  de  votre 
miféricorde  !  Dieu  des  vertus  ,  tour- 
nez-vous donc  vers  nous  :  Dcus  virtu-  Pf-l^^. 
tiim^  convertere  :  Regardez  du  haut  du  iS*  ^^' 
Ciel ,  5c  voyez  ,  non  les  diffblutions 
publiques  ÔC  fecrettes  ,  mais  les  mai- 
heurs  de  ce  premier  Royaume  chré- 
tien ,  de  cette  vigne  (î  chérie  que  vo- 
tre main  elle  même  a  plantée,  6c  qlii 
a  été  arrofée  du  fang  de  tant  de  Mar- 
tyrs !  Rcfpice  de  cœlo  ^  &  vldc^  &  vifîta 
vineam  ijlam  quam  plantavit  dextera 
tua.  Jettez  fur  elle  vos  anciens  regards 
de  miféricorde  :  ÔC  fi  nos  crimes  vous 
forcent  encore  de  détourner  de  nous 
votre  face  ;  que  l'innocence  du  moins 
de  cetaugufle  Enfant  que  vous  avez 
établi  fur  nous  ,  vous  rappelle  &  vous 
rende  à  votre  peuple  :  Et  fuper  filium 
hominis  ,  quem  confirmadl  tibl. 

Vous  nous  avez  affez  affligés ,  grand 
Dieu  !  effuyez  enfin  les  larmes  que 
tant  de  fléaux  que  vous  avez  verfé 
fur  nous  dans  vorre  colère  ,  nous  font 
répandre.  Faites  fuccéder  des  jours  de 


î,5i  Le  Jour  de  Pasques. 
joie  6c  de  iriféricorde  à  ces  jours  de 
deuil  ,5c  de  courroux  ÔC  de  vengeancco 
Que  vos  faveurs  abondent  où  vos  châ- 
timens  avoîent  abondé  :  ôc  que  cet 
Enfant  fi  cher  foit  pour  nous  un  don 
qui  répare  toutes  nos  pertes. 

Faites  en  ,  grand  Dieu  ,  un  Roi  fé- 
lon votre  cœur ,  c'efl  à  dire ,  le  père 
de  fon  peuple  ;  le  protecteur  de  votre 
Eglife  ;  le  modèle  des  mœurs  publi- 
ques ;  le  paciiicatenr,  plutôt  que  le 
vainqueur  des  nations  ;  l'arbitre  ,  plus 
qu*  la  terreur ,  de  fes  voifîns  :  6c  que 
l'Europe  entière  envie  plus  notre  bon- 
heur ôc  foit  plus  touchée  de  fes  ver- 
tus qu'elle  ne  foit  jaloufe  de  fes  vic- 
toires §C  de  fes   conquêtes. 

Exaucez  des  vœux  (i  tendres  8c  (î 
jufte  ,  ô  mon  Dieu  !  &  que  ces  faveurs 
temporelles  foient  pour  nous  un  gage 
de  celles  que  vous  nous  préparez  dans 
reternité,     Ainfi  foit-iL 


20  5 

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SERMON 

SUR 

LES    VICES   ET   LES   VERTUS 

DES  GRAN  DS. 

Oftencîit  ei  omnia  régna  mundi,  &  gîoriam 
eorum  ;  &  dixit  ei  :  Hase  omnia  tibi  dabo  ,  fi 
cadens  adoraveris  me. 

Le  démon  montra  à  Jefus-Chrijî  touf  les 
Royaumes  du  monde  ,  &  toute  la  pompe  &  la 
gloire  qui  les  environnent  ;  &  il  lui  dit  :  Je 
vous  donnerai  toutes  ces  chofes  ,  Jî  en  vous 
proilernant  devant  moi  vous  m'adorei^  Matth. 
4.  8.  9. 

O  I  RE  , 

LEs  profpérités  humaines  ont  tou- 
jours été  un  des  pièges  les  plus 
dangereux  ,  dont  le  démon  s'eft  fervi 
pour  perdre  les  hommes.  Il  fait  que 
l'amour  delà  gloire  ÔC  de  l'élévation 
nous  eftii  naturel,  que  rien  ne  nous 
coûte  pour  y  parvenir  ,  6c  que  l'ufage 
en  ell  (î  féduifant ,  que  rien  n*eft  plus 
rare  que  la  piété  environnée  de  gran- 
deur ÔC  de  puiflance. 


x64    Vices  et  Vertus. 

Cependant,  mes  Frères ,  c'eft  Dieu 
feul  qui  élevé  les  Grands  &  les  Puif- 
fans  ;  qui  vous  place  au  delTus  des  au- 
tres ,  afin  que  vous  foyez  les  pères  des 
peuples ,  les  confolateurs  des  affligés  j 
les  afyles  des  foibles,  les  fentimens  de 
l'Eglife  ,  les  protecteurs  de  la  venu  , 
les  modèles  de  tous  les  Fidèles. 

Souffrez  donc  ,  mes  Frères ,  qu'en- 
trant dans  i'efprit  de  notre  Evangile  , 
je  vous  expoie  ici  les  périls  ÔC  les 
avantages  de  votre  état  ;  &  qu'avant 
que  d'entrer  dans  le  détail  des  devoirs 
delà  vie  chrétienne,  dont  je  dois  vous 
entretenir  durant  ces  jours  de  falut , 
je  vous  marque  à  l'entrée  prefque  de 
cette  carrière  les  obflacles  5c  les  faci- 
lités que  vous  offre  pour  les  accomplir, 
l'élévation  où  la  Providence  vous  a  fait 
naître. 

îl  y  a  de  grandes  tentations  atta- 
chées à  votre  état ,  .je  l'avoue  ;  mais 
auff  il  s'y  trouve  dô  grandes  reffour- 
ces  :  on  y  naît ,  ce  femble  ,  avec  plus 
de  paHlons  que  le  refle  des  hommes  ; 
mais  aufîî  on  peut  y  pratiquer  plus  de 
vertus:  les  vices  y  ont  plus  de  fuite; 
mais  auilî  la  piété  y  devient  plus  utile: 
en  un  mot ,  on  y  eft  bien  plus  coupa- 
ble que  le  peuple ,  quand  on  y  oublie 

Dieu  ; 


Des  Grands.  i6$ 
Dieu  ;  mais  auflîl  on  y  a  bien  plus  de 
mérite  ,  quand  on  lui  eft  fidèle. 

Mon  deflein  donc  aujourd'hui ,  efl 
de  vous  repréfenter  les  grands  biens 
ou  les  grands  maux  qui  accompagnent 
toujours  vos  vertus  ou  vos  vices  ;  eft 
de  vous  faire  fentir  ce  que  peut  pour 
le  bien  ou  pour  le  mal  l'élévation  où 
vous  êtes  né  ;  eft  enfin  ,  de  vous  ren- 
dre le  défordre  odieux  en  vous  déve- 
loppant les  fuites  inexplicables  que 
vos  paflions  traînent  après  elles ,  &Ia 
piété  aimable  par  les  utilités  incom- 
préhenfibles  qui  fuivent  toujours  vos 
bons  exemples.  Ge  ne  feroit  pas  aflez 
de  vous  marquer  les  périls  de  votre 
état ,  il  faut  aufîî  vous  en  découvrir  les 
avantages.  La  chaire  chrétienne  invec- 
tive d'ordinaire  contre  les  grandeurs 
ÔC  la  gloire  du  (îecle  ;  mais  il  feroit 
inutile  de  vous  parler  fans  cefTe  de  vos 
maux,  fî  l'on  ne  vous  en  préfentoiten 
même-temps  les  remèdes.  C'eft  ces 
deux  vérités  que  je  me  propofe  de  réu- 
nir dans  ce  Difcours  ,  en  vous  expo- 
fant  quelles  font  les  fuites  infinies  des 
vices  des  Grands  5c  des  PuifTans ,  6c 
quelles  font  les  utilités  ineftimables  de 
leurs  vertus.  Ave  y  Maria, 

Petit  Carême,  M 


i66  Vices   et    Vertus 

ï»  V^  N  jugement  très-  févere  ell réfervé 
Fartie.  ^  QQu^-^  qyj  font  élevés ,  dit  FEfprit  de 
Dieu  :  on  fera  miféricorde  aux  pau- 
vres 6c  aux  petits  ;  mais  le  Seigneur 
déploiera  toute  la  puifTance  de  fonbras 
pour  châtier  les  Grands  &  les  Puif- 
^a;?.  6,7.  Tans  :  Exiguo  conccditur  mifericordia  ; 
patentes  autcm  patenter  tormenta  pa- 
tientur. 

Ce  n'eft  pas  ,  mes  Frères  ,  que  le 
Seigneur   rejette   les   Grands  &  les 
Puiflans ,  comme  dit  l'Ecriture ,  puif- 
qu'il  eft  puiffant  lui-même  ;  ou  que  le 
rang  6c  Télévation  foient  auprès  de 
lui  des  titres  odieux  qui  éloignent  Tes 
grâces  ,  6c  faffent  prefque  tout  feuls 
notre  crime.  Il  n'y  a  point  en  lui  d'ac- 
ception de  perfonne  :   il  eft  le  Sei- 
gneur des  cèdres  du  Liban  ,  comme 
de  l'hyfTope  qui   croît  dans  les  plus 
profondes  vallées  :  il  fait  lever  fon 
foleil  fur  les  plus  hautes  montagnes  , 
comme  fur  les  lieux  les  plus  bas  ÔC  les 
plus  obfcurs  :  il  a  formé  les  aftres  du 
ciel  comme  les  vers  qui  rampent  fur 
^     la  terre  :  les  Grands  font  même  les 
images  plus  naturelles  de  fa  grandeur 
8c  de  fa  gloire  ,  les  miniftres  de'  fon 
autorité  ,  les  canaux  de  fes  libéralités 


DES  Grands.  2^7 
3c  de  fa  magnificence.  Et  je  ne  viens 
pas  ici  5  mes  Frères  ,  félon  le  langa- 
ge ordinaire,  prononcer  des  anathêmes 
contre  les  grandeurs  humaines  6c  vous 
faire  un  crime  de  votre  état ,  puifque 
votre  état  vient  de  Dieu  ,  6c  qu'il  ne 
s*agit  pas  tant  d'en  exagérer  les  périls , 
que  de  vous  montrer  les  moyens  in- 
finis de  falut  attachés  a  l'élévation  où 
la  Providence  vous  a  fait  naître. 

Mais  je  dis ,  mes  Frères  ,  que  les 
péchés  des  Grands  ôc  des  PuilTans  ont 
deux  caractères  d'éaormité  qui  les  ren- 
dent infiniment  plus  puniflables  de- 
vant Dieu,  que  les  péchés  du  commun 
des  Fidèles  :  premièrement ,  le  fcan- 
dale  ;  fecondement ,  l'ingratitude. 

Le  fcandale.  Il  n'eil point  de  crime, 
mes  Frères ,  auquel  l'Evangile  laifTe 
moins  d'efpérance  de  pardon  ,  qu'à 
celui  d'être  un  fujet  de  chute  à  nos 
frères  ;  Malheur  à  V homme  qui  fcari'  ^  Matth 
dciUfe  j  dit  Jefus-Chrift  ,\iHai/erozf  8,  (j, 
plus  avantageux  d'être  précipité  au  fond 
de  la  mer  ^que  de  devenir  une  occajion  de 
perte  &  de  fcandale  au  plus  petit  d'entre 
mes  Difciples,  Premièrement  ,  parce- 
que  vous  perdez  une  ame  qui  de  voit 
jouir  éternellement  de  Dieu.  Secon- 
dement ,  parce  que  vous  faites  périr 

Mij 


1^8  Vices  et  Vertus 
votre  frère  pour  lequel  Jefus-Chriâ 
étoit  mort.  Troifîémement ,  parce  que 
vous  devenez  le  miniftre  des  defleins 
du  démon  poui*  la  perte  des  âmes. 
Quatrièmement ,  parce  que  vous  êtes 
cet  homme  de  péché  ,  cet  antechrift 
dont  parle  l'Apôtre  :  car  Jefus-Chrifl 
a  fauve  l'homme  ôc  vous  le  perdez  ; 
Jefus-Chrift  a  formé  de  véritables  ado- 
rateurs à  fon  Père,  8c  vous  les  lui  ôtez; 
Jefus-Chrift  nous  a  acquis  par  fon 
fang  ,  &  vous  lui  raviffez  fa  conquête  ; 
Jefus-Chrift  eftle  médecin  des  âmes  , 
&  vous  en  êtes  le  corrupteur  ;  il  eft 
leur  voie  ,  6c  vous  êtes  leur  piège  ;  il 
eft  lepafteur  qui  vient  chercher  les  bre- 
bis qui  périftent ,  ôc  vous  êtes  le  loup 
dévorant  qui  tuez  6c  perdez  les  ouail- 
les que  fon  Père  lui  avoit  données. 
Cinquièmement  ,  enfin  ,  parce  que 
tous  les  autres  péchés  meurent ,  pour 
ainfi  dire  ,  avec  le  pécheur  :  mais  les 
fruits  de  fes  fcandales  feront  immor- 
tels ;  ils  furvivront  à  fes  cendres  ;  ils 
fubfifteront  après  lui ,  &  fes  crimes  ne 
defcendront  pas  avec  lui  dans  le  tom- 
beau de  fes  pères. 

Achan  fut  puni  avec  tant  de  rigueur 
pour  avoir  pris  feulement  une  règle 
d'or  parmi  des  dépouilles  que  le  Sei- 


Des  Grands.  i6p 
gneur  s'étoit  confacrées  :  mon  Dieu  ! 
quelle  fera  donc  la  punition  de  celui 
qui  ravit  à  Jefus-Chrid  une  ame  qui 
étoit  fa  dépouille  précieufe  ,  rachetée 
non  avec  de  l'or  ôc  de  l'argent ,  mais 
de  tout  le  fang  divin  de  l'Agneau  fans 
tâche  ?  Le  Veau  d'or  fut  réduit  en 
poufTiere  pour  avoir  fait  prévariquer 
îfraël  :  grand  Dieu  !  8ctout  l'éclat  qui 
environne  les  Grands  6c  les  PuiiTans  j 
les  mettroit-  il  à  couvert  de  votre  co- 
lère 5  dès  qu'ils  ne  font  élevés  que  pour 
être  à  votre  peuple  une  occafion  de 
chute  ÔC  d'idolâtrie  ?  Le  ferpent  d'ai- 
rain lui-même,  ce  moLument  facré 
des  miféricordes  du  Seigneur  fur  Juda  , 
fut  brifé  pour  avoir  été  une  occafion 
de  fcandale  aux  Tribus  :  mon  Dieu  ! 
&  le  pécheur  déjà  fi  odieuK  par  fes 
propres  crimes ,  fera  t  il  épargné,  iorf- 
qu'il  devient  us  piège  5c  une  pierre 
d'achoppement  à  fes  frères  ? 

Or  ,  mes  Frères ,  voilà  le  premier 
cara£tere  qui  accompagne  toujours 
vos  péchés ,  vous  que  le  rang  &  la 
naiffance  élèvent  fur  le  commun  des 
Fidèles  :  le  fcandale.  Les  âmes  vul- 
gaires 8c  obfcures  ne  vivent  que  pour 
elles  feules.  Confondues  dans  la  foule, 
Se  cachées  aux  yeux  des  hommes  par 

M  iij 


170  Vices  et  Vertus 
îa  bafTefle  de  leur  deftinée ,  Dieu  feuî 
eft  le  témoin  fecret  de  leurs  voies  5c 
le  fpeftateur  invifible  de  leurs  chûtes  ; 
fi  elles  tombent ,  ou  délies  demeurent 
fermes ,  c'eft  pour  le  Seigneur  tout 
feul  qui  les  voit  6c  qui  les  juge  :  le 
inonde  qui  ignore  même  leurs  noms , 
n'eft  pas  plus  inftruit  de  leurs  exem- 
ples :  leur  vie  n'a  point  de  fuite  :  ils 
peuvent  faire  des  chûtes ,  mais  ils 
tombent  tout  feuls  ;  &  s'ils  ne  fe  fau- 
vent  pas ,  leur  perte  du  moins  fe.  bor- 
ne à  eux  6c  ne  devient  pas  celle  de 
leurs  frères. 

Mais  les  perfonnes  nées  dans  l'élé- 
vation ,  deviennent  comme  un  fpec- 
tacîe  public  fur  lequels  tous  le?  regards 
font  attachés  :  ce  font  ces  maifons  bâ- 
ties fur  la  montagne ,  qui  ne  fauroient 
fe  cacher  Si  que  leur  fituation  toute 
feule  découvre  ;  ces  flambeaux  luifans 
qui  traînent  par  tout  avec  eux  l'éclat 
qui  les  trahit  &  qui  les  montre.  C'eft  le 
malheur  de  la  grandeur  &.  des  digni- 
tés ;  vous  ne  vivez  pluspour  vous  feul; 
à  votre  perte  ou  à  votre  falut  eft  atta-  - 
ché  la  perte  ou  le  falut  de  tous  ceux 
qui  vous  environnent  ;  vos  mœurs  for- 
ment les  mœurs  publiques  ;  vos  exem- 
ples font  ieè  règles  de  la  multitude  ; 


Des  Grands.  iji 
vos  a£^ions  ont  îe  même  éclat  que  vos 
titres  :  il  ne  vous  eft  plus  permis  de  vous 
égarer  à  rinfçu  du  public  ;  5c  le  fcanda- 
le  eft  toujours  le  trille  privilège  que 
votre  rang  ajoute  à  vos  fautes. 

Je  dis  le  fcandale ,  premièrement, 
d'imitation.  Les  hommes  imitent  tou- 
jours le  mal  avec  plaifîr,  mais  fur- tout 
lorfque  de  grands  exemples  le   leur 
propofent  :  ils  trouvent  alors  une  forte 
de  vanité  dans  leurs  égaremens,  parce- 
que  c'eftpar-  là  qu'ils  vous  reffemblent: 
le  peuple  regarde  comme  un  bon  air 
de  marcher  fur  vos  traces  :  la  ville  croit 
fe  faire   honneur  en  prenant  tout  le 
mauvais  de  la  Cour  :  vos  mœurs  for- 
ment un  poifon   qui  gagne   les  peu- 
ples &  les  Provinces  ;  qui  infecte  tout 
les  états  ;  qui  change  les  mœurs  publi- 
ques ;  qui  donne  à  la  licence  un  air  de 
nobleiTe  6c  de  bon  goût ,  &  qui  fjbf- 
titue  à  la  fimplicité  de  nos  pères  ÔC 
à  l'innocence  des  mœurs  anciennes  , 
la  nouveauté  de  vos  plaifirs,  de  votre 
luxe ,  de  vos  profufîons,  5c  de  vos  in-? 
décences  profanes.  Ainfi  c'eft  de  vous 
que  partent  jufques  dans  les  peuples  les 
modes  immodeftes ,  la  vanité  des  pa- 
rures ,  les  artifices  qui  déshonorent  un 
vifage  où  la  pudeur  toute  feule  devroiî 

M  iv 


372-  Vices  et  Vertus 
être  peinte  ,  la  fureur  des  jeux  ,  la  fa- 
cilité  des  mœurs ,  la  licence  des  entre- 
tiens 5  la  liberté  des  pafTions  6c  toute 
la  corruption  de  nos  (iecles. 

Et  d'où  croyez  vous ,  mes  Frères , 
que  vienne  cette  licence  effrénée  qui 
règne  parmi  les  peuples  ?  Ceux  qui  vi- 
vent loin  de  vous  dans  les  Provinces 
les   plus  reculées  ,  confervent  encore 
du  moins  quelque  refte  de  l'ancienne 
{implicite  6c  de  la  première  innocen- 
ce :  ils  vivent  dans  une  heureufe  igno- 
rance de  la  plupart  des  abus  dont  votre 
exemple  a  fait  des  loix.  Mais  plus  les 
pays  fe  rapprochent  de  vous ,  plus  les 
mœurs  changent,  plus  l'innocence  s'al- 
tère 5  plus  les  abus  font  communs;  6c 
le  plus  grand  crime  des  peuples  ,  c'eft 
la  fcience  de  vos  mœurs  &C  de  vos  ufa- 
ges.  Dès   que  les  Chefs  des  Tribus 
furent  entrés  dans  les  tentes  des  Filles 
de  Madian  ,  tout   Juda   prévariqua  , 
&  il  s'en  trouva  peu  qui  fe  confer- 
vaflent  purs  de  l'iniquité  commune. 
Grand  Dieu  !  que  le  compte   des  Ri- 
ches 6c  des  PuiiTans  fera  un  jour  terri- 
ble ,  puifqu'outre  leurs  pallions  in- 
finies ,  ils  fe  trouveront  encore  coupa- 
bles devant  vous  des  défordres  pu- 
blics ,  de  la  dépravation  des  mœurs  ^ 


Des  Grands.  273 
Ide  la  corruption  de  leur  fiecle:,  6c  que 
les  péchés  des  peuples  deviendront 
leurs  crimes  propres. 

Secondement ,  un  fcandale  de  com- 
plaifance.On  cherche  à  vous  plaiie  en 
vous  imitant;  vos  inférieurs ,  vos  créa- 
tures y  vos  efclaves  fe  font  de  la  relfem- 
blance  de  tos  mœurs  une  voie  pour 
arriver  à  votre  bienveillance  ;  ils  co- 
pient vos  vices ,  parce  que  vous  les 
leur  comptez  comme  des  vertus  ;  ils 
entrent  dans  vos  goûts  ,  pour  entrer 
dans  votre  confiance  ;  ils  s'étudient  à 
Tenvi ,  ou  de  vous  fuivre  ou  de  vous 
dirpaffer  ,  parce  que  vous  n'aime?  en 
eux  que  ce  qui  vous  refTemble.  Hélas  ! 
mes  Frères ,  combien  d'ames  foibles 
nées  avec  des  principes  de  vertus ,  ÔC 
qui  loin  de  vous  n'auroient  trouvé  en 
elles  que  des  difî;olitions  favorables  au 
falur  ,  ont  trouvé  dans  l'obligation  où 
leur  fortune  les  mettoit  de  vous  imi- 
ter ,  le  piège  de  leur  innocence  ! 

Troifiémement  ,  un  fcandale  d';m- 
punké.  Vous  ne  fauriez  pkîs  repren-; 
dre  dans  ceux  qui  dépendent  de  vous  , 
les  abus  &  les  excès  que  vous  vous  per- 
mettez vous  même:  vous  êces  obligé 
de  leur  fouffrir  ce  que  vous  ne  voulez 
pas  vous  interdire  :  il  faut  fcmer  U$ 

M  Y 


274  Vices  et  Vertus 
yeux  à  des  défordres  que  vous  autorî- 
fez  par  vos  mœurs  ;  oc  de  peur  de  vous 
condamner  vous-même  ,  faire  grâce  à 
ceux  qui  vous  reffemblent.  Une  femme 
mondaine  &  toute  occupée  de  plaire  j 
répand  fur  tout  fon  domeflique  un  air 
de  licence  ôc  de  mondanité;  fa  maifon 
devient  un  écueil  d'où  l'innocence  ne 
fort  jamais  entière  ;  chacun  imite  au- 
dedans  les  pafTions  qu'elle  fait  éclater 
au  dehors  ;  &  il  faut  qu'elle  diflimule 
ces  déréglemens ,  parce  que  fes  mœurs 
ne  lailfent  plus  rien  à  faire  à  fes  cenfu- 
îes.  Vous  le  favez,mes  Freresj&la  di- 
gnité de  la  charité  chrétienne  ne  me  dé- 
fend pas  de  le  dire  ici  ;  quel  défordre 
dans  ces  maifons  deftinées  H.  ouvertes 
à  un  jeu  éternel  ,  parmi  ce  peuple  de 
domediques  que  la  vanité  a  multiplié 
à  l'infini  ?  Que  vos  plainrs  coûtent  cher 
à  ces  infortunés  ,  qui  loin  de  vos  yeux 
n*ayant  plus  de  frein  qui  les  retienne , 
&  cherchant  à  occuper  une  oiiiveté  ou 
vos  amufemens  les  îaifTent,  fentent 
autorifer  par  vos  exemples  les  inclina- 
tions déréglées  qui  leur  viennent  de  la 
bafleiîe  de  leur  éducation  8c  d'un  fang 
vil  ÔC  méprifabie  !  O  mon  Dieu  !  fi  ce- 
lui qui  néglige  le  foin  des  fiens  eft  de- 
vant vous  pire  qu'un  infidèle  :  quel  eH 


Des  Grands,  175 
donc  le  crime  de  celui  qui  les  fcanda- 
life  ,  &  qui  leur  fait  trouver  la  mort 
6cla  condamnation  où  ils  auroient  dû 
trouver  des  fecours  de  falut  ôc  l'afyle 
de  leur  innocence  ? 

Quatrièmement,  un  fcandale  d'of- 
fice ô(.  de  nécefîîré.  Combien  d'infor- 
tunés périment  pour  fervirà  vos  plaifirs 
&  à  vos  paflions  injulles  ?  les  arts  dan- 
gereux ne  fubfiftent  que  pour  vous  : 
les  théâtres  ne  font  élevés  que  pour 
fournir  à  vos  délalTemens  criminels; 
les  harmonies  profanes  ne  retentilTent 
de  toutes  parts  ôc  ne  corrompent  tanî 
de  cœurs  ,  que  pour  flatter  la  corrup- 
tion du  vôtre  ;  les  ouvrages  funeftes  à 
l'innocence  ne  palTent  à  la  dernière 
poftérité  qu'à  la  faveur  de  vos  noms  6c 
de  votre  prote6lion.  C'eft  vous  feuls , 
mes  Frères ,  qui  donnez  à  la  terre,  des 
Poètes  lafcifs,  des  Auteurs  pernicieux, 
des  Ecrivains  profanes  :  c'ed  pour  vous 
plaire ,  que  ces  corrupteurs  des  mœurs 
publiques  perfectionnent  leurs  talens, 
&  cherchent  dans  un  fuccès  qui  n'a 
pour  but  que  la  perte  des  âmes ,  leur 
élévation  &  leur  fortune  :  c'eil  vous 
feuls  qui  les  protégez  ,  qui  les  récom- 
penfez ,  qui  les  produifez  ,  qui  îeui^ 
ôiez  même  en  les  honorant  de  votre 

M  Vf 


%f6     Vices   et  Vertus 
familiarité,  ce  cara£^ere  de  honte  & 
d'infamie  ,  que  les  loix  de  l'Eglife  ôC 
de  l'Etat  leur  avoient  lailfé  ,  &  qui  les 
flétrilToit  aux  yeux  des  hommes. 

Ainfi ,  c*eft  par  vous  que  les  peuples 
participent  à  ces  défordres  ;  que  ce 
poifon  infecte  les  villes  ÔC  les  provin- 
ces ;  que  ces  plaifirs  publics  devien- 
nent la  fource  des  miferes  ôt  de  la  li- 
cence publique  ;  que  tant  de  viâ:imes 
infortunées  renoncent  à  la  pudeur 
pour  fervir  a  vos  plaifirsj&C  cherchant  à 
foulager  la  médiocrité  de  leur  fortune 
par  Tufage  des  talens  que  vos  partions 
toutes  feules  ont  rendu  utiles  &  re- 
commandab'es,  viennent  fur  des  théâ- 
tres criminels  chanter  des  paiTions  pour 
flatter  les  vôtres;  périr  pour  vous  plai- 
re; perdre  leur  innocence  en  la  faifant 
perdre  à  ceux  qui  les  écoutent;  devenir 
des  écueils  publicî?  bc  le  fc^ndale  de  la 
Religion  ;  porter  même  le  malheur  ÔC 
ladliFenfion  dans  vos  familles  :  H  vous 
punir ,  femm.e  du  monde  ,  de  l'appui 
&  du  crédit  que  vous  leur  donnez  par 
votre  préfence  5c  par  vos  applaudiffe- 
mens ,  er.  devenant  robiricfanir.el  de 
la  paiïion  5c  de  la  mauvcîi;e  conduite 
de  vos>enfans ,  2>C  piirtageant  ptut-être 
avec  vous  même  le  cœur  de  votre  mari, 


Des  Grands.  177 
8c  ruinant  fans  reflburce  fes  affaires  ÔC 
fa  fortune. 

Cinquièmement ,  un  fcandale  de 
durée.  C'eft  peu  ,  mes  Frères ,  que  la 
corruption  de  nos  fiecles  foit  prefque 
le  feul  ouvrage  des  Grands  &.  des  PuiA 
fans  ;  les  (îecles  à  venir  vous  devront 
peut-être  encore  une  partie  de  leur  li- 
cence &  de  leurs  défordres.  Ces  poé- 
iies  profanes  qui  n'ont  vu  le  jour  qu'à 
votre  occaiion  ,  corrompront  encore 
des  mœurs  dans  les  âges  qui  nous  fui- 
vront  :  ces  Auteurs  dangereux  que  vous 
honorez  de  votre  proteârion,  pafFeront 
entre  les  mains  de  nos  neveux  ;  ÔC  vos 
crimes  fe  multiplieront  avec  le  venin 
dangereux  qu'ils  portent  avec  eux  ,  & 
qui  fe  communiquera  d  âge  en  âge. 
Vos  pafTions  mêmes  immortalifées  dans 
les  hiftoires,  après  avoir  été  un  fcanda- 
le pour  votre  (îecle  ,  le  deviendront 
encore  aux  fiecles  fuivans  :  la  leâ:ure 
de  vos  égaremens  confervés  à  la  pofté- 
ritéjfe  fera  encore  des  imitateurs  après 
votre  mortion  ira  encore  chercher  des 
leçons  de  crime  dans  le  récit  de  vos 
avantures  ;  &C  vos  défor.dres  ne  mour- 
ront point  avec  vous.  Les  voluptés  de 
Salomon  fournirent  encore  des  blaf- 
phêmcs  &.  des  déniions  aux  impies 


lyî    Vices  etVer  tus 

&  des  motifs  de  fécurité  au  libertina- 
ge :  l'emportement  de  la  femme  de 
Putiphar  s'efl  confervé  jufqu'à  nous  , 
6c  Ton  rang  a  immortalifé  fa  foiblefTe, 
Telle  efl  la  deflinée  des  vices  ÔC  des 
paflions  des  Grands  &.  des  Puiffans  :  ils 
ne  vivent  pas  pour  leur  fiecle  feul  ;  ils 
vivent  pour  les  {îecîes  à  venir  ,  &  la 
durée  de  leur  fcandale  n'a  point  d'au- 
tres bornes  que  celle  de  leur  nom. 

Vous  le  favez  vous  -  mêmes ,  mes 
Frères ,  encore  aujourd'hui  ,  ne  lit-on 
pas  tous  les  jours  avec  un  nouveau  pé- 
ril ces  mémoires  fcandaleux  faits  dans 
le  fiecle  de  nos  pères ,  qui  ont  confervé 
jufqu'à  nous  les  défordres  des  Cours 
précédentes  &.  immortalifé  les   paf- 
fions  des  principales  perfonnes  qui  les 
compofoient  ?  les  déréglemens  d'un 
peuple  obfcur  8c  du  refte  des  hommes 
qui  vivoient  alors,  font  demeurés  en- 
févelis  dans  l'oubli  ;  leurs  paflions  ont 
fini  avec  eux; leurs  vices  obfcurs  com- 
me leurs  noms  ont  échappé  à  Thiftoire 
6c  ils  font  à  notre  égard  comme  s'ils 
n'avoient  jamais  étéiôc  toutce  qui  nous 
refle  de  ces  âges  pa(rés,ce  font  les  éga-; 
remens  de  ceux  que  leur  rang  5c  leur 
naiiTance   diilinguoient  dans  leur  fié- 
cle  ;  ce  font  leurs  pafTions  qui  en  infpi- 
îent  tous  ks  jours  de  nouvelles  par  la 


Des  Grands.  179 
naïveté  du  ftyle  &  par  la  licence  des 
Auteurs  qui  nous  les  ont  confervées  ; 
6c  l'unique  privilège  de  leur  condition^ 
c'eft  que  les  vices  des  petits  ont  fini 
avec  leur  vie  ,  au  lieu  que  ceux  des 
Grands  5c  des  PuiiTans  renaiifent  y 
pour  ainiî  dire  ,  de  leurs  cendres,  paf^ 
fent  d*âge  en  âge  ,  font  gravés  dans  les 
monumens  publics ,  6c  ne  s'effacent 
plus  de  la  mémoire  des  hommes.  Quels 
crimes,  grand  Dieu!  qui  font  le  fcan- 
dale  de  tous  les  (iecles;récueil  de  tous 
les  états,  ÔC  qui  ferviront  jufqu'à  la  fio 
d'attrait  au  vice  ,  de  prétexte  au  pé- 
cheur, &  de  modèle  au  dérèglement  6c 
à  la  licence  ! 

Enfin  ,  un  fcandale  de  fédu^lion» 
Vos  exemples  ,  en  honorant  le  vice  , 
rendent  la  vertu  méprifpble  :  la  vie 
chrétienne  devient  un  ridicule  dont 
on  a  honre  devant  vous  :  Textérleur  de 
la  piété  eit  un  mauvais  air  dont  on  fe 
cache  en  votre  préfence  ,  comme  à\m 
travers  qui  déshonore.  Combien  d'a- 
mes  touchées  de  Dieu  ne  refirent  à  fa 
grâce  6c  à  fon  efprit ,  que  de  peur  de 
perdre  auprès  de  vous  ce  depTé  de  con- 
fiance qu'une  longue  fociété  de  plaifir 
leur  a  donnée!  combien  d'ames  dégoû* 
tées  du  monde  n'oient  fe  déclarer  ê< 


îSo      Vl  C  E  s    E  T   Ve  R  TUS 

revenir  à  Dieu  ,  pour  ne  pas  s'expofer 
à  vos  dérifîons  infenfées ,  imitent  en- 
core vos  mœurs  &  vos  plaifirs  dont  la 
grâce  les  a  détrompées  ,  6c  donnent  à 
la  complaifance  &  à  des  égards  in]uf- 
tes  pour  votre  rang  mille  démarches 
dont  leur  propre  goût  &  leur  nouvelle 
foi  les  éloigne  ! 

Je  ne  parle  pas,  mes  Frères,  des  pré- 
jugés contre  la  vertu ,  que  vous  perpé- 
tuez dans  le  monde;  de  ces  difcours 
déplorables  contre  les  gens  de  bien  , 
que  votre  autorité  confirme  *,  qui  de 
vous  palFent  jufqu^au  peuple,  ôC  main- 
tiennent dans  tous  les  états  ces  vieilles 
préventions  contre  la  piété  &  ces  déri- 
fîons éternelles  des  Juftes  ,  qui  oient 
à  la  vertu  toute  fa  dignité  ,  ôl  confir- 
ment les  pécheurs  dans  le  vice. 

Et  delà  5  mes  Frères  ,  que  de  Juftes 
féduits  !  que  de  foibles  entraînez  /  que 
d'ames  chancelantes  retenues  dans  le 
défordre  !  que  d'impies  &  de  libertins 
ralTurez  !  quel  obftacle  devenez  vous 
au  fruit  de  notre  miniftere  !  que  de 
cœurs  préparés  n'oppofent  à  la  force 
de  la  vr:»ité  que  iïous  annonçons ,  que 
les  longs  enga-^^-mens  qui  les  lient  à 
vos  mœurs  Ôc  à  vosplailîrs ,  &  ne  trou- 


DES    Grands.       281 

vent  que  vous  feuls  en  eux  qui  fervent 
comme  de  mur  ÔC  de  bouclier  à  la  grâ- 
ce !  Mon  Dieu  ,  quel  fléau  pour  un  fie- 
cle  5  qnel  malheur  pour  les  peuples  , 
qu'un  Grand  félon  le  monde  qui  ne 
vous  craint  pas  ,  qui  ne  vous  connoît 
pas ,  &  qui  méprife  vos  loix  ÔC  vos  or- 
donnances éternelles!  C'eft  unpréfent 
que  vous  faites  aux  hommes  dans  votre 
colère  ,  ÔC  la  plus  terrible  marque  de 
votre  indignation  fur  les  villes  ôC  fur 
les  Royaumes. 

Oui ,  mes  Frères ,  voilà  ce  que  vous 
êtes,  quand  vous  n'êtes  pas  à  Dieu. 
•  Voilà  le  premier  caractère  de  vos  fau- 
tes, le  fcandale.  Votre  defrinée  décide 
d'ordinaire  de  celle  des  peuples  :  les 
défordres  des  petits  font  toujours  la 
fuite  de  vos  défordres  ;  6c  les  péchés 
de  Jacob  ,  dit  le  Prophète  ,  c'eft- à- 
dire  ,  du  peuple  6c  des  Tributs  ,  ne 
viennent  que  de  Samarie  ,  le  fiege  des 
Grands  ÔC  des  Puîlfans  :  Q^od  fcdus  j^i^j^  j, 
Jacob  ?  non  ne  Sainaria  ?  t^ 

Mais  quand  le  fcandale  inféparable 
des  péchés  des  Grands  6c  des  Puiflans, 
n'y  ajouteroit  pas  un  nouveau  degré 
d'énormité  qui  leureftpropre  :  l'ingra- 
titude qui  en  fait  le  fécond  caraâere , 


i2i    Vices  et  Vertus 
fufîïroit  pour  attirer  fur  eux  cet  aban- 
don de  Dieu  ,  qui  ferme  pour  toujours 
ùs  entrailles  à  la  bonté  &  à  la  miferi- 
corde. 

Je  dis  l'ingratitude,  mes  Frères: car 
Dieu  vous  a  préférés  à  tant  de  malheu- 
reux qui  gémifTent  dans  l'obfcurité  5c 
darîf  l'indigence;   il  vous  a  élevés  ,  il 
vous  a  fait  naître  au  milieu  de  l'éclat 
&  de  l'abondance;  il  vous  a  choifis  fur 
tout  le  peuple  pour  vouf  combler  de 
bienfaits  ;  il  a  raffemblé  fur  vous  feuls 
les  biens ,  les  honneurs ,  les  titres ,  les 
diflin(B:ions  ,  &  tous  les  avantages  de 
la  terre  :  il  femble  que  fa  Providence 
ne  veille  que  pour  vous  feuls ,    tandis 
que  tant  d'infortunés  mangent  un  pain 
de  tribulation  ti.  d'amertum,e  ;  la  terre 
ne  femble   produire   que  pour    vous 
feuls;  le  foleil,  ne  fe  lever  &:  ne  fe  cou- 
cher que  pour  vous,  feuls  :  le  refle  des 
hommes  même  ne  paroifl'ent  nés  que 
pour  vous  5  6c  pour  fervir  à  votre  gran- 
deur ôc  à  vos  ufages  :  il  femble  que  le 
Seigneur  n'eft  occupé    que  de   vous 
feuls ,    tandis  qu'il  oublie  tant  d'amies 
obfcures  dont  les  jours  font  des  jours 
de  douleur  5c  de  mifere  ,  &  pour  lef^ 
quelles  il  femble  qu'il  n'y  a  point  de 
Dieu  fur  la  terre  :  ÔC  cependant  vous 


Des  Grands.  iSf 
tournez  contre  Dieu  tout  ce  que  vous 
avez  reçu  de  lui  ;  votre  abondance  fert 
à  vos  partions  ,  votre  élévation  facilite 
vos  plaifirs,  &  fes  bienfaits  deviennent 
vos  crimes. 

Oui  5  mes  Frères  ,  tandis  que  mille 
malheureux,  fur  lefquels  fa  main  s'ap- 
péfantit  avec  tant  de  rigueur  ;  tandis 
qu'une  populace  obfcure  ,  pour  qui  la 
vie  n'a  rien  que  de  dur  6c  de  trifle  , 
l'invoque ,  le  bénit,  levé  les  mains  vers 
lui  dans  la  {implicite  de  fon  cœur  ,  le 
regarde  comme  fon  Fere ,  &  lui  donne 
des  miarqnes  d'une  piété  (impie  &.  d'u- 
ne religion  fîncere  :  vous,  mes  Frères  , 
qu'il  accable  de  bienfaits  :  vous,  pour 
qui  le  monde  tout  entier  femble  fait , 
vous  ne  le  connoiiTez  pas  ;  vous  ne 
daignez  pas  lever  les  yeux  vers  lui  y 
vous  ne  penfez  pas  feulement  s'il  y  a 
un  Dieu  au-deflus  de  vous  qui  fe  mêle 
des  chofes  de  la  terre  ;  vous  lui  rendez 
pour  adtion  de  grâces  des  outrages  y 
&  la  Religion  n'eft  que  pour  le  peuple. 

Hélas  !  mes  Frères  ,  vous  trouvez  fi 
noir  5c  fi  indigne  ,  lorfquc  ceux  dont 
l'élévation  étoit  votre  ouvrage  ,  vous 
oublient ,  vous  méconnoiflent ,  fe  dé- 
clarent contre  vous,  &.n'ufentdu  cré- 
dit dont  ils  vous  font  redevables ,  que 


2S4      Vices  et  vertus 

pour  vous  éloigner  6c  pour  vous  dé- 
truire. Mais  ,  mes  Frères  ,  ils  ne  font 
que  vous  rendre  ce   que  vous  faites 
envers  Dieu.  Votre  élévation  n'eftelle 
pas  fon  ouvrage  ?  n'eft  ce  pas  fa  main 
toute  feule  qui  a  féparé  vos  ancêtres 
de  la  foule  ,  6c  qui  les  a  placés  à  la  tête 
des  peuples  ?  n'eft  ce  pas  la  difpofition 
feule  de  la  Providence ,  qui  vous  a  fait 
naître  d'un  fang  illuftre  ,  ôc  qui  vous  a 
fait  trouver  tout  d'un  coup  en  nailTant 
6c  fans  qu'il  vous  en  coûtât  rien  ,    ce 
qu'une  vie  entière  de  foins  6c  de  peines 
n'auroit  pas  pu  même  vous  faire  atten- 
dre ?  Qu'aviez  vous  à  fes  yeux  plus  que 
tant  d'infortunés  qu'il  laifle  dans  la 
mifere  ?  Ah  !  s'il  n'avoit  eu  égard  qu'aux 
qualités  naturelles  de  l'ame,  à  la  droi- 
ture, à  la  pudeur  ,  à  Tinnocence ,  à  la 
modeftie  ;    combien  d'ames  obfcures 
nées  avec  toutes  ces  vertus ,  auroient 
dû  vous  être  préférées  ÔC  occuper  la 
place  où  vous  êtes  ?  s'il  n'eut  confulté 
que  l'ufage  que  vous  deviez  faire  un 
jour  de  fes  bienfaits  ;  combien  de  hibI- 
heureux  dans  la  même  fîtuation  où  vous 
vous^'trouvez  ,  auroient  été  l'exemple 
des  peuples ,  les  proteéîeurs  de  la  vertu , 
&  glorifié  le  Seigneur  dans  leur  abon- 
dance ,  eux  qui  dans  leur  indigence 


Des    Grands.      iSj 

tnême  l'invoquent  ôc  le  beniflent  ;  au 
lieu  que  vous  le  faites  blafphêmer  ,  Sc 
que  votre  exemple  devient  une  réduc- 
tion pour  fon  peuple  ? 

Et  cependant  il  vous  choifît,  6c  il 
les  rejette  ;  il  les  humilie  ,  &  il  vous 
élevé  ;  il  eft  pour  eux  un  maître  dur  ÔC 
févere,  6c  pour  vous  un  père  libéral  ÔC 
magnifique.  Que  pouvoir- il  faire  da- 
vantage pour  vous  engager  à  le  fervir 
&  à  lui  être  fidèles  ?  qu'y  a- 1-  il  de  plus 
puiffant  que  les  bienfaits  pour  attirer 
les  cœurs ,  ÔCpour  s'alTurer  des  hom- 
mages? C'eft  de  vous  feul ,  Seigneur, 
difoit  David  au  milieu  de  fa  profpé- 
rité  ,  que  vient  la  magnificence  qui 
m^environne  ,  la  gloire  de  mon  nom  , 
la  puiiTance  où  je  fuis  élevé  ;  ftc  il  eft 
jufle,  ô  mon  Dieu  ,  de  vous  glorifier, 
dans  vos  dons ,  de  mefurer  ce  que  je 
vous  dois  fur  ce  que  vous  avez  fait 
pour  moi ,  ÔC  de  faire  fervir  mon  élé- 
vation Se  tout  ce  que  je  fuis  à  votre 
gloire:  Tunejl^  Domine  ,  magnificen-  i.Parah 
tia  ,  &  vntentia^  &  gloria.  .  .  Nunc^')'  iï- 
igitar^  Deus  nojhr  ,  confitemur  tibi ,  &  ''* 
laiidamus  nomsn  tnum  inclytum. 

Et  cependant ,  mes  frères ,  plus  il 
a  fait  pour  vous ,  plus  vous  vous  élevez 
contre  lui.  Ce  fonf  les  Riches  ÔC  les 


2^6  Vices  et  vertus 
PdifTans ,  qui  vivent  fans  autre  Dieu 
dans  ce  monde  que  leurs  pîaifirs  in- 
juftes.  C'eft  vous  feuls  qui  lui  difputez 
ies  plus  légers  hommages  ;  qui  vous 
croyez  dirpenfés  de  tout  ce  que  fa  loi 
a  de  pénible  6c  de  févere  ;  qui  ne  cro- 
yez être  nés  que  pour  jouir  de  vous-mê- 
mes ,  pour  faire  fervir  fes  bienfaits  à 
vos  partions  ,  8c  qui  laiflez  au  fîmple 
peuple  le  foin  de  le  fervir,  de  lui  ren- 
dre grâces ,  &  d'obferver  avec  religion 
les  ordonnances  de  fa  loi  fainte. 

Aind  fouvent  ,  mes  Frères  ,  le  peu- 
ple l'adore  ,  ôc  vous  l'outragez  ;  le 
peuple  l'appaife  ,  ÔC  vous  l'irritez  ;  le 
peuple  l'invoque,  6c  vous  l'oubliez; 
le  peuple  le  fert  avec  un  bon  zele  ,  ÔC 
vous  méprifez  fes  ferviteurs  ;  le  peuple 
levé  fans  ceiTe  les  mains  vers  lui  ,  6C 
vous  doutez  même  s'ilexifte,  vous  qui 
feuls  reifentez  les  effets  de  fa  libéralité 
ôc  de  fa  puiflance  :  fes  châtimens  lui 
forment  des  adorateurs  ,  &  fes  bien- 
faits ne  lui  valent  que  des  dérifions  6c 
des  outrages. 

Je  dis  fes  bienfaits  ,  mes  Frères  : 
car  il  ne  les  a  pas  même  tous  bornés  à 
votre  égard  aux  biens  extérieurs  de  la 
fortune.  Il  vous  a  fait  naître  encore 
avec  des  difpofitions  plus  favorables  à; 


Des  Grands.  287 
la  vertu  que  le  fîmple  peuple  ;  un 
cœur  plus  noble  &  plus  élevé  ;  des 
inclinations  plus  heureufes  ;  des  fenti- 
mens  plus  dignes  de  la  grandeur  de 
la  Foi  ;  plus  de  lumière  ,  plus  d'éléva- 
tion ,  plus  de  connoilTance ,  plus  d'inA 
tru£lion  ,  plus  de  goût  pour  les  bon- 
nes chofes.  Vous  avez  reçu  delà  nature 
ces  inclinations  fortunées  qui  fe  com- 
muniquent avec  le  fang  ,  des  pafîions 
plus  douces ,  des  mœurs  plus  culti- 
vées 5  des  bienféances  plus  voifines  de 
la  vertu  ;  cette  politefTe  qui  adoucit 
l'humeur;  cette  dignité  qui  retient  les 
faillies  du  tempérament;  cette  huma» 
nité  qui  rend  plus  fen(ible  aux  impref- 
fions  de  la  grâce.  De  combien  de  bien- 
faits abufez-vous  donc  ,  mes  Frères  y 
quand  vous  ne  vivez  pas  félon  Dieu  ? 
Quel  monftre  d'ingratitude  qu'un 
Grand  ,  qu'un  homme  comblé  d'hon- 
neur Se  de  profpérité  ,  ÔC  qui  ne  levé 
jamais  les  yeux  au  ciel  pour  adorer 
la  main  qui  les  lui  difpenfe. 

Et  d'où  croyez-vous  aufii ,  mes  FreJ 
res ,  que  viennent  les  calamités  publi- 
ques ,  les  fléaux  qui  affligent  les  villes 
ôC  les  Provinces  ?  Ce  n'eft  que  pour 
punir  l'ufage  injufte  que  vous  faites  de 
l'abondance  5  que  Dieu  frappe  quel- 


iSS  Vices  et  Vertus 
quefois  de  ftérilité  les  terres  6c  les 
campagnes.  Sa  jurtice  indignée  que 
vous  employez  contre  lui  fes  -propres 
bienfaits ,  les  fouftrait  à  vos  partions  ; 
répand  Ton  indignation  fur  la  terre  ; 
permet  les  guerres  5c  les  diflenfions  ; 
renverfe  vos  fortunes  ;  éteint  vos  fa- 
milles ;  fait  fécher  la  racine  de  vo- 
tre poftérité  ;  fait  pafler  à  des  mains 
étrangères  vos  titres  6c  vos  polTeflions , 
ÔC  vous  rend  les  exemples  éclatans  de 
Tinconftance  des  chofes  humaines  ,  ôc 
les  monumens  anticipés  de  fa  colère 
contre  les  cœurs  ingrats  6c  infenfibles 
aux  foins  paternels  de  fa  Providence. 
Voilà  ,  mes  Frères ,  les  deux  carac- 
tères inféparables  de  vos  péchés  ;  le 
fcandale,  ôc  l'ingratitude  :  voilà  ce  que 
vous  êtes ,  quand  vous  n'êtes  pas  fidè- 
les à  Dieu  :  voilà  à  qui  peut-être  vous 
n*avez  pas  fait  attention.  Vous  ne  fau- 
riez  erre  médiocrement  coupables ,  dès 
que  vous  l'êtes.  Les  paiTions  font  les 
mêmes  dans  le  peuple  6c  parmi  les 
Puiffans  ;  mais  il  s*en  faut  bien  que  le 
crime  ne  foit  égal ,  8c  fouvent  un  feul 
de  vos  crimes  entraîne  plus  de  mal- 
heurs, 8>C  a  devant  Dieu  des  fuites  plus 
étendues  ôc  plus  terribles ,  qu'une  vie 
entière  d'iniquité  dans  une  ame  obf- 

cure; 


Des  Grands.  i 
cure  6c  vulgaire.  Mais  auilî ,  mes  Frè- 
res ,  vos  vertus  ont  le  même  avanta- 
ge ÔC  la  mêm^  deftinée  ,  &  c'efl  ce  qui 
me  refle  à  vous  dire  dans  la  dernière 
partie  de  ce  Difcours. 


s, 


'I  le  fcandale  6c  l'ingratitude  font  les    i  j^ 
fuites   inféparables  des  vices  6c  des  partie^ 
^'  paffions  des  perfonnes  élevées  ;  leurs 
vertus  aufîi  ont  deux  caractères  parti- 
culiers qui  les  rendent  infiniment  plus 
agréables  à  Dieu  que  celles  du  com- 
mun   des    Fidèles  :  premièrement  , 
l'exemple  ;  fecondement ,  l'autorité.  Et 
voilà ,  mes  Frères ,  une  vérité  bien  con- 
folante  pour  vous  que  la  Providence  a 
fait  naîrre  dans  l'élévation ,  ÔC  bien  ca- 
pable de  vous  animer  à  fervir  Dieu  , 
de  vous  rendre  la  vertu  aimable.  Car 
ce  feroit  vous  tromper  que  de  regar- 
der l'état  où  vous  êtes  nés ,  comme  un 
obilacle  au  falut  6c  aux  devoirs  que  la 
Religion  nous  impofe.  J'avoue  que  les 
écueils  y  font  plus  dangereux  que  dans 
une  deilinée  plus  obfcure  ,  les  tenta- 
tions plus  vives  ôC  plus  fréquentes  ;  6c 
en  vous  marquant  les  avantages  que 
vous  pouvez  trouver  dans  l'élévation 
par  rapport  au  falut,  je  ne  prétends 
pas  en  diffimuler  les  périls  que  Jefus- 
Pctit  Carême*  N 


iço    Vices  ET  Vertus 

Chrift  nous  a  marqués  lui-même  dans 
rEvPngîîe. 

Je  veux  feulement  établir  cette  vér 
rite  ,  que  vous  pouvez  faire  plus  pour 
Dieu  que  le  fimple  peuple  ;  qu'il  re- 
vient à  la  Religion  infiniment  plus 
d'avantages  de  la  piété  d'une  feule 
perfonne  élevée  ,  que  de  celle  prefque 
d'un  peuple  entier  de  Fidèles  :  &  que 
vous  êtes  d'autant  plus  coupables 
quand  vous  oubliez  Dieu  ,  qu'il  lire- 
roit  plus  de  gloire  de  votre  fidélité , 
Se  que  vos  venus  ont  des  fuites  plus 
étendues  pour  l'utilité  de  l'Eglife  ÔC 
pour  l'édification  des  Fidèles. 

La  première  ,  c'ell  l'exemple.  Une 
ame  d'entre  le  peuple  qui  craint  Dieu, 
ne  le  glorifie  que  dans  fon  cœur  :  c'eft 
un  enfant  de  lumière  qui  marche  j 
pour  ainfi  dire  ,  dans  les  ténèbres  : 
elle  lui  rend  des  hommages;  mais  elle 
ne  lui  en  attire  point  :  renfermée  dans 
l'obfcurité  de  fa  fortune  ,  elle  ne  vit 
que  fous  les  yeux  de  Dieu  feul  :  elle 
fouhaiie  que  fon  nom  foit  glorifié  ,  ôC 
lui  rend  par  fes  defrs  la  gloire  qu'elle 
ne  peut  lui  rendre  par  fes  exemples  : 
fes  vertus  font  utiles  à  fon  falut  ;  mais 
elles  font  comme  perdues  pour  le  falut 
de  fes  frères  :  elle  eft  ici  bas  comme  ce 


Des   Grands.       291 

tréfor  caché  dans  la  terre  ,  que  le 
champ  de  Jefus-Chrift  porte  à  Ton 
infçu ,  &  dont  il  ne  fait  aucun  ufage* 
Mais  pour  vous ,  mes  Frères  ,  qui 
vivez  expofés  aux  regards  publics,  6C 
à  la  vue  de  tous  les  peuples  ,  vos 
exemples  de  vertu  .deviennent  auflî 
éclatans  que  vos  noms  :  vous  répandez 
la  bonne  odeur  de  Jefus-Chrift ,  par- 
tout où  celle  de  votre  rang  &:  de  vos 
titres  efl:  répandue  :  vous  faites  glori- 
fier le  nom  du  Seigneur ,  par-tout  ou 
le  vôtre  fe  fait  connoître  :  la  même 
élévation  qui  apprend  à  tous  les  hom- 
mes que  vous  êtes  fur  la  terre  ,  leur 
apprend  auffi  ce  que  vous  faites  pour 
le  Ciel  :  les  avantages  de  la  nature  dé- 
couvrent par- tout  en  vous  les  merveil- 
les de  la  grâce  :  les  peuples ,  les  villes  , 
les  Provinces  ,  qui  entendent  fans 
cefle  répéter  vos  noms  ,  fenten^t  ré- 
veiller avec  eux  l'idée  de  vertu  que  vos 
exemples  y  ont  attachée.  Vous  honorez 
la  piété  dans  TeTprit  du  public  :  vous 
la  prêchez  à  ceux  que  vous  ne  connoif^ 
fez  pas  :  vous  devenez ,  dit  le  Pro-; 
phête  ,  comme  un  (îgnal  de  vertu  éle- 
vé au  milieu  des  peuples  :  tout  un 
Royaume  a  les  yeux  fur  vous ,  5c  parle 
de  vos  exemples  ;  ÔC  jufques  dans  leg 

Nij 


^9^  Vices  et  Vertus 
Cours  étrangères  votre  piété  devienî 
un  événement  auffi  connu  que  votre 
nailTance.  Le  bruit  de  la  fageffe  de 
Salomon  étoit  répandu  dans  toutes  les 
Cours  de  l'Orient ,  dit  l'Ecriture  ;  ôc 
celle  d'Ethan  l'Ezrahite,  d'Heman  ÔC 
de  Calcol ,  les  principaux  des  enfans 
de  Mahol  ,  n'étoit  pas  moins  connue 
à  Jérufaiem  ,  malgré  la  diftance  des 
lieux  qui  les  faifoit  vivre  iî  loin  de  la 
Paledine. 

Or  dans  cet  éclat ,  quel  attrait  de 
vertu  pour  les  peuples  !  Premièrement, 
les  grands  modèles  touchent  bien  plus; 
6c  la  piété  devient  comme  un  bon  air 
pour  îe  peuple ,  dès  que  l'exemple  des 
Grands  l'autorife.  Secondement ,  l'i- 
dée de  foiblefle  que  les  hommes  atta- 
chent à  la  vertu  ,  tombe  dès  qu'elle 
eft  annoblie  de  vos  noms ,  pour  ainfi 
dire  ,  ôC  qu'on  peut  lui  faire  honneur 
de  vos  exemples.  Troifiémement ,  la 
modeftie  êc  la  frugalité  n'ont  plus  rien 
de  honteux  pour  le  rede  des  hommes , 
dès  qu'ils  voient  en  vous  qu'on  peut 
être  grand  6c  modefte  ;  6c  que  la  fuite 
du  luxe  &  de  la  profufion  ,  non  feu- 
lement ne  fait  point  de  honte  aux  pe- 
tits ,  mais  donne  même  une  nouvelle 
dignité  à  l'élévation  ôc  à  la  nailTance, 


Des  Grands*  2,91 
Quatrièmement  ,  combien  d'ameâ 
foibies  rougiroient  de  la  vertu  ,  que 
votre  exemple  raflure  ^  qui  ne  crai- 
gnent plus  de  marcher  après  vous ,  OC 
qui  trouvent  même  beau  de  fuivre  vos 
traces  !  Cinquièmement,  combien  d'a^- 
mes  trop  fenfibles  encore  aux  intérêts 
de  la  terre  ,  craindroient  que  la  piété 
ne  fût  un  obflacle  à  leur  élévation  ,  ôC 
trouveroient  peut-être  dans  cette  ten- 
tation recueil  de  tous  leurs  deiirs  de 
pénitence  ,  fi  elles  n'apprenoient  en 
vous  voyant  ,  que  la  piété  eft  utile  à 
tout  ^  ÔC  qu'en  attirant  les  grâces  du 
Ciel  elie  n'éloigne  pas  celles  de  la  ter- 
re /  Sixièmement ,  vos  inférieurs ,  vos 
créatures  5  vos  efclaves ,  tous  ceux  qui 
dépendent  de  vous ,  trouvent  la  vertu 
bien  plus  aimable  depuis  qu'elle  efl 
devenue  un  moyen  sûr  de  vous  plaire  9 
&  que  le  même  progrès  qu'ils  font 
dans  la  piété  ,  ils  le  font  dans  votre 
confiance  &  dans  votre  eftime. 

Enfin  ,  mes  Frères ,  quel  honneur 
pour  la  Religion ,  lorfqu'elle  peut  mon- 
trer en  vos  perfonnes  qu'elle  fait  en- 
core fe  former  des  Juftes  qui  mépri- 
fent  les  honneurs  ,  les  dignités  ,  les 
richeffes  ;  qui  vivent  au  milieu  des 
profpéfités  fans  en  être  éblouis  j  qui 

N  ii) 


^94    Vices  et  Vertus 

font  élevés  aux  premières  places ,  fans 
perdre  de  vue  les  biens  éternels  ;  qui 
poffedent  tout  comme  ne  pofledant 
rien  ;  qui  font  plus  grands  que  le  mon- 
de entier ,  &  regardent  comme  de  la 
boue  tous  les  avantages  de  la  terre  , 
dès  qu'ils  deviennent  un  obfiacle  aux 
promefTes  que  la  Foi  leur  montre  dans 
le  Ciel  1  Quelle  confufion  pour  les  im- 
pies de  fentir  ,  en  vous  voyant  mar- 
cher dans  les  voies  du  falut  au  milieu 
de  toutes  les  profpérités  humaines, 
que  la  vertu  n'eft  pas  un  pis- aller  ; 
qu'en  vain  ils  tâchent  de  fe  perfuader 
qu'on  n'a  recours  à  Dieu  ,  que  lorfque 
le   monde    nous    manque  ;   puifque 
comblés  des  faveurs  du  m.onde  ^  vous 
ne  laiiTez  pas  d'aimer   l'opprobre  de 
JefusChrifl  !  Quelle  confolation  mê- 
me pour  notre  miniftere  ,  de  pouvoir 
nous  fervir  de  vos  exemples  dans  ces 
Chaires  chrétiennes  ,  pour  confondre 
les  pécheurs  d'une  deflinée  plus  obf- 
cure  ;  de  pouvoir  leur  citer  vos  vertus 
pour  les  faire  rougir  de  leurs  vices  ;  de 
pouvoir  leur  faire  honte  de  toutes  les 
vaines  excufes  qu'ils  nous  oppofent , 
en  leur  alléguant  votre  fidélité  à  la  loi 
de  Dieu  ;  en  leur  montrant  que  les 
périls  qui  les  environnent  j   ne  font 


I 


Des  Grands.       195 

pas  plus  grands  que  les  \ôtres  ;  que 
les  objets  des  pafîîons  au  milieu  def- 
quels  ils  vivent  ,  font  moins  fédui- 
fans  ;  que  le  monde  ne  leur  offre  pas 
plus  de  charmes  ÔC  plus  d'illufîon  qu'il 
vous  en  offre  ;  que  û  la  grâce  peut  fe 
former  des  cœurs  fidèles  jufques  dans 
les  Palais  des  Rois ,  elle  peut  s'en  for- 
mer à  plus  forte  raifon  dans  le  tumul- 
te des  villes  6c  fous  le  toit  du  ci- 
toyen &  du  Magiftrat  ;  6c  qu'ainfî  on 
trouve  le  falut  par- tout ,  &  que  notre 
état  ne  devient  un  prétexte  favorable 
à  nos  pafîîons ,  que  lorfque  la  corrup- 
tion de  notre  cœur  eft  la  véritable  rai- 
fon qui  les  autorife. 

Oui  5  mes  Frères ,  je  le  répète ,  vous 
donnez  ,  quand  vous  fervez  Dieu  j 
une  nouvelle  force  à  notre  miniflere  ; 
plus  de  poids  aux  vérités  que  nous 
annonçons  aux  peuples  ;  plus  de  con- 
fiance à  notre  zèle  ;  plus  de  dignité  à 
la  parole  de  Jefus  Chrill  ;  plus  de  cré- 
dit à  nos  cenfures  ;  plus  de  confola- 
tion  à  nos  travaux  ;  &  en  jettant  les 
yeux  fur  vous  ,  le  monde  trouve  la 
décifîon  des  vérités  qu'il  nous  avoit 
contedees.  Que  de  biens,  mes  Frères, 
reviennent  donc  à  l'Eglife  de  vos 
exemples  !  Vous  donnez  du  crédit  à 

N  iij     ' 


tf)6    Vice  SET  Vertus 

îa  piété  ;  vous  honorez  la   Religion 
dans l'efprit des  peuples;  vous  animez 
les  Juftes  de  tous  les  états  ;  vous  con- 
folez  les  ferviteurs  de  Dieu   ;   vous 
répandez  dans  tout  un  Royaume  une 
odeur  de  vie  qui  confond  le  vice  ôc 
qui  autorife  la  vertu  ;  vous  maintenez 
les  règles  de  l'Evangile    contre  les 
maximes  du  monde  :  on  vous  cite  d^s 
les  villes  5c  dans  les  Provinces  les  plus 
éloignées  pour  encourager  les  foibles 
&  agrandir  le    Royaume   de  Jefus- 
Chrirt  :  les  pères  apprennent  vos  noms 
à  leurs  enfans  peur  les  animer  à  la 
vertu  ;  ôc  fans  le  favoir  ,  vous  devenez 
le  modèle  âes  peuples ,  l'entretien  des 
petits,  rédification  des  familles ,  l'e- 
xemple de  tous  les  états  5c  de  tous  les 
ordres.    A  peine  les    principaux  des 
Tribus  daf^  le  dé/ert  6c  les  femmes 
ks  p'u/difiinguées  eurent  apporté  à 
MoiTe  leurs   orrt^mens   les  plus  pré- 
eieux  pour  la  conftruftion  du  taberna- 
cle ,  que  tout  le  peuple  ,  entr?îné  par 
leur  exemple  ,  vint  en  foule  oiïrir  fes 
dons  8c  (es  préfens  ;  &  qu'il  fallut  que 
MoiTe  mit  des  bornes  à  leurs  pieux 
empreflemens  ,  6c  modérât  l'excès  de 
leurs  largelles. 
Ah/  mes  Frères,  que  de  biensenca-: 


DES     GÇLANDS.         I97 

re  une  fois,  vos  feuls  exemples  peu- 
vent faire  parmi  les  peuples  !  les  plai- 
fîrs  publics  décriés  ,  dès  que  vous  ne 
les  autorifez  plus  par  votre  préfence  ; 
les  modes  indécentes  profcrites ,  dès- 
que  vous  les  négligez  ;  les  ufages  dan- 
gereux furgnnés ,  dès  que  vous  les^ 
abandonnez  ;  la  fource  de  prefque  tous- 
les  défordres  tarie  ,  dès  que  vous  viver 
félon  Dieu,  Et  de- là  que  d'ames  pré- 
fervées  !  que  de  malheurs  prévenus  £ 
que  des  crimes  arrêtés  !  que  de  mau^ 
empêchés  !  Quel  gain  pour  la  Reli-» 
gion  qu'une  feule  perfonne  élevée  ^ 
qui  vit  félon  la  foi  !  Quel  préfent  î>ieuJ 
fait  à  là  terre  ,  à  un  Royaume,  à  uw 
peuple  ,  quand  il  lui  donne  des  Grands^ 
S>C  des  PuifTans  qui  vivent  dans  fa; 
crainte  !  6c  quand  l'intérêt  feul  de  vo* 
tre  ame  ,  mes  Frères ,  ne  fuffiroir  pa^ 
pour  vous  rendre  la  vertu  aimable^ 
l'intérêt  de  tant  d'ames ,  à  qui  vous  êtes? 
tine  occaiîîon  de  falut  en  vivant  feloiï 
Dieu  ,  ne  devroit>il  pas  préférer  fa^ 
crainte  &  Famour  de  la  loi  à  tous  l'es? 
vains  plaifirs  de  la  terre  ?  Efl-il  de 
plaifir  plus  doux  pour  un  bon  cœur^ 
qiïg  de  devenir  une  fource  de  faluî  5C 
de- bénédiction  pour  fes  Frères- 
'     Et:  ce  qu'il  y  a  ici  d'heureux  g©û^ 


\ 


29^      Vices  et  vertus 
vous ,   mes  frères ,   c'eft  que  vous  ne 
vivez  pas  feulement  pour  votre  fiecle  ; 
je  l'ai  déjà  dit ,  vos  exemples  palferont 
î  afques  aux  fîecles  fuivans.  Les  vertus 
des  fimples  fidèles  périiTent,  pour  ainfi 
dire ,  avec  eux;  mais  vos  vertus  feront 
confervées  dans  nos  hiftoires  avec  vos_ 
noms.  Vous  deviendrez  un  modèle  de 
piété  pour  nos  neveux ,  comme  vous 
l'avez  été  pour  les  peuples  qui  ont  vécu 
avec  vous  ;    vos  rangs  6c  vos  emplois 
vous  liant  aux  principaux  événemens 
qui  fe  paflent  dans  notre  fiecle  ,  vous 
feront  pafier  avec  eux  jufques  aux  fîe- 
cles à  venir.  Les  Cours  qui  fuccéderont 
à  la  nôtre ,  trouveront  encore  Thiftoire 
de  vos  mœurs  &  de  vos  fainrs  exemples 
mêlée  avec  l'hiftoire  publique  de  nos 
jours  :  vous  donnerez  encore  du  crédit 
à  la  piété  dans  les  âges  qui  nous  fuivront; 
le  fouvenir  de  vos  vertus  confervé  dans 
nos  annales,  y  fervira  encore  d'inilruc- 
tions  à  vos  defcendans  qui  les  liront  : 
&  l'on  pour! a  dire  un  jour  de  vous  , 
comme  de  ces  homme^^  célèbres  6c 
pleins  de  gloire  6c  de  juftice ,  dont  parie 
l'Ecriture  ,  que  votre  piété  n'a  pas  fini 
avec  vous  ;  que  le  fouvenir  de  vos  ver- 
tus paiTera  d'âge  en  âge  ;  que  les  peuples 
lacoûteront  juiqu'à  la  fin  votre  fageife 


DES  Grands.  299 
&  vos  exemples  ;  que  l'Eglife  publiera 
vos  louanges  ;6c  que  les  biens  que  vous 
avez  faits ,  &  l'odeur  de  votre  vie  Ce 
confèrvera  toujours  au  milieu  de  nous, 
avec  les  defcendans  qui  naîtront  de  la 
gloire  de  votre  fang  ,  6c  qui  fuccéde- 
ront  à  vos  noms  &  à  vos  titres  :  Quorum  Eccli  44, 
pietaus  non  defuerunt  ;  cumfeminc  eo-  *^*  ^^« 
rum  permanent  bona. 

Mais ,  ce  n'eft  pas  tout ,  mes  Frères  : 
l'exemple  rend  vos  vertus  un  bien  pu- 
blic,  6c  c'éft  là  leur  premier  caraâ:ere; 
mais  l'autorité  qui  en  eft  le  fécond  ^ 
achevé  ÔC  foutient  les  biens  infinis  que 
vos  exemples  ont  commencé.  Et  quand 
je  dis l'auto^iKé  ,  mes  Frères ,  que  ne 
puis-  je  développer  ici  tout  ce  que  cette 
idée  me  découvre  d'immenfe  dans  les 
fuites  fécondes  de  ia  piété  des  Grands 
&  des  PuiiTuis  ! 

Premièrement ,  la  pf  )re£lion  de  la 
vertu.  La  vertu  timide  eil:  fouvent  op- 
primée ,  parce  qu  elle  manque  ou  de 
hardiefie  pour  fe  montrer  ,  ou  de  pro- 
tection pour  (e  défendre  :  la  vertu  obf- 
cure  eff  fouveïi;  méprifee  ,  parce  que 
rien  ne  h  relevé  ouxyeux  des  fens,  6c 
que  le  monde  eu  rad  de  pouvoir  fsire 
un  crime  à  la  piété  ,  de  robrciuité  de 
ceux  qui  la  pratiquent.  Mais  dès  que 

Nvj 


^OO      TiCES    ET    VERTXrs 

VOUS  en  prenez  vous-même  le  parti  ^ 
mes  Frères  ,  ah  !  la  vertu  ne  manque 
plus  de  proteâion  :  vous  devenez  les 
interprètes  des  gens  de  bien  auprès  du 
Prince ,  déjà  fi  favorable  lui  même  àla^ 
piété  ,  5c  les  canaux  par  lefquels  ils 
trouvent  tous  les  jours  accès  auprès  du 
Trône;  vous  mettez  en  place  des  hom- 
mes juftes  qui  deviennent  des  exem- 
ples publics  ;  vous  produifez  des  fervi- 
reurs  de  Dieu  ,  des  hommes  pleins  de 
ibmiere ,  de  fcience  5c  de  vertu  ,  qui- 
feroient  demeurés  dans  la  poufîîere  y 
Se  qui  à  la  faveur  de  votre  nom  §C  de 
votre  appui  paroifTent  dans  le  public;*, 
mettent  en  œuvres  leurs  talens  ;  enri»- 
ehilfent  quelquefois  TEglife  d'ouvra- 
ges faints  ôc  chrétiens  ;  contribuent  à 
i!édificationdes  Fidèles,  à  rînllruâ:iotti 
des  peuples,  à  la  confomrnstion  des 
fàints  ;  apprennent  les  règles  de  la  ver- , 
fu  à  ceux  qui  les  ignorent ,  les  appren-; 
diront  à  nos  neveux  ,  ôC  feront  palTer 
dans  tous  les  fiecles  fui^ans  ,  avec  les 
monumens  pieux  de  leur  zeîe  ,  les 
fruits  immortels  de  la  protection  dont, 
^ous  aves  honoré  la  vertu,  ta  de  votre; 
amour  pour  les  Juftes.- 

Que  dirai  je ,.  mes  Frères  ?  Vous  fouir 


Des    Grands.        jor 

entreprifes  faintes;  ÔC  votre  proteâion 
l'es  anime  ,  ÔC  leur  fait  furmonter  tous 
les  obftacles  dont  le  démon  traverfe 
toujours  les  œuvres  qui  doivent  glori- 
fier Dieu  8c  contribuer  au  falut  des^ 
âmes.  Que  d'étabîiflemens  utiles  au- 
jourd'hui ÔC  qui  fontHine  fource  de 
bénédidion  dans  l'Eglife,  n'ont  dû  au- 
trefois leur  naifTance  qu'au  crédit  d'u- 
ne feule  perfonne  élevée  ,  à  qui  Dieu 
avoir  mis  dans  le  cœur  de  protéger  une 
œuvre  dont  il  devoir  tirer  un  jour  tant 
de  gloire  !  q^ue  de  pieux  de  (feins  ÔC 
avantageux  à  TEglife  exécutés  ,  au- 
roient  échoué  fi  l'autorité  d'un  Jufte  en 
place  ÔC  élevé  dans  l'Eglife  ,  n'eut  ap- 
plani  toutes  les  voies  qui  fembloient 
en  rendre  l'exécution  impofTible  !  Que 
de  faiiits  Miniilres  de  Jeius  Chrift  fou- 
tenus  dans  leurs  fonctions  ^  auroienî 
cédé  aux  coniradidtions  6c  privé  par 
leur  retraite  les  peuples  de  leurs  inf- 
trué^ions  ÔC  de  leurs  exemples,  fî  leur 
vertu  n'eut  trouvé  dans  la  piété  des 
Grands  ÔC  des  Puiffans  une  protection 
q[ui  afluroit  la  paix  à  leur  troupeau  j, 
^  l'autorité  à  leur  miniftere  ! 

Que  dirai- je  encore  ,  mes  Frères  ?' 
Vous  rendez  par  vos  exemples  la  vertu 
ïgrgedable  à  ceux  quing  l'aiment  pas;-. 


501  Vices  et  vertus 
&  ce  n'eft  plus  une  honte  d'être  Chré- 
tien ,  dés  que  par  là  on  vous  reffemble. 
Vous  ôtez  à  l'impiété  cet  air  de  confian- 
ce &  d'oftentation,  avec  lequel  elle  ofe 
tous  les  jours  paroître  ;  &  le  libertina- 
ge n'ert  plus  un  bon  air ,  dès  que  votre 
conduite  l'improuve.  Vous  maintenez 
parmi  les  peuples  la  Religion  de  nos 
pères;  vous  confervez  la  Foi  auxlfiecles 
qui  nous  fuivronî;  &  fouvent  il  ne  faut 
qu'un  Grand  dans  un  Royaume,  ferme 
dans  la  Foi,  pour  arrêter  le  progrès  de 
l'erreur  &  des  nouveautés ,  &  confer- 
ver  à  tout  un  Etat  la  Foi  de  fes  ancêtres. 
La  feule  Efther  conferva  le  peuple  & 
la  loi  de  Dieu  dans  un  grand  Empire; 
le  feul  Mathathias  tint  bon  contre  les 
autels  étrangers,  8c  empêcha  les  (upeiC- 
titions  de  prévaloir  au  milieu  de  Juda  ; 
5c  la  France  ne  doit  les  lumières  de 
l'Evangile  &  la  connoifTance  de  Jefus- 
Chrift ,  qu'à  la  piété  d*une  fainte  Piin- 
cefle,  qui  conquit  à  la  Foi,  avec  le  cœur 
d'un  époux  infidèle ,  un  Royaume  qui 
depuis  en  a  toujours  été  le  plus  ^erme 
appui  &  la  portion  la  plus  pure  6c  la 
plus  floriirante.  Oh  !  mes  Frères ,  que 
vous  êtes  gîands  quand  vous  êtes  à 
Jefus-Chrift ,  &  que  votre  naiiTance  6C 
votre  élévation  paroiffent  avec  bien 


DES  Grands.  303 
plus  d'éclat  ôc  de  dignité,  dans  les  fruits 
immenfes  de  votre  piété  ,  que  dans  le 
farte  de  vos  pafTîons ,  6c  tout  le  vain 
attirail  des  magnificences  humaines. 

Secondement ,  les  récompenfes  de 
îa  vertu.  Vous  la  mettez  en  honneur 
en  lui  donnant  dans  le  choix^s  pla- 
ces quidépendent  de  vous  ,  les  préfé- 
rences qui  lui  font  dues,  ôC  ne  confiant 
les  emplois  qu'à  ceux  dont  la  piété  mé- 
rite la  confiance  publique  ;  en  ne  comp- 
tant fur  la  fidélité  des  fabalternes , 
qu'autant  qu'ils  font  fidèles  à  Dieu,  6c 
recherchant  principalement  dans  les 
hommes  la  droiture  de  la  confcience 
5c  l'innocence  des  mœurs  ,  fans  quoi 
tous  les  autres  talens  ne  forment  plus 
qu^un  mérite  équivoque  ,  qui  devient 
ou  nuifible  ou  inutile. 

Et  de  là,  mes  Frères,  quel  nouveau 
bien  pour  le  public  !  quel  bonheur  pour 
un  Royaume ,  où  les  gens  de  bien  oc- 
cupent les  premières  places  ,  où  les 
emplois  font  les  récompenles  de  la 
vertu,  où  les  affaires  publiques  ne  font 
confiées  qu'à  ceux  qui  cherchent  plus 
les  intérêts  publics  que  leurs  intérêts 
propres ,  6c  qui  ne  comptent  pour  rien 
le  gain  du  monde  entierj^s'ils  venoient 
à  perdre  leur  ame  ! 


304    Vices  et  Vertus 

Qiiel  avantage  pour  les  peuples  y 
lorfqa'ils  trouvent  leur  père  dans  leurs 
Juges  ;  les  protecteurs  de  leurs  foiblef', 
fes  dans  les  arbitres  de  leur  deflinée  ; 
les  confolateurs  de  leurs  peines  ,  dans 
les  interprètes  de  leurs  intérêts  !  Que 
d'abus  prévenus  /  que  des  larmes  ef- 
fuyées/que  d'injuflices  évitées  !  quelle 
paix  dans  les  familles  !  quelle  confola- 
'  tion  pour  les  malheureux  !  Quel  hon- 
neur même  pour  la  vertu  ,  lorfque  les 
peuples  font  ravis  de  la  voir  en  place  y 
&  que  le  monde  lui-même,  tout  mon- 
de qu'il  efl ,  eft  pourtant  bien  aife  d'a- 
voir des  gens  de  bien  pour  défenfeurs^ 
ÔC  pour  Juges  !  Quel  attrait  pour  la  ver- 
tu 5  lorfî^u'on  voit  qu'elle  eil  devenue 
le  chemin  à^s  grâces ,  &  qu'outre  les 
promeiles  du  iiecle  à  venir  qWq  a  en- 
core pour  elle  les  recompenfes  de  la 
T  77mr terre  :  PromlJJionem  habens  vitœ  quos 
4»   ^«^    ^nuicejïy  ù futur œ. 

Et  ne  dîtes  pas ,  mes  Frères ,  qu'çn 
récompenfant  la  vertu  on  ne  corrige^ 
pis  les  pécheurs  ,  &  qu'on  multiplie 
feulement  les  hypocritesi  Je  fais  juP 
qu'où  l'amour  de  l'élévation  peut  pouf^ 
ier  les  hommes,  6c  quels  abus  ils  font 
capables  de  faire  de  la  Religion  pour 
ariivex  à  leurs  fins  ô  mais  du  moins ^. 


Des  Grands.  305 
vous  obligez  le  vice  de  fe  cacher  ;  du 
moins  vous  lui  ôtez  l'éclat  6c  la  fécu- 
rite  qui  le  répand  ÔC  le  communique  ; 
vous  confervez  du  moins  l'extérieur  de 
la  Religion  parmi  les  peuples  ;  vous 
multipliez  du  moins  les  exemples  de 
la  piété  parmi  les  Fidèles;  &  s'il  n'y  a 
pas  moins  de  dérèglement ,  les  fcan- 
danles  du  moins  font  plus  rares. 

Enfin  ,  les  fainies  largeffes  de  la  ver- 
tu. Mais  je  fens   que  mon  fujet  m'en- 
traîne, 6c  il  eft  temps  de  finir.  Oui^mes 
Frères ,  que  de  nouveaux  biens  encore 
pour  les  peuples  dans  i'ufage  chrétien 
&:  charitable  de  vos  richefles  !  Vous 
mettez  Tinnocence  à  couvert ,    vous 
préparez  des  afyles  de  pénitence  aux 
crimes  r  vous  rendez  la  vertu  aimable 
aux  malheureux  par  les  reffources  qu'ils 
trouvent  dans  la  vôtre:  vous  affurez  aux 
maris  la  fidélité  de  leurs  époufes  ;  aux 
pères  le  falut  de  leurs  enfans  ;  aux  ï^af- 
teurs  la  fureté  de  leurs  brebis;  la  paix 
aux  familles ,  la  confolation  aux  affli- 
gés ,  l'innocence  à  la  veuve  délaiffée  , 
un  fecours  à  l'orphelin ,  le  bon  ordre 
au  public  5  à  tous  l'appui  de  leur  vertu, 
ou  le  remède  de  leurs  vices. 

Et  ici  ,  mes  Frères  ,  comprenez  û 
vous  pouvez  les  fruits  imraenfes  de 


^ù6  Vices  et  Vertus  ' 
votre  vertu  ,  &  les  avantages  inexpli- 
cables qu'en  retire  l'Eglife.  Que  de 
fcandales  évités  I  que  de  crin-ies  préve- 
nus !  que  de  maux  publics  arrêtés  /que 
de  foibles  confervés  !  que  de  Juftes  af- 
fermis! que  de  pécheurs  rappelles!  que 
d'ames  retirées  du  précipice/  Que  vous 
contribuez  ,  mes  Frères  ,  quand  vous 
fervez  Dieu  ,  à  la  gloire  de  l'Eglife  ,  à 
ragrandifTementdu  royaume  deJefus- 
Chrift  ,  à  l'honneur  de  la  Religion ,  à 
la  confommation  des  Saints ,  au  falut 
de  tous  les  Fidèles  !  Qu'il  fe  trouvera 
un  jour  d'Elus  dans  le  Ciel  de  toute 
langue  6c  toute  tribu  ,  qui  mettront 
à  vos  pieds  leur  couronne  d'immorta- 
lité 5  comme  pour  confefler  publique- 
ment qu'ils  vous  en  font  redevables  I 
Quelle  confolation  pour  vous  de  pou- 
voir vous  dire  à  vous  même,  qu'en  fer- 
vant  Dieu  vous  lui  attirez  des  fervi- 
teurs  ,  &:  que  votre  piété  devient  une 
fource  de  bénédictions  pour  les  peu- 
ples !  Non  5  mes  Frères ,  s'il  y  a  quel- 
que chofede  flatteur  dans  l'élévation  , 
ah  !  ce  n'eft  pas  les  vaines  diftin6^ions 
que  i'ufage  y  attache  ;c'eft  d'y  pouvoir 
devenir  en  fervant  Dieu ,  la  foarce  de 
biens  publics  ,  le  foutien  de  la  Reli- 
gion ,  la  confolation  de  l'Eglife ,  ÔC  les 


Des   Grands.        307 

principaux  inftrumens  dont  Dieu  fe 
fert  pourTaccompHirement  de  Tes  def- 
feins  de  miféricorde  fur  les  hommes. 
Que  vous  perdez  donc ,  mes  Frères, 
en  ne  vivant  pas  félon  Dieu  !  que  l'E- 
glife  perd  en  vous  perdant  !  que  nous 
perdons  nous  -  mêmes  iorfque  vous 
nous  manquez/  de  combien  d'ayanta- 
ges  priyez-yous  les  Fidèles  !  quelles 
confolations  yous  ôtez-yous  à  yous- 
mêmes  !  quelle  joie  dans  le  Ciel  pour 
la  converfion  d'un  feul  pécheur  élevé 
dans  le  fiecle  !  Que  vous  êtes  coupa- 
bles ,  mes  Frères ,  quand  vous  ne  vivez 
pas  félon  Dieu  î  Vous  ne  pouyez  ni 
vous  perdre  ,  ni  vous  fauver  tout  feuls* 
Vous  refTemblez  ou  à  ce  dragon  de  l'A- 
pocalypfe  ,  qui  en  tombant  du  Ciel  où 
il  étoii  élevé  ,  entraîne  par  fa  chute  la 
plupart  des  étoiles  dans  l'abîme  ;  ou  à 
ce  ferpent  myfterieux  ,  dont  parle  Je- 
fus  Chrifl  ,  qui  étant  élevé  fur  la  terre 
attire  heureufement  tout  après  luL 
Vous  êtes  établis  pour  la  perte  ou  pour 
le  falut  de  plufieurs,  des  plaies  ou  des 
reflburces  publiques.  Puiiïîez-vous  , 
mes  Frères ,  connoître  vos  véritables 
intérêts  ;  fentir  ce  que  vous  êtes  dans 
les  defleins  de  Dieu  ,  ce  que  vous  pou- 
fez  pour  fa  gloire  ,  ce  qu'il  attend  de 


3o8  Vices  et  Vertus  ,  êcc. 
vous  ;  ce  qu'en  attend  TEglife ,  ce  que 
nous  en  attendons  nous  mêmes  !  Ah  I 
vous  avez  une  fi  grande  idée  de  votre 
rang  8c  de  vos  places  par  rapport  au 
monde  ! 

Mais  ,  mes  Frères  ,  permettez- moi 
de  vous  le  dire  :  vous  n'en  connoiflez 
pas  encore  toute  la  grandeur;  vous  ne 
voyez  qu'à  demi  ce  que  vous  êtes;  vous 
êtes  encore  bien  plus  grands  par  rap- 
port à  la  piété  ;  ÔC  les  privilèges  de 
votre  vertu  font  bien  plus  brillans  ÔC 
plus  finguliers  que  ceux  de  vos  titres, 
Puifliez-vous,  mes  Frères,  remplir  tou-i 
te  votre  deiHnée  !  Et  vous ,  ô  mon 
Dieu  !  touchez  durant  ces  jours  de 
falut,  par  la  force  de  la  vérité  que  vous 
métrez  dans  nos  bouches  ,  les  Grands 
&  les  PuilTaDs;artirez  à  vous  des  cœurs, 
dont  la  conquête  vous  afiure  celle  du 
re(ïe  des  Fidèles;  ayez  pitié  de  vos  peu- 
ples, en  ianc^ifiant  ceux  que  votre  Pro- 
vidence a  mis  à  leur  tête;rauvez  Ifraël, 
en  fauvant  ceux  qui  le  régiiTent  ;  don- 
nez à  votre  Eglife  de  grands  exemples 
qui  perpétuent  la  vertu  d  âge  en  âge  , 
&  qui  aident  jufqu'à  Ja  fin  à  former 
cette  alTemblée  immortelle  de  Juftes  , 
qui  vous  beniia  dans  tous  les  fiecles»^ 
AinJïfoit'iL 


DISCOURS 

PRONONCE' 

A  I  £/A^£    BÉNÉDICTION 

Des  Drapeaux  du  Régiment 
de  Catinat. 

Pofuenint  figna  fua  ,  figna  ;&  noncogno- 
Verunt  fîcut  in  exitii  iuper  fumraum. 

Ils  ont  mis  leurs  Drapeaux  dans  le  Temple 
comme  unpréfage  de  leur  vicioire  ;  fi*  ils  n'ont 
pas  connu  quelle  éîoit  la  fin  de  cette  pieufe  fo- 
lemnité.  Pf. 75.  4.  ç. 

CE  n'efl  pas  pour  vous  rappeller 
ici  des  idées  de  feu  6c  de  fang  , 
5c  par  le  fouvenir  de  vos  viftoires 
paffées  vous  animer  à  de  nouvelles  , 
que  je  viens  dans  le  San6iuaire  de  la 
paix  mêler  un  difcours  Evangélique 
à  une  cérémonie  fainte.  La  parole 
dont  j'ai  Thonneur  d'être  le  Miniftre  , 
eft  une  parole  de  réconciliation  &  de 
vie  ,  defliiiée  à  réunir  les  Grecs  ÔC  les 


310  Pour  la  bénédiction 
Barbares  ;  à  faire  habiter  enfemble  ^ 
félon  l'exprefîîon  d'un  Prophète  ,  les 
lions  5  les  aigles  &:  les  agneaux  ;  à  raf- 
fembler  fous  un  même  chef  toute  lan- 
gue 5  toute  tribu  ,  6c  toute  nation  :  à 
calmer  les  pafTions  des  Princes  &  des 
peuples ,  confondre  leurs  intérêts  , 
anéantir  leurs  jaloufies ,  borner  leur 
ambition  ,  infpirer  les  mêmes  defirs  à 
ceux  qui  doivent  avoir  la  même  espé- 
rance ;  6c  fi  elle  propofe  quelquefois 
des  guerres  ÔC  des  combats,  ce  font  des 
guerres  qui  fe  terminent  toutes  dans  le 
cœur  ,  &c  des  combats  de  la  grâce. 

D'ailleurs,  je  me  fouviens  que  je 
parle  fous  l'autel  même  de  l'Agneau  , 
qui  elt  venu  pacifier  le  Ciel  &  la  ter- 
re :  dans  un  Temple  confacré  au 
Chef  d'une  Légion  fainte  qui  fut  pré- 
férer le  culte  de  Jefus  -  Chrift  à  celui 
des  ftatues  de  TEmpereur  ,  6c  laifler 
fièrement  les  Aigles  de  l'Empire  pour 
fuivre  l'étendard  de  la  Croix*;  &.  enfin, 
que  je  parle  à  une  troupe  illuftre  qui 
ne  connoît  les  périls  que  pour  les  af- 
fronter ,  que  mille  aérions  diftinguent 
plus  que  le  nom|du  fameux  Général 
qu'elle  a  l'honneur  d'avoir  à  fa  tête,  6C 
le  mérite  de  celui  qui  la  commande  ; 
ia  qui  attend  plutôt  de  moi  des  leçons 


Des  Drapeaux,  8cc.  3 1 1 
de  piété  que  de  valeur  ,  6c  des  avis 
pour  faire  la  guerre  faintement  ,  que 
des  exhortations  pour  la  bien  faire. 

Souffrez  donc.  Meilleurs,  que  laif- 
fant  là  le  corps  ,  pourainfî  dire,  &  les 
dehors  de  cette  cérémonie ,  je  vous  en 
développe  l'efprit  ;  que  fans  approfon- 
dir ce  qu'elle  a  d'antique  tl  de  curieux, 
je  m'arrête  à  ce  qu'elle  peur  avoir  d'u- 
tile ;  &que  loin  de  vous  entretenir  de 
la  gloire  des  armes  &  du  cas  que  tous 
les  peuples  en  ont  toujours  fait,  je 
vous  parle  des  périls  de  cet  état  8c  des 
moyens  d'y  acquérir  une  gloire  im- 
mortelle &  folide. 

Pourquoi  croyez  vous  en  effet  que 
les  nations  les  plus  barbares  aient  tou- 
tes eu  une  efpece  de  religion  militai- 
re ,  8c  que  le  culte  fe  foit  toujours 
trouvé  mêlé  parmi  les  armes  ?  Pour- 
quoi croyez  •  vous  que  les  Romains 
fuffent  fi  jaloux  de  mettre  leurs  aigles 
&  leurs  Dieux  à  la  tête  de  leurs  Lé- 
gions .5c  que  les  autres  peuples  afFec- 
tafTent  de  prendre  ce  qu'il  y  avoir  de 
plus  facré  dans  leurs  fuperftitions  y 
ÔC  en  traçafTent  les  figures  &  les  fym- 
boles  fur  leurs  étendards  ?  finon  pour 
empêcher  que  le  tumulte  &.  l'agita-- 
tion  des  guerres  ne  fît  oublier  ce  qu'oa 


fïi  Pour  la  BéNéoicTioN 
doit  aux  Dieux  qui  y  pré(ident ,  St 
afin  qu'à  force  de  les  avoir  fans  celFe 
devant  les  yeux  ,  on  fût  comme  dans 
une  heureufe  impuilfance  de  les  per- 
dre de  vue.  Pourquoi  croyez  -  vous 
que  les  Ifraélites  dans  leurs  marches 
&  dans  leurs  combats  fuflent  toujours 
précédés  du  Serpent  d'airain  ;  que 
Condantin  devenu  la  conquête  de  la 
Croix  5  fit  élever  ce  fignal  de  toutes 
les  nations  au  milieu  de  fes  armées  ; 
que  nos  Rois ,  dans  leurs  entreprifes 
contre  les  infidèles  ,  allaflent  recevoir 
rétendard  facré  aux  pieds  des  autels  ; 
ÔC  qu'enfin  encore  aujourd'hui  l'Eglife 
confacre  par  des  prières  de  paix  &  de 
charité  ces  fignes  déplorables  de  la 
guerre  8(.  de  la  dilTenfion  ?  (înon  pour 
vous  faire  fouvenir  que  la  guerre  mê- 
me eft  une  manière  de  culte  religieux; 
que  c'eft  le  Dieu  des  armées  ,  qui  pré- 
fide  aux  viâoires  ÔC  aux  batailles  ;  que 
les  Conquéraos  ne  font  bien  fouvent 
entre  Ces  mains  que  des  inftrumens  de 
colère  dont  il  fe  fert  pour  châtier  les 
péchés  des  peuples  ;  qu'il  n'eft  point 
de  véritable  valeur  que  celle  qui  prend 
fa  fource  dans  la  Religion  6c  dans  la 
piété  ;  6c  qu'après  tout ,  les  guerres  ÔC 
ks  révolutions  des  Etats ,  ne  font  que 

des 


Des  Drapeaux,  8cc.  ^15 
des  jeux  aux  yeux  de  Dieujôc  un  chan- 
gement de  fcene  dans  l'univers  ;  que 
lui  feul  ne  change  point ,  ôc  feuî  a  de 
quoi  fixer  les  agitations  &  les  defîrs 
infatiables  du  cœur  humain. 

lleft  vrai,  MefTieurs  ,  que  la  piété 
fî  pénible  ,  même  dans  les  Cloîtres 
où  tout  l'infpire  ,  fi  rare  dans  le  fîecle 
où  les  devoirs  communs  de  la  ReliH 
gion  la  foutiennent  ,  trouve  dans  les 
difilpations  &  la  licence  des  armes 
des  obllacles  6c  des  écueils  ,  où  les 
plus  belles  efpérances  de  l'éducation, 
les  plus  heureux  préfages  du  naturel , 
les  plus  tendres  précautions  de  la  grâ- 
ce viennent  tous  les  jours  triflement 
échouer. 

C*eft   là  qu*on  voit  quelquefois  le 
peuple  de  Dieu  fous  les  yeux  même 
d'un  Jofué  ,  iïim  Général  fage  &  re- 
ligieux, donner  dans  tous  les  excès  6C 
les  crimes  des  nations.  C'efî-  là  que  des 
Chrétiens  mettent  tous  les  jours  leur 
gloire  dans  leur  confuiion  ,  &  fe  font 
un  mérite  de  leur  ignominie.  C*ell  là 
que  l'impiété  eft  un  bon  air  ,  la  Foi 
une  foibleiTe  ,  la  Religion  un  fonge  , 
les  vérités  du   falut   le  partage    des 
âmes  oifeufes ,  les  terreurs  de  l'éter- 
nité une  vaine  frayeur,   ôclafainteté 
Petit  Carême*  O 


5T4  Pour  la  Bénédiction 
de  nos  myfteres  fouvent  l'airaifonne- 
ment  des  débauches.  C'eft  là  que  le 
Dieu  que  nous  adorons  n'eft  nommé 
que  pour  erre  infulré  ;  que  le  crime 
eft  unebienféance,  la  volupté  un  mé- 
rite 5  la  fureur  une  diftinàion.  C'eft 
là  que  ceux  que  la  politelTe  ,  le  rang 
ou  l'intérêt  même  ,  fous  un  Prince 
qui  ne  compte  pour  rien  la  valeur  lorf- 
qu'elle  eft  toute  feule  ,  éloignent  de 
ces  excès ,  bornent  toute  leur  régula- 
rité à  l'ambition,  la  gloire  &  la  ven- 
geance ;  &  ne  fe  relâchent ,  ce  femble, 
fur  les  autres  p^ifiions  ^  que  pour  être 
plus  vifs  fur  celle  ci.|  C'eft  là  que  les 
plus  fages  font  ceux  qui  ne  font  occu- 
pés que  de  leur  fortune  &  de  leur  avan- 
cement ;  qui  facrifient  tout  ,  bien  , 
repos ,  confcience  à  leur  gloire  ;  qui 
infenfibles  fur  la  félicité  des  Saints  ÔC 
fur  les  biens  folides  de  l'éternité  ,  ne 
font  occupés  qu'à  faifir  un  phantôme 
qui  leur  échappe  avant  qu'ils  le  tien- 
nent ,  5c  à  fe  ménager  des  établifle- 
mensqui  font  fondés  fur  le  fable,  6c 
dans  une  cité  qui  n'eft  pas  permanen- 
te. C'eft  là  5  en  un  mot,  que  Dieu  n'eft: 
pas  plus  connu  qu'au  milieu  des  peu-^ 
pies  infidèles ,  ôc  que  la  plus  haute 
vertu  n'eft  pas  de  n'avoir  point  de  paf-, 


Des  Drapeaux  ,  8cc.  515 
lions ,  mais  de  n'en  avoir  que  de  no- 
bles 6c  de  brillantes. 

Sont-ce  là  ,  ô  mon  Dieu  ,  des  hom- 
mes armés  pour  votre  querelle  &:  pour 
la  défenfe  de  vos  autels  ?  vous  qui  ne 
voulez  pas  que  le  pécheur  raconte  vos 
juftices  6c  devienne  le  protefteur  de 
votre  alliance  ,  pourriez- vous  confier 
à  des  bras  facrileges  le  foin  de  rétablir 
votre  culte  5c  la  majefté  de  vos  Tem- 
ples ?  Et  qu'importe  que  vous  foyez 
déshonoré  par  les  crimes  des  Fidèles, 
ou  par  l'infidélité  de  vos  ennemis  ? 
qu'importe  que  votre  royaume  s'a- 
grandiiTe  ,  (î  vous  ne  devez  pas  régner 
fur  les  cœurs  ?  qu'importe  que  les  diC- 
perfions  d'Ifraël  fe  ralFemblent  ,  û  les 
Tribus  reliées  à  Jérufalem  furpaifent 
mêmes  les  profanations  des  fujets  de 
Jéroboam. 

Ceux  qui  vivent  dans  la  tranquillité 
des  villes  6c  loin  des  dangers  de  la 
guerre ,  peuvent  fe  calmer  fur  les  dé- 
fordres  de  leur  vie  par  l'efpoir  d'une 
vieilleiTe  plus  régulière  8c  d'une  mort 
chrétienne.  Et  en  effet ,  Mefîîeurs,  le 
loidr  que  l'âge  ou  une  lente  infirmité 
laiiTent aux  réflexions;  le  long  ufage 
des  plaifirs ,  5t  le  dégoût  ou  les  défa- 
grémens  qui  les  fuivent  ;  l'expérience 

Oij 


^i6    Pour  la  Bénédiction 
du  monde  Sc   de  fes  inutilités  ,   dont 
un  bon  efprit  même  fe  iaffe  6c  revient 
tôt  ou  tard  ;  les  perfidies  &.  les  fuper- 
cheries  du  commerce  ,  qui  routes  feu- 
les font  capables  de  dégoûter  uneame 
bien  faite  5c  lui  faire  prendre  le  parti 
de  la  retraite  ôc  de  la  piété  ,  tout  cela 
aide  les  opérations  de  la  grâce  dans  le 
cœur  des  mondains  ;    leur  fait   faire 
tous  les  jours  milles  projets  éloignés  de 
\    converfion  ;  les  arrache  peu  à  peu  à 
leurs  foibîefTes  ,     6c    quelquefois  fait 
que  fatigués  du  monde  ils  fe  donnent 
à  Jefus  Chrift. 

Je  fais  que  cette  efpérance  des  pé- 
cheurs périt  fouvent  ;  que  fe  flatter 
d'une  converfion  tardive  ,  c'eft  inful- 
ter  à  la  grâce  &  à  la  juftice  d'un  Dieu 
vengeur;  que  renvoyer  à  des  années 
de  langueur  5c  d'infirmité  l'affaire  du 
falut,  c'eft  la  manquer  ;  qu'on  ne  re- 
cueille pendant  l'hiver  que  ce  qu'on  a 
femé  durant  les  jours  de  l'été  ;  que 
notre  Dieu  n'eft  pas  un  Dieu  de  tous 
les  jours  ;  que  négligé  ,  il  néglife  à  fon 
tour  ;  &  que  la  vertu  qui  vient  fi  tard , 
n'eft  d'ordinaire  qu'une  impuifTance 
du  vice ,  une  régularité  de  l'âge  plutôt 
que  du  cœur ,  &  une  bienféance  qu'on 
doit   au    monde   autant   qu'à  Jefus- 


DES  Drapeaux,  5Cc.  317 
Chrift.  Cependant  la  religion  ne  veut 
pas  qu'on  défefpere  ,•  &  plus  d'une 
fois  j  ô  mon  Dieu  ,  vous  avez  appelle 
des  ouvriers  à  îa  onzième  heure  du 
jour,  6c  guéri  des  paralytiques  de  tren- 
te ans ,  peut  être  pour  prévenir  par  ces 
prodiges  le  défefpoir  des  vrais  péni- 
tens  ,  ÔC  peut  être  au/Ti  pouramufer  la 
faulfe  confiance  des  pécheurs. 

Mais  pour  vous  ,  Meflîeurs ,  qui 
au  milieu  des  périls  &  des  fureurs  de 
la  guerre  pouvez  tous  les  jours  dire 
comme  David,  que  vous  n'êtes  fé- 
parés  que  d*un  feul  degré  de  la  mort  : 
Vno  tantum  gradii ,  ego  morfque  divi-  j^  ^  j 
dimur  ;  vous  qui  ne  devez  compter  20*  3, 
fur  la  vie  ,  que  comme  fur  un  tréfor 
que  vous  tenez  expofé  fur  un  grand 
chemin  ;  qui  touchez  tous  les  momens 
à  l'éternité  ,  &  qui  ne  tenez  au  monde 
ôc  à  fes  piainrs ,  que  par  le  plus  foible 
de  tous  les  liens  :  ah  !  qu'eft  ce  qui 
peut  vous  ralTurer  lorfque  vous  vous 
livrez  à  des  pafTions  d'ignominie  ?  ÔC 
de  quel  efpoir  pouvez  vous  vous  amu- 
fer  vous  même  ?  eft-ce  ces  momens- 
que  vous  accordez  à  la  Religion  furie 
point  d'un  combat  ,  qui  flattent  votre 
efpérance  ?  ell  ce  la  prière  &  les  béné- 
didions  d'un  Miniftre  ?  Mais  vous  qui 

O  iij 


3i8  Pour  la  Bénédiction 
êtes  de  bonne  foi ,  quelle  eft  alors  , 
je  vous  prie ,  la  fituation  de  votre 
cœur  ?  Vous  eft-il  jamais  arrivé  de  re- 
payer en  pareille  occafîou  dans  ramer- 
tume  de  votre  cœur  routes  les  années 
de  votre  vie  ?  Avez  vous  jamais  penfé 
dans  ces  circonftances  à  offrir  au  Sei- 
gneur un  cœur  contrit  &  humilié  ,  ÔC 
à  invoquer  fes  miféricordes  fur  les 
miferes  de  votre  ame  ?  La  gloire  ,  le 
devoir,  le  péril,  vous  ne  voyez  que 
cela.  Les  retours  furiaconfeience  font 
alors  moins  de  faifon  que  jamais  ;  on 
éloigne  même  ces  penfées  comme  dan- 
gereufes  à  la  valeur  ;  on  redouble  les 
pîaifirs ,  &.  les  excès  pour  faire  diver- 
fîon  ,  &  s'empêcher  foi-même  de  s'en 
occuper  ;  &  l'on  pafle ,  hélas  !  prcfque 
toujours  du  crime  ÔC  de  la  débauche  à 
la  mort.  Horrible  dellinée  ,  ô  mon 
Dieu  !  5c  fi  commune  cependant  aux 
perfonnes  à  qui  je  parle  !  Vous  le  fa- 
vez  ,  mes  Frères ,  ÔC  mille  fois  dans  la 
fureur  des  combats  vous  avez  vu  dif- 
paroître  en  un  inftant  les  compagnons 
de  vos  excès  ;  vous  les  avez  vus  ne  met- 
tre prefque  qu'un  intervalle  entre  une 
impiété  ÔC  le  dernier  foupir  ,  6c  un 
coup  fatal  venir  les  enlever  à  vos  cô- 
tésjdans  le  temps  même  peut-être  qu'ils 


Des  Drapeaux  ,  Sec.  319 
faifoient  encore  avec  vous  des  projets 
de  crime. 

Et  pourquoi  leur  infortune  ne  vous 
ébranieroit  elle  pas  ?  pourquoi  ne 
vous  inftruiiiez  vous  pas  dans  le  mal- 
heur de  leur  furpiiie  /Efl-ce  parce  que 
ces  exemples  font  tropfréquens ,  que 
vouî>  n'en  êtes  plus  frappé  ?  c'eft-à-dire, 
que  vous  vous  rafiurez  à  mefure  que 
le  péril  augmente.  Pourquoi  ne  vous 
laifleriez  vous  pas  toucher  à  la  bonté 
&  à  la  longanimité  de  votre  Dieu ,  qui 
ne  vous  a  fauves  de  tant  de  périls  6c 
confervés  jufqu'à  préfent ,  que  pour 
vous  ménager  plus  de  loifir  de  vous 
convertir  à  lui  ?  pourquoi  changeriez- 
vous  fes  deffcin?  de  miféricorde  en  des 
deifeins  de  colère  ;  5(  employeriez- 
vous  des  jours  qu'il  n'a  prolongés  que 
pour  votre  fa  lut ,  à  prolonger  le  cours 
de  vos  iniquités  ? 

Eh  /  f\  dans  cette  a£lion  où  vous  ne 
dûtes  votre  délivrance  qu'à  un  prodi- 
ge ,  6c  dont  vous-  même  crûtes  ne  ja- 
mais fortir ,  le  glaive  de  la  mort  vous 
eut  frappé  :  quelle  eut  été,  mon  Frère , 
votre  deftinée?  quelle  ame  auriez- 
vous  préfentée  au  tribunal  de  Jefus- 
Chrift  ?  quel  monflre  d'ordures  ,  de 
blafphêraes ,  de  vengeances  !  N'êtes- 

Oiv 


'320     Pour  la  BéNfoicTiON 
vous  pas  effrayé  de  vous  repréfenter 
alors  fous  le  foudre  d'un  Dieu  vengeur, , 
tremblant  devant  fa  face  ,  ÔC  les  abîmes 
éternels  ouverts  à  vos  pieds.  Sa  main 
toute  puiffante  vous  délivra  ;    il  vous 
couvrit  de  Ton  bouclier  ;  fon  Ange  dé- 
tourna lui  même  les  coups ,  qui  en  dé- 
cidant de    votre  vie   auroient  décidé 
de  votre  éternité  :    &  quel  ufage  en 
avez-  vous  fait  depuis  ?  quelle  recon- 
noiflance  envers  votre  I  ibérateur?  quel 
hommage  lui  avez  vous  fait  d'un  corps 
que  vous  terez  doublement  de  lui  ? 
Vous  l'avez  fait  fervir  à  l'iniquité  ;  6c 
d'un  membre  de  Jefus  Chrill  vous  en 
avez  fait  un  inflrument  de  honte  ôc 
d'infamie.  Ah  !    vous   avez  bien    fu 
mettre  le  danger  que  vous   courûtes 
alors  à  profit  pouryotre  fortune  ;  ma?s 
avez  vous  fu  le  mettre  à  profit  pour 
votre  falut  ?  vous  l'avez  fait  valoir  au- 
près du  Prince  ;  m.ais  en  a-t'ii  été  quei^ 
tions  auprès  de  Dieu  ?  vous    en  êtes 
monté  d'un  degré  dans  le  Service  ;  6c 
vous  voilà  toujours  le   même  dans  la 
milice  de  Jefs-Chrifl.  Craignez, crai- 
gnez ,  que  ce  moment  fatal  ne  revien- 
ne ;  que  le  Seigneur  ne  vous  livre  en- 
fin à  votre  propre   deftinée  ;  qu'il  ne 
vous  traite  comme  l'impie  Achab  ;  ôc 


DES  Drapeaux,  8cc.  ^xt 
qu'un  coup  parti  de  fa  main  invifi- 
ble,  n'aille  à  la  première  occafion  ter- 
miner enfin  vos  iniquités  ôc  commen- 
cer fes  vengeances. 

Que  votre  fort  eft  à  plaindre  ,  MeC- 
fieurs  !  La  voie  des  armes ,  où  les  enga- 
gemens  de  lanaiflance  ôc  le  fervice  du 
Prince  vous  appellent  ,  eft  à  la  vérité 
brillante  aux  yeux  desfens;  c'eft  le  feuî 
chemin  de  la  gloire  ;  c'eft  le  feul  pofte 
digne  d'un  homme  qui  porte  un  nom  : 
mais  en  matière  defalur,  de  toutes  les- 
voies  c'eft  la  plus  terrible.  Voilà  les 
périls  ;  voici  les  moyens  de  les  éviter. 

Car  enfin ,  le  bras  de  Dieu  n'eft  pas? 
racourci  ;  le  fa  lut  n'eft  nulle  part  im- 
poftîble  ;  le  torrent  n'entraîne  que  ceuje 
qui  veulent  bien  s'y  prêter;  le  Seigneur 
a  fes  Elus  par-  tout  ;  6c  les  mêmes  darï- 
gers  qui  font  des  écueils  pour  les  ré- 
prouvés ,  deviennent  des  occaflons  de 
mérite  aux  Juftes. 

Et  pour  entrer  ici  dans  un  détail  qui 
vous  le  fafle  fentir  :  quels  font ,  dites- 
moi  ,  dans  votre  état  les  écueils  que  l^ 
grâce  ne  puifte  vous  faire  éviter  ?  quefe 
font  les  maux  qui  n'aient  en  même- 
temps  leurs  remèdes  ? 

Je  fais  que  Fambiiion  eft  comme  kiév 
^itable  à  un.  homiiic  de  guerre  y  ^p^ 


-.s" 


^11  Pour  la  Be'ne'diction 
l'Evangile  qui  fait  un  vice  de  cette  paf- 
lîon ,  ne  fauroit  prévaloir  contre  Tufa- 
ge  qui  l'a  érigée  en  vertu  ;  &  qu'en  fait 
de  mérite  militaire ,  qui  ne  fent  pas  ces 
t^  nobles  mouvemens  qui  nous  font  afpi- 

I  rer  aux  grands  poftes,  ne  fent  pas  aujSi 

^'  ceux  qui  nous  font  ofer  de  grandes 

aâ:ions.  Mais  outre  que  le  defir  de  voir 
vos  fervices  récompenfés ,  s'il  eft  mo- 
déré ,  (i  feui  il  n'abforbe  pas  le  cœur 
tout  entier ,  s'il  ne  vous  porte  pas  à 
vous  frayer  des  routes  d'iniquité  pour 
parvenirà  vosfins,  &  établir  votrefor- 
tune  fur  les  ruines  de  celle  d'autrui  ; 
outre  5  dis- je  ,  que  ce  defir  environné 
de  toutes  ces  précautions,  n'a  rien  dont 
la  morale  chrétienne  puiffe  être  bief' 
fée  ;  qu'a  t-  il ,  en  vous  offrant  les  efpé- 
rances  humaines ,  de  fi  féduifant,  qu'il 
puiffe  l'emporter  furi'efpoir  des  Chré- 
tiens ôc  les  promeiTes  de  la  Foi  ?  Des 
poftes  5  des  honneurs ,  des  diftinâiions , 
un  Rom  dans  l'univers  ?  Mais  quelle 
foule  de  concurrens  faut-  il  percer  pour 
en  venir  là  ?  que  de  circonliancos  faut- 
il  aiTortir ,  qui  ne  Ce  trouvent  prefque 
jamais  enfembie  ?  Et  d'ailleurs ,  eft  ce 
le  mérite  qui  décide  toujours  de  la  for- 
tune 1  Le  Prince  efï  éclairé ,  je  le  fais , 
mais  peut!il  tout  voir  de  ks  yeux  1 


DES  Drapeaux  ,  8cc.  315 
Combien  de  vertus  obfcures  6c  négli- 
gées ?  combien  de  fervicei-oubliés  ou 
diflimulés  ?  ^  d^autre  part ,  combien 
de  favoris  de  la  fortune ,  fortis  touVà- 
coup  du  néant  ,  vont  de  plein  pied 
failir  les  premiers  poftes  ?  ôc  delà ,  quel- 
le fource  de  défagrémens  &  de  dé- 
goûts !  on  fe  voit  paiFer  fur  le  corps  par 
des  fubalternes,  gens  qu'on  a  vu  naître 
dans  le  Service  ,  ÔC  qui  n'en  favent  pas 
encore  aflez  même  pour  obéir;  tandis 
qu'on  fe  fent  foi- même  furie  panchant 
de  l'âge  ,  5c  qu'on  ne  rapporte  de  fes 
longs  fervices  qu'un  corps  ufé  ,  des 
affaires  domeftiques  défefpéréeç  ,  ÔC 
la  gloire  d'avoir  toujours  fait  la  guerre 
à  fes  frais.  Eh  !  qu'entend- on  autre 
chofe  parmi  vous ,  que  des  réflexions 
fur  l'abus  des  prétentions  &  des  «Tpé- 
rances  ?  vou  «nême  qui  m'écourez  j 
quelle  eft  là  defTus  votre  fituation  ?  Et 
cependant  on  facrifie  l'éternité  à  des 
chimères;  on  fe  flatte  toujours  qu'on 
fera  du  nombre  des  heureux  ;  &:  on  ne 
s'apperçoit  pas  que  la  Providence  ne 
femble  laifTer  au  hafard  ôc  au  caprice 
des  hommes  le  partage  des  pofles  6C 
des  emplois ,  que  pour  nous  faire  re- 
garder avec  des  yeux  chrétiens  Ics^tres 
5c  ks  honneurs  \  ÔC  nous  faire  rapporter 

Ovj 


524  Pour  la  Bénédîction^ 
au  Roi  du  ciel  ,  aux  yeux  de  qui  rîeni 
n'échappe,  ôc  qui  nous  tiendra  compte 
de  nos  plus  petits  foins ,  des  fervices 
que  nous  rendons  aux  Rois  de  la  terre  ,, 
qui  fouvent  ou  ne  peuvent  les  voir,, 
ou  ne  fauroient  les  récompenfer. 

Mais  quand  même  votre  bonheur 
îépondroit  à  vos  efpérances  ;  quand 
même  les  douces  erreurs  ôc  les  fonges 
fur  lefquels  votre  efprit  s'endort  ,  dé- 
^iendroient  un  jour  des  réalhés;  quand 
même  par  un  de  ces  coups  du  hafard 
qui  entre  toujours  pour  beaucoup  dans 
la  fortune  des  armes,  vous  vous  verriez 
élevé  à  des  poftes  auxquels  vousn'ofe- 
ïiez  même  afpirer  ,  5c  que  vous  n'au- 
inez  plus  rien  à  fouhaiter  du  côté  des 
prétentions  humaines  :  que  font  les  fé* 
licites  d'ici"  bas,  bi  quelle  eft  leur  fragi> 
Ité  ôcleur  rapide  durée?  Que  nous  ref^ 
te-t  il  de  ces  grands  noms  qui  ont  au- 
trefois joué  un  rôle /]  brillant  dans  Tuni- 
^erslils  ont  paru  un  feul  inftant,  ôc  d'iC- 
faru  pour  toujours  aux  yeux  des  hom- 
imes.  On  fait  ce  qu'ils  ont  été  pendant 
ce  petit  intervalle  qu'a  duré  leur  éclat;: 
•mais  qui  fait  ce  qu'ils  font  dans  la  ré?- 
gion  éternelle  des  morts!  Les  chimères 
de  la  gloire  &  de  l'immortalité  ne  font 
laé^aiicati  fecours  i  le  Dieu  vengeur. 


DE5  DRAPEAUX  5  &C-  ^1$ 
qui  du  haut  de  fon  tribunal  pefe  leurs 
aâ:ions  &  difcerne  leur  mérite  ,  n'en 
juge  pas  fur  ce  que  nous  difons  6c  fur 
ce  que  nous  penfons  d'eux  ici-bas  ; 
&  tous  ces  grands  traits  qui  font  tant 
d'honneur  à  leur  mémoire  &  qui  enrt- 
chilfent  nos  annales  ,  font  peut-être 
les  principaux  chefs  de  leur  condam- 
nation ,  &  les  traits  les  plus  honteux 
de  leur  ame  aux  yeux  de  Dieu. 

Helas!  MefTieurs,  que  font  les  hom- 
mes fur  la  terre  ?  des  perfonnages  de 
théâtre  :  tout  y  roule  fur  le  faux  ;  ce 
n'eft  par  tout  que  repréfentations  ;  ôC 
tout  ce  qu'on  y  voit  de  plus  pompeux 
ôc  de  mieux  établi ,  n'eft  l'afFaire  que 
d'une  fcene:  qui  ne  le  dit  tous  les  jours 
dans  le  fiecle  ;  Une  fatale  révolutionj 
une  rapidité  que  rien  n'arrête  ,  en- 
traîne tout  dans  les  abîmes  de  l'éter- 
nité ;  les  fîecles  ,  les  générations ,  les 
Empires  ,  tout  va  fe  perdre  dans  ce 
gouffre  ;  tout  y  entre  ôc  rien  n'en  fort: 
nos  ancêtres  nous  en  ont  frayé  le  che- 
min ,  ÔC  nous  allons  le  frayer  dans  ua 
moment  à  ceux  qui  viennent  après 
nous  ;  ainfî  les  âges  fe  renouvellent  ; 
ainlî  la  figure  du  monde  change  fans 
eelTe  ;  ainfî  les  morts  8c  les  vivans  fe 
fuceedent  ôc  fe  remplacent  continua^ 


5i<5  Pour  la  B^NéDicxiON 
lement:  rien  ne  demeure,  tout  s'ufe,' 
tout  s'éteint.  Dieu  feul  eft  toujours  le 
même  5  ôcfes  années  ne  finiflentpoint: 
le  torrent  des  âges  6c  des  (iécles  coule 
devant  Tes  yeux  ;  6c  il  voit  avec  un  air 
de  vengeance  &  de  fureur  de  foibles 
mortels ,  dans  le  tems  même  qu'ils  font 
entraînés  par  le  cours  fatal  ,  l'infuîter 
en  palTant ,  profiter  de  ce  feul  moment 
pour  déshonorer  fon  nom  ,  ôc  tomber 
au  fortir  de  là  entre  les  mains  éternel- 
les de  fa  colère  ÔC  de  fa  juflice. 

Eh  /  faifons  après  cela  des  projets  de 
fortune  ôc  d'élévation  :ncu?rilfons  no* 
tre  cœur  de  mille  efpérances  flatreufes: 
prenons  à  grands  frais  des  mefures  in- 
finies pour  nous  ménager  un  inllant  de 
bonheur  ;  ÔC  ne  faifons  jamais  une  feu- 
le démarche  pour  atteindre  à  une  féli- 
cité qui  ne  finit  point.  C'eft  une  fureur 
dont  on  ne  croiroit  pas  l'homme  capa- 
ble 5  fi  l'expérience  de  tous  les  jours  n'y 
étoit. 

Et  d'ailleurs  cet  inftant  même  de 
bonheur  ell-il  tranquille  ?  Les  foup- 
çons,  les  jaloufies,  les  crai'ntes ,  les  agi- 
tations éternelles  &  inévitables  aux 
grands  emplois ,  le  fort  journalier  des 
armes ,  la  faveur  des  concurrens ,  la 
fatigue  des  ménagemens  ôc  des  intri- 


DES  Drapeaux  ,  Sec,  317 
gués  ,  les  caprices  de  ceux  de  qui  ors 
dépend ,  ^  tant  de  revers  à  effuyer  ,  le 
vuide  même  des  profpérités  temporel- 
les qui  de  loin  piquent  ÔC  attirent  le 
cœur  ,  mais  qui  touchées  de  près  ,  ne 
peuvent  ni  le  fixer  ni  ie  fatisfaire  ;  eft- 
il  de  félicité  que  tout  cela  ne  trouble 
&  n'altère ,  5c  ceux  que  vous  regardez 
comme  les  heureux  du  fiecle  ,  font- ils 
toujours  tels  à  leurs  propres  yeux  ?  O 
Seigneur ,  à  qui  feul  appartient  la  gloi- 
re ÔC  la  grandeur ,  Thornme  ne  corn- 
prendra-t-il  jamais  qu'il  n'eil  point 
pour  lui  de  feliciœ  durable  &  tran- 
quille hors  de  vous  ?  que  tout  ce  qui 
plaît  ici  bas  peur  amufer  le  cœur,  mais 
ne  fauroit  le  Satisfaire; que  la  gloire  ôc 
les  plaifirs  ne  piquent  prefque  que  dans 
le  moment  qui  les  précède  ;  que  les  in- 
quiétudes ÔC  les  dégoûts  qui  les  fui- 
vent,  font  des  voix  fecrettes  qui  nous 
appellent  à  vous  ;  bi  que  quand  mêrre 
on  pourroit  fe  promettre  une  fortune 
paifible ,  ce  ne  feroit  qu'une  vapeur 
dont  un  in^jant  décide  ,  ôC  qu'on  voit 
naître  ,  s'épaiflîr  ,  monter ,  s'étendre  , 
s'évanouir  dans  un  moment. 

Et  ce  qu'il  y  a  ici  de  plus  déplorable 
pour  vous  ,  Meflieurs ,  c'eft  que  dans 
une  vie  rude  ÔC  pénible  ,  dans  des  em- 


3i8     Pour  la  BÉNÉoiCTioisr 

plois  dont  les  devoirs  paflent  quelque- 
fois la  rigueur  ÔC  les  travaux  des  Cloî- 
tres les  plus  aufieres;  vous  fouffrez  tou- 
jours en  vain  pour  l'autre  vie  &  irès- 
fouvent  pour  celle-  ci.  Ah  !  du  moins  le 
Solitaire  dans  fa  retraite  ,    obligé   de 
mortifier  fa  chair  &  de  la  foumettre  à 
Fefprit ,  eft  foutenu  par  l'efpoir  d'une 
récompenfe  afTurée  ,   &  par  l'onâiion 
fecrette  de  la  grâce  qui  adoucit  le  joug 
du  Seigneur.  Mais  vous   au  lit   de  la 
mort  ,   oferez-vous  préfenter  à  Jefus- 
Chrift  vos  fatigues  ôc  les  défagrémens 
journaliers  de  votre  emploi  ?  oferez- 
vous  le  foîliciter  d'une  récompenfe  ? 
&  qu'a-t  il  dû  mettre  fur  fon  com.pte 
dans   toutes  les  violences    que   vous 
vous  êtes  faites  ?  Cependant  les  plus 
beaux  jours  de  votre  vie,  vous  les  avez 
facrifîés  à  votre  profeflion  ;  dix  ans  de 
fervice  ont  plus  ufé  votre  corps  qu'une 
vie   entière   de  pénitence  :  eh  !  mon 
Frère,  un  feul  jour  de  ces  fouftrances 
confacré  au  Seigneur,  vous  auroit  peut- 
être  valu  un  bonheur  éternel;  une  feule 
aâ:ion  pénible  à  la  nature  &  offerte  à 
Jefus-Chrift,  vous  auroit  peut-être  af- 
faré  l'héritage  des  Saints  ;  &  vous  en 
avez  tant  fait  en  vain  pour  le  monde  !' 
Ak  l  la  moielTe  Se  l'inutilité  daiîïr 


DES  Drapeaux,  &c.      zi^ 

neront  ceux  qui  habitent  les  villes  ; 
mais  pour  vous ,  Meflleurs ,  ce  fera  le 
méchant  ufage  que  vous  faites  de  vos 
peines  5c  de  vos  fatigues.  Eh  !   quoi  , 
vous  prenez  fur  votre  repos ,    fur  vos 
plaifirs,  furvosbefoins  mêmes,  quand 
il  s'agit  de  votre  devoir  :  eh  !    voilà  le 
plus  difficile  fait ,   ce  qui  vous  refle  à 
faire  pour  le  falut  ne  coûte  plus  rien  : 
foutenez  ces  travaux  avec  une  foi  chré- 
tienne ;  offrez-les  au  Dieu  jufte  comme 
Je  prix  de  vos  iniquités  ;    &  puifqu'il 
faut  les  fouffrir,   ne  les  fouffrez  pas 
fans  mérite  :  fi  le  Prince  vous  manque, 
Dieu  du  moins  ne  vous  manquera  pas  ; 
c'eft  une  reffource  que  vous  vous  aflu- 
rez  dans  la  mauvaife  fortune  :  vos  fer- 
vices  ne  feront ,  comme  cela  ,  jamais 
perdus;  ÔC  les  fruits  de  la  guerre  feront 
pour  vous  des  fruits  de  paix  ôC  d'éter- 
nité. Mais  encore  une  fois  vous  fouf- 
frez  tout  ce  qu'il  faut  fouffrir  pour  le 
falut  ;  6c  vous  ne  favez  pas  vous  en 
faire  honneur  auprès  du  Père  célefle. 

C'eft  ainli .  Seigneur  ,  que  votre  loi 
fe  juftilie  devant  les  hommes;  que 
vous  paroiffez  vous  -  même  jufte  dans 
vos  jugemens  ;  6c  qu'au  jour  terrible 
de  vos  vengeances  vous  vous  fervirez 
de  la  vie  rude  ÔC  iaborieufe  d'un  hom  • 


33©  Pour  la  be*ne'diction 
me  de  guerre  pour  confondre  la  lâche- 
té du  mondain  &  Tes  excufes  fur  la  dif- 
ficulté de  vos  préceptes  ;  ÔC  que  d'au- 
tre part  l'amour  du  mondain  pour  les 
plailiîs  condamnera  le  peu  d'ufage 
que  rhomme  de  guerre  a  fait  de  fes 
fouffrances.  Voilà  donc  ,  Meflleurs  , 
comme  l'ambition  peut  devenir  elle- 
même  une  reflburce  de  grâce. 

Mais  cet.e  réputation  de  valeur  (i 
effentieîle  à  votre  état,  comment  Ta- 
jufter  ,  me  direz  vous ,  avec  la  dou- 
ceur 6c  l'humilité  chrétienne  ?  Mais 
qu'eftceque  la  valeur.  Meilleurs  l 
Eft-ce  une  fierté  de  tempérament ,  un 
caprice  de  cœur  ,  une  fougue  qui  ne 
foit  que  dans  k  fang,  une  avidité  mal- 
entendue de  gloire  ,  un  emporterr.ent 
de  mauvais  goût,  une  petltelTe  d'efprit 
qui  fe  fait  des  dangers  de  gaieté  de 
cœur  ,  feulement  pour  avoir  la  gloire 
d'en  être  ^brti  ?  Quel  fiecle  fut  jamais 
plus  corrigé  là  -  delTus  que  le  nôtre  ? 
Quel  eft  le  goût  des  honnêtes  gens  fur 
ce  qui  fait  la  véritable  valeur  ?  la  fagef- 
fe  ,  la  circonfpeélion  ,  la  maturité  n'y 
entrent  elles  pour  rien?  Quel  a  été  le 
cara£i:ere  des  grands  hommes  que  vous 
avez  vu  dans  ce  fiecle  à  la  tête  de  nos 
armées  ,  ôc  dont  les  noms  vous  font 


DES  Drapeaux,  5ce.  331 
encore  (î  chers  ?  Les  Turennes ,  les 
Condés  ,  les  Crequys ,  par  quelle  voie 
font-ils  montés  à  ce  dernier  point  de 
gloire  6c  de  réputation  au  delà  duquel 
il  eft  défendu  de  prétendre  ?  Le  fage 
ÔC  le  vaillant-Général  à  qui  cette  Pro- 
vince doit  fa  fureté  ,  6c  le  relie  du 
Royaume  fa  paix  6c  fon  abondance  , 
lui  dont  vous  recevez  les  ordres  de  plus 
près  comme  de  votre  propre  chef,  6c 
fur  le  nom  ÔC  les  étendards  de  qui 
vous  avez  l'honneur  de  combattre  , 
s'eft  il  frayé  un  chemin  à  l'élévation 
où  le  choix  du  Prince  6c  le  bonheur  de 
l'Etat  l'ont  placé  ,  p3r  une  valeur  in- 
difcrette  ?  ôc  la  fageffe  qui  eft  comme 
née  avec  lui,  a  t-elle  jamais  rien  gâté, 
ou  à  fon  mérite  ,    ou  à  fa  fortue  ? 

Mais  c'eft  que  nous  nous  faifons 
des  faufTes  idées  des  chofes.  La  valeur, 
lorfqu'elle  n'eil  pas  à  fa  plsce  ,  n'eft 
plus  une  vertu  :  &  cette  noble  ardeur 
qui  au  milieu  des  combats  eft  généro- 
fité  6c  grandeur  d'ame  ,  n'eft  plus  hors 
de  là  q^ue  rufticité  ,  jeunefte  de  cœur, 
ou  défaut  d'efprit.  Mais  quelle  idée  , 
me  direz  -  vous  encore  ,  a  t  on  dans 
les  Troupes  ,  d'un  homme  qui  pafte 
pour  avoir  quelque  commerce  avec  la 
dévotion  ?  Lh  quoi ,    Seigneur  /  il  y 


^3^  Pour  la  BéNÉDicxioN 
auroit  donc  de  la  gloire  à  fervir  les 
Rois  de  la  terre  ;  ÔC  ce  feroit  bafTefie 
6c  lâcheté  que  de  vous  être  fidèle  ?  & 
qu'y  avoit-il  autrefois  dans  les  armées 
des  Empereurs  Payens  de  plus  intrépi- 
de dans  les  périls  que  \qs  foldats  Chré- 
tiens ?  cependant,  Mefîieurs,  c'étoient 
des  gens  qui  au  milieu  de  la  licence 
des  Troupes  avoient  leurs  heures  mar- 
quées pour  la  prière  ,  paflbient  quel- 
quefois les  nuits  à  bénir  tous  enfemble 
le  Seigneur,  5c  qui  au  fortir  d'une  ac- 
tion favoient  fort  bien  courir  à  l'é- 
chafaut  5c  y  répandre  fans  murmure 
leur  fang  pour  la  défenfe  de  la  Foi. 

Il  efl:  vrai  qu'on  ne  doit  pas  exiger 
de  vous  cette  piété  craintive  6c  ten- 
dre ,  ni  toute  l'atrention  &i  la  ferveur 
des  perfonnes  retirées ,  qui  libres  de 
tout  engagement  avec  le  monde  ,  ne 
s'occupent  que  du  foin  des  chofes  du 
Seigneur.  Mais  cette  droiture  d'ame  , 
ce  noble  refpeâ:  pour  votre  Dieu ,  ce 
fond  blide  de  Foi  5c  de  Religion,  cet- 
te exactitude  de  fi  bon  goût  aux  de- 
voirs effeniiels  du  Chriftianifme ,  cette 
probité  inaltérable  bi  fî  chère  à  l'efti- 
me  des  honnêtes  gens  ,  cette  fupério- 
rité  d'efprit  6(  de  cœur ,  qui  fait  mé- 
prifer  la  licence  &:  les  excès  comme 


DES  Drapeaux,  Scc.  333 
peu  dignes  même  de  la  raiibn  ;  qui 
peut  vous  difpenfer  de  l'avoir ,  &  au 
jugement  de  qui  eft  •  il  honteux  d'ea 
être  accufé  ? 

Croyez  moi ,  Meneurs ,  la  Reli- 
gion rafTure  l'ame,  bien  loinderamoî- 
lir  :  on  craint  bien  moins  la  mort, 
quand  on  eft  tranquille  fur  les  fuites. 
Une  confcience  que  rien  n'allarrrie, 
voit  le  péril  de  fang  froid ,  6c  l'afFroote 
courageufemenr ,  dès  que  le  devoir 
l'y  appelle.  Non  ,  rien  n'approche  de 
la  fainte  fierté  d'un  cœur  qui  com.bat 
fous  les  yeux  de  Dieu  ,  6c  qui  en  ven- 
geant la  querelle  du  Prince  honore  le 
Seigneur,  &  refpecfbe  fa  puifTance  dans 
celle  de  fon  Souverain. 

Et  en  effet  ,  la  piété  eft  déjà  elle- 
même  une  grandeur  d'ame  :  rien  ne 
me  paroît  (î  héroïque  ,  ni  fi  digne  du 
cœur  ,  que  cet  empire  qu'a  l'homme 
de  bien  fur  toutes  Tes  paiïîons.  Quoi 
de  plus  grand  que  de  le  voir  tenir  , 
pour  ainfi  dire,  fans  cefte  fon  ame en- 
tre fes  mains  ,  régler  fes  démarches  , 
mefurer  fes  mouvemens  ,  ne  fe  per- 
mettre rien  d'indigne  du  cœur,  maî- 
tre de  fes  fens  ,  les  ramener  au  joug  de 
la  loi  ,  arrêter  la  pente  d'une  nature 
toujours  rapide  vers  le  mal ,  étouffer 


334    Pour  la  BÉNéoiCTîOîi 
mille  defirs  qui  flattent ,  mille  efpé- 
rances  qui  amufent  ;   tenir  contre  les 
féduâiions  du  commerce  ,  &  la  force 
des  exemples  ;  &  toujours  maître  de        1 
foi- même  ,  ne  fouffrir  à  fon  cœur  au- 
cune baiïefle  capable  de  déshonorer 
un  héritier  du  Ciel  !  Ah  !  il  faut  n'être 
pas  né  médiocre  pour  cela  :  la  grâce  a 
fes  héros  qui  ne  doivent  rien  à  ceux 
que  les  (iecles  paffés  ont  admiré  ;  6c 
apurement  celui  qui   fait  vaincre  fes 
ennemis  domeftiques,  ÔC  qui  dès  long- 
temps s'eft  aguerri  à  meprifer  tout  ce 
que  les  fens  offrent  de  plus  cher ,  ne 
craindra  pas  les  ennemis  de  l'Etat,  8c 
aura  bien  moins  de  peine  à  expofer 
avec  intrépidité  fa  propre  vie. 

Et  d'ailleurs ,  Meffieurs ,  parut- on 
jamais  plus  détrompé  que  Ton  eft  dans 
ce  fiecle  ,  de  cette  vieille  erreur  qui 
faifoir  confiiier  le  courage  à  meprifer 
fa  religion  ÔC  fon  Dieu  ?  C'eft  -  là  au- 
jourd'hui le  partage  des  malheureux: 
les  devoirs  du  Chriftianifme  entrent 
dans  ie$  bienféances  du  monde  poli  ; 
8c  l'on  donne  au  moins  les  dehors  de 
la  Religion  à  l'ufage. 

Enfin  5  les  Moyfes  ,  les  Jofués ,  les 
Davids,  les  Ezéchias,  ont  été  de  grands 
hommes  de  guerre  &.  des  grands  Saints, 


DES  Drapeaux,  8cc  335 
des  Héros  du  (îecle  5c  de  la  Religion  : 
les  fiecles  chrétiens  ont  eu  leurs  Conf- 
tantins  Ô£  leurs  Théodofes  ,  terrible» 
à  la  tête  de  leurs  armées ,  humbles  6C 
religieux  aux  pieds  des  Autels.  Nous 
vi /ons  fous  un  Prince  qui  n'ayant  plus 
rien  à  fouhaiter  du  côté  de  la  gloire  , 
a  cru  que  la  piété  devoit  en  être  com- 
me le  dernier  trait  ;  qui  tous  les  jours 
va  humilier  fous  le  joug  de  Jefus  Chrift, 
une  tête  chargée  des  marques  de  fa 
grandeur  6c  de  Tes  victoires  ;  6c  qui 
dans  le  temps  que  tout  retentit  de  Ton 
nom  ÔC  du  bruit  de  Tes  conquêtes ,  fait 
répandre  fon  ame  devant  le  Seigneur, 
ÔC  gémir  en  fecret  fur  le  malheur  des 
peuples  &  les  trilles  fuites  d'une  guerre 
fî  glorieufe  pour  lui  aux  yeux  de  l'uni- 
vers. 

Répandez  donc  ,  ô  Dieu  des  ar- 
mées ,  fous  un  Prince  (î  religieux  ,  des 
efprits  de  foi  &C  de  piété  fur  ces  guer- 
riers armés  pour  fa  querelle.  Beniilez 
vous  même  ces  étendards  facrés  ;  laif- 
fez  y  des  traces  de  fainteté  ,  qui  au 
milieu  des  combats  aillent  aider  la  foi 
des  mourans  6c  réveiller  l'ardeur  de 
ceux  qui  combattent  ;  faites-en  des  (î 
gnes  afTurés  de  la  vidoire  :  couvrez  , 
couvrez  de  votre  aîle  cette  Troupe  il- 


3  3*^    Pour  la  BéNÉDiCTiON 
luflre  qui  vous  les  offre  dans  ce  Tem- 
ple ;  détourneîz  avec  votre  main  tous 
les  traits  de  l'ennemi  ;   fervez  lui  de 
bouclier  dans  les  divers  événemens  de 
la  guerre  ;  environnez  la  de  votre  for- 
ce; mettez  à  fa  tête  cet  Ange  redouta- 
ble dont  vous  vous  fervites  autrefois 
pour  exterminer  les  AlTyriens  ;  faites- 
la  toujours  précéder  de  la  viô:oire  6c 
de  la  mort  ;  répandez  fur  Tes  ennemis 
des  efprits  de  terreur  &  de  vertige  ; 
6c  faites  ièntir  fa  valeur  aux  nations 
jaloufes  de  notre  gloire. 

Mais  non  ,  Seigneur  ,  pacifiez  plu- 
tôt les  Empires  ôC   les   Royaumes  ; 
appaifez  les  efprits  des  Princes  ÔC  des 
peuples  ;  lai ffez- vous  toucher  au  pi« 
toyabîe  fpeâ:acîe  que  les  guerres  of- 
frent à  vos  yeux.  Que  les  cris  &  les 
plaintes  des  peuples  montent  jufqu'à 
vous  :  que  la  défolation  des  villes  6c 
des  Provinces  aille  attendrir  votre  clé- 
mence :  que  le  péril  ôc  la  perte  de  tant 
d'ames  défarment  votre  bras  depuis  fî 
long-temps  levé  fur  nous  :  que  taut  de 
profanations  que  les  armes   traînent 
toujours  après  foi  ,  vous  faffent  en- 
fin jetter  des  yeux  de  pitié  fur  votre 
Eglife.  Ecoutez  les  gemiffemens  àes 
Juftes  5  qui  touchés  des  calamités  d'If- 

raël. 


Des  Drapeaux  5  8cc.  337 
ra'él  vous  difent  tous  les  jours  avec  le 
Prophète  :  Seigneur  ,  nous  avons  at- 
tendu la  paix  ;  ÔC  ce  bien  n'eil  pas  en- 
core venu  ;  nous  croyions  toucher  au 
temps  de  confolation ,  &  voilà  encore 
des  troubles. 

Ce  font  nos  iniquités ,  Chrétiens  ^ 
fouffrez  que  je  vous  le  dife  enfinilTant, 
qui  ont  attiré  fur  nous  ces  fléaux  du 
Ciel.  Les  guerres ,  les  maladies ,  les 
autres  calamités  dont  nous  fommes 
frappés ,  font  des  marques  fûres  de  la 
colère  de  Dîéu  fur  nos  déréglemens  : 
En  vain  nous  gemiffons  fur  les  malheurs 
du.  temps  ôc  fur  l'accablement  de  nos 
familles  ;  eh  !  gémiflbns  fur  nous- mê- 
mes ,  appaifons  le  Seigneur  par  le 
changement  de  nos  mœurs;  rétablif^ 
fons  la  paix  de  Jefus  Chrift  dans  nos 
cœurs;  calmons  nos  paflîons  &  nos  en- 
nemis domeiliques  :  ÔC  nous  verrons 
bientôt  l'Europe  calmée  ,  les  ennemis 
de  la  France  appaifés,  la  paix  rétablie 
par  tout ,  &  un  repos  éternel  fuccéder 
à  celui  d'ici-bas.   Ainfifoit-iL 


Petit  Carême* 


z'