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SERMONS
D E
M. MASSILLON,
PETIT-CAREME
SERMONS
D E
M. MASS'ILLON.
É V Ê Q U E
DE CLERMONT,
Ci dcvamî Prùrs de VOrâtoirc,
L'un des Quarante de l'Académie
Françoise.
PETIT-CAREME
A PARIS, RUE S, JACQUES ,
r La Veuve Estienne & Fils , à la Vertu'
Chez-^ E T
C Jean Hérissant à S. Paul & à S, Hilaire»
^t'd c~crTrx I X.
Avec Approbation G" Privikgc du Roî,
PRÉFACE,
E s Sermons du P. Maflîllon
j ont été prêches vingt ans de
fuite , à Paris ou à la Cour , avec
un fuccès toujours égal. C'eft le
préjugé le moins équivoque & le
plus déciiif , en faveur de ce genre
d'ouvrages. Un talent médiocre a
quelquefois lav ogue ; & tant qu'il
ne fera pas effacé par un talent
fupérieur , on le verra s'attirer , 6c
fe conferver même pour un temps ,
l'eftime & les applaudilfemens du
Public. Mais , réunir en fa faveur ,
& fixer conftamment les fuffrages
d'une multitude libre & indépen-
dante , toujours prête à fe retirer
dès qu'on ceffe de l'attacher Ôc de
a iij
V) PRÉFACE.
lui plaire , c'eft ce qui n'eft donné
qu'aux génies du premier ordre.
Il n'appartient qu'aux Bofïuets ,
aux Bourdaloues 5 & à ceux qui
leur refleriiblent 9 d'exercer un
euipire perpétuel fur les efprits &
fur les coeurs.
Nous pouvons donc nous difpen-
1er de faire ici Féloge des Sermons
du P. MaffiUon. Q^'^j^"^^^^'^^^^"
nous à l'approbation conitante &
unanime de toute la France / D'ail-
leurs ^ le Public s'appercevra bien-
tôt que les Sermons que nous lui
présentons', font dans le vrai goût
de la Chaire : c'eft au cœur que
parle le P. Maffillon , c'eft le cœur
qu'il aiFefte & qu'il intérefle : or
quiconque a le fecret d'aller au
cœur 5 foit qu'on l'écoute , foit
qu'on le life , eft fur de plaire ,
éc de plaire toujours.
Ce pathétique qui fait la princi-
pale force de l'éloquence , & le
caractère propre de notre Orateur ,
PREFACE. vîj
manquoit prefqu'entiérement à la
Chaire , lorfque le miniftere de la
parole lui fut confié. On en avoit
heureufement banni tous ces traits
entaflës d^une érudition déplacée ^
aflemblage bizarre du facré & du
prophane , propre à impofer au
vulgaire ignorant , plus propre
encore à révolter rhomme fenfé.
Mais le commun des Prédicateurs
îgnoroit l'art d'intérefler par le fen-
timent , quoique de -là dépende
tous les fuccès du difcours ; &
combien d'autres défauts n'avoit-on
pas encore à leur reprocher/ Auflî,
lorfque le P. Maflîllon arriva de la
Province , le R. P. de la Tour ,
Général de l'Oratoire , lui deman-
dant ce qu'il penfoit des Prédica*
teurs les plus fuivis : Je leur trouve ^
répondit-il, bien de refpriî & des
talens : mais fi je prêche , je ne prê-
cherai pas comme eux. Il tint parole,
il prêcha , & s'ouvrit une route
toute nouvelle.
a iv
vîij PREFACE.
Qu'on ne le foupçonne pas néan-
moins d'avoir confondu le P. Bour-
daloue avec les autres Orateurs de
fon temps. Pouvoit-il ne pas applau-
dir à ce grand homme , duquel il
eft vrai de dire , comme Quintilien
le difoit de Ciceron : Quil faut
juger du progrès que Von a fait dans
V éloquence , par le goût que l'on
trouve à la lecîure dejes Ouvrages,.
Trop connoiflèur pour s'y me'pren-
dre 5 à peine eut-il entendu le P.
Bourdaloue , qu'il l'admira ; & s'il
ne le prit pas en tout pour fon
modèle , c'eft que fon talent le por-
toic vers un autre genre d'éloquence.
Or il étoit fortement perfuadë que
pour réuffir en quelque genre que
ce foit , Ton doit étudier fon talent,
& le fuivre ; en un mot , travailler
de génie; que s'attacher fervilement
à .copier la manière d'un autre ,
quelque parfait qu'il foit , à moins
que fa manière ne fe trouve aflbrtie
aux difpofitions que la nature a
PREFACE. ]x
mlfes en nous , c'eft s'expofer à ne
jamais rien faire qui ait un certain
feu , & ce tour original qui fait le
me'rite des bons Ouvrages.
Pour la plupart des autres Pre'di-
cateurs , outre ce défaut d'onftion
& de fentiment que le P. Maffillon
trouvoit à rédire^ans leurs Ser-
mons , il reprochoit à plufieurs
d'entrer dans un trop grand détail
fur les conditions , & fur les mœurs
extérieures , moyen infaillible pour
ennuyer les trois quarts de fon
Auditoire , toujours compofé de
perfonnes qui différent toutes entre
elles , ou par l'âge , ou par l'état ,
ou par la condition. Tandis que
vous inftruifez le Magiftrat fur les
devoirs de fa charge , devez- vous
vous flatter d'attirer l'attention de
tout ce qui n'exerce point les fonc-
tions de la Magiftrature/ & tous
ceux qui ne font point engagés dans
le conuîierce , feront- ils curieux
d'entendre des vérités qui n'atta-
K PRÉFACE.
quent que les fraudes & l'avarice
des Négocians ? Non fans doute :
l'intérêt que nous avons à ce que
l'on nous dit , peut feul nous y
rendre attentifs. Cela étant, toutes
les vérités que le Prédicateur an-
nonce , & que nous ne pouvons pas
nous appliquer perfonnellement, ne
nous intéreiTant point , ce n'eii plus
qu'avec ennui & avec dégoût , que
nous les écoutons ; & nous fojjpirons
après la fin d'un discours qui ne
s'adreife point à nous.
Le Prédicateur doit donc être
fobre & réfervé dans la peinture
des mœurs extérieures & des con-
ditions , s'il defire être écouté
attentivement. Veut - il attacher
tout fon Auditoire F qu'il attaque
les paflions qui font les mêmes dans
tous les hommes , malgré la diffé-
rence des objets vers lefquels elles
fe portent. En peignant d'après
nature les mouvemens, les rufes,
îa foupleffe des paffions ^ rien de ce
P RÉ F A^C F. xf
que Ton dit ne peut être étranger
pour aucun de ceux qui écoutent.
Enfin le Père Maflîllon n'approu-
voit pas que Ton s'arrêtât fi long-
temps à établir des vérités que
perfonne n'ignore , des maximes
générales , dont tout le monde
convient : il vouloit que l'en s'ap-
pliquât principalement à découvrir
ces malheureux prétextes que l'a-
mour propre trop ingénieux ne
manque jamais de fuggérer pour
Tecouer le joug de la loi ; (k qu'après
les avoir découverts , l'on en fît
fentir avTC force toute Tillufion.
Il fe fit donc une manière de com-
pofer qu'il ne dut qu'à lui-même ;
& fans autre guide que fon propre
génie , & ce talent original qu'il
avoit reçu de la nature , il fut fe
garantir des défauts qu'il avoit cru
remarquer dans les autres. Chez
lui, rien d'inutile & de fuperflu.
Dès la première phrafe , fuppofànt
les principes , ou les établiflànt ea
a vj
3dj PREFACE.
deux mots , il cherche les raifons
fur lefquelles chacun en particulier ,
fans contefter l'exiftence de la loi ,
ni la nécefiité de lui obéir , fe met
dans le cas de la difpenfe ; il cher-
che ces raifons dans le cœur de ceux
qui récoutent , dans l'attache à "ces
paflions 5 dont les intérêts nous font
malheureufement plus chers que
notre falut, paflions auxquelles nous
voudrions bien ne pas renoncer ,
fans être forcés cependant de nous
regarder comme infradteurs de la
loi. C'eft-là qu'il découvre la fource
întariiTable de tous ces frivoles pré-
textes , & de ces tempéramens que
rhomme imagine pour allier Dieu
& le monde , Jefus-Chrifl & Bélial.
Nous fommes tentés d'accorder à
nos paflions tout ce qu'elles défi-
rent 5 mais nous voudrions en mê-
me-temps nous mettre à l'abri des
remords qui viennent empoifonner
nos plaifirs : car pour peu qu'il refte
de intiment de Religion dans une
P R E F A C E,. xiij
ame , le remord, eft infëparable du
vice ; & pour calmer les allarmies
d'une confcience qui n'eft pas en-
core endurcie , il faut lui perfuader
qu'elle n'eft pas coupable. Que fai-
fons-nous donc /nous avons recours
à mille fubtilite's, à desfubterfuges,
à des exceptions , à des modifica-
tions , qui laiffent fubiîfter le pré-
cepte en lui-même , anéantiffent
totalement pour chacun de nous en
particulier l'obligation de l'accom-
plir. Ainiî la confcience eft raiTure'e
contre les erreurs de la loi ; elle
apprend à ne plus redouter fes
menaces. Que craindroit - elle en
effet ? la loi ne punit que les pré-
varicateurs ; or , où la loi cefle
d'obliger , il n'y a point de pré-
varication.
Que fait le P. Maffillon / afin de
diffiper ces ténèbres , qui pour être
volontaires n'en font pas moins
épaifles , il vous m.et votre propre
coeur fous les yeux , félon Texpref-
xjv PREFACE.
lion du Prophète : il vous force de
vous y voir tel que vous êtes , &
tout autre que vous ne croyez être,
c'eft-à-dire le jouet déplorable de
mille pàfEons qui obfcurciffent les
lumières de^ votre efprit , &C cor-
rompent la droiture de votre coeur:
il vous force de reconnoître que
ce n'eft pas de ce fond de lumière
& de droiture naturelle que Dieu
a mis en vous , encore moins des
lumières de l'Evangile , que vous
tirez les raifons par lefquelles vous
prétendez être difpenfé de la loi ,
que le langage que vous tenez eft
le langage des pallions , & qu elles
feules vous infpirent. Ceflez donc
d'être vicieux , & vous ceiTerez
bientôt d'alléguer ces prétextes
comme des raifons décilîves. Et
c'eft ici fur - tout que triomphe
l'éloquence du P. MaffiUon, Lorf-
qu'après avoir démafqué les rufes
éc les artifices de l'amour propre ,
il en montre dans tout leur jour
PREFACE. XV
la mifere & la fauffeté ; avec quelle
force & quelle véhémence ne les
combat-il pas /
C'efl un torrent impétueux qui
renverfe tout ce qu'il rencontre ;
c'eft , pour ainfi dire , un déluge
de raifons toutes convainquantes ,
toutes intéreffantes , qui à Fappuî
les unes des autres , viennent coup
fur coup confondre & accabler le
pécheur. Cependant le pécheur ac-
cablé & confondu , n ayant rien à
répliquer, voit avec étonnement
que le Prédicateur loin d'être épuifé ,
a mille traits encore dont il pour-
roit le percer. Et ce qui forme le
caraftere diftinûif de l'éloquence
du P. MaffiUon , c'eft que tous fes
traits portent droit au cœur : c'eft
de ce côté- là qu'il dirige toujours
fes coups ; ce qui eft limpîement
raifon & preuve dans les autres ,
prend dans fa bouche la teinture
du fentiment : non - feulement il
convainc , mais il touche , il remue^
Kvj PREFACE.
il attendrit; il ne fe contente pas de
vous prouver que le parti de la ver-
tu eil le plus raifonnable & le plus
digne deThomme , dans fes difcours
la vertu vous paroît fouveraine-
ment aimable ; vous n'y trouvez
que des douceurs & des confola-
tions ; vous voudriez déjà être en
poffeffion d'un bien fans lequel
vous n'imaginez plus de bonheur.
H ne fe borne pas à faire fentir
rinjuftice & la déraifon diu vice , il
le fait trouver difforme , haïflkble ;
vous ne pouvez plus vous fouffrir
fous l'empire de ce cruel tyran ;
vous ne l'envifagez plus que comme
l'ennemi juré de votre félicité :
entrant dans une fainte indignation
contre vous - même , vous vous
trouvez fi aveugle , fi injufte , fi
malheureux, que vous ne voyez
d'autre reffource que de vous jctter
entre les bras de la vertu.
Des Sermons compofés dans ce
goût ne pouvoient manquer d'être
PREFACE. xvij
pcoutésavec une extrême attention.
Chacun fe reconnoît dans ces ta-
bleaux vifs & naturels , où le Pré-
dicateur peint le cœur humain , &
montre les relTorts qui le font
mouvoir : chacun s'imagine que
c'eft à lui que le difcours s'adreife ,
que rOrateur n'en veut qu'à lui :
de-là l'effet prodigieux de fes inC»
trudions. Après l'avoir entendu ,
on ne s'arrétoit point à faire Tëloge
oula critique du Sermon; l'Auditeur
fe retiroit dans un morne iilence,
l'air penfif , les yeux baiffe's , le re-
cueillement fur le vifage , empor-
tant l'éguillon que l'Orateur chré-
tien lui avoit l'aifle dans le cœur.
Ces fuffrages muets , valent bien
les plus grands applaudiflemens ;
ceux ci flattent le Miniftre , &lui
prouvent qu'il a fu plaire ; ceux-là
le confolent & l'alTurent qu'il a
touche'. Auffi , lorfque le P. Maf-
iillon eut prêché fon premier Avent
à Verfailles, Louis XI V^, lui dit ces
Xvîij PREFACE.
paroles remarquables : Mon père y
jai entendu plu/leurs grands Orateurs
dans ma chapelle , fen ai été jort
content : pour vaus ^ toutes les fois
que je vous ai entendu , fai été très^
mécontent de moi-même. Eloge par-
fait , qui honore également le gpût
& la piété du Monarque & le talent
du Prédicateur.
Le ftyle du P. MaflîUon, quoique
noble & di^ne de la majelié de la
Chaire , n'en eft pas moins limple
& à la portée du peuple, La viva-
cité de fon imagination ne prête à
fes expreffions , que ce qu'il faut
d'agrément pour fatisfaire l'hom-
me d'efp rit, fans que la multitude
foit réduite à admirer ce qu'elle
n'entend pas.
Ennemi de tout ce qui relient
Faffeftation dans le ftyle , il l'étoit
encore plus de ces penfées qui n'ont
d'autre mérite que le brillant , qui
ne font qu'amufer l'elprit & le
détourner de l'attention qu'il doit
PREFACE. xjx
aux vérités importantes qu'on lui
annonce. Le P. Mafîîlion n'offre
par-tout que des idées grandes &
fublimes qui éievent Famé , qui
montrent la Religion fous ce ca-
raûere de nobleffe & de majefté
qui lui eft propre , & qu'elle fem-
ble perdre quelquefois , parcequ'on
l'a confiée à des mains , qui loin
de renibeilir , ne peuvent que la
défigurer.
On croira fans doute que des
difcours fi éloquens, dans lefquels
il y a d'autant plus d'art qu'il n'y
paroit rien que de naturel , étoient
le fruit d'un travail long & pénible,
& que cette belle & noble fimpli-
cité, qui ferefufe fou vent aux eiforts
mêmes des plus grands hommes ,
n'eft pas venue fe préfenter à lui ,
fans qu'il l'ait long - temps recher-
chée : point du tout. Ces Sermons
ont été compofés avec une facilité
qui tient du prodige ; pas un feuî-
qui ait coûté plus de dix à douze
XX PREFACE.
jours. Combien de gens , même du
métier , trouveroient que ce temps
fuffiroit à peine pour en former &
pour en bien digérer le plan / En
1704, il parut pour la féconde fois
à la Cour. Louis XIV après lui
avoir témoigné dans les termes_les
plus gracieux fon extrême fatisfac-
tion , ajouta , Et je veux , mon père ,
vous entendre déformais tous les deux
ans. Sur le champ le Père MaffiUon
forma le deifein de ne venir à Ver-
failles qu'avec des Sermons nou-
veaux. Il eft ficheux qu'un tel pro-
jet n'ait point eu de fuite. A n'en
juger que par cette abondance ,
cette richeife , cette variété qui rè-
gne dans tout ce qui eft forti de fa
plnme , on fent qu'il étoit parfaite-
ment en état de l'exécuter.
En 1718, déjà nommé à l'Eveché
de Cleroiont , il fut chargé de prê-
cher le Carême devant le Roi, qui
entroit alors> dans cet âge , où la
raifon commence à fe développer.
PREFACE. 5rxî
Il crut qu en cette occalion il de-
voit prêcher pour le Prince lui-
même , & pour rinftruire des de-
voirs de la Royauté. Mais pour cela
il falloit des Sermons tous difFérens
de ceux qu'il avoit prêche's juf-
qu alors , lefquels , & pour le fond
des chofes & pour la manière , ne
pouvoient convenir à un jeune
Prince de neuf ans. Il inventa donc,
pour ainfi dire , un nouveau genre
d'éloquence ; le ftyle , Finflrudiion ,'
tout fut proportionné à l'âge du
jeune Monarque. Dans le ftyie, il y
répandit plus de vivacité , plus
d'agrémens , plus de fleurs , & mê-
me quelque chofe d'académique.
Les inftrudions, dépouillées de la
fécherefle du raifonnement , furent
des maximes fur les devoirs des
Princes, exprimées en peu de mots^
mais préfentées de manière à faire
une vive imprefîîon fur l'efprit ÔC
fur le cœur. Ce ftyle & cette façoa
d'inftruire étoient quelque chofe d^
xxij PREFACE.
tout nouveau pour le P. MaffîHon ;
cependant fîx fernaines fuffirent
pour compofer ces dix Sermons fi
idmii es , îî vantés , qui renferment
m abrège' tout ce qui peut former
m Prince chéri de Dieu & des
.lommes , & qui furent fouvent in-
terrompus , ou par les applaudiffe-
mens , pu par les larmes de fon
augufte auditoire.
A l'égard de Faction , cette partie
fî efîentielle à l'Orateur , ce ne fut
pas d'abord par cet endroit qu'il fe
fit admirer. Le goût du temps n'étoit
pas le fien. Il ne pouvoit fouiFrir
qu'au lieu de cet air naturel qui
porte avec foi la conviftion , Ton
prît un certain air emprunté , & un
ton de Déclamateur , qui faifant
regarder les Miniftres de Jefus-
Chrift comme des gens qui ne
montent en chaire que pour jouer
un perfonnage , ôte prefque toute
la force & toute croyance à leurs
^difcours. Il falloit donc s'attendre
PREFACE, xxiiî
que l'Auditeur , gâté par ce goûc
de déclamation prefque générale-
ment répandu , fe révolteroit d'a-
bord contre la manière de dire du
P. Maflîllon , dans laquelle aucune
des règles qu'on s'étoit faites , ne
paroiflbit obfervée. Mais comme
il faifoit néanmoins une impreflîon
extraordinaire fur les efprits, onfe
rendit bien-tôt à l'expérience : on
ne s'embarrafla plus de ces préten-
dues règles que l'Orateur paroiflbit
négliger ; & le public s'élevant au
deflus des préjugés , conclut avec
raifon qu'il falloit fans doute que fà
manière de dire fût bonne, & qu'elle
fut même la meilleure , puifque
nul autre Prédicateur ne faifoit à
beaucoup près , une imprellîon
aufïï vive.
Au relie il feroit fort difficile de
faire comprendre à ceux qui ne
l'ont point entendu , ce que c'étoit
que fon aftion. Elle lui étoit telle-
ment propre qu'on peut aflurer
xxjv PREFACE.
que comme il n'eut point de mo-
dèle à fuivre, il n'a point formé
d'ëleve qui l'ait imité.
On le voyoit arriver dans la
chaire comme un homme qni
vient de méditer profondément
un fujet. Dès qu'il paroît, fon air
recueilli & pénétré annonce déjà
la grandeur & l'importance des
vérités dont il va vous entretenir.
Il n'a pas ouvert la bouche , ÔC
l'auditoire eft faifi. Il parle enfin ,
mais ce n'eft pas comme un Ora-
teur qui vient débiter avec art un
difcours dont il a chargé fa mé-
moire. Tout coule de fource. II
parle de l'abondance du cœur, ne
pouvant contenir au dedant de lui
les vérités dont il eft plein. Un feu
intérieur le dévore , il faut qu'il
lui ouvre une ilTue , & qu'il le laif.
fe éclater au- dehors. Aufli rien en
lui qui ne foit animé , tout parle »
tout perfuade , tout remue , tout
tattendrit, tout porte dans famé la
conviftioiî
PREFACE, xx^
convidtion & le fentiment ; ÔC cela
n'étoit point du tout un effet de
Fart dans le P. MailiUon. C'e'toit un
talent naturel, qui lui faifoit expri-
mer & dire les chofes avec force
& vivacité , parcequ il les fentoits
de même.
11 faifoit donc proprement con-
fifler tout le mérite de Taftion , à
paroitre bien pénétré lui-même
des vérités dont il vouloit con-
vaincre fes Auditeurs. Jamais per-
fonne n'a porté ce talent plus loin
que le Père MaffiUon : c'eft le té-
moignage que le Public en a ren-
du , & réloge qu'en ont fait toutes
les perfonnes de goût. Seroit-il per-
mis de rapporter à ce fujet un trait
remarquable par fa fingularité , ôc
qui nous échappe ? L'Afteur le
plus parfiit qu'ait eu le Théâtre
François voulut l'entendre : il fut
frappé du vrai qu'il trouva dans
fa manière de prononcer , & dit à
un autre Afteur qui l'avoit ac-
b
Kxvj PREFACE.
compagne ; Mon ami , voilà un
Orateur , & nous , nous ne fommes
que des Comédiens,
11 n'eft pas befoin d'avertir le Pu-
blic que c eft ici la première édi-
tion des Sermons du P. Maffillon. II
eft vrai qu'on imprima fous fon
nom , il y a près de quarante ans ,
quatre ou cinq petits volumes ;
mais plus de la moitié des Sermons
que renferme ce Recueil , font de
diiférens Prédicateurs , dont quel-
ques - uns même ont revendiqué
publiquement ce qui leur appar-
tenoit , entr'autres , feu M. Poncet
de la Rivière Evêque d'Angers.
L'Edition du P. Bretonneau vient
d'en réclamer trois qu'il a , dit- il ,
trouvés dans le Manufcrit de ce
Prédicateur , & que nous ne trou-
vons point en effet dans celui du
P, Maffillon. Pour les autres dont
les Auteurs ne nous font point
connus , en attendanr que quel-
qu'un veuille les adopter , ils ne
PREFACE, xxviî
jouiront pas fans doute plus long-
temps de la réputation que leur
donnoit une origine Hippofëe.
A regard d'une vingtaine de Ser-
mons que l'on pourroit appeller avec
un peu plus de fondement, Sermons
du P. Maflllion , qu'on prenne la
peine de les confronter avec l'Ori-
ginal que nous donnons aujourd'hui ^
la diffe'rence eft palpable ; iî l'on y
trouve quelques traits de reflem-
blance , c'eft celle qui peut fe trou-
ver entre un fquelette , & Un corps
vivant plein de fuc & d'embon-
point ; entre un original de Mi-
chel Ange , & la copie de ce même
tableau f iite par quelque apprentif
fans talent.
On retrouve dans ces pièces in-
formes des lambeaux du P. Maffil-
Ion , & même dans quelques- une$
d'afles longs morceaux de fes véri-
tables Sermons. Mais quelle com-
paraifon entre un mauvais aflbrti-
ment de lambeaux coufus enfemble
b ij
sacviij PREFACE.
par un copifte qui d'ordinaire, pôuf
ne rien dire de pis , n'eft pas un
homme de métier , & un diicours
tel qu'il fort des mains d'un il
grand maître.
D'ailleurs, notre Edition contient
près de cent Sermons , dont plu-
lieurs même n'ont jamais été pro-
noncés. Oa y trouve un Avent, &
un Carême complet , fans compter
le Petit - Carême qu'il compofa
pour le Roi en 171 8. Nous don-
nons au-ffi plufieurs Oraifons funè-
bres, plufieurs Difcours & Panégy-
riques qui n'ont jamais vu le jour ,
les Conférences Eccléfiaftiques
qu'il fit dans le Séminaire S. Ma-
gloire en arrivant à Paris , celles
qu'il a fcites à fes Curés pendant
fon Epifcopat ; les Difcours qu'il
prononçoit à la tête des Synodes
qu'il aflembloit tous les ans : nous
donnons enfin un Ouvrage auquel
il a confacré pendant quelques an-
nées toutes les heures de loifir que
P R E F A C E. xxjH
fui laiflbient les fondions Epifco-
pales. Ce font des Paraphrafes fur
une Partie des Pfeaumes. Ce qu'on
peut dire de ces différentes pièces ,
c eft qu elles font toutes frappées-
au coin de FAuteur. Le rrjême goût:
règne par-tout. Toujours même-
élévation & même nobleïTe , foit
dans le ftyle , foit dans les penféesi:
toujours ce pathétique qui enlevé ^
toujours ces peintures du cœur
huinain fi vraies & fi ititérefïantes;,,
La Cour fe fouvient encore des^
applaudiflemens qu'elle donna au
Petit-Caréme. Les conférences Ec-
cléfiaftiques commencèrent à lui
faire la réputation : fes Sermons I^
portèrent à ce haut degré dans le*
quel elle s'eft foutenue jufqu'à ïw
fin : fes Oraifons Synodales ont
plus d'une fois attendri les Curés
jufques aux larmes : & nous ne
craignons point d'affurrr que le
Public regrettera qu'il n'ait pas-;
a^heyé ce qu'il avoit commencié
îtxx PREFACE.
fur les Pfeaumes ; il n eft peut-être
point d'Ouvrage où foient mieux
développe's les mouvemens d'un
cœur qui gémit fur fes ëgaremens
;pai3rés , & qui défabufë du monde
& des faux biens , reconnoît enfin^
que n'ayant été créé que pour
Dieu 5 il ne peut trouver qu'en I3ieu
-fa cônfolation & fon bonheur.
Voici donc un Recueil exaft &
lidele des Ouvrages du P. Maflil-
îon 5 tels qu'il avoit pris la peine
de les revoir , de les corriger & de
les copier une féconde fois de fa
.propre main. Que nous refte-t-il à
defirer , linon que le cœur s'ouvrjî
aux faintes vérités fi dignement
établies dans ces Difcours , & qu'ils
.opèrent fur ceux qui les liront ,
les mêmes effets de grâce & de
, converfîon qu'ont fouvent reffenti
ceux qui les entendoient f
jju«n
A VER TI S S E ME NT.
LEs Sermons que nous mettons
ici à la tête de tous les autres ,
font ne'anmoins les derniers qu'ait
compofé le P. Maffillon,. Mais nous
avons cru devoir leur accorder ce
rang d'honneur , tant à caufe de
l'approbation authentique dont
notre augufte Monarque (^) a bien
voulu les honorer , & que pour
fatisfaire à la curioiîté du Public,
qui paroît les attendre avec un
empreffement plus marqué. Ceux*
ci d'ailleurs ont cet avantage , qjii^
non -feulement ils ont ëtë prêches
devant le Roi , com.me la plupart
des autres favoient été devant
Louis XIV, mais ils ont été prêches
uniquement pour le Roi , & pour
fa Cour.
Nous pourrions ajouter à cela
C*} Ces Sermons ont été prélentés manufciiîs,
au Roi.
'AVERTISSEMENT,
l'importance des matières qui font
traitées dans ces Sermons. Ils for-
ment pour les Princes & pour les
Grands , comme un corps de mo-
rale, où les devoirs de leur e'tat font
un détail également noble & inté-
reffant.
A la fuite de ces Sermons , nous
avons mis un Difcours Sur les vices
& les Vertus des Grands. La reffem-
blance du fujet nous y eût déter-
minés , quand nous n'y aurions pas
été obligés , pour rapprocher un
peu ce Volume de la grofleur de
ceux qui le fuivent. Les mêmes
raifons ont fait placer à la fin le
Dif:ours Sur la Bénédiclion des
Drapeaux du Régiment de Catinaty.
SERMON S
-Contenus dans ce Volume.
Ourla Fête de la Purification
de la Sainte Vierge , Des exem^
pies des Grands ^ page i.
Pour le I. Dimanche de Carême,
Sur les tentations des Grands ^27^.
Pour le IL Dimanche de Carême ,
Sur le refpectque les Grands doivent
à la Religion , 5 i .
Pour le IIÏ. Dimanche de Carême ,
Sur le malheur des Grands qui
abandonnent Dieu , 81.
Pour le IV. Dimanche de Carême ,
Sur riiumanité des Grands envers
le Peuple ^ 106.
Pour le jour de l'Incarnation , Sur
les caraSeres de la Grandeur de
Jefus-Chrift , 131.
Pour le Dimanche de la paffion,. Sur
la fauj]eté de la gloire humaine^ i 5^»
Pour le Dimanche des Rameaux ;
Sur les écueils de la piété des
Grands , 179*
Pour le Vendredi Saint , Sur les
obfiacies que la vérité trouve dans
le cœur des Grands^ 210.
Pour le jour de Pâque , Sur le
triomphe de la Religion , 237.
Sermon jur les vices & les vertus des
Grands , 26 3,
Difcours prononcé à une Bénédiciion
des Drapeaux du Régiment de Ca-^
tinat <y 309
AVIS DE L'AUTEUR.
CEs Sermons ne font que des En*
tretiens particuliers , faits pour
tinjlruclion du Roi avant fa Majo^
rite , & pour les perfonnes de la Cour
qui compofoient Jeules l'auditoire de
la Chapelle du Château des Thuille-
ries , quand ces Difcours y furent
prononcés.
SERMON
SERMON
POUR LA FETE
DE LA
PURIFICATION
DE LA SAINTE VIERGE.
Dss exemples des Grands,
Ecce pofîtus eft hic in ruinam & in refur-
reûionem multorum in Ifrael.
Celui que vous yoye^ , ejl établi pour la ruine
& pour la réfurreciion de plujîeurs en JfiaëU
Luc. 2. 34.
SIRE,
Elle eft la dcftinée des
Rois 5c des Princes de la
C^F
jfe^ > :^ d'être établis pour
fc ;s;^^i||^ perte comme pour le
falut du re/le de? hommes ; 5c quand
le Ciel les donne au monde , on peut
Petit Carême, A
2 La Purification.
dire que ce font des bienfaits , ou des
châtimens publics que fa miféricorde
ou fa juflice prépare aux peuples.
Oui , Sire , en ce jour heureux où
vous fûtes donné à la France , ôc où
porté dans le Temple faint , le Pontife
vous marqua fur les Autels , du figne
facré de la Foi , il fut vrai de dire de
vous : Cet Enfant augufle vient de
naître pour la perte comme pour le
falut de plufieufs.
Jefus-Chrifl: lui-même , prenant pof-
feOlon aujourd'hui dans le Temple de
fa nouvelle royauté , n'eft pas exempt
de cette loi. Il eft vrai que fes exem-
ples , fes miracles , & fa do£i:rine qui
vont affurer le falut à tant de brebis
d'Ifraël , ne deviendront une occa(îon
de chute 6c de fcandale pour le refte
des Juifs , que par Tincrédulité qui les
rendra plus inexcufables ; 6c qu'ainfî
le même Evangile qui fera le falut 8c
la rédemption des uns , fera la ruine
bi la condamnation des autres.
Heureux les Princes &: les Grands ,
(î leur fainteté toute fev^le étoit , pour
les hommes corrompus , une occafion
de cenfure & de fcandale ; 6c fi leurs
exemples , comme ceux de Jefus-
Chrift , ne devenoient l'écueil & la
Exemples des Grands. ^
condamnation du vice , qu*en le ren-
dant plus ioexcufable , en devenant
l'appui 6c le modèle de la vertu !
Ainfi , mes Frères , vous que la Pro^
vidence a élevés au-deifus des autres
hommes , & vous fur-tout , Sire ^
vous que la main de Dieu , protectri-
ce de cette Monarchie , a comme re-
tiré du milieu des ruines ôc des débris
de la Maifon Royale, pour vous placer
fur nos têtes : vous , qu'il a rallumé
comme une étincelle précieufe dans
le fein même des ombres de la mort ^
où il venoit d'éteindre toute votre au-
gufte race , 6c où vous étiez fur le
point de vous éteindre vous-même :
oui , Sire , je Je répète ; voilà les
deftinées que le Ciel vous prépare :
vous êtes établi pour la perte comme
pour le faîut de pîufieurs : Pofitus in
ridnam & in refurrecîionem multorum
in îfraeL
Les exemples des Princes 8c des
Grands roulent fur cette alternative
inévitable : ils ne fauroient ni fe perdre,
ni fe fauver tout feuls. Vérité capitale
qui va faire le fujet de ce Difcours.
A
^- V^i
La Purification.
Sire ,
îARTiE. \^Omme le premier penchant des
peuples eft d'imiter les Rois , le pre-
mier devoir des Rois , eft de donner
de faints exemples aux peuples. Les
hommes ordinaires ne femblent naître
que pour eux feuls : leurs vices ou leurs
vertus font obfcures comme leur deC-
tinée : confondus dans la foule , s'ils
tombent, ou s'ils demeurent fermes ,
c'eft également à l'infu du public ;
leur perte ou leur falut fe borne à leur
perfonne : ou du moins leur exemple
peut bien féduire £<: détourner quel-
quefois de la vertu , mais il ne fauroit
impofer ÔC aurorifer le vice.
Les Princes Sc les Grands au con-
traire ne femblent nés que pour les
autres. Le même rang qui les donne
en fpe£lacle , les propofë pour mo-
dèles ; leurs mœurs forment bientôt
les mœurs publiques ; on fuppofe que
ceux qui méritent nos hommages , ne
font pas indignes de notre imitation ;
la foule n'a point d'autre loi, que \qs
exemples de ceux qui commandent :
leur vie fe reproduit , pour ainfi dire,
dans le public ; ôc fî leurs vices trou-
vent des cenfeurs , c'eft d'ordinaire
Exemples des Grands. 5
parmi ceux- mêmes qui les imitent.
Aufli la même grandeur qui favorife
les pafTions , les contraint 6c les gêne ;
& com.me dit un Ancien , plus l'élé- ^^f ^^
vation femble nous donner de licence ^'J^^^?
par l'autorité , plus elle nous en ote ^^i^i^^
par les bienféances. licentia
Mais d'où viennent ces fuites inévi- eft. Sal-
tables que les exemples des Grands ont *"j^*
toujours parmi les peuples : le voici \
du côté des peuples , c'eft la vanité 6c
l'envie de plaire ; du côté des Grands ,
c'eft l'étendue ôc la perpétuité.
Je dis la vanité du côté des peuples.
Oui 5 mes Frères , le monde , toujours
inexplicable , a de tout temps attaché
également de la honte & aux vices 5c à
la vertu. Il donne du ridicule à l'hom-
me jufie ; il perce de mille traitsThom-
me diiïblu : les pafîions &. les œuvres
faintes fourniflent la même matière k
fes dérifions 6c à Tes cenfures ; 6c par
une bizarrerie , que fes caprices feuls
peuvent juftiiier , il a trouvé le fecret
de rendre en même temps , 5c le vice
méprifable, ÔC la vertu ridicule. Or,
les exemples de diiïblntion dans les
Grands , en autorifant le vice , en an-
nobliflent la honte 6c l'ignominie, 5c
lui ôtent ce qu'il a de méprifable aux
A iij
6 L A P U R I F I C A T I O N .
yeux du public ; leurs pafiions devien-
nent bientôt dans les autres, de nou-
veaux titres d'honneurs , ôc la vanité
feule peut leur former des imitateurs.
Notre nation fur^tout , ou plus vai-
ne y OU plus frivole , comme on l'en
accu Te ; ou pour parler plus équitable-
ment 5c lui faire plus d'honneur , plus
attachée à fes Maîtres ÔC plus fefpec-
sueufe envers les Grands , fe fait une
gloire de copier leurs mœurs, comme
un devoir d'aimer leur perfonne : on
eft flatté d'une reiTemblance , qui nous
rapprochant de leur conduite , fembîe
nous rapprocher de leur rang. Tout
devient honorable , diaprés de grands
modèles •, 6c fouvent Fomentation tou-
te feule nous jette dans des excès aux-
quels rincllnation fe refufe. La Ville
croiroit dégénérer, en ne copiant pas
les mœurs de la Cour •; le Citoyea
obfcur , en imitant la licence des
Grand? , croit mettre à fes pafTions le
fceau de la grandeur 5c de la nobleiïe;
6c le défordre dont le goût lui-même
fe laife bientôt , la vanité toute feule
le perpétue.
Mais, Sire , d'un autre côté, tout
reprend fa place dans un Etat où les
Grands 5 Scie Prince fur- tout 5 adorent
Exemples des Grands. 7
k Seigneur. La piété eft en honneur ,
dès qu'elle a de grands exemples pour
elle. Les Juftes ne craignent plus ce
ridicule que le monde jette fur la ver-
tu , 5c qui efl l'écueil de tant d'ames
foibles. On craint Dieu fans craindre
les hommes. La venu n'eft pins étran-
gère à la Cour ; le délordre lui-même
n'y va plus la tête levée ; il eii: réduit
à fe cacher , ou à fe couvrir des appa-
rences de la fagefle. La licence ne pa-
roît pius revêtue de l'autorité publi-
que ; ôc fi le vice n'y perd rien , le
fcandale du mioins diminue. En un
mot 5 les devoirs de la Religion en-
trent dans Tordre public ; ils devien-
nent une bienféance que le monde
lui-même nous impofe : le culte peut
encore être méprifé en fecretpar l'im-
pie ; mais il eft vengé du moins par la
majeflé & la décence publique. Le
Temple faint peur encore voir aux
pieds de Tes autels, des pécheurs & des
incrédules ; mais il n'y voit plus de
profanateurs. Le zele de votre augufle
Bifaïeul avoir par des Icix féveres puni
fouvent 5 6c toujours flétri de Ton in-
dignation ÔC de fa difgrace , ce fcan-
dale dans fon Royaume : il peut fe
trouver encore des hommes corrom-,
A iv
s La PuRrFic ATiaN.
pus qui refufent à Dieu leur cœur;
mais ils n'oferoient lui refufer leurs
hommages : en un mot , il peut être
encore aifé de Ce perdre ; mais du
m.oins il n'eil pas honteux de fe
fauver.
Or , quand Texemple des Grands
ne ferviroit qu'à autorifer la vertu ;
qu'à la rendre refpeâiable fur la terre j
qu'à luiôter ce ridicule impie ôc infea-
fé que le monde lui donne ; qu'à met-
tre les Juflcs à couvert de la tentation
desdérifions 6c des cenfures; qu'à éta-
blir qu'il n'eft pas honteux à l'homme
de fervir le Dieu qui l'a fait naître ÔC
qui le conferve ; que le culte qu'on lui
lend efl le devoir le plus glorieux 8c
le plus honorable à la créature , 6c
que le titre du ferviteur du Très Haut,
ell mille fois plus grand &: plus réel ,
que tous les titres vains 8c pompeujc
qui entourent le diadème des Souve-
rains : quand l'exemple des Grands
n'auroit que cet avantage, quel hon-
neur pour la Religion , ÔC quelle
abondance de bénédi(Stions pour un
Empire 1
Sire , heureux le peuple qui trou-
ve Tes modèles dans Tes maîtres ; qui
peut imiter ceux qu'il eil obligé de ref-
Exemples des Grm:ds, 9
fed:er ; qui apprend dans leurs exem-
ples à obéir à leurs ioix ; & qui n'eft
pas contraint de détourner les regards
de ceux à qui il doit des hommages !
Mais quand les exemples des Grands
ne trouveroient pas dans la vanité
feule des peuples , u^ne imitation tou-
jours fûre ; l'intérêt ÔC l'envie de leur
plaire y leur donneroit autant d'iml-^
tateurs de leurs aâiions , que leur au^
toriré forme de prétendans à leurs
grâces.
Le jeune Roi Roboam oublie îe$^
confeils d'un père le plus fage des
Rois ; une jeuneffe inconjfîdérée eft:
bientôt appeilée aux premières pla-
ces, 5c partage fes faveurs, en imitant:
fes défordresv
Les Grands veulent être applaudis >;
&: comme l'imitation ell de tous les-
applaudiiTemens le: plus Hattetir ôc le-
moins équivoque y on eiï fur de leur
pîaire , dès qu'on s'étudie à leur reiTem^
bler :. ils font ravis de trouver dans^:
leurs imitareurs-^ rapoiogia de leuras
vices, êî ils cherchent avec complaifan-
ce dans tout ce qui les environne ^ de:
q-uoife ratîurer contre eux-mêmes,.
Ainfi l'ambition , dontles voies fors e
taujouis longues 5c pénibles -5 eft char^i
lo La Purifica t ro n,
mée de fe frayer un chemin plus court
&: plus agréable : le pk^'fir, d'ordinaire
irréconciliable avec la fortune , en de-
vient i'artifan & le miniflre 'y les par-
lions déjà (i favorifées par nos pen-
chans , trouvent encore dans refpoir
de la récompenfe , un nouvel attrait
qui les anime ; tous les motifs fe réu-
niHent contre la vertu. Et s'il eft il
mal aifé de fe défendre du vice qui
plaît ; qu'il eft difficile de ne pas s'y
livrer , lorfque de plus il nous honore !
Tel eft , Sire , le malheur des
Grands que des paiTions injuftes en-
traînent. Leur exemple corrompt tous
ceux que leur autorité leur foumet :
ïls répandent leurs mœurs , en diftri-
buant leurs grâces ; tout ce qui dépend
d'eux, veut vivre comme eux. Sike,.
n'eftimez dans les hommes que
Famour du devoir; êCvos bienfaits ne
tomberont que fur le mérite : con-
daninez dans les autres , ce que vous
ne fauriez vous juftifîer à vous- même ;
ks imitateurs des paftions des Grands
infultent à leurs vices 5 en les imitant*
Quel mialheur ! quand le Souverain ^
peu content de fe livrer au défordre^
femble le confacrer par les grâces dont
|i rkonore dans ceux qui en hai ou
Exemples des Grands, iï
les imitateurs , ou les honteux minif-
tres / quel opprobre pour un Empire !
quelle indécence pour la majefté du
Gouvernement ! quel découragement
pour une nation , &: pour les fujets
habiles 6c vertueux ^ à qui le vice en-
levé leurs eraces deilinées à leurs talens
ÔC à leurs fervices ! quel décri & quel
avilillement pour le Prince dans l'opi-
nion des Cours étrangères / & delà
quel déluge de maux dans le peuple !
Les places occupées par des hommes
corrompus ; les payions toujours pu-
nies par le m.épris , devenues la voie
des honneurs & de la gloire ; l'autorité
établie pour maintenir l'ordre & la
pudeur des loix , méritée par les excès
qui les violent; les mœurs corrompues
dans leur fource ; les allres qui dé-
voient marquer nos routes , changés
en des feux errans qui nous égarent,
les bienféances même publiques , dont
le vice eft toujours jaloux , renvoyées
comme les ufages furannés , à Tanti-
que gravité de nos pères : le défor-
dre débarraiïe de la gêne même des
ménagemens ; la modération dans ie
vice , devenue prefque auffi ridicule
que la vertu.
Mais 5 Sire ^ fî îa juRice gc ta
A vj
ti La Purification.
piété dans les Grands prennent lapîgt-
ce des paHions 5c de la licence , quelle
fource de bénédidions pour les peu-
ples ! C'eft la vertu qui diftribue les
grâces ; c'eil elle qui les reçoit :
les honneurs vont chercher l'homme
fage qui les mérite 5c qui les fuit , 6c
fuient l'homme vendu à l'iniquité j
qui court après : les fonctions publi-
ques ne font confiées qu'à ceux qui fe
dévouent au bien public : le crédit 6c
l'intrigue ne mènent à rien ; le mérite
ÔC les fervices n'ont befoin que d'eux-
mêmes : le goût même du Souverain
ne décide pas de feslargefTes ; rien ne
lui paroît digne de récompenfe danS'
fes fujets , que les talens utiles à fa.
patrie : les faveurs annoncent tou-
jours le mérite , ou le fuivent de près i.
iin'y ademéconrens dans l'Ftat, que
les hommes oifeux & inutiles. La
parefîe 5c la médiocrité murmurent
toutes feules contre la fagefle 6c
l'équité des choix; les talens fe déve-
loppent par les rccompenfes qui lés-
attendent : chacun cherche à fe ren»-
d're utile au public ; §c toute l'habilé-
té de.i'am.bidon fe réduit à fe rendre;
digne des places auxquelles on afpireo..
Eiï. un. motj les peuples font foulages g,
Exemples des Grands, rjt
les foibles foutenus , les vicieux laiÉ
fés dans la boue , les Juiles honorés 9-
Dieu bénit , dans les Grands qui tien-
nent ici-bas fa place : &C fi l'envie de
leur plaire peut former des hypocri-
tes , outre que le raafque tombe tôt
ou tard , ôc que l'hypocrifie fe trahit
toujours par quelque endroit elle-
même , c'eil du moins un hommage
que le vice rend à la vertu , en s'ho-
norant même de Tes apparences.
Voilà du côté des peuples , les fui-
tes que la vanité 6<: Fenvie de plaire
attachent toujours aux exemples dès-
Grands : de leur côté , c'efl: retendue
Se la perpétuité qui en font comme le
lignai ou du défordre , ou de la vertu
parmi les hommiCs..
J E dis rétendue , une étendue d'au- n,
torité. Que de miniflres de leurs paf Partie^^-
lions, n'enveloppent-ils pas dans leur
condamnation &: dans leur deftinée?
Si un amour outré de la gloire les
enivre, tout leur fouffle la défolation
5c la guerre ; 6c alors , Sire , que de.
peuples facrifiés à l'idole de leur or-
gueil ! que de lang répandu , qui crie-
vengeance contre leur tête / que de
calamités publiques j dont ils foût les
î4 La Purification,
fetils auteurs ! que de voix plaintives
s'élèvent au Ciel contre des hommes
nés pour le malheur des autres hom-
mes ! que de crimes naiffent d'un feul
crime! Leurs larmes pourroient-elîes
jamais laver les campagnes teintes du
fang de tant d'innocens ; ÔC leur re-
pentir tout feul peut- il défarmer la
colère du Ciel , tandis qu'il laifTe en-
core après lui tant de troubles £v de
malheurs fur la terre?
Sire , regardez toujours la guerre
comme le plus grand fléau dont Dieu
puilFe affliger un Empire ; cherchez à
défarmer vos ennemis , plutôt qu'à les
vaincre ; Dieu ne vous a confié le glai-
ve, que pour la fûreré de vos peuples,
6c non pour le mialheur de vos voifîns,
L'Empire fur lequel le Ciel vous a éta-
bli 5 eil afiez vafte ; foyez plus jaloux
d'en foulager les miferes , que d'en
étendre les limites ; mettez plutôt vo-
tre gloire à réparer les m.alheurs des
guerres paffées , qu'à en entreprendre
de nouvelles ; rendez votre règne im-
mortel par la félicité de vos peuples ,
plus que parle nombre de vos conquê-
tes ; ne médirez pas fur votre puif^
fance , la iuflîce de vos entreprifes; ÔC
n'oubliez jamais que dans les guerres
Exemple's des Grands 15
les plus juiles , les vi6î:oires traînent
toujours après elles autant de calami-
tés pour un Etat , que les plus fanglan-
tes défaites.
Mais il l'amour du plaidr l'emporte
dans les Souverains fur la gloire ; hé-
las ! tout fert à leurs paiTions ; tout
s'empreiTe pour en être les minidres y
tout en facilite le fuccès ; tout en ré-
veille les defirs ; tout proie des armes
à la volupté. Des fu:ets indignes la
favorifent; les adulateurs lui donnent
des titres d'honneurs ; des Auteurs
profanes la chantent &: l'embellilTent;
les arts s*épuifent pour en diverfifier
les plaifirs ; tous les talens defdnés par
l'Auteur de la nature à fervir à l'or-
dre êi à la décoration de la fociété ^
lie fervent plus qu'à celle du vice ;.
tout devient les minières , 6c par-la les
complices de leurs pafTions injufles»
SiFvE , qu'on eil à plaindre dans la
grandeur ! Les.pafrions , qui s'ufenr
parle temps, s'y perpétuent par les reC-
fburces; les dégoûts, toujours infépa-
rabies du défordre, y font réveillés par
la diverfité des plaifirs ; le tumulte
feul , 5c l'agitation qui environne le'
Trône , en bannit les réflexions , ôc ne
lailTe jamais un inftant le Souverain
î5 L A P U R I F I C A T I O N.
avec lui-même. Les Nathans#us- mê-
mes , les Prophètes du Seigneur fe tai-
fent & s'afFoibliiTenten l'approchant i
tout lui met fans celle fous rœil fa
gloire ; tout lui parle de fa puifTance ;
&: perfonne n'ofe lui montrer même
de loin Tes foibleiTes.
A rétendue de l'autorité , ajoutées
encore une étendue d'éclat ; ce n'eft
pas à leur nation feule que fe bornent
l'imprefllon 5c Teffet contagieux de
kurs exemples. les Grands font en
fpeélacle à tout l'unive-rs ; leurs ac^
tions palTent de bouche en bouche , ds
province en province , de nation en
nation : rien n'eft privé dans leur vie ;
tout appartient au public : l'Etranger,
dans les Cours les plus éloignées , a les
yeux fur eux, comme le Citoyen : ils
vont fe faire des imitateurs jufques
dans les lieux où leur puifTance lecr
forme des ennemis : le monde entier
fe fent de leurs vertus, ou de leurs
vices : ils font, fi je i'ofe dire, citoyens
de l'univers ; au milieu de tous les peur
pies, fe paiTent des événemens qui
prennent leur fource dans leurs exeiB*-
pics : ils îoaî chargés devant Dieu da
la ju 'lice, ou des iniquités des nations;
& leurs vices j ou leurs vertus ont-des?
Exemples des Grands, 17
bornes encores plus étendues que celles
de leur Empire.
La France fur- tout , qui depuis long-
temps fixe tous les regards de l'Europe,
eft encore plus en rpe6i:acle qu'aucune
autre nation. Les étrangers y vien-
nent en foule étudier nos mœurs , 6c
les porter enfuite dans les contrées les
plus éloignées : nous y voyons même
les enfans des Souverains, s'éloigner
'des plaifirs 6c de la magnificence de
leur Cour; venir ici comme des hom-
mes privés , fubftiîuer à la langue 6c
aux manières de leur nation , la poli-
tefle de la nôtre ; 6c comme le Trô-
ne a toujours leurs premiers regards 5
fe former fur la fageife dl la m^odéra-
tion , ou fur l'orgueil 5c les excès du
Prince qui le remplit. Sire, montrez»
leur un Souverain qu'ils puiflent imi-
ter : que vos vertus 6c la fageiïe de vo-
tre Gouvernement les frappent encore
plus que votre puifFarxe : qu'ils Coknt
encore plus furpris de la juftice de vo-
tre règne , que de la miagnificence de
votre Cour. Ne leur montrez pas vos
riche ffes , comme ce Roi de Juda, aux
Etrangers venus de Babylone ; mon-
trez-leur votre amour pour vos fujets ^
Se leur amour pour vous, qui eft le vé»
i8 La Purification.
ritable tréfor des Souverains. Soyez le
modèle des bons Pvois ; 6c en faifant
l'admiration des Etrangers, vous ferez
le bonheur de vos peuples.
Mais ce n*eft pas feulement aux
hommes deîeuriiecle, que les Princes
Se les Grands font redevables : leurs
evemples ont un caraélere de perpétui-
té quiintéreile tous les ikcles à venir.
Les vices . ou les vertus des homm.es
du commiun m^eurent d'ordinaire avec
eux : leur mémoire périt avec leur per-
fonne : le jour de la manifeftation ,
tout feul révélera leurs a£tion5 aux
yeux de Tunivers ; mais en attendant,
leurs œuvres font enfevelies , &C repo-
fent fous 1 obfcuriîé du même tom-
beau , que leurs cendres.
Mais les Princes 6c les Grands, Sirf,
font de tous les fieclcs ; leur vie , liée
avec les événemens publics , pafleavec
eux d'âge en âge ; leurs pafllons , ou
confervées dans des monumens pu-
blics , ou immortalifées dans nos HiC-
toires , ou chantées par une Poéfie
lafcive , iront encore préparer des piè-
ges à la dernière poftérité : le monde
eft encore plein d'écrits pernicieux qui
ont tranfmis jufqu'à nous les défordres
des Cours précédentes. Les diflblutions
Exemples des Grands. 19
des Grands ne meurent point , leurs
exemples prêcheront encore le vice^ou
la vertu à nos plus reculés neveux ; ôc
rhiftoire de leurs mœurs aura la même
durée 5 que celle de leur ilecle.
Que d'engagemens heureux. Sire,
leur état feul ne forme- t-il pas aux
Grands ÔC aux Rois pour la piéré 6c
pour la jufiice ! S'ils y trouvent plus
d'attraits pour le vice , que de puif-
fans motifs n'y trouvent ■ ils pas aufîî
pour la vertu ! Quelle noble retenue ne
doit pas accompagner des aérions qui
feront écrites en caraûeres ineffaça-
bles dans le livreMe la pofterité! quelle
gloire mieux placée, que de ne point
fe livrer à des vices ÔC à des pafTions ,
dont le fouvenir fouillera l'hiftoire de
tous les temps, 5c les hommes de tous
les (iecles 1 quelle émulation plus loua-
ble , que de laiifer des exemples qui
deviendront les titres les plus précieux
de la Monarchie , & les monumens
publics de la jullice &. de la vertu ! en-
fin , quoi de plus grand que d'être né
pour le bonheur même des (iecles à
venir ; de compter que nos exemples
feuls form.eront une fuccefTion de ver-
tu ôc de crainte du Seigneur parmi les
hommes ^ 5c que de nos cendres mê-
20 La Purification.
mes il en renaîtra d'âge en âge , des
Princes qui nous feront femblables !
Telle eft , Sire , la deftinée des bons
Rois ; & tel fut votre augulle Bifaïeul ,
ce grand Roi que nous vous propofe-
rons toujours pour modèle. Hélas / il
le fera de tous les Rois à venir. N'ou-
bliez jamais ces derniers momens , où
cet héroïque Vieillard, comme aujour-
d'hui Siméon , vous tenant entre fes
bras j vous baignant de fes larmes pa-
ternelles 5 ôc offrant au Dieu de fes pè-
res , ce relie précieux de fa race roya-
le , quitta la vie avec joie , puifque fes
yeux voyoient l'Enfant miraculeux ,
que Dieu réfervoit encore pour être le
faluî de la nation , ÔC la gloire d'IfraëL
Sire , ne perdez jamais de vue ce
grand fpeâ:acle : ce père des Rois
mourant , 6c voyant revivre en vous
feul l'efpérance de toute fa poftérité
éteinte ; recon:)miandant votre enfance
41a tendre & refpeclacle Dépofitai-
re (0 û^ votre première éducation ,
laquelle en formant vos premières in-
clinations, & pour ainfi dire , vo« pre-
mières paroles, fut fur le point de re-
cueillir vos derniers foupirs ; confiant
(i) Madame la DucheJJh de Vantadour,
Exemples des Grands, it
le facré dépôt de votre Perfonne au
pieux Prince (i) qui vous infpire des
fentimens dignes de votre Sang , à l'il-
luftre Maréchal ( 2, ) , qui a reçu comme
une vertu héréditaire, la fcience d'éle-
ver les Rois; ÔC qui , devenu un des
premiers fujets de l'Etat , vous ap-
prendra à devenir le plus grand Roi
de votre fîecle; au Prélat fidèle (^) qui,
après avoir gouverné fagement TEgli-
fe , lui formera en vous fon plus zélé
Proteé^eur ; enfin , à toute la nation ;
dont vous êtes en même temps , ÔC le
précieux pupile , ôc le père.
Puiiîîez vous 5 Sire , n'effacer jamais
de votre fouvenir les maximes de fagef-
fe que ce grand Prince vous Idïilà dans
ces derniers momens , comme un héri-
tage plus précieux que fa Couronne.
Il vous exhorta à foulager vos peu-
ples : foyez-en le père , & vous en fe«
rez doublement la maître.
Il vous infpira l'horreur de la guer-
re , 8c vous exhorta de ne pas fuivre
là-deflus fon exemple : foyez un Prin-
ce pacifique ; les conquêtes les plus
Çi) Le Duc du Maine,
(z) Le Maréchal de Fille roy.
(^) Vancisn £véqus de Frejus,
22 La Purification.
glorieufes font celles qui nous gagnent
les cœurs.
li vous avertit de craindre le Seigneur:
marchez devant lui, dans l'innocence;
vous^ne régnerez heureufement, qu'au-
tant que vous régnerez faintement.
Sire , que les dernières paroles de
ce grand Roi , de ce Patriarche de vo-
tre Famille Royale, foient comme cel-
le? du Patriarche Jacob mourant , les
prédiâ:ions de ce qui doit arriver ua
jour à fa race ; ôc puifTent fes dernières
inftru6tions devenir la prophétie de
votre Règne. Ainfifoit-iL
*r ♦" ♦ ♦ » **'* 1. ^*V ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ :r*
IJ' «- * * ♦ 4- 4- -»- -i- »«■»-»- il
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S E R M O N
POUR
LE PREMIER DIMANCHE
DE CAREME.
Sur Us tentations des G-^ids,
Jeilis dnâiu eft in de(èrnim à Spiriru , ut
tentarenir à diabolo.
Jejus fjt conduit par rEfjprîî dans U iéfirt :
^ir^' y être tenté par le diable^ Matth. 4. i •
O I R E ,
LE s lignes éclatans qui avoient
accompagnés la naiJacce 5c les
commencemens de la vie de J. C.
ce perir.etroient pas au démon digoo-
rer que le Très-Hau: ce le defrinàt^ à
de grandes chofes.
Plus il entrevoit les premières lueurs
de la grandeur future • plus il fe hâte
14 ï. D I M. D E C A R E M E.
de lui drelTer des pièges. Sa defcen-
dance des Rois de Juda ; fon droit à
la Couronne defes Ancêtres ; les Pro-
phéties qui annonçoient que dans les
derniers temps , Dieu fufciteroit de
îa race de David, le Prince de la paix,
ôc le Libérateur de fon peuple : tout
ce qui annonce la grandeur de Jefus-
Chrift, arme la malice du tentateur
contre fon innocence.
Les Grands, Sire, font les premiers
objets de fa fureur. Plus expofés que
les autres hommes à fes féduftions 5C
à fes pièges, il commence de bonne
heure à leur en préparer ; 6c comme
leur chute lui répond de celle de tous
ceux prefque qui dépendent d'eux , il
ralTemble tous fes traits pour le perdre,
^^tjh» Change^ ces pierres en pain , dit- il à
*^' ^* Jefus-Chrift: il Tattaque d'abord par le
plaifir ; ôc c'eft le premier piège qu'il
dreffe à leur innocence.
Ibid.f» Puifque VOUS êtes Fils deDieu^ ajou-
te-t-il , il enverra fes Anges pour vous
garder : il coqtinue par l'adulation ; ÔC
c'eft lin trait encore plus dangereux
dont il empoifonne leur ame.
£hid, f. Enfin, je vous donnerai les Royaumes
^' du monde , & toute leur gloire : il finit
par l'ambition ; 6c c'eft la dernière ôc
U
Tentations des Grands. 25
ia plus fùre reiTource qu'il emploie ,
pour triompher de leur foiblcfTe.
Ainfi, le plaifir commence à leur
corrompre le cœur ; l'adulation l'affer-
mit dans l'égarement , 6c lui ferme
toutes les voles de la vérité ; Tambi-
ûon confomme l'aveuglement , ôC
achevé de creufer le précipice. Expo-
fons ces vérités importantes , après
avoir imploré , &c. Ave , Maria,
SIRE,
E premier écueil de notre inno- j^
ce , c'eft le plaifîr. Les autres paffions Paktîht,
plus tardives ne fe développent , ÔC
ne mûriffent, pourainfi dire, qu'avec
îa raifon : celle ci la prévient , ôc nous
nous trouvons corrompus, avant pref-
que d'avoir pu connoîrrc ce que nous
fommes. Ce penchant infortuné , qui
fouille tout le cours de la vie de? lum-
mes , prend toujours fa fource dans
les premières mœurs : c'eft le premier
trait empoifonné qui bleiTerame : c'eft
lui qui efface fa première beauté ; ÔC
c'eft de lui que coulent en fuite tous
fes autres vices.
Mais ce premier écueil de la vie
humaine devient comme Fécueil pri-
vilégié de la vie des Grands. Dans les
Petit Carinie, B
%6 ï. D I M. D E C A R E M E.
autres hommes , cette paflîon déplo-
rable n'exerce jamais qu'à demi Ton
empire : les obilacles la traverfent , la
crainte des difcours publics la retient ;
l'amour de la fortune la partage.
Dans les Princes ôc dans les Grands ,
ou elle ne trouve point d'obftacle , ou
les obilacles eux- mêmes facilement
Lcartés, l'enflâment 5c l'irritent. Hélas!
quels obilacles a jamais trou^^é làdef-
fus la volonté de ceux oui tiennent en
leurs mains la fortune publique ? Les
occafions préviennent prefque leurs
deiirs t leurs regards j Ci j'ofe parler
ainfi , trouventpar tout des crimes qui
les attendent .: l'indécence du fiecle ,
6c l'avililTement des Cours , honore
même d'éloges publics, les attraits qui
réufTiiTent à les féduire : on rend des
hommages indignes à l'effronterie la
plus honteufe : un bonheur (î honteux
eft regardé avec envie, au lieu de l'être
avec exécration ; ÔC l'adulation pu-
blique couvre l'infamie du crime pu-
blic. Non : Sire , les Princes , dès
qu'ils fe livrent au vice , ne connoif-
fent plus d'autre frein que leur volon-
té ; 6c leurs paOïons ne trouvent pas
plus de réfiilance , que leurs ordres.
David veut jouir de fon crime t
Tentations des Grands. 17
Télite de Ton armée eil bientôt facri-
fiée , 8c par-là périt le feu! témoin in-
commode à fon incontinence. Rien ne
coûte , & rien ne s'oppofe aux payons
des Grands : ainfi la facilité des paf^
fions en devient un nouvel attrait i
devant eux, toutes les voies du crime
s'applanifTent , & tout ce qui plaît, efi:
bientôt poffible.
La crainte du Public eft un autre
frein pour la licence du commun des
hommes. Quelque corrompues que
foient nos mœurs, le vice n'a pas en-
core perdu parmi nous toute fa honte ,
il refle encore une forte de pudeur
publique qui nous force à le cachet* ;
6cle monde lui même, qui fem.ble s'en
faire honneur , lui attache pourtant
encore une efpece de flétriiTure 6c
d'opprobre : il favofife les pafîions ;
Se impofe pourtant des bienféances
qui les gêne : il fait des leçons publi-
ques du vice 6c de la volupté ; 5c il
exige pourtant le feciet , & une forte
de ménagement de ceux qui s'y li-
vrent.
Mais les Princes 8c les Grands ont
fecoué ce joug : ils ne font pas afîezde
cas des hommes , pour redouter leurs
cenfures. Les hommages publics qu'on
B ij
2.^ î. D I M. DE Carême.
leur rend , les rallurent fur le mépris
fecret qu'on a pour eux : ils ne crai-
gnent pas un Public qui les crainr , Si
qui les reCpeB:e ; 6c à la hoite du (le-
cle , ils Te flattent avec raifon , qu'on
a pour leurs paffions les mêmes égards
que p3ur leur perfonne. La diftance
qu'il y a d'eux au peuple , le leur mon-
tre dans un point de vue Ci éloigné ,
qu'ils le regardent comme s'il n'étoit
pas : ils méprifent des traits partis de
il loin , 8c qui ne fauroient venir juf-
qu'à eux ; ÔCprefque toujours , deve-
nus les feuls objets de la cenfure publi-
que , ils font les feuls q;ii l'ignorent, ^
Ainfi plus on ed grand , Sire , plus M
on eil redevable au Public. L'éiéva- ^
tion qui bleife déjà l'orgueil de ceux
qui nous font fournis , les rend des
cenfeùrs plus féveres ôc plus éclairés
de nos vices : il femble qu'ils veulent
regagner par les cenfures, ce qu'ils
perdent par la foumifTion ; ils fe ven-
gent de la fervitude par la liberté des
difcours. Non , SiRE , les Grands fe
crpient tout permis , 8>C on ne par-
donne rien aux Grands ; ils vivent
comme s'ils n'avoient point de fpe^^a-
teurs j 5c cependant ils font tout feuls
comme le fpeciacle éternel durefte de
îa terre.
Tentations des Grands. i$
Enfin 5 l'ambition 6c l'amour de la
fortune dans les autres hommes , par^
tage l'amour du plaifîr. Les foins qu'elle
exige , font autant de momens déro-
bés à la volupté ; le diiiir de parvenir
fufpend du mo^ns des pnfnons , qui
de tout temps en onc été i^obllacle : on
ne fauroit allier les mouvcmens fages
& mefurés de l'ambition , a-ec le loHir,
l'oifiveté , ÔC prefque toujours le dé-
rangement 5c les extravagances du
vice. En un mot , la débauche a tou-
jours été recueil inévitable de l'éléva-
tion ; 6c jufques ici les plaifirs ont ar-
rêté bien des efpérances de fortune, ôC
l'ont rarement avancée.
Mais les Princes 6c les Grands qui
n'ont plus rien à defirer du côté de la
fortune , n'y trouvent rien auiTi qui gê-
ne leurs plaifirs. La naiffance leur a
tout donné ; ils n'ont plus qu^à jouir ,
pour ainfî dire , d'eux mêmes : leurs
ancêtres ont travaillé pour eux ; le
plailir devient l'unique foin qui les
occupe : i's Ce repofent de leur éléva^
tiofl fur leurs titres ; tout le refte eft
pour les palTions.
AuHi les enfans des hommes illuf-
très font d'ordinaire les fucceffeurs-^
du rang 6c des honneurs de leurs pé--
B iij
30 L D I M. D E C A REM Eo
tes , ÔC ne le font pas de leur gloire &
de leurs vertus. L'élévation dotrr la
naiflance les met en poiïeffîon , les
empêche toute feule de s'ein rendre
dignes : héritiers d'un grand nom , il
leur paroît inutile de s'en faire un à
eux mêmes : ils goûtent les fruits
d'une gloire dont ils n'ont pas goûté
Famertume : le fang ÔC les travaux de
leurs ancêtres deviennent le titre de
leur moUefle Se de leur oifiveté : la
nature a tout fait pour eux ; elle ne
laiiTe plus rien à faire au mérite : ôc
fouvent répoque glorieufe de l'éléva-
tion d'une race , devient un moment
après elle même , fous un indigne
héritier , le (ignal de fa décadence ÔC
de fon opprobre. Les exemples là-def-
fusfont de toutes les nations ÔC de tous
les (iecles.
Salo-non avoit porté la gloire de fon
nom jufqu'aux extrémités de la terre :
l'éclat ÔC la magnificence de fon règne
avoit furpaffé celle de tous les Rois
d'Orient: un fils infenfé devient le jouet:
de fes propres fujets , ÔC voit dix Tri-
bus fe choifir un nouveau maître. Les
enfans de la gloire ôc de la magnificen-
ce font rarement les enfans de la fagef
fe ôcde la vertu jôC il eft prefque plus.
TtNTATÏONS DES GRANDE. ^ï
rare de foutenir la gloire ÔC les hon-
neurs auxquels on fuccede, que de les
acquérir foi- même.
L
E plaifir eft donc le premier écueil H.
des Grands , & c'eft par là que le ten- Partie;
tateur commence à les féduire ; il con-
tinue par Tadulaîion. Le plaifir cor-
ro upt le cœur par le vice ; l'adulation
achevé de ie fermer à la verm : les at-
traits qui environnent le Trône fo.uf-
flent de toutes parts la volupté; l'adu-
lation la juftifie : le défordre laifTe
toujours au fond de l'ame le ver dé-
vorant; mais leflatreur traite le remord
de foibleffe , enhardit la timidité du
crime , & lui ôte la feule reflburce
qui poiïvoit le ramener à la pudeur de
Tordre 6c de la raifon.
Si RE , quel fléau pour les Grands ,-
que ces hommes nés pour applaudir
à leurs paflions , ou pour drefler des
pièges à leur innocence ! quel malheur
pour les peuples , quand les Princes
5c les Puiffans fe livrent à ces ennemis
de leur gloire , parce qu'ils le font de
la fageife & de la vérité ! Les fléaux
des guerres & des flérilités font des'
fléaux paiTagers, 6c des temps plus heu-
reux ramènent bientôt la paix ôC-
B iv
3.1 T. D I M. DE Carême.
l'abondance : les peuples en font ??fïli-
gés ; mais la fagefle du Gouvernement
leur laiffe efpérer des îeiTources. Le
âéau de l'adulation ne permet plus
d'en attendre; c'efl une calamité pour
l'Etat, qui en promet tcujourF de nou-
velles : ropurcfllon des peuples , dé-
guifée au Souverain , ne leur annonce
que des charges plus onéreufes : les
gémiflemens les plus touchans que
forme la miïere publique , paiFent
bientôt pour des murmures : les re-
montrances les plus jufles 6c les plus
refpeélueufes , l'aduîation lr:s traveflit
en une témérité puniflable ; & Tim-
pofTibilité d'obéir n'a plus d'ijutre nom
que la rébellion Sc la mauvaife volon-
Ffit,^,XQ qui refufe. Que le Seigneur , difoit
autrefois un faint Roi , confonde ces
langues trompeufes & ces lèvres fauf-
fes,qui cherchent à nous perdre j
parce qu'elles ne s'étudient qu'à nous
plaire.
S I R E , défiez- vous de ceux qui 9
pour autorifer les profufions immen-
fes des Rois , leur grofTiifen: fans
eefîe l'opulence de leurs peuples.
Vous fuccédez à une Monarchie flo-
rillante , il eil vrai , m.ais que les per-
tes paiTées orit accablée. Le zelè d^
Tentations des Grands. 33
vos Sujets eftinépuifable ; mais ne me-
furez pas là-delîus les droits que vous'
avez fur eux ; leurs forces ne répon-
dront de long-temps à leur zèle : les'
lîécefTités de l'Etat les ont épuifés ;;^
iàiflezrîes refpirer de leur accable--
ment : vous augmenterez vos refibur-
ces , en augmentant leur tendreïfe»
Ecoutez les confeils des Sages & de^
Vieilljards auxquels votre enfance eff
confiée , & qui préfiderent auK con-
feils de votre augude Bifaïeul ; ôC
fouvenez vous de ce jeune Roi de-
Jljda, dont je vous ai déjà cité rexem^"'
plé 5 qui pour avoir préféré les avi^
d*une jeunelTe incoîTfidérée , à la fa*
gefle 5c à la maturité de ceux aux con-
ièils defquels Salomon Ton père étoîê^^
redevable de la gloire ôc de la prof^
périté de fon règne , & qui lui con>
feilloient d'affermir les commerrce-
iriens du fien par le fouiagement de Ter
peuples , vit un nouveau Royaume fé^
former des débris de celui de Juda; Ôk-
pour avoir voulu esiiger deTes fujets-
au- delà de ce qu'ils lui dévoient, il per. •
dit leur amour & leur fidélité qui lui'
ètoiem ('lîc; Lescon'eilsc/gréables font-
raremcnt^escon/cils aiï'e^è ; d^ ce qiTi "
flotte- les- Soiiverairrs , fait d'oîdinalfs^'
Iq. malheur d€ s Sujets,- B> y^
j4 !• D'iîvî. DE Gare ME,
Oui, Sire ^ par Tadulation^les vices-
des Grands fe fortifient ; leurs vertus
mêmes fe corrompent. Leurs vices fe
fortifient : 5c quelle reflburce peut- il
refier à des paiîions qui ne trouvent au-
tour d'elles que des éloges ?Hélas!com--
ment pourrions-nous haïr& corriger
ceux de nos défauts que l'on loue, puif-
que ceux même qu'on cenfure trouvent
encore au- dedans de nous , non feu-
lement des penchans , mais des rai-
fons même qui les défendent ? Nous
nous faifons à nous- mêmes l'apologie
de nos vices : l'illufion peut- elle fe
diffiper , lorfque tout ce qui nous en-
vironne nous les donne pour des ver^
tus ?
Leurs vertus mêrnes fe corrom-
pent : c'eft l'expérience de tous les
îiccles 5 difoit AfTuérus ; les îuggeftions
flatteufes des méchsns ont toujours
perverti les inclinations louables des
meilleurs Princes ; & les plus ancien-
nes hiftoires nous en fourniffent des-
^^R- T<ç exemples i Et ex veterihus probatur
j^. hijtoriis. . . o . quomodo maUs quorum-"
dam fuggejîionibus , Regum fluclia de-
p»mventur. C'étoit un Roi infidèle qui
faifoit cet aveu public à fes fujers : les
œnfeils.fpécieux ôc iniques. d'un flat*.
Tentations des GkA>JDs. 35
feur alloient fouiller toute la gloire
de Ton Empire : la fidélité du feul Mar-
dochée arrêta le bras prêt à tomber fiir
les innocens. Un feul fujet fidèle dé-
cide fouvent de la félicité d'un règne
6c de la gloire du Souverain ; ôc il ne
faut aufli qu'un feul adulateur , pour
flétrir toute la gloire du Prince , &
faire tout le malheur d'un Empire.
En effet , l'adulation enfante l'or-
gueil, & l'orgueil eft toujours l'écueil'
fatal de toutes les vertus. L'adulateur,
en prêtant aux Grands les qualités
louables qui leur manquent , leur fait
perdre celles mêm.es que la nature leur
avoit données ; il change en fources
de vice , des pcnchans qui étoienî en
eux des efpérances de vertu. Le cou-
rage dégénère enpréfomptidn; la ma-
jefté qu'infpire la naiffance , qui fied-
fi bien au Souverain, n'efl plus qu'une
vaine fierté , qui l'avilit Sc le dégra-
de ; l'amour de la gloire , qui coule
en eux avec le fang des R.ois leurs an-
cêtres , devient une vanité iafenfée ^-
qui voudroit voir l'univers entier à^
leurs pieds; qui cherche à combartre 5-
feulement pour avoir rhonneur fri-
vole de vaincre; 6c qui, loiifde domp-^
îer leurs ennemis -5 leu? esï fait de noa-^
3/J I. D IM. DE Carême.
veaux , 5c arme contre eux leur^;
voifms & leurs alliés .-riiumanité (i
aimable dans Télévaiion , 5c qui eft
comme le premier fenriment qu'on
verfe dès Tenfance , dans l'ame des
Rois , fe bornant à des larsefies ou-
trées, 6c à une familiamé fans réferve
pour un petit nombre de favoris , ne
leur laifle plus qu'une dure infenfibi-
lité pour les miferes publiques : les
devoirs mêmes de la Religion dont ils
font les premiers Proteôeurs , ÔC qui
avoient fait la plus ferieufe occupa-
tion de leur premier âge , ne leur pa-
roiflent plus bientôt que les amufe-
mens puériles de Tenfance. Non ,
Sire , les Princes naiifent d'ordinaire
vertueux , & avec des inclinatiorrs
dignes de leirr fang : la nailFance nous
les donne tels qu'ils devroient être,
l'adulation toute feule les fait tels
q:u'ils font.
Gâtés par les louanges, on n'ofè-
roit plus leur parler le langage de la
vérité : eux feuls ignorent dans leur
Etat 5 ce qu'eux feuls devroient con-
noître : ils envoient des Miniflres pour^
êîre infoîmés de ce qui fe pafîe de-
pjùs" fécret dans les Cours ôc dans léss
ïïbyjâumess lès- pjus: éloignés ; & pcT^-
Tentations des Grands. 37 -
ibnne n'oferoit leur apprendre ce qui
fe paffe dans leur propre Royaume :
les difcours flatteurs affiegent leur
Trône , s'emparent de toutes les ave-
nues , 6c ne laiffent plus d'accès à la^
vérité. Ainfi le Souverain eft feul
étranger au milieu de Tes peuples ; il
croit manier les reflbrts les plus fecrets
de l'Empire , 6f il en ignore les évé-
nemens les plus publics : on lui cache
fes pertes ; on lui grofTitfes avantages:
on lui diminue les miferes publiques :
on le joue à force de le refpeéler : il
ne voit plus rien tel qu'il eft , tout
lui paroît tel qu'il le fouhaite.
Telles font les trilles fuites de l'adu-
lation. Cependant , Sire , c'eft là
le vice le plus comni»un des Cours , ÔC
recueil des meilleurs Princes. A peine
le jeune Roi Joas eut- il perdu le fidelè -
Pontife Joïada , ce fage tuteur de fou'
enfance, & le feul homme par qui la-
vérité alloit encore jufqu'aux pieds de
fon Trône ; que féduit par les flatte-
ries des Courtifans , âh l'Ecriture , il
fe livra à leurs mauvais confeils , Sc à
fes propres foiblelTes : Ddinitus obfe- 2. P^ra/'/,
quiis eonim ^ acquicvlt cis. 24,17...
C'eft l'adulation qui fait d'un bon
Prince , un Prixice né pour k malheiji:
'
^8 I. D I M. D E C A R E M Ë.
de fon peuple : c'eft elle qui fait d\i
fceptre un joug acablant ; ÔC qui à
force de louer les foibleffes des Rois j
rend leurs vertus mêmes inépuifables.
Oui 5 SiRE 5 quiconque flatte Tes
maîtres , les trahit : la perfidie qui les
trompe , efl aufli criminelle que celle
qui les détrône : la vérité eft le premier
hommage qu'on leur doit; il n'y a pas
loin de la mauvaife foi du flatteur à
celle du rébelle : on ne tient plus à
Thonneur 6c au devoir , dès qu'on ne
tient plus à la vérité qui feule honore
l'homme , &qui efl la bafe de tous les
devoirs. La même infamie qui punit
la perfidie & la révolte , devroit être
deflinée à l'adulation : la fureté pu-
blique doit fuppléer aux loix qui ont
omis de la compter parmi les grands
crimes auxquels^ elles décernent des
fupplices ; car il eil aufîî criminel
d'attenter à la bonne- foi des Princes ,
qu'à leur per Tonne facrée ; de manquer
à leur égard de vérité, que de m.anquer
de fidélité ; puifque l'ennemi qui veut
nous perdre , eft encore moins à crain-
dre, que l'adulateur qui ne cherche
qu'à nous plaire.
Mais l'adulation îa plus dangereuse
eft dans iâ bouche de ceux qui, p.ar
Tentations des Grands. 3^
la faînteté de leur caraâ:ere,font éta-
blis les Miniflres de la vérité. Allez ,
dit le Seigneur à l'eTprit de menfon-
ge : entrez dans la bouche des Pro-
phètes du Roi Achab : vous réuiïirez :
vous le tromperez ; ÔC fa fédu^lion eft
inévitable : Decipies & prœvakbiSi i.Kegj
Hélas ! fî l'adulation a tant de char- ^**^^-
mes 5 lors même que les vices & les
diflolutions du flatteur en afFoibliiïent
l'autorité, 6c la rendent fufpeâie ;
quelle féduélionne forme-t-elle point,
lorfqu'elle ell confacrée par les appa-
rences mêmes de la vertu ? Quel avi-
liflement pour nous , (î nous faifons
du miniftere même de la vérité , un
miniftere d'adulation ÔC de menfon-
ge ; fi dans ces Chaires mêmes defti-
nées à inllruire ÔC à corriger les
Grands , nous leur donnons des fauffes
louanges qui achèvent de les féduire ;
fi le feul canal par où la vérité peut
encore aller jufqju'à eux , n'y porte
qu'une lueur trompeufe qui leur aide
à fe méconnoître ; fi nous empruntons
lé langage flatteur 6c rampant des
Cours j en venant leur annoncer la
parole généreufe ^ fijblime du Sei-
gneur ; ôc fi 5 loin d'être ici les maîtres-
Scle5 docteurs des Rois ^ nous ne foin=5-
Jp î. D I M. D E C A R E M Ë.
mes que Jes vils efcîaves de la vanité
dL de la fortune/ Mais quel mslhcur
pour les Grands, de trouver d'indi-
gnes ApologiAes de leurs vices, parmi''
ceux qui en auroient dû être les Cen-
feurs ; d'entendre autour de leur Trô-
ne, les Minières 8c les Interprètes de^
la Religion , parler comme le Courti-
fan; & trouver àçs adulateurs , où ils*
auroient dû trouver des Ambroifes V
O vous, Sire , que Dieu a ét?blr
pour commander aux homnies , n'ai-
mez dans les hommes que la vérité ;■
elle feule les rend aimable^. Fermer
Foreille aux difcours qui voué ilattentr
le flatteur hait votre pcrforne ; il n'aU
me que vos faveurs. Ecowtez les Icman-
ges qui nous prêtent de faufies vertus f
comme des reproches publics de nos
vices véritcbles. Scu\enez - vous que
l'amour des peuples eftrclcge le moins
fufpcéî du Souverain. Les bons & les
mauvais Princes oYit etc égslemeit-
loués pendant leur vie : il femble mê-
me que les bafies flatteries ont été eit-
core plus pro- louées à ces dernierro-
La haine publique le cache d'ordinaire
fous l'adulation : Sire, rendez- vous-^
digne d'être Icué j^5c vous mép^niciez^^
les: louanges*^
L
Tentatioî^s des Grands. 4r
'Adulation ferme donc le cœur à la nr>
vérité , maïs l'ambition eft bientôt leP^i^TîE,
trifte fruit de l'aveuglement où jette
i'adulation , 8c achevé de creufer le
précipice : c'eil le dernier piège que le
démon rend aujourd huià JefusChriftr
Je vous donnerai les Royaumes du mon-
de , & toute leur gloire.
Oui , Sire , c'eft l'adulation qui
mené toujours les Grands à la gloire
infenfée 5c mal-entendue de l'ambi-
tion : 6c ce defîr infenfé de gloire , oa
ne menetil point un cœur qui s'y
livre ?
Cette pafTion infortunée rend d'a-
bord malheureux l'ambitieux qu'elle
poffede ; elle l'avilit enfuite , &: le dé*
grade ; enfin , elle le conduit à une
faufle gloire , par des moyens injuftes ,
qui lui font perdre la gloire véritable.
Tels font les cara(fi:ercs honteux de
Tambition ; de ce vice dont le monde
honore Tes Héros, Sc dont ils s'hono-
rent fi fort eux- mêmes.
Ce n'eft pas que je prétende autorî-
fer dans les Grands, non plus que dans
le refle des hommes, une vie molle ÔC
obfcure , des fentîmens bas & timides ;
§c fous prétexte deblâmer rambltion ^
4î I. D I M. D E C A R E M E.
confacrer Toiliveté ôc l'indolence.
Je fais qu'il y a une noble émulation
qui mené à la gloire par le devoir : la
lîailFance nous l'infpire , ôC la Religion
l'autorife : c'eft elle qui donne aux
Empires des Citoyens illufires ,.- des
MiniUres fage? 5claborieux,de vaillans
Généraux j des Auteurs célèbres , des
Princes dignes des louanges de la poC-
térité. La piété véritable n'eft pas une
protcfllon de puriilanimité ÔC de pa-
re/Te : !a Religion n'abat &. n'amollit
Tpomt ie cœur ; elle Tannoblit 6C l'éle-
vé ; elle feule fait former de gnmds
hommes : on efl toujours petit , qivmd
on n'eil grand que par la varjté. Ainiî,
la moilefle 5c Toifîveté bleflent égale-
ment les règles de la piété , & les de-
voirs de la vie civile ; & le citoyen
inutile n'eu: pas moins profcriî par
l'Evangile , que par la fociété.
Mais Tambicion , ce defir infitiable
de s'élever au-defTus, & fur les ruines
mêmes des autres ; ce ver qui pique îe
cœur , 6c ne le lailTe jamais tranquille;
cette paflîon , qui eft le grand reîTort
des intrigues, & de toutes les agita-
tions des Cours ; qui forme les révolu-
tions des Etats , 6c qui donne tous les
jours à l'univers de nouveaux fpcda-
Tentations des Grands. 43
des : cette pafTion , qui ofe tout , 6c à
laquelle rien ne coûte , efl un vice
encore plus pernicieux aux Empires ,.
que la parefle même.
Déjà il rend malheureux celui qui
en eft poiTédé : l'ambitieux ne joui: de
rien ; ni de fa gloire , il la trouve obf-
cure ; ni de Tes places , il veut monter
plus haut ; ni de fa profpérité , il feche
& dépérit au milieu de fon abondance;
ni des hommages qu'on lui rend , ils
ibnt empoifonnés par ceux qu'il eft
obligé de rendre lui même ; ni de fa
faveur , elle devient amere , dès qu'il
faut la partager avec Tes concurrens ;
ni de fon repos , il eft malheureux ^ à
mefure qu'il eft obligé d'être plus tran-
quille: c'eft un Aman, l'objet fouvent
des defirs 5c de l'envie publique , ôC
qu'un feul honneur refufé à fon ex-
ceftîve autorité , rend infupportable à
lui-même.
L'ambition le rend donc malheu-
reux ; mais de plus , elle l'avilit ÔC le
dégrade. Que de bafTjTas pour parve-
nir / ilfautparoître , non pas tel qu'on
eft, mais tel qu'on nous fouhaite. Baf-
fefte d'adulation ; on encenfe & on
adore l'idole qu'on méprife : bafTefte
de lâcheté ; il faut favoir efluyer des:
44 î. D î M. D E C A R E M E.
dégoûts 5 dévorer des rébuts , 6c les re-
cevoirprefquecomme des grâces : bciC-
fefTe de difîimulation ; point de ferti-
mens à foi : êc ne penfer que d'après
les autres : baife iTe de dérèglement ;
devenir les complices , 5c peut-être les
miniftres des partions de ceux de qui
nous dépendons , ÔC entrer en part de
Iturs défordres , pour participer plus
fûrement à leurs grâces : enfin , balfefTe
même d'hypocrifie ; emprunter quel-
quefois les apparences de la piété ;
jouer rhomme de bien pour parvenir ^
6c faire fervir à rambition , la Reli-
gion même qui la condamne. Ce n'efV
point là une peinture imaginée ; ce
font les mœurs des Cours, 6c Thiftoire
de la plupart de ceux qui y vivent.
Qu'on nou.s dife après cela , que c'eft
le vice des grandes âmes : c'elt le ca-
raâere d'un cœur lâche 8c rampant;
c'eft le trait le plus marqué d'une ame
vile. Le devoir tour feul peut nous me*
ner à la gloire : celle qu'on doit aux
baifeires 5c aux intrigues de l'ambition,
porte toujours avec elle un cara6l:ere de
honte qui nous déshonore : elle ne
prom-ct les Royauines du monde , ÔC
toute leur gloire, qu'à ceux qui fe prof^
cernent devant l'iniquité , 5c qui fe.
Tentations des Grands. 4s
dégradent honreiireai3nt eux mêmes :
Si ca UnSy a loriveris me. On reproche Matth»
toujours vos bairelTes à votre élévation; 4- 9-
vos places rappellent fans celle les
aviliiremens qui les ont méritées ; ^
les titres de vos honneurs 5c de vos di-
gnités, deviennent eux-mêmes hs traits
publics de votre ignominie. Mais dans
l'eTprit de Tambideux, le fuccès couvre
la honte des moyens. Il veut parvenir ;
& tout ce qui le mené là , efi: la feule
gloire qu'il cherche : il regarde ces
vertus Romaines qui ne veulenr rien
devoir qu'à la probité , à rhonneui" Sc
aux fer vices^ comme des venus de ro-
man Se de théâtre , ôc croit que l'élé-
vation des fentimens pouvoit faire au-
trefois les héros de la gloire ; maii? que
c'eft la bafTefle & l'avililTcment qui
font aujourd'hui ceux de la fortune.
Au/îî l'injuftice de cette paflion en
e(ï un dernier trait encore plus odieux
que fes inquiétudes ôc fa honte. Oui ,
mes Frères , un ambitieux ne connoît
de loi que celle qui le favorife Le
crim3 qui l'élevé , e(ï pour lui corn ne
une vertu quirannoblu. A ni infidèle;
l'amitié n'ell plus rien pour lui dès
qu'elle intérefle fa fortune : mauvais
citoyen; la vérité ne lai parolt eiluna-
46 1. D I M. DE C A R E M E.
ble , qu'autant qu'elle lui efl utile : le
mérite , qui entre en concurrence avec
lui , efr un ennemi auquel il ne pardon-
ne point: l'intérêt public cède toujours
à Ton intérêt propre : il éloigne des
fujets capables , éc fe fubilitue à leur
place : il facrifie à Tes jaloufîes le falut
de TEtat ; 8c il verroit avec moins de
regret les affaires publiques périr entre
fes mains , que fauvées par les foins 5>C
par les lumières d'un autre.
Telle eft l'ambition dans la plupart
des hommes ; inquiette , honteufe ,
injufte. Mais , Sire , fi ce poifon ga-
gne & infede le cœur du Prince ; fi
le Souverain, oubliant qu'il eft le pro-
teâ:eur de la tranquillité publique ,
préfère fa propre gloire à l'amour ôc
au falut de fes peuples ; s'il aime
mieux conquérir des Provinces , que
régner fur les cœurs ; s'il lui paroît
plus glorieux d'être le deftruâ-eur de
fes voidns , que le père de fon peuple ;
fi le deuil 5c la défolation de Ces fujets,
eft ie feul chant de joie qui accompa-
gne fes viâ:oires ; s*il fait fervir à lui
feul une puiftance qui ne lui eft donnée
que pour rendre heureux ceux qu'il
gouverne ; en un mot ; s'il n'eft Roi
que pour le malheur des hommes ; ôC
Tentations des Grands. 47
que comme ce Roi de Babylone , ii ne
veuille élever la ftatue impie , l'idole
de fa grandeur , que fur les larmes ôc
les débris des peuples 6c des nations i
grand Dieu ! quel fléau pour la terre !
quel préfent faites-vous aux hommes
dans votre colère , en leur donnant un
tel maître !
Sa gloire, Sire , fera toujours fouil-
lée de fang. Quelque infenfé chantera
peut-être fes vi6loires ; ivals les Pro-
vinces 5 les villes , les campagnes en
pleureront : on lui drelTera des monu-
mens fuperbes , pour immonalifer fes
conquêtes ; mais les cendres encore
fumî^ntes de taut de villes autrefois
floriifimtes ; mais la défolation de tant
de campagnes dépouillées de leur an-
cienne beauté; mais les ruines de tant
de murs , fous lefqueîles des citoyens
paifibles ont été enfevelis ; mais tant
de calamités qui fubfîfleront après lui,
feront des monumens lugubres , qui
immortaliferont fa vanité 5c fa folie.
Il aura palfé comme un torrent pour
ravager la terre , & non comme un
fleuve majellueuxpour y porter la joie
6c l'abondance : fon nom fera écrit
dans les annales de la poftérité parmi
les conquérans , mais ii ne le fera pas
4? î. D I M. D E C A R E M E.
parmi les bons Rois ; 5c l'on ne rap-
pellera i'hifloire de Ton rejne , que
pour rappeller le fouvenir des maux
qu'il a faits aux hommes. Ainfi Ton
orgueil {a) , dit l'Efpritde Dieu , fera
monté jufqu'au Ciel: fa têt3 aura tou-
ché d3ns les nuées : fes fuccès auront
égalé {es defirs ; & tout cet amas de
gloire ne fera plus à la fin qu'un mon-
ceau de boue qui ne laifTera après
elle que l'infeâion 8c l'opprobre.
Grand Dieu ! vous qui êtes le Pro-
îe6teur de l'enfance des Rois , 5c (ur-
îout des Rois pupilles , éloignez tous
ces pièges de l'enfant précieux que
vous nous avez laifle dans votre mifé-
ricorde. Il peut vous dire , comme
autrefois un Roi félon votre cœur :
Pf> 1^. Monpcre G* nia merc m'ont abandonné,
^^' A peine avois-je les yeux ouverts à la
lumière, qu'une mort prématurée les
ferma en même temps à Adélaïde qui
m'avoit porté dans fon fein , & dont
les traits aimables &C majeftueux font
encore peints fur mon vifage ; 6c au
Prince pieux de qui je tiens la vie , ÔC
dont les fentimens religieux feront
(a) Si afcenderit iifque ad Cœlum fuperbia
ejus , & caput ejiis nubes tetigerit .• quaii
i^erquilinium in fine perdetur. Job, 20. 6. 7.
toujours
Tentations des Grands. 49
toujours gravés dans mon cœur : Pater
meus & mater mea dcreliquerunt mé*
Mais vous , Seigneur ! qui êtes le Père
des Rois, ÔC le Dieu de mes pères ;
vous m'avez pris fous votre protec-
tion , ôc mis à couvert fous l'ombre de
vos aîles ÔC de votre bonté paternelle :
Dominus autem affumpjît me, Xbidp
Grand Dieu ! gardez donc Ton in-
nocence comme un tréfor encore plus
eftimable que fa Couronne : faites-
la croître avec fon âge : prenez fon
cœur entre vos mains , 5c que le feu
impur de la volupté ne profane ja*
mais un fanâ:uaire que vous vous êtes
réfervé depuis tant de fiecles : Cujîodl pr ^^^
innocentiam. 27.
Voyez ces femences de droiture 6c
de vérité , que vous avez jettées dans
fon ame ; cet efprit de juftice 5c d'équi-
té qui fe développe de jour en jour ,
ÔC qui paroît être né avec lui ; cette
averdon naifTanre pour les artifices 5c
les faufles louages du flatteur ; 6c ne
permettez pasque Tadulation corrom-
pe jamais ces préfages heureux de notre
félicité future: Et vfJ<; aquitatem, j^'^^
Qu'il règne pour notre bonheur ,
8C il régnera pour fa gloire. Que fon
unique ambition foit de rendre fes
F^tit Carême, C
Ibid.
50 î. DiM. DE Carême.
flijets heureux ; que fon titre le plus
chéri fcit celui de Roi bienfaifant 5c
pacifique : il ne fera grand qu'autant
qu'il fera cher à fon peuple. Qu'il Toit
le modela de tous les bons Rois ; 6C
que ce Prince pacifique puiffe laiiTer
encore après lui des Princes qui lui
reiFemblent : Quoniam funt rdiquîa,
homini pacifico, R.ecevez ces vœux , ô
mon Dieu / &C qu'ils foient pour nous
leis gages de la tranquillité de la vie
préfente , 6c lefpérance de la future !
Ainji foit- il.
Se -^ J^ ^ -al.
SERMON
POUR
LE SECOND DIMANCHE
DE CAREME.
Sur le refpcci que les Grands doivent
à la Religion,
Et ecce apparueriintillis Moyfes & Elias
cum Jefu loquentes.
En même-temps Us virent paraître Moyfe &
Elie , qui s'entretenoientavec J, Matth. 17. 3*
IRE,
C"^ E font les deux plus grands hom-
^ mes qui euirent encore paru fur
la terre , qui viennent aujourd'hui fur
la ^nonragne Sainte , rendre ho m r?'; âge
* à la gloire ôc à la grandeur de Jeibs-
i^Chrift.
■ C ij
'it I I. D I M. D E C A R E M E.
Moïfe , ce Dieu de Pharaon , ce
Légiflateur des peuples , ce Vainqueur
des Rois , ce Maître de la nature , ÔC
plus grand encore par le titre de fervi-
teur fidèle de la maifon du Seigneur,
Elie , cet homme miraculeux; la
terreur des Princes impies ; qui pou-
voit faire defcendre le feu du Ciel, ou
s'y élever lui même fur un char de
gloire ôc de lumière ; 6c plus célèbre
encore par le zèle Saint qui le dévo-
roit , que par toutes les merveilles qui
accompagnèrent fa vie.
Cependant l'un 5c l'autre n'avoient
été grands , que parce qu'ils avoient
éré les images de Jefus Chrift. Ils vien-
.nent donc adorer celui qu'ils avoient
figuré , 5c rendre à ce divin original la
puidance §C la gloire qui appartien-
nent à lui feul 5 5c dont ils n'avoient
été eux-mêmes que comme les précur-
feurs ^ les dépofitaires.
Telle eft, Sire, la deftinée des
Princes êc des Grands de la terre. IIs'
' ne font grands , que parce qu'ils font!
les images de la gloire du Seigneur ,
êc les dépofitaires de fa puiffance. Ils^
doivent donc foutenir les intérêts de
Dieu , dont ils repréfentent la ma-
jeflé ; & refpeaer la Religion , qui
Sur le Respect , &c. 53
ftule les rend eux-mêmes refpeétables.
Je dis refpeâier : elle exige d'eux un
refpec^ de fidélité , figuré par MoiTe ,
qui leur en fafTe obferver les maximes^
éc un refpe£t de zèle, repré fente dans
Elle , qui les rende Protecteurs de fa
doctrine & de fa vérité.
Fidèles dans robfervance de fes
maximes ; 7élés dans la défenfe de fa
doctrine 6c de fa vérité. Ave , Maria»
JL^
SIRE,
Tre né Grand , ôc vivre en Chré-
tien , n'ont rien d'incompatible , ni j^
dans les fonctions de l'autorité , ni PrtiB|
dans les devoirs de la Religion. Ce
feroit dégrader l'Evangile , ÔC adop-
ter les anciens blafphêmes de fes en-
nemis, de le regarder comme la Reli-
gion du peuple , ÔC une feCle de gens
obfcurs.
11 eft vrai que les Céfars , 5c les Puif-
fans félon le fiecle , ne crurent pas
d'abord en JefusChrift, Mais ce n'efi:
pas que fadoâirine réprouvât leur état;
elle ne réprouvoit que leurs vices ;
il falloit même montrer au monde
que la puifTance de Dieu n'avoit pas
befoin de celle des hommes ; que le
C iij
54 ÎI. DîM. DE Ca R EME»
crédit & Tautorité du fiecie éioit inu-
tile à une doâ:rine dcfcendue du Ciel ;
qu'elle fe ruffilbit à elle-même pour
s'établir dans Tunivers ; qtie toutes les
PuiiTances du fiecie , en fe déclarant
contre elle ÔC en la perfécutant j dé-
voient l'affermir ; oc que fi elle n'eut
pas eu d'abord les Grands pour enne-
mis , elle eut manqué du principal
caractère qui les rendit eniuice fes
Diiciples.
La loi de l'Evangile efl donc la loi
de tous les Etats. Plus mô.ne la nalA
fance nous élevé au delTus des autres
hommes , plus la Religion nous four-
nit des motifs de fidélité envers Dieu..
Je dis des motifs y de reconnoilTance
& de juftice.
Oui , mes Frères , ce n'eflpas le ha-
fard qui vous a fait naître Grands 5c
PuifTans. Dieu , dès le commence-
ment des fiecles , vous avez defliné
cette gloire temporelle ^ marqués du
fceau de fa grandeur , & féparés de la
foule , par l'éclat des titres , ôc des
diilinâilons humaines. Que lui aviez-
vous fjit , pour être ainfi préférés nu
refle àcs hommes , ÔC à tant d'infor-
tunés . flir tout , qui ne Ce nourrillent
que d'uii paia de larmes ôc d'amer-
Sur le Respect , 8cc. 55
tume ? Ne font ils pas comme vous
l'ouvrage de fes mains &: rachetés du
même prix ? n'êtes-vous pas fortis de
la même boue ? n'êtes vous pas peut-
être chargés de plus de crimes ? le fang
dont vous êtes iflus, quoique plus illuf-
tre aux yeux des hommes , ne coule-
t- il pas de la même fourceempoifon-
née 5 qui a infedé tout le genre hu-
main ? Vous avez reçu de la nature
un nom plus glorieux ; mais en avez-
vous reçu une ame d'une autre efpe-
ce , & deflinée à un autre Royaume
éternel, que celle des hommes les plus
vulgaires ? Qu'avez • vous au - deffus
d'eux devant celui qui ne connoît de
titres 6c de diftinâ:ions dans fes créa-
tures , que les dons de fa grâce ? Ce-
pendant Dieu , leur père comme le
vôtre , les livre au travail, à la peine ,
à la mifere 5c à l'afHiciîon ; 5c il ne ré-
ferve pour vous , que la joie , le repos,
l'éclat ÔC l'opulence : ils naliFent pour.
fouiFrir ^ pour porter le poids du jour
6c de la chaleur , pour fournir de leurs
peines & de leurs fueurs à vos plaifirs
&'à vos proRifions ; pour traîner , fi
j'ofe parier ainfî , comixe de vils ani-
maux le char de votre grandeur 8c de
votre indolence. Cette diftance énor-
C vi
'5^ IL DiM. DE Carême.
me que Dieu laifle entre eux ôc vous
a-t-elle jamais été feulement l'objet de
vos réflexions , loin de l'être de votre
reconnoiflance ? Vous vous êtes trou-
vés en naiiFant en pofTefllon de tous
ces avantages ; 5c fans remonter au
fouverain difpenfateur des chofes hu-
maines , vous avez cru qu'ils vous
étoient dûs , parce que vous en aviez
toujours joui. Hélas ! vous exigez de
vos créatures une reconnoiffance fi
vive 5 fi marquée , il fou tenue , un
aifujett^fTemenc fi déclaré de ceux qui
vous font redevables de quelques fa-
veurs; ils ne faurolent fans crime ou-
blier un inftant ce qu'ils vous doivent j
vos bienfaits vous donnent fur eux un
droit qui vous les afTujettit pour tou-
jcurs : mefurez là defllis ce que vous
devez au Seigneur, le bienfaiteur de
vos pères Sc de toute votre race. Quoi !
vos faveurs vous font des efclaves , 8c
les bienfaits de Dieu ne lui feroient
que des ingrats & des rebelles ?
Ainfi , mes Frères , plus vous avei
reçu de lui , plus il attend de vous.
Mais hélas 1 cette loi de reconnoiffan-
ce , que tout ce qui vous environne
vous annonce , & qui devroit être y
pourainû dire y écrite fur les portes de
Sur le Respect , &c. 57
fur les murs de vos palais , fur vos terres
ôt Tur vos titres , fur Téciat de vos di-
gnités 6c de vos vêtemens , n'eft point
même écrite dans votre cœur ! Dieu
répandra fes propres dons , mes Frè-
res, puifque loin de lui en rendre la
gloire qui lui eft due , vous les tournez
contre lui- même : ils ne paieront point
à votre poftérité ; il tranfportera cette
gloire à une race plus fidèle : vos dcC-
cendans expieront peut - être dans la
peine ôc dans la calamité le crime d©
votre ingratitude ; & les débris de vo-
tre élévation feront comme un mo«
Bument éternel , où le doigt de Dieiî
écrira jufqu'à la fin Tufage injuile que
vous en avez fait«^
Que dis je ! il multipliera peut-être
fes dons ; il vous accablera de nou-
veaux bienfaits ; il vous élèvera encore
plus haut que vos ancêtres : mais il^
vous favorifera dans fa cokre ; fes>
bienfaits feront des châtimens ; votre
profpérité confommera votre aveugle-
ment 6c votre orgueil; ce nouvel éclat
ne fera qu'un nouvel attrait pour vof^^
paillons ; Sc raccroiflement de votre
fortune verra croître dans le même de-
gré vos dilTolutions , votre irréligiou^,
iSi voire impénitencet-
5? ir. DiM. DE Carejvte.
C'eft donc une erreur , mes Frère? ^"v
de regarder la naiffance & le rang
comme un privilège qui diminue 6c
adoucit à votre égard vos devoirs en-
vers Dieu , 6c les règles féveres de
TEvangile. Au contraire , il exigera
plus de ceux a qui il aura plus donné y,
fes bienfaits deviendront la mefure de
vos devoirs , &C comme il vous a diftin-
gué des autres hommes par des lar-
geiTes plus abondantes , il demande
que vous vous en diftinguiez auiïl par
tme plus grande fidélité. Mais outre la
xeconnoiffance qui vous y engage 5
plus tout allume les pafltons dans votre
état, plus vous avez befoin de vigi-
lance pour vous défendre- 11 faut aux
Grands de grcndes vertus ; la prorpé-
rité eft comme une perfécution conti-
nuelle contre la Foi ; 2>C (I vous n'avez
pas touxe la force & le courage des
Samrs , vous aurez bientôt plus de
vices & de foibklîes que le refle des
hommes.
Maïs d'ailleurs, fur quoi prétendez-
vous que Dieu doit fe relâcher en vo-
tre faveur, & exiger moins de • ous que-
du commun des Fidèles ? Avez- vous
ir!oin< de plailirs à fxpier ? votre in-
«locence eii-elie le une ^ui vous doaa^
Sur le Respect, Sec. sf
yroit à fon indulgence ? vous ètes-
vous moins livrés aux delirs de la chair ,
pour vous croire plus di fpenfés des
violences qui la mortifient ÔC la punif-
fent ? Votre élévation a multiplié vos
crimes ; 6C elle adouciroit votre péni-
tence ? vos excès vous diUinguent en-
core plus du peuple que votre rang j
êc vous prétendriez trouver là - delfus
dans la Religion des exceptions qui-
vous ftjfTent favorables ?
Quelle idée de la divinité avons-
nous, mes Frères? quel Dieu de chaif
& de fang nous formons nous? Quoi!
dans ce jour terrible où Dieu feul fer^
grand ; où le Roi 5c l'efclave feront
Gonfondas , où les œuvres feules fe-
ront pefées , Dieu n'cxerceroit que
des jugemens favorables envers cer
hommes que nous a ppeiloos grands ?
ces hommes qu'il avoir comblés â^
biens , qui avoieur été les heureux de
la terre , qui s'étoient fait lei bas une
injufte félicité, 5c c^ui oubliant pref-
que tous l'auteur de leur profi^cnté
n*avoient vécu^ que pont eux- mêmes ?
êc il s'armeroit alors de route fa févé-
rite contre le pauvre qu'il avoir tou-
jours-affligé ? ôc il rérerveroit toute la
tigmiiï de fes jugemens , pour des ia*
G si--
6o IL DiM. DE Carem^f.
fortunés qui n'avoient palTé que des
jours de deuil , & des nuits laborieufes
fur la terre ; & qui fouvent l'avoient
béni dans leur affliâ:ion , 6c invoqué
dan« leur délaiflement & leur amer-
tume ? Vous êtes jufte ! Seigneur, 6C-
Yos jugemens feront équitables.
Mais , SiRE 5 quand ces motifs de
juftice ôC de reconnoiffance n'enga-
geroient pas les Grands à la fidélité,
qu'ils doivent par tant de litres à Dieu ;,
que de nrotifs n'en trouvent-ils pas
encore en eux mêmes ?
N'eft-ce pas en effet la fageffe 8c la
crainte de [>feu toute feule , qui peut,
îendre les Princes & les Grands plus^
aimables aux peuples ? C'eil par elle ,,
ëifoit autrefois un jeune Roi , que
je deviendrai illuftre parmi les na-
tions ; que les vieillards refpeâ:eront:
ma jeuneife ; que les Princes qui font
autour de mon trône bailleront par
fefpeâ: les yeux devant moi ; que les
Rois voifins ^ quelques redoutables
qu'ils foient y me craindront ; que je
ferai aimé dans la paix & redouté dans
%>.^8.ia guerre; Per hanc timchunt me Reget
'*J- ^5' horrendi : in miiltitudine viJ&bor bonus'
& in belio fords^ G'eft par elle que:
mon regrie feia ag^réabk à votie peu?;
Sur le respect , 8cc. 61
pie 5 6 mon Dieu ! que je le gouver-
nerai juftement , ÔC que je ferai digne
du trône de mes pères : Per hanc ^^P» ^
difponam populum tuum jujîèy & era^^*
dignus fediam patris meL
Non , Sire , ce ne fera ni la force
de vos armées , ni l'étendue de votre
Empire , ni la magnificence de votre:
Cour , qui vous rendront cher à vos
peuples ; ce feront les vertus qui font
les bons Rois , la juftice , l'humanité ^
la crainte de Dieu. Vous êtes um
grand Roi par votre naiifance ; mais
vous ne pouvez être un Roi cher à vos
peuples que par vos vertus : les paf-
fions qui vous éloignent de Dieu , nous;
rendent toujours injuftes & odieux
aux hommes ; les peuples fouiïrent
toujours des vices du Souverain : tout
€e qui outre l'autoriré, rafFoibiit & la.
dégrade ; les Princes dominés par îes^
paflîons font toujours des maîtres in-
commodes 5c bizarres ; le Gouverne-
ment n'a plus de règle , quand le maître
lui même n'en a point : ce n'eft plus la
fjgeiTe , 6c l'intérêt public^ qui préfi-
dent aux Confeiis, c'eft l'intérêt des
paiTions , le caprice ÔC le e;oût forment
les décifions , que devoit diéler ramous
lic^oidie j, 5c le plaiiir devient le grand
Sap. 7.
14*
6z ï I. D I M. D E C A R E M E<r
leiTort de toute la prudence de l'Em-
pire. Oui 5 Sire , la fageife ôc la piété
du Souverain toute feule peut faire
le bonhaur des Sujets , êc le Hoi qui
craint Dieu ^ eft toujours cher à fon
peuple.
Mais (i la crainte de Dieu rend'
dans les Princes êc le? Grands l'auto-
rité aimable, c'eft elle encore, Sire,
qui la rend glorieufe. Tous les biens
éc tous les fuccès , difoit encore un
fage Roi , me font venus avec elle ; &
c'eil par elle , que l'honneur 5c la gloire
m'ont toujours accompagné : Et in-
numcrahilis honejlas per manum illius^
Dieu ne prend pas fous fa proteâion
ceux qui ne vivent pas fous ces or-
dres.
Je (ais que l'impie profpere quel-
quefois , qu'il paroît élevé comme le
cèdre du ï.iban , 6c qu'il femble inful^
ter le Ciel par une gloire orgueilleule,
qu'il ne croit tenir que de lui même-
Mrfis attendez : fon élévation va lui
creufer elle même fon précipice : la
m 3 in du Seigneur l'arrachera bientôt
de d^îTus la terre. La fin de l'impie ef^
prefque toujo irs Bm honneur ; tôt ou^
tard il f lut enfin que, cet édifice d'or-
gueil 5c d'injuHice b'écroule : la hont»;
Sur le Respect , 8cc. 6j
&: les malheurs vont fuccéder ici bas-
à la gloire de fes fuccès : on le verra
peut ê^re traîner une vieilleiTe rrifte
& déshonorée ; il finira par l'ignoini-
lïie ; Dieu aura Ton toar ^ 6c la gloire
de l'homme injuile ne defcendra pas
avec lui dans le tombeau.
Repafîêz fur les flecles qui nous ont
précédé , comme difoit autrefois un
Prince Juif à Tes enfans : Cogltate ge- ^^ Micc^
ncrationes Jïngulas; 6c vous verrez que <>. 6u
le Seigneur a toujours foufîîé fur les
races orgueilleufes , &. en a fait fécher
la racine ; que la prorpérité des impies
a'a jamais pafle à leurs defcendans ;
que les Trônes eux- mêmes, &lesfuc-
cefîîons Royales ont manqué fous des
Princes fainéans 5c efféminés ; & que
1 hiftoîre des crimes & des excès des
Grands, eft en même temps l'hiftoire
de leurs malheurs 6c de leur déca-
dence.
Mais enfin , Sire, en q,uoi les Prin-
ces 5c les Grands font moins excufa-
blés lorfqu'lls abandonnent Dieu 9
c'eil que d'ordinaire ils naiiTent avec:
dfls inclinations plus nobles 6c plus^
ifôureufe pour la vertu, que le peuple»
J'étois encore enfant, difoit le Roi
Salomon : mais je me trouvois déjà les-
64 1 1. D I M. D E C A R E M Ê,
lumières d'un âge avancé , ÔC je ferî»
tois que je devois à ma naiffanee une
ame bonne ôc des fentimens plus éle-
Sap 8. vés que ceux d^s autres hommes ; Puer
autcm eram ingeniofus , ù fonitusfunt
animam bonam.
Le fang, l'éducation ^ l'hiftoire des
ancêtres, jette dans le cœur des Grands
& des Princes , des femences , 8C
comme une tradition naturelle de
vertu. Le peuple livré en naifTant à
un naturel brute ôc inculte , ne trouve
en lui pour les devoirs fublimes de la
Foi , que la pefanteur & la balTelFe
d'une nature laidée à elle-même : les
bienféances inféparables du rang, ÔC
qui font comme la première école de
la vertu , ne gênent pas Tes paffions :•
l'éducation fortifie le vice de la naif^
fance ; les obj'ets vils qui l'environ-
nent, lui abattent le cœur & les fen»
timens : il ne fent rien au defTus de ce
qu'il eft ; né dans les fens & dans la
boue, il s'élève difficilement au deffus'
de lui même. Il y a dans les maximes
de r Evangile une nobleffe 5c une élé-
vation , où les cœurs vils & ram^jans^
ne fauroient atteindre : la Religion y,
qui fait les grandes âmes, ne paroisr
feice que poux elles i ôc il faut être
Sur le Respect , Sec. 6$
grand , ou le devenir , pour être Chré-
tien.
Je n'ignore pas que la grâce fupplée
à la nature ; que la chair ôc le fang ne
donnent aucun droit au royaume de
Dieu , que les premiers Héros de la
Foi fortirent d'entre le peuple; que les
vafës de boue entre les mains de l'ou-
vrier fouverain, deviennent bientôt des
vafes de gloire 6c de magnificence ; ÔC
que tout Chrétien eft né grand , parce-
qu'il eft né pour le Ciel.
Mais une haute naifTance nous pré-
pare 5 pour ain(i dire , aux fentimens
nobles 6c héroïques qu'exige la Foi :
un fang plus pur s'élève plus aifément ^
il en doit moins coûter de vaincre les
paiïions à ceux qui font nés pour rem-
porter des vi61oires : le menfonge 8c
la duplicité entrent plus difficilement
dans un cœur à qui la vérité ne fauroit
nuire , ÔC qui n'a rien à craindre ni à
efpérer des hommes : l'efpérance d'une
fortune éclatante ne peut corrompre
la probité de ceux qui ne voient plus
de fortune au deiTus de la leur , 5c qui
tiennent en leurs mains la fortune êc
la deftinée publique : le refpeâ: hu-
main n'intimide ÔC n'arrête pas la vertu
des Grands , eux que tout le monde
66 IL DïM. DE Carême.
fait gloire d'imiter , Sc dont les mœurs
deviennent toujours la loi de la mul-
titude : la balfelTe de la débauche ÔC
de la dilToIun'on trouve rpoins d'accès
dans,une ame que fa naidance defline
à de grandes chofes : la règle & les
devoirs font moins étrangers à ceux
qui font établis pour maintenir l'or-
dre &: la régie parmi les peuples: s'ils
font entourés de plus de pièges , ils
trouvent en eux plus de freins ÔC plus
de reifources : la nature toute feule a
environné leur ame d'une garde d'hon-
neur 6c de gloire : enfin , les premiers
penchans dans les Grands font pour
îa vertu ; 5c ils dégénèrent dès qu'ils
les tournent au vice. Ils doivent donc
à la Religion un refpeâ: de fidélité qui
leur en fafTe obferver les maximes ;
mais ils lui doivent encore un refpeâ:
de zèle qui les rende défenfeurs de fa
do6irine 5c de fa vérité,
îi T
Paktie. *^ ^ Religion eft la fin de tous les
deifeins de Dieu fur la terre ; tout ce
qu'il a fait ici bas , il ne l'a fait que
pour elle ; tout doit fervir à l'agran-
diiTement de ce Royaume de Jefus-
Chrift. Les vertus , & les vices ; le&
Grands , ÔC le peuple > k$ bons & ie&
Sur le Respect , 5cc. 6j
mauvais fuccès ; l'abondance , ou les
calamités publiques ; l'élévation, ou la
décadence des Empires; tout enfin 9
dans l'ordre des confeils éternels , doit
coopérer à la formation 6c à l'accroif
fément de cette fainte Jérufalem. Les
Tyrans l'ont purifiée par les perfécu-
tions ; les Fidèles la perpétuent par
la charité ; les incrédules & les liber-
tins l'éprouvent H. l'aifermiOent par les
fcandales : les Jufles font les témoins
de fa ^oï\ les Payeurs , ks dépofitai-
res de fa doârrine ; les Princes U. les
puiiTans 5 les proteâeurs de fa vérité.
Ce n'eil pas affez pour eux d'obéir à
{es îoix ; c'ell: le devoir de tout Fidèle.
La majeflé de fon culte , la fainteté de
fes maximes , le dépôt de fa vérité doi-
vent trouver une fûre proreâ:ion dans
leur autorité 6c dans leur zèle.
Je dis la ma^efîé de fon culte. Rien ,
Sire , n'honore plus la Religion , que
de voir les Grands 6c les Princes con-
fondus aux pieds des Autels avec le
refle des Fidèles , dans les devoirs
communs 6c extérieurs de la Foi. C'eft
à eux à oppofer leurs hommages pu
blics 5c refpeé^ueux dans le Temple
Saint , aux irrévérences 6c aux profana-
tions publiques ; ÔC à venir montrer à
é8 II. D I M. DE Carême.
la multitude , combien il eft indécent
à de fujets de paroître fans pudeur ôc
fans contrainte aux pieds du Sanc-
tuaire 5 devant lequel les Princes 6c
les Rois eux-mêmes s'anéantiiTent : ils
doivent cet exemple aux peuples , ôc
ce refpec^ à la majefté du culte fainr.
Hélas ! ils regardent comme une bien-
féance de leur rang , d'autorifer par
leur préfence les plaifirs publics , ôc
ils croiroient fouvent fe dégrader en
paroiiTant à la tête des cantiques de
joie , &C des folemnités faintes de la
Religion ! Ils fe font un intérêt d'Etat
de donner du crédit par leur exemple
aux amufemensdu théâtre 5c aux vains
fpe£tacles du fiecle ; TEglife eft- elle
donc moins intéreffée , que leurs exem-
ples en donnent aux fpeâ:acles facrés
&. religieux de la Foi ?
Les plailirs publics n'ont pas befoin
de prote£^ion. Hélas ! la corruption
des hommes leur répond aflez de la
perpétuité de leur crédit &: de leur
durée : ÔC s'ils font néceffaires aux
Etats , l'autorité n'a que faire de s'en
mêler; de tous les befoins publics ,
c'eft celui qui court moins de rifque.
Mais les devoirs de la Religion , qui
ae trouvent xka pour eux dans nos
SaR LE Respect , 8Cc. 6fp
cœurs , il faut que de grands exemples
les foutiennent : le culte achevé de
s'avilir , dès que les Princes ôc les
Grands le négligent. Dieu ne paroît
plus fi grand , fi j'ofe parler ainfi , dès
qu'on ne compte que le peuple parmi
fes adorateurs : fa parole n'eft plus
écoutée , on perd tous les jours fon
autorité , dès qu'elle n'eft plus deflinée
qu*à être le pain des pauvres & des
petits. Les devoirs publics de la piété
font abandonnés ; tout tombe ÔC lan-
guit , û la Religion du Prince 6c des
Grands ne le foutient 8c ne le ranime.
C''eft ici où l'intérêt du culce fe trouve
mêlé avec celui de l'Etat ; où il im-
porte au Souverain de maintenir ÔC
les dehors auguftes de la Religion , ôC
l'unité de fa do6lrine , qui foutien-
nent eux-mêmes le Trône ; ÔC d'accou-
tumer fes fujets à rendre à Dieu & à
l'Eglife le refpeét & la foumifîîon qui
leur font dûs , de peur qu'ils ne les lui
refufent enfuite à lui-même. Les trou-
bles de l'Fglife ne font jamais loin de
ceux de l'Etat : on ne refpeâe guère
le joug des Puilfances , quand on eft
parvenu à fecouer le joug de la Foi,
Et l'hérefie a beau fe laver de cet op-
probre ; elle a par- tout allumé le feu.
fo IL DiM. DE Carême.
de la fédition ; elie eft née dans îa
révolte : en ébranlant les fondemens
de la Foi , elle a ébranlé les Trônes 6c
les Empires ; &. par-toiu , en formant
des fecStateurs , elle a formé des ré-
belles. Elle a beau dire que les perfe-
cutions des Princes lui mirent en main
les armes d'une jufle défenfe ; i'Eglife
n'oppofa jamais aux perfécutions que
la patience 5c la fermeté : fa foi fut le
feul glaive avec lequel elle vainquit
les Tyrans : ce ne fut pas en répandant
le fangde/es ennemis , qu'elle multi-
plia fes difcipîes ; le fang de Tes mar-
tyrs tout feul fut la femence de Tes Fi-
dèles. Ses premiers Doâ:eurs ne furent
pas envoyés dans Tunivers comme des
lions pour porter par-tout le meurtre
& le carnage, mais comme des agneaux
pour être eux mêmes égorgés ; ils
prouvèrent , non en combEttant , mais
en mourant pour la Foi , la vérité de
leur mifTion : on devoir les traîner de-
vant les Rois pour y être jugés comme
, des criminels , & non pour y patokre
les a/mes à la main , Se les forcer de
leur être favorables : ils refpedoient
le fceutre dans des mains même } ro-
fancs 8c idolâtres ; & ils auroient cru
déshonorer & détruire l'œuvie de
Sur le Respect, Sec, yt
Dieu en recourant pour l'établir à des
refTources humaines.
Les Princes afFermiffent donc leur
autorité en aifemniirint l'autorité de la
Religion. AufTi c'eft à eux que le culte
doit fa première magnificence : ce fut
fous les plu? grands Rois de la race de
David , que le Te ii 'edu Seigneur vit
revivre fa gloire 8c fa maieflé. Les Cé-
fars , fous l'Evangile tirèrent l't.glife
de l'obfcurité où les perfécurions l'a-
voient laifTée : les Charlcmagnes , les
fainr Louis, relevèrent l'éclat de leur
règne en relevant celui du culte ; Se
les monumens publics de leur piété ,
que les temps n'ont pu détruire , 6c que
nous refpe£lons encore parmi nous ,
font plus d'honneur à leur mémoire ,
que fts ftatues & les infcriptions qui
en immortalifant les victoires ÔC les
conquêtes, n'immorralifent d'ordinaire
que la vanité des Princes & le mal-
heur des fa jets.
Mais les mêmes motifs qui obligent
les Grands à foutenir la majeflé & la
décence exiérieure du culte , les ren-
dent en même temps proteâ:eurs de la
fainteté de fes maximes : il fnut qu'ils
apprennent au peuple à refpeâ:er la
pieté en refpeftant eux-mêmes ceux
7^ lî* î^iM» i^E Carême.
qui la pratiquent ; c'eft une prote£lio»
publique qu'ils doivent à la vertu.
Oui , SiKE , les gens de bien font la
feule fource du bonheur ÔC de la prof^
périté des Empires. C'ed pour eux
feuls que Dieu accorde aux peuples
l'abondance & la tranquillité : s'il fe
fut trouvé dix JuPres dans Sodôme y
Je feu du ciel ne feroit jamais tombé
fur cette ville criminelle. L'Etat péri-
roit ; le Trône feroit renverfé , nos
villes abîmées, 6c réduites en cendres ,
ÔC nous aurions le même fort que So-
dôme 6c Gomorrhe , fi Dieu ne voyoit
encore au milieu de nous des fervi-
îeurs fidèles ; s'il ne nous laiffoit en-
core une femence fainte ; fi l'innocence
peut-être de l'Enfant augufte ÔC pré-
cieux j la feule femence qui nous refte
du fang de nos Rois , n'arrêtoit les
foudres que la diiTolution publique de
nos mœurs auroit dû déjà attirer fur
Sîom* p. nos têtes : Nljî Dominus reliquiffet noi
$>• bis femen ^ ficut Sodomafacii eJfemuSj
(yjîcut Gomorrha fimiksfuiffcmus. Les
Princes , SiRE , font donc intéreffés
à protéger la vertu , puifqus les Em-
pires &. les Monarchies , & le monde
entier ne fubfiftera , que tant qu'il y
aura de la vertu fur la terre.
Mai?
Sur le Respect ; 5cc. yj
Mais ce n'eft pas , Sire , pour un
iimple refpeâ: , que les Princes doivent
honorer les gens de bien : c'ell: par la
confiance ; ils ne trouveront d'amis
'fidèles , que ceux qui font fidèles à
Dieu : c'efl: par les emplois publics ;
l'autorité n'eft fûre ÔC bien placée
qu'entre les mains de ceux qui la crai-
;gnent : c'eft par des préférences ; les
grands talens font quelquefois les plus
dangereux , fi la crainte de Dieu ne
fait les rendre utiles : c'efi: par l'accès
auprès de leur perfonne ; la familia-
rité n'a rien à craindre de ceux qm
4-erpe<51:erGient même nos rebuts & nos
mauvais traitemens : c'efi enfin pair
les grâces ; nos bienfaits ne fauroient
faire des ingrats , de ceux que le de-
' voir tout feul ôc la confcience nous
attachent.
Quel bonheur, SiRE , pour un fie-
<:le 5 pour un Empire , pour les peu-
ples , lorfque Dieu leur donne dans
' fa miféricorde des Princes favorables
à la piété ! Par eux , croifient 6c s'ani-
I ment les talens utiles à l'Eglife : par
i eux , fe forment ôc font protégés des
ouvriers fidèles, deftinés à répandre la
'fciencedu falut , à arracher les fcanda-
I les du Royaume de Jefus-Chrifl , Scà
I Petit Carême, D
74 II' DiM. DE Carême,
ranimer la Foi par des ouvrages pleins
de l'efprit qui les a diûés : par eux 9
s'élèvent au milieu de nous des maifons
fâintes 5 des établiflennens pieux oii
l'innocence eïï préfervée , où le vice
fauve du naufrage,trouve un port heu-
reux : par eux enfin , nos neveux trou-
veront encore cesreflburces publiques
de falut , monumens heureux ! qui
perpétuent la piété dans les Empires,
qui alTurent aux Princes la reconnoif-
fance des âges à venir , qui mettent la
pollérité dans leurs intérêts , ÔC qui les
rendent les héros de tous les fiecîes.
. Non , Sire , la gloire des monu-
mens que l'orgueil 6c l'adulation ont
élevés , fera, ou enfevelie dans l'oubli
parles temps, ou effacée par les cenfu-
res 8c les jugemens plus équitables de
la poftérité. Les races futures difpute-
ront à la plupart des Souverains les
titres 6c les honneurs que leur lîecle
leur aura déférés ; mais la gloire des
'fecours publics accordés à la piété , 6c
qui fub lifteront après eux , ne leur fera
pas difputée : 6c quelque grand qu'ait
été le Roi que nous pleurons encore ,
de tous les monumens élevés (î juge-
ment pour immortalifer la gloire de
;fon règne , les deux édifices pieux ÔC
Sur le Respect , ^c. j%
auguftes, où la valeur d'un côté, 6c la
nobleffe du fexe de l'autre , trouve-
ront jufqu'à la fin,des relTources fûres
ÔC publiques , font les titres qui lui
répondent le plus des éloges & des
a(àions de grâces de la poftérité.
Tel eft le zeîe de protection que les
Princes & les Grands doivent à la
fainteté des maximes de la Religion,
Mais ils le doivent encore au dépôt fa-
cré de fa doctrine 6c de fa vérité ; 6c
notre fiecle fur- tout , où l'irréligion
'fait tant de progrès , doit encore plus
réveiller là- delTus leur attention ÔC leur
se le.
J'avoue que les impies ont été de
tous les fiecles ; que chaque âge ÔC
chaque nation ont vu des efprîts noirs
ÔC fuperbes 5 dire non feulement dans
leur cœur & en fecret , mais ofer
blafphêmer tout haut qu'il n'y a point
de Dieu , Scque dès le temps même de
Salomon , où le fouvenir des merveil-
les du Seigneur en Egypte ÔC dans le
défert étoit encore fî récent , ils pro-
pofoient déjà contre tout culte rendu
au Très-Haut , ces doutes impies qui
font devenus le langage vulgaire de
l'incrédulité.
Mais s'il a paru autrefois des im-
Dij
y6 ï I. D I M. D E C A R E M E,
pies , le monde lui-même les a regar-
dés avec horreur ; 6c ces ennemis de
Dieu n'ont paru fur la terre , que pour
être comme le rebut 5c Tanathême de
tous les hommes.
Aujourd'hui , hélas ! l'impiété ek
prefque devenue un air de dillin6bion
8c de gloire : c'efi: un titre qui hono-
re ; 5c fouvent on fe le donne à foi-
même par une affreufe oftentation ,
tandis que la confcience n'ofe encore
fecouer le joug, ôc nous le refufe. Au-
jourd'hui c'efl un mérite qui donne
accès auprès des Grands ; qui relevé ,
pour ainfi dire, la baiTelIe du nom ôC
de la naifTance ; qui donne à des hom-
mes obfcurs , auprès des Princes , du
peuple, un privilège de familiarité,
dont nos mœurs mêmes, toutes cor-
rompues qu'elles font , rougiffent ; ÔC
l'impiété , qui devroit avilir l'éclat mê^^
me de la naifTance 5c de la gloire , dé-
core 5c annoblit l'obfcuritéôc la rotu-
re. Ce font les Grands qui ont donné
du crédita l'impie ; c'eftà euxà le dé-
grader 8c à le confondre.
Quelle honte pour la Religion, mes
Frères ! Les plus grands hommes du
Paganifme ne parloient qu'avec reC-
pe<à des fuperftitions de l'Idolâtrie ,
Sur le Respect , 6cc. 77
idont ils connoiiroient la puérilité ÔC
l'extravagance : ils penfoient avec les
fages ; 5c ils n'ofoient parler que com-
me le peuple. Ils n'auroientofé, avec
toute leur réputation 6c leurs lumiè-
res , infulter tout haut un culte fi in-
fenfé , mais que la majefté des loix de
l'Empire ôcranciennetérendoient ref-
pedable: ôc Socrate lui-mêmiej l'hon-
neur de I2 Grèce , ce premier Phiio-
fophe du rr:onde , fî eflimé de tous les
iiecles , &; qui devoir être fi cher au
fien 5 perd la vie par un arrêt public
d'Athènes , pour avoir parlé avec
moins de circonfpe^lion de ces Dieux
bizarres , auxquels fes citoyens dé-
voient moins de refpeâ: & d'honneur
qu'à lui-même.
Et parmi nous , le Dieu du Ciel 6c
delà terre eft infulté hautement , fans
que le zèle public fe réveille ! & fous
TEmpire même de la Foi , des hom-
mes vils ôc ignorans font des déridons
publiques d'une doâ:rine defcendue
du Ciel , 6c on applaudit à l'impiété !
5c dans un Royaume où le titre de^
Chrétien honore nos Rois , l'incrédu-
lité impunie devient miême un titre-
d'honneur pour des fujets! Les vaines-
idoles auroient donc eu le miniilere-
Diij.
IL DiM. DE Carême.
public pour vengeur contre les Savans
6c les fages ; 6c le feul Dieu véritable
ne l'auroit pas contre les libertins ôc
les infenfés ! ,
Vengez l'honneur de la Religion ,
vous 5 mes Frères , dont les illuflres
ancêtres en ont été les premiers dépo-
(îtalres , 6c dont vous devez être par
conféquent les premiers défenfeurs .'
éloignez l'impie d'auprès de vous f
n*ayez jamais pour amis les ennemis
de Dieu. Il y a tant de dignité pour
les Grands , à ne pas fouffrir qu'on in- |
fuite 6c qu'on avilifle devant eux la
foi de leurs pères ! Ce doit être pour
vous, manquer de refpeâ: à votre rang,
que d'en manquer en votre préfence
à la Religion que vous profeffez : c'eft
un langage indécent qui blefle les
égards ÔC les attentions qui vous font
dues : on vous méprife j en méprîfant
devant vous le Dieu que vous adorez»
N'écoutez donc qu'avec une indigna-
tion qui ferme la bouche à l'incrédule,
lés difcours de l'incrédulité : comme
c'eft la vanité feule qui fait les impies,
ils feront rares , dès qu'ils feront mé-
prife s.
Ayez vous-même un noble & reli-
gieux lefpeâ pour Iqs vérités de la
Sur le Respect , 8cc. 79
Religion. La véritable élévation de
Fefprit , c'eft de pouvoir fentir toute
la majefté & toute la lublimité de la
Foi 5 les grandes lumières nous con-
duifent elles-mêmes à la foumiflîon ;
Fincfédulité efl le- vice des efprits foi-
bles ôc bornés : c'eil tout igorer . que
de vouloir tout connoître. Les eontra-
dirions &C les abîmes de l'impiété font ;
encore plus incompréhenfibles que les
M3'fleres de la Foi ; 8c il y a encore
moins de refTource pour la rai Ton à^
fecouer tout joug, qu'à obéir ôc à fe;
foumettre.
Que votre refpeâ: ÔC votre zèle pour"
îa religion de vos pères , cultivent 6c
fafTent croître celui du jeune Prince 9
auprès duquel vos noms ôc vos digni^
tés vous attachent 5 &; dont l'éduça-
îioneîl, pour ainfi dire, confiée à tous;
ceux qui ont Thonneur de rapprocher
de plus près : qu'il retrouve en vous
les premiers témoins de la Foi , que
fes ancêtres placèrent fur le Trône :
que le zelepour la défenfe de TEglife j,
qui coule en lui avec le fang , foit en-'
core réveillé Si animé par vos exem-
ples : que les erreurs ôc les prof3nes>
nouveautés foient les premiers enne-
mis qu'il fe propofe de combattre j 5é:
D iy
ÎQ II. DiM. DE Carême..
qu'il foir encore plus jalouK qu'on ne
touche point aux anciennes bornes de
la Foi , qu'à celles de la Monarchie.
Que la tranquillité de Ton règne , 6
mon Dieu ! devienne celle de rÉglife::
que les troubles qui l'agitent, foient
calmés , avant qu'il puiffe les^^connoî-
tre : que la concorde 5c l'union réta-
blies parmi nous , préviennent la févé-
rite de Tes loix, ôc ne laifTent plus rien
à faire à Ton zèle : que fon règne Toit le
legne de la paix 5cde la vérité : que le
lion ôc l'agneau vivent enfemble pai-
iîblement fous fon Empire ; ôC que cet;
Enfant miraculeux , comme dit Ifaïe,
les mené encore , & les voye réunis:
II. <5. dans les mêmes pâturages: Et puerp^r-
vulus minahlt eos. Que le camp des In-
fidèles &. des i'hiliftins ne fe réjouifle.
plus de nos diffentions; 5c que s'ils en-
tendent encore des clameurs autour de
l'Arche , ce ne foient plus celles qui;
annoncent fes périls , êï des malheurs;
nouveaux, mais fes triomphes &. fai
gloire. Ainfî foit ■ iL
^^^M^
■9'^'^S^1^Ï93^P-
Si
S E R M O
POUR
tE TROISIEME DIMANCHE'
DE CAREME.
^r le malheur des Grands qui ahark^'-
donnent Dieu,
Cùm immSfcus fpiritus exierit de homî»
ne , ambulat per loca inaquola , guéerens re-*
quism, & non jnveniîa
»
Lorfqiie Vtfpriî immonde efl font d'un hows
me , il s^en va pnr cf^j- //g«:ii: arides , cherchant
du repçs , (&• // n'en trouve points Luc. ii. 24«r
Sx
RE
Et efprit inquiet 8c immonde,'
qui fort, ôc rentre dans l'homme
d*où il eft forti ; qui changé fans celTs
de lieu ; qui effaie de-toutes les fitua-
tioiis 5 ê^ ne pçut fe plaire ^ & fe j&xe?
ti m; DîM, DE Carême.
dans aucune; qui court toujours pour^
découvrir des fentiers agréables ôc dé-
licieux , &. qui ne marche jamais que
par des lieux triftes ôC arides ; qui cher-
che le repos, 6c ne le trouve pas; c'eft
l'imagede l'humeur & du caraftere des
Grands de la terre; toujours plus in^
quiets , plus agités & plus malheureux
que le (impie peuple , dès que livrés à
leurs pafTions Se à eux-mêmes , ils ont
abandonné Dieu,
C'éft la figure naturelle de cet état
d'élévation 6c de profpérité , fi envié
d*u monde , &: fi peu digne d'envie
félon Dieu. Le bonheur , Sire , n'eft
pas af aché à l'éclat du r^g & des ti-
tres 'y il n'efl attaché qu'^i'innocence
de la vie : ce n'eft pas ce qui nous
élevé au-defTus des autres hommes j
qui nous rend heureux , c'efl ce qui
nous réconcilie avec Dieu. Vous por-
tez la plus belle Couronne de l'uni-
vers ; mais fi la piété ne vous aide à la
foutenir 5 elle va devenir le fardeau
même qui vous accablera. En un mot,
point de bonheur où il n'y a point de
arepos ; 5c point de repos où Dieu n'efl •
point. .
Ainfi l'élévation toute feulé ne fait"
ppsleJ^ODliéur des Grands, fi elle n'eili
Malheur des GkANm^Scc. S5
accompagnée de la vertu , & de la
crainte du Seigneur : au contraire plus
on ell grand, plus on vit malheureux,
ft Ton ne vit point avec Dieu.
Vérité importante qui va faire le
fujet de ce Difcours. Implorons, ôCCo ^
Ave , Maria,
SIRE,.
Sirhomme n*étoit fait que pour la ^
terre , plus il y occuperoit de place 3 .
5c plus il feroiî heureux.
Mais l'homme eft né pour le Ciel i '
M porte écrits dans Ton cœur, les titreg-
auguftes 6c ineffaçables de fon origi-
ne ; il peut Tes avilir , mais il ne peut
les effacer. L'univers entier feroit fa-;
polTeifion 6c fon parta^^e , qu'il fenti»
roit toujours qu'il fe dégrade ^ âc ne -
fe fatisfait pas en s'y fixant i tous les ;
objets qui l'attachent ici- bas ^ l'arra-
chent, pour ainfi dire , du fein de
Dieu , fon origine & fon repos éter-
nel ^ 5c laifTent une plaie de remords^
^ d'inquiétude dans fon ame ^ qu'ils-
ne fauroient plus fermer eux-mêmes? .
il fent toujours la douleur fecrette de.'
là rupture 6c de la féparatioa ; 5t tout •
ce qui altère fon union avec Dieu , k
jend irréconciliable avec Itii- même- .
^4 IIÎ. DiM. DE Carême»
Cependant nous nous promettons
toujours iei-bas une injufte félicité.
Nous courons tous dans cette terre
aride, comme refprit de notre Evan-
gile , , après un bonheur & un repos
que nous ne faurions trouver. A peine
détrompés par la poflefTion d'un objet, ,
du bonheur qui fembloit nous y at-
tendre , un nouveau- defir nous jette
dans la mêm» illufion ; Se palfant Tans
celTe de j'eTpérance du bonheur au dé» -
gpût, 8c du dégoût à refpérance, tout
ce. qui nous fait fentir notre méprife ^,
dévient lui même l'attrait qui la per-
pétue..
Il fembîe d'abord que cette erreur r
ne devroit être à craindre que pour le
peuple. La baiTefle de fa fortune laif-
fant toujours un efpace immenfe au-
défibs de lui , il feroit moins étonnant
qu'il fe figurât une félicité imaginaire
dans les fituations élevées , où il ne
peut atteindre; Sc. qu'il crût , car tel
eft l'homme , que tout ce qu'il ne peut
asoir 5 c'eft cela même qui eJft le bon-
li£ur qu'il cherche.
Mais l'éclat durang, dés tiires 8C:
dëela naiflance , dKîipe bientôt cette •
ifaiée iriulion. On a beau monter, 6C:.
.êto/pprté 'futies^aîles de la fortunes
Malheur des Grands, 6cc. 85'
aii-deiras de tous les autres , la félicité
fe trouve toujours placée plus haut que
nous mêmes : plus on s'élève , plus
elle femble s'éloigner de nous. Les
chagrins 6c les noirs fbucis montent^.
6c vont s'afleorr même avec le Souve-
rain fur le Trône : le diadème qui
orne le front augulle des Rois , n'eft
fouvent armé que de pointes ÔC d'épi-
nes qui le déchirent ; 5c les Grands j
loin d'être les plus heureux , ne font
que les trides témoins qu'on ne peut
Têtre fans la vertu fur la terre.
Ileil vrai même que l'élévation nous
rend plus malheureux , fi elle ne nous
rend pas plus fidèles à Dieu. Les paf-
fions y font plus violentes ; l'ennui plus <
à charge ; la bizarrerie plus inévita-
ble : c*eft à dire , le vuide de tout ce
qui n'efl pas Dieu , plus fenfîble &-
plus affreux..
E s pafTions plus violentes. Oui , ^-'^
Sire , les paflîons font tous nos mal-^^^^^^v
heurs ; & tout ce qui les flatte 8c les
irrite,augmente nos peines. Un Grand
voluptueux eil plus malheureux §c
pius à plaindre que le dernier ÔC le '
plus vil d'entre le peuple : tout lui aide
à afïbuvir fon injufte paûîon > ôc towit
ÏÏ6 ni. DiM. DE Carême*
ce qui l'afTouvit, la réveille : fesdefîrs
croiffent avec fes crimes ; plus il fe •
livre à Tes penchans , plus il en de-
vient le jouet 6c Tefclave : fa profpé"
rite rallume fans cefle le feu honteux
qui le dévore , & le fait renaître de :
fes propres cendres : les fens deve-
nus fes maîtres , deviennent fes tyrans t
îï fe raflaiie de plaifirs , ÔC fa fatiété
fait elle-même fon fupplice ; & les
plaifirs enfantent eux-mêmes, dit
TEfprit de Dieu , le ver qui le ronge
Johi 24.ôcqui le dévore : Et dulcedo illiusver'
(^®* mis. Ainfi fes inquiétudes naiiTent de
fon abondance : fes defirs toujours
fatisfaits , ne lui lailfant plus rien à
defirer , le laiffent triftement avec
lui-même : l'excès de fes plaifirs en
augmente de jour en jour le vuide; ÔC
plus il en goûte , plus ils deviennent
trilles ÔC amers. ,
Son rang même , fes bienféances j
fes devoirs , tout empoifonne fa paf-
iion criminelle. Son rang ; plus il efl
élevé 5 plus il en coûte pour la dérober
aux regards Si à la cenfure publique 3
^s bienféances; plus il en efl jaloux ^
plus les allarmes qu'une indifcrétioo
jne trahiffe fes précautions & fes me-
fisresj font cruelles i fes devoirs: parc^.
I
Malheur DES Grands 5 Stc,
qu*il les faut toujours prendre fur fes
plaifirs.
Non , Sire , lé Trône où vous êtes
alTis , a autour de lui encore plus de
remparts qui le défendent contre la
volupté , que d'attraits qui l'y enga-
gent : fi tout dreflê des pièges à la
jçunefle des Rofs ,. tout leur tend le&
mains aufli pour leur aider à les éviter»
Donnez-vous à vos peuples à qui vous
vous devez ; le poifon de la volupté ne
trouvera gueres de moment pour in-
feâ:er votre cœur : elle n'habite ÔC ne
fe plaît qu'avec ToiAveté & l'indolen-^
ce. Que les foins de la Royauté en de-
viennent pour vous les plus chers plai-
firs ; ce n'efl pas régner , de ne vivre
que pour foi- même. Les Rois ne font
que les conducteurs des peuples : ib
ont à la vérité ce nom & ce droit par-
la naiflance ; mais ils ne le mérirenî
que par les foins & l'application. Auffî
les règnes oiliVs forment un vuide
obfcur dans nos annalef^elles n'ont pas
daigné même compter les années de
îavie des Rois fainéans ; il fembîe que
n'ayant pas régné eux-mêmes , ils n'ont
pas vécu : c'eft un chaos qu'on a de la
fçine à écîaircir encore aujourd'hui ;
loin de décorer nos hifloires , ils ne
?B III. DiM. DE Carême.
font tfae les obfcurcir & les embarraf^
fer ; & ils font plus connus par les
grands hommes qui ont vécu fous leur
règne , que par eux-mêmes.
Je ne parle pas ici de toutes les au-
tres paflions 5 qui plus violentes dans
l'élévation , font fur le cœur des
Grands des plaies plus douîoureufes 6c
plus profondes. L'ambition y efl: plus
démefurée. Hélas ! le citoyen obfcur
vit content dans la médiocrité de fa
dediaée : héritier de la fortune de fes
pères , il fe borne à leur nom 5c à leur
état ; il regarde fans envie , ce qu'il ne
pourroit fouhaiter fans extravagance ;
tous fes defîrs font renfermés dans ce
qu'il pofiede ; 6c s'il forme quelque-
fois des projets d'élévation, ce font de
ces chimères agréables qui amufent le
loifir d'un efprit oifeux ^ mais non pas
des inquiétudes qui le dévorent.
Au Grand , rien ne fuffit , parce "
qu'il peut prétendre à tout : fes defjrs
croifTent avec fa fortune ; tout ce qui '■
QÛ plus élevé que lui , le fait paroître
petit à fes yeux ; il eft moins flatté de
îaifler tant d*hommes derrière lui, que •
rongé d'en avoir encore qui le préce-
éent; il ne croit rien avoir , s'il n'^ ^
tout ; fon ame eft toujours aride és^
Malheur des Grands , Sec. S5
altérée ; 6c il ne jouit de rien 5 fi ce
n'eft de fes malheurs ÔC de fes inquié-
tudes.
Ce n'eft pas tout. De l'ambition ^
nailTent les jaloufies dévorantes ; ÔC
cette pafîlon fi balTe & fi lâche , eft
pourtant le vice & le malheur des
Grands. Jaloux de la réputation d'au-
trui j la gloire qui ne leur appartient
pas f eft pour eux comme une tache
qui les flétrit ÔC qui les déshonore :
jaloux des grâces qui tombent à côté,
d'eux 5 il fembie qu'on leur arrache
celles qui fe répandent fur les autres :
jaloux de la faveur , on eft digne de
leur haine & de leur mépris , dès qu'on
l'eft de l'amitié ÔC de la confiance du
Maître: jaloux même des fuccès glo^
rieux à l'Etat , la joie publique eft fou-
vent pour eux un chagrin fecret ÔC
domeftique ; les viéloires remportées
par leurs rivaux fur les ennemis , leur
font plus ameres qu'à nos ennemis
mêmes ; leur maifon , comme celle
d'Aman , eft une maifon de deuil ÔC
de triftelfe , tandis que Mardochée
triomphe , ôc reçoit au milieu de la
capitale les acclamations publiques;.
6c peu contens d'être fenfibles à la
gloire des événemens j ils cherchent à
^o in. Dim: de Carême,
fe confoler en s'efforçant de les
obfcurcir par la malignité des ré-
flexions 5c des cenfures. Enfin , cette
injufte pafTiOD tourne toute en amer-
tume ; & on trouve le fecret de n'être
jamais heureux , foit par Tes propres
maux , foit par les biens qui arrivent
aux autres.
Enfin, parcourez toutes les pafTions;
c*eft fur les cœurs des Grands qui/
vivent dans l'oubli de Dieu , qu'elles
exercent un empire plus trifte & plus
tyrannique. leurs difgraces font plus
accablantes ; plus l'orgueil efl excef-
iîf 5 plus l'humiliation efl amere : leur
haine plus violente , comme une
faulTe gloire, les rend plus vains; le
mépris aufTi les trouve plus furieux
& plus inexorables : leurs craintes plus
excefîives ; ext^mpts de maux réels ,
ils s'en forment même de chimériques,
6c la feuille que le vent agite , eft'
comme la montagne qui va s'écrouler
fur eux : leu?s infirmités plus affli-
geantes ; plus on tient à la vie , plus
tout ce qui la menace , nous allarme.
Accoutumés à tout ce que lés fens
offrent de plus doux 5c de plus riant ,
la plus légère douleur déconcerte tou-
teJeur félicité , ÔC leur eft infoutena-
Malheur des Grands , êcc. ^r
ble : ils ne favent ufer fagement , ni de
la maladie 5 ni de la fanté ; ni des biens^ -
ni des maux inféparables de la condi-
tion humaine : les plaifirs abrègent
leurs jours ; 6c les chagrins qui fuivent
toujours les plaifirs , précipitent le^
refte de leurs années. La fanté déjà
ruinée par l'intempérance , fuccombe
fous la multiplicité des remèdes : l'ex-
cès des attentions achevé ce que
n'avoit pu faire l'excès des plaifirs ; ÔC
s'ils fe font défendus les excès , la mol-
lelTe 6c l'oifiveté feules déviennent
pour eux une efpece de maladie 6c de
langueur qui épuifent toutes les pré-
cautions de l'art , 6c que les précau-
tions ufent 6c épuifent elles-mêmes.
Enfin leurs affujettifTemens plus trif-
tes : élevés à vivre d'humeur 6c de
caprice , tout ce qui les gêne 6c les
contraint, les accable :loin delà Cour^.
ils croient vivre dans un trifle exil ;
fous lés yeux du Maître , ils fe plai-
gnent fans cefTe de raifujettifTement
des devoirs 6c de la contrainte des
bienféances : ils ne peuvent porter ni
la tranquillité d'une condition privée ,
ni la dignité d'une vie publique : le
repos leur efl aufli infupportable que
î'agi^tation, ou plutôt ils font partout
■fi lîl. DiM. DE Carême,
à charge à eux-mêmes. Tout eft un
joug pefant , à quiconque veut vivre
fans joug 6c fans règle.
Non , mes Frères , un Grand dans
le crime , eft plus malheureux qu*un
autre pécheur : la profpérité l'endur-
cit y pour alnfi dire , au plaifir , 6c ne
lui la^fle de fenfibilité que pour la pei-
ne. Vous l'avez voulu , ô mon Dieu !
que l'élévation qu'on regarde comme
une reffource pour les Grands qui
vivent dans l'oubli de vos ccmmande-
mens , foit elle-même leur ennui 6c
leur fupplice^
II. J E dis leur ennui ; 6c c'eft une
RÉFtEx. féconde léflexion que me-fourniî le
malheur de.^ Grands qui ont abardon-
né Dieu : non feulement les pafîîons
font plus violentes dans cet étF.t fi heu-
reux aux yeux du monde , mais l'ennui
y devient plus infupporcable.
Oui , mes Frères ^ l'ennui qui paroit
devoir être le partage du peuple , ne
s'eft; pourtant ^ ce femble ^ réfugié que
che2 les Grands ; c'eft comme leur om-
bre qui les fait par- tout. Les piaifirs
prefque tous épuifés pour eux, ne leur
oâffent plus qu'une trifte uniformité
qui endort ou qui lafle ; ils ont beau
Malheur des Grands , 8cc. 93
les diverfîfier , ils diveriifient leur en-
nui. En vain ils le font honneur de
paroître à la tête de toutes les réjouif-
fances publiques : c'efl une vivacité
d'oilentation ; le cœur n'y prend pref'
que plus de part : le long ufage des
plaifîrs les leur a rendus inutiles : ce
font des reiTources ufées , qui fe nui-
fent chaque jour à elles- mênies. Sem-
blables à un malade à qui une longue
langueur a rendu tous les mets infipi-
des , ils eiîaient de tout, 8c rien ne les
pique 6c ne les réveille ; 5c un dv4goût
affreux , dit Job , fuccede à l'iniiant
à une vaine efpérance de plaifir , dont
leur ame s'étoit d'abord flattée ; Et Job, ir|
fpes illorum abominano animœ, ^^*
Toute leur vie n'efl qu'une précau-
tion pénible contre l'ennui ; & toute
leur vie n'efl: qu'un ennui pénible elle-
même : ils l'avancent même , en fè
hâtant de multiplier les plai/îrs : tout
efl déjà ufé pour eux à l'entrée même
de la vie ; ÔC leurs premières années
éprouvent déjà les dégoûts Sc l'iniî-
pidité que la lalTitude 5c le long
ufage de tout femblent attacher à la
vieillefle.
îl faut au Julie moins de pîaifirs , êC
Tes jours font plus heureux ôC plus
Il î. D I M. D E C A R E M E»
tranquilles. Tout eil délalTement pour
un cœur innocent. Les plaifirs doux
6c permis qu'offre la nature , fades Bc
ennuyeux pour l'homme diflblu . con-
fervent tout leur agrément pour l'hom-
me de bien. Il n'y a même que les
plai(îrs innocens qui laifTent une joie
pure dans l'ame : tout ce qui la fouille,
l'attrifte, ôcla noircit. Les faintes fami-
liarités & les jeux chaftes 6c pudiques
d'Ifaac 6c de Rebecca dans la Cour du
Roi de Gerare , fuffifoient à ces âmes
pures ÔC fidelles : c'étoit un plaifir affez
vif pour David , de chanter fur laiyre
les louaftges du Seigneur , ou de dan-
fer avec le refte de fon peuple autour
de l'Arche fainte : les feftins d'hofpi-
talité faifoient les fêtes les plus agréa-
bles des premiers Patriarches , ÔC la
brebis la plus grafle fuffifoit pour les
délices de ces tables innocentes.
Il faut moins de joie au-dehors à
celui qui la porte déjà dans le cœur ;
elle fe répand delà fur les objets les
plus indifferens. Mais fi vous ne por-
tez pas au- dedans la fource de la joie
véritable , c'eft-à-dire la paix de la
confcience , ôc l'innocence du cœur,
en vain vous la cherchez au- dehors :
yalTemblez tous les amufemens autour
Mâlkeur des Grands , ê<c. 95
de vous -, il s'y répandra toujours da
fond de votre ame une amertume qui
les empoifonnera : rafinez fur tous les
plaifirs , fubtilifez-IeSj mettezles dans
le creufet ; de toutes ces transforma-
tions , il n'en fortira 6c réfultera
jamais que l'ennui.
Grand Dieu / ce qui nous éloigne
de vous , eft cela même qui devroit
nous rappeller à vous. Plus la profpérité
multiplie nos plaifirs , plus elle nous
en détrompe ; ÔC les Grands font moins
excufables ÔC plus malheureux de ne
pass'aitacheràvous,ômonDieu ! par-
ce qu'ils Tentent mieux 5c plus fouvent
le vuide de tout ce qui n'eft pas vous.
C/T non feulement ils font plus mal- ni,
heureux par l'ennui qui les pourfuit Reflex-;
par- tout , mais encore par la bizarre-
rie ÔC le fond d'humeur ÔC de caprice
qui en font inféparables. Lorfqu'il fera
raflafié , dit Job , fon efprit paroîtra
trille ÔC agité ; l'inégalité de fon hu-
meur imitera l'inconilaiice des flots
de la mer ; 6c les penfées les plus noi-
res 5c les plus fombres viendront fon-
dre dans fon ame : Cumfatiatusfueritj Job, iq;
arclahitur y œfluahit ^ & omnis dolor^^'
drruetfuper cum.
■i)6 II I. D I M. DE Carême.'
Telle eftjSiRE, la deflinée des
Princes 5c des Grands qui vivent dans
l'oubli de Dieu , 8c qui n'ufent de
leur profpérité que pour la félicité de
leurs fens. Ennuyés bientôt de tout ,
tout leur eft à charge -, 6c ils font à
charge à eux-mêmes. Leurs projets fe
détruifent les uns les autres ; 5c il n'en
refaite jamais qu'une incertitude unî-
verfeile que le caprice forme , 6c que
lui feul peut fixer. Leurs ordres ne
font jamais un moment après les inter-
prêtes fûrs de leur volonté : on déplaît
en obéiflant : il faut les deviner , 6C
cependant ils font une énigme inex-
plicable à eux-mêmes. Toutes leurs
démarches , dit 1 Efprit faint , font
vagues , incertaines , incompréhenfî-
prov.7.bles : Vagifiintgreffusejus^ & inve/ti-
^. gabiles. On a beau s'attacher à les fui-
vre ; on les perd de vue à chaque
inftant : ils changent de fentier ; on
s'égare avec eux , ÔC on les manque
encore : ils fe laiTeat des hommages
qu'on leur rend , Sc ils font piqués de
ceux qu'on leur refufe : les ferviteurs
les plus (ideles les importunent par
leur fincérité , 6c ne réufTifTent pas
mieux à plaire par leur complaifance.
Maîtres bizarres 5c incommodes , tout
ce
Malheur des Grands, Scc. 97
ce qui les environne , porte le poids de
leurs caprices &C de leur humeur , ôC
ils ne peuvent les porter eux-mêmes :
ils ne femblent nés que pour leur mal-
heur 5 & pour le malheur de ceux qui
les fervent.
Voyez Saûl au milieu de Tes pros-
pérités 5c de fa gloire. Quel homme
auroit dû paffer des jours plus agréa-;
blés 6c plus heureux ? D'une fortune
obfcure 5c privée il s'etoit vu élever
fur le Trône : fon règne avoit com-
mencé par des vi<^oires : un fils digne
de lui fuccéder , fembloit afTurer la
Couronne à fa race : toutes les Tribus
foumifes fourniffoient à fa magnifi-
cence 6c à fes plaifirs , 6c lui obéif-
foient comme un feul homme : que
lui manquoit - il pour être heureux , fî
Ton pouvoit l'être fans Dieu ?
Il perd la crainte du Seigneur ^ 5c
avec elle , il perd fon repos & tout le
bonheur de fa vie. Livré à un efprit
mauvais , ÔC aux vapeurs noires ôl bi-
zarres qui lagitent , on ne le connoît
plus, 6c il ne fe connoît plus lui-mê-
me. La harpe d'unberger , loind'amu-
fer fa triftefle , redouble fa fureur. Ses
louanges & fes viftoires chantées par
les filles de Juda , font pour lui corn*
Pmt CaHms. E
^S lïï, DlM. DE CaREMÉ,
me des cenfures §C des opprobres : iî
fe dérobe aux hommages publics , 6C
si ne peut fe dérober à lui - même*
David lui déplaît, en paroiflant aux
pieds de Ton Trône , 6cs*en éloignant,
il eft encore plus fur de déplaire : tou-
ché de fa fidélité , il fait fon éloge : 6C
fe reconnoît moins julle ÔC moins in-
nocent que lui ; 6c le lendemain il lui
dreiTe des embûches pour s'en affurer
& lui faire perdre la vie. La tendrelTe
de fon propre fils l'ennuie ÔC lui de-:
vient fufpe61:e. Tous les Courtifan^
cherchent , étudient ce qui pourroit
adoucir fo-n humeur fombre & bizar-
re ; foins inutiles ! lui-même ne le fait
pas. Il a négligé Samuel , pendant la
vie de ce Prophète , & iî s'avife de le
rappelier du tombeau 6c de le conful-
ter après fa mort : il ne croit plus en
Dieu , ôc il eft aflez crédule pour aller
interroger les démons. Il eft impie ,
6c il eft fuperftitieux ; deftin > pour le
dire ici en paflant , aflez ordinaire aux
incrédules. Ils traitent d'impofteurs
les Samuels , les Prophètes autrefois
envoyés de Dieu : ils regardent com-
me une force d'efprit de méprifer ces
Interprêtes refpeàables des confeils
éternels , ôc de fe mocquer des pré-
Malheur dhs Grands, 8cc. 99
dirions que les événemens ont tou-
tes juftifiées : ils refufent au Très-
Haut la connoiflance de l'avenir , & le
pouvoir d'en favorifer fes ferviteurs
Hdeles ; 6c ils ont la foiblefTe populaire
d'aller confulter une Pythonifle.
Oui 5 mes Frères , le malheureux
état des Grands dans le crime, eft une
preuve éclatante , qu'un Dieu préfide
aux chofes humaines. Si les hommes
ennemis de Dieu, pouvoient être heu»
reux , ils le feroient du moins fur le
Trône ; mais quiconque , dit un Roi
lui-même , quiconque, fût- il maître
de l'univers , s'éloigne de la règle ÔC
de la fagefle , il s'éloigne du feul bon-j
heur où l'homme puifle afpirer fur la
terre : Sapientiam cnim & difciplinam
qui abjicit , infellx eft»
Plus même vous êtes élevé , plus
vous êtes malheureux : comme rien ne
vous contraint , rien auflî ne vous fixe ;
moins vous dépendez des autres , plus
vous êtes livré à vous-même : vos ca-
prices naiflent de votre indépendan-
ce ; vous retournez fur vous votre
autorité : vos partions ayant eflayé de
tout , 6c tout ufé , il ne vous refte plus
qu'à vous dévorer vous-même : vos
bizarreries deviennent l'unique ref-
E ij
ÎOO ï IL D î M. DE C A R E M E.
fource de votre ennui 6c de votre fa-
tiété ; n3 pouvant plus varier les plai-
flrs déjà tous épuifés , vous ne fauriez
plus trouver de variété que dans les
inégalités éternelles de votre humeur;
& vous vous en prenez fans cefle à
vous 5 du vuide que tout ce qui vous
environne laifle audedans de vous-,
même.
Et ce n'eftpas ici une de ces vaines
images que le difcours embellit , ÔC
où l'on fupplée par les ornemens à la
reffemblance. Approchez des Grands;
jettez les yeux vous-même fur une de
ces perfonnes qui ont vieilli dans les
paflîons , ÔC que le long ufage des plai-
firs ont rendu également inhabiles , 6c
au vice , 5c à la vertu. Quel nuage
éternel fur l'humeur ! quel fond de
chagrin 6cde caprice! Rien ne plaît,
parce qu'on ne fauroit plus foi-même
fe plaire : on fe venge fur tout ce qui
nous environne , des chagrins fecrets
qui nous déchirent ; il femble qu'on
fait un crime au refte des hommes de
l'impuiflance où Ton eft d'être encore
auHi criminel qu'eux : on leur repro-
che en fecret tout ce qu'on ne peut
plus fe permettre à foi- même ; 5c l'on
tncCl iiumeur à la place des plaiiirs.
Malheur des Grands, &c. ioi
Non , mes Frères , tournez- vous de
tous les côtés , les Grands féparés de
Dieu, ne font plus que les triiles jouets
de leurs pallions , de leurs caprices 9
des événemens , & de toutes les cho-
fes humaines. Eux feuîs Tentent le
malheur d'une ame livrée à elle-mê-
me , en qui toutes les reifources des
fens 6c des plaifirs ne laiflent qu'un
vuide affreux; &. à qui le monde en-
tier , avec tout cet amas de gloire 6C
de fumée qui l'environne , devient
inutile , fi Dieu n'eft point avec elle:
ils font comme les témoins illuflres
de rinuîfiîiance des créatures , & de
la néceffité d'un Dieu &: d'une Reli-
gion f.ir la terre. Eux feuls prouvent
au rede des homm.es , qu'il ne faut
attendre de bonheur ici-bas que dans
la vertu 6c dans l'innocence ; que tout
ce qui augmente nos pafîîons , multi-
plie nos peines ; que les heureux du
mot^de n'en font, pourainfî dire, que
les premiers martyrs, 6c que Dieu feu!
peut fufïire à un cœur qui n'ell fait
que pour lui feuL
Dieu de mes pères , difoit autrefois
un jeune Roi , 6c qui dès l'enfance
comme vous , Sire , étoit monté fur
le Trône 5 Dieu de mes pères j vous
Eiij
ioz IIÎ. DiM. DE Carême.
m'avez établi Prince fur votre peuple
6c Juge des enfans d'ifraël : au fortir
prefque du berceau , vous m'avez pla-
cé fur le Trône ; 6c en un âge où l'on
ignore encore l'art de fe conduire foi-
même , vous m'avez choifi pour être
gap,^,'j,condu^euï d'un grand peuple : Dèus
patrum meorum , tu eligijli meRegem
populo tuo. Vous m'avez environné
de gloire , de profpérité 6c d'abon-
dance ; mais la magnificence de vos
dons fera elle-même la fource de mes
malheurs 5c de mes peines , fi vous n'y
ajoutez l'amour de vos commande-
mens 6c la fagefle. Envoyez-la- m^oi du
haut des Cieux , où elle ailifte fans
celle à vos côtés : c'ell elle qui préfide
aux bons confeils, ÔC qui donnera à
ma jeunelTe toute la prudence des
Vieillards , 5c toute la majeflé des
Rois mes ancêtres ; elle feule m'adou-
cira les "foucis de l'autorité êc le poids
Ibid, f. de ma Couronne : Ut me eu m fit & nu-
•. cum laboret ; elle feule me fera palier
des jours heureux , 5c me foutiendra
dans les ennuis & les penfées inquiet-
tes que la Royauté traîne après elle :
I^p3 «.Et erit allocutio cogitationis j & tœdii
mei. Je ne trouverai de repos au mi-
lieu même de la magnificence de mes
Malheur des Grands, Sec. 103
Palais 5 6c parmi les hommages qu'on
m'y rendra , qu'avec elle : Intrans in jn^^f^
domum mcam , conqulefcam cum illâ, ^(j.
Les plaiiirs finilFent par l'amertume ,
le Trône lui-même, grand Dieu ! (i
vous n'y êtes aiïîs avec le Souverain ,
€(t le iiege des noirs foucis. Mais votre
crainte 6^ la fageiîe ne laiflent point de
regret après elles : on ne s'ennuie point
de les polTéder *, 6c la joie même ÔC la
paix ne fe trouvent jamais qu'avec
elles : Nec en'im hahct amaritudlneni ji^i^,
£onvcrfatio illius , ncc tœdium^fcd l^ti-
îiam & gaudium»
Heureux donc le Prince , ô mon
Dieu ! qui ne croit commencer à ré-
gner , que lorfqu'il commence à vous
craindre ; qui ne fe propole d'aller à la
gloire que par la vertu ; 5c qui regarde
comme un malheur de commander
aux autres , s'il ne vous eflpas fournis
lui-même !
Donnez donc , grand Dieu ! votre
fagefle ÔC votre jugement au Roi , ÔC
votre juflice à cet Entant de tant de
Rois. Vous qui êtes le fecours du pu- pr ^j,
pille , rendez- lui par l'abondance de j, '
vos bénédiftions, ce que vous lui avess
ôté , en le privant des exemples d'un
père pieux, 6c des leçons d'gn augufte
E iv
104 lïl' Dr M. DE Carême.
Bifaïeul : réparez Tes pertes par Tac-
croifTement de vos grâces ôc de vos
bienfaits : vous feul , grand Dieu 1
teoez-lui lien de tout ce qui lui man-
que : regardez avec des yeux paternels
cet En ont augufte que vous avez ,
pour ainfî dire , iaifle feul fur la terre ,
^ dont vous êtes par conféquent le
premier auteur 6c le père : que fon
enfance , qui le rend û cher à la na-
tion 5 réveille les entrailles de votre
miféricorde & de votre tendrelTe : en-
vironnez fa jcuneife des fecours fin-
guîiers de votre proteéèion : la foi-
hleUe de fon âge , ôc les grâces qui
brillent déjà dans fes premières années,
nous arrachent tous les jours des lar-
mes de crainte 6c de tendrelTe ; raiTu-
rez nos frayeurs , en éloignant de lui
tous les périls qui pourroient menacer
fa vie , ^ récompenfez notre tendre!^
fe 5 en le rendant lui-même tendre êc
humain pour fes peuples : rendez- le
heureux en lui confervant votre crainte
qui feule fait îe bonheur des peuples
éc des Rois : aflurez la félicfté de fon
règne par la bonté de fon cœur & par
l'innocence de fa vie : que votre loi
fainte foit écrite au fond de fon ame
Se autour de fon diadème , pour lui
Malheur DES Grands, 8rc. 105
en adoucir le poids : qu'il ne fente les
foucis de la Royauté, que par fa fenfî-
bilité aux miferes publiques ; & que
fa piété , plus encore que fa puiflance
ôc fesvi(àoires, fafletoutfon bonheiï|
& le nôtre. AinfiJ^it-iU
I0<5
SERMON
POUR
LE QUATRIEME DIMANCHE
DE CAREME.
Sut Vhumanité des Grands envers
le Peuple,
Cùm fublevafTet oculos Jefus ,& vîdifleti
quia multitudo maxima venir ad eum.
Jefus ayant levé les yeiix^Sf voyant une gran-
de foule de peuple qui venoit à lui, Jean } 6, j.
S
I RE ,
CE n*eft pas la toute- pu î (Tan ce de
Jefus-Chrift & la merveille des
pains multipliés par fa feule parole ^
qui doivent aujourd'hui nous toucher
ôc nous furprendre. Celui par qui tout
éiQÏt fait 9 pouvoit tout fans doute fur
Humanité DES Grands, Sec. 107
des créatures qui font fon ouvrage ;
& ce qui frappe le plus les fens dans
ce prodige , n'eft pas ce que je choifis
aujourd'hui pour nous confoler ôC
nous inftruire.
C'eft fon humanité envers les peu*
pies. Il voit une multitude errante ,
ÔC affamée aux pieds de la montagne 9
& fes entrailles fe troublent ; 6c fa pitié
fe réveille ; 6c il ne peut refufer aux
befoins de ces infortunés , non feule-
ment fon fecours, mais encore facom-
palTion & fa tendreffe : Vidit turbam ^^«&
multam , & mifertus ejl eis, '^* ^^^
Par tout il laiffe échapper des traîtj
d'humanité pour les peuples. A la vue
des malheurs qui menacent Jérufalem ^
il foulage fa douleur par fa pitié ôc par
fes larmes.
Quand deux Difciples veulent faire
defcendre le feu du Ciel fur une ville
de Samarie , fon humanité s'iniérefle
pour ce peuple contre leur zèle-, & il
leur reproche d*ignorer encore Tefprit
de douceur 6c de chariié , dont ils vont
être les miniftres.
Si les Apôtres éloignent rudement
une foule d'enfans qui s'empreffent
autour de lui , fa bonté s'oiFenfe çiï'on
veuille l'empê«her 4'être acceifible j S
Evj
iro^ IV^. DlM. DE Car EMET,
plus un teCpeâ: mal entendu éloigne de
lui les foibles ôc les petits , plus fa clé-
mence ÔC fon alFabiiité s'en, rap-
prochent.
Grande leçon d'humanité envers les
peuples y que Je fus Chrift donne au-
jourd'hui aux Princes ôc aux Grands,
Is ne font grands que pour les autres
Hommes ; Se ils ne jouiffentproprement
de. leur grandeur ,. qu'autant qu'ils la
amendent utile aux autres hommes.
Ce ft-à dire l'huryxani té envers les pei
pies, eft le premier devoir des Grands ;.
^l'humanité envers les peuples , ell:
Tufageleplus délicieux, de la grandeur.,.
SIRE^
^ X Oute puiflance vient de Dieu ; &
i'.AaTîE. tout ce qui vient de Dieu , n'eft; établi;
que pour l'utilité des hommes. Les
Grands feroient inutiles fur la terre,,
s'il ne s'y trouvoit des pauvres ÔC des
malheureux. Ils ne doivent leur éléva-
tion qu'aux befoins publics ; 6c loim
^e les peuples foient faits pour eux 9,
iis ne font eux-mêmes tout ce qu'ils
ffint y que pour les peuples.
Quelle afFreufe Providence , iî toute
a'étoit gi%
Humanité des Grande, Stc. ro^
cée fur la terre, que pour fervir aux
plaifirs d'un petit nombre d'heureux
qui l'habitent, & qui fouvent ne con-
noiflent pas le Dieu qui les comble de
bienfaits !:
Si Dieu en élevé quelques- uns , c'eft
donc pour être l'appui & la relFource
des autres. Il fe décharge fur eux du
foin des foibles ôc des petits : c'eftpar-
là qu'ils entrent dans l'ordre des con-
feils de la Sageffe éternelle. Tout ce
qu'il y a de réel dans leur grandeur y
c'eft Tufage qu'ils en doivent faire pour
ceux qui foufFrent ; c'eft le feul trait de
diftinàion que Dieu ait mis en eux :;
ils ne font que les miniftres de fa bonté
& de fa providence ; ÔC ils perdent le
droit ôc le titre qui les fait Grands ^
dès qu'ils ne veulent l'être que pour
eux-mêmes.
L'humanité envers les peuples eÛ:
donc le premier devoir des Grands ;
& rhumanité renferme l'atTabilité , la
prote6tion , 8c les largelfes.
Je dis l'atfabilité. Oui , Sire ^ oib
peut dire que la fierté, qui d'ordinaire
t. eil le vice des Grandsjne devroit être
que eoniîme la trifte reflburce de la
îoture 6c de Fôbfcurité. Il parokroit:
^imn glus gardoanaWe à. ceux ^ui jaaif|f
110 IV. DiM. DE Carême,
fent , pour aini rfire , dans la boue , de
s'enfler , de fe hauffer , ôc de tâcher de
fe mettre par l'enflure fecrette de l'or-
gueil , de niveau avec ceux au de flous
defquels ils fe trouvent fi fort par la
naiflance. Rien ne révolte plus les
hommes d'une naiflance obfcure ôc
vulgaire, que la diftance énorme que le
hazard a mife entr'eux & les Grands ;
ils peuvent toujours fe flatter de cette
vaine perfuafion , que la nature a été
injufte de les faire naître dans l'obA
curité , tandis qu'elle a réfervé l'éclat
du fang 6c des titres pour tant d'autres
dont le nom fait tout le mérite : plus
ils fe trouvent bas , moins ils fe croient
à leur place. Aufli l'infolence & la hau-
teur deviennent fouvent le partage de
la plus vile populace ; & plus d'une
fois les anciens règnes de la Monar-
chie l'ont vue fe foulever , vouloir
fecouer le joug des Nobles ÔC des
Grands , 5c conjurer leur extinâion ÔC
leur ruine entière.
Les Grands au contraire , placés fi
haut par la nature , ne fauroient plus
trouver de gloire qu'en s'abaiflant. Ils
n'ont plus de diftinâ:ion à fe donner
du côté du rang & de la naiifance ;
ils ne peuvent $*eo dgaocr que parTaQ
HuMÂNîT^ DES Grands , &c. iir
fabilité ; 6c s'il eft encore un orgueil
qui puilFe leur être permis , c'eft celui
de Ce rendre humains ÔC accefïïbles.
Il eft vrai même que l'affabilité eft
comme le caraélere inféparable ÔC la
plus fûre marque de la grandeur. Les
defcendans de ces races illuftres 6c an-
ciennes, auxquels perfonne ne difpute
la fiipériorité du nom 6c l'antiquité de
Torigine , ne portent point fur leur
front l'orgueil de leur naiflance : ils
vous -la laifleroient ignorer , (î elle
pouvoit être ignorée : les monumens
publics en parlent , fans qu'ils en
parlent eux mêmes. On ne fent leur
élévation , que par une noble {implici-
te : ils fe rendent encore plus reipec-
tables , en ne fouiFrant qu'avec peine le
refpe£^ qui leur eft dû ; & parmi tant
de titres qui les diftinguent, la poli-
tefle & Taffabilité font la feule diftinc-
tion qu'ils affectent. Ceux au contraire
qui fe parent d'une antiquité douteu-
fe 5 & à qui l'on difpute tout bas Vccht
& les prééminences de leurs ancêtres,
craignent toujours qu'on n*ignore la
grandeur de leur race , l'ont fans cefle
dans la bouche , croient en alTurer la
vérité par une affe£lation d'orgueil ÔC
de hauteur , mettent la fierté à la plac«
IÎ2 ÎV. DiM. DE Carême.
des litres ; ôc en exigeant au-delà de
ce qui leur eu dû , ils font qu'on leur
con telle mênnie ce qu'on devroit leur
rendre.
En effet , on eft moins touché de foa
élévation , quand on eft né pour être
Grand. Quiconque eft ébloui de ce de-
gré éminent où la naiflance ÔC la for-
tune Font placé , c'eft-à-dire , qu'il
n'étoit pas fait pour monter fi haut :
les plus hautes places font toujours
au-deftbus des grandes âmes ; rien ne
les enfle 6c ne les éblouit , parce que
rien n'eft plus haut qu'elles.
La fierté prend donc fa fource dans
la médiocrité , ou n'eft plus qu'une ru-
fe qui la cache : c'eft une preuve cer-
taine , qu'on perdroit en fe montrant
de trop près. On couvre de la fierté,des
défauts 6c des foibleftes , que la fierté
trahit ÔC manifefte elle même : on fait
de l'orgueil , le fupplément , fi j'ofe
parler ai nfi , du mérite *, ôc on ne fait
pas que le mérite n'a rien qui lui
reflemble moins que l'orgueil.
Aufli les plus grands hommes, SiRE,'
5c les plus grands Rois ont toujours
été les plus affables. Une fjmple fem-r
me , Thécuite, venoit expofer fîmpîe-;
ii^ûtàDaYidfes chagrins dameûigues?
Humanité des Grands, 5rc. 113
5c fi l'éclat du Trône étoit tempéré par
l'atFabilité du Souverain , l'affabilité
du Souverain relevoit l'éclat ôc la ma-
jeflé du Trône.
Nos Rois , Sire , ne perdent rien
à fe rendre acceffibles : l'amour des
peuples leur répond du refpefl: qui
leur eft dû. Le Trône n'eil élevé que
pour être 1 afyle de ceux qui viennent
implorer votre juTcice ou votre clé-
mence : plus vous en rendez l'accès
facile à vos fujets , plus vous en aug-
mentez l'éclat 5c la majeflé. Et n'efl-
il pas juile que la nation de l'univers ,
qui aime le plus Tes m.aîtres , ait auffî
plus de droit de les approcher ? Mon-
trez , Sire , à vos peuples tout ce que
le Ciel a mis en vous de dons ôc de
talens aimables ; laiffez-leur voir de
près le bonheur qu'ils attendent de
votre règne ; les charmes &C la majeflé
de votre Perfonne , la bonté & la droi-
ture de votre cœur, affureront toujours
plus les hommages qui font dus à
votre rang , que votre autorité 5c votre
puiffance.
Ces Princes invifibles & efféminés,
ces Aftuérus devant lefquels c'étoit un
crime digne de mort , pour Efther
même , d'ofer paroître fans ordre j ôC
ÎI4 IV. DiM. DE Carême.
dont la feule préfence gfaçoit le fang
dans les veines des fupplians , n'é-
toient plus, vus de près , que de foi-
blés idoles , fans ame , fans vie , fans
courage , fans vertu ; livrés dans le
fond de leurs Palais à de vils efcîayes ;
féparés de tout commerce , comme
s'ils n'avoient pas été dignes de ie
montrer aux hommes , ou que des
hommes faits comme eux n'euflent
pas été dignes de les voir : l'obfcurité
5c la folitude en faifoient toute la
lîiajeflé.
Il y a dans l'affabilité une forte de
confiance en foi-même , qui iled bien
aux Grands ; qui fait qu'on ne craint
point de s'avilir en s'abailD^nt, ôc qui
eil comme une efpece de valeur êC
de courage pacifique : c'efl être foi-
ble 6c timide , que d'être inacceiTible
6c fier.
D'ailleurs , Sire , en quoi les Prin-
ces 6c les Grands qui n'offrent jamais
aux peuples qu'un front févere & dé-
daigneux , font plus inexcufables ; c'efl:
qu'il leur en coûte û peu de fe conci-
lier les cœurs : il ne faut pour cela ni
effort , ni étude ; une feule parole , un
fourire gracieux, un feul regard fuffit.
Le peuple leur compte tout : leur rang
Humanité des Grands , 5Cc. 1 1 5
donne du prix à tout. La feule férénité
du vifage du Roi , dit l'Ecriture , eft la
vie 5c la félicité des peuples ; & fon air
doux 6c humain eft pour les cœurs de
fds fujets, ce que la rofée du foir eft
pour les terres feches 6c arides : înrrov,i6»
hilaritate vultûs Régis , vita ; & ck- ^S*
mcntia ejus quaji imbcrferotinus.
Et peut-on laiiTer aliéner des cœurs
qu'on peut gagner à fi bas prix ? N'eft-
ce pas s'avilir foi-même, que de dépri-
fer à ce point toute l'humanité ? 6c
mérite- 1- on le nom de Grand, quand
on ne fait pas même fentir ce que
valent les hommes ?
La nature n*a-t-elle pas déjà impofé
une aflez grande peine aux peuples 5c
aux malheureux , de les avoir fait naî-
tre dans k dépendance , &c comme
dans l'efclavage ? N'eft- ce pas allez que
la baiïeiTe^ou le m.alheur de leur condi-
tion leur fafte un devoir , 6c comme
une loi , de ramper ÔC de rendre des
hommages ? faut- il encore leur aggra-
ver le joug par le mépris , ôc par une
fierté qui en eft fi digne elle-même ?
Ne fuffit-il pas que leur dépendance
foit une peine ? faut- il encore les en
faire rougir comme d'un crime ? & û
quelqu'un de voit être honteux de fon
îi6 IV. DîM. DE Carême.
état, feroii-ce ie pauvre qui le fouffre,
ou le Grand qui en abufe ?
Il efl vrai que fouvent , c'eft Thu-
meur toute feule , plutôt que l'orgiieil ,
qui efface du front des Grands cette
férénité qui les rend accefiibles êc affa-
bles : c'efr une inégalité de caprice ,
plus que de fierté. Occupas de leurs
plaifirs , & laiies des hommages , ils
ne les reçoivent plus qu'avec dégoût ;
il femble que l'affabilité leur devienne
un devoir importun , & qiii leur efr à
charge. A force d'être honorés • ils font
fatigués des honneurs qu'on leur rend ;
6c ils fe dérobent fouvent aux homma-
ges publics , pour fe dérober à la fati-
gue d'y paroître fenfibles. Mais qu'il
faut être né dur pour fe faire même une
peine de paroître humain! N'eft-cepas
une barbarie , non feuJement de n'être
pas touché , mais de recevoir même
avec ennui les marques d'amour & de
refpe<^ que nous donnent ceux qui
nous font fournis ? n'efl-ce pas déclarer
tout haut qu'on ne mérite pas l'affec-
tion des peuples , quand on en rebute
les plus tendres témoignages ? peut on
alléguer là-deffus les momens d'hu-
meur ÔC de chagrin que les foins de
la grandeur ÔC de l'autorité traînent
HaMANixé DES Grands, 5cc. 115^
après foi ? l'humeur eft-elle donc le
privilège des Grands , pour être l'ex-
cufe de leurs vices ?
Hélas ! s'il pouvoit être quelquefois
permis d'être fombre , bizarre , cha-
grin , à charge aux autres 5c à foi-mê-
me y ce devroit être à ces infortunés
que la faim, la mifere, les calamités,
les nécefîîtés domelliques , 8c tous les
plus noirs foucis environnent : ils fe-
roient bien plus dignes d'excufe , fi ,
portant déjà le deuil , l'amertume , le
défefpoir fouvent dans le cœur , ils en
laiflbient échapper quelques traits au-
dehors. Mais que les Grands , que les
heureux du monde à qui tout rit , ÔC
que les joies 6c les plaifîrs accompa-
gnent par - tout , prétendent tirer de
leur félicité même un privilège qui ex-
cufe leurs chagrins bizarres ÔC leurs
caprices ? qu'il leur Toit plus permis
d'être fâcheux , inquiets , inaborda-
bles , parce qu'ils font plus heureux ?
qu'ils regardent comme un droit ac-
quis à la profpérité , d'accabier encore
du poids de leur humeur, des malheu-
reux qui gémilTent déjà fous le joug de
leur autorité 6c de leur puiffance ?
grand Dieu ! feroit-ce donc là le privi-
lège des Grands , ou la punition du
îlS ÏV. DlM. DE Cajieme.
mauvais ufage qu'ils font de la gran-
deur? car il eft vrai que les caprices êc
les noirs chagrins femblent être le par*,
îage des Grands , ÔC l'innocence de la
joie & de la férénité n'eft que pour le
peuple.
Mais raffabilité qui prend fa fource
dans i*hunriaàité , n'eft pas une de ces
vertus fuperficielles qui ne réfident que
fur le vifage ; c'eft un fentiment qui
naît de la tendreffe 6c de la bonté du
cœur. L'affabilité ne feroitplus qu'une
infulte 6c une dérifion pour les . mal-
heureux, Cl en leur montrant un vifa-
ge doux 5c ouvert , elle leur fermoit
nos entrailles ; ÔC ne nous rendoit plus
acceffibles à leurs plaintes , que pour
nous rendre plus fenfibles à leurs
peines.
Les malheureux 6c les opprimés
n*ont droit de les approcher , que pour
trouver auprès d'eux la proteàion qui
leur manque. Oui , mes Frères , les
lolx qui ont pourvu à la défenfe des
foibles , ne fuffifent pas pour les met-
tre à couvert de rinjuftice & de l'op-
preffion : la mifere ofe rarement ré-
clamer les loix établies pour la proté-
ger ; 6c le crédit fouvent leur impofe.
filence.
Humanité des Grands, 8cc. lîf
C'eft donc aux Grands à remettre îe
peuple fous ia proteâ:ion des loix : la
veuve , l'orphelin , tous ceux qu'on
foule ÔC qu'on opprime , ont un droit
acquis à leur crédit 6c à leur puiffance ;
elle ne leur eft donnée que pour eux :
c'eft à eux d porter aux pieds du Trône
les plaintes ôc les gémiffemens de l'op-
primé : ils font comme le canal de
communication ^ ÔC le lien des peuples
avec le Souverain , puifque le Souve-
rain n'eft lui-même que le père 6C le
pafteur des peuples. Ainfi , ce font les
peuples tous feuls qui donnent aux
Grands le droit qu'ils ont d'approcher
du Trône ; & c'eft pour les peuples
tous feuls, que le Trône lui-même eft
élevé. En un mot , ôc les Grands , 6C
le Prince , ne font , pour ainfi dire ^
que les hommes du peuple.
Mais fi , loin d'être les protecteurs
de fa foiblefte , les Grands 6c les Mi-
niftres des Rois en font eux-mêmes les
opprefteurs ; s'ils ne font plus que
comme ces tuteurs barbares qui dé-
pouillent eux-mêmes leurs pupilles :
Grand Dieu ! les clameurs du pauvre
6c *de l'opprimé monteront devant
vous : vous maudirez ces races cruel -
ies ; vous lancerez vos foudres fur lêê
's 20 I V. D I M. D E C A R E M EV
Géants; vous renverferez tout cet édi-
fice d'orgueil, d'injuflice 6cde profpé-
rité , qui s'étoit élevé fur les débris de
tant de malheureuic ; 5c leur profpérité
fera enfevelie fous fes ruines.
AufTi la profpérité des Grands 6c des
Minières des Souverains , qui ont été
les oppreiTeurs âss peuples, n'a jamais
porté que la honte, l'ignominie , 6cla
malédiction à leurs defcendans. On a
vu fortir de cette tige d'iniquité des
rejettons honteux qui ont été l'op-
probre de leur nom 6c de leur iîecle.
Le Seigneur a foufîlé fur l'amas de leurs
richefTes injufles, 6c l'a difîîpé comme
delà poufTiere; ÔC s'il laiiTe encore traî-
ner fur la terre des reftes infortunés de
leur race , c'eft pour les faire fervir de
monument éternel à fes vengeances ,
& perpétuer la peine d'un crime qui
perpétue prefque toujours avec lui l'af-
fliâion 6c la mifere publique dans les
Empires.
La proteSion des foibles eft donc
le feul ufage légitime du crédit & de
l'autorité ; mais les fecours 6c les lar-
geffes qu'ils doivent trouver dans notre
abondance , forment le dernier carac-
tère de l'humanité.
Oui j mes Frères , fi c'eft Dieu feul
qui
Humanité des Grands , êcc. iii
qui vous a fait naître ce que vous êtes ^
quel a pu être fon deflein , en répan-
dant avec tant de profufion fur vous
les biens de la terre ? A t-il voulu vous
faciliter le luxe , les psiTions , 6c bs
plaifirs qu'il condamne ? font ce des
préfens qu'il vous ait faits dans fa colè-
re ? Si cela eft ; fi c'eft pour vous feuls ^
qu'il vous a fait naître dans la profpé-
rité Se dans l'opulence ; jouifTez en ,
à la bonne heure ; faites vous , fi vous
le pouvez y une injuile félicité fur la
terre ; vivez comme fi tout étoit fait
pour vous ; multipliez vos plaifirs ;
hâtez vous de jouir; le temps efl court,
n'attendez plus rien au delà que la
mort ê< le Jugement : vous avez reçu
ici- bas 70- re récompenfe.
Mais , fi dans les defieins de Dieu>
vos biens doivent être les refiburces ÔC
les fac lires de votre falut , il ne laiffe
donc des pauvres 5<^ des malheureux fur
la terre qje pour vous : vous leur tenez
donc ici b':s la place de Dieu même :
VQUS êtes , pour ainfi dire , leur provi-
dence vifible : ils ont droit de vous ré-
clamer, & de vous cxpcf r leurs be-
foins : vos biens font leurs biens , & vos
largeffes le feul patrimoine que Die»
leur ait affigné fur la terre.
P&tit Carcms» F
111 IV. DiM. DE Carême;
p Et qu'y- a- 1- il dans votre état de plus
digne d'envie que le pouvoir de faire
des heureux ? Si l'humanité envers les
peuples, eft le premier devoir des
Grands , n'eft elle pas aufîi Tufage le
plus délicieux de la grandeur ?
Quand toute la Religion ne feroît
pas elle-même un motif univerfel de
charité envers nos frères ; & que no-
tre humanité à leur égard , ne feroit
payée que par le plaifir de faire des
heureux , & de foulager ceux qui fouf-
frent ; en faudroit-il davantage pour
. un bon cœur ? quiconque n'eft pas
fenfible à un plaifir fi vrai , fi touchant ,
fi digne du cœur , il n'eft pas né Grand,
il ne mérite pas même d'être homme.
Qu'on eft digne de mépris , dit faint,
Ambroife , quand on peut faire des
heureux , 5c qu'on ne le veut pas !
S,Amhr,Jnfelix cujus in potejîate ejl tantorum
in Nab. animas à morte defcendere , & non ejl
^' voluntas.
Il femble même que c*eft une malé-
diction attachée à la grandeur. Les
perfonnes nées dans une fortune
obfcure 6c privée , n'envient dans les
Grands que le pouvoir de faire des
grâces , ôc de contribuer à la félicité
Humanité des Grands, 8cc. 1x5
d'autrui : on fent qu'à leur place on
feroit trop heureux de répandre la
joie & rallégrelTe dans les cœurs , en
y répandant des bienfaits ; 6c de s'af-
furer pour toujours leur amour ÔC leur
reconnoilFance. Si dans une condition
médiocre on forme quelquefois de ces
defirs chimériques de parvenir à de
grandes places , le premier ufage qu'on
fe propofe de cette nouvelle éléva-
tion , c'eft d'être bienfaifant , 6c d'en
faire part à tous ceux qui nous envi-
ronnent : c'eft la première leçon de la
nature , 6c le premier fentiment que
les hommes du commun trouvent en
eux. Ce n'eft que dans les Grands feuls,
qu'il eft éteint : il femble que la gran-
deur leur donne un autre cœur , plus
dur & plus infenfible que celui du ref-
te des hommes ; que plus on eft à
portée de foulager des malheureux f
moins on eft touché de leurs miferes ;
que plus on eft le maître de s'attirer
Tamour ÔC la bienveillance des hom-
mes , moins on en fait cas ; ÔC qu'il
fuffit de pouvoir tout , pour n'être
touché de rien.
Mais quel ufage plus doux 6c plus
flatteur , mes Frères , pourriez- vous
faire de votre élévation 6c de votre
F ij
114 IV. DiM. DE Carême.
opulence ? Vous auirer des homma^
ges ? mais l'orgueil lui même s'enlalfe.
Commander aux hommes ÔC leur don-
ner des loix ? mais ce font là les foins
de l'autorité , ce n'en eft pa^ !e plnifir.
Voir autour de vous multiplier 3 l'in-
fini vos ferviteurs 6c vos efcl^ves 1
mai? ce font des témoins qui vous em-
barraflent ÔC vous gênent , plutôt
qu'une pompe qui vous décore. Habi-
ter des Palais fomptueux ? mais vous
vous édifiez , dit Job , des folitudes ^
où les foucis 6c les noirs chagrins vien-
nent bientôt habiter avec vous. Y ra{^
fembler tous les plaifirs ? ils peuvent
remplir ces vaftes édifices , mais ils h'iC-
feront toujours votre cœur vuide. Trou-
ver tous les jours dans votre opulence
de nouvelles reflburces à vos caprices ?
la variété des refTources tarit bientôt :
tout eft bientôt épuifé ; il faut revenir
fur fes pas , 6c recommencer fans cet
fe ce que l'ennui rend infipide , 6c ce
que Toifiveté a rendu néceffaire. Em-
ployez tant qu'il vous plaira vos biens
6c votre autorité à tous les ufages que
l'orgueil ÔC les plaifirs peuvent inven-
ter , vous ferez raflafîié , mais vous ne
ferez pas fatisfait : ils vous montre-
ront la joie , mais ils ne la laifleront
pas dans votre cœur.
HumanitjS des Grands, 8cc. 115
Employez les à faire des heureux ;
à rendre la vie plus douce &. plus fup-
portable à des infortunés, que l'excès
de la mifere a peut être réduits mille
fois à fouhaiter, comme Job, que le
jour qui les vit naître , eu; été lui- mê-
me la nuit éternelle de leur tombeau :
vous fentirez alors le pîaifir d'être né
Gr?nd ; vous goûterez la véritable
douceur de votre état : c'eftle feul pri-
vilège qui le rend digne d'envie. Tou-
te cette vaine montre qui vous envi-
ronne , eft pour les autres : ce pîaifir
eft pour vous feul : tout le refte a fes
amertumes ; ce pîaifir feul les adou-
cit toutes. La joie de faire du bien efl
tout autrement douce 6c touchante
que la joie de le recevoir: revenez-y
encore ; c'efl un plaifîr qui ne s'ufe
point : plus on le goûte , plus on fe
rend digne de le goûter. On s'accou-
tume à fa prorpérité propre ,' & on y
devient infenfible , mais on fent tou-
jours la joie d être l'auteur de la prof-
périté d'auîfui : chaque bienfait porte
avec lui ce tribut doux & fecret dans
notre ame : le long ufage qui endurcit
le cœur à tous les j l^firs , le rend ici
tous les jours plus fenfible.
Et qu'a la majefté du Trône elle-
F iij
'si^îV. DiM. DE Carême.
même , Sire , de plus délicieux , que
le pouvoir de faire des grâces ? Que
feroit la puiiTance des Roisjs'ils fe con-
damnoient à en jouir tout feuls? une
trifte folitude, l'horreur de fes fujets eft
îe fupplice du Souverain. C'ell Fufa-
ge dft l'autorité , qui en fait le plus
doux plaiiir ; ôc le plus doux ufage
de l'autorité , c'eft la clémence & la
libéralité , qui la rendent aimable.
Nouvelle raifon : outre le plaifîr de
faire du bien , qui nous paye comp-
tant de notre ptaifir ; montrez de la
douceur ôC de 1 humanité dans l'ufage
de votre puiilance , dit rEfprii de
Dieu , 5c c*eft la gloire la plus fûre 5c
la plus durable où les Grands puiiTent
Ecclî, j. atteindre : In manfuetudine opéra tua
^^' perjîce , £f fuper hominum gloriam dl»
Lige ris.
Non , Sire ; ce n'efl pas le rang ,
les titres , la puilfance, qui rendent les
Souverains aimables : ce n'eft pas mê-
me les talens glorieux que le monde
admire ; la valeur , la fupériorité du
génie , l'art de manier les efprits &. de
gouverner les peuples : ces grands ta-
lens ne les rendent aimables à leurs fu-
jets , qu'autant qu'ils les rendent hu-
mains ÔC bienfaifans. Vous ne feres
Humanité des Grands, 8cc. 117
grand , qu'autant que vous leur ferez
cher: l'amour des peuples a toujours
été la gloire la plus réelle 6c la moins
équivoque des Souverains ; ÔC les
peuples n'aiment guère dans les Sou-
verains que les vertus qui rendent leur
règne heureux.
Et en effet , eft- il pour les Princes
une gloire plus pure & plus touchante
que celle de régner fur les cœurs ?
La gloire des conquêtes eft toujours
fouillée de fang ; c'eft le carnage ÔC la
mort qui nous y conduit ; 6<. il faut
faire des malheureux pour fe raflurer :
l'appareil qui l'environne eft funefte
& lugubre ; &; fou vent le conquérant
luLmême , s'il eft humain , eft forcé
de verfer des larmes fur ks propres
vi£^oires.
Mais la gloire , Sire , d'être cher à
fon peuple , 6c de le rendre heureux ,
n'eft environnée que de la joie ÔC de
l'abondaRce. 11 ne faut point élever
de ftatues & de colomnes fuperbes
pour l'immortalifer : elle s'élève dans
le cœur de chaque fujet un monument
plus durable que l'airain & le bronze ,
parce que l'amour, dont il eft l'ouvra-
ge , eft plus fort que la mort : le titre
de conquérant n'eft écrit que fur le
F iv
ii8 IV. DiM. DE Carême.
marbre ; le titre de père du peuple eft
gravé dans les cœurs.
Et quelle félicité pour le Souverain ,
de regarder fon Royaume comme fa
famille , fes fujets comme fes enfans ,
de compter que leurs cœurs font en-
core plus à lui que leurs biens ÔC leurs
perfonnes ; & devoir, pour ainfi dire,
ratifier chaque jour le premier choix
de la nation qui éleva fes ancêtres fur
le Trône ! La gloire des conquêtes ÔC
des triomphes a t elle rien qui égale
ce plailir ? Mais de plus , Sire , fi la
gloire des conquérans vous touche j
commencez par gagner les cœurs de
vos fujets .'Cette conquête vous répond
de celle de l'univers. Un Roi cher à
une nation valeureufe comme !a vôtre ,
n'a plus rien à craindre que l'excès de
fes profpérités & de Ces viôoires.
Ecoutez cette muhitude que Jefus-
Chrift r?iraflie aujourd'hui dans le dé-
fert : ils veulent l'érablir Roi fur eux.
'Joan» 6. Ut râpèrent eum ^ & facerent eum Re-
*5« gem. Ils lui dreflent déjà un Trône
dans leur cœur , ne pouvant le faire
remonter encore fur celui de David
& des Rois de Juda (es ancêtre? : ils
ne reconnoiffent fon droit à la Royau-
té y que par fon humanité* Ah ! fi les
Humanité* des Grands, 5cc. 119
hommes fe donnoienr des maîtres, ce
ne feroit ni les plus nobles , ni les plus
v^iilans , qu'ils choifiroient; ce feroit
les plus tendres , les plus humains j
des maîtres qui fuflent en même-temps
leurs pères.
Heureufe la nation , grand Dieu ,
à qui vous deftinez dans votre miféri-
corde un Souverain de ce caradere.
D'heureux préfages femblent nous le
promettre ; la clémence & la maje/lé
peintes fur le front de cet augufle En-
fant nous annoncent déjà la félicité de
ros peuples ; fes inclinations douces
& bienfaifantes rafllirent &: font
croître tous les jours nos efpérances.
Cultivez donc, ô mon Dieu , ces pre-
miers gages de notre bonheur. Ren-
dez-le aufîî tendre pour fes peuples,
que le Prince pieux auquel il doit la
naiffance, ÔC que vous n*avez fait que
montrer à la terre : il ne vouioit ré-
gner , vous le favez , que pour nous
rendre heureux ; nos miferes étoient
fes miferes ; nos affliâ:ions étoient les
fiennes ; ÔC fon cœur ne faifoit qu'un
cœur avec le nôtre. Que la clémence
& la miféricorde croiiTent donc avec
l'âge dans cet enfant précieux , & cou-
lent en lui avec le fang d'un père û
F V
130 I V. D I M. D E C A R E M E.
humain , ÔC fi miféricordieux : que la
douceur & la majefté de fon front foit
toujours un image de celle de fon
ame : que Ton peuple lui fb it au fli cher
qu'il eft lui même cher à fon peuple:
qu'il prenne dans la tendreffe de la
nation pour lui , la règle 8c la mefure
de l'amour qu'il doit avoir pour elle :
par-là il fera aufli grand que fon Bi-
faïeul ; plus glorieux que tous fes an-
cêtres ; ÔC fon humanité fera la fburce
de notre félicité fur la terre, ÔC de foa
bonheur dans le Ciel. AinJlfoitiL
SERMON
POUR LE JOUR
D E
L' INCARNATION,
Sur les car acier es de la grandeur ds
Jefus - Chrijî»
Hic erit magnuî.
Il fera grand, Luc. i. 33*
Si
RE ,
QUAND les hommes auguî-en?:
d'un jeune Prince y qu'il fèr^^
grands , cette idée ne réveille en eux:
que des victoires & des profpérités^
temporelîes , ils n'établiflênt fa gran*
deur future que for des malheurs pq^
bîics, & les mêmes (ignés qui annoiî*
cent réclatde fa gloire , font comme
F ^i
"îgz L'Incarnation.
des préfages finiftres , qui ne promet-
tent que des calamités au refte de la
terre.
Mais ce n'eft pas à ces marques vai-
nes 6c lugubres de grandeur , que
l'Ange annonce aujourd'hui à Marie ,
que Jefus Chrift fera grand ; le lan-
gage du Ciel Ôcde la vérité ne reflem-
ble pas à l'erreur & à la vanité des
adulations humaines; &. Dieu ne parle
point comme l'homme.
Jefus- Chrift fera grand , parcequ'il
tue» I. fera le Saint & le Fils de Dieu : Sanc-
35' tum y vocabitur Filins Del ; parcequ'il
Matîh, fauvera fon peuple : Ipfe enim falvum
I. ïi, faciet populumfiium ; parceque fon re-
lue. I. gne ne finira point : Et regni ejas non
13- crit finis. Tels font les caraâ:eres de fa
grandeur : une grandeur de fainteté ;
une grandeur de miféricotde ; une
grandeur de perpétuité ôc de durée.
Et voilà les cara6î:eres de la véritable
grandeur. Ce n'eft pas 5 Sire, dans
l'élévation de la nailfance, dans l'éclat
des titres & des vidoires , dans l'éten-
due de la puiflance ôc de l'autorité ,
, que les Princes ôc les Grands doivent
la chercher: ils ne feront grands , com-
me Jefus Chrift , qu'autant qu'ils fe-
ront faints 9 qu'ils feront utiles aux
GrandeurdeJ. C. 133
jpeu^es , 8c que leur vie & leur régne
deviendra un modèle qui fe perpétue-
ra dans tous les fiecles ; c'eft- à-dire ,
qu'ils auront comme Jefus Chrift une
grandeur de fainteré , une grandeur
de miféricorde , une grandeur de per-
pétuité ôc.de durée.
SIRE,
X-»'Origine éternelle de Jefus- Chrift, p^j^^jjr,
fon titre de Fils de Dieu , qui eft le
titre eflentiei de fa fainteté , î'eft aufti
de fa grandeur &: de fon éminence. Il
n'eft pas appelle grand , parcequ'il
compte des Rois 6c des Patriarches
parmi fes ancêtres , bi que le fang le
plus augufte de l'univers coule dans fes
veines ? Il eft grand , parcequ'il eft le
Saint 5c le Fils du Très haut : toute fa
grandeur a fa fource dans le fein de
Dieu , d'où il eft forri ; & le grand myf^
teres de Ces voies éternelles , qui fe
manifefte aujourd'hui , vapuifertout
fon éclat dans fa naiftance divine.
Nous n'avons de grand que ce qui
nous vient de Dieu. Oui , mes Frères ,
que les grands fe vantent d'avoir com-
me Jefus- Chrift des Princes 5c des
Rois parmi leurs ancêtres : s'ils n'ont
point d'autre gloire que celle de leur$
134 L'Incarnation,
aïeuls ; (î toute leur grandeur efl daa^
leur nom ; d leurs titres font leurs uni-
ques vertus ; s'il faut rappeller les fié-
cles pafles , pour les trouver dignes de
nos hommages ; leur naiiTance les avi-
lit ÔC les déshonore , même félon le
monde : on oppofe fans ceffe leur nom
à leur perfonne : îe fouvenir de leurs
aïeuls devient leur opprobre : les Hif-
toires où font écrites les grandes ac-
tions de leurs pères , ne font plus que
des témoins qui dépofent contr'eux :
on cherche ces glorieux ancêtres dans
leurs indignes fucceffeurs : on rede-
mande à leurs noms les vertus qui ont
autrefois honoré la patrie ; & cet amas
de gloire , dont ils ont hérité , n'eft
plus qu*un poids de honte , qui les flé-
trit & qui les accable.
Cependant , la plupart portent fur
leur front l'orgueil de leur origine. Ils
comptent les degrés de leur grandeur
par des fîécles qui ne font plus , par
des dignités qu'ils ne poéfldent plus ,
par des actions qu'ils n*ont point fai-
tes , par des aïeuls dont il ne refte
qu'une vile pouflfiere j par des monu»
mens que les temps ont effacés ; & fe
croient au-deffus des autres hommes ^
parcequ'ii leur relie plus de àébtif
Grandeur DE L C. 135
domeftiques de la rcipidité des temps,
& qu'ils peuvent produire plus de ti-
tres que les autres hommes de la vani-
té des chofes humaines.
Sans doute une haute nailTance ed
une prérogative illuftre , à laquelle le
confentement des nations a attaché
de tout temps des diftin étions d'hon-
neur 6c d'hommage. Mais ce n'eft
qu'un titre , ce n'eft pas une vertu ;
c'eft un engagement à la gloire , ce
n'eft pas elle qui la donne : c'eft une
leçon domeftique , 6c un motif hono^
rable de grandeur ; mais ce n'eft pas
ce qui nous fait grands : c'eft une fuo-
ceflîon d'honneur 5c de mérite ; mais
elle manque 6c s'éteint en nous , dès
que nous héritoiîs du nom fans hériter
des vertus qui l'ont rendu illuftre ::
nous commençons , pour ainfi dire ^
une nouvelle race ; nous devenons des
hommes nouveaux ; la noblefle n'eft
plus que pour notre nom , ôc la roture
pour notre perfonne.
Mais fi devant le monde même la
iiaiff*ance fans la vertu n'eft plus qu'un;
vain titre, qui nous reproche fans
cefle notre oifîveté ÔC notre baflefte ;
^'eft-elle devant Dieu , qui ne voit de
grand Se de réel en nous j que les douf
î3^ L'Incarnation.
de fa grâce 6c de fon efprit qu*il y a
mis lui-même.
C'eft donc notre naiflance félon la
Foi , qui fait le plus glorieux de tous
nos titres. Nous ne fommes grands ,
que parce que nous fommes , comme
Jefus-Chrilt, enfans de Dieu , 5c que
nous foutenons la nobielfe 5c l'excel-
lence d'une il haute origine. C'eft elle
qui élevé le Chrcrien au delTus des Rois
&. des Princes de la terre : c*eft par elle
que nous entrons aujourd'hui dans tous
les droits de Jefus Chrift ; que touteft
à nous ; que tout l'Univers n'eft pas
pour nous ; que les Patriarches , 6c tous
les Elus des liecles pîifles font nos ancê-
tres , que nous devenons héritiers d'un
Royaume éternel, que nous jugerons
les Anges 6c les hommes , ÔC que nous
verrrons un jour à nos pieds toutes les
Nations 5c les puilTances du fîecle.
Telle eft, Sire, la prérogative des
enfans de Dieu. Aufîî nos Rois ont mis
le titre de Chrétien à la tête de tous les
titres qui entourent 6c annobliflent
leur Couronne ; ôc le plus faint de vos
Prédécefleurs n'alloit pas chercher la
fource ÔC l'origine de fa grandeur dans
le nombre des Villes & des Provinces
foumifes à fou Empire , mais dans le.
Grandeur de J. C. 137
lieu feul où il avoit été mis par le Bap-
tême au nombre des enf^ns de Dieu.
Mais ,.SiRE 5 ce n'eft pas aflez, dit
faint Jean , d'en porter le nom , il faut
l'être en efFet: Ut filii Dei nominemur j, Ep» ^•
& Jïmus, Si les enfans des Rois dégé- Joan.iM
nérant de leur augufte naifrance,n'a-
voient que des inclinations bafTes 6c
vulgaires , s'ils fe propofoient la for-
tune du vil artifan , comme l'objet le
plus digne de leur cœur,ÔC feul capable
de remplir leurs grandes deflinées ; H
perdant de vue le Trône où ils doi-
vent un jour être élevés^ , ils ne con-
noiffoient rien de plus grand que de
ramper dans la boue , ^ d'être confon-
dus par les fentimcns ôc leurs occu-
pations avec la plus vile populace ;
quel opprobre pour leur nom & pour
leur nation qui attendroit de tels maî-
tres ?
Tels , & encore plus coupables ,
SiRE , font les enfans de Dieu , quand
ils fe dégradent jusqu'à vivre comme
les enfans du lîecle. La grâce de votre
baptême vous a élevé encore pins haut
que la gloire de votre naiflance, quoi-
qu'elle foit la plus augufte de l'uni-
vers : par celle ci , vous n'êtes qu'un
Roi temporel j l'autre vous rend héri-
138 L'ÎNTCA RN A TI O N.
tier d'un Royaume éternel : la pre-
mière ne vous fait que l'enfant des
Rois ; par l'autre vous êtes devenu
l'enfant de Dieu. Tous les jours nous
voyons croîire & fe développer dans
Votre Majefté , des fentimens 5c des
inclinations dignes delà naiffance que
fous avez eue des Rois vos ancêtres ;
mais ce ne feroit rien , fi vous n'en
montriez encore , qui répondiflent à
la grandeur de la naiîTance que vous
tenez de Dieu , lequel vous a mis par
le baptême au nombre de Tes enfans.
Or, partout ce qu'exige une naiffan-
ce Royale , jugez , vSire , de ce qv^e doit
exiger une naiflance toute divine. Si les-
enfans des Rois doivent êt?e au-defTus
des autres hommes ; fi la moindre baf-
fefle les déshonora ; fi le plus léger dé-
faut de courage eil une tâche qui flé-
trit tout l'éclat de leur naiffance ; fi oilt
leur fait un crime d'une fimple inéga-
lité d'humeur ; s'il faut qu'ils foient
plus vaillans , plus fages , plus circon^
pe<fts , plus doux , plus affables , p!us
humains , plus grands que le refte des
hommes ; fi le monde exige tant des
enfans de îa terre , qu'elVce que Dieu
ne doit pas demander des enfans du
Ciel ? quelle innocence ? quelle pureté
Grandeur DE J. C. 139
de defirs ? quelle élévation de fenti-
mens ? quelle fupériorité au deflus des
fens ôcdes paflîons ? quel mépris pour
tout ce qui n'eftpas éternel? Qu'il faut
être grand pour fbutenir Féminence
d'une Cl haute origine / Premier carac-
tère de la grandeur de Jefus-Chrift ,
une grandeur de fainteté : Hic crit
magnuSy & Fillus Altlffïmi vocabitur.
Ais en fécond lieu , il fera grand, ^î»
parce qu'il fauvera Ton peuple : Ipfe ^^^^^^*
enim falvum faciet populum fuum; fé-
cond caraé^ere de fa grandeur , une
grandeur de miféricorde.
Il ne defcend fur la terre que pour
combler les horrtm^s de fes bienfaits-.
Nous étions fous la fervitude & fous
la malédié^ion ; 5c il vient rompre nos
chaînes , & nous mettre en liberté :
nous étions ennemis de Dieu.,&C étran-
gers à fes promeiTes; 5c il vient nous
réconcilier avec lui , 5c nous rendre
citoyens des Saints , ôc enfans d'une
nouvelle alliance : nous vivions fans
loi , fang joug , fans Dieu dans ce mon-
de; 6c il vient être notre loi , notre vé-
rité, notre juftice, ÔC répandre l'abon-
dance de fes dons & de fes grâces fur
tout l'univers. En un mot , il vient re-
140 L' Incarnation.
nouveller toute la nature; fân(PJfiercc
qui étoit fouillé ; fonifier ce qui étoit
foible ; iauver ce qui étoit perdu ; réu-
nir ce qui étoit di/iré. Qj elle gran-
deur! car il n'y a ritn f<e fi grand que
de pouvoir étie utile à tous les hom-
mes.
Et telle eft la grandeur où les Prin- ^
ces ô( les Souverains 5 &. tout ce qui M
porte le nom de Grand fur In terre, doit fl
afpirer : ils ne peuvent être grands
qu*cn fe rendant utiles aux peuples ,
& leur portant, comme Jefus Chrifl,
la lihcrté , la paix &: l'abondance.
Je dis la liberté, non celle qui fa-
vorife les paflîons &c la licence : c'eft
un nouveau joug 8c une itrviiude hon-
teufe, que ce tunelle libertinage ; 6c
la règle des mœurs eft le premier prin-
cipe de la félicité ÔC l'affermifTement
des Empires. Ce n'eft pas celle encore^
ou qui s'élève contre l'autorité légiti-
me , ou qui veut partager avec le Sou-
verain celle qui rcfide en lui feul ; ÔC
fou? prétexte de la modérer , l'anéan-
tir &: l'éteindre. Il n'y a de bonheur
pour les peuples que dans l'ordre 6c
dans la foumifTion : pour peu qu'ils
s'écartent du point fixe de l'obéiiTan-
ce , le Gouvernement n'a plus de ré-
Grandeur de J. C. i4t
gîe : chacun veut erre à lui-même fa
loi ; la confulion , les troubles , les dif^
fendons , les attentats , l'impunité naif-
fjnt bientôt de Tindépendancc ; ÔC les
Souverains ne fauroient rendre leurs
fajets heureux , quJ^n les tenant fou-
rnis à l'aiKorité , & leur rendant en
même temps l'affujetthrement doux ÔC
air^^ible.
Lv> liberté, Sîre , que les Princes
doivent à leurs peuples , c'efl la liber-
té des loix. Vous ères le maître de la
vie & de la fc^rtune de vt)s fuiets ; mais
vous ne pouvez en d fpoH-r que félon
\e< loix : vous ne connoilT.z que Dieu
feu'e au delTas de vous, il ell v>'ai; mais
les loix doii'ent avoir plus d'autorité
que vous-même : vous ne commandez
pas à des efclaves ; vou^ co nmandez à
une nation libre 6c belliqueufe , aufîî
jaloufe de fa liberté que de fa fidélité p
& dont la foumiflîon efl d'autant plus
fûre , qu'elle eft fondée fur l'amour
qu'elle a pour fes maîtres. Ses Rois
peuvent tout fur elle , parceque fa
tendrelfe 8c fa fidélité ne mettent point
de bornes à fon obéiflance; mais il faut
que fes Rois en mettent eux mêmes à
leur autorité , & que plus fon amour
«3 connoît point d'autre loi qu'uû©.
Î42. L'ÏNCARNATIOPf.
foumiflion aveugle , plus fes Roîf
n'exigent de fa foumiflion que ce que
les loix leur permettent d'en exiger :
autrement ils ne font plus les pères 6C
les proteâeursde leurs peuples, ils en
font les ennemis 5c les opprefleurs ;
ils ne régnent pas fur leurs fujets , ils
les fubjuguent.
La puiffance de votre augufte Bi-
faïeul fur la nation a paflie celle de
tous les Rois vos ancêtres : un règne
long ÔC glorieux l'avoit affermie : fa
haute fageiTe^la foutenoit ; ÔC l'amour
de fes fujets n'y mettoit prefque plus
de bornes: cependant il a fu plus d'une
fois la faire céder aux loix; les prendre
pour arbitres entre lui 6c fes fujets, 6c
foumettre noblement fes intérêts à
leurs décifions.
Ce n'efl: donc pas îe Souverain, c'eft
la loi , Sire , qui doit régner fur les
peuples. Vous n'en êtes que leminiftre
& le premier dépofitaire : c'eft elle qui
doit régler l'ufage de l'autoritéjôc c'eft
par elle que l'autorité n'efl plus un joug
pour les fujets , mais une règle qui les
conduit ; un fecours qui les protège ;
une vigilance paternelle , qui ne s'af-
fire leur fou miflîof^, que parce qu'elle
s'afTure leur tendreffe. Les hommes
I
Grandeur de J. C. 143
croient être libres , quand ils ne font
gouvernés que par les loix : leur fou-
mifTijn fait alors tout leur bonheur ,
parcequ'elle fait toute leur tranquillité
&. toute leur confiance. Les paflions j
les volontés in juftes, les defîrs exceffifs
& ambitieux que les Princes mêlent à
l'ufage de l'autorité , loin de l'étendre,
ratîbibliffent : ils deviennent moins
puiifans dès qu'ils veulent l'être plus
que les loix : ils perdent en croyant
gagner: tout ce qui rend lautorité in-
jufte Î>C odieufe , l'énervé & la dimi-
nue : la fource de leur puiffance efl:
dans le cœur de leurs fujets ; & quel-
que abfolus qu'ils paroiflent, on peut
dire qu'ils perdent leur véritable
pouvoir , dès qu'ils perdent l'amour
de ceux qui les fervent.
J'ai dit encore la paix 6c l'abondan-
ce , qui font toujours les fruits heu-
reux de la liberté dont nous venons
de parler : 6c voilà les biens que Jefus-
Chrift vient apporter fur la terre ; il
n'eft grand, que parcequ'ileftle bien-
faiteur de tous les hommes.
Oui , SîRE 5 il faut être utile aux
hommes, pour être grand dans l'opi-
nion des hommes. C'eft la reconnoif^
fance , qui les porta autrefois à fe faire
144 L* Incarnation.
des Dieux mêmes de leurs bienfaiteurs î
ils adorèrent la terre qui les nourrie-
foit ; le foleil qui les édairoit ; des
Princes bienfaifans ; un Jupiter Roi
de Crète, un Ofirls Roi d*Egypte, qui
avoient donné des loix fages à leurs
fujets , qui avoient été les pères de
leurs peuples, 6c les avoient rendus
heureux pendant leur règne : Tamour
& le reO >cl qu'infpire la reconnoif-
fance fut fi vif , qu'il dégénéra même
en culte.
I! faut mettre les hommes dans les
intérêts de notre gloire , fi nous vou-î
Ions qu'el'e foit immortelle ; & nous
ne pouvons les y mettre que par nos
bienfaits Les grands talens & les lî-
tre<? , qui nous élèvent au deiTus d'eux,
&: qui ne font rien à leur bonheur ,
lefî ébîouiilent fans les toucher , 6C
de^'iennenr plutôt l'objet de l*envie ,
que de raiïe£fcion 8c de TeHime publi-
que. Les louanges que nous donnons
aux autres , fe rapportent toujours par
q-^eîque endroit à nous-mêmes : c'eft
Tin érêt ou la vanité qui en fort Ie«
fources fecrertes ; car tous les hommes
font vains , ôc n'agiflent prefque que
peureux, 6C d'ordinaire ils n'aiment
pas à donner en pure perte des louanH
Grandeur de J. C. 145
ges qui les humilient 9 ôc qui font
comme des aveux publics de la /upé-
riorité qu'on a fur eux : mais la recon-:
noiflance l'emporte fur la vanité ; ôc
l'orgueil fouiïre fans peine que nos
bienfaiteurs foienten même-temps nos
fupérieurs 6c nos maîtres.
Non , Sire , un Prince qui n'a eu
que des vertus militaires , n'eft pas
alTuré d'être grand dans la poftérité.
Il n'a travaillé que pour lui : il n*a
rien fait pour fes peuples : ÔC ce font
les peuples qui atTurent toujours la
gloire ÔC la grandeur du Souverain. II
pourra pafler pour un grand Conqué-
rant ; mais on ne le regardera jamais
comme un grand Roi : il aura gagné
des batailles ; mais il n'aura pas ga-
gné le cxur de fes fujets : il aura con-
quis des Provinces étrangères ; mais
il aura épuifé les (îennes : en un mot ,
il aura conduit habilement des ar-,
mées ; mais il aura mal gouverné fes j
fujets.
Mais, Sire , un Prince qui n'a cher-
ché fa gloire que dans le bonheur de
fes fujets ; qui a préféré la pa'X ÔC la
tranquillité qui feule peut les rendre
heureux , à des vié^oires qui n'euffenc
été que pour lui feui , & qui n'au-
Pètit Carêms. G
14-6 L'Incarnation.
roient abouti qu'à flatter fa vanité : un
Prince qui ne s'eft regardé que comme
l'homme de Tes peuples ; qui a cru que
fes tréfors les plus précieux éioientles
cœurs de Ces fujers : un Prince qui par
la fagefle de fes loix ôc de fes exem-
ples a banni lesdéfordres de fon Etat,
corrigé les abus , confervé la bien-
féance des mœurs publiques , main-
tenu chacun à fa place ; réprimé le
luxe ÔC la licence , toujours plus fu-
nefles aux Empires que les guerres 8c
les calamités les plus triftes , rendu
au culte ÔC à la Religion de fes pères
l'autorité , l'éclat, la majefté, l'unifor-
mité qui en perpétuent le refpe6t par-
mi les peuples ; maintenu le facré dé-
pôt de la Foi contre toutes les entre-
prifes des efprits indociles & inquiets ;
qui a regardé fes fujets comme fes en-
fans , fon Royaume comme fa famille,
& qui n'a ufé de fa puifTance que pour
la félicité de ceux qui la lui avoient
confiée : un Prince de ce cara6tere fera
toujours grand , parce qu'il l'eft dans
le cœur des peuples. Les pères raconte-
ront à leurs enfans le bonheur qu'ils
eurent de vivre fous un fi bon maître;
ceux-ci le rediront à leurs neveux; ÔC
dans chaque famille, ce fouvenir con-
Grandeur de J. C. 147
fervé d'âge en âge deviendra comme
un monument domeftique élevé dars
l'enceinte des murs paternels, qui per-
pétuera la mémoire d'un iî bon Roi
dans tous les fiécles.
Non , Sire , ce ne font pas les fta^
tues ôC les infcriptions , qui immorta-
iifent les Princes ; elles deviennent
tôt ou tard le trifte jouet des temps 6c
de la viciiTitude des chofes humaines.
En vain Rome & la Grèce avoient
autrefois multiplié à l'infini les images
de leurs Rois 6c de leurs Céfars , ôc
épuifé toute la fcience de l'art pour
les rendre plus précieufes aux fîécles
fuivans ; de tous ces monumens fu-
perbes à peine un feul eft venu jufqu'à
nous. Ce qui n'eft écrit que fur le
marbre ÔC fur l'airain, efl bientôt efFa-
cé ; ce qui eu écrit dans les cœurs y
demeure toujours.
A
Ufli le dernier caraôere de la m»
grandeur de Jefus-Chrift , c'eft la du- P-^^*^^^*
rée 6c la perpétuité de fon règne :
Et regnlejus non erlt finis. îi étoit hier,
il eft aujourd'hui , & il fera dans tous
les fiécles : fes bienfaits perpétueront
fa royauté 8c fa puiflance : les hommes
de tous les temps le reconnoîtront y
Gij
14S L'Incarnation.
l'adoreront comme leur Chef, leur
Libérateur , leur Pontife toujours vi-
vant, 6c quis'oiFre toujours pour nous
à fon Père : il fera même le Prince de
l'éternité : il régnera fur tous les Elus
dans le Ciel ; 6c l'Egîife triomphante
ne fera pas moins fon royaume 6c fon
héritage , que celle qui combat fur la
terre. C efl ici une grandeur de perpé-
tuité 6c de durée.
En effet , la gloire qui doit finir
avec nous eft toujours faufle. Elle étoit
donnée à nos titres plus qu'à nos ver-
tus : c'étoit un faux éclat qui environ-
noit nos places , mais qui ne fortoit
pas de nous-mêmes : nous étions fans
cefle entourés d'admirateurs , & vui-
des au- dedans des qualités qu'on ad-
mire : cette gloire étoit le fruit de
Terreur 8c de l'adulation ; & il n'eft
pas étonnant de la voir finir avec elles.
Telle eil la gloire de la plupart des
Princes 8c des Grands : on honore
leurs cendres encore fumantes , d'un
refle d'éloge : on ajoute encore cette
vaine décoration à celle de leur pom-
pe funèbre ; mais tout s'éclipfe ôc s'é-
vanouit le lendemain : on a honte des
louanges qu'on leur a données ; c'eft
un langage furanné 6c infipide qu'on
Grandeur de J. C. 149
n'oferoit plus parler : on en voit prcf-
que rougir les monumens publics où
elles font encore écrites, ôc où elles
ne femblent fubfifler que pour rappel-
1er publiquement le fouvenir qui les
défavoue. Ainfi les adulations ne fur-
vivent jamais à leurs héros ; & les élo-
ges mercenaires , loin d'immortalifer
la gloire des Princes , n'immortaîifent
que la balTeffe , l'intérêt , âc la lâcheté
de ceux qui ont été capables de les
donner.
Pour connoître la grandeur vérita-
ble des Souverains & des Grands , il
faut la chercher dans les fiecles qui
font venus après eux : plus même ils
s'éloignent de nous 5 plus leur gloire
croît ôc s'affermit , lorfqu'elle a pris
fa fource dans l'amour des peuples..
On difpute encore aujourd'hui à un
de vos plus vaillans Prédécelfeurs 5 les
éloges magnifiques que fon liecle lui
donna à Tenvi ; 6c malgré la gloire
de Marignan , on doute fi la valeur
doit le faire compter parmi les grands
Rois qui ont occupé votre Trône ; ÔC
avec moins de ces talens brillans qui
font les Héros , 8c plus de ces vertus
pacifiques qui font les bons Rois , fon
Pfédéceffeur fera toujours grand dans
G iij
î5o L'Incarnation.
nos Hidoires, parce qu'il fera toujours
cher à la nation dont il fut le père- On
îie compte pour rien les éloges donnés
aux Souverains pendant leur règne ^
s'ils ne font répétés fous les règnes fui-
vans : c'efl ià que la poflérité toujours
équitable , ou les dégrade d'une gloire
dont ils n'étoient redevables qu'à leur
puiifance , 6c à leur rang , ou leur con-
ferve un rang, qu'ils durent à leur ver-
tu bien plus qu'à leur puiffance. 11 faut
Sire , que la vie d'un grand Roi puifle
être propofée comme une règle à Ces
fucceffeurs : 5c que fon r'^gne devienne
le modèle de tous les règnes à venir :
c'efl par là qu'il fera , fi je l'ofe dire ^
éternel , comme le règne de Jefus-
Chrift : Et ngni ejus non erit finis.
Le règne de David fut toujous le
modèle des bons Rois de Juda , 5c fa
durée égala celle du Trône de Jéru-
falem. Ce ne furent pas fes victoires
toutes feules , qui le rendirent le mo-
dèle des Rois fes fuccelTeurs : Saiil en
avoir remporté comme lui fur les Phi-
liftins ôc fur les Amalécites. Ce fut fa
piété envers Dieu ; fon amour pour
fon peuple ; fon zèle pour la loi ôc pour
la Religion de fes pères : fa foumifïioa
à Dieu dans les difgraces ; fa modéra-
Grandeur de J. C 151'
tion dans la vi£^oire 6c dans la profpé-
rité ; Ton refped^ pour les Prophètes ,
qui venoient de la part de Dieu l'aver-
tir de Tes devoirs , & lui ouvrir les yeux
fur Tes foibleiTes ; les larmes publiques
de pénitence ôC de piété dont il baigna
fon Trône , pour expier le fcandale
de fa chute ; les richefles immenfes
qu'il amaffa pour élever un Temple
au Dieu de Ces pères , fa confiance dans
le grand Prêtre ÔC dans les Miniftres
du culte faint ; le foin qu'il prit d'inf-
pirer à Ton fils Salomon les maximes
de la vertu ÔC de la fageffe ; 6c enfin
le bon ordre , 6c la juftice des loix qu'il
établit dans tout Ifraël. .
Voilà , SiRE , la grandeur que Vo-
tre Majefté doit Ce propofer. Régnez
de manière que votre règne puifTe être
éternel ; que non feulement il vous
allure la royauté immortelle desEnfans
de Dieu , mais encore que dans tous
les âges qui fuivront , on vous propofe
aux Princes vos fuccefTeurs comme le
modèle des bons Rois.
Ce ne fera pas feulement en rem-
portant des viâ:oires , que vous de-
viendrez un grand Roi : ce fera votre
amour pour vos peuples , votre fidélité
^nvers Dieu , votre zèle pour la Reli-
G iv
'i5i L' Incarnation.
gion de vos Pères , vorre attention à
rendre vos fujets heureux , qui feront
de votre règne k plus bel endroit de
nos Hiftoires , ôc le modèle de tous
les règnes à venir.
Ainrlez vos peuples , SiRE ; & que
ces mêmes paroles fi fouvent portées
à vos oreilles , trouvent toujours un
accès favorable dans votre cœur.
Soyez tendre , humain, affable, touché
de leurs miferes , compatifTant à leurs
befoins , & vous ferez un grand Roi ;
2^ la durée de votre règne égalera celle
de la Monarchie. Dieu vous a établi
fur une nation qui aime fes Princes ,
^ qui par cela feul mérite d'en être
aimée. Dans un Royaume où les peu-
ples naiflent , pour ainfi dire , bons
fujets , il faut que les Souverains en
naiffant , naiflent de bons maîtres.
Vous voyez déjà tous les cœurs voler
après vous. Sire , l'amour ne peut fe
payer que par l'amour ; Ôc vous ne fe-
riez pas digne de la tendrefle de vos
fujets , fi vous leur refufiez la vôtre.
Il n'y a point d'autre gloire pour les
Rois : leur grandeur eft toute dans l'a-
mour de leurs peuples : ce font eux
qui perpétuent de iiecle en fiecle la
mémoire des bons Princes. Et quelle
Grandeur d e J. C. i 5 3
gîoireen effet pour un Roi, de régner
encore après fa mort fur les cœurs de
fes fujets ! d'être fur que dans tous ies
temps à venir , les peuples , ou regret-
teront de n'avoir pas vécu fous Ton rè-
gne , ou fe féliciteront d'avoir un Roi
qui lui reffennble! Quelle gloire. SiRE,
de faire dire de foi dans toute la fuite
des (îecles, comme la Reine de Saba
le difoit de Salomon : Heureux ceux
qui le virent & qui vécurent fous la
douceur de Ces loix &de fon Empire/
heureux Tâge qui montra à la terre un
fi bon maître! heureufes les villes 6c
les campagnes , qui virent revivre fous
fon règne l'abondance, la paix, la
joie , la juftice , l'innocence des âges
les plus fortunés! heureufe la nation
que le Ciel favorifera un jour d'un
Prince qui lui foit femblable.
Grand Dieu ! c'eft vous feul qui
donnez les bons Rois aux peuples ; ôC
c'eft le plus grand don que vous puif-
lîez faire à la terrô.Vous tenez encore
entre vos mains l'Enfant augufte que
vous deftinez à la Monarchie : fon âge,
(bn innocence le laifient encore l'ou-
vrage commencé de vos miféricordes:
il n'eft pas encore forti de defibus la
maia qui le forme ôc qui l'achevé,
Gv
r54 L" r N' cr A- K n A t rO' Pî'<r
Grand Dieu ! il eft encore temps, for^
mez le pour le bonheur des peuples à
qui vous l'avez réfervé ; ÔC que cette
prière (i fouvent ici renouvellée , ne
lafTe pas votre bonté , puifqu'elle inté*
refle (i fort le falut & la félicité d'une
nation que vous avez toujours pro»
îégée.
C'eft fous les bons Rois que votre
culte s'affermit ; que la Foi triomphe
des erreurs ; que TafFreufe incrédulité
eft bannie ou obligée de fe cacher ;^
que les nouvelles do^irines font prof-
©rites ; que les efprits rebelles ne trou-
vent de proteâ:ion & de fureté , que
dans l'obélifance ÔC dans l'unité ; que
'yos Minières , pai(ibles dans l'exerGi-
ce de leurs fonâions , ÔC veillant fans^
teiïe à la confervation du dépôt j-
voient l'autorité de l'Empire donner
lies mains à celles du Sacerdoce ; & que
'SOUS les cœurs , déjà réunis aux pieds
du Trône, portent la même union ÔC
lia même concorde aux pieds des au-
îjels. Ajoutez donc en lui de jour en
îpur, ô mon Dieu, de ces traita heu-
î5eux qui promettent de bons Rois à
Ibiîïs peuples : que l'ouvrage de vos
miféricordes croiife , 5c fe développe
ks jpuxs. en lui avec fes années*
Grandeur de J. C. 155
Nous ne vous demandons pas qu'il de-
vienne le vainqueur de l'Europe, nous
vous demandons qu'il foit le père de
fon peuple. C'eft la puifTance de votre
bras , qui nous l'a confervé ; en frap-
pant autour de fon berceau tout le
refte de fa famille royale ; que ce foit
elle qui nous le forme , ÔC qui nous^
le prépare : il eft , comme Moïfe , l'en-
fant fauve des funérailles de toute fa
race ; qu'il foit comme lui , le fauveur
êc le libérateur de fon peuple, & que
ce premier prodige , qui l'a retiré d\M
fein de la mort , foit pour nous le pré^
fage afTuré de ceux que vous nous fai-
tes efpérer fous fon Emi^lte^Alnfifoit^iî^
îll
156
=;Stf-i=«g=3ss3ES«a
SERMON
POUR LE DIMAN CHE
DE LA PASSION.
V
Sm la faujfeté de la gloire
humaine»
Si ego glorifico meiprum , gloria hieanihîî
eft.
Si je me glorifie moi-même , ma gloire n^ejî
rien, Joan. 8. 54.
Si
RE,
Sî la gloire du monde fans la crain-
te du Dieu étoit quelque chofe
de réel , quel homme jufques-là avoit
paru fur la terre , qui eût plus de lieu
de Te glorifier lui-même que Jefus-
Chrift ?
Outre la gloire de defcendre d'une
race royale , 5c de compter les David
^ les Salomon parmi k$ ancêtres ;
Sur la Gloire Humaine. 157
avec quel éclat n'avoit- il pas paru dans
le monde ?
Suivez- le dans tout le cours de fa
vie : toute la nature lui obéit : les eauK
s^afFermifTent fous Tes pieds : les morts
entendent fa voix ; les démons , frap-
pés de fa puifiance , vont fe cacher
loin de lui: les Cieux s'ouvrent fui la
tête 5 cC annoncent eux-mêmes aux
hommes fa gloire &: fa magnificence:
la boue entre fes mains rend la lumiè-
re aux aveugles ; tous les lieux par où
il paiTe , ne font marqués que par fes
prodiges: il lit dans les cœurs : il voit
l'avenir comme le préfent: il entraîne
après lui les villes & les peuples : per-
fonne avant lui n'avoit parié comme il
parle ; ÔC charmées de fon éloquence
célefte, les femmes de Juda appellent
heureufe les entrailles qui l'ont porté.
Quel homme s'étoit jamais montré
fur la terre environné de tant de gloi-
re ? ôc cependant il nous apprend que
s'il fe l'attribue à lui-même , & que fa
gloire ne foie qu'une gloire humaine ,
fa gloire n'efl plus rien : Si ego glorifico
meipfiim , gloria mea nihil eft.
La probité mondaine , les grands
talens , les fuc.ès éclatans ne font donc
plus rien , dès qu'ils ne font cp^
158 D I M. D E L A P A s s I O N.
vertus de l'homme ; ôc il n'y a point
de gloire véritable fans la crainte de
Dieu : c'eft ce qui va faire le fujet de
ce difcours.
SIRE,
^' Il y a long- temps que les hommes y
* toujours vains y font leur idole de la
gloire. Ils la perdent la plupatt en la
cherchant; & croient l'avoir trouvée,
quand on donne à leur vanité les louan-
ges qui ne font dues qu'à la vertu.^
Il n'eft point de Prince ni de Grande
malgré la baflefle &. le dérèglement de
fes mœurs & de fes penchans , à qui
de vaines adulations ne promettent la
gloire 6( l'immiortalité ; ÔC qui ne
compte fur les fufFrages delapoftériié,
où fon nom même nepafTera peut-être
pas, &c où du moins il ne fera conniLi
que par fes vices. Il eft vrai que le mon-
de qui avoit élevé ces idoles de boue y
les renverfe lui même le lendemain-,
& qu'il fe venge à loifif dans les âges
fuivans par la liberté de fes cenfures y
de la contrainte ÔC de l'injullice de fes^
éloges.
Il n'attend pas même fi tard : les ap*
plaudiffemens publics qu'on donne â^
îa plupart des Grands pendant le^r
Sur la gloire Humaine, i
vie , font prefque toujours à l'inftant
démentis par les jugemens & les dis-
cours fecrets : leurs louanges ne font
que réveiller l'idée de leurs défauts ;
éc à peine fortis de la bouche même
de celui qui les publie , elles vont , s'il
m'eft permis de parler ainfi . expirer
dans fon cœur qui les défavoue.
Mais fila gloire humaine efl: prefque
toujours dégradée devant le Tribunal
même du monde , auroit-elle quelque
chofe de plus réel aux yeux de Dieu y
devant qui il n'y a de véritables grands
que ceux qui le craignent ? Qui autem -judît^^
timent te , magni crunt apud te penC- ip»-
omnia*
Et pour mettre cette vérité dans un
point de vue qui nous la montre toute
entière ; remarquez , je vous prie , mes
Frères , que les hommes ont de tout
temps établi la gloire dans l'honneur 5c
la probité , dans l'éminence ôcla dif-
tinâ:ion des talens , ÔC enfin dans les
fiiccès éclatans.
Or , fans la crainte de Dieu toute
probité humaine eft ou faufle , ou du
moins elle n'eil pas fûre ; les plus
grands talens deviennent dangereux-
ou à celui qui s'en glorifie, ou à ceux
auprès defi^uels il en fait ufage j ÔC en^
i6o DiM. DE LA Passion.
fin , les fuccès les plus éclatans , ou
prennent leur fource dans le crime ,
ou ne font fouvent que des crimes
éclatans eux-mêmes : 5"/ ego glorifico
mcipfum , glorla mca nihil ejl.
Je dis , premièrement , que la pro-
bité humaine fans la crainte de Dieu
eîl prefque toujours faufle , ou du
iDoins qu'elle n'eft jamais fûre.
Je fais que le monde fe vante d'un
phantôme d'honneur ôc de probité in-
dépendant de la Religion. II croit
qu'on peut être fidèle aux hommes ,
fans être fidèle à Dieu ; être orné de
toutes les vertus que demande la So-
ciété 5 fans avoir celles qu'exige TEvan-
gile ; & en un mot, être honnête hom-
me j fans être Chrétien.
On pourroit iaiffer au monde cette
foible confoiation ; ne pas lui difputer
une gloire aufîî vaine & auffi frivole
qui lui-même ; & puifqu'il renonce
aux vertu? des Saints , lui paffer du
moins celles des hommes. C'eft Tat-
taquer par fon endroit fenfible ôC dans
fon dernier retranchement , de vou-
loir lui ôter le feul nom de bien qui
luirefte , & qui ie confole de la perte
de tous les autres; Se de le dépoiTéder
d'un honneur ôc d'une probité qu'il
Sur la Gloire Humaine. i6i
croit n'appartenir qu'à lui feul , &
qu'il difpute fouvent aux Juftes.
Ne le troublons donc pas dans une
polTeiTion fi paifible ôc en même- temps
fi injufte. Convenons qu'au milieu de-
là dépravation ÔC de la décadence des
mœurs publiques , le monde a encore
fauve du débris des reftes d'honneur
& de droiture ; que malgré les vices
6c les pafllons qui les dominent 5 pa-
roiffent encore fous fes étendards des
hommes fidèles à l'amitié , zélés pour
la patrie , rigides amateurs de la vé-
rité 5 efclaves religieux de leur parole,
vengeurs de l'injuftice , proteâ:eurs de
la foibîeffe ; en un mot, partifans du
plaifir 5 & néanmoins fedateurs de la
vertu.
Voilà les juftes du monde , ces hé-
ros d'honneur & de probité qu'il fait
tant valoir ; qu'il oppofe même tous
les jours avec une efpece d'infulte ôc
d'oftentation aux véritables Juflcs de
l'Evangile. Il les dégrade pour élever
fon idole ; il fe vante que l'honneur 6c
la véritable probité ne réfide que chez
lui : il nous laifle l'obfcurité , lespeti-
teffes, les travers , ÔC tout le faux de la
vertu ; ÔC s'en arroge à lui- même l'hé-
roïfme Se la gloire. Mais qu'il feroit
j6i D I M. DE LA Passion.
aifé de venger l'honneur de Dieu con-
tre le culte vain ôc pompeux que le
monde rend à fon idole l il n'y auroit
qu'à foufflsr fur cet édifice d orgueil
6c de vanité , à peine en retrouveriez-
vous les foibles vefliges.
Ces hommes vertueux dont le mon-
de fe fait tant d'honneur, n'ont au fond
fouvent pour eux que Terreur publi-
ques. Amib fidèles, je le veux; mais c'eft
le goût , la vanité ou l'intérêt , qui les
lie i ÔC dans leurs amis , ils n'aiment
qu*eux mêmes : bons citoyens , il efl
vrai ; mais la gloire 6c les honneurs qui
nous reviennent en fervant la Patrie ,
font i*unique lien ÔC le feul devoir qui
les attache : amateurs de la vérité, je
l'avoue ; mais ce n'eft pas elle qu'ils
cherchent , c'eft le crédit & la confian-
ce qu'elle leur acquiert parmi les hom-
mes : obfervateurs de leur parole, mais
deû un orgueil qui trouveroit de la
lâcheté ÔC de l'inconflance à fe dédire ^
ce n'eft pas une vertu qui fe fait une
religion de Tes promefTes : vengeurs de
l'injullice ; mais en la puniiTanc dans
les autres , ils ne veulent que publier
qu'ils n'en font pas capables eux-mê-
mes : proteâ:eufs de la foibleffe ; mais
ils veulent avoir des panégyrilles de
Sur la Gloire Humaine. i6^
leur générofité; ÔC les éloges des oppri-
més font ce que leur offre de plus tou-
chant leur oppreffion & leur mifere.
En un mot, dit FEcriture , on les ap-
pelle miféricordieux, ils ont toutes les
vertus pour le public; mais n'étant pas
fidèles à Dieu , ils n'en ont pas une
feule pour eux- mêmes : Multi homines Pro-^*
mlferîcordcs vocantiir ; virum autem *°*
fidcUm quis invenlet ?
Mais quand la probité du monde ne
feroit pas prefque toujours fauffe, il
faudroit convenir du moins qu'elle
n'eft jamais fûre. La Religion toute
feule allure la vertu , parce que les
motifs qu'elle nous fournit font par-
tout les mêmes. La honte ÔC l'opprobre
en feroient le prix devant les hommes ^
qu'elle n'en paroîtroit que plus belle
& plus glorieufe à l'homme de bien : Ca
vie même feroit en péril , qu'il ne vou-
droit pas la racheter aux dépens de fa
vertu : le fecret êc l'impunité ne font
pas pour lui des attraits pour le vice ^
puifque Dieu eft le feul témoin qu'il
craint, 6c le reproche de fa confcien-
ce la feule peine qui l'afflige : la gloire
même 6c les acclamations publiques
le foiliciteroient à une entreprife am-
bitieufe 6c injuile , qu'il préféréroit le
'154 I^iM. DE LA Passion.
devoir 5c la règle qui le condamnent ,
aux applaudilTemens de l'univers qui
l'approuve. Enfin changez tant qu'il
vous plaira les fituations d'un véritable
Jufte : le monde peut varier à Ton
égard ; les fuffrages publics qui Télé-
vent aujourd'hui , peuvent demain le
dégrader & l'abattre ; fa fortune peut
changer : mais fa vertu ne changera
point avec fa fortune-
Il ne s'agit pas ici de nous alléguer
des exemples où la piété la plus eftimée
s*efl démentie plus d'une fois : outre
que le monde efl plein de faux jufles ,
& que tous ceux qui en portent le nom
aux yeux des homm.es , n'en ont pas le
mérite devant Dieu ; ça été de tout
temps l'injufticedu monde , d'attribuer
à la vertu les foiblefTes de l'homme.
Le Jufte peut tomber : mais la vertu
feule peut le défendre , ou le relever
de fes chûtes : elle feule marche fûre-
ment , parce que les principes fur lef-
quels elle s'appuye font toujours ks
mêmes : les occafîons ne l'autorifent
pas contre le devoir > parce que les oc-
cafions ne changent jamais rien aux
relies : la lumière 6c les regards pu-
blics font pour elle comme ia folirude
&. les ténebi'ts : en un mot ^ elk ne
Sur la Gloire Humaine. i6'^
compte les hommes pour rien , parce
que Dieu feul qui la voit , doit être
fon Juge.
Trouvez , fi vous îe pouvez , la mê-
me fûreré dans les vertus humaines.
Nées le plus fouvent dans l'orgueil ÔC
dans l'amour de la gloire, elles y trou-
vent un moment après leur tombeau :
formées par les regards publics, elles
vont s'éteindre le lendemain , comme
ces feux paffagers , dans le fecret 5C
dans les ténèbres : appuyées fur les cir-
condances , fur les occafions , fur les
jugemens des hommes , elles tombent
fans cefTe avec ces appuis fragiles : les
triftes fruits de l'amour propre , elles
font toujours fous l'inconftancede fon
empire : enfin le foibîe ouvrage de
l'hotiime, elles ne font, comme lui, à
l'épreuve de rien.
Qu'il s'offre à ce vertueux du fiecle
une occafion fûre de décréditer un em-
nemi , ou de fupplanter un concur-
rent ; pourvu qu'il conferve la réputa-
tion 6c la gloire de la modération , il
fera peu touché d'en avoir le mérite :
que fa vengeance n'intéreffe point fon
honneur , elle ne fera plus indigne de
fa vertu : placez le dans une fituation
où il puiffe accorder fa pafîion avec
i66 D I M. DE LA Passion*
reflime publique , il ne s'embarralîera
pas de l'accorder avec Ton devoir : en
un mot , qu'il paffe toujours pour hon:i-
me de bien , c'eft la même chofe pour
lui que de l'être.
Tout Ifraël paroît applaudir d'abord
à la révolte d'Abfalom : Achitophel ,
cet homme (i fage & fi vertueux dans
l'eilime publique , 6c dont les confeils
étoient regardés comme les confeils de
Dieu, préfère pourtant le parti du cri-
me 5 où il îTouve les fufFrages publics
& Tefpérance de fon élévation, à celui
de la juftice qui ne lui offre plus que
le devoir.
Non , mes Frères , rien n'ell fur dans
les vertus humaines, fî la vertu de Dieu
ne les foutient ÔC ne les fixe. Soyez
bienfdifant , jufle , généreux , fincere :
vous pouvez être utile au public; mais
vous devenez inutile à vous-même :
vous faites des œuvres louables aux
yeux des hommes; mais en ferez- vous
jamais une véritable vertu ? Tout eft
faux ôc vuide dans un cœur que D'eu
ne remplit point , c'eft un Roi lui mê-
me qui parle ; SCconnoitre votre jufti-
ce 8c votre vertu, ô mon Dieu ! c'eft la
feule racine qui porte des fruits d'im-
mortalité^, ÔC la fource de la véritable
Sur la Gloire Humaine. i6y
^o\te:Vani autem funt omnes hqmi- ^^P* H>
ncs in quitus non fubejl fcientia Dd,
C'efl: donc en vain qu'on met la véri-
table gloire dans l'honneur ÔC la pro-
bité mondaine : on n'ell: grand que par
le cœur ; ôC le cœur vuide de Dieu n'a
plus que le faux ÔC les bairefles de
l'homme.
M
Ais peut-être que les vertus civi ^^*
les toutes feules font trop obfcures , ÔC
que la diftin6bion ôc la Supériorité des
grands talens nous donnera plus de
droit à la gloire.
Hélas 1 Sire , que font les grands
talens , que de grands vices , (î les
ayant reçus de Dieu , nous ne les em-
ployons que pour nous-mêmes ? que
deviennent-ils entre nos mains ? fou-
vent l'inftrument des malheurs pu-
blics ; toujours la fource de notre con-
damnation 6c de notre perte.
Qu'eft-ce qu'un Souverain né avec
une valeur bouillante , ôc dont les
éclairs brillent déjà de toutes parts dès
fes plus jeunes ans , fi la, crainte de
Dieu ne le conduit & ne le modère ?
un aftre nouveau & malfaifant , qui
n'annonce que des calamités à la terre.
Plus il croîtra dans cette fcience fu-,
l6? DlM. DE LA PaSSTON.
nèfle , plus les miferes publiques croî-
tront avec lui : Tes entreprifes les plus
téméraires n'offriront qu'une foible
digue à l'impétuofîté de fa courfe : il
croira effacer par l'éclat de Tes vi£loires
leur témérité ou leur injuflice : Tefpé-
rance du fuccès fera le feul titre qui
juilifîera l'équité de Tes armes : tout ce
qui lui paroitra glorieux , deviendra
légitime : il regarderais momens d'un
repos fage ôc majeilueux, comme une
oifiveté honteufe ÔC des momens qu'on
dérobe à fa gloire : fes voifins devien-
dront Tes ennemis , dès qu'ils pourront
devenir fa conquête ; fes peuples eux-
mêmes fourniront de leurs larmes ôC
de leur fang la trifle matière de fes
triomphes : il épuifera 5c renverfera
fes propres Etats pour en conquérir de
nouveaux ; il armera contre lui les
peuples ôc les nations ; il troublera la
paix de l'univers ; il Ce rendra célèbre
en faifanc de millions de malheureux.
Quel fléau pour le genre humain ! ôC
s'il y a un peuple fur la terre capable
de lui donner des éloges , il n'y a qu'à
lui fouhaiter un tel me îcre.
Repaffez fur tous les grands talens
qui rendent les hommes illuHres ; s'ils
font donnés aux impies , c'eft toujours
pour
Sur la Gloire Humaine. j6^
pour le malheur de leur nation & de
leur fiecle. Les vaftesconnoiiTances em-
poifonnées par l'orgueil , ont enfanté
ces chefs &^ces dodeurs célèbres de
menronge,qui dans tous les âges ont le-
vé l'étendard du fchifmeôc de l'erreur,
6c formé dans le fein même du Chriilia-
nifme les Ce^es qui le déchirent.
Ces beaux efprits (i vantés , ÔC qui
par des talens heureux ont rapproché
leur fiecle du goût ôc de la politefle des
anciens ; dès que leur cœur s'eft cor-
rompu , ils n'ont laiffé au monde que
des ouvrages lafcifs ÔC pernicieux , ou
le poifon préparé par des mains habi-
les, infeâe tous les jours les mœurs
publiques , ôc où les fîecles qui nous
fuivront . viendront encore puifer la
licence 5c la corruption du nôtre.
Tournez- vous d'un autre côté.'com-
ment ont paru fur la terre ces génies
fupérieurs, mais ambitieux 8c inquiets,
nés pour faire mouvoir les reflbns des
Etats ÔC des Empires , ÔC ébranler l'u-
nivers entier ? Les peuples & les Rois
font devenus le jouet de leur ambition
ÔC de leurs intrigues : les dilTenfions
civiles ÔC les malheurs domeftiques ont
été les théâtres lugubres y où ont^brilié
leurs grands talens.
Petit Carême. H
170 DîM, DE LA Pass lO ^?.
Ua feiîl hoTiine obfcur avec ces
avantages éminens di la nature, mais
fgns confcience ôc fans probité , a pu
s'élever les fiecles pafîés fur les débris
de fa patrie, changer la face entière
d'une nation voifme 5c belliqueufe , fî
jaloufe de fes loix ÔC de fa liberté ; fe
faire rendre des honin:iages que fes ci-
toyens difputent même à leurs Rois ;
renverfer le Trône, 6c donnera l'uni-
vers le fpeè^acle d'un Souverain , dont
la couronne ne put mettre la tête fa-
crée à couvert de l'Arrêt inoui qui le
condamna à la perdre.
/ Efprits vaftes , mais inquiets & tur-
bulens ; capables de tout foutenir hors
le repos ; qui tournent fans celle au-
tour du pivot même qui les fixe ÔC qui
les attache; &. qui femblabîes à Sam-
fon , fans être animés de fon efprit ,
aimentencore mieux ébranler l'édifice
ôcêtre écrafé fous fes ruines , que de
ne pas s'agiter 8c fiire ufage de leurs
talens 6c de leur force. Malheur au fie-
cle qui produit de ces hommes rares ÔC
merveilleux ! chaque nation a eu là-
deiTus fes leçons 5c fes exemples do-
meftiques.
Mais enfin , (î ce n*efl pas un mal-
keur pour leur fiecle , c'eft du moins
Sur la Gloire Humaine, 171
un malheur pour eux-mêmes : fembla-
bles à un navire fans gouvernail, que
des vents favorables pouiTent à plei-i
nés voiles ; plus notre courfe efl rapi-
de , plus le naufrage efl: inévitable.
Rien n'efl fi dangereux pour foi , que
les grands talens , dont la Foi ne règle
p:is l'ufage. Les vaines louanges qu'at-
tirent ces qualités brillantes , corrom-
pent le cœur j ôc plus on étoit né avec
de grandes qualités , plus la corrup-
tion efl profonde 5c défefpérée. Dieu
abandonne l'orgueîl à lui-même : ces
hommes fi vantés expient fouvent dans
la honte d'une chute éclatante l'injuf-
tice des âpplaudifiemens publics ; leurs
vices déshonorent leurs talens. Ces
vafles génies, nés pour foutenir l'Etat,
ne foit plus , dit Job , que de foibles
rofeaux , qui ne peuvent fe foutenir
eux • mêmes. On a vu plus d'une fois
les pierres mêmes les plus brillantes
du fan^tuaire s'avilir , éc fe traîner in-
dignement dans la boue ; 8<: les plus
grands talens font fouvent livrés aux
plu? grandes foibleffes : Qai ducit fa- . , , ^
ccrdotes inglorlos ^ & opîimates fup- ig^ '^''
plantât.
Hij
172. DîM. DE LA Passion.
Ijl L- /E s fuccès écîatans , 5c les grands
Partie, cvénemens ^^^^î ics fuivent , ne méri-
tent pas plus de louanges dans les en-
nemis de Dieu , 6c ne leur donnent
pas plus de droit à la gloire , que leurs
talens.
Je fais que le monde y attache de la
gloire; ôc que d'ordinaire chez- lui , ce
ne font pas les vertus, mais les fuccès,
qui font les grands hommes. Les Pro-
vinces conquifes, les batailles gagnée?,
les négociations difficiles terminées ,
le Trône chancelant affermi ; voilà ce
que publient les titres 6c les infcrip-
tions', & à quoi le monde confacre
des éloges & des monumens publics ,
pour en immortalifer la mémoire.
Je ne veux pas qu'on abatte ces
marques de la reconnoiflance publi-
que : tout ce qui efl utile aux hommes,
eft digne , en un fens , de la recon-
noilTance des hommes. Comme l'ému-
lation donne les fujets illuftres aux
Empires , il faut que les récompenfes
excitent l'émulation , & que les fuc-
cès voient toujours marcheraprès eux
les récompenfes.,
Le gouvernement politique ne fon-
de pas les cœurs ; il ne pefe que les
Sur la Gloire Humaine. 17^
aérions. H eli même en ce genre des
erreurs nécelîaires à Tordre public :
tout ce qui i'embellit , doit être gîc-
rieux ; & les mœurs ou les motifs qui
ne déshonorent que la perfonne , ne
doivent pas tenir des fuccès qui ont
honoré la patrie.
Mais,s'il eft permis au monde d'exal-
ter la gloiîe de Tes héros, il n'eft pas
défendu à la vérité de ne pas parler
comme le monde : hélas ! il en eft fi
peu qu'il ne dégrade lui même. Ceux
que la diftance desternps 5c des lieux
éloigne de Tes regards , font les feuls
à couvert de fes traits : ceux qui vi-
vent fous fes yeux , n'échappent guè-
re à fa cenfure; 8c il celTe de les ad-
mirer 5 dès qu'il a le loifir de les con-
noître : ôc en cela ne Faccufons point
de malignité Se d'injuflice ; il faut
l'en croire , puifqu'il parle contre lui-
même.
Et en effet , percez jufques dans les
motifs des actions les plus éclatantes
& des plus grands événemens : tout
en eft brillant au dehors, vous voyez
le héros : entrez plus avant , cherchez
l'homme lui-même : c'eft là que vous
ne trouverez plus , dit le Sage , que Sap. 15,
de la cendre ôc de la boue : Cinis ejl iq.
Hiij
174 C)IM. DE LA PaSSIONT,
cnimcor ejus i & terra fupcrvacua^fpcs
illius.
L'ambition , la jaloufie, la témérité,
le hafard , la crainte fcuvent ÔC le dé-
fefpoir ont donné les plus grands fpec-
tacles ôc les événemens les pliis bril-
lans à la terre. David ne devoit peiu-
être les viâ:oires & la fidélité de Joab ,
qu'à fa jaloufie contre Abner. Ce font
fcuvent les plus vils reilbrts , qui nous
font marcher vers la gloire ; ÔC pref-
que toujours les voies qui nous y ont
conduits , nous en dégradent elles»
mêmes.
Auflî, écoutez ceux qui ont appro-
ché autrefois de ces hommes que la
gloire des fuccès avoir rendu céle-
.bres : fouvent i^s ne leur trouvoient
de grand que le nom ; Ihom.me défa-
vouoit le héros: leur réputation rou-
glifoit de la bafTefle de leurs mœurs 6c
de leurs penchans : la familiarité tra-
hilToit la gloire de leurs fuccès : il
falloii rappellerl'époque de leurs gran-
des avions pour fe perfuader que c'é-
toit eux qui les avoient faites. Ainfi
ces décorations fi magnifiques, qui
nouscblouiirent,^ quiembelllifent nos
hiîloires , cachent fouvent les perfon-
nages les plus vris 6c les plus vulgaires.
Sur la Gloire Humaine. 17$
Non , Sire , il n'y a de grand dans
les hommes que ce qui vient de Dieu.
La droiture du cœur , la vérité , l'in-
nocence 6c la règle des mœurs , l'em-
pire Cuv les pafTions , vciià la véritable
grandeur, Bc la feule gloire réelle que
perfonne ne peut nous difputer : tout
ce que les homm.es ne trouvent que
dans eux mêmes , eft fali, pour ainiï
dire j par la même bouc dont ils font
formés. Le fige tout feul dit ul grand
Roi , eft en polT^ilion de ia vériiable
gloire ; celle du pécheur n'efl: qu'un
opprobre 5c une ignominie: Gioricm Prov,^»
fapientcs pojjïdebunî j Jïulîorum exalta- 35»
tio îgnominia»
La Pveligion , la piété envers Dieu,
la fidélité à tous les devoirs qu'il nous
impofe à l'égard des autres & de nous-
mêmes , une confcience pure & à l'é-
preuve de tout ; un cœur qui m.arche
droit dans ia jufiice & dans la vérité ;
fupérieur à tous les obiiacles qui pour*
rolent l'arrêter ; infenfible à tous les
attraits rolTembiés autour de lui pour
le corrompre , élevé au deiîus de tout
ce qui fe palTe , 5c fournis à Dieu feul;
voilà la véritable gloire , ôc la baze de
tout ce qui fait les grands hommes. Si
vous frappez ce fondement, tout l'édi-
Hiv
1^6 D I M. DE LA Passion.
fîce s'écroule ; toutes les vertus tom-
bent ; & il ne r^fte plus rien parce-
qu'il ne refle que nous-nnêmcs.
SiRE , votre règne feroit plein de
merveilles ; vous porteriez la gloire
de votre nom jufqu'aux extrêmitez
de la terre; vos jours ne feroient mar-
quez que par vos triomphes ; vous
ajouteriez de nouvelles couronnes
à celles des Rois vos ancêtres , ]*uni-
vers entier retentiroit de vos louan-
ges : fi Dieu n'éroit point avec vous ;
il l'orgueil plutôt que la juilice & la
piété étoit l'ame de vos entrcprifes
vous ne feriez point un grand Roi
vos profpérités feroient des crimes
vos triomphes , des malheurs publics
vous feriez l'efFroi &. la terreur de vos
voifins ; mais vous ne feriez pas le
père de votre peuple : vos pafTions
feroient vos feules vertus : & malgré
les éloges que l'adularion , la compa-
gne imim.ortelle des Rois , vous auroit
donnez ; aux yeux de Dieu y ôc peut-
être même de la poflérité , elles ne
paroîtroient plus que de véritables
vices.
Ce n'efl donc pas cette gloire hu-
maine j grand Dieu ! que nous vous
demandons pour cet Enfant auguile :
Sur la Gloire Humaine. 177
elle paroît déjà peinte fur la majefté
de fon front ; elle coule même dans
fes veines avec le fang des Rois fes
ancêtres ; 5c vous l'avez fait naître
grand aux yeux des hommes , dès que
vous l'avez fait naître du fang des Hé*
ros : c'eft la gloire qui vient de vous»
Rehauffez les dons de la nature, dont
vous l'avez annobli par l'éclat imm.or-
tel de la piété. Ajoutez à tontes les
qualitez aimables qui le rendent déjà
les délices de fon peuple , toutes cel-
les qui peuvent le rendre agréable k
vos yeux. LailTez à fa naiffance ôc à la
valeur de la nation le foin de cette
gloire qui vient du monde ; nous ne
vous demandons , grand Dieu ! que
de veiller au foin de fa confervation
5c de fon falut. L'hifloire de fes ancê-
îres eft un titre qui no^is répond de
l'éclat ôC des propérités de fon règne ;:
mais vous feul pouvez répondre de
î'innocence ôc. de la fainteté de fa vie;^
La gloire du monde efl comme i'héri-
sage qu'il a reçu de fes pères félon la
chair ; mais vous , grand Dieu ! qui-
ètes fon père félon la foi , donnez^lul
là fagelTe qui eft la gloire & Fliérirag^
de vos en fan s.
Que foa cœut fok toujours emm
Mii|
17» 1^1 M. DE LA Passion. '
vos mains , & fon cœur fera encore
plus grand que Tes fuccès & fes triom-
phes : qu'il vous craigne, grand Dieu!
fes ennemis le craindront ; fes peuples
l'aimeront ; il deviendra à l'univers
un fpedacle digne de l'admiration de
tous les fiecles , ôc comme nous n'au-
rons plus rien à craindre pour fa gloi-
re*, nous n'aurons plus rien aufîî à fou-
haiterpournotre bonheur. AinJifoitiL
179
Ifi-à- H?- -^ -*- -«- ■»- -4-*^
ft^ \é- -«- Hjf- "»- 4- 'è- ^
1 .4. • .«. HÎI- 4- -4. ^ -f I
SERMON
POUR LE DIMANCHE
DES RAMEAUX.
Sur les écueils Ac la piété des
Grands.
Ecce R€X tuus venit tibi manfuetiis.
Voici votre Roi qui vient à mous , plein de
douceur. Matth. 21.5.
O I RE ,
PAa-tout ailleurs Jefus-Chrift fem-
ble n'exercer qu'avec une forte de
ménagement , les foné^ions éclatan-
tes de Ton nniniftere. Il Ce dérobe aux
emprefTémens d'un peuple qui veut
rélever fur le Trône ; il choifit le
fommetfolitaire d'une montagne écar-
tée pour manifefter fa gloire à trois
Difciples ; les dénions eux mêmes
qui veulent la publier, font forcés par
fes ordres de la cacher 6c de la taire,
Hvj
%^.o DîM. DÈS Rameaux.
Aujourd'hui il paroît en Roi , Sc
comme un Roi qui vient prendre pof-
feflîon de fon Empire : il foulFre des
hommages publics ; il difpofe en maî-
tre de l'appareil innocent de fon triom-
^îath. ph^ • ^i^i^^ 9 <2"^'^ Dominus his opus
|aE»4.> habet. Il entre dans le Temple ; bi pat
deschâtimens éclatans il rend à ce lieu
facré la majefté que Findécence d'un
trafic honteux lui avoit ôtée. Ce n'efl
plus cet homme qui fe dérobe aux re-
gards publics; c'eft le fils de David qui
(danne des loix, qui exerce un autorité
iiiprême , ÔC qui veut avoir tout Jéru-
falem pour témoin de fon zèle 6c de fa
puiffance.
Il eft donc ici le modèle de la piété
àcs Grandf. Les vertus privées ne leur
fuSiient pas ; il leur faut encore les
vertus publiques : ce iêroit peu de les
avoir iufques ici exhortés à la piété j
feilentiei eft de leur montrer qu'elle
€ft la piété de leurétat.Quoique TEvaa-
giîe propofe à tous la même doÔrine ^
Mine propofe pas à tous les mêmes ré-
gies : les devoirs changent avec Tétat t
iplus il eft élevé ^ plus ils fe multiplient;
plus nos places nous rendent redeva-
bles au public 5 plus elles exigent dès
î^tm PubliquÊS ; 6c, nouâ devenQiis
ECUEILS DE LA PlETE'jgCC. l^î
mauvais, fi nous ne fommes bons que
pour nous-mêmes.
Or la piété des Grands a trois écueils
à craindre , qui peuvent changer ea
wes toutes leurs vertus.
Premièrement, une piété oifive &
renfermée en elle-même, quiieséloi^
gne des foins & des devoirs publics.
Secondement , une piété foible y.
timide, fcrupuleufe , qui jette l'indé-
cifion dans leurs entreprifes & dans
toute leur conduite.
Enfin , une piété crédule 6c bornéej.
facile à recevoir l'imprefllon du préju-
gé , incapable de revenir quand une
fois elle l'a reçue.
C'eft- à- dire , qu'il faut à la piété des
Grands la vigilance publique , qui fait
agir ; le courage Se l'élévation , qui
font décider & entreprendre ; enfin ,
ou les lumières qui empêchent ; d'être
furpris , ou une noble docilité qui fe
fait une gloire de revenir j dès qu'elle
a fenti qu'on Ta furprife,^
L
SIRE^
A piété véritable efi: Tordre de là e
ibciétéo-Elle laifle chacun à fa place;fait Partis^
sb l'état où Dieu: nous a placé j^ rimi-
lîi DiM. DES Rameaux*
que voie de notre falut ; ne met pas
une perfeâ:ion chimérique dans des
œuvres que Dieu ne demande pas de
nous ; ne fort pas de l'ordre de fes de-
voirs pour s*en faire d'étrangers ; 6c
regarde comme des vices, les vertus
qui ne font pas de notre état.
Tout ce qui trouble l'harmonie pu-
blique eft un excès de ThommCjôC non
un zèle & une perfection de la vertu:
la Religion défavoue les œuvres les
plus faintes qu'on fubftitue aux de-
voirs ; &. l'on n*eft rien devant Dieu ,
quand on n'eft pas ce que Ton doit être.
Il y a donc une piété, pour ainfidire,
propre à chaque état. L'homme public
n'eft point vertueux s'il n'a que les ver-
tus de Ihomme privé; le Prince s'égare
6c fe perd par la même voie qui auroil
fauve le fujet ; 6c le Souverain en lui
peut devenir très criminel , tandis que
rhomme eft irréprochable.
Auiîî k premier écueil de la piété
des Grands eft de les retirer des foins
publics 5c de les renfermer en eux-
mêmes. Comme l'indolence &c IVmour
du lepos eft le vice ordinaire des
Grands , il devient errore plus dange-
reux & plus incorngible , quand ils le
couvient du prétexte de la vertu. La
ECUEILS DE LA PIETE% 5CC. 1S3
gloire peut réveiller quelquefois dans
les Grands rafToupiffement de la paref-
fe ; mais celui qui a pour principe une
S>iété mal-entendue,eften garde contre
a gloire même,ÔC ne laiflfe plus de ref-
fource. Un refte d'honneur 5c de ref-
pe£t pour le public 2>C pour la place
qu'on occupe, rompt fou vent les char-
mes d'une oifiveté honteufe , 6c rend
aux peuples le Souverain qui fe doit à
eux ; mais quand ce repos indigne eft
occupé par des exercices pieux , il de-
vient à Tes yeux honorable : on peut
rougir d'un vice ; mais on Ce fait hon-
neur de ce qu'on croit une vertu.
Mais, Si RE 5 un Grand , un Prince
n'eft pas né pour lui feul ; il fe doit à fes
fujets : les peuples en l'élevant , lui
ont confié la puifTance Sc l'autorité, ÔC
fe font réfervés en échange Ces foins ,
fon temps,fa vigilance. Ce n'eft pas une
idole qu'ils ont voulu Ce faire pour l'a.
dorer; c'eft un furveillant qu'ils ont
mis à leur tête pour les protéger ôc
pour les défendre : ce n'eft pas de ces
divinités inutiles qui ont des yeux &
ne voient point, une langue & ne
parlent point, des mains & n'agiifent
point', ce font de ces Dieux qui les pré-
cèdent, comme parle rEcriture, pour
1^4 I^iM. DES Rameaux;
les conduire & les défendre : ce font
les peuples qui , par Tordre de Dieu ,
les ont faits tout ce qu'ils font j c'eft à
eux à n'être ce qu'ils font que pour les
peuples. Oui, Sire , c'eft le choix de
îa nation qui mit d'abord le fceptre
entre les mains de vos ancêtres : c'eft
elle qui les éleva fur le bouclier milir
taire ôf les proclama Souverains. Le
Royaume devint enfuite l'héritage de
leurs fucceffeurs ; mais ils le durent
originairement au confentement libre
des fujets r leur naiiTance feule les mit
enfuite en polTefTion du Trône ; mais
ce furent les fuffrages publics qui atta-
chèrent d'abord ce droit & cette pré-
rogative à leur naiifance : en un mot ,
comme la première fource de leur au-
torité vient de nous, les Rois n'en doi^
vent faire ufage que pour nous. Les
Hatteurs , Sire, vous rediront fans
ceffe , que vous êtes le maître 6c que
vous n'êtes comptableàperfonne de vos
a£bions : il eft vrai que perfonne n'ell
en droit de vous en demander comp-
te ; mais vous vous le devez à vous-
même , ô( (î je Tofe dire , vous It dever
à la France qui vous attend , & à toute
FEurope qui vous regarde : vous êtes
k lîiaitre de vos fujets 3. mais vous n'en^
ECUEILS DE LA PlEXé , 8CC. 185
aurez que le titre , fi vous n'en avez
pas ies vertus : tout vous eft permis :
mais cette licence eft l'écueil de l'auto-
rité , loin d'en être le privilège : vous
pouvez négliger les foins de la Royauté^
mais comme ces Rois fainéans û désho-
norés dans nos Hiftoires , vous n'aurez
plus qu'un vain nom de Roi , dès que
vous n'en remplirez pas les fcknâiions
auguftes.
Quel feroit donc ce phantôme de
piété qui feroit une vertu aux Grands
& au Souverain de craindre 5c d'évi-
ter la diiTipation des foins publics; de
ne vacquer qu'à des pratiques religieu-
fes , comme des hommes privés ÔC
qui n'ont à répondre que d'eux-mê-
mes ; de fe renfermer au milieu d'un
petit nombre de confidens de leurs
pieufes illufions , 8c de fuir prefque la
vue du refte de la terre ? Sire , un
Prince établi pour gouverner les hom-
mes , doit connoître les hommes : le
choix des fujets eft la première fource
du bonheur public; 6c pour les choifîr,
il faut les connoître. Nul n'eft à fa pla-
ce dans un Etat où le Prince ne juge
pas par lui- même : le mérite eft négli-
gé , parce qu'il eft , ou trop modefte
pour s'emprelFer, ou trop noble pour
1Î6 DiM. DES Rameaux.
devoir Ton élévation à des foliicita-
tions ÔC à des baiTeffes : l'intrigue fup-
plante les plus grands talens ;[de5 hom-
mes fouples 5c bornés s'élèvent aux
premières places, 6c les meilleurs fu-
jers demeurent inutiles. Souvent un
David feul capable de fauver l'Etat ,
n'employé fa valeur dans l'oi/iveté des
champs , que contre des animauK (au-
vages ; tandis que des Chefs timides ,
effrayés de la feule préfence de Goliath,
font à la tête des armées du Seigneur.
Souvent un Mardochée , dont la fidé-
lité eil même écrite dans les monu-
mens publics , qui par fa vigilance , a
découvert autrefois des complots fu-
neftes au Souveraine à l'empire, feul
en état par fa probité 5c par fon expé-
rience de donner de bons confeils ôc
d'être appelle aux premières places ,
rampe à la porte du Palais ; tandis qu'un
orgueilleux Amian ei\ à la rêre de tour,
&abufede fon autorité 5c de la con-
fiance du maître.
Ainfi les fon£lions effentielles aux
Grands ne font pas la prière ^ la re-
traite. Elles doivent les préparer aux
foins publics , 5c non les en détourner;
ils doivent Ce fan^lifier en contribuant
au fcdut §c à la félicité de leurs peu»
ECUEîLS DE LA PlETÉ , &C. 1
pies ; les grâces de leur état font des
grâces de travail , de foins , de vigilan-
ce : quiconque leur promet , dit l'E-
vangile , qu'ils trouveront Jefus- Chrifl
dans le défert , ou dans le fecret de
leur Palais , efl un faux Prophète : Ecce Mouh*
in defcrto , eccc in penctralibiis ynolitc H* ^^'
credere. Ils y feront feuis 6c livrés à eux-
mêmes. Dieu n'eft point avec nous
dans les fituations qu'il ne demande '
pas de nous ; & le calme où nous nous
croyons le plus en fureté, fila main du
Seigneur ne nous y conduit ôc ne nous
y foutient , devient lui-même le gouf-
fre qui nous voit périr fans reiTource.
Une piété oifive &. retirée ne fan£^ifie
pas le Souverain , elle l'avilit ôc le dé-
grade.
Et quoi ! Sire : tandis que celui que
fon rang ÔC fa nailfance établiiTent dé-
poiîtaire de l'autorité publique, ferea-
fermeroit dans l'enceinte d'un petit
nombre de devoirs pieux 8c fecrets; les
foins publics feroieni abandonnés ; les
affaires demeureroient ; les fubalternes
abuferoient de leur autorité ; les loix
céderoient la place à l'injuilice ÔC à la
violence ; les peuples feroient comme
des brebis fans pafteur ; tout l'Etat
dans la confufion 5c dans le défordre l
i88 DiM. DES Rameaux.
& Dieu , auteur de l'ordre public,
regarderoit avec des yeux de complai-
fance une piéié oifive qui le renver-
fe ? K les peuples , expoiés à la merci
des flots 5 n'auroient pas droit de dire
à ce pilote endormi ÔC infidtle , avec
plus de raifon que les difciples fur la
mer ne le difoient à Jefus Chrift :
Seigneur , il vous eft donc indifférent
que nous périfTions ; ÔC notre perte ou
notre falut, n'eft plus une affaire qui
Mare. 4. vous intéreffe ? Magijîer , non ad te
3^* pertinet , quia perimus ? La Religion
autoriferoit donc des abus que la rai-
fon elle même condamne.
Mais la Religion elle-même n'efl-
elle pas nécelFairement liée à l'ordre
public ? elle tombe ou s'affoiblit avec
lui. Les mœurs fouffrent toujours de
la foibîefle des loix : la confunon du
gouvernement ell aufTi funefle à la
piété des peiïples qu'au bonheur des
Empires : le bon ordre de la fociéré eft
la première bafe des vertus chrétien-
nes ; l'obfervance des Ipï'x. de l'Etat
doit préparer les voies ^ celle de l'E-
vangile. L'Egîife ne doit compter fur
rien dans un Empire où Je gouverne-
ment n'a rien de fixe. Auflî les Etats
où la multitude gouverne , ôc ceux ou
ECUEILS DE LA PIETÉ, 8CC. îSp
elle partage la puiiîance avec le Sou-
verain , fans cefle expofés à des révo-
lutions j fe départent aufil facilement
des loix que du culte de leurs pères;
les foulévemens y font aufîi impunis
que les erreurs ; 6c c'efl là où l'héréfie
a toujours trouvé fon premier afyle ;
elle fe fortifie au milieu de la confu-
iioa des loix 6c de la foibleffe de l'au-
torité : elle doit toujours fa naiflance
ou fon progrés aux troubles & aux dif-
feafions publiques : les ragnes les plus
foibles ôc les plus agités onr toujours
éiè parmi nous , comme par-toiit ail-
leurs , les règnes funeftes de (on ac-
croifTement ôc de fa puilfance; ôc dès
que l'harmonie civile fe dément, tou-
te la Religion elle même chancelle.
AufTi les plus faints Rois de Juda ,
Sire , mêloient les devoirs de la piété
avec ceux de la Royauté. Le pieux
Jofaphat au fortir du Temple , où il
venoit tous les jours offrir fes vœux:
Se fes facrifices au Dieu de fes pères ,
envoyoit , dit l'Ecriture , dans toutes
les villes de Juda des hommes habiles
ôc des Prêtres éclairés , pour rétablir
l'autorité des loix 5c la pureté du culte
que les malheurs des règnes précédens
avoient fort altérées.
îpo DîM. DES Rameaux.
David lui-même , malgré ces pieux
cantiques qui faifoient Ton occupation
6c Tes plus chères délices , ÔC qui inf-
truiront jufqu'à la fin les peuples ÔC
les Rois 5 paroi (Toit fans celle à la tête
de fes armées 5cdes affaires publiques;
fes yeux étoient ouverts fous tous les
befoins de l'Etat ; Sc ne pouvant fuf-
fire feul à tout , il alloit chercher juf^
qu'aux extrémités de la Judée des
hommes fidèles pour les faire alTeoir
à fes côtés ôc partager avec eux les
Pf. 100. foins qui environnent le Trône : Oculi
meicid fidèles terrœ^ utfcdcantmccum.
Les plus pieuk Kob vos prédécef-
feurs , ont toujours été les plus appli-
qués à leurs peuples. Celui fur- tout
que l*Eglife honore d'un culte public,
defcendoit même dans le détail des
différends de fes fujets ; 5c comme il
en étoit le père , il ne dédaignoit pas
d'en être l'arbitre. Jaloux des droits
de fa Couronne , il vouloir la tranf-
mettre à fes fuccelTeurs avec le même
éclat 8c les mêmes prérogatives, qu'il
l'avoir reçue de fes pères : il croyoit
que l'innoceace de la vie feule ne fuf-
fit pas au Souverain ; qu'il doit vivre
en Roi , pour vivre en Saint ,• 6c qu'il
«e fauroit être l'homme de Dieu , s*il
ECUEÎLS DE LA PIETÉ , êCC 19!
n*eft pas l'homme de Tes peuples.
Il eft: vrai 5 Sire , que la piété dans
les Grands va quelquefois dans un
autre excès. Eiie les jette dans une
multitude de foias & de détails inuti-
les ; ils Ce croient obligé de tout voir
de leurs yeux , & de tout toucher de
leurs mains : les plus grandes affaires
les trouvent fouvent infenfibîes , tan-
dis que les plus petits objets réveillent
leur attention ôc leur zeie : ils ont les
foilicitudes de l'homme privé; ils n'ont
pas celles de l'homme public : ils peu-
vent avoir la piété du fujet; ils n'ont
pas celle du Prince. Ce n'eftpas à eux
cependant à abandonner le gouvernail
pour vaquer à des fondions obfcures ,
quin'inrérefTentpas la fureté publique ;
leurs mains font premièrement defti-
nées à manier ces relTorts principaux
des Etats, qui font mouvoir toute la
machine ; & tout doit être grand dans
la piété des Grands.
Mil.
Ais fi l'ina^f^ion en eft le premier parties
écueil , l'incertitude 8c Tindécifion ,
que traîne d'ordinaire après foi une
confcience timide 5c fcrupuleufe, ne
paroîlTent pas moins à craindre.
Ce n'eil pas que je prétende autori-,
Î92. DiM. DES Rameaux.
fer ici cette fagelle profane , qui fait
toujours marcher les intérêts de l'Etat
avant ceux de l'Evangile ; ni cette er-
reur commune , qui ne croit pas l'exac-
titude des règles de l'Evangile compa-
tible avec les maximes du Gouverne-
ment ÔC les intérêts de l'Etat.
Dieu , qui eft auteur des Empires ,
ne l'eft il pas des loix qui les gouver-
nent 1 A-t-il établi des PuilTances qui
ne puiffent fe Soutenir que par le cri-
me 1 & les Rois feroient-ils Ton ouvra-
ge , sMs ne pouvoient régner , fans que
la fraude 5c l'injuftice fuHent les com-
pagnes inféparables de leur règne ?
N'efl: ce pas la jullice ôc le jugement,
qui foutiennent les Trônes ? la loi de
Dieu ne doir-elle pas être écrite fur
le front du Souverain , comme la pre-
mière loi de l'Empire ? Et s'il falloit
toujours la violer , pour maintenir la
tranquilité des focietés humaines ,
ou la loi de Dieu feroit faulTe, ou les
focietés humaines ne feroient pas l'ou-'
vrage de Dieu.
Quelle erreur , mes Frères, de (e
perfuader que ceux qui font en place,,
ne doivent pas regarder de fi près à
la rigidité des règles faintes ! que les
Empires 5c les Monarchies ne fe mè-
nent
ECUEILS DE LA ^lET^ , 8CC. T95
nent point par des maximef; de Reli-
gion -, que la loi de Dieu eft îa règle
du particulier, mais que ies Etats ont
une règle fupérieure à la loi de Dieu
même ; que tout tomberoit dans îa lan-
gueur ÔC dans l'inaction , (î les maxi-
mes du Chriftianifme conduifoientles
aiFaires publiques , 6c qu'il n'eft pas
pofTible d'être en même- temps, 8C
l'homme de l'Etat 6c l'homme de Dieu!
Quoi ! mes Frères , la juftice , la
vérité , la bonne foi feroient funeiles
au gouvernement des Etats & des
Empires ? la Religion , qui fait tout le
bonheur ÔC toute la fureté des peuples
& des Rois, en deviendroitelle même
recueil ? un bras de chair foutiendroit
plus fûrement ies Royaumes , que la
main de Dieu qui les a élevés ? les
peuples ne pourroient devoir l'abon-
dance ôc la tranquillité qu'à la fraude
ôC à la mau'/aife foi de ceux qui les
gouvernent ? 6c les Miniftres des Rois
ne pourroient acheter que par la perte
de leur falut , le falut de la patrie ?
Quel outrage pour la Religion 6c pour
tant de bons Rois , qui n'ont régné
heareufement que par elle /
J^avoue, SiaE , que iorfque ieSouJ
verain eft ambitieux , 6c médite des
Petit Carêmç. l
194 DîM. DES Rameaux.
entreprifes injuftes , l'artifice Sc îâ
lîiauvaife foi , deviennent comme iné-
vitables à Tes Miniflres , ou pour ca-;
cher Tes mauvais delFeins, ou pour co-
lorer Tes injuftices. Mnis que le Prince
foit jufte 5c craignant Dieu, la juftice
& la vérité fumront alors pour foute-
fiir un Trône qu'elles-mêmes ont éle-
vé : l'habileté de fes Minières ne
fera plu? que dans leur équité 5c dans
leur droiture : on ne donnera plus à
ia fraude & à la difîîmulation les noms
pompeux d'art de régner , 5c de fcien-
ce des affaires. En un mot , donnez-
nioi des Davids , Si des Pharaons amis
du peuple de Dieu ; Se ils pourront
avoir des Nathans 5c des Joiephs pour
leurs MiniUres.
S.Aug, C'efl donc déshonorer la Religion 5
de av. (jit faint Auguftin , de croire qu'elle
' ne doit pas être confîjltée dans le gou-
vernement des Républiques 6c des
Empires. Mais c'eft lui faire un égal
outrage de prendre dans une piéré mal-
entendue des motifs d'indécifion 6c
d'incertitude ,^ qui entrevoient par-
tout les apparences du mal , & qui op-
pofent fans cefle un phantôme de Re-;
ligion aux entreprifes les plus juftes 5
& aux maximes les plus capitales.
EcuEiLS DE LA Pieté, Sec. 19$
C'eft à la fageffe humaine 6c cor-
rompue à être incertaine 8c timide :
toujours enveloppée fous des faufles
apparences, elle doit toujours crain-
dre qu'un coup d'oeil plus heureux ne
la perce enfin ÔC ne la démafque.
Mais la fagelTe qui vient du ciel , nous
rend plus décidés ôC plus tranquilles :
on marche avec bien plus de fécurité,
quand on ne veut marcher que dans
la lumière : l'homme" vertueux tout
feul a droit d'aller la tête levée, 5c de
défier la prudence timide 6c incertaine
de l'homme trompeur : une fainte
fierté fied bien à la vérité.
AufTi , c'ell fe faire une faufle idée
de iâ piété, de fe la figurer toujours
timide , foible , indécife , Tcrupuleufe,
bornée , fe faifant un crime de Tes de-
voirs , 6c une vertu de fcs foibleiTes ;
obligée d'agir, 8c n'oTant entrepren-
dre; toujours fufpendue entre les in-
térêts publics 5c Tes pieu Tes frayeurs ;
& ne faifant ufage de la Religion , que
pour mettre le trouble & la confusion,
où elle auroit dû mettre l'ordre & la
règle. Ce font-là les défauts que les
hommes mêlent fou vent à la piété ;
mais ce ne font pas ceux de la piété
même : c'ell le caractère d'un efprit
/
îc)6 DiM. DES Rameaux.
foibie 5C borné ; mais ce n'efî pas une
fuite de l'élévation ôc de la fagclTe de
la Religion : en un mot , c'eft l'excès
de la vertu ; mais la vertu finit tou-
jours où l'excès commence.
Non , Sire ^ la piété véritable élevé
l^efprit , annoblit le cœur , affermit le
courage. On efl né pour de grandes
chofes 5 quand on a la force de Ce
vaincre foi- même : l'homme de bien
efl capable de tout , dès qu'il a pu fe
mettre par la Foi au deïTus de tout :
c'efl le hafard qui fait les Héros ; c'eft
une valeur de tous les jours qui fait le
Jufle : les paiïîons peuvent nous placer
bien haut ; mais il n'y a que la vertu
qui nous élevé au - defTus de nous-
mêmes.
Quel règne , Sire , plus glorieux en •
Ifrsël que celui de Sa!omon,tandis qu'il
demeura fidèle à la loi de (es pe^s ?
quel gouvernement plus fage 6c plus
abfoiu ? tous les rsfinemens de poli-
tique ont ils jamais pouffé (i loin l'art
de régner ÔC de conduire les peuples ?
Quelle gloire ôC quelle magnificence
environnoit fon Trône ? la piété en
avililfoit elle la majellé ? Quel Prince
vit jamais (es fujets plus foumis ; fes
voifins s'ellimer plus heureux de fon
ECUEILS DE LA PIETÉ , 8CC. 197
alliance ; ÔC des Souverains à la tête
des Empires plus vaiies hi pluspuiiTans
que le iien , avoir pour fa perfonne
des égards 6c des déférences qu'ils ne
dévoient pas à fa Couronne ? Les Sages
ÔQS autres nations ne fe regardoient-
ils pas comme des infenfés devant lui ?
ne venoit-on pas des contrées les plus
éloignées admirer Tordre ÔC l'harmonie
qui lui faifoit gouverner tous fes fujets
comme un feul homme ? N'eft-ce pas
dans les préceptes divins qu'il nous a
laiflss 5 que les Princes apprennent en-
core tous les jours à régner ? 5c la piété
feroit elle recueil du gouvernement ,
puifque c'efl elle feule qui lui valut la
fageiTe ?
Heureux, s'il ne fut pas forti de fes
premières voies , & (1 les égaremens
de fa vieillefTe n'euffent pas flétri la
gloire de fon règne , êc altéré le bon-
heur de fes fujets ? Ils ne commencè-
rent à éprouver des charges exceflives,
& ne celTererit d'être heureux, que lorf-
qu'il cefla lui-même d'être fidèle à
Dieu •, &: que corrompu parles femmes
étrangères , il ne mit plus de bornes à
{es profufions 5c à TopprefTion de {e$
peuples 5 6c prépara à fon fiis le foule-
vement qui fépara dix Tribus du
lii;
198 DiM. DÈS Rameaux.
Royaume de David & leur donna un
nouveau Maître.
Hélas ! les iiommes pour excufer
leurs vices cherchent à décrier la ver«
tu : comme elle efl incommode aux
pafTions , ils voudroient fe perfuader
qu'elle eft funefte à la conduite des
Etats 6c des Empires, 5c lui oppofer
l'intérêt public , pour fe cacher à foi-
même l'intérêt perfonnel qui feul en
nous s'oppofe à elle. La crainte du Sei-
gneur eft la feule fource de la vérita-
ble fagefle ; & ce qui met l'ordre dans
l'homme , peut feul le mettre dans les
Etats.
in. Tî
«^^^^^^'.X-!; Nfin 5 rindécifion 5c l'incertitude
fconduifent fouvent au préjugé Se à la
furprife , & c'eft le dernier écneil de
la piété des Grands.
Oui , mes Frères , la piété a fcs er-
reurs comme le vice. Plus on aime la
vérité , plus tout ce qui fe couvre de
fes apparences peut nous fédnire : la
vertu fimple 8c ilncere . juge des autres
par elle-même : c'eft prefque toujours
notre propre obliquité , qui nous inf-
truit à la défiance ; on eft m.oins en gar-
de contre la fraude & rartifice, quand
on n'a jamais fait ufage que de la droi-
ECUEILS DE LA PlEXé , &C. I99
tiire ÔC de la fimplicité ; & les Juftes
font plus expofez à être furprls, parce-
qu*ils ignorent eux-mêmes l'art de fur-
prendre.
Mais c'efl dans les Grands fur- tout,
Sire , que la pleié doit craindre les pré-
jugés 6c la furprife. Outre que les fuites
en font plus dangereu Tes, c'eftque nés,
difoit autrefois AiTuerus • plus droits
&: plus finceres , ils font d'autant plus
fufceptibles de préjugés, qu'ils aiment
moins la peine del'eKamen 5c Temibar-
ras xle la défiance , & qu'ils trouvent
plus court 5c plus aifé de juger fur ce
qu'on leur dit , que de l'approfondir
éc de s'en convaincre : Dumaurcs prin- jrjih, 16^^
cipumjïmplicesj & exfiia natura alios 6,
ajîimantes , calUdâ fraude dccipiunt.
Et de combien de fortes de préju-
gés la piété dans les Grands ne peut-
elle pas les rendre capables? Préjugée
de crédulité. C'eft la piété elle-même
qui ouvre fouvent leurs oreilles à la
malignité de la calomnie ; & plus ib
aiment la venu , plus aifément on leur
rend fufpeâis de difiblution&de vice ,
ceux qu'une baife jaloufie a intérêt de
perdre. Mais tout zèle , qui cherche à
nuire, doit leur être fufpeéît:. La vérita-
ble piété y ou ne croit pas facilement le
I iv
zoo DiM. DES Rameaux.
mal 5 ou loin de le publier , le cache dii
moins & Texcufe : elle ne cherche pas
à rendre fon frère odieux à Tes maî-
tres ; elle ne cherche qu'à le réconcilier
avec Dieu : les délations fecrettes fe
propofent plus le renverfement de la
fortune d'autrui, que le règlement de
Tes mœurs ; & d'ordinaire le délateur
découvre plus Tes propres vices , que
les vices de Ton frère.
Préjugés de confiance. L'hypocrite
prend fouvent auprès d'eux la place de
l'homme de bien : ils donnent aux ap-
parences de la piété l'accès 5 les places ,
la confiance , qui n'étoient dueç qu'à
la piété elle-même : ils chargent de
foins publics ceux qui par leurs lumiè-
res bornées n'étoient nés que pour va-
quer aux fonâ:ions les plus obfcures :
des mœurs réglées tiennent lieu auprès
d'eux des plus grands talens ôc des fer-
vices lespîus importans ; 6c ils décrient
la vertu par les faveurs mêmes dont ils
l'honorent.
Enfin 5 préjugés de zèle. C'eft ici où
les Princes les plus pieux ont trouvé
fouvent dans leur zeîe même l'écueil
de leurpiété: les Conftantinsjes Théo-
dofes onr vu autrefois leur amour pour
TEglife fe tourner contre l'Eglife mê-
ECUEÎLS DE LA PIETÉ , êCC. 201
me 5 5c favorifer l'erreur par un zèle
de la vérité. Les Princes , Sire , ne
doivent toucher à la Religion que pour
la protéger ôc pour la défendre : leur
zèle n'eft utile à 1 Eglife, que lorfqu'il
eft demandé par les Palleurs : les foili-
citations des dépofitaires de la doélri-
nés font les feules qui doivent avoir du
crédit auprès d'eux , lorfqu'il s'agit de
la âo&inne elle-même ; toute autre voix
que la voix unanime des Pailcurs doit
leur être fufpe£te. C'efî ici où ils ne
doivent fe réserver que Ihonneur de la
proteâion , 6c leur laifTer celui de la
décifion & du Jugement. Les El\ êques
font leurs fujets ; mais ils font leurs
pères félon la Foi : leur nailTance les
foumet à Tautorité du liône : mais
fur les myileres de la Foi , Tautorité
du Trône fait^gloire de fe foumettre à
celle de î'Eglife. Les Princes n'en font
que les premiers en fans ; 5c nos Rois
ont toujours regardé le titre de (es fils
<tînés j commue le plus beau titre de leur
Couronne : ils n'ont point d'auirc droit
que de faire exécuter fes décrets ; 5c
ens'y foum.ettapt les prem.iers, donner
l'exemple de la foumiffion aux autres
Fidèles. Dès qu'ils ont voulu aller plus
loin jôc ufurper fur la doibrine un drok
I V
loi DiM. DES Rameaux.
réfervé au Sacerdoce , ils ont aigri îei
maux de l'Eglife loin d'y renr/édier :
leurs tempéramens ont été de nouvel-
les plaies Se ont enfanté de nouveaux
excès : toutes les conciliations inventées
pour calmer les efprirs rebelles & les
ramener à l'unité , les ont autorifés
dans ieur réparation 6c leur révolte , bC
leur autorité a toujours perpémé les
erreurs , quand elle a \culuTe mêler
toute feule de les rapprocher de la véri-
té. Ils peuvent environner l'Arche ti la
garder comme David ; mais ce n'eft
pas à eux à y porter les mains : le Trône
eft élevé pour être l'appui 5t l'aTyle de
la do£^rine faitue ; mais il ne doit
jam^'ais en être la règle , ni le Tribunal
d'où partent fes décifions.
Hclas ! fi les paiîîons 5c les intérêts
humainî^n'environnoient pas le Trône,
fans doure la piété des Souverains fe-
roit la plus fûre relTource de i Egiife ;
mais fouvent , ou l'on fait agir leur re-
ligion'contre leurs propres ir!té»*êts, ou
Ton fe fert du vain prétexte de leurs
intérêts , pour les faire agir contre la
Religion même.
Les préjugés font donc prefque iné-
vitEbles à la piété des Grands ; mais
c'ell i'obilination dans le préjugé, qui
I
ECUEILS DE LA PIETÉ, 5CC. 20^
rend le mal plus incurable. Il ne lui eft
pas honteux d'avoir pu être furpris :
hélas ! comment pouproient-ils s'en dé-
fendre? Tout ce qui les environne pres-
que s'érudie à les tromper; eil-il éton-
nant que rattention fe relâche quel-
quefois , ôc qu'ils puiik.'nt Ce laifTer
féduire ? L'artifice eft plus habile 6ç
plus perfévérant que la défiance ; Il
prend toutes les formes, 6c met à pro-
fit tous pes momens ; & quand tous
ceux prefque qui nous approchent ,
ont intérêt que nous nous trompions,
nos précautions elles-mêmes les aident
fouvent à nous conduire au piège.
Mais , SiRÇ , s'il n'eft pas honteux
aux Princes d'être furpris , malheur
inévitable à l'autorité fuprême , il leur
eft glorieux d'avouer qu'ils ont pu
l'être ; rien n'eft plus grand dans le
Souverain , que de vouloir être dé-
trompé , &C d'avoir la force de con-
venir foi-mémede fa méprife. Aftuérus
ne crut point déroger à la majefté de
l'Empire , en déclarant , même par un
Edit public , que fa bonne- foi a voit été
Turprife par les artifices d'Aman. C'eft
,_un mauvais orgueil de croire qu'on
ne peut avoir tort ; c'qft une foibleffe
de nVfef reculer, quand on fent qu'ch
I vj
104 DiM. DES Rameaux.
nous a fait faire. une faufle démarche ;
les variations qui nous ramènent au
vrai , aftermiffent l'autorité , loin de
raiFoiblir : ce n'efi: pas fe démentir ,
que de revenir de fa méprife. Ce n'eft
pas montrer aux peuples Tinconftance
du Gouvernement ; c'eft leur en étaler
l'équité ÔC la droiture. Les peuples fa-
vent aflez 8c voient aiTez fouvent ,
que les Souverains peuvent fe trom-
per ; mais ils voient rarement qu'ils
fâchent fe défabufer 5c convenir de
leur méprife : il ne faut pas craindre
qu'ils refpeâent moins la puiffance ,
qui avoue fon tort 5c qui fe condamne
elle même; leur refpetk ne s'afFoiblit
qu'envers celle , ou qui ne le connoît
pas , ou qui le juflifie ; & dans leur
efi^rit rien ne déshonore l'autorité que
la foible^fe qui fe laiffe furprendre , 6c
la mauvaife gloire qui croiroit s'avilir
en convenant de fon erreur ÔC de fa
furprife.
SîRE, fermez l'oreille aux mauvais ,
confeils & aux infinuations dangereu-
fes de l'adulation : mais comme elles
fe couvrent du voile du bien public,
^ que tôt ou tard elles trouvent accès
ÊLîprès du Trône ; fi l'inattention vous
h$ a fait fuivre , que l'intérêi feul de
ECUEILS DE LA PIETÉ , &C. 10$
votre gloire , quand vous ferez dé-
trompé , vous le fafTe à l'inftant défa-
vouer. Il eft encore plus glorieux d'a-
vouer fa furprife , que de n'avoir pas
été furpris : rien n'ed plus beau dans
le Souverain , qui ne dépend de per-
fonne , que de vouloir toujours dépen-
dre de ia vérité. On craindra de vous
împofer , quand l'impofture & l'adula-
tion démafquées n'auront plus à atten-
dre que votre défaveu & votre colère.
C'eft l'orgueil des Rois tout feul , qui
autorife Ôc enhardit les adulations 6c
les mauvais confeils : 6c s'il eft vrai ,
que ce font d'ordinaire les adulateurs
qui font les mauvais Rois , il eft enco-
re plus vrai que ce font les mauvais
Rois , qui forment ÔC multiplient les
adulateurs.
C'eft en évitant ces écueils , que îa
piété des Grands deviendra refpeéta-
ble ; qu'ils lui rendron- la gloire & la
dignité que les dérifions du monde ou
les foibleiTes de la fauffe vertu lui ont
prefque ôtée; ôc qu'on n'entendra plus
fe perpétuer parmi les bom mes ce blaf-
phême (i injurieux à la Religion : Que
les Princes pieux font les moinspiopres
à gouverner ; 5c qie la pieté peut en
faire de grands Saints, mais qu'elle
'ro6 DiM. DES Rameaux.
n'en faira jamais de Grands Roîs.
Puiflent ces difcours licencieux ,
Sire , ne jamais bleffer l'innocence de
vos oreilles ! mais Ci l'adulation ofe les
porter un jour jufques aux pieds de
votre Trône , qu'il en forte des éclairs
& des foudres , pour confondre ces
ennemis de la Religion & de votre
véritable gloire. Ecoutez ces adula-
tions impies , comme des blafphêmes
contre la majeilé des Rois ; comme des
outrages faits à vos plus glorieux ancê-
tres ; aux Charlemagnes, aux S Louis,
à votre auguile Bifaïeul. C'ed par une
piété tendre &C fincere , qu'ils devin-
rent des grands Rois ; leur zeie pour la
Religion les a encore plus illuflrésque
leurs vî(^oires ; les louanges que TE-
glife leur donnera à jamais , dureront
autant que lEglife elle-même ; leurs
grandes aérions , ou auroientété enfé-
velies dans la révolution des temps, ou
n'euilent eu qu'un éclat vulgaire , fila
piété ne les eût immortalifées.
Soyez , Sire , comme eux le défen-
feur de la gloire de Dieu , ôc il ne per-
mettra pas que la vôtre s'efface jamais
de la mémoire des hommes. Juilifiez ^
en vous pronofant ces grands modèles ,
que la j^htè ne déshonore point les
ECUEILS DE LA PIETÉ , 5CC. 207
Rois ; que les paiïîons toutes feules
aviliflent le Trône & dégradent le Sou-
verain ; qu'on n'eft pas digne de régner,
quand on ne règne pas fur foi- même ,
ÔC que pour être dans les âges fuivans
aufTi grand qu'eux aux yeux des hom-
mes 5 il faut avoir été comme eux fidè-
le à Dieu.
Grand Dieu ! plus le Trône eft en-
vironné de pièges , plus les Rois ont
befoin que vous les environniez de
votre proteâion , 5c des fecours de
votre grande miféricorde : mais plus
une tend» e jeunelTe ÔC une enfance dé-
laiffée à elle-même Se à tous les périls
de la royauté , expofe cet Enfant au-
gufte , plus il doit devenir robjet de
vos foins ^ de votre tendreile pater-
nelle.
Armez de bonne heure l'innocence
de fon cœur contre les dériiions qui
aviliiTent la piété , ôc contre les écueiis
de la piété même : donnez lui ces ver-
tus , qui fanâ:ifient Thomm^e 5c qui
font en môme temips le grand Roi. Fai-
tes qu'il refpefle ceiiX qui vous fer-
vent; ^"l qu'il ferve lui même le Dieu
de fes pères avec cette majeflé , qui
feule peut rendre les Rois refpe£ta-
io§ DiM. DES Rameaux.
Jettez les yeux fur lui du haut du
ciel , grand Dieu ! ÔC voyez ici à vos
pieds cet enfant augufte 5c précieux 5
la feule reifource de la Monarchie ,
l'Enfant de l'Europe , le gage facré de
la paix des peuples Se des nations : les
entrailles de votre miféricorde n'en
font elles pas émues ? regardez-le 5
grand Dieu ! avec les yeux & la ten-
dreffe de toute la nation.
Ecoutez la prerrieîe voix de fon
cœur innocent , qui vous dit ici , com-
me autrefois un Saint. Roi : Dieu de
mes pères , regardez moi : laiflez-
vous toucher de piété à la vue des périls
que mon âge ai. mon rang me prépa-
rent , & qui vont m'entourer de toutes
Pf, 8j. parts au fortir de Tenfance : Refpice in
^^* me ù mifererc mei: foyez vous-même
le défenfeur de mon Trône 5c de ma
jeuntlfe : confervez FEmpire à TEnfant
de tant de Rois, ôc qui neconnoît pas
de titre plus glorieux que d'être le pre-
mier-né de Vos Enfans : Dd imperium
pucro tuo.
Mais que la confervation d'une
Couronne terreflre , grand Dieu ! ne
foit pas le feul de vos bienfaits. Sau-
vez le Eils d'Adélaïde, à^s^ Blanches,
des Clotildes j ôC de tant de pieufes
ECUEILS DE LA PlETli , 5CC. lOp
Princeffes , qui me portent encore de-
vant vous dans leur fein 5 comme l'en-
fant de leur amour ÔC de leurs plus
chères efpérances : Etfalvumfacfilium
ancillœ tuez : & puifque Tinnocence
attire toujours fur elle vos regards les
plus propices ôc les plus tendres ; con-
fervez-la mol 5 grand Dieu ! auffi long-
temps que ma couronne : afin qu'après
avoir régné par vous heureufemenr fur
la terre,]^^ puiiFe régner avec vous éter-
nellement dans le Ciel AinfiJoit-iL
,«T .éh. --j-js.
iro
SERMON
POUR
LE VENDREDI SAINT.
Sur les ohjlacles que la vérité trouve
dans le cœur des Grands»
Aftiterunt Reges terrs , & Principes con-
venerunt in unum , adversùs Dominum , 8c
adversùs Chriilum ejus.
Les Rois de la terre fe font pré fentes , &
les Princes fe font aJJ'emblés contre le Seigneur
& contre fon Chrijl. Pf. 2. 2.
O IRE,
TOUTES les PuifTances de la terre
femblent fe réunir aujourd'hui ,
pour condamner Jefus Chrilt à la mort;
ÔC la mort de Jefus-Chrift n'eft qu'une
condamnation éclatanfe des pafîions
des Grands Se des Fuiffans de la terre.
C'efl un Pontife éternel qui s*oiFre
lui-même pour fon peuple comme la
Sur les Obstacles , Sec. m
feule vi6lime capable d'expier Ces ini-
quités , ^ d'appaifer la colère de Dieu:
c'eft un iMiniftre 6c un Envoyé de fon
perejqui rend témoignage par fon fang
à la vérité , de fa miiTion 5cde fon Mi-
niilerej c'eft un Roi qui entre en pof-
fefTion par fa mort de TEmpire de l'uni-
vers : il réunit en fa per Tonne tous les
titres glorieux dont l'orgueil des hom-
mes fe pare.
Cependant ce Pontife eft livré au-
jourd'hui par la jaloufie de? Grands-
Prêtres ; ce Miniilre §C cet Envoyé du
Ciel oppofe envain fon innocence à
l'ambition & à la lâcheté d'un Miniflre
de Céfar: ce Roi , à qui toutes les na-
tions ont été données comme fon héri-
tage 5 devient le jouet de l'indifférence
6c de la vaine curiofiré d'un Roi ufur*
pateur de la Judée. Il falloir que tout
ce qui porte le nom de Grand fur la
terrcja jaloufie des Pontifes, la lâche-
té de Pilate , &. l'indifférence d'Héro-
de , en condamnant Jefus-Chriil: , fif-
fent éclater fa glandeur& fapuiflance:
Ajîitcrunî Regcs terrce , &c.
De toutes les inftruâ:ions que nous
offre aujourd'hui le fpeâ:acle de la
Croix, il n'en ell pas ici de plus con-
venable : 6c puifque nous ne faurions
tïi Vendredi Saint,
en expofer à votre piété toutes les cir-
confiances . contentons nous de vous
y montrer les obftacles que la vérité
trouve dans le cœur des Grands de la
terre ; c'eft à dire , Jelus-Chrift con-
damné à la fïïort par les pafTions des
Grandsjôc les pafllons des Grands con-
damnées par la mort de Jefus Chrifl.
SIRE,
I. A-jA vérité , toujours odieufe aux
Partie. Qj^nds , trouve encore aujourd'hui
fur la terre les mêmes ennemis qui l'at-
tachèrent autrefois avec Jefus-Chrift
fur la Croix : la jaloufie la perfécute ;
un lâche intérêt la facrifie ; FindifFé-
rence la méprife & la tourne même
en ri fée.
Mais de toutes les pafîîons que les
hommes oppofent à la vérité , la jalou-
fie eft la plusdangereufe, parce qu'elle
eft la plus incurable, C'eft un vice qui
mené à tout, parce qu'on fe le déguife
toujours à ^3i-même, c'eft l'ennemi
éternel du mérite 6c de la vertu ; tout
ce que les hommes admirent , l'en-
flamme &: l'irrite; il ne pardonne qu'au
vice 5c à robfcurité ; 6c il faut être in-
digne des regards publics pour méri-
ter fes égards 6c fon indulgence.
Sur les Obstacles , &c. 213
Si les prodiges de Jeuîs • Chrift
avoient moins éclaté dans la Judée.,
les Princes des Prêtres îriOins éblouis
de fa gloire , ne lui eulîeni pas diîputé
fon innocence ; 6c ieur zèle jaloux ne
Pauroit pas trouvé digne de mort, s'il
ne l'eut été des louanges Ôc des accla-
mations publiques : Quid facinius y
quia hic homo înulîa fignaficit 1
Telle ed l'imprefTion de haine & de Joan, ir;
jaîoufie que la grande renommée de 47*
Jefus-Chrin: fait fur le cœur des Pon-
tifes 5c des Prêtres, des dépofitaires
de la Loi ôc de la Religion. Hélas !
faut-il que le San.£luaire lui-même de-
viennent prefque toujours l'afyie d'une
paillon (î méprifable ; que les dons
éclatans de l'Efprit de paixSc de chari-
té mettent l'amertume ôc la divifion
parmi fes Miaiftres ; que la moilTon fi
abondante 8c qui manque d'ouvriers,
excite des fentimens de jaîoufie parmi
le petit nombre de ceux qui travaillent;
que les Anges deftinés au miniilere en
puilTent arracher les fcandales du
Royaume de Jefus-Chrill: , fans y en
mettre fouvent un nouveau ; que dès
la naiffince de l'Evangile cette trifte
zizanie fe foit gliiTée parmi fes plus
faints ouvriers j éc que l'Eglife fouvent
114 Vendredi Saint.
foie prefque aiiiiî affligée par le faux
zèle qui la défend , que par Terreur
même qui l'attaque ? pourvu que Jefus-
CliriJi foit annoncé , la gloire n'eft-
elle pas commune à tous ceux qui l'ai-
ment ? ne partageons- nous pas Ces
triomphes , dès que nous ne corfibat-
tons que pour lui ? ÔC tous les fuccès
qui agrandiffeoî" fon Royaume , ne
deviennent ils pas les nôtres? C'eftlui
feul qui donne l'ace roi (Te ment ; 8c nos
foib'es travaux ne font plus comptés
pour rien , dès que nous les comptons
nous-mêmes pour quelque chofe.
Tous les traits les plus odieux fem-
blent Ce réunir dans un cœur où domi-
ne la palTîon injuilede l'envie. Cepen-
dant, c'eft le vice ÔC comme la conta-
gion uni/erfelle des Cours , ôc fouvent
la première fource de la décadence des
Empires. Il n'ed point de badefTe que
cette paHRon , ou ne confacre , ou ne
juftifie: elle éteint même les fentimens
les plus nobles de Té du cation Se de la
naiiTance ; Se dès que ce poifon a ga-
gné le cœur, on trouve des âmes de
boue , où la nature avoit d'abord pla-
cé des âmes grandes ^Cbien nées.
La mauvaife foi n'eflplus comptée
pour rien. Ces Grands Prêtres cher-.
$VK LES Obstacles , Scc. 21^
chent eux-mêmes de faux témoignages
contte Jefus-Chrift : eux qui dévoient
profcrire ces hommes infâmes qui font
Un trafic honteux de la vérité & de
l'innocence des autres hommes ; ils fe
les affocient , &C favorifent le crime
quifavorife leur pafîîon.
C'eft ainfi que ce vice ne rougit point
de Ce faire des appuis honteux & mé-
prifables. Les hommes les plus décriés
Se les plus perdus , on les adopte , dès
qu'ils veulent bien adopter Ôc fervir
l'amertume fecrette qui nous dévore ;
ils nous deviennent chers , dès qu'ils
peuvent devenir les vils indrumens de
notre pafîîon ; 8c ce qui devoir les ren-
dre encore plus hideux à no. yeux ,
eiTaceen un inftant toutes leurs tâches.
Le monde ne manque jamais de ces
hommes vendus à l'iniquité , dont l'u-
nique emploi efl de noircir auprès des
Grands ceux qui ont le malheur de
leur déplaire, ou quiplaifen: trop pour
être de leur goût ; ôc ces hommes cor-
rompus 8>C qu'on devroit bannir de la
fociété, ne manquent jamais de trou-
ver des Grands qui les écoutent &quî
les protègent. On érige en mérite le
zèle qu'ils étalent pour nos intérêts ;
&: on leur fait une vertu d'un minifterc
iï6 Vendredi Saint.
infâme, dont on rougit tout bas foî-
même : Doeg ridumcen devient cher
à Saùl 5 dès qu'il devient le minillre de
fa jaloulie5c de fa haine contre David.4
Mais de quoi n'eil pas capable un
cœur que la ialoude noircit 5c enveni-
me? non feulement on applaudit à rim-
podure; mais on ne craint pas de s'en
rendre coupable foi- même. Ces Pon-
tifes, témoins des prodiges ôc de la
fainteté de Jeuis-Chrift, ce pouvant
ignorer qu'il eil Fils de David & def-
cendu des Rois de Juda ; ayant oui de
fa propre bouche, qu'il falloit rendre
à Dieu ce qui ell à Dieu , 6c à Céfar ce
qui ed à Céfar , le font pourtant paifer
pour un féditieux, un ennemi de Céfar
5c qui veut en ufiirper la fouveraine
puiilance ; un impie qui veut renverfer
la loi, ôc le temple de fes pères; enfin,
pour un homme de néant , né dans la
boue Scdans la plus vile populace.
Cette paiTion amere efr comme une
phrénéfie , qui change tous les objets à
nos yeux: rien ne nous paroît plus fous
fa forme naturelle. David a beau rem-
porter des viâ:oires fur les Philiflins ,
ôc alTurer la couronne à fon maître :
aux yeux de Saiil , ce n'eft plus qu'un
ambitieux qui veut monter lui-même
fur
Sur les Obstacles 5 5cc. 117
fur le Trône. En vain Jérémie juilific la
vérité de fes prédi6bions par les événe-
mens ôc par la fainteté de fa vie ; les
Prêtres jaloux de fa réputation , pu-
blient que c'eft un impoileur 6c un traî-
tre qui annonce les malheurs & la rui-
ne entière de Jérufalem , plus pour dé-
courager fes citoyens & favorifer l'en-;
nemi, que pour prévenir la deftru(âion
entière de fa Patrie*
Tout s'empoifonne entre les mains de
cette funefte pafîîonrla piété la plus avé-
rée n'eft plus qu'une hypocrifie mieux
conduite ; la valeur la plus éclatante,
un^ pure oftentation , ou un bonheur
qui tient lieu de mérite ; la réputation
la mieux établie , une erreur publique,
où il entre plus de prévention que de
vérité ; les talens les plus utiles à l'Etat,
une ambition démefurée , qui ne ca-
che qu'un grand fonds de tiiédiocrité
6c d'inTuffifance ; le zèle pour la patrie,
un art de fe faire valoir 6c de fe rendre
nécelTaire ; les faccès mêmes les plus
glorieux , un aiTembiagede circonstan-
ces heureufes , qu'on doit à la b'zarfe-
îie du hafard plus qu'à la CsgQiTe des
mefures ; la naiiTance la plus illufrre ,
un grand nom fur lequel on efl enté
Se qu'on ne tient pas de ks ancêtres.
Petit Carême. K
2i8 Vendredi Saint.
Enfin la langue du jaloux flétrit tout
ce qu'elle touche ; & ce langage (î hon-
teux eft pourtant le langage commua
des Cours. C'eft lui qui lie les foclétés
6c les commerces : chacun fe cache la
plaie fecrette de Ton cœur ; 6c chacun
fêla communique : on a honte du nom
du vice ; 6c l'on fe fait honneur du
vice même.
Enfin il emprunte même les appa-
rences du zcle ôc de l'amour du bien
public : les intérêts de la nation & la
confervation du temple ÔC de la loi ,
paroifTent confacrer la jaloufie des
Pontifes contre Jefus-Chrift.
Le zèle du bien public devient tous
les jours comme la décoration Sc l'apo-
logie de ce vice. Il femble qu'on ne
craint que pour l'Etat ; Sc on n'envie
que les places de ceux qui gouvernent ;
on blâme le choix du maître , comme
tombant fur des fujets incapables; mais
ce n'eft pas l'intérêt public qui nous
pique, c'eft la jaloufie 6c le chagrin de
n'avoir pas été nous-mêmes! choifîs :
les places où nous alpirons , ne font
jamais félon nous données au mérite ;
la faveur du maître 6c le bien de l'Etat,
ne nous paroilTent jamais aller enfem-
ble : on fe donne pour amateur de la
Sur les Obstacles, 8cc. iif
patrie ; 6c on n'en aime que les hon-
îiears ÔCles prééminences. Aman trou-
ve la puliTance 5c la religion des Juifs
dangereufe à l'Empire ; mais ce n'eft
pas l'Etat qu'il a deiîein de fauver ;
c'efl: Mardochée qu'il veut perdre. Les
courtifans de Darius accufent Daniel
d'avoir violé la loi des Perfes : mais ce
n'eil pas de la majefté de la loi , dont
ils font jaloux : c'eft la gloire ôclafa-»
veur de Daniel qu'ils haïiTent.
Tout eil plein dans les cours de ces
zeles^de jaloufie. On étale le titre de
bon citoyen , & on cache deflbus celui
de jaloux: on a fans cefTe l'Etat dans la
bouche, & la jalouiie dans le cœur : on
paroît contriftc quand les événemens
font malheureux , bc ne répondent pas
aux vues 8c aux mefures de ceux qui
font en place ; &: l'on s'applaudit plus
du blâme qui en retombe fu r eux, qu'on
n'efl touché des maux qui en peuvent
revenir à la patrie.
Et voilà un des plus triftes effets de
cette paffion infortunée. Ces Pontifes
demandent que le fan g du Jufte folt
fur eux 6c fur leurs enfans. La défola-
tion du Temple Se de la Cité fainte, la
ceiTation des facrifices, la difperfion de
Juda 3 la perte de tout ne leur paroît
Kij
^^o Vendredi Saint.
lien , pourvu que l'innocent périfTe.
Et combien de fois a t-on vu des
hommes publics facrificr l'Etat à leurs
jaloufies particulières , faire échouer
des entreprifes glorieufes à la patrie ,
de peur que la gloire n'en rejaillît fur
leurs rivaux; ménager des événemens
capables de rcnverfer l'Empire pour
enfévelir leurs concurrens fous fes rui-
nes; ÔC rifquer de tout perdre pour faire
périr un feul homme ? Les Hidoires
des cours ôc des Empires fonrremphes
de ces traits honteux; Se chaque fîecîe
prefque en a vu de trifies exemples.
Mais le véritable zele du bien public
ne cherche qu'à fe rendre utile ; 8c à
l'hommevertueux&quiaimerEiatJes
fervices tiennent lieu de recompenfe.
Première paiTiondans les Pontifes,
qui livre aujourd'hui Jefus-Chrift; la
jaloufie : mais en fécond lieu , c'efl un
lâche intérêt dans Pilate qui le con-
damne.
II, V^Uijmes Frères, la pafTion, le Dieu
PARTIE, des Grands , c'efl: la fortune. Ils veu-
lent plaire à Céfar , & c'eft le feul
devoir qui les occupe. Tout ce qui
favorife ieur élévation , s'accorde tou-
jours avec leur confcience. La probi-
Sur les Obstacles, Scc. 2.2./
té qui nuiroit à leur fortune , & qui
leur feroir perdre la faveur du maître ,
n'ell plus pour eux que la vertu des
for?. Mais dès- là qu'on craint plus la
difrrrace de Céfar; que le reproche de
fa confcience , fî Ton n'a pas encore
facrifîé Thonneur & la probité , ce
n'eft pas le cœur & la volonté , c'eft
Toccafion , qui a manqué aux plus
grands crimes.
En effet , il paroît d'abord dans ïe
caraâiere de Pilate des reftes de droi-
ture 5c de probité : fa confcience s'é-
lève en faveur de l'innocent ; il fem-
ble lui-même plaider fa caufe ; il n'ofe
le délivrer , 8c il fouhaite pourtant
qu'on le délivre : premier degré de
l'ambition ; la lâcheté. On aime le de-
voir ôc réquité , lorfqu'il eft utile ou
glorieux de fe déclarer pour elle; qu'on
peut compter fur les fulfrages publics ;-
que notre fermeté va nous donner en
45e£lacle au monde , ôc que nous deve-
nons plus grands aux yeux des hom-
mes par la défenfe héroïque de la vé-
rité , que nous ne l'aurions été par fa:
difîîmulation 5c la foupleife. Nous-
cherchons la gloire 5c les applaudifle-
mens dans le devoir ; 6c prefque tou-
jours c'efl: la vanité , qui donne des de-
fenfeurs à la vérité. K iij;
12,2 Vendredi Saint.
A la lâcheté fuccede la crainte. Os
menace Pilate de Tindignation de Cé-
Joan, ^^^ '" ^^ hune dimittis , non es amicus
ig, IX. Cœfaris ; à cette raifon tous les droits
les plus facrés s'évanouillënt , 5c ne
font plus comptés pour rien. On n'eil
pas digne de Iburenir la jullice & la
vérité , quand on peut aimer quelque
chofe plus qu'elle : une démarche op-
pofée à l'honneur ÔC à la confcience ^
eft bien plus à craindre pour une ame
noble que la colère de Céfar. Mais
d'ailleurs , Sire , c'eft fervir la gloire
du Prince , que de ne pas fervir à fes
panions. Il eil be^au d'ofer s'expofer
àfon indignation , plutôt que de man-
quer à la fidélité qu'on lui a jurée ; ôc
fi les Princes , comm.e vous , peuxent
compter fur un ami fidèle . il faut
qu'ils le cherchent parmi ceux qui les
ont alFez aimés pour aïoir eu le cou-
rage d'ofer quelquefois leur déplaire:
plus ceux qui leur applaudiffent fans
Qt^Qy font nomibreux , plus l'homm.e
vertueux , qui ne fe joint point aux
adulations publiques , doit leur être
refpei^able. Mais cet héroïfme de fi»
délité efc rare dans les Cours : à peine
fe trouva-t-il un Daniel dans l'Empire
parmi tous les Satrapes y (^ui ne coa-
Sur les Obstacles , &c. 123
Hoiffoient point d*autre loi que la vo-
lonté du Prince. Telle efl la deftinée
des Souverains ; la même puiiTance
qui multiplie autour d'eux , les adula-
teurs , y rend auiTi les amis plus rares-
Aufll la craiî^te de déplaire à Céfar
conduit Pilace au dernier degré de la
lâche. é : il abandonne ÔC livre Jefus-
Chriil:. Les cris de ce peuple furieux
ne peuvent être calmés que parle fang
du Jufte : s'exporer à leur violence, ce
feroit allumer le feu de la fédition ; il
vaut encore mieux que l'innocent pé-
rilFe , que fi toute la nation alloit Ce
révolter contre Céfar ; & il faut ache-
ter le bien public par un crime.
Et voilà toujours le grand prétexte
de l'abus que ceux qui font en place
font de l'autorité ; il n'eft point d*in-
juilice que le bien public ne jufîilîe t
il femble que le bonheur 5c la fureté
publique ne puiffent fubfifier que par
des crimes; que l'ordre Sc la tranquil-
lité des Empires ne foient jamais dûs
qu'à rinjuftice 5c à l'iniquité; & qu'il
faille renoncer à la vertu pour fe dé-
vouer à la patrie.
Non, Sire, je l'ai déjà dit ailleurs ^
& on ne fauroit trop le redire ; la loi
de Dieu eft toute la force & toute is
Kiv
224 Vendredi Saint.
sûreté des loix humaines : tout ce qnl
attire la colère du Ciel fur les Etats ,
Ke fauroit faire le bonheur des peu-
ples : l'ordre &L l'utilité publique ne
peuvent être le fruit du crin:ie : on
fert mal la patrie quand on la fert aux
dépens des règles faintes : c'eft fapper
les fondemcns de l'édifice , pour Tem-
bellir &: l'élever plus haut ; c'eft en af-
foiblillant Tes principaux appuis , y
ajouter des vains ornemens qui hâtent
fa ruine. Les Empires ne peuvent fe
foutenir que par l'équité des mêmes
loix qui les ont formés ; &: l'injuflice
a bien pu détrôner des Souverains ,
mais elle n'a jamais affermi les trôner»
Les Minières qui ont outré la puiiTan-
ce des Rois , l'ont toujours affoiblie i
ils n'ont élevé leur maître que fur la
ruine de leurs Etats ; & leur zèle n'a
été utile aux Céfars, qu'autant qu'il a
refpeâ:é les loix de l'Empire^
C'eft donc la jaloufie dans les Prin-
ces des Prêtres , qui perfécute aujour-
d'hui Jefus Chrift ; un vil intérêt dans
Pilate , qui le livre ; & enfin une in-
différence criminelle dans Hérode ,
qui en fait un fujet de mépris 6c de
rifée.
Hélas / quelle autre déftinée pout^
?UR Les obstacles, 5cc. iif
Voit fe promettre la doftrine de TÊ-
vangile , en fe foumetrant à une Cour
fuperbe 6c voluptueufe ? la doftrine
fainte n'offre rien , qui ne combatte
Torgueil 6c la volupté ; & il n'y a de'
grand pour ceux qui hcbitent les Pa-
lais des Rois, que le plaidr ôc la gloirg»*
Si vous n'y paroiiTez pas fous ces éten-
dards , ou l'on vous prend pour un cen-
feur 5c un ennemi , ou ils vous mépri*
fent comme un homme d'une autre*
gfpece 5c un nouveau venu qui vienr
porter au milieu d'eux un langage-'
inoui 5c des manières étrangères.
Nous- m.êmes , dans ces chaires chré-
tiennes , qui feules leur parlent encore
le langage de la vérité ; nous mêmesy.
nous venons fouvent ici affoiblir ce^
langage divin ; refpeéler ce que nous^
devrions combattre ; adoucir par des^
idées humaines î-a févérité dès regles^^
faintes ;■ autorifer prefque leur^ pré-
jugés , avant d'ofer combattre leur^-
palTions ; ÔC fous prétexte de ne pas îes«=
révolter contre la vérité , la leur reû*-
dre prefque mécotinoiU'able,.
Hérode , inftruit des- merveille^f
qu'on publioit de Jeius- Chrifl , s'at teDd^
à lui voir ©pérer de^ prodiges ,~^ dansa
c€itè attente , ii le. voit arriver à âa
t:i6 Teindre Dr S^aint..
Cour avec joie : ce n'eft pas la vente
qui l'intérefTe , e'eft une vaine curiofi-
té qu*il veut fa tis faire , & faire fervir
Jefus-Chrlftde fpedacle à Ton loifir oC
à fon oifiveté. Gar c'eft de tout temps ^
que la plupart des Princes 6c des
tjrands ont fait de la Religion un fpec-
tacle- : les myfleres les plus augufles 5c
les plus terribles , égayés par tous les
attraits d'une harmonie recherchée y
deviennent pour eux comme des ré-
jDuiflances profanes qui les amufentf
ils ne cherchent que le plaifir des fens
jufques dans les devoirs d'un culte:
qui n'eft établi que pour les combat-
tre ::il faut que la R.eligion , pour leur
■ plaire , emprunte les joies 6c tour Tap-
pareil du fiecle ,• 6c qu'un Tpedacle
digne des Anges , ait encore befoin
ée décoration pour être un fpe(^acle
digne d'eux.
Hérode fait à Jefus - Chrifl: des
Musi îT.^"^^^®'^'^ vaines 8c frivoles : întcrrc-
^ gabat eum multis fermonibus : de ces^
queftions , où l'orgueil &: l'irréligion
ont plus de part que l'amour de la-
vérité ; qu'on propofe plutôt pour fe
feire une gloire de fes doutes , que pat-
un delir fincere de les éciaircir ; de
lîSEâ queiliûos qui n'aboutiiîent à. tieni
r Sur les obstacles, êcc. 227
'qu'à nous afFermir dans l'incrédulité ,
qui n'ont de férieux que raveugle*
ment d'où elles prennent leur fource ;
de ces quefltons où Ton difcourt des
vérités éternelles du fahit , comme de
ces vérités douteufes ÔC peu intéref-
fantes que Dieu a livrées à l'oifiveté
&: à la difpute des hommes ; où l'orï
traite ce qui doit décider du bonheur
ou du malheur éternel , comme un
problême indifférent dont les deux;
côtés ont leur vraifemblance , & ou
l'on peut opter : de ces queftions en^
fin, qui font plutôt des déridons fecvet^
tes de la Foi, que les recherches ref^
pe£lueuresd'un véritable Fidèle»
Et voilà le feul ufage que la pfuj-
part des Grands font de Jefus Chriâ^.
des queftions éternelles fur la Reli-
gion : Interrogahat eum multis fermonB^
bus : faifant de Jefus Chrift ôc de Cà
dofbrine un fujet oifeux &: frivole
d'entretien &C de conteftation , au lïem
d'en faire l'objet de leur efpérance ^
de leur culte ; s'informant de la vérif-
ié d'un avenir , ÔC de cette autre pa^
trie qui nous attend après le trépas^ 5)
avec moins d'intérêt , qu'ils n'écoure--
ïoient les relations d'une terre inconi-
nue ôc peut-être fabuîéufe , où nul
^l^ Vendredi Saint.
mortel n'a pu encore aborder ; parlant '
des faits miraculeux qui établifient la
certitude bL la divinité de la Religion
de leurs pères , avec la même incerti-
tude qu'ils parleroient d'un point peu
important d'hiRoire qu'on n'a pas en-
core éclairci ; êc par la manière peu
férieufe dont ils veulent s'inftruire de^
la Foi 5 montrant qu'ils l'ont toutà-
fait perdue.
Auffi Jefus-Chrift n'oppofe qu'un
lîlence profond à la vanité des quef-
îjons d'Hérode. On ne mérite les ré-
ponfes de la vérité y que lorfque c'eft
Ife defir de h connoître qui Tinterro»
ge ; 2^ c'eft' dans le cœur de ceux q^ui
parlent ÔC dirputent plus fur la Reli-
gion , qu'elle eil d'ordinaire plus effa-
cée. Oui, mes Frères, on a déjà trouvé
la vérité quand on la cherche de bonne
fui : il ne faut pour la trouver , ni creu-
fèr dans les abîmes, ni s'élever au def-
£is des airs ; il ne faut que l'écouter
au- dedans de nous-mêmes. Un cœur
innocent 6i docile entend d'aj^ord fa^
voix ; les doutes 6c les^ recherches que
forment l'orgueil , loin de la rappro-
cher de nous ,, ferment les yeux à. fat
lumière : elle aveugle les Sages & les;
fiigas orgueiiieiix dé fes myfteres,, ôC
Sur les Obstacles, Scc. ti^^
ne fe communique qu'à ceux qui font
gloire d'en être les Difciples. ta fou-
mifTion eft la fource des lumières : plus
on veut raifonner , plus on s'égare :
plus on doute , plus Dieu permet que
les doutes augmentent : la raifon une
fois fortie de la règle , ne trouve plus
tien qui Tarrête ; plus elle avance , plus-
elle fe creufe de précipices. Auiïî l'hé-
réfie, d'abord timide dans fa naifTancCy
va toujours croiiTant , & ne garde plus
de m.efures dans Tes progrès : elle n'en
vouloit d'abord parmi nous qu'aux abus>
prétendus du culte ; elle a depuis atta-
qué le culte lui-même : eilefe plaignoit
que nous dégradions Je fus- Chrift de fa
qualité de m.édiateur ; elle a enfanté
des Difciples qui l'ont dégradé de fa
divinité & de fa naiffance éternelle ::
elle vouloit réformer la Religion ; elle^
a fini par les approuver toutes , ou^
pour mieux dire, par n*en plus avoir
&: n'en plus connoître aucune relie pré-
rendoit s'en tenir àla lettre aux livres;
faints ; ôc cette lettre a été pour elle
une lettre de mon ; & Ces faux-Pro-
phêtes y ont puifé un fanatifme ÔC des-
vifions fur l'avenir, que révénement:
a démenties 5c dont elle a rougi elle-
même.. Non, mes Frères ^ la Foi eiiie
^t^o Vendredi Saint^
feul point qui peut fixer Tefprit liir-
main , fi vouspaffez au delà , vousfl'a-
vez plus de route aflurée; vous entrez
dans une terre ténébreufe & couverte
des ombres de la mort; vous n'y voyez
plus que des phantômes, les triftes en-
fans des ténèbres ; 6c comme la raifon
n'a plus de frein j Terreur auffi n'a plus
de bornes.
En effet les queftions d'Hérode le
vconduifent à faire de Jefus Chrift un
Mhîd, y. ^yjgj ^g fijC^g . ^pj-^ylt: autem illum He-
rodes ; & toute fa Cour fuit fon exem-
ple : Cum exercitu fuo, La vertu la plus
pure, dès qu'elle déplaît au Souverain,,
eft bientôt digne de l'oubli 6c du mé-
pris même du courtifan : c'eft le goût
. du Prince , qui décide prefque tou-
jours pour eux de la vérité ôc du mé-
rite : leur Religion eft toute, pour ainfî
dire , fur le vifage du maître: c'eft là
leur loi 8c leur Evangile ; & ils n*ont
rien de plus fixe dans leur culte que les
caprices 6c les pafTions de l'idole qu'ib-
adorent.
p» Auftî l'attention, Sire, la. plus-
eflentielle que les Rois doivent à I^^
place où Dieu les a fait afteoir, c'eft de'
rendre la Religion refpeâ:able , en ne
ik permettant jamais la plus légère dé>-
Sur les Obstacles , Scc. t^-w
rîfîon qui puille en blefler la majeflé;
Les plus jeunes années de votre au-
gurteBifaïeul , ne le virent jamais s'é-
carter de cette règle : ce fut pour lui la;
règle de tous les temps Se de tous les
lieux. Son refpeA pour la Religion de
£es pères , impofa toujours devant lui
un fjlence éternel à l'impiété: fon lan-
gage fut toujours le langage du pre-
mier Roi Chrétien, c'eft à dire, le lan-
gage refpeé^able de la Foi. L'irréligion
étoit le feul crime auquel il ne pardon-
noit point : tout étoit férieux pour lui
fîir cet article : nulle joie , nulplaiiîr
n'autorifa jamais devant lui la moindre
dérifion qui pût intérefler le culte de
{es ancêtres : religieux jufqu'au milieu
des réjouiifances d'une Cour jeune 6c
florifTante, la Foi ne foufFrit jamais des
plaifirs ÔC des difTipations inévitables à
la jeunefTe des Rois. Sur ce point ,.
Sire, tout devient capital dans la bou-
che d'un Souverain : une fimple légè-
reté va autorifer la licence de l'impiété
ou faire de nouveaux impies : on croit
plaire en enchérifTant^ ôc les railleries
du maître deviennent bientôt des blaf^
phêmes dans la bouche du courtifan,^
Telles font les paflions que les
Grands oppofent à la vérité , 6c qui
xjî Vendredi Sa pn t^
eondamnent Jefus- Chrift à la morC
Que ne puis je achever , ÔC vous mon-
trer les psflîons de? Grands condam-
nées par la mort de Jefus-Chrift !
Hélas / en eft-il une feule que fa
croix ne confonde ? Il ne meurt que
pour rendre témoignage à la vérité ; il
en ell le premier Martyr : ôc les Grands
craignent la vérité ; &. il eft rare qu'elle
ait accès auprès de leur Trône. Il n'eu
Roi quepour être la viâimede fon peu-
ple ; 6c les peuples font d'ordinaire la
viâiime de l'ambition des Princes 5c
des Rois. Les marques de fon autorité,
fon fceptre , fa couronne , font les inf-
trumens de fes fouifrances ; & l'uni-
que ufage que les Grands font de leiir
autorité . c'eil de la faire fervir à leurs
plaifirs injuftes. Au milieu de fes pei-
nes ôc de fes douleurs il n'efl: occupé
que de nos intérêts ; 6c les Qxzxxàs au
milieu de leurs plaifirs ne daignervt
pas même s'occuper des peines & des
fouifrances de leurs frères. Il fouffre à
notre place ; & les Grands croient que
tout doit fouifrir pour eux. Il vient Je
tous les Peuples ne faire qu'un peuple,
réconcilier toutes les nations , éteindre-*
routes les guerres; & c'eftla vanité des^
Grands 5 qui les. allume & qiii les. éiei»-
Sur les Obstacles , 5cc. 23:^
nife fur la terre. Que dirai- je ? Il n'eft
Pvoi que parce qu'il eft Sauveur •; fes
bienfaits forment tous fes titres ; fes
qualités gîorieufes ne font que les dif-
férens ot^ces de fon amour pour nous;
tout ce qu'il eiï de plus grand,!! ne Teft
que pour les hommes ; il efl tout à nos
ufages : ôc les Grands ne comptent le
refte des hommes pour rien , & ne
croient être nés que pour eux-mêmes.
Voilà, Sire , le grand modèle des
Rois. Du haut de fa croix il inftruit les
Grands 6c les Princes de la terre : Re-
gardez , leur dit il, Ôcfaires félon ce
modèle : j'ai quitté mon Royaume, Ô£
je fuis defcendu de ma gloire pour fau-
ver mes fujets ; vous n'êres Rois que
pour eux , ÔC leur bonheur doit être
Tunique objet de tous les foins atta-
chés à votre couronne. Oui , Sire j
c'eft un Roi qui donne fa vie pour fon
peuple ; ÔC il ne vous demande que
votre amourpour le vôtre: c'eftun Roi-
qui ne va conquérir le monde que pour
r.acquérir à Dieu ; ne combattez que
pour lui , 5c vous ferez toujours fur de
la vi(^oire : c'eft un Roi qui fait de la
croix fon Trône , 8c le lieu de fes dou-
leurs 8>C de fes foufFrances ; regardez le
vôtre comme un lieu de foins ôc de tra^
134 Vendredi Saint.
Tail , &: non comme le (îege de la vo-
lupté ÔC de la molleffe : c'eftun Roi qui
ne veut régner que fur les cœurs : Tu-
fage le plus glorieux de votre-autorité,
c'eft celui qui vous afilirera l'amour de
vos peuples : c'eft un Roi qui vient ap-
porter la pnis , la vérité , la juftice aux
hommes, ôc qui ne veut que les ren-
dre hf ureux : Sire , régnez pour norre
bonheur, &L vous régnerez pour le
vôtre.
O mon Sauveur 1 c'eft aujourd'hui
que vous commencez à régner vous-
même fur toutes les nations ; vos der-
niers foupirs font comme les prémices
facrées de votre règne : & c'eil par la
croix que vous allez conquérir Tuni-
vers : grand Dieu ! que ce ibit elie qui
affermifle ie règne de 1 enfantprécieux
que vous voyez ici à vos pieds : que la
Religion en confacre les prémices , &
en couronne la durée: ce font Tes glo-
rieux ancêtres qui Font placée parmi
nous fur le Trône ; que ce foit elle qui
y foutienne l'Enfant augufie qui ne
peut vous offrir encore que fon inno-
cence, la foi de Tes pères, les malheurs
qui ont entouré fon berceau royal , ÔC
la tendreffe la plus vive de fes fujets.
Confervez l'Enfant de tant de Saints
Sur les Obstacles, 8cc. 235
Se de tant de Proteâ:eurs de la Foi fain-
te. Ils expofereiît autrefois leur vie ÔC
leur couronne pour aller recouvrer
votre héritage ; confervez le (len à cet
Enfant précieux : afin qu'il puilîe un
jour défendre ÔC protéger l'Eglife, que
le père vous donne aujourd'hui com-
me rhériiage que vous avez acquis par
votre fang. Ils revinrent chargés des
dépouilles facrées de la croix ; que ce
dépôt faint dont ils enrichirent cette
Ylllc régnante , que ce gage précieux
de l'A piété de Tes pères , ibllicite au-
jourd'hui fur-îout vos grâces en fa fa-
veur: n*abandonnez pas l'héritier de
tant de Princes , qui ont été les pre-
miers défenfeurs de votre nom ôc de
votre gloire. Les coups de votre colère
l*ont épargné au milieu des débris de
fon augurte famille ; iailfez- nous ,
grand Dieu , jouir de votre bienfait
que nous avons acheté fi cher : que ce
reile heureux de tant de têtes auguftes
que nous avons vu tomber à la fois ,
répare nos pertes Se elfuye nos larmes:
comblez-le lui feul de toutes les grâces
que vous aviez réfervées dans vos tré-
fors éternels à tant de Princes qui dé-
voient régnera fa place , 6C auxquels fa-
couronne étoit deftinée : réunilTez en
zi6 Vendredi Saint.^
lui tout ce que vous deviez partager
fur les autres ; Scque Ton règne ralTem-
bîe toutes les bénédidlions, & tous \^s
genres de bonheur , que nous nous
promettions fép'dïément fous les rè-
gnes des Princes qu'une mort préma-
turée nous a enlevés , 6c auxquels vous
n'avez refufé fans doute fur la terre
une couronne que la naifTance leur
deilinoit , que pour leur en préparer
dans le Ciel une éternelle. ^/n/ij où- i/»
'■K^
137
SERMON
POUR LE JOUR
DE PASQUES-
Sur le triomphe de la Religion,
■ Expolians principatus & poteftates , tra-
duxir Lonfidenter , pdlàm triumphaiis illos ia
fcmcripio.
Jefiis-Chrifl ayant défarmé les Principautés
& les Puiffances , il les a menées hautement
en triomphe à la face de tout le monde , après
les avoir vaincues en fa propre perfonne. Col.
2* 15.
O IRE ,
LEs vains triomphes des Conqiié-
rans n'étoîent qu'un fpeâ:acle d'or-
gueil , de larmes , de défefpoir 6c de
mort : c'étoit le triomphe lugubre des
pailions humaines; & ils ne laiflbient
après eux que les triftes marques de
l'ambition des vainqueurs 6c de la
fervitude des vaincus.
X38 Le Jour de Pasques.
Le triomphe de Jeftis-Chrift eil au-
jourd'hui pour les nations mêmes qui
deviennent fa conquête , un triomphe
de paix, de liberté & de gloire.
Il triomphe de Tes ennemis ; mais
pour les délivrer ÔC les aflbcier à fa
puilFance , il triom|5he du péché; mais
en effaçant. 6c attachant à la croix cet
écrit fatal de notre condamnation , il
en fait couler fur nous une fource de
fainteté 6c de grâce : il triomphe de
la mort , mais pour nous afTurer l'im-
mortalité.
Telle eft la gloire de la Religion :
elle n'offre d'abord que les opprobres
& les fouffrances de la croix : mais
»
c'eft un triomphe glorieux 8c le plus
grand fpeciracle que l'homme puiiTe
donner à la terre. Rien ici bas n'eft
plus grand que la vertu : tous les au-
tres genres de gloire , on les doit au
hafard , ou à l'adulation ÔC à l'erreur
publique; celle-ci on ne la doit qu'à
Dieu 5c à foi- même. On en fait une
honte aux Princes 6c aux Pullfans; 6C
cependant c'eft par elle feule qu'ils
peuvent être Grands , puifque c'eil
par elle feule qu'ils peuvent triompher
de leurs ennemis , de leurs paflions 9
5c de ia mort même.
Triomphe de la Religion, i^f
Expofons ces vérités fi honorables
à la Foi ; ÔC confacrons à la gloire de
la Religion l'inftruâiion de ce der-
nier jour , qui eft le grand jour des
triomphes de Jefus-Chrift.
L
SIRE,
'A gloire des Princes 8c des Grands I.
a trois écueils à craindre fur la terre : Paî^tie*;
la maligaité de l'envie, ou les inconf-
tances de la fortune qui robfcurciflenf,
les pafîîo is qui la déshonorent ; enfin,
la mort mêiie qui l'enfévelit , & qui
change en cenfures les vaines adula-
tions qui l'avoient exaltée.
La Religion feule les rnet à couvert
de ces écueils inévitables , ÔC où toute
la gloire humaine vient d'ordinaire
échouer : elle les élevé au delTus des
événemens ÔC de Tenvie: elle leur af-
fujettit leurs pafTions ; enfin elle leur
alTure après leur mort la gloire que la
malignité leur avoit peut-être refufée
pendant leur vie. C'eft ce qui fait au-
jourd'hui le triomphe de Jefus Chriiî ,
ôc c'eil ce modèle glorieux que nous
propofons aux Grands de la terre.
Toute la gloire de fa fainteté §C de
fes prodiges n'avoit pu le fauver des
240 Le Jour de Pasques.
traits de l'envie ; ÔC fon innocence
avoir paru fuccomber aux PuifTances
des ténèbres qui Tavoient opprimée.
Mais fa rérurre(5lion attache à (on char
de triomphe ces Principautés ôc ces
PuilTances mêmes : fa gloire fort triom-
phante du fein de fes opprobres : fa
croix devient le fignal éclatant de fa
vi6^oire : la Judée feule l'avoit rejet-
te ; ÔC l'univers entier l'adore.
Oui j mes Frères , quelle que puif-
fe être la gloire des Grands fur la
terre , elle a toujours à craindre , pre-
mièrement , la malignité de l'envie
qui cherche à Tobfcurcir. Hélas / c'eft
à la Cour fur tout , où cette vérité n'a
pas befoin de preuve. Quelle eft la
vie la plus brillante où l'on ne trouve
des tâches ? où font les vi6i:oires qui
n'aient une de leurs faces peu gio*
rieufe au vainqueur ? quels font les
fuccè? 5 où les uns ne prêtent au ha-
fard les mômes événemens , dont les
autres font honneur aux talons 6c à la
fageife ? quelles font les a6i:îons héroï-
ques qu'on ne dégrade en y cherchant
des motifs lâches 8c rampans ? en un
mot , où font les Héros , dont îa ma-
lignité , ôc peut-être la vérité ne fafîe
des hommes ?
Tant
Triomphe DE la Religîôk. 14%
Tant que vous n'aurez que cette
gloire où le monde afpire , le monde
vous la difputera : ajoutes-y la gloire
de la vertu ; le monde la craint ôc I5
fuit , mais le monde pourtant la ref^
P Non , Sire, un Prince qui craint
Dieu ôc qui gouverne fagement Tes
peuples-, n'a plus rien à craindre des
hommes. Sa gloire toute feule auroit
— pu faire des envieux; fa piété rendra
wF fa gloire même refpeâabie: fes entre-
prifes auf oient trouvé des cenfeurs ;
fa piété fera l'apologie de fa condui-
te : fes profpérités auroient excité la
jaloufie ou la défiance de fes voifîns ;
il en deviendra par fa piété Tafyle ôC
Tarbitre : fes démarches ne feront ja-
mais fufpeâ:es , parce qu'elles feront
toujours annoncées par la juflice : on
ne fera pas en garde contre fon ambi-
tion , parce que fon ambition fera tou-
jours réglée par fes droits ; il n'attirera
point fur fes Etats le fléau de la guer-
re , parce qu'il regardera comme un
crime de la porter fan? raifon dans les
Etats étranger? : il réconciliera les
peuples ÔC les Rois , loin de les divifer
pour les alfoibîîr 6c élever fa puiiTance
fur leurs divifions ÔC fur leur foiblefTe :
Petit Carême, L
i4î Le jour de Pasques.
fa modération fera !e plus sûr rampart
de fon empire : il n'aura pas befoia
de garde qui veille à la porte de fon
Palais; les cœurs de Tes fujets entou-
reront Ton Trône & brilleront autour,
à la place des glaives qui le défendent :
fon autorité lui fera inutile pour fe
faire obéir ; les ord*-es les plus fûre-
ment accomplis font ceux que l'amour
exécute ; 6c la fourniHion fera fans
murmure , parce qu'elle fera fans con-
trainte- : toute fa puiffance l'auroit
rendu à peine maître de fes peuples ;
par la vertu il deviendra l'arbitre mê-
me des Souverains. Tel étoit , SiRt ,
un de vos plus faints PrédéceiTeurs à
qui l'Eglife rend des honneurs publics ,
ÔC qu'elle regarde comme le protecteur
de votre Monarchie. Les Rois fes voi-
fîns loin d'envier fa puiflance, avoient
recours à fa fagefTe : ils s'en remet-
toient à lui de leurs différends & de
leurs intérêts : fans être leur vainqueur,
il étoit leur Juge & leur arbitre ; 6c la
vertu toute feule lui donnoit fur toute
l'Europe un Empire bien plus fur 6c
plus glorieux , que n'auroient pu lui
donner fes vi(î^oires. La puifTance ne
nous fait que de fujets 6c des efcla-
ves : la vertu toute feule nous rend
maître des hommes*
Triomphe de la Religion. 145
Mais 11 elle nous met au de (Tu s de
î'envie ; c'eft elle encore qui nous
rend fupéfieurs aux événemens. Oui ,
Sire , les plus grandes profpérités ont
toujours ici bas des retours à craindre:
Dieu qui ne veut pas que notre cœur
s'attache où notre tréfor & notre boa-
heur ne fe trouvent point , fait quel-
quefois du plus haut point de notre
élévation le premier degré de notre
décadence : la gloire des hommes
montée à fon plus grand éclat , s*atti*
re , pour ainfi dire , à elle-même des
nuages : Thiftoire des Etats & des Em-
pires n'efl elle-même que l'hiftoire de
la fragilité ÔC de l'inconftance des cho-
fes humaines : les bons bL les mauvais
fuccès femblent s'être partagé la durée
des ans 8c des fiécles ; ^ nous venons
de voir le règne le plus longSc le plus
glorieux de b Monarchie , finir par
des revers 5c par des difgraces.
Mais fur les débris de cette gloire
humaine , votre pieux & augufle Bi-
-faïeul fut s'en élever une plus folide 6C
plus immortelle. Tout fembla fondre
& s'éclipfer auîour-de lui : mais c'eft
alors que nous le vîmes à découvert
lui même, plus grand parla (implicite
de fa foi ÔC par la confiance de fa piété ,
Lij
244 Le jour de Pasques.
que par Téclat de Tes conquêtes : fes
profpérités nous a voient caché fa vé-
ritable gloire : nous n'avions vu que
fes fjccès , nous vîmes alors toutes fes
vertus : il falloit que fes malheurs
égalaiT^nt fes profpérités ; qu'il vît
tomber autour de lui tous les Princes
les appuis de fon Trône ; que votre vie
îîiênae fût menacée , cette vie fi chère
à la nation , ôc le feul gage de fes mi-
féricordes , que Dieu laiiTe encore à
fon peuple : il falloit qu'il demeurât
tout feul avec fa vertu , pour paroître
tout ce qu'il étoit : fes fuccès inouis
lui avoient valu le nom de Grand ; fes
fentimens héroïques ÔC chrétiens dans
î'adverfiré , lui en ontalfuré pour tous
les âges à venir le nom ôC le mérite.
Non , mes Frères , il n'eft que la Re-
ligion qui puiffe nous mettre au-deflus
des événemens ; tous les autres motifs
nous lailTent toujours en^re les mains
de notre foibleffe : la raifon , la Philo-
fophie promettoit la confiance à fon
Sage ; mais elle ne la donnoit pas :
la fermeté de l'orgueil n'étoit que la
dernière relîburce*du découragememt;
Se l'on cherchoit une vaine confola-;
tion , en faifant femblant de méprifei*
des maux qu*on n'étoit pas capable dq
Triomphe de la Religion. 245
vaincre. La plaie qui blefle le cœur ,
ne peut trouver Ton remède que dans
, le cœur même ; or ia Religion toute
feule porte fon remède dans le cœur*
Les vains préceptes de la Phiiofophie
nous prêchoient une infenfibilité ri-
dicule , comme s'ils avoient pu étein-
dre les Tentimens naturels, fans étein-
dre la nature elle même. La Foi nous
laiîfe fenfibles ; mais elle nous rend
fournis , 6c cette fenfibilité fait elle-
même tout îe mérite de notre foumif
fîon : notre fainte phiiofophie neù.
pas inteofîble aux peines \ mais elle eft
fupéfieure à la douleur- C'étoiîôier aux
hommes la gloire de la fermeté dans
les Souffrances , que de leur en ôter le
fentiment;5clarageire payenne ne vou-
loir les rendre infenfibles, que parce-
qu'elle ne pouvoir les rendre foumis
5c patiens : elle apprenoit à l'orgueil
à cacher 6v. non à furmonrer les fenfî-
bilités ôc Tes foiblefies : elle formoit
des héros de théâtre , dont les grands
fentimens n'étoient que pour les Spec-
tateurs, ÔC afpiîoiî plus à la gloire de
paroître confiant, qu'à la vertu même
de la confiance.
Mais la Foi nous laiiïe tout le mérite
de la fermeté , &: ne veut pas même
L iij
t4.6 Le jour de Pasque^,
en avoir l'honneur devant les hom»
mes. Elle facrifie à Dieu feul les fenti»
mens de la nature ; ôc ne veut pour
témoin de fou facrifice que celui feul
qui peut en erre le rémunérateur : elle
feuîe donne de la réalité à toutes les
autres vertus j parce qu'elle feule en
bannit Porgueil qui les corrompt , ou
qui n'en fait que des phantômes.
Ainfî 5 qu'on vante Télévation & la
iupériorité de vos lumières ; qu'une
haute fageffe vous faiîe regarder com-
me l'ornement 5c le prodige de votre
îîécle : fi cette gloire n'eft qu'au de-
hors ; fi la Religion , qui feule élevé
le cœur , n'efl: pas la première bafe ;
le premier échec de fadverfité renver-
fera tout cet édifice de philoiophie 6c
de fauffe fageffe , tous ces appuis de
chair s'écrouleront fous votre m^in ;
ils deviendront inutiles à votre tmU
heur : on cherchera vos grandes qua-
lités dans votre découragement ; 5c
votre gloire ne fera plus qu'un poids
ajouté à votre affliâion qui vous la
rendra plus infupportable. Le monde
£d vante de faire des heureux ; mais la
Religion toute feule peut nous rendre
grands au milieu de nos m.allieurs
mêmeSa
Triomphe de la Religion. xA^i
1 Remier triomphe de Je fus- Chrift ; *• ,
PARTIE»
il triomphe de la malignité de l'en-
vie 8c de tous les opprobres qu'elle
lui avoient attirés de la part de fes en-
nemis. Mais il triomphe encore du pé-
ché : il eqnmene captif ce premier au-
teur de la captivité de tous les hommes:
il nous rétablit dans tous les droits
glorieux dont nous étions déchus , 6C
nous rend par la grâce la fupériorité
fur nos pallions , que nous avions per-
due avec l'innocence.
Second avantage de la Religfon :
elle nous éleva au-delTus de nos paf-
lîons , 6c c'eil le plus haut degré de
gloire où l'homme puiiTe ici-bas at-
teindre. Oui , mes Frères : en vain le
monde infulte tous les jours à la piété
par des dérifions infenfées ; en vain ,
pour cacher la honte des paillons , il
fait prefque à l'homme de bien une
honte de la vertu ; en vain il la repré-
fente , aux Grands fur tout , comme
une foiblede , & com^ne l'écueil de
leur gloire ; en vain il autorife leurs
paHîons, par \ç^% grands exemples qui
les ont précédés , ôc par l'hiftoire des
Souverains qui ont allié la licence des
mœurs avec u*n règne glorieux 6C l'é-
L iv
24^ Le jour de Pasques.
clat des vi(^oires ôc des conquêtes %
leurs vices venus jufqu'à nous , 5c rap-
pelles d'âge en âge , formeront jufqu'à
la fin le trait honteux , qui efFace l'é-
clat de leurs grandes aérions , ôc qui
déshonore leur hilloire.
Plus même ils font élevés , plus le
dérèglement des mœurs les dégrade j
& leur ignominie , dit TEfprit de Dieu,
2. Macc» ^^^'^^ ^ proportion de leur gloire. Outre
i* 24, que leur rang , en les plaçant au deffus
de nos têtes , expofe leurs vices com-
me leur perfonne aux yeux du public.
Quelle honte lorfque ceux qui font
établis pour régler les pafTions de la
multitude , deviennent eux- mêmes les
vils jouets de leurs pafTîons propres ;
êc que la force , l'autorité , la pudeur
des loix fe trouvent confiée à ceux qui
ne connoifTent de loi , que le mépris
- public de toute biénféance & leur
propre foiblelfe ! Ils dévoient régler les
mœurs publiques ; ôc il les corrom-
pent : ilsétoient donnés de Dieu pour
être les proteâieurs de la vertu ; & ils
deviennent les appuis 5c les modèles
du vice.
Toute la gloire humaine ne fauroit
jamais effacer l'opprobre que leur laifle
ie défordre des mœurs , ôc l'emporte-
Triomphe de la Religion. 249
ment des pafTions ; les vi6loires ies
plus éclatantes ne couvrent pas la hon-
te de leurs vices : on loue les actions y
Se l'on méprife la perfonne : c'eft de
tout temps , qu'on a vu la réputation^
la plus brillante échouer contre les
mœurs du héros ; ôc Tes lauriers flétris
par fes foiblelTes. Le monde qui fem-
ble méprifer la vertu , n'eftime 6c ne
rerpe8:e portant qu'elle : il élevé de^
nionun:îens fuperbes aux grandes se»
lions des conquérans ; il fait reîentif
la terre du bruit de leurs louanges;,
une poéfie pompeufe les chante 6(. les
immortalife ; chaque Achille a fori
Homère ; l'éloquence s'épuife pou?
leur donner du luftre r l'appareil def
éloges eft donné à l'ufage & à la van**
té ; l'admiration fecrette & les louan-
ges réelles &C finceres , on ne les dor.»
ne qu'à la vertu 5c à la vérité.
Et en effet ^ le bonheur ou la ténic'*
îité ont pu faire des héros ; mais la
vertu toute feule peut former de
grands hommes, il en cotite biea-
moins dé remporter des viclt^'res que*
de fe vaincre foi-même : il ell biem
plus aifé de conquérir des provii^cca^^
êc de dompter des peuples- , que de
dompter une paiBoa .la ir orale» mime
250 Le jour de Pasques;
des Payens en efl convenue. Du moinâ^
les combats où préGde la fermeté , la
grandeur du courage, la fcience mili-
taire , font de ces allions rares , que
Ton peut compter aifément dans le
cours d'une longue vie ; ÔC quand il
ne faut être grand que certains mo-
mens , la nature ramaife toutes fes
forces , ôc l'orgueil pour un peu de
temps pe^ut fupplécr à la vertu. Mais les
combats de la Foi font de? combats de
tous les jours : on a affaire à des enne-
mis qui renaillent de leur propre dé-
faite : fi vous vous laffez un inftant 9.
vous périlîez : la viâoire même a fes
dangers; l'orgueil , loin de vous aider,
devieotle plus dangereux ennemi que
^ous ayez à combattre : tout ce qui
vous environne fournit des armes con*
pre vous ; votre cœur lui-même vous
drelTe des embûches ; il faut fans céfle
recommencer le combat. En un mot,
on peut être quelquefois plus fort ou
plus heureux que fes ennemis ; mais
qu'il eft grand d'être toujours plus fort
^pe foi même !
Telle eft portant la gloire de la
Religion. La Philofophie découvroit
la honte des paiFions ; mais elle n'ap-
^fêHQir £>a§ à les vaiflcre ^ ôc ces pré-
Triomphe de la Religion. 251
ceptes pompeux étoient plutôt l'éloge
de la vertu , que le remède du vice.
Il étoitmême néceflaire à la gloire
& au triomphe de la Religion que les
plus grands génies , ÔC toute la force
de la rai Ton humaine fe fut épuifée
pour rendre les hommes vertueux. Si
les Socrates 6c les Platons n'avoient
pas été les Do£^eurs du monde avant
Jefus Chrift , ÔCn'euflent pas entrepris
en vain dérégler les mœurs, 6c de cor-
riger les hommes par la force feule de
la raifon ; l'homme auroit pu faire hon^
neur de fa vertu à la fupériorité de fô
raifon 5 ou à la beauté de la vertu mê-
me : mais ces prédicateurs de la fagefle
ne firent point de Sages ; & il failoit
que les vains elTais de la philofophie
prcparalfent de nouveaux triomphes^
ia grâce.
C'eft elle enfin qui a montré à fe
terre le véritable Sage , que tout le
faite Se tout l'appareil de la raifon hu^
maine nous annonçoit depuis fi long-
temps. Elle n'a pas borné toute fa gloire-
corn me la Philofophie à effayer à'ew
former à peine un dans chaque fiecle
parmi les hommes : elle en a peuple
les villes, les Empires, les défères ; ^
Fimlverî entiersa été pour elle un autre
252 Le jour de Pasques
Licée , où au milieu des places publi-
ques elle a prêché la fagelTe à tous les
^ o hommes. Ce n'eft pas feulement par-
jt. ^^ / mi les peuples les plus polis, qu'elle a
choifi fes Sages ; le Grec ÔC le Barbare ,
le Romain 6c le Scythe ont été égale-
ment appelles à fa divine philofophie :
ce n'eft pas aux Savans tous feuls ,;
qu'elle a réfervé la connoiffance fubli-
me de Tes my itères; le fimple a prophé-
iifé comme le r3ge;ôclesigrj or ans eux-
mêmes font devenus fes douleurs ê>C
fes apôtres. Il falloir que ia véritable
lageliê pût devenir la fageffe de tous
ks hommes. •
Que dirai je ? Sa doélrine étoit in-
ênfée en apparence ; & lès Philcfo-
phes foumirent leur raifon orgueilleu»
le à cette fainte folie : elle n'annon-
i|oit que des croix ÔC des fouffrances ;
èc les Céfars- devinrent fes difciples :
«lie feule vint apprendre aux hom-
mes , que la chafleté , 1 humilité , la
nem.pérance pouvoient être afîlfes fur
lie Trône ; ^ que ie liège ûts paflîons
Bc des piaiiirs pouvoir devenir le
Sege de la vertu 6c de l'innocence*
Quelle gloire pour la Religion !
Mais ^ Sire , iî la piété des Grands;
.t^ gjioneuie; à k Religion 5. c'eH Is
Triomphe de la Religion. 1^3
Religion toute feuie qui fait la gloire
véritable des Grands. De tous leurs
titres , le plus honorable c'eft la vertu-
Un Prince maître de Tes pafîîons ; ap-
prenant fur lui - même à commander
aux autres ; ne voulant goûter de l'au-
torité , que les foins 6c les peines que
le devoir y attache ; plus touché de Tes
fautes que des vaines louanges qui les^
lui déguifent en vertus ; regardant
comme l'unique privilège de Ton rang ,
l'exemple qu'il eft obligé de donner
aux peuples ; n'ayant point d'autre
frein ni d'autre règle que Tes defirs , ÔC
faifant pourtant à tous fes delirs un
f;ein de la règle même ; voyant autour
de lui tous les hommes prêts à fervir à
fes pafîîons , ôC ne fe croyant fait lui--
même que pour fervir à leus befoins ;
pouvant abufer de tout, ÔC fe refufant
même ce qu'il auroiteu droitde fe per-
mettre : en un mot , entouré de tous
les attraits du vice , ÔC ne leur mon^
trant jamais que la vertu ; un Prince
de ce caraôere efl le plus grand fpec-
tacle que la Foi puiÏÏe donner à la ter-
re : une feule de fes journées eompre
plus d'actions glorieufes que la longue
carrière d'un conquérant; l'un a été la
héros d'un jour ^ l'autre l'eû de iQixm:
la vie»
2 54 Ï-E JOUR DE PaSQUES.
n. C'J
'Eft ainfi que Jefus Chrift trîom-
Partie* ^^^ aujourd'hui du péché ; mais il
triomphe encore de la mort ; il nous
ouvre les portes de T'im mortalité , que
le péché nous avoit fermées ; ÔC le fein
même de Ton tombeau enfante tous les
hommes à la vie éternelle.
C'eft le dernier trait qui achevé le
triomphe de la Pvcligion. L'impiété ne
donnoità l'homme que la même fin ,
qu'à la bête : tout devoit mourir avec
fon corps ; &: cet être fi noble , feul
capable d'aimer 6c de eonnoître , n'é-
toit pourtant qu'un vil afTemblage de
boue que le hafard avoit formé , 6c
que le hafard feul alloit difToudre pour
toujours.
La fuperfiiiion payenne lui promet-
toit au -delà du tombean une félicité
oifeufe , où les vains phantômes des
fens doivent faire tout le bonheur
d^un homme qui ne peut être heureux
que parla vérité.
La Religion nous ouvre des efpéran-
ces plus nobles 6c plus fublimes : elle
rend à l'homme rimm.ortalité , que
l'impiété de la Philofophie avoit voulu
lui ravir, Se fubftitue lapoffeiîloo éter-
adie du bien fouverain à ces champf
Triomphe de la Religion. 25$
fabuleux & à ces idées puériles de
bonheur que la fuperftition avoir ima-
ginées.
Mais cette immortalité quieft la plus
douce efpérance de la Foi , n'efl pro-
mife qu'à la Foi même : Tes promefles
font la récompenfede fes maxirnes; ÔC
pour ne mourir jamais même devant
les hommes , il faut avoir vécu félon;
Dieu.
Oui, mes Frères, cette immortalité y
même de renommée , que la vanité
promet ici- bas dans le fouvenir des
hommes , les Grands ne peuvent la
mériter que par la vertu.
La mort eil prefque toujours l'écueiï
êC le terme fatal de leur gloire : les vai-
nes louanges , dont on les avoit abufés
pendant leur vie , defcendetit prefque
aufîî- tôt avec eux dans l'oubli du tom-
beau : ils ne furvivent pas long-temps à
eux mêmes ; ou s'il en refte quelque
fouvenir parmi les hommes, ils en font
plus redevables à la malignité des cen-
fures , qu'à la vanité des éloges : leurs
louanges n'ont eu que la même durée
que leurs bienfaits : ils ne font plus-
rien , dès qu'ils ne peuvent plus rien^
Leurs adulateurs même deviennent:
iemscenfeurs'î (.car l'adulation dégéne^
z$6 Le jour de Pasques.
re toujours en ingratitude; ) de nouvel-
les efpérances forment un nouveau lan-
gage ; on élevé fur les débris de^a gloi-
re du mort la gloire du vivant ; on em-
beiiit de fes dépouilles 5c de fes vertus
celui qui prend. fa place. Les Grands
font proprement le jouet des paillons
des hommes; leur gloire n'a point de
confiftance alTurée , Sc elle augmente
ou diminue avec les intérêts de ceux
qui les louent.
Combien de Princes vantés pendant
leur vie , n'ont pas même laiffé leur
nom à la poflérité ; ôc que font les hif-
Eoires des Etats Sc^des Empires qu'un
petit relie de noms & d'aélions , échap-
pé de cette foule innombrable qui de-
puis la nailTance des llecles e£t demeu-
rée dans l'oubli !
Qu'ils vivent félon Dieu , 6c leur
nom ne périra jamais de la mémoire
des hommes. Les princes religieux fon2
écrits en caraâ:eres ineffaçables dans
ies annales de l'univers. Les viâ:oire3
&. les conquêtes font de tous les liecles
& de tous les règnes , ÔC elles s'effacenr,
pour aînfi dire , ies unes les autres davis
Bos hifVoires : mais les grandes avions
de piété plus rares, y confervent tou-
jours tout leur éclata Un Prince pieui*:
Triomphe de la Religion. 157
fe démêle toujours de la foule des au-
tres Princes dans la pollérité : fa tête
ÔC fon nom s'élève au- deiTus de toute
cette multitude , comme celle de Saul
s'élevoitau-deffusde toute la multitu-
de des Tribus: fa gloire va même croif-
fant en s'éloignant , & plus les fiecies
fe corrompent , plus il devient un
grand fpeélacle pai^a vertu.
Oui , SiRE , on a prefque oublié les
noms de ces premiers conquérans, qui
jetterent dans les Gaules les premiers
fondemens de votre Monarchie, ils
font plus connus par les Fables Se par
les Romans , que par l'Hiffoire ; 6C
Ton difpute même s'il faut les mettre
au nombre de vos auguftes Prédécef-
feurs : ils font demeurés comme enfé-
velis dans les fondemens de l'Empire
qu'ils ont élevé , ôc leur valeur qui a
perpétué la conquête du Royaume à
leurs defcendans, n'a pu y perpétuer
leur mémoire.
Mais le premier Prince qui a fart
affeoir avec lui la Religion fur le Trône
des François , a immortalifé tous fes
titres par celui de Chrétien : la France
a confervé chèrement la mémoire du
Grand Clovis: ta Foi eft devenue, pour
sinfi dire , la première U la plus fûre
^5^ Le Jour de Pasques.
époque de rHifîoire de la Monarchie;
& nous ne commençons à connoître
vos ancêtres , que depuis qu'ils ont
commencé eux-mêmes à connoître
Jefus-Chrift.
Les fainrs Rois dont les noms font
écrits dans nos annales , feront toujours
ks titres les plus précieux de la Monar-
chie, 5c les modèles iilufires que cha-
que fiecle propofera à leurs fucctlTeurs,
C'eft fur la vie, Sire , de ces pieux
Princes vos ancêi;res, qu'on a déjà fixé
vos premiers regards : on vous anime
tous les jours à la vertu par ces grands
exemples. Soutenez-vous des Charle-
magnes & des Saint Louis qui ajoutè-
rent à l'éclat de la Couronne que vous
portez; l'éciat immortel delà juftice 6c
de la pitié ; c*eil ce que répètent tous
les jours à Votre Majefté de fages inf-
truétions : ne remontez pas même û
haut , vous touchez à des exemples
d'autant plus intérelTans , qu'ils doi-
vent vous être plus chers ; 6c la piété
coule de plus près dans vos veines
avec le fangd'un Père pieux & d'un
augufte Bifaïeul.
Vous ères , Sire , le feul héritier
de leur Trône ipuiiïiez- vous l'être de
leurs vertus l puifTent ces grands mo-.
Triomphe de la Religion. 259
deles revivre en vous par l'imitation ^
plus encore que par le nom ! puifTiez-
vous devenir vous- même le modèle
des Rois vos fuccelîeurs /
Déjà , (i notre tendreffe ne nousfé-
duit pas ; fi une enfance cultivée par
tant de foins ÔC par des mains fi habi-
les , ÔC où l'excellence de la nature
femble prévenir tous les jours celle de
l'éducation , ne nous fait pas de nos
defirs de vaines prédissions ; déjà s'ou-
vrent à nous de fi douces efi^érances :
déjà nous voyons briller de loin les
premières lueurs de notre profpérité
future : déjà la majeflé de vos ancê-
tres peinte fur votre front , nous an-
nonce vos grandes deftinées. Puiffiez-
vous donc , Sire, 5c ce fouhait les
renferme tous ; puifiiez - vous être un
jour aufli grand que vous nous êtes
cher !
Grand Dieu ! fi ce n'étoient là que
mes vœux 6c mes prières , les derniè-
res fans doute que mon miniftere ^
attaché déformais par les jugemens
fecrets de votre Providence au foin
d'une de vos Eglifes , noe permettra
de vous oiFrir dans ce lieu augufte ; fi
ce n'étoient là que mes vœux ôC mes
prières \ & qui fuis - je pour efpérei
i6o Le Jour de Pasques.
qu'elles pufTent monter jufqu'à votre
Trône ? Mais ce font les vœux de tant
de faints Rois qui ont gouverné la Mo-
narchie , & qui mettant leurs couron-
nes devant l'Autel éternel aux pieds de
TAgneau, vous demandent pour cet
Enfant augufte la couronne de juftice
qu'ils ont eux- mêmes méritée.
Ce font les vœux du Prince pieux
fur tout qui lui donna la nailTance; 6c
qui profterné dans le Ciel , comme
nous refpérons , devant la face de vo-
tre gloire , ne cefie de vous demander
que cet unique héritier de fa couron-
ne le devienne aufil des Grâces ^ des
mifcricordes dont vous l'aviez prévenu
lui mê ne.
Ce ioni les vœux de tous ceux qui
m'écouient , ÔCquiou chHft;ésdu foin
de ion enfance , ou arrachés de plus
près à fa perfonne facrée , répandent
ici leur cœur en votre préfence ; afia
que cet Enfant précieux , qui e{\ ccm-
me Tenfant de nos foupirs & de nos
larmes , non feulement ne périiTe pas,
mais devienne lui-même le falut de
fon peuple.
Que dirai je encore ? ce {bnt,ô moa
Dieu .' les vœux que toute la nation
¥Ous oifre aujourd'hui par ma bouche
Triomphe de la Religion. i6i
cette nation que vous avez protégée
dès le commencement , 8c qui malgré
fes crimes eft encore la portion la plus
florilTante de votre Eglife.
Pourrez- vous , grand Dieu ! fermer
à tant de vœux les entrailles de votre
miféricorde ! Dieu des vertus , tour-
nez-vous donc vers nous : Dcus virtu- Pf-l^^.
tiim^ convertere : Regardez du haut du iS* ^^'
Ciel , 5c voyez , non les diffblutions
publiques ÔC fecrettes , mais les mai-
heurs de ce premier Royaume chré-
tien , de cette vigne (î chérie que vo-
tre main elle même a plantée, 6c qlii
a été arrofée du fang de tant de Mar-
tyrs ! Rcfpice de cœlo ^ & vldc^ & vifîta
vineam ijlam quam plantavit dextera
tua. Jettez fur elle vos anciens regards
de miféricorde : ÔC fi nos crimes vous
forcent encore de détourner de nous
votre face ; que l'innocence du moins
de cetaugufle Enfant que vous avez
établi fur nous , vous rappelle & vous
rende à votre peuple : Et fuper filium
hominis , quem confirmadl tibl.
Vous nous avez affez affligés , grand
Dieu ! effuyez enfin les larmes que
tant de fléaux que vous avez verfé
fur nous dans vorre colère , nous font
répandre. Faites fuccéder des jours de
î,5i Le Jour de Pasques.
joie 6c de iriféricorde à ces jours de
deuil ,5c de courroux ÔC de vengeancco
Que vos faveurs abondent où vos châ-
timens avoîent abondé : ôc que cet
Enfant fi cher foit pour nous un don
qui répare toutes nos pertes.
Faites en , grand Dieu , un Roi fé-
lon votre cœur , c'efl à dire , le père
de fon peuple ; le protecteur de votre
Eglife ; le modèle des mœurs publi-
ques ; le paciiicatenr, plutôt que le
vainqueur des nations ; l'arbitre , plus
qu* la terreur , de fes voifîns : 6c que
l'Europe entière envie plus notre bon-
heur ôc foit plus touchée de fes ver-
tus qu'elle ne foit jaloufe de fes vic-
toires §C de fes conquêtes.
Exaucez des vœux (i tendres 8c (î
jufte , ô mon Dieu ! & que ces faveurs
temporelles foient pour nous un gage
de celles que vous nous préparez dans
reternité, Ainfi foit-iL
20 5
m^^^^-îs *'^® ^^© ^^^n
jii i<- ->t * * it * T -H -;t > * ^ * 41
n! ^t * 1t X- * K- r*. '^ *:")■(* ^ * * lit
SERMON
SUR
LES VICES ET LES VERTUS
DES GRAN DS.
Oftencîit ei omnia régna mundi, & gîoriam
eorum ; & dixit ei : Hase omnia tibi dabo , fi
cadens adoraveris me.
Le démon montra à Jefus-Chrijî touf les
Royaumes du monde , & toute la pompe & la
gloire qui les environnent ; & il lui dit : Je
vous donnerai toutes ces chofes , Jî en vous
proilernant devant moi vous m'adorei^ Matth.
4. 8. 9.
O I RE ,
LEs profpérités humaines ont tou-
jours été un des pièges les plus
dangereux , dont le démon s'eft fervi
pour perdre les hommes. Il fait que
l'amour delà gloire ÔC de l'élévation
nous eftii naturel, que rien ne nous
coûte pour y parvenir , 6c que l'ufage
en ell (î féduifant , que rien n*eft plus
rare que la piété environnée de gran-
deur ÔC de puiflance.
x64 Vices et Vertus.
Cependant, mes Frères , c'eft Dieu
feul qui élevé les Grands & les Puif-
fans ; qui vous place au delTus des au-
tres , afin que vous foyez les pères des
peuples , les confolateurs des affligés j
les afyles des foibles, les fentimens de
l'Eglife , les protecteurs de la venu ,
les modèles de tous les Fidèles.
Souffrez donc , mes Frères , qu'en-
trant dans i'efprit de notre Evangile ,
je vous expoie ici les périls ÔC les
avantages de votre état ; & qu'avant
que d'entrer dans le détail des devoirs
delà vie chrétienne, dont je dois vous
entretenir durant ces jours de falut ,
je vous marque à l'entrée prefque de
cette carrière les obflacles 5c les faci-
lités que vous offre pour les accomplir,
l'élévation où la Providence vous a fait
naître.
îl y a de grandes tentations atta-
chées à votre état , .je l'avoue ; mais
auff il s'y trouve dô grandes reffour-
ces : on y naît , ce femble , avec plus
de paHlons que le refle des hommes ;
mais aufîî on peut y pratiquer plus de
vertus: les vices y ont plus de fuite;
mais auilî la piété y devient plus utile:
en un mot , on y eft bien plus coupa-
ble que le peuple , quand on y oublie
Dieu ;
Des Grands. i6$
Dieu ; mais auflîl on y a bien plus de
mérite , quand on lui eft fidèle.
Mon deflein donc aujourd'hui , efl
de vous repréfenter les grands biens
ou les grands maux qui accompagnent
toujours vos vertus ou vos vices ; eft
de vous faire fentir ce que peut pour
le bien ou pour le mal l'élévation où
vous êtes né ; eft enfin , de vous ren-
dre le défordre odieux en vous déve-
loppant les fuites inexplicables que
vos paflions traînent après elles , &Ia
piété aimable par les utilités incom-
préhenfibles qui fuivent toujours vos
bons exemples. Ge ne feroit pas aflez
de vous marquer les périls de votre
état , il faut aufîî vous en découvrir les
avantages. La chaire chrétienne invec-
tive d'ordinaire contre les grandeurs
ÔC la gloire du (îecle ; mais il feroit
inutile de vous parler fans cefTe de vos
maux, fî l'on ne vous en préfentoiten
même-temps les remèdes. C'eft ces
deux vérités que je me propofe de réu-
nir dans ce Difcours , en vous expo-
fant quelles font les fuites infinies des
vices des Grands 5c des PuifTans , 6c
quelles font les utilités ineftimables de
leurs vertus. Ave y Maria,
Petit Carême, M
i66 Vices et Vertus
ï» V^ N jugement très- févere ell réfervé
Fartie. ^ QQu^-^ qyj font élevés , dit FEfprit de
Dieu : on fera miféricorde aux pau-
vres 6c aux petits ; mais le Seigneur
déploiera toute la puifTance de fonbras
pour châtier les Grands & les Puif-
^a;?. 6,7. Tans : Exiguo conccditur mifericordia ;
patentes autcm patenter tormenta pa-
tientur.
Ce n'eft pas , mes Frères , que le
Seigneur rejette les Grands & les
Puiflans , comme dit l'Ecriture , puif-
qu'il eft puiffant lui-même ; ou que le
rang 6c Télévation foient auprès de
lui des titres odieux qui éloignent Tes
grâces , 6c faffent prefque tout feuls
notre crime. Il n'y a point en lui d'ac-
ception de perfonne : il eft le Sei-
gneur des cèdres du Liban , comme
de l'hyfTope qui croît dans les plus
profondes vallées : il fait lever fon
foleil fur les plus hautes montagnes ,
comme fur les lieux les plus bas ÔC les
plus obfcurs : il a formé les aftres du
ciel comme les vers qui rampent fur
^ la terre : les Grands font même les
images plus naturelles de fa grandeur
8c de fa gloire , les miniftres de' fon
autorité , les canaux de fes libéralités
DES Grands. 2^7
3c de fa magnificence. Et je ne viens
pas ici 5 mes Frères , félon le langa-
ge ordinaire, prononcer des anathêmes
contre les grandeurs humaines 6c vous
faire un crime de votre état , puifque
votre état vient de Dieu , 6c qu'il ne
s*agit pas tant d'en exagérer les périls ,
que de vous montrer les moyens in-
finis de falut attachés a l'élévation où
la Providence vous a fait naître.
Mais je dis , mes Frères , que les
péchés des Grands ôc des PuilTans ont
deux caractères d'éaormité qui les ren-
dent infiniment plus puniflables de-
vant Dieu, que les péchés du commun
des Fidèles : premièrement , le fcan-
dale ; fecondement , l'ingratitude.
Le fcandale. Il n'eil point de crime,
mes Frères , auquel l'Evangile laifTe
moins d'efpérance de pardon , qu'à
celui d'être un fujet de chute à nos
frères ; Malheur à V homme qui fcari' ^ Matth
dciUfe j dit Jefus-Chrift ,\iHai/erozf 8, (j,
plus avantageux d'être précipité au fond
de la mer ^que de devenir une occajion de
perte & de fcandale au plus petit d'entre
mes Difciples, Premièrement , parce-
que vous perdez une ame qui de voit
jouir éternellement de Dieu. Secon-
dement , parce que vous faites périr
Mij
1^8 Vices et Vertus
votre frère pour lequel Jefus-Chriâ
étoit mort. Troifîémement , parce que
vous devenez le miniftre des defleins
du démon poui* la perte des âmes.
Quatrièmement , parce que vous êtes
cet homme de péché , cet antechrift
dont parle l'Apôtre : car Jefus-Chrifl
a fauve l'homme ôc vous le perdez ;
Jefus-Chrift a formé de véritables ado-
rateurs à fon Père, 8c vous les lui ôtez;
Jefus-Chrift nous a acquis par fon
fang , & vous lui raviffez fa conquête ;
Jefus-Chrift eftle médecin des âmes ,
& vous en êtes le corrupteur ; il eft
leur voie , 6c vous êtes leur piège ; il
eft lepafteur qui vient chercher les bre-
bis qui périftent , ôc vous êtes le loup
dévorant qui tuez 6c perdez les ouail-
les que fon Père lui avoit données.
Cinquièmement , enfin , parce que
tous les autres péchés meurent , pour
ainfi dire , avec le pécheur : mais les
fruits de fes fcandales feront immor-
tels ; ils furvivront à fes cendres ; ils
fubfifteront après lui , & fes crimes ne
defcendront pas avec lui dans le tom-
beau de fes pères.
Achan fut puni avec tant de rigueur
pour avoir pris feulement une règle
d'or parmi des dépouilles que le Sei-
Des Grands. i6p
gneur s'étoit confacrées : mon Dieu !
quelle fera donc la punition de celui
qui ravit à Jefus-Chrid une ame qui
étoit fa dépouille précieufe , rachetée
non avec de l'or ôc de l'argent , mais
de tout le fang divin de l'Agneau fans
tâche ? Le Veau d'or fut réduit en
poufTiere pour avoir fait prévariquer
îfraël : grand Dieu ! 8ctout l'éclat qui
environne les Grands 6c les PuiiTans j
les mettroit- il à couvert de votre co-
lère 5 dès qu'ils ne font élevés que pour
être à votre peuple une occafion de
chute ÔC d'idolâtrie ? Le ferpent d'ai-
rain lui-même, ce moLument facré
des miféricordes du Seigneur fur Juda ,
fut brifé pour avoir été une occafion
de fcandale aux Tribus : mon Dieu !
& le pécheur déjà fi odieuK par fes
propres crimes , fera t il épargné, iorf-
qu'il devient us piège 5c une pierre
d'achoppement à fes frères ?
Or , mes Frères , voilà le premier
cara£tere qui accompagne toujours
vos péchés , vous que le rang & la
naiffance élèvent fur le commun des
Fidèles : le fcandale. Les âmes vul-
gaires 8c obfcures ne vivent que pour
elles feules. Confondues dans la foule,
Se cachées aux yeux des hommes par
M iij
170 Vices et Vertus
îa bafTefle de leur deftinée , Dieu feuî
eft le témoin fecret de leurs voies 5c
le fpeftateur invifible de leurs chûtes ;
fi elles tombent , ou délies demeurent
fermes , c'eft pour le Seigneur tout
feul qui les voit 6c qui les juge : le
inonde qui ignore même leurs noms ,
n'eft pas plus inftruit de leurs exem-
ples : leur vie n'a point de fuite : ils
peuvent faire des chûtes , mais ils
tombent tout feuls ; & s'ils ne fe fau-
vent pas , leur perte du moins fe. bor-
ne à eux 6c ne devient pas celle de
leurs frères.
Mais les perfonnes nées dans l'élé-
vation , deviennent comme un fpec-
tacîe public fur lequels tous le? regards
font attachés : ce font ces maifons bâ-
ties fur la montagne , qui ne fauroient
fe cacher Si que leur fituation toute
feule découvre ; ces flambeaux luifans
qui traînent par tout avec eux l'éclat
qui les trahit & qui les montre. C'eft le
malheur de la grandeur &. des digni-
tés ; vous ne vivez pluspour vous feul;
à votre perte ou à votre falut eft atta- -
ché la perte ou le falut de tous ceux
qui vous environnent ; vos mœurs for-
ment les mœurs publiques ; vos exem-
ples font ieè règles de la multitude ;
Des Grands. iji
vos a£^ions ont îe même éclat que vos
titres : il ne vous eft plus permis de vous
égarer à rinfçu du public ; 5c le fcanda-
le eft toujours le trille privilège que
votre rang ajoute à vos fautes.
Je dis le fcandale , premièrement,
d'imitation. Les hommes imitent tou-
jours le mal avec plaifîr, mais fur- tout
lorfque de grands exemples le leur
propofent : ils trouvent alors une forte
de vanité dans leurs égaremens, parce-
que c'eftpar- là qu'ils vous reffemblent:
le peuple regarde comme un bon air
de marcher fur vos traces : la ville croit
fe faire honneur en prenant tout le
mauvais de la Cour : vos mœurs for-
ment un poifon qui gagne les peu-
ples & les Provinces ; qui infecte tout
les états ; qui change les mœurs publi-
ques ; qui donne à la licence un air de
nobleiTe 6c de bon goût , & qui fjbf-
titue à la fimplicité de nos pères ÔC
à l'innocence des mœurs anciennes ,
la nouveauté de vos plaifirs, de votre
luxe , de vos profufîons, 5c de vos in-?
décences profanes. Ainfi c'eft de vous
que partent jufques dans les peuples les
modes immodeftes , la vanité des pa-
rures , les artifices qui déshonorent un
vifage où la pudeur toute feule devroiî
M iv
372- Vices et Vertus
être peinte , la fureur des jeux , la fa-
cilité des mœurs , la licence des entre-
tiens 5 la liberté des pafTions 6c toute
la corruption de nos (iecles.
Et d'où croyez vous , mes Frères ,
que vienne cette licence effrénée qui
règne parmi les peuples ? Ceux qui vi-
vent loin de vous dans les Provinces
les plus reculées , confervent encore
du moins quelque refte de l'ancienne
{implicite 6c de la première innocen-
ce : ils vivent dans une heureufe igno-
rance de la plupart des abus dont votre
exemple a fait des loix. Mais plus les
pays fe rapprochent de vous , plus les
mœurs changent, plus l'innocence s'al-
tère 5 plus les abus font communs; 6c
le plus grand crime des peuples , c'eft
la fcience de vos mœurs &C de vos ufa-
ges. Dès que les Chefs des Tribus
furent entrés dans les tentes des Filles
de Madian , tout Juda prévariqua ,
& il s'en trouva peu qui fe confer-
vaflent purs de l'iniquité commune.
Grand Dieu ! que le compte des Ri-
ches 6c des PuiiTans fera un jour terri-
ble , puifqu'outre leurs pallions in-
finies , ils fe trouveront encore coupa-
bles devant vous des défordres pu-
blics , de la dépravation des mœurs ^
Des Grands. 273
Ide la corruption de leur fiecle:, 6c que
les péchés des peuples deviendront
leurs crimes propres.
Secondement , un fcandale de com-
plaifance.On cherche à vous plaiie en
vous imitant; vos inférieurs , vos créa-
tures y vos efclaves fe font de la relfem-
blance de tos mœurs une voie pour
arriver à votre bienveillance ; ils co-
pient vos vices , parce que vous les
leur comptez comme des vertus ; ils
entrent dans vos goûts , pour entrer
dans votre confiance ; ils s'étudient à
Tenvi , ou de vous fuivre ou de vous
dirpaffer , parce que vous n'aime? en
eux que ce qui vous refTemble. Hélas !
mes Frères , combien d'ames foibles
nées avec des principes de vertus , ÔC
qui loin de vous n'auroient trouvé en
elles que des difî;olitions favorables au
falur , ont trouvé dans l'obligation où
leur fortune les mettoit de vous imi-
ter , le piège de leur innocence !
Troifiémement , un fcandale d';m-
punké. Vous ne fauriez pkîs repren-;
dre dans ceux qui dépendent de vous ,
les abus & les excès que vous vous per-
mettez vous même: vous êces obligé
de leur fouffrir ce que vous ne voulez
pas vous interdire : il faut fcmer U$
M Y
274 Vices et Vertus
yeux à des défordres que vous autorî-
fez par vos mœurs ; oc de peur de vous
condamner vous-même , faire grâce à
ceux qui vous reffemblent. Une femme
mondaine & toute occupée de plaire j
répand fur tout fon domeflique un air
de licence ôc de mondanité; fa maifon
devient un écueil d'où l'innocence ne
fort jamais entière ; chacun imite au-
dedans les pafTions qu'elle fait éclater
au dehors ; & il faut qu'elle diflimule
ces déréglemens , parce que fes mœurs
ne lailfent plus rien à faire à fes cenfu-
îes. Vous le favez,mes Freresj&la di-
gnité de la charité chrétienne ne me dé-
fend pas de le dire ici ; quel défordre
dans ces maifons deftinées H. ouvertes
à un jeu éternel , parmi ce peuple de
domediques que la vanité a multiplié
à l'infini ? Que vos plainrs coûtent cher
à ces infortunés , qui loin de vos yeux
n*ayant plus de frein qui les retienne ,
& cherchant à occuper une oiiiveté ou
vos amufemens les îaifTent, fentent
autorifer par vos exemples les inclina-
tions déréglées qui leur viennent de la
bafleiîe de leur éducation 8c d'un fang
vil ÔC méprifabie ! O mon Dieu ! fi ce-
lui qui néglige le foin des fiens eft de-
vant vous pire qu'un infidèle : quel eH
Des Grands, 175
donc le crime de celui qui les fcanda-
life , & qui leur fait trouver la mort
6cla condamnation où ils auroient dû
trouver des fecours de falut ôc l'afyle
de leur innocence ?
Quatrièmement, un fcandale d'of-
fice ô(. de nécefîîré. Combien d'infor-
tunés périment pour fervirà vos plaifirs
& à vos paflions injulles ? les arts dan-
gereux ne fubfiftent que pour vous :
les théâtres ne font élevés que pour
fournir à vos délalTemens criminels;
les harmonies profanes ne retentilTent
de toutes parts ôc ne corrompent tanî
de cœurs , que pour flatter la corrup-
tion du vôtre ; les ouvrages funeftes à
l'innocence ne palTent à la dernière
poftérité qu'à la faveur de vos noms 6c
de votre prote6lion. C'eft vous feuls ,
mes Frères , qui donnez à la terre, des
Poètes lafcifs, des Auteurs pernicieux,
des Ecrivains profanes : c'ed pour vous
plaire , que ces corrupteurs des mœurs
publiques perfectionnent leurs talens,
& cherchent dans un fuccès qui n'a
pour but que la perte des âmes , leur
élévation & leur fortune : c'eil vous
feuls qui les protégez , qui les récom-
penfez , qui les produifez , qui îeui^
ôiez même en les honorant de votre
M Vf
%f6 Vices et Vertus
familiarité, ce cara£^ere de honte &
d'infamie , que les loix de l'Eglife ôC
de l'Etat leur avoient lailfé , & qui les
flétrilToit aux yeux des hommes.
Ainfi , c*eft par vous que les peuples
participent à ces défordres ; que ce
poifon infecte les villes ÔC les provin-
ces ; que ces plaifirs publics devien-
nent la fource des miferes ôt de la li-
cence publique ; que tant de viâ:imes
infortunées renoncent à la pudeur
pour fervir a vos plaifirsj&C cherchant à
foulager la médiocrité de leur fortune
par Tufage des talens que vos partions
toutes feules ont rendu utiles & re-
commandab'es, viennent fur des théâ-
tres criminels chanter des paiTions pour
flatter les vôtres; périr pour vous plai-
re; perdre leur innocence en la faifant
perdre à ceux qui les écoutent; devenir
des écueils publicî? bc le fc^ndale de la
Religion ; porter même le malheur ÔC
ladliFenfion dans vos familles : H vous
punir , femm.e du monde , de l'appui
& du crédit que vous leur donnez par
votre préfence 5c par vos applaudiffe-
mens , er. devenant robiricfanir.el de
la paiïion 5c de la mauvcîi;e conduite
de vos>enfans , 2>C piirtageant ptut-être
avec vous même le cœur de votre mari,
Des Grands. 177
8c ruinant fans reflburce fes affaires ÔC
fa fortune.
Cinquièmement , un fcandale de
durée. C'eft peu , mes Frères , que la
corruption de nos fiecles foit prefque
le feul ouvrage des Grands &. des PuiA
fans ; les (îecles à venir vous devront
peut-être encore une partie de leur li-
cence & de leurs défordres. Ces poé-
iies profanes qui n'ont vu le jour qu'à
votre occaiion , corrompront encore
des mœurs dans les âges qui nous fui-
vront : ces Auteurs dangereux que vous
honorez de votre proteârion, pafFeront
entre les mains de nos neveux ; ÔC vos
crimes fe multiplieront avec le venin
dangereux qu'ils portent avec eux , &
qui fe communiquera d âge en âge.
Vos pafTions mêmes immortalifées dans
les hiftoires, après avoir été un fcanda-
le pour votre (îecle , le deviendront
encore aux fiecles fuivans : la leâ:ure
de vos égaremens confervés à la pofté-
ritéjfe fera encore des imitateurs après
votre mortion ira encore chercher des
leçons de crime dans le récit de vos
avantures ; &C vos défor.dres ne mour-
ront point avec vous. Les voluptés de
Salomon fournirent encore des blaf-
phêmcs &. des déniions aux impies
lyî Vices etVer tus
& des motifs de fécurité au libertina-
ge : l'emportement de la femme de
Putiphar s'efl confervé jufqu'à nous ,
6c Ton rang a immortalifé fa foiblefTe,
Telle efl la deflinée des vices ÔC des
paflions des Grands &. des Puiffans : ils
ne vivent pas pour leur fiecle feul ; ils
vivent pour les {îecîes à venir , & la
durée de leur fcandale n'a point d'au-
tres bornes que celle de leur nom.
Vous le favez vous - mêmes , mes
Frères , encore aujourd'hui , ne lit-on
pas tous les jours avec un nouveau pé-
ril ces mémoires fcandaleux faits dans
le fiecle de nos pères , qui ont confervé
jufqu'à nous les défordres des Cours
précédentes &. immortalifé les paf-
fions des principales perfonnes qui les
compofoient ? les déréglemens d'un
peuple obfcur 8c du refte des hommes
qui vivoient alors, font demeurés en-
févelis dans l'oubli ; leurs paflions ont
fini avec eux; leurs vices obfcurs com-
me leurs noms ont échappé à Thiftoire
6c ils font à notre égard comme s'ils
n'avoient jamais étéiôc toutce qui nous
refle de ces âges pa(rés,ce font les éga-;
remens de ceux que leur rang 5c leur
naiiTance diilinguoient dans leur fié-
cle ; ce font leurs pafTions qui en infpi-
îent tous ks jours de nouvelles par la
Des Grands. 179
naïveté du ftyle & par la licence des
Auteurs qui nous les ont confervées ;
6c l'unique privilège de leur condition^
c'eft que les vices des petits ont fini
avec leur vie , au lieu que ceux des
Grands 5c des PuiiTans renaiifent y
pour ainiî dire , de leurs cendres, paf^
fent d*âge en âge , font gravés dans les
monumens publics , 6c ne s'effacent
plus de la mémoire des hommes. Quels
crimes, grand Dieu! qui font le fcan-
dale de tous les (iecles;récueil de tous
les états, ÔC qui ferviront jufqu'à la fio
d'attrait au vice , de prétexte au pé-
cheur, & de modèle au dérèglement 6c
à la licence !
Enfin , un fcandale de fédu^lion»
Vos exemples , en honorant le vice ,
rendent la vertu méprifpble : la vie
chrétienne devient un ridicule dont
on a honre devant vous : Textérleur de
la piété eit un mauvais air dont on fe
cache en votre préfence , comme à\m
travers qui déshonore. Combien d'a-
mes touchées de Dieu ne refirent à fa
grâce 6c à fon efprit , que de peur de
perdre auprès de vous ce depTé de con-
fiance qu'une longue fociété de plaifir
leur a donnée! combien d'ames dégoû*
tées du monde n'oient fe déclarer ê<
îSo Vl C E s E T Ve R TUS
revenir à Dieu , pour ne pas s'expofer
à vos dérifîons infenfées , imitent en-
core vos mœurs & vos plaifirs dont la
grâce les a détrompées , 6c donnent à
la complaifance & à des égards in]uf-
tes pour votre rang mille démarches
dont leur propre goût & leur nouvelle
foi les éloigne !
Je ne parle pas, mes Frères, des pré-
jugés contre la vertu , que vous perpé-
tuez dans le monde; de ces difcours
déplorables contre les gens de bien ,
que votre autorité confirme *, qui de
vous palFent jufqu^au peuple, ôC main-
tiennent dans tous les états ces vieilles
préventions contre la piété & ces déri-
fîons éternelles des Juftes , qui oient
à la vertu toute fa dignité , ôl confir-
ment les pécheurs dans le vice.
Et delà 5 mes Frères , que de Juftes
féduits ! que de foibles entraînez / que
d'ames chancelantes retenues dans le
défordre ! que d'impies & de libertins
ralTurez ! quel obftacle devenez vous
au fruit de notre miniftere ! que de
cœurs préparés n'oppofent à la force
de la vr:»ité que iïous annonçons , que
les longs enga-^^-mens qui les lient à
vos mœurs Ôc à vosplailîrs , & ne trou-
DES Grands. 281
vent que vous feuls en eux qui fervent
comme de mur ÔC de bouclier à la grâ-
ce ! Mon Dieu , quel fléau pour un fie-
cle 5 qnel malheur pour les peuples ,
qu'un Grand félon le monde qui ne
vous craint pas , qui ne vous connoît
pas , & qui méprife vos loix ÔC vos or-
donnances éternelles! C'eft unpréfent
que vous faites aux hommes dans votre
colère , ÔC la plus terrible marque de
votre indignation fur les villes ôC fur
les Royaumes.
Oui , mes Frères , voilà ce que vous
êtes, quand vous n'êtes pas à Dieu.
• Voilà le premier caractère de vos fau-
tes, le fcandale. Votre defrinée décide
d'ordinaire de celle des peuples : les
défordres des petits font toujours la
fuite de vos défordres ; 6c les péchés
de Jacob , dit le Prophète , c'eft- à-
dire , du peuple 6c des Tributs , ne
viennent que de Samarie , le fiege des
Grands ÔC des Puîlfans : Q^od fcdus j^i^j^ j,
Jacob ? non ne Sainaria ? t^
Mais quand le fcandale inféparable
des péchés des Grands 6c des Puiflans,
n'y ajouteroit pas un nouveau degré
d'énormité qui leureftpropre : l'ingra-
titude qui en fait le fécond caraâere ,
i2i Vices et Vertus
fufîïroit pour attirer fur eux cet aban-
don de Dieu , qui ferme pour toujours
ùs entrailles à la bonté & à la miferi-
corde.
Je dis l'ingratitude, mes Frères: car
Dieu vous a préférés à tant de malheu-
reux qui gémifTent dans l'obfcurité 5c
darîf l'indigence; il vous a élevés , il
vous a fait naître au milieu de l'éclat
& de l'abondance; il vous a choifis fur
tout le peuple pour vouf combler de
bienfaits ; il a raffemblé fur vous feuls
les biens , les honneurs , les titres , les
diflin(B:ions , & tous les avantages de
la terre : il femble que fa Providence
ne veille que pour vous feuls , tandis
que tant d'infortunés mangent un pain
de tribulation ti. d'amertum,e ; la terre
ne femble produire que pour vous
feuls; le foleil, ne fe lever &: ne fe cou-
cher que pour vous, feuls : le refle des
hommes même ne paroifl'ent nés que
pour vous 5 6c pour fervir à votre gran-
deur ôc à vos ufages : il femble que le
Seigneur n'eft occupé que de vous
feuls , tandis qu'il oublie tant d'amies
obfcures dont les jours font des jours
de douleur 5c de mifere , & pour lef^
quelles il femble qu'il n'y a point de
Dieu fur la terre : ÔC cependant vous
Des Grands. iSf
tournez contre Dieu tout ce que vous
avez reçu de lui ; votre abondance fert
à vos partions , votre élévation facilite
vos plaifirs, & fes bienfaits deviennent
vos crimes.
Oui 5 mes Frères , tandis que mille
malheureux, fur lefquels fa main s'ap-
péfantit avec tant de rigueur ; tandis
qu'une populace obfcure , pour qui la
vie n'a rien que de dur 6c de trifle ,
l'invoque , le bénit, levé les mains vers
lui dans la {implicite de fon cœur , le
regarde comme fon Fere , & lui donne
des miarqnes d'une piété (impie &. d'u-
ne religion fîncere : vous, mes Frères ,
qu'il accable de bienfaits : vous, pour
qui le monde tout entier femble fait ,
vous ne le connoiiTez pas ; vous ne
daignez pas lever les yeux vers lui y
vous ne penfez pas feulement s'il y a
un Dieu au-deflus de vous qui fe mêle
des chofes de la terre ; vous lui rendez
pour adtion de grâces des outrages y
& la Religion n'eft que pour le peuple.
Hélas ! mes Frères , vous trouvez fi
noir 5c fi indigne , lorfquc ceux dont
l'élévation étoit votre ouvrage , vous
oublient , vous méconnoiflent , fe dé-
clarent contre vous, &.n'ufentdu cré-
dit dont ils vous font redevables , que
2S4 Vices et vertus
pour vous éloigner 6c pour vous dé-
truire. Mais , mes Frères , ils ne font
que vous rendre ce que vous faites
envers Dieu. Votre élévation n'eftelle
pas fon ouvrage ? n'eft ce pas fa main
toute feule qui a féparé vos ancêtres
de la foule , 6c qui les a placés à la tête
des peuples ? n'eft ce pas la difpofition
feule de la Providence , qui vous a fait
naître d'un fang illuftre , ôc qui vous a
fait trouver tout d'un coup en nailTant
6c fans qu'il vous en coûtât rien , ce
qu'une vie entière de foins 6c de peines
n'auroit pas pu même vous faire atten-
dre ? Qu'aviez vous à fes yeux plus que
tant d'infortunés qu'il laifle dans la
mifere ? Ah ! s'il n'avoit eu égard qu'aux
qualités naturelles de l'ame, à la droi-
ture, à la pudeur , à Tinnocence , à la
modeftie ; combien d'ames obfcures
nées avec toutes ces vertus , auroient
dû vous être préférées ÔC occuper la
place où vous êtes ? s'il n'eut confulté
que l'ufage que vous deviez faire un
jour de fes bienfaits ; combien de hibI-
heureux dans la même fîtuation où vous
vous^'trouvez , auroient été l'exemple
des peuples , les proteéîeurs de la vertu ,
& glorifié le Seigneur dans leur abon-
dance , eux qui dans leur indigence
Des Grands. iSj
tnême l'invoquent ôc le beniflent ; au
lieu que vous le faites blafphêmer , Sc
que votre exemple devient une réduc-
tion pour fon peuple ?
Et cependant il vous choifît, 6c il
les rejette ; il les humilie , & il vous
élevé ; il eft pour eux un maître dur ÔC
févere, 6c pour vous un père libéral ÔC
magnifique. Que pouvoir- il faire da-
vantage pour vous engager à le fervir
& à lui être fidèles ? qu'y a- 1- il de plus
puiffant que les bienfaits pour attirer
les cœurs , ÔCpour s'alTurer des hom-
mages? C'eft de vous feul , Seigneur,
difoit David au milieu de fa profpé-
rité , que vient la magnificence qui
m^environne , la gloire de mon nom ,
la puiiTance où je fuis élevé ; ftc il eft
jufle, ô mon Dieu , de vous glorifier,
dans vos dons , de mefurer ce que je
vous dois fur ce que vous avez fait
pour moi , ÔC de faire fervir mon élé-
vation Se tout ce que je fuis à votre
gloire: Tunejl^ Domine , magnificen- i.Parah
tia , & vntentia^ & gloria. . . Nunc^')' iï-
igitar^ Deus nojhr , confitemur tibi , & ''*
laiidamus nomsn tnum inclytum.
Et cependant , mes frères , plus il
a fait pour vous , plus vous vous élevez
contre lui. Ce fonf les Riches ÔC les
2^6 Vices et vertus
PdifTans , qui vivent fans autre Dieu
dans ce monde que leurs pîaifirs in-
juftes. C'eft vous feuls qui lui difputez
ies plus légers hommages ; qui vous
croyez dirpenfés de tout ce que fa loi
a de pénible 6c de févere ; qui ne cro-
yez être nés que pour jouir de vous-mê-
mes , pour faire fervir fes bienfaits à
vos partions , 8c qui laiflez au fîmple
peuple le foin de le fervir, de lui ren-
dre grâces , & d'obferver avec religion
les ordonnances de fa loi fainte.
Aind fouvent , mes Frères , le peu-
ple l'adore , ôc vous l'outragez ; le
peuple l'appaife , ÔC vous l'irritez ; le
peuple l'invoque, 6c vous l'oubliez;
le peuple le fert avec un bon zele , ÔC
vous méprifez fes ferviteurs ; le peuple
levé fans ceiTe les mains vers lui , 6C
vous doutez même s'ilexifte, vous qui
feuls reifentez les effets de fa libéralité
ôc de fa puiflance : fes châtimens lui
forment des adorateurs , & fes bien-
faits ne lui valent que des dérifions 6c
des outrages.
Je dis fes bienfaits , mes Frères :
car il ne les a pas même tous bornés à
votre égard aux biens extérieurs de la
fortune. Il vous a fait naître encore
avec des difpofitions plus favorables à;
Des Grands. 287
la vertu que le fîmple peuple ; un
cœur plus noble & plus élevé ; des
inclinations plus heureufes ; des fenti-
mens plus dignes de la grandeur de
la Foi ; plus de lumière , plus d'éléva-
tion , plus de connoilTance , plus d'inA
tru£lion , plus de goût pour les bon-
nes chofes. Vous avez reçu delà nature
ces inclinations fortunées qui fe com-
muniquent avec le fang , des pafîions
plus douces , des mœurs plus culti-
vées 5 des bienféances plus voifines de
la vertu ; cette politefTe qui adoucit
l'humeur; cette dignité qui retient les
faillies du tempérament; cette huma»
nité qui rend plus fen(ible aux impref-
fions de la grâce. De combien de bien-
faits abufez-vous donc , mes Frères y
quand vous ne vivez pas félon Dieu ?
Quel monftre d'ingratitude qu'un
Grand , qu'un homme comblé d'hon-
neur Se de profpérité , ÔC qui ne levé
jamais les yeux au ciel pour adorer
la main qui les lui difpenfe.
Et d'où croyez-vous aufii , mes FreJ
res , que viennent les calamités publi-
ques , les fléaux qui affligent les villes
ôC les Provinces ? Ce n'eft que pour
punir l'ufage injufte que vous faites de
l'abondance 5 que Dieu frappe quel-
iSS Vices et Vertus
quefois de ftérilité les terres 6c les
campagnes. Sa jurtice indignée que
vous employez contre lui fes -propres
bienfaits , les fouftrait à vos partions ;
répand Ton indignation fur la terre ;
permet les guerres 5c les diflenfions ;
renverfe vos fortunes ; éteint vos fa-
milles ; fait fécher la racine de vo-
tre poftérité ; fait pafler à des mains
étrangères vos titres 6c vos polTeflions ,
ÔC vous rend les exemples éclatans de
Tinconftance des chofes humaines , ôc
les monumens anticipés de fa colère
contre les cœurs ingrats 6c infenfibles
aux foins paternels de fa Providence.
Voilà , mes Frères , les deux carac-
tères inféparables de vos péchés ; le
fcandale, ôc l'ingratitude : voilà ce que
vous êtes , quand vous n'êtes pas fidè-
les à Dieu : voilà à qui peut-être vous
n*avez pas fait attention. Vous ne fau-
riez erre médiocrement coupables , dès
que vous l'êtes. Les paiTions font les
mêmes dans le peuple 6c parmi les
Puiffans ; mais il s*en faut bien que le
crime ne foit égal , 8c fouvent un feul
de vos crimes entraîne plus de mal-
heurs, 8>C a devant Dieu des fuites plus
étendues ôc plus terribles , qu'une vie
entière d'iniquité dans une ame obf-
cure;
Des Grands. i
cure 6c vulgaire. Mais auilî , mes Frè-
res , vos vertus ont le même avanta-
ge ÔC la mêm^ deftinée , & c'efl ce qui
me refle à vous dire dans la dernière
partie de ce Difcours.
s,
'I le fcandale 6c l'ingratitude font les i j^
fuites inféparables des vices 6c des partie^
^' paffions des perfonnes élevées ; leurs
vertus aufîi ont deux caractères parti-
culiers qui les rendent infiniment plus
agréables à Dieu que celles du com-
mun des Fidèles : premièrement ,
l'exemple ; fecondement , l'autorité. Et
voilà , mes Frères , une vérité bien con-
folante pour vous que la Providence a
fait naîrre dans l'élévation , ÔC bien ca-
pable de vous animer à fervir Dieu ,
de vous rendre la vertu aimable. Car
ce feroit vous tromper que de regar-
der l'état où vous êtes nés , comme un
obilacle au falut 6c aux devoirs que la
Religion nous impofe. J'avoue que les
écueils y font plus dangereux que dans
une deilinée plus obfcure , les tenta-
tions plus vives ôC plus fréquentes ; 6c
en vous marquant les avantages que
vous pouvez trouver dans l'élévation
par rapport au falut, je ne prétends
pas en diffimuler les périls que Jefus-
Pctit Carême* N
iço Vices ET Vertus
Chrift nous a marqués lui-même dans
rEvPngîîe.
Je veux feulement établir cette vér
rite , que vous pouvez faire plus pour
Dieu que le fimple peuple ; qu'il re-
vient à la Religion infiniment plus
d'avantages de la piété d'une feule
perfonne élevée , que de celle prefque
d'un peuple entier de Fidèles : & que
vous êtes d'autant plus coupables
quand vous oubliez Dieu , qu'il lire-
roit plus de gloire de votre fidélité ,
Se que vos venus ont des fuites plus
étendues pour l'utilité de l'Eglife ÔC
pour l'édification des Fidèles.
La première , c'ell l'exemple. Une
ame d'entre le peuple qui craint Dieu,
ne le glorifie que dans fon cœur : c'eft
un enfant de lumière qui marche j
pour ainfi dire , dans les ténèbres :
elle lui rend des hommages; mais elle
ne lui en attire point : renfermée dans
l'obfcurité de fa fortune , elle ne vit
que fous les yeux de Dieu feul : elle
fouhaiie que fon nom foit glorifié , ôC
lui rend par fes defrs la gloire qu'elle
ne peut lui rendre par fes exemples :
fes vertus font utiles à fon falut ; mais
elles font comme perdues pour le falut
de fes frères : elle eft ici bas comme ce
Des Grands. 291
tréfor caché dans la terre , que le
champ de Jefus-Chrift porte à Ton
infçu , & dont il ne fait aucun ufage*
Mais pour vous , mes Frères , qui
vivez expofés aux regards publics, 6C
à la vue de tous les peuples , vos
exemples de vertu .deviennent auflî
éclatans que vos noms : vous répandez
la bonne odeur de Jefus-Chrift , par-
tout où celle de votre rang &: de vos
titres efl: répandue : vous faites glori-
fier le nom du Seigneur , par-tout ou
le vôtre fe fait connoître : la même
élévation qui apprend à tous les hom-
mes que vous êtes fur la terre , leur
apprend auffi ce que vous faites pour
le Ciel : les avantages de la nature dé-
couvrent par- tout en vous les merveil-
les de la grâce : les peuples , les villes ,
les Provinces , qui entendent fans
cefle répéter vos noms , fenten^t ré-
veiller avec eux l'idée de vertu que vos
exemples y ont attachée. Vous honorez
la piété dans TeTprit du public : vous
la prêchez à ceux que vous ne connoif^
fez pas : vous devenez , dit le Pro-;
phête , comme un (îgnal de vertu éle-
vé au milieu des peuples : tout un
Royaume a les yeux fur vous , 5c parle
de vos exemples ; ÔC jufques dans leg
Nij
^9^ Vices et Vertus
Cours étrangères votre piété devienî
un événement auffi connu que votre
nailTance. Le bruit de la fageffe de
Salomon étoit répandu dans toutes les
Cours de l'Orient , dit l'Ecriture ; ôc
celle d'Ethan l'Ezrahite, d'Heman ÔC
de Calcol , les principaux des enfans
de Mahol , n'étoit pas moins connue
à Jérufaiem , malgré la diftance des
lieux qui les faifoit vivre iî loin de la
Paledine.
Or dans cet éclat , quel attrait de
vertu pour les peuples ! Premièrement,
les grands modèles touchent bien plus;
6c la piété devient comme un bon air
pour îe peuple , dès que l'exemple des
Grands l'autorife. Secondement , l'i-
dée de foiblefle que les hommes atta-
chent à la vertu , tombe dès qu'elle
eft annoblie de vos noms , pour ainfi
dire , ôC qu'on peut lui faire honneur
de vos exemples. Troifiémement , la
modeftie êc la frugalité n'ont plus rien
de honteux pour le rede des hommes ,
dès qu'ils voient en vous qu'on peut
être grand 6c modefte ; 6c que la fuite
du luxe & de la profufion , non feu-
lement ne fait point de honte aux pe-
tits , mais donne même une nouvelle
dignité à l'élévation ôc à la nailTance,
Des Grands* 2,91
Quatrièmement , combien d'ameâ
foibies rougiroient de la vertu , que
votre exemple raflure ^ qui ne crai-
gnent plus de marcher après vous , OC
qui trouvent même beau de fuivre vos
traces ! Cinquièmement, combien d'a^-
mes trop fenfibles encore aux intérêts
de la terre , craindroient que la piété
ne fût un obflacle à leur élévation , ôC
trouveroient peut-être dans cette ten-
tation recueil de tous leurs deiirs de
pénitence , fi elles n'apprenoient en
vous voyant , que la piété eft utile à
tout ^ ÔC qu'en attirant les grâces du
Ciel elie n'éloigne pas celles de la ter-
re / Sixièmement , vos inférieurs , vos
créatures 5 vos efclaves , tous ceux qui
dépendent de vous , trouvent la vertu
bien plus aimable depuis qu'elle efl
devenue un moyen sûr de vous plaire 9
& que le même progrès qu'ils font
dans la piété , ils le font dans votre
confiance & dans votre eftime.
Enfin , mes Frères , quel honneur
pour la Religion , lorfqu'elle peut mon-
trer en vos perfonnes qu'elle fait en-
core fe former des Juftes qui mépri-
fent les honneurs , les dignités , les
richeffes ; qui vivent au milieu des
profpéfités fans en être éblouis j qui
N ii)
^94 Vices et Vertus
font élevés aux premières places , fans
perdre de vue les biens éternels ; qui
poffedent tout comme ne pofledant
rien ; qui font plus grands que le mon-
de entier , & regardent comme de la
boue tous les avantages de la terre ,
dès qu'ils deviennent un obfiacle aux
promefTes que la Foi leur montre dans
le Ciel 1 Quelle confufion pour les im-
pies de fentir , en vous voyant mar-
cher dans les voies du falut au milieu
de toutes les profpérités humaines,
que la vertu n'eft pas un pis- aller ;
qu'en vain ils tâchent de fe perfuader
qu'on n'a recours à Dieu , que lorfque
le monde nous manque ; puifque
comblés des faveurs du m.onde ^ vous
ne laiiTez pas d'aimer l'opprobre de
JefusChrifl ! Quelle confolation mê-
me pour notre miniftere , de pouvoir
nous fervir de vos exemples dans ces
Chaires chrétiennes , pour confondre
les pécheurs d'une deflinée plus obf-
cure ; de pouvoir leur citer vos vertus
pour les faire rougir de leurs vices ; de
pouvoir leur faire honte de toutes les
vaines excufes qu'ils nous oppofent ,
en leur alléguant votre fidélité à la loi
de Dieu ; en leur montrant que les
périls qui les environnent j ne font
I
Des Grands. 195
pas plus grands que les \ôtres ; que
les objets des pafîîons au milieu def-
quels ils vivent , font moins fédui-
fans ; que le monde ne leur offre pas
plus de charmes ÔC plus d'illufîon qu'il
vous en offre ; que û la grâce peut fe
former des cœurs fidèles jufques dans
les Palais des Rois , elle peut s'en for-
mer à plus forte raifon dans le tumul-
te des villes 6c fous le toit du ci-
toyen & du Magiftrat ; 6c qu'ainfî on
trouve le falut par- tout , & que notre
état ne devient un prétexte favorable
à nos pafîîons , que lorfque la corrup-
tion de notre cœur eft la véritable rai-
fon qui les autorife.
Oui 5 mes Frères , je le répète , vous
donnez , quand vous fervez Dieu j
une nouvelle force à notre miniflere ;
plus de poids aux vérités que nous
annonçons aux peuples ; plus de con-
fiance à notre zèle ; plus de dignité à
la parole de Jefus Chrill ; plus de cré-
dit à nos cenfures ; plus de confola-
tion à nos travaux ; & en jettant les
yeux fur vous , le monde trouve la
décifîon des vérités qu'il nous avoit
contedees. Que de biens, mes Frères,
reviennent donc à l'Eglife de vos
exemples ! Vous donnez du crédit à
N iij '
tf)6 Vice SET Vertus
îa piété ; vous honorez la Religion
dans l'efprit des peuples; vous animez
les Juftes de tous les états ; vous con-
folez les ferviteurs de Dieu ; vous
répandez dans tout un Royaume une
odeur de vie qui confond le vice ôc
qui autorife la vertu ; vous maintenez
les règles de l'Evangile contre les
maximes du monde : on vous cite d^s
les villes 5c dans les Provinces les plus
éloignées pour encourager les foibles
& agrandir le Royaume de Jefus-
Chrirt : les pères apprennent vos noms
à leurs enfans peur les animer à la
vertu ; ôc fans le favoir , vous devenez
le modèle âes peuples , l'entretien des
petits, rédification des familles , l'e-
xemple de tous les états 5c de tous les
ordres. A peine les principaux des
Tribus daf^ le dé/ert 6c les femmes
ks p'u/difiinguées eurent apporté à
MoiTe leurs orrt^mens les plus pré-
eieux pour la conftruftion du taberna-
cle , que tout le peuple , entr?îné par
leur exemple , vint en foule oiïrir fes
dons 8c (es préfens ; & qu'il fallut que
MoiTe mit des bornes à leurs pieux
empreflemens , 6c modérât l'excès de
leurs largelles.
Ah/ mes Frères, que de biensenca-:
DES GÇLANDS. I97
re une fois, vos feuls exemples peu-
vent faire parmi les peuples ! les plai-
fîrs publics décriés , dès que vous ne
les autorifez plus par votre préfence ;
les modes indécentes profcrites , dès-
que vous les négligez ; les ufages dan-
gereux furgnnés , dès que vous les^
abandonnez ; la fource de prefque tous-
les défordres tarie , dès que vous viver
félon Dieu, Et de- là que d'ames pré-
fervées ! que de malheurs prévenus £
que des crimes arrêtés ! que de mau^
empêchés ! Quel gain pour la Reli-»
gion qu'une feule perfonne élevée ^
qui vit félon la foi ! Quel préfent î>ieuJ
fait à là terre , à un Royaume, à uw
peuple , quand il lui donne des Grands^
S>C des PuifTans qui vivent dans fa;
crainte ! 6c quand l'intérêt feul de vo*
tre ame , mes Frères , ne fuffiroir pa^
pour vous rendre la vertu aimable^
l'intérêt de tant d'ames , à qui vous êtes?
tine occaiîîon de falut en vivant feloiï
Dieu , ne devroit>il pas préférer fa^
crainte & Famour de la loi à tous l'es?
vains plaifirs de la terre ? Efl-il de
plaifir plus doux pour un bon cœur^
qiïg de devenir une fource de faluî 5C
de- bénédiction pour fes Frères-
' Et: ce qu'il y a ici d'heureux g©û^
\
29^ Vices et vertus
vous , mes frères , c'eft que vous ne
vivez pas feulement pour votre fiecle ;
je l'ai déjà dit , vos exemples palferont
î afques aux fîecles fuivans. Les vertus
des fimples fidèles périiTent, pour ainfi
dire , avec eux; mais vos vertus feront
confervées dans nos hiftoires avec vos_
noms. Vous deviendrez un modèle de
piété pour nos neveux , comme vous
l'avez été pour les peuples qui ont vécu
avec vous ; vos rangs 6c vos emplois
vous liant aux principaux événemens
qui fe paflent dans notre fiecle , vous
feront pafier avec eux jufques aux fîe-
cles à venir. Les Cours qui fuccéderont
à la nôtre , trouveront encore Thiftoire
de vos mœurs & de vos fainrs exemples
mêlée avec l'hiftoire publique de nos
jours : vous donnerez encore du crédit
à la piété dans les âges qui nous fuivront;
le fouvenir de vos vertus confervé dans
nos annales, y fervira encore d'inilruc-
tions à vos defcendans qui les liront :
& l'on pour! a dire un jour de vous ,
comme de ces homme^^ célèbres 6c
pleins de gloire 6c de juftice , dont parie
l'Ecriture , que votre piété n'a pas fini
avec vous ; que le fouvenir de vos ver-
tus paiTera d'âge en âge ; que les peuples
lacoûteront juiqu'à la fin votre fageife
DES Grands. 299
& vos exemples ; que l'Eglife publiera
vos louanges ;6c que les biens que vous
avez faits , & l'odeur de votre vie Ce
confèrvera toujours au milieu de nous,
avec les defcendans qui naîtront de la
gloire de votre fang , 6c qui fuccéde-
ront à vos noms & à vos titres : Quorum Eccli 44,
pietaus non defuerunt ; cumfeminc eo- *^* ^^«
rum permanent bona.
Mais , ce n'eft pas tout , mes Frères :
l'exemple rend vos vertus un bien pu-
blic, 6c c'éft là leur premier caraâ:ere;
mais l'autorité qui en eft le fécond ^
achevé ÔC foutient les biens infinis que
vos exemples ont commencé. Et quand
je dis l'auto^iKé , mes Frères , que ne
puis- je développer ici tout ce que cette
idée me découvre d'immenfe dans les
fuites fécondes de ia piété des Grands
& des PuiiTuis !
Premièrement , la pf )re£lion de la
vertu. La vertu timide eil: fouvent op-
primée , parce qu elle manque ou de
hardiefie pour fe montrer , ou de pro-
tection pour (e défendre : la vertu obf-
cure eff fouveïi; méprifee , parce que
rien ne h relevé ouxyeux des fens, 6c
que le monde eu rad de pouvoir fsire
un crime à la piété , de robrciuité de
ceux qui la pratiquent. Mais dès que
Nvj
^OO TiCES ET VERTXrs
VOUS en prenez vous-même le parti ^
mes Frères , ah ! la vertu ne manque
plus de proteâion : vous devenez les
interprètes des gens de bien auprès du
Prince , déjà fi favorable lui même àla^
piété , 5c les canaux par lefquels ils
trouvent tous les jours accès auprès du
Trône; vous mettez en place des hom-
mes juftes qui deviennent des exem-
ples publics ; vous produifez des fervi-
reurs de Dieu , des hommes pleins de
ibmiere , de fcience 5c de vertu , qui-
feroient demeurés dans la poufîîere y
Se qui à la faveur de votre nom §C de
votre appui paroifTent dans le public;*,
mettent en œuvres leurs talens ; enri»-
ehilfent quelquefois TEglife d'ouvra-
ges faints ôc chrétiens ; contribuent à
i!édificationdes Fidèles, à rînllruâ:iotti
des peuples, à la confomrnstion des
fàints ; apprennent les règles de la ver- ,
fu à ceux qui les ignorent , les appren-;
diront à nos neveux , ôC feront palTer
dans tous les fiecles fui^ans , avec les
monumens pieux de leur zeîe , les
fruits immortels de la protection dont,
^ous aves honoré la vertu, ta de votre;
amour pour les Juftes.-
Que dirai je ,. mes Frères ? Vous fouir
Des Grands. jor
entreprifes faintes; ÔC votre proteâion
l'es anime , ÔC leur fait furmonter tous
les obftacles dont le démon traverfe
toujours les œuvres qui doivent glori-
fier Dieu 8c contribuer au falut des^
âmes. Que d'étabîiflemens utiles au-
jourd'hui ÔC qui fontHine fource de
bénédidion dans l'Eglife, n'ont dû au-
trefois leur naifTance qu'au crédit d'u-
ne feule perfonne élevée , à qui Dieu
avoir mis dans le cœur de protéger une
œuvre dont il devoir tirer un jour tant
de gloire ! q^ue de pieux de (feins ÔC
avantageux à TEglife exécutés , au-
roient échoué fi l'autorité d'un Jufte en
place ÔC élevé dans l'Eglife , n'eut ap-
plani toutes les voies qui fembloient
en rendre l'exécution impofTible ! Que
de faiiits Miniilres de Jeius Chrift fou-
tenus dans leurs fonctions ^ auroienî
cédé aux coniradidtions 6c privé par
leur retraite les peuples de leurs inf-
trué^ions ÔC de leurs exemples, fî leur
vertu n'eut trouvé dans la piété des
Grands ÔC des Puiffans une protection
q[ui afluroit la paix à leur troupeau j,
^ l'autorité à leur miniftere !
Que dirai- je encore , mes Frères ?'
Vous rendez par vos exemples la vertu
ïgrgedable à ceux quing l'aiment pas;-.
501 Vices et vertus
& ce n'eft plus une honte d'être Chré-
tien , dés que par là on vous reffemble.
Vous ôtez à l'impiété cet air de confian-
ce & d'oftentation, avec lequel elle ofe
tous les jours paroître ; & le libertina-
ge n'ert plus un bon air , dès que votre
conduite l'improuve. Vous maintenez
parmi les peuples la Religion de nos
pères; vous confervez la Foi auxlfiecles
qui nous fuivronî; & fouvent il ne faut
qu'un Grand dans un Royaume, ferme
dans la Foi, pour arrêter le progrès de
l'erreur & des nouveautés , & confer-
ver à tout un Etat la Foi de fes ancêtres.
La feule Efther conferva le peuple &
la loi de Dieu dans un grand Empire;
le feul Mathathias tint bon contre les
autels étrangers, 8c empêcha les (upeiC-
titions de prévaloir au milieu de Juda ;
5c la France ne doit les lumières de
l'Evangile & la connoifTance de Jefus-
Chrift , qu'à la piété d*une fainte Piin-
cefle, qui conquit à la Foi, avec le cœur
d'un époux infidèle , un Royaume qui
depuis en a toujours été le plus ^erme
appui & la portion la plus pure 6c la
plus floriirante. Oh ! mes Frères , que
vous êtes gîands quand vous êtes à
Jefus-Chrift , & que votre naiiTance 6C
votre élévation paroiffent avec bien
DES Grands. 303
plus d'éclat ôc de dignité, dans les fruits
immenfes de votre piété , que dans le
farte de vos pafTîons , 6c tout le vain
attirail des magnificences humaines.
Secondement , les récompenfes de
îa vertu. Vous la mettez en honneur
en lui donnant dans le choix^s pla-
ces quidépendent de vous , les préfé-
rences qui lui font dues, ôC ne confiant
les emplois qu'à ceux dont la piété mé-
rite la confiance publique ; en ne comp-
tant fur la fidélité des fabalternes ,
qu'autant qu'ils font fidèles à Dieu, 6c
recherchant principalement dans les
hommes la droiture de la confcience
5c l'innocence des mœurs , fans quoi
tous les autres talens ne forment plus
qu^un mérite équivoque , qui devient
ou nuifible ou inutile.
Et de là, mes Frères, quel nouveau
bien pour le public ! quel bonheur pour
un Royaume , où les gens de bien oc-
cupent les premières places , où les
emplois font les récompenles de la
vertu, où les affaires publiques ne font
confiées qu'à ceux qui cherchent plus
les intérêts publics que leurs intérêts
propres , 6c qui ne comptent pour rien
le gain du monde entierj^s'ils venoient
à perdre leur ame !
304 Vices et Vertus
Qiiel avantage pour les peuples y
lorfqa'ils trouvent leur père dans leurs
Juges ; les protecteurs de leurs foiblef',
fes dans les arbitres de leur deflinée ;
les confolateurs de leurs peines , dans
les interprètes de leurs intérêts ! Que
d'abus prévenus / que des larmes ef-
fuyées/que d'injuflices évitées ! quelle
paix dans les familles ! quelle confola-
' tion pour les malheureux ! Quel hon-
neur même pour la vertu , lorfque les
peuples font ravis de la voir en place y
& que le monde lui-même, tout mon-
de qu'il efl , eft pourtant bien aife d'a-
voir des gens de bien pour défenfeurs^
ÔC pour Juges ! Quel attrait pour la ver-
tu 5 lorfî^u'on voit qu'elle eil devenue
le chemin à^s grâces , & qu'outre les
promeiles du iiecle à venir qWq a en-
core pour elle les recompenfes de la
T 77mr terre : PromlJJionem habens vitœ quos
4» ^«^ ^nuicejïy ù futur œ.
Et ne dîtes pas , mes Frères , qu'çn
récompenfant la vertu on ne corrige^
pis les pécheurs , & qu'on multiplie
feulement les hypocritesi Je fais juP
qu'où l'amour de l'élévation peut pouf^
ier les hommes, 6c quels abus ils font
capables de faire de la Religion pour
ariivex à leurs fins ô mais du moins ^.
Des Grands. 305
vous obligez le vice de fe cacher ; du
moins vous lui ôtez l'éclat 6c la fécu-
rite qui le répand ÔC le communique ;
vous confervez du moins l'extérieur de
la Religion parmi les peuples ; vous
multipliez du moins les exemples de
la piété parmi les Fidèles; & s'il n'y a
pas moins de dérèglement , les fcan-
danles du moins font plus rares.
Enfin , les fainies largeffes de la ver-
tu. Mais je fens que mon fujet m'en-
traîne, 6c il eft temps de finir. Oui^mes
Frères , que de nouveaux biens encore
pour les peuples dans i'ufage chrétien
&: charitable de vos richefles ! Vous
mettez Tinnocence à couvert , vous
préparez des afyles de pénitence aux
crimes r vous rendez la vertu aimable
aux malheureux par les reffources qu'ils
trouvent dans la vôtre: vous affurez aux
maris la fidélité de leurs époufes ; aux
pères le falut de leurs enfans ; aux ï^af-
teurs la fureté de leurs brebis; la paix
aux familles , la confolation aux affli-
gés , l'innocence à la veuve délaiffée ,
un fecours à l'orphelin , le bon ordre
au public 5 à tous l'appui de leur vertu,
ou le remède de leurs vices.
Et ici , mes Frères , comprenez û
vous pouvez les fruits imraenfes de
^ù6 Vices et Vertus '
votre vertu , & les avantages inexpli-
cables qu'en retire l'Eglife. Que de
fcandales évités I que de crin-ies préve-
nus ! que de maux publics arrêtés /que
de foibles confervés ! que de Juftes af-
fermis! que de pécheurs rappelles! que
d'ames retirées du précipice/ Que vous
contribuez , mes Frères , quand vous
fervez Dieu , à la gloire de l'Eglife , à
ragrandifTementdu royaume deJefus-
Chrift , à l'honneur de la Religion , à
la confommation des Saints , au falut
de tous les Fidèles ! Qu'il fe trouvera
un jour d'Elus dans le Ciel de toute
langue 6c toute tribu , qui mettront
à vos pieds leur couronne d'immorta-
lité 5 comme pour confefler publique-
ment qu'ils vous en font redevables I
Quelle confolation pour vous de pou-
voir vous dire à vous même, qu'en fer-
vant Dieu vous lui attirez des fervi-
teurs , &: que votre piété devient une
fource de bénédictions pour les peu-
ples ! Non 5 mes Frères , s'il y a quel-
que chofede flatteur dans l'élévation ,
ah ! ce n'eft pas les vaines diftin6^ions
que i'ufage y attache ;c'eft d'y pouvoir
devenir en fervant Dieu , la foarce de
biens publics , le foutien de la Reli-
gion , la confolation de l'Eglife , ÔC les
Des Grands. 307
principaux inftrumens dont Dieu fe
fert pourTaccompHirement de Tes def-
feins de miféricorde fur les hommes.
Que vous perdez donc , mes Frères,
en ne vivant pas félon Dieu ! que l'E-
glife perd en vous perdant ! que nous
perdons nous - mêmes iorfque vous
nous manquez/ de combien d'ayanta-
ges priyez-yous les Fidèles ! quelles
confolations yous ôtez-yous à yous-
mêmes ! quelle joie dans le Ciel pour
la converfion d'un feul pécheur élevé
dans le fiecle ! Que vous êtes coupa-
bles , mes Frères , quand vous ne vivez
pas félon Dieu î Vous ne pouyez ni
vous perdre , ni vous fauver tout feuls*
Vous refTemblez ou à ce dragon de l'A-
pocalypfe , qui en tombant du Ciel où
il étoii élevé , entraîne par fa chute la
plupart des étoiles dans l'abîme ; ou à
ce ferpent myfterieux , dont parle Je-
fus Chrifl , qui étant élevé fur la terre
attire heureufement tout après luL
Vous êtes établis pour la perte ou pour
le falut de plufieurs, des plaies ou des
reflburces publiques. Puiiïîez-vous ,
mes Frères , connoître vos véritables
intérêts ; fentir ce que vous êtes dans
les defleins de Dieu , ce que vous pou-
fez pour fa gloire , ce qu'il attend de
3o8 Vices et Vertus , êcc.
vous ; ce qu'en attend TEglife , ce que
nous en attendons nous mêmes ! Ah I
vous avez une fi grande idée de votre
rang 8c de vos places par rapport au
monde !
Mais , mes Frères , permettez- moi
de vous le dire : vous n'en connoiflez
pas encore toute la grandeur; vous ne
voyez qu'à demi ce que vous êtes; vous
êtes encore bien plus grands par rap-
port à la piété ; ÔC les privilèges de
votre vertu font bien plus brillans ÔC
plus finguliers que ceux de vos titres,
Puifliez-vous, mes Frères, remplir tou-i
te votre deiHnée ! Et vous , ô mon
Dieu ! touchez durant ces jours de
falut, par la force de la vérité que vous
métrez dans nos bouches , les Grands
& les PuilTaDs;artirez à vous des cœurs,
dont la conquête vous afiure celle du
re(ïe des Fidèles; ayez pitié de vos peu-
ples, en ianc^ifiant ceux que votre Pro-
vidence a mis à leur tête;rauvez Ifraël,
en fauvant ceux qui le régiiTent ; don-
nez à votre Eglife de grands exemples
qui perpétuent la vertu d âge en âge ,
& qui aident jufqu'à Ja fin à former
cette alTemblée immortelle de Juftes ,
qui vous beniia dans tous les fiecles»^
AinJïfoit'iL
DISCOURS
PRONONCE'
A I £/A^£ BÉNÉDICTION
Des Drapeaux du Régiment
de Catinat.
Pofuenint figna fua , figna ;& noncogno-
Verunt fîcut in exitii iuper fumraum.
Ils ont mis leurs Drapeaux dans le Temple
comme unpréfage de leur vicioire ; fi* ils n'ont
pas connu quelle éîoit la fin de cette pieufe fo-
lemnité. Pf. 75. 4. ç.
CE n'efl pas pour vous rappeller
ici des idées de feu 6c de fang ,
5c par le fouvenir de vos viftoires
paffées vous animer à de nouvelles ,
que je viens dans le San6iuaire de la
paix mêler un difcours Evangélique
à une cérémonie fainte. La parole
dont j'ai Thonneur d'être le Miniftre ,
eft une parole de réconciliation & de
vie , defliiiée à réunir les Grecs ÔC les
310 Pour la bénédiction
Barbares ; à faire habiter enfemble ^
félon l'exprefîîon d'un Prophète , les
lions 5 les aigles &: les agneaux ; à raf-
fembler fous un même chef toute lan-
gue 5 toute tribu , 6c toute nation : à
calmer les pafTions des Princes & des
peuples , confondre leurs intérêts ,
anéantir leurs jaloufies , borner leur
ambition , infpirer les mêmes defirs à
ceux qui doivent avoir la même espé-
rance ; 6c fi elle propofe quelquefois
des guerres ÔC des combats, ce font des
guerres qui fe terminent toutes dans le
cœur , &c des combats de la grâce.
D'ailleurs, je me fouviens que je
parle fous l'autel même de l'Agneau ,
qui elt venu pacifier le Ciel & la ter-
re : dans un Temple confacré au
Chef d'une Légion fainte qui fut pré-
férer le culte de Jefus - Chrift à celui
des ftatues de TEmpereur , 6c laifler
fièrement les Aigles de l'Empire pour
fuivre l'étendard de la Croix*; &. enfin,
que je parle à une troupe illuftre qui
ne connoît les périls que pour les af-
fronter , que mille aérions diftinguent
plus que le nom|du fameux Général
qu'elle a l'honneur d'avoir à fa tête, 6C
le mérite de celui qui la commande ;
ia qui attend plutôt de moi des leçons
Des Drapeaux, 8cc. 3 1 1
de piété que de valeur , 6c des avis
pour faire la guerre faintement , que
des exhortations pour la bien faire.
Souffrez donc. Meilleurs, que laif-
fant là le corps , pourainfî dire, & les
dehors de cette cérémonie , je vous en
développe l'efprit ; que fans approfon-
dir ce qu'elle a d'antique tl de curieux,
je m'arrête à ce qu'elle peur avoir d'u-
tile ; &que loin de vous entretenir de
la gloire des armes & du cas que tous
les peuples en ont toujours fait, je
vous parle des périls de cet état 8c des
moyens d'y acquérir une gloire im-
mortelle & folide.
Pourquoi croyez vous en effet que
les nations les plus barbares aient tou-
tes eu une efpece de religion militai-
re , 8c que le culte fe foit toujours
trouvé mêlé parmi les armes ? Pour-
quoi croyez • vous que les Romains
fuffent fi jaloux de mettre leurs aigles
& leurs Dieux à la tête de leurs Lé-
gions .5c que les autres peuples afFec-
tafTent de prendre ce qu'il y avoir de
plus facré dans leurs fuperftitions y
ÔC en traçafTent les figures & les fym-
boles fur leurs étendards ? finon pour
empêcher que le tumulte &. l'agita--
tion des guerres ne fît oublier ce qu'oa
fïi Pour la BéNéoicTioN
doit aux Dieux qui y pré(ident , St
afin qu'à force de les avoir fans celFe
devant les yeux , on fût comme dans
une heureufe impuilfance de les per-
dre de vue. Pourquoi croyez - vous
que les Ifraélites dans leurs marches
& dans leurs combats fuflent toujours
précédés du Serpent d'airain ; que
Condantin devenu la conquête de la
Croix 5 fit élever ce fignal de toutes
les nations au milieu de fes armées ;
que nos Rois , dans leurs entreprifes
contre les infidèles , allaflent recevoir
rétendard facré aux pieds des autels ;
ÔC qu'enfin encore aujourd'hui l'Eglife
confacre par des prières de paix & de
charité ces fignes déplorables de la
guerre 8(. de la dilTenfion ? (înon pour
vous faire fouvenir que la guerre mê-
me eft une manière de culte religieux;
que c'eft le Dieu des armées , qui pré-
fide aux viâoires ÔC aux batailles ; que
les Conquéraos ne font bien fouvent
entre Ces mains que des inftrumens de
colère dont il fe fert pour châtier les
péchés des peuples ; qu'il n'eft point
de véritable valeur que celle qui prend
fa fource dans la Religion 6c dans la
piété ; 6c qu'après tout , les guerres ÔC
ks révolutions des Etats , ne font que
des
Des Drapeaux, 8cc. ^15
des jeux aux yeux de Dieujôc un chan-
gement de fcene dans l'univers ; que
lui feul ne change point , ôc feuî a de
quoi fixer les agitations & les defîrs
infatiables du cœur humain.
lleft vrai, MefTieurs , que la piété
fî pénible , même dans les Cloîtres
où tout l'infpire , fi rare dans le fîecle
où les devoirs communs de la ReliH
gion la foutiennent , trouve dans les
difilpations & la licence des armes
des obllacles 6c des écueils , où les
plus belles efpérances de l'éducation,
les plus heureux préfages du naturel ,
les plus tendres précautions de la grâ-
ce viennent tous les jours triflement
échouer.
C*eft là qu*on voit quelquefois le
peuple de Dieu fous les yeux même
d'un Jofué , iïim Général fage & re-
ligieux, donner dans tous les excès 6C
les crimes des nations. C'efî- là que des
Chrétiens mettent tous les jours leur
gloire dans leur confuiion , & fe font
un mérite de leur ignominie. C*ell là
que l'impiété eft un bon air , la Foi
une foibleiTe , la Religion un fonge ,
les vérités du falut le partage des
âmes oifeufes , les terreurs de l'éter-
nité une vaine frayeur, ôclafainteté
Petit Carême* O
5T4 Pour la Bénédiction
de nos myfteres fouvent l'airaifonne-
ment des débauches. C'eft là que le
Dieu que nous adorons n'eft nommé
que pour erre infulré ; que le crime
eft unebienféance, la volupté un mé-
rite 5 la fureur une diftinàion. C'eft
là que ceux que la politelTe , le rang
ou l'intérêt même , fous un Prince
qui ne compte pour rien la valeur lorf-
qu'elle eft toute feule , éloignent de
ces excès , bornent toute leur régula-
rité à l'ambition, la gloire & la ven-
geance ; & ne fe relâchent , ce femble,
fur les autres p^ifiions ^ que pour être
plus vifs fur celle ci.| C'eft là que les
plus fages font ceux qui ne font occu-
pés que de leur fortune & de leur avan-
cement ; qui facrifient tout , bien ,
repos , confcience à leur gloire ; qui
infenfibles fur la félicité des Saints ÔC
fur les biens folides de l'éternité , ne
font occupés qu'à faifir un phantôme
qui leur échappe avant qu'ils le tien-
nent , 5c à fe ménager des établifle-
mensqui font fondés fur le fable, 6c
dans une cité qui n'eft pas permanen-
te. C'eft là 5 en un mot, que Dieu n'eft:
pas plus connu qu'au milieu des peu-^
pies infidèles , ôc que la plus haute
vertu n'eft pas de n'avoir point de paf-,
Des Drapeaux , 8cc. 515
lions , mais de n'en avoir que de no-
bles 6c de brillantes.
Sont-ce là , ô mon Dieu , des hom-
mes armés pour votre querelle &: pour
la défenfe de vos autels ? vous qui ne
voulez pas que le pécheur raconte vos
juftices 6c devienne le protefteur de
votre alliance , pourriez- vous confier
à des bras facrileges le foin de rétablir
votre culte 5c la majefté de vos Tem-
ples ? Et qu'importe que vous foyez
déshonoré par les crimes des Fidèles,
ou par l'infidélité de vos ennemis ?
qu'importe que votre royaume s'a-
grandiiTe , (î vous ne devez pas régner
fur les cœurs ? qu'importe que les diC-
perfions d'Ifraël fe ralFemblent , û les
Tribus reliées à Jérufalem furpaifent
mêmes les profanations des fujets de
Jéroboam.
Ceux qui vivent dans la tranquillité
des villes 6c loin des dangers de la
guerre , peuvent fe calmer fur les dé-
fordres de leur vie par l'efpoir d'une
vieilleiTe plus régulière 8c d'une mort
chrétienne. Et en effet , Mefîîeurs, le
loidr que l'âge ou une lente infirmité
laiiTent aux réflexions; le long ufage
des plaifirs , 5t le dégoût ou les défa-
grémens qui les fuivent ; l'expérience
Oij
^i6 Pour la Bénédiction
du monde Sc de fes inutilités , dont
un bon efprit même fe iaffe 6c revient
tôt ou tard ; les perfidies &. les fuper-
cheries du commerce , qui routes feu-
les font capables de dégoûter uneame
bien faite 5c lui faire prendre le parti
de la retraite ôc de la piété , tout cela
aide les opérations de la grâce dans le
cœur des mondains ; leur fait faire
tous les jours milles projets éloignés de
\ converfion ; les arrache peu à peu à
leurs foibîefTes , 6c quelquefois fait
que fatigués du monde ils fe donnent
à Jefus Chrift.
Je fais que cette efpérance des pé-
cheurs périt fouvent ; que fe flatter
d'une converfion tardive , c'eft inful-
ter à la grâce & à la juftice d'un Dieu
vengeur; que renvoyer à des années
de langueur 5c d'infirmité l'affaire du
falut, c'eft la manquer ; qu'on ne re-
cueille pendant l'hiver que ce qu'on a
femé durant les jours de l'été ; que
notre Dieu n'eft pas un Dieu de tous
les jours ; que négligé , il néglife à fon
tour ; & que la vertu qui vient fi tard ,
n'eft d'ordinaire qu'une impuifTance
du vice , une régularité de l'âge plutôt
que du cœur , & une bienféance qu'on
doit au monde autant qu'à Jefus-
DES Drapeaux, 5Cc. 317
Chrift. Cependant la religion ne veut
pas qu'on défefpere ,• & plus d'une
fois j ô mon Dieu , vous avez appelle
des ouvriers à îa onzième heure du
jour, 6c guéri des paralytiques de tren-
te ans , peut être pour prévenir par ces
prodiges le défefpoir des vrais péni-
tens , ÔC peut être au/Ti pouramufer la
faulfe confiance des pécheurs.
Mais pour vous , Meflîeurs , qui
au milieu des périls & des fureurs de
la guerre pouvez tous les jours dire
comme David, que vous n'êtes fé-
parés que d*un feul degré de la mort :
Vno tantum gradii , ego morfque divi- j^ ^ j
dimur ; vous qui ne devez compter 20* 3,
fur la vie , que comme fur un tréfor
que vous tenez expofé fur un grand
chemin ; qui touchez tous les momens
à l'éternité , & qui ne tenez au monde
ôc à fes piainrs , que par le plus foible
de tous les liens : ah ! qu'eft ce qui
peut vous ralTurer lorfque vous vous
livrez à des pafTions d'ignominie ? ÔC
de quel efpoir pouvez vous vous amu-
fer vous même ? eft-ce ces momens-
que vous accordez à la Religion furie
point d'un combat , qui flattent votre
efpérance ? ell ce la prière & les béné-
didions d'un Miniftre ? Mais vous qui
O iij
3i8 Pour la Bénédiction
êtes de bonne foi , quelle eft alors ,
je vous prie , la fituation de votre
cœur ? Vous eft-il jamais arrivé de re-
payer en pareille occafîou dans ramer-
tume de votre cœur routes les années
de votre vie ? Avez vous jamais penfé
dans ces circonftances à offrir au Sei-
gneur un cœur contrit & humilié , ÔC
à invoquer fes miféricordes fur les
miferes de votre ame ? La gloire , le
devoir, le péril, vous ne voyez que
cela. Les retours furiaconfeience font
alors moins de faifon que jamais ; on
éloigne même ces penfées comme dan-
gereufes à la valeur ; on redouble les
pîaifirs , &. les excès pour faire diver-
fîon , & s'empêcher foi-même de s'en
occuper ; & l'on pafle , hélas ! prcfque
toujours du crime ÔC de la débauche à
la mort. Horrible dellinée , ô mon
Dieu ! 5c fi commune cependant aux
perfonnes à qui je parle ! Vous le fa-
vez , mes Frères , ÔC mille fois dans la
fureur des combats vous avez vu dif-
paroître en un inftant les compagnons
de vos excès ; vous les avez vus ne met-
tre prefque qu'un intervalle entre une
impiété ÔC le dernier foupir , 6c un
coup fatal venir les enlever à vos cô-
tésjdans le temps même peut-être qu'ils
Des Drapeaux , Sec. 319
faifoient encore avec vous des projets
de crime.
Et pourquoi leur infortune ne vous
ébranieroit elle pas ? pourquoi ne
vous inftruiiiez vous pas dans le mal-
heur de leur furpiiie /Efl-ce parce que
ces exemples font tropfréquens , que
vouî> n'en êtes plus frappé ? c'eft-à-dire,
que vous vous rafiurez à mefure que
le péril augmente. Pourquoi ne vous
laifleriez vous pas toucher à la bonté
& à la longanimité de votre Dieu , qui
ne vous a fauves de tant de périls 6c
confervés jufqu'à préfent , que pour
vous ménager plus de loifir de vous
convertir à lui ? pourquoi changeriez-
vous fes deffcin? de miféricorde en des
deifeins de colère ; 5( employeriez-
vous des jours qu'il n'a prolongés que
pour votre fa lut , à prolonger le cours
de vos iniquités ?
Eh / f\ dans cette a£lion où vous ne
dûtes votre délivrance qu'à un prodi-
ge , 6c dont vous- même crûtes ne ja-
mais fortir , le glaive de la mort vous
eut frappé : quelle eut été, mon Frère ,
votre deftinée? quelle ame auriez-
vous préfentée au tribunal de Jefus-
Chrift ? quel monflre d'ordures , de
blafphêraes , de vengeances ! N'êtes-
Oiv
'320 Pour la BéNfoicTiON
vous pas effrayé de vous repréfenter
alors fous le foudre d'un Dieu vengeur, ,
tremblant devant fa face , ÔC les abîmes
éternels ouverts à vos pieds. Sa main
toute puiffante vous délivra ; il vous
couvrit de Ton bouclier ; fon Ange dé-
tourna lui même les coups , qui en dé-
cidant de votre vie auroient décidé
de votre éternité : & quel ufage en
avez- vous fait depuis ? quelle recon-
noiflance envers votre I ibérateur? quel
hommage lui avez vous fait d'un corps
que vous terez doublement de lui ?
Vous l'avez fait fervir à l'iniquité ; 6c
d'un membre de Jefus Chrill vous en
avez fait un inflrument de honte ôc
d'infamie. Ah ! vous avez bien fu
mettre le danger que vous courûtes
alors à profit pouryotre fortune ; ma?s
avez vous fu le mettre à profit pour
votre falut ? vous l'avez fait valoir au-
près du Prince ; m.ais en a-t'ii été quei^
tions auprès de Dieu ? vous en êtes
monté d'un degré dans le Service ; 6c
vous voilà toujours le même dans la
milice de Jefs-Chrifl. Craignez, crai-
gnez , que ce moment fatal ne revien-
ne ; que le Seigneur ne vous livre en-
fin à votre propre deftinée ; qu'il ne
vous traite comme l'impie Achab ; ôc
DES Drapeaux, 8cc. ^xt
qu'un coup parti de fa main invifi-
ble, n'aille à la première occafion ter-
miner enfin vos iniquités ôc commen-
cer fes vengeances.
Que votre fort eft à plaindre , MeC-
fieurs ! La voie des armes , où les enga-
gemens de lanaiflance ôc le fervice du
Prince vous appellent , eft à la vérité
brillante aux yeux desfens; c'eft le feuî
chemin de la gloire ; c'eft le feul pofte
digne d'un homme qui porte un nom :
mais en matière defalur, de toutes les-
voies c'eft la plus terrible. Voilà les
périls ; voici les moyens de les éviter.
Car enfin , le bras de Dieu n'eft pas?
racourci ; le fa lut n'eft nulle part im-
poftîble ; le torrent n'entraîne que ceuje
qui veulent bien s'y prêter; le Seigneur
a fes Elus par- tout ; 6c les mêmes darï-
gers qui font des écueils pour les ré-
prouvés , deviennent des occaflons de
mérite aux Juftes.
Et pour entrer ici dans un détail qui
vous le fafle fentir : quels font , dites-
moi , dans votre état les écueils que l^
grâce ne puifte vous faire éviter ? quefe
font les maux qui n'aient en même-
temps leurs remèdes ?
Je fais que Fambiiion eft comme kiév
^itable à un. homiiic de guerre y ^p^
-.s"
^11 Pour la Be'ne'diction
l'Evangile qui fait un vice de cette paf-
lîon , ne fauroit prévaloir contre Tufa-
ge qui l'a érigée en vertu ; & qu'en fait
de mérite militaire , qui ne fent pas ces
t^ nobles mouvemens qui nous font afpi-
I rer aux grands poftes, ne fent pas aujSi
^' ceux qui nous font ofer de grandes
aâ:ions. Mais outre que le defir de voir
vos fervices récompenfés , s'il eft mo-
déré , (i feui il n'abforbe pas le cœur
tout entier , s'il ne vous porte pas à
vous frayer des routes d'iniquité pour
parvenirà vosfins, & établir votrefor-
tune fur les ruines de celle d'autrui ;
outre 5 dis- je , que ce defir environné
de toutes ces précautions, n'a rien dont
la morale chrétienne puiffe être bief'
fée ; qu'a t- il , en vous offrant les efpé-
rances humaines , de fi féduifant, qu'il
puiffe l'emporter furi'efpoir des Chré-
tiens ôc les promeiTes de la Foi ? Des
poftes 5 des honneurs , des diftinâiions ,
un Rom dans l'univers ? Mais quelle
foule de concurrens faut- il percer pour
en venir là ? que de circonliancos faut-
il aiTortir , qui ne Ce trouvent prefque
jamais enfembie ? Et d'ailleurs , eft ce
le mérite qui décide toujours de la for-
tune 1 Le Prince efï éclairé , je le fais ,
mais peut!il tout voir de ks yeux 1
DES Drapeaux , 8cc. 315
Combien de vertus obfcures 6c négli-
gées ? combien de fervicei-oubliés ou
diflimulés ? ^ d^autre part , combien
de favoris de la fortune , fortis touVà-
coup du néant , vont de plein pied
failir les premiers poftes ? ôc delà , quel-
le fource de défagrémens & de dé-
goûts ! on fe voit paiFer fur le corps par
des fubalternes, gens qu'on a vu naître
dans le Service , ÔC qui n'en favent pas
encore aflez même pour obéir; tandis
qu'on fe fent foi- même furie panchant
de l'âge , 5c qu'on ne rapporte de fes
longs fervices qu'un corps ufé , des
affaires domeftiques défefpéréeç , ÔC
la gloire d'avoir toujours fait la guerre
à fes frais. Eh ! qu'entend- on autre
chofe parmi vous , que des réflexions
fur l'abus des prétentions & des «Tpé-
rances ? vou «nême qui m'écourez j
quelle eft là defTus votre fituation ? Et
cependant on facrifie l'éternité à des
chimères; on fe flatte toujours qu'on
fera du nombre des heureux ; &: on ne
s'apperçoit pas que la Providence ne
femble laifTer au hafard ôc au caprice
des hommes le partage des pofles 6C
des emplois , que pour nous faire re-
garder avec des yeux chrétiens Ics^tres
5c ks honneurs \ ÔC nous faire rapporter
Ovj
524 Pour la Bénédîction^
au Roi du ciel , aux yeux de qui rîeni
n'échappe, ôc qui nous tiendra compte
de nos plus petits foins , des fervices
que nous rendons aux Rois de la terre ,,
qui fouvent ou ne peuvent les voir,,
ou ne fauroient les récompenfer.
Mais quand même votre bonheur
îépondroit à vos efpérances ; quand
même les douces erreurs ôc les fonges
fur lefquels votre efprit s'endort , dé-
^iendroient un jour des réalhés; quand
même par un de ces coups du hafard
qui entre toujours pour beaucoup dans
la fortune des armes, vous vous verriez
élevé à des poftes auxquels vousn'ofe-
ïiez même afpirer , 5c que vous n'au-
inez plus rien à fouhaiter du côté des
prétentions humaines : que font les fé*
licites d'ici" bas, bi quelle eft leur fragi>
Ité ôcleur rapide durée? Que nous ref^
te-t il de ces grands noms qui ont au-
trefois joué un rôle /] brillant dans Tuni-
^erslils ont paru un feul inftant, ôc d'iC-
faru pour toujours aux yeux des hom-
imes. On fait ce qu'ils ont été pendant
ce petit intervalle qu'a duré leur éclat;:
•mais qui fait ce qu'ils font dans la ré?-
gion éternelle des morts! Les chimères
de la gloire & de l'immortalité ne font
laé^aiicati fecours i le Dieu vengeur.
DE5 DRAPEAUX 5 &C- ^1$
qui du haut de fon tribunal pefe leurs
aâ:ions & difcerne leur mérite , n'en
juge pas fur ce que nous difons 6c fur
ce que nous penfons d'eux ici-bas ;
& tous ces grands traits qui font tant
d'honneur à leur mémoire & qui enrt-
chilfent nos annales , font peut-être
les principaux chefs de leur condam-
nation , & les traits les plus honteux
de leur ame aux yeux de Dieu.
Helas! MefTieurs, que font les hom-
mes fur la terre ? des perfonnages de
théâtre : tout y roule fur le faux ; ce
n'eft par tout que repréfentations ; ôC
tout ce qu'on y voit de plus pompeux
ôc de mieux établi , n'eft l'afFaire que
d'une fcene: qui ne le dit tous les jours
dans le fiecle ; Une fatale révolutionj
une rapidité que rien n'arrête , en-
traîne tout dans les abîmes de l'éter-
nité ; les fîecles , les générations , les
Empires , tout va fe perdre dans ce
gouffre ; tout y entre ôc rien n'en fort:
nos ancêtres nous en ont frayé le che-
min , ÔC nous allons le frayer dans ua
moment à ceux qui viennent après
nous ; ainfî les âges fe renouvellent ;
ainlî la figure du monde change fans
eelTe ; ainfî les morts 8c les vivans fe
fuceedent ôc fe remplacent continua^
5i<5 Pour la B^NéDicxiON
lement: rien ne demeure, tout s'ufe,'
tout s'éteint. Dieu feul eft toujours le
même 5 ôcfes années ne finiflentpoint:
le torrent des âges 6c des (iécles coule
devant Tes yeux ; 6c il voit avec un air
de vengeance & de fureur de foibles
mortels , dans le tems même qu'ils font
entraînés par le cours fatal , l'infuîter
en palTant , profiter de ce feul moment
pour déshonorer fon nom , ôc tomber
au fortir de là entre les mains éternel-
les de fa colère ÔC de fa juflice.
Eh / faifons après cela des projets de
fortune ôc d'élévation :ncu?rilfons no*
tre cœur de mille efpérances flatreufes:
prenons à grands frais des mefures in-
finies pour nous ménager un inllant de
bonheur ; ÔC ne faifons jamais une feu-
le démarche pour atteindre à une féli-
cité qui ne finit point. C'eft une fureur
dont on ne croiroit pas l'homme capa-
ble 5 fi l'expérience de tous les jours n'y
étoit.
Et d'ailleurs cet inftant même de
bonheur ell-il tranquille ? Les foup-
çons, les jaloufies, les crai'ntes , les agi-
tations éternelles & inévitables aux
grands emplois , le fort journalier des
armes , la faveur des concurrens , la
fatigue des ménagemens ôc des intri-
DES Drapeaux , Sec, 317
gués , les caprices de ceux de qui ors
dépend , ^ tant de revers à effuyer , le
vuide même des profpérités temporel-
les qui de loin piquent ÔC attirent le
cœur , mais qui touchées de près , ne
peuvent ni le fixer ni ie fatisfaire ; eft-
il de félicité que tout cela ne trouble
& n'altère , 5c ceux que vous regardez
comme les heureux du fiecle , font- ils
toujours tels à leurs propres yeux ? O
Seigneur , à qui feul appartient la gloi-
re ÔC la grandeur , Thornme ne corn-
prendra-t-il jamais qu'il n'eil point
pour lui de feliciœ durable & tran-
quille hors de vous ? que tout ce qui
plaît ici bas peur amufer le cœur, mais
ne fauroit le Satisfaire; que la gloire ôc
les plaifirs ne piquent prefque que dans
le moment qui les précède ; que les in-
quiétudes ÔC les dégoûts qui les fui-
vent, font des voix fecrettes qui nous
appellent à vous ; bi que quand mêrre
on pourroit fe promettre une fortune
paifible , ce ne feroit qu'une vapeur
dont un in^jant décide , ôC qu'on voit
naître , s'épaiflîr , monter , s'étendre ,
s'évanouir dans un moment.
Et ce qu'il y a ici de plus déplorable
pour vous , Meflieurs , c'eft que dans
une vie rude ÔC pénible , dans des em-
3i8 Pour la BÉNÉoiCTioisr
plois dont les devoirs paflent quelque-
fois la rigueur ÔC les travaux des Cloî-
tres les plus aufieres; vous fouffrez tou-
jours en vain pour l'autre vie & irès-
fouvent pour celle- ci. Ah ! du moins le
Solitaire dans fa retraite , obligé de
mortifier fa chair & de la foumettre à
Fefprit , eft foutenu par l'efpoir d'une
récompenfe afTurée , & par l'onâiion
fecrette de la grâce qui adoucit le joug
du Seigneur. Mais vous au lit de la
mort , oferez-vous préfenter à Jefus-
Chrift vos fatigues ôc les défagrémens
journaliers de votre emploi ? oferez-
vous le foîliciter d'une récompenfe ?
& qu'a-t il dû mettre fur fon com.pte
dans toutes les violences que vous
vous êtes faites ? Cependant les plus
beaux jours de votre vie, vous les avez
facrifîés à votre profeflion ; dix ans de
fervice ont plus ufé votre corps qu'une
vie entière de pénitence : eh ! mon
Frère, un feul jour de ces fouftrances
confacré au Seigneur, vous auroit peut-
être valu un bonheur éternel; une feule
aâ:ion pénible à la nature & offerte à
Jefus-Chrift, vous auroit peut-être af-
faré l'héritage des Saints ; & vous en
avez tant fait en vain pour le monde !'
Ak l la moielTe Se l'inutilité daiîïr
DES Drapeaux, &c. zi^
neront ceux qui habitent les villes ;
mais pour vous , Meflleurs , ce fera le
méchant ufage que vous faites de vos
peines 5c de vos fatigues. Eh ! quoi ,
vous prenez fur votre repos , fur vos
plaifirs, furvosbefoins mêmes, quand
il s'agit de votre devoir : eh ! voilà le
plus difficile fait , ce qui vous refle à
faire pour le falut ne coûte plus rien :
foutenez ces travaux avec une foi chré-
tienne ; offrez-les au Dieu jufte comme
Je prix de vos iniquités ; & puifqu'il
faut les fouffrir, ne les fouffrez pas
fans mérite : fi le Prince vous manque,
Dieu du moins ne vous manquera pas ;
c'eft une reffource que vous vous aflu-
rez dans la mauvaife fortune : vos fer-
vices ne feront , comme cela , jamais
perdus; ÔC les fruits de la guerre feront
pour vous des fruits de paix ôC d'éter-
nité. Mais encore une fois vous fouf-
frez tout ce qu'il faut fouffrir pour le
falut ; 6c vous ne favez pas vous en
faire honneur auprès du Père célefle.
C'eft ainli . Seigneur , que votre loi
fe juftilie devant les hommes; que
vous paroiffez vous - même jufte dans
vos jugemens ; 6c qu'au jour terrible
de vos vengeances vous vous fervirez
de la vie rude ÔC iaborieufe d'un hom •
33© Pour la be*ne'diction
me de guerre pour confondre la lâche-
té du mondain & Tes excufes fur la dif-
ficulté de vos préceptes ; ÔC que d'au-
tre part l'amour du mondain pour les
plailiîs condamnera le peu d'ufage
que rhomme de guerre a fait de fes
fouffrances. Voilà donc , Meflleurs ,
comme l'ambition peut devenir elle-
même une reflburce de grâce.
Mais cet.e réputation de valeur (i
effentieîle à votre état, comment Ta-
jufter , me direz vous , avec la dou-
ceur 6c l'humilité chrétienne ? Mais
qu'eftceque la valeur. Meilleurs l
Eft-ce une fierté de tempérament , un
caprice de cœur , une fougue qui ne
foit que dans k fang, une avidité mal-
entendue de gloire , un emporterr.ent
de mauvais goût, une petltelTe d'efprit
qui fe fait des dangers de gaieté de
cœur , feulement pour avoir la gloire
d'en être ^brti ? Quel fiecle fut jamais
plus corrigé là - delTus que le nôtre ?
Quel eft le goût des honnêtes gens fur
ce qui fait la véritable valeur ? la fagef-
fe , la circonfpeélion , la maturité n'y
entrent elles pour rien? Quel a été le
cara£i:ere des grands hommes que vous
avez vu dans ce fiecle à la tête de nos
armées , ôc dont les noms vous font
DES Drapeaux, 5ce. 331
encore (î chers ? Les Turennes , les
Condés , les Crequys , par quelle voie
font-ils montés à ce dernier point de
gloire 6c de réputation au delà duquel
il eft défendu de prétendre ? Le fage
ÔC le vaillant-Général à qui cette Pro-
vince doit fa fureté , 6c le relie du
Royaume fa paix 6c fon abondance ,
lui dont vous recevez les ordres de plus
près comme de votre propre chef, 6c
fur le nom ÔC les étendards de qui
vous avez l'honneur de combattre ,
s'eft il frayé un chemin à l'élévation
où le choix du Prince 6c le bonheur de
l'Etat l'ont placé , p3r une valeur in-
difcrette ? ôc la fageffe qui eft comme
née avec lui, a t-elle jamais rien gâté,
ou à fon mérite , ou à fa fortue ?
Mais c'eft que nous nous faifons
des faufTes idées des chofes. La valeur,
lorfqu'elle n'eil pas à fa plsce , n'eft
plus une vertu : & cette noble ardeur
qui au milieu des combats eft généro-
fité 6c grandeur d'ame , n'eft plus hors
de là q^ue rufticité , jeunefte de cœur,
ou défaut d'efprit. Mais quelle idée ,
me direz - vous encore , a t on dans
les Troupes , d'un homme qui pafte
pour avoir quelque commerce avec la
dévotion ? Lh quoi , Seigneur / il y
^3^ Pour la BéNÉDicxioN
auroit donc de la gloire à fervir les
Rois de la terre ; ÔC ce feroit bafTefie
6c lâcheté que de vous être fidèle ? &
qu'y avoit-il autrefois dans les armées
des Empereurs Payens de plus intrépi-
de dans les périls que \qs foldats Chré-
tiens ? cependant, Mefîieurs, c'étoient
des gens qui au milieu de la licence
des Troupes avoient leurs heures mar-
quées pour la prière , paflbient quel-
quefois les nuits à bénir tous enfemble
le Seigneur, 5c qui au fortir d'une ac-
tion favoient fort bien courir à l'é-
chafaut 5c y répandre fans murmure
leur fang pour la défenfe de la Foi.
Il efl: vrai qu'on ne doit pas exiger
de vous cette piété craintive 6c ten-
dre , ni toute l'atrention &i la ferveur
des perfonnes retirées , qui libres de
tout engagement avec le monde , ne
s'occupent que du foin des chofes du
Seigneur. Mais cette droiture d'ame ,
ce noble refpeâ: pour votre Dieu , ce
fond blide de Foi 5c de Religion, cet-
te exactitude de fi bon goût aux de-
voirs effeniiels du Chriftianifme , cette
probité inaltérable bi fî chère à l'efti-
me des honnêtes gens , cette fupério-
rité d'efprit 6( de cœur , qui fait mé-
prifer la licence &: les excès comme
DES Drapeaux, Scc. 333
peu dignes même de la raiibn ; qui
peut vous difpenfer de l'avoir , & au
jugement de qui eft • il honteux d'ea
être accufé ?
Croyez moi , Meneurs , la Reli-
gion rafTure l'ame, bien loinderamoî-
lir : on craint bien moins la mort,
quand on eft tranquille fur les fuites.
Une confcience que rien n'allarrrie,
voit le péril de fang froid , 6c l'afFroote
courageufemenr , dès que le devoir
l'y appelle. Non , rien n'approche de
la fainte fierté d'un cœur qui com.bat
fous les yeux de Dieu , 6c qui en ven-
geant la querelle du Prince honore le
Seigneur, & refpecfbe fa puifTance dans
celle de fon Souverain.
Et en effet , la piété eft déjà elle-
même une grandeur d'ame : rien ne
me paroît (î héroïque , ni fi digne du
cœur , que cet empire qu'a l'homme
de bien fur toutes Tes paiïîons. Quoi
de plus grand que de le voir tenir ,
pour ainfi dire, fans cefte fon ame en-
tre fes mains , régler fes démarches ,
mefurer fes mouvemens , ne fe per-
mettre rien d'indigne du cœur, maî-
tre de fes fens , les ramener au joug de
la loi , arrêter la pente d'une nature
toujours rapide vers le mal , étouffer
334 Pour la BÉNéoiCTîOîi
mille defirs qui flattent , mille efpé-
rances qui amufent ; tenir contre les
féduâiions du commerce , & la force
des exemples ; & toujours maître de 1
foi- même , ne fouffrir à fon cœur au-
cune baiïefle capable de déshonorer
un héritier du Ciel ! Ah ! il faut n'être
pas né médiocre pour cela : la grâce a
fes héros qui ne doivent rien à ceux
que les (iecles paffés ont admiré ; 6c
apurement celui qui fait vaincre fes
ennemis domeftiques, ÔC qui dès long-
temps s'eft aguerri à meprifer tout ce
que les fens offrent de plus cher , ne
craindra pas les ennemis de l'Etat, 8c
aura bien moins de peine à expofer
avec intrépidité fa propre vie.
Et d'ailleurs , Meffieurs , parut- on
jamais plus détrompé que Ton eft dans
ce fiecle , de cette vieille erreur qui
faifoir confiiier le courage à meprifer
fa religion ÔC fon Dieu ? C'eft - là au-
jourd'hui le partage des malheureux:
les devoirs du Chriftianifme entrent
dans ie$ bienféances du monde poli ;
8c l'on donne au moins les dehors de
la Religion à l'ufage.
Enfin 5 les Moyfes , les Jofués , les
Davids, les Ezéchias, ont été de grands
hommes de guerre &. des grands Saints,
DES Drapeaux, 8cc 335
des Héros du (îecle 5c de la Religion :
les fiecles chrétiens ont eu leurs Conf-
tantins Ô£ leurs Théodofes , terrible»
à la tête de leurs armées , humbles 6C
religieux aux pieds des Autels. Nous
vi /ons fous un Prince qui n'ayant plus
rien à fouhaiter du côté de la gloire ,
a cru que la piété devoit en être com-
me le dernier trait ; qui tous les jours
va humilier fous le joug de Jefus Chrift,
une tête chargée des marques de fa
grandeur 6c de Tes victoires ; 6c qui
dans le temps que tout retentit de Ton
nom ÔC du bruit de Tes conquêtes , fait
répandre fon ame devant le Seigneur,
ÔC gémir en fecret fur le malheur des
peuples & les trilles fuites d'une guerre
fî glorieufe pour lui aux yeux de l'uni-
vers.
Répandez donc , ô Dieu des ar-
mées , fous un Prince (î religieux , des
efprits de foi &C de piété fur ces guer-
riers armés pour fa querelle. Beniilez
vous même ces étendards facrés ; laif-
fez y des traces de fainteté , qui au
milieu des combats aillent aider la foi
des mourans 6c réveiller l'ardeur de
ceux qui combattent ; faites-en des (î
gnes afTurés de la vidoire : couvrez ,
couvrez de votre aîle cette Troupe il-
3 3*^ Pour la BéNÉDiCTiON
luflre qui vous les offre dans ce Tem-
ple ; détourneîz avec votre main tous
les traits de l'ennemi ; fervez lui de
bouclier dans les divers événemens de
la guerre ; environnez la de votre for-
ce; mettez à fa tête cet Ange redouta-
ble dont vous vous fervites autrefois
pour exterminer les AlTyriens ; faites-
la toujours précéder de la viô:oire 6c
de la mort ; répandez fur Tes ennemis
des efprits de terreur & de vertige ;
6c faites ièntir fa valeur aux nations
jaloufes de notre gloire.
Mais non , Seigneur , pacifiez plu-
tôt les Empires ôC les Royaumes ;
appaifez les efprits des Princes ÔC des
peuples ; lai ffez- vous toucher au pi«
toyabîe fpeâ:acîe que les guerres of-
frent à vos yeux. Que les cris & les
plaintes des peuples montent jufqu'à
vous : que la défolation des villes 6c
des Provinces aille attendrir votre clé-
mence : que le péril ôc la perte de tant
d'ames défarment votre bras depuis fî
long-temps levé fur nous : que taut de
profanations que les armes traînent
toujours après foi , vous faffent en-
fin jetter des yeux de pitié fur votre
Eglife. Ecoutez les gemiffemens àes
Juftes 5 qui touchés des calamités d'If-
raël.
Des Drapeaux 5 8cc. 337
ra'él vous difent tous les jours avec le
Prophète : Seigneur , nous avons at-
tendu la paix ; ÔC ce bien n'eil pas en-
core venu ; nous croyions toucher au
temps de confolation , & voilà encore
des troubles.
Ce font nos iniquités , Chrétiens ^
fouffrez que je vous le dife enfinilTant,
qui ont attiré fur nous ces fléaux du
Ciel. Les guerres , les maladies , les
autres calamités dont nous fommes
frappés , font des marques fûres de la
colère de Dîéu fur nos déréglemens :
En vain nous gemiffons fur les malheurs
du. temps ôc fur l'accablement de nos
familles ; eh ! gémiflbns fur nous- mê-
mes , appaifons le Seigneur par le
changement de nos mœurs; rétablif^
fons la paix de Jefus Chrift dans nos
cœurs; calmons nos paflîons & nos en-
nemis domeiliques : ÔC nous verrons
bientôt l'Europe calmée , les ennemis
de la France appaifés, la paix rétablie
par tout , & un repos éternel fuccéder
à celui d'ici-bas. Ainfifoit-iL
Petit Carême*
z'