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Full text of "Sermons du Père Bourdaloue, de la Compagnie de Jésus : Pour les dimanches"

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L.  G  n  -  o  u  ,     V  J  n  'c  , 


SERMONS 

DU    PERE 

BOURDALOUE, 

DE  LA  Compagnie  de  Jésus, 

POUR  LES  DIMANCHES. 

TOME    PREMIER. 

No  U  r£  L  L  E     É  D  I  T  l  O  iT. 


A     LYON, 

Chez  PIERRE  BRUYSET  PONTHUS, 

à  l'entrée  de  la  rue  S.  Dominique  ,  près 
du  Cloître  des  RR.  PP.  Jacobins. 


M.    DCC.    LXIX. 

Avec  Privilège  du  Rou 


':n 


AVERTISSE  AI  EN  T. 

JE  ne  prétends  point  ,  en  fini/Tant  toute 
rEditioH  des  Sermons  du  Père  Bourda- 
loLie  ,  reiKire  un  compte  exad  des  foins 
c[u'elle  a  du  me  coûter  :  j'en  lai/Te  le 
jugement  aux  perfonnes  intelligences.  Du 
4:eile  ,  je  n'ai  pas  cru  pouYoir  mieux  em- 
ployer mon  temps  ,  que  de  le  conlacrer 
^infi  à  la  gloire  de  Dieu  ,  en  Iç  confa- 
:crantà  l'ucdité  publique  &  à  l'édificatioa 
des  âmes. 

Comme  la  grande  réputation  du  Père 
-Bourdaloue  lui  attiroit  de  continuel- 
les occupations  au-dehors  ,  il  n'avoit 
-guère  eu  le  loifir  de  retoucher  lui-même 
Xes  Sermons  ,  &  d'y  mettre  la  dernière 
-main.  C'eft  à  quoi  j'ai  tâché  de  fuppléer  ; 
^  par  une  a/îiduicé  a4Îi.-z  confiante  au 
travail  ,  je  fuis  ainfî  parvenu  a  faire  pa- 
roître^  un  cours  de  S^ermons  pour  toute 
l'année  :  Avent ,  Carême  ,  Myfteres  de 
Notre  Seigneur  &  de  la  Vierge  \  Panégy^ 
Jriques  des  Saints  ,  Vetures  &  Prcfenions  , 
-Dominicale.  Dans  cette  Dominicale  on 
Jie  trouvera  point  les  Sermons  des  Di- 
•manches  de  l'Avent  ,  du  Carême  ,  de  la 
Pentecôte  &  de  la  Trinité  ,  parce  qu'ils 
font  en  leur  place  dans  les  volumes  qui 
précédent. 

Il  ne  falloit  rien  perdre  d'un  homme 
qui  penfoit  fi  folidement  fur  hs  matie- 
|:es  de  la  religion  ,  &  qui  les  traitoit  avec 
taiic.de  force  &  tant  de  dignité.  C'eft  u* 


AVERTISSEMENT. 

des  plus  excellents  modèles ,  pour  ne  pas 
dire  le  plus  excellent,  que  pui/Tent  Te 
propofer  ceux  qui  afpirent  à  l'éloquence 
de  là  chaire.  Mais  en  voulant  fe  former 
fur  un  fî  beau  modèle  ,  il  y  a  d'ailleurs 
des  écueils  à  craindre  j  &  (î  le  Père  Bour" 
daloue  a  beaucoup  perfedionné  le  goût 
de  la  prédication  ,  il  n'efl  pas  moins  vrai 
qu'il  a  gâté  beaucoup  de  Prédicateurs. 

En  quelque  art  que  ce  foit ,  ce  n'eft 
pas  une  petite  fcience  de  découvrir  au 
jufle  5  &  de  prendre  dans  ceux  qui  y  ont 
excellé  ,  ce  qui  nous  convient  ,  fans  s'at- 
tacher à  ce  qui  ne  nous  convient  pas.  Pour 
n'avoir  pas  lu  faire  ce  difcernement ,  des 
^prédicateurs  qui  n'avoient  ni  la  vivacité 
&  l'imagination  ,  ni  le  nom  &  l'autorité  , 
ni  les  qualités  extérieures  &  la  voix  dut' 
Père  Bourdaloue  ,  ont  mal  réulfi  à  vou- 
loir imiter  ,  ou  fon  flile  diffus  &  périodi- 
que 3  ou  les  façons  de  parler  ,  dont  plu- 
iîeurs  lui  étoient  particulières,  ou  cette  ra- 
pidité dans  la  prononciation  qui  l'empor" 
toit  de  temps  en  temps  ,  &  qui  entrainoic 
avec  lui  Tes  Auditeurs.  Ce  que  nous  ad- 
mirons dans  un  orateur  ,  &c  ce  qui  ell:  le 
fujet  de  nos  applaudillements  ,  n'eft  pas 
toujours  ou  ne  doit  pas  être  le  fujet  de 
notre  imitation  :-il  faut  fe  connoître  au- 
paravant foi-méme  &  fes  dirpofitions  na- 
turelles :  car  tout  doit  être  proportionné  ; 
Ôc  c'eft  cette  proportion  ,  cette  conve- 
nance ,  qui  donne  aux  chofes  leur  mérite, 
ôc  qui  en  fait  le  plus  bel  agrément. 


AVERTISSEMENT 
Il  n'y  a  point ,  après  tout ,  de  Prédicat 
teiir,  à  qui  la  ledure  des  Sermons  à\i 
Père  Bourdaloue  ne  puifTe  être  très-utile  , 
pour  peu  cju'on  en  fâche  ufer  avec  con- 
noiiFance  &  avec  précaution.  S'il  y  a 
diverfité  de  talents ,  &  s'il  efl  bon  que 
chacun  fe  renferme  dans  le  tien  propre  , 
il  y  a  au/fi  des  règles  communes  &  des- 
préceptes  qui  s'étendent  à  tous  les  ta- 
lents &  à  tous  les  genres  de  l'éloquence" 
chrétienne.  Par  exemple ,  bien  choifir 
la  matière  d'un  difcours  ,  &  la  tirer  na- 
turellement de  l'Evangile  i  l'envifa^er 
moins  par  ce  qu  elle  peut  avoir  de  nou- 
veau ,  de  fingalier,  de  brillant  ,  que 
par  ce  qu'elle  a  de  vrai  ,  d'inflruclif , 
de  touchant ,  &  qui  eft  plus  à  la  portée  de 
tout  le  monde;  la  divifer,  &  en  faire 
tellement  le  partage  ,  que  les  points  j 
fans  fe  confondre  ,  aient  toutefois  entre 
eux  alTez  de  rapport  pour  fe  réduire  à 
une  première  vérité  Se  à  une  propofi- 
tion  générale  ;'  ne  rien  avancer  dont  on 
ne  produife  les  preuves  ;  &  non  de  ces 
preuves  abftraites  &  fubtiles  ,  plus  aca- 
démiques ,  pour  ainfî  dire  ,  qu'évangéli- 
ques  y  mais  des  preuves  fenfîbles  ,  pri- 
fes'  du  fonds  de  la  religion  &  des  maxi- 
mes les  plus  certaines  de  la  Théologie  : 
entrer  d'abord  dans  fon  fajet ,  &  ne  s'en 
écarter  jamais  ,  foir  par  de  longs  &  d'i- 
nutiles préludes ,  foit  par  des  réflexions 
hors  d'oeuvre  &  d'ennuyeufes  digreffions  j 
éclaircir  les    doutes  ^   prévenir   les    ob- 

â  iij 


jiVERTISSEMENT. 

je(5iions  ,  les  qucflions  c|ui  peuvent  naî- 
tre ,  fe  les  faire  à  foi- même  ,  &  y  répon- 
<ire.  De- là  pa/Ter  aux  mœurs ,  &c  dans  un 
fidèle  tableau  les  repréfenter  telles  qu'elles 
font ,  évitant  l'un  &  l'autre  excès  ,  d'uiv 
dctcil  trop  populaire  &  trop  familier,  & 
d'une  peinture  trop  vague  Se  trop  fuperfî- 
cielle.  Expofer  tout  avec  méthode  ,  avec 
erdre  ,  &  ne  fe  pas  contenter  d'un  amas 
informe  de  penfécs  ,  qu'on  enta/Tc  f^^lon 
qu'elles  fe  préfentent ,  &  fans  nulle  liaifon 
que  le  hazard  qui  les  place  indiffcremment 
les  unes  auprès  des  autres.  Enfin  ,  en  venir 
a.  des  concluions  pratiques  ,  qui  fuivenc 
des  vérités  qu^on  a  expliquées  ,  &  qui  en 
comprennent  tout  le  nuit  :  voilà  à  quoi 
tout  Prédicateur  doit  s'étudier  ,  &  ce  qu'il 
apprendra  du  Père  Bourdaloue. 

Il  n'eft  point  précifément-  nécelfaire 
de  s'exprimer  comme  cet  habile  Maître  , 
d'avoir  fon  feu  ,  fon  action  ,  fon  éléva- 
tion :  ce  font  des  dons  que  le  Ciel  départ 
à  qui  il  lui  plaît  j  8c  fans  ces  dons ,  on 
peut  ,  avec  d'autres  qualités  ,  annoncer 
utilement  la  parole  de  Dieu,  Mais  de 
quelque  manière  qu'on  l'annonce  ,  il  eft 
toujours  nécelfaire  de  faire  un  bon  choix 
du  fujet  qu'on  entreprend  de  traiter  i  de. 
l'accommoder,  comme  le  Père  Bourda-. 
loue ,  à  l'Evangile  ,  &  de  ne  vouloir  pas 
que  l'Evangile  ,  par  des  applications  for- 
cées ,  s'y  accommode  ;  d'y  chercher  à 
inftruire  &  à  toucher  ,  plutôt  qu'à  pa- 
loître  5c  a  briller  i   d'eu  bien  diUrlbuei 


toutes    les    parties  ,    d'en  bien   appuyet 
toutes  les  propofitions  ,  ôc ^^  les  établir 
fur  les  folides  fondements  de  la  foi  &  de 
la  raifon.  Il  eft  toujours  d'une  égale  necel^ 
fité  de  ne  fe  point  éloigner  de  ion  deliein  , 
&  de  ne  le  pas  perdre  un  moment  de  vue  s 
de  fatisfaire  aux  difficultés  qu'on  peut  op- 
pofer  ,  &  de  les  réfoudre  :  après  avoir  de- 
Yeloppc  les  principes  &  la  doarme  ,  de. 
defcendre  à  la  morale  ;  &  par  des  induc^ 
tions  fortes  ,  mais  fages  ,  de  peindre  les 
vices  fans  noter  les   perfonnes  ,  m  faire 
connoître  les  vicieux  ;  de  donner  a  chaque 
chofe  le   rang,  l'étendue,   tout  le   jour 
Q'i'ei'e  demande  i  de  n'aiteCler  nen  aans 
les  exprelfions  ,  &-  de  ne  rien  outrer  aans 
les  décifions  i  de  lier  le  difcours     &.Qe 
condu  re  par  degrés  l'Auditeur  a  de  falu- 
taires  conféquences  &  aux  faintes  refo- 
lutions  mi'il  doit  remporter  pour  la   re- 
formation de  fa  vie.  Tout  cela  ,  encore 
une  fois  ,  eft  de  tous  les  carac1:eres  de  Pré- 
dicateurs :  &  en  vain  pour  difculper  un 
"    Prédicateur  ,  qui  voudroit  s'aftranchir  de 
ces  redes  ,  &  pour  l'autorifer  ,  diroit-on, 
ce  qu'en  effet  on  dit  en  quelques  rencon- 
tres ,  qu'il  prêche  de  talent  ;  dés  que  ces 
conditions  eflentielles  lui  manqueroient , 
ce  talent  prétendu  ne  feroit  qu'un  iaux 
talent.  Des  Auditeurs  peu  pénétrants ,  Se 
qui  ne  jugent  que  par  les  yeux    en  pour^ 
roient  être  éblouis  j  mais  les  efpnts  d  u* 
certain  goût  ne  s'y  tromperoient  pas. 
Ouoi  qu'il  e;i  foie ,  le  Perc  Bourdaloue 
^'  â  iiij 


A  V  :E  R  T  I  s  s  I  M  E  N  T, 

«it  dans  un  point  éminent  toutes  ces  pef- 
fedions  de  la  vraie  éloquence  ,  &  c'eft 
ce  qu'on  doit  fur-tout  obferver  dans  Tes 
Sermons  ;  mais  l'erreur  eft  de  ne  les  lire 
que  pour  en  extraire  des  pafTages ,  des 
divifîons  ,  des  figures,  des  termes,  que 
fbuvent  on  applique  mal  &  à  qui  l'on 
©te ,  en  les  déplaçant ,  toute  leur  grâce. 
Au  lieu  donc  d'ctre  difciple  &  imitateur 
du  Père  Bourdaloue  ,  on  n'en  eft  que 
aiauvais  copifte  &  que  plagiaire. 

Cependant  ,  s'il  ne  fert  pas  toujours  à 
former  de  parfaits  Prédicateurs ,  il  fervira- 
par  fes  enfeignemenrs  ,  pleins  de  vérité  8c 
de  piété  ,  à  édifier  les  fidèles  &  à  former 
de  parfaits  clirétiens.  On  peut  s'égarer  en 
îe  prenant  pour  modèle  dans  le  miniftere 
de  la  prédication  ,  mais  on  ne  s'égarera 
jamais  en  le  prenant  pour  guide  dans  le- 
cKemin  du  falut.  C'eft  ce  que  tant  de 
perfonnes  ont  éprouvé  ,  &  ce  qu'elles 
éprouvent  tous  les  jours.  Il  a  plu  à  Dieu 
de  donner  aux  Sermons  de  ce  célèbre 
Prédicateur  une  bénédiclion  toute  nou- 
velle après  fa  mort^  Se  je  puis  dire,  en 
lui  appliquant  l'expreffion  de  l'Ecriture , 
que  tout  mort  qu'il  eft  ,  il  ne  ctÛ^c  point 
de  prêcher  aufîi  efiîcacement  &  auiîi  uti- 
lement fur  le  papier ,  qu'il  prêckoit  autre- 
fois dans  la  chaire. 

Je  préparc  encore  un  recueil  ,  non  plus 
de  Sermons  ,  mais  d'Exhortations  de  d'Inf- 
trui^ioas  ckiéciennes  du  même  Auteur. 


approbation  de  Mr.V Abbé  Tourne ly  ^  Vocîeur 
er  Profejfeur  roynl  in  Théologie  ,  de  U  AUifon 
ty  Société  de  Sorbonne ,  Chanoine  de  /<«  Saintt 
Chapelle  de  Paris. 


J 


'Ai  lu,  par  ordre  de  Monfeigneur  le  Chance- 
lier  ,  les  Sermons  pour  les  Dimanches  de  l'an- 
mée  ,  prêches  par  le  R.  P.  Bcurdaloue  de  la  c  on^ 
pagnie  de  Jésus  ,  dans  lefquels  je  n'ai  rien  trou- 
vé que  de  très-conforme  à  la  pureté  de  la  foi  & 
Éle  la  reorale  chrétienne.  A  Paris  ,  œ  3  avril 
17 1 5.   T  o  u  R  N  E  L  y. 


mmtmf 


Verwijfton  du  R.  p.  Provincial. 

JE  foufligné  ,  Provincial  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  dans  la  Province  de  France  ,  per- 
mets au  Père  François  Bretonneau  de  la  même 
Compagnie  ,  de  faire  imprimer  un  Livre  qu'il 
â  revu  ,  &  qui  a  pour  titre  :  Sermor:s  dn  Père 
'Bourdaloue  de  la  Compagnie  de  Jésus  ,  pour  les- 
jyimancbes ,  lequel  Livre  a  été  vu  &  approuvé 
par  trois  Théologiens  de  notre  Compagnie.  En 
foi  de  quoi  j'ai  figtié  la  préfente  PermilTion.  A 
Paris,  ce  16  avril  171^. 

^  IsAÀG  Martineàu. 


PRIVILEGE    DV    ROI, 

LOUIS,  PAR  LA  GRACE  D£  DiEU  ,  Roi 
DE  Franêe  et  de  Navarre  :  A  nos  amés 
&  féaux  Confeillers  ,  les  Gens  tenant  nos  Cours 
de  Parlement ,  Maîtres  des  Requêtes  ordinaires 
de  notre  Hôtel ,  Grand  Confeil ,  Prévôt  de  PariS;> 
Baillifsj  Sénéchaux,  leurs  Lieutenants  civils,  Se 
^autres  nos  JulHciers  c^u  il  appartiendra  ,  Salut. 
Not  e  bien-amé  Jean-Baptifte  Coignard  fils  , 
l'un  de  nos  Imprimeurs  ordinaires  &  de  notre 
Académie  Françoife,  Libraire  à  Paris,  nous  a  fait- 
expofer  qu'il  eil  fur  le  point  d'entreprendre  i'iin- 
preiTion  d  une  colle6lion  des  Hiiloriens  de  Fran- 
ce ,  depuis  l'origine  de  la  nation  :  &  comme  cet 
Ouvrage  ,  autant  utile  à  la  Republique  des  Let- 
tres ,  que  glorieux  à  notre  Royaume  ,  engagera 
l'Expofant  dans  des  dépenfes  con/idérables  ,  il 
nous  a  tres-humblement  fait  fupplier  de  vouloir 
bien  ,  pour  l'aider  à  fupporter  les  frais  d'une  iî 
grande  entreprife ,  lui  accorder  nos  Lettres  de 
Privilège  ,  tant  pour  l'impreflion  dudit  Livre  , 
que  pour  la  réimpreiîion  de  plufieurs  autres  donc 
les  Privilèges  font  expirés  ou  prêts  a  expirer  ;  of- 
frant pour  cet  effet  de  les  imprimer  ,  ou  faire 
réimprimer  en  bon  papier  &  beaux  caractères  , 
fuivant  la  feuille  imprimée  &  attachée  pour  mo- 
dèle fous  le  contrefcel  des  Préfentes.  A  ces  cau- 
fcs ,  voulant  favorablement  traiter  led.  Coignard, 
&  encourager  par  fon  exemple  les  autres 
Libraires  &  imprimeurs  à  entreprendre  des  édi-  - 
tions  utiles  pour  l'honneur  de  la  France  &  le 
progrés  des  Scieivces  ,  nous  lui  avons  permis 


Î5^  accordé,  permettons  &   accordons  par  cef 
Préfentes  d'imprimer  ladite  O//^^-?^^^  desHiftoj 
ytem  de  Vr^me  ,  depuis  Vortgine  de  U  Nation  -,  ^ 
de  faire  réimprimer  les  Livres  intitules  ,  Mont- 
faucon  Vdœogr^phU   Gru^  ,   CT   Ongenis  Hexf.- 
pla  :  le  Chemin  royd  de  U  Croix  ,  Us  Oeuvres  uh 
P.  Vez.ron  ,  U  Bibliothèque  hiftorique  de  U  France 
du  P.   le  Lonz.   ^s   .iBes  des   Mytyrs  de  Dom 
\Ruinart,les  Livres  d'ZgUfe  h  l'ufage  de  l  Ordre 
de  S-^int   Vrar^çois  ,    Us   Retraites  ,  Reflexions   ^_ 
Heures   du    ?.'  Croifet  jéfuite  .   le    D^atonn^trc 
des   Cas   de  confrie?7CC  ,  par  les  fieur.  de  Lamet 
Cr  F,om:igc^:i ,  la  Science  de  U  Chaire  ,  ou   Du- 
jio?7np/ire  moral.    Us    Difcours  moraux  en  for ?ne 
■de  Trônes,   avec  les   I.'oges  des  Sa:nts,  l'H^fiotre 
fibréré:  de  U  France  Par  Chapons  ,   înjhrutions  ECj- 
cUfiafliques  ^  Bénéficiales  du  fieur  Gioert  ,  Injtt^ 
^mion  au  Droit  François,  par  Dargou  ,  le  parfait 
Maréchal    de    SoUyfel  .  Theolo.ia     ^etrocorenfis , 
Hifioire  Romaine  d^E^hard  ,   (f   H:ftotre  Grecque 
de  Stanian  ,  Vr^nes  de  Joly  ,  Education  des  Fuies  , 
par  U   (l^ur    de  Fenelon  ,  Hifloire   Eccejiaftique  , 
tmr  fervir  de  continuation  à  celU  de  Fleur  y .  avec 
V  Abrégé  de  ladite  Htfloire -,  Sermons  ae  Bmraa- 
1  loue  ar-de  la  Rue,   Homère   traduit  par  Dacter , 
les  Romans  de  la  Rofe  er  des  Amadis     Eléments 
1  de   l'Hilloire    par    de   Valemont  ,  Traduction  des 
j  Oeuvres   d'Horace   par  Tarteron  ,    Defcrtpnon  de 
?0ris  par  Brice  ,  U  Jardinier  folitatre -Traite  des 
!  Saiz-nées  de  Silva  ,  l'Economie  ammaU  par  HeL- 
vetius ,  ^  V  Architecture  de  Daviler  ,  en  tels  Vo- 
lumes ,  forme  ,  marge  ,  caraderes      con|omte. 
ment  ou  féparément  ,  &  autant  de  fois  que  boa 
huremblera,  &de  les  vendre  Se     -e  rendre 
débiter  par  tout  notre  Rojaume pendant  le  t^^ups 


de  vhtgt  Hnnêes  entières  (f  conficuttves ,  a  comp-' 
ter  de  la  date  des  Vréfentes  ,  ^  de  l'expiration' 
des  précédents  Privilèges:  faifons  défenfes  à  tou- 
te forte  de  perfoiines  ,  de  quelcjuc  qualité  & 
condition  qu'elles  foient ,  d'en  introduire  d'im- 
preflîon  étrangère  dans  aucun  lieu  de  notre 
obéi/Tance:  coiiinieauiTi  à  tous  Imprimeurs,  Li- 
braires &  autres  ,  d'imprimer  ou  faire  imprimer, 
vendre  ,  faire  vendre  ,  débiter  ni  contrefaire  \ç{^- 
dits  Livres  ci-deiTus  fpécifiés  ,  en  tout  ni  en  par- 
tie ,  ni  d'en  faire  aucuns  extraits ,  foas  quelque 
|)rctexteque  ce  foir,  d'augmentation,  correcTcion , 
changement  de  titre  ,  même  de  tradudlion  en 
Langue  Latine  ,  Langue  Grecque  ,  &  en  quel- 
gu'autre  forte  de  Langues  que  ce  puiife  être  , 
en  général  ou  en  particulier ,  ou  autrement ,  fans 
îa  permiiîion  exprelfe  &:  par  écrit  dudit  Expo- 
fant,  ou  de  ceux  qui  auront  droit  de  lui ,  à  peine 
ée  confifcation  des  Exemplaires  contrefaits  ,  de 
dix  mille  livres  d'amende,  contre  chacun  des" 
contrevenants  ,  dont  un  tiers  a  Nous  ,  un  tiers  à 
l'Horel-Dieu  de  Paris  ,  l'autre  tiers  audit  Expo- 
fant  ,  &  de  tous  dépens  ,  dommages  &  intéréts^ 
A  la  charge  que  ces  Préfenres  feront  enregif- 
trées  tout  au  long  fur  le  Régiftre  de  la  Commu- 
nauté des  Libraires  &  Imprimeurs  de  Paris  ,  dans- 
trois  mois  de  la  date  a  icelles  -,  que  l'imprelTion 
de  ces  Livres  fera  faite  dans  notre  Royaume  -Se 
non  ailleurs ,  &  que  l'Impétrant  fe  conformera 
en  tout  aux  Régleàients  de  la  Librairie  ,  &:  no- 
tamment à  celui  du  lo  avril  172,5  ,  &  qu'avant 
que  de  les  expofer  en  vente  ,  les  Manufcrits  ou 
Imprimés  qui  auront  fervi  de  copie  à  l'impref- 
fîon  defdits  Livres  ,  feront  remis  dans  le  même 
ctat  QU  les  Approbations  y  auront  été  données  > 


es  mains  de  notre  très- cher  &  féal  Chevalies 
Garde  des  Sceaux  de  France,  le  iîeur  Chauveliiii 
&  qu'il  en  fera  enfuire  remis   deux  exemplaires 
de  chacun  dans  notre  Bibliothèque,    un  dans 
celle  de  notre  Château  du  Louvre  ,  &  un  dans 
celle  de  notredit  très-cher  $c  féal  Chevalier  Gar- 
|de  des  Sceaux  de  France  le  fîeur  Chauvelin  ;  le 
jtout  à  peine  de  nullité  des  Préfentes  :  du  con- 
tenu defquelles  ,  vous  mandons  &  enjoignons 
de  faire  jouir  l'Expofant  ou  fes  ayants  caufe , 
1  pleinement  &  paihblement ,  fans  foufFrir  qu'il 
leur  foie  fait  aucun  trouble  ou  empêchement, 
Voulons  que  la  copie  defdites  préfenres ,  qui  fera 
j imprimée  tout  au  long  au  commencement  ou 
ï  la  fin  defdits  Livres  ,  foit  tenue  pour  duemenC 
fîgnifiée  ,   &   qu'aux  copies  collationnées   par 
"un  de  nos  amés  &  féaux  Confeillers-Secretai- 
es  ,  foi  foit  ajoutée  comme   à  l'original.  Goru.- 
îiandons  au  premier   notre  Huifïier  ou  Sergent 
ie  faire  pour  l'exécution  d'icellcs  tous  Aéles  re- 
juis  &  néceiTaires ,  fans  demander  autre  pcrmil^ 
ion  ,  &  nonobstant  clameur  de  Haro  ,  Chartre 
Normande  ,  &'  Lettres  à   ce  contraires  :   Car  tel 
jîrt:  notre  plaiiîr.  Donné  à  Paris  le  cinquième  joue 
lu  mois  de  Mars  ,  l'an  de  grâce  1733  ,  &  de 
îotre  règne  le  1 8.  Signé ,  par  le  Roi  en  fon  Coiv- 
eil ,  S  A  I N  S  O  N  j  avec  grille  &  paraphe. 

Régijlré  fur  le  Kégiftre  VI IL  de  U  chambre 
loyale  ^  Syndicale  des  Libraires  ^Imprimeurs  de 
*aris ,  N°.  j  3  8.  fol.  5  3  1  3  conformément  aux  an- 
iens  Règlements,  confirmés  par  celui  du  x8  'Mk^ 
'jrier  1723.  ^  Pari  s,  le  ^  Juin  1733. 

Signé  ,  G.  MARTIN  ,  Syndiu 


1 

J'ai  fait  part  du  prcfcnt  Pdv'ilege  à  MefTieurs  i 
les  Preres  Bruyset  ,  Libraires  à  Lyon  ,  i-oar  les 
Livres  fuivaius  kuUmcntJes  Retraites,  Reflexions 
er  Heures  du  ?ere  Croiftt  jéjuite  ,  pour  en  jouir 
par  lefd.  Sieurs  aux  conditions  portées  par  1  Acte 
de  vente  du  fonds  de  Librairie  de  Madame  la 
veuve  Boudet  de  Lyon.  Fait  à  Pans ,  le  9  O^o-l 
bie  1733.  COIGNARD,///. 

Régiflré  fur  le  Régiftre  VllL  de  U  Chamhrt 
royale  des  Libraires  (ST  Imprimeurs  de  Pans  ,  pagi 
6 07  ,  conformément  aux  Règlements  ,  er  notam- 
ment k  l'Arrêt  du  Confeil  du  13  ^oût  170^. 
A  F^ris ,  U  9  Octobre  1733. 

G.  MARTIN  ,  Syndic, 

Je  fottfTigné  ,  tant  en  mon  nom  ,  que  commç 
affocié  de  MelTieurs  Gabriel  Martin  &  Guerir 
l'ainé ,  reconnois  avoir  fait  part  à  Mrs.  Bruyset 
frères  ,  Libraires  en  fociété  de  la  Ville  de  Lyon 
du  Privilège  ci-delllis,  par  moiokenu  le  5  Mar 
dernier  ,  feulement  pour  les  Livres  fuivants  ,  fa 
voir  ,  Les  Sermons  er  Retraites  du  P.  Bourdaloue 
les  Sermons  du  P.  de  U  Rue  ,  Traité  de  lEconomu 
finimde  ,  er  les  Panégyriqms  de  Flechier  ,  le  tou 
relativement  au  traité  fait  cejourd'hui  entn 
fious.  A  Paris ,  le  19  Novembre  173  3- 

COIGNARD  ,  fils. 

Régiftréfur  le  Regifire  VllL  de  laCommunmt 
des  Libraires  ^  Imprimeurs  de  Paris  ,  N°.  (T;,  ï 
conformément  aux  Règlements  ,    tSi'  n&tamment   < 
celui   du  10   Avril   1703.  A  Paris,  le  z8  No 
vembre  173 J.  ^.  MARTIN  ,  Syndic, 


SERMONS 

CONTENUS  DANS  CE  FOLUME. 

POuR  le  premier  Diman- 
che après  l'Epiphanie  :  Sur 

^  le  devoir  des  Feres  ^p^r  rap- 
port à^U  vocMiQ^  de  leurs  en^ 
fmts.  ^  Page  3 

Pour  le  fécond  Dimanche 
après  l'Epiphanie  \fur  l'état 
du  Maria^ge.  î^ 

Pour  le  troifieme  Dimanche 
après  l'Epiphanie  :  Sur  U 
Foi.  ^  ^  93 

Pour  le  quatrième  Dimanche 
après  l'Epiphanie  :  Sur  les 
^ffli£tions  desjujles  &  la  prof 
périt e  des  pécheurs o  1 3  3 

Pour  le  cinquième  Dimanche 
après  l'Epiphanie  :  Sur  U  So- 
ciété des  Jujles  avec  les  pé^ 
çheurs,  ^  8 1, 


Pour  le   fîxieme    Dîmanche 

après  l'Epiphanie  :   Sur  Is 

fainteté  d^  U  force  de  U  Loi 

chrétienne,  22^ 

Pour  le  Dimanche  de  la  Sep- 
tuagéflmc  :  Sur  l'Oifivetém 

Pour  le  Dimanche  de  la  Se- 
xagéfime  :  Sur  la  parole  de 
Dieu.  3  1 3 

Pour  le  Dimanche  de  la  Qiûn- 
quagéfime  :  Sur  le  fc  and  aie 
de  la,  Croix  &  des  humilia-' 
lions  de  Jefus-Chrijl.        ^6z 


SERMON 


SERMONS 

POUR     LES 

DIMANCHES, 

DEPUIS    L'EPIPHANIE 

JUSQU'AU    CARÊME. 


\S  ^/4>  ^./'-i-'Ks; 


s  E  R  M  O  N 

POUR 

LE    PREMIER    DIMANCHE 

APRÈS   L'EPIPHANIE. 

Sur  U  devoir  des  Pères  ,  par  rapport  à 
la  vocation  de  leurs  Enfants. 

Et  dlxit  mater  ad  illiim  :  Fili ,  quld  fecifîi  nobis- 
fîc  ?  Ecce  pater  tuus  &  ego  dolentes  qusere- 
bamus  te.  Et  ait  ad  illos  :  Quid  efl:  quôd  me 
«juaerebatis  ?  nefciebatis  quia  in  his  quae  patris 
mei  funt  oportet  me  efTe  ?  Et  ipfi  non  intellexe- 
runt  verbum  quod  locutiis  eft  ad  eos. 

'La  mère  de  Jefus  -  Chrijî  lui  dit  :  Mon  fils  , 
pourquoi  en  ave^  -  vous  ufé  de  la  forte  avec 
nous  ?  Votre  père  &  moi  nous  vous  cherchions 
avec  beaucoup  d'inquie'tude.  Il  leur  répondit  : 
Pourquoi  me  cherchis^-vous  ?  ne  fave^-vous  pas 
qu'il  faut  que  je  m\mploie  aux  chojes  qui  regar- 
dent mon  père  ?  Et  ils  ne  comprirent  pas  cc 
qu'il  leur  dit.  En  S.  Luc  ,  ch.  2. 

i,  ç  i'EST  laréponfe  que  l'enfant  Jefus 
^_^J  fit  à  Marie  ,  lorfqu'après  l'avoir 
cherché  pendant  trois  jours,  elle  le  trouva 
^lans  le  temple  de  Jérufàlem.  Réponfe 
Domin^  tom,  /.  A  ij 


4      Sur  le  devoir  des  Pères 

qui  pourroit  nous  furprendre  ,  &  qui 
peut-être  nous  paroitroit  trop  fcvere 
&:  trop  forte  ,  (i  nous  ne  favions  pas 
qu'elle  fut  toute  myftérieufe  :  car  le  Fils 
de  Dieu ,  dit  faint  Aaibroife,  reprit  fa 
mère  en  cette  occafion ,  parce  qu'elle 
fembloit  vouloir  dirpofer  defaperfonne  , 
&  s'attribuer  un  foin  qui  n'étoit  pas  da 
fon  refTprt.  Ainfi  l'a  penfé  ce  faint  Doc-! 
leur;  mais  comme  cette  opinion  ,  Chré- 
tiens ,  n'eft  pas  tout-à-fait  conforme  à 
la  haute  idée  que  nous  avons  tous  de 
i'irrépréhenfible  fainteté  de  la  Mère  de 
Dieu  ,  adouciffons  la  penfée  de  faint 
Ambroife  ,  &  contentons-nous  de  dire 
que,  dans  l'exemple  de  Marie,  le  Sauveur 
du  monde  voulut  donner  aux  pères  & 
aux  mères  une  excellente  leçon  de  la  con- 
duite qu'ils  doivent  tenir  à  Tégard  de 
leurs  enfants ,  fur-tout  en  ce  qui  regarde 
le  choix  de  l'état  oii  Dieu  les  appelle.  Ce 
fujet  ,  mes  chers  Auditeurs ,  eft  d'une 
ccnféquence  infinie  ;  &  ,  tout  borné  quHI 
paroît  ,  vous  le  trouverez  néanmoins, 
dans  l'importante  morale  que  je  prétends 
en  tirer,  fi  général  &  fi  étendu  ,  que  de 
toute  cette  ademblée  il  y  en  aura  peu 
à  qui  il  ne  puifTe  convenir  ÔC  qu'il  ne 
puifTe  édifier.  Il  eft  bon  de  defcendre 
quelquefois  aux  conditions  particulières 
des  hommes ,  pour  y  appliquer  les  règles 
univerfelles  de  la  loi  de  Dieu  :  or  ,  c'eft 
ce  que  je  fais  aujourd'hui.  Car  en  expli- 
quant aux  pères  6c  aux  mercs  ce  qu'ils. 


ENVERS    LEURS    EnFANTS;  5 

doivent  à  leurs  enfants ,  &  aux  enfanté 
ce  qu'ils  doivent  à  leurs  pères  Si  à  leurs 
mères  dans  une  des  plus  grandes  affaires 
de  la  vie ,  qui  e/l  celle  de  la  vocation 
&  de  rétat ,  je  ferai  comprendre  à  tous 
ceux  qui  m'écoutent  ce  que  c'eft  que 
vocation  ,  quelles  maximes  on  doit  fuivre 
fur  la  vocation  ,  ce  qu'il  faut  craindre 
dans  ce  qui  s'appelle  vocation  3  ce  qu'il 
y  faut  éviter  &  ce  qu'il  y  faut  recher- 
cher. Nous  avons  befoin  ^  pour  cela  3 
des  lumières  du  Saint-Efprit  :  deman- 
dons-les par  Tinterceffion  de  fa  divine 
Èpoufe.   Ave  Maria*. 

N'Efi-il  pas  étrange.  Chrétiens ,  que 
?v'îarie  &  Jofeph,  com.me  le  remar- 
que faint  Luc  dans  les  paroles  même  de 
mon  texte,  ne  compriiTent  pas  le  myflere 
6c  n'entendlflent  pas  le  Fils  de  Dieu  , 
quand  ,  pour  leur  rendre  raifon  de  ce 
qu'il  avoit  fait  dans  le  Temple,  il  leur 
dit  que  fon  devoir  i'obligeoit  de  va- 
quer aux  chofes  dont  fon  père  l'avoit 
chargé  ?  Que  Jofeph  n'ait  pas  tout-à- 
fait  pénétré  le  fens  de  cette  réponfe  , 
j'en  fuis  moins  furpris  ;  car,  tout  éclairé 
qu'il  pouvoit  être  par  les  fréquentes  & 
intimes  communications  qu'il  eut  avec 
Jefus-Chrift  ,  il  n'étoit  pas  néceflaire 
qu'il  connût  tous  les  myfteres  de  l'incar- 
nation divine  ;  mais  ce  qui  doit  nous 
étonner,  c'eft  que  Marie,  après  avoir 
reçu  la  plénitude  de  toutes  les  grsces  & 

A  iij 


6      Sur  le  devoir  des  Pères 

de  toutes  les  lumières  céleftes ,  aprèa 
avoir  conçu  dans  fon  fein  le  Verbe 
incarné  ,  ait  paru  ignorer  un  des  points 
les  plus  eiTentiels  de  la  mifîîon  de  cet 
Homme-Dieu  6c  de  fon  avènement  fur 
la  terre.  Ne  nous  arrêtons  point ,  mes 
chers  Auditeurs  ,  à  éclaircir  cette  diffi- 
culté ,  &  lailTons  aux  interprètes  le  foin 
de  la  réfoudre:  voici  ce  qui  doit  encore 
plus  nous  toucher,  &  ce  qui  demande  , 
s'il  vous  plait,  une  attention  toute  parti- 
culière. En  effet,  fi  Marie  &  Jofeph  ne 
comprirent  pas  ce  que  leur  difoit  le  Sau- 
veur des  hommes  touchant  les  emplois 
où  il  étoit  appelle  par  Ton  Père  ,  n'eft-il 
pas  vrai  que  la  plupart  des  pères  &  des 
mères  ,  dans  le  chriftianifrne  ,  n'ont 
jamais  bien  compris  leurs  obligations  les 
plus  indifpenfables,  par  rapport  à  la  dif- 
pofition  de  leurs  en-fants ,  &  en  matière 
d'état  &  de  vocation  ?  Il  eft  donc 
d'une  extrême  importance  qu'on  les  leur 
explique,  &  voilà  ce  que  j'entreprends 
dans  ce  difcours.  Prenez  garde  ,  je  vous 
prie  ,  je  ne  veux  point  entrer  dans  l'inté- 
rieur de  vos  familles  ;  je  ne  viens  point 
vous  donner  des  règles  pour  les  gouver- 
ner enfages  mondains  ;  vous  me  diriez  , 
^  avec  raifon,  que  celan'eft  pas  de  mon 
minirtere  :  mais  s'il  y  a  quelque  chofe, 
dans  le  gouvernement  de  vos  familles , 
où  h  religion  &  la  confciencefoient  inté- 
reffécs  ,  n'eft-ce  pss  à  moi  de  vous  ea 
iiidruire  ?  Or  je  prétends  qu'il  y  a  deux 


ENVERS  LEURS  EnFAKTS.  f 

cliofes  que  vous  ne  favez  point  afTez  , 
6:  qu'il  vous  eft  néanmois  ,  non-feule- 
ment utile,  mais  d'une  abfolue  néceffité 
de  bien  apprendre.  Ecoutez-les  :  Je  dis 
qu'il  ne  vous  appartient  pas  de  difpofer 
de  vos  entants ,  en  ce  qui  regarde  leur 
vocation  &  le  choix  qu'ils  ont  à  faire 
d'un  état  ;  &  j'AJouie  toutefois  que 
vous  êtes  refponfables  à  Dieu  du  choix 
que  font  vos  enfants  ,  &  de  l'état  qu'ils 
enibraflent.  Il  femble  d'abord  que  ces 
deux  propofitions  fe  contredifent ,  mais 
la  faite  vous  fera  voir  qu'elles  s'accor- 
dent parfaitement  entr'elles.  Dieu  ne 
veut  pas  que  ,  de  vous-mêmes  &.  de 
votre  pleine  autorité ,  vous  déterminiez 
à  vos  enfants  l'état  où  ils  doivent  s'en- 
gager ;  c'eft  la  première  partie.  Et  Dieu 
cependant  vous  demandera  compte  de 
l'état  où  vos  enfants  s'engagent  ;  c'eil: 
la  féconde  :  toutes  deux  feront  le  par- 
tage de  cet  entretien  6c  le  fujet  de  votre 
attention. 

IL  n'appartient  qu'à  Dieu  de  difpofer  I, 
abfolument  de  la  vocation  des  hommes,  Part, 
&  il  n'appartient  qu'aux  hommes  de 
déterminer,  chacun  avec  Dieu  ,  ce  qui 
regarde  le  choix  de  leur  état  &  de  leur 
vocation  :  ce  principe  ell:  un  des  plus 
inconteftables  de  la  morale  chrétienne. 
D'où  je  conclus  qu'un  père ,  dans  le  chrif- 
tianifme ,  ne  peut  fe  rendre  maître  de  la 

A  iv 


8      Sur  le  devoir  des  Perss 

vocation  de  fes  enfants ,  fans  commettre 
deux  injuftices  évidentes;  la  première, 
contre  le  droit  de  Dieu  ;  la  féconde  ,  au 
préjudice  de  fes  enfants  même  ;  l'une  ÔC 
l'autre  fujettes  aux  conféquences  les  plus 
funeftesj  en  matière  de  falut.  Voilà  le 
point  que  je  dois  maintenant  développer, 
ÔL  en  voici  les  preuves» 

Je  dis  qu'il  n'appartient  qu'à  Dieu  de 
décider  de  la  vocation  des  hommes  : 
pourquoi  ?  parce  qu'il  eft  le  premier  père 
de  tous  les  hommes  ,  &  parce  qu'il 
n'y  a  que  fa  providence  qui  puiffe  bien 
s'acquitter  d'une  fonftion  aufTi  impor- 
tante que  celle-là  :  ce  font  deux  grandes 
raifons  qu'en  apporte  le  Do^^eur  Ange- 
liquefaint  Thomas.  Si  je  fuis  père,  difoit 
Dieu  ,  par  le  Prophète  Malachie  ,  où 
JVfû/trcA.eft  l'honneur  qui  m'efl  dû  ?  Si  pater  ego 
^'  '•  Jr  fum  ,  uhï  ejl  honor  meus  ?  C'eft-à-dire  , 
pour  appliquer  à  mon  fujet  ce  reproche 
que  faifoit  le  Seigneur  à  fon  peuple ,  ft 
je  fuis  père ,  par  préférence  à  tous  les 
autres  pères  ,  où  eft  le  refpe-Sl  que  l'on 
me  rend  en  cette  qualité  ?  Où  eft  la 
marque  de  ma  paternité  fouveraine ,  Ci 
les  autres  pères  me  la  difputent ,  &  fi  je 
ne  difpofe  plus  de  ceux  à  qui  j'ai  donné 
l'être ,  pour  les  placer  dans  le  rang  & 
dans  la  condition  de  vie  qu'il  me  plaira  ? 
Vous  entreprenez,  ô  hommes  !  de  le 
faire  ;  qui  vous  en  a  donné  le  pouvoir  ? 
Dans  une  famille  dont  je  ne  vous  ai 


ENVERS  truRs  Enfants.        9 

confié  que  la  fiinple  adminlftration  ,  vous 
agifiez  en  maître,  &  vous  ordonnez  de 
tout  félon  votre  gré  :  vous  deftinez  l'un 
pour  l'Eglife  ,  &  l'autre  pour  le  monde  ; 
celle-cipour  une  telle  alliance,  &  celle- 
là  pour  la   religion  ;    &  il  faut ,  dites- 
vous   ,    que   cela  foit  ,    parce  que    les 
mefures  en  font  prifes  :  mais  avec  quelle 
îuftice  parlez- vous   ainfi  ?    Je  n'ai  donc 
plus  que  le  nom  de  père  ,  puifque  vous 
vous  en  attribuez  toute  h  puiiïance  :  c'ell 
donc   en  vain  que  vous  me  témoignez 
quelquefois  que  ces  enfants  font  plus  à 
moi  qu'ils   ne  font   à  vous  :    car  ,  s'ils 
font  à  moi  plus  qu'à  vous  ,   ce  n'eft  pas 
à  vous ,   mais  à  moi  d'avoir  la  princi- 
pale   6c  effentielle    dire^Sion   de   leurs 
perfonnes. 

Ajoutez  à  cela ,  Chrétiens  ,  la  réfle- 
xion de  faint  Grégoire  Pape ,  que  non- 
feulement  Dieu  ei\  le  premier  père  de 
tous  les  hommes  ,  mais  qu'il  eil  le  feul 
que  les  hommes  reconnoilTent,  félon  l'ef- 
prit ,  &  par  conféquent  que  c'elt  à  lui ,  & 
non  point  à  d'autres ,  d'exercer  fur  les 
efprits  &  fur  les  volontés  des  hommes 
cette  fupériorité  de  conduite  ,  ou  plutôt 
d'empire  ,  qui  fait  l'engagement  de  la 
vocation.  Quand  la  mère  des  Machibées 
vit  fes  enfants  ,  entre  les  mains  des  bour- 
reaux ,  fouffrir  avec  tant  de  confiance, 
elle  leur  dit  une  belle  parole  ,  que  nous 
lifons  dans  l'écriture  :  Ah  !  mes  chers 
enfants,  s'écria-t-elle ,  ce  n'eft  pas  moi 

A  Y 


10    Sur  le  devoir  des  Pères 

qui  vous  ai  donné  une  ame  fi  héroïque  i 
cet  efprit  fi  généreux  qui  vous  anime  n'a 
point  été  formé  de  ma  fubflance  ,  c'efl 
du    louverain    Auteur   du  monde  que 
z.  Ma- Yous  l'avez  reçu  :  Neque  cnïm  e^o  fpirl- 
chao,  c.  ii^^^  f^  anïmam   donavï   vohïs  :     je    fuis 
^'         votre  mère  ,  félon  la  chair  ;  mais  la  plus 
noble  partie   de    vous-mêmes  ,   qui  eft 
l'efprit ,  efl:  immédiatement  l'ouvrage  de 
Dieu.  Ainfi  leur  parla  cette  fainte  femme. 
Or  ,  de   là  ,  chrétienne  compagnie  ,  il 
s'enfuit  que   Dieu  feul  efl  en  droit  de 
déterminer    aux   hommes    leurs   voca- 
tions  &  leurs  états  :   pourquoi  ?   parce 
que  c'eft  proprement  en  cela  que  confifte 
ce  domaine  qu'il  a  fur  les  efprits.  Un  père, 
fur  la  terre ,  peut  difpofer  de   l'éduca- 
tion de  fes  enfants ,  il  peut  difpofer  de 
leurs  biens  &  de  lenrs  partages  ;  mais  de 
leurs  perfonnes  ,  c'cfl-à-dire  ,  ce  ce  qui 
porte   avec   foi    engagement  d'état ,  il 
n'y  a  que  vous  ,  o  mon  Dieu  !    dlfoit 
le  plus  fage  des  homm.es ,  Salom.on ,  il 
n'y  a  que  vous  qui  en  foyez  l'arbitre , 
Sep.  c.  c'eft  un  droit  qui  vous  eft  réfervé  :    Tu 
'■^'         autem  cum  ma^nâ  revcrenliâ  difponis  nos: 
exprefïion  admirable,  qui  renferme  un  fen- 
timent  encore  plus  digrxe  d'être  remarqué, 
cum  ma^nâ  rcvcrentia  ;   car  c'eft  comme 
s'il  difoit  ;  Vous  n'avez  pas  voulu  ,  Sei- 
gneui- ,  que  cette  difpofition  de  nos  per- 
sonnes fût  entre  les  mains  de  nos  pères 
tetTiporeis.  ni  qu'ils  enfuiTentles  maîtres; 
"VOUS  avez  bien  prévu  qu'ils  n'en  wfç? 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    Il 

roient  jamais  avec  les  égards  ni  avec 
le  refpecl  que  nos  perfonfres  méritent  : 
&  en  effet  ,  mon  Dieu,  nous  voyons 
qu'autant  de  fois  qu'ils  s'ingèrent  dans 
cette  fonction  ,  c'eft  toujours  avec  des 
motifs  indignes  delà  grandeur  du  fujet  ôc 
de  la  chofe  dont  il  s'agit  ;  car  il  s'agit 
de  pourvoir  des  âmes  chrétiennes ,  &  de 
les  établir  dans  la  voie  qui  les  doit  con- 
duire au  falut  ;  &  eux  n'y  procèdent 
que  par  des  vues  baffes  Si  charnelles  , 
que  par  de  vils  intérêts  ,  que  par  je  ne 
fais  quelles  maximes  du  monde  cor- 
rompu &  réprouvé  ,  fe  fouciant  peu  que 
cet  enfant  foit  dans  la  condition  qui  lui 
eil  propre,  pourvu  qu'il  foit  dans  celle  qui 
leur  plaît  ,  dans  celle  qui  fe  trouve  plus 
conforme  à  leurs  fins  Se  à  leur  ambition  ,' 
ayant  égard  à  tout ,  hors  à  la  perfonne 
dont  ils  difpofent  ;  & ,  par  un  défordre 
très-criminel  &  très-commun  ,  accom- 
iTiodant  le  choix  de  l'état,  non  pas  aux 
qualités  de  celui  qu'ils  y  engagent,  mais 
aux  defirs  de  celui  qui  l'y  engage  :  or 
n'eft-ce  pas  là  bleiTer  le  rcfpeci  du  à 
vos  créatures  ,  &  fur-tout  à  des  créa- 
tures raifonnables  ?  Mais  vous.  Sei- 
gneur, qui  êtes  le  Dieu  des  vertus ,  Tu  Ibld^ 
autent  dominator  virtuels  ,  vous  nous 
traitez  bien  plus  honorablement;  car, 
difpofant  de  nous ,  vous  ne  confidérez 
que  nous-mêmes  ;  &  ,  à  voir  comment 
en  ufe  votre  providence ,  on  diroi:  en 
quçlquô   forte    qu'elle  nous   refpede  : 

A  vj 


la   Sua  LE  DEVOIR  DES  PeRFS 

cum    magna    reverentiâ    difponïs    nos. 

Concluons  donc,  Chrétiens ,  que  c'efl 
de  Dieu  feulement  que  doit  dépendre  6c 
que  doit  venir  notre  deftinée,  par  rapport 
aux  différentes  profefîions  de  la  vie.  Et 
pourquoi  penfez-vous ,  demande  faint 
Bernard  ,  que  tout  ce  qu'il  y  a  d'états 
dans  le  monde  qui  partagent  la  fociété 
deshomm.es  foient  autant  de  vocations  , 
6c  portent  en  eiTet  le  nom  de  vocations  ? 
Car  nous  difcns  qu'un  tel  a  vocation 
pour  le  fiecle ,  &.  un  tel  pour  le  cloître  ; 
un  tel  pour  la  robe  ,  &  un  tel  pour 
l'épée  :  que  veut  dire  cela,  finon  que 
chacun  eft  appelle  à  un  certain  état, 
que  Dieu  lui  a  marqué  dans  le  confeil 
de  fa  fageffe  ?  Pourquoi  les  Pères  de 
i'Eglife,  dans  leur  morale,  ont- ils  regardé 
coRime  une  offenie  fi  grieve ,  d'embraffer 
un  état  fans  la  vocation  de  Dieu  ,  fi  ce 
ri'eft  parce  que  tout  autre  que  celui  oîi 
Dieu  veut  nous  placer ,  n'eft  pas  fortable 
pour  nous  ,  &  que  nous  fommes  hors 
du  rang  où  nous  devons  être  ,  quand 
ce  n'eft  pas  Dieu  qui  nous  y  a  conduits  } 
Sur  quoi  je  reprends  &  je  raifonne  :  fi 
tous  les  états  du  monde  font  des  voca- 
tions du  Ciel ,  s'il  y  a  une  grâce  attachée 
a  tous  ces  états ,  pour  nous  y  attirer,  félon 
l'ordre  de  Dieu  ;  s'il  eft  d'un  danger 
extrême  pour  lefalutde  prendre  un  état 
fans  cette  grâce,  ce  n'eft  donc  pas  à  un 
père  d'y  porter  fes  enfants  ,  beaucoup 
moins  de  ks  y  engager  -,  Ôi  ce  feroit  le 


ENVERS  LEURS  ENfANTS.    13 

dernier  abus  ,  de  leur  faire  pour  cela  vio- 
lence 6l  de  les  forcer  ;  car  enfin  un  père 
dans  fa  famille  n'eft  pas  le  difiributeur 
des  vocations  ;  cette  grâce  n'efi  point 
entre  fes  mains  ,  pour  la  donner  à  qui 
il  veut  ni  comme  il  veut  :  il  ne  dépend 
point  de  lui  que  cetce  fille  foit  appellée 
à  rétat  religieux  ou  à  celui  du  mariage  ; 
&  la  deflination  qu'il  en  fait  eil  un 
attentat  contre  le  fouverain  domaine 
de  Dieu  ;  pourquoi  ?  parce  que  toute 
vocation  étant  une  grâce ,  il  n'y  a  que 
Dieu  qui  la  puiîTe  communiquer  ;  &  de 
prétendre  en  difpofar  à  l'égard  d'un  autre, 
c'eft  faire  injure  à  la  grâce  m.êm.e ,  ÔC 
s'arroger  un  droit  qui  n'eft  propre  que 
de  la  divinité. 

En  effet ,  Chrétiens ,  pour  bien  appli- 
quer les  hommes  à  un  emploi ,  &  pour 
leur  affigner  furement  la  condition  qui 
leur  eft  convenable  ,  il  ne  faut  pas  m.oins 
qu'une  fagelTe  &.une  providence  infinie: 
or  cette  fageffe ,  cette  providence  fi  éten- 
due ,  Dieu  ne  Ta  pas  donnée  aux  pères 
pour  leurs  enfants  ;  il  n'a  donc  pas  dû 
conféquemment  donner  aux  pères  le  pou- 
voir de  décider  du  fort  de  leurs  enfants  ; 
&  comme  il  a  feul  pour  cela  toutes  les 
connoiffances  néceffaifes ,  j'ofe  dire  qu'il 
eût  manqué  dans  fa  conduite  ,  s'il  eût 
confié  ce  foin  à  tout  autre  qu'à  lui- 
même.  Vous  m,e  demandez  pourquoi  un 
père  ne  peut  fe  croire  aflez  éclairé  ni 
affez  fage  pour  ordonner   de  la  voca- 


ï4  Sur  le  devoir  des  Feres 
tion  d'un  entant.  Ecoutez  une  des  plus, 
grandes  vérités  de  la  morale  chrétienne, 
c'eft  que  rien  n'a  tant  de  rapport  au 
falut  que  la  vocation  à  un  état  ,  &  que 
fouvent  c'efl  à  l'état  qu'eft  attachée 
toute  l'affaire  du  falut  :  comment  cela  } 
Parce  que  l'état  eO:  la  voie  par  oii  Dieu 
veut  nous  conduire  au  falut  ;  parce  que 
les  moyens  du  ialut ,  que  Dieu  a  rélbîu 
<de  nous  donner,  ne  nous  ont  été  dei-' 
tinés  que  conformément  à  l'état  ;  parce 
que  5  hors  de  Tétat,  la  providence  de  Dieu 
n'eft  plus  engagée  à  nous  foutenir  par 
ces  grâces  fpéciales  qui  aîTûrent  le  falut , 
ÔL  fans  Icfqueiles  il  eft  d'une  extrême 
<iifHculté  de  parvenir  à  cet  heureux 
terme  ;  & ,  ce  qu"il  faut  bien  remarquer 
comme  une  conféquence  de  ces  prin- 
cipes 3  c'eft  que  ce  qui  contribue  davan- 
tage à  notre  faîut,  ce  n'elt  point  préci- 
fément  la  fainteté  de  Fétst  ;  mais  la  con- 
TCnance  de  l'état  avec  les  deiTeins  &  les 
vues  de  Dieu,  qui  nous  l'a  marqué  ,  6c 
qui  nous  y  fait  entrer.  Pt'iiîle  fe  font 
fauves  dans  la  religion  ,  &  celui  -  ci 
devoit  s'y  perdre;  mille  fe  font  perdus 
dans  le  monde  ,  &  celui-là  devoir  s'y 
fauver.  O  altitudo  !  O  abyme  de  la 
fcience  de  Dieu  1  Mais  revenons.  Que 
faudroit-il  donc  à  un  père  ,  afin  qu'il  eut 
droit  de  difpofer  de  la  vocation  de  fes 
enf?nts  ?  Je  n'exagérerai  rien  ,  mes  chers 
Auditeurs  ;  vous  favez  la  profelTion 
J^ue  je  ùis  qç  dire  la  vérité  telle  que  je 


ENVERS    LEURS   EnFANTS.'         IJ 

la  conçois  ,  fans  jamais  aller  au-delà. 
Que  taudroit-il ,  dis-je  ,  à  un  père ,  pour 
prefcrire  à  un  enfant  la  vocation  qu'il 
doit  fuivre  ?  11  faudroit  qu'il  connût  les 
voies  de  Ion  falut ,  qu'il  entrât  dans  le 
fecret  de  la  prédeftination  ,  qu'il  fût 
l'ordre  des  grâces  qui  lui  font  préparées, 
les  tentations  dont  il  fera  attaqué  ,  les 
occafions  de  ruine  où  il  fe  trouvera 
engagé  ;  qu'il  pénétrât  dans  le  futur,  pour 
voir  les  événements  qui  pourront  chan- 
ger les  chofes  préfentes  ;  qu'il  lût  jufques 
dans  le  cœur  de  cet  enfant ,  pour  y  dé- 
couvrir certaines  dif[3ofiîion5  cachées  qui 
ne  fe  produifent  point  encore  au  dehors  : 
car  c'eft  fur  la  connoiiTance  de  tout  cela 
qu'eft  fondé  le  droit  d'affigner  aux  hom- 
mes des  vocations;  6:  quand  Dieu  appelle 
quelqu'un  ,  il  y  emploie  la  connoifTance 
de  tout  cela.  Mais  où  eft  le  père ,  fur  la 
terre  ,  qui  ait  la  moindre  de  ces  connoif- 
fances  ?  Et  n'eft-ce  donc  pas  dans  un  père 
une  témérité  infoutenable ,  de  vouloir  fe 
rendre  m.aitre  des  vocations  &  des  états 
dans  fa  famille  ?  n'efl-ce  pas  ,  ou  s'attri- 
buer k  fageiie  même  de  Dieu  ,  ce  qui 
efr  ur.  crime,  ou  entreprendre  avec  la 
fageffe  deThomme  ce  qui  demande  une 
fqgedc  fupérieure  &  divine  ?  entreprlfe 
qu'on  ne  peut  autrement  traiter  que  de 
folie. 

Ceci  efl  général  ,  mais  venons  au 
détail  :  je  foutiens  que  cette  conduite  eft 
également  injurieufe  à  Dieu,  fçu qu'ua 


l5     S'JR  tE  DEVOIR   r>ES  PeRËS 

père  difpofe  de  Tes  entants  pour  une  voca- 
tion  fainte  d'elle-même  ,    foit  qu'il  en 
difpofe  pour  le  monde.  Appli(^uez-vous 
à  ceci:  votre   deffein,  dites-vt)us ,  eft 
d'étciblir  un  enfant  dans  l'EgHfe  ,  de  le 
pourvoir  de  bénéfices  ^  &  même  de  l'en-» 
gager  ,    s'il  eft  befoin ,  dans  les  ordres 
faciès  :  je  dis  s'il  eft  befoin  ;  car  ,  hors  du 
befoin ,  on  n'auroit  garde  d'y  penfer  ; 
&  vous  entendez  bien  quel  eft  ce  befoin, 
A  peine  eft-il  né ,  cet  enfant,  que  l'Eglife 
eft  fon  partage  ;  &  l'on  peut  dire  de  lui, 
quoique  dans  un  fens  bien  oppofé  ,    ce 
qui  eit  écrit  d'Ifaïe  ,  que  dès   le  ventre 
de  ffi  mère  il  eft  deftiné  à  l'Autel  ;  non 
par  une  vocation  divine  ,  comme  le  Pro- 
phète, mais  par  une  vocation  humaine: 
If'C'49'Ab  utero  vocavït    me.    En  vérité  j    mes 
chers  Auditeurs  ^  eft-ce  là  agir  en  Chré- 
tiens ?   eft-ce  traiter  avec  Dieu  comme 
on  doit    traiter  avec    un  Maître  &.  un 
Souverain  ?    Quoi  1  il  faudra  que  Dieu 
en  paffe   par  votre  choix  ,   &  qu'il  foit 
réduit  ,  pour  ainfi  parler  ,    à  recevoir 
cet  enfant  aux  plus  faintes  fondions  de 
l'Eglife,  parce  que  cela  vous  accommode, 
&  que  vous  y  trouvez  votre  compte  i^ 
Que  diriez-vous  ,  c'eft  la  penfée  de  faint 
Bafile  ;  que  diriez-vous  d'un  homme  qui 
voudroit  vous  obliger  à  prendre   chez 
vous  tels  officiers   &  tels  domeftiques 
qu'il  lui  plairoit  ?   n'auroit-ii  pas  bonne 
grâce  de  vous  en  faire  la  propofition  ? 
Et  vous ,  par  une  préfomption  encore 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    If 

plus  hardie ,  vous  remplirez  la  maifon  de 
Dieu  de  qui  vous  femblera  bon  ?  vous 
en  diftribuerez  les  places  &  les  dignités  à 
votre  gré  ? 

Voiîâ  néanmois  ce  qui  fe  paflTe  tous 
les  jours  dans  le  chriftianifme  ;  ce  n'efl 
plus  feulement  la  pratique  de  quelques 
pères  ,  c'eft  une  coutum.e  dans  toutes  les 
familles  ,  c'eft  une  efpeee  de  loi  ;  loi 
di6lée  par  l'efprit  du  monde,  c'efl-à-dire, 
par  un  efprit  ou  ambitieux  ou  intéreffé; 
îoi  reconnue  univerfellement  dans  le 
monde,  &c  contre  laquelle  il  efl  à  peine 
permis  aux  miniftres  de  l'Eglife  &  aux 
prédicateurs  de  s'élever  ;  loi  même 
communément  tolérée  par  ceux  qui 
devroient  s'employer  avec  plus  de  zèle 
à  l'abolir  ,  par  les  direi^eurs  des  âmes  les 
plus  réformés  en  apparence  &  les  plus 
rigides ,  par  les  douleurs  les  plus  féveres 
dans  leur  morale,  &  qui  affectent  plus 
de  l'être  ou  de  le  paroitre  ;  enfin ,  loi 
aveuglément  fuivie  par  les  enfants  , 
qui  n'en  connoiffent  pas  encore  les  per- 
nicieufes  conféquences  ,  qui  n'ont  pas 
encore  aflez  de  réfolution ,  pour  s'op- 
pofer  aux  volontés  paternelles  ;  qui  fe 
trouvent  dans  une  malheureufe  néceffité 
d'entrer  dans  la  voie  qu'on  leur  ouvre, 
&  d'y  marcher.  Ce  cadet  n'a  pas  l'avan- 
tage de  l'aîneffe  ;  fans  examiner  fi  Dieu 
le  dcm.ande  ni  s'il  l'accepte  ,  on  le  lui 
donne  :  cet  aîné  n'a  pas  été  en  naiflant 
affez  idvorifé  de  la  nature  ,  &.  manque 


'i8    Sur  le  devoir  des  Pères 

de  certaines    qualités    pour   foutenir  la 
gloire  de  fon  nom  ;  fans  égard  aux  vues 
.  de  Dieu  fur  lui ,  on   penfe  ,  pour  ainfi 
dire ,  à  le  dégrader  ;  on  le  rabâilTe  au 
rang  ^u  cadet ,  on  lui  fubftitue  celui-ci  ; 
&  pour  cela   on   extorque  un  confen- 
tement  forcé  ;  on  y  fait  fervir  Tartihce  & 
la  violence,  les  careffes  &  les  menaces. 
L'établilTement  de  cette  fille  coûîeroit  ; 
fans    autre    motif  ,    c'efl  afTez  pour  la 
dévouer  à  la  religion  :  mais  elle  n'eft  pas 
appeîlée  à  ce  genre  de  vie  ;  il  faut  bien 
qu'elle    le    foit  ,    puifqu'il  n'y  a  point 
d'autre  parti  pour  elle  :  mais  Dieu  ne  la 
Teut  pas  dans  cet  état  ;  il  faut  fuppofer 
qu'ill'y  veut ,  &.  faire  comme  s  il  l'y  vou- 
'  loit  :  mais  elle  n'a  nulle  m.arque  de  voca- 
tion ;  c'en  eu  une  allez  grande  que  la  con- 
jondure  préfente  des  aftV.ires  èk  la  nécef- 
iité  :  m..is  elle  avoue  elle-même  qu'elle 
n'a  pas  cet:e grâce  d'attraits;  cette  grâce 
lui  viendra  avec  le  temps  ,  &  lorfqu'elle 
fera  dans   un  lieu  propre  à  la  recevoir. 
Cependant  on  condoiit  cette  vidime  dans 
le  teir.ple ,  les  pieds  &  les  mains  liés  , 
je  veux   dire  ,  dans  la  difpofirion  d'une 
volonté  contrainte  ;]a  bouche  muette ,  par 
la  crainte  &  le  refped  d'un  père  qu'elle 
a  toujours    honoré   :    au    milieu    d'une 
cérémonie  brillante  pour  les  fpeftateurs 
qui  y  aifiilient ,  mais  funèbre  pour  la  per- 
fonne  qui  en  eft  le  fujet ,  on  la  préfente 
au  Prêtre  ,    &  l'on  en  fait  un  facritice 
qui,  bien-loin  de  gloritier  Dieu  &de  lui 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    19 

plaire  ,  devient  exécrable  à  Tes  yeux  ,  Sc 
provoque  fa  vengeance. 

Ah  !  Chrétiens  ,  quelle  abomination  ! 
&  iaut-il  s'étonner  ,  après  ce!a.  Ci  des 
familles  entières  font  frappées  de  la  malé- 
diftion  divine  ?  Non  ,  non  ,  difoit  Sal- 
vien ,  par  une  fainte  ironie  ,  nous  ne  fom- 
mes  plus  au  temps  d'Abraham  ,  où  les 
facrinces  des  entants  par  les  pères  étoient 
des  avions  rares  ;  rien  maintenant  de 
plus  commun  que  les  imitateurs  de  ce 
grand  Patriarche  ;  on  le  iurpafTe  même 
tous  les  jours  ;  car,  au  lieu  d'attendre  , 
comm.elui,  l'ordre  du  Ciel,  on  le  pré- 
vient :  on  immole  un  enflint  à  Dieu  ,  6i 
on  l'immole  fans  peine  ,  même  avec 
joie  ;  &L  on  Timmole  ,  fans  que  Dieu  le  • 
commande  ,  ni  miêmie  qu'il  l'agrée  ;  & 
on  l'immole ,  lors  mêm^e  que  Dieu  le 
défend,  &  qu'il  ne  cefTe  point  de  dire: 
Ac  exUndjs  manum  fuper  puerum.  Ainfi  Gcnef^ 
parloit  l'éloquent  Evéque  de  Marfeille  ,  c  -a*» 
dans  l'ardeur  de  fon  zèle  :  mais  bientôt, 
corrigeant  fipenfée:  Je  me  trompe,  mes 
treres  ,  reprenoit-il  ;  ces  pères  meur- 
triers ne  font  rien  moins  que  les  imita- 
teurs d'Abraham  ;  car  ce  faim  homme 
voulut  facrifier  fon  fils  à  Dieu  ;  mais  ils 
ne  facrifient  leurs  entants  qu'à  leur 
propre  fortune  &  qu'à  leur  avare  cupidité. 
Voilà  pourquoi  Dieu  combla  Abraham 
d'éloges  &  de  récompenfes ,  parce  que 
fon  facrifice  étoit  une  preuve  de  ion 
obéiflance  ôc  de  fa  piété  ;  6c  voilà  pour- 


âo    Sur  le  devoir  des  Pères 

quoi  Dieu  n'a  pour  les  autres  que  des 
reproches  &  des  châtiments  ,  parce  qu'il 
fe  tient  jugement  offenfè  de  leurs  entra- 
pril'es  criminelles. 

Et  ne  me  dites  point  ,  mes  chers 
Auditeurs ,  que  fans  cette  voie  fi  ordi- 
naire d'obliger  vos  enfants  à  embraffer 
Tétat  de  l'Eglife  ou  celui  de  la  reli- 
gion ,  vous  êtes  dans  l'impuiffance  de 
les  établir.  Abus  :  ce  n'eft  point  à  moi 
d'entrer  avec  vous  en  difcuiîion  de  vos 
aîtaires  domeiliques  ,  ni  d'examiner  ce 
que  vous  pouvez  &  ce  que  vous  ne  pou- 
vez pas  ;  mais  c'eft  à  moi  de  vous  dire  ce 
que  la  loi  de  Dieu  vous  ordonne,  &  ce 

?[u'elle  vous  détend.  Or  ,  que  i'impuif^ 
ance  où  vous  prétendez  être  foit  vraie 
ou  qu'elle  foit  fauHe ,  jamais  il  ne  fera 
permis  à  un  père  de  difpofer  de  fes 
enfants,  pourlavocation;  jamais,  de  leur 
chercher  un  patrimoine  dans  l'Eglife  ; 
jamais,  de  regarder  la  religion  comme 
une  décharge  de  fa  famàlle  ;  &,  s'il  le 
fait ,  il  irrite  Dieu.  Qu'il  les  laiffe  dans 
un  état  moins  opulent  ;  ils  en  feront 
moins  expofés  à  fe  perdre  ,  &.  n'en 
devienf^ront  que  plus  hdeles  à  leurs 
devoirs  :  qu'il  les  abandonne  à  la  provi- 
dence ;  Dieu  eft  leur  père  ,  il  en  aura 
foin.  C'eft  ce  que  je  pourrois  vous 
répondre;  mais  je  ne  vous  dis  rien  de 
tout  cela,  Se  voici  à  quoi  je  m'en  tiens  : 
car  ,  quoi  qu'il  puide  arriver  dans  la  fuite, 
j'en  reviens  toujours   à  mon  principe. 


ENVERS    LEURS  EnFANTS.         tt 

qu'il  faut  ctre  chrétien  ,  &  obéir  à  Dieu  ; 
que  Dieu  ne  veut  pas  que  la  vocation  de 
vos  enf;ants  dépende  de  vous,  &  que  vous 
ne  devez  point  là-deffus  vous  ingérer 
dans  une  fondion  qui  ne  tut  ni  ne  fera 
jamais  de  votre  reffort.  Voilà  ce  que  je 
vous  déclare  ,  &  c'eft  afiTez. 

Vous  médirez:  mais  ne  fera-t-il  pas 
du  moins  permis  à  un  père  de  dilpofer 
de  Tes  enfants  pour  le  monde  ?  Et  moi,  je 
vous  réponds  :  pourquoi  lui  feroit-il  plus 
permis  d'en  difoofer  pour  le  monde  que 
pour  l'Eglife  ?  eft-ce  que  les  états  du 
monde  relèvent  moins  du  fouverain 
domaine  de  Dieu  &  de  fa  providence, que 
ceux  de  l'Eglife  ?  eft-ce  qu'il  ne  faut  \isLS 
une  grâce  de  vocation  pour  l'état  du 
mariage,  auiTi-bien  que  pour  celui  de  la 
religion  ?  eft-ce  que  les  conditions  du 
fiecle  n'ont  pas  autant  de  liaifon  que  les 
autres  avec  le  falut  ?  Dès  que  ce  font 
des  états  de  vie  ,  c'eft  à  Dieu  de  nous  y 
appeiler  ;  &  s'il  yen  avoit  où  la  voca- 
tion parût  plus  néceffaire,  je  puis  bien 
dire  que  ce  feroient  ceux  qui  engagent 
à  vivre  dans  le  monde  ,  parce  que  ce  font 
fans  contredit  les  plus  expofés  ,  parce 
que  les  dangers  y  font  beaucoup  plus 
communs ,  les  tentations  beaucoup  plus 
flibtiîes  &  plus  violentes  ,  &  qu'on  y 
a  plus  de  befoin  d'être  conduit  par  la 
fageft'e  &  la  grâce  du  Seigneur.  Mais 
arrêtons-nous  précifément  au  droit  de 
Dieu,  Vous  voulez,  mon  cher  Auditeur, 


^1    Sur  le  devoir  des  Pères 

poufler  cet  aîné  dans  le  monde  ;  il  faut 
qu'il  y  paroiîTe  ,  qu'il  s'y  avance,  qu'il 
y  Toit  le  fcutien  de  fa  maifon  :  mais 
que  favez-vous  fi  Dieu  ne  fe  Teil:  pas 
réfervé  ?  Et  fi  vous  le  faviez  ,  oferiez- 
vous  lui  difputer  la  préférence  ?  Ne  le 
fâchant  pas  ,  pouvez-vous  m.oins  faire 
que  de  le  confulter  là-deiTus  ,  que  de  lui 
demander  quel  efl  fon  bon  plaifir ,  que 
de  le  prier  qu'il  vous  découvre  fa  divine 
volonté ,  que  d'employer  tous  les  moyens 
ordinaires  pour  la  connoitre ,  &  de  vous 
y  foumettre  dès  le  moment  qu'elle  vous 
lera  notifiée  ?  Mais  que  faites  -  vous  ? 
Vous  favez  que  Dieu  veut  cet  enfant 
dans  la  profeiTion  religieufe  ,  &  vous 
vous  obilinez  à  le  vouloir  dans  le  monde  : 
vous  voilà  donc  ,  pour  ainfi  parler ,  aux 
prifes  avec  Dieu.  Il  s'agit  de  favoir 
qui  des  deux  en  doit  être  le  maître  :  car 
Dieu  l'appelle  à  lui  ,  &  vous  voulez 
l'avoir  pour  vous-même  :  ou  c'eft  Dieu 
qui  entreprend  fur  vos  droits ,  ou  c'efl 
vous  qui  entreprenez  fur  les  droits  de 
Dieu.  Or  ,  dites-moi ,  homme  vil  & 
foible  ,  quels  font  vos  droits  ,  au  préju- 
dice de  votre  Dieu  ,  ÔC  fur  quoi  ils  font 
fondés  jmiais  en  même  temps  apprenez 
à  rendre  aux  droits  inviolables  d'un  Dieu 
créateur  ,  le  jufte  hommage  qui  lui  efl 
dû. 

Il  y  a  dans  faint  Ambroife  un  trait 
bien  remarquable  :  c'eft  au  premier  livre 
des  Vierges,  oii  ce  Père  décrit  le  combat 


ENVERS  LEURS  EnFANTS;    I5 

d'une  jeune  Chrétienne  ,  non  pas  contre 
les  perfécuteurs  de  la  foi ,  .mais  contre 
la  chair  &  le  fang  ,  contre  Tes  proches. 
Elle  fe  trouvoit  Ibllicitée  ,  d'une  part,  à 
s'engager  dans  une  alliance  qu'on  lui 
propofoit  ;  &  ,  de  l'autre  ,  inlpirée  de 
prendre  au  pied  des  autels  le  voile  facré. 
Que  faites  vous ,  difoit  cette  généreufe 
fille  à  toute  une  parenté  qui  la  preffoit  ; 
hé  1  pourquoi  perdre  vos  foins  à  me  cher- 
cher un  parti  dans  le  monde  ?  je  fuis  déjà 
pourvue:  Quid  in  exquirendis  nupîiis Amhrofi 
foUïcïtatis  anirnum  ?  jam  provifjs  habeo. 
Vous  m'offrez  un  époux,  &  j'en  ai  choifi 
un  autre  :  donnez-m'en  un  aufTi  riche, 
auffi  puiffànt  &auffi  grand  que  le  mien, 
alors  je  verrai  quelle  réponfe  j'aurai  à 
vous  faire  ;  mais  vous  ne  me  préfentez 
rien  de  fembiable  :  car  fi  celui  dont  vous 
me  parlez  eft  un  homme ,  &  celui  dont 
j'ai  fait  choix,  un  Dieu  ;  vouloir  me 
l'enlever  ,  ou  m'enlever  à  lui  ,  ce  n'eft 
pas  établir  ma  fortune  ,  c'eft  envier  mon 
}3onheur  :  Non  prcvidctis  miki ,  fed  invi-  Idem, 
detis.  Paroles,  reprend  faint  Ambroife, 
qui  touchèrent  tous  les  aflil'iants:  cha- 
cun verfoit  des  larmes  ,  en  voyant  une 
vertu  fi  ferme  &  fi  rare  dans  une  jeune 
perfonne  ;  6c  comme  quelqu'un  fe  fut 
avancé  de  lui  dire  que  fi  fon  père  eût 
vécu ,  il  n'eût  jamais  confenti  à  la  réfo- 
lution  qu'elle  avoit  formée  :  Ah  1  répli- 
qua-t  elle ,  c'eft  pour  cela  peut-être  que 
]e  Seigneur   l'a   retiré  ',   c'eil  afin  qu'il 


I 

'î4    Sur  le  devoir  des  Pères 

ne  fervît  pas   d'obftable  aux  ordres  du  - 
Ciel ,  &  aux  defieins  de  la  providence 
fur  moi. 

Non,  non,  Chrétiens,  queîqu'intérêt 
qu'ait  un  père  de  voir  un  enfant  établi 
félon  le  monde  ,  il  ne  peut ,  fans  une 
efpece  d'infidélité,  fe  plaindre  de  Dieu, 
quand  Dieu  l'appelle  à  une  vie  plus 
fainte  ;  &  traverler  cette  vocation  ,  ou 
par  artifice,  ou  par  de  longues  &  d'in- 
jurmontables  réfiftances,  c'eft  ce  que  je 
^  puis  appeller  une  rébellion  contre  Dieu 
ÔC  contre  fa  grâce.  Pourquoi  tant  de 
foupirs  &  tant  de  pleurs ,  écrivoit  faint 
Jérôme  à  une  Dame  romaine,  lui  repro- 
chant fon  peu  de  confiance  Sc  fon  peu 
de  foi ,  dans  la  perte  qu'elle  avoir  faite 
d'une  fille  qui  lui  étoit  chère  ,  &  que  le 
ciel  lui  avoit  ravie  ?  Vous  vous  affligez, 
vous  vous  défolez  ;  mais  écoutez  Jefus- 
Chrifl  même  qui  vous  parle  ,  ou  qui  peut 
bien  au  moins  vous  parler  de  la  forte: 
Eh  quoi  1  Paule  ,  vous  vous  laifTez  em- 
porter contre  moi ,  parce  que  votre  fille 
efl  préfentement  toute  à  moi  ;  &  par  des 
larmes  criminelles ,  que  vous  répandez 
fans  mefure  &  fans  foumiffion  ,  vous 
ofTenfez  le  divin  époux  qui  pofTede  le 
fujet  de  votre  douleur  &  de  vos  regrets  : 
Hicron.  Irafceris ,  Paula,  quia  filia  tua  mta  fatla 
ej} ,  &  rcbellïbus  laaymis  facis  injuriant 
pojjîdenti.  Beau  reproche ,  mes  chers 
Auditeurs ,  qui  ne  convient  que  trop  à  tant 
é^  peies  chiédens  t  Et  ne  penlez  pas 

que 


ENVERS  LEURS  EnFANTS;    5f 

que  ce  foit  une  bonne  raifon  à  y  oppofer, 
de  me  répondre  que  ce  fils  eft  le  leul  qui. 
vous  refte  d'une  ancienne  &  grande 
famille ,  &que  fans  lui  elle  va  s'éteindre  ; 
comme  fi  Dieu  étoit  obligé  de  s'accom- 
moder à  vos  idées  mondaines  ;  comme  fi 
la  confervation  de  votre  famille  étoit 
quelque  chofe  de  grand  ,  lorfqu'ii 
s'agit  des  volontés  de  Dieu  ;  comme 
fi,  tôt  ou  tard  ,  toutes  les  familles  ne 
dévoient  pas  finir,  &  que  la  vôtre  pût" 
avoir  une  fin  plus  honorable  que  par 
l'exécution  des  ordres  du  Seigneur  votre 
Dieu. 

Voilà  ,  Chrétiens  ,  ce  qui  regarde 
Tintérêt  de  Dieu.  Que  feroit-ce,  fi  je 
m'étendois  fur  celui  de  vos  enfants  ,  & 
fur  rinjuftice  que  vous  leur  faites  ,  quand 
vous  difpofez  d'eux,  au  préjudice  de  leur 
liberté  ,  &  com.munément  au  préjudice 
de  leur  falut  ?  Car ,  hélas  !  le  feui  droit 
qu'Us  aient  indépendamment  de  vous, 
^eft  de  difpofer  d'eux-mêmes, avec  Dieu, 
fur  ce  qui  concerne  leur  ame  Ôcleur  éter- 
nité :  6c  ce  droit  unique ,  vous  le  leur 
otez  j  ou  vous  les  empêchez  de  s'en 
fervir.  Droit ,  au  refte ,  le  plus  jufie , 
puifqu'il  eft  autorifé  par  toutes  les  loix, 
approuvé  par  toutes  les  coutumes  , 
appuyé  de  toutes  les  raifons  ,  tiré  de  tous 
les  principes  de  la  nature,  fondé  fur 
toutes  les  maximes  de  la  religion,  & 
par  conféquent  inviolable.  Prenez  garde 
^ceci,  s'il  vous  plaît.  Oui ,  toutes  les 

Domin,  Tome  Ip  B 


26  Sur  le  devoir  des  Pères 
loix  l'autorifent  :  les  unes  favorifant, 
par  toutes  fortes  de  voies ,  la  liberté  âes 
enfants,  je  dis  une  liberté  raifonnable  ; 
les  autres  réprimant ,  par  les  plus  grieves 
cenfures ,  les  fauffes  prétentions  des  pères 
6c  des  mères  qui  voudroient  attenter  à 
cette  liberté,  &  en  troubler  l'ufage:  celles- 
ci  permettant  aux  enfants  de  difpofer 
d'eux-nr.êmes  p'our  l'état  religieux,  dsns 
un  âge  où  du  refte  ils  ne  peuvent  dif- 
pofer de  rien  ;  ce  qu'on  ne  peut  con- 
damner,  remarque  le  do61eToftat ,  fans 
préférer  fon  jugement  à  celui  de  toute 
î'Eglife ,  qui  l'a  ordonné  de  la  forte  ; 
celles-là  ratifiant  la  profeiTion  folemnelle 
du  vœu  de  la  religion  ,  faite  à  l'infçu 
même  des  parents ,  qui  par  nul  moyen 
ne  la  peuvent  invalider  :  enfin  ,  ce  qui 
efk  effentiel ,  n'y  ayant  jamais  eu  de  loi  , 
nieccléfiaftique  ,  ni  civile,  qui  ait  obligé 
un  enfant  d'en  paffer  par  le  choix  &  la 
volonté  de  fon  père,  en  fait  d'état  ;  & 
s'en  trouvant  au  contraire  plufieurs  qui 
déclarent  de  nulle  valeur  &  de  nulle 
force  toutes  les  paroles  données ,  tous 
les  engagements  contraftés  par  des 
enfants  ,  s'il  paroît  qu'il  y  ait  eu  de  la 
contrainte,  &.  qu'elle  ait  été  au-delà 
des  bornes  d'une  obéiflancerefpectu^ufe. 
Pourquoi  tout  cela ,  Chrétiens ,  au  détri- 
ment ,  ce  femble  ,  de  l'autorité  pater- 
nelle, &  au  hafard  des  réfolutions  indif- 
'  crettes  que  peuvent  prendre  de  jeunes 
perfonnes  ?  11  étoit  néceffaire  que  cela 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    27 

fut  ainfi  :  des  raifons  fubilantieîles  6c 
fondamentales  le  demandoient ,  &  voici 
celle  à  quoi  je  m'arrête  :  C'eft  qu'il  eft 
du  droit  naturel  &  du  droit  divin  ,  que 
celui-là  choififTe  lui-même  Ton  état, 
qui  en  doit  porter  les  charges  &  accom- 
plir les  obligations  :  ce  principe  eft 
inconteftable.  Car  fi  dans  la  fuite  de  ma 
vie  il  y  a  des  peines  à  fupporter  ,  je  fuis 
bien-aife  que  le  choix  libre  6i  exprès 
que  j'en  ai  fait,  en  me  les  rendant  volon- 
taires ,  ferve  à  me  les  adoucir  ;  &  s'il 
s'élève  dans  mon  cceur  quelques  répu- 
gnances &  quelques  murmures  contre 
les  devoirs  de  mon  état ,  je  veux  avoir 
de  quoi  en  quelque  forte  les  appaifer, 
par  la  penfée  que  c'eft  moi-même  qui- 
m'y  fuis  fournis  ,  moi-mêm.e  qui  m'/ 
fuis  déterminé ,  moi-même  qui  ai  con- 
fenti  à  tout  ce  que  j'aurois  de  plus  rigou- 
reux &  de  plus  pénible  à  éprouver.  Or 
tout  le  contraire  arrive  ,  quand  des 
enfants  fe  trouvent  forcés  de  prendre 
un  état  pour  lequel  ils  ne  fe  fentent  ni 
inclination  ni  vocation  :  &  lorfque  vous 
les  engagez,  par  exemple,  à  la  profef- 
fion  reiigieufe,  vous  ne  vous  obligez  pas 
pour  eux  à  en  fubir  le  joug  &  la  dépen- 
dance, à  en  pratiquer  les  auftérités  ,  à 
en  digérer  les  amertumes  &  les  dégoûts  : 
vous  les  conduifez  jufques  dans  le  fanc- 
tuaire  ,  &  [à  vous  leur  impofez  tout  le 
fardeau,  fans  en  rien  retenir  pour  vous. 
Quand  vous  fanes  accepter  à  cette  iille 

Bij 


2%    Sur  le  devoir  des  Pères 

une  alliance  dont  elle  a  de  l'éloignement, 
vous  ne  lui  garantiffez  pas  les  humeurs 
de  ce  mari  bizarre  &  chagrin  ,  qui  la 
tiendra  peut-être  dans  l'efclavage  ;  vous 
ne  l'acquittez  pas  des  foins  infinis  que 
demandera  l'éducation  d'une  famille  ,  & 
qui  feront  pour  elle  autant  d'obligations 
indifpenfables.  C'eft  donc  une  iniquité  de 
vouloir  ainfi  difpofer  d'elle  :  car ,  fi  elle 
doit  être  Hée ,  n'eft-il  pas  jufte  que  vous 
lui  îaiffiezau  moins  le  pouvoir  de  choifir 
elle-même  fa  chaîne  ? 

Mais  ce  qu'il  y  a  là-deflus  de  plus 
important ,  c'efl:  ce  que  j'ai  dit ,  &  ce  que 
je  me  trouve  obligé  de  reprendre,  pour, 
vous  le  propofer  dans  un  nouveau  jour,' 
&  pour  l'appliquer  encore  au  point  que 
je  traite  ,  favoir  que  là  où  il  s'agit  de 
vocation  ,  il  s'agit  du  falut  éternel.  Or, 
dès  qu'il  s'agit  du  falut ,  point  d'auto- 
rité du  père  fur  le  fils  ,  parce  que  tout 
y  eft  perfonnel.  Nous  paroîtrons  tous 
devant  le  tribunal  de  Dieu ,  dit  S.  Paul ,' 
pour  y  répondre  de  notre  vie  :  il  faut 
donc  que  nous  en  ayons  tous  la  difpo- 
fition  libre  ,  conclut  S.  Jean  Chryfof- 
tome  ;  car  nous  devons  difpofer  des 
chofes  dont  nous  fommes  refponfables. 
Vous  ne  ferez  pas  jugé  pour  moi ,  &  par, 
conféquent  il  ne  vous  appartient  pas 
de  difpofer  de  moi  ;  &  fi  vous  le  voulez  , 
fi  vous  entreprenez  de  me  faire  entrer 
dans  un  état  où  mon  falut  foit  moins 
en  aiTurance  ,   je  puis  vous  dirç  alo;^ 


ÏNVERS   LEURS   EnFANTS.        ^9 

ce  que  le  faint  Empereur  Valentlnien  dit 
à  l'Ambaffadeur  de  Rome ,  qui ,  de  la 
part  du  Sénat ,  lui  parloit  de  rétablir  les 
temples  des  faux  Dieux  :  Que  Rome,  qui 
eft  ma  mère  ,  me  demande  tout  autre 
choie  ,  je  lui  dois  mes  fervices ,  mais 
je  les  dois  encore  plus  à  l'auteur  de 
mon  falut  :  Sed  rnagis  debeo  falutis  auc-  yalent, 
tori.  C'eft  pour,  cela  que  les  pères  de  ^"^P* 
l'Eglife  5  après  avoir  employé  toute  la 
force  de  leurs  raifonnements  &  toute  leur 
éloquence  à  periuader  aux  enfants  une 
humble  &  fidelle  foumiiîion  envers  leurs 
parents  ,  ont  été  néanmoins  les  premiers 
à  les  décharger  de  toute  obéiffance  , 
dès  qu'il  étoit  queftion  d'un  état  auquel 
on  voulût  les  attacher  ,  ou  dont  on  pré- 
tendît les  détourner,  au  péril  de  leur  falut. 
Quelle  réponfe  vous  ferai-je,  écrivoit 
faint  Bernard  à  un  homme  du  monde 
qui  fe  fentoit  appelle  à  la  vie  religieufe  , 
6c  que  fa  mère  tâchoit  de  retenir  dans  le 
monde  ?  que  vous  dirai-je  ?  que  vous 
abandonniez  votre  mère  ?  mais  cela 
paroît  contraire  à  la  piété  :  que  vous 
dem.euriez  avec  elle  ?  mais  il  n'eft  pas  jufte 
qu'une  molle  complaifance  vous  fade 
perdre  votre  ame  :  que  vous  foyez  tout 
enfemble ,  &  à  J.  C.  &  au  monde? 
mais  ,  félon  l'Evangile  ,  on  ne  peut  être 
à  deux  maîtres.  Ce  que  veut  votre  mère 
eft  oppofé  à  votre  falut ,  ai  par  une  fuite 
néceffaire ,  au  fien  même.  Prenez  donc 
maintenant  votre  parti ,  6c  choifiiTez  , 


30    Sur  le  devoir  des  Pères 

ou  de  fatisfaire  feulement  à  fa  volonté  , 
ou  de  pourvoir  au  falut  de  tous  les  deux  : 
mais  il  vous  l'aimez  ,  quittez-la  pour 
Tamour  d'elle-même,  de  peur  que  vous 
retenant  auprès  d'elle  &.  vous  faifant 
quitter  Jefus-Chrift,  elle  ne  fe  perde 
avec  vous  &  pour  vous  :  car  comment 
ne  fe  perdroit-elle  pas,  en  vous  faifant 
perdre  la  vie  de  l'ame ,  après  vous  avoir 
donné  la  vie  du  cops  ?  Et  tout  ceci , 
ajoute  le  même  Père  ,  je  vous  le  dis  , 
pour  condefcendre  à  votre  foibleffe  ;  car 
l'oracle  y  eft  exprès  ,  &  ce  devroit  être 
afTez  de  vous  en  rappeller  le  fouvenir, 
que  ,  quoiqu'il  y  ait  de  Timpiété  à 
méprifer  fa  mère  ,  il  y  a  de  la  piété  à  la 
méprifer  peur  Jefus-Chrift. 

Ah  !  Chrétiens ,  profitez  de  ces  grandes 
înftruélions.  Dans  la  conduite  de  vos 
familles ,  refpe6^ez  toujours  les  droits  de 
Dieu  ,  6c  jamais  ne  donnez  la  moindre 
atteinte  à  ceux  de  vos  enfants  ;  laiffez-Ieur 
la  même  liberté  que  vous  avez  fouhaitée , 
&  dont  peut-être  vous  avez  été  fi  jaloux  ; 
faites  pour  eux  ce  que  vous  avez  voulu 
qu'on  fit  pour  vous  ;  &  fi  vous  avez  fur 
cela  reçu  quelque  injuftice,  ne  vous  en 
vengez  pas  fur  des  âmes  innocentes  qui 
n'y  ont  eu  nulle  part ,  &  qui  d'ailleurs 
vous  doivent  être  fi  chères  ;  ayez  égard 
à  leur  falut  qui  s'y  trouve  intérelTé  ,  & 
ne  foyez  pas  afTez  cruels  pour  le  facritier 
à  vos  vues  humaines  ;  ne  vous  expofez 
pasvous-mêmes  à  être  un  jour  l'objet 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    3Î 

de  leur  malédié^ion ,  après^avoir  été  la 
fource  de  leur  malheur  ;  car  leur  malé- 
di6tion  leroit  efficace ,  &  attireroit  fur 
vous  celle  de  Dieu.  Si  vous  ne  pouvez 
leur  donner  d'amples  héritages,  &  s'ils 
n'ont  pas  de  grands  biens  à  pofféder ,  ne 
leur  ôtez  pas  au  moins  ,  Ci  je  l'ofe  dire  , 
la  poffellion  d'eux-mêmes  :  Dieu  ne  vous 
oblige  point  à  les  faire  riches ,  mais  il 
vous  ordonne  de  les  iaifler  libres.  Hé 
quoi,  me  répondrez-vous ,  fi  des  enfants 
jnconfidérés  &  emportés  par  le  feu  de 
l'âge  font  un  mauvais  choix,  faudra-t-il 
que  des  pères  &  des  mères  les  abandon- 
nent à  leur  propre  conduite,  &  qu'ils 
ferment  les  yeux  à  tout  ?  Je  ne  dis  pas 
cela,  mes  chers  Auditeurs  ,  &.  ce  n'eft 
point  là  ma  penfée ,  comme  je  dois 
bieniôt  vous  le  faire  voir.  Si  cet  enfant 
choifit  mal  ,  vous  pouvez  le  redreiTer 
par  de  fages  avis  ;  s'il  ne  les  écoute  pas  , 
vous  pouvez  y  ajouter  le  commande- 
ment ;  &  s'il  refufe  d'obéir ,  vous  y  pou- 
vez employer  toute  la  force  de  l'autorité 
paternelle  :  car  tout  cela  n'eft  point  dif- 
pofer  de  fa  perfonne  ni  de  fa  vocation  , 
mais  au  contraire  c'efl  le  mettre  en  état 
d'en  mieux  difpofer  lui-même.  J'appelle 
difpofer  de  la  vocation  d'un  enfant,  lui 
marquer  préclfément  Tétat  que  vous  vou- 
lez qu'il  embralTe,  fans  examiner  s'il  eft 
ou  s'il  n'eft  pas  félon  fon  gré  :  j'appelle 
difpofer  de  la  vocation  d'un  enfant ,  le 

B  iv 


32    Sur  le  devoir  des  Pereî 

détourner  d'un  choix  raifonnable  qu'il  a 
fait  avec  Dieu  ,  Si  former  d'infurmon- 
tables  difficultés  pour  en  arrêter  l'exé- 
cution :  j'appelle  difpofer  de  la  vocation 
d'un  entant,  abuier  de  fa  crédulité ^  pour 
le  féduire  par  de  faudes  promeiTes  ,  pour 
lui  faire  voir  de  prétendus  avantages 
qu'on  imagine,  &  pour  le  mener  infen- 
fiblement  au  terme  où  Ton  voudroit  le 
conduire  :  j'appelle  difpofer  de  la  voca- 
tion d'un  enfant  ,  laifier  de  longues 
années  une  fille  fans  l'établir ,  n'avoir 
pour  elle  que  des  manières  dures  &  rebu- 
tantes ,  exercer  par  mille  mauvais  traite- 
ments toute  fa  patience,  jufqu'à  ce  qu'elle 
fe  foit  enfin  dégoûtée  du  monde ,  &  quo 
d'elle-même  elle  ait  pris  le  parti  de  la 
retraite:  voilà,  dis-je,  ce  que  j'appelle 
difpofer  de  la  vocation  des  enfants  ,  Sc 
voilà  ce  que  Dieu  défend.  Que  lui 
répondrez-vous  un  jour  ,  quand  il  vous 
reprochera  de  vous  être  oppofé  à  fes 
deffeins ,  dans  la  conduite  d'une  maifon 
qu'il  vous  avoit  confiée  ?  quand  il  vous 
demandera  compte  ,  non  point  du  fang, 
mais  de  l'ame  de  cet  enfant  qu'il  vouloic 
fauver  ,  à  qui  il  avoit  préparé  pour  cela 
toutes  les  voies  ,  &  que  vous  en  avez 
éloigné  ,  que  vous  avez  égaré ,  que  vous 
avez  perdu  ?  Que  répondrez-vous  à  vos 
enfants  même  ?  car  ils  s'élèveront  contre 
vous,  &  ils  deviendront  vos  accufateurs  , 
coiiime  vous  àurez  été  leurs  tentateurs  ôt 


ENVEHS  LEURS  EnFÀNTS.    35 

leurs  corrupteurs.  Non  pas,  encore  une 
fois,  que  vous  ne  puiffiez  les  diriger  dans 
le  choix  qu'ils  ont  à  faire  ,  que  vous  ne 
puifTiez  les  confeiller  ,  les  exhorter ,  ufer 
de  tous  les  moyens  que  Dieu  vous  a  mis 
en  main  ,  pour  les  prèferver  des  écueils 
où  une  jeunefle  volage  &  fans  réflexiori 
fe  laiffe  entraîner.  Je  dis  plus  ,  &  je  pré- 
tends même  que  non-feulement  vous  le 
pouvez,  mais  que  vous  le  devez;  &  c'eil 
fur  quoi  j'établis  l'autre  propofition  que 
j'ai  avancée,;  favoir ,  que  s'il  ne  vous  efl 
pas  permis  de  déterminer  vos  enfants  à 
un  état ,  vous  êtes  néanmoins  refpon- 
fables  à  Dieu  de  l'état  auquel  ils  fe  déter- 
minent. Encore  quelques  moments  de 
votre  attention  pour  cette  féconde  Partie. 

C'Eft  un  principe  reçu  dans  toute  la  II. 
morale  j  que  nous  devons,  autant  Part. 
qu'il  dépend  de  nous ,  garantir  les  chofes 
où  nousfommes  obligés  de  nous  intéreder 
&  de  prendre  part  ;  &  qu'à  proportion 
de  la  part  que  nous  y  avons  &  de  l'in- 
térêt qui  nous  y  engage ,  nous  en  deve- 
nons plus  ou  moins  refponfables.  Cette 
maxime  efl  évidente ,  &  j'en  tire  la  preuve 
de  ma  féconde  propofition.  Car ,  quoi- 
qu'il ne  foit  pas  au  pouvoir  des  pères  de 
déterminer  à  leurs  enfants  le  choix  d'une 
vocation  6c  d'un  état ,  ils  ne  laiffent  pas 
néanmoins  d'intervenir  à  ce  choix,  d'y 
participer ,  d'y  avoir  un  droit  de  direction 

Bv 


34    Sur  le  devoir  des  Pères 

&  de  furveillance  ,  non-feulement  eit 
qualité  de  pères  ,  mais  beaucoup  plus  en 
qualité  de  pères  chrétiens  ;  d'où  il  faut 
conclure  qu'ils  doivent  donc  répondre  de 
ce  choix ,  &  que  Dieu  peut  fans  injul- 
tice  leur  en  faire  rendre  compte.  Quel- 
ques quellions  ,  que  je  vais  réfoudre 
d'ëbord  ,  lerviront  à  éclaircir  ce  point. 

On  demande  en  général  ,  fi  dans  cer- 
tains états,   fur-tout   dans  ceux  qui  ne 
font  pas  de  la  perfeftion  évangélique  , 
un  enfant  efr  maître  de   contrarier  un 
engagement  6i  de  fe  lier,  fans  l'aveu  & 
ia  participation  de  fes  parents  :  il  ne  le 
peut  ,   Chrétiens  ,   mais   il  eft  de  fon 
devoir,  &  d'un  devoir  rigoureux,  de  les 
coniulter,  d'écouter  leurs  remontrances, 
d'y  déférer  autant  que  la  raifon  le  pref- 
cfit.  Car ,  difent  les  Théologiens ,  l'hon- 
neur dû  aux  pères  &  aux  mères  eft  un 
co.mmandement  exprès   de  Dieu  :  or , 
de  n'avoir  nul  égard  à  leurs  fentiments  , 
de  ne  fe  point  mettre  en  peine  d'en  être 
jnftruits  ,  d'agir  fjr  cela  dans  une  pleine 
indépendance  ,  &  de  n'en  vouloir  croire 
que  foi- même,  ce  feroit  un  mépris  for- 
mel de  leur  autorité  ;  &  ce  mépris  ,  dans 
une  matière  auflî  importante  que  l'eft  le 
choix  de  l'état,  doit  être  regardé  comme 
une  grieve  tranfgrelBon  de  la  loi  divine. 
On  demande  en  particulier,  fi  dans  un 
certain  âge  déjà  avancé ,  un  entant  peut , 
fans  que  le  père  en  foit informé,  &  fans 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    35 

Tfequérlr  Ton  confentement ,  conclure  un 
mariage  où  la  pafTion  le  porte  ;  s'il  le 
peut,  dis-je,  en  fureté  de  confcience  ? 
Non  ,  répondent  les  Dodeurs  ;  6t  s'il  le 
fait,  le  père  eft  en  droit  de  le  punir 
félon  les  ioix  ,  &  de  le  priver  de  fon  héri- 
tage :  peine  cenfée  jurte ,  &  qui  par  con- 
féquent  fuppofe  une  oftenle.  On  demande 
fi  le  père ,  voyant  fon  fils  embraffer  un 
parti,  qu'il  juge  félon  Dieu  lui  être  per- 
nicieux ,  peut  fe  taire  fur  cela ,  ëc  par 
fon  filence  y  coopérer  en  quelque  forte  , 
6c  Tautorifer  ?  Ce  feroit ,  fuivant  la  déci- 
fion  de  tous  les  maîtres  de  la  morale  ,  un 
crime  dans  lui  ;  6c  fi  là-delTus  il  difîi- 
mule  ,  s'il  n'y  fait  pas  toutes  les  oppofi- 
tions  nécellaires  ,  il  fe  rend  prévaricateur. 
De-là  il  s'enfuit  donc  que  les  pères  ,  fans 
difpofer  de  leurs  enfants  ,  ont  néanmoins 
part  à  leur  choix  ,  en  plufieurs  manières  ; 
par  exhortation,  par  confeil  ,  par  tolé- 
rance ,  par  confentement ,  par  droit  d'op- 
pofition  6c  de  punition.  Et  voilà  ,  Chré- 
tiens ,  le  fondement  de  la  vérité  que  je 
vous  prêche.  Car  fi  Dieu  ne  vous  avoit 
pas  engagés  à  lui  garantir  le  choix  que 
font  vos  enfants  ,  pourquoi  feriez-vous 
criminels  ,  lorfque  vous  manquez  à  em- 
ployer ,  ou  la  vole  de  l'autorité ,  ou  celle 
du  confeil  6c  de  l'inftruttion  ,  pour  les 
aider  à  bien  choifir?  Pourquoi  feroit-ce 
dans  vous  une  tolérance  condaminable  , 
quand  vous  les  abandonnez  à  eux-mêmes , 

Bvj 


36    Sur  le  devoir  des  PereT 

&  que  vous  les  laiilez  choifir  impuné- 
ment &L  inconfidérénnent  ce  que  vous 
favez  ne  leur  pas  convenir  &  leur  devoir 
être  nuifible  ?  Pourquoi  pourriez-vous 
vous  oppofer  à  leur  choix ,  traverfer  leur 
choix ,  les  punir  de  leur  choix ,  s'il  eft 
contre  votre  gré  ,  &  qu'à  votre  égard 
ils  ne  fe  foient  pas  acquittés  des  foumil- 
fions  ordinaires  ?  Dieu  fans  doute  ne 
vous  a  donné  ce  pouvoir  qu'à  raifon  des 
charges  qui  y  font  attachées  ;  &  de  tous 
ces  devoirs  qu'il  aimporés  à  vos  enfants, 
réfulte  en  vous  une  obligation  naturelle 
de  répondre  d'eux  &  de  leur  état.  Si  donc 
il  arrive  qu'ils  s'égarent ,  ou  parce  que 
vous  n'avez  pas  pris  foin  de  les  éclairer  , 
ou  parce  que  vous  n'avez  pas  eu  la  force 
de  leur  réfifter ,  ou  parce  qu'une  làchs 
tolérance  vous  a  fait  même  féconder  leurs 
defirs  infenfés  ,  Dieu  n'a-t-il  pas  droit  de 
s'en  prendre  à  vous ,  &  de  vous  dire  : 
Kendez-moi  compte,  non-feulement  da 
vous-même ,  mais  de  ce  fils ,  mais  de 
cette  fille  ,  auprès  de  qui  vous  deviez 
être  ,  en  qualité  de  père ,  mon  miniflre-, 
pour  leur  fervir  de  guide  &  de  conduc- 
teur. Et  certes ,  Chrétiens ,  qui  ne  fait 
pas  qu'un  père  eft  refponfable  à  Die;i 
tde  l'éducation  de  fes  enfants  ?  Or  dans 
l'éducation  des  enfants,  qu'y  a-t-il  d» 
plus  eiïentiel  que  la  condition  où  ils  doi- 
vent entrer ,  ôc  la  forme  de  vie  ^ 
iaquelie  ils  om  à  délibeier  : 


ENVERS  LEURS  Enfants.'     ^7 

Développons  encorececi  5  &  mettons- 
le  dans  un  nouveau  jour  ,  pour  la 
rendre  plus  inftructif  &  plus  pratique» 
Le  choix  d'un  état,  dit  S.  Bonaventure^ 
peut  être  mauvais  en  trois  manières  :  ou 
par  lui-même  ,  parce  que  l'état  eft  con- 
traire au  falut ,  du  moins  très- dangereux; 
ou  parce  que  celui  qui  embraiTe  l'état  eil 
incapable  de  le  loutenir  ;  ou  parce  que 
tout  honnête  qu'eft  l'état  que  l'on  choifit, 
tout  propre  qu'on  eft  à  en  remplir  les 
fondions ,  on  n'y  entre  pas  néanmoins," 
fi  je  puis  ainfi  m'exprimer ,  par  la  porta 
de  l'honneur,  ni  par  des  voies  droites. 
Prenez-garde  :  je  dis  d'abord,  choix  d'un 
état  mauvais  par  lui-même ,  ou  du  m^oins 
très-dangereux  :  j'en  donne  un  exemple, 
c'eft  celui  de  laint  xMatthieu.  Qu'étoit-ce 
quecet  Apôtre, avant  qu'il  eût étéappellé 
&  converti  par  Jefus-Chrift  ?  c'étoit  un 
publicain  ;  &  il  faut  bien  dire  que  cet 
emploi,  qui  confifloitȈ  lever  certains 
deniers  publics  ,  s'exerroit  alors  commu- 
nément contre  la  confcience  ,  puifque 
Jefus-Chrift  dans  l'Evangile  ,  parlant  du 
royaume  des  eieux ,  mettoit  les  publi- 
cains  au  même  rang  que  les  femmes  per* 
dues  :  Publicani  6»  meretrices.  C'eft  la 
remarque  de  S.  Jérôme  :  à  quoi  S.  Gré- 
goire en  ajoute  une  autre.  Car  les  Apô- 
tres après  leur  converfion  reprirent  leur 
première  forme  de  vie  &:  retournèrent  à 
leur  pêche  :  il  n'y  eut  que  S.  MaLtliiç\| 


3S    Sur  le  devoip.  des  Pères 

qui  abfolument  &  pour  toujours  abatî- 
donna  la  recette.  D'où  vient  cette  diffé- 
rence ,  demande  S.  Grégoire,  finon  parce 
que  l'errploi  de  S.  Pierre  &  des  autres 
Apôtres  éroit  innocent ,  &  que  celui  de 
S.  Matthieu  l'engageoit  au  moins  dans 
un  péril  certain  ôt  très-prélent  ?  Si  donc 
il  y  avoit  de  femblables  profeiTions  dans 
le  monde,  je  m'explique;  s'il  y  avoit, 
ce  que  je  n'examine  point  &  ce  que 
j'aurois  peine  à  penfer  ;  fi  ,  dis- je  ,  il  y 
avoit  de  ces  états  où  ,  feîon  l'eftime  com- 
mune ,  il  tut  moralement  impoffible  de  fe 
conferver  &  d'être  Chrétien  ,  un  père 
qui  craint  Dieu  ,  pourroit-il  permettre 
qu'un  tils  s'y  jetât  en  aveugle  ,  &  qu'il  y 
demeurât  r  Ah  !  mes  chers  Auditeurs , 
bien-loin  de  l'approuver  ,  de  Tautorifer  , 
de  le  tolérer ,  il  teroit  tous  fes  efforts  pour 
lui  en  inipirer  de  l'horreur  &  pour  l'en 
éloigner  ;  il  lui  diroit  comme  le  faint 
homme  Tobie  :  Prenons  confiance ,  mon 
fils  ,  nous  ferons  toujours  affez  riches  fi 
nous  avons  la  crainte  du  Seigneur  ;  préfé- 
rons-la à  tous  les  tréfors  de  la  terre,  & 
ne  confentons  jamais  pour  des  biens  tem- 
porels ,  à  perdre  ni  même  à  rifquer  des 
To^-.c.-f. biens  éternels  :  Satïs  multa  bona  habe- 
iimus  ,  fi  timuerimus  Dcum.  C'eft  ainii 
qu'il  lui  parleroit ,  ou  qu'il  lui  dp;vroit 
parler.  M  ùs  s'il  fe  laiffoit  dominer  & 
conduire  pas  l'intérêt  ;  fi  dans  la  vue 
d'une  fortune  temporelle  ôc  d'un  gain 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    39 

afTuré  ,  prompt ,  abondant ,  il  agréoit  le 
choix  que  tait  Ion  fiîs  d'une  profelnon 
au  moins  dangereufe  félon  Dieu  ;  s'il 
étolt  le  premier  à  lui  en  p.ocurer  l'en- 
trée, à  le  t'jvorifer  ,  aie  féconder  dans 
fes  pourfuites  ,  à  lui  chercher  pour  cela 
des  interceiTeurs  ^  âzb  patrons ,  qui  peut 
douter  que  par  là  il  ne  fe  chargent  de 
toutes  les  fuites  funeftes  qu'il  y  auroit  à 
craindre  ;  que  par  là  le  père  ne  fe  rendit 
coupable  de  tous  les  défordres  du  fils; 
que  la  damnation  de  ce  jeune  homme 
ne  lui  dût  être  imputée  ,  &  que  ce  ne 
fût  un  des  principaux  articles  fur  quoi 
il  auroit  à  fe  julVifier.  devant  le  tribunal 
de  Dieu  ?  N'en  difons  pas  là-defTus  davan- 
tage :  c'eft  à  vous.  Chrétiens,  à  faire  Tap- 
pllcation  de  cette  morale  ,  &  à  voir  dans 
l'ufage  du  (iecle  préfent  quelles  confe- 
quences  vous  en  devez  tirer.  Avançons. 
Outre  que  le  choix  d'un  état  peut  être 
mauvais  dans  la  fubftance  ,  ill'eft  encore 
plus  fouvent  par  rapport  au  fujet,  c'eiV 
à-dire,  parce  que  celui  qui  fait  ce  choix 
eft  indigne  de  l'état  qu'il  choifit,  n'a  pas 
pour  cet  état  toutes  les  qualités  requifes, 
&  fe  trouve  abfolument  incapable  d'en 
accomplir  les  devoirs.  De  là  cette  cor- 
ruption générale  que  nous  voyons  dans 
le  monde  &C  dans  toutes  les  conditions 
du  monde,  de  là  tant  d'abus  qui  fe  font 
introduits  &L  qui  régnent  dans  l'Eglife  ; 
de  là  ce  dérèglement  prefque  univerfe] 


40    Sur  lî  devoir  des  Pères 

dans  l'adminiftration  des  charges,  &  fîjf- 
tout  dans  la  dilpenfation  de  la  juftice  ; 
de  là  prefque  tous  les  maux  dont  la  fociété 
des  hommes  eft  troublée  :  mais  de  la 
même  auffi  pour  les  pères  un  fond  d'obli- 
gation qui  doit  les  faire  trembler  ,  une 
matière  infinie  de  péchés  ,  une  fource 
inépuilable  de  fcrupules ,  un  des  comptes 
les  plus  terribles  qu'ils  aient  à  rendre. 
Car  fi  nous  remontons  au  principe,  & 
que  nous  examinions  bien  ce  qui  cdufe 
un  tel  renverfement  dans  tous  les  états 
delà  vie,  &  d'où  viennenttous  ces  défor- 
dres  que  nous  déplorons  aiTez,  mais  que 
nous  ne  corrigeons  pas  ,  nous  reconnoî- 
trons  qu'ils  doivent  être  communément 
attribués  aux  pères  qui ,  fans  égard  à  l'in- 
capacité de  leurs  enfants  ,  les  ont  eux- 
mêmes  placés  dans  des  rangs  ,  &  leur 
ont  confié  des  miniileres  dont  les  fonc- 
tions étoient  au-deiïus  de  leurs  forces  & 
de  leurs  talents.  En  effet ,  fi  ce  père  n'eût 
point  traité  de  cette  charge  dont  il  a 
pourvu  fon  fils  ,  ce  fils  ne  feroic  rien 
aujourd'hui  de  ce  qu'il  eu  ;  &i  n'étant  point 
ce  qu'il  eft  ,  il  n'abuferoit  pas  d'une  puif- 
fance  qu'il  a  reçue  fans  la  pouvoir  exer- 
cer ;  il  ne  feroit  pas  fervir  l'autorité  dont 
il  eft  revêtu  ,  aux  vexations ,  aux  vio- 
lences ,  aux  injuftices  que  le  public  reffent 
&  qui  le  font  fouffrir.  11  a  donc  été  pof- 
fible  au  père  de  prévenir  &  d'arrêter  de 
iifâcheufes  conféquences.  Inftruit  des  dif- 


ENVERS    LEURS  EnFANTS.         4Ï 

pofitions  de  ce  jeune  homme ,  il  pouvoit^ 
au  lieu  de  l'élever  fi  haut  ou  de  l'aider  à 
y  parvenir ,  lui  refufer  pour  cela  fes  foins 
&  Ton  fecours  ;  non-feulement  il  le  pou- 
voit ,  mais  il  le  devoit  :  &  qui  s'étonnera, 
que  Dieu  là-defTus  entre  en  jugement 
avec  lui ,  &.  qu'il  lui  en  faffe  porter  la 
peine  ? 

Voilà  néanmoins,  mes  chers  Auditeurs-, 
l'abus  de  notre  fiecle.  Le  zèle  des  pères 
pour  leurs  enfants  ne  va  pas  à  les  voi? 
capables  d'être  employés_,mais  il  leur  fuffit 
qu'ils  foient  employés  :  il  faut  pour  cet 
aîné  tel  office  ;  cela  fe  fuppofe  comme  urî 
principe.  Y  a-t-  il  de  quoi  en  faire  les  frais? 
c'eft  ce  qu'on  examine  avec  toute  l'atten- 
tion néceiTaire  :  cette  avance  une  fois  faite, 
reftera-t-il  affez  de  fonds  pour  toutes 
les  autres  dépenfes  ?  c'eft  ce  que  l'on 
fuppute  très-exaâement  :  mais  d'ailleurs 
cet  enfant  que  l'on  veut  ainfi  pouffer^ 
eft-il  propre  à  remplir  la  place  qu'on  lui 
defline  ?  la  chofe  ne  femet  pas  en  délibé- 
ration :  s'il  en  a  le  mérite  ,  à  la  bonne 
heure  ;  s'il  ne  l'a  pas  ,  fa  charge  lui  en 
tiendra  lieu.  Mais  on  fait  bien  qu'il  ne 
l'a  pas  en  effet  ,  &  l'on  ne  peut  efpérer 
qu'il  l'acquière  jamais  ;  on  le  fait ,  &  en 
agit  toujours  comme  fi  on  ne  le  favoJt 
pas.  Car  où  font  maintenant  les  pères 
qui  refiemblent  à  cet  Empereur  de  Rome, 
lequel  exclut  àuthentiquement  fon  fils 
de  l'Empire,  parce  qu'il  n'y  trouvoit  pas^ 


^2    Sur  le  devoir  des  Pères 

les  difpofitions  requîtes  pour  en  fou- 
tenir  le  poids  ?  ce  jeune  homme  eft  de 
telle  famille ,  où  telle  dignité  eil  hérédi- 
taire ;  dès-là  Ton  fort  eit  décidé ,  il  faut 
que  le  fils  fuccede  au  père.  Et  de  cette 
maxime  que  s'enfuit-il  ?  vous  en  êtes 
tous  les  jours  témoins  :  c'eft  qu'un  enfant 
à  qui  l'on  n'auroit  pas  voulu  confier  la 
moins  importante  affaire  d'une  maifon 
particulière  ,  a  toutefois  dans  fes  mains 
les  affaires  de  toute  une  province  ôc 
les  intérêts  publics.  11  peut  prononcer 
comme  il  lui  plait  ,  ordonner  félon  qu'il 
lui  plaît,  exécuter  tout  ce  qu'il  lui  plaît  ; 
on  en  fouffre  ,  on  en  gémit  ,  le  bon 
droit  eff  vendu  ,  .  toute  la  juffice  ren- 
verfée  ;  c'eft  ce  qui  importe  peu  à  un 
père,  pourvu  qu'il  n'en  reffente  point 
le  dommage ,  &  que  ce  fils  loit  établi. 
Car  voilà  comment  raifonnent  aujour- 
d'hui la  plupart  des  pères  ,  ignorant 
leurs  obligations  ,  ou  négligeant  d'y  fatis- 
faire  ,  fe  perfuadant  que  tout  eff  fait 
dès  qu'un  enfant  fe  trouve  placé  ,  s'ima- 
ginant  que  c'eft  en  cela  que  confiée  la 
grandeur  du  monde  ,  &  du  refte  fe 
flattant  qu'il  y  a  une  providence  géné- 
rale ,  pour  fuppléer  à  tout  ce  qui  pour- 
roit  manquer  de  leur  part.  Oui  ,  Chré- 
tiens ,  il  y  en  a  une  ,  n'en  doutez  point  ; 
mais  c'ell  une  providence  rigoureufe, 
pour  punir  tous  ces  manquements  dans 
vos  perfonnes ,  avant  que  d'y  fuppléer 


ENVERS  LEURS  ESTANTS.    43 

dans  l'ordre  de  l'umvers.  H  y  en  a  une  , 
mais  c'eft  une  providence  de  juitice  , 
&    non    de    miséricorde   ,    pour  vous 
demander  raifon  de  tous  les  maux  que 
vous  pouviez  arrêter  dans  leur  fource, 
&  que  vous  avez  permis,  que  vous  avez 
cauies,  que  vous  avez  perpétués.  H  eit 
vrai  ,   l'écriture  nous  dit  dans  un  fens 
qu'au  tribunal  de  Dieu  chacun  répondra 
pour  foi  &  rien  davantage  ,   que  le  tar- 
deau  de  l'un  ne  fera  pas  le  fardeau  de 
l'autre,  &  que  chacun  portera  le  fien  ; 
mais    il    n'ell    pas    moins    vrai    que   la 
même  écriture  dans  un  autre  fens  nous 
avertit  que  Dieu  fera  retomber  fur  le 
père  l'iniquité  du  fils  ,  que  le  jugement 
du  père  ne  fera  point  féparé  de  celui  du 
fils ,  que  le    fils  fera   condamné    par  le 
père,  &le  perepar  lefiis.  Deux  oracles 
partis  Tun  &  l'autre  de  la  vérité  même  , 
par   conféquent    l'un   &    l'autre    mtail- 
libles  ;  deux  oracles  oppofés ,  ce  femble, 
l'un   à    l'autre  ,    Si  qui   néanmoms   ne 
fe  contredifent  en  aucune  iorte  ;  mais 
oracles   que  vous  ne  concilierez  jamais 
qu'en  reconnoiffant  à  quoi  vous  engage 
la  quolité  de  pères ,  &  quel  crime  vous 
commettez    quand    un    amour   aveugle 
pour  des    enfants   ou   quelqu'autre   vue 
que  ce  puiiTe  être  ,  vous  fait   coopérer 
à  leur   choix  ,    malgré  leur  inlufhfance 
qui  vous  eft  connue  ,  &  la  diipropor- 
tion  qui  fe  rencontré  entre  leur  toibielle 


44    Sur  le  devoir  des  Pères 

&  les  miniftercs  qu'ils  prétendentexercer. 
Mais  il  le  choix  enfin  neù.  mauvais 
ni  en  lui-même  ni  à  l'égard  du  fujet  , 
eft-ce  aflez  ?  Non  ,  Chrétiens  :  car 
j'ajoute  qu'il  peut  être  mauvais  par  rap- 
port aux  moyens ,  &  que  c'eft  encore 
ce  qui  doit  exciter  toute  votre  vigilance. 
Je  le  veux  :  cet  état  par  lui-même  n'"a 
rien  qui  blelTe ,  ni  les  règles  de  l'hon- 
neur ni  les  droits  de  la  conlcicnce  ;  on 
y  peut  être  en  chrétien  &  vivre  en  chré- 
tien. Je  vais  plus  loin,  &  je  conviens 
même  avec  vous  de  tout  le  mérite  de 
cet  enfant  :  mais  fût- il  doué  de  mille 
qualités ,  le  mérite  n'eft  pas  toujours  la 
porte  par  où  l'on  trouve  accès  &  par  oîi 
l'on  s'introduit,  foit  dans  rEgliie^foit  dans 
le  monde.  Il  y  a  déplus  d'autres  moyens, 
auxquels  on  eft  fouvent  obligé  d'avoir 
recours  ;  &  parmi  ces  moyens  il  y  en  a 
de  légitimes  qui  font  permis ,  &  d'in- 
jufles  que  la  loi  détend  :  or  dans  le  choix 
des  uns  ôi  des  autres  ,  laifTer  les  moyens 
permis ,  parce  qu'ils  ne  fuffiient  pas,  parce 
quils  ne  font  pas  affez  prompts  ,  parce 
qu'on  ne  les  a  pas  ;  &  prendre  des  voies 
criminelles  qui  ,  tout  indirectes  qu'elles 
font  5  conduifent  néanmoins  au  terme  ôc 
plus  fùrement  &  plus  vite  :  voilà  une 
des  plus  ordinaires  Si.  des  plus  grandes 
iniquités  du  fiecle.  De  vous  en  taire  voir 
rinjuilice,  dedéplorer  avec  vous  la  trifle 
décadence  où  nous  femmes  là-deiTus 


ENVERS   LEURS  EnFANTS.        4'{ 

tombés  en  ces  derniers  temps ,  &  de 
regretter  l'ancienne  probité  des  premiers 
âges ,  ce  n'eft  point  précilement  mon 
fujet.  Mais  ce  qui  me  regarde  &  ce  que 
je  ne  dois  pas  omettre,  ce  qui  demande 
toute  i'ardeur  de  mon  zèle  &  toute  la 
force  de  la  parole  évangélique  ,  c'eft 
que  des  pères  ouvrent  eux-mêmes  à 
leurs  enfants  de  telles  routes  pour  s'éta- 
blir &  pour  s'avancer.  Car  voilà  de 
quoi  nous  avons  fans  cède  de  trifles 
exemples.  On  veut  que  ce  fils  par- 
vienne à  certain  degré  dans  le  monde ,  Sc 
pour  cela  quelles  intrigues  n'imagine-t-on 
pas  ?  quelles  cabales  ne  forme-t-on  pas  ^ 
à  quels  excès  ne  fe  porte-t-on  pas 
contre  des  concurrents  qui  fe  préfentent 
6c  qui  font  ombrage  ?  On  jette  les  yeux, 
fur  certain  parti  pour  cette  fille  ;  6c  afin 
de  mieux  engager  celui-ci ,  le  dirai-je  ? 
quelles  libertés  ne  donne-t-  on  pas  à  celle- 
là  ?  quelles  entrevues  ne  lui  permet-on 
pas  ?  à  quel  péril  ne  l'expofe-t-on  pas  ? 
Ce  font,  dites-vous,les  moyens  de  réufiir, 
&  tout  demeure  fans  cela  :  mais  font- 
ce  des  moyens  que  Dieu  approuve  ^ 
font-ce  des  moyens  que  l'Evangile  auto- 
rife  ?  font-ce  des  moyens  que  l'équité 
même  naturelle  infpire ,  &  avec  lefquels 
elle  puiffe  concourir?  Par  conféquent, 
font-ce  des  moyens  qu'un  père  puiffe 
fuggérer  à  fes  enfants ,  où  un  père  puilTs 
prctçr  U  main  à  fes  enfants ,  doçt  uii 


4^    Sur  le  devoir  des  Pères 

père  puiffe  donner  l'exemple  à  les 
enfants  ?  Si  donc  il  fe  laiffe  aveugler  par 
fa  palîion,  julqu'à  les  voir  tranquillement 
&  fans  nulle  réfiftance  de  fa  part  , 
fuivre  de  pareilles  voies ,  jufqu'à  les  leur 
tracer  lui-même  &  à  les  y  conduire  ,  en 
participant  aux  crimes  de  Tes  enfants  , 
ne  doit-il  pas  s'attendre  à  être  compris 
dans  l'arrêt  que  Dieu  prononcera  contre 
eux  ,  &  y  a-t-il  une  excufe  légitime  qui 
l'en  puiffe  préferver  ? 

Ah  1  m.es  chers  Auditeurs,  ne  fera-ce 
pas  allez  d'être  chargés  de  nous-mêmes 
6c  d'avoir  à  répondre  de  nous-mêmes  ? 
ne  fera-ce  pas  même  encore  trop  pour 
notre  foibleffe  ?  Mais  à  l'égard  des 
pères  &  des  mères ,  iln'eft  pas  polTible 
que  le  jugement  de  Dieu  fe  réduifelà, 
éi  par  une  trifte  nécefîité  &  un  engage- 
ment inévitable ,  il  faut  qu'il  paffe  plus 
loin.  Car  un  père  ne  peut  répondre  de 
iui-même,  fans  répondre  de  fes  enfant, 
puifqu'il  n'aura  été  bon  père  félon  Dieu  , 
ou  père  criminel  ,  qu'autant  qu'il  aura 
rempli  fes  devoirs  dans  la  conduite  de 
fa  famille  ,  &  en  particulier  dans  celle 
de  fes  enfants  ,  ou  qu'il  les  aura  négli- 
gés. Dieu  donne  l'autorité  aux  pères  : 
c'eft  afin  qu'ils  l'emploient ,  &.  pour  les 
juger  félon  l'ufage  qu'ils  en  auront  fait. 
Dieu  leur  donne  des  grâces  particu- 
lières &  propres  de  leur  état  :  c'eft  afin 
qu'ils  s'en  fervent  ,   6c  non  pas  pour 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    47 

qu'elles  demeurent  inutiles  dans  leurs 
rr^ains.  Tout  ce  que  j'ai  dit  au  refte  du 
choix  de  vos  entants  &  du  compte  que 
vous  en  rendrez  à  Dieu ,  ne  doit  point 
s'entendre  de  telle  forte ,  qu'il  ne  vous 
loit  pas  permis  de  les  avancer  dans  des 
emplois  convenables  ,  ou  de  l'Eglife  ,  ou 
du  monde,  quand  Dieu  les  y  appellera. 
Car  bien-loin  de  vous  en  taire  un  crime  , 
je  prétends  au  contraire  que  c'eft  une 
de  vos  obligations  ;  &  jamais  je  n'ap- 
prouverai l'indifférence  ,  pour  ne  pas 
dire  la  dureté  de  ces  pères  &.  de  ces  mè- 
res, qui  tout  occupés  d'eux-mêmes,  Sc 
ne  voulant  fe  delTaifir  de  rien ,  laident 
languir  de  jeunes  perfonnes  lans  établif- 
fement ,  Se  leur  font  manquer  les  occa- 
fions  les  plus  favorables.  Mais  mon  def-' 
fein  eft  d'exciter  en  vous  un  faint  zèle 
de  la  perfeftion  de  vos  enfans ,  dont  Dieu 
vous  a  commis  le  foin ,  &  qu'il  foumet 
à  votre  difcipline  ;  de  vous  faire  tra- 
vailler ,  tandis  qu'ils  font  encore  fous 
la  main  paternelle  ,  à  les  inftruire  ,  à  les 
former,  à  les  rendre  capables,  intelligents, 
dignes  des  places  où  félon  leur  nailTance 
ils  peuvent  afpirer.  Or  il  n'y  a  point  pour 
cela  de  plus  puifTant  motif  que  de  vous 
dire  à  vous-mêmes  :  ou  il  faut  que  mes 
enfants  foient  exclus  de  tout ,  &  qu'ils 
mènent  un  vie  obfcure  &  fans  emploi , 
ou  il  faut  que  je  mapplique  à  les  drelTer, 
afin  qu'ils  puiffent  devenir  quelque  chofe  , 


54^    Sur  le  devoir  des  Pères 

êc  faire  quelque  chofe  dans  la  vie  ;  ou  û 
je  veux  les  poulTer  Tans  nulle  difpofition 
de  leur  part  6c  malgré  leur  incapacité, 
il  faut  que  je  me  damne  avec  eux.  Qu'ils 
foient  exclus  de  tout ,  ce  feroit  pour  eux 
une  honte,  &  un  reproche  pour  moi  :  que 
je  me  damne  avec  eux  ,  ce  feroit  une 
extrême  folie  &  le  fouverain  malheur. 
La  conféquence  eft  donc  que  je  n'oublie 
rien ,  mais  que  j'ufe  de  toute  mon  adrelTe 
&  de  tout  mon  pouvoir  de  père  ,  pour 
leur  faire  acquérir  les  qualités  &  de  l'ef- 
prit  &  du  cœur  dont  ils  pourront  dans 
ïa  fuite  avoir  befoin  ,  félon  les  états  où  la 
Providence  les  a  deflinés.  Car  d'efpérer 
que  Dieu ,  en  les  appellant ,  fafle  par  lui- 
même  tout  le  re{le=.&  qu'il  leur  donne 
des  connoiffances  infufes ,  c'efl  compter 
fur  un  miracle  ,  &  renverfer  l'ordre  que 
fa  fageiïe  a  établi  dans  le  gouvernement 
du  monde.  Et  de  prétendre  que  Dieu  ne 
m'impute  pas  tout  ce  qui  leur  manquera 
ôi.  qu'ils  pourroient  recevoir  de  moi ,  c'eft 
ignorer  un  de  mes  premiers  devoirs ,  & 
me  tromper  moi-même.  Voilà ,  Chrétiens, 
ce  qu'il  faut  bien  méditer.  Il  n'y  a  rien 
là  qui  ne  foit  d'une  conféquence  infinie  , 
&:  qui  ne  doive  vous  faire  trembler ,  fi 
vous  le  négligez  :  mais  j'ajoute  auin  qu'il 
n'y  a  rien  qui  ne  foit  d'un  mérite  très- 
relevé  ,  &  qui  ne  doive  vous  confoler  , 
fi  vous  vous  y  rendez  fidèles  Ôc  fi  vous 
J-.obfervez. 

L^ 


ENVERS  LEURS  EnFANTS.    4f 

La  qualité  de  pères  vous  impofe  de 
grandes  obligations  ,  mais  en  même 
temps  elle  vous  donne  lieu  d'amalTer  de 
grands  tréfors  pour  le  ciel.  Car  qui  ne 
lait  pas  ce  que  coûte  la  conduite  6c 
l'éducation  des  enfants  ,  combien  d'hu- 
meurs il  faut  fupporter ,  combien  d'écarts 
il  faut  pardonner .  combien  de  foiblefles 
il  faut  ménager  ,  combien  de  précautions 
il  faut  prendre  pour  les  iaftruire  fans  les 
fatiguer ,  pour  les  tenir  fous  la  règle 
fans  les  rebuter ,  pour  leur  faire  d'utiles 
répréhenfions  ihns-Ies  révolter  ?  Or  rieii_ 
de  tout  cela  n'eft  perdu  devant  Dieu  , 
6c  c'eft  en  cela  même  que  doit  confiiler 
devant  Dieu  votre  principale  liberté. 
Vos  enfants  profiteront  de  vos  foins  , 
ou  ils  n'en  profiteront  pas.  S'ils  n'en  pro- 
fitent pas  ,  il  eft  vrai,  ce  fera  une  peine 
pour  vous  &  une  peine  fenfible  ;  mais 
du  refte  vous  en  ferez  quittes  auprès 
de  Dieu  &  auprès  d'eux.  S'ils  en  pro- 
fitent &  que  Dieu  ,  comme  vous  pou- 
vez l'efpérer  ,  béniffe  votre  vigilance  & 
votre  zèle ,  quelle  confclation  pour  vous 
en  ce  monde  de  voir  votre  famille  dans 
l'ordre  ,  &.  fur-tout  quel  bonheur  un  jour 
de  vous  retrouver  tous  enfemble  dans  U 
gloire  que  je  vous  fouhaite,  Ôcc» 


V^JA 


^pomin^  Tom,  L  ,C. 


0 
SERMON 

POUR 

££   SECOND    DIMANCHE 

APRÈS   L'EPIPHANIE. 

^wr  VÉtat  du  Mariage^ 

Nuptiae  faé^s  funt  in  Cana  Galilss  ;  &  erat 
mater  Jefu  ibi  :  vocatus  eft  autem  &  Jefus, 
&  difcipuli  ejus  ad  nuptias. 

Il  y  eut  des  noces  à  Cana  en  Galilée ,  &  la 
mère  de  Jefus  i'jy  trouva.  Jefus  fut  aufjx 
invité  aux  noces  avec  fes  Difciples,  En  faint 
Jean  ,   chap.  2. 

NO  N  -  feulement  il  y  fut  invité  , 
Chrétiens  ,  mais  il  y  aiTifta  ;  & 
en  y  affiiUnt  ,  il  les  approuva  ,  il  \qs 
honora ,  il  les  fani'tifia ,  il  en  bannit  les 
défordres  ,  &  déjà  il  prit  des  mefures 
pour  jes  confacrer  cjans  l'Eglife  par  l'info 
titution  d'un  facrement.  Ce  ne  fu;  don^ 


Sur  l'êtaT  du  MaPvIage.    51 

point  en  vain  ,  ni  fans  delTein  ,  qu'il  y 
voulut  être  appelle  :  Vocatus  efl  autem  6» 
Jefus  :  car  c'eft  de  là  ,  difent  les  Pères  , 
que  vient  la  fainteté  du  mariage  ;  &  fi 
l'on  n'y  appelle  Jefus-Chrid,  il  n'y  a  plus 
rien  dans  cet  état  que   de  profane  ,   ni 
rien  qui  le  relevé.  Mais  je  dis  plus ,  ôcje 
prétends   qu'il  ne  fufïit  pas  que  Jefus- 
Chrift  y  foit  appelle  par  les  hommes  ,  fi 
l'on  n'y  eft  d'abord  appelle  par  Jefus- 
Chrifl  même  :    c'eft-à  dire  ,  mes  chers 
Auditeurs  ,  que  la  grâce  de  la  vocation 
par  où  Dieu  vous  Tanitifie  pour  entrer 
dans  l'état   du  mariage  ,   doit  précéder 
la  prière,  &  eft  comme  l'invitation  par  où 
vous  voulez  engager  Dieu  à  s'intéreiTer 
dans  la  fainte  alliance  que  vous  contrac- 
tez, &  à  la  bénir  :  prière  inutile,  fans 
cette  vocation  divine.   Mais  fi  c'eft  Dieu 
qui  vous  appelle  ,   &  qu'enfuite   vous 
appelliez  Dieu  ,  voilà  le  modèle  parlait 
6i  la  véritable  idée  d'un  mariage  chré- 
tien. C'eft  auffi  l'importante  matière  dont 
j'entreprends  aujourd'hui  de  vous  entre- 
tenir ;  &  parce  que  je  n'ignore  pas  à  quels 
écueils  mon  (ujet  m'expofe  ,  j'ai  recours 
à    Dieu    Je  m'adrefle  à  lui  comme  le 
Prophète  ,  &  je  lui  demande  qu'il  mette 
une  garde  à  ma  bouche,  &  qu'il  ne  biffe 
pas  prononcer  à  ma   langue  une  parole 
dont  la  malignité  du  (iecle  puiffe  abuler. 
Implorons  encore  le  fecours  &.  Tinter- 
ceiïïon  de  Marie  ,    en  lui  difant  :  Avi 

Cij 


^i  Sur.     L^ÉTAT 

S  Ai  NT  Au^uflln  parlant  du  inarîage' 
dans  un  exctéllent  traité ,  &  rapportant 
tous  les  avantages  &  tous  les  biens  dont 
Dieu  a  pourvu  cet  état  ,  les  réduit  à 
trois  principaux  :  à  l'éducation  des  en- 
fants ,  qui  en  eft  la  fin  ,  à  la  foi  mutuelle 
6l  conjugale ,  qui  en  eft  le  nœud  ,  ôc 
à  la  qualité  de  ce  facrement ,  qui  en  fait 
comme  l'efTence  dans  la  loi  de  grâce  : 
Âugii/:.  Bonum  habcnt  nuptïcz  &  hoc  tripartitum  , 
proies  ,  fides ,  facramentum.  Ce  font  fes 
paroles,  répétées  en  divers  endroits  des 
ouvrages  de  ce  Père.  Et  en  effet ,  c'eft 
r.n  bien  pour  les  hommes,  que  Dieu  par 
î'inftitution  d'un  facrem.ent  ait  établi 
des  alliances  entr'eux ,  &.  qu'il  ait  élevé 
ces  alliances  à  un  ordre  furnaturel,  par 
une  grâce  dont  ils  font  eux-mémiCs  les 
miniftres.  De  plus  ce  n'ell  pas  un  avan- 
tage peu  eftlmable  pour  une  perfonne 
engagée  dans  le  mariage  ,  de  penfer 
qu'une  autre  perfonne  lur  la  terre  lui 
efl  obligée  de  fa  foi,  &  que  ne  lui  étant 
rien  dans  l'ordre  de  la  nature ,  ni  feloa 
la  proximité  du  fang,  elle  ne  laifle  pas 
de  lui  devoir  tout  :  amour  ,  refpecl , 
com.plaifance  j  fidélités  Enfin  je  prétends 
que  c'eft  un  honneur  aux  pères  6c  aux 
mères ,  que  Dieu  les  ait  choifis  pour  lui 
élever  dans  le  mariage  des  enfants ,  c'efl- 
à-dire  ,  des  lerviteurs  dont  il  foit  glo'» 
rlfiç  ,  ôd  des  fujçts  qui  amplifient  (on 
Eglife.  Voilà  donc  trois  grandes  préroga^ 


DU    Mariage.  55 

tives  du  mariage  ;  c'eft  un  facrement, 
c'eit  le  lien  d'une  mutuelle  fociété  ,  c'eft 
une  propagation  légitime  des  enfants  de 
Dieu  :  tout  cela  eft  vrai  ,  Chrétiens  ; 
mais  ne  penfez  pas  que  ce  foient  des 
biens  tellement  gratuits  ,  qu'ils  ne  ibient 
accompagnés  d'aucune  charge  ;  car 
voici  l'idée  que  vous^^vous  en  devez  tor- 
mer  ,  &  que  je  vous  prie  de  comprendre, 
parce  que  j'en  vais  faire  le  partage  de  ce 
difcours.  De  ces  trois  fortes  de  biens 
rcfultent  par  nécefîité  des  devoirs  de 
ccnfcicnce  ce  des  obligations  indifpen- 
fables  à  rem.pHr  dans  le  m.ariage  ,  ce  fera 
la  première  Partie  :  des  peines  très-diffi- 
ciles &  très-iàchcufes  à  fupporter  dans 
le  mariage  ,  ce  fera  la  féconde  ;  &  des 
dangers  extrêmes,  par  rapport  au  faluc, 
à  éviter  dans  le  m^ariage  ,  ce  fera  la  troi- 
fiemie.  Or  je  foutiens  qu'on  ne  peut  ni 
fatisfaire  à  ces  obligations  ,  ni  fupporter 
ces  peines,  ni  fe  préferver  de  ces  dan- 
gers fans  la  grâce  6î.  la  vocation  de  Dieu  ; 
d'où  je  conclus  qu'il  n'y  a  donc  point 
d'état  parmi  les  hommes  où  cette  voca- 
tion divine  foiî  plus  nécedaire.  C'eft  tou.t 
le  fujet  de  l'attention  favorable  que  je 
vous  demande. 

ON  n'en  peut  douter.  Chrétiens  :  à      I. 
confidérer  le  marisge  dans  toute  fon  PaRT. 
étendue,  &fur-to<it  félon  les  trois  qualités 
que  )'ai  marquées  ,  comme  facrement , 
comme  lien  d'une  m.utuelle  fociété,  iSc  par 

C  iij 


54  Sur   l'État 

rapport  aTéducation  des  enfants  dont  îî 
cft  une  propagation  légitime  :  cet  état 
porte  avec  loi  des  obligations  qu'il 
vous  eft  d'une  importance  extrême  de 
bien  connoître  ,  &  que  je  vais  ,  pour 
faîistaire  au  devoir  de  mon  minillere  , 
vous  expliquer. 

C'eft  fans  contredit  un  bien  pour  le 
chriilianifme  ,  &  pour  vous  en  particu- 
lier qui  êtes  appelles  par  la  Providence 
pour  vivre  dans  le  monde  ,  que  le  fils 
de  Dieu  ait  confacré  le  mariage  par 
fon  inftitution  ,  que  non-feulement  le 
mariage  ne  foit  point  un  état  criminel, 
comm.e  l'ont  voulu  faire  pafTer  quelques 
héréciques  ,  ni  une  fociété  purement 
civile,  comme  il  Feft  parmi  les  païens, 
ni  une  fimple  cérém.onie  de  religion , 
comme  il  l'étoit  dans  l'ancienne  loi , 
mais  un  facrement  qui  confère  la  grâce 
de  Jefus-Chrift  ,  établi  pour  fandllfier 
les  âmes  ,  pour  repréfenter  un  de  nos 
plus  grands  myfteres  ,  qui  eft  l'incarna- 
tion du  Verbe  ,  &  pour  en  appliquer  les 
mérites  à  ceux  qui  le  reçoivent  di^ne- 
Zphej.  ment.  Sacramentum  hoc  magnum.  Oui  , 
^'  S'  mes  Frères  ,  difoit  faint  Paul  ,  ce  facre- 
ment eft  grand,  &  je  vous  le  dis  ,  afin 
que  vous  fâchiez  l'avantage  que  poflede 
en  ceci  notre  religion  par-deilus  toutes 
les  autres.  Car  il  n'eft  grand  que  par  le 
rapport  qu'il  a  avec  Jefus-Chrift  notre 
divin  Sauveur  :  il  n'eft  grand  que  dans 
l'EgUfe ,  qui  eft  l'époufe  de  Jefus-Chrift  s 


DU    Mariage.  5c 

U  n'eft  grand  qu«  pour  les  fidèles  qui 
font  les  membres  du  corps  myftique  de 
Jefus  -  Chrirt  ,  c'eft  -  à  -  dire  qu'il  n'eft 
grand  que  pour  vous.  Ego  autem  dico  vo-  Uld* 
bis  in  Chrifto  &  in  E^-leJîa  Tout  cela  eft 
de  la  foi  ;  mais  de  là  que  s'enluit-il  ?  des 
obligations  ,  à  quoi  l'on  fait  bien  peu  de 
rKîf'exion  dans  le  monde  ,  &  que  le  ma- 
riage néanmoins  nous  impofe.  Car  puif- 
que  c'eft  un  facre.-nent  de  la  loi  de  grâ- 
ce ,  il  n'eft  donc  permis  de  s'y  engager 
qu'avec  une  intention  pure  6c  fainte  ;  il 
n'eft  donc  permis  de  le  recevoir  qu'avec 
une  ccnfcience  nette  &  exempte  de  pé- 
ché ;  il  n'eft  donc  permis  d'en  ufer  que 
dans  la  vue  de  Dieu  ,  &  pour  une  fia 
digne  de  Dieu  :  &.  quiconque  manque  à 
ces  devoirs  ,  commet  une  offenfe  qui 
tient  de  la  nature  du  facrilege  ,  parce 
qu'il  profane  un  icicrement.  Préfuppofé 
le  principe  de  la  foi ,  il  n'y  a  rien  en 
toutes  ces  conféquences  qui  ne  foit  évi- 
dent &  inconteftable. 

Mais  encore  une  fois ,  on  ne  penfe 
guère  à  ces  conféquences  dans  le  monde  : 
&  d'oii  vient  qu'on  n'y  penfe  pas,  qu'on 
oublie  dans  ce  facrement  les  règles  de 
piété  que  l'on  garde  &  que  l'on  croit 
devoir  garder  en  recevant  les  autres  ? 
Vous  êtes  les  premiers ,  &  fouvent  même 
les  plus  zélés  à  condamner  un  homme 
qui  entreroit  dans  l'Eglife  &  dans  les 
facrés  ordres  par  des  vues  ou  d'intérêt 
OU  d'ambition.  Vous  ne  voudriez  pas 
C  iv 


56  Su  p.    l' État 

approcher  du  Sacremont  de  nos  autek  . 
fans  vous  être  auparavant  puriïîés  dans 
les  eaux  de  la  pénitence  ,  &  vous  croiriez 
vous  rendre  coupables  en  vous  prélenrant 
su  tribunai  de  la  pénitence  pour  une 
autre  hn  que  d'honorer  Dieu  &  de  vous 
léconciiier  avec  Dieu.  Quand  on  vous 
parle  de  ce  Simon  le  magicien  ,  qui  vic- 
jnanda  aux  Apôtres  ie  facrement  de  Con- 
firmation par  un  motii  de  vaine  gloire^ 
&  quand  on  vous  dit  que  Judas  parut  à 
la  table  de  Jefus  -  Chriit  ,  &  qu'il  y 
communia  dans  une  dirpofition  criminel- 
le 5  vous  réprouvez  l'attentat  de  l'un  & 
de  l'autre.  Or  le  mariage  eil-il  moins 
refpeftable  &  moins  vénérable  en  quali- 
té de  facrement  ?  Le  Sauveur  du  monde 
l'a-t-il  m.oins  inftitué  que  les  autres  facre- 
ments  ?  a-t-ii  moins  de  vertu  pour  don- 
ner la  grâce  que  les  autres  facrements  ? 
contient-il  des  myi^eres  moins  rele\  es 
que  les  autres  facrements  ?  Tout  ce  qui 
fe  dit  des  autres  facrements  pour  les  exal- 
ter &  nous  les  faire  honorer,  ne  con- 
vient-il pas  également  à  celui-ci  ?  &:  par 
conféquent  ne  demande-t-il  pas  par  pro- 
portion ,  des  difpofitions  auiii  parfaites, 
un  motif  aulîi  chrétien  ,  une  pureté  de 
cœur  aulIi  entière ,  un  ufage  aufli  hon- 
nête Si.  auiTi  faint  ? 

Nous  fçavons  tout  cela  dans  la  fpécu- 
lation ,  mais  dans  la  pratique  voici  la 
différence  qu'on  m»et  entre  ce  facrement 
^  les  autres.  Pour    ceux  -  là ,  on  s'y 


'  D  U     M  A  R  I  A  G  E  .  Y!?' 

J5répare  ,  on  y    cherche  Dieu  ,    on  y 
prend  des  fentiments  de  religion ,  &  en 
cela    l'on    agit    chrétiennement  :     m?.is 
eft  -  il  queftian  du  facrement  dent   je 
parle  ,    vous    diriez    que   c'eft    dans  la 
vie  une  chofe  indifférente  &L  toute  pro- 
fane ,  à  laquelle  ni  Dieu  ni  la  religion 
n'ont  point    de  part.    On  fait  un  ma- 
riage  par   des   confidérations  purement 
humaines,  fans  en  avoir  le  moindre  re- 
mords ;  on  le  célèbre  au  pied  de  l'autel 
dans  un  état  a^lael  de  péché  ;  &  quoi- 
que ce  foit  inconteftablement  une  pro- 
fanation facriiege  ,    à  peine  en   a-t-on 
quelque  fcrupuie',  parce  que  la  plupart 
meT.e  ignorent  ce  point  de  conicience. 
Or  fur  cela-,  mes  chers  Auditeurs  ,  cou?.-' 
ment  peut-on  fe  iuftiher  devant  Dieu  ? 
Car  fi  vous  voulez  que  je  vous   en  dé- 
clare ma  penfée,  voilà  un  des  défordres 
les  plus  elTeatiels  qui  régnent  aujour- 
d'hui dans  le  chriftianiime  :  on  n'y  re- 
garde plus ,  ce  femble  ,  le  mariage  com.- 
me  une  chofe  facrée,  mais  com.me  une 
affaire  temporelle  ,  &  comme  une  pure 
négociation.    Qui   eft  -  ce  qui   cen-ulte 
Dieu  pour  embraffer  cet  état  ?  qui  eft-  ce 
qui  confidere   cet  étc-.t   comme  un  état 
de  fainteté  où  Dieu  l'appelle  ?  qui  eft- 
ce  qui  choifit  cet  état  dans  les  vues  de  fa 
prédeftination  éternelle  &  de  fon  falut  } 
Le  dirai -je?    les  païens  même  étcient 
fur  ce  point  plus    reîia^ieux  ,  du  moins 
plus  f^ges  ôc  plus  fenfés.  Si  le  mariage 

Ç  y 


5S  Sur    r  É  t  â  f 

parmi  eux  n'étoit  pas  un  iacrement,  ce 
îi*éroit  pas  non  plus  ,  comme  il  l'eft  de- 
venu parmi  nous  ,  un  trafic  mercenaire  , 
où  l'on  fe  donne  l'un  à  l'autre  ,  non  par 
«ne  inclination  raifonnable  ,  non  par  une 
eftime  honnête  ,  ni  félon  le  mérite  de 
la  perfonne,  mais  félon  fes  revenus  Ôc 
fes  héritages ,  mais  au  prix  de  l'argent 
èi.  de  l'or.  Car  tel  eft  le  nœud  de  prefque 
toutes  les  alliances  ;  c'eft  l'argent  qui 
les  forme  :  d'où  vient  enfuite  ce  dérègle- 
ment fi  commun  ,  qu'après  un  mariage 
contradé  fans  attachement ,  on  fait  ail- 
leurs de  criminels  attachemens  fans  ma- 
riage. Quoi  qu'il  en  foit,  ce  que  nous  ne 
pouvons  aiTez  déplorer  ,  Chrétiens,  c'eft 
que  le  mariage  renfermant  dans  fon 
effence  deux  qualités  ,  celle  de  contrat 
&  celle  de  facrem^ent  ,  on  n'a  d'attention 
que  fur  la  première ,  qui  eft  d'un  ordre 
inférieur ,  &  qu'on  néglige  abfolument 
l'autre  ,  qui  néanmoins  efi  toute  furnatu- 
relle  &  toute  divine.  En  qualité  de  con- 
trat ,  on  y  obferve  toutes  ks  régies  de 
3a  prudence  :  combien  de  traités ,  com- 
lien  de  conférences  Se  d'aiferabiées^ com- 
bien d'articles  &  de  conditions ,  com- 
bien de  précautions  &  de  mefures  ?  Mais 
pour  la  qualité  de  facrement,  ni  réfle- 
xions., ni  préparatifs  :  on  croit  que  tout 
fe  réduit  à  quelques  cérémonies  extérieu- 
res de  l'Eglife  ,  dont  on  s'acquitte  fans 
recueillement  &  fans  efprit  de  religion. 
Or  èft;il  pofîible  qu'un  fièrement  airi^ 


DU    Mariage.'         ^5 

profané ,  vous  attire  de  la  part  de  Dieu 
les  fecours  de  grâces  qu'il  y  a  attachés; 
6i  fi  vous  manquez  de  ces  fecours,  com- 
ment accomplirez-vous  les  obligations 
de  votre  état  ? 

Je  dis  les  obligations  que  vous  impofe 
le  mariage  ,  non-feulement  pris  comme 
facrement,  mais  de  plus  confidéré  comme 
lien  d'une  fociété  mutuelle.  Car  voici  où 
je  prétends  que  font  néceffaires  les  grâ- 
ces de  Dieu  les  plus  puiffantes  &  les  plus 
abondantes.  Vous  Falîez  comprendre. 
Il  ne  s'agit  point  feulement  ici  d'une 
fociété  apparente  ,  mais  d'une  fociété 
de  CŒur  ;  enforte  que  vous  pratiquiez 
à  la  lettre  ce  précepte  de  l'Apôtre  ; 
l'^iri  ,  diligite  uxores  veflras  ,  fie  ut  é*-  ^/^fft 
Chriftus  diUxit  EccUfiam  ;  Vous  ,  maris  ^^'  ^* 
aimez  celles  que  Dieu  vous  a  données 
pour  époufes  ;  &  vous  ,  femmes,  ceux 
que  la  Providence  vous  a  deiKnés  pour 
époux.  La  règle  que  vous  devez  en  cela 
garder ,  eft  de  vous  aimer  l'un  l'autre  , 
comme  Jefus-Chrift  a  aimé  fon  Eglife  : 
Sicut  &  Chriftus  diUxh  Ecclefîam.  Voi- 
là, dis-je  ,  votre  modèle.  Aimez-vous 
d'un  amour  refpedueux,  d'un  amour  fi- 
dèle ,  d'un  amour  officieux  &  condefcen- 
dant,  d'un  amour  confiant  &  durable, 
d'un  amour  chrétien.  Tout  cela,  ce  fonc 
autant  de  devoirs  renfermés  dans  cette 
foi  conjugale  que  vous  vous  êtes  promi- 
le  de  part  &  d'autre  ,  &  qui  vous  a 
^is.  PiepiÇz  garde  :  je  dis  d'un  amour 


60  S  U  R     L*  É  T  A  t 

refpe(9:ueux  ,    parce    qu'une    familiarité 
fans  refpef^  porte  infenfibiement  &  prel- 
qu'infuiilîblemenî  au  mépris.  Je  dis  d'un 
amour  fidèle,   jufqu'à  quitter  pour  un 
époux  ou   pour  un   époufe  ,    père    &i 
mère ,  puifque  c'eft  en  termes  formels 
la  loi  de  Dieu  ;  mais  à  plus  forte  raifon 
jufqu'à    rompre   tout    autre   nœud    qui 
pourroit  attacher  le  cœur  ,  &  à  fe  dé- 
prendre de  tout  autre  objet  qui  pour- 
roit le  partager.  Je  dis  d'un  amour  ofFi- 
cieux  &  condefcendant  ,  qui  prévienne 
les  befoins  ou  qui  les  foulage ,  qui  cc>iii'- 
patiiTe  aux  infirmités,  qui  lie  les  efprits 
6c  qui  maintienne  entre  les  volontés  un 
parfait  accord.   Je  dis  d'un  amour  coni- 
tant  &L  durable,  pour  réfifier  aux  fâcheu- 
fes  humeurs  cjui  le  pourroient  troubler, 
aux  foupçons  &  aux  jaloufies  ,  aux  ani- 
rnofités  &   aux   aigreurs.    Enfin    je    dis 
d'un  amour  chrétien  ,  car  c'eit  ici  que  je 
puis  appliquer,  6i  que  fe  doit  vérifier 
h  parole  de  Saint  Paul ,  que  la  lemnrie 
chrétienr^e  6i  vertueufe  efi  la  fanftifica- 
tion   de   fpn  mari.    C'eft  ce  qu'ont  été 
xes  iiluftres  Frincefîes  qui  ont  fanftifié 
les  empires  en  convertiffant  &  en  fanc- 
tifiant    les    Princes    dont    elles    étoient 
tout  enfemble  ô:  les  époufes  &i  les  Apô- 
tres  :    c'eft  ce   que  vous   devez  être, 
Mefdames  ,  faifant  dans  vos  iamiiles  ce 
que  celles-là  ont  fait  fi  glorieufement  Se 
avec  tant  de  mérite  dan*  les  royaumes  ; 
«lliiiiant  que  ic  plus,  iolide  témoignage 


D  U     M  A  R  I  A  6  E.  ^Z 

que  vous  puiîTiez  donner  à  un  époux , 
d'un  véritable  amour,  ei\  de  le  retirer 
du  vice  6l  de  le  porter  à  Dieu  ;  em- 
ployant à  cela  toute  votre  étude,  y  rap- 
portant tous  vos  vœux ,  tous  vos  confeils, 
tous  vos  foins  ,  &  vous  animant  à  perle- 
vérer  dans  ce  faint  exercice  par  le  beau 
mot  de  Saint  Jérôme  à  Laeta.  Elle  étoit 
fille  d'un  père  idolâtre  ,  mais  que  fou 
époufe  avoit  enfin  réHuit  par  fa  vigilance 
&  p?.r  fa  patience  à  embrailer  la  toi.  Or 
il  talloit  bien  ,  dit  Saint  Jérôme,  que  cela 
fût  alnfi  ;  un  aulli  grand  zèle  que  celui 
de  votre  mère  pour  le  falut  de  fon  mari , 
ne  devoit  point  avoir  d'autre  eiTet.  Et 
pour  moi ,  ajoute  ce  Saint  D-octeur  , 
dans  fon  ftyle  élevé  &  fissuré  ,  je  penfe 
que  ce  Jupiter  mêm.e  qu'adoroient  les 
païens  ,  eût  cru  en  Jefus  -  Chrift  ,  s'il 
eût  vécu  dans  une  fi  fainte  alliance  : 
E^o  puto  ,  etïam  ipfam  Jovern  ,fi  h-ibuiffet  Hleron^ 
lalem  cognaCionem  ,  poiuijje  in  Chnjîum 
cndere.  **S^ 

M^is  par  un  renverfement  que  nous 
ne  déplorerons  jamais  allez ,  mes  chers 
Auditeurs ,  &  dont  peut-être  vous  éprou- 
vez vous  -  mêmes  les  fuites  funeftes , 
qu'arrive-t-il  ?  vous  ne  pouvez  l'ignorer , 
pLiifque  vous  le  voyez  tous  les  jours. 
Cette  fociéié  qui  devoit  faire  Tunion  &  le 
bonheur  des  familles ,  &  en  erre  le  plus 
ferme  apijui  ;  cette  fociété  que  dé- 
voient conferver  .mutuellemenî  entr'eux 
le  mari  «^  i«  femme  comuie  un  des  bit:n$ 


^2  Sur    l'É  t  a  t 

de  leur  état  les  plus  Cilimables ,  à  quoi 
ie  trouve-t-elle  lans  ceffe  expofée  ?  aux 
ruptures  ,  aux  averfions  ,  aux  divifîons  , 
aux  éclats  quelquefois  les  plus   icanda- 
leux  ;  &  cela  pourquoi  ?  parce  que  ni  l'un 
ni  l'autre  ne  veut  contribuer  à  l'entre- 
tenir. Une  femme  eft  entêtée  ,  efl:  capri- 
cieufe  ,    eft   idolâtre   de  fa    perfonne , 
aime  le  jeu  ,  la  dépenfe  ,  les  vains  ajufle- 
ments,  les  compagnies  &  les  divcrtifle- 
ments   du  monde   ;  un  mari  eft  im.pé- 
rieux  ,  efl   jaloux  &  chagrin  ,   eft  em- 
porté &  colère,  aime  fon  pUifir  &  la 
débauche.  Et  parce  qu'ils  ne  voudroient 
pas  fe  faire  la  moindre  violence  ,  l'une 
pour  revenir  de  {qs  entétemens ,  pour 
régler  fes  caprices  ,  pour  mettre  des  bor- 
nes à  fon  jeu ,  à  fes  diiîipations  ,  à  Tes 
vanités ,   à  fon  attachement  au  monde  : 
l'autre  pour  abaiffer  fes  hauteurs  ,  pour 
adoucir  fes  chagrins,  pour  fe  défaire  de 
fes  foupçons  injuftes  6c  de  fes  inquiétu- 
des outrées  6^  mal  fondées,  pour  modé- 
rer fes  emportements  &  pour  fe  retirer 
de   fes  débauches  ;   de  là  viennent  les 
contrariétés  ,  les  plaintes  réciproques  & 
les  murmures,  les  reproches  aigres  & 
amiers  :  on  conçoit  du  dégoût  l'un  pour 
l'autre ,  &  fouvent  enfin  ,  pour  prévenir 
de  plus  grands  défordres ,  on  fe  trouve 
réduit  à  fe  féparer  l'un  de  l'autre.  Divor- 
ces &  féparations,  que  la  loi  des  hom- 
mes   autorife  ,    mais    qui  ne  font    pas 
pour  cçla  toujours  jullifi^s  d^yamPlcu- 


DU      M  A  R  I  A  G  i;  êf 

&  félon  la  loi  de  Dieu  :  divorces  &  ré- 
parations fi  ordinaires  aujourd'hui  dans 
le  monde,  &  que  nous  pouvons  regarder 
comme  la  honte  de  notre  fiecle  ,  fur-touî 
parmi  des  Chrétiens:  divorces  ëcféparar 
tions,  d'où  fuit  prefqu'immanquablement 
la  ruine  des  maifons  les  mieux  établies  , 
&  où  nous  voyons  s'accomplir  à  la  lettre 
cette  parole  de  Jefus-Chrid ,  que  tout 
Royaume  divifé  fera  défolé  :  divorces 
&  féparatiofls  où  vivent  quelquefois 
fans  fcrupule  les  perfonnes  d'ailleurs  les 
plus  adonnées  aux  exercices  de  la  piété, 
ne  fe  fouvenant  pas  que  le  premier  de- 
voir d'une  piété  folide  eft  à  leur  égarcî 
&  autant  qu'il  peut  dépendre  de  leurs, 
foins  ,  de  demeurer  dans  une  fociéîé  que- 
Dieu  lui  -  même  a  form.ée  ou  a  du 
former. 

Et  pourquoi  Ta-t-il  formée  ?  je  l'ai 
dit,  après  Saint  Auguftin  :  pour  une  pro- 
pagation  légitime,  &  pour  l'éducation 
des  enfants.  Troifieme  &  dernier  fond 
des  plus  importantes  &  des  plus  efTen- 
tielies  obligations  du  mariage.  Car  ce 
n'eft  point  affez  de  leur  avoir  donné  la 
naiffjnce,  à  ces  enfants,&  de  les  avoir  mis 
au  monde  ,  il  faut  les  nourrir  ;  ce  n'ef^ 
point  affez  de  les  nourrir  ,  il  faut  les 
pourvoir  ;  ce  n'eft  point  encore  affez  de 
les  pourvoir  feîon  le  monde,  il  faut  les 
inftruire  &  les  élever  félon  le  Chriftia- 
nifi-ne.  De  fournir  à  leur  fubfillance  Si.  à 
l'entretien  d'une  vie  qu'ils  oni  reçue  dQ 


Z4  Sur   l'  É  t  a  t 

vous,  c'eft  ce  que  vous  diâ:3  la  nature  ,, 
&.  â  quoi  il  eCi  peu  néceffaire  de  vous 
porter.  De  penfer  à  leur  établifiement 
temporel,  c'eft  outre  la  nature  ,  ce  qu2 
vous  infpire  fouvent  votre  ambition,  ÔC 
fur  quoi  vous  n'êtes  que  trop  ardents  & 
que  trop  zélés  ;  de  travailler  même  à 
les  perfeclionner  ,  à  cultiver  certains 
talents  qui  peuvent  les  diilinguer  &  les 
avancer  dans  le  monde  ,  c'elt  un  loin 
que  vous  ne  négligez  pas  abiolument, 
éc  de  quoi  plufieurs  s'acquittent  avec 
toute  la  vigilance  convenable.  Non  pas 
qu'il  n'y  ait  de  ces  pères  &  de  ces  mères 
infenlibles  &  durs  ,  qui  tout  occupis 
d'eux  -  m.êmes  ,  fem.blent  méconnoître 
leurs  enfants  ,  ôc  les  lailTent  manquer  des 
lecours  les  plus  néceiTaires  ,  tandis  qu'ils 
ne  rerufent  rien  à  leurs  propres  perfon- 
nes ,  de  tout  ce  qui  peut  contenter  leur 
mondanité  ou  leur  fenfualité  ;  non  pas 
qu'il  n'y  en  ait  à  qui  la  vue  de  leurs 
enfjnts  devient  tellement  infupporrable, 
cu'ils  les  tiennent  de  longues  années 
hors  de  la  mailbn  patern-elle ,  les  ban- 
niflant  en  quelque  manière  de  leur  pré- 
fence,  parce  qu'ils  leur  bleiTen'  les  yeux, 
&  les  abandonnant  à  des  m.ains  étran- 
gères peur  les  conduire  ;  non  pas  qu'il 
n'y  en  ait ,  ainfi  que  ]e  le  dii'ois  dans  le 
dilcours  précédent ,  qui  ne  voulant  ja- 
mais le  défaifir  de  rien  pour  leurs  en- 
fants ,  6c  pour  leur  procurer  des  établif- 
ISemcmj  fortabies  à  leur  condition ,  k^ 


DU    Mariage.  65- 

voicnt  tranquillemtnt  &  impitoyable- 
ment languir  auprès  d'eux  jufques  dans 
un  âge  avancé  ;  &:  les  réduiient  à  la  trifte 
néceîTité  de  pafier  leurs  jours  fans  rang  , 
fans  nom  ,  fans  état  ;  non  pas  qu'il  n'y 
en  ait  qui  dans  un  oubli  entier  de  leurs 
enfants  ,  ou  par  une  molîe  &  aveugle 
cjndefcendance  ,  ne  leur  donnent  micme 
nulle  éducation  pour  le  monde  ,  leur 
perm.ettant  de  vivre  à  leur  gré ,  &  l'es 
livrant ,  pour  ainfi  dire  ,  à  eux-mêmes 
&  à  tous  leUi-5  défauts  naturels.  Quel 
chimip  ,  fi  je  voulois  m'étendre  là-deffus 
&  fur  bien  d'autres  défordres  que  je 
priïe ,  parce  qu'après  tout  ils  font  moins 
importants  &  moins  fréquents  ?  Mais  le 
plus  eOentiel  &  le  plus  com^mun  ,  c'eft. 
d'élever  des  eniants  en  mondains  ^  fans 
les  élever  en  Chrétiens  ;  c'eft  de  veiller 
à  tout  ce  qui  regarde  leur  fortune , 
ôê  de  n'avoir  nulle  vigilance  fur  ce 
qui  concerne  leur  falut  ',  c'eft  de  leur 
infpirer  des  fentiments  conformes  aux 
maximes  &  aux  principes  du  fiecle , 
&i  d'être  peu  en  peine  qu'ils  en  aient 
de  coniorrnes  aux  principes  oL  aux  ma- 
ximes de  l'Evangiie  ;  c'eft  de  ne  leur 
pardonner  rien  dès  qu'il  s'agit  du  boa 
air  du  monde,  des  bonnes  manières  dq 
monde  ,  de  la  fcience  du  m.onde  ,  &:  de 
leur  pardonner  tout  dès  qu'il  ne  s'agit 
que  de  l'innocence  des  miOeurs  Ôc  de  la 
piété.  De  quoi  néanmoins  un  père  &  une 
ïi'iêre  auront- ils  plus  p«irticuiiére>T»en!;  à 


66  Sur    l*État 

repondre  devant  Dieu,  fi  ce  n'ed  de  h 
fan6lification  de  leurs  enfants  ?  Con^me 
c'eft-là  fans  contredit  la  première  de 
toutes  les  affaires  ,  ou  plutôt  comme 
c'ed  l'unique  affaire  ,  c'eil  à  celle -ià 
qu'ils  doivent  être  fpécialement  attentifs 
dans  rinftrudion  des  enfants  dont  ils 
font  chargés  ;  &  par  conféquent  c'eff  à 
eux  de  porter  leurs  enfants  à  Dieu,  6c 
de  les  entretenir  dans  la  crainte  de  Dieu  ; 
à  eux  de  corriger  les  inclinations  vicieu- 
fes  de  leurs  enfants ,  &  de  les  tourner 
de  bonne  heure  à  la  vertu;  à  eux  a'é- 
îoigner  leurs  enfants  &L  de  les  préferver 
de  tout  ce  qui  peut  corroir.pre  leur  cœur , 
domef^iques  déréglés ,  fociétés  dangereu- 
fes  ,  difcours  libertins  ,  fpeitacles  profa- 
nes ,  livres  empeAés  6é  contagieux  ;  à 
eux  de  procurer  à  leurs  enfants  de  faintes 
inftrudiuns  ,  de  leur  donner  eux-mêmes 
d'utiles  confeils,  fur-tout  de  leur  donner 
de  falutaires  exer.^.ples  .  s'étudiûnt  à  ne 
rien  dire  ik  à  ne  rien  faire  en  leur  préien- 
ce  qui  puiiTe  être  un  fujet  de  fcandale 
pour  ces  âmes  fcibles  &  fufceptibleï  de 
toutes  les  impreffions  :  ceci  me  meneroit 
trop  loin  ,  Si  pour  m.énager  le  tem.ps  qui 
m'eft  prefcrit,  jehilTe  un  plus  long  détail. 
Revenons  donc.  Telles  font  ,  mes 
chers  Auditeurs  ,  les  obligations  propres 
de  i'érat  du  mariage  ;  elles  ont  leurs 
difficultés  &  de  grandes  difficultés,  j'en 
conviens  :  mais  de  là  même  qu'ai  -  je 
voulu  conclure  ?  que  Ton  ne  doit  pcJAt 


DU   Mariage.  6^7 

entrer  dans  cet  état  farxS  la  vocation 
divine.  Car  pour  remplir  toutes  ces  obli- 
gations ,  il  faut  une  aiîiftance  Ipéciale  du 
ciel  :  &  ce  lecours ,  Dieu  ne  le  donne 
qu'à  ceux  qu'il  appelle.  Secours  nécef- 
faire,  non- (eulement  pour  acccomplir 
les  obligations  du  mariage  ,  mais  pour 
en  fupporter  les  peines  dont  j'ai  à  vous 
parler  dans  la  féconde  Partie. 

IL  y  a  des  peines  dans  l'état  du  ma-  IL 
riage  ,  &  la  preuve  en  eft  d'autant  PaRT^ 
plus  fenfible  ,  Chrétiens  ,  que  vous  en 
avez  une  expérience  plus  ordinaire.  Pour 
vous  les  repréfenter  ,  je  n'ai  qu'à  fuivre 
toujours  les  mêmes  idées  ,  en  confidé- 
rant  le  mariage  fous  les  mêmes  rapports. 
Ceci  demande ,  s'il  vous  plait ,  une  atten- 
tion toute  nouvelle. 

Je  l'ai  dit,  &  je  le  répète  ;  que  le 
mariage  foit  un  facrem.ent  ,  c'eil  ce  qui 
fait  fon  excellence  &  fa  plus  belle  pré- 
rogative dans  la  loi  de  grâce  ,  mais  c'efè 
cela  m.ême  aufTi  qui  en  tait  la  fervitude  : 
pourquoi  ?  parce  que  c'eft  cette  qualité  de 
facrement  qui  le  rend  indifToluble  &  par 
conféquent  qui  en  fait  un  joug  ,  une  fujé- 
tion ,  comme  un  efclavage  où  Thomme 
renonce  à  fa  liberté.  Si  le  fils  de  Dieu 
avoit  laiffé  le  mariage  dans  l'ordre 
purement  naturel  ,  ce  ne  feroit  qu'une 
fimple  convention ,  plus  rigoureufe  à  la 
vérité  que  toutes  les  autres  dans  fon  enga- 
gement ;  mais  après  tout  qui  pourroit 


'6^  Sur    l*État 

fe  rompre  dans  les  néceffités  extrêmes. 
Et  en  effet,  nous  voyons  que  parmi  les 
païens,  où  les  loix  &  la  jurirprudence 
ont  paru  le  plus  conformes  à  la  raifon 
îiumaine  ,  la  dllTolution  des  mariages 
étoit  autorifée  ;  ils  les  caiToient  iorfque 
des  iujets  importants  le  demandoient 
ainfi  ,  &  ils  renonçoient  aux  alliances 
qu'ils  avoient  contraftées  ,  dès  qu'elles 
leur  devenoient  préjudiciables.  Dieu 
même  dans  l'ancienne  loi  permettoit  aux 
Juifs  de  répudier  leurs  fem.mes  ;  &  quoi- 
qu'il ne  leur  donnât  ce  pouvoir  que  pour 
condefcendre  à  la  dureté  de  leurs  cœurs , 
c'éioit  néanmoins  un  pouvoir  légitime 
dont  il  leur  étoit  libre  d'uTer.  Mais  dans 
l'Eglife  chrétienne,  c'eft-à-dire  depuis 
que  Jefus-Chrifl  a  fait  du  mariage  un 
ûcremient  ,  &  qu'il  lui  en  a  donné  la 
vertu  ,  ce  facrement  porte  avec  foi  un 
caradere  d'im.mutabilité.  EiVil  une  fois 
reconnu  valide  ,  c'ed  pour  toujours  ; 
quand  il  s'agiroit  de  la  confervation  de 
la  vie  ,  quand  des  royaumes  entiers 
devroient  périr,  quand  l'Eglife  univeiielle 
feroit  menacée  de  fa  ruine  ,  &  que  toutes 
les  puiiTances  s'armeroient  contre  elle, 
ce  m.aiiage  fubfiftera  ,  ce  mariage  durera 
jufqu'à  la  mort ,  qui  feule  en  peut  être 
le  terme.  Voilà  ce  que  la  foi  même  nous 
enfeigne. 

Or  c'efl:  ,  Chrétiens  ,  ce  que  j'appelle 

une  fervltude  ,  Si  ce  qui  l'eft  en  effet  : 

'cài  je  vous  demande  j  un  étaf  qui  vous 


DTJ   Mariage:  6$ 

afTujettit ,  fans  favoir  prefque  à  qui  vous 
vous  donnez  ,  &  qui  vous  Ôie  toute 
liberté  de  changer  ,  n'eil  -  ce  pas  en 
quelque  forte  l'état  d'un  efclave  ?  Or  le 
mariage  fait  tout  cela.  Il  vous  engsge  à 
un  autre  que  vous  ,  &  c'eft  ce  qu'il  y  a 
de  plus  eflentiel;  à  un  autre,  dis-je,  qui 
n'avoit  nul  pouvoir  fur  vous ,  mais  de 
qui  vous  dépendez  maintenant ,  &  qui 
s'eft  acquis  un  droit  inaliénable  fur 
votre  peribnne.  Par  le  facerdoce  je  ne 
me  fuis  engagé  qu'à  Dieu  &  à  moi- 
même  ;  à  Dieu  mon  fouverain  maître  ,  à 
qui  i'appartenois  déjà  ;  à  moi-même  ,  qui 
dois  naturellement  me  régir  &  me  con- 
duire :  mais  par  le  mariage  vous  tranf- 
férez  ce  domaine  que  vous  avez  fur  vous- 
même  ,  à  un  certain  étranger  ;  &  ce  qu'il 
y  a  de  plus  difficile  &:  de  plus  héroïque 
dans  la  profeiiion  reîigieufe  ,  devient 
la  première  obligation  de  votre  état. 
Encore  dans  la  religion  ,  je  ne  me  trouve 
pas  engagé  à  telle  perfcnne  en  parti- 
culier; ce  n'^ft  précisément  &  pour  tou- 
jours ,  ni  à  celui-ci,  ni  à  Â^ui-là, 
mais  tantôt  à  l'un  &  tantôt  a  l'autre  , 
ce  qui  doit  infiniment  adoucir  le  joug* 
Au  lieu  que  dans  le  mariage ,  votre  enga- 
gement efl  perpétuel  pour  celui-là  & 
pour  celle-ci.  Si  la  perfonne  vous  agrée , 
&  qu'elle  foit  félon  votre  cœur ,  c'elt  un 
bien  pour  vous  :  mais  fi  ce  mari  ne  pl-aïc 
pas  à  cette  femme  ,  fi  cette  femme  ne 
revient  pas  à  ce  mari ,  ils  n'en  font  pa^ 


ifô  Sur   l'État 

inoins  liés  enfemble  ,  &  quel  fuppllce 
qu'une  femblable  union  1 

A  quoi  j'ajoute  ,  mes  Frères  ,  une 
ïîouvelle  différence  ,  mais  bien  remar- 
quable entre  nos  deux  conditions.  C'eil 
que  pour  Tétat  religieux  il  y  a  un  novi- 
ciat &  un  temps  d'épreuve  ,  &  qu'il  n'y 
en  a  point  pour  le  mariage.  De  tous  les 
états  de  la  vie  ,  dit  faint  Jérôme  ,  le 
snariage  eft  celui  qui  devroit  le  plus  être 
de  notre  choix ,  &  c'eft  celui  qui  l'eft 
le  moins.  Vous  vous  engagez  ,  6c  vous 
ne  favez  à  qui  ;  car  vous  ne  connoiflez 
jamais  l'efprit ,  le  naturel ,  les  qualités  du 
fujet  avec  qui  vous  faites  une  alliance  fl 
étroite  ,  qu'après  votre  parole  donnée  , 
&lorfqu'il  n'eftplUs temps  delà  repren- 
dre. Maintenant  que  ce  jeune  homme 
vous  recherche ,  il  n'a  que  des  complai- 
fances  pour  vous  ,  il  n'a  que  des  appa- 
rences de  douceur,  de  modération,  de 
vertu  :  mais  dès  que  le  nœud  fer-i  formé  , 
vous  apprendrezbientôt  ce  qu'il  eft  ;  vous 
verrez  luccéder  à  cette  douceur  feinte, 
des  emp5j|tements  &  des  colères,  à  cette 
jTiodération  affe^lée  des  brufqueries  ôc 
des  violences,  à  cette  vertu  hypocrite  des 
débauches  6c  des  excès.  Maintenant  que 
cette  jeune  perfonne  eft  fans  étiblif- 
femiCnt ,  6c  que  vous  lui  paroiiTez  un 
parti  convenable  ,  elle  fait  fe  compofer 
^  fe  contrefaire  :  mais  quand  une  fois 
.  elle  n'aura  plus  tant  de  ménagements  à 
prendre ,  ni  tant  d'intérêt  à  vous  plaire. 


DU  Mariage,'  7^ 

vous  en  éprouverez  bientôt  les  caprices, 
les  bizarreries  ,  les  entêtements,  les  hau- 
teurs. Quoi  que  vous  faiTiez  &  de  quel- 
que diligence  que  vous  ufiez  ,  il  en  faut 
courir  le  hafard.  Ce  qui  faifoit  dire  à 
Salomon ,  que  pour  les  biens  &  richelTes, 
c'eft  de  nos  parents  que  nous  les  rece- 
vons ;  mais  qu'une  femme  fage  6c  ver- 
tueufe  ,  il  n'y  a  que  Dieu  qui  la  donne  : 
Divitiœ  dantur  à  pcircntibus  y  à  Domino  Prov'i 
autem  uxor  prudens»  c»  ty. 

Concevez  donc  bien  ,  mes  chers 
Auditeurs  ,  ce  que  c'eft  qu'un  tel  enga- 
gement ou  qu'une  telle  f-îrvitude  pour 
toute  la  vie  &  fans  retour.  Il  n'y  a  point 
de  vœu  fi  folemnel  dont  l'Eglife  ne  puliTe 
difpenfer  :  mais  à  l'égard  du  mariage  ,  • 
elle  a  ,  pour  ainfi  dire  ,  les  mains  liées  , 
&  fon  pouvoir  ne  s'étend  point  jufques- 
là.  Engagement  qui  parut  aux  Apôtres 
même  d'une  telle  conféquence  ,  que 
pour  cela  feul  ils  conclurent  qu'il  étoit 
donc  bien  plus  à  propos  de  demeurer 
dans  le  célibat  :  Si  ita  efl  caufa  hominis  Matthi 
cum  uxore ,  non  expedit  nubere.  Et  que  f.  'p» 
leur  répondit  là-deiTus  le  fils  de  Dieu  ? 
condiimna-t-il  ce  fentimentfi  peu  favo- 
rable au  mariage  ?  Il  l'approuva,  il  le 
confirma,  il  les  télicita  d'avoir  compris 
ce  que  tant  d'autres  ne  comprenoient 
pas  :  Non  omnes  capiunt  vcrbum  iflud.  Ihliçmi 
Pourquoi  cela ,  parce  qu'il  favoit  com- 
bien en  effet  ce  fac rement  feroit  un 
fUÙS  %dçâw  pour  la  plupart  dç  çç^^t  qu| 


yi  Sur    l'État 

le  dévoient  recevoir.  Ce  que  je  vous  dii 
au  refte  ,  Chrétiens  ,  n'eft  point  tant 
pour  vous  en  donner  de  Thorreur ,  que 
pour  vous  faire  fentir  à  quel  point  raffif- 
tance  divine  vous  eft  néceilaire  dans  le 
mariage  ,  6c  de  quelle  importance  il  eu  de 
ne  s'y  pas  engager  fans  le  gré  de  Dieu. 
Ah  1  combien  en  a-t-on  vu  &  com- 
bien en  voit-on  de  nos  jours  fuccomber 
fous  ce  joug  pelant  ,  ou  ne  le  traîner 
qu'avec  peine  ,  Si  en  déplorant  mille  fois 
leur  infortune  ?  combien  de  malheureux 
cans  le  monde  &  dans  toutes  les  con- 
tlitions  du  monde  ,  paroilTent  contents 
?.u  dehors  y  mais  gémiUent  en  fecret  de 
l'efclavage  où  ils  fe  trouvent  réduits  ? 
D'autant  plus  à  plaindre,  fi  j'ofe  parler 
de  la  Ibrte  ,  qu'ils  ont  moins  de  droit 
eux-mêmes  de  fe  plaindre.  Car  qui  les  a 
chargés  de  ces  fers  dont  la  pefanteur  les 
accable  ?  Eft-ce  Dieu  ,  qu'ils  n'ont  pas 
confuhé  ?  n'eft-ce  pas  eux-mêmes  ?  Et 
comment  iroient-ils  au  pied  de  l'autel  , 
pour  fe  confoier  avec  le  Seigneur,  lui 
dire  :  Soutenez-moi  ,  mon  Dieu  ,  ou 
brifez  ma  chaîne,  ou  du  moins  aidez-moi 
L  la  porter.  Qu'auroit-il  de  fa  part  à  leur 
faire  entendre  t  Ce  n'eft  point  moi  qui 
l'ai  formé  ,  ce  Hen  ;  je  n'ai  point  été 
votre  confeil  ,  rien  ne  m'engage  à 
ilevenir  votre  appui,  ni  à  foulager  votre 
douleur. 

.  Ce  qui  la  redouble  &  ce  qui  la  doit 
rendre  encore  plus  viv  e,  ç'çll  cette  fociété 

dont 


D  V     M  A  R 1  A  G  E,  '7% 

dont  le  mariage  eft  le  nœud.  Car 
quoique  la  fociété  prife  en  elle-même 
ait  toujours  été  regardée  comme  un 
bien  ,  toutefois  par  l'extrême  difficulté 
de  trouver  des  efprits  qui  s'accordent 
enfemble  &  qui  fe  conviennent  mutuel-» 
lement  Tun  à  l'autre  ,  on  peut  dire  que 
la  folitude  lui  eft  communément  préte- 
rable.  Nous  avons  de  la  peine  à  nous 
fouffrir  nous-mêmes  :  un  autre  nous 
fera-t-il  plus  aifé  à  fupporter  i  Je  ne 
parle  point  de  mille  affaires  chagrinantes 
qu'attire  la  ibciété  &  la  communauté  des 
mariages  ;  ce  ne  font  que  les  accidents 
àe  votre  état,  mais  des  accidents  après 
tout  [i  ordinaires  ,  que  les  mariages 
ir.ême  des  Princes  &L  des  Rois  n'en 
font  pas  exempts.  Je  m'arrête  à  la  feule 
diverfité  d'humeurs  qui  fe  rencontre 
fouvent  entre  une  femme  &  un  mari. 
Quelle  croix  &  quelle  épreuve  !  quel  fujet 
ds  mortidcation  &  de  patience  1  un  mari 
Cage  &  modefte  avec  une  femme  volage 
&  diilîpée  ,  une  femme  régulière  6c 
vertueufe  avec  un  mari  libertin  &  impie  : 
de  tant  de  mariages  qui  fe  contractent 
tous  les  jours,  com.bien  en  voit-on  où  fe 
trouve  la  fympathie  des  cœurs  ?  6c  s'il  y 
a  de  l'antipathie  ,  eit-il  un  plus  cruel 
martyre  ?  Du  moins  fi  l'on  favoit  par  là 
fe  fanéiifier ,  Ci  Ton  portoit  fa  croix  en 
Chrétien  ,  &  que  d'une  trifte  néceflité 
on  fe  fit  une  vertu  &  un  mérite  ;  mais 
,ÇÊ  qu'il  y  a  de  bien  déplorable  ,  c'eft  que 
pominy  TQmçIp  D 


'74  Sur  l*État 

ces  peines  domeftiques  ne  fervent  eiî'-^ 
core  qu'à  vous  éloigner  davantage  de 
Dieu  éc  qu*à  vous  rendre  plus  criminels 
devant  Dieu.  On  cherche  à  fe  dédom-? 
fnager  au  dehors  ;  on  trouve  ailleurs  Tes 
inclinations,  &  à  quels  délordres  ne  fe 
laifTe-t-on  pas  entraîner  ?  Du  refte , 
quelles  animofités  &c  quelles  averfions 
ne  nourrit-on  pas  dans  l'ame  ?  en  quelles 
plaintes  &  en  quels  murmures  ,  en 
quelles  défolatiotis  &  en  quels  défefpoirs 
les  années  s'écoulent-elles  ?  On  demeure 
dans  ces  dirpofitions  jufqu'à  la  mort  , 
&  comme  difoit  faint  Bernard ,  on  ne 
fait  que  pafler  d'un  enfer  à  un  autre 
enfer ,  d'un  enfer  de  péché  &  de  crime 
à  un  enfer  de  peine  Si  de  châtiment , 
de  l'enfer  du  mariage  au  véritable  enfer, 
des  démons. 

Ce  font  là,  dites-vous ,  des  extrémités; 
il  eft  vrai  :  mais  extrémités ,  tant  qu'il 
vous  plaira  ,  rien  n'eft  plus  commun 
dans  l'état  du  mariage  ;  &  n'eft-ce  pas 
cela  même  qui  nous  en  doit  mieux  faire 
connoitre  la  pefanteur  ,  qu'on  y  foit  fi 
fouvent  réduit  à  dû  pareilles  extrémités  ? 
Si  cet  état  étoit  pour  vous  de  l'ordre  de 
Dieu,  fi  vous  ne  l'aviez  pas  choifi  vous- 
même  ,  ou  que  vous  ne  l'eufllez  pris  que 
par  la  vocation  de  Dieu ,  que  dans  les 
vues  de  Dieu,  que  fous  la  conduite  de 
Dieu  ,  fa  grâce  vous  l'adouciroit ,  &  fa 
providence  ne  vous  raanqueroit  pas  au 
béCoin  :  il  vous  auroitadreflée,  comme 


Dtr   Mariage.  7^ 

Refeecca ,  à  i'époux  qui  vous  étoit  deftiné 
éc  qui  vous  convenoit  :  il  donneroit  à 
vos  paroles  une  efficace  ,  &  à  vos  foins 
une  bénédiction  toute  particulière  ,  pour 
rendre  ce  mari  plus  traitable  ,  pour 
fixer  fes  légèretés  ,  pour  arrêter  fes 
emportements  ,  pour  le  tirer  de  fes 
débauches  ,  pour  calmer  fes  inquiétudes 
&  dilîiper  fes  jaloufies  :  du  moins  dans, 
les  ennuis  &  les  dégoiàts  ,  dans  les 
rebuts  &  les  mépris  ,  dans  les  contra- 
diélions  &  les  chagrins  où  vous  vous 
trouvez  expofée  ,  il  vous  revêtiroit 
d'une  force  divine  pour  les  fupporter, 
&  par  fon  onclion  intérieure  il  fauroit 
bien  ,  lors  même  que  tout  feroit  en 
trouble  au  dehors ,  vous  faire  goûter  dans 
le  fond  de  l'ame  les  douceurs  d'une  fainte 
paix.  Mais  parce  que  de  vous-même  &C 
en  aveugle  ,  vous  vous  êtes,  pour  ainfi 
parler  ,  jetée  dans  les  fers ,  il  vous  en 
iaifie  porter  tout  le  poids;  c'eft- à-dire, 
&  vous  ne  le  favez  que  trop(,  qu'il 
vous  laiffe  porter  tous  les  caprices  d'un 
mari  bizarre  ,  toutes  les  hiuteurs  d'un 
rnari  impétueux ,  toutes  les  brufqueries 
d'un  mari  violent,  toutes  les  épargnes 
d'un  mari  avare  ,  toutes  les  diffipations 
d'un  mari  prodigue  ,  tous  les  dédains 
d'un  mari  peu  affectionné  &  indifférent, 
toutes  les  folles  &  chimériques  imagi- 
nations d'un  mari  jaloux  :  il  permet  que 
vous-même  ,  au  lieu  de  chercher  dans 
^oue  patience  Ôcçndefages  ménagement^ 

D  ï) 


«76  Sur   l'État 

le  remède  aux  maux  qui  vous  affligent î 
vous  les  augmentiez  i  que  vous-même 
vous  deveniez  une  femme  vame  ,  une 
femme  indifcrette,  une  femme  mondame 
&  diffipée  ,  une  femme  obftmee  6C 
opiniâtre  ;  que  vous-même  vous  ayiez 
vos  variations  &  vos  inconftances ,  vos 
aiereurs  &  vos  fiertés  ,  vos  vivacités 
&  vos  colères  ;  que  lun  &  l'autre 
vous  ne  ferviez  qu'à  exciter  le  ieu  de  la 
difcorde  &  qu'à  rendre  votre  condition 
plus  malheureufe. 

Encore  fi  l'on  en  étoit  quitte  a  ce  prix  : 
mais  une  troifieme  fource  de  peines  dans 
le   mariage  ,   &  j'ofe  dire  une   fource 
prefqu'inépuifable  ,  c'eft  Féducation  des 
enfants.   Un  enfant  fage,  dit  Salomon , 
fait  la  joie  de  fon    père  ,    &  celui  au 
contraire  qui  a  l'efprit  mal  tourne ,  eit 
un  fujet  de  douleuf  &  de  trifleffe  pour 
Proy.  fa  mère  :  FiUus  fapUns  Utificat  patnm  ; 
'*'<>' films   verb   Jlultus ,    mapia    efl   matns 
fua.  -  Mais  fans  altérer  en  aucune  forte  la 
parole  du  S.  Efprit,  je  puis  ajouter  dans 
un  autre  fens ,  que  des  enfants  a  élever, 
foit   qu'ils  foleat  réglés   ou  qu  ils  ne  le 
foient   pas  ,    font    communément  pour 
des  pères  &  pour  des  mères  un  lourd 
fardeau  ^  une  croix  bien  pefante.    3e 
ne  parle  point  des  foins  que  demande 
une   première   enfance  fu]ette   a  mille 
foibleffes  auxquelles  il  faut  condefcendre, 
àmille  befoins  auxquels  il  faut  tourmr  ,  a 
wille  accidents  fur  lefquels  il  taut  veiller. 


DU   Mariage.  77 

Suppofons-les  dans  un  âge  plus  avancé , 
&  dans  ce  temps  où  ils  commencent 
proprement  à  fe  faire  connoître  ,  ou 
par  leurs  bonnes  ,  ou  par  leurs  mau- 
vaifes  qualités.  Que  ce  foient,  ii  VOU$ 
le  voulez  ,  des  enfants  bien  nés  ,  & 
qui  donnent  pour  l'avenir  les  plus  heu- 
leufes  efpérances  ;  que  ce  foient  de  bons 
fujets  ,  fur  qui  dans  la  fuite  on  puiffe 
compter ,  j'y  confens  :  mais  eft-on  pour 
cela  en  état  de  les  pourvoir  &  de  les 
avancer  ?  eft-on  pour  cela  certain  de  ne 
les  pas  perdre  &  de  les  conferver  ?  Quel 
amer  déboire,  par  exemple,  &  quelle 
défolation  de  fe  voir  chargé  d'une  nom- 
breufe  tamille ,  &  de  manquer  des  moyens 
nécelTdires  pour  l'établir  ;  d'avoir  des 
enfcints  capables  de  tout,  &  de  ne  pou- 
voir les  pouffer  à  rien  ,  d'être  obligé  de 
les  lailTer  dans  une  oifiveté  forcée  où 
ils  paflent  triftement  leurs  jours ,  &  dans 
«ne  obfcurité  où  leur  naiffance  ,  leur 
lîom  ,  leur  mérite  perfonnel  demeurent 
enfevelis  ?  quel  regret  ,  quel  acca- 
blement ,  lorfqu'un  accident  imprévu  , 
qu'une  mort  inopinée  vient  tout  à 
coup  à  enlever  des  enfants  qu'on  aimoit 
&  lur  qui  l'on  faifoit  fonds ,  à  qui  l'on 
avoit  d'amples  héritages  ,  de  grands 
titres  à  tranfmettre  ,  &  qui  dévoient 
être  le  foutien  d'une  maifon ,  laquelle 
tombe  avec  eux  ,  ou  va  bientôt  après 
eux  tomber  !  Or  vous  le  favez  ,  fi  ce 
iont  là  dans  le  monde  des  événements 

P  iij 


j2  Sur    l'État 

rares ,  dont  on  ne  puiffe  tirer  nulle  con- 
féquence,  &  vous  n'ignorez  pas  ce  qu'une 
expérience  fi  commune  vous  a  là-deiTus 
appris  &  vous  apprend  tous  les  jours. 

Mais  ce  que  vous  favez  encore  mieux, 
parce  qu'il  eft  encore  plus  commun  , 
c*eft  ce  qu'il  en  coûte  à  des  pères  &  à 
des  mères  pour  élever  des  entants  indo- 
ciles ,  pour  redreffer  des  entants  mal 
nés  ,  pour  foutenir  des  enfants  fans  génie 
&  fans  talent ,  pour  gngner  des  enfants 
ingrats  &  fans  naturel,  pour  ram.ener  à 
leur  devoir  des  enfants  égarés  6c  aban- 
donnés à  leurs  paiTions ,  des  enfants  déré- 
glés &  débauchés,  prodigues  &  diinpa- 
teurs.  N'eft-ce  pas  là  de  quoi  les  familles 
font  remplies  ?  &  qu'y  a-t-il  de  plus  ordi- 
naire ?  Je  dis  des  enfants  indociles  ,  des 
enfants  toujours  prêts  à  fe  révolter  contra 
les  fages  remontrances  qu'on  leur  fait  ÔC 
les  falutaires  enfeignements  qu'on  leur 
donne  :  des  enfants  mal  nés ,  que  toutes 
leurs  inclinations  tournent  au  vice ,  6c 
a  qui  on  ne  peut  infpirer  nul  fentiment 
de  chrifiianifme  ni  même  d'honneur  ; 
des  enfants  fans  génie  ,  qu'on  vou- 
droit  former ,  afin  de  les  avancer  ,  mais 
auprès  de  qui  tous  les  foins  qu'on 
prend  deviennent  inutiles  ,  par  le  peu  de 
difpofition  qu'on  y  trouve  ;  des  enfants 
ingrats  ,  qui  ne  fentent  rien  de  ce  qu'on 
fait  pour  eux  ,  &  dont  on  ne  reçoit  point 
d'autre  reconnoifl'ance  que  mille  déplai- 
iirs,  d'amant  plus  piquants  3  qu'on  avcit 


DU   Maria  g  e.  79 

moins  lieu  de  les  attendre  ;  des  enfants 
volages  &  inconfidérés  ,  qu'une  aveugle 
précipitation  engage  en  de  continuelles 
6c  iacheufes  affaires  ;  déréglés  &  dé- 
bauchés, que  la  pafTion  porte  à  des  dé- 
fordres  qui  les  décrient  dans  le  monde  ^ 
6c  dont  l'infamie  rejaillit  fur  ceux  à  qui 
ils  appartiennent  ;  prodigues  &  diffipa- 
teurs ,  qui  pour  fournir  à  des  dépenfes 
exceffives ,  e.ir.pruntent  de  toutes  parts 
&i  à  toutes  conditions ,  fans  être  en  peine 
de  l'avenir  &  fans  en  prévoir  les  funefhes 
fuiies.  Qu'eR-il  befoin  que  je  m'étende 
fur  cela  davantage  ,  &  que  vous  dirai- 
je  dont  vous  ne  foyez  mieux  inftruits 
que  moi  ?  N'eft  -  ce  pas  là  ,  pères  6c 
îneres  ,  ce  qui  vous  fait  tant  gémir  ? 
n'efl-ce  pas  ce  qui  vous  plonge  en  de  fi 
profondes  mélancolies ,  ou  ce  qui  vous 
jette  en  de  fi  violents  tranfports  ?  n'eft-ce 
pas  ce  qui  vous  déchire  le  cœur^  &  ce 
qui  vous  fait  dire  en  tant  d'occafions 
ce  que  difoit  cette  mère  de  Jacob  & 
d'Efali  :  Si  fie  mïhï  futurum  erat  ,  quïd  Geief, 
mceffe  fuit  conciperc?  Si  ce  font  là  les  f. -J* 
fruits  du  mariage,  ne  vaudroit-il  pas 
mieux  pour  moi  n'y  avoir  jamais  pen- 
fé  ?  Heureux  l'état ,  où  libre  &  dégagé 
de  tout  autre  foin,  l'on  n'eft  chargé 
que  de  foi-même  !  Vous  le  dites ,  mon 
cher  Auditeur  ,  &  ce  n'eft  pas  fans  fujet  ; 
mais  voici  ce  qui  eft  encore  plus  vrai , 
6c  ce  qu'il  faudroit  encore  plutôt  vous 
dire  &  vous  reprocher  devant  Dieu  ;  auç 

D  iv^       '    ' 


9a  Sur    L* État 

vous  ne  deviez  donc  pas  vous  détermi- 
ner û  vite  à  un  choix  dont  les  confé- 
quences  étoient  tant  à  craindre  ;  que 
vous  deviez  piendre  avec  Dieu  de  jufîes 
fnefures  ,  le  confulter  immédiatement 
lui-même  par  la  prière  ,  &  confulter 
fes  Minières  ,  qu'il  a  établis  pour  être 
les  interprètes  de  fes  volontés  ;  que 
TOUS  deviez  pefer  mûrement  les  chofes, 
lîon  félon  les  fauffes  maximes  du  mon- 
de ,  mais  dans  la  balance  de  l'Evangile 
,  &  au  poids  du  San6^uaire  ;  que  vous  ne 
deviez  rien  omettre  enfin  avant  que 
cl'embrafTer  Tétat  du  mariage  ,  pour 
bien  connoître  &  fes  obligations  &  (es 
peines  ,  &  en  dernier  lieu  fes  dangers, 
dont  j*ai  à  vous  entretenir  dans  la  ttoi* 
fieme  Partie. 

jTT    'T^Outes  les  conditions  de  la  vîe  ont 
Part  leurs  dangers  ,  je  dis  leurs  dangers 

'par  rapport  au  falut  ;  non-feulement  dan- 
gers communs  ,  mais  dangers  particuliers 
&  propres  de  chaque  état.  La  folitude 
même  n'en  eft  pas  exempte  ,  &  les 
anachorètes  ont  eu  à  combattre  pour 
mettre  à  couvert  leur  innocence ,  &  pour 
fe  détendre  des  attaques  où  ils  ont  été 
expofés.  Encore  n'y  ont-ils  pas  toujours 
réuffi  ;  &.  combien  de  fois  l'Eglife  a- 
t-elle  vu  fes  plus  brillantes  lumières  s'é- 
teindre, &  pleuré  la  chute  de  ceux  qu'elle 
fe  propofoit  de  mettre  un  jour  au  rang 
«e  fes  Saints  ?  Mais  du  reile  ,  félon  le 


D  U     M  A  R  l  A  G  e;  8l; 

fentiment  univerfel  des  Pères  &  des 
Maîtx-es  de  la  morale ,  s'il  y  a  par-tout 
des  dangers  ,  on  peut  dire  qu'un  des 
états  les  plus  dangereux  ,  c'eft  le  ma- 
riage. En  voici  la  preuve  :  parce  que 
dans  le  mariage  il  faut  concilier  âes 
chofes  dont  l'accord  eft  très  -  difficile , 
qui  ne  fe  trouvent  prefque  jamais  en- 
femble ,  qui  dans  l'eftime  commune  des 
hommes  paroiffent  incompatibles  ,  & 
fans^  lefquelles  néanmoins  il  n'eft  pas 
poiTible  d'être  fauve.  Car  il  s'agir  d'ac- 
corder la  licence  conjugale  avec  la  con- 
tinence &  la  chafleté ,  une  véritable  6c 
intime  amitié  pour  la.  créature  avec 
une  fidélité  inviolable  pour  le  Créateur, 
un  foin  exaft  &  vigilant  des  affaires 
temporelles  ,  avec  un  détachement  d'ef- 
prit  &  un  dégagement  intérieur  des 
.tiens  de  la  terre.  Tout  cela,  fur  quoi 
fondé  ?^  toujours  furies  mêmes  qualités 
du  mariage  ,  qui  fervent  de  fond  à  tout 
ce  difcours. 

^  Prenez  garde  en  effet ,  Chrétiens  ; 
s  il  y  a  quelque  chofe  qui  rend  l'incon- 
tmence  des  mariages  plus  criminelle  de- 
vant Dieu ,  c'eft  la  dignité  du  Sacrement  ; 
&  cependant  rien  de  plus  fujet  que  le 
mariage  aux  excès  d'une  paffion  fans  rè- 
gle &  fans  retenue.  Qu'eft-ce  qui  porte 
plus  fortement  une  femme  Sl  qui  l'o- 
blige même  à  prendre  avec  plus  de  zèle 
^  tous  les  intérêts  d'un  mari ,  &  à  cher- 
cher les  moyens  de  lui  plaire  ?  n'eft-ce 

D  V 


Si  S  U  R     L'  É  T  A  T 

par  cette  étroite  fociété  qu'il  doit  y  avoir 
entre  l'un  &  l'autre  ?  Mais  n'eft-ce  pas 
aufïï  d'ailleurs  ce  méire  zèle  pour  un 
époux,  cette  même  attache  qui  la  me: 
dans  un  péril  évident  d'abandonner  en 
mille  rencontres  les  intérêts  de  Dieu  , 
&  de  déplaire  à  Dieu  ?  Enfin  ,  il  t'aut 
qu'un  père  &  une  m.ere  aient  de  la  vigi- 
lance &  du  foin  pour  établir  leur  m.ai- 
fon  ,  &  fans  cela  ils  ne  latisfont  pas  ?n 
devoir  de  leur  conicience  ,  puiiqu'i's 
font  les  tuteurs  de  leurs  enfants  ,  C<. 
qu'après  leur  avoir  donné  la  vie  ,  ils 
leur  doivent  encore  l'entretien  &  l'édu- 
cation. Or  dites-moi  fi  cette  vigilance  , 
fi  ce  foin  d'établir  une  famille  ,  de  placer 
àes  entants^  de  leur  laifler  un  liérit:,ge 
qui  leur  convienne  Ôc  qui  puiiïe  les  ma'-n- 
îenir  dans  la  condition  où  ils  font  nés, 
n'eft  pas  la  plus  dangereufe  de  toutes  les 
tentations  ;  fi  ce  n'eft  pas  le  prétexte  le 
plus  fpécieux  &  le  plus  fubtil  pour  au- 
îorifer  en  apparence  toutes  les  injufîices 
que  fuggere  une  avare  cupidité ,  &:  pr.r 
conféquent  fi  ce  n'eft  pas  une  occafion 
continuelle  Se  toujours  préfente  de  fe 
perdre  ?  Reprenons:  &  vous  ,mies  chers 
Auditeurs,  que  votre  étatexpofe  à  tart 
de  périls  ,  ouvrez  au  moins  les  yetîc 
pour  les  appercevoir  &  pour  apprendre 
à  vous  en  préferver. 

Le  premier  ,  c'eft  Tincontinence  des 
mariages  :  le  m.'en  tiens  à  cette  parole , 
&  ce  n'eft  méiTie  qu'avec  peine' que  5*3 


DU   Mariage.  B% 

l'ai  k'iiïée  échapper.  Saint  Jérôme  écri- 
vant à  une  Vierge  ,  &  l'initriiifant  des 
devoirs  du  célibat  où  elle  faifoit  pro- 
feffion  de  vivre  ,  ne  craignoit  point 
de  s'exprimer  en  certains  termes  dont 
elle  pouvoit  être  bleuée  :  pourquoi  ? 
C'eft ,  lui  difoit  ce  faint  Dodeur ,  que 
j'aime  mieux  me  mettre  au  hafard  de 
vous  parler  avec  un  peu  miolns  de  ré- 
ferve ,  que  de  vous  cacher  des  vérités 
qui  concernent  votre  lalut  :  MjIo  vsrc-  HUron\ 
eundiâ  periclïtari  ,  <juàm  veritate.  Peut- 
être  avoit-il  raifon  de  s'expliquer  delà 
forte  dans  une  lettre  :  mais  ici,  Chré- 
tiens ,  dans  cette  chaire  évangélique  ,  je 
dois  fans  altérer  la  vérité  ufer  de  la  fage 
précaution  que  demande  la  dignité  de 
mon  miniftere.  Vous  favez  ce  que  la 
Loi  chrétienne  vous  ordonne  -  &1  ce  ' 
qu'elle  vous  défend  ;  ou  fi  vous  ne  le 
favez  pas  ,  tout  ce  que  je  puis  vous 
dire  ,  c'eft  qu'il  vous  efl:  d'une  extrême 
importance  de  vous  en  inftruire ,  puif- 
qu'il  y  va  de  votre  falut  ;  c'eft  "que  le 
mariage  eft  un  état  de  chafteté  Ôc  de 
continence,  aufli  -  bien  que  le- célibat'', 
quelque  différence  qu'il  y  ait  d'ailleurs 
entre  l'un  &  Tautre  ;  c'eiï  qu'il  y  a  dans 
le  mariage  des  lois  établies  de  Dieu, 
&  qu'il  n'eft  pas  permis  de  tranfgreffer* 
c'eft  que  tous  lès  défordres  qui  s'y'  c^Dm- 
mettent,  bien-loin  d'être  excUfés  &  ëii 
quelque-manière  juftiiiés  par  le  Sacré"-» 
cient  ,  tirant  dé  ik^'inêmQ  iine  malice 

D  vj 


^4  Sur   l'État 

<Scunecîifforrriité  toute  particulière  ;  c'eii 
.^ue  vous  avez  fur  cela  une  confcience 
^uil  faut  écouter  &  qui  vous  jugera 
Rêvant  Dieu  ;  enfin  ,  félon  la  penfée  de 
^aint  Jérôme  ,  c'eft  que  de  trois  efpeces 
<le  chafteté  ,  favoir  celle  de  la  virginité, 
celle  de  la  viduité  &  celle  du  mariage, 
ia  chafteté  conjugale  ,  quoique  la  plus 
imparfaite  ,  eft  néanmoins  la  plus  diffi- 
cile :   pourquoi  ?   parce   qu'il  eft   bien 

^'  UA^'^^  '    ^'^   ^^  ^^^"^  Doaeur,  de 
sabttenir  entièrement,  que  de  fe  mo- 
dérer ,  Si  de  renoncer  abfolument  à  la 
chair,  qui   eft  votre    ennemi  domefti- 
que  ,  que  de  lui  prefcrire  des  bornes  Se 
ce  ia  réprimer  :  la  virginité,  ajoute  le 
même  Père  ,  en  fe  confervant ,  triomphe 
prefque  fans  combats  ;  à  peine  connoît- 
eile  le  danger ,  parce  qu'elle  le  fuit  Se 
qu  elle  s'en  tient  éloignée  :  on  peut  dire 
par   proportion   le   même   de  l'état  de 
viduité  :  mais  il  en  va  tout  autrement  à 
i  égard  de  la  chafteté  conjugale  ;   entre 
«Ile  &  l'impureté  il  n'y  a  qu'un  pas  à 
faire  ,  mais  ce  pas  conduit  au  crime  & 
jufqu'à  la  damnation. 

A  ce  premier  danger  un  autre  encore 
le  trouve  joint  ,  c'eft  celui  de  la  fociété 
anutuelle.  Comprenez-le  :  car  l'effet  de 
cette  focieté  doit  être  une  union  des 
cœurs  fi  parfaite  ,  que  pour  un  époux 
l'on  foit  diipofé  à  fe  détacher  de  tout ,  à 
quitter  tout  ,  à  ficrifier  tout  ,  mais  avec 
f  «ttç  exception  fi  çlélkate  ôc  ii  rare  ,  qu« 


DU   Mariage.  9f 

Tamour  conjugal  ne  l'emporte  pas  fur 
l'amour  de  Dieu  ;  que  l'époux  &  l'époufe 
foient  tellement  attachés  l'un  à  l'autre  , 
qu'en  même  temps  ils  foient  l'un  6c 
l'autre  encore  plus  étroitement  atta- 
chés à  Dieu  ;  qu'une  femme  difpofée  3 
fuivre  toutes  les  inclinations  raifonna- 
bles  d'un  mari,  ait  d'ailleurs  la  force  de 
lui  réfifter  quand  il  s'agit  de  fuivre  fes 
pallions  ,  de  participer  à  fes  défordres, 
de  prêter  l'oreille  à  fes  difcours  médi- 
fants  ou  impies ,  d'entrer  dans  fes  ref- 
fentiments  ,  de  féconder  fes  vengeances, 
Ainfi  j  que  cet  époux  ait  reçu  une  in- 
jure ,  qu'il  ait  été  offenfé  ÔC  outragé  ,  il 
vous  eft  permis  d'en  être  touchée  ,  de 
partager  avec  lui  fa  peine,  de  lui  pro- 
curer toute  la  fatisfadion  convenable  : 
vous  le  pouvez  ,  &  même  vous  le  de- 
vez. Mais  d'aller  au  delà  ,  de  prendre 
fes  animofités  &.  fes  haines  ,  de  Tau- 
torifer  dans  fes  emportements  &  fes 
violences  ,  de  condefcendre  à  tout  ce 
que  lui  infpire  un  cœur  aigri  &  animé  , 
ce  n'eft  point  agir  en  femme  chrétienne  ; 
ce  n'eft  point  là  une  vraie  fidélité  ,  & 
Jefus  -  Chrid:  ,  en  inftituant  le  mariage 
dans  fon  Eglife  ,  n'a  point  prétendu  qu'il 
fervît  à  fe  faire  un  crime, propre  du 
crime  d'autrui.  De  même  que  ce  mari 
ou  ambitieux  ou  intéreffé  forme  d'in- 
-juftes  defteins  ,  &  qu'il  veuille  contre  le 
droit  &.  la  bonne  foi  vous  engager  dans 
fes    emreprifes  ,  c'eft  .là  qu'avec  uaj^ 


^6  SuRL^'ÉTAt 

fainte  afTurance,  il  faut  tenir  ferme  & 
s'oppofer  à  l'iniquité.  Mais  je  lui  dois 
obéir  :  point  d'obéilTance  qui  lui  foit 
due  au  préjudice  de  la  loi  de  Dieu  :  mais 
il  s'éloignera  de  moi  ;  fa  difgrace  alors 
vaudra  mieux  pour  vous  que  fon  eftime  : 
mais  la  paix  en  fera  troublée  ;  vous 
aurez  la  paix  de  la  confcience  ,  &  elle 
vous  fuffira  :  mais  il  cherchera  toutes  les 
occafions  de  me  chagriner  ;  vous  profi- 
terez de  vos  chagrins  pour  pratiquer  la 
patience  ,  &  Dieu  du  refte  vous  confo- 
lera  :  mais  le  moyen  enfin  de  fe  foute- 
nir  toujours  dans  cette  fermeté  inébran- 
lable &  de  ne  fe  démentir  jamais  ?  cela 
n'eft  pas  aifé ,  j'en  conviens,  mais  c'eft 
pour  cela  même  que  je  vous  l'ai  propofé 
comme  un  des  plus  grands  dangers  de 
votre  état. 

Et  voilà  ce  que  vouloit  dire  S.  Pauî , 
écrivant  aux  Corinthiens  ,  lorfqu'^il  fai- 
foit  confifler  le  bonheur  des  Vierges  à 
n'être  point  partagées  entre  Dieu  &  le 
•monde  ^  à  n'erre  point  chargées  de  l'obli- 
gation &  du  loin  de  plaire  aux  hommes  , 
mais  feulement  à  Jefus-Chrift  ,  l'époux 
'  Cor  ^^  Is^i'S  âmes  :  Et  mulier  innupta  &  virgo 
ç\  j^  '  cogitât  quœ.Dominifunî:  Au  lieu,  ajou- 
toit-il  ,  qu'une  femme  eft  toujours  en 
peine  comment  eUe  fe  maintiendra  tout 
à  la  fois  &  dans  la  grâce  de  fon  mari 
&  dans  celle  de  fon-  Dieu  ,  fe  trou- 
vant obligée  ,  autant  qîiM  lui' eft  pof^ 
'iii>ie  ,à  co.nteftter  l'ar^  ik  'l'autr-e ,  ^i  ne 


D  U     M  A  R  I  A  G  E.  ^f 

fâchant  néanmoins  en  mille  rencontres 
comment  y  réufTir  ,  ni  par  où  les  accor- 
der ;  tellement  qu'il  faut  par  une  trifte 
r.éceffité  qu'elle  renonce  l'un  pour  l'au- 
tre, qu'elle  abandonne  l'un  pour  s'atta- 
cher inviolablement  à  l'autre  ;  &  c'efl  ce 
qui  la  trouble,  ce  qui  divile  fon  cœur, 
ce  qui  lui  remplit  l'efprit  de  penfées,  de 
vues ,  d'affeôions  toutes  contraires ,  ce 
qui  la  tient  en  de  continuelles  perplexi- 
tés ,  &  quelquefois  dans  les  plus  cruelles 
incertitudes  :  Qu^  autem  nuvta  eji ,  cogi-  Uldi 
t.zt  quczfunt  mundi  ,  quomodb phceat  viro  ; 
d'autant  plus  dangereufement  expofée, 
que  la  préfence  d'un  mari  avec  qui  elle 
vit ,  &  l'intérêt  de  le  ménager  ,  font  plus   . 
d'im.prefîîcn  fur  elle.  Si  peut-être  à  cer- 
tains moments  où  la  réfolution  eft  plus 
forte  &  la  grâce  plus  abondante  ,  elle 
écoute    la    confcience    &    fe    maintient 
dans  le  devoir  ,  qu'il  efl  à  craindre  que 
cette  confcience  toujours  combattue  par 
l'occafion  ne  vienne  enfin  à  fe  relâcher 
avec  le  temps  &  à  céder  1  n'eft-ce  pas 
ainfi  qu'une  molle  complaifance  a  perdu 
tant  de  femmes  &  tous  les  jours  en  perd 
tant  d'autres?  Elles  étoient  deleur  fond 
&  par  leur  penchant  douces ,  patientes  , 
équitables  ,  droites  ,  régulières  ;  mais  un 
homm.e' infatiable  &   avare,    colère  &C 
vindicatif,  fenfuel  &  voluptueux,  les  a 
rendues  complices  de  fes  frnudes  &  de 
fes  averfions ,  de  fes  excès  &.  de  fes  plus.  ''>'^  «t 
hontetifes  cupidiiés.  "  -  '* 


88  Sur    l' ÉTAT 

Que  dlral-je  ,  ou  que  ne  me  refte-t-Vi 
point  à  dire  d'un  dernier  danger  que 
porte  avec  Toi  le  foin  d'une  famille  & 
l'éducation  des  enfants  ?  Il  eft  certain  , 
6c  je  vous  l'ai  déjà  fait  affez  entendre, 
que  1  éducation  de  vos  enfants  vous  en- 
gage par  devoir  &  par  état  à  vaquer 
aux  affaires  temporelles  ;  mais  il  n'eft 
pas  moins  vrai  que  cet  engagement  eft 
un  écueil  où  il  eft  rare  de  ne  point 
échouer  ;  &  qui  ne  voit  pas  l'extrême 
difGculté  qu'il  y  a  de  concilier  enfemble 
le  foin  des  biens  de  la  terre  6c  le  dé- 
tachement de  ces  mêmes  biens  ?  Selon 
l'Evangile  ,  fi  vous  négligez  de  pour- 
voir vos  enfants  d'une  manière  con- 
forme à  leur  condition  ,  vous  vous 
rendez  coupables  devant  Dieu  ;  &  fi 
d'ailleurs,  afin  de  pourvoir  vos  enfants, 
vous  vous  laiffez  emporter  au  defir  & 
à  l'amour  des  richeffes  ,  il  n'y  a  point 
de  falut  pour  vous.  Dans  le  mariage  , 
H  ne  vous  eft  pas  permis  comme  aux 
autres  d'abandonner  toutes  chofes  pour 
fuivre  Jefus  -  Chrift  :  ce  n'eft  point  là 
votre  perfeftion  ;  il  faut  que  vous  poffé- 
diez,  que  vous  conferviez ,  &  même 
que  vous  travailliez  raifonnablement  à 
acquérir  :  mais  en  pofTédant ,  en  con- 
fervant  ,  en  acquérant ,  il  faut  préfer- 
ver  votre  cœur  de  toute  affe<^ion  ter- 
reftre.  Ainfi  vous  le  dit  Saint  Paul  ; 
i.  Cor.  écoutez-le  :  Hoc  itaque  dko  ,  fratres  , 
*♦  7»      rdiquum  eft  ,   ut  ^  ^uï  hahint  uxons  ^ 


DU     Mariage.         S9 

tanquam  non  habentes  fint  ;  &  qui  emunt ^ 
tanquam  non  pojfidentes  ;  &  qui  utuntur 
hoc  mundei\  tanquam  non  utantur.  Voilà, 
mes  frères  ,  diloit  ce  grand  Apôtre, 
ce  que  j'ai  à  vous  intimer  de  la  part 
de  Dieu  :  favoir  que  parmi  vous  ceux 
qui  font  engagés  dans  le  mariage  ,  aient 
l'efprit  &  le  cœur  auffi  libres  que  s'ils 
étoient  pleinement  maîtres  d'eux  -  mê- 
mes ;  que  ceux  qui  vendent  &  qui 
achètent  ,  le  faffent  comme  s'ils  ne 
poflédoient  rien  ;  &  que  ceux  qui  ont 
la  difpoiition  des  biens  de  ce  monde  , 
en  ufent  comme  s'ils  ne  leur  apparte- 
noient  pas  :  pourquoi  cela  ?  parce  que 
la  figure  de  ce  monde  pafle  ,  pourfui- 
Toit  le  Doé^eur  des  Gentils  :  Prœterit  m^^ 
Mnitn  figura  hujus  mundi.  Et  moi ,  j'ufe 
ajouter  ,  en  vous  appliquant  cette  mo- 
rale ,  parce  que  le  foin  que  vous  pou- 
vez &  que  vous  devez  avoir  des  b  jns  de 
ce  miOnde  ,  ne  vous  difpenfe  en  aucune 
forte  de  robligatlon  d'y  renoncer  de 
cœur  &  de  vojonté.  Jefus  Chrift  en  a  fait 
une  loi  générale  pour  tous  les  hommes, 
&  cetre  loi  ,  dit  Saint  Chryfoftom.e  ,  ne 
pouvant  s'entendre  d'un  renoncement 
réel  6c  effedif ,  il  faut  par  néceiïîté  l'in- 
terpréter du  renoncement  de  Tefprit , 
Qui  non  renuntuit  omnibus.  C'eft-à-dire,  Luc 
Chrétiens,  que  quand  le  Sauveur  des  c '^ 
hommes  prononçoit  cet  oracle ,  il  parloit 
pour  vous  aufTi- bien  que  pour  moi  :  avec 
jcette  différence  néanmoins  ,  qu'en  vou*., 


fry  Sur    l' État 

faifant  ce  commandement ,  il  vous  obîî- 
geoit  à  quelque  chofe  de  plus  difficile 
que  moi  :  car  il  vouloit  que  ce  déta- 
chement intérieur  ne  vous  ôtât  rien 
de  toute  la  vigilance  néceiTaire  pour  la 
confervation  de  vos  biens  &  pour  l'en- 
tretien de  vos  familles  :  or  de  joindre 
l'un  &  l'autre  enfemble  ,  c'eft  ce  que 
j'appelle  la  vertu  héroïque  de  votre  état, 
^t  comment  en  effet ,  me  direz-vous  , 
atteindre  à  ce  point  de  pauvreté  évangé- 
iique?  A  cela  je  vous  réponds  ce  que 
répondoit  Jefus-Chrift  lui-rnême  fur  un 
fujet  à  peu  près  femblable  :  la  chofe  eft 
impoffible  aux  hommes  ,  mais  elle  ne 
l'eft  pas  à  Dieu  ;  el'.e  eft  impoiTible  à  ceux 
qui  s'ingerant  d'euXnnêtT.es  ôc  fans  la 
grâce  de  la  vocati-on  dans  le  mariage  , 
ou  qui  l'ayant ,  cette  grâce  ,  n'en  font 
pas  l'ufage  qu'ils  doivent  ;  mais  à  ceux 
qui  y  font  fidelles  tout  devient  poffible. 
Abraham  vécut  dans  le  même  état  que 
vous  ,  il  eut  une  maifon  à  foutenir  com- 
nie  vous  ,  il  pofféda  de  plus  grands  biens 
que  vous  ,  &  jamais  ces  biens  périiTa- 
bles  n'excitèrent  le  moindre  defir  dans 
fon  cœur ,  6c  n'y  allumèrent  le  feu  de 
la  convoitife. 

Quoi  qu'il  en  foit  ,  vous  connoilTez  , 
ines  chers  Auditeurs ,  les  obligations  du 
mariage  ,  vous  en  favez  les  peines ,  vous 
n'en  ignorez  pas  les  dangers  ,  &  par 
conféquent  vous  voyez  combien  il  vous 
importe  d'y   cire   écUirés  ,    conduits, 


DU  Mariage.  ^t 

fecourus  de  Dieu  ;  c'eft-à-dire  ,  combien 
il  vous  importe  de  n'y  entrer  que  par  le 
choix  de  Dieu  ,  &  d'y  attirer  fur  vous  la 
grâce  de  Dieu.  Mais  (i  cen'efl  pas  par 
cette  vocation  divine  que  je  lai  em- 
biafTé,  n'y  a-t-il  plus  de  reffource  pour 
moi  ,  &.  que  terai-je  ?  Vous  ferez  ce 
que  fait  le  pécheur  pénitent  :  en  fe  con- 
vertiflant  à  Dieu  ,  il  répare  par  la  grâce 
de'  la  pénitence  ce  qu'il  a  perdu  en  fe 
dépouillant  delà  grâce  d'innocence  ;  de 
même  vous  réparerez  après  le  mariage 
le  mal  que  vous  avez  commis  en  vous 
engageant  ^ans  le  mariage  ;  ôc  puifque 
vous  n'avez  pas  eu  les  premières  grâces 
de  cet  état ,  vous  aurez  recours  à  Dieu  , 
pour  obtenir  les  fécondes  :  car  Dieu  a 
de  fécondes  grâces  pour  fuppléer  au 
défaut  des  premières  ;  &  c'eft  dans 
ces  fécondes  grâces  que  vous  devez 
mettre  votre  confiance  :  cependant  parc$ 
qu'elles  font  plus  rares  &  moins  abon- 
dantes quand  elles  n'ont  pas  été  précé- 
dées des  autres,  ce  qui  vous  refte,  c'eft 
de  veiller  avec  plus  d'attention  fur  vous- 
mêmes  ,  de  vous  appliquer  avec  plus 
de  zèle  à  tous  les  devoirs  d'un  état  où 
Dieu  veut  maintenant  que  vous  perfévé- 
riez ,  de  concevoir  un  repentir  plus  vif  & 
plus  amer  de  l'égarement  où  vous  êtes 
tombés  par  votre  faute,  de  redoubler  fur 
cela  vos  vœux ,  &  de  crier  plus  fortement 
vers  le  Seigneur  :  Ah  1  mon  Dieu  ,  lui 
direz-vous,  comme  dû  le  fiere  de  JàCob 


)2     Sur  l*Êtat  du  Mariage. 

à  Ifaac  ,  après    avoir   perdu  fon    droit 
d'aînefTe  ,    n'avez-vous  pas  plus    d'une 
bénédidion  ,  &  le  tréfor  de  vos  grâces 
Cenef,  n'eft-il  pas    infini  ?   Num  unam   tantHLin 
♦•  *7*     benediHionem  habes  ,   pater  ?  11  eft  vrai , 
Seigneur  ,  je  me  fuis  écarté  de  ma  route  , 
en  m'écartant  de  celle  que  vous  m'aviez 
marquée  ;  car  c'étoit  là  proprement  ma 
route,  c'étoit  mon  chemin  :  mais  m'a vez- 
vous  pour  cela  rejeté  ,  &  votre  provi- 
dence  manque-t-ellc  de  moyens  pour 
réparer  la  perte  que  j'ai  faite  r    Jetez  , 
rr^on    Dieu  ,   jetez    encore    un    regard 
favorable  fur  rnoi ,  &L  ne  m'abandonnez 
pas  à  moi-même  ,  lorfque  je  veux  défor- 
mais  m'abandonner  pleinement  à  votre 
Jhidcm,  conduite  :   Mihi  quoque  objetro  ut  bene" 
dicis.  Il  vous  écoutera  ,  mon  cher  Audi- 
teur ,  &    par   un    retour  de   fa  miféri- 
corde,  il  prendra  pour  vous  de  nouvelles 
vues  de  prédeftination  ,    &:   vous    fera 
arriver  au  falut  éternel  ,   que  je    vouê 
fouhaite,  &c. 


9f 


SERMON 

POUR 
LE  TROISIEME  DIMANCHE 

APRÈS   L'EPIPHANIE. 

Sur  la  Foi, 

Et   dlxit    Jefus     Centurioni  :   Vade  ,    &    ficut 
credidifti  fiât   tibi. 

/«/m*  i\t  au  Centurion  :  AUe-^  ,  Cf  qu'il  vous  foii 
fait  félon  que  vous  ave\cru.  En  S.  Matthieu | 
chap.  8. 

N'Est- IL  pas  furprenant  que  le Sau-»^ 
veur  du  monde,  au  lieu  d'attribuer 
les  miracles  de  fa  toute-puiflfance  à  fa 
toute-puifbnce  même  &  à  la  vertu  fou- 
veraine  de  Dieu  ,  les  ait  communément 
attribués  dans  l'Evangile  à  la  foi  des 
ho'mmes  ?  Puiflant  en  œuvres  &  en 
paroles ,  il  délivroit  les  poiTédés  ,  il  gue- 
rilToit  les  malades ,  reflufcitoit  les  morts; 
niais  quoiqu'il  pût  bien   au  moins  itA 


f4  SurlaFot. 

réferver  la  gloire  ,  tandis  qu'il  en  laKToMt 
aux  autres  l'avantage  ,  il  la  donne  encore 
toute  entière  à  la  toi  ;  comme  fi  la  foi 
feule  eût  opéré  par  lui  ce  que  lui  feul 
il  opéroit  pour  la  foi.  Allez,  di:-il, 
dans  notre  Evangile,  &  qu'd  vous  foit 
fait  félon  votre  foi  :  f^jde  ,  &  ficut 
credidifti  fiât  tibi.  C'eft  la  réponfe  qu'il 
fait  à  ce  Centurion  quilui  vient  demander 
laguérifon  defon  fervitear  frappé  d'une 
mortelle  paralyfie  ,  &  c'eft  la  réponfe 
qu'il  a  faite  en  tant  d'autres  occafions 
6i  fur  tant  d'autres  fujets  :  par-tout  admi- 
rant la  foi  ,  lui  qui  ne  devoit  rien  ,  ce 
femble  ,  admirer;  par-tout  exaltant,  la 
foi,  par-tout  publiant  la  force  &.  l'efficace 
de  la  foi,  par-tout  faifant  entendre  qu'il 
ne  pouvoit  rien  refufer  à  la  foi  :  Vude ,  6* 
Jicut  credïdïfti  fiât  tïbi.  C'eft  de  là  même 
«que  les  hérétiques  des  derniers  fiecles 
ont  prétendu  tirer  cette  faufle  confé- 
quence  ,  que  tout  l'ouvrage  &  toute 
l'affaire  du  falut  de  l'homme  roulent  uni- 
quement jur  la  foi  :  erreur  que  l'Eglife 
a  frappée  d'anathême  ,  &  qui  va  direc- 
tement à  détruire  dans  le  chriftianifme 
la  pratique  &  la  néce(ruc  des  bonnes 
oeuvres.  Mais  moi ,  mes  chers  Auditeurs  , 
fans  donner  dans  une  telle  extrémité, 
je  tire  de  mon  Evangile  un  fujet  beau- 
coup plus  folide,&quifertde  fondement 
à  toute  la  morale  chrétienne  :  &:  m'atta- 
chant  à  ces  paroles  du  fils  de  Dieu  :  Qu'il 
^ows  foit  fait  comme  vous  avez  cru  ^ 


Sur   LÀ   Foi.  ff 

'Sicutcredidifîifiattibi,  je  veux  vous  parler 
des  vrai*  effets  de  la  foi  par  rapport  au 
falut.  C'eft  dans  Marie  que  cette  vertu 
a  fait  éclater  tout  fon  pouvoir,  puifque 
c'eft  par  la  foi  que  Marie  conçut  le 
Verbe  divin.  Adreffons-nous  à  elle,  ÔC. 
difons-lui  :  Ave  Maria. 

DE  quelque  manière  que  je  prétende 
ici  m'expliquer  ,  Chrétiens ,  mon 
deffein  n'eft  pas  de  chercher  des  tempéra- 
ments ,  pour  concilier  l'opinion  des  héré- 
tiques de  notre  fiecle  avec  la  do6^rine 
de  l'Eglife ,  touchant  l'eaicace  &  la  vertu 
de  la  toi  ,  puifque  faint  Augudin  m'ap- 
prend qu'entre  l'erreur  &  la  vérité  il 
n'y  a  point  d'autre  parti  que  la  confef-  ■ 
fion  de  l'une  &  l'abjuration  de  l'autre. 
L'opinion  ,  difons  mieux  ,  Terreur  des 
hérétiques  de  notre  fiecle  ,  eft  que  la 
foi  feule  nous  juftitie  devant  Dieu  ;  que 
nos  bonnes  oeuvres  ,  quelque  parfaites 
qu'elles  foient  ,  ne  contribuent  en  rien 
au  falut  ;  que  la  vie  éternelle  ne  nous  eil 
point  donnée  par  titre  de  récompenfe  , 
mais  par  forme  de  fimple  héritage  ; 
héritage  que  nous  pouvons  mériter  , 
&  dont  nous  prenons  polTefîion  fans  y 
avoir  acquis  aucun  droit.  Tel  eft  le 
langage  de  l'héréfie  ;  mais  voici  celui 
de  la  foi  même.  Car  il  eft  de  la  foi  , 
que  la  foi  feule  ne  fuffit  pas  pour  nous 
fauver  ;  il  eft  de  la  foi ,  que  nos  bonnes 
œuvres    doivent  faire    une    partie   d^ 


^  Sur  la  Foi; 

notre  juftlfication  ;  il  eft  de  la  foi  qu'efî 
vertu  de  ces  bonnes  œuvres  nous  acqué- 
rons un  droit  légitime  à  la  gloire  que 
Dieu  nous  prépare,  &  que  cette  gloire , 
par  un  effet  merveilleux  de  la  grâce  de 
Jefus-Chrift  ,  eft  tout  à  la  fois  ,  comme 
s'exprime  faint  Auguftin ,  &  le  don  de 
Dieu ,  &  le  mérite  de  l'homme. 

Cependant ,  Chrétiens^  fans  m'en- 
gager  dans  une  controverfe  qui  ne 
convient  ni  au  temps  ni  à  rafTemblée 
où  je  parle  ,  j'avance  deux  propofi- 
tions  non-feulement  orthodoxes  ,  mais 
inconteftables  ,  &  qui  vont  partager  ce 
difcours  :  favoir  que  c'eft  la  toi  qui 
nous  fauve  ,  première  propofition  ;  ÔC 
que  fouvent  aufîi  c'eft  la  toi  qui  nous 
condamne ,  féconde  propofition.  Elles 
femblent  l'une  6c  l'autre  contradic- 
toires :  mais  la  contradi6Kon  apparente 
qu'elles  renferment  me  donnera  lieu  de 
vous  développer  les  plus  beaux  prin- 
cipes &  les  plus  grandes  maximes  de  la 
Théologie  fur  cette  importante  matière. 
Le  jufte  fauve  par  la  foi ,  &  le  pécheur 
condamné  par  la  foi.  Le  jufte  fauve  par 
la  foi  ,  parce  que  c'eft  fur-tout  de  la 
foi  que  vient  notre  juftjfication  :  vous 
le  verrez  dans  la  première  partie.  Le 
pécheur  condamné  par  la  foi  ,  parce 
que  la  foi  fans  les  œuvres  devient  contre 
iui  un  titre  de  réprobation  :  je  vous  le 
ferai  voir  dans  la  féconde  partie.  Com- 
mençons. 

Ceft 


Sur   LA   For.  97  ' 

C'EST  la  foi  qui  nous  fauve  :  cette  I^ 
vérité  nous  eft  trop  expreiTément  Part; 
marquée  dans  l'Ecriture  pour  en  pouvoir 
douter  ;  mais  le  point  efl:  de  favcir 
comment  &  en  quel  fens  il  efl  vrai  que 
la  foi  nous  fauve.  Sur  quoi  je  dis  que  la 
foi  nous  fauve  3  en  deux  manières , 
&  comme  perfection  de  nos  bonnes 
ceuvres  ,  &  comme  principe  de  nos 
bonnes  œuvres  ;  comme  perfe6lion  de 
nos  bonnes  œuvres ,  parce  que  c'efl  fur- 
tout  de  la  foi  que  vient  aux  bonnes 
oeuvres  que  nous  pratiquons  leur  efficace 
&  leur  prix  ;  comm.e  principe  de  nos 
bonnes  œuvres  ,  parce  que  c'eft  de  la  foi . 
que  nous  vient  à  nous-mêmes  cette  fainte 
ardeur  qui  nous  porte  à  les  pratiquer.  La 
fuite  vous  fera  entendre  ces  deux  penfées. 
Appliquez-vous  à  l'une  &  à  l'autre. 

De  quelque  forte  que  les  Théologiens 
expliquent  le  myftere  de  la  juftification 
des  hommes ,  il  eit  toujours  vrai ,  com.me 
i'Ecriture  nous  Tenfeigne  ,  que  c'eft  de 
la  foi  que  nos  allions  tirent  leur  prix  & 
leur  efficace  devant  Dieu  ,  &  par  confé- 
quent  que  la  foi  eft  comme  la  perfeclion 
de  nos  vertus  &  de  toutes  nos  bonnes 
ceuvres.  Je  ne  puis  être  fauve  ni  pré- 
tendre aux  récompenfes  de  Dieu ,  que 
par  le  mérite  des  bonnes  œuvres ,  vérité 
tondante  ;  mais  je  dois  auffi  reconnoitre 
que  mes  bonnes  œuvres  ne  peuvent  avoir 
^de  mérite  devant  Dieu  que  par  la  foi^ 


^8  SurlaFoi. 

c'efl  la  foi  qui  doit  leur  imprimer  ce 
fceau  de  la  vie  éternelie  que  S.  Paul 
Rom.  appelle  excellemment  ^Signaculumjujîitice 
^'  ^'  fidei.  Et  de  même ,  dit  S.  Chryibftome  , 
qu'une  pièce  de  mcnnoie  qui  n'auroit 
pas  la  marque  du  Prince  ,  quelc^ue 
précieufe  qu'elle  fût  d'ailleurs  ,  ne  feroit 
cenfée  de  nulle  valeur  6c  de  nul  ufage 
dans  le  commerce  :  ainfi  quoi  que  je 
faffe  d'honnête  ,  de  louable  &  même 
de  grand  &  d'héroïque ,  fi  je  ne  le  fais 
dans  l'efprit  de  la  foi ,  &  fi  tout  cela  ne 
porte  le  caradere  de  la  foi ,  je  ne  m'en 
dois  rien  promettre  pour  le  falut.  Voilà , 
Chrétiens,  ce  qui  de  tout  temps  a  pafTé 
pour  inconteftabie  dans  notre  religion, 
&  ce  que  nous  devons  établir  pour  règle 
de  toute  notre  conduite  ;  voilà  ce  que 
l'Apôtre  prêchoit  aux  Juifs  avec  tant  de 
zèle;  voilà  ce  que  S.  Auguftinprouvoit 
aux  Pélagiens  avec  tant  de  force  &  tant  de 
folidité  ;  voilà  ce  que  les  Pères  de  l'Eglife 
remontroientfans  ceffe  aux  hérétiques  de 
leur  fiecle,&  voilà  ce  que  les  Prédicateurs 
de  l'Evangile  doivent  encore  aujourd'hui 
6c  plus  que  jamais  faire  comprendre  à 
leurs  Auditeurs,  que  fans  la  foi,  je  dis  fans 
une  foi  pure  ,  fmcere,  huçnble,  obéiilante, 
tout  ce  que  nous  faifons  nous  eft  inutile 
par  rapport  à  l'éternité  bienheureufe. 

Prenez  garde,  Chrétiens,  Scfuivez- moi. 
Les  Juifs  fe  confioient  dans  les  œuvres 
de  la  loi  de  Moïfe  ,  c'eft-à-dire,  dans 
les  facrifices  <jui  leur  étoiept  ordonnés  ;. 


SurlaFoi.  99 

€<  pourvu  qu'ils  robfervafTent  fîdéle- 
ir,ent  &  inviolablement  cette  loi  ,  ils 
s'aiTuroient  que  toutes  les  promeiTes  faite« 
à  Abraham  dévoient  s'accomplir  dans 
eux.  Vous  vous  trompez,  mes  Frères, 
leur  dilbit  S.  Paul  :  ce  n'ed  point  U 
pratique  de  votre  loi  qui  vous  fauvera, 
c'eft  la  foi  de  Jefus-Chrift.  Vous  avez 
beau  immoler  des  vi6limes ,  vous  avez 
beau  vous  purifier,  vous  avez  beau  faire 
profeffion  d'un  culte  exaiSl  &  religieux; 
fi  toutes  ces  obfervances  &  toutes  ces 
cérémonies  ne  font  fanâifiées  par  la  foi  , 
vous  ne  faites  rien  :  c'efi:  par  la  foi  que 
vous  avez  été  juftifiés  ,  &  c'eft  la  foi 
qui  doit  vous  donner  accès  auprès  de. 
Dieu  :  Jujlificati  ex  fide,  Ainfi  leur  Ro^n. 
parloit  cet  homme  apoftolique.  Les  <=>  ;* 
'Pélagiens  faifoient  fond  fur  leurs  bonnes 
ceuvres  naturelles,  &  fe  perfuadoientque 
Dieu  y  avoit  égard  dans  la  diftribution 
de  fes  grâces  ,  6c  que  la  raifon  pourquoi 
il  appelloit  les  uns  &  n'appeiioit  pas- 
les  autres ,  pourquoi  il  choififtoit  les  uns 
préférablement  aux  autres,  étoit  que  les 
uns  fe  difpofoient  avec  plus  de  foin  qui 
les  autres  ,  par  les  bonnes  œuvres  de 
la  nature  ,  à  recevoir  cette  grâce  de 
vocation  &  de  choix.  Et  il  faut  avouer 
avec  S.  Profper  ,  que  cette  erreur  avoit 
quelque  chofe  de  fpécieux  :  mais  c'étoic 
une  erreur,  &  S.  Auguftin  fut  fufcité 
de  Dieu  pour  la  combattre  &  la  détruire. 
JÈfpn,  mes  Frères,  reprenoit  ceDodeuç 

P  r  O  p  :  Ç  ;^J         o  f 


ïoo  Sur    la   F  ô  r; 

incomparable  ,  il  n'en  va  pas  de  la  fortes 
ces  bonnes  oeuvres  naturelles  fur  quoi 
vous  vous  appuyez  ,  n'ont  aucun  effet 
pour  le  falut  ;  ce  n'efl  point  là  ce 
qui  engage  Dieu  à  nous  accorder  fa 
grâce  ,  &  jamais  il  ne  nous  en  tiendra 
compte  dans  l'étçrnité  :  c'eft  à  la  foi  qu'il 
a  attaché  tout  le  mérite  de  notre  vie  ,  & 
fans  la  foi  rien  ne  nous  peut  conduire 
à  lui.  Enfin  les  hérétiques  prefque  de 
tous  les  fiecles  ont  tiré  avantage  de 
leurs  bonnes  œuvres  ;  &  par  une 
aveugle  préfomption  ,  fe  font  flattés  de 
vivre  dans  leur  fecle  plus  faintement  que 
les  Catholiques  ,  d'être  plus  réformés 
qu'eux,  plus  aufteres  qu'eux,  plus  adonnés 
aux  exercices  de  la  charité  &L  de  la 
pénitence  qu'eux  ;  &  à  n'en  juger  que  par 
l'extérieur  ,  peut-être  ont-ils  eu  quel- 
quefois fujet  de  le  prétendre.  Mais  parce 
que  leur  foi  n'étoit  pas  faine ,  les  Pcre\ 
leur  répondoient  toujours  que  c'étoit 
en  vain  qu'ils  fe  glorifioient  ;  qiie  toutes 
ces  oeuvres  de  piété,  quoiqu'édatantes, 
lî'étoient  que  des  œuvres  mortes ,  leurs 
vertus  que  des  phantômes ,  Ôc  que  de 
fécondes  qu'elles  euflent  été  avec  la  foi, 
elles  devenoient  fans  la  foi  des  arbres 
flérlles  :  qu'il  n'y  avoit  que  le  champ 
de  l'Eglife  où  l'on  pût  efpérer  de 
cueillir  de  bons  fruits  '.  que  quiconque 
femoit  ailleurs  que  dans  ce  champ  , 
perdoit  de  diffipoit  (  car  je  ne  me  fers 
ici  que  de  leurs  exprefTions)  :  que  c'était 


Sur   la   Foi.  ioï 

dans    cette  Egllfe  univerfelle  ,   &  par 
conféquent  dépofitaire  unique  de  la  vraie     , 
foi ,  que  Dieu  ,  félon  le  témoignage  de 
David,  voufoit  être  loué  :  Apud te  laus  Pf,2.t. 
mea  in  EccLe/ïâ  ma§nâ  :  que    hors  de  là 
il  n'y  avoit  ni  louanges  ni  prières  qu'il 
écoutât  ,    &    que    quànd    un    homme 
dont  la  foi  fe  trouvoit  corrompue,  ofoit 
paroitre  devant  les  autels  pour  s'acquitter 
d'un   devoir   de  religion  ,    c'étoit  à  lui 
particulièrement  qu'il  adreffoit  ces  ter- 
ribles paroles  :  Quare  lu  enarras  juflitus  Pf,  4^* 
meas ,    &  afjumïs   tejlamentum    meum  per 
es  tuurn  ?  Pourquoi  t'ingères- tu  à  fanc- 
tifier  mon  nom  ?  &  pourquoi  n'ayant  pss 
la  foi  de  mes  ferviteurs  ,  entreprends- 
tu  de  me  rendre  des  fervices  que  je  ne 
puis  agréer  ?    Que  les  bonnes  œuvres 
féparées    de    la   foi ,    bien  -  loin   d'être 
aux  fedateurs  de  l'héréfie  un  fonds  de 
îHérite  ,  feroient  plutôt  devant  Dieu  un 
fujet  de  confufion  ,  puifque  Dieu  non- 
fculement  ne  leur  fauroit  nul  gré  d'avoir 
fait  le  bien  qu'ils  faifoient  en  ne  croyant" 
pas  ce  qu'ils  dévoient  croire,  mais  qu'il 
les  jugeroit  même  avec  plus  de  rigueur, 
pour  n'avoir  pas  cru  ce  qu'ils  dévoient 
croire  en  faifant  le  bien  qu'ils  faifoient  : 
Ac  per  hoc  ,  folo  Dd  meoque  judicio  ,  ces  ^^g» 
paroles  font  remarquables  ,    non  folùm 
mïnîis  laudaniï  funt  ,    quli  fe  continent 
chm  non  credant  ;  fed  etiam  multb  m  agis 
vitupcrandi  ,   qui.:  non  credunt  ,    chm  fe. 
çpntuuantt  £n  uft  mot ,  que  dans  le  Chiil- 

E  iij 


302  Sur    la   Foi. 

tranifine  ce  n'étoit  point  abfolument  par 
la  iubftance  des  œuvres  ,  mais  par  la 
qualité  de  la  foi  que  Dieu  faifoit  le  difcer- 

llU^m.  nement  des  juftes  :  Deus  quippe  nofter 
&  fapiens  judex  jujios  ah  injuftis  ,  non 
operum  ,  fed  ipfius  fidei  Ic^e  difcernit. 
Tout  cela  eft  de  laint  Auguflin  -;  d'où 
il  concluoit  qu'un  Chrétien ,  qui  dans 
fa  condition  pratiqueroir  tout  ce  qu'il  y 
a  de  plus  faint  &  de  plus  parfait ,  mais 
qui  n'auroit  pas  l'intégrité  de  la  foi  , 
avec  toute  fa  perfe61ion  &  fa  prétendue 
fainteté  ,  f3roit  éternellement  l'objet  ds 

Ibidem,  la  réprobation  divine,  Per  quam  dïfcrc 
iionem  fit  ,  m  h&mo  injuriarum  patient 
tïjjîmus ,  deemofynarum  larpjjimus  ,  fi 
non  reclam  fidem  in  Deum  kabet ,  cum  fuis 
ïfiis  laudabilibus  moribus  ,  ex  hâc  vita 
damnandus  ahfcedat. 

Tel  étoit ,  mes  chers  Auditeurs  ,  le 
langage  de  ces  grands  hommes  que  Dieu 
jK)us  a  donnés  pour  maîtres  ,  &L  voilà  la 
fource  de  l'affreux  défordre  où  font  tom- 
bés tant  d'efprits  fuperbes  &  féduits  par 
le  démon  de  l'infidélité.  Ah  î  Chrétiens , 
qui  le  pourroit  com.prendre  &  s'en  for- 
mer une  jufte  idée  ?  qui  pourroit  dire 
combien  ,  par  exemple,  l'héréfie  feule  de 
Calvin  a  détruit  de  m.érites  ,  a  ruiné  de 
bonnes  œuvres  ,  a  corrompu  de  vertus , 
a  fait  périr  devant  Dieu  de  fruits  admi- 
rables que  la  grâce  devoit  produire  ,  ÔC 
que  la  vraie  foi  auroit  vivifiés  ?  Car  enfin , 
reconnoiiTons-le  ici ,  quand  ce  ne  feroiî 


Sur    la    Foi.  îôj 

^ue  pour  adorer  la  profondeur  impéné- 
trable des  jugements  de  Dieu;  avouons- 
le  de  bonne  foi ,  &  par  le  témoignage 
que  nous  rendrons  à  une  vérité  qui  ne 
nous  intérefle  en  rien  ,  convainquons- 
iious  fenfiblement  &  efficacement  d'une 
autre  où  il  s'agit  du  tout  pour  nous.  Dans 
cesfe£tes  malheureufes  que  l'héréfie  6c  le 
fchifme  fufcitoient ,  il  y  a  eu  du  bien  au 
moins  apparent  :  aujiiilieu  de  cette  ivraie, 
l'ennemi  même  qui  l'avoit  femée  affec- 
toit  de  faire  paroitre  de  bon  grain  ;  on 
y  voyoit  des  hommes  modefles ,  chari- 
tables ,  abdinents  :  mais  notre  religiott 
nous  oblige  à  croire  que  parce  qu'ils  ne 
portoient  pas  fur  le  front  ce  figne  du 
Dieu  vivant,  c  eft-à-dire,  le  figne  de  la' 
foi  5  quelques  merveilles  qu'ils  fiiTent , 
Dieu  leur  difoit  toujours  :  Je  ne  vous 
connois  point.  Ils  priaient  ,  mais  leurs 
prières  étoient  réprouvées  ;  ilsjeûnoient, 
mais  Dieu  méprifoit  leurs  jeiines  :  &  s'ils 
^^ufFent  penfé  à  s'en  plaindre  &  à  lui  ert 
demander  raifon ,  s'ils  euffent  dit,  comme 
les  Juifs  :  Quare  jejunavimus ,  &  non  afpc-  Ifah 
xifli  ;  huTTiiliavimus  animas  no/iras  ,  &  ^'  5^» 
nefcijli?  Hé  !  Seigneur,  pourquoi  avons- 
nous  jeûné  ,  fans  que  vous  ayiez  jeté  les 
yeux  fuf  nous  ;  &  pourquoi  nous  fom- 
mes-nous  humiliés  en  votre  préfence  , 
fans  que  vous  l'ayiez  fu  ,  ou  que  vous 
ayiez  paru  le  favoir  ?  Dieu  toujours  jui^e 
6l  toujours  fur  de  la  juftice  de  fon  pro- 
cédé, leur  eût  fait  cette  réponfe  ,  pleins 

E  iv 


104  Sur    la   Foi; 

de  raifon  &  d'indignation  tout  enfemble  ï 
£cce  in  die  jejunii  vefiri  invenitur  voluntaS' 
vefira  :  C'eft  que  malgré  vos  abftinences 
&  vos  jeûnes  ,  j'ai  découvert  votre 
orgueil,  votre  opiniâtreté  ,  votre  rébel- 
lion ,  une  volonté  &  une  dirpofition  de 
cœur  toute  oppofée  à  cette  obéifTance  de 
TeTprit  qu'exigeoit  la  foi  de  mon  Eglife  : 

Ihidem.  Ecce  in  die  jejunii  veflri  invenitur  voluntas 
vcjlra  :  réponfe  quilesauroit  confondus. 
Et  en  effet  ,  quand  au  moment  de  la 
tBort  où  ils  dévoient  être  jugés  de  Dieu  , 
ils  venoient  à  lui  produire  leurs  bonne* 
ceuvres  ,  mais  leurs  bonnes  œuvres  faites 
dans  l'héréfie  ,  Dieu  ,  tout  porté  qu'il 
'  cft  à  réccmpenfer  ,  fe  vcyoit  comme 
forcé  de  les  rejeter  &  de  leur  prononcer 
par  la  bouche  d'un   autre  Prophète ,  c« 

Aggc.t.tnûe  &  redoutable  arrêt  :  Seminaftis 
mulium  6» intuliflisparum ;  il  eft  vrai ,  vous 
avez  beaucoup  femé  ,  mais  le  comble 
de  votre  mifere  eft  que  vous  n'avez 
ihid.  rien  à  recueillir  :  Refpexiflis  ad  amplius  , 
&  ecce  fi^inn  eft  minus  ;  vous  avez  cru 
gagner  bien  plus  que  vos  frères  qui  fji- 
voient  avec  fimphcité  la  route  commune 
de  la  foi  ,  mais  en  pourfuivant  un  gaia 
chimérique  ,  vous  avez  perdu  le  gain  rée! 
Ibld,  &  folide  que  vous  pouviez  faire  :  Intu~ 
lijiisin  domuniy  &  exfuffluvi  illud ;  vous 
avez  fait  un  amas  &  un  tréfor  ,  mais 
c'étoit  un  amas  de  poufliere  que  le  vent 
a  emporté  &  diflipé.  Et  pourquoi  tout 
cela,  ajoute  le  Seigneur  ?  Quant  ob  iaufam. 


Sur    la   Foi.  lOf 

'(fixît  Dominus  exercituum  ?  Ecoutez-en  ,  Ib'Jeém 
Chrétiens ,  la  raifcn  :   Çliûn  domus  mea  Ihïicm, 
■defcrta  eji  ,    &  vos  feftinajîis  unufquifque. 
in  domum  fuam  :    C'eft  que  vous  avez 
abandonné  ma  maifon  qui  eftrE^life  ,  6c 
<jue  vous  vous  êtes  retires  chacun  dans 
Yos  maîfons  particulières  ;  c'eft  que  vous 
vous  êtes  fait  des  églifes  à  votre  mode  , 
que  vous  vous  êtes  laiffés  aller  à  des 
nouveautés ,   que  vous  avez  écouté  des 
maîtres  &  des  Do<£^eurs  que  je  n'auto- 
riibis  pas  ,    &   que    par   une    iiifidélJLté 
tizarre  &i  capricieufe  vous  avez  préféré  . 
leurs   fentiments  &  leur   conduite  à  la 
règle    univerfelle    que    j'avois    établie. 
Voilà  ,  difoit  Dieu  par  fon  Prophète  ,• 
voilà  le  ver  qui  a  gâté  toutes  vo©  œuvres. 
Or  ,  Chrétiens  ,  ce  que  Dieu  difoit 
alors  ,  nous  pouvons  bien  encore  le  dire 
maintenant  &  nous  l'appliquer  à  nous- 
mêmes.  Car  quoiqu'il  n'y  ali  point  d'héré- 
tiques déclarés ,    parmi  les  Catholiques 
mêmes  ,  ou  plutôt  parmi  ceux  qui    en 
portent  le  nom ,  vous  favez  combien  il 
y  en  a  dont  la  foi  nous  doit  être  au  moins 
très-fufpecie,  parce  que  ce  n'eft  p^s  une 
foi  pure  &  entière,   ils  n'ont    pas,  ce 
femble   quitté    l'Eglife  :    mais    on   peut 
être  extérieurement   dans  TEglife  ,    6c 
n'avoir  pas  la  foi  de  l'Eglife  :  on  peut 
être  dans   la   communion   du   corps  de 
l'Eglife,  &  n'être  pas  dans  la  commu- 
nion de  fon  efprit.  Ce  font  des  gens  qui 

E  V 


10^  Sur   la   Foi. 

vivent  bien  ;  vous  le  dites  ,  &  la  charité 
nrengage  à  le  croire  ,  malgré  bien  des 
exemples  qui  pourroient  me  rendre  cette 
bonne  vie  équivoque  &  affez  douteufe. 
Mais  enfin  qu'ils  foient  des  anges .  fi  vous 
Je  voulez,  par  leurs  n'oeurs,  qu'ils  foient 
des  martyrs  ;  û  cependant  ils  n'ont  pas 
la  pureté  de  la  toi ,  l'humilité  de  la  foi , 
la  fmcérité  de  la  foi  ,  la  plénitude  de  la 
foi,  je  répondrai  avec  S.  Paul,  que  dans 
leur  vie  prétendue  angélique ,  il  leur  eft 
Behr,  impoffible  de  plaire  à  Dieu  :   Sine  fide 
c.  u,  impojfibile  ejî  placera  Deo.  Et  j'ajouterai 
avec  S.  Cyprien,  que  ce  n'eft  point  leur 
fang  que  Dieu  demande,  mais  leur  foi: 
Cypnan.^on  quccrit  in  vobis  fanguinem  ,  fedjidem. 
Si  nous  fommes  bien  perfuadés ,  mes 
chers  Auditeurs,   de  cette   importante 
vérité  ,  quelle  eftime  ferons-nous  du  don 
précieux  de   la  foi  ?  Avec  quel  foin  la 
conferverons-nous?  Nous  ne  craindrons 
pas  feulem.ent  de  la  perdre,  mais  de  lui 
donner  la  moindre  atteinte  ,  &  pour  ufer 
de  l'expreffion  de  faint  Arabroife  ,  d'en 
altérer  ,  en  quelque  forte  que  ce  foit ,  la 
-virginité.  Car  ce  Père  confidéroit  la  foi 
comme   une  vierge  que  la   plus  légère 
tache  flétrit  ;  &  c'étoit  ainfi  qu'il  s'expri- 
moit,  en  pariant  de  S.  Paul  &  des  pre- 
miers Chrétiens  dont  ce  grand  Apôtre 
Amhr.  avoit  la  conduite  :   Timckat  ne  vïrgïni- 
îatem  fidei  amittercnt  :  U  craignoit    que 
J,$5  Fidel^§  ne  perdiffcnt  la  virgirûté  de 


Sur   LA   Foi.  107 

leur  foi.  Dans  toutes  les  conteflations 
qui  peuvent  naître  ,  au  lieu  de  tant  rai- 
fonner  &  de  tant  examiner  ,  au  lieu  de 
fuivre  ou  nos  préjugés  ou  nos  intérêts  , 
nous  ne  prendrons  point  d'autre  parti 
que  celui  d'une  obéiffance  fiKale  &  d'un 
attachement  partait  à  l'Eglife  ,  c'eft- 
à-dire  ,  celui  qui  arrête  toutes  les  dif- 
putes  &  toutes  les  divifions  ,  celui  que 
les  Pères  nous  ont  toujours  &  par-deilus 
tout  recommandé ,  celui  qui  nous  pré- 
fervera  de  toutes  les  illuiipns  &  de  tous 
les  égarements,  celui  que  Dieu  bénit,  où 
il  eft  obligé  lui-même  de  nous  conduire  , 
&  où  il  feroit  plutôt  des  miracles  que 
de  nouslaiiler  dans  l'erreur.  Nous  ferons, 
fouvent  à  Dieu  la  même  prie?-e  que 
faifoient  les  Apôtres  à  Jefus  -  Chritl:  : 
j4daugenobisjidcm:  Seigneur,  augmentez  ^^c, 
ma  foi,  purifiez  ma  foi ,  affermiUez  ma  ^*  '7* 
ior;  car  je  fais  ,  mon  Dieu ,  que  c'eil  la 
foi  qui  nous  fauve  ,  non-feulement  parce 
que  c'eft  elle  qui  donne  le  prix  à  toutes 
les  bonnes  œuvres  que  nous  pratiquons, 
6c  qu'elle  en  eft  comme  la  perfeilion  , 
mais  encore  parce  que  c'eft  elle  que 
nous  engage  à  les  pratiquer,  &  qu'elle 
en  eft  le  principe.  Voici ,  Chrériens ,  ma 
penfée  ;  tâchez  de  la  comprendre. 

En  effet,  ce  font  deux  chofes  diffé- 
rentes que  d'agir  &  de  bien  agir  ;  ainfi  , 
que  la  toi  foir  une  condition  néceflaire 
pour  perte^Uonner  nos  œuvres  toutes  les 

Evj 


loS  Sur    la   Foi. 

fois  que  nous  ngiffons ,  il  ne  s'enfuit  pa* 
précirément  de  là  qu'elle  ait  une  vertu 
ipéciale  pour  nous  porter  à  agir.  Je  ne 
puis  faire  des  œuvres  de  falut  Sans  la  toi, 
c'eftla  première  proportion  que  je  viens 
d'établir  ;  mais  cette  propofition  n'eft  pas 
la  même  que  celle-ci.  Dès  que  j'ai  la 
foi ,  je  me  fens  animé  ,  excité  à  faire 
toutes  les  œuvres  du  falut  ;  &  rien  n'eft 
plus  propre  à  nous  infpirer  là-defTus  cette 
a6livité  &  ce  zèle  que  nous  admirons 
dans  les  Saints,  &  en  quoi  confiée  la 
ferveur  chrétienne  :  or  c'eft  encore  de 
cette  autre  manière  que  la  foi  nous  fauve. 
Car  imaginez'vous  ,  mes  Frères  (  c'efl 
îa  comparsifon  de  S.  Bernard ,  &  cette 
comparaifon  eft  très-naturelle  )  y  imagi- 
ïiez-vous  la  foi  dans  un  ]u{\e ,  comme 
le  premier  mobile  dans  l'ucivers.  Ce 
ciel  que  nous  appelions  premier  mobile, 
quoiqu'inf?niment  au-deffous  de  tous  les 
autres  cieux,  ne  lailTe  pas  de  leur  impri- 
mer fon  mouvement  &  fon  adion  ,  & 
qu'au  m.ême  temps  qu'il  roule  fur  .nos 
têtes, tous  les  autres  cieux  roulent  comme 
lui  &  avec  lui.  Si  ce  premier  mobile 
s'arrêtcit  ,  tout  ce  qu'il  y  a  de  globes 
célefles  s'arrcteroient  ;  mais  pirce  que 
fon  mouvement  efl:  continuel  ,  celui 
des  globes  inférieurs  n'efl:  jamais  inter- 
rompu. Il  en  eft  de  même  de  la  foi.  La 
foi  dans  une  ame  chrétienne  &  dans 
toutes  les  opérations  de  la  grâce ,  eil  iç 


Sur   la   Foi.  109 

premier  mobile  ;  c'eft  une  vertu  fupé« 
rieure  à  toutes  les  autres  ,  enforte  que 
toutes  les  autres  lui  font  lubordonnées , 
&  n'aglilent  par  rapport  au  falut  qu'au- 
tant qu'elles  font  mues  par  celle  -  ci  : 
tout  ce  que  je  fais  pour  Dieu,  je  ne  le 
fais  qu'en  conféquence  de  ce  que  j'ai  la 
foi  &  qu'à  proportion  de  ce  que  j'ai  de 
foi.  Si  j'ai  beaucoup  de  foi ,  je  fuis  dès-  ^ 
lors  déterminé  à  faire  beaucoup  pour 
Dieu  ;  fi  j'ai  peu  de  foi ,  je  deTiCure  dans 
la  langueur,  &.  je  tais  peu  pour  Dieu  ;  fi  je 
n'ai  point  du  tout  de  foi,  il  eft  infaillible 
que  je  ne  ferai  du  tout  rien  pour  Dieu. 
Notre  feule  expérience  nous  rend  cette 
théologie  fenfiûie  ;  mais  Saint  Paul  en- 
chérit encore  ,  6i  va  plus  avant  ;  car 
non-feulement  il  veut  que  la  foi  foit  la 
caufe  mouvante  qui  ùfîe  agir  en  nous 
toutes  les  vertus  ,  mais  il  veut  que  ce 
foit  elle-même  qui  produife  en  nous  les 
a61es  de  toutes  les  vertus,  &  que  toutes 
les  vertus  furiiaturelles  6c  divines  ne 
foient  proprement  que  les  inftruments 
de  la  foi.  Vérité  que  le  grand  Apôtre 
faifoit  entendre  aux  Galates  en  des  ter- 
mes fi  décitifs ,  quand  il  leur  difoit  que  la 
foi  opère  par  la  charité  :  fides  quœ.  per  GaZ^r^ 
charitdtern  operatur,  Pefez  bien  ces  paro-*^*  /* 
les  ,  Chrétiens  :  il  ne  dit  pas  que  c'eft 
la  charité  qui  opère  par  la  foi ,  mais  il 
dit  que  c'eil  la  ioi  qui  opère  par  la  cha- 
rité, qui  aime  par  la  charité,  qui  pardonne 
pur  I4  ^h^riié ,  qui  âflifce  par  là  charité  » 


lïO  Su  Pv     L  A     F  O  I. 

comme  fi  la  charité  n'avoit  point  dô 
tbnèlion  qui  lui  tïit  propre  ,  &  que  tout 
ce  qu'elle  fait  ou  qu'elle  entreprend  ,  fût 
l'ouvrage  de  la  foi.  Or  fi  c'eit  la  toi  qui 
opère  quand  nous  aimons  Dieu  Si  le 
prochain  ,  (  deux  devoirs  efTeniiels  où 
toute  la  loi  eft  renfernnée  )  qui  doute 
que  ce  ne  Toit  la  foi  qui  nous  laiive  ÔC 
qui  nous  jui^iîie  ? 

Dé  là  même  que  le  même  Saint  Paul  , 
par  une  fuite  de  raifonnements  qui  mé- 
rite toutes  nos  réflexions  ,  ne  Gifoit  point 
difficulté  d'attribuer  uniquement  à  la  foi 
les  effets  les  plus  merveilleux  &.  les  plus 
héroïques  de  toutes  les  autres  vertus  ; 
ne  reconnolffant  m.ême,  pour  airii  dire  , 
dans  le  Ciiriftianifme  qu'une  feule  vertu 
qui  eft  la  foi  ,  &  confondant  avec  la 
foi  tontes  les  vertus  chrétiennes ,  com- 
me il  psroit  c^e  Samt  Auguftin  -es 
comprencic  toutes  dans  la  charité.  Mais 
la  Théologie  de  Saint  Paul  eft  ici  bien 
plus  expreiTe  que  celle  de  Saint  Au- 
guftin  ;  car  écoutez  comment  il  parle 
dans  fon  excellente  épitre  auxHéjireu», 
Pour  exciter  notre  zèle  ,  il  nous  pro- 
pofe  l'exem.ple  des  Patriarches  de  l'an- 
cien Teftament  ;  &  rapportant  à  un  feul 
point  leur  éloge ,  il  nous  dit  que  tout 
ce  qu'ils  ont  fait  de  grand  ,  ils  l'ont  fait 
par  la  fol  :  que  «'eft  par  la  foi  qu'Abel 
présenta  à  Dieti  plus  d'hofties  que  Gain: 
fjshr.  ^'^^  plurlmam  hjftiam  Ahel  qiiùm  Cain , 
f.  Il,    «iuilii  Dco*    Que   c'oft  par  la-  foi  que 


Sur   la   Foï.  ïn 

Abraham  fe  rèfolut  à  immoler  lui-même 
fon  fils  :    Fide  obtulit  J'oraham    IfdJC  ,  Ihld» 
cutn  tentaretur  :  que  c'ell:  par  la  foi  que 
Moyfe  quitta  l'Eeypte  ,  &  renonça  au 
trône  de  Pharaon^:  Fide  Moyfes^  reliquit  Ihld, 
jEgyvtum  ;  ainfi  des  autres.  Mais  quoi , 
reprend  Saint  Chryfortome  ,  ne  tut-ce 
pas  l'ardente  charité  de  Moyfe  pourrie 
peuple  Juif,  qui  lui  fit  abandonner  l'E- 
gypte ?    ne  fut  -  ce  pas  la  piété  d' Abel 
&  fa  religion  qui  le  rendit  fi  libéral  en- 
vers Dieu  ,  &*qui  lui  fit  offrir  tant  de 
viaimes  ?    ne  fut-ce   pas  l'obéiffance 
d'Abraham   qui   le  fournit   à  Dieu  ,  & 
qui  lui  fit  former  la  généreufe  rélolution 
de   facrifier  fon   unique   6c    fon    biea- 
aimé?  Ah!   répond   ce  ûint  Doreur, 
tout  cela  fe  faifoit  par  la  foi.  H  eft  vrai 
qu'Abraham  obéit  à  Dieu ,  ôc  que  ce  fut 
une  abéiffance   plus  qu'humaine  ;  mais 
c'étoit  la  foi  qui  obéUToit  en  lui  ,  c'étoit 
la   foi  qui  étouffoit  dans  fon  coeur  tous 
les   fentiments  de  la  nature  ,  c'étoit  la 
foi  qui  le  rendoit  faintement  cruel  con- 
tre fon  propre   fang  :    comment  cela  ? 
parce   qu'il  efl  certain  qu'Abraham  ne 
confentit  à  la  mort  d'Ifaac  ,  &  ne  fe  dif- 
pofa  à  exécuter  Tordre  du  Ciel  qu'en 
vertu  de  ce  qu'il  crut  ,  félon  le  langage 
de  l'Écriture  ,  contre  toute  créance,  ÔC 
qu'il  elpéra   contre  l'efpérance  même  : 
Contra  fpem  in  fpem  credidit.  Ceft  pour-  Rom, 
quoi  l'Ecriture  ajoute  :  Credidit ,  &  repu-  c  4* 
tatum  e(l  lili  ad  jufiïtuni?  Abr*.ham  crut;,  Iklik 


ÎÎ2  S  U  R     L  A     F  O  I. 

&  il  fut  juftifii  devant  Dieu.  Elle  ne  ^k 
pas  ,  il  crut  &  de  là  il  obéit,  il  fortit  de 
ia  maifon  ,  il  alla  fur  la  montagne ,  il  dé- 
pouilla Ifaac,  il  leva  le  bras  &  il  fut 
eniiiite  iuftifié  :  mais  elle  die  fimplement , 
il  crut  &  il  fut  juftiiié  ,  imitant  en  quel- 
que manière  les  Philofophes  ,  qui  fans 
s'arrêter  à  de  longs  laifonnements ,  joi- 
gnent la  dernière  conféquence  avec  le 
premier  principe.  Crcdid'u  &  reputatum  ejl 
illi  ad  juflitidm  ;  il  crut  &  il  fut  juftihé  , 
parce  qu'en  effet  tout  le  refte  qui  contri- 
bua à  la  juflification  d'Abraham,  fe  trou- 
ve contenu  dans  ce  feul  mot ,  Credidit , 
comme  dans  fa  fource  &  dans  fa  caufe. 

C'eft  pour  cela  même  auffi  que  le 
Concile  de  Trente  voulant  nous  donner 
une  idée  exa6ie  de  la  foi ,  s'eft  fervi  de 
trois  paroles  bien  remarquables  ,  lorf- 
qu':l  nous  déclare  que  la  loi  eft  le  com- 
mencement ,  le  fondement  &  la  racine 
Conc.  de  notre  juftification  ,  Fides  eft  initium  , 
Trid.  fundamentum  &  radix  tôt  lus  juflificatio' 
nis  noflrcz.  Prenez  garde  à  ces  trois  diffé- 
rentes expreiîions  ,  qui  font  tellement 
liées  enfemble  oi  ont  un  tel  rapport,  que 
l'une  néanmoins  fignifie  toujours  plus 
que  l'autre  ,  puifque  le  fondement  dit  plus 
que  le  commencement ,  &:  la  racine  plus 
encore  que  le  fondement  ;  car  le  com- 
mencement eft  ce  qui  tient  le  premier 
rang  dans  l'ordre  des  chofes  :  miais 
outre  que  le  fondement  eft  la  première 
parue  par  où  commence  icdifice ,  c'elt 


SurlaFoi.  iij* 

ce  qui  foutient  &  qui  porte  toute  la 
iTiafle  de  l'édifice  4  or  porter ,  foutenir  eft 
plus  que  commencer.  De  même,  outre 
que  la  racine  eft  la  première  partie  de 
l'arbre ,  outre  qu'elle  foutient  tout  le 
poids  de  l'arbre,  c'eft  elle  qui  produit 
toutes  les  branches,  toutes  tes  fleurs, 
tous  les  fruits  de  Tarbre  :  or  produire 
eft  plus  que  foutenir  ;  &  voilà  les  trois 
caraderes  de  la  foi.  Elle  eft  la  première 
de  toutes  nos  vertus  :  ce  n'eft  pas  affez  , 
elle  fert  d'appui  &  debafe  à  toutes  nos 
vertus  ;  cela  ne  fuffit  point  encore  ,  elle 
produit  dans  nous-mêmes  toutes  nos 
vertus;  c'eft-à-dire,  Chrétiens,  que  fi 
je  fuis  jufte,  non-feulement  je  commen- 
ce par  la  foi ,  non-feulement  je  me  fou-, 
tiens  par  la  foi ,  mais  je  n'agis  &:  je  ne 
vis  que  par  la  foi,  fuivant  cet  oracle  de 
l'Ecriture  :  Ju(lus  autem  meus  ex  fide  Hehrl 
vïvît ,  mon  jufte  vit  de  la  foi.  Ah  !  la  c.  jo. 
belle  qualité,  m.es  chers  Auditeurs,  que 
d'être  le  jufte  de  Dieu  !  combieo  en 
voit- on  aujourd'hui  qu'on  peut  appeîler 
les  juftes  des  hommes  ,  tandis  qu'ils  font 
devant  Dieu  des  criminels  &  des  pé- 
cheurs ?  Mais  mon  jufte  ,  dit  le  Sei- 
gneur ,  n'a  point  d'autre  vie  en  qualité 
de  jufte  ,  que  la  vie  de  la  foi ,  c'eft  à 
cela  que  je  le  reconnois  :  Juflus  autem 
meus  ex  fide  vivit. 

Et  en  effet  ,  quand  je  vis  en  jufte  , 
toute  ma  vie  eft  nécelTairenent  une  vie 
de  foi  y  je  ne  délibère  ,  je  n'agis ,  je  iie{ 


ÎI4  Sur   L  A   fo  r, 

crains,  je  n*efpere ,  je  ne  recherche  &je 
ne  fuis  que  par  le  iriouvement  de  la  foi  : 
c'eft  la  foi  qui  me  faif  aimer  mes  enne- 
mis, car  fans  la  foi  je  les  haïrols  ;  c'efl 
la  foi  qui  me  fait  haïr  les  plcifirs  du 
iHonde ,  car  fans  la  foi  je  les  aimerois  ; 
c'eftjafoiqui  me  fait  oublier  une  injure, 
car  fans  la  foi  je  me  vengerois  ;  c'efl  la 
foi  qui  me  fait  bénir  Dieu  dans  les  fouf- 
frances,  qui  me  fait  eflimer  la  pauvreté, 
qui  me  fait  choifir  une  vie  auflere ,  car 
fans  la  foi  j'en  aurois  horreur.  La  foi  donc 
eille  principe  de  tout  bien  ,  &  c'efl  elle 
qui  me  vivifie ,  elle  qui  me  fauve.  Jujîus 
autcm  meus  ex  fide  vivït. 

Mais  fi  cela  efl  ,  pourquoi  dans  le 
Chriflianifme  même  &  jufques  dans  le 
centre  de  la  foi ,  de  cette  foi  fi  répandue 
lur  la  terre  ,  y  a-t-il  néanmoins  aujour- 
d'hui tant  de  Chrétiens  qui  le  damnent, 
&  fi  peu  qui  parviennent  au  falut  ?  Voilà, 
mes  Frères ,  &  il  en  faut  convenir ,  voilà 
une  4e  ces  grandes  difRcultés  qui  ont 
fait  l'étonnement  des  Pères  de  TEglife, 
&  fur^quoi  il  femble  que  Saint  Auguflin 
lui-même  ait  héhté  avec  toutes  les  lu- 
mières de  fon  efprih  Difficulté  que  je 
pourrois  éluder  d'abord  ,  en  conteflant 
le  principe  ,  favoir  que  la  foi  foit  aufîi 
répandue  dans  le  monde  qu'il  nous  plaît 
de  le  fuppofcr  :  Non  ,  non  ,  dirols-je, 
cela  ne  m'efl  point  évident  ;  &  pour  Thon- 
neur  de  la  foi  même ,  j'aime  mieux  dou- 
ter qu'elle  fgit  maintenant  fi  commune , 


r 

Su  R     LA    F  O  I.  ïlf 

que  de  reconnoître  qu'étant  fi  commi^ 
ne,  elle  produife  fi  peu  de  fruits.  Dé- 
trompons-nous, ajouterois-je  :   la  pré- 
dication de  l'Evangile  eit  répandue  dans 
tout  le  monde  ;  triais  plût  au  Ciel  qu'il 
en  fût  de  même  de  la  foi.    Car  il  y  a 
bien  de  la  différence  entre  la  prédica- 
tion de  l'Evangile  &  la  foi  :   l'une  eft 
une  grâce  extérieure  &  indépendante  de 
nous,  mais  l'autre  eft  une  vertu  inflife 
que  noiîs  devons  conferver  &  cultiver- 
dans  nous.     Cette  prédication  de  l'E- 
vangile, cette  grâce  extérieure  ,  par  une 
difpofiiion  favorable  de  la  Providence, 
eft  très-commune  ,  mais  Je  n'ai  que  trop 
lieu  de  craindre  que  la  foi  ne  foit  très- 
rare.  Jefus-Chrift  demandoit  à  fes  Dif-- 
cipies  ,  fi  lorfqu'il  viendroit ,  il  trouve- 
roit  encore  de  la   foi  fur  la  terre  ,  ne 
croyant    pas  ,    dit  Saint  Chryfoftome  , 
qu'il  y  en  dût  avoir  alors  ,  ou  prévoyant 
qu'il  y  en  auroit  peu  :  Vcrumtamen  films    £„^, 
homïnis  veniens  ,  putas  ,   invcniet  fidem  in  c.  i$% 
terra  ?  Or  n'eft-ce  pas  dans  notre  fiecle 
que   cette  parole  du  Sauveur  du  monde 
commence  plus  que  jamais  à  fe  vérifier  ? 
Quand  même   le   fils  de  Dieu  n'auroit 
point  parlé  de  la  forte,  la  vie  des  Chré- 
tiens  ne  feroit-elle  pas   plus  que  futfi- 
fante  pour  me  faire  douter  de  leur  toi  ; 
&  du  peu  de   ccnnoiilance  que  j'ai  du 
■^     monde  ,  n'aurois-ie  pas  droit  de  conclu- 
*       re ,  ou  au  moins  de  foupçonner ,  c[u'uii 
levain  d'infidéiité  ,  mais  d'une  infidélité 


ïï6  Sur    la   Foi. 

fecrette  &  déguifée  ,  y  caufe  une  cor- 
Tuption  fi  générale  ?  Car  enfia  ,  pourfui- 
vrois-je  avec  Saint  Bernard ,  il  eft  diffi- 
cile que  la  plupart  des  homiries  agiffent 
tout    autrement   qu'ils   ne    croient  ,   & 
qu'il  y  ait  dans  leur  conduite  une  con- 
tradi6tion    auffi   monftrueufe   que   celle 
de  vivre  comme  ils  vivent  &  d'avoir  la 
foi.   A  peine   cela  fe  comprend- il  ^  & 
dans  ce  prétendu  {yiïème  il  y  a  je  ne 
fais  quoi  de  fi  violent ,  qu'il  eu  comme 
ïmpofTïble  qu'on  le  puille  long  -  temps 
foutenir.  Quand  donc  je  vois  un  Chré- 
tien auffi  emporté ,   auffi  Tenfuel  ,  auffi 
ambitieux  qu'un  païen  &  même  au-delà 
d'un  païen  ;   au  lieu   de   dire  ,   comme 
on  dit  communément ,  cet  homme  dé- 
ment la  toi ,  je  dirois  prefque  ,  cet  hom- 
me  n'a  plus  abfolument   de  toi ,  parce 
que  s'il  en  avoit  ,  je  ne  conçois  pas  qu'il 
pût  la  démentir  û  univerTellement  &  fi 
conftamment,  &L  que  croyant  d'une  fa- 
çon, il  agit  toujours  de  l'autre.  Quand 
je  vois  une  femme  du  monde  tranquille 
dans  fes  défordres  ,  libertine   dans  fes 
converfations  ,  fcandaleufe  dans  fes  com- 
merces &  d-ans  fes  intrigues  ;  au  lieu  de 
dire,   félon  le  langage  ordinaire,  cette 
femme  a  une  foi  foible  &  languiflante , 
une  foi   ftérile    &  infru6lueufe ,  je  de- 
manderois  &  je  dirois  ,  cette  femme  a- 
t-elle  encore  une  étincelle  de  foi  ?  parce 
que  je  fuis  perfuadé  qu'il  n'en  faudroit 
pas  davantage  pour  lui  donner  horreur 


s  u  R   L  A   F  o  I.  iiy 

îde  fon  état ,  &  pour  l'en  fa're  for  tir. 
Ainfi  raifonnerois-je ,  &  ce  feroit  pour 
l'intérêt  même  &  pour  l'honneur  de  la 
foi.  Car  il  lui  feroit  en  quelque  forte 
plus  honorable  que  le  commun  des 
hommes  tût  réputé  pour  impie  &  pour 
être  fans  foi  ,  que  de  paffer  pour  en 
avoir  une  qui  ne  réfifte  à  rien  ,  qui  ne 
furmonte  rien  ,  qui  n'opère  rien  ;  que 
dis-je  ,  qui  laiffe  tomber  dans  les  plus 
honteux  dérèglements  Si.  dans  les  der- 
nières abominations.  Et  il  ne  faudroit 
point  m.e  répondre  que  ces  pécheurs 
mêm.es  qui  d'une  part  fe  livrent  à  leurs 
paillons  les  plus  déréglées  ,  proteflent 
hautement  d'ailleurs  qu'ils  ont  la  foi  :  je 
fais  ,  repliquerois  -  je  ,  qu'ils  le  protef^ 
tent  ;  mais  la  queftion  eft  de  favoir  Ci 
l'on  doit  s'en  tenir  à  ces  prcteilations , 
&  s'il  n'eft  pas  plus  jude  de  les  réduire  à 
la  preuve  que  demandoit  l'Apôtre  Saint 
Jacques  :  Oflende  mihi  fidem  tuam  fine  j^^^t^ 
operibus.  Chrétiens  ,  qui  peut-être  vous  ^^  ^, 
gloriiiez  de  ce  que  vous  n'êtes  p^s  ,  vou- 
lez-vous me  faire  connoître  votre  foi  ? 
ju(Htiez-la ,  par  où?  par  vos.  œuvres  : 
car  tandis  que  vous  détruirez  dans  la 
pratique  ce  que  vous  profelTez  de  bou-  " 
che  ,  tandis  que  je  ne  verrai  point  d'œu- 
vres  ,  je  me  détierai  toujours  de  vos 
paroles.  Et  n'eiVce  pas  là  ,  mes  chers 
Auditeurs  ,  que  nous  réduit  l'iniquité  du 
fiecle  ?  à  ne  pouvoir  plus  s'aiïurer  de  la 
foi  des  Chrétiens ,  à  ne  pouvoir  plus  dire 


!i8  s  u  p.    L  A    F  O  1, 

s'ils  en  ont ,  ou  s'ils  n'en  ont  pas ,  &c  a 
tiQ  (avoir  plus  ce  qu'ils  font  ?  N'eft-ce 
pas  là  l'état  déplorable  de  ce  qui  s'ap- 
pelle parmi  nous  le  monde  ?  Entrez  dans 
les  cours  des  Princes ,  defcendez  dans  les 
cabanes  des  pauvres  ;  alTiftez,  s'il  fe  peut, 
aux  confeils  fecrets  des  politiques  de  la 
terre  ;  parcourez  les  cercles  &  les  afTem- 
blées  ;  arrêtez- vous  dans  les  temples  & 
dans  les  lieux  faints  ,  par-tout  vous  de- 
manderez s'il  y  a  de  la  foi  ,  parce  que 
par-tout  vous  ne  trouverez  que  fcandale 
&  débordement  de  mœurs  :  Putas  ,  in- 
Xenïct  fidem  in  terra.  ? 

Mais  n'infiflons  pas  fur  ce  point  da- 
%'antage  :  peut-être  le  libertinage  pour- 
roit-il  s'en  prévaloir  ,  &  y  trouveroit-il 
un  prétexte  pour  s'autorifer.  Car  un  des 
prétextes  du  libertinage  ,  eft  de  préten- 
dre que  l'on  ne  croit  point  ,  &  que  l'on 
n'a  point  de  foi ,  &  cela  ,  pour  avoir 
droit  d'imputer  les  défordres  de  fa  vie 
au  défaut  de  perfuafion  qui  paroît  une 
excufe  honnête  ,  -au  lieu  de  les  impu- 
ter à  la  corruption  du  cœur.  Reconnoif- 
fons  donc  que  de  ce  grand  nombre  de 
Chrétiens  qui  fe  perdent  dans  le  monde, 
il  y  en  a  en  effet  plufieurs  qui  ont  encore 
la  foi  :  accordons-leur  tout  ce  que  nous 
pouvons  leur  accorder  ,  favoir ,  que  leur 
foi  fabiifte  ;  donnons-leur  cette  confo- 
lation ,  qu'ils  la  puiffent  conlerver  par- 
mi les  excès  d'une  vie  criminelle.  L'E- 
glife  ne  leur  difpute  pas  cet  avantage. 


SurlaFoî.  119 

elle  a  même  voulu  leur  en  maintenir  la 
poilefTion  par  une  décifion  expreffe  ,  en 
déclarant  dans  le  Concile  de  Trente 
qu'une  vie  impure  &.  corrompue  ne  va 
pas  toujours  jufqu'à  la  deftru6tion  de 
la  foi.  Avouons-le  avec  elle  :  on  peut 
être  chrétien,  &  mauvais  chrétien;  on 
peut  avoir  la  foi ,  &  agir  contre  la  foi  ; 
mais  alors  la  foi  nous  fauve-t-elle  ?  bien 
loin  de  nous  fauver ,  je  dis  que  par  un 
effet  tout  contraire  elle  nous  condamne  , 
6c  c'eft  k  féconde  Partie. 

IL  ne  faut  pas  s'étonner ,  Chrétiens ,  IL 
que  ce  foitla  même  foi  qui  nous  fauve  PARt* 
6i  qui  nous  condamne  devant  Dieu  ;  elle 
ne  fait  en  cela  que  ce  que  fait  Jefus-Chrift" 
même  ,  lequel  étant  l'auteur  de  notre 
falut,  devient  tous  les  jours  par  l'abus 
que  nous  faifons  de  fes  mérites  &  de  fa 
grâce  ,  l'auteur  de  notre  perte  éternelle 
&  de  notre  réprobation.  Ainfi  la  foi  qui 
ne  nous  a  été  donnée  que  pour  nous  juf- 
îifîer  ,  ne  laide  pas  de  fervir  à  nous 
condamner  ,  félon  les  différentes  m.anie- 
res  dent  nous  nous  comportons  à  fon 
égard,  &  les  divers  traitements  qu'elle 
reçoit  de  nous.  Mais  encore  pourquoi 
nous  condamne-t-eile  ?  comment  nous 
condamne-t-elîe  }  Deux  chofes  qui  me 
reftent  à  éclaircir,  &  qui  demandent  une 
attention  toute  nouvelle. 

Je   dis    que   la  foi    nous    condamne 
Içrfque  nous  ne  vivons  pas  félon  fes 


ïîo  Sur   la  Foi; 

maximes ,  parce  que  vivant  alors  dans  le 
défordre ,  nous  la  retenons  captive  dans 
l'injuftice ,  fuivant  l'expreffion  de  Saint 
Paul  ;  que  nous  lui  enlevons  le  plus  beau 
fruit  de  fa  fécondité ,  qui  font  les  bonnes 
œuvres  ,  comme  parlent  Saint  Hilaire  & 
Saint  Ambroife ,  6c  que  dans  le  ienti- 
nient  de  l'Apôtre  Saint  Jacques  ,  nous 
la  faifons  enlin  mourir  elle  -  même  au 
milieu  de  nous.  Or  ne  font-ce  pas  là 
autant  d'outrages  que  nous  lui  faifons, 
&  qu'elle  doit  veager ,  pour  ainfi  dire , 
en  nous  condamnant  ?  Prenez  garde  : 
nous  la  retenons  captive  dans  l'injukice  ; 
ce  font  les  propres  paroles  du  Maître  des 
Rom»  nations  :  Qui  veritatem  Dei  in  injuflitia, 
^«  '•  detinent;  ils  tiennent ,  dit-il ,  comme  dans 
les  fers  la  vérité  de  Dieu.  Or  la  vérité 
de  Dieu  n'eft  en  nous  que  par  la  foi  ;  & 
tandis  que  nous  menons  une  vie  corrom- 
pue ,  il  elt  évident  que  nous  faifons  vio- 
lence à  cette  foi ,  que  nous  la  tenons 
dans  la  fujétion  &  dans  l'efclavage  ; 
comment  cela  ?  parce  que  nous  ne  lui 
donnons  pas  la  liberté  d'agir  en  nous 
comme  elle  voudroit  &  comme  elle  de- 
Vrqit.  Dans  la  naiffance  du  ChriiHanif- 
me,  remarque  Saint  Bernard,  lorfqu'il 
y  avoit  des  perfécutions  ,  la  foi  étoit 
libre*,  pendant  que  les  fidelles  étoient 
captifs.  Maintenant  que  les  perfécutions 
ont  ceffé,  les  fidelles  jouifient  d'une  li- 
berté dont  ils  abufent ,  &  la  foi  eft  com- 
pie  enchaînée.  Quel  fujet  pour  nous  de 

confufion 


\ 


Sur   la   Foi.  12^ 

confufion  &  de  condamnation  ?  Jufques 
dans  les  prifons  &  dans  les  cachots  les 
martyrs  publioient  la  foi  qu'ils  avoient 
dans  le  cœur  ,  &  malgré  les  tyrans  ils 
confeffoient  hautement  Jefus-Chrift.  Il 
efl  bien  étrange  ,  lorfque  l'Eglife  eft  dans 
une  profonde  paix ,  que  la  foi  des  Chré- 
tiens n'ait  plus  la  même  liberté,  &  que 
cette  liberté  lui  foit  ôcée  par  des  Chré-»- 
tiens  même,  qui  deviennent  fes  pro- 
pres perfécuteurs  ;  &  qui  lui  font  plu» 
cruels  que  les  infidèles  ,  puifqu'ils  la 
mettent  dans  une  captivité  où  les  inii- 
deles  n'ont  pu  la  réduire  :  Qui  veri" 
tatcm  Dci  in  injufdtïâ  dctincnt.  Remar- 
quez cette  parole  ,  in  injujiitiâ:  car  falnt 
Paul  ne  dit  pas  feulement  que  nous 
tenons  notre  foi  captive ,  mais  que  nous 
la  tenons  captive  dans  l'injudice,  qui  eft 
pour  elle  la  plus  honteufe  &  la  plus 
odieufe  fervitude.  En  effet,  cette  foi  eil 
toute  fainte ,  &  nous  la  faifons  demeurer 
dans  des  âmes  toutes  criminelles  ;  elle  efl 
toute  pure  &  toute  chafte  ,  &  nous  la 
faifons  habiter  dans  des  âmes  volup- 
tueules  &  toutes  fenfuelles  :  Q^ui  veri- 
tateni  Dci  in  injuftltiâ  dctinent.  Que  fait 
donc  la  toi  ?  Ah  1  mes  chers  Auditeurs  , 
permettez  -  moi  d'ufer  de  cette  figure  , 
notre  foi  .linfi  traitée  par  nous-mêmes, 
ainfi  déshonorée  &  piofanée  ,  s'élere 
contre  nous  ;  elle  demande  a  Dieu 
juf^ice,  elle  crie  à  fon  tribun.il ,  &  ne 
doutons  pomt  que  Dieu  ne  l'écoute, 
Pomin,  Jçnu  h  F 


1Î2  Sur    la    Fou 

&.   qu'à    notre   ruine  il   ne  prenne  Ce^ 
intérêts. 

D'autant  plus  coupables  envers  ella 
&  "plus  condamnables  ,  que  par  les 
dérèglements  de  notre  vie  nous  lui 
faifons  perdre  fes  plus  beaux  fruits  &  fa 
plus  heureufe  fécondité.  Car  ,  comme 
nous  l'avons  déjà  vu ,  la  foi  efl  la 
fource  de  toutes  les  vertus ,  &  unefource 
féconde  qui  produit  fans  celle  de  nou- 
veaux fruits  de  grâce ,  ou  qui  les  peut^ 
produire.  En  voulez- vous  la  preuve, 
fenfible  }  Sans  parier  de  ces  faints 
Patriarches  de  l'ancienne  loi  &  de  leurs 
ceuvres  merveilleufes  que  TApotre  nous 
a  fi  bien  marquées  dans  fon  épître  aux 
Hébreux  ,  rappeliez  en  votre  çfprit  tout 
ce  qu'ont  fait  dans  la  loi  nouvelle  tant 
de  martyrs  de  l'un  &  de  l'autre  fexe ,  tant 
de  foiitaires  Ôi.  de  pénitents  ,  tout  ce 
que  font  encore  tant  de  religieux  dans 
le  cloître,  &  tant  d'ames  vertueufes  jul- 
qu'au  milieu  du  monde  :  remettez-vous 
le  fouvenir  de  tout  ce  que  vous  avez; 
entendu  dire  de  leurs  longues  oraifons, 
de  leurs  fangîantes  macérations ,  de  leurs 
veilles  Si  de  leurs  travaux  ,  de  leurs 
abftinences  Si  de  leurs  jeûnes  ,  de  la 
ferveur  de  leur  zèle  &  de  la  conftance 
infatigable  avec  laquelle  ils  ont  pratiqué 
jufqu'au  dernier  fouf  ir  de  leur  vie  toute  la 
perfeclion  de  l'Evangile.  Voilà  les  fruits 
de  la  toi  :  voilà  ce  que  la  foi  peut  opé- 
rer en  noui-n;^.T.es  6c  par  nous-mêmes. 


Sur    LÀ    Foi.  115 

Car  a  rardeur  des  fidèles  s'eft  ralentie  , 
la  vertu  de  là^oi  ne  s'eft  point  altérée  ; 
elle  a  toujours  les  mêmes  vérités  à  nous 
propofer,  Ôc  dans  ces  mêmes  vérités  les 
riêmes  motifs  pour  nous  exciter.  Mais 
nous ,  Chrétiens  ,  vivant  félon  TeTprit  du 
fiecle  &  félon  la  chair,  nous  étouffons 
ces  fruits  dès  leur  naiilance  ;  nous  avons 
la  foi  ,  mais  toute  agiiTante  qu'elle  eft^ 
elle  ne  nous  rend  pas  plus  vigilants , 
pas  plus  exacts  dans  l'obfervance  de 
nos  devoirs  ,  pas  plus  adonnés  aux 
oeuvres  de  la  piété  ;  c'eft  une  foi  olfive 
6i.  flérile  ,  parce  que  nous  en  arrêtons 
toute  l'adion. 

Nous  allons  même  plus  loin  ,  nous 
la  faifons  mourir  ,  félon  la  penfée  &C  ' 
l'exprefïion  de  i'x4pôtre  faint  Jacques  ; 
car  ce  qui  vivifie  la  foi  ,  ce  qui  en  efl 
comme  l'efprit,  ce  font  les  bonnes  œuvres. 
De  même  donc  que  le  corps  efl  mort , 
dès-là  qu'il  eii  féparé  de  i'ame  qui  lui 
donnoit  la  vie  ;  ainfi  la  foi  doit  être 
ceniee  morte,  dès-là  qu'elle  n'eH  plus 
accompagnée  des  œuvres  qui  i'animoient: 
Sicut  enim  corpus  fine  fpiritu  mortuum  Jac.c.t. 
cft  :  ita  &  fides  fine  opcrïbus  ntortuj.^'  26, 
ejl.  Et  à  prendre  la  chofe  dans  un  fens 
plus  réel  encore  &  fans  figure  ,  on  peut 
dire  que  rien  ne  conduit  pljs  directe- 
ment ni  plus  pro:;)ptement  à  l'infidélité 
'Se  au  libertinage  de  créance  ,  que  le 
libertinage  des  mœurs  :  or  après  avoir 
i'X  homicide  de  votre  ici  ,  que  devez- 

F.j 


î  24  s  u  R    L  A    F  o  r: 

vous  attendre  autre  cliofe  qu'un  juge- 
rnent  févere  Ôi  rigoureux  !  Oui  ,  mon 
cher  Auditeur  ,  penlez  bien  à  ces  deux 
paroles ,  homicides  de  votre  foi  :  voilà  le 
grand  crime  dont  on  vous  demandera 
compte  un  jour  ,  &  dont  il  faudra  porter 
la  peine  ;  c'efl  alors  que  cette  foi  morte 
dans  votre  cœur  ,  ou  par  l'inutilité  , 
ou  même  par  le  défordre  de  votre  vie  , 
commencera  tout-à-coup  à  revivre  , 
qu'elle  reffufcitera ,  qu'elle  fe  produira 
devant  Dieu  pour  votre  conviction  & 
pour  votre   condamnation. 

Je  dis  pour  votre  convi61ion  ;  car 
voulez  -  vous  favoir  ,  non  pas  préci- 
fèment  pourquoi ,  mais  commuent  elle 
vous  condamnera  ?  il  eft  aifé  de  vous  le 
faire  comprendre  ;  ce  fera  en  vous  con- 
vainquant de  trois  cKofes  ;  favoir ,  que 
vous  pouviez  vivre  en  chrétien  ,  que 
vous  deviez  vivre  en  chrétien  ,  &  que 
vous  n'avez  vécu  rien  moins  qu'en 
chrétien.  Trois  convictions  qui  vous 
fermeront  la  bouche  ,  6c  qui  malgré 
vous  ,  vous  feront  foufcrire  vous-même 
à  l'arrêt  de  votre  éternelle  réprobation. 
Elle  vous  convaincra  que  vous  pouviez 
vivre  en  chrétien  ,  parce  que  rien  ne 
vous  manquoit  pour  cela ,  ni  lumières 
ni  fecours  :  ni  lumières  ,  puifqu'elle 
vous  fervoit  elle  -  même  de  maitre  , 
puifqu'elle  vous  avoir  révélé  toutes  fes 
vérités  pour  vous  éclairer  ,  puifqu'elle 
yous  les  faifoit  entendre  fans  ceffe  au  fond 


Sur    la    Foi;  125 

<^e  votre  cœur ,  tantôt  pour  vous  exciter 
par  l'efpérance 3  tantôt  pour  vous  retenir 
par  la  crainte  ,  tantôt  pour  vous  engager 
par  un  faint  amour  ,  tantôt  pour  vous 
attirer  par  un  folide  intérêt  ,  toujours 
pour  vous  inftruire  &  pour  vous  tou- 
cher :  ni  fecours  ,  pulique  dans  le  Chrif- 
tiafiirme  voas  aviez  toutes  les  fources  de 
la  grâce  ;  tant  de  facrements  pour  vous 
purifier,  pour  vous  fortifier,  pour  vous 
réconcilier  ,  pour  vous  nourrir  &  vous 
faire  croitre  ;  tant  de  miniflres  du  Sei- 
gneur déporuaires  de  la  loi  de  Dieu  pour 
vous  Tenleigner,  difpenfateurs  des  tréfors 
de  Dieu  pour  vous  les  diftribuer ,  rem- 
plis de  l'elprit  de  Dieu  pour  vous  le  com- 
muniquer ,  revêtus  de  toute  la  puilTance 
de  Dien  pour  vous  fan61ifier  ;  tant  de 
bons  confeils,  d'exhortations  pathétiques 
&  véhémentes,  de  falutaires  exemples; 
enfin  tant  de  moyens  dont  le  détail  leroit 
infini,  &  dont  l'ufagevous  auroit  imman- 
quablement fauve.  Or  d'avoir  connu  &C 
d'avoir  pu ,  voilà  pourquoi  le  mauvais 
ferviteur  fera  jugé  avec  plus  de  févérlté  , 
fera  plus  rigoureufement  condamné,  fera 
plus  grièvement  puni. 

Encore  plus  digne  des  châtiments  de 
Dieu  ,  parce  que  la  foi  vous  convaincra 
ïîon-feulement  que  vous  pouviez  vivre 
en  chrétien,  mais  que  vous  le  deviez  : 
car  votre  parole  y  étoit  engagée  ,  vous 
Faviez  ainîi  promis  à  la  face  des  autels, 
&  fur    les  facrés   fonts   ^e  baptême  ; 

F  iij 


iiG  Sur    LA    Foi. 

%'ous  aviez  folemneHeinent  renoncé  au 
démon  &  à  toutes  Tes  œuvres,  renoncé 
au  monde  &  a  toutes  fes  pompes,  renonce 
a  la  chair  &  à  tous  fes  defirs  fentuels  ; 
on  l'avoir  dit  pour  vous  ,  &  dès  cjuc 
vous  vous  trouvâtes  en  état  de  le 
ratifier,  vous  l'aviez  dit  vous -mène. 
Or  ce  n'efl  point  en  vain  qu'on  pron^et 
à  Dieu  ,  &  de  tous  les  eng?.gem.ents  il 
n'en  efl:  point  de  plus  inviolables  que 
ceux  que  l'on  contra61e  avec  un  tel 
maître.  Dès-là  donc  que  vous  vous  étiez 
fournis  à  la  fui ,  vous  vous  étiez  fournis  à 
la  loi;  c'efl-à-dire,  dès- là  que  vous  aviez 
été  honoré  du  caraftere  de  chrétien  ,  & 
que  vous  aviez  comanencé  à  porter  le 
nom  de  chrétien  ,  vous  étiez  conféquem- 
ment  &  indifpenfablement  obligé  à  tous 
les  devoirs  du  chrétien  ;  vous  en  étiez 
refponfable  à  votre  foi  &  à  Dieu  même. 
Et  en  effet, pour  développer  encore  mieux 
îa  chofe  &  la  confidérer  plus  à  fond  ,  de 
toutes  les  contradiétions  n'eft-ce  pas  une 
des  plus  grolneres,  de  ne  pas  agir  comme 
Ton  croit,  ou  de  ne  pas  croire  comme 
l'on  agit  ?  tt  de  toutes  les  infidélités  , 
n'eft-ce  pas  une  des  plus  criminelles  & 
des  plus  monftrueufes ,  d'avoir  renoncé 
en  préfence  de  Dieu  ,  à  l'enfer  &  à  toutes 
les  œuvres  de  ténèbres ,  qui  font  tant  de 
péchés  profciits  par  la  loi  ,  &  de  les 
commettre  impunément  ,  volontaire- 
ment, habituellement?  d'avoir  renoncé 
AUX  vaines  pompes  du  monde,  ôc  d'en 


Sur    LA    Foi.  117 

être  adorateurs  ,  de  les  defirer  unique- 
ment,  d'y  afpirer  inceiTamment,  de  les 
rechercher  fans  relâche  ,  &  de  ne  tra- 
vailler que  pour  cela,  &  qu'en  vue  de 
cela ,  d'avoir  renoncé  à  la  chair ,  &  de 
ne  vivre  que  félon  la  chair  ,  de  n'écouter 
que  fes  paillons  ^  &  de  fuivre  aveuglé- 
ment toutes  fes  cupidités  t 

Voilà  néanmoins  de  quoi  la  foi  vous 
convaincra  ,  &  c'eft  le  dernier  témoi- 
gnage qu'elle  rendra  contre  vous  ;  je 
x'eux  dire  que  pouvant  vivre  en  chré-- 
tien  ,  que  devant  vivre  en  chrétien  ,  vous 
n'avez  vécu  rien  moins  qu'en  chrétien  ; 
car  c'eft  alors  que  développant  tous  fes 
principes  &  toutes  fes  maximes  ,  elle  les 
Comparera  avec  votre  vie  ,  ou  que  déve- 
loppant toute  votre  vie  ,  elle  la  compa- 
rera avec  fes  maximes  &  fes  principes. 
Or  quelle  oppofition  entre  i'un  &.  Tautre  ? 
Une  foi  qui  n'enfeigne  à  l'homme  que 
le  mépris  des  biens  terreftres  &  périf- 
fables ,  &  une  vie  toute  employée  à  les 
acquérir,  à  les  conferver,  à  les  accu- 
muler par  tous  les  moyens ,  juftes  ou 
iniulles  qu'infpire  une  avarice  infatiable  ; 
une  toi  qui  n'apprend  à  l'homme  qu'à 
s'humiiier  ,  qu'à  s'abailTer  ,  qu'à  fuir  les 
honneurs  mondains  Se  les  faulTes  gran-.* 
deurs  du  fiecle  ,  &:  une  vie  toute  occupée 
de  foins ,  de  projets  ,  d'intrigues  ,  fou- 
vent  très-criminelles  pour  l'avancement 
d'une  fortune  humaine  ;  une  foi  qui  ne 
prêche. à   l'homme  que  mortification, 

Fiv 


fSld  s  U  R     L  A     F  O  I. 

que  pénitence  ,  que  détachement  defoî- 
ïTiéine  :  &  une  vie  paffée  dans  les  jeux  , 
dans  les  fpe^lacles ,  dans  les  aiïembiées 
&  les  parties  de  plaifirs,  dans  les  plus 
honteufes  voluptés  ;  une  foi  de  pratique 
6c  d'a6tion  ,  &  une  vie  dénuée  de  toutes 
les  œuvres  chrétiennes.  Eft-ce  donc  ainfi 
qu'on  efl  chrétien  ou  qu'on  vit  en  chré- 
tien r  eft-ce  en  ne  taifant  rien-  de  tout 
ce  que  la  foi  ordonne ,  &  en  faifant 
tout  ce  qu'elle  défend  r  Tels  font  les 
reproches  que  vous  devez  attendre  de 
votre  foi  ;  6l  à  des  reproches  ii  bien 
fondés  &  fans  nulle  excufe ,  que  doit-il 
luccéder  autre  chofe  qu'un  jugement  fans 
iTiifericorde  ? 

Concluons ,  mes  chers  Auditeurs ,  par 
cette  penfee  avec  laquelle  je  vous  ren- 
voie ,  &  que  vous  ne  pouvez  trop  mé- 
diter :  Il  faut ,  ou  que  ma  foi  me  fauve  , 
eu  que  ma  toi  me  condamne.  Entre 
ces  deux  extrémités  point  de  milieu  : 
fi  ma  foi  n'eft  pas  le  principe  de  ma 
juftification  ,  elle  fera  imm.anquable- 
ment  le  fujet  de,  ma  réprobation.  11  ne 
tient  qu'à  moi  qu'elle  foit  pour  moi 
un  m.oyen  de  falut,  parce  qu'il  ne  tient 
qu'à  moi  d'en  faire  un  ufage  tel  que  je 
dois  &i  tel  que  Dieu  le  demande  :  mais 
fi  par  ma  faute  ce  n'efl  pas  un  moyen  de 
fclut  pour  moi ,  ou  que  je  me  rende  ce 
moyen  de  falut  inutile  par  l'abus  que  j'en 
ferai ,  il  ne  dépend  plus  alors  de  moi  que 
ce  ne  foit  pas  contre  moi  un  moyen  de 


i 


Sur   ia  Fot.'  ii^ 

«damnation  ,  parce  que  c'eil  un  talent  que 
Dieu  m'a  mis  dans  les  mains  pour  lui  en 
rendre  compte  &  pour  en  retirer  tout  le 
fruit  qu'il  en  attendoit.  Ce  feroit  donc 
bien  me  tromper  moi-même  ,  de  regar- 
der la  foi  que  j'ai  reçue  comme  une  de 
ces  chofes  indifférentes  qui  ne  peuvent 
nuire  lorfqu'elles  ne  fervent  pas.  Si  ma 
foi  ne  me  fait  pas  le  plus  grand  de  tous 
les  biens  ,  elle  me  fera  le  plus  grand  de 
tous  les  maux  :  c'eft  à  moi  de  prendre 
mon  parti  entre  l'un  &  l'autre  ;  mais  je 
n'ai  que  l'un  ou  l'autre  à  choiiir.  Que 
dis-je  ,  &  y  a-t-il  là-deiTus  à  délibérer  } 
y  a-t-il  à  héfiter  un  moment,  dès  qu'il 
eft  queilion  de  fe  garantir  d'une  éterniré 
nialheureufe  ,  &  de  fe  procurer  une 
Souveraine  félicité. 

Ah  !  Chrétiens  ,  penfons  fouvent  aux  • 
accufations  que  formera  contre  nous  8c 
aux  reproches  que  nous  fera  cette  foi, 
quind  nous  comparoitrons  avec  elle 
devant  le  tribunal  de  Dieu.  C'eft  à  quoi 
nous  ne  faifons  guère  de  réflexion 
maintenant  ;  mais  quand  la  figure  du 
inonde  fe  fera  évanouie  ,  &  que  nous 
nous  retrouverons  feuls  avec  cette  foi  en 
la  préfence  de  Dieu ,  que  lui  répondrons- 
nous  ?  Voilà ,  mon  cher  Auditeur  ,  à  quoi 
nous  devons  nous  préparertous  les  jours 
de  notre  vie.  H  vous  en  coûtera  quelque 
fujétion,  quelques  violences,  quelques 
efforts  ;  mais  il  vaut  bien  mieux  fe  con- 
trjundre  pour  quelque  temps ,  que  de 

*   Fv 


130  Sur   la   "Foi. 

^'expofer  à  un  malheur  qui  ne  doit  jamais 
finir.  Car,  ie  le  répète  ,  &  je  ne  piMs 
allez  vous  le  faire  entendre ,  s'il  arrive 
que  vous  vous  perdiez  ,  ce  fera  dans 
votre  foi  même  que  vous  trouverez 
votre  plus  cruel  tourment.  Vous  n'aurez 
plus  cette  foi  furnaturelle  &  divine 
qui  efl  un  des  dons  de  Dieu  les  plus 
précieux,  c'ert  une  grâce  dont  Dieu  vous 
dépouillera  ;  mais  vous  aurez  encore  le 
fouvenir  de  cette  foi ,  mais  vous  aurez 
encore  le  caraftere  de  cette  foi  ,  mais 
vous  aurez  encore  toutes  les  connoif- 
fances  que  vous  donnoit  cette  foi ,  &  c'eil 
cela  même  qui  fera  votre  fupplice.  Vous 
aurez,  dis-je,  le  fouvenir  de  cette  loi 
qui  vous  enfeignoit  de  fi  folides  vérités 
que  vous  avez  méprifées  ,  qui  vous  don- 
noit de  (i  fiintes  règles  de  conduite  que 
vous  n'avez  pas  fuivies  ,  qui  vous  pro- 
mettoit  de  fi  grandes  réco-.ripenfes  que 
vous  n'avez  pas  pris  foin  de  mériter,  & 
ce  fouvenir  fera  plus  cuifant  pour  vous 
que  tout  le  feu  de  l'enfer.  Vous  porterez. 
encore  tout  le  caraâere  de  cette  foi ,  c'efl- 
à-dire,  le  caratlere  du  baptême,  &  ce 
cara<Stere  fera  le  figne  à  quoi  les  démons, 
jniniftres  de  la  juftice  de  Dieu  ,  vous 
difcerneront  entre  les  réprouvés  ,  pour 
exercer  fur  vous  avec  plus  de  fureur  toute 
leur  rage.  Vous  aurez  encore  tou'es  les 
connoiitances  que  vous  donnoît  cette 
foij-ôc  ces  connoillances  fuppléeront  au 
d^aut  de  cette  loi^  enforte  que  vou* 


s  L  R      L  A     F  O  I.  131 

croirez  toujours  Dieu  comme  les  démons 
le  croient  ,  &  que  vous  tremblerez 
comme  eux ,  que  vous  vous  défefpéuerez 
comme  eux,  que  votre  créance  fera  pour 
vous  ,  comme  pour  eux ,  le  fujet  de 
votre  confufion  éternelle. 

Mais  il  feroit  donc  plus  à  fouhaiter 
de  n'avoir  jamais  eu  la  toi  ?  oui ,  mes 
Frères  ,  il  leroit  plus  avantageux  de  ne 
Tavoir  jamais  eue,  que  de  l'avoir  pro- 
fanée par  une  vie  criminelle  ;  mais  cela 
même  ne  fera  plus  en  votre  pouvoir  ; 
car  malgré  vous  il  fera  éternellement 
vrai  que  vous  aurez  été  chrétiens  ,  &  il 
faudra  éternellement  porter  la  peine  de 
ne  l'avoir  été  que  de  nom  &  dans  la  fpé- 
culation  ,  fans  l'être  de  mœurs  &  dans 
l'adion.  Pour  prévenir  ce  reproche  ÔC 
l'aôreux  châtiment  dont  nous  fommes 
menacés  ,  quelle  réfclution  avons-nous 
à  prendre  ?  point  d'autre  que  de  con- 
ferver  la  foi  &  de  vivre  félon  la  foi.  Cette 
foi  nous  dit  des  chofes  qui  répugnent  à 
nos  fens  ,  mais  il  s'y  taut  foumettre  : 
elle  nous  dit  que  le  monde  eft  notre  plus 
dangereux  ennemi ,  fuyons-le  :  elle  nous 
dit  de  nous  haïr  nous-mêmes  &  de  nous 
renoncer  nous-mêmes,  travaillons  à 
acquérir  ce  faint  renoncement,  &  prati- 
quons-le autant  qu'il  ed  néceilaire  :  elle 
nous  dit  de  mortifier  la  chair  par  l'efprit 
&  d'en  réprimer  les  dcfus  ,  combattons- 
les  généreufement  &  conftamm.ent  :  elle 
cous  dit  d'être  humbles  jufques  dans  k 

f  vi 


i^i  Sur  LA  Foi.' 

grandeur,  d'être  pauvres  jufques  dans 
Tabondance  ,  d'être  pénitents   jufqu'aa 
milieu  desaifes  &  des  commodités  ;  en- 
treprenons tour  cela  &  venons  à  bout  de 
tout  cela.  Nous  aurons  dans  les  fecours 
de  la  grâce  &  dans  les  motifs  de  notre 
foi  de  quoi  nous  animer,  de  quoi  nous 
fortifier,  de  quoi  nous  rendre  tout  facile. 
Demandons-les  avec  confiance  ces  fe- 
cours ,  &  Dieu  ne  nous  les  refufera  pas. 
Ayons'les  continuellement   devant    les 
5^eux  ,  ces  motifs ,  &  ils  nous  foutien- 
dront;  alors  nous  mériterons  d'entendre 
un  jour  de   la  bouche  de  Jefus-Chrifl 
ce  qu'il  dit  au  Centenier  de  notre  Evan- 
gile :  Sicut  credidijîi  fiât  tibi  ;  qu'il  vous 
loit  fait  comme  vous   avez  cru.  Vous 
avez  fait  valoir  le  talent  que  je  vous  avois 
confié,  vous  avez  rendu  votre  foi  fertile 
en  bonnes  œuvres  &  agiffante  ;  venez  en 
recevoir  larécompenfe.  Vous  avez  mar- 
ché par  le  chemin  qu'elle  vous  traçoit  , 
-vous  l'avez  fuivi  &  vous  y  avez  perfé- 
févéré  ;  venez  prendre  porfeiTion  de  mon 
Royaume  célefie,  qui  eil  le  terme  où 
elle  vous  appelloit ,  &  où  vous  jouirea; 
d'une  félicité  éternelle ,  &ç. 


133 
JL   ju   4.4.4.   4.-f4.4-4.4»   4.4.   ^»- 

XX  X  :<XX  KXXXîX  XXX  KX  XXX 

V  V  V  *r  n»  +  V  +  V   V  n»  -^  •;♦  •îr 

SERMON 


POUR 

LE  QUATRIEME  DIMANCHE 

APRÈS    L'EPIPHANIE. 

Sur  les  Afflictions  des  Juftes   &  la. 
Projhérité  des  Pécheurs. 

Afcendente  Jefu  in  naviculam  ,  fecuti  funt  eum 
difcipu'i  ei'Js  :  &  ecce  motus  magnus  faèius 
eft  in  mari  ,  ita  ut  ravicuîa  operiretur  âuc- 
tibus.  Ipfe  verô  dormiebat  ;  &  fufcitaverunt 
eum  diicipuli  ejuî ,  dicentes  :  Domine  ,  lalva 
r.os  ,  périmas.  Et  dicit  eis  :  Quid  timidi  eftis, 
modicae  fidei  ? 

J,:fus  étant  entré  dans  une  harque  ,  fis  dlfciples 
le  fuivirent  ,  Se  aujf-tôt  il  s^éleva  fur  la  mer 
une  grande  tempête  ;  enfcrte  que  la  barque 
étoit  couverte  de  flots.  Lui  cependant  dormoit  , 
&  fes  dlfciples  le  réveillereru ,  en  lui  difant  : 
Seigneur  ,  fauve-^  -  nous  ,  nous  allons  périr, 
Jefus  leur  répondit  :  Pourquoi  crni^ne\vous  , 
hommes  de  peu  de  foi  ?  En  Saint  Matth.  ch.  S. 

VOiLA,  Chrétiens,  une  image  bierî 
naturelle  de  ce  qui  fe  paiTe  tous  les 
jours  ù  nos  yeux  &  parmi  nous.  Il  femble 
que  le  Saint-£.iprit  en  nous  I4  traçant 


134  Sur  LES  AFFLTCT.  DES  Justes 
dans  cet;,E vpngile ,  ait  expreilément  vou» 
lu  nous  reprélenter  un  des  plus  grands 
rayileres  de  la  conduite  de  Dieu  lur 
les  hommes  ,  &  en  faire  le  fujet  de 
notre  initru6i:ion.  Les  Difciples  de  Je- 
fus-Cnriil: ,  c'eil-à-dire  les  juftes  &  les 
élus  de  Dieu  ,  vivent  dans  le  monde, 
que  nous  pouvons  confidérer  comme 
une  mer  orageufe  ,  &  s'y  trouvent  em- 
barqués par  les  ordres  même  de  la 
providence  ;  Dieu  eil:  avec  eiix  &  ne 
les  quitte  jamiis  ;  il  les  fuird  ns  toutes 
leurs  voies  ,  il  les  éclaire  &  les  lou- 
tient  :  mais  du  rede  ,  à  en  juger  par 
les  apparences  ,  on  diroit  en  mille  ren- 
contres qu'il  s*en  éloigne ,  qu'il  les  ou- 
blie ,  qu'il  les  abandonne^  qu'il  eft  à 
Jeur  égard  comme  endormi  :  Ipfe  vero 
dormiebat.  11  permet  qu'ils  K/ienr  alTail- 
lis  &  battus  des  plus  violentî»  orages  , 
tju'ils  foienr  expofés  aux  plus  rudes  ten- 
tations ,  qu'ils  foient  affligés  &  prf:fqae 
accablés  des  miferes  de  certe  vie.  Or 
qui  croiroit  alors  qa!il  y  a  une  Provi- 
dence qui  prend  foin,  de  leurs  perfonnes  , 
ou  qui  ne  croiroit  pas  au  moins  que 
cette  providence  eft  enfevelie  dans  un 
profond  fommeil,  &  qu'elle  ignore  leurs 
befoins  ,  fur  -  tout  lorfqu'on  voit  les 
impies  profpérer  fur  la  terre,  vivre  dans 
Je  calme  ,  tenir  les  premiers  rangs  ,  jouir 
de  l'abondance  ,  être  en  polTelîion  de 
-tout  ce  qui  s'appelle  fortune  &  bonheur 
"•fctiUTîain  ?  C'eft  en  vue  de  ce  partage  il 


ET  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.   Î35 

Tu r prenant  &  fi  peu  conforme  à  nos 
idées  ,  que  David  s'écrioit  »Sc  difoit  à 
Dieu:  Exurge  ^  quurc  obdormis  ,  Domi- Pf,  ^j^ 
ne?  levez- vous.  Seigneur,  6c  pourquoi 
denieurez-vous  dans  certc  efpece  d'af- 
foupiflement  ?  Et  c'efl  ainfi  que  nous  lui 
dilbns  encore  nous-mêmes  comme  les 
Apôtres  :  Domine  ^  falva  nos  ,  pcrimits  ; 
hé  Seigneur  j  ou  êtes-vous  ?  nous  pé- 
riiïbns  &  vous  nous  délaifTez  ;  tous  les 
maux  viennent  nous  accueillir  ,  &  il  fem- 
ble  que  vous  y  foyez  infenfible.  Mais 
à  cela  ,  Chrétiens  ,  point  d'autre  ré- 
ponie  de  la  part  de  Dieu  que  celle  de 
Jefus-Chrifl:  à  les  Difciples  effrayés  6c 
confternés  :  Q^uid  timidi  eflis  ,  modiceB 
fidei  ?  où  eft  votre  foi  ?  où  eft  la  con- 
fimce  que  vous  devez  avoir  en  votre 
Dieu?  que  craignez- vous  quand  je  fuis 
avec  vous?  Myftere  delà  providence, 
dont  je  veux  aujourd'hui  ,  mes  chers 
Auditeurs,  vous  entretenir,  &  dont  il 
Qi\  d'une  importance  extrême  que  vous 
foyez  inftruits.  Ce  n'eit  point  précifé- 
ment  aux  pécheurs  que  j'ai  à  parler  ;  c'eft 
aux  âmes  iidelles  ,  c'eft  aux  prédeftinés 
du  Seigneur  ,  c'eft  à  ceux  qui  font  état 
de  le  fervir  ,  &  qui  tout  attachés  qu'ils 
font  à  fon  fervice.  voient  fouvent  tom- 
ber fur  eux  tous  les  fléaux  du  Ciel  ,  tan- 
dis que  les  mondains  palfent  leurs  jours 
dans  le  plaifir  &  dans  la  joie.  Je  vais  là- 
dedus  les  rafTurer  &  les  confoler  aprè^ 
c^ue  nous  aurons  demandé  le  fecours  du. 


'136   Sur  les  afflict.  dïs  Justes 
Saint-Erprit  par  i'interceiîion  de  Marie; 
j4ve  Maria. 

C'EsT  de  tout  temps  que  la  foi  des 
Chrétiens  a  été  troublée^  &  leur  con- 
fiance en  Dieu  ébranlée  ,  de  voir  les  mé- 
chants dans  la  profpérité  &  dans  le  repos, 
pendant  que  les  juftes  font  dans  Tadver- 
îité  &  dans  le  travail.  Ce  partage  ,  à 
ce  qu'il  paroit  ,  fi  injufte  ,  a  toujours 
été  ,  pour  ainfi  dire  ,  le  fcandale  de  la 
Providence.  Car  de  là  les  pécheurs  ont 
pris  fujer  de  triompher  infolemment 
dans  la  vie  ;  &  de  là  les  plus  gens  de 
bien  fe  font  relâchés  dans  le  chemin  de 
la  vertu  :  de  là  même  les  plus  grands 
Saints  en  font  venus  prefque  jufqu'à  for- 
mer des  doutes  au  préjudice  de  leur  toi. 
?/.  yjz.  Ecoutez-en  parler  David  :  Mei  autem 
pcne  moti  funt  pedes  ,  penè  effufi  funt 
greffus  mei.  Pour  moi  ,  difoit-il,  je  le 
c  on  te  (Te  ,  j'ai  fenti  ma  foi  chanceler; 
&  quelque  folide  que  fût  le  fondement 
de  mon  efpérance  ,  je  me  fuis  vu  fur 
le  point  de  fuccomber  :  6i  pourquoi? 
parce  qu'il  s'eft  élevé  dans  mon  pœur 
un  mouvement  de  zèle  &  d'indigna- 
tion ,  à  la  vue  des  pécheurs  qui  goûtent 
la  paix  ,  qui  réuffiffent  dans  leurs  de(' 
feins  ,  qui  établiiTent  leurs  maifons ,  à  qui 
7^;j,  rien  ne  manque  dans  la  vie  :  Quia  ^e- 
lavi  fuper  iniijuos  ,  pacem  peccatorum  vi- 
dcns.  En  eiTet,  ai-je  dit,  com.ment  eft-il 
pofTible  que  Dieu  fâche  ce  qui  fe  p-fTç 


ET  LA  PR05P.  DES  PÉCHEURS.     I37' 

îcl-bas  ,  Si  comment  puis- je  croire  qu'il 
V  prenne  garde  ?  Quomodo  fcit  Deus  ,  Ihiài 
&  cft  fcientia  m  excelfo  ?  Les  libertins  ôc 
les  impies  font  les  plus  heureux  ,  les 
plus  honorés  ,  les  plus  riches  :  Ecce  ipjî  Ihià*  ^ 
pcccatores  &  abundantes  in  ftzculo  obti- 
nucrunt  dïvitias.  D'où  j'ai  prefque  con- 
clu ,  ajoute  le  même  Prophète  ,  qu'il 
m'étoit  donc  inutrle  de  conferver  mon 
cœur  dans  l'innocence,  &  d'avoir  les 
mains  nettes  de  toute  injuftice  :  Et  dixi,  Ibidt 
ersp  fine  causa  juflijîcavi  cor  meum  ,  6* 
Livi  inter  innocentes  manus  meas.  Ainfi  par- 
îoit  le  plus  faint  Roi  du  peuple  de  Dieu  , 
&  c'étoit  le  reproche  que  taifoient  les 
païens  aux  fidèles.  Quel  Dieu  iervez- 
vous  ,  leur  difoient  ces  idolâtres  ?  ou- 
eft  fa  juftice  envers  vous  &  ia  bon- 
té ?  il  vous  voit  pauvres  &  languif- 
fants ,  &  il  ne  prend  nul  foin  de  vous  ; 
eft-ce  qu'il  ne  le  peut,  ou  qu'il  ne  la 
veut  pns  t  fi  c'eft  impuiilance ,  il  n'eft 
pas  Dieu  ,  &  auiîl  peu  l'eft-il ,  fi  c'eft 
infenfibilité.  Vous  vous  promettez  l'im- 
mortalité dans  un  autre  monde  que  ce- 
lui-ci; mais  qu'elle  apparence  qu'ua 
Dieu  que  vous  vous  figurez  aflez  puif- 
fant  &  aflez  bon  pour  vous  reflufci- 
ter  nprès  la  mort  ,  ne  vous  fecourût 
pas  dans  la  vie  ?  Cependant  vous  re- 
noncez à  tous  les  plailirs  ,  vous  ne  ve- 
nez point  à  nos  fpetlacles  ,  vous  fouf- 
frez  la  faim  &  la  foif ,  vous  endurez  les 
plus  rigoureux  tourments  ;  d'où  il  arriva 


13S'    Sur  les  afflict.  des  Justes 

que  vous  ne  jouifTez  ni  de  la  vie  pré- 
lente  où  vous  êtes,  ni  de  cette  vie  fu- 
ture &  imaginaire  que  vous  attendez'.  A 
cela  les  Pères  faifoient  diverses  répohfes  : 
la  plupart  nioient  la  fuppolition  ,  pour 
établir  une  vérité  toute  oppofee  ;  car  ils 
foutenoient  que  jamais  les  jufles  ne  font 
malheureux  fur  la  terre,  &  que  jamais 
les  impies  n'y  goûtent  un  véritable  bon- 
heur. Intslli^at  homo  ,  difoit  Saint  Au- 
Au^^fi.  giftin  ,  nunquam  Deus  permittit  malos 
ejfe  felices.  Que  l'homme  s'applique  à 
bien  comprendre  ceci  :  jamais  Dieu  ne 
perm.et  que  les  méchants  Toient  heu- 
reux ;  ils  paffent  néanmoins  pour  l'être, 
ajoutoit  ce  faint  Docteur  ,  mais  on  ne 
les  croit  heureux  que  parce  qu'on  ignore 

j.  en  quoi  confifte  la  vraie  félicité  :  Lîeo' 
jhdus  felix  puîatur  .  quia  quid  fit  fdici' 
tus  ignoratur.  Et  il  n'en  faut  point  juger 
par  de  certains  dehors.  Tel  ,  dit  Saint 
Ambroife  ,  me  paroît  avoir  la  joie  dans 
le  cœur  ,  dont  le  cœur  eft  déchiré  de 
mille  chagrins  ;  il  eft  à  fon  aife  félon 
mon  eilime ,  mais  d^ms  fon  idée  &  en 

Ambr,  q^q^  \\  gf^  miférable  :  Meo  affeclu  beatus 
efl  y  &  fuo  ,  mifer.  C'eft  ainfi,  dis  -  je, 
que  les  Pères  s'en  expliquoient.  Mais , 
Chrétiens,  je  prends  la  chofe  tout  au- 
trement ;  ne  difputons  point  aux  impies 
&  aux  pécheurs  la  polteiTion  des  joies 
humaines ,  &  convenons  que  les  jufles 
font  aulfi  malheureux  dans  le  temps 
({ue  les  mondains  le  penfent.  Cela  pofé> 


ET  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.     T]^ 

je  prétends  que  nous  femmes  toujours 
coupables  ,  fi  nous  nous  défions  de  la 
n!vine  providence  qui  l'a  ordonné  de 
la  forte  ;  &  pour  vous  en  convaincre  , 
j'avance  deux  proporiticns  qui  renfer- 
ment tout  ce  qu'on  peut  dire  de  plus 
foiide  fur  cette  matière  ôc  qui  partage- 
ront ce  difcours.  Je  foutiens  d'abord 
que  dans  cette  conduite  de  Dieu  il  n'y 
a  rien  qui  doive  ni  qui  puiffe  ébranler 
notre  foi  ;  c'eft  la  première  Propofition 
&  la  première  Partie.  Je  dis  plus  ,  & 
je  foutiens  même  que  cette  conduite  de 
Dieu  a  de  quoi  établir  &  confirmer 
notre  foi  ;  c'efl  la  féconde  Propofition 
&  la  féconde  Partie.  Développons  l'une 
&  l'autre  ,  &  ne  croyez  pas  que  je" 
veuille  là-deffus  m'arrêter  à  de  vaines 
fubtilités  ;  j'ai  des  preuves  à  produire 
également  fenfibles  &  touchantes.  Com- 
mençons. 

SAiNT   Auguftin  dit  un  beau  mot,     T. 
que  les  fecrecs  de  Dieu  doivent  nous  Part. 
imprimer  du  refpe(S: ,  doivent  nous  ren- 
dre attentifs  aies  confidérer,  doivent  nous 
exciter  à  en  faire  la  recherche  ,  autant 
que  l'humilité  de  la  foi  nous  le  permet; 
mais  qu'ils   ne    doivent   jam.ais  trouver 
d'oppofuion  dans  nos  efprits ,  &  qu'il  ne 
nous  appartient  pas  d'en  vouloir  juger 
ni    d'entreprendre    de    les    contredire: 
Secretum  Dei  intentas   nos   hibere  débet ,  Augvjf, 
non  advcrfos.  Voilà,  mes  chers  Auditeurs, 


t4o  Sur  les  afflict.  des  Justes 

une  maxime  bien  chrétienne  &  bien 
importante  ;  car  un  des  plus  grands 
déiordres  de  notre  efprit  ,  eft  de  fe 
révolter  d'abord  contre  tout  ce  qui  ps- 
roît  contraire  à  nos  lumières  &  à  nos 
vues  ;  &  c'eft  de  ce  principe  que  pro- 
cèdent toutes  les  erreurs  où  nous  tom- 
bons à  l'égard  de  Dieu  :  or  écoutez 
comment  je  me  fers  de  la  maxime  du 
faint  Doéieur  ,  pour  établir  ma  pre- 
mière propofition  touchant  ce  partage  (i 
inégal  des  biens  &  des  maux  de  cette 
vie  ,  qui  fait  que  les  juftes  ibuft'rent  , 
pendant  que  les  impies  profperent.  Je 
prétends  qu'il  n*y  a  rien  en  cela  qui 
doive  troubler  notre  foi  ;  &  en  effet  , 
quand  je  ne  verrcis  nulje  raifcn  de  cette 
conduite  de  Dieu ,  quand  ce  feroit  un 
abyme  où  je  ne  découvrirois  rien  ,  & 
que  mon  efprit  s'y  perdroit,  m^a  foi  n'en 
devroit  point  être  altérée ,  Si  tout  ce  que 
j'aurois  à  faire  ,  ce  feroit  de  m.'écrier  avec 
Saint  Paul  ,  ô  altiîudo  !  &  de  reconnoî- 
tre  que  c'eft  un  fecret  de  la  Providence 
que  je  dois  adorer  ,  &  non  pas  péné- 
trer. Ainfi  quand  je  ne  conçois  pas  l'au- 
gufte  &.  incompréhenfible  myO.ere  d'un 
Dieu  en  trois  perfonnes  ,  je  ne  crois 
pcîs  dès- lors  avoir  droit  de  le  révoquer 
en  doute  ;  je  ne  crois  pas  pouvoir  con- 
clure :  il  n'y  a  donc  point  de  Dieu,  il 
n'y  a  donc  point  de  fouverain  Être  ;  mais 
je  conclus  que  ce  fouverain  Être  efl:  au 
deffus  de  toute   intelligence   humaine , 


ET  LA  PROSP.  DES  PeCHEURS.-^  I41" 

ôi  je  n'en  demeure  pas  moins  inviola- 
blement  attaché  à  ma  créance.  Pourquoi 
ne  ferois-je  pas  ici  le  même  ?  &  quand 
il  s'agit  d'un  point  qui  regarde  la  pro- 
vidence de  Dieu  Si.  (a  conduite  dans  le 
gouvernement  du  monde  ,  pourquoi  ea 
voudrois-je  douter,  &  pourquoi  me 
troublerois-je  ,  parce  que  je  ne  le  com- 
prends pas  ? 

Car  enfin ,  j'ai  d'ailleurs  mille  preu- 
ves qui  me  convainquent  qu'il  y  a  une 
Providence  dans  l'Univers  ,  &  que  tout 
ce  qui  arrive  fur  la  terre  eft  de  Tordre 
<Je  Dieu.  Je  n'ai  qu'à  ouvrir  les  yeux  , 
je  n'ai  qu'à  contempler  le  Ciel ,  je  n'ai 
qu'à  coniidérer  toutes  les  créatures;  ii 
n'y  en  a  pas  une  qui  ne  me  rende  té-- 
moignage  de  cette  vérité  ,  &  qui  n'en 
foit  pour  moi  une  démonftration.  Les 
païens  &  les  barbares  l'ont  reconnue, 
&  je  ferois  plus  infidèle  que  les  infidèles 
même  fi  je  refufois  de  m'y  foumettre  : 
cependant  contre  tous  ces  témoignages 
il  fe  forme  une  difficulté  dans  mon  ef- 
prit.  S'il  y  a  une  Providence  ,  me  dis  je 
à  moi-même,  comment  fouffre-t-elle 
que  les  juftes  foient  opprimés ,  6c  les  im- 
pies exaltés  ?  Voilà  ce  qui  me  tait  peine. 
Or  je  vous  demande  ,  Chrétiens  ,  eft-ii 
raifonnable  que  pour  cette  feule  diffi- 
culté ,  je  me  départe  d'un  principe  de 
foi  auiîi  infaillible  ôc  aufTi  folidement 
établi  que  l'eft  celui  d'une  Providence  j 
&:  que  parce  qu'il  y  a  ua  certain  poin^ 


14^   Sur  les  afflict.  des  Justes 

eu  la  conduit?  de  cette  Providence  fur 
les  hommes  me  paroît  obfcure  ,  je  la 
tienne  pour  douteufe  ,  &  j'ofe  même 
abfolument  la  rejeter  ?  N'eil-il  pas  plus 
jufte  que  j'oppofe  à  la  difficulté  qui 
m'embarraffe  toutes  les  maximes  de  ma 
foi  &  toutes  lès  lumières  de  ma  raifon  ; 
ÔL  que  n'ayant  pas  allez  de  vue  pour 
approfondir  le  myileie  de  cette  Provi- 
dence fi  rigoureufe  ,  ce  femble  ,  à  l'é- 
gard des  jurtes  ,  &  lî  libérale  envers  les 
pécheurs  ,  je  me  réferve  à  le  connoitre 
un  jour  dans  fa  fource ,  c'eil-à-dire  dans 
Dieu  même  ? 

Et  c'eft  là  suffi  que  le  Prophète  royal 
en  revenoit,  après  avoir  contefl'é  devant 
Dieu  qu'il  n'entendoit  rien  à  ce  procédé  , 
6c  qu'un  traitement  fi  peu  conforme  aux 
mérites  des  uns  &  à  l'iniquité  des  au- 
tres ,  paffoit  toutes  fes  connoiffances 
&  confondcit  toutes  fes  idées.  J'efpere 
bien,  difoit-il  ,  Seigneur ,  que  vous  me 
découvrirez  là  -  delTus  l'ordre  de  vos 
jugements ,  &  que  vous  me  ferez  voir  , 
comme  dans  un  miroir ,  les  raifons  fe- 
crettes  que  vous  avez  eues  de  difpofer 
ainfi  les  chofes  ;  alors  je  faurai  pour- 
quoi vous  avez  permis  que  ce  jufle  fût 
vexé  ÔC  perfécuté,  &  que  le  crédit  de 
cet  im.pie  l'emportât  fur  l'innocence  & 
la  vertu  ;  que  cet  homme  de  bien  n'eût 
aucun  fuccès  dans  fes  entreprifes  ,  & 
que  ce  mondain  fans  foi  &  fans  conf- 
cichce  rculsit  dans   tous  fes   deiïeins^ 


J 


■ET  LA   PROSP.  DES  pECHIURS.      141^ 

que  cette  femme  pieufe  &  remplie  d'hon-. 
neur  paûàt  fes  jours    dans  l'amertume, 
6c  dans  de  mortels    déplaifirs  ,   &  que 
cette  autre   idolâtre    du  monde  ,   &  li- 
vrée à  fes  pallions  menât  une  vie  douce 
&  commode.  Vous  nous  apprendrez  ,  o 
mon  Dieu ,  quels  étoient  les  reilorts  de 
tout  cela  ;   ûc  par  un  feul  ra/on  de  lar 
lumière  que  vous  répandrez    dans  nos- 
efprits  ,  vous  diuiperez  tous  les  nuages, 
&  vous  ferez  évanouir  tous  les  douies 
qui    nailTent    maintenant    malgré    nous 
contre  votre   adorable  Providence.    Je 
me  figurois  ,    qu'à  force   de  réflexions 
&.  de  confidérations  ,    je  pourrois  dès 
cette  vie  démêler  cet  embarras  ,  &  fon- 
der les  impénétrables  confeils  de  votre 
fageffe    :    Exiflimabam    ut     cognojcerem  pf,  j 
hoc:  mais  je  me  trompois   bien,    6c  je 
me  fuis  bien  apperçu  que  je  m'arrêtois 
à  d'inutiles   recnerches  :    Labor  eft  ante  Ihld, 
me.   D'où  j'ai  conclu  qu'il  falloir  atten- 
dre que  je  fuffe  entré  dans  votre  fanc- 
tuaire,  &  que  je  vifTe  où  fe  dévoient 
terminer  les  efpérances   des  -uns  &  des 
autres  :  Donec  ïntrém  in  fantlur.rlum  Dd  lbld% 
&  intelligam    in  novijjimis  eorum.    Voilà 
comment   raifonnoit   ce   faint  Roi  ,    & 
c'étoit  l'efprit  de  Dieu  qui  lui  infpiroit 
ce  fentimenc. 

Mais  là-deflus ,  mes  chers  Auditeurs , 
nous  n'en  fommes  pas  encore  après  tout 
réduits  à  là  fimple  foumliPion  &  à  la 
feule  obéiilaaçe  de  I4  foi ,  nous  avons 


iî44    Sur  tES  AFFLICT.  DES  JuSTES 

fur  ce  myftere  de  quoi  contenter  notre 
efprit ,  autant  &  peut-être  plus  que  iur 
aucun  autre  ;  &  c'eft  par  où  nous  deve- 
nons tout- à- fait  inexcufables  ,  quand 
nous  nous  troublons  &  que  nous  tom- 
bons dans  la  défiance  ,  parce  que  nous 
voyons  les  juftes  affligés  ,  &.  que  les 
pécheurs  ont  toutes  les  commodités  & 
toutes  les  douceurs  de  la  vie;  car  nous 
trouvons  nous  -  mêmes  des  raifons  qui 
nous  juftifient  parfaitement  la  conduite 
de  Dieu  ,  &  qui  nous  perfuadent  que 
Dieu  a  fait  fagement  d'en  ufer  de  la 
forte.  Or  fi  moi  avec  un  efprit  pleia 
d'erreurs  &  de  ténèbres  ,  je  découvre 
néanmoins  des  raifons  pour  cela  ,  ne 
dois-je  pas  être  convaincu  que  Dieu  en 
a  de  plus  folides  encore  &L  de  plus  re- 
levées que  je  ne  vois  pas  ;  &.  ces  raifons 
de  Dieu  que  je  ne  vois  pas  ,  nxiis  que 
je  conje6lure  des  miennes ,  ne  doivent- 
elles  pas  calmer  mon  cœur  &  le  ralfu- 
rer  ?  Tout  ce  qui  me  refle  donc,  c'efl 
de  fuivre  le  confeil  de  Saint  Auguftin  Se 
de  m'appliquernon  pas  à  connoitre  plei- 
nem.ent ,  mais  du  moins  à  entrevoir  le 
iecret  de  Dieu ,  afin  que  ce  que  j'en  puis 
appercevoir  m'apprenne  à  juger  de  ce 
qui  échappe  à  ma  vue  ,  &  que  l'un  ÔC 
l'autre  aftermiffe  ma  confiance.  Sccre- 
tum  Dei  intentas  nos  habere  débet ,  non 
adverfos. 

Mais  qu'eft-ce  en  effet  que  j'en  ap- 
perçois  de  ce  fecret  de  Dieu,  6c  quelles 

font 


ET  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.    14^ 

font  les  raifons  que  je  puis  imaginer 
<i'un  partage  qui  fembie  choquer  la 
railbn  même?  Vous  mêle  demandez. 
Chrétiens ,  ôcfans  une  longue  difcufîion  , 
voici  celles  qui  fe  préfentent  d'abord  à 
Bioi  :  Que  Dieu  veut  éprouver  fes  élus  , 
&  leur  donner  occafion  de  lui  marquer 
par  leur  confiance  leur  fidélité  ;  que 
Dieu,  félon  la  comparaifon  du  Prophète 
Roi,  veut  les  purifier  par  le  feu  de  la 
tribulation  ,  comme  l'on  épure  l'or  dans 
lu  creufet  ;  que  Dieu  veut  aflurer  leur 
falut  j  &  les  mettre  à  couvert  du  danger 
inévitable  qui  fe  rencontre  dans  les 
profpérités  du  fiecle  ;  que  Dieu  par  une 
aimable  violence  ,  dit  faint  Bernard  , 
veut  les  forcer ,  en  quelque  forte  ,  de  fe 
tenir  unis  à  lui ,  en  leur  rendant  tout  le 
r^fte  amer ,  &  ne  leur  cftVant  par-tout 
ailleurs  que  des  objets  qui  leur  infpirent 
du  dégoût  ;  que  Dieu  veut  leur  fournir 
une  continuelle  matière  de  combats  , 
afin  que  ce  foit  en  même  temps  pour 
eux  une  continuelle  matière  de  triom- 
phe ,  &  par  conféquent  de  mérite  ;  que 
tout  juftes  qu'ils  font^  ils  ne  laiiTentpas 
d'être  redevables  à  Dieu  par  bien  des 
endroits,  puifque  le  plus  jufte,  comme 
parle  Salomon ,  tombe  jufqu'à  fept  fois 
par  jour  ;  mais  que  Dieu  d'ailleurs  veut 
les  punir  en  père  &  non  en  juge ,  &  pour 
cela  qu'il  les  châtie  en  ce  monde ,  félon 
fa  miféricorde ,  afin  de  ne  les  pas  punir 
en  l'autre  félon  fajuflice.  A  s'en  tenir  là. 


146  Sur  les  afflic.  des  Justes 

mes  chers  Auditeurs  ,  &  fans  vouloir 
pénétrer  plus  avant  dans  les  defieins  de 
Dieu  ,  n'eit-ce  pas  affez  pour  Ibutenir 
la  foi  du  jufte  ,  &  une  feule  de  ces 
raifons  ne  fuflit-elle  pas  pour  lui  fervir 
^e  défenfe  &.  le  fortifier  contre  les  plus 
rudes  attaques?  que  Dieu  donc  ordonne 
félon  qu'il  lui  plaît,  qu'il  détruife  &  qu'il 
renverfe,  qu'il  abaiile  &  qu'il  humilie, 
qu'il  frappe  à  fon  gré  ,  jamais  le  jufle 
n'aura  que  des  bénédictions  à  lui  rendre  ; 
&  s'il  penfoit  à  fe  plaindre ,  ce  feroit  Ken 
alors  que  Dieu  pourroit  lui  faire  le  même 
reproche  que  fit  le  Sauveur  du  monde  à 
S.  Pierre  :  Modicce.  fidei ,  quare  dubitâili  ? 
Homme  aveugle ,  laiiTez  agir  votre  Dieu  , 
il  vous  aime ,  &  il  fait  ce  qui  vous  con- 
vient ;  s'il  vous  traite  maintenant  avec  ri- 
gueur,  ce  n'eft:  qu'une  rigueur  apparen- 
te ;  &  tout  fenfibles  que  peuvent  être  les 
coups  que  fon  bras  vous  porte ,  c'eft  ion 
amour  qui  le  conduit. 

Penfées  touchantes  &  puiflants  mo* 
tifs  d'une  confolation  toute  chrétienne  1 
Dans  ce  vi;Ûe  &  nombreux  audi- 
toire ,  il  eft  impoffibie  qu'il  ne  fe 
rencontre  bien  de  ces  âmes  chéries  de 
Dieu  ,  &  que  Dieu  toutefois  aban- 
donne aux  tr.  verfes  &  aux  difgraces 
du  monde.  Or  c'eft  à  moi  de  leur  faire 
goûter  ces  vérités  :  c'eftà  moi ,  mes  chers 
Auditeurs  ,  de  vous  relever  par  là  de 
l'abattement  où  vous  jette  peut-être 
réut  de  pauvreté  ,  l'état  d'humiliation  ,, 


ÎT  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.    147» 

rétat  de  fouffrances  qui  vous  accable 
&  qui  vous  rend  la  vie  ii  ennuyeufe  &  fi 
pénible  :  c'eft  à  moi  ,  comme  prédica- 
teur évangélique ,  de  vous  faire  trouver 
tout  Tappui  néceffaire  dans  votre  fol. 
Car  je  ne  fuis  point  feulement  ici  pour 
vous  reprocher  vos  infidélités ,  ni  pour 
vous  remplir  d'une  terreur  falutaire  dds 
jugements  éternels  :  je  l'ai  fait  félon  les 
occurrences,  je  le  fais  encore,  <Sc  je  ne 
puis  aflez  bénir  le  Ciel  de  l'attention 
que  vous  donnez  à  mes  paroles  ,  ou 
plutôt  à  la  parole  de  Dieu  que  je  vous 
annonce.  Mais  l'autre  partie  de  mon 
devoir  eft  de  vous  confoler  dans  vos 
peines  ;  &  puifque  je  tiens  la  place  de 
Jefus-Chrift ,  qui  vous  parle  par  ma 
bouche  ,  &  dont  je  fuis  l'ambafladeur  & 
Je  miniftre  ,  Pro  Chriflo  Ugatione  fun-  2.  C»ii 
gimur  ^  c'eû  à  moi  de  vous  dire  aujour-  ^'  h 
d'hui  ce  que  ce  divin  Sauveur  difoit  au 
peuple  :  Venite  ad  me ,  omncs  qui  labqratis  Matth^ 
&  onerati  eflis  ,  6*  ego  rejîciam  vos  ;  c,  i  r, 
venez,  âmes  triftes  &  affligées  ;  venez  , 
vous  qui  gémiiTez  fous  le  poid-s  de  la 
mifere  humaine  &  dans  la  douleur , 
venez  à  moi.  Le  monde  n'a  pour  vous 
que  des  mépris  &  des  rebuts  ,  &  vous 
en  éprouvez  tous  les  jours  l'injuilice; 
les  plus  déréglés  &  les  plus  vicieux  y 
font  la  loi  aux  plus  juftes ,  &  c'ef^  ce 
qui  vous  flétrit  le  cœur  6c  qui  vous  rem- 
plit d'amertume.  Mais  encore  une  fois; 
yftinez  ;  U  Un»  rien  changer  à  votr^ 


148  Sur  les  afflic.  des  Justes 

condition  ,  je  Fadoucirai  :  Venite  ,  & 
ego  rcfiâam  vos.  Je  ne  fuis  qu'un  homme 
foible  comme  vous  ,  &  plus  toible  que 
vous  ;  mais  avec  la  grâce  de  mon  Dieu  , 
avec  l'on^lion  de  la  parole  ôc  les  ma- 
ximes de  fon  Evangile  ,  j'ai  de  quoi  vous 
rendre  inébranlables  au  milieu  des  plus 
violentes  fecouffes  ;  j'ai  de  quoi  réveiller 
toute  votre  foi ,  &  de  quoi  ranimer  toute 
votre  efpérance  ;  de  quoi  vous  apprendre 
^  ne  rien  defirer  de  tout  ce  que  le  monde 
a  de  plus  flatteur ,  &  de  quoi  vous  faire 
connoitre  le  précieux  avantage  d'un  état, 
où  Dieu  veille  avec  d'autant  plus  de  foin 
fur  vous  &  d'autant  plus  d'amour ,  qu'il 
femble  moins  ménager  vos  intérêts  6c 
moins  vous  aimer. 

Car  pour  reprendre  avec  ordre  &  pour 
mieux  développer  ce  que  je  n'ai  fait 
encore  que  parcourir ,  &  ce  qui  demande 
toutes  vos  réflexions ,  puifque  ce  doit 
être  pour  vous  comme  un  tréfor  &  un 
fonds  inépuifable  de  patience  ,  je  dis 
que  n  Dieu  traite  le  jufte  avec  une  févé-. 
rite  apparente  ,  que  s'il  l'afflige  ,  c'ell 
pour  réprouver.  Ainfi  s'en  expliquet-il 
en  mille  endroits  de  l'Ecriture  ,  où  il 
déclare  en  termes  formels  que  c'eft  un 
des  offices  de  fa  Providence  ,  &  que  par 
cette  raifon  il  laiHe  tomber  fes  fléaux 
fur  ceux  qui  le  fervent ,  encore  plus  que 
fur  les  autres  :  de  forte  que  l'affli^iion 
dans  le  texte  facré  eft  appellée  com- 
ç&unément  épreuve  ou  .  tenta.tiori  ^  <Sc 


ET  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.    I4€i 

que  fuivant  le  même  langage  ,  ce  que 
ie  Saint-Efprit  appelle  temation  n'eft 
autre  chofe  que  raitlitlion.  C'étoit  la 
belle  &  folide  réponfe  que  faifoit  un 
des  plus  zélés  défenfeurs  de  la  loi 
chrétienne  aux  idolâtres  &  aux  infi- 
dèles ,  lorfqu'ils  lui  reprochoient  Tex- 
trême  abandon  où  l'on  voycit  le  peuple 
fïdele  ,  &  qu'ils  prétendoient  de  là  tirer 
une  conféquence ,  ou  contre  le  pouvoir  , 
ou  contre  la  miféricorde  du  Dieu  que 
nous  adorons.  Vous  vous  trompez,  leur 
difoit-il  :  notre  Dieu  ne  manque  ni  de 
moyens  ni  de  bonté  pour  nous  fecourir  : 
D^us  ille  nojîer  ,  quem  colimus  ,  necnon  Minute 
poteft  fubvenire t  nec  defpic'u.  Mais  que  ^^^«f» 
iV.it-il  ?  il  nous  examine  chacun  en  parti- 
culier ;  &  à  quoi  fe  réduit  cet  examen  ? 
à  nous  priver  des  biens  de  la  vie,  ôt 
à  nous  tenir  dans  l'adverfité  :  Sed  in  ad-  Idem» 
vcrfes  unumquemque  explorât.  Ces  paroles 
font  remarquables  :  Dieu  fonde  le  cœur 
de  l'homme  ,  il  l'interroge  ,  par  oii  ? 
par  les  fouffrances  &  les  affli(Slions  ; 
f^ïtam  hominïs  fcifcitatur.  Comme  fi 
Dieu  difoit  au  jufte  :  déclarez  -  vous  , 
6c  faites -moi  voir  ce  que  vous  êtes  ; 
je  ne  l'ai  point  encore  bien  fu  jufqu'à 
préfeiit ,  &  je  veux  l'apprendre  de  vous- 
même.  Tandis  que  vous  avez  été  heu- 
reux fur  la  terre  ,  6t  que  vous  y  goûtiez 
le  calme  6c  la  paix  ,  vous  me  l'avez  dit  , 
il  eft  vrai ,  que  vous  vouliez  être  à  moi  ; 
mais    on    ne   pouvoit   guère  compter, 

G  iij 


^50  Sur  les  affltc.  des  Justes 
alors  fur  votre  témoignage.  Dans  cet 
état  de  profpériîé,  vous  ne  vous  con- 
J3c:i'îiez  pas  encore  aflez  bien  ,  &  vous 
Eepauvlez  jugerîurementà  qui  des  deux 
vous  étiez  ,  ou  à  moi  ou  à  vous-même  : 
mais  maintenant  qu'un  revers  a  troublé 
toute  la  douceur  de  votre  vie  ,  main- 
tenant que  vous  êtes  dans  l'infirmité  » 
dans  le  befoin,  &  que  tous  les  maux 
font  venus ,  ce  femble  ,  vous  ailailiir  , 
€  eft  en  cette  fituation  que  vous  pouvez 
me  donner  des  affurances  de  votre 
foi  j  &  que  je  puis  faire  tond  fur  votre 
parole.  Si  donc  je  vohs  vois  perfévérer 
dans  mon  fervice  ,  fi  je  vous  entends 
au  pied  de  mon  autel  me  faire  toujours^ 
les  mêmes  proteftations  d'un  attachement 
inviolable ,  je  vous  écouterai  &  je  vous 
croirai  ;  car  un  ^n^CCT  ûinfi  éprouvé 
ne  doit  plus  être  fufpe£l.  A  cela 
que  pouvons-nous  répondre,  chrétiens 
Auditeurs  ?  Si  Dieu  ne  met  pas  l'impie 
à  de  pareilles  épreuves  ,  de  quel  fen- 
timent  ,  à  la  vue  de  fon  prétendu 
bonheur  ,  devons-nous  être  touchés  ? 
efl  ce  d'une  envie ,  ou  n'eft-ce  pas  plutôt 
d'une  horreur  fecrette,  puiiaue  fi  Dieu 
l'épargne,  c'eft  que  Dieu  ne  le  juge  plus 
digne  de  lui ,  c'eft  que  Dieu  ne  s'inté- 
relîeplus,  en  quelque  forte,  à  le  former 
pour  lui ,  c'eft  que  Dieu  le  regarde 
comme  un  faux  métal  que  l'ouvrier 
abandonne,  au  lieu  qu'il  jette  l'or  dans 
la  fournaife  ;,  &  qu'il  le  fait  paffer  par  le 


it  LA  PROsp.  DES  Pécheurs.  îçt 

feu.  Delà  cette  fainte  prière  que  David 
faifoit  à  Dieu  :  Proba  me  ,  Domine  ,  &  Pf^  ^f, 
tenta  me  :  Ah  !  Seigneur  ,  éprouvez- moi , 
&  ne  me  refufez  pas  la  confolation  6c 
l'ineilimable  avantage  de  pouvoir  vous 
montrer  qui  je  fuis  ,  &  quelles  font  pour 
vous  les  véritables  difpofitions  de  mon 
cœur  ;  mais  parce  que  je  ne  puis  mieux 
vous  les  faire  connoitre  qu'en  fouffrant , 
frappez,  brûlez  &  me  confumez,  s'il  le 
faut ,  de  miferes  &  de  peines  ;  je  confens 
à  tout  :  [/re  renés  meos» 

Nous  devons  y  confentir  nous-mêmes^ 
tnes  Frères  ^  d'autant  plus  aifément  ^ 
qu'un  autre  deffein  de  Dieu  fur  le  jufte 
affligé,  eft  de  le  purifier  de  toutes  les 
affections  de  la  terre.  En  effet ,  fi  les 
profperités  temporelles  étoient  attachées 
à  la  vertu  ,  nous  ne  fervirions  Dieu 
que  dans  cette  vue ,  &  par  conféquent 
nous  ne  l'aimerions  pas  pour  lui-même. 
C'eft  ce  que  faint  Auguftin  a  fi  bien 
cbfervé  ,  &  fur  quoi  il  raifonne  fi  foli- 
dément  &  avec  fa  fubtilité  ordinaire. 
Quand  vous  voyez,  dit- il,  les  ennemis 
de  Dieu  &  les  libertins  dans  l'état 
d'une  riche  fortune ,  vous  y  êtes  fenfn 
blés,  ôcvous  vous  dites  à  vous-mêmes  : 
Il  y  a  fi  long-temps  que  je  fers  Dieu, 
que  j'accomplis  fes  commandements  6c 
que  je  m'acquitte  de  tous  les  exercices 
de  la  religion  ;  cependant  mon  fort  eft 
toujours  le  même  ,  mes  affaires  n'en 
ont  pas  une  meilleure  iiTue,  &  il  femblsf 
^     G  iv 


252  Sur  les  afflic.  des  Justfs 

au  contraire  que  Dieu  prenne  à  t?.chs 
de  les  arrêter  &  de  les  renverfer  ?  Ceux- 
ci  vivent  dans  le  crime  ,  fans  règle  ,  ùri3 
retenue,  fans  piété,  &  avec  cela  ils  ne 
laiffent  pas  de  jouir  d'une  fanté  florif- 
fante  ,  d'accumuler  biens  fur  biens  ^ 
d'être  honorés  &  diftingués  :  Mais  , 
reprend  ce  faint  Dofteur  ,  c'étoit  donc 
Augiiji.  là  ce  que  vous  cherchiez  ?  Talia  crga 
quœrebas  ?  c'étoit  donc  peur  la  fanté  du 
corps  ,.  pour  les  biens  du  inonde ,  pour 
les  honneurs  du  fie  de  que  vous  vou- 
liez pliire  à  Dieu  t  Or  voilà  juilement 
pourquoi  il  étoit  convenable  que  Dieu 
vous  en  privât ,  afin  que  vous  appridiez 
à  l'aimer,  non  pour  ce  qu'il  donne  aux 
hommes  ,  mais  pour  ce  qu'il  eft  en  lui- 
même.  Car  fouvenez-vous ,  ajoute  le 
même  Père  ,  que  fi  vous  êtes  jufte ,. 
vous  vivez  dans  l'état  de  la  grâce  ÔC 
dans  l'ordre  de  la  grâce  ;  comme  donc 
cette  grâce  efl  toute  gratuite  de  la  part 
de  Dieu ,  elle  vous  engage  à  aimier  Dieu 

'Uim.  d'un  amour  gratuit  ;  Si  ideo  grat'um  tïbi 
dédit  Deus  ,  quïa  gratis  dédit ,  gratis  ama  ; 
&  vous  ne  devez  point  l'aimer  pour 
une  autre  récompenfe  que  lui-même, 
puifqu'il    veut    être    lui  -  même     toute 

>Idcm»  votre  récompenfe  :  NoU  ad  prcemium 
diligere  Deum  ,  qui  ipfe  eft  prœmium 
tuum.  Les  biens  de  la  terre  rendroient 
votre  amour  mercenaire  ;  6c  fi  vous- 
vous  plaignez  quand  Dieu  vous  les 
refufe  ou  qu'il  vous  les  enlevé  ,   vous. 


ET  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.  153 

faites  voir  par  là  que  ces  biens  vous 
font  plus  chers  que  Dieu  même,  Se  par 
conféquent  que  vous  ne  méritez  pas  de 
le  porteder. 

Biens  tellement  contagieux  ,  qu'ils 
peuvent  pervertir  les  plus  juftes  ,  & 
que  fouvent  ils  les  ont  précipités  dans 
l'abyme  le  plus  affreux  &.  dans  une 
corruption  entière.  Les  exemples  n'en 
ont  été  que  trop  éclatants  &  que  trop 
fréquents  :  mais  par  un  trait  encore  tout 
nouveau  de  providence  &  de  miféricorde 
à  l'égard  de  fes  élus  ,  comment  Dieu 
les  garantit-il  de  ce  danger  r  par  une 
pauvreté  qui  leur  fert  de  préfervatif 
contre  la  contagion  des  richeiles  tem- 
porelles y  par  une  obfcurité  qui  leur 
tient  lieu  de  fauve-garde  contre  la  con- 
tagion de  grandeurs  périffables  ,  par 
une  langueur  &  une  maladie  qui  les 
met  à  couvert  de  la  contiigion  des 
plaifirs  feniuels  &  des  flatteufes  illufions 
de  la  chair.  Le  jufte  ,  il  eft  vrai  ,  peut 
maintenan  ne  pas  voir  à  quoi  il  fe 
trouvoit  expoTé  ,  lui ,  dis-je  ,  en  pa»-ti- 
culier  plus  que  bien  d'autres,  (i  Dieu 
n'eût  ule  pour  lui  d'une  telle  précaution  : 
mais  ce  qu'il  ne  voit  pas  à  préfent ,  il 
le  verra  à  la  fin  des  fiecles  &  au  grand 
îour  de  la  révélation  ;  car  c'eft  là  que 
Dieu  l'attend ,  c'ei^  là  que  Dieu  fe  réferve 
à  lui  mettre  devant  les  yeux  toutes  les 
injuftices  où  l'eût  emporté  une  avdre  &: 
^l^tiable    convoitife ,  tous    les  projets 

G  V 


1^4  SuîlLE5  AFFLIC.  DES  JUSCES 
criminels  ,  &  toures  les  intrigues  oîi 
l'eût  engagé  une  ambition  démefurée 
fans  bornes  ;  tous  les  excès,  toutes  les 
habitudes  &  les  abominations  où  l'eût 
plonzé  une  paffion  aveugle  &  uiie 
brutale  volupté,  fi  le  frein  de  l'afflidlion  ne 
l'eût  retenu  ,  &  Ci  les  difgracss  de  la  vie 
ji'eufTent  empêché  le  feu  de  s'allumer 
^dans  fon  cœur  :  6c  par  une  fuite  imman- 
quable ,  c'eft  là  qu'éclairé  d'une  lumière- 
divine  ,  &  découvrant  les  falutaires  & 
favorables  fecrets  de  la  fagelTe  éternelle 
qui  Ta  conduit ,  il  bénira  Dieu  mille 
fois  de  ce  qui  fembloit  devoir  exciter 
centre  Dieu  tous  fes  murmures  ;  il 
regardera  comme  un  coup  de  prédefti- 
3iat'?on  de  la  part  de  Dieu  ,  comme  une 
grâce  de  Dieu  ,  &  une  des  grâces  les  plus 
précieufes ,  ce  que  le  monde  regardoit 
comme  un  délaillsment  total  &  comme 
une  efpece  de  réprobation. 

Cependant,  parce  qu'il  ne  fuffit  pas 
<3e  s'éloigner  du  monde  &  de  l'occafion 
<îu  péché,  fi  ce  n'eft  afin  de  s'attacher  à 
Dieu  ;  je  vais  plus  loin ,  &  peu  à  peu 
«développant  le  bienfait  du  Seigneur  & 
tout  ce  que  je  puas  découvrir  des  def- 
ieins  de  fa  Providence ,  j'ajoute  &  je 
prétends  qu'il  ne  fait  fouffrir  fes  élus , 
que  pour  les  attirer  à  lui  ^  que  pour  les 
mettre  dans  une  heureufe  neceifité  de 
recourir  à  lui,  de  fe  confier  en  lui,  de 
i\è  fe  tourner  que  vers  lui.  Car  il  y  a , 
félon  S,  Bernard ,  quatre  fortes  de  pré- 


Et  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.    I^Ç 

ceflinés.  Les  uns  emportent  le  royaume 
du  Ciel  par  violence  ,  &  ce  font  les 
pauvres  volontaircL- ,  qui  d'eux-mêmes 
quittent  tout  &  renoncent  à  tout.  Les 
autres  trafiquent  en  quelque  manière 
pour  l'acheter  ,  &  ce  Ibnt  ces  riches 
qui,  comme  parle  l'Eviingile  ,  fe  font, 
par  leurs  aumônes  ,  des  interceffeurs 
auprès  de  Dieu  ,  &  des  amis  qui  les 
doivent  un  jour  recevoir  dans  les  taber- 
nacles éternels.  D'autres  ,  pour  ainfi 
dire ,  femblent  vouloir  le  dérober ,  ôc 
qui  font-ils  ?  ce  font  ces  humbles  de 
cœur ,  qui  fuient  la  lum.iere  ,  non  par 
un  refpeâ:  humain  .  mais  par  un  faint 
defir  de  l'abiediion,  <Sc  qui  dans  une  vie 
retirée  cachent  aux  yeux  des  hommes' 
toutes  les  bonnes  œuvres  qu'ils  prati- 
quent. Enfin  pluficurs  n'y  entrent  que 
parce  qu'ils  y  font  forcés;  &  voilà  ces 
îjuftes  qui  ne  fe  font  déterminés  à  cher- 
cher Diej  ,  que  pi^rce  que  Dieu  n'a  pas 
permis  qu'ils  trouvallént  rien  ailleurs 
qui  les  orréiàt.  Si  le  monde  eût  été 
à  leur  égard  ce  qu'il  eft  à  l'égard  de  tant 
de  mondains  ;  c'eft- à-dire ,  fi  le  monde 
les  eût  flattés  ,  les  eût  idolâtrés ,  n'eût  eu 
pour  eux  que  des  diftin6tions,  que  des 
refpe61s ,  que  des  agréments  ,  ah  I  Sei- 
gneur ,  auroient-ils  jamais  penlé  à  vous  ^ 
Comme  ce  peuple  charnel  que  vous  aviez 
formé  avec  tant  de  foin,  &  engraiffé  du 
^'uc  de  la  terre,  ils  auroient  oublié  leur  , 
créateur  &  leur  bienfai^leur ,  ils  ne  fe 

G  yy 


15^  Sur  les  xvtnc.  des  Justes 

feroient  plus  fouvenus  que  vous  étiez 
leur  Dieu  ,  &  tout  leur  encens  eût 
monté  vers  d'autres  autels  que  les  vôtres  :: 
Veuter.  Incrdjfatus  ,  impin^uatus  ,  àïlatrùus  , 
*,  55.  dereliquit  DiumfuQoremfuum.  Mais  parce. 
que  vous  avez  appef<anti  l'ur  eux  votre 
bras ,  parce  qu'en  leur  faveur  vous  avez 
rempli  le  monde  d  épines  qui  les  ont 
piqués  ,  de  chagrins  qui  les  ont<lélbIésy 
d'accidents  bi  de  malheurs  qui  les  ont 
obligés  à  difparoître  &.  à  ne  plus  ibrtir 
de  leur  retraite  ,  en  leur  donnant  la 
mort,  vous  leur  avez  donné  la  vie,  & 
les  perdant  en  apparence ,  vous  les  avez 
fauves.  Ils  n'ont-  point  trouvé  d'autre 
reffource  que  vous  ,  &  c'elt  pour  cela 
qu'ils  font  venus  à  vous  :  ils  fe  font  jetés 
dans  votre  fein  comme  dans  leur  afyle  , 
&  vous  les  y  avez  reçus  ;  vous  les  y 
tenez.en  affurance,  &  vous  les  y  con- 
T[,  77.  fervez.  Cùm  occiderct  eos  reverttbantur , 
6»  diluculb  venubant  ad  eum^. 

Ce  n'eit  pas  qu'ils  n'aient  toujours 
bien  des  combats  à  foutenir  ;  &  c'efl 
aufli  ce  que  Dieu  prétend  :  pourquoi  ? 
parce  que  ce  font  ces  combats ,  répond 
faint  Anibroife  ,  qui  font  leur  mérite. 
Sans  combat .  point  de  vi6loire  à  rem- 
porter, &  fans  victoire  ,  point  de  cou- 
ronne à  efpérer.  Vous  vous  étonnez  , 
continue  ce  Fere  ,  que  Dieu  exerce 
ainfi  fes  plus  fidelos  ferviteurs ,  &  qu'il 
iailTe  au  contraire  les  plus  grands  pé* 
çbçurs  dans  une  paix  profonde  :  vou^. 


voulez  favoir  la  raifon  de  cette  diffé- 
rence ;  elle  eft  effentielle  &  très-naturel- 
le  :  c'eft  que  Dieu  ne  couronne  que  les 
vainqueurs  &  qu'il  veut  couronner  fes 
élus  ;  d'où  il  s'enfuit  par  une  conféquence 
néceffaire  ,  qu'il  doit  donc  leur  fournir 
des  fujets  de  trion^phe.  Mais  la  cou- 
ronne n'étant  point  réfervée  aux  pé- 
cheurs ,  il  les  îaiffe  par  une  conduite 
toute  oppolée  ,  fans  leur  donner  ni  à 
combattre  ,  ni  à  vaincre.  Il  en  ufe  com- 
me les  Princes  de  la  terre  ,  ou  plutôt 
les  Princes  de  la  terre  en  ufent  eux-mê- 
mes comme  lui  ,  &  nous  n'en  fomme& 
point  furpris  :  nous  ne  croyons  pas  qu'ils 
abandonnent  ceux  qu'ils  deihnent  à  cer- 
taines dignités  ,  quand  pour  les  mettre 
en  état  de  s'avancer  ,  ils  les  chargent  de 
tant  de  foins ,  ou  qu'ils  les  expofent  à 
tant  de  périls  ;  ce  n'efl  dans  l'eûifiie  du 
monde  ni  indifférence  ni  rigueur  pour 
eux  y  c'eft  faveur  &  grâce. 

Que  dirai  -  ;e  encore  ?  &.  fuppofor>5 
même  que  ce  foit  à  l'év^ard  des  juffes  , 
rigueur  de  la  part  de  I.>!eu  ;  ne  fera- ce 
pas  toujoars  une  rigueur  puernelle  & 
toute  niiféricoruleuie  ?  Voici  ma  penfée. 
Il  n'eft  point  d'homve  de  bien  ,  quel- 
que jude  qa'i!  puiiTe  être  ,  qui  n'ait  fes 
chutes  à  réparer  6<.  fes  iF-ridéhtés  à  ex- 
pier. Le  plus  innocent  6c  le  plus  jufte  , 
félon  l'idée  que  nous  «n  devons  avoir 
dans  la  vie  p;  éfenie  ,  n'eft  pas  celui  qui 
n'a  jainais  péché ,  &  qui  ne  pecke  jamais  ^ 


ï^S  Sur  LES  ArFLîCT.  DES  Justes 

©il  eft-il  mamtenant ,  §c  où  le  trouve- 
t-on  ?  mais  celui  qui  a  moins  péclié ,  & 
qui  pèche  moins  ;  celui  qui  a  plus  légére- 
raent  péché,  &  qui  pèche  encore  plus 
rarement  ;  celui  qui  s'eft  relevé  ,  6c  qui 
fe  relevé  plus  promptement  de  Ion  pé- 
ché. Quel  qu'il  {bit ,  il  eft  comptable 
à  Dieu  de  bien  de  dettes  ,  &  il  faut 
indifpenfablement  qu'il  les  acquitte. 
Mais  quand  les  acquittera-t-il  ?  Si  c'efl 
après  la  mort  ,  quel  jugement  aura  t- il 
à  fubir  ,  &  quel  châtiment  !  Il  vaut 
donc  mieux  pour  lui  que  ce  foit  pen- 
dant la  vie  ,  Si  par  les  peines  de  la  vie» 
Or  voilà  le  temps  en  effet  que  Dieu 
choifit  ,  voilà  le  moyen  qu'il  emploie 
pour  le  châtier.  C^eft  ce  que  Saint  Jé- 
rôme écrivoiî  à  i'uluftre  Paule,  &  c'é- 
icit  ainfi  qu'il  la  conloloit  dans  les  pertes 
qu'elle  avoit  faites ,  6c  dans  la  fenfible 
cloulear  qu'elles  lui  caufoient.  Pourquoi 
tant  de  larmes,  lui  remontroit  -  iî ,  Se 
tant  de  regrets  ?  ChoififTez  ,  &  tenez- 
Tous-en ,  pci:r  vous  foutenir  ,  à  l'une 
de  ces  ceux  réflexions  :  Ou  par  le , bon 
témoignage  ce  vôtre  confcience  ,  &:  fans, 
bieffer  les  fentiments  de  d'humilité  chré- 
tienne ,  vous  vous  confidérez  comme 
jude  ;  6c  alors  votre  confolation  doit 
,  être  que  Dieu  perfectionne  votre  ver- 
tu ,  qu'il  la  met  en  oeuvre  ,  &  lui  fait 
fans  ceiTe  acquérÎT  de  nouveaux  degrés  : 
ou  le  fouvenir  de  vos  chutes  &  la  con- 
nxiiil^nce  de  vos  foiblefles  vous  porte  à 


ET  LA  PîlOSP.  DES  p£CHEURS,     I^f 

vcus  regarder  comme  criminelle  ;  & 
dans  cette  vue  vous  devez  ,  pour  Ibn- 
lager  votre  peine  ,  &  pour  vous  la  ren- 
dre non- feulement  fupportable  ,  mais 
aimable  ,  penler  que  Dieu  vous  corrige  , 
6c  qu'il  vous  donne  de  quoi  le  latis- 
£aire  à  peu  de  trais  :  Eli^e  :  autfancfa  Hlerofu 
es  ,  &  probaris  ;  aut  peccatrix  ,  &  emcp." 
daris.  Mais  que  ne  corrige-t-il  ce  liber- 
tin ?  Ah  !  mon  cher  Auditeur  ,  conten- 
tez-vous que  votre  Dieu  vous  aime  ,  ôc 
De  l'obligez  point  à  vous  rendre  compte 
de  la  terrible  juftice  qu'il  exerce  fur  les 
autres.  Je  vous  l'ai  déjà  dit  tant  de 
fois  ,  &  je  ne  puis  trop  vous  le  faire 
entendre  ;  Dieu  fe  venge  d^'autant  plus 
rigoureufement  ,  qu'il  diffère  plus  fes 
vengeances  ;  &  malheur  à  ces  riches  du 
fiecle  ,  à  ces  puiffans  du  fiecle  ,  à  ces 
fuperbes  Ôi.  à  ces  orgueilleux  du  fiecle , 
qu'il  engraifle  comme  des  victimes  pour 
le  jour  de  fa  colère  î  C'eft  l'expreilion 
de  Tertullien  :  Quafi  vidimu  ad  fuppU-  TertuH, 
cium  fr^gïnaraur. 

Arrêtons-nous  là,  &  pour  conclufion 
de  cette  pre^r/iere  partie  ,  rsifonnons  , 
s'il  vous  plaît  y  un  moment  enfemble. 
Yoilà  donc ,  par  cela  feul  que  je  viens 
de  vous  préfeater,  la  Providence  juf- 
tifiée  fur  le  partage  qu'elle  fait  des 
profpérités  &  des  adverfités  temporel- 
les entre  les  juftes  &  les  pécheurs.  Car. 
ce^te  juilsfication  doit  fe  réduire  à  deux 
j^oints  :  l'un ,  cjne  Dieu  des  cette  vie^ 


i6q   Suîi  les  ArFLic.  des  Justes 

prenne  foin  de  fes  élus  ;  l'autre  ,  que 
dès  cette  vie  même  il  Te  tourne  con- 
tre les  pécheurs  ,  &  qu  il  kilTe  sgir 
contre  eux  la  juftice.  Or  éprouver  fes 
élus ,  purifier  fes  élus  ,  préferver  les 
élus  ,  le  les  attacher  d'un  nœud  plus 
éuoit  ,  leur  faire  amafter  mérites  fur 
mérites  pour  les  faire  monter  à  un 
plus  haut  point  de  gloire  ,  Ôc  lever  par 
de  légères  faiisfuiSlions  le  feul  obftacle 
qui  pourroit  retarder  leur  bonheur  ,  ne 
font-ce  pas  là  les  foins  falutaires  d'une 
miféricorde  également  fîge  &  bien- 
faifinte  ?  Mais  par  une  règle  toute 
contraire  ,  livrer  les  pécheurs  à  eux- 
mêmes  &  à  leurs  pafficHis  ;  ne  point 
troubler  un  repos  mortel  où  ils  de- 
meurent tranquillement  endormis  ;  ne 
répandre  jamais  l'amertume  fur  de  fauf- 
fes  douceurs  qui  les  corrompent  ;  les 
laiffer  dans  une  élévation  qui  les  enile  , 
dans  un  éclat  qui  les  éblouit  ,  dans  une 
abondance  qi.i  leur  infpire  la  mollelTe, 
dans  une  vie  volup:ueu;e  qui  les  entre- 
tient en  toutes  for-^es  de  défordres , 
dans  un  oubli  du  filut  &  dans  un  état 
d'impénitence  qui  les  conduit  à  une 
mort  réprouvée,  ne  font-ce  pas  là  les 
coups  redout::hIes  d'une  juftice  d'autant 
plus  à  craindre  qu'elle  le  tait  moins 
connoitre  ?  Ce  qui  nous  trompe  ,  c'eit 
que  nous  ne  jugeons  des  choies  que  par 
rapport  au  temps  où  nous  fom.m.es  5c 
e\»i  paiTe  ,  mais  que  Dieu  en  juge  par 


ET  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.     l6l" 

rapport  à  l'éternité  où  nous  nous  trou- 
verons un  jour  &  qui  ne  paffera  jamais. 
Or  de  ces  deux  règles  quelle  ed  la 
meilleure  &  la  plus  avantageuie  ?  J'en 
conviens  ,  dit  Saint  Auguiiin  :  félon  la 
première ,  le  pécheur  a  droit  ,  ce  fem- 
ble  ,  d'iniulier  au  jui^e  &:  de  lui  deman- 
der ,  où  eft  votre  Dieu  ?  Ubi  eft  Deus  P/.  ^i, 
tuus?  mais  félon  l'autre,  qui  des  deux 
efl  fans  contredit  la  plus  droite  &  l'uni- 
que même  qu'il  y  ait  à  fuivre  ,  le  jufle 
peut  bien  répondre  aux  infultes  du  pé- 
cheur :  mon  heu^e  n'efl  pas  encore 
venue ,  ni  la  vôtre  ;  attendons  ,  l'une 
&  l'autre  viendra,  &  c'eft  alors  que  je 
vous  demanderai ,  où  font  ces  Dieux 
que  vous  adoriez  &  en  qui  vous  met-  • 
tiez  toute  votre  confiance  ?  où  eft  cette 
félicité  dont  le  goiàt  vous  enchantoit  & 
dont  vous  étiez  idolâtre  r  que  ne  la 
rappeliez  -  vous  ,  pour  vous  retirer  de 
l'éternelle  mifere  où  vous  êtes  tombé  ?  Deutsr, 
Ubi  funt  Dû  eorum  ,  in  qu'eus  habebant  ^«  S^« 
fiduciam  ? 

Ainfi  ,  mon  cher  Auditeur  ,  ce  qui 
vous  refte  ,  c'eft  d'entrer  dans  les  vues 
de  votre  Dieu  qui  vous  afflige ,  &  de 
féconder  par  votre  patience  fes  deffeins  ; 
6c  le  regret  le  plus  vit  qui  doit  préfen- 
tement  vous  toucher,  c'eft  peut-être 
de  n'avoir  point  encore  profité  d'un  ta- 
lent que  vous  pouviez  faire  valoir  au 
centuple  ,  c'eft  d'avoir  trop  écouté  les 
fentimeats  d'une  défiance  toute  naturelle. 


ï6i    Sur  les  afflict.  des  Justes 

&    de    les    avoir    fait    éclater   par    des 
plaintes  fi    injurieures  à  la  providence 
du  Maître  qui  velile  fur  vous  ;  c'eft  d'a- 
Toir    tro»p   prêté   Toreilie   aux    difeours 
fédu£leurs    du    monde    touchant    votre 
infortune   &    le   malheur   apparent    de 
votre     condition   ;     c'eft    d'avoir    trop 
cherché    à   exciter    la    compaiiion    des 
hommes  ,    ponr   en   recevoir  de  vains 
foulagenients,  lorfque  vous  deviez  vous 
regarder  comme  un  fujet  digne  d'envie  , 
&  ne  m.ettre  votre  appui  que  dans  la 
foi  ;   c'eft  de  n'avoir  pas  allez  compris 
la  vérité    de    ces    grandes  m.aximes  de 
l'Evangile  ;   que    bienheureux  font  les 
pauvres ,  parce  que  le  Royaume  célefle 
leur  appartient  ;  que  bienheureux  font 
ceux    qui    foultrent    periécution    fur  la 
terre  &  qui  pleurent ,  parce  qu'ils  fe- 
ront éternellement  confolés  dans  le  Ciel. 
Mais  ,    Seigneur  ,  me    voici  déformais 
inftruit  ,   &  j'en  fais  plus  qu'il  ne  faut 
pour  éclaircir  tous  mes  doutes  &  pour 
arrêter  toutes   les  inquiétudes   de   mon 
efprit.    De  tant  de   raifons  ,  une  feule 
devoir  fuffire  ,  &  même  tans  tant  de  rai- 
fons, n'étolt-ce  pas  alTez  de  favoir  que 
quoi  qu'il  m'arrive,  c'eft  vous  qui  l'avez 
voulu  ?  Ordonnez  ,  mon  Dieu  ,  comme 
il  vous  plaira  ,  &  faites  de  moi  tout  ce 
qu'il    vous    plaira.     Que   l'impie  à  fou 
gré  domine  le  jufte  ,  qu'il  le  foule  fous 
les  pieds ,  &  que  je  fois  le  plus  maltraité 
de  tous  ,  je  ne  m'écrierai  point  comme 


ET  LA  PROSP.  DES  PeCHÎURS.  1^$ 
ces  Apôtres  éperdus  :  Domïm  ,  falvj. 
nos  ,  perimus  :  aidez  -  nous  ,  Seigneur, 
nous  voilà  fur  le  point  de  périr  ;  mais 
me  repofant  fur  votre  infinie  fageffe  6c 
votre  louveraine  milericorde  ,  je  vous 
dirai  avec  un  de  vos  plus  fidèles  Pro- 
phètes :  In  te  ^  Domine  ,  fperavi  ,  non  Pf-  5< 
confundar  :  C'eft  en  vous ,  mon  Dieu  , 
que  j'efpere  ;  mon  elpérance  ne  fera 
point  trompée,  car  je  fuis  certain  que 
tout  ira  bien  pour  moi  tant  que  je  me 
confierai  en  vous  ,  &  que  dans  cette 
conduite  de  votre  Providence  qui  paroît 
fi  lurprenante  aux  hommes  ,  il  n'y  a 
rien  ,  non-feulement  qui  doive  ébranler 
leur  foi ,  mais  qui  ne  la  doive  confirmer. 
Cefl  la  féconde  Partie. 


o 


UI,  Chrériens,  s'il  y  a  im  motif  n. 
^  capable  de  me  confirmer  dans  la  foi  Parx. 
&  d'affermir  mon  efpérance ,  c'eft  devoir 
que  les  impies  s'élèvent  &  qu'ils  prof- 
perent  dans  le  monde  ,  pendant  que  les 
juftes  font  dans  l'abaiiTement  &  dans 
l'adverfité.  Cette  propofitlon  vous  pa- 
loit  d'abord  un  paradoxe  ;  mais  j«  vais 
l'examiner  avec  vous  ,  &  bientôt  vous 
en  découvrirez  avec  moi  finconteftable 
Ycrité  ;  nous  la  trouverons  fondée  fur 
les  principes  les  plus  fohdes  &  même 
les  plus  évidents  de  la  raifon  naturelle, 
de  l'expérience,  de  la  religion.  Appli- 
quez-vous à  ceci  :  j'ofe  dire  que  c'eft  le 
point   eftentiel   d'où    dépend  toute   la 


1^4     Sur  lis  aeflic.  des  Justis 
morale  chrétienne.    En  eft'et ,    de  voit 
les  calamités  des  Juftes  fur  la  terre  ,  &  h 
profpérité  des   pécheurs   (  ce    qui  nous 
fenible  un  défordre  )  c'eiî  un  des  argu- 
ments les  plus  forts  &.  les  plus  lenfibles 
pour   nous    convaincre   qu'il    y    a    une 
autre  vie  que  celle-ci,  &  que  nos  âmes 
ne  meurent  point  avec  nos  corps  ;  qu'il 
y   a  une  récompenfe ,  une  gloire  ,  un 
îalut  à  efpérer après  la  mort,  que  toutes 
nos  prétentions  ne  font  point  bornées  à 
la  condition  préfente   où  nous  lommes  , 
&  que  Dieu   nous   réferve    à   quelque 
chofe  de  meilleur  &  de  plus  grand  :  voilà 
le  principe  de  la  railbn.  Je  dis  plus  ;  c'eft 
ce  qui    nous   montre   que  Jefus  -  Chrift 
notre  Maître  ,  en  qui  nous  nous  con- 
fions ,  eft  fidèle  dans  fa  parole ,  que  (es 
prédirions  font  vraies  ,  qu'il  ne  nous  a 
point  trompés  ,    &  que   nous  pouvons 
compter  avec  affurance  fur  ces  promef- 
fes  ,   puifqu'elles  ont  déjà  leur  accom- 
plilTement  :  voilà  le  principe  de  l'expé- 
rience.  Enfin ,   c'eft  ce  qui  fe  juftifie  , 
parce  que  rien  nei\  plus  conforme  à  l'or- 
dre établi  de  Dieu  dans  la  prédeftinatiori 
des  hommes  ,   que  les  foufFrances  des 
jufles  &  les  avantages  temporels  des  pé- 
cheurs :  voilà  le  principe  de  la  religion. 
Or  je  vous  demande  i\  ce  ne  font  pas 
là   trois    ccnfidérations   bien  puiflantes 
pour   foutenir   notre  confiance.  Je  fuis 
qu'il  y  a  une  vie  future  où  je  fuis  ap- 
pelle ,  une  vie  bienheureufe  qui  m'eft 


ET  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.     l6<^ 

deftinée  ,  &  ma  ralfon  me  le  tait  con- 
noître.  Je  fiis  que  tout  ce  que  le  Fils  de 
Dieu  a  prédit  devoir  arriver  ,  foit  aux 
jufles  ,  foit  aux  pécheurs,  çiï  certain; 
par  conféquent  je  puis  faire  fond  fur  tout 
ce  qu'il  m'a  promis  ,  &  j'en  ai  déjà  la 
preuve  dans  ma  propre  expérience.  Je 
fais  &L  je  reconnois  vifiblement  que  la 
pxédeftination  des  hommes  ,  de  la  ma- 
nière que  Dieu  Ta  conçue  6c  Ta  dû  con- 
cevoir ,  que  tout  ce  qu'il  a  réglé  &  or- 
donné fur  cela  ,  commence  à  s'exécuter. 
Dès  qu'on  eft  inftruit  de  ces  trois  chofes, 
y  a-t  il  une  foi  fi  foible  &  fi  chancelante  , 
qui  ne  fe  fortiîie  ,  qui  ne  fe  rév<iille,  qui 
lie  fe  ranime  toute  entière  :  or  voilà , 
je  le  répète  ,  ce  qui  s'enfuit  évidemment 
de  l'état  de  peine  &  d'afflidion  où  nous 
voyons  les  juftes,  tandis  que  les  pécheurs 
vivent  dans  l'opulence  &  dans  le  plaifir. 
Reprenons  ,  &  mettons  dans  leur  jour 
ces  trois  penfées. 

Il  n'y  a  point  de  libertin  ,  foit  de 
moeurs ,  foit  de  créance  ,  qui  ne  cefsât 
de  l'être  s'il  étoit  perfuadé  qu'il  y  a 
une  autre  vie  :  ce  qui  fait  fon  libertina- 
ge ,  c'eft  qu'il  ne  croit  pas,  ou  qu'il  ne 
croit  qu'à  demi ,  qu'il  y  ait  quelque  chofe 
de  réel  6c  de  vrai  en  tout  ee  qu'on  lui 
dit  de  cette  vie  future  où  nous  afpirons 
comme  au  terme  de  notre  courfe  &  à^ 
l'objet  de  notre  efpérance.  Quoi  qu'il 
en  puîlle  penfer  (car  cç  n'eft  point  à  lut 
prçfçn^^ment  .quet  je  m'a^i'effe  ^  ni  pouç 


i6G   Sur.  LES  AFFLicT.  DES  Justes 
lui  que  je  parle)  mol  qai  crois  un  Dieu  , 

créateur  de  l'univers ,  voici  ,  pour  me 
raffurer  6c  pour  entretenir  toujours  dans 
mon  cœur  les  fentiments  d'une  toi  vive 
&  d'une  ferme  confiance  ,  comment  je 
me  lers  de  cette  étrange  diverfité  de 
conditions  où  fe  trouvent  les  gens  de 
bien  &  les  impies.  Je  dis  en  moi-mê- 
me :  le  parti  de  la  vertu  eft  communé- 
ment opprimé  dans  le  monde  :  celui  du 
vice  y  eft  dominant  &  triomphant  ;  on  y 
voit  des  juftes  dépouillés  de  tout  &  mi- 
férables  ,  des  amis  de  Dieu  perfécutés  , 
des  Saints  méprilés  &  abandonnés.  Que 
dois-je  conclure  de  là  ?  qu'il  y  a  donc 
pour  le  juûe  après  la  vie  préfente  ,  d'au- 
tres biens  à  efpérer  que  ces  biens  vifiblcs 
&  périiTables  qui  lui  font  refufés.  C'ell 
ce  que  les  Pères  de  l'Eglife  ont  toujours 
conclu  ,  &  c'eft  la  grande  preuve  qu'ils 
ont  toujours  employée  contre  ces  héré^ 
tiques,  qui  prévenus  de  la  cQnnoiflance 
de  Dieu  ,  vouloient  néanmoins  douter 
de  l'immortalité  de  nos  âmes.  Lifez  fur 
cette  matière  l'excellent  traité  de  Guil- 
laume de  Paris ,  ou  plutôt  écoutez -en 
le  précis  que  je  fais  en  peu  de  paroles. 
Apres  bien  d'autres  raifonnements  tirés 
de  la  nature  de  Thomme  ,  il  en  revient 
toujours  à  celui- ci,  comme  au  plus  pref- 
fant  Se  au  plus  convaincant.  Vous  con- 
venez avec  moi ,  dit-il ,  de  l'exiftence 
d'un  premier  Être  ;  vous  reconnoidez 
ïin  Djeu  ;  mais  répomdezrmoi,  ce  Dieu 


ÏT  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS.      l6j 

aime  -  t  -  il  ceux  qui  le  fervent  &  qui 
tâchent  à  lui  plaire  ?  S'il  ne  les  aime  pas 
&.  qu'il  ne  s'intérefie  point  pour  eux  ,  oU 
eft  la  fagefl'e  &i  fa  bonté  ?  s'il  les  aime  , 
quand  le  fait- ilparoitre  ?  Ce  n'eft  pas 
dans  cette  vie  ,  puifqu'il  les  y  laiffe  dans 
rafRi£lion  ;  ce  n'eft  pas  d'ans  l'autre  vie  , 
puifque  vous  prétendez  qu'il  n'y  en  a 
point.  Cherchez ,  ajoute  ce  faint  Evê- 
que  ,  ayez  recours  à  toutes  les  fubtilités 
que  votre  efprit  peut  imaginer  ;  vous  ne 
fatisferez  jamais  à  cette  difficulté,  qu'en 
avouant  Tame  immortelle  ,  &  conieflant 
avec  moi  qu'après  la  mort  il  y  a  un 
état  de  vie  où  Dieu  doit  récompenfer 
chacun  félon  fes  mérites.  Car  ce  Dieu 
devant  être  ,  comme  Dieu  ,  pariait  dans 
toutes  fes  qualités,  il  doit  avoir  une  par- 
faite juftice  :  or  une  juftice  parfaite  doit 
néceflairement  porter  à  un  jugement  par- 
lait. Ce  jugement  parfait  ne  s'accom^plit 
pas  en  ce  monde  ,  puifque  les  plus  im- 
pies y  font  quelquefois  les  plus  heureux  ; 
ïi  taut  donc  qu'il  s'accompliffe  en  l'au- 
tre ,  ôc  par  conféquent  qu'il  y  ait  un 
autre  fiecle  à  venir, ,  qui  eft  celui  que 
nous  attendons.  Sans  cela ,  pourfuit  le 
même  Père  ,  on  pourroit  dire  que  les 
juftes  feroient  des  infenfés  ,  &  que  les 
impies  feroient  les  vrais  fages  :  pour- 
quoi ?  parce  que  les  impies  chercheroient 
les  véritables  &.  folides  biens ,  en  s'atta- 
çhant  à  la  vie  préfçnte,  au  lieu  quç  iç^ 


î68     Sur  les  afflic.  des  Justes 

judes  fouifiiroient  beaucoup  ,  &  fe  con- 
fumeroient  de  travaux ,  dans  l'attente 
d'un  bien  imaginaire.  Voyez-vous,  Chré- 
tiens ,  comment  ce  favant  Eveque  tiroit 
des  adverfités  des  julies  une  raifon  in- 
vincible pour  établir  la  foi  d'une  vie  & 
d'une  béatitude  éternelle  1 

C'eft  auffi  ce  que  prétendoit  Saint 
Auguflin  dans  l'exporition  du  Pfeaume 
quatre-vingt-onzième  ,  lorfque  parlant 
à  un  chrétien  troublé  de  la  vue  de  fe$ 
miferes  &  du  renverfement  qui  paroît 
dans  la  conduite  du  monde ,  il  allègue 
cette  même  raifon  pour  lui  infpirer 
une  force  à  l'épreuve  des  événements 
les  plus  fâcheux.  Voulez-vous  avoir , 
dit- il  ,  toute  la  longanimité  des  Saints, 
confidérez  l'éternité  de  Dieu  ;  alors  les 
plus  triftes  accidents  ,  bien  -  loin  de 
vous  abattre ,  feront  pour  vous  autant 
de  motifs  d'une  foi  &  d'une  efpérance 
plus  conftante  que  jamais.  Car  quand 
vous  vous  troublez  ,  parce  que  la  vertu 
eft  maltraitée  fur  la  terre  ,  &  que 
le  vice  y  eft  honoré  ,  vous  raifonnez 
fur  un  faux  principe  ,  &  vous  êtes 
dans  l'erreur.  Vous  n'avez  égard  qu'à 
ce  petit  nombre  de  jours  dont  votre 
vie  eft  compolée  ,  comme  fi  dans  ce 
peu  de  jours  tous  les  deffeins  de  Dieu 
dévoient  s*accomplir  fur  les  hommes  ; 
4^$'  Aiundïs  ad  aies  tuos  paucos  ,  &  diebus 
m'is  paucU  yisimpkri  omnia  i  c'eft-à-dire, 

que 


tT  Lk  PROSP.  DES  PiCREURS.    l6^ 

que  vous  voudriez  voir  dès  maintenant 
tous  les  juftes  couronnés  &  récomp.en- 
fés  ,  &  les  inipies  frappés  de  tous  les 
fléaux  de  la  juftice  divine  ;  que  vous 
voudriez  que  Dieu  ne  différât  point  , 
&  que  Tua  &  l'autre  s'exécutât  dans 
la  biiéveté  de  vos  ^nnécs.  Mais  cei\  ce 
que  vous  ne  devez  pas  demander.  Dieu 
fera  l'un  6i  l'autre  en  fon  temps,  quoi- 
qu'il ne  le  faffe  pas  deins  le  vôre.  Le 
temps  de  Dieu  c'eft  l'écernité  ,  &.  1« 
vôtre  c'eft  cette  vie  mortelle  :  votre 
temps  eft  court ,  mais  le  temps  de  Dieu 
eft  infini.  Or  Dieu  n'eft  pas  obligé 
de  faire  toutes  chofes  dans  votre  temps  ; 
c'eft  aflez  qu'il  les  fafle  duRs  le  fien  : 
Implebit  Deus  in  tempore  juo.  Et  c*eft  .Z^.tî?, 
pourquoi  je  vous  dis  que  (i  vous  voulez 
vous  affermir  dans  votre  foi  &  fou'enir 
votre  efpérance ,  vous  n'avez  qu'à  vous 
remettre  fans  ceffe  dans  l'efprit  l'éter- 
nité de  Dieu.  Comment  cela  ?  parce 
que  témoin  de  l'injuftice  apparente 
avec  laquelle  Dieu  feaibîe  traiter  les 
hommes  fur  la  terre  ,  fe  moniranc  (î 
rigoureux  pour  fes  amis  &  fi  favorable 
à  fes  ennemis ,  vous  tirerez  cette  con- 
féquence,  qu'il  prépare  donc  aux  uns  & 
aux  autres  une  éternité,  où  il  leur  ren- 
dra toute  la  juftice  qui  leur  eft  due  , 
puifqu'il  h  leur  rend  fi  peu  dans  le 
temps.  Tout  ceci  eft  de  ùim  Auguf- 
tin  ,  &  ce  font  fes  propres  paroles  que 
îe  rapporte. 

Do  min,  Tom.  h  H 


170  Sur  les  afflic.  des  Justes 

C'eft  cette  même  vue  d'une  éter- 
nité qui  a  rendu  les  Saints  invincibles 
dans  les  plus  violentes  tentations.  Quand 
eft-ce  que  Job  parloir  de  la  vie  tuture 
Ôi.  immortelle  avec  une  certitude  plus 
abfolue  &i  une  foi  plus  vive  ?  Ce  fut 
lorfqu'il  fe  trouva  fans  biens  ,  fans  mai- 
fons  ,  fans  famille,  privé  de  tout  fecours 
Job.  &  réduit  fur  le  fumier.  Scio  qubd 
^'  '^*  Redemptor  meus  vivit.  Oui  ,  je  fais  , 
dlfoit-il,  que  mon  Rédempteur  eft 
vivant  ,  &  que  moi-même  je  vivrai 
éternellement  avec  lui.  Je  n'en  ai  pas 
feulem.ent  une  révélation  obfcure ,  mais 
une  efpece  d'évidence  :  Scîo,  Et  d'où 
l'apprenoit  -  il  ,  demande  faint  Gré- 
goire Pape  ?  de  fes  fouflrances  mêmes 
6c  de  toutes  les  calamités  dont  il  étoit 
affligé.  Quand  eft-ce  que  David  eut 
une  connoiffance  plus  claire  &  plus  dif- 
tinde  des  biens  éternels ,  &  qu'il  s'en 
expliqua  comime  s'il  eût  eu  devant  les 
/y.  ;r(;.'yeux  le  Ciel  ouvert:  Credo  videre  hor.a 
Donini  in  terra  viventïum  ?  Ce  fut 
dans  le  tem.ps  que  Salil  le  perfécutoit 
avec  plus  de  fureur.  Ah  1  s'écrioit-il, 
je  crois  déjà  voir  la  gloire  que  Dieu 
deftine  à  fes  élus  ,  6(.  il  me  femble 
qu'elle  fe  découvre  à  moi  avec  tout  fcrj 
éclat.  Mais,  divin  Prophète  ,  comment 
la  voyez-Vous  ?  les  sfflidions,  les  maux 
vous  afiiegent  de  toutes  parts,  &  vous 
p.rétendez  appercevoir  au  milieu  de  tout 
cela  les  biens  du  Seigneur  ?  Mais  c'eft 


£T  LA  PROSP.  DES  PÉCHEURS,  ift 

€n  cela  même,  répond  faint  Jean  Chry» 
foiiome  ,  c'eft  dans  les  maux  dont  il 
^toit  alTiégé ,  qu'il  trouvoit  des  gage» 
certains  qui  l'afluroient  pour  une  autre 
vie  ,  de  la  pofTeffion  des  biens  du  Sei- 
gneur. Car  fa  raifon  feule  lui  diftoit 
au  fond  de  l'ame  ,  que  les  maux  qu'il 
avoit  à  fouffrir  de  la  part  de  Saiil  étant 
contre  toute  juftice,  il  étoit  de  la  pro- 
vidence de  Dieu  qu'il  y  eût  dans  l'ave- 
nir un  autre  état  où  fon  innocence  fût 
reconnue  &  fa  patience  gloritiée  ;  & 
voilà  ce  qu'il  entendoit  &  ce  qu'il 
"vouloit  faire  entendre  ,  quand  il  difoit  : 
Credo  vidae  bona  Domïni  in  tcrrâ  viven-^^ 
•iium. 

Nous  avons  encore  ,  Chrétiens  , 
quelque  choie  de  plus  ,  ce  font  les 
prédi6lions  de  Jefus-Chiift,  dont  notre 
propre  expérience  nous  fait  voirl'accom- 
^)iiri'ement  dans  les  foufFrances  des  juftes 
&  dans  la  profpérité  des  pécheurs.  Ceci 
n'eft  pas  moins  digne  de  vos  réflexions. 
Si  le  Fils  de  Dieu  avoit  dit  dans  l'Evan- 
gile, que  ceux  qui  s'attacheroient  à  le 
fuivre  &.  qui  marcheroient  après  lui  , 
fêroient  exempts  en  ce  monde  de  toute 
peine  ,  à  couvert  de  toute  difgrace  , 
comblés  de  richefles  ,  toujours  dans  le 
plaifir ,  Se  qu'il  n'y  auroit  de  chagrins 
&  de  traverfes  que  pour  les  impies  ; 
alors  ,  je  l'avoue  ,  notre  foi  pourroic 
s'aftoiblir  à  la  vue  de  l'homme  de  bien 
dans    l'iadieencç  ,    l'humiliation  ,    la 


îf  2  Sur  les  afflîc.  des  Justes 

douleur  ,  &  du  libertin  dans  la  fortune  y 
l'autorité  ,  l'élévation.  Il  me  feroit 
difficile  de  réfifter  aux  fentiments  de 
défiance  qui  naîtroient  dans  mon 
cœur  :  pourquoi  ?  parce  que  je  me 
croirois  trompé  par  Jefus-Chrifl  même, 
&  que  j'éprouverois  tout  le  contraire 
•  de  ce  qu'il  m'auroit  promis.  Mais 
quand  je  confulte  les  facrés  oracles 
fortis  de  la  bouche  de  ce  Dieu  Sauveur  , 
&  que  je  les  vois  accomplis  de  point 
en  point  dans  la  conduite  de  la  Pro- 
vidence ;  quand  j'entends  ce  Sauveur 
adorable  dire  clairement  &  fans  équi- 
voque à  fes  Difciples  :  Le  monde  fe 
réjouira  ,  &  vous  ferez  dans  la  triftefle; 

Jean.  Mundus  gaudebit  ,  vos  autem  contrijîabi- 
f»  '^'  min\:  quand  jç  1  entends  leur  déclarer 
dans  les  termes  les  plus  exprès  ,  qu'ils 
feront  en  butte  aux  perfécutions  des 
hommes  ;  leur  faire  le  détail  des  croix 
qu'ils  auront  à  porter  ,  des  mauvais 
traitements  qu'ils  auront  à  effuyer  ;  leur 
marquer  là  -  deflus  toutes  les  circonf- 
tances  ,  6c  conclure  en  les  avertiflant  que 
s'il  leur  annonce  par  avance  toutes  ces 
chofes ,  c'eft  afin  qu'ils  n'enfoient  point 
furpris    ni    fcandalifés   iorfqu'elles  arri- 

îiid,  veront ,  Hcec  locutus  fum  vobis  ,  ut  noin 
fcandull^emini  ,  ÔC  afin  qu'ils  fe  fou- 
viennent  qu'il  les  leur  avoir  prédites  ; 

U'id.  Ut  cîim  -vcncrït  hora ,  ^orum  reminifca" 
mini,  quia  ego  dixi  vobis  :  quand,  dis-je, 
ççut  cela  fe  préfente  à  mo^  efprit,  6c 


ETLA  PROSP.  t>ES?ÉCHEUÎlS.    I/J 

que  tout  cela  s'exécute  à  mes  yeux ,  que 
j'en  fuis  inftruit  par  moi  -  même  ,  & 
que  j'en  ai  les  exemples  les  plus  fen-  . 
fibles  &  les  plus  préfents^  eft-il  poffible 
que  ma  confiance  ne  redouble  pas ,  &C 
qu'elle  ne  tire  pas  de  là  un  accroiffe- 
ment  tout  nouveau  ?  Si  je  voyois  tous 
les  pécheurs  dans  l'infortune  ,  ôc  tous 
les  jufles  dans  le  bonheur  humain  , 
c'eft  ce  qui  m'étonneroit  ,  psrce  que: 
je  ne  verrois  pas  la  parole  de  Jefus- 
Chrift  vérifiée.  Mais  tandis  que  les 
gens  de  bien  foufFriront ,  &  que  les  im-» 
pies  auront  tous  les  avantages  du  fiecle  , 
je  ne  craindrai  rien  ,  je  me  confolerai , 
je  me  foutiendrai  dans  mon  efpérance. 
Car  voici  comment  je  pourrai  raifon- 
ner.  Le  mêm.e  fils  de  Dieu  qui  a  dit 
aux  jufies  ,  vous  ferez  dans  l'afRidion  , 
leur  a  dit  aufii ,  votre  triiîeffe  fe  chan- 
gera en  joie  :  Trijlitia  vefira  vcrtetur  in  Uld» 
gaudium  :  Le  même  qui  leur  a  prédit 
leurs  peines  &  leurs  adverfités  ,  s'eft 
engagé  à  leur  donner  fon  royaume  , 
&  dans  ce  royaume  céiefte  une  féli- 
cité parfaite.  Or  il  n'eft  pas  moins 
infaillible  dans  l'un  que  dans  l'autre  ,  pas 
moins  vrai  quand  il  annonce  le  bien 
que  lorfqu'il  annonce  le  mal ,  pnifqu'il 
eft  toujours  la  vérité  éternelle.  Comme 
donc  l'événement  a  juftifié  6c  juïlifi^ 
fans  ceiïe  ce  qu'il  a  prévu  des  aiBi6lions 
de  fes  élus  ,  il  en  fera  de  même  de 
la  gloire  qu'il  leur  fait  efpérer.    De  là 

Hiij 


174  Sur  les  afflic.  des  Justits 
je  prends  le  fentirr.ent  du  grand  Apô- 
tre ,  &  je  dis  avec  lui  :  je  foufFre ,  mais 
je  fouffre  fans  me  plaindre  ,  &  je  n'eii 
fuis  point  déconcerté  ni  inquiet  ;  car 
je  f^is  en  qui  je  me  coniîe  &  fur  la 
parole  de  qui  je  me  repofe  ;  je  le  fais , 
&  je  fais  certain ,  non-feulement  qu'il 
peut  faire  pour  moi  tout  ce  qu'il  m^a 
promis  ,  mais  qu'il  le  veut  &  qu'il  le 
fera ,  puifqu'il  me  Ta  promis  ,  &  a  tous 
ceux  qui  fe  difpofent  dans  le  filence  & 
la  foumiilion  au  jour  bienheureux  oil 
il  viendra  reconnoître  fes  prédeftinés  &: 
remplir  leur  attente. 

Ert-ce  tout  ?  non ,  mes  chers  Audi- 
teurs ;  mais  je  finis  par  un  point  qui 
me  paroit ,  &  qui  doit  vous  paroitre 
comme  à  moi  le  plus  eiïentiel.  Car 
dans  cette  affemblée  je  m'adrefle  à 
celui  de  tous  que  Dieu  connoît  le 
plus  ]Uile  ,  &  que  Dieu  toutefois  a 
moins  pourvu  de  fes  dons  temporels  : 
qu'il  m'écoute  &  qu'il  me  comprenne  y 
c'eft  à  lui  que  je  parle.  11  eft  vrai  , 
mon  cher  Frère  ,  &  je  ne  puis  l'ignorer , 
votre  fort  parmi  les  hommes  ei\  trifte 
&  fâcheux  ;  mais  par-là,  fi  je  puis  m/ex- 
primer  de  la  forte  ,  à  quel  fceau  vous 
trouvez-vous  marqué  ?  à  celui  que  doi- 
vent porter  les  élus  ,  à  celui  qui  les 
diftingue  comme  élus  ,  en  un  mot ,  à 
celui  du  fils  unique  de  Dieu  ,  le  chef 
&  .l'exemplaire  des  élus.  Tellement  , 
que  vous  entrez  uinh  dans  Tordre  do 


£t  la  frosp.  des  Pécheurs.  175 

votre  prédeftination,  &  que  Dieu  com^ 
mence  à  exécuter  le  décret  qu'il  en  a 
formé.  Je  m'explique  ,  &l  je  vais  mieux 
vous  faire  entendre  ce  myftere  de  ulut. 
On  vous  Ta  dit  cent  fois  après  l'Apôtre , 
&  c'eft  un  principe  de  notre  toi,  que 
Jefus  -  Chrift  étant  le  modèle  des  pré- 
deftinés  ,  il  faut  ,  pour  être  glorifié 
comme  lui  ,  avoir  une  fainte  reiTem- 
biance  avec  lui.  Car  ,  félon  l'excellente 
6l  fublirae  théologie  du  Dofteur  des 
nations  ,  tel  eft  l'indlfpenfable  condi- 
tion que  Dieu  demande  pour  taire  part 
de  fa  gloire  à  fes  élus  ,  &  c'eft  ainfi 
qu'il  les  a  choifis  :  Quos  prczfcïvit  &  prcz-  îi:>m, 
deflinavit  conformes  fieri  inuginis  fiUi  ^-  /• 
fui.  Or  il  q£x.  évident  que  Jeius-Chrifl 
a  vécu  fur  la  terre  dans  le  même  état 
ou  Dieu  permet  que  le  jufte  foit  réduit , 
qu'il  a  marché  dans  la  même  voie  , 
qu'il  a  été  expofé  aux  marnes  rebuts  3 
aux  mêmes  mépris  ,  aux  mêmes  con- 
tradictions. O  profondeur  des  confeils 
de  la  divine  fagefle  !  Tibère  régnoit  ea 
Souverain  fur  le  trône  ,  &  le  fils  de 
Dieu  obéiîToit  à  fes  ordres.  Pihte  étoit 
revêtu  de  h  fuprême  cutori;é  ,  &  le 
fils  de  Dieu  cGir.paroilloit  devant  lui. 
Voilà  comment  Dieu  opéroit  par  Jefus- 
Chriil  le  falut  des  hommes  ,  6i  voilà  , 
mon  cher  Auditeur,  comment  il  opère 
ou  comment  il  confomme  le  vôtre  par 
vous-même.  Il  vous  imprime  les  Curac- 
ti:e5  de  fon  fils ,  il  grave  dans  vous  fes 

H  iy 


176   Sur  les  affiic.  des  Justes 

traits  &  fon  image.  Sans  cela  tout  fe- 
roit  à  craindre  pour  vous  :  mais  avec 
ceia  que  ne  pouvez- vous  point  elpérer, 
puifque  c'eft  l'exécution  des  favorables 
deiïeins  d-e  Dieu  fur  votre  perfonne  ? 
Q_uos  prœfclvit  &  pradejiinavit  conformes 
fitri  imaginis  fiiù  fui. 

Vous  me  dites  :  L'on  a  vu  &  l'on  voit 
encore  des  gens  de  bien,  riches  &  opu- 
lents y  honorés  &  diftingués  dans  le 
monde.  J'^en  conviens  :  mais  fur  cela 
je  réponds  trois  chofes.  En  effet ,  s'il 
n'y  avoit  de  juftes  &  d'élus  que  les 
pauvres  &  les  petits ,  que  ceux  qui  par 
l'obfcurité  de  leur  condition  ,  ou  par  le 
défordre  de  leurs  affaires  occupent  les 
derniers  rangs  ,  les  aurres  états  feroient 
clone  exclus  du  royaume  de  Dieu  ,  ce 
feroient  donc  par  eux-mêmes  des  états 
réprouvés  ,  il  y  faudroit  donc  néceffaire- 
ment  renoncer.  Or  il  étoit  néanmoins 
de  la  Providence  d'établir  dans  la  fo- 
ciété  des  hommes  ces  états  ,  &  il  efî 
toujours  de  la  même  Providence  de  les 
y  maintenir  :  d'oii  il  s'enfuit  que  Dieu 
n'a  donc  pas  dû  y  attacher  une  damna- 
tion inévitable  ,  &  qu'au  contraire  il 
devoit  y  fai.  e  paroître  des  exemples  de 
fainteté  ,  afin  de  ne  pas  jeter  dans  un 
dél'efpcir  abfolu  tous  ceux  qui  s'y  trou- 
veroient  engagés.  Je  vais  plus  loin ,  ÔC 
j'ajoute  ,  que  fi  les  Sdints  fe  font 
vus  quelquefois  dans  l'état  d'une  prof- 
périté  humaine  ,   c'eft  ce  qui  les  iaifoit 


ET  LA  PROSÏ».  DES  PÉCHEURS.    I77 

Crembler,  que  c*eft  ce  qui  les  entretenoit 
dans  une  défiance  continuelle  d'eux-mê- 
taes  ,  que  c'eft  ce  qui  les  humilioit,  ce 
qui  les  confondoit  devant  Dieu:  pour- 
quoi ?  parce  que  ne  reconnoiflant  point 
dans  leur  profpérité  l'imcîge  de  Jefus- 
Chrift  fouffrant  ,  ils  craignoient  que 
Dieu  ne  les  eût  rejetés  ,  &.  de  ne  ré- 
gner jamais  avec  Jefus-Chrift  glorieux 
&  triomphant.  De-là  pour  fuppléer  à 
ce  qui  leur  manquoit  ,  &  pour  acqué- 
rir cette  conformité  fî  néceffaire  ,  que 
faifoient-ils  ?  obfervez-le  bien  ,  c'eft  ce 
que  j'ai  en  dernier  lieu  à  répondre.  Ils 
ne  quittoient  pas  pour  cela  leur  condi- 
tion ,  parce  qu'ils  s'y  croyoient  appelles 
&  qu'ils  vouloient  obéir  à  Dieu  ;  mais 
fous  les  dehors  fpécieux  d'une  condi- 
tion aifée  &  commode ,  ils  confervolent 
toute  l'abnégation  chrétienne  ,  &  por- 
toient  fur  leur  corps  toute  la  mortifi- 
cation de  leur  Sauveur.  Sans  renoncer  à 
leur  état,  ni  à  certain  extérieur  de  leur 
état ,  ils  renonçoient  à  Tes  douceurs  ,  & 
fur-tout  ils  Te  renonçoient  eux-mémies. 
Au  milieu  de  l'abondance  ils  favoient 
bien  reiîentir  les  incommodités  de  la 
pauvreté  ;  au  milieu  des  honneurs  , 
ils  trouvoient  bien  des  moyens  pour 
fe  contenir  dans  les  fentiments  &  s'exer- 
cer dans  les  a6les  d'une  profonde  hu- 
milité ;  au  milieu  des  divertiilements 
mondains  ,  où  quelquefois  ils  fembloient 
^voir   part  ,   ils    n'oublioient    pas    les 

Hv 


178    Sur  LES  AFFLic.  DES  Justes 

devoirs  de  la  pénitence,  &  là  même 
fouvenc  la  pratiquolent  -  ih  dans  toute 
fon  auftérité  :  tout  cela  afin  d'être  du 
nombre  de  ceux  dont  l'Apôtre  a  dit  : 
Quus  prœfcivit  &  pnzdefiinav'u  conformes 
fieri  imaginis  fiL'ù  fui. 

Vous    me   direz  encore  qu'on  a^vu 
des  pécheurs  &  qu'on  en  voit  dans  les 
mêmes  adverlîtés  que  les  juftes  ,  ÔCauiii 
affligés  qu'eux.    Il   eft   vrai  :  mais  fans 
examiner   toutes    ies   ràifons    pourquoi 
Dieu  ne  veut  pas  ni  ne  doit  pas  vouloir 
que  le  vice  profpere  toujours  ,   je  me 
contenterai  d'une  réponfe  que  j'ai  à  vous 
faire ,   &  qui  fervira  de  preuve  à  l'im- 
portante vcrité  que  je  vous  prêche.  C'eft 
que  pour  ces  pécheurs  fujets  comme  les 
jufles  aux  revers  &  aux  difgraces  de  la 
Tie,  une  des  plus  précieules  &  des  plus 
fenfibles  marques ,  félon  la  doclrine  de 
tous  les  Pères  ,    que  Dieu  ne  les  a  pas 
entièrement  abandonnés  ,  ce  font  leurs 
fouffrances  même  &  leurs  peines  ;  que 
le  plus  gr^nd  de  tous  les  malheurs  pour 
eux ,  ce  feroit  d'être  ménagés  ,    d'être 
flattés  ,   de  n'être  jarF.ais  traversés  dans 
le  crime;  que  la  dernière  refiource  qui 
leur  reile  pour  rentrer  dans  la  voie  du 
falut  &  pour  être  reçus  dans  le  fein  de 
la  miféricordej  eft  que  Dieu  "à  préfent 
les    châtie  ,    qu'en    las    châtiant    il    les 
corrige,  qu'ei)  les  corrigeant  il  les  ré- 
forme ,  &  que  ce  renouvellement  &  cette 
déformation  de  m.geurs  retrace  diias  eu:ï. 


ET  LA  PROSP.  D£S  PeCHEURS.    I79 

Timage  de  fonfîls  qu'ils  y  avoient  eita- 
cée  :  de  forte  qu'il  en  faut  toujours 
revenir  à  la  parole  du  Maître  des  Gentils  : 
Quos  prczfcivit  &  pnzdcjlinavic  conformes 
fitri  ima^inis  filii  jui. 

Plaife  au  Ciel ,  mes  chers  Auditeurs  , 
que  vous  ayez  bien  compris  ce  myftere 
de  grâce  6t  de  fan£tiiication  que  j'avois 
à  développer  ;  que  dans  les  coups  dont 
Dieu  vous  frappe  ,  vous  reconnoilnez 
l'amour  qui  TintérelTe  pour  vous  ;  que 
le  jufte  ranime  fon  eipé tance  ,  &  qu'il 
fe  foutienne  par  fa  patience  ;  que  le 
pécheur  ébloui  du  vain  éclat  qui  l'envi- 
ronne ,  &  enivré  d'une  trorrjpeufe  féli- 
cité qui  les  féduit ,  fe  détrompe  enfin  des 
idées  qu'il  en  avoit  conçues ,  &  que 
déformais  il  en  détache  fon  cœur  pour 
l'attacher  à  des  biens  plus  folides.  Vous 
cependant ,  ô  mon  D  eu  !  ne  changez, 
rien  à  l'ordre  des  chofes  que  votre  Pro- 
vidence a  réglées  :  agiliez  félon  vos 
vues  ,  6c  non  félon  les  nôtres.  Vos 
vues  font  infinies,  ôc  les  nôtres  font 
bornées  ;  vos  vues  font  toutes  pures ,  & 
les  nôtres  font  toutes  terreftres  ;  vos 
vues  ne  tendent  qu'à  nous  fauver  ,  &  les 
nôtres  ne  tendent  qu'à  nous  perdre.  Si 
la  nature  fe  révolte ,  fi  les  fens  murmu- 
rent ,  ah  1  Seigneur  ,  n'accordez  ni  à 
la  nature  Indocile,  ni  aux  fens  aveugles 
&  charnels  ce  qu'ils  demandent.  "Ne 
nous  livrez  pas  à  nos  defirs,  &  ne  nous 
écoutei    pas  ,    comme   vous    écoutiez 

H  vj 


i8o  Sur  les  afplîc.  des  Justes  ,  &c; 

autrefois  dans  votre  colère  le  peuple  Juif. 
Mùia  fuivez  toujours  vos  adorables  àeC-^ 
feins,  &  quoiqu'il  nous  en  doive  coûter^ 
€xécurez-les  pour  votre  gloire  ièi  pour 
notre  bonheur  éternel  5  &:c,  ' 


1 


^ 


tSt 


SERMON 

POUR 
LE  CINQUIEME  DIMANCHE 

APRÈS  L'EPIPHANIE. 

Sur  la   Société  des  Juflcs  avec  les 
Pécheurs, 

Cùm  domirent  homines  ,  venit  inimicus  homo^ 
&  fuperfeminavit  ziiania  in  medio  tritici. 

Tandis  que  les  gens  dormoîent  ,  l'ennemi  vint  3 
&  fema  de  Vivroie  parmi  h  bon  grain,  Ea 
Saint  Matth.  ch.  13. 

C'EsT  dans  le  champ  du  Père  de 
famille  que  cette  ivroie  eft  femée 
parmi  le  bon  grain,  &  c'eft  dans  TEglife 
de  Dieu  que  les  pécheurs  vivent  au 
milieu  des  juftes  ,  &  que  les  uns  6i  les 
autres  font  confondus  enfemble.  Ce  fut 
durant  la  nuit  &  lorfque  les  gens  étoient 
endormis  ,  que  l'ennemi  vint  défoler  le 
champ  ,  &  c'eft  pendant  cette  vie  mor* 
lelle,  qui  eft  pour  nous  uç  t^n^P^  ^^ 


i5^  Sur  la  société  des  Justes 
ténèbres  &  comme  une  nuit  obfcure  , 
que  rennemi  commun  des  hommes  fait 
fes  ravages  &  entretient  dans  le  fein  de 
l'Eglife  ce  trifte  mélange  des  impies  &c 
des  réprouvés  avec  les  élus.  Il  ne  vient 
pas  tandis  que  nous  veillons ,  tandis  que 
nous  avons  les  yeux  ouverts  &  que  nous 
fommes  attenti:fs  fur  nous-mêmes  :  mais 
il  prend  les  moments  où  les  traits  flatteurs 
du  plaifir  nous  charment ,  où  les  faufTes 
douceurs  du  monde  nous  endorment  , 
©ù  nos  paffions  nous  fermant  les  yeux  , 
nous  empêchent  de  Tappercevoir  6c  de 
remarquer  le  dommage  qu'il  nous  caufe  , 
Cùm  dormirent  homines.  Voilà  com.ment 
cet  efprit  féducieur  s'infinue ,  comment 
il  introduit  le  péché  dans  les  âmes  & 
une  multitude  prefque  infinie  de  pé- 
cheurs dans  fe  chriiVianifme  :  Venit  ini" 
rnicus  homo  ,  6»  fuperfem'inavit  ^ii^ania. 
Dieu  d'un  coup  de  fon  bras  tout-puif- 
fant  ,  pourroit  dans  un  jour  les  exter- 
miner tous  ;  mais  il  attend  la  faifon  de 
la  récolte,  c'eft-à-dire  jufqu'à  la  tin  des 
fiecles  &  de  Ton  jugement  dernier  ,  lorf- 
qu'il  enverra  fes  moiffonneurs  pour  fé- 
parer  Mvraie  d'avec  le  bon  gain  :  par- 
lons fans  figure  ,  lorfqu'il  enverra  les 
Anges  exécuteurs  de  fes  volontés  &:mi- 
lîiftres  de  fa  juflice ,  pour  faire  le  difcer- 
nement  des  ]uf\es  &  des  pécheurs  ,  pour 
mettre  à  h  droite  les  juftes  prédeilinés,  & 
à'ia  gauche  les  pécheurs  réprouvés  ,  pour 
làffenibler  les  uns  dans  fon  Royaume,  ^ 


AVEC    LES   PÉCHEURS.  iSj 

pour  précipiter  les  autres  dans  le  feu 
éternel  :  Coliipte  :^i7^ima  ,  &  aliigite  Marh. 
ea  in  fafciculos  ad  cornburcndum  :  trui-  c.  ;^, 
cum  autem  congregate  in  hornum  meum. 
Ce  temps  n*eft  pas  encore  venu  ,  Chré- 
tiens ,  &  jufqu'à  cette  fépr.ration  nous 
vivons  au  milieu  des  impies ,  &  les  im- 
pies vivent  au  m.ilieu  du  rr.onde.  Il  eft 
donc  d'une  conféquence  extrême  que 
vous  fâchiez  quelle  conduire  vous  devez 
tenir  à  leur  égard  ,  &  quelle  fociété 
vous  pouvez  avoir  avec  eux.  Mais  afin 
de  vous  en  inftruire  plus  folidement , 
j'ai  befoin  des  lumières  du  Saint- Efprit, 
&  je  les  demande  par  rintercelTion  de 
Mûrie.  Ave  M.iria, 

DE  vouloir  pénétrer  dans  les  fecrets 
de  Dieu  pour  favoir  à  quelle  fin 
Dieu  fouftre  les  impies  au  milieu  des  élus, 
ce  feroit ,  'dit  Saint  Auguftin  ,  vouloir 
découvrir  un  myftere  qui  eil  au  deffus 
de  nos  connoifTances,  &  que  nous  devons 
adorer  fans  entreprendre  de  l'examiner. 
Dieu  permet  que  les  impies  fubfiflent ,  & 
c'eft  ce  que  l'expérience  nous  fait  voir  ; 
il  permet  qu'ils  fubfiflent  parmi  les  bons 
&  les  prédeftinés  ,  c'eft  de  quoi  nous 
ne  pouvons  douter.  De  connoitre  les 
raifons  pour  lefquelles  il  le  veut  i-infi, 
c'eft  encore  une  fois  ce  qui  n'eft  pas 
de  notre  compétence  ;  mais  d'apprendre 
comment  nous  devons  nous  comporter 
avec  les  impies  §c  les  libertins ,  c'eft  ce 


'1Î4  Sur  la  société  des  Justes 
qui  nous  touche  &  ce  qui  demande  tou« 
tes  nos  réflexions.  Or  de  qui  l'appren- 
drons-nous?  de  Dieu  nïême ,  qui  en 
tout  ,  mars  particulièrement  en  ceci  , 
veut  être  notre  exemplaiie  &  le  modèle 
de  notre  conduite.  Dieu  ,  Chrétiens  , 
qui  eft  la  fainteté  même  ,  demeure  avec 
les  pécheurs  ;  mais  je  remarque  fur  cela 
deux  chofes  qui  doivent  être  pour  nous 
deux  importantes  leçons  :  car  il  ne  de- 
meure avec  les  pécheurs  que  par  la  né- 
ceflité  de  Ton  être  ,  c'efl  la  première  ;  & 
en  demeurant  avec  les  pécheurs  ,  il  lait 
tout  à  la  tcis  &  en  tirer  fa  gloire,,  Ôc  pro- 
curer leur  fdlut ,  c'efl  la  féconde.  Sur 
quoi  j'établis  deux  obligations  qui  nous 
regardent,  &:  qui  vont  faire  le  partage 
de  ce  difcours.  Dieu  n'eft  avec  les  pé- 
cheurs que  par  la  néceffité  de  fon  être, 
&  nous  ne  devons  demeurer  avec  eux 
que  par  la  nécelîité  de  notre  état  :  ce 
fera  la  première  Partie.  Dieu  tire  fa 
gloire  des  pécheurs  ,  &  travaille  en 
même  temps  à  leur  falut  ;  c'eft  ainfi 
que  nous  devons  rendre  notre  commer- 
ce avec  eux  égaleirent  profitable  & 
pour  nous  &  pour  eux-mêmes  :  ce  fera 
la  féconde  Partie  l^ans  la  première  je 
vous  montrerai  l'obligation  générale  ae 
fuir  le  commerce  des  pécheurs  ;  &  nous 
verrons  dans  la  féconde  quel  profit  il 
en  faut  retirer  lorfque  nous  y  fommes 
néceflairement  engagés.  En  deux  mots , 
le  mélange  des  juiles  ^  des  pécheur* 


AVEC     LES    PÊCHEURS.       185 

eft  communément  dangereux  pour  les 
juftes  ;  mais  il  peut  être  quelquefois  utile 
aux  uns  &  aux  autres.  Autant  qu'il  eft 
dangereux  pour  les  jufles  ,  ils  doivent 
l'éviter  :  &  autant  qu'il  peut  être  utile 
aux  juftes  &  aux  pécheurs  ,  les  juftes 
doivent  en  profiter.  Voilà  tout  le  fujet 
de  votre  attention. 


A  Entendre  parler  TEcrlture  ,  on  di-  î. 
roit ,  Chrétiens  ,  que  Dieu  par  une  PaRT» 
efpece  de  contradi<5lion  eft  tout  à  la  fois 
avec  les  impies  &  qu'il  n'y  eft  pas ,  qu'il 
s'éloigne  d'eux  &  qu'il  ne  s'en  éloigne 
pas  ,  qu'il  les  prive  de  fa  préfence  ôc  qu'il 
ne  les  en  prive  pas.  Car  voyez  comment 
îl  s'exprime  différemment  ,  félon  la  dif- 
férence des  caraderes  qu'il  prend  &  qu^il 
veut  foutenir  à  leur  égard.  C'eft  moi , 
dit-il ,  qui  remplis  le  ciel  &  la  terre  ;  &C 
quoi  que  faffe  le  pécheur  ,  il  ne  peut 
m'éviter  ni  fe  dérober  à  mes  yeux.  Voilà 
Dieu  préfent  au  pécheur,  pour  l'obfer- 
ver  &  pour  Kéclairer.  Mais  il  dit  ailleurs  : 
Je  me  repens  d'avoir  créé  l'homme,  & 
je  fais  pour  toujours  divorce  avec  lui, 
parce  qu'il  eft  tout  charnel.  Voilà  Dieu 
féparé  du  pécheur ,  pour  fe  venger  &c 
pour  le  punir.  Où  irai -je,  Seigneur, 
diloit  David,  &  où  fuirai  -  je  de  de- 
vant votre  face  }  Si  je  defcends  dans 
les  enfers ,  je  vous  y  trouve  ,  &  vous  y 
«tes  en  perfonne ,  exerçant  les  rigueurs 


c,  z 


186    Sur  la  société  des  Justes 

de  votre  juftice  :  Dieu  donc  ,  conclut 
faint  Jérôme,  habite  même  avec  les  ré* 
prouvés.  Mais  j'entends  Saiil  au  contrai- 
re invoquant  Sarr.uel,  &  lui  témoignant 
fa  douleur,  ou  pour  mieux  dire^  Ton 
défefpoir  ^  de  ce  que  Dieu  s'eft  retiré  de 
f'R^g-  lui  ,  Coardor  nimis  ^  Ji  quidem  pugnant 
Pkïiijliim  advershm  me  ,  &  JDeus  rcccj/ït 
à  me  :  il  ne  faut  donc  plus  chercher 
Dieu  dans  la  compagnie  d'un  réprouvé. 
Comment  accorder  tout  cela  ?  En  voici 
le  fecret ,  qui  confifte  ,  répond  le  Doc- 
teur angélique  S.  Thomas  ,  en  ce  que 
Dieu  qui  eft  le  Saint  des  Saints,  n'eft 
avec  les  pécheurs  &  les  impies  que  par 
la  néceiTité  de  Ton  être,  Se  qu'il  n'y  eft 
point  par  un  choix  d'affe6lion  &  d'incli- 
nation. Je  m'explique. 

Il  eft  avec  les  pécheurs  par  la  nécef- 
fité  de  fon  être  ,  parce  que  toutes  fes 
perfe6tions  divines  l'y  engagent  :  fa  fa- 
gefle  ,  par  laquelle  il  gouverne  &  main- 
tient dans  l'ordre  toutes  les  créatures  , 
jufqu'aux  plus  révoltés  pécheurs  ;  fa 
bonté,  dont  il  répand  les  effets  fur  tou- 
tes les  créatures  ,  fans  en  excepter  les 
pécheurs  ;  fa  toute  -  puiiTance  qui  fait 
agir  toutes  les  créatures  ,  Si.  conféquem- 
ment  les  pécheurs.  Tous  ces  devoirs  du 
Créateur  ,  qui  lient  Dieu  ,  pour  ainfi 
dire  ,  à  la  créature  ,  font  des  devoirs  gé- 
néraux auxquels  tous  les  hommes  ont 
part  ,  les  mcchans  auffi  -  bien  que  les 
bons  3  &.  c'eil:  par  kraifon  de  ces  devoirs 


AVEC   LES    Pécheurs.  1^7 

que  Dieu  efl  inféparable  des  impies. 
Âlais ,  comme  j'ai  dit,  ce  font  des  de- 
voirs de  néceiTité  ,  dont  Dieu  ,  iup- 
polé  le  bienfait  de  la  création  ,  ne  peut 
pas  fe  dirpenfer  lui-même.  Car  fi  vous 
confultez  les  inclinations  de  fon  cœur  , 
ah  !  Chrétiens  ,  les  chofes  fe-  paffent 
bien  autrement.  A  peine  l'homme  eft- 
il  tombé  dans  le  défordre  du  péché  , 
que  Dieu  rompt  avec  lui  toutes  les 
alliances  ,  &  par  conféquent  tous  les 
commerces  dont  fa  gracé  avoit  été  le 
lien.  De  forte  qu'il  n'eft  plus  avec  le 
pécheur  ,  en  aucune  de  ces  manières 
qui  marquent  le  penchant  &  le  difcer- 
nement  de  fon  amour;  c'eft-à-dire, 
qu'il  n'eft  plus  avec  le  pécheur,  ni  par 
l'effet  d'une  protection  fpéciale  ,  com- 
me il  étoit  avec  fon  peuple  dans  le 
défert ,  ni  par  la  com.munication  de  fes- 
dons  ,  comme  il  eft  avec  tous  les  juf- 
tes  ,  ni  par  l'union  intime  6i  myil:é- 
rieufe  de  ion  adorable  Sacrement,  com- 
me il  eft  fmguliérement  avec  l'ame 
chrétienne  qui  le  reçoit.  A  l'égard  du 
pécheur  tout  cela  ceife  ,  &.  c'eft  ce  qui 
fait  dire  au  Saint- Efprit  que  Dieu  n'eft 
plus  avec  les  pécheurs  ,  &l  qui  fait  ajou- 
ter aux  Théologiens  ,  que  h  ,  par  une 
fuppofition  iinpolFible  ,  Dieu  pouvoit 
fe  dépouiller  de  fon  immenfité  ,  il  de- 
meureroit  encore  préfent  à  un  grand 
nombre  de  fujets  à  qui  fa  grâce  l'atta- 
che y  mais  qu'il  celTeroit  d'être  avec  les 


îS8    Sur  la  société  des  Justes 

pécheurs  ,  parce  qu'il  n'auroit  plus  cette 
îiéceffité  d'être  par-tout ,  &  d'agir  par- 
tout :  d'où  S.  ChryCoftome  conclut  ,  & 
la  penfée  de  ce  Père  mérite  d'être  re- 
ïnarquée  ,  que  l'immenfité  qui  eft  un 
des  plus  nobles  attributs  de  Dieu ,  ne 
laiffe  pas  dans  un  fens  d'être  à  Dieu 
comme  un  attribut  onéreux  ,  puifqu'elle 
l'affujettit  à  ne  pouvoir  entièrement  fe 
féparer  de  ce  qui  eft  Tobjet  de  fon  aver- 
fion  &  de  fon  indignation. 

Admirable  idée  ,  Chrétiens  ,  de  la 
conduite  que  nous  devons  obferver 
avec  les  libertins  du  fiecle.  Qu'eft-ce 
que  Dieu  exige  de  nous  ?  que  nous  en 
ufions  avec  eux  comme  il  en  ufe  lui- 
même  :  pouvons-nous  nous  propofer  un 
plus  faint  modèle  ?  11  veut  donc  pre- 
mièrement que  nous  les  fupportions  à 
fon  exemple  ;  &  il  le  veut  avec  raifon, 
dit  Saint  Auguftin  ,  puifqu'on  nous  a 
bien  fupportés  quand  nous  étions  nous- 
mêmes  dans  l'égarement  &  la  corrup- 
tion du  vice.  Voilà  pourquoi  ,  reprend 
ce  faint  Dodleur ,  nous  ne  devons  jamais 
oublier  ce  que  nous  avons  été,  afin  de 
conferver  toujours  pour  les  autres  une 
compaflion  tendre  6c  charitable  dans 
Auguji,  l'état  où  ils  font.  Cum  tolerant'uî  vivem^ 
dum  nobïs  ejl  inter  malcs  ,  quia  ciim  mali 
ejfemus ,  cum  toUrantiâ  vixerunt  boni  inter 
nos.  Mais  prenez-garde,  s'il  vous  plaît, 
à  ce  terme  ,  cum  toUrantiâ  ;  car  Saint 
Auguflin  ne  dit  pas  que  la  fociété  des 


AVEC    LES    PÉCHEVRS.      iS^ 

méchants  nous  doit  être  un  fujet  de  com- 
plaifance  ,  mais  un  exercice  de  patience  ; 
c'eft-à-dire ,  que  nous  devons  la  fouf- 
frir  ,  &c  non  pas  l'aimer,  parce  que  c'efl 
ainfique  nous  nous  conformons  à  notre 
règle  qui  eft  Dieu. 

Oui ,  je  l'avoue  ,  il  y  a  des  liaifons 
&  des  engagements  avec  les  impies  , 
que  la  loi  divine  non  -  feulement  ne 
nous  commande  pas  ,  mais  qu'elle  ne 
»ous  permet  pas  de  rompre  ,  puifqu'elle 
nous  en  tait  même  des  devoirs  ,  ÔC 
c'eft  ce  que  j'appelle  la  nécelTité  de  no- 
tre état  ,  qui  répond  à  la  nécelfité  de 
l'être  &  de  la  providence  de  Dieu. 
Autrement  ,  dit  Saint  Paul ,  il  faudroit 
fortir  hors  du  monde  ,  fi  tout  com- 
m«rce  avec  les  pécheurs  y  étoit  géné- 
ralement interdit  :  Alioquin  debiuratis  de  j^  ^^^< 
hoc  inundo  exiffe.  Par  exemple ,  un  père  c,  j. 
doit-il  fe  féparer  de  fes  enfants ,  parce 
qu'il  les  voit  dans  le  défordre  ;  une 
femme  de  fon  mari ,  parce  qu'il  mené 
une  vie  licentieufe  ;  un  inférieur  de  fon 
fupérieur  ,  parce  que  c'eft  un  homme 
fcandaleux  ?  Non  ,  fans  doute  ,  la  loi 
du  devoir  ,  de  la  dépendance  Se  de  la 
fujéîion  le  défend  ;  &  on  peut  dire  alors 
que  le  mélange  des  méchants  avec  les 
bons  eft  autorifé  de  Dieu  ,  puifque 
Dieu  eft  l'auteur  de  ces  conditions  qui 
engagent  néceffairement  à  cette  fociété. 
Tout  cela  eft  vrai,  mais  hors  de  là, 
je   yeux  dire    hors  des  termes    de;  1| 


t^ô    Sur  la  société  des  Justes 

néceffité  ,  &  de  la  juftice  ,  quand  lef 
chofcs  font  dans  la  liberté  de  notre 
choix  ,  chercher  les  impies  &  entretenir 
avec  eux  des  habitudes  volontaires ,  des 
amitiés  nnondaines  &  profanes ,  des  fa- 
miliarités dont  le  prétexte  eft  le  feul 
plaifir  ,  &  que  nulle  raifon  ne  jurtifie  , 
Je  dis  que  c'eft  aller  dire^lement  contre 
les  ordres  de  Dieu  ,  &  je  le  dis  après 
le  grand  Apôtre.  Car  voilà  comment  il 
le  déclaroit  aux  Chrétiens  de  TheiTa- 
*c.The(r.  ^-onique  :  Denuntiamus  vobis  ,  ut  Jubtra-- 
(,  j.  katis  vos  ab  omni  fratre  ambulants  inor' 
dinatè  ;  Nous  vous  ordonnons ,  leur  di- 
foit-il  ,  au  nom  du  Seigneur  ,  de  vous 
retirer  de  tous  ceux  d'entre  vos  frères 
qui  tiennent  une  conduite  déréglée  ,  ôc 
de  garder  ce  précepte  comme  Tun  des 
plus  importants  6c  des  plus  elTentiels  de 
la  loi  de  Dieu.  De  là  vient  que  David 
s'en  faifoit  un  point  de  confcience  &  de 
pr  2r.  ï"elig''on.  Non  jedi  cum  concilio  vanitatis ^ 
&  cum  iniqua  gerentibus  non  introibo  ; 
odivi  Ecclefiam  malignantium.  Ma  ma- 
xime a  toujours  été  de  n'avoir  point 
d'union  avec  des  partifans  du  vice,  & 
de  ne  me  point  mêler  avec  ceux  qui 
font  gloire  de  commettre  l'iniquité  :  d'ai- 
tner  leurs  perfonnes ,  parce  que  la  cha- 
rité me  le  commande  ,  mc^is  de  haïr 
leurs  affemblées  »  de  fuir  leurs  intrigues , 
d'abhorrer  leurs  converfations  ,  parce 
«ju'une  charité  plus  haute  ,  qui  eft  celle 
^ue  je  dois  à  Dieu  &  que  je  me  dois 


AVEC    LES     PÉCHEURS.       19! 

a  moi  -  ir.ême  ,  m'empêche    d'y   avoir 
part. 

Voilà  ,  dis-je  ,  mes  chers  Auditeurs  , 
ce  que  nous  di6le  la  prudence  chré- 
tienne, 6c  à  quoi  elle  nous  oblige  in- 
difpenfablement  ,  d'éviter,  autant  que 
notre  condition  le  peut  permettre,  les 
fociétés  mauvaifes  &  corrompues.  Et 
voyez  aufîî  comme  Dieu  nous  en  a  inf- 
piré  l'horreur ,  foit  par  rapport  aux  païens 
&  aux  idolâtres  ,  foit  par  rapport  aux 
hérétiques  &  aux  Tchilmatiques  ,  foit  à 
l'égard  même  des  catholiques  libertins 
&  prévaricateurs.  Vous  êtes  mon  peu- 
ple ,  difcit-il  aux  enfants  d'Ifra-ël ,  en 
les  introduifant  dans  la  terre  de  Ca- 
naan ,  vous  êtes  mon  peuple ,  &  je 
vous  ai  choifis  parmi  tous  les  peuples 
de  la  terre  ,  afin  que  vous  me  foyez 
fpécialement  dévoués  :  mais  c'eft  pour 
cela  m.ême  qu^'il  ne  vous  fera  pas  per- 
mis de  traiter  avec  les  peuples  infidè- 
les ,  que  vous  n'entrerez  point  dans 
leurs  alliances  ,  &  que  nul  mariage 
entre  eux  &  vous  ne  pourra  être  con- 
traire légitimement.  Pourquoi  cela,  de- 
mande Saint  Auguftin  ?  ce  commerce 
avec  les  étrangers  ne  pourroit-il  pas 
être  avantageux  &  néceffaire  aux  Ifraé- 
lites  pour  leur  établilTement  ?  Peut-être 
la  politique  du  monde  en  auroit  -  elle 
ainfi  jugé  ;  mais  Dieu  dont  les  vues 
faintes  &  adorables  font  infiniment  éle- 
vées au  delTus  de  celles  des  hommes, 


191   Sur  la  société  des  Justes 

voulut  que  la  politique  du  monde  cédât 
à  l'intérêt  de  la  Religion.  Non,  leur 
fignifia-î-il ,  quelque  avantage  que  vous 
puiffiez  vous  en  promettre  ,  vous  ne 
rechercherez  point  ces  nations ,  &  vous 
Exod.  vous  en  tiendrez  toujours  éloignés:  Cave 

*•  34'  ne  unquam  cum  hubitatoribus  terrce.  illius 
jungas  amiciùas,  C'eft  ce  que  portoit 
expreffément  la  loi,  &  vous  verrez. 
Chrétiens ,  fi  cette  détenfe  étoit  inutile 
&  fans  fondement.  Fuyez,  nous  dit-il 
ailleurs  par  la  bouche  de  Saint  Paul , 
fuyez  l'hérétique  ,  fi  vous  voulez  con- 

Tif.f.j.ferver  la  pureté  de  votre  foi  :  HczretL" 
cum  homincm  devita.  Donnez-vous  bien 
de  garde  ,  non  -  feulement  d'entretenir 
des  intelligences  dans  le  parti  de  l'er- 
reur,  non- feulement  d'en  époufer  les 
intérêts  ,  mais  d'y  avoir  même  de  fim- 
ples  liaifons  ,  hors  celles  que  la  piété 
chrétienne  &  le  devoir  de  votre  condi- 
tion peuvent  juftifier.  Et  fi  ce  font  des 
orthodoxes  ,  qui  malgré  leurs  moeurs 
diflblues ,  ne  laiflent  pas  de  vivre  avec 
nous  dans  la  communion  d'une  même 
créance  ,  Dieu  nous  en  a-t-il  interdit  la 
fociété.^  Ecoutez  encore  l'Apôtre- Je  vous 
en  ai  déjà  avertis ,  écrivoit  aux  Corin- 
thiens ce  Maître  des  nations  ,  ôcje  vous 
ai  marqué  dans  une  de  mes  lettres  ,  de 
n'avoir  jamais  nul  engagement ,  ni  avec 
les  impudiques  &  les  voluptueux  ,  ni 
avec  les  médifants  &  les  calomniateurs  , 
ni  avec  quelque  autre  que  ce  foit  de 

ceux 


AVEC     LES     PÉCHEURS.    195 

ceux  qui  peuvent  vous  corrompre  &.ê.tre 
pour  vous  un  fcandale.  Quancl  ce  feroit 
votre  tVere  par  inclination  6c  par  liaifon 
d'amitié  ,  fi  c'eft  un  homme  de  mau- 
vaife  vie ,  J€  ne  veux  pas  que  vous 
ayez  eniemble  la  moindre  communica- 
tion ,  ni  que  vous  puiiTiez  manger  avec 
lui:  Si  is  qui  [rater  nomiiidtur  ^  efl  forni-  '•  Cor, 
cator',  aui  m^îladicus  ,  aut  rapax  ^  cum  ^'  ^* 
ejufmoui  nec  cibum  fumer e. 

Dieu  veut,  dit  excellemment  Guil- 
laume de  Paris  ,  "&  cette  p  en  fée  efl 
belle  ;  Dieu  veut  qu'en  nous  féparant 
des  impies,  nous  fallions  dès-à-préfent 
ce  qu'il  fera  un  jour  lui-même,  &  que 
nous  prévenions  ainfi  la  rélu/rection 
générale  &  le  jugement  dernier.  Quand- 
\q  Fils  viendra  juger  le  monde ,  les 
réprouvés  ,  il  eft  vrai ,  relTuiciteront  en 
même  tem.ps  que  les  juites  ;  mais  ils 
ne  reil'ufciteront  pas  néanmoins  avec  le« 
j-uftes  ,  parce  qu'au  moment  même  de 
la  rérarre6lion  les  juiles  feront  féparés 
des  réprouvés  par  ce  difcernement  ter- 
rible dont  a  parlé  David  &  dont  les 
Anges  feront  les  exécuteurs.  Ideb  non  Pf,  r. 
refursicnt  implï  in  judicio  ,  neque  pecca- 
tores  in  concilia  jufiorum.  Qael  efl  donc 
le  delTein  de  Dieu  ,  pourfuit  Guillaume 
de  Paris  ?  c'eii  que  les  bons  vivent  en 
ce  monde,  à  l'égard  des  m.échants  ,  dans 
le  même  ordre  ou  ils  doivent  relfuf- 
citer  ôc  être  jugés;  c'e(l-à-dire ,  qu'ils 
1k  difcernent   eux-mêmes  ,    pour   ainfi 

Domin.  Tom,  A  I 


194  Sur  LA  SOCIÉTÉ  DES  Justes 
parler  ,  d'avec  les  pécheurs  ,  &  que  àk^ 
cette  vie  ils  commencent  à  prendre  leur 
rang,  afin  que  Dieu  ne  Ibit  preique  pas 
obligé  d'y  employer  Tes  Anges ,  ni  de 
laire  d'autre  choix  de  Tes  élus. 

Aufîi  eft-ce  en  cela  que  confiée  la 
perfe'ftion  &  la  gloire  des  juftes  fur 
la  terre  ,  &  telle  eit  l'idée  que  l'Ecriture 
nous  en  donne.  Car  quand  Dieu  com- 
mande à  Jofué  de  faire  mourir  Acham  , 
qui  étoit  un  homme  fcandaleux  ,  au 
milieu  de  fon  peuple  ,  il  ne  s'en  explique 
point  à  lui  autrement  que  par  ces  pa- 
Jofuc.  rôles  :  Surge,  faiiclifica  populum  ;  je  veux 
'•  7'  que  demain  tu  fanélifies  mon  peuple- 
Et  que  ferai-je  pour  cela  ,  Seigneur  , 
réplique  Jofué  ?  tu  extermineras  Acham , 
qiiiell  un  facrilege.  Tandis  qu'il  demeu- 
rera parmi  les  tribus ,  je  n'y  puis  de- 
ireurer  m.oi-même  ;  mais  retranche  cette 
ame  criminelle  ,  &  alors  tout  le  peu- 
ple fera  fandifié.  Vous  diriez  ,  Chré- 
tiens ,  que  la  féparation  des  méchants 
eft  comme  un  facrement  d'expiation  pour 
les  bons.  En  effet,  il  ne  faudroit  rien 
davantage  pour  fanftifier  des  familles  , 
des  Communautés  ,  des  Ordres  tout 
entiers.  Otez  d'une  maifon  un  domef- 
tique  vicieux  qui  l'infe^le  ,  vous  en 
ferez  une  maifon  de  piété.  Otez  d'une 
Com.munauté  un  efprit  brouillon  qui  la 
divife ,  vous  en  ferez  une  aflemblée  de 
Saints.  Otez  de  la  Cour  d'un  Prince 
quelques  athées  qui  y  dominent,  vous 


AVEC   LES  Pécheurs.  195 

tm  ferez  une  Cour  chrétienne.  Il  y  a 
tel  homme  dans  Faris  qui  a  perdu  plus 
d'ames  que  jamais  un  démon  n'en  per- 
vertira ;  &  vous  connoilTez  certaines 
femmes  ,  dont  la  fociété  tait  plus  de 
libertins  que  les  plus  contagieufes  le- 
çons de  ceux  qui  autretois  ont  terni 
école  de  libertinage.  Orez  donc  un  petit 
nombre  de  ces  hommes  &  de  ces  tem- 
ines ,  oL  vous  rétablirez  prefque  par- tout 
le  culte  de  Dieu.  Or  ce  retranchement 
ne  feroit  pas  impofïïble ,  fi  les  intérêts 
de  Dieu  étoient  auûi  refpcdlés  que  ceux 
des  hommes.  N'avez-vous  jamais  pris 
garde  ,  Chrétiens  ,  à  une  chofe  allez 
particulière  que  nous  marque  l'Evan- 
gélifte  S.  Jean ,  en  parlant  de  la  dernière 
cène  que  Jelus-Chrift  fit  avec  les  Apôtres 
la  veille  de  fa  mort?  Au  même  temps 
que  Judas  fortit  pour  aller  exécuter  fon 
déteftable  deffein ,  le  Sauveur  du  monde 
entra  dans  une  efpeced'extafe,  &  s'écria: 
Nunc  clarificatus  efl  filius  homïnis  ;  c'eft  Joan^ 
maintenant  que  le  fils  de  i'homm.e  eil  ^'  'S* 
glorifié.  D'où  lui  venoit  cette  gloire  , 
demande  S.  Auguftin  ?  Ce  n'étoit  pas 
de  la  vifion  bienheureufe  de  Dieu,  car 
il  la  pofTéda  dès  l'inflant  même  de  fa 
conception  ;  ce  n'étoit  pas  de  la  réfur- 
reélion  de  fon  corps  ,  car  il  n'étoit  pas 
encore  refîufcité  ;  mais  elle  lui  vint  de 
îa  fortie  de  ce  traître  ,  qui  avoit  été 
jufques-là  préfent  avec  les  autres  diici- 
jples,  ÔL  c'eft  la  raifon  qu'en  apporte  Iç 

1  ^i 


Î96  Sur  la  société  des  JusTEâ 

texte  facré  :  Ckm  ergo  exijfct ,  dixit  Je  fus  : 
nunc  cLirificatus  ejî  Filius  hominis.  Tan- 
dis que  Judas  étoit  dans  fa  compagnie, 
c'étoit  en  quelque  forte  comme  une 
tache  pour  lui  ;  mais  quand  il  s'en  vit 
féparé  ,  quoique  cette  ieparation  dût  être 
bientôt  fuivie  de  tous  les  opprobres  de 
îa  croix  ,  il  ne  laiffa  pas  de  s'en  faire 
une  gloire  :  Nunc  danficatus  eft  Films 
homims.  Or  fi  la  gloire  du  Fils  de  Dieu 
ne  pouvoit  être  complette  tandis  qu'il 
foufffiroit  un  réprouvé  auprès  de  lui  , 
jugez ,  mes  chers  Auditeurs ,  fi  vous  pou- 
vez être  faints  &  juftes  devant  Dieu, 
lorfque  vous  vivez  avec  les  pécheurs ,  & 
que  vous  vous  tenez  volontairement  au 
niilieu  d'eux. 

Voilà  pourquoi  l'Eglife  ,  dit  S.  Tho- 
mas, excommunie  certains  pécheurs  : 
par  cette  cenfure  elle  partage  le  bon  & 
le  mauvais  grain  ,  pour  retenir  l'un  & 
pour  rejeter  l'autre  ;  en  quoi  elle  nous 
apprend  notre  devoir ,  &  nous  donne  à 
connoître  ce  que  nous  fommes  obligés 
de  faire  nous-mêmes.  Vous  ne  vouiez 
pas  vous  féparer  des  im.pies ,  elle  les  fépare 
de  vous  :  car  ne  penfez  pas  qu'elle  pré- 
tende feulement  les  punir  ,  en  les  privant 
^u  bien  de  la  fociété  commune.  11  y  a 
<leux  chofes  dans  l'excommunication  ; 
une  peine  pour  le  coupable ,  &  une  loi 
pour  l'innocent.  L'Eglife  condamne  le 
pécheur  à  n'avoir  plus  de  communication 
avec  les  fidèles ,  voilà  la  peine  j  &  en 


AVEC     LES     PÉCHEURS.    I97 

même  temps  elle  ordonne  aux  fidèles 
de  n'avoir  plus  de  commerce  avec  le 
pécheur^  voilà  la  loi.  S'enfuit-il  de  là 
qu'il  n'y  ait  que  ces  pécheurs  frappés 
des  anathêmes  de  l'Eglife  dont  la  com- 
pagnie nous  foit  détendue  ?  Non  >  Chré- 
tiens ,  tout  ce  qui  n'ed  pas  formelle- 
ment défendu  par  l'Eghfe  ,  n'eft  pas 
pour  cela  permis  ;  il  y  a  des  loix  fupé- 
rieures  &:  plus  générales  auxquelles  nous 
devons  obéir.  L'Eglife  en  vertu  de  fes 
cenfures  ne  nous  interdit  que  la  fociété  des 
fcandaleux  qui  lui  font  rebelles  :  mais 
fans  lui  être  rebelle  ,  c'eft  affez  qu'ils 
foient  fcandaleux,  pour  nous  faire  con- 
clure indépendamment  des  délenfes  de 
l'Eglife,  que  nous  fommes  dans  l'étroite 
obligation  de  les  éviter.  Ce  ne  foroiî: 
pas  même  bien  raifonner,  parce  que 
l'Eglife  a  révoqué  les  peines  portées 
contre  ceux  qui  fréquentent  les  impies 
excommuniés  ,  de  prétendre  dès  -  lors 
qu'elle  approuve  une  telle  fréquentation 
&  de  telles  habitudes.  Je  m/explique  , 
&  obfervez  ceci,  s'il  vous  plaît;  il  eft 
bon  que  vous  en  foyez  inftruits.  Dans 
la  rigueur  du  droit  ancien  ,  les  fidèles 
ne  pouvoient  jamais  traiter  avec  un 
homme  retranché  de  la  communion  de 
l'Eglife  ,  fans  encourir  la  même  cenfure. 
C'étoit  la  loi  univerfelle  ;  mais  par  des 
raifons  importantes,  vérifiées  dans  les 
Conciles  ,  l'EgUfe  a  relâché  de    cette 

liij 


198  Sur  tA  Société  des  Justes 

févériîé  ,  &  ne  nous  défend  plus  que 
le  commerce  de  ceux  qu'elle  a  publi- 
quement &  nommément  excommuniés. 
Ëit-ce  à  dire  que  nous  pouvons  donc 
converfer  indifféremment  avec  toutes 
fortes  d'hérétiques  ,  avec  toutes  fortes 
de  gens  corrompus  &  dangereux  ,  fous 
prétexte  que  l'Eglife  ne  les  a  point  en- 
core notés  &  flétris  l  Abus ,  mon  cher 
Auditeur.  L'Eglife  peut  bien  révoquer 
ies  loix,  elle  peut  bien  changer  fes  cou- 
tumes ,  mais  fans  préjudice  de  la  loi  de 
Dieu,  qui  efl  irrévocable  &  invariable. 
Or  la  loi  de  Dieu  eft  que  ,  hors  les  en- 
gagements néceffaires  de  ma  condition, 
je  m'éloigne  de  toutes  les  compagnies 
où  l'innocence  de  mon  ame  peut  être 
€n  péril  :  fi  je  les  cherche  de  moi- 
même  &  par  un  choix  libre  ,  il  efl  vrai, 
les  foudres  de  TEglife  ne  tomberont  pas 
pour  cela  fur  moi ,  parce  que  l'Eglife 
veut 'bien  ufer  à  mon  égard  de  cette 
indulgence  ;  mais  toute  fon  indulgence 
ne  peut  faire  que  par-là  je  ne  devienne 
coupable  d'un  mépris  formel  de  Dieu  , 
que  par- là  je  ne  devienne  le  fcandale 
lie  mes  frères,  que  par- là  je  ne  de- 
vienne ennemi  de  moi-même  en  me  per- 
dant moi-même.  Trois  grands  défordres 
renfermés  dans  un  même  péché.  Appli- 
quez vous. 

Oui,  mon  cher  Auditeur,  lier  avec 
4e§  hbertins  ôc  des  impies  que   vous- 


AVEC     LÉS    PÉCHEURS.    I99 

connoîiTez  pour  impies  &  pour  libertins, 
c'eil  méprifer  Dieu  :  &  qa'appellez-vous 
•en  effet  mépris  de  Dieu  ,  fi  ce  n'eft  pas 
ée  s'unir  avec  Tes  ennemis  ?  &  qui  font 
les  ennemis  de  Dieu  ,  fi  ce  ne  font  pas 
les  pécheurs,  fur-tout  certains  pécheurs 
déclarés?  Que  penferoit-on  d'un  fils  lié 
d'affe6lion  6c  de  cœur  avec  les  perfé- 
cuteurs  de  fon  père  ,  avec  ceux  qui 
attenteroient  aux  droits  &C  à  l'honneur 
de  fon  père  ,  avec  ceux  qui  feroientune 
guerre  ouverte  à  fon  père  ?  N'en  auriez- 
vous  pas  horreur,  comme  d'un  monftrcï 
dans  la  nature  ?  Or  voilà  ce  que  vous 
faites  en  vivant  avec  fes  impies  :  tant 
qu'ils  font  dans  le  défordre  de  leur  pé- 
ché 3  il  y  a  entre  Dieu  &  eux  une  hiiine 
irréconciliable.  Confultez  les  livres  facrés 
&  lifez  le  reproche  qu'eut  à  foutenir 
Jofaphat,  Roi  de  Juda  ,  &  Prince  du 
refle  très-religieux  :  il  s'étoit  allié  avec 
l'impie  Achab  ,  Roi  d'ifraël  ;  il  n'avoit 
pas  manqué  de  raifon  d'état  pour  l'en- 
gager à  cette  alliance ,  &  tout  fon  con- 
leilyavoit  paffé  ;  mais  fon  confeil  étoit 
en  cela  réprouvé  de  Dieu.  Prince ,  lui 
dit  Jehu  ,  avec  toute  la  liberté  d'un 
Prophète ,  vous  êtes  prévaricateur ,  vous 
avez  donné  fecours  à  un  Roi  criminel, 
ôc  vous  avez  reçu  dans  votre  amitié 
ceux  qui  ont  conjuré  contre  votre  Dieu 
&  le  mien  ;  vous  méritez  la  mort.  Impio  ^^^' 
prahes    auxilïum  ,    6»    his    qui    oderunt  c,  ly 

1  iv 


Pa- 


:2co  Sur  la  société  des  Justfs 

Dominum  amicitiâ  jungeris  ;  idcircb  iram 
mereharis.  Les  bonnes  œuvres  de  Jora- 
phat  &  fa  bonne  foi  Texcuferent  ;  mais 
TOUS ,  Chrétiens  ,  que  pouvez- vous  allé- 
giier  ?  Outre  l'injure  que  vous  faites  à 
Dieu  ,  comment  pouvez-vous  juftifier  le 
fcandale  que  vous  caufez  dans  l'Egiife 
&  parmi  le  peuple  de  Dieu  ?  Car  n'eft- 
ce  pas  un  fcandale  de  vous  voir  tou» 
les  jours  dans  les  fociétés  d'une  ville 
ou  d'un  q>uarîîer  les  plus  fufpe61es  ; 
de  vous  voir  dans  des  aflemblées  d'où 
toute  la  pudeur  femble  bannie  ,  oii  fe 
tiennent  les  difcours  les  plus  libres ,  où 
fe  débitent  les  maximes  les  plus  perni- 
cieufes ,  oii-fouvent  nulles  règles  de  bien- 
féance  &  de  modeliie  ne  font  obfervées  ; 
de  vcws  voir  avec  des  erprits  fans  reli-' 
gion,  avec  des  régimes  fans  réputation  , 
dans  des  lieux  où  règne  la  licence  ,  ÔC 
où  le  répand  la  plus  m.orteîle  contagion  ? 
Qu'en  peut-on  penfer?  qu'en  peut-on 
dire  ?  &  même  qu'en  a-t-on  déjà  penfé, 
&  qu'en  a-t-on  dit  ? 

Et  ne  me  répondez  point  que  vous 
favez  bien  vous  conferver  ,  &  quoi 
qu'en  dife  le  monde  ,  que  vous  avez 
pour  vous  le  témoignage  de  votre  conf- 
cience  qui  vous  futfit.  Ah  1  mon  cher 
Frère ,  écoutez  ce  qu'écrivoit  là-deiTus 
faint  Jérôme  à  une  Dame  Romaine  :  Il 
faut ,  difoit  ce  Père ,  quand  vous  parlez 
ainû ,  que  vous  foyez  bien  peu  veifé-e 


AVEC   LES   Pécheurs.  201 
dans   les  devoirs  de  la  vie  chrétienne  ; 
&  ne  lavez- vous  pas  qu'en  matière  de 
conduite  ,  vous  devez  rendre  corcpîe  ù 
Dieu  non -feulement    de  ce  que  vous 
faites  ,  mais  de  ce  que  l'on  dit  de  vous  ; 
que  ce  n  eft  point  allez   de   fatisfaire  à 
votre  propre  confcience  ,  mais  que  vous 
êtes  encore  obligée  de  latisfaire  à  celle 
d'autrui  ;  que  lamt  Paul,   qui  étoit  plus 
éclairé  que  vous  ,  avoit  égard  aux  hom- 
mes,  aulTi  bien  qu'a  Dieu,  pour  récrier 
f^^converfation  ?  ne  croyant  pas  qu'elle 
pût  être  innocente  quand  les  hommes 
pourroient  prendre  fujet  de  s'en  offen- 
ler  ,     &   fâchant    que    c'eft   fe    rendre 
coupable   devant  Djeu  ,  que  de  ne  fe 
mettre  point   en   patine  de   le   paroître 
devant  les  hommes.    Ainfi  parloit  faint 
Jérôme  ;  &  concluant  par  l'exemple  du 
même  Apôtre,  qui  refuluit  de  mander, 
des  viandes  d'ailleurs   per.nifes  ,  parce 
qu'il  craignolt  de  fcandalifer  les  fidèles  r 
ah  !  reprend  ce  faint  Docteur  ,  les  com- 
pagnies  des  homti^es   ne  font  pas  plus 
néceffaires  que    les  aliments  ;  5:  pour- 
quoi n'éviterons  -  nous   pas  ces  liaifons 
fcandaleufes  qui   bleOent  la  pureté   de 
notre   Chriflianifme  ,  qui    donnent  Heu 
à  mille  foupçons ,  &  qui  fervent  de  ma- 
tière à  la  médifance  publique ,  puisque 
faint  Paul  s'abilenoit  d'une  viande  oc  en 
avoitmême  horreur,  dès  qu'elle  pouvoit 
donner  quelque  fcandalc  au  moindre  d^s 
Chrétiens  ?  I  y 


Î02  Sur  la  société  des  Justes 

Mais  laiffons  le  fcandale  ,  &  n^infif- 
tons  maintenant  ,  mon  cher  Auditeur  , 
que  lur  c^  qui  nous  regarde  nous-mê- 
mes. Eft-ii  poffible  que  dans  ce  com- 
merce familier  avec  des  impudiques  Se 
des  libertins  ,  vous  ayez  toujours  un  cœur 
pur  &  chafte  }  peut-on  raifonnablement 
eipérer  que  dans  un  air  tout  corrompu  , 
vous  ne  vous  reffentiez  jamais  de  fa  cor- 
ruption ?  Et  ne  feroit-ce  pas  au  moins 
pour  vous  la  préfomption  la  plus  aveugle 
&  la  plus  criminelle  de  vous  y  croire 
exempt  d'un  danger  qui  fouvent  vous 
eft  ,  félon  Dieu ,  auifi  détendu  que  le  mal 
même?  Sicelaétoit,  jamais  les  Prophètes 
&  les  Apôtres  n'auroient  été  plus  con- 
firmés en  grâce  que  vous ,  &  vous  auriez 
cet  avantage  fur  eux,,  qu^ils  ont  fui  la 
fociété  des  impies  ,  parce  qu'ils  la  ju- 
geoient  dangereufe  pour  eux-mêmes  , 
ainfi  que  le  témoigne  faint  Jérôme ,  du 
Prophète  Ezéchiel ,  qui  dans  cette  vue 
fe  fépara  de  tout  le  refte  du  peuple  ,  & 
fe  retL-a  à  l'écart  ;  au  lieu  que  vous  y 
ciemeurezvoiontairementôcfans  crainte, 
comme  fi  vous  aviez  un  préfervatif 
ànfaillibls  centre  le  péché.  Priais  fi  cela 
3i'eft  pas,  quelle  eft  votre  témérité  de 
hazavder  plus  que  n'ont  fait  ces  hommes 
de  Dieu  6c  ces  Saints  du  premier  ordre  , 
de  vous  expoferà  des  occalions  pour  lef- 
quelles  ils  ne  fe  font  pas  crus  ailez  forts , 
de  vivre  enafTarance  oii  ils  ont  tremblé  ?. 


AVEC   LES  Pécheurs.  105 

Pourquoi  Dieu  faifoit-il  aux  Hébreux 
des  défenfes  (i  rigoureufes  de  fe  mêler  &c 
de  négocier  avec  les  étrangers  ?  c'elt  que 
dans  ces  négociations  &  ces  alliances  il 
prévoyoit  leur  chine  &  leur  ruine  pref- 
que  inévitable.  Et  en  effet,  eurent-ils 
jamais  commerce  avec  une  nation  dont 
ils  ne  priffent  enfin  les  fuperftitions  & 
les  impiétés  ?  Commixtifunt  intergmtes,  &  Pf.  loj» 
didicerunt  opéra  eorum.  Pourquoi  l'Eglife 
dès  fa  naiflance  ne  vouloit-elle  pas  aue 
dans  le  Chriftianifme  on  contractât  aucun 
mariage  avec  les  infidèles  ?  car  voilà  com- 
ment S.  Jérôme  entend  ces  paroles  de 
S.  Paul  :  Nolite  jus,um  ducere  cum  infide-  s.  Cor^ 
libus  :  C'eft  qu'elle  confidéroit  le  danc^er  ^«  ^» 
où  de  tels  engagements  mettroientla  toi' 
des  Chrétiens.  Et  pourquoi  Jelus-Chrifl 
lui  a-t-il  donné  un  pouvoir  qui  femble 
renverfer  tout  le  droit  humain  r  Ren- 
dez-vous ,  s'il  vous  plaît,  attentifs;  ceci 
vous  furprendra  *.  mais  je  n'avance  rien 
qui  ne  foit  fondé  fur  l'Ecriture  &  fur  les 
facrés  Canons.  Pourquoi,  dis-je,  Jefus- 
Chrift  a-t-il  doané  pouvoir  à  fon  Eglife 
de  rendre  nul,  du  moins  quant  à  fes 
principales  obligations  ,  le  plus  authen- 
tique de  tous  les  contrats  qui  fe  célè- 
brent parmi  les  hommes  ,  lin  mariage 
légitime  ,  un  mariage  folemnellement 
ratifié  entre  deux  païens  ,  dont  l'un  vient 
à  recevoir  le  baptême  ,  &  l'autre  perfiile 
daas  ion  idolâtrie  ,  û  ce  n'eft  psrce  que 


104  Sur  LA  SOCIÉTÉ  DES  Justes 

dans  ce  mélange  de  religions  celle  da 
vrai  Dieu  ne  Te  trouveroit  pas  en  fureté  ? 
TirtulL  Quis  enïm  nefcit ,  dit  TertuUien  ,  oblitc 
rari  quotidU  fidem  commercio  infideli  ? 
Qui  doute  que  la  loi  ne  s'efface  peu  à 
peu  par  la  fréquente  communication  d'un 
elprit  infidèle  ?  C'eft  ce  que  ce  Dodeur 
fizélé  pour  l'ctroite  dlfcipîine  de  l'Eglife 
reprélentoit  ,  quelque  temps  avant  fa 
mort ,  à  fa  propre  femme  ,  afin  de  la 
détourner,  félon  fes  maximes,  d'un  fécond 
mariage  ;  du  moins  afin  de  lui  faire  en- 
tendre l'obligation  oîi  elle  étoit  de  ne 
s'allier  jamais  avec  un  païen  ;  &  moi  me 
fervant  de  la  même  penfée,  &  l'appli- 
quant à  mon  falut ,  je  dis  :  (^uis  nefdt  ? 
Qui  doute  que  la  piété  de  l'^m-e  la  plus 
religieufe  ne  s'alrere  par  les  exemples 
d'un  ami  qui  vit  dans  le  déréglem^en:  &L 
qu'onafjns  cefTe  devant  les  yeux?  onefi 
dépontaire  de  fes  fentiments ,  on  l'entend, 
parler,  on  le  voit  agir,  6t  infenfible.- 
ment  on  s'accoutume  à  penfer  comme 
lui,  à  parler  comme  lui,  à  agir  comme 
lui  :  ce  n'eft  pas  d'abord  fans  quelque 
répugnance  &  que^ques  combats  ;  mais 
enfin  ce  qui  frf'foit  horreur  commence 
a  ne  plus  déplaire,  ôc  enfuite  pKtit  tout- 
à-fait  &  entraîne  :  Q^uïs  nefcit  ?  Qui 
doute  que  la  retenue  &  la  fcgefi'e  d'une 
jeune  perfcnne  ,  que  fa  veitu  la  pliis 
affermie  ne  vienne  avec  le  temps  à 
chanceler ,  &  ue  reçoive  de  paillante^. 


AVSC  LES  PÉCHEURS.  20f 
atteintes  par  ces  entrevues  particulières 
&.  ces  privautés  où  Ion  cœur  s'épanche 
avec  un  mondain  ou  une  n^ondaine  qui 
lui  infpirent  leurs  damnables  principes, 
&i  qui  dans  l'eipace  de  quelques  mois 
détruifent  tout  le  Iruit  d'une  fainte  édu- 
cation 6c  le  travail  de  pluueurs  années  } 
De  là  cette  maxime  ii  univerfellement 
reconnue,  confirmée  par  tant  de  preuves, 
&  û  commune  :  Dites-moi  qui  vous  fré- 
quentez ,  &.  je  vous  dirai  qui  vous  êtes» 
Quoi  qu'il  en  foii  j  m.on  cher  Audi- 
teur ,  l'Eglife  n'a  rien  épargné  pour  em- 
pêcher que  le  commerce  ues  impies  ne 
iùt  préjudiciable  à  fes  enfants  ;  &  da 
votre  part  que  faites-vous  pour  fécon- 
der fes  foins  ?  Peut-être  penfez-vous  que 
la  focicté  de  cet  homme  plongé  dans  la 
débauche  6c  adonné  à  fon  plùifir  ,  eit 
moins  à  craindre  pour  vous  que  celle 
d'un  iniî  Joie  ;  &  je  prétends  au  contraire 
que  mille  idolâtres  conjurés  pour  vous 
pervertir  &  pour  vous  perdre,  ne  feront 
pas  la  même  impreflïon  fur  vous  qu'un 
libertin  avec  qui  vous  êtes  uni  de  con- 
noiiTance  &  de  compagnie.  Job  fe  con- 
fer -/a  au  milieu  des  fauifes  divhiités  6c 
de  ceux  qui  les  adoroient  ;  mais  Loth 
eût  fuccombé  dans  Sodome  Ù.  parmi  fes 
concitoyens  Je  vais  plus  loin  ,  ik  je  fou- 
tiens  même  que  tous  les  efforts  des  dé-~ 
mons  contre  vous  ne  feroient  pas  une 
tentation  fi  dêtngereufe  que  la  préfence 


a©6    Sur  LA  SOCIÉTÉ  DES  Justes 

&  la  vue  de  ce  pécheur  fcandaleux  :  maïs 
je  vous  entends  ,  &  par  vos  mœurs  je 
juge  de  votre  penl'ée.  Vous  ne  craignez 
pas  ces  partifans  du  vice  ,  parce  que 
vous  en  êtes  peut-être  déjà  suffi  infe6lé 
qu'eux;  (Si  ils  ne  peuvent  plus  vous  nuire, 
parce  que  vous  en  avez  reçu  tout  le 
dommage  dont  vous  étiez  menacé  :  il 
falloit  bien  que  l'oracle  du  Seigneur  le 
vérifiât  ainfi  ;  car  il  fe  feroit  trompé ,  u 
vivant  &  converfant  avec  des  âmes  ré- 
prouvées vous  vous  étiez  maintenus  dans 
l'innocence. 

Ah  1  Chrétiens  ,  nous  nous  étonnons 
de  voir  aujourd'hui  le  fiecle  fi  corrom- 
pu ;  nous  ne  com.prenons  pas  d'où  vient 
tant  de  diflolution  dans  la  jeunefle  ;  nous 
rougiiïons  pour  tant  de  personnes  du  iexe 
qui  ne  rougiffent  de  rien ,  nous  fommes 
furpris  d'entendre  les  défordres  des  ma- 
riages qui  éclatent  tous  les  jours  ,  nous 
apprenons  avec  indignation  combien  l'im- 
piété règne  dans  les  cours  des  Princes; 
le  dirai-je  ?  nous  voyons  avec  horreur 
le  vice  le  gliffer  jufques  dans  le  fane- 
tuaire ,  &:  s'attacher  aux  miniftres  des 
auiels.  En  voici  la  fource  la  plus  ordi- 
naire :  ce  font  les  fociétés  &  les  con- 
veri'ations  du  monde  profane.  Voilà  ce 
qui  fert  d'amorce  à  la  cupidité ,  ce  qui 
allume  la  paffion  ,  ce  qui  tait  former  les 
intrigues  ,  ce  qui  tait  rér.ffir  les  plus 
abominables  entreprifes  :  voilà  ce  (^ui 


AVEC, LES   Pécheurs.     207 

renverfe  les  forts,  ce  qui  infatué  les  fages, 
ce  qui  corrompt  les  vierges.  Réglez  les 
fociétés  6c  les  converfations  des  hom- 
mes ,  Si  dans  peu  vous  réiormerez  tous 
les  états.  Vous  ,  père ,  éloignez  ce  jeune 
homme  de  tel  autre  qu'il  recherche  avec 
trop  d'ailïduité,  &  vous  le  verrez  tou- 
jours marcher  dans  le  bon  chemin.  Vous, 
mère ,  ne  recevez  plus  ou  ne  rendez  plus 
certaines  vihtes ,  &  cette  fille  qui  vous  y 
accompagne  deviendra  un  modèle  de 
vertu.  Vous,  Chrétien,  qui  que  vous 
puilTiez  être  ,  rompez  avec  cet  ami  ,  & 
i'ofe  prefque  vous  répondre  de  votre  fa- 
îut.  Mais  quoi ,  dites-vous ,  abandonner 
un  ami  !  oui ,  H  faut  le  quitter  ,  &  fût-ce 
votre  œil  ,  il  faudroit  l'arracher.  Pour-' 
quoi  entretenir  un  ami  contre  vous-mê- 
me  ,  &  quel  compte  devez-vous  faire 
d'une  amitié  qui  aboutit  à  votre  réproba- 
tion ?  Le  Fils  de  Dieu  ne  vous  a~t-il  pas- 
expreflement  enfeigné  que  quiconque 
n'auroit  pas  en  haine  fes  propres  parents,, 
fon  îrere  &L  fa  fœur  ,  fon  père  même  & 
fa  mère,  ne  feroit  pas  digne  de  lui  ;  c'efl- 
à-dir«  ,  que  quiconque  ne  feroit  pas  dif- 
pofé  à  fe  féparer  de  fes  proches ,  fût-ce 
un  fi  ère  ou  une  fœur,  fût-ce  un  père  ou 
une  mère  ,  dès  qu'il  en  pourroit  crain- 
dre quelque  fcandale  ,  fe  rendroit  dès- 
lors  coupable  aux  yeux  de  Dieu  &  n'en- 
treroit  jamais  dans  (on  Royaume  ?  Or  fi 
Je  dois  en  ufer  ainfi  envers  les  auteurs 
de  Kia  vie  ,  quand  ce  font  des  obftacieS' 


2o8  Sur  la  société  des  Justes 
à  mon  falut ,  ces  faux  amis ,  complices  dâ 
mes  iniquités  ,  ont-ils  droit  de  fe  plain- 
dre ,  lorl'que  pour  me  fauver  de  l'abyme 
où  ils  me  conduifent  ,  je  me  détache 
d'eux  &  je  les  renonce  ?  Et  s'ils  en  rai- 
fonnent  ,  s'ils  en  raillent ,  s'ils  me  frap- 
pent de  leurs  mépris,  dois-ie  plutôt  les 
écouter  que  Dieu  même.  Non,  non, 
rien  ne  me  doit  être  cher  au  préjudice 
de  mon  ame  ;  &  dès  qu'il  s'agit  d'un 
aufîi  grand  intérêt  que  celui-là  ,  Dieu 
&  moi ,  voilà  ce  qui  me  fuffit  ;  tout  le 
refte  m.e  devient  indifférent. 

Cependant  ,  Chrétiens ,  il  y  a  des 
fociétés  où  des  engagements  néceiTaires 
nous  retiennent  :  &  comme  D:eu,  fup- 
pofé  la  nécelTué  de  fon  être  qui  l'oblige 
à  demeurer  avec  les  pécheurs  ,  fait  en 
tirer  fa  g'oire  &  emploie  à  leur  conver- 
fion  la  préfence  de  fa  divinité,  ainfi  de- 
vons nous  proliier  aux  impies  qui  vivent 
avec  nous,  &  profi:er  des  impies  avec 
qui  noui;  vivons  par  la  néceffité  de  notre 
état.  Autre  obligation  qui  va  faire  le 
fujet  de  la  féconde  Partie. 

II.  f^^  'Eft  une  vérité  certaine  ,  Chrétiens  : 
PaRT.V.^  quoique  le  péché  dans  le  fond  de 
fon  être  foit  eUeniiellement  une  injure 
faits  à  la  m.ajefté  de  Dieu  ,  il  ne  lailTe  pas 
néanmoins  de  fervir  à  fa  grandeur.  Dieu 
ne  le  fouffriroit  pas  ,  remarque  Saint 
Chryfoftome  ,  s'il  n'étoit  capable  d'j 
contribuer  par  fa  malice   mên.e  j   &  il 


AVEC  LES  PÉCHEURS.  209! 
anéantiroit  plutôt  tous  les  pécheurs  du 
monde  ,  que  d'en  voir  un  feul  dont  il  ne 
pût  tirer  quelque  tribut  de  gloire.  De 
ce  que  l'homme  pèche  ,  dit  excellem- 
ment Saint  Auguftin  ,  il  fe  nuit  à  foi- 
même,  mais  il  n'arrête  pas  Teftet  de  la  , 
bonté  divine  :  Çluod  facit  malus  ,  fibi  Augufli 
noczt  ;  non  bonitati  Dei  contradicit.  Car 
Dieu  qui  eft  un  admirable  onvrier  ,  fe 
fert  avantageufement  des  dét'a*ts  de  ion 
ouvrage ,  &  il  ne  les  permet  que  parce 
qu'il  fait  bien  s'en  prévaloir  ;  lilo  utique  là'.m> 
peccatore  bcnè  uiitur  ,  qui  nec  eum  ejje  per- 
mitteret  fi  ïllo  uù  non  poffct.  C'efl  en 
cela  ,  pourfuit  ce  faint  Docteur ,  qui  dé- 
veloppe ce  point  avec  toute  la  folidité 
poffible  ;  c'efl  en  cek  qu'éclate  lafageile  • 
du  Créateur  ,  &  qu'elle  parclt  même 
l'emporter  fur  la  toute-puiilance  ;  parce 
que  l'effet  de  la  toute-puiiTance  efl:  de 
créer  les  biens  ,  ^  celui  de  la  fagede  de 
trouver  le  bien  dans  les  maux  en  les  rap- 
portant à  Dieu.  Or  ce  rapport  du  mal 
au  fouverain  bien  ,  eft  quelque  chofe 
en  Dieu  de  plus  merveilleux  que  la 
proJu^i;lion  des  êtres  créés  qui  lui  eft 
comme  naturelle.  Dieu ,  ajoute  le  mê- 
me Père,  prend,  ce  femble  ,  plaifir  à 
faire  tout  le  contraire  des  impies  dans 
l'ufage  des  chofes  :  car  comme  leur  ini- 
quité confifle  à  abufer  de  fes  créatures, 
qui  font  bonnes  ;  auiTi  fa  julKce  fe  fait 
voir  à  bien  uler  de  leurs  volontés ,  qui 
/ontrnauvâifes:  Quiaficut  illoruin  inuruitas  Idem* 


aïo    Sur  la  société  des  Justes 

eft  maie  uti  bonis  operïbus  ejus ,  Jïc  illîus 
jujiitia  eft  benè  uti  malis  openbus  eorum» 
Etrange  cppofition  de  Dieu  &  du  pé- 
cheur !  Dieu  même  ,  dit  encore  Saint 
Auguftin  ,  quoiqu'il  foit  la  pureté  origi- 
naire &  primitive  ,  nei\  pas  pur  à  l'égard 
des  impies  ,  parce  qu'en  le  blafphémant 
6l  en  l'outrageant  ils  en  font  tous  les 

^dem,  jours  la  matière  de  l'impureté  :  hnmundis 
ne  Deus  quidem  ipfe  mundus  eft  ,  queni 
quotidiè  blafphémant  ;  au  lieu  que  le  pé- 
ché qui  eit  l'impureté  Tubllianticlle  ,  fe 
purifie ,  pour  ainfi  dire ,  à  l'égard  de 
Dieu,  parce  qu'il  devient  le  fuiet  de  fa 
gloire.  Toutes  ces  penfées  font  belles 
6c  dignes   de  leur  auteur. 

Mais  il  n'en  demeure  pas  là.  Peur  en 
venir  à  la  preuve  &  pour  vérifier  dans  le 
détail  ces  propofitions  générales ,  voyez, 
cont;nue-t-il ,  mes  Frères  ,  comment  en 
eftet  tout  ce  qu'il  y  a  fur  la  terre  d'im- 
pies ,  de  fcandaleux ,  de  réprouvés ,  con- 
court admirablement  &  malgré  les  in- 
tentions des  hommes  ,  à  glorifier  Dieu, 
Confidérez  d'abord  tous  ceux  qui  fe  trou- 
vent privés  de  la  lumière  de  l'Evangile  , 
&  deiKtués  du  don  de  la  foi  :  jetez  les 
yeux  fur  les  païens  idolâtres  ,  fur  les 
hérétiques  obiiinés  ,  fur  les  fchifmati- 
ques  rebelles  &:  fur  les  Juifs  endurcis. 
Dieu  ne  les  emploie-t-il  pas  tous  à  l'exé- 

j^em.  cution  de  fes  plus  grands  deffeins?  Nonne 
utitur  gentibus  ?  Obfervez  ces  paroles  , 
Chrétiens  ;   elles   font   tirées    du  livre 


AVEC     LES     PÉCHEURS.     21  î 

de  la  vraie  religion  :  Nonne  utitur  genti- 
bus  ad  materi.im  operationis  fucz ,  hœreti' 
cis  ad  probationem  dotlrïncc  fuœ. ,  fchifma- 
ticis  ad  docaimntum  (labilïtatis  fucz ,  /z/- 
dœis  ad  comparationem  pulchritudlnis  fucz? 
Ne  fe  fert-il  pas  des  infidèles  pour  opérer 
les  merveilles  de  fa  grâce  &  pour  les 
faire  connoitre  ?  un  monde  converti  par 
douze  pécheurs,  qu'y  a-t-il  de  plus 
grand  &  de  plus  fort  pour  établir  la  vé- 
rité de  notre  religion  ?  Ne  fe  fert-il  pas 
des  hérétiques  pour  réclaircidernent  de 
fa  jdo6lrine  6c  pour  nous  confirmer  dans 
la  vraie  créari'ce  ?  jamais  la  foi  n'a  été 
mieux  développée  que  lorfqu'elle-a  été 
combattue  ,  &  rien  n'a  plus  donné  lieu  à 
découvrir  la  vérité  que  l'erreur.  Ne  fe 
fert-il  p3s  des  fchifmatiques  comme  d'une 
preuve  fenhble  de  la  perpétuité  Ôc  de 
l'inébranlable  fermeté  de  fon  Eglife  \ 
malgré  la  divifion  de  fes  membres,  elle 
fe  maintient  toujours  dans  l'intégrité  d'un 
corps  parfiit,  tandis  que  nous  voyons 
périr  &  fe  conlumer  les  faftions  qui  fe 
font  élevées  contre  notre  ciief.  Et  les 
Juifs  ,  ces  reftes  déplorables  du  peuple 
de  Dieu  ,  malkeureufe  poftérité  d'une 
nation  bien-aimée ,  ne  femblent-ils  pas 
demeurer  fur  la  terre  pour  fervir  de  té- 
moins à  Jefus-Chrill ,  autorifant  fa  per- 
fonne  par  leurs  écritures  ,  vérifiant  ies 
myfteres  par  leurs  prophéties  ,  &  rele- 
vant fon  Evangile  par  la  comparaifon  de 
la  loi  ?  C'efl  un  mauvais  grain  femé  daas 


ai2    Sur  LA  SOCIÉTÉ  DES  Justes 

le  champ  de  Dieu  ,  mais  admirez  en 
combien  de  manières  il  eÙ.  utile  à  la 
gloire  de  Dieu. 

Je  dis  le  même  de  tous  les  impies 
en  général  :  Dieu  en  fait  faire  mill« 
ufages  pour  la  manifeftation  de  fes  di- 
vins attributs  &  pour  le  bien  commun 
des  hommes  :  ce  font  des  fléaux  de  fa 
juftice  pour  punir  les  pécheurs ,  &  ce 
font  les  inftruments  de  fa  miféricorde 
pour  éprouver  les  Saints.  Quand  Jéru- 
falem  fut  f^ccagée  fous  l'empire  de  Tite, 
c'étoit  Dieu  qui  fe  fer  voit  de  l'ambition 
des  Romains  pour  exercer  fes  vengean- 
ces fur  les  Juifs  :  l'ambition  des  R.o- 
mains  étoit  criminelle  ,  mais  les  châti- 
ments &  les  vengeances  de  Dieuétoient 
juftes.  Que  faifoient  les  tyrans  &  les 
perfécureurs  du  nom  chrétien  ?  en  vou- 
lant détruire  les  fidèles  ils  les  multi- 
plioient  ,  ils  donnoient  des  confedeurs 
à  Jefus-Chrift ,  ils  remplitToient  l'Eglife 
de  martyrs  ,  ils  peuploient  le  Ciel  de 
prédeftinés. 

Mais  avançons.  Il  eft  donc  vrai  que 
Dieu  profite  ainfi  des  pécheurs  pour 
l'augment^ition  de  fa  gloire  &  pour 
notre  falut  ;  il  eft  vrai  que  les  moyens 
ne  lui  manquent  jamais  ,  pour  fe  dé- 
dommager de  l'injure  qu'il  reçoit  de 
la  malice  des  hommes  &  du  péché , 
&  qu'il  la  répare  par  le  péché  même 
&  par  la  malics  de  ceux  qui  l'ont  com- 
mis.   Or  voilà   encore  le  modèle   que 


AVEC     LES     PÉCHEURS.      Sïj 

"nous  devons  fuivre  ,  (i  la  nécefïïté  de 
notre  état  nous  engage  dans  ie  com- 
merce des  impies  :  du  moins ,  à  l'exem- 
ple de  Dieu  ,  devons  -  nous  en  tirer 
avantage  pour  nous  -  mêmes.  Nous  le 
pourrons  toujours  ,  quand  nous  ne  les 
aurons  pas  recherchés  ,  &  que  nous 
n'aurons  pas  dû  les  éviter.  Car  de  mê- 
me ,  dit  Saint  Ambroife  ,  que  Dieu  trou- 
ve dans  les  pécheurs  de  quoi  rehaulTer 
l'éclat  de  fes  infinies  perfections  ;  nous 
y  trouvons  de  quoi  acquérir  &  prati- 
quer les  plus  éminentes  vertus.  En 
effet  ,  quoi  que  faffe  le  pécheur  avec 
qui  je  vis  ,  fi  j'ai  l'efprit  de  Dieu ,  c'eft 
une  leçon  pour  moi  Ôc  une  occafioa 
de  me  fanétifier.  S'il  me  perfécute ,  il 
me  fournit  une  matière  de  patience  ; 
s'il  fe  déclare  mon  ennemi,  il  purifie  ma 
charité  ;  s'il  me  fait  fouffrir  ,  c'eft  un 
fujet  de  mortification.  S'élève  -  t  -  il  au- 
^eilus  de  moi  par  orgueil  ?  il  m'apprend 
à  me  tenir  dans  la  modeftie.  Se  laiiïe- 
t-il  emporter  à  la  colère  ?  il  met  en 
œuvre  ma  douceur.  Tombe  -  t  -  il  dans 
des  péchés  honteux  ?  il  excite  ma  com- 
paluon  &  mon  zcle.  Je  dis  plus  ,  &  c'eft 
après  Saint  Grégoire  Pape  que  je  le  dis  : 
Jamais  dans  les  règles  ordinaires  un 
jufte  ne  feroit  parfait  ni  ne  pourroit  le 
devenir,  fi  Dieu  par  la  difpofition  de  fa 
providence  ne  l'obligeoit  quelquefois  à 
vivre  avec  les  pécheurs  :  pourquoi  ce- 
la ?    parce  que  c'eft  dans  cette  fociété 


âi4  Sur  LA  socîÉTi  DES  Justes 
&  dans  ce  mélange  des  bons  &  des 
méchants  ,  qu'il  doit  être  dégagé  des 
Gngor.  impertedions  humaines.  Ipfa  quippe  ma- 
lorum  foc'utas ^  pur^atio  bonorum  eft.  Et 
comment ,  demande  ce  Père  ,  s'exer- 
ceroit-il  dans  les  grandes  vertus  ,  s'il 
n'y  avoit  des  pécheurs  dans  le  monde  ? 
En  quoi  pratiqueroit- il  cette  charité 
héroïque  dont  le  Fils  de  Dieu  nous  a 
donné  l'exemple  ,  &  dont  il  nous  a  fait 
un  commandement,  s'il  n'y  avoit  des 
ofFenies  &  des  injuftices  ,  des  médiian- 
ces  &  des  calomnies  à  pardonner  ?  Où 
feroit  le  mérite  de  la  perfévérance ,  s'il 
n'y  avoit  des  contradi6lions  à  efluyer, 
des  railleries  à  fupporter ,  des  attaques 
de  la  part  des  libertins  à  foutenir  Ck  à 
repoufler  ? 

Rien  de  plus  confiant  ,  Chrétiens 
Auditeurs  :  li  nous  étions  auffi  zélés 
que  nous  le  devons  être  pour  notre 
falut ,  &  fi  nous  voulions  faire  plus  de 
progrès  dans  les  voies  de  la  piété  & 
de  la  perfeftion  évangélique  ,  un  des 
plus  puilTants  moyens  pour  nous  porter 
à  Dieu  ,  feroit  la  préfence  &  la  vue 
de  tant  de  pécheurs  que  nous  avons 
fans  cefle  auprès  de  nous.  Quel  fond 
y  trouverions-nous  d'une  reconnoillan- 
ce  parfaite  envers  Dieu  ,  puifque  c'eft 
par  un  bienfait  fpécial  de  fa  grâce  que 
nous  avons  été  préfervés  des  défordres 
-dont  nous  fom.mes  témoins  &  dont  nous 
'  gémiflbns  ?  Quel  motif  d'une  humilité 


AVEC     LES    PÉCHEURS.      21^ 

profonde  &  d'une  continuelle  attention 
fur  nous-mêmes,  puifque  à  chaque  mo- 
ment nous  y  pouvons  nous-mêmes  tom- 
ber; d'une  charité  refpeèiueufe  à  l'égard 
du  prochain,  puifqu'il  eft,  jufques  dans 
fon  iniquité,  l'exécuteur  des  arrêts  de 
Dieu  ,  le  minière  de  Dieu  ,  pour  nous 
châtier  &  nous  corriger  ;  d'une  péni- 
tence falutaire  &  d'une  pleine  foumif- 
fion  ,  puifque  plus  nous  fommes  traver- 
fés  ,  plus  nous  pouvons  fatistaire  à  la 
juftice  divine  &  nous  acquitter  ?  Mais 
qu'arrive  -  t  -  il  ?  c'eft  que  nous  ren- 
verfons  tout  l'ordre  des  chofes ,  &  que 
de  ces  moyens  de  falut  nous  faifons  les 
fujets  de  notre  perte.  Le  deffein  de  la 
Providence  efi:  que  le  commerce  des  pé- 
cheurs no'js  fanftifie  ,  quand  une  nécef- 
fité  indifpenfable  nous-  y  attache  ,  & 
c'eft  ce  qui  nous  pervertit.  Dieu  en  tire 
fa  gloire ,  ôc  nous  ,  notre  ruine  :  il  en 
devient  plus  faint  de  cette  famteté  exté- 
rieure &  accidentelle  que  nous  lui  fou- 
haitons  tous  les  jours ,  ÔL  nous  en  deve- 
nons plus    criminels. 

Permettez  -  moi  ,  Chrétiens  ,  d'ou- 
vrir ici  mon  cœur  ,  &  de  vous  faire 
part  de  mes  plus  fecrets  fentiments.  Je 
^émis  quand  au  tribunal  de  la  pénitence 
î'entends  un  homme  du  monde  fe  plain- 
dre de  fa  condition  ,  comme  s'il  pré- 
tendoit  juftifier  les  égarements  de  fa  vie 
pnr  l'étroite  obligation  où  il  fe  trouve  de 
demeurer  au  milieu  du  ûecle  corrompu. 


âi6    Sur  LA  SOCIETE  DES  Justes 

êc  d'y  entretenir  des  liaifons  qu'il  ne 
peut  rompre  :  quand  j'entends  une  fem- 
me déplorer  la  trifte  lituation  où  elle 
fe  voit ,  &c  me  dire  que  tout  le  dérè- 
glement .de  fon  ame  vient  d'être  engagée 
par  devoir  à  un  mari  fans  religion  ,  ians 
frein  dans  fes  pafTions  ,  fans  retenue  dans 
fes  débauches.  Quai-je  là-deffus  à  leur 
répondre?  je  les  plains  moi-même, 
i>on  pas  de  leur  état  prétendu  malheu- 
reux ,  puifque  cei\  l'état  où  il  a  plu  à 
Dieu  de  les  appeller ,  mais  du  m.auvais 
lîiage  qu'ils  font  de  leur  état  contre  les 
defleins  de  Dieu  qui  les  y  a  placés.  Je 
plains  cette  femme  ,  non  pas  de  ce 
qu'elle  fouffre ,  mais  de  la  manière  dont 
elle  fouffre ,  ne  fe  fouvenant  pas  ou  ne 
fâchant  pas  que*  ce  mari  vicieux  efl 
un  moyen  choifi  dans  le  confeil  de  la 
fageffe  éternelle  pour  l'éi^rouver  &  pour 
la  fauver.  Or  i\  cela  eft  ,  comme  la 
plus  folide  théologie  l'en  feigne  ,  n'eft- 
elle  pas  en  effet  bien  à  plaindre  de 
fouffrir  toutes  les  incommodités  d'une 
fociété  pénible  &  facheufe  ,  Si  de 
n'en  avoir  pas  le  mérite  :  de  conver- 
tir le  remède  en  poiibn  ,  6c  les  grâces 
de  Dieu  en  de  perpétuelles  occafions  de 
péché? 

Mais  (i  j'étois  dans  un  autre  état, 
je  travaillerois  fans  peine  à  mon  falut. 
Vous  le  dites,  mon  cher  Auditeur  ,  & 
0101  je  vous  dis  qu'en  cela  vous  vous 
trompez  :  car  vous  ne  pourriez  travailler 

à 


AVEC     LES     PÉCt^EÛRS.    Zl'f 
à  votr2  falut  fans  EHeu.    Or  Dieu  ne 
veut  pas  que  vous  y  travailliez  ailleurs 
Tii  autrement ,  voilà  la  voie  qu'il  vous 
a    marquée.     Mais    il    efl    impoirible, 
ajoutez-voi«  ,    de    réfifler    à   tant   de 
mauvais  exemples  ,  &  de  le  garantir  de 
leur   contagion.    Erreur,  Chréciens  ;   il 
cil:  impoiTible  ,   quand  c'efl  contre  les 
ordres   de    Dieu  que   vous  vous  jetez 
dans  le  péril,  quand  c'efl  de  vous-mê- 
rnes  6c  contre  les  obligations   de  votre 
état;  mais  dès  que  c'eil  pour  les  inté- 
rêts de  Dieu,  par  la  vocation  de  Dieu  , 
ielon  les  vues  de  Dieu  ;   dès  que  c'eft 
lelon  les  règles  de  la  prudence  évan- 
gehque   &   avec  les   f«ges  précautions 
qu  elle  demrmde  ,    ce  qui  feroit  conta-  ' 
gieux  pour  d'autres  ,  ne  l'ei^  plus  pour 
vous  ,  &  ce  qui  les  précipiieroit  dans 
un  abyine   de    corruption  ;   peut  vous 
élever  a   h   plus  fublime  fainteté  :   car 
il  eft  alors  de  la  providence  du  Seigneur 
de  vous  aider,   de  vous  éclairer       de 
vous   fortifier  ,    &    c'eft   à    quoi  il    ne 
manque    pas.    Or  avec    le    fecours   de 
l^ieu  ,  avec  l^s  lumières  &  la  force  que 
la  grâce    répand    dans   une   air.e   chré- 
tienne ,  fi  vous  tenez  ferme  au  mi^eu 
des  pécheurs  ,  fi  vous   réiiftez  à  leurs 
Sollicitations  ,    fi  vous  ne   vous  iaiffez 
ébranler    ni    par  leurs    promelTes  ,    ni 
par  leurs  menaces ,  ni  par  leurs  flatte- 
ries ,  m  par  leurs  rebuts  ;    fi  malgré  le 
.torrem  de   l'exemple   qui  entraîne   dej^  • 


îî8  Sur  LA  SOCIÉTÉ  DES  Justes 

millions  d'autres  ,  vous  derr.eurez  invîoi 
lablement  attaché  aux  règles  du  devoir 
6c  à  robfervaiion  de  la  loi  ,  dans  les 
combats  que  vous  avez  pour  cela  à 
livrer  ,  &  par  les  efforts  qu'il  vous  en 
Goûte  ,  quelles  richefies  n'amaffez-vous 
pas  devant  Dieu ,  &  quels  progrès  ne 
faites  -  vous  pas  dans  les  voies  de  la 
iafiice  ?  Le  comble  de  l'iniquité  pour 
l'impie  ,  félon  le  témoignage  du  Pro- 
phète ,    c'ed  d'être   pécheur  parmi  les 

IfaÏA  juftes  :  In  terra  Sandorum  iniqua  gejjit  ; 

f.  z6.  il* a  comrr.is  le  péché  dans  la  terre  des 
Saints.  Voilà  ce  qui  redouble  fa  malice  , 
&  ce  qui  le  rend  indigne  de  voir  jamais 
la  gloire  de  Dieu  &  d'être   reçu  dans 

•idem,  le  féjour  des  Bienheureux  :  Non  videbit 
gluriam  Domini,  Ainfi  parloit  Ifiïe  ;  6c 
delà,  par  une  conîéquence  non  moins 
vraie ,  je  conclus  que  le  comble  de  la 
fainteté  pour  le  jufte  ,  eft  d'être  jufte 
parmi  les  pécheurs.  Moïfe  dans  la  cour 
«i'un  Prince  infidèle  ,  eut  toujours  , 
fuivant  la  belle  expreffion  de  faint  Paul , 
Tinvifible  préfent  à  l'efprit ,  comme  s'il 
l'eût  vu  des  yeux  du  corps.  Saint 
Louis  fur  le  trône  ,  ferma  les  yeux  à 
tout  l'éclat  des  pompes  humaines  ;  ÔC 
dans  la  licence  des  armes  ôc  le  tumulte 
de  la  guerre  il  n'oublia  jamais  Dieu  , 
&  ne  fe  départit  jamais  de  l'obéillance 
due  à  ce  premier  Maître.  Cet  homme 
J;é  d'intérêt  avec  ^es  gens  fans  foi  , 
i^fi%  équité  ,  avares  6c  ufurpateurs  ,  a 


AVEC    LES    PÉCHEURS.    il<> 

tonfervé  fes  mains  nettes  de  toute 
injuftice ,  &.-  n'a  jamais  voulu  entrer 
dans  leurs  criminelles  entreprifes.  Cette 
femme  dans  une  famille  où  Dieu  eil:  à 
peine  connu  ,  ne  s'eft  jamjais  relâchée 
de  fes  faintes  pratiques  ;  &  fans  égard 
à  tous  les  difcours  qu'on  lui  a  fait  en- 
tendre ,  à  tous  les  chagrins  qu'elle  a  eu 
à  dévorer  ,  aux  mépris  qu'on  lui  a  mar- 
qués,  elle  n'a  jamjais  rien  perdu  de  fon 
zèle  ,  ni  rien  retranché  de  fes  pieufes 
obfervances.  Voilà  ce  qui  les  diflingue 
tous  auprès  de  Dieu  ;  voilà  ce  qui 
donne  à  leur  fidélité  un  caradlere  propre 
ôi.  un  prix 'particulier  :  voilà  pourquoi 
ils  recevront  cet  éloge  fi  glorieux  de 
la  bouche  de  Jefus  -  Chrifl ,  &  pour- 
■quoi  il  leur  dira  ce  qu'd  dit  à  fes 
Apôtres  :  Fes  ejlis  qui  permdnjlfiïi  mecum  Luc, 
in  tentdtionibus.  Tandis  que  les  autres  ^*  ^^ 
in'ont  abandonné  ,  qu'ils  ont  trahi  ma 
caufe ,  qu'ils  ont  outragé  mon  nom , 
<ju'ils  ont  violé  ma  loi  ,  c'eft  vous  , 
fidèles  ferviteurs  ,  que  j'ai  trouvé 
confiants  à  me  fuivre.  De  demeurer 
avec  moi ,  quand  il  n'y  a  rien  à  foutïrir 
pour  moi ,  quand  rien  ne  porte  à  s'éloi- 
gner de  moi  ,  quand  tout  confpire  à 
m'attacher  les  cœurs  &  à  les  attirer  à 
moi  ,  c'eft  l'effet  d'une  vertu  com- 
mune :  mais  de  demeurer  avec  moi  dans 
ia  tentation  ;  d'y  demeurer  ,  lorfqu'il 
faut  rem.porter  pour  cela  des  viîloirqs  , 
&de  iréquentes  vit^oites  ;  d'y  demeurer 

•Kij 


jao  Sur  ia  société  des  Justes 

tnalgré  les  Icandales  publics  ,  malgré  le^ 
contradiâiions  &  les  traverfes  ,  rialgré 
la  coutume  &  tous  les  refpecls  humains , 
c'eft  là  que  je  reconnois  une  loi  vive  , 
un  attachement  folide  ,  un  amour  pur, 
une  perfévérance  héroïque;  &  c'eft  auiîî 
à  quoi  je  rélerve  toutes  nnes  récom- 
peufes  :  Fos  ejlis  qui  permanfifîis  mecum 
in  tentationïbus. 

L'auriez- vous  cru  ,  Chrétiens  ,  que 
les  pécheurs  duffent  procurer  aux  juiles 
de  fi  grands  avantages  pour  le  falut  ? 
mais  apprenez  encore  comment  les 
juûes  doivent  de  leur  part  contribuek* 
au  falut  des  pécheurs.  L'Ecriture ,  chez 
le  Prophète  Daniel  ,  nous  repréfente 
une  conteftation  bien  fmguliere  entre 
deux  Anges.  Ce  n'eft  pas  ,  comme  l'a 
penfe  l'Abbé  Ruppert^  entre  un  Ange 
bienheureux  &  un  des  efprits  réprouvés  ; 
mais  ielon  l'interprétation  de  tous  les 
Pères ,  après  iaim  Jérôme  ,  entre  deux 
-faints  Anges  ,  jouiffant  l'un  &  l'autre 
de  la  même  gloire  ,  &  affiliant  auprès 
du  trône  de  Dieu.  Le  premier  (  c'eft 
l'Ange  tutélaire  de  la  Judée  )  demande 
que  les  Hébreux  fortenc  au  plutôt  de 
la  Perfe  ,  parce  qu'ils  font  en  danger 
de  fe  corrompre  par  le  commerce  des 
Babyloniens  idolâtres  ;  mais  l'Ange 
protecteur  de  Babylono  prie  au  con- 
traire que  les  Juifs  y  demeurent  ,  & 
qu-'ils  ne  quittent  point  la  Perfe  ,  parce 
Gu'ils  peuvent  par  leur  converfatioa  U, 


AVEC     LES     PÉCHEURS.     22  î, 

leurs  exemples  édiner  les  peuples  &  ies 
convertir  à  la  religion  du  vrai  Dieu. 
En  effet  ,  déjà  trois  Rois  de  ce  grand 
empire  avolent  renoncé  au  culte  des 
idoles  ,  pour  adorer  le  Dieu  dllVaël  , 
ainfi  qu'il  elljapporté  au  livre  d'Efdras. 
Or  que  fignlnoit  le  combat  de  ces  deux 
Anges  ?  Deux  volontés  en  Dieu  ,  ré- 
pond faint  Grégoire  Pape  ,  mais  qui 
n'étant  que  conditionnelles  ,  s'accor- 
dent parfaitement  enfemble  ,  toutes 
oppolees  qu'elles  paroiilent.  L'une ,  qui 
oblige  les  juiles  à  fuir  la  compagnie  des 
pécheurs  ;  &  c'eft  ce  que  nous  tsit  en- 
tendre la  prière  de  cet  Ange  qui  iblli- 
citoit  en  faveur  des  Juifs:  l'autre  qui 
ordonne  aux  juftes  de  coopérer  au  falut 
des  pécheurs  ,  lorfqu'ils  fe  trouvent 
parmi  eux  ,  &  que  quelque  engagement 
raiionnable  les  y  arrête;  &  c'ert  ea 
cette  vue  que  l'Ange  de  Perfe  agiffoit 
pour  les  Babyloniens.  Car  voilà  ,  chré- 
tiens Auditeurs  ,  la  grande  règle  que 
nous  devons  fuivre  :  Dieu  ne  veut  pas 
que  fa  préfence  ni  la  nôtre  foient  inu- 
tiles aux  impies  ,  mais  il  prétend  que 
nous  travaillions  à  leur  converfion.  On 
ne  peut  douter  qu'il  n'y  donne  fes 
foins  :  &  comme  il  ne  peut  céder  d'être 
avec  les  pécheurs  ,  il  ne  celle  auiTi  ja- 
mais de  s'employer  à  la  réform.ation  de 
leur  vie  :  il  les  y  invite  par  fes  promelTes  , 
il  les  y  engage  par  fes  bienflits  ,  il  les 
y  poulfe  par  fes  menaces ,  il  l2s  y  force 

Kiij 


222     Sur  LA  SOCIÉTÉ  DES  JuStES 

par  fes  châtiments  ;  fa  fagefle  ,  fa 
bonté,  fa  iufrice  ,  toutes  fes  perfeftions 
divines  y  font  occupées  ;  &  ce  qui  doit 
vous  furprendre ,  c'ell  que  connoiffint 
par  avance  la  damnation  future  &  im- 
manquable de  plufieurs  ,  il  s'applique 
néanmoins  à  ceux-là  avec  la  même 
alîiduité  que  s'il  ne  prévoyoit  pas  leur 
malheur.  Admirable  conduite  qui  nous 
fert  d'exemple ,  &  qui  nous  repréfente 
une  des  obligations  du  chririianifme  les 
plus  effentielles  ,  &  toutefois  la  moins 
connue. 

Car  comme  nous  devons  ,  Chrétiens, 
profiter  des  pécheurs  pour  nous-mê- 
mes ,  nous  devons  aufli  nous-mêmes  , 
félon  qu'il  dépend  de  nous  ,  &  autant 
qu'il  dépend  de  nous,  profiter  aux  pé- 
cheurs. Devoir  général ,  &  devoir  par- 
ticulier. Prenez  garde  :  devoir  général , 
qui  regarde  fans  diftintlion  tous  les 
hommes  ,  &  que  nous  impofe  la  loi 
de  la  charité.  11  n'y  a  point  d'homme  , 
dit  le  Saint -Efprit  ,  que  Dieu  n'ait 
Eccïcf.  chargé  du  falut  de  fon  prochain  :  Uni-' 
*.  '7'  cuicj'iie  mandavu  de  proximo  fuo  :  com- 
ment cela  ?  parce  qu'il  n'y  a  point 
d'homme  à  qui  Dieu  n'ait  ordonné 
d'exercer  la  charité  envers  fon  prochain  , 
félon  les  néceffités  &  les  occafions.  De 
là  cette  obligation  rigoureufe  de  fou- 
lager  le  pauvre  dans  fa  mifere.  Or  fi 
la  charité  nous  oblige  de  compatir  aux 
miferes  temporelles  du  pauvre,  con:ibiea 


AVEC    LES     PÉCHEURS.     Î2^ 

doit-elle  nous  engager  encore  plus 
fortement  à  compatir  aux  n'-iTeres  fpiri- 
tuelles  du  pécheur?  Si  dans  des  befoins 
où  il  ne  s'agit  que  du  corps  Ôc  d'une 
vie  mortelle  ,  nous  ne  pouvons  néan- 
moins manquer  à  notre  frère  &  l'aban- 
donner, fans  perdre  la  charité  de  Dieu 
en  perdant  la  charité  du  prochain  ; 
pouvons-nous  conferver  l'une  &  l'autre 
&  fatistaire  à  Tune  &  à  l'autre  ,  en 
laiflant ,  par  notre  faute  ,  périr  des  âmes 
rachetées  du  fang  de  Jefus  -  Chriil  ; 
en  leur  refufant  des  fecours  qu'il  ne 
tient  qu'à  nous  de  leur  procurer,  & 
qui  pourroient  les  garantir  d'une  mort 
6i  d'une  damnation  éternelle  ;  en  négli- 
geant de  leur  donner  des  confeiis  ,  des 
avis  ,  des  inftruâlions ,  des  exemples , 
qui  les  retireroient  de  leurs  égarements  , 
&  les  remettroient  dans  les  voies  d'une 
bienhsureul'e  immortalité  ?  Car  entre 
ces  pécheurs ,  remarque  faint  Auguftin, 
il  y  en  a  que  Dieu  a  prédeftinés  peur 
être  un  jour  au  nombre  de  fes  amis 
&  de  les  Sainrs.  Nous  ne  les  connoif- 
ibns  pas  ,  &  ils  ne  fe  connoiiTent  pas 
eux-mêmes ,  parce  que  ces  deux  cités 
du  ciel  Ôc  de  l'enter  ,  des  réprouvés 
&  des  élus  ,  font  maintenant  dans  un 
mélange  qui  nous  empêche  de  les 
diftinguer  ;  mais  c'eft  par  cette  raifon 
que  notre  charité  doit  être  univerfelle  , 
6c  que  nos  foins  doivent  s'étendre  à 
tous  5  alin  d'accomplir  les  defîeins  de 

K  iv 


2Î4      ^^'^  l^A  SOCIÉTÉ  DES  JuSTES 

Dieu,  &  que  ceux  en  qui  il  veut  opérer 
par  notre  miniftere  les  n'ierveilles  de 
fa  grâce  ,  ne  demeurent  pas  fans  affif- 
tance  &  dépourvus  des  moyens  de 
falut  qu'il  leur  avoit  piéparés.  C'efl 
pourquoi  les  Apôtres  exhortoîcnt  tant 
les  fidèles  à  édifier  par  leur  conduits 
les  idolâtres  &c  les  païens  ;  c'efl  pour- 
quoi,faint  Pierre  reccmmandoit  fi  ex- 
preffément  eux  gens  de  bien  de  fe 
comporter  toujours  de  telle  manière 
que  les  pécheurs,  témoins  de  leur  vie^ 
fe  fenîiÎTent  animés  à  les  imiter  &  à 
;.  Petr,  fer  vit  &  glorifier  Dieu  :  Ut  ex  bonis 
fap.  2,  operibus  vos  confia  crantes  ,  glorificenC 
Deimi.  Mais  quelle  eft  la  fauffe  maxim.e 
dont  on  fe  kiiTe  là-deffus  prévenir  ?  c'ell: 
qu'on  le  perfuade  eh  être  quitte  pour 
penfer  à  foi.  On  dit,  comme  Caïn,  lorf- 
que  Dieu  lui  demanda  compte  d'Abel  : 
Ccnef.  Num  cuftos  fratris  mei  fum  ego  ?  Suis=- 
^'  4'  je  le  gardien  de  mon  frère  ?  eft  -  ce 
à  moi  de  veiller  fur  celui  -  ci  ou  fur 
celle  -  là  ?  de  quelle  autorité  fuis  -  je 
revêtu  ?  &  qu'ai- je  autre  chofe  à  faire 
que  de  bien  vivre  ,  &  de  ne  point 
examiner  du  refte  comment  chacun  vit  ? 
Il  eft  vrai  qu'il  y  a  des  règles  de  pru- 
dence à  obferver ,  &  qu'il  n'eft  pas 
toujours  à  propos  de  vouloir,  comms 
les  ferviteurs  de  ce  maître  de  l'Evan- 
gile ,  arracher  l'ivraie  dès  qu'on  l'ap- 
psrçoit ,  6c  de  fuivre  les  mouvements 
iiiipémeux  d'un  zèle  précipité  ,  qui  n'?» 


AVEC     LES     PÉCHEURS.    SiÇ 

égard  ni  aux  temps  ,  ni  aux  conje^lures: 
mais  cette  prudence  louable  ,  lorfqu'elle 
eft  bien  employée  ,  ne  dégénère  que 
trop  fouvent  dans  une  fauffe  fageiTe  , 
dans  une  timidité  lâche  ,  dans  un  refpe^l 
tout  humain  ,  dans  une  indifférence 
pareOfeufe  ,  dans  une  criniinelle  préva- 
rication. 

Devoir  particulier  ,  &  fpécialement 
propre  de  certains  états.  Car  dites- 
îTiOi ,  à  qui  eft-ce  de  corriger  un  enfant 
vicieux  &  emporté  par  le  feu  de  fes 
paffions  ,  û  ce  nQii  à  un  père  fage  ÔC 
Vigilant  ?  de  corriger  une  tilIe  attachée 
au  monde  &  malheureusement  enga- 
gée dans  les  intrigues  du  monde,  fi  ce 
n'eft  à  une  mère  loigneule  &  régulière  ? 
de  corriger  des  domeftiques  lujets  aux 
blafphêmes  Se  adonnés  à  la  débauche, 
fi  ce  n'efl  à  un  maître  dont  ils  dépen- 
dent, &  qui  a  le  pouvoir  en  main  pour 
réprirr.er  leur  libertinage  ?  A  qui  eft-ce 
de  réformer  les  abus  qui  s'introduifent 
jufques  dans  rEglife  de  Dieu  6c  parmi 
le  peuple  chrétien  ,  d  ce  ne'à  à  un 
miniftre  de  Jefus-Chrift  ?  de  purger  une 
ville  des  défordres  qui  y  régnent ,  (i 
ce  n'eft  au  magiftrat  ?  de  régler  &  de 
fanftitier  une  cour,  fi  ce  n'eft  au  prince  } 
Mais  ou  voyons-nous  ce  zèle ,  Se  com- 
ment l'aurions  -  nous  pour  les  autres  , 
puifque  fouvent  nous  ne  l'avons  pas 
pour  nous-mêmes  ?  ce  qu'il  y  a  de  plus 
ftrange  ,    §c    çç  qui   doit   p^us    nous 

K  V 


tiiS  Sur  la  société  des  Justes 

confondre,  c'eCl  qu'en  toute  autre  chofe 
6c  fur  tout  autre  iujet  que  celui  dont 
je  parle ,  ce  zèle  de  la  corredion  du 
prochain  ne  nous  manque  pas.  il  ne 
îaut  que  la  moindre  oct^^fion  pour  l'ex- 
citer jufqu'à  la  violence.  Que  ce  jeune 
homme  ne  prenne  pas  une  certiiine 
éducation  lelon  refprit  Si  les  m^^nieres 
<5u  fiecle  ;  que  ceue  jeune  perfonne  ne 
îoit  pas  allez  atten[:ve  fur  l'a  démarche, 
fon  air  ,  les  ajullements  ;  qu'il  y  ait  eu 
le  plus  léger  oubli  6t  quelque  déran- 
gement dans  le  Tervice  de  ce  domef- 
tique  ,  c'eft  sfTez  pour  taire  écljter  en 
reproches  les  plus  aigres  6i.  les  plus  pi- 
quants :  mais  dès  qu'il  n'y  va  que  de 
l'intérêt  de  leur  falut ,  on  n'en  eii  point 
ému,  &  à  peine  y  dai^ne-t-on  quelque- 
fois penfer. 

Devoir  encore  plus  particulier  pour 
les  libertins  eux-mêmes  6c  pour  les 
pécheurs,  lorfqu'ils  ont  eu  le  bonheur ^^ 
ide  fe  reconnoître  &  de  rentrer  dans  une 
"vie  nouvelle  &  péniteate.  Car  de  quoi 
ils  doivent  toujours  conierver  le  Icu- 
venir,  c'ell:  de  l'injure  qu'ils  ont  laite  à 
Dieu  en  le  déshonorant  par  leur  péché  j> 
&  du  tort  qu'ils  ont  caufé  au  prochain 
en  ie  fcandalilant.  Double  vue  qui  alm- 
moit  tout  le  zèle  de  David  ;  6c  qu'y 
a-t-il  ,  mon  cher  Auditeur  ,  de  plus 
efficace  &  de  plus  puiiiant  pour  réveiller 
le  -votre  &  pour  l'aniraer  ?  Si  j'avois 
enlevé  à  uji  homme  le  bien  qu'il  policdaic 


AVEC     LES     PÉCHEURS.     227 

Se  qui  lui  apparrenoit  ,  je  me  condam- 
nerois  moi-même  à  réparer  le  dom- 
mage qu'il  auroit  reçu.  Si  je  lui  avois 
ravi  l'honneur ,  nea  ne  me  dirpenferoit 
de  lui  en  faire  la  fatisf-ièlion  conve- 
nable. J'ai  bleffé  la  majeité  de  mon 
Dieu  ,  je  l'ai  offenfé  ,  que  dois  -  je 
donc  épargner  dél'orauis  pour  rétablir 
fa  gloire  6:  pour  la  lui  rendre  toute 
entière  ?  J'ai  par  mes  exemples  en- 
traîné mon  frère  djns  le  plus  grand  de 
tous  les  malheurs  ,  qui  ert  le  péché  ;  je 
lui  ai  fait  perdre  le  plus  précieux  de 
tous  les  biens,  qui  éîoit  l'mnocence  de 
fon  ame  6c  la  pureté  de  ù  confcience  ; 
que  ne  dois -je  donc  pùs  me- te  en 
œuvre  pour  le  retirer  de  l'abyme  où 
je  l'ai  conduit,  &  pour  guérir  les  plaies*^, 
de  fon  cœur  ?  Qae  fi  mes  foins  ne  peu- 
vent plus  être  utiles  à  tels  &  tels  ,  que 
j*ai  égarés  ,  &  s'ils  ne  font  plus  en  état 
d'en  profiter  ,  quel  motif  pour  com- 
penfer  au  moins  la  perte  de  ceux-là  par 
la  conquête  d'autant  d'autres  que  Tocca- 
fion  m'en  peut  préfenter  ?  Or  en  voici 
le  moyen  exprimé  dans  ces  paroles  du 
Prophète  royal  ^  où  il  nous  donne  à 
connoître  ce  qu'il  taifoit  lui-même  , 
&  ce  que  nous  devons  faire  comme  lui: 
Docebo  iniquos  vias  tuas  ,  6*  impiimaJ  te  pf,  j%, 
convertentur.  Non  ,  Seigneur  ,  s'écrioit 
ce  Roi  pénitent  ,  ce  n'eft  point  affez 
que  je  revienne  à  vous  ,  je  veux  encore 
y  raaienîr  avec  moi  les  pécheurs  ;  je  leur 

K  vj    ' 


ii2  SuRLA  SOCIETE  DES  Justes,  &c; 

enleignerai  vos  voies  ,  ôc  je  tâcherai 
de  les  gagner ,  foit  par  mes  paroles  , 
foit  par  ma  bonne  vie.  Je  ne  vous  ai 
jfesleulement  déshonoré  par  moi-même, 
ô  mon  Dieu  1  mais  par  tous  ceux  que 
mon  exemple  a  engagés  ou  confirmés 
clans  leur  iniquité.  Ce  ne  fera  donc  point 
feulement  par  moi-même,  mais  par  leur 
infiruftion  ,  mais  par  leur  correction  , 
mais  par  leur  converfion  que  je  tra- 
vaillerai à  vous  glorifier.  Pour  cela  , 
Seigneur  ,  il  y  aura  des  précautions  à 
prendre,  des  m.oments  à  étudier,  des 
obftacles  à  vaincre  ;  mais  de  tout  ce 
cju'il  pourra  y  avoir  de  difficultés ,  rien  ne 
me  rebutera ,  ni  rien  ne  railentira  moa 
ardeur  ,  parce  que  je  fais  que  c'efl  une 
ïéparation  que  je  vous  dois ,  Si  pour  la 
gloire  que  je  vous  ai  ravie ,  &  pour  tant 
d'ames  que  j'ai  perverties  :  Docibo  inïquos 
9fias  tuas  ,  &  impii  ad  te  ccnvcrtcntur» 
Entrez  ,  Chrétiens  ,  dans  ce  fentim.ent 
L'ivraie  alors  fe  changera  pour  vous  en 
bon  grain;  le  commerce  que  vous  aurez 
avec  les  pécheurs ,  en  leur  profitant , 
vous  profitera  à  vous-mêmes,  vous  fau- 
verez  vos  frères  ,  &  vous  vous  fauverez 
avec  eux  ;  vous  amafferez  des  tréfors  de 
grâce  pour  cette  vie  ,  &  vous  mériterez 
le  b§nheur  éternel  de  l'autre,  que  je 
TOUS  fouhaite,  &c. 


SERMON 

POUR 

jL£  SIXIEME   DIMANCHE 

APRÈS   L'EPIPHANIE. 

5;/;  /^  fainîcté  &  la  force  de  la  Loi 
chrétunne» 


Simiîe  efl:  regautn  Cceloritm  grano  iînapîs  ,  quod 
accipiens  homo  feniinavit  in  agro  fuo  ;  quod 
minimum  quidem  eft  omnibus  feminibus  ; 
cùm  autem  creveric  ,  majiis  eft  omniba$ 
olcribus  ,  &  fit  arbor. 

Le  royaume  des  Clsux  ejî  femhlable  à  un  grain 
de  jcnevé ,  qu'un  homme  prend  &  fcme  dans 
jon  champ,  C'cjî  le  plus  petit  grain  de  toutes 
lis  fcmences  ;  mais  lorfcue  ce  grain  a  poujjé ^  il 
s"" élevé  au-dejj'us  de  toutes  les  autres  plantes^ 
&  il  devient  arbn.  En  S.  Matth.  ch.  i^. 


c 


E  royaume  des  Cieux ,  dans  le  lan- 
gage de  i'Ecrituie  ,  &  félon  la  pen- 
fée  des  Pères  &  des  Interprètes  ,  qu'eiî- 
4ce  autre  choie  ,  Chrétie^is ,  t^ue  rE^jA^' 


430      Sur   la    sainteté 

gile  ?  Et  en  effet ,  c'eft  par  cette  divine 
ioi  que  Dieu  règne  en  nous,  &  c'eft  en- 
core cette  loi  qui  nous  difpofe  à  régner 
un  jour  nous-mêmes  avec  Dieu  dans  le 
ciel.    Doublement   donc    royauiTie   des 
cieux  ,   foit    parce  qu'elle  établit    dans 
nos  cœurs  un  empire  tout  célefte,    qui 
ei^  Teaipire  de  Dieu  ,  foit  parce  qu'elle 
nous    donne  droit  à  un  royaume  tout 
célefte  ,  qui   eil:    l'héritage   des  enfants 
de  Dieu.    Or  ce  royaume  des  cieux  , 
cette  loi  év.ingélique  ,  dit  le  Sauveur  du 
iiionde ,  eft  iemblable  à  un  grain  de  lene- 
vé ,  &  cela  comment  ?  en  deux  manières, 
que  le  même  fils  de  Dieu  nous  a  expref- 
fément  marquées    dans   les   paroles    de 
mon  texte  ;  favoir  ,  par  fa  peciteiTe  & 
par  fon  étendue  :  par   fa  peiitefle  dans 
ion  origine  ,    ()uod  minimum  quidem  ejl 
omnihus  jeminibus  ;  &   par  fon  étendue 
dans  fes  accroiffements  &  fes  progrès , 
Cuin  autem  crevdrit  ^    majus  ejî  omnibus 
olcribus.    C'eiV  à-dire  ,    fuivant   l'appli- 
cation que  fait  S.  Jérôme  de  cette  para- 
bole à  la   loi  chrétienne,  que  comme 
entre  toutes  les  graines  une  des  plus  pe- 
tites avant  qu'on  l'ait  femée  eft  le  fenevé  ; 
ainu  de  toutes  les  religions  du  monde  il 
il  n'y  en  a    point  eu  ,  à   la  confidérer 
dans  fa  nailTance ,  de  plus  obicure  que  la 
ioi  de  Jelus  Chrift  ,  ni  en  appa:en.-e  de 
plus  foible.  Mais ,  ajoute  auiîi   ce  faint 
Docteur,  pour  achever  la  comparaifon, 
<ie  méaie  (jue  le  graia  de  fençvé  3  ^M 


ET  LAFORCE  DE  LA^LOI  CHR.     23  I 

quon   l'a  jeté  dans  la  terre  ,   y  prend 
racine ,  croi;  eniuice ,  le  fortifie  ,  poulTe 
des    bfanciies  ,    produit    des    feuilles , 
porte  des   fruits  ,    monte  enfin   jufqu  à 
la  hauteur  d'un  arbre  ,  6l  fert  de  retraite 
aux   oifélux    du    ciel  ,     Et    fit   arbor  , 
it.i  ut    vu  lucres  cœli  habitent  in  eâ  :    de 
inêiiie    d-t  on  vu  l'Evangile  prêché  par 
Jelus-Chrii^  dans   la  Judée  ,    pdTer   de 
là  ,   par  le  miniilere   des  Apôtres  ,  aux 
nations  ,  ranger  tous  les  peuples  fous  fa 
domination   lp:rituelle  ,    abolir  le  culte 
des   taux   dieux  ,    &   devenir  de  l'un  à 
l'autre  pôle  la  lui  dominante.  Loi  per- 
pétuelle ,  qu'une    heureufe   fucceffion 
des   iiecles ,   m-^lgré  toutes  les  révolu- 
tions   humaines   ,    a    confervé    jufqu'à 
nous  ,    ai.  que  la  même  tradition   doit 
maintenir    juiqu'à    la    fin    des   temps  : 
loi  que   nous   avons  reçue  ,  mes  chers 
Auditeurs  ,   que    nous    profelTons  ,   où 
font  renîermées  nos  plus  grandes  eipé- 
rances  ,   &  qui   feule  eft  la  règle   que 
nous  devons  nous  propofer  dans  tout  le 
plan   de   notre  vie.    il  eft  donc  impor- 
tant ,    afin    de    nous    attacher   toujours 
d-avanta^e    à    cette  loi  ,    que   nous   en 
connounons  les  glorieufes  prérogatives  , 
&  c'eit  de   quoi  j'entreprends    aujour- 
d'iiuî  de  vous  entretenir.  De  les  vouloir 
parcourir  toutes  ,"  ce  feroit  une  matière 
infinie  ,   Ôc  bien  au-delà  des  bornes  qui 
meiont  prefcrites.  Arrêtons-nous  à  notre 
parabole  j  nous  y  touverons  égaletr.eui 


^3^  Sur  la  sainteté 
de  quoi  relever  Thonneur  de  l'Evangiis 
6c  de  quoi  fervir  à  notre  inftruâion  , 
après  que  nous  nous  ferons  adreffés  à 
la  Vierge  qui  nous  a  donné  le  divin 
iégiilareur  dont  nous  fuivons  la  doftrine, 
&   à  qui  la  toi  nous  tient  fournis.  Ave 

IL  n'y  a  que  Dieu  qui  puiffe  par  lui- 
même  fanciiiier  les  âmes  &  les  con- 
vertir ,   parce  qu'il  n'y  a  que  Dieu  qui 
foit  faint    par  lui-même  &  le  principe 
<ie  toute  fainteté  ,  comme  il  n'y  a  que 
lui  qui  tienne  en  fes  mains   les   coeurs 
des  hommes  ,    &  qui  leur  donne  telle 
impreiîîon  qu'il  lui  plaît,  par  les  fecrettes 
ooérations  de  fa  grâce.  Deux  caractères 
qu'il  a  communiqués  à  la  loi  évangéli- 
que  ,  &  qui  fans  autre  preuve  nous  lont 
fuinlamment  entendre  que  c'eft  une  loi 
divine.  Deux  avantages  qu'exprime  par- 
faitement ia  pariibole  de  ce  petit  grain 
qu'un  homm.e  a  femé  dc.ns  fon  chanip , 
&  où   nous  remarquons  tout  à  la  fois 
une    double    qualité  ,    ]e    veux    dire  , 
une  qualité  fainte  &c  une  qualité  forte 
tout  enfem.ble.  L'iine  ,   qui  nous  figure 
la  fainie:é  incorruptible  de   la  loi  chré- 
tienne dr.ns  les  règles  de  conduite  qu'elle 
nous   trace  ,   &  dans  la   perfection   où 
elle  nous  appelle  ;  l'autre  ,  qui  nous  re- 
préfente   la  force  viclorieufe  &  toute- 
puiffante    de    cette    rr.ême    loi  d^ns    ia 
converfion  du  mondç  çoti^r^  &  dans  Iç*. 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  C  iïR.     Î3$ 

progrès  inconcevables  qu'elle  y  a  faits  > 
malgré  toGs  les  obilacles  qui  en  de-* 
voient  arrêter  le  cours.  Enfin  deux  pré- 
rogatives toutes  fingulieres  de  l'Evangile 
de  Jeius-Chriii  ,  eomprifes  en  deux  pa- 
roles du  Prophète  royal ,  lorfqu'ii  nous 
dit  que  la  loi  du  Seigneur  efl:  pure  &  fans 
tache,  Lex  Doinini  ïmmdcuLita ;  &  que  P[>  t$; 
par  une  vertu  qui  lui  efl  particulière  ôc 
qu'elle  exerce  fur  les  âmes ,  elle  les  attire 
à  Dieu  ,  &  les  convertit ,  Convertens 
animas.  Sainteté  do  la  loi  chrétienne,' 
force  de  la  loi  chréiienne  ;  voilà  tout  le 
fond  &  tout  le  partage  de  ce  diicours. 
Sainteté  qui  fait  de  la  loi  chrétienne 
une  loi  parfaite  &  irréprochable  ;  c'ed  ce 
que  je  vous  montrerai  dans  la  première 
partie.  Force  qui  furpade  toute  la  na- 
ture ,  &  qui  a  fait  faire  à  îa  loi  chrétienne, 
dès  fcn  premier  établiiïement ,  les  plus 
nierveilieufes  conquêtes  ;  ce  fera  le  fujet 
de  la  féconde  partie.  Dans  l'une  nous 
jugerons  de  cette  loi  évangélique  ,  par 
ce  qu'elle  eft  en  elle-même  ;  &  dans 
l'autre  ,  par  ce  qu'elle  peut  &  ce  qu'elle 
a  fait.  De  l'une  Ùc  de  l'autre  je  conclurai 
que  c'eli  donc  une  loi  toute  célede, 
qu'elle  vient  de  Dieu  ,  &  que  Dieu  feul 
en  ell  l'Auteur  :  Lex  Domini  immaculata , 
convertens  animas.  Vous  le  conclurez 
vous  -  mêm.es  avec  moi  ,  mes  chers 
Auditeurs  ,  fi  vous  m'écoutez  avec  un 
efprit  droit  &.  d^fimérefTé,  ^  fi  vous  ffi« 


^34      Sur   la    sainteté 

donnez  toute  Tattention  que   je   vous 
demande. 

I.  /^Ui  5  Chrétiens  ^  c'efl:  une  loi  fainte 
JPart.  V^  que  la  loi  de  Jefus-Chrirt  ;  &  pour 
en  être  perluadés  ,  coniidérez-la  dans 
toutes  fes  parties  :  examinez-la  dans  foi* 
Auteur  ,  dans  fes  maximes  ,  dans  fes 
confeiis  ,  dans  fes  fedateurs  ,  dans  fes 
n"iyfteres ,  6l  en  tout  cela  ne  la  tenez 
pour  véritable  qu'autant  qu'elle  vous 
paroitra  fainte.  Car  la  fainteté  ne  peut 
avoir  pour  fondement  que  la  vérité,  & 
la  vérité  eft  toujours  le  principe  de  la 
fainteté.  L'iiluflre  témoignage  ,  Chré- 
tiens ,  en  faveur  de  notre  religion  l 
Angnjî.  Ciim  ad  aliquid  pervenitur  quod  ejl  contra 
bonos  mores  ^  c'eil  S.  Auguilin  qui  p?rle, 
non  ejî  mr^^num  vcram  fedam  à  fùLjâ 
dïfcernere.  Lorfque  dans  une  fecle  on 
découvre  des  defordres  en  matière  de 
mœurs,  il  n'efl  pas  difficile  de  montrer 
qu'elle  part  d'un  faux  principe  :  mais  la 
préfomption  eft  toute  entière  qu'elle 
vient  de  Dieu ,  quand  on  n'y  voit  qu'm- 
nocence  &  que  pureté  de  vie.  Prenons 
donc  cette  règle  pour  reconnoitre  au- 
jourd'hui la  venté  de  la  loi  chrétienne, 
6t  jugeons-en  d'abord  par  la  fainteté  de 
fon  Auteur. 

C'ed  Jefus^Chrift  ,  ce  Meifie  envoyé 
de  Dieu  ,  qui  fans  p.irler  de  i'ondion  de 
fa. divinité,  a  pailé  pour  le  plus  jufte  6c 


ET  LA  fORCEDELA  Loi  CHR.    23^ 

le  plus  faint  des  hommes  ;  dont  la  vie  a 
été  il  pure ,  qu'il  voulut  bien  la  foumettre 
à  la  critique  de  Tes  plus  cruels  ennemis  ; 
Quis  ex  vobis  arguet  me  depeccato  ?  contre  Jcan^ 
qui  toute  la  Synagogue  conjurée  ne  put  c  ^» 
jamais  produire  deux  témoignages  con- 
formes ;  Et  non  erant  convenicntia  teflimo-  Marc, 
«ij;  qui  reçut  une  déclaration  auihentique  C'  '4' 
de  fon  innocence ,  de  la  bouche  même 
du  Juge  qui  porta  l'arrêt  de  fa  condam- 
nation :   Nullim  in  eo   invenio   caufam  :  Joan. 
enfin ,  dont  les  vertus  plus  qu'humaines  c.  iS, 
ont   été  publiées  par   ceux   qui  étoient 
les  plus  intéreffés  à  en  ternir  la  gloire  : 
Verè  filius  Dei  erat  ijîe.  Voilà  celui  qui  Matth, 
nous  a  donné  la  loi  que  nous  profeiïons.  <^*  ^<J* 
Les   autres   loix   qui    partagent  aujour- 
d'hui le  monde    ont   eu    pour   auteurs 
des  impies  transfigurés   en    prophètes  , 
des  dieux ,   comme  le  paganifme ,  plus 
corrompus  que  les   hommes  même  qui 
les  adoroient  ;  un  Mahomet,  fouillé  de 
toutes   fortes    d'impuretés  ,    comme  U 
fecie  qui  porte  fon  nom  ;  &  pour  ne  pas 
oublier    les    hérétiques  ,    qui  par  leurs 
héréiies  ont  altéré  la  pureté  de  la  loi, 
des  apoflats  de  profelfion  ;  un  Luther, 
infime  par  fes  inceftes  ,  qui  même  en 
faifoit  trophée,  &.  qui  s'eil  vanté  de  ce 
que  fes  plus  zélés  partifans  avoient  honte 
de  ne  pouvoir  défivouer  pour  lui.  Voilà 
celui   que  Calvin  appelloit  l'Apôtre   de 
l'Allemagne  :   &   que    ne   pourrois  -  je 
point  dire  de  Calvin  lui-même  t 


136      Sur   la   sainteté 

A  Dieu  ne  plaife  ,  Chrétiens  ,  que 
j'en  veuille  à  leur  "perfonne  ni  à  leur 
mémoire  :  ii  c'étoient  des  particuliers 
qui  euilent  été  emportés  par  le  torrent 
de  l'héréiie  ,  je  fais  les  règles  de  dif- 
crétion  OC  de  bienféance  que  j'aurois  à 
garder.  Mais  puiiqu'on  a  prétendu  que 
c'étoient  des  hommes  que  Dieu  avoit 
remplis  de  fon  efprit  pour  les  employer 
à  la  rétbrmation  de  l'Eglile  ,  eiicore 
eft-il  jufte  que  nous  les  connolllions  ; 
les  Pères  en  ayant  toujours  ainfi  ufé 
quand  il  aétéqueilion  des  héréfiarques. 
Or  eft-il  croyable  que  Dieu  ,  pour  réfor- 
mer Ion  Eglife  ,  ait  ehoifi  des  hommes 
de  ce  caractère  ? 

Mais  partons  outre ,  &  pour  tirer  d'un 
ù  grand  fujet  toute  l'édification  &  tout 
le  fruit  que  Dieu  prétend  que  nous  en 
tirions  ,  voyons  quelles  font  les  maxi- 
mes de  la  loi  que  nous  avons  reçue  de 
Jefus-Chrift.  Il  eft  vrai  que  les  ennemis 
de  ce  divin  Sauveur  firent  tous  leurs 
efforts  pour  le  décrier  comme  un  homm« 
qui  pervertilToit  le  peuple  ,  &  dont  îa 
doâiiine  alloit  corrompre  les  mœurs  ^ 
mais  il  eil  vrai  auifi  que  ce  fut  la  plus 
grofliere  &  la  plus  vaine  de  toutes  les  ca- 
lomnies. J'ai  prêché  publiquement,  dit-il 
à  Caïphe  qui  l'inteirogeoit  fur  ce  point, 
&L  je  n'ai  jamais  dogmatifé  en  fecret  : 
adreiTez-vous  à  ceux  qui  m'ont  en- 
tendu ,  ils  favent  ce  que  j'ai  dit.  Nous 
ie  i^yçfts  ,  ÇJarékie;iJ ,  puifqu'il  ngus  a 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CHR.     l'^f 

fû\t  les  dépolltaires  de  Tes  fameux  ora- 
cles ,  &  que  nous  avons  encore  entrç 
ies  mains  les  précieux  monuments  de  fa 
loi  :  trois  chapitres  de  faint  Matthieu 
en  font  le  précis  &  l'abrégé  ;  il  n'y  a  qu'à 
les  comparer  avec  tout  ce  que  la  morale 
païenne  a  jamais  produit,  pourvoir  la 
didérence  ienfible  de  l'efprit  de  Dieu  & 
de  celui  de  l'homme.  Que  la  loi  chré- 
tienng  ed  admirable  !  difoit  autrefois 
Laitance  :  c'eft  elle  qui  a  éclairci  toutes 
les  loix  de  la  nature  ,  qui  a  mis  la  der- 
nière perfeflion  à  toutes  les  loix  divines  , 
qui  autorife  toutes  les  loix  humaines  _,  Sc 
qui  a  détruit  fans  exception  toutes  les 
loix  du  vice  &.  du  péché  ;  quatre  chefs 
qui  font  pour  elle  autant  d'éloges  ,  & 
qui  mériteroient  autant  de  difrours.  C'eft 
elle  qui  a  éclairci  les  loix  de  la  nature  , 
les  interprétant  félon  toute  leur  pureté  , 
&  renverfant  toutes  les  erreurs  dont 
l'ignorance  ou  le  libertin?^e  des  hom- 
mes les  avoient  obfcurcies.  On  a  dit  à 
vos  pères  (  c'eft  ainfi  que  Jefus-Chrift 
inftruiibit  les  Juifs  )  ,  on  a  dit  à  vos 
pères  :  vous  ne  ferez  point  hom.icides  ; 
&  moi  je  vous  annonce  que  quiconque 
dira  à  (on  frère  une  parole  ou  de  colère 
ou  de  mépris  ,  fera  condamné  au  juge- 
ment de  Dieu.  Vos  pères  ont  cru  que 
la  haine  d'un  ennemi  6c  la  vengeance 
étoient  permifes  ,  ÔC  moi  je  vous  les 
défends.  On  leur  a  fait  entendre  que 
le  parjure  çtoit  un  crime  ,   6c  moi  je 


ft^B      Sur  la   sainteté 

veux  que  toutes  fortes  de  jurements  vou$ 
ibient  interdits.  Etoient-ce  de  nouveaux 
préceptes  qu'établifToit  le  (ils  de  Dieu  ? 
Non  ,  dit  laint  Auguftin  ;  car  de  tout 
temps ,  jurer  fans  néceflité  avoit  blelTé 
le  refpeft  qui  eft  dû  à  Dieu  ;  fe  faire  rai- 
fon  de  fes  propres  injures  avoit  toujours 
été  contre  la  raifon  ;  jamais  il  n'avoit 
été  permis  de  defirer  un  plaifir  qu'il  n'eft 
pas  permis  de  fe  procurer.  Mais  ces  loix 
que  Dieu  avoit  gravées  dans  le  cœur  de 
Ihomme  avec  des  caractères  de  lumière, 
comme  parle  le  Prophète  royal ,  s'y 
étoient  infenfiblement  effacées  ,  &  la 
loi  chrétienne  eft  venue  les  renouveller. 
Ceft  elle  qui  a  mis  la  dernière  pertec- 
tion  à  toutes  les  loix  divines  ,  changeant 
la  circoncifion  de  la  chair  en  celle  de 
l'efprit,  taifant  fuccéder  les  effets  de  la 
pénitence  aux  cérémonies  de  la  péni- 
tence ;  fandifiant  le  Sacerdoce  par  la 
continence  ,  pour  le  rendre  plus  digne 
des  autels  ;  érigeant  le  mariage  en  facre- 
lïient ,  afin  qu'il  ne  pût  être  violé  que 
par  une  efuete  de  facrilege  ;  le  réduilant 
à  cette  févérité  de  difcipline  ,  c'eft-à- 
dire ,  à  cette  unité  &  à  cette  indiffolu- 
bilité  à  laquelle  il  étcit  réduit  dans  fa 
première  inftitution ,  6t  en  retranchant 
tout  ce  que  Dieu  dans  la  loi  ancienne 
avoit  accordé  à  la  dureté  du  cœur  des 
Juifs.  C'ell  cette  même  loi  de  Jefus- 
Chrift  qui  a  autorifé  toutes  le  loix  hu- 
itaines i  puifqu'outre  l'obligation  civile 


ET  tA  FORCE  DE  LA  LOî  CHU.    139 

&  politique  de  les  garder  ,  elle  y  en 
ajoute  une  de  conlcience  qui  eft  invio- 
lable &  qui  fublille  toujours  ;  puifqu'elle 
fait  refpeder  les  fupérieurs  légitimes  , 
non  pas  en  qualité  d'hommes  ,  mais 
comme  les  lieutenants  6c  les  minières 
de  Dieu  ;  puifqu'elle  maintient  leur 
autorité  ,  non-leulem.ent  quand  ils  l'ont 
chrétiens  &  fidèles  ,  mais  quand  ils 
feroient  païens  &  idolâtres  ;  non-feule- 
ment ,  dit  faim  Pierre ,  qucind  ils  font 
vertueux  &  parfaits  ,  mais  quand  ils 
feroient  remplis  même  de  vices  ;  non- 
feulement  quand  ils  font  doux  &  favo- 
rables ,  mais  quand  ils  feroient  emportés 
&  fâcheux  ;  puifque  hors  ce  qui  eft 
politivement  6c  évidemmiCnt  contre 
Dieu  5  elle  veut  qu'ils  foient  obéis 
comme  Dieu  même  ,  ne  féparant  point 
ces  deux  préceptes,  Regem  honorificaîe  ,  i.Peèr^ 
Dcumîimete  ;  craignez  Dieu  ^  &  honorez  C'  ^« 
les  puiflances  ;  &.  nous  avertiflant  fans 
celle  que  l'un  eft  effentiellem-ent  fondé 
fur  l'autre.  Enfin  c'eft  e'ie  qui  a  détruit 
généralement  toutes  les  loix  du  péché  , 
dont  le  nombre  étant  infini,  fa  gloire 
particulière  eft  qu'il  n'y  en  a  pas  une 
qu'elle  ne  réprouve  ôc  qu'elle  ne  con- 
damne ;  frappant  d'anathême  l'injulKce, 
en  quelque  fujet  qu'elle  paroine  ;  ne 
refpeclant  en  cela  ni  rang  ni  qualité  ; 
ïYayant  égard  ni  à  coutum.e  ni  à  poP.ef- 
fion  ;  ne  s'accommodant  ni  à  foibleffe 
ni  à  intérêt  ^  ne  cédant  pas  même  à  la 


ft4o      Sur  la  sainteté 

plus  predante  de  toutes  les  néceffités  , 

€ertull.  qui  feroit  celle  de  mourir  :  Ne  mo^ 
riendi  quidcm  neccjjitati  difclplina  nojîra 
connivet. 

Les  religions  païennes  ont-elles  pu 
fe  gloriner  du  même  avantage  r  Vous 
le  lavez  ^  Chrétiens ,  &  vous  ne  poa- 
vez  ignorer  que  le  cara6lere  par  où 
elles  ie  font  diftinguées  ,  a  été  de  to- 
lérer &  de  permettre  tous  les  crimes  ; 
ron-feulement  de  les  permettre  &  de 
les  tolérer ,  mais  de  les  approuver  , 
nais  de  les  canoniier,  mais,  il  j'ofe  me 
fervir  de  ce  terme  ,  de  les  divinifer  ; 
n'ayant  reconnu ,  dit  excellemment  laint 
Auguftin  ,  des  dieux  vicieux  &  lafciis , 
que  dans  cette  vue ,  afin  que  quand 
leurs  adorateurs  fe  trouveroient  excités 
au   mal  ,    ils    coniidéraiTent    plutôt    ce 

"iiugufi.  que  leur  Jupiter  auroit  fait,  que  ce  que 
Caton  leur  avoit  enfeigné  :  Ut  magis 
intuerentiir  qiiid  ficijfet  Jupiter  ,  quJrn 
quïd  cenfulffct  Cato.  Choie  dont  les 
païens  eux-mêmes  avoient  horreur, 
ne  pouvant  ioufFrir  ,  c'eil  la  remarque 
d'Arnobe  ,  quelque  déterminés  qu'ils 
fuilent  à  être  méchants  ,  qu'on  le  tût 
par  proteiTion  de  religion;  &.  la  plupart 
au  moins  de  ceux  qui  paiToient  pour 
fages  ,  ayant  mieux  aimé  vivre  fans 
religion,  que  d'en  reconnoître  une  pour 
bonne  qui  ne  les  obligeât  pas  à  être 
ni  ailleurs. 
Il    en    efl  de  même    des    héréfies  : 

car 


ÏT  LÀ  FORCE  DE  LA  LoiCAti.   14^ 

car  Dieu  ,  dit  faint  Epiphane ,  a  tcujcurs 
permis  que  les  erreurs  dans  la  foi  aient 
été  fuivies   de    la   corruption    &  de  la 
dépravation    des    maximes    qui    regar- 
doient   la   conduite    des    mœurs  ,    atia 
que  .cela  même  fervît  à  les  diftinguer. 
L'héréfie  du   fiecle  pafTé  femble  avoir 
été  en  cela  plus    circonfpede   &    plus 
prudente  ,    puirqu'elle    affefta   d'abord 
le   nom  de   réibrme  :    mais    fi    elle  en 
afîeda  le  nom ,  peut-être  ne  lui  taifons- 
lîous  point  de  tort,  en  difant  que  c'eft 
""6  de  celles   qui  en  négligèrent  plus 
la  vérité,  &  peut-être  pourrions-nous, 
fans   lui   faire    infulte   &    fans  lui  rien 
iqiputer  que  fes  propres   maximes  ,  la 
détromper  par  elle-même  &  la  convain- 
cre.   Car  nous  n'aurions  qu'à  lui  oppo- 
fer  le  langage  de  Tes  premiers  pafteurs, 
pour   lui  montrer  Tillufion  de  la  vaine 
réforme  qu'elle  s'eft  attribuée  ;  &  elle 
ne  défavoueroit   pas  que  ces  faux  mi- 
nières prêchant  aux   peuples  ,   ne  leur 
fiflent  fouvent  ces  leçons  :  Prenez  garde, 
ires  Frères  ,  leur  dilbient-ils  ;  on  vous 
a  tait  entendre  que  c'étoic  par  les  bonnes 
ceuvres  qu'il  filloit  fe  fauver;  on  vous 
a  trompés ,  elles   font  inutiles   pour  le 
falut.  On  vous  a  dit  que  le  jufle  devoit 
veiller   continuellement  fur  foi-m.ême, 
pour  ne  pas  décheoir  de  Ja  grâce  :  abus  ; 
quand  on  a  une  fois  la  grâce,  quelque 
crime  que  l'on  comm.ette,  on  ne  la  perd 
jamais.  On  vous  a  fait  accroire  que  vous 


^4*        SUK    lA    SAINTETÉ 

..„  une  Ubené  pour  ;éf,fte.aux^^^^^^^^^ 

''°"'  b^  vou    a  nourris  dans  la  cramte 
lien.  On  vous  ^  "  .       ^^  crainte 

des  )".S«."^«"»     réSouvée    On  vous  a 

eft  criminelle  ëi  reprouve         ,     /r-  p. 
;rêchélapénuençecomrn        «^^^^ 

^  ""  'l'irace  du  Bap.ême  tous  vos 

'iV\?"'   IK  à  commettre  font  déjà 
péchés  commis  6J.  a  con 

ïemis.  On  vous  a  ?^f^XZ&^  i  "«« 
beaucoup àfairepour gagnée  >-^Jg,^ 

•'V°";ffirX''rfftedtoes-'vousde 

pouvoir,    t^^^s    ^^  8^  nous  vous 

ilonnez  votre  P^oteffion ,  &  "o 

fe£ÏÏa^.Sefe.o^-W^^^^^^^ 
fecôuer-le  Hardiment .  S.  «"o   « 

ts^Iaisl-EgUreleco—de^J.^^^ 

^t^KVcolfo-iercerMaisn.ui 
pour  lier  vos  v      ^  mère:  oui, 

Lt  obéir  comme  a  no»e-«^^.^„„„ 

^,ar  cérémonie  &  f",f°X      '       ,e  une 
W '"^Cll  dis''     -i  de  créance  6C 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CH?v.  245 
croirois  coupable  d'y  rien  ajouter.  Or 
dites-moi ,  mes  chers  Audiceurs  ,  û  la 
vérité  Se  la  pureté  de  la  loi  chrétienne 
pouvoient  s'accommoder  de  tout  cela  } 
Non ,  fans  doute  ;  &  û  nous  voulons 
encore  mieux  connoitre  cette  loi  lainte  , 
voyons  jufqu'où  elle  a  porté  la  perte6lion 
de  Tes  confeils.  Qu'eft-ce  que  cette  pau- 
vreté évangélique  qu'elle  nous  propofe, 
&  qui  non-feulement  nous  dégage  de 
toute  affection  aux  biens  de  la  terre, 
inais  nous  dépouille  de  toute  poffeiri on  ^ 
Si  vous  voulez  être  parfaits  ,  dit  le  fils 
de  Dieu  à  ce  jeune  hommo  de  TEvan» 
gile  ,  allez ,  vendez  tout  ce  que  vous  avez, 
donnez- en  le  prix  aux  pauvres  ,  &  vous 
ferez  en  état  de  me  fuivre  ,  &  de  par- 
venir à  la  plus  haute  fainteté  de  ma  loi, 
Qu'eft-ce  que  ce  renoncement  volon- 
taire à  tous  les  piaifirs  des  fens ,  que  cette 
mortification  èc  cet  amour  de  la  croix 
ïîui  nous  rend  en  quelque  façon  ennemis 
de  nous-mêmes  ,  jufqu'à  nous  refufer  à 
nous-mêmes  toutes  les  douceurs  &  tous 
les  foulagements  de  la  vie,  jufqu'à  nous 
perfécuter  nous-mêmes  fans  relâche  , 
jufqu'à  nous  faire  mourir  nous-mêmes, 
«ion  point  de  cette  mort  naturelle  que 
Dieu  n'a  pas  fait  dépendre  de  nous  , 
mais  d'une  mort  intérieure  &  fpirituelle  ? 
Qu'eft-ce  que  cette  humilité  héroïque 
qui  nous  fait  fuir  l'éclat  &  les  honneurs 
du  fiecle,  avec  autant  de  foin  &  autant 
d'ardeur ,   que  le  monde  nous  les  fai: 

Lij 


244      Sur   là   sainteté 

rechercher ,  qui  nous  fait  aimer  l'abjeC"^ 
tion,  l'oblcur.'té,  les  mépris,  les  outra-? 
ges  ;  qui  remplilToit  de  joie  les  Apôtres, 
loiiquê  dans  les  priions ,  que  dans  les 
places   publiques  ,    qu'en  préfence  des 
inagiftrats  ,  on  les  couvroit  d'ignommie 
&  d'opprobres  ?    Qu'eft-ce    que   cette 
abnégation  entière  de  ce  que  nous  avons 
de  plus  cher  ,  qui  eft  notre  volonté  pro- 
pre &  notre  liberté  ;  tellement  que  nous 
ne  fommes  plus  maîtres  de  nos  defirs , 
plus   maîtres  de  nos  réfolutions  ,  mais 
clans  une  dépendance  totale  ,  &  fous  le 
joug  de  l'obéilTance  la  plus  univerfelle 
&   la  plus  étroite  ?   Quels  miracles^  de 
vertus  l   &   une  vie  ,    ainfi  fanaifiée  , 
n'eft-ce  pas ,  félon  la  belle  parole  de  S. 
Ambroife  ,   un  évident  témoignage  de 
'Amhr.  la  divinité  ?  Tejiimonium  dïvïnitatis  vita. 
Chrifllini,  , 

Voilà,  mes  chers  x^udlteurs ,  ce  qu  on 
appelle  la  morale  chrétienne  ,   où   les 
infidèles  ,    fuivant  le  rapport  de  famt 
Auguftin  ,  n'avoient  rien  davantage  a 
reprendre,  fmon  qu'elle  étoit  trop  famte 
Aupifi,  &  trop  parfaite.  VidemuriisChriftianisrcs 
humanas  paulb  plus  quàm  oportet  defercre. 
Reproche  mille  fois  plus  avantageux  & 
plus   glorieux  pour  elle  que  tous   les 
eloees  qu'ils  lui  euffent  pu  donner.  Mais 
cette  loi  fi  droite  dans  fes  maximes  &: 
fes  préceptes ,  fi  pure  &  fi  relevée  dans 
fes- confeils ,  fi  ûinte  dans  fon  auteur, 
['efl-elie  autant  à  proportion  dans  les 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CHR.  14f 
feâateurs  ?  Ah  î  Chrétiens  ,  inftruifez- 
vous  ici  de  ce  que  vous  devez  être,  ou 
plutôt  confondez-vous  de  ce  que  vous 
n'êtes  pas.  Être  Chrétien  ,  c'eil  être 
faint.  Il  n'y  a  qu'à  lire  dans  faint  Luc 
quelle  étoit  la  vie  des  premiers  fidèles  ; 
lorfqu'ils  ne  faifoient  encore  qu'une 
efpece  de  communauté  à  Jéruialem  :  il 
n'y  a  qu'à  voir  chez  i  ertullien  queîlôs 
éîoient  leurs  afTemblées  ,  quand  ils 
commencèrent  à  fe  multiplier  dans  le 
inonde  :  il  n'y  a  qu'à  confidérer  leurs 
mœurs  &  leurs  pratiques  dans  l'excel- 
lent ouvrage  que  faint  Auguftin  en  a 
compofé.  Diriez-vous  que  ce  tuffent 
des  hommes  mortels  ,  6i  non  pas  de 
purs  elpriîs  6c  des  Anges  dont  il  trace 
le  caraftere  ?  Il  n'y  a  qu'à  entendre  ce 
qu'Eufebe  témoigne  ,  que  les  idolâtres 
eux-mêmes  fe  trouvoient  obligés  d« 
teconnoitre  qu'il  n'y  avoit  de  véritable 
fainteté  que  parmi  les  Chrétiens.  Té- 
moignage,  ajoute-t-il,  qu'ils  leur  ren- 
dirent ,  fur-tout  après  avoir  éprouvé 
leur  charité  dans  une  pefre  qui  rava- 
gea toute  l'armée  Romaine  fous  l'Em- 
pereur Valérien  ,  &  où  ils  virent  les 
fidèles  s'employer  au  foulagem.ent  cie. 
leurs  propres  ennemis,  avec  autant  de 
zèle  que  s'ils  eufTent  écé  leurs  frères, 
ou  félon  la  chair  ,  ou  félon  la  foi.  Quel 
efprit  les  animoit  alors  ?  Etoit-ce  un 
efprit  particulier  à  quelques-uns  d'entre 
f  ux  ?  l^on  :  mais  ç^içk  l'efprit  univeriul 

L  iii 


^4^      Sur    la    sa  i  K-t  été 

de  la  loi  chrétienne.  Ils  étoient  tels  paT 
engagement  de  religion  ;  &  c'eft  ce  qui 
convertit  ce  brave  &  généreux  foldat, 
qui  fut  enfuite  Tornement  du  déiert  , 
l'iliuftre  Pacôni-e  ,  &  ce  qui  attiroit  tous 
les  jours  un  nombre  prefquç  infini  de 
dignes  fujets  à  l'Evangile,  lorfqu'ils  fai- 
foient  attention  aux  fruits  merveilleux  de 
fainteté  que  produifoit  le  chriftianiime. 
Tant  il  eft  vrai  ,  comme  Tertullien  le 
difoit  en  traitant  la  même  matière  que 
moi  ,  qu'on  peut  juger  d'une  créance 
par  la  conduite  de  ceux  qui  la  profeiTent  : 
Tertidl.  De  gen£re  converfationis  qUiilitas  fidci  œfti- 
mari  potefl  ;  &  qu'un  des  grands  motifs 
en  faveur  d'une  doctrine  ,  ell  la  vie  irré- 
Idem,  prochabîe  de  ceux  qui  la  fuivent  :  Doc» 
trincEJudex  difciplina:  c'eft- à-dire  ,  quand- 
ia  vie  &  Id  créance  font  conformes,  & 
que  l'une  eîï  la  resle  de  l'autre.  Car 
ceut  ete  mal  raiionner,  remarque  lamt 
Auguftin  y  que  de  conclure  à  l'avantage 
du  paganifme ,  par  la  raifon  que  queU 
ques  figes  païens  vivent  dans  l'exercice- 
éi  l'habitude  des  vertus  morales  ,  puif— 
qu'en  les  pratiquant  ils  ne  fe  conformoient 
en  aucune  forte  à  leur  religion,  oc  ce 
ne  feroit  pas  une  moindre  injuflice,  de- 
fe  prévenir  contre  la  religion  de  Jefus- 
Chrifl ,  fous  prétexte  qu'il  y  a  des  Chré- 
tiens dont  la  vie  eft  déréglée  ;  puifqu'en 
cela  ce  n'eft  point  félon  les  principes 
de  leur  foi,  ni  comme  Lhréiiens,  qu'ils 
agident.  Nous  ne  déiayouons  pas ,  dit 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CHR.    24f 

Salvien ,  qu'il  n'y  en  ait  parmi  nous  ds 
très-libertins  &  très-corrompus  :  mais 
nous  prétendons  que  la  foi  chrétienne 
n'eft  point  i'efponiable  de  leur  liberti- 
nage &  de  leur  corruption  :  car  elle  eit  la 
première  à  les  accufer  comme  des  pré- 
varicateurs ,  la  première  &  la  plus  zélée 
à  les  condamner  &  à  les  rejeter. 

Mais  au  contraire  quand  je  vois  dans 
le  corps  de  l'Egliie  tant  de  vertus  & 
tant  de  fainteté  ;  quand  je  remonte  à 
ces  heureux  temps  où  la  loi  évangéll- 
que  étoit  encore  dans  toute  fa  vigueur, 
&  que  je  vois  quelles  am.es  alors  elle  a 
formées,  quels  îentiments  elle  leur  inf- 
piroit,  de  quelle  ferveur  elle  les  animoit, 
à  quelle  perfeélion  elle  les  élevoit  :  quand 
de  fiecles  en  fiecles  depuis  Jefus-Chrift  , 
je  defcens  jufqu'à  nous  ,  &  que  je  vois 
cette  multitude  inombrabîe  de  parfaits 
Chrétiens  ,  c'eft  -  à  -  dire  ,  d'hommes 
irrépréhenfibles  qui  ont  fandifié  les  dé- 
ferts  5  fandlifîé  les  cloîtres  ,  fan6lihé  les 
cours  des  Princes  ,  fandtifié  le  monde  & 
tous  les  états  du  monde  :  quand  tout 
perverti  qu*eft  le  fiecle  où  nous  vivons, 
je  vois  les  mêmes  exemples  en  tous  ceux 
qui  veulent  fe  rendre  fidèles  à  la  même 
loi  (  car  il  y  en  a  ;  ôc  pour  peu  qu'il 
y  en  ait  ,  c'eft  allez  pour  nous  faire 
connoitre  l'efprit  de  la  loi  qui  les  gou- 
verne )  :  quand  je  vois  dans  les  prélatures 
de  l'Eglife  ,  des  Fadeurs  vraiment  apof- 
toliques  i  dans  le  facerdoce  ,  de  dign^ 

L  iY 


248      Sur  la  sainteté 

ininiftres  du  Dieu  vivant  ;  dans  le  céWhzt, 
des  vierges  confacrées  à  U  pureté  ;  dans 
le  mariage  ,  des  pères  &  des  mères  pieux 
&  qui  inipirent  la  piéré  à  leurs  familles; 
dans  toutes  les  profelnons  des  âmes  ré- 
gulières ,  zélées  ,  chaiitables,  patientes, 
déiintérotlées  ,  ennemies  de  tout  défor- 
dre  ,  de  toute  injuflice  ,  difpofées  à  tout 
entreprendre  pour  l'honneur  de  Dieu ,  à 
tout  faire  pour  le  fer  vice  du  prochain  ,  à 
tout  fouffrir  oL  à  tout  pardonner  pour  le 
bien  de  la  paix  ;  tenant  en  toutes  chofes 
une  conduite  fage ,  droite,  équitable, 
parce  qu'elles  fe  conduifent  dans  toutes 
chofes  par  les  vues  de  la  foi  :  quand  jef 
vois  tant  de  florifTants  ordres ,  &  leur 
difcipiine  d'autant  plus  exade  &  plus 
févere  ,  leurs  obfervances  d'autant  plus 
rigoureufes  &  plus  faintes  ,  qu'elles  ap-' 
prochent  plus  de  la  fainteté  de  l'Evangile: 
quand,  dis-je,  j'ai  tout  cela  devant  les 
yeux,  n'ai  je  pas  droit  de  faire  le  même 
raifonnement  que  Tertullien,  6>c  d'en  tirer 
îa  même  conféquence  :  Dégénère  conve?' 
fationis  qualitas  fidei  cz(lunarL  potejl  :  doc- 
trince.  Judex  difciplina  ?  car  une  loi  toute 
fanftifiante  ne  doit-elle  pas  être  elle- 
nême  toute  fainte  ? 

11  faut  néanmoins  avouer  ,  Chré- 
tiens ,  que  cette  loi  d'une  perfeélion  fi 
fublime  dans  fa  morale  ,  efl:  en  même 
temps  d'une  créance  bien  difficile  dans 
fes  myderes.  Une  Trinité,  un  Homme- 
Dieu  ,  c^nt  autres  arùdes  de  notre  foi , 


IT  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CHR.    249 

ceft  OÙ  l'efprit  fe  perd,  &  ce  qui  de- 
mande  la   foumiffion  la    plus   aveugle. 
Mais  prenez  garde  à  la  belle  réflexion  de 
Guillaume  de  Paris  ,  qui  convient  admi- 
rablement à  mon  {'ujet.  Si  notre  raifon 
eft  droite,  dit  ce   grand  Evêque,  &  fi 
elle  cherche  véritablement  le  bien  ,  elle 
ne  laiiïe  pas   de    trouver  dans  tous  ces 
rnyfieres  un  avantage  ineftimable.  C'eft 
qu'autant  qu'ils  lont  relevés  au  -  deiTus 
d'elle,  autant  font-ils  capables  de  l'éle- 
ver à  Dieu  :  c'eft  qu'ils  ont  cela  de  pro- 
pre &  de  merveilleux,  qu'en  captivant 
nos  elpriis  fous  l'obéiiTance  de  la  foi,  ils 
perteciionnent  nos  cœurs  par  les  devoirs 
de  fainteté  qu'ils  nous  impoient  ;  c'efl 
que  s'ils  font  obfcurs  dans  leurs  prin- 
cipes ,  du  moins  dans  leurs  conféquences 
font-ils  remplis  des  plus  pures  lumières 
de  la  grâce.    En  effet ,  fi  je  crois  l'in- 
carnation divine  ,   quoique  je  ne  la  corn* 
prenne  pas ,    ne    m'eil  -  il    pas    enluite 
évident  que  le  falut  efl  donc  de  toutes 
les  affaires  la  plus  importante ,  puifque 
par  fon  importance  même  il  a  pu  faire 
descendre  du  ciel  un  Dieu  &  Fattirer  far 
la  terre;  que  je  ne  dois  donc  rien  épargner 
pour    ce  falut  ,    après  qu'un   Dieu  qui 
n'y  ctoit  pas  intéreiTé  comme  moi,  s'eil 
toutefois  fi  peu  épargné  lui-mérne  poui* 
me  l'aiTurer  ;   qu'il  n'eff  pas   jufte    qu^ 
ce  falut  ait  tant  coûté  à  un  Dieu  qui 
par  fon  infinie  miféricorde  a  bien  voulu 
s'en  charger,  &.  qu'il  ne  me  coûtât  rien  , 

JL  y 


250        Sur    la    SAïNTETi 

à  moi ,  que  ce  grand  ouvrage  regarde 
perfonneilement  ;   que  ie  meilleur ,   ÔC 
même  le  feul  m.odele  que  je  mie  puiffe 
propofer  en  y  travaillant ,  c'eft  ce  Sau- 
veur qui  m'en  a  enleigné  les  moyens  , 
6i  qui  n/"en  a  tracé  U  voie  ,  encore  plus 
par  fes  exemples  que  par  fes  paroles  ;. 
par  conféquent  que  je  dois  le  fuivre  en 
tout,  Timiter  en  tout,  exprimer  en  moi 
toutes  fes  vertus  :  qu'indépendamment 
de  mon  intérêt,  la  feule  reconnoilTance 
fuffiroit  pour  m'attacher  à  un  Dieu  qui 
m'a  aimé  jufqu'à  prendre  fur  lui  toutes 
mes  miferes  ,  &  que  par  la  feule  raifoii- 
de  lui  marquer  mon  amour ,  je  devrois- 
me  rendre  fidèle  à  fes  ordres ,  me  fou- 
mettre  à  toutes  fes  volontés,  accomplir 
îâ  loi  dans  toute  fon  étendue  ,  Se  dans 
toute  fa  perfe6^ion  ?  Remarquez- vous  y 
Chrétiens  ,  quelles  leçon>  nous  fait  uri. 
feul  myftere  ?  que   fera- ce  de  tous  les 
autres  pris  enfemble  ?  &  faint  Pierre  dans^ 
fa  féconde  épître  n'avoit-il  pas  bien  fujet 
de  dire  que  nos  myfteres  ne  font  point 
de  ces  fables  étudiées  &  inventées  par- 
des  efprits  profanes  ,  tels  qu'étoient  les. 
3.  ?etr.  myfieres  de  la  gentili  é  ,  Non  enim  doc* 
^'  ^*       tas  falul.is  fecuti  ;  mais  que  ce  font  des 
myfteres  pratiques  qui  nous  portent  à  la- 
fandlification  de  nos  rr;œurs  ,  à  la  fuite- 
du  péché  ,  à  TaccomplilTement  de  toutes 
îiiftice  ? 

Ainfi  concluons  avec  le  Prophète  :  Lexr 
J)ammi  imma£ulaia  i  la  loi  du  Seigneiir 


ET  LA  FORCE  DE  LA  LOî  CHR.   2f  I 

efl  pure  &  fans  tache.  C'eft  une  loi 
fainte  :  &  de  quelle  fainteté  ?  fuivez  ceci. 
D'une  fainteté  folide  ,  qui  attaque  le  vic2 
jufques  djns  fes  principes  les  plus  éloi- 
gnés,  &c  qui  établit  la  veitu  fur  des  fon- 
de.-nents  ftables  ^  inébranlables.  D'une 
fainteté  agilTante  ,  qui  ne  s'en  tient  ni 
aux  fentiments  ni  aux  paroles  ,  mais  qui 
demande  des  œuvres.  D'une  fainteté 
univerfelle,  qui  ne  laiffe  pas  échapper 
un  point  de  la  loi ,  parce  qu'il  ne  faut , 
félon  la  loi ,  que  la  tranfgrefiion  d'un 
feul  point ,  pour  nous  rendre  criminels 
&  dignes  d'une  éternelle  réprobation. 
D'une  fainteté  fage  ,  qui  n'exige  rien 
que  d'équitable,  que  de  raifonnable,  que 
de  pratiquable.  D'une  fainteté  coura- 
geufe,  que  les  difficultés  n'arrêtent  point, 
que  les  contradicVions  n'ébranlent  point, 
que  les  plus  grands  facrifices  n'étonnent 
point.  D'i^ne  fainteté  patiente,  qui  dans 
les  douleurs  les  plus  fenfibies  ,  dans  les 
injures  les  plus  piquantes,  dans  les  acci- 
dents les  plus  fâcheux,  dans  les  difgra- 
ces  &  les  adverfités  de  la  vie ,  fe  foutienc 
contre  les  murmures  des  fsns  ,  contre 
les  faillies  de  la  colère,  contre  les  em- 
portennents  de  la  vengeance  ,  contre 
raffli6lion  du  cœur  &  l'abatrement  de 
l'efprit.  D'une  fainteté  religieufe  envers 
Dieu  ,  foumife  à  Dieu  ,  zélée  pour  la 
gloire  de  Dieu  ;  douce  &  affable  à  l'égard 
du  prochain  ,  prévenante  &.  bienf^ifante  ^ 
t>?uiours  auenÛYe  fur  elle-même ,  ôc 


»52      Sur   la   saintets 

févere  pour  elle-même,  dégagée  de  toutes 
les  vLiesce  la  chair:   au-deilus  de  tout 
intérêt,  de  toute  fortune  ;  au-deilus  de 
toute    ambition    de    toute    réputation , 
de  toute  ccnfidérc  tion  humaine  ;   indé- 
pendante des  caprices  &  deshum.eurs, 
des  aridiés  &l  des  féchereiles .,  des  ennuis 
&  des  dégoûts,  fixe  &  immobile  dans 
le  devoir  ,    parce  que  c'eft  le  devoir, 
ôcinvi^riablement  adonnée  au  bien,  parce 
que  c'eft  le  bien  ,  &  qu'on  le  doit  en 
tout  chercher.    Telle  eft  ,  dis-je,  mes 
Frères ,  la  iainteté  du  chriilianirme  ,  où 
par  la  grâce  du  Seigneur  nous  fommes 
nés  ,  où  nous  avons  éié   élevés.  Tels 
en  font  les  car?.6^ere5  ;  &  fi  cette  pein- 
ture vous   éblouit,  croyez  néanmoins; 
car  il  eft  vrai,  que  bisn  loin  d'y  ajouter 
un  feul  trait ,  il  y  en  a  mille  que  je  fuis 
obligé  de  fupprimer  ^  pour  ne  pas  lalîer 
votre  attention. 

Or  j'avoue ,  Chrétiens ,  que  de  tous 
les  m.oîifs  qui  nous  font  reconnoître  la 
vérité  de  notre  religion  ,   il  n'y   en  a 
point  qui  me  touche  plus  que  celui-ci. 
S.  Auguftin  dfoit  que   plufieurs  chofes 
le    retenoient   dans    TEglife   de  Dieu  : 
du^uji.  Multa   me  in  Ecclefiâ  juftij/imè  ret'ment^ 
Le  confentement  des  nations  à  recevoir 
la  foi  y   l'autorité  des  miracles  ,   l'anti- 
quité de   la  tradition  ,   cette  fuccefiioiî 
d'Evêques  depuis  S.  Pierri,  le  nom  de 
Catholique   qu*a  toujours  porté  l'Eglife 
jarmi  tant  de  (çhifineâ  éc.  d'hàékes,^ 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CHR.    2fJ 

tout  cela  le  fortlnoit  puiiTamment  dan^ 
la  créance  qu'il  avoit  embraiïee  ;  6c  ce 
n'éîoit  pas  certes  un  eTprit  frivole  ,  qui  fe 
laiiTât  prendre  à  de  légères  apparences^ 
&  qui  le  rendit  fans  avoir  tait  aupara- 
vant un  férieux  examen.   Mais  )'d]oute 
que  la  fainteté  de  la  loi  de  Jefus-Chriil:  a 
encore    quelque  chofe    de   plus   parti- 
culier qui  me  gagne  le  cœur.  Car  je  dis 
aveci'ÀbbéRuppert  :  Puifqu'il  faut  pro- 
ieller  une  religion,  en  puis-je  choifir  une 
plus  fûre  que  celle  que  je  trouve  U  bien 
établie  fur  le  fondement  des  vertus  ,  fi 
faintement  ordonnée  par  l'exercice  des- 
bonnes œuvres ,  Il  parfaitement  dégagée 
de  toutes  les  impuretés  du  vice  ?  Une  loi 
comme  celle-là  eil  fans  doute  l'ouvrage 
de  Dieu  ,  U  le  démon  ne  peut  rien  fug- 
gérer   de   femblabîe.    Car  il  a  beau  fe 
déguifer,   remarque  Caffien  danslatroi- 
fieme  de  fes  Conférences  ;  cet  efprit  de 
ténèbres  contrefait   bien  q  elquefois  la 
puiilance  &L  la  force  de  Dieu  par  des 
miracles  apparents,  la  fageffe  de  Dieu 
par  de  faufies  révélations ,  la  juftice  de 
Dieu  par  les   maux  qu'il  a  caufés  dans 
le  monde,  &  par  les  effets  de  fa  mali- 
gnité ;  mais  il  ne  peu.'  contrefaire  la  fain- 
teté &    la  pureté  des   mœurs ,    ou  du 
moins  il  ne  le  peut  conft  mment.  Voilà. 
le  trsit  ininiitable  pour  lu;  dans  la  loi  de 
Jefus-  Chrid  ;  voilà  par  où  elle  a  toujour.& 
été  reconnue. 

Ç'eit  Yous-Kicrae  ^  ô  mon  Dieu  1.  quî. 


2^4      Sur   la   sainteté 

nous  l'avez  donnée  ,  c'eft  votre  fils  un^ 
que  qui  nous  l'a  enfeignée  ,  &  c'eft  avec 
une  obéiiTance  fidelle  que  nous  nous 
foumettons  à  ce  divin  légilîateur  ,  puif^ 
que  vous  l'autorifez.  11  nous  propofe 
une  loi  fi  pure  &  fi  exempte  de  repro- 
che ,  que  nous  ne  pouvons  la  rejeter. 
Toute  parfaite  qu'elle  eft,  nous  aurions- 
tort  de  nous  en  plaindre  :  car  elle  ne  le 
peut  être  aflez  pour  honorer  un  Dieu 
auiîî  grand  que  vous  ,  aufïi  faint  que 
vous ,  auili  parfait  qae  vous.  Ce  qui 
BOUS  confond.  Seigneur,  c'eft  que  re- 
connoiffant  tant  de  f^inteté  dans  cette- 
loi,  nous  en  voyons  fi  peu  dans  nous- 
mêmes  :  de  quoi  nous  rougilTons  ,  c'eft 
d'y  être  fournis  félon  l'efprit,  &  de  la 
profeder  fi  mal  dans  la  pratique  ;  c'eft 
de  n'ofer  prefque  nous  dire  Tes  fe61ateurs 
&  fes  difciples  ,  de  peur  d'en  être  dé- 
irentis  par  nos  attions.  Ses  maximes 
nous  paroilTent  terribles  ,  parce  qu'elles 
condamnent  toute  notre  vie;  &  en  effet 
nous  n'ignorons  pas  que  c'eft  félon  cette 
loi  que  nous  ferons  jugés ,  qu'il  ne  nous 
eft  plus  poilible  déformais  de  la  récufer , 
&  qu'il  ne  fera  jamais  vrai  de  dire  de 
nous  ce  que  S.  Paul  difoit  des  infidèles: 
Rom.  Q_uicumque  enim  fine  lege  pecaverunt  , 
fine  lege  per'ibunt.  Ce  n'eft  plus  ,  comme 
eux ,  fans  loi  que  nous  péchons  ;  nous 
en  avons  une  ,  &  te  même  Sauveur  qui- 
nous  l'a  apportée  du  citl  dans  la  pié- 
Ritude  des  temps ,  6c  qui  pour  cela  efi- 


#,;j. 


ITLAFORCE  DELaLoICHÎI.     2ff 

venu  parmi  nous  &  s'eft  abaiffé  juiqu'às 
nous,  reviendra  à  la  fin  des  fiecles  dans 
tout  l'appareil  de  la  juftice  Si  dans  tout 
l'éclat  de  fa  majefté  pour  nous  en  denrian- 
der  compte.  Voilà,  mon  Dieu^  ce  qui 
nous  rend  cette  loi  d'autant  plus  redou* 
table ,  qu'elle  eft  plus  fainte.  Mais  quel- 
que ^redoutable  qu'elle  foit  pour  nous  ^ 
nous  ne  laiiTons  pas  de  conclure  qu'elle 
eft  digne  de  vous ,  &  nous  le  con- 
cluons par  la  raifon  même  qui  nous  la 
fait  craindre.  Car  étant  pleins  d'iniquité 
comme  nous  le  fommes  ,  il  faut ,  pour 
être  fainte  ,  qu'elle  nous  foit  dire6le- 
ment  oppofée;  &  dès  qu'elle  s'accom- 
moderoit  avec  nous  ,  ce  ne  feroit  plus 
qu'une  loi  de  défordre  &  de  corruption» 
Si  là-de(ru&  nous  fommes  trompés  ,  a 
mon  Dieu  î  permettez-moi  de  vous  le 
dire  après  un  de  vos  plus  zélés  ferviteurs, 
ce  feroit  vous  qui  nous  auriez  jetés  dans- 
Terreur  ;  vous  feriez  refponfable  de 
nos  égarements  ,  &  c'eft  à  vous  que. 
nous  aurions  droit  de  nous  en  prendre  i». 
parce  que  dès-là  qu'une  religion  eft  toute 
fainte  ,  e'ie  porte  le  caraûere  de  votre 
divinité.  Oui ,  je  le  dis ,  mon  Dieu ,  quand 
ma  créance  ne  feroit  pas  auffi  conftam- 
ment  vraie  qu'elle  l'eft  ,  j'aurois  tou- 
jours de  quoi  me  confoler  fur  ce  qu'elle 
eft  fainte ,  &  je  me  flatierois  toujours^ 
d'avoir  pris  le  parti  de  la  vérité  en  pre-- 
lianî  celui  de  la  fainteté.  Je  me  repofe- 
ïois  toujours  fiu:  ce  que  votre-providence,. 


2^6      Sur   la   sainteté 

à  qui  il  appartient  de  me  conduire  ,   nù 
m'auroit  rien  faic  paroître  de  meilleur  ; 
&  fur  ce  que  toutes   les    autres  voies 
conduifant  au  libertinage,  celle  là  feule 
que  j'ai  fuivie  ,    me  reiiendroit  dans  le 
devoir  &L  me   porteroit  à  la  pratique  de 
toutes  les  vertus.  Non-feulement  je  ne 
craindrois  pas  que  votre  juftice  me  punît 
pour   avoir   embrafTé  une    proteifion   Ct 
fainte,  mais  j'efpérerois  que  s'il  y  a  des 
récompenfes  à  attendre  ,  elles  feroienr 
pour  moi  ,  parce  qu'il  n'y  a  que  l'inno" 
cence  du  cœur  &  l'exercice  de  la  vertu 
qui  puiiTent  nous  approcher  de  vous ,  Ô£ 
qui    doivent    être   couronnés   de  votre 
gloire.    Or  je  les   trouve    parfaitement 
dans  la  re  tgion  de  mon  Sauveur.   Goû- 
tons, Chrétiens  ,  cet  avantage,  &  en- 
trons  dans  le  fentiment  de   S.  Pierre  : 
Matth,  Etïamfi  oportuerlt   me  mori  ,    non  te  /ze- 
i^.  2C»    gabo.   Non  ,  Seigneur  ,  fallût-il  endurer 
la  mort ,  je  n'abandonnerai  jamais  votre 
loi.   Car  c'efl:  là,  6c  nulle  part  ailleurs, 
qu'eit  mon  repos  ,  ma  perfection ,   ma 
félicité.    Hors   de    là ,    mon    efprit    fe- 
roit  toujours  flottant ,  ma  vie   toujours 
déréglée  ;  je  n'aurois  point  de  fin  qui 
terminât  mes   efpérances  ,    ni    rien   de 
follde  pour  arrêter  mes  defirs.  C'eft  donc 
à  la  fainte  loi  de    Jefas-Chrifc  que  je 
dois  &  que  je  veux  inviolablement  m'at- 
tacher.  J'y  reconnois  l'œuvre  de  Dieu 
non-feulen:ent  par  fa  fjinteté  :  Lex  Do*- 
mini  mmumUia  ;    mais    par    la   forcç 


ET  LA  FORCE  DE  LA  LOI  CHR.    2^f 

furnaturelle  &  toute  divine  ,  qu'elle  a 
fait  voir  dans  Ion  établiiïement  &  dans 
la  converfion  du  monde,  Convertens  ani- 
mas. Nouvelle  attention ,  s'il  vous  plaît, 
à  cette  féconde  partie. 

LE  plus  fage  des  hommes ,  Salomon  ,  îï- 
eftima  autrefois  que  trois  chofes  ParI'^ 
dans  le  monde  étoient  d'une  recherche 
très-difficile  ;  mais  qu'il  y  en  uvoit  une  qua- 
trième abfolurr.ent  im.pénétrable  à  l'efprit 
humain  ,  favoir  la  route  d'un  vaitieau 
voguant  fur  la  mer  ;  Tria  funt  d'ifficïlïa  ProvM 
mihi,  &  quartum  penitùs  igrwro  ,  viani  ^"  ^o»- 
navis  in  mari.  Vous  ferez  étonnés  , 
Chrétiens ,  de  l'interprétation  que  donne 
faint  Ambroife  à  ce  paildge  :  mais  ali- 
tant qu'elle  lui  eft  parci<:uliere ,  autant 
eft-elle  ingénieufe  &  folide.  Ce  vaiffeau, 
dit-il,  c'eft  l'Egiife,  dont  la  barque  de 
faint  Pierre  a  été  la  figure  ;  &.  la  route 
de  ce  vaiffeau  voguant  fur  la  mer  ,  c'eft 
le  chemin  qu'a  tenu  l'Eglife  pour  s'éta- 
blir au  milieu  des  orages  Se  des  perfé- 
cutions.  En  effet ,  ajoute  ce  faint  Doc- 
teur ,  je  ne  vois  rien  qui  me  furprenne 
davantage  ;  &  quand  je  confidere  toutes 
les  circonffances ,  tous  les  principes ,  tous 
les  moyens  ,  tous  les  obftacles,  tous  los 
fuccès  de  cet  établiffement,  je  découvre 
d'une  manière  fi  fenfible  la  force  &  la 
vertu  de  Dieu,  que  je  ne  puis  m'empéclier 
delà  publier  &l  de  m'écrier  :  Et  quartum 
finitus  ignoro  y.  vuini  navis  iîi  marir 


25S      Sur  la    sainteté 

Tous  les  Pères  ont  été  éloquents  fur 
ce  point  ,  &  ils  ont  employé  leurs  plus 
belles  lumières  pour  nous  en  donner 
quelques  idées  ;  mais  du  reûe  ils  ont  re- 
connu que  cette  matière  étoit  au-deffus 
d'eux.  Ne  lailTons  pas  néanmoins  de  re- 
cueillir quelques-uns  de  leurs  raifonne- 
ments  ;  &  pour  entrer  d*abord  dans  un 
fi  grand  fujet ,  de  quoi  s'agiffoit-iî  ,  mes 
chers  Auditeurs  ,  quand  Jefus-Chrift  à 
l'âge  de  trente  ans ,  après  une  vie  obf- 
cure  ôc  cachée ,  voulut  enfin  fe  manitef- 
ter  au  monde  ,  &  7  vint  prêcner  une  lot 
toute  nouvelle?  Que  prétendoit-il  ?  la 
chofe  étonnante  Illnes'agiffoit  pas  moins 
que  de  faire  un  monde  tout  nouveau  ; 
que  d^abolir  des  luperfiitions  plus  ancien- 
nes que  la  mémoire  des  homm.es  ,  à  qui 
les  peuples  tenoient  tout  leur  bonheur 
attaché,  qu'ils  confervoient  comme  l'hé- 
ritage de  leurs  pères,  pour  lefquelles  ils 
combattoient  avec  plus  d'ardeur  que 
pour  leur  propre  vie  ,  dont  ils  failbient 
les  fondements  de  leurs  Républiques  Ô£ 
de  leurs  Etats.  Il  falloit  les  fc;ire  renon- 
cer à  des  erreurs  que  l'ufage  prefque  de 
tous  les  fiecles  avoient  autorifées ,  qui 
fe  trouvoient  appuyées  de  l'exemple  de 
toutes  les  nations,  qui  favorifoient  tous 
les  intérêts  de  la  nature  ,  &  dont  la 
polTeiTion  ne  pouvoit  être  troublée  fans 
troubler  prefque  l'univers.  Voilà  ce  qu'il 
falloir  ruiner.  Mais  qu'étoit-il  queftion 
cf établir  l  une  ÏQÏ  a^ilerç  &  incomiiiode;. 


ÏT  LA  FORCE  UE  LA  LOl  CriR.    IÇg 

«ne  foi  aveugle  ,  une  religion  contraire  3 
toutes  les  inclinations  de  la  chair.  Quelle 
entreprife  ,  &  que  falloit-il  pour  en  venir 
à  bout?  il  falloit  s'expofer  à  avoir  toutes 
les  puiffances  de  la  terre  pour  ennemies  ^ 
la  fageffe  des  politiques ,  l'autorité  des 
Souverains  ,  la  cruauté  des  tyrans  ,  le 
zeie  des  idolâtres,  l'impiété  des  athées. 

Si  donc ,  demande  là-deilus  S.  Auguf^ 
tin,  Jefus-Chrift  avant  que  de  faire  I3 
première  démarche  ,  &  d'en  venir  à  l^'exé- 
eution  de  cette  grande  affaire  ,  en  eût 
communiqué  avec  un  des  phiiofophes  de 
ce  temps-là,  homme  de  fens  &  de  con- 
fcil ,  &  qu'il  fe  fût  ouvert  à  lui  de  cette 
forte  :  Je  veux  ,  malgré  toutes  ces  con- 
îradi61ions  ,  introduire  madoârine  dans  . 
le  monde,  je  veux  qu'elle  y  foit  reçue ^ 
qu'elîeyfleuriiTe,  qu'elle  y  règne,  qu'elle 
fe  répande  par-tout  ;  &L  parce  que  Rome 
cfl  la  maîtrelle  de  l'univers  ,  c'eft  là  par- 
ticulièrement que  je  me  fuis  propofé  de 
rétablir  ;  c'eft  cette  fameufe  ÔL  fuperbe 
ville  que  je  choifis  dès-à-préfent  pour  ea 
faire  le  centre  de  ma  religion ,  &  du  fiege 
qu'elle  eft  de  TEmpire,  le  fiege  principal 
de  mon  Eglife.  Toutes  fortes  de  divinités 
y  habitent  comme  dans  leur  domicile 
&  dans  leur  temple,  je  prétends  les 
en  chaffer  &  y  dominer  feul  :  qu'eût 
répondu  à  ce  langage ,  &  qu'eût  penfé 
de  ce  projet  un  fage  du  fiecle  ?  Mais  d 
le  même  Jefus-Chriflli^eût  ajouté,  c[ua 


ù.6o      Sur   là   sainteté 

pour  accomplir  tout  cela,  il  ne  vouloiî 
ufer  d'aucun  des  moyens  que  la  prudence" 
humaine  a  coutume  de  fournir  pour  ces 
grands  6c  importants  defieins  ;   qu'il  ne 
faifoit    aucun   fonds  ,  ni  fur  le  crédit , 
ni  fur  les  richefies  ,  ni  fur  la  doârine , 
ni  fur  l'éloquence  ;    &  que  pour  tout 
fecours ,  il  deftinoit  à  la  publication  de  fa 
loi  douze  pauvres  pêcheurs ,  fans  lettres , 
fans  fcience,  fans  appui:   encore  und 
fois  ,  dit  faint  Auguflin  ,  ce  Philofophe 
n'eût-il  pas  traité  cette  entreprife  de  chi- 
mère Sl  de  folie  ?  Voilà  cependant  ce 
qui  s'eft  fait ,  Chrétiens  ,  &  c'eil  la  mer- 
veille que  nous  voyons.  C'eft  ce  qu'ont 
admiré  tous  les  grands  hommes  du  monde, 
lorfqu'ils  fe  font  appliqués  à  le  confidére? 
bien  attentivement  Si  fans  préoccupation, 
C'efl    ce    qui    faifoit   dire   à  Pic  de   la 
Mirande    que   c'étoit    une  infigne  folie 
Pic    de  ne  pas  croire  à  l'Evangile  :   Magna 
Mlrand.ïnfania  eji  Evangclio  non  credcre  :  6c  c'efl 
encore  par  la  même  railbn  que  S.  Auguf- 
tin  avec  une  fubtiiité  admirable  réfutoic 
certains  hérétiques  qui  doutoient  de  la 
réfurre6lion  des  morts.  Le  fils  de  Dieu  ^ 
leur  difoit-il  ,    a    prédit  que   les  corps 
dévoient  reffufciter  ;    cela  vous  paroîc 
incroyable  :   mais   en  même  temps  il  a 
prédit  une  autre  chofe  qui  femble  encore 
moins  croyable  ,  qui  ell  que  ce  myflere 
incroyable  de  la  réf'urre^tion  feroit  cru 
par  tout  Iç  monde.  De  ces  deux  chgfe? 


ET  LA  FORCE  DE  LA  LOï  CHR.  iGt 
ïîscroyables  félonies  apparences,  celle 
qui  devoit  être  la  moins  crue ,  eft  déjà 
arrivée  ;  car  on  croit  par  toute  la  terre 
que  les  hommes  reffulciteront  un  jour  : 
pourquoi  donc ,  concluoit-il ,  ne  croiriez- 
vous  pas  Tautre  que  vous  jugez  être 
moins  incroyable  que  celle-là,  favoir, 
la  réfurre6lion  même  ? 

Il  n'y  a  que  la  loi  de  JefusChrift  qui 
fe  foit  établie  ,  par  des  principes  où  toute 
la  raifon  de  l'homme  fe  perd ,  &  oîi  il 
faut  néceffairement  avoir  recours  à  une 
vertu  fupéri.eure.  C'eft  elle  feule  ,  dit 
faint  Jérôme ,  qui  s'eft  maintenue  dans 
les  perfécutions  :  Sol.i  in  perficutionibus  Hicronl 
petit  Ecclsjïa  ;  elle  feule  pour  qui  le  fang 
de  fes  fe6tateurs  a  été  ,  félon  le  mot 
de  Tertullien  ,  comme  une  femence  fé- 
conde :  Sanguis  martyrum  femen  Chrijlia-  TertuîU 
norum.  Dieu  nous  avoit  lui  mêm.e  repré- 
fenté  ce  miracle  de  la  propagation  du 
çhriftianifme,  dans  les  Hébreux  efclaves , 
dont  l'Ecriture  a  marqué  que  plus  les 
Egyptiens  s'efforçoient  de  les  opprimer 
afin  d'éteindre  leur  race  ,  &  plus  ils  croif- 
foient  en  force  &  en  nombre  ,  fans  faire 
autre  chofeque  de  fouffrir  :  Quanta  oppri-  Exod» 
mebant  eos  ,  tanto  ma§is  multiplicabantur  ^«  ^» 
&  crefcebant.  Quel  fouvenir ,  Chrétiens  , 
je  me  rappelle,  &  quelle *fcene  ,  pour 
ainfi  parler ,  s'ouvre  devant  mes  yeux  ! 
Je  vois  tout  l'univers  conjuré  contre 
Jefus-Ckrifl  6c  contre  fa  loi  ,  l'enfer  lui 


£^2      Sur   la  sainteté 

fufcite  de  toutes  parts  des  ennemis  pour 
ia  détruire,  les  Empereurs  donnent  des 
ëdits,les  magiftrats  prononcent  des  arrêts, 
les  bourreaux  drelTent  des  échafauds  ÔC 
des  bûchers  ;  &  que  fera,  pour  rélifter 
à  de  Cl  violents  efforts ,  &  pourfoutenir 
de  fi  affreufes  tempêtes ,  une  petite  troupe 
de  gens  livrés  comme  des  viftimes  au 
pouvoir  de   leurs   perfécuteurs  ?    Ah  î 
Seigneur,  s'ils  ne  peuvent  rien  faire  par 
eux-mêmes ,  vous  ferez  tout  pour  eux  ; 
&  c'efl  là  que  vous  emploierez  cette  force 
divine  qui  ne  paroit   jamais  avec  plus 
d'éclat  que  dans  notre  intirm;té.  Si  votre 
îoi  étoit  moins  violemment  attaquée,  ou 
û  elle  avoitde  plus  puiiTants  défenfeurs , 
il  y  auroit  moins  lieu  de  croire  que  vous 
en  avez  été  le  foutien  ,   &  de  conclure 
que  vous  en  êtes  l'auteur.    11  faut  que 
tous  les  grands  de  la  terre  confpirent 
contre  elle  ;  il  faut  que  ceux  qui  la  dé- 
fendent ,   bien-loin  de  prendre  le  glaive 
pour  frapper  ,  n'aient  pas  mêm.e ,  feloiî 
Tordre  que  vous  avez  porté  ,  un  bâton 
à  la  main  ;  il  faut  enfin  que  deftituée  de 
toute  affiftance  de  la  part  des  hommes, 
sbandonnée  en  quelque  forte  à  elle-même 
&   à  toute  fa    foibleffe  ,   elle  triomphe 
néanmoins  ,  Si  qu'elle  fafle  tout  plier  fous 
fon  obéiffance  :  il  le  faut  ,  afin  que  tous 
les  peuples  connoifTent  que  c'eft  votre 
ioi,  &  qu'ils  l'embraflent.  Or  qui  peut  en 
effet  ne  le  pas  reconnoître  à  ce  prodigieux 


-ET  tAFORCE  DE  LaLoI  CHR.    l6^ 

événement  ?  Tout  fe  déchaîne  contre  les 
prédicateurs  de  la  foi  &  contre  leurs  dif- 
cjples  ;  on  les  lie  ,  on  les  charge  de  chaî- 
nes ,  on  les  enferme  dans  des  cachots , 
on  les  attache  à  des  croix ,  on  les  étend 
fur  des  roues  ,  on  les  fait  périr  par  la 
faim  &  par  la  foif ,  par  le  fer  &  par  le 
feu  ,  par  tous  les  tourments  ;  &  toutefois 
la  loi  qu'ils  profeffent  fubfifte  ,  fe  ré- 
pand ,  fait  tous  les  jours  de  nouvelles 
conquêtes  ,  paffe  jufqu'aux  extrémités 
du  monde,  entraîne  tout,  foumettout, 
fe  fait  recevoir  &  refpeéfer  par-tout  : 
Quantb  opprimebant  eos  ,  tantb  magis 
multiplicabantur  &  crefcebant.  Que  dis- 
je  ?  de  fes  ennemis  même  elle  fait  fes 
propres  fujets  :  ceux  qui  la  pourfuivoient 
avec  plus  d'ardeur  pour  l'anéantir ,  de- 
viennent les  plus  zélés  à  maintenir  fes 
intérêts  ,  à  fe  déclarer  pour  elle  ,  &  à  lui 
obéir:  elle  gagne  jufqu'aux  bourreaux, 
jufqu'aux  tyrans  ,  jufqu'aux  têtes  cou- 
ronnées :  Tantb  magis  multiplicabantur 
&  crefcebant. 

De  quoi  parlons -nous  ,  mes  chers 
Auditeurs  ?  Éfl-ce  des  fuccès  de  l'Eglife 
naiffante  ,  lorfqu'elle  étoit  encore  dans 
f^  force  &  dans  toute  la  vigueur  de  fon 
premier  efprit  ?  Faut-il  remonter  fi  haut, 
&  ne  fommes-nous  pas  encore  aujour- 
d'hui témoins  de  ce  miracle  ?  Tous  les 
autres  ont  ceflé  ,  parce  que  la  foi,  dit 
S,  Grégoire,  a  pris  d'aflez  fortes  racines  ;► 


sl64      Sur  la   sainteté 

pour  n'avoir  plus  befoin  de  ces  fecoufs 
extraordinaires  ;  mais  la  Providence  a 
voulu  conferver  le  miracle  de  la  propa- 
gation de  l'Evangile  ,  parce  qu'il  devoit 
€tre  le  caradere  de  la  vraie  religion. 
î^ous  le  voyons;  &  comme  S.  Jérôme 
fe  conjouiflbit  autrefois  avec  une  Dame 
B-omaine  de  ce  que  le  Serapis  d'Egypte 
étoit  devenu  Chrétien  ,  de  ce  que  les 
froids  de  la  Scythie  brûloient  des  ar- 
deurs de  la  foi  ,  de  ce  que  les  Kuns 
avoient  appris  à  chanter  les  louanges  de 
^icron.  Dieu  :  Hunni  pjalterium  canere  norunt  ; 
ainfi  pour  peu  que  l'efprit  de  notre  re- 
ligion nous  anime  ,  &  que  nous  y  pre- 
nions autant  d'intérêt  que  le  devoir  & 
le  zèle  nous  y  engagent,  nous  pouvons 
bénir  le  Ciel  de  ce  que  dans  ces  derniers 
temps  l'Eglile  a  fait  peut-être  de  plus 
grands  progrès ,  qi\elle  n'en  ht  jamais 
depuis  fa  fondation  ;  de  ce  qu'elle  s'eft 
rendue  maîtreiTe  de  tout  un  nouveau 
monde  ;  de  ce  que  les  barbares  du  fep- 
tentrion  quittant  leurs  (uperftitions  bru- 
tales ,  ont  reçu  fa  fainte  police  ;  de  ce 
que  les  peuples  les  mieux  civilifés  de 
l'orient  &  les  plus  attachés  à  leurs  loix , 
s'offrent  tous  les  jours  en  foule  pour  fe 
foumettre  aux  fiennes  ;  de  ce  que  les 
idolâtres  font  venus  des  régions  les  plus 
éloignées  ,  reconnoître  jufques  dans 
Rome  fa  monarchie  univerfelle  ;  de  ce 
i^^ue  le  plus  grand  einpire  de  l'univers , 

contre 


ET.Lk  :FORCE  D.E  LA  Loî  CHR.  2^^ 
centre  Tes  maximes  tbndamentales ,  lui 
a  enfin  ouvert  Tes  portes  ;  de  ce  que  fans 
cefie  on  y  voit  naître  des  églifes  florif- 
ûntes  en  vertus  &  en  mérites. 

Et  comment  tout  cela  le  iait-il  ?  Ceft 
ie  prodige  ,  Chrétiens  ,  que  l'on  vous  a 
c-ent  lois  repréfenté,  que  vous  avez  cent 
fois  ackrilré  ,   &  dont  la  fagelTe  hut»aine 
doit  nécefTairement  convenir  ,   par  les 
moyens  en  apparence  les  plus  foibles^ 
par  des  moyens  qui  non-feulement  fem- 
bient  n  avoir  nulle  proportion  avec  les 
iuccès  que  nous  adm.irons  ,  mais  qui  y 
paroillent  tout  oppofés  ;  par  les  mêmes 
moyens  que  Jefus-Chrift  a  employés, 
&  qu'il  nous  a  laiffés  en  héritage  ;  je  veux 
dire ,  par  les  croix  ,  les  fouffrances ,  les  . 
afrronts,  les  emprifonnements ,  la  mort, 
par  tout  ce  qu^ont  enduré  &  ce  qu'endu- 
rent actuellement  tant  d'kommes  apoA 
tohques.  Av^c  de  telles  armes  ils  ont 
furmonté  toute  la  réfiflance  de  l'enfer , 
ils  ont  triomphé  de  l'idolâtrie  ,  détruit  les 
temples  des  faux  dieux ,  dompté  l'orgueil 
des  nations,  converti  des  millions  d'in- 
fidèles :  ou  plutôt   eft-ce  à   eux  qu'on 
doit  attribuer  de  pareils  changem.ents  ? 
n'eft-ce  pas  à  la  loi  même  qu'ils  annon- 
cent ?  &  d'où  lui  peut  venir" cette  force 
que  de  Dieu  ?  ' 

Ceil:  fur  cela  que  le  Prophète  éclairé 
den  haut  &  infpiré  de  Dieu  ,  s'adref- 
foit  à  l'Eglife  fous  le  nom  de  Jérufa- 
lem  ,  &  qu'il  la  félicitoit  en  des  termes 


iGS      Sur  la  sainteté 

IfaU  fi  magnifiques  :  Sur^e  illuminare ,  Jerufa^ 

f.  <}0'  km  ,  quia  glorlz  Dominifuper  te  orta  ejl ^ 
levez-vous  ,  &  montrez-vous  à  toute  la 
terre  ,  heureufe  Jérufalem  ,  car  le  Sei- 
gneur vous  a  couronnée  de  la  gloire, 
&  revêtue  de  fa  force  toute-puiffante. 

Ihid.  Leva  in  circuitu  oculos  tuos ,  &  vide  : 
jetez  les  yeux  autour  de  vous  ,  &  voyez 
^tous  les  peuples  affemblés  auprès  de  vous 
&  humiliés  devant  vous  ;  ils  font  venus 
de  toutes  les  parties  du  monde  pour 
fe  foumettre  à  votre  empire  :  en  voilà 
de  l'orient ,  &i  en  voilà  de  l'occident  ; 
en  voilà  du  feptentrion ,  &.  en  voilà  du 
midi  :  il  n'y  a  point  de  région  fi  éloi- 
gnée ,  point  de  contrée  qui  ne  recon- 

Ihid.  noiile  votre  fuprêm.e  domination  :  Cmnes 
ifli  cor.gregati  funt  ,  venerunt  tibi.  Ah  l 
glorieufe  m.ere ,  ce  ne  font  point  feule- 
ment des  fujets  qui  viennent  vous  rendre 
hcm.mage  ,  ce  font  vos  enfants  ,  ce 
font  les" fruits  de  votre  fécondité  mira- 
culeufe  ;  ouvrez  votre  fein  pour  les  rece- 
la :'^.  voir  :  Filii  tui  de  lon^è  renient ,  &  filiûS 
tua  de  latcre /urgent.  Quelle  multitude  l 
quelle  affluence  1  que  de  triomphes  & 
que  de  conquêtes  1  que  de  conlolations 
pour  votre  cœur  1  JouifTez  de  vos  fuccès  , 
Se  glorifiez  le  fouverain  m.aître  dont  la 
grâce  viclorieufe  s'eft  fait  fentir  au-delà 
des  mers ,  &  a  opéré  en  votre  faveur 
Jb'id.  toutes  ces  merveilles  :  Tune  videbis  &  af- 
flues ,  &  mirabitur  &  dilafùbitur  cor  tuum  , 
duandb    converfa  fucrit  ad  te    multitudof- 


ET  LA  FORCE  DZ  LA  Lci  CKR.    267 
maris  ^   fonhudo  gentium  venerit  tibi. 

Je  le  répète,  mes  chers   Auditeurs, 
il  n'y  a  que  la  religion  de  Jefus-Chrift 
qui  porte  avec  loi  ce  caraiSiere  de  vérité. 
Car  qui  ne  fait  pas  comment  les  héréfies 
fe  font  répandues  dans  le  monde  ,  que 
c'a  prefque   toujours  été  par  violence, 
par  le  fer  &  par  le  feu  ,  fecouant  le  jos^ 
d'une   obéiiînnce  légitime ,    &   portant 
de  toutes  parts  la  défolation  ?  Qui  né 
fait   pas  comment   fe    font  établies  \qs 
religions  païennes  ,  que  ça  été  par  la 
licence  des  mœurs  qu'elles  Vomentoient, 
accordant  tout  à  la  nature  corrompue, 
6c  confacrant  jufques  aux  plus  honteux 
defordres  ?  En  voulez-vous  la  preuve  > 
obferyez  ceci  :  c'eft  que  Jes  fedes  cle 
philofophes    qui   s'élevèrent  contre  les 
yices^  &  qui  fe  propoferent  de  les  cor- 
riger ,   échouèrent  toutes  dans  un  fem- 
blable  deffein  :  elles  ont  fait  un  peu  de 
brui; ,^&  rien  déplus  :  pourquoi  t  parce 
que   d'un  côté  ces  fages  du  fiecle  ne 
s'accommodoient  pas  aux  inclinations  vi- 
cieufes  &  naturelles  des  hommes,  &  que 
de  laurre  ils  n'avoient  rien  au-delîus  de 
Thomme.  C'eft  pour  cela ,  dit  le  Cardi- 
nal Pierre  Damien  ,  que  toute  leur  furH- 
ûnce  s'eft  évanouie  en  préfcnce  de  Jefus- 
Chrift  ,  dont  la  fagelTe  a  été  comme  la 
verge  d'Aaron  ,    qui   a    dévoré  toutes 
celles    des    magiciens    d'Egyote.    Ces 
grands  génies ,  ajoute  S.  Auguftin  ,  qui 
iwïQïii  les  maîtres  de  la  philofophie ,  (i-tôc 

Mij 


268      Sur  la    sainteté 

qu'ils  fe  font  approchés  de  Jefus-ChrîCl  ; 
ont  cliiparu.  Ariiiote  a  dit  ceci ,  Pyiha- 
goras  a  dit  cela ,  Zenon  a  été  de  ce  lenti- 
ment  :  mais  mettons-les  en  parallèle  avec 
l'Komme-Dieu  ,  comparez  leur  autorité 
^vec  celle  de  l'Evangile,  &  cette  com- 
paraifon  les  efFacera  tous.  Tandis  que 
vous  les  confidérez  feuls ,  ce  qu'ils  difent 
vous  paroît  quelque,  chofe  :  mais  lors- 
que vous  leur  oppoferez  la  dodtrine  évan- 
gélique  ,  vous  ne  trouverez  plus  que 
vanité  dans  leur  morale.  Auiîi ,  difoit  S. 
Jérôme  ,  qui  e^-ce  qui  lit  aujourd'hui 
les  livres  de  ces  philoi'ophes  ?  A  peine 
voyons-nous  les  plus  oinfs  s'y  arrêter  ; 
au  lieu  que  la  dci^rine  de  Jefus-Chrifl 
eft  préchée  par  tout  le  monde  ,  &  que 
tout  le  monde  parle  de  la  loi  que  de 
flîeron.  pauvres  pêcheurs  ont  publiée  :  Rufti^ 
canos  verà  pïfcatores  miferos  totus  orbis 
loquhur  ^  univerfus  mundiis  fonat. 

Quelle  conclufion  ,  Chrétiens  !  car  il 
eft  temps  de  finir  ;  &  mon  fujet  me  con- 
duiroit  trop  loin,  fi  j'entreprenois  de  le 
développer  dans  toute  Ton  étendue.  Mais 
en  finifiant ,  je  ne  dois  pas  omettre  quel- 
ques conféquences  que  je  vous  prie  de 
ne  pas  perdre  ,  &  qui  feront  autant  d'inf- 
truclions  pour  vous  &  pour  moi.  Je  les 
réduis  à  quatre  ,  &  je  les  comprends  en 
quatre  mots  :  reconnoidance  ,  étonne- 
m^nt,  réflexion,  réfolution.  Appliquez- 
vous.  Reconnoidance  :  &  envers  qui  ? 
Pouyous-nous  Tignorer ,  Seigneur.''  6c, 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CHR.    i  Ci^ 

né  feroit  -  ce  pas  la  plus  monftrueura 
ingratitude  ,  i\  jamais  nous  venions  à 
méconnoitre  le  plus  grand  de  vos  bien- 
faits ?  Soyez-en  donc  éternellement  béni , 
ô  mon  Dieu  î  c'eft  vous ,  &  vous  ^eu^ 
qui  avez  formé  cette  Eglife  ,  où  nous 
devions  trouver  le  falut  ;  vous  qui  l'avez 
enrichie  de  vos  dons  ;  vous  qui  l'avez 
animée  de  votre  efprit  ,  vous  qui  lui 
avez  révèle  vos  vérités  ,  vous  qui  lui 
avez  confié  votre  loi  :  tout  cela  pour 
nous  retirer  des  ombres  de  la  mort ,  oîi 
le  monde  étoit  enfevcli  ,  &  pour  nous 
conduire  à  la  vie  bienheureufe  ,  où  il 
vous  a  plu  ,  par  une  bonté  ineftimable  , 
de  nous  appeller.  Grâce  générale  :  mais 
ce  que  nous  regardons  encore  comme 
une  grâce  beaucoup  plus  particulière  &: 
plus  précieufe,  c'efl  vous-même,  mon 
Dieu  ,  qui  dans  ce  chriftianiime  où  nous 
avons  eu  le  bonheur  de  naître  ,  nous 
avez  choifis  ,  nous  avez  fpécialement 
éclairés,  nous  avez  enfeigné  vos  voies, 
nous  avez  pourvus  des  fecours  les  plus 
abondants  pour  y  marcher.  Sans  ce 
choix  de  votre  part  &.  fans  cette  pré- 
dile6tion  toute  gratuite  ,  que  ferions- 
nous  devenus  ,  &  en  quelles  ténèbres 
ferions-nous  plongés  ?  Nul  autre  que 
vous ,  Seigneur,  n'a  pu  faire  de  nous  ce 
dilcernement  favorable,  qui  nous  diftin- 
gue  de  tant  de  nations  infidelles  :  &  pré- 
venus du  fentiment  de  notre  indignité, 
nous  ne  nous  tenons  redevables  d'un  tel 

Miij 


270      Sur    la    sainteté 

avantage  qu'à  votre  infinie  miiericorde» 
Etonnement  :  de  quoi  ?  Ne  le  voyez- 
vous  pas ,  nnes  chers  Auditeurs  r  &  n'eft- 
il  pss  en  effît  bien  étonnant  que  la  foi , 

^dès  la  naiiTance  du  chriftianilrne  ,  ait 
converti  le  monde  entier  ,  &  que  main- 
tenant avec  la  même  vertu  ,  elle  ne  nous 

_  convertiiTe  pas  ?  c'eft-à-dire,  qu'elle  ait 
fait  paiTer  le  monde  entier  de  l'idolâtrie 
au  culte  du  vrni  Dieu,  6l  que  jufques 
dans  le  fein  de  l'Eglife ,  elle  ne  ramené 
pas  tant  de  pécheurs  à  Dieu  ,  elle  ne  les 
iL^is  pas  revenir  de  l'état  du  péché  au 
iervice  de  Dieu,  elle  ne  les  rende  pas 
pénitents  devant  Dieu,  &  plus  fidèles, 
plus  zélés  dans  robfervation  de  la  loi 
de  Dieu.  Voilà  fur  quoi  Dieu  veut  que 
nous  ibyons  nous-mêmes  nos  prédica- 
teurs ,  6l  que  nous  nous  parlions  à  nous- 
mêmes.  N'eft-il  pas  étonnant  qu'une 
loi  il  efficace  pour  tant  d'autres ,  le  foit 
fi  peu  pour  moi  r  Car  quel  changement , 
quel  retour,  quelle  réformation  dévie 
a-t-elle  opérés  dans  toute  ma  conduite? 
ÔC  quand  j'aurois  le  malheur  d'être  né 
dans  les  ténèbres  du  paganlfme,  ferois- 
je  plus  mondain  ,  plus  voluptueux  que 
je  le  fuis  ?  me  porterons- je  dans  un 
plus  honteux  excès ,  &  vivrois-je  dans 
un  plus  grand  dérèglement  de  mœurs  ? 
ÎS'eft-il  pas  étonnant  qu'une  loi  qui  a 
humihé  les  mionarques  &  les  potentats  du 
fiecie  ,  qui  leur  a  infj:iié  le  mépris  de 
toutes  les  pompes  humaines  ^  n'ait  pAS^ 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CHR.     lyt 

encore  modéré  cette  ambition  démefuréé 
qui  me  conlume  ,  ni  effricé  de  mon  cœur 
ces  vaines  idées  de  gloire,  de  fortune, 
d'agrandiiTement  ,  qui  m'occupent  fans 
relâche ,  &  à  quoi  je  facrifie  fifouvent  ma 
tonfcience  &  mon  falut  f  N'eft  -  il  paâ 
étonnant  qu'une  loi  qui  a  fait  embraiier 
ia  pauvreté  évangélique  à  tant  de  riches , 
&  qui  par  un  rencncement  parfait  aux: 
biens  temporels,  les  a  dépouillés  de  tout 
ce  qu'ils  poiTédoient ,  n'ait  pas  encor« 
éteint  jufqu'à  préfent  cette  ardente  cupi- 
dité qui  me  brûle  ,  &  ce  defir  infatiable^ 
d'amaiTer  ,  d'accumuler,  d'avoir?  Que 
dirai-je  de  plus  ?  &  celTerois-je  de  trouver 
des  reproches  à  me  faire  ,  fi  j'en  voulois 
parcourir  tous  les  fujets  ?  N'eft-il  pas 
étonnant  qu'une  loi  qui  a  donné  à  tant 
de  généreux  Chrétiens  aiïez  d'affurance 
&  de  fermeté  pour  fe  déclarer  en  pré- 
fence  des  magiftrats  &  pour  parcître 
devant  leurs  tribunaux,  ne  m'ait  point 
encore  affranchi  de  l'efclavage  oii  me 
tient  une  honte  lâche  &  criminelle  ,  lorf- 
qu'il  laut  faire  une  profeiîion  ouverte 
d'être  à  Dieu  ,  &  m'élever  au-deffus  des 
difcours  du  monde  ?  11  s'aglfToit  pour 
ceux-là ,  en  fe  faifant  connoitre  ,  de 
perdre  la  vie  ,  &  ce  danger  ne  les  arrê- 
toit  pas  :  il  n'eft  queftion  pour  moi  que 
de  quelques  paroles  que  j'aurai  ^  elTuyer, 
&  je  demeure.  N'eft-il  pas  étonnant 
qu'une  loi  qui  a  foutenu  tant  de  martyrs 
dans  les  ennuis  de  l'exil ,  dans  les  rigueurs 

M  iv 


^7*      Sur   la   sainteté 

de  la  captivité ,  dans  Thorreur  des  plus" 
cruels  fupplices  ,  ne  m'ait  pas  encore 
formé  à  fupporter  quelques  adverfités 
avec  patience ,  ne  m'ait  pas  encore  appris 
à  pratiquer  quelques  exercices  de  la  pé- 
nitence ,  ne  m'ait  pas  encore  fait  obferver 
les  devoirs  de  ma  religion  avec  plus  de 
fidélité  &  plus  de  confiance  ?  Voilà,  dis- 
je ,  ce  qui  nous  doit  jeter  dans  l'éton- 
nement  ,  &  n'eft-il  pas  bien  fondé  ? 
Ah  î  Chrétiens,  que  pouvcns-nous  là- 
defTus  nous  dire  à  nous-mêmes  pour 
notre  juftification  ,  &  que  dirons-nous  à 
Dieu  ?  mais  ce  n'eu  pas  towt. 

Réflexion.  Que  nous  fert-il  de  pro- 
fefler  une  loi  dont  la  vertu  eft  toute-puif- 
fante  ,  loriqu'à  notre  égard  elle  le  trouve 
inutile  &  fans  effet  ?  De  quel  avantage 
eft-il  pour  nous  que  cette  loi  ait  triomphé 
de  toutes  les  puiflances  du  fiecle  &  de 
l'enfer ,  ù  elle  ne  triomphe  pas  de  nos 
foiblefTes  ?  Ces  miracles,  ces  prodiges, 
ces  converfions  ,  qu'efl-ce  que  tout  cela, 
que  notre  confufion,  que  notre  convic- 
tion 5  que  notre  ccndam.nation  ?  Hé! 
mes  chers  Auditeurs,  ne  comprendrons- 
nous  jamais  de  fi  importantes  vérités  ? 
La  loi  chrétienne  a  le  pouvoir  de  nous 
convertir  &  de  nous  fan-51ifier ,  c'efk  un 
point  de  foi  :  (i  donc  elle  ne  le  fait  pas  , 
ce  n'eft  point  à  elle  que  nous  pouvons 
l'imputer ,  puifqu'elle  a  fait  quelque  chofe 
de  plus  grand.  Non  -  feulement  la  lai 
chrétienne  peut  nous  convertir  Se  nou^ 


ET  LA  FORCE  DE  LA  Loi  CHR.    273 
fancèlfier,  mais  il  eft  néceflTaire  qu'elle 
nous  convertifle  en  effet  &  nous  fan6liiie. 
Je  dis  doublement  nécelTaire  :  en  premier 
lieu  ,    parce  que  nous  ne  pouvons  être 
vraiment  convertis  &  fanftitiés  que  par 
elle  ;  en  fécond  lieu ,  parce  que  fans  con- 
verfion  &  fans  la  fanaification  de  notre 
vie,  nous  ne  pouvons  être  fauves;  enûn, 
h  loi  chrétienne  ne  nous  convertira  Se 
ne  nous  fanftifîera  jamais,  tandis  qu'une 
autre  loi  nous  gouvernera,  parce  qu*é- 
tant  une  loi  divine  ,   elle  veut  être  feuls 
6c  abfolue  dans  les  fujets  qui  la  recon- 
noilTent  &  qu'elle  conduit  :  par  confc- 
quent  ,  nous  aurons  beau  prétendre  ac- 
corder cette  loi  de  Dieu  avec  les  lo'ix. 
du  monde  ,  fon  efprit  avec  l'efprit  dîi 
monde ,  fes  maximes  avec  les  maximes  du 
monde;  c'eft  un  myftere  que  les  Saints 
n  ont  jamais  compris ,  c'eft  un  fecret  que 
l'Evangile  ne  nous  enfeigne  point ,  c'cft 
une  illufion  qui  perd  une  infinité  de  demi- 
Chrétiens  ,  &  qui   nous  perdra.   Non  , 
nous   n  avons  qu'un  maître  à  écouter, 
qui  e(l  Jefus-Chrift.  Si  nous  en  écoutons 
d'autres  avec  lui  ;  fi  nous  voulons ,  aorès 
avoir  fenti  les  mouvements  de  fa  grâce 
dans  le  fond  du  cœur,  après  avoir  en- 
tendu fa  doftrine  par  la  bouche  des  pré- 
dicateurs,  après  avoir  reçu  fes  confeils 
par  la  voix  des  dire^eurs,  prêter  encore 
1  oreille  au  monde  ,  qui  veut  avoir  parc 
a  toutes    nos   a^^ons  ,  &   qui   voudroit 
ïneme  régler  jufqu'à  nos  plus  faintcs 

M  V 


274     Sur   la    sainteté,  Sec, 
pratiques  &  à  nos  dévotions ,  dès-là  nous 
détruirons  d'une  main  ce  que  nous  bùtif- 
fbns  de  i' centre,  &  nous  faifons  un  partage 
que  Dieu  réprouve. 

Réfolntion.   Puifque  la  loi  chrétienne 
a  tant  d'efficace  &  tant  de  force  ,  laif- 
fons-ls  défornr.ais  iigir  ,  &  n'arrêtons  plus 
fa  vertu  ;   fecondons-la  par  une  pleine 
correfpondance  ,  &  déterminons-nous  à 
vivre  comme  elle  nous  le  prefcrit,  bien- 
tôt nous  éprouverons  ce  qu'elle  peut , 
&  nous  verrons  où  elle  nous  conduira. 
Quels  progrès  n'aurions-nous  point  faits 
julqii'à  préfent,  fi  nous  l'avions  luivie  ? 
6l  où  ne  nous  auroit-elle  pas  élevés  ?  Ce 
qui  nous  paroit  impolTible,  parce  que 
nous  le  mefurons  par  nos  propres  forces , 
nous  l'aurions  généreufement  entrepris  &. 
heureufementexécuté.  parce  qu'elle  nous 
auroit  foutenus.  Ceft  ,   mon  Dieu  ,  ce 
que  vous  me  faites  aujourd'hui  connoitre, 
et  ce  qui  m'iiifpire  la  réfolution  que  je 
forme  de  m'abandonner  fans   retour  à 
Totre  loi  :  qu'elle  ordonne  ^  j'obéirai  ; 
qu'elle  m'intime  vos  volontés  ,    je  les 
accomplirai  ;  qu'elle  me  trace  la  voie  , 
Yy   marcherai  :   elle  eft  étroite  ,   il  ePc 
vrai ,  cette  voie  ,  elle  eft  femce  d'épines  ; 
mais  par  la  force   de  la   loi  que  j'aurai 
■«:)Our  euide  &  pour  foutien,  je  lurmon- 
terai  toutes  les  difficuhés  :  les  épines  dès 
cette  vie  fe  changeront  en  {leurs  ;  ou  da 
moins  après  les  travaux  de    cette  vie, 
î'arriverai  au  bienheureux  terme  du  repus, 
cternel,  Ainû  foit  il» 


^71 

SERMON 

POUR 
Z£      DIMANCHE 

DE  LA  SEPTUAGÉSIME. 

vSv^r  rOiJzveté, 

Circa  undeclmam  vsrô  diel  ,  invenît  alios 
ftantes  ,  &  dixit  ûUs  :  Quid  hîc  ftatis  totâ 
die  otiofî  ? 

£f<:;2r  fortl  vers  Voniicme  heure  du  jour,  il  en  trouva 
encore  d'autres  qui  étaient  là  y  &  il  leur  dit: 
Comment  demsurei-vous  ici  tout  le  jour  fans 
rien  faire  ?   En  laint  Matthieu  ,  chap.  20. 

ESt-ce  un  reproche,  eft-ce  une 
invitation  que  le  père  de  famlile  fait 
à  ces  ouvriers  de  notre  Evangile  ?  c'eft 
l'un  ôc  l'autre,  il  leur  reproche  leur  oili- 
veté,  &  il  les  invite  au  travail .  Quidflatis 
totâ  die  ûtïofi  ?  pourquoi  vous  tenez-vous 
là  fans  rien  faire  ?  voilà  le  reproche.  Ite 
&  vos  in  vineam  meam  ,  allez- vous-en 
travailler  en  ma  vigne  ;  voilà  l'invitation, 

M  v) 


î7(>  Sur  l'Otsiveté 
Maù  dans  le  fens  littéral ,  à  qui  eû-ct 
que  cette  invitation  &'  ce  Voch* 
5  adreffent  ?  a  moi-même  qu.  vous  parle, 
mes  chers  Auditeurs  ,  &  à  vot,s  qu 
m  écoutez  :  car  félon  la  remarque  des  in- 
erpretes ,  les  paraboles ,  telles\u'eft  ceî- 
ie-c, ,  n  ont  jamais  d'autre  fens  littéral  c-ue 

faite  ,  &  ,1  eft  vrai  que  Jefus-Chrift  en 

prononcantcesp.roles.de  mon  texte: 
y«/</  àicfians  ,01 J  die  otiofi  ?  a   voulu 

ijouslesrendrepropres.puifqu'autTement 
lUes  auron  dites  fans  aucune  fin  ,  ce  qui 
répugne  à  fa  fageff,.  Ne  cherchom  do'r" 
Fomt  d  autre  matière  de  ce  difcours.  Le 
Ws  de  Dieu  nous  parle  en  maître ,  écou- 
ons-.e  avec  refpea  :  il  nous  reproche 
ie  defordi-e  de  notre  oifiveté ,    reccn- 
«oiffons-le.&no.s  en  corrigeons     il 
^ous  mviteau  travail,  ne  refufons  pas 
les   conditions  avantageufes  qu'il  nous 
offre,  &  regardons  cefujetcommeundes 
plus  importants  q,,e  j'^ie  eu  lieu  jufqu'ici 
de  traiter.  L'oifiveté  ne  paffepai  dan.  le  ^ 

i  eft  devant  D,eu  ;  &  c'eft  de  quoi  j'entre- 
prends  de  vous  convaincre  aujourd'hui  ■ 

du  CieJ  &  falue  Marie ,  en  lui  difant  :  ^v^ 

QUere  cette  juSicerigoureufe que  des 
>^  tlieologiens  appellentcommutative 
«f  qu  ils  nereconnojflent  point  en  Dieu  à 
J  égard  des  hommes ,  parce  cjue  Dieu  n^ 


Sur    l' Oisiveté.       277 

doit  rien  aux  hommes  ,  ni  ne  peut  rien 
leur  devoir  ,  il  y  a  trois  autres  elpeces 
de  juftice  dont  Dieu  eft  capable  par 
rapport  à  nous  ,  &  qui  bien-loin  de 
préjudicier  à  fa  grandeur ,  font  autant  de 
perfections  de  fon  être  :  juflice  vindica- 
tive ,  juftice  légale,  &  iuftice  diil:ributive. 
Juftice  vindicative  ,  qui  punit  le  péché  j 
juftice  légale  ,  qui  n'eft  point  diflinguée 
de  fa  providence,  à  qui  il  appartient  ds 
gouverner  les  états  du  monde  ;  enfin  . 
juftice  didributive,  qui  partage  les  récom- 
penfes  félon  les  mérites.  Je  ne  dis  rien 
de  cette  troifieme  juftice  ,  pour  ne  pas 
embradertrop  de  matiete  ,  &  je  m'arrête 
aux  deux  autres ,  qui  impofent  à  l'homme 
une  cbiig.^tion  indifpenfible  de  travailler; 
car  la  jullice  de  Dieu  vindicative  répare 
le  péché  de  Thcmme  par  le  travail  , 
&  c'eft  par  le  travail  que  la  juftice 
légale  ,  qui  eft  en  Dieu  ,  entretient  tous 
les  états  &  toutes  les  conditions  da 
monde.  L'oifiveté  donc  ,  qui  s'oppoie 
direciement  à  cette  double  judice,  eil 
un  defordre  :  voilà  tout  mon  deilein.  Je 
prétends  que  deux  chofes  nous  obligent 
au  travail ,  &  condamnent  notre  oifiveté 
comme  un  des  plus  grands  obflacîes 
du  falut  ;  le  péché  ,  &  notre  condition 
particulière.  Nous  nailTons  tous  dans  le 
péché  ,  &  nous  vivons  tous  dans  une 
certaine  condition  ;  d'où  je  conclus  que 
nous  fommes  tous  fujets  au  travail ,  ÔC 


a?^        Sur    l'Oisiveté. 

en  qualité  de  pécheurs ,  c'eft  le  premier 
point  ;  &  en  qualité  d'hommes  attachés 
par  état  à  une  condition  de  vie,  c'eft  le 
fécond  point.  L  un  &  l'autre  vous  décou- 
yrira  des  vérités  que  vous  avez  peut-être 
Ignorées  jufqu'àprérent,  &  dont  la  con- 
nohiance  vous  eu.  aMolument  néceffaire. 
Cyommençons. 

Fa\.   V^  "'^^  ^'"'  ?''  clavantage  ,  Chrétiens, 
rART.i  pour   conclure   que  l'oifiveté   efl  un 
defordre  qui  nous  rend  criminels  devant 
UiQu ,  que  de  confidérer  ce  que  nous 
iommes     &  quel  eft  le  principe  de  notre 
origme.  Nous  Tommes  pécheurs  ,    &  , 
comme  dit  l'Ecriture,   nous  avons  tous 
eteconçus    d^ns   l'iniquité:   il  eiî  donc 
vrai  que  nous  avons  tous  contrafté  en 
naiilant   une   obligation  particulière  qui 
nous    affuiettit  au  travail.  Cette  confé- 
quence  eit  évidente  dans  les  reaies  delà 
foi  :  pourquoi  cela  ?    parce  que   la   foi 
nous  apprend  que  Dieu  a  ordonné  le 
^r^T'^r  '\^'^on^«^e,  comme  une  oeine  de 
fa  derol.einance&  de  fa  rébellion.  Peine 
difent  les  Théologiens  ,  qui  par  rapport 
a  nous ,   eft  en  même  temps  fatisfaaoire 
&prerervative:ratisfaaoire,  pour  expier 
le  pèche  commis  ; .  &  préfervative  ,  pour 
nous  empêcher   de  le   commettre:   fa- 
tisîaaoïre  ,   parce  que   nous  avons  été 
prévaricateur^-;  &  préfervative  ,  afin  que' 
Pous  cefîions  de  Tétre  ^   fatisfa^oi/e  , 


Sur   l'Oisiveté.       279 

fvour  être  un  moyen  de  réparation  envers 
la  juftice  de  Dieu  ;  &  préfervative  , 
pour  fervir  de  remède  à  notre  folblelle. 
Tu  as  violé  mon  commandement  ,  dit 
Dieu  au  premier  homme ,  &  moi  je  te 
condamne  à  porter  le  joug  d'une  vie  fer- 
vile  &  laborieufe  :  la  terre  ne  produira 
plus  pour  toi  qu'à  force  de  travail  :  au 
lieu  qu'elle  te  fournilToit  d'elle-même  des 
fruits  délicieux,  tu  ne  mangeras  qu'ua 
pain  de  douleur;  c'eii- à-dire  ^  un  pain 
que  tes  fueurs  auront  détrempé  avant  qu'il 
puiiTe  être  employé  à  ta  nourriture  :  In  Genejà 
fiidore  vultus  tui  vefcerUpane  tuo.  Voilà  ,  c.  j, 
chrétienne  compagnie ,  la  première  loi 
que  Dieu  a  établie  dans  le  monde,  du 
moment  que  l'homme  a  été  pécheur  j 
ÔC  c'eft  cette  loi  qui  a  fait  un  crime  de 
notre  oifiveté. 

Où  je  vous  prie  d'admirer  en  pafTant 
la  différence  que   faint  Auguftin  a  re- 
marquée entre  trois  fortes  de  travaux  ; 
celui  de   Dieu  dans    la    nature  ,    celui 
d'Adam  dans    l'état    de  la  grâce  &  de 
l'innocence ,  &  celui  de  tous  les  horsmes 
dans  la  corruption  du  péché  :   ceci   eft 
digne  de  votre  attention.     Dieu  ,    dit 
faint   Augudin,  agit  inceiTamment  ,   6c 
en  lui-même  ,    &  hors  de  lui-même  ; 
P^ter  meus  ufquc  modo  operatur.    Adam    Jcan^ 
s'occupoit    dans    le    paradis    terreflre  ,  c,  /, 
puilque  nous  lifons  qu'il  y  fut  mis  pour 
le  culiiver  de   fes  mains  :    Pofuit  eum  Gentf^ 
ir.  pavùdîfo  ,  ut  opcrartrur^    Et  l'hoiAime  c,  2:, 


i8ô       Sur   l'Oisiveth. 

p-écheur,  dès  les  premières  années  de  Ca 
vie  ,  fe  trouve  réduit  à  efTuyer  mille 
//.  8j.  fatigues  :  Pauper  fum  &  in  labaribus  â 
juventuîe  ineâ.  Voilà  trois  efpeces  de 
travaux  ,  mais  dont  les  qualités  font  bien 
contraires  ;  car  prenez  garde  ,  s'il  vous 
plaît  :  de  ce  que  Dieu  agit  dans  l'uni- 
vers ,  ce  n'eft  point  par  un  engagement 
de  néceiTité  ,  mais  par  un  mcuvsir.ent  de 
fa  bonté,  pour  fe  communiquer  &.  pour 
donner  l'être  aux  créatures  :  de  ce  qu'A- 
dam cultivoit  le  paradis  terreftre  ,  ce 
n'étoit  point  par  punition,  mais  par  choix, 
pour  occuper  Ton  efprit  en  exerçant  fon 
corps.  Mais  îorfque  l'homme,  félon  l'ex- 
prefîion  du  Roi  Prophète  ,  el^  aujour- 
d'hui dans  le  travail ,  e'eil:  par  un  ordre 
ngoureux  qu'il  eA  obligé  de  fubir  , 
Ôc  dont  il  ne  kii  efi:  pas  permis  defe  dif- 
penfer.  Uadion  de  Dieu  dans  la  nature  , 
eft  une  preuve  de  fa  puidance  ;  l'cccu- 
parion  d'Adam  dans  le  paradis  terreûre, 
étoit  une  marque  de  fa  vertu  :  mais  l'af^ 
fujettiflement  du  pécheur  à  iwn  travail 
réglé  ,  eft ,  pour  parler  avec  l'Apôtre, 
le  paiement  &  la  folde  de  fon  péché  : 
RoîT.  Stipendium  peccaîi.  D'où  il  arrive  par  une 
*•  ^'  fuite  d'eftets  proportionnés  à  cetre  diver- 
sité de  principes ,  qu'au  lieu  que  Dieu 
en  produifant  &  créant  le  monde  ,  fe  fait 
honneur  de  Ion  ouvrage,  qu  Adam  trou- 
voit  dans  le  fien  de  la  douceur  &  du 
plai-fir ,  l'homme  pécheur  fe  fent  humi- 
lié &.  mortifié  de  fon  travail  :  Ôc  tout  cela. 


Sur   l'Oisivête.        i^t 

conclut  ce  grand  Dofleur  ,  parce  que 
Dieu  dans  la  création  a  travaillé  en  Sou-' 
verain  &  en  maître  ;  qu'Adam  dans 
ie  paradis  où  Dieu  le  plaça  ,  travaillovt 
en  ferviteur  &  en  affranchi  ;  mais  qu* 
l'homme  dans  l'état  de  fa  dilgrace  ne 
travaille  plus  qu'en  criminel  &  en  efclave. 
C'eft  l'excelleme  idée  de  faint  AnguftiUy 
pour  nous  développer  la  vérité  que  je 
vous  prêche ,  &  pour  nous  faire  com- 
prendre l'importance  de  ce  devoir. 

Mais  revenons.  Il  s'agit  donc  de 
favoir  fi  lorfque  Dieu  prononça  cette 
maiéd!«5î:ion  contre  le  premier  homme ,. 
In  fudorc  vultils  tui  vefccris  pans  ^  tu  ne 
vivras  déformais  que  du  fruit-  de  tes 
peines  ;  fi ,  dis-je  ,  par  ces  paro-Ies  Dieu 
prétendit  faire  une  loi  générale  qui 
comprît  toute  la  poftérité  d'Adam  ,  ou 
s'il  en  excepta  certaines  conditions  Ô£ 
certains  états  du  monde;  s'il  ufa  d^ 
grâce  envers  les  uns,  pendant  qu'il  pro- 
cédoit  rigoureufement  contre  les  autres  ; 
s'il  dedina  les  grands  &  les  riches;  à  la 
douceur  du  repos ,  &  les  pauvres  à  la 
mifere  &  à  la  fervitude  ;  s'il  dit  à  ceux- 
ci  ,  vous  arroferez  la  terre  de  vos  fueurs  , 
&  à  ceux-là,  vous  n'en  goûterez  que  les 
délices  f  Je  vous  demande.  Chrétiens  , 
Dieu  fit-il  alors  cette  diftin^tion  ?  Ah  \ 
mes  Frères  ,  répond  faint  Chryfoftome, 
il  n'y  penfa  Jamais  :  &  fa  jurtice  ,  qui 
ed  iiivapabie  iz  faire  entre  les  tiommo* 


â82        Sur   l'Oisiveti;. 

d'autre  difcernement  que  celui  de  rinno" 
cence  &  du  péché  ,  fut  bien  éloignée 
d'avoir  quelque  égard  à  la  naiflarce  6c 
à  la  fortune  ,  pour  régler  fur  cela  leur 
deirmée  Ôc  leur  fort.  Non ,  Cliréiiens , 
Dieu  ne  donna  aux  riches  nul  privilège 
pour  les  décharger  de  cétre  obligation  ; 
comme  le  péché  étoit  commun  à  tous, 
il  voulut  que  tous  pirticipaHent  à  cette 
inalédifiion  ;  &  c'efl  ce  que  le  Saint- 
Efpritnous  dit  clairement  dans  le  chapitre 
Ècclef.  quarantième  de  l'Eccléiiaftique  :  Occu- 
^.  /fo.  patio  magna  creata  eft  omnibus  hominibus  : 
cette  loi  de  travail  a  été  faite  pour  tous 
les  hommes  ;  &  cette  loi ,  ajoute  le  texte 
facré  .  efl  un  joug  pefant  &.  humiliant 
ibld.  pour  les  enfants  d'Adam  :  Et  jugurn. 
grave  fiipcr  filios  Adcc.  Mais  pour  quels 
enfants  d'Adam  ?  ne  perdez  pas  ceci  : 
A  refidente  fnpcr  fedem  gloriofam  ^  ufque 
ad  humiliatum  in  ttrrâ  &  in  cinere  ; 
depuis  celui  qui  eft  affis  fur  le  trône, 
jufqu'à  celui  qui  rampe  dans  lapouffiere  : 
fbid.  Et  ah  eo  qui  portât  coronam  ,  ujquc  ad  eum 
qui  operitur  Uno  crudo  ;  &  depuis  ceux 
qui  portent  la  couronne  &.  la  pourpre, 
jufquà  ceux  que  leur  pauvreté  réduit  à 
être  le  plus  grofTiérerrent  vêtiis.  Voilà 
l'étendue  de  l'arrêt,  ou  fi  vous  voulez, 
de  l'anathêmeque  Dieu  fulmina,  en  con- 
féquence  duquel  il  n'y  a  point  d'hommei 
chrétien  qui  ne  doive  fe  réfoudre  à 
confoiïimer  fa  vie  dans  le  travail.  Fût-il 


Sur   l'Oisiveté.         283 

Pr'nce  ou  Monarque  ,  il  efl:  pécheur  ; 
donc  ii  doit  ie  foumettre  à  la  peine  que 
h  Créateur  de  l'univers  lui  a  impofée. 
Etc'eftpour  cela,  dit  Tertullien,  cette 
réflexion  efl  belle  y  qu'immédiatement 
après  que  l'homme  eut  péché.  Dieu  lui 
fil  un  habit  de  peau  :  Fecit  quoqiie  Do"  GencJ: 
munis  Adx  tunicas  pelliceas.  Pourquoi  «.  i» 
cet  habit  ?  pour  lui  fignifier  qu'en  pé- 
chant il  s'étoit  dégradé  lui-même  ,  & 
qu'il  étoit  déchu  de  la  liberté  des  enfants 
ce  Dieu  ,  dans  un  efclavage  honteux  &: 
pénible.  Car  l'habit  de  peau,  pourfuit 
Tertullien  ,  étoit  affetté  à  ceux  que  Ton 
eondamnoit  à  travailler  aux  mines  ,  ôc 
Dieu  le  donna  à  Adam  ,  afin  qu'il  né 
confidérât  plus  fa  vie  que  comme  un 
continuel  travail. 

Voilà,  dis-je,  mes  chers  Auditeurs  y 
ie  parti  que  doit  prendre  tout  Chréiien  , 
travailler  en  efclave  de  Dieu  ,  c'eft- 
à-dire,  non  point  par  caprice  &  pai* 
humeur,  comme  cephilofophe  dont  parle 
Minutius  Félix,  qui  n'avoir  point  d'autre 
règle  de  fes  occupations  Si  de  fon  repos 
que  le  génie  ou  la  paflion  quile  domlnoit: 
Qui  ad  nutum  ajjident'ts  fibï  dcVînonis  ,  Minuit 
vel  decimabiît  negotia  ,  vel  appetebat  ;  Fclix, 
c'étoit  Socrates.  Car  le  Chrétien  agifTant 
par  un  principe  tout  contraire,  prend 
le  travail  par  efprit  de  pénitence  ai  dans 
la  vue  de  fatisfoire  à  Dieu  ,  parce  qu'il 
fait  bien  qae  c'eft  la  première  peine  de 
ion  ^éché.  Que  iaifoni-nous  donc  quand 


iS4        Sur   l'OisIvete. 

au  préjudice  de  ce  devoir  nous  nous 
abandonnons  à  une  vie  lâche  &  oifive  ? 
le  voulez-vous  favoir  ?  Nous  ncrus  ré- 
voltons contre  Dieu  ,  nous  tâchons  de 
fecouer  le  joug  que  fa  juftice  &  fa  pro- 
vidence nous  ont  donné  à  porter  ;  nous 
faifons  comme  ces  orgueilleux  dont  le 
Prophète  royal  exprime  fi  bien  le  carac- 
tère 5  qusnd  il  dit  que  quoiqu'ils  foieilt 
engagés  dans  toutes  les  in;uftices  &  tous 
les  crimes  des  hommes ,  ils  ne  veulent 
pas  pour  cela  avoir  part  aux  travaux  des 
hommes  ;  &  qu'étant  les  plus  hardis  à 
s'émanciper  de  TobéifTance  qu'ils  doivent 
à  Dieu,  ils  ne  laifl'ent  pas  d'être  les  plus 
fiers  &  les  plus  indociles  ,  quand  il  eft 
queftion  de  fe  foitmettre  aux  châtiments 
ff,  yz.  de  Dieu  :  în  labore  hominum  non  [unt , 
&  cum  hominibus  non  fij^cll-nbuntur  ; 
ideo  tenuit  eos  fuperbia.  Car  "remarquez, 
je  vous  prie ,  une  choie  bien  finguliere 
dans  la  conduite  de  Dieu  :  cet  alTujet- 
tiflement  au  travail  eft  tellement  la 
petne  de  notre  péché,  qu'il  faut ,  pour' 
appaifer  Dieu  que  nous  foyons  nous- 
mêmes  les  exécuteurs  de  cette  peine. 
Dans  la  juftice  des  hommes  il  n'en  efl 
pas  ainfi  :  on  n'oblige  jamais  un  criminel 
d'exécuter  lui-même  fon  arrêt  ;  pourvu 
qu'il  le  fubifTe  ,  il  ert  cenfé  être  dans 
l'ordre  &  dans  la  difpofition  qu'on  exige 
de  lui  :  mais  Dieu  qui  a  un  domaine  fupé- 
-J-ieur  &  abfolu  fur  nous ,  pour  une  répara- 
tion plus  êxade  &  plus  entière  du  péché, 


Sur   l'Oisiveté.        i8$ 

veut  qua  nous  nous  chargions  volontai-» 
retnent  de  la  commiinon  de  le  punir,  &C 
que  nous  lui  fervions  de  miniCtres  pour 
accomplir  dans  nous-mêmes  &  contre 
nous-mêms  ,  Tes  jugements  les  plus  fé- 
veres  ;  &  c'eft  ce  qui  fe  fait  par  la  péni- 
tence ,  dont  S.  Grégoire  Pape  ne  craint 
pas  de  dire  que  l'afliduité  au  travail  e(ï 
îa  plus  indifpenfable  &  la  plus  raifon- 
nable  partie. 

Qu'eft-ce  donc  encore  une  fois  que 
les  défordres  d'une  vie  oifive  ?  C'eft, 
répond  S.  Ambroife ,  à  le  bien  prendre, 
une  féconde  révolte  de  la  créature  contre 
jfon  Dieu.  La  première  a  été  la  trani- 
grefîion  6i  le  violement  de  la  loi ,  &  la 
féconde  eft  la  fuite  du  travail.  Par  la 
première,  l'homme  a  dit  :  Non  fcrvUm ^  Jer,^^ 
non,  je  n'obéirai  pas  ;  &  par  la  féconde, 
il  ajoute  :  Non,  je  ne  fubirai  pas  la  peine 
de  ma  défobéiffance.  En  fuccombant  à 
fon  appétit  déréglé  ,  il  a  méprifé  Dieu 
comme  Souverain  ;  &  en  padant  fa  vie 
dans  l'olfiveté,  il  le  méprife  comme  Juge. 
Auriez- vous  cru  ,  mes  chers  Auditeurs, 
que  ce  péché  allât  jufques-là  ?  Voilà 
cependant  ce  que  l'on  peut  bienappeller 
aujourd'hui  le  péché  du  monde ,  puif- 
que  c'eft  le  péché  d'un  nombre  infini 
de  perfonnes  ,  qui  ne  font  fur  la  terre 
(voyez  fi  j'en  conçois  une  idée  juue), 
qui  ne  font  ,  à  ce  qu'il  paroit  ,  fur  la 
ferre,  que  pour  y  recevoir  les  tributs 
^u  travail  d'autrui  5  fans  jamais  payer  du 


'n.^6       Sur    l*  O  i  s  ï  v  e  t  ^. 

ieur  ;  qui  n'ont  point  d'autre  emploi  danj 
leur  condition  ,  que  de  jouir  des  commo- 
dités ,  des  ailes  &  des  douceurs  de  la  vie  ; 
dont  le  plus  grand  foin  &  la  plus  impor- 
tante aftaire  eft  de  couler  le  temps  ;  qui 
fe  divertiilent  toujours  ,  ou  plutôt  qui, 
à  force  da  fe  divertir,  ne  fe  divertiflent 
plus  ;  puifque ,  félon  la  maxime  de  Calfio- 
dore,  le  divertiffement  fuppofeune  appli- 
cation honnête  ,  ce  que  ceux-ci  ne  con- 
ïioiffent  point  ;  enfin ,  de  qui  l'on  peut 
dire,  In  labore  homïnum  non  funt ,  parce 
qu'il  femble ,  à  les  voir ,  que  la  loi  ne 
foit  pas  pour  eux,  &  qu'ils  ne  foient  pas 
compris  dans  la  maffe  commune  du  genre 
humain. 

Ne  parlons  point  feulement  en  géné- 
ral, mais  pour  l'édification  de  vos  mœurs, 
6c  pour  vous  rendre  ce  difcours  utile, 
entrons  dans  le  détail.  Un  hommxC  du 
inonde,  tel  qu'à  la  confufion  de  notre 
fiecle ,  nous  en  voyons  tous  les  jours  ;  un 
homme  du  monde,  dont  par  une  habi- 
tude pitoyable ,  la  fphere  ed  bornée  au 
plaifir  ou  à  l'ennui,  qui  paffe  fa  vie  à  de 
frivoles  amufements ,  à  s'informer  de  ce 
qui  fe  dit  ,  à  contrôler  ce  qui  fe  fait ,  à 
courir  après  les  fpe6tacles  ,  à  fe  réjouir 
dans  les  compagnies  ,  à  fe  vanter  de  ce 
qu'il  n'efl  pas ,  à  railler  fans  cefle ,  fans 
jamais  rien  faire  ni  rien  dire  de  férieux  ; 
un  Chrétien  réduit  à  n'avoir  point  de 
plus  ordinaire  ni  de  plus  confiante  occu- 
pation quele  jeu  ;  c'eft-à-dire,  qui  n'ufe 


Sur.  l'Oisiveté.        i^f 

plus  du  jeu  comme  d'un  relâchement 
d'eiprit  dont  il  avoit  befoin  pour  le  dif- 
traire  ,  mais  comme  d'un  emploi  auquel 
il  s'attache  ,  &  qui  eft  le  charme  de  Ion 
oifiveté  ;  un  Chrétien  déconcerté  & 
«mbarrafîé  de  lui-même  quand  il  ne  joua 
pas  ,  qui  ne  fait  ce  qu'il  fera  ni  ce  qu'il 
deviendra,  quand  une  aflemblée  ou  une 
partie"  de  jeu  lui  manque  ;  &  ,  s'il  m'efl 
permis  de  m'expliquer  ainii ,  qui  ne  joue 
pas  pour  vivre  ,  mais  qui  ne  vit  que  pour 
jouer  :  une  femme  proteffant  la  religion 
de  Jefus-Chrift  ,  toute  appliquée  à  l'ex- 
térieur de  fa  perfonne  ,  qui  n'a  point 
d'autre  exercice  que  de  confulter  un  mi- 
roir, que  d'étudier  les  nouvelles  miodes, 
que  de  parer  fon  corps  ;  qui  négligeant 
fes  propres  devoirs ,  eft  toujours  prête 
à  s'ingérer  dans  les  affaires  d'autrui  ;  ne 
fâchant  rien  &  parlant  de  tout ,  ne  s'inf- 
truifant  pas  où  il  le  le  faut  ,  &  faifant  la 
fufHfante  où  il  ne  le  faut  pas  ;  qui  croit 
qu'elle  accomplit  toute  juftice ,  quand  elle 
va  inutilement  de  vifite  en  vifite  ,  qu'elle 
en  reçoit  aujourd'hui ,  qu'elle  en  rend 
demain  ;  qui  fe  fait  un  devoir  prérendu 
d'entretenir  par  de  vaines  lettres  mille 
com.mercesfuperflus,  &  mêmefufpcélsôt 
dangereux,  &  qui  à  l'heure  de  la  mort 
ne  peut  rendre  à  Dieu  d'autre  compte  de 
fes  allions  que  celui-ci  :  j'ai  vu  le  monde, 
j'ai  pratiqué  le  monde  ?  Encore  une  fois , 
fin  homme  ,  une  femme  peuvent  -  ils  (q 


é.88        Sur   l'  O  i  s  i  v  e  t  e. 

perfuader  que  tout  cela  foit  conforme  à 
cet  ordre  de  )uftice  que  Dieu  a  établi  fur 
nous  en  qualité  de  pécheurs  ?  Cette  ccnti- 
îvuité  de  jeu  ,  cette  vie  de  plainr ,  eft-il 
rien  de  plus  cpperé  aux  idées  que  Jefus- 
Chrift  nous  donne  de  notre  condition  l 
Quand  il    n'y  auroit   point  de  chriflia- 
îiifme  ,  l'homme  ,  en  jugeant  de  tout  cela 
félon  laraifon  ,  le  pourroit-il  approuver  ? 
&  fi  au  tribunal  de  fa  raifon  feule  il  eu 
©bligé  de  le  condanmer,  quel  jugement 
croyez-vous  que  Dieu  en  portera   lui- 
même  ?  On  demande  fi  le  falut  y  peut  être 
'v^éritablement  intérellé  r  Et  qui  en  doute. 
Chrétiens  ?  Où  feroit-il  intéreffé  ,  s'il  ne 
i'eft  pas  dans  la  profanation  de  la  chofe 
du  monde  la  plus  précieufe  ,  qui  eu  le 
temps  ,  &  le  temps  de  la  pénitence  ?  Or 
quelle  plus  grande  profanation  en  peut- 
cn  concevoir ,  que  la  manière  dont  vivent 
aujourd'hui  ceux  de  qui  je  parle  ?  Si  en 
conféquence  de  ces  pTin<:ipes,  une  parole 
cifeufe  doit  être  condamnée  ,  que  fera-ce 
d'une  vie  toute  entière  où  Dieu  ne  trou- 
vera rien  que  d'inutile  ?  Mais  le  monde 
îi'en  juge  pas  de  la  forte  ,  &C  ce  défordre 
de  l'oiiiveté  que  je  combats ,  n'y  eft  pas 
compté  pour  une  chofe  dont  on  doive  fe 
faire  un  fcrupule  devant  Dieu.  11  efl:  vrai , 
Chrétiens  ,  &  je  ne  le  fais  que  trop  :  mais 
il   importe    peu   ce  que   le   monde  en 
penfe  &  en  juge,  quand  le  fils  de  Dieu 
îjous  a  appris  ce  que  nous  en   devons 

juger. 


Sur  vO  i  s  i  v  et  é.  2S9 
-ger  ;  il  y  a  bien  d'autres  articles  qui  ne 
palTent  pour  rien  dans  le  monde  ,  &  dont 
la  dilcufllon  ne  fera  pas  moins  terri- 
ble au  jugement  de  Dieu.  Je  fçais  mê- 
me qu'il  y  a  des  âmes  aflez  aveugles , 
qui  prétendent  accorder  cette  vie  oifive 
avec  la  dévotion  &  la  piété  ,  &  je  fçais 
auffi  que  Dieu,  dont  le  difcernement  efl: 
infaillible  fçaura  bien  confondre  cette 
fauile  dévotion ,  en  lui  oppofaQt  les  règles 
de  la  folide  &  de  la  vraie. 

Mais  je  fais  riche ,  dites-vous ,  &  pour- 
quoi m'obliger  au  travail  lorfque  j'ai  du 
bien  plus  que  fufnfamment  pour  vivre  ? 
Pourquoi ,  mon  cher  Auditeur  r  parce  que 
tous  les  biens  du  monde  ne  peuvent  vous 
fouftraire  à  la  malédiélion  du  péché  , 
parce  que  dans  le  partage  favorable  qui 
vous  eft  échu  des  biens  de  cette  vie  par 
ks  ordres  de  la  Providence,  Dieu  a  tou- 
jours fuppofé  l'exécution  des  arrêts  de  fa 
juftice  ;  parce  que  Dieu  en  vous  donnant 
ces  biens  ,  n'a  jamais  eu  intention  de 
déroger  à  (es  droits^  &  lorfque  vous  di- 
tes, j'ai  du  bien,  donc  je  ne  dois  point 
t-ravailler,  vous  raifonnez  auffi  mai  que 
fi  vous  difiez  ,  donc  je  ne  dois  point 
mourir  :  car  l'obligation  du  travail  &  ia 
«éceffité  de  la  mort  tiennent  le  même 
rang  dans  les  divins  décrets.  Ne  fçavez-^ 
vous  pas  ce  qui  fut  répondu  à  ce  riche  de 
TEvangile  ?  il  avoit  beaucoup  travaillé 
pour  fe  mettre  dans  l'abondance  de  tou- 
tes chofes ,  &  fe  voyant  enfin  comblé  de 

Pomin,  Tom^  A  N     ' 


aço       Sur    l*  O  i  s  î  v  e  t  é, 

richeiïes  ,   repofons-nous    maintenant  ^ 
diroit-il ,  me  ¥oilà  à  mon  aile  pour  bien 

XuC     des   années  :  Anima  ,  habes  multa  bona 

€,  iz,  pofita  in.  annos  plurimos ,  requkfce.  Mais 
comment  Dieu  le  traita-t-il  ?  d'infenfé  , 
Stultc  ,  lui  faifant  entendre  que  pour 
l'homme  fur  la  terre  ii  n'y  avoir  que 
deux  partis  à  prendre  ,  ou  le  travail ,  ou 
la  mort,  &  que  puisqu'il  renonçoit  au 
premier,  il  falloit  fe  réfoudre  au  fécond  , 

Ihîi,  &  mourir  dès  la  nuit  prochaine  :  Hâc 
no^e  animam  tuam  répètent  à  te. 

Mais  je  fuis  d'une  qualité  &  dans  une 
élévation  où  le  travail  ne  me  convient 
pas.  Quelle  conféquence  !  Parce  que  vous 
êtQs  grand  félon  le  monde  ,  en  êtes-vous 
fr.oins  pécheur  ,  &  l'éclat  de  votre  digni- 
té eiFace-t-il  la  tache  de  votre  origine  ? 
cette  dignité  eft-elle  au  deiTus  des  Ponti- 
fes QL  des  Souverains  ?  Or  écoutez  com- 
ment Saint  Bernard  parloit  autrefois  à  un 
grand  Pape,  l'inftruifant  fur  cette  matiè- 
re :  Saint  Père  ,  lui  difoit-il  avec  un  zèle 
Tefpe6tueux ,  je  vous  conjure  de  confi- 
dérer  fouvent  qui  vous  êtesj  &  de  voir 
non  pas  ce  que  vous  avez  été  fait ,  mais 

Bern,  ce  que  vous  êtes  né  :  Non  quod  fa^us  , 
fed  quod  natus  es  ;  vous  avez  été  fait  Eve- 
que,  mais  vous  êtes  né  pécheur;  lequel 
des  deux  vous  doit  toucher  davantage  } 
n'eft-ce  pas  ce  que  vous  êtes  parla  con- 
dition de  votre  naifTance  ?  ôtez-moi  donc 
cet  appareil  de  majefté  qui  vous  envi- 
ronne j  détournez  les  yeux  de  cett^ 


S.UR      L'OîSîVETt.  19? 

.pourpre  qui  couvre  votre  barCeiTe  ,  &  qui 
ne  guérit  pas  vos  plaies:  Toile  velamen  Idim» 
foliorum  cdantium  ignominiam  tuam  ,  non, 
plagascurantium  ;  contemplez- vous  vous- 
même  ,  &  penfez  que  vous  ères  forti  nud 
du  fein  de  votre  mère  ;  car  Ci  vous  éloignez 
de  votre  vue  tous  ces  feux  brillants  de 
gloire  qui  cblouiiTent  les  hommes,  que 
trouverez- vous  dans  vous-même,  fmon 
un  homme  pauvre  &c  mjférable  ,  fouffrant 
de  ce  qu'il  eft  homme  ,  parce  qu'il  eu. 
en  même  temps  pécheur ,  ôc  pleurant  de 
ce  qu'il  vient  au  monde  ,  parce  qu'il  y 
vient  com.me  un  rebelle  réduit  dans  une 
cure  fervitude  ?  G:currct  td-i  homo  pau~  Idsm^ 
per  &  mifcrabïlis  s  doUns  qubd  homo  fit  ^ 
plorans  qubd  natus  fit  :  enFin  un  homme 
ïié  pour  le  travail,  &  non  pour  Thon- 
reur  :  Homo  denique  natus  ad  lahorem , 
non  ad  hononm.  Voilà  ,  Saint  Père ,  ce 
que  vous  êtes,  ce  que  vous  etQs ,  dis-je, 
jpar  delTus  tous  ,  Hoc  ej!  ccrtè  quod  ma-  Jdan^ 
ximti  es  ;  car  tout  le  refte  n'eft  qu'accef- 
tbire,  &  il  faut  que  l'accefToire  fe  con- 
forme au  principal.  C'eft  donc  ,  Chré- 
tiens ,  fur  ce  principal ,  je  veux  dire  fur 
la  qualité  de  pécheur  ,  qu'ed  fondée  pour 
les  grands  comme  pour  les  autres ,  Tin- 
dilpenfable  obligation  d'une  vie  agiilante 
ôc  hborieufe. 

Mais  une  telle  vie  eft  ennuyeufe  :  He 
•quoi,  mon  cher  Auditeur,  eft-ce  donc 
ia  une  raifon  que  vous  puifiiez  alléguer 
centre  un  devoir  auftieilcntiel  que  celui- 

N  ij 


19^        Sur     l'Oisiveté. 

ci  ?  Si  je  traitois  la  chofe  en  philofophei; 
je  pourrois  vous  répondre  qu'un  travail 
convenable ,  &  où  par  l'habitude  vous 
prendrez  goût ,  vous  prél'ervera  plutôt 
de  l'ennui  qu'il  ne  vous  y  fera  tomber. 
Mais  je  parie  en  prédicateur  chrétien  ;  & 
fuppolant  cet  ennui  que  vous  craignez  ,  je 
vous  dis  que  ce  fera  une  pénitence  pour 
vous,  &  que  cette  pénitence  vous  doit 
être  d'autant  plus  chère  que  vous  n'en 
faites  point  d'autres  dans  votre  état. 
Vous  vous  envuierez  pour  Dieu, pour  (à- 
tisfaire  à  Dieu  ^  pour  réparer  tous  les 
plaiiirs  criminels  que  vous  avez  recher- 
chés contre  la  loi  de  Dieu  :  précieux 
ennui  ,  puifque  Dieu  l'agréera  ,  &  qua 
Dieu  même  ,  en  l'agréant,  fçaura  bien 
d'ailleurs  vous  en  dédommager  !  Cepen- 
dant ,  Chrétiens ,  admirez  encore  la  bonté 
cle  notre  Dieu ,  qui  éclate  jufques  dans  la 
punition  de  l'homme.  Cet  engagement 
au  travail  que  je  vous  ai  repréfenté  com^ 
meunefatisfa6tion  du  péché,  en  eft,  félon 
la  théologie  de  tous  les  Pères ,  le  préfer- 
vatif  &  le  remède.  Quelle  miféricorde 
de  Dieu  fur  nous ,  de  nous  faire  trouver 
dans  les  châtiments  de  fa  juftice  notre 
avantage  6c  notre  sûreté  1  Oui  ,  mes 
Frères,  le  grand  préfervatif  contre  le  dé- 
règlement denos pallions  &  les  défordres 
du  péché  ,  c'eft  Tapplication  à  un  travail 
confiant  Se  aflîdu,^.  en  vain  m'efforce» 
rois- je  de  vous  perfuader  cette  vérité, 
pwifqu'eile  eft  évidente  par  çUe-roême^ 


Sur     l'Oisiveté.        t^^ 

Quand  le  Saint-Efprit  ne  l'auroit  pas  dit  ^ 
l'expérience  feule  ne  le  juditierûit  que 
trop  ;  que   roifiveté  eft  la  maîtreffe  dé 
tous  les  crimes ,  &  que  c'eit  elle  qui  les 
enîe  gne  aux  hommes ,  qui  leur  en  tait 
des  leçons ,  qui  leur  en  luggere  les  dei- 
feins  ,  qui    leur  ouvre  l'eCprit  pour   en 
inventer  les  moyens  ?  tout  cela  renfer- 
mé dans  ce  beau  mot  de  TEccléfiaftique  : 
Multam   enim  malïtiam    docuit    otiojitas,   j^rcUt 
En  effet ,  dit  S.  Auguftin  ,  paraphra-  c.  j  j* 
fane  ce  pafTage ,  dans  l'excellent  fermon 
qu'il  adreffe  aux  Religieux  de  {o'^ï  ordre  , 
pour  leur  infpire:  l'amour  du  travail  ôc 
pour  leur  faire   appréhender  les   confé- 
quences  tuneftes  de  la  vie  oifive ,  prenez- 
y  garde,  mes  Frères,  Si  pour  en  être. 
convaincus  ,  parcourez  les  exemples  tou- 
chants  que   l'Ecriture  nous  en  fournir. 
De  qui  ell-ce  que   les  Ifraélites,  fi  atta- 
chés d'ailleurs  à  leur  loi ,  ôc  h  zélés  pour 
la  vraie  religion,  apprirent  à  être  idolâ- 
tres ?   L'auroit-on   cru  n  S.   Paul  ne  le 
difoit  en  propres  termes,  que  ce  fut  une 
fuite  malheureufe  de  cette  oiliveté,  qui 
les  porta  à  s'abandonner  à  des  fêtes  pro- 
fanes  &  à  des  jeux   excefiifs  ,  pendant 
que  leur  légiflateur  Moïfe  étoit  en  con^ 
férence  avec  Dieu  ,  i'f^ir  populus  man-  t,c^r^ 
ducare   &   bibere  ,    &  furrexsrunt   ludere^  c.  /ot 
Demandez  au  Prophète  comment  Sodo- 
irie  dévint  fi  fçavante  dans  les  abomina- 
lions  jufqu'alors  inconnues  &  Inouie^ , 

N  iij 


294        Sur     l'Oisiveté. 

ne  vous  répondia-t-il  pas  que  l'oinveté 
de  cette  ville  réprouvée  fut  la  fource  de 
foniniquitér  Mais  dites-moi^  ajoute  Sain^ 
Auguftin^  tandis  que  David  fut  occupé 
aux  exercices  de  la  guerre,  fentoit-il  les 
attaques  de  la  concupifcence   &  de  la 
ehair  ?  &  quand  eit-ce  qu'il  conçut  dans 
Ion  cœur  les  adultères  &  les  homicides  i 
ce  fut-ce  pas  ,  félon  le  texte  facré,  lorf- 
qu'il  refla  oifif  dans  Jérufalem  ,  dans  un 
temps  oii  les  autres  marchoient  en  cam- 
pagne ?  Qui  caufa  la  ruine  de  Samfon  } 
pracédolt-elle  d'un  autre  principe  que  de 
la  vie  languiiTante  &  efféminée  où  il  de- 
meura pour  complaire  à  une  étrangère  ^ 
&  ce  héros  du  peuple  de  Dieu  put-iî 
jamais  être  furpris  pendant  qu'il  étoit  aux 
prifes  avec  fes  ennemis  ?  Salomon  le  plus 
lage  des  Princes ,  fuccomba-t--il  dans  les- 
premières  années  de  fon  règne  ,  tandis 
qu'il  travailloit  avec  un  zèle  intatigable, 
èc  qu'il  appliquoit  tous  Tes  foins  à  bâtir 
le  temple  ?  fuccomba-t-il ,  dis-je  ,  à  cette 
aveugle  paffion  qui  i'infatua  dans  la  fuite , 
•jufqu'à  lui  faire  adorer  les  dieux  de  fes 
concubines  ?  &  ne  commença- t-il  pas  au 
contraire  à  fe  laiffer  corrompre  par  fa 
.volupté  ,  du  moment  qu'il  eut  mis  tin  a 
fon  entreprife ,  &   qu  il  fe  vit   dans  un 
profond  repos  ?  Ah  !  mes  Frères ,  con- 
clut S.  Auguftin ,  nous  n'avons  pas  une 
vertu  plus'affurée  ni  plus  foiide  que  ces 
grands  homm.es  ;  nous   ne    fomrnes_  ni 
plus  faims  que  Dùvid,  ni  pîas  étlairés. 


Sur    l'Oisiveté.        295 

^ue  Salcmon  ,  ni  plus  forts  queSamfon^ 
éi.  pour  vivre  dans  la  retraite  ,  nous 
n'avons  pas  moins  à  craindre  les  défor- 
dres  de  l'oifiveté.  C'eft  ainfi  qu'il  s'en 
expliquolt  aux  Solitaires  de  fa  règle. 

Mais  à  propos    de  Solitaires  ,  (  cette 
réflexion  eft  du  faint  Evêque  de  Genève, 
François   de  Sales  ,  )  pourquoi  penfez- 
vous ,  Chrétiens ,  que  dans  ces  monaf- 
teres  d'Egypte  où  les  hommes  vivoient 
comme  des  Anges  ^  &  où  le  don  de  con- 
templation étoit  une  des  grâces  les  plus 
ordinaires,  on  maintenoit  cependant  le 
travail  des  mains  avec  une   difcipline  Ct 
exacte  ^  comm.e  nous  l'apprenons  de  Caf* 
fien  &  de  Saint  Jérôme  ?  Eft-ce  que  le 
travail  des  mains  étoit  attaché  à  la  pro- 
feiiion  de  ces  hommes  de  Dieu  ?  ce  feroit 
la  dégrader  que  d'en  juger  de  la  forte  : 
leur  étoit-il  néceiTaire  pour  leur  fubfif- 
tance  ?  non,  la  charité  des  fidèles,  qui 
étoit   encore   dans  fa   ferveur  ,  y  avoit 
abondamment  fuppléé.  Pourquoi   donc 
travailloient-ils  ?  ils  le  faifoient ,  répond 
Saint   Jérôme ,  non  pour  les  befoins  du 
corps  ,  mais  pour  le  falut  de  l'ame  :  Non  HUrori 
propter  corporis  nscejjitatem  ,  fed  propter 
animczfalutem  ;  parce  qu'ils  fçavoient  que 
quelque  perfection  qu'ils  euilent  acquife 
il  leur  étoit  impoffible  de  contempler  fans 
ceffe  les  chofes  divines ,  &  parce  qu'ils 
étoient  d'ailleurs  perfuadés  que   de  de- 
meurer un  moment  fans  contemplation 
ou  fans  a^ion  ,  c'eût  été  s'expofer  à  la 


i9^        Sur    l'Oisiveté. 

tentation.  Voilà  pourquoi,  dit  Caffierr.^ 
la  grande  maxime  reçue  parmi  eux  étcir 
qu'un  folitaire  occupé  devoit  être  toiY- 
jours  le  plus  innocent ,  parce  qu'il  n'étcit 
tenté  que  d'un  feul  démon  ;  au  lieu  qu'un 
folicaire  pareffeux  &  fans  emploi ,  fe  trou- 
voit  fouvent  ,  comm.e  ce  miférable  de 
l'Evangile  ,  polTédé  d'une  légion  entière  : 
€affian.  Operatorem  monachum  damone  uno  pulfa" 
ri  f  otiofum  fpiritibus   innumiris  devajîcir'u 
Sur  quoi  ,  mes  chers  Auditeurs  ,  vous 
^evez ,  ce  me  femble ,  raifonner  ainfi  avec 
Yous-mêmes:  Ces  hommes  (i  détachés  de 
la  terre ,  ôt  fi  élevés  au  delTus  des  loi- 
bîeffes  de  la  nature ,  croyoient  qu^un  tra- 
vafl  réglé  leur  étoit  néceflaire  pour  per- 
févérer  dans  Tetat  de  la  grâce,  &  moi 
qui  fuis  un  pécheur,  rempli  de  miferes, 
vivant  dans  la  diffipation  &  roifiveté  , 
je  m'affurerai  de  monfalut  ?  quel  orgueil 
&  quelle  préfomption   1   C'étoieat  des 
Chrétiens  parfaits ,   d'une    converfation 
toute  célefte,  qui  avoient  pour  triompher 
des  vices ,  des  fecours  infinis  que  je  n'ai 
pas  ;  car  la  folitude  leur  fervoit  de  re- 
tranchement ,  la   religion  leur  donnoit 
des  armes,  le  jeûne  ks  fortifioit,  Tauf- 
térité  les  rendoit  terribles  aux  puifiTances 
de  l'enfer ,   &  néanmoins  ils   fe  regar- 
doient  déjà    comme    vaincus  dès   qu'ils 
venoient  à  fe  relâcher  dans  leurs  obfer- 
vances  laborieufes ,  tant  ils  étoienr  sûrs 
que  l'oifiveté  étoit  infailliblement  fuivie 
d'une  multitude  innombrable  de  péchés^ 


Sur    l'Oisiveté.        29/ 

Que  dois-je  efpérer,  moi  qui  n'ai  aucuri 
de  ces  avantages  ,  moi  qui  vis  au  niilieii 
du  monde  comme  dans  un  pays  décou- 
vert à  toutes  les  attaques  du  démon  ,  moi 
qui  veille  fur  mes  fens  ?  que  puis -je  me 
promettre,  fi  avec  tout  cela  j'ouvre  en- 
core à  mon  ennemi  la  plus  large  porte 
du  péché  ,  qui  eft  l'oiuveté  volontaire  ? 
N'eft-ce  pas  agir  de  concert  avec  lui, 
&  lui  livrer  mon  ame  ? 

Voilà  ,  mes  Frères  ,  difoit  Saint  Am- 
broite ,  ce  qui  énerve  aujourd'hui  dans- 
nous  la  force  &  la  vigueur  de  l'efprit 
chrétien  :  au  milieu  ^des  perl'écutions  le 
Chriftianifme  s'eft  foutenu  ,  &  il  n'eft  pas 
Croyable  combien  les  travaux  &  les  fati- 
gues qu'il  a  eu  alors  à  eiTuyer,  ont  con- 
tribué à  fon  accroiiTement  &  à  Ton  aiter- 
miffement  ;  mais  maintenant ,  ajoutoit  ce 
grand  Evêque  ,  c'eft  la  paix  qui  nous  cor- 
rompt ,  c'ell  la  douceur  du  repos  qui  rend 
notre  foi  languiffante,  c'eft  le  relâche- 
ment d'une  vie  inutile  qui  caufe  tous  nos 
/*cand?.les ,  &  il  arrive  par  un  effet  aulii 
furprenant  que  déplorable  ,  que  ceux  qui 
n'ont  pu  êcre  domptés  par  la  violence 
des  fupplices ,  le  font  honteufement  par 
Je  défordre  de  roihveté  :  Nunc  tentant  Amhr* 
otia ,  quos  bdla  non  fregcrunt.  Paroles , 
Chrétiens  ,  qui  conviendroient  encore 
bien  mieux  à  notre  fiecle  qu'à  celui  de 
Saint  Ambroife  ;  car  diibns  la  vérité, 
?'ii y  a  de  luinoceace  dans  le  monde > 


fit^S        Sur     l'Oisiveté. 

eu  efl  elle,  finon  dans  les  conditions  Sc 
dans  les  états  ou  la  loi  du  travail  eft  in- 
v'olablsnientcbfervée  ?  Parmi  les  grands, 
les  nobles  j  les  riches  ,  c'eiVà-dire  panr.i 
ceux  dont  la  vie  n'eft  qu'amufements  6.C 
que  mollelle',  ne  cherchez  point  la  vraie 
piété  Ôc  ne  vous  attendez  point  à  \^  trou- 
ver la  pureté  des  mœurs  ;  ce  n'eil  plus 
là  qu'elle  habite,  dit  le  Patriarche  Job; 
Joh.    Non  invenitur  m  terra  fuaviter  viveniium, 
£.  z§.  Où  eil-ce  donc  qu'elle  peut  fe  rencon- 
trer ?   dans  les   cabanes  d'une  pauvre.;^ 
fainéante  ,  qui  n'a  point  d'autre  occup;i- 
tion  que  la  mendicii^  ?  non  ,  Chrétiens , 
roifiveté  perd  auiîi-bien  ceux-là  que  les 
riches,  &  ce    genre  de   pauvres  ,  qi:5 
Jefus-Chrift  ne  reccnnoît  point,  eft  cgi- 
ieraent   fujet   au  libertinage.  Oli  eft-ce 
donc  enf.n  que  rinnocence  eft  réduite  l 
je  vous  l'ai  dit  ;   à   ces  médiocres  états 
de  vie  qui  rubfiilent  par  le  travail  ;  à  ces 
conditions  moins   éclatantes  ,  m:..is  plus 
ailurées  pour  le  falut,  de  marchônds  en- 
gages dans  les  foins  d'un  légitime  négo- 
ce ,  d'artifans  qui  mefurent  les  jours  p:^r 
l'ouvrage  de  leurs  maiias ,  de  ferviteurs 
qui  accom.plifTent  à  la  lettre  ce  précepte 
<livin  ,  vous  mangerez  félon  que  vous  tra- 
vaillerez, In   laboribvs  cumedes  ;  c'eft-là 
encore  une  fois  qu'ed  l'innocence,  parce 
€jue  c'ei^-là  qu'il  n'y  a  point  d'oifiveté. 

Concluons,  mes  chers  Auditeurs,  cette 
:preruiere  partie  p;ir  l'impo-rt^nt  ayis  que 


Sur    l'  O  I  s  I V  £  te.        299 

6-onnoit  Saint  Jérôme  à  un  de  Tes  difci- 
ples  ;  Facïîo  femver  aliq-'uid  opcris  ,  ut  U  HîsroJh 
Deus  aujL  Diabolus  inveniat  occupatum  ; 
faites  toujours  quelque  Giiore,ann  que 
Dieu  ou  le  démon  vous  trouve  toujours 
occupé.  Si  le  démon  vous  voit  occupé  , 
il  n'entreprendra  point  de  vous  tenter^ 
&  fi  Dieu  vous  trouve  appliqué  au  tra- 
vail ,  il  n'aura  point  de  quoi  vous  punir. 
Sans  cela  vous  vous  rendez  criminel  , 
parce  que  vous  manquez  à  un  devoir  que 
vous  inipoie  non- feulement  la  qualité  de 
pécheur,  mais  encore  la  qualité  d'homme 
attaché  dans  le  monde  à  une  condition 
particulière  ,comîr;e  vous  l'allez  voir  dans 
la  féconde  Partie. 

C'EsT  une  vérité  inconteil:rri)ie»Chré-  ÎI» 
tiens,  que  toute  condition  dans  le  Part. 
irionde  eft  fujette  à  certains  devoirs ,  dont 
î'accompliiTement  demande  du  travail  eC 
de  la  peine  ;  &  c'eft  une  autre  vérité 
qui,  pour  être  peu  reconnue,  n'en  ed 
pas  moins  folidcment  établie ,  que  plus 
une  condition  eft  relevée  dans  le  monde, 
plus  elle  a  de  ces  engagen?jents, auxquels 
il  eft  impofiïble  de  latisfaire  fans  une 
application  conftante  6c  afîidue.  Com- 
prenez ,  s'il  vous  plaît  ,  cette  morale , 
ciui  vous  paroîtra  ,  de  la  manière  que 
je  vous  la  ferai  concevoir  ,  très- con- 
forme à  la  fainteté  &  à  la  fageffe  du 
J^hriiliaTiira'ie,    Je    foutiens    que  toute 

N  vj 


$oô        Sur    l'Oisiveté; 

condition  dans  le  monde  eft  fujeîte  à  iTas 
devoirs  pénibles  ,  &  le  Dofteur  angéli- 
que  Saint  Thomas  en  apporte  la  raiibn  , 
parce  qu'il  n'y  en  a  aucune  ,  dit-il  » 
dont  la  perfection  ne  Ibit  attachée  à 
une  règle  qui  ne  peut  changer  ;  à  une 
conduite  égale  qu'il  faut  obferver  ;  à 
tdes  adions  faites  dans  l'ordre  dont  il 
îi'eft  pas  permis  de  fe  difpenfer.  Or  tout 
ce  qui  porte  ce  caractère  eft  un  travail 

Î)our  l'homme  ,  &  les  mêmes  cliofes  qui 
ui  feroient  d'ailleurs  agréables,  le  fati- 
Iguent  ,  du  moment  qu'on  lui  en  fait 
tine  loi  a  &.  qu'elles  lui  tiennent  lieu  de 
devoir. 

Voyez  ,  ajouta  Samt  Thomas  ,  la 
preuve  de  cette  maxime  dans  une  in- 
duction particulière.  Si  vous  confidérez 
la  différence  des  âges,  com.me  les  vieil- 
lards dans  la  fociété  civile  font  ordinal* 
yement  chargés  du  poids  des  affaires 
pour  en  avoir  la  dire£lion  ,  c'efl  rux 
jeunes  gens  un  partage  naturel  d'en  fou- 
îenir  l'exécution  ;  commue  il  appartient 
a  ceux-là  de  conduire  &  de  gouverner, 
^'obligation  de  ceux-ci  efl  de  fe  former 
&  de  s'iniiruire  ;  &  Saint  Augufiin  avoit 
de  h  peine  à  conclure  lequel  des  deux 
ctoit  d'un  plus  fâcheux  affuiettiffement, 
5i  vous  avez  égard  à  la  diverfité  des 
iexes  5  comm.e  l'adminiflration  de  la  ]uf- 
tice  &  des  offices  militaires  efl  du  reffort 
de^  l'homme,  les  foins  domefiiques  par 


Sur    l* Oisiveté.        301 

une  difpofition  de  Dieu  font  réfervés 
pour  Id  femme  ,  &  fi  vous  méprilez  cet 
emploi  ,  c'eit  que  vous  n'en  connoii- 
fez  ni  Timportance  ni  h  difficulté  ;  car 
Salomon  qui  étoit  plus  éclairé  que  nous  , 
&  le  Sainî-Efprit  même  qui  n'ufe  point 
d'exagération  ,  cherchoit  pour  l'exercer 
dignement  ,  une  femnie  forte  ,  Mulie~  Prov:, 
rem  forttm  quïs  inveniet  ?  &  la  louoit  c.j:* 
de  railiduité  avec  laquelle  elle  s'en  étoit 
acquittée  ,  comme  d'une  chofe  héro'i- 
flue  :  Manum  fuam  mijit  ad  fortia  ,  6*  im^ 
digiti  ejus  apprchenderunt  fufum.  Si  vous 
vous  arrêtez  aux  diftin6lions  de  Va  naif- 
fance  &  de  la  fortune  ,  comme  les  petits 
par  nécelTité  doivent  s'employer  pour 
les  grands  ,  les  grands  par  juftice  &.  par 
charité  doivent  s'employer  pour  les 
petits  ;  comme  les  riches  font  en  poiTef- 
fion  de  jouir  du  travail  des  pauvres  ^ 
les  pauvres  font  en  droit  de  profiter  du 
travail  des  riches.  Voilà  donc  pour  tous 
les  états  du  monde  une  loi  univerfelle 
&  néanmoins  pro-portionnée  à  la  nature 
d'un  chacun  \  car  de  tous  ceux  que  je 
viens  de  m.arquer  ,  chacun  a  fes  enga- 
gements particuliers  ;  les  Rois  font  obli- 
.gésà  une  efpece  de  travail,  6c  non  pas 
à  un  autre  ;  l'occupation  d'un  Juge  efl 
différente  de  celle  d'un  artifan  ;  mai  la 
loi  de  s'occuper  &.  de  travailler  ,  eft 
commune  à  tous ,  &  il  n'y  en  a  pas  ua 
feul  que  le  devoir  de  fa  condition  n'y 
a(rujetîiire. 


50î        Sur    l'Oisiveté. 

Je  dis  plus  :  car  ie  prétends  qu'à  mefure 
qu'une  condition  eft  p!us  élevée ,  elle  eik 
plus  ûijette  à  ces  devoirs  qu'on  ne  peut 
accomplir  fans  une  aéiiona(îidue&  conf- 
iante ;  ôc  c'eft  ici  qu'il  faut  encore  une 
fois  que  vous  vous  détrompiez  des  fauf- 
fes  idées  que  vous  ^vei.  des  chofes  ,  Si. 
d'une  erreur  pernicieufe  où  le  monde 
vous  apeut-êire  jufques  à  préfent  entre- 
tenus ;  car  la  grande  erreur  du  monde  e(x 
de  croire  que  l'élévation ,  le  rang,  la 
dignité  font  autant  de  droits  acquis  pour 
le  repos ,  &  pour  la  douceur  de  la  vie. 
Mais  la  foi  nous  dit  tout  le  contraire,  & 
la  raifon  eft  que  plus  une  condition  eft 
élevée ,  plus  elle  a  de  grandes  obligat'or.s  à 
remplir:  tellemient qu'il  en  va  dans  l'ordre 
politique  ÔC  dans  la  religion  ,  ccm.me 
dans  l'ordre  de  la  nature  ;  plus  les  caufes 
font  univerfeilts,  plus  ont- elles  d'aélion^ 
ôc  en  doivent-elles  avoir  pour  le  bien  des 
caufes  particul  ères  qui  leur  font  fubor- 
données.  Ainfi  voyons- nous  les  cieux  Sc 
les  aftres  ,  qui  font  lur  nos  têtes  ,  dans  un 
mouvement  perpétuel ,  fans  s'arrêter  une 
fois  j  6i  fans  ceiler  de  répandre  leurs 
influences.  Qu'eft-  ce  qu'une  dignité ,  j'en- 
tends fur-tout  dans  les  principes  du  chrif- 
tianifme  ,  finon  une  fpécieufe  fervitude, 
dit  Saint  Bafile  de  Seleucie  ,  l::quelie  obli- 
ge un  homme,  fous  peine  delà  dam.na- 
tion  ,  ce  slntéreffer  pour  tout  un  peuple, 
comme  tout  un  peuple  (ii\  obligé  de  s'in- 
téicfler  ^our  lui  l  Qï  il  eft  JnÊniKiÇfiJ 


Sur    l'Oisiveté.        5^^ 

plus  onéreux  à  un  feul  de  travailler  pour 
tous ,  qu'à  tous  de  travailler  pour  un 
fcul. 

Dieu  l'a  ainfi   ordonné  ,  Chrétiens  ^ 
pour  deux  raiions  qui    font  admirable-- 
ment  paroitre  le  loin   qu'il  a  de  notre 
faku.  La  première  eft ,  ielon  la  remar- 
que de  Saint  Bernard  ,  afin  que  les  di- 
gnités &  les  conditions  honorables  ,  qui 
lont  des  expreffions  de  ù  gloire ,  ne  de- 
vinaient pas  les  iujets  de  notre  vanité  , 
car  Cl  je  luis  fage  &  fi  je  r^ifonne  b^en  ^ 
la  grandeur  Ôc  l'élévation  démon  état, 
au  lieu  de  flatter  mon  orgueil ,  fera  pour 
moi  un  fonds  d'humilité  &  de  crainte, 
dans  la  penfée   que  plus  je  fais  grand, 
plus  j'ai  d'obligation  devant   Dieu  dont 
je  ne  puis  m'acquitter  que  par  mon  tra- 
vail. Ah  !  s'écrie  Saint  Bernard  ,  écrivant 
au   mcm.e  Pontife  dont  j'ai  dé;à  parié, 
ne  vous  laiiTez  pas  enfler  de  la  pompe 
qui  vous  environne  ,  puifque   le  travail 
qu'an  vous  a  irnpcfé  eft  encore  plus  grand 
que  votre  dignité:  vous  êtes  fucceiïeur 
des  Prophcics  &  des  Apôtres,  &  j'ar  de 
ta  vénération    pour  votre  qualité  :  mais 
que    s'enfuit- il    de-là   ?  que   vous    de- 
vez donc  vivre  comme  les  Prophètes  & 
les  Apôtres.  Or  écoutez  comment  Dieu 
parloit  à  fon   Prophète  :  Je  t'ai  établi, 
lui  difoit-il ,  pour  arracher  &  pour  dé- 
truire ,  pour  planter  &  pour  édifier  ,  &c 
qu'y  a-t-il  en  tout  cela  qui  refiente  le 
faite  ?  Imaginez- vgus .  pouifuic  le  jiujît.s 


304       Sûr    l'Oisiveté; 

Père  ,  que  vous  êtes  aufîï  grand  que 
Jéremie  :  mais  apprenez  donc  en  mêrrie 
temps,  que  vous  occupez  la  place  où 
vous  êtes,  non  pour  vous  élever  ^  mais 
vour  travailler.  De  plus,  ajoute  encore 
ce  faint  Docteur,  les  Apôtres  vos  pré- 
décefTeurs  ,  à  quoi  ont-ils  été  deftinés  ? 
il  recueillir  une  moiffon  cultivée  par  leurs 
foins ,  qL  arrofée  de  leur  fueurs.  Main- 
tenez-vous dans  l'héritage  qu'ils  vous 
ont  tranfmis ,  car  vous  êtes  en  effet  leur 
héritier  ;  mais  pour  faire  voir  que  vous 
Têtes  ,  il  faut  que  vous  fuccédiez  à  leur 
£ern.  vigilance  &  à  leurs  fatigues  :  Sed  ut  pro^ 
bes  hœredem  ,  vigilare  debes  ad  curam» 
Car  û  vous  vous  relâchez  dans  les  déli- 
ces &  les  vanités  du  fiecle,  ce  n'eft  point 
là  le  partage  qui  vous  eu.  échu  par  le 
teftament  de  ces  hommes  apoftoliques  ; 
mais  quel  eft-il  ?  le  travail  &  les  fouf- 
frances  :  In  lahùrïbus  plurirnis  ,  in  car  ce- 
ribus  abundantihs.  Comment  donc  pen- 
ferez-vous  à  vous  glorifier  lorfque  vous 
n'avez  pas  même  le  ioifir  de  vous  repo- 
fer  ?  6c  le  moyen  d'être  oifif  6c  tran- 
quille ,  quand  on  efl  chargé  de  toutes  les 
Eglifes  du  monde  ? 

La  féconde  raifon  qui  fuit  de  la  pre- 
mière ,  c'eft  pour  empêcher  que  les  gran. 
des  fortunes  &  les  états  de  la  vie  plus 
relevés  ne  ferviiTentà  exciter  rambitioii 
des  hommes  ôc  à  l'entretenir  ;  car  c'eJÎ 
jjien  notre  faute  ,  Chrétiens ,  quand  nous 
ibmmes  après  teJ^  ii  paÛioDnés  pour  k^ 


Sur.   l'Oisiveté.        305: 

grandeurs  &  les  dignités  ,  foit  du  fiecle, 
lûicderEglife,  puilque  les  charges  qu'el- 
les portent  avec  elles  ,  devroient  plutôt 
nous  les  faire  appréhender.  11  eft  donc 
indubitable  que  plus  un  état  eft  diftingué 
félon  le  monde ,  plus  il  eft  onéreux  dc 
pénible  félon  Dieu. 

Mais  que  faut- il  conclure  de-  là  ?  deux 
chofes  que  j'ai  déjà  prooofées  ,  &  ou  j'en 
veux  revenir  :  fçavoir  ^  qu'il  n'y  a  point 
d'état  &  de  profeiîion  où  i'oifiveté  ne 
foit  un   crinîe  ,  6c   qu'elle  i'eft  encore 

Élus  dans  les  états  fupérieurs  aux  autres. 
)ites-moi  un  genre  de  vie  où  l'hom- 
me  puiiTe  être  oifif  fans  manquer  aux 
devoirs  eftentiels  de  fa  confcience  ;  Si 
pour  ne  point  fortir  des  exemples  que  je 
Tiens  de  marquer  ,  fi  ce  jeune  homme  de 
quahté  paile  fes  preiTvieres  années  dans 
les  divertiiTements  &  les  plaifirs ,  com- 
ment acquerra-t-il  les  connoiftances  qui 
font  le  fondement  néceft^ire  fur  lequel 
il  doit  bâtir  tout  ce  qu'il  fera  un  jour  ^ 
N'ayant  pas  ces  connoiffances ,  comment 
fera-t-il  capable  d'exercer  Ids  emplois 
où  on  le  deftinera  ?  6c  s'engageant  dans 
ces  emplois  avec  une  incapacité  abfo- 
lue  ,  comment  pourra- t-il  s'y  fauver  ? 
Quoi  donc,  Dieu  lui  donnera- t-il  une 
fcience  infufe  au  moment  qu'il  entrera 
en  poffeftion  de  cette  dignité  ?  Commen- 
cera-t-il  à  s'inftruire  ,  lorfqu'il  fera  quefr 
tion  de  juger  &  de  décider  ?  Fera- 
t-il  l'apprentiffage  de  foa  ignorance  aux 


3o6         Sur    l'Oisiveté. 

dépens  d'îiutrui  ?  Jurîifiera-t-iî  fcs  fautes 
è'^  les  erreurs  par  Foiriveté  de  fa  jeunefle  ? 
Dira-t-il  qu'il  eu  excufable  parce  qu'il  a 
prodigué  Ion  temps  ,  qui  lui  devoir  être 
d'autant  plus  piécieux  qu'il   ne  pouvoit 
plus  être    repiié  ?   Cependant  ,  Chré- 
tiens ,  rien  de  plus  commun  ;  car  fi  le 
monde  eft  aujourd'hui   plein   de   fujets 
indignes  &  incapables  de  ce  qu'ils  font, 
il  nen  fâut  point  chercher  d'autre  prin- 
cipe; la  vie  pareffeufeÔc  inutile  des  jeunes 
gens  eii  la  caufe  principale  de  ce  défor- 
dre  ,  Si  ce  défcrdre  la  fource  funefte  de 
leur  réprobation.  Ah  !  mes  chers  Audi- 
teurs,  n'eft-il  paâ   honteux  de   voir  la 
févénté  de   difcipliné  avec  laquelle  les 
païens  éicvoient  leurs  enfants  dans  tous 
les  exercices  laborieux  ciue  leur  âge  pou- 
voir fouteair,  (  u  nous  en   croyons  les 
hiiloriens  profanes ,  cette  rigueur  alloit 
à  l'excès,)  6c    de   canfidérer  d'ailleurs 
la  molle  condefcsndance  d'un  père  chré- 
tien à  fouftrir  les  fiens  dans  une  oifiveté 
licentieufe  ?  N'accufons  point  abfolument 
tous  les  pères  chrétiens  ;  il  y  en  a  là-def- 
fus  de  plus  raifonnables  ,  &  plût  à  Dieu 
qu'ils  le  fufient  dans  les  vues  de  leur  re- 
ligion 1  Les  Princes  &  les  grands    du 
inonde  tiennent  leurs  enfants  fujets» par- 
ce qu'ils  font  confiner  leur  gloire  à  les 
perfectionner  félon  le  monde  ;  les  pau- 
vres &  les  petits  ont  foin  de  les  mettre 
en  œuvre  pour  en  tirer  des  fervices  :  mais 
vous  ,  Chiéiiens  ,  que  Dieu  pour  la 


Sur   l' Oisiveté.        30^^ 

plupart  a  placés  entre  ces  deux  extrémi- 
tés ,  permettez- moi  de  vous  le  dire  ,- 
TOUS  n'avez  fouvent  fur  cela  nul  zèle.  Si' 
vous  remarquez  dans  vos  mailons  uit 
domeftique  oillf ,  vous  fçaver  bien  1® 
relever  du  défordre  de  la  parclTe  ;  mais 
qu'un  enfant  ne  s'applique  à  rien  ,  qu'il 
fe  relâche  dans  fes  exercices  ,  qu'il  né- 
glige Tes  devoirs  ,  c'eft  à  quoi  vous  n'êtes 
gueres  attentifs.  Lequel  des  deux  eft  îe 
plus  coupable ,  ou  le  fils  dans  ion  oifive- 
té,  ou  le  père  dans  Ton  indulgence?  je 
ne  dis  pas  coupable  devant  les  hom- 
mes ,  mais  coupable  devant  Dieu  :  c'etV 
un  point  qu'il  injporte  peu  maintenant 
de  réfoudre.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,^ 
c'ell  que  l'un  &  l'autre  elî  criminel  &  • 
fans  excur3. 

Difons  le  même  des  autres  exemples-» 
Je  ferois  infini  fi  j'entreprenois  de  les 
parcourir  tous  :  fi  je  vouiois  vous  met- 
tre devant  les  yeux  tout  ce  que  l'igno- 
rance d'un  Juge  peut  produire  de  maux 
dans  i'adminiltraîion  de  la  juftice  ;  tout 
ce  que  la  négligence  d'un  Prêtre  chargé 
de  la  diredion  des  âmes  ,  peu^  cauler 
de  défordres  dans  les  fonctions  de  ion 
miniftere  ;  défordres  d'autant  plus  grands 
en  toutes  les  conditions  ,  que  l'état  eft 
plus  éminent.  Car  il  ne  faut  pas  feule- 
iTient  traiter  alors  de  crime  l'oifiveté, 
c'sft  comm^  un  renverfement  général  de 
la  lociété  des  hommes  ;  &  pour  le  com- 
prendre, nous  n'avons  qu'à  nous  feivir 


jo8        Sur   l'Oisiveté. 

de  la  comparairon  de  faint  Chryfoflome  ', 
cile  eft  tout-à-t'aic  natureiie.  Car  s'il  arri- 
voit ,  dit  c€  Père,  qu'une  étoile  de  la 
dernière  grandeur  interron",pit  Ton  cours , 
&  qu'elle  perdit  toute  fa  vertu ,  ce  fe- 
roit  un  détaut  dans  le  monde ,  qui  né^n- 
inoins  n'y  teroit  pas  une  grande  altéra- 
tion. Mois  fi  le  foleii  venoit  à  s'obTcur- 
cir  tout-à-coup  ,  &  que  toute  fon  a6^icn 
fût  fufpendue  ,  quel  trouble  &  quelle 
confufion  dans  l'univers  ?  11  en  eft  de 
même  des  états  de  la  vie.  Que  dans 
une  condition  çiédiocre  un  homme  ou- 
blie &  néglige  Tes  devoirs,  le  préjudice 
qu'en  reçoit  le  public  ne  s'étend  pas 
toujours  fort  loin ,  &  fouvent  cet  hom- 
ïT.e  ne  fait  tort  qu'à  lui-même  :  mais 
qu'un  grand,  m.ais  qu'un  Prince  ,  mais 
qu'un  Roi  ,  fi  vous  le  voulez  ,  aban- 
donne la  conduite  des  affaires  ,  c'eft 
comme  l'éclipfe  du  premier  aftre  ,  qui 
fait  fouffrir  toute  la  nature.  Il  me  fem- 
ble  que  cette  vérité  n'a  pas  befoin  d'autre 
preuve. 

Cependant  pour  conclufion  de  ce  dif- 
cours ,  vous  voulez  fçavoir  encore  plus 
précifément ,  mes  chers  Auditeurs  ,  quel 
eft  ce  péché  de  l'oifiveté  que  je  combats, 
&  en  quoi  confifte  fa  malice  :  je  n'ai  plus 
que  deux  mots  à  vous  dire  ,  mais  qui 
demandent  toutes  vos  réflexions.  Qu'eft- 
ce  donc  que  de  fe  relâcher  dans  fa  pro- 
feflion  ,  &  d'y  vivre  fans  le  travail  qui 
lui  eftpropre  :  Ah  !  Chrétvsns^, concevez; 


Sur    l*Oisiveté.        309 

le  une  fois  ,  le  voici  :  c'eft  pervertir 
l'ordre  des  chofes ,  c'eft  être  infidèle  k 
la  providence  ,  c'eft  déshonorer  Ton  état, 
6l  par"  une  fuite  néceiïaire,  mais  bien 
terrible,  c'eft  engager  fa  confcience  ÔC 
s'espofer  à  une  éternelle  réprobation. 
Prenez  g^.rde  :  je  dis  que  c'eft  pervertir 
l'ordre  des  chofes  ;  pourquoi  ?  parce 
que  dans  l'ordre  des  chofes  le  repos  n'eft 
pas  pour  lui-même,  mais  pOur  le  tra- 
vail ,  &  que  c'eft  de  la  nature  du  travail 
&  de  fa  qualité  que  dépend  la  mefure 
du  repos.  11  faut  ,  difoit  Cafnodore  , 
ce  grand  miniftre  d'état  ,  que  la  répu- 
blique profite  même  de  nos  divertifle- 
ments ,  &  que  nous  ne  cherchions  ce  qui 
eft  agréable,  que  pour  accomplir  ce  qui 
eft  laborieux.  Su  etiam  pro  repuhlicà ,  Ca£io4{ 
chin  ludere  vidcmur  ;  nam  ideb  voluptuo^ 
fa  quccrimus  ,  ut  ferla  compleamus.  Mais 
vous,  vous  aimez  le  repos  m.ême  ,  & 
yous  ne  cherchez  dans  le  plaifir  que  le 
plaifir.  Je  dis  que  c'eft  être  infidèle  à  la 
providence  :  car  Dieu  en  vous  appellant 
à  cet  état,  a  fait  comme  un  paéle  avec 
vous  ;  il  vous  a  dit  :  Prenez  cette  con- 
dition ,  mais  prenez-la  avec  toutes  Tes 
charges  :  il  y  a  des  profits  &  des  hon- 
neurs ;  mais  il  y  aufîi  des  travaux  &  des 
foins  :  je  veux  que  vous  en  ayez  l'utile 
6c  l'honorable  ;  mais  je  veux  en  même 
temps  que  vous  en  portiez  la  peine  & 
le  fardeau.  Et  c'eft  pour  cela  ,  remar- 
<^ue  l'Abbé  Rupert  ,  que  Diçu  c[ui  eft 


5 îo       Sur    l'  O  i  s  i  v  e  t  é, 

infiniment  jufte  ,  a  proportionné  les  don»' 
ceurs  de  la  vie  aux  devoirs  onéreux  de 
chaque  état  ;  il  a  attaché  à  la  Pvoyautç 
^'indépendance ,  la  magnificence ^  les  plus 
grands  honneurs  ,  parce  qu'il  y  a  du  refte 
attaché  les  plus  grands  travaux.  Mais  que 
faites -vcus,  Chrétiens  ?  vous  féparez 
ces  douceurs  du  travail  qui  y  doit  être 
joint ,  &  dont  elles  ne  font  que  le  foula- 
gement  ;  vous  cherchez  les  unes  dans 
votre  condition  ,  &  pour  l'autre  vous  le 
fuyez  &:  vous  vous  en  dirpenlez.  Je  dis 
que  c'eft  déshonorer  votre  état ,  parce 
que  c'eft  Texpoler  au  mépris ,  à  la  cen- 
fure  ,  à  la  haine  ,  à  îenvie  publique.  Car 
qj'y  a-t-il  de  plus  méprifable  qu'un 
grand  du  monde  ,  qu'un  rriiniirre  des 
Autels  ,  qu'un  magiftrat  dont  les  jour- 
nées ôc  route  la  vie  le  confument  en  de 
frivoles  arriufements  ,  lorfqu'elles  pour- 
roient  être  employées  aux  foins  les  plus 
importants  ?  Le  bel  exemple  que  celui 
du  faint  Empereur  Valentinien  le  jeune  \ 
écoutez -le  ,  Chrétiens,  tel  que  Saint 
Ambroife  le  rapporte  dans  l'éloge  funè- 
bre de  ce  Prince.  Entre  mille  autres  qua- 
lités qui  le  diftinguerent ,  il  eut  fur-tout 
ce  zèle,  de  ne  pas  avilir  fon  rang  par 
une  oifiveté  qui  n'ed  que  trop  ordinaire 
à  la  Cour,  6i  il  n'oublia  rien  pour  fatis- 
faire  fon  peuple  fur  quelques  bruits  qui 
s'étoient  répandus  contre  fa  perfonne. 
On  difoit  qu'il  fe  plaifoit  trop  aux  jeux 
•6c  aux  exercices  du  virque  ;  il  y  renonça 


Sur   l'  O  I  s  î  V  e  t  e.       311 

tellement ,  qu'il  ne  voulut  pas  ir.eme  les 
permettre  dans  ies  fctcs  les  plus  folem- 
neiles;  Feretstur  cïrcenfibus  dcUdari  ;  fie  Âmlr^ 
illud  abflulk  ,  ut  ne  fulemnlbiis  quidem 
Pnncipum  nataiibus  pu-iaverit  ceUbrandos^ 
Quelques-uns  trouvoient  qu'il  dcnnoit. 
trop  de  temps  à  la  chade  ;  il  fit  tuer 
clans  un  jour  toutes  les  bêtes  rélervées 
pour  fes  divertifTements  :  Credehjnt  ali-  Utnit 
aui  Tiimiàm  vsnabulis  occupari  ;  omnes 
feras  uno  momenio  jujjlt  interfici,  Vorr.Qis 
ie  refte  qui  fuit ,  &  qui  devroit  couvrir 
^e  confaîion  je  ne  fçais  combien  de  gens 
fortis  dç  la  pouiiiere  où  ils  étoient  nés , 
&  placés  dans  des  poftes  honorables  ,  oii 
Hs  ne  voudroicn:  pas  perdre  un  moment 
l3e  leur  repos  pour  toutes  les  affaires  du 
monde ,  fi  ce  n'eft  que  leur  intérêt  s'y 
trouve  mêlé. 

Quoi  qu'il  en  Toit  de  tout  autre  inté- 
rêt, je  dis  que  celui  de  la  confcience  & 
é\x  falut  y  ei\  engagé.  Car  renverfer  ainfi 
Tordre  des  choies ,  aller  ainu  contre  les 
vues  de  la  Providence  y  manquer  ainfi 
aux  obligations  de  fon  état  ,  tout  cela 
peut-il  s'accorder  avec  la  conicience  & 
avec  ie  falut  ?  Pourquoi  y  êtes- vous  dans 
cet  état ,  fi  vous  n'en  voulez  pas  remplir 
les  devoirs  ?  &  pourquoi  êtes-vous  dans 
la  vie,  fi  vous  n'y  faites  rien  ?  Qu'eft- 
ce  aux  yeux  même  du  monde  qu'un 
homme  inutile  ?  à  quoi  parvient- il  ?  & 
fi  dans  le  monde  même  on  ne  peut  par- 
>'ep.ir  à  jisn  &n§  travail ,  efpérom-nous 


311        Sur    l'  O  i  s  i  v  e  t  f . 

obtenir  plus  aifément  les  récompenfes 
du  Ciel  ?  Quand  au  moment  de  h  mort 
nous  ferons  obligés  de  dire  à  Dieu  , 
Seigneur ,  je  n'ai  rien  fait  ;  que  nous 
répondra-t-ii ,  fmon  ,  je  n'ai  rien  à  vous 
donner  ?  Souvenons-nous  fans  cefTe  du 
ferviteurpareffeux  de  l'Evangile 3  &  n'ou- 
blions jamais  l'arrêt  que  fon  maître 
prononça  contre  lui  en  le  faifant  jeter  , 
pieds  &  mains  liés  ,  dans  une  obfcure 
prifon.  Car  voilà  comment  nous  avons  à 
craindre  d'être  précipités  dans  les  ténè- 
bres de  l'enfer  ,  parce  que  de  n'avoir 
rien  fait  ,  lorfqu'on  pou  voit  &  qu'on 
devoir  agir,  c'eft  un  grand  mal.  Delà, 
mes  chers  Auditeurs  ,  que  chacun  de 
nous  étudiant  ù  condition  &  l'état  ou 
il  eft  appelle  ,  s'applique  férieufement  &C 
régulièrement  à  un  exercice  honnête  qui 
lui  puiffe  convenir ,  à  un  travail  affidu  , 
fur-tout  à  un  travail  chrétien.  Ne  dites 
point  que  vous  ne  fçavez  à  quoi  vous 
occuper  ;  vous  l'aurez  bientôt  appris, 
dès  qtie  vous  voudrez  de  bonne  foi  vous 
tirer  de  l'oiriveté  criminelle  où  vous  de- 
meurez endormis.  Et  c'eft  par  votre 
vigilance  &  par  vos  œuvres  que  vous 
mériterez  de  recevoir  le  falaire  que  le 
Père  de  famille  donne  aux  ouvriers  qui 
ont  travaillé  dans  fa  vigne  :  ou  ,  peur 
parler  fans  figure ,  c'eft  par-là  que  vous 
mériterez  d'avoir  un  jour  part  à  cette 
gloire  immortelle  que  Dieu  vous  a 
promife,  ôc  que  je  vous  fouhaite  ,  &c. 

SERMON. 


5n 


SERMON 

POUR 

ije:    dimanche 
DE  LA  SEXAGÉSIMEo 

vS'.vr  /i2  Parole  de  Dieu, 

"Semcn  eH;  verbum  Dai. 

is  boi  .grain  ,  c*e_/?  ^d  parole  de  Dieu.   En  faint 
Luc  ,  chap.  8. 

PUISQUE  Jems-Chrift  ,  lafagefTe  &  la 
vérité  éternelle,  a  lui-même  pris  foin 
de  -nous  expliq^aer  la  parabole  de  notre 
EvcUigi'e  ,  il  ne  nous  eu  point  permis , 
mes  Frères ,  d'y  donner  un  autre  fens  , 
&  lîous  n'en  pouvons iaire  une  plus  julte 
rii  nn^plus  tbiide  application.  11  eft  léu- 
lement  queftion  de  {"avoir -fi  voas  êtes  de 
•cette  terre  où  le  bon  gr-jin  de  la  parole 
de  Dieu  ,  -ayant  jette  de  tbrtes  racines  , 

terme  en  {on  temps  ,  croit  &  s'élève  , 
L  par  une  heureuie  fécondité  rend  une 
abondante  récolte  :   c'eft- à-dire  ,  pour 
Domin,  Tom,  /,  O 


314    Sur  la  Parole  de  Dieu." 

nous  en  tenir  toujours  à  la  penfée  & 
à  l'interprétation  de  notre  adorable 
Maître  ,  qu'il  s'agit  de  {"avoir  fi  vous 
êtes  de  ces  cœurs  vraiment  chrétiens,  de 
ces  cœurs  droits  ,  de  ces  cœurs  parfaits  , 
qui  faintement  difpofés  à  écouter  la  di- 
vine parole  ,  la  retiennent,  la  méditent, 
s'en  font  une  nourriture  ordinaire  ;  & 
par  une  perfévérance  invariable  dans  les 
voies  de  la  piété,  par  un  exercice  conf- 
iant de  toutes  les  œuvres  d'une  vie  agif- 
fante  &  fervente  ,  lui  laiflent  déployer 
toute  fa  vertu ,  &  rapporter  tous  les  fruits 
de  fainteté  qu'elle  peut  produire.  Car 
voilà  en  termes  formels  comment  le 
Sauveur  du  monde  nous  les  a  marqués  : 
Luc.  Quod  autem  in  bonam  terram  ,  hifunt  gui 
^'  ^'  ïn  corde  bono  &  optïmo  audientes  ,  verbum 
retinent ,  &  frutîum  afferunt  in  patientia. 
Depuis  tant  d'années,  mes  chers  Audi- 
teurs ,  que  dans  cette  chaire  on  vous 
parle  au  nom  du  Seigneur  ,  quels  mi- 
racles fa  parole  n'auroit-elle  pas  opérés 
pour  l'édification  de  vos  âmes  ,  fi  elle  y 
eût  trouvé  de  femblables  difpoutions  ? 
Mais  de  quoi  nous  ne  pouvons  affez 
gémir ,  c'efl  de  la  trifte  décadence  où.efl 
tombé  le  miniftere  évangélique  ,  8c  où  il 
tombe  encore  tous  les  jours.  Car  quoi- 
qu'il y  ait  plus  de  prédicateurs  que  ja- 
mais pour  l'exercer,  quels  fuccès  voyons» 
nous  de  leurs  prédications  ?  quels  abus 
ont-ils  corrigés ,  quels  fcandales  ont-^ 
ils  retranchés  ?  quelles  victoires  vous^ 


Sur  la  Parole  de  Dieu.    31c 

ont-ils  fait  remporter  fur  l'enfer  ,  fur  le 
îTonde  ,  fur  vous  -  mêmes  ,  &  à  quel 
degré  de  perfei!;^ion  vous  ont-ils  élevés  ? 
Ert-ce  que  votre  grâce,  ô  mon  Dieu, 
r/accompagne  plus  votre  parole  ?  Ed- 
ce  que  vous  nous  laiiTez  ,  félon  l'ex- 
preffion  de  votre  Apôtre  ,  planter  ÔC 
arrofer  ;  mais  qu'il  ne  vous  plait  plus 
de  donner,  comme  autrefois,  i'accroif- 
fement  ?  Deus  incrementum  dédit. ^Ne  /,  Cor. 
îious  en  prenons  point  à  Dieu  ,  Chré-  c  j, 
tiens,  ni  à  fa  providence  :  ne  remontons 
point  fi  haut  pour  aller  jufqu'à  la  fource 
d'un  mal  qui  ne  vient  que  de  vous,  ÔC 
qui  ne  doit  être  imputé  qu'à  vous, 
ruiiîîez-vous ,  après  en  avoir  connu  le 
principe  que  je  vais  vous  découvrir,  y 
appliquer  le  remède  !  C'eft  pourquoi  je 
demande  le  fecours  du  Ciel  par  Tinter- 
cefîion  de  Marie.  Ave  Maria. 

C 'Est  une  belle  penfée  de  S.  Bernard 
&  qui  renferme  pour  nous  un  grand 
fonds  de  moralité  ,  que  trois  principes 
ont  concouru  à  nous  donner,  quoique 
diverfement ,  la  divine  parole  ;  favoir  , 
la  Vierge  ,  l'Eglife  &  la  Grâce.  La 
Vierge  nous  l'a  donnée  revêtue  d'une 
chair  femblable  à  la  nôtre  ,  pour  nous 
la  faire  voir  :  l'Eglife  nous  la  donne 
fous  des  fons  qui  frappent  nos  oreilles  , 
&  par  le  miniflere  de  la  voix  ,  pour 
nous  la  faire  entendre  ;  enfin  la  grâce 

Oij 


3i6    Sur  la  Parole  de  Dieu; 

par  rinfufion  du  Saint-Eiprit ,  nous  Tin^ 
finue  dans  le  cœur,  pour  nous  en  fair^ 
Bern.  p^'^'^'^^r  :  Verkum  Maria  vcflitum  carne , 
Ecdefia  vejlitum  fcrmone  ,  gratia  tradit 
amplexandum  Spirïtûs  SutïHï  infufione.  Sî 
Marie  ne  l'avoit  pas  reçue  dans  fon 
fein  y  elle  n'auroit  pu  nous  h  donner 
vifible  &  palpable.  Si  l'Eglife  ne  la  taii'oit 
pas  retentir  aux  oreilles  du  corps  ,  nou^ 
ne  pourrions  l'entendre  fennblement  , 
ni  la  recevoir  de  la  bouche  des  prédi- 
cateurs ;  &  fi  par  l'aôrion  de  la  grâce  elle 
ne  pénétroit  jufques  dans  nos  anr.es  ,  elle 
îî'y  feroit  nulle  împrefTion  ,  &.  n  y  pro- 
duiroit  aucun  fruit.  Mais  ,  ajoute  le 
xnême  Saint  Bernard  ,  cette  parole  indi- 
viribie  &  une  en  elle-même,  fe  com- 
munique à  chacun  félon  la  diverfité  des 
fujets  &  leu»-s  différentes  difpolitions  ; 
de  forte  qu'elle  nous  devient  ou  utile 
ou  inutile,  à  proportion  qu'elle  trouve 
nos  cœurs  bien  ou  m.al  préparés.  D3 
là  vous  voyez  ,  Chrétiens  ,  de  quelle 
importance  il  eft  pour  vous  d'apprendre 
à  la  bien  recevoir  ,  &  de  ccnnoitre  ce 
qui  en  arrête  tous  les  jours  les  falutaires 
effets.  Mais  parce  que  vous  pourriez  être 
peu  touché  de  cette  flqrilité  de  la  divine 
parole  fi  vous  en  ignoriez  les  terribles 
conféquenccs  ,  il  faut  en  m^me  temps 
vouj.  faire  voir  à  qv.ci  vous  vous  expofeï 
en  ne  profitant  pas  d'un  don  fi  précieux  ^ 
^  voici  deux  propcfuions  que  j'avance. 


Sur  la  Parole  de  Dieu.     31^ 

La  parole  de  Dieu  vous  eft  inutile ,  parce 
que  vous  ne  la  recevez  pas  comme  parole 
de  Dieu  ;  c'eft  la  preaiiere  partie.  Et 
dès  que  par  votre  faute  ,  cette  faince  pa- 
role vous  eft  inutile  ,  elle  devient  le  iujet 
de  votre  condamnation  devant  Dieu  ; 
c'eft  la  féconde  partie.  En  deux  mots  ,  j'ai 
a  vous  montrer  pourquoi  vous  profitez 
fi  peu  de  la  parole  que  nous  vous  prê- 
chons ;  &  comment  dès  lors  cette  parole 
de  falut ,  par  le  plus  funefte  renverfe- 
ir.ent  ,  doit  fervir  de  matière  à  votre 
réprobation  :  voilà  tout  mon  deffein. 

POuR  entrer  dans  la  preuve  de  la  L 
première  propofition  que  j'ai  avan-  PaRT^ 
cée  j  il  faut ,  s'il  vous  plait ,  que  nous 
établiftions  d'abord  ce  principe  fonda- 
mental; favoir,  que  Dieu  vous  parle  par 
la  bouche  des  prédicateurs  ,  que  c'eil  la 
parole  de  Dieu  qu'ils  vous  annoncent , 
&  que  dès  là  qu'ils,  ont  une  million  légi- 
time de  l'Eglife  ,  vous  ne  devez  plus  les 
écouter  comme  des  hommes,  mais  qu'ils 
font  à  votre  égard  les  organes  &  les  in- 
terprètes de  Dieu  même  5c  de  fon  Saint- 
Efprit.  Ainfi  le  Sauveur  du  monde  le 
faifoit-il  entendre  à  fes  Apôtres  ,  lorf- 
qu'il  leur  difoit  :  Quand  vous  prêchez 
mon  Evangile  ,  ce  n'eft  point  vous  pro- 
prement qui  parlez  ,  mais  c'eft  l'efprit  de 
votre  Père  célefte  qui  s'explique  par 
vous  ;  Non  eflis  vos  qui  loquimini  ,  fed  ^^tth 
fpiritus  Patris  veftri  qui  loquitur  in  vobis,  g,  ,0.  * 

O  iij 


3iS    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

Les  Apôtres  étoient  envoyés  pour  cela, 
&  c'eft  pour  cela  même  que  nous  avons 
été  choilis  :  c'eft  ,  dis-je  ^  par  l'ordre 
XTîême  de  Dieu  &  de  fon  Eglile  que  nous 
montons,  mes  chers  Auditeurs,  dans  la 
chaire  de  vérité ,  pour  vous  inuruire. 
Sans  cette  miffion  de  Dieu  &  de  Jefus- 
Chrift  Ton  Fils  unique  &L  l'homme-Dieu, 
vous  ne  feriez  plus  obligés  de  recevoir 
nos  inftru6^ions  ,  ni  d'écouter  nos  pré- 
dications comme  la  parole  de  Dieu  , 
parce  qu'elles  ne  leroient  plus  alors  , 
pour  m'exprimer  de  la  forte  ,  marquées 
du  fceau  de  Dieu. 

Et  voilà  (  fouffrez ,  mes  Frères  ,  que 
J'en  fade  ici  la  remarque  ;  c'eft  le  lieu 
de  la  faire ,  &  il  eft  important  que  vous 
la  fafTiez  avec  moi ,  vous  que  l'erreur  a 
tenus  fi  long-temps  féparés  de  nous  , 
mais  que  la  grâce  d'en  haut,  par  le  plus 
heureux  retour ,  ramené  tous  les  jours 
dans  le  fein  de  la  vraie  Eglife  ,  notre 
commune  &  feule  mère,)  voilà  Tune 
des  plus  edenti^îlles  différences  qui  fe 
rencontrent  entre  nous  &  les  minières 
de  cette  Eglife  proteftanteoîi  vous  eûtes 
le  malheur  de  naître.  Ils  avoient  tout  le 
refle  ,  fi  vous  voulez  ;  mais  cette  milhon 
leur  manquoit  :  c'étoient  des  hommes 
fçavans  6i  éloquens  ,  tant  qu'il  vous 
plaira  ;  mais  ils  n'avoient  pas  ce  carac- 
tère d'hommes  envoyés  de  Dieu  ,  &  l'on 
Rom.  pouvoit  toujours  dire  d'eux  :  Quomodà 
'*.  10.  pradkabunt  i  nïji  mittantur  ?  ^ommeat 


Sur  la  Parole  de  Dieu.     319 

prêchent-ils  ,  puilqu'ils  n'ont  point  été 
députés  pour  cela  ?  Car  qui  les  envoyoit? 
étoit-ce  l'Egl-ie  Romaine,  ou  étoit-ce 
une  autre  Eglife  ?  étoit-ce  Dieu  immé- 
diatement ,  ou  de  leur  autorité  particu- 
lière &  d'eux-mêmes  s'étoient-ils  confli- 
tués  pour  enfeigner  ?  Vous  fçavez,  mes 
Frères ,  l'embarras  où  cette  difficulté  les 
jetolt  ;  &  ceux  d'entre  vous  qui  furent 
de  meilleure  foi  &  plus  intelligents  dans 
jeur  religion ,  n'ont  pu  difconvenir  que 
c'étoit  là  un  des  articles  qui  leur  caufoit 
le  plus  de  trouble ,  un  des  points  où  ils 
fentoient  plus  le  foible  de  leur  créance, 
un  des  chefs  fur  quoi  ils  avoient  plus  de 
peine  à  fe  fatisfaire. 

Votre  confeirion  de  foi  portoit  que 
ces  réformateurs  avoient  été  fufcités  ^  & 
pr'.r  conféquent  envoyés  d'une  façon  ex- 
traordinaire ;  mais  vous  aviez  trop  de 
lumière  &  trop  de  fens,  pour  ne  pas  voir 
que  cela  fe  difoit  fans  preuve.  Car  vou5 
n'ignoriez  pss  que  Luther  &  Calvin  n'é- 
toient  venus  ,  ni  comme  Moïfe  dans 
l'ancienne  loi,  ni  comme  Jefus  -  Chrift 
dans  la  nouvelle,  ou  comme  les  Apôtres, 
guériffant  les  malades  ,  rendant  la  vue 
aux  aveugles  nés  ,  relTufcitant  les  morts 
de  quatre  jours,  confirmant  leur  Apofto- 
ht  par  des  fignes  vifibles ,  éclatants  ,  in- 
conteftables  ,  &  qu'ainfi  cette  miffion 
extraordinaire  dont  ils  fe  flattoient,  ne 
pouvoit  leur  convenir.  Après  avoir  re- 
connu, parce  que  vous  étiez  forcés  de  le 

O  iv 


^lo  Sur  la  Parole  d£  DiEtr;- 

reconnoître,que,  félon  la  parole  deDieui 
nul  ne  fe  doit  ingérer  dans  le  gouverne- 
ment de  rEglile  ,  mais  qu'il  y  faut  être 
appelle  par  une  voie  canonique,  vous  y 
înettiez  cette  exception  ,  autant  qu'il  ejl 
pojffibie.  Claufe  que  vous  ajoutiez,  con^me 
porte  expreiTén^ent  Tarticle.  Or  en  difant 
ce  que  nous  ajoutons  ^  pouviez- vous  avoir 
oublié  qu^  par  un  autre  article  il  vous 
étoit  défendu  de  rien,  ajouter  à  la  paroie 
de  Dieu ,  &  que  vous  tombiez ,  félon- 
vos  principes  même ,  dans  une  contra- 
diction inicutenable  ? 

Vous  apportiez,  pour  motif  Si  en  mê- 
me temps  pour  preuve  de  cette  miiiioa 
extraordinaire,  qu'il  avoit  Ikllu  relever 
l'Eglile  défolée  &  tombée  en  ruine  :  m.ais' 
inftruits  comme  vous  l'étiez,  &  commie 
vous  l'êtes  par  la  parole, mêm»e  de  Dieu,, 
des  prom.elfes  que  Jefus-Chrift  a  faites 
à  fon  Eglife,  vous  fçaviez  allez  qu'elle 
ne  pouvoit  jamais  manquer,  parce  qu'elle 
eft  la  colonne  de  la  vérité  ,  &  que  les 
portes  de  l'enfer  ne  peuvent  prévaloir 
contr'elle.  Ainfi  le  fondement  fur  lequel 
vous  vouliez  en  quelque  forte  établir  la 
miiTion  extraordinaire  de  vos  prétendus 
prophètes,  étoit  encore  plus  ruineux  que 
leur  miffion  même. 

Preffés  de  cet  argument  fi  follde   &C 
fi  convaincant  ,  vous  aviez  quelquefois'^— 
recours  à  la  miiTion  ordinaire  ^  Se  voua 
prérendiez  que  les  auteurs  de  la  réforme 
tavoient    reçue   de   l'Eglife  ,    comme 


Sur  la  Parole  de  Dieu.  31Î 

nous  ,  dans  leur  ordination  ;  car  dans  U 
diverfité  des  fentimens  qui  vous  parta- 
geoient  fur  ce  fujet ,  on  en  venoit  là. 
Mais  par  là  ,  mes  Frères ,  vous  confelTiez 
donc  malgré  vous-mêmes  &  fans  y  penfer, 
que  cette  Eglife  Romaine  étoit  alors 
la  vraie  Eglife  ,  puifqu'il  n'y  a  que  la 
vraie  Eglile  qui  puitle  envoyer  les  hom- 
tr.es  en  qualité  de  payeurs  &  de  miniftres 
de  l'Evangile  :  par  là  vous  reconnoiffiez 
donc  que  les  auteurs  de  la  réforme  s'é- 
toient.  féparés  de  la  vraie  Eglife  ,  &  par 
là  enliu  vous  conveniez  donc  de  l'obli, 
gation  où  ils  étoient  d'y  renirer. 

Or  qu'a  fait  Dieu ,  mes  Frères  ,  ea 
vous  y  réuniffant  ?  Adorez  le  confeil 
de  fa  providence  ,  &  voyez  l'avantage 
qui  vous  en  revient  ;  il  vous  a  tirés  de 
la  confufion  &  du  trouble  ,  où  il  étoit 
invpofiîbleque  vos  confciences,pour  peu 
qu'elles fulient  droiîes  &  timorées ,  ne  le 
troublaflent  fur  cela  :  il  vous  a  infpiré  ÔC 
fait  prendre  la  réfolution  de  renoncer  au 
fchifme  :  au  lieu  de  p:>fteurs  fans  auto- 
rité, il  vous  en  a  donnés  dont  la  mif- 
fion  eft  certaine  ,  eft  fenfible  ,  infailli- 
ble. C'eft  en  cette  qualité  ,  mes  Frères,. 
que  je  parois  aujourd'hui  devant  vous: 
je  ne  fuis  ni  Elie,  ni  Prophète  ;  je  fuis 
un  pécheur  comme  vous  :  mais  quoi-^ 
que  pécheur  ,  je  ne  laiffe  pas  d'être  le 
ninirtre  légitime  de  la  paroJe  de  Dieu  ; 
c'el^  un  honneur  pour  moi  de  vous  l'an- 
noncer ,  Se  un  honneur  dont  je  fçais  faire 

Oy 


322    Sur  la  Parole  de  Dieu* 

toute  Teftime  qu'il  mérite  :  mais  suffi 
eft-  ce  un  honneur  que  ]e  ne  me  fuis  point 
attribué,  où  je  ne  me  fuis  point  ingéré, 
que  je  n'ai  ni  ambitionné  ni  recherché, 
un  honneur  où  j'ai  la  confolation  d'à- 
Hehr.  voir  été  légitimement  appelle  :  Nec  quif- 
<:.  J.  quant  fumit  fibï  honorem  ,  fed  qui  voca- 
îur  à  Deo.  Je  ne  fuis  point  en  peine  de 
juftiner  ma  million  ;  en  voici  la  Iburce 
immédiate  :  celui  que  Dieu  vous  a  donné 
pour  Evêque  &  pour  pafteur  de  vos 
âmes  ,  c'eft  de  lui  que  je  tiens  mon 
pouvoir  ;  c'eft  lui  qui  m'autoriie  &  qui 
m'envoie  ,  comme  il  eft  envoyé  lui- 
rnême  de  plus  haut.  Ma  fubordination  à 
fon  égard  Ôê  l'obéiffance  que  je  lui  rends, 
eft  le  titre  de  mon  miniftere:  je  ne  pré- 
tends point  être  extraordinairement  fuf-» 
cité  pour  iniiruire  ceux  dont  je  dois 
être  inftruit  ,  ni  pour  donner  la  loi  à 
ceux  de  qui  je  dois  la  recevoir  ;,  je 
prétends  en  prêchant  aux  autres  ,  être 
moi  "  même  dans  la  loumiïTion  due  à 
l'Eplife  6»-  à  fes  pafteurs.  S'il  m'arrivoit 
de  mêler  mes  erreurs  particulières  avec 
les  vérités  que  je  vous  annonce,  je  pré- 
tends être  redreiTé  par  eux  ,  &  )e  vous 
donne  cette  marque  de  ma  mifTion  ,  parce 
que  fans  cela  vous  ne  devriez  pas  m'é- 
couter,  &  que  je  ne  ferois  plus  un  mi- 
nière de  Jefus-Chrift  ,  mais  un  réduc- 
teur dont  vous  devriez  vous  préferver. 
Ma  miflion  même  eft  fi  claire  &  ft  au- 
thentic^ue ,  que  l'Egliie  proteftame  ne  me 


Sur  la  Parole  de  Dieu.    323 

la  ctifpute  pas  :  car  elle  la  reconnok  fi 
bien  ,  que  quoique  dans  fes  principes  , 
le  baptême  ,  pour  être  valide ,  doive  être 
conféré  par  un  minii^re  légitime  ,(i  dans 
une  rencontre  j'étois  em.ployé  à  conférer 
ce  Sacrement,  elle  le  ratiHeroit  (Se  n'en 
contellerolt  pas  la  validité.' 

Or    voilà  ,    mes  Frères  ,  l'avantage 
dont  je  viens  vous  féliciter.  Vous  avez  , 
ÔL  dans  ma  perfonne,  tout  indigne  que 
je  fuis,  &  dans  ceux  qui  font  revêtus  du 
même  caractère  que  je  porte,  autant  de 
vrais   miniitres  pour  vous  difpenfer  les 
myfteres  de  Dieu  :  Sic  nos  exiftimet  homo  /^  ^^^ 
ut  minijiros  Ckrifli  &  difpenjatores  myfr  c.  4. 
teriorurn  Dei,  AdrelTez-vous  à  eux  ,   & 
vous  éprouverez  leur  charité  ;  confiez-  ' 
leur  vos  âmes  ,    &L  Dieu  par  leur  zèle 
vous  fanélitiera  :  ils  ne  foupirent  qu'a- 
près votre  réunion  :   ne  les  privez  pas 
de  la   joie  qu'ils  auront  en    la   voyant 
entière  &  complette.  Je  fuis  ici  comme 
le  précurfeur  Jean-Baptifte  ,  la  voix  de 
celui  qui   crie  :    Parme  viam  Domini  :     t.  ^ 
préparez  le  chemm  au  beigneur  ;  ouvrez-  c.  5. 
lui  vos  cœurs  pour  recevoir  fa  parole; 
car  puifque  c'elt  de  fa  part  &  en  fon  nom 
cjue  je  vous  parle  ,  c'eft  fa   parole  que 
je  vous  apporte. 

Oui ,  Chrétiens  Auditeurs  ,  c'eft  la 
parole  de  Dieu  ;  &  de  là  Saint  Chryfof- 
tome  tire  trois  grandes  conféquences 
toutes  praiit^jes  &.  pleines  d'mftruilion 
pour  vous,  PreRUv:    ^ient ,  dit  ce  faint 

Ovj 


344    Sur  la  Parole  de  ETieu-, 

Dofteur,  il  s'enfuit  de  ce  principe,  que 
r.ous  devons  donc  écouter  les  prédica- 
teurs de  l'Evangile  comme  Dieu  même  , 
parce  que  Dieu  parlant  en  Dieu  ,  veut 
être  écouté  en  Dieu  ,  &  puifqu'il  parle 
par  l'organe  &  le  miniftere  des  hommes  , 
il  veut  être  écouté  comme  tel  en  leurs 
Deuter.  perfonnes.  Audi Ifra'ét ,à\{o\i-''A  à  fon  peu- 
tf.  C,     pie  ,  &  ûbferva  ut  facïas  qucs.  prczcepit  tibi 
Dominus  :  Ecoute,  Iffaël ,  vaicl  un  com- 
mandem^ent  que  je  te  fais,  moi  qui  fuis 
ton  Seigneur  &  ton  Dieu.  Cependant  ^ 
remarquent  les  Interprètes ,  ce   n'étort 
pas  Dieu  lui-miême  qut  parloir ,  c'étoit 
un  Ange  qui  formoit  ces  paroles  dans 
un  corps  emprunté  ;  mais  il  les  pronon- 
çoit  de  la  part  de  Dieu,  6l  voilà  pourquoi, 
il  vouloit  être  entendu  avec  le  même  ref- 
pe6t  que  Dieu.   Secondement  ,  pourfuît 
Saint  Chryfoilome ,  il  faut  encore  inférer 
de  là  que  fi  je  reçois  la  parole  de  Diea 
comme  psrole  des  hommes ,  je  ne  fatisfars^ 
pas  au  précepte  pofitif  que  ma  religion 
în'impofe,  d'écouter  la  parole  de  Dieu-, 
parce  qu'en  vertu  de  ce  commandement 
ii  nV  a  point  d'homme,  quelque  autorité, 
qu'il  ait    d'ailleurs  ,   dent  je  fois  oblig-é 
«d'entendre  la  parole  ;  c'efl  ^^niquement 
à  celle  de  Dieu  que  je   dois  cette  dé- 
férence. Si  donc  au  lieu  d'écouter  Dieu 
qui   me   parle    dans   la    prédicaticîi  de 
l'Evangile  ,   j^    m'arrête    feulement    à 
l'homme  qui  n'efl  que  fori-miniftre ,  je 
31'accomplis,  pasrifï-JT  ûevoir   elïentiei , 


Sur  la  Parole  de  Dieu.    5?^ 

qni  m'engage  comme  Chrétien  par  une 
îîécemté  indiipenfable  ,  à  entendre  la 
parole  de  Dieu,  puilque  je  fais  nbftrac- 
tion  de  Dieu  ,  6c  que  je  n'ai  plus  d'égard 
à  fa  parole. 

Muis  la  troifietne  &  dernière  consé- 
quence à  laquelle  nous  devons  particu- 
lièrement nous  arrêter,  ert  que  Dieu  nous 
parlant  par  fes  prédicateurs  ,  &  que  les 
prédicateurs  étant ,  pour  ufer  des  termes 
2e  l'Ecriture,  la  bouche  ce  Dieu,  Q_ujfi  es 
mtum  cris  ;  ks  entendre  comnne  hommes 
fimpiement ,  c'eft  Te  rendre  inutile  la  pa- 
role qu'ils  prêchent ,  &:  renoncer  à  tous 
les  fruits  de  grâce  que  cette  parole  ell  ca- 
pable de  produire  :  pourquoi  cela  ,  Chr^ 
tens  "i  la  preuve  en  eft  évidente ,  &  je  îa 
fonde  fur  deux  principes  indubitables.  Le 
premier  efi: ,  que  cette  force  toute- puif- 
lante  de  la  parole  de  Dieu  ,  fi  hautem.enc 
louée  par  le  Saint-Efpiit ,  ne  lui  convient 
pas  en  îani  qu'elle  procède  de  l'homme  ^ 
mais  en  tant  qu'elle  efb  de  Dieu  :  de  mê- 
me, obferve  Saint  Hi'aire  ,  que  le  Verbe 
incréé  n'a  point  de  vertu,  divine,  qu'en 
tant  qu'il  la  reçoit  de  Dieu  iun  Père  ai 
qu'il  procède  de  lui;  Omnia  milii tr.idita  Mattrî^ 
junt  à  Paire  meo  ;  rien  de  plus  toibîe  que  c.  ;  j. 
la  parole  des  prédicateurs  ,  piife  feîon  le 
rapport  qu'elle  a  feulement  à  leurs  per- 
fonnes.  Elle  n'a  point  de  corps,  dit  Saifit 
Bernard,  point  de  fuhftance  ni  de  Ibll- 
dite  ;  elle  frappe  l'cir ,  &  rien  davantage-: 
Aénm  v-çrb^ruty  undi  6"  Virbum  di^tiir,  JBcrny 


^i6    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

Ah  !  mes  Frères  ,  continue-t-11 ,  ne  jugez 
point  par-là  de  la  parole  de  Dieu  ,  &  ne 
la  méprifez  pas  jufqu'à  la  contondre  avec 
Idem,   la  parole  de  Thomme  :   Nemo   vejlrâm  , 
Fratres  ^fic  accipiat  ^  imb  fie  defpiciat  Ver- 
bum   Dei.   Car    cette  même  parole   qui 
n'eft  rien  entant  qu'elle  part  de  ma  bou- 
che ,  h  vous  la  confidérez  entant  qu'elle 
vient  de  Dieu  ,  a  les  qualités  les  plus 
.agifTantes.  C'eft  un  t'eu  qui  dévore,    & 
qui   confume  tout  :  ISumquïd  vcrhj,  mea 
quafi  ignis  ?  C'ell  un  marteau  à  qui  les 
pierres  les  plus  dures  ne  peuvent  réhfler  : 
'Jercm.  Et  quafi  malUus   conter ens  petram.    C'efi: 
^.  ^3-  un  glaive  à  deux  tranchants  ,  qui  fépare 
l'ame  d'elle-même  toute  indivinble  qu'elle 
Hehr.  eft  :    Penctrabilior  omni  gladio  ancipiti  , 
f.  4.    pertingens    îifque    ad    divifionem    ammcE. 
Mais  elle  n'a  toutes  ces  propriétés  que 
comme  parole  de  Dieu ,  &  autant  qu'elle 
tire  de  lui  fon  origine. 

L'autre  principe  non  moins  certain  , 
c'eft  que  la  parole^  de  Dieu  ,  ainfi  que  je 
l'ai  déjà  oblervé  ,  n'opère  en  nous  que 
félon  la  manière  dont  elle  y  eft  reçue  : 
femblable  en  ceci  aux  caufes  naturelles  , 
qui  ne  produifent  leurs  effets  qu'à  pro- 
portion qu'elles  font  appliquées  à  leur 
fujet.  Vous  recevez  la  parole  de  Dieu 
comme  venant  de  Dieu  ,  elle  opérera 
dans  vous  coinme  parole  de  Dieu  ;  mais 
vous  l'entendez  comme  une  production 
de.i'efpric  de  l'homme,  elle  n'agira  en 
yous  que  comme  parole  de  l'homme  ', 


Sur  la  Parole  de  Dieu.    317 

&  parce  qu'il  n'eft  rien  de  plus  inutile 
au  falut  que  la  parole  de  l'homme ,  voilà 
pourquoi ,  en  l'écoutant  de  la  forte  ,  nous 
lui  taifons  perdre  à  notre  égard  tonte  fa 
vertu  Sl  nous  la  rendons  fi  ftérile.  C'eil: 
ce  qui  arriva  aux  Juifs  :  Jefus-Chrifl:  leur 
annonçoit  des  vérités  toutes  divines  ,  il 
leur  expliquoit  les  plus  hauts  myfteres  & 
leur  enfeignoit  les  voies  du  falut  ;  il  avoit 
été  envoyé  pour  cela  ;  c'étoit  le  Medie , 
c'étoit  le  Fils  unique  de  Dieu  :  mais  corn* 
ment  le  regardoi'ent-ils  ?  Cet  homme  , 
difoient-ils,  n'eft-il  pas  le  Fils  d'un  arti- 
fan?  Nonne  hic  e(l  Filius  fabri?  N'eft-ce  Matth^ 
pas  le  Fils  de  Jofeph,  ôc  ne  connoifibns-  c  z^-, 
nous  pas  fon  père  &  fa  mère  r  Nonne  hk  Joan^ 
&  Filius  Jofeph  ,  cujus  novimus  patrem'  c»  ^» 
&  matrem  r"  Or  parce  qu'ils  ne  s'élevoient 
point  au  deffus  de  ce  qui  paroilToit  en 
lui  d'humain  ;  parce  qu'ils  ne  le  confi- 
déroient  qu'en  qualité  d'homme  ,  de  là 
vient  que  la  parole  de  Dieu ,  fortant 
même  de  la  bouche  d'un  Dieu  ,  ne  faifoit 
nulle  impreffion  fur  eux ,  &  que  leurs 
cœurs  demeuroient  toujours  endurcis. 
Mais  quand  au  contraire  ,  après  la  deC- 
cente  du  Saint-Efprit  fur  les  Apôtres,  ils 
commencèrent  à  prendre  des  idées  plus 
fublimes  ,  &  que  les  envifageant  comme 
députés  de  Dieu,  ils  fe  rendirent  atten- 
tas à  leurs  prédications  ,  Saint  Luc  nous 
apprend  quels  fruits  merveilleux  ôc 
abondants  produifit  tout  à  coup  la  pa- 
role de  Dieu,  prêches  même  par  des 


3iB    Sur  la  Parole  de  Dieu: 

hommes  &  les  plus  fimples  d'entre  les 
hommes.  Saint  Pierre  au  milieu  de  Jéru- 
falem  convertit  dans  un  leul  dilcours 
jufques  à  trois  mille  de  (es  auditeurs  :  le 
irême  prince  des  Apôtres  dans  un  autre 
dilcours  en  gagna  à  Jefus-Chrirt  juiques 
à  cinq  mille.  Les  Egllfes  de  toutes  parts 
fe  formèrent ,  TEvangile  fe  répandit ,  la 
foi  paffa  jufqu'aux  extrémités  de  la  terre: 
tout  cela  ,  par  où  ?  par  la  parole  de  Diea 
enrendue  comme  parole  de  Dieu. 

Vous  reconnoiiTez  donc  ,  mes  Frères, 
pourquoi  la  plupart  des  Crirétiens  profi- 
tent h  peu  de  la  lainte  parole  que  nous 
leur  annonçons.  N'eft-il  pas  évident  qi-e 
le  principe  d'un  mal  fi  déplorable  &  fi 
pernicieux  dans  le  Chriftianifme  ,  eft 
qu'on  ne  la  reçoit  plus ,  cette  parole  ,  qr.e 
comm.e  parole  des  hommes  ,  fans  penler 
qu'elle  part  de  plus  haut  &  de  Dieu 
même  ?  Voulez-vous  que  je  vous  en  con- 
vainque par  les  dirlérentes  intentions  des 
Auditeurs  qui  l'écoutent .''  venons  au  dé- 
tail. Car  on  nous  écoute  ,  il  efl  vrai  ; 
©n  afTjile  à  nos  prédications  ,  &  fur  cela-, 
mes  Frères,  je  vous  rends  aifément  tout^ 
la  juftice  qui  vous  ell  due  :  mais  du  rede 
on  vient  nous  entendre  ,  comment  ? 
pouvons-nous  l'ignorer,  &  pouvons  noirs 
voir  fans  une  am.ere  douleur  de  pareilles 
profanations  dans  la  mailon  de  Dieu 
&  en  la  préfence  de  Jefus-Chrift  }  On 
vient,  dis-je,  nous  entendre,  mais  par 
coutume  6c  par  une  eipece  de  paiTe-temps,, 


Sur  la  Parole  de  Dieu.  31^ 
mais  fouvent  par  un  efprit  de  malignité 
&  de  cenfure  ,  mais  par  une  curioiué 
vaine  &  toute  humaine  :  ni  vue  de  Dieu  ^ 
îii  préparation  de  l'ame  ,  ni  defir  de  s'é- 
difier ÔL  de  recueillir  les  fruits  de  faluc 
qu'une  Ci  fainte  parole  doit  produire. 
Expliquons-nous  ,  &  iuivez-moi. 

Ceft  par  coutume  &  par  une  efpece  de 
paiTe-temps  qu'on  vient  nous  entendre. 
Demandez  à  la  plupart  de  ceux  qui  fs 
rendent  les  plus  ailidus  à  nos  ailemblées 
ÔL  à  nos  inftru£lîons  publiques  ,  ce  qui  les 
y  amené  :  s'ils  lont  de  bonne  toi  ,  ils- 
Yous  répondront  qu'ils  n'ont  communia- 
ment  en  cela  nulle  autre  vue  que  de 
fuivre  une  certaine  habitude  qui  les  con- 
duit. Il  y  a  pour  les  gens  du  iiecle  des  • 
paiTe  temps ,  &  fi  j'ofe  le  dire ,  d^s  amu- 
iements  de  toutes  les  fortes  :  parlons  plus 
jufte,  &.  difons  que  les  gens  du  fiecle  fe 
font  des  paffe-teaips  &  des  amufements 
de  toutes  les  manières,  &L  que  par  l'abus 
le  plus  contraire  à  reTprit  chrétien,  ils 
en  cherchent  jufques  dans  les  plus  faints 
exercices  de  la  religion.  Je  ne  parle  pas 
des  impies  &  des  libertins  ,  je  ne  parle 
pas  de  ces  mondains  tout  occupés  des 
plaifirs  &  des  engagements  du  monde  ; 
la  parole  de  Dieu  n'eil  pour  eux  ni  paCTe- 
temps,  niamulement  .puisqu'ils  font  pro- 
fellion  de  n'y  alTifter  jamais.  Je  parle  du 
commun  des  Chrétiens  qui  confervent 
toujours  dans  le  cœur  un  fonds  de  piété, 
mais   d'une  piété  lâche  &  indifFéL*ente» 


330    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

A  ces  Fêtes  folemnelles  que  nous  célé- 
brons ,  &  à  ces  jours  que  i'Eglife  a  fpé- 
ciaiement  confucrés  au  culte  de  Dieu  ^ 
ils  veulent  bien  s'interdire  tout  foin  & 
toute  affaire  profane.  Mais  du  refte 
que  feront- ils  alors  ,  &  que  pourront-ils 
fubft'.tuer  à  ces  occupations  qu'ils  font 
obligés  &:  en  effet  réfolus  d'interrompre? 
De  quoi  rempliront-ils  ce  temps  qu'ils 
refufent  nux  fondions  d'une  charge  ,  à 
la  conduite  d'un  négoce  ,  aux  trcivaux 
ordinaires  &  aux  ufages  de  la  vie  ?  De  le 
perdre  au  jeu,  &de  ne  l'employer  qu'en 
de  Vaines  converfations  &  en  des  diver- 
tiffemens  mondains ,  c'eft  ce  que  plufieurs 
fe  reprocheroient  devant  Dieu,  &  ce  que 
leur  confcience  auroit  peine  à  foutenir. 
Que  leur  faut- il  donc  ,  Se  à  quoi  ont- ils 
recours  ?  à  nos  cérémonies  religieuf^s  , 
à  nos  pieufes  affemblées ,  &  en  particu- 
lier à  nos  prédications  :  les  heures  s'y 
écoulent,  &  cela  leur  fufEt. 

De  là  nulle  difpofition  intérieure  pour 
recueillir  cette  manne  divine  que  les 
minières  du  Seigneur  leur  diftribuent  , 
&  qui  doit  être  la  nourriture  de  leurs 
âmes  &  leur  entretien.  Le  Saint- Efprit 
ne  veut  pas  que  nous  nons  prétentions  à 
l'autel  du  Dieu  vivant  pour  le  prier ,  fans 
nous  y  être  préparés  ;  &  l'on  le  préfente 
à  la  chaire  de  Jefus-Chrift  pour  l'écou- 
ter ,  fans  être  rentré  en  foi- même  ni 
s'^être  éprouvé  foi-même  :  comme  fi  la 
chaire  où  Dieu  nous  fait  annoncer  fes 


Sur  la  Parole  de  Dieu.   331 

ordres ,  ne  nous  devoit  pas  être ,  fé- 
lon la  belle  remarque  de  Saint  Atha- 
nafe  ,  auffi  vénérable  que  l'autel  où  il 
nous  difpenfe  (qs  grâces  ;  &  comme  fi 
la  parole  que  nous  lui  adreflbns  dans 
i'oraifon  ,  étoit  plus  refpe^lable  pour 
nous  que  celle  qu'il  nous  adrelTe  lui- 
même  en  nous  inftruifant  ,  ou  qu'on 
nous  adreOe  en  fon  nom.  De  là  même 
nulle  réflexion  de  l'efprit ,  nulle  atten- 
tion à  des  vérités  qu'on  ne  peut  trop 
méditer  ni  trop  pénétrer.  Le  prédica- 
teur après  s'être  co^^fumé  de  veilles  & 
d'études  ,  pour  fe  les  rendre  plus  pré- 
fentes &  fe  les  bien  imiprimer  ,  épuife 
encore  fes  forces  à  les  développer  telles 
qu'il  les  a  conçues ,  &  à  les  propofer 
dans  tout  leur  jour  :  mais  l'auditeur,  ca 
plongé  dans  une  lente  parcLle  qui  l'affou- 
pit ,  ou  diiTipé  par  de  volages  idées  qui 
tour  à  tour  fe  fuccedent  &.  qui  l'égarent  , 
n'entend  rien  ,  pour  ainfi  parler ,  de  tout 
ce  qu'il  entend  ,  n'en  prend  rien  ou  n'en 
conferve  rien. 

Or  fi  l'on  regardoit  la  parole  de  Dieu, 
comme  parole  de  Dieu  >  on  y  apporteroit 
tout  un  autre  efprit  &  tout  un  autre 
cœur  :  je  veux  dire  qu'on  y  apporteroit 
un  faint  recueillement  de  l'ame  ,  un 
humble  fentiment  de  fa  propre  bafTefle 
&  de  la  grandeur  fouveraine  du  maître 
dont  on  va  recevoir  les  falutaires  leçons  , 
une  intention  aftuelle  d'en  profiter  oL  de 
les  pratiquer  ,  qu'on  y  apporteroit  la 


j3î    Sur  la  i^arole  de  DiEtrV 

docilité  des  enfans ,  pour  apprendre  Tes 
devoirs  ik  pour  les  connoitre  ;  une  iou- 
miiïion  ,  une  fidélité  prête    à  tout   en- 
treprendre i  un  plein    abandon   de  foi-* 
même  à  tous  les  mouvemens  qu'il  pl?.i* 
roit  à  Dieu  d'inipirer  ,   &  à  toutes  les 
grâces  dont  il  voudroit  nous  éclairer  Si 
nous  toucher.  Cette  feuîe  penfce  ,  Dieu 
tnVippeile  ,  &  par  la  bouche  de  Ion  mi- 
îiiftre  c'eft  lui-rr.ême  qui  me  va  donner 
fes  divins  eni'eignements,  lui-même  qui 
me  va  révéler  les  myfteres ,  qui  me  va 
découvrir  fes  voies  ,  qui  nie  va  déclarer 
fes  volontés  ,    qui  va    m'expliquer   fon 
Evangile  &  Tes  facrés  oracles  ;  ce  feul 
fouvenir  ^  mes  Frères  ,   exciteroit  tout 
Votre    zèle    &   réveillerolt  toute  votra 
ardeur.  On  vous  verroit  au  pied  de  cetta 
chaire  ,  au{!î  refpe^tueux  &l  auffi  appli- 
qués que  il  £)ieu  avec  tout  l'éclat  de  fa 
majefté  paroiffoit  à  vos  yeux,  &  qu'il  fe 
montrât  à  vous  dans  fon  temple  comme 
à  Moïle  ûir  la  montagne.  Bien  loin  d'ê- 
tre   obligés    de   précipiter  ,    pour    ainiï 
dire,  nos  d;-fcours  &  de  les  reilerrer,  nous 
pourrions    fans  lalTer    votre    p-ctience  , 
leur  donner  la  plus  longue  étendue  ;  & 
fi  vous  aviez  à  vous  pbindre  ,  ce  ne  feroit 
que  de  notre  brièveté.  Avides  du   pré- 
cieux aliment  que   votre   Dieu   vous  a 
deftiné,&  de  cette  pâture  fpirituelle  dont 
nous  fommes  les  œconomes  ,  nous  au- 
rions peine  à  vous  ralTafier;  pas  une  parole 
ne  vous  échapperoit  ,  U  pas  une  qui 


Sur  la.  Parole  de  Dier.    333 

jàemeurât  fans  fruit.  Vous  trouveriez  en 
tious  des  guides,  des  maîtres ,  des  pères  ; 
des  guides  pour  vous  conduire  à  Uieu , 
des  maîtres  pour   vous   élever  dafis   U 
connoift'ance  de  Dieu  ,  des  pères  pour 
vous   former  félon  Dieu  ;  au  lieu  que 
nous  ne  fommes  plus  pour  vous,  cgmmç 
s'exprimoit  le  grand  Apôtre  ,  cjue  des 
cymbales  retentiffantes.  Pourquoi  cela  ^ 
Ah  !  mes  cheis  Auditeurs,  je  ne  puis  trop 
vous  le  redire  ,  parce  que  vous  ne  recon- 
noiilez  point  Dieu  dans  nos  perfonnes  , 
quoique  nous  tenions  la  place  de  Dieu  ; 
parce  que  vous  ne  nous  comptez  que  pour 
tles   hommes  femblables  à  vous  ,  quoi- 
que nous  ayons,  quelque  foibles  &  quel- 
que imparfaits  que    nous  foyons   d'aiU 
leurs,  cet  avantage  au  defTus  de  vous  , 
d'être  les  ambafladeurs  de  Dieu  ;  parce 
que  jugeant  ainfi  de  nous  par  des  vues 
toutes  humaine^  ,  fans  en  juger  par  les 
vues  de  la  foi,  vous  ne  mettez  prefque 
rmlie  différence  entre   nos  plus  folides 
entretiens  &  ces  vuides  converfations  ou 
ii  coutume  dans  le  monde  vous  engage^ 
6c  qui  ne  vous  font  de  nul  profit  ni  de 
rml  mérite  devant  Dieu. 

Miis  le  défordre  va  encore  plus  loin,' 
&  fi  les  uns  font  coupables  parce  qu'ils 
viennent  entendre  ind-ifféremiment  la 
parole  de  Dieu  6c  fans  nulle  intention 
directe  6i  exprelïe  ,  les  autres  le  font  en- 
rore  plus ,  parce  qu'ils  la  viennent  en- 
^endrç  niali^nçcnent  U  pour  ea  faiiç  Jç 


334    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

fujet  de  leur  cenfure.  Car  combien  j 

a-t-il  de  ces  Auditeurs  qui ,  par  une  vaine 
préfomption  ,  s'érigent  en  juges  de  l'é- 
loquence chrétienne,  ne  fe  rendent  at- 
tentifs à  tout  ce  que  nous  leur  difons  , 
que  pour  critiquer  la  manière  dont  nous 
le  concevons j  dont  nous  l'arrangeons, 
dont  nous  le  propofons  ,  dont  nous  l'ex- 
primons ,  dont  nous  le  débitons  ?  Et  de 
là  comment  fortent-ils  des  prédications 
où  ils  ont  afliflé ,  &  comment  en  parlent- 
ils?  comme  des  philofophes  &des  païens. 
S'ils  ont  des  éloges  à  donner  au  prédica- 
teur évangélique  ,  c'eft  fur  la  fublimité  de 
les  penfées  ,  c'eft  fur  la  nouveauté  de 
fes  tours ,  c'eft  fur  la  politefTe  &  la  fleur 
ce  Ton  kngage  ,  c'eft  fur  la  grâce  ou  le 
feu  de  fon  adtion.  Mais  parce  qu'on  efl 
toujours  beaucoup  plus  enclin  à  repren- 
<lre,  &  qu'on  n'approuve  qu'avec  peine, 
c'eft  fur  tous  ces  points  &  fur  bien  d'au- 
tres de  même  nature  ,  qu'on  ne  pardon- 
ne rien  ,  &  qu'on  porte  les  jugements 
les  plus  féveres.  Combien  de  ces  audi- 
teurs frivoles  &  mondains  ,  toujours 
pf êts  à  fe  divertir  &  à  railler  ?  Qu'ils 
entendent  de  notre  bouche  une  de  ces 
paroles  que  le  libertinage  a  profanées 
&  corrompues  par  de  faufles  interpré- 
tations ,  voilà  à  quoi  la  légèreté  de  leur 
efprit  s'attachera ,  voilà  ce  qui  les  dé- 
tournera des  plus  férieufes  matières  , 
voilà  ce  qu'ils  remporteront  avec  eux, 
§L  ce  qui  leur  fervira  de  fonds  pour  les 


Sur  la  Parole  de  Dieu.    335 

plus  fubtiles  ou  les  plus  grofiîeres  phi- 
îanteries.  Etrange  renverfement  î  Chré- 
tiens ,  &  où  en  fommes  -  nous  réduits 
par  la  perverfité  du  fiecle  ?  Ne  nous  fera- 
t-il  donc  plus  permis  d'uler  des  plus 
innocentes  6c  mêuie  des  plus  lainres 
exprefîions  ?  Sera-ce  un  crime  pour  nous 
de  nous  énoncer  comme  les  Pères  de 
l'Eglife  ,  comme  les  Apôtres  ,  &  en  par- 
ticulier comme  Saint  Paul?  Le  monde 
eft-il  donc  devenu  par  Tes  vains  Si  ridi- 
cules raffinements  ,  plus  délicat,  plus 
hcnnéte,  plus  pur  que  ne  l'a  été  iufqu'à 
préfent  la^  fage  fimplicité  des  fidelles  ? 
Difons  mieux,  faudra-t-il  que  nous  faf- 
fions  céder  la  liberté  de  la  chaire  au  goût 
dépravé  du  monde  &.  à  fon  fens  réprou- 
vé ?  Non,  mes  Frères  ,  non  ;  nous  par-  ■ 
lerons  commie  i'efprit  de  Dieu  nous  i'inf- 
pirera  ;  &  fi  le  monde  en  tire  un  fcandale 
dont  nous  ne  fommes  point  les  auteurs  , 
fans  abandonner  des  termies  confacrés  , 
nous  nous  contenterons  pour  notre  con- 
folation  ,  d'oppofer  au  mépris  du  monde 
ce  que  notre  divin  Maitre  nous  a  dit  ; 
Celui  qui  vous  méprife,  me  méprife  ; 
Qui  vos  fpernit ,  me  fpernit.  Car  c'eft  en  r 
effet  s'attaquer  à  Dieu  mêm.e  &  l'outra-  ^^  ^*^^ 
ger  que  de  s'attaquer  à  fa  parole  &  d'en 
Faire  un  fi  criminel  abus. 

Tous  néanmoins  ne  le  font  p?.s  ;  à 
Dieu  ne  pl^ife  :  mais  un  dernier  défor- 
dre  plus  commun  ,  c'efl  d'entendre  la 
parole  de,  Dieu  par  une  pure  curiofité. 


33^    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

Qu'un  miniftre  de  l'Evangile  ait  queU 
4iue  avantage  qui  le  diftingue  &  qui  lui 
^it  acquii»  un  certain  nom  ,  on  le  veut 
connoiîre  par  foi-même ,  &.  peu  en  peina 
d'en  profiter,  on  veut  en  pouvoir  par- 
ier. Maigre  la  droiture  de  fes  inten- 
tions ,  dont  Dieu  qÛ  témoin,  il  fert  de 
/peclacle  à  toute  une  multitude  compo- 
ié'2 ,  de  qui  ?  eft-ce  de  Chrétiens  qui 
'viennent  s'édifier  ?  je  ne  prétends  pa* 
C[u'il  n'y  en  ait  point  de  ce  caractère  ,  &C 
je  ne  terai  pas  ,  contre  les  règles  de  la 
.charité  6l  de  la  juilice ,  à  un  fi  nombreux 
auditoire  ,  cette  injure  :  mais. du  rede 
je  ne  craindrai  point  de  Te  dire  ,  ÔC 
fans  me  borner  à  la  curiofité  trop  natu^ 
lelle  des  uns  ,  je  marquerai  en  même 
temps  les  motifs  encore  plus  criminels 
que  bien  d'autres  y  joignent.  Car  je  ne 
fe  puis  ignorer,  mes  Frères,  &  figno- 
rez-vous  vous-mêmes  ?  quoi  ?  que  pour 
Quelques  arnes  pieufes  qui  cherchent  à 
s'inftiuire  dans  une  prédication,  cent 
aucres  s'y  trouvent ,  parce  qu'ils  y  doi- 
vent rencontrer  tels  ou  telles,  &  que  c'eft 
la,  à  certain  jours  &  à  certain  temps  , 
comme  le  rendez- vous  public  :  qu'ils 
s'y  trouvent  ,  p.rce  qu'ils  peuvent  y 
paroître  &i  y  briller ,  y  vo.ir  6c  s'y  taire 
voir  :  comme  fi  c'étoit  une  de  ces  affem- 
blées  où  la  vanité  du  monde  étale 
£vec  plus  d'éclat  ôc  avec  plus  d'art  toutes 
fçs  pOK.pes  &  tout  fon  luxe  :  qu'ils  s'y 
-Couvent  comnae  àiirie  ax^ion  de  théâtre  i 


Sur  la  Parole  de  Dieîj.     537 

fe  ne  m'explique  pas  davantage ,  &  je 
craindrois  en  vous  révélant  tous  ces  myf- 
teres  d'iniquité ,  d'entrer  dans  un  détail 
plus  propre  à  vous  fcandaliler  qu'à  vous 
corriger.  Or  n'eft-il  pas  évident  que  le 
principe  de  tant  de  fcandales ,  c'eft  que 
dans  la  parole  de  Dieu  &  dans  l'atten- 
tion qu'on  y  donne  ,  on  ne  fe  propofe 
rien  moins  que  cette  divine  parole  r 

Mais,   me  direz-vous,  il  ne  nous  eft 
pas  détendu  de  nous  attacher  à  un  pré- 
dicateur plutôt  qu'à  l'autre  ,  &  de  dif- 
tinguer  entre   les  minières  de  la  parole 
de    Dieu   ceux  qui    ont   le  don   de   I3 
mieux  annoncer.  Non,  mes  Frères ,  cela 
ne  vous  eft  point  sbfolument  défendu, 
pojirvu  que   vous  preniez  dans   le  <ens 
qu'il  doit  être  pris ,  ce  que  vous  appel- 
iez mieux  annoncer  la  parole  de  Dieu^ 
Car  qu'eft-ce  que  ce  mieux  ,  &  que  doi;. 
I  il  être  par^rapport  à  vous  f  Si  ce  mieux 
I  ne  va   qu'à    vous    flatter    agréablement 
.  l'oreille  fans  vous  toucher  le  cœur  ;  s'il 
I  ne  va  qu'à  vous  récréer  vainement  l'ef- 
;  prit  de  peintures  vives  ,  de  tours  nou- 
I  veaux  &  ingénieux  ,   d'expreiliôns  po- 
lies^ &  arrangées  avec  étude  ;  s'il  ne  va 
qu^  vous  repaître  inutilement  6>:  peut- 
ctr^  trop  humainement  les  yeux,  parie 
ne  fçais  quelle  grâce  &  q-ut:;lle  repréfeii- 
tation  qui  leur  plaile  ;  fi ,  dis-je  ,  c'eft- 
là  qu'il  fe  réduit ,  quoi  qu'il  en  puiile  être 
de^ce  mieux  confidéré  en  lui-même,  je 
Do  min.  Tom.  /,  P 


33^    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

prétends  qu'à  votre  égard  ce  n'eft  nul-* 
lerrent  ce  qui  vous  convient ,  parce  que 
ce  n'eft  point  ce  qui  vous  conduit  à  l'uni- 
que fin  que  vous  devez  avoir  en  vue , 
qui  eft  votre  converfion  bc  votre  fanfti- 
fication.  Mais  quand  ce  mieux  confiftera 
à  vous  convaincre  folidement  des  vérités 
éternelles  ,  &  à  vous  les  repréfenter  dans 
toute  leur  force  ,  à  vous  faire  connoître 
vos  devoirs  &à  vous  y  afFeéiionner  ,  à 
vous  faire  fentir  l'importance  ,  la  nécef- 
fité  du  falut ,  &  à  vous  mètre  dans  une 
difpofition  efficace  &  prochaine  d'y  tra- 
vailler :  quand  ce  mieux  confiftera  à  vous 
infpirer  la  crainte  de  Dieu,  Ihorreur  du 
péché,  l'amour  de  la  vertu  ;  à  vous  en 
tracer  de  grandes  images ,  &  à  vous  en 
imprimer  tortem.ent  dans  l'ame  les  fenti- 
ments  :  quand  ce  mieux  confiftera  à  vous 
retirer  de  vos  défordres ,  &à  vous  dé- 
tacher du  monde  Si  de  vos  habitudes 
vicieufes,  à  vous  exciter  aux  larmes  &à 
la  pénitence  ;  de  forte  que  ce  foient ,  fé- 
lon le  beau  mot  de  Saint  Jérôme ,  vos  gé- 
nfiiffements  &  non  vos  applaudift"emients , 
qui  faftient  l'éloge  du  prédicateur  ,  &c  que 
vous  vous  en  retourniez  vous  frappant 
la  poitrine  &  formant  de  faintes  réfolu- 
tions  pour  l'avenir ,  Percutientes  peàlora 
^"^'  fua.  revertebantur  ;  alors  je  reconncltrai 
"'  ^^'  que  c'eft-là  le  mieux  que  vous  devez 
préférer  à  tout  le  refte  ;  bien-loin  de 
condamner  votre  choix,  je  l'approuverai^ 


Sur  la  Parole  de  Dieu.    339 

je  le  louerai ,  je  vous  y  confirmerai ,  par- 
ce que  tout  cela  ne  peut  venir  que  de 
la  parole  de  Dieu  difpenfée  ÔC  reçue 
comme  parole  de  Dieu.  Mais  cette  pure 
parole  de  Dieu  vous  paroît  trop  auftere 
ôc  vous  en  craignez  les  conféquences  : 
il  vous  faut  donc  quelque  choie  d'hu- 
main qui  l'adouciffe  &  qui  l'accommo- 
de à  votre  goût.  Or  voilà  pourquoi  elle 
vous  devient  inutile  :  car  c'eft  à  cet  hu- 
main que  vous  vous  en  tenez  ;  &  com-^ 
me  rien  d'humain  ne  peut  opérer  les  œu- 
vres de  la  grâce  qui  font  d'un  ordre  infi- 
niment fupérieur,  c'eft  pour  cela  que 
tout  ce  que  vous  entendez  de  la  bouche 
des  prédicateurs  ,  vous  profite  fi  peu ,  ou 
ne  vous  profite  point  du  tout.  Cependant 
vous  vous  flattez  vous-mêmes ,  6l  parce 
que  vous  ne  manquez  pas  peut-être  une 
prédication  ,  vous  vous  faites  de  cette 
afliduité  un  prétendu  mérite.  Mais  vous 
vous  trompez,  mon  cher  Auditeur,  ÔC 
votre  erreur  efi:  d'autant  plus  pernicieufe 
que  la  parole  de  Dieu  ne  fervant  pas  par 
votre  faute  à  votre  falut ,  elle  doit  fer- 
vir  par  un  jufte  jugement  à  votre  con- 
damnation :  vous  l'ailez  voir  dans  la 
féconde  Partie. 

•   A^Uand  l'Ecriture  fait  mention  de  la    !!• 
V^  parole  de  Dieu  &  de  Tes  merveilleux  Part, 
effets ,  elle  nous  la  repréfente  comme  une 
parole  toute  fainte  &  toute  fandlifiante  , 
f^mjxiQ  une  parole  de  vie  &  d'une  vie 

Pi; 


340    Sur  la  Parole  de  Dieu. 
éternelle  :  Seigneur ,  s'écrioit  le  Prophète 
royal ,  ranimez-moi  Sc  reffufcitez-moi  par 

jp/.  M  5.  votre  parole:  Vivificamt  fccnndum  ver-* 
biim  tuum.  Car  c'eft ,  ô  mon  Dieu,  re- 
prenoît  le  faint  Roi  ,  c'eft  dans  la  vertu 
de  cette  adorable  piroîe  que  j'ai  mis 
îbïd.  toute  ma  confrance  :  Q^uia.  in  verba  tua. 
fuperfperavi.  Où  irons-nous  ,  Seigneur,  ' 
diloit  Saint  Pierre  au  Fils  de  Dieu  ,  &  à 
quel  autre  nous  adrelFerons-nous  qu'à 
vous-même  ,  puifque  vous  avez  les  paro- 

Joan.  C.  les  de  la  vie  éternelle  :  Domine ,  ad  quetn 
ibimus  ?  verba  vitcz  cztcrnœ.  habes.  Et  le 
Sauveur  lui-même  n'a  t-il  pas  dit  que  tou- 
Jbid.  tes  fes  paroles  éîoiemefprit  &  vie  ?  rerba 
quœ  locutus  fum  vobis  ,  fpirhus  &  vita 
Junt,  11  eft  donc  certain  que  le  vrai  ca- 
ratSlere  de  la  parole  de  Dieu  eil  de  nous 
conduire  dans  les  voies  de  la  juftice  &C 
de  la  fainteté^  de  nous  portera  Dieu  6c 
de  nous  faire  heureufement  parvenir  au 
terme  où  nous  fommes  appelles  de  Dieu. 
Mais  fi  cela  eft  ,  comment  fe  vérifie 
d'ailleurs  l'autre  propofition  que  j'ai  avan- 
cée ,  que  la  parole  de  Dieu  doit  fervir  à 
notre  condam.nation ,  dès  qu'elle  ne  fert 
pas  à  notre  judification  ?  la  réponfe  eft 
facile  &  prompte  ;  &  c'eft  de  Tes  avan- 
tages m3m.e  attachés  à  la  parole  de  Dieu 
prife  en  foi ,  que  je  tire  l'inconteftible 
preuve  de  la  trifte  vérité  que  j'ai  mainte- 
nant à  vous  expliquer.  Car  fe  rendre  inu-* 
tile  une  parole  fi efficace  en  elle-même, 
c'eft  un  péché  ;  &.  de  plus ,  par  ce  péché- 


'  Sur  la  Parole  de  Dieu.     342 
particulier  ,  c'eil  s  oter  toute  excufe  dans 
.  tous  les  autres  péchés.   Vous  compren- 
drez mieux  ces  deux  penfées  par  l'éciair- 
cilTen-sent  que  je  leur  vais  donner. 

En  effet,  tout  le  moyen  de  falut  que 
Dieu  nous  fournit,  en  juftiiiant  à  notre 
égard   fa  providence  ,  nous  impofe   en 
iTiéme   temps  l'obligation   de  mettre  en 
teuvre  ce  fecours  &  d'en  profiter  ;  autant     '^ 
que  nous  fommes  obligés   de  travailler 
au  falut  de   notre  ame,  autant  le  fom- 
ir.es-nous  d'ufer  pour  cela  des  moyens 
que  nous   avons  en  nrain  ,  puifqu'il  y  a 
une  dépendance  &  une  connexion  nécef- 
iaire  entre  l'un  &  l'autre.  De  là  vient  ce 
reproche  fi  jufte  &  û  bien  fondé ,  que 
Dieu  fera  aux  pécheurs  ,  comme  il  efl 
ecnt  dans  la  Sageile  ,  Vocavi' &  renui/Iis  ;  p^^^ 
)  ai  fait  toutes  les  avances  convenables  c.  /.  * 
pour  vous   attirer  à  moi,  &  vous  avez  " 
Tieghgé  d'y  répondre  :  voilà  pourquoi  je 
nie  tournerai  contre  vous  ,  &  je   vous 
frapperai  des  plus   rudes  coups  de  ma, 
juliice.  De  là  vient  cette  terrible  menace 
de  Jefus-Chrift  ,  lorfque   voyant  Jéru- 
lalem&  parlant  à  cette  ville  i'nfidelle ,  il 
lui   difoit  :    Quoties  volui  ,   O   noluifli?  Matth, 
Combien  de  fois  ai-je  voulu  diifiper  les  '-  ^i« 
teneDres  de  ton  incrédulité  &  vaincre  ton 
obitmation  ?  Ôi  combien  de  f  '-s  par  ton 
opiniâtre   réfiftance   as-tu  fait  évanouir 
nies   plus    favorables   deffeins   &  arrêté 
tous  mes  efforts  ?  C'eff  pourquoi  tu  feras 
livrée  a  lennçmi,,&  ruinée  de  fond  en 

Piij 


34Î    Sur  LA  Parole  DE  Dieu. 

comble.  De  là  vient  ce  funefte  arrêt 
prononcé  dans  l'Evangile  contre  le  fervi- 
teur  psrefleux  :  Méchant  lerviteur,  je" 
■vous  avois  confié  ce  talent ,  &  je  m'atten- 
dois  que  vous  le  feriez  valoir  ;mais  vous 
n'en  avez  rien  retiré.  Allez  dans  une 
ofcfcure  prifon  &  dans  des  ombres  éter- 
nelles recevoir  le  châtiment  de  votre  in- 
frudiueufe  6c  ftérile  oifiveté.  De  tout 
ceci  &  de  mille  autres  témoignages ,  nous 
devons  conclure  avec  Saint  Auguftin  , 
que  les  grâces  de  Dieu  ne  font  donc 
pas  feulement  pour  nous  des  dons  de 
Dieu  ni  des  bienfaits  de  fa  miféricorde, 
mais  de  grandes  charges  devant  Dieu, 
Augujl,  Pondus  oneris ,  Sl  la  matière  aufTi-bien 
que  la  m^efure  de  fes  vengeances,  quand 
par  une  réfifiance  exprelle  ^  ou  du  m.oins 
par  une  négligence  volontaire  de  notre 
part  ,  elles  n'opèrent  rien  en  nous  ôc 
qu'elles  y  demeurent  fans  fruit. 

Sur-tout,  fi  ce  ne  font  de  ces  grâces 
plus  ordinaires,  de  ces  prem.ieres  grâces, 
<5c  pour  m'exprimer  de  la  forte ,  de  ces 
grâces  fondam.entales  que  Dieu  emploie 
dans  l'ouvrage  du  falut  de  l'homme  ;  Ci 
ce  font  de  ces  moyens  que  la  fageffe  a 
fpécialement  choilis  pour  y  réuilir,ÔC 
qu'elle  y  a  plus  direftement  &  plus  for- 
mellem.ent  deftinés.  Car  laiHer  de  tels 
moyens  fans  en  faire  nul  ufage  ,  c'eft 
renverfer  toutes  le  vues  de  Dieu,  c'eft 
déconcerter  tout  l'ordre  de  fa  prédeftina- 
tion  éternelle ,  c'eft  ou  renoncer  à  la  fia 


Sur  LA  Parole  DE  Dieu.  343 
qu'il  nous  a  marquée  ,  ou.  prétendre 
changer  les  voies  par  où  il  avoit  réiola 
de  nous  y  conduire.  Or  voilà  ,  Chré- 
tiens ,  le  péché  que  vous  commettez 
quand  vous  vous  rendez  inutile  la  parole 
de  Dieu.  C'eft  un  moyen  de  falut ,  puif- 
que  c'eft  par  la  prédication  de  TEvangile, 
ainfi  que  nous  Tenfeigne  l'Apôtre  ,  qu'il 
a  plu  à  Dieu  de  fauver  le  monde  ;  Placuit  ^  ^^^^ 
Dco  per  Jlulnnam  praidicationis  filvos  fa-  c,  /," 
ccre  credenies.  A  la  tête  de  tous  li»s  autres 
moyens  que  fa  divine  Providence  lui 
fuggéroit  ,  il  a  mis  celui-là ,  parce  que 
c'étoit  en  effet  le  plus  propre  &  le  plus 
néceffaire.  Car  comment  les  hommes 
croiront-ils  en  Jefus-Chrift ,  ajoutoit  le 
même  Dofteur  des  nations,  &  comment 
par  la  foi  en  Jelus-Chrifl:  &  par  l'obfer- 
vation  de  fa  loi  ,  feront-ils  fauves,  s'ils 
n'en  entendent  point  parler  ?  &  com- 
ment pourront-ils  en  entendre  parler 
s'il  n'y  a  des  prédicateurs  fufcités  &  en- 
voyés pour  les  infrruire  ?  C'efi  à  quoi 
Dieu  a  voulu  pourvoir  par  le  miniftere 
de  fa  parole.  11  a  pris  foin  qu'elle  (ut 
publiée  dans  le  monde  ;  mais  pourquoi  ? 
pour  réformer  le  monde.  Elle  vous  eil 
annoncée  ,  Chrétiens  Auditeurs ,  &  c'eft 
au  nom  de  Dieu  qu'a6luellement  je  vous 
l'annonce  moi-même  :  mais  à  quelle  fin  ? 
quelle  que  puilfe  être  mon  intention  , 
dont  Dieu  ei\  le  juge,  èc  dont  j'ai  à  lui 
rendre  compte,  voici  toujours  quel  eft 
Is  deflein  du  maître  qui  me  députe  vers 

Piv 


544    Sur  la  Parole  de  DrEtr. 

vous  &  de  qui  je  ne  fuis  que  le  fo4b'!e 
ergane  :  c'eft  afin  que  recevant  la  pa- 
role dans  votre  cœur,  comme  dans  une 
bonne  terre,  elle  s'y  enracine  ,  elle  y 
fructifie  &  y  rapporte  au  centuple  ;  c'ell 
afin  qu'elle  vous  guérifle  de  vos  erreurs , 
qu'elle  vous  relevé  de  vos  chûtes,  qu'elle 
vous  fordfie  dans  vos  foiiîlelTes ,  qu'elle- 
vous  foutienne  dans  vos  tentations, 
qu'elle  vous  dirige  dans  toutes  vos  voies, 
6i  qu'elle  vous  mené  juiqu'au  Royaume 
célel^e ,  qui  eft  le  terme  où  vous"'devez 
afpner.  Car  voilà  comtr.ent  Dieu  dans 
fon  conleil  louverain  l'a  arrêté  :  Placu-ii 
Deo. 

Si  donc  parce  que  vous  manquez,  cm 
«î'aiTiduité  pour  entendre  cette  fainte  pa- 
role ,    ou  de   préparation    pour  la  bien 
entendre,  vous  vivez  toujours  dans  les 
mêines  illufions ,  toujours  dans  les  mêmes 
«dérèglements  ,  toujours  dans  les  mêmes 
diftra^tions  &   les  m.êm.es  mondanités  ; 
fi  la  parole   de  Dieu  ne  fer-t,  ni  à  vous 
retirer  de  vos  engagements  criminels,  ni 
à  vous  réveiller  de  votre  afioupiiTement 
6:  de  vos  langueurs  ,  ni  à  vous  donner 
une  connoilTance  plus  exacte  de  vos  obli- 
gations, ni  à  vous  inlpirer  plus  de  zèle 
6c  plus  de  ferveur  dans  les  pratiques  du 
Chridianifme,  cette  inutilité   ne  procé- 
dant de  nul  autre  que  de  vous ,  vous 
en  croyez- vous  quittes  pour  la  perte  que 
vous   avez   faite  ,  6l    vous    tenez- vous 
exeiopt  de  péché  &  d'un  péché  crès-grief,. 


Sur  la  Parole  de  Dieu.     345 

quand  vous  diPnpez  un  fi  riche  tréfor ,  &C 
que  vous  troublez  toute  Tceconomie  de 
votre  (Aut  } 

Quel  fut  le  péché  des  Juifs  }  je  vous 
l'ai  dit ,  de  ne  s'être  pas  fournis  à  la  pa- 
role du  Fils  de  Dieu  ,  que  fon  Père  avoit 
établi  leur  légilLteiir  &  leur  douleur. 
Or  fans  être  corome  lui  venu  du  ciel, 
nous  foma-ies  les  difpenfateurs  de  la  mê- 
me parole  ;  &  par  conféquent  lorfqae 
nous  voyons  qu'elle  vous  profite  ii  peu, 
nous  avons  droit  de  vous  adrelTer  la 
iTiême  menace  que  Jefus-Chrift  faifoit  à 
ce  peuple  incrédule  ,  lorfqu'il  lui  difoit  : 
La  lumière  a  paru  dans  le  monde  ,  elle' 
s'eft  prcfentée  à  vcms  ^  &  vous  ne  l'avez' 
pas  apperçue  ,  parce  que  vous  avez  ter- 
rr.é  les  yeux  pour  ne  la  p:is  appercevoir^ 
Mais  prenez-y  garde  ,  ik  ne  vous  y  trom- 
pez pas  :  quiconque  refufe  de  fuivre  cette 
lumière  ,  quiconque  e\\  fourd  à  ma  pa- 
role ,  ou  demeure  infenfibleà  fes  traies 
en  l'écoutant  ,  celui-là  dès -lors,  quel 
qu'il  foit ,  a  un  juge  ,  mais  un  juge  févere 
pour  le  juger  ;  &  quel  eft-il  ce  juge  qui 
doit  le  juger  avec  tant  de  rigueur,  6i  le 
condamner  fans  rémiiîicn  ?  c'eft  ma  pa- 
role même  ,  envers  qui  il  devient  préva- 
ricateur &c  pécheur  Qui  nonaccipitverba  j^^^ 
mea ,  habet  qm  judicet  eum  :  Sermo  qaem  f,  ^^^ 
lacutus  Jum ,  ilU  judluibit.  Car  ,  com- 
me ajoutoit  ce  divin  Sauveur  ,  &C  com- 
me   nous   pouvons  l'ajouter   après   lui , 

U. 


34<>    Sur  la  Parole  de  Dieit, 

même  fon6^ion  que  lui  :  ma  do6lrîne 
n'eft  pas  proprement  ma  doftrine  ,  &  les 
vérités  que  je  vous  prêche,  font  toutes 
émanées  du  Père  célefte  qui  m'en  a  fait 
Ibid.  part  pour  vous  les  communiquer  :  Qu^ 
ego  loquor  ,ficut  dixitmihi  Puter  ^fic  loquor» 
Je  m'acquitte  là-deffus  de  ma  miffion  ^ 
&  j'exécute  l'ordre  qui  m'a  été  donné  : 
je  n'y  épargne  rien  ,  &  je  ne  refufeà 
perlonne  mes  foins  &:  mes  enfeignements. 
Du  reile  c'eft  à  vous  de  les  recueillir,  à 
vous  de  vous  les  appliquer ,  à  vous  de  les 
conferver  dans  votre  cœur  &  de  les  faire 
enfuite  pafTer  dans  vos  mains  par  una 
pratique  fidelle  &  confiante.  En  confé- 
quence  de  cet  important  miniftere  qui 
m'a  été  confié  &  que  j'ai  accepté  pour 
vous ,  je  vous  fuis  redevable  de  mon  tra- 
vail ,  c'eft-à-dire  de  mies  veilles ,  de  miCs 
fatigues ,  de  mes  avertiffements ,  de  mes 
inftru^iions ,  de  tout  ce  qu'il  m'en  coûte 
pour  accomplir  l'œuvre  dont  je  me  trou- 
ve chargé  en  votre  faveur.  Mais  aufli  ea 
conféquence  de  tout  cela  ,  vous  m'êtes 
redevables  de  tout  le  bien  qui  en  doit 
réufTir ,  à  la  gloire  du  Seigneur  &  à  votre 
propre  avantage  ;  ou  plutôt  vous  en  êtes 
redevable  à  celui  qui  m'a  envoyé,  & 
qui  vous  le  dem<^ndera  félon  toute  la 
fevérité  de  fa  juftice:  Q^ui  non  accipu 
vcrba  mea  ,  h.^tet  qui  judictt  eum. 

Cependant  ,  Chrétiens  ,  de  tous  les 
péchés  dont  nous  avons  à  nous  préferver, 
en  eil-il  un  que  l'on  craigne  moins  &  fur 


Sur  la  Parole  de  Dieu.  347 
lequel  on  entre  moins  en  fcrupule  ?  On 
ne  le  fait  fur  ce  point  nul  reproche  de- 
vant DieUj  on  ne  s'en  accufe  pas  une 
fois  au  tribunal  de  la  pénitence  ;  des 
gens  font  profeiTion  de  n'entendre  jamais 
les  prédicateurs  de  l'Evangile,  &  ils  s'en 
déclarent  ouvertement  ;  d'autres  les  en- 
tendent affez  régulièrement ,  à  ce  qu'il 
paroit ,  mais  comme  s'ils  ne  les  enten- 
doient  pas ,  &  fans  autre  effet  que  de  les 
avoir  entendus.  Demandez- leur  s'ils  fe 
croient  refponfables  à  Dieu  de  fa  parole 
ainfi  abandonnée  ou  dillîpée  après  l'avoir 
reçue  :  demandez  ,  dis-je  ,  à  cette  femme 
mondaine  fi  elle  compte  comme  un  pé- 
ché de  vouloir  jamais  m.énager  quelques 
moments  pour  écouter  la  parole  de  Dieu. 
&  pour  y  affifter  avec  le  commun  des 
fidèles  ,  tandis  qu'elle  perd  les  heures  qui 
y  font  deflinées ,  &  qu'elle  les  emploie  , 
à  quoi  ?  le  matin  dans  un  repos  lent  & 
plein  de  molleffe  ,  &  le  foir  dans  un 
loin  frivole  de  fes  ajuftements  &  de  fes 
parures  :  demandez  à  cet  homme  du 
fiecle  s'il  traite  de  péché  le  peu  de  ré- 
flexion qu'il  fait  à  la  parole  de  Dieu, 
lors  même  qu'il  l'entend  ou  qu'il  eft 
préfent  pour  l'entendre  ,  &  le  peu  de 
Iruit  qu'il  en  remporte  ,  lui  qui  fe  rend 
fi  attencif  à  des  affaires  humaines  ,  &  qui 
fçait  fi  bien  raifonner  fur  tout  ce  qui  con- 
cerne fes  intérêts  temporels  &  l'avance- 
ment de  fa  fortune  :  demandez-leur  en- 
core ua§  fois  fi  là-deffus  ils   s'effiment 

P  Vj 


34^    Sur  la  Parole  de  Dieu' 
coupables  ,   &  s'ils  jugent  que  la  coil- 
icience    y  pun.e  ctre  quelqueiols  enga- 
ge ,  ils  feront  furpris  d'une  telle  propo* 
luion,  ils  trouveront   étrange  que  vous 
entrepremez  de  leurimpofer  une  obliga- 
tion qui.'s  n'ont  jamais  connue  &  dont 
lis  ne  fçauroient  convenir. 
,    Q^e  feroir-ce  ù  je  leur  faifois   cette 
étonnante  comparaifon  de  Saint  AuPuf- 
tin,   lequel  n'a    pas   cru   éxaeérer  fde 
n^ttr^en  parallèle  un  Chréiiln  qui  ré- 
liire  a  la parole  de  Jefus-CKiift  ,  &  qui  de 
ia  forte  anéantit  toute  la  vertu  de  cet^e 
r.iviae  paroU  par  rapport  à  lui ,  avec  les 
JM-ns  qui  verferent  le  fang  de  ce  Sauver:^ 
^-  attachèrent  a  une  croix  Ton  facré  corpc  • 
il  eft  vrai ,  dit  c;e  faint  Doreur  ,  vor& 
ïie   portez  pas  conin^e.  eux   fur  fa  cha-r 
innocente   des  mains  facrile^es  ,  p^rc- 
ciue  vous  ne  le.  voyez  pas  fenfiblenienr 
comme  eux  :  mais  quand  ie  fuis  térno-i 
de  i  outrage  que  vous,  faites  à  fa  parole, 
toute  adorable  qu'elle  eft  ,  en  la  orofa! 
f^ant  ,  en   la   déshonorant  par   une   via 
♦oute    contraire    aux    grands     nwfteres 
qu  ebe  vous  révèle  &  aux  excellentes  le- 
vons qu'elle  vous  trace  ,  que  puis-je  con- 
clure autre  chofe,  finon  que  vous  fenea 
di.pofe  vous-rT.ênic  à  le  crucifier ,  s'il  fe 
«icntroit  encore  à.  vous  con:nie  il  fe  fit 
•voira  cette  nat-on,  ingrate  &    déicide  i^ 
^:^:-xi,  quu  vidcrum  Uliiijlum.,  crudfixe^ 
mr>:  :  numquia   er^o  qui  vcrbo  rtf^fïïs  ,  car-. 
3C7?  crucifi^cns  Jl  yiJ.m  ?  Ajnfi  parl(^i^ 


Sur  la  Parole  de  Dieu.  349 
Saint  Auguflin.  Mais  je  ne  vais  pas  Ct 
Icin ,  Chrétiens  Auditeurs  :  je  veux  leii- 
lement  vous  faire  coir.prendre  qu'il  n'eil 
pas  û  indiilerent  que  vous  le'  penfiez. 
peut-être  »  de  profiter  ou  de  ne  protîter 
pas  de  h  parcle  de  Dieu  :  que  ce  n'èft  pas. 
là  un  de  ces  articles  fur  quoi  vous  pôu> 
vez  pafïer  ruperficieliement  dans  la  re- 
cherche de  vous- mêmes,  ni  un  point  que 
vous  deviez  mettre  au  nombre  des  fautes 
légères  &  f.îns  ccnhiquence  :  qu'il  y  a  de 

quoi  vous  infpirer  une  june  crainte /parce, 
qu'il  y  a  de  quoi  vous  rendre  aux  yeux: 
de  D;eu  très-criminels  :  que  comme  le- 
FjIs  de  Dieu  dans  ion  Evangile  a  béatifie 
ceux  qui  entendent   la  divine  parole  &c 
qui  la  rr.ettent  en  pratique ,  il  iemble  par 
une  règle  toute  contraire  avoir  réprouvé 
ceux  qui  ne  l'entendent  point,  ou  qui 
n'Qn  tirent  nulle  utilité  pour  la  réforma» 
t]on  Se  la  conduite  de  leur  vie.  Mais  on  ne 
pèche,  me  direz- vous,  que  parfinfrac-. 
tion  de  la  loi  ;  &  quelle  loi  nous  ordonne, 
d  entendre  les  prédicateurs  &  de  faire 
de  leurs  prédications   Tufage    que    loa 
BOUS  demande  ?  Ah ,  mes  Frères  ,  qu'il 
n  y  niî  point  fur  cela  dxins  i'Egilfe  de  loi- 
particulière  ,  i^en  conviendrai  ,  û  vous. 
k  voulez  ;  mais  n'y  a-  t- il  pas  une  loi. 
générale  qui  vous  ordonne  de  prendre 
les   moyens   dont  Dieu  a  fait  choix   Se 
ciont  il  s'eft  fervi  dans   tous   les   temps 
pour  l'ouvrage  de  votre  falut  ?  Comment 
pouvez -vous  vous  perfaùder  qu^il  «ii: 


3p    Sur  la  Parole  de  Dirxr; 

établi  le  miniftere  évangélique ,  qu'il  y 
ait  attaché  des  grâces  fpéciales ,  qu'il  y 
ait  conlacré  des  hommes  uniquement 
occupés  de  ce  pénible  emploi ,  qu'il  leur 
en  ait  fait  un  devoir,  une  vocation,  un 
état  fi  laborieux ,  fans  vous  faire  pareil- 
lement &  conféquemment  à  vous-mê- 
mes un  devoir  non -feulement  de  les 
révérer  comme  vos  maîtres  ,  mais  de 
les  fuivre  comme  vos  condudeurs  ,  & 
de  marcher  dans  les  routes  qu'ils  vous 
montrent  ? 

Ce  n'eft  pas  tout.  Mais  fi  c'eft  un  cri- 
me devant  Dieu  de  ne  profiter  pas  de  fa 
parole  ,  je  prétends  encore  que  ce  feul 
péché  vous  rend  inexcufables  dans  tous 
les  autres  péchés  que  vous  commettrez. 
Car  à  quoi  fe  réduifent  toutes  vos  excu- 
fes  ?  ou  à  l'ignorance  ,  ou  à  la  foiblefie  :  à 
l'ignorance  ,  quand  vous  dites  en  tant 
d'occafions  &  fur  tant  de  matières  impor- 
tantes ,  je  ne  le  fçavois  pas ,  je  n'y  pen- 
fois  pas  ,  je  ne  me  le  figurois  pas  :  à 
la  îoibleffe  ,  quand  vous  ajoutez  en  tant 
d'autres  rencontres  &  fur  tant  d'autre* 
fujets  ,  je  ne  le  pouvois  ,  c'étoit  trop 
pour  moi,  le  fardeau  étoit  trop  pefant 
&  l'entreprife  trop  difficile.  Voilà  vos 
difcours  ordinaires  &  les  prétextes  dont 
vous  voulez  couvrir  les  défordres  de 
votre  conduite.  Mais  voici  ce  que  Dieu 
aura  de  fa  part  à  y  répondre  ,  6i.  com- 
ment il  fe  fervira  ,  pour  vous  condam- 
ner 5  du  don  même  qu'il  vous  aura  fait 


Sur  la  Parole  df  Dieu.    351 

de  fa  parole  pour  vous  fanc^ifîer.  Car  il 
eft  vrai,  vous  ne  fçaviez  pas  ceci ,  vous 
ne  penfiez  pas  à  cela  ,  vous  ne  vous  étiez 
jamais  mis  dans  l'efprit  ni  Tun  ni  l'au- 
tre,  &  vous  ne  l'aviez  jamais  compris. 
Mais  parmi  le  peuple  fidèle  où  vous 
avez  vécu  ,  il  y  avoit  des  miniftres  dont 
la  principale  fon6lion  étoit  de  vous  ou- 
vrir les  yeux ,  de  vous  révéler  ce  que 
vous  ignoriez,  de  vous  en  retracer  le 
fouvenir,de  vous  en  expliquer  lesTai- 
fbns  ,  de  vous  en  faire  voir  les  confé- 
quences:  ils  étoient  infpirés  pour  vous, 
ils  étoient  éclairés  des  lumières  d'en  haut, 
afin  de  vous  les  communiquer  :  il  ne 
tenoit  donc  qu'à  vous  d'être  inftruit.  Or 
avoir  pu  l'être,  &  ne  l'avoir  point  été,  • 
parce  que  vous  avez  négligé  de  l'être, 
c'eft  ce  qui  doit  porter  contre  vous  un 
témoignage  irréprochable  ,  ôc  vous  atti- 
rer ce  jufte  reproche  qui  fera  la  convic- 
tion lenfible  de  votre  malice  :  Noluït  in-  pr^i^ 
telligcre ,  ut  benè  ageret.  Il  eft  vrai ,  la  loi  jj, 
étoit  difficile  ;  &  pour  la  garder ,  vous 
aviez  bien  des  obftacles  à  vaincre  ;  il  vous 
falloir  un  courage  &  une  réfolution  qui 
vous  manquoient.  Mais  vous  deviez  donc 
pour  cela  mê:r.e  avoir  recours  à  la  parole 
de  votre  Dieu.  Elle  eût  excité  votre  cœur 
froid  &  languiiTant ,  elle  l'eût  enflammé 
&  embrafé.  Votre  foi  étoit  afToupie,  & 
elle  l'eût  réveillée  ;  votre  efpérance  étoit 
chancelante  ,  &  elle  l'eût  fortifiée  ;  vo- 
tre charité  étoit  éteinte  ,  ôc  elle   l'eût 


^5$i    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

ralîumée.  Alors  rien  ne  vous  eût  étonné 
ni  arrêté  ;  &  ce  que  vous  aviez  cru  ne 
pas  pouvoir  ,  fans  changer  de  nature, 
vous  eût  paru  non- icuîement  poffibleôc 
pratiquable  ,  œais  doux  &  facile  :  car 
telle  eft  la  force  &  Tondion  de  la  grâce 
que  porte  avec  foi  cette  Linte  parole.  Or 
pourquoi  ne  vous  aidiez-vous  pas  de 
ce  fecours  ,  &  êtes-vous  recevables  à 
dire,  j'étois  foible,  lorfque  vous  avez 
eu  de  quoi  vous  foutenir,&  qu'il  n'a 
dépendu  que  de  vous  d'en  éprouver 
toute  la  vertu  ? 

D'autant  moins  excnfables  ,  Chré- 
tiens ,  que  la  parole  de  Dieu  qCi  pour 
vous  un  moyen  plus  puiilant ,  un  moyen, 
plus  piéfent,  un  moyen  plus  gratuit  ÔC 
d'une  préférence  plus  m.arquée  :  trois 
circonilances  qui  doivent  former  contre 
vous  autant  de  preuves  toutes  nouvel- 
les. Car  de  tous  les  moyens  de  falur  & 
ce  fanéfîfication  ,  le  plus  piiifTant,  ou  du 
moins  un  des  plus  pu'uTants ,  c'eû  fans 
contredit  la  parole  de  Dieu  :  elle  a  con- 
verti le  monde  entier,  c'ei^-a-diro ,  qu'elle 
a  converti  les.  royaumes.  6c  les  empires,, 
qu'elle  a  retiré  les  peuples  les  plus  ido- 
lâtres des  épaides  ténèbres  de  leur  infi- 
délité ,  qu'elle  les  a  fait  fortir  de  l'aby- 
me  le  ..'ius  profond  des  vices  ,  qu'elle 
les  a  engagés  à  la  pratique  ces  plus  hé- 
roïques vertus  ,  qu'elle  a  produit  dans 
i(^  Chriftiinifnie  ces  ordres  fi  célèbres. 
d.e  péaitenits ,  de  fulitaires ,  de  reli^eux^ 


Sur  la  Parole  de  Dieu.     555 

£t  c^e  feroit-ce  fi  je  vous  raccmîois 
tant  d'autres  etFets  miraculeux  &  plus 
par-icuTiers  dont  elle  a  été  le  principe  ? 
Vous  en  feriez  étonnés  :  à  la  vue  de 
tant  de  merveilles ,  vous  vous  écrieriez 
comme  le  l'ige  :  Omnipolens  ferma  tuus ;  Sap.  <;^ 
Seigneur  ,  qu'y  a-t-il  de  fi  diîîiciie  dans  iS, 
Tordre  de  û  grâce,  auiîî  b-ien  que  dans 
Tordre  de  la  nature  ,  qui  ne  cède  à  la 
toute-puilTance  de  votre  parole  &  qu'elle 
ne  furmonte  ?  Vous  le  diriez,  mon  chei: 
Auditeur;  &moi  fans  en  dcirieurer  là,  je 
vous  dirois  ce  que  peut-être  vous  crain^ 
«Iriez  d'ajouter  à  votre  confuiion ,  &  pour 
votre  initruction  ;  m.ais  ce  qiii  n'eft  que' 
trop  réel  «Se  que  trop  vrai  .  bL  ce  que  je 
ne  pourrois  diiiimuîer  fans  une  lâche  . 
prévarication.  Car  il  eft  bien  étrange, 
reprendrois-je  dans  une  furprife  encore 
plus  julte  que  la  vôtre  ,  qu'une  parole  qui 
a  pu  opérer  de  fi  prodigieux  charrgemenfs 
dans  des  âmes  plus  éloignées  de  Dieu 
que  vous  ne  l'êtes ,  qui  a  pu  toucher  tanrt 
de  pécheurs  &  en  faire  autant  de  faints^ 
ne  vous  ait  pas  fait  renoncer  jufques  à 
préfent  à  un  feul  péché  ,  ni  pratiquer  une 
feuîe  vertu.  Hé  quoi  l  je  vois  dans  toutes 
les  parties  de  l'univers  Tes  fuperftitions 
abolies  ,  les  abus  réi-brmés ,  i'Evangile 
établi,  &  fa  plus  haute  perfection  foute- 
nue  par  une  éminente  fainteté  ;  voilà 
ô'ux-.e  part  ce  que  j'ai  devant  les  yeux  ,  <X 
en  quoi  je  ne  puis  aiTez  r.dmiirer  le  triom- 
phe de  la  divine  parole ,  ^ui  feule  par  ie 


354  Sur  la  Parole  de  Dieu. 

miniftere  des  hommes  apofloliques  a 
remporté  de  fi  éclatantes  vi6toires  6c 
fait  de  11  belles  &  de  (i  heureuies  con- 
quêtes. Mais  voici  d^'ailleurs  ce  que  je 
puis  encore  moins  comprendre,  c'eftque 
cette  parole  n'ait,  ce  femble^  nul  pouvoir 
fur  vous  5  que  vous  foyez  infenfibles  à  tou- 
tes Tes  imprefîions  ;  qu'elle  n'ait  jufques  à 
prêtent  ni  guéri  les  erreurs  de  votre  ef- 
prit,  ni  amolli  la  dureté  de  votre  cœur  ; 
que  malgré  toutes  les  vérités  qu'elle  vous 
annonce,  &  qui  ont  ûiiti  pour  réduire 
fous  le  joug  de  la  loi  de  Dieu  tous  les 
peuples  de  la  terre  ,  vous  demeuriez  tou- 
jours dans  le  même  endurciffement  6l 
la  même  obftlnation  ,  toujours  efclaves 
des  mêmes  paillons  &  plongés  dans  liis 
jnêmes  défordres.  Ce  neÛ  pas  à  la  pa- 
role de  Dieu  qu'il  faut  s'en  prendre  :  car 
puifqu'elle  eft  toujours  &  par-tout  la 
même  ,  elle  peut  toujours  &  par -tout 
agir  avec  la  même  efficace.  Ce  n'eft  pas 
aux  m.iniflres  qui  la  difpenfent  :  car  pour 
ufer  de  cette  comparaifon  ,  de  même 
que  la  valeur  du  facrifice  de  nos  autels 
cft  indépendante  du  mérite  &  de  la  l'ai n- 
teté  du  Prêtre  qui  conlacre  le  corps  Sc 
le  lang  de  Jefus-Chnft,  ainfi  la  parole 
de  Jefus-Chriil  ne  dépend  ni  des  bonnes 
ni  des  mauvailes  dirpofitions  de  Tes  mi- 
niftres.  Si  ce  ne  font  pas  des  Apôtres 
par  leurs  qualités  perfonnelles  &  par  le 
caradere  de  leur  vie  ,  ils  le  font  par 
-la  vocation  de  Dieu,  ils  le  font  par  la 


Sur  la  Parole  de  Dieu.     355 

commiiTion  qu'ils  ont  reçue  de  Dieu  ,  & 
c'eft  aflez.  Que  refte-t-il  donc ,  Chré- 
tiens ,  finon  de  chercher  dans  vous- 
mêmes  Je  principe  malheureux,  qui  par 
rapport  à  vous  énerve  toute  la  vertu  de 
la  parole  du  Seigneur  ;  Ôc  de  conclure 
qu'autant  qu'elle  étoit  capable  de  vous 
relever  de  vos  chûtes  &  de  cet  abyme 
de  corruption  où  vous  vivez  ,  autant 
étes-vous  inexcufables  de  vous  y  être 
laiflés  entraîner ,  &  d'y  vivre  fans  faire 
nul  effort  pour  en  fortir  ? 

Car  vous  a-t-elie  manqué  cette  parole 
de  grâce  ,  &  fi  c'eft  de  tous  les  moyens 
de  converfion  &  de  fandification  un 
des  plus  puilTants ,  n'eft-ce  pas  encore  le 
plus  préfënt  ?  Combien  de  prédicateurs 
pour  la  publier  ?  faut-il  entreprendre 
de  longs  voyages  pour  les  chercher  ? 
faut-il  pafler  au  delà  des  mers  pour  les 
trouver  ?  ils  font  au  milieu  de  vous, 
6c  bien-loin  qu'il  foit  néceffaire  de  leur 
faire  de  fortes  inftances  pour  les  enga- 
ger à  vous  parler,  peut-être  ne  mon- 
trent-ils que  trop  d'empreffement  & 
d'ardeur  pour  vous  eng  iger  vous-mêmes 
à  les  écouter  :  Oui ,  mes  Frères ,  vous  le 
voyez  ;  les  temples  du  Dieu  vivant  vous 
fonr  ouverts  ,  &  fans  cefTe  ils  retentiflent 
des  divines  leçons  que  ,  l'efprit  de  votre 
Pere  céîelle  nous  met  dans  la  bouche, 
&.  dont  il  veut  que  vous  faifiez  la  règle 
de  votre  vie.  Ni  riches  ,  ni  pauvres ,  ni 
grands  ,  ni   petits  ,  ni  jeunes  ,  ni  âgés  ^ 


S')^    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

perfonne  n'eft  exclu  de  ces  entretien3 
publics  &  fdîutaires,  où  nous  vous  ex- 
pliquons la  loi  que  vous  devez  ob  fer  ver, 
où  nous  vous  découvrons  le  (hennin  qui 
vous  devez  prendre  &  celui  que  vous 
devez  éviter,  où    nous  vous   propolons- 
tout  ce  que  la  do^rine  évangéiique  nous 
fournit  de  plus  convaincant   pour   vous 
perfuad^er  &  de  plus  fort  pour  vous  cra- 
gner.  Nous  nous  proportionnons  à  toiis 
les  étits ,  à  tous  les  elprits  ,  à  toutes  les 
dirpofiticns  ,    afin    que   chacun    trouve 
dans  nos  difcours  ce  qui  lui  conviem. 
Or  plus  le  remède  eu  à  votre  ulage   & 
près   de  vous ,  plus  il  vous  eu  aiie   de 
l'employer  à  la  guérifon  des  infirir.ités- 
Ipintuelles  de  vos  âmes  ;  &:  fi  vous  êtes 
toujours   fujets   aux   mêmes    roalaBies  , 
vous  n'en   êtes  que  plus  condamnables: 
plus  la  grâce  eft  abondante  &  fréquen- 
te, plus  elle  vous  met  en  état  de  com- 
battre Imiquiîé   &i  de   la  détruire  dans 
vous  ;  &  i\  le  vice  conferve  toujours  dans 
vos  coeurs  le  même  empire  ,  s'il  y  eil  tou- 
jours  dominant,  ce  n'eft  que  pour  vous 
attirer  un  plus  rigoureux  jugement. 

Je  dis  jugement  plus  rigoureux  pour 
vous,  mes  chers  Auditeurs,  parce  que 
le  don  que  Dieu  vous  fait  de  fa  parole 
eita  votre  égard  un  don  plus  gratuit  ÔC 
d'une  prétérence  plus  marquée.  Ainfi  le 
Sauveur  eu  monde  le  donnoit-îlà  enten- 
dre aux  Juifs,  quand  il  leur  d-foit  avec 
-un  ferment  a  foiemnel  :  .^m^n  dko  rouis. 


Sur  la  Parole  de  Dieu.   3^7 

".îklllus  ait  terrez.  Sodomorum  in  die Matih^ 
/..ji/.  Prenez-y  garde,  &  concevez-le^.  'O. 
h'-^'^n  ;  car  c'eft  moi-même  qui  vous  Tan- 
'-e  ,  &  c'eft  avec  une  aiTurânce  en- 
j  qi-.e  je  vous  Tannonce  ,  &  dans  une 
connoilTance  certaine  de  ce  qui  vous  doit 
arriver:  Amen  ,  dico  vobis.  Au  tribunal 
fouverain  où  vous  comparoîtrez  un  jour 
devant  vorre  Dieu  &  votre  juge ,  vous 
f:"ez  plus  l'évérement  traicés  que  ceux- 
rèmes  de  Sodome ,  ce  peuple  Ti  cor- 
rcn^pu  &  fi  abominable.  Quoi  donc  ,  de- 
rjîndent  les  interprètes ,  ne  pss  profiter 
cj  id  parole  de  Dieu,  eit-ce  un  plus  grand 
cr-me  que  celui  de  cette  ville  proftituée 
6v  abandonnée  à  de  fi  honteux  dérègle- 
rrents  ?  Les  Pères  s'expliquent  diîrérem- 
rvv^ni-  fiir  cette  queûion  :  mais  quoi  qu'ils 
e:-!  d-.lcnt ,  l'oracle  de  Jefus-Cbrili  eft 
tel  que  je  le  rapporte  ,  &  en  voici ,  félon 
l'interprétation  de  Saint  Grégoire  Pape , 
le  fens  le  plus  naturel.  C'efl  que  les  ha- 
bitants de  Sodome  ayjnt  péché  contre 
Dieu  avec  moins  de  lumière  ,  ils  feront 
ii<:,és  avec  moins  de  rigueur  :  car  c'é- 
tcien:  des  hommes  dominés  par  leurs 
bn.îtales  pafiions  ,  &  peu  culiivés  par  la 
divine  parole  qu'ils  avoient  à  peine  quel- 
quefois entendue.  11  eft  vrai  que  Loth 
leur  avoit  fait  quelques  menaces  de  la 
:c!ere  du  Ciel  ;  mais  ils  ne  fçavoient  pas 
qu'il  leur  parlât  de  la  part  de  Dieu  ,  6c 
iième  ne  pouvoient-ils  croire  que  ce 
:uilent  de  férieux  avis  qu'il  hur  donno^t  i 


358    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

Gen,  Vifus  efl  eis  quafi  ludens  loqui.  Au  lieu 
G.  -«p.  que  vous  ,  mes  chers  Auditeurs  ,  dans  le 
fein  de  TEglife  ,  &  par  une  diûindion 
refufée  à  tant  de  nations  infidelles ,  vous 
avez  eu  mille  prédicateurs  pour  vous 
former  &  pour  vous  infpirer  tous  les 
principes  d'une  éducation  chrétienne. 
D'où  il  s'enfuit  que  vous  êtes  par- là  plus 
criminels  dans  vos  défordres  ,  &  que 
vous  devez  pour  cela  vous  attendre  à  de 
plus  rudes  coups  de  la  main  de  Dieu  & 
à  de  plus  terribles  châtiments  de  fa  juftice. 
Prévenons -les  ,  mes  Frères  ,  ôc  ne 
changeons  pas  les  bénédidions  dont  le 
Ciel  nous  comble  avec  tant  de  profufion 
&  avec  un  difcernement  fi  favorable  ,  en 
autant  de  malédiftions.  Ne  tenons  pas 
nos  oreilles  fermées  à  la  parole  de  notre 
Dieu  :  mais  fur-tout  ouvrons  -  lui  nos 
cœurs  (  car  c'efl  fur-tout  au  cœur  que  f 
Dieu  parle)  &  préparons-les  pour  en  , 
faire  une  bonne  terre  ,  o\x  cette  précieufe  ; 
femence  rapporte  au  centuple.  Ce  cen-  ( 
tuple  de  faintes  œuvres  que  nous  prati-î 
querons  en  ce  monde,  &  de  mérites  que-; 
nous  amaflerons  ,  nous  produira  dans 
l'autre  un  centuple  de  félicité  &.  de  gloire. 
Voilà  le  fujet  de  mes  vœux  pour  vous , 
&  de  mes  vœux  les  plus  ardents  :  voilà 
ce  que  je  dois  me  propofer  dans  l'exer- 
cice de  mon  miniilere ,  &:  à  quoi  vous 
devez  contribuer  :  voilà  ce  que  Saint 
Auguftin  fouhaitoit  lui  -  même  à  fes 
Audi.teurs ,  6c  ce  qu'il  atteodoit  d'eux 


Sur  la  Parole  de  Dieu.  359 
comme  le  fruit  de  fon  travail.  Je  finis 
par  le  lentiment  de  ce  Père ,  &  j'en  fais 
une  concluuon  bien  juile  6l  bien  natu- 
relle de  tout  ce  difcours.  Vous  êtes  Chré- 
tiens ,  difoit  ce  faint  Dofteur  à  une  foule 
de  peuple  qu'il  voyou  alTemblée  autour 
de  lui,  6c  comme  Chrétiens  vous  venez 
entendre  la  parole  de  Jefus  -  Chrift  , 
votre  légillateur  6c  votre  maître  :  c'eft 
en  fon  nom  que  je  vous  la  prêche  ,  &  je 
fuis  le  difpenfateur  de  cette  parole  de 
vérité.  Mais  que  faites -vous  en  l'écou- 
tant ?  vous  donnez  au  prédicateur  de 
vains  éloges ,  &  ce  n'eft  point  ce  qu'il 
demande.  Pratiquez  ce  qu'il  enfeigne , 
6c  il  confent  que  vous  ne  penfiez  plus  à 
la  m  iniere  dont  il  le  traite  ai  dont  il  l'en-  . 
feigne  :  Laudas  îra6lantem  ,  quczro  fj-cien-  Augufii 
tem.  Ainfi  ,  mes  Frères ,  il  y  a  encore 
maintenant  de  ces  prédicateurs  de  l'E- 
vangile dont  l'éloquence  vous  plaît,  & 
que  vous  favorifez  d'une  attention  par- 
ticulière. Soit  de  leur  part ,  &  toujours 
avec  la  grâce  d'en  haut ,  mérite  réel  ;  foit 
de  votre  part  heureux  préjugé  &  je  ne 
fçais  quelle  opinion  ;  foit  de  la  part  de 
Dieu  ailiftance  fpéciale  &  fecrette  difpo- 
fition  :  quoi  que  ce  foit  qui  vous  attire , 
vous  paroiffez  en  foule  à  leurs  prédica- 
tions ,  vous  exaltez  leurs  talents ,  vous 
admirez  la  force  de  leurs  raifonnements  , 
vous  vous  laiffez  éblouir  à  l'éclat  brillant 
de  leurs  penfées  ,  de  leurs  exprelTions  , 
de  leurs  traits  ;  c'eft  là  matière  de  vos 


3^0    Sur  la  Parole  de  Dieu. 

entretiens  ;  &  à  force  de  les  vanter ,  vous 
les  rendez  célèbres  &.  leur  faites  un 
nom  dans  le  monde.  Mais  fur  cela  que 
doivent- ils  vous  dire  ?  Laudas  tr^iâtan^ 
tetn  ,  qu(Ero  fac'unitm.  Hé  ,  Chrétiens 
Auditeurs  ,  donnez  faute  la  gloire  à  Dieu, 
car  c'eil  à  lui  feul  que  la  gloire  eft  due, 
&  tout  notre  miniftere  ne  tend  qu'à  le 
glorifier  ;  mais  pour  nous  &  pour  notre 
confolation  ,  l'unique  chofe  que  nous  y 
avons  en  vue,  ou  que  nous  y  devons 
avoir,  c'ell  que  l.i  fainte  morale  &  les 
règles  de  conduite  que  nous  vous  tra- 
çons, foient  exaéfement  &  conftamment 
fui  vies.  Quand  on  nous  dira  que  le  mon- 
^e  parle  de  nous  ,  pour  peu  que  nous 
ayons  de  force  dans  l'efprit  &  defolidité 
dans  Tame ,  nous  regarderons  cette  in-^ 
voie  réputation  comme  une  récomp^nr^ 
tien  lés[ere  de  nos  veilles  &  de  nos  fueurs  : 
nous  la  craindrons  même  ,  &  autant 
qu'il  nous  eft  poiBbîe ,  nous  la  fuirons  , 
parce  qu'elle  pourroit ,  en  nous  flattant, 
nous  expofer  encore  plus  que  Saint  Paul, 
au  funelle  péril  de  nous  damner  nous- 
mêmes  ,  tandis  que  nous  travaillons  au 
falut  des  autres.  Mais  qu*on  nous  dife 
que  par  iine  bénédiction  divine  répandue 
fur  notre  zèle.  Dieu  dans  une  ville  ell 
fervî ,  &:  le  prochain  édifié  :  qu'on  nous 
dife  que  ce  libertin  a  ouvert  les  yeux  ,  ôc 
renoncé  à  fon  impiété  ;  que  ce  mon- 
dain a  quitté  les  voies  corrompues  où  il 
m»choit  ,  6c  dégdgé  fon  cœur  de  fes 

çriminçls 


Sur  la  Parole  de  Di^u.    36* 
criminels  attachements  ;  que  ce  pécheur 
invétéré   &   û  long -temps  rebelle  à  U 
grâce,  y  efl  enfin  devenu  fenfible ,  &  qu'il 
s'elt  retiré  de  Tes  honteufes  débauches  ; 
que  cette  femme  idolâtre  d'elle-même, 
&  toute  occupée  des  vanités  du  fiecle  , 
a  pris  la  parti  d'une  retraite  chrétienne  ; 
que  CCS  perfonnes  divifées  entr'elles  fe 
font  revues  &  réconciliées  de  bonne  toi  : 
qu'on  nous   dife   tout    cela  ,   &    qu'on 
nous  produire  encore  d'autres  fembîables 
eftets   de  la  parole  qui  nous  a  été  con- 
fiée ,  c'eft  de  quoi  nous  nous  réjouirons 
avec  les  Anges  du  Ciel  ,  &  par  où  nous 
nous  tiendrons  abondarximent  payés  de 
nos  peines  :    Laiidjs  trad^mtem  y  quczro 
jdckntcm.  Nous  avons  pour  cela  belbln  ,  . 
ô   îr:on  Dieu  ,  de  i'afhftance  de  votre 
efprit ,  &  c'eft  pour  cela  même  que  nous 
l'implorons.  Répandez-le,  Seigneur,  & 
fur  les  prédicateurs  de  l'Evangile,  &  fur 
les  auditeurs.  Donnez  aux  prédicateurs 
un  zèle  ardent,  un  zèle  pur  6i  défmté- 
relTé  ;  mais  donnez  en  même  temps  aux 
auditeurs  une  docilité  humble  ,  fouple  & 
agitante.  Ainfi  par  le  m.iniftere  de  votre 
parole  nous  nous  lauverons ,  les  prédi- 
Cf-teurs  en  l'annonçant ,  &  les  auditeurs 
en  la  recevant.  Après  nous  avoir  fanai- 
fiés  fur  ia  terre,  elle  nous  fera  parvenir 
au  terme  de  la  bienheureuie  éternité ,  où 
Oous  conduife,  6ic, 


Domin,  Tom,  /, 


362  Sur  le  Scan,  de  la  Croix 
JE.   4.   .v   4*    .'•    4.  ^  ►>  +  ♦•«    4.    4»    4»   •!► 

^    4.    *j.    .j.   .j»  ^,  .^*  ^  4»   .j»   4.   .^,   4»   ,.♦ 

S  .E  i^  M  O  7f 

POUR    LE    DIMANCHE 

DE     LA 

quinquagésime/ 

Sur  le  Scandale  dz  la  Croix  &  des 
Humiliations  de  Jzfus  -  Chrijî, 

AfTumpnt  JeAis  duodeclm  ,  5c  ait  illis  ;  Ecce 
afcendimus  Jerofoîymam  ,  &  confummabun-» 
tur  omnia  quae  fcripta  funt  per  Prophetas  de 
Filio  hominis.  Tradetur  enim  gentibus  ,  Sc 
lîiudetur  ,  &  flagellabitur  ,  &  co.nfpuetur  ;  6c 
poftquàrn  flagcllaverint  ,  occident  eum.  Et 
jpfi  nlhil  horum  iritellexerunt ,  &  erat  verbum. 
iftud  abfconditum  ab  eis. 

Jefus  prit  avec  lui  Ces  doui&  Apôtres  ,  &  leur 
dit  :  Voici  que  nous  allons  à  Jérufalem  ,  6* 
tout  ce  que  les  Prophètes  ont  e'crit  du  Fils  d& 
Vhomme  ,  s*accomplira.  Car  il  fera  livré  aux 
gentils-,  moqué ,  flagellé.,  couvert  de  crachats  ^ 
(y  ifires  qu'on  Vaura  fla.gellé ,  on  le  mettrJ.  à 
mort.  Mais  les  Apôtres  n'entendirent  rien  à 
tout  cela  ,  &  c'était  une  chofe  cachée  pour  eux* 
En  Saint  Luc,  ch.  iS. 


OïLA  ,  Chrétiens  ,  ce  qui  a  foulevé 

tant  d'efprlts  ,  ce  qui  a  même  révol- 

\  '  té  toute  là  terre,  6c  de  quoi  le  mond^ 


v: 


/ 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.     363 

entier  s'eft  fcandalifé  :  Jefus-ChriQ  cou- 
vert d'ignominies  Se  d'opprobres ,  Jefus- 
Chrift  ibuffrant  &  mourant  fur  une 
croix.  Scandale  de  la  croix  ,  où  (ont 
compris  tous  les  autres.  Car  qui  dit  un 
Dieu  crucifié  ,  dit  un  Dieu  anéanti,  un 
Dieu  méprifé ,  un  Dieu  perfécuté.  Et 
parce  que  tout  cela  eit  venu  de  Ton 
choix  ,  dire  tout  cela  ,  c'ed  dire  un  Dieu 
quia  aimé  les  mépris,  les  abaidements  , 
les  perfécutions ,  les  foufiVances.  Et  com- 
me le  choix  de  Dieu  fait  le  prix  &  la  va- 
leur des  chofes ,  dire  un  Dieu  qui  a  aimé 
tout  cela,  c'eft  dire  un  Dieu  qui  nous 
a  rendu  tout  cela  recommandable  ,  qui 
l'a  efiimé  ,  qui  l'a  confeillé,  qui  l'a  éta- 
bli pour  fondement  de  la  perfecHon  des 
homm.es  ,  &  qui  par  conféquent  nous 
a  impofé  une  obligation  indifpenfdbîe 
d'eftimer  tout  cela  nous-mêmes  6l  de  le 
refpecler  ,  puifqu'il  eft  bien  jufte  que  la 
créature  conforme  fes  fentiments  à  ceux 
de  fon  fouveram  nuteur  &c  de  fon  Dieu, 
C'eft  toutefois ,  es  chers  Auditeurs  , 
de  ces  humiliatioiis  &  de  cerre  croix 
que  les  hommes  fe  (ont  iaiffé  rebuter; 
jufques  là  que  les  Apôtres  même,  éle- 
vés à  l'école  du  Fils  de  Dieu  ,  n'enten- 
dirent rien  à  ce  qu'il  leur  difoit  des  ou- 
trages qu'il  devoit  bien-tôt  recevoir,  à 
Jérufilem  ,  &.  de  la  mort  qu'il  y  alloit 
foutFrir  :  Et  ipfi  nihïl  horam  ïnidi.xtirunt  ; 
&  erat  verbum  ijîud  abjconditum  ah  eis» 
Ne  tombons- nous  pas  tous  les  jours  dans 


364   Sur  LE  Scan.  DE  LA  Croix 

le  même  fcandale  ?  Qu'on  nous  propoft* 
un  Dieu  tout-puiffant  &  brillant  dans 
l'éclat  de  fa  gloire  ,  notre  efprit  reçoit 
aifément  les  grandes  idées  qu'on  nous 
en  donne  :  mais  qu'on  nous  iaffe  voir  ce 
même  Dieu  dans  robfcurité  &  dans  les 
douleurs  d'un  fupplice  également  rigou- 
reux &  honteux  ,  c'eft  à  quoi  notre  cœur 
lent  une  réfiftance  naturelle  ,  Si.  de  cette 
réfîftance  dont  on  ne  fuit  que  trop  le 
rrouvernent  ,  naît  jufques  au  milieu  du 
Chriflianifaie,  le  libertinage.  Il  efl  donc. 
Chrétiens ,  du  devoir  de  mon  miniftere 
que  je  travaille  ,  ou  à  vous  préferver  où 
à  vous  retirer  d'un  icandale  qui  fe  répand 
fans  celle  &  qui  int"e6le  les  âmes  de  fon 
venin  :  il  eft  important  d'exciter  votre 
foi ,  de  ia  foutenir ,  &  de  vous  mettre  dans 
les  mains  des  armes  pour  la  défendre  :  il 
s'agit  des  points  fondamentaux  de  notre 
religion  ,  puifqu'elle  eft  fondée  fur  la  croix 
&  fur  les  humiliations  de  Jefus  Chrift.  La 
conféquence  infinie  de  mon  fujet  deman- 
de toute  la  force  de  mon  zèle  &  toute  la 
réflexion  de  vos  efprits  ,  après  que  nous 
aurons  imploré  le  fecours  du  Ciel  par 
l'interceffion  de  Marie,  en  lui  difant , 
Ave  Maria, 

OUi  l'eut  cru  ,  que  Jefus-Chrif^  pré- 
deftiné  de  Dieu  comme  le  Rédern- 
pteur  du  monde,  dût  être  un  (caudale 
pour  le  monde  même  ?  Il  n'eft  néan- 
jnoins  que  trop  vrai ,  Chrétiens  ,  Ôc  c'ei^ 


?.T  DES  Humiliât,  de  J.  C.  365 

le  défordre  que  ]'a\  prélentement  à  com- 
battre. Or  pour  vous  expliquer  d'abord 
mon  deflein  ,  j'avance  deux  propofitioni 
qui  vont  partager  ce  difcours  &  qui  vous 
feront  voir  tout  enferable  le  crime  Si  le 
malheur  de  ce  fcandale  que  nous  tirons 
des  humiliations  d'un  Dieu  Sauveur  6c 
de  fa  croix.  Car  je  pré:ends  qu'à  confi- 
dérer  ce  fcandale  dans  Ton  objet  &.  par 
rapport  à  Dieu  ,  il  n'eft  rien  de  plus  cri- 
minel ni  de  plus  injurieux  ;  &  j'ajoutS 
qu'à  le  regarder  dans  les  fuites  &  par 
rapporta  l'homme,  il  n'efî  rien  de  plus 
funeile  ni  de  plus  pernicieux.  Deux  véri- 
tés,  mes  chers  Auditeurs,  que  j'entre- 
prends de  traiter  aujourd'hui,  &  dont  il 
ne  me  fera  pas  diiiicile  de  vous  ccnvain-- 
cre  ;  deux  vérités  capables  de  faire  fur 
vos  cœurs  les  plus  fortes  impreiîîons. 
Pour  peu  que  vous  compreniez  ce  que 
c'efi  que  Dieu  &  ce  qui  lui  eft  dû ,  vous 
comprendrez  aifément  quelle  eft  i'injuf- 
tice  de  l'horame  ,  qui  par  une  témérité  in- 
foutenable  veut  entrer  dans  les  confeils 
de  la  fageffe  divine ,  &  qui  trouvant  dans 
les  humiliations  &  dans  la  croix  de  fon 
Sauveur  le  plus  puiiTant  motif  pour  s'at- 
tacher inviolablem.ent  à  lui,  s'en  tait  au 
contraire  une  raifon  de  fe  féparer  ce  lui 
&  de  l'abandonner.  Ce  n'eit  pas  affcz; 
mais  pour  peu  que  vous  foyez  encore 
fenfibles  à  votre  plus  folide  intérêt ,  qui 
eft  celui  de  votre  falut ,  vous  le  ferez  au 
ëanger  affreux  où  vous  expofe  le  fcandale 

Qiij 


^66  Sur  le  Scan,  de  la  Croix 

que  j'attaque ,  &  vous  apprendrez  à  vous 
en  garantir  :  je  fcais  que  je  parle  dans 
un  Auditoire  chrétien  ;  mais  dans  l'Au- 
ditoire le  plus  chrétien  il  y  en  a  dont  la 
foi  eft  foible  &  chancelante,  il  y  en  a 
qui  aiment  à  raifonner  fur  ces  points  de 
religion,  &  dont  tous  les  raifonnerrients 
ri'ont  d'autre  effet  que  de  les  jeter  dans 
le  trouble  ;  il  y  en  a  rr.ême  qui ,  Chré- 
tiens en  apparence  ,  font  incrédules  &C 
libertins  dans  le  cœur.  Or  vous  voyez 
coîribien  catte  matière  leur  convient  à 
tous.  Ainfi  je  reprends ,  ÔC  je  dis  en  deux 
mets  :  E^ieu  offenlé  par  le  fcandale  de 
l'homme  touchant  les  humiliations  &  la 
croix  de  Jefus-Chrift,  c'eft  la  première 
partie.  L'homme  perdu  par  ce  même 
fcandale  des  humiliations  &  de  la  croix 
de  Jefus  -  Chrift  ,  c'eft  la  leconde  partie. 
Appliquez- vous  ,  s'il  vous  plaît  ,  à  l'une 
&  à  l'autre.  Ce  lujet  convient  d'autant 
plus  au  temps  où  je  parle ,  que  c'efl:  un 
tenips  de  plaifir  ;  où  le  monde  femble 
jnlulter  à  l'Evangile  ,  &  où  le  libertinage 
traite  avec  plus  de  mépris  les  m.yûeres 
de  Dieu  ,  pour  être  en  droit  de  rejetter 
l'étroite  &  fainte  m.orale  dont  ces  di- 
vins myfteres  font  les  folldes  fondements. 
Commençons. 

j      TE  l'ai  dit ,  &  c'eft  ma  première  pro- 
Pap't        pûfiîton ,  dont  vous  connoîrrez  aifc- 
"  ment  h  vérité  :  fe  fcandalifer  de  la  reli- 
gion chrétienne,  &  s'en  rebuter  parce 


rr  DES  Humiliât,  de  J.  C.  367 

qu'elle  eft  fondée  !ur  les  humili-^tions  de 
U  croix  6^  fur  les  abdifleii.ents  de  Jefus- 
Chrift  ,  c'eft  le  fcandale  le  plus  inju- 
rieux à  Dieu  :  pourquoi  ?  parce  cine  ce 
fcandale  choque  direden^ent  lu  grandeur 
ce  Dieu ,  parce  qu'il  blefle  la  bonté  de 
Dieu  ,  parce  q  'il  fait  outr?.ge  à  la  fcgelTe 
cie  Dieu.  \'oilà  les  trois  preuves  aux- 
quelles je  m'arrête  ,  6c  que  j'ai  prélente- 
r»eiît  à  développer. 

Parlant  en  genér.'-l ,  Chrétiens,  c'eft 
attaquer  Dieu  d^ns  la  fouverameté  de 
fon  é're,  que  de  prétendre  en  quoi  que 
ce  foit  ,  cenfurer  fj  conduite  ôc  fa  provi- 
dence. Qu£.nd  Dieu  auroit  fait  des  cho- 
fes  dont  r;oîre  rcifcn  femb'.eroir  rfien- 
fée  ,  dès-ià  que  la  foi  fe  préfente  avec 
tous  fes  n^.otifs  pour  nous  déclarer  que 
cela  eft  ,  ce  feroit  à  nous  de  condamner 
notre  raifon  ccmrrie  aveug'e  &  ténné- 
raire  ,  &  non  pas  à  notre  ri-ifon  de  trou- 
ver à  redire  aux  œuvres  de  Dieu.  Hé, 
ires  Frères ,  difoit  Saint  Auguftin  ^  don- 
nons pour  le  moins  à  Dieu  cet  avantage, 
qu'il  puiHe  faire  quelque  chofe  que  nous 

-  jne  puiiiions   pas    comprendre  :   Dcmus  Angujî* 
Deum  aliquid  pojje  ,  quod   nos  fateamur 
inveftigare  non  pojfe.  Ce  n'eft  pas   trop 
demander  pour  lui ,  &  cependant  c'eft  ce 

que  nous  lui  refufons  tous  les  jours.  Car 

-  nous  cenfurons  tout  ce  que  Dieu  fait, 
qui  n'eft  pas  conforme  à  notre  fens  ;  6t 
toute  la  raifon  que  nous  avons  de  le  cen- 
furer,  c'eft  que  nous  ne  le  comprenons 

Q  iv 


56S  Sur  le  Scan,  de  la  Croi:* 

pas  :  Et  ipfi  nïhil  horum  intdUxcriinf» 
Mais  fi  cela  eft  vrai  généralement  de 
tous  les  ouvrages  de  Dieu,  beaucoup) 
plus  l'eft-il  du  grand  ouvrage  de  la  ré- 
demption divine  ;  de  cet  ouvrage  ce  Diea 
par  excellence  ,  félon  la  parole  du  prophè- 
te ;  de  cet  ouvrage ,  qui  eit  l'abrégé  de 
toutes  fes  merveilles ,  qui  eft  la  fin  de 
îous  Tes  confeils,  qui  eft  le  chef-d'œuvre 
de  fa  grâce  ;  de  cet  ouvrage  ,  où  dans  fes 
abaiilements  &  fes  plus  profondes  humi- 
liations ,  il  a  fait  éclater  toute  fa  gloire  ; 
de  cet  ouvrage  enfin  dont  il  n'a  pas  feu- 
lement été  l'auteur  ,  mais  dont  il  fut  lui- 
mêm.e  fur  la  croix  le  fujet  &  la  princi- 
pale partie.  Car  n'eft-il  pas  indigne  que 
l'homme  entreprenne  de  raifonner  à  fon 
gré  fur  un  femblable  myftere  ,  &  qu'en 
fe  choquant  de  ce  myftere  il  fe  choque 
&  fe  fcandalife  de  Dieu  même  ? 

Tel  eft  néanmoins,  mes  chers  Audi- 
teurs ,  le  défordre  où  nous  tombons  ,  & 
qui  m.e  paroît  à  peu- près  le  m-ême  que 
les  Pères  de  l'Eglife  reprochoient  aux 
païens.  Sçavez-vous  en  quoi  confiftoit 
le  défordre  des  païens  de  Rome  à  l'égard 
de  leur  religion  ?  Tertullien  l'a  remarqué 
dans  fon  Apologétique ,  &  le  voici  :  C'eft, 
dit- il  ,  que  les  Romains  par  un  orguei^I 
infupportable ,  au  lieu  de  fe  foumettre  à 
leurs  Dieux ,  fe  faifoient  les  juges  &  les 
cenfeurs  de  leurs  Dieux  ;  on  délibé- 
roit  en  plein  Sénat  s'il  falloit  admettre 
un  Diey  dans  le  Capitole  ou  non  ^  & 


I 


£T  LES  Humiliât.  DE  J.  C.     'i6<^ 

feloa  les  goûts  &  les  avis  différents  ,  ce 
Dieu  étoit  exclus ,  ou  étoit  reçu  :  s'il 
agréoit  aux  juges  qui  en  dévoient  déci- 
der ,  il  paffoit  au  nombre  des  Dieux  ; 
mais  fi  cette  approbation  juridique  venoit 
à  lui  manquer,  on  le  rejettoit  avec  mé- 
pris. De  forte  ,  ajoute  Tertullien  ,  que 
fi  ces  prétendus  Dieux  ne  plaifoient  pas 
auxhommes , ce  n'écoient  plus  des  Dieux  : 
Nij^  hjmïni  Deiis  placuerit ,  Deus  non  srit,  Tenull, 
N'ed-ce  pas  là  le  dernier  aveuglement 
de  l'elprit  humain  ? 

Or,  Chrétiens  ,  permettez-moi  de  le 
dire  ici ,  cet  aveuglement  règne  encore 
aujourd'hui  dans  le  monde  ;  &  ce  qu'il  y 
a  de  bien  déplorable,  c'eft  qu'il  ne  règne 
plus  parmi  les  Païens  ,  mais  au  milieu' 
du  Chriftianifme.  On  voit  dans  le  Chrif- 
tianifme  des  hommes  à  qui  leur  Dieu, 
fi  je  puis  ainfi  parler ,  ne  î)lait  pas  ;  ils  ns 
trouvent  pas  bon  qu'il  fe  foit  fait  ce 
qu'il  eft,  ni  qu'il  ait  été  ce  qu'il  a  voulu 
être;  s'il  s'eft  fait  homme,  cela  les  révolte: 
en  qualité  d'homme  il  a  voulu  s'anéantir 
&  fouffrir  ;  mais  ils  le  voudroient  dans 
l'éclat  &  d^ns  la  grandeur,  &  s'ils  pou- 
voient  le  réformer,  ils  en  feroient  tout 
un  autre  Dieu.  Car  voilà  l'idée,  ou  plu- 
tôt la  préfomption  de  tout  ce  qu'on  appelé 
efprits  forts  du  monde,  c'eft  à-dire,  des 
libertins  du  monde  ,  des  fenfuels  du  mon- 
de ,  des  ambitieux  du  monde,  ÔC  même 
des  femmes  du  monde.  Combien  en 
y  oyons-nous,  jufqu'entre  les  perfonne^ 


37Û  Sur  LE  Scan.  DE  LA  Croix 

du  fexe ,  corrompues  par  la  rnolîeiTe  des 
fens  6c- emportées  par  la  vanité  de  leur 
efprit  ,  en  venir  là  ?  En  vérité  ,  mes 
Frères,  conclut  Sainï  Hilatre,  s'adrefùnt 
s  ces  faux  i'ages ,  il  ùut  que  nous  ayons 
porté  notre  orgueil  au  dernier  excès  ;  Sc 
s'il  nous  étoit  permis  ,  je  penTe  que  nous 
irions  jufques  dans  le  ciel  corriger  le 
rr.ouven-,ent  des  aftres,  que  nous  don- 
nerions un  autre  cours  au  folell ,  &i  qu'il 
n'y  auroit  rien  dans  la  nature  que  nous 
Hilar.  îi'entrepriffions  de  changer  :  Si  liceret , 
&  corpora  &  manus  in  ccelum  levaremus, 
Ainfi  s'expliquoit  ce  grand  Eveque.  Mais 
ce  qui  n'eft  pas  pofiibîe  à  nos  corps , 
parce  que  leur  poids  les  tient  attachés  à 
la  terre  ,  notre  elprit  le  fait.  Car  il  s'élève 
non-feulement  jufques  dans  le  ciel ,  mais 
ftu  delTus  du  ciel;  &  non  content  d'at- 
tenter fur  les  œuvres  du  Seigneur  ,  il 
attente  fur  le  Seigneur  même  ,  en  rai- 
fonnai'it  fur  fes  mylleres,  &  en  s'oflen- 
fant  de  i'état  humble  ôc  obfcur  où  il  s'eft 
réduit  pour  nous. 

Je  dois  après  tout  convenir ,  Chrériens , 
que  Marcion  fur  cela,  l'im  des  hérciiar- 
cues  les  plus  déclarés  contre  les  abaif- 
lements  du  Fils  de  Dieu  ,  répliquoit  une 
chofe  affez  apparente  &  aflez  fpécieufe. 
Car  fi  je  niC  fcandalife  des  humiliations 
&  des  foufFrances  d'un  Homme-Dieu  , 
cefi  ,  difoit-il  ,  pour  riniéttt  méire  &: 
pour  l'honneur  de  Dieu  ,  dont  je  ne  pais 
îupporter  que  la  majefté   fe   loit   ainfi 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.     371 

avilie  "jufques  à  la  croix;  &:  mon  fcan- 
chle  n^  peut  être  criminel ,  puifqu'il  ne 
part  que  d'un  b©n  zèle.  Zèle  trompeur  & 
taux  ,  lui  répondoit  TeriuUien.  Hé,  quoi, 
Dieu  vous  a-t-il  fait  le  tuteur  de  fa  di- 
vinité ?  Ne  fe  paiTcra-t-il  pas  bien  de 
votre  zèle  &:  de  i'intéré:  que  vous  pre- 
nez à  fa  gloire  r  Non  ,  non  ,  pourfuivoit 
cet  arden:  défenfeur  de  la  patiion  &  des 
anéantiiîemenis  dû  ^'c^be  de  Dieu  ,  ce 
n'eil  point  à  vcus^  Marcion  ,  d'entrer 
en  de  tels  raifonnements  ;  mais  c'eA  à 
vous  de  reconnoitre  votre  Dieu  dans  tous 
îes  états  où  il  a  voulu  fe  taire  voir  ;  dans 
la  crèche  comme  fur  le  Thabor  ,  &  dans 
les  opprobres  de  fa  mort  comme  fur  le 
tTone  de  fa  gloire.  Car  il  eft  r.uîTi  par- 
faitement Dieu  dans  l'un  que  dans  l'au^ 
tre  ;  par  conféquent  auffi  grand  dans  l'un 
que  dans  l'autre  :  &  c'eft  une  erreur  de 
prétendre  ,  ainfi  que  vous  le  dites  ,  qu'en 
fouftrant  il  eût  celTc  d'être  Dieu,  puis- 
que Dieu  ne  court  jamais  le  moindre 
rifque  de  déchoir  en  quelque  manière  de 
{à  grandeur ,  &  de  dégénérer  de  fon  état  : 
Ncc  potes  duere  ,  /l  pjjjus  cjjct ,  Dtus  effe  Xertull. 
^^fi(fjet  ;  D<o  cnïm  nullum  efi  pcriculum 
flatus  fui.  Or  je  vous  dis  le  même  ,  Chré- 
tiens ;  ce  n'eft  pointa  vous  de  philofo- 
pher  fur  les  abalflements  &  la  croix  de 
votre  Sauveur  .,  c'eft  à  vous  o'adorer 
votre  Sauveur  jufques  dans  fes  abaifle- 
n.ents  &  fur  fa  croix  ,  parce  qu'en  erlet 
fes  abaiffenients  même  fcm  adorables , 


37^  Sur  le  Scan,  de  la  Croix 
&  que  bien-lcin  que  la  croix  ait  avili  fa 
pericnne  divine  ,  elle  a  tiré  de  la  perfon- 
ne  divine  de  quoi  devenir  elle-mên.e 
digne  de  tous  nos  refpe^ls.  C'eft  à  vous  » 
dis- je  ,  de  lui  rendre  ce  culte  ,  &  de  faire 
hommage  à  la  révélation  que  nous  en 
avons  reçue.  Car ,  conime  difoit  Saint 
Ambroile,  écrivant  à  l'Empereur  Valen- 
îinien  ,  à  qui  eft-ce  que  je  croirai  dans 
les  chofe^.  qui  regardent  mon  Dieu ,  finon 
.  T^  à  mon  Dieu  ?  Cui  enim  masis  de  Deo  , 
quàm  Deo  credam  ?  Mon  Dieu  m.e  die 
qu'il  eft  né  enfant ,  je  l'adorerai  enfant  y 
mon  Dieu  m'apprend  qu'il  a  fouffert  fur 
la  croix ,  je  l'adorerai  fur  la  croix ,  &  quoi- 
qu'il me  paroilTe  moins  Dieu  ilir  la  croix 
que  dans  le  Ciel ,  fa  croix  ne  me  fera  pas 
moins  vénérable  que  le  Ciel.  Au  con- 
traire ,  je  prendrai  plus  de  pl;jifir  à  l'ado- 
rer crucifié  qu'à  l'adorer  glorifié  ,  parce 
qu'en  i'adori*.nt  crucifié  je  lui  ferai  un 
plus  grand  facrifice  de  ma  raifon  que 
îorfque  je  l'adore  à  la  droite  du  Père  6c 
dans  les  fpiendeurs  des  Saints. 

Voilà  comment  doit  parier  un  chré- 
tien :  &  fi  nous  ne  parlons  pas  de  la 
forte  ,  je  dis  que  c'efi:  un  fcandale  qui 
ofFenfe  directement  b  grandeur  de  Dieu  ; 
mais  j'ajoute  qu'il  bleile  encore  bieii 
plus  fa  miféricorde  :  autre  outrage  que 
j'y  découvre  ,  &  dont  l'injuftice  fe  fait 
d'abord  fentir  par  elle-mêm.e.  Car  n'eft- 
îl  pas  étonnant  que  nous  nous  fcanda- 
lificns   des  propres  bienfaits  de  noue 


ET  DES  Humiliât,  de  J-  C.    375 

Dieu  ,  &  que  ce  foit  fon  Infinie  Si  in- 
compréiienfible  bonté  pour  nous  qui 
nous  révolre  contre  lui?  Qu'eft-ce  qui 
nous  rebute  dans  la  religion  que  nous 
profeffons  ou  que  nous  devons  profef- 
1er  ?  cela  nTiême  où  Dieu  nous  a  fait  pa- 
roître  plus  lenriblement  fon  amour.  En 
effet ,  tous  ces  mylf  ères  d'un  Dieu  fait 
homn^e  ,  d'un  Dieu  humilié  ,  d'un  Dieu 
perfécuté,  d'un  Dieu  mourant,  fe  rap- 
portent à  cette  grande  parole  de  l'Evan- 
gile :  Sic  Deus  dilexn  mundum  ,  c'efl 
aind  que  Dieu  a  aimé  le  monde.  Si 
l'homme  étoit  tant  (oit  peu  raifonnable^, 
trouvant  ces  myfieres  fi  avantageux  pour 
lui  &  fi  pleins  de  charité  ,  il  embralTeroit 
avec  joie  tout  ce  qui  lui  en  perfuade  la" 
vérité  ;  &  comme  la  foi  lui  en  fournit 
des  témoignages  convaincants,  il  goûte» 
roit  cette  foi,  &  n'auroit  point  de  plus 
douce  confolation  que  de  s'établir  foli- 
dement  dans  cette  foi.  Mais  que  fait- il  ?" 
tout  le  contraire.  Par  une  préoccupation 
extravagante  de  fon  libertinage ,  il  s'élève 
contre  cette  toi ,  &  fans  examiner  férieu- 
fement  fi  ce  qu'elle  lui  propofe  eft  vrai 
Gu  ne  fert  pas ,  il  fe  fcandalife  d'abord 
&  ne  veut  rien  entendre.  Au  lieu  dé- 
dire 5  voilà  de  grandes  chofes  dont  je 
fuis  redevable  à  mon  Dieu  ,  il  dit  :  Il  n'efï 
pas  croyable  que  Dieu  fe  foit  tant  inté- 
relTé  pour  moi  ;  &  au  Heu  de  vivre  en- 
fuite  dans  la  jufle  correfpondance  d'ua 
jjuliQur  réciproque  6c  dans  une  fidélii4 


374    Sur  LE  Scan.  DE  LA  Croix 

refpeftueufe  envers  Jelus-Chrift  Ton  ré- 
dempteur, il  vit  dans  une  infenfibilité 
de  cœur  5  &  dans  une  monftrueufe  in- 
gratitude à  l'égard  de  tout  ce  qui  con- 
cerne fa  rédemption  :  pourquoi  cela  ? 
parce  que  le  moyen  dont  Jefus-Chriil 
s'eil  fervi  pour  le  ûuver  ne  lui  revient 
pas ,  &  qu'il  n'entre  pas  dans  (on  fens. 
Défordre  que  déplorolî  Saint  Grégoire 
Pape  dans  ces  belles  paroles  de  l'homélie 
Cregor.  fixieir.e  fur  les  Evangiles  :  Inde  komo  ad- 
verfiLs  Sûlvdtorcm  jcandalum  fumpfit  , 
undt  ei  m,2g}s  deb'Uor  ejfe  debuit.  Ah  I  mes 
Frères ,  quel  rcnverferiient.  L'homme  a 
pris  fujet  de  Tcandale  contre  fon  Dieu  de 
la  mêrrve  chofe  qui  devoit  l'attacher  in- 
violablement  à  (on  D!eu.  Car  il  qÇi  évi- 
dent que  s'il  y  eut  jamais  rien  qui  tût  ca- 
pable de  m'attaciier  fortement  à  Dieu , 
de  m'inipirer  du  zèle  pour  Dieu  ,  de  me 
faire  tout  entreprendre  &  tout  fouffrir 
pour  Dieu  ,  c'éioiî  cette  penfée  ,  Dieu  eft 
mort  pour  moi ,  il  s'eft  anéanti  pour  moi. 
Voyez  les  fruits  merveilleux  de  grâce  que 
cette  penfée  a  produit  dans  les  Saints, 
les  miracles  de  vertu ,  les  converfions 
héroïques  ,  les  renoncements  au  monde, 
leè  ferveurs  de  pénitence  ,  les  difpofi- 
tiohs  généreufes  au  martyre.  Qui  faifoit 
tout  cela  ?  la  vue  d'un  Dieu-homme  & 
d'un  Dieu  facrifié  pour  le  falut  de  l'hom- 
me. Voilà  ce  qui  gagnoit  leurs  cœurs,  ce 
qui  les  raviiT^it ,  ce  qui  les  tranfportoit  ; 
&.  il  fe  trouve,  Chrétiens,  que  c'eft  ce 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.    37^ 

qui  caufe  notre  fcandale ,  &  que  notre 
fcarNJale  nous  entretient  dans  une  vie 
lâche  5  impure  ,  déréglée  ,  c'eft-à-dire 
dans  une  vie  où  nous  ne  faifons  rien 
pour  Dieu,  &  où  nous  nous  tenonsconf- 
tamment  éloignés  de  Dieu.  Or  en  fau- 
droît-il  davanrage  pour  détruire  en  nous 
ce  fcandale,  &  posr  nous  jurtifierà  nous- 
mêmes  la  loi  qui  lui  eft  oppofée ,  que  de 
penier  :  c'eft  cette  foi  qui  me  ùnCiïûe , 
6l  c'eft  ce  fcandale  qui  me  pervertit; 
c'eft  la  foi  de  la  mort  d'un  Dieu  qui 
m'engage  à  la  pratique  de  toutes  les  ver- 
tus ,  &  c'eft  le  fcandale  de  la  mort  d'un 
Dieu  qui  me  plonge  dr.ns.  U  corruption 
du  péché?  Cela  ieui  ne  devroit-il  pas. 
réprimer  tous  les  fcandales  de  notre  efprit 
en  m.atiere  de  religion  ? 

Hé,  mon  Frère  ,  encore  une  fois, 
s'écrioit  Tertullien ,  je  vous  conjure  de 
ne  vous  pas  fcandaiifer  de  ce  qui  a  été  la 
caufe  effentielle  de  votre  bonheur.  Voi- 
ci ,  Chrétiens ,  des  fentiments  &  des  ex- 
prefTions  propres  de  ce  grand  génie.  Scan- 
dalifez-  vous  ,  fi  vous  le  voulez  ,  de  tout 
le  refte  ;  mais  épargnez  au  moins  la  per- 
fonne  de  votre  Sauveur  ;  épargnez  fa 
croix  ,  puifqu'elle  vous  a  donné  h  vie  ; 
épargnez-la  ,  puifqu'elle  eft  l'efpérance 
de  tout  le  monde.  Parce  ^  obfecro  ,  parce  TcnulU 
huic  fpeitotius  orbis.  Si  c'étoit  les  Anges 
qui  s'en  ofienfafl"ent  &  qui  s'en  fcanda- 
lifafTent ,  cela  feroit  en  quelque  forte  plus 
fupportaoie  ;  Jefus-Chiift  n  a  pai  foufiert 


37^    Sur  le  Scan,  de  la  Croix 

pour  eux;  mais  que  ce  foit  vous  pour 
qui  ce  Sauveur  eft  venu  &  pour  qui  il  a 
voulu  raourir  ,  c'efl  un  fcandale  qui  doit 
foulever  contre  vous  toutes  les  créatu- 
res. Et  ne  ine  dites  point,  pourfuivoit 
Tertullien  ,  que  l'humilité  de  la  croix  étoit 
indigne  de  Dieu  ;  car  elle  a  été  utile  à 
votre  falut  ;  or  dès  qu'elle  a  été  utile  à 
votre  falut  ,  elle  a  commencé  à  être 
digne  de  Dieu ,  puifqu'il  n'y  a  rien  qui 
foit  plus  digne  de  Dieu  que  le  falut  de 

liêfn,  l'homme  :  Nihil  tam  dignum  Deo  cjuâm 
hominîs  falus.  Ne  me  dites  point  que  la 
mort  eft  un  opprobre  dont  un  Dieu  ne 
devoit  pas  être  fufceptible  ;  car  ce  que 
vous  appeliez  l'opprobre  de  mon  Dieu, 
c'eft  ce  qui  a  été  la  guérifon  de  m^es  maux 
&   le  facrement  de    ma  réconciliation  : 

idem.  Totum  Dei  mci  dedecus  facramentum  fuit 
mccz  falutis.  Or  il  faudroit  que  je  fufle 
bien  méconnoiffant  &  bien  infenfible,  fi 
je  venois  à  concevoir  du  mépris  pour  cet 
opprobre  fi  falutaire ,  &  par  conféquent 
fi  tefpedtable  &  fi  aimable  pour  moi.  Ce- 
pendant il  y  a  des  hommes  ainfi  faits  ; 
toute  la  bonté  de  Dieu  ne  fuffit  pas  pour 
les  toucher  ,  fi  fa  fageffe  ,  félon  leurs 
idées ,  ne  s'y  trouve  jointe  ;  ils  ne  fe  con- 
tentent pas  que  Dieu  les  ait  aim.és ,  ils 
veulent  qu'il  les  ait  aim.és  fagem.ent,  je 
dis  fagement ,  félon  leurs  vues  ;  &  s'il  les 
a  aimés  d'une  autre  manière,  ils  font 
déterminés  à  fe  fcandalifer  de  fon  amour 
fiiême.  Or  fuiyîuit  leurs  vues  6c  leurs. 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.     377 

idées  ,  tout  ce  myflere  d'humiliation  Sc 
d'anéantilTement  lur  quoi  le  Chriftianif- 
me  eîi  établi,  leur  paroît  une  tolie.  Et 
moi  je  prétends  enhn  que  c'eft  le  myftere 
de  la  lageiTe  même  de  Dieu,  &  que  par 
un  dernier  caractère ,  le  icandale  qu'Us 
en  tirent  eft  d'autant  plus  outrageux  à 
Dieu  ,  qu'il  va  contre  tous  les  ordres  & 
les  plus  admirables  confeiîs  de  cette  di- 
vine fdgeffe. 

Car  à  quoi  fe  réduit  le  fcandale  des 
prétendus  efprits  forts  du  monde,  fur  le 
fujet  de  Jefus^Chrifl  &  delà  rédemption 
de  l'homme  r  Ils  ne  peuvent  fe  perfuader 
qu'un  Dieu  fe  foit  abaiilé  6c  humilié  de 
la  forte  :  mais  je  foutiens  moi  qu'il  n'y 
avoit  rien  de  plus  convenable  à  fon  office 
de  Sauveur  ;  pourquoi  ?  parce  qu'il  n'étoit 
fur  la  terre  qu'aiin  de  fatis faire  à  Dieu 
pour  les  hommes.  Or  la  fatisfaftion  d'une 
offenfe  porte  avec  foi  l'humiliation  & 
l'abailTement  de  celui  qui  fatisfaiî  :  cela 
n'eft-il  pas  dans  l'ordre  naturel?  Ils  ne 
goûtent  pss  que  le  Fils  de  Dieu  ait  publié 
dans  fa  religion  des  maximes  fi  rigou< 
reufes  ,  la  haine  de  foi-m.ême  ,  l'abnéga- 
tion de  foi-même  ,  la  févérité  envers  foi- 
même  :  m.ais  devoit-il  en  publier  d'au- 
tres ,  dit  Saint  Jérôme  ,  établiffant  une 
religion  d'hommes  qui  dévoient  fe  recon- 
noitre  pécheurs  &L  criminels  ?  Car  qu'y 
a-t-il  de  plus  fortable  au  péché  que  la 
pénicence  ,  &  qu'y  a-t-il  de  plus  confor- 
me à  la  pénitence  que  la  rigueur  pouï 


378     Sur  LE  Scan.  DE  LA  Croix 

foi- même  &  l'auftérité  ?  La  raifon  feule 
n'autori'e-t-elle  pas  cette  conduite  ?  Us 
s'étonnent  que  Jelus  Chnft  ait  ccnonifé  la 
pauvreté  comme  une  béatitude,  qu'il  ait 
propofé  la  croix  aux  hommes  comme  un 
attrait  pour    le   luivie  ,  qu'i!   ait  reJevé 
l'amour  du  mépris  ^i\  defius  de  tous  les 
honneurs  du   hecle  ;  &  moi  j'admire  la 
profondeur  delcnconfeil  en  tout  cela; 
car  que  pouvoir  il  Lue  de  mieux  ,  puif- 
qu'il  croit  queftion  de  Tuver  le  monde 
en  le  réformant ,  que  de  combattre  pour 
le  réformer,  la  cupidité  du   monde,  la 
fenfualité  du  monde,  Toi  gued  du  morde? 
Mais  qu'éroit-il  besoin  que  ce  méde- 
cin des  am.es  prît  lui-mcme  les  remèdes 
r-écelTaires   pour   guérir    nos  mjaladies  ? 
qu'étoit-il   befoin    qu'il    fouffrit   &L   qu'il 
s'anéantît  ?   Il  le  falloit ,  Chrétiens ,  afin 
qjje  fon  exemple  nous  portât  à  ufer  nous- 
mêmes  de  ces  remèdes  ;  fans  cela,  fans 
cet  exem.ple  qui  les  adoucit ,  aurions  nous 
pu  en  fouîenir  l'amertume  ?  S'il  avoit  pris 
pour  lui  les  douceurs ,  &.  qu'il  ne  nous 
eiJt  1  dfTé  que  h  croix,  qu'aurions-nous 
penie  de  ce  partage  ?  Dans  le  deiTein  où 
il    étoit   de  donner  du  crédit  à  la  pau- 
vreté Se  à  l'humilité  dont  le  monde  avoit 
tant  d'horreur  ,  de  quelle  invention  plus 
efficace  pouvoir-il  fefervir,  que  de  les 
confacrer  dans  fa  perfonne  ,  Lim  ,  com- 
me dit  excelîem.ment  Saint  Ar.gufîin  ,  que 
l'humilité  de  l'hom.me,  qui  elt  foible  par 
elle-même  ,  trouvât  dans  l'humilité  de 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.     379 

Dieu  de  quoi  s'appuyer  &  de  quoi  fe 
défendre  contre  les  attaques  de  l'orgueil. 
Uc  falukerrïma  humiUtas  kumana  ,  con-  Aupfi* 
tra  injultantem  fibi  fuperLiam  ,  divinœ. 
humilitatïs  patrocinio  fulciretur.  Mais 
après  tcut  cela  ,  me  direz- vous  ,  il  y  en 
a  bien  peu  encore  qui  goûtent  ces  maxi- 
mes. 11  ne  s'agit  pas  s'il  y  en  a  peu  ou 
beaucoup  ;  il  s'agit  du  dedein  qu'a  eu 
Jefus-Chrifl  en  les  propofant  au  monde. 
S'il  y  en  a  peu  qui  les  eoûtent ,  en  peut 
dire  aufTi  qu'il  y  a  peu  d'élus  &  de  pré- 
dellinés  ^  éc  qu'il  n'eft  point  néceffaire 
qu'il  y  en  ait  plus  des  uns  que  des  autres, 
puiiGue  pour  nire  rubfifler  les  décrets 
de  Dieu ,  il  luiiit  qu'il  y  ait  autant  de 
feciateurs  de  ces  maximes  qu'il  doit  y 
avoir  d'hommes  choifis  Ôc  deitinés  pour 
le  ciel. 

Quoi  qu'il  en  foît  ,  reprend  Saint  Au- 
gurtin,  telle  eft  la  conduite  qu'a  tenue 
le  Fils  de  Dieu  :  il  a  fuit  de  fa  croix  un 
moyen  pour  corriger  nos  mœurs  dépra- 
vées &  corrompues  ;  &  parce  que  ce 
moyen  étoit  iaoui  &  que  le  monde  s'en 
fcandalifoit ,  il  l'a  fouîeijL  à  toice  de  mi- 
racles ;  par  l'autorité  de  Tes  miracles,  il 
s'eft  acquis  la  foi  des  peuples  ;  par  cette 
foi  des  peuples  ,  il  a  formé  une  Eglife 
norr.breufe  ;  par  la  propagation  de  cette 
Eglife  ,  il  a  eu  le  témoignage  de  la  tradi- 
tion &  de  l'antiquité  ;  &  par  là  enfin  il  a 
tortillé  fa  religion  ,  mais  enforte  que  ni  le 
pagunifme ,  ni  les  héréfies  ne  rébranUilent 


3§o    Sur  LE  Scan.  DELA  Ciîoix 

idem,  jamais  :  MiracuUs  conciliavit  au6îorïtà^ 
tem^  audoritate  meruit  fidem  ,  fide  enutri- 
vit  muliitudinem  ,  multitudine  obtïnuit 
vètuflatcm  ,  vetuflate  roboravit  rdigionem, 
C'ell  dans  le  livre  de  l'utilité  de  la  foi 
que  parle  ainfi.  ce  faint  Dofteur.  Mais 
fçavez-vous ,  mes  chers  Auditeurs,  pour- 
quoi nous  nous  fcandalifons  de  la  croix 
de  notre  Dieu  ?  c'eft  jufleraent  parce 
qu'elle  eft  un  ren-.ede  contre  nos  delor- 
dres  ;  voilà  ce  qui  nous  blelTe  :  car  nous 
ne  voulions  point  de  ce  remède  ;  nous 
nous  trouvions  bien  de  nos  maladies ,  & 
bien-loin  d'en  fcuhaiter  la  guérifon  ,  nous 
ne  cherchions  qu'à  les  entretenir  &  quà 
les  accroître  :  le  Fiîs  de  Dieu  eft  venu 
nous  dire  qu'il  en  falloit  fortir ,  &  c'eft 
-ce  qui  nous  a  déplu  ;  s'il  nous  avoit  dit 
toute  autre  chofe  ,  nous  l'aurions  écouté  ; 
s'il  nous  avoit  propofé  les  fables  du  pa- 
ganifme ,  nous  les  aurions  reçues  :  mais 
parce  qu'il  nous  a  révélé  des  myfteres 
qui  tendent  tous  à  la  réformation  de  no- 
tre vie  ôc  à  la  deftrudlion  de  nos  paflions, 
voilà  pourquoi  nous  nous  fommes  révol- 
tés :  femblables  à  ces  phrcnétiques ,  qui 
fe  tournent  avec  fureur  contre  ceux-mê- 
mes  que  la  charité  emploie  auprès  d'eux 
pour  les  Iculager.  C'ed  ainfi  ,  continue 
Saint  Auguftin,  que  notre  Dieu,  tout 
adorable  qu'il  eft ,  eft  devenu  un  fujet  de 
contradi61ion  pour  les  luperbes  ,  parce 
qu'en  s'humiliant  il  a  prétendu  rabatre  leur 
-orgueil.  Comme  fi  c'étoitpeuà  i'homiii« 


<ET  DES  Humiliât.  DE  J.  C.     381 

jd'etre  malade ,  s'il  n'y  ajoutoit  encore 
jde  fe  glorifier  dans  Ton  propre  mal ,  6c  de 
trouver  mauvais  qu'on  entreprenne  d* 
Yen  délivrer.  Que  ]e  parle  à  un  grand  du 
monde  d'un  Dieu  entant ,  d'un  Dieu  cou- 
ché dans  une  crèche,  cela  le  trouble; 
non  pas  à  caufe  de  la  difficulté  qui  paroit 
dans  ce  myflere  ,  car  ibuvenr  il  ne  penie 
pas  à  cette  difficulté  ,  &  peut-être  ne  l'a- 
î-il  jamais  examinée  ;  mais  parce  que  ce 
myilere  coidamne  tous  les  projets  de  ion 
ambition,  &  tous  les  deffeins  injuiles  & 
criminels  qu'il  a  conçus  d'agrandir  fa 
fortune  à  quelque  prix  que  ce  foit.  Que 
je  miette  devant  les  yeux  à  une  iemme  du 
iTJonde  un  Dieu  fouffrant  6c  couvert  de 
plaies  ;  Ton  cœur  fe  foulevera  ;  non  pas 
pour  rimpoffibil'té  qu'elle  y  voit  ,  car 
elle  n'y  en  voit  point ,  mais  parce  qu'ua 
Dieu  dans  cet  état  e'it  un  reproche  fenfi- 
ble  de  fes  délicateiles ,  de  ion  am^our  pro- 
pre, du  foin  qu'elle  prend  de  fon  corps* 
Et  pour  preuve  de  ce  que  je  dis  ,  que  ]$ 
propofe  à  Tun  &  à  l'autre  le  m3'ftere  d'un 
Dieu  en  trois  perTonnes,  qui  ed  encore 
bien  plus  incompréhenfible  que  celui  d'un 
Dieu  humilié,  ni  l'un  ni  l'autre  ne  s'en 
ofFenfera  ;  pourquoi  ?  parce  que  le  myf- 
tere  d'un  Dieu  en  trois  perfonnes  ne  porte 
point  de  conlequence  immédiatement 
contraire  à  l'ambition  de  l'un  ,  ni  au  luxe 
&  aux  m.ondanités  de  l'autre. 

Ne  cherchons  donc  point  la  véritable 
feurce  de  nos  fçandales  ailleurs  que  dài)S 


3S2    Sur  LE  Scan.  DE  LA  Croix 

nous-mêmes  ,  que  dans  nos  vices ,  dans 
nos  inclinations  criminelles  ,  dans  nos 
dérèglements.  Et  c'eft  par-là  que  nous 
devrions  encore  juger  de  la  qualité  de  ce 
fcandale  ,  puifqu'il  ne  prcK:ede  que  de 
notre  iniquité  ,  6l  qu'il  ne  Te  forme  dans 
nous  qu'à  proportion  que  nos  mœurs  fe 
pervertirent.  Ah  !  Seigneur ,  je  ne  m'é- 
tonne plus  que  le  monde  ait  tant  com- 
battu votre  loi ,  &  tant  contredit  votre 
adorable  perfonne  :  le  monde  étant  au 
point  de  libertinage  où  il  eÛ  ,  il  falloit 
par  une  fuite  infaillible  qu'il  vous  traitât 
de  la  forte ,  &  je  ferois  furpris  s'il  ne  fe 
fcandalifoit  pas  de  vos  maximes  en  fui- 
vant  des  principes  tout  oppofés.  Ce  fcan- 
dale ,  Seigneur ,  n'eft  qu'une  marque  de  fa. 
corruption  &  de  votre  fàinteté  .  ù  vous 
étiez  moins  faint  ,  ou  s'il  étoit  moins 
vicieux  ,  il  ne  fe  fcanduliferoit  pas  de 
vous  ;  mais  fuppofé  votre  fàinteté  &  fes 
défordres  ,  fon  fcandale  eu.  nécelTaire. 
Ainfi  vous  voyez,  mes  chers  Auditeurs, 
combien  le  fcandale  des  hun.iliations  ÔC 
de  la  croix  de  Jefus-Chrift  eft  injurieux 
à  Dieu  ;  &  je  vais  vous  montrer  qu'il 
n'eft  pas  moins  pernicieux  à  l'homme, 
fur- tout  à  l'homme  chrétien  :  c'eil  la 
féconde  Partie. 

II.        A    Prendre  les  chofes  dans  Tordre  de 

Part.  -^^  ''•  l'rovidence  Se  félon  la  conduite 

ordinaire  de  Dieu,  loir  pour  la  difpolition, 

-    foit  pour  raccompUffeinent  (5c  l'exécutioa 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.  383 
du  falut  de  Thomme  ,  on  peut  dire,  & 
il  eil  vrai,  que  ce  qui  a  fait  prefque  tous 
les  réprouvés ,  c'a  été  le  fcand-ile  des  hu- 
iTiiIiations  6l  de  la  croix  du  Fils  de  Dieu  -, 
voilà  ,  fi  nous  en  croyons  S.  Chrylofto- 
me  ,  l'origine  de  l'apolUfie  même  des 
Anges»  il  dit  qu'au  moment  que  Dieu 
créa  ces  efprits  céieftes  ,  il  leur  propola 
le  grand  myftere  de  la  rédemption  &  du 
falut,  qui  fe  dévoie  un  jour  accomplir 
dans  la  perfonne  de  fon  Fils  ,  &  qu'il  les 
obligea  d'adorer  ce  Pvédem^pter  :  Et  ado- 
rent eum  om.ies  _AngeU  Dd.  Que  les  uns 
s'y  foumirent  refpeclueufement ,  &  quQ 
ce  furent  les  anges  prédeftinés  ;  mais  que 
les  autres  par  orgueil  s'en  fcandaliferent, 
&  qu'en  punition  de  leur  délbhéiiTance 
Dieu  les  précipita  dans  l'abyme  éternel. 
Voilà,  (elon  la  penfée  de  tous  les  Pères, 
la  Iburce  funefte  de  la  réprobation  des 
Juifs.  Les  Juifs  attendoient  un  Meffie 
riche  ,  puiffant ,  magnifique  ,  envoyé  de 
Dieu  ,  pour  rétablir  par  fes  conquêtes  le 
Roy  lume  d'ifraël ,  &  dont  ils  fe  promet- 
toient  toute  forte  de  profpérités  :  mais 
quand  ils  virent  Jefus-Chrift  dans  une 
difette  extrême  de  toutes  chofes ,  tbible, 
petit,  inconnu,  condamné  à  la  mort  ÔC 
à  la  mort  de  la  croix  ,  ils  le  mépriferent, 
&  ce  fcandale  les  fit  tomber  dans  l'mfidé- 
lité  -,  leur  infidel'té  les  jeta  dans  i'endur-? 
ci(Tement,leurendurcifrement  irrita  Dieu 
qui  les  abandonna  ,  &  les  effets  de  cet 
Abandon  de  D.eu  furent  h  deiliudioa 


5S4    SuRLE  Scan. DELA Cp.oîx 

jde  leur  ville  ,  la  profanation  de  leur  rem- 
pie  ,  la  ruine  de  toute  leurnation.  Voilà, 
ïiifoit  Saint  Jérôme,  &  l'expérience  nous 
2'apprend  ,  ce  qui  rend  les  Païens  indoci- 
les &  rebelles  à  la  lumière  de  l'Evangile, 
quand  nous  leur  annonçons  notre  fainte 
loi:  s'ils  pouvoient  vaincre  ce  fcandale 
f3'un  Dieu  crucihé,  ils  feroient  fidèles 
comme  nous  ;  mais  parce  que  leur  raifoa 
^ù.  préoccupée  ,  ils  demeurent  malheu- 
jreufément  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie 
^  dans  l'efclavage  de  l'enfer. 

Mais  laiffons  les  Juifs  ôi.  les  Païens; 
parlons  de  nous-mêmes.  Voilà,  mes 
frères,  la'ientation  la  plus  fubtile  dont 
un  Chrétien  du  fiecle  ait  à  fe  défendre  , 
jôc  dont  il  fe  défend  communément  le 
moins  ;  voilà  ce  qui  l'expofe  à  un  danger 
plus  évident  de  fe  perdre  :  pourquo?  j'en 
donne  trois  grandes  raifons  que  je  vous 
prie  de  méditer  6t  dépraver  bien  avant 
dans  vos  cœurs.  Parce  que  ce  fcandale 
ides  humiliations  &  de  la  croix  d'un  Dieu 
jeft  eflentiellement  oppofé  à  la  profenioa 
de  foi  que  doit  faire  tout  homme  chré- 
tien ;  c'ed  la  première  :  parce  que  ce  fcan- 
dale eft  un  obftacle  continuel  à  tous  les 
devoirs  &  à  toutes  les  pr.ui<^ues  de  la 
religion  d'un  Chrétien  ;  c'eft  la  féconde  : 
parce  que  ce  fcandale  eft  le  principe  gé- 
néral,  mais  immanquable  ,  de  tous  les 
défordres  particuliers  de  la  vie  d'un  Chré- 
tien ;  c'eft  la  troifieme.  Que  n'ai  je,  ô 
mon  Dieu  ,  le  zèle  de  votre  Apôtre , 

pour 


$T  DES  HtJMÏLIAT.  DE  J.  C.      ^î^ 

fîour  traiter  auiîi  dignement  &  aulli  for- 
tement  que  lui  ces  importantes  ventes  ; 
Je  dis  que  cette  tentation  ou  ce  fcan- 
dale  eft  effentieilennent  oppofé  à  la  pro- 
feffion  de  foi  que  doit  faire  tout  homme 
chrétien ,  &  en  voici  la  preuve  qui  efl 
fdns  repHque  :  c'ed  que  la  foi  d'un  Chré- 
tien &  la  profeiTion  qu'il  eiî  fait  ,  doit 
aller  jufqu'à  fe  gloritier  des  humiliations 
&  des  foufFrances  de  Jefus-Chrift.  Ce 
n'eft  pas  affez  pour  moi  que  je  le  croie  ; 
il  faut  que  je  dife  comme  Saint  Paul ,  8t 
que  je  dife  fmcérement  :  y4b/ît  mlhi  glo-  Citst, 
riari  ,  nifi  in  cruce  Domini  nojlri  Jefu  e,  é, 
Chrifli.  Sans  cela  il  n'y  a  point  de  falut 
pour  moi.  Car  Dieu  ,  dit  Saint  Auguf- 
tm  ,  a  attaché  mon  falut  à  la  croix  de  ion 
Fils  :  non  pas  à  la  croix  méprifée ,  reje^- 
tée  ,  envifagée  avec  horrçur  ,  mais  à  \^ 
croix  refpettée  avec  toute  la  foumifîion 
de  la  foi  ,  &  embraffée  avec  toute  l'ar- 
deur d'une  fainte  piété  &  d'une  fervente 
charité.  En  effet,  ajoute  ce  faint  Dofteur, 
il  eft  bien  jufte  ,  puifque  c'eft  la  croix  qui 
iTiQ  doit  fauver  ,  qu'il  m'en  coûte  au 
moins  d'cfpérer  en  elle  6c  de  m'en  glo- 
rifier. Or  le  moyen  que  je  me  glorifie 
de  la  croix  ,  fi  j'en  fuis  intérieurement 
fcandalifé  ?  &L  quand  je  dis  la  croix  du 
Sauveur,  je  n'entends  pas  feulement  cette 
croix  extérieure  &  m?.térielle  qui  fut  VïnÇ- 
trument  de  fon  fupplice  &  dont  nous 
voyons  la  repréfentation  fur  nos  Autels  ,- 
parce  qu'il  fe  peut  faire  que ,  par  une 
Domïn,  Ton,  L  R 


386  Sur  le  Scan'oe  la  Croix 

habitude  de  religion  &  une  certaine  cou<^ 
tume,  nous  honorions  celle- là,  uns  eri 
recevoir  nulle  atteinte  de  fcandale.  Mais 
l'entends  cette  croix  intérieure  dont  le 
Fils  de  Dieu  fut  ..ffùgé  dans  le  fond  de 
fon  ame  ,  &  à  laquelle  nous  participons 
tous  les  jours  par  les  injures  ,  par  les 
advenues,  par  les  difgraces  de  la  vie, 
par  la  perte  de  nos  biens  ,par  le  mépris 
ce  nos  perfonnes ,  par  les  perfécutions 
qu*cn  nous  fufcite.  Car  dans  le  langage 
ce  i'Eyangile  &  celui  de  Saint  Paul, 
c'eft  précifément  tout  cela  que  (ignine  la 
croix  ;  &  fi  notre  profelTion  de  foi  ei\ 
pleine  &  entière ,  il  faut  par  une  indif- 
penfable  nécellité  ,  qu'elle  s'étende  juf- 
qu'à  l'ci^ime  &.  à  l'annour,  je  ne  dis  pas 
i'amour  fenfible  &  affe6lueux  ,  mais  l'a- 
mour folide  &L  raifonnable  dç  tout  cela. 
Or  encore  une  fois  ,  Chrétiens ,  com- 
ment accorder  l'amour  Si  l'eftinp.e  de  tout 
cela  avec  le  fcandale  que  je  combats  ? 

De  là  vient ,  mes  chers  Auditeurs ,  que 
quand  je  vois  les  Chrétiens  fe  profterner 
devant  la  figure  de  la  croix ,  fans  juger 
témérairement  ,  je  fuis  perfuadé  que  la 
plupart  ne  font  cette  aôion  que  par  une 
cérémonie  pure;  &  Dieu  veuille  que  ce 
foit  fans  iiypocrifie  1  Car  au  même  temps 
qu'ils  adorent  la  croix  en  figure  ,  ils  ont 
pour  la  croix  en  elle-même  un  éîoigne- 
ment  &  un  mépris  caché  ,  qui  détruit  ce 
culte  d'adoration  &  qui  l'anéantit.  En 
effet  ,radoration  de  ia  croix  n'eil  un  at5l$ 


HT  DES  Humiliât,  de  J.  C.     3S7 

ûe  religion  &  une  profeliîon  de  notre 
foi  ,  qu'autant  qu'elle  eft  accompagnée 
d'une  vénération  intérieure  ;  &  ce  que 
Saint  Auguftin  difoit  fi  magnifiquement 
à  l'avantdge  de  la  croix ,  qu'elle  a  eu 
la  force  de  s'élever  (Vj  lieu  infâme  des 
fupplices  jufques  fur  le  front  des  Empe- 
reurs ,  A  lucis  fupplïc'orum  ad  frontcs  Augnfl, 
imperatorîim,nQÙ.  qu'une  exprefiîon  pom- 
peufe  &  rien  de  plus  ,  fi  du  front  des 
Empereurs  où  la  croix  eft  imprimée,  elle 
ne  paffe  jufque  dans  le  cœur  des  fidelîes. 
■Or  il  eft  impofnble  que  rimpreffion  s'en 
fade  dans  notre  cœur,  tandis  que  l'hor- 
reur  des  fouiTiances  &  des  humiliations 
y  régnera  ,  puifqû'il  n'y  a  rien  de  plus 
incompatible  avec  le  refpect  &  l'amour  ■ 
de  la  croix,,  que  cc:te  impofitiGn  aux 
véritables  croix  que  Dieu  nous  envoie  : 
d'où  je  conclus  que  c'eft  un  fcandale  qui 
va  jufqu'à  la  de0.ru6lion  de  notre  foi. 

De  là  même  (  &  c'efl  la  féconde  vé- 
.rite ,  qui  n'efl  qu'une  fuite  de  la  pre- 
nûere ,  &  qui  lui  donnera  un  nouveau 
jour  )  de  là  fcandale  qui  ,  expofé  de  la 
manière  que  vous  veaez  de  le  concevoir, 
eft  un  continuel  obftacle  à  tous  les  de<- 
-voirs  &  à  toutes  les  obliganous  d'ua 
Chrétien  :  ceci  me  paroît  encore  incon- 
•teftable.  Car  toutes  les  pratiques  de  la 
vie  chrétienne,  félon  le  plan  que  nous 
en  a  tracé  l'Evangile,  tendent  à  la  haine 
de  foi -même,  au  crucifiement  de  la 
dcliair,  à  rsnéantiffenient  de  l'orgueil  - 

Rij 


508    Sur  le  Scan,  de  la  Croix 

au  retranchement  des  plaifirs,  au  renon- 
cement à  rintérêt ,  &  fans  cela  nous  ne 
pouvons  fatisfaire  même  en  rigueur  aux 
préceptes  de  la  religion:  Or  voilà  ce  qui 
fe  trouve  combattu  par  le  fcandale  de  la 
croix  du  Fils  de  Dieu.  Ainfi ,  faut-il 
étouffer  le  reffentiment  d'une  injure  reçue 
&  en  facrifier  la  vengeance  à  Dieu  ?  ce 
fcandale  de  la  croix  s'empare  de  notre 
efprit ,  &c  nous  perfuade  que  ce  devoir 
de  la  charité  eil  dans  la  pratique  du 
inonde  une  folie  qui  ne  peut  fe  foute-? 
nir  ;  qu'il  eu  jufle  de  défendre  fes  droits, 
qu'il  faut  maintenir  fon  rang  ,  que  l'hon- 
neur eft  un  bien  inaliénable  dont  chacun 
fe  doit  répondre  à  foi  mêm.e ,  &  qu'on 
n'y  peut  renoncer  fans  fe  perdre.  Si 
j'honorois  fincérement  la  patience  de  mon 
Sauveur  dans  les  perfécutions  &  fur  la 
croix ,  je  rsifonnerois  tout  autrement  ;  je 
recevrois  les  injures  fans  émotion  ,  je 
les  oublierois  fans  peine,  je  les  pardon- 
nerois  avec  plaifir  ,  je  rendrois  le  bien 
pour  le  mal ,  je  me  tiendrois  heureux 
de  céder  aux  autres  :  pourquoi  ?  parce 
que  je  ferois  prévenu  de  cette  penfée 
que  tout  cela  m'eft  honorable  depuis 
l'exemple  de  mon  Dieu.  Mais  quand  le 
fcandale  de  l'exemple  de  mon  Dieu 
vient  à  agir  fur  moi ,  dès-là  je  fuis  fen- 
fjble  à  i'offenfe  ,  je  fuis  inflexible  au 
pardon  ,  je  prends  un  cœur  dur  &  im- 
pitoyable pour  mes  ennemis  ,  je  ne  puis 
le<  aimer,  je  nç  puis  les  voir  ,  parce 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.    3S9 

ique  je  n'ai  plus  rien  qui  me  porte  à 
me  réunir  avec  eux  ni  qui  me  facilite 
ce  retour. 

De  même  ,  eft-ilqueftion  de  furmon- 
ter  un  reipeél  humain  lequel  nous  em- 
pêche de  rendre  à  Dieu  le  culte  qui  lui 
ell:  dû  ?  ce  fcandale  de  la  croix  éc  des 
humiliations  de  la  croix  ne  manque  pas 
de  nous  luggérer  mille  prétextes  qui  nous 
arrêtent  ,  6c  de  nous  dicter  intérieure- 
ment qu'il  faut  vivre  dans  le  monde 
comme  vit  le  monde,  qu'il  faut  accom- 
moder fa  religion  à  fa  condition  ;  qu'il 
faut  éviter  toute  diftinaion  6l  route  ùn- 
gularité  ;  que  Dieu  Tçait  les  intentions  du 
cœur ,  mais  qu'il  ne  demande  pas  qu'on 
falle  parler  de  foi  ni  qu'on  devienne  un 
fujet  de  rifée.  Si  je  ne  me  fcandalifois 
pas  de  Jefus-Chrift,  je  ne  me  fcandali- 
îerois  pas  de  fes  opprobres  &  de  fes 
abaiflements  ;  &  ne  me  Icandalifant  pas 
de  fes  abaiflements ,  je  ne  me  fcanda- 
liferois  pas  des  miens  ,  je  les  fouffrirois 
tranquillement  ,  &:  même  avec  joie.  Et 
qui  me  pourroit  troubler  lorfque  je  me 
dirois  à  moi-même  :  on  me  raillera,  on 
fe  formalifera  de  me  voir  pratiquer  ce: 
exercice  de  piété  ,  de  me  voir  aililler 
régulièrement  au  facrifice  de  nos  Autels , 
de  me  voir  approcher  de  la  fainte  table  ; 
mais  fi  l'on  me  raille  ,  j'en  bénirai  Dieu  , 
&  je  me  terai  un  mérite  &  une  gloire 
d'elTuyer  pour  lui  quelques  railleries  , 
après  qu'il  a  été  couvert  pour  moi  ds 

R  iij 


590    Sur  le  Scan,  de  là  CrojiC 
f  onfufion.  Voilà   ce  que  je   dirois ,  5c- 
c'eA  ainfi  que  je  me  conduirols  dans  tou- 
tes les  rencontres  &  à  regard  de  toutes^ 
les  obligations  du  Chriftianifme.  Mais  au 
contraire  parce  que  je  me  fais  de  Jefus- 
Chrifl  &  de  fa  croix  un  fcandale  ,  dès- 
là  je  ne  veux  rien  foufFrir ,  dès-là  je  me 
rends  aux  moindres  attaques  qu'il  y  a  à 
ibutenir,  dès-là  je  rougis  de  mon  devoir 
&  je  laifle  toute  ma  fidélité  fe  démentir. 
11  n'y  a  point  d'excès  où  je  ne  fois  dans 
la  malheureufe  difpofition   de    m'aban- 
donnera ni  de  défordres  où  je  ne  puiile 
tomber. 

Car  ce  fcandale ,  me^  cbers  Auditeurs ,, 
dont  je  vous  repréfente  ici  les  fuites  fu- 
jiefles,  eft  en  eflet  le  principe  univerfel 
de  tous  les  défordres  particuliers  qui  ré- 
gnent dans  le  Chriflianilme  :  troifieme 
&:  dernière  vérité.  S'il  y  a  des  Chrétiens 
întérefTés  ,  c'efl  parce  qu'il  y  a  des  Chré- 
tiens fcandalifés  de  la  pauvreté  de  Jefus- 
Chrifl  :  s'il  y  a  des  Chrétiens  ambitieux,. 
c'efl  parce  qu'il  y  a  des  Chrétiens  fcan- 
dalifés de  l'humilité  de  Jefus  -  Chrill  : 
s'il  y  a  des  Chrétiens  fenfuels  &  volup- 
tueux ,  c'ef^  parce  qu'il  y  a  des  Chré- 
tiens fcandalifés  de  la  vie  auflere  &  de 
la  mortification  de  Jefus-Chrift  ;  ainfî 
des  autres.  Otons  ce  fcandale  &  ban- 
nidons  -  le  du  Chrif^ianifme  ,  nous  en. 
bannirons  tous  les  vices  ,  &  nous  y  don- 
nejons  eatiéc  à  toutes  les  vertus.  Je  fçaii 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.     391 

^ù*un  Chrétien  peut  quelquefois  &  en 
certaines  occafions  fe  livrer  à  une  paf- 
fion  d'intérêt  ,  d'ambition ,  de  plailir  , 
&  néanmoins  honorer  dans  la  perfonne 
du  Sauveur  les  vertus  oppofées  :  ce 
n'eil  alors  qu'un  mouvement  imprévu 
&  qu*un3  faillie  paffagere.  Mais  qu'un 
Chrétien  perféveie  dans  le  défordre  de 
cette  palTion,  &  qu'il  s'en  faffe  une  ha- 
bitude ,  fans  être  fcandalifé  des  maximes 
ôc  des  exemples  de  Jefus-Chrift  ;  c'eft- 
à-dire  ,  qu'il  foit  fenfuel  par  état ,  fans 
erre  fcandalifé  de  la  croix  de  Jefus-Chrift; 
qu'il  foit  fuperbe  &  mondain  par  pro- 
feliion  ,  fans  être  fcandalifé  des  abaif- 
fements  de  Jefus-Chrift  ,  c'eft  ce  qui 
n'arrive  point  :  il  faut  pour  cela  qu'il  y 
ait  un  principe  habituel  dans  ce  Chrétien, 
qui  pervertiiTe  fa  foi  &  qui  corrompe  fes 
mœurs,  &  ce  principe  ne  peut  être  que 
le  fcandale  dont  j'ai  parlé. 

Concluons  donc  avec  le  Fils  de  Dieu, 
bienheureux  celui  pour  qui  l'auteur  de 
fon  falut  ne  fera  point  un  fujet  de  fcan- 
dale :  (Se  par  une  règle  toute  contraire, 
malheur  à  quiconque  fe  fcandalifera  de 
la  vie  &  des  afticwis  de  fon  Sauveur. 
Car  ce  fcandale  que  nous  nous  formons 
contre  notre  Dieu  ,  ne  lui  peut  nuire  , 
ÔC  n'eft  pernicieux  qu'à  nous-mêmes.  Il 
eft  trop  indépendant ,  ce  Dieu  de  gloi- 
re ,  Se  trop  élevé  ,  pour  recevoir  de  nos 
fcandales  quelque  dommage.  Scandali- 
fons-nous  tant  que  nous  le  voudrojis  , 

R  iv 


392  Sur  ie  Scan,  be  la  Croix 
àe  fa  do£irine  &  de  fa  religion  ,  fa  doc» 
trine  malgré  nous  fubfiftera  &  fa  reli- 
gion triomphera.  Elle  a  triomphé  du 
fcandale  des  Juifs  &  de  celui  des  nations 
idolâtres  ;  elle  a  triomphé  du  fcandale 
des  fages  félon  la  chair  &  de  celui  des 
fimples,  du  fcandale  des  fçavants  &  de 
celui  des  ignorans ,  du  fcandale  des  Rois 
&  de  celui  des  peuples  ,  du  fcandale  da 
t®ute  la  tetre  ;  lui  fera-t-il  plus  difficile 
de  triompher  du  nôtre  }  Si  donc  ce  fcan- 
dale eft  tunefte ,  il  n-e  le  peut  être  que 
pour  nous  ,  &  il  ne  l'eft  pour  nous  que 
parce  qu'il  nous  attire  celui  ^le  Dieu.  Car 
voici,  mon  cher  Auditeur,  comn-ent  la 
chofefepafTe.Un  fcandale  en  fait  naître 
un  autre  :  nous  nous  fcandalifons  de  no- 
tre Dieu  ,  notre  Dieu  fe  fcandalife  de 
nous  ;  avec  cette  différence  edentielle  , 
<jue  notre  fcandale  eft  injufte  ,  &  que 
celui  de  notre  Dieu  eft  plein  d'équité. 
Car  nous  ne  trouvons  rien  en  lui  qui 
puifte  juftement  nous  rebuter  ;  &  quand 
nous  venons  à  nous  fcandaîifer  de  lui  , 
quels  fujets  ne  trouve-t-il  point  en  nous 
qui  doivent  allumer  toute  fa  colère  & 
l'irriter  ?  Or  ce  fcandale  de  Dieu  envers 
nous ,  eft  le  plus  grand  de  tous  les  mal- 
heurs ,  parce  que  c'eft  le  caraiStere  de 
réprobation  le  plus  pofitit  ik  le  plus 
marqué. 

Sur  cela ,  mon  Dieu  ,  je  m^adreffe  à 
vous  ,  Si  permettez-moi  de  vous  taire  ici 
tinepiierç  au  nom  de  toutes  les  peifonnc^ 


Èi 


ET  DES  RUMILI/LT.  DE  J.  C.      3f  J 

qui  m'écoutent.  Ceft  une  grâce  bien 
commune  que  je  vous  deminde  ;  mais 
fi  vous  nous  l'accordez  ,  j'efpere  tout 
pour  cet  Auditoire  chrétien.  Ne  nous 
abandonnez  j^^mais ,  Seigneur  ,  jufqu'à  ce 
poinf ,  que  nous  nous  fcandalifions  de 
ce  que  vous  avez  fait  pour  nous  &  des 
divins  enleignements  que  vous  nous  avez 
donnés.  Nous  fçavons  que  le  libertinage 
du  fiecle  nous  porte  là,  &  que  (i  vous 
ne  nous  en  préferviez,  il  nous  condui- 
roitinfenfiblement  dans  cette  efpece  d'in- 
fidélité. Mais  ,  mon  Dieu  ,  c*ell  pour 
cela  même  que  nous  implorons  le  fe- 
cours  de  votre  grâce  :  imprimez  dans 
nos  efprits  une  haute  eftime  de  vos  hu- 
miliations &  de  vos  fouffrances  ,  telle 
que  l'avoit  Saint  Paul ,  lorfqu'il  en  par- 
loir dans  des  termes  Ci  magninques  ,  ik. 
qu'il  en  faifoit  toute  û  gl-oire  C'étoit 
vous ,  Seigneur  ,  qui  agiiiiez  immédia- 
tement dans  le  cœur  de  cet  Apôtre  pour 
y  produire  ces  grands  fentinients.  Il  étoit, 
fi  j'ofe  m'exprimer  de  la  forte,  le  per- 
fécuteur  de  votre  humilité  &  de  votre 
croix  ;  mais  dans  un  moment  il  en  de- 
vint l'adorateur  &  le  prédicateur.  Faites- 
nous  part  &  accordez  nous  quelque  por- 
tion de  cet  efprit  apoftolique  ,  afin  que 
nous  honorions  jufqu'à  vos  ignorivinies. 
Ah  !  que  fera  ce  Seigneur ,  de  votre 
magificence  èc  de  votre  fplendeur  dans 
le  célefte  féjour,  puifque  vos  opprobres 
même  fur  la  terre  ont  été  li  glorieux  ^ 

R  V 


354  Sur  le  Scan,  de  la  Croix 
que  fera- ce  de  nous  ,  divin  Sauveur;, 
quand  vous  ferez  un  jour  éclater  fur 
nous  votre  gloire ,  puiftiue  dès  mainte- 
nant nous  devons  nous  glorifier  de  vos. 
Jmhr.  abailTemens  ?  Si  approbrium  tuum  fr^lorin 
I  t[i  ,  Domine.   Jefu  ,  ijuid  erit  gloria  ^tua  ? 

Belles  paroles  de  Scint  Ambroife,  mes 
chers  Auditeurs  !  Ce  font  les  fentiments 
où  je  vous  laide  ^  il  ne  faut  qu'être 
Chrétien  pour  les  avoir,  &.  il  faut  les 
avoir  pour  être  Chrétien  :.  plus  vous 
entrerez  dans  ces  fentiments  ,  plus  vous- 
parttciperez  à  la  grâce  &  à  l'efprit  du, 
Chriftianinr.e  ;  &  à  mefure  que  ces  fen- 
timents s'affoibliront  en  vous  ^.  la  grâce; 
du.  Chrifiianifme  s  y  afioiblira.  Laiiions  ,, 
mes  Frères ,  laiflbns  les  mondains  courir 
après  le  monde  &  toutes  les  vanités- du- 
monde  :  mais  attachons-nous  à  la  per- 
sonne de  notre  aimable,  Rédemp-eur  ;, 
marquons -lui  plus  que  jamais  ,  en  ces- 
jours  que  le  monde  profane,  notre  fidé- 
ihé..  1.1  n'y  a  de  falut  que  par  lui ,.  toute: 
.  ROtrs  efpérance  eft  fondée  fur  lui  ,  Se 
Dieu  nous  regarde  comme  des  anathe- 
mes ,  fi  nous  nous  féparons  de  lui.  Atta- 
chons-nous à  fa  morale,  attachons-nous- 
à  fes  exemples,  attachons-nous  à  fa  re-- 
^  ligicn  ;  ayons  en  horreur  tout  ce  qui  nous- 
en  peut  détourner  ;  ne  foyons  pas  de  ces. 
efprits  inquiets  qui  donnent  à  tout  ;  6c 
que  rion  n'arrête.  Servons  Dieu  avec, 
confiance.  6c  avec  fermeté  ,  &  pour 
l'acquérir  cette  fainte  fermeté  ,.  établif- 


ET  DES  Humiliât,  de  J.  C.     39^ 

fons-nous  fur  la  Pierre  qui  eft  Jefus- 
Chrift  :  ne  nous  faifons  point  de  cette 
pierre  une  pierre  de  fcandale ,  mais  fai- 
lons-en  le  principe  &  le  fondement  de 
notre  perfection.  C'eft  ainfi  que  nous 
parviendrons  au  comble  de  la  béatitude, 
où  nous  conduife  ,  6i.c^ 


K  Y) 


39^ 


TABLE 

DES    SERMONS, 

^  F  £  C 

L'abrégé  de  chaque  Sermon» 


Sermon  pour  le  preir.ifr  Diman- 
che après  TEpiphanie  ,  fur  le 
devoir  des  Pères  par  rapport 
à  la  vocation  de  leurs  enfants. 

SU  JE  T.  La  Mtre  de  Jefus-  Chrifi  lui 
dît  :  Mon  Fils  ,  pourquoi  en  ave:^-\'0us 
jifé  de  la  forie  avec  ncus  ?  Votre  pcre  d* 
moi ,  nous  vous  cherchions  ûvcc  beaucoup 
d'inquiétude.  Il  leur  répondit  ,  pourquoi 
me  cherchiez  -  vous  ?  ne  fç-arci  -  vous  pas 
quil  faut  que  je  m'emploie  aux  chojcs  qui 
regardent  mon  Père  ?  Et  Us  ne  comprirent 
fés  ce  qu'il  leur  dit.  Le  Sauveu*  du  tnon- 
<iç ,  duui  cette  réponle  qu'il  fi;  à  Maris , 


DES    Sermons.        397 

apprend  aux  pères  &  aux  mères  com- 
irent  ils  doivent  fe  conduire  à  l'égard 
de  leurs  enfants  ,  lur-tout  en  ce  qui 
concerne  le  choix  de  l'état  où  Dieu  les 
appelle,  p.  3.  4.  5- 

Division.  11  n'appartient  pas  aux 
pères  de  difpofer  de  leurs  enfants  en  ce 
qui  regarde  leur  vocation  &  le  choix 
qu'ils  ont  à  faire  d'un  état  :  i.  Partie, 
Les  pères  néanmoins  font  refponfables 
à  Dieu  du  choix  que  font  leurs  enfants 
&  de  l'état  qu'ils  embraffent  :  2.  Partie* 
p.  5.  6.  7. 

I.  Partie.  U  n'appartient  pas  aux 
pères  de  difpofer  de  leurs  enfants  en  ce 
qui  regarde  l«ur  vocation  &  le  choix 
qu'ils  ont  à  faire  d'un  état.  Un  père  qui 
veut  fe  rendre  maître  de  la  vocation 
de  fes  enfants,  commet  deux  injuftices, 
l'une  envers  Dieu  ,  l'autre  envers  fes 
enfants,  p.  7.  8. 

I.  Injuftice  envers  Dieu  ,  parce  qu'il 
n'appartient  qu'à  Dieu  de  décider  de  la 
vocation  des  hommes  :  pourquoi  ?  deux 
raifons  :  c'eft  qu'il  eft  le  premier  père  de 
tous  les  hommes  ,  &  c'efl  qu'il  n'y  a 
que  fa  Providence  qui  puiffe  bien  s'ac- 
quitter d'une  foné^ion  auffi  importante 
que  celle  de  marquer  aux  hommes  leur 
vocation.  11  eft  le  premier  père  ,  &  c'elt 
la  qualité  qu'il  prend  dans  l'Ecriture.  Il 
eft  même  ,  remarque  Saint  Grégoire  > 
le  feul  père  que  nous  reconnciiTions  félon 
l'efprit  ^  5c  par  coiiféq^ucai  le  feul  qui  ik 


398     Tab^le    Et    ASRiGE 

droit  d'exercer  fur  les  efprits  6c  les  vo*- 
lontés  des  hommes  cette  fupériorité  de 
conduite  qui  fait  l'engagement  de  la 
Tocation.  Audi  tous  les  maîtres  de  la 
morale  chrétienne  ont-ils  toujours  re- 
gardé comme  une  offenfe  grieve  d'em- 
brafTer  un  état  fans  la  vocation  de  Dieu  , 
&.  c'eft  à  cette  vocation  que  fa  grâce  eft 
attachée.  De  plus ,  il  n'y  a  que  Dieu  qui 
puiiTe  bien  appliquer  les  hommes  à  un. 
emploi ,  &  leur  alligner  la  condition  qui 
leur  convent,  parce  qu'il  n'y  a  que  lui. 
qui  puiffe  connoître  les  voies  de  leur 
falut  &  de  leur  prédeftination  éternelle.. 
C'eft  donc  une  témérité  infoutenable 
dans  un  père  ,  de  difpofer  d'un  enfant  ^ 
foit  pour  TEglife  ,  foit  pour  le  monde  , 
&  il  ne  le  peut  faire  fanS'  bleffer  les 
droits  de  Dieu.  N'eft-ce  pas  néanmoins- 
ce  qu'on  fait  tous  les  jours  ?  pag.  S» 
jufqii'à   25. 

2.  Injuffcice  envers  les  enfmts  ,  parce 
qu'il  eft  du  droit  naturel  &  du  droit 
divin  que  celui-là  choifiiTe  lui-même  Ton- 
état,  qui  en  doit  porter  les  charges  & 
accomplir  les  obligations.  Là  où  il  s'a-» 
git  de  vocation  ,  il  s'agit  de  falut.  Or 
dès  qu'il  s'asiit  du  falut  ,  point  d'auto- 
rité du  père  fur  le  nls  ,  parce  que  tout  y 
eft  perfonnel.  Un  père  ,  comme  on  le 
dira  dans  la  fuite,  peut  bien  redreffer  le 
choix  d'un  enfant ,  par  de  fages  avis  ÔC- 
ir^ême  par  la  force  de  l'autorité  pater-- 
21  elle  j  fi  cet  enfa-n^t  choifu  raal  -y  mais 


UEs    Sermons.        ^99^ 

«lu  refte  il  ne  peut  dirpofer  abfolument 
de  ù  perfonne.  Quels  reproches  rece- 
vront un  jour  là  -  deiTus  de  la  part  de 
leurs  enfarrs  tant  de  pères  6c  de  mères  ! 
pag.  25.  jufiu'à  33.  ^       ^,, 

II.  PaPvTie.  Les  pères  Ion  reiponrabIe&= 
à  Dieu  du  choix  que  font  leurs  enfants  ,; 
&  de  l'état  qu'ils  embraflent.  Car  ils  doi^ 
vent  intervenir  à  ce  choix  comme  direc- 
teurs &  comme  iurveillants,  puifque  Diea^ 
leur  a  donné  ce  droit  de  direclion  ôc  de- 
furveillance^  Ainfi  unenfant  ne  peut  con- 
tracler  un.  engagement ,  un  mariage  fans- 
l'aveu  &  la  participation  de  fon  père;  6c. 
il  le  fils  veut  prendre  un  parti  qui  fe'on: 
Dieu  lui  Toit  pernicieux  ,  le  père  eft  non-' 
feulement  en  pouvoir,  mais  dans  l'obli- 
gation de.  s'y  oppcfer.  p.  53.  34.  35.  36.^ 

Afin  de  mieux  entendre  ce  point,  iL 
faut  remarquer  que.  le  choix  d'un  état 
peut  être  mauvais  en  trois  manières  : 
ou  par  lui-même  ^  ou  par  l'incipacité' 
du  fujet  qui  s'y  engage  ,  ou  par  les  voieS:' 
qu'il  prend  pour  y  entrer,  p.  37. 

I.  Choix   d'un    état  mauvais  par  lui- 
même.  ,  parce   que-  l'état   eft    contraire 
au  falut ,  ou.  du  moins  très-dangereux 
pour  le  falut.  11  eft  évident  qu'un  père 
doit  faire-  tous  Tes  efforts  pour  en    dé- 
tourner un  enfant  ,  &   fi  psr  de   vues- 
d'intérêt  il  efl  le  premier  à  Ty  porter ,. 
il  fe  rend  coupable  devant  Dieu  ,  &  il' 
répondra  à  Dieu  de  la  perte  de- fon  B^«> 
B'  3  7'  3 S.  m- 


'400     Table  et  Abrégé 

2.  Choix  mauvais  par  l'incapacité  du 
fujet  ,  parce  qu'il  n'a  pas  les  qualités 
requifes  pour  l'état  qu'il  embrdTe.  Un 
père  qui  connoît  cette  indignité  ,  eit 
criminel  de  mettre  Ton  fils  dans  une  place, 
dont  il  ne  pourra  remplir  les  devoirs. 
Toutefois  rien  n'eft  plus  ordinaire  aux 
pères  que  d'établir  ainfi  leurs  enfants  , 
&  de  là  tant  de  défordres.  p.  39.  juf-^ 
qu'à  43. 

3.  Choix  mauvais  par  rapport  aux 
moyens  d'entrer  dans  un  état  ,  Se  aux 
voies  qu'on  prend  pour  cela.  Il  y  a  des 
moyens  Injurtes ,  6i  ne  font-ce  pas  fou- 
vent  ceux  dont  un  père  fe  lert  pour 
avancer  un  fils  qu'il  ai.ne  ?  Abus  qu'on 
ne  peut  trop  condamner,  &  qui  fera  tout 
enfemble  la  réprobation  des  pères  ÔC 
des  enfans.  p.  44.  45.  46. 

Ce  n'eft  pas  qu'il  ne  foit  permis  aux 
pères  &  aux  mères  de  procurer  à  leurs 
enfants  des  emplois  convenables.  M^is 
leur  premier  foin  doit  être  de  les  per- 
feclionner  &  de  les  rendre  dignes  des 
emplois  qu'ils  leur  procurent.  Cette  édu- 
cation des  enfants  leur  coûtera  bien  des 
foins  &  bien  des  peines  :  mais  ce  fera 
aufli  pour  eux  an  grand  fonds  de  mériies 
auprès  de  Dieu.  p.  46.  ju/qu'â  49. 


ï>Es    Sermons.        401 


Sermon  pour  le  iecond  Dimanche 
après  i'Èpiphanie ,  fur  l'état  du 
Mariage.  Pag,  So, 

SUjet.  //  y  eut  des  noces  à  Cana  en. 
GdïUe  ;  &  la  mère  de  Jefus  s'y  trcu- 
va,  Jefus  fut  auffi  invité  aux  noces  avec 
fes  difcipUs,  11  n'y  a  rien  dans  l'état  du 
mariage  que  de  protane  ,  fi  l'on  n'y 
appelle  Dieu  &  fi  ce  n'eft  Dieu  qui  y 
appelle,  p.  50.  51. 

Division.  Il  ya  dans  le  mariage 
des  devoirs  de  confcience  >Sc  des  obli- 
gations à  remplir,  des  peines  très-diriici- 
\qs  &c  très-fâcheufis  à  Tupporter,  6l  des" 
dangers  extrêir.es  par  rapoort  au  falut , 
à  éviter.  Or  fans  la  grâce  &  la  vocation 
divine  on  ne  peut  ,  ni  Tatisfaire  à  ces 
obligations,  i.  Partie;  ni  fupporter  ces 
peines ,  2.  Partie  ;  ni  Te  prélerver  de  ce§ 
dangers,  3.  Partie,  p.   52.  53. 

1.  Partie.  11  y  a  dans  l'état  du  ma- 
riage des  devoirs  de  confcience  ôi.  des 
obligations  indifpenfables  à  remplir  ;  & 
l'on  ne  peut  y  latistaire  Hins  la  grâce  & 
la  vocation  divine.  Nous  devons  confi- 
dérer  le  mariage  ,  dit  Saint  Auguftin  , 
comme  facrement ,  comme  lien  d'une 
fociété  mutuelle  ,  6c  par  rapport  à  l'édu- 
catfon  des  enfants  dont  il  eft  une  légitime 
propagation.  Or  fous  ces  trois  qualités 


402      Table   et  Abrégé 

il  a  des  oblgations  très-étroites  &  toutes' 
différentes,  p.  53.  54. 

1.  Obligations  du  mariage  confidéré 
comme  facren-^ent.  Dès  que  c'eft  un 
facrement ,  il  n'eft  permis  de  s'y  engager 
qu'iîvec  une  intenticiî  pure  &  fainte  , 
ilr  n'eft  permis  de  le  recevoir  qu'avec 
une  confciencé  nette  &i  exem^n.e  de 
pct.hé  .  il  n'eil  permis  d'en  uî'er  que  dans 
îa  vue  de  Dieu  &  pour  une  fm  d-gne 
de  Dieu.  Mais  qui  penfe  à  ces  obliga- 
tions ?  qui  en  eft  inftruit  ?  On  a  quelque 
égard  à  h  fainteié  des  autres  facrements^ 
mais  on  traite  celui-ci  comme  une  affaire 
temporelle  ,  comme  une  négociation  , 
comme  un  trafic  mercenaire,  pag.  54. 
jufqu'à  <y<), 

2.  Obligations  du  mariage  confidéré 
comme  lien  d'une  lociété  mutuelle.  Il 
demande  un  am.our  relpeétu-eux  ,  un 
amour  fidelle  j  un-  amour  officieux  Se 
condefcendant  ,  un'  am.our  confiant  & 
durable  ,  un  amour  chrétien.  Mais  par 
un  renverfenrient  bien  déplorable  ,  cette 
fociété  que  devroient  conferver  entre 
eux  le  mari  &  la  femme  ,  comme  un 
des  biens  les  plus  cdimables  de  leur 
état ,  eft  tous  les  jours  expofée  aux  rup- 
tures ,  aux  averfions  ^  aux  éclats  &.  aux 
divorces    les  plus  fcandaleux.  pag.   59, 

jujqu'â     63.  ^ 

3.  Obligations  du  mariage  conlidere 
par  rapport  à  l'éducation  des  enfants  , 
dont  il  eft  une  propagation  légitime.  Il 


DES    Sermons.        46  f 

faut  les  nourrir  ,  ces  enfans,  il  faut  les 
pourvoir  &  les  établir,  fur-tout  il  faut 
les  inftruire  &  les  élever  dans  le  Chrif- 
tianifçne.  On  penfe  ccmmuncment  affez 
à  leur  fubfiftance  &  à  leur  établi{Temçnt 
ielon  le  monde  ,  mais  on  ne  s'applique' 
guère  à  leur  éducation  félon  Dieui/ 
Voilà  pourquoi  dans  cet  état  du  ma- 
riage l'on  a  tant  hefoin  de  la  grâce  ,- 
6c  pourquoi  l'on  n'y  doit  point  en-=» 
trer  fans  vocation,  pag.  6),  64.  65» 
66.  67. 

K.  Partie.  Il  y  a  dans  l'état  du  ma- 
îiage  des  peines  à  fupporter,  &.  l'on  ne' 
peut  bien  fupporter  ces  peines  fans  l'af- 
iiflancc  du  Ciel  &  le  fecours  de  la  grâce. 
Pour  les  connoître  ,  nous  n'avons  qu'à 
regarder  le  mariage  fous  les  mêmes  rap-^ 
ports,  pag.  6j.  68. 

1.  Peines  du- mariage  confidéré  com- 
me facrement.  Cette  qualité  de  facre- 
ment  le  rend  indiiloluble  ,  &  cet  enga- 
gemenr  perpétuel  en  fait  une  efpece  de 
fervitude.  Dans  le  facerdoce  on  eil:  en- 
gagé pour  toujours  ,  mais  l'on  n'eft 
engagé  qu'à  Dieu  &  à  foi-miême  :  au- 
lieu  que  dans  le  mariage  on  eft  encore 
engagé  à  un  autre  qu'à  Dieu  &  qu'à  foi- 
même.  Dans  l'état  religieux  il  y  a  uW 
noviciat  Si  un  temps  d'épreuve  ;  mais  il 
n'y  en  a  point  dans  le  mai'iage.  p.  68» 
jù/qu'à  72. 

2.  Peines  du  mariage  confédéré  com- 
me lien,  d'une  fociéié  oiuxtteiie.  Quelle 


h 


404     Table   et   Abrég* 

croix  quand  deux  perfonnes  obligées  de 
vivre  enfemble  viennent  à  ne  le  pas 
accorder  !  &  pour  bien  s'accorder,  que 
ne  doit-on  pas  fouffrir  l'un  de  l'autre  « 
ôc  quelles  condefcendjnces  ne  faut^il 
pas  avoir  ?  p.  72.  jufquà  76. 

3.  Peines  du  maric-ge  confidérées  par 
rapport  à  l'éducution  des  entants  ,  dont 
il  eft  une  propagation  légirime.  Souvent 
l'on  n'eft  pas  en  pouvoir  de  les  entrete- 
nir ,  ni  de  les  avancer  ,  quelque  bien 
nés  qu'ils  loient  :  &  plus  Ibuvent  en- 
core, quelque  pouvoir  qu'on  ait  de  les 
établir  &  de  les  pouffer  ,  ce  font  des 
cntanrs  ,  ou  incapables  6C  fans  génie  9 
ou  indociles  &.  déréglés.  Si  l'on  avoit 
recours  à  Dieu,  il  délivreroit  de  ces 
peines  ,  ou  il  les  adouciroit.  pag.  75. 
juj^uj  80. 

iii.  Partie.  Il  y  a  dans  Tétat  du 
mariage  des  dangers  à  éviter,  6c  c'eft 
un  dernier  motif  pour  ne  pas  s'engager 
dans  cet  état  fans  y  être  appelle  de 
Dieu  :  trois  dangers  par  rapport  à  la 
confcience.  Ca»-  il  faut  accorder  cnlem- 
ble  trois  choies  les  plus  difficiles  à  con- 
cilier ,  fçavoir  ,  la  licence  conjugale 
avec  la  continence  &c  la  chafteté  ;  une 
véritable  &  intime  amitié  pour  la  créa- 
ture avec  une  fidélité  inviolable  pour 
le  Créateur  ;  un  foin  exa6l  Se  vigilant 
des  affcires  temporelles  avec  un  déta- 
chement d'efprit  &  un  dégagement  in- 
tarieur  des  biens  de  la  terre  :  tout  cela 


DES    Sermons.        405 

fon^c  fur  les  mêmes  qualités  du  m^rU- 
ge.  p.  80.  81. 

1.  Danger  du  mariage  confidéré  com- 
me facrement,  l'incontmence ,  d'autant 
plus  criminelle  ,  que  le  facrement  eft 
plus  faint.  Car  il  y  a  une  chafteté  pro- 
pre du  mariage  ,  &  la  dignité  du  fa- 
crement donne  aux  fautes  qu'on  y  com- 
met une  malice  particulière.  Or  com- 
bien e{i-il  à  craindre  qu'on  ne  fe  laide 
emp-orter  à  la  paiTion  fans  égard  aux 
règles  qui  lui  font  prefcrites  ?  p.  81. 
82.  83.  8^. 

2.  Danger  du  miariage  confidéré  com- 
me lien  d'une  fociété  m.utuelle.  Cette 
fociété  demande  l'union  des  cœurs, mais 
fans  préjudice  de  ce  qu'on  doit  à  Dieu 
&  au  prochain.  Or  combien  de  fois  arri- 
Te-t-il  qu'une  femme  oublie  ce  qu'elle 
doit  à  Dieu  &  ce  qu'elle  doit  au  pro-? 
chain  ,  pour  entrer  dans  les  fentiments 
d'un  mari  qu'elle  aime  ,  pour  fecondçr 
fes  vengeances  ,  pour  fe  conformer  à 
tous  fes  defirs  ?  p.  $4.  jufquà  88. 

3.  Danger  du  mariage  confidéré  par 
rapport  à  l'éducation  des  enfants.  Dans 
Tobligation  de  les  pourvoir  il  faut  s'em- 
ployer à  la  conduite  des  affaires  &  à 
i'adminiftration  des  biens  ;  il  faut  ména- 
ger ,  conferver  ,  amaffer.  Or  eft-il  aifé 
de  garder  en  cela  le  jufte  tempérament 
&  le  détach**ir.ent  de  cœur  qui  notis 
font  ordonnés  ?  Il  eft  donc  d'une  extrême 
iinportance  de  n'entrer  dans  le  mariagf 


4o6     Table   et   ÂBRioé 

que  par  le  choix  de  Dieu  ,  &  dV  ottiref 
fur  foi  les  lumières  &  les  bénédiilions 
de  Dieu.  p.  S8.  jufquà  92. 


Germon  pour  le  troifieme  Diman- 
che après  rEpiphaaie  ,  fur  la 
Foi,  Pag.  c)j, 

SUjet.  Jefus  dit  au  Centurion  :  Alle:^  , 
&  qu'il  vous  foit  fûk  fdon  que  va/s 
avec  cru.  Rien  de  plus  puiiTant  auprès 
de  Dieu  que  la  foi  -,  elle  obtient  tout  : 
&  rien  qui  mérite  plus  nos  réH exions 
que  les  vrais  effets  de  la  foi  par  rapport 
?.ii  falut.  p.  93.  94.  95. 

Division.  La  foi  nous  fâuve,  i.  Partie» 
La  foi  nous  condamne  ,  2.  Partie.  Pag, 
95.  06. 

L  Partie.  La  foi  nous  fauve  ,  Sç 
.comme  perfection  de  nos  bonnes  œu- 
vres ,  &  comme  principe  de  nos  boa» 
Ties  œuvres  ,  p.  97. 

I.  La  foi  nous  fauve  comme  perfec- 
tion de  nos  bonnes  œuvres ,  parce  que 
c'eft  fiir  -  tout  de  la  foi  que  vient  aux 
bonnes  œuvres  que  nous  pratiquons  leur 
efHcace  &  leur  prix.  Ainfi  renfeignenc 
exprefTérr^ent  S^:int  Paul  6c  Saint  Auguf^- 
tin  ;  l'un  contre  les  Jui-js,  qr.i  fe  conhoient 
dans  les  œuvies  de  îa  loi  de  Moïfe  ; 
&i  l'autre  contre  les  Pélagiens  qui  fai- 
foient   fond   fur    leurs  bonnes  œuvres 


i 


CES    Sermons,        j^q^ 

riaturelles.  Et  c'eft  encore  ce  que  tou^ 
les  Pères  ont  prouvé  contre  tous  ces 
hérétiques  qui  tiroient  avantage  de  leurs 
oeuvres ,  &  à  qui  ces  falnrs  Do£teurs 
fallbient  voir  que  hors  de  rEglile  &  fans 
la  vraie  foi  il  n'y  avoiî  point  d'oeuvre? 
méritoires  &  par  conféquent  de  falut.  De 
là  que  de  bonnes  œuvres  perdues  ,  & 
de  là  même  quelle  eiiirne  devons-nous 
^iire  du  àon  précieux  de  la  foi  ?  p.  97, 
jufqu'à  108. 

2.  La  foi  nous  fauve  comme  principe  de 
nos  bonnes  œuvres ,  parce  que  c'eil  de 
la  foi  que  nous  vient  cette  ardeur  qui 
nous  porte  à  les  pratiquer.  Car  la  foi, 
félon  TApôtre  ,  eft  la  caule  mouvante  qui 
fait  agir  toutes  les  vertus.  Il  va  encore 
plus  loin^  iSi.  félon  ce  mêmie  Apôtre ,  c'efl 
la  foi  qui  produit  en  nous  les  aéles  même 
^e  toutes  les  vertus.  C'eil  pour  cela  que 
ie  Concile  de  Trente  appelle  la  foi  ie 
commencement ,  le  fondement  &  la  ra- 
cine de  notre  juilihcarion.  Mais  fi  ceîaeft, 
pourquoi  donc  y  a-î-il  tant  de  Chrétiens 
qui  fe  damnent  ?  On  pourroit  répondre 
que  e'eii:  qu'il  y  a  jurques  dans  le  Chrif- 
îianifme  très-peu  de  Chrétiens  qui  aient 
vraiment  la  toi.  Chrétiens  de  nom  ,  fans 
l'être  en  evïet.  Mais  fuppofjnt  qu'ils  aient 
la  foi  ,  la  réponfe  eft  qu'on  peut  avoir 
1-2  foi  &  agir  contre  l'es  lumières  &  les 
maximes  de  la  foi.  Or  h  foi  alors  bien- 
loin  de   nous  fauyer ,  nous   condamne. 


4o8     Table   et    Abrégî 

II.  Partie.  La  foi  nous  condamne. 
Mais  pourquoi  6c  comment  nous  con- 
damne-t-elle  ?  p.  119.  120. 

1.  Pourquoi  la  foi  nous  condamne- 
t-elle  ?  Parce  que  nous  ne  vivons  pas 
félon  fes  maximes  ,  &  que  vivant  alors 
dans  les  défordres  ,  i.nous  la  retenons 
captive  dans  l'injurtice ,  félon  i'exprefiion 
de  Saint  Paul  ;  2.  nous  lui  enlevons  le 
plus  beau  fruit  de  fa  fécondité ,  qui  font 
les  bonnes  œuvres  ;  dans  le  fentiment 
de  l'Apôtre  Saint  Jacques  ,  nous  la  fai- 
fons  enfin  mourir  elle-même  au  milieu 
de  nous.  p.  120.  jufquà  124. 

2.  Comment  la  toi  au  jugement  de 
Dieu  nous  condamnera-t-elle  ?  En  nous 
convainquant  de  trois  chofes  :  i.  que 
flous  pouvions  vivre  en  chrétiens  ;  2.  que 
nous  devions  vivre  en  chrétiens  ;  3.  que 
nous  n'avons  vécu  rien  moins  qu'en 
chrétiens,  p.  124.  jvfquà  128. 

Conclufion.  11  faut  ,  ou  que  la  foi 
nous  fauve  ,  ou  qu'elle  nous  condamne. 
Entre  ces  deux  extrémités  point  de  milieu: 
c'eft  à  nous  de  choifir  l'un  ou  l'autre  ;' 
mais  y  a-t-il  là-defTus  à  délibérer  ?  Pen^ 
fons  fouvent  aux  accufations  que  la  toi 
formera  contre  nous  Voilà  ce  que  nous 
devons  prévenir,  &  à  quoi  nous  devons 
nous  préparer  tous  les  jours  de  notre  yiet 
p.  118.  juf^uâ  132, 


Sermof 


DES    Sermons. 


409 


Sermon  pour  le  quatrième  Diman- 
che après  l'Epiphanie  ,  fur  les 
afflictions  des  Juftes  Se  la  prof- 
périté  des  Pécheurs.  Pag.  /jj. 

SU J  E  T.  Jefus  étant  entré  dans  une 
barque  ,  fes  difciples  le  fiùvirent ,  & 
aujfi'tôt  il  s'éleva  fur  la,  mer  une  grande 
tempête  ,  enforte  que  la  barque  étoït  coU' 
verte  de  flots.  Lui  cependant  dormoit ,  6» 
fes  difcipUs  le  réveillèrent ,  en  lui  difant: 
Seigneur  ,  fauve^-nous  ,  nous  allons  périr, 
Jefus  leur  répondit  :  Pourquoi  craignez- 
vous  ,  hommes  de  peu  de  foi?  Voilà  une 
image  bien  naturelle  de  ce  qui  fe  pafTe 
tous  les  jours  à  l'égard  des  juites.  Tandis 
que  les  pécheurs  font  dans  la  profpérité , 
les  juftes  fouvent  font  accablés  d'afflidions 
&  de  miferes.  Or  il  faut  là-deffus  les 
raflurer  &  les  confoler.  p.  133.    136» 

Division.  Dans  les  afflidions  deà 
juftes  &  la  profpérité  des  pécheurs  il  n  y 
a  rien  qui  doive  ni  qui  puifTe  ébranler 
notre  foi ,  i .  Partie.  Il  y  a  même  de  quoi 
établir  &  confirmer  notre  foi,  2.  Partie. 
p.  136.  139. 

I.  Partie.  Dans  les  affligions  des 
iuftes  &  la  profpérité  des  pécheurs  il  n'y 
a  rien  qui  doive  ni  qui  puifle  ébranler 
notre  foi.  C'eft  affez  que  nous  fçachion^ç 

Domin,  Tom,  L  S 


410     Table    et   Abrégé 

que  Dieu  a  ainfi  réglé  les  chofes  poup 
nous  y  fouinettre  &  n'en  point  prendre 
de  fcandale.  Or  nous  avons  mille  preu- 
ves qui  nous  montrent  que  rien  n'arrive 
que  par  la  conduite  de  la  Providence. 

Cette  conduite  de  Dieu  n'eft  pas  néan- 
moins fi  obfcure  &  û  cachée ,  que  nous 
îi'enpuiffions  découvrir  quelques  raifons 
qui  luffifent  pour  la  juftice,  &.  les  voici, 

1.  Dieu  veut  éprouver  Tes  élus  ,  &C 
leur  donner  occafion  de  lui  marquer  par 
leur  conllance ,  leur  fidélité.  C'étoit  la 
réponfe  que  faifoit  aux  infidèles  un  des 
plus  zélés  défenieurs  de  la  loi  chrétienne. 
Dieu  nous  examine  ,  difoit-il ,  il  fonde 
le  cœur  de  l'homme  ,  par  où  ?  par  les 
îiffii6lions.  Si  Dieu  ne  wei  pas  l'impie  à 
de  pareilles  épreuves ,  c'eft  qu'il  ne  le 
juge  pas  digne 'de  lui.  p.  144.  juf^u'à  151, 

2.  Dieu  veut  purifier  les  élus  de  tou- 
tes les  affections  de  la  terre.  Si  les  prof- 
périîés  temporelles  étoient  attachées  à 
la  vertu ,  la  plupart  ne  ferviroient  Dieu 
que  dans  cette  vue  ,  &  par  conféquent 
ne  l'aim.eroient  pas  pour  lui  -  même» 
p.  151.   153. 

3.  Dieu  veut  affurer  le  falut  de  les 
élus  ,  &  les  mettre  à  couvert  du  danger 
inévitable  qui  fe  rencontre  dans  les  proi^ 
pérités  du  liecle  ;  car  il  n'eft  rien  de  plus 
contagieux  que  les  biens  de  cette  vie  ,  ÔC 
c'eft  pour  cela  que  Dieu  en  prive  Iss 
jufles,  p.  153,  154, 


DES    Sermons.        411 

4.  Dieu,  par  une  aimable  violence, 
Teut  forcer  Tes  élus  de  fe  tenir  unis  à  lui , 
en  leur  rendant  tout  le  refte  amer  ,  ôc 
ne  leur  offrant  par-tout  ailleurs  que  des 
objets  qui  leur  infpirent  du  dégoût.  Si  le 
iP-onde  eût  été  à  leur  égard  ce  qu'il  eft  à 
regard  de  tant  de  mondains  ,  ils  n'au- 
roient  jamais  penfé  à  Dieu.  p.  154.  155. 

5.  Dieu  veut  fournir  à  fes  élus  une 
matière  continuelle  de  combats  ,  afin  que 
ce  foit  pour  eux  une  continuelle  matière  . 
de  triomphe  ^  de  mérite  ;  fans  combat 
point  de  vidoire,  &  fans  vidoire  point 
de  couronne,  p.  156.  157. 

6.  Dieu  veut  punir  fes  élus  en  ce  mon- 
de ,  afin  de  ne  les  point  punir  en  l'autre. 
Il  n'y  a  point  d'homme  fi  jufte  à  qui  il 
n'échappe  des  fautes  dont  il  eft  redeva- 
ble à  la  juftice  de  Dieu  ,  &  Dieu  dès 
maintenant  le  châtie  en  père  miféricor- 
dieux ,  pour  ne  le  point  châtier  après  la 
mort  en  juge  févere.  p.  157.  159. 

Voilà  donc  la  providence  juftifiée  fur 
le  partage  des  profpérités  &  des  adver- 
fités  temporelles  entre  les  juftes  &  les 
pécheurs  ;  car  comme  Dieu  prend  foin 
de  fes  élus  par  les  adverfités  qu'il  leur 
envoie,  au  contraire  il  fe  tourne  contre 
les  pécheurs  par  les  profpériiés  miême , 
dont  il  les  laide  jouir  ÔC  qui  les  perdent, 
p.  159.  jufqu'à  163. 

11.  Partie.  Il  y  a  même  dans  les 
affligions  des  juftes  &  la  profpérité  des 
pécheurs  de  quoi  établir  notre  foi  :  Car 

Sij 


412  Table  et  Abrégé 
ce  partage  nous  montre  trois  chofes  ^ 
fçavoir  qu'il  y  a  une  autre  vie  que  celle- 
ci  ,  que  Jefus-Chrift  eft  fidèle  dans  les 
promefifes  qu'il  nous  a  faites ,  &  que  Dieu 
nous  fauve  félon  l'ordre  deprédeilination 
qu'il  a  marqué  pour  tous  les  hommes. 
p.  163.  165. 

1.  Qu'il  y  a  une  autre  vie  que  celle- 
ci  &  d'autres  biens  à  efpérer  ;  fans  cela  , 
comme  remarque  Guillaume  de  Paris  , 
où  feroit  à  l'égard  des  élus  ,  la  fageffe  & 
la  bonté  de  Dieu  ?  Sans  cela  ,  pourfuit  le 
même  Père,  on  pourroit  dire  que  les 
juftes  feroient  des  infenfés ,  &  que  les 
impies  feroient  les  vrais  fages.  Ne  vous 
troublez  point,  mon  Frère,  conclut  Saint 
Auguftin  :  l'impie  a  fon  temps  qui  efl 
bien  court  ,  mais  vous  aurez  le  vôtre 
qui  fera  éternel.  C'eft  ce  qui  confoloit 
le  faint  homme  Job  &  le  Roi  Prophète. 
p.   165.  jufquà   171. 

2.  Que  Jefus  -  Chrift  eft  fidèle  dans 
les  promeffes  qu'il  nous  a  faites  ,  &  vrai 
dans  fes  prédirions.  Il  a  dit  à  fes  difci- 
ples  &  dans  leurs  perfonnes  à  tous  les 
juftès  :  Le  monde  fi  réjouira  ,  &  vous  fere^ 
dans  la  triflejfe.  Nous  voyons  cette  pa- 
role accomplie  ,  &  c'eft  une  preuve  que 
l'autre  s'accomplira  :  Votre  trijlejfe  fer^ 
changée  en  joie.  p.    171.   174" 

3.  Que  Dieu  nous  fauve  félon  l'ordre 
de  prédeftination  qu'il  a  marqué.  Car  il 
a  réfolu  que  nous  ne  ferions  fauves  quç 
par   une  faime  conformité  avec  Jefus- 


»  E  s      S  E  R  M  O  N  !5.  4x3 

Chrift  Ton  Fils.  Ainfi  nous  le  témoigne 
expreffément  l'Apôtre,  p.   174.  176. 

Il  efl  vrai  néanmoins  qu'il  y  a  des 
gens  de  bien  d-ins  la  prorpériré  ;  mais  il 
le  Lut  de  la  forte  ,  afin  que  Tétat  de  la 
prorpériîé  temporelle  ne  (bit  pas  abfolu- 
ment  exclu  du  Royaume  de  Dieu.  De 
plus  ,  û  les  Saints  fe  font  vus  dans  une 
profpérité  humaine  ,  c'eft  ce  qui  les  fai- 
foit  trembler.  Enfin  ,  fans  quitter  leur 
condition  ,  ils  fçavoient  bien  fous  les 
dehors  d'une  condition  aifée  &  commo- 
de ,  garder  toutes  les  pratiques  de  l'ab- 
nég.uiàn  chrétienne,  p.  176.  178, 

11  eft  encore  vrai  qu'on  a  vu  &  qu'on 
voit  des  pécheurs  dans  les  mêmes  ad- 
verli'.éi  que  les  juftes.  Mais  fans  exami- 
ner toutes  les  raifons  que  Dien  a  de  ne 
vouloir  pis  que  le  vice  toujours  profpe- 
re ,  c'eft  affez  d'avertir  ces  pécheurs  que 
leurs  affliét'ons  font  pour  eux  des  grâces 
de  Dieu  &les  grâces  les  plus  précieufes 
s'il  en  veulent  profiter,  p.  178.  180. 


Sermon  pour  le  cinquième  Diman- 
che après  l'Epiphanie  ,  fîar  la 
Société  des  Juûes  avec  les  Pé- 
cheurs. Fa^.  18  u 

SUjet.    Tandis  que  les  gens  dormaient 
l'ennemi  vint ,  &  fema  de  r  ivraie  parmi 
le  bon  grain.  Les   pécheurs  font    dans 

S  iij 


414     Table    et    Abrégé 

cette  vie  parmi  les  juftes  comme  l'ivraîâ 
parmi  le  bon  grain  ,  &  il  eft  important 
que  les  juftes  ibient  inftruits  de  la  ma- 
Tiiere  dont  ils  doivent  fe  comporter  ÔC 
qu'ils  fçachent  quelle  fociété  ils  peuvent 
avoir  avec  les  pécheurs,  p.   i8i.   183. 

Division.  Nous  devons  demeurer 
avec  les  pécheurs  comme  Dieu  y  demeu- 
re. Or  Dieu  n'eft  avec  les  pécheurs  que 
par  la  néceffiîé  de  Ion  être  ,  &  no^us  ne 
devons  demeurer  avec  eux  que  par  la 
nécelîiîé  de  notre  état,  i.  Partie.  Dieu 
tire  fa  gloire  des  pécheurs  &  travaille 
en  même  -  temps  à  leur  falut  :  &  c'eft 
ainfi  que  nous  devons  rendre  notre  com- 
merce avec  les  pécheurs  également  pro- 
fitable pour  nous  &  pour  eux-mêmes, 
2.,  Partie,  p.  183.   185. 

I.  Partie.  Dieu  n'efl  avec  les  pé- 
cheurs que  par  la  néceffité  de  Ton  etre^ 
&  nous  ne  devons  demeurer  avec  eux 
que  par  la  néceffité  de  notre  état.  A  en- 
tendre parler  l'Ecriture  ,  on  diroit  que 
Dieu  n'eft  pas  avec  les  pécheurs  Se  qu'il 
y  eft  :  il  n'y  eft  pas  comme  ami  par  une 
proteftion  Tpécialeôc  par  la  communi- 
cation de  Tes  dons  ;  mais  il  y  eft  comme 
Dieu  créateur,  qui  doit  veiller  au  gou- 
vernement du  monde  &  conduire  toutes 
les  créatures  ;  il  y  eft  par  Ion  immenfité 
divine  dont  il  ne  peut  fe  dépouiller ,  ÔC 
qui  le  rend  par-tout  préfent.  Admirable 
idée  de  la  conduite  que  nous  devons 
obférver  à  l'égard  des  libertins  du  HqqIq  » 


DES    Sermons.       415 

vivant  avec  eux  autant  que  nous  y  fom- 
mes  obligés  ;  car  il  y  a  certaines  liaifons 
cu'il  ne  nous  eft  pas  permis  de  rompre  : 
mais  du  refte,dès  que  nulle  néceiîité  ne 
nous  retient  auprès  d'eux,  féparons-nous- 
e.n  &  fuyons-les.  Ainfi  l'ordonnoit  Saint 
Paul  aux  Chrétiens  de  Thedalonique  ^  6c 
ainfi  le  pratiquoit  David  ;  ainli  Dieu  lui- 
même  le  commandoit  en  termes  formels 
aux  enfants  d'Ifraël ,  leur  détendant  tout 
commerce  avec  les  nations  infidelles. 
Nous  devons  donc  faire  dès  maintenant 
ce  qui  fe  fera  à  la  réfurre^lion  générale  , 
où  les  élus  feront  féparés  des  réprouvés  ; 
&  c'eft  en  cela  que  confifte  par  avance 
la  gloire  &  la  perfe^flion  des  juftes  fjr  la 
terre  ;  exemple  d'Acham  &  de  Judas. 
Voilà  pourquoi  l'Eglife  excommunie  cer- 
tains pécheurs  ;  fi  elle  ne  lance  pas  fes 
foudres  fur  les  autres  ,  ce  n'eft  pas  qu'elle 
nous  permette  de  les  fréquenter  :  &  indé- 
pendamment des  anathêmes  de  TEglife, 
nous  ne  pouvons  lier  avec  les  impies  , 
I.  fans  devenir  coupables  d'un  mépris 
exprès  de  Dieu ,  2.  fans  devenir  le  fcan- 
dale  de  nos  frères,  3.  fans  devenir  en- 
nemis de  nous-mêmes,  en  nous  perdant 
nous-mêmes,  p.   183.  jufquà  199. 

1.  C'eft  méprifer  Dieu  ,  puifque  c'efl 
s'unir  avec  fes  ennemis.  Exemple  de 
Jofaphat.  p.   199.   200» 

2.  Ceft  fcandalifer  le  prochain  :  car 
que  peut-on  penfer  d'an  homme  ou  d'une 
femme  qu'on  voit  toujours  en  certaines^ 

S  IV 


'4i6     Table   et   Abrégé 
compagnies  &  avec  des  gens  décriés-  ? 

p.    aOO.    202. 

3.  C'eft  fe  perdre  foi-même  ,  ou  s*ex- 
pofer  à  fe  perdre  :  car  qui  ne  fçait  pas 
combi-en  les  mauvaifes  compagnies  font 
dangereufes.  Exemple  des  Juifs  :  défen* 
fe  de  TEglife  :  paffage  de  Tertullien.  Si 
nous  examinons  bien  quel  eft  le  principe 
de  la  corruption  du  fiecle  ,  nous  n'en 
trouverons  point  de  plus  commun  que 
les  fociétés  &  les  converfations  du  monde 
profane,  p.  202.  jufquà  208. 

II.  Partie.  Dieu  tire  fa  gloire  des 
pécheurs  &  travaille  en  même-temps  à 
leur  falut ,  &  c'eft  ainfi  que  nous  devons 
rendre  notre  commerce  avec  les  pécheurs 
également  profitable  pour  nous  &  pour 
eux-mêrnes. 

I.  Que  Dieu  tire  fa  gloire  des  pé- 
cheurs ;  c'eft  ce  que  prouve  S.  Auguf- 
îin  en  faifant  voir  comment  Dieu  s'eft 
fervi  des  infidelles  pour  opérer  les  mer- 
veilles de  fa  grâce ,  des  hérétiques  pour 
éclaircir  les  vérités  de  la  religion  ,  des 
fchifmatiques  pour  établir  la  perpétuité 
^e  fon  Eglife  ,  &  des  Juifs  pour  rendre 
témoignage  à  Jefus-Chrift.  11  s'eft  fervi 
des  Romains  pour  exercer  fes  vengean- 
ces  fur  Jérufalem,  &  des  tyrans  pour 
avoir  des  martyrs  fur  la  terre  &  des  Saints 
dans  le  ciel.  Quand  donc  nous  nous  trou- 
vons nécedairement  engagés  avec  les  pé- 
cheurs ,  nous  devons  de  même  en  pro- 
fiter pour  notre  fani^ification  &  notr«- 


r 


DES    Sermons.       ^4^7 

perfe^lion.  Car  quelles  occafions  ne  nous 
fournlffent-ils  pas  de  pratiquer  la  patien- 
ce ,  la  charité  ,  l'iiumilité  ,  les  plus  émi- 
nentes  vertus  ?  Mais  nous  renverfons  là- 
deffus  tous  les  defleins  de  la  Providence. 
Une  femme  vivant  avec  un  mari  emporté 
ÔL  vicieux  ,  pourroit  par  fa  douceur  & 
fa  foumiffion  acquérir  des  mérites  fans 
nombre  ;  mais  elle  perd  tout  par  fes  mur- 
mures &  fes  révoltes.  Ainfi  des  autres.  Et 
il  ne  faut  point  dire  que  dans  un  autre 
état  on  travailleroit  mieux  à  fe  fandlifîer  : 
on  ne  le  peut  mieux  faire  que  dans  Tétat 
qui  nous  eft  marqué  de  Dieu  ,  parce  que 
c'eft  pour  cet  état  qu'il  nous  a  préparé 
les  fecours  de  fa  grâce  ,  &L  que  c'eft 
dans  cet  état  que  nous  lui  donnerons  de 
plus  folides  témoignages  de  notre  fidé- 
lité, p.  208.  jufquà  220. 

2.  Dieu  tirant  fa  gloire  des  pécheurs,' 
penfe  en  m.ême-temps  à  leur  falut.  11  les 
appelle  à  lui,  il  les  invite  à  la  péniten- 
ce 3  il  leur  en  procure  les  moyens.  Voilà 
comment  nous  devons,  en  profitant  des 
pécheurs  pour  nous  -  mêmes  ,  profiter 
nous-mêmes  aux  pécheurs.  Devoir  gé- 
néral :  la  charité  nous  oblige  tous  com- 
me chrétiens  de  nous  aider  les  uns  les 
autres  par  de  falutaires  confeils,  de  fa- 
ges  remontrances  ,  de  bons  exemples. 
Devoir  particulier  &  fpécialement  pro- 
pre de  certains  états ,  c'eft  à  un  père  de 
corriger  un  fils  entraîné  par  le  feu  de  fes 
gaiîions,  à  unç  ciçrç  ^  corriger  une  fille, 

S  y 


4i8     Tablé   et   Abrégé 

à  un  maître  de  corriger  un  domeftiqus: 
devoir  encore  plus  particulier  pour  les 
pécheurs  eux-mêmes  lorfqu'ils  ont  eu  le 
bonheur  de  le  reconnoitre.  Ils  doivent 
tâcher  de  gagner  autant  d'ames  à  Dieu 
par  leur  zèle,  qu'ils  en  ont  perdu  par 
leurs  fcandaies.  p.  220.  jufquà  228. 


Sermon  pour  le  fixieme  Dimanche 
après  l'Epiphanie  ,  fur  la  fain- 
teté  &  la  force  de  la  Loi  chré- 
tienne. Pag.  Z2C). 

SUjet.  Le  Royaume  des  deux  efl  fem- 
hiahle  à  un  grain  de  Jenevé  ,  qu'un 
homme  prend  &  fcme  dans  fon  champ.  Ccjî 
le  plus  petit  grain  de  toutes  les  jemences  ; 
mais  lorfque  ce  grain  a  poujfé  ,  il  s'élève 
eu  dejfus  de  toutes  les  autres  plantes  ,  & 
il  devient  arbre.  Voilà  ,  félon  S.  Jérôme 
&  tous  les  interprètes,  la  figure  de  la 
foi  chrétienne.  Rien  de  plus  petit  dans 
fon  commencem.ent,  &  rien  de  plus  éten- 
du dans  fon  progrès,  p.   229.  232. 

Division.  Samteté  de  la  loi  chré- 
tienne ,  1.  Partie.  Force  de  la  loi  chré- 
tienne ,  1,  Partie.  Donc  loi  chrétienne  , 
loi  toute  divine,  p.  232.  234. 

1.  Partie.  Sainteté  de  la  loi  chré- 
tienne dans  Ion  Auteur  ,  dans  fes  maxi- 
mes, dans  fes  confeils,  dans  fes  fe<^ateurs, 
dans  fes  n^yfteres.  p.  234. 


DES    Sermons.       41^ 

t.  Dans  fon  Auteur,  c'eft  Jefus-Chrlil, 
U  fainteté  même.  Quels  auteurs  ont  eu 
les  autres  lolx  ,  &  qu'étolt-ce  par  exem- 
ple ,  qu'un  Mahomet  ?  Quels  auteurs  ont 
eu  les  héréfies  ,  Si.  qu'étolt-ce  qu'un 
Luther,  un  Calvin?  p.  234,  236. 

2.  Dans  Tes  maximes  Quoi  de  plus 
pur  &.  de  plus  fublime  ?  c'ei^  cette  loi 
îainte,  dit  Ladance  ,  qui  a  éclalrci  toutes 
les  loix  de  la  nature  ,  qui  a  mis  la  der- 
nière perfe6lion  à  toutes  les  loix  divines  , 
qui  a  autorifé  toutes  les  loix  humaines,  & 
qui  a  détruit  fans  exception  toutes  les  loix 
du  vice  &  du  péché  Au  contraire  les 
loix  païennes  ont  toléré  les  crimes.  Se  à 
quelle  licence  les  héréfies  ont  -  telles 
porté?  p.  236.  juCqu'à  243. 

3.  Dans  fes  confeils.  Qu'eft-ce  que 
cette  pauvreté  évangélique  qu'elle  nous 
propofe  ?  Qu'eft-ce  que  ce  renoncement 
volontaire  à  tous  les  plaifirs  des  fens  ? 
p.  243,  245. 

4.  Dans  fes  feélateurs.  Il  n'y  a  qu'à 
lire  dans  S.  Luc  quelle  étoit  la  vie  des 
premiers  fidèles  ;  il  n'y  a  qu'à  confulter 
toutes  les  hiftoires  faintes  ;  il  n'y  a  qu'à 
confidérer  tous  les  états  du  Chrifrianif* 
me ,  où  l'on  a  vu  &  où  l'on  voit  encore 
tant  de  Saints.  Ce  n'efl  pas  qu'il  n'y  ait 
des  Chrétiens  très- corrompus  ;  mais  U 
religion  chrétienne  n'efl  point  refponfa- 
ble  de  leur  libertinage  &  de  leur  corrup- 
tion :  car  elle  eft  la  première  à  les 
.condamner,  p/  24^.  jufqu'à  248. 

Svj 


?iô     Table  et  Abrégé 

Dans  fes  myfteres.  A  quelle  pureté 
de  mœurs  ne  nous  engagent -ils  poinî 
dès  que  nous  nous  foumettons  à  les 
croire  ?  A  quelle  perte6lion  ne  nous 
élevent-ils  point?  p.  248.  250. 

La  loi  chrétienne  eft  donc  une  loi 
fainte  ,  &  de  quelle  lainteté  ?  d'une  fain- 
teté  folide ,  aglffante  ,  univerfelle  ,  fage  , 
patiente,  religieufe  envers  Dieu,  chari- 
table envers  le  prochain  ,  févere  pour 
elle-même.  De  là  concluons  deux  cho- 
ies :  que  la  fainteté  de  cette  loi  eft  un 
tdes  motifs  les  plus  puilîants  pour  nous 
y  attacher  ,  &  que  la  fainteté  de  cette 
ynême  loi  eft  notre  confufion  &  notre 
condamnation  fi  nous  ne  travaillons  pas 
a  nous  fanc>ifier.  p.  250.  jufquà  257» 

11.  Partie.  Force  de  la  loi  chré- 
tienne. Cette  force  toute  divine  a  paru 
dans  rétabllirement  &.  la  propagation  du 
Chriftianifme.  De  quoi  s'agifToit- il  quand 
Jefus-Chrift  vint  prêcher  au  monde  une 
loi  nouvelle  ?  11  étoit  queftion  d'abolir 
toutes  les  fuperftitions  du  paganifme  ,  6c 
<d'établir  une  loi  auftere  &  mortifiante  , 
une  loi  contraire  à  toutes  les  inclinations 
de  la  nature.  Que  falloit-il  pour  en  venir 
à  bout  ?  11  falloit  furmonter  la  puiffance 
des  Souverains,  la  fagefTe  des  politiques , 
la  cruauté  des  tyrans  ,  le  zèle  des  ido- 
lâtres,  l'impiété  des  athées.  Si  Jefus- 
Chrift  ,  dit  S.  Auguftin ,  en  eût  conféré 
i^vec  un  des  philofophes  de  ce  temps-là, 
l^e  philofophe  a'eut  •  il  pas  tf aité  çet^a 


b  E  s    Sermons;        41Ï 

cmreprife  de  chlraere  &c  de  folie  ?  Voilà 
néanmoins  ce  qui  s'eft  fait ,  &  c'eft  la 
nierveille  que  nous  voyons,  pag.  257. 
jufquâ  261. 

i\  n'y  a  que  la  loi  chrétienne  qui  fe  foit 
établie  par  des  principes  où  toute  la  rai- 
^on  de  l'homme  fe  perd  ,  6c  parmi  les 
plus  violentes  perfécutions.  Mais  il  le 
ialloit  ainfi  ,  afin  que  les  peuples  con- 
Tjuffent  que  c'étoit  la  loi  de  Dieu  & 
l'œuvre  de  Dieu.  p.  ^6i,jufquà  265. 

Nous  voyons  encore  de  nos  jours  ce 
même  prodige  fe  renouveller  parmi  les 
nations  étrangères  &  les  infideîles ,  &  fur 
cela  nous  pouvons  bien  teliciter  l'Eglife 
comme  la  félicitoit  le  Prophète  fous  le 
nom  de  Jérufalem.  Toutes  les  religions 
païennes  fe  font  établies  par  la  licence 
des  mœurs  ,  &  les  héréfies  par  la  vio- 
lence ,  par  le  fer  &  le  feu.  La  religion 
chrétienne  n'a  point  eu  d'autres  armes 
ni  d'autres  moyens  cjue  la  parole  de  Dieu, 
l'innocence  de  la  vie  Oc  la  patience,  pacr. 
^65.  jufqu'à  268. 

De  là  quatre  conféquences  comprifes 
en  quatre  mots  ;  reconnoilTance  ,  éton- 
nement,  réflexion,  réfolution.  p.  268. 

1.  ReconnoilTance  envers  Dieu  ,  qui 
nous  a  choifis  6c  fait  naître  dans  la  loi 
chrétienne,  p.  268.  270. 

2.  Etonnement  de  ce  qu'une  loi  fi 
puiflame  6c  fi  agiflante  opère  fi  peu  dans 
nous.  p.  270.  272. 

3.  Réflexion,  Que  nous  fert  de  pro-: 


42.Î     Table   et   Abrêgs 
fsffer  une  loi  dont  la  vertu  eft  toute- 
puillante  ,  lorfqu'à  notre    égard    toute 
cette  vertu  fe  trouve  inuùle  ôc  fans  effet  ? 
p.  272.  274.  . 

4.  Réfolution  de  vivre  déformais  en 
chrétiens  ,  &  de  laiiler  agir  en  nous 
toute  \a  vertu  de  la  loi  que  nous  avons 
einbraflee.  p.  274. 


S 


Sermon  pour  le  Dimanche  de  la 
Septuagéfime  ,  fur  rOinveté. 
Pag,  2/3. 

Ujet.  Etant  forti  vers  la  onzième 
'  heure  du  jour  ,  il  en  trouva  encore 
d'autres  qui  étaient  là  ,  &  il  leur  dit  : 
Comment  demeurai  -  vous  ici  tout  le  jour 
fans  rien  faire  ?  L'oiGveté  ne  paffe  dans 
le  monde  que  pour  un  péché  léger  ,  mais 
c'eil  devant  Dieu  un  péché  très -grief. 
p.  275.  276.  ^    ^ 

Division.  Nous  fommes  tous  obliges 
au  travail ,  &  en  quafité  de  pécheurs , 

1.  Partie  ;  &:  en  qualité  d'hommes  atta- 
chés par  état  à  une  condition  de  vie  ^ 

2.  Partie,  p.  276.   278. 

I.  Partie.  Nous  fommes  tous  obligés 
au  travail  en  qualité  de  pécheurs  ,  car  le 
travail  eft  la  peine  du  péché.  Peine  fatif- 
fa^toire  ,  &  peine  préiervative.  p.  278. 

■I,  Peine  fatisfa6loire.  Dieu  impofa  k 


^ 


T)  E  s    Serions;       ^2  J 

travail  au  premier  homme  ,  comme  le 
châtiment  de  Ton  péché  ;  &  cette  loi  s'eft 
étendue  à  toute  la  poftérité  d'Adam  ,  fans 
nulle  exception  d'états  ,  parce  que  nous 
fommes  tous  pécheurs.  Quand  donc  nous 
menons  une  vie  oiiive  ,  nous  tombons 
dans  une  féconde  révolte  contre  Dieu  ; 
la  première  a  été  notre  péché  ,  &  la 
féconde  el^  la  fuite  du  travail  qui  en 
doit  être  la  punition.  Voilà  néanmoins 
quelle  eft  la  vie  du  monde.  On  pafiTe 
les  années  à  perdre  la  chofe  la  plus  pré- 
cieufe ,  qui  eft  le  temps ,  ôc  le  temps  de 
la  pénitence.  Je  fuis  riche,  dit- on  ,  & 
qu'ai-je  à  taire  de  travailler  ?  mais  quoi- 
que riche  ,  vous  êtes  pécheur.  Je  fuis 
d'une  qualité  &  dans  un  rang  où  le  travail 
ne  me  convient  pas  :  il  vous  convient 
par-tout 3  puifque  par-tout  vous  êtes  pé- 
cheur. Le  travail  e(i  ennuyeux  :  prenez  cet 
ennui  par  pénitence,  p.  2S1.  jufyu'à  292, 

2.  Peine  préfervative.  De  combien  de 
péchés  l'oiliveté  eft-elle  la  fource  ?  c'eft 
le  travail  qui  nous  en  prél'erve.  Exemple 
des  Juifs ,  de  David,  de  Salomon.  C'efl: 
pour  cela  que  les  Pères  du  défert  en- 
joignoient  (1  tortem.ent  le  travail  aux 
folitaires  ;  &  c'efl  de  là  nîême  que  la 
vraie  p'été  &  l'innocence  des  m.œurs 
ne  fe  rencontrent  prelque  plus  que  dans 
ces  conditions  médiocres  qui  fubfiftent 
par  le  travail,  p.  292.  ju/qu'â  199. 

I  î.  Partie.  Nous  fommes  tous 
obligés  au  travail  ea  qualité  d'hommes 


4*4  Table  et  Abrégé 
attachés  par  état  à  une  condition  de  vîe  i 
car  toute  condition  eft  fujette  à  certains 
devoirs  dont  l'accompliffement  demande 
du  travail  &  de  la  peine  ;  6c  plus  une 
condition  eft  relevée  dans  le  monde  , 
plus  elle  a  de  ces  engagements  auxquels 
il  eft  impolîible  de  fatisfaire  fans  une 
application  conftante  &  afïïdue.  Cela  fe 
voit  affez  par  l'indu^lion  qu'on  peut  faire 
de  tous  les  états  de  la  vie.  p.  2.99. 
jujcfuà  303. 

Dieu  l'aalnfi  ordonné  pour  deux  rai- 
fons  ,  fur-tout  à  l'égard  des  conditions 
plus  relevées  ;  i.  afin  que  les  dignités  & 
les  conditions  honorables  ,  ne  deviniTent 
pas  les  fujets  de  notre  vanité  ;  2.  afin 
qu'elles  ne  fervifl'ent  pas  à  exciter  notre 
ambition,  p.    303.   305. 

Concluons  donc  deux  chofes  ,  qu'il 
n'y  a  point  d'état  où  l'oifiveté  ne  foit 
un  crime  ,  &  qu'elle  Teft  encore  plus 
dans  les  états  fupérieurs  aux  autres.  Y 
a-t-il  en  effet  un  état  où  l'on  puifte  être 
oifif  fans  manquer  aux  devoirs  de  conf- 
cience  les  plus  eiTentiels  ,  &  comm.e  les 
états  fupérieurs  ont  des  devoirs  plus  im- 
portants,  n'en  eft-on  pas  d'autant  plus 
criminels  ,  lorfque  l'oifiveté  les  tait  né- 
gliger ?  C'eft  pervertir  l'ordre  des  cho- 
fes ,  c'eft  être  infidèle  à  la  Providence, 
c'eft  déshonorer  fon  état  ,  &  par  une 
fuite  nécefl'dire  c'eft  fe  damner.  Exem- 
ple de  l'Empereur  Valeiitinien,  p.  305. 
jufquà  312, 


BÊs    Sermons;       '45-^ 


Sermon  pour  le  Dimanche  de  lu 
Sexagéfime  ,  fur  la  parole  de 
Dieu.  Fag.  j/j* 

SUjet.  Le  bon  grain  ,  c'efi  la  parole 
de  Dieu.  Somines-nous  de  cette  bon- 
ne terre  où  le  bon  grain  de  la  parole  de 
Dieu  fructifie  ?  Si  cette  divine  parole  efl 
fiftérile,  il  ne  faut  point  s'en  prendre 
à  Dieu ,  mais  aux  mauvalfes  difpofitions 
de  ceux  à  qui  on  l'annonce,  pag.  313. 

Division.  La  parole  de  Dieu  nous 
eft  inutile,  parce  qu'on  ne  la  reçoit  pas 
comme  parole  de  Dieu  ^  i.  Partie.  Et 
dès  que  par  notre  taute  cette  fainte  pa- 
role nous  eft  inutile  ^  elle  devient  le 
fujet  de  notre  condamnation  devant 
Dieu  ,  2.  Partie,  p.  315.  317. 

I.  Partie.  La  parole  de  Dieu  nous  e{l 
fouvent  inutile,  parce  qu'on  ne  la  reçoit 
pas  comme  parole  de  Dieu.  Il  faut  d'abord 
pofer  ce  principe  ,  que  Dieu  parle  par  la 
bouche  de  fes  prédicateurs.  Point  de  con- 
troverfe  en  faveur  des  nouveaux  con- 
vertis, p.  "^ij.  jufquâ  323. 

Puifque  c'eft  la  parole  de  Dieu  qu'an- 
noncent les  prédicateurs ,  fuivent  de  là 
trois  grandes  conféquences  ;  i.  que  nous 
devons  donc  écouter  les  prédicateurs  de 
l'Evangile  comme  Dieu  même  j  2,  que 


426      Table   et  Abrégé 

fi  je  reçois  la  parole   de  Dieu  comme 
parole  des  hommes  ,  je  ne  fatisfais  pas 
au  précepte  pofitif  que  ma  religion  m'im- 
pofe,  d'écouter  la pêTole  de  Dieu.  3.  Que 
d'entendre  cette  parole  de  Dieu  comme 
parole  de  rhoinme  ,  c'eft  la  rendre  inu- 
tile ,  &  voilà   de  quoi   prélentement  il 
s'agit.  La  preuve  en  eft  fondée  fur  deux 
principes  indubitables  ;  le  premier  eft  que 
la  force  toute-puiffante  de  la  parole  de 
Dieu  ne  lui  convient  pas  en  tant  qu'elle 
procède  de  l'homme,  mais  en  tant  qu'elle 
€ll  de  Dieu  ;   le  fécond  ,   c'eft  que  la 
parole  de  Dieu  n'opère  en  nous  que  félon 
la  minière  dont  elle*  y  eft  reçue.  Vous 
ne  la  recevez    que   comme  parole   de 
î'homme,  elle  n'agira  que  comime  parole 
de  l'homme  :  or  rien  de  plus  foible  que 
la  parole  de  l'homme.  Exemple  des  Juifs 
&  des  Apôtres.  Ne  nous  étonnons  donc 
point  de  ce  que  la  parole  de  Dieu  nous 
profite  fi  peu  :  c'eft  qu'on  ne  l'entend  que 
comme  parole  des  hommes  ;  c'eft- à-dire 
qu'on  l'entend,    i.  par  coutume  &  par 
une  efpece  de  paffe-temps  ^  2.  par  un 
efprit  de  malignité  &  de  cenfare  ,  3.  par 
une  curiofité  vaine   &.  toute  humaine. 
p.   T^i-^.jujquà  339. 

II.  PaPvTie.  Dès  que  par  notre  faute 
la  parole  de  Dieu  nous  eft  inutile  ,  elle 
devient  le  fujet  de  notre  condamnation 
devant  Dieu  ;  car  fe  rendre  inutile  une 
parole  fi  efficace  en  elle-même  ,  i.  c'eft 
un  péché  ,  2.  c'eft  s'oter ,  par  ce  péché 


ïDEs    Sermons.        427 

particulier  ,  toute  excufe  dans  tous  les 
autres  péchés,  p.  339.  341. 

1 .  C'eft  un  péché ,  parce  que  la  parole 
de  Dieu  eft  un  moyen  de  faîut  6i  un  des 
premiers  moyens.  Or  puifqu'il  nous  eft 
ordonné  de  travailler  à  notre  falut , 
manquer  par  fa  faute  un  tel  moyen  , 
c'eft  incontedablement  un  péché.  Quel 
fut  le  péché  des  Juifs  ?  de  ne  s'être  pas 
fournis  à  la  parole  de  Dieu  ;  cependant 
de  tous  les  péchés  en  eft-il  un  que  l'on 
connoiffe  moins  ?  On  ne  s'en  fait  nul 
fcrupule  ;  mais  il  y  a  néanm.oins  de  quoi 
nous  faire  trembler,  p.  J41.  jufqu  à  350* 

2.  C'eft  s'ôter  ,  par  ce  péché  parti- 
culier,  toute  excufe  dans  tous  les  autres 
péchés  :  car  à  quoi  fe  léduifent  toutes 
nos  excufes  ^  eu  à  l'ignorance  ,  ou  à  la 
foiblefîe  :  or  la  parole  de  Dieu  eft  un 
moyen  pour  nous  inftruire  &  pour  nous 
fortifier.  Nous  ne  pouvons  donc  plus 
dire  ce  qu'on  dit  néanmoins  fur  tant  de 
fujets ,  je  ne  le  fçavois  pas  ,  ou  je  ne  le 
pouvois  pas.  La  parole  de  Dieu  étoit 
un  moyen  pour  le  fçavoir  &  pour  le 
pouvoir  :  &  c'étoit  le  moyen  le  plus  puif- 
fant ,  le  plus  préfent ,  le  plus  gratuit  8c 
d'une  préférence  plus  marquée,  p.  350. 
jufquà  361. 


■41Î      Table   et   ÂBRiGi 


Sermon  pour  le  Dimanche  de  k 
Quinquagéfime ,  fur  le  fcandale 
de  la  Croix  &  des  humiliations 
de  Jefus-Chrifl.  Pag.  362. 

SUjet.  Je  fus  prit  avec  lui  ps  Jou^é 
Apôtres ,  &  leur  dit  :  Voici  que  nous 
ûlions  à  Jérufahm  ,  6^  tout  ce  que  Us  Pro- 
fhetes  ont  écrit  du  Fds  de  l'Homme  ^s'ac- 
complira ;  car  il  fera  livré  aux  Gentils  ^ 
moqué  t  flagellé ,  couvert  de  crachats.  Et 
après  qu'on  l'aura  fl.igellé  ,  on  le  mettra  à 
mort  ;  mais  Ls  Afôtres  n'entendirent  rien 
à  tout  cela  ,  &  c'étoit  une  chofe  cachée 
four  eux.  Les  Apôtres  n'y  entendirent 
rien;  &  cette  croix  ,  ces  humili.  tions 
d'un  Dieu  Sauveur  ,  c'eft  ce  qui  rebute 
&  ce  qui  fcandalile  ,  jufques  au  milieu 
du  Chriftianifcne  ,  tant  de  libertins,  p, 
362.  364. 

Division.  Dieu  offenfé  par  le  fcan- 
dale de  l'homme  touchant  les  humilia- 
tions &  la  croix  de  Jefus-Chrift  ,  i.  Partie. 
L'homme  perdu  par  ce  même  fcandale 
des  humiliations  &  de  la  croix  d€  Jefus- 
Chrift,  a.  Partie,  p.  364.  365.  366. 

L  Partie.  Dieu  ofFenfé  par  le  fcan- 
dale de  l'homme  touchant  les  humilia- 
tions &  la  croix  de  Jefus  -  Chrift.  Ce 
fcandale  bleffe  direftement  la  grandeur  , 
lâbonté,  la  fagefie  de  Dieu.  p.  366.  367. 


BEs    Sermons;       415 

T.  Ce  fcandale  blefle  la  grandeur  de 
Dieu.  Car  c'eft  attaquer  Dieu  dans  la 
fouveraineté  de  Ton  être  ,  que  de  pré- 
tendre ,  en  quoi  que  ce  foit ,  cenfurer  fa 
conduite  &  (a  providence.  Mais  ,  difoit 
l'héréliarque  Marcion  ,  fi  je  me  fcanda- 
life  des  humiliations  &  des  foufFrances 
d'un  Homme-Dieu,  c'eft  pour  l'intérêt 
rnême  &  l'honneur  de  Dieu  ,  dont  je  ne 
puis  fupporter  que  la  majeflé  foit  ainfi 
avilie.  Zèle  trompeur  ôcfaux  ,  lui  répon- 
doit  Tertuliien.  C'eilàvous,  fans  rai- 
sonner ,  de  reconnoître  votre  Dieu  dans 
tous  les  états  où  il  a  voulu  fe  faire  voir  ; 
car  dans  tous  les  états  il  eft  également 
Dieu.  p.  367.  jufquà  373. 

2.  Ce  fcandale  blelTe  la  bonté  de  Dieu; 
Nous  nous  rebutons  des  myfteres  d'ua  ' 
Dieu  humilié  &  crucifié,  c'eft  -  à  -  dire 
que  nous  nous  rebutons  &  que  nous  nous 
fcandalifons  de  cela  même  où  Dieu  nous  a 
fait  paroître  plus  fenfiblement  fon  amour# 

P-  373- >A^'^  377- 

5.  Ce  fcandale  fait  outrage  à  la  fa- 
gefife  de  Dieu.  Le  myftere  de  la  croix, 
félon  les  prétendus  efprits  forts  du  fiecle, 
eft  une  folie  :  mais  c'eft  le  plus  excel- 
lent ouvrage  de  la  fagelTe  divine.  Car 
rien  n'étoit  plus  convenable  à  TofFice  de 
Sauveur ,  que  venoit  exercer  le  Fils  de 
Dieu.  11  devoit  fatisfaire  à  Dieu  :  or  la 
fatisfa^lion  d'une  offenfe  porte  avec  fai 
.l'humiliation  &  la  peine  ;  il  devoit  nous 
(engager  ngus-mçmes  à  la  p.énitei\çe  ,  U 


430    Table   et   Abrège 

pouvoit-il  mieux  nous  y  engager  que 
par  fon  exemple  ?  Mais  cette  pénitence 
ne  nous  plaît  pas  ,  &  voilà  pourquoi 
nous  nous  révoltons  contre  des  myfteres 
qui  nous  en  font  voir  la  néceilité.  pag, 
377.  jufquà  382. 

H.  Partie.  L'homme  perdu  par 
ce  fcandale  des  humiliations  &  de  la 
croix  de  Jefus-Chrift  :  pourquoi  ?  parce 
que  ce  fcandale  eu  effentiellement  oppo- 
fé  à  la  profeffion  de  foi  que  doit  taire 
tout  homme  chrétien  ;  parce  que  ce  fcaiv 
dale  eft  un  obftacle  continuel  à  tous  les 
devoirs  &  à  toutes  les  pratiques  dé  la 
religion  d'un  chrétien  ;  &  parce  que  ce 
fcandale  eft  le  principe  général  ,  mais 
immanquable,  de  tous  les  défordres  par- 
ticuliers de  la  vie  d'un  chrétien,  p.  382, 

385. 

I.  Ce  fcandale  eft  efl'entiellement  op- 
pofé  à  la  profeiîion  de  foi  que  doit  faire 
tout  homme  chrétien  ;  car  il  doit  croire 
ie  myilere  de  la  croix  ,  &  faire  une  pro- 
feiîion publique  de  cette  foi  en  Jefus- 
Chrift  humilié  6c  cruciné  ;  &  par  la  croix 
du  Sauveur  il  ne  faut  pas  feulement  enten- 
dre cette  croix  extérieure  où  il  eft  mort, 
ïTiais  la  croix  intérieure  dont  il  fut  aitiigé 
dans  fon  ame.  Si  notre  profefTion  de  foi  eil 
pleine  ôi  entière,  nous  devons  ,  comme 
S.  Paul,  faire  gloire  de  participer  à  cette 
croix  intérieure  par  les  fouffrances  de  la 
vie  ;  mais  c'eft  de  quoi  nous  avons  le 
;plus  d'horreur,  p.  385.  387, 


DES    Sermons.        431 

î.  Ce  fcandale  eft  un  obftacle  conti- 
nuel à  tous  les  devoirs  &  à  toutes  les 
•pratiques  de  la  religion  d'un  chrétien. 
Toutes  les  pratiques  de  la  vie  chrétien- 
ne tendent  à  la  haine  de  foi- même,  au 
crucifiement  de  la  chair  ,  à  l'anéantifTe- 
ment  de  l'orgueil,  au  retranchement  des 
plaifirs ,  au  renoncement  à  l'intérêt  :  or 
voilà  ce  qui  le  trouve  combattu  par  le 
fcandale  des  humiliations  «Se  de  la  croix 
du  Fils  de  Dieu.  p.  3B7.  390. 

3.  Ce  fcandale  eft  le  principe  général 
de  tous  les  défordres  particuliers  de  la 
vie  d'un  Chrétien  ;  s'il  y  a  des  Chré- 
tiens intérelTés  ,  c'eft  qu'il  y  a  des  Chré-; 
tiens  fcandalilés  de  la  pauvreté  de  Jefus- 
Chriil  ;  s'il  y  a  des  Chrétiens  ambitieux, 
c'eft  qu'il  y  a  des  Chrétiens  fcandalifés 
des  abaiilements  de  Jefus- Chriil.  Ainfà 
des  autres.  Heureux  donc  celui  pour  qui 
l'auteur  de  fon  falut  n'eft  point  un  fujet 
de  fcandale.  Un  fcandale  en  attire  un 
autre  :fi  nous  nous  fcandalifons  de  notre 
Dieu ,  il  fe  fcandalifera  de  nous.  Prier^ 
à  Dieu,  p.  390,  JL'fqu'à  395, 


al 


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