m
m
cm
^ - •il
L. G n - o u , V J n 'c ,
SERMONS
DU PERE
BOURDALOUE,
DE LA Compagnie de Jésus,
POUR LES DIMANCHES.
TOME PREMIER.
No U r£ L L E É D I T l O iT.
A LYON,
Chez PIERRE BRUYSET PONTHUS,
à l'entrée de la rue S. Dominique , près
du Cloître des RR. PP. Jacobins.
M. DCC. LXIX.
Avec Privilège du Rou
':n
AVERTISSE AI EN T.
JE ne prétends point , en fini/Tant toute
rEditioH des Sermons du Père Bourda-
loLie , reiKire un compte exad des foins
c[u'elle a du me coûter : j'en lai/Te le
jugement aux perfonnes intelligences. Du
4:eile , je n'ai pas cru pouYoir mieux em-
ployer mon temps , que de le conlacrer
^infi à la gloire de Dieu , en Iç confa-
:crantà l'ucdité publique & à l'édificatioa
des âmes.
Comme la grande réputation du Père
-Bourdaloue lui attiroit de continuel-
les occupations au-dehors , il n'avoit
-guère eu le loifir de retoucher lui-même
Xes Sermons , & d'y mettre la dernière
-main. C'eft à quoi j'ai tâché de fuppléer ;
^ par une a/îiduicé a4Îi.-z confiante au
travail , je fuis ainfî parvenu a faire pa-
roître^ un cours de S^ermons pour toute
l'année : Avent , Carême , Myfteres de
Notre Seigneur & de la Vierge \ Panégy^
Jriques des Saints , Vetures & Prcfenions ,
-Dominicale. Dans cette Dominicale on
Jie trouvera point les Sermons des Di-
•manches de l'Avent , du Carême , de la
Pentecôte & de la Trinité , parce qu'ils
font en leur place dans les volumes qui
précédent.
Il ne falloit rien perdre d'un homme
qui penfoit fi folidement fur hs matie-
|:es de la religion , & qui les traitoit avec
taiic.de force & tant de dignité. C'eft u*
AVERTISSEMENT.
des plus excellents modèles , pour ne pas
dire le plus excellent, que pui/Tent Te
propofer ceux qui afpirent à l'éloquence
de là chaire. Mais en voulant fe former
fur un fî beau modèle , il y a d'ailleurs
des écueils à craindre j & (î le Père Bour"
daloue a beaucoup perfedionné le goût
de la prédication , il n'efl pas moins vrai
qu'il a gâté beaucoup de Prédicateurs.
En quelque art que ce foit , ce n'eft
pas une petite fcience de découvrir au
jufle 5 & de prendre dans ceux qui y ont
excellé , ce qui nous convient , fans s'at-
tacher à ce qui ne nous convient pas. Pour
n'avoir pas lu faire ce difcernement , des
^prédicateurs qui n'avoient ni la vivacité
& l'imagination , ni le nom & l'autorité ,
ni les qualités extérieures & la voix dut'
Père Bourdaloue , ont mal réulfi à vou-
loir imiter , ou fon flile diffus & périodi-
que 3 ou les façons de parler , dont plu-
iîeurs lui étoient particulières, ou cette ra-
pidité dans la prononciation qui l'empor"
toit de temps en temps , & qui entrainoic
avec lui Tes Auditeurs. Ce que nous ad-
mirons dans un orateur , &c ce qui ell: le
fujet de nos applaudillements , n'eft pas
toujours ou ne doit pas être le fujet de
notre imitation :-il faut fe connoître au-
paravant foi-méme & fes dirpofitions na-
turelles : car tout doit être proportionné ;
Ôc c'eft cette proportion , cette conve-
nance , qui donne aux chofes leur mérite,
ôc qui en fait le plus bel agrément.
AVERTISSEMENT
Il n'y a point , après tout , de Prédicat
teiir, à qui la ledure des Sermons à\i
Père Bourdaloue ne puifTe être très-utile ,
pour peu cju'on en fâche ufer avec con-
noiiFance & avec précaution. S'il y a
diverfité de talents , & s'il efl bon que
chacun fe renferme dans le tien propre ,
il y a au/fi des règles communes & des-
préceptes qui s'étendent à tous les ta-
lents & à tous les genres de l'éloquence"
chrétienne. Par exemple , bien choifir
la matière d'un difcours , & la tirer na-
turellement de l'Evangile i l'envifa^er
moins par ce qu elle peut avoir de nou-
veau , de fingalier, de brillant , que
par ce qu'elle a de vrai , d'inflruclif ,
de touchant , & qui eft plus à la portée de
tout le monde; la divifer, & en faire
tellement le partage , que les points j
fans fe confondre , aient toutefois entre
eux alTez de rapport pour fe réduire à
une première vérité Se à une propofi-
tion générale ;' ne rien avancer dont on
ne produife les preuves ; & non de ces
preuves abftraites & fubtiles , plus aca-
démiques , pour ainfî dire , qu'évangéli-
ques y mais des preuves fenfîbles , pri-
fes' du fonds de la religion & des maxi-
mes les plus certaines de la Théologie :
entrer d'abord dans fon fajet , & ne s'en
écarter jamais , foir par de longs & d'i-
nutiles préludes , foit par des réflexions
hors d'oeuvre & d'ennuyeufes digreffions j
éclaircir les doutes ^ prévenir les ob-
â iij
jiVERTISSEMENT.
je(5iions , les qucflions c|ui peuvent naî-
tre , fe les faire à foi- même , & y répon-
<ire. De- là pa/Ter aux mœurs , &c dans un
fidèle tableau les repréfenter telles qu'elles
font , évitant l'un & l'autre excès , d'uiv
dctcil trop populaire & trop familier, &
d'une peinture trop vague Se trop fuperfî-
cielle. Expofer tout avec méthode , avec
erdre , & ne fe pas contenter d'un amas
informe de penfécs , qu'on enta/Tc f^^lon
qu'elles fe préfentent , & fans nulle liaifon
que le hazard qui les place indiffcremment
les unes auprès des autres. Enfin , en venir
a. des concluions pratiques , qui fuivenc
des vérités qu^on a expliquées , & qui en
comprennent tout le nuit : voilà à quoi
tout Prédicateur doit s'étudier , & ce qu'il
apprendra du Père Bourdaloue.
Il n'eft point précifément- nécelfaire
de s'exprimer comme cet habile Maître ,
d'avoir fon feu , fon action , fon éléva-
tion : ce font des dons que le Ciel départ
à qui il lui plaît j 8c fans ces dons , on
peut , avec d'autres qualités , annoncer
utilement la parole de Dieu, Mais de
quelque manière qu'on l'annonce , il eft
toujours nécelfaire de faire un bon choix
du fujet qu'on entreprend de traiter i de.
l'accommoder, comme le Père Bourda-.
loue , à l'Evangile , & de ne vouloir pas
que l'Evangile , par des applications for-
cées , s'y accommode ; d'y chercher à
inftruire & à toucher , plutôt qu'à pa-
loître 5c a briller i d'eu bien diUrlbuei
toutes les parties , d'en bien appuyet
toutes les propofitions , ôc ^^ les établir
fur les folides fondements de la foi & de
la raifon. Il eft toujours d'une égale necel^
fité de ne fe point éloigner de ion deliein ,
& de ne le pas perdre un moment de vue s
de fatisfaire aux difficultés qu'on peut op-
pofer , & de les réfoudre : après avoir de-
Yeloppc les principes & la doarme , de.
defcendre à la morale ; & par des induc^
tions fortes , mais fages , de peindre les
vices fans noter les perfonnes , m faire
connoître les vicieux ; de donner a chaque
chofe le rang, l'étendue, tout le jour
Q'i'ei'e demande i de n'aiteCler nen aans
les exprelfions , &- de ne rien outrer aans
les décifions i de lier le difcours &.Qe
condu re par degrés l'Auditeur a de falu-
taires conféquences & aux faintes refo-
lutions mi'il doit remporter pour la re-
formation de fa vie. Tout cela , encore
une fois , eft de tous les carac1:eres de Pré-
dicateurs : & en vain pour difculper un
" Prédicateur , qui voudroit s'aftranchir de
ces redes , & pour l'autorifer , diroit-on,
ce qu'en effet on dit en quelques rencon-
tres , qu'il prêche de talent ; dés que ces
conditions eflentielles lui manqueroient ,
ce talent prétendu ne feroit qu'un iaux
talent. Des Auditeurs peu pénétrants , Se
qui ne jugent que par les yeux en pour^
roient être éblouis j mais les efpnts d u*
certain goût ne s'y tromperoient pas.
Ouoi qu'il e;i foie , le Perc Bourdaloue
^' â iiij
A V :E R T I s s I M E N T,
«it dans un point éminent toutes ces pef-
fedions de la vraie éloquence , & c'eft
ce qu'on doit fur-tout obferver dans Tes
Sermons ; mais l'erreur eft de ne les lire
que pour en extraire des pafTages , des
divifîons , des figures, des termes, que
fbuvent on applique mal & à qui l'on
©te , en les déplaçant , toute leur grâce.
Au lieu donc d'ctre difciple & imitateur
du Père Bourdaloue , on n'en eft que
aiauvais copifte & que plagiaire.
Cependant , s'il ne fert pas toujours à
former de parfaits Prédicateurs , il fervira-
par fes enfeignemenrs , pleins de vérité 8c
de piété , à édifier les fidèles & à former
de parfaits clirétiens. On peut s'égarer en
îe prenant pour modèle dans le miniftere
de la prédication , mais on ne s'égarera
jamais en le prenant pour guide dans le-
cKemin du falut. C'eft ce que tant de
perfonnes ont éprouvé , & ce qu'elles
éprouvent tous les jours. Il a plu à Dieu
de donner aux Sermons de ce célèbre
Prédicateur une bénédiclion toute nou-
velle après fa mort^ Se je puis dire, en
lui appliquant l'expreffion de l'Ecriture ,
que tout mort qu'il eft , il ne ctÛ^c point
de prêcher aufîi efiîcacement & auiîi uti-
lement fur le papier , qu'il prêckoit autre-
fois dans la chaire.
Je préparc encore un recueil , non plus
de Sermons , mais d'Exhortations de d'Inf-
trui^ioas ckiéciennes du même Auteur.
approbation de Mr.V Abbé Tourne ly ^ Vocîeur
er Profejfeur roynl in Théologie , de U AUifon
ty Société de Sorbonne , Chanoine de /<« Saintt
Chapelle de Paris.
J
'Ai lu, par ordre de Monfeigneur le Chance-
lier , les Sermons pour les Dimanches de l'an-
mée , prêches par le R. P. Bcurdaloue de la c on^
pagnie de Jésus , dans lefquels je n'ai rien trou-
vé que de très-conforme à la pureté de la foi &
Éle la reorale chrétienne. A Paris , œ 3 avril
17 1 5. T o u R N E L y.
mmtmf
Verwijfton du R. p. Provincial.
JE foufligné , Provincial de la Compagnie de
Jésus, dans la Province de France , per-
mets au Père François Bretonneau de la même
Compagnie , de faire imprimer un Livre qu'il
â revu , & qui a pour titre : Sermor:s dn Père
'Bourdaloue de la Compagnie de Jésus , pour les-
jyimancbes , lequel Livre a été vu & approuvé
par trois Théologiens de notre Compagnie. En
foi de quoi j'ai figtié la préfente PermilTion. A
Paris, ce 16 avril 171^.
^ IsAÀG Martineàu.
PRIVILEGE DV ROI,
LOUIS, PAR LA GRACE D£ DiEU , Roi
DE Franêe et de Navarre : A nos amés
& féaux Confeillers , les Gens tenant nos Cours
de Parlement , Maîtres des Requêtes ordinaires
de notre Hôtel , Grand Confeil , Prévôt de PariS;>
Baillifsj Sénéchaux, leurs Lieutenants civils, Se
^autres nos JulHciers c^u il appartiendra , Salut.
Not e bien-amé Jean-Baptifte Coignard fils ,
l'un de nos Imprimeurs ordinaires & de notre
Académie Françoife, Libraire à Paris, nous a fait-
expofer qu'il eil fur le point d'entreprendre i'iin-
preiTion d une colle6lion des Hiiloriens de Fran-
ce , depuis l'origine de la nation : & comme cet
Ouvrage , autant utile à la Republique des Let-
tres , que glorieux à notre Royaume , engagera
l'Expofant dans des dépenfes con/idérables , il
nous a tres-humblement fait fupplier de vouloir
bien , pour l'aider à fupporter les frais d'une iî
grande entreprife , lui accorder nos Lettres de
Privilège , tant pour l'impreflion dudit Livre ,
que pour la réimpreiîion de plufieurs autres donc
les Privilèges font expirés ou prêts a expirer ; of-
frant pour cet effet de les imprimer , ou faire
réimprimer en bon papier & beaux caractères ,
fuivant la feuille imprimée & attachée pour mo-
dèle fous le contrefcel des Préfentes. A ces cau-
fcs , voulant favorablement traiter led. Coignard,
& encourager par fon exemple les autres
Libraires & imprimeurs à entreprendre des édi- -
tions utiles pour l'honneur de la France & le
progrés des Scieivces , nous lui avons permis
Î5^ accordé, permettons & accordons par cef
Préfentes d'imprimer ladite O//^^-?^^^ desHiftoj
ytem de Vr^me , depuis Vortgine de U Nation -, ^
de faire réimprimer les Livres intitules , Mont-
faucon Vdœogr^phU Gru^ , CT Ongenis Hexf.-
pla : le Chemin royd de U Croix , Us Oeuvres uh
P. Vez.ron , U Bibliothèque hiftorique de U France
du P. le Lonz. ^s .iBes des Mytyrs de Dom
\Ruinart,les Livres d'ZgUfe h l'ufage de l Ordre
de S-^int Vrar^çois , Us Retraites , Reflexions ^_
Heures du ?.' Croifet jéfuite . le D^atonn^trc
des Cas de confrie?7CC , par les fieur. de Lamet
Cr F,om:igc^:i , la Science de U Chaire , ou Du-
jio?7np/ire moral. Us Difcours moraux en for ?ne
■de Trônes, avec les I.'oges des Sa:nts, l'H^fiotre
fibréré: de U France Par Chapons , înjhrutions ECj-
cUfiafliques ^ Bénéficiales du fieur Gioert , Injtt^
^mion au Droit François, par Dargou , le parfait
Maréchal de SoUyfel . Theolo.ia ^etrocorenfis ,
Hifioire Romaine d^E^hard , (f H:ftotre Grecque
de Stanian , Vr^nes de Joly , Education des Fuies ,
par U (l^ur de Fenelon , Hifloire Eccejiaftique ,
tmr fervir de continuation à celU de Fleur y . avec
V Abrégé de ladite Htfloire -, Sermons ae Bmraa-
1 loue ar-de la Rue, Homère traduit par Dacter ,
les Romans de la Rofe er des Amadis Eléments
1 de l'Hilloire par de Valemont , Traduction des
j Oeuvres d'Horace par Tarteron , Defcrtpnon de
?0ris par Brice , U Jardinier folitatre -Traite des
! Saiz-nées de Silva , l'Economie ammaU par HeL-
vetius , ^ V Architecture de Daviler , en tels Vo-
lumes , forme , marge , caraderes con|omte.
ment ou féparément , & autant de fois que boa
huremblera, &de les vendre Se -e rendre
débiter par tout notre Rojaume pendant le t^^ups
de vhtgt Hnnêes entières (f conficuttves , a comp-'
ter de la date des Vréfentes , ^ de l'expiration'
des précédents Privilèges: faifons défenfes à tou-
te forte de perfoiines , de quelcjuc qualité &
condition qu'elles foient , d'en introduire d'im-
preflîon étrangère dans aucun lieu de notre
obéi/Tance: coiiinieauiTi à tous Imprimeurs, Li-
braires & autres , d'imprimer ou faire imprimer,
vendre , faire vendre , débiter ni contrefaire \ç{^-
dits Livres ci-deiTus fpécifiés , en tout ni en par-
tie , ni d'en faire aucuns extraits , foas quelque
|)rctexteque ce foir, d'augmentation, correcTcion ,
changement de titre , même de tradudlion en
Langue Latine , Langue Grecque , & en quel-
gu'autre forte de Langues que ce puiife être ,
en général ou en particulier , ou autrement , fans
îa permiiîion exprelfe &: par écrit dudit Expo-
fant, ou de ceux qui auront droit de lui , à peine
ée confifcation des Exemplaires contrefaits , de
dix mille livres d'amende, contre chacun des"
contrevenants , dont un tiers a Nous , un tiers à
l'Horel-Dieu de Paris , l'autre tiers audit Expo-
fant , & de tous dépens , dommages & intéréts^
A la charge que ces Préfenres feront enregif-
trées tout au long fur le Régiftre de la Commu-
nauté des Libraires & Imprimeurs de Paris , dans-
trois mois de la date a icelles -, que l'imprelTion
de ces Livres fera faite dans notre Royaume -Se
non ailleurs , & que l'Impétrant fe conformera
en tout aux Régleàients de la Librairie , &: no-
tamment à celui du lo avril 172,5 , & qu'avant
que de les expofer en vente , les Manufcrits ou
Imprimés qui auront fervi de copie à l'impref-
fîon defdits Livres , feront remis dans le même
ctat QU les Approbations y auront été données >
es mains de notre très- cher & féal Chevalies
Garde des Sceaux de France, le iîeur Chauveliiii
& qu'il en fera enfuire remis deux exemplaires
de chacun dans notre Bibliothèque, un dans
celle de notre Château du Louvre , & un dans
celle de notredit très-cher $c féal Chevalier Gar-
|de des Sceaux de France le fîeur Chauvelin ; le
jtout à peine de nullité des Préfentes : du con-
tenu defquelles , vous mandons & enjoignons
de faire jouir l'Expofant ou fes ayants caufe ,
1 pleinement & paihblement , fans foufFrir qu'il
leur foie fait aucun trouble ou empêchement,
Voulons que la copie defdites préfenres , qui fera
j imprimée tout au long au commencement ou
ï la fin defdits Livres , foit tenue pour duemenC
fîgnifiée , & qu'aux copies collationnées par
"un de nos amés & féaux Confeillers-Secretai-
es , foi foit ajoutée comme à l'original. Goru.-
îiandons au premier notre Huifïier ou Sergent
ie faire pour l'exécution d'icellcs tous Aéles re-
juis & néceiTaires , fans demander autre pcrmil^
ion , & nonobstant clameur de Haro , Chartre
Normande , &' Lettres à ce contraires : Car tel
jîrt: notre plaiiîr. Donné à Paris le cinquième joue
lu mois de Mars , l'an de grâce 1733 , & de
îotre règne le 1 8. Signé , par le Roi en fon Coiv-
eil , S A I N S O N j avec grille & paraphe.
Régijlré fur le Kégiftre VI IL de U chambre
loyale ^ Syndicale des Libraires ^Imprimeurs de
*aris , N°. j 3 8. fol. 5 3 1 3 conformément aux an-
iens Règlements, confirmés par celui du x8 'Mk^
'jrier 1723. ^ Pari s, le ^ Juin 1733.
Signé , G. MARTIN , Syndiu
1
J'ai fait part du prcfcnt Pdv'ilege à MefTieurs i
les Preres Bruyset , Libraires à Lyon , i-oar les
Livres fuivaius kuUmcntJes Retraites, Reflexions
er Heures du ?ere Croiftt jéjuite , pour en jouir
par lefd. Sieurs aux conditions portées par 1 Acte
de vente du fonds de Librairie de Madame la
veuve Boudet de Lyon. Fait à Pans , le 9 O^o-l
bie 1733. COIGNARD,///.
Régiflré fur le Régiftre VllL de U Chamhrt
royale des Libraires (ST Imprimeurs de Pans , pagi
6 07 , conformément aux Règlements , er notam-
ment k l'Arrêt du Confeil du 13 ^oût 170^.
A F^ris , U 9 Octobre 1733.
G. MARTIN , Syndic,
Je fottfTigné , tant en mon nom , que commç
affocié de MelTieurs Gabriel Martin & Guerir
l'ainé , reconnois avoir fait part à Mrs. Bruyset
frères , Libraires en fociété de la Ville de Lyon
du Privilège ci-delllis, par moiokenu le 5 Mar
dernier , feulement pour les Livres fuivants , fa
voir , Les Sermons er Retraites du P. Bourdaloue
les Sermons du P. de U Rue , Traité de lEconomu
finimde , er les Panégyriqms de Flechier , le tou
relativement au traité fait cejourd'hui entn
fious. A Paris , le 19 Novembre 173 3-
COIGNARD , fils.
Régiftréfur le Regifire VllL de laCommunmt
des Libraires ^ Imprimeurs de Paris , N°. (T;, ï
conformément aux Règlements , tSi' n&tamment <
celui du 10 Avril 1703. A Paris, le z8 No
vembre 173 J. ^. MARTIN , Syndic,
SERMONS
CONTENUS DANS CE FOLUME.
POuR le premier Diman-
che après l'Epiphanie : Sur
^ le devoir des Feres ^p^r rap-
port à^U vocMiQ^ de leurs en^
fmts. ^ Page 3
Pour le fécond Dimanche
après l'Epiphanie \fur l'état
du Maria^ge. î^
Pour le troifieme Dimanche
après l'Epiphanie : Sur U
Foi. ^ ^ 93
Pour le quatrième Dimanche
après l'Epiphanie : Sur les
^ffli£tions desjujles & la prof
périt e des pécheurs o 1 3 3
Pour le cinquième Dimanche
après l'Epiphanie : Sur U So-
ciété des Jujles avec les pé^
çheurs, ^ 8 1,
Pour le fîxieme Dîmanche
après l'Epiphanie : Sur Is
fainteté d^ U force de U Loi
chrétienne, 22^
Pour le Dimanche de la Sep-
tuagéflmc : Sur l'Oifivetém
Pour le Dimanche de la Se-
xagéfime : Sur la parole de
Dieu. 3 1 3
Pour le Dimanche de la Qiûn-
quagéfime : Sur le fc and aie
de la, Croix & des humilia-'
lions de Jefus-Chrijl. ^6z
SERMON
SERMONS
POUR LES
DIMANCHES,
DEPUIS L'EPIPHANIE
JUSQU'AU CARÊME.
\S ^/4> ^./'-i-'Ks;
s E R M O N
POUR
LE PREMIER DIMANCHE
APRÈS L'EPIPHANIE.
Sur U devoir des Pères , par rapport à
la vocation de leurs Enfants.
Et dlxit mater ad illiim : Fili , quld fecifîi nobis-
fîc ? Ecce pater tuus & ego dolentes qusere-
bamus te. Et ait ad illos : Quid efl: quôd me
«juaerebatis ? nefciebatis quia in his quae patris
mei funt oportet me efTe ? Et ipfi non intellexe-
runt verbum quod locutiis eft ad eos.
'La mère de Jefus - Chrijî lui dit : Mon fils ,
pourquoi en ave^ - vous ufé de la forte avec
nous ? Votre père & moi nous vous cherchions
avec beaucoup d'inquie'tude. Il leur répondit :
Pourquoi me cherchis^-vous ? ne fave^-vous pas
qu'il faut que je m\mploie aux chojes qui regar-
dent mon père ? Et ils ne comprirent pas cc
qu'il leur dit. En S. Luc , ch. 2.
i, ç i'EST laréponfe que l'enfant Jefus
^_^J fit à Marie , lorfqu'après l'avoir
cherché pendant trois jours, elle le trouva
^lans le temple de Jérufàlem. Réponfe
Domin^ tom, /. A ij
4 Sur le devoir des Pères
qui pourroit nous furprendre , & qui
peut-être nous paroitroit trop fcvere
&: trop forte , (i nous ne favions pas
qu'elle fut toute myftérieufe : car le Fils
de Dieu , dit faint Aaibroife, reprit fa
mère en cette occafion , parce qu'elle
fembloit vouloir dirpofer defaperfonne ,
& s'attribuer un foin qui n'étoit pas da
fon refTprt. Ainfi l'a penfé ce faint Doc-!
leur; mais comme cette opinion , Chré-
tiens , n'eft pas tout-à-fait conforme à
la haute idée que nous avons tous de
i'irrépréhenfible fainteté de la Mère de
Dieu , adouciffons la penfée de faint
Ambroife , & contentons-nous de dire
que, dans l'exemple de Marie, le Sauveur
du monde voulut donner aux pères &
aux mères une excellente leçon de la con-
duite qu'ils doivent tenir à Tégard de
leurs enfants , fur-tout en ce qui regarde
le choix de l'état oii Dieu les appelle. Ce
fujet , mes chers Auditeurs , eft d'une
ccnféquence infinie ; & , tout borné quHI
paroît , vous le trouverez néanmoins,
dans l'importante morale que je prétends
en tirer, fi général & fi étendu , que de
toute cette ademblée il y en aura peu
à qui il ne puifTe convenir ÔC qu'il ne
puifTe édifier. Il eft bon de defcendre
quelquefois aux conditions particulières
des hommes , pour y appliquer les règles
univerfelles de la loi de Dieu : or , c'eft
ce que je fais aujourd'hui. Car en expli-
quant aux pères 6c aux mercs ce qu'ils.
ENVERS LEURS EnFANTS; 5
doivent à leurs enfants , & aux enfanté
ce qu'ils doivent à leurs pères Si à leurs
mères dans une des plus grandes affaires
de la vie , qui e/l celle de la vocation
& de rétat , je ferai comprendre à tous
ceux qui m'écoutent ce que c'eft que
vocation , quelles maximes on doit fuivre
fur la vocation , ce qu'il faut craindre
dans ce qui s'appelle vocation 3 ce qu'il
y faut éviter & ce qu'il y faut recher-
cher. Nous avons befoin ^ pour cela 3
des lumières du Saint-Efprit : deman-
dons-les par Tinterceffion de fa divine
Èpoufe. Ave Maria*.
N'Efi-il pas étrange. Chrétiens , que
?v'îarie & Jofeph, com.me le remar-
que faint Luc dans les paroles même de
mon texte, ne compriiTent pas le myflere
6c n'entendlflent pas le Fils de Dieu ,
quand , pour leur rendre raifon de ce
qu'il avoit fait dans le Temple, il leur
dit que fon devoir i'obligeoit de va-
quer aux chofes dont fon père l'avoit
chargé ? Que Jofeph n'ait pas tout-à-
fait pénétré le fens de cette réponfe ,
j'en fuis moins furpris ; car, tout éclairé
qu'il pouvoit être par les fréquentes &
intimes communications qu'il eut avec
Jefus-Chrift , il n'étoit pas néceflaire
qu'il connût tous les myfteres de l'incar-
nation divine ; mais ce qui doit nous
étonner, c'eft que Marie, après avoir
reçu la plénitude de toutes les grsces &
A iij
6 Sur le devoir des Pères
de toutes les lumières céleftes , aprèa
avoir conçu dans fon fein le Verbe
incarné , ait paru ignorer un des points
les plus eiTentiels de la mifîîon de cet
Homme-Dieu 6c de fon avènement fur
la terre. Ne nous arrêtons point , mes
chers Auditeurs , à éclaircir cette diffi-
culté , & lailTons aux interprètes le foin
de la réfoudre: voici ce qui doit encore
plus nous toucher, & ce qui demande ,
s'il vous plait, une attention toute parti-
culière. En effet, fi Marie & Jofeph ne
comprirent pas ce que leur difoit le Sau-
veur des hommes touchant les emplois
où il étoit appelle par Ton Père , n'eft-il
pas vrai que la plupart des pères & des
mères , dans le chriftianifrne , n'ont
jamais bien compris leurs obligations les
plus indifpenfables, par rapport à la dif-
pofition de leurs en-fants , & en matière
d'état & de vocation ? Il eft donc
d'une extrême importance qu'on les leur
explique, & voilà ce que j'entreprends
dans ce difcours. Prenez garde , je vous
prie , je ne veux point entrer dans l'inté-
rieur de vos familles ; je ne viens point
vous donner des règles pour les gouver-
ner enfages mondains ; vous me diriez ,
^ avec raifon, que celan'eft pas de mon
minirtere : mais s'il y a quelque chofe,
dans le gouvernement de vos familles ,
où h religion & la confciencefoient inté-
reffécs , n'eft-ce pss à moi de vous ea
iiidruire ? Or je prétends qu'il y a deux
ENVERS LEURS EnFAKTS. f
cliofes que vous ne favez point afTez ,
6: qu'il vous eft néanmois , non-feule-
ment utile, mais d'une abfolue néceffité
de bien apprendre. Ecoutez-les : Je dis
qu'il ne vous appartient pas de difpofer
de vos entants , en ce qui regarde leur
vocation & le choix qu'ils ont à faire
d'un état ; & j'AJouie toutefois que
vous êtes refponfables à Dieu du choix
que font vos enfants , & de l'état qu'ils
enibraflent. Il femble d'abord que ces
deux propofitions fe contredifent , mais
la faite vous fera voir qu'elles s'accor-
dent parfaitement entr'elles. Dieu ne
veut pas que , de vous-mêmes &. de
votre pleine autorité , vous déterminiez
à vos enfants l'état où ils doivent s'en-
gager ; c'eft la première partie. Et Dieu
cependant vous demandera compte de
l'état où vos enfants s'engagent ; c'eil:
la féconde : toutes deux feront le par-
tage de cet entretien 6c le fujet de votre
attention.
IL n'appartient qu'à Dieu de difpofer I,
abfolument de la vocation des hommes, Part,
& il n'appartient qu'aux hommes de
déterminer, chacun avec Dieu , ce qui
regarde le choix de leur état & de leur
vocation : ce principe ell: un des plus
inconteftables de la morale chrétienne.
D'où je conclus qu'un père , dans le chrif-
tianifme , ne peut fe rendre maître de la
A iv
8 Sur le devoir des Perss
vocation de fes enfants , fans commettre
deux injuftices évidentes; la première,
contre le droit de Dieu ; la féconde , au
préjudice de fes enfants même ; l'une ÔC
l'autre fujettes aux conféquences les plus
funeftesj en matière de falut. Voilà le
point que je dois maintenant développer,
ÔL en voici les preuves»
Je dis qu'il n'appartient qu'à Dieu de
décider de la vocation des hommes :
pourquoi ? parce qu'il eft le premier père
de tous les hommes , & parce qu'il
n'y a que fa providence qui puiffe bien
s'acquitter d'une fonftion aufTi impor-
tante que celle-là : ce font deux grandes
raifons qu'en apporte le Do^^eur Ange-
liquefaint Thomas. Si je fuis père, difoit
Dieu , par le Prophète Malachie , où
JVfû/trcA.eft l'honneur qui m'efl dû ? Si pater ego
^' '• Jr fum , uhï ejl honor meus ? C'eft-à-dire ,
pour appliquer à mon fujet ce reproche
que faifoit le Seigneur à fon peuple , ft
je fuis père , par préférence à tous les
autres pères , où eft le refpe-Sl que l'on
me rend en cette qualité ? Où eft la
marque de ma paternité fouveraine , Ci
les autres pères me la difputent , & fi je
ne difpofe plus de ceux à qui j'ai donné
l'être , pour les placer dans le rang &
dans la condition de vie qu'il me plaira ?
Vous entreprenez, ô hommes ! de le
faire ; qui vous en a donné le pouvoir ?
Dans une famille dont je ne vous ai
ENVERS truRs Enfants. 9
confié que la fiinple adminlftration , vous
agifiez en maître, & vous ordonnez de
tout félon votre gré : vous deftinez l'un
pour l'Eglife , & l'autre pour le monde ;
celle-cipour une telle alliance, & celle-
là pour la religion ; & il faut , dites-
vous , que cela foit , parce que les
mefures en font prifes : mais avec quelle
îuftice parlez- vous ainfi ? Je n'ai donc
plus que le nom de père , puifque vous
vous en attribuez toute h puiiïance : c'ell
donc en vain que vous me témoignez
quelquefois que ces enfants font plus à
moi qu'ils ne font à vous : car , s'ils
font à moi plus qu'à vous , ce n'eft pas
à vous , mais à moi d'avoir la princi-
pale 6c effentielle dire^Sion de leurs
perfonnes.
Ajoutez à cela , Chrétiens , la réfle-
xion de faint Grégoire Pape , que non-
feulement Dieu ei\ le premier père de
tous les hommes , mais qu'il eil le feul
que les hommes reconnoilTent, félon l'ef-
prit , & par conféquent que c'elt à lui , &
non point à d'autres , d'exercer fur les
efprits & fur les volontés des hommes
cette fupériorité de conduite , ou plutôt
d'empire , qui fait l'engagement de la
vocation. Quand la mère des Machibées
vit fes enfants , entre les mains des bour-
reaux , fouffrir avec tant de confiance,
elle leur dit une belle parole , que nous
lifons dans l'écriture : Ah ! mes chers
enfants, s'écria-t-elle , ce n'eft pas moi
A Y
10 Sur le devoir des Pères
qui vous ai donné une ame fi héroïque i
cet efprit fi généreux qui vous anime n'a
point été formé de ma fubflance , c'efl
du louverain Auteur du monde que
z. Ma- Yous l'avez reçu : Neque cnïm e^o fpirl-
chao, c. ii^^^ f^ anïmam donavï vohïs : je fuis
^' votre mère , félon la chair ; mais la plus
noble partie de vous-mêmes , qui eft
l'efprit , efl: immédiatement l'ouvrage de
Dieu. Ainfi leur parla cette fainte femme.
Or , de là , chrétienne compagnie , il
s'enfuit que Dieu feul efl en droit de
déterminer aux hommes leurs voca-
tions & leurs états : pourquoi ? parce
que c'eft proprement en cela que confifte
ce domaine qu'il a fur les efprits. Un père,
fur la terre , peut difpofer de l'éduca-
tion de fes enfants , il peut difpofer de
leurs biens & de lenrs partages ; mais de
leurs perfonnes , c'cfl-à-dire , ce ce qui
porte avec foi engagement d'état , il
n'y a que vous , o mon Dieu ! dlfoit
le plus fage des homm.es , Salom.on , il
n'y a que vous qui en foyez l'arbitre ,
Sep. c. c'eft un droit qui vous eft réfervé : Tu
'■^' autem cum ma^nâ revcrenliâ difponis nos:
exprefïion admirable, qui renferme un fen-
timent encore plus digrxe d'être remarqué,
cum ma^nâ rcvcrentia ; car c'eft comme
s'il difoit ; Vous n'avez pas voulu , Sei-
gneui- , que cette difpofition de nos per-
sonnes fût entre les mains de nos pères
tetTiporeis. ni qu'ils enfuiTentles maîtres;
"VOUS avez bien prévu qu'ils n'en wfç?
ENVERS LEURS EnFANTS. Il
roient jamais avec les égards ni avec
le refpecl que nos perfonfres méritent :
& en effet , mon Dieu, nous voyons
qu'autant de fois qu'ils s'ingèrent dans
cette fonction , c'eft toujours avec des
motifs indignes delà grandeur du fujet ôc
de la chofe dont il s'agit ; car il s'agit
de pourvoir des âmes chrétiennes , & de
les établir dans la voie qui les doit con-
duire au falut ; & eux n'y procèdent
que par des vues baffes Si charnelles ,
que par de vils intérêts , que par je ne
fais quelles maximes du monde cor-
rompu & réprouvé , fe fouciant peu que
cet enfant foit dans la condition qui lui
eil propre, pourvu qu'il foit dans celle qui
leur plaît , dans celle qui fe trouve plus
conforme à leurs fins Se à leur ambition ,'
ayant égard à tout , hors à la perfonne
dont ils difpofent ; & , par un défordre
très-criminel & très-commun , accom-
iTiodant le choix de l'état, non pas aux
qualités de celui qu'ils y engagent, mais
aux defirs de celui qui l'y engage : or
n'eft-ce pas là bleiTer le rcfpeci du à
vos créatures , & fur-tout à des créa-
tures raifonnables ? Mais vous. Sei-
gneur, qui êtes le Dieu des vertus , Tu Ibld^
autent dominator virtuels , vous nous
traitez bien plus honorablement; car,
difpofant de nous , vous ne confidérez
que nous-mêmes ; & , à voir comment
en ufe votre providence , on diroi: en
quçlquô forte qu'elle nous refpede :
A vj
la Sua LE DEVOIR DES PeRFS
cum magna reverentiâ difponïs nos.
Concluons donc, Chrétiens , que c'efl
de Dieu feulement que doit dépendre 6c
que doit venir notre deftinée, par rapport
aux différentes profefîions de la vie. Et
pourquoi penfez-vous , demande faint
Bernard , que tout ce qu'il y a d'états
dans le monde qui partagent la fociété
deshomm.es foient autant de vocations ,
6c portent en eiTet le nom de vocations ?
Car nous difcns qu'un tel a vocation
pour le fiecle , &. un tel pour le cloître ;
un tel pour la robe , & un tel pour
l'épée : que veut dire cela, finon que
chacun eft appelle à un certain état,
que Dieu lui a marqué dans le confeil
de fa fageffe ? Pourquoi les Pères de
i'Eglife, dans leur morale, ont- ils regardé
coRime une offenie fi grieve , d'embraffer
un état fans la vocation de Dieu , fi ce
ri'eft parce que tout autre que celui oîi
Dieu veut nous placer , n'eft pas fortable
pour nous , & que nous fommes hors
du rang où nous devons être , quand
ce n'eft pas Dieu qui nous y a conduits }
Sur quoi je reprends & je raifonne : fi
tous les états du monde font des voca-
tions du Ciel , s'il y a une grâce attachée
a tous ces états , pour nous y attirer, félon
l'ordre de Dieu ; s'il eft d'un danger
extrême pour lefalutde prendre un état
fans cette grâce, ce n'eft donc pas à un
père d'y porter fes enfants , beaucoup
moins de ks y engager -, Ôi ce feroit le
ENVERS LEURS ENfANTS. 13
dernier abus , de leur faire pour cela vio-
lence 6l de les forcer ; car enfin un père
dans fa famille n'eft pas le difiributeur
des vocations ; cette grâce n'efi point
entre fes mains , pour la donner à qui
il veut ni comme il veut : il ne dépend
point de lui que cetce fille foit appellée
à rétat religieux ou à celui du mariage ;
& la deflination qu'il en fait eil un
attentat contre le fouverain domaine
de Dieu ; pourquoi ? parce que toute
vocation étant une grâce , il n'y a que
Dieu qui la puiîTe communiquer ; & de
prétendre en difpofar à l'égard d'un autre,
c'eft faire injure à la grâce m.êm.e , ÔC
s'arroger un droit qui n'eft propre que
de la divinité.
En effet , Chrétiens , pour bien appli-
quer les hommes à un emploi , & pour
leur affigner furement la condition qui
leur eft convenable , il ne faut pas m.oins
qu'une fagelTe &.une providence infinie:
or cette fageffe , cette providence fi éten-
due , Dieu ne Ta pas donnée aux pères
pour leurs enfants ; il n'a donc pas dû
conféquemment donner aux pères le pou-
voir de décider du fort de leurs enfants ;
& comme il a feul pour cela toutes les
connoiffances néceffaifes , j'ofe dire qu'il
eût manqué dans fa conduite , s'il eût
confié ce foin à tout autre qu'à lui-
même. Vous m,e demandez pourquoi un
père ne peut fe croire aflez éclairé ni
affez fage pour ordonner de la voca-
ï4 Sur le devoir des Feres
tion d'un entant. Ecoutez une des plus,
grandes vérités de la morale chrétienne,
c'eft que rien n'a tant de rapport au
falut que la vocation à un état , & que
fouvent c'efl à l'état qu'eft attachée
toute l'affaire du falut : comment cela }
Parce que l'état eO: la voie par oii Dieu
veut nous conduire au falut ; parce que
les moyens du ialut , que Dieu a rélbîu
<de nous donner, ne nous ont été dei-'
tinés que conformément à l'état ; parce
que 5 hors de Tétat, la providence de Dieu
n'eft plus engagée à nous foutenir par
ces grâces fpéciales qui aîTûrent le falut ,
ÔL fans Icfqueiles il eft d'une extrême
<iifHculté de parvenir à cet heureux
terme ; & , ce qu"il faut bien remarquer
comme une conféquence de ces prin-
cipes 3 c'eft que ce qui contribue davan-
tage à notre faîut, ce n'elt point préci-
fément la fainteté de Fétst ; mais la con-
TCnance de l'état avec les deiTeins & les
vues de Dieu, qui nous l'a marqué , 6c
qui nous y fait entrer. Pt'iiîle fe font
fauves dans la religion , & celui - ci
devoit s'y perdre; mille fe font perdus
dans le monde , & celui-là devoir s'y
fauver. O altitudo ! O abyme de la
fcience de Dieu 1 Mais revenons. Que
faudroit-il donc à un père , afin qu'il eut
droit de difpofer de la vocation de fes
enf?nts ? Je n'exagérerai rien , mes chers
Auditeurs ; vous favez la profelTion
J^ue je ùis qç dire la vérité telle que je
ENVERS LEURS EnFANTS.' IJ
la conçois , fans jamais aller au-delà.
Que taudroit-il , dis-je , à un père , pour
prefcrire à un enfant la vocation qu'il
doit fuivre ? 11 faudroit qu'il connût les
voies de Ion falut , qu'il entrât dans le
fecret de la prédeftination , qu'il fût
l'ordre des grâces qui lui font préparées,
les tentations dont il fera attaqué , les
occafions de ruine où il fe trouvera
engagé ; qu'il pénétrât dans le futur, pour
voir les événements qui pourront chan-
ger les chofes préfentes ; qu'il lût jufques
dans le cœur de cet enfant , pour y dé-
couvrir certaines dif[3ofiîion5 cachées qui
ne fe produifent point encore au dehors :
car c'eft fur la connoiiTance de tout cela
qu'eft fondé le droit d'affigner aux hom-
mes des vocations; 6: quand Dieu appelle
quelqu'un , il y emploie la connoifTance
de tout cela. Mais où eft le père , fur la
terre , qui ait la moindre de ces connoif-
fances ? Et n'eft-ce donc pas dans un père
une témérité infoutenable , de vouloir fe
rendre m.aitre des vocations & des états
dans fa famille ? n'efl-ce pas , ou s'attri-
buer k fageiie même de Dieu , ce qui
efr ur. crime, ou entreprendre avec la
fageffe deThomme ce qui demande une
fqgedc fupérieure & divine ? entreprlfe
qu'on ne peut autrement traiter que de
folie.
Ceci efl général , mais venons au
détail : je foutiens que cette conduite eft
également injurieufe à Dieu, fçu qu'ua
l5 S'JR tE DEVOIR r>ES PeRËS
père difpofe de Tes entants pour une voca-
tion fainte d'elle-même , foit qu'il en
difpofe pour le monde. Appli(^uez-vous
à ceci: votre deffein, dites-vt)us , eft
d'étciblir un enfant dans l'EgHfe , de le
pourvoir de bénéfices ^ & même de l'en-»
gager , s'il eft befoin , dans les ordres
faciès : je dis s'il eft befoin ; car , hors du
befoin , on n'auroit garde d'y penfer ;
& vous entendez bien quel eft ce befoin,
A peine eft-il né , cet enfant, que l'Eglife
eft fon partage ; & l'on peut dire de lui,
quoique dans un fens bien oppofé , ce
qui eit écrit d'Ifaïe , que dès le ventre
de ffi mère il eft deftiné à l'Autel ; non
par une vocation divine , comme le Pro-
phète, mais par une vocation humaine:
If'C'49'Ab utero vocavït me. En vérité j mes
chers Auditeurs ^ eft-ce là agir en Chré-
tiens ? eft-ce traiter avec Dieu comme
on doit traiter avec un Maître &. un
Souverain ? Quoi 1 il faudra que Dieu
en paffe par votre choix , & qu'il foit
réduit , pour ainfi parler , à recevoir
cet enfant aux plus faintes fondions de
l'Eglife, parce que cela vous accommode,
& que vous y trouvez votre compte i^
Que diriez-vous , c'eft la penfée de faint
Bafile ; que diriez-vous d'un homme qui
voudroit vous obliger à prendre chez
vous tels officiers & tels domeftiques
qu'il lui plairoit ? n'auroit-ii pas bonne
grâce de vous en faire la propofition ?
Et vous , par une préfomption encore
ENVERS LEURS EnFANTS. If
plus hardie , vous remplirez la maifon de
Dieu de qui vous femblera bon ? vous
en diftribuerez les places & les dignités à
votre gré ?
Voiîâ néanmois ce qui fe paflTe tous
les jours dans le chriftianifme ; ce n'efl
plus feulement la pratique de quelques
pères , c'eft une coutum.e dans toutes les
familles , c'eft une efpeee de loi ; loi
di6lée par l'efprit du monde, c'efl-à-dire,
par un efprit ou ambitieux ou intéreffé;
îoi reconnue univerfellement dans le
monde, &c contre laquelle il efl à peine
permis aux miniftres de l'Eglife & aux
prédicateurs de s'élever ; loi même
communément tolérée par ceux qui
devroient s'employer avec plus de zèle
à l'abolir , par les direi^eurs des âmes les
plus réformés en apparence & les plus
rigides , par les douleurs les plus féveres
dans leur morale, & qui affectent plus
de l'être ou de le paroitre ; enfin , loi
aveuglément fuivie par les enfants ,
qui n'en connoiffent pas encore les per-
nicieufes conféquences , qui n'ont pas
encore aflez de réfolution , pour s'op-
pofer aux volontés paternelles ; qui fe
trouvent dans une malheureufe néceffité
d'entrer dans la voie qu'on leur ouvre,
& d'y marcher. Ce cadet n'a pas l'avan-
tage de l'aîneffe ; fans examiner fi Dieu
le dcm.ande ni s'il l'accepte , on le lui
donne : cet aîné n'a pas été en naiflant
affez idvorifé de la nature , &. manque
'i8 Sur le devoir des Pères
de certaines qualités pour foutenir la
gloire de fon nom ; fans égard aux vues
. de Dieu fur lui , on penfe , pour ainfi
dire , à le dégrader ; on le rabâilTe au
rang ^u cadet , on lui fubftitue celui-ci ;
& pour cela on extorque un confen-
tement forcé ; on y fait fervir Tartihce &
la violence, les careffes & les menaces.
L'établilTement de cette fille coûîeroit ;
fans autre motif , c'efl afTez pour la
dévouer à la religion : mais elle n'eft pas
appeîlée à ce genre de vie ; il faut bien
qu'elle le foit , puifqu'il n'y a point
d'autre parti pour elle : mais Dieu ne la
Teut pas dans cet état ; il faut fuppofer
qu'ill'y veut , &. faire comme s il l'y vou-
' loit : mais elle n'a nulle m.arque de voca-
tion ; c'en eu une allez grande que la con-
jondure préfente des aftV.ires èk la nécef-
iité : m..is elle avoue elle-même qu'elle
n'a pas cet:e grâce d'attraits; cette grâce
lui viendra avec le temps , & lorfqu'elle
fera dans un lieu propre à la recevoir.
Cependant on condoiit cette vidime dans
le teir.ple , les pieds & les mains liés ,
je veux dire , dans la difpofirion d'une
volonté contrainte ;]a bouche muette , par
la crainte & le refped d'un père qu'elle
a toujours honoré : au milieu d'une
cérémonie brillante pour les fpeftateurs
qui y aifiilient , mais funèbre pour la per-
fonne qui en eft le fujet , on la préfente
au Prêtre , & l'on en fait un facritice
qui, bien-loin de gloritier Dieu &de lui
ENVERS LEURS EnFANTS. 19
plaire , devient exécrable à Tes yeux , Sc
provoque fa vengeance.
Ah ! Chrétiens , quelle abomination !
& iaut-il s'étonner , après ce!a. Ci des
familles entières font frappées de la malé-
diftion divine ? Non , non , difoit Sal-
vien , par une fainte ironie , nous ne fom-
mes plus au temps d'Abraham , où les
facrinces des entants par les pères étoient
des avions rares ; rien maintenant de
plus commun que les imitateurs de ce
grand Patriarche ; on le iurpafTe même
tous les jours ; car, au lieu d'attendre ,
comm.elui, l'ordre du Ciel, on le pré-
vient : on immole un enflint à Dieu , 6i
on l'immole fans peine , même avec
joie ; &L on Timmole , fans que Dieu le •
commande , ni miêmie qu'il l'agrée ; &
on l'immole , lors mêm^e que Dieu le
défend, & qu'il ne cefTe point de dire:
Ac exUndjs manum fuper puerum. Ainfi Gcnef^
parloit l'éloquent Evéque de Marfeille , c -a*»
dans l'ardeur de fon zèle : mais bientôt,
corrigeant fipenfée: Je me trompe, mes
treres , reprenoit-il ; ces pères meur-
triers ne font rien moins que les imita-
teurs d'Abraham ; car ce faim homme
voulut facrifier fon fils à Dieu ; mais ils
ne facrifient leurs entants qu'à leur
propre fortune & qu'à leur avare cupidité.
Voilà pourquoi Dieu combla Abraham
d'éloges & de récompenfes , parce que
fon facrifice étoit une preuve de ion
obéiflance ôc de fa piété ; 6c voilà pour-
âo Sur le devoir des Pères
quoi Dieu n'a pour les autres que des
reproches & des châtiments , parce qu'il
fe tient jugement offenfè de leurs entra-
pril'es criminelles.
Et ne me dites point , mes chers
Auditeurs , que fans cette voie fi ordi-
naire d'obliger vos enfants à embraffer
Tétat de l'Eglife ou celui de la reli-
gion , vous êtes dans l'impuiffance de
les établir. Abus : ce n'eft point à moi
d'entrer avec vous en difcuiîion de vos
aîtaires domeiliques , ni d'examiner ce
que vous pouvez & ce que vous ne pou-
vez pas ; mais c'eft à moi de vous dire ce
que la loi de Dieu vous ordonne, & ce
?[u'elle vous détend. Or , que i'impuif^
ance où vous prétendez être foit vraie
ou qu'elle foit fauHe , jamais il ne fera
permis à un père de difpofer de fes
enfants, pourlavocation; jamais, de leur
chercher un patrimoine dans l'Eglife ;
jamais, de regarder la religion comme
une décharge de fa famàlle ; &, s'il le
fait , il irrite Dieu. Qu'il les laiffe dans
un état moins opulent ; ils en feront
moins expofés à fe perdre , &. n'en
devienf^ront que plus hdeles à leurs
devoirs : qu'il les abandonne à la provi-
dence ; Dieu eft leur père , il en aura
foin. C'eft ce que je pourrois vous
répondre; mais je ne vous dis rien de
tout cela, Se voici à quoi je m'en tiens :
car , quoi qu'il puide arriver dans la fuite,
j'en reviens toujours à mon principe.
ENVERS LEURS EnFANTS. tt
qu'il faut ctre chrétien , & obéir à Dieu ;
que Dieu ne veut pas que la vocation de
vos enf;ants dépende de vous, & que vous
ne devez point là-deffus vous ingérer
dans une fondion qui ne tut ni ne fera
jamais de votre reffort. Voilà ce que je
vous déclare , & c'eft afiTez.
Vous médirez: mais ne fera-t-il pas
du moins permis à un père de dilpofer
de Tes enfants pour le monde ? Et moi, je
vous réponds : pourquoi lui feroit-il plus
permis d'en difoofer pour le monde que
pour l'Eglife ? eft-ce que les états du
monde relèvent moins du fouverain
domaine de Dieu & de fa providence, que
ceux de l'Eglife ? eft-ce qu'il ne faut \isLS
une grâce de vocation pour l'état du
mariage, auiTi-bien que pour celui de la
religion ? eft-ce que les conditions du
fiecle n'ont pas autant de liaifon que les
autres avec le falut ? Dès que ce font
des états de vie , c'eft à Dieu de nous y
appeiler ; & s'il yen avoit où la voca-
tion parût plus néceffaire, je puis bien
dire que ce feroient ceux qui engagent
à vivre dans le monde , parce que ce font
fans contredit les plus expofés , parce
que les dangers y font beaucoup plus
communs , les tentations beaucoup plus
flibtiîes & plus violentes , & qu'on y
a plus de befoin d'être conduit par la
fageft'e & la grâce du Seigneur. Mais
arrêtons-nous précifément au droit de
Dieu, Vous voulez, mon cher Auditeur,
^1 Sur le devoir des Pères
poufler cet aîné dans le monde ; il faut
qu'il y paroiîTe , qu'il s'y avance, qu'il
y Toit le fcutien de fa maifon : mais
que favez-vous fi Dieu ne fe Teil: pas
réfervé ? Et fi vous le faviez , oferiez-
vous lui difputer la préférence ? Ne le
fâchant pas , pouvez-vous m.oins faire
que de le confulter là-deiTus , que de lui
demander quel efl fon bon plaifir , que
de le prier qu'il vous découvre fa divine
volonté , que d'employer tous les moyens
ordinaires pour la connoitre , & de vous
y foumettre dès le moment qu'elle vous
lera notifiée ? Mais que faites - vous ?
Vous favez que Dieu veut cet enfant
dans la profeiTion religieufe , & vous
vous obilinez à le vouloir dans le monde :
vous voilà donc , pour ainfi parler , aux
prifes avec Dieu. Il s'agit de favoir
qui des deux en doit être le maître : car
Dieu l'appelle à lui , & vous voulez
l'avoir pour vous-même : ou c'eft Dieu
qui entreprend fur vos droits , ou c'efl
vous qui entreprenez fur les droits de
Dieu. Or , dites-moi , homme vil &
foible , quels font vos droits , au préju-
dice de votre Dieu , ÔC fur quoi ils font
fondés jmiais en même temps apprenez
à rendre aux droits inviolables d'un Dieu
créateur , le jufte hommage qui lui efl
dû.
Il y a dans faint Ambroife un trait
bien remarquable : c'eft au premier livre
des Vierges, oii ce Père décrit le combat
ENVERS LEURS EnFANTS; I5
d'une jeune Chrétienne , non pas contre
les perfécuteurs de la foi , .mais contre
la chair & le fang , contre Tes proches.
Elle fe trouvoit Ibllicitée , d'une part, à
s'engager dans une alliance qu'on lui
propofoit ; & , de l'autre , inlpirée de
prendre au pied des autels le voile facré.
Que faites vous , difoit cette généreufe
fille à toute une parenté qui la preffoit ;
hé 1 pourquoi perdre vos foins à me cher-
cher un parti dans le monde ? je fuis déjà
pourvue: Quid in exquirendis nupîiis Amhrofi
foUïcïtatis anirnum ? jam provifjs habeo.
Vous m'offrez un époux, & j'en ai choifi
un autre : donnez-m'en un aufTi riche,
auffi puiffànt &auffi grand que le mien,
alors je verrai quelle réponfe j'aurai à
vous faire ; mais vous ne me préfentez
rien de fembiable : car fi celui dont vous
me parlez eft un homme , & celui dont
j'ai fait choix, un Dieu ; vouloir me
l'enlever , ou m'enlever à lui , ce n'eft
pas établir ma fortune , c'eft envier mon
}3onheur : Non prcvidctis miki , fed invi- Idem,
detis. Paroles, reprend faint Ambroife,
qui touchèrent tous les aflil'iants: cha-
cun verfoit des larmes , en voyant une
vertu fi ferme & fi rare dans une jeune
perfonne ; 6c comme quelqu'un fe fut
avancé de lui dire que fi fon père eût
vécu , il n'eût jamais confenti à la réfo-
lution qu'elle avoit formée : Ah 1 répli-
qua-t elle , c'eft pour cela peut-être que
]e Seigneur l'a retiré ', c'eil afin qu'il
I
'î4 Sur le devoir des Pères
ne fervît pas d'obftable aux ordres du -
Ciel , & aux defieins de la providence
fur moi.
Non, non, Chrétiens, queîqu'intérêt
qu'ait un père de voir un enfant établi
félon le monde , il ne peut , fans une
efpece d'infidélité, fe plaindre de Dieu,
quand Dieu l'appelle à une vie plus
fainte ; & traverler cette vocation , ou
par artifice, ou par de longues & d'in-
jurmontables réfiftances, c'eft ce que je
^ puis appeller une rébellion contre Dieu
ÔC contre fa grâce. Pourquoi tant de
foupirs & tant de pleurs , écrivoit faint
Jérôme à une Dame romaine, lui repro-
chant fon peu de confiance Sc fon peu
de foi , dans la perte qu'elle avoir faite
d'une fille qui lui étoit chère , & que le
ciel lui avoit ravie ? Vous vous affligez,
vous vous défolez ; mais écoutez Jefus-
Chrifl même qui vous parle , ou qui peut
bien au moins vous parler de la forte:
Eh quoi 1 Paule , vous vous laifTez em-
porter contre moi , parce que votre fille
efl préfentement toute à moi ; & par des
larmes criminelles , que vous répandez
fans mefure & fans foumiffion , vous
ofTenfez le divin époux qui pofTede le
fujet de votre douleur & de vos regrets :
Hicron. Irafceris , Paula, quia filia tua mta fatla
ej} , & rcbellïbus laaymis facis injuriant
pojjîdenti. Beau reproche , mes chers
Auditeurs , qui ne convient que trop à tant
é^ peies chiédens t Et ne penlez pas
que
ENVERS LEURS EnFANTS; 5f
que ce foit une bonne raifon à y oppofer,
de me répondre que ce fils eft le leul qui.
vous refte d'une ancienne & grande
famille , &que fans lui elle va s'éteindre ;
comme fi Dieu étoit obligé de s'accom-
moder à vos idées mondaines ; comme fi
la confervation de votre famille étoit
quelque chofe de grand , lorfqu'ii
s'agit des volontés de Dieu ; comme
fi, tôt ou tard , toutes les familles ne
dévoient pas finir, & que la vôtre pût"
avoir une fin plus honorable que par
l'exécution des ordres du Seigneur votre
Dieu.
Voilà , Chrétiens , ce qui regarde
Tintérêt de Dieu. Que feroit-ce, fi je
m'étendois fur celui de vos enfants , &
fur rinjuftice que vous leur faites , quand
vous difpofez d'eux, au préjudice de leur
liberté , & com.munément au préjudice
de leur falut ? Car , hélas ! le feui droit
qu'Us aient indépendamment de vous,
^eft de difpofer d'eux-mêmes, avec Dieu,
fur ce qui concerne leur ame Ôcleur éter-
nité : 6c ce droit unique , vous le leur
otez j ou vous les empêchez de s'en
fervir. Droit , au refte , le plus jufie ,
puifqu'il eft autorifé par toutes les loix,
approuvé par toutes les coutumes ,
appuyé de toutes les raifons , tiré de tous
les principes de la nature, fondé fur
toutes les maximes de la religion, &
par conféquent inviolable. Prenez garde
^ceci, s'il vous plaît. Oui , toutes les
Domin, Tome Ip B
26 Sur le devoir des Pères
loix l'autorifent : les unes favorifant,
par toutes fortes de voies , la liberté âes
enfants, je dis une liberté raifonnable ;
les autres réprimant , par les plus grieves
cenfures , les fauffes prétentions des pères
6c des mères qui voudroient attenter à
cette liberté, & en troubler l'ufage: celles-
ci permettant aux enfants de difpofer
d'eux-nr.êmes p'our l'état religieux, dsns
un âge où du refte ils ne peuvent dif-
pofer de rien ; ce qu'on ne peut con-
damner, remarque le do61eToftat , fans
préférer fon jugement à celui de toute
î'Eglife , qui l'a ordonné de la forte ;
celles-là ratifiant la profeiTion folemnelle
du vœu de la religion , faite à l'infçu
même des parents , qui par nul moyen
ne la peuvent invalider : enfin , ce qui
efk effentiel , n'y ayant jamais eu de loi ,
nieccléfiaftique , ni civile, qui ait obligé
un enfant d'en paffer par le choix & la
volonté de fon père, en fait d'état ; &
s'en trouvant au contraire plufieurs qui
déclarent de nulle valeur & de nulle
force toutes les paroles données , tous
les engagements contraftés par des
enfants , s'il paroît qu'il y ait eu de la
contrainte, &. qu'elle ait été au-delà
des bornes d'une obéiflancerefpectu^ufe.
Pourquoi tout cela , Chrétiens , au détri-
ment , ce femble , de l'autorité pater-
nelle, & au hafard des réfolutions indif-
' crettes que peuvent prendre de jeunes
perfonnes ? 11 étoit néceffaire que cela
ENVERS LEURS EnFANTS. 27
fut ainfi : des raifons fubilantieîles 6c
fondamentales le demandoient , & voici
celle à quoi je m'arrête : C'eft qu'il eft
du droit naturel & du droit divin , que
celui-là choififTe lui-même Ton état,
qui en doit porter les charges & accom-
plir les obligations : ce principe eft
inconteftable. Car fi dans la fuite de ma
vie il y a des peines à fupporter , je fuis
bien-aife que le choix libre 6i exprès
que j'en ai fait, en me les rendant volon-
taires , ferve à me les adoucir ; & s'il
s'élève dans mon cceur quelques répu-
gnances & quelques murmures contre
les devoirs de mon état , je veux avoir
de quoi en quelque forte les appaifer,
par la penfée que c'eft moi-même qui-
m'y fuis fournis , moi-mêm.e qui m'/
fuis déterminé , moi-même qui ai con-
fenti à tout ce que j'aurois de plus rigou-
reux & de plus pénible à éprouver. Or
tout le contraire arrive , quand des
enfants fe trouvent forcés de prendre
un état pour lequel ils ne fe fentent ni
inclination ni vocation : & lorfque vous
les engagez, par exemple, à la profef-
fion reiigieufe, vous ne vous obligez pas
pour eux à en fubir le joug & la dépen-
dance, à en pratiquer les auftérités , à
en digérer les amertumes & les dégoûts :
vous les conduifez jufques dans le fanc-
tuaire , & [à vous leur impofez tout le
fardeau, fans en rien retenir pour vous.
Quand vous fanes accepter à cette iille
Bij
2% Sur le devoir des Pères
une alliance dont elle a de l'éloignement,
vous ne lui garantiffez pas les humeurs
de ce mari bizarre & chagrin , qui la
tiendra peut-être dans l'efclavage ; vous
ne l'acquittez pas des foins infinis que
demandera l'éducation d'une famille , &
qui feront pour elle autant d'obligations
indifpenfables. C'eft donc une iniquité de
vouloir ainfi difpofer d'elle : car , fi elle
doit être Hée , n'eft-il pas jufte que vous
lui îaiffiezau moins le pouvoir de choifir
elle-même fa chaîne ?
Mais ce qu'il y a là-deflus de plus
important , c'efl: ce que j'ai dit , & ce que
je me trouve obligé de reprendre, pour,
vous le propofer dans un nouveau jour,'
& pour l'appliquer encore au point que
je traite , favoir que là où il s'agit de
vocation , il s'agit du falut éternel. Or,
dès qu'il s'agit du falut , point d'auto-
rité du père fur le fils , parce que tout
y eft perfonnel. Nous paroîtrons tous
devant le tribunal de Dieu , dit S. Paul ,'
pour y répondre de notre vie : il faut
donc que nous en ayons tous la difpo-
fition libre , conclut S. Jean Chryfof-
tome ; car nous devons difpofer des
chofes dont nous fommes refponfables.
Vous ne ferez pas jugé pour moi , & par,
conféquent il ne vous appartient pas
de difpofer de moi ; & fi vous le voulez ,
fi vous entreprenez de me faire entrer
dans un état où mon falut foit moins
en aiTurance , je puis vous dirç alo;^
ÏNVERS LEURS EnFANTS. ^9
ce que le faint Empereur Valentlnien dit
à l'Ambaffadeur de Rome , qui , de la
part du Sénat , lui parloit de rétablir les
temples des faux Dieux : Que Rome, qui
eft ma mère , me demande tout autre
choie , je lui dois mes fervices , mais
je les dois encore plus à l'auteur de
mon falut : Sed rnagis debeo falutis auc- yalent,
tori. C'eft pour, cela que les pères de ^"^P*
l'Eglife 5 après avoir employé toute la
force de leurs raifonnements & toute leur
éloquence à periuader aux enfants une
humble & fidelle foumiiîion envers leurs
parents , ont été néanmoins les premiers
à les décharger de toute obéiffance ,
dès qu'il étoit queftion d'un état auquel
on voulût les attacher , ou dont on pré-
tendît les détourner, au péril de leur falut.
Quelle réponfe vous ferai-je, écrivoit
faint Bernard à un homme du monde
qui fe fentoit appelle à la vie religieufe ,
6c que fa mère tâchoit de retenir dans le
monde ? que vous dirai-je ? que vous
abandonniez votre mère ? mais cela
paroît contraire à la piété : que vous
dem.euriez avec elle ? mais il n'eft pas jufte
qu'une molle complaifance vous fade
perdre votre ame : que vous foyez tout
enfemble , & à J. C. & au monde?
mais , félon l'Evangile , on ne peut être
à deux maîtres. Ce que veut votre mère
eft oppofé à votre falut , ai par une fuite
néceffaire , au fien même. Prenez donc
maintenant votre parti , 6c choifiiTez ,
30 Sur le devoir des Pères
ou de fatisfaire feulement à fa volonté ,
ou de pourvoir au falut de tous les deux :
mais il vous l'aimez , quittez-la pour
Tamour d'elle-même, de peur que vous
retenant auprès d'elle &. vous faifant
quitter Jefus-Chrift, elle ne fe perde
avec vous & pour vous : car comment
ne fe perdroit-elle pas, en vous faifant
perdre la vie de l'ame , après vous avoir
donné la vie du cops ? Et tout ceci ,
ajoute le même Père , je vous le dis ,
pour condefcendre à votre foibleffe ; car
l'oracle y eft exprès , & ce devroit être
afTez de vous en rappeller le fouvenir,
que , quoiqu'il y ait de Timpiété à
méprifer fa mère , il y a de la piété à la
méprifer peur Jefus-Chrift.
Ah ! Chrétiens , profitez de ces grandes
înftruélions. Dans la conduite de vos
familles , refpe6^ez toujours les droits de
Dieu , 6c jamais ne donnez la moindre
atteinte à ceux de vos enfants ; laiffez-Ieur
la même liberté que vous avez fouhaitée ,
& dont peut-être vous avez été fi jaloux ;
faites pour eux ce que vous avez voulu
qu'on fit pour vous ; & fi vous avez fur
cela reçu quelque injuftice, ne vous en
vengez pas fur des âmes innocentes qui
n'y ont eu nulle part , & qui d'ailleurs
vous doivent être fi chères ; ayez égard
à leur falut qui s'y trouve intérelTé , &
ne foyez pas afTez cruels pour le facritier
à vos vues humaines ; ne vous expofez
pasvous-mêmes à être un jour l'objet
ENVERS LEURS EnFANTS. 3Î
de leur malédié^ion , après^avoir été la
fource de leur malheur ; car leur malé-
di6tion leroit efficace , & attireroit fur
vous celle de Dieu. Si vous ne pouvez
leur donner d'amples héritages, & s'ils
n'ont pas de grands biens à pofféder , ne
leur ôtez pas au moins , Ci je l'ofe dire ,
la poffellion d'eux-mêmes : Dieu ne vous
oblige point à les faire riches , mais il
vous ordonne de les iaifler libres. Hé
quoi, me répondrez-vous , fi des enfants
jnconfidérés & emportés par le feu de
l'âge font un mauvais choix, faudra-t-il
que des pères & des mères les abandon-
nent à leur propre conduite, & qu'ils
ferment les yeux à tout ? Je ne dis pas
cela, mes chers Auditeurs , &. ce n'eft
point là ma penfée , comme je dois
bieniôt vous le faire voir. Si cet enfant
choifit mal , vous pouvez le redreiTer
par de fages avis ; s'il ne les écoute pas ,
vous pouvez y ajouter le commande-
ment ; & s'il refufe d'obéir , vous y pou-
vez employer toute la force de l'autorité
paternelle : car tout cela n'eft point dif-
pofer de fa perfonne ni de fa vocation ,
mais au contraire c'efl le mettre en état
d'en mieux difpofer lui-même. J'appelle
difpofer de la vocation d'un enfant, lui
marquer préclfément Tétat que vous vou-
lez qu'il embralTe, fans examiner s'il eft
ou s'il n'eft pas félon fon gré : j'appelle
difpofer de la vocation d'un enfant , le
B iv
32 Sur le devoir des Pereî
détourner d'un choix raifonnable qu'il a
fait avec Dieu , Si former d'infurmon-
tables difficultés pour en arrêter l'exé-
cution : j'appelle difpofer de la vocation
d'un entant, abuier de fa crédulité ^ pour
le féduire par de faudes promeiTes , pour
lui faire voir de prétendus avantages
qu'on imagine, & pour le mener infen-
fiblement au terme où Ton voudroit le
conduire : j'appelle difpofer de la voca-
tion d'un enfant , laifier de longues
années une fille fans l'établir , n'avoir
pour elle que des manières dures & rebu-
tantes , exercer par mille mauvais traite-
ments toute fa patience, jufqu'à ce qu'elle
fe foit enfin dégoûtée du monde , & quo
d'elle-même elle ait pris le parti de la
retraite: voilà, dis-je, ce que j'appelle
difpofer de la vocation des enfants , Sc
voilà ce que Dieu défend. Que lui
répondrez-vous un jour , quand il vous
reprochera de vous être oppofé à fes
deffeins , dans la conduite d'une maifon
qu'il vous avoit confiée ? quand il vous
demandera compte , non point du fang,
mais de l'ame de cet enfant qu'il vouloic
fauver , à qui il avoit préparé pour cela
toutes les voies , & que vous en avez
éloigné , que vous avez égaré , que vous
avez perdu ? Que répondrez-vous à vos
enfants même ? car ils s'élèveront contre
vous, & ils deviendront vos accufateurs ,
coiiime vous àurez été leurs tentateurs ôt
ENVEHS LEURS EnFÀNTS. 35
leurs corrupteurs. Non pas, encore une
fois, que vous ne puiffiez les diriger dans
le choix qu'ils ont à faire , que vous ne
puifTiez les confeiller , les exhorter , ufer
de tous les moyens que Dieu vous a mis
en main , pour les prèferver des écueils
où une jeunefle volage & fans réflexiori
fe laiffe entraîner. Je dis plus , & je pré-
tends même que non-feulement vous le
pouvez, mais que vous le devez; & c'eil
fur quoi j'établis l'autre propofition que
j'ai avancée,; favoir , que s'il ne vous efl
pas permis de déterminer vos enfants à
un état , vous êtes néanmoins refpon-
fables à Dieu de l'état auquel ils fe déter-
minent. Encore quelques moments de
votre attention pour cette féconde Partie.
C'Eft un principe reçu dans toute la II.
morale j que nous devons, autant Part.
qu'il dépend de nous , garantir les chofes
où nousfommes obligés de nous intéreder
& de prendre part ; & qu'à proportion
de la part que nous y avons & de l'in-
térêt qui nous y engage , nous en deve-
nons plus ou moins refponfables. Cette
maxime efl évidente , & j'en tire la preuve
de ma féconde propofition. Car , quoi-
qu'il ne foit pas au pouvoir des pères de
déterminer à leurs enfants le choix d'une
vocation 6c d'un état , ils ne laiffent pas
néanmoins d'intervenir à ce choix, d'y
participer , d'y avoir un droit de direction
Bv
34 Sur le devoir des Pères
& de furveillance , non-feulement eit
qualité de pères , mais beaucoup plus en
qualité de pères chrétiens ; d'où il faut
conclure qu'ils doivent donc répondre de
ce choix , & que Dieu peut fans injul-
tice leur en faire rendre compte. Quel-
ques quellions , que je vais réfoudre
d'ëbord , lerviront à éclaircir ce point.
On demande en général , fi dans cer-
tains états, fur-tout dans ceux qui ne
font pas de la perfeftion évangélique ,
un enfant efr maître de contrarier un
engagement 6i de fe lier, fans l'aveu &
ia participation de fes parents : il ne le
peut , Chrétiens , mais il eft de fon
devoir, & d'un devoir rigoureux, de les
coniulter, d'écouter leurs remontrances,
d'y déférer autant que la raifon le pref-
cfit. Car , difent les Théologiens , l'hon-
neur dû aux pères & aux mères eft un
co.mmandement exprès de Dieu : or ,
de n'avoir nul égard à leurs fentiments ,
de ne fe point mettre en peine d'en être
jnftruits , d'agir fjr cela dans une pleine
indépendance , & de n'en vouloir croire
que foi- même, ce feroit un mépris for-
mel de leur autorité ; & ce mépris , dans
une matière auflî importante que l'eft le
choix de l'état, doit être regardé comme
une grieve tranfgrelBon de la loi divine.
On demande en particulier, fi dans un
certain âge déjà avancé , un entant peut ,
fans que le père en foit informé, & fans
ENVERS LEURS EnFANTS. 35
Tfequérlr Ton confentement , conclure un
mariage où la pafTion le porte ; s'il le
peut, dis-je, en fureté de confcience ?
Non , répondent les Dodeurs ; 6t s'il le
fait, le père eft en droit de le punir
félon les ioix , & de le priver de fon héri-
tage : peine cenfée jurte , & qui par con-
féquent fuppofe une oftenle. On demande
fi le père , voyant fon fils embraffer un
parti, qu'il juge félon Dieu lui être per-
nicieux , peut fe taire fur cela , ëc par
fon filence y coopérer en quelque forte ,
6c Tautorifer ? Ce feroit , fuivant la déci-
fion de tous les maîtres de la morale , un
crime dans lui ; 6c fi là-delTus il difîi-
mule , s'il n'y fait pas toutes les oppofi-
tions nécellaires , il fe rend prévaricateur.
De-là il s'enfuit donc que les pères , fans
difpofer de leurs enfants , ont néanmoins
part à leur choix , en plufieurs manières ;
par exhortation, par confeil , par tolé-
rance , par confentement , par droit d'op-
pofition 6c de punition. Et voilà , Chré-
tiens , le fondement de la vérité que je
vous prêche. Car fi Dieu ne vous avoit
pas engagés à lui garantir le choix que
font vos enfants , pourquoi feriez-vous
criminels , lorfque vous manquez à em-
ployer , ou la vole de l'autorité , ou celle
du confeil 6c de l'inftruttion , pour les
aider à bien choifir? Pourquoi feroit-ce
dans vous une tolérance condaminable ,
quand vous les abandonnez à eux-mêmes ,
Bvj
36 Sur le devoir des PereT
& que vous les laiilez choifir impuné-
ment &L inconfidérénnent ce que vous
favez ne leur pas convenir & leur devoir
être nuifible ? Pourquoi pourriez-vous
vous oppofer à leur choix , traverfer leur
choix , les punir de leur choix , s'il eft
contre votre gré , & qu'à votre égard
ils ne fe foient pas acquittés des foumil-
fions ordinaires ? Dieu fans doute ne
vous a donné ce pouvoir qu'à raifon des
charges qui y font attachées ; & de tous
ces devoirs qu'il aimporés à vos enfants,
réfulte en vous une obligation naturelle
de répondre d'eux & de leur état. Si donc
il arrive qu'ils s'égarent , ou parce que
vous n'avez pas pris foin de les éclairer ,
ou parce que vous n'avez pas eu la force
de leur réfifter , ou parce qu'une làchs
tolérance vous a fait même féconder leurs
defirs infenfés , Dieu n'a-t-il pas droit de
s'en prendre à vous , & de vous dire :
Kendez-moi compte, non-feulement da
vous-même , mais de ce fils , mais de
cette fille , auprès de qui vous deviez
être , en qualité de père , mon miniflre-,
pour leur fervir de guide & de conduc-
teur. Et certes , Chrétiens , qui ne fait
pas qu'un père eft refponfable à Die;i
tde l'éducation de fes enfants ? Or dans
l'éducation des enfants, qu'y a-t-il d»
plus eiïentiel que la condition où ils doi-
vent entrer , ôc la forme de vie ^
iaquelie ils om à délibeier :
ENVERS LEURS Enfants.' ^7
Développons encorececi 5 & mettons-
le dans un nouveau jour , pour la
rendre plus inftructif & plus pratique»
Le choix d'un état, dit S. Bonaventure^
peut être mauvais en trois manières : ou
par lui-même , parce que l'état eft con-
traire au falut , du moins très- dangereux;
ou parce que celui qui embraiTe l'état eil
incapable de le loutenir ; ou parce que
tout honnête qu'eft l'état que l'on choifit,
tout propre qu'on eft à en remplir les
fondions , on n'y entre pas néanmoins,"
fi je puis ainfi m'exprimer , par la porta
de l'honneur, ni par des voies droites.
Prenez-garde : je dis d'abord, choix d'un
état mauvais par lui-même , ou du m^oins
très-dangereux : j'en donne un exemple,
c'eft celui de laint xMatthieu. Qu'étoit-ce
quecet Apôtre, avant qu'il eût étéappellé
& converti par Jefus-Chrift ? c'étoit un
publicain ; & il faut bien dire que cet
emploi, qui confifloitȈ lever certains
deniers publics , s'exerroit alors commu-
nément contre la confcience , puifque
Jefus-Chrift dans l'Evangile , parlant du
royaume des eieux , mettoit les publi-
cains au même rang que les femmes per*
dues : Publicani 6» meretrices. C'eft la
remarque de S. Jérôme : à quoi S. Gré-
goire en ajoute une autre. Car les Apô-
tres après leur converfion reprirent leur
première forme de vie &: retournèrent à
leur pêche : il n'y eut que S. MaLtliiç\|
3S Sur le devoip. des Pères
qui abfolument & pour toujours abatî-
donna la recette. D'où vient cette diffé-
rence , demande S. Grégoire, finon parce
que l'errploi de S. Pierre & des autres
Apôtres éroit innocent , & que celui de
S. Matthieu l'engageoit au moins dans
un péril certain ôt très-prélent ? Si donc
il y avoit de femblables profeiTions dans
le monde, je m'explique; s'il y avoit,
ce que je n'examine point & ce que
j'aurois peine à penfer ; fi , dis- je , il y
avoit de ces états où , feîon l'eftime com-
mune , il tut moralement impoffible de fe
conferver & d'être Chrétien , un père
qui craint Dieu , pourroit-il permettre
qu'un tils s'y jetât en aveugle , & qu'il y
demeurât r Ah ! mes chers Auditeurs ,
bien-loin de l'approuver , de Tautorifer ,
de le tolérer , il teroit tous fes efforts pour
lui en inipirer de l'horreur & pour l'en
éloigner ; il lui diroit comme le faint
homme Tobie : Prenons confiance , mon
fils , nous ferons toujours affez riches fi
nous avons la crainte du Seigneur ; préfé-
rons-la à tous les tréfors de la terre, &
ne confentons jamais pour des biens tem-
porels , à perdre ni même à rifquer des
To^-.c.-f. biens éternels : Satïs multa bona habe-
iimus , fi timuerimus Dcum. C'eft ainii
qu'il lui parleroit , ou qu'il lui dp;vroit
parler. M ùs s'il fe laiffoit dominer &
conduire pas l'intérêt ; fi dans la vue
d'une fortune temporelle ôc d'un gain
ENVERS LEURS EnFANTS. 39
afTuré , prompt , abondant , il agréoit le
choix que tait Ion fiîs d'une profelnon
au moins dangereufe félon Dieu ; s'il
étolt le premier à lui en p.ocurer l'en-
trée, à le t'jvorifer , aie féconder dans
fes pourfuites , à lui chercher pour cela
des interceiTeurs ^ âzb patrons , qui peut
douter que par là il ne fe chargent de
toutes les fuites funeftes qu'il y auroit à
craindre ; que par là le père ne fe rendit
coupable de tous les défordres du fils;
que la damnation de ce jeune homme
ne lui dût être imputée , & que ce ne
fût un des principaux articles fur quoi
il auroit à fe julVifier. devant le tribunal
de Dieu ? N'en difons pas là-defTus davan-
tage : c'eft à vous. Chrétiens, à faire Tap-
pllcation de cette morale , & à voir dans
l'ufage du (iecle préfent quelles confe-
quences vous en devez tirer. Avançons.
Outre que le choix d'un état peut être
mauvais dans la fubftance , ill'eft encore
plus fouvent par rapport au fujet, c'eiV
à-dire, parce que celui qui fait ce choix
eft indigne de l'état qu'il choifit, n'a pas
pour cet état toutes les qualités requifes,
& fe trouve abfolument incapable d'en
accomplir les devoirs. De là cette cor-
ruption générale que nous voyons dans
le monde &C dans toutes les conditions
du monde, de là tant d'abus qui fe font
introduits &L qui régnent dans l'Eglife ;
de là ce dérèglement prefque univerfe]
40 Sur lî devoir des Pères
dans l'adminiftration des charges, & fîjf-
tout dans la dilpenfation de la juftice ;
de là prefque tous les maux dont la fociété
des hommes eft troublée : mais de la
même auffi pour les pères un fond d'obli-
gation qui doit les faire trembler , une
matière infinie de péchés , une fource
inépuilable de fcrupules , un des comptes
les plus terribles qu'ils aient à rendre.
Car fi nous remontons au principe, &
que nous examinions bien ce qui cdufe
un tel renverfement dans tous les états
delà vie, & d'où viennenttous ces défor-
dres que nous déplorons aiTez, mais que
nous ne corrigeons pas , nous reconnoî-
trons qu'ils doivent être communément
attribués aux pères qui , fans égard à l'in-
capacité de leurs enfants , les ont eux-
mêmes placés dans des rangs , & leur
ont confié des miniileres dont les fonc-
tions étoient au-deiïus de leurs forces &
de leurs talents. En effet , fi ce père n'eût
point traité de cette charge dont il a
pourvu fon fils , ce fils ne feroic rien
aujourd'hui de ce qu'il eu ; &i n'étant point
ce qu'il eft , il n'abuferoit pas d'une puif-
fance qu'il a reçue fans la pouvoir exer-
cer ; il ne feroit pas fervir l'autorité dont
il eft revêtu , aux vexations , aux vio-
lences , aux injuftices que le public reffent
& qui le font fouffrir. 11 a donc été pof-
fible au père de prévenir & d'arrêter de
iifâcheufes conféquences. Inftruit des dif-
ENVERS LEURS EnFANTS. 4Ï
pofitions de ce jeune homme , il pouvoit^
au lieu de l'élever fi haut ou de l'aider à
y parvenir , lui refufer pour cela fes foins
& Ton fecours ; non-feulement il le pou-
voit , mais il le devoit : & qui s'étonnera,
que Dieu là-defTus entre en jugement
avec lui , &. qu'il lui en faffe porter la
peine ?
Voilà néanmoins, mes chers Auditeurs-,
l'abus de notre fiecle. Le zèle des pères
pour leurs enfants ne va pas à les voi?
capables d'être employés_,mais il leur fuffit
qu'ils foient employés : il faut pour cet
aîné tel office ; cela fe fuppofe comme urî
principe. Y a-t- il de quoi en faire les frais?
c'eft ce qu'on examine avec toute l'atten-
tion néceiTaire : cette avance une fois faite,
reftera-t-il affez de fonds pour toutes
les autres dépenfes ? c'eft ce que l'on
fuppute très-exaâement : mais d'ailleurs
cet enfant que l'on veut ainfi pouffer^
eft-il propre à remplir la place qu'on lui
defline ? la chofe ne femet pas en délibé-
ration : s'il en a le mérite , à la bonne
heure ; s'il ne l'a pas , fa charge lui en
tiendra lieu. Mais on fait bien qu'il ne
l'a pas en effet , & l'on ne peut efpérer
qu'il l'acquière jamais ; on le fait , & en
agit toujours comme fi on ne le favoJt
pas. Car où font maintenant les pères
qui refiemblent à cet Empereur de Rome,
lequel exclut àuthentiquement fon fils
de l'Empire, parce qu'il n'y trouvoit pas^
^2 Sur le devoir des Pères
les difpofitions requîtes pour en fou-
tenir le poids ? ce jeune homme eft de
telle famille , où telle dignité eil hérédi-
taire ; dès-là Ton fort eit décidé , il faut
que le fils fuccede au père. Et de cette
maxime que s'enfuit-il ? vous en êtes
tous les jours témoins : c'eft qu'un enfant
à qui l'on n'auroit pas voulu confier la
moins importante affaire d'une maifon
particulière , a toutefois dans fes mains
les affaires de toute une province ôc
les intérêts publics. 11 peut prononcer
comme il lui plait , ordonner félon qu'il
lui plaît, exécuter tout ce qu'il lui plaît ;
on en fouffre , on en gémit , le bon
droit eff vendu , . toute la juffice ren-
verfée ; c'eft ce qui importe peu à un
père, pourvu qu'il n'en reffente point
le dommage , & que ce fils loit établi.
Car voilà comment raifonnent aujour-
d'hui la plupart des pères , ignorant
leurs obligations , ou négligeant d'y fatis-
faire , fe perfuadant que tout eff fait
dès qu'un enfant fe trouve placé , s'ima-
ginant que c'eft en cela que confiée la
grandeur du monde , & du refte fe
flattant qu'il y a une providence géné-
rale , pour fuppléer à tout ce qui pour-
roit manquer de leur part. Oui , Chré-
tiens , il y en a une , n'en doutez point ;
mais c'ell une providence rigoureufe,
pour punir tous ces manquements dans
vos perfonnes , avant que d'y fuppléer
ENVERS LEURS ESTANTS. 43
dans l'ordre de l'umvers. H y en a une ,
mais c'eft une providence de juitice ,
& non de miséricorde , pour vous
demander raifon de tous les maux que
vous pouviez arrêter dans leur fource,
& que vous avez permis, que vous avez
cauies, que vous avez perpétués. H eit
vrai , l'écriture nous dit dans un fens
qu'au tribunal de Dieu chacun répondra
pour foi & rien davantage , que le tar-
deau de l'un ne fera pas le fardeau de
l'autre, & que chacun portera le fien ;
mais il n'ell pas moins vrai que la
même écriture dans un autre fens nous
avertit que Dieu fera retomber fur le
père l'iniquité du fils , que le jugement
du père ne fera point féparé de celui du
fils , que le fils fera condamné par le
père, &le perepar lefiis. Deux oracles
partis Tun & l'autre de la vérité même ,
par conféquent l'un & l'autre mtail-
libles ; deux oracles oppofés , ce femble,
l'un à l'autre , Si qui néanmoms ne
fe contredifent en aucune iorte ; mais
oracles que vous ne concilierez jamais
qu'en reconnoiffant à quoi vous engage
la quolité de pères , & quel crime vous
commettez quand un amour aveugle
pour des enfants ou quelqu'autre vue
que ce puiiTe être , vous fait coopérer
à leur choix , malgré leur inlufhfance
qui vous eft connue , & la diipropor-
tion qui fe rencontré entre leur toibielle
44 Sur le devoir des Pères
& les miniftercs qu'ils prétendentexercer.
Mais il le choix enfin neù. mauvais
ni en lui-même ni à l'égard du fujet ,
eft-ce aflez ? Non , Chrétiens : car
j'ajoute qu'il peut être mauvais par rap-
port aux moyens , & que c'eft encore
ce qui doit exciter toute votre vigilance.
Je le veux : cet état par lui-même n'"a
rien qui blelTe , ni les règles de l'hon-
neur ni les droits de la conlcicnce ; on
y peut être en chrétien & vivre en chré-
tien. Je vais plus loin, & je conviens
même avec vous de tout le mérite de
cet enfant : mais fût- il doué de mille
qualités , le mérite n'eft pas toujours la
porte par où l'on trouve accès & par oîi
l'on s'introduit, foit dans rEgliie^foit dans
le monde. Il y a déplus d'autres moyens,
auxquels on eft fouvent obligé d'avoir
recours ; & parmi ces moyens il y en a
de légitimes qui font permis , & d'in-
jufles que la loi détend : or dans le choix
des uns ôi des autres , laifTer les moyens
permis , parce qu'ils ne fuffiient pas, parce
quils ne font pas affez prompts , parce
qu'on ne les a pas ; & prendre des voies
criminelles qui , tout indirectes qu'elles
font 5 conduifent néanmoins au terme ôc
plus fùrement & plus vite : voilà une
des plus ordinaires Si. des plus grandes
iniquités du fiecle. De vous en taire voir
rinjuilice, dedéplorer avec vous la trifle
décadence où nous femmes là-deiTus
ENVERS LEURS EnFANTS. 4'{
tombés en ces derniers temps , & de
regretter l'ancienne probité des premiers
âges , ce n'eft point précilement mon
fujet. Mais ce qui me regarde & ce que
je ne dois pas omettre, ce qui demande
toute i'ardeur de mon zèle & toute la
force de la parole évangélique , c'eft
que des pères ouvrent eux-mêmes à
leurs enfants de telles routes pour s'éta-
blir & pour s'avancer. Car voilà de
quoi nous avons fans cède de trifles
exemples. On veut que ce fils par-
vienne à certain degré dans le monde , Sc
pour cela quelles intrigues n'imagine-t-on
pas ? quelles cabales ne forme-t-on pas ^
à quels excès ne fe porte-t-on pas
contre des concurrents qui fe préfentent
6c qui font ombrage ? On jette les yeux,
fur certain parti pour cette fille ; 6c afin
de mieux engager celui-ci , le dirai-je ?
quelles libertés ne donne-t- on pas à celle-
là ? quelles entrevues ne lui permet-on
pas ? à quel péril ne l'expofe-t-on pas ?
Ce font, dites-vous,les moyens de réufiir,
& tout demeure fans cela : mais font-
ce des moyens que Dieu approuve ^
font-ce des moyens que l'Evangile auto-
rife ? font-ce des moyens que l'équité
même naturelle infpire , & avec lefquels
elle puiffe concourir? Par conféquent,
font-ce des moyens qu'un père puiffe
fuggérer à fes enfants , où un père puilTs
prctçr U main à fes enfants , doçt uii
4^ Sur le devoir des Pères
père puiffe donner l'exemple à les
enfants ? Si donc il fe laiffe aveugler par
fa palîion, julqu'à les voir tranquillement
& fans nulle réfiftance de fa part ,
fuivre de pareilles voies , jufqu'à les leur
tracer lui-même & à les y conduire , en
participant aux crimes de Tes enfants ,
ne doit-il pas s'attendre à être compris
dans l'arrêt que Dieu prononcera contre
eux , & y a-t-il une excufe légitime qui
l'en puiffe préferver ?
Ah 1 m.es chers Auditeurs, ne fera-ce
pas allez d'être chargés de nous-mêmes
6c d'avoir à répondre de nous-mêmes ?
ne fera-ce pas même encore trop pour
notre foibleffe ? Mais à l'égard des
pères & des mères , iln'eft pas polTible
que le jugement de Dieu fe réduifelà,
éi par une trifte nécefîité & un engage-
ment inévitable , il faut qu'il paffe plus
loin. Car un père ne peut répondre de
iui-même, fans répondre de fes enfant,
puifqu'il n'aura été bon père félon Dieu ,
ou père criminel , qu'autant qu'il aura
rempli fes devoirs dans la conduite de
fa famille , & en particulier dans celle
de fes enfants , ou qu'il les aura négli-
gés. Dieu donne l'autorité aux pères :
c'eft afin qu'ils l'emploient , &. pour les
juger félon l'ufage qu'ils en auront fait.
Dieu leur donne des grâces particu-
lières & propres de leur état : c'eft afin
qu'ils s'en fervent , 6c non pas pour
ENVERS LEURS EnFANTS. 47
qu'elles demeurent inutiles dans leurs
rr^ains. Tout ce que j'ai dit au refte du
choix de vos entants & du compte que
vous en rendrez à Dieu , ne doit point
s'entendre de telle forte , qu'il ne vous
loit pas permis de les avancer dans des
emplois convenables , ou de l'Eglife , ou
du monde, quand Dieu les y appellera.
Car bien-loin de vous en taire un crime ,
je prétends au contraire que c'eft une
de vos obligations ; & jamais je n'ap-
prouverai l'indifférence , pour ne pas
dire la dureté de ces pères &. de ces mè-
res, qui tout occupés d'eux-mêmes, Sc
ne voulant fe delTaifir de rien , laident
languir de jeunes perfonnes lans établif-
fement , Se leur font manquer les occa-
fions les plus favorables. Mais mon def-'
fein eft d'exciter en vous un faint zèle
de la perfeftion de vos enfans , dont Dieu
vous a commis le foin , & qu'il foumet
à votre difcipline ; de vous faire tra-
vailler , tandis qu'ils font encore fous
la main paternelle , à les inftruire , à les
former, à les rendre capables, intelligents,
dignes des places où félon leur nailTance
ils peuvent afpirer. Or il n'y a point pour
cela de plus puifTant motif que de vous
dire à vous-mêmes : ou il faut que mes
enfants foient exclus de tout , & qu'ils
mènent un vie obfcure & fans emploi ,
ou il faut que je mapplique à les drelTer,
afin qu'ils puiffent devenir quelque chofe ,
54^ Sur le devoir des Pères
êc faire quelque chofe dans la vie ; ou û
je veux les poulTer Tans nulle difpofition
de leur part 6c malgré leur incapacité,
il faut que je me damne avec eux. Qu'ils
foient exclus de tout , ce feroit pour eux
une honte, & un reproche pour moi : que
je me damne avec eux , ce feroit une
extrême folie & le fouverain malheur.
La conféquence eft donc que je n'oublie
rien , mais que j'ufe de toute mon adrelTe
& de tout mon pouvoir de père , pour
leur faire acquérir les qualités & de l'ef-
prit & du cœur dont ils pourront dans
ïa fuite avoir befoin , félon les états où la
Providence les a deflinés. Car d'efpérer
que Dieu , en les appellant , fafle par lui-
même tout le re{le=.& qu'il leur donne
des connoiffances infufes , c'efl compter
fur un miracle , & renverfer l'ordre que
fa fageiïe a établi dans le gouvernement
du monde. Et de prétendre que Dieu ne
m'impute pas tout ce qui leur manquera
ôi. qu'ils pourroient recevoir de moi , c'eft
ignorer un de mes premiers devoirs , &
me tromper moi-même. Voilà , Chrétiens,
ce qu'il faut bien méditer. Il n'y a rien
là qui ne foit d'une conféquence infinie ,
&: qui ne doive vous faire trembler , fi
vous le négligez : mais j'ajoute auin qu'il
n'y a rien qui ne foit d'un mérite très-
relevé , & qui ne doive vous confoler ,
fi vous vous y rendez fidèles Ôc fi vous
J-.obfervez.
L^
ENVERS LEURS EnFANTS. 4f
La qualité de pères vous impofe de
grandes obligations , mais en même
temps elle vous donne lieu d'amalTer de
grands tréfors pour le ciel. Car qui ne
lait pas ce que coûte la conduite 6c
l'éducation des enfants , combien d'hu-
meurs il faut fupporter , combien d'écarts
il faut pardonner . combien de foiblefles
il faut ménager , combien de précautions
il faut prendre pour les iaftruire fans les
fatiguer , pour les tenir fous la règle
fans les rebuter , pour leur faire d'utiles
répréhenfions ihns-Ies révolter ? Or rieii_
de tout cela n'eft perdu devant Dieu ,
6c c'eft en cela même que doit confiiler
devant Dieu votre principale liberté.
Vos enfants profiteront de vos foins ,
ou ils n'en profiteront pas. S'ils n'en pro-
fitent pas , il eft vrai, ce fera une peine
pour vous & une peine fenfible ; mais
du refte vous en ferez quittes auprès
de Dieu & auprès d'eux. S'ils en pro-
fitent & que Dieu , comme vous pou-
vez l'efpérer , béniffe votre vigilance &
votre zèle , quelle confclation pour vous
en ce monde de voir votre famille dans
l'ordre , &. fur-tout quel bonheur un jour
de vous retrouver tous enfemble dans U
gloire que je vous fouhaite, Ôcc»
V^JA
^pomin^ Tom, L ,C.
0
SERMON
POUR
££ SECOND DIMANCHE
APRÈS L'EPIPHANIE.
^wr VÉtat du Mariage^
Nuptiae faé^s funt in Cana Galilss ; & erat
mater Jefu ibi : vocatus eft autem & Jefus,
& difcipuli ejus ad nuptias.
Il y eut des noces à Cana en Galilée , & la
mère de Jefus i'jy trouva. Jefus fut aufjx
invité aux noces avec fes Difciples, En faint
Jean , chap. 2.
NO N - feulement il y fut invité ,
Chrétiens , mais il y aiTifta ; &
en y affiiUnt , il les approuva , il \qs
honora , il les fani'tifia , il en bannit les
défordres , & déjà il prit des mefures
pour jes confacrer cjans l'Eglife par l'info
titution d'un facrement. Ce ne fu; don^
Sur l'êtaT du MaPvIage. 51
point en vain , ni fans delTein , qu'il y
voulut être appelle : Vocatus efl autem 6»
Jefus : car c'eft de là , difent les Pères ,
que vient la fainteté du mariage ; & fi
l'on n'y appelle Jefus-Chrid, il n'y a plus
rien dans cet état que de profane , ni
rien qui le relevé. Mais je dis plus , ôcje
prétends qu'il ne fufïit pas que Jefus-
Chrift y foit appelle par les hommes , fi
l'on n'y eft d'abord appelle par Jefus-
Chrifl même : c'eft-à dire , mes chers
Auditeurs , que la grâce de la vocation
par où Dieu vous Tanitifie pour entrer
dans l'état du mariage , doit précéder
la prière, & eft comme l'invitation par où
vous voulez engager Dieu à s'intéreiTer
dans la fainte alliance que vous contrac-
tez, & à la bénir : prière inutile, fans
cette vocation divine. Mais fi c'eft Dieu
qui vous appelle , & qu'enfuite vous
appelliez Dieu , voilà le modèle parlait
6i la véritable idée d'un mariage chré-
tien. C'eft auffi l'importante matière dont
j'entreprends aujourd'hui de vous entre-
tenir ; & parce que je n'ignore pas à quels
écueils mon (ujet m'expofe , j'ai recours
à Dieu Je m'adrefle à lui comme le
Prophète , & je lui demande qu'il mette
une garde à ma bouche, & qu'il ne biffe
pas prononcer à ma langue une parole
dont la malignité du (iecle puiffe abuler.
Implorons encore le fecours &. Tinter-
ceiïïon de Marie , en lui difant : Avi
Cij
^i Sur. L^ÉTAT
S Ai NT Au^uflln parlant du inarîage'
dans un exctéllent traité , & rapportant
tous les avantages & tous les biens dont
Dieu a pourvu cet état , les réduit à
trois principaux : à l'éducation des en-
fants , qui en eft la fin , à la foi mutuelle
6l conjugale , qui en eft le nœud , ôc
à la qualité de ce facrement , qui en fait
comme l'efTence dans la loi de grâce :
Âugii/:. Bonum habcnt nuptïcz & hoc tripartitum ,
proies , fides , facramentum. Ce font fes
paroles, répétées en divers endroits des
ouvrages de ce Père. Et en effet , c'eft
r.n bien pour les hommes, que Dieu par
î'inftitution d'un facrem.ent ait établi
des alliances entr'eux , &. qu'il ait élevé
ces alliances à un ordre furnaturel, par
une grâce dont ils font eux-mémiCs les
miniftres. De plus ce n'ell pas un avan-
tage peu eftlmable pour une perfonne
engagée dans le mariage , de penfer
qu'une autre perfonne lur la terre lui
efl obligée de fa foi, & que ne lui étant
rien dans l'ordre de la nature , ni feloa
la proximité du fang, elle ne laifle pas
de lui devoir tout : amour , refpecl ,
com.plaifance j fidélités Enfin je prétends
que c'eft un honneur aux pères 6c aux
mères , que Dieu les ait choifis pour lui
élever dans le mariage des enfants , c'efl-
à-dire , des lerviteurs dont il foit glo'»
rlfiç , ôd des fujçts qui amplifient (on
Eglife. Voilà donc trois grandes préroga^
DU Mariage. 55
tives du mariage ; c'eft un facrement,
c'eit le lien d'une mutuelle fociété , c'eft
une propagation légitime des enfants de
Dieu : tout cela eft vrai , Chrétiens ;
mais ne penfez pas que ce foient des
biens tellement gratuits , qu'ils ne ibient
accompagnés d'aucune charge ; car
voici l'idée que vous^^vous en devez tor-
mer , & que je vous prie de comprendre,
parce que j'en vais faire le partage de ce
difcours. De ces trois fortes de biens
rcfultent par nécefîité des devoirs de
ccnfcicnce ce des obligations indifpen-
fables à rem.pHr dans le m.ariage , ce fera
la première Partie : des peines très-diffi-
ciles & très-iàchcufes à fupporter dans
le mariage , ce fera la féconde ; & des
dangers extrêmes, par rapport au faluc,
à éviter dans le m^ariage , ce fera la troi-
fiemie. Or je foutiens qu'on ne peut ni
fatisfaire à ces obligations , ni fupporter
ces peines, ni fe préferver de ces dan-
gers fans la grâce 6î. la vocation de Dieu ;
d'où je conclus qu'il n'y a donc point
d'état parmi les hommes où cette voca-
tion divine foiî plus nécedaire. C'eft tou.t
le fujet de l'attention favorable que je
vous demande.
ON n'en peut douter. Chrétiens : à I.
confidérer le marisge dans toute fon PaRT.
étendue, &fur-to<it félon les trois qualités
que )'ai marquées , comme facrement ,
comme lien d'une m.utuelle fociété, iSc par
C iij
54 Sur l'État
rapport aTéducation des enfants dont îî
cft une propagation légitime : cet état
porte avec loi des obligations qu'il
vous eft d'une importance extrême de
bien connoître , & que je vais , pour
faîistaire au devoir de mon minillere ,
vous expliquer.
C'eft fans contredit un bien pour le
chriilianifme , & pour vous en particu-
lier qui êtes appelles par la Providence
pour vivre dans le monde , que le fils
de Dieu ait confacré le mariage par
fon inftitution , que non-feulement le
mariage ne foit point un état criminel,
comm.e l'ont voulu faire pafTer quelques
héréciques , ni une fociété purement
civile, comme il Feft parmi les païens,
ni une fimple cérém.onie de religion ,
comme il l'étoit dans l'ancienne loi ,
mais un facrement qui confère la grâce
de Jefus-Chrift , établi pour fandllfier
les âmes , pour repréfenter un de nos
plus grands myfteres , qui eft l'incarna-
tion du Verbe , & pour en appliquer les
mérites à ceux qui le reçoivent di^ne-
Zphej. ment. Sacramentum hoc magnum. Oui ,
^' S' mes Frères , difoit faint Paul , ce facre-
ment eft grand, & je vous le dis , afin
que vous fâchiez l'avantage que poflede
en ceci notre religion par-deilus toutes
les autres. Car il n'eft grand que par le
rapport qu'il a avec Jefus-Chrift notre
divin Sauveur : il n'eft grand que dans
l'EgUfe , qui eft l'époufe de Jefus-Chrift s
DU Mariage. 5c
U n'eft grand qu« pour les fidèles qui
font les membres du corps myftique de
Jefus - Chrirt , c'eft - à - dire qu'il n'eft
grand que pour vous. Ego autem dico vo- Uld*
bis in Chrifto & in E^-leJîa Tout cela eft
de la foi ; mais de là que s'enluit-il ? des
obligations , à quoi l'on fait bien peu de
rKîf'exion dans le monde , & que le ma-
riage néanmoins nous impofe. Car puif-
que c'eft un facre.-nent de la loi de grâ-
ce , il n'eft donc permis de s'y engager
qu'avec une intention pure 6c fainte ; il
n'eft donc permis de le recevoir qu'avec
une ccnfcience nette & exempte de pé-
ché ; il n'eft donc permis d'en ufer que
dans la vue de Dieu , & pour une fia
digne de Dieu : &. quiconque manque à
ces devoirs , commet une offenfe qui
tient de la nature du facrilege , parce
qu'il profane un icicrement. Préfuppofé
le principe de la foi , il n'y a rien en
toutes ces conféquences qui ne foit évi-
dent & inconteftable.
Mais encore une fois , on ne penfe
guère à ces conféquences dans le monde :
& d'oii vient qu'on n'y penfe pas, qu'on
oublie dans ce facrement les règles de
piété que l'on garde & que l'on croit
devoir garder en recevant les autres ?
Vous êtes les premiers , & fouvent même
les plus zélés à condamner un homme
qui entreroit dans l'Eglife & dans les
facrés ordres par des vues ou d'intérêt
OU d'ambition. Vous ne voudriez pas
C iv
56 Su p. l' État
approcher du Sacremont de nos autek .
fans vous être auparavant puriïîés dans
les eaux de la pénitence , & vous croiriez
vous rendre coupables en vous prélenrant
su tribunai de la pénitence pour une
autre hn que d'honorer Dieu & de vous
léconciiier avec Dieu. Quand on vous
parle de ce Simon le magicien , qui vic-
jnanda aux Apôtres ie facrement de Con-
firmation par un motii de vaine gloire^
& quand on vous dit que Judas parut à
la table de Jefus - Chriit , & qu'il y
communia dans une dirpofition criminel-
le 5 vous réprouvez l'attentat de l'un &
de l'autre. Or le mariage eil-il moins
refpeftable & moins vénérable en quali-
té de facrement ? Le Sauveur du monde
l'a-t-il m.oins inftitué que les autres facre-
ments ? a-t-ii moins de vertu pour don-
ner la grâce que les autres facrements ?
contient-il des myi^eres moins rele\ es
que les autres facrements ? Tout ce qui
fe dit des autres facrements pour les exal-
ter & nous les faire honorer, ne con-
vient-il pas également à celui-ci ? &: par
conféquent ne demande-t-il pas par pro-
portion , des difpofitions auiii parfaites,
un motif aulîi chrétien , une pureté de
cœur aulIi entière , un ufage aufli hon-
nête Si. auiTi faint ?
Nous fçavons tout cela dans la fpécu-
lation , mais dans la pratique voici la
différence qu'on m»et entre ce facrement
^ les autres. Pour ceux - là , on s'y
' D U M A R I A G E . Y!?'
J5répare , on y cherche Dieu , on y
prend des fentiments de religion , & en
cela l'on agit chrétiennement : m?.is
eft - il queftian du facrement dent je
parle , vous diriez que c'eft dans la
vie une chofe indifférente &L toute pro-
fane , à laquelle ni Dieu ni la religion
n'ont point de part. On fait un ma-
riage par des confidérations purement
humaines, fans en avoir le moindre re-
mords ; on le célèbre au pied de l'autel
dans un état a^lael de péché ; & quoi-
que ce foit inconteftablement une pro-
fanation facriiege , à peine en a-t-on
quelque fcrupuie', parce que la plupart
meT.e ignorent ce point de conicience.
Or fur cela-, mes chers Auditeurs , cou?.-'
ment peut-on fe iuftiher devant Dieu ?
Car fi vous voulez que je vous en dé-
clare ma penfée, voilà un des défordres
les plus elTeatiels qui régnent aujour-
d'hui dans le chriftianiime : on n'y re-
garde plus , ce femble , le mariage com.-
me une chofe facrée, mais com.me une
affaire temporelle , & comme une pure
négociation. Qui eft - ce qui cen-ulte
Dieu pour embraffer cet état ? qui eft- ce
qui confidere cet étc-.t comme un état
de fainteté où Dieu l'appelle ? qui eft-
ce qui choifit cet état dans les vues de fa
prédeftination éternelle & de fon falut }
Le dirai -je? les païens même étcient
fur ce point plus reîia^ieux , du moins
plus f^ges ôc plus fenfés. Si le mariage
Ç y
5S Sur r É t â f
parmi eux n'étoit pas un iacrement, ce
îi*éroit pas non plus , comme il l'eft de-
venu parmi nous , un trafic mercenaire ,
où l'on fe donne l'un à l'autre , non par
«ne inclination raifonnable , non par une
eftime honnête , ni félon le mérite de
la perfonne, mais félon fes revenus Ôc
fes héritages , mais au prix de l'argent
èi. de l'or. Car tel eft le nœud de prefque
toutes les alliances ; c'eft l'argent qui
les forme : d'où vient enfuite ce dérègle-
ment fi commun , qu'après un mariage
contradé fans attachement , on fait ail-
leurs de criminels attachemens fans ma-
riage. Quoi qu'il en foit, ce que nous ne
pouvons aiTez déplorer , Chrétiens, c'eft
que le mariage renfermant dans fon
effence deux qualités , celle de contrat
& celle de facrem^ent , on n'a d'attention
que fur la première , qui eft d'un ordre
inférieur , & qu'on néglige abfolument
l'autre , qui néanmoins efi toute furnatu-
relle & toute divine. En qualité de con-
trat , on y obferve toutes ks régies de
3a prudence : combien de traités , com-
lien de conférences Se d'aiferabiées^ com-
bien d'articles & de conditions , com-
bien de précautions & de mefures ? Mais
pour la qualité de facrement, ni réfle-
xions., ni préparatifs : on croit que tout
fe réduit à quelques cérémonies extérieu-
res de l'Eglife , dont on s'acquitte fans
recueillement & fans efprit de religion.
Or èft;il pofîible qu'un fièrement airi^
DU Mariage.' ^5
profané , vous attire de la part de Dieu
les fecours de grâces qu'il y a attachés;
6i fi vous manquez de ces fecours, com-
ment accomplirez-vous les obligations
de votre état ?
Je dis les obligations que vous impofe
le mariage , non-feulement pris comme
facrement, mais de plus confidéré comme
lien d'une fociété mutuelle. Car voici où
je prétends que font néceffaires les grâ-
ces de Dieu les plus puiffantes & les plus
abondantes. Vous Falîez comprendre.
Il ne s'agit point feulement ici d'une
fociété apparente , mais d'une fociété
de CŒur ; enforte que vous pratiquiez
à la lettre ce précepte de l'Apôtre ;
l'^iri , diligite uxores veflras , fie ut é*- ^/^fft
Chriftus diUxit EccUfiam ; Vous , maris ^^' ^*
aimez celles que Dieu vous a données
pour époufes ; & vous , femmes, ceux
que la Providence vous a deiKnés pour
époux. La règle que vous devez en cela
garder , eft de vous aimer l'un l'autre ,
comme Jefus-Chrift a aimé fon Eglife :
Sicut & Chriftus diUxh Ecclefîam. Voi-
là, dis-je , votre modèle. Aimez-vous
d'un amour refpedueux, d'un amour fi-
dèle , d'un amour officieux & condefcen-
dant, d'un amour confiant & durable,
d'un amour chrétien. Tout cela, ce fonc
autant de devoirs renfermés dans cette
foi conjugale que vous vous êtes promi-
le de part & d'autre , & qui vous a
^is. PiepiÇz garde : je dis d'un amour
60 S U R L* É T A t
refpe(9:ueux , parce qu'une familiarité
fans refpef^ porte infenfibiement & prel-
qu'infuiilîblemenî au mépris. Je dis d'un
amour fidèle, jufqu'à quitter pour un
époux ou pour un époufe , père &i
mère , puifque c'eft en termes formels
la loi de Dieu ; mais à plus forte raifon
jufqu'à rompre tout autre nœud qui
pourroit attacher le cœur , & à fe dé-
prendre de tout autre objet qui pour-
roit le partager. Je dis d'un amour ofFi-
cieux & condefcendant , qui prévienne
les befoins ou qui les foulage , qui cc>iii'-
patiiTe aux infirmités, qui lie les efprits
6c qui maintienne entre les volontés un
parfait accord. Je dis d'un amour coni-
tant &L durable, pour réfifier aux fâcheu-
fes humeurs cjui le pourroient troubler,
aux foupçons & aux jaloufies , aux ani-
rnofités & aux aigreurs. Enfin je dis
d'un amour chrétien , car c'eit ici que je
puis appliquer, 6i que fe doit vérifier
h parole de Saint Paul , que la lemnrie
chrétienr^e 6i vertueufe efi la fanftifica-
tion de fpn mari. C'eft ce qu'ont été
xes iiluftres Frincefîes qui ont fanftifié
les empires en convertiffant & en fanc-
tifiant les Princes dont elles étoient
tout enfemble ô: les époufes &i les Apô-
tres : c'eft ce que vous devez être,
Mefdames , faifant dans vos iamiiles ce
que celles-là ont fait fi glorieufement Se
avec tant de mérite dan* les royaumes ;
«lliiiiant que ic plus, iolide témoignage
D U M A R I A 6 E. ^Z
que vous puiîTiez donner à un époux ,
d'un véritable amour, ei\ de le retirer
du vice 6l de le porter à Dieu ; em-
ployant à cela toute votre étude, y rap-
portant tous vos vœux , tous vos confeils,
tous vos foins , & vous animant à perle-
vérer dans ce faint exercice par le beau
mot de Saint Jérôme à Laeta. Elle étoit
fille d'un père idolâtre , mais que fou
époufe avoit enfin réHuit par fa vigilance
& p?.r fa patience à embrailer la toi. Or
il talloit bien , dit Saint Jérôme, que cela
fût alnfi ; un aulli grand zèle que celui
de votre mère pour le falut de fon mari ,
ne devoit point avoir d'autre eiTet. Et
pour moi , ajoute ce Saint D-octeur ,
dans fon ftyle élevé & fissuré , je penfe
que ce Jupiter mêm.e qu'adoroient les
païens , eût cru en Jefus - Chrift , s'il
eût vécu dans une fi fainte alliance :
E^o puto , etïam ipfam Jovern ,fi h-ibuiffet Hleron^
lalem cognaCionem , poiuijje in Chnjîum
cndere. **S^
M^is par un renverfement que nous
ne déplorerons jamais allez , mes chers
Auditeurs , & dont peut-être vous éprou-
vez vous - mêmes les fuites funeftes ,
qu'arrive-t-il ? vous ne pouvez l'ignorer ,
pLiifque vous le voyez tous les jours.
Cette fociéié qui devoit faire Tunion & le
bonheur des familles , & en erre le plus
ferme apijui ; cette fociété que dé-
voient conferver .mutuellemenî entr'eux
le mari «^ i« femme comuie un des bit:n$
^2 Sur l'É t a t
de leur état les plus Cilimables , à quoi
ie trouve-t-elle lans ceffe expofée ? aux
ruptures , aux averfions , aux divifîons ,
aux éclats quelquefois les plus icanda-
leux ; & cela pourquoi ? parce que ni l'un
ni l'autre ne veut contribuer à l'entre-
tenir. Une femme eft entêtée , efl: capri-
cieufe , eft idolâtre de fa perfonne ,
aime le jeu , la dépenfe , les vains ajufle-
ments, les compagnies & les divcrtifle-
ments du monde ; un mari eft im.pé-
rieux , efl jaloux & chagrin , eft em-
porté & colère, aime fon pUifir & la
débauche. Et parce qu'ils ne voudroient
pas fe faire la moindre violence , l'une
pour revenir de {qs entétemens , pour
régler fes caprices , pour mettre des bor-
nes à fon jeu , à fes diiîipations , à Tes
vanités , à fon attachement au monde :
l'autre pour abaiffer fes hauteurs , pour
adoucir fes chagrins, pour fe défaire de
fes foupçons injuftes 6c de fes inquiétu-
des outrées 6^ mal fondées, pour modé-
rer fes emportements & pour fe retirer
de fes débauches ; de là viennent les
contrariétés , les plaintes réciproques &
les murmures, les reproches aigres &
amiers : on conçoit du dégoût l'un pour
l'autre , & fouvent enfin , pour prévenir
de plus grands défordres , on fe trouve
réduit à fe féparer l'un de l'autre. Divor-
ces & féparations, que la loi des hom-
mes autorife , mais qui ne font pas
pour cçla toujours jullifi^s d^yamPlcu-
DU M A R I A G i; êf
& félon la loi de Dieu : divorces & ré-
parations fi ordinaires aujourd'hui dans
le monde, & que nous pouvons regarder
comme la honte de notre fiecle , fur-touî
parmi des Chrétiens: divorces ëcféparar
tions, d'où fuit prefqu'immanquablement
la ruine des maifons les mieux établies ,
& où nous voyons s'accomplir à la lettre
cette parole de Jefus-Chrid , que tout
Royaume divifé fera défolé : divorces
& féparatiofls où vivent quelquefois
fans fcrupule les perfonnes d'ailleurs les
plus adonnées aux exercices de la piété,
ne fe fouvenant pas que le premier de-
voir d'une piété folide eft à leur égarcî
& autant qu'il peut dépendre de leurs,
foins , de demeurer dans une fociéîé que-
Dieu lui - même a form.ée ou a du
former.
Et pourquoi Ta-t-il formée ? je l'ai
dit, après Saint Auguftin : pour une pro-
pagation légitime, & pour l'éducation
des enfants. Troifieme & dernier fond
des plus importantes & des plus efTen-
tielies obligations du mariage. Car ce
n'eft point affez de leur avoir donné la
naiffjnce, à ces enfants,& de les avoir mis
au monde , il faut les nourrir ; ce n'ef^
point affez de les nourrir , il faut les
pourvoir ; ce n'eft point encore affez de
les pourvoir feîon le monde, il faut les
inftruire & les élever félon le Chriftia-
nifi-ne. De fournir à leur fubfillance Si. à
l'entretien d'une vie qu'ils oni reçue dQ
Z4 Sur l' É t a t
vous, c'eft ce que vous diâ:3 la nature ,,
&. â quoi il eCi peu néceffaire de vous
porter. De penfer à leur établifiement
temporel, c'eft outre la nature , ce qu2
vous infpire fouvent votre ambition, ÔC
fur quoi vous n'êtes que trop ardents &
que trop zélés ; de travailler même à
les perfeclionner , à cultiver certains
talents qui peuvent les diilinguer & les
avancer dans le monde , c'elt un loin
que vous ne négligez pas abiolument,
éc de quoi plufieurs s'acquittent avec
toute la vigilance convenable. Non pas
qu'il n'y ait de ces pères & de ces mères
infenlibles & durs , qui tout occupis
d'eux - m.êmes , fem.blent méconnoître
leurs enfants , ôc les lailTent manquer des
lecours les plus néceiTaires , tandis qu'ils
ne rerufent rien à leurs propres perfon-
nes , de tout ce qui peut contenter leur
mondanité ou leur fenfualité ; non pas
qu'il n'y en ait à qui la vue de leurs
enfjnts devient tellement infupporrable,
cu'ils les tiennent de longues années
hors de la mailbn patern-elle , les ban-
niflant en quelque manière de leur pré-
fence, parce qu'ils leur bleiTen' les yeux,
& les abandonnant à des m.ains étran-
gères peur les conduire ; non pas qu'il
n'y en ait , ainfi que ]e le dii'ois dans le
dilcours précédent , qui ne voulant ja-
mais le défaifir de rien pour leurs en-
fants , 6c pour leur procurer des établif-
ISemcmj fortabies à leur condition , k^
DU Mariage. 65-
voicnt tranquillemtnt & impitoyable-
ment languir auprès d'eux jufques dans
un âge avancé ; &: les réduiient à la trifte
néceîTité de pafier leurs jours fans rang ,
fans nom , fans état ; non pas qu'il n'y
en ait qui dans un oubli entier de leurs
enfants , ou par une molîe & aveugle
cjndefcendance , ne leur donnent micme
nulle éducation pour le monde , leur
perm.ettant de vivre à leur gré , & l'es
livrant , pour ainfi dire , à eux-mêmes
& à tous leUi-5 défauts naturels. Quel
chimip , fi je voulois m'étendre là-deffus
& fur bien d'autres défordres que je
priïe , parce qu'après tout ils font moins
importants & moins fréquents ? Mais le
plus eOentiel & le plus com^mun , c'eft.
d'élever des eniants en mondains ^ fans
les élever en Chrétiens ; c'eft de veiller
à tout ce qui regarde leur fortune ,
ôê de n'avoir nulle vigilance fur ce
qui concerne leur falut ', c'eft de leur
infpirer des fentiments conformes aux
maximes & aux principes du fiecle ,
&i d'être peu en peine qu'ils en aient
de coniorrnes aux principes oL aux ma-
ximes de l'Evangiie ; c'eft de ne leur
pardonner rien dès qu'il s'agit du boa
air du monde, des bonnes manières dq
monde , de la fcience du m.onde , &: de
leur pardonner tout dès qu'il ne s'agit
que de l'innocence des miOeurs Ôc de la
piété. De quoi néanmoins un père & une
ïi'iêre auront- ils plus p«irticuiiére>T»en!; à
66 Sur l*État
repondre devant Dieu, fi ce n'ed de h
fan6lification de leurs enfants ? Con^me
c'eft-là fans contredit la première de
toutes les affaires , ou plutôt comme
c'ed l'unique affaire , c'eil à celle -ià
qu'ils doivent être fpécialement attentifs
dans rinftrudion des enfants dont ils
font chargés ; & par conféquent c'eff à
eux de porter leurs enfants à Dieu, 6c
de les entretenir dans la crainte de Dieu ;
à eux de corriger les inclinations vicieu-
fes de leurs enfants , & de les tourner
de bonne heure à la vertu; à eux a'é-
îoigner leurs enfants &L de les préferver
de tout ce qui peut corroir.pre leur cœur ,
domef^iques déréglés , fociétés dangereu-
fes , difcours libertins , fpeitacles profa-
nes , livres empeAés 6é contagieux ; à
eux de procurer à leurs enfants de faintes
inftrudiuns , de leur donner eux-mêmes
d'utiles confeils, fur-tout de leur donner
de falutaires exer.^.ples . s'étudiûnt à ne
rien dire ik à ne rien faire en leur préien-
ce qui puiiTe être un fujet de fcandale
pour ces âmes fcibles & fufceptibleï de
toutes les impreffions : ceci me meneroit
trop loin , Si pour m.énager le tem.ps qui
m'eft prefcrit, jehilTe un plus long détail.
Revenons donc. Telles font , mes
chers Auditeurs , les obligations propres
de i'érat du mariage ; elles ont leurs
difficultés & de grandes difficultés, j'en
conviens : mais de là même qu'ai - je
voulu conclure ? que Ton ne doit pcJAt
DU Mariage. 6^7
entrer dans cet état farxS la vocation
divine. Car pour remplir toutes ces obli-
gations , il faut une aiîiftance Ipéciale du
ciel : & ce lecours , Dieu ne le donne
qu'à ceux qu'il appelle. Secours nécef-
faire, non- (eulement pour acccomplir
les obligations du mariage , mais pour
en fupporter les peines dont j'ai à vous
parler dans la féconde Partie.
IL y a des peines dans l'état du ma- IL
riage , & la preuve en eft d'autant PaRT^
plus fenfible , Chrétiens , que vous en
avez une expérience plus ordinaire. Pour
vous les repréfenter , je n'ai qu'à fuivre
toujours les mêmes idées , en confidé-
rant le mariage fous les mêmes rapports.
Ceci demande , s'il vous plait , une atten-
tion toute nouvelle.
Je l'ai dit, & je le répète ; que le
mariage foit un facrem.ent , c'eil ce qui
fait fon excellence & fa plus belle pré-
rogative dans la loi de grâce , mais c'efè
cela m.ême aufTi qui en tait la fervitude :
pourquoi ? parce que c'eft cette qualité de
facrement qui le rend indifToluble & par
conféquent qui en fait un joug , une fujé-
tion , comme un efclavage où Thomme
renonce à fa liberté. Si le fils de Dieu
avoit laiffé le mariage dans l'ordre
purement naturel , ce ne feroit qu'une
fimple convention , plus rigoureufe à la
vérité que toutes les autres dans fon enga-
gement ; mais après tout qui pourroit
'6^ Sur l*État
fe rompre dans les néceffités extrêmes.
Et en effet, nous voyons que parmi les
païens, où les loix & la jurirprudence
ont paru le plus conformes à la raifon
îiumaine , la dllTolution des mariages
étoit autorifée ; ils les caiToient iorfque
des iujets importants le demandoient
ainfi , & ils renonçoient aux alliances
qu'ils avoient contraftées , dès qu'elles
leur devenoient préjudiciables. Dieu
même dans l'ancienne loi permettoit aux
Juifs de répudier leurs fem.mes ; & quoi-
qu'il ne leur donnât ce pouvoir que pour
condefcendre à la dureté de leurs cœurs ,
c'éioit néanmoins un pouvoir légitime
dont il leur étoit libre d'uTer. Mais dans
l'Eglife chrétienne, c'eft-à-dire depuis
que Jefus-Chrifl a fait du mariage un
ûcremient , & qu'il lui en a donné la
vertu , ce facrement porte avec foi un
caradere d'im.mutabilité. EiVil une fois
reconnu valide , c'ed pour toujours ;
quand il s'agiroit de la confervation de
la vie , quand des royaumes entiers
devroient périr, quand l'Eglife univeiielle
feroit menacée de fa ruine , & que toutes
les puiiTances s'armeroient contre elle,
ce m.aiiage fubfiftera , ce mariage durera
jufqu'à la mort , qui feule en peut être
le terme. Voilà ce que la foi même nous
enfeigne.
Or c'efl: , Chrétiens , ce que j'appelle
une fervltude , Si ce qui l'eft en effet :
'cài je vous demande j un étaf qui vous
DTJ Mariage: 6$
afTujettit , fans favoir prefque à qui vous
vous donnez , & qui vous Ôie toute
liberté de changer , n'eil - ce pas en
quelque forte l'état d'un efclave ? Or le
mariage fait tout cela. Il vous engsge à
un autre que vous , & c'eft ce qu'il y a
de plus eflentiel; à un autre, dis-je, qui
n'avoit nul pouvoir fur vous , mais de
qui vous dépendez maintenant , & qui
s'eft acquis un droit inaliénable fur
votre peribnne. Par le facerdoce je ne
me fuis engagé qu'à Dieu & à moi-
même ; à Dieu mon fouverain maître , à
qui i'appartenois déjà ; à moi-même , qui
dois naturellement me régir & me con-
duire : mais par le mariage vous tranf-
férez ce domaine que vous avez fur vous-
même , à un certain étranger ; & ce qu'il
y a de plus difficile &: de plus héroïque
dans la profeiiion reîigieufe , devient
la première obligation de votre état.
Encore dans la religion , je ne me trouve
pas engagé à telle perfcnne en parti-
culier; ce n'^ft précisément & pour tou-
jours , ni à celui-ci, ni à Â^ui-là,
mais tantôt à l'un & tantôt a l'autre ,
ce qui doit infiniment adoucir le joug*
Au lieu que dans le mariage , votre enga-
gement efl perpétuel pour celui-là &
pour celle-ci. Si la perfonne vous agrée ,
& qu'elle foit félon votre cœur , c'elt un
bien pour vous : mais fi ce mari ne pl-aïc
pas à cette femme , fi cette femme ne
revient pas à ce mari , ils n'en font pa^
ifô Sur l'État
inoins liés enfemble , & quel fuppllce
qu'une femblable union 1
A quoi j'ajoute , mes Frères , une
ïîouvelle différence , mais bien remar-
quable entre nos deux conditions. C'eil
que pour Tétat religieux il y a un novi-
ciat & un temps d'épreuve , & qu'il n'y
en a point pour le mariage. De tous les
états de la vie , dit faint Jérôme , le
snariage eft celui qui devroit le plus être
de notre choix , & c'eft celui qui l'eft
le moins. Vous vous engagez , 6c vous
ne favez à qui ; car vous ne connoiflez
jamais l'efprit , le naturel , les qualités du
fujet avec qui vous faites une alliance fl
étroite , qu'après votre parole donnée ,
&lorfqu'il n'eftplUs temps delà repren-
dre. Maintenant que ce jeune homme
vous recherche , il n'a que des complai-
fances pour vous , il n'a que des appa-
rences de douceur, de modération, de
vertu : mais dès que le nœud fer-i formé ,
vous apprendrezbientôt ce qu'il eft ; vous
verrez luccéder à cette douceur feinte,
des emp5j|tements & des colères, à cette
jTiodération affe^lée des brufqueries ôc
des violences, à cette vertu hypocrite des
débauches 6c des excès. Maintenant que
cette jeune perfonne eft fans étiblif-
femiCnt , 6c que vous lui paroiiTez un
parti convenable , elle fait fe compofer
^ fe contrefaire : mais quand une fois
. elle n'aura plus tant de ménagements à
prendre , ni tant d'intérêt à vous plaire.
DU Mariage,' 7^
vous en éprouverez bientôt les caprices,
les bizarreries , les entêtements, les hau-
teurs. Quoi que vous faiTiez & de quel-
que diligence que vous ufiez , il en faut
courir le hafard. Ce qui faifoit dire à
Salomon , que pour les biens & richelTes,
c'eft de nos parents que nous les rece-
vons ; mais qu'une femme fage 6c ver-
tueufe , il n'y a que Dieu qui la donne :
Divitiœ dantur à pcircntibus y à Domino Prov'i
autem uxor prudens» c» ty.
Concevez donc bien , mes chers
Auditeurs , ce que c'eft qu'un tel enga-
gement ou qu'une telle f-îrvitude pour
toute la vie & fans retour. Il n'y a point
de vœu fi folemnel dont l'Eglife ne puliTe
difpenfer : mais à l'égard du mariage , •
elle a , pour ainfi dire , les mains liées ,
& fon pouvoir ne s'étend point jufques-
là. Engagement qui parut aux Apôtres
même d'une telle conféquence , que
pour cela feul ils conclurent qu'il étoit
donc bien plus à propos de demeurer
dans le célibat : Si ita efl caufa hominis Matthi
cum uxore , non expedit nubere. Et que f. 'p»
leur répondit là-deiTus le fils de Dieu ?
condiimna-t-il ce fentimentfi peu favo-
rable au mariage ? Il l'approuva, il le
confirma, il les télicita d'avoir compris
ce que tant d'autres ne comprenoient
pas : Non omnes capiunt vcrbum iflud. Ihliçmi
Pourquoi cela , parce qu'il favoit com-
bien en effet ce fac rement feroit un
fUÙS %dçâw pour la plupart dç çç^^t qu|
yi Sur l'État
le dévoient recevoir. Ce que je vous dii
au refte , Chrétiens , n'eft point tant
pour vous en donner de Thorreur , que
pour vous faire fentir à quel point raffif-
tance divine vous eft néceilaire dans le
mariage , 6c de quelle importance il eu de
ne s'y pas engager fans le gré de Dieu.
Ah 1 combien en a-t-on vu & com-
bien en voit-on de nos jours fuccomber
fous ce joug pelant , ou ne le traîner
qu'avec peine , Si en déplorant mille fois
leur infortune ? combien de malheureux
cans le monde & dans toutes les con-
tlitions du monde , paroilTent contents
?.u dehors y mais gémiUent en fecret de
l'efclavage où ils fe trouvent réduits ?
D'autant plus à plaindre, fi j'ofe parler
de la Ibrte , qu'ils ont moins de droit
eux-mêmes de fe plaindre. Car qui les a
chargés de ces fers dont la pefanteur les
accable ? Eft-ce Dieu , qu'ils n'ont pas
confuhé ? n'eft-ce pas eux-mêmes ? Et
comment iroient-ils au pied de l'autel ,
pour fe confoier avec le Seigneur, lui
dire : Soutenez-moi , mon Dieu , ou
brifez ma chaîne, ou du moins aidez-moi
L la porter. Qu'auroit-il de fa part à leur
faire entendre t Ce n'eft point moi qui
l'ai formé , ce Hen ; je n'ai point été
votre confeil , rien ne m'engage à
ilevenir votre appui, ni à foulager votre
douleur.
. Ce qui la redouble & ce qui la doit
rendre encore plus viv e, ç'çll cette fociété
dont
D V M A R 1 A G E, '7%
dont le mariage eft le nœud. Car
quoique la fociété prife en elle-même
ait toujours été regardée comme un
bien , toutefois par l'extrême difficulté
de trouver des efprits qui s'accordent
enfemble & qui fe conviennent mutuel-»
lement Tun à l'autre , on peut dire que
la folitude lui eft communément préte-
rable. Nous avons de la peine à nous
fouffrir nous-mêmes : un autre nous
fera-t-il plus aifé à fupporter i Je ne
parle point de mille affaires chagrinantes
qu'attire la ibciété & la communauté des
mariages ; ce ne font que les accidents
àe votre état, mais des accidents après
tout [i ordinaires , que les mariages
ir.ême des Princes &L des Rois n'en
font pas exempts. Je m'arrête à la feule
diverfité d'humeurs qui fe rencontre
fouvent entre une femme & un mari.
Quelle croix & quelle épreuve ! quel fujet
ds mortidcation & de patience 1 un mari
Cage & modefte avec une femme volage
& diilîpée , une femme régulière 6c
vertueufe avec un mari libertin & impie :
de tant de mariages qui fe contractent
tous les jours, com.bien en voit-on où fe
trouve la fympathie des cœurs ? 6c s'il y
a de l'antipathie , eit-il un plus cruel
martyre ? Du moins fi l'on favoit par là
fe fanéiifier , Ci Ton portoit fa croix en
Chrétien , & que d'une trifte néceflité
on fe fit une vertu & un mérite ; mais
,ÇÊ qu'il y a de bien déplorable , c'eft que
pominy TQmçIp D
'74 Sur l*État
ces peines domeftiques ne fervent eiî'-^
core qu'à vous éloigner davantage de
Dieu éc qu*à vous rendre plus criminels
devant Dieu. On cherche à fe dédom-?
fnager au dehors ; on trouve ailleurs Tes
inclinations, & à quels délordres ne fe
laifTe-t-on pas entraîner ? Du refte ,
quelles animofités &c quelles averfions
ne nourrit-on pas dans l'ame ? en quelles
plaintes & en quels murmures , en
quelles défolatiotis & en quels défefpoirs
les années s'écoulent-elles ? On demeure
dans ces dirpofitions jufqu'à la mort ,
& comme difoit faint Bernard , on ne
fait que pafler d'un enfer à un autre
enfer , d'un enfer de péché & de crime
à un enfer de peine Si de châtiment ,
de l'enfer du mariage au véritable enfer,
des démons.
Ce font là, dites-vous , des extrémités;
il eft vrai : mais extrémités , tant qu'il
vous plaira , rien n'eft plus commun
dans l'état du mariage ; & n'eft-ce pas
cela même qui nous en doit mieux faire
connoitre la pefanteur , qu'on y foit fi
fouvent réduit à dû pareilles extrémités ?
Si cet état étoit pour vous de l'ordre de
Dieu, fi vous ne l'aviez pas choifi vous-
même , ou que vous ne l'eufllez pris que
par la vocation de Dieu , que dans les
vues de Dieu, que fous la conduite de
Dieu , fa grâce vous l'adouciroit , & fa
providence ne vous raanqueroit pas au
béCoin : il vous auroitadreflée, comme
Dtr Mariage. 7^
Refeecca , à i'époux qui vous étoit deftiné
éc qui vous convenoit : il donneroit à
vos paroles une efficace , & à vos foins
une bénédiction toute particulière , pour
rendre ce mari plus traitable , pour
fixer fes légèretés , pour arrêter fes
emportements , pour le tirer de fes
débauches , pour calmer fes inquiétudes
& dilîiper fes jaloufies : du moins dans,
les ennuis & les dégoiàts , dans les
rebuts & les mépris , dans les contra-
diélions & les chagrins où vous vous
trouvez expofée , il vous revêtiroit
d'une force divine pour les fupporter,
& par fon onclion intérieure il fauroit
bien , lors même que tout feroit en
trouble au dehors , vous faire goûter dans
le fond de l'ame les douceurs d'une fainte
paix. Mais parce que de vous-même &C
en aveugle , vous vous êtes, pour ainfi
parler , jetée dans les fers , il vous en
iaifie porter tout le poids; c'eft- à-dire,
& vous ne le favez que trop(, qu'il
vous laiffe porter tous les caprices d'un
mari bizarre , toutes les hiuteurs d'un
rnari impétueux , toutes les brufqueries
d'un mari violent, toutes les épargnes
d'un mari avare , toutes les diffipations
d'un mari prodigue , tous les dédains
d'un mari peu affectionné & indifférent,
toutes les folles & chimériques imagi-
nations d'un mari jaloux : il permet que
vous-même , au lieu de chercher dans
^oue patience Ôcçndefages ménagement^
D ï)
«76 Sur l'État
le remède aux maux qui vous affligent î
vous les augmentiez i que vous-même
vous deveniez une femme vame , une
femme indifcrette, une femme mondame
& diffipée , une femme obftmee 6C
opiniâtre ; que vous-même vous ayiez
vos variations & vos inconftances , vos
aiereurs & vos fiertés , vos vivacités
& vos colères ; que lun & l'autre
vous ne ferviez qu'à exciter le ieu de la
difcorde & qu'à rendre votre condition
plus malheureufe.
Encore fi l'on en étoit quitte a ce prix :
mais une troifieme fource de peines dans
le mariage , & j'ofe dire une fource
prefqu'inépuifable , c'eft Féducation des
enfants. Un enfant fage, dit Salomon ,
fait la joie de fon père , & celui au
contraire qui a l'efprit mal tourne , eit
un fujet de douleuf & de trifleffe pour
Proy. fa mère : FiUus fapUns Utificat patnm ;
'*'<>' films verb Jlultus , mapia efl matns
fua. - Mais fans altérer en aucune forte la
parole du S. Efprit, je puis ajouter dans
un autre fens , que des enfants a élever,
foit qu'ils foleat réglés ou qu ils ne le
foient pas , font communément pour
des pères & pour des mères un lourd
fardeau ^ une croix bien pefante. 3e
ne parle point des foins que demande
une première enfance fu]ette a mille
foibleffes auxquelles il faut condefcendre,
àmille befoins auxquels il faut tourmr , a
wille accidents fur lefquels il taut veiller.
DU Mariage. 77
Suppofons-les dans un âge plus avancé ,
& dans ce temps où ils commencent
proprement à fe faire connoître , ou
par leurs bonnes , ou par leurs mau-
vaifes qualités. Que ce foient, ii VOU$
le voulez , des enfants bien nés , &
qui donnent pour l'avenir les plus heu-
leufes efpérances ; que ce foient de bons
fujets , fur qui dans la fuite on puiffe
compter , j'y confens : mais eft-on pour
cela en état de les pourvoir & de les
avancer ? eft-on pour cela certain de ne
les pas perdre & de les conferver ? Quel
amer déboire, par exemple, & quelle
défolation de fe voir chargé d'une nom-
breufe tamille , & de manquer des moyens
nécelTdires pour l'établir ; d'avoir des
enfcints capables de tout, & de ne pou-
voir les pouffer à rien , d'être obligé de
les lailTer dans une oifiveté forcée où
ils paflent triftement leurs jours , & dans
«ne obfcurité où leur naiffance , leur
lîom , leur mérite perfonnel demeurent
enfevelis ? quel regret , quel acca-
blement , lorfqu'un accident imprévu ,
qu'une mort inopinée vient tout à
coup à enlever des enfants qu'on aimoit
& lur qui l'on faifoit fonds , à qui l'on
avoit d'amples héritages , de grands
titres à tranfmettre , & qui dévoient
être le foutien d'une maifon , laquelle
tombe avec eux , ou va bientôt après
eux tomber ! Or vous le favez , fi ce
iont là dans le monde des événements
P iij
j2 Sur l'État
rares , dont on ne puiffe tirer nulle con-
féquence, & vous n'ignorez pas ce qu'une
expérience fi commune vous a là-deiTus
appris & vous apprend tous les jours.
Mais ce que vous favez encore mieux,
parce qu'il eft encore plus commun ,
c*eft ce qu'il en coûte à des pères & à
des mères pour élever des entants indo-
ciles , pour redreffer des entants mal
nés , pour foutenir des enfants fans génie
& fans talent , pour gngner des enfants
ingrats & fans naturel, pour ram.ener à
leur devoir des enfants égarés 6c aban-
donnés à leurs paiTions , des enfants déré-
glés & débauchés, prodigues & diinpa-
teurs. N'eft-ce pas là de quoi les familles
font remplies ? & qu'y a-t-il de plus ordi-
naire ? Je dis des enfants indociles , des
enfants toujours prêts à fe révolter contra
les fages remontrances qu'on leur fait ÔC
les falutaires enfeignements qu'on leur
donne : des enfants mal nés , que toutes
leurs inclinations tournent au vice , 6c
a qui on ne peut infpirer nul fentiment
de chrifiianifme ni même d'honneur ;
des enfants fans génie , qu'on vou-
droit former , afin de les avancer , mais
auprès de qui tous les foins qu'on
prend deviennent inutiles , par le peu de
difpofition qu'on y trouve ; des enfants
ingrats , qui ne fentent rien de ce qu'on
fait pour eux , & dont on ne reçoit point
d'autre reconnoifl'ance que mille déplai-
iirs, d'amant plus piquants 3 qu'on avcit
DU Maria g e. 79
moins lieu de les attendre ; des enfants
volages & inconfidérés , qu'une aveugle
précipitation engage en de continuelles
6c iacheufes affaires ; déréglés & dé-
bauchés, que la pafTion porte à des dé-
fordres qui les décrient dans le monde ^
6c dont l'infamie rejaillit fur ceux à qui
ils appartiennent ; prodigues & diffipa-
teurs , qui pour fournir à des dépenfes
exceffives , e.ir.pruntent de toutes parts
&i à toutes conditions , fans être en peine
de l'avenir & fans en prévoir les funefhes
fuiies. Qu'eR-il befoin que je m'étende
fur cela davantage , & que vous dirai-
je dont vous ne foyez mieux inftruits
que moi ? N'eft - ce pas là , pères 6c
îneres , ce qui vous fait tant gémir ?
n'efl-ce pas ce qui vous plonge en de fi
profondes mélancolies , ou ce qui vous
jette en de fi violents tranfports ? n'eft-ce
pas ce qui vous déchire le cœur^ & ce
qui vous fait dire en tant d'occafions
ce que difoit cette mère de Jacob &
d'Efali : Si fie mïhï futurum erat , quïd Geief,
mceffe fuit conciperc? Si ce font là les f. -J*
fruits du mariage, ne vaudroit-il pas
mieux pour moi n'y avoir jamais pen-
fé ? Heureux l'état , où libre & dégagé
de tout autre foin, l'on n'eft chargé
que de foi-même ! Vous le dites , mon
cher Auditeur , & ce n'eft pas fans fujet ;
mais voici ce qui eft encore plus vrai ,
6c ce qu'il faudroit encore plutôt vous
dire & vous reprocher devant Dieu ; auç
D iv^ ' '
9a Sur L* État
vous ne deviez donc pas vous détermi-
ner û vite à un choix dont les confé-
quences étoient tant à craindre ; que
vous deviez piendre avec Dieu de jufîes
fnefures , le confulter immédiatement
lui-même par la prière , & confulter
fes Minières , qu'il a établis pour être
les interprètes de fes volontés ; que
TOUS deviez pefer mûrement les chofes,
lîon félon les fauffes maximes du mon-
de , mais dans la balance de l'Evangile
, & au poids du San6^uaire ; que vous ne
deviez rien omettre enfin avant que
cl'embrafTer Tétat du mariage , pour
bien connoître & fes obligations & (es
peines , & en dernier lieu fes dangers,
dont j*ai à vous entretenir dans la ttoi*
fieme Partie.
jTT 'T^Outes les conditions de la vîe ont
Part leurs dangers , je dis leurs dangers
'par rapport au falut ; non-feulement dan-
gers communs , mais dangers particuliers
& propres de chaque état. La folitude
même n'en eft pas exempte , & les
anachorètes ont eu à combattre pour
mettre à couvert leur innocence , & pour
fe détendre des attaques où ils ont été
expofés. Encore n'y ont-ils pas toujours
réuffi ; &. combien de fois l'Eglife a-
t-elle vu fes plus brillantes lumières s'é-
teindre, & pleuré la chute de ceux qu'elle
fe propofoit de mettre un jour au rang
«e fes Saints ? Mais du reile , félon le
D U M A R l A G e; 8l;
fentiment univerfel des Pères & des
Maîtx-es de la morale , s'il y a par-tout
des dangers , on peut dire qu'un des
états les plus dangereux , c'eft le ma-
riage. En voici la preuve : parce que
dans le mariage il faut concilier âes
chofes dont l'accord eft très - difficile ,
qui ne fe trouvent prefque jamais en-
femble , qui dans l'eftime commune des
hommes paroiffent incompatibles , &
fans^ lefquelles néanmoins il n'eft pas
poiTible d'être fauve. Car il s'agir d'ac-
corder la licence conjugale avec la con-
tinence & la chafleté , une véritable 6c
intime amitié pour la. créature avec
une fidélité inviolable pour le Créateur,
un foin exaft & vigilant des affaires
temporelles , avec un détachement d'ef-
prit & un dégagement intérieur des
.tiens de la terre. Tout cela, fur quoi
fondé ?^ toujours furies mêmes qualités
du mariage , qui fervent de fond à tout
ce difcours.
^ Prenez garde en effet , Chrétiens ;
s il y a quelque chofe qui rend l'incon-
tmence des mariages plus criminelle de-
vant Dieu , c'eft la dignité du Sacrement ;
& cependant rien de plus fujet que le
mariage aux excès d'une paffion fans rè-
gle & fans retenue. Qu'eft-ce qui porte
plus fortement une femme Sl qui l'o-
blige même à prendre avec plus de zèle
^ tous les intérêts d'un mari , & à cher-
cher les moyens de lui plaire ? n'eft-ce
D V
Si S U R L' É T A T
par cette étroite fociété qu'il doit y avoir
entre l'un & l'autre ? Mais n'eft-ce pas
aufïï d'ailleurs ce méire zèle pour un
époux, cette même attache qui la me:
dans un péril évident d'abandonner en
mille rencontres les intérêts de Dieu ,
& de déplaire à Dieu ? Enfin , il t'aut
qu'un père & une m.ere aient de la vigi-
lance & du foin pour établir leur m.ai-
fon , & fans cela ils ne latisfont pas ?n
devoir de leur conicience , puiiqu'i's
font les tuteurs de leurs enfants , C<.
qu'après leur avoir donné la vie , ils
leur doivent encore l'entretien & l'édu-
cation. Or dites-moi fi cette vigilance ,
fi ce foin d'établir une famille , de placer
àes entants^ de leur laifler un liérit:,ge
qui leur convienne Ôc qui puiiïe les ma'-n-
îenir dans la condition où ils font nés,
n'eft pas la plus dangereufe de toutes les
tentations ; fi ce n'eft pas le prétexte le
plus fpécieux & le plus fubtil pour au-
îorifer en apparence toutes les injufîices
que fuggere une avare cupidité , &: pr.r
conféquent fi ce n'eft pas une occafion
continuelle Se toujours préfente de fe
perdre ? Reprenons: & vous ,mies chers
Auditeurs, que votre étatexpofe à tart
de périls , ouvrez au moins les yetîc
pour les appercevoir & pour apprendre
à vous en préferver.
Le premier , c'eft Tincontinence des
mariages : le m.'en tiens à cette parole ,
& ce n'eft méiTie qu'avec peine' que 5*3
DU Mariage. B%
l'ai k'iiïée échapper. Saint Jérôme écri-
vant à une Vierge , & l'initriiifant des
devoirs du célibat où elle faifoit pro-
feffion de vivre , ne craignoit point
de s'exprimer en certains termes dont
elle pouvoit être bleuée : pourquoi ?
C'eft , lui difoit ce faint Dodeur , que
j'aime mieux me mettre au hafard de
vous parler avec un peu miolns de ré-
ferve , que de vous cacher des vérités
qui concernent votre lalut : MjIo vsrc- HUron\
eundiâ periclïtari , <juàm veritate. Peut-
être avoit-il raifon de s'expliquer delà
forte dans une lettre : mais ici, Chré-
tiens , dans cette chaire évangélique , je
dois fans altérer la vérité ufer de la fage
précaution que demande la dignité de
mon miniftere. Vous favez ce que la
Loi chrétienne vous ordonne - &1 ce '
qu'elle vous défend ; ou fi vous ne le
favez pas , tout ce que je puis vous
dire , c'eft qu'il vous efl: d'une extrême
importance de vous en inftruire , puif-
qu'il y va de votre falut ; c'eft "que le
mariage eft un état de chafteté Ôc de
continence, aufli - bien que le- célibat'',
quelque différence qu'il y ait d'ailleurs
entre l'un & Tautre ; c'eiï qu'il y a dans
le mariage des lois établies de Dieu,
& qu'il n'eft pas permis de tranfgreffer*
c'eft que tous lès défordres qui s'y' c^Dm-
mettent, bien-loin d'être excUfés & ëii
quelque-manière juftiiiés par le Sacré"-»
cient , tirant dé ik^'inêmQ iine malice
D vj
^4 Sur l'État
<Scunecîifforrriité toute particulière ; c'eii
.^ue vous avez fur cela une confcience
^uil faut écouter & qui vous jugera
Rêvant Dieu ; enfin , félon la penfée de
^aint Jérôme , c'eft que de trois efpeces
<le chafteté , favoir celle de la virginité,
celle de la viduité & celle du mariage,
ia chafteté conjugale , quoique la plus
imparfaite , eft néanmoins la plus diffi-
cile : pourquoi ? parce qu'il eft bien
^' UA^'^^ ' ^'^ ^^ ^^^"^ Doaeur, de
sabttenir entièrement, que de fe mo-
dérer , Si de renoncer abfolument à la
chair, qui eft votre ennemi domefti-
que , que de lui prefcrire des bornes Se
ce ia réprimer : la virginité, ajoute le
même Père , en fe confervant , triomphe
prefque fans combats ; à peine connoît-
eile le danger , parce qu'elle le fuit Se
qu elle s'en tient éloignée : on peut dire
par proportion le même de l'état de
viduité : mais il en va tout autrement à
i égard de la chafteté conjugale ; entre
«Ile & l'impureté il n'y a qu'un pas à
faire , mais ce pas conduit au crime &
jufqu'à la damnation.
A ce premier danger un autre encore
le trouve joint , c'eft celui de la fociété
anutuelle. Comprenez-le : car l'effet de
cette focieté doit être une union des
cœurs fi parfaite , que pour un époux
l'on foit diipofé à fe détacher de tout , à
quitter tout , à ficrifier tout , mais avec
f «ttç exception fi çlélkate ôc ii rare , qu«
DU Mariage. 9f
Tamour conjugal ne l'emporte pas fur
l'amour de Dieu ; que l'époux & l'époufe
foient tellement attachés l'un à l'autre ,
qu'en même temps ils foient l'un 6c
l'autre encore plus étroitement atta-
chés à Dieu ; qu'une femme difpofée 3
fuivre toutes les inclinations raifonna-
bles d'un mari, ait d'ailleurs la force de
lui réfifter quand il s'agit de fuivre fes
pallions , de participer à fes défordres,
de prêter l'oreille à fes difcours médi-
fants ou impies , d'entrer dans fes ref-
fentiments , de féconder fes vengeances,
Ainfi j que cet époux ait reçu une in-
jure , qu'il ait été offenfé ÔC outragé , il
vous eft permis d'en être touchée , de
partager avec lui fa peine, de lui pro-
curer toute la fatisfadion convenable :
vous le pouvez , & même vous le de-
vez. Mais d'aller au delà , de prendre
fes animofités &. fes haines , de Tau-
torifer dans fes emportements & fes
violences , de condefcendre à tout ce
que lui infpire un cœur aigri & animé ,
ce n'eft point agir en femme chrétienne ;
ce n'eft point là une vraie fidélité , &
Jefus - Chrid: , en inftituant le mariage
dans fon Eglife , n'a point prétendu qu'il
fervît à fe faire un crime, propre du
crime d'autrui. De même que ce mari
ou ambitieux ou intéreffé forme d'in-
-juftes defteins , & qu'il veuille contre le
droit &. la bonne foi vous engager dans
fes emreprifes , c'eft .là qu'avec uaj^
^6 SuRL^'ÉTAt
fainte afTurance, il faut tenir ferme &
s'oppofer à l'iniquité. Mais je lui dois
obéir : point d'obéilTance qui lui foit
due au préjudice de la loi de Dieu : mais
il s'éloignera de moi ; fa difgrace alors
vaudra mieux pour vous que fon eftime :
mais la paix en fera troublée ; vous
aurez la paix de la confcience , & elle
vous fuffira : mais il cherchera toutes les
occafions de me chagriner ; vous profi-
terez de vos chagrins pour pratiquer la
patience , & Dieu du refte vous confo-
lera : mais le moyen enfin de fe foute-
nir toujours dans cette fermeté inébran-
lable & de ne fe démentir jamais ? cela
n'eft pas aifé , j'en conviens, mais c'eft
pour cela même que je vous l'ai propofé
comme un des plus grands dangers de
votre état.
Et voilà ce que vouloit dire S. Pauî ,
écrivant aux Corinthiens , lorfqu'^il fai-
foit confifler le bonheur des Vierges à
n'être point partagées entre Dieu & le
•monde ^ à n'erre point chargées de l'obli-
gation & du loin de plaire aux hommes ,
mais feulement à Jefus-Chrift , l'époux
' Cor ^^ Is^i'S âmes : Et mulier innupta & virgo
ç\ j^ ' cogitât quœ.Dominifunî: Au lieu, ajou-
toit-il , qu'une femme eft toujours en
peine comment eUe fe maintiendra tout
à la fois & dans la grâce de fon mari
& dans celle de fon- Dieu , fe trou-
vant obligée , autant qîiM lui' eft pof^
'iii>ie ,à co.nteftter l'ar^ ik 'l'autr-e , ^i ne
D U M A R I A G E. ^f
fâchant néanmoins en mille rencontres
comment y réufTir , ni par où les accor-
der ; tellement qu'il faut par une trifte
r.éceffité qu'elle renonce l'un pour l'au-
tre, qu'elle abandonne l'un pour s'atta-
cher inviolablement à l'autre ; & c'efl ce
qui la trouble, ce qui divile fon cœur,
ce qui lui remplit l'efprit de penfées, de
vues , d'affeôions toutes contraires , ce
qui la tient en de continuelles perplexi-
tés , & quelquefois dans les plus cruelles
incertitudes : Qu^ autem nuvta eji , cogi- Uldi
t.zt quczfunt mundi , quomodb phceat viro ;
d'autant plus dangereufement expofée,
que la préfence d'un mari avec qui elle
vit , & l'intérêt de le ménager , font plus .
d'im.prefîîcn fur elle. Si peut-être à cer-
tains moments où la réfolution eft plus
forte & la grâce plus abondante , elle
écoute la confcience & fe maintient
dans le devoir , qu'il efl à craindre que
cette confcience toujours combattue par
l'occafion ne vienne enfin à fe relâcher
avec le temps & à céder 1 n'eft-ce pas
ainfi qu'une molle complaifance a perdu
tant de femmes & tous les jours en perd
tant d'autres? Elles étoient deleur fond
& par leur penchant douces , patientes ,
équitables , droites , régulières ; mais un
homm.e' infatiable & avare, colère &C
vindicatif, fenfuel & voluptueux, les a
rendues complices de fes frnudes & de
fes averfions , de fes excès &. de fes plus. ''>'^ «t
hontetifes cupidiiés. " - '*
88 Sur l' ÉTAT
Que dlral-je , ou que ne me refte-t-Vi
point à dire d'un dernier danger que
porte avec Toi le foin d'une famille &
l'éducation des enfants ? Il eft certain ,
6c je vous l'ai déjà fait affez entendre,
que 1 éducation de vos enfants vous en-
gage par devoir & par état à vaquer
aux affaires temporelles ; mais il n'eft
pas moins vrai que cet engagement eft
un écueil où il eft rare de ne point
échouer ; & qui ne voit pas l'extrême
difGculté qu'il y a de concilier enfemble
le foin des biens de la terre 6c le dé-
tachement de ces mêmes biens ? Selon
l'Evangile , fi vous négligez de pour-
voir vos enfants d'une manière con-
forme à leur condition , vous vous
rendez coupables devant Dieu ; & fi
d'ailleurs, afin de pourvoir vos enfants,
vous vous laiffez emporter au defir &
à l'amour des richeffes , il n'y a point
de falut pour vous. Dans le mariage ,
H ne vous eft pas permis comme aux
autres d'abandonner toutes chofes pour
fuivre Jefus - Chrift : ce n'eft point là
votre perfeftion ; il faut que vous poffé-
diez, que vous conferviez , & même
que vous travailliez raifonnablement à
acquérir : mais en pofTédant , en con-
fervant , en acquérant , il faut préfer-
ver votre cœur de toute affe<^ion ter-
reftre. Ainfi vous le dit Saint Paul ;
i. Cor. écoutez-le : Hoc itaque dko , fratres ,
*♦ 7» rdiquum eft , ut ^ ^uï hahint uxons ^
DU Mariage. S9
tanquam non habentes fint ; & qui emunt ^
tanquam non pojfidentes ; & qui utuntur
hoc mundei\ tanquam non utantur. Voilà,
mes frères , diloit ce grand Apôtre,
ce que j'ai à vous intimer de la part
de Dieu : favoir que parmi vous ceux
qui font engagés dans le mariage , aient
l'efprit & le cœur auffi libres que s'ils
étoient pleinement maîtres d'eux - mê-
mes ; que ceux qui vendent & qui
achètent , le faffent comme s'ils ne
poflédoient rien ; & que ceux qui ont
la difpoiition des biens de ce monde ,
en ufent comme s'ils ne leur apparte-
noient pas : pourquoi cela ? parce que
la figure de ce monde pafle , pourfui-
Toit le Doé^eur des Gentils : Prœterit m^^
Mnitn figura hujus mundi. Et moi , j'ufe
ajouter , en vous appliquant cette mo-
rale , parce que le foin que vous pou-
vez & que vous devez avoir des b jns de
ce miOnde , ne vous difpenfe en aucune
forte de robligatlon d'y renoncer de
cœur & de vojonté. Jefus Chrift en a fait
une loi générale pour tous les hommes,
& cetre loi , dit Saint Chryfoftom.e , ne
pouvant s'entendre d'un renoncement
réel 6c effedif , il faut par néceiïîté l'in-
terpréter du renoncement de Tefprit ,
Qui non renuntuit omnibus. C'eft-à-dire, Luc
Chrétiens, que quand le Sauveur des c '^
hommes prononçoit cet oracle , il parloit
pour vous aufTi- bien que pour moi : avec
jcette différence néanmoins , qu'en vou*.,
fry Sur l' État
faifant ce commandement , il vous obîî-
geoit à quelque chofe de plus difficile
que moi : car il vouloit que ce déta-
chement intérieur ne vous ôtât rien
de toute la vigilance néceiTaire pour la
confervation de vos biens & pour l'en-
tretien de vos familles : or de joindre
l'un & l'autre enfemble , c'eft ce que
j'appelle la vertu héroïque de votre état,
^t comment en effet , me direz-vous ,
atteindre à ce point de pauvreté évangé-
iique? A cela je vous réponds ce que
répondoit Jefus-Chrift lui-rnême fur un
fujet à peu près femblable : la chofe eft
impoffible aux hommes , mais elle ne
l'eft pas à Dieu ; el'.e eft impoiTible à ceux
qui s'ingerant d'euXnnêtT.es ôc fans la
grâce de la vocati-on dans le mariage ,
ou qui l'ayant , cette grâce , n'en font
pas l'ufage qu'ils doivent ; mais à ceux
qui y font fidelles tout devient poffible.
Abraham vécut dans le même état que
vous , il eut une maifon à foutenir com-
nie vous , il pofféda de plus grands biens
que vous , & jamais ces biens périiTa-
bles n'excitèrent le moindre defir dans
fon cœur , 6c n'y allumèrent le feu de
la convoitife.
Quoi qu'il en foit , vous connoilTez ,
ines chers Auditeurs , les obligations du
mariage , vous en favez les peines , vous
n'en ignorez pas les dangers , & par
conféquent vous voyez combien il vous
importe d'y cire écUirés , conduits,
DU Mariage. ^t
fecourus de Dieu ; c'eft-à-dire , combien
il vous importe de n'y entrer que par le
choix de Dieu , & d'y attirer fur vous la
grâce de Dieu. Mais (i cen'efl pas par
cette vocation divine que je lai em-
biafTé, n'y a-t-il plus de reffource pour
moi , &. que terai-je ? Vous ferez ce
que fait le pécheur pénitent : en fe con-
vertiflant à Dieu , il répare par la grâce
de' la pénitence ce qu'il a perdu en fe
dépouillant delà grâce d'innocence ; de
même vous réparerez après le mariage
le mal que vous avez commis en vous
engageant ^ans le mariage ; ôc puifque
vous n'avez pas eu les premières grâces
de cet état , vous aurez recours à Dieu ,
pour obtenir les fécondes : car Dieu a
de fécondes grâces pour fuppléer au
défaut des premières ; & c'eft dans
ces fécondes grâces que vous devez
mettre votre confiance : cependant parc$
qu'elles font plus rares & moins abon-
dantes quand elles n'ont pas été précé-
dées des autres, ce qui vous refte, c'eft
de veiller avec plus d'attention fur vous-
mêmes , de vous appliquer avec plus
de zèle à tous les devoirs d'un état où
Dieu veut maintenant que vous perfévé-
riez , de concevoir un repentir plus vif &
plus amer de l'égarement où vous êtes
tombés par votre faute, de redoubler fur
cela vos vœux , & de crier plus fortement
vers le Seigneur : Ah 1 mon Dieu , lui
direz-vous, comme dû le fiere de JàCob
)2 Sur l*Êtat du Mariage.
à Ifaac , après avoir perdu fon droit
d'aînefTe , n'avez-vous pas plus d'une
bénédidion , & le tréfor de vos grâces
Cenef, n'eft-il pas infini ? Num unam tantHLin
♦• *7* benediHionem habes , pater ? 11 eft vrai ,
Seigneur , je me fuis écarté de ma route ,
en m'écartant de celle que vous m'aviez
marquée ; car c'étoit là proprement ma
route, c'étoit mon chemin : mais m'a vez-
vous pour cela rejeté , & votre provi-
dence manque-t-ellc de moyens pour
réparer la perte que j'ai faite r Jetez ,
rr^on Dieu , jetez encore un regard
favorable fur rnoi , &L ne m'abandonnez
pas à moi-même , lorfque je veux défor-
mais m'abandonner pleinement à votre
Jhidcm, conduite : Mihi quoque objetro ut bene"
dicis. Il vous écoutera , mon cher Audi-
teur , & par un retour de fa miféri-
corde, il prendra pour vous de nouvelles
vues de prédeftination , &: vous fera
arriver au falut éternel , que je vouê
fouhaite, &c.
9f
SERMON
POUR
LE TROISIEME DIMANCHE
APRÈS L'EPIPHANIE.
Sur la Foi,
Et dlxit Jefus Centurioni : Vade , & ficut
credidifti fiât tibi.
/«/m* i\t au Centurion : AUe-^ , Cf qu'il vous foii
fait félon que vous ave\cru. En S. Matthieu |
chap. 8.
N'Est- IL pas furprenant que le Sau-»^
veur du monde, au lieu d'attribuer
les miracles de fa toute-puiflfance à fa
toute-puifbnce même & à la vertu fou-
veraine de Dieu , les ait communément
attribués dans l'Evangile à la foi des
ho'mmes ? Puiflant en œuvres & en
paroles , il délivroit les poiTédés , il gue-
rilToit les malades , reflufcitoit les morts;
niais quoiqu'il pût bien au moins itA
f4 SurlaFot.
réferver la gloire , tandis qu'il en laKToMt
aux autres l'avantage , il la donne encore
toute entière à la toi ; comme fi la foi
feule eût opéré par lui ce que lui feul
il opéroit pour la foi. Allez, di:-il,
dans notre Evangile, & qu'd vous foit
fait félon votre foi : f^jde , & ficut
credidifti fiât tibi. C'eft la réponfe qu'il
fait à ce Centurion quilui vient demander
laguérifon defon fervitear frappé d'une
mortelle paralyfie , & c'eft la réponfe
qu'il a faite en tant d'autres occafions
6i fur tant d'autres fujets : par-tout admi-
rant la foi , lui qui ne devoit rien , ce
femble , admirer; par-tout exaltant, la
foi, par-tout publiant la force &. l'efficace
de la foi, par-tout faifant entendre qu'il
ne pouvoit rien refufer à la foi : Vude , 6*
Jicut credïdïfti fiât tïbi. C'eft de là même
«que les hérétiques des derniers fiecles
ont prétendu tirer cette faufle confé-
quence , que tout l'ouvrage & toute
l'affaire du falut de l'homme roulent uni-
quement jur la foi : erreur que l'Eglife
a frappée d'anathême , & qui va direc-
tement à détruire dans le chriftianifme
la pratique & la néce(ruc des bonnes
oeuvres. Mais moi , mes chers Auditeurs ,
fans donner dans une telle extrémité,
je tire de mon Evangile un fujet beau-
coup plus folide,&quifertde fondement
à toute la morale chrétienne : &: m'atta-
chant à ces paroles du fils de Dieu : Qu'il
^ows foit fait comme vous avez cru ^
Sur LÀ Foi. ff
'Sicutcredidifîifiattibi, je veux vous parler
des vrai* effets de la foi par rapport au
falut. C'eft dans Marie que cette vertu
a fait éclater tout fon pouvoir, puifque
c'eft par la foi que Marie conçut le
Verbe divin. Adreffons-nous à elle, ÔC.
difons-lui : Ave Maria.
DE quelque manière que je prétende
ici m'expliquer , Chrétiens , mon
deffein n'eft pas de chercher des tempéra-
ments , pour concilier l'opinion des héré-
tiques de notre fiecle avec la do6^rine
de l'Eglife , touchant l'eaicace & la vertu
de la toi , puifque faint Augudin m'ap-
prend qu'entre l'erreur & la vérité il
n'y a point d'autre parti que la confef- ■
fion de l'une & l'abjuration de l'autre.
L'opinion , difons mieux , Terreur des
hérétiques de notre fiecle , eft que la
foi feule nous juftitie devant Dieu ; que
nos bonnes oeuvres , quelque parfaites
qu'elles foient , ne contribuent en rien
au falut ; que la vie éternelle ne nous eil
point donnée par titre de récompenfe ,
mais par forme de fimple héritage ;
héritage que nous pouvons mériter ,
& dont nous prenons polTefîion fans y
avoir acquis aucun droit. Tel eft le
langage de l'héréfie ; mais voici celui
de la foi même. Car il eft de la foi ,
que la foi feule ne fuffit pas pour nous
fauver ; il eft de la foi , que nos bonnes
œuvres doivent faire une partie d^
^ Sur la Foi;
notre juftlfication ; il eft de la foi qu'efî
vertu de ces bonnes œuvres nous acqué-
rons un droit légitime à la gloire que
Dieu nous prépare, & que cette gloire ,
par un effet merveilleux de la grâce de
Jefus-Chrift , eft tout à la fois , comme
s'exprime faint Auguftin , & le don de
Dieu , & le mérite de l'homme.
Cependant , Chrétiens^ fans m'en-
gager dans une controverfe qui ne
convient ni au temps ni à rafTemblée
où je parle , j'avance deux propofi-
tions non-feulement orthodoxes , mais
inconteftables , & qui vont partager ce
difcours : favoir que c'eft la toi qui
nous fauve , première propofition ; ÔC
que fouvent aufîi c'eft la toi qui nous
condamne , féconde propofition. Elles
femblent l'une 6c l'autre contradic-
toires : mais la contradi6Kon apparente
qu'elles renferment me donnera lieu de
vous développer les plus beaux prin-
cipes & les plus grandes maximes de la
Théologie fur cette importante matière.
Le jufte fauve par la foi , & le pécheur
condamné par la foi. Le jufte fauve par
la foi , parce que c'eft fur-tout de la
foi que vient notre juftjfication : vous
le verrez dans la première partie. Le
pécheur condamné par la foi , parce
que la foi fans les œuvres devient contre
iui un titre de réprobation : je vous le
ferai voir dans la féconde partie. Com-
mençons.
Ceft
Sur LA For. 97 '
C'EST la foi qui nous fauve : cette I^
vérité nous eft trop expreiTément Part;
marquée dans l'Ecriture pour en pouvoir
douter ; mais le point efl: de favcir
comment & en quel fens il efl vrai que
la foi nous fauve. Sur quoi je dis que la
foi nous fauve 3 en deux manières ,
& comme perfection de nos bonnes
ceuvres , & comme principe de nos
bonnes œuvres ; comme perfe6lion de
nos bonnes œuvres , parce que c'efl fur-
tout de la foi que vient aux bonnes
oeuvres que nous pratiquons leur efficace
& leur prix ; comm.e principe de nos
bonnes œuvres , parce que c'eft de la foi .
que nous vient à nous-mêmes cette fainte
ardeur qui nous porte à les pratiquer. La
fuite vous fera entendre ces deux penfées.
Appliquez-vous à l'une & à l'autre.
De quelque forte que les Théologiens
expliquent le myftere de la juftification
des hommes , il eit toujours vrai , com.me
i'Ecriture nous Tenfeigne , que c'eft de
la foi que nos allions tirent leur prix &
leur efficace devant Dieu , & par confé-
quent que la foi eft comme la perfeclion
de nos vertus & de toutes nos bonnes
ceuvres. Je ne puis être fauve ni pré-
tendre aux récompenfes de Dieu , que
par le mérite des bonnes œuvres , vérité
tondante ; mais je dois auffi reconnoitre
que mes bonnes œuvres ne peuvent avoir
^de mérite devant Dieu que par la foi^
^8 SurlaFoi.
c'efl la foi qui doit leur imprimer ce
fceau de la vie éternelie que S. Paul
Rom. appelle excellemment ^Signaculumjujîitice
^' ^' fidei. Et de même , dit S. Chryibftome ,
qu'une pièce de mcnnoie qui n'auroit
pas la marque du Prince , quelc^ue
précieufe qu'elle fût d'ailleurs , ne feroit
cenfée de nulle valeur 6c de nul ufage
dans le commerce : ainfi quoi que je
faffe d'honnête , de louable & même
de grand & d'héroïque , fi je ne le fais
dans l'efprit de la foi , & fi tout cela ne
porte le caradere de la foi , je ne m'en
dois rien promettre pour le falut. Voilà ,
Chrétiens, ce qui de tout temps a pafTé
pour inconteftabie dans notre religion,
& ce que nous devons établir pour règle
de toute notre conduite ; voilà ce que
l'Apôtre prêchoit aux Juifs avec tant de
zèle; voilà ce que S. Auguftinprouvoit
aux Pélagiens avec tant de force & tant de
folidité ; voilà ce que les Pères de l'Eglife
remontroientfans ceffe aux hérétiques de
leur fiecle,& voilà ce que les Prédicateurs
de l'Evangile doivent encore aujourd'hui
6c plus que jamais faire comprendre à
leurs Auditeurs, que fans la foi, je dis fans
une foi pure , fmcere, huçnble, obéiilante,
tout ce que nous faifons nous eft inutile
par rapport à l'éternité bienheureufe.
Prenez garde, Chrétiens, Scfuivez- moi.
Les Juifs fe confioient dans les œuvres
de la loi de Moïfe , c'eft-à-dire, dans
les facrifices <jui leur étoiept ordonnés ;.
SurlaFoi. 99
€< pourvu qu'ils robfervafTent fîdéle-
ir,ent & inviolablement cette loi , ils
s'aiTuroient que toutes les promeiTes faite«
à Abraham dévoient s'accomplir dans
eux. Vous vous trompez, mes Frères,
leur dilbit S. Paul : ce n'ed point U
pratique de votre loi qui vous fauvera,
c'eft la foi de Jefus-Chrift. Vous avez
beau immoler des vi6limes , vous avez
beau vous purifier, vous avez beau faire
profeffion d'un culte exaiSl & religieux;
fi toutes ces obfervances & toutes ces
cérémonies ne font fanâifiées par la foi ,
vous ne faites rien : c'efi: par la foi que
vous avez été juftifiés , & c'eft la foi
qui doit vous donner accès auprès de.
Dieu : Jujlificati ex fide, Ainfi leur Ro^n.
parloit cet homme apoftolique. Les <=> ;*
'Pélagiens faifoient fond fur leurs bonnes
ceuvres naturelles, & fe perfuadoientque
Dieu y avoit égard dans la diftribution
de fes grâces , 6c que la raifon pourquoi
il appelloit les uns & n'appeiioit pas-
les autres , pourquoi il choififtoit les uns
préférablement aux autres, étoit que les
uns fe difpofoient avec plus de foin qui
les autres , par les bonnes œuvres de
la nature , à recevoir cette grâce de
vocation & de choix. Et il faut avouer
avec S. Profper , que cette erreur avoit
quelque chofe de fpécieux : mais c'étoic
une erreur, & S. Auguftin fut fufcité
de Dieu pour la combattre & la détruire.
JÈfpn, mes Frères, reprenoit ceDodeuç
P r O p : Ç ;^J o f
ïoo Sur la F ô r;
incomparable , il n'en va pas de la fortes
ces bonnes oeuvres naturelles fur quoi
vous vous appuyez , n'ont aucun effet
pour le falut ; ce n'efl point là ce
qui engage Dieu à nous accorder fa
grâce , & jamais il ne nous en tiendra
compte dans l'étçrnité : c'eft à la foi qu'il
a attaché tout le mérite de notre vie , &
fans la foi rien ne nous peut conduire
à lui. Enfin les hérétiques prefque de
tous les fiecles ont tiré avantage de
leurs bonnes œuvres ; & par une
aveugle préfomption , fe font flattés de
vivre dans leur fecle plus faintement que
les Catholiques , d'être plus réformés
qu'eux, plus aufteres qu'eux, plus adonnés
aux exercices de la charité &L de la
pénitence qu'eux ; & à n'en juger que par
l'extérieur , peut-être ont-ils eu quel-
quefois fujet de le prétendre. Mais parce
que leur foi n'étoit pas faine , les Pcre\
leur répondoient toujours que c'étoit
en vain qu'ils fe glorifioient ; qiie toutes
ces oeuvres de piété, quoiqu'édatantes,
lî'étoient que des œuvres mortes , leurs
vertus que des phantômes , Ôc que de
fécondes qu'elles euflent été avec la foi,
elles devenoient fans la foi des arbres
flérlles : qu'il n'y avoit que le champ
de l'Eglife où l'on pût efpérer de
cueillir de bons fruits '. que quiconque
femoit ailleurs que dans ce champ ,
perdoit de diffipoit ( car je ne me fers
ici que de leurs exprefTions) : que c'était
Sur la Foi. ioï
dans cette Egllfe univerfelle , & par
conféquent dépofitaire unique de la vraie ,
foi , que Dieu , félon le témoignage de
David, voufoit être loué : Apud te laus Pf,2.t.
mea in EccLe/ïâ ma§nâ : que hors de là
il n'y avoit ni louanges ni prières qu'il
écoutât , & que quànd un homme
dont la foi fe trouvoit corrompue, ofoit
paroitre devant les autels pour s'acquitter
d'un devoir de religion , c'étoit à lui
particulièrement qu'il adreffoit ces ter-
ribles paroles : Quare lu enarras juflitus Pf, 4^*
meas , & afjumïs tejlamentum meum per
es tuurn ? Pourquoi t'ingères- tu à fanc-
tifier mon nom ? & pourquoi n'ayant pss
la foi de mes ferviteurs , entreprends-
tu de me rendre des fervices que je ne
puis agréer ? Que les bonnes œuvres
féparées de la foi , bien - loin d'être
aux fedateurs de l'héréfie un fonds de
îHérite , feroient plutôt devant Dieu un
fujet de confufion , puifque Dieu non-
fculement ne leur fauroit nul gré d'avoir
fait le bien qu'ils faifoient en ne croyant"
pas ce qu'ils dévoient croire, mais qu'il
les jugeroit même avec plus de rigueur,
pour n'avoir pas cru ce qu'ils dévoient
croire en faifant le bien qu'ils faifoient :
Ac per hoc , folo Dd meoque judicio , ces ^^g»
paroles font remarquables , non folùm
mïnîis laudaniï funt , quli fe continent
chm non credant ; fed etiam multb m agis
vitupcrandi , qui.: non credunt , chm fe.
çpntuuantt £n uft mot , que dans le Chiil-
E iij
302 Sur la Foi.
tranifine ce n'étoit point abfolument par
la iubftance des œuvres , mais par la
qualité de la foi que Dieu faifoit le difcer-
llU^m. nement des juftes : Deus quippe nofter
& fapiens judex jujios ah injuftis , non
operum , fed ipfius fidei Ic^e difcernit.
Tout cela eft de laint Auguflin -; d'où
il concluoit qu'un Chrétien , qui dans
fa condition pratiqueroir tout ce qu'il y
a de plus faint & de plus parfait , mais
qui n'auroit pas l'intégrité de la foi ,
avec toute fa perfe61ion & fa prétendue
fainteté , f3roit éternellement l'objet ds
Ibidem, la réprobation divine, Per quam dïfcrc
iionem fit , m h&mo injuriarum patient
tïjjîmus , deemofynarum larpjjimus , fi
non reclam fidem in Deum kabet , cum fuis
ïfiis laudabilibus moribus , ex hâc vita
damnandus ahfcedat.
Tel étoit , mes chers Auditeurs , le
langage de ces grands hommes que Dieu
jK)us a donnés pour maîtres , &L voilà la
fource de l'affreux défordre où font tom-
bés tant d'efprits fuperbes & féduits par
le démon de l'infidélité. Ah î Chrétiens ,
qui le pourroit com.prendre & s'en for-
mer une jufte idée ? qui pourroit dire
combien , par exemple, l'héréfie feule de
Calvin a détruit de m.érites , a ruiné de
bonnes œuvres , a corrompu de vertus ,
a fait périr devant Dieu de fruits admi-
rables que la grâce devoit produire , ÔC
que la vraie foi auroit vivifiés ? Car enfin ,
reconnoiiTons-le ici , quand ce ne feroiî
Sur la Foi. îôj
^ue pour adorer la profondeur impéné-
trable des jugements de Dieu; avouons-
le de bonne foi , & par le témoignage
que nous rendrons à une vérité qui ne
nous intérefle en rien , convainquons-
iious fenfiblement & efficacement d'une
autre où il s'agit du tout pour nous. Dans
cesfe£tes malheureufes que l'héréfie 6c le
fchifme fufcitoient , il y a eu du bien au
moins apparent : aujiiilieu de cette ivraie,
l'ennemi même qui l'avoit femée affec-
toit de faire paroitre de bon grain ; on
y voyoit des hommes modefles , chari-
tables , abdinents : mais notre religiott
nous oblige à croire que parce qu'ils ne
portoient pas fur le front ce figne du
Dieu vivant, c eft-à-dire, le figne de la'
foi 5 quelques merveilles qu'ils fiiTent ,
Dieu leur difoit toujours : Je ne vous
connois point. Ils priaient , mais leurs
prières étoient réprouvées ; ilsjeûnoient,
mais Dieu méprifoit leurs jeiines : & s'ils
^^ufFent penfé à s'en plaindre & à lui ert
demander raifon , s'ils euffent dit, comme
les Juifs : Quare jejunavimus , & non afpc- Ifah
xifli ; huTTiiliavimus animas no/iras , & ^' 5^»
nefcijli? Hé ! Seigneur, pourquoi avons-
nous jeûné , fans que vous ayiez jeté les
yeux fuf nous ; & pourquoi nous fom-
mes-nous humiliés en votre préfence ,
fans que vous l'ayiez fu , ou que vous
ayiez paru le favoir ? Dieu toujours jui^e
6l toujours fur de la juftice de fon pro-
cédé, leur eût fait cette réponfe , pleins
E iv
104 Sur la Foi;
de raifon & d'indignation tout enfemble ï
£cce in die jejunii vefiri invenitur voluntaS'
vefira : C'eft que malgré vos abftinences
& vos jeûnes , j'ai découvert votre
orgueil, votre opiniâtreté , votre rébel-
lion , une volonté & une dirpofition de
cœur toute oppofée à cette obéifTance de
TeTprit qu'exigeoit la foi de mon Eglife :
Ihidem. Ecce in die jejunii veflri invenitur voluntas
vcjlra : réponfe quilesauroit confondus.
Et en effet , quand au moment de la
tBort où ils dévoient être jugés de Dieu ,
ils venoient à lui produire leurs bonne*
ceuvres , mais leurs bonnes œuvres faites
dans l'héréfie , Dieu , tout porté qu'il
' cft à réccmpenfer , fe vcyoit comme
forcé de les rejeter & de leur prononcer
par la bouche d'un autre Prophète , c«
Aggc.t.tnûe & redoutable arrêt : Seminaftis
mulium 6» intuliflisparum ; il eft vrai , vous
avez beaucoup femé , mais le comble
de votre mifere eft que vous n'avez
ihid. rien à recueillir : Refpexiflis ad amplius ,
& ecce fi^inn eft minus ; vous avez cru
gagner bien plus que vos frères qui fji-
voient avec fimphcité la route commune
de la foi , mais en pourfuivant un gaia
chimérique , vous avez perdu le gain rée!
Ibld, & folide que vous pouviez faire : Intu~
lijiisin domuniy & exfuffluvi illud ; vous
avez fait un amas & un tréfor , mais
c'étoit un amas de poufliere que le vent
a emporté & diflipé. Et pourquoi tout
cela, ajoute le Seigneur ? Quant ob iaufam.
Sur la Foi. lOf
'(fixît Dominus exercituum ? Ecoutez-en , Ib'Jeém
Chrétiens , la raifcn : Çliûn domus mea Ihïicm,
■defcrta eji , & vos feftinajîis unufquifque.
in domum fuam : C'eft que vous avez
abandonné ma maifon qui eftrE^life , 6c
<jue vous vous êtes retires chacun dans
Yos maîfons particulières ; c'eft que vous
vous êtes fait des églifes à votre mode ,
que vous vous êtes laiffés aller à des
nouveautés , que vous avez écouté des
maîtres & des Do<£^eurs que je n'auto-
riibis pas , & que par une iiifidélJLté
tizarre &i capricieufe vous avez préféré .
leurs fentiments & leur conduite à la
règle univerfelle que j'avois établie.
Voilà , difoit Dieu par fon Prophète ,•
voilà le ver qui a gâté toutes vo© œuvres.
Or , Chrétiens , ce que Dieu difoit
alors , nous pouvons bien encore le dire
maintenant & nous l'appliquer à nous-
mêmes. Car quoiqu'il n'y ali point d'héré-
tiques déclarés , parmi les Catholiques
mêmes , ou plutôt parmi ceux qui en
portent le nom , vous favez combien il
y en a dont la foi nous doit être au moins
très-fufpecie, parce que ce n'eft p^s une
foi pure & entière, ils n'ont pas, ce
femble quitté l'Eglife : mais on peut
être extérieurement dans TEglife , 6c
n'avoir pas la foi de l'Eglife : on peut
être dans la communion du corps de
l'Eglife, & n'être pas dans la commu-
nion de fon efprit. Ce font des gens qui
E V
10^ Sur la Foi.
vivent bien ; vous le dites , & la charité
nrengage à le croire , malgré bien des
exemples qui pourroient me rendre cette
bonne vie équivoque & affez douteufe.
Mais enfin qu'ils foient des anges . fi vous
Je voulez, par leurs n'oeurs, qu'ils foient
des martyrs ; û cependant ils n'ont pas
la pureté de la toi , l'humilité de la foi ,
la fmcérité de la foi , la plénitude de la
foi, je répondrai avec S. Paul, que dans
leur vie prétendue angélique , il leur eft
Behr, impoffible de plaire à Dieu : Sine fide
c. u, impojfibile ejî placera Deo. Et j'ajouterai
avec S. Cyprien, que ce n'eft point leur
fang que Dieu demande, mais leur foi:
Cypnan.^on quccrit in vobis fanguinem , fedjidem.
Si nous fommes bien perfuadés , mes
chers Auditeurs, de cette importante
vérité , quelle eftime ferons-nous du don
précieux de la foi ? Avec quel foin la
conferverons-nous? Nous ne craindrons
pas feulem.ent de la perdre, mais de lui
donner la moindre atteinte , & pour ufer
de l'expreffion de faint Arabroife , d'en
altérer , en quelque forte que ce foit , la
-virginité. Car ce Père confidéroit la foi
comme une vierge que la plus légère
tache flétrit ; & c'étoit ainfi qu'il s'expri-
moit, en pariant de S. Paul & des pre-
miers Chrétiens dont ce grand Apôtre
Amhr. avoit la conduite : Timckat ne vïrgïni-
îatem fidei amittercnt : U craignoit que
J,$5 Fidel^§ ne perdiffcnt la virgirûté de
Sur LA Foi. 107
leur foi. Dans toutes les conteflations
qui peuvent naître , au lieu de tant rai-
fonner & de tant examiner , au lieu de
fuivre ou nos préjugés ou nos intérêts ,
nous ne prendrons point d'autre parti
que celui d'une obéiffance fiKale & d'un
attachement partait à l'Eglife , c'eft-
à-dire , celui qui arrête toutes les dif-
putes & toutes les divifions , celui que
les Pères nous ont toujours & par-deilus
tout recommandé , celui qui nous pré-
fervera de toutes les illuiipns & de tous
les égarements, celui que Dieu bénit, où
il eft obligé lui-même de nous conduire ,
& où il feroit plutôt des miracles que
de nouslaiiler dans l'erreur. Nous ferons,
fouvent à Dieu la même prie?-e que
faifoient les Apôtres à Jefus - Chritl: :
j4daugenobisjidcm: Seigneur, augmentez ^^c,
ma foi, purifiez ma foi , affermiUez ma ^* '7*
ior; car je fais , mon Dieu , que c'eil la
foi qui nous fauve , non-feulement parce
que c'eft elle qui donne le prix à toutes
les bonnes œuvres que nous pratiquons,
6c qu'elle en eft comme la perfeilion ,
mais encore parce que c'eft elle que
nous engage à les pratiquer, & qu'elle
en eft le principe. Voici , Chrériens , ma
penfée ; tâchez de la comprendre.
En effet, ce font deux chofes diffé-
rentes que d'agir & de bien agir ; ainfi ,
que la toi foir une condition néceflaire
pour perte^Uonner nos œuvres toutes les
Evj
loS Sur la Foi.
fois que nous ngiffons , il ne s'enfuit pa*
précirément de là qu'elle ait une vertu
ipéciale pour nous porter à agir. Je ne
puis faire des œuvres de falut Sans la toi,
c'eftla première proportion que je viens
d'établir ; mais cette propofition n'eft pas
la même que celle-ci. Dès que j'ai la
foi , je me fens animé , excité à faire
toutes les œuvres du falut ; & rien n'eft
plus propre à nous infpirer là-defTus cette
a6livité & ce zèle que nous admirons
dans les Saints, & en quoi confiée la
ferveur chrétienne : or c'eft encore de
cette autre manière que la foi nous fauve.
Car imaginez'vous , mes Frères ( c'efl
îa comparsifon de S. Bernard , & cette
comparaifon eft très-naturelle ) y imagi-
ïiez-vous la foi dans un ]u{\e , comme
le premier mobile dans l'ucivers. Ce
ciel que nous appelions premier mobile,
quoiqu'inf?niment au-deffous de tous les
autres cieux, ne lailTe pas de leur impri-
mer fon mouvement & fon adion , &
qu'au m.ême temps qu'il roule fur .nos
têtes, tous les autres cieux roulent comme
lui & avec lui. Si ce premier mobile
s'arrêtcit , tout ce qu'il y a de globes
célefles s'arrcteroient ; mais pirce que
fon mouvement efl: continuel , celui
des globes inférieurs n'efl: jamais inter-
rompu. Il en eft de même de la foi. La
foi dans une ame chrétienne & dans
toutes les opérations de la grâce , eil iç
Sur la Foi. 109
premier mobile ; c'eft une vertu fupé«
rieure à toutes les autres , enforte que
toutes les autres lui font lubordonnées ,
& n'aglilent par rapport au falut qu'au-
tant qu'elles font mues par celle - ci :
tout ce que je fais pour Dieu, je ne le
fais qu'en conféquence de ce que j'ai la
foi & qu'à proportion de ce que j'ai de
foi. Si j'ai beaucoup de foi , je fuis dès- ^
lors déterminé à faire beaucoup pour
Dieu ; fi j'ai peu de foi , je deTiCure dans
la langueur, &. je tais peu pour Dieu ; fi je
n'ai point du tout de foi, il eft infaillible
que je ne ferai du tout rien pour Dieu.
Notre feule expérience nous rend cette
théologie fenfiûie ; mais Saint Paul en-
chérit encore , 6i va plus avant ; car
non-feulement il veut que la foi foit la
caufe mouvante qui ùfîe agir en nous
toutes les vertus , mais il veut que ce
foit elle-même qui produife en nous les
a61es de toutes les vertus, & que toutes
les vertus furiiaturelles 6c divines ne
foient proprement que les inftruments
de la foi. Vérité que le grand Apôtre
faifoit entendre aux Galates en des ter-
mes fi décitifs , quand il leur difoit que la
foi opère par la charité : fides quœ. per GaZ^r^
charitdtern operatur, Pefez bien ces paro-*^* /*
les , Chrétiens : il ne dit pas que c'eft
la charité qui opère par la foi , mais il
dit que c'eil la ioi qui opère par la cha-
rité, qui aime par la charité, qui pardonne
pur I4 ^h^riié , qui âflifce par là charité »
lïO Su Pv L A F O I.
comme fi la charité n'avoit point dô
tbnèlion qui lui tïit propre , & que tout
ce qu'elle fait ou qu'elle entreprend , fût
l'ouvrage de la foi. Or fi c'eit la toi qui
opère quand nous aimons Dieu Si le
prochain , ( deux devoirs efTeniiels où
toute la loi eft renfernnée ) qui doute
que ce ne Toit la foi qui nous laiive ÔC
qui nous jui^iîie ?
Dé là même que le même Saint Paul ,
par une fuite de raifonnements qui mé-
rite toutes nos réflexions , ne Gifoit point
difficulté d'attribuer uniquement à la foi
les effets les plus merveilleux &. les plus
héroïques de toutes les autres vertus ;
ne reconnolffant m.ême, pour airii dire ,
dans le Ciiriftianifme qu'une feule vertu
qui eft la foi , & confondant avec la
foi tontes les vertus chrétiennes , com-
me il psroit c^e Samt Auguftin -es
comprencic toutes dans la charité. Mais
la Théologie de Saint Paul eft ici bien
plus expreiTe que celle de Saint Au-
guftin ; car écoutez comment il parle
dans fon excellente épitre auxHéjireu»,
Pour exciter notre zèle , il nous pro-
pofe l'exem.ple des Patriarches de l'an-
cien Teftament ; & rapportant à un feul
point leur éloge , il nous dit que tout
ce qu'ils ont fait de grand , ils l'ont fait
par la fol : que «'eft par la foi qu'Abel
présenta à Dieti plus d'hofties que Gain:
fjshr. ^'^^ plurlmam hjftiam Ahel qiiùm Cain ,
f. Il, «iuilii Dco* Que c'oft par la- foi que
Sur la Foï. ïn
Abraham fe rèfolut à immoler lui-même
fon fils : Fide obtulit J'oraham IfdJC , Ihld»
cutn tentaretur : que c'ell: par la foi que
Moyfe quitta l'Eeypte , & renonça au
trône de Pharaon^: Fide Moyfes^ reliquit Ihld,
jEgyvtum ; ainfi des autres. Mais quoi ,
reprend Saint Chryfortome , ne tut-ce
pas l'ardente charité de Moyfe pourrie
peuple Juif, qui lui fit abandonner l'E-
gypte ? ne fut - ce pas la piété d' Abel
& fa religion qui le rendit fi libéral en-
vers Dieu , &*qui lui fit offrir tant de
viaimes ? ne fut-ce pas l'obéiffance
d'Abraham qui le fournit à Dieu , &
qui lui fit former la généreufe rélolution
de facrifier fon unique 6c fon biea-
aimé? Ah! répond ce ûint Doreur,
tout cela fe faifoit par la foi. H eft vrai
qu'Abraham obéit à Dieu , ôc que ce fut
une abéiffance plus qu'humaine ; mais
c'étoit la foi qui obéUToit en lui , c'étoit
la foi qui étouffoit dans fon coeur tous
les fentiments de la nature , c'étoit la
foi qui le rendoit faintement cruel con-
tre fon propre fang : comment cela ?
parce qu'il efl certain qu'Abraham ne
confentit à la mort d'Ifaac , & ne fe dif-
pofa à exécuter Tordre du Ciel qu'en
vertu de ce qu'il crut , félon le langage
de l'Écriture , contre toute créance, ÔC
qu'il elpéra contre l'efpérance même :
Contra fpem in fpem credidit. Ceft pour- Rom,
quoi l'Ecriture ajoute : Credidit , & repu- c 4*
tatum e(l lili ad jufiïtuni? Abr*.ham crut;, Iklik
ÎÎ2 S U R L A F O I.
& il fut juftifii devant Dieu. Elle ne ^k
pas , il crut & de là il obéit, il fortit de
ia maifon , il alla fur la montagne , il dé-
pouilla Ifaac, il leva le bras & il fut
eniiiite iuftifié : mais elle die fimplement ,
il crut & il fut juftiiié , imitant en quel-
que manière les Philofophes , qui fans
s'arrêter à de longs laifonnements , joi-
gnent la dernière conféquence avec le
premier principe. Crcdid'u & reputatum ejl
illi ad juflitidm ; il crut & il fut juftihé ,
parce qu'en effet tout le refte qui contri-
bua à la juflification d'Abraham, fe trou-
ve contenu dans ce feul mot , Credidit ,
comme dans fa fource & dans fa caufe.
C'eft pour cela même auffi que le
Concile de Trente voulant nous donner
une idée exa6ie de la foi , s'eft fervi de
trois paroles bien remarquables , lorf-
qu':l nous déclare que la loi eft le com-
mencement , le fondement & la racine
Conc. de notre juftification , Fides eft initium ,
Trid. fundamentum & radix tôt lus juflificatio'
nis noflrcz. Prenez garde à ces trois diffé-
rentes expreiîions , qui font tellement
liées enfemble oi ont un tel rapport, que
l'une néanmoins fignifie toujours plus
que l'autre , puifque le fondement dit plus
que le commencement , &: la racine plus
encore que le fondement ; car le com-
mencement eft ce qui tient le premier
rang dans l'ordre des chofes : miais
outre que le fondement eft la première
parue par où commence icdifice , c'elt
SurlaFoi. iij*
ce qui foutient & qui porte toute la
iTiafle de l'édifice 4 or porter , foutenir eft
plus que commencer. De même, outre
que la racine eft la première partie de
l'arbre , outre qu'elle foutient tout le
poids de l'arbre, c'eft elle qui produit
toutes les branches, toutes tes fleurs,
tous les fruits de Tarbre : or produire
eft plus que foutenir ; & voilà les trois
caraderes de la foi. Elle eft la première
de toutes nos vertus : ce n'eft pas affez ,
elle fert d'appui & debafe à toutes nos
vertus ; cela ne fuffit point encore , elle
produit dans nous-mêmes toutes nos
vertus; c'eft-à-dire, Chrétiens, que fi
je fuis jufte, non-feulement je commen-
ce par la foi , non-feulement je me fou-,
tiens par la foi , mais je n'agis &: je ne
vis que par la foi, fuivant cet oracle de
l'Ecriture : Ju(lus autem meus ex fide Hehrl
vïvît , mon jufte vit de la foi. Ah ! la c. jo.
belle qualité, m.es chers Auditeurs, que
d'être le jufte de Dieu ! combieo en
voit- on aujourd'hui qu'on peut appeîler
les juftes des hommes , tandis qu'ils font
devant Dieu des criminels & des pé-
cheurs ? Mais mon jufte , dit le Sei-
gneur , n'a point d'autre vie en qualité
de jufte , que la vie de la foi , c'eft à
cela que je le reconnois : Juflus autem
meus ex fide vivit.
Et en effet , quand je vis en jufte ,
toute ma vie eft nécelTairenent une vie
de foi y je ne délibère , je n'agis , je iie{
ÎI4 Sur L A fo r,
crains, je n*efpere , je ne recherche &je
ne fuis que par le iriouvement de la foi :
c'eft la foi qui me faif aimer mes enne-
mis, car fans la foi je les haïrols ; c'efl
la foi qui me fait haïr les plcifirs du
iHonde , car fans la foi je les aimerois ;
c'eftjafoiqui me fait oublier une injure,
car fans la foi je me vengerois ; c'efl la
foi qui me fait bénir Dieu dans les fouf-
frances, qui me fait eflimer la pauvreté,
qui me fait choifir une vie auflere , car
fans la foi j'en aurois horreur. La foi donc
eille principe de tout bien , & c'efl elle
qui me vivifie , elle qui me fauve. Jujîus
autcm meus ex fide vivït.
Mais fi cela efl , pourquoi dans le
Chriflianifme même & jufques dans le
centre de la foi , de cette foi fi répandue
lur la terre , y a-t-il néanmoins aujour-
d'hui tant de Chrétiens qui le damnent,
& fi peu qui parviennent au falut ? Voilà,
mes Frères , & il en faut convenir , voilà
une 4e ces grandes difRcultés qui ont
fait l'étonnement des Pères de TEglife,
& fur^quoi il femble que Saint Auguflin
lui-même ait héhté avec toutes les lu-
mières de fon efprih Difficulté que je
pourrois éluder d'abord , en conteflant
le principe , favoir que la foi foit aufîi
répandue dans le monde qu'il nous plaît
de le fuppofcr : Non , non , dirols-je,
cela ne m'efl point évident ; & pour Thon-
neur de la foi même , j'aime mieux dou-
ter qu'elle fgit maintenant fi commune ,
r
Su R LA F O I. ïlf
que de reconnoître qu'étant fi commi^
ne, elle produife fi peu de fruits. Dé-
trompons-nous, ajouterois-je : la pré-
dication de l'Evangile eit répandue dans
tout le monde ; triais plût au Ciel qu'il
en fût de même de la foi. Car il y a
bien de la différence entre la prédica-
tion de l'Evangile & la foi : l'une eft
une grâce extérieure & indépendante de
nous, mais l'autre eft une vertu inflife
que noiîs devons conferver & cultiver-
dans nous. Cette prédication de l'E-
vangile, cette grâce extérieure , par une
difpofiiion favorable de la Providence,
eft très-commune , mais Je n'ai que trop
lieu de craindre que la foi ne foit très-
rare. Jefus-Chrift demandoit à fes Dif--
cipies , fi lorfqu'il viendroit , il trouve-
roit encore de la foi fur la terre , ne
croyant pas , dit Saint Chryfoftome ,
qu'il y en dût avoir alors , ou prévoyant
qu'il y en auroit peu : Vcrumtamen films £„^,
homïnis veniens , putas , invcniet fidem in c. i$%
terra ? Or n'eft-ce pas dans notre fiecle
que cette parole du Sauveur du monde
commence plus que jamais à fe vérifier ?
Quand même le fils de Dieu n'auroit
point parlé de la forte, la vie des Chré-
tiens ne feroit-elle pas plus que futfi-
fante pour me faire douter de leur toi ;
& du peu de ccnnoiilance que j'ai du
■^ monde , n'aurois-ie pas droit de conclu-
* re , ou au moins de foupçonner , c[u'uii
levain d'infidéiité , mais d'une infidélité
ïï6 Sur la Foi.
fecrette & déguifée , y caufe une cor-
Tuption fi générale ? Car enfia , pourfui-
vrois-je avec Saint Bernard , il eft diffi-
cile que la plupart des homiries agiffent
tout autrement qu'ils ne croient , &
qu'il y ait dans leur conduite une con-
tradi6tion auffi monftrueufe que celle
de vivre comme ils vivent & d'avoir la
foi. A peine cela fe comprend- il ^ &
dans ce prétendu {yiïème il y a je ne
fais quoi de fi violent , qu'il eu comme
ïmpofTïble qu'on le puille long - temps
foutenir. Quand donc je vois un Chré-
tien auffi emporté , auffi Tenfuel , auffi
ambitieux qu'un païen & même au-delà
d'un païen ; au lieu de dire , comme
on dit communément , cet homme dé-
ment la toi , je dirois prefque , cet hom-
me n'a plus abfolument de toi , parce
que s'il en avoit , je ne conçois pas qu'il
pût la démentir û univerTellement & fi
conftamment, &L que croyant d'une fa-
çon, il agit toujours de l'autre. Quand
je vois une femme du monde tranquille
dans fes défordres , libertine dans fes
converfations , fcandaleufe dans fes com-
merces & d-ans fes intrigues ; au lieu de
dire, félon le langage ordinaire, cette
femme a une foi foible & languiflante ,
une foi ftérile & infru6lueufe , je de-
manderois & je dirois , cette femme a-
t-elle encore une étincelle de foi ? parce
que je fuis perfuadé qu'il n'en faudroit
pas davantage pour lui donner horreur
s u R L A F o I. iiy
îde fon état , & pour l'en fa're for tir.
Ainfi raifonnerois-je , & ce feroit pour
l'intérêt même & pour l'honneur de la
foi. Car il lui feroit en quelque forte
plus honorable que le commun des
hommes tût réputé pour impie & pour
être fans foi , que de paffer pour en
avoir une qui ne réfifte à rien , qui ne
furmonte rien , qui n'opère rien ; que
dis-je , qui laiffe tomber dans les plus
honteux dérèglements Si. dans les der-
nières abominations. Et il ne faudroit
point m.e répondre que ces pécheurs
mêm.es qui d'une part fe livrent à leurs
paillons les plus déréglées , proteflent
hautement d'ailleurs qu'ils ont la foi : je
fais , repliquerois - je , qu'ils le protef^
tent ; mais la queftion eft de favoir Ci
l'on doit s'en tenir à ces prcteilations ,
& s'il n'eft pas plus jude de les réduire à
la preuve que demandoit l'Apôtre Saint
Jacques : Oflende mihi fidem tuam fine j^^^t^
operibus. Chrétiens , qui peut-être vous ^^ ^,
gloriiiez de ce que vous n'êtes p^s , vou-
lez-vous me faire connoître votre foi ?
ju(Htiez-la , par où? par vos. œuvres :
car tandis que vous détruirez dans la
pratique ce que vous profelTez de bou- "
che , tandis que je ne verrai point d'œu-
vres , je me détierai toujours de vos
paroles. Et n'eiVce pas là , mes chers
Auditeurs , que nous réduit l'iniquité du
fiecle ? à ne pouvoir plus s'aiïurer de la
foi des Chrétiens , à ne pouvoir plus dire
!i8 s u p. L A F O 1,
s'ils en ont , ou s'ils n'en ont pas , &c a
tiQ (avoir plus ce qu'ils font ? N'eft-ce
pas là l'état déplorable de ce qui s'ap-
pelle parmi nous le monde ? Entrez dans
les cours des Princes , defcendez dans les
cabanes des pauvres ; alTiftez, s'il fe peut,
aux confeils fecrets des politiques de la
terre ; parcourez les cercles & les afTem-
blées ; arrêtez- vous dans les temples &
dans les lieux faints , par-tout vous de-
manderez s'il y a de la foi , parce que
par-tout vous ne trouverez que fcandale
& débordement de mœurs : Putas , in-
Xenïct fidem in terra. ?
Mais n'infiflons pas fur ce point da-
%'antage : peut-être le libertinage pour-
roit-il s'en prévaloir , & y trouveroit-il
un prétexte pour s'autorifer. Car un des
prétextes du libertinage , eft de préten-
dre que l'on ne croit point , & que l'on
n'a point de foi , & cela , pour avoir
droit d'imputer les défordres de fa vie
au défaut de perfuafion qui paroît une
excufe honnête , -au lieu de les impu-
ter à la corruption du cœur. Reconnoif-
fons donc que de ce grand nombre de
Chrétiens qui fe perdent dans le monde,
il y en a en effet plufieurs qui ont encore
la foi : accordons-leur tout ce que nous
pouvons leur accorder , favoir , que leur
foi fabiifte ; donnons-leur cette confo-
lation , qu'ils la puiffent conlerver par-
mi les excès d'une vie criminelle. L'E-
glife ne leur difpute pas cet avantage.
SurlaFoî. 119
elle a même voulu leur en maintenir la
poilefTion par une décifion expreffe , en
déclarant dans le Concile de Trente
qu'une vie impure &. corrompue ne va
pas toujours jufqu'à la deftru6tion de
la foi. Avouons-le avec elle : on peut
être chrétien, & mauvais chrétien; on
peut avoir la foi , & agir contre la foi ;
mais alors la foi nous fauve-t-elle ? bien
loin de nous fauver , je dis que par un
effet tout contraire elle nous condamne ,
6c c'eft k féconde Partie.
IL ne faut pas s'étonner , Chrétiens , IL
que ce foitla même foi qui nous fauve PARt*
6i qui nous condamne devant Dieu ; elle
ne fait en cela que ce que fait Jefus-Chrift"
même , lequel étant l'auteur de notre
falut, devient tous les jours par l'abus
que nous faifons de fes mérites & de fa
grâce , l'auteur de notre perte éternelle
& de notre réprobation. Ainfi la foi qui
ne nous a été donnée que pour nous juf-
îifîer , ne laide pas de fervir à nous
condamner , félon les différentes m.anie-
res dent nous nous comportons à fon
égard, & les divers traitements qu'elle
reçoit de nous. Mais encore pourquoi
nous condamne-t-eile ? comment nous
condamne-t-elîe } Deux chofes qui me
reftent à éclaircir, & qui demandent une
attention toute nouvelle.
Je dis que la foi nous condamne
Içrfque nous ne vivons pas félon fes
ïîo Sur la Foi;
maximes , parce que vivant alors dans le
défordre , nous la retenons captive dans
l'injuftice , fuivant l'expreffion de Saint
Paul ; que nous lui enlevons le plus beau
fruit de fa fécondité , qui font les bonnes
œuvres , comme parlent Saint Hilaire &
Saint Ambroife , 6c que dans le ienti-
nient de l'Apôtre Saint Jacques , nous
la faifons enlin mourir elle - même au
milieu de nous. Or ne font-ce pas là
autant d'outrages que nous lui faifons,
& qu'elle doit veager , pour ainfi dire ,
en nous condamnant ? Prenez garde :
nous la retenons captive dans l'injukice ;
ce font les propres paroles du Maître des
Rom» nations : Qui veritatem Dei in injuflitia,
^« '• detinent; ils tiennent , dit-il , comme dans
les fers la vérité de Dieu. Or la vérité
de Dieu n'eft en nous que par la foi ; &
tandis que nous menons une vie corrom-
pue , il elt évident que nous faifons vio-
lence à cette foi , que nous la tenons
dans la fujétion & dans l'efclavage ;
comment cela ? parce que nous ne lui
donnons pas la liberté d'agir en nous
comme elle voudroit & comme elle de-
Vrqit. Dans la naiffance du ChriiHanif-
me, remarque Saint Bernard, lorfqu'il
y avoit des perfécutions , la foi étoit
libre*, pendant que les fidelles étoient
captifs. Maintenant que les perfécutions
ont ceffé, les fidelles jouifient d'une li-
berté dont ils abufent , & la foi eft com-
pie enchaînée. Quel fujet pour nous de
confufion
\
Sur la Foi. 12^
confufion & de condamnation ? Jufques
dans les prifons & dans les cachots les
martyrs publioient la foi qu'ils avoient
dans le cœur , & malgré les tyrans ils
confeffoient hautement Jefus-Chrift. Il
efl bien étrange , lorfque l'Eglife eft dans
une profonde paix , que la foi des Chré-
tiens n'ait plus la même liberté, & que
cette liberté lui foit ôcée par des Chré-»-
tiens même, qui deviennent fes pro-
pres perfécuteurs ; & qui lui font plu»
cruels que les infidèles , puifqu'ils la
mettent dans une captivité où les inii-
deles n'ont pu la réduire : Qui veri"
tatcm Dci in injufdtïâ dctincnt. Remar-
quez cette parole , in injujiitiâ: car falnt
Paul ne dit pas feulement que nous
tenons notre foi captive , mais que nous
la tenons captive dans l'injudice, qui eft
pour elle la plus honteufe & la plus
odieufe fervitude. En effet, cette foi eil
toute fainte , & nous la faifons demeurer
dans des âmes toutes criminelles ; elle efl
toute pure & toute chafte , & nous la
faifons habiter dans des âmes volup-
tueules & toutes fenfuelles : Q^ui veri-
tateni Dci in injuftltiâ dctinent. Que fait
donc la toi ? Ah 1 mes chers Auditeurs ,
permettez - moi d'ufer de cette figure ,
notre foi .linfi traitée par nous-mêmes,
ainfi déshonorée & piofanée , s'élere
contre nous ; elle demande a Dieu
juf^ice, elle crie à fon tribun.il , & ne
doutons pomt que Dieu ne l'écoute,
Pomin, Jçnu h F
1Î2 Sur la Fou
&. qu'à notre ruine il ne prenne Ce^
intérêts.
D'autant plus coupables envers ella
& "plus condamnables , que par les
dérèglements de notre vie nous lui
faifons perdre fes plus beaux fruits & fa
plus heureufe fécondité. Car , comme
nous l'avons déjà vu , la foi efl la
fource de toutes les vertus , & unefource
féconde qui produit fans celle de nou-
veaux fruits de grâce , ou qui les peut^
produire. En voulez- vous la preuve,
fenfible } Sans parier de ces faints
Patriarches de l'ancienne loi & de leurs
ceuvres merveilleufes que TApotre nous
a fi bien marquées dans fon épître aux
Hébreux , rappeliez en votre çfprit tout
ce qu'ont fait dans la loi nouvelle tant
de martyrs de l'un & de l'autre fexe , tant
de foiitaires Ôi. de pénitents , tout ce
que font encore tant de religieux dans
le cloître, & tant d'ames vertueufes jul-
qu'au milieu du monde : remettez-vous
le fouvenir de tout ce que vous avez;
entendu dire de leurs longues oraifons,
de leurs fangîantes macérations , de leurs
veilles Si de leurs travaux , de leurs
abftinences Si de leurs jeûnes , de la
ferveur de leur zèle & de la conftance
infatigable avec laquelle ils ont pratiqué
jufqu'au dernier fouf ir de leur vie toute la
perfeclion de l'Evangile. Voilà les fruits
de la toi : voilà ce que la foi peut opé-
rer en noui-n;^.T.es 6c par nous-mêmes.
Sur LÀ Foi. 115
Car a rardeur des fidèles s'eft ralentie ,
la vertu de là^oi ne s'eft point altérée ;
elle a toujours les mêmes vérités à nous
propofer, Ôc dans ces mêmes vérités les
riêmes motifs pour nous exciter. Mais
nous , Chrétiens , vivant félon TeTprit du
fiecle & félon la chair, nous étouffons
ces fruits dès leur naiilance ; nous avons
la foi , mais toute agiiTante qu'elle eft^
elle ne nous rend pas plus vigilants ,
pas plus exacts dans l'obfervance de
nos devoirs , pas plus adonnés aux
oeuvres de la piété ; c'eft une foi olfive
6i. flérile , parce que nous en arrêtons
toute l'adion.
Nous allons même plus loin , nous
la faifons mourir , félon la penfée &C '
l'exprefïion de i'x4pôtre faint Jacques ;
car ce qui vivifie la foi , ce qui en efl
comme l'efprit, ce font les bonnes œuvres.
De même donc que le corps efl mort ,
dès-là qu'il eii féparé de i'ame qui lui
donnoit la vie ; ainfi la foi doit être
ceniee morte, dès-là qu'elle n'eH plus
accompagnée des œuvres qui i'animoient:
Sicut enim corpus fine fpiritu mortuum Jac.c.t.
cft : ita & fides fine opcrïbus ntortuj.^' 26,
ejl. Et à prendre la chofe dans un fens
plus réel encore & fans figure , on peut
dire que rien ne conduit pljs directe-
ment ni plus pro:;)ptement à l'infidélité
'Se au libertinage de créance , que le
libertinage des mœurs : or après avoir
i'X homicide de votre ici , que devez-
F.j
î 24 s u R L A F o r:
vous attendre autre cliofe qu'un juge-
rnent févere Ôi rigoureux ! Oui , mon
cher Auditeur , penlez bien à ces deux
paroles , homicides de votre foi : voilà le
grand crime dont on vous demandera
compte un jour , & dont il faudra porter
la peine ; c'efl alors que cette foi morte
dans votre cœur , ou par l'inutilité ,
ou même par le défordre de votre vie ,
commencera tout-à-coup à revivre ,
qu'elle reffufcitera , qu'elle fe produira
devant Dieu pour votre conviction &
pour votre condamnation.
Je dis pour votre convi61ion ; car
voulez - vous favoir , non pas préci-
fèment pourquoi , mais commuent elle
vous condamnera ? il eft aifé de vous le
faire comprendre ; ce fera en vous con-
vainquant de trois cKofes ; favoir , que
vous pouviez vivre en chrétien , que
vous deviez vivre en chrétien , & que
vous n'avez vécu rien moins qu'en
chrétien. Trois convictions qui vous
fermeront la bouche , 6c qui malgré
vous , vous feront foufcrire vous-même
à l'arrêt de votre éternelle réprobation.
Elle vous convaincra que vous pouviez
vivre en chrétien , parce que rien ne
vous manquoit pour cela , ni lumières
ni fecours : ni lumières , puifqu'elle
vous fervoit elle - même de maitre ,
puifqu'elle vous avoir révélé toutes fes
vérités pour vous éclairer , puifqu'elle
yous les faifoit entendre fans ceffe au fond
Sur la Foi; 125
<^e votre cœur , tantôt pour vous exciter
par l'efpérance 3 tantôt pour vous retenir
par la crainte , tantôt pour vous engager
par un faint amour , tantôt pour vous
attirer par un folide intérêt , toujours
pour vous inftruire & pour vous tou-
cher : ni fecours , pulique dans le Chrif-
tiafiirme voas aviez toutes les fources de
la grâce ; tant de facrements pour vous
purifier, pour vous fortifier, pour vous
réconcilier , pour vous nourrir & vous
faire croitre ; tant de miniflres du Sei-
gneur déporuaires de la loi de Dieu pour
vous Tenleigner, difpenfateurs des tréfors
de Dieu pour vous les diftribuer , rem-
plis de l'elprit de Dieu pour vous le com-
muniquer , revêtus de toute la puilTance
de Dien pour vous fan61ifier ; tant de
bons confeils, d'exhortations pathétiques
& véhémentes, de falutaires exemples;
enfin tant de moyens dont le détail leroit
infini, & dont l'ufagevous auroit imman-
quablement fauve. Or d'avoir connu &C
d'avoir pu , voilà pourquoi le mauvais
ferviteur fera jugé avec plus de févérlté ,
fera plus rigoureufement condamné, fera
plus grièvement puni.
Encore plus digne des châtiments de
Dieu , parce que la foi vous convaincra
ïîon-feulement que vous pouviez vivre
en chrétien, mais que vous le deviez :
car votre parole y étoit engagée , vous
Faviez ainîi promis à la face des autels,
& fur les facrés fonts ^e baptême ;
F iij
iiG Sur LA Foi.
%'ous aviez folemneHeinent renoncé au
démon & à toutes Tes œuvres, renoncé
au monde & a toutes fes pompes, renonce
a la chair & à tous fes defirs fentuels ;
on l'avoir dit pour vous , & dès cjuc
vous vous trouvâtes en état de le
ratifier, vous l'aviez dit vous -mène.
Or ce n'efl point en vain qu'on pron^et
à Dieu , & de tous les eng?.gem.ents il
n'en efl: point de plus inviolables que
ceux que l'on contra61e avec un tel
maître. Dès-là donc que vous vous étiez
fournis à la fui , vous vous étiez fournis à
la loi; c'efl-à-dire, dès- là que vous aviez
été honoré du caraftere de chrétien , &
que vous aviez comanencé à porter le
nom de chrétien , vous étiez conféquem-
ment & indifpenfablement obligé à tous
les devoirs du chrétien ; vous en étiez
refponfable à votre foi & à Dieu même.
Et en effet, pour développer encore mieux
îa chofe & la confidérer plus à fond , de
toutes les contradiétions n'eft-ce pas une
des plus grolneres, de ne pas agir comme
Ton croit, ou de ne pas croire comme
l'on agit ? tt de toutes les infidélités ,
n'eft-ce pas une des plus criminelles &
des plus monftrueufes , d'avoir renoncé
en préfence de Dieu , à l'enfer & à toutes
les œuvres de ténèbres , qui font tant de
péchés profciits par la loi , & de les
commettre impunément , volontaire-
ment, habituellement? d'avoir renoncé
AUX vaines pompes du monde, ôc d'en
Sur LA Foi. 117
être adorateurs , de les defirer unique-
ment, d'y afpirer inceiTamment, de les
rechercher fans relâche , & de ne tra-
vailler que pour cela, & qu'en vue de
cela , d'avoir renoncé à la chair , & de
ne vivre que félon la chair , de n'écouter
que fes paillons ^ & de fuivre aveuglé-
ment toutes fes cupidités t
Voilà néanmoins de quoi la foi vous
convaincra , & c'eft le dernier témoi-
gnage qu'elle rendra contre vous ; je
x'eux dire que pouvant vivre en chré--
tien , que devant vivre en chrétien , vous
n'avez vécu rien moins qu'en chrétien ;
car c'eft alors que développant tous fes
principes & toutes fes maximes , elle les
Comparera avec votre vie , ou que déve-
loppant toute votre vie , elle la compa-
rera avec fes maximes & fes principes.
Or quelle oppofition entre i'un &. Tautre ?
Une foi qui n'enfeigne à l'homme que
le mépris des biens terreftres & périf-
fables , & une vie toute employée à les
acquérir, à les conferver, à les accu-
muler par tous les moyens , juftes ou
iniulles qu'infpire une avarice infatiable ;
une toi qui n'apprend à l'homme qu'à
s'humiiier , qu'à s'abailTer , qu'à fuir les
honneurs mondains Se les faulTes gran-.*
deurs du fiecle , &: une vie toute occupée
de foins , de projets , d'intrigues , fou-
vent très-criminelles pour l'avancement
d'une fortune humaine ; une foi qui ne
prêche. à l'homme que mortification,
Fiv
fSld s U R L A F O I.
que pénitence , que détachement defoî-
ïTiéine : & une vie paffée dans les jeux ,
dans les fpe^lacles , dans les aiïembiées
& les parties de plaifirs, dans les plus
honteufes voluptés ; une foi de pratique
6c d'a6tion , & une vie dénuée de toutes
les œuvres chrétiennes. Eft-ce donc ainfi
qu'on efl chrétien ou qu'on vit en chré-
tien r eft-ce en ne taifant rien- de tout
ce que la foi ordonne , & en faifant
tout ce qu'elle défend r Tels font les
reproches que vous devez attendre de
votre foi ; 6l à des reproches ii bien
fondés & fans nulle excufe , que doit-il
luccéder autre chofe qu'un jugement fans
iTiifericorde ?
Concluons , mes chers Auditeurs , par
cette penfee avec laquelle je vous ren-
voie , & que vous ne pouvez trop mé-
diter : Il faut , ou que ma foi me fauve ,
eu que ma toi me condamne. Entre
ces deux extrémités point de milieu :
fi ma foi n'eft pas le principe de ma
juftification , elle fera imm.anquable-
ment le fujet de, ma réprobation. 11 ne
tient qu'à moi qu'elle foit pour moi
un m.oyen de falut, parce qu'il ne tient
qu'à moi d'en faire un ufage tel que je
dois &i tel que Dieu le demande : mais
fi par ma faute ce n'efl pas un moyen de
fclut pour moi , ou que je me rende ce
moyen de falut inutile par l'abus que j'en
ferai , il ne dépend plus alors de moi que
ce ne foit pas contre moi un moyen de
i
Sur ia Fot.' ii^
«damnation , parce que c'eil un talent que
Dieu m'a mis dans les mains pour lui en
rendre compte & pour en retirer tout le
fruit qu'il en attendoit. Ce feroit donc
bien me tromper moi-même , de regar-
der la foi que j'ai reçue comme une de
ces chofes indifférentes qui ne peuvent
nuire lorfqu'elles ne fervent pas. Si ma
foi ne me fait pas le plus grand de tous
les biens , elle me fera le plus grand de
tous les maux : c'eft à moi de prendre
mon parti entre l'un & l'autre ; mais je
n'ai que l'un ou l'autre à choiiir. Que
dis-je , & y a-t-il là-deiTus à délibérer }
y a-t-il à héfiter un moment, dès qu'il
eft queilion de fe garantir d'une éterniré
nialheureufe , & de fe procurer une
Souveraine félicité.
Ah ! Chrétiens , penfons fouvent aux •
accufations que formera contre nous 8c
aux reproches que nous fera cette foi,
quind nous comparoitrons avec elle
devant le tribunal de Dieu. C'eft à quoi
nous ne faifons guère de réflexion
maintenant ; mais quand la figure du
inonde fe fera évanouie , & que nous
nous retrouverons feuls avec cette foi en
la préfence de Dieu , que lui répondrons-
nous ? Voilà , mon cher Auditeur , à quoi
nous devons nous préparertous les jours
de notre vie. H vous en coûtera quelque
fujétion, quelques violences, quelques
efforts ; mais il vaut bien mieux fe con-
trjundre pour quelque temps , que de
* Fv
130 Sur la "Foi.
^'expofer à un malheur qui ne doit jamais
finir. Car, ie le répète , & je ne piMs
allez vous le faire entendre , s'il arrive
que vous vous perdiez , ce fera dans
votre foi même que vous trouverez
votre plus cruel tourment. Vous n'aurez
plus cette foi furnaturelle & divine
qui efl un des dons de Dieu les plus
précieux, c'ert une grâce dont Dieu vous
dépouillera ; mais vous aurez encore le
fouvenir de cette foi , mais vous aurez
encore le caraftere de cette foi , mais
vous aurez encore toutes les connoif-
fances que vous donnoit cette foi , & c'eil
cela même qui fera votre fupplice. Vous
aurez, dis-je, le fouvenir de cette loi
qui vous enfeignoit de fi folides vérités
que vous avez méprifées , qui vous don-
noit de (i fiintes règles de conduite que
vous n'avez pas fuivies , qui vous pro-
mettoit de fi grandes réco-.ripenfes que
vous n'avez pas pris foin de mériter, &
ce fouvenir fera plus cuifant pour vous
que tout le feu de l'enfer. Vous porterez.
encore tout le caraâere de cette foi , c'efl-
à-dire, le caratlere du baptême, & ce
cara<Stere fera le figne à quoi les démons,
jniniftres de la juftice de Dieu , vous
difcerneront entre les réprouvés , pour
exercer fur vous avec plus de fureur toute
leur rage. Vous aurez encore tou'es les
connoiitances que vous donnoît cette
foij-ôc ces connoillances fuppléeront au
d^aut de cette loi^ enforte que vou*
s L R L A F O I. 131
croirez toujours Dieu comme les démons
le croient , & que vous tremblerez
comme eux , que vous vous défefpéuerez
comme eux, que votre créance fera pour
vous , comme pour eux , le fujet de
votre confufion éternelle.
Mais il feroit donc plus à fouhaiter
de n'avoir jamais eu la toi ? oui , mes
Frères , il leroit plus avantageux de ne
Tavoir jamais eue, que de l'avoir pro-
fanée par une vie criminelle ; mais cela
même ne fera plus en votre pouvoir ;
car malgré vous il fera éternellement
vrai que vous aurez été chrétiens , & il
faudra éternellement porter la peine de
ne l'avoir été que de nom & dans la fpé-
culation , fans l'être de mœurs & dans
l'adion. Pour prévenir ce reproche ÔC
l'aôreux châtiment dont nous fommes
menacés , quelle réfclution avons-nous
à prendre ? point d'autre que de con-
ferver la foi & de vivre félon la foi. Cette
foi nous dit des chofes qui répugnent à
nos fens , mais il s'y taut foumettre :
elle nous dit que le monde eft notre plus
dangereux ennemi , fuyons-le : elle nous
dit de nous haïr nous-mêmes & de nous
renoncer nous-mêmes, travaillons à
acquérir ce faint renoncement, & prati-
quons-le autant qu'il ed néceilaire : elle
nous dit de mortifier la chair par l'efprit
& d'en réprimer les dcfus , combattons-
les généreufement & conftamm.ent : elle
cous dit d'être humbles jufques dans k
f vi
i^i Sur LA Foi.'
grandeur, d'être pauvres jufques dans
Tabondance , d'être pénitents jufqu'aa
milieu desaifes & des commodités ; en-
treprenons tour cela & venons à bout de
tout cela. Nous aurons dans les fecours
de la grâce & dans les motifs de notre
foi de quoi nous animer, de quoi nous
fortifier, de quoi nous rendre tout facile.
Demandons-les avec confiance ces fe-
cours , & Dieu ne nous les refufera pas.
Ayons'les continuellement devant les
5^eux , ces motifs , & ils nous foutien-
dront; alors nous mériterons d'entendre
un jour de la bouche de Jefus-Chrifl
ce qu'il dit au Centenier de notre Evan-
gile : Sicut credidijîi fiât tibi ; qu'il vous
loit fait comme vous avez cru. Vous
avez fait valoir le talent que je vous avois
confié, vous avez rendu votre foi fertile
en bonnes œuvres & agiffante ; venez en
recevoir larécompenfe. Vous avez mar-
ché par le chemin qu'elle vous traçoit ,
-vous l'avez fuivi & vous y avez perfé-
févéré ; venez prendre porfeiTion de mon
Royaume célefie, qui eil le terme où
elle vous appelloit , & où vous jouirea;
d'une félicité éternelle , &ç.
133
JL ju 4.4.4. 4.-f4.4-4.4» 4.4. ^»-
XX X :<XX KXXXîX XXX KX XXX
V V V *r n» + V + V V n» -^ •;♦ •îr
SERMON
POUR
LE QUATRIEME DIMANCHE
APRÈS L'EPIPHANIE.
Sur les Afflictions des Juftes & la.
Projhérité des Pécheurs.
Afcendente Jefu in naviculam , fecuti funt eum
difcipu'i ei'Js : & ecce motus magnus faèius
eft in mari , ita ut ravicuîa operiretur âuc-
tibus. Ipfe verô dormiebat ; & fufcitaverunt
eum diicipuli ejuî , dicentes : Domine , lalva
r.os , périmas. Et dicit eis : Quid timidi eftis,
modicae fidei ?
J,:fus étant entré dans une harque , fis dlfciples
le fuivirent , Se aujf-tôt il s^éleva fur la mer
une grande tempête ; enfcrte que la barque
étoit couverte de flots. Lui cependant dormoit ,
& fes dlfciples le réveillereru , en lui difant :
Seigneur , fauve-^ - nous , nous allons périr,
Jefus leur répondit : Pourquoi crni^ne\vous ,
hommes de peu de foi ? En Saint Matth. ch. S.
VOiLA, Chrétiens, une image bierî
naturelle de ce qui fe paiTe tous les
jours ù nos yeux & parmi nous. Il femble
que le Saint-£.iprit en nous I4 traçant
134 Sur LES AFFLTCT. DES Justes
dans cet;,E vpngile , ait expreilément vou»
lu nous reprélenter un des plus grands
rayileres de la conduite de Dieu lur
les hommes , & en faire le fujet de
notre initru6i:ion. Les Difciples de Je-
fus-Cnriil: , c'eil-à-dire les juftes & les
élus de Dieu , vivent dans le monde,
que nous pouvons confidérer comme
une mer orageufe , & s'y trouvent em-
barqués par les ordres même de la
providence ; Dieu eil: avec eiix & ne
les quitte jamiis ; il les fuird ns toutes
leurs voies , il les éclaire & les lou-
tient : mais du rede , à en juger par
les apparences , on diroit en mille ren-
contres qu'il s*en éloigne , qu'il les ou-
blie , qu'il les abandonne^ qu'il eft à
Jeur égard comme endormi : Ipfe vero
dormiebat. 11 permet qu'ils K/ienr alTail-
lis & battus des plus violentî» orages ,
tju'ils foienr expofés aux plus rudes ten-
tations , qu'ils foient affligés & prf:fqae
accablés des miferes de certe vie. Or
qui croiroit alors qa!il y a une Provi-
dence qui prend foin, de leurs perfonnes ,
ou qui ne croiroit pas au moins que
cette providence eft enfevelie dans un
profond fommeil, & qu'elle ignore leurs
befoins , fur - tout lorfqu'on voit les
impies profpérer fur la terre, vivre dans
Je calme , tenir les premiers rangs , jouir
de l'abondance , être en polTelîion de
-tout ce qui s'appelle fortune & bonheur
"•fctiUTîain ? C'eft en vue de ce partage il
ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. Î35
Tu r prenant & fi peu conforme à nos
idées , que David s'écrioit »Sc difoit à
Dieu: Exurge ^ quurc obdormis , Domi- Pf, ^j^
ne? levez- vous. Seigneur, 6c pourquoi
denieurez-vous dans certc efpece d'af-
foupiflement ? Et c'efl ainfi que nous lui
dilbns encore nous-mêmes comme les
Apôtres : Domine ^ falva nos , pcrimits ;
hé Seigneur j ou êtes-vous ? nous pé-
riiïbns & vous nous délaifTez ; tous les
maux viennent nous accueillir , & il fem-
ble que vous y foyez infenfible. Mais
à cela , Chrétiens , point d'autre ré-
ponie de la part de Dieu que celle de
Jefus-Chrifl: à les Difciples effrayés 6c
confternés : Q^uid timidi eflis , modiceB
fidei ? où eft votre foi ? où eft la con-
fimce que vous devez avoir en votre
Dieu? que craignez- vous quand je fuis
avec vous? Myftere delà providence,
dont je veux aujourd'hui , mes chers
Auditeurs, vous entretenir, & dont il
Qi\ d'une importance extrême que vous
foyez inftruits. Ce n'eit point précifé-
ment aux pécheurs que j'ai à parler ; c'eft
aux âmes iidelles , c'eft aux prédeftinés
du Seigneur , c'eft à ceux qui font état
de le fervir , & qui tout attachés qu'ils
font à fon fervice. voient fouvent tom-
ber fur eux tous les fléaux du Ciel , tan-
dis que les mondains palfent leurs jours
dans le plaifir & dans la joie. Je vais là-
dedus les rafTurer & les confoler aprè^
c^ue nous aurons demandé le fecours du.
'136 Sur les afflict. dïs Justes
Saint-Erprit par i'interceiîion de Marie;
j4ve Maria.
C'EsT de tout temps que la foi des
Chrétiens a été troublée^ & leur con-
fiance en Dieu ébranlée , de voir les mé-
chants dans la profpérité & dans le repos,
pendant que les juftes font dans Tadver-
îité & dans le travail. Ce partage , à
ce qu'il paroit , fi injufte , a toujours
été , pour ainfi dire , le fcandale de la
Providence. Car de là les pécheurs ont
pris fujer de triompher infolemment
dans la vie ; & de là les plus gens de
bien fe font relâchés dans le chemin de
la vertu : de là même les plus grands
Saints en font venus prefque jufqu'à for-
mer des doutes au préjudice de leur toi.
?/. yjz. Ecoutez-en parler David : Mei autem
pcne moti funt pedes , penè effufi funt
greffus mei. Pour moi , difoit-il, je le
c on te (Te , j'ai fenti ma foi chanceler;
& quelque folide que fût le fondement
de mon efpérance , je me fuis vu fur
le point de fuccomber : 6i pourquoi?
parce qu'il s'eft élevé dans mon pœur
un mouvement de zèle & d'indigna-
tion , à la vue des pécheurs qui goûtent
la paix , qui réuffiffent dans leurs de('
feins , qui établiiTent leurs maifons , à qui
7^;j, rien ne manque dans la vie : Quia ^e-
lavi fuper iniijuos , pacem peccatorum vi-
dcns. En eiTet, ai-je dit, com.ment eft-il
pofTible que Dieu fâche ce qui fe p-fTç
ET LA PR05P. DES PÉCHEURS. I37'
îcl-bas , Si comment puis- je croire qu'il
V prenne garde ? Quomodo fcit Deus , Ihiài
& cft fcientia m excelfo ? Les libertins ôc
les impies font les plus heureux , les
plus honorés , les plus riches : Ecce ipjî Ihià* ^
pcccatores & abundantes in ftzculo obti-
nucrunt dïvitias. D'où j'ai prefque con-
clu , ajoute le même Prophète , qu'il
m'étoit donc inutrle de conferver mon
cœur dans l'innocence, & d'avoir les
mains nettes de toute injuftice : Et dixi, Ibidt
ersp fine causa juflijîcavi cor meum , 6*
Livi inter innocentes manus meas. Ainfi par-
îoit le plus faint Roi du peuple de Dieu ,
& c'étoit le reproche que taifoient les
païens aux fidèles. Quel Dieu iervez-
vous , leur difoient ces idolâtres ? ou-
eft fa juftice envers vous & ia bon-
té ? il vous voit pauvres & languif-
fants , & il ne prend nul foin de vous ;
eft-ce qu'il ne le peut, ou qu'il ne la
veut pns t fi c'eft impuiilance , il n'eft
pas Dieu , & auiîl peu l'eft-il , fi c'eft
infenfibilité. Vous vous promettez l'im-
mortalité dans un autre monde que ce-
lui-ci; mais qu'elle apparence qu'ua
Dieu que vous vous figurez aflez puif-
fant & aflez bon pour vous reflufci-
ter nprès la mort , ne vous fecourût
pas dans la vie ? Cependant vous re-
noncez à tous les plailirs , vous ne ve-
nez point à nos fpetlacles , vous fouf-
frez la faim & la foif , vous endurez les
plus rigoureux tourments ; d'où il arriva
13S' Sur les afflict. des Justes
que vous ne jouifTez ni de la vie pré-
lente où vous êtes, ni de cette vie fu-
ture & imaginaire que vous attendez'. A
cela les Pères faifoient diverses répohfes :
la plupart nioient la fuppolition , pour
établir une vérité toute oppofee ; car ils
foutenoient que jamais les jufles ne font
malheureux fur la terre, & que jamais
les impies n'y goûtent un véritable bon-
heur. Intslli^at homo , difoit Saint Au-
Au^^fi. giftin , nunquam Deus permittit malos
ejfe felices. Que l'homme s'applique à
bien comprendre ceci : jamais Dieu ne
perm.et que les méchants Toient heu-
reux ; ils paffent néanmoins pour l'être,
ajoutoit ce faint Docteur , mais on ne
les croit heureux que parce qu'on ignore
j. en quoi confifte la vraie félicité : Lîeo'
jhdus felix puîatur . quia quid fit fdici'
tus ignoratur. Et il n'en faut point juger
par de certains dehors. Tel , dit Saint
Ambroife , me paroît avoir la joie dans
le cœur , dont le cœur eft déchiré de
mille chagrins ; il eft à fon aife félon
mon eilime , mais d^ms fon idée & en
Ambr, q^q^ \\ gf^ miférable : Meo affeclu beatus
efl y & fuo , mifer. C'eft ainfi, dis - je,
que les Pères s'en expliquoient. Mais ,
Chrétiens, je prends la chofe tout au-
trement ; ne difputons point aux impies
& aux pécheurs la polteiTion des joies
humaines , & convenons que les jufles
font aulfi malheureux dans le temps
({ue les mondains le penfent. Cela pofé>
ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. T]^
je prétends que nous femmes toujours
coupables , fi nous nous défions de la
n!vine providence qui l'a ordonné de
la forte ; & pour vous en convaincre ,
j'avance deux proporiticns qui renfer-
ment tout ce qu'on peut dire de plus
foiide fur cette matière ôc qui partage-
ront ce difcours. Je foutiens d'abord
que dans cette conduite de Dieu il n'y
a rien qui doive ni qui puiffe ébranler
notre foi ; c'eft la première Propofition
& la première Partie. Je dis plus , &
je foutiens même que cette conduite de
Dieu a de quoi établir & confirmer
notre foi ; c'efl la féconde Propofition
& la féconde Partie. Développons l'une
& l'autre , & ne croyez pas que je"
veuille là-deffus m'arrêter à de vaines
fubtilités ; j'ai des preuves à produire
également fenfibles & touchantes. Com-
mençons.
SAiNT Auguftin dit un beau mot, T.
que les fecrecs de Dieu doivent nous Part.
imprimer du refpe(S: , doivent nous ren-
dre attentifs aies confidérer, doivent nous
exciter à en faire la recherche , autant
que l'humilité de la foi nous le permet;
mais qu'ils ne doivent jam.ais trouver
d'oppofuion dans nos efprits , & qu'il ne
nous appartient pas d'en vouloir juger
ni d'entreprendre de les contredire:
Secretum Dei intentas nos hibere débet , Augvjf,
non advcrfos. Voilà, mes chers Auditeurs,
t4o Sur les afflict. des Justes
une maxime bien chrétienne & bien
importante ; car un des plus grands
déiordres de notre efprit , eft de fe
révolter d'abord contre tout ce qui ps-
roît contraire à nos lumières & à nos
vues ; & c'eft de ce principe que pro-
cèdent toutes les erreurs où nous tom-
bons à l'égard de Dieu : or écoutez
comment je me fers de la maxime du
faint Doéieur , pour établir ma pre-
mière propofition touchant ce partage (i
inégal des biens & des maux de cette
vie , qui fait que les juftes ibuft'rent ,
pendant que les impies profperent. Je
prétends qu'il n*y a rien en cela qui
doive troubler notre foi ; & en effet ,
quand je ne verrcis nulje raifcn de cette
conduite de Dieu , quand ce feroit un
abyme où je ne découvrirois rien , &
que mon efprit s'y perdroit, m^a foi n'en
devroit point être altérée , Si tout ce que
j'aurois à faire , ce feroit de m.'écrier avec
Saint Paul , ô altiîudo ! & de reconnoî-
tre que c'eft un fecret de la Providence
que je dois adorer , & non pas péné-
trer. Ainfi quand je ne conçois pas l'au-
gufte &. incompréhenfible myO.ere d'un
Dieu en trois perfonnes , je ne crois
pcîs dès- lors avoir droit de le révoquer
en doute ; je ne crois pas pouvoir con-
clure : il n'y a donc point de Dieu, il
n'y a donc point de fouverain Être ; mais
je conclus que ce fouverain Être efl: au
deffus de toute intelligence humaine ,
ET LA PROSP. DES PeCHEURS.-^ I41"
ôi je n'en demeure pas moins inviola-
blement attaché à ma créance. Pourquoi
ne ferois-je pas ici le même ? & quand
il s'agit d'un point qui regarde la pro-
vidence de Dieu Si. (a conduite dans le
gouvernement du monde , pourquoi ea
voudrois-je douter, & pourquoi me
troublerois-je , parce que je ne le com-
prends pas ?
Car enfin , j'ai d'ailleurs mille preu-
ves qui me convainquent qu'il y a une
Providence dans l'Univers , & que tout
ce qui arrive fur la terre eft de Tordre
<Je Dieu. Je n'ai qu'à ouvrir les yeux ,
je n'ai qu'à contempler le Ciel , je n'ai
qu'à coniidérer toutes les créatures; ii
n'y en a pas une qui ne me rende té--
moignage de cette vérité , & qui n'en
foit pour moi une démonftration. Les
païens & les barbares l'ont reconnue,
& je ferois plus infidèle que les infidèles
même fi je refufois de m'y foumettre :
cependant contre tous ces témoignages
il fe forme une difficulté dans mon ef-
prit. S'il y a une Providence , me dis je
à moi-même, comment fouffre-t-elle
que les juftes foient opprimés , 6c les im-
pies exaltés ? Voilà ce qui me tait peine.
Or je vous demande , Chrétiens , eft-ii
raifonnable que pour cette feule diffi-
culté , je me départe d'un principe de
foi auiîi infaillible ôc aufTi folidement
établi que l'eft celui d'une Providence j
&: que parce qu'il y a ua certain poin^
14^ Sur les afflict. des Justes
eu la conduit? de cette Providence fur
les hommes me paroît obfcure , je la
tienne pour douteufe , & j'ofe même
abfolument la rejeter ? N'eil-il pas plus
jufte que j'oppofe à la difficulté qui
m'embarraffe toutes les maximes de ma
foi & toutes lès lumières de ma raifon ;
ÔL que n'ayant pas allez de vue pour
approfondir le myileie de cette Provi-
dence fi rigoureufe , ce femble , à l'é-
gard des jurtes , & lî libérale envers les
pécheurs , je me réferve à le connoitre
un jour dans fa fource , c'eil-à-dire dans
Dieu même ?
Et c'eft là suffi que le Prophète royal
en revenoit, après avoir contefl'é devant
Dieu qu'il n'entendoit rien à ce procédé ,
6c qu'un traitement fi peu conforme aux
mérites des uns & à l'iniquité des au-
tres , paffoit toutes fes connoiffances
& confondcit toutes fes idées. J'efpere
bien, difoit-il , Seigneur , que vous me
découvrirez là - delTus l'ordre de vos
jugements , & que vous me ferez voir ,
comme dans un miroir , les raifons fe-
crettes que vous avez eues de difpofer
ainfi les chofes ; alors je faurai pour-
quoi vous avez permis que ce jufle fût
vexé ÔC perfécuté, & que le crédit de
cet im.pie l'emportât fur l'innocence &
la vertu ; que cet homme de bien n'eût
aucun fuccès dans fes entreprifes , &
que ce mondain fans foi & fans conf-
cichce rculsit dans tous fes deiïeins^
J
■ET LA PROSP. DES pECHIURS. 141^
que cette femme pieufe & remplie d'hon-.
neur paûàt fes jours dans l'amertume,
6c dans de mortels déplaifirs , & que
cette autre idolâtre du monde , & li-
vrée à fes pallions menât une vie douce
& commode. Vous nous apprendrez , o
mon Dieu , quels étoient les reilorts de
tout cela ; ûc par un feul ra/on de lar
lumière que vous répandrez dans nos-
efprits , vous diuiperez tous les nuages,
& vous ferez évanouir tous les douies
qui nailTent maintenant malgré nous
contre votre adorable Providence. Je
me figurois , qu'à force de réflexions
&. de confidérations , je pourrois dès
cette vie démêler cet embarras , & fon-
der les impénétrables confeils de votre
fageffe : Exiflimabam ut cognojcerem pf, j
hoc: mais je me trompois bien, 6c je
me fuis bien apperçu que je m'arrêtois
à d'inutiles recnerches : Labor eft ante Ihld,
me. D'où j'ai conclu qu'il falloir atten-
dre que je fuffe entré dans votre fanc-
tuaire, & que je vifTe où fe dévoient
terminer les efpérances des -uns & des
autres : Donec ïntrém in fantlur.rlum Dd lbld%
& intelligam in novijjimis eorum. Voilà
comment raifonnoit ce faint Roi , &
c'étoit l'efprit de Dieu qui lui infpiroit
ce fentimenc.
Mais là-deflus , mes chers Auditeurs ,
nous n'en fommes pas encore après tout
réduits à là fimple foumliPion & à la
feule obéiilaaçe de I4 foi , nous avons
iî44 Sur tES AFFLICT. DES JuSTES
fur ce myftere de quoi contenter notre
efprit , autant & peut-être plus que iur
aucun autre ; & c'eft par où nous deve-
nons tout- à- fait inexcufables , quand
nous nous troublons & que nous tom-
bons dans la défiance , parce que nous
voyons les juftes affligés , &. que les
pécheurs ont toutes les commodités &
toutes les douceurs de la vie; car nous
trouvons nous - mêmes des raifons qui
nous juftifient parfaitement la conduite
de Dieu , & qui nous perfuadent que
Dieu a fait fagement d'en ufer de la
forte. Or fi moi avec un efprit pleia
d'erreurs & de ténèbres , je découvre
néanmoins des raifons pour cela , ne
dois-je pas être convaincu que Dieu en
a de plus folides encore &L de plus re-
levées que je ne vois pas ; &. ces raifons
de Dieu que je ne vois pas , nxiis que
je conje6lure des miennes , ne doivent-
elles pas calmer mon cœur & le ralfu-
rer ? Tout ce qui me refle donc, c'efl
de fuivre le confeil de Saint Auguftin Se
de m'appliquernon pas à connoitre plei-
nem.ent , mais du moins à entrevoir le
iecret de Dieu , afin que ce que j'en puis
appercevoir m'apprenne à juger de ce
qui échappe à ma vue , & que l'un ÔC
l'autre aftermiffe ma confiance. Sccre-
tum Dei intentas nos habere débet , non
adverfos.
Mais qu'eft-ce en effet que j'en ap-
perçois de ce fecret de Dieu, 6c quelles
font
ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. 14^
font les raifons que je puis imaginer
<i'un partage qui fembie choquer la
railbn même? Vous mêle demandez.
Chrétiens , ôcfans une longue difcufîion ,
voici celles qui fe préfentent d'abord à
Bioi : Que Dieu veut éprouver fes élus ,
& leur donner occafion de lui marquer
par leur confiance leur fidélité ; que
Dieu, félon la comparaifon du Prophète
Roi, veut les purifier par le feu de la
tribulation , comme l'on épure l'or dans
lu creufet ; que Dieu veut aflurer leur
falut j & les mettre à couvert du danger
inévitable qui fe rencontre dans les
profpérités du fiecle ; que Dieu par une
aimable violence , dit faint Bernard ,
veut les forcer , en quelque forte , de fe
tenir unis à lui , en leur rendant tout le
r^fte amer , & ne leur cftVant par-tout
ailleurs que des objets qui leur infpirent
du dégoût ; que Dieu veut leur fournir
une continuelle matière de combats ,
afin que ce foit en même temps pour
eux une continuelle matière de triom-
phe , & par conféquent de mérite ; que
tout juftes qu'ils font^ ils ne laiiTentpas
d'être redevables à Dieu par bien des
endroits, puifque le plus jufte, comme
parle Salomon , tombe jufqu'à fept fois
par jour ; mais que Dieu d'ailleurs veut
les punir en père & non en juge , & pour
cela qu'il les châtie en ce monde , félon
fa miféricorde , afin de ne les pas punir
en l'autre félon fajuflice. A s'en tenir là.
146 Sur les afflic. des Justes
mes chers Auditeurs , & fans vouloir
pénétrer plus avant dans les defieins de
Dieu , n'eit-ce pas affez pour Ibutenir
la foi du jufte , & une feule de ces
raifons ne fuflit-elle pas pour lui fervir
^e défenfe &. le fortifier contre les plus
rudes attaques? que Dieu donc ordonne
félon qu'il lui plaît, qu'il détruife & qu'il
renverfe, qu'il abaiile & qu'il humilie,
qu'il frappe à fon gré , jamais le jufle
n'aura que des bénédictions à lui rendre ;
& s'il penfoit à fe plaindre , ce feroit Ken
alors que Dieu pourroit lui faire le même
reproche que fit le Sauveur du monde à
S. Pierre : Modicce. fidei , quare dubitâili ?
Homme aveugle , laiiTez agir votre Dieu ,
il vous aime , & il fait ce qui vous con-
vient ; s'il vous traite maintenant avec ri-
gueur, ce n'eft: qu'une rigueur apparen-
te ; & tout fenfibles que peuvent être les
coups que fon bras vous porte , c'eft ion
amour qui le conduit.
Penfées touchantes & puiflants mo*
tifs d'une confolation toute chrétienne 1
Dans ce vi;Ûe & nombreux audi-
toire , il eft impoffibie qu'il ne fe
rencontre bien de ces âmes chéries de
Dieu , & que Dieu toutefois aban-
donne aux tr. verfes & aux difgraces
du monde. Or c'eft à moi de leur faire
goûter ces vérités : c'eftà moi , mes chers
Auditeurs , de vous relever par là de
l'abattement où vous jette peut-être
réut de pauvreté , l'état d'humiliation ,,
ÎT LA PROSP. DES PÉCHEURS. 147»
rétat de fouffrances qui vous accable
& qui vous rend la vie ii ennuyeufe & fi
pénible : c'eft à moi , comme prédica-
teur évangélique , de vous faire trouver
tout Tappui néceffaire dans votre fol.
Car je ne fuis point feulement ici pour
vous reprocher vos infidélités , ni pour
vous remplir d'une terreur falutaire dds
jugements éternels : je l'ai fait félon les
occurrences, je le fais encore, <Sc je ne
puis aflez bénir le Ciel de l'attention
que vous donnez à mes paroles , ou
plutôt à la parole de Dieu que je vous
annonce. Mais l'autre partie de mon
devoir eft de vous confoler dans vos
peines ; & puifque je tiens la place de
Jefus-Chrift , qui vous parle par ma
bouche , & dont je fuis l'ambafladeur &
Je miniftre , Pro Chriflo Ugatione fun- 2. C»ii
gimur ^ c'eû à moi de vous dire aujour- ^' h
d'hui ce que ce divin Sauveur difoit au
peuple : Venite ad me , omncs qui labqratis Matth^
& onerati eflis , 6* ego rejîciam vos ; c, i r,
venez, âmes triftes & affligées ; venez ,
vous qui gémiiTez fous le poid-s de la
mifere humaine & dans la douleur ,
venez à moi. Le monde n'a pour vous
que des mépris & des rebuts , & vous
en éprouvez tous les jours l'injuilice;
les plus déréglés & les plus vicieux y
font la loi aux plus juftes , & c'ef^ ce
qui vous flétrit le cœur 6c qui vous rem-
plit d'amertume. Mais encore une fois;
yftinez ; U Un» rien changer à votr^
148 Sur les afflic. des Justes
condition , je Fadoucirai : Venite , &
ego rcfiâam vos. Je ne fuis qu'un homme
foible comme vous , & plus toible que
vous ; mais avec la grâce de mon Dieu ,
avec l'on^lion de la parole ôc les ma-
ximes de fon Evangile , j'ai de quoi vous
rendre inébranlables au milieu des plus
violentes fecouffes ; j'ai de quoi réveiller
toute votre foi , & de quoi ranimer toute
votre efpérance ; de quoi vous apprendre
^ ne rien defirer de tout ce que le monde
a de plus flatteur , & de quoi vous faire
connoitre le précieux avantage d'un état,
où Dieu veille avec d'autant plus de foin
fur vous & d'autant plus d'amour , qu'il
femble moins ménager vos intérêts 6c
moins vous aimer.
Car pour reprendre avec ordre & pour
mieux développer ce que je n'ai fait
encore que parcourir , & ce qui demande
toutes vos réflexions , puifque ce doit
être pour vous comme un tréfor & un
fonds inépuifable de patience , je dis
que n Dieu traite le jufte avec une févé-.
rite apparente , que s'il l'afflige , c'ell
pour réprouver. Ainfi s'en expliquet-il
en mille endroits de l'Ecriture , où il
déclare en termes formels que c'eft un
des offices de fa Providence , & que par
cette raifon il laiHe tomber fes fléaux
fur ceux qui le fervent , encore plus que
fur les autres : de forte que l'affli^iion
dans le texte facré eft appellée com-
ç&unément épreuve ou . tenta.tiori ^ <Sc
ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. I4€i
que fuivant le même langage , ce que
ie Saint-Efprit appelle temation n'eft
autre chofe que raitlitlion. C'étoit la
belle & folide réponfe que faifoit un
des plus zélés défenfeurs de la loi
chrétienne aux idolâtres & aux infi-
dèles , lorfqu'ils lui reprochoient Tex-
trême abandon où l'on voycit le peuple
fïdele , & qu'ils prétendoient de là tirer
une conféquence , ou contre le pouvoir ,
ou contre la miféricorde du Dieu que
nous adorons. Vous vous trompez, leur
difoit-il : notre Dieu ne manque ni de
moyens ni de bonté pour nous fecourir :
D^us ille nojîer , quem colimus , necnon Minute
poteft fubvenire t nec defpic'u. Mais que ^^^«f»
iV.it-il ? il nous examine chacun en parti-
culier ; & à quoi fe réduit cet examen ?
à nous priver des biens de la vie, ôt
à nous tenir dans l'adverfité : Sed in ad- Idem»
vcrfes unumquemque explorât. Ces paroles
font remarquables : Dieu fonde le cœur
de l'homme , il l'interroge , par oii ?
par les fouffrances & les affli(Slions ;
f^ïtam hominïs fcifcitatur. Comme fi
Dieu difoit au jufte : déclarez - vous ,
6c faites -moi voir ce que vous êtes ;
je ne l'ai point encore bien fu jufqu'à
préfeiit , & je veux l'apprendre de vous-
même. Tandis que vous avez été heu-
reux fur la terre , 6t que vous y goûtiez
le calme 6c la paix , vous me l'avez dit ,
il eft vrai , que vous vouliez être à moi ;
mais on ne pouvoit guère compter,
G iij
^50 Sur les affltc. des Justes
alors fur votre témoignage. Dans cet
état de profpériîé, vous ne vous con-
J3c:i'îiez pas encore aflez bien , & vous
Eepauvlez jugerîurementà qui des deux
vous étiez , ou à moi ou à vous-même :
mais maintenant qu'un revers a troublé
toute la douceur de votre vie , main-
tenant que vous êtes dans l'infirmité »
dans le befoin, & que tous les maux
font venus , ce femble , vous ailailiir ,
€ eft en cette fituation que vous pouvez
me donner des affurances de votre
foi j & que je puis faire tond fur votre
parole. Si donc je vohs vois perfévérer
dans mon fervice , fi je vous entends
au pied de mon autel me faire toujours^
les mêmes proteftations d'un attachement
inviolable , je vous écouterai & je vous
croirai ; car un ^n^CCT ûinfi éprouvé
ne doit plus être fufpe£l. A cela
que pouvons-nous répondre, chrétiens
Auditeurs ? Si Dieu ne met pas l'impie
à de pareilles épreuves , de quel fen-
timent , à la vue de fon prétendu
bonheur , devons-nous être touchés ?
efl ce d'une envie , ou n'eft-ce pas plutôt
d'une horreur fecrette, puiiaue fi Dieu
l'épargne, c'eft que Dieu ne le juge plus
digne de lui , c'eft que Dieu ne s'inté-
relîeplus, en quelque forte, à le former
pour lui , c'eft que Dieu le regarde
comme un faux métal que l'ouvrier
abandonne, au lieu qu'il jette l'or dans
la fournaife ;, & qu'il le fait paffer par le
it LA PROsp. DES Pécheurs. îçt
feu. Delà cette fainte prière que David
faifoit à Dieu : Proba me , Domine , & Pf^ ^f,
tenta me : Ah ! Seigneur , éprouvez- moi ,
& ne me refufez pas la confolation 6c
l'ineilimable avantage de pouvoir vous
montrer qui je fuis , & quelles font pour
vous les véritables difpofitions de mon
cœur ; mais parce que je ne puis mieux
vous les faire connoitre qu'en fouffrant ,
frappez, brûlez & me confumez, s'il le
faut , de miferes & de peines ; je confens
à tout : [/re renés meos»
Nous devons y confentir nous-mêmes^
tnes Frères ^ d'autant plus aifément ^
qu'un autre deffein de Dieu fur le jufte
affligé, eft de le purifier de toutes les
affections de la terre. En effet , fi les
profperités temporelles étoient attachées
à la vertu , nous ne fervirions Dieu
que dans cette vue , & par conféquent
nous ne l'aimerions pas pour lui-même.
C'eft ce que faint Auguftin a fi bien
cbfervé , & fur quoi il raifonne fi foli-
dément & avec fa fubtilité ordinaire.
Quand vous voyez, dit- il, les ennemis
de Dieu & les libertins dans l'état
d'une riche fortune , vous y êtes fenfn
blés, ôcvous vous dites à vous-mêmes :
Il y a fi long-temps que je fers Dieu,
que j'accomplis fes commandements 6c
que je m'acquitte de tous les exercices
de la religion ; cependant mon fort eft
toujours le même , mes affaires n'en
ont pas une meilleure iiTue, & il femblsf
^ G iv
252 Sur les afflic. des Justfs
au contraire que Dieu prenne à t?.chs
de les arrêter & de les renverfer ? Ceux-
ci vivent dans le crime , fans règle , ùri3
retenue, fans piété, & avec cela ils ne
laiffent pas de jouir d'une fanté florif-
fante , d'accumuler biens fur biens ^
d'être honorés & diftingués : Mais ,
reprend ce faint Dofteur , c'étoit donc
Augiiji. là ce que vous cherchiez ? Talia crga
quœrebas ? c'étoit donc peur la fanté du
corps ,. pour les biens du inonde , pour
les honneurs du fie de que vous vou-
liez pliire à Dieu t Or voilà juilement
pourquoi il étoit convenable que Dieu
vous en privât , afin que vous appridiez
à l'aimer, non pour ce qu'il donne aux
hommes , mais pour ce qu'il eft en lui-
même. Car fouvenez-vous , ajoute le
même Père , que fi vous êtes jufte ,.
vous vivez dans l'état de la grâce ÔC
dans l'ordre de la grâce ; comme donc
cette grâce efl toute gratuite de la part
de Dieu , elle vous engage à aimier Dieu
'Uim. d'un amour gratuit ; Si ideo grat'um tïbi
dédit Deus , quïa gratis dédit , gratis ama ;
& vous ne devez point l'aimer pour
une autre récompenfe que lui-même,
puifqu'il veut être lui - même toute
>Idcm» votre récompenfe : NoU ad prcemium
diligere Deum , qui ipfe eft prœmium
tuum. Les biens de la terre rendroient
votre amour mercenaire ; 6c fi vous-
vous plaignez quand Dieu vous les
refufe ou qu'il vous les enlevé , vous.
ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. 153
faites voir par là que ces biens vous
font plus chers que Dieu même, Se par
conféquent que vous ne méritez pas de
le porteder.
Biens tellement contagieux , qu'ils
peuvent pervertir les plus juftes , &
que fouvent ils les ont précipités dans
l'abyme le plus affreux &. dans une
corruption entière. Les exemples n'en
ont été que trop éclatants & que trop
fréquents : mais par un trait encore tout
nouveau de providence & de miféricorde
à l'égard de fes élus , comment Dieu
les garantit-il de ce danger r par une
pauvreté qui leur fert de préfervatif
contre la contagion des richeiles tem-
porelles y par une obfcurité qui leur
tient lieu de fauve-garde contre la con-
tagion de grandeurs périffables , par
une langueur & une maladie qui les
met à couvert de la contiigion des
plaifirs feniuels & des flatteufes illufions
de la chair. Le jufte , il eft vrai , peut
maintenan ne pas voir à quoi il fe
trouvoit expoTé , lui , dis-je , en pa»-ti-
culier plus que bien d'autres, (i Dieu
n'eût ule pour lui d'une telle précaution :
mais ce qu'il ne voit pas à préfent , il
le verra à la fin des fiecles & au grand
îour de la révélation ; car c'eft là que
Dieu l'attend , c'ei^ là que Dieu fe réferve
à lui mettre devant les yeux toutes les
injuftices où l'eût emporté une avdre &:
^l^tiable convoitife , tous les projets
G V
1^4 SuîlLE5 AFFLIC. DES JUSCES
criminels , & toures les intrigues oîi
l'eût engagé une ambition démefurée
fans bornes ; tous les excès, toutes les
habitudes & les abominations où l'eût
plonzé une paffion aveugle & uiie
brutale volupté, fi le frein de l'afflidlion ne
l'eût retenu , & Ci les difgracss de la vie
ji'eufTent empêché le feu de s'allumer
^dans fon cœur : 6c par une fuite imman-
quable , c'eft là qu'éclairé d'une lumière-
divine , & découvrant les falutaires &
favorables fecrets de la fagelTe éternelle
qui Ta conduit , il bénira Dieu mille
fois de ce qui fembloit devoir exciter
centre Dieu tous fes murmures ; il
regardera comme un coup de prédefti-
3iat'?on de la part de Dieu , comme une
grâce de Dieu , & une des grâces les plus
précieufes , ce que le monde regardoit
comme un délaillsment total & comme
une efpece de réprobation.
Cependant, parce qu'il ne fuffit pas
<3e s'éloigner du monde & de l'occafion
<îu péché, fi ce n'eft afin de s'attacher à
Dieu ; je vais plus loin , & peu à peu
«développant le bienfait du Seigneur &
tout ce que je puas découvrir des def-
ieins de fa Providence , j'ajoute & je
prétends qu'il ne fait fouffrir fes élus ,
que pour les attirer à lui ^ que pour les
mettre dans une heureufe neceifité de
recourir à lui, de fe confier en lui, de
i\è fe tourner que vers lui. Car il y a ,
félon S, Bernard , quatre fortes de pré-
Et LA PROSP. DES PÉCHEURS. I^Ç
ceflinés. Les uns emportent le royaume
du Ciel par violence , & ce font les
pauvres volontaircL- , qui d'eux-mêmes
quittent tout & renoncent à tout. Les
autres trafiquent en quelque manière
pour l'acheter , & ce Ibnt ces riches
qui, comme parle l'Eviingile , fe font,
par leurs aumônes , des interceffeurs
auprès de Dieu , & des amis qui les
doivent un jour recevoir dans les taber-
nacles éternels. D'autres , pour ainfi
dire , femblent vouloir le dérober , ôc
qui font-ils ? ce font ces humbles de
cœur , qui fuient la lum.iere , non par
un refpeâ: humain . mais par un faint
defir de l'abiediion, <Sc qui dans une vie
retirée cachent aux yeux des hommes'
toutes les bonnes œuvres qu'ils prati-
quent. Enfin pluficurs n'y entrent que
parce qu'ils y font forcés; & voilà ces
îjuftes qui ne fe font déterminés à cher-
cher Diej , que pi^rce que Dieu n'a pas
permis qu'ils trouvallént rien ailleurs
qui les orréiàt. Si le monde eût été
à leur égard ce qu'il eft à l'égard de tant
de mondains ; c'eft- à-dire , fi le monde
les eût flattés , les eût idolâtrés , n'eût eu
pour eux que des diftin6tions, que des
refpe61s , que des agréments , ah I Sei-
gneur , auroient-ils jamais penlé à vous ^
Comme ce peuple charnel que vous aviez
formé avec tant de foin, & engraiffé du
^'uc de la terre, ils auroient oublié leur ,
créateur & leur bienfai^leur , ils ne fe
G yy
15^ Sur les xvtnc. des Justes
feroient plus fouvenus que vous étiez
leur Dieu , & tout leur encens eût
monté vers d'autres autels que les vôtres ::
Veuter. Incrdjfatus , impin^uatus , àïlatrùus ,
*, 55. dereliquit DiumfuQoremfuum. Mais parce.
que vous avez appef<anti l'ur eux votre
bras , parce qu'en leur faveur vous avez
rempli le monde d épines qui les ont
piqués , de chagrins qui les ont<lélbIésy
d'accidents bi de malheurs qui les ont
obligés à difparoître &. à ne plus ibrtir
de leur retraite , en leur donnant la
mort, vous leur avez donné la vie, &
les perdant en apparence , vous les avez
fauves. Ils n'ont- point trouvé d'autre
reffource que vous , & c'elt pour cela
qu'ils font venus à vous : ils fe font jetés
dans votre fein comme dans leur afyle ,
& vous les y avez reçus ; vous les y
tenez.en affurance, & vous les y con-
T[, 77. fervez. Cùm occiderct eos reverttbantur ,
6» diluculb venubant ad eum^.
Ce n'eit pas qu'ils n'aient toujours
bien des combats à foutenir ; & c'efl
aufli ce que Dieu prétend : pourquoi ?
parce que ce font ces combats , répond
faint Anibroife , qui font leur mérite.
Sans combat . point de vi6loire à rem-
porter, & fans victoire , point de cou-
ronne à efpérer. Vous vous étonnez ,
continue ce Fere , que Dieu exerce
ainfi fes plus fidelos ferviteurs , & qu'il
iailTe au contraire les plus grands pé*
çbçurs dans une paix profonde : vou^.
voulez favoir la raifon de cette diffé-
rence ; elle eft effentielle & très-naturel-
le : c'eft que Dieu ne couronne que les
vainqueurs & qu'il veut couronner fes
élus ; d'où il s'enfuit par une conféquence
néceffaire , qu'il doit donc leur fournir
des fujets de trion^phe. Mais la cou-
ronne n'étant point réfervée aux pé-
cheurs , il les îaiffe par une conduite
toute oppolée , fans leur donner ni à
combattre , ni à vaincre. Il en ufe com-
me les Princes de la terre , ou plutôt
les Princes de la terre en ufent eux-mê-
mes comme lui , & nous n'en fomme&
point furpris : nous ne croyons pas qu'ils
abandonnent ceux qu'ils deihnent à cer-
taines dignités , quand pour les mettre
en état de s'avancer , ils les chargent de
tant de foins , ou qu'ils les expofent à
tant de périls ; ce n'efl dans l'eûifiie du
monde ni indifférence ni rigueur pour
eux y c'eft faveur & grâce.
Que dirai - ;e encore ? &. fuppofor>5
même que ce foit à l'év^ard des juffes ,
rigueur de la part de I.>!eu ; ne fera- ce
pas toujoars une rigueur puernelle &
toute niiféricoruleuie ? Voici ma penfée.
Il n'eft point d'homve de bien , quel-
que jude qa'i! puiiTe être , qui n'ait fes
chutes à réparer 6<. fes iF-ridéhtés à ex-
pier. Le plus innocent 6c le plus jufte ,
félon l'idée que nous «n devons avoir
dans la vie p; éfenie , n'eft pas celui qui
n'a jainais péché , & qui ne pecke jamais ^
ï^S Sur LES ArFLîCT. DES Justes
©il eft-il mamtenant , §c où le trouve-
t-on ? mais celui qui a moins péclié , &
qui pèche moins ; celui qui a plus légére-
raent péché, & qui pèche encore plus
rarement ; celui qui s'eft relevé , 6c qui
fe relevé plus promptement de Ion pé-
ché. Quel qu'il {bit , il eft comptable
à Dieu de bien de dettes , & il faut
indifpenfablement qu'il les acquitte.
Mais quand les acquittera-t-il ? Si c'efl
après la mort , quel jugement aura t- il
à fubir , & quel châtiment ! Il vaut
donc mieux pour lui que ce foit pen-
dant la vie , Si par les peines de la vie»
Or voilà le temps en effet que Dieu
choifit , voilà le moyen qu'il emploie
pour le châtier. C^eft ce que Saint Jé-
rôme écrivoiî à i'uluftre Paule, & c'é-
icit ainfi qu'il la conloloit dans les pertes
qu'elle avoit faites , 6c dans la fenfible
cloulear qu'elles lui caufoient. Pourquoi
tant de larmes, lui remontroit - iî , Se
tant de regrets ? ChoififTez , & tenez-
Tous-en , pci:r vous foutenir , à l'une
de ces ceux réflexions : Ou par le , bon
témoignage ce vôtre confcience , &: fans,
bieffer les fentiments de d'humilité chré-
tienne , vous vous confidérez comme
jude ; 6c alors votre confolation doit
, être que Dieu perfectionne votre ver-
tu , qu'il la met en oeuvre , & lui fait
fans ceiTe acquérÎT de nouveaux degrés :
ou le fouvenir de vos chutes & la con-
nxiiil^nce de vos foiblefles vous porte à
ET LA PîlOSP. DES p£CHEURS, I^f
vcus regarder comme criminelle ; &
dans cette vue vous devez , pour Ibn-
lager votre peine , & pour vous la ren-
dre non- feulement fupportable , mais
aimable , penler que Dieu vous corrige ,
6c qu'il vous donne de quoi le latis-
£aire à peu de trais : Eli^e : autfancfa Hlerofu
es , & probaris ; aut peccatrix , & emcp."
daris. Mais que ne corrige-t-il ce liber-
tin ? Ah ! mon cher Auditeur , conten-
tez-vous que votre Dieu vous aime , ôc
De l'obligez point à vous rendre compte
de la terrible juftice qu'il exerce fur les
autres. Je vous l'ai déjà dit tant de
fois , & je ne puis trop vous le faire
entendre ; Dieu fe venge d^'autant plus
rigoureufement , qu'il diffère plus fes
vengeances ; & malheur à ces riches du
fiecle , à ces puiffans du fiecle , à ces
fuperbes Ôi. à ces orgueilleux du fiecle ,
qu'il engraifle comme des victimes pour
le jour de fa colère î C'eft l'expreilion
de Tertullien : Quafi vidimu ad fuppU- TertuH,
cium fr^gïnaraur.
Arrêtons-nous là, & pour conclufion
de cette pre^r/iere partie , rsifonnons ,
s'il vous plaît y un moment enfemble.
Yoilà donc , par cela feul que je viens
de vous préfeater, la Providence juf-
tifiée fur le partage qu'elle fait des
profpérités & des adverfités temporel-
les entre les juftes & les pécheurs. Car.
ce^te juilsfication doit fe réduire à deux
j^oints : l'un , cjne Dieu des cette vie^
i6q Suîi les ArFLic. des Justes
prenne foin de fes élus ; l'autre , que
dès cette vie même il Te tourne con-
tre les pécheurs , & qu il kilTe sgir
contre eux la juftice. Or éprouver fes
élus , purifier fes élus , préferver les
élus , le les attacher d'un nœud plus
éuoit , leur faire amafter mérites fur
mérites pour les faire monter à un
plus haut point de gloire , Ôc lever par
de légères faiisfuiSlions le feul obftacle
qui pourroit retarder leur bonheur , ne
font-ce pas là les foins falutaires d'une
miféricorde également fîge & bien-
faifinte ? Mais par une règle toute
contraire , livrer les pécheurs à eux-
mêmes & à leurs pafficHis ; ne point
troubler un repos mortel où ils de-
meurent tranquillement endormis ; ne
répandre jamais l'amertume fur de fauf-
fes douceurs qui les corrompent ; les
laiffer dans une élévation qui les enile ,
dans un éclat qui les éblouit , dans une
abondance qi.i leur infpire la mollelTe,
dans une vie volup:ueu;e qui les entre-
tient en toutes for-^es de défordres ,
dans un oubli du filut & dans un état
d'impénitence qui les conduit à une
mort réprouvée, ne font-ce pas là les
coups redout::hIes d'une juftice d'autant
plus à craindre qu'elle le tait moins
connoitre ? Ce qui nous trompe , c'eit
que nous ne jugeons des choies que par
rapport au temps où nous fom.m.es 5c
e\»i paiTe , mais que Dieu en juge par
ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. l6l"
rapport à l'éternité où nous nous trou-
verons un jour & qui ne paffera jamais.
Or de ces deux règles quelle ed la
meilleure & la plus avantageuie ? J'en
conviens , dit Saint Auguiiin : félon la
première , le pécheur a droit , ce fem-
ble , d'iniulier au jui^e &: de lui deman-
der , où eft votre Dieu ? Ubi eft Deus P/. ^i,
tuus? mais félon l'autre, qui des deux
efl fans contredit la plus droite & l'uni-
que même qu'il y ait à fuivre , le jufle
peut bien répondre aux infultes du pé-
cheur : mon heu^e n'efl pas encore
venue , ni la vôtre ; attendons , l'une
& l'autre viendra, & c'eft alors que je
vous demanderai , où font ces Dieux
que vous adoriez & en qui vous met- •
tiez toute votre confiance ? où eft cette
félicité dont le goiàt vous enchantoit &
dont vous étiez idolâtre r que ne la
rappeliez - vous , pour vous retirer de
l'éternelle mifere où vous êtes tombé ? Deutsr,
Ubi funt Dû eorum , in qu'eus habebant ^« S^«
fiduciam ?
Ainfi , mon cher Auditeur , ce qui
vous refte , c'eft d'entrer dans les vues
de votre Dieu qui vous afflige , & de
féconder par votre patience fes deffeins ;
6c le regret le plus vit qui doit préfen-
tement vous toucher, c'eft peut-être
de n'avoir point encore profité d'un ta-
lent que vous pouviez faire valoir au
centuple , c'eft d'avoir trop écouté les
fentimeats d'une défiance toute naturelle.
ï6i Sur les afflict. des Justes
& de les avoir fait éclater par des
plaintes fi injurieures à la providence
du Maître qui velile fur vous ; c'eft d'a-
Toir tro»p prêté Toreilie aux difeours
fédu£leurs du monde touchant votre
infortune & le malheur apparent de
votre condition ; c'eft d'avoir trop
cherché à exciter la compaiiion des
hommes , ponr en recevoir de vains
foulagenients, lorfque vous deviez vous
regarder comme un fujet digne d'envie ,
& ne m.ettre votre appui que dans la
foi ; c'eft de n'avoir pas allez compris
la vérité de ces grandes m.aximes de
l'Evangile ; que bienheureux font les
pauvres , parce que le Royaume célefle
leur appartient ; que bienheureux font
ceux qui foultrent periécution fur la
terre & qui pleurent , parce qu'ils fe-
ront éternellement confolés dans le Ciel.
Mais , Seigneur , me voici déformais
inftruit , & j'en fais plus qu'il ne faut
pour éclaircir tous mes doutes & pour
arrêter toutes les inquiétudes de mon
efprit. De tant de raifons , une feule
devoir fuffire , & même tans tant de rai-
fons, n'étolt-ce pas alTez de favoir que
quoi qu'il m'arrive, c'eft vous qui l'avez
voulu ? Ordonnez , mon Dieu , comme
il vous plaira , & faites de moi tout ce
qu'il vous plaira. Que l'impie à fou
gré domine le jufte , qu'il le foule fous
les pieds , & que je fois le plus maltraité
de tous , je ne m'écrierai point comme
ET LA PROSP. DES PeCHÎURS. 1^$
ces Apôtres éperdus : Domïm , falvj.
nos , perimus : aidez - nous , Seigneur,
nous voilà fur le point de périr ; mais
me repofant fur votre infinie fageffe 6c
votre louveraine milericorde , je vous
dirai avec un de vos plus fidèles Pro-
phètes : In te ^ Domine , fperavi , non Pf- 5<
confundar : C'eft en vous , mon Dieu ,
que j'efpere ; mon elpérance ne fera
point trompée, car je fuis certain que
tout ira bien pour moi tant que je me
confierai en vous , & que dans cette
conduite de votre Providence qui paroît
fi lurprenante aux hommes , il n'y a
rien , non-feulement qui doive ébranler
leur foi , mais qui ne la doive confirmer.
Cefl la féconde Partie.
o
UI, Chrériens, s'il y a im motif n.
^ capable de me confirmer dans la foi Parx.
& d'affermir mon efpérance , c'eft devoir
que les impies s'élèvent & qu'ils prof-
perent dans le monde , pendant que les
juftes font dans l'abaiiTement & dans
l'adverfité. Cette propofitlon vous pa-
loit d'abord un paradoxe ; mais j« vais
l'examiner avec vous , & bientôt vous
en découvrirez avec moi finconteftable
Ycrité ; nous la trouverons fondée fur
les principes les plus fohdes & même
les plus évidents de la raifon naturelle,
de l'expérience, de la religion. Appli-
quez-vous à ceci : j'ofe dire que c'eft le
point eftentiel d'où dépend toute la
1^4 Sur lis aeflic. des Justis
morale chrétienne. En eft'et , de voit
les calamités des Juftes fur la terre , & h
profpérité des pécheurs ( ce qui nous
fenible un défordre ) c'eiî un des argu-
ments les plus forts &. les plus lenfibles
pour nous convaincre qu'il y a une
autre vie que celle-ci, & que nos âmes
ne meurent point avec nos corps ; qu'il
y a une récompenfe , une gloire , un
îalut à efpérer après la mort, que toutes
nos prétentions ne font point bornées à
la condition préfente où nous lommes ,
& que Dieu nous réferve à quelque
chofe de meilleur & de plus grand : voilà
le principe de la railbn. Je dis plus ; c'eft
ce qui nous montre que Jefus - Chrift
notre Maître , en qui nous nous con-
fions , eft fidèle dans fa parole , que (es
prédirions font vraies , qu'il ne nous a
point trompés , & que nous pouvons
compter avec affurance fur ces promef-
fes , puifqu'elles ont déjà leur accom-
plilTement : voilà le principe de l'expé-
rience. Enfin , c'eft ce qui fe juftifie ,
parce que rien nei\ plus conforme à l'or-
dre établi de Dieu dans la prédeftinatiori
des hommes , que les foufFrances des
jufles & les avantages temporels des pé-
cheurs : voilà le principe de la religion.
Or je vous demande i\ ce ne font pas
là trois ccnfidérations bien puiflantes
pour foutenir notre confiance. Je fuis
qu'il y a une vie future où je fuis ap-
pelle , une vie bienheureufe qui m'eft
ET LA PROSP. DES PÉCHEURS. l6<^
deftinée , & ma ralfon me le tait con-
noître. Je fiis que tout ce que le Fils de
Dieu a prédit devoir arriver , foit aux
jufles , foit aux pécheurs, çiï certain;
par conféquent je puis faire fond fur tout
ce qu'il m'a promis , & j'en ai déjà la
preuve dans ma propre expérience. Je
fais &L je reconnois vifiblement que la
pxédeftination des hommes , de la ma-
nière que Dieu Ta conçue 6c Ta dû con-
cevoir , que tout ce qu'il a réglé & or-
donné fur cela , commence à s'exécuter.
Dès qu'on eft inftruit de ces trois chofes,
y a-t il une foi fi foible & fi chancelante ,
qui ne fe fortiîie , qui ne fe rév<iille, qui
lie fe ranime toute entière : or voilà ,
je le répète , ce qui s'enfuit évidemment
de l'état de peine & d'afflidion où nous
voyons les juftes, tandis que les pécheurs
vivent dans l'opulence & dans le plaifir.
Reprenons , & mettons dans leur jour
ces trois penfées.
Il n'y a point de libertin , foit de
moeurs , foit de créance , qui ne cefsât
de l'être s'il étoit perfuadé qu'il y a
une autre vie : ce qui fait fon libertina-
ge , c'eft qu'il ne croit pas, ou qu'il ne
croit qu'à demi , qu'il y ait quelque chofe
de réel 6c de vrai en tout ee qu'on lui
dit de cette vie future où nous afpirons
comme au terme de notre courfe & à^
l'objet de notre efpérance. Quoi qu'il
en puîlle penfer (car cç n'eft point à lut
prçfçn^^ment .quet je m'a^i'effe ^ ni pouç
i6G Sur. LES AFFLicT. DES Justes
lui que je parle) mol qai crois un Dieu ,
créateur de l'univers , voici , pour me
raffurer 6c pour entretenir toujours dans
mon cœur les fentiments d'une toi vive
& d'une ferme confiance , comment je
me lers de cette étrange diverfité de
conditions où fe trouvent les gens de
bien & les impies. Je dis en moi-mê-
me : le parti de la vertu eft communé-
ment opprimé dans le monde : celui du
vice y eft dominant & triomphant ; on y
voit des juftes dépouillés de tout & mi-
férables , des amis de Dieu perfécutés ,
des Saints méprilés & abandonnés. Que
dois-je conclure de là ? qu'il y a donc
pour le juûe après la vie préfente , d'au-
tres biens à efpérer que ces biens vifiblcs
& périiTables qui lui font refufés. C'ell
ce que les Pères de l'Eglife ont toujours
conclu , & c'eft la grande preuve qu'ils
ont toujours employée contre ces héré^
tiques, qui prévenus de la cQnnoiflance
de Dieu , vouloient néanmoins douter
de l'immortalité de nos âmes. Lifez fur
cette matière l'excellent traité de Guil-
laume de Paris , ou plutôt écoutez -en
le précis que je fais en peu de paroles.
Apres bien d'autres raifonnements tirés
de la nature de Thomme , il en revient
toujours à celui- ci, comme au plus pref-
fant Se au plus convaincant. Vous con-
venez avec moi , dit-il , de l'exiftence
d'un premier Être ; vous reconnoidez
ïin Djeu ; mais répomdezrmoi, ce Dieu
ÏT LA PROSP. DES PÉCHEURS. l6j
aime - t - il ceux qui le fervent & qui
tâchent à lui plaire ? S'il ne les aime pas
&. qu'il ne s'intérefie point pour eux , oU
eft la fagefl'e &i fa bonté ? s'il les aime ,
quand le fait- ilparoitre ? Ce n'eft pas
dans cette vie , puifqu'il les y laiffe dans
rafRi£lion ; ce n'eft pas d'ans l'autre vie ,
puifque vous prétendez qu'il n'y en a
point. Cherchez , ajoute ce faint Evê-
que , ayez recours à toutes les fubtilités
que votre efprit peut imaginer ; vous ne
fatisferez jamais à cette difficulté, qu'en
avouant Tame immortelle , & conieflant
avec moi qu'après la mort il y a un
état de vie où Dieu doit récompenfer
chacun félon fes mérites. Car ce Dieu
devant être , comme Dieu , pariait dans
toutes fes qualités, il doit avoir une par-
faite juftice : or une juftice parfaite doit
néceflairement porter à un jugement par-
lait. Ce jugement parfait ne s'accom^plit
pas en ce monde , puifque les plus im-
pies y font quelquefois les plus heureux ;
ïi taut donc qu'il s'accompliffe en l'au-
tre , ôc par conféquent qu'il y ait un
autre fiecle à venir, , qui eft celui que
nous attendons. Sans cela , pourfuit le
même Père , on pourroit dire que les
juftes feroient des infenfés , & que les
impies feroient les vrais fages : pour-
quoi ? parce que les impies chercheroient
les véritables &. folides biens , en s'atta-
çhant à la vie préfçnte, au lieu quç iç^
î68 Sur les afflic. des Justes
judes fouifiiroient beaucoup , & fe con-
fumeroient de travaux , dans l'attente
d'un bien imaginaire. Voyez-vous, Chré-
tiens , comment ce favant Eveque tiroit
des adverfités des julies une raifon in-
vincible pour établir la foi d'une vie &
d'une béatitude éternelle 1
C'eft auffi ce que prétendoit Saint
Auguflin dans l'exporition du Pfeaume
quatre-vingt-onzième , lorfque parlant
à un chrétien troublé de la vue de fe$
miferes & du renverfement qui paroît
dans la conduite du monde , il allègue
cette même raifon pour lui infpirer
une force à l'épreuve des événements
les plus fâcheux. Voulez-vous avoir ,
dit- il , toute la longanimité des Saints,
confidérez l'éternité de Dieu ; alors les
plus triftes accidents , bien - loin de
vous abattre , feront pour vous autant
de motifs d'une foi & d'une efpérance
plus conftante que jamais. Car quand
vous vous troublez , parce que la vertu
eft maltraitée fur la terre , & que
le vice y eft honoré , vous raifonnez
fur un faux principe , & vous êtes
dans l'erreur. Vous n'avez égard qu'à
ce petit nombre de jours dont votre
vie eft compolée , comme fi dans ce
peu de jours tous les deffeins de Dieu
dévoient s*accomplir fur les hommes ;
4^$' Aiundïs ad aies tuos paucos , & diebus
m'is paucU yisimpkri omnia i c'eft-à-dire,
que
tT Lk PROSP. DES PiCREURS. l6^
que vous voudriez voir dès maintenant
tous les juftes couronnés & récomp.en-
fés , & les inipies frappés de tous les
fléaux de la juftice divine ; que vous
voudriez que Dieu ne différât point ,
& que Tua & l'autre s'exécutât dans
la biiéveté de vos ^nnécs. Mais cei\ ce
que vous ne devez pas demander. Dieu
fera l'un 6i l'autre en fon temps, quoi-
qu'il ne le faffe pas deins le vôre. Le
temps de Dieu c'eft l'écernité , &. 1«
vôtre c'eft cette vie mortelle : votre
temps eft court , mais le temps de Dieu
eft infini. Or Dieu n'eft pas obligé
de faire toutes chofes dans votre temps ;
c'eft aflez qu'il les fafle duRs le fien :
Implebit Deus in tempore juo. Et c*eft .Z^.tî?,
pourquoi je vous dis que (i vous voulez
vous affermir dans votre foi & fou'enir
votre efpérance , vous n'avez qu'à vous
remettre fans ceffe dans l'efprit l'éter-
nité de Dieu. Comment cela ? parce
que témoin de l'injuftice apparente
avec laquelle Dieu feaibîe traiter les
hommes fur la terre , fe moniranc (î
rigoureux pour fes amis & fi favorable
à fes ennemis , vous tirerez cette con-
féquence, qu'il prépare donc aux uns &
aux autres une éternité, où il leur ren-
dra toute la juftice qui leur eft due ,
puifqu'il h leur rend fi peu dans le
temps. Tout ceci eft de ùim Auguf-
tin , & ce font fes propres paroles que
îe rapporte.
Do min, Tom. h H
170 Sur les afflic. des Justes
C'eft cette même vue d'une éter-
nité qui a rendu les Saints invincibles
dans les plus violentes tentations. Quand
eft-ce que Job parloir de la vie tuture
Ôi. immortelle avec une certitude plus
abfolue &i une foi plus vive ? Ce fut
lorfqu'il fe trouva fans biens , fans mai-
fons , fans famille, privé de tout fecours
Job. & réduit fur le fumier. Scio qubd
^' '^* Redemptor meus vivit. Oui , je fais ,
dlfoit-il, que mon Rédempteur eft
vivant , & que moi-même je vivrai
éternellement avec lui. Je n'en ai pas
feulem.ent une révélation obfcure , mais
une efpece d'évidence : Scîo, Et d'où
l'apprenoit - il , demande faint Gré-
goire Pape ? de fes fouflrances mêmes
6c de toutes les calamités dont il étoit
affligé. Quand eft-ce que David eut
une connoiffance plus claire & plus dif-
tinde des biens éternels , & qu'il s'en
expliqua comime s'il eût eu devant les
/y. ;r(;.'yeux le Ciel ouvert: Credo videre hor.a
Donini in terra viventïum ? Ce fut
dans le tem.ps que Salil le perfécutoit
avec plus de fureur. Ah 1 s'écrioit-il,
je crois déjà voir la gloire que Dieu
deftine à fes élus , 6(. il me femble
qu'elle fe découvre à moi avec tout fcrj
éclat. Mais, divin Prophète , comment
la voyez-Vous ? les sfflidions, les maux
vous afiiegent de toutes parts, & vous
p.rétendez appercevoir au milieu de tout
cela les biens du Seigneur ? Mais c'eft
£T LA PROSP. DES PÉCHEURS, ift
€n cela même, répond faint Jean Chry»
foiiome , c'eft dans les maux dont il
^toit alTiégé , qu'il trouvoit des gage»
certains qui l'afluroient pour une autre
vie , de la pofTeffion des biens du Sei-
gneur. Car fa raifon feule lui diftoit
au fond de l'ame , que les maux qu'il
avoit à fouffrir de la part de Saiil étant
contre toute juftice, il étoit de la pro-
vidence de Dieu qu'il y eût dans l'ave-
nir un autre état où fon innocence fût
reconnue & fa patience gloritiée ; &
voilà ce qu'il entendoit & ce qu'il
"vouloit faire entendre , quand il difoit :
Credo vidae bona Domïni in tcrrâ viven-^^
•iium.
Nous avons encore , Chrétiens ,
quelque choie de plus , ce font les
prédi6lions de Jefus-Chiift, dont notre
propre expérience nous fait voirl'accom-
^)iiri'ement dans les foufFrances des juftes
& dans la profpérité des pécheurs. Ceci
n'eft pas moins digne de vos réflexions.
Si le Fils de Dieu avoit dit dans l'Evan-
gile, que ceux qui s'attacheroient à le
fuivre &. qui marcheroient après lui ,
fêroient exempts en ce monde de toute
peine , à couvert de toute difgrace ,
comblés de richefles , toujours dans le
plaifir , Se qu'il n'y auroit de chagrins
& de traverfes que pour les impies ;
alors , je l'avoue , notre foi pourroic
s'aftoiblir à la vue de l'homme de bien
dans l'iadieencç , l'humiliation , la
îf 2 Sur les afflîc. des Justes
douleur , & du libertin dans la fortune y
l'autorité , l'élévation. Il me feroit
difficile de réfifter aux fentiments de
défiance qui naîtroient dans mon
cœur : pourquoi ? parce que je me
croirois trompé par Jefus-Chrifl même,
& que j'éprouverois tout le contraire
• de ce qu'il m'auroit promis. Mais
quand je confulte les facrés oracles
fortis de la bouche de ce Dieu Sauveur ,
& que je les vois accomplis de point
en point dans la conduite de la Pro-
vidence ; quand j'entends ce Sauveur
adorable dire clairement & fans équi-
voque à fes Difciples : Le monde fe
réjouira , & vous ferez dans la triftefle;
Jean. Mundus gaudebit , vos autem contrijîabi-
f» '^' min\: quand jç 1 entends leur déclarer
dans les termes les plus exprès , qu'ils
feront en butte aux perfécutions des
hommes ; leur faire le détail des croix
qu'ils auront à porter , des mauvais
traitements qu'ils auront à effuyer ; leur
marquer là - deflus toutes les circonf-
tances , 6c conclure en les avertiflant que
s'il leur annonce par avance toutes ces
chofes , c'eft afin qu'ils n'enfoient point
furpris ni fcandalifés iorfqu'elles arri-
îiid, veront , Hcec locutus fum vobis , ut noin
fcandull^emini , ÔC afin qu'ils fe fou-
viennent qu'il les leur avoir prédites ;
U'id. Ut cîim -vcncrït hora , ^orum reminifca"
mini, quia ego dixi vobis : quand, dis-je,
ççut cela fe préfente à mo^ efprit, 6c
ETLA PROSP. t>ES?ÉCHEUÎlS. I/J
que tout cela s'exécute à mes yeux , que
j'en fuis inftruit par moi - même , &
que j'en ai les exemples les plus fen- .
fibles & les plus préfents^ eft-il poffible
que ma confiance ne redouble pas , &C
qu'elle ne tire pas de là un accroiffe-
ment tout nouveau ? Si je voyois tous
les pécheurs dans l'infortune , ôc tous
les jufles dans le bonheur humain ,
c'eft ce qui m'étonneroit , psrce que:
je ne verrois pas la parole de Jefus-
Chrift vérifiée. Mais tandis que les
gens de bien foufFriront , & que les im-»
pies auront tous les avantages du fiecle ,
je ne craindrai rien , je me confolerai ,
je me foutiendrai dans mon efpérance.
Car voici comment je pourrai raifon-
ner. Le mêm.e fils de Dieu qui a dit
aux jufies , vous ferez dans l'afRidion ,
leur a dit aufii , votre triiîeffe fe chan-
gera en joie : Trijlitia vefira vcrtetur in Uld»
gaudium : Le même qui leur a prédit
leurs peines & leurs adverfités , s'eft
engagé à leur donner fon royaume ,
& dans ce royaume céiefte une féli-
cité parfaite. Or il n'eft pas moins
infaillible dans l'un que dans l'autre , pas
moins vrai quand il annonce le bien
que lorfqu'il annonce le mal , pnifqu'il
eft toujours la vérité éternelle. Comme
donc l'événement a juftifié 6c juïlifi^
fans ceiïe ce qu'il a prévu des aiBi6lions
de fes élus , il en fera de même de
la gloire qu'il leur fait efpérer. De là
Hiij
174 Sur les afflic. des Justits
je prends le fentirr.ent du grand Apô-
tre , & je dis avec lui : je foufFre , mais
je fouffre fans me plaindre , & je n'eii
fuis point déconcerté ni inquiet ; car
je f^is en qui je me coniîe & fur la
parole de qui je me repofe ; je le fais ,
& je fais certain , non-feulement qu'il
peut faire pour moi tout ce qu'il m^a
promis , mais qu'il le veut & qu'il le
fera , puifqu'il me Ta promis , & a tous
ceux qui fe difpofent dans le filence &
la foumiilion au jour bienheureux oil
il viendra reconnoître fes prédeftinés &:
remplir leur attente.
Ert-ce tout ? non , mes chers Audi-
teurs ; mais je finis par un point qui
me paroit , & qui doit vous paroitre
comme à moi le plus eiïentiel. Car
dans cette affemblée je m'adrefle à
celui de tous que Dieu connoît le
plus ]Uile , & que Dieu toutefois a
moins pourvu de fes dons temporels :
qu'il m'écoute & qu'il me comprenne y
c'eft à lui que je parle. 11 eft vrai ,
mon cher Frère , & je ne puis l'ignorer ,
votre fort parmi les hommes ei\ trifte
& fâcheux ; mais par-là, fi je puis m/ex-
primer de la forte , à quel fceau vous
trouvez-vous marqué ? à celui que doi-
vent porter les élus , à celui qui les
diftingue comme élus , en un mot , à
celui du fils unique de Dieu , le chef
& .l'exemplaire des élus. Tellement ,
que vous entrez uinh dans Tordre do
£t la frosp. des Pécheurs. 175
votre prédeftination, & que Dieu com^
mence à exécuter le décret qu'il en a
formé. Je m'explique , &l je vais mieux
vous faire entendre ce myftere de ulut.
On vous Ta dit cent fois après l'Apôtre ,
& c'eft un principe de notre toi, que
Jefus - Chrift étant le modèle des pré-
deftinés , il faut , pour être glorifié
comme lui , avoir une fainte reiTem-
biance avec lui. Car , félon l'excellente
6l fublirae théologie du Dofteur des
nations , tel eft l'indlfpenfable condi-
tion que Dieu demande pour taire part
de fa gloire à fes élus , & c'eft ainfi
qu'il les a choifis : Quos prczfcïvit & prcz- îi:>m,
deflinavit conformes fieri inuginis fiUi ^- /•
fui. Or il q£x. évident que Jeius-Chrifl
a vécu fur la terre dans le même état
ou Dieu permet que le jufte foit réduit ,
qu'il a marché dans la même voie ,
qu'il a été expofé aux marnes rebuts 3
aux mêmes mépris , aux mêmes con-
tradictions. O profondeur des confeils
de la divine fagefle ! Tibère régnoit ea
Souverain fur le trône , & le fils de
Dieu obéiîToit à fes ordres. Pihte étoit
revêtu de h fuprême cutori;é , & le
fils de Dieu cGir.paroilloit devant lui.
Voilà comment Dieu opéroit par Jefus-
Chriil le falut des hommes , 6i voilà ,
mon cher Auditeur, comment il opère
ou comment il confomme le vôtre par
vous-même. Il vous imprime les Curac-
ti:e5 de fon fils , il grave dans vous fes
H iy
176 Sur les affiic. des Justes
traits & fon image. Sans cela tout fe-
roit à craindre pour vous : mais avec
ceia que ne pouvez- vous point elpérer,
puifque c'eft l'exécution des favorables
deiïeins d-e Dieu fur votre perfonne ?
Q_uos prœfclvit & pradejiinavit conformes
fitri imaginis fiiù fui.
Vous me dites : L'on a vu & l'on voit
encore des gens de bien, riches & opu-
lents y honorés & diftingués dans le
monde. J'^en conviens : mais fur cela
je réponds trois chofes. En effet , s'il
n'y avoit de juftes & d'élus que les
pauvres & les petits , que ceux qui par
l'obfcurité de leur condition , ou par le
défordre de leurs affaires occupent les
derniers rangs , les aurres états feroient
clone exclus du royaume de Dieu , ce
feroient donc par eux-mêmes des états
réprouvés , il y faudroit donc néceffaire-
ment renoncer. Or il étoit néanmoins
de la Providence d'établir dans la fo-
ciété des hommes ces états , & il efî
toujours de la même Providence de les
y maintenir : d'oii il s'enfuit que Dieu
n'a donc pas dû y attacher une damna-
tion inévitable , & qu'au contraire il
devoit y fai. e paroître des exemples de
fainteté , afin de ne pas jeter dans un
dél'efpcir abfolu tous ceux qui s'y trou-
veroient engagés. Je vais plus loin , ÔC
j'ajoute , que fi les Sdints fe font
vus quelquefois dans l'état d'une prof-
périté humaine , c'eft ce qui les iaifoit
ET LA PROSÏ». DES PÉCHEURS. I77
Crembler, que c*eft ce qui les entretenoit
dans une défiance continuelle d'eux-mê-
taes , que c'eft ce qui les humilioit, ce
qui les confondoit devant Dieu: pour-
quoi ? parce que ne reconnoiflant point
dans leur profpérité l'imcîge de Jefus-
Chrift fouffrant , ils craignoient que
Dieu ne les eût rejetés , &. de ne ré-
gner jamais avec Jefus-Chrift glorieux
& triomphant. De-là pour fuppléer à
ce qui leur manquoit , & pour acqué-
rir cette conformité fî néceffaire , que
faifoient-ils ? obfervez-le bien , c'eft ce
que j'ai en dernier lieu à répondre. Ils
ne quittoient pas pour cela leur condi-
tion , parce qu'ils s'y croyoient appelles
& qu'ils vouloient obéir à Dieu ; mais
fous les dehors fpécieux d'une condi-
tion aifée & commode , ils confervolent
toute l'abnégation chrétienne , & por-
toient fur leur corps toute la mortifi-
cation de leur Sauveur. Sans renoncer à
leur état, ni à certain extérieur de leur
état , ils renonçoient à Tes douceurs , &
fur-tout ils Te renonçoient eux-mémies.
Au milieu de l'abondance ils favoient
bien reiîentir les incommodités de la
pauvreté ; au milieu des honneurs ,
ils trouvoient bien des moyens pour
fe contenir dans les fentiments & s'exer-
cer dans les a6les d'une profonde hu-
milité ; au milieu des divertiilements
mondains , où quelquefois ils fembloient
^voir part , ils n'oublioient pas les
Hv
178 Sur LES AFFLic. DES Justes
devoirs de la pénitence, & là même
fouvenc la pratiquolent - ih dans toute
fon auftérité : tout cela afin d'être du
nombre de ceux dont l'Apôtre a dit :
Quus prœfcivit & pnzdefiinav'u conformes
fieri imaginis fiL'ù fui.
Vous me direz encore qu'on a^vu
des pécheurs & qu'on en voit dans les
mêmes adverlîtés que les juftes , ÔCauiii
affligés qu'eux. Il eft vrai : mais fans
examiner toutes ies ràifons pourquoi
Dieu ne veut pas ni ne doit pas vouloir
que le vice profpere toujours , je me
contenterai d'une réponfe que j'ai à vous
faire , & qui fervira de preuve à l'im-
portante vcrité que je vous prêche. C'eft
que pour ces pécheurs fujets comme les
jufles aux revers & aux difgraces de la
Tie, une des plus précieules & des plus
fenfibles marques , félon la doclrine de
tous les Pères , que Dieu ne les a pas
entièrement abandonnés , ce font leurs
fouffrances même & leurs peines ; que
le plus gr^nd de tous les malheurs pour
eux , ce feroit d'être ménagés , d'être
flattés , de n'être jarF.ais traversés dans
le crime; que la dernière refiource qui
leur reile pour rentrer dans la voie du
falut & pour être reçus dans le fein de
la miféricordej eft que Dieu "à préfent
les châtie , qu'en las châtiant il les
corrige, qu'ei) les corrigeant il les ré-
forme , & que ce renouvellement & cette
déformation de m.geurs retrace diias eu:ï.
ET LA PROSP. D£S PeCHEURS. I79
Timage de fonfîls qu'ils y avoient eita-
cée : de forte qu'il en faut toujours
revenir à la parole du Maître des Gentils :
Quos prczfcivit & pnzdcjlinavic conformes
fitri ima^inis filii jui.
Plaife au Ciel , mes chers Auditeurs ,
que vous ayez bien compris ce myftere
de grâce 6t de fan£tiiication que j'avois
à développer ; que dans les coups dont
Dieu vous frappe , vous reconnoilnez
l'amour qui TintérelTe pour vous ; que
le jufte ranime fon eipé tance , & qu'il
fe foutienne par fa patience ; que le
pécheur ébloui du vain éclat qui l'envi-
ronne , & enivré d'une trorrjpeufe féli-
cité qui les féduit , fe détrompe enfin des
idées qu'il en avoit conçues , & que
déformais il en détache fon cœur pour
l'attacher à des biens plus folides. Vous
cependant , ô mon D eu ! ne changez,
rien à l'ordre des chofes que votre Pro-
vidence a réglées : agiliez félon vos
vues , 6c non félon les nôtres. Vos
vues font infinies, ôc les nôtres font
bornées ; vos vues font toutes pures , &
les nôtres font toutes terreftres ; vos
vues ne tendent qu'à nous fauver , & les
nôtres ne tendent qu'à nous perdre. Si
la nature fe révolte , fi les fens murmu-
rent , ah 1 Seigneur , n'accordez ni à
la nature Indocile, ni aux fens aveugles
& charnels ce qu'ils demandent. "Ne
nous livrez pas à nos defirs, & ne nous
écoutei pas , comme vous écoutiez
H vj
i8o Sur les afplîc. des Justes , &c;
autrefois dans votre colère le peuple Juif.
Mùia fuivez toujours vos adorables àeC-^
feins, & quoiqu'il nous en doive coûter^
€xécurez-les pour votre gloire ièi pour
notre bonheur éternel 5 &:c, '
1
^
tSt
SERMON
POUR
LE CINQUIEME DIMANCHE
APRÈS L'EPIPHANIE.
Sur la Société des Juflcs avec les
Pécheurs,
Cùm domirent homines , venit inimicus homo^
& fuperfeminavit ziiania in medio tritici.
Tandis que les gens dormoîent , l'ennemi vint 3
& fema de Vivroie parmi h bon grain, Ea
Saint Matth. ch. 13.
C'EsT dans le champ du Père de
famille que cette ivroie eft femée
parmi le bon grain, & c'eft dans TEglife
de Dieu que les pécheurs vivent au
milieu des juftes , & que les uns 6i les
autres font confondus enfemble. Ce fut
durant la nuit & lorfque les gens étoient
endormis , que l'ennemi vint défoler le
champ , & c'eft pendant cette vie mor*
lelle, qui eft pour nous uç t^n^P^ ^^
i5^ Sur la société des Justes
ténèbres & comme une nuit obfcure ,
que rennemi commun des hommes fait
fes ravages & entretient dans le fein de
l'Eglife ce trifte mélange des impies &c
des réprouvés avec les élus. Il ne vient
pas tandis que nous veillons , tandis que
nous avons les yeux ouverts & que nous
fommes attenti:fs fur nous-mêmes : mais
il prend les moments où les traits flatteurs
du plaifir nous charment , où les faufTes
douceurs du monde nous endorment ,
©ù nos paffions nous fermant les yeux ,
nous empêchent de Tappercevoir 6c de
remarquer le dommage qu'il nous caufe ,
Cùm dormirent homines. Voilà com.ment
cet efprit féducieur s'infinue , comment
il introduit le péché dans les âmes &
une multitude prefque infinie de pé-
cheurs dans fe chriiVianifme : Venit ini"
rnicus homo , 6» fuperfem'inavit ^ii^ania.
Dieu d'un coup de fon bras tout-puif-
fant , pourroit dans un jour les exter-
miner tous ; mais il attend la faifon de
la récolte, c'eft-à-dire jufqu'à la tin des
fiecles & de Ton jugement dernier , lorf-
qu'il enverra fes moiffonneurs pour fé-
parer Mvraie d'avec le bon gain : par-
lons fans figure , lorfqu'il enverra les
Anges exécuteurs de fes volontés &:mi-
lîiftres de fa juflice , pour faire le difcer-
nement des ]uf\es & des pécheurs , pour
mettre à h droite les juftes prédeilinés, &
à'ia gauche les pécheurs réprouvés , pour
làffenibler les uns dans fon Royaume, ^
AVEC LES PÉCHEURS. iSj
pour précipiter les autres dans le feu
éternel : Coliipte :^i7^ima , & aliigite Marh.
ea in fafciculos ad cornburcndum : trui- c. ;^,
cum autem congregate in hornum meum.
Ce temps n*eft pas encore venu , Chré-
tiens , & jufqu'à cette fépr.ration nous
vivons au milieu des impies , & les im-
pies vivent au m.ilieu du rr.onde. Il eft
donc d'une conféquence extrême que
vous fâchiez quelle conduire vous devez
tenir à leur égard , & quelle fociété
vous pouvez avoir avec eux. Mais afin
de vous en inftruire plus folidement ,
j'ai befoin des lumières du Saint- Efprit,
& je les demande par rintercelTion de
Mûrie. Ave M.iria,
DE vouloir pénétrer dans les fecrets
de Dieu pour favoir à quelle fin
Dieu fouftre les impies au milieu des élus,
ce feroit , 'dit Saint Auguftin , vouloir
découvrir un myftere qui eil au deffus
de nos connoifTances, & que nous devons
adorer fans entreprendre de l'examiner.
Dieu permet que les impies fubfiflent , &
c'eft ce que l'expérience nous fait voir ;
il permet qu'ils fubfiflent parmi les bons
& les prédeftinés , c'eft de quoi nous
ne pouvons douter. De connoitre les
raifons pour lefquelles il le veut i-infi,
c'eft encore une fois ce qui n'eft pas
de notre compétence ; mais d'apprendre
comment nous devons nous comporter
avec les impies §c les libertins , c'eft ce
'1Î4 Sur la société des Justes
qui nous touche & ce qui demande tou«
tes nos réflexions. Or de qui l'appren-
drons-nous? de Dieu nïême , qui en
tout , mars particulièrement en ceci ,
veut être notre exemplaiie & le modèle
de notre conduite. Dieu , Chrétiens ,
qui eft la fainteté même , demeure avec
les pécheurs ; mais je remarque fur cela
deux chofes qui doivent être pour nous
deux importantes leçons : car il ne de-
meure avec les pécheurs que par la né-
ceflité de Ton être , c'efl la première ; &
en demeurant avec les pécheurs , il lait
tout à la tcis & en tirer fa gloire,, Ôc pro-
curer leur fdlut , c'efl la féconde. Sur
quoi j'établis deux obligations qui nous
regardent, &: qui vont faire le partage
de ce difcours. Dieu n'eft avec les pé-
cheurs que par la néceffité de fon être,
& nous ne devons demeurer avec eux
que par la nécelîité de notre état : ce
fera la première Partie. Dieu tire fa
gloire des pécheurs , & travaille en
même temps à leur falut ; c'eft ainfi
que nous devons rendre notre commer-
ce avec eux égaleirent profitable &
pour nous & pour eux-mêmes : ce fera
la féconde Partie l^ans la première je
vous montrerai l'obligation générale ae
fuir le commerce des pécheurs ; & nous
verrons dans la féconde quel profit il
en faut retirer lorfque nous y fommes
néceflairement engagés. En deux mots ,
le mélange des juiles ^ des pécheur*
AVEC LES PÊCHEURS. 185
eft communément dangereux pour les
juftes ; mais il peut être quelquefois utile
aux uns & aux autres. Autant qu'il eft
dangereux pour les jufles , ils doivent
l'éviter : & autant qu'il peut être utile
aux juftes & aux pécheurs , les juftes
doivent en profiter. Voilà tout le fujet
de votre attention.
A Entendre parler TEcrlture , on di- î.
roit , Chrétiens , que Dieu par une PaRT»
efpece de contradi<5lion eft tout à la fois
avec les impies & qu'il n'y eft pas , qu'il
s'éloigne d'eux & qu'il ne s'en éloigne
pas , qu'il les prive de fa préfence ôc qu'il
ne les en prive pas. Car voyez comment
îl s'exprime différemment , félon la dif-
férence des caraderes qu'il prend & qu^il
veut foutenir à leur égard. C'eft moi ,
dit-il , qui remplis le ciel & la terre ; &C
quoi que faffe le pécheur , il ne peut
m'éviter ni fe dérober à mes yeux. Voilà
Dieu préfent au pécheur, pour l'obfer-
ver & pour Kéclairer. Mais il dit ailleurs :
Je me repens d'avoir créé l'homme, &
je fais pour toujours divorce avec lui,
parce qu'il eft tout charnel. Voilà Dieu
féparé du pécheur , pour fe venger &c
pour le punir. Où irai -je, Seigneur,
diloit David, & où fuirai - je de de-
vant votre face } Si je defcends dans
les enfers , je vous y trouve , & vous y
«tes en perfonne , exerçant les rigueurs
c, z
186 Sur la société des Justes
de votre juftice : Dieu donc , conclut
faint Jérôme, habite même avec les ré*
prouvés. Mais j'entends Saiil au contrai-
re invoquant Sarr.uel, & lui témoignant
fa douleur, ou pour mieux dire^ Ton
défefpoir ^ de ce que Dieu s'eft retiré de
f'R^g- lui , Coardor nimis ^ Ji quidem pugnant
Pkïiijliim advershm me , & JDeus rcccj/ït
à me : il ne faut donc plus chercher
Dieu dans la compagnie d'un réprouvé.
Comment accorder tout cela ? En voici
le fecret , qui confifte , répond le Doc-
teur angélique S. Thomas , en ce que
Dieu qui eft le Saint des Saints, n'eft
avec les pécheurs & les impies que par
la néceiTité de Ton être, Se qu'il n'y eft
point par un choix d'affe6lion & d'incli-
nation. Je m'explique.
Il eft avec les pécheurs par la nécef-
fité de fon être , parce que toutes fes
perfe6tions divines l'y engagent : fa fa-
gefle , par laquelle il gouverne & main-
tient dans l'ordre toutes les créatures ,
jufqu'aux plus révoltés pécheurs ; fa
bonté, dont il répand les effets fur tou-
tes les créatures , fans en excepter les
pécheurs ; fa toute - puiiTance qui fait
agir toutes les créatures , Si. conféquem-
ment les pécheurs. Tous ces devoirs du
Créateur , qui lient Dieu , pour ainfi
dire , à la créature , font des devoirs gé-
néraux auxquels tous les hommes ont
part , les mcchans auffi - bien que les
bons 3 &. c'eil: par kraifon de ces devoirs
AVEC LES Pécheurs. 1^7
que Dieu efl inféparable des impies.
Âlais , comme j'ai dit, ce font des de-
voirs de néceiTité , dont Dieu , iup-
polé le bienfait de la création , ne peut
pas fe dirpenfer lui-même. Car fi vous
confultez les inclinations de fon cœur ,
ah ! Chrétiens , les chofes fe- paffent
bien autrement. A peine l'homme eft-
il tombé dans le défordre du péché ,
que Dieu rompt avec lui toutes les
alliances , & par conféquent tous les
commerces dont fa gracé avoit été le
lien. De forte qu'il n'eft plus avec le
pécheur , en aucune de ces manières
qui marquent le penchant & le difcer-
nement de fon amour; c'eft-à-dire,
qu'il n'eft plus avec le pécheur, ni par
l'effet d'une protection fpéciale , com-
me il étoit avec fon peuple dans le
défert , ni par la com.munication de fes-
dons , comme il eft avec tous les juf-
tes , ni par l'union intime 6i myil:é-
rieufe de ion adorable Sacrement, com-
me il eft fmguliérement avec l'ame
chrétienne qui le reçoit. A l'égard du
pécheur tout cela ceife , &. c'eft ce qui
fait dire au Saint- Efprit que Dieu n'eft
plus avec les pécheurs , &l qui fait ajou-
ter aux Théologiens , que h , par une
fuppofition iinpolFible , Dieu pouvoit
fe dépouiller de fon immenfité , il de-
meureroit encore préfent à un grand
nombre de fujets à qui fa grâce l'atta-
che y mais qu'il celTeroit d'être avec les
îS8 Sur la société des Justes
pécheurs , parce qu'il n'auroit plus cette
îiéceffité d'être par-tout , & d'agir par-
tout : d'où S. ChryCoftome conclut , &
la penfée de ce Père mérite d'être re-
ïnarquée , que l'immenfité qui eft un
des plus nobles attributs de Dieu , ne
laiffe pas dans un fens d'être à Dieu
comme un attribut onéreux , puifqu'elle
l'affujettit à ne pouvoir entièrement fe
féparer de ce qui eft Tobjet de fon aver-
fion & de fon indignation.
Admirable idée , Chrétiens , de la
conduite que nous devons obferver
avec les libertins du fiecle. Qu'eft-ce
que Dieu exige de nous ? que nous en
ufions avec eux comme il en ufe lui-
même : pouvons-nous nous propofer un
plus faint modèle ? 11 veut donc pre-
mièrement que nous les fupportions à
fon exemple ; & il le veut avec raifon,
dit Saint Auguftin , puifqu'on nous a
bien fupportés quand nous étions nous-
mêmes dans l'égarement & la corrup-
tion du vice. Voilà pourquoi , reprend
ce faint Dodleur , nous ne devons jamais
oublier ce que nous avons été, afin de
conferver toujours pour les autres une
compaflion tendre 6c charitable dans
Auguji, l'état où ils font. Cum tolerant'uî vivem^
dum nobïs ejl inter malcs , quia ciim mali
ejfemus , cum toUrantiâ vixerunt boni inter
nos. Mais prenez-garde, s'il vous plaît,
à ce terme , cum toUrantiâ ; car Saint
Auguflin ne dit pas que la fociété des
AVEC LES PÉCHEVRS. iS^
méchants nous doit être un fujet de com-
plaifance , mais un exercice de patience ;
c'eft-à-dire , que nous devons la fouf-
frir , &c non pas l'aimer, parce que c'efl
ainfique nous nous conformons à notre
règle qui eft Dieu.
Oui , je l'avoue , il y a des liaifons
& des engagements avec les impies ,
que la loi divine non - feulement ne
nous commande pas , mais qu'elle ne
»ous permet pas de rompre , puifqu'elle
nous en tait même des devoirs , ÔC
c'eft ce que j'appelle la nécelTité de no-
tre état , qui répond à la nécelfité de
l'être & de la providence de Dieu.
Autrement , dit Saint Paul , il faudroit
fortir hors du monde , fi tout com-
m«rce avec les pécheurs y étoit géné-
ralement interdit : Alioquin debiuratis de j^ ^^^<
hoc inundo exiffe. Par exemple , un père c, j.
doit-il fe féparer de fes enfants , parce
qu'il les voit dans le défordre ; une
femme de fon mari , parce qu'il mené
une vie licentieufe ; un inférieur de fon
fupérieur , parce que c'eft un homme
fcandaleux ? Non , fans doute , la loi
du devoir , de la dépendance Se de la
fujéîion le défend ; & on peut dire alors
que le mélange des méchants avec les
bons eft autorifé de Dieu , puifque
Dieu eft l'auteur de ces conditions qui
engagent néceffairement à cette fociété.
Tout cela eft vrai, mais hors de là,
je yeux dire hors des termes de; 1|
t^ô Sur la société des Justes
néceffité , & de la juftice , quand lef
chofcs font dans la liberté de notre
choix , chercher les impies & entretenir
avec eux des habitudes volontaires , des
amitiés nnondaines & profanes , des fa-
miliarités dont le prétexte eft le feul
plaifir , & que nulle raifon ne jurtifie ,
Je dis que c'eft aller dire^lement contre
les ordres de Dieu , & je le dis après
le grand Apôtre. Car voilà comment il
le déclaroit aux Chrétiens de TheiTa-
*c.The(r. ^-onique : Denuntiamus vobis , ut Jubtra--
(, j. katis vos ab omni fratre ambulants inor'
dinatè ; Nous vous ordonnons , leur di-
foit-il , au nom du Seigneur , de vous
retirer de tous ceux d'entre vos frères
qui tiennent une conduite déréglée , ôc
de garder ce précepte comme Tun des
plus importants 6c des plus elTentiels de
la loi de Dieu. De là vient que David
s'en faifoit un point de confcience & de
pr 2r. ï"elig''on. Non jedi cum concilio vanitatis ^
& cum iniqua gerentibus non introibo ;
odivi Ecclefiam malignantium. Ma ma-
xime a toujours été de n'avoir point
d'union avec des partifans du vice, &
de ne me point mêler avec ceux qui
font gloire de commettre l'iniquité : d'ai-
tner leurs perfonnes , parce que la cha-
rité me le commande , mc^is de haïr
leurs affemblées » de fuir leurs intrigues ,
d'abhorrer leurs converfations , parce
«ju'une charité plus haute , qui eft celle
^ue je dois à Dieu & que je me dois
AVEC LES PÉCHEURS. 19!
a moi - ir.ême , m'empêche d'y avoir
part.
Voilà , dis-je , mes chers Auditeurs ,
ce que nous di6le la prudence chré-
tienne, 6c à quoi elle nous oblige in-
difpenfablement , d'éviter, autant que
notre condition le peut permettre, les
fociétés mauvaifes & corrompues. Et
voyez aufîî comme Dieu nous en a inf-
piré l'horreur , foit par rapport aux païens
& aux idolâtres , foit par rapport aux
hérétiques & aux Tchilmatiques , foit à
l'égard même des catholiques libertins
& prévaricateurs. Vous êtes mon peu-
ple , difcit-il aux enfants d'Ifra-ël , en
les introduifant dans la terre de Ca-
naan , vous êtes mon peuple , & je
vous ai choifis parmi tous les peuples
de la terre , afin que vous me foyez
fpécialement dévoués : mais c'eft pour
cela m.ême qu^'il ne vous fera pas per-
mis de traiter avec les peuples infidè-
les , que vous n'entrerez point dans
leurs alliances , & que nul mariage
entre eux & vous ne pourra être con-
traire légitimement. Pourquoi cela, de-
mande Saint Auguftin ? ce commerce
avec les étrangers ne pourroit-il pas
être avantageux & néceffaire aux Ifraé-
lites pour leur établilTement ? Peut-être
la politique du monde en auroit - elle
ainfi jugé ; mais Dieu dont les vues
faintes & adorables font infiniment éle-
vées au delTus de celles des hommes,
191 Sur la société des Justes
voulut que la politique du monde cédât
à l'intérêt de la Religion. Non, leur
fignifia-î-il , quelque avantage que vous
puiffiez vous en promettre , vous ne
rechercherez point ces nations , & vous
Exod. vous en tiendrez toujours éloignés: Cave
*• 34' ne unquam cum hubitatoribus terrce. illius
jungas amiciùas, C'eft ce que portoit
expreffément la loi, & vous verrez.
Chrétiens , fi cette détenfe étoit inutile
& fans fondement. Fuyez, nous dit-il
ailleurs par la bouche de Saint Paul ,
fuyez l'hérétique , fi vous voulez con-
Tif.f.j.ferver la pureté de votre foi : HczretL"
cum homincm devita. Donnez-vous bien
de garde , non - feulement d'entretenir
des intelligences dans le parti de l'er-
reur, non- feulement d'en époufer les
intérêts , mais d'y avoir même de fim-
ples liaifons , hors celles que la piété
chrétienne & le devoir de votre condi-
tion peuvent juftifier. Et fi ce font des
orthodoxes , qui malgré leurs moeurs
diflblues , ne laiflent pas de vivre avec
nous dans la communion d'une même
créance , Dieu nous en a-t-il interdit la
fociété.^ Ecoutez encore l'Apôtre- Je vous
en ai déjà avertis , écrivoit aux Corin-
thiens ce Maître des nations , ôcje vous
ai marqué dans une de mes lettres , de
n'avoir jamais nul engagement , ni avec
les impudiques & les voluptueux , ni
avec les médifants & les calomniateurs ,
ni avec quelque autre que ce foit de
ceux
AVEC LES PÉCHEURS. 195
ceux qui peuvent vous corrompre &.ê.tre
pour vous un fcandale. Quancl ce feroit
votre tVere par inclination 6c par liaifon
d'amitié , fi c'eft un homme de mau-
vaife vie , J€ ne veux pas que vous
ayez eniemble la moindre communica-
tion , ni que vous puiiTiez manger avec
lui: Si is qui [rater nomiiidtur ^ efl forni- '• Cor,
cator', aui m^îladicus , aut rapax ^ cum ^' ^*
ejufmoui nec cibum fumer e.
Dieu veut, dit excellemment Guil-
laume de Paris , "& cette p en fée efl
belle ; Dieu veut qu'en nous féparant
des impies, nous fallions dès-à-préfent
ce qu'il fera un jour lui-même, & que
nous prévenions ainfi la rélu/rection
générale & le jugement dernier. Quand-
\q Fils viendra juger le monde , les
réprouvés , il eft vrai , relTuiciteront en
même tem.ps que les juites ; mais ils
ne reil'ufciteront pas néanmoins avec le«
j-uftes , parce qu'au moment même de
la rérarre6lion les juiles feront féparés
des réprouvés par ce difcernement ter-
rible dont a parlé David & dont les
Anges feront les exécuteurs. Ideb non Pf, r.
refursicnt implï in judicio , neque pecca-
tores in concilia jufiorum. Qael efl donc
le delTein de Dieu , pourfuit Guillaume
de Paris ? c'eii que les bons vivent en
ce monde, à l'égard des m.échants , dans
le même ordre ou ils doivent relfuf-
citer ôc être jugés; c'e(l-à-dire , qu'ils
1k difcernent eux-mêmes , pour ainfi
Domin. Tom, A I
194 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes
parler , d'avec les pécheurs , & que àk^
cette vie ils commencent à prendre leur
rang, afin que Dieu ne Ibit preique pas
obligé d'y employer Tes Anges , ni de
laire d'autre choix de Tes élus.
Aufîi eft-ce en cela que confiée la
perfe'ftion & la gloire des juftes fur
la terre , & telle eit l'idée que l'Ecriture
nous en donne. Car quand Dieu com-
mande à Jofué de faire mourir Acham ,
qui étoit un homme fcandaleux , au
milieu de fon peuple , il ne s'en explique
point à lui autrement que par ces pa-
Jofuc. rôles : Surge, faiiclifica populum ; je veux
'• 7' que demain tu fanélifies mon peuple-
Et que ferai-je pour cela , Seigneur ,
réplique Jofué ? tu extermineras Acham ,
qiiiell un facrilege. Tandis qu'il demeu-
rera parmi les tribus , je n'y puis de-
ireurer m.oi-même ; mais retranche cette
ame criminelle , & alors tout le peu-
ple fera fandifié. Vous diriez , Chré-
tiens , que la féparation des méchants
eft comme un facrement d'expiation pour
les bons. En effet, il ne faudroit rien
davantage pour fanftifier des familles ,
des Communautés , des Ordres tout
entiers. Otez d'une maifon un domef-
tique vicieux qui l'infe^le , vous en
ferez une maifon de piété. Otez d'une
Com.munauté un efprit brouillon qui la
divife , vous en ferez une aflemblée de
Saints. Otez de la Cour d'un Prince
quelques athées qui y dominent, vous
AVEC LES Pécheurs. 195
tm ferez une Cour chrétienne. Il y a
tel homme dans Faris qui a perdu plus
d'ames que jamais un démon n'en per-
vertira ; & vous connoilTez certaines
femmes , dont la fociété tait plus de
libertins que les plus contagieufes le-
çons de ceux qui autretois ont terni
école de libertinage. Orez donc un petit
nombre de ces hommes & de ces tem-
ines , oL vous rétablirez prefque par- tout
le culte de Dieu. Or ce retranchement
ne feroit pas impofïïble , fi les intérêts
de Dieu étoient auûi refpcdlés que ceux
des hommes. N'avez-vous jamais pris
garde , Chrétiens , à une chofe allez
particulière que nous marque l'Evan-
gélifte S. Jean , en parlant de la dernière
cène que Jelus-Chrift fit avec les Apôtres
la veille de fa mort? Au même temps
que Judas fortit pour aller exécuter fon
déteftable deffein , le Sauveur du monde
entra dans une efpeced'extafe, & s'écria:
Nunc clarificatus efl filius homïnis ; c'eft Joan^
maintenant que le fils de i'homm.e eil ^' 'S*
glorifié. D'où lui venoit cette gloire ,
demande S. Auguftin ? Ce n'étoit pas
de la vifion bienheureufe de Dieu, car
il la pofTéda dès l'inflant même de fa
conception ; ce n'étoit pas de la réfur-
reélion de fon corps , car il n'étoit pas
encore refîufcité ; mais elle lui vint de
îa fortie de ce traître , qui avoit été
jufques-là préfent avec les autres diici-
jples, ÔL c'eft la raifon qu'en apporte Iç
1 ^i
Î96 Sur la société des JusTEâ
texte facré : Ckm ergo exijfct , dixit Je fus :
nunc cLirificatus ejî Filius hominis. Tan-
dis que Judas étoit dans fa compagnie,
c'étoit en quelque forte comme une
tache pour lui ; mais quand il s'en vit
féparé , quoique cette ieparation dût être
bientôt fuivie de tous les opprobres de
îa croix , il ne laiffa pas de s'en faire
une gloire : Nunc danficatus eft Films
homims. Or fi la gloire du Fils de Dieu
ne pouvoit être complette tandis qu'il
foufffiroit un réprouvé auprès de lui ,
jugez , mes chers Auditeurs , fi vous pou-
vez être faints & juftes devant Dieu,
lorfque vous vivez avec les pécheurs , &
que vous vous tenez volontairement au
niilieu d'eux.
Voilà pourquoi l'Eglife , dit S. Tho-
mas, excommunie certains pécheurs :
par cette cenfure elle partage le bon &
le mauvais grain , pour retenir l'un &
pour rejeter l'autre ; en quoi elle nous
apprend notre devoir , & nous donne à
connoître ce que nous fommes obligés
de faire nous-mêmes. Vous ne vouiez
pas vous féparer des im.pies , elle les fépare
de vous : car ne penfez pas qu'elle pré-
tende feulement les punir , en les privant
^u bien de la fociété commune. 11 y a
<leux chofes dans l'excommunication ;
une peine pour le coupable , & une loi
pour l'innocent. L'Eglife condamne le
pécheur à n'avoir plus de communication
avec les fidèles , voilà la peine j & en
AVEC LES PÉCHEURS. I97
même temps elle ordonne aux fidèles
de n'avoir plus de commerce avec le
pécheur^ voilà la loi. S'enfuit-il de là
qu'il n'y ait que ces pécheurs frappés
des anathêmes de l'Eglife dont la com-
pagnie nous foit détendue ? Non > Chré-
tiens , tout ce qui n'ed pas formelle-
ment défendu par l'Eghfe , n'eft pas
pour cela permis ; il y a des loix fupé-
rieures &: plus générales auxquelles nous
devons obéir. L'Eglife en vertu de fes
cenfures ne nous interdit que la fociété des
fcandaleux qui lui font rebelles : mais
fans lui être rebelle , c'eft affez qu'ils
foient fcandaleux, pour nous faire con-
clure indépendamment des délenfes de
l'Eglife, que nous fommes dans l'étroite
obligation de les éviter. Ce ne foroiî:
pas même bien raifonner, parce que
l'Eglife a révoqué les peines portées
contre ceux qui fréquentent les impies
excommuniés , de prétendre dès - lors
qu'elle approuve une telle fréquentation
& de telles habitudes. Je m/explique ,
& obfervez ceci, s'il vous plaît; il eft
bon que vous en foyez inftruits. Dans
la rigueur du droit ancien , les fidèles
ne pouvoient jamais traiter avec un
homme retranché de la communion de
l'Eglife , fans encourir la même cenfure.
C'étoit la loi univerfelle ; mais par des
raifons importantes, vérifiées dans les
Conciles , l'EgUfe a relâché de cette
liij
198 Sur tA Société des Justes
févériîé , & ne nous défend plus que
le commerce de ceux qu'elle a publi-
quement & nommément excommuniés.
Ëit-ce à dire que nous pouvons donc
converfer indifféremment avec toutes
fortes d'hérétiques , avec toutes fortes
de gens corrompus & dangereux , fous
prétexte que l'Eglife ne les a point en-
core notés & flétris l Abus , mon cher
Auditeur. L'Eglife peut bien révoquer
ies loix, elle peut bien changer fes cou-
tumes , mais fans préjudice de la loi de
Dieu, qui efl irrévocable & invariable.
Or la loi de Dieu eft que , hors les en-
gagements néceffaires de ma condition,
je m'éloigne de toutes les compagnies
où l'innocence de mon ame peut être
€n péril : fi je les cherche de moi-
même & par un choix libre , il efl vrai,
les foudres de TEglife ne tomberont pas
pour cela fur moi , parce que l'Eglife
veut 'bien ufer à mon égard de cette
indulgence ; mais toute fon indulgence
ne peut faire que par-là je ne devienne
coupable d'un mépris formel de Dieu ,
que par- là je ne devienne le fcandale
lie mes frères, que par- là je ne de-
vienne ennemi de moi-même en me per-
dant moi-même. Trois grands défordres
renfermés dans un même péché. Appli-
quez vous.
Oui, mon cher Auditeur, lier avec
4e§ hbertins ôc des impies que vous-
AVEC LÉS PÉCHEURS. I99
connoîiTez pour impies & pour libertins,
c'eil méprifer Dieu : & qa'appellez-vous
•en effet mépris de Dieu , fi ce n'eft pas
ée s'unir avec Tes ennemis ? & qui font
les ennemis de Dieu , fi ce ne font pas
les pécheurs, fur-tout certains pécheurs
déclarés? Que penferoit-on d'un fils lié
d'affe6lion 6c de cœur avec les perfé-
cuteurs de fon père , avec ceux qui
attenteroient aux droits &C à l'honneur
de fon père , avec ceux qui feroientune
guerre ouverte à fon père ? N'en auriez-
vous pas horreur, comme d'un monftrcï
dans la nature ? Or voilà ce que vous
faites en vivant avec fes impies : tant
qu'ils font dans le défordre de leur pé-
ché 3 il y a entre Dieu & eux une hiiine
irréconciliable. Confultez les livres facrés
& lifez le reproche qu'eut à foutenir
Jofaphat, Roi de Juda , & Prince du
refle très-religieux : il s'étoit allié avec
l'impie Achab , Roi d'ifraël ; il n'avoit
pas manqué de raifon d'état pour l'en-
gager à cette alliance , & tout fon con-
leilyavoit paffé ; mais fon confeil étoit
en cela réprouvé de Dieu. Prince , lui
dit Jehu , avec toute la liberté d'un
Prophète , vous êtes prévaricateur , vous
avez donné fecours à un Roi criminel,
ôc vous avez reçu dans votre amitié
ceux qui ont conjuré contre votre Dieu
& le mien ; vous méritez la mort. Impio ^^^'
prahes auxilïum , 6» his qui oderunt c, ly
1 iv
Pa-
:2co Sur la société des Justfs
Dominum amicitiâ jungeris ; idcircb iram
mereharis. Les bonnes œuvres de Jora-
phat & fa bonne foi Texcuferent ; mais
TOUS , Chrétiens , que pouvez- vous allé-
giier ? Outre l'injure que vous faites à
Dieu , comment pouvez-vous juftifier le
fcandale que vous caufez dans l'Egiife
& parmi le peuple de Dieu ? Car n'eft-
ce pas un fcandale de vous voir tou»
les jours dans les fociétés d'une ville
ou d'un q>uarîîer les plus fufpe61es ;
de vous voir dans des aflemblées d'où
toute la pudeur femble bannie , oii fe
tiennent les difcours les plus libres , où
fe débitent les maximes les plus perni-
cieufes , oii-fouvent nulles règles de bien-
féance & de modeliie ne font obfervées ;
de vcws voir avec des erprits fans reli-'
gion, avec des régimes fans réputation ,
dans des lieux où règne la licence , ÔC
où le répand la plus m.orteîle contagion ?
Qu'en peut-on penfer? qu'en peut-on
dire ? & même qu'en a-t-on déjà penfé,
& qu'en a-t-on dit ?
Et ne me répondez point que vous
favez bien vous conferver , & quoi
qu'en dife le monde , que vous avez
pour vous le témoignage de votre conf-
cience qui vous futfit. Ah 1 mon cher
Frère , écoutez ce qu'écrivoit là-deiTus
faint Jérôme à une Dame Romaine : Il
faut , difoit ce Père , quand vous parlez
ainû , que vous foyez bien peu veifé-e
AVEC LES Pécheurs. 201
dans les devoirs de la vie chrétienne ;
& ne lavez- vous pas qu'en matière de
conduite , vous devez rendre corcpîe ù
Dieu non -feulement de ce que vous
faites , mais de ce que l'on dit de vous ;
que ce n eft point allez de fatisfaire à
votre propre confcience , mais que vous
êtes encore obligée de latisfaire à celle
d'autrui ; que lamt Paul, qui étoit plus
éclairé que vous , avoit égard aux hom-
mes, aulTi bien qu'a Dieu, pour récrier
f^^converfation ? ne croyant pas qu'elle
pût être innocente quand les hommes
pourroient prendre fujet de s'en offen-
ler , & fâchant que c'eft fe rendre
coupable devant Djeu , que de ne fe
mettre point en patine de le paroître
devant les hommes. Ainfi parloit faint
Jérôme ; & concluant par l'exemple du
même Apôtre, qui refuluit de mander,
des viandes d'ailleurs per.nifes , parce
qu'il craignolt de fcandalifer les fidèles r
ah ! reprend ce faint Docteur , les com-
pagnies des homti^es ne font pas plus
néceffaires que les aliments ; 5: pour-
quoi n'éviterons - nous pas ces liaifons
fcandaleufes qui bleOent la pureté de
notre Chriflianifme , qui donnent Heu
à mille foupçons , & qui fervent de ma-
tière à la médifance publique , puisque
faint Paul s'abilenoit d'une viande oc en
avoitmême horreur, dès qu'elle pouvoit
donner quelque fcandalc au moindre d^s
Chrétiens ? I y
Î02 Sur la société des Justes
Mais laiffons le fcandale , & n^infif-
tons maintenant , mon cher Auditeur ,
que lur c^ qui nous regarde nous-mê-
mes. Eft-ii poffible que dans ce com-
merce familier avec des impudiques Se
des libertins , vous ayez toujours un cœur
pur & chafte } peut-on raifonnablement
eipérer que dans un air tout corrompu ,
vous ne vous reffentiez jamais de fa cor-
ruption ? Et ne feroit-ce pas au moins
pour vous la préfomption la plus aveugle
& la plus criminelle de vous y croire
exempt d'un danger qui fouvent vous
eft , félon Dieu , auifi détendu que le mal
même? Sicelaétoit, jamais les Prophètes
& les Apôtres n'auroient été plus con-
firmés en grâce que vous , & vous auriez
cet avantage fur eux,, qu^ils ont fui la
fociété des impies , parce qu'ils la ju-
geoient dangereufe pour eux-mêmes ,
ainfi que le témoigne faint Jérôme , du
Prophète Ezéchiel , qui dans cette vue
fe fépara de tout le refte du peuple , &
fe retL-a à l'écart ; au lieu que vous y
ciemeurezvoiontairementôcfans crainte,
comme fi vous aviez un préfervatif
ànfaillibls centre le péché. Priais fi cela
3i'eft pas, quelle eft votre témérité de
hazavder plus que n'ont fait ces hommes
de Dieu 6c ces Saints du premier ordre ,
de vous expoferà des occalions pour lef-
quelles ils ne fe font pas crus ailez forts ,
de vivre enafTarance oii ils ont tremblé ?.
AVEC LES Pécheurs. 105
Pourquoi Dieu faifoit-il aux Hébreux
des défenfes (i rigoureufes de fe mêler &c
de négocier avec les étrangers ? c'elt que
dans ces négociations & ces alliances il
prévoyoit leur chine & leur ruine pref-
que inévitable. Et en effet, eurent-ils
jamais commerce avec une nation dont
ils ne priffent enfin les fuperftitions &
les impiétés ? Commixtifunt intergmtes, & Pf. loj»
didicerunt opéra eorum. Pourquoi l'Eglife
dès fa naiflance ne vouloit-elle pas aue
dans le Chriftianifme on contractât aucun
mariage avec les infidèles ? car voilà com-
ment S. Jérôme entend ces paroles de
S. Paul : Nolite jus,um ducere cum infide- s. Cor^
libus : C'eft qu'elle confidéroit le danc^er ^« ^»
où de tels engagements mettroientla toi'
des Chrétiens. Et pourquoi Jelus-Chrifl
lui a-t-il donné un pouvoir qui femble
renverfer tout le droit humain r Ren-
dez-vous , s'il vous plaît, attentifs; ceci
vous furprendra *. mais je n'avance rien
qui ne foit fondé fur l'Ecriture & fur les
facrés Canons. Pourquoi, dis-je, Jefus-
Chrift a-t-il doané pouvoir à fon Eglife
de rendre nul, du moins quant à fes
principales obligations , le plus authen-
tique de tous les contrats qui fe célè-
brent parmi les hommes , lin mariage
légitime , un mariage folemnellement
ratifié entre deux païens , dont l'un vient
à recevoir le baptême , & l'autre perfiile
daas ion idolâtrie , û ce n'eft psrce que
104 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes
dans ce mélange de religions celle da
vrai Dieu ne Te trouveroit pas en fureté ?
TirtulL Quis enïm nefcit , dit TertuUien , oblitc
rari quotidU fidem commercio infideli ?
Qui doute que la loi ne s'efface peu à
peu par la fréquente communication d'un
elprit infidèle ? C'eft ce que ce Dodeur
fizélé pour l'ctroite dlfcipîine de l'Eglife
reprélentoit , quelque temps avant fa
mort , à fa propre femme , afin de la
détourner, félon fes maximes, d'un fécond
mariage ; du moins afin de lui faire en-
tendre l'obligation oîi elle étoit de ne
s'allier jamais avec un païen ; & moi me
fervant de la même penfée, & l'appli-
quant à mon falut , je dis : (^uis nefdt ?
Qui doute que la piété de l'^m-e la plus
religieufe ne s'alrere par les exemples
d'un ami qui vit dans le déréglem^en: &L
qu'onafjns cefTe devant les yeux? onefi
dépontaire de fes fentiments , on l'entend,
parler, on le voit agir, 6t infenfible.-
ment on s'accoutume à penfer comme
lui, à parler comme lui, à agir comme
lui : ce n'eft pas d'abord fans quelque
répugnance & que^ques combats ; mais
enfin ce qui frf'foit horreur commence
a ne plus déplaire, ôc enfuite pKtit tout-
à-fait & entraîne : Q^uïs nefcit ? Qui
doute que la retenue & la fcgefi'e d'une
jeune perfcnne , que fa veitu la pliis
affermie ne vienne avec le temps à
chanceler , & ue reçoive de paillante^.
AVSC LES PÉCHEURS. 20f
atteintes par ces entrevues particulières
&. ces privautés où Ion cœur s'épanche
avec un mondain ou une n^ondaine qui
lui infpirent leurs damnables principes,
&i qui dans l'eipace de quelques mois
détruifent tout le Iruit d'une fainte édu-
cation 6c le travail de pluueurs années }
De là cette maxime ii univerfellement
reconnue, confirmée par tant de preuves,
& û commune : Dites-moi qui vous fré-
quentez , &. je vous dirai qui vous êtes»
Quoi qu'il en foii j m.on cher Audi-
teur , l'Eglife n'a rien épargné pour em-
pêcher que le commerce ues impies ne
iùt préjudiciable à fes enfants ; & da
votre part que faites-vous pour fécon-
der fes foins ? Peut-être penfez-vous que
la focicté de cet homme plongé dans la
débauche 6c adonné à fon plùifir , eit
moins à craindre pour vous que celle
d'un iniî Joie ; & je prétends au contraire
que mille idolâtres conjurés pour vous
pervertir & pour vous perdre, ne feront
pas la même impreflïon fur vous qu'un
libertin avec qui vous êtes uni de con-
noiiTance & de compagnie. Job fe con-
fer -/a au milieu des fauifes divhiités 6c
de ceux qui les adoroient ; mais Loth
eût fuccombé dans Sodome Ù. parmi fes
concitoyens Je vais plus loin , ik je fou-
tiens même que tous les efforts des dé-~
mons contre vous ne feroient pas une
tentation fi dêtngereufe que la préfence
a©6 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes
& la vue de ce pécheur fcandaleux : maïs
je vous entends , & par vos mœurs je
juge de votre penl'ée. Vous ne craignez
pas ces partifans du vice , parce que
vous en êtes peut-être déjà suffi infe6lé
qu'eux; (Si ils ne peuvent plus vous nuire,
parce que vous en avez reçu tout le
dommage dont vous étiez menacé : il
falloit bien que l'oracle du Seigneur le
vérifiât ainfi ; car il fe feroit trompé , u
vivant & converfant avec des âmes ré-
prouvées vous vous étiez maintenus dans
l'innocence.
Ah 1 Chrétiens , nous nous étonnons
de voir aujourd'hui le fiecle fi corrom-
pu ; nous ne com.prenons pas d'où vient
tant de diflolution dans la jeunefle ; nous
rougiiïons pour tant de personnes du iexe
qui ne rougiffent de rien , nous fommes
furpris d'entendre les défordres des ma-
riages qui éclatent tous les jours , nous
apprenons avec indignation combien l'im-
piété règne dans les cours des Princes;
le dirai-je ? nous voyons avec horreur
le vice le gliffer jufques dans le fane-
tuaire , &: s'attacher aux miniftres des
auiels. En voici la fource la plus ordi-
naire : ce font les fociétés & les con-
veri'ations du monde profane. Voilà ce
qui fert d'amorce à la cupidité , ce qui
allume la paffion , ce qui tait former les
intrigues , ce qui tait rér.ffir les plus
abominables entreprifes : voilà ce (^ui
AVEC, LES Pécheurs. 207
renverfe les forts, ce qui infatué les fages,
ce qui corrompt les vierges. Réglez les
fociétés 6c les converfations des hom-
mes , Si dans peu vous réiormerez tous
les états. Vous , père , éloignez ce jeune
homme de tel autre qu'il recherche avec
trop d'ailïduité, & vous le verrez tou-
jours marcher dans le bon chemin. Vous,
mère , ne recevez plus ou ne rendez plus
certaines vihtes , & cette fille qui vous y
accompagne deviendra un modèle de
vertu. Vous, Chrétien, qui que vous
puilTiez être , rompez avec cet ami , &
i'ofe prefque vous répondre de votre fa-
îut. Mais quoi , dites-vous , abandonner
un ami ! oui , H faut le quitter , & fût-ce
votre œil , il faudroit l'arracher. Pour-'
quoi entretenir un ami contre vous-mê-
me , & quel compte devez-vous faire
d'une amitié qui aboutit à votre réproba-
tion ? Le Fils de Dieu ne vous a~t-il pas-
expreflement enfeigné que quiconque
n'auroit pas en haine fes propres parents,,
fon îrere &L fa fœur , fon père même &
fa mère, ne feroit pas digne de lui ; c'efl-
à-dir« , que quiconque ne feroit pas dif-
pofé à fe féparer de fes proches , fût-ce
un fi ère ou une fœur, fût-ce un père ou
une mère , dès qu'il en pourroit crain-
dre quelque fcandale , fe rendroit dès-
lors coupable aux yeux de Dieu & n'en-
treroit jamais dans (on Royaume ? Or fi
Je dois en ufer ainfi envers les auteurs
de Kia vie , quand ce font des obftacieS'
2o8 Sur la société des Justes
à mon falut , ces faux amis , complices dâ
mes iniquités , ont-ils droit de fe plain-
dre , lorl'que pour me fauver de l'abyme
où ils me conduifent , je me détache
d'eux & je les renonce ? Et s'ils en rai-
fonnent , s'ils en raillent , s'ils me frap-
pent de leurs mépris, dois-ie plutôt les
écouter que Dieu même. Non, non,
rien ne me doit être cher au préjudice
de mon ame ; & dès qu'il s'agit d'un
aufîi grand intérêt que celui-là , Dieu
& moi , voilà ce qui me fuffit ; tout le
refte m.e devient indifférent.
Cependant , Chrétiens , il y a des
fociétés où des engagements néceiTaires
nous retiennent : & comme D:eu, fup-
pofé la nécelTué de fon être qui l'oblige
à demeurer avec les pécheurs , fait en
tirer fa g'oire & emploie à leur conver-
fion la préfence de fa divinité, ainfi de-
vons nous proliier aux impies qui vivent
avec nous, & profi:er des impies avec
qui noui; vivons par la néceffité de notre
état. Autre obligation qui va faire le
fujet de la féconde Partie.
II. f^^ 'Eft une vérité certaine , Chrétiens :
PaRT.V.^ quoique le péché dans le fond de
fon être foit eUeniiellement une injure
faits à la m.ajefté de Dieu , il ne lailTe pas
néanmoins de fervir à fa grandeur. Dieu
ne le fouffriroit pas , remarque Saint
Chryfoftome , s'il n'étoit capable d'j
contribuer par fa malice mên.e j & il
AVEC LES PÉCHEURS. 209!
anéantiroit plutôt tous les pécheurs du
monde , que d'en voir un feul dont il ne
pût tirer quelque tribut de gloire. De
ce que l'homme pèche , dit excellem-
ment Saint Auguftin , il fe nuit à foi-
même, mais il n'arrête pas Teftet de la ,
bonté divine : Çluod facit malus , fibi Augufli
noczt ; non bonitati Dei contradicit. Car
Dieu qui eft un admirable onvrier , fe
fert avantageufement des dét'a*ts de ion
ouvrage , & il ne les permet que parce
qu'il fait bien s'en prévaloir ; lilo utique là'.m>
peccatore bcnè uiitur , qui nec eum ejje per-
mitteret fi ïllo uù non poffct. C'efl en
cela , pourfuit ce faint Docteur , qui dé-
veloppe ce point avec toute la folidité
poffible ; c'efl en cek qu'éclate lafageile •
du Créateur , & qu'elle parclt même
l'emporter fur la toute-puiilance ; parce
que l'effet de la toute-puiiTance efl: de
créer les biens , ^ celui de la fagede de
trouver le bien dans les maux en les rap-
portant à Dieu. Or ce rapport du mal
au fouverain bien , eft quelque chofe
en Dieu de plus merveilleux que la
proJu^i;lion des êtres créés qui lui eft
comme naturelle. Dieu , ajoute le mê-
me Père, prend, ce femble , plaifir à
faire tout le contraire des impies dans
l'ufage des chofes : car comme leur ini-
quité confifle à abufer de fes créatures,
qui font bonnes ; auiTi fa julKce fe fait
voir à bien uler de leurs volontés , qui
/ontrnauvâifes: Quiaficut illoruin inuruitas Idem*
aïo Sur la société des Justes
eft maie uti bonis operïbus ejus , Jïc illîus
jujiitia eft benè uti malis openbus eorum»
Etrange cppofition de Dieu & du pé-
cheur ! Dieu même , dit encore Saint
Auguftin , quoiqu'il foit la pureté origi-
naire & primitive , nei\ pas pur à l'égard
des impies , parce qu'en le blafphémant
6l en l'outrageant ils en font tous les
^dem, jours la matière de l'impureté : hnmundis
ne Deus quidem ipfe mundus eft , queni
quotidiè blafphémant ; au lieu que le pé-
ché qui eit l'impureté Tubllianticlle , fe
purifie , pour ainfi dire , à l'égard de
Dieu, parce qu'il devient le fuiet de fa
gloire. Toutes ces penfées font belles
6c dignes de leur auteur.
Mais il n'en demeure pas là. Peur en
venir à la preuve & pour vérifier dans le
détail ces propofitions générales , voyez,
cont;nue-t-il , mes Frères , comment en
eftet tout ce qu'il y a fur la terre d'im-
pies , de fcandaleux , de réprouvés , con-
court admirablement & malgré les in-
tentions des hommes , à glorifier Dieu,
Confidérez d'abord tous ceux qui fe trou-
vent privés de la lumière de l'Evangile ,
& deiKtués du don de la foi : jetez les
yeux fur les païens idolâtres , fur les
hérétiques obiiinés , fur les fchifmati-
ques rebelles &: fur les Juifs endurcis.
Dieu ne les emploie-t-il pas tous à l'exé-
j^em. cution de fes plus grands deffeins? Nonne
utitur gentibus ? Obfervez ces paroles ,
Chrétiens ; elles font tirées du livre
AVEC LES PÉCHEURS. 21 î
de la vraie religion : Nonne utitur genti-
bus ad materi.im operationis fucz , hœreti'
cis ad probationem dotlrïncc fuœ. , fchifma-
ticis ad docaimntum (labilïtatis fucz , /z/-
dœis ad comparationem pulchritudlnis fucz?
Ne fe fert-il pas des infidèles pour opérer
les merveilles de fa grâce & pour les
faire connoitre ? un monde converti par
douze pécheurs, qu'y a-t-il de plus
grand & de plus fort pour établir la vé-
rité de notre religion ? Ne fe fert-il pas
des hérétiques pour réclaircidernent de
fa jdo6lrine 6c pour nous confirmer dans
la vraie créari'ce ? jamais la foi n'a été
mieux développée que lorfqu'elle-a été
combattue , & rien n'a plus donné lieu à
découvrir la vérité que l'erreur. Ne fe
fert-il p3s des fchifmatiques comme d'une
preuve fenhble de la perpétuité Ôc de
l'inébranlable fermeté de fon Eglife \
malgré la divifion de fes membres, elle
fe maintient toujours dans l'intégrité d'un
corps parfiit, tandis que nous voyons
périr & fe conlumer les faftions qui fe
font élevées contre notre ciief. Et les
Juifs , ces reftes déplorables du peuple
de Dieu , malkeureufe poftérité d'une
nation bien-aimée , ne femblent-ils pas
demeurer fur la terre pour fervir de té-
moins à Jefus-Chrill , autorifant fa per-
fonne par leurs écritures , vérifiant ies
myfteres par leurs prophéties , & rele-
vant fon Evangile par la comparaifon de
la loi ? C'efl un mauvais grain femé daas
ai2 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes
le champ de Dieu , mais admirez en
combien de manières il eÙ. utile à la
gloire de Dieu.
Je dis le même de tous les impies
en général : Dieu en fait faire mill«
ufages pour la manifeftation de fes di-
vins attributs & pour le bien commun
des hommes : ce font des fléaux de fa
juftice pour punir les pécheurs , & ce
font les inftruments de fa miféricorde
pour éprouver les Saints. Quand Jéru-
falem fut f^ccagée fous l'empire de Tite,
c'étoit Dieu qui fe fer voit de l'ambition
des Romains pour exercer fes vengean-
ces fur les Juifs : l'ambition des R.o-
mains étoit criminelle , mais les châti-
ments & les vengeances de Dieuétoient
juftes. Que faifoient les tyrans & les
perfécureurs du nom chrétien ? en vou-
lant détruire les fidèles ils les multi-
plioient , ils donnoient des confedeurs
à Jefus-Chrift , ils remplitToient l'Eglife
de martyrs , ils peuploient le Ciel de
prédeftinés.
Mais avançons. Il eft donc vrai que
Dieu profite ainfi des pécheurs pour
l'augment^ition de fa gloire & pour
notre falut ; il eft vrai que les moyens
ne lui manquent jamais , pour fe dé-
dommager de l'injure qu'il reçoit de
la malice des hommes & du péché ,
& qu'il la répare par le péché même
& par la malics de ceux qui l'ont com-
mis. Or voilà encore le modèle que
AVEC LES PÉCHEURS. Sïj
"nous devons fuivre , (i la nécefïïté de
notre état nous engage dans ie com-
merce des impies : du moins , à l'exem-
ple de Dieu , devons - nous en tirer
avantage pour nous - mêmes. Nous le
pourrons toujours , quand nous ne les
aurons pas recherchés , & que nous
n'aurons pas dû les éviter. Car de mê-
me , dit Saint Ambroife , que Dieu trou-
ve dans les pécheurs de quoi rehaulTer
l'éclat de fes infinies perfections ; nous
y trouvons de quoi acquérir & prati-
quer les plus éminentes vertus. En
effet , quoi que faffe le pécheur avec
qui je vis , fi j'ai l'efprit de Dieu , c'eft
une leçon pour moi Ôc une occafioa
de me fanétifier. S'il me perfécute , il
me fournit une matière de patience ;
s'il fe déclare mon ennemi, il purifie ma
charité ; s'il me fait fouffrir , c'eft un
fujet de mortification. S'élève - t - il au-
^eilus de moi par orgueil ? il m'apprend
à me tenir dans la modeftie. Se laiiïe-
t-il emporter à la colère ? il met en
œuvre ma douceur. Tombe - t - il dans
des péchés honteux ? il excite ma com-
paluon & mon zcle. Je dis plus , & c'eft
après Saint Grégoire Pape que je le dis :
Jamais dans les règles ordinaires un
jufte ne feroit parfait ni ne pourroit le
devenir, fi Dieu par la difpofition de fa
providence ne l'obligeoit quelquefois à
vivre avec les pécheurs : pourquoi ce-
la ? parce que c'eft dans cette fociété
âi4 Sur LA socîÉTi DES Justes
& dans ce mélange des bons & des
méchants , qu'il doit être dégagé des
Gngor. impertedions humaines. Ipfa quippe ma-
lorum foc'utas ^ pur^atio bonorum eft. Et
comment , demande ce Père , s'exer-
ceroit-il dans les grandes vertus , s'il
n'y avoit des pécheurs dans le monde ?
En quoi pratiqueroit- il cette charité
héroïque dont le Fils de Dieu nous a
donné l'exemple , & dont il nous a fait
un commandement, s'il n'y avoit des
ofFenies & des injuftices , des médiian-
ces & des calomnies à pardonner ? Où
feroit le mérite de la perfévérance , s'il
n'y avoit des contradi6lions à efluyer,
des railleries à fupporter , des attaques
de la part des libertins à foutenir Ck à
repoufler ?
Rien de plus confiant , Chrétiens
Auditeurs : li nous étions auffi zélés
que nous le devons être pour notre
falut , & fi nous voulions faire plus de
progrès dans les voies de la piété &
de la perfeftion évangélique , un des
plus puilTants moyens pour nous porter
à Dieu , feroit la préfence & la vue
de tant de pécheurs que nous avons
fans cefle auprès de nous. Quel fond
y trouverions-nous d'une reconnoillan-
ce parfaite envers Dieu , puifque c'eft
par un bienfait fpécial de fa grâce que
nous avons été préfervés des défordres
-dont nous fom.mes témoins & dont nous
' gémiflbns ? Quel motif d'une humilité
AVEC LES PÉCHEURS. 21^
profonde & d'une continuelle attention
fur nous-mêmes, puifque à chaque mo-
ment nous y pouvons nous-mêmes tom-
ber; d'une charité refpeèiueufe à l'égard
du prochain, puifqu'il eft, jufques dans
fon iniquité, l'exécuteur des arrêts de
Dieu , le minière de Dieu , pour nous
châtier & nous corriger ; d'une péni-
tence falutaire & d'une pleine foumif-
fion , puifque plus nous fommes traver-
fés , plus nous pouvons fatistaire à la
juftice divine & nous acquitter ? Mais
qu'arrive - t - il ? c'eft que nous ren-
verfons tout l'ordre des chofes , & que
de ces moyens de falut nous faifons les
fujets de notre perte. Le deffein de la
Providence efi: que le commerce des pé-
cheurs no'js fanftifie , quand une nécef-
fité indifpenfable nous- y attache , &
c'eft ce qui nous pervertit. Dieu en tire
fa gloire , ôc nous , notre ruine : il en
devient plus faint de cette famteté exté-
rieure & accidentelle que nous lui fou-
haitons tous les jours , ÔL nous en deve-
nons plus criminels.
Permettez - moi , Chrétiens , d'ou-
vrir ici mon cœur , & de vous faire
part de mes plus fecrets fentiments. Je
^émis quand au tribunal de la pénitence
î'entends un homme du monde fe plain-
dre de fa condition , comme s'il pré-
tendoit juftifier les égarements de fa vie
pnr l'étroite obligation où il fe trouve de
demeurer au milieu du ûecle corrompu.
âi6 Sur LA SOCIETE DES Justes
êc d'y entretenir des liaifons qu'il ne
peut rompre : quand j'entends une fem-
me déplorer la trifte lituation où elle
fe voit , &c me dire que tout le dérè-
glement .de fon ame vient d'être engagée
par devoir à un mari fans religion , ians
frein dans fes pafTions , fans retenue dans
fes débauches. Quai-je là-deffus à leur
répondre? je les plains moi-même,
i>on pas de leur état prétendu malheu-
reux , puifque cei\ l'état où il a plu à
Dieu de les appeller , mais du m.auvais
lîiage qu'ils font de leur état contre les
defleins de Dieu qui les y a placés. Je
plains cette femme , non pas de ce
qu'elle fouffre , mais de la manière dont
elle fouffre , ne fe fouvenant pas ou ne
fâchant pas que* ce mari vicieux efl
un moyen choifi dans le confeil de la
fageffe éternelle pour l'éi^rouver & pour
la fauver. Or i\ cela eft , comme la
plus folide théologie l'en feigne , n'eft-
elle pas en effet bien à plaindre de
fouffrir toutes les incommodités d'une
fociété pénible & facheufe , Si de
n'en avoir pas le mérite : de conver-
tir le remède en poiibn , 6c les grâces
de Dieu en de perpétuelles occafions de
péché?
Mais (i j'étois dans un autre état,
je travaillerois fans peine à mon falut.
Vous le dites, mon cher Auditeur , &
0101 je vous dis qu'en cela vous vous
trompez : car vous ne pourriez travailler
à
AVEC LES PÉCt^EÛRS. Zl'f
à votr2 falut fans EHeu. Or Dieu ne
veut pas que vous y travailliez ailleurs
Tii autrement , voilà la voie qu'il vous
a marquée. Mais il efl impoirible,
ajoutez-voi« , de réfifler à tant de
mauvais exemples , & de le garantir de
leur contagion. Erreur, Chréciens ; il
cil: impoiTible , quand c'efl contre les
ordres de Dieu que vous vous jetez
dans le péril, quand c'efl de vous-mê-
rnes 6c contre les obligations de votre
état; mais dès que c'eil pour les inté-
rêts de Dieu, par la vocation de Dieu ,
ielon les vues de Dieu ; dès que c'eft
lelon les règles de la prudence évan-
gehque & avec les f«ges précautions
qu elle demrmde , ce qui feroit conta- '
gieux pour d'autres , ne l'ei^ plus pour
vous , & ce qui les précipiieroit dans
un abyine de corruption ; peut vous
élever a h plus fublime fainteté : car
il eft alors de la providence du Seigneur
de vous aider, de vous éclairer de
vous fortifier , & c'eft à quoi il ne
manque pas. Or avec le fecours de
l^ieu , avec l^s lumières & la force que
la grâce répand dans une air.e chré-
tienne , fi vous tenez ferme au mi^eu
des pécheurs , fi vous réiiftez à leurs
Sollicitations , fi vous ne vous iaiffez
ébranler ni par leurs promelTes , ni
par leurs menaces , ni par leurs flatte-
ries , m par leurs rebuts ; fi malgré le
.torrem de l'exemple qui entraîne dej^ •
îî8 Sur LA SOCIÉTÉ DES Justes
millions d'autres , vous derr.eurez invîoi
lablement attaché aux règles du devoir
6c à robfervaiion de la loi , dans les
combats que vous avez pour cela à
livrer , & par les efforts qu'il vous en
Goûte , quelles richefies n'amaffez-vous
pas devant Dieu , & quels progrès ne
faites - vous pas dans les voies de la
iafiice ? Le comble de l'iniquité pour
l'impie , félon le témoignage du Pro-
phète , c'ed d'être pécheur parmi les
IfaÏA juftes : In terra Sandorum iniqua gejjit ;
f. z6. il* a comrr.is le péché dans la terre des
Saints. Voilà ce qui redouble fa malice ,
& ce qui le rend indigne de voir jamais
la gloire de Dieu & d'être reçu dans
•idem, le féjour des Bienheureux : Non videbit
gluriam Domini, Ainfi parloit Ifiïe ; 6c
delà, par une conîéquence non moins
vraie , je conclus que le comble de la
fainteté pour le jufte , eft d'être jufte
parmi les pécheurs. Moïfe dans la cour
«i'un Prince infidèle , eut toujours ,
fuivant la belle expreffion de faint Paul ,
Tinvifible préfent à l'efprit , comme s'il
l'eût vu des yeux du corps. Saint
Louis fur le trône , ferma les yeux à
tout l'éclat des pompes humaines ; ÔC
dans la licence des armes ôc le tumulte
de la guerre il n'oublia jamais Dieu ,
& ne fe départit jamais de l'obéillance
due à ce premier Maître. Cet homme
J;é d'intérêt avec ^es gens fans foi ,
i^fi% équité , avares 6c ufurpateurs , a
AVEC LES PÉCHEURS. il<>
tonfervé fes mains nettes de toute
injuftice , &.- n'a jamais voulu entrer
dans leurs criminelles entreprifes. Cette
femme dans une famille où Dieu eil: à
peine connu , ne s'eft jamjais relâchée
de fes faintes pratiques ; & fans égard
à tous les difcours qu'on lui a fait en-
tendre , à tous les chagrins qu'elle a eu
à dévorer , aux mépris qu'on lui a mar-
qués, elle n'a jamjais rien perdu de fon
zèle , ni rien retranché de fes pieufes
obfervances. Voilà ce qui les diflingue
tous auprès de Dieu ; voilà ce qui
donne à leur fidélité un caradlere propre
ôi. un prix 'particulier : voilà pourquoi
ils recevront cet éloge fi glorieux de
la bouche de Jefus - Chrifl , & pour-
■quoi il leur dira ce qu'd dit à fes
Apôtres : Fes ejlis qui permdnjlfiïi mecum Luc,
in tentdtionibus. Tandis que les autres ^* ^^
in'ont abandonné , qu'ils ont trahi ma
caufe , qu'ils ont outragé mon nom ,
<ju'ils ont violé ma loi , c'eft vous ,
fidèles ferviteurs , que j'ai trouvé
confiants à me fuivre. De demeurer
avec moi , quand il n'y a rien à foutïrir
pour moi , quand rien ne porte à s'éloi-
gner de moi , quand tout confpire à
m'attacher les cœurs & à les attirer à
moi , c'eft l'effet d'une vertu com-
mune : mais de demeurer avec moi dans
ia tentation ; d'y demeurer , lorfqu'il
faut rem.porter pour cela des viîloirqs ,
&de iréquentes vit^oites ; d'y demeurer
•Kij
jao Sur ia société des Justes
tnalgré les Icandales publics , malgré le^
contradiâiions & les traverfes , rialgré
la coutume & tous les refpecls humains ,
c'eft là que je reconnois une loi vive ,
un attachement folide , un amour pur,
une perfévérance héroïque; & c'eft auiîî
à quoi je rélerve toutes nnes récom-
peufes : Fos ejlis qui permanfifîis mecum
in tentationïbus.
L'auriez- vous cru , Chrétiens , que
les pécheurs duffent procurer aux juiles
de fi grands avantages pour le falut ?
mais apprenez encore comment les
juûes doivent de leur part contribuek*
au falut des pécheurs. L'Ecriture , chez
le Prophète Daniel , nous repréfente
une conteftation bien fmguliere entre
deux Anges. Ce n'eft pas , comme l'a
penfe l'Abbé Ruppert^ entre un Ange
bienheureux & un des efprits réprouvés ;
mais ielon l'interprétation de tous les
Pères , après iaim Jérôme , entre deux
-faints Anges , jouiffant l'un & l'autre
de la même gloire , & affiliant auprès
du trône de Dieu. Le premier ( c'eft
l'Ange tutélaire de la Judée ) demande
que les Hébreux fortenc au plutôt de
la Perfe , parce qu'ils font en danger
de fe corrompre par le commerce des
Babyloniens idolâtres ; mais l'Ange
protecteur de Babylono prie au con-
traire que les Juifs y demeurent , &
qu-'ils ne quittent point la Perfe , parce
Gu'ils peuvent par leur converfatioa U,
AVEC LES PÉCHEURS. 22 î,
leurs exemples édiner les peuples & ies
convertir à la religion du vrai Dieu.
En effet , déjà trois Rois de ce grand
empire avolent renoncé au culte des
idoles , pour adorer le Dieu dllVaël ,
ainfi qu'il elljapporté au livre d'Efdras.
Or que fignlnoit le combat de ces deux
Anges ? Deux volontés en Dieu , ré-
pond faint Grégoire Pape , mais qui
n'étant que conditionnelles , s'accor-
dent parfaitement enfemble , toutes
oppolees qu'elles paroiilent. L'une , qui
oblige les juiles à fuir la compagnie des
pécheurs ; & c'eft ce que nous tsit en-
tendre la prière de cet Ange qui iblli-
citoit en faveur des Juifs: l'autre qui
ordonne aux juftes de coopérer au falut
des pécheurs , lorfqu'ils fe trouvent
parmi eux , & que quelque engagement
raiionnable les y arrête; & c'ert ea
cette vue que l'Ange de Perfe agiffoit
pour les Babyloniens. Car voilà , chré-
tiens Auditeurs , la grande règle que
nous devons fuivre : Dieu ne veut pas
que fa préfence ni la nôtre foient inu-
tiles aux impies , mais il prétend que
nous travaillions à leur converfion. On
ne peut douter qu'il n'y donne fes
foins : & comme il ne peut céder d'être
avec les pécheurs , il ne celle auiTi ja-
mais de s'employer à la réform.ation de
leur vie : il les y invite par fes promelTes ,
il les y engage par fes bienflits , il les
y poulfe par fes menaces , il l2s y force
Kiij
222 Sur LA SOCIÉTÉ DES JuStES
par fes châtiments ; fa fagefle , fa
bonté, fa iufrice , toutes fes perfeftions
divines y font occupées ; & ce qui doit
vous furprendre , c'ell que connoiffint
par avance la damnation future & im-
manquable de plufieurs , il s'applique
néanmoins à ceux-là avec la même
alîiduité que s'il ne prévoyoit pas leur
malheur. Admirable conduite qui nous
fert d'exemple , & qui nous repréfente
une des obligations du chririianifme les
plus effentielles , & toutefois la moins
connue.
Car comme nous devons , Chrétiens,
profiter des pécheurs pour nous-mê-
mes , nous devons aufli nous-mêmes ,
félon qu'il dépend de nous , & autant
qu'il dépend de nous, profiter aux pé-
cheurs. Devoir général , & devoir par-
ticulier. Prenez garde : devoir général ,
qui regarde fans diftintlion tous les
hommes , & que nous impofe la loi
de la charité. 11 n'y a point d'homme ,
dit le Saint -Efprit , que Dieu n'ait
Eccïcf. chargé du falut de fon prochain : Uni-'
*. '7' cuicj'iie mandavu de proximo fuo : com-
ment cela ? parce qu'il n'y a point
d'homme à qui Dieu n'ait ordonné
d'exercer la charité envers fon prochain ,
félon les néceffités & les occafions. De
là cette obligation rigoureufe de fou-
lager le pauvre dans fa mifere. Or fi
la charité nous oblige de compatir aux
miferes temporelles du pauvre, con:ibiea
AVEC LES PÉCHEURS. Î2^
doit-elle nous engager encore plus
fortement à compatir aux n'-iTeres fpiri-
tuelles du pécheur? Si dans des befoins
où il ne s'agit que du corps Ôc d'une
vie mortelle , nous ne pouvons néan-
moins manquer à notre frère & l'aban-
donner, fans perdre la charité de Dieu
en perdant la charité du prochain ;
pouvons-nous conferver l'une & l'autre
& fatistaire à Tune & à l'autre , en
laiflant , par notre faute , périr des âmes
rachetées du fang de Jefus - Chriil ;
en leur refufant des fecours qu'il ne
tient qu'à nous de leur procurer, &
qui pourroient les garantir d'une mort
6i d'une damnation éternelle ; en négli-
geant de leur donner des confeiis , des
avis , des inftruâlions , des exemples ,
qui les retireroient de leurs égarements ,
& les remettroient dans les voies d'une
bienhsureul'e immortalité ? Car entre
ces pécheurs , remarque faint Auguftin,
il y en a que Dieu a prédeftinés peur
être un jour au nombre de fes amis
& de les Sainrs. Nous ne les connoif-
ibns pas , & ils ne fe connoiiTent pas
eux-mêmes , parce que ces deux cités
du ciel Ôc de l'enter , des réprouvés
& des élus , font maintenant dans un
mélange qui nous empêche de les
diftinguer ; mais c'eft par cette raifon
que notre charité doit être univerfelle ,
6c que nos foins doivent s'étendre à
tous 5 alin d'accomplir les defîeins de
K iv
2Î4 ^^'^ l^A SOCIÉTÉ DES JuSTES
Dieu, & que ceux en qui il veut opérer
par notre miniftere les n'ierveilles de
fa grâce , ne demeurent pas fans affif-
tance & dépourvus des moyens de
falut qu'il leur avoit piéparés. C'efl
pourquoi les Apôtres exhortoîcnt tant
les fidèles à édifier par leur conduits
les idolâtres &c les païens ; c'efl pour-
quoi,faint Pierre reccmmandoit fi ex-
preffément eux gens de bien de fe
comporter toujours de telle manière
que les pécheurs, témoins de leur vie^
fe fenîiÎTent animés à les imiter & à
;. Petr, fer vit & glorifier Dieu : Ut ex bonis
fap. 2, operibus vos confia crantes , glorificenC
Deimi. Mais quelle eft la fauffe maxim.e
dont on fe kiiTe là-deffus prévenir ? c'ell:
qu'on le perfuade eh être quitte pour
penfer à foi. On dit, comme Caïn, lorf-
que Dieu lui demanda compte d'Abel :
Ccnef. Num cuftos fratris mei fum ego ? Suis=-
^' 4' je le gardien de mon frère ? eft - ce
à moi de veiller fur celui - ci ou fur
celle - là ? de quelle autorité fuis - je
revêtu ? & qu'ai- je autre chofe à faire
que de bien vivre , & de ne point
examiner du refte comment chacun vit ?
Il eft vrai qu'il y a des règles de pru-
dence à obferver , & qu'il n'eft pas
toujours à propos de vouloir, comms
les ferviteurs de ce maître de l'Evan-
gile , arracher l'ivraie dès qu'on l'ap-
psrçoit , 6c de fuivre les mouvements
iiiipémeux d'un zèle précipité , qui n'?»
AVEC LES PÉCHEURS. SiÇ
égard ni aux temps , ni aux conje^lures:
mais cette prudence louable , lorfqu'elle
eft bien employée , ne dégénère que
trop fouvent dans une fauffe fageiTe ,
dans une timidité lâche , dans un refpe^l
tout humain , dans une indifférence
pareOfeufe , dans une criniinelle préva-
rication.
Devoir particulier , & fpécialement
propre de certains états. Car dites-
îTiOi , à qui eft-ce de corriger un enfant
vicieux & emporté par le feu de fes
paffions , û ce nQii à un père fage ÔC
Vigilant ? de corriger une tilIe attachée
au monde & malheureusement enga-
gée dans les intrigues du monde, fi ce
n'eft à une mère loigneule & régulière ?
de corriger des domeftiques lujets aux
blafphêmes Se adonnés à la débauche,
fi ce n'efl à un maître dont ils dépen-
dent, & qui a le pouvoir en main pour
réprirr.er leur libertinage ? A qui eft-ce
de réformer les abus qui s'introduifent
jufques dans rEglife de Dieu 6c parmi
le peuple chrétien , d ce ne'à à un
miniftre de Jefus-Chrift ? de purger une
ville des défordres qui y régnent , (i
ce n'eft au magiftrat ? de régler & de
fanftitier une cour, fi ce n'eft au prince }
Mais ou voyons-nous ce zèle , Se com-
ment l'aurions - nous pour les autres ,
puifque fouvent nous ne l'avons pas
pour nous-mêmes ? ce qu'il y a de plus
ftrange , §c çç qui doit p^us nous
K V
tiiS Sur la société des Justes
confondre, c'eCl qu'en toute autre chofe
6c fur tout autre iujet que celui dont
je parle , ce zèle de la corredion du
prochain ne nous manque pas. il ne
îaut que la moindre oct^^fion pour l'ex-
citer jufqu'à la violence. Que ce jeune
homme ne prenne pas une certiiine
éducation lelon refprit Si les m^^nieres
<5u fiecle ; que ceue jeune perfonne ne
îoit pas allez atten[:ve fur l'a démarche,
fon air , les ajullements ; qu'il y ait eu
le plus léger oubli 6t quelque déran-
gement dans le Tervice de ce domef-
tique , c'eft sfTez pour taire écljter en
reproches les plus aigres 6i. les plus pi-
quants : mais dès qu'il n'y va que de
l'intérêt de leur falut , on n'en eii point
ému, & à peine y dai^ne-t-on quelque-
fois penfer.
Devoir encore plus particulier pour
les libertins eux-mêmes 6c pour les
pécheurs, lorfqu'ils ont eu le bonheur ^^
ide fe reconnoître & de rentrer dans une
"vie nouvelle & péniteate. Car de quoi
ils doivent toujours conierver le Icu-
venir, c'ell: de l'injure qu'ils ont laite à
Dieu en le déshonorant par leur péché j>
& du tort qu'ils ont caufé au prochain
en ie fcandalilant. Double vue qui alm-
moit tout le zèle de David ; 6c qu'y
a-t-il , mon cher Auditeur , de plus
efficace & de plus puiiiant pour réveiller
le -votre & pour l'aniraer ? Si j'avois
enlevé à uji homme le bien qu'il policdaic
AVEC LES PÉCHEURS. 227
Se qui lui apparrenoit , je me condam-
nerois moi-même à réparer le dom-
mage qu'il auroit reçu. Si je lui avois
ravi l'honneur , nea ne me dirpenferoit
de lui en faire la fatisf-ièlion conve-
nable. J'ai bleffé la majeité de mon
Dieu , je l'ai offenfé , que dois - je
donc épargner dél'orauis pour rétablir
fa gloire 6: pour la lui rendre toute
entière ? J'ai par mes exemples en-
traîné mon frère djns le plus grand de
tous les malheurs , qui ert le péché ; je
lui ai fait perdre le plus précieux de
tous les biens, qui éîoit l'mnocence de
fon ame 6c la pureté de ù confcience ;
que ne dois -je donc pùs me- te en
œuvre pour le retirer de l'abyme où
je l'ai conduit, & pour guérir les plaies*^,
de fon cœur ? Qae fi mes foins ne peu-
vent plus être utiles à tels & tels , que
j*ai égarés , & s'ils ne font plus en état
d'en profiter , quel motif pour com-
penfer au moins la perte de ceux-là par
la conquête d'autant d'autres que Tocca-
fion m'en peut préfenter ? Or en voici
le moyen exprimé dans ces paroles du
Prophète royal ^ où il nous donne à
connoître ce qu'il taifoit lui-même ,
& ce que nous devons faire comme lui:
Docebo iniquos vias tuas , 6* impiimaJ te pf, j%,
convertentur. Non , Seigneur , s'écrioit
ce Roi pénitent , ce n'eft point affez
que je revienne à vous , je veux encore
y raaienîr avec moi les pécheurs ; je leur
K vj '
ii2 SuRLA SOCIETE DES Justes, &c;
enleignerai vos voies , ôc je tâcherai
de les gagner , foit par mes paroles ,
foit par ma bonne vie. Je ne vous ai
jfesleulement déshonoré par moi-même,
ô mon Dieu 1 mais par tous ceux que
mon exemple a engagés ou confirmés
clans leur iniquité. Ce ne fera donc point
feulement par moi-même, mais par leur
infiruftion , mais par leur correction ,
mais par leur converfion que je tra-
vaillerai à vous glorifier. Pour cela ,
Seigneur , il y aura des précautions à
prendre, des m.oments à étudier, des
obftacles à vaincre ; mais de tout ce
cju'il pourra y avoir de difficultés , rien ne
me rebutera , ni rien ne railentira moa
ardeur , parce que je fais que c'efl une
ïéparation que je vous dois , Si pour la
gloire que je vous ai ravie , & pour tant
d'ames que j'ai perverties : Docibo inïquos
9fias tuas , & impii ad te ccnvcrtcntur»
Entrez , Chrétiens , dans ce fentim.ent
L'ivraie alors fe changera pour vous en
bon grain; le commerce que vous aurez
avec les pécheurs , en leur profitant ,
vous profitera à vous-mêmes, vous fau-
verez vos frères , & vous vous fauverez
avec eux ; vous amafferez des tréfors de
grâce pour cette vie , & vous mériterez
le b§nheur éternel de l'autre, que je
TOUS fouhaite, &c.
SERMON
POUR
jL£ SIXIEME DIMANCHE
APRÈS L'EPIPHANIE.
5;/; /^ fainîcté & la force de la Loi
chrétunne»
Simiîe efl: regautn Cceloritm grano iînapîs , quod
accipiens homo feniinavit in agro fuo ; quod
minimum quidem eft omnibus feminibus ;
cùm autem creveric , majiis eft omniba$
olcribus , & fit arbor.
Le royaume des Clsux ejî femhlable à un grain
de jcnevé , qu'un homme prend & fcme dans
jon champ, C'cjî le plus petit grain de toutes
lis fcmences ; mais lorfcue ce grain a poujjé ^ il
s"" élevé au-dejj'us de toutes les autres plantes^
& il devient arbn. En S. Matth. ch. i^.
c
E royaume des Cieux , dans le lan-
gage de i'Ecrituie , & félon la pen-
fée des Pères & des Interprètes , qu'eiî-
4ce autre choie , Chrétie^is , t^ue rE^jA^'
430 Sur la sainteté
gile ? Et en effet , c'eft par cette divine
ioi que Dieu règne en nous, & c'eft en-
core cette loi qui nous difpofe à régner
un jour nous-mêmes avec Dieu dans le
ciel. Doublement donc royauiTie des
cieux , foit parce qu'elle établit dans
nos cœurs un empire tout célefte, qui
ei^ Teaipire de Dieu , foit parce qu'elle
nous donne droit à un royaume tout
célefte , qui eil: l'héritage des enfants
de Dieu. Or ce royaume des cieux ,
cette loi év.ingélique , dit le Sauveur du
iiionde , eft iemblable à un grain de lene-
vé , & cela comment ? en deux manières,
que le même fils de Dieu nous a expref-
fément marquées dans les paroles de
mon texte ; favoir , par fa peciteiTe &
par fon étendue : par fa peiitefle dans
ion origine , ()uod minimum quidem ejl
omnihus jeminibus ; & par fon étendue
dans fes accroiffements & fes progrès ,
Cuin autem crevdrit ^ majus ejî omnibus
olcribus. C'eiV à-dire , fuivant l'appli-
cation que fait S. Jérôme de cette para-
bole à la loi chrétienne, que comme
entre toutes les graines une des plus pe-
tites avant qu'on l'ait femée eft le fenevé ;
ainu de toutes les religions du monde il
il n'y en a point eu , à la confidérer
dans fa nailTance , de plus obicure que la
ioi de Jelus Chrift , ni en appa:en.-e de
plus foible. Mais , ajoute auiîi ce faint
Docteur, pour achever la comparaifon,
<ie méaie (jue le graia de fençvé 3 ^M
ET LAFORCE DE LA^LOI CHR. 23 I
quon l'a jeté dans la terre , y prend
racine , croi; eniuice , le fortifie , poulTe
des bfanciies , produit des feuilles ,
porte des fruits , monte enfin jufqu à
la hauteur d'un arbre , 6l fert de retraite
aux oifélux du ciel , Et fit arbor ,
it.i ut vu lucres cœli habitent in eâ : de
inêiiie d-t on vu l'Evangile prêché par
Jelus-Chrii^ dans la Judée , pdTer de
là , par le miniilere des Apôtres , aux
nations , ranger tous les peuples fous fa
domination lp:rituelle , abolir le culte
des taux dieux , & devenir de l'un à
l'autre pôle la lui dominante. Loi per-
pétuelle , qu'une heureufe fucceffion
des iiecles , m-^lgré toutes les révolu-
tions humaines , a confervé jufqu'à
nous , ai. que la même tradition doit
maintenir juiqu'à la fin des temps :
loi que nous avons reçue , mes chers
Auditeurs , que nous profelTons , où
font renîermées nos plus grandes eipé-
rances , & qui feule eft la règle que
nous devons nous propofer dans tout le
plan de notre vie. il eft donc impor-
tant , afin de nous attacher toujours
d-avanta^e à cette loi , que nous en
connounons les glorieufes prérogatives ,
& c'eit de quoi j'entreprends aujour-
d'iiuî de vous entretenir. De les vouloir
parcourir toutes ," ce feroit une matière
infinie , Ôc bien au-delà des bornes qui
meiont prefcrites. Arrêtons-nous à notre
parabole j nous y touverons égaletr.eui
^3^ Sur la sainteté
de quoi relever Thonneur de l'Evangiis
6c de quoi fervir à notre inftruâion ,
après que nous nous ferons adreffés à
la Vierge qui nous a donné le divin
iégiilareur dont nous fuivons la doftrine,
& à qui la toi nous tient fournis. Ave
IL n'y a que Dieu qui puiffe par lui-
même fanciiiier les âmes & les con-
vertir , parce qu'il n'y a que Dieu qui
foit faint par lui-même & le principe
<ie toute fainteté , comme il n'y a que
lui qui tienne en fes mains les coeurs
des hommes , & qui leur donne telle
impreiîîon qu'il lui plaît, par les fecrettes
ooérations de fa grâce. Deux caractères
qu'il a communiqués à la loi évangéli-
que , & qui fans autre preuve nous lont
fuinlamment entendre que c'eft une loi
divine. Deux avantages qu'exprime par-
faitement ia pariibole de ce petit grain
qu'un homm.e a femé dc.ns fon chanip ,
& où nous remarquons tout à la fois
une double qualité , ]e veux dire ,
une qualité fainte &c une qualité forte
tout enfem.ble. L'iine , qui nous figure
la fainie:é incorruptible de la loi chré-
tienne dr.ns les règles de conduite qu'elle
nous trace , & dans la perfection où
elle nous appelle ; l'autre , qui nous re-
préfente la force viclorieufe & toute-
puiffante de cette rr.ême loi d^ns ia
converfion du mondç çoti^r^ & dans Iç*.
ET LA FORCE DE LA Loi C iïR. Î3$
progrès inconcevables qu'elle y a faits >
malgré toGs les obilacles qui en de-*
voient arrêter le cours. Enfin deux pré-
rogatives toutes fingulieres de l'Evangile
de Jeius-Chriii , eomprifes en deux pa-
roles du Prophète royal , lorfqu'ii nous
dit que la loi du Seigneur efl: pure & fans
tache, Lex Doinini ïmmdcuLita ; & que P[> t$;
par une vertu qui lui efl particulière ôc
qu'elle exerce fur les âmes , elle les attire
à Dieu , & les convertit , Convertens
animas. Sainteté do la loi chrétienne,'
force de la loi chréiienne ; voilà tout le
fond & tout le partage de ce diicours.
Sainteté qui fait de la loi chrétienne
une loi parfaite & irréprochable ; c'ed ce
que je vous montrerai dans la première
partie. Force qui furpade toute la na-
ture , & qui a fait faire à îa loi chrétienne,
dès fcn premier établiiïement , les plus
nierveilieufes conquêtes ; ce fera le fujet
de la féconde partie. Dans l'une nous
jugerons de cette loi évangélique , par
ce qu'elle eft en elle-même ; & dans
l'autre , par ce qu'elle peut & ce qu'elle
a fait. De l'une Ùc de l'autre je conclurai
que c'eli donc une loi toute célede,
qu'elle vient de Dieu , & que Dieu feul
en ell l'Auteur : Lex Domini immaculata ,
convertens animas. Vous le conclurez
vous - mêm.es avec moi , mes chers
Auditeurs , fi vous m'écoutez avec un
efprit droit &. d^fimérefTé, ^ fi vous ffi«
^34 Sur la sainteté
donnez toute Tattention que je vous
demande.
I. /^Ui 5 Chrétiens ^ c'efl: une loi fainte
JPart. V^ que la loi de Jefus-Chrirt ; & pour
en être perluadés , coniidérez-la dans
toutes fes parties : examinez-la dans foi*
Auteur , dans fes maximes , dans fes
confeiis , dans fes fedateurs , dans fes
n"iyfteres , 6l en tout cela ne la tenez
pour véritable qu'autant qu'elle vous
paroitra fainte. Car la fainteté ne peut
avoir pour fondement que la vérité, &
la vérité eft toujours le principe de la
fainteté. L'iiluflre témoignage , Chré-
tiens , en faveur de notre religion l
Angnjî. Ciim ad aliquid pervenitur quod ejl contra
bonos mores ^ c'eil S. Auguilin qui p?rle,
non ejî mr^^num vcram fedam à fùLjâ
dïfcernere. Lorfque dans une fecle on
découvre des defordres en matière de
mœurs, il n'efl pas difficile de montrer
qu'elle part d'un faux principe : mais la
préfomption eft toute entière qu'elle
vient de Dieu , quand on n'y voit qu'm-
nocence & que pureté de vie. Prenons
donc cette règle pour reconnoitre au-
jourd'hui la venté de la loi chrétienne,
6t jugeons-en d'abord par la fainteté de
fon Auteur.
C'ed Jefus^Chrift , ce Meifie envoyé
de Dieu , qui fans p.irler de i'ondion de
fa. divinité, a pailé pour le plus jufte 6c
ET LA fORCEDELA Loi CHR. 23^
le plus faint des hommes ; dont la vie a
été il pure , qu'il voulut bien la foumettre
à la critique de Tes plus cruels ennemis ;
Quis ex vobis arguet me depeccato ? contre Jcan^
qui toute la Synagogue conjurée ne put c ^»
jamais produire deux témoignages con-
formes ; Et non erant convenicntia teflimo- Marc,
«ij; qui reçut une déclaration auihentique C' '4'
de fon innocence , de la bouche même
du Juge qui porta l'arrêt de fa condam-
nation : Nullim in eo invenio caufam : Joan.
enfin , dont les vertus plus qu'humaines c. iS,
ont été publiées par ceux qui étoient
les plus intéreffés à en ternir la gloire :
Verè filius Dei erat ijîe. Voilà celui qui Matth,
nous a donné la loi que nous profeiïons. <^* ^<J*
Les autres loix qui partagent aujour-
d'hui le monde ont eu pour auteurs
des impies transfigurés en prophètes ,
des dieux , comme le paganifme , plus
corrompus que les hommes même qui
les adoroient ; un Mahomet, fouillé de
toutes fortes d'impuretés , comme U
fecie qui porte fon nom ; & pour ne pas
oublier les hérétiques , qui par leurs
héréiies ont altéré la pureté de la loi,
des apoflats de profelfion ; un Luther,
infime par fes inceftes , qui même en
faifoit trophée, &. qui s'eil vanté de ce
que fes plus zélés partifans avoient honte
de ne pouvoir défivouer pour lui. Voilà
celui que Calvin appelloit l'Apôtre de
l'Allemagne : & que ne pourrois - je
point dire de Calvin lui-même t
136 Sur la sainteté
A Dieu ne plaife , Chrétiens , que
j'en veuille à leur "perfonne ni à leur
mémoire : ii c'étoient des particuliers
qui euilent été emportés par le torrent
de l'héréiie , je fais les règles de dif-
crétion OC de bienféance que j'aurois à
garder. Mais puiiqu'on a prétendu que
c'étoient des hommes que Dieu avoit
remplis de fon efprit pour les employer
à la rétbrmation de l'Eglile , eiicore
eft-il jufte que nous les connolllions ;
les Pères en ayant toujours ainfi ufé
quand il aétéqueilion des héréfiarques.
Or eft-il croyable que Dieu , pour réfor-
mer Ion Eglife , ait ehoifi des hommes
de ce caractère ?
Mais partons outre , & pour tirer d'un
ù grand fujet toute l'édification & tout
le fruit que Dieu prétend que nous en
tirions , voyons quelles font les maxi-
mes de la loi que nous avons reçue de
Jefus-Chrift. Il eft vrai que les ennemis
de ce divin Sauveur firent tous leurs
efforts pour le décrier comme un homm«
qui pervertilToit le peuple , & dont îa
doâiiine alloit corrompre les mœurs ^
mais il eil vrai auifi que ce fut la plus
grofliere & la plus vaine de toutes les ca-
lomnies. J'ai prêché publiquement, dit-il
à Caïphe qui l'inteirogeoit fur ce point,
&L je n'ai jamais dogmatifé en fecret :
adreiTez-vous à ceux qui m'ont en-
tendu , ils favent ce que j'ai dit. Nous
ie i^yçfts , ÇJarékie;iJ , puifqu'il ngus a
ET LA FORCE DE LA Loi CHR. l'^f
fû\t les dépolltaires de Tes fameux ora-
cles , & que nous avons encore entrç
ies mains les précieux monuments de fa
loi : trois chapitres de faint Matthieu
en font le précis & l'abrégé ; il n'y a qu'à
les comparer avec tout ce que la morale
païenne a jamais produit, pourvoir la
didérence ienfible de l'efprit de Dieu &
de celui de l'homme. Que la loi chré-
tienng ed admirable ! difoit autrefois
Laitance : c'eft elle qui a éclairci toutes
les loix de la nature , qui a mis la der-
nière perfeflion à toutes les loix divines ,
qui autorife toutes les loix humaines _, Sc
qui a détruit fans exception toutes les
loix du vice &. du péché ; quatre chefs
qui font pour elle autant d'éloges , &
qui mériteroient autant de difrours. C'eft
elle qui a éclairci les loix de la nature ,
les interprétant félon toute leur pureté ,
& renverfant toutes les erreurs dont
l'ignorance ou le libertin?^e des hom-
mes les avoient obfcurcies. On a dit à
vos pères ( c'eft ainfi que Jefus-Chrift
inftruiibit les Juifs ) , on a dit à vos
pères : vous ne ferez point hom.icides ;
& moi je vous annonce que quiconque
dira à (on frère une parole ou de colère
ou de mépris , fera condamné au juge-
ment de Dieu. Vos pères ont cru que
la haine d'un ennemi 6c la vengeance
étoient permifes , ÔC moi je vous les
défends. On leur a fait entendre que
le parjure çtoit un crime , 6c moi je
ft^B Sur la sainteté
veux que toutes fortes de jurements vou$
ibient interdits. Etoient-ce de nouveaux
préceptes qu'établifToit le (ils de Dieu ?
Non , dit laint Auguftin ; car de tout
temps , jurer fans néceflité avoit blelTé
le refpeft qui eft dû à Dieu ; fe faire rai-
fon de fes propres injures avoit toujours
été contre la raifon ; jamais il n'avoit
été permis de defirer un plaifir qu'il n'eft
pas permis de fe procurer. Mais ces loix
que Dieu avoit gravées dans le cœur de
Ihomme avec des caractères de lumière,
comme parle le Prophète royal , s'y
étoient infenfiblement effacées , & la
loi chrétienne eft venue les renouveller.
Ceft elle qui a mis la dernière pertec-
tion à toutes les loix divines , changeant
la circoncifion de la chair en celle de
l'efprit, taifant fuccéder les effets de la
pénitence aux cérémonies de la péni-
tence ; fandifiant le Sacerdoce par la
continence , pour le rendre plus digne
des autels ; érigeant le mariage en facre-
lïient , afin qu'il ne pût être violé que
par une efuete de facrilege ; le réduilant
à cette févérité de difcipline , c'eft-à-
dire , à cette unité & à cette indiffolu-
bilité à laquelle il étcit réduit dans fa
première inftitution , 6t en retranchant
tout ce que Dieu dans la loi ancienne
avoit accordé à la dureté du cœur des
Juifs. C'ell cette même loi de Jefus-
Chrift qui a autorifé toutes le loix hu-
itaines i puifqu'outre l'obligation civile
ET tA FORCE DE LA LOî CHU. 139
& politique de les garder , elle y en
ajoute une de conlcience qui eft invio-
lable & qui fublille toujours ; puifqu'elle
fait refpeder les fupérieurs légitimes ,
non pas en qualité d'hommes , mais
comme les lieutenants 6c les minières
de Dieu ; puifqu'elle maintient leur
autorité , non-leulem.ent quand ils l'ont
chrétiens & fidèles , mais quand ils
feroient païens & idolâtres ; non-feule-
ment , dit faim Pierre , qucind ils font
vertueux & parfaits , mais quand ils
feroient remplis même de vices ; non-
feulement quand ils font doux & favo-
rables , mais quand ils feroient emportés
& fâcheux ; puifque hors ce qui eft
politivement 6c évidemmiCnt contre
Dieu 5 elle veut qu'ils foient obéis
comme Dieu même , ne féparant point
ces deux préceptes, Regem honorificaîe , i.Peèr^
Dcumîimete ; craignez Dieu ^ & honorez C' ^«
les puiflances ; &. nous avertiflant fans
celle que l'un eft effentiellem-ent fondé
fur l'autre. Enfin c'eft e'ie qui a détruit
généralement toutes les loix du péché ,
dont le nombre étant infini, fa gloire
particulière eft qu'il n'y en a pas une
qu'elle ne réprouve ôc qu'elle ne con-
damne ; frappant d'anathême l'injulKce,
en quelque fujet qu'elle paroine ; ne
refpeclant en cela ni rang ni qualité ;
ïYayant égard ni à coutum.e ni à poP.ef-
fion ; ne s'accommodant ni à foibleffe
ni à intérêt ^ ne cédant pas même à la
ft4o Sur la sainteté
plus predante de toutes les néceffités ,
€ertull. qui feroit celle de mourir : Ne mo^
riendi quidcm neccjjitati difclplina nojîra
connivet.
Les religions païennes ont-elles pu
fe gloriner du même avantage r Vous
le lavez ^ Chrétiens , & vous ne poa-
vez ignorer que le cara6lere par où
elles ie font diftinguées , a été de to-
lérer & de permettre tous les crimes ;
ron-feulement de les permettre & de
les tolérer , mais de les approuver ,
nais de les canoniier, mais, il j'ofe me
fervir de ce terme , de les divinifer ;
n'ayant reconnu , dit excellemment laint
Auguftin , des dieux vicieux & lafciis ,
que dans cette vue , afin que quand
leurs adorateurs fe trouveroient excités
au mal , ils coniidéraiTent plutôt ce
"iiugufi. que leur Jupiter auroit fait, que ce que
Caton leur avoit enfeigné : Ut magis
intuerentiir qiiid ficijfet Jupiter , quJrn
quïd cenfulffct Cato. Choie dont les
païens eux-mêmes avoient horreur,
ne pouvant ioufFrir , c'eil la remarque
d'Arnobe , quelque déterminés qu'ils
fuilent à être méchants , qu'on le tût
par proteiTion de religion; &. la plupart
au moins de ceux qui paiToient pour
fages , ayant mieux aimé vivre fans
religion, que d'en reconnoître une pour
bonne qui ne les obligeât pas à être
ni ailleurs.
Il en efl de même des héréfies :
car
ÏT LÀ FORCE DE LA LoiCAti. 14^
car Dieu , dit faint Epiphane , a tcujcurs
permis que les erreurs dans la foi aient
été fuivies de la corruption & de la
dépravation des maximes qui regar-
doient la conduite des mœurs , atia
que .cela même fervît à les diftinguer.
L'héréfie du fiecle pafTé femble avoir
été en cela plus circonfpede & plus
prudente , puirqu'elle affefta d'abord
le nom de réibrme : mais fi elle en
afîeda le nom , peut-être ne lui taifons-
lîous point de tort, en difant que c'eft
""6 de celles qui en négligèrent plus
la vérité, & peut-être pourrions-nous,
fans lui faire infulte & fans lui rien
iqiputer que fes propres maximes , la
détromper par elle-même & la convain-
cre. Car nous n'aurions qu'à lui oppo-
fer le langage de Tes premiers pafteurs,
pour lui montrer Tillufion de la vaine
réforme qu'elle s'eft attribuée ; & elle
ne défavoueroit pas que ces faux mi-
nières prêchant aux peuples , ne leur
fiflent fouvent ces leçons : Prenez garde,
ires Frères , leur dilbient-ils ; on vous
a tait entendre que c'étoic par les bonnes
ceuvres qu'il filloit fe fauver; on vous
a trompés , elles font inutiles pour le
falut. On vous a dit que le jufle devoit
veiller continuellement fur foi-m.ême,
pour ne pas décheoir de Ja grâce : abus ;
quand on a une fois la grâce, quelque
crime que l'on comm.ette, on ne la perd
jamais. On vous a fait accroire que vous
^4* SUK lA SAINTETÉ
..„ une Ubené pour ;éf,fte.aux^^^^^^^^^
''°"' b^ vou a nourris dans la cramte
lien. On vous ^ " . ^^ crainte
des )".S«."^«"» réSouvée On vous a
eft criminelle ëi reprouve , /r- p.
;rêchélapénuençecomrn «^^^^
^ "" 'l'irace du Bap.ême tous vos
'iV\?"' IK à commettre font déjà
péchés commis 6J. a con
ïemis. On vous a ?^f^XZ&^ i "««
beaucoup àfairepour gagnée >-^Jg,^
•'V°";ffirX''rfftedtoes-'vousde
pouvoir, t^^^s ^^ 8^ nous vous
ilonnez votre P^oteffion , & "o
fe£ÏÏa^.Sefe.o^-W^^^^^^^
fecôuer-le Hardiment . S. «"o «
ts^Iaisl-EgUreleco—de^J.^^^
^t^KVcolfo-iercerMaisn.ui
pour lier vos v ^ mère: oui,
Lt obéir comme a no»e-«^^.^„„„
^,ar cérémonie & f",f°X ' ,e une
W '"^Cll dis'' -i de créance 6C
ET LA FORCE DE LA Loi CH?v. 245
croirois coupable d'y rien ajouter. Or
dites-moi , mes chers Audiceurs , û la
vérité Se la pureté de la loi chrétienne
pouvoient s'accommoder de tout cela }
Non , fans doute ; & û nous voulons
encore mieux connoitre cette loi lainte ,
voyons jufqu'où elle a porté la perte6lion
de Tes confeils. Qu'eft-ce que cette pau-
vreté évangélique qu'elle nous propofe,
& qui non-feulement nous dégage de
toute affection aux biens de la terre,
inais nous dépouille de toute poffeiri on ^
Si vous voulez être parfaits , dit le fils
de Dieu à ce jeune hommo de TEvan»
gile , allez , vendez tout ce que vous avez,
donnez- en le prix aux pauvres , & vous
ferez en état de me fuivre , & de par-
venir à la plus haute fainteté de ma loi,
Qu'eft-ce que ce renoncement volon-
taire à tous les piaifirs des fens , que cette
mortification èc cet amour de la croix
ïîui nous rend en quelque façon ennemis
de nous-mêmes , jufqu'à nous refufer à
nous-mêmes toutes les douceurs & tous
les foulagements de la vie, jufqu'à nous
perfécuter nous-mêmes fans relâche ,
jufqu'à nous faire mourir nous-mêmes,
«ion point de cette mort naturelle que
Dieu n'a pas fait dépendre de nous ,
mais d'une mort intérieure & fpirituelle ?
Qu'eft-ce que cette humilité héroïque
qui nous fait fuir l'éclat & les honneurs
du fiecle, avec autant de foin & autant
d'ardeur , que le monde nous les fai:
Lij
244 Sur là sainteté
rechercher , qui nous fait aimer l'abjeC"^
tion, l'oblcur.'té, les mépris, les outra-?
ges ; qui remplilToit de joie les Apôtres,
loiiquê dans les priions , que dans les
places publiques , qu'en préfence des
inagiftrats , on les couvroit d'ignommie
& d'opprobres ? Qu'eft-ce que cette
abnégation entière de ce que nous avons
de plus cher , qui eft notre volonté pro-
pre & notre liberté ; tellement que nous
ne fommes plus maîtres de nos defirs ,
plus maîtres de nos réfolutions , mais
clans une dépendance totale , & fous le
joug de l'obéilTance la plus univerfelle
& la plus étroite ? Quels miracles^ de
vertus l & une vie , ainfi fanaifiée ,
n'eft-ce pas , félon la belle parole de S.
Ambroife , un évident témoignage de
'Amhr. la divinité ? Tejiimonium dïvïnitatis vita.
Chrifllini, ,
Voilà, mes chers x^udlteurs , ce qu on
appelle la morale chrétienne , où les
infidèles , fuivant le rapport de famt
Auguftin , n'avoient rien davantage a
reprendre, fmon qu'elle étoit trop famte
Aupifi, & trop parfaite. VidemuriisChriftianisrcs
humanas paulb plus quàm oportet defercre.
Reproche mille fois plus avantageux &
plus glorieux pour elle que tous les
eloees qu'ils lui euffent pu donner. Mais
cette loi fi droite dans fes maximes &:
fes préceptes , fi pure & fi relevée dans
fes- confeils , fi ûinte dans fon auteur,
['efl-elie autant à proportion dans les
ET LA FORCE DE LA Loi CHR. 14f
feâateurs ? Ah î Chrétiens , inftruifez-
vous ici de ce que vous devez être, ou
plutôt confondez-vous de ce que vous
n'êtes pas. Être Chrétien , c'eil être
faint. Il n'y a qu'à lire dans faint Luc
quelle étoit la vie des premiers fidèles ;
lorfqu'ils ne faifoient encore qu'une
efpece de communauté à Jéruialem : il
n'y a qu'à voir chez i ertullien queîlôs
éîoient leurs afTemblées , quand ils
commencèrent à fe multiplier dans le
inonde : il n'y a qu'à confidérer leurs
mœurs & leurs pratiques dans l'excel-
lent ouvrage que faint Auguftin en a
compofé. Diriez-vous que ce tuffent
des hommes mortels , 6i non pas de
purs elpriîs 6c des Anges dont il trace
le caraftere ? Il n'y a qu'à entendre ce
qu'Eufebe témoigne , que les idolâtres
eux-mêmes fe trouvoient obligés d«
teconnoitre qu'il n'y avoit de véritable
fainteté que parmi les Chrétiens. Té-
moignage, ajoute-t-il, qu'ils leur ren-
dirent , fur-tout après avoir éprouvé
leur charité dans une pefre qui rava-
gea toute l'armée Romaine fous l'Em-
pereur Valérien , & où ils virent les
fidèles s'employer au foulagem.ent cie.
leurs propres ennemis, avec autant de
zèle que s'ils eufTent écé leurs frères,
ou félon la chair , ou félon la foi. Quel
efprit les animoit alors ? Etoit-ce un
efprit particulier à quelques-uns d'entre
f ux ? l^on : mais ç^içk l'efprit univeriul
L iii
^4^ Sur la sa i K-t été
de la loi chrétienne. Ils étoient tels paT
engagement de religion ; & c'eft ce qui
convertit ce brave & généreux foldat,
qui fut enfuite Tornement du déiert ,
l'iliuftre Pacôni-e , & ce qui attiroit tous
les jours un nombre prefquç infini de
dignes fujets à l'Evangile, lorfqu'ils fai-
foient attention aux fruits merveilleux de
fainteté que produifoit le chriftianiime.
Tant il eft vrai , comme Tertullien le
difoit en traitant la même matière que
moi , qu'on peut juger d'une créance
par la conduite de ceux qui la profeiTent :
Tertidl. De gen£re converfationis qUiilitas fidci œfti-
mari potefl ; & qu'un des grands motifs
en faveur d'une doctrine , ell la vie irré-
Idem, prochabîe de ceux qui la fuivent : Doc»
trincEJudex difciplina: c'eft- à-dire , quand-
ia vie & Id créance font conformes, &
que l'une eîï la resle de l'autre. Car
ceut ete mal raiionner, remarque lamt
Auguftin y que de conclure à l'avantage
du paganifme , par la raifon que queU
ques figes païens vivent dans l'exercice-
éi l'habitude des vertus morales , puif—
qu'en les pratiquant ils ne fe conformoient
en aucune forte à leur religion, oc ce
ne feroit pas une moindre injuflice, de-
fe prévenir contre la religion de Jefus-
Chrifl , fous prétexte qu'il y a des Chré-
tiens dont la vie eft déréglée ; puifqu'en
cela ce n'eft point félon les principes
de leur foi, ni comme Lhréiiens, qu'ils
agident. Nous ne déiayouons pas , dit
ET LA FORCE DE LA Loi CHR. 24f
Salvien , qu'il n'y en ait parmi nous ds
très-libertins & très-corrompus : mais
nous prétendons que la foi chrétienne
n'eft point i'efponiable de leur liberti-
nage & de leur corruption : car elle eit la
première à les accufer comme des pré-
varicateurs , la première & la plus zélée
à les condamner & à les rejeter.
Mais au contraire quand je vois dans
le corps de l'Egliie tant de vertus &
tant de fainteté ; quand je remonte à
ces heureux temps où la loi évangéll-
que étoit encore dans toute fa vigueur,
& que je vois quelles am.es alors elle a
formées, quels îentiments elle leur inf-
piroit, de quelle ferveur elle les animoit,
à quelle perfeélion elle les élevoit : quand
de fiecles en fiecles depuis Jefus-Chrift ,
je defcens jufqu'à nous , & que je vois
cette multitude inombrabîe de parfaits
Chrétiens , c'eft - à - dire , d'hommes
irrépréhenfibles qui ont fandifié les dé-
ferts 5 fandlifîé les cloîtres , fan6lihé les
cours des Princes , fandtifié le monde &
tous les états du monde : quand tout
perverti qu*eft le fiecle où nous vivons,
je vois les mêmes exemples en tous ceux
qui veulent fe rendre fidèles à la même
loi ( car il y en a ; ôc pour peu qu'il
y en ait , c'eft allez pour nous faire
connoitre l'efprit de la loi qui les gou-
verne ) : quand je vois dans les prélatures
de l'Eglife , des Fadeurs vraiment apof-
toliques i dans le facerdoce , de dign^
L iY
248 Sur la sainteté
ininiftres du Dieu vivant ; dans le céWhzt,
des vierges confacrées à U pureté ; dans
le mariage , des pères & des mères pieux
& qui inipirent la piéré à leurs familles;
dans toutes les profelnons des âmes ré-
gulières , zélées , chaiitables, patientes,
déiintérotlées , ennemies de tout défor-
dre , de toute injuflice , difpofées à tout
entreprendre pour l'honneur de Dieu , à
tout faire pour le fer vice du prochain , à
tout fouffrir oL à tout pardonner pour le
bien de la paix ; tenant en toutes chofes
une conduite fage , droite, équitable,
parce qu'elles fe conduifent dans toutes
chofes par les vues de la foi : quand jef
vois tant de florifTants ordres , & leur
difcipiine d'autant plus exade & plus
févere , leurs obfervances d'autant plus
rigoureufes & plus faintes , qu'elles ap-'
prochent plus de la fainteté de l'Evangile:
quand, dis-je, j'ai tout cela devant les
yeux, n'ai je pas droit de faire le même
raifonnement que Tertullien, 6>c d'en tirer
îa même conféquence : Dégénère conve?'
fationis qualitas fidei cz(lunarL potejl : doc-
trince. Judex difciplina ? car une loi toute
fanftifiante ne doit-elle pas être elle-
nême toute fainte ?
11 faut néanmoins avouer , Chré-
tiens , que cette loi d'une perfeélion fi
fublime dans fa morale , efl: en même
temps d'une créance bien difficile dans
fes myderes. Une Trinité, un Homme-
Dieu , c^nt autres arùdes de notre foi ,
IT LA FORCE DE LA Loi CHR. 249
ceft OÙ l'efprit fe perd, & ce qui de-
mande la foumiffion la plus aveugle.
Mais prenez garde à la belle réflexion de
Guillaume de Paris , qui convient admi-
rablement à mon {'ujet. Si notre raifon
eft droite, dit ce grand Evêque, & fi
elle cherche véritablement le bien , elle
ne laiiïe pas de trouver dans tous ces
rnyfieres un avantage ineftimable. C'eft
qu'autant qu'ils lont relevés au - deiTus
d'elle, autant font-ils capables de l'éle-
ver à Dieu : c'eft qu'ils ont cela de pro-
pre & de merveilleux, qu'en captivant
nos elpriis fous l'obéiiTance de la foi, ils
perteciionnent nos cœurs par les devoirs
de fainteté qu'ils nous impoient ; c'efl
que s'ils font obfcurs dans leurs prin-
cipes , du moins dans leurs conféquences
font-ils remplis des plus pures lumières
de la grâce. En effet , fi je crois l'in-
carnation divine , quoique je ne la corn*
prenne pas , ne m'eil - il pas enluite
évident que le falut efl donc de toutes
les affaires la plus importante , puifque
par fon importance même il a pu faire
descendre du ciel un Dieu & Fattirer far
la terre; que je ne dois donc rien épargner
pour ce falut , après qu'un Dieu qui
n'y ctoit pas intéreiTé comme moi, s'eil
toutefois fi peu épargné lui-mérne poui*
me l'aiTurer ; qu'il n'eff pas jufte qu^
ce falut ait tant coûté à un Dieu qui
par fon infinie miféricorde a bien voulu
s'en charger, &. qu'il ne me coûtât rien ,
JL y
250 Sur la SAïNTETi
à moi , que ce grand ouvrage regarde
perfonneilement ; que ie meilleur , ÔC
même le feul m.odele que je mie puiffe
propofer en y travaillant , c'eft ce Sau-
veur qui m'en a enleigné les moyens ,
6i qui n/"en a tracé U voie , encore plus
par fes exemples que par fes paroles ;.
par conféquent que je dois le fuivre en
tout, Timiter en tout, exprimer en moi
toutes fes vertus : qu'indépendamment
de mon intérêt, la feule reconnoilTance
fuffiroit pour m'attacher à un Dieu qui
m'a aimé jufqu'à prendre fur lui toutes
mes miferes , & que par la feule raifoii-
de lui marquer mon amour , je devrois-
me rendre fidèle à fes ordres , me fou-
mettre à toutes fes volontés, accomplir
îâ loi dans toute fon étendue , Se dans
toute fa perfe6^ion ? Remarquez- vous y
Chrétiens , quelles leçon> nous fait uri.
feul myftere ? que fera- ce de tous les
autres pris enfemble ? & faint Pierre dans^
fa féconde épître n'avoit-il pas bien fujet
de dire que nos myfteres ne font point
de ces fables étudiées & inventées par-
des efprits profanes , tels qu'étoient les.
3. ?etr. myfieres de la gentili é , Non enim doc*
^' ^* tas falul.is fecuti ; mais que ce font des
myfteres pratiques qui nous portent à la-
fandlification de nos rr;œurs , à la fuite-
du péché , à TaccomplilTement de toutes
îiiftice ?
Ainfi concluons avec le Prophète : Lexr
J)ammi imma£ulaia i la loi du Seigneiir
ET LA FORCE DE LA LOî CHR. 2f I
efl pure & fans tache. C'eft une loi
fainte : & de quelle fainteté ? fuivez ceci.
D'une fainteté folide , qui attaque le vic2
jufques djns fes principes les plus éloi-
gnés, &c qui établit la veitu fur des fon-
de.-nents ftables ^ inébranlables. D'une
fainteté agilTante , qui ne s'en tient ni
aux fentiments ni aux paroles , mais qui
demande des œuvres. D'une fainteté
univerfelle, qui ne laiffe pas échapper
un point de la loi , parce qu'il ne faut ,
félon la loi , que la tranfgrefiion d'un
feul point , pour nous rendre criminels
& dignes d'une éternelle réprobation.
D'une fainteté fage , qui n'exige rien
que d'équitable, que de raifonnable, que
de pratiquable. D'une fainteté coura-
geufe, que les difficultés n'arrêtent point,
que les contradicVions n'ébranlent point,
que les plus grands facrifices n'étonnent
point. D'i^ne fainteté patiente, qui dans
les douleurs les plus fenfibies , dans les
injures les plus piquantes, dans les acci-
dents les plus fâcheux, dans les difgra-
ces & les adverfités de la vie , fe foutienc
contre les murmures des fsns , contre
les faillies de la colère, contre les em-
portennents de la vengeance , contre
raffli6lion du cœur & l'abatrement de
l'efprit. D'une fainteté religieufe envers
Dieu , foumife à Dieu , zélée pour la
gloire de Dieu ; douce & affable à l'égard
du prochain , prévenante &. bienf^ifante ^
t>?uiours auenÛYe fur elle-même , ôc
»52 Sur la saintets
févere pour elle-même, dégagée de toutes
les vLiesce la chair: au-deilus de tout
intérêt, de toute fortune ; au-deilus de
toute ambition de toute réputation ,
de toute ccnfidérc tion humaine ; indé-
pendante des caprices & deshum.eurs,
des aridiés &l des féchereiles ., des ennuis
& des dégoûts, fixe & immobile dans
le devoir , parce que c'eft le devoir,
ôcinvi^riablement adonnée au bien, parce
que c'eft le bien , & qu'on le doit en
tout chercher. Telle eft , dis-je, mes
Frères , la iainteté du chriilianirme , où
par la grâce du Seigneur nous fommes
nés , où nous avons éié élevés. Tels
en font les car?.6^ere5 ; & fi cette pein-
ture vous éblouit, croyez néanmoins;
car il eft vrai, que bisn loin d'y ajouter
un feul trait , il y en a mille que je fuis
obligé de fupprimer ^ pour ne pas lalîer
votre attention.
Or j'avoue , Chrétiens , que de tous
les m.oîifs qui nous font reconnoître la
vérité de notre religion , il n'y en a
point qui me touche plus que celui-ci.
S. Auguftin dfoit que plufieurs chofes
le retenoient dans TEglife de Dieu :
du^uji. Multa me in Ecclefiâ juftij/imè ret'ment^
Le confentement des nations à recevoir
la foi y l'autorité des miracles , l'anti-
quité de la tradition , cette fuccefiioiî
d'Evêques depuis S. Pierri, le nom de
Catholique qu*a toujours porté l'Eglife
jarmi tant de (çhifineâ éc. d'hàékes,^
ET LA FORCE DE LA Loi CHR. 2fJ
tout cela le fortlnoit puiiTamment dan^
la créance qu'il avoit embraiïee ; 6c ce
n'éîoit pas certes un eTprit frivole , qui fe
laiiTât prendre à de légères apparences^
& qui le rendit fans avoir tait aupara-
vant un férieux examen. Mais )'d]oute
que la fainteté de la loi de Jefus-Chriil: a
encore quelque chofe de plus parti-
culier qui me gagne le cœur. Car je dis
aveci'ÀbbéRuppert : Puifqu'il faut pro-
ieller une religion, en puis-je choifir une
plus fûre que celle que je trouve U bien
établie fur le fondement des vertus , fi
faintement ordonnée par l'exercice des-
bonnes œuvres , Il parfaitement dégagée
de toutes les impuretés du vice ? Une loi
comme celle-là eil fans doute l'ouvrage
de Dieu , U le démon ne peut rien fug-
gérer de femblabîe. Car il a beau fe
déguifer, remarque Caffien danslatroi-
fieme de fes Conférences ; cet efprit de
ténèbres contrefait bien q elquefois la
puiilance &L la force de Dieu par des
miracles apparents, la fageffe de Dieu
par de faufies révélations , la juftice de
Dieu par les maux qu'il a caufés dans
le monde, & par les effets de fa mali-
gnité ; mais il ne peu.' contrefaire la fain-
teté & la pureté des mœurs , ou du
moins il ne le peut conft mment. Voilà.
le trsit ininiitable pour lu; dans la loi de
Jefus- Chrid ; voilà par où elle a toujour.&
été reconnue.
Ç'eit Yous-Kicrae ^ ô mon Dieu 1. quî.
2^4 Sur la sainteté
nous l'avez donnée , c'eft votre fils un^
que qui nous l'a enfeignée , & c'eft avec
une obéiiTance fidelle que nous nous
foumettons à ce divin légilîateur , puif^
que vous l'autorifez. 11 nous propofe
une loi fi pure & fi exempte de repro-
che , que nous ne pouvons la rejeter.
Toute parfaite qu'elle eft, nous aurions-
tort de nous en plaindre : car elle ne le
peut être aflez pour honorer un Dieu
auiîî grand que vous , aufïi faint que
vous , auili parfait qae vous. Ce qui
BOUS confond. Seigneur, c'eft que re-
connoiffant tant de f^inteté dans cette-
loi, nous en voyons fi peu dans nous-
mêmes : de quoi nous rougilTons , c'eft
d'y être fournis félon l'efprit, & de la
profeder fi mal dans la pratique ; c'eft
de n'ofer prefque nous dire Tes fe61ateurs
& fes difciples , de peur d'en être dé-
irentis par nos attions. Ses maximes
nous paroilTent terribles , parce qu'elles
condamnent toute notre vie; & en effet
nous n'ignorons pas que c'eft félon cette
loi que nous ferons jugés , qu'il ne nous
eft plus poilible déformais de la récufer ,
& qu'il ne fera jamais vrai de dire de
nous ce que S. Paul difoit des infidèles:
Rom. Q_uicumque enim fine lege pecaverunt ,
fine lege per'ibunt. Ce n'eft plus , comme
eux , fans loi que nous péchons ; nous
en avons une , & te même Sauveur qui-
nous l'a apportée du citl dans la pié-
Ritude des temps , 6c qui pour cela efi-
#,;j.
ITLAFORCE DELaLoICHÎI. 2ff
venu parmi nous & s'eft abaiffé juiqu'às
nous, reviendra à la fin des fiecles dans
tout l'appareil de la juftice Si dans tout
l'éclat de fa majefté pour nous en denrian-
der compte. Voilà, mon Dieu^ ce qui
nous rend cette loi d'autant plus redou*
table , qu'elle eft plus fainte. Mais quel-
que ^redoutable qu'elle foit pour nous ^
nous ne laiiTons pas de conclure qu'elle
eft digne de vous , & nous le con-
cluons par la raifon même qui nous la
fait craindre. Car étant pleins d'iniquité
comme nous le fommes , il faut , pour
être fainte , qu'elle nous foit dire6le-
ment oppofée; & dès qu'elle s'accom-
moderoit avec nous , ce ne feroit plus
qu'une loi de défordre & de corruption»
Si là-de(ru& nous fommes trompés , a
mon Dieu î permettez-moi de vous le
dire après un de vos plus zélés ferviteurs,
ce feroit vous qui nous auriez jetés dans-
Terreur ; vous feriez refponfable de
nos égarements , & c'eft à vous que.
nous aurions droit de nous en prendre i».
parce que dès-là qu'une religion eft toute
fainte , e'ie porte le caraûere de votre
divinité. Oui , je le dis , mon Dieu , quand
ma créance ne feroit pas auffi conftam-
ment vraie qu'elle l'eft , j'aurois tou-
jours de quoi me confoler fur ce qu'elle
eft fainte , & je me flatierois toujours^
d'avoir pris le parti de la vérité en pre--
lianî celui de la fainteté. Je me repofe-
ïois toujours fiu: ce que votre-providence,.
2^6 Sur la sainteté
à qui il appartient de me conduire , nù
m'auroit rien faic paroître de meilleur ;
& fur ce que toutes les autres voies
conduifant au libertinage, celle là feule
que j'ai fuivie , me reiiendroit dans le
devoir &L me porteroit à la pratique de
toutes les vertus. Non-feulement je ne
craindrois pas que votre juftice me punît
pour avoir embrafTé une proteifion Ct
fainte, mais j'efpérerois que s'il y a des
récompenfes à attendre , elles feroienr
pour moi , parce qu'il n'y a que l'inno"
cence du cœur & l'exercice de la vertu
qui puiiTent nous approcher de vous , Ô£
qui doivent être couronnés de votre
gloire. Or je les trouve parfaitement
dans la re tgion de mon Sauveur. Goû-
tons, Chrétiens , cet avantage, & en-
trons dans le fentiment de S. Pierre :
Matth, Etïamfi oportuerlt me mori , non te /ze-
i^. 2C» gabo. Non , Seigneur , fallût-il endurer
la mort , je n'abandonnerai jamais votre
loi. Car c'efl: là, 6c nulle part ailleurs,
qu'eit mon repos , ma perfection , ma
félicité. Hors de là , mon efprit fe-
roit toujours flottant , ma vie toujours
déréglée ; je n'aurois point de fin qui
terminât mes efpérances , ni rien de
follde pour arrêter mes defirs. C'eft donc
à la fainte loi de Jefas-Chrifc que je
dois & que je veux inviolablement m'at-
tacher. J'y reconnois l'œuvre de Dieu
non-feulen:ent par fa fjinteté : Lex Do*-
mini mmumUia ; mais par la forcç
ET LA FORCE DE LA LOI CHR. 2^f
furnaturelle & toute divine , qu'elle a
fait voir dans Ion établiiïement & dans
la converfion du monde, Convertens ani-
mas. Nouvelle attention , s'il vous plaît,
à cette féconde partie.
LE plus fage des hommes , Salomon , îï-
eftima autrefois que trois chofes ParI'^
dans le monde étoient d'une recherche
très-difficile ; mais qu'il y en uvoit une qua-
trième abfolurr.ent im.pénétrable à l'efprit
humain , favoir la route d'un vaitieau
voguant fur la mer ; Tria funt d'ifficïlïa ProvM
mihi, & quartum penitùs igrwro , viani ^" ^o»-
navis in mari. Vous ferez étonnés ,
Chrétiens , de l'interprétation que donne
faint Ambroife à ce paildge : mais ali-
tant qu'elle lui eft parci<:uliere , autant
eft-elle ingénieufe & folide. Ce vaiffeau,
dit-il, c'eft l'Egiife, dont la barque de
faint Pierre a été la figure ; &. la route
de ce vaiffeau voguant fur la mer , c'eft
le chemin qu'a tenu l'Eglife pour s'éta-
blir au milieu des orages Se des perfé-
cutions. En effet , ajoute ce faint Doc-
teur , je ne vois rien qui me furprenne
davantage ; & quand je confidere toutes
les circonffances , tous les principes , tous
les moyens , tous les obftacles, tous los
fuccès de cet établiffement, je découvre
d'une manière fi fenfible la force & la
vertu de Dieu, que je ne puis m'empéclier
delà publier &l de m'écrier : Et quartum
finitus ignoro y. vuini navis iîi marir
25S Sur la sainteté
Tous les Pères ont été éloquents fur
ce point , & ils ont employé leurs plus
belles lumières pour nous en donner
quelques idées ; mais du reûe ils ont re-
connu que cette matière étoit au-deffus
d'eux. Ne lailTons pas néanmoins de re-
cueillir quelques-uns de leurs raifonne-
ments ; & pour entrer d*abord dans un
fi grand fujet , de quoi s'agiffoit-iî , mes
chers Auditeurs , quand Jefus-Chrift à
l'âge de trente ans , après une vie obf-
cure ôc cachée , voulut enfin fe manitef-
ter au monde , & 7 vint prêcner une lot
toute nouvelle? Que prétendoit-il ? la
chofe étonnante Illnes'agiffoit pas moins
que de faire un monde tout nouveau ;
que d^abolir des luperfiitions plus ancien-
nes que la mémoire des homm.es , à qui
les peuples tenoient tout leur bonheur
attaché, qu'ils confervoient comme l'hé-
ritage de leurs pères, pour lefquelles ils
combattoient avec plus d'ardeur que
pour leur propre vie , dont ils failbient
les fondements de leurs Républiques Ô£
de leurs Etats. Il falloit les fc;ire renon-
cer à des erreurs que l'ufage prefque de
tous les fiecles avoient autorifées , qui
fe trouvoient appuyées de l'exemple de
toutes les nations, qui favorifoient tous
les intérêts de la nature , & dont la
polTeiTion ne pouvoit être troublée fans
troubler prefque l'univers. Voilà ce qu'il
falloir ruiner. Mais qu'étoit-il queftion
cf établir l une ÏQÏ a^ilerç & incomiiiode;.
ÏT LA FORCE UE LA LOl CriR. IÇg
«ne foi aveugle , une religion contraire 3
toutes les inclinations de la chair. Quelle
entreprife , & que falloit-il pour en venir
à bout? il falloit s'expofer à avoir toutes
les puiffances de la terre pour ennemies ^
la fageffe des politiques , l'autorité des
Souverains , la cruauté des tyrans , le
zeie des idolâtres, l'impiété des athées.
Si donc , demande là-deilus S. Auguf^
tin, Jefus-Chrift avant que de faire I3
première démarche , & d'en venir à l^'exé-
eution de cette grande affaire , en eût
communiqué avec un des phiiofophes de
ce temps-là, homme de fens & de con-
fcil , & qu'il fe fût ouvert à lui de cette
forte : Je veux , malgré toutes ces con-
îradi61ions , introduire madoârine dans .
le monde, je veux qu'elle y foit reçue ^
qu'elîeyfleuriiTe, qu'elle y règne, qu'elle
fe répande par-tout ; &L parce que Rome
cfl la maîtrelle de l'univers , c'eft là par-
ticulièrement que je me fuis propofé de
rétablir ; c'eft cette fameufe ÔL fuperbe
ville que je choifis dès-à-préfent pour ea
faire le centre de ma religion , & du fiege
qu'elle eft de TEmpire, le fiege principal
de mon Eglife. Toutes fortes de divinités
y habitent comme dans leur domicile
& dans leur temple, je prétends les
en chaffer & y dominer feul : qu'eût
répondu à ce langage , & qu'eût penfé
de ce projet un fage du fiecle ? Mais d
le même Jefus-Chriflli^eût ajouté, c[ua
ù.6o Sur là sainteté
pour accomplir tout cela, il ne vouloiî
ufer d'aucun des moyens que la prudence"
humaine a coutume de fournir pour ces
grands 6c importants defieins ; qu'il ne
faifoit aucun fonds , ni fur le crédit ,
ni fur les richefies , ni fur la doârine ,
ni fur l'éloquence ; & que pour tout
fecours , il deftinoit à la publication de fa
loi douze pauvres pêcheurs , fans lettres ,
fans fcience, fans appui: encore und
fois , dit faint Auguflin , ce Philofophe
n'eût-il pas traité cette entreprife de chi-
mère Sl de folie ? Voilà cependant ce
qui s'eft fait , Chrétiens , & c'eil la mer-
veille que nous voyons. C'eft ce qu'ont
admiré tous les grands hommes du monde,
lorfqu'ils fe font appliqués à le confidére?
bien attentivement Si fans préoccupation,
C'efl ce qui faifoit dire à Pic de la
Mirande que c'étoit une infigne folie
Pic de ne pas croire à l'Evangile : Magna
Mlrand.ïnfania eji Evangclio non credcre : 6c c'efl
encore par la même railbn que S. Auguf-
tin avec une fubtiiité admirable réfutoic
certains hérétiques qui doutoient de la
réfurre6lion des morts. Le fils de Dieu ^
leur difoit-il , a prédit que les corps
dévoient reffufciter ; cela vous paroîc
incroyable : mais en même temps il a
prédit une autre chofe qui femble encore
moins croyable , qui ell que ce myflere
incroyable de la réf'urre^tion feroit cru
par tout Iç monde. De ces deux chgfe?
ET LA FORCE DE LA LOï CHR. iGt
ïîscroyables félonies apparences, celle
qui devoit être la moins crue , eft déjà
arrivée ; car on croit par toute la terre
que les hommes reffulciteront un jour :
pourquoi donc , concluoit-il , ne croiriez-
vous pas Tautre que vous jugez être
moins incroyable que celle-là, favoir,
la réfurre6lion même ?
Il n'y a que la loi de JefusChrift qui
fe foit établie , par des principes où toute
la raifon de l'homme fe perd , & oîi il
faut néceffairement avoir recours à une
vertu fupéri.eure. C'eft elle feule , dit
faint Jérôme , qui s'eft maintenue dans
les perfécutions : Sol.i in perficutionibus Hicronl
petit Ecclsjïa ; elle feule pour qui le fang
de fes fe6tateurs a été , félon le mot
de Tertullien , comme une femence fé-
conde : Sanguis martyrum femen Chrijlia- TertuîU
norum. Dieu nous avoit lui mêm.e repré-
fenté ce miracle de la propagation du
çhriftianifme, dans les Hébreux efclaves ,
dont l'Ecriture a marqué que plus les
Egyptiens s'efforçoient de les opprimer
afin d'éteindre leur race , & plus ils croif-
foient en force & en nombre , fans faire
autre chofeque de fouffrir : Quanta oppri- Exod»
mebant eos , tanto ma§is multiplicabantur ^« ^»
& crefcebant. Quel fouvenir , Chrétiens ,
je me rappelle, & quelle *fcene , pour
ainfi parler , s'ouvre devant mes yeux !
Je vois tout l'univers conjuré contre
Jefus-Ckrifl 6c contre fa loi , l'enfer lui
£^2 Sur la sainteté
fufcite de toutes parts des ennemis pour
ia détruire, les Empereurs donnent des
ëdits,les magiftrats prononcent des arrêts,
les bourreaux drelTent des échafauds ÔC
des bûchers ; & que fera, pour rélifter
à de Cl violents efforts , & pourfoutenir
de fi affreufes tempêtes , une petite troupe
de gens livrés comme des viftimes au
pouvoir de leurs perfécuteurs ? Ah î
Seigneur, s'ils ne peuvent rien faire par
eux-mêmes , vous ferez tout pour eux ;
& c'efl là que vous emploierez cette force
divine qui ne paroit jamais avec plus
d'éclat que dans notre intirm;té. Si votre
îoi étoit moins violemment attaquée, ou
û elle avoitde plus puiiTants défenfeurs ,
il y auroit moins lieu de croire que vous
en avez été le foutien , & de conclure
que vous en êtes l'auteur. 11 faut que
tous les grands de la terre confpirent
contre elle ; il faut que ceux qui la dé-
fendent , bien-loin de prendre le glaive
pour frapper , n'aient pas mêm.e , feloiî
Tordre que vous avez porté , un bâton
à la main ; il faut enfin que deftituée de
toute affiftance de la part des hommes,
sbandonnée en quelque forte à elle-même
& à toute fa foibleffe , elle triomphe
néanmoins , Si qu'elle fafle tout plier fous
fon obéiffance : il le faut , afin que tous
les peuples connoifTent que c'eft votre
ioi, & qu'ils l'embraflent. Or qui peut en
effet ne le pas reconnoître à ce prodigieux
-ET tAFORCE DE LaLoI CHR. l6^
événement ? Tout fe déchaîne contre les
prédicateurs de la foi & contre leurs dif-
cjples ; on les lie , on les charge de chaî-
nes , on les enferme dans des cachots ,
on les attache à des croix , on les étend
fur des roues , on les fait périr par la
faim & par la foif , par le fer & par le
feu , par tous les tourments ; & toutefois
la loi qu'ils profeffent fubfifte , fe ré-
pand , fait tous les jours de nouvelles
conquêtes , paffe jufqu'aux extrémités
du monde, entraîne tout, foumettout,
fe fait recevoir & refpeéfer par-tout :
Quantb opprimebant eos , tantb magis
multiplicabantur & crefcebant. Que dis-
je ? de fes ennemis même elle fait fes
propres fujets : ceux qui la pourfuivoient
avec plus d'ardeur pour l'anéantir , de-
viennent les plus zélés à maintenir fes
intérêts , à fe déclarer pour elle , & à lui
obéir: elle gagne jufqu'aux bourreaux,
jufqu'aux tyrans , jufqu'aux têtes cou-
ronnées : Tantb magis multiplicabantur
& crefcebant.
De quoi parlons -nous , mes chers
Auditeurs ? Éfl-ce des fuccès de l'Eglife
naiffante , lorfqu'elle étoit encore dans
f^ force & dans toute la vigueur de fon
premier efprit ? Faut-il remonter fi haut,
& ne fommes-nous pas encore aujour-
d'hui témoins de ce miracle ? Tous les
autres ont ceflé , parce que la foi, dit
S, Grégoire, a pris d'aflez fortes racines ;►
sl64 Sur la sainteté
pour n'avoir plus befoin de ces fecoufs
extraordinaires ; mais la Providence a
voulu conferver le miracle de la propa-
gation de l'Evangile , parce qu'il devoit
€tre le caradere de la vraie religion.
î^ous le voyons; & comme S. Jérôme
fe conjouiflbit autrefois avec une Dame
B-omaine de ce que le Serapis d'Egypte
étoit devenu Chrétien , de ce que les
froids de la Scythie brûloient des ar-
deurs de la foi , de ce que les Kuns
avoient appris à chanter les louanges de
^icron. Dieu : Hunni pjalterium canere norunt ;
ainfi pour peu que l'efprit de notre re-
ligion nous anime , & que nous y pre-
nions autant d'intérêt que le devoir &
le zèle nous y engagent, nous pouvons
bénir le Ciel de ce que dans ces derniers
temps l'Eglile a fait peut-être de plus
grands progrès , qi\elle n'en ht jamais
depuis fa fondation ; de ce qu'elle s'eft
rendue maîtreiTe de tout un nouveau
monde ; de ce que les barbares du fep-
tentrion quittant leurs (uperftitions bru-
tales , ont reçu fa fainte police ; de ce
que les peuples les mieux civilifés de
l'orient & les plus attachés à leurs loix ,
s'offrent tous les jours en foule pour fe
foumettre aux fiennes ; de ce que les
idolâtres font venus des régions les plus
éloignées , reconnoître jufques dans
Rome fa monarchie univerfelle ; de ce
i^^ue le plus grand einpire de l'univers ,
contre
ET.Lk :FORCE D.E LA Loî CHR. 2^^
centre Tes maximes tbndamentales , lui
a enfin ouvert Tes portes ; de ce que fans
cefie on y voit naître des églifes florif-
ûntes en vertus & en mérites.
Et comment tout cela le iait-il ? Ceft
ie prodige , Chrétiens , que l'on vous a
c-ent lois repréfenté, que vous avez cent
fois ackrilré , & dont la fagelTe hut»aine
doit nécefTairement convenir , par les
moyens en apparence les plus foibles^
par des moyens qui non-feulement fem-
bient n avoir nulle proportion avec les
iuccès que nous adm.irons , mais qui y
paroillent tout oppofés ; par les mêmes
moyens que Jefus-Chrift a employés,
& qu'il nous a laiffés en héritage ; je veux
dire , par les croix , les fouffrances , les .
afrronts, les emprifonnements , la mort,
par tout ce qu^ont enduré & ce qu'endu-
rent actuellement tant d'kommes apoA
tohques. Av^c de telles armes ils ont
furmonté toute la réfiflance de l'enfer ,
ils ont triomphé de l'idolâtrie , détruit les
temples des faux dieux , dompté l'orgueil
des nations, converti des millions d'in-
fidèles : ou plutôt eft-ce à eux qu'on
doit attribuer de pareils changem.ents ?
n'eft-ce pas à la loi même qu'ils annon-
cent ? & d'où lui peut venir" cette force
que de Dieu ? '
Ceil: fur cela que le Prophète éclairé
den haut & infpiré de Dieu , s'adref-
foit à l'Eglife fous le nom de Jérufa-
lem , & qu'il la félicitoit en des termes
iGS Sur la sainteté
IfaU fi magnifiques : Sur^e illuminare , Jerufa^
f. <}0' km , quia glorlz Dominifuper te orta ejl ^
levez-vous , & montrez-vous à toute la
terre , heureufe Jérufalem , car le Sei-
gneur vous a couronnée de la gloire,
& revêtue de fa force toute-puiffante.
Ihid. Leva in circuitu oculos tuos , & vide :
jetez les yeux autour de vous , & voyez
^tous les peuples affemblés auprès de vous
& humiliés devant vous ; ils font venus
de toutes les parties du monde pour
fe foumettre à votre empire : en voilà
de l'orient , &i en voilà de l'occident ;
en voilà du feptentrion , &. en voilà du
midi : il n'y a point de région fi éloi-
gnée , point de contrée qui ne recon-
Ihid. noiile votre fuprêm.e domination : Cmnes
ifli cor.gregati funt , venerunt tibi. Ah l
glorieufe m.ere , ce ne font point feule-
ment des fujets qui viennent vous rendre
hcm.mage , ce font vos enfants , ce
font les" fruits de votre fécondité mira-
culeufe ; ouvrez votre fein pour les rece-
la :'^. voir : Filii tui de lon^è renient , & filiûS
tua de latcre /urgent. Quelle multitude l
quelle affluence 1 que de triomphes &
que de conquêtes 1 que de conlolations
pour votre cœur 1 JouifTez de vos fuccès ,
Se glorifiez le fouverain m.aître dont la
grâce viclorieufe s'eft fait fentir au-delà
des mers , & a opéré en votre faveur
Jb'id. toutes ces merveilles : Tune videbis & af-
flues , & mirabitur & dilafùbitur cor tuum ,
duandb converfa fucrit ad te multitudof-
ET LA FORCE DZ LA Lci CKR. 267
maris ^ fonhudo gentium venerit tibi.
Je le répète, mes chers Auditeurs,
il n'y a que la religion de Jefus-Chrift
qui porte avec loi ce caraiSiere de vérité.
Car qui ne fait pas comment les héréfies
fe font répandues dans le monde , que
c'a prefque toujours été par violence,
par le fer & par le feu , fecouant le jos^
d'une obéiiînnce légitime , & portant
de toutes parts la défolation ? Qui né
fait pas comment fe font établies \qs
religions païennes , que ça été par la
licence des mœurs qu'elles Vomentoient,
accordant tout à la nature corrompue,
6c confacrant jufques aux plus honteux
defordres ? En voulez-vous la preuve >
obferyez ceci : c'eft que Jes fedes cle
philofophes qui s'élevèrent contre les
yices^ & qui fe propoferent de les cor-
riger , échouèrent toutes dans un fem-
blable deffein : elles ont fait un peu de
brui; ,^& rien déplus : pourquoi t parce
que d'un côté ces fages du fiecle ne
s'accommodoient pas aux inclinations vi-
cieufes & naturelles des hommes, & que
de laurre ils n'avoient rien au-delîus de
Thomme. C'eft pour cela , dit le Cardi-
nal Pierre Damien , que toute leur furH-
ûnce s'eft évanouie en préfcnce de Jefus-
Chrift , dont la fagelTe a été comme la
verge d'Aaron , qui a dévoré toutes
celles des magiciens d'Egyote. Ces
grands génies , ajoute S. Auguftin , qui
iwïQïii les maîtres de la philofophie , (i-tôc
Mij
268 Sur la sainteté
qu'ils fe font approchés de Jefus-ChrîCl ;
ont cliiparu. Ariiiote a dit ceci , Pyiha-
goras a dit cela , Zenon a été de ce lenti-
ment : mais mettons-les en parallèle avec
l'Komme-Dieu , comparez leur autorité
^vec celle de l'Evangile, & cette com-
paraifon les efFacera tous. Tandis que
vous les confidérez feuls , ce qu'ils difent
vous paroît quelque, chofe : mais lors-
que vous leur oppoferez la dodtrine évan-
gélique , vous ne trouverez plus que
vanité dans leur morale. Auiîi , difoit S.
Jérôme , qui e^-ce qui lit aujourd'hui
les livres de ces philoi'ophes ? A peine
voyons-nous les plus oinfs s'y arrêter ;
au lieu que la dci^rine de Jefus-Chrifl
eft préchée par tout le monde , & que
tout le monde parle de la loi que de
flîeron. pauvres pêcheurs ont publiée : Rufti^
canos verà pïfcatores miferos totus orbis
loquhur ^ univerfus mundiis fonat.
Quelle conclufion , Chrétiens ! car il
eft temps de finir ; & mon fujet me con-
duiroit trop loin, fi j'entreprenois de le
développer dans toute Ton étendue. Mais
en finifiant , je ne dois pas omettre quel-
ques conféquences que je vous prie de
ne pas perdre , & qui feront autant d'inf-
truclions pour vous & pour moi. Je les
réduis à quatre , & je les comprends en
quatre mots : reconnoidance , étonne-
m^nt, réflexion, réfolution. Appliquez-
vous. Reconnoidance : & envers qui ?
Pouyous-nous Tignorer , Seigneur.'' 6c,
ET LA FORCE DE LA Loi CHR. i Ci^
né feroit - ce pas la plus monftrueura
ingratitude , i\ jamais nous venions à
méconnoitre le plus grand de vos bien-
faits ? Soyez-en donc éternellement béni ,
ô mon Dieu î c'eft vous , & vous ^eu^
qui avez formé cette Eglife , où nous
devions trouver le falut ; vous qui l'avez
enrichie de vos dons ; vous qui l'avez
animée de votre efprit , vous qui lui
avez révèle vos vérités , vous qui lui
avez confié votre loi : tout cela pour
nous retirer des ombres de la mort , oîi
le monde étoit enfevcli , & pour nous
conduire à la vie bienheureufe , où il
vous a plu , par une bonté ineftimable ,
de nous appeller. Grâce générale : mais
ce que nous regardons encore comme
une grâce beaucoup plus particulière &:
plus précieufe, c'efl vous-même, mon
Dieu , qui dans ce chriftianiime où nous
avons eu le bonheur de naître , nous
avez choifis , nous avez fpécialement
éclairés, nous avez enfeigné vos voies,
nous avez pourvus des fecours les plus
abondants pour y marcher. Sans ce
choix de votre part &. fans cette pré-
dile6tion toute gratuite , que ferions-
nous devenus , & en quelles ténèbres
ferions-nous plongés ? Nul autre que
vous , Seigneur, n'a pu faire de nous ce
dilcernement favorable, qui nous diftin-
gue de tant de nations infidelles : & pré-
venus du fentiment de notre indignité,
nous ne nous tenons redevables d'un tel
Miij
270 Sur la sainteté
avantage qu'à votre infinie miiericorde»
Etonnement : de quoi ? Ne le voyez-
vous pas , nnes chers Auditeurs r & n'eft-
il pss en effît bien étonnant que la foi ,
^dès la naiiTance du chriftianilrne , ait
converti le monde entier , & que main-
tenant avec la même vertu , elle ne nous
_ convertiiTe pas ? c'eft-à-dire, qu'elle ait
fait paiTer le monde entier de l'idolâtrie
au culte du vrni Dieu, 6l que jufques
dans le fein de l'Eglife , elle ne ramené
pas tant de pécheurs à Dieu , elle ne les
iL^is pas revenir de l'état du péché au
iervice de Dieu, elle ne les rende pas
pénitents devant Dieu, & plus fidèles,
plus zélés dans robfervation de la loi
de Dieu. Voilà fur quoi Dieu veut que
nous ibyons nous-mêmes nos prédica-
teurs , 6l que nous nous parlions à nous-
mêmes. N'eft-il pas étonnant qu'une
loi il efficace pour tant d'autres , le foit
fi peu pour moi r Car quel changement ,
quel retour, quelle réformation dévie
a-t-elle opérés dans toute ma conduite?
ÔC quand j'aurois le malheur d'être né
dans les ténèbres du paganlfme, ferois-
je plus mondain , plus voluptueux que
je le fuis ? me porterons- je dans un
plus honteux excès , & vivrois-je dans
un plus grand dérèglement de mœurs ?
ÎS'eft-il pas étonnant qu'une loi qui a
humihé les mionarques & les potentats du
fiecie , qui leur a infj:iié le mépris de
toutes les pompes humaines ^ n'ait pAS^
ET LA FORCE DE LA Loi CHR. lyt
encore modéré cette ambition démefuréé
qui me conlume , ni effricé de mon cœur
ces vaines idées de gloire, de fortune,
d'agrandiiTement , qui m'occupent fans
relâche , & à quoi je facrifie fifouvent ma
tonfcience & mon falut f N'eft - il paâ
étonnant qu'une loi qui a fait embraiier
ia pauvreté évangélique à tant de riches ,
& qui par un rencncement parfait aux:
biens temporels, les a dépouillés de tout
ce qu'ils poiTédoient , n'ait pas encor«
éteint jufqu'à préfent cette ardente cupi-
dité qui me brûle , & ce defir infatiable^
d'amaiTer , d'accumuler, d'avoir? Que
dirai-je de plus ? & celTerois-je de trouver
des reproches à me faire , fi j'en voulois
parcourir tous les fujets ? N'eft-il pas
étonnant qu'une loi qui a donné à tant
de généreux Chrétiens aiïez d'affurance
& de fermeté pour fe déclarer en pré-
fence des magiftrats & pour parcître
devant leurs tribunaux, ne m'ait point
encore affranchi de l'efclavage oii me
tient une honte lâche & criminelle , lorf-
qu'il laut faire une profeiîion ouverte
d'être à Dieu , & m'élever au-deffus des
difcours du monde ? 11 s'aglfToit pour
ceux-là , en fe faifant connoitre , de
perdre la vie , & ce danger ne les arrê-
toit pas : il n'eft queftion pour moi que
de quelques paroles que j'aurai ^ elTuyer,
& je demeure. N'eft-il pas étonnant
qu'une loi qui a foutenu tant de martyrs
dans les ennuis de l'exil , dans les rigueurs
M iv
^7* Sur la sainteté
de la captivité , dans Thorreur des plus"
cruels fupplices , ne m'ait pas encore
formé à fupporter quelques adverfités
avec patience , ne m'ait pas encore appris
à pratiquer quelques exercices de la pé-
nitence , ne m'ait pas encore fait obferver
les devoirs de ma religion avec plus de
fidélité & plus de confiance ? Voilà, dis-
je , ce qui nous doit jeter dans l'éton-
nement , & n'eft-il pas bien fondé ?
Ah î Chrétiens, que pouvcns-nous là-
defTus nous dire à nous-mêmes pour
notre juftification , & que dirons-nous à
Dieu ? mais ce n'eu pas towt.
Réflexion. Que nous fert-il de pro-
fefler une loi dont la vertu eft toute-puif-
fante , loriqu'à notre égard elle le trouve
inutile & fans effet ? De quel avantage
eft-il pour nous que cette loi ait triomphé
de toutes les puiflances du fiecle & de
l'enfer , ù elle ne triomphe pas de nos
foiblefTes ? Ces miracles, ces prodiges,
ces converfions , qu'efl-ce que tout cela,
que notre confufion, que notre convic-
tion 5 que notre ccndam.nation ? Hé!
mes chers Auditeurs, ne comprendrons-
nous jamais de fi importantes vérités ?
La loi chrétienne a le pouvoir de nous
convertir & de nous fan-51ifier , c'efk un
point de foi : (i donc elle ne le fait pas ,
ce n'eft point à elle que nous pouvons
l'imputer , puifqu'elle a fait quelque chofe
de plus grand. Non - feulement la lai
chrétienne peut nous convertir Se nou^
ET LA FORCE DE LA Loi CHR. 273
fancèlfier, mais il eft néceflTaire qu'elle
nous convertifle en effet & nous fan6liiie.
Je dis doublement nécelTaire : en premier
lieu , parce que nous ne pouvons être
vraiment convertis & fanftitiés que par
elle ; en fécond lieu , parce que fans con-
verfion & fans la fanaification de notre
vie, nous ne pouvons être fauves; enûn,
h loi chrétienne ne nous convertira Se
ne nous fanftifîera jamais, tandis qu'une
autre loi nous gouvernera, parce qu*é-
tant une loi divine , elle veut être feuls
6c abfolue dans les fujets qui la recon-
noilTent & qu'elle conduit : par confc-
quent , nous aurons beau prétendre ac-
corder cette loi de Dieu avec les lo'ix.
du monde , fon efprit avec l'efprit dîi
monde , fes maximes avec les maximes du
monde; c'eft un myftere que les Saints
n ont jamais compris , c'eft un fecret que
l'Evangile ne nous enfeigne point , c'cft
une illufion qui perd une infinité de demi-
Chrétiens , & qui nous perdra. Non ,
nous n avons qu'un maître à écouter,
qui e(l Jefus-Chrift. Si nous en écoutons
d'autres avec lui ; fi nous voulons , aorès
avoir fenti les mouvements de fa grâce
dans le fond du cœur, après avoir en-
tendu fa doftrine par la bouche des pré-
dicateurs, après avoir reçu fes confeils
par la voix des dire^eurs, prêter encore
1 oreille au monde , qui veut avoir parc
a toutes nos a^^ons , & qui voudroit
ïneme régler jufqu'à nos plus faintcs
M V
274 Sur la sainteté, Sec,
pratiques & à nos dévotions , dès-là nous
détruirons d'une main ce que nous bùtif-
fbns de i' centre, & nous faifons un partage
que Dieu réprouve.
Réfolntion. Puifque la loi chrétienne
a tant d'efficace & tant de force , laif-
fons-ls défornr.ais iigir , & n'arrêtons plus
fa vertu ; fecondons-la par une pleine
correfpondance , & déterminons-nous à
vivre comme elle nous le prefcrit, bien-
tôt nous éprouverons ce qu'elle peut ,
& nous verrons où elle nous conduira.
Quels progrès n'aurions-nous point faits
julqii'à préfent, fi nous l'avions luivie ?
6l où ne nous auroit-elle pas élevés ? Ce
qui nous paroit impolTible, parce que
nous le mefurons par nos propres forces ,
nous l'aurions généreufement entrepris &.
heureufementexécuté. parce qu'elle nous
auroit foutenus. Ceft , mon Dieu , ce
que vous me faites aujourd'hui connoitre,
et ce qui m'iiifpire la réfolution que je
forme de m'abandonner fans retour à
Totre loi : qu'elle ordonne ^ j'obéirai ;
qu'elle m'intime vos volontés , je les
accomplirai ; qu'elle me trace la voie ,
Yy marcherai : elle eft étroite , il ePc
vrai , cette voie , elle eft femce d'épines ;
mais par la force de la loi que j'aurai
■«:)Our euide & pour foutien, je lurmon-
terai toutes les difficuhés : les épines dès
cette vie fe changeront en {leurs ; ou da
moins après les travaux de cette vie,
î'arriverai au bienheureux terme du repus,
cternel, Ainû foit il»
^71
SERMON
POUR
Z£ DIMANCHE
DE LA SEPTUAGÉSIME.
vSv^r rOiJzveté,
Circa undeclmam vsrô diel , invenît alios
ftantes , & dixit ûUs : Quid hîc ftatis totâ
die otiofî ?
£f<:;2r fortl vers Voniicme heure du jour, il en trouva
encore d'autres qui étaient là y & il leur dit:
Comment demsurei-vous ici tout le jour fans
rien faire ? En laint Matthieu , chap. 20.
ESt-ce un reproche, eft-ce une
invitation que le père de famlile fait
à ces ouvriers de notre Evangile ? c'eft
l'un ôc l'autre, il leur reproche leur oili-
veté, & il les invite au travail . Quidflatis
totâ die ûtïofi ? pourquoi vous tenez-vous
là fans rien faire ? voilà le reproche. Ite
& vos in vineam meam , allez- vous-en
travailler en ma vigne ; voilà l'invitation,
M v)
î7(> Sur l'Otsiveté
Maù dans le fens littéral , à qui eû-ct
que cette invitation &' ce Voch*
5 adreffent ? a moi-même qu. vous parle,
mes chers Auditeurs , & à vot,s qu
m écoutez : car félon la remarque des in-
erpretes , les paraboles , telles\u'eft ceî-
ie-c, , n ont jamais d'autre fens littéral c-ue
faite , & ,1 eft vrai que Jefus-Chrift en
prononcantcesp.roles.de mon texte:
y«/</ àicfians ,01 J die otiofi ? a voulu
ijouslesrendrepropres.puifqu'autTement
lUes auron dites fans aucune fin , ce qui
répugne à fa fageff,. Ne cherchom do'r"
Fomt d autre matière de ce difcours. Le
Ws de Dieu nous parle en maître , écou-
ons-.e avec refpea : il nous reproche
ie defordi-e de notre oifiveté , reccn-
«oiffons-le.&no.s en corrigeons il
^ous mviteau travail, ne refufons pas
les conditions avantageufes qu'il nous
offre, & regardons cefujetcommeundes
plus importants q,,e j'^ie eu lieu jufqu'ici
de traiter. L'oifiveté ne paffepai dan. le ^
i eft devant D,eu ; & c'eft de quoi j'entre-
prends de vous convaincre aujourd'hui ■
du CieJ & falue Marie , en lui difant : ^v^
QUere cette juSicerigoureufe que des
>^ tlieologiens appellentcommutative
«f qu ils nereconnojflent point en Dieu à
J égard des hommes , parce cjue Dieu n^
Sur l' Oisiveté. 277
doit rien aux hommes , ni ne peut rien
leur devoir , il y a trois autres elpeces
de juftice dont Dieu eft capable par
rapport à nous , & qui bien-loin de
préjudicier à fa grandeur , font autant de
perfections de fon être : juflice vindica-
tive , juftice légale, & iuftice diil:ributive.
Juftice vindicative , qui punit le péché j
juftice légale , qui n'eft point diflinguée
de fa providence, à qui il appartient ds
gouverner les états du monde ; enfin .
juftice didributive, qui partage les récom-
penfes félon les mérites. Je ne dis rien
de cette troifieme juftice , pour ne pas
embradertrop de matiete , & je m'arrête
aux deux autres , qui impofent à l'homme
une cbiig.^tion indifpenfible de travailler;
car la jullice de Dieu vindicative répare
le péché de Thcmme par le travail ,
& c'eft par le travail que la juftice
légale , qui eft en Dieu , entretient tous
les états & toutes les conditions da
monde. L'oifiveté donc , qui s'oppoie
direciement à cette double judice, eil
un defordre : voilà tout mon deilein. Je
prétends que deux chofes nous obligent
au travail , & condamnent notre oifiveté
comme un des plus grands obflacîes
du falut ; le péché , & notre condition
particulière. Nous nailTons tous dans le
péché , & nous vivons tous dans une
certaine condition ; d'où je conclus que
nous fommes tous fujets au travail , ÔC
a?^ Sur l'Oisiveté.
en qualité de pécheurs , c'eft le premier
point ; & en qualité d'hommes attachés
par état à une condition de vie, c'eft le
fécond point. L un & l'autre vous décou-
yrira des vérités que vous avez peut-être
Ignorées jufqu'àprérent, & dont la con-
nohiance vous eu. aMolument néceffaire.
Cyommençons.
Fa\. V^ "'^^ ^'"' ?'' clavantage , Chrétiens,
rART.i pour conclure que l'oifiveté efl un
defordre qui nous rend criminels devant
UiQu , que de confidérer ce que nous
iommes & quel eft le principe de notre
origme. Nous Tommes pécheurs , & ,
comme dit l'Ecriture, nous avons tous
eteconçus d^ns l'iniquité: il eiî donc
vrai que nous avons tous contrafté en
naiilant une obligation particulière qui
nous affuiettit au travail. Cette confé-
quence eit évidente dans les reaies delà
foi : pourquoi cela ? parce que la foi
nous apprend que Dieu a ordonné le
^r^T'^r '\^'^on^«^e, comme une oeine de
fa derol.einance& de fa rébellion. Peine
difent les Théologiens , qui par rapport
a nous , eft en même temps fatisfaaoire
&prerervative:ratisfaaoire, pour expier
le pèche commis ; . & préfervative , pour
nous empêcher de le commettre: fa-
tisîaaoïre , parce que nous avons été
prévaricateur^-; & préfervative , afin que'
Pous cefîions de Tétre ^ fatisfa^oi/e ,
Sur l'Oisiveté. 279
fvour être un moyen de réparation envers
la juftice de Dieu ; & préfervative ,
pour fervir de remède à notre folblelle.
Tu as violé mon commandement , dit
Dieu au premier homme , & moi je te
condamne à porter le joug d'une vie fer-
vile & laborieufe : la terre ne produira
plus pour toi qu'à force de travail : au
lieu qu'elle te fournilToit d'elle-même des
fruits délicieux, tu ne mangeras qu'ua
pain de douleur; c'eii- à-dire ^ un pain
que tes fueurs auront détrempé avant qu'il
puiiTe être employé à ta nourriture : In Genejà
fiidore vultus tui vefcerUpane tuo. Voilà , c. j,
chrétienne compagnie , la première loi
que Dieu a établie dans le monde, du
moment que l'homme a été pécheur j
ÔC c'eft cette loi qui a fait un crime de
notre oifiveté.
Où je vous prie d'admirer en pafTant
la différence que faint Auguftin a re-
marquée entre trois fortes de travaux ;
celui de Dieu dans la nature , celui
d'Adam dans l'état de la grâce & de
l'innocence , & celui de tous les horsmes
dans la corruption du péché : ceci eft
digne de votre attention. Dieu , dit
faint Augudin, agit inceiTamment , 6c
en lui-même , & hors de lui-même ;
P^ter meus ufquc modo operatur. Adam Jcan^
s'occupoit dans le paradis terreflre , c, /,
puilque nous lifons qu'il y fut mis pour
le culiiver de fes mains : Pofuit eum Gentf^
ir. pavùdîfo , ut opcrartrur^ Et l'hoiAime c, 2:,
i8ô Sur l'Oisiveth.
p-écheur, dès les premières années de Ca
vie , fe trouve réduit à efTuyer mille
//. 8j. fatigues : Pauper fum & in labaribus â
juventuîe ineâ. Voilà trois efpeces de
travaux , mais dont les qualités font bien
contraires ; car prenez garde , s'il vous
plaît : de ce que Dieu agit dans l'uni-
vers , ce n'eft point par un engagement
de néceiTité , mais par un mcuvsir.ent de
fa bonté, pour fe communiquer &. pour
donner l'être aux créatures : de ce qu'A-
dam cultivoit le paradis terreftre , ce
n'étoit point par punition, mais par choix,
pour occuper Ton efprit en exerçant fon
corps. Mais îorfque l'homme, félon l'ex-
prefîion du Roi Prophète , el^ aujour-
d'hui dans le travail , e'eil: par un ordre
ngoureux qu'il eA obligé de fubir ,
Ôc dont il ne kii efi: pas permis defe dif-
penfer. Uadion de Dieu dans la nature ,
eft une preuve de fa puidance ; l'cccu-
parion d'Adam dans le paradis terreûre,
étoit une marque de fa vertu : mais l'af^
fujettiflement du pécheur à iwn travail
réglé , eft , pour parler avec l'Apôtre,
le paiement & la folde de fon péché :
RoîT. Stipendium peccaîi. D'où il arrive par une
*• ^' fuite d'eftets proportionnés à cetre diver-
sité de principes , qu'au lieu que Dieu
en produifant & créant le monde , fe fait
honneur de Ion ouvrage, qu Adam trou-
voit dans le fien de la douceur & du
plai-fir , l'homme pécheur fe fent humi-
lié &. mortifié de fon travail : Ôc tout cela.
Sur l'Oisivête. i^t
conclut ce grand Dofleur , parce que
Dieu dans la création a travaillé en Sou-'
verain & en maître ; qu'Adam dans
ie paradis où Dieu le plaça , travaillovt
en ferviteur & en affranchi ; mais qu*
l'homme dans l'état de fa dilgrace ne
travaille plus qu'en criminel & en efclave.
C'eft l'excelleme idée de faint AnguftiUy
pour nous développer la vérité que je
vous prêche , & pour nous faire com-
prendre l'importance de ce devoir.
Mais revenons. Il s'agit donc de
favoir fi lorfque Dieu prononça cette
maiéd!«5î:ion contre le premier homme ,.
In fudorc vultils tui vefccris pans ^ tu ne
vivras déformais que du fruit- de tes
peines ; fi , dis-je , par ces paro-Ies Dieu
prétendit faire une loi générale qui
comprît toute la poftérité d'Adam , ou
s'il en excepta certaines conditions Ô£
certains états du monde; s'il ufa d^
grâce envers les uns, pendant qu'il pro-
cédoit rigoureufement contre les autres ;
s'il dedina les grands & les riches; à la
douceur du repos , & les pauvres à la
mifere & à la fervitude ; s'il dit à ceux-
ci , vous arroferez la terre de vos fueurs ,
& à ceux-là, vous n'en goûterez que les
délices f Je vous demande. Chrétiens ,
Dieu fit-il alors cette diftin^tion ? Ah \
mes Frères , répond faint Chryfoftome,
il n'y penfa Jamais : & fa jurtice , qui
ed iiivapabie iz faire entre les tiommo*
â82 Sur l'Oisiveti;.
d'autre difcernement que celui de rinno"
cence & du péché , fut bien éloignée
d'avoir quelque égard à la naiflarce 6c
à la fortune , pour régler fur cela leur
deirmée Ôc leur fort. Non , Cliréiiens ,
Dieu ne donna aux riches nul privilège
pour les décharger de cétre obligation ;
comme le péché étoit commun à tous,
il voulut que tous pirticipaHent à cette
inalédifiion ; & c'efl ce que le Saint-
Efpritnous dit clairement dans le chapitre
Ècclef. quarantième de l'Eccléiiaftique : Occu-
^. /fo. patio magna creata eft omnibus hominibus :
cette loi de travail a été faite pour tous
les hommes ; & cette loi , ajoute le texte
facré . efl un joug pefant &. humiliant
ibld. pour les enfants d'Adam : Et jugurn.
grave fiipcr filios Adcc. Mais pour quels
enfants d'Adam ? ne perdez pas ceci :
A refidente fnpcr fedem gloriofam ^ ufque
ad humiliatum in ttrrâ & in cinere ;
depuis celui qui eft affis fur le trône,
jufqu'à celui qui rampe dans lapouffiere :
fbid. Et ah eo qui portât coronam , ujquc ad eum
qui operitur Uno crudo ; & depuis ceux
qui portent la couronne &. la pourpre,
jufquà ceux que leur pauvreté réduit à
être le plus grofTiérerrent vêtiis. Voilà
l'étendue de l'arrêt, ou fi vous voulez,
de l'anathêmeque Dieu fulmina, en con-
féquence duquel il n'y a point d'hommei
chrétien qui ne doive fe réfoudre à
confoiïimer fa vie dans le travail. Fût-il
Sur l'Oisiveté. 283
Pr'nce ou Monarque , il efl: pécheur ;
donc ii doit ie foumettre à la peine que
h Créateur de l'univers lui a impofée.
Etc'eftpour cela, dit Tertullien, cette
réflexion efl belle y qu'immédiatement
après que l'homme eut péché. Dieu lui
fil un habit de peau : Fecit quoqiie Do" GencJ:
munis Adx tunicas pelliceas. Pourquoi «. i»
cet habit ? pour lui fignifier qu'en pé-
chant il s'étoit dégradé lui-même , &
qu'il étoit déchu de la liberté des enfants
ce Dieu , dans un efclavage honteux &:
pénible. Car l'habit de peau, pourfuit
Tertullien , étoit affetté à ceux que Ton
eondamnoit à travailler aux mines , ôc
Dieu le donna à Adam , afin qu'il né
confidérât plus fa vie que comme un
continuel travail.
Voilà, dis-je, mes chers Auditeurs y
ie parti que doit prendre tout Chréiien ,
travailler en efclave de Dieu , c'eft-
à-dire, non point par caprice & pai*
humeur, comme cephilofophe dont parle
Minutius Félix, qui n'avoir point d'autre
règle de fes occupations Si de fon repos
que le génie ou la paflion quile domlnoit:
Qui ad nutum ajjident'ts fibï dcVînonis , Minuit
vel decimabiît negotia , vel appetebat ; Fclix,
c'étoit Socrates. Car le Chrétien agifTant
par un principe tout contraire, prend
le travail par efprit de pénitence ai dans
la vue de fatisfoire à Dieu , parce qu'il
fait bien qae c'eft la première peine de
ion ^éché. Que iaifoni-nous donc quand
iS4 Sur l'OisIvete.
au préjudice de ce devoir nous nous
abandonnons à une vie lâche & oifive ?
le voulez-vous favoir ? Nous ncrus ré-
voltons contre Dieu , nous tâchons de
fecouer le joug que fa juftice & fa pro-
vidence nous ont donné à porter ; nous
faifons comme ces orgueilleux dont le
Prophète royal exprime fi bien le carac-
tère 5 qusnd il dit que quoiqu'ils foieilt
engagés dans toutes les in;uftices & tous
les crimes des hommes , ils ne veulent
pas pour cela avoir part aux travaux des
hommes ; & qu'étant les plus hardis à
s'émanciper de TobéifTance qu'ils doivent
à Dieu, ils ne laifl'ent pas d'être les plus
fiers & les plus indociles , quand il eft
queftion de fe foitmettre aux châtiments
ff, yz. de Dieu : în labore hominum non [unt ,
& cum hominibus non fij^cll-nbuntur ;
ideo tenuit eos fuperbia. Car "remarquez,
je vous prie , une choie bien finguliere
dans la conduite de Dieu : cet alTujet-
tiflement au travail eft tellement la
petne de notre péché, qu'il faut , pour'
appaifer Dieu que nous foyons nous-
mêmes les exécuteurs de cette peine.
Dans la juftice des hommes il n'en efl
pas ainfi : on n'oblige jamais un criminel
d'exécuter lui-même fon arrêt ; pourvu
qu'il le fubifTe , il ert cenfé être dans
l'ordre & dans la difpofition qu'on exige
de lui : mais Dieu qui a un domaine fupé-
-J-ieur & abfolu fur nous , pour une répara-
tion plus êxade & plus entière du péché,
Sur l'Oisiveté. i8$
veut qua nous nous chargions volontai-»
retnent de la commiinon de le punir, &C
que nous lui fervions de miniCtres pour
accomplir dans nous-mêmes & contre
nous-mêms , Tes jugements les plus fé-
veres ; & c'eft ce qui fe fait par la péni-
tence , dont S. Grégoire Pape ne craint
pas de dire que l'afliduité au travail e(ï
îa plus indifpenfable & la plus raifon-
nable partie.
Qu'eft-ce donc encore une fois que
les défordres d'une vie oifive ? C'eft,
répond S. Ambroife , à le bien prendre,
une féconde révolte de la créature contre
jfon Dieu. La première a été la trani-
grefîion 6i le violement de la loi , & la
féconde eft la fuite du travail. Par la
première, l'homme a dit : Non fcrvUm ^ Jer,^^
non, je n'obéirai pas ; & par la féconde,
il ajoute : Non, je ne fubirai pas la peine
de ma défobéiffance. En fuccombant à
fon appétit déréglé , il a méprifé Dieu
comme Souverain ; & en padant fa vie
dans l'olfiveté, il le méprife comme Juge.
Auriez- vous cru , mes chers Auditeurs,
que ce péché allât jufques-là ? Voilà
cependant ce que l'on peut bienappeller
aujourd'hui le péché du monde , puif-
que c'eft le péché d'un nombre infini
de perfonnes , qui ne font fur la terre
(voyez fi j'en conçois une idée juue),
qui ne font , à ce qu'il paroit , fur la
ferre, que pour y recevoir les tributs
^u travail d'autrui 5 fans jamais payer du
'n.^6 Sur l* O i s ï v e t ^.
ieur ; qui n'ont point d'autre emploi danj
leur condition , que de jouir des commo-
dités , des ailes & des douceurs de la vie ;
dont le plus grand foin & la plus impor-
tante aftaire eft de couler le temps ; qui
fe divertiilent toujours , ou plutôt qui,
à force da fe divertir, ne fe divertiflent
plus ; puifque , félon la maxime de Calfio-
dore, le divertiffement fuppofeune appli-
cation honnête , ce que ceux-ci ne con-
ïioiffent point ; enfin , de qui l'on peut
dire, In labore homïnum non funt , parce
qu'il femble , à les voir , que la loi ne
foit pas pour eux, & qu'ils ne foient pas
compris dans la maffe commune du genre
humain.
Ne parlons point feulement en géné-
ral, mais pour l'édification de vos mœurs,
6c pour vous rendre ce difcours utile,
entrons dans le détail. Un hommxC du
inonde, tel qu'à la confufion de notre
fiecle , nous en voyons tous les jours ; un
homme du monde, dont par une habi-
tude pitoyable , la fphere ed bornée au
plaifir ou à l'ennui, qui paffe fa vie à de
frivoles amufements , à s'informer de ce
qui fe dit , à contrôler ce qui fe fait , à
courir après les fpe6tacles , à fe réjouir
dans les compagnies , à fe vanter de ce
qu'il n'efl pas , à railler fans cefle , fans
jamais rien faire ni rien dire de férieux ;
un Chrétien réduit à n'avoir point de
plus ordinaire ni de plus confiante occu-
pation quele jeu ; c'eft-à-dire, qui n'ufe
Sur. l'Oisiveté. i^f
plus du jeu comme d'un relâchement
d'eiprit dont il avoit befoin pour le dif-
traire , mais comme d'un emploi auquel
il s'attache , & qui eft le charme de Ion
oifiveté ; un Chrétien déconcerté &
«mbarrafîé de lui-même quand il ne joua
pas , qui ne fait ce qu'il fera ni ce qu'il
deviendra, quand une aflemblée ou une
partie" de jeu lui manque ; & , s'il m'efl
permis de m'expliquer ainii , qui ne joue
pas pour vivre , mais qui ne vit que pour
jouer : une femme proteffant la religion
de Jefus-Chrift , toute appliquée à l'ex-
térieur de fa perfonne , qui n'a point
d'autre exercice que de confulter un mi-
roir, que d'étudier les nouvelles miodes,
que de parer fon corps ; qui négligeant
fes propres devoirs , eft toujours prête
à s'ingérer dans les affaires d'autrui ; ne
fâchant rien & parlant de tout , ne s'inf-
truifant pas où il le le faut , & faifant la
fufHfante où il ne le faut pas ; qui croit
qu'elle accomplit toute juftice , quand elle
va inutilement de vifite en vifite , qu'elle
en reçoit aujourd'hui , qu'elle en rend
demain ; qui fe fait un devoir prérendu
d'entretenir par de vaines lettres mille
com.mercesfuperflus, & mêmefufpcélsôt
dangereux, & qui à l'heure de la mort
ne peut rendre à Dieu d'autre compte de
fes allions que celui-ci : j'ai vu le monde,
j'ai pratiqué le monde ? Encore une fois ,
fin homme , une femme peuvent - ils (q
é.88 Sur l' O i s i v e t e.
perfuader que tout cela foit conforme à
cet ordre de )uftice que Dieu a établi fur
nous en qualité de pécheurs ? Cette ccnti-
îvuité de jeu , cette vie de plainr , eft-il
rien de plus cpperé aux idées que Jefus-
Chrift nous donne de notre condition l
Quand il n'y auroit point de chriflia-
îiifme , l'homme , en jugeant de tout cela
félon laraifon , le pourroit-il approuver ?
& fi au tribunal de fa raifon feule il eu
©bligé de le condanmer, quel jugement
croyez-vous que Dieu en portera lui-
même ? On demande fi le falut y peut être
'v^éritablement intérellé r Et qui en doute.
Chrétiens ? Où feroit-il intéreffé , s'il ne
i'eft pas dans la profanation de la chofe
du monde la plus précieufe , qui eu le
temps , & le temps de la pénitence ? Or
quelle plus grande profanation en peut-
cn concevoir , que la manière dont vivent
aujourd'hui ceux de qui je parle ? Si en
conféquence de ces pTin<:ipes, une parole
cifeufe doit être condamnée , que fera-ce
d'une vie toute entière où Dieu ne trou-
vera rien que d'inutile ? Mais le monde
îi'en juge pas de la forte , &C ce défordre
de l'oiiiveté que je combats , n'y eft pas
compté pour une chofe dont on doive fe
faire un fcrupule devant Dieu. 11 efl: vrai ,
Chrétiens , & je ne le fais que trop : mais
il importe peu ce que le monde en
penfe & en juge, quand le fils de Dieu
îjous a appris ce que nous en devons
juger.
Sur vO i s i v et é. 2S9
-ger ; il y a bien d'autres articles qui ne
palTent pour rien dans le monde , & dont
la dilcufllon ne fera pas moins terri-
ble au jugement de Dieu. Je fçais mê-
me qu'il y a des âmes aflez aveugles ,
qui prétendent accorder cette vie oifive
avec la dévotion & la piété , & je fçais
auffi que Dieu, dont le difcernement efl:
infaillible fçaura bien confondre cette
fauile dévotion , en lui oppofaQt les règles
de la folide & de la vraie.
Mais je fais riche , dites-vous , & pour-
quoi m'obliger au travail lorfque j'ai du
bien plus que fufnfamment pour vivre ?
Pourquoi , mon cher Auditeur r parce que
tous les biens du monde ne peuvent vous
fouftraire à la malédiélion du péché ,
parce que dans le partage favorable qui
vous eft échu des biens de cette vie par
ks ordres de la Providence, Dieu a tou-
jours fuppofé l'exécution des arrêts de fa
juftice ; parce que Dieu en vous donnant
ces biens , n'a jamais eu intention de
déroger à (es droits^ & lorfque vous di-
tes, j'ai du bien, donc je ne dois point
t-ravailler, vous raifonnez auffi mai que
fi vous difiez , donc je ne dois point
mourir : car l'obligation du travail & ia
«éceffité de la mort tiennent le même
rang dans les divins décrets. Ne fçavez-^
vous pas ce qui fut répondu à ce riche de
TEvangile ? il avoit beaucoup travaillé
pour fe mettre dans l'abondance de tou-
tes chofes , & fe voyant enfin comblé de
Pomin, Tom^ A N '
aço Sur l* O i s î v e t é,
richeiïes , repofons-nous maintenant ^
diroit-il , me ¥oilà à mon aile pour bien
XuC des années : Anima , habes multa bona
€, iz, pofita in. annos plurimos , requkfce. Mais
comment Dieu le traita-t-il ? d'infenfé ,
Stultc , lui faifant entendre que pour
l'homme fur la terre ii n'y avoir que
deux partis à prendre , ou le travail , ou
la mort, & que puisqu'il renonçoit au
premier, il falloit fe réfoudre au fécond ,
Ihîi, & mourir dès la nuit prochaine : Hâc
no^e animam tuam répètent à te.
Mais je fuis d'une qualité & dans une
élévation où le travail ne me convient
pas. Quelle conféquence ! Parce que vous
êtQs grand félon le monde , en êtes-vous
fr.oins pécheur , & l'éclat de votre digni-
té eiFace-t-il la tache de votre origine ?
cette dignité eft-elle au deiTus des Ponti-
fes QL des Souverains ? Or écoutez com-
ment Saint Bernard parloit autrefois à un
grand Pape, l'inftruifant fur cette matiè-
re : Saint Père , lui difoit-il avec un zèle
Tefpe6tueux , je vous conjure de confi-
dérer fouvent qui vous êtesj & de voir
non pas ce que vous avez été fait , mais
Bern, ce que vous êtes né : Non quod fa^us ,
fed quod natus es ; vous avez été fait Eve-
que, mais vous êtes né pécheur; lequel
des deux vous doit toucher davantage }
n'eft-ce pas ce que vous êtes parla con-
dition de votre naifTance ? ôtez-moi donc
cet appareil de majefté qui vous envi-
ronne j détournez les yeux de cett^
S.UR L'OîSîVETt. 19?
.pourpre qui couvre votre barCeiTe , & qui
ne guérit pas vos plaies: Toile velamen Idim»
foliorum cdantium ignominiam tuam , non,
plagascurantium ; contemplez- vous vous-
même , & penfez que vous ères forti nud
du fein de votre mère ; car Ci vous éloignez
de votre vue tous ces feux brillants de
gloire qui cblouiiTent les hommes, que
trouverez- vous dans vous-même, fmon
un homme pauvre &c mjférable , fouffrant
de ce qu'il eft homme , parce qu'il eu.
en même temps pécheur , ôc pleurant de
ce qu'il vient au monde , parce qu'il y
vient com.me un rebelle réduit dans une
cure fervitude ? G:currct td-i homo pau~ Idsm^
per & mifcrabïlis s doUns qubd homo fit ^
plorans qubd natus fit : enFin un homme
ïié pour le travail, & non pour Thon-
reur : Homo denique natus ad lahorem ,
non ad hononm. Voilà , Saint Père , ce
que vous êtes, ce que vous etQs , dis-je,
jpar delTus tous , Hoc ej! ccrtè quod ma- Jdan^
ximti es ; car tout le refte n'eft qu'accef-
tbire, & il faut que l'accefToire fe con-
forme au principal. C'eft donc , Chré-
tiens , fur ce principal , je veux dire fur
la qualité de pécheur , qu'ed fondée pour
les grands comme pour les autres , Tin-
dilpenfable obligation d'une vie agiilante
ôc hborieufe.
Mais une telle vie eft ennuyeufe : He
•quoi, mon cher Auditeur, eft-ce donc
ia une raifon que vous puifiiez alléguer
centre un devoir auftieilcntiel que celui-
N ij
19^ Sur l'Oisiveté.
ci ? Si je traitois la chofe en philofophei;
je pourrois vous répondre qu'un travail
convenable , & où par l'habitude vous
prendrez goût , vous prél'ervera plutôt
de l'ennui qu'il ne vous y fera tomber.
Mais je parie en prédicateur chrétien ; &
fuppolant cet ennui que vous craignez , je
vous dis que ce fera une pénitence pour
vous, & que cette pénitence vous doit
être d'autant plus chère que vous n'en
faites point d'autres dans votre état.
Vous vous envuierez pour Dieu, pour (à-
tisfaire à Dieu ^ pour réparer tous les
plaiiirs criminels que vous avez recher-
chés contre la loi de Dieu : précieux
ennui , puifque Dieu l'agréera , & qua
Dieu même , en l'agréant, fçaura bien
d'ailleurs vous en dédommager ! Cepen-
dant , Chrétiens , admirez encore la bonté
cle notre Dieu , qui éclate jufques dans la
punition de l'homme. Cet engagement
au travail que je vous ai repréfenté com^
meunefatisfa6tion du péché, en eft, félon
la théologie de tous les Pères , le préfer-
vatif & le remède. Quelle miféricorde
de Dieu fur nous , de nous faire trouver
dans les châtiments de fa juftice notre
avantage 6c notre sûreté 1 Oui , mes
Frères, le grand préfervatif contre le dé-
règlement denos pallions & les défordres
du péché , c'eft Tapplication à un travail
confiant Se aflîdu,^. en vain m'efforce»
rois- je de vous perfuader cette vérité,
pwifqu'eile eft évidente par çUe-roême^
Sur l'Oisiveté. t^^
Quand le Saint-Efprit ne l'auroit pas dit ^
l'expérience feule ne le juditierûit que
trop ; que roifiveté eft la maîtreffe dé
tous les crimes , & que c'eit elle qui les
enîe gne aux hommes , qui leur en tait
des leçons , qui leur en luggere les dei-
feins , qui leur ouvre l'eCprit pour en
inventer les moyens ? tout cela renfer-
mé dans ce beau mot de TEccléfiaftique :
Multam enim malïtiam docuit otiojitas, j^rcUt
En effet , dit S. Auguftin , paraphra- c. j j*
fane ce pafTage , dans l'excellent fermon
qu'il adreffe aux Religieux de {o'^ï ordre ,
pour leur infpire: l'amour du travail ôc
pour leur faire appréhender les confé-
quences tuneftes de la vie oifive , prenez-
y garde, mes Frères, Si pour en être.
convaincus , parcourez les exemples tou-
chants que l'Ecriture nous en fournir.
De qui ell-ce que les Ifraélites, fi atta-
chés d'ailleurs à leur loi , ôc h zélés pour
la vraie religion, apprirent à être idolâ-
tres ? L'auroit-on cru n S. Paul ne le
difoit en propres termes, que ce fut une
fuite malheureufe de cette oiliveté, qui
les porta à s'abandonner à des fêtes pro-
fanes & à des jeux excefiifs , pendant
que leur légiflateur Moïfe étoit en con^
férence avec Dieu , i'f^ir populus man- t,c^r^
ducare & bibere , & furrexsrunt ludere^ c. /ot
Demandez au Prophète comment Sodo-
irie dévint fi fçavante dans les abomina-
lions jufqu'alors inconnues & Inouie^ ,
N iij
294 Sur l'Oisiveté.
ne vous répondia-t-il pas que l'oinveté
de cette ville réprouvée fut la fource de
foniniquitér Mais dites-moi^ ajoute Sain^
Auguftin^ tandis que David fut occupé
aux exercices de la guerre, fentoit-il les
attaques de la concupifcence & de la
ehair ? & quand eit-ce qu'il conçut dans
Ion cœur les adultères & les homicides i
ce fut-ce pas , félon le texte facré, lorf-
qu'il refla oifif dans Jérufalem , dans un
temps oii les autres marchoient en cam-
pagne ? Qui caufa la ruine de Samfon }
pracédolt-elle d'un autre principe que de
la vie languiiTante & efféminée où il de-
meura pour complaire à une étrangère ^
& ce héros du peuple de Dieu put-iî
jamais être furpris pendant qu'il étoit aux
prifes avec fes ennemis ? Salomon le plus
lage des Princes , fuccomba-t--il dans les-
premières années de fon règne , tandis
qu'il travailloit avec un zèle intatigable,
èc qu'il appliquoit tous Tes foins à bâtir
le temple ? fuccomba-t-il , dis-je , à cette
aveugle paffion qui i'infatua dans la fuite ,
•jufqu'à lui faire adorer les dieux de fes
concubines ? & ne commença- t-il pas au
contraire à fe laiffer corrompre par fa
.volupté , du moment qu'il eut mis tin a
fon entreprife , & qu il fe vit dans un
profond repos ? Ah ! mes Frères , con-
clut S. Auguftin , nous n'avons pas une
vertu plus'affurée ni plus foiide que ces
grands homm.es ; nous ne fomrnes_ ni
plus faims que Dùvid, ni pîas étlairés.
Sur l'Oisiveté. 295
^ue Salcmon , ni plus forts queSamfon^
éi. pour vivre dans la retraite , nous
n'avons pas moins à craindre les défor-
dres de l'oifiveté. C'eft ainfi qu'il s'en
expliquolt aux Solitaires de fa règle.
Mais à propos de Solitaires , ( cette
réflexion eft du faint Evêque de Genève,
François de Sales , ) pourquoi penfez-
vous , Chrétiens , que dans ces monaf-
teres d'Egypte où les hommes vivoient
comme des Anges ^ & où le don de con-
templation étoit une des grâces les plus
ordinaires, on maintenoit cependant le
travail des mains avec une difcipline Ct
exacte ^ comm.e nous l'apprenons de Caf*
fien & de Saint Jérôme ? Eft-ce que le
travail des mains étoit attaché à la pro-
feiiion de ces hommes de Dieu ? ce feroit
la dégrader que d'en juger de la forte :
leur étoit-il néceiTaire pour leur fubfif-
tance ? non, la charité des fidèles, qui
étoit encore dans fa ferveur , y avoit
abondamment fuppléé. Pourquoi donc
travailloient-ils ? ils le faifoient , répond
Saint Jérôme , non pour les befoins du
corps , mais pour le falut de l'ame : Non HUrori
propter corporis nscejjitatem , fed propter
animczfalutem ; parce qu'ils fçavoient que
quelque perfection qu'ils euilent acquife
il leur étoit impoffible de contempler fans
ceffe les chofes divines , & parce qu'ils
étoient d'ailleurs perfuadés que de de-
meurer un moment fans contemplation
ou fans a^ion , c'eût été s'expofer à la
i9^ Sur l'Oisiveté.
tentation. Voilà pourquoi, dit Caffierr.^
la grande maxime reçue parmi eux étcir
qu'un folitaire occupé devoit être toiY-
jours le plus innocent , parce qu'il n'étcit
tenté que d'un feul démon ; au lieu qu'un
folicaire pareffeux & fans emploi , fe trou-
voit fouvent , comm.e ce miférable de
l'Evangile , polTédé d'une légion entière :
€affian. Operatorem monachum damone uno pulfa"
ri f otiofum fpiritibus innumiris devajîcir'u
Sur quoi , mes chers Auditeurs , vous
^evez , ce me femble , raifonner ainfi avec
Yous-mêmes: Ces hommes (i détachés de
la terre , ôt fi élevés au delTus des loi-
bîeffes de la nature , croyoient qu^un tra-
vafl réglé leur étoit néceflaire pour per-
févérer dans Tetat de la grâce, & moi
qui fuis un pécheur, rempli de miferes,
vivant dans la diffipation & roifiveté ,
je m'affurerai de monfalut ? quel orgueil
& quelle préfomption 1 C'étoieat des
Chrétiens parfaits , d'une converfation
toute célefte, qui avoient pour triompher
des vices , des fecours infinis que je n'ai
pas ; car la folitude leur fervoit de re-
tranchement , la religion leur donnoit
des armes, le jeûne ks fortifioit, Tauf-
térité les rendoit terribles aux puifiTances
de l'enfer , & néanmoins ils fe regar-
doient déjà comme vaincus dès qu'ils
venoient à fe relâcher dans leurs obfer-
vances laborieufes , tant ils étoienr sûrs
que l'oifiveté étoit infailliblement fuivie
d'une multitude innombrable de péchés^
Sur l'Oisiveté. 29/
Que dois-je efpérer, moi qui n'ai aucuri
de ces avantages , moi qui vis au niilieii
du monde comme dans un pays décou-
vert à toutes les attaques du démon , moi
qui veille fur mes fens ? que puis -je me
promettre, fi avec tout cela j'ouvre en-
core à mon ennemi la plus large porte
du péché , qui eft l'oiuveté volontaire ?
N'eft-ce pas agir de concert avec lui,
& lui livrer mon ame ?
Voilà , mes Frères , difoit Saint Am-
broite , ce qui énerve aujourd'hui dans-
nous la force & la vigueur de l'efprit
chrétien : au milieu ^des perl'écutions le
Chriftianifme s'eft foutenu , & il n'eft pas
Croyable combien les travaux & les fati-
gues qu'il a eu alors à eiTuyer, ont con-
tribué à fon accroiiTement & à Ton aiter-
miffement ; mais maintenant , ajoutoit ce
grand Evêque , c'eft la paix qui nous cor-
rompt , c'ell la douceur du repos qui rend
notre foi languiffante, c'eft le relâche-
ment d'une vie inutile qui caufe tous nos
/*cand?.les , & il arrive par un effet aulii
furprenant que déplorable , que ceux qui
n'ont pu êcre domptés par la violence
des fupplices , le font honteufement par
Je défordre de roihveté : Nunc tentant Amhr*
otia , quos bdla non fregcrunt. Paroles ,
Chrétiens , qui conviendroient encore
bien mieux à notre fiecle qu'à celui de
Saint Ambroife ; car diibns la vérité,
?'ii y a de luinoceace dans le monde >
fit^S Sur l'Oisiveté.
eu efl elle, finon dans les conditions Sc
dans les états ou la loi du travail eft in-
v'olablsnientcbfervée ? Parmi les grands,
les nobles j les riches , c'eiVà-dire panr.i
ceux dont la vie n'eft qu'amufements 6.C
que mollelle', ne cherchez point la vraie
piété Ôc ne vous attendez point à \^ trou-
ver la pureté des mœurs ; ce n'eil plus
là qu'elle habite, dit le Patriarche Job;
Joh. Non invenitur m terra fuaviter viveniium,
£. z§. Où eil-ce donc qu'elle peut fe rencon-
trer ? dans les cabanes d'une pauvre.;^
fainéante , qui n'a point d'autre occup;i-
tion que la mendicii^ ? non , Chrétiens ,
roifiveté perd auiîi-bien ceux-là que les
riches, & ce genre de pauvres , qi:5
Jefus-Chrift ne reccnnoît point, eft cgi-
ieraent fujet au libertinage. Oli eft-ce
donc enf.n que rinnocence eft réduite l
je vous l'ai dit ; à ces médiocres états
de vie qui rubfiilent par le travail ; à ces
conditions moins éclatantes , m:..is plus
ailurées pour le falut, de marchônds en-
gages dans les foins d'un légitime négo-
ce , d'artifans qui mefurent les jours p:^r
l'ouvrage de leurs maiias , de ferviteurs
qui accom.plifTent à la lettre ce précepte
<livin , vous mangerez félon que vous tra-
vaillerez, In laboribvs cumedes ; c'eft-là
encore une fois qu'ed l'innocence, parce
€jue c'ei^-là qu'il n'y a point d'oifiveté.
Concluons, mes chers Auditeurs, cette
:preruiere partie p;ir l'impo-rt^nt ayis que
Sur l' O I s I V £ te. 299
6-onnoit Saint Jérôme à un de Tes difci-
ples ; Facïîo femver aliq-'uid opcris , ut U HîsroJh
Deus aujL Diabolus inveniat occupatum ;
faites toujours quelque Giiore,ann que
Dieu ou le démon vous trouve toujours
occupé. Si le démon vous voit occupé ,
il n'entreprendra point de vous tenter^
& fi Dieu vous trouve appliqué au tra-
vail , il n'aura point de quoi vous punir.
Sans cela vous vous rendez criminel ,
parce que vous manquez à un devoir que
vous inipoie non- feulement la qualité de
pécheur, mais encore la qualité d'homme
attaché dans le monde à une condition
particulière ,comîr;e vous l'allez voir dans
la féconde Partie.
C'EsT une vérité inconteil:rri)ie»Chré- ÎI»
tiens, que toute condition dans le Part.
irionde eft fujette à certains devoirs , dont
î'accompliiTement demande du travail eC
de la peine ; & c'eft une autre vérité
qui, pour être peu reconnue, n'en ed
pas moins folidcment établie , que plus
une condition eft relevée dans le monde,
plus elle a de ces engagen?jents, auxquels
il eft impofiïble de latisfaire fans une
application conftante 6c afîidue. Com-
prenez , s'il vous plaît , cette morale ,
ciui vous paroîtra , de la manière que
je vous la ferai concevoir , très- con-
forme à la fainteté & à la fageffe du
J^hriiliaTiira'ie, Je foutiens que toute
N vj
$oô Sur l'Oisiveté;
condition dans le monde eft fujeîte à iTas
devoirs pénibles , & le Dofteur angéli-
que Saint Thomas en apporte la raiibn ,
parce qu'il n'y en a aucune , dit-il »
dont la perfection ne Ibit attachée à
une règle qui ne peut changer ; à une
conduite égale qu'il faut obferver ; à
tdes adions faites dans l'ordre dont il
îi'eft pas permis de fe difpenfer. Or tout
ce qui porte ce caractère eft un travail
Î)our l'homme , & les mêmes cliofes qui
ui feroient d'ailleurs agréables, le fati-
Iguent , du moment qu'on lui en fait
tine loi a &. qu'elles lui tiennent lieu de
devoir.
Voyez , ajouta Samt Thomas , la
preuve de cette maxime dans une in-
duction particulière. Si vous confidérez
la différence des âges, com.me les vieil-
lards dans la fociété civile font ordinal*
yement chargés du poids des affaires
pour en avoir la dire£lion , c'efl rux
jeunes gens un partage naturel d'en fou-
îenir l'exécution ; commue il appartient
a ceux-là de conduire & de gouverner,
^'obligation de ceux-ci efl de fe former
& de s'iniiruire ; & Saint Augufiin avoit
de h peine à conclure lequel des deux
ctoit d'un plus fâcheux affuiettiffement,
5i vous avez égard à la diverfité des
iexes 5 comm.e l'adminiflration de la ]uf-
tice & des offices militaires efl du reffort
de^ l'homme, les foins domefiiques par
Sur l* Oisiveté. 301
une difpofition de Dieu font réfervés
pour Id femme , & fi vous méprilez cet
emploi , c'eit que vous n'en connoii-
fez ni Timportance ni h difficulté ; car
Salomon qui étoit plus éclairé que nous ,
& le Sainî-Efprit même qui n'ufe point
d'exagération , cherchoit pour l'exercer
dignement , une femnie forte , Mulie~ Prov:,
rem forttm quïs inveniet ? & la louoit c.j:*
de railiduité avec laquelle elle s'en étoit
acquittée , comme d'une chofe héro'i-
flue : Manum fuam mijit ad fortia , 6* im^
digiti ejus apprchenderunt fufum. Si vous
vous arrêtez aux diftin6lions de Va naif-
fance & de la fortune , comme les petits
par nécelTité doivent s'employer pour
les grands , les grands par juftice &. par
charité doivent s'employer pour les
petits ; comme les riches font en poiTef-
fion de jouir du travail des pauvres ^
les pauvres font en droit de profiter du
travail des riches. Voilà donc pour tous
les états du monde une loi univerfelle
& néanmoins pro-portionnée à la nature
d'un chacun \ car de tous ceux que je
viens de m.arquer , chacun a fes enga-
gements particuliers ; les Rois font obli-
.gésà une efpece de travail, 6c non pas
à un autre ; l'occupation d'un Juge efl
différente de celle d'un artifan ; mai la
loi de s'occuper &. de travailler , eft
commune à tous , & il n'y en a pas ua
feul que le devoir de fa condition n'y
a(rujetîiire.
50î Sur l'Oisiveté.
Je dis plus : car ie prétends qu'à mefure
qu'une condition eft p!us élevée , elle eik
plus ûijette à ces devoirs qu'on ne peut
accomplir fans une aéiiona(îidue& conf-
iante ; ôc c'eft ici qu'il faut encore une
fois que vous vous détrompiez des fauf-
fes idées que vous ^vei. des chofes , Si.
d'une erreur pernicieufe où le monde
vous apeut-êire jufques à préfent entre-
tenus ; car la grande erreur du monde e(x
de croire que l'élévation , le rang, la
dignité font autant de droits acquis pour
le repos , & pour la douceur de la vie.
Mais la foi nous dit tout le contraire, &
la raifon eft que plus une condition eft
élevée , plus elle a de grandes obligat'or.s à
remplir: tellemient qu'il en va dans l'ordre
politique ÔC dans la religion , ccm.me
dans l'ordre de la nature ; plus les caufes
font univerfeilts, plus ont- elles d'aélion^
ôc en doivent-elles avoir pour le bien des
caufes particul ères qui leur font fubor-
données. Ainfi voyons- nous les cieux Sc
les aftres , qui font lur nos têtes , dans un
mouvement perpétuel , fans s'arrêter une
fois j 6i fans ceiler de répandre leurs
influences. Qu'eft- ce qu'une dignité , j'en-
tends fur-tout dans les principes du chrif-
tianifme , finon une fpécieufe fervitude,
dit Saint Bafile de Seleucie , l::quelie obli-
ge un homme, fous peine delà dam.na-
tion , ce slntéreffer pour tout un peuple,
comme tout un peuple (ii\ obligé de s'in-
téicfler ^our lui l Qï il eft JnÊniKiÇfiJ
Sur l'Oisiveté. 5^^
plus onéreux à un feul de travailler pour
tous , qu'à tous de travailler pour un
fcul.
Dieu l'a ainfi ordonné , Chrétiens ^
pour deux raiions qui font admirable--
ment paroitre le loin qu'il a de notre
faku. La première eft , ielon la remar-
que de Saint Bernard , afin que les di-
gnités & les conditions honorables , qui
lont des expreffions de ù gloire , ne de-
vinaient pas les iujets de notre vanité ,
car Cl je luis fage & fi je r^ifonne b^en ^
la grandeur Ôc l'élévation démon état,
au lieu de flatter mon orgueil , fera pour
moi un fonds d'humilité & de crainte,
dans la penfée que plus je fais grand,
plus j'ai d'obligation devant Dieu dont
je ne puis m'acquitter que par mon tra-
vail. Ah ! s'écrie Saint Bernard , écrivant
au mcm.e Pontife dont j'ai dé;à parié,
ne vous laiiTez pas enfler de la pompe
qui vous environne , puifque le travail
qu'an vous a irnpcfé eft encore plus grand
que votre dignité: vous êtes fucceiïeur
des Prophcics & des Apôtres, & j'ar de
ta vénération pour votre qualité : mais
que s'enfuit- il de-là ? que vous de-
vez donc vivre comme les Prophètes &
les Apôtres. Or écoutez comment Dieu
parloit à fon Prophète : Je t'ai établi,
lui difoit-il , pour arracher & pour dé-
truire , pour planter & pour édifier , &c
qu'y a-t-il en tout cela qui refiente le
faite ? Imaginez- vgus . pouifuic le jiujît.s
304 Sûr l'Oisiveté;
Père , que vous êtes aufîï grand que
Jéremie : mais apprenez donc en mêrrie
temps, que vous occupez la place où
vous êtes, non pour vous élever ^ mais
vour travailler. De plus, ajoute encore
ce faint Docteur, les Apôtres vos pré-
décefTeurs , à quoi ont-ils été deftinés ?
il recueillir une moiffon cultivée par leurs
foins , qL arrofée de leur fueurs. Main-
tenez-vous dans l'héritage qu'ils vous
ont tranfmis , car vous êtes en effet leur
héritier ; mais pour faire voir que vous
Têtes , il faut que vous fuccédiez à leur
£ern. vigilance & à leurs fatigues : Sed ut pro^
bes hœredem , vigilare debes ad curam»
Car û vous vous relâchez dans les déli-
ces & les vanités du fiecle, ce n'eft point
là le partage qui vous eu. échu par le
teftament de ces hommes apoftoliques ;
mais quel eft-il ? le travail & les fouf-
frances : In lahùrïbus plurirnis , in car ce-
ribus abundantihs. Comment donc pen-
ferez-vous à vous glorifier lorfque vous
n'avez pas même le ioifir de vous repo-
fer ? 6c le moyen d'être oifif 6c tran-
quille , quand on efl chargé de toutes les
Eglifes du monde ?
La féconde raifon qui fuit de la pre-
mière , c'eft pour empêcher que les gran.
des fortunes & les états de la vie plus
relevés ne ferviiTentà exciter rambitioii
des hommes ôc à l'entretenir ; car c'eJÎ
jjien notre faute , Chrétiens , quand nous
ibmmes après teJ^ ii paÛioDnés pour k^
Sur. l'Oisiveté. 305:
grandeurs & les dignités , foit du fiecle,
lûicderEglife, puilque les charges qu'el-
les portent avec elles , devroient plutôt
nous les faire appréhender. 11 eft donc
indubitable que plus un état eft diftingué
félon le monde , plus il eft onéreux dc
pénible félon Dieu.
Mais que faut- il conclure de- là ? deux
chofes que j'ai déjà prooofées , & ou j'en
veux revenir : fçavoir ^ qu'il n'y a point
d'état & de profeiîion où i'oifiveté ne
foit un crinîe , 6c qu'elle i'eft encore
Élus dans les états fupérieurs aux autres.
)ites-moi un genre de vie où l'hom-
me puiiTe être oifif fans manquer aux
devoirs eftentiels de fa confcience ; Si
pour ne point fortir des exemples que je
Tiens de marquer , fi ce jeune homme de
quahté paile fes preiTvieres années dans
les divertiiTements & les plaifirs , com-
ment acquerra-t-il les connoiftances qui
font le fondement néceft^ire fur lequel
il doit bâtir tout ce qu'il fera un jour ^
N'ayant pas ces connoiffances , comment
fera-t-il capable d'exercer Ids emplois
où on le deftinera ? 6c s'engageant dans
ces emplois avec une incapacité abfo-
lue , comment pourra- t-il s'y fauver ?
Quoi donc, Dieu lui donnera- t-il une
fcience infufe au moment qu'il entrera
en poffeftion de cette dignité ? Commen-
cera-t-il à s'inftruire , lorfqu'il fera quefr
tion de juger & de décider ? Fera-
t-il l'apprentiffage de foa ignorance aux
3o6 Sur l'Oisiveté.
dépens d'îiutrui ? Jurîifiera-t-iî fcs fautes
è'^ les erreurs par Foiriveté de fa jeunefle ?
Dira-t-il qu'il eu excufable parce qu'il a
prodigué Ion temps , qui lui devoir être
d'autant plus piécieux qu'il ne pouvoit
plus être repiié ? Cependant , Chré-
tiens , rien de plus commun ; car fi le
monde eft aujourd'hui plein de fujets
indignes & incapables de ce qu'ils font,
il nen fâut point chercher d'autre prin-
cipe; la vie pareffeufeÔc inutile des jeunes
gens eii la caufe principale de ce défor-
dre , Si ce défcrdre la fource funefte de
leur réprobation. Ah ! mes chers Audi-
teurs, n'eft-il paâ honteux de voir la
févénté de difcipliné avec laquelle les
païens éicvoient leurs enfants dans tous
les exercices laborieux ciue leur âge pou-
voir fouteair, ( u nous en croyons les
hiiloriens profanes , cette rigueur alloit
à l'excès,) 6c de canfidérer d'ailleurs
la molle condefcsndance d'un père chré-
tien à fouftrir les fiens dans une oifiveté
licentieufe ? N'accufons point abfolument
tous les pères chrétiens ; il y en a là-def-
fus de plus raifonnables , & plût à Dieu
qu'ils le fufient dans les vues de leur re-
ligion 1 Les Princes & les grands du
inonde tiennent leurs enfants fujets» par-
ce qu'ils font confiner leur gloire à les
perfectionner félon le monde ; les pau-
vres & les petits ont foin de les mettre
en œuvre pour en tirer des fervices : mais
vous , Chiéiiens , que Dieu pour la
Sur l' Oisiveté. 30^^
plupart a placés entre ces deux extrémi-
tés , permettez- moi de vous le dire ,-
TOUS n'avez fouvent fur cela nul zèle. Si'
vous remarquez dans vos mailons uit
domeftique oillf , vous fçaver bien 1®
relever du défordre de la parclTe ; mais
qu'un enfant ne s'applique à rien , qu'il
fe relâche dans fes exercices , qu'il né-
glige Tes devoirs , c'eft à quoi vous n'êtes
gueres attentifs. Lequel des deux eft îe
plus coupable , ou le fils dans ion oifive-
té, ou le père dans Ton indulgence? je
ne dis pas coupable devant les hom-
mes , mais coupable devant Dieu : c'etV
un point qu'il injporte peu maintenant
de réfoudre. Ce qu'il y a de certain,^
c'ell que l'un & l'autre elî criminel & •
fans excur3.
Difons le même des autres exemples-»
Je ferois infini fi j'entreprenois de les
parcourir tous : fi je vouiois vous met-
tre devant les yeux tout ce que l'igno-
rance d'un Juge peut produire de maux
dans i'adminiltraîion de la juftice ; tout
ce que la négligence d'un Prêtre chargé
de la diredion des âmes , peu^ cauler
de défordres dans les fonctions de ion
miniftere ; défordres d'autant plus grands
en toutes les conditions , que l'état eft
plus éminent. Car il ne faut pas feule-
iTient traiter alors de crime l'oifiveté,
c'sft comm^ un renverfement général de
la lociété des hommes ; & pour le com-
prendre, nous n'avons qu'à nous feivir
jo8 Sur l'Oisiveté.
de la comparairon de faint Chryfoflome ',
cile eft tout-à-t'aic natureiie. Car s'il arri-
voit , dit c€ Père, qu'une étoile de la
dernière grandeur interron",pit Ton cours ,
& qu'elle perdit toute fa vertu , ce fe-
roit un détaut dans le monde , qui né^n-
inoins n'y teroit pas une grande altéra-
tion. Mois fi le foleii venoit à s'obTcur-
cir tout-à-coup , & que toute fon a6^icn
fût fufpendue , quel trouble & quelle
confufion dans l'univers ? 11 en eft de
même des états de la vie. Que dans
une condition çiédiocre un homme ou-
blie & néglige Tes devoirs, le préjudice
qu'en reçoit le public ne s'étend pas
toujours fort loin , & fouvent cet hom-
ïT.e ne fait tort qu'à lui-même : mais
qu'un grand, m.ais qu'un Prince , mais
qu'un Roi , fi vous le voulez , aban-
donne la conduite des affaires , c'eft
comme l'éclipfe du premier aftre , qui
fait fouffrir toute la nature. Il me fem-
ble que cette vérité n'a pas befoin d'autre
preuve.
Cependant pour conclufion de ce dif-
cours , vous voulez fçavoir encore plus
précifément , mes chers Auditeurs , quel
eft ce péché de l'oifiveté que je combats,
& en quoi confifte fa malice : je n'ai plus
que deux mots à vous dire , mais qui
demandent toutes vos réflexions. Qu'eft-
ce donc que de fe relâcher dans fa pro-
feflion , & d'y vivre fans le travail qui
lui eftpropre : Ah ! Chrétvsns^, concevez;
Sur l*Oisiveté. 309
le une fois , le voici : c'eft pervertir
l'ordre des chofes , c'eft être infidèle k
la providence , c'eft déshonorer Ton état,
6l par" une fuite néceiïaire, mais bien
terrible, c'eft engager fa confcience ÔC
s'espofer à une éternelle réprobation.
Prenez g^.rde : je dis que c'eft pervertir
l'ordre des chofes ; pourquoi ? parce
que dans l'ordre des chofes le repos n'eft
pas pour lui-même, mais pOur le tra-
vail , & que c'eft de la nature du travail
& de fa qualité que dépend la mefure
du repos. 11 faut , difoit Cafnodore ,
ce grand miniftre d'état , que la répu-
blique profite même de nos divertifle-
ments , & que nous ne cherchions ce qui
eft agréable, que pour accomplir ce qui
eft laborieux. Su etiam pro repuhlicà , Ca£io4{
chin ludere vidcmur ; nam ideb voluptuo^
fa quccrimus , ut ferla compleamus. Mais
vous, vous aimez le repos m.ême , &
yous ne cherchez dans le plaifir que le
plaifir. Je dis que c'eft être infidèle à la
providence : car Dieu en vous appellant
à cet état, a fait comme un paéle avec
vous ; il vous a dit : Prenez cette con-
dition , mais prenez-la avec toutes Tes
charges : il y a des profits & des hon-
neurs ; mais il y aufîi des travaux & des
foins : je veux que vous en ayez l'utile
6c l'honorable ; mais je veux en même
temps que vous en portiez la peine &
le fardeau. Et c'eft pour cela , remar-
<^ue l'Abbé Rupert , que Diçu c[ui eft
5 îo Sur l' O i s i v e t é,
infiniment jufte , a proportionné les don»'
ceurs de la vie aux devoirs onéreux de
chaque état ; il a attaché à la Pvoyautç
^'indépendance , la magnificence ^ les plus
grands honneurs , parce qu'il y a du refte
attaché les plus grands travaux. Mais que
faites -vcus, Chrétiens ? vous féparez
ces douceurs du travail qui y doit être
joint , & dont elles ne font que le foula-
gement ; vous cherchez les unes dans
votre condition , & pour l'autre vous le
fuyez &: vous vous en dirpenlez. Je dis
que c'eft déshonorer votre état , parce
que c'eft Texpoler au mépris , à la cen-
fure , à la haine , à îenvie publique. Car
qj'y a-t-il de plus méprifable qu'un
grand du monde , qu'un rriiniirre des
Autels , qu'un magiftrat dont les jour-
nées ôc route la vie le confument en de
frivoles arriufements , lorfqu'elles pour-
roient être employées aux foins les plus
importants ? Le bel exemple que celui
du faint Empereur Valentinien le jeune \
écoutez -le , Chrétiens, tel que Saint
Ambroife le rapporte dans l'éloge funè-
bre de ce Prince. Entre mille autres qua-
lités qui le diftinguerent , il eut fur-tout
ce zèle, de ne pas avilir fon rang par
une oifiveté qui n'ed que trop ordinaire
à la Cour, 6i il n'oublia rien pour fatis-
faire fon peuple fur quelques bruits qui
s'étoient répandus contre fa perfonne.
On difoit qu'il fe plaifoit trop aux jeux
•6c aux exercices du virque ; il y renonça
Sur l' O I s î V e t e. 311
tellement , qu'il ne voulut pas ir.eme les
permettre dans ies fctcs les plus folem-
neiles; Feretstur cïrcenfibus dcUdari ; fie Âmlr^
illud abflulk , ut ne fulemnlbiis quidem
Pnncipum nataiibus pu-iaverit ceUbrandos^
Quelques-uns trouvoient qu'il dcnnoit.
trop de temps à la chade ; il fit tuer
clans un jour toutes les bêtes rélervées
pour fes divertifTements : Credehjnt ali- Utnit
aui Tiimiàm vsnabulis occupari ; omnes
feras uno momenio jujjlt interfici, Vorr.Qis
ie refte qui fuit , & qui devroit couvrir
^e confaîion je ne fçais combien de gens
fortis dç la pouiiiere où ils étoient nés ,
& placés dans des poftes honorables , oii
Hs ne voudroicn: pas perdre un moment
l3e leur repos pour toutes les affaires du
monde , fi ce n'eft que leur intérêt s'y
trouve mêlé.
Quoi qu'il en Toit de tout autre inté-
rêt, je dis que celui de la confcience &
é\x falut y ei\ engagé. Car renverfer ainfi
Tordre des choies , aller ainu contre les
vues de la Providence y manquer ainfi
aux obligations de fon état , tout cela
peut-il s'accorder avec la conicience &
avec ie falut ? Pourquoi y êtes- vous dans
cet état , fi vous n'en voulez pas remplir
les devoirs ? & pourquoi êtes-vous dans
la vie, fi vous n'y faites rien ? Qu'eft-
ce aux yeux même du monde qu'un
homme inutile ? à quoi parvient- il ? &
fi dans le monde même on ne peut par-
>'ep.ir à jisn &n§ travail , efpérom-nous
311 Sur l' O i s i v e t f .
obtenir plus aifément les récompenfes
du Ciel ? Quand au moment de h mort
nous ferons obligés de dire à Dieu ,
Seigneur , je n'ai rien fait ; que nous
répondra-t-ii , fmon , je n'ai rien à vous
donner ? Souvenons-nous fans cefTe du
ferviteurpareffeux de l'Evangile 3 & n'ou-
blions jamais l'arrêt que fon maître
prononça contre lui en le faifant jeter ,
pieds & mains liés , dans une obfcure
prifon. Car voilà comment nous avons à
craindre d'être précipités dans les ténè-
bres de l'enfer , parce que de n'avoir
rien fait , lorfqu'on pou voit & qu'on
devoir agir, c'eft un grand mal. Delà,
mes chers Auditeurs , que chacun de
nous étudiant ù condition & l'état ou
il eft appelle , s'applique férieufement &C
régulièrement à un exercice honnête qui
lui puiffe convenir , à un travail affidu ,
fur-tout à un travail chrétien. Ne dites
point que vous ne fçavez à quoi vous
occuper ; vous l'aurez bientôt appris,
dès qtie vous voudrez de bonne foi vous
tirer de l'oiriveté criminelle où vous de-
meurez endormis. Et c'eft par votre
vigilance & par vos œuvres que vous
mériterez de recevoir le falaire que le
Père de famille donne aux ouvriers qui
ont travaillé dans fa vigne : ou , peur
parler fans figure , c'eft par-là que vous
mériterez d'avoir un jour part à cette
gloire immortelle que Dieu vous a
promife, ôc que je vous fouhaite , &c.
SERMON.
5n
SERMON
POUR
ije: dimanche
DE LA SEXAGÉSIMEo
vS'.vr /i2 Parole de Dieu,
"Semcn eH; verbum Dai.
is boi .grain , c*e_/? ^d parole de Dieu. En faint
Luc , chap. 8.
PUISQUE Jems-Chrift , lafagefTe & la
vérité éternelle, a lui-même pris foin
de -nous expliq^aer la parabole de notre
EvcUigi'e , il ne nous eu point permis ,
mes Frères , d'y donner un autre fens ,
& lîous n'en pouvons iaire une plus julte
rii nn^plus tbiide application. 11 eft léu-
lement queftion de {"avoir -fi voas êtes de
•cette terre où le bon gr-jin de la parole
de Dieu , -ayant jette de tbrtes racines ,
terme en {on temps , croit & s'élève ,
L par une heureuie fécondité rend une
abondante récolte : c'eft- à-dire , pour
Domin, Tom, /, O
314 Sur la Parole de Dieu."
nous en tenir toujours à la penfée &
à l'interprétation de notre adorable
Maître , qu'il s'agit de {"avoir fi vous
êtes de ces cœurs vraiment chrétiens, de
ces cœurs droits , de ces cœurs parfaits ,
qui faintement difpofés à écouter la di-
vine parole , la retiennent, la méditent,
s'en font une nourriture ordinaire ; &
par une perfévérance invariable dans les
voies de la piété, par un exercice conf-
iant de toutes les œuvres d'une vie agif-
fante & fervente , lui laiflent déployer
toute fa vertu , & rapporter tous les fruits
de fainteté qu'elle peut produire. Car
voilà en termes formels comment le
Sauveur du monde nous les a marqués :
Luc. Quod autem in bonam terram , hifunt gui
^' ^' ïn corde bono & optïmo audientes , verbum
retinent , & frutîum afferunt in patientia.
Depuis tant d'années, mes chers Audi-
teurs , que dans cette chaire on vous
parle au nom du Seigneur , quels mi-
racles fa parole n'auroit-elle pas opérés
pour l'édification de vos âmes , fi elle y
eût trouvé de femblables difpoutions ?
Mais de quoi nous ne pouvons affez
gémir , c'efl de la trifte décadence où.efl
tombé le miniftere évangélique , 8c où il
tombe encore tous les jours. Car quoi-
qu'il y ait plus de prédicateurs que ja-
mais pour l'exercer, quels fuccès voyons»
nous de leurs prédications ? quels abus
ont-ils corrigés , quels fcandales ont-^
ils retranchés ? quelles victoires vous^
Sur la Parole de Dieu. 31c
ont-ils fait remporter fur l'enfer , fur le
îTonde , fur vous - mêmes , & à quel
degré de perfei!;^ion vous ont-ils élevés ?
Ert-ce que votre grâce, ô mon Dieu,
r/accompagne plus votre parole ? Ed-
ce que vous nous laiiTez , félon l'ex-
preffion de votre Apôtre , planter ÔC
arrofer ; mais qu'il ne vous plait plus
de donner, comme autrefois, i'accroif-
fement ? Deus incrementum dédit. ^Ne /, Cor.
îious en prenons point à Dieu , Chré- c j,
tiens, ni à fa providence : ne remontons
point fi haut pour aller jufqu'à la fource
d'un mal qui ne vient que de vous, ÔC
qui ne doit être imputé qu'à vous,
ruiiîîez-vous , après en avoir connu le
principe que je vais vous découvrir, y
appliquer le remède ! C'eft pourquoi je
demande le fecours du Ciel par Tinter-
cefîion de Marie. Ave Maria.
C 'Est une belle penfée de S. Bernard
& qui renferme pour nous un grand
fonds de moralité , que trois principes
ont concouru à nous donner, quoique
diverfement , la divine parole ; favoir ,
la Vierge , l'Eglife & la Grâce. La
Vierge nous l'a donnée revêtue d'une
chair femblable à la nôtre , pour nous
la faire voir : l'Eglife nous la donne
fous des fons qui frappent nos oreilles ,
& par le miniflere de la voix , pour
nous la faire entendre ; enfin la grâce
Oij
3i6 Sur la Parole de Dieu;
par rinfufion du Saint-Eiprit , nous Tin^
finue dans le cœur, pour nous en fair^
Bern. p^'^'^'^^r : Verkum Maria vcflitum carne ,
Ecdefia vejlitum fcrmone , gratia tradit
amplexandum Spirïtûs SutïHï infufione. Sî
Marie ne l'avoit pas reçue dans fon
fein y elle n'auroit pu nous h donner
vifible & palpable. Si l'Eglife ne la taii'oit
pas retentir aux oreilles du corps , nou^
ne pourrions l'entendre fennblement ,
ni la recevoir de la bouche des prédi-
cateurs ; & fi par l'aôrion de la grâce elle
ne pénétroit jufques dans nos anr.es , elle
îî'y feroit nulle împrefTion , &. n y pro-
duiroit aucun fruit. Mais , ajoute le
xnême Saint Bernard , cette parole indi-
viribie & une en elle-même, fe com-
munique à chacun félon la diverfité des
fujets & leu»-s différentes difpolitions ;
de forte qu'elle nous devient ou utile
ou inutile, à proportion qu'elle trouve
nos cœurs bien ou m.al préparés. D3
là vous voyez , Chrétiens , de quelle
importance il eft pour vous d'apprendre
à la bien recevoir , & de ccnnoitre ce
qui en arrête tous les jours les falutaires
effets. Mais parce que vous pourriez être
peu touché de cette flqrilité de la divine
parole fi vous en ignoriez les terribles
conféquenccs , il faut en m^me temps
vouj. faire voir à qv.ci vous vous expofeï
en ne profitant pas d'un don fi précieux ^
^ voici deux propcfuions que j'avance.
Sur la Parole de Dieu. 31^
La parole de Dieu vous eft inutile , parce
que vous ne la recevez pas comme parole
de Dieu ; c'eft la preaiiere partie. Et
dès que par votre faute , cette faince pa-
role vous eft inutile , elle devient le iujet
de votre condamnation devant Dieu ;
c'eft la féconde partie. En deux mots , j'ai
a vous montrer pourquoi vous profitez
fi peu de la parole que nous vous prê-
chons ; & comment dès lors cette parole
de falut , par le plus funefte renverfe-
ir.ent , doit fervir de matière à votre
réprobation : voilà tout mon deffein.
POuR entrer dans la preuve de la L
première propofition que j'ai avan- PaRT^
cée j il faut , s'il vous plait , que nous
établiftions d'abord ce principe fonda-
mental; favoir, que Dieu vous parle par
la bouche des prédicateurs , que c'eil la
parole de Dieu qu'ils vous annoncent ,
& que dès là qu'ils, ont une million légi-
time de l'Eglife , vous ne devez plus les
écouter comme des hommes, mais qu'ils
font à votre égard les organes & les in-
terprètes de Dieu même 5c de fon Saint-
Efprit. Ainfi le Sauveur du monde le
faifoit-il entendre à fes Apôtres , lorf-
qu'il leur difoit : Quand vous prêchez
mon Evangile , ce n'eft point vous pro-
prement qui parlez , mais c'eft l'efprit de
votre Père célefte qui s'explique par
vous ; Non eflis vos qui loquimini , fed ^^tth
fpiritus Patris veftri qui loquitur in vobis, g, ,0. *
O iij
3iS Sur la Parole de Dieu.
Les Apôtres étoient envoyés pour cela,
& c'eft pour cela même que nous avons
été choilis : c'eft , dis-je ^ par l'ordre
XTîême de Dieu & de fon Eglile que nous
montons, mes chers Auditeurs, dans la
chaire de vérité , pour vous inuruire.
Sans cette miffion de Dieu & de Jefus-
Chrift Ton Fils unique &L l'homme-Dieu,
vous ne feriez plus obligés de recevoir
nos inftru6^ions , ni d'écouter nos pré-
dications comme la parole de Dieu ,
parce qu'elles ne leroient plus alors ,
pour m'exprimer de la forte , marquées
du fceau de Dieu.
Et voilà ( fouffrez , mes Frères , que
J'en fade ici la remarque ; c'eft le lieu
de la faire , & il eft important que vous
la fafTiez avec moi , vous que l'erreur a
tenus fi long-temps féparés de nous ,
mais que la grâce d'en haut, par le plus
heureux retour , ramené tous les jours
dans le fein de la vraie Eglife , notre
commune & feule mère,) voilà Tune
des plus edenti^îlles différences qui fe
rencontrent entre nous & les minières
de cette Eglife proteftanteoîi vous eûtes
le malheur de naître. Ils avoient tout le
refle , fi vous voulez ; mais cette milhon
leur manquoit : c'étoient des hommes
fçavans 6i éloquens , tant qu'il vous
plaira ; mais ils n'avoient pas ce carac-
tère d'hommes envoyés de Dieu , & l'on
Rom. pouvoit toujours dire d'eux : Quomodà
'*. 10. pradkabunt i nïji mittantur ? ^ommeat
Sur la Parole de Dieu. 319
prêchent-ils , puilqu'ils n'ont point été
députés pour cela ? Car qui les envoyoit?
étoit-ce l'Egl-ie Romaine, ou étoit-ce
une autre Eglife ? étoit-ce Dieu immé-
diatement , ou de leur autorité particu-
lière & d'eux-mêmes s'étoient-ils confli-
tués pour enfeigner ? Vous fçavez, mes
Frères , l'embarras où cette difficulté les
jetolt ; & ceux d'entre vous qui furent
de meilleure foi & plus intelligents dans
jeur religion , n'ont pu difconvenir que
c'étoit là un des articles qui leur caufoit
le plus de trouble , un des points où ils
fentoient plus le foible de leur créance,
un des chefs fur quoi ils avoient plus de
peine à fe fatisfaire.
Votre confeirion de foi portoit que
ces réformateurs avoient été fufcités ^ &
pr'.r conféquent envoyés d'une façon ex-
traordinaire ; mais vous aviez trop de
lumière & trop de fens, pour ne pas voir
que cela fe difoit fans preuve. Car vou5
n'ignoriez pss que Luther & Calvin n'é-
toient venus , ni comme Moïfe dans
l'ancienne loi, ni comme Jefus - Chrift
dans la nouvelle, ou comme les Apôtres,
guériffant les malades , rendant la vue
aux aveugles nés , relTufcitant les morts
de quatre jours, confirmant leur Apofto-
ht par des fignes vifibles , éclatants , in-
conteftables , & qu'ainfi cette miffion
extraordinaire dont ils fe flattoient, ne
pouvoit leur convenir. Après avoir re-
connu, parce que vous étiez forcés de le
O iv
^lo Sur la Parole d£ DiEtr;-
reconnoître,que, félon la parole deDieui
nul ne fe doit ingérer dans le gouverne-
ment de rEglile , mais qu'il y faut être
appelle par une voie canonique, vous y
înettiez cette exception , autant qu'il ejl
pojffibie. Claufe que vous ajoutiez, con^me
porte expreiTén^ent Tarticle. Or en difant
ce que nous ajoutons ^ pouviez- vous avoir
oublié qu^ par un autre article il vous
étoit défendu de rien, ajouter à la paroie
de Dieu , & que vous tombiez , félon-
vos principes même , dans une contra-
diction inicutenable ?
Vous apportiez, pour motif Si en mê-
me temps pour preuve de cette miiiioa
extraordinaire, qu'il avoit Ikllu relever
l'Eglile défolée & tombée en ruine : m.ais'
inftruits comme vous l'étiez, & commie
vous l'êtes par la parole, mêm»e de Dieu,,
des prom.elfes que Jefus-Chrift a faites
à fon Eglife, vous fçaviez allez qu'elle
ne pouvoit jamais manquer, parce qu'elle
eft la colonne de la vérité , & que les
portes de l'enfer ne peuvent prévaloir
contr'elle. Ainfi le fondement fur lequel
vous vouliez en quelque forte établir la
miiTion extraordinaire de vos prétendus
prophètes, étoit encore plus ruineux que
leur miffion même.
Preffés de cet argument fi follde &C
fi convaincant , vous aviez quelquefois'^—
recours à la miiTion ordinaire ^ Se voua
prérendiez que les auteurs de la réforme
tavoient reçue de l'Eglife , comme
Sur la Parole de Dieu. 31Î
nous , dans leur ordination ; car dans U
diverfité des fentimens qui vous parta-
geoient fur ce fujet , on en venoit là.
Mais par là , mes Frères , vous confelTiez
donc malgré vous-mêmes & fans y penfer,
que cette Eglife Romaine étoit alors
la vraie Eglife , puifqu'il n'y a que la
vraie Eglile qui puitle envoyer les hom-
tr.es en qualité de payeurs & de miniftres
de l'Evangile : par là vous reconnoiffiez
donc que les auteurs de la réforme s'é-
toient. féparés de la vraie Eglife , & par
là enliu vous conveniez donc de l'obli,
gation où ils étoient d'y renirer.
Or qu'a fait Dieu , mes Frères , ea
vous y réuniffant ? Adorez le confeil
de fa providence , & voyez l'avantage
qui vous en revient ; il vous a tirés de
la confufion & du trouble , où il étoit
invpofiîbleque vos confciences,pour peu
qu'elles fulient droiîes & timorées , ne le
troublaflent fur cela : il vous a infpiré ÔC
fait prendre la réfolution de renoncer au
fchifme : au lieu de p:>fteurs fans auto-
rité, il vous en a donnés dont la mif-
fion eft certaine , eft fenfible , infailli-
ble. C'eft en cette qualité , mes Frères,.
que je parois aujourd'hui devant vous:
je ne fuis ni Elie, ni Prophète ; je fuis
un pécheur comme vous : mais quoi-^
que pécheur , je ne laiffe pas d'être le
ninirtre légitime de la paroJe de Dieu ;
c'el^ un honneur pour moi de vous l'an-
noncer , Se un honneur dont je fçais faire
Oy
322 Sur la Parole de Dieu*
toute Teftime qu'il mérite : mais suffi
eft- ce un honneur que ]e ne me fuis point
attribué, où je ne me fuis point ingéré,
que je n'ai ni ambitionné ni recherché,
un honneur où j'ai la confolation d'à-
Hehr. voir été légitimement appelle : Nec quif-
<:. J. quant fumit fibï honorem , fed qui voca-
îur à Deo. Je ne fuis point en peine de
juftiner ma million ; en voici la Iburce
immédiate : celui que Dieu vous a donné
pour Evêque & pour pafteur de vos
âmes , c'eft de lui que je tiens mon
pouvoir ; c'eft lui qui m'autoriie & qui
m'envoie , comme il eft envoyé lui-
rnême de plus haut. Ma fubordination à
fon égard Ôê l'obéiffance que je lui rends,
eft le titre de mon miniftere: je ne pré-
tends point être extraordinairement fuf-»
cité pour iniiruire ceux dont je dois
être inftruit , ni pour donner la loi à
ceux de qui je dois la recevoir ;, je
prétends en prêchant aux autres , être
moi " même dans la loumiïTion due à
l'Eplife 6»- à fes pafteurs. S'il m'arrivoit
de mêler mes erreurs particulières avec
les vérités que je vous annonce, je pré-
tends être redreiTé par eux , & )e vous
donne cette marque de ma mifTion , parce
que fans cela vous ne devriez pas m'é-
couter, & que je ne ferois plus un mi-
nière de Jefus-Chrift , mais un réduc-
teur dont vous devriez vous préferver.
Ma miflion même eft fi claire & ft au-
thentic^ue , que l'Egliie proteftame ne me
Sur la Parole de Dieu. 323
la ctifpute pas : car elle la reconnok fi
bien , que quoique dans fes principes ,
le baptême , pour être valide , doive être
conféré par un minii^re légitime ,(i dans
une rencontre j'étois em.ployé à conférer
ce Sacrement, elle le ratiHeroit (Se n'en
contellerolt pas la validité.'
Or voilà , mes Frères , l'avantage
dont je viens vous féliciter. Vous avez ,
ÔL dans ma perfonne, tout indigne que
je fuis, & dans ceux qui font revêtus du
même caractère que je porte, autant de
vrais miniitres pour vous difpenfer les
myfteres de Dieu : Sic nos exiftimet homo /^ ^^^
ut minijiros Ckrifli & difpenjatores myfr c. 4.
teriorurn Dei, AdrelTez-vous à eux , &
vous éprouverez leur charité ; confiez- '
leur vos âmes , &L Dieu par leur zèle
vous fanélitiera : ils ne foupirent qu'a-
près votre réunion : ne les privez pas
de la joie qu'ils auront en la voyant
entière & complette. Je fuis ici comme
le précurfeur Jean-Baptifte , la voix de
celui qui crie : Parme viam Domini : t. ^
préparez le chemm au beigneur ; ouvrez- c. 5.
lui vos cœurs pour recevoir fa parole;
car puifque c'elt de fa part & en fon nom
cjue je vous parle , c'eft fa parole que
je vous apporte.
Oui , Chrétiens Auditeurs , c'eft la
parole de Dieu ; & de là Saint Chryfof-
tome tire trois grandes conféquences
toutes praiit^jes &. pleines d'mftruilion
pour vous, PreRUv: ^ient , dit ce faint
Ovj
344 Sur la Parole de ETieu-,
Dofteur, il s'enfuit de ce principe, que
r.ous devons donc écouter les prédica-
teurs de l'Evangile comme Dieu même ,
parce que Dieu parlant en Dieu , veut
être écouté en Dieu , & puifqu'il parle
par l'organe & le miniftere des hommes ,
il veut être écouté comme tel en leurs
Deuter. perfonnes. Audi Ifra'ét ,à\{o\i-''A à fon peu-
tf. C, pie , & ûbferva ut facïas qucs. prczcepit tibi
Dominus : Ecoute, Iffaël , vaicl un com-
mandem^ent que je te fais, moi qui fuis
ton Seigneur & ton Dieu. Cependant ^
remarquent les Interprètes , ce n'étort
pas Dieu lui-miême qut parloir , c'étoit
un Ange qui formoit ces paroles dans
un corps emprunté ; mais il les pronon-
çoit de la part de Dieu, 6l voilà pourquoi,
il vouloit être entendu avec le même ref-
pe6t que Dieu. Secondement , pourfuît
Saint Chryfoilome , il faut encore inférer
de là que fi je reçois la parole de Diea
comme psrole des hommes , je ne fatisfars^
pas au précepte pofitif que ma religion
în'impofe, d'écouter la parole de Dieu-,
parce qu'en vertu de ce commandement
ii nV a point d'homme, quelque autorité,
qu'il ait d'ailleurs , dent je fois oblig-é
«d'entendre la parole ; c'efl ^^niquement
à celle de Dieu que je dois cette dé-
férence. Si donc au lieu d'écouter Dieu
qui me parle dans la prédicaticîi de
l'Evangile , j^ m'arrête feulement à
l'homme qui n'efl que fori-miniftre , je
31'accomplis, pasrifï-JT ûevoir elïentiei ,
Sur la Parole de Dieu. 5?^
qni m'engage comme Chrétien par une
îîécemté indiipenfable , à entendre la
parole de Dieu, puilque je fais nbftrac-
tion de Dieu , 6c que je n'ai plus d'égard
à fa parole.
Muis la troifietne & dernière consé-
quence à laquelle nous devons particu-
lièrement nous arrêter, ert que Dieu nous
parlant par fes prédicateurs , & que les
prédicateurs étant , pour ufer des termes
2e l'Ecriture, la bouche ce Dieu, Q_ujfi es
mtum cris ; ks entendre comnne hommes
fimpiement , c'eft Te rendre inutile la pa-
role qu'ils prêchent , &: renoncer à tous
les fruits de grâce que cette parole ell ca-
pable de produire : pourquoi cela , Chr^
tens "i la preuve en eft évidente , & je îa
fonde fur deux principes indubitables. Le
premier efi: , que cette force toute- puif-
lante de la parole de Dieu , fi hautem.enc
louée par le Saint-Efpiit , ne lui convient
pas en îani qu'elle procède de l'homme ^
mais en tant qu'elle efb de Dieu : de mê-
me, obferve Saint Hi'aire , que le Verbe
incréé n'a point de vertu, divine, qu'en
tant qu'il la reçoit de Dieu iun Père ai
qu'il procède de lui; Omnia milii tr.idita Mattrî^
junt à Paire meo ; rien de plus toibîe que c. ; j.
la parole des prédicateurs , piife feîon le
rapport qu'elle a feulement à leurs per-
fonnes. Elle n'a point de corps, dit Saifit
Bernard, point de fuhftance ni de Ibll-
dite ; elle frappe l'cir , & rien davantage-:
Aénm v-çrb^ruty undi 6" Virbum di^tiir, JBcrny
^i6 Sur la Parole de Dieu.
Ah ! mes Frères , continue-t-11 , ne jugez
point par-là de la parole de Dieu , & ne
la méprifez pas jufqu'à la contondre avec
Idem, la parole de Thomme : Nemo vejlrâm ,
Fratres ^fic accipiat ^ imb fie defpiciat Ver-
bum Dei. Car cette même parole qui
n'eft rien entant qu'elle part de ma bou-
che , h vous la confidérez entant qu'elle
vient de Dieu , a les qualités les plus
.agifTantes. C'eft un t'eu qui dévore, &
qui confume tout : ISumquïd vcrhj, mea
quafi ignis ? C'ell un marteau à qui les
pierres les plus dures ne peuvent réhfler :
'Jercm. Et quafi malUus conter ens petram. C'efi:
^. ^3- un glaive à deux tranchants , qui fépare
l'ame d'elle-même toute indivinble qu'elle
Hehr. eft : Penctrabilior omni gladio ancipiti ,
f. 4. pertingens îifque ad divifionem ammcE.
Mais elle n'a toutes ces propriétés que
comme parole de Dieu , & autant qu'elle
tire de lui fon origine.
L'autre principe non moins certain ,
c'eft que la parole^ de Dieu , ainfi que je
l'ai déjà oblervé , n'opère en nous que
félon la manière dont elle y eft reçue :
femblable en ceci aux caufes naturelles ,
qui ne produifent leurs effets qu'à pro-
portion qu'elles font appliquées à leur
fujet. Vous recevez la parole de Dieu
comme venant de Dieu , elle opérera
dans vous coinme parole de Dieu ; mais
vous l'entendez comme une production
de.i'efpric de l'homme, elle n'agira en
yous que comme parole de l'homme ',
Sur la Parole de Dieu. 317
& parce qu'il n'eft rien de plus inutile
au falut que la parole de l'homme , voilà
pourquoi , en l'écoutant de la forte , nous
lui taifons perdre à notre égard tonte fa
vertu Sl nous la rendons fi ftérile. C'eil:
ce qui arriva aux Juifs : Jefus-Chrifl: leur
annonçoit des vérités toutes divines , il
leur expliquoit les plus hauts myfteres &
leur enfeignoit les voies du falut ; il avoit
été envoyé pour cela ; c'étoit le Medie ,
c'étoit le Fils unique de Dieu : mais corn*
ment le regardoi'ent-ils ? Cet homme ,
difoient-ils, n'eft-il pas le Fils d'un arti-
fan? Nonne hic e(l Filius fabri? N'eft-ce Matth^
pas le Fils de Jofeph, ôc ne connoifibns- c z^-,
nous pas fon père & fa mère r Nonne hk Joan^
& Filius Jofeph , cujus novimus patrem' c» ^»
& matrem r" Or parce qu'ils ne s'élevoient
point au deffus de ce qui paroilToit en
lui d'humain ; parce qu'ils ne le confi-
déroient qu'en qualité d'homme , de là
vient que la parole de Dieu , fortant
même de la bouche d'un Dieu , ne faifoit
nulle impreffion fur eux , & que leurs
cœurs demeuroient toujours endurcis.
Mais quand au contraire , après la deC-
cente du Saint-Efprit fur les Apôtres, ils
commencèrent à prendre des idées plus
fublimes , & que les envifageant comme
députés de Dieu, ils fe rendirent atten-
tas à leurs prédications , Saint Luc nous
apprend quels fruits merveilleux ôc
abondants produifit tout à coup la pa-
role de Dieu, prêches même par des
3iB Sur la Parole de Dieu:
hommes & les plus fimples d'entre les
hommes. Saint Pierre au milieu de Jéru-
falem convertit dans un leul dilcours
jufques à trois mille de (es auditeurs : le
irême prince des Apôtres dans un autre
dilcours en gagna à Jefus-Chrirt juiques
à cinq mille. Les Egllfes de toutes parts
fe formèrent , TEvangile fe répandit , la
foi paffa jufqu'aux extrémités de la terre:
tout cela , par où ? par la parole de Diea
enrendue comme parole de Dieu.
Vous reconnoiiTez donc , mes Frères,
pourquoi la plupart des Crirétiens profi-
tent h peu de la lainte parole que nous
leur annonçons. N'eft-il pas évident qi-e
le principe d'un mal fi déplorable & fi
pernicieux dans le Chriftianifme , eft
qu'on ne la reçoit plus , cette parole , qr.e
comm.e parole des hommes , fans penler
qu'elle part de plus haut & de Dieu
même ? Voulez-vous que je vous en con-
vainque par les dirlérentes intentions des
Auditeurs qui l'écoutent .'' venons au dé-
tail. Car on nous écoute , il efl vrai ;
©n afTjile à nos prédications , & fur cela-,
mes Frères, je vous rends aifément tout^
la juftice qui vous ell due : mais du rede
on vient nous entendre , comment ?
pouvons-nous l'ignorer, & pouvons noirs
voir fans une am.ere douleur de pareilles
profanations dans la mailon de Dieu
& en la préfence de Jefus-Chrift } On
vient, dis-je, nous entendre, mais par
coutume 6c par une eipece de paiTe-temps,,
Sur la Parole de Dieu. 31^
mais fouvent par un efprit de malignité
& de cenfure , mais par une curioiué
vaine & toute humaine : ni vue de Dieu ^
îii préparation de l'ame , ni defir de s'é-
difier ÔL de recueillir les fruits de faluc
qu'une Ci fainte parole doit produire.
Expliquons-nous , & iuivez-moi.
Ceft par coutume & par une efpece de
paiTe-temps qu'on vient nous entendre.
Demandez à la plupart de ceux qui fs
rendent les plus ailidus à nos ailemblées
ÔL à nos inftru£lîons publiques , ce qui les
y amené : s'ils lont de bonne toi , ils-
Yous répondront qu'ils n'ont communia-
ment en cela nulle autre vue que de
fuivre une certaine habitude qui les con-
duit. Il y a pour les gens du iiecle des •
paiTe temps , & fi j'ofe le dire , d^s amu-
iements de toutes les fortes : parlons plus
jufte, &. difons que les gens du fiecle fe
font des paffe-teaips & des amufements
de toutes les manières, &L que par l'abus
le plus contraire à reTprit chrétien, ils
en cherchent jufques dans les plus faints
exercices de la religion. Je ne parle pas
des impies & des libertins , je ne parle
pas de ces mondains tout occupés des
plaifirs & des engagements du monde ;
la parole de Dieu n'eil pour eux ni paCTe-
temps, niamulement .puisqu'ils font pro-
fellion de n'y alTifter jamais. Je parle du
commun des Chrétiens qui confervent
toujours dans le cœur un fonds de piété,
mais d'une piété lâche & indifFéL*ente»
330 Sur la Parole de Dieu.
A ces Fêtes folemnelles que nous célé-
brons , & à ces jours que i'Eglife a fpé-
ciaiement confucrés au culte de Dieu ^
ils veulent bien s'interdire tout foin &
toute affaire profane. Mais du refte
que feront- ils alors , & que pourront-ils
fubft'.tuer à ces occupations qu'ils font
obligés &: en effet réfolus d'interrompre?
De quoi rempliront-ils ce temps qu'ils
refufent nux fondions d'une charge , à
la conduite d'un négoce , aux trcivaux
ordinaires & aux ufages de la vie ? De le
perdre au jeu, &de ne l'employer qu'en
de Vaines converfations & en des diver-
tiffemens mondains , c'eft ce que plufieurs
fe reprocheroient devant Dieu, & ce que
leur confcience auroit peine à foutenir.
Que leur faut- il donc , Se à quoi ont- ils
recours ? à nos cérémonies religieuf^s ,
à nos pieufes affemblées , & en particu-
lier à nos prédications : les heures s'y
écoulent, & cela leur fufEt.
De là nulle difpofition intérieure pour
recueillir cette manne divine que les
minières du Seigneur leur diftribuent ,
& qui doit être la nourriture de leurs
âmes & leur entretien. Le Saint- Efprit
ne veut pas que nous nons prétentions à
l'autel du Dieu vivant pour le prier , fans
nous y être préparés ; & l'on le préfente
à la chaire de Jefus-Chrift pour l'écou-
ter , fans être rentré en foi- même ni
s'^être éprouvé foi-même : comme fi la
chaire où Dieu nous fait annoncer fes
Sur la Parole de Dieu. 331
ordres , ne nous devoit pas être , fé-
lon la belle remarque de Saint Atha-
nafe , auffi vénérable que l'autel où il
nous difpenfe (qs grâces ; & comme fi
la parole que nous lui adreflbns dans
i'oraifon , étoit plus refpe^lable pour
nous que celle qu'il nous adrelTe lui-
même en nous inftruifant , ou qu'on
nous adreOe en fon nom. De là même
nulle réflexion de l'efprit , nulle atten-
tion à des vérités qu'on ne peut trop
méditer ni trop pénétrer. Le prédica-
teur après s'être co^^fumé de veilles &
d'études , pour fe les rendre plus pré-
fentes & fe les bien imiprimer , épuife
encore fes forces à les développer telles
qu'il les a conçues , & à les propofer
dans tout leur jour : mais l'auditeur, ca
plongé dans une lente parcLle qui l'affou-
pit , ou diiTipé par de volages idées qui
tour à tour fe fuccedent &. qui l'égarent ,
n'entend rien , pour ainfi parler , de tout
ce qu'il entend , n'en prend rien ou n'en
conferve rien.
Or fi l'on regardoit la parole de Dieu,
comme parole de Dieu > on y apporteroit
tout un autre efprit & tout un autre
cœur : je veux dire qu'on y apporteroit
un faint recueillement de l'ame , un
humble fentiment de fa propre bafTefle
& de la grandeur fouveraine du maître
dont on va recevoir les falutaires leçons ,
une intention aftuelle d'en profiter oL de
les pratiquer , qu'on y apporteroit la
j3î Sur la i^arole de DiEtrV
docilité des enfans , pour apprendre Tes
devoirs ik pour les connoitre ; une iou-
miiïion , une fidélité prête à tout en-
treprendre i un plein abandon de foi-*
même à tous les mouvemens qu'il pl?.i*
roit à Dieu d'inipirer , & à toutes les
grâces dont il voudroit nous éclairer Si
nous toucher. Cette feuîe penfce , Dieu
tnVippeile , & par la bouche de Ion mi-
îiiftre c'eft lui-rr.ême qui me va donner
fes divins eni'eignements, lui-même qui
me va révéler les myfteres , qui me va
découvrir fes voies , qui nie va déclarer
fes volontés , qui va m'expliquer fon
Evangile & Tes facrés oracles ; ce feul
fouvenir ^ mes Frères , exciteroit tout
Votre zèle & réveillerolt toute votra
ardeur. On vous verroit au pied de cetta
chaire , au{!î refpe^tueux &l auffi appli-
qués que il £)ieu avec tout l'éclat de fa
majefté paroiffoit à vos yeux, & qu'il fe
montrât à vous dans fon temple comme
à Moïle ûir la montagne. Bien loin d'ê-
tre obligés de précipiter , pour ainiï
dire, nos d;-fcours & de les reilerrer, nous
pourrions fans lalTer votre p-ctience ,
leur donner la plus longue étendue ; &
fi vous aviez à vous pbindre , ce ne feroit
que de notre brièveté. Avides du pré-
cieux aliment que votre Dieu vous a
deftiné,& de cette pâture fpirituelle dont
nous fommes les œconomes , nous au-
rions peine à vous ralTafier; pas une parole
ne vous échapperoit , U pas une qui
Sur la. Parole de Dier. 333
jàemeurât fans fruit. Vous trouveriez en
tious des guides, des maîtres , des pères ;
des guides pour vous conduire à Uieu ,
des maîtres pour vous élever dafis U
connoift'ance de Dieu , des pères pour
vous former félon Dieu ; au lieu que
nous ne fommes plus pour vous, cgmmç
s'exprimoit le grand Apôtre , cjue des
cymbales retentiffantes. Pourquoi cela ^
Ah ! mes cheis Auditeurs, je ne puis trop
vous le redire , parce que vous ne recon-
noiilez point Dieu dans nos perfonnes ,
quoique nous tenions la place de Dieu ;
parce que vous ne nous comptez que pour
tles hommes femblables à vous , quoi-
que nous ayons, quelque foibles & quel-
que imparfaits que nous foyons d'aiU
leurs, cet avantage au defTus de vous ,
d'être les ambafladeurs de Dieu ; parce
que jugeant ainfi de nous par des vues
toutes humaine^ , fans en juger par les
vues de la foi, vous ne mettez prefque
rmlie différence entre nos plus folides
entretiens & ces vuides converfations ou
ii coutume dans le monde vous engage^
6c qui ne vous font de nul profit ni de
rml mérite devant Dieu.
Miis le défordre va encore plus loin,'
& fi les uns font coupables parce qu'ils
viennent entendre ind-ifféremiment la
parole de Dieu 6c fans nulle intention
directe 6i exprelïe , les autres le font en-
rore plus , parce qu'ils la viennent en-
^endrç niali^nçcnent U pour ea faiiç Jç
334 Sur la Parole de Dieu.
fujet de leur cenfure. Car combien j
a-t-il de ces Auditeurs qui , par une vaine
préfomption , s'érigent en juges de l'é-
loquence chrétienne, ne fe rendent at-
tentifs à tout ce que nous leur difons ,
que pour critiquer la manière dont nous
le concevons j dont nous l'arrangeons,
dont nous le propofons , dont nous l'ex-
primons , dont nous le débitons ? Et de
là comment fortent-ils des prédications
où ils ont afliflé , & comment en parlent-
ils? comme des philofophes &des païens.
S'ils ont des éloges à donner au prédica-
teur évangélique , c'eft fur la fublimité de
les penfées , c'eft fur la nouveauté de
fes tours , c'eft fur la politefTe & la fleur
ce Ton kngage , c'eft fur la grâce ou le
feu de fon adtion. Mais parce qu'on efl
toujours beaucoup plus enclin à repren-
<lre, & qu'on n'approuve qu'avec peine,
c'eft fur tous ces points & fur bien d'au-
tres de même nature , qu'on ne pardon-
ne rien , & qu'on porte les jugements
les plus féveres. Combien de ces audi-
teurs frivoles & mondains , toujours
pf êts à fe divertir & à railler ? Qu'ils
entendent de notre bouche une de ces
paroles que le libertinage a profanées
& corrompues par de faufles interpré-
tations , voilà à quoi la légèreté de leur
efprit s'attachera , voilà ce qui les dé-
tournera des plus férieufes matières ,
voilà ce qu'ils remporteront avec eux,
§L ce qui leur fervira de fonds pour les
Sur la Parole de Dieu. 335
plus fubtiles ou les plus grofiîeres phi-
îanteries. Etrange renverfement î Chré-
tiens , & où en fommes - nous réduits
par la perverfité du fiecle ? Ne nous fera-
t-il donc plus permis d'uler des plus
innocentes 6c mêuie des plus lainres
exprefîions ? Sera-ce un crime pour nous
de nous énoncer comme les Pères de
l'Eglife , comme les Apôtres , & en par-
ticulier comme Saint Paul? Le monde
eft-il donc devenu par Tes vains Si ridi-
cules raffinements , plus délicat, plus
hcnnéte, plus pur que ne l'a été iufqu'à
préfent la^ fage fimplicité des fidelles ?
Difons mieux, faudra-t-il que nous faf-
fions céder la liberté de la chaire au goût
dépravé du monde &. à fon fens réprou-
vé ? Non, mes Frères , non ; nous par- ■
lerons commie i'efprit de Dieu nous i'inf-
pirera ; & fi le monde en tire un fcandale
dont nous ne fommes point les auteurs ,
fans abandonner des termies confacrés ,
nous nous contenterons pour notre con-
folation , d'oppofer au mépris du monde
ce que notre divin Maitre nous a dit ;
Celui qui vous méprife, me méprife ;
Qui vos fpernit , me fpernit. Car c'eft en r
effet s'attaquer à Dieu mêm.e & l'outra- ^^ ^*^^
ger que de s'attaquer à fa parole & d'en
Faire un fi criminel abus.
Tous néanmoins ne le font p?.s ; à
Dieu ne pl^ife : mais un dernier défor-
dre plus commun , c'efl d'entendre la
parole de, Dieu par une pure curiofité.
33^ Sur la Parole de Dieu.
Qu'un miniftre de l'Evangile ait queU
4iue avantage qui le diftingue & qui lui
^it acquii» un certain nom , on le veut
connoiîre par foi-même , &. peu en peina
d'en profiter, on veut en pouvoir par-
ier. Maigre la droiture de fes inten-
tions , dont Dieu qÛ témoin, il fert de
/peclacle à toute une multitude compo-
ié'2 , de qui ? eft-ce de Chrétiens qui
'viennent s'édifier ? je ne prétends pa*
C[u'il n'y en ait point de ce caractère , &C
je ne terai pas , contre les règles de la
.charité 6l de la juilice , à un fi nombreux
auditoire , cette injure : mais. du rede
je ne craindrai point de Te dire , ÔC
fans me borner à la curiofité trop natu^
lelle des uns , je marquerai en même
temps les motifs encore plus criminels
que bien d'autres y joignent. Car je ne
fe puis ignorer, mes Frères, & figno-
rez-vous vous-mêmes ? quoi ? que pour
Quelques arnes pieufes qui cherchent à
s'inftiuire dans une prédication, cent
aucres s'y trouvent , parce qu'ils y doi-
vent rencontrer tels ou telles, & que c'eft
la, à certain jours & à certain temps ,
comme le rendez- vous public : qu'ils
s'y trouvent , p.rce qu'ils peuvent y
paroître &i y briller , y vo.ir 6c s'y taire
voir : comme fi c'étoit une de ces affem-
blées où la vanité du monde étale
£vec plus d'éclat ôc avec plus d'art toutes
fçs pOK.pes & tout fon luxe : qu'ils s'y
-Couvent comnae àiirie ax^ion de théâtre i
Sur la Parole de Dieîj. 537
fe ne m'explique pas davantage , & je
craindrois en vous révélant tous ces myf-
teres d'iniquité , d'entrer dans un détail
plus propre à vous fcandaliler qu'à vous
corriger. Or n'eft-il pas évident que le
principe de tant de fcandales , c'eft que
dans la parole de Dieu & dans l'atten-
tion qu'on y donne , on ne fe propofe
rien moins que cette divine parole r
Mais, me direz-vous, il ne nous eft
pas détendu de nous attacher à un pré-
dicateur plutôt qu'à l'autre , & de dif-
tinguer entre les minières de la parole
de Dieu ceux qui ont le don de I3
mieux annoncer. Non, mes Frères , cela
ne vous eft point sbfolument défendu,
pojirvu que vous preniez dans le <ens
qu'il doit être pris , ce que vous appel-
iez mieux annoncer la parole de Dieu^
Car qu'eft-ce que ce mieux , & que doi;.
I il être par^rapport à vous f Si ce mieux
I ne va qu'à vous flatter agréablement
. l'oreille fans vous toucher le cœur ; s'il
I ne va qu'à vous récréer vainement l'ef-
; prit de peintures vives , de tours nou-
I veaux & ingénieux , d'expreiliôns po-
lies^ & arrangées avec étude ; s'il ne va
qu^ vous repaître inutilement 6>: peut-
ctr^ trop humainement les yeux, parie
ne fçais quelle grâce & q-ut:;lle repréfeii-
tation qui leur plaile ; fi , dis-je , c'eft-
là qu'il fe réduit , quoi qu'il en puiile être
de^ce mieux confidéré en lui-même, je
Do min. Tom. /, P
33^ Sur la Parole de Dieu.
prétends qu'à votre égard ce n'eft nul-*
lerrent ce qui vous convient , parce que
ce n'eft point ce qui vous conduit à l'uni-
que fin que vous devez avoir en vue ,
qui eft votre converfion bc votre fanfti-
fication. Mais quand ce mieux confiftera
à vous convaincre folidement des vérités
éternelles , & à vous les repréfenter dans
toute leur force , à vous faire connoître
vos devoirs &à vous y afFeéiionner , à
vous faire fentir l'importance , la nécef-
fité du falut , & à vous mètre dans une
difpofition efficace & prochaine d'y tra-
vailler : quand ce mieux confiftera à vous
infpirer la crainte de Dieu, Ihorreur du
péché, l'amour de la vertu ; à vous en
tracer de grandes images , & à vous en
imprimer tortem.ent dans l'ame les fenti-
ments : quand ce mieux confiftera à vous
retirer de vos défordres , &à vous dé-
tacher du monde Si de vos habitudes
vicieufes, à vous exciter aux larmes &à
la pénitence ; de forte que ce foient , fé-
lon le beau mot de Saint Jérôme , vos gé-
nfiiffements & non vos applaudift"emients ,
qui faftient l'éloge du prédicateur , &c que
vous vous en retourniez vous frappant
la poitrine & formant de faintes réfolu-
tions pour l'avenir , Percutientes peàlora
^"^' fua. revertebantur ; alors je reconncltrai
"' ^^' que c'eft-là le mieux que vous devez
préférer à tout le refte ; bien-loin de
condamner votre choix, je l'approuverai^
Sur la Parole de Dieu. 339
je le louerai , je vous y confirmerai , par-
ce que tout cela ne peut venir que de
la parole de Dieu difpenfée ÔC reçue
comme parole de Dieu. Mais cette pure
parole de Dieu vous paroît trop auftere
ôc vous en craignez les conféquences :
il vous faut donc quelque choie d'hu-
main qui l'adouciffe & qui l'accommo-
de à votre goût. Or voilà pourquoi elle
vous devient inutile : car c'eft à cet hu-
main que vous vous en tenez ; & com-^
me rien d'humain ne peut opérer les œu-
vres de la grâce qui font d'un ordre infi-
niment fupérieur, c'eft pour cela que
tout ce que vous entendez de la bouche
des prédicateurs , vous profite fi peu , ou
ne vous profite point du tout. Cependant
vous vous flattez vous-mêmes , 6l parce
que vous ne manquez pas peut-être une
prédication , vous vous faites de cette
afliduité un prétendu mérite. Mais vous
vous trompez, mon cher Auditeur, ÔC
votre erreur efi: d'autant plus pernicieufe
que la parole de Dieu ne fervant pas par
votre faute à votre falut , elle doit fer-
vir par un jufte jugement à votre con-
damnation : vous l'ailez voir dans la
féconde Partie.
• A^Uand l'Ecriture fait mention de la !!•
V^ parole de Dieu & de Tes merveilleux Part,
effets , elle nous la repréfente comme une
parole toute fainte & toute fandlifiante ,
f^mjxiQ une parole de vie & d'une vie
Pi;
340 Sur la Parole de Dieu.
éternelle : Seigneur , s'écrioit le Prophète
royal , ranimez-moi Sc reffufcitez-moi par
jp/. M 5. votre parole: Vivificamt fccnndum ver-*
biim tuum. Car c'eft , ô mon Dieu, re-
prenoît le faint Roi , c'eft dans la vertu
de cette adorable piroîe que j'ai mis
îbïd. toute ma confrance : Q^uia. in verba tua.
fuperfperavi. Où irons-nous , Seigneur, '
diloit Saint Pierre au Fils de Dieu , & à
quel autre nous adrelFerons-nous qu'à
vous-même , puifque vous avez les paro-
Joan. C. les de la vie éternelle : Domine , ad quetn
ibimus ? verba vitcz cztcrnœ. habes. Et le
Sauveur lui-même n'a t-il pas dit que tou-
Jbid. tes fes paroles éîoiemefprit & vie ? rerba
quœ locutus fum vobis , fpirhus & vita
Junt, 11 eft donc certain que le vrai ca-
ratSlere de la parole de Dieu eil de nous
conduire dans les voies de la juftice &C
de la fainteté^ de nous portera Dieu 6c
de nous faire heureufement parvenir au
terme où nous fommes appelles de Dieu.
Mais fi cela eft , comment fe vérifie
d'ailleurs l'autre propofition que j'ai avan-
cée , que la parole de Dieu doit fervir à
notre condam.nation , dès qu'elle ne fert
pas à notre judification ? la réponfe eft
facile & prompte ; & c'eft de Tes avan-
tages m3m.e attachés à la parole de Dieu
prife en foi , que je tire l'inconteftible
preuve de la trifte vérité que j'ai mainte-
nant à vous expliquer. Car fe rendre inu-*
tile une parole fi efficace en elle-même,
c'eft un péché ; &. de plus , par ce péché-
' Sur la Parole de Dieu. 342
particulier , c'eil s oter toute excufe dans
. tous les autres péchés. Vous compren-
drez mieux ces deux penfées par l'éciair-
cilTen-sent que je leur vais donner.
En effet, tout le moyen de falut que
Dieu nous fournit, en juftiiiant à notre
égard fa providence , nous impofe en
iTiéme temps l'obligation de mettre en
teuvre ce fecours & d'en profiter ; autant '^
que nous fommes obligés de travailler
au falut de notre ame, autant le fom-
ir.es-nous d'ufer pour cela des moyens
que nous avons en nrain , puifqu'il y a
une dépendance & une connexion nécef-
iaire entre l'un & l'autre. De là vient ce
reproche fi jufte & û bien fondé , que
Dieu fera aux pécheurs , comme il efl
ecnt dans la Sageile , Vocavi' & renui/Iis ; p^^^
) ai fait toutes les avances convenables c. /. *
pour vous attirer à moi, & vous avez "
Tieghgé d'y répondre : voilà pourquoi je
nie tournerai contre vous , & je vous
frapperai des plus rudes coups de ma,
juliice. De là vient cette terrible menace
de Jefus-Chrift , lorfque voyant Jéru-
lalem& parlant à cette ville i'nfidelle , il
lui difoit : Quoties volui , O noluifli? Matth,
Combien de fois ai-je voulu diifiper les '- ^i«
teneDres de ton incrédulité & vaincre ton
obitmation ? Ôi combien de f '-s par ton
opiniâtre réfiftance as-tu fait évanouir
nies plus favorables deffeins & arrêté
tous mes efforts ? C'eff pourquoi tu feras
livrée a lennçmi,,& ruinée de fond en
Piij
34Î Sur LA Parole DE Dieu.
comble. De là vient ce funefte arrêt
prononcé dans l'Evangile contre le fervi-
teur psrefleux : Méchant lerviteur, je"
■vous avois confié ce talent , & je m'atten-
dois que vous le feriez valoir ;mais vous
n'en avez rien retiré. Allez dans une
ofcfcure prifon & dans des ombres éter-
nelles recevoir le châtiment de votre in-
frudiueufe 6c ftérile oifiveté. De tout
ceci & de mille autres témoignages , nous
devons conclure avec Saint Auguftin ,
que les grâces de Dieu ne font donc
pas feulement pour nous des dons de
Dieu ni des bienfaits de fa miféricorde,
mais de grandes charges devant Dieu,
Augujl, Pondus oneris , Sl la matière aufTi-bien
que la m^efure de fes vengeances, quand
par une réfifiance exprelle ^ ou du m.oins
par une négligence volontaire de notre
part , elles n'opèrent rien en nous ôc
qu'elles y demeurent fans fruit.
Sur-tout, fi ce ne font de ces grâces
plus ordinaires, de ces prem.ieres grâces,
<5c pour m'exprimer de la forte , de ces
grâces fondam.entales que Dieu emploie
dans l'ouvrage du falut de l'homme ; Ci
ce font de ces moyens que la fageffe a
fpécialement choilis pour y réuilir,ÔC
qu'elle y a plus direftement & plus for-
mellem.ent deftinés. Car laiHer de tels
moyens fans en faire nul ufage , c'eft
renverfer toutes le vues de Dieu, c'eft
déconcerter tout l'ordre de fa prédeftina-
tion éternelle , c'eft ou renoncer à la fia
Sur LA Parole DE Dieu. 343
qu'il nous a marquée , ou. prétendre
changer les voies par où il avoit réiola
de nous y conduire. Or voilà , Chré-
tiens , le péché que vous commettez
quand vous vous rendez inutile la parole
de Dieu. C'eft un moyen de falut , puif-
que c'eft par la prédication de TEvangile,
ainfi que nous Tenfeigne l'Apôtre , qu'il
a plu à Dieu de fauver le monde ; Placuit ^ ^^^^
Dco per Jlulnnam praidicationis filvos fa- c, /,"
ccre credenies. A la tête de tous li»s autres
moyens que fa divine Providence lui
fuggéroit , il a mis celui-là , parce que
c'étoit en effet le plus propre & le plus
néceffaire. Car comment les hommes
croiront-ils en Jefus-Chrift , ajoutoit le
même Dofteur des nations, & comment
par la foi en Jelus-Chrifl: & par l'obfer-
vation de fa loi , feront-ils fauves, s'ils
n'en entendent point parler ? & com-
ment pourront-ils en entendre parler
s'il n'y a des prédicateurs fufcités & en-
voyés pour les infrruire ? C'efi à quoi
Dieu a voulu pourvoir par le miniftere
de fa parole. 11 a pris foin qu'elle (ut
publiée dans le monde ; mais pourquoi ?
pour réformer le monde. Elle vous eil
annoncée , Chrétiens Auditeurs , & c'eft
au nom de Dieu qu'a6luellement je vous
l'annonce moi-même : mais à quelle fin ?
quelle que puilfe être mon intention ,
dont Dieu ei\ le juge, èc dont j'ai à lui
rendre compte, voici toujours quel eft
Is deflein du maître qui me députe vers
Piv
544 Sur la Parole de DrEtr.
vous & de qui je ne fuis que le fo4b'!e
ergane : c'eft afin que recevant la pa-
role dans votre cœur, comme dans une
bonne terre, elle s'y enracine , elle y
fructifie & y rapporte au centuple ; c'ell
afin qu'elle vous guérifle de vos erreurs ,
qu'elle vous relevé de vos chûtes, qu'elle
vous fordfie dans vos foiiîlelTes , qu'elle-
vous foutienne dans vos tentations,
qu'elle vous dirige dans toutes vos voies,
6i qu'elle vous mené juiqu'au Royaume
célel^e , qui eft le terme où vous"'devez
afpner. Car voilà comtr.ent Dieu dans
fon conleil louverain l'a arrêté : Placu-ii
Deo.
Si donc parce que vous manquez, cm
«î'aiTiduité pour entendre cette fainte pa-
role , ou de préparation pour la bien
entendre, vous vivez toujours dans les
mêines illufions , toujours dans les mêmes
«dérèglements , toujours dans les mêmes
diftra^tions & les m.êm.es mondanités ;
fi la parole de Dieu ne fer-t, ni à vous
retirer de vos engagements criminels, ni
à vous réveiller de votre afioupiiTement
6: de vos langueurs , ni à vous donner
une connoilTance plus exacte de vos obli-
gations, ni à vous inlpirer plus de zèle
6c plus de ferveur dans les pratiques du
Chridianifme, cette inutilité ne procé-
dant de nul autre que de vous , vous
en croyez- vous quittes pour la perte que
vous avez faite , 6l vous tenez- vous
exeiopt de péché & d'un péché crès-grief,.
Sur la Parole de Dieu. 345
quand vous diPnpez un fi riche tréfor , &C
que vous troublez toute Tceconomie de
votre (Aut }
Quel fut le péché des Juifs } je vous
l'ai dit , de ne s'être pas fournis à la pa-
role du Fils de Dieu , que fon Père avoit
établi leur légilLteiir & leur douleur.
Or fans être corome lui venu du ciel,
nous foma-ies les difpenfateurs de la mê-
me parole ; & par conféquent lorfqae
nous voyons qu'elle vous profite ii peu,
nous avons droit de vous adrelTer la
iTiême menace que Jefus-Chrift faifoit à
ce peuple incrédule , lorfqu'il lui difoit :
La lumière a paru dans le monde , elle'
s'eft prcfentée à vcms ^ & vous ne l'avez'
pas apperçue , parce que vous avez ter-
rr.é les yeux pour ne la p:is appercevoir^
Mais prenez-y garde , ik ne vous y trom-
pez pas : quiconque refufe de fuivre cette
lumière , quiconque e\\ fourd à ma pa-
role , ou demeure infenfibleà fes traies
en l'écoutant , celui-là dès -lors, quel
qu'il foit , a un juge , mais un juge févere
pour le juger ; & quel eft-il ce juge qui
doit le juger avec tant de rigueur, 6i le
condamner fans rémiiîicn ? c'eft ma pa-
role même , envers qui il devient préva-
ricateur &c pécheur Qui nonaccipitverba j^^^
mea , habet qm judicet eum : Sermo qaem f, ^^^
lacutus Jum , ilU judluibit. Car , com-
me ajoutoit ce divin Sauveur , &C com-
me nous pouvons l'ajouter après lui ,
U.
34<> Sur la Parole de Dieit,
même fon6^ion que lui : ma do6lrîne
n'eft pas proprement ma doftrine , & les
vérités que je vous prêche, font toutes
émanées du Père célefte qui m'en a fait
Ibid. part pour vous les communiquer : Qu^
ego loquor ,ficut dixitmihi Puter ^fic loquor»
Je m'acquitte là-deffus de ma miffion ^
& j'exécute l'ordre qui m'a été donné :
je n'y épargne rien , & je ne refufeà
perlonne mes foins &: mes enfeignements.
Du reile c'eft à vous de les recueillir, à
vous de vous les appliquer , à vous de les
conferver dans votre cœur & de les faire
enfuite pafTer dans vos mains par una
pratique fidelle & confiante. En confé-
quence de cet important miniftere qui
m'a été confié & que j'ai accepté pour
vous , je vous fuis redevable de mon tra-
vail , c'eft-à-dire de mies veilles , de miCs
fatigues , de mes avertiffements , de mes
inftru^iions , de tout ce qu'il m'en coûte
pour accomplir l'œuvre dont je me trou-
ve chargé en votre faveur. Mais aufli ea
conféquence de tout cela , vous m'êtes
redevables de tout le bien qui en doit
réufTir , à la gloire du Seigneur & à votre
propre avantage ; ou plutôt vous en êtes
redevable à celui qui m'a envoyé, &
qui vous le dem<^ndera félon toute la
fevérité de fa juftice: Q^ui non accipu
vcrba mea , h.^tet qui judictt eum.
Cependant , Chrétiens , de tous les
péchés dont nous avons à nous préferver,
en eil-il un que l'on craigne moins & fur
Sur la Parole de Dieu. 347
lequel on entre moins en fcrupule ? On
ne le fait fur ce point nul reproche de-
vant DieUj on ne s'en accufe pas une
fois au tribunal de la pénitence ; des
gens font profeiTion de n'entendre jamais
les prédicateurs de l'Evangile, & ils s'en
déclarent ouvertement ; d'autres les en-
tendent affez régulièrement , à ce qu'il
paroit , mais comme s'ils ne les enten-
doient pas , & fans autre effet que de les
avoir entendus. Demandez- leur s'ils fe
croient refponfables à Dieu de fa parole
ainfi abandonnée ou dillîpée après l'avoir
reçue : demandez , dis-je , à cette femme
mondaine fi elle compte comme un pé-
ché de vouloir jamais m.énager quelques
moments pour écouter la parole de Dieu.
& pour y affifter avec le commun des
fidèles , tandis qu'elle perd les heures qui
y font deflinées , & qu'elle les emploie ,
à quoi ? le matin dans un repos lent &
plein de molleffe , & le foir dans un
loin frivole de fes ajuftements & de fes
parures : demandez à cet homme du
fiecle s'il traite de péché le peu de ré-
flexion qu'il fait à la parole de Dieu,
lors même qu'il l'entend ou qu'il eft
préfent pour l'entendre , & le peu de
Iruit qu'il en remporte , lui qui fe rend
fi attencif à des affaires humaines , & qui
fçait fi bien raifonner fur tout ce qui con-
cerne fes intérêts temporels & l'avance-
ment de fa fortune : demandez-leur en-
core ua§ fois fi là-deffus ils s'effiment
P Vj
34^ Sur la Parole de Dieu'
coupables , & s'ils jugent que la coil-
icience y pun.e ctre quelqueiols enga-
ge , ils feront furpris d'une telle propo*
luion, ils trouveront étrange que vous
entrepremez de leurimpofer une obliga-
tion qui.'s n'ont jamais connue & dont
lis ne fçauroient convenir.
, Q^e feroir-ce ù je leur faifois cette
étonnante comparaifon de Saint AuPuf-
tin, lequel n'a pas cru éxaeérer fde
n^ttr^en parallèle un Chréiiln qui ré-
liire a la parole de Jefus-CKiift , & qui de
ia forte anéantit toute la vertu de cet^e
r.iviae paroU par rapport à lui , avec les
JM-ns qui verferent le fang de ce Sauver:^
^- attachèrent a une croix Ton facré corpc •
il eft vrai , dit c;e faint Doreur , vor&
ïie portez pas conin^e. eux fur fa cha-r
innocente des mains facrile^es , p^rc-
ciue vous ne le. voyez pas fenfiblenienr
comme eux : mais quand ie fuis térno-i
de i outrage que vous, faites à fa parole,
toute adorable qu'elle eft , en la orofa!
f^ant , en la déshonorant par une via
♦oute contraire aux grands nwfteres
qu ebe vous révèle & aux excellentes le-
vons qu'elle vous trace , que puis-je con-
clure autre chofe, finon que vous fenea
di.pofe vous-rT.ênic à le crucifier , s'il fe
«icntroit encore à. vous con:nie il fe fit
•voira cette nat-on, ingrate & déicide i^
^:^:-xi, quu vidcrum Uliiijlum., crudfixe^
mr>: : numquia er^o qui vcrbo rtf^fïïs , car-.
3C7? crucifi^cns Jl yiJ.m ? Ajnfi parl(^i^
Sur la Parole de Dieu. 349
Saint Auguflin. Mais je ne vais pas Ct
Icin , Chrétiens Auditeurs : je veux leii-
lement vous faire coir.prendre qu'il n'eil
pas û indiilerent que vous le' penfiez.
peut-être » de profiter ou de ne protîter
pas de h parcle de Dieu : que ce n'èft pas.
là un de ces articles fur quoi vous pôu>
vez pafïer ruperficieliement dans la re-
cherche de vous- mêmes, ni un point que
vous deviez mettre au nombre des fautes
légères & f.îns ccnhiquence : qu'il y a de
quoi vous infpirer une june crainte /parce,
qu'il y a de quoi vous rendre aux yeux:
de D;eu très-criminels : que comme le-
FjIs de Dieu dans ion Evangile a béatifie
ceux qui entendent la divine parole &c
qui la rr.ettent en pratique , il iemble par
une règle toute contraire avoir réprouvé
ceux qui ne l'entendent point, ou qui
n'Qn tirent nulle utilité pour la réforma»
t]on Se la conduite de leur vie. Mais on ne
pèche, me direz- vous, que parfinfrac-.
tion de la loi ; & quelle loi nous ordonne,
d entendre les prédicateurs & de faire
de leurs prédications Tufage que loa
BOUS demande ? Ah , mes Frères , qu'il
n y niî point fur cela dxins i'Egilfe de loi-
particulière , i^en conviendrai , û vous.
k voulez ; mais n'y a- t- il pas une loi.
générale qui vous ordonne de prendre
les moyens dont Dieu a fait choix Se
ciont il s'eft fervi dans tous les temps
pour l'ouvrage de votre falut ? Comment
pouvez -vous vous perfaùder qu^il «ii:
3p Sur la Parole de Dirxr;
établi le miniftere évangélique , qu'il y
ait attaché des grâces fpéciales , qu'il y
ait conlacré des hommes uniquement
occupés de ce pénible emploi , qu'il leur
en ait fait un devoir, une vocation, un
état fi laborieux , fans vous faire pareil-
lement & conféquemment à vous-mê-
mes un devoir non -feulement de les
révérer comme vos maîtres , mais de
les fuivre comme vos condudeurs , &
de marcher dans les routes qu'ils vous
montrent ?
Ce n'eft pas tout. Mais fi c'eft un cri-
me devant Dieu de ne profiter pas de fa
parole , je prétends encore que ce feul
péché vous rend inexcufables dans tous
les autres péchés que vous commettrez.
Car à quoi fe réduifent toutes vos excu-
fes ? ou à l'ignorance , ou à la foiblefie : à
l'ignorance , quand vous dites en tant
d'occafions & fur tant de matières impor-
tantes , je ne le fçavois pas , je n'y pen-
fois pas , je ne me le figurois pas : à
la îoibleffe , quand vous ajoutez en tant
d'autres rencontres & fur tant d'autre*
fujets , je ne le pouvois , c'étoit trop
pour moi, le fardeau étoit trop pefant
& l'entreprife trop difficile. Voilà vos
difcours ordinaires & les prétextes dont
vous voulez couvrir les défordres de
votre conduite. Mais voici ce que Dieu
aura de fa part à y répondre , 6i. com-
ment il fe fervira , pour vous condam-
ner 5 du don même qu'il vous aura fait
Sur la Parole df Dieu. 351
de fa parole pour vous fanc^ifîer. Car il
eft vrai, vous ne fçaviez pas ceci , vous
ne penfiez pas à cela , vous ne vous étiez
jamais mis dans l'efprit ni Tun ni l'au-
tre, & vous ne l'aviez jamais compris.
Mais parmi le peuple fidèle où vous
avez vécu , il y avoit des miniftres dont
la principale fon6lion étoit de vous ou-
vrir les yeux , de vous révéler ce que
vous ignoriez, de vous en retracer le
fouvenir,de vous en expliquer lesTai-
fbns , de vous en faire voir les confé-
quences: ils étoient infpirés pour vous,
ils étoient éclairés des lumières d'en haut,
afin de vous les communiquer : il ne
tenoit donc qu'à vous d'être inftruit. Or
avoir pu l'être, & ne l'avoir point été, •
parce que vous avez négligé de l'être,
c'eft ce qui doit porter contre vous un
témoignage irréprochable , ôc vous atti-
rer ce jufte reproche qui fera la convic-
tion lenfible de votre malice : Noluït in- pr^i^
telligcre , ut benè ageret. Il eft vrai , la loi jj,
étoit difficile ; & pour la garder , vous
aviez bien des obftacles à vaincre ; il vous
falloir un courage & une réfolution qui
vous manquoient. Mais vous deviez donc
pour cela mê:r.e avoir recours à la parole
de votre Dieu. Elle eût excité votre cœur
froid & languiiTant , elle l'eût enflammé
& embrafé. Votre foi étoit afToupie, &
elle l'eût réveillée ; votre efpérance étoit
chancelante , & elle l'eût fortifiée ; vo-
tre charité étoit éteinte , ôc elle l'eût
^5$i Sur la Parole de Dieu.
ralîumée. Alors rien ne vous eût étonné
ni arrêté ; & ce que vous aviez cru ne
pas pouvoir , fans changer de nature,
vous eût paru non- icuîement poffibleôc
pratiquable , œais doux & facile : car
telle eft la force & Tondion de la grâce
que porte avec foi cette Linte parole. Or
pourquoi ne vous aidiez-vous pas de
ce fecours , & êtes-vous recevables à
dire, j'étois foible, lorfque vous avez
eu de quoi vous foutenir,& qu'il n'a
dépendu que de vous d'en éprouver
toute la vertu ?
D'autant moins excnfables , Chré-
tiens , que la parole de Dieu qCi pour
vous un moyen plus puiilant , un moyen,
plus piéfent, un moyen plus gratuit ÔC
d'une préférence plus m.arquée : trois
circonilances qui doivent former contre
vous autant de preuves toutes nouvel-
les. Car de tous les moyens de falur &
ce fanéfîfication , le plus piiifTant, ou du
moins un des plus pu'uTants , c'eû fans
contredit la parole de Dieu : elle a con-
verti le monde entier, c'ei^-a-diro , qu'elle
a converti les. royaumes. 6c les empires,,
qu'elle a retiré les peuples les plus ido-
lâtres des épaides ténèbres de leur infi-
délité , qu'elle les a fait fortir de l'aby-
me le ..'ius profond des vices , qu'elle
les a engagés à la pratique ces plus hé-
roïques vertus , qu'elle a produit dans
i(^ Chriftiinifnie ces ordres fi célèbres.
d.e péaitenits , de fulitaires , de reli^eux^
Sur la Parole de Dieu. 555
£t c^e feroit-ce fi je vous raccmîois
tant d'autres etFets miraculeux & plus
par-icuTiers dont elle a été le principe ?
Vous en feriez étonnés : à la vue de
tant de merveilles , vous vous écrieriez
comme le l'ige : Omnipolens ferma tuus ; Sap. <;^
Seigneur , qu'y a-t-il de fi diîîiciie dans iS,
Tordre de û grâce, auiîî b-ien que dans
Tordre de la nature , qui ne cède à la
toute-puilTance de votre parole & qu'elle
ne furmonte ? Vous le diriez, mon chei:
Auditeur; &moi fans en dcirieurer là, je
vous dirois ce que peut-être vous crain^
«Iriez d'ajouter à votre confuiion , & pour
votre initruction ; m.ais ce qiii n'eft que'
trop réel «Se que trop vrai . bL ce que je
ne pourrois diiiimuîer fans une lâche .
prévarication. Car il eft bien étrange,
reprendrois-je dans une furprife encore
plus julte que la vôtre , qu'une parole qui
a pu opérer de fi prodigieux charrgemenfs
dans des âmes plus éloignées de Dieu
que vous ne l'êtes , qui a pu toucher tanrt
de pécheurs & en faire autant de faints^
ne vous ait pas fait renoncer jufques à
préfent à un feul péché , ni pratiquer une
feuîe vertu. Hé quoi l je vois dans toutes
les parties de l'univers Tes fuperftitions
abolies , les abus réi-brmés , i'Evangile
établi, & fa plus haute perfection foute-
nue par une éminente fainteté ; voilà
ô'ux-.e part ce que j'ai devant les yeux , <X
en quoi je ne puis aiTez r.dmiirer le triom-
phe de la divine parole , ^ui feule par ie
354 Sur la Parole de Dieu.
miniftere des hommes apofloliques a
remporté de fi éclatantes vi6toires 6c
fait de 11 belles & de (i heureuies con-
quêtes. Mais voici d^'ailleurs ce que je
puis encore moins comprendre, c'eftque
cette parole n'ait, ce femble^ nul pouvoir
fur vous 5 que vous foyez infenfibles à tou-
tes Tes imprefîions ; qu'elle n'ait jufques à
prêtent ni guéri les erreurs de votre ef-
prit, ni amolli la dureté de votre cœur ;
que malgré toutes les vérités qu'elle vous
annonce, & qui ont ûiiti pour réduire
fous le joug de la loi de Dieu tous les
peuples de la terre , vous demeuriez tou-
jours dans le même endurciffement 6l
la même obftlnation , toujours efclaves
des mêmes paillons & plongés dans liis
jnêmes défordres. Ce neÛ pas à la pa-
role de Dieu qu'il faut s'en prendre : car
puifqu'elle eft toujours & par-tout la
même , elle peut toujours & par -tout
agir avec la même efficace. Ce n'eft pas
aux m.iniflres qui la difpenfent : car pour
ufer de cette comparaifon , de même
que la valeur du facrifice de nos autels
cft indépendante du mérite & de la l'ai n-
teté du Prêtre qui conlacre le corps Sc
le lang de Jefus-Chnft, ainfi la parole
de Jefus-Chriil ne dépend ni des bonnes
ni des mauvailes dirpofitions de Tes mi-
niftres. Si ce ne font pas des Apôtres
par leurs qualités perfonnelles & par le
caradere de leur vie , ils le font par
-la vocation de Dieu, ils le font par la
Sur la Parole de Dieu. 355
commiiTion qu'ils ont reçue de Dieu , &
c'eft aflez. Que refte-t-il donc , Chré-
tiens , finon de chercher dans vous-
mêmes Je principe malheureux, qui par
rapport à vous énerve toute la vertu de
la parole du Seigneur ; Ôc de conclure
qu'autant qu'elle étoit capable de vous
relever de vos chûtes & de cet abyme
de corruption où vous vivez , autant
étes-vous inexcufables de vous y être
laiflés entraîner , & d'y vivre fans faire
nul effort pour en fortir ?
Car vous a-t-elie manqué cette parole
de grâce , & fi c'eft de tous les moyens
de converfion & de fandification un
des plus puilTants , n'eft-ce pas encore le
plus préfënt ? Combien de prédicateurs
pour la publier ? faut-il entreprendre
de longs voyages pour les chercher ?
faut-il pafler au delà des mers pour les
trouver ? ils font au milieu de vous,
6c bien-loin qu'il foit néceffaire de leur
faire de fortes inftances pour les enga-
ger à vous parler, peut-être ne mon-
trent-ils que trop d'empreffement &
d'ardeur pour vous eng iger vous-mêmes
à les écouter : Oui , mes Frères , vous le
voyez ; les temples du Dieu vivant vous
fonr ouverts , & fans cefTe ils retentiflent
des divines leçons que , l'efprit de votre
Pere céîelle nous met dans la bouche,
&. dont il veut que vous faifiez la règle
de votre vie. Ni riches , ni pauvres , ni
grands , ni petits , ni jeunes , ni âgés ^
S')^ Sur la Parole de Dieu.
perfonne n'eft exclu de ces entretien3
publics & fdîutaires, où nous vous ex-
pliquons la loi que vous devez ob fer ver,
où nous vous découvrons le (hennin qui
vous devez prendre & celui que vous
devez éviter, où nous vous propolons-
tout ce que la do^rine évangéiique nous
fournit de plus convaincant pour vous
perfuad^er & de plus fort pour vous cra-
gner. Nous nous proportionnons à toiis
les étits , à tous les elprits , à toutes les
dirpofiticns , afin que chacun trouve
dans nos difcours ce qui lui conviem.
Or plus le remède eu à votre ulage &
près de vous , plus il vous eu aiie de
l'employer à la guérifon des infirir.ités-
Ipintuelles de vos âmes ; &: fi vous êtes
toujours fujets aux mêmes roalaBies ,
vous n'en êtes que plus condamnables:
plus la grâce eft abondante & fréquen-
te, plus elle vous met en état de com-
battre Imiquiîé &i de la détruire dans
vous ; & i\ le vice conferve toujours dans
vos coeurs le même empire , s'il y eil tou-
jours dominant, ce n'eft que pour vous
attirer un plus rigoureux jugement.
Je dis jugement plus rigoureux pour
vous, mes chers Auditeurs, parce que
le don que Dieu vous fait de fa parole
eita votre égard un don plus gratuit ÔC
d'une prétérence plus marquée. Ainfi le
Sauveur eu monde le donnoit-îlà enten-
dre aux Juifs, quand il leur d-foit avec
-un ferment a foiemnel : .^m^n dko rouis.
Sur la Parole de Dieu. 3^7
".îklllus ait terrez. Sodomorum in die Matih^
/..ji/. Prenez-y garde, & concevez-le^. 'O.
h'-^'^n ; car c'eft moi-même qui vous Tan-
'-e , & c'eft avec une aiTurânce en-
j qi-.e je vous Tannonce , & dans une
connoilTance certaine de ce qui vous doit
arriver: Amen , dico vobis. Au tribunal
fouverain où vous comparoîtrez un jour
devant vorre Dieu & votre juge , vous
f:"ez plus l'évérement traicés que ceux-
rèmes de Sodome , ce peuple Ti cor-
rcn^pu & fi abominable. Quoi donc , de-
rjîndent les interprètes , ne pss profiter
cj id parole de Dieu, eit-ce un plus grand
cr-me que celui de cette ville proftituée
6v abandonnée à de fi honteux dérègle-
rrents ? Les Pères s'expliquent diîrérem-
rvv^ni- fiir cette queûion : mais quoi qu'ils
e:-! d-.lcnt , l'oracle de Jefus-Cbrili eft
tel que je le rapporte , & en voici , félon
l'interprétation de Saint Grégoire Pape ,
le fens le plus naturel. C'efl que les ha-
bitants de Sodome ayjnt péché contre
Dieu avec moins de lumière , ils feront
ii<:,és avec moins de rigueur : car c'é-
tcien: des hommes dominés par leurs
bn.îtales pafiions , & peu culiivés par la
divine parole qu'ils avoient à peine quel-
quefois entendue. 11 eft vrai que Loth
leur avoit fait quelques menaces de la
:c!ere du Ciel ; mais ils ne fçavoient pas
qu'il leur parlât de la part de Dieu , 6c
iième ne pouvoient-ils croire que ce
:uilent de férieux avis qu'il hur donno^t i
358 Sur la Parole de Dieu.
Gen, Vifus efl eis quafi ludens loqui. Au lieu
G. -«p. que vous , mes chers Auditeurs , dans le
fein de TEglife , & par une diûindion
refufée à tant de nations infidelles , vous
avez eu mille prédicateurs pour vous
former & pour vous infpirer tous les
principes d'une éducation chrétienne.
D'où il s'enfuit que vous êtes par- là plus
criminels dans vos défordres , & que
vous devez pour cela vous attendre à de
plus rudes coups de la main de Dieu &
à de plus terribles châtiments de fa juftice.
Prévenons -les , mes Frères , ôc ne
changeons pas les bénédidions dont le
Ciel nous comble avec tant de profufion
& avec un difcernement fi favorable , en
autant de malédiftions. Ne tenons pas
nos oreilles fermées à la parole de notre
Dieu : mais fur-tout ouvrons - lui nos
cœurs ( car c'efl fur-tout au cœur que f
Dieu parle) & préparons-les pour en ,
faire une bonne terre , o\x cette précieufe ;
femence rapporte au centuple. Ce cen- (
tuple de faintes œuvres que nous prati-î
querons en ce monde, & de mérites que-;
nous amaflerons , nous produira dans
l'autre un centuple de félicité &. de gloire.
Voilà le fujet de mes vœux pour vous ,
& de mes vœux les plus ardents : voilà
ce que je dois me propofer dans l'exer-
cice de mon miniilere , &: à quoi vous
devez contribuer : voilà ce que Saint
Auguftin fouhaitoit lui - même à fes
Audi.teurs , 6c ce qu'il atteodoit d'eux
Sur la Parole de Dieu. 359
comme le fruit de fon travail. Je finis
par le lentiment de ce Père , & j'en fais
une concluuon bien juile 6l bien natu-
relle de tout ce difcours. Vous êtes Chré-
tiens , difoit ce faint Dofteur à une foule
de peuple qu'il voyou alTemblée autour
de lui, 6c comme Chrétiens vous venez
entendre la parole de Jefus - Chrift ,
votre légillateur 6c votre maître : c'eft
en fon nom que je vous la prêche , & je
fuis le difpenfateur de cette parole de
vérité. Mais que faites -vous en l'écou-
tant ? vous donnez au prédicateur de
vains éloges , & ce n'eft point ce qu'il
demande. Pratiquez ce qu'il enfeigne ,
6c il confent que vous ne penfiez plus à
la m iniere dont il le traite ai dont il l'en- .
feigne : Laudas îra6lantem , quczro fj-cien- Augufii
tem. Ainfi , mes Frères , il y a encore
maintenant de ces prédicateurs de l'E-
vangile dont l'éloquence vous plaît, &
que vous favorifez d'une attention par-
ticulière. Soit de leur part , & toujours
avec la grâce d'en haut , mérite réel ; foit
de votre part heureux préjugé & je ne
fçais quelle opinion ; foit de la part de
Dieu ailiftance fpéciale & fecrette difpo-
fition : quoi que ce foit qui vous attire ,
vous paroiffez en foule à leurs prédica-
tions , vous exaltez leurs talents , vous
admirez la force de leurs raifonnements ,
vous vous laiffez éblouir à l'éclat brillant
de leurs penfées , de leurs exprelTions ,
de leurs traits ; c'eft là matière de vos
3^0 Sur la Parole de Dieu.
entretiens ; & à force de les vanter , vous
les rendez célèbres &. leur faites un
nom dans le monde. Mais fur cela que
doivent- ils vous dire ? Laudas tr^iâtan^
tetn , qu(Ero fac'unitm. Hé , Chrétiens
Auditeurs , donnez faute la gloire à Dieu,
car c'eil à lui feul que la gloire eft due,
& tout notre miniftere ne tend qu'à le
glorifier ; mais pour nous & pour notre
confolation , l'unique chofe que nous y
avons en vue, ou que nous y devons
avoir, c'ell que l.i fainte morale & les
règles de conduite que nous vous tra-
çons, foient exaéfement & conftamment
fui vies. Quand on nous dira que le mon-
^e parle de nous , pour peu que nous
ayons de force dans l'efprit & defolidité
dans Tame , nous regarderons cette in-^
voie réputation comme une récomp^nr^
tien lés[ere de nos veilles & de nos fueurs :
nous la craindrons même , & autant
qu'il nous eft poiBbîe , nous la fuirons ,
parce qu'elle pourroit , en nous flattant,
nous expofer encore plus que Saint Paul,
au funelle péril de nous damner nous-
mêmes , tandis que nous travaillons au
falut des autres. Mais qu*on nous dife
que par iine bénédiction divine répandue
fur notre zèle. Dieu dans une ville ell
fervî , &: le prochain édifié : qu'on nous
dife que ce libertin a ouvert les yeux , ôc
renoncé à fon impiété ; que ce mon-
dain a quitté les voies corrompues où il
m»choit , 6c dégdgé fon cœur de fes
çriminçls
Sur la Parole de Di^u. 36*
criminels attachements ; que ce pécheur
invétéré & û long -temps rebelle à U
grâce, y efl enfin devenu fenfible , & qu'il
s'elt retiré de Tes honteufes débauches ;
que cette femme idolâtre d'elle-même,
& toute occupée des vanités du fiecle ,
a pris la parti d'une retraite chrétienne ;
que CCS perfonnes divifées entr'elles fe
font revues & réconciliées de bonne toi :
qu'on nous dife tout cela , & qu'on
nous produire encore d'autres fembîables
eftets de la parole qui nous a été con-
fiée , c'eft de quoi nous nous réjouirons
avec les Anges du Ciel , & par où nous
nous tiendrons abondarximent payés de
nos peines : Laiidjs trad^mtem y quczro
jdckntcm. Nous avons pour cela belbln , .
ô îr:on Dieu , de i'afhftance de votre
efprit , & c'eft pour cela même que nous
l'implorons. Répandez-le, Seigneur, &
fur les prédicateurs de l'Evangile, & fur
les auditeurs. Donnez aux prédicateurs
un zèle ardent, un zèle pur 6i défmté-
relTé ; mais donnez en même temps aux
auditeurs une docilité humble , fouple &
agitante. Ainfi par le m.iniftere de votre
parole nous nous lauverons , les prédi-
Cf-teurs en l'annonçant , & les auditeurs
en la recevant. Après nous avoir fanai-
fiés fur ia terre, elle nous fera parvenir
au terme de la bienheureuie éternité , où
Oous conduife, 6ic,
Domin, Tom, /,
362 Sur le Scan, de la Croix
JE. 4. .v 4* .'• 4. ^ ►> + ♦•« 4. 4» 4» •!►
^ 4. *j. .j. .j» ^, .^* ^ 4» .j» 4. .^, 4» ,.♦
S .E i^ M O 7f
POUR LE DIMANCHE
DE LA
quinquagésime/
Sur le Scandale dz la Croix & des
Humiliations de Jzfus - Chrijî,
AfTumpnt JeAis duodeclm , 5c ait illis ; Ecce
afcendimus Jerofoîymam , & confummabun-»
tur omnia quae fcripta funt per Prophetas de
Filio hominis. Tradetur enim gentibus , Sc
lîiudetur , & flagellabitur , & co.nfpuetur ; 6c
poftquàrn flagcllaverint , occident eum. Et
jpfi nlhil horum iritellexerunt , & erat verbum.
iftud abfconditum ab eis.
Jefus prit avec lui Ces doui& Apôtres , & leur
dit : Voici que nous allons à Jérufalem , 6*
tout ce que les Prophètes ont e'crit du Fils d&
Vhomme , s*accomplira. Car il fera livré aux
gentils-, moqué , flagellé., couvert de crachats ^
(y ifires qu'on Vaura fla.gellé , on le mettrJ. à
mort. Mais les Apôtres n'entendirent rien à
tout cela , & c'était une chofe cachée pour eux*
En Saint Luc, ch. iS.
OïLA , Chrétiens , ce qui a foulevé
tant d'efprlts , ce qui a même révol-
\ ' té toute là terre, 6c de quoi le mond^
v:
/
ET DES Humiliât, de J. C. 363
entier s'eft fcandalifé : Jefus-ChriQ cou-
vert d'ignominies Se d'opprobres , Jefus-
Chrift ibuffrant & mourant fur une
croix. Scandale de la croix , où (ont
compris tous les autres. Car qui dit un
Dieu crucifié , dit un Dieu anéanti, un
Dieu méprifé , un Dieu perfécuté. Et
parce que tout cela eit venu de Ton
choix , dire tout cela , c'ed dire un Dieu
quia aimé les mépris, les abaidements ,
les perfécutions , les foufiVances. Et com-
me le choix de Dieu fait le prix & la va-
leur des chofes , dire un Dieu qui a aimé
tout cela, c'eft dire un Dieu qui nous
a rendu tout cela recommandable , qui
l'a efiimé , qui l'a confeillé, qui l'a éta-
bli pour fondement de la perfecHon des
homm.es , & qui par conféquent nous
a impofé une obligation indifpenfdbîe
d'eftimer tout cela nous-mêmes 6l de le
refpecler , puifqu'il eft bien jufte que la
créature conforme fes fentiments à ceux
de fon fouveram nuteur &c de fon Dieu,
C'eft toutefois , es chers Auditeurs ,
de ces humiliatioiis & de cerre croix
que les hommes fe (ont iaiffé rebuter;
jufques là que les Apôtres même, éle-
vés à l'école du Fils de Dieu , n'enten-
dirent rien à ce qu'il leur difoit des ou-
trages qu'il devoit bien-tôt recevoir, à
Jérufilem , &. de la mort qu'il y alloit
foutFrir : Et ipfi nihïl horam ïnidi.xtirunt ;
& erat verbum ijîud abjconditum ah eis»
Ne tombons- nous pas tous les jours dans
364 Sur LE Scan. DE LA Croix
le même fcandale ? Qu'on nous propoft*
un Dieu tout-puiffant & brillant dans
l'éclat de fa gloire , notre efprit reçoit
aifément les grandes idées qu'on nous
en donne : mais qu'on nous iaffe voir ce
même Dieu dans robfcurité & dans les
douleurs d'un fupplice également rigou-
reux & honteux , c'eft à quoi notre cœur
lent une réfiftance naturelle , Si. de cette
réfîftance dont on ne fuit que trop le
rrouvernent , naît jufques au milieu du
Chriflianifaie, le libertinage. Il efl donc.
Chrétiens , du devoir de mon miniftere
que je travaille , ou à vous préferver où
à vous retirer d'un icandale qui fe répand
fans celle & qui int"e6le les âmes de fon
venin : il eft important d'exciter votre
foi , de ia foutenir , & de vous mettre dans
les mains des armes pour la défendre : il
s'agit des points fondamentaux de notre
religion , puifqu'elle eft fondée fur la croix
& fur les humiliations de Jefus Chrift. La
conféquence infinie de mon fujet deman-
de toute la force de mon zèle & toute la
réflexion de vos efprits , après que nous
aurons imploré le fecours du Ciel par
l'interceffion de Marie, en lui difant ,
Ave Maria,
OUi l'eut cru , que Jefus-Chrif^ pré-
deftiné de Dieu comme le Rédern-
pteur du monde, dût être un (caudale
pour le monde même ? Il n'eft néan-
jnoins que trop vrai , Chrétiens , Ôc c'ei^
?.T DES Humiliât, de J. C. 365
le défordre que ]'a\ prélentement à com-
battre. Or pour vous expliquer d'abord
mon deflein , j'avance deux propofitioni
qui vont partager ce difcours & qui vous
feront voir tout enferable le crime Si le
malheur de ce fcandale que nous tirons
des humiliations d'un Dieu Sauveur 6c
de fa croix. Car je pré:ends qu'à confi-
dérer ce fcandale dans Ton objet &. par
rapport à Dieu , il n'eft rien de plus cri-
minel ni de plus injurieux ; & j'ajoutS
qu'à le regarder dans les fuites & par
rapporta l'homme, il n'efî rien de plus
funeile ni de plus pernicieux. Deux véri-
tés, mes chers Auditeurs, que j'entre-
prends de traiter aujourd'hui, & dont il
ne me fera pas diiiicile de vous ccnvain--
cre ; deux vérités capables de faire fur
vos cœurs les plus fortes impreiîîons.
Pour peu que vous compreniez ce que
c'efi que Dieu & ce qui lui eft dû , vous
comprendrez aifément quelle eft i'injuf-
tice de l'horame , qui par une témérité in-
foutenable veut entrer dans les confeils
de la fageffe divine , & qui trouvant dans
les humiliations & dans la croix de fon
Sauveur le plus puiiTant motif pour s'at-
tacher inviolablem.ent à lui, s'en tait au
contraire une raifon de fe féparer ce lui
& de l'abandonner. Ce n'eit pas affcz;
mais pour peu que vous foyez encore
fenfibles à votre plus folide intérêt , qui
eft celui de votre falut , vous le ferez au
ëanger affreux où vous expofe le fcandale
Qiij
^66 Sur le Scan, de la Croix
que j'attaque , & vous apprendrez à vous
en garantir : je fcais que je parle dans
un Auditoire chrétien ; mais dans l'Au-
ditoire le plus chrétien il y en a dont la
foi eft foible & chancelante, il y en a
qui aiment à raifonner fur ces points de
religion, & dont tous les raifonnerrients
ri'ont d'autre effet que de les jeter dans
le trouble ; il y en a rr.ême qui , Chré-
tiens en apparence , font incrédules &C
libertins dans le cœur. Or vous voyez
coîribien catte matière leur convient à
tous. Ainfi je reprends , ÔC je dis en deux
mets : E^ieu offenlé par le fcandale de
l'homme touchant les humiliations & la
croix de Jefus-Chrift, c'eft la première
partie. L'homme perdu par ce même
fcandale des humiliations & de la croix
de Jefus - Chrift , c'eft la leconde partie.
Appliquez- vous , s'il vous plaît , à l'une
& à l'autre. Ce lujet convient d'autant
plus au temps où je parle , que c'efl: un
tenips de plaifir ; où le monde femble
jnlulter à l'Evangile , & où le libertinage
traite avec plus de mépris les m.yûeres
de Dieu , pour être en droit de rejetter
l'étroite & fainte m.orale dont ces di-
vins myfteres font les folldes fondements.
Commençons.
j TE l'ai dit , & c'eft ma première pro-
Pap't pûfiîton , dont vous connoîrrez aifc-
" ment h vérité : fe fcandalifer de la reli-
gion chrétienne, & s'en rebuter parce
rr DES Humiliât, de J. C. 367
qu'elle eft fondée !ur les humili-^tions de
U croix 6^ fur les abdifleii.ents de Jefus-
Chrift , c'eft le fcandale le plus inju-
rieux à Dieu : pourquoi ? parce cine ce
fcandale choque direden^ent lu grandeur
ce Dieu , parce qu'il blefle la bonté de
Dieu , parce q 'il fait outr?.ge à la fcgelTe
cie Dieu. \'oilà les trois preuves aux-
quelles je m'arrête , 6c que j'ai prélente-
r»eiît à développer.
Parlant en genér.'-l , Chrétiens, c'eft
attaquer Dieu d^ns la fouverameté de
fon é're, que de prétendre en quoi que
ce foit , cenfurer fj conduite ôc fa provi-
dence. Qu£.nd Dieu auroit fait des cho-
fes dont r;oîre rcifcn femb'.eroir rfien-
fée , dès-ià que la foi fe préfente avec
tous fes n^.otifs pour nous déclarer que
cela eft , ce feroit à nous de condamner
notre raifon ccmrrie aveug'e & ténné-
raire , & non pas à notre ri-ifon de trou-
ver à redire aux œuvres de Dieu. Hé,
ires Frères , difoit Saint Auguftin ^ don-
nons pour le moins à Dieu cet avantage,
qu'il puiHe faire quelque chofe que nous
- jne puiiiions pas comprendre : Dcmus Angujî*
Deum aliquid pojje , quod nos fateamur
inveftigare non pojfe. Ce n'eft pas trop
demander pour lui , & cependant c'eft ce
que nous lui refufons tous les jours. Car
- nous cenfurons tout ce que Dieu fait,
qui n'eft pas conforme à notre fens ; 6t
toute la raifon que nous avons de le cen-
furer, c'eft que nous ne le comprenons
Q iv
56S Sur le Scan, de la Croi:*
pas : Et ipfi nïhil horum intdUxcriinf»
Mais fi cela eft vrai généralement de
tous les ouvrages de Dieu, beaucoup)
plus l'eft-il du grand ouvrage de la ré-
demption divine ; de cet ouvrage ce Diea
par excellence , félon la parole du prophè-
te ; de cet ouvrage , qui eit l'abrégé de
toutes fes merveilles , qui eft la fin de
îous Tes confeils, qui eft le chef-d'œuvre
de fa grâce ; de cet ouvrage , où dans fes
abaiilements & fes plus profondes humi-
liations , il a fait éclater toute fa gloire ;
de cet ouvrage enfin dont il n'a pas feu-
lement été l'auteur , mais dont il fut lui-
mêm.e fur la croix le fujet & la princi-
pale partie. Car n'eft-il pas indigne que
l'homme entreprenne de raifonner à fon
gré fur un femblable myftere , & qu'en
fe choquant de ce myftere il fe choque
& fe fcandalife de Dieu même ?
Tel eft néanmoins, mes chers Audi-
teurs , le défordre où nous tombons , &
qui m.e paroît à peu- près le m-ême que
les Pères de l'Eglife reprochoient aux
païens. Sçavez-vous en quoi confiftoit
le défordre des païens de Rome à l'égard
de leur religion ? Tertullien l'a remarqué
dans fon Apologétique , & le voici : C'eft,
dit- il , que les Romains par un orguei^I
infupportable , au lieu de fe foumettre à
leurs Dieux , fe faifoient les juges & les
cenfeurs de leurs Dieux ; on délibé-
roit en plein Sénat s'il falloit admettre
un Diey dans le Capitole ou non ^ &
I
£T LES Humiliât. DE J. C. 'i6<^
feloa les goûts & les avis différents , ce
Dieu étoit exclus , ou étoit reçu : s'il
agréoit aux juges qui en dévoient déci-
der , il paffoit au nombre des Dieux ;
mais fi cette approbation juridique venoit
à lui manquer, on le rejettoit avec mé-
pris. De forte , ajoute Tertullien , que
fi ces prétendus Dieux ne plaifoient pas
auxhommes , ce n'écoient plus des Dieux :
Nij^ hjmïni Deiis placuerit , Deus non srit, Tenull,
N'ed-ce pas là le dernier aveuglement
de l'elprit humain ?
Or, Chrétiens , permettez-moi de le
dire ici , cet aveuglement règne encore
aujourd'hui dans le monde ; & ce qu'il y
a de bien déplorable, c'eft qu'il ne règne
plus parmi les Païens , mais au milieu'
du Chriftianifme. On voit dans le Chrif-
tianifme des hommes à qui leur Dieu,
fi je puis ainfi parler , ne î)lait pas ; ils ns
trouvent pas bon qu'il fe foit fait ce
qu'il eft, ni qu'il ait été ce qu'il a voulu
être; s'il s'eft fait homme, cela les révolte:
en qualité d'homme il a voulu s'anéantir
& fouffrir ; mais ils le voudroient dans
l'éclat & d^ns la grandeur, & s'ils pou-
voient le réformer, ils en feroient tout
un autre Dieu. Car voilà l'idée, ou plu-
tôt la préfomption de tout ce qu'on appelé
efprits forts du monde, c'eft à-dire, des
libertins du monde , des fenfuels du mon-
de , des ambitieux du monde, ÔC même
des femmes du monde. Combien en
y oyons-nous, jufqu'entre les perfonne^
37Û Sur LE Scan. DE LA Croix
du fexe , corrompues par la rnolîeiTe des
fens 6c- emportées par la vanité de leur
efprit , en venir là ? En vérité , mes
Frères, conclut Sainï Hilatre, s'adrefùnt
s ces faux i'ages , il ùut que nous ayons
porté notre orgueil au dernier excès ; Sc
s'il nous étoit permis , je penTe que nous
irions jufques dans le ciel corriger le
rr.ouven-,ent des aftres, que nous don-
nerions un autre cours au folell , &i qu'il
n'y auroit rien dans la nature que nous
Hilar. îi'entrepriffions de changer : Si liceret ,
& corpora & manus in ccelum levaremus,
Ainfi s'expliquoit ce grand Eveque. Mais
ce qui n'eft pas pofiibîe à nos corps ,
parce que leur poids les tient attachés à
la terre , notre elprit le fait. Car il s'élève
non-feulement jufques dans le ciel , mais
ftu delTus du ciel; & non content d'at-
tenter fur les œuvres du Seigneur , il
attente fur le Seigneur même , en rai-
fonnai'it fur fes mylleres, & en s'oflen-
fant de i'état humble ôc obfcur où il s'eft
réduit pour nous.
Je dois après tout convenir , Chrériens ,
que Marcion fur cela, l'im des hérciiar-
cues les plus déclarés contre les abaif-
lements du Fils de Dieu , répliquoit une
chofe affez apparente & aflez fpécieufe.
Car fi je niC fcandalife des humiliations
& des foufFrances d'un Homme-Dieu ,
cefi , difoit-il , pour riniéttt méire &:
pour l'honneur de Dieu , dont je ne pais
îupporter que la majefté fe loit ainfi
ET DES Humiliât, de J. C. 371
avilie "jufques à la croix; &: mon fcan-
chle n^ peut être criminel , puifqu'il ne
part que d'un b©n zèle. Zèle trompeur &
taux , lui répondoit TeriuUien. Hé, quoi,
Dieu vous a-t-il fait le tuteur de fa di-
vinité ? Ne fe paiTcra-t-il pas bien de
votre zèle &: de i'intéré: que vous pre-
nez à fa gloire r Non , non , pourfuivoit
cet arden: défenfeur de la patiion & des
anéantiiîemenis dû ^'c^be de Dieu , ce
n'eil point à vcus^ Marcion , d'entrer
en de tels raifonnements ; mais c'eA à
vous de reconnoitre votre Dieu dans tous
îes états où il a voulu fe taire voir ; dans
la crèche comme fur le Thabor , & dans
les opprobres de fa mort comme fur le
tTone de fa gloire. Car il eft r.uîTi par-
faitement Dieu dans l'un que dans l'au^
tre ; par conféquent auffi grand dans l'un
que dans l'autre : & c'eft une erreur de
prétendre , ainfi que vous le dites , qu'en
fouftrant il eût celTc d'être Dieu, puis-
que Dieu ne court jamais le moindre
rifque de déchoir en quelque manière de
{à grandeur , & de dégénérer de fon état :
Ncc potes duere , /l pjjjus cjjct , Dtus effe Xertull.
^^fi(fjet ; D<o cnïm nullum efi pcriculum
flatus fui. Or je vous dis le même , Chré-
tiens ; ce n'eft pointa vous de philofo-
pher fur les abalflements & la croix de
votre Sauveur ., c'eft à vous o'adorer
votre Sauveur jufques dans fes abaifle-
n.ents & fur fa croix , parce qu'en erlet
fes abaiffenients même fcm adorables ,
37^ Sur le Scan, de la Croix
& que bien-lcin que la croix ait avili fa
pericnne divine , elle a tiré de la perfon-
ne divine de quoi devenir elle-mên.e
digne de tous nos refpe^ls. C'eft à vous »
dis- je , de lui rendre ce culte , & de faire
hommage à la révélation que nous en
avons reçue. Car , conime difoit Saint
Ambroile, écrivant à l'Empereur Valen-
îinien , à qui eft-ce que je croirai dans
les chofe^. qui regardent mon Dieu , finon
. T^ à mon Dieu ? Cui enim masis de Deo ,
quàm Deo credam ? Mon Dieu m.e die
qu'il eft né enfant , je l'adorerai enfant y
mon Dieu m'apprend qu'il a fouffert fur
la croix , je l'adorerai fur la croix , & quoi-
qu'il me paroilTe moins Dieu ilir la croix
que dans le Ciel , fa croix ne me fera pas
moins vénérable que le Ciel. Au con-
traire , je prendrai plus de pl;jifir à l'ado-
rer crucifié qu'à l'adorer glorifié , parce
qu'en i'adori*.nt crucifié je lui ferai un
plus grand facrifice de ma raifon que
îorfque je l'adore à la droite du Père 6c
dans les fpiendeurs des Saints.
Voilà comment doit parier un chré-
tien : & fi nous ne parlons pas de la
forte , je dis que c'efi: un fcandale qui
ofFenfe directement b grandeur de Dieu ;
mais j'ajoute qu'il bleile encore bieii
plus fa miféricorde : autre outrage que
j'y découvre , & dont l'injuftice fe fait
d'abord fentir par elle-mêm.e. Car n'eft-
îl pas étonnant que nous nous fcanda-
lificns des propres bienfaits de noue
ET DES Humiliât, de J- C. 375
Dieu , & que ce foit fon Infinie Si in-
compréiienfible bonté pour nous qui
nous révolre contre lui? Qu'eft-ce qui
nous rebute dans la religion que nous
profeffons ou que nous devons profef-
1er ? cela nTiême où Dieu nous a fait pa-
roître plus lenriblement fon amour. En
effet , tous ces mylf ères d'un Dieu fait
homn^e , d'un Dieu humilié , d'un Dieu
perfécuté, d'un Dieu mourant, fe rap-
portent à cette grande parole de l'Evan-
gile : Sic Deus dilexn mundum , c'efl
aind que Dieu a aimé le monde. Si
l'homme étoit tant (oit peu raifonnable^,
trouvant ces myfieres fi avantageux pour
lui & fi pleins de charité , il embralTeroit
avec joie tout ce qui lui en perfuade la"
vérité ; & comme la foi lui en fournit
des témoignages convaincants, il goûte»
roit cette foi, & n'auroit point de plus
douce confolation que de s'établir foli-
dement dans cette foi. Mais que fait- il ?"
tout le contraire. Par une préoccupation
extravagante de fon libertinage , il s'élève
contre cette toi , & fans examiner férieu-
fement fi ce qu'elle lui propofe eft vrai
Gu ne fert pas , il fe fcandalife d'abord
& ne veut rien entendre. Au lieu dé-
dire 5 voilà de grandes chofes dont je
fuis redevable à mon Dieu , il dit : Il n'efï
pas croyable que Dieu fe foit tant inté-
relTé pour moi ; & au Heu de vivre en-
fuite dans la jufle correfpondance d'ua
jjuliQur réciproque 6c dans une fidélii4
374 Sur LE Scan. DE LA Croix
refpeftueufe envers Jelus-Chrift Ton ré-
dempteur, il vit dans une infenfibilité
de cœur 5 & dans une monftrueufe in-
gratitude à l'égard de tout ce qui con-
cerne fa rédemption : pourquoi cela ?
parce que le moyen dont Jefus-Chriil
s'eil fervi pour le ûuver ne lui revient
pas , & qu'il n'entre pas dans (on fens.
Défordre que déplorolî Saint Grégoire
Pape dans ces belles paroles de l'homélie
Cregor. fixieir.e fur les Evangiles : Inde komo ad-
verfiLs Sûlvdtorcm jcandalum fumpfit ,
undt ei m,2g}s deb'Uor ejfe debuit. Ah I mes
Frères , quel rcnverferiient. L'homme a
pris fujet de Tcandale contre fon Dieu de
la mêrrve chofe qui devoit l'attacher in-
violablement à (on D!eu. Car il qÇi évi-
dent que s'il y eut jamais rien qui tût ca-
pable de m'attaciier fortement à Dieu ,
de m'inipirer du zèle pour Dieu , de me
faire tout entreprendre & tout fouffrir
pour Dieu , c'éioiî cette penfée , Dieu eft
mort pour moi , il s'eft anéanti pour moi.
Voyez les fruits merveilleux de grâce que
cette penfée a produit dans les Saints,
les miracles de vertu , les converfions
héroïques , les renoncements au monde,
leè ferveurs de pénitence , les difpofi-
tiohs généreufes au martyre. Qui faifoit
tout cela ? la vue d'un Dieu-homme &
d'un Dieu facrifié pour le falut de l'hom-
me. Voilà ce qui gagnoit leurs cœurs, ce
qui les raviiT^it , ce qui les tranfportoit ;
&. il fe trouve, Chrétiens, que c'eft ce
ET DES Humiliât, de J. C. 37^
qui caufe notre fcandale , & que notre
fcarNJale nous entretient dans une vie
lâche 5 impure , déréglée , c'eft-à-dire
dans une vie où nous ne faifons rien
pour Dieu, & où nous nous tenonsconf-
tamment éloignés de Dieu. Or en fau-
droît-il davanrage pour détruire en nous
ce fcandale, & posr nous jurtifierà nous-
mêmes la loi qui lui eft oppofée , que de
penier : c'eft cette foi qui me ùnCiïûe ,
6l c'eft ce fcandale qui me pervertit;
c'eft la foi de la mort d'un Dieu qui
m'engage à la pratique de toutes les ver-
tus , & c'eft le fcandale de la mort d'un
Dieu qui me plonge dr.ns. U corruption
du péché? Cela ieui ne devroit-il pas.
réprimer tous les fcandales de notre efprit
en m.atiere de religion ?
Hé, mon Frère , encore une fois,
s'écrioit Tertullien , je vous conjure de
ne vous pas fcandaiifer de ce qui a été la
caufe effentielle de votre bonheur. Voi-
ci , Chrétiens , des fentiments & des ex-
prefTions propres de ce grand génie. Scan-
dalifez- vous , fi vous le voulez , de tout
le refte ; mais épargnez au moins la per-
fonne de votre Sauveur ; épargnez fa
croix , puifqu'elle vous a donné h vie ;
épargnez-la , puifqu'elle eft l'efpérance
de tout le monde. Parce ^ obfecro , parce TcnulU
huic fpeitotius orbis. Si c'étoit les Anges
qui s'en ofienfafl"ent & qui s'en fcanda-
lifafTent , cela feroit en quelque forte plus
fupportaoie ; Jefus-Chiift n a pai foufiert
37^ Sur le Scan, de la Croix
pour eux; mais que ce foit vous pour
qui ce Sauveur eft venu & pour qui il a
voulu raourir , c'efl un fcandale qui doit
foulever contre vous toutes les créatu-
res. Et ne ine dites point, pourfuivoit
Tertullien , que l'humilité de la croix étoit
indigne de Dieu ; car elle a été utile à
votre falut ; or dès qu'elle a été utile à
votre falut , elle a commencé à être
digne de Dieu , puifqu'il n'y a rien qui
foit plus digne de Dieu que le falut de
liêfn, l'homme : Nihil tam dignum Deo cjuâm
hominîs falus. Ne me dites point que la
mort eft un opprobre dont un Dieu ne
devoit pas être fufceptible ; car ce que
vous appeliez l'opprobre de mon Dieu,
c'eft ce qui a été la guérifon de m^es maux
& le facrement de ma réconciliation :
idem. Totum Dei mci dedecus facramentum fuit
mccz falutis. Or il faudroit que je fufle
bien méconnoiffant & bien infenfible, fi
je venois à concevoir du mépris pour cet
opprobre fi falutaire , & par conféquent
fi tefpedtable & fi aimable pour moi. Ce-
pendant il y a des hommes ainfi faits ;
toute la bonté de Dieu ne fuffit pas pour
les toucher , fi fa fageffe , félon leurs
idées , ne s'y trouve jointe ; ils ne fe con-
tentent pas que Dieu les ait aim.és , ils
veulent qu'il les ait aim.és fagem.ent, je
dis fagement , félon leurs vues ; & s'il les
a aimés d'une autre manière, ils font
déterminés à fe fcandalifer de fon amour
fiiême. Or fuiyîuit leurs vues 6c leurs.
ET DES Humiliât, de J. C. 377
idées , tout ce myflere d'humiliation Sc
d'anéantilTement lur quoi le Chriftianif-
me eîi établi, leur paroît une tolie. Et
moi je prétends enhn que c'eft le myftere
de la lageiTe même de Dieu, & que par
un dernier caractère , le icandale qu'Us
en tirent eft d'autant plus outrageux à
Dieu , qu'il va contre tous les ordres &
les plus admirables confeiîs de cette di-
vine fdgeffe.
Car à quoi fe réduit le fcandale des
prétendus efprits forts du monde, fur le
fujet de Jefus^Chrifl & delà rédemption
de l'homme r Ils ne peuvent fe perfuader
qu'un Dieu fe foit abaiilé 6c humilié de
la forte : mais je foutiens moi qu'il n'y
avoit rien de plus convenable à fon office
de Sauveur ; pourquoi ? parce qu'il n'étoit
fur la terre qu'aiin de fatis faire à Dieu
pour les hommes. Or la fatisfaftion d'une
offenfe porte avec foi l'humiliation &
l'abailTement de celui qui fatisfaiî : cela
n'eft-il pas dans l'ordre naturel? Ils ne
goûtent pss que le Fils de Dieu ait publié
dans fa religion des maximes fi rigou<
reufes , la haine de foi-m.ême , l'abnéga-
tion de foi-même , la févérité envers foi-
même : m.ais devoit-il en publier d'au-
tres , dit Saint Jérôme , établiffant une
religion d'hommes qui dévoient fe recon-
noitre pécheurs &L criminels ? Car qu'y
a-t-il de plus fortable au péché que la
pénicence , & qu'y a-t-il de plus confor-
me à la pénitence que la rigueur pouï
378 Sur LE Scan. DE LA Croix
foi- même & l'auftérité ? La raifon feule
n'autori'e-t-elle pas cette conduite ? Us
s'étonnent que Jelus Chnft ait ccnonifé la
pauvreté comme une béatitude, qu'il ait
propofé la croix aux hommes comme un
attrait pour le luivie , qu'i! ait reJevé
l'amour du mépris ^i\ defius de tous les
honneurs du hecle ; & moi j'admire la
profondeur delcnconfeil en tout cela;
car que pouvoir il Lue de mieux , puif-
qu'il croit queftion de Tuver le monde
en le réformant , que de combattre pour
le réformer, la cupidité du monde, la
fenfualité du monde, Toi gued du morde?
Mais qu'éroit-il besoin que ce méde-
cin des am.es prît lui-mcme les remèdes
r-écelTaires pour guérir nos mjaladies ?
qu'étoit-il befoin qu'il fouffrit &L qu'il
s'anéantît ? Il le falloit , Chrétiens , afin
qjje fon exemple nous portât à ufer nous-
mêmes de ces remèdes ; fans cela, fans
cet exem.ple qui les adoucit , aurions nous
pu en fouîenir l'amertume ? S'il avoit pris
pour lui les douceurs , &. qu'il ne nous
eiJt 1 dfTé que h croix, qu'aurions-nous
penie de ce partage ? Dans le deiTein où
il étoit de donner du crédit à la pau-
vreté Se à l'humilité dont le monde avoit
tant d'horreur , de quelle invention plus
efficace pouvoir-il fefervir, que de les
confacrer dans fa perfonne , Lim , com-
me dit excelîem.ment Saint Ar.gufîin , que
l'humilité de l'hom.me, qui elt foible par
elle-même , trouvât dans l'humilité de
ET DES Humiliât, de J. C. 379
Dieu de quoi s'appuyer & de quoi fe
défendre contre les attaques de l'orgueil.
Uc falukerrïma humiUtas kumana , con- Aupfi*
tra injultantem fibi fuperLiam , divinœ.
humilitatïs patrocinio fulciretur. Mais
après tcut cela , me direz- vous , il y en
a bien peu encore qui goûtent ces maxi-
mes. 11 ne s'agit pas s'il y en a peu ou
beaucoup ; il s'agit du dedein qu'a eu
Jefus-Chrifl en les propofant au monde.
S'il y en a peu qui les eoûtent , en peut
dire aufTi qu'il y a peu d'élus & de pré-
dellinés ^ éc qu'il n'eft point néceffaire
qu'il y en ait plus des uns que des autres,
puiiGue pour nire rubfifler les décrets
de Dieu , il luiiit qu'il y ait autant de
feciateurs de ces maximes qu'il doit y
avoir d'hommes choifis Ôc deitinés pour
le ciel.
Quoi qu'il en foît , reprend Saint Au-
gurtin, telle eft la conduite qu'a tenue
le Fils de Dieu : il a fuit de fa croix un
moyen pour corriger nos mœurs dépra-
vées & corrompues ; & parce que ce
moyen étoit iaoui & que le monde s'en
fcandalifoit , il l'a fouîeijL à toice de mi-
racles ; par l'autorité de Tes miracles, il
s'eft acquis la foi des peuples ; par cette
foi des peuples , il a formé une Eglife
norr.breufe ; par la propagation de cette
Eglife , il a eu le témoignage de la tradi-
tion & de l'antiquité ; & par là enfin il a
tortillé fa religion , mais enforte que ni le
pagunifme , ni les héréfies ne rébranUilent
3§o Sur LE Scan. DELA Ciîoix
idem, jamais : MiracuUs conciliavit au6îorïtà^
tem^ audoritate meruit fidem , fide enutri-
vit muliitudinem , multitudine obtïnuit
vètuflatcm , vetuflate roboravit rdigionem,
C'ell dans le livre de l'utilité de la foi
que parle ainfi. ce faint Dofteur. Mais
fçavez-vous , mes chers Auditeurs, pour-
quoi nous nous fcandalifons de la croix
de notre Dieu ? c'eft jufleraent parce
qu'elle eft un ren-.ede contre nos delor-
dres ; voilà ce qui nous blelTe : car nous
ne voulions point de ce remède ; nous
nous trouvions bien de nos maladies , &
bien-loin d'en fcuhaiter la guérifon , nous
ne cherchions qu'à les entretenir & quà
les accroître : le Fiîs de Dieu eft venu
nous dire qu'il en falloit fortir , & c'eft
-ce qui nous a déplu ; s'il nous avoit dit
toute autre chofe , nous l'aurions écouté ;
s'il nous avoit propofé les fables du pa-
ganifme , nous les aurions reçues : mais
parce qu'il nous a révélé des myfteres
qui tendent tous à la réformation de no-
tre vie ôc à la deftrudlion de nos paflions,
voilà pourquoi nous nous fommes révol-
tés : femblables à ces phrcnétiques , qui
fe tournent avec fureur contre ceux-mê-
mes que la charité emploie auprès d'eux
pour les Iculager. C'ed ainfi , continue
Saint Auguftin, que notre Dieu, tout
adorable qu'il eft , eft devenu un fujet de
contradi61ion pour les luperbes , parce
qu'en s'humiliant il a prétendu rabatre leur
-orgueil. Comme fi c'étoitpeuà i'homiii«
<ET DES Humiliât. DE J. C. 381
jd'etre malade , s'il n'y ajoutoit encore
jde fe glorifier dans Ton propre mal , 6c de
trouver mauvais qu'on entreprenne d*
Yen délivrer. Que ]e parle à un grand du
monde d'un Dieu entant , d'un Dieu cou-
ché dans une crèche, cela le trouble;
non pas à caufe de la difficulté qui paroit
dans ce myflere , car ibuvenr il ne penie
pas à cette difficulté , & peut-être ne l'a-
î-il jamais examinée ; mais parce que ce
myilere coidamne tous les projets de ion
ambition, & tous les deffeins injuiles &
criminels qu'il a conçus d'agrandir fa
fortune à quelque prix que ce foit. Que
je miette devant les yeux à une iemme du
iTJonde un Dieu fouffrant 6c couvert de
plaies ; Ton cœur fe foulevera ; non pas
pour rimpoffibil'té qu'elle y voit , car
elle n'y en voit point , mais parce qu'ua
Dieu dans cet état e'it un reproche fenfi-
ble de fes délicateiles , de ion am^our pro-
pre, du foin qu'elle prend de fon corps*
Et pour preuve de ce que je dis , que ]$
propofe à Tun & à l'autre le m3'ftere d'un
Dieu en trois perTonnes, qui ed encore
bien plus incompréhenfible que celui d'un
Dieu humilié, ni l'un ni l'autre ne s'en
ofFenfera ; pourquoi ? parce que le myf-
tere d'un Dieu en trois perfonnes ne porte
point de conlequence immédiatement
contraire à l'ambition de l'un , ni au luxe
& aux m.ondanités de l'autre.
Ne cherchons donc point la véritable
feurce de nos fçandales ailleurs que dài)S
3S2 Sur LE Scan. DE LA Croix
nous-mêmes , que dans nos vices , dans
nos inclinations criminelles , dans nos
dérèglements. Et c'eft par-là que nous
devrions encore juger de la qualité de ce
fcandale , puifqu'il ne prcK:ede que de
notre iniquité , 6l qu'il ne Te forme dans
nous qu'à proportion que nos mœurs fe
pervertirent. Ah ! Seigneur , je ne m'é-
tonne plus que le monde ait tant com-
battu votre loi , & tant contredit votre
adorable perfonne : le monde étant au
point de libertinage où il eÛ , il falloit
par une fuite infaillible qu'il vous traitât
de la forte , & je ferois furpris s'il ne fe
fcandalifoit pas de vos maximes en fui-
vant des principes tout oppofés. Ce fcan-
dale , Seigneur , n'eft qu'une marque de fa.
corruption & de votre fàinteté . ù vous
étiez moins faint , ou s'il étoit moins
vicieux , il ne fe fcanduliferoit pas de
vous ; mais fuppofé votre fàinteté & fes
défordres , fon fcandale eu. nécelTaire.
Ainfi vous voyez, mes chers Auditeurs,
combien le fcandale des hun.iliations ÔC
de la croix de Jefus-Chrift eft injurieux
à Dieu ; & je vais vous montrer qu'il
n'eft pas moins pernicieux à l'homme,
fur- tout à l'homme chrétien : c'eil la
féconde Partie.
II. A Prendre les chofes dans Tordre de
Part. -^^ ''• l'rovidence Se félon la conduite
ordinaire de Dieu, loir pour la difpolition,
- foit pour raccompUffeinent (5c l'exécutioa
ET DES Humiliât, de J. C. 383
du falut de Thomme , on peut dire, &
il eil vrai, que ce qui a fait prefque tous
les réprouvés , c'a été le fcand-ile des hu-
iTiiIiations 6l de la croix du Fils de Dieu -,
voilà , fi nous en croyons S. Chrylofto-
me , l'origine de l'apolUfie même des
Anges» il dit qu'au moment que Dieu
créa ces efprits céieftes , il leur propola
le grand myftere de la rédemption & du
falut, qui fe dévoie un jour accomplir
dans la perfonne de fon Fils , & qu'il les
obligea d'adorer ce Pvédem^pter : Et ado-
rent eum om.ies _AngeU Dd. Que les uns
s'y foumirent refpeclueufement , & quQ
ce furent les anges prédeftinés ; mais que
les autres par orgueil s'en fcandaliferent,
& qu'en punition de leur délbhéiiTance
Dieu les précipita dans l'abyme éternel.
Voilà, (elon la penfée de tous les Pères,
la Iburce funefte de la réprobation des
Juifs. Les Juifs attendoient un Meffie
riche , puiffant , magnifique , envoyé de
Dieu , pour rétablir par fes conquêtes le
Roy lume d'ifraël , & dont ils fe promet-
toient toute forte de profpérités : mais
quand ils virent Jefus-Chrift dans une
difette extrême de toutes chofes , tbible,
petit, inconnu, condamné à la mort ÔC
à la mort de la croix , ils le mépriferent,
& ce fcandale les fit tomber dans l'mfidé-
lité -, leur infidel'té les jeta dans i'endur-?
ci(Tement,leurendurcifrement irrita Dieu
qui les abandonna , & les effets de cet
Abandon de D.eu furent h deiliudioa
5S4 SuRLE Scan. DELA Cp.oîx
jde leur ville , la profanation de leur rem-
pie , la ruine de toute leurnation. Voilà,
ïiifoit Saint Jérôme, & l'expérience nous
2'apprend , ce qui rend les Païens indoci-
les & rebelles à la lumière de l'Evangile,
quand nous leur annonçons notre fainte
loi: s'ils pouvoient vaincre ce fcandale
f3'un Dieu crucihé, ils feroient fidèles
comme nous ; mais parce que leur raifoa
^ù. préoccupée , ils demeurent malheu-
jreufément dans les ténèbres de l'idolâtrie
^ dans l'efclavage de l'enfer.
Mais laiffons les Juifs ôi. les Païens;
parlons de nous-mêmes. Voilà, mes
frères, la'ientation la plus fubtile dont
un Chrétien du fiecle ait à fe défendre ,
jôc dont il fe défend communément le
moins ; voilà ce qui l'expofe à un danger
plus évident de fe perdre : pourquo? j'en
donne trois grandes raifons que je vous
prie de méditer 6t dépraver bien avant
dans vos cœurs. Parce que ce fcandale
ides humiliations & de la croix d'un Dieu
jeft eflentiellement oppofé à la profenioa
de foi que doit faire tout homme chré-
tien ; c'ed la première : parce que ce fcan-
dale eft un obftacle continuel à tous les
devoirs & à toutes les pr.ui<^ues de la
religion d'un Chrétien ; c'eft la féconde :
parce que ce fcandale eft le principe gé-
néral, mais immanquable , de tous les
défordres particuliers de la vie d'un Chré-
tien ; c'eft la troifieme. Que n'ai je, ô
mon Dieu , le zèle de votre Apôtre ,
pour
$T DES HtJMÏLIAT. DE J. C. ^î^
fîour traiter auiîi dignement & aulli for-
tement que lui ces importantes ventes ;
Je dis que cette tentation ou ce fcan-
dale eft effentieilennent oppofé à la pro-
feffion de foi que doit faire tout homme
chrétien , & en voici la preuve qui efl
fdns repHque : c'ed que la foi d'un Chré-
tien & la profeiTion qu'il eiî fait , doit
aller jufqu'à fe gloritier des humiliations
& des foufFrances de Jefus-Chrift. Ce
n'eft pas affez pour moi que je le croie ;
il faut que je dife comme Saint Paul , 8t
que je dife fmcérement : y4b/ît mlhi glo- Citst,
riari , nifi in cruce Domini nojlri Jefu e, é,
Chrifli. Sans cela il n'y a point de falut
pour moi. Car Dieu , dit Saint Auguf-
tm , a attaché mon falut à la croix de ion
Fils : non pas à la croix méprifée , reje^-
tée , envifagée avec horrçur , mais à \^
croix refpettée avec toute la foumifîion
de la foi , & embraffée avec toute l'ar-
deur d'une fainte piété & d'une fervente
charité. En effet, ajoute ce faint Dofteur,
il eft bien jufte , puifque c'eft la croix qui
iTiQ doit fauver , qu'il m'en coûte au
moins d'cfpérer en elle 6c de m'en glo-
rifier. Or le moyen que je me glorifie
de la croix , fi j'en fuis intérieurement
fcandalifé ? &L quand je dis la croix du
Sauveur, je n'entends pas feulement cette
croix extérieure & m?.térielle qui fut VïnÇ-
trument de fon fupplice & dont nous
voyons la repréfentation fur nos Autels ,-
parce qu'il fe peut faire que , par une
Domïn, Ton, L R
386 Sur le Scan'oe la Croix
habitude de religion & une certaine cou<^
tume, nous honorions celle- là, uns eri
recevoir nulle atteinte de fcandale. Mais
l'entends cette croix intérieure dont le
Fils de Dieu fut ..ffùgé dans le fond de
fon ame , & à laquelle nous participons
tous les jours par les injures , par les
advenues, par les difgraces de la vie,
par la perte de nos biens ,par le mépris
ce nos perfonnes , par les perfécutions
qu*cn nous fufcite. Car dans le langage
ce i'Eyangile & celui de Saint Paul,
c'eft précifément tout cela que (ignine la
croix ; & fi notre profelTion de foi ei\
pleine & entière , il faut par une indif-
penfable nécellité , qu'elle s'étende juf-
qu'à l'ci^ime &. à l'annour, je ne dis pas
i'amour fenfible & affe6lueux , mais l'a-
mour folide &L raifonnable dç tout cela.
Or encore une fois , Chrétiens , com-
ment accorder l'amour Si l'eftinp.e de tout
cela avec le fcandale que je combats ?
De là vient , mes chers Auditeurs , que
quand je vois les Chrétiens fe profterner
devant la figure de la croix , fans juger
témérairement , je fuis perfuadé que la
plupart ne font cette aôion que par une
cérémonie pure; & Dieu veuille que ce
foit fans iiypocrifie 1 Car au même temps
qu'ils adorent la croix en figure , ils ont
pour la croix en elle-même un éîoigne-
ment & un mépris caché , qui détruit ce
culte d'adoration & qui l'anéantit. En
effet ,radoration de ia croix n'eil un at5l$
HT DES Humiliât, de J. C. 3S7
ûe religion & une profeliîon de notre
foi , qu'autant qu'elle eft accompagnée
d'une vénération intérieure ; & ce que
Saint Auguftin difoit fi magnifiquement
à l'avantdge de la croix , qu'elle a eu
la force de s'élever (Vj lieu infâme des
fupplices jufques fur le front des Empe-
reurs , A lucis fupplïc'orum ad frontcs Augnfl,
imperatorîim,nQÙ. qu'une exprefiîon pom-
peufe & rien de plus , fi du front des
Empereurs où la croix eft imprimée, elle
ne paffe jufque dans le cœur des fidelîes.
■Or il eft impofnble que rimpreffion s'en
fade dans notre cœur, tandis que l'hor-
reur des fouiTiances & des humiliations
y régnera , puifqû'il n'y a rien de plus
incompatible avec le refpect & l'amour ■
de la croix,, que cc:te impofitiGn aux
véritables croix que Dieu nous envoie :
d'où je conclus que c'eft un fcandale qui
va jufqu'à la de0.ru6lion de notre foi.
De là même ( & c'efl la féconde vé-
.rite , qui n'efl qu'une fuite de la pre-
nûere , & qui lui donnera un nouveau
jour ) de là fcandale qui , expofé de la
manière que vous veaez de le concevoir,
eft un continuel obftacle à tous les de<-
-voirs & à toutes les obliganous d'ua
Chrétien : ceci me paroît encore incon-
•teftable. Car toutes les pratiques de la
vie chrétienne, félon le plan que nous
en a tracé l'Evangile, tendent à la haine
de foi -même, au crucifiement de la
dcliair, à rsnéantiffenient de l'orgueil -
Rij
508 Sur le Scan, de la Croix
au retranchement des plaifirs, au renon-
cement à rintérêt , & fans cela nous ne
pouvons fatisfaire même en rigueur aux
préceptes de la religion: Or voilà ce qui
fe trouve combattu par le fcandale de la
croix du Fils de Dieu. Ainfi , faut-il
étouffer le reffentiment d'une injure reçue
& en facrifier la vengeance à Dieu ? ce
fcandale de la croix s'empare de notre
efprit , &c nous perfuade que ce devoir
de la charité eil dans la pratique du
inonde une folie qui ne peut fe foute-?
nir ; qu'il eu jufle de défendre fes droits,
qu'il faut maintenir fon rang , que l'hon-
neur eft un bien inaliénable dont chacun
fe doit répondre à foi mêm.e , & qu'on
n'y peut renoncer fans fe perdre. Si
j'honorois fincérement la patience de mon
Sauveur dans les perfécutions & fur la
croix , je rsifonnerois tout autrement ; je
recevrois les injures fans émotion , je
les oublierois fans peine, je les pardon-
nerois avec plaifir , je rendrois le bien
pour le mal , je me tiendrois heureux
de céder aux autres : pourquoi ? parce
que je ferois prévenu de cette penfée
que tout cela m'eft honorable depuis
l'exemple de mon Dieu. Mais quand le
fcandale de l'exemple de mon Dieu
vient à agir fur moi , dès-là je fuis fen-
fjble à i'offenfe , je fuis inflexible au
pardon , je prends un cœur dur & im-
pitoyable pour mes ennemis , je ne puis
le< aimer, je nç puis les voir , parce
ET DES Humiliât, de J. C. 3S9
ique je n'ai plus rien qui me porte à
me réunir avec eux ni qui me facilite
ce retour.
De même , eft-ilqueftion de furmon-
ter un reipeél humain lequel nous em-
pêche de rendre à Dieu le culte qui lui
ell: dû ? ce fcandale de la croix éc des
humiliations de la croix ne manque pas
de nous luggérer mille prétextes qui nous
arrêtent , 6c de nous dicter intérieure-
ment qu'il faut vivre dans le monde
comme vit le monde, qu'il faut accom-
moder fa religion à fa condition ; qu'il
faut éviter toute diftinaion 6l route ùn-
gularité ; que Dieu Tçait les intentions du
cœur , mais qu'il ne demande pas qu'on
falle parler de foi ni qu'on devienne un
fujet de rifée. Si je ne me fcandalifois
pas de Jefus-Chrift, je ne me fcandali-
îerois pas de fes opprobres & de fes
abaiflements ; & ne me Icandalifant pas
de fes abaiflements , je ne me fcanda-
liferois pas des miens , je les fouffrirois
tranquillement , &: même avec joie. Et
qui me pourroit troubler lorfque je me
dirois à moi-même : on me raillera, on
fe formalifera de me voir pratiquer ce:
exercice de piété , de me voir aililler
régulièrement au facrifice de nos Autels ,
de me voir approcher de la fainte table ;
mais fi l'on me raille , j'en bénirai Dieu ,
& je me terai un mérite & une gloire
d'elTuyer pour lui quelques railleries ,
après qu'il a été couvert pour moi ds
R iij
590 Sur le Scan, de là CrojiC
f onfufion. Voilà ce que je dirois , 5c-
c'eA ainfi que je me conduirols dans tou-
tes les rencontres & à regard de toutes^
les obligations du Chriftianifme. Mais au
contraire parce que je me fais de Jefus-
Chrifl & de fa croix un fcandale , dès-
là je ne veux rien foufFrir , dès-là je me
rends aux moindres attaques qu'il y a à
ibutenir, dès-là je rougis de mon devoir
& je laifle toute ma fidélité fe démentir.
11 n'y a point d'excès où je ne fois dans
la malheureufe difpofition de m'aban-
donnera ni de défordres où je ne puiile
tomber.
Car ce fcandale , me^ cbers Auditeurs ,,
dont je vous repréfente ici les fuites fu-
jiefles, eft en eflet le principe univerfel
de tous les défordres particuliers qui ré-
gnent dans le Chriflianilme : troifieme
&: dernière vérité. S'il y a des Chrétiens
întérefTés , c'efl parce qu'il y a des Chré-
tiens fcandalifés de la pauvreté de Jefus-
Chrifl : s'il y a des Chrétiens ambitieux,.
c'efl parce qu'il y a des Chrétiens fcan-
dalifés de l'humilité de Jefus - Chrill :
s'il y a des Chrétiens fenfuels & volup-
tueux , c'ef^ parce qu'il y a des Chré-
tiens fcandalifés de la vie auflere & de
la mortification de Jefus-Chrift ; ainfî
des autres. Otons ce fcandale & ban-
nidons - le du Chrif^ianifme , nous en.
bannirons tous les vices , & nous y don-
nejons eatiéc à toutes les vertus. Je fçaii
ET DES Humiliât, de J. C. 391
^ù*un Chrétien peut quelquefois & en
certaines occafions fe livrer à une paf-
fion d'intérêt , d'ambition , de plailir ,
& néanmoins honorer dans la perfonne
du Sauveur les vertus oppofées : ce
n'eil alors qu'un mouvement imprévu
& qu*un3 faillie paffagere. Mais qu'un
Chrétien perféveie dans le défordre de
cette palTion, & qu'il s'en faffe une ha-
bitude , fans être fcandalifé des maximes
ôc des exemples de Jefus-Chrift ; c'eft-
à-dire , qu'il foit fenfuel par état , fans
erre fcandalifé de la croix de Jefus-Chrift;
qu'il foit fuperbe & mondain par pro-
feliion , fans être fcandalifé des abaif-
fements de Jefus-Chrift , c'eft ce qui
n'arrive point : il faut pour cela qu'il y
ait un principe habituel dans ce Chrétien,
qui pervertiiTe fa foi & qui corrompe fes
mœurs, & ce principe ne peut être que
le fcandale dont j'ai parlé.
Concluons donc avec le Fils de Dieu,
bienheureux celui pour qui l'auteur de
fon falut ne fera point un fujet de fcan-
dale : (Se par une règle toute contraire,
malheur à quiconque fe fcandalifera de
la vie & des afticwis de fon Sauveur.
Car ce fcandale que nous nous formons
contre notre Dieu , ne lui peut nuire ,
ÔC n'eft pernicieux qu'à nous-mêmes. Il
eft trop indépendant , ce Dieu de gloi-
re , Se trop élevé , pour recevoir de nos
fcandales quelque dommage. Scandali-
fons-nous tant que nous le voudrojis ,
R iv
392 Sur ie Scan, be la Croix
àe fa do£irine & de fa religion , fa doc»
trine malgré nous fubfiftera & fa reli-
gion triomphera. Elle a triomphé du
fcandale des Juifs & de celui des nations
idolâtres ; elle a triomphé du fcandale
des fages félon la chair & de celui des
fimples, du fcandale des fçavants & de
celui des ignorans , du fcandale des Rois
& de celui des peuples , du fcandale da
t®ute la tetre ; lui fera-t-il plus difficile
de triompher du nôtre } Si donc ce fcan-
dale eft tunefte , il n-e le peut être que
pour nous , & il ne l'eft pour nous que
parce qu'il nous attire celui ^le Dieu. Car
voici, mon cher Auditeur, comn-ent la
chofefepafTe.Un fcandale en fait naître
un autre : nous nous fcandalifons de no-
tre Dieu , notre Dieu fe fcandalife de
nous ; avec cette différence edentielle ,
<jue notre fcandale eft injufte , & que
celui de notre Dieu eft plein d'équité.
Car nous ne trouvons rien en lui qui
puifte juftement nous rebuter ; & quand
nous venons à nous fcandaîifer de lui ,
quels fujets ne trouve-t-il point en nous
qui doivent allumer toute fa colère &
l'irriter ? Or ce fcandale de Dieu envers
nous , eft le plus grand de tous les mal-
heurs , parce que c'eft le caraiStere de
réprobation le plus pofitit ik le plus
marqué.
Sur cela , mon Dieu , je m^adreffe à
vous , Si permettez-moi de vous taire ici
tinepiierç au nom de toutes les peifonnc^
Èi
ET DES RUMILI/LT. DE J. C. 3f J
qui m'écoutent. Ceft une grâce bien
commune que je vous deminde ; mais
fi vous nous l'accordez , j'efpere tout
pour cet Auditoire chrétien. Ne nous
abandonnez j^^mais , Seigneur , jufqu'à ce
poinf , que nous nous fcandalifions de
ce que vous avez fait pour nous & des
divins enleignements que vous nous avez
donnés. Nous fçavons que le libertinage
du fiecle nous porte là, & que (i vous
ne nous en préferviez, il nous condui-
roitinfenfiblement dans cette efpece d'in-
fidélité. Mais , mon Dieu , c*ell pour
cela même que nous implorons le fe-
cours de votre grâce : imprimez dans
nos efprits une haute eftime de vos hu-
miliations & de vos fouffrances , telle
que l'avoit Saint Paul , lorfqu'il en par-
loir dans des termes Ci magninques , ik.
qu'il en faifoit toute û gl-oire C'étoit
vous , Seigneur , qui agiiiiez immédia-
tement dans le cœur de cet Apôtre pour
y produire ces grands fentinients. Il étoit,
fi j'ofe m'exprimer de la forte, le per-
fécuteur de votre humilité & de votre
croix ; mais dans un moment il en de-
vint l'adorateur & le prédicateur. Faites-
nous part & accordez nous quelque por-
tion de cet efprit apoftolique , afin que
nous honorions jufqu'à vos ignorivinies.
Ah ! que fera ce Seigneur , de votre
magificence èc de votre fplendeur dans
le célefte féjour, puifque vos opprobres
même fur la terre ont été li glorieux ^
R V
354 Sur le Scan, de la Croix
que fera- ce de nous , divin Sauveur;,
quand vous ferez un jour éclater fur
nous votre gloire , puiftiue dès mainte-
nant nous devons nous glorifier de vos.
Jmhr. abailTemens ? Si approbrium tuum fr^lorin
I t[i , Domine. Jefu , ijuid erit gloria ^tua ?
Belles paroles de Scint Ambroife, mes
chers Auditeurs ! Ce font les fentiments
où je vous laide ^ il ne faut qu'être
Chrétien pour les avoir, &. il faut les
avoir pour être Chrétien :. plus vous
entrerez dans ces fentiments , plus vous-
parttciperez à la grâce & à l'efprit du,
Chriftianinr.e ; & à mefure que ces fen-
timents s'affoibliront en vous ^. la grâce;
du. Chrifiianifme s y afioiblira. Laiiions ,,
mes Frères , laiflbns les mondains courir
après le monde & toutes les vanités- du-
monde : mais attachons-nous à la per-
sonne de notre aimable, Rédemp-eur ;,
marquons -lui plus que jamais , en ces-
jours que le monde profane, notre fidé-
ihé.. 1.1 n'y a de falut que par lui ,. toute:
. ROtrs efpérance eft fondée fur lui , Se
Dieu nous regarde comme des anathe-
mes , fi nous nous féparons de lui. Atta-
chons-nous à fa morale, attachons-nous-
à fes exemples, attachons-nous à fa re--
^ ligicn ; ayons en horreur tout ce qui nous-
en peut détourner ; ne foyons pas de ces.
efprits inquiets qui donnent à tout ; 6c
que rion n'arrête. Servons Dieu avec,
confiance. 6c avec fermeté , & pour
l'acquérir cette fainte fermeté ,. établif-
ET DES Humiliât, de J. C. 39^
fons-nous fur la Pierre qui eft Jefus-
Chrift : ne nous faifons point de cette
pierre une pierre de fcandale , mais fai-
lons-en le principe & le fondement de
notre perfection. C'eft ainfi que nous
parviendrons au comble de la béatitude,
où nous conduife , 6i.c^
K Y)
39^
TABLE
DES SERMONS,
^ F £ C
L'abrégé de chaque Sermon»
Sermon pour le preir.ifr Diman-
che après TEpiphanie , fur le
devoir des Pères par rapport
à la vocation de leurs enfants.
SU JE T. La Mtre de Jefus- Chrifi lui
dît : Mon Fils , pourquoi en ave:^-\'0us
jifé de la forie avec ncus ? Votre pcre d*
moi , nous vous cherchions ûvcc beaucoup
d'inquiétude. Il leur répondit , pourquoi
me cherchiez - vous ? ne fç-arci - vous pas
quil faut que je m'emploie aux chojcs qui
regardent mon Père ? Et Us ne comprirent
fés ce qu'il leur dit. Le Sauveu* du tnon-
<iç , duui cette réponle qu'il fi; à Maris ,
DES Sermons. 397
apprend aux pères & aux mères com-
irent ils doivent fe conduire à l'égard
de leurs enfants , lur-tout en ce qui
concerne le choix de l'état où Dieu les
appelle, p. 3. 4. 5-
Division. 11 n'appartient pas aux
pères de difpofer de leurs enfants en ce
qui regarde leur vocation & le choix
qu'ils ont à faire d'un état : i. Partie,
Les pères néanmoins font refponfables
à Dieu du choix que font leurs enfants
& de l'état qu'ils embraffent : 2. Partie*
p. 5. 6. 7.
I. Partie. U n'appartient pas aux
pères de difpofer de leurs enfants en ce
qui regarde l«ur vocation & le choix
qu'ils ont à faire d'un état. Un père qui
veut fe rendre maître de la vocation
de fes enfants, commet deux injuftices,
l'une envers Dieu , l'autre envers fes
enfants, p. 7. 8.
I. Injuftice envers Dieu , parce qu'il
n'appartient qu'à Dieu de décider de la
vocation des hommes : pourquoi ? deux
raifons : c'eft qu'il eft le premier père de
tous les hommes , & c'efl qu'il n'y a
que fa Providence qui puiffe bien s'ac-
quitter d'une foné^ion auffi importante
que celle de marquer aux hommes leur
vocation. 11 eft le premier père , & c'elt
la qualité qu'il prend dans l'Ecriture. Il
eft même , remarque Saint Grégoire >
le feul père que nous reconnciiTions félon
l'efprit ^ 5c par coiiféq^ucai le feul qui ik
398 Tab^le Et ASRiGE
droit d'exercer fur les efprits 6c les vo*-
lontés des hommes cette fupériorité de
conduite qui fait l'engagement de la
Tocation. Audi tous les maîtres de la
morale chrétienne ont-ils toujours re-
gardé comme une offenfe grieve d'em-
brafTer un état fans la vocation de Dieu ,
&. c'eft à cette vocation que fa grâce eft
attachée. De plus , il n'y a que Dieu qui
puiiTe bien appliquer les hommes à un.
emploi , & leur alligner la condition qui
leur convent, parce qu'il n'y a que lui.
qui puiffe connoître les voies de leur
falut & de leur prédeftination éternelle..
C'eft donc une témérité infoutenable
dans un père , de difpofer d'un enfant ^
foit pour TEglife , foit pour le monde ,
& il ne le peut faire fanS' bleffer les
droits de Dieu. N'eft-ce pas néanmoins-
ce qu'on fait tous les jours ? pag. S»
jufqii'à 25.
2. Injuffcice envers les enfmts , parce
qu'il eft du droit naturel & du droit
divin que celui-là choifiiTe lui-même Ton-
état, qui en doit porter les charges &
accomplir les obligations. Là où il s'a-»
git de vocation , il s'agit de falut. Or
dès qu'il s'asiit du falut , point d'auto-
rité du père fur le nls , parce que tout y
eft perfonnel. Un père , comme on le
dira dans la fuite, peut bien redreffer le
choix d'un enfant , par de fages avis ÔC-
ir^ême par la force de l'autorité pater--
21 elle j fi cet enfa-n^t choifu raal -y mais
UEs Sermons. ^99^
«lu refte il ne peut dirpofer abfolument
de ù perfonne. Quels reproches rece-
vront un jour là - deiTus de la part de
leurs enfarrs tant de pères 6c de mères !
pag. 25. jufiu'à 33. ^ ^,,
II. PaPvTie. Les pères Ion reiponrabIe&=
à Dieu du choix que font leurs enfants ,;
& de l'état qu'ils embraflent. Car ils doi^
vent intervenir à ce choix comme direc-
teurs & comme iurveillants, puifque Diea^
leur a donné ce droit de direclion ôc de-
furveillance^ Ainfi unenfant ne peut con-
tracler un. engagement , un mariage fans-
l'aveu & la participation de fon père; 6c.
il le fils veut prendre un parti qui fe'on:
Dieu lui Toit pernicieux , le père eft non-'
feulement en pouvoir, mais dans l'obli-
gation de. s'y oppcfer. p. 53. 34. 35. 36.^
Afin de mieux entendre ce point, iL
faut remarquer que. le choix d'un état
peut être mauvais en trois manières :
ou par lui-même ^ ou par l'incipacité'
du fujet qui s'y engage , ou par les voieS:'
qu'il prend pour y entrer, p. 37.
I. Choix d'un état mauvais par lui-
même. , parce que- l'état eft contraire
au falut , ou. du moins très-dangereux
pour le falut. 11 eft évident qu'un père
doit faire- tous Tes efforts pour en dé-
tourner un enfant , & fi psr de vues-
d'intérêt il efl le premier à Ty porter ,.
il fe rend coupable devant Dieu , & il'
répondra à Dieu de la perte de- fon B^«>
B' 3 7' 3 S. m-
'400 Table et Abrégé
2. Choix mauvais par l'incapacité du
fujet , parce qu'il n'a pas les qualités
requifes pour l'état qu'il embrdTe. Un
père qui connoît cette indignité , eit
criminel de mettre Ton fils dans une place,
dont il ne pourra remplir les devoirs.
Toutefois rien n'eft plus ordinaire aux
pères que d'établir ainfi leurs enfants ,
& de là tant de défordres. p. 39. juf-^
qu'à 43.
3. Choix mauvais par rapport aux
moyens d'entrer dans un état , Se aux
voies qu'on prend pour cela. Il y a des
moyens Injurtes , 6i ne font-ce pas fou-
vent ceux dont un père fe lert pour
avancer un fils qu'il ai.ne ? Abus qu'on
ne peut trop condamner, & qui fera tout
enfemble la réprobation des pères ÔC
des enfans. p. 44. 45. 46.
Ce n'eft pas qu'il ne foit permis aux
pères & aux mères de procurer à leurs
enfants des emplois convenables. M^is
leur premier foin doit être de les per-
feclionner & de les rendre dignes des
emplois qu'ils leur procurent. Cette édu-
cation des enfants leur coûtera bien des
foins & bien des peines : mais ce fera
aufli pour eux an grand fonds de mériies
auprès de Dieu. p. 46. ju/qu'â 49.
ï>Es Sermons. 401
Sermon pour le iecond Dimanche
après i'Èpiphanie , fur l'état du
Mariage. Pag, So,
SUjet. // y eut des noces à Cana en.
GdïUe ; & la mère de Jefus s'y trcu-
va, Jefus fut auffi invité aux noces avec
fes difcipUs, 11 n'y a rien dans l'état du
mariage que de protane , fi l'on n'y
appelle Dieu & fi ce n'eft Dieu qui y
appelle, p. 50. 51.
Division. Il ya dans le mariage
des devoirs de confcience >Sc des obli-
gations à remplir, des peines très-diriici-
\qs &c très-fâcheufis à Tupporter, 6l des"
dangers extrêir.es par rapoort au falut ,
à éviter. Or fans la grâce & la vocation
divine on ne peut , ni Tatisfaire à ces
obligations, i. Partie; ni fupporter ces
peines , 2. Partie ; ni Te prélerver de ce§
dangers, 3. Partie, p. 52. 53.
1. Partie. 11 y a dans l'état du ma-
riage des devoirs de confcience ôi. des
obligations indifpenfables à remplir ; &
l'on ne peut y latistaire Hins la grâce &
la vocation divine. Nous devons confi-
dérer le mariage , dit Saint Auguftin ,
comme facrement , comme lien d'une
fociété mutuelle , 6c par rapport à l'édu-
catfon des enfants dont il eft une légitime
propagation. Or fous ces trois qualités
402 Table et Abrégé
il a des oblgations très-étroites & toutes'
différentes, p. 53. 54.
1. Obligations du mariage confidéré
comme facren-^ent. Dès que c'eft un
facrement , il n'eft permis de s'y engager
qu'iîvec une intenticiî pure & fainte ,
ilr n'eft permis de le recevoir qu'avec
une confciencé nette &i exem^n.e de
pct.hé . il n'eil permis d'en uî'er que dans
îa vue de Dieu & pour une fm d-gne
de Dieu. Mais qui penfe à ces obliga-
tions ? qui en eft inftruit ? On a quelque
égard à h fainteié des autres facrements^
mais on traite celui-ci comme une affaire
temporelle , comme une négociation ,
comme un trafic mercenaire, pag. 54.
jufqu'à <y<),
2. Obligations du mariage confidéré
comme lien d'une lociété mutuelle. Il
demande un am.our relpeétu-eux , un
amour fidelle j un- amour officieux Se
condefcendant , un' am.our confiant &
durable , un amour chrétien. Mais par
un renverfenrient bien déplorable , cette
fociété que devroient conferver entre
eux le mari & la femme , comme un
des biens les plus cdimables de leur
état , eft tous les jours expofée aux rup-
tures , aux averfions ^ aux éclats &. aux
divorces les plus fcandaleux. pag. 59,
jujqu'â 63. ^
3. Obligations du mariage conlidere
par rapport à l'éducation des enfants ,
dont il eft une propagation légitime. Il
DES Sermons. 46 f
faut les nourrir , ces enfans, il faut les
pourvoir & les établir, fur-tout il faut
les inftruire & les élever dans le Chrif-
tianifçne. On penfe ccmmuncment affez
à leur fubfiftance & à leur établi{Temçnt
ielon le monde , mais on ne s'applique'
guère à leur éducation félon Dieui/
Voilà pourquoi dans cet état du ma-
riage l'on a tant hefoin de la grâce ,-
6c pourquoi l'on n'y doit point en-=»
trer fans vocation, pag. 6), 64. 65»
66. 67.
K. Partie. Il y a dans l'état du ma-
îiage des peines à fupporter, &. l'on ne'
peut bien fupporter ces peines fans l'af-
iiflancc du Ciel & le fecours de la grâce.
Pour les connoître , nous n'avons qu'à
regarder le mariage fous les mêmes rap-^
ports, pag. 6j. 68.
1. Peines du- mariage confidéré com-
me facrement. Cette qualité de facre-
ment le rend indiiloluble , & cet enga-
gemenr perpétuel en fait une efpece de
fervitude. Dans le facerdoce on eil: en-
gagé pour toujours , mais l'on n'eft
engagé qu'à Dieu & à foi-miême : au-
lieu que dans le mariage on eft encore
engagé à un autre qu'à Dieu & qu'à foi-
même. Dans l'état religieux il y a uW
noviciat Si un temps d'épreuve ; mais il
n'y en a point dans le mai'iage. p. 68»
jù/qu'à 72.
2. Peines du mariage confédéré com-
me lien, d'une fociéié oiuxtteiie. Quelle
h
404 Table et Abrég*
croix quand deux perfonnes obligées de
vivre enfemble viennent à ne le pas
accorder ! & pour bien s'accorder, que
ne doit-on pas fouffrir l'un de l'autre «
ôc quelles condefcendjnces ne faut^il
pas avoir ? p. 72. jufquà 76.
3. Peines du maric-ge confidérées par
rapport à l'éducution des entants , dont
il eft une propagation légirime. Souvent
l'on n'eft pas en pouvoir de les entrete-
nir , ni de les avancer , quelque bien
nés qu'ils loient : & plus Ibuvent en-
core, quelque pouvoir qu'on ait de les
établir & de les pouffer , ce font des
cntanrs , ou incapables 6C fans génie 9
ou indociles &. déréglés. Si l'on avoit
recours à Dieu, il délivreroit de ces
peines , ou il les adouciroit. pag. 75.
juj^uj 80.
iii. Partie. Il y a dans Tétat du
mariage des dangers à éviter, 6c c'eft
un dernier motif pour ne pas s'engager
dans cet état fans y être appelle de
Dieu : trois dangers par rapport à la
confcience. Ca»- il faut accorder cnlem-
ble trois choies les plus difficiles à con-
cilier , fçavoir , la licence conjugale
avec la continence &c la chafteté ; une
véritable & intime amitié pour la créa-
ture avec une fidélité inviolable pour
le Créateur ; un foin exa6l Se vigilant
des affcires temporelles avec un déta-
chement d'efprit & un dégagement in-
tarieur des biens de la terre : tout cela
DES Sermons. 405
fon^c fur les mêmes qualités du m^rU-
ge. p. 80. 81.
1. Danger du mariage confidéré com-
me facrement, l'incontmence , d'autant
plus criminelle , que le facrement eft
plus faint. Car il y a une chafteté pro-
pre du mariage , & la dignité du fa-
crement donne aux fautes qu'on y com-
met une malice particulière. Or com-
bien e{i-il à craindre qu'on ne fe laide
emp-orter à la paiTion fans égard aux
règles qui lui font prefcrites ? p. 81.
82. 83. 8^.
2. Danger du miariage confidéré com-
me lien d'une fociété m.utuelle. Cette
fociété demande l'union des cœurs, mais
fans préjudice de ce qu'on doit à Dieu
& au prochain. Or combien de fois arri-
Te-t-il qu'une femme oublie ce qu'elle
doit à Dieu & ce qu'elle doit au pro-?
chain , pour entrer dans les fentiments
d'un mari qu'elle aime , pour fecondçr
fes vengeances , pour fe conformer à
tous fes defirs ? p. $4. jufquà 88.
3. Danger du mariage confidéré par
rapport à l'éducation des enfants. Dans
Tobligation de les pourvoir il faut s'em-
ployer à la conduite des affaires & à
i'adminiftration des biens ; il faut ména-
ger , conferver , amaffer. Or eft-il aifé
de garder en cela le jufte tempérament
& le détach**ir.ent de cœur qui notis
font ordonnés ? Il eft donc d'une extrême
iinportance de n'entrer dans le mariagf
4o6 Table et ÂBRioé
que par le choix de Dieu , & dV ottiref
fur foi les lumières & les bénédiilions
de Dieu. p. S8. jufquà 92.
Germon pour le troifieme Diman-
che après rEpiphaaie , fur la
Foi, Pag. c)j,
SUjet. Jefus dit au Centurion : Alle:^ ,
& qu'il vous foit fûk fdon que va/s
avec cru. Rien de plus puiiTant auprès
de Dieu que la foi -, elle obtient tout :
& rien qui mérite plus nos réH exions
que les vrais effets de la foi par rapport
?.ii falut. p. 93. 94. 95.
Division. La foi nous fâuve, i. Partie»
La foi nous condamne , 2. Partie. Pag,
95. 06.
L Partie. La foi nous fauve , Sç
.comme perfection de nos bonnes œu-
vres , & comme principe de nos boa»
Ties œuvres , p. 97.
I. La foi nous fauve comme perfec-
tion de nos bonnes œuvres , parce que
c'eft fiir - tout de la foi que vient aux
bonnes œuvres que nous pratiquons leur
efHcace & leur prix. Ainfi renfeignenc
exprefTérr^ent S^:int Paul 6c Saint Auguf^-
tin ; l'un contre les Jui-js, qr.i fe conhoient
dans les œuvies de îa loi de Moïfe ;
&i l'autre contre les Pélagiens qui fai-
foient fond fur leurs bonnes œuvres
i
CES Sermons, j^q^
riaturelles. Et c'eft encore ce que tou^
les Pères ont prouvé contre tous ces
hérétiques qui tiroient avantage de leurs
oeuvres , & à qui ces falnrs Do£teurs
fallbient voir que hors de rEglile & fans
la vraie foi il n'y avoiî point d'oeuvre?
méritoires & par conféquent de falut. De
là que de bonnes œuvres perdues , &
de là même quelle eiiirne devons-nous
^iire du àon précieux de la foi ? p. 97,
jufqu'à 108.
2. La foi nous fauve comme principe de
nos bonnes œuvres , parce que c'eil de
la foi que nous vient cette ardeur qui
nous porte à les pratiquer. Car la foi,
félon TApôtre , eft la caule mouvante qui
fait agir toutes les vertus. Il va encore
plus loin^ iSi. félon ce mêmie Apôtre , c'efl
la foi qui produit en nous les aéles même
^e toutes les vertus. C'eil pour cela que
ie Concile de Trente appelle la foi ie
commencement , le fondement & la ra-
cine de notre juilihcarion. Mais fi ceîaeft,
pourquoi donc y a-î-il tant de Chrétiens
qui fe damnent ? On pourroit répondre
que e'eii: qu'il y a jurques dans le Chrif-
îianifme très-peu de Chrétiens qui aient
vraiment la toi. Chrétiens de nom , fans
l'être en evïet. Mais fuppofjnt qu'ils aient
la foi , la réponfe eft qu'on peut avoir
1-2 foi & agir contre l'es lumières & les
maximes de la foi. Or h foi alors bien-
loin de nous fauyer , nous condamne.
4o8 Table et Abrégî
II. Partie. La foi nous condamne.
Mais pourquoi 6c comment nous con-
damne-t-elle ? p. 119. 120.
1. Pourquoi la foi nous condamne-
t-elle ? Parce que nous ne vivons pas
félon fes maximes , & que vivant alors
dans les défordres , i.nous la retenons
captive dans l'injurtice , félon i'exprefiion
de Saint Paul ; 2. nous lui enlevons le
plus beau fruit de fa fécondité , qui font
les bonnes œuvres ; dans le fentiment
de l'Apôtre Saint Jacques , nous la fai-
fons enfin mourir elle-même au milieu
de nous. p. 120. jufquà 124.
2. Comment la toi au jugement de
Dieu nous condamnera-t-elle ? En nous
convainquant de trois chofes : i. que
flous pouvions vivre en chrétiens ; 2. que
nous devions vivre en chrétiens ; 3. que
nous n'avons vécu rien moins qu'en
chrétiens, p. 124. jvfquà 128.
Conclufion. 11 faut , ou que la foi
nous fauve , ou qu'elle nous condamne.
Entre ces deux extrémités point de milieu:
c'eft à nous de choifir l'un ou l'autre ;'
mais y a-t-il là-defTus à délibérer ? Pen^
fons fouvent aux accufations que la toi
formera contre nous Voilà ce que nous
devons prévenir, & à quoi nous devons
nous préparer tous les jours de notre yiet
p. 118. juf^uâ 132,
Sermof
DES Sermons.
409
Sermon pour le quatrième Diman-
che après l'Epiphanie , fur les
afflictions des Juftes Se la prof-
périté des Pécheurs. Pag. /jj.
SU J E T. Jefus étant entré dans une
barque , fes difciples le fiùvirent , &
aujfi'tôt il s'éleva fur la, mer une grande
tempête , enforte que la barque étoït coU'
verte de flots. Lui cependant dormoit , 6»
fes difcipUs le réveillèrent , en lui difant:
Seigneur , fauve^-nous , nous allons périr,
Jefus leur répondit : Pourquoi craignez-
vous , hommes de peu de foi? Voilà une
image bien naturelle de ce qui fe pafTe
tous les jours à l'égard des juites. Tandis
que les pécheurs font dans la profpérité ,
les juftes fouvent font accablés d'afflidions
& de miferes. Or il faut là-deffus les
raflurer & les confoler. p. 133. 136»
Division. Dans les afflidions deà
juftes & la profpérité des pécheurs il n y
a rien qui doive ni qui puifTe ébranler
notre foi , i . Partie. Il y a même de quoi
établir & confirmer notre foi, 2. Partie.
p. 136. 139.
I. Partie. Dans les affligions des
iuftes & la profpérité des pécheurs il n'y
a rien qui doive ni qui puifle ébranler
notre foi. C'eft affez que nous fçachion^ç
Domin, Tom, L S
410 Table et Abrégé
que Dieu a ainfi réglé les chofes poup
nous y fouinettre & n'en point prendre
de fcandale. Or nous avons mille preu-
ves qui nous montrent que rien n'arrive
que par la conduite de la Providence.
Cette conduite de Dieu n'eft pas néan-
moins fi obfcure & û cachée , que nous
îi'enpuiffions découvrir quelques raifons
qui luffifent pour la juftice, &. les voici,
1. Dieu veut éprouver Tes élus , &C
leur donner occafion de lui marquer par
leur conllance , leur fidélité. C'étoit la
réponfe que faifoit aux infidèles un des
plus zélés défenieurs de la loi chrétienne.
Dieu nous examine , difoit-il , il fonde
le cœur de l'homme , par où ? par les
îiffii6lions. Si Dieu ne wei pas l'impie à
de pareilles épreuves , c'eft qu'il ne le
juge pas digne 'de lui. p. 144. juf^u'à 151,
2. Dieu veut purifier les élus de tou-
tes les affections de la terre. Si les prof-
périîés temporelles étoient attachées à
la vertu , la plupart ne ferviroient Dieu
que dans cette vue , & par conféquent
ne l'aim.eroient pas pour lui - même»
p. 151. 153.
3. Dieu veut affurer le falut de les
élus , & les mettre à couvert du danger
inévitable qui fe rencontre dans les proi^
pérités du liecle ; car il n'eft rien de plus
contagieux que les biens de cette vie , ÔC
c'eft pour cela que Dieu en prive Iss
jufles, p. 153, 154,
DES Sermons. 411
4. Dieu, par une aimable violence,
Teut forcer Tes élus de fe tenir unis à lui ,
en leur rendant tout le refte amer , ôc
ne leur offrant par-tout ailleurs que des
objets qui leur infpirent du dégoût. Si le
iP-onde eût été à leur égard ce qu'il eft à
regard de tant de mondains , ils n'au-
roient jamais penfé à Dieu. p. 154. 155.
5. Dieu veut fournir à fes élus une
matière continuelle de combats , afin que
ce foit pour eux une continuelle matière .
de triomphe ^ de mérite ; fans combat
point de vidoire, & fans vidoire point
de couronne, p. 156. 157.
6. Dieu veut punir fes élus en ce mon-
de , afin de ne les point punir en l'autre.
Il n'y a point d'homme fi jufte à qui il
n'échappe des fautes dont il eft redeva-
ble à la juftice de Dieu , & Dieu dès
maintenant le châtie en père miféricor-
dieux , pour ne le point châtier après la
mort en juge févere. p. 157. 159.
Voilà donc la providence juftifiée fur
le partage des profpérités & des adver-
fités temporelles entre les juftes & les
pécheurs ; car comme Dieu prend foin
de fes élus par les adverfités qu'il leur
envoie, au contraire il fe tourne contre
les pécheurs par les profpériiés miême ,
dont il les laide jouir ÔC qui les perdent,
p. 159. jufqu'à 163.
11. Partie. Il y a même dans les
affligions des juftes & la profpérité des
pécheurs de quoi établir notre foi : Car
Sij
412 Table et Abrégé
ce partage nous montre trois chofes ^
fçavoir qu'il y a une autre vie que celle-
ci , que Jefus-Chrift eft fidèle dans les
promefifes qu'il nous a faites , & que Dieu
nous fauve félon l'ordre deprédeilination
qu'il a marqué pour tous les hommes.
p. 163. 165.
1. Qu'il y a une autre vie que celle-
ci & d'autres biens à efpérer ; fans cela ,
comme remarque Guillaume de Paris ,
où feroit à l'égard des élus , la fageffe &
la bonté de Dieu ? Sans cela , pourfuit le
même Père, on pourroit dire que les
juftes feroient des infenfés , & que les
impies feroient les vrais fages. Ne vous
troublez point, mon Frère, conclut Saint
Auguftin : l'impie a fon temps qui efl
bien court , mais vous aurez le vôtre
qui fera éternel. C'eft ce qui confoloit
le faint homme Job & le Roi Prophète.
p. 165. jufquà 171.
2. Que Jefus - Chrift eft fidèle dans
les promeffes qu'il nous a faites , & vrai
dans fes prédirions. Il a dit à fes difci-
ples & dans leurs perfonnes à tous les
juftès : Le monde fi réjouira , & vous fere^
dans la triflejfe. Nous voyons cette pa-
role accomplie , & c'eft une preuve que
l'autre s'accomplira : Votre trijlejfe fer^
changée en joie. p. 171. 174"
3. Que Dieu nous fauve félon l'ordre
de prédeftination qu'il a marqué. Car il
a réfolu que nous ne ferions fauves quç
par une faime conformité avec Jefus-
» E s S E R M O N !5. 4x3
Chrift Ton Fils. Ainfi nous le témoigne
expreffément l'Apôtre, p. 174. 176.
Il efl vrai néanmoins qu'il y a des
gens de bien d-ins la prorpériré ; mais il
le Lut de la forte , afin que Tétat de la
prorpériîé temporelle ne (bit pas abfolu-
ment exclu du Royaume de Dieu. De
plus , û les Saints fe font vus dans une
profpérité humaine , c'eft ce qui les fai-
foit trembler. Enfin , fans quitter leur
condition , ils fçavoient bien fous les
dehors d'une condition aifée & commo-
de , garder toutes les pratiques de l'ab-
nég.uiàn chrétienne, p. 176. 178,
11 eft encore vrai qu'on a vu & qu'on
voit des pécheurs dans les mêmes ad-
verli'.éi que les juftes. Mais fans exami-
ner toutes les raifons que Dien a de ne
vouloir pis que le vice toujours profpe-
re , c'eft affez d'avertir ces pécheurs que
leurs affliét'ons font pour eux des grâces
de Dieu &les grâces les plus précieufes
s'il en veulent profiter, p. 178. 180.
Sermon pour le cinquième Diman-
che après l'Epiphanie , fîar la
Société des Juûes avec les Pé-
cheurs. Fa^. 18 u
SUjet. Tandis que les gens dormaient
l'ennemi vint , & fema de r ivraie parmi
le bon grain. Les pécheurs font dans
S iij
414 Table et Abrégé
cette vie parmi les juftes comme l'ivraîâ
parmi le bon grain , & il eft important
que les juftes ibient inftruits de la ma-
Tiiere dont ils doivent fe comporter ÔC
qu'ils fçachent quelle fociété ils peuvent
avoir avec les pécheurs, p. i8i. 183.
Division. Nous devons demeurer
avec les pécheurs comme Dieu y demeu-
re. Or Dieu n'eft avec les pécheurs que
par la néceffiîé de Ion être , & no^us ne
devons demeurer avec eux que par la
nécelîiîé de notre état, i. Partie. Dieu
tire fa gloire des pécheurs & travaille
en même - temps à leur falut : & c'eft
ainfi que nous devons rendre notre com-
merce avec les pécheurs également pro-
fitable pour nous & pour eux-mêmes,
2., Partie, p. 183. 185.
I. Partie. Dieu n'efl avec les pé-
cheurs que par la néceffité de Ton etre^
& nous ne devons demeurer avec eux
que par la néceffité de notre état. A en-
tendre parler l'Ecriture , on diroit que
Dieu n'eft pas avec les pécheurs Se qu'il
y eft : il n'y eft pas comme ami par une
proteftion Tpécialeôc par la communi-
cation de Tes dons ; mais il y eft comme
Dieu créateur, qui doit veiller au gou-
vernement du monde & conduire toutes
les créatures ; il y eft par Ion immenfité
divine dont il ne peut fe dépouiller , ÔC
qui le rend par-tout préfent. Admirable
idée de la conduite que nous devons
obférver à l'égard des libertins du HqqIq »
DES Sermons. 415
vivant avec eux autant que nous y fom-
mes obligés ; car il y a certaines liaifons
cu'il ne nous eft pas permis de rompre :
mais du refte,dès que nulle néceiîité ne
nous retient auprès d'eux, féparons-nous-
e.n & fuyons-les. Ainfi l'ordonnoit Saint
Paul aux Chrétiens de Thedalonique ^ 6c
ainfi le pratiquoit David ; ainli Dieu lui-
même le commandoit en termes formels
aux enfants d'Ifraël , leur détendant tout
commerce avec les nations infidelles.
Nous devons donc faire dès maintenant
ce qui fe fera à la réfurre^lion générale ,
où les élus feront féparés des réprouvés ;
& c'eft en cela que confifte par avance
la gloire & la perfe^flion des juftes fjr la
terre ; exemple d'Acham & de Judas.
Voilà pourquoi l'Eglife excommunie cer-
tains pécheurs ; fi elle ne lance pas fes
foudres fur les autres , ce n'eft pas qu'elle
nous permette de les fréquenter : & indé-
pendamment des anathêmes de TEglife,
nous ne pouvons lier avec les impies ,
I. fans devenir coupables d'un mépris
exprès de Dieu , 2. fans devenir le fcan-
dale de nos frères, 3. fans devenir en-
nemis de nous-mêmes, en nous perdant
nous-mêmes, p. 183. jufquà 199.
1. C'eft méprifer Dieu , puifque c'efl
s'unir avec fes ennemis. Exemple de
Jofaphat. p. 199. 200»
2. Ceft fcandalifer le prochain : car
que peut-on penfer d'an homme ou d'une
femme qu'on voit toujours en certaines^
S IV
'4i6 Table et Abrégé
compagnies & avec des gens décriés- ?
p. aOO. 202.
3. C'eft fe perdre foi-même , ou s*ex-
pofer à fe perdre : car qui ne fçait pas
combi-en les mauvaifes compagnies font
dangereufes. Exemple des Juifs : défen*
fe de TEglife : paffage de Tertullien. Si
nous examinons bien quel eft le principe
de la corruption du fiecle , nous n'en
trouverons point de plus commun que
les fociétés & les converfations du monde
profane, p. 202. jufquà 208.
II. Partie. Dieu tire fa gloire des
pécheurs & travaille en même-temps à
leur falut , & c'eft ainfi que nous devons
rendre notre commerce avec les pécheurs
également profitable pour nous & pour
eux-mêrnes.
I. Que Dieu tire fa gloire des pé-
cheurs ; c'eft ce que prouve S. Auguf-
îin en faifant voir comment Dieu s'eft
fervi des infidelles pour opérer les mer-
veilles de fa grâce , des hérétiques pour
éclaircir les vérités de la religion , des
fchifmatiques pour établir la perpétuité
^e fon Eglife , & des Juifs pour rendre
témoignage à Jefus-Chrift. 11 s'eft fervi
des Romains pour exercer fes vengean-
ces fur Jérufalem, & des tyrans pour
avoir des martyrs fur la terre & des Saints
dans le ciel. Quand donc nous nous trou-
vons nécedairement engagés avec les pé-
cheurs , nous devons de même en pro-
fiter pour notre fani^ification & notr«-
r
DES Sermons. ^4^7
perfe^lion. Car quelles occafions ne nous
fournlffent-ils pas de pratiquer la patien-
ce , la charité , l'iiumilité , les plus émi-
nentes vertus ? Mais nous renverfons là-
deffus tous les defleins de la Providence.
Une femme vivant avec un mari emporté
ÔL vicieux , pourroit par fa douceur &
fa foumiffion acquérir des mérites fans
nombre ; mais elle perd tout par fes mur-
mures & fes révoltes. Ainfi des autres. Et
il ne faut point dire que dans un autre
état on travailleroit mieux à fe fandlifîer :
on ne le peut mieux faire que dans Tétat
qui nous eft marqué de Dieu , parce que
c'eft pour cet état qu'il nous a préparé
les fecours de fa grâce , &L que c'eft
dans cet état que nous lui donnerons de
plus folides témoignages de notre fidé-
lité, p. 208. jufquà 220.
2. Dieu tirant fa gloire des pécheurs,'
penfe en m.ême-temps à leur falut. 11 les
appelle à lui, il les invite à la péniten-
ce 3 il leur en procure les moyens. Voilà
comment nous devons, en profitant des
pécheurs pour nous - mêmes , profiter
nous-mêmes aux pécheurs. Devoir gé-
néral : la charité nous oblige tous com-
me chrétiens de nous aider les uns les
autres par de falutaires confeils, de fa-
ges remontrances , de bons exemples.
Devoir particulier & fpécialement pro-
pre de certains états , c'eft à un père de
corriger un fils entraîné par le feu de fes
gaiîions, à unç ciçrç ^ corriger une fille,
S y
4i8 Tablé et Abrégé
à un maître de corriger un domeftiqus:
devoir encore plus particulier pour les
pécheurs eux-mêmes lorfqu'ils ont eu le
bonheur de le reconnoitre. Ils doivent
tâcher de gagner autant d'ames à Dieu
par leur zèle, qu'ils en ont perdu par
leurs fcandaies. p. 220. jufquà 228.
Sermon pour le fixieme Dimanche
après l'Epiphanie , fur la fain-
teté & la force de la Loi chré-
tienne. Pag. Z2C).
SUjet. Le Royaume des deux efl fem-
hiahle à un grain de Jenevé , qu'un
homme prend & fcme dans fon champ. Ccjî
le plus petit grain de toutes les jemences ;
mais lorfque ce grain a poujfé , il s'élève
eu dejfus de toutes les autres plantes , &
il devient arbre. Voilà , félon S. Jérôme
& tous les interprètes, la figure de la
foi chrétienne. Rien de plus petit dans
fon commencem.ent, & rien de plus éten-
du dans fon progrès, p. 229. 232.
Division. Samteté de la loi chré-
tienne , 1. Partie. Force de la loi chré-
tienne , 1, Partie. Donc loi chrétienne ,
loi toute divine, p. 232. 234.
1. Partie. Sainteté de la loi chré-
tienne dans Ion Auteur , dans fes maxi-
mes, dans fes confeils, dans fes fe<^ateurs,
dans fes n^yfteres. p. 234.
DES Sermons. 41^
t. Dans fon Auteur, c'eft Jefus-Chrlil,
U fainteté même. Quels auteurs ont eu
les autres lolx , & qu'étolt-ce par exem-
ple , qu'un Mahomet ? Quels auteurs ont
eu les héréfies , Si. qu'étolt-ce qu'un
Luther, un Calvin? p. 234, 236.
2. Dans Tes maximes Quoi de plus
pur &. de plus fublime ? c'ei^ cette loi
îainte, dit Ladance , qui a éclalrci toutes
les loix de la nature , qui a mis la der-
nière perfe6lion à toutes les loix divines ,
qui a autorifé toutes les loix humaines, &
qui a détruit fans exception toutes les loix
du vice & du péché Au contraire les
loix païennes ont toléré les crimes. Se à
quelle licence les héréfies ont - telles
porté? p. 236. juCqu'à 243.
3. Dans fes confeils. Qu'eft-ce que
cette pauvreté évangélique qu'elle nous
propofe ? Qu'eft-ce que ce renoncement
volontaire à tous les plaifirs des fens ?
p. 243, 245.
4. Dans fes feélateurs. Il n'y a qu'à
lire dans S. Luc quelle étoit la vie des
premiers fidèles ; il n'y a qu'à confulter
toutes les hiftoires faintes ; il n'y a qu'à
confidérer tous les états du Chrifrianif*
me , où l'on a vu & où l'on voit encore
tant de Saints. Ce n'efl pas qu'il n'y ait
des Chrétiens très- corrompus ; mais U
religion chrétienne n'efl point refponfa-
ble de leur libertinage & de leur corrup-
tion : car elle eft la première à les
.condamner, p/ 24^. jufqu'à 248.
Svj
?iô Table et Abrégé
Dans fes myfteres. A quelle pureté
de mœurs ne nous engagent -ils poinî
dès que nous nous foumettons à les
croire ? A quelle perte6lion ne nous
élevent-ils point? p. 248. 250.
La loi chrétienne eft donc une loi
fainte , & de quelle lainteté ? d'une fain-
teté folide , aglffante , univerfelle , fage ,
patiente, religieufe envers Dieu, chari-
table envers le prochain , févere pour
elle-même. De là concluons deux cho-
ies : que la fainteté de cette loi eft un
tdes motifs les plus puilîants pour nous
y attacher , & que la fainteté de cette
ynême loi eft notre confufion & notre
condamnation fi nous ne travaillons pas
a nous fanc>ifier. p. 250. jufquà 257»
11. Partie. Force de la loi chré-
tienne. Cette force toute divine a paru
dans rétabllirement &. la propagation du
Chriftianifme. De quoi s'agifToit- il quand
Jefus-Chrift vint prêcher au monde une
loi nouvelle ? 11 étoit queftion d'abolir
toutes les fuperftitions du paganifme , 6c
<d'établir une loi auftere & mortifiante ,
une loi contraire à toutes les inclinations
de la nature. Que falloit-il pour en venir
à bout ? 11 falloit furmonter la puiffance
des Souverains, la fagefTe des politiques ,
la cruauté des tyrans , le zèle des ido-
lâtres, l'impiété des athées. Si Jefus-
Chrift , dit S. Auguftin , en eût conféré
i^vec un des philofophes de ce temps-là,
l^e philofophe a'eut • il pas tf aité çet^a
b E s Sermons; 41Ï
cmreprife de chlraere &c de folie ? Voilà
néanmoins ce qui s'eft fait , & c'eft la
nierveille que nous voyons, pag. 257.
jufquâ 261.
i\ n'y a que la loi chrétienne qui fe foit
établie par des principes où toute la rai-
^on de l'homme fe perd , 6c parmi les
plus violentes perfécutions. Mais il le
ialloit ainfi , afin que les peuples con-
Tjuffent que c'étoit la loi de Dieu &
l'œuvre de Dieu. p. ^6i,jufquà 265.
Nous voyons encore de nos jours ce
même prodige fe renouveller parmi les
nations étrangères & les infideîles , & fur
cela nous pouvons bien teliciter l'Eglife
comme la félicitoit le Prophète fous le
nom de Jérufalem. Toutes les religions
païennes fe font établies par la licence
des mœurs , & les héréfies par la vio-
lence , par le fer & le feu. La religion
chrétienne n'a point eu d'autres armes
ni d'autres moyens cjue la parole de Dieu,
l'innocence de la vie Oc la patience, pacr.
^65. jufqu'à 268.
De là quatre conféquences comprifes
en quatre mots ; reconnoilTance , éton-
nement, réflexion, réfolution. p. 268.
1. ReconnoilTance envers Dieu , qui
nous a choifis 6c fait naître dans la loi
chrétienne, p. 268. 270.
2. Etonnement de ce qu'une loi fi
puiflame 6c fi agiflante opère fi peu dans
nous. p. 270. 272.
3. Réflexion, Que nous fert de pro-:
42.Î Table et Abrêgs
fsffer une loi dont la vertu eft toute-
puillante , lorfqu'à notre égard toute
cette vertu fe trouve inuùle ôc fans effet ?
p. 272. 274. .
4. Réfolution de vivre déformais en
chrétiens , & de laiiler agir en nous
toute \a vertu de la loi que nous avons
einbraflee. p. 274.
S
Sermon pour le Dimanche de la
Septuagéfime , fur rOinveté.
Pag, 2/3.
Ujet. Etant forti vers la onzième
' heure du jour , il en trouva encore
d'autres qui étaient là , & il leur dit :
Comment demeurai - vous ici tout le jour
fans rien faire ? L'oiGveté ne paffe dans
le monde que pour un péché léger , mais
c'eil devant Dieu un péché très -grief.
p. 275. 276. ^ ^
Division. Nous fommes tous obliges
au travail , & en quafité de pécheurs ,
1. Partie ; &: en qualité d'hommes atta-
chés par état à une condition de vie ^
2. Partie, p. 276. 278.
I. Partie. Nous fommes tous obligés
au travail en qualité de pécheurs , car le
travail eft la peine du péché. Peine fatif-
fa^toire , & peine préiervative. p. 278.
■I, Peine fatisfa6loire. Dieu impofa k
^
T) E s Serions; ^2 J
travail au premier homme , comme le
châtiment de Ton péché ; & cette loi s'eft
étendue à toute la poftérité d'Adam , fans
nulle exception d'états , parce que nous
fommes tous pécheurs. Quand donc nous
menons une vie oiiive , nous tombons
dans une féconde révolte contre Dieu ;
la première a été notre péché , & la
féconde el^ la fuite du travail qui en
doit être la punition. Voilà néanmoins
quelle eft la vie du monde. On pafiTe
les années à perdre la chofe la plus pré-
cieufe , qui eft le temps , ôc le temps de
la pénitence. Je fuis riche, dit- on , &
qu'ai-je à taire de travailler ? mais quoi-
que riche , vous êtes pécheur. Je fuis
d'une qualité & dans un rang où le travail
ne me convient pas : il vous convient
par-tout 3 puifque par-tout vous êtes pé-
cheur. Le travail e(i ennuyeux : prenez cet
ennui par pénitence, p. 2S1. jufyu'à 292,
2. Peine préfervative. De combien de
péchés l'oiliveté eft-elle la fource ? c'eft
le travail qui nous en prél'erve. Exemple
des Juifs , de David, de Salomon. C'efl:
pour cela que les Pères du défert en-
joignoient (1 tortem.ent le travail aux
folitaires ; & c'efl de là nîême que la
vraie p'été & l'innocence des m.œurs
ne fe rencontrent prelque plus que dans
ces conditions médiocres qui fubfiftent
par le travail, p. 292. ju/qu'â 199.
I î. Partie. Nous fommes tous
obligés au travail ea qualité d'hommes
4*4 Table et Abrégé
attachés par état à une condition de vîe i
car toute condition eft fujette à certains
devoirs dont l'accompliffement demande
du travail & de la peine ; 6c plus une
condition eft relevée dans le monde ,
plus elle a de ces engagements auxquels
il eft impolîible de fatisfaire fans une
application conftante & afïïdue. Cela fe
voit affez par l'indu^lion qu'on peut faire
de tous les états de la vie. p. 2.99.
jujcfuà 303.
Dieu l'aalnfi ordonné pour deux rai-
fons , fur-tout à l'égard des conditions
plus relevées ; i. afin que les dignités &
les conditions honorables , ne deviniTent
pas les fujets de notre vanité ; 2. afin
qu'elles ne fervifl'ent pas à exciter notre
ambition, p. 303. 305.
Concluons donc deux chofes , qu'il
n'y a point d'état où l'oifiveté ne foit
un crime , & qu'elle Teft encore plus
dans les états fupérieurs aux autres. Y
a-t-il en effet un état où l'on puifte être
oifif fans manquer aux devoirs de conf-
cience les plus eiTentiels , & comm.e les
états fupérieurs ont des devoirs plus im-
portants, n'en eft-on pas d'autant plus
criminels , lorfque l'oifiveté les tait né-
gliger ? C'eft pervertir l'ordre des cho-
fes , c'eft être infidèle à la Providence,
c'eft déshonorer fon état , & par une
fuite nécefl'dire c'eft fe damner. Exem-
ple de l'Empereur Valeiitinien, p. 305.
jufquà 312,
BÊs Sermons; '45-^
Sermon pour le Dimanche de lu
Sexagéfime , fur la parole de
Dieu. Fag. j/j*
SUjet. Le bon grain , c'efi la parole
de Dieu. Somines-nous de cette bon-
ne terre où le bon grain de la parole de
Dieu fructifie ? Si cette divine parole efl
fiftérile, il ne faut point s'en prendre
à Dieu , mais aux mauvalfes difpofitions
de ceux à qui on l'annonce, pag. 313.
Division. La parole de Dieu nous
eft inutile, parce qu'on ne la reçoit pas
comme parole de Dieu ^ i. Partie. Et
dès que par notre taute cette fainte pa-
role nous eft inutile ^ elle devient le
fujet de notre condamnation devant
Dieu , 2. Partie, p. 315. 317.
I. Partie. La parole de Dieu nous e{l
fouvent inutile, parce qu'on ne la reçoit
pas comme parole de Dieu. Il faut d'abord
pofer ce principe , que Dieu parle par la
bouche de fes prédicateurs. Point de con-
troverfe en faveur des nouveaux con-
vertis, p. "^ij. jufquâ 323.
Puifque c'eft la parole de Dieu qu'an-
noncent les prédicateurs , fuivent de là
trois grandes conféquences ; i. que nous
devons donc écouter les prédicateurs de
l'Evangile comme Dieu même j 2, que
426 Table et Abrégé
fi je reçois la parole de Dieu comme
parole des hommes , je ne fatisfais pas
au précepte pofitif que ma religion m'im-
pofe, d'écouter la pêTole de Dieu. 3. Que
d'entendre cette parole de Dieu comme
parole de rhoinme , c'eft la rendre inu-
tile , & voilà de quoi prélentement il
s'agit. La preuve en eft fondée fur deux
principes indubitables ; le premier eft que
la force toute-puiffante de la parole de
Dieu ne lui convient pas en tant qu'elle
procède de l'homme, mais en tant qu'elle
€ll de Dieu ; le fécond , c'eft que la
parole de Dieu n'opère en nous que félon
la minière dont elle* y eft reçue. Vous
ne la recevez que comme parole de
î'homme, elle n'agira que comime parole
de l'homme : or rien de plus foible que
la parole de l'homme. Exemple des Juifs
& des Apôtres. Ne nous étonnons donc
point de ce que la parole de Dieu nous
profite fi peu : c'eft qu'on ne l'entend que
comme parole des hommes ; c'eft- à-dire
qu'on l'entend, i. par coutume & par
une efpece de paffe-temps ^ 2. par un
efprit de malignité & de cenfare , 3. par
une curiofité vaine &. toute humaine.
p. T^i-^.jujquà 339.
II. PaPvTie. Dès que par notre faute
la parole de Dieu nous eft inutile , elle
devient le fujet de notre condamnation
devant Dieu ; car fe rendre inutile une
parole fi efficace en elle-même , i. c'eft
un péché , 2. c'eft s'oter , par ce péché
ïDEs Sermons. 427
particulier , toute excufe dans tous les
autres péchés, p. 339. 341.
1 . C'eft un péché , parce que la parole
de Dieu eft un moyen de faîut 6i un des
premiers moyens. Or puifqu'il nous eft
ordonné de travailler à notre falut ,
manquer par fa faute un tel moyen ,
c'eft incontedablement un péché. Quel
fut le péché des Juifs ? de ne s'être pas
fournis à la parole de Dieu ; cependant
de tous les péchés en eft-il un que l'on
connoiffe moins ? On ne s'en fait nul
fcrupule ; mais il y a néanm.oins de quoi
nous faire trembler, p. J41. jufqu à 350*
2. C'eft s'ôter , par ce péché parti-
culier, toute excufe dans tous les autres
péchés : car à quoi fe léduifent toutes
nos excufes ^ eu à l'ignorance , ou à la
foiblefîe : or la parole de Dieu eft un
moyen pour nous inftruire & pour nous
fortifier. Nous ne pouvons donc plus
dire ce qu'on dit néanmoins fur tant de
fujets , je ne le fçavois pas , ou je ne le
pouvois pas. La parole de Dieu étoit
un moyen pour le fçavoir & pour le
pouvoir : & c'étoit le moyen le plus puif-
fant , le plus préfent , le plus gratuit 8c
d'une préférence plus marquée, p. 350.
jufquà 361.
■41Î Table et ÂBRiGi
Sermon pour le Dimanche de k
Quinquagéfime , fur le fcandale
de la Croix & des humiliations
de Jefus-Chrifl. Pag. 362.
SUjet. Je fus prit avec lui ps Jou^é
Apôtres , & leur dit : Voici que nous
ûlions à Jérufahm , 6^ tout ce que Us Pro-
fhetes ont écrit du Fds de l'Homme ^s'ac-
complira ; car il fera livré aux Gentils ^
moqué t flagellé , couvert de crachats. Et
après qu'on l'aura fl.igellé , on le mettra à
mort ; mais Ls Afôtres n'entendirent rien
à tout cela , & c'étoit une chofe cachée
four eux. Les Apôtres n'y entendirent
rien; & cette croix , ces humili. tions
d'un Dieu Sauveur , c'eft ce qui rebute
& ce qui fcandalile , jufques au milieu
du Chriftianifcne , tant de libertins, p,
362. 364.
Division. Dieu offenfé par le fcan-
dale de l'homme touchant les humilia-
tions & la croix de Jefus-Chrift , i. Partie.
L'homme perdu par ce même fcandale
des humiliations & de la croix d€ Jefus-
Chrift, a. Partie, p. 364. 365. 366.
L Partie. Dieu ofFenfé par le fcan-
dale de l'homme touchant les humilia-
tions & la croix de Jefus - Chrift. Ce
fcandale bleffe direftement la grandeur ,
lâbonté, la fagefie de Dieu. p. 366. 367.
BEs Sermons; 415
T. Ce fcandale blefle la grandeur de
Dieu. Car c'eft attaquer Dieu dans la
fouveraineté de Ton être , que de pré-
tendre , en quoi que ce foit , cenfurer fa
conduite & (a providence. Mais , difoit
l'héréliarque Marcion , fi je me fcanda-
life des humiliations & des foufFrances
d'un Homme-Dieu, c'eft pour l'intérêt
rnême & l'honneur de Dieu , dont je ne
puis fupporter que la majeflé foit ainfi
avilie. Zèle trompeur ôcfaux , lui répon-
doit Tertuliien. C'eilàvous, fans rai-
sonner , de reconnoître votre Dieu dans
tous les états où il a voulu fe faire voir ;
car dans tous les états il eft également
Dieu. p. 367. jufquà 373.
2. Ce fcandale blelTe la bonté de Dieu;
Nous nous rebutons des myfteres d'ua '
Dieu humilié & crucifié, c'eft - à - dire
que nous nous rebutons & que nous nous
fcandalifons de cela même où Dieu nous a
fait paroître plus fenfiblement fon amour#
P- 373- >A^'^ 377-
5. Ce fcandale fait outrage à la fa-
gefife de Dieu. Le myftere de la croix,
félon les prétendus efprits forts du fiecle,
eft une folie : mais c'eft le plus excel-
lent ouvrage de la fagelTe divine. Car
rien n'étoit plus convenable à TofFice de
Sauveur , que venoit exercer le Fils de
Dieu. 11 devoit fatisfaire à Dieu : or la
fatisfa^lion d'une offenfe porte avec fai
.l'humiliation & la peine ; il devoit nous
(engager ngus-mçmes à la p.énitei\çe , U
430 Table et Abrège
pouvoit-il mieux nous y engager que
par fon exemple ? Mais cette pénitence
ne nous plaît pas , & voilà pourquoi
nous nous révoltons contre des myfteres
qui nous en font voir la néceilité. pag,
377. jufquà 382.
H. Partie. L'homme perdu par
ce fcandale des humiliations & de la
croix de Jefus-Chrift : pourquoi ? parce
que ce fcandale eu effentiellement oppo-
fé à la profeffion de foi que doit taire
tout homme chrétien ; parce que ce fcaiv
dale eft un obftacle continuel à tous les
devoirs & à toutes les pratiques dé la
religion d'un chrétien ; & parce que ce
fcandale eft le principe général , mais
immanquable, de tous les défordres par-
ticuliers de la vie d'un chrétien, p. 382,
385.
I. Ce fcandale eft efl'entiellement op-
pofé à la profeiîion de foi que doit faire
tout homme chrétien ; car il doit croire
ie myilere de la croix , & faire une pro-
feiîion publique de cette foi en Jefus-
Chrift humilié 6c cruciné ; & par la croix
du Sauveur il ne faut pas feulement enten-
dre cette croix extérieure où il eft mort,
ïTiais la croix intérieure dont il fut aitiigé
dans fon ame. Si notre profefTion de foi eil
pleine ôi entière, nous devons , comme
S. Paul, faire gloire de participer à cette
croix intérieure par les fouffrances de la
vie ; mais c'eft de quoi nous avons le
;plus d'horreur, p. 385. 387,
DES Sermons. 431
î. Ce fcandale eft un obftacle conti-
nuel à tous les devoirs & à toutes les
•pratiques de la religion d'un chrétien.
Toutes les pratiques de la vie chrétien-
ne tendent à la haine de foi- même, au
crucifiement de la chair , à l'anéantifTe-
ment de l'orgueil, au retranchement des
plaifirs , au renoncement à l'intérêt : or
voilà ce qui le trouve combattu par le
fcandale des humiliations «Se de la croix
du Fils de Dieu. p. 3B7. 390.
3. Ce fcandale eft le principe général
de tous les défordres particuliers de la
vie d'un Chrétien ; s'il y a des Chré-
tiens intérelTés , c'eft qu'il y a des Chré-;
tiens fcandalilés de la pauvreté de Jefus-
Chriil ; s'il y a des Chrétiens ambitieux,
c'eft qu'il y a des Chrétiens fcandalifés
des abaiilements de Jefus- Chriil. Ainfà
des autres. Heureux donc celui pour qui
l'auteur de fon falut n'eft point un fujet
de fcandale. Un fcandale en attire un
autre :fi nous nous fcandalifons de notre
Dieu , il fe fcandalifera de nous. Prier^
à Dieu, p. 390, JL'fqu'à 395,
al
m
:j.i.. /.-"^
m