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Full text of "Soldat et missionaires au Congo de 1891 à 1894"

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SOLDATS & MISSIONNAIRES AU CONGO. 



Série 6 ''•'. 



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LEOPOLD II 
SOUVERAIN DE L'ÉTAT INDÉPENDANT DU CONGO. 



SOLDATS 



ET 



MISSIONNAIRES 



AU CONGO 




de 1891 à 1894, 



PAR 



F. ALEXIS-M. G. 

Auteur du CONGO BELGE ILLUSTRÉ, du CONGO FRANÇAIS, 

d'ALEXIS Vrithoff 
=== et d'autres ouvrages sur l'Afrique. — 



^ 





Société De Saint^Hugustin, 

DESCLÉE, DE BROUWER et C^ 




1897 



TREMIÈRE PARTIE. 

Le baron Dhanîs. La guerre contre les x\rabes. 

DEUXIÈME PARTIE. 

Le capitaine Jacques. Expéditions antiesclavagistes. 

TROISIÈME PARTIE. 

Alexandre Delcommune. Voyages d'exploration. 

QUATRIÈME PARTIE. 

Les missionnaires catholiques au Congo 



TOUS DROITS RÉSERVÉS. 



"^'^z^i 





Holtiats et ffîisstonnaires 



au Congo, oe 1891 à 1894 



ajaajjanxaaaGaaaacacxxTTTXTTTTTTTTiTT^^ 




PREMIERE PARTIE. 

LE BARON DHANIS ET LA GUERRE 
CONTRE LES ARABES. 




CHAPITRE L 
Situation préalable. Premières hostilités. 

E MAHOMÉTISME. — L'invasion de 
l'Afrique par les Arabes a commencé il y a 
douze siècles, à l'époque même où Mahomet 
lança à la conquête du monde ses fanatiques 
sectaires. 

Absolument opposées au christianisme, qui 
prêche l'abnégation pour soi-même et la charité pour le pro- 
chain, les doctrines du Coran accordent tout aux passions 
humaines: elles flattent l'orgueil et l'égoïsme du plus fort; elles 
l'autorisent à réduire le plus faible en esclavage, à le traiter 
comme un vil bétail^ en le faisant servir à ses jouissances de 
toute nature, avec droit de vie et de mort lorsqu'il lui devient 
inutile ou gênant. 

On comprend par là comment l'islamisme, fanatisant ses 
adeptes, a pu se répandre par le fer et le feu dans la moitié de 
lAncien Continent. On trouve aujourd'hui des Arabes ou des 
peuples « arabisés » et musulmans dans toute l'Asie, dans la 
Malaisie, dans la partie méridionale de l'Europe, en Turquie, 
où Constantinople est leur capitale ; ils dominent sur les deux 
tiers du Continent africain, où leurs progrès ne cesseront que 
par l'action des puissances européennes, intéressées désormais 
à sauvegarder les possessions nouvelles qu'elles y ont acquises. 



lO SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

A tous ces peuples musulmans, pour qui le travail est une 
abjection, et les satisfactions bestiales une nécessité autorisée 
par la loi, il faut des serviteurs, des esclaves des deux sexes, et 
pour recruter ces esclaves, il faut la chasse à l'homme, laquelle 
se traduit en Afrique par la traite des nègres et toutes ses atro- 
cités, que nous avons décrites dans des ouvrages spéciaux (i). 

Or, l'on sait, par le témoignage de Livingstone, de Came- 
ron, de Stanley et de tant d'autres explorateurs ou mission- 
naires, que pour un nègre qui arrive en Egypte, en Turquie, 
en Arabie ou en Perse, il y en a dix, vingt peut-être, qui ont 
péri dans les razzias, l'incendie des villages ou sur la route des 
caravanes. Parmi les hommes capturés qui ont servi de bêtes 
de somme pour porter les dents d'ivoire à la côte, beaucoup 
meurent à la peine. Quant aux femmes et surtout aux enfants 
destinés à une vente lucrative, leur sort n'en est pas meilleur, 
car les infortunés n'ont à attendre que la dégradation la plus 
humiliante. 

On s'explique ainsi facilement la ruine et la dépopulation de 
toutes les contrées d'Afrique et d'ailleurs, soumises au. régime 
inhumain de l'islamisme. Même en Europe et en Asie, dans 
tout l'empire turc et les autres états musulmans, la population 
décroît sans cesse malgré l'immigration des esclaves ; à plus 
forte raison en est-il ainsi de ces immenses contrées de l'Afri- 
que intérieure, où les malheureux nègres, impuissants à sauve- 
garder leur liberté personnelle, se voient même obligés d'aider 
leurs tyrans à opprimer leurs frères de race noire. 

En effet, les brigands que nous voyons notamment dans le 
Congo belge, ne sont pas tous des Arabes ni même des 
métis d'Arabes et de nègres; la plupart sont des nègres sauva- 
ges, capturés et enrôlés bon gré mal gré pour faire le métier de 
leurs maîtres. C'est ainsi que sur quinze mille chasseurs d'es- 
claves qui dévastaient le Congo oriental, et que les troupes 
belges ont eu à combattre, à peine y en avait-il quelques cen- 
taines qui fussent de vrais Arabes zanzibarites ; mais ceux-ci 
étaient les chefs, les conquérants, dominant par leur intelligence 
la masse des aventuriers à leur solde. 

I. La Traite des Nès^res, la Barbarie africaine et les Missions catholiques^ 2 vol. 
in-8° de 240 pages. Liège, Dessain. 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. I I 



Invasion arabe au Congo. — Il y a une quarantaine 
d'années à peine que les Arabes, partis de Zanzibar, sont 
arrivés dans le bassin du Congo. Livingstone, le premier, si- 
gnala en 1870 leur présence et leurs cruautés à Nyangwé. 
Cameron, qui les y rencontra également, ne put, à cause de 
leur opposition, obtenir les canots dont il avait besoin pour 
descendre le fleuve, inconnu alors, et il fut obligé de repartir 
par le sud-ouest vers l'Angola. 

En 1 876, Stanley, dans son voyage de découverte du Congo, 
se heurta au même obstacle. Pourquoi les Arabes de Nyangwé 
s'opposaient-ils au passage des explorateurs européens, qui 
demandaient à suivre le fleuve dans la direction du nord? Sans 
doute parce que ces brigands craignaient l'intrusion de l'étran- 
ger dans le Manyéma, qu'ils exploitaient si cruellement. 

L'intrépide Stanley passa quand même, en prenant un détour 
à travers la forêt, et grâce au concours du chef Tippo-Tip, 
jeune alors et déjà puissant, qui accepta de convoyer l'expédi- 
tion du blanc pendant deux mois, jusqu'à un point où il fût 
possible de s'embarquer. En descendant le grand fleuve, Stanley 
eut à subir de nombreuses attaques des indigènes, qui le pre- 
naient, avec ses Zanzibarites vêtus de costumes arabes, pour 
les chasseurs d'hommes si redoutés. Ces pauvres indigènes, 
du Manyéma jusqu'aux Stanley-Falls, souffraient donc déjà des 
incursions des traitants de Zanzibar. 

La même année 1876, le roi Léopold II fondait l'Associa- 
tion internationale africaine. Ayant appelé à Bruxelles le dé- 
couvreur du Congo, il le renvoya en Afrique avec la mission 
d'y établir des postes et d'explorer le pays qu'il avait découvert 
si glorieusement. 

Or, «lorsqu'au mois de décembre 1883, dit M. Wauters, 
Stanley remontait le haut Congo, il rencontra près du confluent 
du Lomami, une bande arabe dirigée par des sous-ordres appar- 
tenant à Abel-ben-Alim, de Nyangwé, et qui avait poussé ses 
incursions jusqu'un peu en aval des Falls. Pour essa3^er d'en- 
rayer, par une occupation effective, l'invasion qui s'annonçait, 
Stanley établit un poste dans une île au terminus de la navi- 
gation. Quinze mois plus tard, le 26 janvier 1885, le capitaine 
Van Gèle, arrivant à son tour aux Falls, y trouva Tippo-Tip 



I 2 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



installé depuis six mois à la rive; les deux adversaires, l'Euro- 
péen et l'Arabe, étaient donc, sur le Congo, face à face. La 
paix promise par l'Arabe ne dura que dix-huit mois : le 28 
août 1S86, la station, défendue par deux Européens, MM. 
Dubois et Deane, et un peloton de soldats noirs, fut attaquée 
et occupée par les hommes de Rachid, neveu de Tippo-Tip. 
La question arabe était désormais posée pour l'Etat du Congo. 

Tippo-Tip nommé gouverneur des Stanley-Falls. 

— « Déclarer carrément la guerre aux traitants de Nyangwé, 
de Kassongo et du Manyéma, il n'y fallait pas songer un seul 
instant en ce moment ; c'eût été courir à une catastrophe cer- 
taine. On sait à quel expédient eut recours alors le gouverne- 
ment de l'Etat pour conjurer le danger, reprendre aux Falls 
l'autorité qui lui était nécessaire et organiser des bases sérieuses 
de défense, en vue d'une campagne prochaine, probable, disons 
inévitable. Tippo-Tip, qui était resté étranger à l'attaque des 
Falls, ordonnée en son absence par Rachid, fut rencontré à 
Zanzibar par Stanley, qui reçut l'expression des regrets du 
vieux chef arabe. Celui-ci était nommé vali des Falls, au ser- 
vice de l'État, et ramené par la voie du Congo à son poste où 
il relevait le drapeau bleu, le 17 juin 1887. Quelques jours 
après, la station des Falls était pacifiquement réoccupée par la 
force armée, sous le commandement des capitaines Van Gèle et 
Van Kerckhoven. 

« On a vivement discuté, au moment où elle s'est produite, 
cette nomination de Tippo-Tip en qualité d'agent de l'Etat. 
On a fait alors sur ce sujet, qui prêtait du reste à la controverse 
par son originalité, de beaux discours et des articles incisifs. 
Aujourd'hui l'on doit reconnaître que cette nomination a été 
un acte d'extrême habileté, qui seul a permis à l'influence 
européenne de prendre pied graduellement dans ces districts 
lointains et de se préparer à une action militaire, que la révolte 
et les succès des mahdistes dans la vallée du haut Nil pouvaient, 
d'un moment à l'autre, précipiter. 

« Les dispositions de l'État furent combinées avec une 
extrême clairvoyance. Il convient de le dire : si le succès a pu 
être obtenu aussi rapidement, c'est parce que, dès le début, on 



PREMIERE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 



a VU nettement, à Bruxelles, ce qu'il importait de faire,et que Ton 
n'y a pas perdu un instant de vue l'éventualité de la campagne. 
« La création de deux camps retranchés fut décidée. Placés 
l'un et l'autre au point terminus de la navigation à vapeur, en 
face des avant-postes arabes : l'un à Basoko, sur le Congo, vis- 
à-vis du confluent du Lomami, l'autre à Lusambo, sur le haut 
Sankuru, ils devaient être armés de canons et recevoir une 
forte garnison. Bien que très avancés vers le centre du conti- 
nent, ils allaient devenir des bases pratiques d'opérations, grâce 
à la possibilité de les ravitailler et de les secourir à l'aide des 
vapeurs du Stanley-Pool (^). » 

Hostilités sur le haut Ouellé. Le commandant Van 
Kerckhoven. — Avant de décrire la grande expédition du 
baron Dhanis dans le Manyéma, il est bon de signaler les 
opérations du commandant Van Kerckhoven dans les régions 
du nord-est, sur le haut Ouellé, que les Arabes occupaient et 
d'où ils descendaient vers les Stanley-Falls. 

A quatorze ans, le jeune V^an Kerckhoven s'engageait dans 
les troupes pontificales. Ce n'était guère encore qu'un enfant,, 
et il ne voyait dans son enrôlement comme zouave pontifical 
qu'une occasion de se dévouer, d'affronter les dangers de la 
guerre, de voir la vie et la mort. Revenu en Belgique, Van 
Kerckhoven s'engagea dans l'armée belge. 

C'est en 1883 qu'il se rendit pour la première fois en Afri- 
que. Il fut d'abord occupé dans le Bas-Congo, en qualité de 
chef d'Issanghila. Il succéda ensuite à Coquilhat, au comman- 
dement de la difficile station des Bangalas. Au cours de son 
premier séjour, il fit preuve de certaines qualités politiques, car 
il sut entretenir avec tous les chefs indigènes des environs de 
sa station les relations les plus courtoises. 

Il revint en 18S6 en Europe, mais repartit à la fin de la 
même année pour le Congo, où il reprit le commandement des 
Bangalas, organisant son district, assurant le bien-être matériel 
dans toute l'étendue du territoire et donnant une grande exten- 



I. A. J. Wauters, Le Cottgo illustré^ auquel nous avons emprunté en partie les 
détails de cette campagne militaire, ainsi qu'au Courrier de Bruxelles ^\. à diverses 
publications périodiques. 



14 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

sien au recrutement des soldats de la force publique, dont 
Coquilhat avait été l'initiateur. Peu après, il explora les rives 
de ritimbiri et parvint à organiser l'autorité de l'Etat indé- 
pendant sur les deux rives du Congo, de l'Itimbiri jusqu'au 
confluent de l'Oubanghi. Ce fut Baerts qui reprit sa succession 
en 1889, au moment où il revint en congé en Belgique. 

Van Kerckhoven repartit en 1890 pour le Congo, avec le 
titre d'inspecteur d'État. A ce moment il avait déjà le grade 
de capitaine-commandant. Il avait reçu la mission de purger 
la région du nord de l'État des bandes d'esclavagistes qui la 
pillaient. Le commandant s'avança à travers ces pays avec un 
grand courage et une rapidité étonnante. En avril 1892, il arri- 
vait dans le pays des Momboutous. Il parvint avec l'aide des 
grands chefs indigènes, Bangasso, Rafaï et Semio, à gagner 
le cœur du district de l'Arouvvimi-Ouellé et à créer toute une 
série de postes d'arrêt sur l'Ouellé, avec un grand poste à 
Amadis, situé sur ce cours d'eau. 

Malheureusement on apprit un jour la nouvelle de la mort 
de ce brave officier, survenue, paraît-il, par accident dans un 
combat contre les Arabes. 

Il tirait sur eux avec un Winchester-express, lorsque, s'aper- 
cevant que cette arme « crachait », il la passa à son boy qui 
se tenait derrière lui, selon l'usage, avec plusieurs fusils de 
rechange. Le petit serviteur crut que son maître lui remettait 
son arme pour la recharger, tandis qu'il en désirait une autre. 
Le fusil contenait encore plusieurs cartouches. Le boy le mania 
imprudemment. Un coup partit. La balle alla blesser mortelle- 
ment le capitaine Van Kerckhoven, un des plus vaillants parmi 
les officiers qui ont consacré leur vie à l'œuvre de l'Etat Indé- 
pendant. Son nom doit être rapproché de ceux des Hanssens, 
des Vandevelde, des Coquilhat, des Van Gèle et de tant 
d'autres qui ont su prouver, là-bas, tout ce qu'il y a de courage 
et de dévouement dans le tempérament du soldat belge. 

Le commandant Ponthîer. — Un des principaux faits 
d'armes qui ont marqué ces opérations, est la défaite infligée aux 
Arabes par Dhaenen et Ponthier, sur le Bomokandi, où ils 
avaient installé un camp. 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 15 

Le lieutenant-commandant Pierre-Joseph Ponthier est né 
à Marche, le 4 mai 1858. Il était lieutenant au 13^ de ligne 
lorsqu'il partit pour la première fois au Congo, le 15 mars 1887. 
Durant son premier terme de service à l'Etat indépendant, 
Ponthier fît partie de l'expédition qui établit le camp de Ba- 
soko, sur l'Aruwimi, créé pour faire obstacle aux incursions 
des esclavagistes. Il fonda lui-même les postes d'Isanghi et de 
Yambinofa. 

Les Arabes virent de très mauvais œil l'établissement de ce 
camp. Ils se livrèrent à cet égard à des démonstrations signi- 
ficatives. Sélim, l'un des lieutenants de Tippo-Tip, descendit 
même le fleuve à la tête d'une flottille de pirogues qui portait 
plus de 2,000 combattants. Mais l'attitude crâne et ferme du 
lieutenant Ponthier les décida à la retraite. 

Rentré en Europe le 3 mars 1890, Ponthier s'embarqua de 
nouveau le 10 août de la même année. Il accompagnait cette 
fois en qualité de second le commandant Van Kerckhoven, 
chargé de diriger cette importante expédition sur le Haut- 
Ouellé. 

Ponthier prit le commandement de l'avant-garde. C'est lui 
qui rencontra et tailla en pièces, sur les bords du Bomokandi, 
un parti comprenant plus de 2,000 Arabes et lui enleva 1800 
esclaves, qui furent libérés. Cette victoire enraya définitivement 
de ce côté les incursions des esclavagistes. 

Il poursuivit bravement, héroïquement sa marche, ouvrant 
les voies au gros de l'expédition jusqu'au moment où, blessé 
au pied par des piquets empoisonnés dont était hérissé le lit 
des rivières, il fut contraint de rentrer en Europe. 

Nous le retrouverons plus loin accourant au secours du 
commandant Dhanis, dans la campagne du Manyéma, où il 
trouva une mort aussi glorieuse que regrettable. (P. 30.) 






l6 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



#< CHAPITRE IL 




Campagne du commandant Dhanis dans le 

Manyéma. 

§ I. Les premiers engagements. 

I^RANCIS DHANIS naquit à Londres le 1 1 mars 
1862, mais d'une famille anversoisequi le ramena 
en Belgique. Il était sous-lieutenant au régiment 
des grenadiers lorsqu'il partit la première fois de 
Bruxelles pour le Congo, le 10 octobre 1884. 

11 fut adjoint alors à la cinquième expédition de l'Associa- 
tion internationale africaine à la côte orientale, sous le com- 
mandement du lieutenant B^cker. Cette expédition ayant été 
rappelée peu de temps après son arrivée à Zanzibar, et son 
personnel ayant été licencié, Dhanis, qui comptait poursuivre 
sa carrière africaine, entra dans les bureaux du gouvernement 
central de l'État indépendant. 

Le 23 mars 1886, il s'embarquait pour le Congo et était 
tout d'abord désigné pour le district de Bangala ; puis, des 
instructions venant d'Europe pour la création du camp de 
Basoko, Dhanis fut attaché à l'expédition; il quitta Bangala, 
le 25 octobre 1888, à la tête de l'avant-garde, et alla jeter les 
bases du premier camp retranché de Basoko, au confluent du 
Coneo et de l'Aruwimi. 

Son terme de service étant terminé, il rentre ensuite en 
Europe, pour repartir chargé par le gouvernement central de 
l'occupation des territoires du Kwango oriental, et de la créa- 
tion d'un nouveau district de l'État dans cette région. Il fonde 
le poste de Popocabaca, chef-lieu du district, explore le bassin 
oriental de la rivière et en prend possession au nom du Roi- 
Souverain. 

Cette œuvre importante ayant été achevée avec un plein 
succès, et Paul Le Marinel, fondateur et commandant du camp 
retranché du Sankuru, rentrant en Europe, Dhanis est appelé 
à le remplacer et il quitte Popocabaca pour Lusambo. 

Ceci se passait au mois de mars 1892. 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. ij 

/ 

Depuis la soumission de Tippo-Tip à l'Etat, en 1886, les 
chefs arabes avaient observé une attitude pacifique, mais en 
développant leur occupation du pays en amont des Falls. 
Cependant, quelques-uns d'entre eux, plus indépendants que 
le résident de cette station, poussaient des incursions dans les 
bassins, quasi inconnus encore à ce moment, du haut Lomami 
et du haut Aruwimi jusqu'à l'Uellé. On avait même signalé 
l'arrivée de quelques bandes aux sources du Lopori et de la 
Mongalla. 

Perfidie des Arabes. Massacre de Lîppens et d*Ho- 
dister. — L'occupation arabe faisait tache d'huile, et l'influence 
des sultans des Falls et de Nyangwé devenait de plus en plus 
grande sur les principaux chefs indigènes du Lualaba et du 
haut Lomami, qui étaient devenus leurs vassaux et leurs alliés. 
Cependant, nul acte d'hostilité n'avait été posé par aucun d'eux 
dans ces régions, où l'État n'avait, du reste, d'autre agent que 
le résident de Kassongo, le lieutenant Lippens, ayant pour 
adjoint le sous-officier Debi^iiyn. Plus à l'est, au delà du 
Manyéma, l'expédition antiesclavagiste du capitaine Jacques 
arrivait à Rumbi, sur le lac Tanganika. 

Combien de temps une semblable situation, d'apparence 
trompeuse, mais en réalité fort tendue, pouvait-elle encore se 
prolonger '^, 

Le premier contact entre les forces des deux influences qui 
se disputaient le haut Congo et le Manyéma eut lieu sur 
rOuellé, le 27 octobre 1891, jour où le capitaine Ponthier 
anéantit un parti arabe, au confluent du Bomokandi. 

Le second se fit à Mtowa, le 9 avril suivant, entre les Arabes 
de Rumaliza et les troupes antiesclavagistes, qui furent blo- 
quées dans Albertville, sur le Tanganika. 

Le troisième fut provoqué par la révolte du puissant chef 
indigène Congo Lutété, se déclarant vassal de Sefu, fils de 
Tippo-Tip, le sultan de Kassongo, contre Dhanis, qui marcha 
au-devant de lui et le battit dans deux rencontres, les 6 et 9 
mai 1892 

Désormais, plus rien ne saurait empêcher les événements de 
se produire, et c'est ici que se placent chronologiquement les 

Soldais et missionnaires au Congo. 2 



iS SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

drames sanglants de Riba-Riba, de Kibongé et du Lomami : 
Hodister et ses compagnons tombent le 15 mai sous les balles 
des x\rabes de Nséréra ; Emin est assassiné vers le 20 octo- 
bre à l'instigation de i7/?/;/;'/-iï/(?//^rr^ / le lieutenant Lippens, 
résident de Kassongo, et son adjoint Debruyn sont arrêtés 
par Sefu, qui ne va pas tarder à les faire mettre à mort (^). 

Peu s'en fallut que les membres de l'expédition de décou- 
vertes, dirigée par Alex. Delcomniîcne, ne fussent pris dans la 
conflagration générale. Si, au confluent de la Lukuga, ils 
n'avaient pas, au mois de novembre 1892, abandonné l'explo- 
ration du Congo (Lualaba) vers le nord, pour se diriger vers 
l'est, il est fort probable que la révolte arabe eût compté quatre 
victimes belges de plus. 

Dès lors, la lutte est ouvertement déclarée. Aux Falls, 
Rachid feint encore un semblant de respect et de soumission 
envers le représentant de l'Etat, mais partout ailleurs, depuis 
Kibongé jusqu'à Nyangwé et Kassongo, sur le Lomami et 
le Liralaba, la révolte est générale. 

Organisation de la défense. — Heureusement depuis six 
ans, c'est-à-dire depuis la première affaire des Falls (août 1886), 
la situation de l'État s'est sino^ulièrement améliorée. Un tra- 

o 

vail énorme, un effort gigantesque ont été réalisés. Ce ne sont 
plus deux ou trois petits postes isolés, dirigés par quelques 
officiers sans troupes, auxquels les Arabes vont avoir affaire. 

Les deux camps de Basoko et de Lusambo sont armés, appro- 
visionnés de munitions; Chaltin commande le premier, Dhanis 
le second ; aux Falls mêmes, le résident Tobback s'appuie sur 
une troupe capable de résister à une première attaque. La 
force publique de l'État se compose de soldats bien armés, 
aguerris; enfin, sur le réseau fluvial qui relie les deux camps 
avancés et les Falls au Stanley-Pool, navigue maintenant 
toute une flottille de vapeurs appartenant à l'État ou à la 
Société belge du haut Congo, et prêts au transport éventuel 
des renforts et des munitions. 

A Bruxelles et à Boma, toutes les dispositions ont été prises 

I. Voir pages 66 et suiv. quelques détails sur ces massacres. 




Le lieutenant baron Francis Dhanis, né à Londres, 
le II mars 1862, le vainqueur des Arabes. (V. p. 16.) 




Le commandant Pierre-Joseph Ponthier, né à Marche, 
le 4 mai 1858, mort au Congo en 1893. (V. p. 14.) 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DITANIS. 2T 



en vue d'une lutte qui doit être décisive. Depuis le 9 août, 
M. l'inspecteur Fivé a été investi, par le gouverneur-général 
Wahis, de la direction générale des opérations en arrière de 
la ligne de combat : il importait au plus haut point, en effet, 
que les deux bases d'opérations de Basoko et de Lusambo 
fussent reliées entre elles par un service rapide d'informations, 
et qu'à un moment donné, l'un des deux camps pût combiner 
son action avec celle de l'autre camp, et éventuellement, chacun 
se prêter le mutuel appui de ses forces. 

§ II. Campagne contre Séfu et Moharra, sultans de 
Nyangwé et de Kassongo. 

C'est au sud que l'action s'engagea par la marche de Séfic, 
sultan de Kassongo, vers Gongo Lutété, qui, à la suite de ses 
défaites, avait fait sa soumission à Dhanis. Celui-ci avait, de 
plus, rallié à sa cause deux autres chefs puissants de la contrée, 
Panio JMatuvibo çX Lupiingit. Il était précisément chez ce der- 
nier, lorsque lui parvint la nouvelle de l'arrivée de Séfu sur le 
Lomami, à la tête de forces imposantes. Il appelle aussitôt à 
lui toutes ses réserves et ses alliés, et, avec le lieutenant Mi- 
chaux, se porte à la rencontre du fils de Tippo-Tip. Les troupes 
de celui-ci sont battues les 22 et 23 novembre 1892, et refou- 
lées au delà de la rivière. 

Les combats se succèdent en même temps que la marche en 
avant se poursuit. Les lieutenants de VVoitters, ScJierlinck et 
Cassart — ce dernier revenant de l'exploration du Katanga 
avec Delcommune — ont rejoint l'expédition. A Goi Capoca, 
une nouvelle rencontre a lieu le 30 décembre. Séfu, auquel 
s'est joint Munie JMoJia^n'a, subit une nouvelle déroute dans 
laquelle ce dernier perd la vie. La route du Lualaba est ouverte; 
Dhanis campe, le 21 janvier 1893, sur la rive gauche du fleuve, 
en face de Nyangwé, où se concentrent toutes les bandes 
arabes sous le commandement de Séfu, de Pembé, fils de Mu- 
nie, et de Nséréra, chef de Riba-Riba. 

Le 25 février, ceux-ci tentent un nouvel et suprême effort, 
toutes leurs forces réunies, pour arrêter la marche victorieuse 
des troupes de l'Etat et empêcher le passage de la rivière. Vain 
espoir ! Ils subissent une nouvelle défaite à la suite de laquelle 



2 2 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



Dhanis résolut de franchir le Congo et de surprendre Ny- 
angwé. 

Nyangwé est une grande ville, qui s'étend sur la rive 
droite du Lualaba, de telle sorte que l'expédition Dhanis devait 
traverser le fleuve pour l'attaquer. 

Or, le Lualaba a près de looo mètres de largeur; mais ce 
qui rendait la situation des Arabes presque inexpugnable, c'est 
qu'il était presque impossible à l'expédition de se procurer des 
pirogues, l'ennemi ayant eu soin d'accaparer toutes les embar- 
cations, pour empêcher la traversée du fleuve. 

En outre, les Arabes, qui, dans ces derniers temps, par suite 
de leurs fréquentes collisions avec les Européens, ont fait de 
grands progrès dans l'art de se défendre, avaient élevé des 
tranchées au pied de la ville, du côté de la rive droite du 
Lualaba, tandis qu'ils défendaient la rive gauche par des feux 
de tirailleurs. 

Ainsi protégés, les Arabes se croyaient à ce point invinci- 
bles, qu'ils eurent, à plus d'une reprise, l'audace de passer le 
fleuve en amont de Nyangwé, et essayèrent même de prendre 
l'offensive par détachements isolés. 

Un jour, ils tentèrent une attaque, avec toutes leurs forces, 
contre les assiégeants européens. Dhanis leur opposa toutes 
ses troupes qu'il avait divisées en deux colonnes, plaçant à 
l'arrière-garde un corps de réserve assez important, chargé 
d'intervenir in extremis, au cas où les Arabes auraient le dessus. 

La bataille dura plusieurs heures. Enfin les Arabes furent 
contraints de plier et repassèrent le fleuve dans le plus grand 
désordre, en laissant plus de cent cinquante morts sur la rive 
droite du Lualaba. 

A partir de ce jour, les Arabes n'osèrent plus sortir de 
Nyangwé pour prendre l'offensive. Ils furent virtuellement 
assiégés. 

Le bombardement. — Très ébranlés dans leur confiance, 
ils se montrèrent tout à fait démoralisés lorsque Dhanis eut 
commencé le bombardement de Nyangwé. 

Le commandant avait chargé le lieutenant de Wouters 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 23 



d'Oplinter de diriger les feux de l'artillerie. On ne peut, 
paraît-il, s'imaginer l'émotion que produisirent parmi les Arabes 
et la population des villages indigènes, la vue des premières 
trajectoires décrites par les obus et le bruit de leurs déto- 
nations. 

Ce fut, les premiers jours, une véritable panique. 

Les Arabes s'efforcèrent d'abord de tranquilliser les indi- 
gènes en leur racontant que les obus étaient des choses ano- 
dines et sans portée ; mais bientôt ils furent eux-mêmes gagnés 
par la peur, eux qui connaissaient déjà la fusillade, mais qui 
n'étaient pas encore complètement initiés à la puissance de 
l'artillerie d'aujourd'hui. 

Dans le camp de Dhanis on se rendit parfaitement compte 
de l'effet produit sur les Arabes, car les indigènes venaient dire 
aux Européens : « Cessez le feu le plus tôt possible. Vous allez 
tout détruire, tout brûler chez nous; et pourquoi, puisqu'il est 
certain que vous serez vainqueurs ? » 

Les indigènes les mieux disposés envers les Arabes venaient 
même faire des offres de soumission à l'expédition Dhanis, ce 
qui prouvait bien qu'ils considéraient le sort de Nyangwé 
comme perdu. 

Dhanis en profita pour dicter des conditions aux indigènes 
et les amener à lui fournir 120 pirogues qui devaient l'aider à 
franchir le Lualaba et à pénétrer dans Nyangwé. 

Les négociations avaient lieu chaque nuit entre des indi- 
gènes, qui traversaient secrètement le fleuve à la nage, et les 
chefs de l'expédition Dhanis qui les attendaient. 

On finit par prendre date; il fut convenu que les indigènes 
livreraient des embarcations à l'expédition belge, la nuit du 3 
au 4 mars, avant l'aube. 

Il y avait plus de six semaines, constatons-le ici, que Dhanis 
se trouvait devant Nyangwé. 

La prise de Nyangwé. — Au jour dit, les indigènes tinrent 
leurs promesses, et au milieu du silence, pendant le sommeil 
des Arabes, franchirent le Lualaba et fournirent aux troupes 
de Dhanis au delà d'une centaine de pirogues. 

L'expédition s'embarqua aussitôt, et en faisant le moins de 



24 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

bruit possible, traversa le Lualaba et se trouva enfin au pied 
de la ville de Nyangwé. 

L'aube allait poindre. 

Sans un instant de retard, les troupes de Dhanis s'élancèrent 
sur les ouvrages de défense de l'ennemi, qui n'eut pas le temps 
de se rendre compte de ce qui se passait. 

S'éveillant sous une pluie de feu, les Arabes furent pris 
d'une telle panique, qu'ils se précipitèrent hors de la ville, sans 
même se défendre, jetant leurs armes, poussant des cris ter- 
ribles, au milieu d'un indescriptible sauve-qui-peut. 

La victoire des forces de l'Etat était complète. Il n'était pas 
encore midi que Dhanis avait déjà établi son quartier général 
dans la demeure même de Munie Moharra, le chef arabe. 

Voici les noms des officiers belges qui ont coopéré avec 
Dhanis à cette série de beaux faits d'armes: 

Le lieutenant d'artillerie chevalier de Wouters (£ Opli7itery 
dont nous avons parlé; le lieutenant de cavalerie Michaux, le 
lieutenant d'infanterie Scherlinck, le lieutenant d'infanterie 
Dîichêne, le sous-lieutenant Cassart, qui avait fait partie de 
l'expédition Bia-Franqui; les sous-officiers C^;r/C'^/ et /^r<^a/- 
dino, auxquels il faut ajouter le nom du docteur anglais HindCy 
qui accompagnait l'expédition à ses débuts. 

Les soldats indigènes ont fait preuve de la discipline et du 
courage les plus remarquables. 

Prise de Kassongo. — Sur ces entrefaites, le commandant 
de l'expédition apprit que les débris des forces arabes avaient 
dû se réfugier à Kassongo, place située à deux jours de 
marche de Nyangwé. 

En effet, le lo avril 1893, Bwana-Zige et Pioma-Lenga, 
Arabes influents retirés à Kassongo, firent parvenir à Dhanis 
des propositions de soumission, promettant de se détacher 
de Séfu, qui continuait la guerre. 

C'était une feinte destinée à tromper le commandant des 
troupes de l'Etat. Aussi, le 17 avril, Dhanis résolut de marcher 
sur Kassongo. Il ordonna à une colonne, commandée par le 
capitaine Gillain, de protéger le passage de la Kunda. 

Gongo-Ltitété, ainsi que Sanbua et Dengu, chefs alliés, pas- 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DIIANIS. 25 

sèrent la rivière avec tous leurs gens. Le i8, Dhanis, Scher- 
linck, le docteur Hinde et le sous-lieutenant Cerckel, avec un 
canon, 6 sous-officiers blancs, 300 soldats réguliers et 3000 auxi- 
liaires, se portaient à leur tour en avant. M. de Wouters avec 
le sergent Collet et 100 hommes gardaient Nyangwé. 

Le 22 avril, à 9 heures 30 du matin, les colonnes Dhanis et 
Gillain arrivent devant. Kassongo avec leurs auxiliaires. A 
10 heures et quart commence l'attaque. 

Kassongo était mis en parfait état de défense. A l'intérieur 
de la ville, les maisons étaient crénelées et un cordon de forts 
avancés et de tranchées défendaient les abords de la cité. 

Différentes colonnes d'attaque sont formées et se lancent à 
l'assaut. Après une terrible fusillade, la panique s'empare des 
Arabes. Ils fuient en désordre. Les auxiliaires indigènes en 
font un terrible massacre. Un grand nombre se noient au 
passage de la rivière Musokoï. 

La ville et ses immenses richesses tombent entre les mains 
de Dhanis. 

Les journées des 22 et 23 se passent à poursuivre les 
fuyards. Le butin est énorme ; citons : 3 tonnes d'ivoire, 
35 boeufs, 15 ânes, des monceaux de marchandises de tout 
genre, des bijoux, 1000 kilogrammes de poudre, 20 fusils à 
répétition, le journal d'Emin-Pacha, de nombreux prisonniers, 
de grandes plantations de riz, café, citronniers, orangers, sor- 
gho, etc. 

Dhanis s'occupa aussitôt d'organiser les territoires conquis. 

Nyangwé fut relevé de ses cendres et fortifié. Les défenses 
de Kassongo furent encore perfectionnées et toutes les dispo- 
sitions prises pour entrer en rapport avec Ponthier au nord et 
Jacques à Test. 

Résultats. — Ainsi, en moins de cinq mois de campagne, 
Dhanis avait livré plus de dix combats victorieux, tué Munie 
Moharra, le sultan de Nyangwé, mis cinq ou six fois Séfu en 
complète déroute et gagné la soumission de plus de vingt-cinq 
chefs indigènes. 

Il occupait maintenant Nyangwé et Kassongo, les clefs du 
Manyéma, et avait à sa disposition une petite armée com- 



20 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

mandée par dix blancs, forte de 300 soldats réguliers et d'en- 
viron 5,000 guerriers auxiliaires. De Lusambo et des Falls, 
des renforts lui étaient annoncés qui allaient lui permettre de 
poursuivre avant peu sa campagne victorieuse. 

Révolte de Rachid, sultan des Falls. — Tandis que 
Dhanis établissait solidement son camp à Kassongo et mettait 
à profit ses succès et la déroute complète de Séfu et de Nsé- 
réra, pour organiser militairement les forces auxiliaires que lui 
amenaient les chefs indigènes, et qui chaque jour crois- 
saient en nombre, éclatait aux Falls la rébellion de Rachid 
(13 mai 1893). 

Pendant cinq jours, le capitaine Tobback, secondé par son 
adjoint le sous-lieutenant Van Lmdt, résista aux attaques du 
vali, mais déjà il prenait ses dispositions pour battre en retraite 
devant le nombre croissant de ses adversaires, lorsque le 18, 
l'arrivée du lieutenant Chaltin^ commandant de Basoko, accom- 
pagné du lieutenant de Bock et de M. Alo/mn, consul des 
États-Unis, vint changer la face du combat. 

En quelques heures la partie était gagnée. Les hommes de 
Rachid se débandaient : 1500 d'entre eux tombaient entre les 
mains des vainqueurs; seuls leur chef et quelques fidèles par- 
venaient à s'échapper vers Kibongé. 

Quelques jours après cet heureux événement arrivait le 
capitaine Pontkier, que précisément le gouvernement envoyait 
aux Falls pour y renforcer l'autorité de l'Etat, puis rejoindre 
Dhanis en vue d'une action commune dans le Manyéma. 

Dès le 28 juin, Ponthier quitte la station avec les lieutenants 
Lothaire et Hanquet, à la poursuite de l'ennemi, qu'il rejoint 
et défait dans sept rencontres successives : à Kewé, Bamanga, 
Kirundu, Kima-Kima, Soke-Soke, Sua-Nionga et Utia-Mo- 
tungu. 

Il lui fait 8,000 prisonniers, parmi lesquels vingt-cinq chefs. 
Rachid parvient encore, il est vrai, à s'échapper, mais ce ne 
sera que pour être forcé de faire plus tard sa soumission à l'Etat 
et se constituer prisonnier. 

La région des Falls, comme celle du Lomami et deNyangwé, 
étant dès lors débarrassée des Arabes, Ponthier, conformément 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 27 

aux instructions reçues, remonte le Congo, arrive sans en- 
combre à Nyangwé et, le 25 septembre, rejoint Dhanis à 
Kassoneo. 



s 



III. — Campagne contre Rumaliza, sultan d'Ujiji. 



Rumaliza. — Depuis le jour de l'occupation de Kassongo, 
le 22 avril, Dhanis, qui, pour entrer dans le Manyéma, attendait 
les renforts demandés, s'était solidement établi et avait organisé 
et discipliné ses forces auxiliaires, mais n'avait pas encore, 
faute de monde suffisant, pu poursuivre ses succès vers l'est. 

La nouvelle de la marche et de l'arrivée prochaine de Ruma- 
liza, qui lui parvint à la fin du mois d'août, lui démontra bientôt 
combien il avait sagement agi en ne s'aventurant pas à la 
légère. 

L'entrée en scène du sultan d'Ujiji était, en effet, un événe- 
ment d'une réelle gravité. Parti du lac Tanganika à la tête de 
3000 soldats bien armés, ayant probablement rallié sur son 
chemin les débris des bandes de Séfu,de Nséréra et de Pembé, 
agissant sur un terrain dont ses congénères étaient les maîtres 
incontestés depuis trente ans, Rumaliza se présentait comme 
un adversaire redoutable. 

Il le fut, en effet, et il ne fallut pas moins de trois mois de 
temps, du 15 octobre 1893 au 14 janvier 1894, et trois séries 
de sanglants combats, pour que la petite armée de Dhanis, ren- 
forcée par l'arrivée de nouveaux contingents de troupes, réus- 
sisse finalement à avoir raison du puissant chef arabe. 

La première série de combats eut lieu sur les bords de la 
Luama, les 15, 16, 17, 18 et 19 octobre. Dhanis et Ponthier 
ayant sous leurs ordres le capitaine Doorme, les lieutenants 
Hambttrsin et Lange (venus de Lusambo), s'étaient portés au 
devant de Rumaliza avec 350 réguliers, 600 auxiliaires et un 
canon. Ils le trouvaient solidement retranché au bord de la 
rivière à quelques lieues de Kassongo. 

C'est en vain que des prodiges de valeur sont déployés pour 
enlever les bornas arabes ; c'est en vain que Ponthier, conti- 
nuant à faire preuve delà plus impétueuse bravoure, donne sa 
vie pour obtenir la victoire : le résultat de ces cinq jours de 
combat reste indécis. 



2 8 Î^.OLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Il en fut de même de la bataille sanglante livrée à Ogella, 
'le 1 7 novembre, où, lors de l'attaque des palissades ennemies, 
tomba le jeune et vaillant lieutenant de //eusc/i ; mais Séfu, 
qui, dix-huit mois auparavant, avait ouvert la campagne contre 
l'État, fut trouvé ce jour-là sur le champ de bataille parmi les 
morts. 

Un instant Ton put croire que Rumaliza qui, à la suite de 
ces attaques renouvelées, avait battu en retraite au delà de la 
j-ivière Lulundi, allait abandonner la campagne : il n'en était 
rien ; le chef arabe reprit l'offensive et repassa cette rivière. 

Heureusement, de nouveaux renforts, demandés de toutes 
■parts, arrivèrent comme providentiellement. 

Au secours de Dhanis. La relation suivante d'un officier 
"des Falls nous donne d'intéressants détails sur la campagne 
•entreprise contre Rumaliza {^). 

« Nous avons quitté les Falls en pirogue le 31 octobre pour 
arriver à Kibongé le 7 novembre 1893. ^ peine y étions-nous 
de trois jours, qu'un courrier du commandant Dhanis nous par- 
vint, annonçant les événements de Kassongo et demandant 
des secours en hommes, munitions et artillerie. Cette lettre 
nous fut remise au moment où nous nous disposions à déjeuner. 
Vous jugez qu'elle nous coupa net l'appétit. 

« Il fut décidé sur-le-champ que l'un de mes camarades et 
moi nous partirions avec 164 soldats, 2 canons Krupp sur affûts 
et d'amples munitions. Les préparatifs furent immédiatement 
commencés, et le lendemain, 12 novembre, une flottille de 11 
pirogues emportait notre petite troupe. 

« Le voyage fut long et incidente. Nous essuyâmes tornade 
sur tornade, mais nous avancions contre vent et marée, sans 
nous arrêter un seul instant, même la nuit, de peur de perdre 
'du temps. C'est non sans peine que nous obtînmes en cours de 
route les pagayeurs nécessaires, la plupart des villages crai- 
gnant un retour offensif des Arabes, et ne se souciant pas d'en- 
courir leur vengeance si nous venions à avoir le dessous dans 
la lutte ençyaofée. Après 16 jours de navigation du diable, nous 

I. Lettre d'un officier d'Afrique (le commandant Chaltin), publiée par Z.'^/£?//r 
BeliTe. 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DIIANIS. 29* 

arrivâmes en face du port de Gambwé, le 29 novembre vers 
trois heures du matin. 

« Kassongo se trouve établi à trois bonnes heures du port 
de Gambwé. Pour y arriver on n'a d'autre moyen de loco- 
motion que ses jambes. Nous étions exténués de fatigue par 
les veilles et l'inquiétude. Heureusement, le commandant 
Dhanis, prévenu dès l'aube par un message que j'avais eu soin 
de lui adresser, envoya à notre rencontre un âne sur le dos 
duquel nous fîmes la plus grande partie du trajet. 

« Vous ne sauriez vous figurer la joie du commandant Dhanis 
en nous voyant. C'est le verre de Champagne en main que 
nous fraternisâmes ; elle est rare cependant ici cette boisson. 
C'était, je crois, le dernier flacon de la cave portative du com- 
mandant en chef. 

« Les renforts que nous lui amenions ne lui paraissant pas 
suffisants pour reprendre l'offensive, M. Dhanis décida d'atten- 
dre l'arrivée de nouvelles troupes de secours. Celles-ci arrivè- 
rent avec une désespérante lenteur, ce qui s'explique par la 
distance énorme qui sépare Kassongo de Bangala, Basoko^ 
Lusambo et Luluabourg, d'où elles devaient venir. 

En marche contre Rumaliza. « Les blancs réunis ait 
commencement de décembre à Kassongo et aux environs, sous 
les ordres du commandant Dhanis, étaient les suivants r 
Gillain, Rom, Augustin, D^ Hinde, le sous-lieutenant Van 
Lindt, le sergent Collet, de Wouters, HambtLvsin, Doornie et le 
sous-lieutenant Middagh, 

« Le capitaine Colignon, le lieutenant Franken et le sergent 
Destrail, venant de Lusambo avec des munitions pour fusils- 
rayés, de la poudre et quelques ballots de tissus, ne tardèrent 
pas à nous rejoindre. 

« Les 24 et 25 décembre, les blancs allèrent s'établir chacun^ 
aux endroits les plus favorables et les plus rapprochés possi- 
ble des bomas ou forts construits par Rumaliza. 

« Le capitaine Gillain, Rom, Colignon, Augustin et Van 
Lindt se dirigèrent vers le nord-est avec 120 soldats de l'Etat 
et 154 hommes de troupes auxiliaires, gens de Gongo-Lutété.. 
Quant aux indigènes de la région du Manyéma, où nous opé- 



30 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

rions, ils tenaient pour Rumaliza. Après quatre jours de 
marche, nous arrivions au village des Bena Gouïa, dont les 
habitants avaient pris soin d'incendier toutes les cases avant 
de l'abandonner. 

<X Le capitaine de Wouters, Hambursin, Doorme, Collet et 
Destrail, emmenant un Krupp, étaient partis vers le sud-est, 
pour s'établir en face d'un petit borna situé non loin du grand 
borna de Rumaliza. 

^ Le lieutenant Lange se trouvait avec j\L Van Riet, une 
centaine de soldats et un canon, de l'autre côté de la rivière 
Lulindi. 

« Les trois bomas de Rumaliza étaient établis l'un près de 
l'autre en pleine forêt, dans de petites clairières d'un accès 
extrêmement difficile. 

« Rumaliza est, vous le savez, un Arabe blanc, très redouté 
dans la contrée. C'est lui qui a tenu le capitaine Jacques en 
échec sur le Tanganika. Les Allemands lui ont fait la guerre 
pendant près de deux ans, mais la famine seule et les maladies 
l'ont obligé à battre en retraite devant eux. La prise de Kas- 
songo par Dhanis l'a décidé à marcher contre les troupes de 
l'État. Ses hordes ont rencontré nos soldats de l'autre côté de 
la Lulindi. Rumaliza a par deux fois attaqué le camp, mais il a 
été repoussé en essuyant des pertes sensibles, malheureuse- 
ment compensées par la mort du commandant Ponthier. 

Mort du commandant Ponthier. — Ce brave officier était 
venu pour la troisième fois en Afrique. A peine rétabli de ses 
blessures, reçues sur le Bomokandi, on lui confia, en mars 1893, 
la difficile mission de rétablir l'autorité de l'Etat dans le district 
des Stanley-Falls. (P. 13.) 

Il marcha tout d'abord sur Kibongé, où s'étaient retirés les 
Arabes dont Tobback et Chaltin avaient repoussé l'attaque 
aux Falls. Il s'empara de Kibongé et poursuivit jusque dans 
leur retraite, sur les bords de la Lowa, la formidable armée 
composée des débris des bandes de Séfu, Munié-lMoharra et 
Kibongé. Sa victoire anéantit la puissance des esclavagistes 
dans la région du Lualaba inférieur. 

Au cours de sa poursuite, Ponthier fournit cette incroyable 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 3I 

marche de 54 lieues en huit jours, qui tient du prodige sous 
un climat équatorial, mais qui lui permit de s'emparer de 28 
chefs, 1,000 fusils et 8,000 prisonniers. 

Sa mort a été déterminée par un accident vraiment déplora- 
ble. Le brillant jeune officier n'a pas été tué comme on le 
pensait, par une balle arabe, mais par le coup de fusil maladroit 
d'un des nôtres. 

Lors de l'attaque de Rumaliza contre le camp de Kassongo, 
Ponthier s'élança, paraît-il, seul à la tête de ses forces qu'il 
précédait de plusieurs mètres. C'est alors qu'il aété atteint par 
une balle venant de derrière et tirée malencontreusement par 
un de ses soldats qui visait les Arabes. D'où le bruit un instant 
répandu, d'après lequel les forces de Dhanis auraient été prises 
entre deux feux, c'est-à-dire entre les feux de Rumaliza et leurs 
propres troupes qu'on disait révoltées. La vérité se trouve 
ainsi rétablie. 

En somme l'avantage est resté à nos troupes. Il est vrai 
que le combat avait eu lieu en plaine,et que dans ces conditions 
les Arabes ne sauraient tenir contre nos armes rayées, bien 
qu'eux aussi disposent de nombreux fusils perfectionnés, 
achetés aux négociants anglais et allemands établis à la côte. 
Pour emporter de vive force un boma, le secours de l'artillerie 
est indispensable. Le commandant Dhanis n'a pas voulu épui- 
ser son infanterie en vaines tentatives, et c'est pourquoi il a 
attendu l'arrivée des canons et des renforts réquisitionnés de 
tous côtés. 

Telle était donc la situation au moment de l'arrivée des 
blancs. 

Une reconnaissance meurtrière. — « Le 28 décembre, a 
eu lieu une première attaque du boma habité par Rumaliza et 
d'autres chefs arabes. Le commandant Gillain, les lieutenants 
Rom et Augustin quittèrent le camp de Bena Gouïa vers 
8 heures du matin pour reconnaître exactement la position du 
boma. Après une heure et demie de marche lente à travers la 
forêt épaisse et marécageuse, ils arrivèrent près du fort. Mais 
un indigène, perché probablement sur un arbre, aperçut la 
colonne et sonna aussitôt de la trompe pour donner l'alarme. 



32 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Nos soldats n'en continuèrent pas moins à avancer ; au bout 
de dix minutes, ils débouchaient dans une clairière et distin- 
guaient à une distance de cent cinquante à deux cents mètres 
une palissade surmontée d'une rangée de sticks : c'était le boma 
ennemi. A l'un des sticks flottait un drapeau arabe rouge et 
blanc. Il récrnait dans le fort un silence de mort. 

< Nos soldats se déployèrent en tirailleurs et dirigèrent 
contre le fort plusieurs feux de salve auxquels les Arabes répon- 
dirent par une fusillade des plus vives. Le combat dura une 
vingtaine de minutes au bout desquelles le capitaine Gillain 
ordonna la retraite. Cette affaire nous coûta 3 tués et 14 blessés 
sur iio hommes, — ce qui prouve que la guerre arabe n'est 
pas aussi anodine que certains le disent. 

« Le lendemain, nous envoyâmes une patrouille en recon- 
naissance qui nous apprit qu'il y avait eu une vingtaine d'Ara- 
bes de tués. 

Moyens d^actîon. — « Le commandant Dhanis disposait 
de 700 fusils rayés et de 3 canons Krupp; il devait agir avec la 
plus grande prudence pour ne pas s'exposer à un échec ; d'au- 
tant plus qu'il lui manquait bien des choses. Ah ! s'il avait eu le 
nécessaire en étoffes, en vivres et en munitions, il aurait pu 
mener rondement les choses; mais nous étions pauvres ! Le peu 
que nous avions était distribué en cadeaux aux chefs alliés et 
aux fidèles serviteurs, sans le concours desquels l'expédition 
aurait dû renoncer à tout espoir de vaincre. 

« Les bomas de Rumaliza étaient très solidement construits 
dans des bas-fonds. Ils ont la forme d'un plat allongé et profond. 
La première enceinte ressemble à une sorte de galerie circu- 
laire, percée de meurtrières, par lesquelles les défenseurs du 
fort dirigent sur l'assaillant un feu plongeant. Derrière et à 
l'abri de cette galerie sont dressées les huttes d'habitation. Au 
centre est un second boma, très fortement établi, qui sert d'ha- 
bitation à Rumaliza lui-même. 

<L En attendant le jour du combat décisif, impatiemment 
désiré, nous souffrions — le croiriez-vous ? — du froid et de 
l'humidité. Le matin, le thermomètre marquait à peine 15 ou 
16 degrés. Il montait à 30 ou 32 vers midi pour redescendre 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 33 



graduellement ensuite jusqu'à la nuit. Il pleuvait assez souvent, 
et nous essuyions de temps en temps une tornade. 

Victoire fortuite. — « J'en arrive maintenant à la victoire 
du 14 janvier 1894, dont le télégraphe vous a sans doute déjà 
apporté la nouvelle. Ce jour-là les capitaines Lothaire et de 
WotUerSy les lieutenants Doorme, Rom et Hambursin, le sous- 
lieutenant Henry et le sergent Collet avec leurs troupes se 
rencontrèrent à 500 mètres du camp de Rumaliza. On ne pen- 
sait pas livrer ce jour-là l'attaque décisive. Chacun était parti 
en reconnaissance, sans qu'il y eût eu concert préalable entre 
nous. 

« Le capitaine Gillain s'était rendu au-devant du comman- 
dant Dhanis à Bena Boissé ; nous n'avions songé qu'à re- 
connaître une fois de plus les positions ennemies. Or il se trouva 
que les communications directes, jusqu'ici impossibles, entre 
nos divers camps purent être établies. 

« La concentration toute fortuite de nos forces s'opéra, 
comme je l'ai dit, à proximité du boma principal de Rumaliza. 
Nous avions avec nous un canon et douze obus. 

« Le commandant Lothaire proposa de lancer quelques obus 
sur la position ennemie. L'idée fut admise avec joie. Immédia- 
tement les obus furent chargés. On chercha un emplacement 
favorable pour le canon qui fut bientôt pointé. Comme le guidon 
du canon manquait, Rom en fabriqua un en bois qui put être 
utilisé. 

Prise du boma de Rumaliza. — « Vers dix heures un 
premier obus est tiré ; il défonce l'habitation de Rumaliza et, 
par une chance extraordinaire, en éclatant il communique le 
feu à la toiture. Le vent, bien que léger, propage l'incendie aux 
huttes environnantes. Pendant ce temps le commandantZ^/'/^^zr^ 
avait lancé les troupes en avant, en ordonnant une fusillade du 
diable. 

« Les gens du boma répondirent d'abord par un feu nourri, 
mais les boîtes à mitraille lancées par le canon immédiatement 
après l'obus et la fusillade de nos soldats, eurent raison de leur 
résistance. Du reste, le boma ne tarda pas à ressembler à un 

Soidats et missionnaires au Congo. 3 



34 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



immense brasier. Les Arabes s'enfuirent en désordre par une 
porte de derrière. Rumaliza, parti le premier sans doute, n'a pu 
s'échapper dans la forêt qu'à la faveur de l'épaisse fumée déga- 
gée par l'incendie. Nous poursuivîmes les fuyards jusque sur 
les bords de la Lulindi. L'ennemi subit des pertes considéra- 
bles. Un millier de ses gens furent tués ou noyés. 

« Pendant l'incendie du boma, quantité de barils de poudre 
sautèrent, ainsi qu'un grand nombre de cartouches pour armes 
rayées. 

« La première enceinte du boma mesurait 200 mètres de 
profondeur sur 120 à 130 mètres de largeur. Le boma de l'in- 
térieur était occupé par les chefs arabes en personne et leurs 
meilleurs soldats, armés pour la plupart de fusils rayés Martiny, 
express et autres. La garde particulière de Rumaliza se com- 
posait de 60 guerriers d'élite. 

Soumission de Rachid. — « Immédiatement après la 
victoire, le capitaine Lothaire partit avec de Wouters et Ham- 
bursin pour aller faire le blocus du homdi dç. M' Zé Kondo y situé 
à 2 ou 3 kilomètres du boma de Rumaliza et à trois quarts 
d'heure de marche de deux petits bomas d'avant-garde, com- 
mandés par Bwana M'Zé. 

« De son côté, en apprenant l'issue du combat engagé par 
Lothaire, le commandant Gillain quitta Bena-Gouïa pour 
aller s'établir à Bena-Songo, à une faible distance d'un petit 
boma arabe mesurant environ 100 mètres de long sur 50 de 
large. 

« Le commandant Dhanis avait si bien pris ses dispositions, 
que les gens de ces deux bomas, bloqués de toutes parts, se 
trouvaient dans l'impossibilité d'aller faire provision d'eau à la 
rivière. Aussi, leur chef, Bwana M'Zé, ne tarda-t-il pas à entrer 
en négociation avec nous. Le lendemain, 16 janvier, il vint 
nous trouver et nous livra 450 fusils, plus une dizaine de fusils 
rayés et quantité de haches, barils de poudre et boîtes de cap- 
sules. 

« Enfin, le 25, la ville de Kabambarré, où le vaincu s'était 
retiré, se rendait sans coup férir à Lothaire, de Wouters, Ham- 
bursin et Doorme, que Dhanis avait chargés de la poursuite 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 35 

de l'ennemi. C'est là que le lieutenant Hambursin reçut la sou- 
mission de Rachid, qui, depuis neuf mois, errait en fugitif et qui 
vint se constituer prisonnier avec quelques sous-ordres, à la 
condition d'avoir la vie sauve. 

« La campagne arabe était terminée. Elle avait duré 19 mois. 
Le Manyéma était au pouvoir des forces de l'Etat. » 

Ruine du parti arabe esclavagiste. — « Quant aux chefs 
arabes, ajoute M. Wauters, qui avaient essayé de résister à 
l'autorité de l'Etat, ils avaient disparu \ Muini Moharra, sultan 
de Nyangwé, et SéfUy sultan de Kassongo, avaient tous deux 
trouvé la mort sur le champ de bataille; Nséréra, chef de Riba- 
Riba, et Kibongé, chef de Kirundu, jugés par une cour martiale, 
avaient été passés par les armes; Rackid, sultan des Falls, était 
prisonnier de Dhanis. 

«Seul Ru7naliza, sultan d'Ujiji, était parvenu à s'échapper. 
Dans l'impossibilité de regagner sa résidence sur le territoire 
allemand, où l'attendait le châtiment, il erra dans les régions 
inconnues du nord, d'où privé de ressources et de moyens de 
ravitaillement, il ne put tarder à demander merci. En effet, on 
vient d'apprendre que le fugitif, gagnant par eau le sud du lac 
Tanganika, s'estconstituéprisonaier des Anglais du Nyassaland. 

«Quant au vieux Tippo-Tip, vali des Falls, l'ami de Living- 
stone, de Stanley, de Cameron et de Junker, installé à Zanzi- 
bar, il contemple, mélancolique et silencieux, la ruine et la dispa- 
rition de ses enfants et de ses proches, frappés pour n'avoir 
pas voulu comprendre que là où le drapeau européen apparaît, 
la chasse à l'homme doit cesser, le meurtre est défendu, le 
respect du faible s'impose, » et que la tyrannie musulmane doit 
faire place à la fraternité selon les principes de la charité chré- 
tienne. 

Bien que la campagne principale soit ici terminée, il est 
nécessaire, pour être complet,de reprendre à part les opérations 
du commandant Chaltin, qui, au début, n'étaient pas mêlées à 
celles de Dhanis. 



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X6 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 




< ^ CHAPITRE IIL 

Opérations du capitaine Chaltin dans la 
région centrale. 

UR LE CONGO. — Tandis que les événements 
de Nyangwé et de Kassongo se poursuivaient au 
sud, les officiers de l'État Chaltin et Tobback, 
chargés de la surveillance au nord et au nord-est 
de la région arabe, ne restaient pas inactifs. 

Nous avons parlé ci-dessus (p. 13) de l'action sur l'Ouellé. 
Il s'agira ici particulièrement des succès du capitaine Chaltin, 
qui commandait à Basoko, au confluent de l'Arouhimi et du 
Congo. 

Chaltin avait appris que les Arabes du bas Lomami et ceux 
de Riba-Riba levaient, eux aussi, l'étendard de la révolte et 
s'apprêtaient à attaquer les blancs. Il résolut d'agir avec 
promptitude et embarqua 300 soldats à bord d'un vapeur qui 
remonta le Lomami, grande rivière navigable, parallèle au 
Congo supérieur, dont le cours est entravé par les chutes des 
Stanley-Falls. 

Chaltin avait pour objectif Bena Kamba, d'où il se rendrait 
par terre à Riba-Riba, sur le Congo ('). 

§ I. En route pour Bena Kamba et prise de Tchari. 

En marche. — Pour passer la nuit du premier jour de 
voyage, il fut fait choix d'un point sur la rive droite du village 
de Liéma-Japoka. C est un coin de forêt en défrichement. De- 
ci, de-là, quelques jeunes bananiers, des pousses de manioc et 
de maïs. La reconnaissance des environs est bien vite faite. 
Les Bangalas et les Basokos se mettent au travail pendant que 
les autres soldats préparent les abris pour la nuit. Les senti- 
nelles sont placées. Vers neuf heures du soir, alors que tout le 
monde se repose, deux coups de feu retentissent, suivis de 
deux autres. 

I. Les détails de cet exploit glorieux sont extraits de plusieurs lettres du com- 
mandant Chaltin, publiées "çzx V Étoile Belge. 




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PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 39 

On se précipite vers l'endroit d'où ils sont partis et l'on 
trouve une sentinelle frappée de deux flèches empoisonnées, 
l'une à la gorge, l'autre à l'aine. Les flèches retirées aussitôt, 
de fortes succions sont faites aux plaies et les soins les plus 
empressés sont donnés au blessé ; mais le terrible poison ne 
tarde pas à accomplir son œuvre : en moins de cinq minutes, 
l'homme expirait. 

Dans le Lomamî, les noirs enduisent la pointe de leurs 
flèches d'une pâte ayant l'apparence du goudron. On la prépare, 
dit-on, en pilant de grosses fourmis que l'on fait bouillir dans 
de l'huile de palme. Ce serait de l'acide formique. Ce poison, 
dont les effets sont si terribles et si rapides, ressemble au cu- 
rare des Indes. 

Le lendemain, le vapeur s'était à peine remis en mouvement, 
qu'on aperçut vers l'aval deux pirogues filant à force de pagaies ; 
elles étaient montées par les agresseurs de la veille. On leur 
tira quelques coups de fusil. 

A midi, le bateau dut stopper pour faire du bois au village 
de Liéma-Japoka. Des groupes d'indigènes vinrent au-devant 
de l'expédition pour lui offrir des échanges de marchandises. 

Le chef indigène Oliphara s'adressant à Chaltin, lui signala 
un peu en aval, sur la rive opposée, une route conduisant à un 
poste arabe peu éloigné, en priant le commandant d'aller atta- 
quer ce poste et en lui offrant de l'accompagner avec ses 
hommes et de prendre la tête de la colonne, mais le chef de 
l'expédition ne voulut pas commencer une action contre un 
chef dont l'hostilité ne lui était pas démontrée. 

Sur le Lomami. — « Le is maf^s i8çj, écrit INL Chaltin, nos 
canots et allèges étant palissades, nous nous remettons en 
route. Notre convoi a un aspect bien original. Les habitants 
d'un village de la rive gauche, situé immédiatement en aval 
du coude que forme le Lomami à Yanga, nous saluent au pas- 
sage. Ils nous hèlent et nous font signe d'arrêter. Un colloque 
s'engage. Nous apprenons que Yanga a été abandonné depuis 
plus de cinq mois par les Arabes, qui sont allés s'établir dans 
l'intérieur, en aval de Liéma. 

« Vers midi nous arrivons en vue de ce qui fut Yanga. Les 



40; SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



indigènes ne nous ont pas trompés : le poste a été levé. Avant 
leur départ, les Arabes ont complètement détruit leurs établis- 
sements. 

« A quatre heures, nous nous arrêtons dans une plantation 
de jeunes bananiers. De-ci, de-là quelques misérables abris. 
Le village se trouve sur le sommet d'un versant très élevé, 
boisé et à pente raide. A la tombée de la nuit, une volée de 
flèches s'abat sur notre campement. 

« Pas un indice révélant l'endroit où se cachent nos aofres- 
seurs ; c'est exaspérant. Notre passivité les enhardit ; pendant 
la nuit, ils se rapprochent des sentinelles de façon à ne s'en 
trouver qu'à 5 ou 6 pas. Certains d'entre eux, plus téméraires 
que les autres, tentent même de franchir un fossé rempli d'eau 
qui entoure le camp. Les sentinelles tirent, mettent les noirs en 
fuite et en blessent quelques-uns. 

« Vers 10 heures du soir, je choisis une quarantaine d'hom- 
mes intelligents et déterminés, et les charge d'aller reconnaître 
le village. Ils s'acquittent admirablement de leur mission, et 
m'apportent des renseignements qui me permettront le lende- 
main de mettre un terme à leurs tentatives belliqueuses. 

Le village d'Yanga. — « Le lendemain, à cinq heures du 
matin, je pars avec 150 hommes pour le village. Les autres 
soldats, sous le commandement de Dupont et Nahan, sont 
laissés à la garde du vapeur. La route qui conduit au village 
traverse dans toute sa longueur un grand fossé rempli d'eau, 
et se déroule ensuite le long d'un versant escarpé. Elle fait 
d'innombrables détours à travers des fourrés, des taillis, de 
hautes herbes, des champs abandonnés, de hautes futaies et des 
plaines. 

« Après une demi-heure de marche accélérée, nous arrivons 
au village. D'une beauté remarquable, il est immense et, à en 
juger par son aspect général, doit être très ancien. De belles 
avenues bien entretenues, d'une largeur de 15 mètres, le divi- 
sent en quartiers. Toutes ces avenues sont en ligne droite et se 
coupent perpendiculairement; elles sont au nombre d'une dizaine 
et, outre les maisons, encadrent des champs de bananiers. Elles 
sont bordées de coquettes et solides habitations en bambous et 



PREMIÈRE PARTIE. — LE CAPITAINE DHANIS. 4I 

eu lamelles de rotang artistement tissées. Entre les rotangs se 
trouvent de grandes feuilles comprimées ; les toits sont en 
feuilles de palmier reposant sur de légères mais jolies char- 
pentes. Ces maisons sont distantes l'une de l'autre d'une 
vingtaine de mètres. Leur disposition est absolument régulière. 
Sous le rapport de la propreté et de l'entretien, le village est 
véritablement admirable. A l'intérieur des maisons, dont le sol 
est en terre argileuse fortement battue, il y a des lits et quel- 
quefois des armoires. 

« Les habitants ne sont pas d'une taille élevée ; ils n'ont pas 
de tatouage. Il est à supposer qu'ils pratiquent le fétichisme. 
Un affluent du Lomami enceint le village. 

Ennemis insaisissables. — « Pendant quatre heures nous 
avons parcouru l'agglomération et les environs sous une véri- 
table pluie de flèches. Il était assez rare que nous vissions les 
tireurs. C'était morfondant. Perfidement dissimulés dans des 
bouquets d'arbres ou des touffes de hautes herbes, derrière les 
maisons, dans les bananeraies ou les bois, ils nous envoyaient 
continuellement des volées de flèches et disparaissaient ensuite 
pour nous tendre une embuscade plus loin. Ils nous ont fait 
une guerre de guérillas. Ils sont très habiles et surtout très 
rusés. Ils attaquaient de préférence les hommes isolés ou les 
groupes peu considérables, évitant soigneusement les grandes 
masses. Que faire contre un adversaire presque insaisissable ? 

« Il n'y a pas eu un seul combat corps à corps. Nous tirions 
sur les rares archers que nous voyions. Certes, nous en avons 
blessé un assez grand nombre, mais eu égard à l'importance 
de la population, le résultat a été minime. A. une heure de 
Taprès-dîner, les soldats étaient fatigués, harassés ; ils avaient, 
du reste, peu dormi la nuit précédente. J'ai fait cesser le combat. 

« Un irrégulier et un soldat ont été blessés très légèrement ,- 
grâce aux soins et au dévouement du docteur Dupont, leurs 
blessures n'ont pas eu de suites mortelles. 

« Lorsque nous nous sommes retirés du village, les avenues 
étaient couvertes de flèches. Les indigènes y avaient planté 
avant le combat des pointes de bois acérées et enduites de 
poison. 



42 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

« Le 17 mars nous partons de bonne heure et nous nous 
arrêtons à 8 heures pour faire du bois. Le long de la rive droite 
se trouve une route, probablement le prolongement de celle 
qui suit la rive depuis plusieurs jours déjà. Des patrouilles 
vont explorer la région que traverse cette route. Une patrouille 
qui a passé la nuit dans les bois, a rencontré des bandes 
d'hommes, de femmes et d'enfants vagabondant et n'ayant ni 
feu ni lieu. Ces malheureux ont été chassés de chez eux par 
les Arabes. Ceux-ci ont fait école en matière de destruction. 
Comme eux, les indigènes abattent les palmiers élaïs pour en 
enlever le chou. Les misérables rencontrés par les patrouilles 
n'ont pas d'autre nourriture. 

« Le 20 mars, nous tuons un éléphant qui traversait la 
rivière à la nage. Cela nous permet de donner deux kilogr. 
de viande à chacun de nos hommes. Dans les forêts de la 
région située entre Yanga et Bena-Kamba, les éléphants pul- 
lulent. 

Arrivée à Bena-Kamba. — « Nous arrivons à Bena- 
Kamba le 28 mars, au matin. Tout est désert. Bena-Kamba, 
aujourd'hui, n'est plus qu'un souvenir; il a fait place à une vaste 
solitude, où la luxuriante végétation des tropiques étale ses 
fouillis de belles mais encombrantes parures. 

« Les hautes herbes,les plantes,les arbustes ont tout envahi. 
Çà et là, quelques papayers en pleine production et quelques 
bananiers décèlent le tracé des anciennes avenues. Des cons- 
tructions il ne reste plus que quelques piquets aux trois quarts 
consumés. 

« La rive est élevée et quelque peu escarpée à l'endroit où 
était construite la station. Celle-ci en couronnait le sommet. 
Une allée en pente peu raide conduisait à la rivière. Immé- 
diatement en amont de la station se trouvait un village aujour- 
d'hui abandonné. Une crique les séparait. Vis-à-vis de Bena- 
Kamba, sur la rive droite, s'ouvrent les routes de Riba-Riba 
et de Nyangwé. 

« Que cette région est désolée! Quelle tristesse l'enveloppe ! 

« Les Arabes ont abandonné la contrée immédiatement 
après le pillage des factoreries de Bena-Kamba et de Lhomo 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 43 

(mai 1892). Depuis lors on ne les a plus revus. Avant de par- 
tir, ils ont détruit les villages riverains et ruiné le pays pour 
longtemps. 

Marche sur Tchari. — « Il est à remarquer que, jusqu'à 
une journée de steamer de Yanga, les indigènes combattent 
avec la lance ; en amont, ils se servent en plus de l'arc et de la 
ilèche. Les armes à feu ne sont employées nulle part avajtt 
Yanga; mais à partir d'ici, elles abondent. 

« Nous nous arrêtons au village de Lhomo le 30 mars. 
Nous y recevons l'accueil le plus sympathique, le plus empressé. 
Je fais l'échange du sang avec le chef. Ces gens ont toute con- 
fiance en nous. Ils sont au courant des succès remportés par 
Dhanis et nous disent que Munie Moharra a été tué. 

« Ils nous prient de séjourner ici pendant une couple de 
jours, afin de leur permettre de convoquer à une grande pala- 
bre tous les chefs de la région. J'accède avec empressement à 
cette demande. 

« Les indigènes nous fournissent des vivres. Dans la forêt 
mes hommes trouvent des ignames, des saphos et des fruits 
divers. 

« En faisant la reconnaissance des environs, je retrouve la 
dépouille du malheureux Pierret, assassiné par les Arabes. 
J'ai recueilli ses restes pour leur donner une sépulture digne 
de lui dans le cimetière de Basoko. 

« Dans le courant de la journée du i^^ avril, les chefs des 
environs se réunissent en palabre et viennent m'offrir des gens 
armés d'arcs et de flèches pour marcher contre les Arabes. 

<i Le 2 avril, jour de Pâques, je me mets en route sans 
attendre les renforts que la Nouvelle-Anvers doit me fournir. 

« Nous marchons d'abord sous bois, puis, vers midi, nous 
entrons dans une vaste plaine herbue. Un épais rideau d'arbres 
nous sépare du Lomami. A 3 heures, nous nous arrêtons dans 
une dépendance du village de Suku, où nous trouvons l'hospi- 
talité la plus large. 

« Le lendemain, 3 avril, départ à 6 heures ; nous quittons la 
plaine pour entrer dans un bois très peu dense, où les clairiè- 
res sont immenses et nombreuses. Des fougères très hautes et 



44 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

d'un beau vert tendre y croissent drues. Partout on voit des 
prbres à saphos. Les hommes font d'amples provisions de ces 
fruits. 

« D'anciens villages abandonnés depuis longtemps — où l'on 
constate encore des traces d'incendie — étalaient tout le long 
de la route leur désolant aspect. Il en est de même pour les 
cultures et les plantations. Ces désolations sont l'œuvre des 
Arabes, qui ont tout ravagé et tout détruit. Nous traversons 
pendant plus de dix minutes un fossé rempli d'eau et profond 
de plus d'un mètre. 

« Nous continuons notre route dans d'immenses plaines her- 
bues, entrecoupées de bouquets de bois généralement maréca- 
geux, et nous nous arrêtons dans un village peu peuplé, mais 
où les cultures et les plantations, faites avec un soin remarqua- 
ble, s'étendent à perte de vue. Il y a là du maïs, du sorgho, du 
millet, des patates douces, du manioc et des haricots indigènes. 
On y trouve également du chanvre. Au milieu de tout cela, 
jetées pêle-mêle, sans ordre aucun, quelques coquettes petites 
maisons dont les toits de paille en forme de cône se profilent 
nettement sur le bleu du ciel. Les gens qui les habitent sont 
des esclaves ; ils travaillent pour leurs maîtres : les Arabes ! 

Prise du camp arabe de Tchari. — « Le 5 avril, dans 
l'après-midi, nous arrivons, après une marche pénible dans l'eau 
et les marais, à une grande plaine marécageuse. Trois villages 
montrent dans le lointain leurs maisons et leurs cultures. J'arrête 
la troupe et envoie une quarantaine d'hommes en reconnais- 
sance. 

« Arrivés à 300 mètres environ des premières habitations, 
ces hommes essuyent le feu d'une bande de Tambas-Tambas 
dissimulés dans les hautes herbes. Ils y répondent, et un combat 
s'engage. Deux minutes suffisent pour déloger les Arabes, qui 
battent précipitamment en retraite, laissant deux des leurs sur 
le terrain. Parmi nos agresseurs, se trouvait un individu coiffé 
d'un casque (probablement celui de feu M. Pierret) et un autre 
qui se servait d'un parapluie comme... paraballes ! 

« Nous campons dans la plaine pendant la nuit; le gong se 
fait entendre partout. 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DIIANIS. 45 

« Le 6, nous rompons de très bonne heure et, vu la proxi- 
mité relative de Tchari, où l'on me signale la présence d'un 
grand nombre d'Arabes, j'organise un service de sûreté spé- 
cial. Notre marche est lente. Elle l'est d'autant plus que la 
route n'est qu'une succession de marais et de mares. 

« A lo heures, nous débouchons dans une immense plaine 
après avoir de nouveau passé trois quarts d'heure dans une 
eau boueuse : quatre Taoïbas-Tambas envoyés par Lembé- 
Lembé, chef de Tchari, m'attendent et m'offrent trois poin- 
tes d'ivoire de la part de leur maître. 

« Ils me demandent de ne pas attaquer le camp, et disent 
Lembé-Lembé disposé à me donner toute satisfaction. Je lui 
fais dire que ma condition première, essentielle, est de traiter 
avec lui et non par l'intermédiaire de ses gens. 

« Dans l'entre-temps, je fais avancer ma troupe jusqu'à l'en- 
trée du village. Une centaine d'Arabes fuient à mon approche. 
Lembé-Lembé m'envoie toute une série d'individus porteurs 
de présents, mais retarde toujours sa visite. Fatigué d'atten- 
dre, je lui adresse un ultimatum et lui donne jusqu'à deux 
heures pour venir me voir. Cette condition n'ayant pas été 
remplie, j'ordonne de marcher sur le village. L'exécution de 
cet ordre produit une panique épouvantable ; tout le monde 
fuit. Le chef avait déjà abandonné le village depuis quelque 
temps, emportant ses nombreuses femmes et ses richesses. Son 
départ me rend maître de la place. 

« J'estime que la population normale de Tchari est de 5,000 
habitants au moins. Elle est actuellement réduite, par suite du 
départ d'ungrand nombre d'hommes pour la région de Nyangwé. 

« Le chef du camp, Lembé-Lembé, est, paraît-il, jeune 
encore, mais il est impotent. 11 est incapable de marcher. Ce 
sont ses Nyamparas qui font la guerre pour lui. Il obéit aveu- 
glément aux ordres de son père, Mopola, qui habite Nyangwé, 
et qui devait être un des factotums de feu Munié-Moharra. 

«Un des assassins du malheureux Pierret,lenommé Kassoneo, 
est tombé entre mes mains ; je l'ai jugé et fait mettre à mort. 

« Toutes les armes et toutes les marchandises volées à 
Lhomo ont été expédiées à Nyangwé. Le chef de Tchari 
n'aurait eu qu'une faible part du butin. 



46 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

^ En se sauvant, les Arabes ont abandonné une centaine de 
fusils à piston, que j'ai fait détruire. 

« Les indigènes de la région sont de grands cultivateurs. Ils 
possèdent des chèvres, des moutons et des animaux de basse- 
cour. Ils haïssent et craignent l'Arabe, qui les a tant fait souffrir. 

« Presque tous les chefs sont venus me voir et me faire des 
présents. Ils savent que Dhanis s'est emparé de Nyangwé et 
qu'il a tué Munie IMoharra. Ils se croient à jamais affranchis 
du joug de leurs tenaces ennemis et nous saluent comme des 
libérateurs. 

« Vers le 19 avril quelques cas de variole se sont déclarés 
parmi mes hommes. 

« Tchari a été détruit de fond en comble. Je l'ai quitté le 12 
à 8 heures du matin et suis arrivé le 14 à Lhomo, après avoir 
marché à étapes forcées. 

« Ce jour est arrivé à Lhomo le vapeur Ville de Brtixelles 
avec un détachement de 125 hommes du camp de l'Equateur, 
commandé par le lieutenant De Bock et le sergent Lammers. 

« Je suis accompagné dans ma marche par M. Mohun, agent 
consulaire des États-Unis d'Amérique et ancien officier de la 
marine militaire. 

§ II. — Marche du commandant Chaltin sur Riba-Riba. 

« Nous partons le 22 avril 1S93 de Bena-Kamba pour Riba- 
Riba. 

« Le 23, à l'entrée d'une grande plaine herbue, nous faisons 
la rencontre d'un groupe d'indigènes qui nous donnent deux 
guides. Jusqu'à ce moment-là notre marche avait été hésitante, 
incertaine. Je n'avais que ma boussole pour me guider et ne 
possédais aucun renseignement sur la route à suivre. 

« Le 24, nous avons marché sous une pluie battante et avons 
dû passer deux immenses ravins inondés où nous avions de 
l'eau jusqu'aux genoux. A 2 heures de l'après-dîner, la colonne 
a été arrêtée par la Willu, dont les eaux considérablement 
grossies avaient inondé toute la vallée. 

^ La journée du 25 est employée à la construction d'un pont 
de 200 mètres de long. Pendant toute une grande partie de 
la matinée du 26 nous parachevons et consolidons ce pont. A 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 49 

10 h. ^ la troupe se met en marche. Le passage du canon et 
des bagages se fait avec une lenteur désespérante. Que de 
précautions à prendre pour éviter des accidents ! 

« Al h. 5^ nous traversons le camp arabe d'Ikamba. Pendant 
cette traversée un des soldats de la pointe d'avant-garde est 
frappé à la tempe droite d'une flèche empoisonnée. Sa mort est 
vengée. Cest à Ikamba^ me dit-on, que Hodister et ses compa- 
gnons ont été assassinées. C'est le chef de ce camp, Kissangi- 
Sangi,qui a fait incendier et piller la factorerie de Bena-Kamba. 
Ikamba avait été complètement abandonné avant notre 
arrivée. 

« Le 25 et le 26, deux cas de variole sont constatés parmi 
mes hommes. Le 27, nous passons un pont plus long que celui 
que nous avons construit le 25. Nous nous arrêtons pour le 
campement de nuit dans une grande plaine, où des indigènes 
d'Ikamba m'apprennent que tous les fuyards de Nyangwé se 
sont réfugiés à Riba-Riba. Il doit donc y avoir là en ce moment 
des forces considérables. Le 28 au matin, le nombre des vario- 
leux s'est accru de 9. Beaucoup de porteurs se disent indis- 
posés. 

« Dans la matinée nous rencontrons le village arabe de 
Kassiandia, abandonné par ses habitants. Vers midi l'avant- 
garde tire quelques coups de feu sur des Arabes qui s'enfuient 
en laissant deux de leurs fusils entre nos mains. Dans l'après- 
dîner nous nous trouvons en présence d'une masse d'eau très 
profonde et très étendue; le pont qui en facilitait le passage a 
été en partie détruit par les Arabes, qui se sont heurtés ce 
matin à notre avant-garde. Nous traversons néanmoins; beau- 
coup de charges tombent à l'eau. Le passage dure plus de trois 
heures. 

Combat avec les Arabes. — « Le 29, à 10 h. J^ du matin, 
nous arrivons en vue d'un taillis inondé. C'est en vain que 
nous essayons de le passer; les hommes perdent pied et doivent 
se sauver à la nage. Immédiatement après le taillis, il y a une 
rivière au courant très rapide. Avec une trentaine de bons sol- 
dats, je me mets à la recherche d'un autre point de passage, 
dans la direction du nord-nord-est. 

Soldats et missionnaires au Congo. 4 



50 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

« Je suis un sentier à l'extrémité duquel je trouve la rivière. 
Dissimulés derrière un épais rideau de feuillages qui borde la 
rivière, nous nous tenons cois et observons. De temps à autre, 
des canots passent devant nous, portant des hommes armés. 
Il est évident qu'ils surveillent la rivière et les rivières qui y 
aboutissent. 

« Sur la rive opposée, il y a énormément de monde; nous 
ne voyons personne, mais nous entendons des bruits de voix, 
des cris, des appels, un tapage assourdissant. Après avoir bien 
recommandé à mes soldats de ne faire usaore de leurs armes 
que s'ils étaient attaqués, je retourne seul à l'endroit où j'ai 
laissé la troupe et envoie une reconnaissance, sous les ordres 
du lieutenant De Bock, dans la direction du chemin de tra- 
verse. Au moment où cette troupe débouche dans la petite 
plaine à gauche, elle est aperçue par les Arabes apostés en 
face. 

« Ceux-ci ouvrent le feu, et le combat commence. J'ordonne 
au capitaine Marck de se porter au pas de course avec une 
trentaine de soldats à un endroit déterminé et de diriger un 
feu bien nourri sur les Arabes établis en face. 

« Moi-même et M. Mohun nous partons avec le canon que 
je fais mettre en batterie. Nous sommes obligés de manœuvrer 
dans la forêt; de là des difficultés sans nombre. Dans le camp 
arabe, on fait un tapage infernal, les gongs battent à outrance, 
les trompes et les olifants font entendre leurs fanfares de guerre, 
et au-dessus de tout cela éclatent des cris de colère, de rage, 
des provocations, des bravades. 

« Les Arabes tirent sans mesure ; leur feu ne nous fait au- 
cun mal ; ils brûlent de la poudre, voilà tout. Ils emploient 
plusieurs fusils rayés ; si je ne me trompe, ce doivent être des 
Martiny Henri. Le capitaine Marck et ses hommes coulent 
trois canots et tuent tous les gens qui les montent. Un obus 
va éclater dans le camp arabe. Une clameur retentit. 

« Le lieutenant De Bock fait tirer des salves sur les Arabes 
massés en groupe, tandis qu'une trentaine de soldats établis 
non loin d'eux délogent les Arabes après une vigoureuse fusil- 
lade. Avec ces soldats, je vais renforcer la position du capi- 
taine Marck. Des deux côtés le feu est très intense. Pendant 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 5I 

une demi-heure au moins, nous nous trouvons sous une vraie 
grêle de balles. 

« Heureusement les Arabes tirent très mal; tous leurs coups 
portent trop haut. Nos feux croisés sur la clef de leur position 
jettent le trouble et le désordre dans leurs rangs. Ils ne tardent 
pas à lâcher pied et à prendre la fuite. 

« Subitement tout bruit cesse de leur côté. Impossible de les 
poursuivre. Il y a là un obstacle infranchissable : la rivière, qui 
a une largeur de 75 mètres et une profondeur d'au moins 7 à 
8 mètres. Et nous n'avons pas un seul canot à notre disposition. 

« Après avoir rallié toutes mes forces, je me rends au point 
le plus rapproché des Arabes. Quelques hommes franchissent 
la rivière à la nage et se trouvent dans un camp arabe. Ce 
camp, qui est établi au village de Jome — situé à quatre heures 
de marche de Riba-Riba — apour chef Kissangi-Sangi, l'assas- 
sin de Hodister. Kissangi-Sangi est, du reste, le chef de tous 
les postes établis dans la région comprise entre Bena-Kamba 
et Riba-Riba. 

« Les Arabes ont dû fuir précipitamment et dans le plus 
grand désordre ; ils ont tout abandonné : effets d'habillements, 
literies, ustensiles de cuisine, vivres, gongs, trompes, poires à 
poudre, capsules, etc. Ils ont cependant enlevé ou adroitement 
caché leurs morts et leurs blessés. Des prisonniers nous ap- 
prennent que les Arabes ont fait de grandes pertes d'hommes, 
qu'ils ont été effrayés par le canon et les fusils à tir rapide et 
que, dans leur affolement, ils se sont sauvés par la forêt au lieu 
de suivre la route. Et, de fait, leur épouvante a dû être im- 
mense, car ils ne pouvaient pas ignorer que nous ne disposions 
d'aucun moyen pour franchir l'obstacle qui nous séparait d'eux. 

« La rivière qui a empêché la poursuite s'appelle la Kassiikii; 
son courant est torrentueux. Sans cet obstacle, nous serions 
arrivés le jour même à Riba-Riba sur les talons des fuyards et 
eussions, la suite le prouve, remporté un succès sans précédent. 
Dans la forêt et dans le camp arabe, il y avait partout des 
mares de sang. 

« Au cours de cet heureux combat, qui a duré une bonne 
heure, nous n'avons eu qu'un seul homme blessé ; il a reçu une 
balle dans la cuisse eauche. 



52 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO 



Passage de la rivière en radeau. — « Le lendemain 30, 
j'envoie des reconnaissances dans toutes les directions à l'effet 
de me procurer des canots. Elles revinrent vers midi, n'ayant 
rien découvert. Il faut recourir à la construction d'un radeau. 
On y travailla tout l'après-midi. La variole a fait quelques pro- 
grès, mais les soldats ne faiblissent pas; ils conservent presque 
tous l'entrain des premiers jours. 

« A peine le radeau est-il en état de transporter des troupes, 
que je charge le lieutenant De Bock d'une reconnaissance offen- 
sive dans la direction de Riba-Riba. Je mets 150 soldats à sa 
disposition et lui adjoins le capitaine ]\Iarck et le sergent 
Nahan. Afin de donner à cette colonne une grande mobilité et 
de lui permettre d'évoluer avec la plus grande facilité, je décide 
qu'elle n'emportera aucun bagage et que les hommes n'auront 
avec eux que leurs fusils et leurs cartouches. 

« Le passage de la Kassuku par le radeau dure quatre 
heures. Cinq hommes seulement peuvent prendre place en- 
semble sur cette primitive embarcation; la violence du courant 
rend l'opération des plus dangereuses. Le passage terminé, la 
troupe se met en marche et, au lieu des Arabes qu'elle s'atten- 
dait à rencontrer, elle ne rencontre partout que la solitude la 
plus absolue. A quelque distance de Riba-Riba cependant, 
quelques hommes cachés dans la forêt tirent une demi-douzaine 
de coups de feu et s'enfuient en abandonnant un fusil. 

Prise de Riba-Riba. — A 3 h. ]i de l'après-dîner, Riba- 
Riba est en vue et, un quart d'heure après, la troupe entrait 
dans la ville abandonnée et en partie incendiée par les Arabes 
eux-mêmes. Le drapeau de l'Etat est planté sur les ruines 
encore fumantes de la maison du chef Nséréra. 

« La terreur que nous leur inspirons est tellement grande 
qu'ils ont même évacué les nombreuses îles qui se trouvent en 
face de Riba-Riba. Ils se sont retirés sur la rive droite, fuyant 
le combat, terrifiés par la puissance de nos armes. Et cependant, 
ce n'était pas le nom^bre qui leur faisait défaut. 

« La population s'était accrue, en ces derniers temps, de 
nombreux débris des troupes vaincues et dispersées par Dhanis 
à Nyangwé. Il va de soi qu'en se sauvant, les Arabes ontem- 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 53 

porté toutes leurs femmes, toutes leurs richesses et toutes leurs 
provisions. Pas un seul canot en vue. 

« Dans leur impuissance à lutter contre nous les armes à la 
main, ils ont recouru, les lâches, à un autre moyen : la faim. 
Avant de quitter leur belle et ancienne ville, ils ont tout détruit. 
Dans leur rage de destruction, ils ont même tenté d'incendier 
des cannes à sucre sur pied. Nos hommes ont pu se procurer 
quelques maigres racines de manioc et quelques débris de can- 
nes à sucre dans les cultures de ces bandits, mais heureuse- 
ment les indigènes en grand nombre apportent bientôt des 
vivres. 

« Devant la demeure de Nséréra se trouvait un poteau 
auquel étaient suspendues deux mains droites. 

Où est rennemi en fuite ? — « En présence de la fuite 
des Arabes, je me trouve dans la nécessité d'arrêter sur-le- 
champ le plan de campagne que je devrai suivre dès mainte- 
nant. 

« D'abord, quel est le chemin qu'auront pris les fuyards? 

« Celui de Nyangwé, où Dhanis doit à l'heure actuelle avoir 
concentré une partie de ses forces,après l'éclatante victoire qui 
l'a mis en possession de cette place réputée fameuse ? c'est im- 
possible. 

« S'échapper latéralement leur est également impossible, 
car ils succomberaient sous les coups des indigènes. 

« Il ne leur reste qu'une route ouverte, c'est celle des Falls. 
C'est donc vers ce point qu'ils vont se diriger, et je me crois 
d'autant plus fondé à faire cette supposition que cette place est 
encore occupée par eux, et que l'Etat n'y possède qu'un rési- 
dent protégé par une simple garde. 

« Avec les moyens dont je dispose, et dont les principaux 
consistent en deux grands vapeurs capables de transporter une 
expédition même plus forte que celle que je commande, je les 
devancerai au moins de dix jours. Il n'y a donc pas à hésiter. 

En route pour les Falls ! — « Le 6 mai, nous sommes 
rentrés à Bena-Kamba, où j'ai pris les mesures nécessaires pour 
enrayer la propagation de cas de variole. 



54 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

« Le même jour, à lo heures, le steamer Ville de Bruxelles 
quitte Bena-Kamba emportant toute l'expédition. 

« Notre marche victorieuse sur Riba-Riba et notre prise de 
possession de cette ville sont un grand succès pour l'État. 

« Qu'en résulte-t-il, en effet ? 

« i^ L'affirmation de notre force, de notre puissance, de 
notre autorité. Nous avons prouvé que nous sommes les maîtres 
et que les Arabes, comme les indigènes, se soumettront à nos 
lois quand nous le voudrons. 

« 2° L'affaiblissement, si pas l'annihilation du prestige des 
Arabes sur les indigènes en général, et en particulier s.ur les 
natifs qui leur étaient soumis le long de leur route d'opération. 

« 3° L'évanouissement de toutes les légendes que l'on avait 
fait courir sur le courao^e des Arabes. 

o 

« Je note ici un fait caractéristique qui confirme mon opinion 
sur les conséquences de la prise de Riba-Riba. Les indigènes 
du village de Tende, situé à une journée de marche de Bena- 
Kamba, sont venus, lors de mon retour, me demander un poste 
pour les protéger contre les Arabes. 

« Je tiens à rendre ici un hommage au courage, au dévoue- 
ment et au désintéressement de M. Mohttn, consul des Etats- 
Unis d'Amérique, que j'avais chargé de la direction de l'artil- 
lerie, et qui a été pour moi un auxiliaire des plus précieux. Sa 
conduite sous le feu a été irréprochable. Je rappelle que le 
concours de M. Mohun a été volontaire. » 

(Chaltin.) 

% III. — Victoire des Stanley- Falls remportée par les 
commandants Chaltin et Tobback. 

Aux Falls. — A la suite de leur défaite à Riba-Riba, les 
Arabes, on s'en souvient, s'étaient réfugiés vers les Stanley- 
Falls, et le commandant Chaltin, pressentant qu'ils allaient 
menacer la situation de la garnison de cette place, se porta en 
hâte vers les Falls, par le Lomami, où il s'embarqua avec son 
expédition à bord de deux vapeurs. 

En deux jours, il descendit le fleuve jusqu'à son embou- 
chure et s'arrêta en face du camp de Basoko. 

Il n'avait pas touché la rive, qu'on lui apportait le message 



PRExMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 55 



du commandant Tobback, le priant de venir à son secours, les 
Falls étant menacés, comme Chaltin l'avait pressenti. Le len- 
demain, dès l'aube, celui-ci se rembarqua avec ses forces valides 
pour les Falls, où il arriva après quatre jours de navigation, 
dans la nuit du 1 7 au 18 mai. 

Les hostilités. — Les hostilités contre la possession des 
Stanley-Falls avaient été engagées par les Arabes depuis cinq 
jours. Tobback avait, du reste, depuis quinze jours, vu les 
Arabes fondre des balles, couper des lingots, renvoyer leurs 
femmes et leurs enfants au loin dans les terres, procéder enfin 
à tous les préparatifs d'un coup de main. 

Tobback avait réuni les chefs arabes pour leur demander à 
brûle-pourpoint leurs intentions. Les Arabes protestèrent de 
leurs dispositions pacifiques et déclarèrent même qu'ils n'étaient 
armés jusqu'aux dents que parce qu'ils se trouvaient réunis 
pour manger la soupe ensemble. 

Craignant que l'entrevue ne tournât tragiquement, et, de 
plus, que les Arabes ne parvinssent à le surprendre, Tobback 
se retira avec ses forces dans la partie la mieux fortifiée de la 
station des Falls sur la rive droite du fleuve. Il ne laissait que 
3 ou 4 hommes dans l'île, avant-poste de la station, comme 
éclaireurs. 

Dès le lendemain, les Arabes s'installent de vive force dans 
les factoreries des Sociétés belges et hollandaises établies dans 
la région ; le 15, ils ouvrent le feu contre un village indigène 
des environs, tout dévoué à l'État du Congo, 

Ils y font de nombreux prisonniers, puis se portent contre 
la station des Falls mêmes. Ils assiègent la station de toutes 
parts et ouvrent le feu contre la garnison. Très nombreux, 
tandis que les agents de l'Etat disposaient de forces minimes, 
ils faisaient preuve de la plus grande audace. 

Commandés par Rachid, le gendre de Tippo-Tip, ils avaient 
reçu des recrues et des renforts de tous les villages environ- 
nants ; ils ont mené leur attaque avec la plus grande violence. 

Elle a été néanmoins repoussée par les forces de la station, 
commandées ce jour-là par le sergent Van Lier. 

Les Arabes laissèrent 25 hommes sur le terrain. 



56 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Du côté de la garnison, on releva quatre hommes tués et 
huit blessés. La bataille avait duré jusqu'à la nuit. 

Le 16 et le 17, toutefois, les Arabes revinrent à la charge 
avec une nouvelle furie. A plusieurs reprises, ils sont devenus 
maîtres de la station dont la garnison les déloge finalement 
avant la nuit ; il est évident que la situation va devenir déses- 
pérée, lorsque l'expédition de Chaltin, prévenue par Tobback, 
comme on l'a vu plus haut, apparaît sur le champ de bataille. 

Dans la nuit, la jonction s'opère, et Tobback et Chaltin 
se concertent pour la suite de leurs opérations. 

Mais les Arabes, prévenus de l'arrivée des renforts belges, 
ne dissimulent pas leur inquiétude. Ceux qui, quelques heures 
auparavant, narguaient les Belges en se promenant devant 
les Falls ou en traversant le Congo à la nage sous leurs balles, 
étaient maintenant pris de panique. 

Chaltin et Tobback divisèrent leurs troupes en deux colon- 
nes: l'une qui devait opérer définitivement sur la rive droite, et 
l'autre qui était chargée de l'offensive sur les points occupés 
par les Arabes. 

La colonne d'attaque, commandée par Chaltin, se jette, dès 
l'aube, dans le fleuve, avec une véritable furie, gagne l'île où 
campent les Arabes et, après une lutte de deux heures,emporte 
tous leurs camps et les rejette, décimés, dans le Congo. Les 
Arabes perdent des centaines d'hommes et laissent autant de 
prisonniers entre les mains de Chaltin. 

Le lendemain 19, Chaltin pousse des reconnaissances aux 
environs, trouve les Arabes partout en fuite, tandis que ceux 
qui restent encore se constituent prisonniers. On ne compte 
pas moins de 2,00c captifs dans la soirée du 19 ; et ils dépo- 
sent leurs fusils et munitions aux pieds de nos compatriotes 
victorieux. 

Ici s'arrête ce brillant bulletin de victoire. 

On a vu dans le chapitre précédent comment s'est opérée la 
jonction des diverses expéditions pour aboutir au résultat final: 
l'expulsion des Arabes du Manyéma. 



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PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 59 




<#^ CHAPITRE IV, ^ :$> 
Retour en Belgique. — Fêtes de réception, 

ES RÉSULTATS DE LA CAMPAGNE. 

— Les victoires décisives remportées sur Rumaliza 
aux environs de Kabambarré, permirent aux lieute- 
nants Lothaire et de Wouters d'Oplinter de recon- 
naître le pays qui touche aux rives du Tanganika et d'y rendre 
permanente l'occupation de l'Etat. 

Le Manyéma était purgé des bandes esclavagistes ; iî 
s'agissait d'en prévenir le retour. 

C'est au cours de ces opérations que les troupes de l'État 
opérèrent leur jonction avec celles delà Société antiesclava- 
giste de Belgique, sous les ordres du commandant Descamps,, 
successeur de Jacques, à Miketo, à douze lieues du lac. 

Il fut convenu entre Descamps et Lothaire que le premier 
occuperait Albertville, ainsi que Kibanga, ancienne mission 
abandonnée, et qui portait aussi le nom de Lavigerieville ; le 
second, de son côté, devait laisser au lac une partie de ses 
forces sous le commandement du lieutenant Lange pour occu- 
per la partie septentrionale du Tanganika. 

Les principaux établissements jugés nécessaires dans cette 
situation étaient, à part l'occupation du Tanganika qui a été 
effleurée plus haut : Kabambarré, Nyangwé, Kassongo, Ki- 
bongé et les Stanley-Falls. 

Notre valeureux compatriote escompta l'esprit d'entreprise 
et les facultés spéciales de plusieurs Arabes influents qui 
avaient fait leur soumission complète, pour développer rapide- 
ment certains centres d'occupation et en former des foyers 
civilisateurs qui, sous l'impulsion des officiers belges, feront 
sentir leur action bienfaisante autour d'eux. 

Le départ. — En mai 1894, Dhanis estima la situation 
suffisamment bonne pour lui permettre de prendre la route 
d'Europe; d'aussi brillants résultats,obtenus après deux années 



6o SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

de combats, autorisaient enfin le vainqueur à quitter le champ 
de bataille. 

A la nouvelle de ses succès extraordinaires, le roi Léopold 
venait de le créer baron, titre de noblesse bien mérité et 
rarement donné jusqu'ici. Remettant donc le commandement 
au lieutenant Lothaire,le baron Dhanis prit la voie des Stanley- 
Falls en marchant par étapes, de manière à s'occuper de tous 
les détails de l'organisation définitive des places à défendre. 

En août-septembre, il passait à Matadi, Boma et s'em- 
barquait à Banana, sur la Wilhelniina qui devait le rapatrier. 

Arrivée à Anvers. — Le ii octobre, à 8 heures du matin, 
le baron Dhanis parut devant Flessingue, à bord du steamer 
Wilhelmhia, brillamment pavoisé et escorté de \ Emeraîide et 
du Washington. Vers midi, le steamer salua Anvers de trois 
coups de canon, auxquels une foule immense, massée sur les 
quais, répondit par de formidables acclamations. Dhanis dé- 
barque, la musique entonne la Brabançonne^ tout le monde se 
découvre, les acclamations reprennent de toutes parts avec une 
vigueur intense : la scène est d'une grandeur émouvante ; c'est 
au milieu d'un véritable triomphe que le jeune officier gagne 
en voiture la demeure de ses parents. 

Ce n'était là toutefois pour le commandant Dhanis, que le 
prélude d'une série de réceptions et de fêtes, toutes des plus 
brillantes, mais dont nous ne pouvons donner ici qu'une simple 
énumération. 

Le lendemain de son arrivée, il fut reçu à deux heures, à 
l'hôtel de ville d'Anvers. A trois heures, il reçut au local du 
Cercle artistique un magnifique sabre d'honneur de la part du 
Commerce anversois, et une médaille de la part de la Société 
de géographie dAnvers. A cinq heures, il descendait à la gare 
de Bruxelles où l'attendaient le prince Albert de Belgique, un 
grand nombre d'autorités et tous les officiers du régiment des 
grenadiers; à la sortie de la gare, l'immense foule qui couvrait la 
grande place Rogieretles boulevards, lui fit une manifestation 
vraiment populaire, spontanée et grandiose. 

Le i6, le baron Dhanis fut reçu par le Roi au palais de 
Bruxelles. 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 6l 

Le 19, eut lieu la séance de la Société royale belge de géo- 
graphie. 

Le 23, l'Administration communale de Bruxelles lui offrit» 
dans les splendides salles de l'hôtel de ville, un raout auquel 
assistèrent plus de 2500 personnes. 

Le 30, le Cercle africain, composé en très grande partie 
d'officiers et d'agents qui ont été au Congo, lui offrit également 
une fête des plus cordiales. 

Enfin, la Société d'études coloniales a fait en son honneur 
une splendide manifestation à Bruxelles, au théâtre flamand 
où M. Bernard prit la parole. 

A la Société royale de géographie. — Nous détaille- 
rons davantage cette séance à laquelle nous avons assisté et 
où nous avons pu faire connaissance avec plusieurs membres 
de l'expédition Dhanis. Elle eut lieu le soir du 19 octobre au 
splendide local de la Société de la Grande Harmonie. La salle 
était comble. A huit heures et demie, le prince Albert de Bel- 
gique, en grande tenue de lieutenant des grenadiers, fait son 
entrée, accompagné du baron Dhanis. 

M. Pavoux, président, ouvre la séance par l'allocution 
suivante : 

« Monseigneur, Mesdames, Messieurs. 

« La Société royale belge de géographie, appréciant à sa 
juste valeur l'importance de l'œuvre civilisatrice et humanitaire 
entreprise au Congo par S. M. le Roi, a toujours considéré 
comme un devoir et un honneur d'accueillir avec gratitude, dès 
leur retour dans la patrie, les vaillants champions d'une cause 
aussi belle. 

« Le baron Dhanis, j'appuie sur ce titre, parce que, rappe- 
lant les preux du moyen âge que le suzerain armait chevaliers 
sur le champ de bataille, à la suite de quelque action d'éclat, 
celui que vous avez acclamé à son entrée dans cette salle, a con- 
quis cette distinction à la pointe de l'épée, en refoulant au loin 
les horreurs de l'esclavage; le baron Dhanis, dis-je, le coura- 
geux officier belge que vous voyez à cette tribune, vient de 
faire dans son pays une rentrée triomphale. 



62 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

« A Anvers, berceau de sa famille, comme à Bruxelles, il a 
été accueilli, acclamé, fêté avec un enthousiasme débordant, qui 
lui a montré à quel haut degré sont appréciés l'énergie, le sang- 
froid, la persévérance et toutes les mâles qualités d'un chef 
éminent, qu'il a déployées pendant la longue campagne que le 
succès a couronnée. 

« A notre tour, et ici je remplis un devoir, en remerciant 
S. A. R. Mgr le prince Albert d'avoir bien voulu rehausser de 
sa présence cette solennité tout à l'honneur de l'armée belge, 
à notre tour de souhaiter la bienvenue au lieutenant Dhanis, 
membre de notre Société depuis près de dix ans, et de lui dire 
que nous sommes fiers de compter dans nos rangs un aussi 
illustre confrère... » 

Suit la lecture de Xaperçtc de la campagne arabe, que nous 
avons remplacé ci-dessus par des détails plus circonstanciés. 
Après cette lecture, assez monotone, le président reprend la 
parole pour rendre hommage au baron Dhanis. 

11 termine en lui remettant une médaille d'or, laquelle porte 
•d'un côté : 

« La Société royale belge de géographie au Commandant 
« de la campagne contre les Arabes, baron Francis Dhanis, 
« Inspecteur d'Etat de l'Etat Indépendant du Congo. Bruxelles, 
« le 19 octobre 1894. » 

Et au revers : « Campagne contre les Arabes. Conquête du 
« Manyéma. Défaites de Gongo-Lutété, Séfu, INIuini-Pembé et 
« Muini-Moharra. Prises de Nyangwé et de Kassongo. Com- 
« bats de la Luama et de la Lulindi. Défaite de Rumaliza. Prise 
« de Kabambarré. Avril 1892 à février 1S94. » 

Dhanis fait l'éloge de ses collaborateurs. — Le com- 
mandant Dhanis se lève et, au milieu de la plus vive attention, 
prononce le discours suivant, dans lequel sa modestie lui 
fait passer sous silence ses propres mérites pour signaler ceux 
de ses adjoints : 

« Monseigneur, Mesdames, Messieurs. 

« La réception dont j'ai été l'objet a été des plus brillantes 
et des plus émouvantes. Les paroles me font défaut pour ex- 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 6 



J 



primer mes plus sincères remerciements et ma profonde recon- 
naissance à la Société distinguée qui assiste à cette séance, que 
Monseigneur le prince Albert de Belgique a bien voulu hono- 
rer de sa présence. 

« Mais je ne puis laisser passer cette occasion, sans rendre 
hommage au dévouement et au courage des officiers et sous- 
officiers qui, sous mes ordres, ont participé à la campagne 
arabe dans les régions du Sud, depuis Lusambo jusqu'au Tan- 
ganika, et auxquels revient la plus grande partie des honneurs 
que mes compatriotes ont bien voulu me décerner. 

«Avant tout, il me revient la pénible mission de rappeler les 
noms de ceux qui ont payé de leur vie leur dévouement à la 
cause de la civilisation et à la grande œuvre entreprise par Sa 
Majesté. 

« Je citerai en première ligne Ponthier, Ponthier dont le cou- 
rage ne connaissait aucun obstacle,est trop bien connu pour que 
je rappelle ses exploits à l'avant-garde du camp de l' Aruwimi et 
à l'avant-garde de l'expédition si brillante du regretté comman- 
dant Van Kerkhoven. La guerre arabe éclata : Ponthier était 
en Europe. Quoique malade encore des suites d'une blessure, 
il repartit immédiatement et fut alors le héros d'une campagne 
menée d'une manière admirable. Deux jours après son arrivée 
aux Falls, il se mit en marche, prit Kirundu et, par des marches 
cxtraordinairement rapides, transforma la fuite des Arabes en 
une panique qui les dispersa dans toutes les directions. Quel- 
ques jours plus tard il me rejoignait à Kassongo. Il prit part 
aux journées des 15, 16, 17, 18 et 19 octobre. Malheureusement, 
blessé le 19, Ponthier succomba à ses blessures. Sa mort fut 
celle d'un héros ! 

« Le Roi, voulant perpétuer sa mémoire, a signé un décret 
<lonnant le nom de Ponthierville à la capitale de la Zone 
arabe. 

« En second lieu, je citerai le lieutenant de Heusch, qui nous 
rejoignit quelques jours après la mort de Ponthier. Sa conduite 
des plus brillantes faisait espérer un bel avenir à ce jeune offi- 
cier ; malheureusement, le 18 novembre il trouva la mort à 
l'assaut de la position d'Ogella. 

^( De Woîtters dOplinter. L'État fondait les plus grandes 



64 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

espérances sur cet officier d'élite, qui avait participé à toute la 
campagne. Il s'était particulièrement distingué dans le combat 
du 9 janvier, où fut tué IMuini-IMoharra, le farouche chef de 
Nyangwé. Il se distingua aussi dans la campagne contre Ru- 
maliza, où il commandait un détachement indépendant. Il com- 
manda encore la colonne qui opéra la jonction avec les forces 
antiesclavagistes ; mais épuisé par les fatigues, il vint mourir à 
Kassongo, au moment où il allait rentrer en Europe. 

« Le lieutenant Duchesne et le sergent Prégaldino ne sont 
plus; ils avaient assisté avec Michaux au combat du Lomami. 
Le lieutenant B'ôrtzel, de la marine royale suédoise, a aussi 
succombé, ainsi que tout récemment le jeune Merkus; les 
sous-officiers Desti'ait et Bre'ugelma7is furent aussi victimes de 
leur dévouement. 

«JetiensencoreàciterlespricipauxdemescollaborateurSjdont 
quelques-uns sont encore en Afrique, d'autres sont ici en Europe. 

«Le capitaine Gillain me rejoignit après la prise de Nyangwé; 
il se distingua à la prise de Kassongo et dans la campagne 
contre Rumaliza. Il me succéda dans le commandement du 
district du Lualaba. 

« Le lieutenant Lothaii'e répondit à l'appel que je lui adressai 
après la mort de Ponthier. Il accourut avec 200 Bangalas. Son 
détachement, renforcé de celui de De Wouters, prit d'assaut le 
borna de Rumaliza. Il commanda ensuite l'expédition qui prit 
Kabambarré et mit la déroute finale parmi les troupes arabes. 
Il me succéda dans le commandement de la zone arabe. 

(iMichaiix^ vainqueur du Lomami, prit part à la campagne 
jusqu'à la prise de Nyangwé. 

« Doorvie, qui s'était distingué dans le district du Kassaï par 
sa lutte contre les Kiokos, prolongea son temps de service 
pour prendre part à la campagne arabe. A la tête de détache- 
ments qu'il forma avec des éléments recrutés dans le pays, il 
se distingua à la prise de Kassongo, prit part à tous les com- 
bats ultérieurs, et ne rentra en Europe qu'après la prise de 
Kabambarré, où fut tiré le dernier coup de fusil. 

« Le D'^ Hinde,Q^\ vient d'être nommé capitaine, se distingua 
dans plusieurs combats et se dévoua surtout dans plusieurs 
épidémies de variol^. 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 65 

« Je ne détaillerai plus la brillante conduite de Cassart. — 
Hambitrsin se fit remarquer par son calme étonnant durant 
toute la campagne de Rumaliza. — Lange fut blessé au combat 
du 15 octobre 1893. — Le capitaine Rom, le sous-lieutenant 
Van Lint, le capitaine Colignon, le lieutenant Augustin, le 
lieutenant Franken rendirent aussi des services signalés à la 
fin de la campagne. — Le lieutenant Lemery eut la tâche 
ingrate de commander la place de Nyangwé, qui était fort 
menacée à un moment donné. — Les sous-officiers Collet et 
Van Riel méritent aussi les plus grands éloges. — Sandrart 
s'occupa activement de la tâche souvent difficile de ravitailler 
notre expédition. 

« Tels furent mes principaux adjoints : avec de tels hommes 
le succès de la campagne était assuré. 

« Je ne puis terminer sans rappeler Coquilhat, sous les ordres 
de qui je fis école au Congo, et qui, par un ordre de service à 
jamais mémorable, dicta à chacun la conduite à tenir pour 
enrayer les progrès inquiétants des Arabes. 

« Il n'est pas douteux, Messieurs,que le Manyéma est appelé 
à un grand avenir. La meilleure preuve en est dans le grand 
nombre d'Arabes venus de tous côtés pour exploiter ces régions. 
Actuellement que le pays est purgé des brigands qui le dévas- 
taient, l'indigène, sous la protection de l'Etat et sous la direc- 
tion des Arabes fidèles, va pouvoir se livrer en paix à la culture 
du sol, sans craindre de voir ses champs dévastés et ses richesses 
pillées. Le sol du Manyéma est parmi les plus riches de l'Etat. 
Tous les produits tropicaux s'y rencontrent en abondance; il 
n'y a nul doute que cette région ne devienne par la suite une 
contrée des plus prospères, et une source de richesses pour les 
Européens qui voudront s'y établir, et couronner ainsi l'œuvre 
si noble entreprise par le Roi-Souverain. » 

Les paroles du commandant Dhanis, dites simplement mais 
avec une netteté toute militaire, sont accueillies par de longues 
acclamations. 

Avant de se retirer, le prince Albert s'est fait présenter les 
deux chefs Arabes avec lesquels il s'est en-tretenu par l'inter- 
médiaire du baron Dhanis. 



Soldats et missionnaires au Congo. 



66 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



NECROLOGIE. 



Pour compléter la liste des victimes des cruautés arabes, 
nous rapporterons ici quelques faits antérieurs à l'expédition 
Dhanis, savoir : la mort cT Hodister, de Debrtcyn et de Lip- 
pens, qui furent massacrés et mangés par les cannibales, et 
celle du fameux Emin-pacha, qui subit le même sort. 

Dévouement héroïque du sous-ofRcier Debruyn. — Le 

fait suivant est relaté par un témoin oculaire, M. Mohun, 
consul des Etats-Unis, dont le nom a déjà été cité. 

On se rappelle la détention par les Arabes et la mise à mort 
du lieutenant Lippens, résident belge à Kassongo, et de son 
adjoint Debruyn, au début du soulèvement des esclavagistes. 

« Je dois vous raconter, dit le témoin, la scène la plus déchi- 
rante à laquelle il m'ait jamais été donné d'assister. Vous savez 
que les Arabes avaient chez eux à l'état de prisonniers deux 
hommes blancs, Lippens et Debruyn, résidents à Kassongo. 
Debruyn fut envoyé vers nous par les Arabes afin d'engager 
les blancs à traverser le Lomami avec 50 hommes, à l'effet 
d'avoir une entrevue avec Séfu. Nous savions d'avance par 
nos espions, qu'on allait nous adresser une pareille invitation, 
qui n'était qu'une ruse pour s'emparer de nos personnes. 

« Debruyn vint au bord de la rivière et, d'une rive à l'autre, 
pendant une demi-heure, il engagea la conversation. La rivière 
avait 90 mètres de large. L'officier belge était virtuellement 
prisonnier depuis cinq mois. Nos instructions étaient de ne pas 
commencer de combat, mais, si nous étions attaqués, d'aller 
jusqu'au bout. Scheerlinck courut au camp écrire une lettre 
pour Lippens. Je criai à Debruyn : « Savez-vous nager .'^ » Il 
me répondit : « Oui. » Alors, le chef arabe le suivant à un 
mètre de distance, il descendit la berge et lava ses pieds dans 
la rivière. 40 Arabes étaient groupés à 15 mètres derrière lui, 
et à 400 mètres en arrière, il y en avait 200 autres. Nous fîmes 
se cacher 10 de nos meilleurs tireurs dans les buissons de notre 
berge, et, autour de moi, je groupai, bien en vue, dix autres 
tireurs émérites. 




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3 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 69 

« Je repris la conversation, puis, tout à coup, mes disposi- 
tions étant terminées, je lui criai : « Quelqu'un de votre côté 
comprend-il le français ?» Il me répondit : « Non. » Alors j'or- 
donnai aux hommes cachés dans les herbes : « Visez bien 
chacun votre homme et laissez-moi le chef » ; puis je dis à 
Debruyn : « J'ai des tireurs de choix cachés dans l'herbe et je 
puis vous sauver; sautez dans la rivière. » Un silence vraiment 
affreux d'une demi-minute succéda à cette parole. Il me répon- 
dit: « Non, merci. Je ne puis pas abandonner Lippens. » 

« Puis, avec simplicité, il alla se remettre entre les mains de 
ses gardes. Nous lui envoyâmes notre dernière goutte de co- 
gnac et une pièce d'étoffe avec une lettre pour Lippens. La nuit 
dernière, nous avons appris par quelques-uns de nos prison- 
niers que sa tête et celle de Lippens ont été fixées sur les 
palissades d'une ville qui est à trois journées de marche d'ici, 
Kassongo, la résidence de Tippo-Tip et de son fils Séfu. Sur 
ces mêmes palissades, on a fixé encore la tête de neuf autres 
Européens; je connaissais trois d'entre eux, qui m'ont soigné 
quand j'ai été atteint de ma première fièvre. » 

La mort de ces deux braves a été bien vengée par les succès 
qui ont suivi. 

Le lieutenant Hodister. — Voici quelques détails bio- 
graphiques sur cet explorateur massacré par les Arabes de 
Nséréra, en juin ou en juillet 1892. 

Bien que né à Bruxelles, en 1847, Hodister était de race 
luxembourgeoise comme le capitaine Jacques, son émule au 
Tanganika. Il a servi avec distinction aux zouaves pontificaux, 
et il a fait partie de ce groupe de soldats chrétiens qui ont fourni 
à l'antiesclavagisme d'admirables héros, en tête desquels brille 
le capitaine Joubert. 

Avant d'arpenter l'Afrique centrale, il avait, emporté par sa 
passion pour les lointains voyages, parcouru les Indes, les Phi- 
lippines, la Nouvelle-Calédonie, rx^ustralie,la Nouvelle- Irlande 
^t la Nouvelle-Bretagne. Entré au service du gouvernement 
espagnol, il était à bord du navire qui alla, au nom de ce gou- 
vernement, faire acte d'autorité souveraine dans l'archipel des 
Carolines, à l'époque du conflit célèbre de l'Espagne avec l'Aile- 



/O SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

magne, si sagement terminé par l'arbitrage du Saint-Père 
Léon XIII. Au retour, son navire fit naufrage, et Hodister 
sauva la vie à plusieurs personnes. Il accomplit cet acte de cou- 
rage simplement, sans forfanterie, comme tout ce qu'il faisait. 

Comme pionnier civilisateur, Hodister relève directement 
de l'école de Gordon et de Cameron. Il avait horreur du sang 
et, à l'exception des jours de chasse, il voyageait ordinairement 
sans armes. Qui sait si cette confiance extrême ne lui a pas été 
fatale ! Il comptait beaucoup d'amis au Congo, même parmi 
les Arabes, ce qui porte à penser que s'il a été martyrisé, tué 
et mangé, ce doit être le fait de sbires chargés de cette abo- 
minable besogne. 

Hodister savait trouver un langage poétique pour exprimer 
sa foi. Voici ce que, peu de jours avant son dernier départ 
d'Europe, il disait à l'un de ses amis de Bruxelles : « Sous le 
dôme étincelant des calmes et ravissantes nuits africaines, j'en- 
tends littéralement le chant de la nature et ses puissantes 
harmonies qui louent le Créateur... Je me sens alors si près de 
Dieu, la beauté de ses œuvres et la multiplicité de ses bienfaits 
m'apparaissent si tangibles, le soir d'une de mes rudes journées, 
que je serais un imbécile ou un orgueilleux de ne pas croire 
et de ne pas prier. Jamais, ajoutait-il, je n'ai été aussi heureux 
de croire en Dieu et de servir son Église que depuis mon 
odyssée africaine. » 

Ces paroles peignent l'homme ; elles disent encore que s'il y 
a dans l'entreprise congolaise, comme dans toute œuvre hu- 
maine, un côté mercantile, on y rencontre aussi de nobles et 
o'énéreux cœurs. 

En même temps qu' Hodister, d'autres agents des compa- 
gnies commerciales furent massacrés au début du soulève- 
ment des Arabes. Citons : 

Le docteur Jules JMageiy, médecin de l'expédition, né à 
Dinant en 1866, ^X. Jean- Baptiste Des^nedt, né à Gand, tués en 
compagnie d'Hodister, le 15 mai 1892. 

Alfred Noblesse, né à Bruxelles en 1S69, tué le 10 mai à 
Riba-Riba, où il commandait le poste commercial. 

Julien Pierretf né à Bruxelles en 1S5S, tué au poste de Lomo 
le 17 mai. 



PREMIÈRE PARTIE. LE CAPITAINE DHANIS. 7I 



Gaston Joîcret, né à Bruxelles en 1S69, mort à Kibongé le 
10 mai. 

Ajoutons encore Alphonse Mussche, de Gand, Pierre Chau- 
mont, de Liège, et Joseph Goedseels, de Malines, morts de 
maladie pendant cette malheureuse expédition commerciale,qui 
fut en partie la cause déterminante ou occasionnelle du soulè- 
vement des Arabes. 

Fin tragique d'Émin-Pacha. — On connaît l'histoire de 
cet étrange aventurier allemand, le docteur Snitzler, qui, après 
s'être créé pour ainsi dire un royaume au milieu de l'Afrique, 
à Wadelaï, sur le haut Nil, se vit obligé d'implorer du secours, 
et que Stanley alla délivrer pour le ramener à Bagamoyo,sur la 
côte orientale (18S9). 

Au lieu de revenir en Europe, Émin repartit furtivement 
pour la région des Grands lacs, se forma une troupe de Nu- 
biens, avec laquelle il explora en dernier lieu la région occiden- 
tale du Tanganika. Il était arrivé sur les bords du Congo, non 
loin de Kibongé, lorsqu'il tomba dans un parti arabe commandé 
par Saïd, l'un des lieutenants de Muiné-Moharra. 

M. Mohun, consul des Etats-Unis, ayant rencontré plus 
tard l'un des sbires, auteurs du meurtre, en obtint les détails 
ci-après. 

« Mamba et moi, dit le meurtrier, nous étions debout près 
du pacha. Sur un signe du chef Kinena, nous lui saisîmes 
chacun un bras, en le maintenant assis de force. Il se tourna 
et nous demanda ce que nous lui voulions. Kinena lui dit : 
« Pacha, vous allez mourir. » Il s'écria avec colère : « Ou'est- 
ce que cela veut dire ? Est-ce une plaisanterie? Qui êtes-vous 
pour ordonner la mort d'un homme ? » Et Kinena répondit : 
« Je n'ordonne pas. J'ai reçu ordre de Kibongé, qui est mon 
chef, et je dois obéir. » 

« Emin se débattit et s'efforça de prendre son revolver. 
Mais il ne put le saisir. Et Kinena montra la lettre par laquelle 
Kibongé ordonnait le meurtre. Emin la lut et vit qu'elle était 
véritable. Il respira longuement et dit : 

« C'est bien ; vous pouvez me tuer. Mais songez que les 
autres hommes blancs vengeront ma mort ; et laissez-moi vous 



72 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

dire que d'ici deux ans, il ne restera pas un seul d'entre vous 
autres Arabes dans ce pays que vous occupez maintenant... » 
Emin ne montra pas de crainte. Sa voix trembla seulement un 
peu lorsqu'il parla de sa petite fille. 

« Kinena fit signe de nouveau. Le pacha fut enlevé de sa 
chaise et couché par terre sur le dos. Chacun de ses bras et 
chacune de ses jambes étaient tenus par un homme ; moi, je 
tenais sa tête, tandis que Mamba lui coupait la gorge. Emin 
ne tenta aucune résistance. D'un coup de couteau, Mamba 
sépara à moitié la tête du corps. Le sang jaillit sur nous : le 
pacha était mort. Mamba acheva de trancher la tête, et Kinena 
l'envoya à Kibongé. Nous laissâmes le corps où il était. » 

On apprit toutefois que le corps d'Emin fut mangé par les 
cannibales Manyémas, comme ceux de tous les Nubiens de 
son escorte massacrés après lui. 

Ainsi finit tragiquement cette existence bizarre, qui eut son 
jour de gloire et de célébrité. Ses papiers, ses livres, parmi 
lesquels étaient la Bible et le Coran, et une partie des collec- 
tions d'Emin parvinrent à Dhanis, qui les envoya en Europe. 
Il laissait une enfant d'un an, née delà troisième femme noire 
qu'Emin, adoptant les pratiques musulmanes, n'eut pas honte 
de prendre dans ses courses. 

Le meurtrier Saïd,fait prisonnier de guerre par Ponthier, fut 
jugé et passé par les armes. 





DEUXIEME PARTIE. 



LE CAPITAINE JACQUES & LES EXPÉDITIONS 



ANTIESCLAVAGISTES BELGES. 





ŒW 



CHAPITRE I. 
De Belgique au Tanganika. 

§ I, Les quatre expéditions. 

A CROISADE AFRICAINE. — Dans 

le courant de Tannée 1890, le grand pape 
Léon XIII chargeait le primat d'Afrique, 
l'illustre cardinal Lavigerie, archevêque d'Al- 
ger et de Carthage, de prêcher en Europe 
une nouvelle croisade pour la libération de 
ces millions de nègres, qui en Afrique, sont traités par les con- 
quérants Arabes avec une férocité sans nom, traqués comme 
des bêtes fauves, et emmenés en esclavage pour servir à la 
brutalité de maîtres sensuels et corrompus. 

La voix éloquente et persuasive du grand orateur sacré se 
fit entendre d'abord à Paris, puis à Londres et à Bruxelles ; 
partout elle provoqua un élan généreux de sympathie pour nos 
frères opprimés et d'indignation contre les sectateurs de Maho- 
met, auteurs de tant de crimes de lèse-humanité. 

Dans plusieurs pays d'Europe, il se forma aussitôt des 
Sociétés antiesclavagistes, ayant pour but de recueillir des fonds 
et d'organiser des expéditions armées, qui seraient dirigées vers 
les lieux les plus dévastés par l'odieuse chasse à l'homme, sur- 
tout dans les contrées du centre et de l'est de l'Afrique. 

La Belgique, qui tenait à ne pas rester en dehors du mouve- 
ment, et qui, de fait, fut la seule qui opéra efficacement, prit 
comme champ d'opération les immenses territoires de l'État 
indépendant du Congo, situé au cœur de l'Afrique, et dont le 
roi Léopold II est le fondateur et le souverain. 

Pendant que les forces de l'Etat libre maintenaient la police 
dans les régions occidentales et centrales du Congo, la Société 
antiesclavagiste de Belgique, sous la direction du comité de 



74 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Bruxelles, organisait successivement plusieurs expéditions ar- 
mées et les dirigeait vers le lac Tanganika. 

L'objectif immédiat était de secourir l'héroïque capitaine 
français Joubert, qui depuis douze ans s'était fait le défenseur 
des Pères Blancs dans leurs missions des rives du^ Tanganika, 
ravagées par les chasseurs d'hommes. 

Quatre expéditions belges se succédèrent à une année 
d'intervalle, de 1890 à 1893. 

I. La première expédition, composée du lieutenant Z^zV^r^ et 
de deux volontaires, MM. P. de Kerkhoven et Camille Bctors, 
prit la voie de la côte occidentale. Partie d'Anvers le 17 juin 
1890, elle remonta le Congo et le Lomami, jusque Bena-Kamba, 
d'où elle devait atteindre le Tanganika. Mais les troubles qui 
occasionnèrent la mort d'Hodister les forcèrent de rentrer en 
Europe. 

IL La seconde expédition fut plus heureuse. Sous le com- 
mandement du capitaine y^^^//^^, accompagné de MM. Renier^ 
Docquier ç,x. VritJioff, elle partit, le 29 avril 1S91, de Rotter- 
dam pour Zanzibar, où elle arriva le 7 juin. Elle atteignit 
rapidement le Tanganika, où elle fonda le fort d'Albertville. 
Vrithoff, devenu lieutenant de Joubert, tomba glorieusement 
dans un combat contre les Arabes : nous en avons fait le sujet 
d'un ouvrage spécial ('). 

III. La troisième expédition suivit un an après, sous la con- 
duite du lieutenant Long. Elle se composait des deux officiers 
Duvivier et Deinol, et de MM. Detiège, Moriamé et Moray. 
Partie de Rotterdam le 3 avril 1892, elle prit comme la précé- 
dente la route orientale par Zanzibar et Tabora, mais sa marche 
fut retardée par les hostilités des Arabes soulevés contre les 
Allemands. , 

IV. Enfin, la quatrième expédition, dite de secours et appelée 
par le capitaine Jacques, qui réclamait surtout deux petits 
canons et des munitions, fut confiée au capitaine Descamps et 
à ses adjoints, MJM. Jlliot et Chargois. Se dirigeant par la route 
du Zambèze et du lac Nyassa, elle opéra sa jonction avec 

I. Alexis Vrithoff, a^//W/// des capitaines Jacques et Joubert au Taji^anika^ 
vol. in-8° illustré de 192 pages. Bruges, Desclée. 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. 75 

Jacques à Abercorn, au sud du Tanganika, le 22 octobre 1893. 
Il convient de noter l'intervention fortuite de l'expédition 
commerciale de MM.Delcommune,Diderrich,Briart et Cassart, 
qui arrivèrent à Albertville le 23 août 1892 et prirent part au 
siège du borna arabe, situé dans le voisinage. 

§ II. — L'expédition du capitaine Jacques. 

Le départ. — L'expédition du capitaine Jacques est la plus 
importante de celles qui vont nous occuper dans ces pages. Nous 
la suivrons donc particulièrement, en y rattachant à l'occasion 
les faits principaux des deux expéditions qui l'ont suivie. 

Ce brave officier, dont nous avons eu l'honneur de faire la 
connaissance, et dont les frères furent élevés dans notre éta- 
blissement de Carlsbourg, est le fils du notaire Jacques de 
Vielsalm (Luxembourg), mais il est né à Stavelot (province de 
Liège): c'était le 24 février 1858. 

Son grand-oncleThéodore Jacques, mort cette année (1895), 
fut député au Congrès national de 1830. 

Alphonse Jacques suivit la carrière des armes et fut reçu 
dans r Etat-major comme capitaine adjoint en 1886. 

Déjà dans un premier voyage il avait passé plusieurs années 
au Congo, lorsqu'il reçut, en 1891, la direction de l'expédition 
antiesclavagiste belge ('). Il partit de Bruxelles et se rendit 
d'abord à Rome, où Sa Sainteté le pape Léon XI 1 1 lui accorda 
la faveur d'une audience particulière. Le Saint-Père s'entre- 
tint longuement avec lui, et appréciant tout le bien qui résul- 
terait pour la religion et la civilisation de cette campagne 
africaine, il bénit l'expédition belge, son commandant et ses 
adjoints, auxquels il envoya des souvenirs pieux. 

Jacques partit le 13 mai pour Naples, où il rejoignit le sous- 
lieutenant Renier, Docquier et Vrithoff, arrivés avant lui, par 
mer, de Rotterdam. 

Le 7 juin, nos quatre Belges arrivaient en bonne santé à 
Zanzibar. 

Le 13 juillet, après avoir formé leur caravane à Bagamoyo, 
ils en partaient pour s'enfoncer dans l'intérieur. 

I. Les détails de ce chapitre sont puisés dans le Mouvement antiesclavagisU^ 
publié à Bruxelles par le comité de l'Œuvre. 



76 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Laissons notre capitaine raconter lui-même son voyage par 
terre. 

De Bagamoyo à Mpoua-poua « Ma caravane, dit-il, com- 
portait cinq cents pagazis (porteurs) et cent askaris (soldats), 
dont soixante Wangwanas et quarante Ounyamouésis. A ce 
nombre, il faut ajouter sept cent cinquante pagazis (hommes, 
femmes et enfants) constituant la famille des premiers et trans- 
portant leurs charges personnelles. En outre, à Jangué-Jangué, 
j'ai été rejoint par une petite caravane en destination d'Ujiji, 
qui a demandé à se joindre à nous, ce qui fait qu'à Mpoua-poua, 
où nous sommes arrivés le 7 août, ma safari ne comptait pas 
moins de mille six cents personnes. Rien de bien remarquable 
I signaler dans cette première partie du voyage. 

De Mpoua-poua à Tabora. — « Dans tous les vil- 
lages que nous avons rencontrés, les natifs se sont montrés 
fort accueillants : partout nous avons trouvé des vivres en quan- 
tité suffisante et à des prix raisonnables; l'eau ne nous a man- 
qué nulle part. Après Mpoua-poua, la troisième marche a été 
marquée par un incident, commun dans ces parages, paraît-il, 
et qui n'a heureusement pas eu de conséquences trop graves pour 
nous : dans X^pori de Chounio, situé dans le Marenga-Mkali, 
un de mes pagazis a été tué d'un coup de lance, mais les voleurs 
n'ont pas eu le temps d'emporter la charge, qu'ils ont aban- 
donnée pour s'enfuir à notre approche. Les huit marches 
suivantes n'ont rien présenté de saillant, si ce n'est la rencontre 
à chaque pas de squelettes décharnés, témoignant des ravages 
occasionnés dans l'Ougogo par le terrible fléau qui en a dé- 
cimé les troupeaux. J'ai néanmoins constaté un surenchérisse- 
ment dans le prix des vivres, mais ce n'est là, sans doute, 
qu'une conséquence de la pauvreté exceptionnelle des récoltes 
de cette année. 

« Nous avons campé successivement dans les villages de 
Mougni, Gallou, Sanga, Ipala, Djassa, Momadédé et Hindi, 
dont les chefs sont venus chaque fois m'apporter quelques 
menus cadeaux, que je leur ai d'ailleurs payés en étoffe, 
d'une valeur au moins équivalente. Nulle part, il n'a été ques- 




Le capitaine Alphonse Jacques, né à Stavelot, 
en 1858, chef de la première expédition antiescla- 
vagiste (1891-93). (V. p. 75.) 




Le lieutenant Hodister, né à Bruxelles en 1847, mort 
au Congo en 1892. (V. p. 69.) 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. 79 

tion de hongo (droit de passage). Le 19 août, nous avons 
campé près de la rivière Polonga, dans la plaine qui suit l'ag- 
glomération de Samboubou. 

Dans rOugogo. Attaque des indigènes. — « Le len- 
demain, j'avais décidé de camper à Mackengué, éloigné 
seulement de quatre lieues. La caravane cheminait paisible- 
ment, et les pagazis marchaient l'un derrière l'autre, aussi 
rapprochés que le permet la longueur des mzigos (charges). 
Dans cet ordre, la caravane s'étendait sur cinq à six kilomètres. 

« Les natifs, groupés en dehors de leurs tembés, nous regar- 
daient curieusement défiler, mais sans aucune démonstration, 
ni hostile, ni amicale. Arrivés à mi-chemin, à trois kilomètres 
environ des tembés de Daboulou, des groupes assez nom- 
breux de gens armés discutent avec animation et se placent à 
quelques pas et de chaque côté de la route que nous suivons; 
à plusieurs reprises même, ils traversent cette route en écar- 
tant les pagazis et en coupant la colonne. Sans s'émouvoir de 
cette singulière manœuvre, mes hommes continuent à avancer. 
Nous avons à peine dépassé de 300 mètres ces turbulents 
personnages, que l'un d'eux, interpellant les autres, s'écrie : 

« Ce n'est pas bien de laisser passer les gens ainsi ! » et, sur 
ces paroles, les voilà tous qui se mettent à courir après nous 
en vociférant leur cri de guerre. Presque en même temps, des 
groupes également armés, parmi lesquels nous distinguons 
même quelques boucliers, sortent de derrière les tembés de 
Daboulou, où ils s'étaient dissimulés, et assaillent la colonne 
sur laquelle ils lancent leurs flèches et leur sagaies ; les premiers 
groupes que nous avions primitivement dépassés, ne tardent 
pas à nous rejoindre et nous jettent également leurs javelines. 
Deux askaris sont tués à côté de moi, et trois autres sont 
grièvement atteints. 

« C'était une attaque en règle, dirigée par six cents individus 
au moins, qui avaient certainement comploté d'anéantir entiè- 
rement ma caravane. Il n'y avait pas de retraite possible, ni de 
secours à attendre de nulle part, et, pour éviter un désastre 
irréparable et pour sauver notre vie, nous avons dû faire usage 
de nos armes. 



80 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

« L'attaque ayant été repoussée, nous avons pu continuer 
jusqu'à Mackengué, où nous avons établi notre camp. 

« La journée du lendemain a été consacrée au repos et, le 
2 2, nous avons levé le camp sans avoir pu nous y approvi- 
sionner. Pendant toute la durée de la marche, nous avons été 
escortés par quelques forcenés de Mackengué et de Daboulou, 
qui nous ont suivis à une centaine de pas tout au plus. Pendant 
que nous défilions entre les tembés de Tiwé, ils ont assas- 
siné, à cinquante mètres environ derrière moi, quatre malades 
qui suivaient péniblement la caravane. En tirant sur ces meur- 
triers, j'aurais pu les empêcher d'accomplir leurs forfaits, mais 
un coup de feu lâché en ce moment aurait pu être mal inter- 
prété par les gens de Tiwé, qui n'auraient pas manqué de 
faire cause commune avec leurs amis de Mackengué. C'est 
d'ailleurs ce que cherchaient ces derniers, qui auraient voulu 
faire subir à ma caravane le même sort qu'à une caravane 
d'Arabes qu'ils ont entièrement détruite, il y a quelques mois. 
Ils sont même restés en observation à quelques centaines de 
mètres du camp. La conséquence de cela, c'est que mes hommes 
n'ont pu acheter une once de nourriture ce jour-là. 

« Le jour suivant, les habitants des tembés qui sont au pied 
de la montagne de Kilima-Tindé, surexcités contre nous par 
les obstinés individus qui sont rivés à nos pas depuis trois 
jours, ont tenté de s'opposer à notre passage. Ils ont tiré sur 
nous, et une balle a traversé la jambe d'un des nôtres. Quelques 
coups de feu les ont forcés à s'écarter momentanément, mais 
ils sont encore revenus à la charge pendant que nous gravis- 
sions la montagne et ont tué un retardataire. Nous atteignons 
enfin le village de Kilima-Tindé sans avoir d'autres pertes à 
déplorer. Le chef de Kilima-Tindé vient au-devant de moi et 
me fait des protestations d'amitié. Je m'empresse de mettre à 
profit ces bonnes dispositions pour essayer de mettre fin à ces 
alertes continuelles, qui coûtent journellement la vie à quelques 
éclopés absolument inoffensifs. A ma demande, le chef de 
Tindé fait surveiller par ses sujets les gens de Samboubou, 
Daboulou, Mackengué et Tiwé, qui sont venus prêcher la 
guerre contre nous. 

« Nous avons traversé le Gounda Mkali sans faire de 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. 8l 

rencontre fâcheuse, et, au sortir de ce pori, nous avons par- 
couru les beaux villages de l'Ounyanyembéjdont les populations 
se sont montrées partout aussi paisibles, prévenantes et ac- 
cueillantes, que celles des confins de l'Ougogo s'étaient mon- 
trées turbulentes, tracassières et agressives. 

Arrivée à Tabora. — Le 7 septembre (58 jours après 
notre départ de Bagamoyo), après 48 étapes, en défalquant 
10 jours de repos, la troupe fait son entrée à Tabora, où le 
bruit de l'affaire avec Mackengué l'avait précédée. 

Seulement, cette aventure était racontée avec toute l'exagé- 
ration commune aux noirs, exposant des événements dont ils 
n'ont même pas été témoins. Ces bruits contrarièrent le ca- 
pitaine, pour le recrutement des pagazis qui devaient porter 
ses charges à Karéma. 

En effet, toute la caravane étant à refaire à Tabora, le capi- 
taine Jacques a dû y séjourner du 7 au 24 septembre. Il 
trouva d'ailleurs le lieutenant allemand Sigl, qui y a fondé un 
poste d'où, avec 70 hommes et une pièce de canon, il tenait en 
respect la population, composée d'une centaine d'Arabes et de 
leurs 25,000 esclaves Wangwanas et Ounyamwésis. 

Mais laissons encore la parole au chef de l'expédition, en rap- 
portant par des extraits de son journal, la suite de son voyage. 

De Tabora vers Karéma. Scènes du désert. — 

Jeiidiy 24. septembre. — « Après avoir pris congé de l'officier 
allemand, qui nous avait invités à déjeuner, nous nous remet- 
tons gaiement en route pour la dernière partie du voyage. 

Vendi-edi, 2j. — « Départ à sept heures; beau pays, très riche 
et très populeux ; beaucoup de verdure contrastant avec la 
sécheresse des sites parcourus avant Tabora, où les arbres, 
généralement dépourvus de leurs feuilles, rappellent les sites 
d'automne en Belgique. 

Samedi,2Ô. — « Douze pagazis ont abandonné leurs charges 
et cinq askaris ont déserté cette nuit-ci ; trois autres, malades, 
sont restés en arrière. Des gombozis enlèvent les charges en 
souffrance, et, à 7 heures, nous pouvons nous remettre en 
marche ; terrain plat ; sol sablonneux; beaucoup de manioc ; du 

Soldats et missionnaires au Congo. 6 



82 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



mtama, du blé, etc. A 1 1 h. et demie, nous établissons le camp 
à Toutouwo. Le thermomètre marquait 42° centigrades à 2 
heures. 

Mardi, 2ç. — « Nous venions à peine de dépasser les tem- 
bés de Mapolima, lorsque les tambours de tout calibre sont 
battus avec frénésie, les hochets sont agités, d'innombrables 
sifflets et les cris poussés par mille poitrines font retentir les 
airs de bruits stridents. Ce charivari assourdissant représente 
les honneurs du triomphe que l'on fait à des chasseurs, qui 
viennent précisément de rentrer après une expédition heureuse. 
— Ils ont tué un éléphant. 

Jeudij^'^ octobre. — « Levée du camp à 5 h. et demie. Quel- 
ques bouquets d'arbres au milieu de plaines à perte de vue, 
bois et bois à l'horizon. En route, sur une superficie d'environ 
200 hectares, nous avons vu un sanglier, huit girafes, six 
antilopes et deux lièvres. 

Samedi, ^. — <<Dans le trajet du village au mtoni d'Ougalla, 
que nous atteignons vers 10 heures, nous avons vu 150 anti- 
lopes de toute espèce et au moins autant de zèbres. Quel éden 
pour les chasseurs ! C'est aussi l'avis des lions,dont une famille 
a établi ici son quartier général. 

«Nous n'avons pas l'embarras du choix,et nous dressons nos 
tentes au bord du mtoni, dont les berges ont un escarpement 
de 4 à 5 mètres. L'eau y stagne en beaucoup d'endroits, et à 
quelques places il reste des biefs de 2 à 3 mètres de profon- 
deur, qui permettent aux hippopotames de s'y livrer à leurs 
nautiques ébats. 

« Dans un de ces biefs, qui n'avait pas plus de 80 mètres de 
long sur 20 de large, il y avait au moins vingt hippopotames 
et plus de cent crocodiles. Commodément installés sur une des 
berges, nous pouvions tirer à 10 mètres sur ces cibles à éclip- 
ses. A la soirée, cinq hippopotames et cinq crocodiles étaient 
le ventre en l'air. 

4 octobre. — « Deux hippopotames blessés mortellement hier 
sont surpris à terre par les pagazis, qui les poursuivent et les 
achèvent à coups de lance. Cela porte donc à sept le nombre 
des victimes. En les évaluant à 1500 kilogr. chacune, ce qui 
est peu, cela fait dix tonnes de viande, dont il ne restait plus 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. 83 

de trace le soir. Quels estomacs que ceux des Ounyamwésis ! 

«La lune montre aujourd'hui son premier croissantila massika 
(saison des pluies) commence avec le dernier quartier. La nuit, 
les lions se sont joints aux hyènes pour nous donner un con- 
cert. Ces instrumentistes d'un nouveau genre ont été tenus à 
distance par des feux continuellement entretenus, et par un 
boma d'abbatis rapportés, dont nous avons fait une ceinture sur 
le pourtour du camp. 

Dimanche, ii octobre. — «A 5 heures, les tentes sont repliées 
et nous voudrions nous mettre en route, de façon à avoir fait 
la majeure partie de l'étape quand le soleil commencera à 
chauffer. Mais les pagazis essaient de me jouer un tour et allè- 
guent toutes sortes de prétextes pour avoir un jour de repos, 
que je refuse énergiquement. J'ai décidé que nous coucherions 
aujourd'hui dans le pori, et nous y camperons. 

« Les hommes s'en vont en maugréant dans la direction 
des charges, et, tandis que je fais l'appel des askaris, une 
centaine de pagazis détalent à toutes jambes et se dispersent 
dans toutes les directions. En un clin d'œil mes askaris sont à 
leurs trousses et m'en ramènent une quinzaine; les autres, rap- 
pelés par leurs camarades, reviennent peu à peu ; enfin, après 
avoir donné aux mutins la récompense qu'ils méritaient, nous 
nous mettons en route ; mais cela nous a fait perdre 3 heures 
et nous n'arrivons qu'à deux heures à un endroit nommé Simbo 
où nous trouvons un peu d'eau. La chaleur a été accablante et 
la marche très rude, dans un pori où les buissons sont très 
bas et hérissés d'épines. — Nombreuses traces de buffles et 
d'éléphants. 

Ltcndi, 12 octobre, — « A la soirée, une caravane venant de 
Karéma m'apporte une lettre. Jugez de mon émotion quand, 
ayant rompu le cachet et courant à la signature, je lis le nom 
de Joubert. Il est donc bien vivant, et la situation est loin d'être 
désespérée. 

Vendredi, 16 octobre. — « A 5 heures, nous sommes en route. 
La dernière étape est longue, et le soleil promet de chauffer. 
Le pays est très tourmenté, et une maigre végétation a peine 
à se faire jour au milieu des cailloux dont le sol est couvert. 

iMais nous ne nous arrêtons point à considérer ce paysage dé- 



84 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

soie ; nos regards interrogent l'horizon. C'est le lac que nous 
cherchons, c'est à qui le verra le premier. Enfin, à une heure 
moins le quart, une longue bande bleue frangée d'argent est 
saluée d'une triple salve du cri traditionnel : 

Hotirj'ah Tanganika ! 

« Dix minutes après, à un tournant du sentier, le fort Léopold 
de Karéma s'offre brusquement à la vue. Je ne puis maîtriser 
la profonde émotion qui s'empare de tout mon être à cette vue, 
et mes pensées se reportent avec fierté vers les vaillants, dont 
l'œuvre grandiose témoigne des efforts sublimes qu'ils ont dû 
faire, pour planter au sein de cette sauvagerie le drapeau bleu 
étoile d'or. » 

Capitaine A. Jacques. 
Karéma, le 16 octobre 1891. 

§ III. A Baudouinville. Le capitaine Joubert. 

A Karéma, l'expédition antiesclavagiste fut reçue à bras 
ouverts par les missionnaires d'Alger ou Pères Blancs, qui sont 
à Karéma depuis que le roi Léopold leur a confié ce poste, 
après la cession à l'Allemagne de la rive orientale du Tanga- 
nika. 

A ce moment, les barques manquaient pour la traversée du 
lac ; il fallut attendre huit jours. Mais, apprenant la détresse du 
capitaine Joubert, le commandant se hâta de lui envoyer comme 
lieutenant le jeune Alexis Vrithoff, qui partit aussitôt, profitant 
du passage du capitaine Stairs, dont l'expédition avait précédé 
de quelques jours celle de Jacques. 

Le 30 octobre, les embarcations étant rentrées à Karéma, 
le commandant partit avec tout son monde et arriva enfin à 
Saint- Louis de Miruinbi (Baudouinville), station fondée par 
Joubert sur la rive occidentale du Tanganika, à une journée 
au sud de Mpala. Il lui remit les ravitaillements que le comité 
des Zouaves pontificaux lui avait confiés. Comme on le conçoit, 
l'entrevue des deux officiers fut des plus émouvantes. 

Rencontre de Joubert. — « Laus Deo ! écrit le capitaine 
belge, à la date du 4 novembre, Laus Deo ! 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. 85 



« J'ai donc touché au but, et plus vite que vous ne l'aviez 
es^évè. J" ai Vît le capitaine Joubert et je hd ai donné r accolade 
au nom de ses amis d' Europe. C'a été un des meilleurs moments 
de mon existence, et le capitaine était heureux. Quel brave et 
saint homme ! il est vraiment bien digne de l'enthousiasme 
qu'il a soulevé chez nous. Il est d'une modestie rare avec cela. 
Jamais il ne parle de lui, et c'est très difficile de lui arracher 
quelques mots sur ses hauts faits d'armes. 

« Malgré un séjour prolongé sous les tropiques, l'ancien 
zouave porte allègrement ses cinquante printemps. Ses durs 
labeursl'ont un tantinet voûté,et sa vue s'est un peu affaiblie. Mais 
ces détails n'influent en rien sur le restant de l'organisme, qui 
ne laisse rien à désirer. Petit, sec et nerveux, il justifie les qua- 
lités de son tempérament par une activité dévorante. J'ai été 
surpris et émerveillé de tout le travail que cet homme avait pu 
produire dans les conditions particulièrement défavorables où 
il s'était trouvé, continuellement inquiété par un ennemi tou- 
jours en éveil. 

« La station de Saint-Louis est à une journée de Mpala, 
par 701' de lat. sud. Le poste est à deux kilomètres de la rive et 
à trois lieues environ du pic de Mirumbi, dont la cime bleuâtre 
se distingue nettement du rivage, mais est masquée à la vue 
du poste par quelques mamelons intermédiaires. Le sol est 
très tourmenté,et l'on y trouve difficilement une aire plane d'un 
peu d'étendue pour servir d'assiette à un village fortifié. 

^ Le capitaine Joubert a d'abord construit sur un éperon de 
200 mètres de long et 60 de large environ ; bien que les hut- 
tes y fussent serrées les unes contre les autres, le boma s'est 
bientôt trouvé trop étroit pour contenir tout le monde qui 
venait se placer sous son égide. Un éperon séparé du premier 
par un ravin à pentes raides a été également couronné d'un 
solide boma, où le capitaine s'est installé avec une petite gar- 
nison. Quand je suis arrivé, le Père Van Oost, de la mission 
de Mpala, mettait la dernière main à une chapelle qu'ils ont 
érigée ensemble en juin dernier, et où le Père vient de temps 
en temps célébrer la messe. 

« Missionnaire en même temps que soldat,le capitaine élève 



86 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

chrétiennement les nombreux enfants qu'il a arrachés, manu 
militariy des mains des trafiquants,ou bien qu'il a rachetés avec 
les modestes ressources dont il dispose. C'est le capitaine qui 
leur enseigne le catéchisme, qui leur apprend à travailler et 
qui les soigne lorsqu'ils sont mala les ou éclopés. C'est une 
besogne dont on ne se fait pas d'idée, et le brave homme la 
fait toute lui-même avec une patience et un dévouement vrai- 
ment angéliques. 

« Je ne citerai qu'un cas dont j'ai été le témoin oculaire. 
Ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous l'écrire, l'arrivée de 
notre expédition a dérouté les plans de Rumaliza, qui se dis- 
posait à livrer à Joubert un assaut décisif. 

<< Les avant-postes ennemis étaient établis dans un camp 
retranché à deux lieues de Saint-Louis. Dès qu'ils eurent con- 
naissance de l'arrivée au lac des renforts que nous apportions 
au capitaine, ils furent pris de panique et profitèrent d'une nuit 
pour gagner le large. Le lendemain, les gens de Joubert trou- 
vèrent le boma ouvert et le village abandonné ; la seule chose 
qu'ils en rapportèrent fut une fillette de sept à huit ans, dans 
un état de maigreur effrayant et entièrement enfermée dans 
un tchongou, grand pot en terre cuite dans lequel les natifs 
font cuire leurs aliments. Dans leur fuite précipitée, les misé- 
rables n'avaient pu emporter ou n'avaient pas pensé à achever 
cette jeune victime de leurs brutalités. C'est un petit squelette 
horrible à voir ; incapable de faire le moindre mouvement, il 
faut quelqu'un pour la mettre sur son séant et l'adosser à un 
mur pour qu'elle tienne en équilibre ; il faut quelqu'un pour la 
mettre à plat quand elle veut reposer ; il faut quelqu'un pour 
lui faire absorber un peu de nourriture, et, avec cela, le soufifle 
de vie qui reste à ce fantôme est employé à geindre continuel- 
lement. Le capitaine se lève vingt fois la nuit pour la soigner, 
et cent fois par jour il est là penché sur elle avec des caresses, 
comme une mère en a pour son enfant. 

« Le Marungu est infecté par les chasseurs d'hommes, et 
des villages entiers, pour échapper aux rapts et aux vexations 
continuelles dont ils étaient l'objet, ont entièrement abandonné 
leurs anciennes pénates pour coûter d'un peu de repos sous la 




Le Cardinal Lavigerie, primat d'Afrique, promoteur des expéditions antiesclavagistes, 

mort à Alger en 189a. (V. p. 73-) 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. 89 

protection directe du capitaine. C'est ainsi qu'en moins de 
quinze mois, sept villages nouveaux se sont formés dans la 
plaine et que l'agglomération de Saint-Louis compte aujour- 
d'hui 6000 âmes. 

« Ce serait une force avec laquelle il y aurait à compter, si 
elle était armée. Malheureusement le capitaine n'a que peu 
d'armes à lui donner. Le manque de poudre au commencement 
de l'année dernière a amené beaucoup d'indigènes à se défaire 
de leurs fusils, que les missionnaires ont rachetés pour Joubert. 
Mais ce n'est pas là un armement avec lequel on pourrait 
tenir; sans compter l'insuffisance du nombre, ces armes sont 
détériorées par un long usage. » 



^ CHAPITRE IL 
La guerre au Tanganika. 

§ I. Reconnaissance de la rive occidentale. 

A SITUATION ARABE. — Aussitôt arrivé 

à Mpala, sous le toit hospitalier des Pères Blancs, 

I le capitaine Jacques se met en devoir de reconnaître 



^^^^^ le pays qu'il doit occuper, et spécialement de cher- 
cher un lieu favorable pour y établir une forteresse. 

Le i^'^ décembre, il part à bord du Ynsicfu (Le Joseph), 
bateau de la Mission, avec 20 hommes d'équipage et une 
escorte de 40 hommes armés. Le R. P. Guillemé lui sert de 
guide et d'interprète, autant que d'aimable compagnon. 

On remonte vers le nord. Baies, criques, anses se succèdent 
sur cette côte étrangement festonnée ; mais, par contre, des 
brisants en quantité et de ports point, sauf pour les embarca- 
tions à voiles. 

Au point de vue politique, voici la situation : 

Le troisième jour, après Mpala, on rencontre déjà les postes 
des Wangwanas. Le premier se trouve à deux heures de marche 
de chez Rîttuku, Il est commandé par Kahengéré et installé 
dans un boma réputé imprenable. Kahengéré a résisté victo- ' 
rieusement aux assauts des hommes de Joubert, qui, paraît-il, 



90 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

n'avaient pas pris assez de muniiions et n'avaient pu continuer 
le siège, faute de quelques barillets de poudre. Un peu plus 
haut, à l'entrée de la plaine de Kataki, est un second poste, 
qui opère comme son voisin. Les meurtres ne s'y comptent 
plus. Sur la Lukuga, il y en a un à Mikéto et un autre à deux 
jours à l'ouest, commandé par Mouhiiia. 

Passé la Lukuga et la Lugomba, à deux kilomètres de 
cette rivière, un énorme boma est commandé par Fîtiidi-Bivété, 
encore une créature des Arabes. 

Les occupants du boma se portent en masse à la plage et 
courent comme des forcenés vers l'amont, comme pour devan- 
cer la barque des blancs et les provoquer à la lutte par une 
fantasia très expressive, où ils sont souvent mis en joue. 

« Nous sommes venus, écrit le commandant, pour recon- 
naître le pays et non pour combattre, mais l'occasion ne se fera 
pas attendre, je l'espère, et je pourrai donner une leçon de 
bienséance à ces vilains malotrus. » 

A Mtowa, sur la plage, quatre caravanes attendent depuis 
vingt jours des barques pour les passer à Ujiji. Ce sont des 
Wangwanas — huit ou dix tou-t au plus — qui sont venus opé- 
rer pour leurs maîtres, auxquels ils rapportent une centaine 
d'esclaves et dix défenses d'ivoire. Les esclaves, tous femmes 
€t enfants, ne sont pas enchaînés : ils sont trop faibles et trop 
maigres pour songer à s'enfuir. 

A deux kilomètres àrintérieur,un poste fixe des Arabes est 
également établi dans une position fortifiée, sous le comman- 
dement d'un nommé Ali-lMouendé, qui est peut-être un des 
êtres les plus froidement cruels qu'il y ait sur la terre. L'expé- 
dition lui a fait part de son intention de construire un poste à 
Mtowa ou aux environs. Pour cela, dit-il, je ne puis pas accor- 
der la permission (comme si on allait la lui demander!); il 
faudra s'adresser à Rumaliza, qui est le grand maître du pays. 

Une petite parenthèse pour dire qui est Rumaliza. Les 
Arabes, Béloutchis, Métis, etc., portent presque tous un sur- 
nom qui les caractérise. Rumaliza est le surnom de Mohamed 
ben Halfan, Arabe d'Ujiji, opérant avec l'argent et les ressour- 
ces qui lui sont fournis par Tippo-Tip. Runializct veut dire : 
qui ravage tout, ne laisse rien après lui, extenniiiateîir. Un 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. CI 



autre se fait appeler Utu7'uhi : mauvais comme le sulfate de 
cuivre, etc. 

Tous les postes énumérés jusqu'à présent sont à Rumaliza. 
Plus haut, on en trouve sept d'un autre Arabe d'Ujiji : Bwana 
Soro. 

« De cette reconnaissance, voici mes conclusions, écrit le 
capitaine : 

a) En dehors des rives de Mpala, le pays est entièrement 
aux mains des esclavagistes ; ils y ont pris racine en s'y éta- 
blissant à demeure dans plus de quinze places, de façon à 
pouvoir exprimer des indigènes ce qu'ils peuvent encore en 
tirer. Du reste, sur cent Arabes de l'intérieur, il n'y en a pas 
un qui oserait s'aventurer jusqu'aux portes de Zanzibar, car il 
y serait immédiatement mis aux fers par la police du sultan. 

b) Partout où j'irai, la guerre m'attend ; ce sera donc les 
armes à la main que je devrai prendre pied sur l'emplacement 
choisi pour établir mon poste fortifié. 

c) Quel que soit cet emplacement, on souffrira de la faim. 
L'année 1891 a été terrible : les troubles continuels qui ont 
bouleversé les pauvres populations les ont empêchées de se 
livrer aux travaux agraires, et c'est /'^r milliers que les gens 
sont morts de faim. La même chose se représentera cette année 
si je ne parviens pas à y mettre bon ordre. 

Fondation du fort d'Albertville. — A la date du 12 avril 
1892, le capitaine Jacques, dans son rapport à l'Etat du Congo, 
dit qu'il a établi son poste, auquel il a donné le nom dH Albert- 
ville en l'honneur de « notre futur roi », non à Kibanga, qui est 
trop au nord, ni à Mtowa, qui manque de port, mais à trois 
heures de marche de la Lukuga, par 6° de latitude sud (très 
approximativement). La place, très forte par sa situation même 
au sommet d'un mamelon d'une petite chaîne, qui borde le lac 
à six cents mètres environ et va en gradation descendante 
jusqu'à la Lukuga, comprend une palissade d'un développe- 
ment de 200 mètres, formant une première ligne de feu ; à 
l'intérieur, et à un niveau plus élevé de deux mètres environ, 
deux habitations pour Européens et un grand tembé à toiture 
à l'abri de l'incendie, renfermant les marchandises et servant 



92 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

de caserne à une partie de la garnison. Ce tembé, avec les 
maisons des blancs, constitue une deuxième enceinte rectan- 
cifulaire, entièrement fermée, formant réduit et donnant un étage 
de feu par dessus le boma. 

Les troncs d'arbres, qui primitivement constituaient ce der- 
nier, ont été remplacés par de la maçonnerie; la position, avec 
un blanc et cinquante hommes, sera inexpugnable. 

Un potager en plein rapport donne déjà des légumes suffi- 
sants à la consommation journalière. Les terrains cultivables 
sont étendus et la terre excellente ; on a gagné sur les mau- 
vaises herbes quatre hectares qui sont couverts de maïs, de 
manioc, de sorgho et de patates douces. 

§ II. Rumaliza. 

Jacques chez Rumaliza. — Sa forteresse terminée, le 
capitaine voulut rester fidèle à sa consigne, qui était de ne pas 
provoquer la guerre ; mais envisageant le danger personnifié 
dans le sultan d'Oudjidji, Rumaliza, il prit la résolution héroï- 
que d'aller en négociateur trouver l'ennemi chez lui. 

Voici un extrait de sa lettre du lo août 1892, qui fait voir 
toute la perfidie et la cruauté des chefs esclavagistes. 

« J'ai été reçu, dit le capitaine, plus que froidement, non 
comme un ami ou comme un étranger auquel on doit des égards, 
mais comme un ennemi auquel on voudrait couper le cou. 

« Dans la cour du tembé (habitation) où l'on m'a fait entrer 
seul, à l'exclusion de mes quatre hommes d'escorte, brutale- 
ment repoussés au moment où la porte se refermait sur moi, 
on avait rassemblé une collection de gens choisis parmi les 
plus déterminés du pays ; ces gens étaient armés jusqu'aux 
dents et me lançaient des regards... peu engageants. — J'ai su 
depuis, d'une façon certaine, qu'il avait d'abord été décidé que 
je ne sortirais pas vivant de la cour du tembé où était le barza, 
et que c'est à des circonstances toutes fortuites que j'ai dû 
d'avoir la vie sauve. — Pendant tout le temps qu'a duré le 
^^//^^?/;'/ (entrevue), ces canailles en guenilles agitaient leurs 
fusils dont ils avaient l'air de préparer les batteries, ou bien 
dégainaient leurs couteaux. 

« Cette mise en scène avait évidemment été préparée pour 



DEUXIÈME TARTir.. LE CAPITAINE JACQUES. 93 

m'intimider; j'ai feint de ne pas m'en apercevoir et j'ai exposé 
avec calme le but de ma démarche. 

« L'entrevue a duré près de trois heures : je la résume. 

« Rumaliza est revenu précipitamment des environs du 
IMuta Nzigué (lac Edward) où il opérait, parce que des cour- 
riers de plus en plus pressants le rappelaient au plus vite pour 
remettre de l'ordre dans son pays. Les blancs de la Lukuga, 
disait-on, étaient occupés à égorger tous ses enfants et avaient 
coupé la route de Mtowa. On m'accusait généreusement d'avoir 
tué dix hommes à Fundi-Bwété, quarante à Kahengércet je 
ne sais combien à Ali-Mouendé. 

« J'ai eu toutes les peines du monde à faire comprendre à 
ces gens mal disposés envers moi que rien, absolument rien 
dans ma conduite n'avait pu témoigner d'intentions hostiles à 
l'égard des Arabes ou de leurs postes, à preuve que, bien que 
mes instructions semblassent m'indiquer Mtowa comme em- 
placement pour mon poste, je ne m'y étais pas installé, afin 
d'éviter un conflit avec Ali-Mouendé, dont j'ai rapporté les 
menaces de guerre si j«e voulais bâtir là. J'ai seulement exécuté 
trois maraudeurs qui venaient d'assassiner deux inoffensifs wa- 
chenzies, et leur exécution n'était qu'un arrêt de la justice. 
Cette dernière déclaration a fait ricaner quelques Arabes, dont 
l'un, Nassor ben Rhalfan, frère de Rumaliza, m'a impertinem- 
ment demandé : « si ron poiroait considérer comme un crime le 
meurtre cTtin wachenzie ! ^ 

« Après avoir ainsi exposé ma conduite, j'ai dit à Rumaliza 
qu'il avait été induit en erreur par des rapports mensongers 
de ses nyamparas (lieutenants). D'ailleurs, si nous avons tué 
tant de monde, il doit en rester trace. Que Rumaliza ou ses 
délégués viennent donc visiter les endroits où ces prétendues 
hécatombes ont eu lieu. 

« Ce dernier argument m'ayant paru concluant et étant 
resté sans réponse, j'ai exposé le but de ma visite. J'ai dit que 
j'étais chargé d'administrer le district du Tanganika, confor- 
mément aux lois de l'État. Aux Falls et partout ailleurs dans 
l'Etat, les Arabes vivent en bonne intelligence avec les Euro- 
péens. J'espère qu'il en sera de même ici. J'ai encore protesté 
de la nature pacifique de mon occupation et de mon désir 



94 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

sincère de vivre en paix avec tout le monde. Eux aussi, ont- 
ils dit, désirent la paix avec le blanc. Ce à quoi j'ai répondu 
que je ne doutais nullement de la sincérité de leur assertion, 
mais que, si eux, Arabes, respectaient les blancs et les villages 
couverts par le drapeau de l'Etat, il n'en était pas de même de 
leurs nyamparas contre lesquels je n'avais encore reçu que des 
plaintes jusqu'à ce jour. Rumaliza a reconnu qu'effectivement 
quelques-uns de ses nyamparas n'étaient pas absolument cor- 
rects, mais qu'il n'en était pas maître comme il voudrait. En 
attendant, c'est lui qui leur fournit les moyens d'action et leur 
donne des ordres. Il a ajouté qu'il allait encore les rappeler à 
leurs devoirs et que s'il n'était pas obéi il me préviendrait et 
que... nous unirions nos forces pour les soumettre. 

« J'ai dû me contenter de cette réponse. 

« Une seule réflexion à méditer par ceux qui persistent à 
affirmer que l'on peut entièrement s'abandonner à la bonne foi 
des Arabes : c était précisément le jour même où avait lieu ce 
pacifique schaouri, que les bandes que Rumaliza avait fait venir 
du Manyéma, commençaient leurs exploits dans nos environs. 
S'ils avaient été sincères ils auraient pu me prévenir de ce qui 
m'attendait à mon retour, — et en présence de mes déclarations 
et de leurs protestations, ils auraient pu... décommander les 
violons. Ou bien plus simplement, ils auraient pu me pré- 
venir et regretter d'avoir été si vite en besogne. Mais ils s'en 
sont bien gardés, les coquins ; ils se croyaient trop sûrs du 
succès et espéraient bien que je ne reverrais pas Albertville. » 

§ III. A Albertville. 

Les hostilités. — Le lendemain de sa visite à Rumaliza, 
— bien que le vent fût contraire, — Jacques fit lever l'ancre 
vers midi ; il avait hâte de quitter cet endroit inhospitalier et 
malsain. L'attitude acrressive des habitants l'avait contraint de 
retenir ses hommes à la rive pour éviter toute occasion de 
conflit, qui eût éclaté s'il leur avait permis d'aller au marché 
de la ville d'Oudjidji, dont il fait le plus triste tableau. 

Rentrée à Albertville, la troupe de Jacques eut bientôt à 
combattre les perfides Arabes, qui venaient d'anéantir la floris- 
sante mission des Pères Blancs à Kibanga. 



DEUXIÈME PARTIE. LE Cx\PITAINE JACQUES. 95 

Nous n'entrerons pas ici dans les détails, que nos lecteurs 
peuvent lire dans ((.Alexis Vrithoffl>, ainsi que les glorieux 
exploits de cet enfant de Namur, placé dès son arrivée comme 
adjoint du capitaine Joubert. On sait qu'il trouva une mort 
héroïque dans le combat de Mouny, où son ardeur juvénile lui 
avait fait trop mépriser le danger. 

Coup sur coup les Arabes tombent à Timproviste sur les 
villages environnant Albertville, et les malheureux noirs vien- 
nent par milliers se réfugier sous les murs du boma des blancs. 
Enfin une bande plus nombreuse fait son apparition à Mtowa 
et dans les environs de la Lukuga, faisant une nouvelle rafle 
d'esclaves. Les « canailles » construisent des bomas dans les 
environs de l'ancienne position de Mouny et près de Mtowa, 
et provoquent Jacques à la lutte. Mais celui-ci doit se borner 
à rester sur la défensive et il lui faut prendre des mesures pour 
parera la cuisante famine qui se prépare. 

Voilà donc les blancs prisonniers dans Albertville, s'ils ne 
parviennent à déloger l'ennemi. Des efforts sont tentés, grâce 
à l'appui des chefs nègres amis, et à l'arrivée très opportune de 
l'expédition belge du Katanga, dirigée par Alexandre Del- 
commune. 

Arrivée de Delcommune. — « Enfin le 24 août 1893, 
écrit M. Jacques, dans l'après-midi, nous apercevons des voiles 
à l'horizon ; ce sont les renforts qui nous arrivent, et quelle 
n'est pas notre joie quand nous voyons débarquer, avec le 
capitainey^^/^^r/, le commandant de l'expédition du Katanga, 
M. Delcommitne, et deux de ses adjoints, l'ingénieur Dide7^rickf 
et le sergent Cassart, 

Nos compatriotes ont dans leur programme l'exploration de 
la contrée troublée que nous occupons : la Providence les 
amène juste à ce point de leur itinéraire et dans les circonstances 
que vous savez. Apprenant le péril où nous sommes, d'un élan 
généreux et spontané, ces braves m'apportent l'inestimable 
concours de leurs personnes. 

« Le 25, dans la soirée, je renvoie les barques prendre chez 
Rutuku 200 hommes du capitaine, qui ont gagné ce point par la 
voie de terre. Le 26,1a concentration de nos forces est terminée. 



ç6 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

J'ai près de 250 hommes,dont les deux tiers sont armés de fus:ls 
à cartouches. Mon plan d'attaque est dressé et l'assaut décidé 
pour le lendemain. 

« M. Delcommune, avec quelques bons tireurs, doit assurer 
la défense du fort. Le capitaine Joubert, secondé par M. Dider-' 
rich avec 150 hommes, doit entamer l'action et attirer l'ennemi 
de son côté, tandis que moi-même, avec mes adjoints et le ser- 
gent Cassart, ayant contourné la position, nous comptons nous 
jeter sur le borna dégarni d'une partie de ses défenseurs. 

Siège du borna arabe. Échec. — « Au petit jour, chacun 
était à son poste, et un peu avant six heures l'action commen- 
çait. L'ennemi s'est tenu prudemment dans des tranchées 
profondes, creusées immédiatement derrière de solides palis- 
sades, où il était presque entièrement à l'abri de notre vue et 
de nos coups. De tous les côtés, nos hommes se sont résolu- 
ment rués sur cette haie meurtrière sans parvenir à l'ébranler. 
L'occupant était fort et abondamment pourvu de cartouches, de 
balles et de poudre. Nous l'avons cerné douze heures durant, 
mais à la tombée du jour, alors même que les défenseurs, qui 
devaient être épuisés au moins autant que nous, et presque à 
court de munitions, cherchaient une issue pour gagner les 
champs, 7i7i coîcp malheîtreitx blessant ttn de mes nyainp aras, jette 
la pafiiqtie ddixxs les rangs de nos soldats,dont beaucoup voyaient 
le feu pour la première fois. Tous nos efforts pour les retenir 
sont stériles, ils restent sourds à nos appels et presque tous, 
abandonnant la partie, regagnent le poste dans une fuite 
désordonnée. 

« Le brave Joubert est parvenu à retenir près de lui une 
poignée de fidèles. De notre côté, nous avons un petit noyau 
d'hommes résolus ; mais les cartouches manquent et nous sommes 
bientôt contraints d'abandonner à notre tour le théâtre de 
l'action. C'est le cœur serré que nous regagnons Albertville. 

« L'ennemi ne s'est pas rendu immédiatement compte de 
notre mouvement de retraite, de sorte que nous n'avons eu 
qu'à nous garer des coups de nos propres hommes qui, affolés 
et sans voir, brûlaient leurs dernières cartouches. 

« Tous les Européens, sans exception, se sont admirablement 




Soldats et missionnaires au Cong". 



DEUXIEME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. 99 

comportés et je me plais à rendre ici un public hommage au 
courage, au sang-froid et à la fermeté qu'ils ont montrés dans 
cette dure journée. Je n'aurai jamais de meilleurs auxiliaires. 
Il n'en est malheureusement pas de même de nos askaris. 
Soldats d'un jour et ne brillant pas toujours précisément par 
la bravoure, ils se groupent souvent autour d'un chef de file 
reconnu comme plus ou moins déterminé ; ce dernier étant 
frappé ou venant à faillir, c'est la déroute pour tous. 

«Jusqu'à ce jour, outre que le cadre d'instruction nous fait 
défaut, nous n'avons guère eu le loisir d'exercer nos hommes 
ni de leur inculquer, par la discipline militaire, un peu de cette 
cohésion, de cette confiance qui naît du coude à coude et qui 
permettrait de tenir campagne avec chances de succès, tout en 
ne disposant pourtant que d'éléments médiocres. 

« L'ennemi, avec ses fusils à cartouches de divers systèmes 
et ses gros fusils éléphant, avait fait assez de vides dans nos 
rangs. Nous avons pu enlever nos morts et ramener nos bles- 
sés. Comme toujours, ce sont nos meilleurs hommes qui ont été 
frappés, et la consternation était assez grande. La confiance en 
eux-mêmes faisait défaut à nos hommes, et nous n'avons pu 
songer à les reconduire à l'attaque le lendemain de cette jour- 
née ; la consommation de cartouches avait d'ailleurs été si 
grande qu'il ne m'en restait plus assez pour maintenir la lutte 
pendant trois heures aux mêmes conditions que la veille, et, en 
cas d'insuccès, je n'avais plus de quoi me défendre dans le fort. 

« La caravane du lieutenant Long, dont vous m'annoncez 
l'envoi, arrivera bien à propos, surtout si elle apporte des car- 
touches. Mais je ne pourrai que me maintenir dans ma position, 
je l'espère du moins. J'ai fait évacuer le plus possible de 
wachenzies sur Mpala et le Marungu; là du moins, ils pour- 
ront un peu cultiver. 

<Llci, la famine est affreuse ; mes bateaux sont toujours en 
route et suffisent à peine à assurer le vivre à mon personnel. 
Les provisions s'épuisent vite, et j'aurai toutes les peines du 
monde à trouver de quoi nourrir nos gens jusqu'à l'arrivée des 
premières récoltes (février). Ici même, je n'entrevois pas la 
possibilité pour nous de cultiver, aussi longtemps que nous 
aurons l'ennemi à nos portes. 



lOO SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Un canon, s'il vous plaît ! — « Pour déloger les Arabes, 
il n'y a qu'un moyen : c'est le canon. Je ne puis plus rien tenter 
avant que vous ne m'ayez muni de cet élément indispensable 
de succès. J'ai sainement apprécié la situation quandje vousai 
demandé de l'artillerie. J'espère que nous serons bientôt en 
possession des pièces en question. Ce qui est à redouter, c'est 
que les Arabes ne viennent en plus grand nombre encore et, 
appuyés sur leur boma, faire le blocus de notre forteresse. 
Albertville une fois pris, ce serait la ruine inévitable de l'Urua, 
du Marungu et de tout ce qui tient encore un peu sur le Tan- 
ganika. 

<ij'atùrais atijoîird' /mi en ma possession un canon coinine ceux 
de r État et trois obus seidement : il ne i7ie faudrait pas une 
heître pour anéantir le travail des Wangwanas, et ceux-ci ne 
s av entier er aient phts jamais sur cette rive de la Ltikuga. » 

A. Jacques. 

Un mois plus tard (23 octobre 1892), le capitaine insiste 
pour qu'on lui envoie des canons. 

(L Ménager les traitants a^^abes serait ttn criine, écrit-il. 

« Ici, au Tanganika, nous sommes à même de juger leurs 
exploits. Leurs bandes ont dévasté tout le Lubemba, dépeu- 
plé la presqu'île d'Ougouari, et, depuis que nous sommes ici, 
ils bloquent les Pères Blancs du cardinal Lavigerie à Kibanga. 
Ils ont exterminé des milliers de Wanguwas et de Waroros 
(indigènes). 

« Les Arabes sont amplement approvisionnés de poudre 
dans leurs forts. Ils sont à même de nous tenir en échec le 
plus longtemps. L'Acte de Bruxelles, qui défend la vente de 
munitions aux esclavagistes, est-il donc une lettre morte 1 

«Au moment de vous écrire (il est onze heures et demie 
du soir), les sentinelles des troupes qui nous assiègent sem- 
blent nous dire : « Essayez de nous déloger ! Nous avons 
plus de poudre que vous. » 

Si vis pacem, para bellum, 

« Un seul canon me permettrait de finir la guerre. Il ne me 
faudrait pas trois obus pour culbuter tous les bornas dans le 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. lOI 

Lukuga. Sans canon, sans ce précieux auxiliaire, redoutez 
une deuxième édition des Stanley-Falls. 

« Enfin, même dussiez-vous me traiter de rasoir, attendez- 
vous à m'entendre souvent vous crier : « Delenda Carthago ! 
Pelekoni mzinga. Envoyez-moi des cano7is. » 

« Soyez assurés de tout mon dévouement. 

« Cap. Jacques. » 

L'émotion en Belgique. — A des appels aussi pre.-,- 
sants et aussi motivés, la patrie belge devait répondre par un 
envoi de secours à ses enfants en détresse au centre de l'Afrique. 

La Société antiesclavagiste de Bruxelles ouvrit une souscrip- 
tion, qui se couvrit de toutes parts de signatures. Le roi donna 
l'exemple en offrant 10,000 francs ; les évêques, les sénateurs, 
les députés, les dignitaires de tout ordre, les Sociétés, les con- 
grégations religieuses, les écoles, le peuple enfin, tous offrirent 
leur nom et leur argent. Aussi bien s'agissait-il de trouver 
200,000 francs pour une quatrième expédition, qui en effet 
s'organisa sans retard. 

Mise sous la direction du capitaine Descamps, ayant pour 
adjoints MM. Miot et Chargois, cette expédition emmena, 
outre les deux canons réclamés par Jacques, une centaine de 
fusils et 25,000 cartouches, qu'envoyait au capitaine Joubert le 
Comité des Zouaves pontificaux. 

Partie de Londres, à bord de XInyoni, le 13 avril 1893, elle 
prit par l'Atlantique et le Cap, la route du Zambèze, celle par 
Zanzibar étant infestée de brigands ; mais il lui fallut cinq 
mois avant qu'elle n'arrivât au Tanganika. 

<^-^ CHAPITRE IIL ^ 
Victoires sur les esclavagistes. 

§ 1. Arrivée de Duvivier. 

EPENDANT le lieutenant Duvivier, qui s'était 

détaché à Tabora de l'expédition Long, retenue 

par la pénurie de porteurs, avait opéré sa jonction 

avec Jacques et lui apportait des ravitaillements. 

Celui-ci, qui ne demeurait pas inactif, envoya un ultimatum à 




I02 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



Rumaliza en lui demandant réponse avant le 21 janvier (1893). 

De plus, confiant le poste d'Albertville à MM. Duvivier et 
Detiège, il traversa le lac et se porta à la rencontre de M. 
Long, dont l'arrivée à Karéma était imminente. Il avait, en 
outre, à s'occuper du recrutement de quelques centaines de 
Rougas-Rougas, ce qui lui permettrait une action rapide, s'il 
ne recevait pas pour le 2 1 janvier une réponse favorable à 
l'ultimatum qu'il avait posé à Rumaliza. 

Il eut vite acquis la conviction qu'il se trouvait dans la néces- 
sité d'ouvrir lui-même la campagne sérieusement pour débar- 
rasser le pays de ses exploiteurs éhontés ; il ne lui faudrait pas 
huit jours, dit-il, pour recruter une bande de 500 hommes 
déterminés et qui se battraient d'autant plus volontiers contre 
les Arabes, qu'ils ont eu à souffrir de leurs exactions. 

C'est avec cette pensée rassurante que Jacques avait repris 
le chemin du poste ; en route, il apprit l'heureuse nouvelle 
suivante : 

Albertville débloqué. Arabes en fuîte. — Voici le 
récit des événements tels qu'ils se sont passés d'après le rapport 
de M. Duvivier, qui avait le commandement du poste en l'ab- 
sence du capitaine. 

« Le i^^ janvier, au point du jour, une certaine agitation se 
remarque aux environs du boma ennemi, dont les occupants 
ne se montraient plus guère depuis quelque temps. Nous 
savions par des transfuges que la famine se faisait sentir chez 
eux plus cruellement encore que chez nous. Les gens de Toka- 
Toka menaçaient de l'abandonner, et ce dernier avait même 
demandé plusieurs fois à Rumaliza l'autorisation de lever le 
siège. 

« Le moment était peut-être venu de hâter cette détermi- 
nation, et j'estimai qu'une sortie achèverait l'œuvre démorali- 
satrice, commencée par la famine et la ténacité de notre résis- 
tance. C'est pourquoi j'envoyai un détachement sous les ordres 
de M. Docquier, pour faire une reconnaissance aux environs 
du boma ennemi. Laissant M. Detiège à la garde du poste, je 
me mis bientôt moi-même en route pour appuyer le mouve- 
ment de Docquier, mais ce dernier avait été de l'avant et était 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. lO^ 

assez près de la position ennemie, lorsqu'il dirigea contre 
elle une fusillade très vive, mais de courte durée. 

« Le boma était dégarni, et ceux qui étaient restés pour le 
défendre, furent pris d'une telle panique, en présence de l'atta- 
que inopinée de nos gens, qu'ils sortaient par une porte du boma 
tandis que Docquier et les siens pénétraient par la porte 
opposée. 

« Pendant que Docquier livrait son assaut, je m'étais rap- 
proché avec la réserve, mais il ne fut pas nécessaire de la faire 
entrer en ligne ; l'ennemi était en déroute, et la faiblesse de 
notre effectif ne nous permettait pas de songer à la poursuite. 
Nous étions maîtres de la position ; c'était là l'essentiel. 

« Laissant Docquier dans la place, je rentrai à Albertville 
pour lui envoyer tout le personnel disponible avec des haches 
et des houes, afin de détruire de fond en comble le repaire des 
brigands, qui nous avaient nargués et inquiétés pendant quatre 
longs mois. 

« Quand Docquier rentra au poste, vers trois heures de 
l'après-midi, malgré une forte pluie, le vaste boma flambait de 
toutes parts, et ainsi s'évanouissaient en fumée les rêves homi- 
cides de ceux qui s'étaient trop prématurément partagé nos 
dépouilles. « Lieutenant Duvivier. » 

Le capitaine Jacques.heureux d'un pareil événement, envoya 
par Zanzibar la fameuse dépêche suivante, qui mit plus de six 
mois pour arriver à la côte et parvenir en Europe. 

Zanzibar, 5 juillet. 

« Victoire ! — Les esclavagistes en finie repassent la Lii- 
« htga — avons détruit leur boma. Envoyez néanmoins 
« artillerie. « Capitaine Jacques. » 

Cette heureuse nouvelle mit fin en Europe aux inquiétudes 
des familles de nos vaillants agents, et fit prévoir la ruine de la 
puissance des traitants sur les rives du Tanganika. Mais on 
n'en était pas encore à ce dernier point. 

* Pourquoi Toka-Toka est en fuite. — Le 10 février, le 
capitaine, en envoyant à Bruxelles le rapport de Duvivier, 
ajoute les détails ci-après : 



I04 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

« Messieurs. — Ainsi que vous l'avez déjà appris par ma dé- 
pêche du lo janvier, Albertville est débloqué. C'est un gros évé- 
nement qui porte un coup terrible à l'influence arabe dans nos 
parages. Les bandits ameutés contre nous par Rumaliza se 
répandaient dans notre plaine, il y a cinq mois, et se flattaient 
de nous contraindre bientôt à la retraite. Ils ont tout fait pour 
arriver à leur but. Après avoir commis toutes sortes d'horreurs 
pour terroriser et affamer les pauvres Wachenzies, voilà qu'ils 
succombent eux-mêmes, victimes de leur infâme besogne. Ils 
avaient espéré que les natifs nous auraient abandonnés pour 
retourner auprès de leurs oppresseurs, mais les noirs n'avaient 
pas encore oublié les mauvais traitements qu'ils ont eu à subir 
et les tortures qu'ils auraient encore à endurer par le fait de ces 
bons Arabes. (Il n'y a qu'en Europe que certains intéressés 
entretiennent encore des illusions à cet égard.) Ils ont préféré 
un peu souffrir avec nous, et se sont montrés fermes dans la 
résistance. 

« Les Wangwanas ont cru nous prendre par la faim ; ils ont 
ravagé toutes les cultures à plusieurs jours à la ronde. Ils ne 
pourraient donc plus vivre sur le pays, comme c'est leur habi- 
tude; or, comme la résistance s'est prolongée au delà de leurs 
prévisions, ils ont dû faire venir de loin, de chez leurs congé- 
nères, les vivres pour l'entretien de leur forte garnison. Seule- 
ment comme ces gens-là sont trop fainéants pour se livrer aux 
travaux champêtres, ce qu'ils ont de cultures est insignifiant 
et en peu de temps tout a été épuisé. Aussi, dès le mois de 
novembre, avaient-ils perdu beaucoup de leur jactance ; ils se 
demandaient déjà s'ils n'avaient pas vendu un peu trop tôt la 
peau de l'ours, et ceux qui s'étaient flattés de renouveler leur 
garde-robe en puisant dans nos magasins, entrevoyaient l'at- 
tristante perspective de continuer longtemps encore à courir 
dans le costume de nos primitifs parents. 

« Toka-Toka, l'invincible Toka-Toka, qui était si fier d'avoir 
jadis « battu» les blancs des Falls, comme il le criait bien haut, 
avait cru que la seule vue de sa vilaine tête de marron sculpté 
aurait suffi pour nous méduser; comme la bonne qui dit à son 
bébé, «si tu es sage, je te rapporterai du nanan ! » il avait 
promis à son vieux copain de Rumaliza, les têtes deslblancs 



DEUXIÈME PARTIE. — LE CAPITAINE JACQUES. IO5 

de la Lukuga ! Voyez-vous cela ? peu dégoûté le gaillard ! 

« Aujourd'hui, grâces à Dieu, justice est faite. Décimés par 
la famine qu'ils avaient provoquée eux-mêmes, après avoir reçu 
des horions là où ils avaient cru qu'il n'y avait qu'à piller, ils 
ont été contraints d'abandonner piteusement la partie. Aujour- 
d'hui, ils ont mis une distance raisonnable entre nous et leurs 
peu estimables personnes. 

« Nous n'entendrons plus d'ici longtemps, espérons-le, les 
fleurs de rhétorique dont ils pimentaient leurs ordurières fan- 
faronnades. 

Rumaliza embarrassé. — « Le 29 janvier, la barque de 
Kilanga m'apporte la réponse de Rumaliza à ma demande 
d'explications. 

« A l'heure où le chef d'Udjiji envoyait ce message, il igno- 
rait encore la buse que ses gens étaient venus chercher chez 
nous, et le ton de la lettre s'en ressent. Rumaliza oublie de me 
dire pourquoi il a recommencé les hostilités au lieu de m'en- 
voyer un parlementaire. Il dit, ce qui n'est pas vrai, qu'il 
m'avait prévenu que j'aurais la guerre à la Lukuga, et que 
j'aurais dû retourner à Udjiji pour l'informer de la conduite de 
ses nyamparas. 

« Lui, Rumaliza, reste tranquillement chez lui, ajoute-t-il, et 
ne fait la guerre à personne (quel mouton !); il m'a cédé le 
pays pour rien et il ne veut pas s'occuper de mes affaires; je 
n'ai qu'à me débrouiller tout seul. 

« Ce pauvre Rumaliza, son étoile a bien pâli; l'année 1892 
fera certes époque dans son existence, il n'a que des échecs à 
enregistrer; que de razzias il va devoir faire pour regagner 
l'argent perdu dans ses campagnes malheureuses ! 

« Je crois qu'à l'heure actuelle, si j\Iohamed-ben-Khalfan 
(Rumaliza) disposait d'un ballon, il en profiterait pour trans- 
porter vers des régions moins ingrates, sa gloire, ses vaniteuses 
prétentions et surtout les malédictions des milliers de pauvres 
hères, rendus orphelins et souffreteux par ce que certains Euro- 
péens désignent sous les noms de colonisation et civilisation 
arabes. » « Le capitaine commandant, 

« Jacques. » 



I06 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



§ II. — Arrivée du capitaine Descamps. 

Pour comble de bonheur, l'expédition Descamps arrivait 
à bon terme. Après avoir remonté le Chiré et le lac Nyassa, 
elle quittait Muenzo, sur la route Stephenson, le 14 sep- 
tembre 1893, et parvenait le 17 à la mission àç. Mainbwé, 
dirigée par un Belge, le R. P. Van Oost, des Pères Blancs, qui 
fit le plus cordial accueil à ses compatriotes. 

Le 18, le capitaine Descamps comptait reprendre sa marche, 
mais ses porteurs, recrutés dans la contrée, ayant appris l'at- 
taque de leurs villages par des Rougas-Rougas, l'abandon- 
nèrent en masse. Grâce au concours dévoué que lui prêta le 
R. P. Van Oost, le capitaine parvint à décider un certain 
nombre de porteurs à poursuivre la route; accompagné de 
M. Miot, il quitta IMambwé, y laissant ]\I. Chargois avec le 
restant des charges. 

Le capitaine Descamps arriva à Abercorn, le 22, et il y ren- 
contra le capitaine Jacques qui l'attendait depuis dix jours. 
Le 25, il retournait sur ses pas pour aller prendre les deux 
canons qui étaient restés à Mambwé sous la garde de M. Char- 
gois; le 29, il y arrivait. 

Pendant ce temps, le capitaine Jacques organisait le transport 
des charges à INIoliro (à la limite de l'Etat indépendant, sur la 
rive occidentale du Tanganika), poste de la Société antiescla- 
vagiste, où étaient installés MM. Duvivier et Demol. 

Le 30 septembre, le capitaine Descamps quittait Mambwé 
avec les deux canons et arrivait, le 6 octobre, à Abercorn 
(Kituta). Les plus grosses difficultés, pour le transport des 
deux pièces d'artillerie, ont été rencontrées entre Mambwé et 
Abercorn; malgré cela, ces dernières sont arrivées en bon état, 
grâce à la solidité de leurs affûts. 

Aucune charge n'a été perdue pendant le trajet de Maronga 
à Abercorn, ce qui constitue un résultat inespéré, et pour 
lequel le capitaine Descamps et ses adjoints méritent les plus 
grands éloges. 

Arrivée des deux canons. — « C'est par une voie dé- 
tournée, écrit M. Jacques le 23 novembre, que j'ai appris que 




Capitaine Descamps, chef de la 4' expédition 
antiesclavagiste. (V. p. ic6.) 




Lieutenant Long:, chef de la 3' expédition 
antiesclavagiste. (V. p. toi.) 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. lOJ 

nous allions recevoir les canons qui étaient offerts par le Comité 
liégeois de la Société antiesclavagiste. J'attendais l'arrivée de 
la caravane au Tanganika vers la mi-juillet et j'avais maintenu 
sur pied de guerre un effectif assez fort pour entrer immédia- 
tement en campagne, car nous comptons bien, grâce à nos 
Nordenfeld, contribuer à mener à bonne fin la campagne que 
l'Etat a si bien commencée contre les Arabes. 

(( C'est le 6 octobre seulement que les canons sont arrivés à 
Kituta. Le 4 novembre, dans la matinée, les deux pièces fai- 
saient leur entrée à Albertville. Une ovation enthousiaste fut 
faite aux nouveaux arrivants. 

« Nous avions tant parlé des fameux mzinga et de leurs effets 
foudroyants, qu'ils étaient devenus l'objet de toutes les con- 
versations particulières. On ne s'abordait plus qu'en se de- 
mandant : « mzitiga wapi » — « eh bien ! où sont-ils donc les 
canons ? » Aussi est-on venu d'un peu partout contempler avec 
un respect mêlé de crainte ces deux noirs morceaux d'acier, si 
sévères d'aspect et dont la voix retentissante chantera bientôt 
la rédemption des noirs et dispersera les Arabes assassins, 
qui depuis trop longtemps rougissent la terre d'Afrique de 
leurs homicides exploits. 

« Les canons arrivent donc juste au moment où, ayant rempli 
les clauses de notre contrat, nous avions le droit de reprendre 
le chemin de notre chère patrie, où nous serions si heureux 
de revoir des parents chéris et tant d'amis dévoués. Mais 
tenez-le pour certain, chacun de nous a senti dans son cœur 
qu'à côté de l'amour filial, il fallait placer le sentiment du devoir. 

« Tout comme moi, mes adjoints ont senti que nous ne 
pouvions rentrer en Belgique avec un vide dans nos rangs, et 
sans avoir eu la satisfaction d'infliger aux malandrins qui ont 
tué Vrithoff le châtiment qu'ils méritent. Voilà pourquoi nous 
entrons en campagne aujourd'hui (23 novembre), en nous 
mettant à la poursuite de Rumaliza, qui vient de partir pour le 
]\Ianyéma. » 

Voici la raison de cette invasion : 

Rumaliza apprit que les Allemands avaient l'intention 
d'occuper Udjiji. Immédiatement, il s'y fortifie: mais un beau 
jour, on lui rapporte que le capitaine allemand Sigl est à trois 



IIO SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

jours de la capitale arabe. Une barque en réparation se trou- 
vait au port : Rumaliza y saute et gagne ainsi le Manyéma, 
après avoir déchiré le pavillon germanique. 

Une fois sur le territoire congolais, le chef arabe tint le 
raisonnement suivant : (i Je ne pnis plus retoiunier à Udjijiy à 
cause de l'affaire du drapeati; je ne ptiis pas retourner à la 
côte, car on pourrait me demander des explications à propos de 
la 7no7't de Vrithoff (noXx^ malheureux compatriote, tué au 
combat de la Lukuga). Donc, il ne m>e reste phts comme refuge 
que le Manyéma; je stds bien décidé à y coinbattre les Belges 
jusqità la dernih^e goutte de mon sang. » 

§ III. Jonction des trois expéditions. 

Arrivée du lieutenant Long. — Programme. Enfin, après 
bien des difficultés à Tabora, pour trouver des porteurs, le 
commandant Long put rejoindre le commandant Jacques avec 
son adjoint Demol, vers le 5 janvier 1893. 

On sait que Duvivier avait pris les devants. 

Ainsi par la réunion des troupes des trois expéditions; Long, 
Descamps et Jacques, les forces antiesclavagistes étaient au 
complet. 

Avant de transmettre ses pouvoirs au capitaine Descamps, 
désigné pour lui succéder, le^ commandant Jacques dressa son 
programme dopéi^ations, 

« Les journaux d'Europe m'ont appris, dit-il, les succès de 
mon ami Tobback aux Falls, l'occupation de Kassongo par 
Dhanis et la défection de Gongo Lutété, allié de ce dernier. 
Pour mieux me renseigner, j'ai envoyé trente courriers à 
Dhanis; pas un n'a réussi à atteindre Kassongo, qui se trouve 
2l quinze jours seulement de marche d'ici. 

«Dhanis est peut-être dans une situation critique par suite de 
la défection de son principal allié, de l'entrée en ligne de Ru- 
maliza et des débris des bandes des Falls. Ce sont là des raisons 
suffisantes pour justifier la déclaration de guerre que j'ai 
envoyée à Rumaliza. 

« Mon programme comportait donc : occuper effectivement 
les territoires situés au sud de la LukuQ^a et les soustraire aux 
incursions des bandes esclavaeistes. 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. I I I 

« Nous avons été plus loin. Nous avons refoulé ces dernières 
jusqu'aux environs de Kibanga. Il ne reste plus qu'à délivrer le 
pays de la présence de Mouhina, un chef arabe qui occupe un 
borna à trois jours d'Albertville, sur la Lukuga, et qui envoie 
ses gens razzier, tant dans l'Ougoma que dans l'Ouroua. 

« Nous marcherons ensuite à la rencontre de Dhanis. Les 
capitaines Descamps et Long et le sous-lieutenant Docquier 
m'accompagneront ; MM. Moray, Chargois et Miot garderont 
Albertville, tandis que les lieutenants Renier et Duvivier res- 
teront dans les postes qu'ils occupent respectivement dans 
rOuroua et à Moliro. 

« Nous ne sommes pas restés inactifs depuis que je vous aï 
écrit. Un poste a été fondé à Moliro, au sud du Tanganika, à 
la limite de l'Etat indépendant du Congo ; M. Duvivier, secondé 
par M. Demol, y a élevé un fort joli boma. Un autre poste a 
été créé dans l'Ouroua, chez Kassanga ; le lieutenant Renier, 
qui a élevé cette position, l'a baptisée du nom de « Fort Clémen- 
tine ». Enfin, Albertville, dont j'ai été absent pendant trois 
mois, consacrés à des expéditions dans le Sud, Albertville, dis- 
je, m'est reparue transformée et embellie. MM. Long et Doc- 
quier ont construit dans la cour du fortune immense habitation 
en briques cuites, de l'effet le plus superbe, et qui pourra 
affronter les intempéries pendant bien des saisons. 

« Nous avons construit des barques que l'on arme mainte- 
nant pour la navigation à voiles. » 

Victoire sur Mouhina. Occupation de Mtowa. — A 

peine en possession de ses canons, le capitaine Jacques entre- 
prit une expédition contre Mouhina, ce lieutenant de Rumaliza 
qui était solidement établi dans un superbe et vaste boma, à 
quelques jours de marche d'Albertville. La position qu'il occu- 
pait, à cheval sur la route du Manyémaà Mtowa, commandait 
ou plutôt protégeait la bifurcation qui mène au nord du lac, et 
était le seul point d'appui de Rumaliza dans ces parages. Cette 
place une fois prise, la ligne de retraite des Arabes était com- 
promise ; c'était le meilleur moyen de coopérer d'une façon 
efficace à l'action de nos compatriotes du Manyéma. 

Il fallait punir Mouhina de la part très active qu'il avait 



112 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

prise au blocus d'Albertville, et qui compromettait son existence 
au point de vue du ravitaillement, par ses incursions incessantes 
dans les environs. 

Le 6 janvier, à huit heures du matin, les Belges se trouvaient 
en face de la position ennemie avec un canon. Les avant- 
postes arabes s'étaient repliés devant eux les jours précé- 
dents, n'essayant pas même de disputer le passage des diffé- 
rents cours d'eau rencontrés. Toutes les forces étaient 
concentrées dans le borna ; les Arabes, bien abrités, nourris- 
saient l'espoir d'anéantir leurs adversaires et attendaient avec 
confiance qu'ils allassent se jeter sur leurs créneaux meurtriers. 

Instruit par l'expérience, muni d'artillerie, Jacques était 
décidé à enlever la position sans perdre un seul homme. 

A 450 mètres du boma, le No7'denfeld fut mis en batterie ; 
pas un projectile ne fut perdu. 

Cependant, l'ennemi tint bon pendant toute la journée, et 
ce n'est que vers sept heures du soir que les Belges entraient 
victorieux dans le boma. 

En raison de l'importance du poste, le capitaine Long y fut 
installé d'une façon définitive, avec M. Chargois comme ad- 
joint ; un canon leur fut laissé. 

La défaite de IMouhina eut pour conséquence la prise de 
IMtowa, dont l'importance est suffisamment connue; une garni- 
son y fut immédiatement envoyée. 

Quant à Rumaliza, on apprit qu'il s'était retiré avec les dé- 
bris de ses bandes dans le nord du Tanganika, aux environs 
de Kibanga. Depuis longtemps il s'efforçait de s'implanter 
dans cette région. 

Avant de quitter le lac, on apprit aussi la mort d'un autre 
de ses'lieutenants, Toka-Toka, celui qui commandait le boma 
élevé vis-à-vis d'Albertville, et qui a été tué par un de nos 
alliés, Pindé, le chef de la presqu'île d'Ubwari. 

C'est après ce brillant fait d'armes que le commandant Jac- 
ques décida son départ du Tanganika. Mais avant de parler 
de son voyage de retour, anticipons pour raconter la suite des 
opérations militaires dirigées par son successeur. 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. I I 



§ IV. Le capitaine Descamps. 

Jonction des expéditions Descamps et Dhanîs. — Le 

capitaine Descamps, ainsi qu'il avait été convenu avec le capi- 
taine Jacques, quitta Albertville le 8 février 1893 pour marcher 
sur Kabambarré. Le commandement du poste fut laissé à 
]\L Miot, assisté du docteur noir Joseph, de la mission de Mpala. 

Le 10, il fit la rencontre du lieutenant de Wouters, qui 
était venu au-devant de lui ; le 11, il arrivait au poste de 
r\Iouhina ; le 12, il levait ce poste et poursuivait sa marche, 
emmenant avec lui le lieutenant Long et M. Chargois. Le 19, 
l'expédition atteignait le boma de Sungula, où depuis six jours 
était installée lavant-garde de l'expédition Dhanis; cette avant- 
garde était sous les ordres du capitaine Lothaire, ayant avec 
lui les lieutenants Hambursin et Henr}^, et un sous-officier. 
Après \2, prise de Kabambarj^é, une partie des forces arabes 
s'était réfugiée chez Sungula, mais celui-ci s'est rendu et a fait 
sa soumission avant qu'il n'y ait un coup de fusil de tiré. 

Le 20 février, \ç:s foires réunies de T État (^'^00 fusils) et de la 
Société antiesclavagiste (200 fusils) se portaient vers le Masanzé, 
— où Ton supposait que Rumaliza s'était réfugié, — dans le but 
d'installer un poste au nord du Tanganika. 

La présence de la première expédition antiesclavagiste sur 
les bords du lac avait eu pour ifésultat d'enrayer complètement 
le mouvement arabe au sud de la Lukuga ; l'occupation actuelle 
de la rive nord reculera encore le théâtre d'action des bandes 
esclavagistes. Mais des forces sont nécessaires pour occuper 
le pays et le conserver. 

C'est ce que permettra d'obtenir le camp d'instruction mili- 
taire établi par le capitaine Descamps, et déjà en plein fonc- 
tionnement. Dans le courant de l'année, les forces de la Société 
s'élèveront à un millier d'hommes instruits, capables de mar- 
cher au combat si c'est nécessaire. Les populations groupées 
autour du capitaine Joubert et de la mission de Mpala fourni- 
ront deux à trois cents jeunes gens, qui passeront trois ou 
quatre mois au camp d'instruction ; pendant ce laps de temps, 
ils seront nourris, recevront une tenue et un petit salaire, et, leur 
instruction militaire achevée, seront renvoyés dans leurs foyers. 

Soldats et missionnaires au Congo. 8 



114 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Le capitaine Descamps agira de même avec les indigènes 
moins civilisés que les précédents ; il espère discipliner ces gens 
peu à peu, leur donner le goût du travail et les rendre plus 
aptes à écouter la voix de nos excellents missionnaires. 

« La campagne Dhanis a eu les plus heureux effets dans la 
région du Tanganika, écrit le capitaine Descamps ; si nous 
laissions faire les indigènes, ils massacreraient tous les étrangers; 
nous les en empêchons, car nous avons dans le district quantité 
de gens de l'Ouniamuézi et de l'Oufipa, qui sont de grands 
cultivateurs, d'adroits chasseurs, pouvant servir d'exemple à 
nos indigènes et n'ayant rien de commun avec les Arabes. » 

D'après le capitaine Descamps, pour empêcher les bandes 
esclavagistes de pénétrer dans l'État, trois postes sont néces- 
saires sur le Tanganika: un au nord, un au sud et un au centre. 
Quant à ce dernier, l'avis du commandant des forces antiescla- 
vagistes est que le point de Mtowa convient mieux que celui 
d'Albertville, qui n'avait été occupé que par suite des difficul- 
tés que présentait la prise de possession de Mtowa, avant la 
défaite des Arabes. Le grand avantage que présente Mtowa 
est de se trouver en face de Xîle de Kavala, emplacement futur 
d'un port. 

Le capitaine Descamps fait une description enthousiaste de 
la contrée qu'il a parcourue pour opérer sa jonction avec les 
forces de l'Etat. Il s'exprime en ces termes : <^ Si les rives du 
Tanganika, d'Abercorn à Albertville, sont d'une monotonie 
désespérante, nous avons trouvé un dédommagement dans 
l'intérieur des terres ; depuis Albertville, nous n'avons fait que 
descendre des pentes très douces, interrompues par quelques 
valléesparfoisfortementencaissées;nousn'avonsjamais faitdeux 
heures de marche sans rencontrer un clair ruisseau. La végéta- 
tion est luxuriante, mais ce n'est pas la sombre forêt de Stanley. 

« C'est ce que j'ai vu de plus beau en Afrique jusqu'à présent, 
et cependant, d'après M. de Wouters, Kassongo et Kabam- 
barré valent encore mieux. Dans la marche effectuée le 19, 
nous avons rencontré des milliers et des milliers de borassus 
facilement remplaçables par le palmier élaïs, qui existe en 
grande quantité à quelque distance plus au nord. » 

Le capitaine Descamps, qui a vu combien les Anglais pri- 



DEUXIÈME PARTIE. — LE CAPITAINE JACQUES. II 5 

sent haut Blantyre et ses environs, dans le Nyassaland, ter- 
mine sa lettre en déclarant que la Belgique pourra se vanter 
d'avoir une colonie de premier ordre ; qu'elle se hâte donc, 
dit-il, d'accepter le don généreux de son roi ; pareille occasion 
ne saurait plus se présenter. 

Voici le résumé d'un courrier de cet officier, daté du boma 
de Bwana Solo, au nord de l'Uvira, 12 mars 1894. 

Le capitaine annonce qu'il a atteint le dernier boma, élevé 
par Rumaliza dans la région du Tanganika, sans rencontrer 
de résistance sérieuse ; il n'a perdu qu'un seul homme. Il fait 
part de son intention de pousser vers le nord, où Rumaliza 
possédait un allié sérieux appelé Kinioni, établi sur la rive 
droite du Rusizi, à deux journées de marche au nord du lac. 

D'après les derniers renseignements recueillis, Rumaliza 
aurait réussi à fuir dans l'Urundi, sur la côte nord allemande 
du lac. L'influence du chef arabe est désormais détruite, anni- 
hilée dans le district, et il est certain qu'aucune de ses créa- 
tures n'osera plus s'établir à l'ouest du Tanganika. 

Le commandant des forces antiesclavagistes exprime l'avis 
que, pour qu'il puisse se rendre maître du lac, en attendant 
que l'on y jette le steamer réclamé avec tant d'instances par le 
cardinal Lavigerie, deux allèges en acier, du modèle de celles 
employées sur le Haut-Congo, lui sont absolument nécessaires. 

Les communications entre Albertville et Kabambarré sont 
assurées par trois postes échelonnés entre ces deux points:: 
à Kalonda, à Lambo et à Mouhina ; le premier, à proximité 
de Kabambarré, a été établi par les forces de l'Etat, les deux 
autres par les forces antiesclavagistes. 

Outre de nombreux fusils et de la poudre, le capitaine Des- 
camps a encore enlevé aux Arabes un certain nombre de 
vaches et d'ânes, ainsi qu'une belle et grande jument, en excel- 
lent état, appartenant à Rumaliza ; il l'a envoyée au baron 
Dhanis, qui se préparait à prendre le chemin de la patrie. 

Au départ du courrier, tous les agents étaient en excellente 
santé ('). 

1. Toutefois une dépêche de M. Demol, datée de Moliro 24 cet. 1894, annonce 
la mort accidentelle du lieutenant Duvivier, noyé dans le lac Moéro par le fait 
d'un hippopotame, qui le blessa et fit chavirer son canot. Ce brave officier avait 
déjà passé cinq ans en Afrique. 



Il6 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



CHAPITRE IV. 




Retour en Belgique. 

I. — Les adieux du capitaine Jacques. 

|PRÈS plus de trois années d'absence, de travaux 
sans nombre et de succès éclatants, le capitaine 
Jacques et ses adjoints, Docquier et Renier (dont 
la santé était atteinte), avaient bien le droit de 
penser au retour dans la patrie. Le contrat de ses Zanzibarites 
étant également expiré, il s'agissait de les reconduire à Zanzibar. 
Le capitaine laissa donc le commandement suprême à son suc- 
cesseur envoyé à cette fin, le capitaine Descamps, qui opérait 
alors dans le nord et l'ouest. 

Jacques fit, le 5 février, ses adieux à la garnison du poste 
d'Albertville, qu'il avait créé deux ans auparavant et qui lui 
était si cher. 

La fête de Mpala. — Il se rendit ensuite à IMpala, où 
une grande fête lui fut offerte chez les Pères Blancs, comme 
on va le voir par l'extrait ci-après du Jour7ial de Alpala 
(6 février 1894). 

« Les membres de la première caravane antiesclavagiste, tous 
réunis à Mpala,assistent à la grand'messe, ainsi que INI.Moray, 
qui retourne en Europe pour cause de santé. Après une 
courte instruction à nos chrétiens sur le but de la première 
expédition antiesclavagiste, maintenant en voie de retour pour 
l'Europe, le R. P. Guillemé remercie en notre nom et au nom 
de tous les chrétiens ]\L le commandant Jacques et ses adjoints 
des grands services qu'ils ont rendus ici, au bord du Tanganika, 
à la cause de la civilisation chrétienne parmi ces peuples dés- 
hérités. 

« Il leur souhaite d'abondantes bénédictions pour eux et pour 
leurs familles, jusqu'au jour où, après nous être connus et aimés 
sur cette terre d'Afrique, nous nous embrasserons dans la cé- 
leste patrie. 

« Les Frères, aidés de ]\I. Docquier, avaient gracieusement 



25 P. 



30 G 




fi.FERNIQUt Se 



Carte du Congo oriental. Le Manyéma et le lac Tanganika, théâtre principal de la 

guerre contre les Arabes. 



DEUXIÈME PARTIE. — LE CAPITAINE JACQUES. IIQ 

orné le réfectoire. Les drapeaux belges et congolais surmon- 
tés de la croix blanche et entourés de drap rouge, faisaient un 
merveilleux effet. M. Jacques entre tout surpris et peut à peine 
cacher l'émotion qu'il ressent à la vue de ces symboles patrio- 
tiques. 

« Entre temps, le frère Stanislas réunit les enfants de l'orphe- 
linat, leur distribue quelques vieux fusils- et un peu de poudre, 
et tous, après une triple salve, viennent, tambour en tête, pré- 
senter leurs hommages à M. Jacques. 

Maturino, un chrétien catéchiste, accompagné de deux 
petites filles, portant chacune un bouquet de fleurs, lit en 
langue swahili, le discours suivant : 

« Monsieur Kaputi (Jacques). Nous, les fils du Tanganika 
« et des Pères, nous tenons, avant votre retour en Europe, à 
« vous offrir nos remerciments pour tout le bien que vous avez 
« fait à notre nation. 

« Depuis longtemps les Wangwanas, nos ennemis, ne ces- 
« saient de nous maltraiter ; ils ravageaient notre pays, brû- 
« laient nos villages, jetaient nos pères, mères, frères et sœurs 
« dans les liens de l'esclavage pour les amener au loin et les 
<( vendre, comme on vend des animaux. 

« Et maintenant, grâce à vous et à vos adjoints, nous voyons 
<'( la puissance des Wangwanas baisser de plus en plus; ils sont 
« repoussés au loin, et il nous est permis de rester dans notre 
« pays et de cultiver nos champs dans la joie. 

« Que Dieu vous comble toujours de ses bénédictions, qu'il 
« vous conserve des forces pour arriver sain et sauf dans votre 
« Mpoutou (Europe), et puissiez-vous retrouver toute votre 
« famille en bonne santé ! » 

M. Jacques, vaincu par l'émotion, ne put retenir ses larmes. 
Pouvant à peine leur dire quelques mots de remercîment, il 
leur serra à tous affectueusement la main. 

Les Frères avaient mis en commun toutes leurs connais- 
sances culinaires pour préparer à M. Jacques un diner digne de 
la circonstance. 

Les toasts — c'est le dessert des dîners modernes — n'v 
manquaient pas. 

Le R. P. Guillemé, après avoir remercié encore une fois 



I20 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

M. Jacques des services rendus à la mission, reçut la réponse 
suivante: 

« Avant de prendre congé de vous, laissez-moi vous répéter 
encore une fois tous les souvenirs que j'emporte de la Confrérie 
des Pères Blancs et des missionnaires qui la représentent si 
dignement au Tanganika. Comme chef de ce district adminis- 
tratif, j'ai constaté avec admiration les réels progrès que vous 
avez fait faire dans la voie de la civilisation chrétienne aux 
noirs sujets de S. M. Léopold II. En visant au relèvement 
moral de ces pauvres populations, vous avez su, en prêchant 
d'exemple, et en payant d'ailleurs chacun largement de vos 
personnes, vous avez su, dis-je, leur inculquer le respect du 
maître et l'amour du travail, qui sont les éléments indispen- 
sables de toute colonisation bien entendue. 

« Nous suivrons toujours avec le plus vif intérêt le travail 
entrepris parles missionnaires du Haut-Congo. 

«Que Dieu leur conserve la santé nécessaire pour continuer 
et étendre leur influence bienfaisante sur toute l'Afrique équa- 
toriale. 

« La devise qui est symbolisée par l'écusson que j'ai devant 
les yeux doit se graver dans nos cœurs, et c'est notre suprême 
désir qu'elle devienne un jour une vraie actualité. 

« Ce serait la plus belle fin de siècle que Dieu puisse nous 
accorder. » 

«Vers 3 heures de l'après-midi, nos compatriotes vont s'em- 
barquer au Lîifzcka, et, après un dernier adieu, ils gagnent le 
large, pendant que nos orphelins, placés sur les rives du Tan- 
ganika, expriment leurs sentiments par la voix de la poudre. 
M. Jacques a répondu plusieurs fois à ces dernières salves 
d'adieu. 2> G. De Beerst, 

i7iissionnaire à Alpala, 

Le retour par le Zambèze. — Pendant que les troupes 
zanzibarites, sous les ordres de leurs nyamparas, prenaient la 
route de l'est par Tabora et Bagamoyo, MM. Jacques, Renier. 
Docquier et Molay choisirent la route moins fatigante et plus 
sûre du sud, — d'ailleurs plus neuve pour eux, — par la voie 
Stephenson, le lac Nyassa, le Chiré et le Zambèze. 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. 121 

Les voyageurs marchèrent assez rapidement jusqu'à Chindé, 
sur la côte orientale. Partis d'Albertville le 5 février, ils arri- 
vaient à l'embouchure du Zambèze environ deux mois après. 
La malle allemande pour Zanzibar avait quitté Chindé vingt- 
quatre heures plus tôt; force fut de séjourner huit jours en cet 
endroit et vingt-trois à Quilimane, pour pouvoir s'embarquer 
enfin pour Zanzibar, où Ton arriva le 6 mai. 

Le 10 mai, Jacques partit pour Bagamoyo, où ses soldats, 
qui ont rejoint la côte par Tabora, l'attendaient depuis sept 
semaines, Dieu sait avec quelle impatience. Le commandant était 
heureux de revoir encore une fois ses chers askaris, ces braves 
qui avaient partagé ses joies et ses souffrances, dont le dévoue- 
ment ne s'était pas démenti un seul instant, et qui avaient cou- 
rageusement combattu les Arabes du Tanganika. 

Enfin les membres de la première expédition antiesclava- 
giste s'embarquèrent le 26 mai, à bord du paquebot français 
VAva, qui, après une traversée par la mer Rouge, les débar- 
quait le 20 juin à Marseille. Là, le brave lieutenant Renier, 
malade, fut obligé de s'arrêter chez les Pères des missions 
•d'Afrique. A regret, MM. Jacques et Docquier durent le quitter 
pour continuer leur route vers la patrie belge. 

§ II. — Fêtes de réception en Belgique. 

Déjà â Paris, le héros d'Afrique fut heureux de se jeter 
dans les bras de ses vénérables parents, et de M. Diderrich, 
son compatriote et son frère d'armes. 

11 n'est pas besoin de dire avec quelle émotion W. et 
M""^^ Jacques ont embrassé leur fils, qu'ils ont eu le bonheur de 
retrouver mieux portant que jamais, en dépit des rudes mo- 
ments qu'il a passés en Afrique. Ils ne l'avaient pas vu partir 
sans inquiétude. Il avait résisté, lors de son premier séjour au 
Congo, aux atteintes du climat; mais échapperait-il aux balles 
des esclavagistes, à l'hostilité desquels il allait se heurter .-* Après 
les graves dangers que leur fils avait courus, ils n'avaient 
jamais désespéré de lui, — et de terribles nouvelles, — heu- 
reusement erronées quoique vraisemblables, — n'avaient pu 
ébranler leur confiance. 

Le samedi, 23, on partait pour la Belgique. 



122 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

En Belgique. — A la frontière, Jacques fut reçu par ]\I. le 
comte Hyppolite d'Ursel, délégué du Comité antiesclavagiste. 

A la gare de Mons, le héros africain a été salué par M. Raoul 
du Sart de Bouland, gouverneur du Hainaut, et par les auto- 
rités militaires de la province. 

A Bruxelles, dans la gare du Midi, pavoîsée aux couleurs 
belges et congolaises, plus de 2000 personnes, parmi lesquelles 
Mgr Jacobs, M. Beernaert, premier ministre, et beaucoup 
d'anciens officiers d'Afrique, accueillirent avec enthousiasme 
le Vengeur des Nègres. 

A son arrivée, un seul cri retentit : Vive Jacques ! 

A l'extrémité de la gare, la musique du 2^ régiment des 
guides joue la Brabançcnne. 

Jacques paraît à la portière, son chapeau de paille à la main, 
la figure souriante et épanouie. Il saute lestement du wagon, 
suivi de Docquier et de la famille des deux héros. 

Il y a alors un moment d'effusion très émouvant. Jacques 
embrasse le commandant Storms et l'abbé Detierre. Une 
larme perle à la paupière du vaillant capitaine. 

Docquier embrasse avec tendresse son frère et sa sœur. Le 
vieux père du capitaine Jacques, sa vieille mère pleurent en 
entendant les acclamations enthousiastes dont on salue leur fils. 

Un petit noir, que M. Ectors avait ramené du Congo, offre 
au capitaine Jacques une gerbe de fleurs, qui porte sur les 
rubans cette inscription : « Au capitaine Jacques, les esclaves 
libérés reconnaissants, Léopold Kassongo. » 

Le petit noir le salue en langue kiswaéli : 

« Boua7ia^ Zomaiii niivii iia 7^afiki toumoa. loti anadjoiia we 
« na pega ouagwana viouézi ma koiimi malalotc sassa oîcgwana 
« ioti nakoufa. loti ana penda wes ana. » 

En voici la traduction. 

« Maître, jadis, j'étais esclave. On sait que vous avez com- 
« battu les Arabes pendant 30 lunes. Aujourd'hui, ils sont tous 
« morts et nous sommes libres. » 

Des parents, des amis, entourent le vaillant fondateur d'Al- 
bertville. Avec beaucoup de peine, les voyageurs traversent la 
cohue encombrant le quai et arrivent au salon de la gare. 



DEUXIÈME PARTIE. LE CAPITAINE JACQUES. I23 



Mgr Jacobs, au nom de la Société antiesclavagiste, félicite 
Jacques et Docquier, rappelle brièvement leurs brillants ex- 
ploits et termine par le mot de César : 

« Les premiers des braves parmi les braves sont les Belges! » 

Jacques, très ému, remercie. Puis Mgr Jacobs dit : « Vous 
verrez comment les Belges et le Roi savent honorer leurs 
grands hommes. » 

Mais le moment le plus émouvant, réellement empoignant, 
a été celui où Jacques est apparu au public massé en face de 
la gare. Toutes les mains s'agitaient, et les cris de : Vive 
Jacques ! étaient poussés par des milliers de voix. Celui-ci 
saluant de la voiture, aurait voulu presser les chevaux pour 
abréger l'ovation, mais la foule empêchait les chevaux d'avan- 
cer et elle aurait voulu que Jacques ne s'en allât pas. Les 
femmes couvraient la voiture de fleurs et de bouquets. Une 
brave vieille femme du peuple s'écria : « Celui-là au moins a 
fait quelque chose / ^ 

A Vielsalm. — Le lendemain, 24 juin, à Vielsalm, les 
compatriotes de Jacques le reçoivent avec un enthousiasme 
indescriptible. Les abords de la gare sont noirs de monde; les 
habitants des villages avoisinants ont pour la plupart aban- 
donné les travaux de la fenaison pour venir assister à l'arrivée 
du capitaine. A l'intérieur de la gare se tiennent au premier 
rang, avec les parents de Jacques, une foule de notabilités, 
notamment le comité antiesclavagiste de Bruxelles, M. Orban 
de Xivry, gouverneur de la province, le sénateur de Xivry, le 
général de Mazière, M. Alexandre Delcommune, revenu 
d'Afrique, etc. 

Dès l'arrivée du héros, une acclamation formidable retentit; 
toutes les mains se tendent vers le capitaine ; les parents qui 
n'ont pas eu le bonheur de se rendre à Bruxelles et qui revoient 
le héros après trois ans d'absence le retiennent à la portière. 

Jacques doit supplier qu'on le laisse descendre. A peine 
sur le quai, il est enlevé et littéralement dévoré de baisers 
par les membres de sa famille. Les grands lui donnent l'acco- 
lade, les petits se lèvent sur la pointe des pieds pour offrir leurs 
joues au capitaine. Ce sont des scènes émouvantes sans fin. 



124 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Au dehors au milieu de la route, sous les arcs de triomphe, 
les autorités communales sont groupées et complimentent les 
héros africains et leur remettent des médailles. 

M. le doyen de Vielsalm rappelle que l'Eglise s'associe aux 
événements heureux et malheureux de ses enfants, que sou- 
vent l'épée a précédé la croix dans la mission civilisatrice du 
catholicisme. « Vous avez reçu, s'écrie l'orateur, avant de partir 
pour le Congo une bénédiction spéciale du Pape. Cette béné- 
diction vous a porté bonheur; elle vous a permis d'échapper à 
de terribles dangers. Ministre du Dieu qui vous a si visible- 
ment protégé, qui vous ramène à l'ombre du clocher natal, je 
salue en vous le compatriote et j'adresse le témoignage de 
notre admiration au héros d'Albertville et du Tanganika. » 

Le capitaine Jacques, qui ne sait cacher ses larmes, remercie 
ses concitoyens de l'avoir aidé dans les jours de misère ; il 
évoque le souvenir du grand pape Léon XI II et demande aux 
auditeurs de pousser un triple hourrah en l'honneur du capi- 
taine Joubert, du brave Père Guillemé, des lieutenants Long 
et Descamps. 

Bref, Jacques est l'homme du jour, et les Ardennais sont 
persuadés que tous les Belges s'intéressent aux fêtes de Viel- 
salm, ce en quoi ils ont parfaitement raison. 

Il est juste toutefois d'ajouter que, au nom de Jacques, on 
mêle un peu celui de l'ingénieur Didei'rich^ le vaillant com- 
pagnon de Delcommune. 

Comme Jacques, Norbert Diderrich est de Vielsalm. Il a 
été élevé chez son oncle et tuteur, M. Bernard Denys, un 
des meilleurs défenseurs de la cause catholique. 

Jacques et Diderrich, après avoir passé leur jeunesse à 
Vielsalm, se sont retrouvés là-bas sur le continent mystérieux, 
où ils ont renoué leurs liens de vive amitié. Il y eut même 
entre eux une scène émouvante au moment où Delcommune, 
ayant opéré sa jonction avec Joubert, les troupes antiesclava- 
eistes allaient livrer un combat furieux contre les Arabes. 

Jacques et Diderrich se trouvaient aux avant-postes. Le 
danger était grand... A l'instant où l'on se préparait à monter 
à l'assaut d'une palissade défendue par les Arabes, Jacques dit 
à Diderrich : 



DEUXIÈME partie; — LE CAPITAINE JACQUES. 12 



— Nous sommes tous deux de Vielsalm, laisse-moi marcher 
le premier. Si je meurs, tu iras remettre mes derniers adieux 
aux miens... 

— Non, s'écria Diderrich, combattons ensemble. Je ne 
retourne pas à Vielsalm sans toi. 

Les deux amis s'élancèrent et aidèrent leurs compagnons à 
remporter la victoire. Ils sont rentrés, l'un après l'autre, dans 
leur pays natal, couverts de gloire. 

Arrêtons-nous là. 

Aussi bien l'espace nous manque pour décrire les réceptions 
solennelles qui furent faites à nos héros antiesclavagistes un 
peu partout, surtout la grande manifestation offerte le 4 juillet, 
au palais des Académies, par la Société antiesclavagiste et 
toutes les notabilités du pays. 

Notons aussi que, le 30 juin, le Roi reçut le commandant 
Jacques en audience particulière, et lui accorda la croix de 
POrdre de Léopold. 

Tenons-nous-en au caractère d'immense popularité qu'a 
revêtu la rentrée en Belgique de Messieurs Jacques, Renier 
et Docquier, les héros de l'expédition antiesclavagiste, au 
nombre desquels on aurait voulu revoir l'excellent Alexis Vrit- 
hoff, mort au champ d'honneur. 

Depuis longtemps, l'expédition Jacques, en détresse là-ba?, 
avait conquis les sympathies générales des Belges. C'était la 
plus grande récompense qu'on pût lui accorder ici-bas, en 
attendant celle que le Seigneur destine dans le ciel à ceux qui 
ont exercé les œuvres de miséricorde envers leurs frères mal- 
heureux. 





Alexandre Delcommune, né à Namur en 1855, chef de l'expédition 

du Katanga. 



District du B AS - C N G 




2j^ 'fânipoko 
Linuolo a-' ^^STuTichassa 
fi'iit/.rZ«rfy,iffis*^/LEjOPOLDVIiLE ; 

•- •m,-^3°"î'^ PicMense- 



^Ticngna^ 







Banana 



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/t.ffgmçui Se 



Le Congo inférieur, les villes et le chemin de fer. 






TROISIÈME PARTIE. 

ALEXANDRE DELCOMMUNE & LES EXPLORA- 
TIONS COMMERCIALES AU KATANGA. 



CHAPITRE I. 

Les quatre expéditions commerciales. 

E KATANGA, la province la plus méridio- 
nale du Congo, que traversent le Lualaba 
et le Luapala ou Congo supérieur, avait été 
concédé par le Roi-Souverain aux Sociétés 
commerciales belges,* qui comptaient en ex- 
ploiter surtout les produits miniers. 
Celles-ci se hâtèrent d'y envoyer quatre expéditions, qui 
partirent successivement et presque simultanément de plusieurs 
points à la fois." 

Déjà une expédition commandée par Pau/ Le Marinel (né 
en Amérique, de parents belges) partit de Lusambo en 
décembre 1890. Composée de 400 hommes, elle parvint à 
Bunkéia, capitale du roi Msiri, le 18 avril 1891. (Nous avons 
parlé de cette expédition dans notre Congo belge.) En repar- 
tant pour l'Europe, Le Marinel laissa son adjoint Z^^«^ comme 
résident auprès du Msiri. 

Les quatre expéditions commerciales eurent pour chefs 
M. Delcommune, les capitaines Bia et Stairs et le lieutenant 
Hodister, 

1° L'expédition Hodister, dont nous avons déjà parlé, 
remontait le Lomami lorsqu'elle se laissa surprendre par la 
perfidie des Arabes. 

Hodister et plusieurs de ses compagnons: Magery, Desmedt, 
Noblesse, furent massacrés en mai 1892. 

C'est pour venger cet échec et prévenir des malheurs plus 
grands que l'Etat du Congo commença la campagne, qui, sous 
les ordres du capitaine Dhanis, devait avoir un si brillant ré- 
sultat. 



128 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

2^ Le capitaine anglais Stairs, le compagnon de Stanley et 
l'ascensionniste du Ruwenzori, quitta Londres le i8 mai 1891 ; 
il prit la route de Zanzibar et du Tanganika, et arriva à Bunkéia 
le 14 décembre. Il y perdit son compagnon, le capitaine belge 
Bodson ; dans une rencontre celui-ci tua le tyran INIsiri. Forcé 
})ar la famine et la maladie de repartir, Stairs prit la route du 
Zambèze, à l'embouchure duquel il mourut d'épuisement à 
Chindé, le 8 juin 1892. Le marquis de Bonchamps et le D'' 
IMoloney, ses deux autres principaux adjoints, ramenèrent la 
caravane à Zanzibar, puis rentrèrent en Belgique sur la fin de 
juillet. 

3° La troisième expédition, composée du capitaine Bia, de 
Liège, commandant, du lieutenant Fraficqiù, de Bruxelles, du 
lieutenant Derscheid, du géologue Coriiet, tous deux de La 
Louvière, et du médecin AmerlincJz, de Gand, partit d'Anvers 
le même jour que la précédente, 18 mai 1891. Elle prit la voie 
du Congo, passa à Lusambo en novembre, arriva à Bunkéia 
le 30 janvier 1892, et pénétra en territoire anglais jusque Tchi- 
tambo, où s'éteignit le grand explorateur Livingstone en 1873. 

Bia mourut de fièvre à Ntenke le 30 août 1892, laissant le 
commandement de l'expédition au lieutenant Francqui, qui la 
conduisit aux sources du Lualaba en septembre, la ramena à 
Lusambo en janvier 1893, et à Bruxelles le 16 avril, en même 
temps que l'expédition Delcommune. 

4° Terminons par l'expédition Delcommune, qui toute- 
fois fut la première en date. 

Elle se composait de M. Alexandre Delco77tm2ine^ né à 
Namur en 1855, le vétéran des explorateurs belges au Congo, 
où il remplit avec succès divers postes depuis 1873. 

— De ringénieur Didein'ich, de Vielsalm (Luxembourg); 
du docteur Briart, de Chapelle-lez-Herlaimont (Hainaut) ; 
du sergent-major Florent Cassart, né à Warsage (Liège). 

En outre, de l'officier suédois Cari Hakanssony qui fut 
massacré pendant le voyage à Kinkondia, le 20 août 1891 ,* 
— de MM. de Roest ç^X. Protcke, qui, après avoir atteint le Lo- 
mami, revinrent malades sur la fin de la même année. 

L'expédition, partie de Belgique en juillet 1890, passa au 
Stanley- Pool et arriva à Bena-Kamba sur le Lomami en 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. I29 



janvier 1891 ; parvenue à Bunkéia, elle poursuivit jusqu'aux 
sources du Lualaba, qu'elle se disposait à descendre sur 27 
canots fabriqués dans des troncs d'arbres ; la famine lui fit 
perdre beaucoup de monde et, après les plus cruelles privations, 
elle dut revenir à Bunkéia, d'où elle repartit pour découvrir le 
lac Kassali. Puis traversant le Luapula, qui, à n'en plus douter, 
est la branche maîtresse du Congo, Delcommune arriva enfin 
au Tanganika, juste à temps pour soutenir à Albertville le 
capitaine Jacques dans la guerre contre les Arabes. Il en 
repartit par la vallée de la Lukuga et regagna Lusambo le 7 
janvier, pour rentrer en Europe le 16 avril 1893. 

Dans l'impossibilité de détailler ici ces diverses expéditions, 
nous choisirons la dernière, dont le résultat fut le plus consi- 
dérable. Du reste, les trois itinéraires Delcommune, Stairs et 
Bia se croisèrent plus d'une fois au Katanga, dont le centre 
était Bunkéia. Bien que le chef de l'expédition en ait publié un 
rapport très intéressant, on nous permettra de donner de pré- 
férence la relation du voyage dont M. l'ingénieur Diderrich, 
que nous connaissons particulièrement, a fait l'objet de sa 
conférence à la Société de géographie de Bruxelles, et qu'il a 
mise, inédite encore, à notre disposition. 



#< CHAPITRE IL 



L'expédition Delcommune. 

Conférence don7iée par M. Hngénienr Diderrich à la Sociclc 
de Géographie de Bruxelles, 

§ 1. D'Anvers à Léopoldville. 

[ESSIEU RS, laissez-moi vous dire d'abord ce qui 
amena la formation de l'expédition du Katanga. 

Depuis l'érection en Etat indépendant de cette 
vaste contrée de l'Afrique centrale, que nous appe- 
lons aujourd'hui le Congo belge, les efforts des explorateurs 
s'étaient surtout tournés vers les parties navigables du bassin 
du grand fleuve. 

Le Congo avait été remonté jusqu'aux Stanley-Falls ; on 

Soldats et missionnaires au Concro 9 




130 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

avait exploré rAruwimi,rUbangi,rUellé,le Kassaï,le Sankuru. 
Ces découvertes avaient été facilitées par les moyens de navi- 
gation, mais l'extrême région méridionale du nouvel Etat, en 
raison même de son éloignement et de l'absence complète de 
toute communication directe par eau, avait été laissée à l'écart. 
C'était certes sacrifier à la force des choses, car les premiers 
renseignements donnés sur ces régions du Sud avaient créé 
une éblouissante perspective pour les voyageurs qui y abor- 
deraient. 

Cameron, le premier qui eût traversé l'Afrique centrale dans 
cette direction, avait donné sur le Katanga les détails les plus 
remarquables, tant agricoles que miniers. Ce voyageur n'était 
pas allé dans ce pays, mais il avait recueilli ces renseignements 
de la bouche des indigènes du Manyéma. Le missionnaire 
Arnold, anglais, puis Capello et Ivens, explorateurs portugais, 
visitèrent le Katanga et en donnèrent des idées des plus favo- 
rables, sans entrer dans aucun détail. 

La Compagnie belge pour le comynerce et rindtcstrie au Congo^ 
qui avait poussé ses investigations dans le bassin du Lomami 
jusqu'à Bena-Kemba, où venait de s'installer un poste de l'Etat 
Indépendant, se décida enfin à s'assurer de l'avenir du Katan- 
ga par une expédition dont le commandement fut confié à 
M. Delcommune, et à laquelle je fus adjoint en qualité 
d'ingénieur géologue. 

En mer. — Je m'embarquais à Flessingue, le 3 juillet 
1890, abord du navire allemand Y Adolphe Woe7'man. La tra- 
versée fut courte : 25 jours, et la mer très bonne, si ce n'est 
dans le golfe de Gascogne. La crainte d'être mis en quaran- 
taine ne nous permit de faire que deux escales. La première 
fut à Corée, dans le Sénégal, la seconde à Libreville, au 
Gabon ou Consfo français. 

Corée n'est qu'une localité en décadence, triste et sale. C'est 
assez vous dire si je la quittai quelque peu désillusionné sur la 
nature des paysages des tropiques ; mais Libreville est déli- 
cieusement encadrée de cocotiers et de palmiers. Les jardins de 
la mission catholique forment un coin exquis ; certes, c'est une 
des plus jolies promenades que j'ai parcourues. Libreville est 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. 13T 

la capitale du Congo français ; les administrations y sont fort 
coquettement installées dans des maisons en bois ou en fer 
munies de larges vérandas. 

Selon l'usage, nous rendîmes visite au doyen d'âge des colons 
africains : Monseigneur Webelle, qui habite le Gabon depuis 
plus de quarante ans. L'accueil paternel de ce respectable 
vieillard, son hospitalité toute patriarcale nous récompensa sin- 
gulièrement de la peine du chemin pour arriver jusqu'à sa de- 
meure. 

Quelques jours plus tard le bateau mouillait dans les eaux 
du Congo. Le 28 juillet, on jetait l'ancre à Banana. 

Banana est le grand port d'embarquement de l'Etat du 
Congo. Du large, avec ses factoreries toutes blanches, la loca- 
lité nous apparaissait comme une volée de mouettes posées sur 
le sable en avant de longues lignes de cocotiers. Située à l'em- 
bouchure du fleuve, Banana est certainement la station la plus 
salubre de l'Etat ; elle offre tous les avantages que peut pro- 
curer le voisinage de l'Océan ; aussi est-ce à Banana que l'on 
vient séjourner après de trop fortes attaques de fièvre ou 
d'hématurie. 

Quelques heures à peine séparent Banana de Boma. Sur ce 
parcours, le Congo est semé d'îles, recouvertes d'une luxuriante 
végétation. Par-ci par-là, de grands bancs de sable qui affleu- 
rent ou qui se devinent, nécessitent de grandes précautions 
dans la marche du steamer... Aussi le pilote est-il à bord et le 
navire défile-t-il lentement dans le dédale des îles, semblant 
nous donner le temps d'admirer tout à l'aise cet étrange pay- 
sage. 

Nous sommes à Boma, la capitale. Pour ma part, je me 
trouve confortablement installé dans une chambre de l'hôtel 
que la Compagnie des Magasins Généraux vient d'élever à 
quelques cents mètres du Congo. De mon balcon, je découvre 
le fleuve jusqu'à l'horizon, ayant droit devant moi la grande île 
de Lacomba, qui apparaît comme un jardin sur l'eau. A la 
rive, un pier (jetée) en fer pour le déchargement des steamers, 
des hangars encombrés de marchandises, des factoreries en- 
Jouies dans les cocotiers ou blotties contre les grands baobabs, 
dont les branches dénudées raturent le ciel. Cà et là des pavil- 



132 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Ions battent au vent. On entend monter des cris, des chants, 
des roulements de tambour, parfois même le sifflet de la loco- 
motive, car en hôtel bien tenu, celui où je suis descendu a son 
tramway, qui trois fois par jour passe à proximité du quartier 
de ses clients et les amène aux heures des repas. 

On se croirait sur le littoral et non à plus de cent kilomètres 
de l'Océan ; ce n'est pas un fleuve qu'on a devant soi, c'est une 
mer calme, tant le Congo paraît immense, et j'avoue que la vue 
me dit beaucoup plus sur la valeur du Congo que ce calcul 
qu'il passe là sous mes yeux le colossal volume de 50 mille 
mètres cubes d'eau à la seconde. De tous les centres créés par 
les blancs dans l'Etat Indépendant, Boma est assurément le 
plus important. C'est le siège du gouvernement et des diverses 
administrations. Il comprend deux parties très distinctes : Boma 
plateau et Bomxa rive ; la première de ces parties est occupée 
par les bureaux et les logements des fonctionnaires. A la rive 
sont installés les factoreries, l'hôtel et les magasins généraux. 
Boma a son église en fer, construite en Belgique dans les ate- 
liers d'Aiseau, une mission, des casernes, des hôpitaux. La 
situation sanitaire est loin de valoir celle de Banana. 

J'ai séjourné un mois à Boma, en attendant l'arrivée des 
membres de l'Expédition, parcourant la contrée avoisinante 
dans des recherches géologiques, déjà faites par le géologue 
Dupont. Les granités et les schistes cristallins caractérisent 
cette région. Je fus amené à visiter \ile de Matéba, admirable- 
ment fertile, dans laquelle on élève des troupeaux de bœufs 
destinés à l'alimentation du personnel blanc de Boma et de 
IMatadi. Un haras y est en très bonne voie de formation ; la 
fabrication des huiles de palme y a acquis une très grande im- 
portance. 

A Matadi. — Je quittai Boma le 30 septembre au matin, à 
bord de « la Reine des Belges ». Quatre heures plus tard, j'arri- 
vais à Matadi, et tous les membres de l'Expédition du Katanga 
se trouvaient réunis. 

Cette expédition comptait au début, outre Delcommune,qui 
en était le commandant, le capitaine Hackanson, officier de 
l'armée suédoise ; le lieutenant Alexandre de Soustchoff, de 



TROISIÈME TARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE, I33 



l'armée russe, ancien aide-de-camp du général Skobeleff dans 
la guerre russo-turque ; le docteur Briart, Protch, naturaliste 
français, enfin le baron de Roest. 150 soldats Haoussas recru- 
tés à la côte formaient notre escorte, sans compter les servi- 
teurs. Nos gens étaient armés de chassepots recoupés. 

L'arrivée de notre expédition renforça singulièrement l'ani- 
mation que les travaux du chemin de fer entretenaient à 
Matadi. On travaillait ferme à la ligne; ce n'était que chantiers : 
des monceaux de rails, de traverses, de charpentes, des ton- 
neaux, des ballots, autour desquels s'agitaient des brigades de 
travailleurs noirs et où circulaient les ingénieurs et les contre- 
maîtres. 

Le trajet de Matadi à Léopoldville n'est pas des plus faciles, 
et le passage du mont Palabala, très difficile celui-là, jouit 
d'une triste réputation. Toutefois le danger résulte plutôt de 
l'ignorance de l'hygiène à observer dans ces régions que de 
la difficulté du trajet. 

Le pays entre Matadi et Léopoldville me sembla presque 
un désert, car les indigènes avaient regagné l'intérieur depuis les 
dernières répressions qui furent faites par l'Etat, et les villages 
des abords de la route étaient en grande partie abandonnés. 
Les échappées de vue sont généralement grandioses, car le 
pays est très tourmenté, mais l'uniformité des teintes devient 
réellement désolante. Toujours cette même terre rouge avec ses 
blocs de latérite en étendues immenses, de hautes herbes où 
les récents incendies ont établi de larges traînées noires sur le 
fond jaune sale de ces monts chauves. Tout cela est profondé- 
ment triste ; seuls les abords des rivières respirent la vie : ici, 
par un brusque contraste, la nature devient d'une exubérance 
et d'une beauté qu'on admire, mais qu'on ne décrit pas. Tout 
autre est cependant le caractère de cette région quand on la par- 
court pendant la saison des pluies; mais nous étions à la fin de 
la saison sèche, à cette époque de l'année où presque toute végé- 
tation semble être éteinte avec le manque absolu d'humidité. 

Le sol de cette région est argilo-sableux, et pour peu qu'il 
pleuve, la circulation devient rapidement diffi.cile. Les plus 
fortes températures que j'ai relevées au cours du trajet ont été 
de 36° à l'ombre. 



134 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Nous fûmes peu en contact avec les indigènes pendant la 
durée de cette route des caravanes ; nous ne les vîmes guère 
qu'aux marchés tenus le long des chemins et où nous achetions 
des vivres, en échange de mouchoirs, de perles ou de fil de 
cuivre. Rien n'est plus gai ni plus animé que ces marchés de 
la route des caravanes. C'est là une des meilleures occasions 
pour étudier le caractère du noir. En général tous, marchands 
et marchandes, sont d'une largeur d'appréciation qui frise le 
vol, mentent avec une crânerie renversante, crient et se démè- 
nent comme des forcenés. Les acheteurs circulent, s'arrêtent 
devant les nattes où sont étalées les victuailles, rient à se tordre 
ou injurient de la belle façon. Des musiciens s'acharnent sur 
leur tambour ou sur leur gong. Tout cela forme un tohu- 
bohu des plus bizarres et des plus réjouissants. 

Léopoldville, sur le Stanley- Pool. — Le 23 septembre, 
nous avons gagné Léopoldville. C'était une première étape, 
bien courte assurément en présence du long itinéraire que 
nous nous proposions. Nous allâmes nous installer à la facto- 
rerie de Kinshassa, distante d'une heure à peine de Léopold- 
ville. Nous restâmes là près d'un mois, attendant nos charges 
et faisant nos préparatifs de départ, tout en jouissant de la 
cordiale hospitalité de M. Camille Delcommune, le frère de 
notre chef d'expédition. Kinshassa est construit sur les bords 
du Pool (c'est ainsi qu'on désigne le fleuve en face de Léopold- 
ville, à cause de sa grande expansion, qui en cet endroit est de 
5 kilomètres, mais s'élargit encore vers l'est). La station fran- 
çaise de Brazzaville est sur l'autre rive du Pool ; Léopoldville 
en occupe la rive méridionale. 

Nous venions de franchir toute cette réo^ion du Conoro, im- 
praticable pour la navigation à cause de ses nombreux rapides, 
difficultés qui ont nécessité la création du cJieviiii de fer. 

§ II. De Léopoldville aux Stanley-Falls. 

A partir du Pool, le fleuve redevient navigable jusqu'aux 
Stanley-Falls, sur une longueur énorme de 1500 kilomètres. 
Nos préparatifs terminés, nous nous embarquons sur les petits 
steamers du haut fleuve pour atteindre Bena-Kamba, situé à 




Afrique. — Le port de LéopoldvUle au Stanley^ool. 




Le marché de Kassango sur la route de LéopoldvUle. 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. I37 



l'extrémité navigable du Lomami. Mais déjà l'un des nôtres 
nous manque : le lieutenant Soustchoff, qui s'en est retourné 
après avoir gravi le Palabala. En arrivant à Léopoldville j'avais 
eu la douleur d'apprendre la mort d'un de mes amis, le Père 
Bracq, qui nous précédait de quelques jours sur la route. Il 
était tombé d'insolation. Un nouveau compagnon de route, le 
brave Cassart, nous était adjoint. 

Nous quittâmes Kinshassa le 17 octobre. Les steamers 
« Ville de Bruxelles et La Flo^Hda » emportaient toute l'expé- 
dition. La « Ville de Bruxelles 1>, meilleur marcheur, ne tarda 
pas à prendre les devants. Delcommune, le lieutenant Cassart 
et moi fûmes au nombre des passagers qu'il comptait à bord. 
Plusieurs officiers de l'Etat nous accompagnaient ; ils allaient 
rejoindre les postes établis sur le haut fleuve. 

Les rives du Congo dans la partie centrale de son bassin, 
c'est-à-dire depuis Léopoldville jusqu'aux Stanley-Falls, offrent 
l'aspect d'une vaste plaine couverte de forêts d'une beauté et 
d'un imposant qu'il serait difficile de décrire. 

Parfois la forêt est brusquement interrompue et laisse aper- 
cevoir de vastes prairies de hautes herbes où nous avons vu 
maintes fois des troupeaux de buffles qui, effrayés par le bruit, 
les sifflets du vapeur et les coups de feu qu'on leur envoyait du 
bord, passaient et repassaient dans une course folle, fendant le 
flot des hautes herbes de ces interminables savanes. De temps 
à autre, il arrive que le sol se relève et présente des collines, 
mais elles n'ont jamais de relief bien accentué. Les plus hautes 
à mon avis sont celles de Msouata, et j'estime que leur alti- 
tude ne dépasse guère 200 mètres. A l'embouchure du Kassaï 
il s'en présente aussi quelques-unes, et c'est sur l'une d'elles 
qu'est bâtie la mission catholique de Be7'ghe' Sainte- Marie. Les 
missionnaires nous y ont fait le meilleur accueil ; nous y avons 
dîné sobrement mais très ofaiement. L'installation est assez rudi- 
mentaire comme bâtiments; par contre,les cultures y sont belles. 

La couche superficielle des terrains riverains du Congo est 
presque toujours formée d'un dépôt argilo-sableux, coloré en 
rouge ocreux par les oxydes de fer. L'humus y est très abon- 
dant, ce qui rend le sol extrêmement fertile et la végétation 
d'une vigueur étonnante. '■' 



o 



8 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



Nous passons à Lukoléla, renommé par son tabac, qui est 
réellement délicieux. On s'est hâté d'en faire provision, car la 
route promet d'être longue. Deux jours plus tard nous étions à 
\ Equateur, ce poste si brillamment occupé au début par les 
commandants Coquilhatet Van Gèle. 

Le 30 octobre, nous débarquions à Bangala, l'une des plus 
jolies stations de l'État. Les constructions sont en briques rou- 
ges, et l'architecte y a introduit une réminiscence de style 
gothique qui cadre gentiment avec les fûts superbes des pal- 
miers. Ici également les cultures de manioc et les bananeraies 
sont splendides ; les troupeaux de chèvres et de moutons y 
sont nombreux. Le lieutenant Baert, chef de la station, nous 
fait le meilleur accueil. Bangala a aussi sa mission catholique, 
assez vaste et très bien entretenue ; le Père Cambier, qui en 
est directeur, est des plus affables ; il m'a retenu à déjeuner. 
Le menu était composé d'un rôti de chèvre, d'ceufs, de bananes 
et de café au lait, le tout relevé par une joyeuse humeur et la 
plus franche cordialité. 

Fort heureusement, je me suis trouvé à Bangala le jour des 
morts, et j'ai pu y entendre la Messe. Avec quelle netteté je 
revoyais nos braves Ardennais priant au cimetière ; combien je 
regrettai de ne pas être des leurs, de ne pas fouler cette terre 
où dorment les plus chers des miens. Chose étrange, avant ce 
jour-là l'idée de mon éloignement ne m'avait point frappé ; je 
la ressentais alors vivement. 

Le 9 novembre, nous arrivons à Boumba, dont le poste fut 
créé ^diV Jacques lors de son premier séjour en Afrique. Il me 
semblait être en pays connu, tant le souvenir de cet ami m'y 
poursuivait. Très coquette cette petite maison blanche avec 
son toit de chaume. Assis à l'ombre de sa véranda, je me disais : 
c'est ici qu'il était quand, au pays, on pensait tant à lui, qu'on 
attendait ses lettres avec tant d'impatience,... lorsque tout à coup 
mes yeux tombèrent sur une armoire dont la porte, formée d'un 
couvercle de caisse, portait écrit en grandes lettres: Lieu-tenant 
Jacques. Voilà, me dis-je, le dernier souvenir du passage d'un 
ami sur la route de mon lointain voyage. Certes, je me doutais 
peu alors que près dedeux ans plus tard, nous nous retrouverions, 
non pas au pays commun, mais au Tanganika, où, servant la 



TROISIÈME PARTIE. EXPl^.DITION DELCOMMUNE. I39 

même cause, nous combattrions les Arabes trafiquants d'escla- 
ves. Mais n'anticipons pas. 

Treize jours après avoir quitté Bangala, nous arrivions à 
Basoko, le fameux camp retranché de l'Arouhimi. La station 
est formée d'un groupe de maisons entourées de palissades 
avec terre-pleins. On y entre par des portes à bascule ; un 
belvédère élevé d'une dizaine de mètres surveille le fleuve. Là 
aussi nous reçûmes un accueil des plus enthousiastes. 

Le 14 novembre nous rencontrions enfin le premier poste 
arabe. Il est situé à Isangi, à l'embouchure du Lomami. Isangi 
est un assez grand village, qui serait encore plus étendu si un 
nombre considérable des habitants ne passaient leur vie sur 
l'eau. Une pirogue, sur laquelle on a ajusté deux ou trois nattes 
de façon à former un toit rond ou pyramidal, constitue toute 
l'habitation de ces gens-là, presque tous pêcheurs d'ailleurs. 
Les rives sont-elles menacées, la petite flottille prend le large 
et va vivre ailleurs. 

De loin, le poste arabe ne se distinguerait pas des postes de 
l'Etat, si on ne voyait les longues robes blanches et les tur- 
bans trancher sur le fond grisâtre des maisons. Isangi a sa 
mosquée, qui du dehors ne se distingue des autres maisons 
que par sa porte en style mauresque et, en regard de celle-ci, 
planté sur une perche, un crâne humain dont la moitié est 
peinte en rouge et l'autre en blanc. A l'intérieur, des murs 
blancs sans ornements, à part le côté tourné vers l'Orient, qui 
est plaqué d'une sorte de portique décoré d'arabesques à filets 
rouges ; sur le sol, des nattes de jonc très propres : on n'entre 
là que les pieds nus. C'est là tout le décor du temple des dis- 
ciples du Prophète. 

Aux Stanley-Falls. Les Arabes. — Arrivés à Isangi, 
notre chemin était de quitter le Congo pour remonter le Lo- 
mami ; mais la recherche de certains renseignements nous 
força de monter jusqu'aux Falls. 

Nous y fûmes reçus par le résident, M. Lherman. 

A peine étions-nous arrivés que la délégation arabe vint nous 
saluer à bord. Après force salamalecs et souhaits de bien- 
venue, soulignés par les sourires onctueux propres aux Arabes 



T40 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

la délégation nous apprit que Tippo-Tip était parti pour 
Zanzibar, et Raschid, son fondé de pouvoir, pour Kassongo, 
où il devait se marier. Après quoi, la mission nous quitta et 
regagna l'autre rive du fleuve, où se trouve la résidence de 
Tippo-Tip. 

A notre tour, nous passâmes le fleuve et rendîmes notre 
visite. Nous fûmes reçus dans un barzah de Tippo-Tip, une 
sorte de véranda dont les côtés sont formés par des bâtiments 
latéraux en saillie sur un bâtiment central. On nous offrit des 
tabourets, tandis que les Arabes s'accroupirent pieds nus sur 
leurs nattes ; certains chefs portaient des chaussures ou plutôt 
de hautes semelles en bois ressemblant fort à celles des Japo- 
nais. Il y avait parmi cette gent arabe des types réellement 
achevés ; drapés dans leurs loques blanches, ils étaient d'un 
superbe incroyable. Le jeu des physionomies était des plus 
intéressants : les uns affectaient des airs naïfs, tandis que d'au- 
tres roulaient des regards hautains; certains égrenaient des col- 
liers d'ambre entre leurs doigts et les yeux baissés : on aurait 
juré qu'ils déchiffraient sur le sable quelque mystérieux passage 
du Coran ; d'autres, au contraire, nous dévisageaient franche- 
ment et attendaient en silence la traduction de l'interprète. 

Les habitations de Tippo-Tip et le camp arabe étaient bâtis 
sur la rive gauche du fleuve, non loin des Falls; sur ce point, le 
Congo est transformé en un gigantesque rapide qui franchit un 
escalier de 5 à 6 mètres, charriant avec fracas l'énorme volume 
de ses eaux tumultueuses à travers de grosses masses de grès 
rouges. Et dans ces endroits mêmes, une des choses qui éton- 
nent le plus, c'est la hardiesse des indigènes qui vont jusque 
dans ces endroits presque inaccessibles,établir des échafaudages 
pour leurs pêcheries. 

§ III. Des Stanley- Falls au lac Kassali. 

Nous quittâmes les Falls pour redescendre à Isangi, et cette 
fois le chef du poste, un jeune homme d'une allure fort cor- 
recte, nommé Ben Abibu, nous invita à prendre le thé. Nous 
fîmes transporter chez notre hôte un orgue de barbarie, destiné 
je ne sais plus à quel chef indigène, et le barzah des Arabes 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. 141 

entendit pour la première fois, sans doute, le roi de Tlnilé et 
My Qucen, 

Navigation sur le Lomami. — Le 20, nous quittions 
Isangi, comblés des présents de Ben Abibu, et nous remon- 
tions le Lomami. Nous mîmes onze jours pour atteindre Bena- 
Kamba. Cette importante rivière, parallèle au cours supérieur 
du Congo, mais dégagée de cataractes et navigable, s'enfonce 
dans un vrai couloir de verdure des plus splendides. Nous 
sommes restés six jours n'ayant d'autre vue que la forêt, le ciel 
et l'eau. Elle est si belle et si grandiose cette végétation du 
Lomami! De ces grands rideaux de verdure que les lianes ont 
accrochés partout, s'échappent des palmiers, des acacias, des 
parasols, des santals, et tout cela dans un fouillis de feuilles, 
animé de mille bruits d'insectes et d'oiseaux, baigné dans un 
chaud soleil et dans une atmosphère délicieusement parfumée. 

De temps à autre, des hérons goliaths s'enfuient bruyam- 
ment à grandes envolées, des bandes d'aigrettes blanches rasent 
la surface des eaux. Nous avons vu un jour deux éléphants qui 
traversaient la rivière à la nage : là où les eaux sont peu 
profondes leur grosse tête émerge, mais quand ils perdent pied, 
seul le bout de leur trompe apparaît à la surface. 

Nous vîmes peu de villages sur le Lomami ; cependant vers 
l'aval il en est de fort grands: certains avaient plusieurs lieues 
de long, et les habitations se trouvaient disposées parallèlement 
à la rive. 

Nous avons séjourné à Bena-Kamba jusqu'au 25 janvier 
1891. Le retard nous fut occasionné par les lenteurs du second 
steamer, la Florida, qui avait à son bord le second corps de 
l'expédition. Enfm quand ce petit steamer nous laissa tous 
réunis sur les rives du Lomami, et que, le 29 janvier 1891, il 
eut levé l'ancre, toute communication avec l'Europe nous fut 
enlevée et elle ne devait nous être rendue que près de deux 
ans plus tard. 

Notre intention était de remonter le Lomami, et dans ce 
dessein nous nous étions pourvus à Isangi de grandes pirogues 
indigènes pour nos hommes et nos charges. Nous avions de 
plus une allège démontable en acier dans le type de celles que 



142 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Stanley avait emportées dans son voyage au centre de l'Afrique. 
La Florida nous avait laissés au pied des premiers rapides du 
Lomami ; on s'y engagea résolument. Ce fut une des parties 
pénibles de notre voyage ; nous mîmes trois mois pour arriver 
à Gongo Lutété, et Dieu sait au prix de quels efforts ! 

A Gongo, nous avons abandonné la navigation du Lomami 
pour prendre la voie de terre. Nous en sommes partis avec 
notre caravane renforcée de plus de deux cents porteurs, 
fournis par le chef Gongo et par Raschid, neveu de Tippo-Tip. 
Nous nous dirigions vers un grand centre : Loupoungou, si- 
situé à plus d'un degré dans la direction du nord-ouest. Le pays 
situé entre ces deux grandes localités est presque complète- 
ment désert ; la contrée est pourtant fertile, à part quelques 
plateaux incultes remplis de beaux sites, largement arrosés par 
de grandes rivières et jouissant d'un climat délicieux. Mais là 
aussi la traite a fait ses ravages : le chemin est semé de vil- 
lages en ruines. Il est si triste de voir ces paysages sans vie, 
ces grandes rangées de cases brûlées, ensevelies sous la végé- 
tation envahissante des convolvulus et des bananiers, de penser 
que ces populations qui y vivaient paisiblement ont été mas- 
sacrées ou réduites à l'esclavage ! 

C'est à travers ces écœurantes solitudes que nous sommes 
arrivés chez Loupoungou. 

Loupoungou, lui aussi, était aux mains des Arabes; c'est 
un homme du pays pourtant, mais il était vassal de Gongo, et 
cela suffisait pour qu'il commît les mêmes atrocités que son 
chef, et pis encore. L'agglomération à laquelle Loupoungou a 
donné son nom ne le cède en rien à celle de Gongo; elle est 
peut-être plus nombreuse et, comme dans cette dernière, les 
indigènes sont anthropophages. Rien de remarquable dans la 
vie de cette grouillante population ; elle cultive bien cependant 
et d'une façon intelligente ; le travail du fer y est poussé très 
loin, les installations de leurs hauts fourneaux sont très remar- 
quables. Après avoir séjourné une dizaine de jours à Loupoun- 
gou, nous en sommes repartis renforcés de cent nouveaux 
porteurs. 

A quelques jours de Loupoungou, nous rencontrâmes le 
village de Mo7ia2t-Gogo, où nous nous arrêtâmes pour nous 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMxMUNE. I43 

procurer d'autres porteurs. Wissniann avait traversé cette loca- 
lité en 1881. Ce fut là que nous prîmes des guides pour nous 
conduire à Kileinôa, devenu célèbre par le séjour qu'y fit Ca- 
meron. Kassongo, le chef de Kilemba, a échappé au pouvoir 
des Arabes ; c'est un des plus puissants chefs de l'Ouroua : 
aussi ses états sont-ils singulièrement populeux. La contrée 
comprise entre Loupoungou et Kilemba est peuplée par des 
races nombreuses et très actives; nous y avons traversé des 
villages formés d'une seule rue qui s'étendait sur plus d'une 
heure et demie. Les populations, qui nous ont paru paisibles 
et avec lesquelles nous avons vécu dans la meilleure intelli- 
gence, n'ont d'autre occupation que l'agriculture. Le manioc 
forme surtout la base de l'alimentation, nourriture parfois dan- 
gereuse, car il s'y rencontre des plantes contenant des sucs 
vénéneux très actifs. Nous avons eu à regretter la mort de 
huit de nos porteurs, empoisonnés de cette façon. 

C'est au commencement du mois de juillet que nous arri- 
vâmes à Kilemba. Le roi Kassongo, qui déploya toute sa 
pompe et toute sa générosité pour nous recevoir, n'était plus 
le Kassongo de Cameron, mais son fils, qui avait hérité de 
ses pouvoirs. Nous avons vécu à Kilemba une quinzaine de 
jours, témoins des coutumes les plus grotesques et les plus 
incroyables, qui semblent tenir au cœur des monarques 
nègres. 

Notons la façon barbare dont ce roi rend la justice. Un de ses 
sujets a volé : il aura la main coupée, les deux mains, si le vol 
est grave. Un malheureux a été surpris écoutant une conver- 
sation royale: on lui coupe une oreille. Un pauvre diable dans 
un combat a détalé trop promptement devant les flèches en- 
nemies : on lui retranche un pied, et ainsi à l'avenant. C'est là 
l'explication de l'état pitoyable auquel grand nombre d'indi- 
vidus sont réduits. Rien n'est commun comme de voir à Ki- 
lemba des gens n'ayant qu'une main, d'autres qu'un pied, qu'un 
œil, qu'une oreille, d'autres avec des lèvres coupées. Malgré 
ces mutilations, Kassongo est un chef aimé, autant qu'un 
esprit réfléchi. Les mœurs de ce roi et de son peuple sont si 
bien aux antipodes des nôtres, qu'il faut les avoir vues pour 
les croire. 



144 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Attaque des indigènes. Les traitants négriers. — 
Kilemba est un endroit notable au point de vue géologique et 
minier, une des localités importantes qui m'étaient signalées 
dans nos instructions. Je me mis donc en route pour explorer 
les environs, tandis que l'expédition stoppait. Le lieutenant 
Hackanson m'accompagnait avec vingt-deux hommes. A trois 
jours de marche de Kilemba, nous fûmes soudainement atta- 
qués par les indigènes; ces derniers étant en grand nombre 
nous bloquèrent toute la nuit du 27 juillet; ce fut seulement à 
l'aube que nous pûmes nous dégager. Comment, avec vingt- 
deux hommes, avons-nous pu tenir tête à ces centaines de for- 
cenés? je n'y ai rien compris: Dieu nous a gardés, sans doute. 
Nos gens étaient affreusement consternés, car ils redoutent 
singulièrement les flèches empoisonnées ; deux de leurs com- 
pagnons étaient atteints à la jambe. Les coquins de nègres 
occupaient toute la longueur du chemin creux où nous étions 
engagés, et, couchés dans les buissons, ils nous tiraient leurs 
flèches dans les jambes. Fort heureusement pour nos blessés, 
j'étais muni d'un crayon de nitrate d'argent, qui me permit de 
faire la cautérisation à temps, et ainsi de leur éviter une mort à 
peu près certaine. 

Cette première affaire fut cause d'une guerre générale. Les 
gens qui nous avaient attaqués appartenaient au frère de 
Kassongo; les deux frères étaient ennemis; Kassongo vit dans 
cette attaque une félonie... Comme je devais absolument me 
rendre compte des terrains environnants, Delcommune me 
donna une escorte de quatre-vingts hommes, et le docteur 
Briart vint nous rejoindre. Les recherches géologiques et la 
campagne marchant de pair, nous arrivâmes devant Bohia, 
résidence de Cimbo, le frère de Kassongo. Par un inexplicable 
concours de circonstances, nous nous vîmes forcés d'attaquer 
la place. Nous croyions avoir à faire à quelques centaines d'in- 
digènes; mais la fusillade des assiégés nous apprit bientôt que 
nous étions en présence d'un ennemi qui ne devait point nous 
craindre. 

On se battit pendant quatre heures; la victoire était pour 
nous ; nos Haoussas avaient enlevé le boma et mis le feu au 
village. Le manque de munitions ne nous permettant pas de 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. I45 

séjourner en ce point, nous nous repliâmes sur Kassongo. Ce 
fut la fin de la campagne. Mais cette journée de Bohia coûta 
la vie à quatre de nos soldats, et le docteur Briart y reçut une 
balle au coude et une flèche dans le genou. Par bonheur, ces 
deux blessures n'étaient pas graves. Kassongo, profitant de 
nos succès, continua la guerre pour son compte. Quelle en fut 
l'issue? nous l'ignorons. 

La résistance de Bohia nous avait singulièrement étonnés - 
ce n'était point la façon de combattre des indigènes; nous 
apprîmes par la suite que nous nous étions battus contre les 
bandes de trois négriers portugais, métis de la colonie du Bihé; 
leurs forces comptaient près de trois cents fusils. Le principal 
des traitants, Saquitoto, avait été tué et notre succès avait 
été la cause de la délivrance de quatre cents de leurs esclaves, 
qui s'étaient évadés et n'avaient pas été repris. 

J'avais fini mes recherches géologiques ; nous partîmes de 
Kilemba le 20 août, et nous nous dirigeâmes vers le Lualaba 
avec l'intention de le traverser à la hauteur du lac Kassali, 
également signalé par Cameron. Nous mîmes sept jours pour 
l'atteindre, ne trouvant de villages que les deux derniers jours. 
La veille de notre arrivée au lac, mon boy étant retourné en 
arrière de la caravane pour chercher mon chien, fut dévalisé 
par les indigènes, qui lui enlevèrent ses vêtements, mon revol- 
ver et ma cartouchière ; il fut garrotté, mais le gamin s'échappa ; 
toutefois, dans sa fuite il fut atteint d'un coup de lance à la 
main. Ceci nous montrait à quelle population nous avions 
affaire. La traite sévissait en ces lieux; de là, l'hostilité des 
indigènes. 

Le lac Kassali apparaît comme une vaste expansion maré- 
cageuse du Lualaba ; sur sa rive gauche, se dressent de hauts 
massifs de gneiss et de quartzite, au pied desquels est bâti le 
village de Kihondia. Le lac mesure environ 15 kilomètres de 
large ; mais sa longueur est beaucoup plus considérable. Le 
paysage est triste, les eaux du lac sont noirâtres, la plaine est 
nue et les montagnes peu boisées. On s'arrêta un jour à Ki- 
hondia, le temps qui m'était nécessaire pour relever la compo- 
sition géologique du massif rocheux auquel nous avons donné 
le nom de notre pauvre ami Hackanson, et le 30, tout au matin, 

Soldats et missionnaires au Congo. lO 



146 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

nous nous dirigions vers cet endroit ; le fleuve était relative- 
ment étroit. 

La marche de ce jour-là fut singulièrement longue, et dans 
la matinée, nous trouvâmes trois villages dont le nombre des 
habitants ne fut pas sans nous étonner. C'est là, je pense, 
qu'en Afrique j'ai vu le plus grand nombre d'habitants, sur 
aussi peu de parcours de terrain. Un ministre de Kihondia nous 
servait de guide. 

§ IV. — Du lac Kassali aux gorges de Nzilo. 

Massacre du lieutenant Hackanson. — Les porteurs 
avançaient péniblement ; il était sept heures du soir lorsque je 
gagnai le camp. Une nuit noire. Cassart arriva après 8 heures. 
Nous attendîmes l'arrière-garde, commandée par Hackanson, 
jusque vers 9 heures. Las d'attendre, nous allions nous mettre 
à table, lorsque le boy du lieutenant se précipita vers nous, en 
nous criant : « Mon maître est tué ! » et il éclata en sanglots. 
Nous étions là tous quatre pétrifiés par cette épouvantable 
nouvelle, nous regardant l'un l'autre sans proférer une parole, 
et nous refusant à croire cette catastrophe. La nouvelle n'était 
malheureusement que trop vraie, notre ami avait succombé 
sous les coups de lances de ces sauvages, et avec lui quatorze 
de nos soldats Haoussas avaient été massacrés. 

Laissez-moi vous dire combien j'ai regretté ce malheureux 
compagnon, homme d'honneur, s'il en fut, cœur brave et gé- 
néreux, ayant gardé un enthousiasme de vingt ans ! 

Hackanson était protestant, mais ses convictions religieuses 
donnaient singulièrement à réfléchir, même pour un catholique. 
Ces deux paroles le dépeindront dans la sincérité de ses 
croyances. « Oui, Diderrich, ce serait de tout cœur que j'offri- 
rais ma vie à Dieu si ma mort pouvait faire avancer d'un pas 
la civilisation chrétienne de ces races malheureuses. » Et une 
autre fois qu'il discutait avec l'un de nous : « Pour moi, je vois 
le Christ partout, et dans tout ce que je fais, je suis à genoux 
devant lui. » Que de fois ne l'ai-je pas entendu, le soir, récitant 
à haute voix les versets delà Bible ! 

Hackanson était un homme qu'on ne pouvait ne pas estimer. 
Il est mort à l'âge de trente-six ans ; c'était son second terme 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. I47 

d'Afrique. Il avait été précédemment commissaire de district 
à Banana. Lieutenant de l'armée suédoise, il croyait que sa 
nomination de capitaine aurait lieu peu de temps après son 
retour en Europe. Elle vint en effet, mais trop tard. 

Le lendemain du meurtre de notre malheureux ami, nous 
nous dirigeâmes vers le Lualaba, qui était à quelques milles 
du camp. Il était impossible de venger la mort de notre com- 
pagnon sans compromettre notre expédition. L'ennemi était 
trop nombreux ; néanmoins il fallut encore faire la guerre pour 
opérer le passage du fleuve : nous n'eûmes pas de mort de 
notre côté ; mais parmi ceux de l'ennemi, on comptait l'un des 
chefs de Kihondia. Nous apprîmes plus tard que le corps de 
notre malheureux compagnon avait été jeté dans le lac Kassali. 

Fatalité ou justice, ces mêmes eaux du Lualaba qui avaient 
rongé le corps d'Hackanson, devaient, quelque temps après, 
charrier sur leurs flots les cadavres des plus terribles ennemis 
de la civilisation des noirs : les Arabes trafiquants d'esclaves. 
Le souvenir de notre ami ne s'éteindra pas en Afrique : à la 
demande de celui qui fut son chef, M. Delcommune, la Société 
de Géographie a bien voulu donner le nom à^ Hackanson au 
massif rocheux mentionné plus haut. Je tiens à lui offrir mes 
vifs remercîments. 

En marche vers le Sud. Nous quittâmes le Lualaba le 3 
septembre et, contournant le Kassali, nous gagnâmes la ville 
de Kayoumbe, marquée Khéria sur la carte. Nous fûmes très 
bien reçus; mais, à notre départ, nous fûmes de nouveau atta- 
qués. Le combat fut court, l'ennemi prit la fuite, abandonnant 
ses morts .Un de nos hommes avait la jambe percée d'une balle. 

Le lendemain de cette affaire nous pénétrions dans les monts 
Kibala, contrée sauvage et complètement déserte : c'est une 
série de hauts plateaux dont l'altitude varie entre looô et 1800 
mètres, séparés par des gorges profondes, et sillonnés de nom- 
breux ravins. 

La marche y est singulièrement pénible; certains jours, après 
nous être élevés de 800 mètres, nous redescendions de 500. 

Notre itinéraire dans ces montagnes restait sensiblement 
parallèle au cours du Ljtjira ; on se dirigeait vers Bunkéia, la 



I4S SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

résidence du trop fameux roi I\Isiri. Les difficultés de la 
marche ne furent pas les seuls inconvénients de cette traversée ; 
les tortures de la faim devaient s'y ajouter. Aussi avions-nous 
plutôt la mine de bandits et de vagabonds que celle d'honnêtes 
gens. 

Bunkéîa, capitale de Msiri. — Lorsqu'au commence- 
ment d'octobre nous atteignîmes Bunkéia, où nous avions tant 
souhaité arriver, l'expédition Paul Le IMarinel nous y avait 
précédés et avait installé un poste non loin de là, à Lofoï. 
Nous fûmes rejoints le lendemain de notre arrivée par le lieu- 
tenant Lcgat, commandant de ce poste. Nous séjournâmes à 
Bunkéia jusqu'au 22 octobre. La situation dans laquelle se 
trouvait le pays, par suite des guerres civiles, n'était guère 
rassurante. Les horribles cruautés que se permettait le vieux 
roi INIsiri lui avaient aliéné une bonne partie de ses sujets. Le 
Katanga était en pleine guerre civile, et l'odieux potentat 
voulait nous faire porter la guerre de ce côté. A force d'instan- 
ces, nous parvînmes cependant à obtenir des guides pour le 
Katanga, et nous quittâmes Bunkéia profondément indignés 
des basses et io^nobles cruautés du tvran, et sinofulièrement 
dégoûtés de la déprédation des indigènes. Les détails concer- 
nant tout ce qui approchait de près ou de loin cette brutale 
majesté sont révoltants au dernier chef. 

Le poste de Lofoï est situé à deux grandes journées de 
marche de Bunkéia ; ce fut là que nous nous rendîmes pour 
nous reposer quelque temps ; nos hommes, plus que nous 
encore, en avaient grand besoin. Le lieutenant Légat, qui est 
en Afrique depuis plus de dix ans, et son adjoint, M. Verdich, 
nous firent le meilleur accueil. Pendant que la caravane séjour- 
nait au poste, je partis avec Cassart et quarante soldats pour 
explorer les monts Nzilo. J'avais cru que le meilleur itinéraire 
à suivre était de remonter le cours du Lofoï, qui me paraissait 
traverser la chaîne dans une grande partie de sa largeur. INIal 
nous en prit. Après cinq jours de marche nous nous trouvâmes 
tout à coup engagés dans un couloir, dont la largeur dépassait 
à peine cinquante mètres et dont les parois escarpées s'éle- 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. I49 

valent à plus de deux cents mètres. La rivière tombait à pic 
du haut de ces parois et venait s'abîmer dans la passe étroite 
que nous occupions. 

L^impasse. — Nous étions acculés contre un obstacle 
infranchissable et nous n'avions rien de mieux à faire qu'à 
rebrousser chemin. Nous allions retourner sur nos pas lorsque 
deux indigènes qui, du haut des parois, nous avaient aperçus 
dans le couloir, détachèrent des blocs de rocher et les précipi- 
tèrent sur nous. La passe était si étroite que nous n'eûmes 
d'autre recours que de nous effacer contre le pied de la falaise. 
Les quartiers de roche venaient s'abattre à quelques pas de 
nous, nous éclaboussant de grandes flaques d'eau. J'eus un 
instant la conviction qu'il allait nous arriver ce qu'il advint à 
Roland à Roncevaux. Ce fut à travers une grêle de pierres 
que nous rétrogradâmes sur près d'un kilomètre. Grâces à Dieu, 
pas un de nous ne fut atteint. 

Le 10 novembre nous quittions le poste de Lofoï pour nous 
diriger sur le Katanga. La guerre civile y avait fait des ravages 
incroyables, et la famine y sévissait avec intensité. C'est un 
beau pays, très fertile, mais inculte par suite des circonstances 
actuelles. Avant la guerre, nombre d'individus travaillaient 
aux mines ; aujourd'hui ces travaux souffrent tout autant que 
l'agriculture. Ce fut le 28 novembre que nous arrivâmes à 
Ntenke. F'ort heureusement pour nous, il y avait des vivres 
dans cette localité : ce fut le salut de l'expédition. On s'arrêta 
à Ntenke le temps de me permettre d'aller aux mines du 
Kalali et de revenir, et le 10 décembre nous en partions pour 
nous diriger, droit à l'ouest, à la rencontre du Lualaba ; car 
l'intention du commandant Delcommune était de redescen- 
dre le fleuve jusqu'à Nyangwé. Cette marche de Ntenke au 
Lualaba fut une des plus désastreuses que nous ayons faites. 
Nous sommes restés neuf jours sans rencontrer un villao-e : 
plusieurs de nos gens y sont morts de faim, et tous nous avons 
horriblement souffert. 

Construction de canots. — Nous rejoignîmes le Lua- 
laba à peu près à la hauteur de Ntenke, au petit village nommé 



150 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Missima ; c'est là que nous avons stoppé deux mois et demi, 
le temps nécessaire à la construction des canots indispensables 
pour redescendre le fleuve. Là nous construisîmes vingt-sept 
canots et un grand boat à planches et à quille pouvant con- 
tenir à lui seul 50 hommes. Ce boat fut fait en vue de nos mu- 
nitions, que je craignais de perdre dans les rapides. 

Pour cette dernière embarcation, il fallait des planches, des 
courbes et des clous. Tout cela fut confectionné et fait à l'aide 
de quels outils? herminettes, scies, marteaux, haches et hachet- 
tes. Nous fîmes des clous avec tout ce que nous pûmes trou- 
ver : chaînes, bracelets en fer, machettes et jusqu'aux poignées 
de nos malles, tout y passa. Et nous dûmes fabriquer cela 
nous-mêmes, car nous n'avions aucun homme de métier avec 
nous. 

Et cependant, les vivres étaient d'une extrême rareté ; nous 
devions conduire nos hommes au loin pour nous en procurer. 
Je les ai vus déterrer un chien mort et le dévorer ; plusieurs 
mangeaient des grains de ricin ; pour nous, nous avons passé 
ces deux mois et demi, qui m'ont paru un siècle, ne vivant que 
d'épis de maïs et de haricots : encore étions-nous rationnés. 
En un mot, par le fait de la famine et de la désertion, notre 
personnel était réduit à 200 hommes, le tiers de son effectif 
normal. 

Le 27 février 1892, nous lancions notre petite flottille à l'eau, 
espérant que cette fois nous allions nous trouver hors de tout 
besoin. 11 n'en fut rien. Le fleuve était hérissé de rapides ; 
mais on s'entêta à le redescendre. Par trois fois j'ai failli m'y 
noyer ; j'ai vu la mort d'affreusement près, et, aujourd'hui 
encore, quand je pense à ces terribles instants, je ne saurais 
m'empêcher d'être reconnaissant à Dieu de m'avoir gardé en 
ces circonstances. 

Les gorges de Nzilo. Effroyable situation. — Le 
19 avril, nous nous trouvâmes, sans nous y attendre le moins 
du monde, devant le fameux couloir de Nzilo, gorge rocheuse 
fort étroite, longue d'environ 70 kilomètres, encaissée de plus 
de 300 mètres par endroits et creusée à travers toute une chaîna 
de montagnes. Jugez de notre étonnement lorsque nous vîmes 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. I5I 

que le Lualaba se ruait tout entier et furieux dans cette cre- 
vasse, pour tomber de plus de 500 mètres de roche en roche, 
par des cataractes comparables à celles des Stanley- Falls, mais 
supérieures en élévation. 

Penser à risquer nos canots dans cette passe eût été folie. 
La descente de Stanley dans les cataractes du bas Congo est 
là pour le prouver. 

Il nous fallut traîner nos embarcations à dix kilomètres dans 
l'intérieur des terres, sur la rive gauche. Ce fut un travail de 
géants : nous avions à escalader ce pays où les montagnes se 
heurtaient en tous sens, à descendre dans des vallées profon- 
des, à franchir ravins et fondrières. Nous mîmes un mois pour 
avancer de 16 kilomètres, avec nos 28 embarcations à la remor- 
que, par un sentier indigène parsemé d'énormes blocs de 
rochers, le long de montées et de descentes impossibles. 
Seize kilomètres... et il en restait soixante ! 

Finalement, nous avions franchi les passages les plus diffi- 
ciles, lorsque la famine, la terrible famine, vint de nouveau 
nous enlever notre force et notre courage ! Pas un seul village 
aux environs des rapides ; le plus rapproché se trouvait à dix 
bonnes heures de marche dans l'intérieur. Aucun gibier, rien ! 

Les trois quarts de l'expédition étaient incapables de tout 
travail. Tous les hommes valides réunis : domestiques, cuisi- 
niers, infirmiers, formaient un total de 52 hommes. 

Les désertions recommencèrent. Nos soldats haoussas dis- 
parurent les uns après les autres, avec armes et bagages. Nous 
ne les revîmes plus. Ils préféraient être réduits en esclavage, 
vendus, tués, mangés, plutôt que de continuer à souffrir de la 
faim, eux qui en avaient si souvent connu les atroces souffran- 
ces. Sans dire un mot, sans proférer un reproche, ils s'en 
allaient, la nuit, et on ne les revoyait plus. Je sentais mes 
hommes glisser entre mes doigts, je voyais mon expédition se 
fondre et j'étais impuissant, impuissant à les retenir! Epou- 
vantable situation ! 

Force fut donc d'abandonner le travail et de se replier sur 
Bunkéia. 



152 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

§ V. — De Bunkéia au lac Tanganika. 

Retour vers l'Est. — A Bunkéia (8 juin). Les indigènes 
nous apprirent le passage de l'expédition 5/^/;-^, la fin tragique 
de Msiri et celle du brave capitaine belge Bodson. Le dra- 
peau de l'Etat flottait au sommet du Nkuru, montagne au 
pied de laquelle était construite, lors de notre première arrivée, 
la résidence de Msiri. Nous gagnâmes de nouveau le poste 
de Lofoï ; nos gens étaient exténués ; ils s'y reposèrent à leur 
aise ; pour moi je fus chargé de procurer de la viande en chas- 
sant dans les grandes plaines avoisinant le poste. Les zèbres y 
sont très nombreux, il n'est pas de jour où j'ai chassé sans en 
voir des bandes de trois cents et même de cinq cents. Leur 
chasse est facile : confiants dans leur nombre, ces animaux se 
laissent aisément approcher. 

Ce fut au poste de Lofoï que j'appris l'arrivée à.ç, Jacques au 
Tanganika. Stairs avait apporté cette nouvelle. 

Hourrah ! Tanganika! — Enfin, au commencement de 
juillet,nous nous mettions en route pourgagner le Tanganika. 
Après avoir longé toute la chaîne des monts Koundiloungou, 
passé le Luapula à sa sortie du lac Moëro, traversé le pays 
montagneux du Marungu, nous arrivâmes au lac Tanganika, 
le 18 août 1892. 

Ce fut presque à la nuit tombante que, pour la première fois, 
nous vîmes cette magnifique nappe d'eau et que nous pûmes 
nous écrier à notre tour : Hoiirrah ! Tanganika ! Nous étions 
à plus de 700 mètres au-dessus du lac, sur le bord d'un im- 
mense plateau qui finissait brusquement et dont le talus se 
perdait dans des massifs d'arbres. Le lac était calme, ses eaux 
sj^ profilaient à peine sur l'horizon, que la brune commençait à 
(envahir. 

Le mont Rumbi, à l'est, tranchait franchement sur le fond 
du tableau. Cette masse isolée nous sembla grandiose, elle 
avait quelque chose d'énigmatique et d'écrasant. Derrière nous 
le massif du Marungu s'étendait à perte de vue. Nous savions 
que nous étions proche d'une station de l'Etat et d'une mission, 
mais là se bornaient nos renseignements. Les indigènes en 
donnaient bien d'autres, mais incertains. 




Rencontre du capitaine Joubert avec Jacques et ses compagnons Renier, Docquier 

et Vrithoff, sur le Tanganika. 
Cette rencontre se fait à la p. 84 (2' expéd.) 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. T55 

Rencontre du capitaine Joubert. — Jugez de notre 
surprise lorsque vers huit heures du soir nos sentinelles nous 
amenèrent un grand diable de soldat en tenue fort correcte, 
son fusil en bandoulière, un billet dans une main, un panier 
dans l'autre. C'était un courrier que le capitaine Joubert nous 
envoyait; il avait entendu sonner nos clairons, disait-il, et 
regrettait beaucoup de n'avoir pu se porter à notre rencontre, 
très occupé qu'il était d'envoyer une expédition de secours au 
capitaine Jacques, qui se trouvait bloqué sur la Lukuga parles 
Arabes. Ses deux compagnons, le Père Herbaut et le Père 
Roelens, se joignaient à lui pour nous souhaiter la bienvenue. 

Au bas de la missive, un post-scriptum nous priait d'accepter 
le colis dont le soldat était porteur. Vous ne devineriez proba- 
blement pas ce qu'il contenait ce colis : c'était du pain ! Oui, 
du pain, dont nous avions été privés pendant deux ans et demi ! 
Je ne crois pas pour ma part avoir mangé de mets qui m'ait 
paru plus exquis que le pain de Joubert, et certes je m'en sou- 
viendrai longtemps. 

Le lendemain nous étions installés sur cette plage, où nous 
trouvions trois amis. Quel est ce capitaine Joubert, qui 
nous avait tant intrigués ? Un breton, un vrai, celui-là : petit, 
sec, nerveux, des yeux noirs très vifs, mais profondément bons; 
sa voix est très douce, son accueil fut d'une simplicité et d'une 
cordialité touchantes. Il habite une grande maison en adobe, 
qu'il partage avec sa femme,une noire chrétienne, et sa fillette. 
En moins d'une heure, l'intimité fut établie avec Joubert. On 
se figurait être chez soi, sentiment instinctif d'ailleurs, car les 
pigeons et les poules prétendent aussi se trouver chez eux et 
avaient, m'a-t-il semblé, quelque répugnance à me céder la 
place. 

Existence étrange que celle de Joubert : d'abord zouave du 
Pape,il assiste à toutes les journées de cette guerre que Pie IX 
dut soutenir contre l'Italie et y gagne le grade de capitaine. 
Plus tard on le retrouve avec le général deCharette sur le champ 
de bataille de Patay, luttant contre l'ennemi de sa patrie. 
Licencié de nouveau, il offre ses services à Monseigneur Lavi- 
gerie, réside à Alger, va à Zanzibar, puis sur le Tanganika, 
vouant sa vie à la défense des noirs contre l'envahissement des 



156 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

traitants arabes. Vie toute de dévouement et d'abnégation, sans 
ambition aucune. Confiant dans le lendemain, exemple de 
courage et de bravoure, plaçant Dieu par dessus tout, tel était 
notre nouvel hôte, un chrétien des premiers siècles. 

Au secours du capitaine Jacques. — Sachant notre 
brave compatriote dans une situation critique à Albertville, 
M. Delcommune décida de voler à son secours, de concert 
avec le capitaine Joubert, et je demandai naturellement à être 
de la partie. Donc, le 22 août, nous nous embarquâmes, Joubert, 
Delcommune, Cassart et moi, avec vingt de nos hommes sur 
une grande pirogue indigène qui pouvait marcher à la voile. 
Le lac était calme, la voile ne s'enflait pas, il fallut ramer toute 
la journée. Nous avancions lentement, côtoyant la rive à quel- 
ques milles du bord, défilant au pied de ces énormes monta- 
gnes de granit qui bordent le lac sur une grande partie de 
son circuit. La scène était ravissante : un ciel d'un bleu clair, 
des eaux verdâtres et transparentes ; à l'orient l'immense per- 
spective d'une mer par un calme plat, et à l'occident les hauts 
massifs du Marungu et du Tanganika. Ceux-ci se dressent 
presque verticalement et découpent le ciel de leurs bizarres 
silhouettes. Le mont Rumbi apparaît loin derrière nous, la 
tête à demi ensevelie dans les derniers brouillards du matin. 
Saint-Louis de Rumbi, le poste de Joubert, s'aperçoit un peu 
en avant du pied du formidable massif. Avec ses murailles 
rouges couvertes de meurtrières et ses tours d'angle, on le 
prendrait pour un vieux castel désert. 

Nous arrivâmes à Mpala pendant la nuit. De ce poste, 
fondé parle capitaine Storms en 1883,11 ne restait qu'un pan de 
muraille, et sur son emplacement s'élève aujourd'hui un monas- 
tère en briques rouges, œuvre d'un architecte fort habile, le 
Père Guillemé. Ce Père Guillemé est certainement une des 
figures les plus frappantes que nous ayons rencontrées au 
cours de notre voyage. Notre expédition lui a conservé un 
souvenir tout d'estime et d'affection : souvenir d'estime pour 
les œuvres qu'il a créées, car sa direction à INIpala a fait placer 
cette station parmi les premières de l'Etat, au point de vue 
colonial ; souvenir d'affection pour son hospitalité, car lui aussi 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. 157 

est breton, et il pratique admirablement cette vertu de ses com- 
patriotes. 

Enfin le 23 août, par une nuit noire, alors que notre baroue 
glissait lestement, poussée par le vent d'arrière, nous aperçûmes 
de grands feux à la côte, dans la direction d'Albertville. Mais 
ces feux, étaient-ce les bivouacs arabes ou les postes de 
Jacques ? La barque filant toujours, on distingua bientôt les 
clameurs qui montaient de la rive. Un instant nous fûmes 
anxieux, les marins abattirent la voile, tout le monde se tut à 
bord, la barque stoppa. Qu'allions-nous faire ? Soudain : « Far 
ici ! » cria une voix dont les ondulations semblaient rouler sur 
l'eau. C'était Jacques ! et rompant le silence général, une cla- 
meur frénétique répondit: Kaputi I (c'est le sobriquet donné à 
Jacques par les indigènes). Certes, cette voix qui s'était fait 
entendre dans la nuit m'avait ému. Il faut avoir vagabondé et 
souffert, comme nous l'avions fait dans cette expédition du 
Katanga, pour deviner le sentiment que vient éveiller tout à 
coup la voix d'un ami invisible qui vous appelle. 

On concevra plus aisément que je ne puis le dire, avec quel 
empressement et quelle émotion Jacques et Diderrich,tous deux 
citoyens de Vielsalm et amis de vieille date, se jetèrent dans 
les bras l'un de l'autre, et cela aux antipodes presque du lieu 
natal ! 

Mais bientôt on courut au plus pressé. Il s'agissait d'enlever 
le boma où l'Arabe Toka-Toka tenait Jacques en échec dans 
son fort d'Albertville, distant de deux kilomètres à peine. 

L'assaut du boma arabe fut décidé pour le surlendemain, 
26 août. L'attaque eut lieu au petit jour, vers quatre heures 
du matin. Le défilé des 400 hommes de Jacques et de Joubert 
au pied du fort avait quelque chose de poignant. Les derniers 
adieux et les dernières recommandations, échangés avant de 
prendre chacun son poste, causèrent un moment d'incroyable 
impression. 

Nous tînmes le siège devant le boma pendant plus de douze 
heures, souffrant de notre position découverte vis-à-vis de l'en- 
nemi, brûlés par le soleil et dévorés par la soif. Les gredins 
assiégés en souffraient plus que nous, car vers le soir, ne tenant 
plus contre nos coups de fusils, ils se disposaient à abandonner 



I5S SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO, 

la place, lorsqu'une panique étrange causée par la mort d'un 
nyampara mit les nôtres en fuite. Les exhortations des chefs 
furent inutiles, et le soir venu, il fallut lever le siège. L'affaire 
nous avait coûté une vincrtaine d'hommes et des milliers de 
cartouches; mais l'ennemi a dû souffrir davantage, ce qui le 
rendra plus circonspect pour l'avenir. Ah ! si Jacques avait eu 
dès lors un canon, — qu'il réclama depuis, — le résultat eût été 
tout autre et il eût gagné une année. 

Cassart et moi, nous restâmes à Albertville jusqu'au 10 sep- 
tembre, partageant la vie et les travaux de ses braves habi- 
tants. Pendant que Jacques et Cassart maçonnaient les murs 
du fort, je parvins à creuser un four à chaux, où j'obtins un 
fort bon produit en faisant calciner les nombreux coquillages 
qui bordent les rives du lac- 

§ YI. — Le lac Tanganika. 

Notre expédition séjourna près de deux mois sur les rives 
du Tanganika. Ce temps me permit de parcourir la région 
comprise entre Saint-Louis de Rumbi et la Lukuga, et de 
l'étudier en détail, surtout au point de vue géologique. La 
configuration du lac est assez bien celle d'une cuve profondé- 
ment encaissée et douze fois plus longue que large. Le grand 
axe atteint environ 630 kilomètres et le petit axe varie entre 
16 et 90 kilomètres. Les berges s'élèvent en leur point cul- 
minant à 2130 mètres. C'est l'altitude du pic Soumbourousa, 
situé à la pointe nord du lac. Ce haut massif s'affaisse tout à 
coup aux environs du cap Tembwé, situé entre Albertville et 
INIpala, ce qui permet l'épanchement des eaux de la cuve par 
le canal de la Lukuga, dont le seuil ou bief supérieur est à 
820 mètres au-dessus du niveau de la mer. 

La cuve du Tanganika est alimentée par les eaux de plus 
de cent affluents, dont les plus importants sont: le Malagarazi, 
situé au nord d'Oudjiji; le Lofu, qui se déverse à la pointe 
nord, et le Lufuko, qui arrose les terres de iMpala. 

La profondeur moyenne, suivant la ligne médiane du lac, os- 
cillerait entre 200 et 300 mètres. M. Giraud donne une profon- 
deur maximum de 647 mètres, mesurée au large de Karéma. 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. I59 

Une partie de cette colossale masse liquide se déverse par la 
LukiJga lorsque le canal fonctionne, une autre partie se perd 
par évaporation et celle-ci est considérable, car la superficie du 
lac atteint 31.450 kilomètres carrés, plus que l'étendue de la 
Belo^ique. 

Son nom.Le Tanganika, étant formé de l'apport d'afBuents 
d'eau douce, participe à leur nature. Le m^ot Tanganika, en 
langage indigène, signifie « lieu du mélange»; nous en avons 
eu la preuve à la jonction des deux branches mères du Congo, 
le Lualaba et le Luapula; les Baloubas appelaient cette 
jonction Tanganika-Lualaba. Le nom de Tanganika, que 
Burton et Speke consacrèrent au lac, quand les premiers, ils 
l'aperçurent le 1 5 février 1 858, n'était donc qu'un nom générique 
pouvant s'appliquer à tous les lacs de cette contrée de l'Afrique 
centrale. Je me hâte de dire que Tanganika est la seule déno- 
mination que j'aie entendu donner par les indigènes au lac qui 
nous occupe, et ceux qui habitent ses rives n'en ont jamais 
recueilli d'autres. Burton et Speke n'avaient donc pas à choisir. 
Les Arabes de l'Est, qui au début de leur occupation appe- 
laient le lac « Mer d'Oudjiji », ont eux-mêmes définitivement 
adopté cette désignation de Tanganika. 

Le lac se présente généralement comme une mer calme d'un 
bleu verdâtre, qui se profile sur un horizon d'un bleu très 
adouci. De temps à autre, les vents viennent jeter de longs 
frissons sur la nappe liquide. Mais le Tanganika a aussi ses 
moments de colère : quand la tempête souffle, c'est une mer 
furieuse, aux vagues hautes et courtes, qui viennent s'abattre 
contre la falaise et peuvent en un clin d'ceil, par leur retrait 
subit, fracasser la plus solide des embarcations indigènes. 

Une grande partie de nos soldats et plusieurs d'entre nous 
gagnèrent le mal de mer sur le parcours de Saint- Louis à Al- 
bertville. Les embarcations, dont noirs et blancs se servent 
pour naviguer au large du Tanganika, ne sont réellement que 
de très grandes pirogues munies d'un mât central, coiffé d'une 
chappe à deux poulies pour permettre de hisser une large voile 
quadrangulaire. Faute de vent, on doit se résigner à naviguer 
à la rame. Les rives mêmes du lac fournissent les arbres pour 
la construction des pirogues; qu'on juge si ces arbres doivent 



l6o SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

être de belles dimensions : nous sommes partis de Saint-Louis 
sur deux pirogues avec 125 hommes et des charges. 

Le caractère des tribus riveraines du Tanganika est tran- 
quille et doux, mais un de ses côtés les plus frappants, c'est 
je ne sais quoi de défiant qui les met en garde contre leurs 
meilleurs amis, et qui doit provenir de leur long asservisse- 
ment. Les populations qu'il nous a été donné de voir étaient 
très industrieuses et très intelligentes : elles excellent dans le 
travail de la vannerie et de la poterie ; les forgerons du Ma- 
rungu sont les plus expérimentés et les plus entendus de ceux 
que j'ai rencontrés en Afrique. L'agriculture et la pêche surtout 
sont les deux principales occupations des habitants, car le lac 
abonde en poissons exquis, et les terres riveraines sont géné- 
ralement très fertiles. Les indigènes se nourrissent de manioc» 
de patates douces, d'arachides, de maïs; ils tirent une très 
bonne huile de la graine de sésame et de l'éleusine. Les Arabes 
leur ont enseigné la culture du riz, lequel entre pour une large 
part dans leur alimentation. Nos produits européens com- 
mencent, eux aussi, à prendre de l'extension et à entrer dans 
l'alimentation des indigènes. Les terres du Tanganika résultent 
de la décomposition des roches granitiques en général, des 
pegmatites et des calcaires. Ces terrains sont tout à fait favo- 
rables à nos céréales, et pour s'en convaincre, il suffit d'avoir 
parcouru ces grands champs de blé et de pommes de terre de 
IMpala. 

La mission des Pères Blancs de Mpala, et celle de Kibanga, 
plus au nord du lac, comptent parmi les rares installations eu- 
ropéennes de l'Afrique centrale, qui savent se subvenir à elles- 
mêmes par leurs cultures et leur élevage du bétail. Les résultats 
obtenus par les Pères Blancs au Tanganika sont tout à fait 
remarquables, et leur initiative autant que leur activité est 
digne d'éloges. 

Les indigènes préparent avec le maïs et le sorgho une 
boisson fermentée qu'ils appellent poumbé, et qui, à la rigueur, 
peut rappeler la bière à des gens qui, comme nous, en avaient 
été longtemps privés. 

Le ]\Iasenzé fournit un excellent tabac, très noir et très fort, 
estimé sur toute la côte, car tous les riverains sont grands 
fumeurs et grands priseurs. 



TTJOTSIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. l6l 

Je rencontrais un jour des ronces chargées de mûres: malgré 
l'exemple que je leur donnais, les hommes qui m'accompa- 
gnaient ne voulurent point toucher à ces fruits, qu'ils préten- 
daient être vénéneux. 

En général, le climat du Tanganika est très salubre. C'est 
l'avis de tous ceux qui y ont séjourné; certains endroits du 
nord du lac, très restreints d'ailleurs, le sont moins, mais il faut 
en chercher la cause dans la présence des marais. L'altitude 
de cette région et la fréquence des vents sont certainement 
deux des plus grandes causes de la salubrité de ce pays. Pen- 
dant notre séjour au Tanganika, qui a duré près de trois mois, 
nul d'entre nous n'a eu à souffrir de la fièvre ; le capitaine 
Joubert et les missionnaires n'en souffrent que très rarement. 

Il est un phénomène qui se manifeste très peu ou pas dans 
l'Etat du Congo, et qui semble s'être localisé dans la région du 
Tanganika. J'entends parler des tremblements de terre. 

Le major Cambier, alors qu'il résidait à Karéma, fut un des 
premiers à signaler ces phénomènes. Voici ce qu'il écrivait à la 
date du 24 septembre 1879. 

« Comme fait de quelque importance, je n'ai à signaler qu'un 
tremblement de terre, que nous avons ressenti chez Simba le 
30 août vers midi. Les secousses peu violentes y ont duré 
environ une demi-heure, et ont été précédées d'un bruit com- 
parable à celui d'un chariot lourdement chargé et roulant avec 
rapidité. 

« Les indigènes avec qui je causais en ce moment ne témoi- 
gnèrent ni étonnement ni frayeur. Ils me dirent que c'était 
l'âme d'un sultan décédé depuis longtemps, qui passait sous la 
terre, et que son passage annonçait la mort prochaine d'un per- 
sonnage important. Ils ont ajouté que ce phénomène se répé- 
tait toutes les années... » 

Faute de place, force nous est de terminer ici la relation de 
M. Diderrich, que déjà nous avons dû abréger bien à regret 
dans son étude savante de la contrée du Tancranika. 

Il nous reste à narrer brièvement le retour en Belgique des 
expéditions Delcommune et Bia-Francqui. 



.1.^ .1. 



Soldats et missionnaires au Congo. 



102 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 




m: CHAPITRE III. ^ 
Retour en Belgique. 

I. — Du Tanganika à Bruxelles. 

i'EST le 6 octobre 1892 que MM. Delcommune, 
Diderrich, Briart et Cassart quittèrent Mpala pour 
prendre la route du retour par la vallée de la Lu- 
kuga. D'après M. Diderrich, cette rivière est bien 
le déversoir du grand lac, ainsi que l'avait reconnu Cameron 
en 1874. Mais ce déversoir ne fonctionne pas continuellement, 
à cause de l'ensablement qui se produit au seuil de partage, à 
la naissance même de la rivière, que l'expédition suivit dans 
tout son parcours jusqu'au confluent du Luapula. 

De ce point, elle remonta le fleuve jusqu'à Ankoro, au con- 
fluent du Luapula et du Lualaba, et s'assura que le premier de 
ces cours d'eau est le véritable Congo, dont la tête est le 
Tchambézi, situé en territoire anglais. 

Continuant sa marche à l'ouest, l'expédition traversa les 
plaines qui séparent le Lualaba du Lomami, et passant cette 
dernière rivière presque à la hauteur de l'embouchure de la 
Lukussi, elle se retrouva de nouveau à Gongo-Lutété, le 
19 novembre. Là elle apprit, du résident Duchesne, les bril- 
lantes victoires de Dhanis et comment Gongo lui-même était 
devenu l'instigateur de toute cette campagne contre les Ara- 
bes, mais aussi la désolante nouvelle du massacre de l'expédi- 
tion Hodister. 

De Gongo-Lutété on gagna Lusambo le 7 janvier 1893, ^t 
là on fut rejoint par MM. Francqui, Cornet et Derscheid, de 
l'expédition Bia, pour faire route ensemble. 

Le steamer Princesse Clémentine ramena à Léopoldville les 
membres des deux expéditions, qui refirent à nouveau la route 
des caravanes,mais plus joyeusement que la première fois ; er^fin 
le 14 mars 1893, ils s'embarquèrent à Borna pour débarquer à 
Lisbonne le 19 avril suivant. 

Le voyage de l'expédition Delcommune avait duré deux ans 
et neuf mois; celui de l'expédition Bia-Francqui un an et onze 
mois. 




Le capitaine Joubert, chef des forces antiesclavagistes à Baudouinville, sur le Tanganika. 
(Gravure extraite du Mouvement antiesclavagiste.) (V. p. 159.) 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. 165 



§ IL — Résultats scientifiques des deux expéditions. 

Sans parler du résultat des investigations au point de vue 
des produits du sol et des mines, on peut affirmer que l'expé- 
dition Delcommune est surtout féconde pour la science géo- 
graphique. 

Deux rivières se voyaient tour à tour attribuer l'honneur 
d'être la branche initiale du Congo : le Luapula et le Lualaba. 
Delcommune, le premier, a résolu le problème. Le Luapula, 
qui traverse les lacs Bangvvélo et Moéro, doit être considéré 
comme le cours supérieur du Congo. 

Et d'après le lieutenant Francqui, lequel a pris avec un zèle 
au-dessus de tout éloge le commandement de l'expédition Bia, 
après la mort de son chef, les sources du Congo sont celles de 
la rivière appelée Tchambézi, qui se jette dans le lac Bang- 
wélo ; elles se trouvent donc en dehors de l'Etat du Congo, 
dans la sphère des intérêts anglais. 

Une autre constatation intéressante, et peut-être regrettable, 
c'est que les grandes mers intérieures, telles que les lacs Moéro 
et Bangwélo, se dessèchent sensiblement et perdent de leur 
ampleur. 

Le Tanganika lui-même tendrait à se vider, si le débouché 
de la Lukuga se creusait suffisamment ; mais la grande pro- 
fondeur du lac (600 mètres) le met à l'abri d'un épuisement 
complet, et il peut à bon droit passer pour une mer intérieure. 

Les deux expéditions rapportent d'autres renseignements 
inédits. Le lac Landji, indiqué sur toutes les cartes comme 
recevant les eaux du Tanganika, n'existe pas et doit être rem- 
placé par deux expansions latérales du Lualaba. Les sources 
du Lualaba ont été reconnues par Francqui, à environ 25 kilo- 
mètres de celles de la Lufila, sur un vaste plateau qui forme la 
ligne de faîte entre le bassin du Congo et celui du Zambèse. 

Elles rapportent aussi la détermination de plus de quatre- 
vingts positions géographiques et de plus de mille altitudes de 
la région du Katangk, dont une carte complète pourra être 
dressée. 

Au cours de leurs voyages, les explorateurs Bia et Francqui 
ont eu l'occasion de rendre un hommage, depuis longtemps 



l66 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

demandé par la Royal geograpJiical Society de Londres, à la 
mémoire de Livingstone. Traversant les limites de l'Etat ils 
ont pénétré sur le territoire anglais et ont été au village où 
est mort le grand explorateur, au sud du lac Bangwélo, placer 
sur un arbre planté au milieu des cases une plaque en bronze 
portant les mots : 



David Livingstone, 
died hère (mort le) i" May 1873. 



Au point de vue politique, les expéditions ont remporté éga- 
lement de grands avantages. Les territoires compris entre le 
lac Moéro, la rivière Luapula et le lac Bangwélo, d'une part, 
et le 24^ degré de longitude, d'autre part, jusqu'aux confins 
du bassin du Zambèze, ont été soumis à l'État. 

C'est là un résultat fort important, car on se rappelle que 
ces territoires avaient été revendiqués par les Anglais. Le 
résultat politique égale donc le résultat scientifique : ainsi nos 
hardis et courageux explorateurs ont bien mérité les ovations 
qui leur ont été faites en Belgique. 

Réception solennelle des explorateurs du Katanga. 

— La réception des explorateurs du Katanga a eu lieu au Palais 
des Académies avec une grande solennité. S. M. le Roi ho- 
norait cette fête de sa présence, ainsi que M. Van Eetvelde, 
ministre de l'Etat du Congo. 

La grande salle du Palais des Académies était remplie d'une 
foule nombreuse et élégante. A droite de la salle avaient pris 
place les familles des explorateurs. A gauche, une assistance 
d'élite, un grand nombre d'hommes politiques : sénateurs, dépu- 
tés, les membres du Conseil supérieur de l'Etat indépendant 
du Congo, beaucoup d'offîciers et de dames. 

Dans la tribune diplomatique se trouvaient S.É. Mgr Nava 
di Bontife, nonce apostolique; les ministres plénipotentiaires 
d'Allemagne, de Hollande, de Portugal. Dans la loge ministé- 
rielle étaient M. Beernaert, chef du cabinet; MM. les ministres 
ie Burlet, Pontus, de Mérode, M. Woeste, ministre d'Etat. 

IvL Urban ouvre la séance et invite les chefs des expédi- 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. 167 

tiens, MM. Delcomniune ^X. le lieutenant Frajicqiù, à prendre 
place à ses côtés. Les heureux compagnons de ces vaillants 
explorateurs, qui sont aujourd'hui à l'honneur après avoir été 
avec eux à la peine, sont : le lieutenant Jules Derscheid, le 
docteur Briart, M. Cornet, docteur en sciences naturelles, 
l'ingénieur Didei^rich et le docteur ^;;^^;V/;/^/^. 

M. Urban remercie et félicite les explorateurs pour les 
grands services qu'ils ont rendus à la Société du Katanga, à 
l'État du Congo et à la civilisation de l'Afrique. 

M. Diderrich,au nom de M. Delcommune, retrace en grandes 
lignes le voyage des explorateurs au Katanga. 

M. Francqui expose en quelques mots la marche et les ré- 
sultats de son expédition. 

M. Leclerq, président de la Société de géographie, fait res- 
sortir en termes heureux et émouvants les services éminents 
rendus par les explorateurs à la science et à la civilisation. Ils 
peuvent revendiquer une place parmi les plus grands explora- 
teurs de l'Afrique en ce siècle. 

Après ces discours, très applaudis, le major Thys, officier 
d'ordonnance du Roi, annonce que la commission organisatrice 
des fêtes a fait frapper des médailles pour perpétuer le souvenir 
de ce jour mémorable. 

Voici l'ordre dans lequel elles ont été distribuées : 

Médailles d'or au lieutenant Paul Le Marinel, commandant 
au Congo, reçue en son nom par son frère le capitaine Georges 
Le Marinel; et à M. Alex. Delcommune, chef d'expédition; 

Médailles d'argent aux familles des capitaines Bia et Stairs, 
morts au Congo ; 

Médaille en vermeil au lieutenant Francqui ; 

Médailles d'argeiît au lieutenant Derscheid ; au capitaine 
Descamps, qui vient de repartir en Afrique pour prendre le 
commandement de l'expédition antiesclavagiste, envoyée au 
secours du capitaine Jacques ; aux familles du lieutenant Ac- 
kassase et du capitaine Bodson, morts en Afrique; au lieutenant 
Légat et au sergent Verdich, actuellement encore en Afrique; 
au marquis de Bonchamps, qui demande en ce moment au 
climat du Midi le rétablissement de sa santé ébranlée ; à l'in- 
génieur Diderrich, au docteur Briart, au baron de Roest, au 



l6S SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

docteur Anierlinck, à i\I. Cornet, qui sont revenus avec Del- 
commune et Francqui ; au sergent Cassart, encore au service 
de l'Etat indépendant. 

Les explorateurs présents, à l'appel de leur nom, s'avancent 
vers la loge royale au milieu des applaudissements de l'assis- 
tance. Sa IMajesté leur remet la médaille qui leur est destinée 
en les félicitant longuement, leur serrant la m^ain avec effusion 
et donnant ensuite le signal des applaudissements. 

M. Alex. Delcommune reçoit, en même temps que la mé- 
daille, la croix de chevalier de Tordre de Léopold qui vient de 
lui être conféré. 

Un incident touchant s'est produit à l'appel du nom du ser- 
gent Vcrdich : la famille de ce brave était représentée par un 
oncle, vieux paysan en sarrau, qui s'est avancé vers le Roi tout 
rayonnant de joie, et avec lequel Sa Islajesté s'est entretenue 
avec bonhomie pendant plusieurs minutes. 

§ III. L'ingénieur Diderrich et le petit Kalala. 

M. Norbert Diderrich, né en 1867 à Vielsalm, est un 
élève du pensionnat de Carlsbourg, dirigé par les Frères des 
Écoles chrétiennes. Il y fit ses classes professionnelles de iSSo 
à 18S5, en même temps que deux des frères du capitaine 
Jacques, puis entra à l'Université de Louvain, d'où il sortit 
en 1889 avec le diplôme d'ingénieur civil et des mines. Rentré 
à Carlsbourg en qualité de professeur de géologie à la section 
agricole, il partit en 189c pour l'Afrique comme adjoint de 
1\I. Delcommune, avec mission de faire la géologie des contrées 
parcourues. Arrivé au Tanganika, il fut heureux de rencontrer 
et de secourir son compatriote, le capitaine Jacques, qui rend 
à sa valeur le plus bel hommage : « Norbert, écrit-il, s est battît 
vaillamment à mes côtés, et je suis heureux de pouvoir crier bien 
haut : Cest 2Ui brave l » 

Depuis 1894, ^ï- Diderrich est promu par l'Etat congolais 
à la direction de l'industrie et de l'agriculture au Congo. Il fut 
chargé d'organiser à Anvers l'exposition congolaise, et particu- 
lièrement l'intéressant village nègre, où le public visitait avec 
plaisir les spécimens des tribus des Bangalas, des Basokos et 
autres, dans les exercices de leur vie africaine. 



TROISIÈME PARTIE. EXPÉDITION DELCOMMUNE. 169 



C'est à Anvers également que nous eûmes l'avantage de 
refaire la connaissance de M. Diderrich. Il voulut bien nous 
confier son «jeune boy», le petit nègre Kalala, qu'il avait 
ramené du Congo, et au sujet duquel nous croyons intéressant 
de donner quelques détails. 

Cet enfant, originaire du Katanga, venait (1892) de perdre 
son père et sa mère, tués dans une razzia par les Arabes es- 
clavagistes, lorsqu'il fut recueilli par l'expédition Bia-Francqui, 
puis par l'expédition Delcommune, dont faisait partie M. Di- 
derrich. Celui-ci gagna l'affection du petit orphelin, qui s'atta- 
cha à sa personne pendant le reste du voyage, depuis le 
Katanga jusqu'au Tanganika, où Kalala eut l'occasion devoir 
le capitaine Jacques et le capitaine Joubert, dont il a conservé 
le meilleur souvenir. 

Au retour de l'expédition, le petit congolais, alors âgé de 9 
à 10 ans seulement, mais déjà grand et fort, sut parcourir à 
pied les quatre cents lieues qui séparent le Tanganika de Borna 
et de la côte occidentale. De Boma, M. Diderrich, partant pour 
l'Europe, confia son jeune protégé à M. Van den Plass, qui, 
l'an dernier, l'amena en Belgique. Kalala passa l'hiver à Viel- 
salm, dans la famille du capitaine Jacques et chez les amis de 
M. Diderrich lui-même. 

Puis ce dernier s'adressa naturellement aux bons soins des 
Frères de Carlsbourg pour faire l'éducation de son jeune nègre, 
et le préparer surtout à recevoir le baptême. Celui-ci fut ac- 
cueilli avec empressement et avec affection par le Frère direc- 
teur et les professeurs de l'établissement, par tous les élèves, 
tous heure iX de trouver l'occasion de connaître de près cette 
race congolaise si sympathique désormais aux Belges. 

Il est vrai quele jeune Kalala,qui sort de la tribu des Baloubas 
réputée pour sa beauté relative, est déjà, à 1 1 ans, de la taille et 
de la force des autres élèves de 14 et 15 ans. Il mérita, du reste, 
les sympathies de tous par son caractère même, sa docilité, ses 
manières distinguées, acquises dans le commerce des blancs. 

Mais le pauvre enfant restait encore plongé dans les ténèbres 
du paganisme, et il nous était confié surtout pour en faire un 
chrétien. Après deux mois d'instructions spéciales très suivies, 
il se trouvait en état d'être admis au baptême. 



170 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

A cet effet, le 12 juillet 1894, nous le conduisîmes à Gand, 
où Mgr Antoine Stillemans avait accepté d'être le parrain du 
nouveau chrétien. Le prêtre officiant était M. le doyen de Saint- 
Bavon. La marraine fut M"^^ la comtesse Georgine d'Ursel. ^l. 
le comte Hippolyte d'Ursel, commissaire général de l'exposition 
d'Anvers, était lui-même présent, ainsi que M. Norbert Dider- 
rich. Cet ensemble de circonstances explique les noms d'^;/- 
toine-Hippolyte-Georges-Norbei't-Marie, donnés à Kalala, régé- 
néré par le baptême. 

Le nom de Kalala, qui, dans la langue balouba, signifie 
« l'Ecureuil », lui restera comme nom civil. 

Le jeune homme rentra pour quelque temps au pensionnat 
de Carlsbourg, où il acheva, grâce à son intelligence remarqua- 
ble, d'acquérir le degré de connaissances possible, pour lui, 
dans la religion, la lecture et l'écriture. 

Le 4 octobre, il fit sa première communion dans la chapelle 
de l'établissement, en présence de tous les élèves rentrés des 
vacances. Puis, comme M. Diderrich, déjà reparti pour le 
Congo, le réclamait, Kalala quitta Carlsbourg, avec un regret 
tempéré toutefois par son vif désir de revoir sa chère patrie. 

Le 5 octobre, nous le conduisîmes à Namur, où Mgr De- 
crollière, enchanté de ses belles dispositions, lui accorda la 
faveur de la confirmation. 

Enfin, le lendemain, nous le remîmes à Anvers, à bord du 
Coomassie, entre les mains de M. Jules Cottin, partant pour 
Boma, et en présence de M. le capitaine Jacques, qui lui aussi 
avait voulu faire ses adieux au jeune africain. 

Quelque temps après,notrecher Kalala,arrivéchez les Soeurs 
missionnaires à Matadi,nous donna deses nouvelles, et I\L Cottin 
nous assura de la bonne conduite du jeune chrétien, qui sera, dit- 
il, ^un véritable apôtre » pour ses compatriotes encore païens. 

Espérons-le ainsi. Espérons de plus que les autres jeunes 
nègres et le nombre plus grand de jeunes négresses élevés en 
Belgique notamment par les soins de M. l'abbé Van Impe, à 
Gyseghem, et des Sœurs de Gand, rentreront dans leur patrie 
pour y semer la doctrine et les mœurs catholiques, si consolan- 
tes pour cette malheureuse race noire, qui jusqu'ici n'avait 
connu que les atrocités païennes. 



TROISIÈME PARTIE. 



EXPÉDITION DELCOMMUN'E. 



I/I 



Comptons surtout, pour obtenir ce beau résultat, sur les 
efforts tentés en Afrique même par nos prêtres et nos Sœurs 
missionnaires, qui déjà y élèvent plusieurs miJliers d'enfants 
arrachés à la barbarie, et y répandent la lumière de l'Évan- 
gile avec beaucoup de succès, ainsi que nous allons le voir dans 
la IV® partie de cet ouvragée. 




Les Belges au Congo. ^^^ 

Salut à toi, noble Belgique, 
Gloire à tes fils, gloire à ton Roi ! 
Le noir habitant de l'Afrique, 
Par eux sauvé d'un long effroi, 
Enfin secoue un joug inique 
Et sous l'égide de ta loi 
Se livre au travail pacifique, 
A la lumière de la Foi. 

I. 

O Belgique, ô chère Patrie, 

Ton Roi te veut plus grande encor, 

De tes gloires il te convie, 

A doubler l'antique trésor. 

Aux trois couleurs il associe 

La bannière à l'étoile d'or. 

IL 

Sur les plages où les entraîne 
La voix d'un sage Souverain, 
Nos soldats vont l'âme sereine, 
Affrontant un climat d'airain, 
De l'Africain briser la chaîne 
En domptant l'Arabe inhumain. 

IIL 

Suivant là-bas même carrière. 
Prêtres, soldats, main dans la main, 
S'en vont fécondant la poussière 
Où l'on moissonnera demain ; 
La croix brille sur leur bannière 
Kt les guides dans le chemin. 

IV. 

Longtemps déjà sur ce rivage 
Ton nom, ô Belgique, est béni, 
Partout l'odieux esclavage 
Est combattu, vaincu, banni, 
Et tes soldats par leur courage 
Partout font face à l'ennemi. 

V. 

De tes guerriers de l'âge antique, 
Belge, tu soutiens le renom, 
Imite leur vertu civique, 
Elargis ton bel horizon ; 
Couvre du Roi l'œuvre héroïque 
De ton étendard brabançon. 
Carlsbourg. Louis Graide. 



.1* 




Le jeune Antonio-Marie Kaiaia, ramené ou Congo 
par M. Diderrich, et baptisé en Belgique. (p. 169.) 



/ii'il 



QUATRIÈME PARTIE. 



LES MISSIONS CATHOLIQUES BELGES 





AU CONGO. 



CHAPITRE I. 
Les Pères Blancs au Tanganika. 

/RGANISATION DES MISSIONS CON- 
GOLAISES. — Pour être complète, l'œuvre 
de la civilisation du Congo devait joindre à 
l'action militaire, qui protège, et à l'activité 
commerciale, qui recherche l'utile et le profit, 
celle del'évangéîisation chrétienne,qui moralise 
et élève l'âme pour la vie éternelle sans négliger le bien-être 
temporel. 

Aussi, dès le début de la colonisation, le roi Léopold ob> 
tint-il du Pape Léon XI 1 1 et de l' Épiscopat belge l'organisation 
de la colonie en missions apostoliques, qui furent confiées de 
préférence aux missionnaires belges, prêtres séculiers ou régu- 
liers, bientôt secoadés par des Sœurs ou religieuses de 
plusieurs congrégations. 

Nous avons raconté aillejjrs (') quels furent les débuts de 
cette organisation. Il nous suffira de donner ici brièvement le 
tableau de la situation actuelle des missions. 

L'immense territoire du Congo belge, quatre-vingts fois 
plus étendu que la Belgique elle-même, forme 3 vicariats 
apostoliques, savoir: 

1° Le VICARIAT APOSTOLIQUE DU CoNGO BELGE proprement 
dit, confié aux Missionnaires de la Société du Cœicr ImiîiacuU 
de Marie, établie à Scheut, près Bruxelles. Ces missionnaires, 
prêtres séculiers, sont aidés dans les hôpitaux et les orphelinats 
par les Sœurs de Charité, dites Sœurs Blanches, du diocèse de 
Gand. — Les Pères Trappistes sont installés à Coquilhatville. 
Ce vicariat comprend la généralité de la contrée, dont on a 



I. Congo belge illustré, par Alexis-G.M., page 187- 



lyô SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

cependant distrait deux fractions pour former les missions 
ci-après. 

2° Le vicariat du Tanganika occidental, confié à la Société 
des Missionnaires d'Alger, dits Pères Blancs, fondée par le 
cardinal Lavigerie. — Stations: Kibanga, Mpala, S t- Louis de 
Mirumbi, Baudouinville. 

3° La PRÉFECTURE APOSTOLIQUE DU KwANGO, partie sud- 
ouest du pays, attribuée aux Pères de la Co7npagiiie de Jésus^ 
de la province belge. Ceux-ci se font aider par les SœiD-s de 
Notre-Dame, de Namur. — Stations : Kimuenza. 

4° Il convient d'ajouter à ce personnel évangélisateur, les 
p7'êtres séculiers du diocèse de Gand, qui remplissent les fonc- 
tions de cîirés ou d'aumôniers à Boma, Matadi, etc. 

Mission du Tanganika occidental. 

Si nous commençons par les Pères d'Alger, c'est parce 
qu'ils sont les plus anciens parmi nos missioanaires au Congo. 
Ils sont arrivés au Tanganika en janvier 1879. — Une seconde 
caravane y parvint bientôt après, sous la protection d'un groupe 
de Belges et de Hollandais, anciens zouaves pontificaux com- 
mandés par le sergent Van Oost, qui mourut à Tabora le 
27 janvier 1880. — L'année suivante, à Roumoungué dans 
rOuroundi, le sergent d'Hoop était massacré avec les Pères 
Deniaud et Augier, à l'instigation des trafiquants de chair 
humaine, qui devinaient dans ces amis des pauvres nègres, 
des adversaires de leur odieux commerce. 

Etablis d'abord à Udjidji, les Pères Blancs se retirèrent en 
1885 à Karéma, mis à leur disposition par le roi Léopold IL 

Aujourd'hui ils occupent, outre cette station située sur la 
rive allemande du Tanganika, les missions de Kibanga (Lavi- 
gerieville), au nord-ouest du lac, de Alpala, de Saint-Louis de 
Mirunibi et de Baudouinville, également sur la rive occidentale 
ou belge. 

Les premiers Pères étaient la plupart d'origine française, 
et l'on doit citer avec reconnaissance et admiration les noms 
des Pères Moinet, Guillemé..., ainsi que le brave capitaine 
breton Joubert, leur providentiel chef de police. 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 177 

Actuellement, ainsi qu'il a été convenu entre le Roi-Souve- 
rain et le cardinal lui-même, les Pères Blancs envoyés au 
Congo sont belges d'origine. Citons les PP. Marques, préfet 
apostolique ; Roele^is, Herrebaut, Engels, de Beerst, assistés 
par les Frères Amand, Etienne, Stanislas, François et Arcade, 
partis en i89i,presqu'en même temps que l'expédition Jacques. 

En 1894, les PP. Van Acker, Vander Baer et Van Thiel 
sont allés les rejoindre. 

Joubert lui-même est naturalisé Congolais, et le Roî-Souve- 
rain lui a conféré le grade de capitaine de police du Tanganika. 

Notons également, Joseph, un médecin nègre, jadis racheté 
au Tanganika et qui, après neuf ans d'études, après avoir suivi 
assidûment les cours de la Faculté de médecine de Malte, est 
retourné dans son pays pour servir d'auxiliaire aux mission- 
naires et porter à ses malheureux compatriotes le secours de 
son art et de sa charité. 

Malheureusement, la mort a fait là aussi ses ravages. Mgr 
Charbonnier, Mgr Bridoux, français, les Pères Vander Straeten 
et Vyncke, belges, sont décédés, il y a quelques années déjà, 
et le P. préfet Marques, qui rendit si bon témoignage d'Alexis 
Vrithoff, est mort, jeune encore, en 1892. Il est remplacé 
comme Vicaire apostolique par le Père, aujourd'hui Monsei- 
gneur Roelens. 

Le nouvel évêque, fils de nos Flandres, est né à Ardoye; il a 
étudié successivement au collège de Thielt et au petit sémi- 
naire de Roulers. 

En 1880, devenu Père Blanc d'Alger, il fut nommé Procu- 
reur à Woluwe-Saint- Lambert, puis professeur au grand 
séminaire de la Mission à Carthage et ensuite professeur de 
dogme à Ste-Anne de Jérusalem. C'est de là qu'il partit en 
1891 avec cinq autres compatriotes pour la mission du Haut- 
Congo belge. En 1892, il recevait la charge de Provicaire 
Apostolique, précédemment occupée pendant neuf ans par le 
supérieur actuel de Malines, le T. R. P. Coulbois, et après lui 
par le regretté Père Marques. 

Nous voudrions faire parler ces civilisateurs chrétiens, en 
reproduisant leurs intéressantes lettres, notamment l'étude 
ethnographique du P. Vander Straeten ; mais comme cette 

Soldats et missionnaire* au Congo. 12 



178 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

région du Tanganika nous a déjà beaucoup occupé à propos 
des expéditions antiesclavagistes, nous nous bornerons ici à 
une notice sur les Pères Vyiicke et Va7ider Straeteyi^ tous deux 
victimes de leur zèle. 

Le Père Aimé Vyncke était de cette race dont parlait 
saint François Xavier quand, du fond des Indes, il écrivait à 
ses supérieurs d'Europe: «Envoyez-moi des Belges...» Il 
possédait les qualités de force du caractère flamand unies à la 
jovialité d'un tempérament robuste. 

Né le 10 février 1850 à Zedelghem, village près de Bruges, 
il reçut ses premières impressions au milieu des traditions non 
contaminées de la vieille Flandre catholique. 

Il n'avait pas encore dix-huit ans quand il s'enrôla dans les 
zouaves pontificaux ; il prit part notamment à la bataille de 
Mentana, et revint en 1869 continuer ses études au collège de 
Roulers. Entré ensuite au séminaire, il fut élevé à la prêtrise 
le 10 juin 1876 et placé comme vicaire à Dudzeele, qu'il trans- 
forma en quatre ans. Mais ce n'était pas assez pour son zèle. 

Désireux de travailler au salut des pauvres nègres, païens 
et esclaves, il partit pour Alger en 1S81 et s'y prépara à la 
rude vie de missionnaire au noviciat de Notre-Dame d'Afrique. 
Le cardinal Lavigerie l'attacha à la mission de Kibanga, au 
bord du Tanganika, où il l'env^oya au mois d'avril 1S83. Ce 
•poste devint le centre de ses opérations apostoliques, et lors- 
qu'il l'eut converti à la foi, il le rebâtit sur un emplacement plus 
favorable sous le nom de Lavigerieville. C'est alors que le 
PèreVyncke fut nommé supérieur de la mission et qu'il retrouva 
le capitaine Joubert, un de ses anciens officiers aux zouaves. 
Hélas ! il eut la douleur de voir les villages chrétiens du Tan- 
ganika dévorés en une nuit par les flammes et leurs populations 
massacrées ou razziées par les traitants arabes: Kibanga, prépa- 
ré à la résistance, fut seul peut-être excepté. 

Cette épreuve subie, le serviteur du Christ fut jugé digne de 
la récompense. Vers la fin de 188S, il succombait victime du 
climat et des fatigues, achevant l'immolation qu'il avait faite de 
sa vie entière à Dieu. 

Le Père Vander Straeten. — Les édifiants détails ci- 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 1 79 

après sont extraits d'une lettre du R. P. Guillemé à M. le 
Supérieur du séminaire de Woluwe-St-Lambert. 

Notre-Dame de Mpala, 22 juin 1891. 
Monsieur le supérieur, 

« Je remplis un devoir plein de tristesse, en vous annonçant 
la mort du fils bien-aimé que vous avez donné à la Société 
des Missionnaires d'Alger. Dieu a rappelé à lui, le 20 juin 
1891, le cher et Révérend Père Camille Vander Straeten, de 
la Mission de Mpala, où il travaillait depuis plusieurs années 
en vrai et dévoué soldat du Christ à la civilisation chrétienne 
de l'Afrique. Il a succombé à une attaque de cette terrible 
fièvre hématurique bilieuse qui, les années précédentes, à di- 
verses reprises, avait fortement ébranlé sa robuste constitution, 

« Au milieu de ses souffrances, il resta plein de douceur et 
de résignation. Jamais une plainte ne s'échappa de ses lèvres. 
Les yeux fixés sur son crucifix, il répétait à chaque moment: 
Mon Dieu, ayez pitié de moi ; Notre-Dame d'Afrique, secou- 
rez-moi ! 

« Parmi les dernières recommandations qu'il me fit, après 
avoir reçu les sacrements qui fortifièrent son âme, se trouve ce 
souvenir plein de vénération : « Vous direz à mon bon père et 
à mes sœurs que je vais les attendre au Ciel, où, je l'espère, 
le bon Dieu réunira toute ma famille. » 

« Enfin l'heure suprême arriva ; il était prêt et s'endormit 
doucement, sans agonie dans les bras du Seigneur en invo- 
quant la puissante protection de N.-D. d'Afrique. 

<L II était vraiment beau sur son lit funèbre dans la calme 
sérénité de la mort ; et plus d'un, parmi les missionnaires pré- 
sents, se disait intérieurement : Je voudrais mourir comme lui. 

« Plus de 2,000 personnes l'accompagnèrent à sa dernière 
demeure ; quatre jeunes chrétiens, ses fils dans la foi, s'étaient 
réservé la consolation de porter le cercueil de celui qu'ils 
appelleront toujours leur père. Les pleurs et les sanglots des 
chrétiens qui suivaient émus, attendris, prouvaient assez quelle 
place il occupait dans le cœur de ces néophytes, naguère igno- 
rants et plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie. On sentait 



l8o SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

que tous pleuraient un père dévoué, un guide sûr. De pareils 
témoignages d'affection sont l'honneur de notre mission et le 
meilleur éloge du missionnaire qui les a mérités. 

« Il a retrouvé au Ciel, nous l'espérons, les nombreux 
petits anges qu'il avait envoyés devant lui. En attendant la 
résurrection glorieuse, il repose dans le cimetière de la mis- 
sion, à quelques mètres des bords du Tanganika, où sa tombe 
est l'objet d'une vénération toute spéciale. Qu'il repose en paix; 
c'est le vœu sincère de ceux qui l'ont connu et la suprême 
consolation de ceux qui l'ont perdu. 

« Maintenant que vous dire de ce cher fils, que vous ne 
sachiez ? Vous connaissez sa tendre piété son zèle ardent, 
son dévouement sans bornes, son amour tout filial envers la 
très Sainte Vierge, à laquelle il promettait souvent des neu- 
vaines, des messes pour le succès de sa mission et de ses pré- 
dications auprès des sauvages. C'est un samedi, selon son 
désir, qu'il a rendu son âme à Dieu. Que dire de ses autres 
vertus ? Sa bonté, sa simplicité et sa douceur étaient prover- 
biales. 

« Pour ses confrères il était plus qu'un ami, il était un frère* 
avec cela, quelle modestie ! quelle régularité de vie ! quelle 
fidélité à accomplir ses devoirs de prêtre et jusqu'aux moindres 
de ses exercices de piété ! En un mot, il fut un prêtre-mission- 
naire selon le Cœur de Jésus. Ses jours étaient pleins; il avait 
combatti] le bon combat ! 

« Comme vous savez, il exerça d'abord son zèle à Karéma 
et à Kiranda. Désigné ensuite pour le poste de Mpala, il vit 
s'ouvrir devant lui un champ plus vaste, où il a semé pendant 
plusieurs années la bonne semence du salut, avec une activité 
que n'arrêtait aucune fatigue et qui ne comptait pas avec le 
sacrifice. 

« Chargé de l'évangélisatîon de deux centres populeux, il 
s'y dévoua avec un zèle édifiant, instruisant, prêchant et bap- 
tisant sans relâche. Un mois avant sa mort, il s'était livré d'une 
manière toute spéciale aux soins des varioleux et, pour pré- 
server de l'épidémie des villages entiers, il se mit à inoculer à 
tous les enfants la variole bénigne sous mode de vaccin ; les 
résultats furent merveilleux et, grâce à ses soins, des cen- 



QUATRIÈME PARTIE. — LES MISSIONS CATHOLIQUES. l8l 

taines de personnes échappèrent à la contagion, peut-être à 
la mort. 

€ Le chant et la splendeur du culte et des cérémonies furent 
aussi l'objet tout particulier de ses soins. Grâce à son talent, 
des chants magnifiquement exécutés vinrent rehausser les céré- 
monies faites dans notre pauvre église et inspirer le respect 
aux fidèles. De nombreux enfants de chœur formés par ses 
soins vinrent se ranger aux pieds des autels. 

« Je termine, cher Monsieur, ce souvenir pieux à la mé- 
moire de cet ami dévoué qui fut pour moi l'égal d'un frère ; car 
la plume m'échappe, et mes yeux se voilent en pensant à ce 
confrère qui faisait le charme de notre vie commune et qui 
désormais manquera à nos nombreux travaux. » 

JV. Guillemé, prêtre-missionnaire. 

Ce qui frappe le plus, c'est le bien immense opéré, en si peu 
de temps, parmi ces populations entièrement sauvages, par la 
charité et le dévouement des missionnaires. C'est aussi l'atta- 
chement et la vénération de ces pauvres noirs envers ceux 
auxquels ils sont heureux de donner le nom de pères. C'est 
enfin la bénédiction d'une douce et sainte mort, accordée à ceux 
qui ont sacrifié leur vie pour Dieu. 



mi CHAPITRE IL >E^ 




Les Pères missionnaires de Scheut 
au Congo (0. 

sA SITUATION GÉNÉRALE. — Cette Con- 
grégation, établie par le P. Verbist pour les Mis- 
sions belges de Mongolie, a accepté en mai 1888, 
i la charge des missions du Vtcai'iat apostolique du 
Congo belge, créé à cette fin. Son siège est à Scheut-lez- 
Bruxelles. 

Dès le 25 août de la même année, quatre prêtres, MM. Gue- 
luy, supérieur, Huberlant, Cambier et Backer, du diocèse de 
Tournai, partirent pour le Congo. Ils allèrent s'établir d'abord 

I. Les lettres reproduites dans ce chapitre sont extraites en général de l'inté- 
ressante Revue des Missioiis en Chine et au CongOy publiée à Bruxelles par la 
Congrégation de Scheul, 



l82 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

à Kwamouth, puis ils fondèrent, au mois de décembre, sur la 
rive droite du Kassaï, l'établissement de Berglie- Sainte- Marie, 
qui compte aujourd'hui 350 personnes, des enfants pour la plu- 
part. La mission est dirigée actuellement par le P. Van Ronslé, 
qui a été nommé supérieur au Congo à la mort du P. Huberlant, 
ancien provicaire apostolique. Une habitation spéciale est oc- 
cupée par cinq Sœurs de la charité de Jésus et de Marie. 

La mission de Bangala (Nouvelle- An vers) fut fondée au 
mois d'octobre 1889. C'est là que fut créée, à la suite d'un 
décret du Roi-Souverain daté du 12 juillet 1890, la première 
colonie d'enfants indigènes. Celle-ci compte aujourd'hui 500 
pensionnaires environ. Dans ces colonies agricoles et profes- 
sionnelles, sont recueillis et élevés les enfants libérés à la suite 
de la dispersion d'un convoi d'esclaves, ainsi que ceux qui sont 
orphelins ou ont été abandonnés par leurs parents. 

Une seconde colonie d'enfants indigènes est installée à 
Borna, 

La mission de Moanda et celle de Nei7ilao, situées près de 
Banana sur les bords de la mer, et qui appartiennent égale- 
ment à la Congrégation de Scheut, réunissent ensemble une 
centaine de catéchumènes. 

Saint-Joseph de Luhiaboicrg ÎMl fondée le 8 décembre 1891 
par le P. Cambier ; elle compte à présent 1000 catéchumènes 
formant environ trois cents familles. Soixante hectares de terre 
ont été défrichés et transformés en un beau village avec des 
rues et une place publique, des ateliers de charpenterie, de cor- 
donnerie, de vannerie, de tissage, une fonderie de fer et une 
forge. Cinq Sœurs de Charité y enseignent la culture et les 
travaux d'aiguille. 

A six journées de marche vers Test de Luluabourg, se trouve 
la mission de Kalala-Kafumba, fondée au mois de juillet 1893 
par le P. Cambier. Au bout de trois mois, cet établissement 
avait réuni 350 indigènes. A mi-chemin entre Luluabourg et 
Kalala-Kafumba, les Pères de Scheut préparent une nouvelle 
mission située à Kiendela. Elle n'attend plus que l'arrivée de 
trois Pères et de deux Frères, qui se sont embarqués pour le 
Congo au mois de septembre dernier. 

Enfin à 1 1 jours de Luluabourg et à 4 lieues au sud de 



QUATRIÈME PARTIE. — LES MISSIONS CATHOLIQUES. 185 

Lusambo, une autre mission, qui attend également des Pères 
de Scheut, a été édifiée par le P. Cambier. Ce poste qui, en 
langue indigène, s'appelle Moteba, a été créé avec l'argent 
recueilli par la vente de timbres-poste oblitérés. 

Le supérieur de la Congrégation de Scheut, le R. P. Van 
Aertselaer, accompagné du P. De Deken, l'explorateur du 
Thibet, a entrepris, il y a environ deux ans, un voyage d'inspec- 
tion au Congo, lequel l'a conduit jusqu'à Bangala et Lulua- 
bourg. Ils sont rentrés en bonne santé. 

Mais déjà la Congrégation compte des martyrs de dévoue- 
ment par la mort de MM. Bracq, de Backer, Garmyii, décédés 
au Congo, et Hitberlant, mort en 1892 à Scheut. 

D'autres les remplacent, car c'est dans l'épreuve que les 
œuvres divines puisent leur vitalité. Actuellement 18 Pères et 
plusieurs Frères sont en Afrique. En effet, les missionnaires 
de Scheut sont aidés, non seulement par les Sœurs de Charité, 
dont nous parlerons au chapitre III, mais encore par des 
Frères coadjuteurs dont la création est plus récente. Leurs 
connaissances en menuiserie et en jardinage sont d'un grand 
secours aux stations religieuses, tant pour l'installation des 
missionnaires que pour l'éducation professionnelle des enfants 
de la Mission. 

Malgré leur titre modeste, c'est sur les Frères coadjuteurs 
que reposera en grande partie la transformation matérielle des 
stations, le premier fondement de la conversion des nègres 
sauvages, la conservation des forces des missionnaires, la co- 
lonisation par les noirs des territoires avoisinant les résidences. 
On le voit, c'est un rôle important et méritoire. 

Après cet aperçu préliminaire, cédons la plume aux mission- 
naires eux-mêmes, qui nous raconteront ce qu'ils ont vu et 
fait sur cette terre africaine, pour la gloire de Dieu et le salut 
des âmes. 

I. 

A Matadi. — Lettre du P. Huberlant. — Le dimanche, 
25 janvier 1 891, je m'étais rendu à Matadi, et j'examinais les 
travaux si habilement conduits par les ingénieurs du chemin 
de fer. Je viens à croiser un groupe de nègres : 



l86 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

— Bonsoir, Père. 

— Bonsoir, mes amis. Vous parlez donc le français ? 

— Oui, Père. 

— Mais d'où êtes-vous donc ? 

— Du Sénégal, Père. 

— Et que faites-vous ici ? 

— Nous travaillons au chemin de fer. — Moi, je suis for- 
-geron,dit l'un. — Moi, charpentier, dit l'autre. — Et moi, je 
suis buraliste, dit un troisième en se redressant. 

— Vous êtes contents ici ? 

— Oui, Père, mais il manque quelque chose : un Père pour 
nous dire la messe. Et, quand nous sommes malades, pas 
moyen de nous confesser! quatre d'entre nous sont morts déjà, 
sans recevoir les sacrements. 

On comprend assez mon émotion. Ces pauvres nègres 
étaient des indigènes du Sénégal, élevés, instruits et baptisés 
spar les missionnaires français. Ils étaient venus chercher à 
Matadi un travail rémunérateur. 

— Et maintenant, y a-t-il encore des malades parmi vous ? 

— - Oui, Père, il y en a deux. 

— Allons les voir ! 

■ — Oh ! comme ils vont être contents ! 

Et, longeant les magnifiques demeures des ingénieurs et 
•conducteurs de travaux, nous nous dirigeons vers le campe- 
ment de ces braves chrétiens. A un moment donné, nous pas- 
sons devant un quartier d'ouvriers italiens. 

— Là aussi, ils sont chrétiens — me dit le buraliste. Pas 
nécessaire n'était de me le dire : les saluts respectueux et les 
sourires de bienveillance le proclamaient assez. 

Nous arrivons à la demeure que se sont élevée nos Sénéga- 
lais. C'est une sorte de halle immense, garnie de deux côtés, 
de lits bien propres et bien astiqués. Une merveille que ces lits 
quand on songe qu'ils appartiennent à des nègres. 

De tous côtés, je vois appendus aux cloisons, des crucifix, 
des images pieuses, des chapelets. 

A l'endroit le plus apparent se dresse un autel — oui, un 
-autel dédié à la Vierge Marie ! 

Et le buraliste — qui décidément a conscience de son im- 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 187 



portance — de me dire : « C'est ici que, matin et soir, nous 
récitons la prière en commun. » Et mes noirs compagnons de 
s'agenouiller aussitôt, et de réciter à haute voix un Ave 
Maria. 

Et moi, c'est Alléluia que je disais dans mon cœur ; et ces 
bons nègres, mes frères dans la foi, j'avais envie de leur sauter 
au cou et de les embrasser. 

— Où sont les deux malades ? 

— Là-bas, Père. 

Au premier coup d'œil je vis que ces pauvres ouvriers 
étaient perdus, s'ils ne pouvaient aller respirer l'air natal. J'ai 
su depuis que cette chance unique leur avait été accordée. 

A Boma, il y a également un grand nombre de noirs bapti- 
sés, natifs du Sénégal et du Gabon. Mais la plupart ont plus 
ou moins oublié les leçons de leurs maîtres dans la Foi, ont 
abandonné au pays natal femmes et enfants, et vivent ici dans 
le désordre. Ramener au bercail ces pauvres brebis égarées, 
ce sera rude besogne, besogne à désespérer, si je ne savais que 
cette œuvre n'est pas la mienne, mais celle de Dieu. 

Au premier dimanche qui suivit mon arrivée ici, il y a trois 
semaines, pas un seul nègre chrétien n'assista à la sainte Messe. 
Aujourd'hui quatorze se sont trouvés au pied de l'autel, et l'un 
d'eux a communié. Or, jusqu'ici, je n'avais pas pu être en rap- 
port direct avec ces pauvres gens. N'est-ce pas le signe mani- 
feste du travail direct de la grâce .'^ 

Quant aux moyens que je pourrais employer personnelle- 
ment pour maintenir ces convertis dans leurs bons sentiments, 
je n'en connais encore aucun, non plus que pour retirer du 
désordre leurs malheureux compagnons. Je me trompe, j'ai un 
moyen ; et ce moyen, j'en connais trop l'efficacité pour l'aban- 
donner jamais : la prière. :^ 

Nécrologie. Mort de M. Huberlant. — Pourquoi 
faut-il qu'après avoir reproduit la charmante relation ci-dessus, 
nous devions la faire suivre de la notice nécrologique de 
l'auteur lui-même ? 

Dieu en dispose ainsi pour récompenser bientôt la généro- 
sité de ses serviteurs, et les appeler sans doute à intercéder au 



l88 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



ciel pour la persévérance des œuvres qu'ils ont accomplies sur 
la terre. 

Il en est ainsi pour le P. Huberlant, provicaire apostolique 
du Congo belge. 

« M. Ferdinand Huberlant, était né à Marchienne-au-Pont. 
le i8 décembre 1852. Il fît ses humanités au collège d'En- 
ghien, collège fertile en vocations ecclésiastiques et aposto- 
liques," d'où sortit tout entière la première caravane de nos 
missionnaires belges au Congo. 

Vicaire à Binche, il vivait heureux au sein de l'aimable cité 
wallonne, lorsqu'on annonça le patriotique projet conçu par 
l'épiscopat belge de créer à Louvain un séminaire pour la 
formation de missionnaires qui se destineraient au Congo. M. 
Huberlant n'hésita pas un instant à sacrifier sa position par pur 
zèle et sans aucun entraînement ; il fut le premier à se présenter 
au nouveau séminaire en décembre 1886. C'est au tour de lui 
que vint se ranger le premier noyau des missionnaires de 
Louvain, que notre congrégation reçut dans son sein en 1888. 

Des premiers sur le terrain de la nouvelle mission, d'août 
1888 au même mois de 1892, le Père Huberlant travailla sans 
relâche à l'établissement de nos œuvres au Congo Belge et à 
la conversion des noirs. C'est là surtout qu'il nous a été donné 
d'apprécier ses nombreuses qualités : sa profonde piété, son 
obéissance parfaite, son zèle infatigable, sa constance à toute 
épreuve, son inaltérable sérénité, son édifiante humilité. Dans 
notre première communauté de Berghe-Sainte-Marie, il cu- 
mula les fonctions de maître de chapelle, de proviseur et 
d'économe. — Les peines continuelles qu'il se donnait en cette 
dernière qualité, et cela par charité pour ses confrères, avaient 
tellement frappé les nègres de la maison qu'ils tombèrent 
d'accord pour l'appeler Kwamimi « préposé aux vivres », nom 
qu'il accepta lui-même volontiers et consacra par l'usage. 

Lorsque le premier esclave fut racheté par nous à Berghe- 
Sainte-Marie, ce fut le Père Huberlant qui lui brisa les chaînes 
et lui tint lieu de père. Que de fois nous admirâmes sa patience 
à l'égard de ce pupille indocile, que son maître n'avait pu, ni 
earder malgré ses entraves, ni conduire malo^ré ses cjrêles de 
coups ! C'était son cher Ekoro. 



QUATRIÈME PARTIE. — LES MISSIONS CATHOLIQUES. 189 

Les supérieurs du P. Huberlant, sans consulter sa modestie, 
qui se fût effarouchée, le proposèrent à Rome comme Provi- 
caire apostolique. II fut nommé par Bref Pontifical du 13 fé- 
vrier 1891. Il prit sa résidence à Boma, chef-lieu administratif 
et centre d'un nouveau champ d'action, évacué récemment par 
les Pères français de la Congrégation du Saint-Esprit. 

Résumons les travaux accomplis pendant un an et demi par 
le Provicaire apostolique dans le Bas-Congo. 

A Boma, il aménagea la nouvelle résidence mise à sa dis- 
position par l'Etat; il prépara l'installation des Sœurs infirmières 
à côté du pavillon établi par le Comité Anversois de la Croix- 
Rouge- Africaine ; il ouvrit, de concert avec l'État, une école- 
colonie qui compte aujourd'hui 140 enfants. — A Moanda, sur 
la côte, il construisit la première maison des Sœurs-mission- 
naires, une chapelle, un sanitorium et une école de filles. — A 
Nemlao, près Banana, il fixa un autre groupe de Sœurs char- 
gées de l'entretien de 65 petites filles rachetées par l'État. — 
A Matadi, il organisa le service paroissial confié au zèle des 
prêtres gantois et, dans le voisinage, à Kinkanda vSaint-An- 
toine, le fonctionnement d'un hôpital établi par la société du 
chemin de fer et desservi par les Sœurs. 

Ses travaux multiples et ses courses continuelles, outre les 
soins nombreux nécessités par l'administration générale du 
vicariat, achevèrent de miner sa santé. Il se faisait néanmoins 
illusion sur son état ; il fallut toute l'autorité du supérieur 
général en tournée d'inspection pour le décider à rentrer en 
Europe et à y chercher de nouvelles forces... 

D'un œil serein et d'un esprit tranquille, le P. Huberlant vit 
approcher lentement la mort, qui arriva le vendredi de la 
Passion, fête de la Compassion de la sainte Vierge, le 24 mars, 
veille de l'Annonciation. 

Le Roi fit adresser à la Congrégation une lettre de condo- 
léance et se fit représenter aux funérailles. L'enterrement eut 
lieu à Berchem-Sainte-Agathe. 

C'est là que reposent les restes mortels du premier Provî- 
caire Apostolique du Congo Belge, en attendant la résurrection 
glorieuse. 

A. GUELUV. 



190 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

IL 

Baptême et mort du grand chef Ebéké. — Lettre de 
M, de Wilde, 

Berghe-Ste-Marie, 12 octobre 1891. 
Monsieur le Supérieur, 

« Je viens d'avoir le bonheur de pêcher un gros nègre. 

Voici la chose. 

Il y a quelques jours m'arrive le chef Ngobila. 

— Bonjour, Père. 

— Bonjour, Ngobila ; quelle nouvelle, mon brave ? Quel- 
qu'un serait-il malade chez vous ? 

— Chez nous, non. Mais Ebéké, le grand chef est bien ma- 
lade. 

— Comment, notre ami Ebéké, le père de notre petit Ban- 
zinga ? Où cela ? Chez lui } 

— Non pas ; il se trouve à Gantchou, là-bas, de l'autre côté 
du Congo, sur le territoire français. 

— En sorte, papa Ngobila, que si demain je m'embarque en 
pirogue, pour aller voir notre ami Ebéké, je ne serai de retour 
qu'à la nuit close ; car il est bien large votre Congo ! 

• — Non, Père ; avant le coucher du soleil. 

^- En ce cas, généreux Ngobila, trouvez-moi demain une 
barque et des rameurs; vous serez bien payé — sourire large- 
ment épanoui du chef — et j'irai baptiser Ebéké ! 

Je me basais pour parler ainsi, sur ce qu' Ebéké, notre 
ami déclaré, avait maintes fois entendu parler de religion, et 
savait parfaitement à quoi s'en tenir sur Dieu, la fin de 
l'homme et la nécessité du baptême pour entrer au ciel. 

Je pars donc le lendemain de bonne heure, traverse le 
fleuve, arrive à Gantchou vers midi, et m'informe aussitôt où 
se trouve le malade. Les indigènes, Batékés pour la plupart, 
me regardent interloqués, ayant l'air de se demander : que 
nous veut donc ce blanc? Finalement on me répond qu'Ebékô 
n'est pas au village. — Comment ! Je sais pertinemment qu'il 
est ici ; je n'ai nulle affaire à débrouiller avec vous ; Ebéké, 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. ICI 

dont le village est près de chez nous, est notre ami ; je veux le 
voir et le soulager. 

Enfin, on me montre une case, à dix pas de nous. J'y 
entre et trouve le malheureux Ebéké couché sur une natte, 
maigre à compter les os, anéanti, n'ayant plus que le souffle. 
Je l'appelle aussitôt par son nom. Le malheureux, impuissant 
à proférer une parole, me regarde, et une lueur de joie illu- 
mine ses yeux éteints. Comme entrée en matière, je lui parle 
de son village, de la mission, de notre commune amitié. Je 
passe de là aux choses de la foi, à la nécessité du baptême, à 
la contrition. 

Le malade m'écoutait les yeux fermés, et rien ne marquait 
qu'il m'entendît et se rendît à mes raisons. J'hésitai donc à lui 
administrer le baptême. Même à l'article de la mort, la peau 
du nègre reste noire, et j'ai trop peu de connaissances médi- 
cales pour juger de l'état d'un malade d'après les symptômes 
internes. Je m'adresse donc aux gens du village. Ces rustres 
me répondent qu'Ebéké est sans doute bien malade, mais qu'il 
ne mourra pas, puisqu'il mange encore, boit et fume. 

Voulant avoir l'avis d'un homme plus éclairé, je demande 
alors à être conduit chez le chef du village. On me mène à 
la case royale, mais ô déception, à peine suis-je entré qu'on me 
fait dire que le chef est absent, et que j'ai à me retirer. De 
malins sourires, des yeux qui clignotent m'avertissent assez 
qu'on se moque de moi. Mais qu'y faire ? Bientôt la situation 
devient plus grave, car j'entends ces paroles sortir d'un groupe: 
« Voilà un blanc tout seul dans notre village : lions-le, cama- 
rades ! » •— Pas si facile ! répondis-je prestement ; les gens de 
Gantchou savent-ils si je n'ai pas en poche mon « petit fusil » 
revolver ? Et puis, à me toucher seulement ne feront-ils pas 
connaissance avec les gros fusils et les canons de Boula-Matari 
(l'État) ? 

On me laisse passer, et j'allai près du rivage manger un. 
morceau en compagnie de mes rameurs. Parmi ceux-ci se trou- 
vait un certain Nlondo, déjà assez instruit en religion. Le repas 
fini, je dis à ce nègre : Nlondo, vous savez, vous, ce que c'est 
que le baptême; venez avec moi, et dites-moi en conscience ce 
que vous pensez de l'état du malade ! 



192 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Arrivé en présence d'Ebéké, — Père, me dit Nlondo, 
quand chez nous un homme est amaigri à ce point, qu'il n'a 
presque plus la force d'ouvrir les yeux : nous disons qu'il va 
mourir ! 

Cette franche déclaration levait tous mes scrupules. Je m'as- 
sieds donc à côté du moribond, lui renouvelle mes exhortations, 
lui déclare qu'il s'agit pour lui du ciel ou de l'enfer, lui offre 
le baptême, et lui demande de manifester son assentiment en 
me serrant la main. L'infortuné me répond par une contraction 
des doigts à peine perceptible, et surtout par un profond re- 
gard tout illuminé de bonheur. A l'instant, je lui verse sur le 
front l'eau régénératrice et je prononce la formule sacramentelle. 
Le païen Ebéké était devenu le chrétien Joseph-Marie,rhéritier 
du royaume de Dieu. 

Je terminai par quelques paroles de consolation, et nous 
nous rembarquâmes. Il était environ deux heures et le soleil 
était brûlant comme il peut l'être au Congo. Mais je me disais 
que le salut d'une âme vaut bien quelques gouttes de sueur. 
Tout à coup mes rameurs, qui luttaient avec énergie contre le 
courant, s'arrêtent. 

— Qu'est-ce donc que cela,flottant là-bas au milieu du fleuve? 
— Un hippo ? 

— Non ! Oui ! Eh non ! dit enfin un rameur, c'est le cadavre 
d'un homme. — Malgré la distance, une odeur infecte nous 
prouva bientôt la vérité de cette assertion. 

— C'est un noir, dit bientôt après un autre rameur, une 
victime sans doute de quelque chef barbare. 

Voilà des scènes qu'on ne voit qu'au Congo ou sur les 
bords du Gange. 

A cinq heures du soir nous rentrions à Berghe, où deux 
jours après j'apprenais la mort de Joseph-Marie. 

Quelque jour je me rendrai à Gantchou, pour planter le sio-nc 
de la rédemption sur la tombe de cet élu. 

J. De Wilde, miss, apost. 



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Soldats et missionnaire* au Congo. 



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QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. I95 

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Uécole-colonie de la Nouvelle-Anvers. — Lettre de 
M. De Wilde, missionnaire au dit lieu. 

Nouvelle- Anvers y y septembre 1893. 

Mon révérend ami, 

Les missionnaires viennent au Congo pour instruire les 
lègres ; mais, à s'acquitter de cette fonction, on apprend soi- 
même une foule de choses dont on n'avait pas même l'idée. 

Pour vous en convaincre, permettez-moi d'interroger devant 
vous les élèves de notre École-Colonie, élèves qui représentent 
chez nous la plupart des tribus de l'immense Congo. 

— Voyons, mes enfants : quand un homme vient à mourir 
meurt-il tout entier ? 

— Dans nos villages, répond un enfant, personne ne s'in- 
quiète de cela. — Chez nous, dit un autre, quand un chef meurt, 
on tue plusieurs de ses esclaves, afin que l'esprit de ce chef ne 
reste pas seul. 

— Et l'esprit de ce chef, où dit-on qu'il se rend ? 

— Dans le bois. C'est là que soir et matin on l'entend crier 
hou-hou, ou bien appeler les passants par leur nom ; ceux-ci ont 
peur alors et s'enfuient. 

— Mais il y a d'autres esprits encore que l'esprit des gens 
qui sont morts ; il y a le plus grand des esprits. Dieu : sait-on 
chez vous qu'il y a un Dieu ^ 

— Oui, nous l'appelons Nzami^ Nzacomba, Fidie ou bien 
Hanza, et d'autres noms encore. 

— Et, d'après vos parents, où habite-t-il ce Dieu '^ 

— En haut, très loin. 

— A-t-on peur de lui? Dit-on qu'il est méchant ? 
— ■ Non, on ne dit rien. 

— Et puis, les démons : vos compatriotes connaissent-ils les 
démons ? 

— Oui, et encore les sorciers, auxquels on donne le même 
nom. 

— Quel est ce nom ? 

— Moloki (Moloch ?), Ndoki, etc. 



196 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

— Et quand on dit à quelqu'un qu'il est un démon, un sor- 
cier, est-il content ? 

— Bien au contraire, il se fâche. 

— Ainsi donc, on n'aime pas les démons et les sorciers ? 

— Non; ce sont des méchants, 

— Des méchants ? Que font-ils ? 

— Ils tuent beaucoup d'hommes, et font beaucoup de mal. 

— Quel mal ? 

— Ainsi, par exemple, ils pratiquent des sortilèges qui ren- 
dent un homme muet aussi longtemps que cela leur plaît. 

— Autre chose, mes enfants ! Avant de venir ici, vous ne 
connaissiez ni le Dieu qui est bon, ni ses commandements. 
Mais quand vous agissiez mal, est-ce que vos parents vous 
réprimandaient ? 

— Quelquefois, et alors mon père disait : <? Si tu fais cela 
beaucoup, tu seras malade. 2> Et parfois il me frappait, en me 
menaçant du crocodile. 

— A propos du crocodile,ne dit-on pas que quand un homme 
est tué par cet animal, celui-ci n'a fait qu'obéir aux ordres de 
l'ennemi de cet homme ? 

— Oui, parce qu'il y a des hommes qui savent si bien imposer 
leur volonté à un crocodile, que si celui-ci reçoit l'ordre d'aller 
tuer un homme, il ne manque pas de le faire* 

— Et ne dit-on rien d'autre par rapport à cette bête ? 

— Certainement ; on dit souvent qu'un crocodile et un hip- 
popotame font un accord : l'hippopotame s'engage à tuer un 
homme, que le crocodile pourra manger; en retour le crocodile 
laissera l'hippopotame se repaître tranquillement des grandes 
herbes du fleuve. 

— Eh bien ! j'avoue que vos parents savent de belles his- 
toires. Mais voyons ! Je vous ai raconté qu'autrefois tous les 
hommes, sauf Noé et sa famille, ont été engloutis sous les 
eaux : ne dit-on rien de semblable chez vous ? 

— Non, rien ! 

— Bien sûr ? 

— Ah! si : on raconte qu'un jour nos ancêtres voulurent aller 
jusqu'à la lune; ils entassèrent, les uns sur les autres, des pieux, 
des pieux, beaucoup de pieux; et ils se mirent à grimper. (Babel.'*) 



QUATRIÈME PARTIE. — LES MISSIONS CATHOLIQUES. I97 

— Parvinrent-ils jusqu'à la lune ? 

— Non, les pieux s'écroulèrent, et beaucoup d'hommes 
furent écrasés. 

— Et pour transmettre ces histoires, y a-t-il chez vous des 
gens qui sachent lire et écrire, ou quelque chose semblable ? 

— • Non, Père. Chez nous on remplace l'écriture par des 
entailles dans notre peau, et la seule lettre qu'on y trace, c'est 
la lettre O, quand on nous perce les oreilles ; ce qui fait bien 
mal ! 

— Et pourquoi vous a-t-on percé les oreilles ? Pourquoi ce 
trou si large que je peux y passer deux doigts ? 

— C'était pour montrer que nous étions esclaves. 

— Et vos maîtres étaient-ils méchants ? 

— Pas trop ; en temps ordinaire, nous mangions, nous dor- 
mions avec eux ; seulement, de temps en temps, le maître a 
faim, et alors il faut s'enfuir. 

— Pourquoi s'enfuir ? 

A cette question, nos élèves à quelque partie du Congo 
qu'ils appartiennent, ne répondent jamais que par un rire 
féroce, en exhibant leurs dents blanches comme Tivoire.souvent 
limées en triangle : preuve évidente que le cannibalisme est 
général, même dans les régions où les vivres abondent, où les 
troupeaux de chèvres sont nombreux. 

— Et dans quelles circonstances principales les maîtres 
mangent-ils leurs esclaves ? 

— Quand un chef meurt. Quelquefois aussi, un maître dit 
à son esclave : « Va te laver et te baigner ! » 

— • Se laver ! 

— Sans doute! Et quand l'esclave s'est bien lavé,le maître lui 
coupe la tête et le fait cuire. Aussi lorsque l'esclave a de l'esprit, 
au lieu d'aller se laver, il va se cacher dans les hautes herbes. 
Parfois aussi, le maître dit à son esclave : « Va couper des 
baguettes. » Et quand les baguettes sont coupées, le maître dit : 
<L Va chercher des feuilles sèches. » Alors si l'esclave n'est pas 
un sot, il s'enfuit. 

— Pourquoi ? 

— Parce qu'avec les baguettes le maître fait un gril. Il tue 
l'esclave, et le fait cuire sur le gril au moyen des feuilles. 



198 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

— Si faim qu'il ait, le maître ne pourrait pas cependant 
manger un homme à lui seul ! 

— Non sans doute ; mais il invite au repas ses parents et 
ses amis qui, à l'occasion, lui rendent la pareille. 

— Et ces maîtres cruels ne les appelez-vous pas Tatas, Pères .'^ 

— C'est ainsi qu'on les nomme. 

— Ah! mes enfants, quel père est-ce donc qu'un homme qui 
mange ses serviteurs ? 

Maintenant vous le savez, vous avez au ciel un Père qui est 
bon, qui veut votre bonheur en ce monde et en l'autre, un père 
qui jamais ne restera sourd à vos prières quand vous lui direz: 
« Notre Père qui êtes aux cieux. » Mais n'y a-t-il pas des gens 
que vous craignez plus encore que vos maîtres ? 

— Oh ! oui, les Arabes ! Ils tuent, ceux-là, même quand ils 
n'ont pas faim. Ils viennent en grand nombre et profitent de là 
nuit pour entourer nos villages. Ils ont des fusils ; nous, nous 
n'en avons pas. Vers le matin, ils tirent, ils tirent, ils crient, ils 
crient ! Tout le monde tâche alors de s'enfuir et de se cacher 
dans les broussailles. Eux nous cherchent, et si nous ne restons 
pas bien cachés, ils nous saisissent. 

— Comment cela } 

— Ils crient: <L Eh, vous, là, dans ce buisson, levez-vous ou 
je tire ! » Ils ne nous voient pas cependant ; mais si nous nous 
levons, ils nous voient. 

— Et alors ils vous tuent ? 

— Pas toujours : ceux qui sont jeunes, robustes et bien faits, 
on ne les tue pas ; mais on les force, chargés de liens, à suivre 
leurs ravisseurs, qui vont vite, vite. Et ceux qui faiblissent dans 
la marche, on les assomme à coups de crosse, on les perce d'une 
lance, et, pour les tout jeunes, on leur enfonce un bâton à travers 
le corps. 

— Et vous autres, nègres, vous ne résistez jamais aux Arabes? 

— Si, quand nous sommes nombreux, et alors, on tue, on tue 
les Arabes, et les autres s'enfuient. Mais il en revient toujours. 

Maintenant les Arabes ont peur des soldats blancs ; et vous, 
Père, le bon Dieu vous a envoyé pour nous nourrir et nous 
instruire : ah! nous sommes heureux maintenant, et nous vou- 
lons être bons, pour vous et pour le bon Dieu, toujours, toujours ! 



QUATRIÈME PARTIE. — LES MISSIONS CATHOLIQUES. I99 

Pauvres enfants ! Pauvres nègres ! 

Malheureux Congo! Que n'a-t-on mille vies à consacrer au 
soulagement de pareille infortune ! 

J. De Wilde, miss, ap, 

IV. 

Voyage de Matadi à Lusambo. — Lettre adressée par 
le Supérieur général des Missions belges à son frère le cha- 
noine Van Aertselaer, Directeur de l'Institut Saint-Louis à 
Bruxelles (i). 

Lusambo, lo février i8çj. — Cher Frère, 

En trente-six jours, le Stanley nous a transportés de Berghe 
à Lusambo. Au moment du débarquement, la fièvre africaine 
me serrait un peu les tempes. Quelle que soit ma répugnance 
pour toute drogue, je dus me bourrer de quinine ; la fièvre a 
délogé, et je me porte à merveille, ayant retrouvé le bel appétit 
que vous savez. 

Quelles rivières que le Kassaï et le Sankourou ! La 
première, de Berghe jusqu'à Louebo, aune largeur moyenne de 
plus de mille mètres ; la seconde de huit cents mètres. Ce qui 
ajoute à l'aspect agréable de ces magnifiques cours d'eau, ce 
sont les îles innombrables qui en émergent, étalant comme 
autant de magnifiques bouquets, toutes les richesses de la 
végétation tropicale. 

Pourtant, tout n'est pas poésie dans un voyage tel que le 
nôtre. On part vers le lever du soleil, pour stopper à deux ou 
trois heures de l'après-midi, près d'un endroit boisé. Leshommes 
de peine descendent alors à terre, afin de couper du bois pour 
le service de la machine et doivent travailler jusqu'à près de 
minuit pour trouver de quoi fournir dix heures de vapeur. 

Ce départ tardif, le matin, ces haltes prématurées, le soir ; 
la marche lente du bateau qui doit éviter les bancs de sable ; 
les marécages où l'on jette l'ancre et dont les émanations puent 
la fièvre ; les moustiques et leurs congénères: tout cela manque 
de charme pour le moins grincheux des passagers. 

I. Missions au Congo ^ juillet 1893. 



200 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Heureusement il y a certaines compensations : de naïfs hip- 
popotames qui folâtrent sur un îlot et que l'on salue à coups de 
fusils; des crocodiles, des milans, d'énormes canards; des arbres 
comme on n'en rêve pas ; des villages cachant leurs cases pit- 
toresques sous les buissons de la rive ; de rapides pirogues qui 
viennent accoster le navire au mouillage, et dont les rameurs 
offrent en vente des vivres et des armes ; bref, on a de quoi 
vaincre le spleen. 

Et la température ? direz-vous. Durant quelques jours, le 
thermomètre a marqué de 34 à 'X,Z. Mais d'ordinaire, nous 
avons joui d'une brise assez fraîche ; je dirai même que le 
matin et le soir, par 22 degrés, nous avions positivement froid, 
et qu'en pareille occurrence des vêtements chauds sont indis- 
pensables. 

Une grosse misère de notre voyage, c'est que la petite vérole 
a éclaté à bord avec une telle violence que, trois jours avant 
notre arrivée à Lusambo, nous avions débarqué vingt-cinq 
nègres malades (sur cinquante), et qu'attaqué du même mal, 
le second du bateau, un robuste hollandais, en était devenu 
comme fou, à ce point qu'on avait dû l'enfermer dans une ca- 
bine. Pour comble de malchance, le mécanicien souffrait d'une 
fièvre hématurique, et je ne sais comment nous serions arrivés 
jusqu'ici, si nous n'avions eu à bord un de ces hommes qui 
semblent faits pour les situations difficiles, M. Gillain, comman- 
dant à Lusambo. Remplaçant le mécanicien durant le jour, 
stimulant les coupeurs de bois jusque bien avant dans la nuit, 
il parvint à nous amener sans accident jusqu'à destination. 

Au cours du voyage, nous avons vu quatre factoreries ou 
stations de la société anonyme belge : à Kwamouth, en face 
de Berghe ; à Bena-Bendi, près de l'embouchure du Sankou- 
rou; à Bena-Louboudi, rive gauche du Sankourou, à mi-che- 
min, entre Bena-Bendi et Lusambo, et enfin à Bena-Gongo, 
à trois lieues de Lusambo. 

Bena-Louboudi a pour gérant un Américain des États- 
Unis. En homme entreprenant et avisé comme tous ceux de 
sa race, il a amené des hommes du Nicaragua et de la Jamaï- 
que, pour l'aider dans ses plantations et la récolte du caout- 
chouc. En quelques mois ce Yankee a élevé des bâtisses très 



QUATRIÈME PARTIE. LES ÎSIISSIONS CATHOLIQUES. 20I 

confortables et défriché un immense terrain. Comme je lui 
demandais s'il était satisfait de sa récolte en caoutchouc : — ■ 
Certes, me répondit-il ; je n'ai pas encore trouvé l'arbre du 
Brésil qui donne 30 à 35 kilos de cette matière par pied d'ar- 
bre ; mais toutes les lianes de la forêt regorgent de ce produit 
précieux, et voyez si les lianes abondent dans ces parages! — 

Comme cet homme avait fait des excursions dans l'intérieur 
du pays, je lui demandai ce qu'il pensait du Congo, 

— It is a spleiididcoîintry, me répondit-il en levant au ciel ses 
longs bras, and a rich coiintry too. 

Au moment où nous allions quitter cet estimable Américain, 
voici qu'apparurent tout à coup sur la rive, se dirigeant vers 
nous, de grandes pirogues portant le drapeau de l'Etat. Il y 
eut alors un moment de poignante inquiétude, remplacée bien- 
tôt par une joie délirante, quand on eut reconnu dans les arri- 
vants les membres survivants des expéditions Bia et Delcom- 
mune. Expéditions glorieuses s'il en fut jamais, la dernière 
surtout, expéditions qui peuvent rivaliser sous tous les rap- 
ports avec tout ce qu'on rapporte de l'explorateur Stanley. 

Ces messieurs nous racontent d^ intéressantes nouvelles. Le 
capitaine Jacques occupe une position imprenable sans l'aide 
du canon. Joubert, en situation plus menacée, sera cerné. Sur 
k Lomami, les Arabes ont été battus à plate couture par le 
commandant Dhanis et les troupes de Lusambo. Un millier 
d'esclavagistes ont été tués dans le combat, mille autres ont 
péri dans la rivière, et les vaillants défenseurs de l'Etat ont fait 
six cents prisonniers et enlevé six cents fusils. Ces messieurs 
n'ont pas assez d'expressions pour flétrir les épouvantables 
excès auxquels se livrent les Arabes et leurs séides. A quelque 
prix que ce soit, il faut écraser ces monstres, ou c'en est fait de 
l'État : c'est la thèse que l'on défend ici. 

Arrivons maintenant à Lusambo, station dont la fondation 
ne remonte qu'à trois ans, mais dont les annales feront un jour 
la gloire des braves qui l'ont créée. Je le dis sans aucune res- 
triction : tout ici me transporte d'admiration pour les vaillants 
officiers qui ont réalisé en trois ans cette œuvre de géants. 
Qu'on en juge ! 

Le 12 février 1890, M. le QiO\jM^xïi^\xx J ans sens ^ porté par 



202 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

je ne sais quel steamer, arrivait à Lusambo. Il débarquait le 13, 
pour planter sur la rive le drapeau de l'État, et repartit le 14, 
après avoir écrit à Bruxelles : ^ Lusambo est fondé. » Et ce qui 
pouvait sembler n'être qu'une fanfaronnade n'était que la vé- 
rité : M. Janssens connaissait ceux qu'il laissait à la garde du 
drapeau. 

Celui-ci flottait aux abords d'une forêt que le Luoambs 
entoure d'un côté, que des collines ceignaient partout ailleurs. 
Plusieurs officiers parmi lesquels se trouvait M. Légat, s'éta- 
blirent aussitôt sur la rive ; d'autres, MM. Le Marinel, Gillain, 
etc., se rendirent par terre à Loulouabourg, pour y recruter des 
travailleurs. 

Tels furent les débuts: qu'est aujourd'hui Lusambo? La forêt 
broussailleuse a disparu ; il n'en reste que les palmiers et quel- 
ques grands arbres similaires au cèdre. Les buissons ont disparu 
pour faire place à de magnifiques plantations de bananiers, de 
papayers, de maracoujas, de manioc, de riz, de canne à sucre, de 
millet et de sorgho. On a construit de solides maisons enterre 
battue pour quinze cents indigènes: soldats, esclaves délivrés 
et prisonniers de guerre. Ces habitations entourent un vaste 
champ de manœuvre, tandis que les demeures des Européens 
s'étalent coquettement sur la rive du fleuve. Ajoutez à cela de 
vastes magasins d'approvisionnement et une batterie de qua- 
tre canons qui domine et défend le tout : et avouez que nos 
petits Belges n'ont pas perdu leur temps, 

Pour apprécier la grandeur de cette oeuvre, il faut d'ailleurs 
remarquer qu'étant donnée la nonchalance des nègres, il a 
fallu de la part des blancs, non pas seulement une surveillance 
continuelle, mais souvent leur travail personnel, pour le tracé 
des rues, les constructions, les défrichements, les plantations. 
Que d'activité l'on a dû déployer pour pourvoir au ravitaille- 
ment d'un personnel aussi nombreux : ceux-là seuls le com- 
prendront qui ont vécu en Afrique. 

Le résultat paraît plus étonnant encore si l'on considère les 
circonstances dans lesquelles il s'est produit. Dans la pensée de 
ses fondateurs, Lusambo devait être, non pas seulement une 
station militaire, mais une station militante. Au moment même 
de sa fondation, les Arabes poussaient de ce côté-là leurs san- 




Les R. P. Jésuites Bovy et de Hert, les Sœurs Notre-Dame de Namur, et les frères Van Houtte, 
de Sadeleer, Coppens et Henricy. (Voir page 218.) 




F. de Sadeleer. — F. Lombary. — F. Gellet. 
P. Dûment. — P. Van Hencxthoven. — P. Liagre. — P. De Meulemeester. 
Premiers missionnaires Jésuites belges au Congo. 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 205 

glantes razzias et préparaient une expédition contre les Basson- 
gos. L'arrivée des Belges les fit reculer. 

Peu après cependant, ils soudoyèrent et armèrent un chef 
noir, le puissant Gongo-Lutète, lui donnant pour mission de 
ravager toute la contrée jusqu'au Kwango et au Lunda. Gon- 
go-Lutète s'avança donc à la tête de 7,000 hommes jusqu'à 
quatre journées de Lusambo, De là, il eut l'audace d'envoyer 
des présents au commandant Descamps, avertissant en même 
temps celui-ci de son intention d'aller porter la guerre vers 
Loulouabourg. Descamps ne disposait que de deux cents 
soldats noirs exercés à la hâte ; il se crut en mesure de barrer 
la route au chasseur d'hommes. Il part donc à sa rencontre et 
lui défend de passer outre. L'autre dédaigne de lui répondre. 
Descamps l'attaque, lui tue pas mal de monde et met le reste 
en fuite. Gongo-Lutète revient une seconde fois à la charge, 
et le commandant Dhanis le brosse de telle façon que le chef 
nègre a dû finir par se détacher des Arabes et se soumettre à 
rÉtat. 

Plus tard, Le Marinel et Gillain se virent forcés de pousser 
une reconnaissance jusqu'à Bena-Kamba; en une expédition 
menée avec une rapidité prodigieuse, Le Marinel alla prendre 
possession du Katanga, à la barbe de Messieurs les Anglais ; 
on eut maintes fois à remettre à l'ordre des chefs du voisinage 
trop amis des Arabes. Et ces expéditions quotidiennes, ces 
alarmes continuelles n'ont pas empêché Lusambo de ilaître, 
de croître et de se développer au point où nous le voyons 
aujourd'hui, Et c'est pourquoi je répète que les hommes qui 
ont eu l'énergie de mener à bien une telle œuvre ont bien 
mérité de la civilisation et de la patrie. 

Les nouvelles que nous apprenons ici sont excellentes. Au 
débarquement nous voyons six cents prisonniers de guerre 
rangés en file. Six cents autres vont arriver sous peu, car la pre- 
mière défaite des Arabes a été suivie de deux autres. Bien plus, on 
affirme que Mounié-Mohara (le meurtrier d'Hodister) est tué, 
que Séfou, le fils de Tippo-Tip, est blessé et fugitif, et que 
Dhanis assiège Nyangoué. 

Ces dernières hostilités ont été suscitées par le brigand des 
Falls, fils de Tippo-Tip, que le Roi subsidiait comme gouver- 



206 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

neur à l'Equateur. Irrité de la défection de Gongo-Lutète, 
Séfou entreprit de l'attaquer et de franchir pour cela le Lomami, 
accepté par les Arabes comme limite de l'Etat. 

C'est au passage même du Lomami que Dhanis et ses gens 
ont infligé aux ravisseurs d'esclaves une leçon dont ceux-ci 
garderont un souvenir salutaire — 

De Lusambo nous nous rendrons à Loulouabourg par 
Louebo et le Sankourou. Le voyage se terminera par une 
marche à pied de huit jours. Quand nous aurons vu, consolé 
et encouragé l'héroïque P. Cambier, par où reviendrons-nous? 
Je l'ignore. Trouverons-nous à point un steamer de l'État, où 
devrons-nous regagner Berghe en pirogue .f* Chi lo sa? Il faut 
toujours au Congo compter sur l'imprévu. 

i() mars. Nous sommes partis de Lusambo le 12 courant ; 
nous atteindrons demain Luebo. Huit jours après, par voie de 
terre, nous arriverons à Loulouabourg. D'après des renseigne- 
ments qu'on vient de nous transmettre, si nous sommes de 
retour à Luebo le 1 5 avril, nous y trouverons le vapeur Florida 
qui nous ramènera jusqu'à Berghe. 

Dix jours de repos dans cette résidence ; un mois pour nous 
rendre au Bangalas et en revenir; un autre mois pour descen- 
dre à Banana : cela nous mènera jusqu'à la fin de juillet, et 
nous ne rentrerons en Europe qu'en septembre, si tout va bien. 

20 mars. Nous naviguons depuis ce matin sur la Louloua, 
et je constate que depuis mon arrivée au Congo je n'ai point 
encore rencontré de cours d'eau moins large que l'Escaut à 
Anvers. Il est vrai qu'en beaucoup d'endroits Kassaï, Sankou- 
rou et Louloua sont obstrués par des bancs de sable qui rendent 
la navigation pénible, sinon dangereuse. 

En ce moment même, notre bateau se trémousse de telle 
façon qu'il m'est impossible d'écrire lisiblement. En consé- 
quence, j'ai l'honneur de vous tirer ma révérence, me réservant 
d'écrire plus longuement plus tard. 

Tout à vous en N. S. et M. I. 

Jérôme Van Aertselaer. 



•I' 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 207 




f^ CHAPITRE m. 
Les Sœurs de charité belges au Congo. 

;REMIER DÉPART. — En 1887, dans un en- 
tretien que nous eûmes l'honneur d'avoir avec S. M. 
Léopold II, le Roi-Souverain, nous manifestait son 
intention d'envoyer des Religieuses belges au 
Congo, afin d'y élever les enfants des deux sexes et d'y desser- 
vir les hôpitaux. Sur son initiative se formait déjà alors à 
Quatrecht, au diocèse de Gand, un noviciat spécial avec 
cette destination. Ce noviciat se rattachait à la Congrégation 
des Sœurs de la Charité de Jésus et de Marie, fondée par le 
chanoine Triest, de sainte mémoire. 

Le premier départ pour le Congo eut lieu le 30 novembre 
1891. 

La messe de départ a été célébrée solennellement ce jour 
dans la cathédrale de Saint-Bavon, ornée pour la circonstance 
aux couleurs de la Belgique, du Saint-Siège et du Congo. 
Six mille personnes assistaient à la cérémonie, qui a eu lieu sur 
une estrade avec autel. 

Au coup de onze heures et demie, au milieu du puissant 
retentissement de l'orgue, les dix religieuses sont entrées pré- 
cédées du massier, suivies de l'évêque et de tout le chapitre. 
Elles ont passé au milieu de la double haie des étendards. 
Derrière elles s'est rangé le chapitre des chanoines. 

M. le chanoine Debbaudt, curé de Saint«Bavon, a célébré 
le Saint-Sacrifice. 

A l'Évangile, Mgr Stillemans, montant en chaire, a prononcé 
une allocution en flamand sur ce texte du livre de Tobie : An- 
gélus Doîuini comitetur vobiscu7n. Il a rappelé que de tout 
temps la Flandre a brillé aux avant-postes du dévouement et 
de la charité. 

Après le Saint-Sacrifice a eu lieu la cérémonie des adieux, 
telle qu'elle se pratique pour les missions étrangères. Les dix 
religieuses se sont prosternées sur les gradins de l'estrade. 

Mgr Stillemans, ayant à ses côtés M. le chanoine Roelandts, 



208 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

supérieur général de l'ordre, et la supérieure générale, a remis 
successivement à chacune d'elles la croix du missionnaire. Le 
vénérable évêque a récité les prières du Pontifie aie, ^\. les élèves 
du grand séminaire ont interprété un chant de circonstance. 

Enfin, Mgr a posé sur la tête de chacune des religieuses 
une couronne de fleurs blanches, symbole de la pureté, et de 
feuilles vertes, emblème de la vie. 

Et dans le même ordre qu'à l'entrée, après que l'auditoire 
se fut incliné une dernière fois sous la bénédiction épiscopale, 
le cortège reprit le chemin de la sacristie, pendant que le 
refrain d'adieu retentissait sous les voûtes de Saint- Bavon. 

L'embarquement des dix Sœurs et de M. l'abbé Buysse, qui 
les accompagnait comme aumônier et directeur, eut lieu à 
Anvers sur le steamer Ella Woerman. Le capitaine aban- 
donna aux Sœurs son salon particulier, où elles purent libre- 
ment vaquer à la prière et où le Saint-Sacrifice fut célébré. 

L'enthousiasme fut immense sur les quais d'Anvers au 
moment du départ. Des milliers d'amis et de connaissances 
voulurent saluer les bonnes Sœurs et leur souhaiter bon succès. 
Tous admiraient leur héroïsme, et les militaires les premiers, 
surtout ceux qui ont vécu au Congo, ne tarissaient pas d'éloge 
à leur sujet. 

\J Ella Woerman prit route par Flessingue, Lisbonne, les 
Canaries et arriva à Banana, au début de l'année 1892. 

Trois ans après. Aujourd'hui nos Sœurs congolaises ont 
un couvent, la maison-mère, situé à Moanda, sur les bords de 
l'Océan, à deux lieues de Banana; un autre à Boma, et un 
autre à Kinkanda, où la Compagnie du chemin de fer a fait 
construire des installations à leur intention; enfin un quatrième 
établissement à Luluabourg, au centre du continent. 

Les noirs comme les blancs entourent d'un affectueux 
respect « les sœurs blanches » et ont appris, dès qu'ils souf- 
frent, à venir se faire soigner chez les religieuses. Les Pères 
de Scheut ont repris, à Nemlao, près Banana, l'école tenue 
jadis par les Pères français du Saint-Esprit. Cette mission a 
été remise en ordre par les Sœurs qui ont géré quelque temps 
l'école des garçons de cette localité. 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 209 

A Moanda se trouve, dès maintenant, un important établis- 
sement pour filles. L'État du Congo y a envoyé du haut 
Congo de nombreuses petites noires rachetées ou reçues des 
indigènes. Une quarantaine de petites filles ont été réparties 
dans divers couvents de Belgique, où on les élève de la même 
façon que les petites Belges. Cette expérience, peut-être un 
peu prématurée, sera intéressante à suivre. 

Le but des sœurs et des missionnaires est, lorsque leurs 
élèves, éduqués dans des établissements séparés, sont parve- 
nus à l'âge convenable, de les marier et de créer ainsi des 
villages exclusivement chrétiens. 

Les religieuses ont adopté pour le Congo un costume spé- 
cial, leurs vêtements d'Europe étant trop chauds. Elles portent 
jupon et jaquette blanche, col romain et un voile, remplacé, 
quand elles sortent, par un casque en liège et en alfa ; elles 
ont aussi parfois un jupon de cotonnette de couleur sombre. 
Elles sont, en ce moment, au nombre de vingt. Toutes sont 
en Afrique sous l'obédience d'une supérieure qui porte le nom 
de « mère vicaire ». Elles soignent les malades dans les hôpi- 
taux, où elles rendent d'inappréciables services, et font la classe 
aux petites filles et aux garçonnets. En se vouant à l'éducation 
de l'enfance, elles font de la philanthropie dans la plus haute 
acception du mot. En se dévouant à soigner les malades, noirs 
et blancs, en accomplissant sous le terrible soleil équatorial 
une tâche aussi pénible et qui doit être parfois rebutante, elles 
font une œuvre des plus méritoires, que l'on ne saurait assez 
louer et admirer. 

Les lettres suivantes, qu'on lira avec plaisir, prouvent que 
nos bonnes Sœurs Congolaises se sont livrées de grand cœur 
à leur mission. On y verra aussi mille petits détails de la vie 
intime au pays noir, qu'on chercherait vainement même dans 
la relation des prêtres missionnaires. La femme est mère de 
famille, .ne fût-ce que par adoption, et comme telle, elle sait 
pénétrer dans l'intimité des choses qui sont cachées à 
l'homme ('). 

I. Les lettres des Sœurs de la Charité, reproduites ici, sont extraites de la 
Revue des Missions au Congo^ publiée par la Congrégation de Scheut. 

Soldats et missionnaires au Congo. j^ 



2 10 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

I. 

Orphelinat de Nemlao, près Banana. 

Lettre adressée à ses consœurs de G and par Sœur Amalia. 

Nemlao, 22 novembre 1892. 

Affection réciproque des Sœurs et de leurs élèves. 
— Sont-elles heureuses les négrillonnes de notre orphelinat, 
soignées comme des poupons européens par les mamans 
blanches, et arrachées naguère au plus abrutissant esclavage, 
l'une d'elles au moment même où son propre père allait la 
tuer pour la manger ! 

Et pour nous, quelle joie de voir augmenter de jour en jour 
le nombre de nos pupilles! — On nous en annonce une nou- 
velle caravane. — Quel bonheur de consacrer notre existence 
à faire de ces infortunées de bonnes et ferventes chrétiennes ! 

N'était la récompense que nous attendons au ciel, nous se- 
rions déjà bien payées de nos soins par l'affection sans limites 
de nos orphelines. Dernièrement, quatre d'entre elles avaient 
été désignées pour aller recevoir une éducation complète dans 
un institut de Belgique. Les élues, se considérant comme des 
condamnées, se lamentaient à fendre le cœur et ne cessaient 
de crier : — Non, non, pas quitter bonnes sœurs ; et puis, en 
Belgique, froid, froid : nous mourir ! — Et elles s'accrochaient 
à ma robe. Je réussis à calmer un peu cette bruyante explosion 
de douleur par le don d'un collier de perles, et, à force de 
bonnes paroles, je pus conduire les condamnées jusqu'au bateau 
qui devait les emmener. Mais là, je faillis échouer contre la pré- 
occupation qui n'abandonne jamais le nègre, celle du ventre. 

— Mère, beaucoup de manioc et de maïs en Europe .^ 

— Oui, et aussi d'autres bonnes choses, mes enfants. 

— Bien, mais petites négresses aimer soleil chaud, mourir 
de froid ! 

— Ne craignez rien ; j'écris en Europe, pour qu'on vous 
donne des couvertures et qu'on vous fasse grand feu. En 
attendant, voici de bons vêtements, pour vous couvrir pendant 
le voyage. — Cette déclaration diminua les appréhensions ; on 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 211 

versa quelques larmes encore, et l'on s'embarqua courageuse- 
ment. 

Quelques détails maintenant sur les occupations et la tenue 
de nos orphelines. Malgré l'ardeur terrible du soleil, elles ne 
se couvrent jamais la tête ; bien au contraire, elles ont soin de 
se raser mutuellement les cheveux, au moyen de morceaux de 
verre, laissant çà et là quelques tresses disposées suivant les 
règles de la coquetterie africaine. De lits, il n'en est pas ques- 
tion ; la nuit venue, chaque fillette s'enroule dans une couver- 
ture, comme une chenille dans sa coque, se couche par terre 
et ne tarde pas à partir pour le pays des rêves, où les anges 
cuisent pour leurs hôtes des marmites de riz grandes comme 
des maisons. 

L'enseignement de la religion prend une bonne partie de la 
matinée, et plusieurs de nos élèves y ont fait assez de progrès 
pour qu'on ait décidé de les baptiser à la Noël. La seconde 
partie de la journée est généralement consacrée à l'apprentis- 
sage des travaux manuels. La paresse étant le péché mignon 
de la race noire, il a fallu, dans les commencements, user d'un 
peu de sévérité, pour stimuler à la besogne nos petites sau- 
vages ; un seul mot les y fait aller maintenant avec une joyeuse 
docilité. 

Quand cette lettre vous parviendra, vous en serez à célébrer 
les fêtes du nouvel an et à vous calfeutrer au coin du feu, pour 
vous préserver des rigueurs de l'hiver. Ici, point de nouvel an, 
puisque les nègres ne comptent le temps que par lunes, et 
point d'hiver, la végétation étant aussi active et florissante en 
janvier qu'en mai. Point de deuil ici dans la nature, et je vous 
assure bien qu'à l'orphelinat de Nemlao, l'humeur de ses habi- 
tants ne fait jamais contraste avec le riant tableau d'une con- 
trée toujours parée de verdure et de fleurs ; nulle part, même 
dans nos couvents de Belgique, je n'ai vu régner une paix, un 
bonheur si contiaus. Dieu est bon pour ses enfants I 

Incidents divers. — De petits incidents viennent d'ail- 
leurs brocher de temps en temps sur la monotonie de notre 
existence, si joyeuse qu'elle soit. Ainsi dernièrement une bande 
de singes s'était introduite dans notre jardin et s'en prenait à 



2 12 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



nos meilleurs fruits, à la barbe de notre domestique. Celui-ci 
indigné de tant d'audace, de rentrer à la maison et de s'armer 
d'un fusil. Mais à peine apparaissait-il muni de cet engin ter- 
rible, qu'une sentinelle, postée au sommet d'un grand arbre, 
jeta le cri d'alarme : kek, kek, kek ! et toute la troupe détala, 
semblant narguer l'ennemi par ses cabrioles. Tant d'insolence 
ne pouvait rester impunie ; le jardinier se mit en embuscade 
et parvint à abattre un des maraudeurs dont la chair, mise en 
civet, nous a paru plus délicate que celle du meilleur lièvre. 

Une nuit, tandis que munie d'une lanterne, je faisais la ron- 
de, je me trouvai tout à coup en présence d'un animal ressem- 
blant fort à un chien et dont les grands yeux m'alarmèrent 
d'abord. J'avais tort, car il s'agissait d'une antilope. 

La Providence nous garde visiblement, car personne jusqu'ici 
n'a succombé dans la mission, par le fait des bêtes féroces ou 
des serpents, très nombreux cependant. Nous sommes actuelle- 
ment à la saison des pluies, et pas de jour qui n'ait son orage. 
Nos enfants y sont tellement habituées qu'elles ne dorment 
jamais mieux que lorsque la foudre roule dans le ciel ses sourds 
grondements. Si la pluie tombe à flots, elles me demandent la 
permission de sortir et prennent grand plaisir à recevoir sur 
leurs membres cette douche à bon marché. 

Le dimanche, notre chapelle est comble. Attirés par la cu- 
riosité, bon nombre de noirs du voisinage, parmi lesquels le 
roi et son fils, viennent assister au saint Sacrifice. Ces gens 
sont fort satisfaits d'ailleurs de nous voir résider au milieu 
d'eux, à cause des soins que nous leur donnons dans leurs 
maladies. La science pharmaceutique de Sœur Albanie nous 
est fort utile à ce sujet, et nous avons pour clients tous les per- 
sonnages de la Cour. 

Grâce à ces rapports, nous espérons bien en arriver à don- 
ner autre chose que des emplâtres ou des vomitifs. Guérir le 
corps est, je le sais bien, une œuvre de miséricorde ; mais 
sauver des âmes, voilà qui fera rire les anges, rager le démon, 
et vaudra aux petites Sœurs de Nemlao un bon passeport pour 
le Paradis ! 

Sœur Amalia, 
Sup. du couvent de Nemlao. 




Vue de la Grotte de Kikauda. 




Sœurs de Charité de Gajnd allant chercher de l'eau à la source et du combustible à la forêt 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES, 215 



II. 

La journée d'une religieuse à l'orphelinat de 

Nemlao. 

Lettre de Sœtcr Marie-Godeliève à la Supérieure générale des 
Sœurs de Charité. 

Nemlao, 9 juin 1893. 
Chère et révérende Supérieure, 

Peut-être vous plaignez-vous de ne recevoir que trop rare- 
ment de nos nouvelles ; c'est que la besogne ne manque pas à 
Nemlao ! Pour vous en convaincre, je vais vous détailler l'em- 
ploi de ma journée. 

Nous sommes deux Sœurs à prendre notre repos dans la 
salle qui sert à nos enfants de classe et de dortoir. D'un côté 
de la place se trouvent nos lits et quatre bancs d'étude ; de 
l'autre sont étendues par terre les nattes sur lesquelles ron- 
flent nos quarante négrillonnes. 

Levées à cinq heures, nous vaquons jusqu'à six à la prière 
et à la méditation, puis nous éveillons nos dormeuses qui 
s'agenouillent sur place pour réciter en commun la prière du 
matin. Cela fait, chacune doit porter au dehors sa couverture 
de coton, afin de l'aérer ; on replie soigneusement les nattes 
à dormir, on change de pagne, et c'est en silence qu'on se rend 
processionnellement à la chapelle. 

La sainte messe commence à 6 h. J^. A genoux sur le plan- 
cher, mes fillettes ont un maintien religieux qui fait plaisir à 
voir ; à la consécration^ c'est jusqu'à terre qu'elles baissent le 
front afin de prier pour leurs bienfaiteurs. 

Vient ensuite le déjeuner, au réfectoire, où chaque con- 
vive prend sa place sur une grosse perche qui sert de banc. 
On dit la prière, on découvre la grande marmite de riz bouilli, 
les portions sont distribuées et reçues au moyen de la four- 
chette d'Adam, et les mâchoires vont leur train ; le caquet 
aussi. 

J'en profite pour aller prendre moi-même aussi une bouchée 
de riz, un peu de pain, de chikwangue ç^X, de café; je conduis 



2l6 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

ensuite tout mon monde à la source, pour y puiser l'eau néces- 
saire à la cuisine ; puis c'est à la forêt qu'on va chercher du 
combustible, non sans se munir auparavant d'un solide gour- 
din et sans avoir invoqué nos anges gardiens. 

C'est que les serpents sont nombreux dans les broussailles ; 
mais un coup de bâton les brise comme verre, et jusqu'ici nous 
n'avons aucun accident à déplorer. Nous n'avons rien à redouter 
d'autres animaux ; le chat sauvage et le chacal abondent cepen- 
dant ; mais ils ne rôdent que la nuit, et nous avons alors autre 
chose à faire que de les empêcher de prendre leurs ébats. 

Au retour du bois,ablutions générales dans un grand bac en 
zinc placé près de la source. A dix heures et demie commence 
la classe ; on y apprend à lire, écrire et compter dans les trois 
langues que parlent nos mioches : le Fiote, le Bangala et le 
Bayanzi. Cette différence d'idiomes n'est pas sans nous donner 
de grands embarras; mais puisque nous sommes missionnaires, 
nous avons droit aux lumières du Saint-Esprit ; et s'il nous 
arrive, en traduisant d'une langue dans une autre, de pronon- 
cer un mot de travers, les petites gaillardes nous reprennent 
aussitôt, non sans avoir ri d'abord de notre bévue. 

La leçon de religion se donne après midi, 

C'est en ce point surtout que nos enfants nous donnent 
toute satisfaction. Lorsqu'elles apprirent dernièrement que 
lawa, leur ancienne condisciple, avait été baptisée en Europe, 
ce fut une explosion d'étonnement et de sainte jalousie. — 
Comment, disait-on, cette lawa qui nous a volé plus d'une 
poule, la voilà baptisée ! Est-elle donc plus sage que nous .'* Ma 
Sœur, vous aviez dit que nous serions baptisées dès que nous 
saurions les prières et le catéchisme; eh bien, voilà que nous 
avons appris le Notre Père, le Je vous salue Marie, le Je crois 
en Dieu, d'autres prières bien longues, bien longues, et sept 
grandes leçons du catéchisme : et nous ne sommes pas bap- 
tisées, et lawa est baptisée, elle ! pourquoi, ma Sœur ? 

Mais revenons à notre ordre du jour. On dîne à onze heures 
et demie, et les fillettes enfournent les pois et le poisson salé, 
de manière à bien prouver qu'elles appartiennent à la race pour 
laquelle se bourrer le ventre est l'action la plus importante de 
la vie. On lave ensuite les assiettes et les cuillers, don de 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 2 I 7 

M. le gouverneur ; puis on va jusqu'à deux heures babiller et 
jouer SOUS un gigantesque baobab, dont le tronc mesure qua- 
torze mètres de circonférence. 

La semaine dernière, au cours de cette récréation, je déballai 
une caisse de jouets envoyés d'Europe à mes petits oiseaux 
noirs ; il y avait deux chevaux de bois, un âne idem, deux 
poupées, trois coqs en carton, etc. Un Australien visitant l'ex- 
position de Chicago n'eût point été plus émerveillé que nos 
fillettes. Après une stupéfaction silencieuse, ce furent des cris, 
des larmes, des rires, des bonds et des danses à n'en pas finir; 
et quand, le lendemain, le prince de Croy vint nous voir, cha- 
cune vint lui faire admirer son lot, persuadée que l'Européen 
n'avait point l'idée de semblables merveilles. 

Ce fut bien autre chose lorsque je reçus, lundi dernier, de 
Mère Elise, une collection d'images relatives à l'Ancien et au 
Nouveau Testament. Devant ces gravures suspendues aussitôt 
aux murs de la classe, ce furent des processions, des gestes 
effarés d'admiration et les demandes les plus drolatiques. — 
Venaient-elles du ciel, ces belles 7noukandas ? 

Les chères petites nous posent d'ailleurs parfois sur la reli- 
gion des questions assez embarrassantes. 

— Dieu est-il blanc ou noir .^ 

— Au ciel, y a-t-il comme au Congo des serpents et des chi- 
ques, ou bien est-ce comme en Europe, où n'existent pas ces 
vilaines bêtes .-^ 

— Les noirs et les blancs sont-ils dans le même ciel ? 

— Qui donne à manger aux âmes des Limbes, puisqu'on n'y 
voit ni Dieu, ni Marie, ni les anges, ni les saints.^ 

Et ces questions sont longtemps débattues à la récréation, 
avant qu'on vienne nous en demander la solution. 

Après une seconde classe, qui dure de deux à quatre heures, 
vient le travail des champs, jusqu'à six heures. Des chanson- 
nettes indigènes ou des cantiques chrétiens aident à manœuvrer 
en cadence la petite houe congolaise dont sont niunies nos sar- 
cleuses. De six heures à six heures et demie, on s'occupe, au 
moyen de cruches portées sur la tête, à aller puiser à la source 
l'eau nécessaire pour arroser les plantations. 

Peu après, le soir tombe brusquement, et comme les nuits 



2l8 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

sont fraîches au Congo on se réunit autour du feu pour réciter 
le chapelet. Que la marmite au riz qui bout au milieu du cercle 
ne donne pas quelques distractions : je ne voudrais pas en ré- 
pondre; mais quand le dit riz a été prestement ingurgité, on 
répare tout manquement par une fervente prière du soir, et l'on 
va prendre son repos. 

Vous le voyez, chère Supérieure, rien de dramatique dans la 
journée des religieuses de Nemlao. Lentement, mais sûrement 
leurs pupilles se civilisent et se dépouillent de leur enveloppe 
païenne. Nous mettons à ce travail toute notre bonne volonté. 
Dieu fera le reste. 

Sœur Marie-Godeliève. 



#y CHAPITRE IV. yé 




Les Pères Jésuites et les Sœurs de Notre-Dame, 

au KAA^ango. 

I. 

ES MISSIONS DU KWANGO. — A la 

demande expresse de l'État indépendant du Congo 
et sur l'invitation formelle de S. S. le Pape Léon 
__ ___ XIII, les Pères Jésuites de la Province belge ont 
accepté de participer à 1 evangélisation des peuples du Congo. 

« Allez, mes enfants, a dit Léon XIII en s'adressant aux 
Jésuites belges, allez faire connaître et aimer Jésus-Christ ! 
Renouvelez sur les bords du Kwango ce que vous réalisez, 
avec l'aide de Dieu, sur les rives du Gange. » 

Un décret daté du 8 avril 1892, émanant de la Congrégation 
de la Propagande romaine, marque les limites de la A/ission 
du Kwano-o attribuée aux Pères Jésuites. Cette mission déta- 
chée du Vicariat apostolique du Congo, qui reste confié aux 
prêtres de Scheut, porte le nom de la grande rivière Kwango 
qui forme la limite de l'ntat indépendant avec le territoire 
portugais ; elle s'étend à l'est jusqu'au Kassaï et touche au 
nord au district du Stanley-Pool. Son étendue est cinq fois 
plus grande que la Belgique. 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 219 



Le 6 mars 1892, sept enfants de Saint-Ignace, les rév. Pères 
Van Hencxthoven, supérieur, Dumont, Liagre et Demeulemees- 
ter, et les frères coadjuteurs, Lombary, Gillet et de Sadeleer, 
s'embarquaient à Anvers à bord du LmIu Bohlen, 

Comme d'ordinaire, une cérémonie solennelle des adieux 
avait été faite la veille en la chapelle du collège de N.-D., et 
une foule de 10,000 personnes avaient accompagné les mission- 
naires au lieu de l'embarquement. 

Arrivés sains et saufs à Matadi un mois après,ils se dirigèrent 
vers leur résidence après quelques jours de repos qu'ils avaient 
consacrés à la visite des établissements des Pères du Saint- 
Esprit. 

L'État indépendant leur avait fait élever une habitation à 
Kibangu sur la rive droite de la Djili, affluent du Pool. Mais 
cette localité étant peu salubre, le R. P. Van Hencxthoven 
poussa ses recherches vers le sud et arrêta son choix sur un 
magnifique plateau au milieu d'un gros village appelé Kimuen- 
za. La maison de bois de Kibangu, démontée par le Frère 
de Sadeleer, y fut transportée et reconstruite. 

Depuis lors on put, avec l'aide de quelques travailleurs et 
des 85 enfants confiés par l'État aux missionnaires, commencer 
les travaux de défrichement et de culture. Là aussi se sont 
installées les Sœurs de Notre-Dame. 

Le R. P. Van Hencxthoven annonçait, le 10 novembre 1893, 
son départ pour le village de Mukisantu, situé à l'intersection 
de la future voie ferrée et de la rivière Inkisi ; il va y fonder 
une nouvelle colonie scolaire. Déjà le chef du village lui a 
confié son fils. 

Malheureusement la mort ne tarda pas à frapper la colonie 
des Pères Jésuites au Congo, et la première victime qu'elle 
choisit fut le savant géologue R. Père Dumont, fils d'André 
Dumont, le célèbre auteur de la carte géologique de Belgique. 
Ce Père avait spécialement pour mission d'étudier scientifi- 
quement le sol congolais : aussi sa mort est une double perte 
ressentie par la science et la religion. 



2 20 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Les Sœurs de Notre-Dame. — La congrégation des 
Sœurs de Notre-Dame, dont la maison-mère est à Namur, 
est, pensons-nous, affiliée à l'ordre des Jésuites, et leurs règles 
ont le même esprit au point de vue de l'apostolat. Aussi était- 
il naturel de voir ces deux Instituts marcher d'accord dans les 
missions congolaises, où les Sœurs de Notre-Dame, en tenant 
les orphelinats de jeunes noires, rendront le même service que 
les Sœurs de Charité de Gand dans les missions dépendant de 
Scheut. 

Le 3 juin 1894, avait lieu en la chapelle de la maison-mère 
la cérémonie des adieux des 7 premières Sœurs « congolaises », 
en présence de Mgr Decrollière, heureux et fier de l'honneur 
qui en rejaillissait sur son diocèse, et d'une foule de notabilités, 
parmi lesquelles nous citerons M. Van Eetvelde, ministre de 
l'Etat du Congo, et M. le gouverneur de la province. 

Le R. P. Verest a prononcé une allocution chaleureuse où 
il a célébré l'œuvre patriotique et religieuse du Congo. Ensuite 
a succédé, comme d'usage, le Chant dadie^i, trois couplets 
charmants, composés par trois des religieuses missionnaires qui 
y ont mis toute leur âme apostolique. Ce sont de vrais élans 
d'ardente piété et de dévouement absolu au service de Dieu. 
Aussi ne résistons-nous pas au désir de citer ces beaux vers, 
dits avec une pénétrante expression par une religieuse douée 
d'une voix superbe ; les choristes reprennent chaque fois les 
quatre derniers vers. L'effet est saisissant, et les assistants ont 
peine à retenir l'émotion qui leur met des larmes dans les yeux: 

Chant d'adieu. 
I 

Brûlante Afrique, ô terre d'esclavage, 
Ouvre tes bras, nous te donnons nos Sœurs ; 
La Charité guidera leur courage : 
A toi leurs jours et leurs rudes labeurs. 
Que l'enfant noir plongé dans la misère 
Connaisse Dieu, se range sous sa loi. 
Qu'il soit heureux et libre sur la terre, 
Que son cœur s'ouvre à l'amour, à la foi ! 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 221 

II 

Ne craignons pas l'appel au sacrifice ; 

S'il faut partir pour de lointains climats, 

Nous marcherons, et notre fondatrice 

Du haut du Ciel dirigera nos pas. 

Veille sur nous, Mère au cœur magnanime, 

Nous porterons ta bannière en tout lieu, 

Disant à tous ta devise sublime : 

Ah! quil est bon^ quil est bon, le bon Dieu! 

III 

Gardez toujours la douce souvenance 
De ce séjour, où Jésus règne en Roi ; 
De cet autel où voilant sa puissance, 
Il a reçu vos serments, votre foi. 
Centre béni, Namur, ô Maison-mère, 
Des cœurs vaillants t'adressent leurs adieux ; 
Mais pour Dieu seul se quitter sur la terre. 
C'est pour toujours se retrouver aux Cieux ! 

Le moment de la bénédiction des Sœurs missionnaires est 
arrivé : les sept religieuses quittent leur place et viennent 
s'agenouiller dans le chœur. S. G. Mgr l'évêque, la mitre en 
tête et la crosse à la main, se tourne vers l'assistance et, en 
termes émus qui partent d'un cœur vraiment épiscopal et 
paternel, elle exprime le respect que doit inspirer la grandeur 
de la mission à laquelle sont appelées les femmes courageuses 
qu'il va bénir. 

La caravane des sept Sœurs de N.-D. s'embarqua à Anvers 
le 6 juin 1 894 à bord de XEdwa^'d BoJilen, où nous avons eu 
la bonne fortune de les saluer et de leur souhaiter bon voyao-e. 

Voici leurs noms : Sœur Ignatia, supérieure, Sœurs A/berte, 
Alp!ionsms, T/iéop/ianie, Marie, Térésa et Rosa-Josep/i, 

Partaient en même temps le R. P. de Hert et un autre 
Père Jésuite, deux Pères de Scheut et six Sœurs congolaises 
de Gand. C'était donc 17 missionnaires que la Belgique en- 
voyait le même jour dans sa colonie africaine. 



2 22 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Le voyage. — Les incidents de la traversée, écrits agréa- 
blement par plusieurs Sœurs, ont été publiés dans la Semaine 
religieuse de Namur. L'espace nous manque pour les repro- 
duire ici. 

Après une heureuse navigation de 22 jours, d'Anvers à 
"BdLn^irïdiy Edward JBohlen entrait le 29 juin dans le fleuve Con- 
go. Le lendemain, par suite de la baisse des eaux, il échoua sur 
un banc de sable ; mais ce ne fut qu'une alerte. Bientôt on 
arrivait à Boma et à Matadi, où les missionnaires furent reçus 
par M. l'abbé d'Hooghe, curé de Matadi. Dès le 23 juillet, 
grâce à 60 porteurs et convoyeurs, on partait en plusieurs cara- 
vanes successives par la route de Luvituku et on arrivait enfin 
le 1 1 août, en la colonie de Kimuenza, habitée par les Pères 
Jésuites depuis deux ans déjà. 

Voici quelques détails extraits d'une lettre du P. de Hert, 
qui avait devancé de quelques jours la caravane. 

« Quant à moi, j'avais quitté Luvituku le jeudi 2 août de 
bon matin, et grâce à ma solide santé, je pus faire mes cinq 
lieues par jour à pied, dans les meilleures conditions: le 10 
août j'atteignis Kimuenza, où le bon P. Liagre et tous nos 
confrères m'accueillirent avec la plus cordiale charité, et les 
plus vives démonstrations de joie et de contentement, à la 
nouvelle que les bonnes Sœurs de Notre-Dame me suivaient 
de près avec le vaillant Fr. De Sadeleer. Que de choses nous 
avions à nous dire de la Belgique, des frères et amis que nous 
y avions laissés, de la situation actuelle de la colonie et de nos 
projets pour l'avenir ! 

« Quel ne fut pas notre bonheur quand ce matin même, vers 
9 heures, je reçus par un messager noir un billet du Fr. De 
Sadeleer, qui m'annonçait son approche et l'arrivée des Sœurs 
de Notre-Dame pour aujourd'hui. La maison des religieuses 
était prête à les recevoir et nous nous faisions une fête de 
pouvoir les installer dans leur pauvre monastère, où elles sont 
appelées à faire tant de bien non seulement aux jeunes né- 
gresses qui vont leur être confiées, mais encore à toute la 
population féminine de Kimuenza et des environs. 



QUATRIÈME PARTIE. — LES MISSIONS CATHOLIQUES. 223 

€ Un peu après midi les Sœurs et leur suite débouchaient 
par le chemin de N'Tampa, au sommet de la montagne de 
Kimuenza, sur laquelle le P. Liagre avait fait placer un soldat 
qui devait, en tirant un coup de fusil, nous donner le signal 
de l'approche de la caravane. Aussitôt le coup tiré, le Père 
Liagre et moi, nous sommes allés à la rencontre des Sœurs, 
suivis des enfants de notre colonie et des gens du village, tous 
très curieux de voir pour la première fois de leur vie des 
femmes blanches. Nous conduisons comme en triomphe les 
Sœurs à notre chapelle, où elles se prosternent devant le Saint- 
Sacrement et remercient Dieu de leur heureux voyage. Puis 
nous leur montrons les locaux de leur nouvelle demeure et 
nous les ramenons à la colonie, où nous leur avions préparé 
un petit dîner dont elles avaient bien besoin après les fatigues 
de la matinée. 

« Vers deux heures, le chef de Kimuenza et sa famille sont 
venus à la colonie pour faire leur première visite aux héroïques 
servantes du bon Dieu et des pauvres noirs. Enfin, après cette 
entrevue officielle, nous reconduisons les Sœurs dans leur 
provisoire et rustique habitation et nous lôs recommandons 
avec ferveur à la paternelle providence du Tout- Puissant. 

« Les Sœurs nous étaient arrivées telles que je les avais 
vues durant tout le voyage, vaillantes et gaies. Aucune d'elles 
n'avait eu à souffrir de la fièvre ni d'aucune autre indisposition 
sur tout le parcours de la route. Le Seigneur les a protégées 
d'une manière visible pendant ce long et pénible voyage ; il 
continuera bien certainement à les bénir et à les soutenir dans 
la rude mission qu'elles ont entreprise pour sa gloire et pour 
le salut des Congolaises. 

« Après avoir remercié Dieu des multiples bienfaits qu'il 
nous a prodigués ces dernières semaines, nous devons aussi 
remercier nos bienfaiteurs de Belgique qui nous ont aidés de 
leurs prières et de leurs généreuses aumônes. » 

Fr. De Hert, S. J. 



*i* •■ • 



2 24 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

II. 

La colonie de Sainte-Marîe de Kimuenza. 

Lettre du R. P, Van Hencxthove^t, S. J 

29 septembre 1893. 
Mon Révérend Père Provincial, 

Grâce à Dieu, je n'ai que de bonnes nouvelles à vous 
donner aujourd'hui de nos missionnaires du Kwango ; ils 
jouissent tous d'un excellent état de santé et se livrent avec 
ardeur à leurs travaux apostoliques. Nos principales occupa- 
tions pour le moment sont d'abord l'étude des langues congo- 
laises, dont la connaissance nous est absolument indispensable 
pour aborder avec fruit l'instruction et la conversion des indi- 
gènes ; ensuite les travaux de défrichement et de culture qui 
doivent nous empêcher de mourir de faim. 

Le bon Frère De Sadeleer, que j'ai placé à la tête du dépar- 
tement de l'agriculture, surveille et pousse activement au tra- 
vail nos jeunes élèves et les nègres libérés, qui doivent l'aider 
à nous fournir nos futures récoltes de la saison des pluies. Il 
vient de commencer les semailles et les plantations ; il estime 
que dans trois ou quatre mois (décembre, janvier), nous pour- 
rons déjà faire une petite moisson de riz de montagne et de 
maïs ; puis, un peu plus tard, nous recueillerons l'huile d'ara- 
chide ; enfin, après six mois, nous ferons la récolte de nos pre- 
mières patates douces. Je m'en réjouis à l'avance, plus encore 
pour nos enfants noirs que pour nous. Ces pauvres petits sont 
réduits à manger presque exclusivement des pains de manioc. 
Nous tâchons d'y ajouter de temps en temps, soit une banane, 
soit une poignée de maïs, soit un morceau de poisson, etc. 
Mais c'est si peu de chose. La plupart auraient besoin d'un 
régime plus fortifiant et plus tonique. Ils nous arrivent le plus 
souvent dans un état très avancé d'anémie, et un grand nom- 
bre souffrent de dysenterie chronique. Aussi la mortalité est- 
elle assez grande parmi eux. Pendant ce mois de septembre 
nous avons déjà perdu quatre de nos petits noirs ; trois de ces 
jeunes gens ont pu être heureusement baptisés. Espérons que 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 225 

ces prémices de notre colonie iront au ciel plaider auprès de 
Notre-Seigneur Jésus-Christ la cause de leurs malheureux 
frères africains. 

Toutes nos conserves d'Europe sont épuisées depuis long- 
temps. Pour le moment, le poisson et la viande sont très rares 
da4ns nos environs et ne se vendent qu'à un prix relativement 
très élevé. Sans M. le capitaine Richard, qui commande le 
camp d'instruction de Kinchassa, nous serions entièrement 
privés de végétaux européens ; mais cet excellent agronome a 
la bonté de nous faire parvenir quelques fruits de son exploi- 
tation, trois charges de légumes par semaine nous lui en 
devons bien de la reconnaissance. Malgré cela nous sommes 
encore dans un état de gêne qui se modifiera avec le temps. 

Nous travaillons dès maintenant à établir un parc à bestiaux 
qui fournira plus tard de la viande en abondance à nos enfants 
et à nous. A vingt minutes environ de notre maison se trouve 
une fertile vallée, qui pourra sans beaucoup de peine nourrir 
un nombreux bétail. Cette semaine nous avons commencé à y 
établir un poulailler, des étables et une maisonnette pour le 
gardien, que M. le commissaire du district va nous envoyer 
un de ces jours, et qui semble fort entendu dans l'élevage du 
bétail. Cet établissement nous coûtera quelques sacrifices 
d'argent, mais ils me paraissent indispensables au succès et à 
l'avenir de notre colonie scolaire, soit pour l'entretien, soit 
pour l'instruction de nos élèves. D'ailleurs ces dépenses, éche- 
lonnées en temps utile, constitueront, avec la bénédiction du 
ciel, un capital qui permettra à la colonie de Kimuenza, non 
seulement de se suffire à elle-même, mais aussi de venir au 
secours des autres stations de missionnaires qui seront établies 
plus tard. Ce sera l'affaire de quelques années : car il faut 
marcher lentement et sûrement: Chi va piano va sano. 

A ce propos, mon Révérend Père, je vous prierais de bien 
vouloir demander aux missionnaires qui nous arriveront dans 
le courant de l'année prochaine, de nous amener d'Europe, 
des Canaries ou d'ailleurs, quelques animaux domestiques qui 
feraient parfaitement notre affaire. Ainsi, par exemple, une paire 
d'ânes nous rendraient de grands services pour cultiver nos 
champs et pour porter ou voiturer nos produits : item, un cou- 

Soldals et mi<;sîonnaires au Congo 15 



2 20 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

pie de chiens de garde, à poils ras, nous seraient fort utiles 
pour jouer le rôle de cerbères dans notre métairie ; des pigeons, 
des lapins, des canards, des dindons et autres animaux de 
basse-conr pourraient venir peupler notre ferme. En tout cas, 
ee sont des essais à faire, et qui, s'ils réussissent, tourneraient à 
notre grand avantage et ne contribueraient pas peu au dévelop- 
pement de l'alimentation indigène, qui est encore si pauvre et 
si misérable dans l'état de sauvagerie où se trouve le Congo. 
On nous serait reconnaissant plus tard si nous pouvions intro- 
duire et acclimater ici des races animales d'autres contrées. 
S'ils avaient de la v'ande en abondance, les cannibales de 
l'Afrique centrale serraient moins portés à se nourrir de chair 
humaine, et, Dieu aicant, cette horrible coutume disparaîtrait 
peu à peu de la surface de notre belle colonie. 

Il y a deux jours, le 27 septembre, nous avons eu à dîner, 
malheureusement à la fortune du pot, un de nos compatriotes, 
M. Charmanne, directeur général du chemin de fer de Matadi 
à Léopoldville, qui était en train de parcourir les environs de 
Kimuenza pour arrêter le tracé définitif de la voie ferrée, dont 
on n'avait fait jusqu'à présent que les études préliminaires. Cet 
ancien ami de notre regretté P. Dumont a bien voulu nous 
donner quelques moments, et il nous a été fort pénible de ne 
pas pouvoir mieux le recevoir. Cet excellent et courageux 
ingénieur nous a dit que l'on a fait presser, avec plus de vigueur 
que jamais, l'achèvement de la ligne. Quand celle-ci sera ter- 
minée, nous recevrons, je l'espère, toutes les semaines, notre 
courrier de Belgique, et nous aurons, de notre côté, le plaisir 
de vous envoyer plus souvent de nos lettres. 

C'est dans cet espoir, mon Révérend Père, que toute la 
communauté de Sainte-Marie de Kimuenza vous présente ses 
affectueux respects et se recommande à vos bonnes prières. 

Em. Van Hexcxthoven, S. J. 



Ki^i— 



QUATRIÈME PARTIE. — LES MISSIONS CATHOLIQUES. 227 



III. 

Nous empruntons encore au Bulletin mensuel des Missions 
belges de la Co7npagnie de Jésus, une lettre du Père Ed. Liagre, 
renfermant d'intéressants détails. 

Sainte-Marie de Kimuenza, près Léopoldville, 

4 octobre 1893. 
Mon Révérend Père Provincial, 

Les constructions. Notre colonie de jeunes noirs va son 
petit train ; nous nous habituons et nous nous formons de plus 
en plus à nos ministères d'Afrique, si différents, pour mille et 
une raisons, de ceux d'Europe. Mais il faut se faire tout à tous, 
comme l'apôtre St Paul, omnibus omnia factus. 

Nos constructions, ou plutôt reconstructions, — car je vous 
ai dit que nous remontions ici, à Kimuenza, notre maison de 
Kibangu, — n'avancent pas aussi vite que nous le voudrions. 
La faute en est aux indigènes de Mpala et de Mayala. Comme 
les habitants de Kimuenza, les noirs de ces deux villages voi- 
sins s'étaient engagés à nous livrer, dans un délai de douze 
jours, 600 bottes de chaume ou de paille, à raison de 5 mita- 
kos par botte, sous peine d'une amende de 5 mitakos par botte 
en retard. 

Malgré ces désagréments, une partie de notre résidence est 
déjà sous toit, et j'y habite un appartement où je suis à sec : la 
chapelle a également reçu sa toiture. Tout en utilisant les ma- 
tériaux amenés de Kibangu, nous avons un peu changé les 
dispositions de notre bâtiment. Au lieu d'un fer à cheval, nous 
avons un vaste rectangle de 20 mètres de long sur 8 de large. 
Une véranda de l'^SO entoure les quatre côtés du rectangle, de 
sorte que nulle part les rayons du soleil ne peuvent pénétrer 
directement dans nos chambres. 

La maison a été bâtie sur pilotis ; mais comme le terrain est 
en pente du nord-ouest au sud-est, tandis que les piliers qui 
soutiennent la maison du côté du réfectoire s'élèvent à i"^40 
au-dessus du sol, on a dil déblayer la terre du côté de la cha- 
pelle pour ne pas enfouir entièrement les piliers qui la soutien- 



2 28 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

nent ; de cette manière nous avons pu établir un bon plancher 
et n'avons plus le sable pour parquet comme à Kibangu. 

Les séparations des chambres à l'intérieur, au lieu d'être 
faites au moyen de planches, — celles-ci ayant servi pour le 
plancher, — sont tout simplement des nattes du pays, clouées 
sur des montants ; et, ma foi, cela n'est pas mal du tout, en 
attendant que nous ayons des planches pour les remplacer. Ces 
cloisons en nattes s'arrêtent à la naissance du toit, de sorte que 
toutes les chambres communiquent par en haut, et l'air circule 
librement sous le chaume au-dessus de nos têtes. Nos chambres 
n'ont point de plafond, et nous pouvons admirer la charpente 
de notre toiture sans monter au grenier, lequel d'ailleurs, 
n'existe pas, non plus que le premier étage et les suivants. 

Chacune des six chambres est éclairée par une baie d'un 
mètre carré d'ouverture, baie qui se ferme par deux petits volets. 
Peut-être que dans notre maison future nous aurons des fenê- 
tres ; leur absence laisse entrer la poussière sans obstacle ; 
mais nous n'y regardons pas de si près ; la chapelle a trois 
fenêtres, le réfectoire trois fenêtres et deux portes. 

Quand la maison sera achevée, le P. De Meulemeester en 
prendra la photographie et j'aurai soin de vous envoyer une 
épreuve de cette vue de Kimuenza. 

Du réfectoire ou plutôt de la véranda qui se trouve devant, 
on jouira d'une vue splendide sur la vallée de la Lukaya, petite 
rivière qui se jette dans la Djili. 

Ce matin, toute la vallée de la Lukaya était plongée dans un 
intense brouillard ; on aurait dit un immense lac d'où émer- 
geaient quelques ilôts ; ces îlots étaient les cimes de quelques 
groupes d'arbres s'élevant çà et là sur les crêtes des collines 
environnantes. C'était un spectacle magnifique. 

Le personnel. Notre colonie de Sainte-Marie de Kimuenza 
comprend pour le moment un total de ii8 personnes, à savoir : 
8 blancs, 17 noirs libérés, 12 Bangalas, 2 charpentiers nègres 
de la côte, 2 soldats noirs avec leurs femmes, les 85 enfants qui 
nous sont confiés par l'État, ou plutôt à l'heure qu'il est 81. 

Quatre enfants arrivés récemment ici, se sont enfuis diman- 
che passé, vers le soir. Ces désertions sont assez fréquentes 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 229 



parmi les enfants et les adultes de notre colonie, tout comme à 
Kinchassa et à Léopoldville. L'amour de la vie sauvage et sur- 
tout le désir de ne faire absolument rien sont la cause ordinaire 
de ces évasions. Souvent nos enfants nous sont ramenés par 
les indigènes; mais parfois, dans certains villages, on les garde 
pour les vendre à la première occasion. S'ils échoient à des can - 
nibales, ils sont engraissés et mangés à belles dents; si leurs 
acheteurs ne sont pas anthropophages, ils deviennent esclaves 
domestiques ; ils doivent alors travailler pour leur maître et 
lui donner la moitié de ce qu'ils gagnent. Cet esclavage est 
assez doux et fort différent de la condition des malheureux 
noirs capturés par les Arabes esclavagistes de l'Est. 

Il y a dans nos environs énormément d'esclaves domestiques; 
il arrive même que des petits chefs de hameau sont esclaves 
d'autres chefs. En somme, il y a très peu d'hommes libres 
dans les villages de notre district. 

Les gens de notre village se coiffent tous de la même ma- 
nière. Ils se rasent les cheveux jusqu'au sommet du crâne; le 
reste des cheveux est relevé en bourrelet très artistiquement. 
Les femmes ont la même coiffure que les hommes. 

Outre le pagne autour des reins, les hommes portent un 
large manteau d'étoffe que je ne puis mieux comparer qu'à la 
toge romaine ; ils la portent comme les anciens, et cela avec 
une dignité que n'auraient pas désavouée les vieux sénateurs 
de Rome. Les gens huppés en laissent traîner un long bout 
derrière eux ; ils le font passer entre les jambes et balaient 
ainsi le sol. Vous voyez que la traîne ne devra pas être impor- 
tée ici d'Europe, quand l'Afrique sera civilisée. 

Nous n'avons pas encore eu les pluies torrentielles, qui ne 
tomberont que dans un mois. Le soleil est au-dessus de notre 
tête ; par conséquent à midi pas d'ombre. Je vois par les 
journaux, que chez vous aussi il a fait bien chaud pendant le 
dernier été. A coup sûr vous aurez souffert plus que nous de 
la chaleur. Vivent les habits blancs ! ils sont un peu salissants, 
mais ils sont frais et léeers. 

Voyez où j'en suis réduit en fait de leçons de ménage à 
donner à nos gens. Des écoles ménagères seraient bien néces- 
saires ici. Comme les femmes de notre station lavent très mal 



230 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

le linge et consomment énormément de savon, j'ai dû appren- 
dre la lessive à quelques-uns de nos enfants d'après la méthode 
employée en Belgique. Trempage du linge la veille, savon- 
nage, puis bouillon, enfin lavage. Nos petits noirs ne s'en tirent 
maintenant pas si mal ; il faudra de plus leur apprendre à 
repasser. Cela vous dit assez que je n'ai pas ici l'occasion d'ex- 
pliquer Démosthène, Cicéron ou Bossuet. J'ai dû enseigner à 
nos gamins à faire des sauces, des étuvées et à préparer quel- 
ques mets élémentaires. Mais je n'ai pu pousser très loin ces 
leçons, et j'ai dû abandonner cet enseignement au Fr. Gillet, 
qui est un maître queux consommé, 

La chapelle. Dimanche dernier, i^'' octobre, nous avons 
pour la première fois conservé le T.-S.-Sacrement dans notre 
chapelle, mais pour le dimanche seulement; il en sera ainsi jus- 
qu'à ce que toute notre maison soit parfaitement couverte. Ce 
jour-là le R. P. Supérieur a béni notre Chemin de la Croix, et 
l'après-midi nous avons célébré notre premier salut solennel. 
Malheureusementjla caisse qui renferme l'encensoir ne nous est 
pas encore arrivée, et nous avons dû nous en passer. J'ai fabri- 
qué une sorte à^ humerai avec deux brasses ^ américani, espèce 
d'étoffe blanche que les noirs achètent en assez grande quan- 
tité, par amour des contrastes probablement. 

Un mot encore sur notre chapelle. J'ai suspendu à l'entrée 
du chœur des rideaux en étoffe rouge avec dessins ; entre les 
deux rideaux courent des festons de même étoffe. Les planches 
qui forment les murs sont cachées par des couvertures de lit 
rouges avec un lambris de l'étoffe des rideaux. Cette étoffe est 
un peu défraîchie par reau,mais elle est encore très convenable. 
Bref, ce n'est pas du tout mal pour le Congo. 

Je dois encore écrire aujourd'hui à Mgr Augouard, à Braz- 
zaville, et le jour baisse. Je vais donc vous dire adieu, mon 
R. P. Provincial, jusqu'à nouvel ordre, et vous présenter, avec 
l'expression de mes sentiments dévoués, les respects affec- 
tueux de tous les membres de notre communauté de Kimuenza. 

Ed. LiAGRE, S. J. 







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QUATRIÈME PARTIE. — LES MISSIONS CATHOLIQUES. 233 




<; ^ CHAPITRE V, ^ 
Les Trappistes belges au Congo. 

L'EXEMPLE de son aïeul, le roi Louis-Philippe, 
qui, malgré tous les obstacles, a voulu être le fon- 
dateur de l'abbaye de Staouëli en Algérie, le roi 
Léopold a conçu le noble dessein d'être l'introduc- 
teur, dans les forêts et les déserts de l'Afrique centrale, de ces 
moines agriculteurs, de ces intrépides défricheurs, qui ont 
conquis autrefois sur la barbarie germanique les contrées 
qui sont aujourd'hui les plus belles, les plus riches les plus 
civilisées de l'Europe entière. 

Les moines de Westmalle ont accepté cette rude et glorieuse 
mission. Le R. P. Joseph, agronome distingué, un autre Père 
et deux Frères du couvent deWestmalle se sont embarqués à 
Anvers le 6 avril 1894. (Le P. Joseph avait reçu la bénédiction 
abbatiale des mains de S. É. le cardinal Goossens.) Ils ne se 
dissimulent pas les terres brûlantes et les sauvages habitants 
du continent noir. Tout y sera nouveau pour eux : le sol, le 
climat, la nature, la végétation, les fruits, les produits divers, 
la langue et les mœurs des indigènes. 

Ce n'est qu'au prix de maintes déceptions, d'inévitables 
tâtonnements, de cruelles expériences qu'ils pourront atteindre 
les divers buts de leur nouvelle fondation africaine. Avec la 
bénédiction du ciel et le généreux concours de tous ceux qui 
s'intéressent à la grande œuvre du Roi-Souverain, ils parvien- 
dront tôt ou tard à créer à iV' Tampa, dans le district du Stanley- 
Pool, à 50 kilomètres de Léopoldville, un de ces grands centres 
religieux civilisateurs dont l'influence rayonne au loin, et qui 
sont pour les contrées environnantes une source de bien-être 
moral et matériel. Ils profiteront tout d'abord des essais de 
culture déjà si heureusement tentés par nos agents de l'État 
et par nos compatriotes. 

Avant même d'arriver aux installations provisoires qui leur 
sont préparées à N' Denibo, près de N' Tampa, ils verront les 
magnifiques troupeaux obtenus au Bas-Congo dans l'île de 



234 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 

Matéba ; ils admireront à Kinchassa, près du Pool, les splen- 
dides plantations de caféiers et toutes les autres cultures euro- 
péennes ou tropicales qui, après trois ans à peine, ont été 
établies par l'initiative du commandant Richard, et qui pro- 
mettent les plus heureux résultats ; ils verront en passant les 
premiers essais de culture de la colonie militaire et agricole de 
Kimuenza, dirigée par les Jésuites belges ; ils mettront aussi 
à profit les succès remportés par les Pères du Saint-Esprit à 
Brazzaville, sous la vigoureuse impulsion de Mgr Augouard, 
et par les Pères blancs du Tanganika, dont M. l'ingénieur 
Diderrich disait dernièrement : 

« C'est vraiment une vue d'autrefois que ce grand monastère 
de Mpala, bâti en briques rouges, avec ses plates-formes 
blanches et les arcs de son cloître, ses murs de défenses et les 
populations groupées à leur pied. N'est-ce pas l'histoire de 
jadis que ce couvent qui se dresse là, sentinelle avancée de la 
civilisation au milieu d'un peuple barbare, maison hospitalière 
nourrissant les malheureux qui lui ont demandé un asile, et au 
besoin sachant les défendre contre les agressions de leurs enne- 
mis ?... Il faut avoir vécu en Afrique pour savoir le prix de 
ces choses, et les efforts qu'il a fallu déployer pour obtenir ces 
résultats. » 

Les espérances. Tous ces essais déjà fort satisfaisants, 
tous ces progrès déjà réalisés au milieu de la barbarie africaine 
peuvent nous donner l'espoir fondé que, là aussi, les Pères 
trappistes triompheront de tous les obstacles qu'ils rencontre- 
ront dans leur œuvre à la fois sociale et religieuse. 

Dans quelques années, si Dieu leur vient en aide, comme 
nous n'en pouvons douter, autour de la nouvelle abbaye congo- 
laise de N'Tampa, devenue une ferme modèle, une autre 
Staouëli, une seconde Marianhill, viendront se grouper de 
nombreux villages chrétiens de Wamboutous et de Batékés. 
L'exemple de la colonisation entreprise par nos zélés Trappis- 
tes attirera peut-être dans le voisinage quelques colons belges, 
qui trouveront en eux aide, lumière et protection. Quand nos 
religieux agriculteurs auront réussi à former les indigènes au 
travail de la terre, d'habiles et courageux capitalistes comme 



QUATRIÈME PARTIE. LES MISSIONS CATHOLIQUES. 235 



les anciens planteurs des Antilles, iront peut-être un jour fon- 
der dans les fécondes vallées du Congo des établissements qui 
pourront rivaliser avec ceux des Trappistes, dont ils auront 
pratiqué les méthodes et suivi les conseils désintéressés. 

En tout cas, — et c'est là, selon la remarque d'un homme 
d'État, un des côtés essentiels à envisager dans la fondation 
des monastères au milieu des races idolâtres et sauvages, — 
la présence de ces moines héroïques qui donnent à tous l'exem- 
pledesplushautes et des plus difficiles vertus,maintiendra parmi 
les blancs qui doivent gouverner, diriger, exploiter ces régions, 
un niveau de moralité, de justice et de charité, que n'ont pas 
toujours su conserver les anciens possesseurs des colonies 
africaines. « Une société nouvelle, dit M. de Corcelle, exige 
une loi morale plus sévère, s'il est possible, que celle de la 
société ancienne qui a été son berceau, surtout si elle est en 
contact avec des peuplades inférieures. Au lieu de les élever 
à son niveau, elle descend trop souvent au leur. » 

Les funestes conséquences de ces relations redoutables avec 
des races dégradées ont frappé l'attention des ancienshistoriens 
des expéditions d'outre-mer et des fondations coloniales. La 
foi des Croisés eux-mêmes n'y a pas échappé ; trop souvent ils 
prenaient les mœurs des orientaux, ils embrassaient même 
quelquefois les trop faciles doctrines du Coran. Trop souvent 
aussi, au Congo et dans les Indes, les Portugais donnaient aux 
naturels des exemples déplorables et démentaient par leur con- 
duite la religion qu'ils semblaient professer en la proposant aux 
nations indigènes. 

Pour écarter de notre grande colonie africaine les consé- 
quences de ce triste phénomène et pour faire en sorte que nos 
braves Belges ne ressemblent pas un jour aux sauvages Con- 
golais, un des principaux moyens assurément est de relever 
autant que possible le niveau moral des uns et des autres par 
l'établissementde nombreuses et ferventes missions catholiques, 
par la fondation de grandes abbayes agricoles, qui tout en 
cultivant un sol jusqu'à présent improductif, cultiveront aussi 
les âmes de ceux qui doivent l'exploiter. Comme l'écrivait M. 
F. de Corcelle à ]\L Villemain, ministre de l'instruction publi- 
que : « Il est à croire que d'éclatants exemples d'austérité, de 



236 SOLDATS ET MISSIONNAIRES AU CONGO. 



charité donnés par des associations religieuses vouées à la 
culture des terres, finiront par émouvoir les Arabes et seront 
très salutaires à l'égard des Européens.» Et leminent député 
français disait au maréchal Bugeaud en le conjurant d'installer 
au plus tôt les Trappistes à Staouëli : « Je vous supplie d'ad- 
mettre bientôt cette goutte de sainteté dans la caverne afri- 
came. » (Précis historiques.) 

On peut dire la même chose de tous les établissements 
coloniaux qui, à l'heure présente, se partagent le centre du 
ténébreux Continent. 

Si les colonies anglaises sont en général si prospères, c'est 
que partout l'élément religieux y est en honneur. 

Nulle part aujourd'hui les missions catholiques ne jouissent 
de plus de liberté, de plus de considération et de bienveillance, 
nulle part elles n'exercent plus d'influence autour d'elles que 
dans les possessions britanniques. C'est un témoignac^e à ren- 
dre aux Anglais, et c'est à nous de profiter de leur exemple. 

Ajoutons un dernier mot. A la date des dernières nouvelles 
(1895) 1'^ colonie des Trappistes de N'Tampa a déménagé 
pour aller s'établir à Coquilhatville, poste de l'État belge 
situé sur le Congo central, au confluent du Rouki, et auquel 
on a donné le nom du capitaine Coquilhat, l'un de nos pre- 
miers pionniers sur le continent Noir. 

Espérons que bientôt la Congrégation bénédictine belge de 
Maredsous (province de Namur) voudra, elle aussi, envoyer 
en Afrique un essaim de colons-missionnaires, dignes fils de 
ces moines-agriculteurs qui, au début du moyen âge, ont joué 
un si grand rôle dans la civilisation de notre Europe. 



FIN. 



POSTFACE. 





/ T^JV iSSj, notts avons pîcb lié, sons le titre de Congo belge 

/ ^ illustré, l'exposé historique de la fondation de [État 

ïndépejidaiit, que venait de créer e7i Afrique le roi Léopold II, 

Dans la ^^ édition de cet oîcvrage, partie en i8ç2, nous avons 
pu C07idîtire le récit depuis la découverte du fleiroe Congo par 
Henry Stanley en iSjô-jj, jusqtcen i8ço, y compris le testa- 
ment du Roi, ou l^ offre de donation du Congo par le Roi-Sou- 
verain^ et r acceptation éventuelle par les Chambres belges. 

Les événements accomplis en Afrique de i8çi à i8ç^ étaient 
trop nombreux, trop importants, pour ne constituer dans la 
prochaine édition qu'un appendice au volume de l histoire géné- 
rale, déjà assez considérable par lui-même. 

Il semblait donc nécessaire de ptiblier en un volume spécial 
l'histoire de ces quati^e années, envisagée à quatre points de 
vite différents, qiwique connexes en bien des endroits, savoir : 

/o L'action politique et militaire, ou laguein^e de F État co7itre 
les Arabes envahisseurs et révoltés, action synthétisée par la 
brillante cainpagne du comiiiandant Dhanis, 

2^ L'action humanitaire, oti la lutte pour la destruction de 
T horrible traite des nègres, personnifiée dans r expédition anties- 
clavagiste du capitaine Jacques, aie moyen de sozcscriptions libres 
dît peuple belge. 

j° L'action utilitaire, ou voyage d' exploratio7i géographique de 
de M. Alexandre Delcommune, chef de T expédition commerciale 
au Katanga. 

^o L'action civilisatrice et religieuse, représentée au Congo 
par nos Pères missionnaires et nos Sœurs de charité, de diverses 
congrégations : Pères Blancs, Pères de Sclietct, Jésintes, Trap- 
pistes, Sœurs Blanches et Sœurs de N'otre-Da7ne de Namur. 

On le voit, cet ouvrage est une suite natin^elle, non seulejjient 
à notre Congo belge illustré, mais encoi^e à plusie7crs autres 
ouvrages de vulgarisation, tels qtte : la Traite des Nègres, 
la Barbarie africaine, les Congolais, Stanley TAfricain 
Alexis Vrithoff. 



2^S 



POSTFACE, 



Ces^ à ce titre multiple que nous offrons nos Soldats et 
Missionnaires au Congo, au public qui s iiitéresse à tout ce 
qui se fait en Afî'ique de grand et de beaii par nos compatriotes, 
suivant ainsi courageusement la généreuse impulsion donnée par 
ie Roi-Souverain. 

Nous l offrons surtout à la jeunesse ardente et intelligente de 
nos établissements d instruction. Comme dans nos précédents 
ouvrages, ils y trouveront des exemples de vertus civiques et reli- 
gieuses, dignes d applaudissement, et capables de soutenir au loin 
la réputation de la Belgique, « ce pays si petit sur la cai'te 
d' Eu7'ope, qui accomplit de si grandes choses en Afrique /» 



Noël i8çS' 



Pro Deo et Patria. 



F, Alexis- M. G, 





TABLE DES MATIERES. 




le PARTIE. 

Le capitaine Dhanis et la guerre contre les Arabes. 

Ch. I. Situation préalable. Le Mahométisme p. 9 

Gh. II. Campagne dans le Manyéma i6 

Massacres de Lippens et d'Hodister, 17. — Campagne contre Séfu et 
Mohàrra, 21. — Prises de Nyangwé et de Kassongo, 23. — Rumaliza, 27. 

— Rumaliza battu, $2- — Soumission de Rachid, 34. 

Ch, III. Le capitaine Chaltin dans la région centrale 36 

Sur le Lomami, 39. — A Bena Kamba, 42. — Prise du camp arabe de 
Tchari, 44. — Combat et prise de Riba-Riba, 52. — Victoire des Stanley- 
Fails, 54. / 

Ch. IV. Retour en Belgique 59 

Résultats de la campagne, 59. — Réceptions à Anvers et à Bruxelles, 61. 

— Nécrologie : Ponthier, de Wouters d'Oplinter, 63 ; Debruyn, 66; lieu- 
tenant Hodister, 69 ; Emin-Pacha, 71. 

Ile PARTIE. 

Le capitaine Jacques et les expéditions antiesclavagistes belges. 

Ch. I, De Belgique au Tanganika p. 73 

Les quatre expéditions, commandées par le lieutenant Hincq, le capitaine 
Jacques, le lieutenant Long, le capitaine Descamps, 74. — Départ du capi- 
taine Jacques, 75. — A Bagamoyo, 76. — A Tabora, 81. — A Karéma. 
Rencontre du capitaine Joubert, 84. 

Ch. IL La guerre au Tanganika 89 

Fondation du fort d'Albertville, 91. — Jacques chez Rumaliza, 92. — Arri- 
vée de Delcommune, 95. — Siège du borna arabe ; échec, 96. — [/n ca7ion^ 
sHl vous plaît ^ 100. 

Ch. III. Victoire sur les esclavagistes. loi 

Arrivée de Duvivier et prise du boma arabe, 102. — Toka-Toka en fuite, 
103. — Arrivée du capitaine Descamps et des deux canons, 106. — Arri 
vée du lieutenant Long, no. — Victoire sur Mouhina, ni. — Jonction 
des expéditions Descamps et Dhanis, 113. 

Ch. IV. Retour en Belgique ii6 

Les adieux du capitaine Jacques à Mpala, 116. — Retour par le Zambèze, 
Zanzibar, Suez et Paris, 120.— Les fêtes de réception à Bruxelles et à 
Vielsalm, 122. 



240 TABLE DES MATIÈRES. 



III« PARTIE. 

Alexandre Delcommune et les expéditions commerciales au 

Katanga. 

Ch. 1. Les quatre expéditions commerciales p- 127 

Commandants :M. Alexandre Delcommune, lieutenant Hodister, capitaine 
Stairs, capitaine Bia, 127. 

Gh. II. Expédition Delcommune 129 

D'Anvers à Le'opoldville, 129. — Aux Stanley-Falls, 134.— Au lac Kassa- 
li, 140. — Bunkéia, capitale du Msiri, 148. - Les gorges de Nzilo, effroya- 
ble situation, 150. — Hourrah Tanganika ! 152. — Le capitaine Joubert, 
155. — Au secours du capitaine Jacques, 156. — Le lac Tanganika, 158. 

Gh. III. Retour en Belgique 162 

Du Tanganika à Bruxelles, 162. — Résultats scientifiques, 165. — Re'cep- 
tions solennelles à Bruxelles, 166. — L'ingénieur Diderrich et le petit 
Kalala, 168. 

IV^ PARTIE. 

Les missions catholiques belges au Congo. 
Ch. I. Les Pères blancs au Tanganika i75 

Mort des Pères Vinckeet Vanderstraeten, 178. 

Gh. II. Les Pères missionnaires de Scheut, au Congo 181 

Lettre du Père Huberland, sa mort, 185. — Baptême du chef Ebéké, 190. 
— L'école-colonie de la Nouvelle-Anvers, 195. — Voyages de Matadi à 
Lousambo, 199. 

Ch. III. Les Sœursde Charité au Congo 207 

Premier départ, 207. — Lettres de sœur Amalia, 210, et de sœur Marie- 
Godeliève, 215. 

Ch. IV. Les Pères jésuites et les Sœurs de Notre-Dame au 

Kwango ^^^ 

Chant d'adieu, 220. — Le voyage, 222. — La colonie de Sainte- 
Marie de Kimuenza, 224. — Lettre du P. Liagre, 227. 

Ch. Y. Les Pères Trappistes au Congo 233 




Imprimé par Desclée, De Brouwer et Cie. 




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Robarts Library 

DUE DATE: 

Aug. 17, 1991 




Fines increase 
SH per day 

Retum ail currently overdue books before 
Septembef 3, 1991 when the new fine rate of 
SOC per item per day takes effect. 



This new rate will apply for ail overdue days 
including those prior to September 3, 1991. 



DT Gochet, Alexis Marie 

655 Soldat et missionaires au 

G63 Congo de 1891 à 1894 



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