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Full text of "Soudan français"

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assort 


(As  c-ovnf es 

popu\ spires,  2p.  j un  2 191 

SOUDAN  FRANÇAIS  .. 


CONTES  SOUDANAIS 

PAR 


C.  MONTEIL 

EX-ADMINISTRATEUR-ADJOINT  DES  COLONIES 
CHARGÉ  DU  COURS  DE  SOUDANAIS  A L’ÉCOLE  DES  LANGUES  ORIENTALES  VIVANTES 


PRÉFACE 

de  M.  René  BASSET 

CORRESPONDANT  DE  L’iNSTITUT 
DIRECTEUR  DE  L’ÉCOLE  SUPÉRIEURE  DES  LETTRES  D’ALGER 


PARIS 

ERNEST  LEROUX,  ÉDITEUR 

28,  RUE  BONAPARTE,  28 


1900 


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2017  with  funding  from 
Princeton  Theological  Seminary  Library 


https://archive.org/details/soudanfrancaisOOmont 


PRÉFACE 


Sous  le  titre  un  peu  trop  compréhensif, 
de  Contes  Soudanais,  M.  Ch.  Monteil  nous 
donne  aujourd’hui  un  recueil  de  récits  so- 
ninkhé,  bamana  et  khassonkhé,  c’est-à-dire 
appartenant  à cette  partie  septentrionale  du 
groupe  linguistique  mandingue  qui  a été 
jusqu’à  présent  si  peu  exploré  au  point  de 
vue  de  la  littérature  populaire. 

L’importance  d’un  pareil  recueil  n’échap- 
pera à personne  et  un  rapide  examen  en 
fournira  la  preuve.  Comme  dans  tout  le 
reste  de  l’Afrique,  le  lièvre  est  l’animal  rusé 
par  excellence  et  sa  victime  habituelle  est 
la  hyène,  parfois  le  loup  et  l’éléphant,  dans 


II 


des  contes  dont  quelques-uns  se  retrouvent 
chez  d’autres  populations  du  Sénégal  et 
même  de  l’Afrique  orientale.  Ce  sont  les 
Arabes,  ou  du  moins,  des  Musulmans  qui 
ont  été  les  propagateurs. 

En  effet,  l’influence  musulmane  est  très 
sensible,  non  seulement  dans  les  légendes 
qui  ont  pour  sources  des  traditions  bi- 
bliques plus  ou  moins  modifiées  par  l’islam 
d’abord,  par  les  conteurs  indigènes  ensuite, 
mais  aussi  dans  les  simples  contes  : la  con- 
clusion de  celui  de  Saïdou  et  Mahaviatou 
en  est  la  preuve;  la  ruse  de  Samba  pour 
voler  le  cheval  du  chef  maure  Mohammed 
( Les  deux  chefs  maures,  le  devin  et  le  vo- 
leur) est  l’écho  d’un  tour  joué  dans  un  récit 
arabe  par  un  voleur  de  chevaux  ; Le  Village 
des  Fous  est  une  variante  de  La  Querelle 
des  Sourds  dont  l’Inde  nous  fournit  le  plus 
ancien  type;  L'Enfant  et  le  Caïman  est  le 
sujet  bien  connu  de  l’ingratitude  punie  que 
l’on  retrouve  dans  tous  les  pays  de  l’ancien 
monde,  et  dont  M.  Kenneth  Mac  Kenzie 
vient  d’étudier  les  diverses  variantes.  Dans 
Les  Sandales  du  Roi  nous  avons  un  renia- 


III 


niement  du  conte  bien  connu  La  Trace  du 
Lion,  qui  fait  partie  du  recueil  des  Sept 
Vi\irs;  Le  Vieillard  et  ses  Enfants  est  une 
version  d’un  conte  arabe  de  Tunisie,  Les 
Trois  Mohammed , dont  la  plus  ancienne 
forme  met  en  scène  les  ancêtres  des  tribus 
arabes,  les  quatre  fils  de  Nizar.  Le  fata- 
lisme musulman  s’accorde  merveilleuse- 
ment avec  la  paresse  habituelle  aux  nègres 
dans  le  conte  Modi  le  Dormeur  ; celui  de 
L'Homme  aux  Trois  Houppes  est  une 
altération  d’un  récit  répandu  dans  tout 
l'Orient  : Les  Trois  conseils  d’un  Père  ; il 
en  est  de  même  des  Histoires  de  Femmes. 

Les  Berbères  semblent  avoir,  dans 
quelques  cas,  servi  d’intermédiaires  pour 
des  contes  d’origine  arabe  : ainsi  l’his- 
toire de  Curieux  est  une  variante  de  celle 
des  Rencontres  singulières  qui  existe  en 
zouaoua;  celle  de  Marandénboné  nous 
présente  des  traits  du  conte  Kabyle  de 
Mekid'ech  et  l'ogresse  aveugle  (. Bik'edich 
chez  les  Chelha  du  Maroc).  Le  recueil  des 
aventures  de  Si  Djobia  a fourni  deux 
contes  : La  Marmite  et  le  Fils  du  Voleur 


IV 


où  nous  retrouvons  Le  Lièvre  de  Si  Djobia 
et  Le  Couteau  qui  tue  et  ressuscite. 

Cependant,  il  est  curieux  de  rencontrer 
des  traits  communs  aux  contes  apparte- 
nant aux  groupes  bantous  (par  exemple, 
dans  L'Enfant  du  Mal  la  façon  dont  il  se 
débarrasse  des  lionceaux  qu’on  lui  a don- 
nés à garder)  et  pour  lesquels  nous  ne  con- 
naissons pas  de  similaires  soit  en  arabe  ou 
en  berbère,  soit  dans  les  langues  du  Sou- 
dan. Ce  sont  comme  les  extrémités  d’une 
chaîne  dont  les  anneaux  intermédiaires 
manquent;  la  précision  de  certains  détails 
empêche  en  effet  de  croire  à une  conception 
identique  et  simultanée  chez  des  popula- 
tions différentes.  De  nouvelles  enquêtes 
combleront  sans  doute  cette  lacune. 

Un  petit  nombre  de  contes,  seulement, 
semble  être  d’origine  indigène;  ainsi  celui 
de  Samba  le  Lâche  où  nous  trouvons  l’écho 
de  la  haine,  très  justifiée  d’ailleurs, 
qu’éprouvent  les  populations  noires  de  la 
rive  gauche  du  Sénégal  pour  les  Maures  de 
la  rive  droite;  L'Histoire  de  Bacari  Dian; 
La  Meilleure  Femme ; Le  Jaloux;  L'Ami 


V 


du  Lion,  où  les  épisodes  de  la  vie  quoti- 
dienne des  nègres  sont  mêlés  au  fantas- 
tique; Le  Boloné ; Les  Trois  Insatiables . 
Dans  cette  catégorie,  on  peut  ranger  les 
chansons  : La  Botte  de  Paille  et  La  Sor- 
cière. Cette  classe  aurait  reçu  un  accroisse- 
ment d’une  haute  importance  pour  l’his- 
toire religieuse  et  sociale,  si  l’auteur  avait 
pu  se  procurer  les  chansons  et  les  récits 
propres  aux  sociétés  secrètes  indigènes,  si 
importantes  chez  les  mandingues  païens  : 
mais  je  sais,  pour  en  avoir  fait  l’expérience 
sur  les  bords  du  Rio  Nunez,  à quelles 
difficultés  presque  insurmontables  on  se 
heurte. 

La  conclusion  se  tire  d’elle-même  : il  est 
à désirer  que  le  recueil  de  M.  Ch.  Monteil 
ait  beaucoup  de  lecteurs  et  de  nombreux 
imitateurs  : notre  connaissance  de  la 
France  noire  ne  pourra  qu’en  profiter. 

Lunéville,  23  septembre  1904. 


René  BASSET. 


INTRODUCTION 


C’est  au  cours  de  deux  séjours  1 au  Sou- 
dan français,  que  les  contes,  fables,  récits 
ou  chansons,  qui  vont  suivre,  ontété recueil- 
lis par  nous. 

Nous  nous  sommes  efforcés  de  leur  con- 
server leur  couleur  locale,  mais  il  est  bien 
certain  que  la  traduction,  quelqu’exacte 
qu’elle  soit,  enlève  toujours,  plus  ou  moins, 
au  récit  sa  saveur  indigène. 

Bien  que  la  littérature  soudanaise  soit  un 

i.  A Médine  de  mars  1897  à mars  1899;  à 
Djénné  de  mai  1901  à décembre  1902. 


2 


sujet  fort  intéressant  d’étude,  on  ne  doit  pas 
s’attendre,  toutefois,  à trouver  au  Soudan 
français  des  œuvres  considérables,  formant 
un  tout  1 : puisqu’il  n'y  a pas  d'écriture 
indigène,  que  l’emploi  des  caractères  arabes 
est  presqu’exclusivement  limité  aux  choses 
musulmanes  et  que,  d’ailleurs,  les  conteurs 
indigènes  sont  ordinairement  illettrés. 

Mais  l’observation  attentive  des  diverses 
manifestations  intellectuelles  du  Soudanais, 
nous  permet  d’affirmer  que  le  Noir  n’est 
dénué  ni  d’imagination,  ni  d’originalité,  ni 
d'humour,  ni  de  sentimentalité;  qu’il  ne 
dédaigne  pas  une  certaine  morale,  différente 

i.  Cependant,  en  ce  qui  concerne  les  traditions 
historiques,  une  caste  indigène  s’occupe  spéciale- 
ment de  recueillir  et  de  transmettre  tout  ce  qui  a 
trait  aux  grands  événements.  Il  existe,  ainsi,  quel- 
ques individus  dont  le  savoir  est  très  étendu,  pour 
tout  ce  qui  se  rapporte  à une  tribu  ou  à une  famille, 
depuis  deux  ou  trois  siècles  jusqu’à  nos  jours. 

Le  Tarikh  es  Soudan  n’est  que  la  rédaction, 
d’ailleurs  souvent  obscure,  de  certaines  de  ces  tradi- 
tions orales,  par  une  lettré  musulman. 

Mais  ces  remarques  n’infirment  en  rien  nos  con- 
clusions générales  : au  Soudan  il  n’y  a pas  de  litté- 
rature indigène  écrite. 


— 3 — 


de  la  nôtre  sans  doute;  qu’il  est  très  sensible 
aux  hauts  faits  de  guerre;  qu’il  est  profon- 
dément superstitieux  et,  aussi,  religieux  à sa 
manière.  La  littérature  indigène  réfléchit 
très  exactement  tous  ces  traits  de  caractère; 
elle  pourrait  donc  avoir  une  certaine  ampleur 
et  compter  des  auteurs  renommés,  sinon 
célèbres. 

Il  n’en  est  rien,  car  les  œuvres  littéraires 
indigènes  sont  spontanées  et  en  général 
éphémères;  elles  naissent  sous  l'influence  du 
moment,  se  transforment  souvent  sous  l’em- 
pire des  circonstances,  mais  se  transmettent 1 


i.  Les  traditions  historiques  font  encore  exception. 
Pour  en  assurer  la  pérennité,  il  existe  des  sortes 
d'écoles  pour  les  gens  de  caste  qui  en  sont  les  dépo- 
sitaires. Ainsi,  chez  les  Soninko,  ces  gens  de  caste, 
nommés  guéssérou,  s’instruisent,  étant  enfants, 
auprès  du  plus  vieux  et  du  plus  érudit  d’entre  eux, 
qui  tient  ses  séances  en  plein  air,  sous  un  arbre. 
Une  lance,  fichée  en  terre,  symbolise,  très  probable- 
ment, le  caractère  épique  du  sujet  traité.  Avant  de 
parler,  l’élève  prend  la  lance  en  main,  comme  pour 
marquer  qu’il  est  capable  et  digne  de  retracer  les 
exploits  héroïques  da  ses  maîtres. 

Suivant  ses  capacités  et  ses  aptitudes,  le  jeune 
gnésséré  s’attache  à l’étude  de  l’histoire  de  sa 


— 4 — 

bien  rarement  dans  leur  intégralité,  faute 
d’écriture. 

Les  grands  centres  sont,  pour  l’Européen, 
les  lieux  les  plus  propresaux  investigations 
dans  le  domaine  de  la  littérature  indigène; 
parce  que,  là,  le  noir  est  plus  accoutumé  à 
nous  et  partant  moins  méfiant  et  qu’aussi, 
les  grandes  villes  sont,  au  Soudan  comme 
partout,  des  centres  d’attraction  pour  les 
savants,  les  lettrés  ou  les  artistes  : tous  gens 
qui,  pour  se  perfectionner  ou  pour  vivre,  se 
trouvent  contraints  à de  fréquents  déplace- 
ments. 

C’est  par  ces  éternels  voyageurs  que  les 
productions  littéraires  sont  vulgarisées  et 
que  l’on  retrouve,  au  Soudan  français,  des 
récits  originaires,  parfois,  de  contrées  très 
éloignées  de  cette  région  de  l’Afrique. 

Parmi  ces  voyageurs,  ceux  que  nous  nom- 
mons les  marabouts  sont  les  propagateurs, 

nation,  ou  seulement  à celle  d’une  famille,  et  sa  vie 
entière  se  passe  à scruter  le  passé  et  à colliger  les 
faits  du  présent,  qu’il  transmettra  à son  tour  à ses 
élèves. 


— 5 — 


non  seulement  de  l’Islam,  mais  aussi  de  la 
littérature  arabe. 

Autrefois  surtout,  tout  centre  musulman 
important  du  Soudan  français  possédait 
une  manière  d’école  supérieure,  où  l’on 
enseignait  notamment  les  belles-lettres 
arabes. 

D’autre  part,  un  peu  partout  les  sectateurs 
isolés  de  Mahomet,  arabes  ou  maures,  ont 
répandu  des  récits,  dont  la  religion  est  sou- 
vent la  trame  et  parfois  la  seule  raison  d’être, 
et,  aussi,  des  ouvrages  de  pure  imagination, 
faits  pour  distraire  bien  plus  que  pour  ins- 
truire ou  endoctriner.  Ces  travaux  litté- 
raires, transmis  intégralement  par  les  lettrés 
ou  plus  ou  moins  modifiés  par  les  narrateurs 
indigènes  qui  s’efforcent  de  les  adapter  à 
leur  milieu,  sont  à coup  sûr  très  nombreux. 

Comme,  d’ailleurs,  dans  les  grands  cen- 
tres, où  nous  avons  de  grandes  facilités 
pour  observer  le  monde  Soudanais,  l’Islam 
tend  à envelopper  peu  ou  prou  toute  chose, 
l’Européen  est  amené  à penser  que  c’est 
toujours  sous  l’impulsion,  manifeste  ou 
occulte,  de  cette  influence  étrangère  que  la 


— 6 — 


littérature  indigène,  notamment,  prend 
naissance. 

Ce  n’est  cependant  qu’une  apparence;  il 
existe  réellement  une  littérature  exclusive- 
ment indigène,  purement  orale  et  dans 
laquelle  les  mœurs  indigènes  tiennent  une 
large  place.  Elle  comporte  des  légendes  his- 
toriques ; des  contes,  d’ogres  et  de  sorciers 
surtout;  des  fables;  des  devinettes,  des 
chansons  et  aussi  des  pièces  de  ce  genre 
spécial  qu’on  a dénommé  la  randonnée. 

Le  trait  le  plus  saillant  de  ces  productions, 
c’est  que  la  morale,  au  moins  telle  que  nous 
la  concevons,  en  est  absente;  le  but  pour- 
suivi est  surtout  de  distraire. 

Ce  qui  domine,  c’est  le  triomphe  de  la 
ruse  et  de  l’hypocrisie  sur  la  force  et  la 
vérité.  C’est,  en  somme,  l’image  de  ce  qui 
se  passe  le  plus  souvent  dans  ces  contrées. 
Là,  en  effet,  la  ruse  est  la  seule  arme  du 
faible  contre  le  fort;  là,  comme  ailleurs, 
fréquemment,  l’hypocrite  se  crée,  au  moins 
pour  un  temps,  une  brillante  fortune,  tandis 
que  nul  ne  peut  toujours  impunément  pro- 
clamer la  vérité. 


— 7 — 


Les  conteurs  indigènes  aiment  bien  met- 
tre en  scène  des  animaux;  mais  ce  n’est 
point  pour  nous  les  montrer  tels  qu’ils  sont 
naturellement,  ou  nous  initier  à leurs 
moeurs  véritables.  Dans  les  fables  souda- 
naises, les  animaux  se  comportent  tout  à fait 
comme  des  êtres  humains. 

C’est  le  lièvre  qui  incarne  au  plus  haut 
point  l’hypocrisie  et  l’esprit  de  ruse  et  il  a, 
comme  dupe  ou  compère  ordinaire,  l’hyène, 
dont  il  est,  affirme  la  fable,  le  neveu1.  Cette 
parenté  identifie  plus  encore  ces  animaux  à 
des  personnes  et  rappelle,  en  même  temps, 
que,  chez  les  Soudanais,  le  neveu  joue  sou- 
vent de  bien  mauvais  tours  à son  oncle. 

Les  autres  animaux  ont,  à peu  près,  le 
même  rôle  que  dans  nos  fables  d’Europe  ; 

i.  De  cela  il  n’y  a pas  lieu  de  s’étonner,  s’il  faut 
en  croire  les  indigènes  teintés  de  mahométisme; 
car,  d’après  eux,  les  animaux  ne  sont  que  des  méta- 
morphoses de  personnes  que  Dieu  a voulu  punir, 
parce  qu’elles  lui  avaient  désobéi.  Ainsi,  les  singes 
et  les  sangliers,  étaient  des  juifs  qui  prirent  du 
poisson  le  dimanche,  contrairement  à l’ordre  de 
Dieu  ; l’éléphant  était  un  pédéraste  et  le  lièvre  une 
femme  de  mauvaise  vie. 


— 8 — 


le  lion  symbolise  la  force;  la  panthère  l’agi- 
lité ; le  singe  la  malice. 

Après  avoir  ainsi  examiné  les  productions 
littéraires  en  elles-mêmes,  il  nous  reste  à 
parler  de  leurs  auteurs. 

Dans  tous  les  villages  du  Soudan  fran- 
çais, il  y a toujours  ce  que  l’on  nomme 
« les  Jeunes  gens  » ; c’est,  au  sens  large,  la 
partie  de  ia  population  non  encore  affran- 
chie de  la  puissance  du  paterfamilias.  Elle 
comporte  de  tout  jeunes  gens  et  aussi,  par- 
fois, des  hommes  avancés  en  âge.  C’est  le 
parti  des  turbulants,  qui  fait  le  plus  souvent 
échec  au  parti  conservateur  et  pacifique, 
constitué  par  les  chefs  de  famille  et  les  nota- 
bles. 

Les  Jeunes  gens  sont  repartis  en  sociétés 
confraternelles,  chacune  composée  de  tous 
ceux,  ou  de  toutes  celles,  qui  ont  été  cir- 
concis, ou  excisées,  pendant  trois  années 
consécutives  \ 


i . Les  agapes,  qui  réunissent  fréquemment  îes 
membres  d’une  même  association,  sont,  comme 
l’on  peut  croire,  d’heureuses  occasions,  qui  s’offrent 


— 9 


Chaque  association  a son  chef,  mais  tou- 
tes reconnaissent,  plus  ou  moins,  l’autorité 
d’un  « Chef  des  Jeunes  ».  Ce  chef  des  Jeu- 
nes est  l’organisateur  des  fêtes  publiques. 
C’est  lui  qui  doit  recruter  des  artistes  (musi- 
ciens, danseurs,  conteurs,  sorciers...)  sus- 
ceptibles d’amuser  la  société.  Parfois  il  est 
lui-même  excellent  diseur  et  conteur  remar- 
quable. 

Vers  1898,  à Médine,  le  chef  des  Jeunes 
était  un  serviteur  de  Sadio  Sambala,  chef 
de  la  ville.  Cet  homme,  fort  intelligent, 
était  un  pauvre  être  rongé  par  la  lèpre  ampu- 
tante. Cette  terrible  maladie  avait  réduit 
ses  mains  à de  tristes  moignons,  dont  il 
tirait  cependant  d’excellents  services,  car 
c’était  un  potier  fort  habile.  C’est  à ce 


aux  esprits  distingués  d’exercer  leur  verve,  leur 
humour  ou  leur  imagination.  C'est  souvent  dans 
ce  milieu,  sans  prétention  et  tout  bienveillant,  que 
s’éveille  et  s’affirme  un  talent  de  fin  diseur,  ou  que 
s’essaie  l’imagination  d’un  conteur  souvent  grivois 
et  quelquefois  grossier.  En  sorte  que,  en  dehors 
de  leur  rôle  philanthropique,  ces  associations  contri- 
buent indirectement  à la  production  littéraire. 


10 


lépreux  que  nous  sommes  indirectement 
redevable  d’un  certain  nombre  des  contes 
qui  vont  suivre  ; il  les  tenait  lui-même  des 
artistes  qu’il  avait  engagés  pour  les  fêtes 
publiques  '. 

Souvent  ces  artistes  sont,  tout  à la  fois, 
conteurs,  chanteurs  et  danseurs. 

i . Chez  les  Khassonké,  ces  fêtes  ont  lieu  surtout 
pour  la  circoncision  et  l’excision.  Pour  la  circonci- 
sion, l’artiste  de  circonstance  porte  le  nom  de  gan- 
kourango  ; il  a tout  le  haut  du  corps  voilé,  en  quel- 
que sorte,  par  un  filet  à larges  mailles.  Ce  filet  se 
termine  au  sommet  de  la  tête  par  un  paquet  de 
piquants  de  porc-épic  et,  vers  le  bas,  à mi-cuisse, 
par  des  pampilles;  une  ceinture  en  cuir  le  retient 
à la  taille.  Le  gankourango  porte  suspendu  aux 
poignets  des  queues  de  vache,  qui,  au  Soudan,  rem- 
placent la  baguette  magique;  enfin,  il  accompagne 
ses  exercices  chorégraphiques  de  passes  rapides  et 
brillantes,  qu’il  exécute  avec  un  sabre  court,  à lame 
droite. 

Pour  l’excision,  le  héros  des  fêtes  se  nomme  le 
marna  dyombo  (litt.  le  grand  père  au  bouquet).  Il 
disparaît  sous  une  manière  de  cône  d’étoffe  brun 
jaunâtre,  que  surmonte  une  petite  touffe  de  rubans 
et  d’amulettes.  C’est  à cette  touffe,  ou  bouquet,  qu’il 
doit  son  nom.  Il  se  compare  lui-même,  souvent,  à 
une  ternitière,  dont  il  a,  en  effet,  l’aspect.  Ses  danses 
sont  des  exercices  d’acrobatie  parfois  fqrt  comiques, 


D’aucuns  ont  spécialement  pour  métier 
de  chasser  les  esprits  du  mal,  qui  rôdent 
autour  des  jeunes  circoncis  ou  des  jeunes 
excisées  : tels  sont  le  gankourango  et  le 
marna  dyombo.  Ils  appartiennent,  alors, 
généralement  à la  caste  des  forgerons  et 
composent  eux-mêmes  les  pièces  qu’ils  débi- 
tent. 

C’est  au  cours  de  leurs  danses  spéciales,  le 
soir,  au  clair  de  lune  ou  à la  lueur  blafarde 
d'un  feu  de  tiges  sèches  de  mil,  qu’ils  chan- 
tent les  hauts  faits  légendaires  des  guerriers 
ou  les  atrocités  terrifiantes  des  esprits  du 
mal. 

Leur  langage  n’est  pas  toujours  facile- 
ment intelligible  au  vulgaire,  car  ils 
emploient  fréquemment  des  termes  qui 
appartiennent  à des  dialectes  différents  *. 


i.  Faut-il  voir  là  une  manière  de  langage  profes- 
sionnel, une  sorte  d’argot?  Peut-être.  Ou  bien 
encore  faut-il  penser  que  ces  individus,  qui  vont  d'un 
pays  dans  un  autre,  où  le  dialecte  est  différent, 
finissent  à la  longue  par  user  d'une  sorte  de  vola- 
puck.  C’est  encore  possible.  Mais,  en  tout  cas,  on 
nous  a fait  remarquer  que  souvent  aussi  les  mots, 


Outre  ces  fêtes  publiques,  il  y eut  autre- 
fois, et  il  y a actuellement  encore  quelque- 
fois, des  sortes  de  fêtes  de  cour. 

Les  grands  chefs  noirs  aimaient  à entre- 
tenir autour  d’eux  un  nombre  plus  ou  moins 
grand  d’artistes,  qu’ils  faisaient  venir  de 
fort  loin  et  à grands  frais.  Ce  luxe  reten- 
tissant et  coûteux,  ajoutait  à leur  gloire; 

apparemment  inintelligibles,  qu’ils  emploient,  sont 
seulement  des  vieux  mots  dont  l’usage,  et  par  suite 
la  signification,  sont  généralement  oubliés. 

Nous  devons  encore  ajouter  qu’autrefois,  lors  des 
guerres  interminables  entre  rois  nègres,  les  gens  de 
caste,  et  particulièrement  ceux  dont  la  profession 
consistait  à chanter  les  louanges  des  puissants  et 
les  exploits  des  braves,  étaient  toujours  épargnés. 
Leur  faconde  vénale  était  toujours  acquise  au  plus 
fort  ou  au  plus  offrant.  Ils  étaient  méprisés  et 
craints.  Ce  sont  eux,  bien  souvent,  qui  ont  été  les 
créateurs  des  noms  propres  de  personnes  chez  les 
indigènes  : car  ces  noms  ont  tous  été,  à l’origine,  des 
surnoms  tirés  d’une  qualité  ou  d’un  défaut  de  l'in- 
dividu, d’une  circonstance  de  sa  vie...  Or,  comme  ces 
troubadours,  en  changeant  de  maîtres,  changeaient 
de  pays,  ils  devaient  aussi  changer  de  langage,  ce 
qui  les  amenait  à parler  une  langue  hybride  ou, 
parfois  même,  composite,  dont  on  retrouve  encore 
les  traces  dans  les  vieilles  épopées,  que  redisent  les 
griots  actuels. 


i 3 — 


car  les  artistes  ne  manquaient  jamais  de 
forger  de  toutes  pièces,  à la  louange  de  leur 
hôte,  une  histoire  d’autant  plus  merveil- 
leuse qu’ils  avaient  été  traités  avec  plus 
d’égards  et  de  somptuosité. 

Et  c’est  ainsi  qu’au  cours  de  leurs  péré- 
grinations ils  ont  répandu  ces  légendes, 
dont  les  noirs  sont  si  avides,  et  qui,  reprises 
et  modifiées,  ici  et  là,  ont  constitué  l’inex- 
tricable réseau  d’où  il  est  actuellement  si 
difficile  de  démêler  la  vérité  historique. 

Mais,  outre  ces  professionnels,  les  con- 
teurs ne  manquent  pas  : ce  sont  des  indivi- 
dus à l’imagination  vive,  doués  d’un  grand 
sens  d’observation  et,  parfois,  d’une  certaine 
originalité  très  personnelle.  Tel  ce  Mahdi 
Kama,  de  Gouméra,  qui  fait  les  délices  de 
ses  compatriotes. 

C’est  à la  veillée  que  ces  conteurs  aiment 
volontiers  à se  produire  et,  aussi,  pendant 
les  longues  heures  de  la  sieste,  à l’ombre 
des  arbres  touffus.  Leur  renommée  ne  passe 
guère  le  cercle  de  leurs  intimes.  Tout  au 
plus  sont-ils  connus  dans  les  villages  des 
alentours.  Aussi,  leurs  créations  ne  leur  sur- 


H — 


vivent  guère;  à peine  sont-elles  recueillies 
de  mémoire  par  quelques  auditeurs  atten- 
tifs et  intéressés. 

Enfin,  une  littérature  spéciale  mérite  au 
moins  d’être  signalée  : c’est  celle  des  socié- 
tés secrètes.  Chacune  de  ces  sociétés  a son 
répertoire  de  chants  et  de  récits  appropriés, 
mais  dont,  quant  à présent,  nous  n’avons 
pu  avoir  de  spécimens. 


"j*  “I""  4*4  4*4  4*4  4*4  4^4  4 *4  ***4  4 *4  4*4  4*44*4 4*4 4*4 4*4 4^4  4*4 


LA  SUCCESSION. 
(Conte  khassonké.) 


Il  était  un  homme  très  riche,  qui  avait  un 
fils  unique;  il  était  aussi  un  marabout,  qui 
n’avait  d’autres  moyens  d’existence  que  les 
cadeaux  que  lui  faisaient  ses  élèves. 

L’homme  riche  confia  son  fils  au  marabout, 
pour  l’instruire,  et  mourut  avant  qu’il  fut  en 
âge  de  lui  succéder.  Mais,  en  prévision  de  ce 
malheur,  le  père  avait,  avec  un  soin  minutieux, 
dressé  l’inventaire  de  tous  ses  biens.  De  ce 
papier,  il  avait  fait  faire  une  amulette,  qu’il 
avait  mise  au  cou  de  l’enfant  en  lui  recomman- 
dant, ainsi  qu’à  sa  mère,  de  ne  rien  entrepren- 
dre, sans  avoir  au  préalable  pris  connaissance 
de  son  contenu. 

Après  la  mort  du  riche,  le  marabout  prit  la 
direction  de  tous  ses  biens  au  lieu  et  place  de 


l’enfant  mineur.  Au  fur  et  à mesure  des  années, 
il  donna  à entendre  qu’il  avait  hérité  du  défunt 
et  se  comporta  d’ailleurs  en  conséquence. 

Quand  le  jeune  homme  fut  majeur,  il  songea 
à faire  du  commerce  et  fit  part  de  ses  projets  à 
sa  mère.  Celle-ci  lui  rappela  alors  le  conseil  du 
défunt  : « n’entreprends  rien,  conclut-elle,  sans 
« avoir  pris  connaissance  du  contenu  de  l’amu- 
« lette  que  ton  père  t’a  laissée.  » 

En  conséquence  de  cet  avis,  le  jeune  homme 
lut  avidement  le  papier,  soigneusement  rédigé, 
où  tous  les  biens  de  son  père  étaient  exacte- 
ment désignés. 

Après  cette  lecture,  il  alla  trouver  le  mara- 
bout et  lui  mit  sous  les  yeux  l’écrit  laissé  par 
son  père.  Comme  ils  étaient  seuls,  le  marabout 
jeta  au  feu  ce  dangereux  témoignage,  qui  fut 
ainsi  à tout  jamais  détruit. 

Le  jeune  homme  demeura  atîéré  : il  ne  con- 
cevait pas  comment  cet  homme,  si  pieux,  appa- 
remment, et  qui  lui  avait  enseigné  la  pratique 
des  plus  hautes  vertus,  avait  pu  agir  de  la  sorte 
à son  égard  et,  de  plus,  il  se  demandait  com- 
ment il  pourrait,  sans  preuve  maintenant, 
recouvrer  l’héritage  paternel. 

Le  jeune  homme  exposa  l’affaire  au  cadi. 
Celui-ci  réfléchit  longuement,  puis  eut  recours 


— 17  — 


au  stratagème  que  voici  : il  fit  construire  une  ma- 
nière de  grand  cercueil  et  dit  aux  plaideurs,  qui 
ignoraient  ce  que  contenait  le  cercueil  : « celui 
« de  vous  deux,  qui,  aidé,  toi  — il  s’adressait  au 
« marabout,  — de  ta  femme,  toi  — il  s’adres- 
« sait  au  jeune  homme  — de  ta  mère,  pourra 
« faire  faire  le  tour  du  village  à ce  cercueil, 
« celui-là  sera  le  véritable  héritier  du  défunt.  » 

Le  jeune  homme  et  sa  mère  prirent  la  lourde 
caisse,  mais  la  pauvre  femme  fut  bientôt  fati- 
guée et  ils  durent  poser  le  cercueil  à terre  : 
« Mère,  dit  alors  le  jeune  homme,  si  tu  ne 
« m’aides  pas,  je  ne  pourrai  jamais,  seul,  accom- 
« plir  la  tâche  qui  nous  est  imposée  et,  cepen- 
« dant,  je  ne  puis  me  décider  à abandonner,  à 
« un  malhonnête  homme,  les  biens  que  notre 
« cher  défunt  avait  si  soigneusement  invento- 
riés. Du  courage,  ma  mère,  Dieu  nous 
« aidera!  » 

La  pauvre  vieille  réunit  toutes  ses  forces  pour 
un  suprême  effort  et  le  cercueil  fit  le  tour  du 
village . 

Ce  fut,  alors,  au  marabout  et  à sa  femme  à 
tenter  l’épreuve.  Cette  fois  encore,  la  femme 
faiblit  un  moment  et  le  cercueil  fut  posé  à 
terre  : « Femme,  dit  le  marabout,  reprends 
«courage!  voudrais-tu  nous  faire  perdre  les 


18  - 


« biens  que  j’ai  acquis  au  prix  d’un  crime  dont 
« le  remords  me  hante  déjà?  Songe  à notre 
« misère  d’autrefois,  songe  à la  honte  qui  nous 
«attend,  si  nous  ne  triomphons  pas?  Allons, 
« encore  un  dernier  effort,  et  pour  toujours, 
« nous  sommes  riches  ». 

Le  cercueil  arriva,  cette  fois  aussi,  au  bout  du 
village  et  chacun  pensait  que  le  cadi  allait  être 
plus  embarrassé  que  jamais,  quand,  à la  stupé- 
faction générale,  du  cercueil  sortirent  deux 
marabouts,  qui  rapportèrent  minutieusement 
les  détails  des  deux  voyages  qu’ils  venaient  de 
faire  et  les  conversations  dont  ils  avaient  été 
témoins. 

Plus  de  doute  dès  lors.  Le  jeune  homme  fut 
mis  en  possession  des  biens  de  son  père. 

* 

LE  VILLAGE  DES  FOUS. 

(Conte  khassonké.) 

Il  existait  un  village  dont  tous  les  habitants 
étaient  fous. 


Un  jour,  un  pâtre  et  son  troupeau  s’égarèrent 
dans  le  voisinage  de  ce  village  et,  le  soir  venu, 
comme  une  chèvre  manquait,  le  pâtre  fit  des 
recherches  dans  les  alentours. 

Il  rencontra  un  cultivateur,  qui  travaillait  à 
son  champ,  et  lui  demanda  : « N’as-tu  pas  vu, 
dans  ton  champ,  une  chèvre  égarée?  » « Mon 
<t  champ  commence  devant  moi  et  finit  derrière 
« moi,  dit  l’homme.  Cherche  et  tu  trouveras.  » 
Voyant  qu’il  n’en  obtiendrait  rien,  le  berger 
s’éloigna.  Quand  il  eut  retrouvé  sa  chèvre,  il 
réunit  son  troupeau  bêlant  pour  passer  la  nuit 
à la  belle  étoile,  car  il  ignorait  s’il  y avait  un 
village  dans  les  environs.  Soudain,  vint  à pas- 
ser le  cultivateur  avec  lequel  il  s’était  déjà 
entretenu,  il  s’en  approcha  et,  pour  se  ménager 
ses  bonnes  grâces,  lui  dit  : « J’ai  retrouvé  ma 
« chèvre  qui  s’était  égarée,  la  voici;  je  te  la 
« donne  bien  volontiers,  si  tu  veux  m’accorder 
« l’hospitalité.  » 

« Ah!  par  exemple,  s’écria  le  cultivateur,  en 
«voilà  une  histoire?  Comment!  tu  m’accuses 
« d’avoir  volé  ta  chèvre  ? nous  allons  aller  régler 
« cette  affaire  chez  le  chef  du  village.  » 

Quand  ils  furent  en  présence  du  chef  de  vil- 
lage, celui-ci  s’écria,  dès  que  le  berger  voulut 
parler  : <c  Allons!  encore  une  histoire  de 

2 


20  — 


« femme!  vraiment  çà  ne  peut  durer,  je  vais 
« quitter  le  village  »,  et,  s’adressant  à sa  femme, 
il  lui  dit  : « Viens,  partons!  » 

La  femme  confia  à l’une  de  ses  servantes 
placée  à côté  d’elle  : « Non,  je  ne  puis  continuer 
« à vivre  ainsi  avec  un  homme  qui  parle  tou- 
« jours  de  divorcer.  » 

La  servante  était  occupée  à décortiquer  des 
arachides  et,  au  moment  où  sa  maîtresse  lui 
parla,  un  mendiant  se  présenta  pour  demander 
l’aumône.  La  servante  dit  au  mendiant  : 
« Peux-tu  croire,  pauvre  homme,  que  depuis 
« ce  matin  je  suis  occupée  à cet  ouvrage  et  que 
« je  n’ai  pas  encore  mangé.  » Et,  sans  plus,  elle 
mit  les  arachides  dans  le  boubou  que  tendait 
le  mendiant,  qui  s’en  alla  en  disant  « Bien  ! 
merci!  Dieu  soit  loué.  » 

* 

DEUX  HISTOIRES  DE  MAHDI  KAMA 


Mahdi  Kama  est  un  vieillard , agréable  conteur , 
fort  connu  surtout  des  Soninko.  Il  habite  à 


— 21 


Gouméra  ( Gadiaga ) et  a une  très  grande  répu- 
tation, méritée,  dit-on,  par  sa  faconde  aussi  spi- 
rituelle qu’intarissable. 


LES  VINGT  FILS. 

Un  homme,  nommé  Toumané,  avait  vingt  fils. 

Quand  il  mourut,  en  manière  de  piété  filiale, 
ses  enfants  conservèrent  son  crâne,  dans  la  case 
même  qu’il  avait  occupée.  Chaque  matin,  tous 
venaient  s’asseoir  en  cercle  autour  de  la  pré- 
cieuse relique  et  s’entretenir  du  cher  défunt. 
Chose  curieuse,  chaque  matin  aussi,  quand  ils 
accomplissaient  ce  pieux  devoir,  les  enfants 
trouvaient  toujours  vingt  moudds  1 d’or,  placés 
en  tas  auprès  du  chef  paternel  : chacun,  à la  fin 
de  la  visite,  recevait  un  moudd  d’or  pour  sa  part. 

Un  autre  homme,  nommé  Demba,  avait  aussi 
vingt  fils. 

Un  jour,  il  advint  qu’il  fut  piqué  par  un  ser- 
pent : aussitôt  ses  vingt  enfants,  armés  de  bâ- 
tons, se  mirent  à la  poursuite  du  reptile  qui  se 


i.  Le  moudd  est  une  mesure  indigène  de  capa- 
cité, contenant  environ  2 litres  et  demi. 


22 


réfugia  dans  la  case  où  était  le  crâne  de  Tou- 
mané.  Les  enfants  de  Demba  y entrèrent  aussi; 
Ils  trouvèrent  le  serpent  lové  dans  le  crâne, 
qu’ils  s’apprêtaient  à briser,  quand  survinrent 
les  vingt  fils  de  Tourané  qui  s’y  opposèrent  : 
« Nous  briserons  ce  crâne,  dirent  les  fils  de 
« Demba,  parce  qu’il  nous  faut  la  cervelle  du 
« serpent  pour  guérir  notre  père.  » 

Mais  les  fils  de  Toumaré  ne  permirent  pas 
cette  profanation  et  la  dispute  devint  si  vive, 
que  les  deux  camps  ennemis  en  vinrent  aux 
mains. 

Ici , le  narrateur  demande  aux  assistants  : et 
que  pensez-vous  qu’il  arriva?  Alors,  chacun  de 
donner  son  avis-,  peu  à peu  la  discussion 
s’échauffe  et,  quand  Mahdi  Kama  s’est  suffisam- 
ment réjoui,  il  reprend  : 

Le  combat  commença  dès  le  matin  et,  le  soir, 
il  y avait  déjà  quinze  morts  de  chaque  côté, 
quand  on  vint  dire  aux  fils  de  Demba  : « Votre 
« père  vient  de  mourir.  » Alors,  les  combattants 
se  séparèrent. 


— 23  — 


LA  JUMENT. 

Un  homme,  nommé  Amadou,  possédait  une 
jument. 

Cette  jument  creva  et  l’homme  l’enfouit  dans 
un  champ  attenant  à son  habitation. 

A l’hivernage,  le  propriétaire  du  champ, 
nommé  Silman,  sema  des  graines  de  courge,  à 
l’endroit  même  où  la  jument  avait  été  mise. 

Une  branche  de  courge  s’allongea  vers  la  cour 
de  l’habitation  d’Amadou  et  vint  s’y  enrouler 
autour  du  piquet,  auquel  la  jument  était,  autre- 
fois, attachée.  Puis,  contre  ce  piquet  même,  se 
forma  une  courge,  qui  tous  les  jours  grossit  à 
vue  d’œil.  Silman  disait  souvent  à Amadou  : 
« Prends  soin  de  ma  courge,  je  viendrai  la  cueil- 
lir quand  elle  sera  mûre  » et,  par  raison  de 
bon  voisinage,  Amadou  veillait  sur  la  courge. 

Enfin,  arriva  le  moment  ou  elle  fut  mûre  à 
point.  Silman  vint  pour  la  cueillir,  mais  comme 
elle  était  très  grosse,  il  sortit  son  couteau  et  la 
partagea  en  deux. 

Chose  merveilleuse,  la  courge  contenait  deux 
pouliches  en  parfait  état  de  santé  et  qui  se 
mirent  aussitôt  à gambader. 


2. 


— 24  — 


Amadou,  stupéfait,  s’exclama  : « Ces  deux 
i<  pouliches  sont  à moi;  ce  sont  assurément  les 
« produits  de  la  jument  que  j’ai  enfouie  dans 
« ton  champ,  car  l’on  n’a  jamais  vu  une  courge 
« avoir  des  pouliches  en  guise  de  graines  ». 

« Et  depuis  quand,  répliqua  Silman,  a-t-on 
« vu  une  jument  crevée  continuer  à enfanter  ? 
« Cette  citrouille  est  mon  bien,  je  te  l’ai  tou- 
« jours  dit  et  tu  en  as  toujours  convenu  ; dès  lors 
« son  contenu,  quel  qu’il  soit,  m’appartient; 
« d’autant  plus  que  si  je  n’avais  pas  ouvert  cette 
« courge  devant  toi,  tu  aurais  toujours  ignoré 
« ce  qu’elle  contenait  et  tu  n’en  aurais  eu  cure.  » 

L’accord  fut  impossible,  ils  durent  aller  trou- 
ver le  cadi,  qui,  pour  une  aussi  délicate  affaire, 
se  fit  assister  par  les  vieux  du  village. 

C’est  alors  que  le  conteur  pose  la  question  : 
« Que  pensez-vous  que  le  cadi  décida?  » et  les  dis- 
cussions vont  leur  train,  jusqu’au  moment  où 
Mahdi  Kama  conclut  : 

Voici  le  jugement  que  rendit  le  cadi  : 

De  même  qu’après  sa  mort,  une  jument  ne 
peut  produire  des  pouliches,  de  même  il  n’est 
pas  dans  l’ordre  naturel  des  choses  de  voir  une 
courge  contenir  des  chevaux. 

Donc,  dans  le  cas  présent,  le  propriétaire  du 
champ,  non  plus  que  celui  de  la  jument,  ne 


— 25  — 


peut  logiquement  avoir  un  droit  certain  sur 
les  pouliches. 

Puisque  les  graines  ont  été  semées  par  Sil- 
man  dans  son  propre  champ,  mais  que  le  pro- 
duit s’est  formé  dans  la  propriété  d’Amadou  et 
ne  s’est  développé  que  grâce  à sa  vigilance, 
chacun  d’eux  à un  droit  égal  au  produit. 

Et  chacun  reçut  une  pouliche. 


LE  GOURMAND. 

(Conte  soninké). 

Un  gourmand  quitta  son  village  et  alla  s’ins- 
taller dans  la  brousse,  avec  sa  femme.  Un 
homme,  qui  entendit  cette  nouvelle,  dit  : « Je 
« vais  aller  manger  avec  le  gourmand  ». 

Il  partit.  Quand  il  rencontra  l’homme  il  lui 
dit  : « Comment  ça  va  ? — Merci  ! où  vas-tu  ? — 
Je  vais  à l’autre  village,  mais,  comme  la  nuit 
approche,  je  coucherai  ici  ». 

Le  gourmand  dit  : « Continue,  le  village  n’est 
pas  loinl  — Non,  je  passerai  la  nuit  ici.  — 
Nous  n’avons  pas  de  nourriture  et  pas  d’eau. 


— 2Ô  


— Eh  bien  ! je  me  coucherai  à jeun.  — Allons  ! » 
La  femme  apporta  le  dîner  et  dit  à son  mari  : 
« Le  dîner  est  cuit.  — Ne  l'apporte  pas  ici,  dit- 
il,  je  vais  commencer  mes  mille  et  cent  et 
soixante  et  dix-sept  prières,  puis  je  commen- 
cerai ma  grande  prière  ». 

Le  voyageur  déplia  sa  couverture  et  dit  « Je 
vais  dormir,  ici,  jusqu’à  la  fin  du  monde  ». 

« Fatma,  dit  le  gourmand,  apporte^à  manger; 
cet  homme  ne  partira  jamais.  » 

Fatma  apporta  le  repas  et  ils  mangèrent. 


* 


LA  MARMITE. 

(Conte  khassonké.) 

Fatoumata  vint  un  jour  trouver  sa  voisine 
Diaba,  pour  la  prier  de  lui  prêter  une  marmite. 
Quelques  jours  après,  Fatoumata  rapporta 
deux  marmites,  celle  qu’elle  avait  empruntée 
et  une  autre  plus  petite. 

— « Qu’est-ce  que  cette  petite  marmite, 
demanda  Diaba  ? » 


— 27  — 


— « C’est  la  fille  de  ta  grande  marmite,  » 
répondit  Fatoumata.  Diaba  garda  les  deux 
marmites  sans  demander  d’explications. 

A quelque  temps  de  là,  Fatoumata  revint 
emprunter  la  grande  marmite,  que  Diaba  lui 
prêta  très  volontiers. 

De  longs  mois  s’écoulèrent  et  Diaba,  ne 
voyant  pas  revenir  sa  marmite,  alla  trouver 
Fatoumata. 

— « Rends-moi  ma  marmite,  » lui  dit-elle. 

— « Elle  est  morte,  » lui  répondit  Fatoumata. 

— « Ah  ! depuis  quand  les  marmites  meurent- 
elles,  » s’écria-t-elle,  en  éclatant  de  rire. 

— « Depuis  qu’elles  ont  des  filles,  » répondit 
malicieusement  Fatoumata. 


L’HYÈNE  ET  LE  LIÈVRE. 

(Conte  khassonké.) 

Les  deux  compères  arrivèrent  un  soir  dans 
un  village  Khassonké. 


— « Toi,  dit  le  lièvre  à l’hyène,  tu  t’appelleras 
Lountandin  et  tu  m’appelleras  Morolou.  » 

« Comment,  dit  l’hyène,  toi,  si  petit,  tu  pré- 
« tends  avoir  un  nom  aussi  grave  que  Morolou 
« et  un  aussi  gros  personnage  que  moi  s’appel- 
« lerait  d’un  nom  aussi  piètre  que  Lountandin? 
« Point,  mon  compère,  tu  t’appelleras  Lountan- 
« din  et  moi  Morolou.  » 

— « Allons  ! comme  tu  voudras,  ditle  lièvre, 
« comme  à regret,  il  est  donc  bien  entendu  que 
« tout  ce  qu’on  apportera  pour  Lountandin  sera 
« pour  moi  et  tout  ce  qu’on  dira  pour  Morolou 
« sera  pour  toi  ? » 

— « C’est  entendu  »,  dit  l’hyène. 

Ils  entrèrent  dans  une  maison  et  furent  bien 
accueillis. 

A l’heure  du  repas,  une  femme  portant  un  plat 
s'approcha  des  étrangers  et  dit  : « Lountandin, 
voilà  ton  souper.  » 

Le  lièvre  prit  et  mangea;  l’hyène  n’eut  rien. 

Le  lendemain  nouveau  plat  pour  Lountandin 
et  encore  rien  pour  Morolou. 

Or,  dans  la  nuit,  le  lièvre  se  leva,  alla  dans 
le  foyer,  y fit  un  trou  et  y déposa  ses  crottes. 

Les  ménagères  Khassonké  sont  levées  de 
bonne  heure  et  s’occupent  de  suite  à nettoyer 
la  cuisine.  En  balayant,  la  femme  remarqua 


— 29 


cette  terre  fraîchement  remuée  et,  y ayant  mis 
le  doigt,  s’exclama  aussitôt  : « Morolou  1 ! » . 

L’hyène  furieuse  se  sauva  en  disant  : « Les 
« bonnes  choses  sonttoujours  pour  Lountandin 2 
« et  jamais  pour  Morolou,  je  ne  l’oublierai  pas.  » 


LE  LIÈVRE  ET  L’HYÈNE  A LA  PÊCHE 
DES  MARES  DE  DORO. 

(Conte  khassonké). 

Un  jour,  le  lièvre  dit  à l’hyène;  « il  parait 
« que  c’est  aujourd’hui  la  pêche  des  Mares  de 
« Doro,  mais  on  n’y  accepte  que  les  cavaliers 
« et  les  chevaux  ne  reçoivent,  dit-on,  pour 
« toute  nourriture,  que  du  poisson  sec.  » 

— « Ah!  fit  l’hyène,  voilà  des  chevaux  bien 
« heureux.  Mais,  dis-moi,  ne  penses-tu  pas 

1 . Qui  correspond  à notre  expression  : « Bonnes 
gens!  qu’est-ce  que  c’est  que  ça? 

2.  En  Khassonké  le  mot  Lountandin  signifie  « le 
petit  d’un  jour  »,  on  s’en  sert  pour  désigner  l’étran- 
ger de  passage  auquel  on  offre  l’hospitalité. 


« que  je  pourrais  te  servir  de  cheval,  pour  aller 
« à cette  pêche?  » 

— « Vraiment  si  et,  pour  lors,  sois  assurée 
« que  tu  aurais  une  large  part  de  poisson  sec, 
« dont  tu  es  si  friande.  » 

L'hyène  accepta,  le  lièvre  l’enfourcha  et  fut 
bientôt  à la  tête  des  cavaliers. 

« Plein!  voyez-vous  le  lièvre,  quel  coursier 
« infatigable  il  a ! » disait-on  ; et,  de  fait,  le 
lièvre  fut  le  premier  arrivé,  il  amarra  l’hyène 
et  lui  donna  de  la  paille.  Comme  elle  s’en  éton- 
nait : « Je  ne  puis  pas,  lui  dit-il,  te  donner  tout 
« de  suite  du  poisson  sec,  momentanément 
« cette  paille  doit  te  suffire  ». 

Le  lièvre  prit  part  à la  pêche  et  attrapa  beau- 
coup de  poissons.  Chaque  fois  que  le  lièvre 
criait:  « Venez  m’aider  ! » sur  le  rivage,  l'hyène 
hennissait  et  chacun  de  dire  : « quel  singulier 
« cheval  a le  lièvre,  il  hennit  chaque  fois  que 
« son  maître  appelle  à l’aide  » . 

La  pêche  sur  le  point  de  finir,  le  lièvre  vint, 
tout  éploré,  s’asseoir  auprès  de  l’hyène.  Celle- 
ci,  oubliant  sa  faim  et,  aussi,  qu’en  fait  de  pois- 
son sec,  le  lièvre  ne  lui  avait  encore  donné 
que  de  la  paille,  s’enquit  affectueusement  : 
« Qu’as-tu,  ami  lièvre  ? » 

« Ah  ! dit-il,  on  trouve  que  j’ai  fait  trop  bonne 


— 3 1 


« pêche  et,  comme  il  faut  sacrifier  un  cheval 
« pour  remercier  le  génie  des  eaux  de  nous 
« avoir  donné  tant  de  poissons,  on  exige  que  je 
« te  sacrifie.  Si  j’osais,  je  te  détacherais,  mais 
« l’on  me  verra  et  je  serai  perdu;  si  tu  pouvais 
« briser  tes  amarres  cela  vaudrait  mieux.  Ah! 
« quel  chagrin.  » 

L’hyène  suivit  le  conseil  du  rusé  lièvre  : pour 
échapper  à une  mort,  qu’elle  crut  certaine,  elle 
rompit  ses  amarres  et court  encore. 


LE  LION,  L’HYÈNE  ET  LE  LIÈVRE. 

(Conte  khassonké). 

Un  lion,  mortellement  blessé,  râlait  dans  la 
brousse. 

Une  hyène  passa  : « Qu’as-tu  donc,  mon  pau- 
« vre  lion,  demanda-t-elle,  malicieusement.  » 

— « Hélas!  dit-il,  j’ai  été  grièvement  blessé 
« par  un  chasseur  et  je  ne  peux  plus  bouger.  » 

— « C’est  donc  toi,  qui  te  lamentes  toute  la 
« nuit?  » 


3 


— 32  — 


— « Las!  fit  le  lion.  » 

— « Gomment,  c’est  toi  qui  fais  un  tel  va- 
« carme  toute  la  nuit,  toi  qui  troubles  notre 
« sommeil,  attends  un  peu,  » et  des  dents  et  des 
griffes  elle  maltraita  tellement  le  pauvre  lion, 
qu’elle  le  laissa  pour  mort. 

Le  lendemain,  l’hyène  rencontra  le  lièvre  et 
lui  dit  : 

— « As-tu  entendu  le  lion  cette  nuit?  » 

— « Non,  » dit  le  lièvre. 

— « Je  le  pense  bien!  dit  l’hyène  d’un  air  fat, 
« après  la  correction  que  je'  lui  ai  administrée, 
«je  suppose  qu’il  ne  recommencera  pas.  » 

— « Gomment!  tu  t’es  battue  avec  le  lion, 
toi?  fit  le  lièvre  incrédule.  » 

— « Parfaitement  ! et  s’il  recommence,  c 

« dont  je  doute,  j’irai  lui  donner  une  nouvelle 
« leçon  qu’il  n’oubliera  pas.  » 

Or,  un  coba  (antilope)  blessé  étant  venu  expi- 
rer à côté  du  lion,  celui-ci  mit  deux  jours  pour 
le  dévorer;  dès  lors,  sa  blessure  guérit  rapide- 
ment. Quand  il  fut  rétabli,  il  poussa  des  gémis- 
sements comme  s’il  allait  crever  et  l’hyène,  pen- 
sant remporter  une  facile  victoire,  accourut  : 

— « Alors,  maudit  lion!  lui  dit-elle,  tu  ne 
« veux  donc  pas  crever  et  tu  continues  à nous 
« importuner  ! » 


— 33  — 


— « Hélas!  fit  le  lion  qui  contrefit  le  mori- 
« bond.  » 

L’hyène  se  jeta  sur  lui  pour  le  mordre  et  le 
griffer,  mais  soudain  il  se  dressa  et  serra,  dans 
ses  pattes  terribles,  l’hyène,  qui,  épouvantée, 
se  lâcha.  Le  lion  feignit  de  la  laisser  partir,  puis 
la  rattrapa  et  l’hyène  se  lâcha  encore.  De  telle 
sorte,  enfin,  que  toute  la  route  de  l’hyène  fut 
marquée  de  traces  faciles  à suivre. 

Le  lendemain,  l’hyène  rencontra  le  lièvre  qui 
lui  dit  : 

— « Eh  bien  ! mais  le  lion  fait  toutes  les  nuits 
« un  vacarme  infernal.  Pourquoi  ne  vas-tu  pas 
le  corriger?  » 

— « Oh!  dit-elle,  hier  matin  j’y  suis  allée  et 
« je  l’ai  tellement  malmené,  que  toute  la 
« brousse  est  empestée  de  sa  fiente?  » 

— « Ah  ! montre-moi  çà,  car  j’ai  un  moyen 
« infaillible  pour  reconaître  la  fiente  du  lion.  » 

Ils  partirent  et  l’hyène  montra  ses  propres 
traces.  Alors,  le  lièvre  tira  un  petit  sachet  con- 
tenant de  la  cendre.  Sur  les  traces  indiquées  il 
répandit  un  peu  de  cendre,  en  disant  : « Fais 
« que  l’animal,  lion  ou  hyène,  qui  a déposé  ici 
« cet  excrément,  meure  » ! 

— « Arrête  ! dit  l’hyène.  Ceci  est  bien  le 
« résultat  de  mon  combat  avec  le  lion,  mais  je 


- 34  - 


« ne  puis  dire  auquel  de  nous  deux  il  est  dû; 
« car,  vois-tu,  là  nous  nous  sommes  battus  ; il 
« était  là  et  j’étais  ici,  il  me  tenait  comme  çà; 
« je  me  suis  dégagée  et  c’est  alors  que  j’ai  vu 
« ceci,  je  ne  puis  dire  si  c’est  lui  qui  l’a  fait  ou 
« moi,  car  j’étais  très  émue...  et,  tout  en  s’ex- 
« pliquant,  l’hyène  s’était  rapprochée  du  fourré 
« où  elle  eut  vite  fait  de  disparaître.  Et  le 
« lièvre  en  rit  encore.  » 


4* 


LE  LOUP  ET  LE  LIÈVRE. 

(Conte  khassonké). 

Le  loup  et  le  lièvre  vivaient  voisins  dans  la 
brousse;  comme  l’eau  vint  à leur  manquer, 
chacun  d’eux  fit  séparément  des  recherches 
pour  trouver  un  lieu  où  se  désaltérer.  Les 
recherches  du  lièvre  furent  infructueuses. 
Gomme  il  vit  le  loup  manger  gloutonnement, 
il  lui  dit  : 

— « Va  doucement,  ami  loup,  tu  sais  que 
« nous  n’avons  pas  d’eau  ! » 


— 35 


Le  loup  parut  d’abord  sensible  à l’avertisse- 
ment, mais  le  lièvre  s’aperçut  bien  vite  qu’il 
n’accueillait  ses  conseils  qu’avec  une  indiffé- 
rence quelque  peu  ironique  : « Bon!  pensa-t-il, 
« mon  ami  Loup  a trouvé  une  aiguade.  » 

Le  lendemain,  le  lièvre  revint  en  traînant 
péniblement  une  patte,  à laquelle  pendait  un 
petit  sachet. 

— « Que  t’est-il  donc  arrivé,  demanda  le 
« loup  avec  intérêt?  » 

— « Rien  de  fâcheux,  » dit  mélancoliquement 
le  lièvre. 

— « Cependant,  cette  patte...  » 

— « C’est  que  je  commence  a être  très  fatigué 
« par  le  manque  d’eau,  ami  Loup;  aussi,  hier, 
« je  suis  allé  consulter  un  génie,  sur  le  moyen 
« à employer  pour  en  trouver.  Il  m’a  donné  ce 
« talisman,  que  tu  me  vois  à la  patte  et  qui  est 
« bien  simple  à confectionner  : c’est  tout  sim- 
« plement  un  petit  sac  contenant  de  la  cendre 
« et  sur  lequel  le  génie  a prononcé  des  paroles 
« magiques.  Je  ne  saurais  trop  t’engager  à te 
« munir  d’un  talisman  semblable,  nous  aurions 
« ainsi  double  chance  de  succès  dans  nos 
« recherches.  Si  tu  veux,  j’irai  trouver  le  génie 
« et,  dès  demain,  je  te  porterai  un  sachet  sem- 
« blable  au  mien.  » 


— 36  — 


Le  loup  n’eut  garde  de  refuser,  dans  la 
crainte  d’éveiller  la  méfiance  du  lièvre. 

Celui-ci  revint  le  lendemain  avec  un  volu- 
mineux sachet,  auquel  il  avait  eu  soin  de  prati- 
quer un  petit  trou.  Le  loup  se  laissa  mettre  le 
sachet  à la  patte;  puis,  le  repas  fini  et  avec  ses 
précautions  habituelles,  il  prit  le  chemin  de 
l’aiguade,  laissant,  sans  s’en  douter,  la  trace  évi- 
dente de  son  passage.  Le  lièvre  le  suivit  facile- 
ment à la  trace  et,  à proximité  de  la  mare,  fit 
ùn  détour,  coupa  des  feuillages  et  alla  se  poster 
près  de  l’endroit  vers  lequel  le  loup  se  dirigeait. 

Quand  le  loup  baissa  la  tête  pour  boire,  le  liè- 
vre lui  cingla  la  gueule  d’un  coup  de  ses  feuil- 
lages mouillés  : « Je  n’aurais  jamais  pensé,  se 
« dit  le  loup  tout  étonné,  qu’il  y eut  dans  cette 
« mare  tant  de  poissons  et  si  hardis  qu’ils  vous 
« sautent  à la  barbe.  » Et  il  s’en  alla  en  écha- 
faudant des  projets  pour  prendre  les  poissons 
de  la  mare.  A cet  effet,  il  revint  le  lendemain 
avec  les  canards  de  son  beau-père  : dans  sa 
pensée  les  canards  devaient  attraper  les  pois- 
sons, dont  il  n’aurait  qu’à  les  débarrasser  au 
fur  et  à mesure. 

Mais  le  lièvre,  caché  dans  les  herbes,  coupa 
le  cou  aux  canards. 

Le  loup  revint  navré,  sans  pouvoir  compren- 


— 3 7 — 


dre  ce  qui  se  passait;  puis  il  prépara  un  succu- 
lent couscous  avec  les  canards  et  s’apprêta  à 
l’aller  porter  à son  beau-père. 

— « Veux-tu  venir  avec  moi  chez  mon  beau- 
« père,  dit-il  au  lièvre,  je  lui  porte  un  bon  plat 
« de  couscous,  que  tu  partageras  avec  nous?» 

Le  lièvre  accepta. 

Quand  ils  arrivèrent  au  bord  du  fleuve,  ils 
s'arrêtèrent  pour  se  désaltérer  et  se  reposer.  Le 
loup  s’endormit.  Le  lièvre  en  profita  pour  man- 
ger tout  le  couscous  et,  quand  il  fut  rassasié, 
il  fit,  de  ce  qui  resta,  deux  parts  : l’une,  il  la 
mit  dans  la  gueule  du  loup  qui,  inconsciem- 
ment, l’avala  sans  se  réveiller  ; l’autre,  il  l’éten- 
dit sur  le  sable,  qu’il  avait  mis  à la  place  du 
couscous.  Enfin  il  se  lava  les  pattes  et  se  rinça 
la  bouche. 

Chez  le  beau-père,  on  se  mit  en  devoir  de 
dévorer  le  plat  exquis,  dont  le  loup  avait  dit 
merveille.  Horreur!  dès  le  début,  le  beau- 
père  ayant,  d’un  coup  de  patte,  enlevé  la  mince 
couche  superficielle,  on  nevitplus  que  du  sable. 

Et  le  beau-père  de  se  fâcher;  et  le  loup  de  n’y 
rien  comprendre. 

— « Qui  donc  a pu  manger  le  couscous?» 
dit  le  loup,  sur  un  ton  méfiant,  en  regardant  le 
lièvre. 


— 38  — 


— « Pas  moi!  » fit  le  lièvre  avec  une  belle 
assurance. 

— « Ce  n’est  pas  moi  non  plus,  affirma  le 
loup  furieux. 

— « Oh  ! dit  le  lièvre,  il  est  bien  facile  de  savoir 
« qui  de  nous  deux  est  le  coupable  : nous  allons 
« nous  rincer  la  bouche  et  l’on  verra  indubita- 
« blement  lequel  a pu  manger  le  couscous.  » 

Ainsi  fut  fait  et  le  malheureux  loup  fut  battu 
et  chassé. 


LA  CAVERNE  DES  ANIMAUX. 

(Conte  malinké). 

L’Hivernage  étant  proche,  les  animaux  tin- 
rent conseil  et  décidèrent  de  se  construire  une 
grande  caverne  pour  s’abriter. 

— « Moi,  dit  le  lièvre,  je  ne  travaillerai  pas 
« avec  vous,  j’aime  à vivre  seul,  chez  moi;  j’ha- 
« biterai  dans  mon  terrier  comme  d’habitude.  » 

— « C’est  bon!  déclara  l’hyène,  tu  es  bien 
« prévenu  que  si,  crevant  de  froid  et  de  faim,  tu 


- 39  - 

«viens  nous  demander  l'hospitalité,  tu  ne  seras 
« pas  reçu.  » 

Quand  l’hivernage  commença,  le  lièvre  se 
fabriqua  une  flûte  avec  des  roseaux,  une 
trompe  avec  une  corne  d’antilope;  puis,  dans 
une  grande  calebasse,  il  mit  de  la  bouse 
de  vache  et,  dans  une  autre,  de  l’eau 
chaude;  enfin,  il  se  vêtit  de  rouge.  Dans  cet 
accoutrement  et  avec  cet  attirail,  un  soir  d’hi- 
vernage, il  se  présenta  à la  caverne  des  ani- 
maux. 

Dès  l’entrée,  sans  y prendre  garde,  il  bous- 
cula l’hyène. 

— « Qu’est  cela?»  dit  celle-ci,  en  cherchant  à 
reconnaître  le  nouveau  venu. 

— « Je  suis  un  pauvre  marabout  et  je  désire- 
rais me  mettre  à l’abri,  » dit  le  lièvre. 

L’hyène  alla  rendre  compte  à l’éléphant  de 
la  venue  de  cet  étranger.  L’éléphant  permit 
qu’on  le  laissât. 

Dans  la  nuit,  le  lièvre  s’approcha  de  l’hyène 
et  lui  demanda  : 

— « Peut-on  priser  ici?  » 

— « Pourquoi  pas?  » 

— « C’est  que,  si  j’éternue,  je  crains  de  réveil- 
ler les  bêtes  de  cette  caverne.  » 

— « Oh  ! dit  l’hyène,  tu  n’éternueras  jamais 


3- 


— 40  - 

« comme  l’éléphant,  notre  maître,  et  lui  ne  se 
« gêne  pas.  » 

Le  lièvre  fit  semblant  de  priser  et,  en  manière 
d’éternuement,  joua  un  grand  air  de  flûte. 

— « Diable!  dit  l’hyène,  voilà  un  animal  qui 
« fait  bien  plus  de  bruit  que  l’éléphant,  sans 
« doute  est-il  plus  gros?  » 

Peu  après,  le  lièvre  questionna  : 

— « Peut-on  tousser,  ici? 

— « Certes,  car  l’éléphant  tousse,  parfois,  au 
point  d’ébranler  la  caverne. 

En  manière  de  toux,  le  lièvresouffla  de  toutes 
ses  forces  dans  sa  trompe.  Les  parois  de  la 
caverne  donnèrent  une  telle  intensité  au  son, 
que  tous  les  animaux  se  réveillèrent  effrayés. 
Seul,  l’éléphant  continua  à dormir. 

— « Oh!  Oh!  ce  gros  animal  pourrait  bien 
devenir  dangereux,  » pensa  l’hyène,  et,  prudem- 
ment, elle  se  rapprocha  de  la  porte,  que  l’autru- 
che barrait  avec  son  cou. 

— « Je  te  conseille,  dit  l’hyène  à l’autruche, 
« de  t'ôter  de  là,  si  tu  tiens  encore  à ton  cou; 
« car,  tout  à l’heure,  je  crois  qu’il  se  passera 
« des  choses  étranges.  » 

Le  lièvre  demanda  s’il  pouvait  faire  ses 
besoins. 

— « Ne  te  gêne  pas,  dit  l’hyène,  car  l’éléphant 


— 41 


« ne  fait  pas  de  façons  et,  chaque  fois,  c’est  un 
« fumier,  que  deux  hommes  auraient  de  la 
« peine  à enlever,  et  un  ruisseau,  qui  ravine  le 
« sol  de  la  caverne.  » 

Le  lièvre  fit  lentement  tomber  la  bouse  de 
vache,  qu’il  avait  apportée,  et,  une  fois  de  plus, 
l’hyène  frémit,  en  pensant  à ce  que  devait  être 
le  nouvel  hôte  de  la  caverne. 

Puis,  le  lièvre  s’approcha  de  l’éléphant  en- 
dormi et  lui  versa  l’eau  chaude  de  sa  calebasse 
dans  l’oreille  : le  monstre  bondit  sous  la  dou- 
leur, écrasa  tout  sur  son  passage  et  s’enfuit,  en 
ébranlant  les  murs  de  la  caverne,  d’où  les  ani- 
maux se  sauvèrent  épouvantés. 

Quant  au  lièvre,  bien  terré  dans  un  coin,  il  ne 
bougea  pas  et  resta  désormais  seul  maître  de  la 
caverne. 


LE  GRIOT  ET  LES  SINGES. 

(Conte  khassonké). 

Un  griot  traversait  la  brousse  avec,  sous  le 
bras,  un  petit  tambour  et,  sur  la  tête,  une  cale- 


— 42  — 


basse  d’arachides.  Des  singes,  du  haut  d’un 
arbre,  aperçurent  les  arachides.  Ils  attaquèrent 
le  griot.  Celui-ci,  effrayé,  se  sauva  en  abandon- 
nant les  arachides  et  le  tambour.  Un  singe 
ayant,  par  hasard,  fait  résonner  le  tambour 
en  l’examinant,  toute  la  bande,  épouvantée, 
s’enfuit.  Le  griot,  qui  s’était  caché,  revint,  il 
remit  les  arachides  dans  la  calebasse,  plaça 
celle-ci  sur  sa  tête,  le  tambour  sous  son  bras 
et  continua  son  chemin.  Dès  que  les  singes 
l’entouraient  de  trop  près,  il  frappait  soudain 
le  tambour  et  tous  se  sauvaient.  Par  ce  simple 
stratagème,  il  parvint  sans  nouvel  ennui  au 
terme  de  son  voyage. 


LA  BATAILLE  DES  OISEAUX  ET  DES 
QUADRUPÈDES. 

(Conte  khassonké). 

Les  Oiseaux  et  les  Quadrupèdes  se  faisaient 
un  jour  la  guerre. 

L’Autruche  était  le  chef  des  oiseaux;  l’Elé- 


- 43  - 


phant,  le  Lion  et  la  Panthère  étaient  au  premier 
rang  des  Quadrupèdes. 

« Amis!  dit  l’Autruche  à ses  guerriers,  je  ne 
« puis  facilement  vous  suivreau  vol,  mais  je  vais 
« du  moins  vous  donner  le  moyen  de  vaincre. 

« Voici  trois  de  mes  œufs  : que  l’Aigle  en 
« prenneun  et  le  cassesur  latête  de  l’Eléphant; 
« que  le  Faucon  en  prenne  un  autre  et  le  casse 
« sur  latête  du  Lion;  que  le  Marabout  prenne 
a le  troisième  et  le  casse  sur  la  tête  de  la  Pan- 
« thère.  Quand  nos  ennemis  verront  leurs  chefs 
« en  aussi  piteux  état,  ils  les  croiront,  pour  le 
«moins,  blessés  à mort  et  seront  prêts  à fuir. 
« Alors,  que  les  Abeilles  foncent  surl’Eléphant, 
« le  Lion  et  la  Panthère,  et  notre  victoire  est 
certaine.  » 

L’Hyène,  envoyée  pour  reconnaître  les  mou- 
vements de  l’ennemi,  revint  en  disant:  « Voici 
l’Aigle  ! » 

Celui-ci  apparut,  en  effet,  et  laissa  choir  son 
œuf  d’Autruche  sur  la  tête  de  l’Eléphant. 
L’Hyène,  à la  vue  du  monstre  si  mal  en  point, 
se  sauva  en  criant:  « L’Eléphant  est  mort!  » 
L’émotion  fut  considérable. 

Quand  le  Lion  et  la  Panthère  eurent  subi 
le  même  sort  que  l’Eléphant,  l’Hyène  courut  de 
tous  côtés,  en  clamant:  « Tout  est  perdu!  nos 


— 44  — 

chefs  sont  tués!  » et  il  s’en  suivit  une  grande 
perturbation. 

Alors,  soudain  les  Abeilles  attaquèrent  l’Elé- 
phant, le  Lion  et  la  Panthère,  qui,  affolés,  se 
précipitèrent  sur  leurs  amis,  provoquèrent  ainsi 
leur  complète  déroute. 

Le  Coq  de  Pagode  poursuivit  l’Hyène  jusqu’à 
sa  tanière  et,  là,  se  mit  en  sentinelle  devant 
l’ouverture. 

Un  peu  rassurée  de  ne  rien  entendre,  l’Hyène 
avança  prudemment  la  tête  ; mais,  quand  elle 
aperçut  le  Coqde  Pagode, elle  pensa  qu’il  devait 
y avoir  avec  lui  de  plus  terribles  ennemis  et  se 
retira  au  fond  de  son  trou.  De  temps  à autre, 
elle  recommença  le  même  manège  et  apercevant 
toujours  la  queue  du  Coq  elle  se  retirait  tris- 
tement. 

Las  d’attendre,  le  Coq  de  Pagode,  arracha 
trois  plumes  de  sa  queue,  les  planta  bien  en 
évidence  et  s’en  alla. 

L’Hyène,  trompée  par  ce  stratagème,  n’osa 
jamais  sortir  et  se  laissa  mourir  de  faim. 


LE  LIEVRE  ET  L'HYENE. 


(Conte  malinké.) 

Un  jour  le  lièvre  dit  à l’hyène  : « nous  allons 
« voir  qui,  de  toi  ou  de  moi,  est  le  plus  malin, 
« pour  trouver  de  quoi  se  bien  nourrir.  Nous 
« allons  partir  chacun  de  notre  côté  et,  dans 
« quinze  jours,  nous  nous  retrouverons  ici  : 
« celui  qui  sera  le  plus  gras  sera  le  vainqueur.  » 

Le  lièvre  s’en  alla  dans  la  brousse. 

L’hyène  partit  pour  un  grand  village,  où  elle 
comptait  vivre  dans  l’abondance.  Le  chef  de  ce 
village  possédait  un  éléphant.  L’hyène  fit  con- 
naissance avec  l’éléphant,  et  pour  passer  le 
temps  agréablement,  lui  apprit  à jouer  aux 
échecs.  Rien  ne  mettaitl’éléphanten  joie  comme 
de  s’entendre  dire  « échec  » ou  « mat  » et,  à 
chaque  fois  quel’éléphant  riait,  son  derrière  res- 
tait béant.  L'hyène  profitait  de  cette  circons- 
tance pour  se  glisser  dans  le  ventre  du  colosse 
et  dévorer  la  graisse  qui  le  tapissait. 

A ce  régime,  l’hyène  devint  si  grasse  que, 
quinze  jours  après,  le  lièvre  dut  s’avouer  battu  : 
mais  il  ne  se  tint  pas  pour  vaincu.  Le  lende- 
main, il  mit  dans  sa  bouche  une  graine  de  coton, 


46  - 


un  peu  de  terre  cuite  et  de  l’eau  laiteuse,  puis 
il  se  coucha,  simula  un  violent  mal  de  dents 
et  fit  appeler  l’hyène. 

— « Je  t’ai  fait  appeler  pour  te  demander  un 
« remède  contre  les  maux  de  dents,  lui  dit-il  ; je 
« souffre  beaucoup,  mais  j’ai  confiance  dans  ta 
« science  pour  me  soulager.  » 

Sans  défiance,  l’hyène  introduisit  sa  patte, 
dans  la  bouche  de  son  ami,  pour  examiner  sa 
dentition;  quand  elle  la  retira,  elle  était  toute 
blanche  et  couverte  de  petits  points  rougeâtres  : 

— « C’est  le  pus  et  le  sang  caillé,  affirma  le 
« lièvre,  et  je  suis  déjà  à moitié  soulagé.  Vois 
« donc  si  je  n’ai  pas  quelque  dent  pourrie.  » 

Cette  fois,  l’hyène  retira  un  petit  pois  noir  : 
« Un  morceau  de  dent  cariée,  dit  le  lièvre,  cette 
« fois-ci,  tâche  de  sortir  le  reste.  » 

Dès  que  la  patte  de  l’hyène  replongea  dans  la 
bouche  du  lièvre,  celui-ci  serra  les  mâchoires 
et  dit  à son  trop  confiant  ami  : 

« Maintenant,  je  ne  te  lâcherai  pas  avant  de 
« connaître  comment  tu  as  fait  pour  t’engrais- 
« ser  ainsi.  » 

L’hyène  raconta  comment  elle  opérait  et  dut 
promettre  au  lièvre  de  le  faire  profiter  de  son 
heureux  stratagème. 

« Nous  partirons  au  point  du  jour  »,  dit  le  lié- 


— 47  ~ 


vre,  qui  n’aime  pas  à voyager  de  nuit.  Et  les 
deux  compères  dormirent  côte  à côte. 

L’hyène,  qui  ne  circule  que  la  nuit,  rusa  pour 
amener  son  compagnon  à se  mettre  en  route 
dans  l’obscurité.  Quand  le  lièvre  fut  endormi, 
l’hyène  alla  mettre  le  feu  à la  brousse  sèche  du 
côté  de  l’est,  puis  vint  réveiller  son  compère  et 
lui  dit,  en  montrant  l’orient  rougeoyant  : « Le 
soleil  va  bientôt  paraître.  Partons.  » 

— «Tu  fais  erreur,  ami  1 dit  le  lièvre,  ce 
« n’est  qu’un  feu  de  brousse,  » et  il  se  rendor- 
mit en  disant  : « Le  soleil  sera  sur  le  point  de 
« paraître,  quand  les  vieilles  femmes  du  village 
« tousseront.  » 

L’hyène  prit  de  la  poudre  de  piment  et  la  ré- 
pandit dans  plusieurs  cases.  Peu  après,  les 
femmes  toussèrent  et  l’hyène  réveilla  le  lièvre 
en  disant  : « Voici  que  les  vieilles  femmes 
« toussent,  il  est  temps  de  partir.  » 

— « Non,  dit  le  lièvre,  car  les  vieilles  toussent 
« parce  que  tu  as  répandu  du  piment,  dans 
« leurs  cases  ; toi-même  empestes  le  piment.  » 
Il  se  rendormit. 

Enfin  le  jour  parut,  les  deux  amis  partirent 
et,  quand  ils  furent  arrivés,  l’hyène  joua  avec 
l’éléphant.  Aussitôt  que  les  mots  « échec  » et 
« mat  » eurent  produit  l’effet  désiré,  les  deux 


- 48  - 


compères  se  glissèrent  dans  le  ventre  du 
monstre  et  se  mirent  à faire  ripaille. 

Désignant  le  cœur,  l’hyène  dit  au  lièvre  : 

— « Surtout,  garde-toi  de  toucher  à cette 
« boule  de  graisse,  car  l’éléphant  mourrait  et  la 
« porte  de  sortie  serait  à tout  jamais  fermée.  » 

Avec  sa  malice  habituelle,  le  lièvre  ne  suivit 
pas  ce  conseil  et  l’éléphant  mourut. 

Toute  issue  étant  fermée,  le  lièvre  dit  à 
l’hyène  : 

— « Entre  dans  le  fiel,  moi  je  me  cacherai 
« dans  l’intestin  et,  quand  on  ouvrira  l’éléphant. 
« on  nous  mettra  de  côté  : nous  pourrons, 
« ainsi,  facilement  nous  sauver.  » 

— « Comment!  dit  l’hyène,  un  tout  petit  ani- 
« mal  comme  toi  rentrer  dans  l’intestin,  et  une 
« grosse  bête,  comme  moi,  se  loger  dans  le  fiel  ! 
« C’est  le  contraire  que  tu  veux  dire  » et, 
selon  son  secret  désir,  le  lièvre  se  blottit  dans 
le  fiel. 

Le  chef,  prévenu  de  la  mort  de  son  éléphant, 
envoya  ses  serviteurs  pour  le  découper.  Quand 
le  ventre  eut  été  ouvert,  on  sortit  de  suite  le  fiel 
et  on  le  jeta  dans  la  brousse.  Aussitôt,  le  lièvre 
surgit  et  cria  aux  travailleurs  : 

— « Faites  donc  attention!  vous  avez  failli 
« me  tuer  avec  ce  que  vous  venez  de  jeter.  » 


— 49  — 


Tous  s’excusèrent,  car,  dirent-ils,  ils  igno- 
raient sa  présence  en  cet  endroit. 

Quand  on  fut  sur  le  point  de  sortir  l’intestin, 
le  lièvre,  qui  s’était  rapproché,  dit  : 

« Attendez  ! je  suis  sûr  que  la  bête,  qui  a tué 
« l’éléphant,  doit  s’être  cachée  là  »,  et  il  or- 
donna de  prendre  des  bâtons  pour  frapper  sur 
l’intestin.  Au  bout  d’un  moment,  il  dit  : «Vous 
« pouvez  cesser,  car  elle  doit  être  morte.  » 

De  l’intérieur  une  voix  dit  : « Je  ne  suis  pas 
« tout  à fait  morte,  mon  neveu,  mais  je  n’en 
« vaux  guère  mieux.  » 

Le  lièvre  fit  reprendre  les  bâtons  et,  quand 
il  fut  convaincu  que  son  oncle  était  mort,  il 
s’éloigna. 


LE  LIÈVRE,  L’ÉLÉPHANT  ET 
L’HIPPOPOTAME. 

(Conte  malinké.) 

Le  lièvre  avait  emprunté  un  captif  à l’élé- 
phant et  un  captif  à l’hippopotame. 

Harcelé  par  ces  deux  créanciers,  qui  récla- 
maient leur  dû,  il  s’en  fut,  un  jour,  trouver 


5o  — 


l’hippopotame.  Il  lui  remit  le  bout  d’une  corde 
très  longue,  qu’il  portait  à l’épaule,  et  lui  dit  : 
«Tu  n’as  qu’à  tirer  sur  cette  corde,  ton  captif 
« est  au  bout.  » Il  alla  ensuite  trouver  l’éléphant 
et,  en  lui  remettant  l’autre  bout  de  la  même 
corde,  il  lui  dit  les  mêmes  paroles. 

Dans  l’impatience  de  recouvrer  leur  créance, 
l’éléphant  et  l’hippopotame  se  trouvèrent  bien- 
tôt nez-à-nez. 

— « Le  lièvre  me  doit  un  captif  »,  dit  l’hippo- 
potame. 

— « Il  m’en  doit  un  aussi  »,  dit  l’éléphant. 

— « Il  m’a  dit  que  je  le  trouverais  au  bout  de 
« cette  corde,  » continua  l’hippopotame. 

— « Il  m’a  tenu  le  même  langage  »,  reprit 
l’éléphant  et  tous  deux  conclurent:  « Le  lièvre 
« est  une  canaille.  » 

— « Désormais  je  lui  défends  de  séjourner 
dans  la  forêt  »,  dit  l’éléphant. 

— « Et  moi  je  lui  interdis  l’accès  du  fleuve», 
affirma  l’hippopotame. 

C’est  boni  pensa  le  lièvre,  qui  avait  écouté 
leur  conservation. 

Peu  après,  dans  la  forêt,  le  lièvre  trouva  le 
cadavre  d’une  biche  et,  comme  il  pressentait 
l’approche  de  l’éléphant,  il  se  glissa  dedans, 
en  lui  donnant  une  apparence  de  vie. 


L’éléphant  survint  et,  voyant  la  biche  se 
débattre,  il  lui  demanda  : 

— « Que  t’arrive-t-il,  ma  pauvre  amie  ? » 

— « Hélas!  dit-elle,  j’ai  eu  le  malheur  de 
« déplaire  au  lièvre,  longtemps  sa  malédiction 
« m’a  poursuivie  et  c’est  elle  aujourd’hui  qui 
« me  tue.  » 

— « Diable!  pensa  l’éléphant,  le  lièvre  est  si 
« terrible  que  ça?  » et,  en  s’éloignant,  il  dit  à la 
biche  : « Si  tu  revois  le  lièvre,  dis-lui  que  je  lui 
« fais  cadeau  du  captif  qu’il  m’a  emprunté.  » 

Le  lièvre  traîna  le  cadavre  de  la  biche  au  bord 
du  fleuve  et,  s’y  étant  introduit,  il  poussa  des 
gémissements,  comme  eut  fait  une  biche  expi- 
rante; l’hippopotame  accourut. 

— « Qu’as-tu  ma  pauvre  biche?  » interro- 
gea-t-il. 

— « Hélas  ! dit-elle,  le  lièvre  m’a  maudite  et 
« c’est  sous  cette  malédiction  que  je  succombe.  » 

— « Oh!  oh!  pensa  tout  haut  l’hippopotame, 
« je  ne  supposais  pas  au  lièvre  un  tel  pouvoir», 
puis  il  dit  à la  biche  : « si  tu  revois  le  lièvre,  dis- 
« lui  que  je  lui  fais  cadeau  du  captif  qu’il  me 
« doit.  » 

Et  voilà  comment  le  lièvre  paie  ses  dettes. 


— 52  — 


L’AIGUILLE. 

(Conte  khassonké). 

Un  jeune  homme  allait  toujours  dans  la 
brousse  sans  arme  à la  main  et  son  père  ne 
cessait  de  lui  dire  : il  est  imprudent  de  s’en  aller 
ainsi  la  main  vide,  sans  même  une  simple 
aiguille. 

Mais  le  jeune  homme  ne  tenait  aucun  compte 
de  ces  sages  conseils. 

Un  jour,  dans  la  brousse,  le  jeune  homme 
fut  pris  par  les  brigands.  Alors,  il  se  souvint 
des  paroles  de  son  père  et  dit  : « Si  j’avais  eu 
seulement  une  aiguille,  vous  ne  m’auriez  pas 
attrapé.  » 

— « Tu  crois?  » dit  un  brigand,  que  ce  lan- 
gage mit  en  belle  humeur,  « tiens,  voilà  une 
aiguille.  » 

Le  jeune  homme  feignit  de  considérer  atten- 
tivement la  pointe  de  l’aiguille  et  dit  : « Elle 
est  émoussée.  » 

— « Point  du  tout  »,  fit  le  brigand  et  il  s’ap- 
procha pour  voir. 

Le  jeune  homme  lui  creva  l’œil  et  le  brigand 
se  sauva  en  poussant  des  cris  horribles  et  en 


- 53 


abandonnant  son  fusil.  Le  jeune  homme  saisit 
le  fusil  et  tua  un  brigand,  les  autres  se  sauvèrent . 

Quand  il  revint,  il  dit  à son  père  : « Tes  paroles 
« étaient  vraies.  Aujourd’hui,  les  brigands 
« m’ont  attrapé  et  c’est  grâce  à une  aiguille 
« que  j’ai  pu  me  sauver.  » 

* 

L’ENFANT  ET  LE  CAÏMAN. 

(Conte  bamana). 

Un  enfant  trouva  un  caïman  à terre  : 

— « Qu’est-ce  qui  t’a  amené  là?  » lui  de- 
manda-t-il. 

— « Je  me  suis  égaré  en  me  promenant.  » 

— « Veux-tu  que  je  te  remette  dans  l’eau?  » 

— « J’en  serai  bien  content.  » 

L’enfant  attacha  le  caïman  et,  arrivé  au  bord 
du  fleuve,  lui  demanda  : 

— « Je  te  laisse  ici?  » 

— « Non  »,  dit  le  caïman. 

L’enfant  avança  jusqu’à  ce  que  l’eau  lui  vint 
aux  genoux  : 

— « Je  te  laisse  ici  ? » 


- 54  - 


— « Non  »,  dit  le  caïman. 

L’enfant  avança  jusqu’à  ce  que  l’eau  lui  vint 
au  milieu  du  corps. 

— « Je  te  laisse  ici?  » 

— « Non  »,  dit  le  caïman. 

L’enfant  avança  jusqu’à  ce  qu’il  eut  de  l’eau 
jusqu’au  cou. 

— « Je  te  laisse  ici?  » 

— « Oui  »,  dit  le  caïman. 

L’enfant  détacha  le  caïman  et  l’abandonna. 

— « Enfant!  » dit  le  caïman. 

— « Hein  ! » fit  l’enfant. 

— « Sais-tu  avec  quoi  l’on  paie  la  bonté  ? » 

— « Avec  la  méchanceté.  » 

— « Enfant!  je  veux  te  manger,  mais  aupâra- 
« vant  je  veux  te  faire  juger  trois  fois.  » 

— « C’est  bon  ! » 

Un  vieux  cheval  vient  boire,  le  caïman  lui 
demande. 

— « Quelle  est  la  récompense  de  la  bonté.  » 

• — « La  méchanceté  »,  dit-il. 

— ■ « Cet  enfant  m’a  pris  à terre  et  mis  dans 
« l’eau,  dit  le  caïman,  et  je  lui  ai  dit  que  je  le 
« mangerai.  » 

— « Mange-le.  Les  enfants  d’Adam  sont  des 
« méchants  : ainsi,  tant  que  j’étais  jeune,  l’on 
« me  montait  pour  aller  à la  guerre  et  l’on  me 


— 55  — 


« donnait  du  mil  en  abondance.  Aujourd’hui, 
« que  je  suis  devenu  vieux,  on  m’abandonne.  » 

Le  caïman  dit  à l’enfant  : 

— « Petit?  » 

— « Hein?  » 

— « Ça  fait  une.  » 

— « Oui  »,  dit  l’enfant. 

Survint  un  vieil  âne,  le  caïman  lui  demanda  : 

— « Ami  ! quelle  est  la  récompense  de  la 
bonté?  » 

— « La  méchanceté.  » 

— « Cet  enfant  m’a  pris  à terre  et  mis  dans 
« l’eau;  j’ai  dit  que  je  le  mangerai.  » 

— «Mange-le.  Les  enfants  d’Adam  sont  des 
« méchants  : ainsi,  tant  que  j’étais  jeune,  ils  me 
« chargeaient  pour  aller  faire  du  commerce, 
« alors  ils  avaient  pour  moi  des  égards.  Aujour- 
« d’hui  que  je  suis  vieux,  ils  m’abandonnent.  » 

— « Petit!  » dit  le  caïman. 

— « Hein?  » 

— « Ça  fait  deux  ! » 

— « Oui.  » 

Vint  un  lièvre,  le  caïman  lui  dit  : 

— « Mon  petit  lièvre!  quelle  est  la  récom- 
« pense  de  la  bonté  ? » 

— « Laisse-moi  tranquille,  dit  le  lièvre,  j’ai 
« soif;  quand  j’aurai  bu  je  te  répondrai.  » 


4 


— 56 


Quand  il  eut  bu  : 

— « Que  dis-tu?  » 

— « Cet  enfant  m’a  pris  à terre  et  mis  dans 
« l’eau  et  je  lui  ai  dit  que  je  le  mangerai.  » 

— « Tu  mens  ! cet  enfant  n’a  pu  te  porter.  » 

— « Demande-le  lui.  » 

— « Petit!  est-ce  vrai?  » 

— « C’est  vrai  »,  dit  l’enfant. 

— « Alors,  porte-le  encore  que  je  voie  ça.  » 
L’enfant  attacha  le  caïman  et  le  prit. 

— « Emporte-le  sur  la  terre  que  je  le  voie  », 
dit  le  lièvre. 

L’enfant  reporta  le  caïman,  là  où  il  l’avait 
trouvé. 

— « Pose-le,  dit  le  lièvre.  » 

L’enfant  le  posa. 

— « Petit!  ton  père  ne  mange-t-il  pas  le 
caïman  »,  interrogea  le  lièvre. 

— « Si  »,  dit  l’enfant. 

— « Et  ta  mère  ? » 

— « Aussi.  » 

— « N’as-tu  pas  une  hache.  » 

— « J’en  ai  une.  » 

— « Casse  la  tête  au  caïman  et  mange-le.  » 


— 57  — 


L’HYÈNE. 

(Conte  bamana). 

Un  jour  l’hyène  dit  au  devin  : « Je  m’en  vais 
« chercher  fortune,  que  m’arrivera-t-il?  » 

Le  devin  interrogea  l’avenir  et  dit  à l’Hyène  : 

« Tu  trouveras  trois  choses  et  tu  ne  pourras 
« en  garder  aucune.  » 

L’hyène  dit  : « Ce  n’est  pas  vrai!  » et  partit. 

Elle  rencontra  une  petite  tortue  et  la  prit; 
elle  rencontra  un  singe  et  le  saisit;  elle  trouva 
une  motte  de  beurre  au  milieu  de  la  route  et  la 
ramassa;  puis  elle  vint  s’installer  au  pied  d’un 
baobab. 

Là,  elle  dit  au  singe  : « Monte  me  chercher 
« des  fruits  du  baobab.  » 

Le  singe  monta.  Comme  il  ne  revenait  pas, 
l’hyène  lui  demanda  : 

— « Eh  bien!  ne  vas-tu  pas  bientôt  redes- 
« cendre?  » 

— « Jamais,  dit  le  singe.  Je  suis  né  sur  une 
« branche  de  baobab  et  tu  me  dis  de  des- 
« cendre?  Je  ne  descendrai  pas  ». 

L’hyène  dit  à la  tortue  : 


— 58  — 


— « Va  me  chercher  des  fruits  de  nénuphar  ». 

La  tortue  entra  dans  l’eau.  Au  bout  d’un  ins- 
tant l’hyène  l’appela  : « Eh  bien!  ne  viens-tu 
« pas.  » 

— « Non,  dit  la  tortue,  je  suis  née  dans 
« l’eau  : j’y  reste.  » 

L’hyène  résolut  de  faire  cuire  le  beurre 
qu’elle  avait  trouvé.  Elle  réunit  du  bois,  alluma 
du  feu  et  y plaça  son  beurre,  qui  fondit  et  dis- 
parut. 

— « Mon  beurre  est  perdu,  dit  l’hyène,  du 
o moins  faut-il  que  je  retrouve  ma  tortue.  » 

Elle  entra  dans  l’eau  et  y trouva  une  petite 
marmite. 

— « Petite  marmite!  quel  est  ton  nom?  » 
demanda-t-elle. 

— « La  Marmite  Généreuse.  » 

— a Ne  me  feras-tu  pas  quelque  générosité?  » 

Elle  lui  donna  du  couscous,  du  riz  et  de  la 

viande. 

— « Voilà  qui  est  bon,  dit  l’hyène,  et  elle  par- 
« tit  chez  sa  vieille  hôtesse  et  lui  dit  : 

— « J’ai  trouvé  une  merveilleuse  petite  mar- 
« mite,  je  l’ai  mise  dans  ta  case,  va  lui  demander 
« son  nom.  » 

— « Comment  t’appelles-tu  ? » demanda  la 
vieille  femme. 


— 59  — 


— « La  Marmite  Généreuse.  » 

— « Ne  me  feras-tu  pas  quelque  générosité?  » 

Elle  lui  donna  du  couscous,  du  riz  et  de  la 

viande. 

La  vieille  femme  s’en  fut  trouver  le  roi  et 
lui  dit  : 

— « L’Hyène  a trouvé  une  petite  marmite 
« merveilleuse  : c’est  vraiment  un  talisman  qui 
« ne  peut  appartenir  qu’au  roi.  » 

Celui-ci  ordonna  que  l’on  apporta  chez  lui 
toutes  les  petites  marmites  du  pays  et,  quand 
l’hyène  eut  porté  la  sienne,  il  se  tint  pour  satis- 
fait. 

— « Comment  faut-il  lui  parler?  » dit  le  roi  à 
l’hyène. 

— « Il  suffit  de  lui  demander  son  nom.  » 

— « Comment  t’appelles-tu?  » questionna  le 
roi,  en  s’adressant  à la  petite  marmite. 

— « La  Marmite  Généreuse.  » 

« Ne  feras-tu  pas  quelque  générosité  à moi 
« et  à mes  gens?  » 

Elle  leur  donna  du  couscous,  du  riz  et  de  la 
viande. 

Le  roi  fit  habilement  attacher  à son  bras  la 
petite  marmite  magique. 

L’hyène  revint  au  marigot  où  elle  l’avait  trou- 
vée et,  de  nouveau,  fit  la  découverte  d’un  sabre. 


4' 


6o  — 


— « Sabre!  dit-elle,  comment  t’appelles-tu?  » 

— « Le  Sabre-Qui-Frappe.  » 

— « Ne  me  frapperas-tu  pas  un  peu?  » 

Il  lui  tomba  sur  l’œil  et  se  mit  à la  frapper, 
puis  lui  dit  : 

— « Ne  me  dis-tu  pas  : tombe  en  raison- 
« nant?  » 

L’hyène  dit  : tombe  en  raisonnant  et  aussi- 
tôt le  sabre  tomba  à terre  en  produisant  un 
bruit  sonore.  L’hyène  le  ramassa,  s’en  vint 
trouver  la  vieille  et  lui  dit  : 

— « J’ai  trouvé  quelque  chose  de  plus  mer- 
« veilleux  encore  que  la  Marmite  Généreuse. 

« Va  là-bas,  dans  ta  case,  et  ferme  bien  toutes 
« les  issues.  » 

— « Et  que  faudra-t-il  dire?  » 

— o Sabre  ! comment  te  nommes-tu?  » 

La  vieille  fit  ce  qu’avait  dit  l’hyène  : 

— « Comment  t'appelles-tu?  » demanda-t-elle 
au  sabre? 

■ — « Je  me  nomme  le  Sabre-Qui-Frappe.  » 

— « Ne  me  frappes-tu  pas  un  peu?  » 

Il  se  mit  à la  frapper,  puis  lui  dit  : 

— « Ne  me  dis-tu  pas  : tombe  en  raison- 
« nant?  » 

— « Tombe  en  raisonnant  »,  dit  la  vieille  et 
le  sabre  tomba  avec  un  bruit  sonore. 


La  vieille  se  sauva  et  vint  dire  au  roi  : 

— « L’hyène  a un  sabre  plus  merveilleux 
« encore  que  la  Marmite  Généreuse.  » 

Et  le  roi  ordonna  que  tout  homme  posses- 
seur d’un  sabre  le  lui  apportât. 

L’hyène  fut  la  première  à apporter  le  sien. 
Le  roi  se  déclara  satisfait,  puis  demanda  : 
« Comment  faut-il  dire  ? » 

— « Demande-lui  son  nom  »,dit  l’hyène  qui 
se  plaça  du  côté  du  roi  où  se  trouvait  suspendue 
la  Marmite  Généreuse.  » 

— « Comment  t’appelles-tu  ? » questionna  le  roi. 

— « Le  Sabre-Qui-Frappe.  » 

— « Ne  me  frappes-tu  pas  un  peu?  » 

Il  lui  tomba  sur  l’œil  et  se  mit  à le  frapper. 
L’hyène  arracha  la  Marmite  Généreuse  et  se 
sauva  en  l’emportant. 


LA  CHARITÉ  RÉCOMPENSÉE. 

Il  était  un  grand  chef  musulman  nommé 
Mahaviatou  qui  avait,  entre  autres,  une 
femme  chérifienne,  mère  de  trois  fillettes.  Cette 
femme  se  nommait  Aïssa, 


— 62  — 


Une  année,  la  disette  désola  la  contrée  que 
commandait  Mahaviatou.  Aïs  s a et  sa  petite 
famille  furent  réduites  à la  plus  profonde  mi- 
sère. Désolée  d’entendre  toujours  ses  enfants 
crier  famine,  Aïs  s a leur  dit  un  jour  : « Ne 
« pleurez  plus,  demain  j’irai,  pour  vous,  impio- 
« rer  notre  maître  et,  sans  doute,  il  mettra  un 
« terme  à nos  souffrances.  » Et,  tout  à coup, 
rassérénées  par  cet  espoir,  les  fillettes  s’endor- 
mirent heureuses. 

Le  lendemain,  grâce  au  gardien,  ému  de 
compassion,  la  pauvre  mère  put  arriver  jusqu’à 
Mahaviatou.  Humblement,  elle  lui  exposa  son 
dénûment  et  sut  faire  une  impression  si  forte 
sur  son  cœur  de  père  qu’il  lui  dit  : « Reviens 
« demain  et  je  te  donnerai  abondamment  de 
« quoi  attendre  la  récolte  prochaine.  » 

Aïssa  fut  exacte  au  rendez-vous,  mais  le 
maître,  de  mauvaise  humeur  sans  doute,  l’acca- 
bla d’injures  et  la  fit  jeter  à la  porte. 

La  pauvre  femme,  folle  de  désespoir  à la 
pensée  de  rentrer  au  logis  les  mains  vides,  erra 
par  les  rues,  si  bien  qu’elle  s’égara  et  finalement 
se  trouva  au  milieu  d’habitations  en  ruines. 
Elle  s’assit  et  pleura. 

Vint  à passer  un  serviteur  de  Saïdou,  le 
chrétien.  Cet  homme  s’approcha  d’ Aïssa  et, 


- 63  — 


s’étant  informé  des  causes  de  son  désespoir,  lui 
dit  quelques  bonnes  paroles  pour  la  reconfor- 
ter, puis  la  quitta  pour  rentrer  chez  Saïdou, 
son  maître,  auquel  il  fit  part  de  sa  rencontre. 

Ivre,  comme  à l’ordinaire,  Saïdou  fut  cepen- 
dant touché  de  compassion  ; il  envoya  cher- 
cher la  pauvre  femme;  il  l’écouta  avec,  bien- 
veillance; il  la  réconforta  par  de  cordiales 
paroles  et,  mieux  encore,  il  lui  mit  dans  la 
main  une  lourde  bourse  pleine  d’or... 

La  mère  couruttoute  joyeuse  vers  ses  chères 
petites. 


Dans  la  nuit,  Mahaviatou  eut  un  songe  : il  se 
vit  au  ciel  ; porté  par  des  anges  il  arriva  au 
seuil  d’un  'palais  dont  il  put  entrevoir  toute  la 
splendeur,  mais  les  anges  essayèrent  en  vain 
de  l’y  faire  entrer  et  le  gardien  leur  dit  : 

« C’est  bien  ici  que  Mahaviatou  devait  habi- 
« ter  pour  l’éternité;  mais  sa  dureté  envers  la 
« pauvre  Aïssa  l’en  a à tout  jamais  banni.  Cet 
« heureux  séjour  est  désormais  réservé  au  chré- 
« tien  Saïdou,  si  pitoyable  aux  malheureux.  » 
Mahaviatou  se  réveilla,  rempli  d’épouvante, 
couvert  de  sueur,  hanté  par  le  songe  révéla- 
teur. Il  courut  chez  Saïdou  et  lui  demanda  : 
« Qu’as-tu  donc  fait  pour  que  Dieu  te  réserve 


- 64 


« au  ciel  la  place  qu’il  m’avait  fait  préparer.  » 
« Je  l’ignore,  dit  Saïdou.  » 

Alors,  Mahaviatou  raconta  son  rêve  à Saï- 
dou, qui,  comprenant  combien  Dieu  est  juste, 
se  fit  musulman. 

Saïdou  est  au  Paradis  et  Mahaviatou  en 
Enfer. 


DIEU  ET  L’ORGUEIL. 

Dieu  créa  l’Arès,  plus  grand,  à lui  seul,  que 
les  sept  cieux  et  les  sept  terres  réunis. 

Autour  de  l’Arès,  Dieu  enroula  un  serpent, 
qui  en  faisait  sept  fois  le  tour  : ce  serpent  pensa 
que  rien  ne  pouvait  être  aussi  grand  que  lui- 
même  et  il  s’enfla  d’orgueil. 

Pour  abattre  l’orgueil  du  serpent,  Dieu  créa 
un  crapaud  tel,  que  le  serpent  se  levait  à l’aise 
dans  une  de  ses  narines. 

A son  tour,  le  crapaud  pensa  que  rien  ne 
pouvait  être  aussi  grand  que  lui-même  et  il 
s’enfla  d’orgueil. 

Pour  abattre  l'orgueil  du  crapaud,  Dieu  créa 
un  fleuve  si  grand,  qu’en  nageant  sans  se  repo- 


— 65  — 


ser  jamais,  le  crapaud  ne  put  atteindre  la  rive. 

A son  tour,  le  fleuve  pensa  que  rien  ne  pou- 
vait être  aussi  grand  que  lui-même  et  il  s’enfla 
d’orgueil. 

Pour  abattre  l’orgueil  du  fleuve,  Dieu  ordonna 
à l’un  de  ses  anges  d’aller  y faire  ses  ablutions  ; 
mais,  avec  toute  l’eau  du  fleuve,  l’ange  put  à 
peine  se  laver  un  coin  de  la  figure  et  il  demeu- 
rait tout  rêveur,  se  demandant  comment  il 
terminerait  ses  ablutions,  quand  apparut  un 
autre  ange  qui,  pour  le  tirer  d’embarras,  lui 
lança  un  jet  de  salive  dont  il  fut  tout  inondé. 

Comme  le  baigneur  regardait,  avec  stupéfac- 
tion, ce  collègue  si  puissant,  celui-ci  lui  dit  : 
« Apprends  que  je  ne  suis  qu’une  des  infimes 
« créatures  de  Dieu.  » 


LE  FILS  DU  VOLEUR. 

(Conte  khassonké.) 

En  mourant,  un  voleur  avait  laissé  un  pou- 
lain, pour  tout  héritage,  à son  fils,  nommé 
Samba . 


— 66  — 


Comme  l’enfant  était  encore  tout  jeune,  sa 
mère  se  lamentait  : « Quel  malheur,  lui  disait- 
« elle,  que  ton  père  nous  ait  si  prématurément 
« quittés!  Tu  n’as  pas  encore  l’âge  d’exercer  le 
« métier  qui,  pendant  de  longues  années  et 
« grâce  à l’audace  de  notre  cher  défunt,  nous 
« a procuré  une  si  large  aisance  et,  moi,  faible 
« femme,  je  ne  puis  rien. . . » 

Mais  l’enfant  la  tranquillisa  : 

« Inutile  de  te  chagriner,  mère  chérie,  je  te 
« montrerai,  avant  peu,  que  je  n’ai  rien  à envier 
« à l’habileté  de  mon  père.  » 

Le  lendemain,  Samba  |alla  trouver  le  roi  et 
lui  dit  : 

« Mon  père  m’a  laissé,  en  héritage,  un  pou- 
« laindont  je  suis  fort  embarrassé,  car  ce  n’est 
« pas  un  poulain  ordinaire  ! tu  t’en  feras  facile- 
« ment  une  idée  quand  tu  sauras  que  toute 
« l’herbe  qu’il  mange  se  change  en  pépites  d’or, 
« en  passant  par  ses  intestins.  Je  n’ai  que  faire 
« d’un  tel  animal,  car  l’or  ne  m’est  rien,  et  je 
« préférerais  quelques  bons  captifs  — Com- 
« ment,  dit  le  roi,  qui  était  fort  crédule,  tu  pos- 
« sèdes  un  si  merveilleux  animal?  mais  amène- 

i . Chez  les  Soudanais  l’or  donnait  la  considéra- 
tion, mais  les  captifs  donnaient  la  puissance. 


« le  moi  bien  vite,  je  serai  tout  heureux  de  te 
« donner  en  échange  tel  nombre  de  captifs  que 
« tu  désireras.  » 

Samba  demanda  et  reçut  mille  captifs  h 

Le  roi  fit  mettre  l'animal  dans  une  écurie 
parfaitement  close  à l’exception  d’une  étroite 
ouverture,  juste  suffisante  pour  introduire  de 
l’herbe  et  de  l’eau.  Le  poulain  resta  un  mois  à 
ce  régime.  Alors  le  roi  fit,  en  sa  présence,  laver 
les  crottins  de  l’animal  ; mais,  cruelle  déception  ! 
ils  ne  contenaient  pas  même  une  paillette  d’or. 

Furieux,  le  roi  résolut  de  se  venger.  Il  réunit 
un  conseil  de  notables  auquel  il  exposa  l’affaire. 

Samba  fut  mandé . 

Avant  de  se  rendre  à cet  appel,  le  petit 
voleur  prit  quelques  dispositions  : il  fit  tuer  un 
bœuf  et  en  recueillit  le  sang  dans  une  outre, 
qu’il  présenta  à sa  mère  en  lui  disant  : « Place- 
la  sous  ton  boubou  et,  quand  le  roi  m’inter- 
rogera, tu  auras  soin  de  m’interrompre  sans 
cesse.  » Il  donna  encore  quelques  instructions 
à sa  mère  puis,  en  sa  compagnie,  se  présenta  à 
l’assemblée . 

i.  Il  était  reçu  qu’un  chef  qui  acceptait  le  présent 
d un  homme  de  peu  devait  lui  en  rendre  quatre  ou 
cinq  fois  la  valeur. 


5 


— 68  — 


Samba  écouta  tranquillement  les  faits  qui  lui 
étaient  reprochés;  puis,  à son  tour,  prit  la 
parole.  Mais  sa  mère  ne  le  laissa  pas  s’expliquer, 
à peine  ouvrait-il  la  bouche  qu’aussitôt  elle 
l’interrompait  par  des  lamentations,  des  re- 
proches, des  imprécations.  D’abord,  Samba  la 
pria  de  se  taire,  puis  se  fâcha  et,  enfin,  au 
paroxysme  de  la  colère,  il  la  poignarda  1 . La 
malheureuse  tomba  à terre  et  parut  morte. 

Les  assistants,  indignés,  auraient  fait  un 
mauvais  parti  à Samba,  si  les  soufas  2 du  roi 
ne  l’eussent  protégé  contre  toute  atteinte.  D’ail- 
leurs, sans  s’émouvoir,  Samba  affirma  qu’il  n’y 
avait  pas  lieu  de  prendre  au  tragique  cet  événe- 
ment; car  lui,  Samba,  avait  le  moyen  de  rap- 
peler sa  mère  à la  vie,  quand  il  lui  plairait. 

Le  roi,  abasourdi  par  cette  tranquille  audace 
mais  justement  défiant,  dit  à Samba  : 

«Comment!  tu  voudrais  encore  nous  faire 
« croire  que  tu  as  le  pouvoir  surnaturel  de  rap- 
« peler  à la  vie  cette  morte?  Va!  nous  n’en 
« croyons  rien,  cesse  de  nous  berner  et  si,  tou- 
« tefois,  tu  ne  te  moquais  pas  de  nous,  saches 

1.  Il  eut  soin  naturellement  de  la  frapper  à l’en- 
droit où  se  trouvait  l’outre  de  sang. 

2.  Gardes  du  corps. 


- 6g  — 


a que  nous  ne  t’écouterions  que  lorsque  ta 
« mère  serait  revenue  à la  vie.  « 

Tout  le  monde  approuva  cette  déclaration. 

Alors,  Samba  se  fit  apporter  une  calebasse 
n’ayant  jamais  servi,  il  la  fit  remplir  d’une  eau 
parfaitement  pure  et  limpide,  marmonna 
quelques  paroles  et,  par  trois  fois,  trempa,  dans 
cette  eau,  une  queue  de  vache  1 qu’il  portait 
suspendue  au  poignet  ; enfin,  prononçant  de 
mystérieuses  invocations,  trois  fois  il  aspergea 
le  visage  de  la  morte.  Soudain,  celle-ci  éternua  2 
et  revint  peu  à peu  à la  vie. 

Le  roi  et  les  assistants  étaient  émerveillés. 

Samba  restait  modeste  dans  son  triomphe, 
comme  s’il  venait  d’accomplir  une  chose  toute 
naturelle. 

Le  roi,  oubliant,  en  présence  d’un  tel  pro- 
dige, qu’il  avait  été  dupe  de  Samba,  demanda  à 
lui  acheter  le  secret  de  faire  revivre  les  morts. 

Cette  fois  encore,  Samba  céda  et  remit  au  roi 
la  queue  magique,  moyennant  deux  mille 
captifs. 


1 . Au  Soudan  la  queue  de  vache  est,  par  excel- 
lence, l’insigne  des  magiciens. 

2.  Chez  les  Soudanais  le  retour  à la  vie  est  toujours 
marqué  par  un  éternuement. 


- ;o 


Dès  lors,  le  roi  se  crut  le  plus  puissant  des 
hommes  et,  un  jour,  pour  faire  l’essai  de  son 
mystérieux  pouvoir,  il  fit  venir  sa  favorite,  lui 
ordonna  d’apporter  de  l'eau  pure  et  limpide 
dans  une  calebasse  neuve  et,  sans  plus  d’expli- 
cations, lui  coupa  le  cou. 

Les  témoins  de  ce  meurtre  demeurèrent 
pétrifiés,  pensant  que  le  roi  était  fou;  mais  lui, 
avec  une  superbe  assurance,  trempa,  par  trois 
fois,  la  queue  de  vache  dans  l’eau  claire  et,  par 
trois  fois  aussi,  aspergea  le  visage  de  la  morte 
en  prononçant  les  paroles  que  Samba  lui  avaient 
apprises.  Mais  la  morte  ne  ressuscita  pas  et, 
une  fois  de  plus,  le  roi  comprit  que  Samba 
l’avait  volé. 

Décidé  à se  débarrasser  de  ce  malfaiteur,  le 
roi  fit  tuer  un  grand  bœuf,  qu’il  fit  dépecer  avec 
soin.  Puis,  il  manda  Samba,  le  fit  coudre  dans  la 
peau  de  bœuf  et  ordonna  de  le  jeter  au  fleuve. 

On  confia  le  paquet  à des  captives,  qui  par- 
taient aux  champs  et  devaient  passer  non  loin 
du  fleuve.  Ces  captives,  qui  ignoraient  ce  que 
contenait  le  paquet  qu’on  leur  avait  confié,  le 
déposèrent  au  bord  du  chemin,  dans  l’intention 
de  le  jeter  à l’eau  seulement  le  soir,  en  rentrant 
des  champs. 

Après  avoir  été  ainsi  abandonné,  Samba 


entendit  venir  une  grande  troupe  et,  lorsque 
quelqu'un  passa  non  loin  de  lui,  il  se  mit  à 
crier  à pleins  poumons  : 

« Non!  non!  je  vous  dis  que  je  ne  veux  pas 
« aller  en  paradis.  Laissez-moi  tranquille,  je 
« préfère  de  beaucoup  tous  les  supplices  de 
« l’enfer  moyennant  que  présentement  j’aie 
« toutes  les  douceurs  de  la  vie  sur  terre...  » 

Or,  il  se  trouva  que  le  passant  était  un  pieux 
marabout,  suivi  de  nombreux  disciples  et  d’une 
longue  file  de  serviteurs.  Il  s’arrêta  et,  recon- 
naissant que  les  cris  venaient  de  la  peau  de 
bœuf  qui  s’agitait  au  bord  du  chemin,  il  ordonna 
de  l’ouvrir  : Samba  apparut  se  démenant  plus 
que  jamais  contre  un  être  invisible,  dont  il 
paraissait  ne  pouvoir  se  débarrasser. 

Le  marabout  demanda  des  explications,  et 
Samba  dit  que,  de  force,  on  avait  voulu  l’em- 
mener au  paradis,  dont  il  se  moquait  parfaite- 
ment, aimant  mieux  la  vie  dans  ce  monde, 
quelque  misérable  qu’elle  soit,  qu’une  vie  pleine 
de  délices, dit-on,  dansceparadis  dont  les  mara- 
bouts parlent  beaucoup,  mais  d’où,  en  somme, 
personne  ne  revient  jamais. 

Le  marabout  ne  partageait  pas  cette  manière 
de  voir  et  offrit  à Samba  de  lui  céder  sa  place 
et  de  prendre  la  sienne:  ce  qui  fut  fait  inconti- 


7 2 


nent  à la  grande  satisfaction  de  Samba,  qui 
se  vit  du  coup  devenu  le  plus  riche  de  la 
contrée. 

Le  soir,  les  captives  du  roi  jetèrent  à la 
rivière  la  peau  de  bœuf  contenant  le  pieux 
marabout. 

Quant  à Semba,  il  s’en  fut  au  village  du  mara- 
bout et,  dix  jours  durant,  s’employa  à réunir 
tout  l’or  qu’il  put  trouver.  Puis  il  vint  trouver 
le  roi  et,  comme  celui-ci  demeurait  stupéfait 
de  revoir  cet  homme  que  ses  captives  avaient 
affirmé  avoir  jeté  au  fleuve,  il  lui  dit: 

« Me  voilà  de  retour  du  Paradis  où  j’ai  trouvé 
« ton  père,  qui  m’a  chargé  pour  toi  de  l’or  que 
«voici.  C’est  peu  en  comparaison  de  ce  qu’il 
« aurait  pu  me  donner  ; mais  la  faute  en  est  à tes 
« captives  qui,  au  lieu  de  me  jeter  au  plus  pro- 
« fond  du  fleuve,  ne  m’ont  mis  qu’à  quelques 
« pas  du  bord,  en  sorte  que  je  suis  à peine  ar- 
« rivé  au  seuil  du  Paradis.  » 

Et,  comme  le  roi  restait  sans  parole,  Samba 
continua  : 

« J’espère  que  cette  fois  tu  ne  lésineras  pas 
« et  que  tu  me  donneras  la  moitié  de  l’or  que  je 
« t’apporte.  » 

Ainsi  fit  le  roi,  qui,  dès  lors,  ne  tint  plus  en 
place;  le  voyage  de  Semba  au  Paradis  l’absor- 


— 73  — 

bait.  Il  voulut,  lui  aussi,  y aller  et  tout  son  en- 
tourage fut  pris  de  la  même  folie. 

Le  roi  et  les  siens  se  firent  coudre  chacun 
dans  une  peau  de  bœuf  et  jeter,  à qui  mieux 
mieux,  aux  endroits  les  plus  profonds  du  fleuve . 

Mais,  le  roi  ne  revenant  pas  et  aucun  de  ceux 
de  sa  famille  n’ayant  su  non  plus  revenir,  le 
trône  resta  vacant.  Alors,  on  pria  le  malin 
Samba  de  vouloir  bien  accepterla  place  de  ceux 
qui  s’oubliaient  au  paradis. 


SAMBA  LE  LACHE. 

(Corne  khassonké). 

Un  roi  soninké  avait  un  fils  nommé  Samba. 

Samba  avait,  de  tout  temps,  donné  des  mar- 
ques de  lâcheté,  mais  l’on  disait  qu’avec  l’âge, 
ce  honteux  défaut  lui  passerait.  Aussi,  quand 
il  fut  circoncis,  les  gens  pensèrent  : « Maintenant 
c’est  Samba  qui  nous  défendra  contre  les 
Maures  ».  Mais,  à la  première  incursion  de  ces 
pillards,  on  attendit  vainement  Samba:  il  avait 


— 74  — 


fui  et  les  griots  l’accablèrent  de  tels  sarcas- 
mes qu’on  le  surnomma  Samba  le  Lâche. 

Pour  se  soustraire  à cette  honte  et  parce  qu’il 
n’avait  pas  la  volonté  de  surmonter  sa  lâcheté 
instinctive,  Samba  résolut  de  quitter  son  pays 
pour  un  autre,  où  une  paix  perpétuelle  lui  per- 
mettrait de  vivre  loin  des  combats,  qui  lui  ins- 
piraient tant  de  frayeur. 

Donc  Samba  s’exila. 

Un  jour,  il  arriva  dans  la  capitale  d’un  grand 
royaume.  La  fille  du  roi  de  ce  grand  royaume 
était,  tout  le  jour,  sur  la  terrasse  de  la  maison 
de  son  père  : car  elle  aimait  l’animation  des  rues 
et  sa  haute  situation  ne  lui  permettait  pas  de 
rester  dehors,  mêlée  à la  foule  comme  une  sim- 
ple esclave. 

Du  haut  de  la  terrasse,  la  fille  du  roi  aperçut, 
de  loin,  venir  Samba,  monté  sur  un  superbe 
cheval.  Elle  fut  vivement  impressionnée  par  la 
belle  prestance  du  beau  cavalier  et  ordonna  à 
son  griot  d’aller  à son  devant  pour  le  recevoir 
et  s’informer  de  sa  qualité. 

Quand  elle  sut  que  Sambaétaitfils  de  roi,  elle 
jura  de  n’avoir  que  lui  pour  époux. 

Samba  épousa  la  jeune  et  belle  princesse. 


- "5  - 


Dans  eurs  entretiens  familiers,  souvent  la 
jeune  femme  disait  à Samba:  « Je  suis  presque 
« tentée  de  souhaiter  une  incursion  des  Maures, 
« tant  j’ai  hâte  de  te  voir  t’élancer  à la  tête  des 
« nôtres  pour  les  chasser  du  pays.  Je  serai  si 
« hère  de  ta  bravoure  ! » 

Mais  lui,  soudainement  assombri  par  ces 
propos: 

« Ne  me  parle  jamais  des  Maures  ni  de  la 
« guerre,  j’ai  fui  mon  pays  pour  éviter  les  uns  et 
« me  soustraire  aux  hasards  de  l’autre. 

« Si  les  Maures  viennent  ici  je  t’abandonne- 
« rai,  n’en  doute  pas.  » 

Mais  elle  ne  prenait  pas  ces  paroles  au  sérieux. 
Son  Samba  était  si  beau  qu'elle  ne  pouvait  le 
croire  si  lâche  ! 

Un  jour,  les  Maures  enlevèrent  les  troupeaux 
de  la  ville.  Aussitôt  le  tabala  1 résonne,  les  guer- 
riers se  rassemblent,  frémissants  de  colère  et  su- 
perbes d’audace.  Samba,  lui,  se  cache  au  plus 
profond  de  son  logis;  sa  femme  lui  montre,  en 
vain,  combien  honteuse  est  sa  conduite.  Rien 
n'y  fait,  Samba  ne  peut  surmonter  la  peur  qui 
l’étreint. 

Alors  la  jeune  femme  l’oblige  à se  déshabil- 


i.  Tambour  de  guçrre, 


- 76  - 

1er;  elle  se  revêt  des  effets  et  des  armes  qu’il 
quitte,  sc  cache  soigneusement  le  visage  avec 
un  litham  et,  enfourchant  le  cheval  de  Samba, 
elle  s’élance  à la  tête  des  cavaliers. 

Trompés  par  les  apparences,  les  griots  chan- 
tent à tue-tête  les  louanges  du  brave  Samba, 
qui  va  infailliblement  exterminer  les  ennemis. 

De  fait,  la  bataille  est  fort  meurtrière  et  se 
termine  par  un  éclatant  succès  pour  les  gens 
du  beau-père  de  Samba. 

Au  retour,  la  jeune  femme  rentre  précipitam- 
ment chez  elle  et  force  son  époux  à repren- 
dre ses  effets  et  à paraître  au  dehors.  La  foule 
enthousiaste  vient  lui  serrer  les  mains  avec  effu- 
sion et  reconnaissance  ; les  griots  ne  tarissent 
pas  d’éloges  et  Samba,  un  peu  embarrassé,  — 
il  est  si  modeste!  pense-t-on  — Samba  reçoit 
tous  ces  hommages. 

Cependant,  le  plus  jeune  des  frères  de  la 
femme  de  Samba  a cru,  à certains  détails,  re- 
connaître sa  sœur,  sous  les  vêtements  de  Sam- 
ba, dans  le  bouillant  cavalier  qui  conduisait  la 
colonne.  Il  fait  part  de  ses  soupçons  à ses  frè- 
res qui  le  traitent  de  visionnaire. 

« Bon!  bon!  dit  le  jeune  homme,  nous 
« verrons!  La  prochaine  fois,  je  ferai  à celui 
« qui  nous  commandera  une  marque  qui  me 


« permettra  de  le  reconnaître  au  retour.  » 

Peu  de  jours  après,  les  Maures^reviennent  et, 
comme  la  première  fois,  la  femme  de  Samba, 
sous  les  habits  de  son  mari,  prend,  pour  les 
mêmes  motifs  et  avec  les  mêmes  pre'cautions,  le 
commandement  de  la  colonne. 

Au  plus  fort  de  la  mêlée,  son  plus  jeune  frère 
s'approcha  d’elle  et  la  blessa  à la  cuisse. 

Cependant  les  Maures  furent  encore  défaits 
et,  au  retour,  la  jeune  femme  rentra  haletante 
chez  son  mari  : 

« Je  suis  blessée,  lui  dit-elle,  mais  ce  n'est 
« qu’une  blessure  légère  et  il  te  suffira  de  te 
« faire  une  toute  petite  entaille  à la  cuisse  pour, 

« cette  fois-ci  encore,  donner  le  change.  » 

« Comment  ! s’écria  Samba,  me  supposes-tu 
« vraiment  assez  fou  pour  consentir  à ce  san- 
« glant  et  inutile  sacrifice  ? » et  la  jeune  femme 
dut  se  battre  avec  lui,  pour,  tant  bien  que  mal, 
lui  faire  une  légère  éraflure  à la  cuisse. 

Aussitôt,  elle  envoya  quérir  le  médecin  du  roi 
pour,  dit-elle,  soigner  son  mari  blessé. 

Le  bruit  s’en  répandit  et  chacun  voulut  voir 
Samba,  le  féliciter  et  le  consoler! 

« Tu  vois  ! dirent  ironiquement’  les  fils  aînés 
« du  roi  à leur  jeune  frère,  te  voilà  maintenant 
« convaincu  que  c’était  bien  Samba  qui  nous 


— 78  ~ 

«commandait.  » Lejeune  homme  hocha  la  tête 
d'un  air  dubitatif. 

Les  Maures  revinrent  le  surlendemain,  dans 
l’espoir  de  surprendre  leurs  vainqueurs  endor- 
mis sur  leurs  récents  lauriers. 

Quand  le  tabala  se  fit  entendre,  la  jeune 
femme  vint  trouver  son  mari  et  lui  dit  : 

« Vois,  Samba  ! ma  blessure  est  plus  grave  que 
« je  croyais;  je  puis  à peine  marcher  et  je  ne 
« pourrai  toute  seule  me  mettre  en  selle,  con- 
« sens  donc,  pour  aujourd’hui,  à prendre  ma 
« place.  » 

Tout  fut  inutile,  le  lâche  Samba  ne  voulut 
rien  entendre. 

« Eh  bien  ! dit  la  jeune  femme,  viens  du  moins 
« m’aider  à harnacher  ton  cheval  »,  et  quand  ce 
fut  fini:  «Tu  devrais  bien  avoir  la  complaisance 
«de  me  conduire  le  cheval  derrière  le  village,  je 
« viens  à l’instant  te  rejoindre.  » 

Sans  défiance,  Samba  se  met  en  selle  et  prend 
les  armes  que  sa  femme  lui  tend;  mais,  au 
même  moment,  elle  frappe  violemment  l’animal 
qui,  déjà  surexcité  par  les  hennissements  de  ses 
compagnons  et  d’ailleurs  habitué  à la  mêlée, 
se  précipite  vers  le  lieu  du  combat. 

Dans  ce  brusque  départ,  le  fusil  glisse; 
Samba,  pour  le  retenir,  presse  involontairement 


— 79  — 


la  détente  ; le  coup  part  et  un  Maure,  qui  est 
non  loin  de  là,  est  atteint  et  tombe  raide. 

C’est  comme  une  révélation  pour  Samba  ; 
jusque-là,  il  s’était  imaginé  que  les  ennemis 
étaient  des  gens  qui  tuaient  sans  qu’on  pût  les 
atteindre  et,  se  voyant  entouré  de  Maures,  il  ne 
songea  plus  à fuir,  mais  bien  à se  défendre  et 
puis  à attaquer. 

Ce  jour-là,  ce  fut  vraiment  grâce  à Samba 
que  les  Maures  furent  taillés  en  pièces  et  le 
peuple  proclama  avec  ivresse  la  gloire  du 
jeune  guerrier.  Le  vieux  roi  vint  l’embrasser 
en  lui  disant  : « Mon  fils,  je  ne  saurai  jamais 
« te  témoigner  assez  de  reconnaissance  et  d'af- 
« fection  ». 

Samba,  qui  était  foncièrement  bon  et  loyal, 
répondit  : « Mon  père,  ce  n’est  pas  moi  qu’il 
« faut  remercier  et  féliciter,  c’est  votre  fille  : car 
« c’est  elle  qui  a transformé  en  brave,  le  lâche 
« que  j’étais  »,  et  il  raconta  simplement  com- 
ment la  bravoure  lui  était  venue. 


t 


— 8o  — 


LA.  BOTTE  DE  PAILLE. 

(Chanson  khassonké). 

Que  ceux  qui  sont  protégés  contreles  sorciers 
me  viennent  en  aide! 

I!  était  une  vieille  femme  qui  avait  eu  beau- 
coup d’enfants,  mais  à laquelle  un  seul  restait  : 
c’était  un  garçon. 

Un  ami  dit  un  jour  à ce  jeune  homme  : « Tu 
« ne  sais  sans  doute  pas  que  ta  mère  est  une 
« sorcière,  que  c’est  elle  qui  a mangé  tous  tes 
« frères  et  que  tu  auras  le  même  sort?  » 

Le  jeune  homme  avoua  son  ignorance  de  ces 
choses  et  affirma  bien  haut  que  sa  mère  n’était 
pas  une  sorcière. 

— « Eh  bien,  dit  l’ami,  cette  nuit  même  les 
sorcières  viendront  danser  sur  le  béra  (place 
publique)  et  il  ne  tient  qu’à  toi  de  voir  ta  mère 
parmi  elles.  » 

— « Comment?  » demanda  le  jeune  homme. 

— « Voici:  je  vais  mettre  une  grosse  botte 
« de  paille  sur  le  béra,  tu  te  cacheras  dedans, 

« nul  ne  soupçonnera  ta  présence  et  tu  pourras 
« voir  tout  à ton  aise.  » 

Ainsi  fut  fait, 


— 8i 


Or,  le  compagnon  du  jeune  homme  — et  à 
l’insu  de  ce  dernier  — était  un  sorcier  qui  vou- 
lait du  mal  à samère.  La  nuit  venue,  à la  sara- 
bande des  sorciers  sur  le  béra,  le  jeune  homme 
vit  samère  et  il  entendit  un  sorcier  crier  : 

— « Que  la  botte  de  paille  regarde  et  elle 
verra  sa  mère.  » 

Le  lendemain,  le  jeune  homme  tua  sa  mère. 


LA  SORCIÈRE. 

(Chanson  khassonké). 

Deux  femmes  avaient  le  même  mari;  l’une 
était  sorcière  et  sans  enfant;  l’autre  avait  eu 
plusieurs  enfants  qui  tous  avaient  été  man- 
gés — à son  insu  — par  sa  compagne,  un  seul 
restait  qui  marchait  à peine. 

Un  jour,  la  mère  alla  chercher  de  l’eau  et 
laissa  son  enfant  à sa  compagne.  Celle-ci  saisit 
l’enfant  par  une  jambe,  le  jeta  dans  un  mortier 
et,  brandissant  un  pilon,  se  préparait  à broyer 
l’enfant,  pour  le  manger  plus  facilement  quand 


— 82  — 

tout  à coup  le  petit  sourit  et  lui  tendant  les  bras 
lui  dit  : « Petite  mère,  laisse-moi  vivre  et  je 
rirai  pour  toi  ».  Et  la  sorcière  émue  le  laissa 
vivre. 


HISTOIRE  DE  BACARI  DIAN. 

(Récit  bamana). 

Bacari  Dian  vivait  à Ségou,  auprès  de  Man- 
son  \ 

Blissi  était  un  guerrier  fameux,  du  Macina, 
fort  redouté  à Ségou. 

Chaque  fois  que  Manson  faisait  tuer  un  bœuf, 
il  en  prélevait  une  part  pour  Blissi. 

Un  jour,  le  griot  de  Manson  prit  la  part  de 
Blissi  ; quand  celui-ci  en  fut  informé,  il  dit  seu- 
lement : c’est  bien  ! 

Un  jour,  Blissi  vint,  avec  une  colonne,  contre 
Ségou . Segou  sortit.  On  dit  au  griot  de  Manson  : 
« Voici,  Blissi  ! # Le  griot  s’élança  à cheval  et 


j.  Roi  du  pays  de  Ségou. 


— 83  — 


déchargea  son  fusil  à deux  coups  sur  Blissi. 
Celui-ci  ne  riposta  pas. 

Le  griot  revint,  repartit,  tira  encore,  Blissi 
ne  broncha  pas. 

A la  troisième  fois,  Blissi  prit  la  sous-ven- 
trièrede  son  propre  cheval,  poursuivit  le  griot 
et  le  frappa  sur  la  tête.  Le  griot  entra  dans  une 
case  : « Je  ne  te  tue  pas,  lui  cria  Blissi,  car  tu 
es  griot!  » et  il  s’en  retourna  au  Macina. 

Bacari  Dian  alla  trouver  les  marabouts  de 
Ségou  : « Je  viens  vous  demander  votre  aide 
pour  combattre  Blissi  » , leur  dit-il. 

Ils  lui  donnèrent  beaucoup  de  mil  et  de  nom- 
breux chevaux,  prièrent  Allah  pour  lui  et  enfin 
lui  remirent  deux  écrits,  en  lui  disant  : « Garde 
« auprès  de  toi  deux  moutons;  attache  au  cou 
« de  chacun  l’un  de  ces  papiers  et  appelle  l’un 
« Bacari  et  l’autre  Blissi.  Ne  les  tue  pas  avant 
« qu’ils  se  soient  battus  entre  eux  ». 

Ainsi  agit  Bacari  Dian. 

Un  jour,  les  deux  moutons  se  battirent.  Le 
mouton  Blissi,  en  poursuivant  le  mouton 
Bacari,  tomba  et  se  cassa  le  cou.  Le  mouton 
Bacari  se  retourna  alors  et  frappa  son  adver- 
saire à la  tète. 

Bacari  Dian  s’en  alla  racontertous  cesdétails 
aux  marabouts.  Ceux-ci  lui  dirent  : « Le  jour 


~ 84 


« où  Blissi  viendra  combattre  Ségou,  il  te  chas- 
« sera  d’abord,  puis  tu  le  tueras  ». 

Blissi  vint.  Ségou  sortit. 

Bacari  Dian  dit  au  roi  : « Aujourd’hui  je  veux 
« tuer  Blissi.  » 

Le  roi  lui  répondit  : « Tu  es  fou  ! » 

Les  griots  entourèrent  Bacari  Dian  en  chan- 
tant : 

Qui  est-ce  qui  va  remuer  Blissi? 

Bacari  Dian  va  secouer  Blissi  vigoureusement! 

Qui  est-ce  qui  va  se  battre  le  premier? 

Bacari  Dian  va  s’élancer  le  premier  au  combat. 

Bacari  Dian  s’élance  vers  Blissi;  il  lui  jette  sa 
lance;  il  le  manque. 

Blissi  riposte,  il  jette  sa  lance  vers  Bacari  et 
le  manque. 

Bacari  Dian  s’enfuit,  poursuivi  par  Blissi. 
Tous  deux  s’enfoncent  au  loin  dans  la  brousse. 
Ils  arrivent  à un  petit  ruisseau,  le  cheval  de 
Bacari  le  franchit.  Le  cheval  de  Blissi  tombe 
dans  le  ruisseau  et  Blissi  se  rompt  le  cou. 
Bacari  revient  sur  ses  pas,  tranche  la  tête  de 
Blissi,  la  met  dans  sa  peau  de  bouc  et  reprend 
le  chemin  de  Ségou  en  emmenant  le  cheval  de 
Blissi. 

Près  de  la  ville,  il  laisse  le  cheval  de  Blissi 


— 85  — 

aller  seul.  Le  cheval  rentre  dans  la  ville.  La 
cloche  qu’il  porte  au  cou  résonne;  on  l’entend; 
on  sort  ; on  voit  le  cheval  et  l’on  dit  : « Tiens  ! 
il  n’y  a personne  sur  le  cheval  ! » 

Le  roi  est  prévenu;  il  fait  sortir  ses  cavaliers 
pour  aller  à la  recherche  de  Bacari  Dian.  Les 
cavaliers  trouvent  Bacari  Dian  assis  au  pied 
d’une  baobab,  il  leur  dit  : « J’ai  tué  Blissi  et  je 
« ne  rentrerai  à Segou  que  lorsque  toute  l’armée 
« et  tous  les  griots  de  Ségou  seront  venus  me 
« chercher  ici  ». 

Les  cavaliers  rapportèrent  ces  paroles  au  roi. 

L’armée  et  les  griots  sortirent  et  rejoignirent 
Bacari  Dian  et  avec  lui  rentrèrent  à Ségou.  Ils 
vinrent  devant  la  porte  du  roi.  Alors  Bacari 
Dian  sortit  de  sa  peau  de  bouc  la  tête  de  Blissi  et 
la  plaça  devant  le  roi  qui  lui  dit  : « Bacari 
Dian  ! merci!  » 

La  gloire  tourna  la  tête  à Bacari  Dian. 

Un  jour,  il  dit  : « Mon  pied  cache  un  trou,  si  je 
le  retire,  Ségou  tombera  dans  ce  trou.  » Le  roi, 
ayant  connu  ce  propos,  en  fut  grandement  irrité. 

Un  autre  jour,  Bacari  Dian  dit  encore  : « La 
« femme  n’est  que  chair  à plaisir  »,  et,  d’un 
geste  obscène,  il  traduisit  sa  pensée.  Son  fils, 
qui  était  présent,  fut  intimement  blessé  dans 
l’affection  qu’il  avait  pour  sa  mère. 


— 86  — 


Le  roi  fit  appeler  Bacari  pour  lui  casser  la 
tête.  Il  posta  des  soufas  à l’entrée  de  son  palais 
et  leur  dit:  « Laissez  entrer  Bacari  Dian,  mais 
« quand  il  sortira,  cassez-lui  la  tête  ». 

Bacari  Dian  vint,  accompagné  de  son  fils. 
Ils  entrèrent  et  arrivèrent  jusqu’au  roi.  Ils  lui 
dirent:  « Fama,  bonsoir!  » Il  leur  répondit: 
« Merci  ! » puis  s’adressant  à Bacari  Dian  : 
« On  dit  que  tu  prétends  que  ton  pied  ferme 
« le  trou  dans  lequel  Ségou  tomberait  si  tu 
« le  retirais!  Toi!  faible  peul!  je  te  casserai  la 
<c  tête  ! » 

A ces  mots  le  fils  de  Bacari  Dian  se  leva.  Il 
avait  un  fusil,  il  l’arma,  plaça  le  bout  du  canon 
contre  la  poitrine  du  roi  et  dit:  « Toi!  Bamana! 
esclave,  fils  d’esclave!  tu  oses  insulter  mon 
père  ! » et  se  tournant  vers  son  père  : 

« Papa  ! insulte  son  père  ! » 

Bacari  insulta  le  père  du  roi. 

« Papa  ! insulte  sa  mère  ! » 

Bacari  insulta  la  mère  du  roi. 

« Maintenant,  passe  devant  nous,  dit  le  fils  de 
« Bacari  au  roi,  si  tu  bouges  je  te  tue.  » 

Le  fama  se  leva  pour  les  précéder.  Quand  ils 
arrivèrent  à la  porte  du  palais,  les  soufas  se 
dressèrent,  prêts  à frapper.  « Laissez,  dit  le 
roi  ».  Ils  se  retirèrent. 


Bacari  et  Son  fils  sortirent  et  rentrèrent  chez 
eux. 

Le  fils  dit  alors  à son  père  : « Les  femmes  ne 
« donnent-elles  que  du  plaisir?  » 


LES  DEUX  CHEFS  MAURES,  LE  DEVIN 
ET  LE  VOLEUR. 

(Conte  soninké). 

Il  y avait  une  fois  deux  chefs  maures.  L’un, 
appelé  Mohammed,  possédait  un  superbe 
cheval  et  aussi  un  serviteur  qui  prédisait  l’ave- 
nir; l’autre,  nommé  Moctar,  avait  un  esclave, 
Samba,  qui  était  un  très  habile  voleur. 

Moctar  désirait  ardemment  posséder  le 
cheval  de  Mohammed,  mais  il  n’avait  pas  le 
moyen  de  l’acheter. 

Un  soir,  Samba  dit  à son  maître  : « Si  tu  me 
« donnes  ce  que  je  désire,  je  m’engage  à te  pro- 
« curer  le  cheval  de  Mohammed,  sans  qu’il  t’en 
« coûte  rien.  » Ils  tombèrent  d’accord  pour 
trois  moutons,  que  Samba  dévora  en  trois 
jours. 


— 88  — 


Au  camp  de  Mahommed,  le  devin  prophéti- 
sait chaque  soir  ce  qui  devait  arriver  le  lende- 
main et  jamais  il  ne  se  trompait.  Un  soir,  il  dit 
à son  maître  : « Si  tu  ne  fais  pas  garder  ton 
« cheval,  jour  et  nuit,  on  te  le  volera  ».  Le  chef 
mit  une  garde  de  quarante  hommes  pour  veiller 
sur  son  cheval. 

Le  lendemain  soir,  le  devin  dit  encore  : « Si 
« nous  ne  partons  pas  d’ici  sans  tarder,  le 
« cheval  sera  volé  cette  nuit  ». 

Ce  soir-là  même,  au  crépuscule,  Samba  pé- 
nétra, inaperçu,  dans  le  camp  de  Moctar  et,  pro- 
fitant d’un  moment  où  le  chef  s'entretenait  au 
dehors  avec  sa  femme,  il  se  glissa,  dans  latente 
de  Mohammed,  sans  être  vu.  Là,  dans  un  angle, 
se  trouvait  un  grand  sac  de  cuir,  qui  servait  de 
matelas  au  chef  et  à sa  femme,  le  voleur  s’y  in- 
troduisit et  ne  bougea  plus. 

A la  nuit  close,  on  apporta  le  dîner  et  le  chef 
et  sa  femme  rentrèrent  pour  manger.  Sans 
bruit,  Samba  sortit  de  sa  cachette  et,  à la  faveur 
de  l’obscurité,  prit  part  au  repas. 

A un  moment,  Mohammed,  soupçonnant  la 
présence  d’un  tiers,  saisit  la  main  qu’il  sentit 
dans  le  plat.  C’était  celle  de  Samba,  mais  celui- 
ci  ne  se  troubla  point  et  saisit,  à son  tour,  la 


— 8g  — 


main  de  la  femme,  qui  était  à côté  de  lui. 
Aussitôt  la  femme,  pensant  que  c’était  son 
mari  qui  lui  tenait  la  main,  demanda  sur  un 
ton  aigre  : « Eh  ! quoi,  tu  ne  veux  plus  que  je 
mange?  » 

Le  mari  vexé  lâcha  la  main  de  Samba  qui 
abandonna  celle  de  la  femme  et  le  repas  recom- 
mença. 

Mais,  de  nouveau,  le  mari,  repris  de  ses  soup- 
çons, saisit  encore  la  main  de  Semba,  qui  sai- 
sit encore  la  main  de  la  femme.  Celle-ci,  indi- 
gnée, se  fâcha  disant  : « Vraiment,  je  ne  com- 
« prends  plus  rien  à ta  conduite!  Tu  trouves 
« que  je  mange  trop?  Voilà  deux  fois  que  tu 
« m’arrêtes,  si  tu  recommences  je  m’en  irai  chez 
« mon  père  ». 

Une  troisième  fois,  le  même  jeu  se  reproduisit 
et  alors,  outrée,  la  femme  quitta  bruyamment 
la  tente,  suivie  de  près  par  son  mari.  Ils  s’éloi- 
gnèrent en  se  querellant  et  Semba  put  ainsi 
engloutir,  en  paix,  tout  ce  qui  restait  dans 
le  plat;  après  quoi,  il  reprit  sa  place  dans 
le  sac. 

Comme  l’avait  demandé  le  devin,  les  tentes 
furent  abattues  dans  la  nuit  et,  au  point  du 
jour,  on  se  mit  en  marche. 

Le  sac,  où  était  Samba,  avait  été  placé  sur 


un  chameau  et  le  chef  et  sa  femme  s’étalent 
assis  dessus  : le  voleur  n’était  pas  à l’aise. 

On  arriva  en  un  lieu,  qui  parut  convenable 
pour  s’y  installer. 

Les  chameaux  furent  déchargés  et  le  sac, 
contenant  Samba,  déposé  près  de  l’entrée  d'une 
caverne. 

Le  chef  réunit  tous  ses  hommes  pour  faire, 
aux  alentours,  une  reconnaissance,  afin  de 
s’assurer  qu’il  n’y  avait  pas  de  pillards. 

Profitant  de  ce  départ,  Samba  sortit  du  sac 
et  se  réfugia  dans  la  caverne  où,  peu  après, 
deux  sangliers,  effrayés  par  le  bruit,  vinrent,  à 
leur  tour,  se  blottir. 

Quand  le  chef  et  ses  gens  revinrent,  le  devin 
s’accroupit  et,  selon  son  habitude,  traçant  des 
signes  mystérieux  sur  le  sable,  il  affirma  qu’un 
homme,  caché  dans  la  caverne,  se  préparait  à 
voler  le  cheval  de  Mohammed. 

Aussitôt,  celui-ci  réunit  tout  le  monde  à l’en- 
trée de  la  caverne,  pour  prendre  le  voleur.  On 
se  mit  à élargir  l’entrée  et  à faire,  en  somme, 
tant  de  bruit,  que  l’un  des  sangliers  jugea  pru- 
dent de  déguerpir. 

Une  bonne  partie  des  gens  du  chef  s’élança  à 
la  poursuite  du  fugitif.  L’autre  sanglier,  non 
moins  alarmé  et  encouragé  par  son  exemple, 


— 91  ““ 


s’échappa  à son  tour  et  le  reste  des  Maures  le 
poursuivit.  Si  bien,  enfin,  qu’il  n’y  eut  plus  au 
camp  que  Samba  et  le  cheval  du  chef. 

Samba  sauta  sur  le  cheval  et  partit  au  grand 
galop  pour  le  camp  de  son  maître. 

Au  retour  de  la  chasse  au  sanglier,  on  s’aper- 
çut de  la  disparition  du  cheval  et  l’on  se  mit  à 
la  poursuite  du  voleur.  Mais  le  cheval  de 
Mohammed  était  le  meilleur  de  la  tribu  et,  ce 
qu’il  fit  en  un  jour,  les  cavaliers  mirent  deux 
jours  pour  le  faire.  Enfin,  on  découvrit  le 
cheval  dans  le  camp  de  Moctar. 

Mohammed  ne  cacha  pas  à Moctar  toute 
l’indignation  que  lui  inspirait  de  tels  procédés  ; 
mais  Moctar  le  prit  de  haut,  déclarant  qu’il 
était  prêt  à la  guerre  et  que  le  cheval  appar- 
tiendrait au  vainqueur. 

Quand  Mohammed  fut  décidé  à tenter  le 
sort  de  la  guerre,  seul  moyen  qui  lui  restait 
pour  reconquérir  son  cheval,  Moctar  lui  dit  : 
« Puisque  en  somme,  la  cause  du  conflit  n’in- 
« téresse  que  nous  deux,  à quoi  bon  exposer  la 
« vie  de  nos  sujets?  Ne  vaudrait-il  pas  mieux 
« nous  borner  à un  combat  singulier,  qui  satis- 
« ferait  notre  honneur  et  dont  le  cheval  serait 
« le  prix?  » 

Moctar  fut  de  cet  avis  : il  fut  décidé  que  cha- 


6 


— 92  — 


cun  des  adversaires  tirerait  deux  coups  de 
fusil  et  que  le  survivant,  ou  celui  qui  ne  serait 
pas  blessé,  aurait  le  cheval. 

Mohammed  tira  le  premier.  Chaque  fois,  Moc- 
tar  se  baissa  sur  sa  selle,  pour  laisser  passer 
la  balle,  et  la  fumée  empêcha  Mohammed  de 
s’en  apercevoir. 

A son  tour  Moctar  tira,  et,  du  premier  coup, 
enleva  à Mohammed  l’annulaire  de  la  main 
droite.  Alors  dédaigneusement,  il  lui  dit  : 

« A quoi  bon  poursuivre  une  lutte  inégale? 
« N’est-il  pas  évident  que  je  suis  le  plus  fort? 
« En  t’enlevant  un  doigt  seulement,  j’ai  fait 
« preuve  d’une  adresse  et  d’une  magnanimité 
« qui  te  font  défaut.  Va!  je  te  fais  grâce  et  je 
« garde  ton  cheval.  » 

Mohammed  s’en  alla,  méprisé  par  ses  gens 
qui  n’eurent  plus  confiance  en  lui,  il  eut  encore 
à subir  le  dédain  de  sa  femme.  Elle  ne  pouvait 
plus  le  souffrir  et,  s’il  lui  arrivait  de  se  fâcher, 
elle  lui  coupait  aussitôt  la  parole  en  disant  : 
« Je  n’ai  pas  coutume  de  discuter  avec  un 
« homme  qui  n’a  que  neuf  doigts  ». 


— 9 3 — 


LES  SANDALES  DU  ROI. 

(Conte  khassonké). 

Il  était  un  grand  roi  qui  possédait  un  grand 
royaume . 

Un  jour,  Moussa,  le  chef  des  captifs  de  ce 
roi,  épousa  une  captive,  plus  belle,  dit-on,  que 
la  plus  belle  des  femmes  du  roi. 

Celui-ci  était  seul  à ignorer  que  la  nouvelle 
épouse  de  Moussa  fut  si  belle.  Or,  un  jour,  la 
jeune  femme  passa  devant  la  demeure  du  roi, 
qui  l’aperçut  et,  frappé  par  la  beauté  de  cette 
femme  qu’il  ne  connaissait  pas,  demanda  à l’un 
des  familiers  de  son  entourage  : Quelle  est  donc 
cette  superbe  créature? 

— « C’est,  lui  fut-il  répondu,  la  nouvelle 
épouse  de  Moussa.  » 

Le  grand  roi  resta  silencieux  et  pensif  le  reste 
du  jour;  puis,  à la  nuit  close,  il  fit  venir  Moussa 
et  lui  ordonna  d’aller  percevoir  les  impôts  dans 
la  partie  la  plus  reculée  de  son  royaume. 

Moussa  partit  le  lendemain. 

La  nuit  suivante,  quand  tout  fut  endormi,  le 
grand  roi,  avec  mille  précautions,  gagna  la  case 


94  — 


où  dormait  la  nouvelle  épouse  de  Moussa.  A 1; 
porte,  il  laissa,  par  habituelle  politesse,  ses 
sandales.  Sitôt  entré,  il  essaya  de  persuader 
puis  de  violenter  la  jeune  femme.  Celle-c; 
résista  et,  comme  à la  lueur  falote  de  la  veil- 
leuse, elle  l’avait  reconnu  : elle  lui  dit  : 

« Comment!  grand  roi,  tu  ne  crains  pas  de 
« mourir,  en  te  désaltérant  avec  l’eau  de  la  mare 
« empoisonnée  par  une  charogne?  » 

Le  roi,  frémissant  de  dépit  et  de  rage,  s’en- 
fuit et,  dans  son  trouble,  oublia  ses  sandales 
sur  le  seuil  de  la  case. 

Quand,  arrivé  chez  lui,  il  fut  un  peu  remis  de 
son  émotion,  il  se  souvint  d’avoir  laissé  ses 
sandales;  mais  il  n'osa  s’aventurer  de  nouveau 
pour  les  aller  chercher  et  eut  honte  de  livrer 
son  secret  à un  serviteur. 

Quand  la  jeune  femme  de  Moussa  aperçut  les 
sandales  oubliées  par  le  roi,  elle  n’osa  les  lui 
rapporter,  de  crainte  d’être  battue  et  ne  les 
changea  pas  de  place,  pour  que,  si  le  roi  les  en- 
voyait chercher,  on  put  les  prendre  sans  les  lui 
demander. 

Lorsque  Moussa  revint,  après  avoir  accompli 
sa  mission,  le  jour  se  levait  à peine.  Il  se  diri- 
gea vers  la  case  de  sa  jeune  femme  qu’il  était 
impatient  de  revoir. 


— 95  — 


Il  allait  pousser  la  porte  quand,  soudain,  il 
aperçut  les  sandales  du  roi  : « Le  maître  est  là 
avec  elle,  pensa-t-il  ; si  je  rentre,  je  les  tuerai 
tous  les  deux  et  ce  sera  un  grand  malheur...  » 
et,  l’àme  soudainement  assombrie,  pour  échap- 
per à ses  sinistres  pensées,  il  s’éloigna  à pas 
lents  vers  la  demeure  d’une  autre  de  ses  épouses. 

La  jeune  femme  apprit,  par  ses  compagnes, 
le  retour  de  leur  mari;  elle  alla  aussitôt  le 
trouver  et  lui  dit  : 

« Comment  n’es-tu  pas  venu  toi-même  m’an- 
« noncer  ton  retour?  » Sèchement  il  lui  répon- 
dit : « Va  le  demander  au  roi  »,  et  il  ne  lui 
adressa  plus  la  parole;  les  jours  suivants  il  ne 
l’honora  pas  de  sa  visite  et  enfin  la  délaissa 
totalement. 

Elle  fit  prévenir  son  frère  de  ce  qui  se  passait 
et  le  chargea  d’exiger,  de  son  mari,  des  expli- 
cations . 

Le  frère  vint  et,  comme  le  mari  refusait  de 
s'expliquer,  il  l’appela  devant  le  roi. 

Celui-ci  demanda  aux  deux  hommes  quelle 
affaire  les  amenait. 

Le  frère  prit  la  parole  et  dit  : 

« Grand  roi,  j’avais  vendu  à cet  homme  un 
« beau  champ  prêt  à être  ensemencé  et  au  milieu 
« duquel  se  trouve  un  puits  où  l’eau,  claire  et 


6- 


— 96  — 


« profonde,  ne  manque  jamais;  or,  voici  que 
« cet  homme  veut  aujourd’hui  me  rendre  mon 
« champ  et  mon  puits,  sans  me  donner  d’expli- 
« cations.  » 

Le  grand  roi,  se  tournant  vers  le  mari, 
lui  dit  : 

« Allons!  parle,  le  champ  que  t’a  vendu  cet 
« homme,  est-il  devenu  stérile  ? ou  bien  l’eau 
« du  puits  est-elle  tarie?  » 

« Oh!  grand  roi,  dit  le  mari,  le  champ  est 
«toujours  fécond,  l’eau  du  puits  toujours  claire 
« et  profonde  peut-être,  mais  je  n’ose  plus  ense- 
« mencer  le  champ,  ni  me  désaltérer  avec  l’eau 
« du  puits,  maintenant  que  j’ai  découvert,  au- 
« près  de  mon  champ,  les  traces  du  lion.  » 

« Mon  fils,  répartit  le  roi  profondément 
« troublé,  ensemence  ton  champ  et  bois  en 
« toute  sécurité  l’eau  de  ton  puits,  car  ce  n’est 
« qu’un  lion  égaré  qui  a passé  par  là;  il  n’a 
« d’ailleurs  pu  corrompre  l’eau  de  ton  puits, 
« puisqu’il  n’est  pas  entré  dans  ton  champ.  » 


4- 


— 97  — 


LE  MENSONGE  ET  LA  VÉRITÉ 
(Conte  malinké). 

Un  jour,  leMensonge  et  la  Vérité  entreprirent 
ensemble  un  voyage. 

Le  Mensonge  dit  gentiment  à sa  compagne  : 
« Partout  où  nous  nous  présenterons,  c'est  toi 
« qui  porteras  la  parole,  car  si  l'on  me  recon- 
« naissait  nul  ne  voudrait  nous  recevoir.  » 

Dans  la  première  maison  où  ils  entrèrent,  ce 
fut  la  femme  du  maître  qui  les  accueillit;  le 
maître  arriva  à la  tombée  de  la  nuit  et  de- 
manda tout  de  suite  à manger  : «Je  n’ai  encore 
rien  préparé  dit  sa  femme  ».  Or,  à midi,  elle 
avait  préparé  le  déjeuner  pour  deux  et  en  avait 
caché  la  moitié.  Bien  que  son  mari  n’en  sut  rien, 
il  entra  cependant  dans  une  grande  colère,  parce 
qu’il  arrivait,  très  affamé,  des  champs.  Se  tour- 
nant vers  les  étrangers,  le  mari  leur  demanda  : 

i.  Les  Sarma  ou  Saberma  qui  habitent  à l’Est  du 
Niger  et  dont  la  langue  est  apparentée  à celle  des 
Songhaï  ont  un  conte  analogue.  Cf.  Le  Véridique  et 
le  Menteur  dans  Les  Contes  populaires  d'Afrique , 
de  R,  Basset, 


- 98  - 

« Pensez-vous  que  ce  soit  là  le  fait  d’une  bonne 
ménagère?»  Le  Mensonge  garda  prudemment 
le  silence;  mais  la  Vérité,  obligée  de  répondre, 
dit  avec  sincérité  qu’une  bonne  ménagère  aurait 
dû  tout  préparer  pour  le  retour  de  son  mari. 
Alors,  la  femme  de  l’hôte,  violemment  irritée 
contre  ces  étrangers  qui  se  permettaient  de  se 
mêler  des  affaires  de  son  ménage,  les  jeta  fina- 
lement à la  porte. 

Au  deuxième  village  où  ils  arrivèrent,  le  Men- 
songe et  la  Vérité  trouvèrent  les  enfants  occu- 
pés à partager  une  vache  stérile,  fort  grasse, 
qui  venait  d’être  abattue. 

Quand  les  voyageurs  entrèrent  chez  le  chef 
du  village,  ils  rencontrèrent  des  enfants  qui 
venaient  de  remettre  au  chef  la  tête  et  les 
membres  de  la  vache,  en  lui  disant  : « Voici  ta 
part  ».  Or,  chacun  sait  que  c’est  toujours  le 
chef  qui  fait  les  parts  dans  une  distribution  de 
cette  nature. 

Le  chef,  s’adressant  à nos  étrangers,  qui 
venaient  d’assister  à tous  ces  détails,  leur  de- 
manda : « Qui  pensez-vous  donc  qui  commande 
ici?  » « Apparemment,  dit  la  Vérité,  ce  sont  les 
enfants  ».  A ces  mots,  le  chef  se  mit  dans  une 
terrible  fureur  et  fit  immédiatement  chasser  ces 
étrangers,  si  impertinents. 


~ 99  “ 


Le  Mensonge  dit  alors  à la  Vérité  : « Vrai- 
« ment  je  ne  puis  te  laisser  plus  longtemps  le 
« soin  de  nos  affaires,  car  tu  nous  ferais  mourir 
« de  faim.  Ainsi,  dès  maintenant  c’est  moi  qui 
« y pourvoirai  ».  Au  village  qu’ils  atteignirent 
peu  après,  ils  s'établirent,  sous  un  arbre,  près 
d'un  puits.  De  grands  cris  partaient  du  village 
et  ils  surent  bientôt  que  la  favorite  du  roi  était 
morte. 

Toute  éplorée,  une  servante  vint  puiser  de 
l’eau.  Le  Mensonge,  s’approchant  d’elle,  lui 
dit  : « Quel  malheur  est-il  donc  arrivé  que  tu 
« pleures  ainsi  et  que  tout  le  village  se  lamente  ». 

« C’est  que,  dit-elle,  notre  bonne  maîtresse, 
« la  femme  préférée  du  roi,  est  morte.  » 

« Comment  ! tant  de  bruit  pour  si  peu?  dit  le 
« Mensonge.  Va  donc  dire  au  roi  de  cesser  de 
« s’affliger,  car  je  suis  capable  de  rappeler  à la 
« vie  les  personnes  mortes  depuis  plusieurs 
« années  même.  » 

Le  roi  envoya  un  beau  mouton  aux  voya- 
geurs, pour  leur  souhaiter  la  bienvenue,  et  fit 
dire  au  Mensonge  de  patienter,  qu’il  ferait  appel 
à ses  talents  quand  il  le  jugerait  convenable. 

Le  lendemain  et  le  surlendemain,  le  roi 
envoya  encore  un  beau  mouton  et  fit  dire  les 
mêmes  paroles  au  Mensonge.  Celui-ci  feignit  de 


lOO 


perdre  patience  et  fit  prévenir  le  roi  qu’il  était 
décidé  à partir  si,  le  lendemain,  il  ne  le  faisait 
pas  appeler.  Le  roi  manda  le  Mensonge  pour  le 
lendemain. 

A l’heure  dite,  le  Mensonge  se  trouva  chez  le 
roi.  Celui-ci  s’enquit  d’abord  du  prix  de  ses 
services  et  lui  offrit,  enfin,  un  cent  de  chacune 
des  choses  qu’il  possédait.  Le  Mensonge  refusa 
disant  : « Je  veux  la  moitié  de  ce  que  tu  pos- 
sèdes ».  Devant  témoins,  le  roi  accepta. 

Alors,  le  Mensonge  ordonna  de  construire 
une  case,  juste  au  dessus  de  l’endroit  où  avait 
été  inhumée  la  favorite.  Quand  la  case  fut 
construite  et  couverte,  le  Mensonge  y entra 
seul,  avec  des  outils  de  terrassier,  et  s’assura 
que  toutes  les  issues  étaient  bien  fermées. 

Au  bout  d’un  long  temps  d’un  travail,  que  l’on 
devinait  acharné,  on  entendit  le  Mensonge 
parler  à haute  voix,  comme  s’il  se  querellait 
avec  plusieurs  personnes;  puis  il  sortit  et  dit 
au  roi  : « Voilà  que  l’affaire  devient  bien  dififf- 
« cile  ! car,  dès  que  ta  femme  a été  ressuscitée, 
« ton  père  l’a  saisie  par  les  pieds  et  m’a  dit  : 
« laisse-là  cette  femme.  A quoi  servira-t-elle 
« sur  terre?  Que  fera-t-elle  pour  toi?  Si,  au 
« contraire,  tu  me  fais  revoir  le  jour,  ce  n’est 
« pas  la  moitié  mais  bien  les  trois  quarts  des 


IOI 


« biens  de  mon  fils  que  je  te  donnerai,  car  j'étais 
« bien  plus  riche  que  lui.  A peine  achevait-il 
« que  son  père  apparut,  le  repoussa  et,  à son 
« tour  m’offrit,  de  même,  tout  ce  que  tu  pos- 
te sèdes;  puis  à son  tour,  il  fut  chassé  par  son 
« père  qui  m’offrit  davantage  encore.  Tant  et 
« si  bien,  enfin,  que  tous  tes  aïeux  sont  là  et 
« que  je  ne  sais  plus  à qui  entendre  ? Mais, 

« pour  ne  pas  exagérer  ton  embarras  dis-moi 
« seulement  qui,  de  ton  père  ou  de  ta  femme, 

« je  dois  ressusciter?  » 

Le  roi  n’eut  pas  un  instant  d’hésitation  : 

« Ma  femme  »,  dit-il,  car  il  tremblait  à la  seule 
pensée  de  voir  reparaître  le  terrible  vieillard, 
qui  l’avait  si  longtemps  gardé  en  tutelle. 

« Sans  doute,  dit  le  Mensonge,  mais  ton  père 
« m’offre  beaucoup  plus  que  tu  ne  m’as  promis, 
« et  je  ne  saurais  laisser  échapper  une  si  belle 
« occasion  de  m’enrichir...  à moins,  fit-il  en 
« voyant  le  roi  terrifié,  à moins  que  tu  me  donnes 
« pour  le  faire  disparaître  ce  que  tu  t’étais 
« engagé  à me  remettre  pour  ressusciter  ta 
« femme.  » 

« C’est  certainement  ce  qui  vaut  mieux  »,  di- 
rent en  chœur  les  marabouts,  qui  avaient  con- 
tribué à l'assassinat  du  défunt  roi. 

« Eh  bien  ! dit  le  roi,  en  poussant  un  grand 


— 102  — 

« soupir,  que  mon  père  reste  où  il  est  et  ma 
« femme  aussi.  » 

Ainsi  fut  fait  et  le  Mensonge  reçut,  pour 
n’avoir  ressuscité  personne,  la  moitié  des 
richesses  du  roi,  qui  d’ailleurs  se  remaria  pour 
oublier  la  morte. 


LE  VIEILLARD  ET  SES  ENFANTS 
(Conte  khassonké). 

Sur  le  point  de  mourir,  un  vieillard  fit  venir 
ses  trois  enfants  et  leur  dit  : « Toute  ma  fortune 
est  dans  ces  trois  sacs,  que  vous  n’ouvrirez 
qu’après  ma  mort  »,  et  il  remit  un  sac  à chacun. 

Quand  le  vieillard  eut  rendu  l’âme,  ses  fils 
se  réunirent  et  chacun  s’empressa  d’ouvrir  le 
sac  qui  contenait  sa  part  de  la  succession. 

L’aîné  y trouva  de  la  terre,  le  second  des 
coquillages,  le  troisième  de  l’or.  « Evidemment 


i.  Cf.  Les  trois  Mohammed,  conte,  arabe  de  Tuni- 
sie dans  Contes  populaires  d’Afrique,  par  R.  Basset. 


— io3  — 


« s’écrièrent  les  deux  aînés,  c’est  là  la  fortune 
« de  notre  père  et  cet  or  est  pour  nous  tous.  » 
« Point  du  tout,  dit  le  plus  jeune;  puisque, 
« avant  de  mourir,  notre  père  a remis  à chacun 
« de  nous  sa  part  d’héritage . Qu'il  soit  fait  selon 
« sa  volonté  : j’ai  l’or,  je  le  garde.  » 

Ils  ne  purent  s’entendre  et  allèrent  trouver 
un  marabout  renommé  pour  la  sagesse  de  ses 
conseils. 

Le  marabout  leur  offrit  l’hospitalité  et  fit 
préparer,  par  sa  servante,  un  couscous  fait  avec 
la  chair  d’un  bélier,  qui  appartenait  à un  de  ses 
esclaves. 

Rangés  autour  des  plats  fumants,  les  trois 
frères  ne  touchaient  pas  aux  mets. 

« Moi,  dit  l’aîné,  je  ne  mangerai  pas  de  ce 
« plat,  confectionné  avec  la  chair  d’un  chien  et 
<r  non  point  celle  d’un  bélier.  » 

« Je  n’y  toucherai  pas  non  plus,  dit  le  cadet, 
« parce  que  la  femme  qui  l’a  préparé  souffre 
« des  douleurs  de  l’enfantement.  » 

« Moi  non  plus,  dit  le  dernier,  je  ne  veux  pas 
« me  nourrir  avec  les  aliments  que  m’offre  un 
« enfant  adultérin.  » 

En  homme  avisé,  le  marabout  était  aux 
écoutes.  Il  partit,  furieux  des  réflexions  que 
venaient  de  faire  les  trois  frères,  et  manda  sa 


7 


i04  — 


mère  pour  s’entretenir  avec  elle.  Quand  ils 
furent  tous  deux  dans  une  case  bien  close  et 
assurés  de  n’être  point  écoutés,  le  marabout 
demanda  : « Mère,  je  t’en  supplie,  l’homme  dont 
« je  porte  le  nom  est-il  bien  mon  père  ». 

«.  Mon  fils,  répondit-elle,  j’étais  désolée  de  ne 
« point  avoir  d’enfant  quand,  une  nuit,  un 
« génie  m’apparut  en  songe  et  me  dit  : Console- 
« toi,  un  enfant  mâle  naîtra  de  toi.  Pensant,  dès 
« lors,  que  mon  mari  ne  pourrait  être  le  père  de 
« cet  enfant,  puisqu’il  est  impuissant,  je  me  suis 
« livrée  à notre  serviteur  et  c’est  cet  esclave 
« qui  est  ton  père.  » 

Le  marabout  fit  appeler  l’esclave  auquel  il 
avait  pris  le  bélier. 

« Es-tu  bien  sûr,  lui  dit-il  de  m’avoir  donné 
« un  bélier?  » 

« Père,  dit  l’esclave,  une  de  mes  chiennes  et 
« une  de  mes  brebis,  toutes  deux  pleines,  cou- 
« chaient  côte  à côte.  Après  avoir  mis  bas  un 
« petit  agneau,  la  brebis  creva.  Le  petit  agneau, 
a allaité  par  la  chienne,  devint  le  bélier  que 
« je  t’ai  donné.  » 

Le  marabout  interrogea  la  servante  qui  avait 
préparé  le  couscous  : 

« Est-il  vrai  que  tu  sois  sur  le  point  d’accou- 
« cher?  » 


« C’est  si  vrai,  répondit-elle,  que  je  ressens 
« déjà  les  douleurs  de  l'enfantement.  » 

Le  marabout  s’en  vint  alors  auprès  des  trois 
frères.  Le  plus  jeune  lui  dit  : 

« Nous  sommes  venus  te  consulter,  parce  que 
« nous  ne  pouvons  nous  mettre  d’accord  pour 
« le  partage  de  la  succession  de  notre  père.  » 

« Avant  de  mourir,  le  vieillard  nous  remit  à 
« chacun  un  sac,  en  disant  : « Ceci  est  ta  part, 
« n’ouvre  le  sacqu’après  ma  mort.  » Mon  frère, 
« que  voici,  n’a  eu  que  de  la  terre;  mon  frère, 
« que  voilà,  que  des  coquilles;  quant  à moi, 
« mon  sac  contenait  seulement  de  l’or.  Mes 
«frères  prétendent  que  cet  or  est  pour  nous 
« tous  et  j’estime,  au  contraire,  qu’il  est  pour 
« moi  seul.  Juge  qui,  d’eux  ou  de  moi,  à raison. 

« Mes  fils,  dit  le  marabout,  voici  ce  qu’a  voulu 
« vous  dire  votre  père  : 

« A toi,  l’aîné,  à qui  il  a donné  de  la  terre  : 
« fais-toi  cultivateur  ». 

« A toi,  à qui  il  a remis  des  coquilles  : fais- 
« toi  commerçant.  » 

« A toi,  à qui  il  a laissé  cet  or  : fais-toi 
« guerrier.  » 

« Suivez  ces  suprêmes  conseils  de  votre  père, 
« ils  vous  conduiront  au  bonheur.  » 


— io6  — 


CURIEUX. 

(Histoire  de  Mahdi  Kama  '.) 

Un  jour,  un  homme  partit  pour  un  voyage, 
en  disant  : « Je  vais  voir  des  chosescurieuses  ». 

Sur  sa  route,  il  rencontra  deux  taureaux  : l’un 
gravement  blessé  par  sept  flèches,  continuait 
cependant  à manger;  l’autre,  légèrement  atteint 
par  une  flèche,  ne  pouvait  plus  manger. 

« C’est  curieux  »,  dit  l’homme. 

« Non,  je  ne  suis  pas  Curieux,  dit  l’un  des 
bœufs;  poursuis  ta  route. 

Sur  sa  route,  il  rencontra  un  bouc,  qui  se 
frappait  la  tête  contre  une  pierre  : « C’est 
curieux  ! dit  l’homme.  » 

«Non,  je  ne  suis  pas  Curieux,  dit  le  bouc; 
poursuis  ta  route.  » 

Sur  sa  route,  il  rencontra  trois  puits  : l’eau 
du  premier  tombait  dans  le  troisième  et  celle 
du  troisième  dans  le  premier;  le  puits  du  milieu 
était  vide.  « C’est  curieux!  » dit  l’homme. 

« Aucun  de  nous  n’est  Curieux,  dirent  les 
puits;  poursuis  ta  route.  » 


i.  Voir  page  20. 


— 10/  — 

Sur  sa  route,  il  rencontra  un  arbre  : il  se  mit 
à l’ombre  de  cet  arbre  et  sentit  une  douce 
chaleur,  il  revint  au  soleil  et  eut  froid.  « C’est 
Curieux  »,  dit  l'homme. 

« Non,  je  ne  suis  pas  Curieux,  dit  l’arbre, 
poursuis  ta  route.  » 

Sur  sa  route  il  rencontra  le  fils  de  Curieux: 
c’était  un  vieillard  à la  barbe  blanche,  aux  che- 
veux blancs;  il  l’interpella  : « Père  Curieux!  » 
Le  vieux  répondit:  « Je  ne  suis  que  le  fils 
Curieux,  continue  ta  route». 

Sur  sa  route,  il  rencontra  des  enfants  qui 
jouaient  à la  boule.  Avec  eux  se  trouvait  le 
père  Curieux. 

L’homme  dit  : 

« Père  Curieux?  » 

— « Hein!  » fit  celui-ci. 

— « Tu  n’es  pas  le  père  Curieux,  dit  le  voya- 
geur. » 

— « Mais  si,  dit  Curieux.  Qu’as-tu  rencontré 
sur  ta  route  ? » 

— « D’abord  j’ai  vu  deux  bœufs;  l’un  blessé 
« par  sept  flèches,  mangeait  pourtant;  l’autre, 
« atteint  par  une  seule,  ne  pouvait  plus  manger; 
« qu’est-ce  que  cela  signifie?  » 

Curieux  dit  : « le  taureau  blessé  de  sept 
« flèches  et  qui  mange,  c’est  le  fils  de  grande 


— io8  — 


« famille  que  l’adversité  n’abat  point;  le  taureau 
« atteint  d’une  flèche  et  qui  ne  mange  pas,  c’est 
« l’enfant  du  pauvre,  épuisé  par  le  malheur;  il 
« succombe  sous  un  dernier  coup  de  la  mau- 
« vaise  fortune. 

— C’est  vrai,  dit  l’homme;  et  il  ajouta:  « j’ai 
rencontré  un  bouc  qui  se  frappait  la  tête  con- 
« tre  une  pierre,  qu’est-ce  que  cela  signifie  î » 

Curieux  dit  : 

— « Un  homme  de  vingt  ans  ne  peut  obtenir 
« des  enfants  d’une  femme  de  quarante  ans  : il 
« fait  des  efforts  aussi  vains  que  le  bouc  que  tu 
« as  vu.  » 

— « C’est  vrai,  dit  l’homme;  et  il  ajouta  : 
« J’ai  rencontré  trois  puits  : l’eau  du  premier 
« tombait  dans  le  troisième;  l’eau  du  troisième 
« tombait  dans  le  premier;  le  puits  du  milieu 
« était  vide,  qu’est-ce  que  cela  signifie  ? » 

Curieux  dit  : 

— « Deux  hommes  renommés,  même  fort 
« éloignés  l’un  de  l’autre,  se  connaissent  cepen- 
« dant,  tandis  que  les  gens  qui  sont  entre  eux 
a s’ignorent.  » 

— « C’est  vrai,  dit  l’homme;  et  il  ajouta  : 
« J’ai  rencontré  un  vieillard  courbé,  il  parais- 
« sait  très  âgé,  sa  barbe  et  ses  cheveux  étaient 
« blancs;  je  lui  dis  : Père  Curieux!...  il  me 


« répondit  : je  suis  simplement  le  fils  Curieux; 
« qu’est-ce  que  cela  signifie  ? » 

Curieux  dit  : 

— « Le  plus  âgé  des  vieillards  du  monde  ne 
« peut  prendre  de  repos;  c’est  ainsi  que  tu  me 
« vois  jouer  à la  boule  avec  ces  enfants,  tandis 
« que  mon  fils  dort.  » 


LE  CHEVAL. 

(Conte  soninké,  raconté  par  Mahdi-Kama.) 

Un  homme  avait  trois  femmes  : l’une  était 
arabe,  l’autre  denianké  et  l’autre  massasi.  Cha- 
cune lui  avait  donné  un  fils. 

Cet  homme  acheta  un  beau  cheval  et  dit  à 
ses  fils  : » Je  donnerai  ce  cheval  à celui  qui 
saura  le  mieux  faire  à la  course  ». 

Le  fils  de  la  femme  denianké  mit  une  selle 
sur  un  mur;  il  fit  à la  course,  alla  et  revint  et 
dit  : « Nul  ne  peut  m’égaler  ». 

Le  fils  de  la  femme  massassi  plaça  sa  selle 
sur  un  brin  de  fil;  il  fit  à la  course,  alla  et 
revint,  puis  dit  : « Nul  ne  peut  m’égaler.  » 


I 10 


Le  fils  de  la  femme  arabe  fit  la  moue;  puis 
quand  le  vent  se  fut  levé,  il  mit  sa  selle  sur  le 
vent,  fit  à la  course,  alla,  revint  et  dit  : « Nul  ne 
'peut  m’égaler,  car  je  suis  arabe.  Que  l’on  me 
« donne  le  cheval.  » 

Et  son  père  lui  donna  le  cheval. 


DEVINETTE. 

Mahdi  Kama  demande  : 

Quel  est  l’homme  qui  tue  ses  enfants? 

Quel  est  l’homme  qui  vend  ses  enfants  ? 

Quel  est  l’homme  qui  donne  ses  enfants? 

Quand  tous  les  assistants  se  sont  vainement 
épuisés  à répondre,  Mahdi-Kama  dit  : 

Celui  qui  épouse  une  femme  de  quarante  ans, 
voilà  celui  qui  tue  ses  enfants. 

Celui  qui  fait  l’amour  avec  une  captive,  celui- 
là  vend  ses  enfants. 

Celui  qui  fait  l’amour  avec  la  femme  d’autrui, 
celui-là  donne  ses  enfants. 


1 1 I 


LE  COQ  ET  L’ANE. 

(Conte  soninké). 

Un  coq  et  un  âne  se  prirent  de  querelle  : 

— Ah  ! dit  le  coq,  ne  me  fais  pas  ainsi  parler 
toujours  car  tu  le  vois  je  suis  chaque  fois 
obligé  de  me  battre  les  flancs  et  ça  me  fatigue. 

— Oh!  dit  l’âne,  moi  ça  me  fait  le  plus  grand 
bien  car  avant  de  braire  je  pète  et  ça  me 
soulage. 


LA  MEILLEURE  FEMME. 

(Conte  soninké). 

Un  homme  disait  un  jour,  il  ne  faut  pas 
prendre  une  femme  trop  grande,  ni  une  femme 
trop  petite  : une  femme  moyenne  est  la  meil- 
leure. 

— - Mais,  lui  demanda-t-on,  qu’entends-tu  par 
une  grande  femme. 


T 


I I 2 


— Quand,  reprit-il,  tu  épouses  une  femme 
dans  un  pays  éloigné  de  celui  que  tu  habites, 
elle  ne  manque  jamais,  dès  qu’elle  a un  amant, 
de  venir  te  demander,  bien  gentiment,  de  lui 
permettre  d’aller  voir  sa  mère.  Cela  ne  peut  se 
refuser,  mais  va  donc  voir  ce  qu’elle  fera,  si 
loin!  Tu  seras  le  dindon  de  la  farce.  C’est  là  ce 
que  j’appelle  une  grande  femme. 

— Et  qu’appelles-tu  donc  une  petite  femme? 

— Si  tu  épouses  ta  toute  proche  voisine,  elle 
t'en  jouera  de  bonnes  à ta  barbe  ! 

Ainsi,  ton  meilleur  ami  viens  te  rendre  visite, 
tu  t’empresses  de  tuer  un  mouton  pour  le  bien 
recevoir. 

La  ménagère  prépare  tout,  puis  elle  glisse 
sous  le  lit  une  petite  calebasse  de  couscous,  en 
s’arrangeant  pour  que  tu  ne  t’en  aperçoives  pas, 
et  ensuite  elle  vient  te  dire  : Voilà!  tout  est 
prêt,  veux-tu  venir  partager  la  viande  ? 

— Il  y a là  trois  calebasses  : pour  qui  celle-ci? 

— Pour  toi  et  notre  hôte. 

— Bien!  mets  pas  mal  de  viande  pour  que 
mon  ami  soit  satisfait. 

— Et  celle-ci? 

— - Pour  moi. 

— Sers-toi  bien  également,  car  tu  as  uq 
enfant  à nourrir, 


— Et  celle-ci? 

— Pour  ma  mère. 

— Choisis  les  meilleurs  morceaux  et  fais  en 
une  part  copieuse. 

Et  tu  vas  rejoindre  ton  ami. 

Aussitôt  ta  femme  appelle  sa  mère  et,  par 
dessus  la  clôture,  elle  lui  donne  la  calebasse 
qui  ne  contient  pas  de  viande. 

Au  moment  où  tu  manges  avec  ton  ami,  passe 
un  captif  qui  porte  un  plat  abondamment  garni 
de  morceaux  de  choix. 

— Pour  qui  ça,  demandes-tu? 

— Pour  ta  belle-mère  '! 

— Bien. 

Et  c’est  pour  l’amant  de  ta  femme. 

Voilà  ce  que  j’appelle  une  petite  femme. 

— Et  qu’appelles-tu  une  femme  moyenne  ? 

— C’est  celle  qui  est  du  même  village  que  toi, 
mais  habite  du  côté  opposé.  Veut-elle  aller  chez 
sa  mère,  où  chez  ses  amies,  tout  le  monde  la 
voit  qui  va  et  vient  et,  comme  on  la  connaît,  on 
commente  ses  moindres  démarches.  Si  elle  te 
trompe,  tu  le  sauras  et  les  témoins  ne  te  man- 
queront pas. 

Voilà  la  femme  moyenne,  c’est  la  meilleure. 

i . Les  Soudanais  ont,  pour  leurs  belles-mères,  un 
respect  superstitieux. 


LE  JALOUX. 


Un  homme  était  extrêmement  jaloux  de  sa 
femme,  aussi  ne  la  quittait-il  jamais  d’un  pas. 

Une  nuit,  la  femme  se  plaignit. 

— « Qu’as-tu?  » lui  demanda  son  mari. 

— « Des  coliques  »,  dit-elle. 

Elle  se  leva,  et  sortit  pour  aller  dans  la 
brousse.  Son  mari  l’accompagna,  mais  la  laissa 
s’éloigner  seule  à quelques  pas.  Il  entendit 
alors  un  bruit  auquel  il  ne  crut  pas  pouvoir  se 
tromper  et  se  dit  : 

— « Vraiment,  ma  femme  est  bien  malade.  » 

Aussi,  bien  qu'elle  restât  longtemps,  il  n’osa 

pas  la  déranger.  Enfin  elle  revint,  ils  rentrèrent 
et  se  couchèrent. 

Un  moment  après  la  femme  se  plaignit.  Elle 
ressortit,  toujours  suivie  de  son  mari.  Celui-ci 
entendit  encore  un  bruit  qu’il  crut  être  produit 
par  les  entrailles  de  sa  femme. 

Longtemps  elle  resta,  puis  revint.  Ils  ren- 
trèrent et  se  recouchèrent.  Une  troisième  fois, 
il  fallut  refaire  la  promenade  et  le  mari  perçut 
encore  le  bruit  qu’il  avait  déjà  entendu. 

Enfin,  la  nuit  se  passa  à veiller  de  la  sorte. 


Au  jour,  la  femme  dit  à son  mari. 

— « Je  pense  que  te  voilà  guéri  de  ta  jalousie 
« à mon  égard.  » 

— « Comment  çà  »,  fit-il  colère. 

— « C’est  que,  dit-elle,  je  n’ai  point  été 
malade  cette  nuit,  bien  au  contraire.  Chaque 
fois  que  je  suis  sortie,  je  suis  allée  rejoindre 
mon  amant  qui,  pour  te  donner  le  change, 
tenait  par  les  pattes  un  pigeon. 

C’est  ce  pigeon  effarouché  dont  les  ailes  pro- 
duisaient le  bruit  que  tu  entendais. 


MARANDÉNBONÉ. 

(Conte  soninké.) 

Il  était  une  sorcière  qui  avait  sept  filles  d’une 
grande  beauté;  on  disait  que  celui  qui  passait 
une  nuit  avec  l’une  quelconque  de  ces  jeunes 
filles,  disparaissait,  mangé  par  la  sorcière  : 
car  c’est  le  trait  caractéristique  des  sorcières 
de  se  nourrir  de  chair  humaine. 

Il  y avait,  dans  le  pays  de  la  sorcière,  huit 


frères,  dont  le  plus  jeune,  à peine  âgé  de 
quelques  mois,  se  nommait  Marandenboné 

Un  jour,  Marandenboné  conseilla  à ses  frères 
d’aller  coucher  avec  les  filles  de  la  sorcière  : 
« Mais,  dirent-ils,  ignores-tu  que  l’on  n’a  jamais 
« vu  revenir  un  seul  des  éphémères  amants  de 
« ces  jeunes  filles?  » 

— « Suivez  mon  conseil,  affirma  Maran,  et 
« soyez  sans  crainte.  » 

Les  huit  frères  arrivèrent  chez  la  sorcière, 
qui  les  accueillit  très  bien  et  leur  servit  un 
copieux  repas  après  lequel  elle  leur  dit  : « Allez 
« vous  reposer  chacun  dans  l’une  de  ces  sept 
« cases,  vous  y trouverez  d’agréables  compa- 
« gnes  pour  la  nuit.  » Ils  s’y  rendirent. 

Maran,  à qui  l’on  avait  rien  offert,  s’écria  : 
« Et  moi,  marna 1  2,  je  coucherai  avec  toi  ? » 

— « Oui  »,  dit  la  vieille. 

Quand  les  jeunes  gens  eurent  disparu  dans 
les  cases,  qui  leur  avaient  été  désignées,  la 
vieille  et  Maran  entrèrent  dans  une  autre  et  se 
couchèrent  côte  à côte. 

Vers  minuit,  la  vieille  toussota  pour  s’assurer 
que  Maran  dormait,  l’enfant  ne  dit  rien  et  ne 

1.  C’est-à-dire  Maran,  l’enfant  du  mal. 

2.  C’est-à-dire  grand’mèrc. 


bougea  pns.  La  vieille  se  leva,  alors  Maran  : 
« Eh!  marna,  où  vas-tu?» — Comment,  tu  ne 
dors  pas,  petit?  » — Oh!  moi,  je  ne  dors  pas 
avant  que  ma  mère  m’ait  versé  un  panier  d’eau 
sur  la  tête.  » — Attends  ! » dit  la  vieille.  Elle 
prit  un  panier  et  alla  le  remplir  au  puits  mais, 
dans  le  trajet  du  puits  à la  case,  le  panier  se 
vida.  La  vieille  recommença  et  finalement 
passa  la  nuit  à vouloir  résoudre  l’insoluble 
problème  de  transporter  de  l’eau  dans  un 
panier. 

La  nouvelle  journée  se  passa  sans  incident. 
Le  soir  venu,  les  jeunes  gens  revinrent  dormir 
avec  les  jeunes  filles  et  Maran  avec  la  vieille. 

Accablée  de  sommeil,  à cause  de  l’insomnie 
de  la  nuit  précédente,  la  sorcière  s’endormit 
pesamment.  Vers  onze  heures,  Maran  se  leva 
doucement  et  alla  de  case  en  case  dire  à cha- 
cun de  ses  frères  : « Mettez  la  fille  de  la  sor- 
« cière  au  bord,  à votre  place,  et  couvrez-la 
« de  votre  couverture.  » Ces  précautions  prises, 
Maran  revint  se  coucher.  A minuit,  la  vieille 
s’éveilla,  elle  toussota,  se  remua,  se  leva,  mais 
Maran  ne  bougea  pas;  elle  s’approcha  pour 
bien  s’assurer  qu’il  dormait  et,  quand  elle  en 
fut  convaincue,  elle  sortit.  Elle  alla,  de  case  en 
çase,  couper  la  gorge  à chaque  personne  qui 


était  au  bord  de  la  couche,  puis  elle  revint  chez 
elle  et  prépara  une  sauce  avec  le  sang  de  ses 
victimes.  Quand  elle  fut  sur  le  point  de  man- 
ger, Maran  lui  cria  : « J’en  veux  aussi,  marna  ! » 
— « Comment,  Maran,  tu  mangerais  du  sang 
humain?  — Mais  oui,  mais  oui,  dit  Maran  sans 
paraître  ému,  c’est  si  bon!  » Le  repas  achevé, 
ils  se  recouchèrent.  La  vieille  s’endormit  et 
Maran  en  profita  pour  aller  dire  à ses  frères  : 
« Sauvez-vous  vite,  car,  lorsque  la  vieille  va 
« s’apercevoir  de  son  malheur,  elle  ne  vous 
« épargnerait  pas.  » Puis  Maran  revint  prendre 
sa  place. 

Le  matin,  la  vieille  dit  à Maran  : » Va  donc 
« voir  si  tes  frères  sont  éveillés  ? » Maran 
revint  et  dit  : « Non,  ils  dorment  toujours  ». 

Un  peu  plus  tard,  la  vieille  dit  à Maran  : 
« Que  font  donc  tes  frères?  » 

« Oh!  répondit-il,  il  y a longtemps  qu’ils 
« sont  partis,  mais  tes  filles  sont  endormies 
« pour  toujours  »,  et  il  se  sauva. 

La  vieille,  pressantant  quelque  malheur,  alla 
aux  cases  de  sesfilles  et  reconnut  le  stratagème 
dont  elle  avait  été  victime.  Elle  jura  de  se  ven- 
ger de  ce  coquin  de  Maran. 

Elle  avait  le  pouvoir,  ainsi  que  tous  les  sor- 
ciers, de  prendre  toutes  les  formes.  Elle  s’en  fut 


au  village  de  Maran.  Ce  village  ne  possédait  pas 
un  seul  baobab,  ce  qui  obligeait  les  habitants  à 
aller  fort  loin  chercher  des  feuilles  pour  les  sau- 
ces. La  vieille  sorcière  se  changea  en  superbe 
baobab,  sur  lequel  tous  les  gamins  du  village 
s'empressèrent  de  monter. 

Mais  Maran,  qui  jouait  avec  eux,  dit  : 
«Comment!  un  baobab  aussi  gros  peut  ainsi 
« sortir  de  terre  en  une  nuit,  comme  un  cham- 
« pignon?  » 

— « Bien  sûr,  dit  le  baobab  et,  situ  veux  cueil- 
« lir  mes  feuilles,  tu  seras  le  bienvenu  »,  et  alors 
une  branche  s’abaissa  vers  Maran  pour  l’enga- 
ger à monter. 

— « Oh!  oh!  dit  l’enfant,  un  baobab  qui 
« parle  et  qui  tend  ses  branches,  voilà  qui  n’est 
« pas  naturel.  Montez  cueillir  ses  feuilles  si 
<-  vous  voulez,  quant  à moi,  je  reste  là.  » 

Le  baobab  frémit  de  dépit  puis,  voyant  que 
Maran  se  tenait  à l'écart,  il  disparut  en  empor- 
tant tous  les  petits  imprudents  qui  cueillaient 
ses  feuilles. 

La  sorcière  pensait  que  les  habitants  du  vil- 
lage enverraient  Maran,  pour  lui  demander  les 
enfants  et,  d’avance,  elle  savourait  sa  vengeance, 
tout  en  se  délectant  à manger  un  enfant  chaque 
jour.  Mais  Maran  ne  vint  point. 


I 20  — 


Un  jour,  derrière  le  village  de  Maran,  les 
gamins  aperçurent  un  âne  en  liberté  et  n’eurent 
rien  de  plus  pressé  que  de  le  saisir,  puis  tous, 
à qui  mieux  mieux,  grimpèrent  dessus.  Quand 
Maran  survint,  il  n’y  avait  plus  de  place  sur  le 
dos  de  l’âne;  mais,  complaisamment,  celui-ci 
allongea  aussitôt  son  échine. 

— « Oh!  oh!  dit  Maran,  voilà  un  âne  qui 
« doit  être  de  la  même  famille  que  le  baobab!  » 
et  il  s’éloigna. 

L’âne  disparut  avec  les  enfants  qui  le  mon- 
taient et  les  mères  éplorées  dirent  à Maran  : 

Toi,  qui  es  assez  perspicace  pour  ne  pas  tom- 
« ber  dans  les  pièges  des  sorciers,  nous  te  sup- 
« plions  d’employer  tous  tes  moyens,  pour  nous 
« faire  retrouver  nos  enfants.  » 

Maran  promit.  Il  partit  en  emportant  unepeau 
de  bouc  contenant  un  morceau  de  viande  sé- 
chée et  des  niébés  '. 

La  sorcière  avait  une  petite  fille  de  l’âge  de 
Maran. 

Elle  possédait  aussi  une  vache  pleine  et 
comme  elle  vivait  toujours  dans  la  crainte  de 
Maran,  au  moment  où  sa  vache  fut  sur  le 
point  de  mettre  bas,  elle  dit  : 


. Haricots  indigènes 


I 2 I 


« Si  ma  vache  fait  un  petit  veau  roux,  c’est 
« que  Maran  sera  dans  le  ventre  de  ce  petit 
« veau  si  elle  fait  un  petit  veau  blanc,  c’est  que 
« Maran  n’y  sera  pas  ». 

Le  petit  veau  fut  blanc  et,  dès  lors,  la  vieille 
fut  sans  défiance,  mais  Maran,  qui  était  plus 
rusé  qu’elle,  était  pourtant  dans  le  ventre  du 
petit  veau. 

Comme  tous  les  jeunes  veaux,  celui-ci  faisait 
des  sauts  et  des  courses  à toute  vitesse  ; or,  en 
passant  auprès  des  petits  garçons,  il  leur  dit  : 

— « Quand  la  vieille  m’aura  laissé  en  liberté 
« au  milieu  de  vous,  vous  m'attraperez  par  la 
« queue,  par  les  oreilles,  par  où  vous  pourrez 
« enfin,  et  je  vous  emporterai  dans  notre 
village.  » 

Ainsi  fut  fait,  au  grand  désespoir  de  la  vieille. 
Cependant,  soit  qu’elle  agit  plus  habilement, 
soit  plutôt  par  ce  que  telle  était  l’intention  de 
Maran,  qu’elle  s’empara  de  celui-ci. 

Elle  mit  son  prisonnier  dans  une  peau  de 
bouc,  qu’elle  ficela  soigneusement  et  plaça  dans 
une  nouvelle  peau  de  bouc,  qu’elle  ferma  de 
même.  Le  tout,  enfin,  fut  enfermé  dans  une 
troisième  peau  de  bouc  bien  solide  et  fortement 
attachée. 

La  sorcière  plaça  sa  petite  fille  auprès  du 


122 


prisonnier,  pour  le  garder,  tandis  qu’elle-même 
creusait,  dans  la  cour  de  sa  maison,  unpuits  où 
elle  jeta  du  bois  et  des  herbes  qu’elle  enflamma. 

Pendant  ce  temps,  la  fillette,  entendant  que 
Maran  grignotait,  lui  demanda:  « Tu  as  donc 
« des  provisions,  Maran?  » 

— «Oh!  j’ai  mieux  que  des  provisions,  j’ai 
« des  friandises.  » 

— « Oh!  donne-m’en  un  peu,  Maran  ! » 

— « Eh!  que  veux-tu  que  je  te  donne  ficelé 
« comme  je  le  suis.  Détache-moi  un  peu,  nous 
« verrons.  » 

L’imprudente  fillette  ouvrit  les  peaux  de 
bouc;  Maran  sortit,  la  déshabilla,  la  mit  à sa 
place  avec  ses  propres  effets  à lui,  ferma  les 
peaux  de  bouc  et  disparut  en  se  revêtant  des 
pagnes  de  l’enfant. 

Quand  la  vieille  saisit  la  peau  de  bouc,  une 
mignonne  voix  lui  dit:  « Mère  ! prends  garde! 
« Maran  m’a  mis  à sa  place  et  c’est  ta  fillette 
« que  tu  vas  tuer  ». 

— « Oui,  oui,  dit  la  vieille,  je  te  connais 
Maran,  tu  peux  prendre  la  voix  de  ma  fillette. 
« ça  ne  changera  rien  à ton  sort  »;  et,  sans  hé- 
sitation, elle  lança  le  paquet  dans  le  foyer.  Peu 
après  le  corps  de  l’enfant  éclatait  et  Maran  sur- 
gissant en  face  de  la  vieille  lui  cria  : 


— 123 


« Eh  bien!  vieille  sorcière,  tu  as  encore  tué 
« ta  dernière  fille  »,  et  il  se  sauva. 

La  vieille  s’assit,  désolée,  et  se  prit  à réfléchir 
aumoyen  de  se  venger  de  Maran.  On  dit  qu’elle 
ne  l’a  pas  encore  trouvé. 


4 

MODI  LE  DORMEUR. 

(Conte  khassonké.) 

Il  était  un  homme,  nommé  Modi,  qui  jamais 
ne  travaillait. 

Le  matin,  quand  ses  amis  passaient  devant  sa 
case  et  lui  disaient  : 

— « Eh  bien!  Modi,  viens-tu  aux  champs? 

— « Non  pas,  répondait-il  invariablement,  je 
« vais  dormir.  » 

— « Mais  tu  n’auras  bientôt  plus  de  mil  et  tu 
« mourras  de  faim.  » 

— « Dieu  est  grand,  disait  Modi,  et  Dieu  en- 
« richit  qui  lui  plaît.  » 

Ironiquement  on  l’appelait  Modi  le  Dormeur 
et  c’était  toujours  ainsi,  Modi  dormait  sans  se 


— 124  — 

préoccuper  de  rien,  dans  la  certitude  que  Dieu 
pourvoit  à tout. 

Un  matin,  Modi  sortit  pour  satisfaire  un  be- 
soin naturel.  Il  alla  derrière  sa  case  et,  à l’aide 
d’une  pioche,  fit  un  trou  dans  la  terre.  Mais, 
soudain,  la  pioche  rencontra,  sous  terre,  un 
vieux  canari  qui  vola  en  éclats  et  laissa  entre- 
voir sa  panse  remplie  de  pépites  d’or. 

Modi  ne  fut  pas  étonné  de  sa  trouvaille,  il  la 
recouvrit  d’un  peu  de  terre  et  s’en  alla  un  peu 
plus  loin,  pour  ce  qu’il  avait  à faire.  Ensuite  il 
rentra  se  coucher  selon  son  habitude. 

Le  lendemain  un  ami,  en  passant,  interpella 
Modi  : 

— « Eh  bien!  est-ce  ce  matin  que  tu  viens 
« aux  champs?» 

— « Moins  que  jamais.  » 

— « Mais,  malheureux  ! tu  seras  avant  peu 
« dans  la  misère  la  plus  absolue.  » 

— « Certes  non,  dit  Modi,  car  je  suis  dès  à 
« présent,  le  plus  riche  du  pays.  » 

— « Je  serais  curieux  de  voir  les  richesses 
« que  Dieu,  sans  doute,  t’a  envoyées,  dit  l’ami, 
« en  éclatant  de  rire.  » 

— « Rien  de  plus  facile,  fit  tranquillement 
« Modi.  Derrière  la  case  est  un  endroit  où  la 
« terre  est  fraîchement  remuée,  creuse  un  peu 


125  — 


« et  tu  trouveras  un  canari  plein  de  pépites  d’or; 
« apporte-le-moi  et  nous  partagerons  son  con- 
« tenu.  » 

L’incrédule  ami  fit,  par  curiosité,  ce  que  lui 
demandait  Modi  et  trouva  bien,  en  effet,  un 
canari,  mais  plein  d’immondices. 

Furieux,  car  il  pensait  que  Modi  s’était  joué 
de  lui,  il  exhuma  le  pot  et  se  dit:  « Attends  un 
« peu,  espèce  de  brute,  je  vais  te  porter  tout  le 
« contenu,  car  je  n’ai  nulle  envie  de  partager 
« avec  toi  ». 

Il  vint  jusqu'au  seuil  de  la  porte  et  de  là 
lança  le  pot  sur  le  lit  de  Modi,  puis  se  sauva 
en  riant. 

Avant  d’avoir  touché  lelit,  lamatière  immonde 
s’était  changée  en  splendides  pétites  d’or  que 
Modi  et  sa  femme,  stupéfaits  du  procédé  de 
leur  ami,  s’empressèrent  de  recueillir. 

A quelques  temps  de  là,  une  caravane  d’es- 
claves fit  halte  dans  le  village  de  Modi.  Celui-ci 
dit  à sa  femme  : « Va  faire  choix  des  captifs 
« qui  te  plairont  et  achète-les  ». 

La  jeune  femme  choisit  cent  garçonnets  et 
cent  fillettes  et  les  femmes,  ses  voisines  du  vil- 
lage, en  la  voyant  faire  se  mirent  à rire.  Elles 
se  disaient  entre  elles  : « Vois  donc!  cette 
« femme  de  Modi  qui  voudrait  faire  croire 


« qu’elle  va  acheter  toute  la  caravane,  alors 
« qu’elle  n’a  même  pas  de  quoi  payer  un 
« moudd  1 de  mil  » et,  par  dérision,  elles  se 
tenaient  à l’écart,  comme  pour  laisser  à l’épouse 
de  Modi  toutes  facilités  de  choisir,  tant  elles 
étaient  convaincues  qu’elle  était  dans  l’impossi- 
bilité de  rien  payer. 

Aussi,  qu’elle  ne  fut  pas  leur  stupéfaction  en 
apprenant,  par  les  marchands  d’esclaves,  que 
Modi  avait  payé,  comptant  et  en  or,  tous  les 
achats  faits  par  sa  femme. 

Voilà  comment  Dieu  prouva  que  Modi  avait 
raison  d’affirmer  que  Dieu  est  grand  et  enrichit 
qui  lui  plaît. 


L’AMI  DU  LION. 

(Conte  khassonké.) 

Il  était  un  roitout  puissant.  Commesafemme 
préférée  ne  lui  avait  pas  encore  donné  d’en- 

i.  Mesure  de  capacité  qui  contient  environ  trois 
litres. 


fant,  il  consulta  le  devin  pour  savoir  quelle 
descendance  il  aurait  d’elle. 

— « De  cette  femme,  dit  le  devin,  tu  auras  un 
« fils  qui  te  tuera,  pour  régner  à ta  place.  » 

De  ce  jour,  le  roi  ne  voulut  plus  voir  sa  favo- 
rite ; il  n’eut  plus  avec  elle  aucune  relation  et 
défendit  même  de  lui  donner  à manger  : en 
sorte  qu'elle  fut  réduite  à glaner  dans  les 
champs  de  mil. 

Une  nuit,  un  griot  du  roi  fit  un  rêve  : il  vit 
la  favorite,  tombée  en  disgrâce,  donner  à son 
maître  un  fils,  qui  devenait  puissant  et  plus 
généreux  que  le  roi  son  père. 

Le  griot  confia  cette  révélation  à ses  collègues 
et  tous  en  furent  tellement  frappés  que,  d'un 
commun  accord,  ils  résolurent  d’obliger  le  roi 
à reprendre  sa  favorite.  Dans  ce  but  ils  vinrent, 
selon  leur  habitude,  donner  une  grande  fête 
au  roi,  dont  ils  exaltèrent  les  hautes  vertus. 
Pour  les  remercier,  le  roi  leur  fit  offrir  de  riches 
cadeaux,  mais  il  les  refusèrent.  Comme  il  de- 
mandait la  raison  de  ce  refus  : 

— « Nous  ne  sommes  pas  venus  chercher 
« des  cadeaux,  dirent-ils,  mais  seulement  te 
« demander  d’accéder  à notre  plus  cher  désir.  » 

— « Je  n’ai  rien  à vous  refuser  »,  dit  le  roi. 

— « Eh  bien!  dirent  les  griots,  nous  serons 


128  — 


« satisfaits  quand  tu  auras  eu  un  fils  de  la  femme 
« que  tu  aimais  tant  autrefois  et  que  tu  traites 
<i  si  mal  aujourd’hui.  » 

Le  roi,  attristé,  ne  répondit  pas  ; mais,  comme 
il  ne  pouvait  revenir  sur  sa  promesse,  il  fit 
mander  son  ex-favorite  pour  la  nuit  suivante. 

De  ces  relations  forcées  naquit  un  fils;  mais, 
la  femme  ne  fut  pas  pour  cela  mieux  traitée  et 
dut  continuer  à glaner  pour  se  nourrir. 

Un  jour,  aux  champs,  elle  posa  son  enfant  à 
terre  pour  être  plus  libre.  Une  lionne,  en  rôdant, 
rencontra  le  pauvre  petit  et  l’emporta  dans  son 
repaire,  à côté  de  son  petit  lionceau. 

L’enfant  et  le  lionceau,  nourris  du  même 
lait,  jouèrent  et  grandirent  ensemble.  Quand 
ils  furent  d’âge  à manger,  la  lionne  donnait  le 
foie  à l’enfant  et  l’autre  chair  au  lionceau. 

Mais  en  grandissant,  l’enfant  s’aperçut  que  la 
lionne  le  regardait  d’un  mauvais  œil,  il  le  dit 
au  lionceau.  Celui-ci,  alors  adulte,  étrangla  sa 
mère  dans  la  crainte  de  perdre  son  ami  et 
désormais  il  dut  pourvoir  lui-même  à la  nour- 
riture commune.  L’enfant  et  le  lion  vécurent 
ainsi  dans  l’amitié  la  plus  étroite  et  la  plus 
confiante. 

Un  jour,  le  village  voisin  fut  en  fête  pour 
la  circoncision.  L’enfant  dit  alors  à son  ami 


le  lion  : « Voici  venir  le  temps  où  je  dois 
« être  circoncis,  je  vais  me  mettre  en  quête  de 
« quelqu’un  qui  veuille  bien  me  faire  faire  l’opé- 
ration »,  et  il  partit.  Dans  un  champ,  il  trouva 
un  homme  qui  tissait,  c’était  le  chef  des  captifs 
du  roi  : 

— « Mon  père,  lui  dit-il,  je  suis  un  pauvre 
« orphelin  abandonné  ; j’ai  l’âge  d’être  circoncis, 
«voudrais-tu  me  prendre  avec  tes  enfants  pour 
« cette  opération  ? » 

— « Mon  fils,  dit  le  vieillard,  je  n’ai  pas 
« d’enfant,  mais  je  consens  volontiers  à te  con- 
« sidérer  comme  mien  pour  le  service  que  tu 
« me  demandes.  » 

Dès  ce  jour,  l’enfant  demeura  chez  le  vieil- 
lard. Toutefois  il  fit  de  quotidiennes  visites  à 
son  ami  le  lion. 

La  veille  du  jour  de  la  circoncision,  arriva 
une  grande  caravane  de  dioulas  '.  Le  lion  s’était 
posté  au  bord  d’un  marigot  qu’il  fallait  nécessai- 
rement traverser  et,  quand  la  caravane  fut 
proche,  il  bondit  hors  de  sa  cachette.  Bêtes  et 
gens,  saisis  d’effroi,  s’enfuirent  en  abandonnant 
tous  lesbagages.  Le  lion  vint  aussitôt  prévenir 


i.  Colporteurs  indigènes. 


Son  ami  qui,  aidé  de  son  hôte,  ramassa  et 
emporta  toutes  ces  marchandises. 

Le  lendemain  de  la  circoncision,  le  lion  dit  à 
son  ami  : « A partir  d’aujourd’hui,  et  tant  que 
tu  seras  malade,  tous  les  soirs,  sous  l’arbre  de 
nos  rendez-vous,  tu  trouveras  deux  antilopes 
pour  te  régaler  avec  tes  camarades  »,  et  jamais 
le  lion  ne  faillit  à sa  promesse. 

Un  jour,  le  lion  demanda  à son  ami  : « Main- 
« tenant,  quels  sont  tes  projets,  pour  l’avenir?» 

— « Je  voudrais,  dit  le  jeune  homme,  épouser 
« une  jeune  fille  pour  laquelle  j’ai  la  plus  vive 
« affection,  mais  elle  est  déjà  promise  et  la  dot 
« est  en  partie  payée.  » 

— « C’est  bien,  dit  le  lion,  voici  ce  qu’il  faut 
faire  : 

« Vendredi,  quand  les  jeunes  filles  seront  en 
« train  de  laver  le  linge  au  marigot,  je  sauterai 
« sur  ton  amie,  tu  la  délivreras  et,  après  cet 
« exploit,  on  ne  pourra  plus  te  la  refuser:  seu- 
« lement  donne-moi,  en  temps  utile,  le  moyen 
« de  reconnaître  ton  amie.  » 

Le  jeudi  soir,  le  jeune  homme  dit  à son  amie  : 
« Rien  ne  te  sied  mieux  qu’un  ruban  jaune 
« autour  de  la  tête  et  tu  me  ferais  plaisir  en  en 
« portant  un  ».  Elle  accéda  à ce  désir  et  le  lion 
fut  prévenu  de  ce  détail  caractéristique. 


— 1 3 1 — 

Le  lendemain,  au  moment  où  les  éclats  de 
rire  et  les  bavardages  des  jeunes  filles  se  fai- 
saient entendre  au  bord  de  l’eau,  le  lion, 
jusqu’alors  blotti  dans  les  herbes,  bondit  tout 
à coup  et  enleva  la  jeune  fille  au  bandeau  jaune. 

Les  femmes  et  les  enfants  se  sauvèrent,  les 
hommes  grimpèrent  jusqu’au  haut  des  arbres; 
seul,  l’ami  du  lion  tint  tête  au  fauve  et  réussit  à 
lui  faire  lâcher  sa  proie. 

Le  courageux  jeune  homme  fut  comblé  de 
louanges  et  chacun  pensa  qu’il  convenait  de  lui 
donner  pour  épouse  la  jeune  fille,  qu’il  avait  si 
miraculeusement  sauvée.  Les  notables  insistè- 
rent si  bien,  dans  ce  sens,  auprès  des  parents  de 
la  jeune  fille,  que  ceux-ci  finirent  par  donner 
leur  assentiment. 

Le  chef  des  captifs,  qui  se  considérait  comme 
le  père  du  jeune  homme,  lui  dit  : « J’ai  encore 
« toutes  les  marchandises  que  nous  avonsprises 
« à la  caravane  des  dioulas,  tu  peux  en  disposer 
« en  toute  liberté  pour  tes  fiançailles  ».  Le  ma- 
riage fut  une  fête  sans  égale  et,  le  soir  même,  le 
lion  vint  contempler  la  jeune  femme  endormie, 
afin,  lui  aussi,  d’avoir  sa  petite  part  de  joie. 

Peu  après,  une  nuit,  le  lion  vint  s’entretenir 
avec  son  ami  : « Maintenant  que  je  vieillis,  lui 
« dit-il,  je  commence  à être  pris  du  remords 


« d’avoir  tué  ma  mère;  sa  sœur  habite  la  rive 
« droite,  je  vais  l’aller  voir  et  lui  demander 
« d’intercéder  pour  moi,  par  ses  prières  au  Tout 
« Puissant.  Viens  demain  me  voir  sous  notre 
« arbre,  je  te  ferai,  là,  mes  adieux  et  te  dirai 
« l’époque  de  mon  retour  ». 

Le  baobab,  lieu  du  rendez-vous,  était  très 
vieux;  à son  pied,  dans  une  excavation,  logeait 
une  hyène  et,  tout  en  haut,  dans  ses  branches, 
un  faucon. 

Le  lion  arriva  le  premier  et,  pris  soudain  de 
coliques,  il  mourut. 

La  hyène  sortit  et,  apercevant  ce  cadavre,  dit 
à son  voisin  le  faucon  : 

— « Ami  ! voilà  une  bonne  journée,  nous  pour- 
« rons  nous  régaler  sans  nous  déranger.  » 

— « Penses-tu  que  ce  cadavre  soit  pour  toi? 
« Depuis  quand  loges-tu  ici?  Lequel  de  nous 
« deux  connaît  mieux  le  pays?  Ce  n’est  pas  toi 
« assurément.  » 

L’hyène  ne  répondit  pas  et  rentra  dans  son 
trou  pour  attendre  la  nuit,  qui  lui  permettrait 
de  faire  son  sinistre  repas  sans  être  dérangée. 

Lejeune  homme  arriva  à son  tour  et,  pris  de 
désespoir,  quand  il  vit  son  ami  mort,  il  se  tua, 
en  se  coupant  le  cou. 

L’hyène  ressortit  et  dit  : « Voilà  un  jour 


— 1 33  — 


particulièrement  heureux,  deux  cadavres  à 
ma  porte  ! » et  de  nouveau  elle  se  retira. 

Le  faucon  descendit,  s’approcha  des  cadavres 
et  déposa  sous  leurs  narines  un  peu  de  poudre, 
qu’avec  le  bec,  il  avait  pris  autour  de  son  der- 
rière. Aussitôt,  les  morts  éternuèrent  et  se 
redressèrent. 

— « En  t’attendant,  je  m’étais  endormi,  dit  le 
lion  à son  ami. 

— « Et  moi,  te  voyant  endormi,  j’ai  fait  de 
même,  dit  le  jeune  homme. 

— « Mais  qu’est-ce  que  ce  sang  sur  tes  effets, 
s’exclama  le  lion. 

— « Ah  ! je  me  rappelle,  fit  le  jeune  homme, 
« je  t’ai  trouvé,  là,  étendu,  je  t’ai  cru  mort; 
« alors,  désespéré,  je  me  suis  tué.  » 

— « Et  moi  aussi,  continua  le  lion,  je  me 
rappelle. . .. 

Il  n’acheva  pas,  le  faucon  l’interrompit  et  dit  : 

— « Les  fruits  que  vous  voyez  à ce  baobab  ne 
« sont  pas  remplis  de  farine  comme  vous  le 
« pensez,  ce  sont  des  lingots  d’or.  » 

Le  jeune  homme  grimpa  aussitôt  pour  les 
cueillir,  puis,  les  ayant  noués  dans  son  écharpe, 
il  se  prépara  à partir;  le  lion  lui  dit  : 

— « Porte  tout  cet  or  au  chef  des  captifs  du 
« roi,  pour  qu’il  le  distribue  à ses  camarades,  et 


— i34  — 

« exige  d’eux  qu’ils  tuent  le  roi  et  t’élisent  à sa 
« place.  » 

Le  chef  des  captifs  et  ses  camarades  accep- 
tèrent. 

Le  lendemain,  à la  porte  du  roi  et  de  chacun 
de  ses  éventuels  successeurs,  se  tenait  un  captif 
armé.  Dès  que  le  roi  parut,  il  fut  mis  à mort  et 
en  fut  de  même  de  ceux  qui  devaient  lui 
succéder. 

Quand  le  jeune  homme  fut  nommé  roi,  le 
lion  vint  le  voir  et  lui  dit  : « Le  défunt  roi  était 
« ton  père,  et  cette  femme  en  haillons,  qui  mendie 
«dans  les  rues,  est  ta  mère  »,  et  il  lui  raconta 
son  histoire. 

Le  jeune  homme  remercia  le  lion  et  lui  dit  : 
« Tu  m’as  nourri  et  protégé  tant  que  j’étais 
« impuissant,  dès  maintenant  je  veux  pourvoir 
« à tous  tes  besoins  : tous  les  jours  tu  trouveras 
« deux  bœufs  sous  notre  baobab.  » 

— cc  C’est  bien,  dit  le  lion,  et  maintenant  que 
« je  vais  te  quitter  sans  savoir  quand  nous 
« nous  reverrons,  prends  cette  herbe  : tant 
« qu’elle  sera  verte  et  fraîche  je  serai  encore  de 
« ce  monde;  dès  qu’elle  sera  jaune  et  flétrie,  je 
« serai  mort.  » 

Et  le  lion  partit. 

Longtemps  encore,  le  lion  et  le  jeune  homme 


1 3 5 — 


se  revirent  à de  grands  intervalles.  Le  jeune 
homme  devint  un  roi  puissant  et  aimé;  auprès 
de  lui  était  sa  vieille  mère  qu’il  entourait  de 
soins  affectueux.  Un  jour,  il  se  souvint  de  son 
ami  le  lion,  qu’il  n'avait  pas  revu  depuis  de 
longues  années,  il  rechercha  l’herbe  fatidique, 
elle  était  jaune  et  flétrie  : alors  il  se  mit  à 
pleurer  et,  pendant  un  mois,  demeura  incon- 
solable; personne  ne  comprenait  rien  à son 
chagrin.  Enfin,  il  raconta  l’histoire  de  sa  vie. 

I 


LE  LIÈVRE,  L'HYÈNE  ET  L’AUTRUCHE. 

(Conte  malinké.) 

Le  lièvre  dit  à l’hyène  : 

« Il  m’a  été  révélé  qu’il  allait  y avoir  cette 
« nuit  une  tornade  épouvantable  et  que  ceux-là 
« seuls  en  réchapperaient,  qui  auraient  fait  ce 
« que  voici  : attacher  sa  mère  avec  une  solide 
« corde  et  la  frapper  jusqu’à  ce  qu’elle  casse  la 
« corde.  Si  la  corde  ne  casse  pas,  vendre  sa 
« mère.  Je  vais  de  suite  me  mettre  à l’ouvrage, 
« pour  ne  pas  mourir  cette  nuit.  » 


1 36 


Et,  ce  disant,  il  montra  à l’hvène  un  gros 
câble,  avec  lequel  il  voulait  amarrer  sa  mère. 
L’hyène  s’éloigna  pensive. 

Le  lièvre  coupa  la  corde,  en  rajusta  les  bouts 
avec  une  très  mince  ficelle,  puis  amarra  sa  mère 
qu’il  se  mit  à frapper  de  toutes  ses  forces; 
mais  la  corde  cassa  aussitôt  et  le  lièvre  s’en 
vint  trouver  l’hyène  : « Tiens!  lui  dit-il,  me 
« voilà  heureux,  ma  mère  a réussi  à casser  la 
« corde.  » 

L’hyène  voulut  agir  de  même  et,  sans  se 
douter  du  stratagème  du  lièvre,  attacha  solide- 
ment sa  vieille  mère  qu’elle  frappa  à coups 
redoublés  et  la  vieille  ne  réussit  pas  à rompre 
l’amarre. 

« Eh  bien  ! dit  le  lièvre,  vends-là.  » 

L’hyène  et  le  lièvre  s’en  allèrent  à un  cam- 
pement de  Foulbé  : « Voici  une  vieille  esclave, 
« dirent-ils,  que  nous  voulons  échanger  contre 
«une  vache».  On  leur  donna  une  vache  et  ils 
partirent. 

— « Que  faire  de  cette  vache  »,  dit  l’hyène. 

— « Nous  allons  aller  bien  loin,  dit  le  lièvre, 
« dans  un  endroit  où  il  n’y  a pas  de  mouches; 
« nous  tuerons  la  vache  et,  pour  ma  part,  je  ne 
« veux  que  la  peau  et  la  tête.  » 

Ils  partirent  et  ne  s’arrêtèrent  que  quand  ils 


furent  arrivés  dans  une  grande  plaine,  sans 
herbes.  Il  n’y  avait  qu’un  grand  et  vieux  bao- 
bab, qui  avait  un  trou  profond,  dans  lequel  le 
lièvre  entrait  facilement,  mais  l’hyène  y passait 
à peine  la  tête. 

La  vache  fut  tuée,  dépecée  et  découpée. 
« Maintenant,  dit  le  lièvre,  il  nous  faudrait  du 
« bois,  mais  je  suis  trop  petitpour  en  porter  suf- 
« fisamment  ».  L’hyène  partit  chercher  du  bois. 
Aussitôt,  le  lièvre  fit  passer  toute  la  viande  à 
sa  mère,  qui  était  dans  le  baobab,  et  il  ne  laissa 
que  la  peau  et  la  tête  parce  qu’elles  ne  purent 
entrer. 

De  si  loin  que  le  lièvre  aperçut  l'hyène,  il  lui 
cria  : « Amie!  viens  vite!  la  terre  a englouti 
« toute  la  viande!  » et  il  disparut  rapidement 
dans  le  baobab,  puis  tira  la  peau  de  telle  sorte 
que  la  tête  de  la  vache  vint  fermer  l’orifice  de  la 
cachette. 

Quand  l’hyène  fut  arrivée,  il  dit  : « La  terre  a 
« englouti  toute  la  viande  ; mais,  pour  ne  pas  te 
« priver,  je  t’abandonne  la  peau  et  la  tête  qui 
« restent  ».  L’hyène  les  dévora;  mais,  compre- 
nant qu’elle  avait  été  mystifiée  par  le  lièvre, 
elle  partit  et  revint  quelques  jours  après  en 
compagnie  de  l’autruche. 

L’hyène  tourna  autour  du  baobab  en  disant  : 


— 1 38  — 


« Voilà  un  arbre  merveilleux,  qui  doit,  sans 
« doute,  avoir  ses  racines  dans  le  ciel  ! » et, 
ayant  frappé  le  tronc  : « Hein!  comme  il  ré- 
« sonne!  on  dirait  qu’il  parle  ».  Apercevant  un 
trou  elle  s’en  approcha  et  vit  le  lièvre  : « Ah  ! te 
« voilà  brigand,  qui  as  mangé  le  prix  de  ma 
« mère!  Attends!  je  ne  peux  pas  te  saisir,  mais 
« voici  mon  amie  l’autruche,  qui  saura  bien 
« t’attraper  ». 

Ainsi  prévenu,  le  lièvre  prépara  un  lacet  avec 
des  crins  de  queue  de  girafe.  Quand  l’autruche 
eut  introduit  la  tête,  le  lièvre  serra  le  lacet  et, 
à moitié  étranglée,  l’autruche  laissa  tomber  un 
œuf,  que  l’hyène  avala  goulûment.  Le  lièvre  dit 
alors  à l’hyène  : « Sais-tu  bien  que  les  œufs 
« d’hyène  sont  bien  meilleurs  que  ceux  d’au- 
« truche?  Si  tu  veux  te  mettre  à la  place  de  l’au- 
« truche,  je  te  serrerai  un  peu  le  cou,  juste  pour 
« te  faire  pondre,  tu  mangeras  ton  œuf  et  nous 
« recommencerons  tant  que  tu  voudras  ». 

L’hyène,  crédule,  se  laissa  faire  et  le  lièvre 
l’étrangla. 


LE  LION,  LA  PANTHÈRE  ET  L’HYÈNE. 

(Conte  soninké). 

Le  lion,  la  panthère  et  l’hyène  se  disputaient, 
un  soir,  pour  savoir  lequel  d’entre  eux  était 
le  plus  fort,  le  plus  habile  et  le  plus  malin 

Le  lion  disait  : « Moi,  je  puis  enlever  un 
« bœuf  au  milieu  d’un  troupeau  et  disparaître 
« encore  assez  vite,  pour  défier  toute  pour- 
« suite  ». 

« Moi,  disait  la  panthère,  je  puis  me  glisser 
« au  milieu  d’un  parc  gardé,  prendre  ma  proie 
« et  l’emporter  sans  être  aperçue  des  gardiens.  » 

A son  tour,  l’hyène  disait  : 

« Toi,  lion,  la  terreur,  que  tu  inspires  par  ta 
« force,  suffit  à expliquer  tes  bonnes  fortunes; 
« et  toi,  panthère,  c’est  ta  seule  agilité  qui  te 
« permet  de  mener  à bien  les  plus  téméraires 
« entreprises.  Mais,  l’un  et  l’autre,  vous  man- 
« quez  de  ruse;  moi  seule  ai,  à la  fois,  force, 
« agilité  et  ruse.  » 

Là  dessus,  on  convint  de  profiter  de  la  pre- 
mière occasion,  pour  que  chacun  put  montrer 
tout  ce  dont  il  était  capable.  Les  trois  rivaux 
entrèrent  donc  dans  un  village. 


9 


— 140  — 


C’était  un  soir  d'hiver.  Comme  d’habitude, 
en  cette  saison,  un  grand  feu  brûlait  au  milieu 
de  la  place  publique,  tout  autour  étaient  assises 
des  jeunes  filles,  qui  filaient,  et,  auprès  d’elles, 
des  jeunes  hommes,  qui  les  amusaient  en  leur 
contant  des  histoires  gaies.  Entre  le  feu  et  les 
jeunes  filles,  un  chien  dormait. 

L’hyène  dit  à ses  deux  compagnons  : « Nous 
« allons  voir  lequel  de  nous  est  capable  d’en- 
« lever  ce  chien,  sans  que  les  jeunes  gens  s’en 
« aperçoivent.  » 

Le  lion  rampa  lentement,  sans  bruit,  en  se 
dissimulant  le  plus  possible  et,  arrivé  à quel- 
ques pas  du  cercle  des  jeunes  gens,  il  reconnut 
son  impuissance  à remplir  les  conditions  impo- 
sées. Il  revint  et  déclara  la  chose  impossible. 

La  panthère  partit  cependant,  mais  sans  plus 
de  succès. 

A son  tour,  l’hyène  s’avança  à la  faveur  de 
l’ombre  projetée  par  les  jeunes  gens;  puis,  sou- 
dain, bondit  au  milieu  du  feu.  Les  tisons  jail- 
lirent de  toutes  parts,  jeunes  garçons  et  jeunes 
filles  s’enfuirent  épouvantés  en  secouant  leurs 
vêtements  et,  profitant  du  désarroi  général, 
l’hyène  put  emporter  le  chien  sans  qu’on  s’en 
aperçut. 

Elle  avait  démontré  ce  qu’elle  avait  avancé. 


L’HYÈNE  ET  LE  LIÈVRE  \ 

(Conte  khassonké). 


L’hyène  possédait  un  taureau  et  le  lièvre  une 
vache  pleine. 

Le  taureau  et  la  vache  paissaient  ensemble, 
gardés  alternativement  par  l’hyène  et  par  le 
lièvre. 

Un  jour,  que  l’hyène  était  de  garde,  la  vache 
mit  bas.  L’hyène  fit,  aussi  bien  que  possible, 
disparaître  les  traces  sanglantes  de  la  vache  et 
maquilla  son  taureau  pour  qu’il  eût  précisément 
cet  aspect. 

Au  retour,  l’hyène  dit  au  lièvre  : 

— « Ami  lièvre,  mon  taureau  a mis  au  monde 
un  petit  veau.  » 

— « Ah  ! fit  le  lièvre,  et  ma  vache  ? » 

— « Ta  vache  n'a  rien  produit.  » 

— « Bien  curieux!  dit  le  lièvre,  c’est  la  pre- 
« mièrefois  que  j’entends  parler  d’un  tel  phéno- 
« mène.  » 

Le  lendemain  le  lièvre  dit  à l’hyène: 

i.  Cf.  — le  conte  galla:  le  lion,  le  léopard  et 
le  singe,  dans  R.  Basset  op.  cit. 


— 142 


— « Tu  sais  que  je  ne  crois  plus  du  tout  ce 
« que  tu  m’as  affirmé  hier  et  j’entends  que  tu 
« me  donnes  mon  petit  veau.  » 

— « Oh,  dit  l’hyène,  jamais  je  ne  consentirai 
« à te  donner  le  petit  de  mon  taureau  ! » 

— « Alors,  dit  le  lièvre,  allons  trouver  le  rat 
«palmiste  pour  juger  entre  nous.  » 

Les  petits  du  rat  palmiste  jouaient  aux 
abords  de  la  tanière  paternelle. 

— « Ton  père  n’est-il  pas  là?  » dit  l’hyène  à 
l’aîné  des  petits. 

— « Si,  dit-il,  que  faut-il  lui  dire  de  votre 
« part,  car  il  est  un  peu  indisposé  et  ne  peut 
« sortir.  » 

L’hyène  raconta  l’histoire  de  son  différend 
avec  le  lièvre.  Le  petit  retourna  vers  son  père  et 
lui  transmit  ces  paroles. 

— « Bon,  dit  le  rat  palmiste  qui  n’était  point 
« malade,  va  dire  à l’hyène  que,  pris  des  dou- 
« leurs  de  l’enfantement,  je  ne  puis  me  mêler 
« de  ses  affaires. 

Puis,  le  maün  rat  palmiste  vint  se  poster  tout 
près  de  l’ouverture  pour  écouter  ce  qu’allait 
dire  l’hyène. 

A peine  le  petit  rat  eut-il  dit  que  son  père 
était  pris  des  douleurs  de  l’enfantement  que 
l’hyène  s’esclaffa  naïvement:  « En  voilà  une 


— i43  — 

« farce  ! depuis  quand  le  mâle  fait-il  des  petits, 
« chez  les  rats  palmistes.  » 

Le  rat  palmiste,  montrant  son  fin  museau, 
répondit  : « Depuis  que  ce  sont  les  taureaux  qui 
« font  les  petits  veaux.  » 

L’hyène  toute  honteuse  se  sauva  et  le  lièvre 
eut  son  petit  veau. 


LE  LIÈVRE  ET  L’HYÈNE. 

(Conte  khassonké.) 

Le  lièvre  avait  découvert  une  maison  pleine 
de  victuailles.  Il  se  mit  d’accord  avec  son  amie 
l’hyène  pour  la  dévaliser. 

Or,  la  maison  se  trouvait  être  celle  d’un 
génie.  Le  lièvre,  content  de  peu,  ne  s’attarda 
pas,  dans  la  crainte  d’être  surpris  par  le  maître 
du  logis.  L'hyène,  au  contraire,  voulut  tout 
dévorer  sur  place;  le  génie  la  saisit  : 

— « Qui  t’a  conduite  ici  »,lui  demanda-t-il. 

— « Lelièvre  »,  répondit-elle. 

— « Pour  te  corriger,  dit  le  génie,  je  vais  te 
« faire  une  marque  grâce  à laquelle  tout  le 


— 144  “ 


« monde  saura  que  tu  es  une  voleuse  »,  et  il  lui 
coupa  les  oreilles 

Furieuse,  l’hyène  alla  trouver  le  lièvre  et  lui 
dit  : 

— « Va  me  chercher,  sur  la  montagne,  du 
« bois  pour  te  faire  rôtir.  » 

Sur  la  montagne  le  lièvre  se  mit  à crier  très 
fort,  comme  s’il  répondait  aux  questions  de 
quelqu’un  d’éloigné. 

— « Qu’est-ce  que  c’est?  » demanda  l’hyène. 

— « C’est  un  chasseur,  qui  me  demande  si  je 
« n’ai  pas  vu  son  chien,  qui  a les  oreilles 
a coupées.  » 

L’hyène  comprit  qu’il  s’agissait  d’elle  et  que 
le  lièvre  lui  préparait  encore  un  tour  de  sa 
façon  : elle  détala  au  plus  vite. 


i.  Les  voleurs  étaient  ainsi  mutilés  chez  les  Sou- 
danais. 


LE  BOLONE 

(Conte  soninké). 


Un  jour,  un  chasseur  surprit  un  Boloné  et 
le  visa,  mais  la  bête  lui  dit  : « Laisse-moi  donc  ! 
« je  ne  suis  qu’un  Boloné  et  voici,  tout  près, 
« les  traces  de  l’éléphant  et  de  l’antilope,  gros- 
« ses  bêtes,  qui  peuvent  te  donner  plus  de  profit 
« que  moi.  » 

— « Possible  ! mais  c’est  toi  que  je  veux, 
« repartit  l’entêté  chasseur.  » 

— « Eh  bien!  mon  ami,  tu  perds  ton  temps, 
« tu  ne  m’auras  pas,  dit  le  Boloné.  » Et  il  se 
remit  tranquillement  à brouter. 

Le  chasseur  tira,  le  coup  partit,  mais  le  Bo- 
loné resta  indemne. 

« Oh!  oh!  fit  le  chasseur,  attends  un  peu!  » Il 
plaça  sa  balle  dans  un  étui  magique  et  bourra 
soigneusement  son  fusil.  Cette  fois,  le  Boloné 
tomba;  mais,  quand  le  chasseur  vint  triompha- 
lement le  ramasser  en  disant  : « Hein  ! qui  est 
« le  plus  fort?  » 


i.  C’est,  en  soninké,  le  nom  d’une  biche  gris  sou- 
ris de  la  taille  d’un  agnelet. 


— 146  — 


— « Oh!  oh!  fit  le  Boloné,  ce  n’est  pas  fini!  » 

— « Comment!  tu  récrimines  encore  ? Tiens  ! 
et  il  lui  trancha  le  cou. 

■ — « Oh!  oh  ! fit  le  Boloné,  ce  n’est  pas  fini  ! 

Alors  le  chasseur  l’écorcha,  mais  le  Boloné 
répéta  encore  : 

— « Oh  ! oh  ! ce  n’est  pas  fini  ! » 

— « Eh  bien  ! c’est  ce  que  nous  allons  voir, 
« dit  le  chasseur,  en  le  chargeant  sur  ses 
« épaules,  ma  femme  et  mon  fils  te  mangeront.  » 

Quand  il  arriva  à l’entrée  du  village,  le  chas- 
seur rencontra  un  de  ses  amis  qui  lui  dit  : « Ta 
« femme  et  ton  fils  sont  morts!  » 

• — « Et  qu’est-ce  qui  les  a tués  ? » 

— « Ils  ont  eu  des  coliques...  » 

— « Oh  ! oh  ! fit  le  Boloné,  ce  n’est  pas  fini  ! » 

Le  malheureux  chasseur  ne  répondit  pas; 

mais,  quand  il  fut  chez  lui,  il  coupa  le  Boloné 
en  morceaux  et  le  mit  dans  une  marmite  sur  un 
grand  feu.  Le  Boloné  fit,  en  sourdine  : « Oh! 
oh!  ce  n’est  pas  fini!  » 

Après  plusieurs  heures  de  cuisson,  le  chas- 
seur tâta  la  viande,  elle  était  aussi  dure  qu’au- 
paravant  et  le  Boloné  murmura  encore  : « Oh! 
« oh  ! ce  11’est  pas  fini  ! » 

Des  voisines,  venues  le  matin  pour  chercher 
du  feu,  revinrent  le  soir  pour  le  même  motif 


— 147  — 


et,  voyant  encore  la  grande  marmite  à la  même 
place,  elles  se  demandèrent  à mi-voix  : « Que 
« peut-il  bien  y avoir  dans  cette  marmite?  » De 
l’intérieur  une  voix  dit  : « Un  Boloné,  qui  ne 
« veut  pas  cuire.  Oh!  oh!  ce  n’est  pas  fini!  » 
Les  femmes  ne  sauvèrent,  en  abandonnant  les 
tisons  qu’elles  avaient  pris,  et,  bientôt,  tout  le 
village  sut  que  le  chasseur  avait  une  marmite 
qui  parlait. 

Quand  le  chasseur  comprit,  enfin,  que  le  Bo- 
loné ne  cuirait  pas,  il  jeta  une  poudre  magique 
dans  la  marmite.  Alors  la  viande  put  cuire  et 
le  chasseur  la  mangea 


i.  Le  Boloné  est,  dit-on,  le  sorcier  des  animaux. 
Au  début  de  l’hivernage,  il  se  perche,  affirme-t-on, 
au  haut  d’une  herbe  élevée  et  flexible  et,  selon  que 
la  plante  se  courbe  plus  ou  moins,  c’est  l’indice 
qu’un  plus  ou  moins  grand  nombre  d’animaux 
seront  abattus  par  les  chasseurs. 


0' 


— 148  — 


L’HOMME  AUX  TROIS  HOUPPES 

(Conte  bamana). 

Un  homme  avait,  sur  la  tête,  trois  houppes  de 
cheveux.  Il  vint  trouver  le  roi  et  lui  dit  : 

— « Si  tu  me  dis  le  nom  de  chacune  de  mes 
« trois  houppes,  tu  peux  me  tuer.  » 

Le  roi  dit  : «J’y  réfléchirai.  » 

Un  jour,  le  roi  fit  venir  îafemme  de  l’homme, 
qui  l’avait  ainsi  défié,  et  lui  donna  beaucoup 
d’or  : 

— « Ton  mari,  lui  dit-il,  ne  pourrait  te  faire 
« tant  de  cadeaux.  » 

— « Non,  dit-elle,  il  ne  le  pourrait  pas.  » 

— « Eh  bien!  dit  le  roi,  si  tu  veux  me  dire 
« le  nom  de  chacune  des  trois  houppes,  qu’il  a 
« sur  la  tête,  je  te  donnerai  encore  beaucoup 
« plus  d’or. 

— « La  première,  dit  la  femme,  se  nomme  : 
« l’homme  devenu  roi  ne  connaît  plus  ses 
« anciens  amis;  la  seconde  : il  ne  faut  pas  avoir 
«confiance  dans  les  femmes;  la  troisième: 


1 , A propos  de  ce  conte,  voir  la  préface, 


— 149  — 


« méfie-toi  de  l’enfant  'que  ta  femme  a eu  d’un 
« précédent  mari,  ce  n’est  pas  ton  fils.  » 

Le  roi  la  remercia,  lui  donna  beaucoup  d’or 
et  manda  son  mari  : 

— « Ami!  je  sais  le  nom  de  chacune  de  tes 
« houppes.  » 

<—  « Ah  ! et  quels  sont-ils?  » 

— « La  première  se  dit  : l’homme,  devenu 
« roi,  ne  connaît  plus  ses  anciens  amis.  » 

— « La  seconde  : il  ne  faut  pas  avoir  con- 
« fiance  dans  les  femmes.  » 

— « La  troisième  : méfie-toi  de  l’enfant  que 
« ta  femme  a eu  d’un  précédent  mari,  ce  n’est 
« pas  ton  fils.  » 

— « Eh  bien!  dit  l’homme,  tu  peux  me  tuer. 

Le  roi  le  fit  attacher,  et,  quand  on  voulut 

l’emmener,  survint  le  fils,  que  la  femme  de 
l’homme  avait  eu  d’un  précédent  mari. 

— « Arrêtez,  dit-il,  que  je  dépouille  cet 
« homme  du  vêtement,  qui  m’appartient,  avant 
« que  le  sang  l’ait  endommagé.  » 

Alors,  l’homme,  s’adressant  au  roi,  dit  : 

— « Attends  un  peu,  j’ai  quelque  chose  à te 
« dire.  » 

— « Parle  »,  dit  le  roi. 

— « Toi  et  moi,  nous  sommes  du  même  âge 
« et,  quand  nous  étions  jeunes,  bien  des  fois  je 


« t’ai  battu.  Nous  étions  bons  amis  alors.  Au- 
« jourd’hui,  tu  vas  me  tuer. 

— « C’est  vrai  »,  dit  le  roi. 

— * ■ « C’est  ma  femme  qui  t’a  révélé  mon  secret. 
« Or,  cette  femme,  je  n’ai  pas  eu  recours  à toi 
« pour  l’épouser,  non  plus  que  pour  la  nourrir 
« ou  la  vêtir.  Cependant  elle  m’a  trahi  pour  toi.  » 

— « C’est  vrai  »,  dit  le  roi. 

— « L’enfant  de  ma  femme  m’a  arraché  son 
« vêtement,  de  peur  qu’il  ne  soit  souillé  de  mon 
« sang;  s’il  eut  été  mon  fils,  aurait-il  jamais  agi 
« ainsi?  » 

— « Certes  non,  avoua  le  roi  et  il  dit  à 
« l’homme  : je  te  pardonne  pour  les  vérités  que 
« tu  viens  de  m’enseigner,  mais  n’oublie  pas 
« que  l’on  ne  doit  jamais  défier  son  roi  car  il 
« est  tout  puissant.  » 


LES  TROIS  INSATIABLES. 

(Conte  khassonké). 

Un  homme  fut  chassé  par  son  père,  parce 
qu’il  n’était  jamais  rassasié  d’amour. 


— 1 5 i — 


Un  autre  homme  fut  également  chassé  par  son 
père,  parce  qu’il  n’était  jamais  rassasié  de  mil. 

Un  autre  homme,  encore,  fut  chassé  par  son 
père,  parce  qu’il  n’était  jamais  fatigué  de  faire 
la  course  à cheval. 

Ces  trois  hommes  se  sont  rencontrés  et, 
après  s’être  mutuellement  interrogés,  ils  ont 
unanimement  conclu  : « Nous  ne  faisons 
« qu’un  ». 

Ils  sont  partis  pour  la  ville  du  roi. 

Le  premier  dit  au  roi  : « Si  tu  me  rassasies 
d’amour,  tu  peux  me  tuer  ». 

L’autre  dit  au  roi  : « Si  tu  me  rassasies  de 
mil,  tu  peux  me  tuer  ». 

L’autre  dit  au  roi  : « Si  tu  me  laisses  me  fati- 
guer par  la  course  à cheval,  tu  peux  me  tuer.  » 

Le  roi  dit  : « J’ai  compris  ». 

Il  fit  tuer  dix  taureaux  et  fit  à chacun  une 
part. 

Il  (Le  Gourmand)  rassasié  dit  : « Roi!  je  suis 
plein  ! » 

Le  roi  le  tua. 

A faire  la  course,  avec  tous  les  chevaux  de 
l’armée,  l’autre  se  fatigua. 

Le  roi  le  tua. 

Au  troisième,  le  roi  dit  : « Je  veux  te  donner 
ma  propre  femme.  » 


Il  fit  venir  sa  favorite  : « Je  veux,  lui  dit-il,  te 
donner  à notre  hôte  ». 

— « Soit!  » dit-elle. 

La  nuit  venue,  le  roi  dit  : « Va  coucher  avec 
ma  femme  ». 

L’homme  y fut.  La  femme  lui  dit  : « Demain 
tu  dois  mourir  et  je  ne  veux  pas  que  tu 
meures.  Je  vais  seller  un  cheval,  te  donner  l’or 
du  roi  et  nous  partirons  ». 

— « Soit  ! » dit-il. 

La  femme  sella  le  cheval,  prit  l’or,  en  donna 
aux  Soufas  '.  Ils  (les  fugitifs)  montèrent  à che- 
val, sortirent  et  partirent. 

Le  matin,  le  roi  s’éveilla  et  dit  à ses  griots  : 
« Allez  voir  s’ils  sont  éveillés.  » Les  griots  y 
allèrent  et  revinrent  dire  : « Roi!  il  n’y  a per- 
« sonne  ! » 

Les  Soufas  vinrent  et  dirent  : « Le  cheval 
n’est  plus  là  ! » 

Le  père  de  la  clef  (le  trésorier)  dit  : « Il  n’y  a 
plus  d’or  ! » 

On  battit  le  tambour  de  guerre. 

(Les  fugitifs)  ayant  couru  depuis  le  matin 
arrivèrent  à la  première  prière  (2  heures  après 
midi)  au  bord  du  fleuve. 

1 . Gardes  du  corps. 


Là  se  trouvait  une  petite  vieille  et  sa  petite 
fille. 

Il  (le  fugitif)  dit  : « Grand  mère  ! ne  me  feras- 
tu  pas  passer  le  fleuve?  » 

La  petite  vieille  dit  : « Laisse-moi  tranquille  ! 
je  ne  te  passerai  pas.  » 

Le  secours  (l’armée  du  roi)  arriva.  La  petite 
fille  dit  : « Passe-le.  » 

Elle  (la  petite  vieille)  dit  : « Je  refuse.  » 

La  petite  fille  l’(la  petite  vieille)  a poussée 
dans  l’eau  et  elle  est  morte. 

Elle  (la  petite  fille)  a passé  l’homme,  puis  lui 
a dit  : « Veux-tu  m’épouser?  » 

Il  a dit  : « Oui.  » 

Ils  sont  partis  et  sont  arrivés  à un  autre  vil- 
lage. 

Dans  ce  village,  tout  étranger  qui  ne  peut 
dire  en  quel  endroit  se  trouve  l’esprit  du  roi 
est  mis  à mort. 

Au  puits,  le  voyageur  trouva  la  fille  du  roi, 
elle  lui  dit  : 

— « Etranger!  viens!  veux-tu  entrer  au  vil- 
lage? » 

— « Oui  »,  dit-il. 

— « Si  tu  ne  peux  dire  au  roi  en  quel  endroit 
est  son  esprit,  il  te  tuera.  » 

— « J’ignore  cet  endroit.  » 


— « Je  te  l’apprendrai  mais,  si  tu  3e  dis,  le  roi 
mourra.  Comme  le  roi  est  mon  père,  m’épouse- 
ras-tu quand  il  sera  mort?  » 

— « Oui  »,  dit-il . 

— « Eh  bien!  dit- elle,  l’esprit  de  mon  père 
est  dans  une  petite  boite  qui  est  dans  une 
petite  peau  de  bouc,  qui  est  dans  une  petite 
marmite,  qui  est  dans  une  grande  marmite.  » 

— « C’est  bien.  » 

Il  entre  dans  le  village.  Les  gardes  le  voient 
et  préviennent  le  roi,  qui  l’envoie  chercher. 
L’étranger  vient  et  le  roi  lui  dit  : 

— « Connais- tu  la  coutume  de  ce  village?  » 

— « Non  ! » 

— « C’est  que  si  tu  ne  peux  dire  l’endroit 
où  se  trouve  mon  esprit  je  te  ferai  mettre  à 
mort.  » 

— « Je  le  sais.  Je  vais  le  dire.  » 

— « Parle.  » 

— « Ton  esprit  est  dans  une  petite  boîte,  qui 
est  dans  une  petite  peau  de  bouc,  qui  est  dans 
une  petite  marmite,  qui  est  dans  une  grande 
marmite.  » 

Le  roi  est  mort. 

On  dit  : qui  va  prendre  la  place  du  roi? 

La  fillette  dit  : « J’épouserai  cet  homme  et 
prendra  la  place  du  roi.  » 


i 55  — 


Elle  l’a  épousé.  Il  est  devenu  roi  et,  quand 
ses  trois  femmes  ont  été  sur  le  point  d’enfanter, 
un  marabout  lui  a fait  un  papier  pour  celle  de 
ses  lemmes  qu’il  aime  le  mieux. 

Il  n’a  pu  donner  le  papier  à aucune. 


HISTOIRES  DE  FEMMES. 

(Conte  soninké). 

Un  roi  avait  un  ami  qu’il  affectionnait  tout 
particulièrement. 

Cet  ami  le  quitta,  un  jour,  pour  aller  s’ins- 
truire auprès  d’un  marabout  très  renommé. 

Le  marabout  apprit  au  jeune  homme  tout  ce 
que  contiennent  les  livres  et,  pour  terminer 
son  enseignement,  le  mit  en  garde  contre  la 
malice  des  femmes  en  lui  racontant,  sur  ce 
sujet,  les  histoires  les  plus  piquantes. 

Enfin,  quand  le  marabout  jugea  son  élève 
suffisamment  instruit,  il  le  renvoya  à la  cour 
du  roi  : celui-ci  le  revit  avec  le  plus  grand 
plaisir;  il  le  reçut,  dans  sa  chambre,  en  pré- 
sence de  sa  femme  favorite,  et  le  questionna 


— 1 56  — 


tant  sur  les  mérites  du  marabout  que  sur  la 
science  qu’il  en  avait  acquise. 

Le  jeune  homme  s’expliqua  longuement  et, 
après  avoir  passé  en  revue  tout  ce  qui  est  con- 
tenu dans  les  livres,  il  s’appesantit  tout  particu- 
lièrement sur  le  chapitre  des  femmes,  comme 
pour  persuader  le  roi  qu’il  était  maintenant 
armé  pour  déjouer  les  intrigues,  les  mieux 
ourdies,  du  beau  sexe. 

La  femme  présente  à l’entretien  ne  souffla 
mot,  mais  écouta  avidemment,  tout  en  ayant 
l’air  de  ne  prêter  aucune  attention  à de  si 
beaux  discours. 

A un  moment,  le  roi  se  leva  et  sortit,  pour 
s’assurer  que  l’on  préparait  tout  pour  faire  une 
belle  réception  à son  ami. 

Dès  le  roi  parti,  la  jeune  femme  commença  à 
évoluer  autour  du  jeune  homme  : elle  se  dévê- 
tit en  partie,  comme  si  elle  se  souciait  peu  de 
sa  présence;  laissa  entrevoir  des  détails  fort 
suggestifs,  se  parfuma,  essaya  des  bijoux  et  des 
vêtements;  si  bien,  enfin,  que  le  jeune  homme, 
pris  à cette  mimique,  ne  la  quittait  plus  des 
yeux. 

Quand  elle  fut  sûre  de  son  effet,  elle  s’assit 
languissamment  auprès  de  lui,  et  les  parfums, 
qui  émanaient  d’elle,  achevèrent  de  le  griser. 


— i57  — 


Il  lui  prit  les  mains,  lui  tint  des  propos  galants 
et  s'excita  si  fort  à ces  lutineries  que,  tout  à 
coup,  dans  le  transport  de  la  passion,  il  la  ren- 
versa sur  la  couche  royale,  au  bord  de  laquelle 
ils  s’étaient  assis. 

Elle  se  pâmait  délicieusement  dans  ses  bras, 
quand,  soudain,  elle  l’étreignit  vigoureusement 
et  se  mit  à crier  comme  pour  appeler  au 
secours. 

Aussitôt,  l’on  entendit  les  pas  précipités  des 
gens  qui  accouraient. 

Prestement  elle  se  dégagea,  renversa  le  jeune 
homme  sur  la  couche  et,  profitant  de  son  ahu- 
rissement, lui  mit,  dans  la  bouche,  une  poi- 
gnée de  couscous,  puis  alla  s’asseoir  tranquil- 
lement dans  un  coin.  Le  roi  entra  et  demanda  : 
« Que  se  passe-t-il  donc?  » 

— « Oh  ! dit  la  femme,  c’est  votre  ami  qui,  très 
« affamé  sans  doute,  a gloutonnement  avalé  le 
« couscous  que  vous  aviez  laissé,  si  bien  qu’il 
« s’étouffe  etce  sont  ses  cris  dedouleur  que  vous 
« avez  entendus;  j’ai  essayé,  mais  en  vain,  de  le 
« soulager,  en  le  frappant  au  bas  de  la  nuque.  » 

Le  roi  s’approcha  du  lit  et,  voyant  son  ami 
tout  congestionné,  les  habits  en  désordre  et  du 
couscous  encore  aux  lèvres,  il  ne  douta  point 
du  récit  de  sa  femme  et  se  contenta  de  hausser 


1 58  - 


dédaigneusement  les  épaules,  pour  marquer 
tout  le  mépris  que  lui  inspirait  cet  homme,  qui 
prétendait  avoir  acquis  tant  de  sagesse  et  se 
conduisait  avec  si  peu  de  raison.  Puis  il  sortit. 

Alors  la  femme  s’approchant  du  jeune  homme 
lui  dit  : « Voilà  bien  une  histoire  que  vous 
« pourrez  apprendre  à votre  marabout,  qui 
« vous  en  a conté  tant  d’autres.  » Et  elle  rit. 


* 

L’ENFANT  DU  MAL. 

(Conte  khassonké). 

Un  homme  avait  trois  fils,  qui  partirent  un 
jour  à la  chasse.  Or,  à cette  époque,  la  chasse 
était  une  pérégrination  qui  durait  parfois  fort 
longtemps.  En  l’absence  des  jeunes  gens,  leur 
mère  mit  au  monde  un  garçon  qui,  véritable 
prodige,  marcha,  parla,  fit  tout  comme  un 
homme,  dès  le  premier  jour  de  sa  naissance. 
Quand  il  sut  que  ses  frères  étaient  à la  chasse, 
il  voulut  y aller  et  demanda  un  arc. 

On  lui  fît  un  arc  en  bois,  comme  ceux  dont 
les  enfants  se  servent  ordinairement,  mais  il  le 


— 1 59  — 


brisa  la  première  fois  qu’il  s’en  servit;  on  lui 
donna  un  arc  d’homme,  il  le  mit  en  pièces  ; seul 
un  arc  en  fer  résista  et  l’enfant  partit  après 
s’être  abondamment  pourvu  de  flèches. 

Quand  il  eut  rejoint  ses  frères,  il  leur  dit  : 

— x Je  suis  votre  frère  et  je  viens  chasser 
avec  vous.  » 

— « C’est  bien,  lui  dirent-ils,  mais  n’oublie  pas 
que,  pour  que  notre  chasse  soit  fructueuse,  il 
faut  respecter  les  antilopes  rousses  ou  noires; 
seules,  les  antilopes  blanches  ou  grises  peuvent 
être  tuées. 

L’enfant  ne  répondit  point,  mais,  quand  il 
rencontra  un  coba  roux,  il  le  tua  et  un  coba 
blanc  eut  le  même  sort. 

Le  châtiment  ne  se  fit  point  attendre  : la  nuit 
soudain  se  fit  autour  des  chasseurs,  qui  fail- 
lirent être  la  proie  des  fauves. 

Quand  le  jour  reparut,  ils  se  mirent  en  mar- 
che et,  dans  une  clairière,  ils  trouvèrent  une 
lionne  qui  allaitait  ses  trois  lionceaux. 

L’enfant  dit  à lionne  : «Nous  sommes  venus 
« te  complimenter  sur  l’heureuse  issue  de  tes 
« couches  ».  Très  flattée,  la  lionne  offrit  aux 
jeunes  gens  de  les  conduire  à la  chasse  et  dit  à 
l’enfant  : « Tu  resteras  ici  pour  garder  mes 
« petits  et  jouer  avec  eux  ». 


Après  le  départ  de  ses  frères  et  de  la  lionne, 
l’enfant  étrangla  un  des  lionceaux  et  porta  les 
deux  autres  dans  un  endroit  obscur. 

Quand  la  lionne  fut  de  retour,  elle  demanda 
ses  petits  pour  les  allaiter.  L’enfant  en  apporta 
un,  puis  un  autre  et,  quand  ils  furent  rassasiés, 
ils  les  reporta  dans  l’endroit  obscur.  Là,  il  tor- 
dit le  cou  à l’un,  pour  lui  faire  rendre  le  lait 
qu’il  avait  absorbé,  puis  le  redonna  à la  lionne 
qu’il  téta  de  nouveau.  En  sorte  que  la  bête 
pensa  que  c’était  son  troisième  fils. 

La  lionne  repartit  à la  chasse  avec  les  jeunes 
gens  et  l’enfant  étrangla  encore  un  des  lion- 
ceaux. Quand  la  lionne  revint,  il  la  berna  par  le 
même  stratagème  que  la  première  fois. 

La  lionne  engagea  les  jeunes  gens  pour  une 
troisième  partie  de  chasse.  Alors,  l’enfant  pré- 
vint ses  frères  de  ce  qu’il  avait  fait  et  leur  dit  : 
« Si  vous  partez,  la  lionne  ne  trouvera  plus, 
« au  retour,  que  trois  cadavres  et  elle  vous 
« tuera.  » 

Les  jeunes  gens  prétextèrent  une  grande 
fatigue  et  la  lionne  partit  seule.  L’enfant  étran- 
gla le  troisième  lionceau  et  s’enfuit  avec  ses 
frères. 

Quand  la  lionne  trouva  les  cadavres  de  ses 
petits,  elle  entra  dans  une  grande  fureur  et  se 


— 1 6 1 — 


lança  à la  poursuite  des  fugitifs.  Elle  les  aper- 
çut, enfin,  à l’extrémité  d’une  grande  plaine  et 
eut  vite  fait  de  se  rapprocher  d’eux;  mais,  au 
moment  où  elle  allait  les  atteindre,  un  aigle 
immense  mit  l’enfant  sous  une  de  ses  ailes,  les 
trois  jeunes  gens  sous  l’autre  et  disparut  avec 
eux. 

Quand  ils  furent  assez  loin  pour  n’avoir  plus 
rien  à craindre  de  la  lionne,  l’enfant  s’écria 
soudain  : « Cet  aigle  pue  comme  une  charogne, 
« je  veux  m’en  aller  de  là.  » 

— Mais,  dirent  ses  frères,  nous  ne  sentons 
pas  cela  ici.  Viens  avec  nous.  » 

Quand  il  y fut,  il  persista  dans  son  opinion 
et  brusquement  il  cassa  l’aile  protectrice  de 
l’aigle  : tous  tombèrent  à terre  sans  se  faire  de 
mal. 

Les  trois  frères,  indignés  de  la  conduite  de 
l’enfant,  lui  dirent:  « Nous  ne  voulons  plus 
« rester  avec  toi,  tu  ne  fais  que  ce  que  l’on  te 
« défend  ou  ce  qui  est  mal.  Va  seul  où  tu 
« voudras.» 

Sur  sa  route,  l’enfant  trouva  une  vieille 
femme  qui  semait  de  l’indigo;  il  s’approcha 
d’elle  et  lui  offrit  ses  services  avec  tant  de  gen- 
tillesse que  la  bonne  femme  les  accepta.  Elle  le 
laissa  bientôt  travailler  seul,  tant  il  fàisait  bien, 


— I Ô2  — 


et,  charmée  de  ses  bons  procédés,  elle  rentra 
dans  sa  case  pour  lui  préparer  des  galettes  de 
mil  et  de  miel.  Aussitôt  qu’elle  eut  disparu, 
l’enfant  sortit  les  graines  de  la  terre,  arracha 
tous  les  pieds  d’indigo,  laissa  seulement  les 
mauvaises  herbes  et  rentra  dans  la  case. 

La  vieille  était  occupée  à tourner  la  pâte,  dans 
une  marmite,  sur  le  feu.  Quand  la  pâte  fut  à 
point,  la  vieille  posa  la  marmite  à terre;  alors, 
l’enfant,  profitant  de  ce  qu’elle  était  baissée,  la 
saisit  par  le  cou,  lui  plongea  la  tête  dans  la 
pâte  et  se  sauva. 

Il  arriva  dans  un  champ  que  des  captives  cul- 
tivaient. Des  enfants  jouaient  à l’écart  et,  près 
d’un  feu,  gisaient  deux  lièvres,  tués  par  les 
captifs,  pour  servir  au  repas  de  tous. 

L’enfant  s’approcha  des  petits  et  joua  avec 
eux  sans  éveiller  la  méfiance  des  mères.  L’une 
de  celles-ci  donna  à sa  fillette  l’ordre  de  dépecer 
les  lièvres  et  de  les  faire  rôtir  : les  autres  appor- 
tèrent du  bois. 

L’enfant  saisit  deux  des  petits,  les  étrangla, 
les  plaça  sur  le  feu  et  cria  aux  femmes  « Venez 
« vite  tourner  vos  lièvres  qui  se  brûlent.  » Et 
il  se  sauva. 

Il  arriva  chez  un  forgeron. 

Celui-ci,  qui  était  seul,  manœuvrait  lui-même 


1 63  — 


le  soufflet,  en  sorte  qu’à  tout  faire  il  produisait 
peu.  L’enfant  lui  offrit  ses  services  qu’il  accepta. 
Il  s’acquitta  si  bien  de  sa  tâche,  que,  ce  jour- 
là,  le  forgeron  fit  trois  fois  plus  d’ouvrage  qu’à 
l’ordinaire.  Aussi,  le  lendemain,  fatigué  par  ce 
labeur  extraordinaire,  l’ouvrier,  contrairement 
à sonhabitude,  s’endormit  àl’heurede  la  sieste. 

L’enfant,  voyant  son  maître  plongé  dans  un 
profond  sommeil,  manoeuvra  doucement  le 
soufflet,  ranima  le  feu  mourant  et  fit  rougir  une 
lame  de  fer  qu’il  plaça  sur  le  scrotum  du  for- 
geron, puis  se  sauva. 

L’ouvrier  se  soigna,  guérit  et  jura  de  retrou- 
ver le  maudit  enfant,  dont  il  se  promettait  de 
tirer  une  terrible  vengeance. 

Il  prépara  un  couscous  au  miel,  le  mit  dans 
une  peau  de  bouc  et  s’en  alla  dans  les  villages 
des  alentours.  Il  s’approchait  des  attroupe- 
ments d’enfants  et  demandait:  « Je  voudrais 
« connaître  le  plus  méchant  d’entre  vous,  pour 
« lui  donner  ce  bon  couscous  au  miel.  » Et 
chaque  enfant  débitait,  à qui  mieux  mieux,  la 
longue  suite  des  polissonneries,  ordinaires  à cet 
âge.  Mais  ce  n’était  pas  ce  que  cherchait  le 
forgeron. 

Enfin,  un  jour,  quand  il  eut  posé  sa  question 
et  que  bon  nombre  de  gamins  eurent  vidé  leur 


IO 


— iÔ4  — 


sac,  un  enfant  se  présenta  et  dit  ironiquement  : 
« Moi,  j’ai  mieux  fait  que  tous  ceux-là.  J’ai 
« toujours  fait  le  mal;  à la  chasse  j’ai  tué  les 
« antilopes  rousses  et  noires  ; j’ai  étranglé  les 
« petits  de  la  lionne,  qui  m’avait  bien  traité; 
« j’ai  tué  la  vieille,  qui  me  préparait  des  frian- 
« dises;  j’ai  brûlé  vifs  d’innocents  petits  cama- 
« rades;  j’ai  fait  avec  un  fer  rouge  une  terrible 
« blessure  au  forgeron  mon  maître». 

A ces  mots  le  forgeron  le  saisit  en  disant  : 
« C’est  pour  toi,  mon  couscous  au  miel  »,  et  il 
le  plongea  dans  sa  peau  de  bouc  qu’il  ficela. 

Rentré  chez  lui,  le  forgeron  pendit  la  peau  de 
bouc  à la  paroi  de  sa  case,  puis  sortit  et,  devant 
sa  porte,  fit  un  grand  trou  dans  lequel  il 
entassa  du  bois  et  de  la  paille. 

Le  forgeron  avait  deux  fillettes,  qui  n’étaient 
pas  là  quand  il  avait  apporté  la  peau  de  bouc. 
Or,  pendant  qu’il  préparait  le  bûcher,  ses  deux 
fillettes  entrèrent  dans  la  case  et,  s’étant  appro- 
chées de  la  peau  de  bouc,  elles  remarquèrent 
un  liquide  qui  suintait.  Elles  le  goûtèrent  et 
reconnurent  le  miel  : « Tiens  ! dit  l’une,  notre 
« père  garde  comme  cela  du  bon  couscous  au 
« miel  sans  nous  prévenir?  » De  la  peau  de  bouc 
une  voix  dit  : « Si  vous  m’ouvrez  vous  trouverez 
« des  friandises  plus  agréables  encore  que  celles 


1 65 


((.  que  vous  supposez.  » La  tentation  fut  si 
grande,  que  les  fillettes  décrochèrent  la  peau 
de  bouc  et  l’ouvrirent. 

L’Enfant  du  Mal  en  sortit  et,  sans  perdre  de 
temps,  mit  les  fillettes  à sa  place,  ferma  la  peau 
de  bouc,  la  suspendit  et  sortit. 

Le  forgeron,  ayant  mis  le  feu  à son  bûcher, 
vint  chercher  la  peau  de  bouc  et,  entendant  à 
l’intérieur  deux  mignonnes  voix  qu’il  crutrecon- 
naître  pour  celles  de  ses  fillettes,  il  s’écria  : 
« Oui,  oui,  fils  du  diable,  tu  peux  te  dédoubler 
« si  tu  veux,  tu  brûleras  tout  aussi  bien.  » 

Puis  il  jeta  la  peau  de  bouc  dans  le  feu.  Au 
bout  d’un  instant,  la  peau  éclata  et  il  aperçut 
ses  deux  fillettes  que  les  flammes  dévorèrent 
tout  aussitôt. 

Un  rire  clair  d’enfant  répondit  à ses  cris  de 
désespoir  et  il  aperçut  l’Enfant  du  Mal  qui  fit 
un  bond  en  l’air,  frappa  ses  pieds  l’un  contre 
l’autre  et  disparut. 


4^  4?  4^  <$>  <$>  4^  # 4^  #>  4? 

4?  4^  4^  4?  4?  4?  4^  4 f>  # 4? 


NOTE 


Nous  avons  dit,  dans  l’introduction  de  ce 
livre,  que  la  religion  musulmane  s’insinue  fort 
habilement  dans  la  littérature  indigène  ; au 
point  même,  qu’en  maintes  localités,  elle  est, 
semble-t-il,  sa  seule  raison  d’être.  C’est  pour- 
quoi il  nous  a paru  intéressant  de  réunir,  dans 
un  chapitre  séparé,  des  récits,  qui  ont  leur 
source  certaine  dans  les  histoires  bibliques  et 
qui  permettent  de  prendre  sur  le  fait,  pour  ainsi 
dire,  le  travail  d’islamisation  des  « marabouts  ». 

Comme  il  n’entre  pas  dans  le  cadre  de  cet 
ouvrage  de  discuter  ces  procédés,  nous  nous 
bornons  à reproduire  ces  textes,  pour  montrer 
quelles  voies  analogues  la  civilisation  euro- 
péenne doit  emprunter  afin  de  dominer  peu  à 
peu  l’esprit,  essentiellement  routinier,  du  noir. 

Trop  souvent,  nous  oublions  que  nous  avons 


derrière  nous  des  siècles  de  civilisation  et 
que,  par  suite,  ce  qui,  de  prime  abord,  est 
de  facile  compréhension  pour  nous,  est  abso- 
lument inintelligible  pour  le  noir.  Nos  prin- 
cipes moraux  ou  philosophiques  dépassent  son 
niveau  intellectuel  : c’est  donc  faire  fausse  route 
que  vouloir  les  lui  inculquer  présentement.  Sa 
rébellion  contre  nos  innovations  n’est  pas  rai- 
sonnée, elle  est  impulsive  : c’est  tout  un  passé 
qui  se  raidit  et  souvent  se  révolte  contre  un 
avenir  inconnu. 

On  a écrit  que  l’islamisme  trouve,  au  Sou- 
dan, un  terrain  particulièrement  propice  à son 
développement.  C’est  vrai,  et  l’une  des  princi- 
pales raisons,  c’est  que  l’islamisme  — dont  la 
doctrine  est  dans  son  intégralité  bien  au-dessus 
de  l’état  intellectuel  des  Soudanais  — - se  trouve 
très  heureusement  mis  au  niveau  de  cet  état 
intellectuel  par  des  prêtres,  eux-mêmes  indigè- 
nes. Les  « marabouts  »,  comme  nous  appelons 
ces  prêtres,  connaissent  parfaitement  tous  les 
ressorts  de  l’àme  soudanaise  et  savent  très  habi- 
lement les  mettre  en  mouvement,  pour  le  plus 
grand  profit  de  leur  cause. 

Quant  au  catholicisme,  il  se  présente  avec  des 
exigences  inconciliables  avec  les  usages  locaux, 
ainsi  : le  célibat  des  prêtres,  l'abolition  du 


1 68  — 


concubinat,  de  la  servitude Quels  noirs, 

dans  la  classe  moyenne  ou  dirigeante,  accepte- 
raient se  soumettre  à des  pratiques  incompré- 
hensibles pour  les  indigènes  et  qu’ils  considè- 
rent, en  tout  cas,  comme  contraires  à leurs 
intérêts  et  à leur  bien-être. 

Partant,  le  catholicisme  ne  peut  compter 
comme  adeptes  que  des  esclaves  ou  des  misé- 
reux, et  ses  doctrines,  enseignées  par  des 
étrangers,  ne  peuvent  pas  être  assimilées  par  les 
Soudanais. 

La  meilleure  preuve,  c’est  que  le  noir  élevé 
chrétiennement  devient,  le  plus  souvent,  mu- 
sulman à l’âge  mûr  et,  alors,  est  fréquemment  un 
fanatique.  C’est,  là,  comme  la  réaction  suprême 
de  son  être  contre  une  soumission  inconcilia- 
ble, semble-t-il,  avec  le  milieu  et  avec  la  nature 
même  de  l’individu. 

Notre  but  en  publiant  ce  qui  suit  a été,  sim- 
plement, de  montrer  que  tout  ce  qui  s’adresse 
à l’intelligence  doit  être  canalisé  de  certaine 
façon,  pour  être  utilement  enseigné  au  noir,  et 
qu’en  particulier,  les  procédés  des  marabouts, 
attentivement  étudiés,  peuvent  être  des  guides 
précieux,  pour  l’enseignement  des  choses  euro- 
péennes. 


LES  TRADITIONS 


Religieuses  Musulmanes 

CHEZ 

LES  SOUDANAIS 


Dieu  créa  d’abord  Mahomet;  puis,  mille  ans 
après,  une  sorte  de  Paradis  nommé  l’Arès;  puis, 
mille  ans  après,  Koursiou  ; puis,  mille  ans 
après,  Micael  (Michel)  ; puis,  mille  ans  après,  Si- 
raphin  (Séraphin);  puis,  mille  ans  après,  Dji- 
bril,  (Gabriel);  mille  ans  après,  les  Anges; 
mille  ans  après,  le  Ciel;  enfin,  mille  ans  après, 
la  Terre. 

Entre  le  Ciel  et  la  Terre,  Il  laissa,  pendant 
mille  ans,  une  épaisse  fumée,  qui  fut  remplacée 


I70 


par  un  brouillard  très  dense,  qui,  à son  tour, 
dégénéra  en  eau. 

De  cette  eau,  Dieu  fit  le  monde  en  sept 
jours  ; 

Le  premier  jour,  Il  créa  les  diables  et  les 
sept  terres  qui  se  nomment  : Hatissou  (c’est 
celle  que  nous  habitons);  Batjissou;  Saïou; 
Madou;  Taboutou;  Haminou;  Sara. 

Le  second  jour,  Il  créa  les  Anges  et  les  sept 
cieux  qui  se  nomment:  Kaïssou;  Maoul;  Mour- 
salou  ; Matilou;  Harfou;  Karfatou. 

Le  quatrième,  tous  les  quadrupèdes  et  tous 
les  biens  que  l’on  peut  posséder  sur  la  terre. 

Le  cinquième,  les  fleuves  et  les  animaux  qui 
y vivent. 

Le  sixième,  les  personnes  et  les  oiseaux. 

Le  septième,  Il  se  reposa. 

Quand  la  terre  fut  faite,  Dieu  en  pétrit  une 
certaine  quantité  qu’il  inonda  de  lumière.  Les 
Anges  regardaient  cette  glaise,  informe  et  lumi- 
neuse, avec  stupéfaction. 

A cette  masse,  Dieu  fit  des  bras  et  des  jambes 
une  tête  et  enfin  donna  la  vie.  Ce  fut  Adama 
(Adam). 

Adama  resta  aveugle  pendant  cent  ans  ; après 
lesquels  Dieu  créa  Awa  (Eve),  avec  la  dernière 
fausse  côte  de  gauche  d’Adam  endormi, 


Adama  et  Awa  furent  placés  tout  en  haut 
du  paradis,  en  un  lieu  où  poussait  l’arbre 
iakhouba  dont  Dieu  leur  défendit  de  manger 
les  fruits  1 sous  peine  de  mort. 

Un  jour,  Awa  se  promenait  seule.  Le  dé- 
mon s’approcha  d’elle  et  lui  dit  : « Te  voilà 
« seule,  maintenant.  Adama  est,  sans  doute, 
« avec  sa  nouvelle  compagne!  » 

— « Quelle  nouvelle  compagne  »,  s’exclama 
Awa,  surprise. 

— « Comment,  tu  ne  sais  pas  qu’ Adama  a 
« une  nouvelle  compagne?  » 

— « Non  »,  dit-elle,  troublée. 

Alors,  Satan  urina  et,  désignant  le  miroir 
ainsi  improvisé  : « Tiens,  dit-il,  à Awa,  regarde 
« là  et  tu  verras  le  visage  de  ta  rivale  ». 
Awa  contempla  curieusement  celle  qu’elle 
crut  être  sa  rivale  et  qui  n’était  que  sa  pro- 
pre image.  Satan,  peu  à peu,  excitait  sa  ja- 
lousie : « Ah!  disait-il,  comment  souffres-tu 

i.  Les  Khassonké  pensent  que  l’arbre  en  question 
est  celui  qu’ils  connaissent  sous  le  nom  de  mén- 
kogo.  Ils  prétendent  que  les  fruits  du  ménkogo 
existent  encore,  dans  l’intestin,  quarante  jours  après 
leur  ingestion  et  que,  lorsqu’on  meurt  dans  cet  état, 
l’on  va  en  enfer. 


— 172  — 

« qu’il  te  délaisse  ainsi?  pourquoi  ne  pas  t? 
« venger?  » 

— « Et  comment?  » fit-elle  rêveuse. 

— .<  Mais,  n’est-ce  pas,  là,  l’arbre  dont  Dieui 
« vous  a interdit  de  manger  les  fruits?» 

— « Si  »,  dit-elle. 

— « Alors  transgresse  cet  ordre  et  Adama  et 
« ta  rivale  sont  perdus.  » 

Ainsi  fit-elle,  mais  à peine  eut-elle  goûté  du 
fruit  défendu  que,  subitement,  elle  eut  ses  pre- 
mières menstrues,  qui  vinrent  souiller  le  Para- 
dis. 

Adama  survint  et,  la  voyant  boudeuse,  lui 
demanda  ce  qui  la  chagrinait.  Sûre  de  son 
effet,  elle  se  répandit  en  amers  reproches  sur 
son  infidélité  et  ajouta  que,  pour  le  punir,  elle 
n’avait  pas  hésité  à transgresser  l’ordre  de 
Dieu. 

Adama,  tout  en  se  défendant  d’avoir  une 
autre  femme,  fut  pris  de  l’irrésistible  désir  de 
goûter  au  fruit  défendu,  mais  à peine  l’eut-il 
avalé  que  la  main  de  l’Ange  Djibril  l’arrêta 
dans  sa  gorge. 

Pour  avoir  désobéi,  Adama  et  Awa  furent 
jetés  sur  l’aile  des  vents,  et  le  sang  d’Awa,  qui 
avait  souillé  le  Paradis,  devint,  sur  la  terre, 
la  semence  première  des  colatiers.  C’est 


— i73  — 

pourquoi  les  colas  sont  répute's  avoir  des  ver- 
tus aphrodisiaques  et  sont,  pour  cela  même,  si 
recherchés  des  noirs. 

J Adama  tomba  dans  l’Indi  (l’Inde?)  au  nord 
de  la  Maka  (la  Mecque)  et  Awa  vers  Ba- 
byal  (Babylone),  pays  du  païen  Nabuchodo- 
;tjaosor. 

Adama  resta  au  lieu  même  où  il  tomba  et 
_ demanda  pardon  à Dieu.  Aussitôt  sur  la  terre 
».  *V\va  se  mit  à la  recherche  d’Adama.  Elle  erra 
quatre-vingts  jours,  suivant  les  uns;  quatre- 
vingts  mois  ou  quatre-vingts  ans,  d’après  d’au- 
: :res;  puis,  quand  elle  fut  en  vue  d’Adama,  elle 
3 l’assit  en  lui  tournant  le  dos. 

Adama  l’aperçut  à son  tour  et,  Dieu  lui 
le  tyant  mis  au  cœur  l’amour  de  la  femme,  il  cou- 
le -ut  vers  elle  pour  la  posséder.  Mais,  soudain, 
me  main  invisible  l’arrêta  et  une  voix  lui  dit  : 
ie  < Reconnais  tout  d’abord  la  toute  puissance  de 
]e I * Dieu  en  disant  dix  fois  : Dieu  a fait  la  prière 
-il  f<  pour  Mahomet.  Que  Dieu  protège  notre  maî- 
:i  h tre  et  sa  famille.  » 

Adama  fit  ce  que  commandait  l’invisible  et 
it  \wa  fut  sienne. 

si  De  cette  union  naquirent,  en  trois  ou  quatre 
ms,  quarante  enfants.  Ils  venaient  au  monde, 

■ deux  par  deux,  un  garçon  et  une  fille  chaque 


— i74  - 


fois.  Le  premier  garçon  fut  Abila  (Abel)  et  le 
second  Gabila  (Caïn). 

Comme  la  sœur  jumelle  de  Gabila  était  plus 
belle  que  la  sœur  jumelle  d’Abila,  Gabila  vou- 
lut l’épouser,  malgré  que  les  unions  dussent  se 
faire  entre  enfants  d’âges  différents. 

Abila  et  Gabila  en  vinrent  ainsi  à se  querel- 
ler si  gravement  que  Gabila  tua  Abila.  Son 
crime  accompli,  Gabila  s’approcha  de  son 
frère  dont  il  ne  s’expliquait  pas  l’immobilité, 
car  il  n’avait  jamais  vu  de  cadavre. 

Soudain,  apparurent  deux  toucans,  qui 
n’étaient  autres  que  les  anges  Djibril  et  Sira- 
phin.  Arrivés  près  de  Gabila,  les  deux  oiseaux 
se  battirent,  l’un  fut  tué.  Alors,  l’autre  creusa, 
avec  son  bec,  un  trou  où  il  l’ensevelit. 

Gabila,  qui  avait  suivi  tout  cela  très  attenti- 
vement, en  fut  frappé  comme  d’une  révélation 
céleste  et  enterra  son  frère. 

Depuis  lors,  il  est  fait  trois  parts  du  crime  de 
tout  assassin  : l’une  est  ajoutée  au  compte  de 
Gabila. 

. De  son  vivant,  Adama  eut  une  famille  qui 
comptait  quarante  mille  individus. 

Adama  vécut  de  neuf  cents  à mille  ans,  ei 
mourut  d’un  rhume  de  cerveau.  Il  fut  enterré 
par  les  Anges,  qui  entourèrent  son  corps  de  sept 


— i75 


pagnes  blancs,  après  l’avoir  préalablement  lavé. 
Le  fossé,  où  il  fut  inhumé,  fut  simplement 
recouvert  de  quelques  branchages  et,  dans  la 
nuit,  Adama  fut  transporté  aux  cieux. 

Ce  tombeau  se  trouve  à Samé  (Arabie),  c’est 
là  que  nous  devrons  tous  nous  réunir  pour  le 
jugement  dernier. 

Awa  mourut  peu  après  Adama  et  fut  inhu- 
mée à Djedda,  mais  ne  fut  entourée  que  de 
trois  pagnes  blancs. 

Ce  fut  Sita  qui  succéda  à Adama,  car  Gabila 
était  mort. 

Sita  régna  cinq  cents  ans  et  fut  remplacé  par 
Nouhoun  (Noé)  qui  vécut  mille  ans  et  eut  pour 
fils  : 

Sama  père  des  arabes,  des  faressi  (français?) 
et  des  roussi  (russes?) 

Hama,  père  des  noirs,  des  turcs  et  des  arabes. 
Iafissa  père  de  Iadjoudj  (Gog)  et  Madjoudj 
(Magog). 

Dieu  prévint  Nouhoun,  qu’il  allait  y avoir 
une  immense  inondation,  pour  punir  les  hom- 
mes, et  lui  ordonna  de  construire  un  grand 
bateau  pour  se  sauver,  lui  et  sa  famille. 

Nouhoun  construisit  l’arche.  Elle  mesurait  : 
douze  cents  coudées  de  long,  six  cents  cou- 
dées de  large  et  trois  mille  de  haut.  Noé  y fit 

1 1 


— 176  — 


entrer  : quarante  hommes  et  quarante  femmes; 
ses  fils  Sama,  Hama,  Jafissa  et  un  couple  de 
toutes  les  sortes  d’animaux. 

Noé  avait  aussi  emporté  toutes  les  sortes  de 
comestibles  et  l’on  fit  usage,  d’abord,  de  ceux 
qui  étaient  particulièrement  susceptibles  de  se 
corrompre. 

L’arche  avait  trois  ponts  : celui  du  haut  por- 
tait les  oiseaux;  celui  du  milieu  les  hommes  et 
celui  du  bas  tous  les  autres  animaux  et  les  den- 
rées alimentaires. 

L’inondation  avait  commencé  le  27e  jour  de 
redjeb  et  prit  fin  le  io°  jour  de  rhamadan. 
Quand  l’arche  eut  touché  la  terre,  Nouhoun  fit 
faire  un  dernier  repas  à ses  passagers,  avec  tous 
les  vivres  qui  restaient. 

Nouhoun  vécut  encore  cent  trente  ans,  après 
la  fin  du  déluge. 

Entre  Nouhoun  et  Birahim  il  s’écoula 
io52  ans;  entre  Biranim  (Abraham)  et  Moussa 
10/5;  entre  Moussa  (Moïse)  et  Daoud  (David) 
5qo  ans;  entre  Daoud  et  Issa  (Jésus)  599  ans; 
entre  Issa  et  Mohammed  101 1 ans. 


* 


Le  dixième  jour  du  mois  de  rhamadan  a 
toujours  été  un  heureux  jour  pour  les  pro- 
phètes, ainsi  : 

I.  — Ce  fut  le  io°  jour  d erhamadan  qu’Ada- 
ma  obtint  de  Dieu  le  pardon  de  sa  faute; 

II.  — Ce  fut  ce  jour  là  que  Nouhou  toucha 
terre. 

III.  — Qu’Abraham  fut  sauvé  des  flammes. 
Voici  à quelle  occasion  : Abraham  fut  vaincu 
par  Nabuchodonosor  (?)  avec  lequel  il  était  en 
guerre;  Nabuchodonosor  fit  allumer  un  grand 
bûcher  et,  à l’aide  d’une  fronde,  un  habile  guer- 
rier lança  Abraham  au  milieu  des  flammes. 
Mais  Dieu  envoya  Djibril  (Gabriel)  qui  reçut 
Abraham  sur  un  des  sièges  d’or  du  Paradis  et 
l’arracha  ainsi  aux  atteintes  du  feu. 

IV.  — Jonas  fut  sauvé  des  cinq  obscurités, 
où  il  était  plongé.  Voici  comment. 

Jonas  était  en  désaccord  avec  son  peuple  et 
dut  s’enfuir  pour  échapper  à une  mort  cer- 
taine. Sur  sa  route,  il  rencontra  une  rivière, 
dont  le  passeur  avait  un  moyen  de  reconnaître 
les  passagers  déserteurs,  en  les  obligeant  à tirer 
au  sort.  Trois  fois,  le  sort  fut  défavorable  à 
Jonas,  qui  fut,  alors,  jeté  à l’eau,  ainsi  que  le 
voulait  la  coutume. 


- i78  - 


Jonas  fut  avalé  par  un  poisson  nommé  kan- 
dango  qui,  à son  tour,  fut  dévoré  par  un  autre 
poisson  appelé  baporo,  qui  fut  la  proie  d’un 
caïman,  lequel  fut  englouti  par  un  hippopo- 
tame. L’hippopotame  se  laissa  couler  au  fond 
de  la  rivière  et,  malgré  cette  quintuple  barrière, 
qui  le  séparait  de  l’air  libre,  Jonas  ne  mourut 
pas. 

Un  jour,  l’hippopotame  monta  sur  la  rive  et, 
prit  d’un  malaise  subit,  il  rejeta  le  caïman,  qui 
rejeta  le  baporo,  qui  rejeta  le  kandango,  qui 
rejeta  Jonas. 

Ce  jour  était  le  10e  de  rhamadan. 

V.  Moussa  et  les  douze  tribus  d’Israël  pas- 
sèrent la  mer  Rouge.  Poursuivis  par  le  Pha- 
raon, ils  arrivèrent  épuisés  au  bord  de  la  mer. 
Moussa  frappa  l’eau  de  son  bâton  et,  aussitôt, 
douze  routes  se  présentèrent. 

Le  Pharaon  s’y  engagea  à son  tour  et  fut 
englouti. 

VI.  — Issa  (Jésus)  monta  au  ciel  ce  jour-là, 
pendant  que  les  Juifs  martyrisaient  l’homme 
que  Dieu  avait  mis  à sa  place. 

VII.  — Mahomet  fut  sauvé  de  la  colère  de 
son  oncle  Abbadiahal,  qui  voulait  l’écraser  avec 
une  pierre.  Dieu  envoya  Djibril,  qui  fit  un  trou 
dans  la  pierre  et  y passa  la  tête  d’Abbadiahal 


1 79 


qui  mourut,  peu  après,  des  suites  de  ce  supplice. 

VIII.  — Salomon  retrouva  la  bague  miracu- 
leuse qu’il  avait  perdue. 

IX.  — Daoud  tua  Goliath. 


La  Circoncision . — Un  jour,  Djibril  dit  à 
Abraham  : « Dieu  t’ordonne  de  te  purifier.  » 
Aussitôt  Abraham  fit  les  ablutions  prescrites 
pour  la  prière;  mais  Djibril  lui  dit  : « Ce  n’est 
point  là  ce  que  Dieu  t’ordonne.  » 

Alors  Abraham  avisant  ses  ongles,  qui  étaient 
malpropres,  se  mit  à les  nettoyer,  mais,  quand 
il  eut  fini,  Djibril  dit  encore  : « Ce  n’est  point 
là  ce  que  Dieu  t’ordonne. 

Alors,  Abraham  s’épila  sousles  aisselles  ; mais 
Djibril  dit  encore  que  tel  n’était  pas  l’ordre  de 
Dieu. 

Abraham  s’épila  le  pubis,  puis  se  rasa  la 
moustache,  sans  plus  de  succès. 

Djibril  partit  alors  pour  aller  rendre  compte 
à Dieu  ; pendant  cette  courte  absence,  Abraham, 
soudainement  inspiré,  saisit  une  hache  et  se 
circoncit.  Mais,  tant  par  la  perte  de  s-ang  que 


— i8o  — 


par  la  douleur  qu’il  éprouva,  il  perdit  connais- 
sance. Djibril  le  rappela  à la  vie  et  lui  dit  : 
« Tu  as  bien  exécuté  l’ordre  de  Dieu,  mais  tu 
as  agi  trop  brutalement  ; à l’avenir,  voici  les 
instruments  dont  tu  te  serviras.  » Et  il  lui  pré- 
senta un  couteau  et  des  ciseaux. 

4 


L’Excision.  — - Ce  serait  aussi  au  temps 
d’Abraham  que  remonteraient  l’excision  et 
certains  tatouages  de  la  femme.  Voici  ce  que 
l’on  raconte  à ce  sujet. 

Entre  autres  concubines,  Abraham  avait  une 
négresse  qu’il  affectionnait  beaucoup.  Il  n’en 
fallut  pas  davantage  pour  éveiller  la  jalousie  de 
l’une  des  épouses  d’Abraham. 

Un  jour,  cette  femme  saisit  la  négresse  et  : 
i°  l’excisa,  c’est-à-dire  lui  supprima  le  clitoris; 
20  lui  fit  des  entailles  : au  front,  aux  joues,  aux 
pommettes;  3°  lui  perfora  le  lobe  de  l’oreille; 
4°  lui  tatoua  en  noir  la  lippe  et  les  gencives 

i.  Toutes  ces  mutilations  sont  pratiquées  de  nos 
jours  par  les  Soudanaises. 

4 


La  Tour  de  Babel.  — Jusqu’à  Nemroud 
(Nemrod),  un  des  descendants  de  Nouhoun 
(Noé),  tous  les  hommes  étaient  blancs  et  par- 
laient la  même  langue. 

Nemroud,  pour  se  battre  avec  le  maître  de 
Birahim  (Abraham),  résolut  d’élever  une  grande 
tour.  Il  la  construisit  dans  le  pays  de  Babyla  : 
elle  avait  25o  milles  1 de  haut  et  200  milles  à la 
base. 

La  tour  achevée,  tous  les  hommes  s’y  instal- 
lèrent. 

Le  septième  jour,  un  grand  ouragan  jeta  la 
tour  à bas  et  dispersa  les  hommes  : les  uns  tom- 
bèrent tout  près,  dans  la  mer,  ce  furent  les 
Européens  ; d’autres  tombèrent  dans  des 
endroits  sans  eau  où  ils  durent  creuser  des 
puits,  ce  furent,  entre  autres,  les  Bambaras; 
d’autres  tombèrent  au  bord  des  fleuves  et  dans 
les  endroits  marécageux  tels  furent  les  Soninkés 
et  les  Khassonkés.  Quant  aux  arabes,  ils  tom- 
bèrent à Misra  (le  Caire),  à Scutari,  à Stamboul, 
à Faz  (Fez). 

1.  Le  mille,  nous  a-t-on  expliqué,  est  la  plus 
grande  distance  où  l’on  perçoive  encore  distincte- 
ment les  objets. 


182  — 


La  plupart  des  hommes  oublièrent  leur  lan- 
gage par  suite  de  la  frayeur  que  leur  causa  le 
cataclysme  qui  les  dispersa;  les  différences  de 
climat,  d’alimentation  et  d’existence  achevè- 
rent de  rendre  les  hommes  dissemblables  les 
uns  des  autres. 

Voilà  pourquoi  leshommes  n’ont  plus  le  même 
langage  et  ont  l’épiderme  diversement  coloré. 


La  fin  du  monde.  — La  fin  du  monde  sera 
annoncée  par  un  animal  sorti  du  pays  de 
Hamana  (Yémen?)  et  reconnaissable  à ce  qu’il 
aura  : 

les  yeux  de  l’homme; 

le  cou  de  l’âne  ; 

les  pieds  du  cheval  ; 

la  bosse  du  dromadaire; 

la  barbiche  du  bélier; 

les  griffés  rétractiles  du  chat. 

Après  cet  animal,  Issa  (Jésus)  apparaîtra  et  la 
guerre  ne  cessera  de  bouleverser  l’Orient  et  l’Oc- 
cident. Djoudjou  (Gog)  et  Madjoudjou  (Magog) 
rempliront  le  monde  d’effroi.  La  lune  se  parta- 


— 1 83  — 


géra  en  deux.  Le  soleil  se  lèvera  à l’ouest  et  se 
couchera  à l’est.  Un  Mahdi  se  révélera  à Cons- 
tantine.  Les  jeunes  gens  exerceront  partout  le 
pouvoir  et  leur  inexpérience  accroîtra  encore 
l’anarchie  universelle.  Les  femmes  seront  plus 
nombreuses  que  les  hommes.  Les  richesses 
augmenteront  démesurément.  La  prière  sera 
oubliée.  Le  Coran  remontera  au  ciel.  Alors, 
un  grand  coup  de  vent  renversera  tout  et 
Massa  oui  Adjan,  le  Borgne  qui  est  marqué,  au 
front,  du  mot  « Infidèle  »,  achèvera,  pendant 
sept  ans,  l’œuvre  d’extermination. 


Les  questions  d'Abondjidou  Boustcilou.  — Un 
descendant  de  Mahomet,  le  nommé  Aboudjidou 
Boustalou,  se  trouvait  un  jour  en  prière,  quand 
il  entendit  une  voix  lui  dire  : « Va-t-en  au  lieu 
où  les  Juifs  prient,  tu  verras  leur  actes  et  écou- 
teras leurs  paroles.  » 

Aboudjidou  obéit  et,  dès  qu’il  fut  à l’endroit 
où  les  Juifs  priaient,  le  grand  prêtre  se  tut. 
Les  auditeurs  demandèrent  la  cause  de  ce  si- 
lence subit  : « C’est,  dit-il,  qu’il  y a parmi 

U‘ 


— 184  — 


« vous  un  étranger,  je  ne  puis,  devant  lui,  par- 
ce 1er  de  notre  religion  et,  si  je  vous  parle  de  la 
« sienne  vous  ne  me  croirez  pas.  » 

ce  Si,  dirent-ils,  nous  te  croirons  et,  nous  sui- 
« vrons  la  voie  que  tu  nous  indiqueras,  si  nous 
« reconnaissons  la  vérité  de  tes  dires.  » 

Mais,  leur  montrant  l’étranger,  le  grand 
prêtre  refusa. 

Alors,  l’un  des  auditeurs  s’adressa  à Aboud- 
jidou  et  lui  dit  : « Si  tu  peux  répondre  aux 
ce  questions  que  je  vais  te  poser,  nous  suivrons 
« ta  religion.  » 

Aboudjidou  accepta. 

1.  — - Qu’est-ce  qui  est  unique?  demanda  le 
Juif. 

Allah,  répondit  Aboudjidou. 

2.  — Quelles  sont  les  deux  choses  qui  n’ont 
pas  de  semblable? 

Le  jour  et  la  nuit. 

3.  — Les  trois  choses  qui  n’ont  pas  de  sembla- 
ble? 

L’Arès,  le  Koursiou  et  le  Walgaloun. 

4.  — Les  quatre  choses  qui  n’ont  pas  de  sem- 
blable? 

Le  Talmut,  l’Evangile,  les  Psaumes,  le  Coran. 

5.  — Les  cinq  choses  qui  n’ont  pas  de  sem- 
blable? 


— 1 85  — 


Les  cinq  prières  quotidiennes. 

6.  — Les  six  choses  qui  n’ont  pas  de  sembla- 
ble î 

Les  six  jours  employés  par  Dieu  à la  création’ 

7.  — Les  sept  choses  qui  n’ont  pas  de  sembla- 
ble? 

Les  sept  cieux. 

8.  — Les  huit  personnes  qui  n’ont  pas  de 
semblable  ? 

Les  huit  anges  qui  supportent  l’Arès. 

9.  — Les  neuf  choses  qui  n’ont  pas  de  sembla- 
ble? 

Les  neuf  tribus  juives  qui  ont  toujours  fait  du 
mal. 

10.  — Les  dix  choses  qui  n’ont  pas  de  sem- 
blable? 

Les  dix  jours  de  jeûne  ,que  tout  pèlerin  est 
tenu  d’observer. 

11.  — N’y  a-t-il  pas  des  choses  remarquables 
rappelées  parles  nombres  11,  12,  i3,  14. 

Si.  Jacob  eut  onze  enfants;  l’année  à douze 
mois;  dans  un  songe,  le  prophète  Iousouf 
(Joseph)  vit  onze  étoiles,  la  lune  et  le  soleil. 

C’est  le  quatorzième  jour  que  la  lune  est 
pleine  et  donne  le  plus  de  clarté. 

12.  — Quelles  sont  les  personnes  qui,  ayant 
menti,  sont  cependant  en  paradis? 


— 1 86  — 


Les  frères  de  Iousouf. 

13.  — Quelles  sont  les  personnes  qui,  ayant 
dit  la  vérité,  sont  cependant  en  enfer. 

Les  Juifs  et  les  Chrétiens. 

14.  — A quel  endroit  du  corps  se  trouve 
l’âme  ? 

Entre  les  deux  oreilles,  tout  près  des  yeux. 

15.  — Quels  sont  les  quatre  vents  du  monde? 

Ceux  du  nord,  de  l’est,  du  sud  et  de  l’ouest. 

16.  — Quelle  est  la  chose  qui,  sans  ailes,  se 
promène  à travers  les  airs  ? 

Le  nuage. 

17.  — Quel  vent,  tour  à tour,  souffle  et  s’ar- 
rête sans  ennuyer. 

La  brise. 

18.  — Qu’est-ce  qui,  sans  l’intervention  de 
Dieu,  est  partagé,  entre  les  hommes,  par  les 
Anges  ? 

Le  i5e  jour  de  la  lune  avant  le  rhamadan, 
Dieu  fait  la  part  du  bien  et  du  mal  dans  le 
monde,  pour  l’année  qui  va  s'ouvrir.  Le 
27e  jour,  de  la  même  lune,  les  anges  font  de 
même  le  lot  de  chaque  homme,  qui  d’ailleurs 
n’en  prend  possession  qu’à  partir  du  10e  jour 
de  rhamadan. 

19.  — Quelles  sont  les  quatorze  choses  qui 
n’ont  pas  de  pareille. 


— i87  — 


Le  jour  où  Dieu  demanda  aux  prophètes  : 
« Quel  est  votre  maître  ? » et  qu’ils  répondirent  : 
« c’est  Dieu  ! »,  les  7 cieux  et  les  7 terres  étaient 
présents.  Ces  14  témoins  n’ont  pas  de  pareil. 

20.  — Quel  vivant  marche  avec  son  tombeau? 

Jonas. 

21.  — Qu’est-ce  qui  respire  et  ne  vit  pas? 

L’Aurore  (?) . 

22.  — Connais-tu  une  eau  qui  n’est  venue  ni 
du  ciel  ni  de  la  terre? 

Oui.  Celle  que  Balarissa  (la  reine  de  Saba) 
envoya  à Salomon  \ 

23.  — Quelles  sont  les  quatre  créatures,  ni 
anges  ni  démons,  qui  ne  sont  sorties  ni  d’un 
ventre  ni  d’un  dos  ? 

I.  Le  bélier  pour  le  rachat  d’Ismaël. 

IL  Adama. 

III.  Awa. 

IV.  La  chamelle  de  Salif. 

24.  — Qui  est-ce  qui  a été  créé  et  maudit  par 
Dieu  ? 

L’âne,  car  il  crie  chaque  fois  qu’il  voit  le 
diable. 


r.  On  dit  que  cette  eau  n’était  autre  que  l’écume 
que  Balarissa  avait  fait  recueillir  sur  les  flancs  de 
ses  innombrables  chevaux. 


1 88  — 


25.  — Quel  est  celui  dont  le  sang  a,  pour  la 
première  fois,  souillé  la  terre  ? 

Habila. 

26.  — Laquelle  de  ses  créatures  Dieu  trouve- 
t-il  curieuse? 

La  Femme. 

27.  — Quel  est  le  bâton  qui  fut  changé  en 
planchette  à écrire? 

Celui  de  Moïse. 

28.  — Quelles  sont  les  femmes  les  plus  véné- 
rables? 

Awa;  Khadidiatou,  femme  de  Mahomet;  Aïs- 
satou  fille  de  Boubakar  Sdikh  ; Assiatou  fille 
d’Imouran  ; Mariama,  fille  d’Imouran,  sœur  ger- 
maine d’Assiatou  et  mère  de  Jésus. 

29.  — Quels  sont  les  quatre  plus  grands 
fleuves  du  monde  ? 

Saï  Hima,  Djaï  Hima,  Fourata,  Nila. 

30.  — Quelle  est  la  plus  vénérable  des  mon- 
tagnes de  pierre? 

Le  mont  Sinaï,  sur  laquelle  Moïse  s’entretint 
avec  Dieu. 

31.  — Quel  est  le  meilleur  quadrupède? 

Le  cheval. 

32.  — Quel  est  le  meilleur  mois? 

Celui  de  rhamadan. 

33.  — Quelle  est  la  meilleure  nuit? 


La  2 7e  nuit  de  la  lune  avant  rhamadan. 

38.  — Quel  jour  le  tambour  battra-t-il  plus 
fort  que  jamais? 

Le  jour  du  jugement  dernier. 

35.  — Quel  arbre  a douze  branches  dont 
chacune  a trente  feuilles,  qui  protègent  cha- 
cune cinq  fleurs,  dont  deux  au  soleil  et  trois  à 
l’ombre? 

L'année,  qui  a douze  mois  de  trente  jours; 
chaque  jour  il  y a cinq  prières  : deux  dans  la 
journée  et  trois  pendant  la  nuit. 

36.  — Quelle  chose  a fait,  malgré  elle,  le  pè- 
lerinage de  la  Mecque  et  la  tour  de  la  Kaba  ? 

L’Arche. 

37.  — Quatre  choses  sont  réunies  au  même 
endroit  du  corps  et  n’ont  ni  la  même  forme  ni 
le  même  produit,  quelles  sont-elles? 

Ce  sont  : l’œil,  le  nez,  la  bouche  et  l’oreille, 
réunis  dans  la  tête. 

38.  — Qu’est-ce  que  Naguirou,  Fatilou,  Gui- 
timirou  ? 

Naguirou,  désigne  la  mince  peau  jaune  qui 
recouvre  la  datte. 

Fatilou,  le  sillon  du  noyau  de  datte. 

Guitimirou,  la  datte  elle-même. 

39.  — Qu’est-ce  que  Sabdi?  Labdi? 

Sabdi  veut  dire  l’àme. 


— 190  — 


Labdi  veut  dire  le  poil. 

40.  — Qu’est-ce  que  Tarn  et  Ronni? 

Des  peuples  avant  Adam. 

41.  — Pourquoi  l’âne  crie-t-il? 

Parce  qu’il  voit  le  diable. 

42.  — Que  crie  le  cheval  quand  il  hennit  ? 
Dieu  est  pur  et  il  veille  sur  les  guerriers  dans 

la  bataille. 

43.  — Que  crie  le  chien  quand  il  aboie? 

Il  annonce  que,  le  lendemain,  les  Anges  feront 
souffrir  les  damnés  parce  qu’ils  ont  désobéi  à 
Dieu. 

44.  — Que  crie  le  chameau? 

Je  crois  à Dieu  et  c’est  ma  foi  qui  m’aide  à 
supporter  les  misères  de  la  vie. 

45.  — Que  chante  le  cardinal  1 ? 

Il  n’y  a de  pur,  du  matin  au  soir,  que  Dieu. 

46.  — Que  clame  le  crapaud? 

Dieu  est  pur,  c’est  un  roi  que  l’on  peut  sui- 
vre partout. 

47.  — Que  dit  l’homme? 

Tout  ce  qui  est  mourra. 

48.  — Qui  Dieu  a-t-il  envoyé  sur  la  terre, 
sans  l’intermédiaire  des  Anges  ni  des  Démons. 

Les  Abeilles. 


1.  Oiseau  du  Sénégal. 


49.  — Quand  il  fait  jour,  où  est  la  nuit?  Quand 
il  fait  nuit  où  est  le  jour? 

Dieu  seul  le  sait. 

Alors,  le  Juif  se  tut  et  à son  tour  Aboudjidou 
demanda  à tous  les  assistants  : 

Qui  a la  clef  de  la  porte  du  Ciel?  Qui  a la  clef 
de  la  porte  du  Paradis? 

Ils  se  regardèrent  sans  répondre,  puis  se 
tournèrent  vers  le  grand  prêtre  : « Je  puis  ré- 
« pondre,  dit-il,  mais  si  je  le  fais  vous  me 
« renierez  et  vous  vous  séparerez  de  moi.  » 

Ils  insistèrent  et  jurèrent  de  croire  tout  ce 
qu’il  dirait.  Alors  le  grand-prêtre  : 

« La  clef  du  Ciel  et  celle  du  Paradis  sont 
« entre  les  mains  de  Dieu  l’Unique  et  Mahomet 
est  l’envoyé  de  Dieu.  » 

Et  tous  se  firent  musulmans. 


Fragment  de  l’Histoire  de  Moussa  (Moïse) . 
— Un  jour  le  Pharaon  était,  sur  un  lit,  sur  la 
terrasse  de  sa  demeure,  quand  il  aperçut  un 
homme  accroupi  sur  le  haut  d’un  mur. 

Le  Pharaon  se  mordit  le  doigt.  L’homme  lui 


dit  : « Tyran!  le  jour  approche  où  tu  vas  rendre 
«compte  à Dieu  de  tout  le  mal  que  tu  as  fait.  » 
Le  Pharaon  abandonna  sa  demeure;  mais, 
dans  le  palais  où  il  se  réfugia,  l’homme  reparut 
et  lui  cria  encore  ses  menaces  prophétiques. 
Quarante  fois  le  Pharaon  changea  de  résidence 
et  toujours  la  même  voix  angoissa  son  âme. 

Il  fit  alors  construire  une  maison  d’airain, 
mais  la  voix  inexorable  l’y  poursuivit. 

Pharaon  vint  habiter  une  demeure  splendide, 
appelée  le  « Palais  du  Soleil  ».  Là  étaient  en- 
fermés tous  ses  trésors  et  tous  les  trésors  de  ses 
prédécesseurs.  Les  murs  de  ce  Palais  clamèrent 
au  Pharaon  : « Maudit  ! voici  qu’approche 
l’heure  de  la  justice  pour  ton  peuple  opprimé.  » 
Le  Pharaon  éperdu  fit  venir  son  cuisinier, 
nommé  Hassana,  qui  était  son  confident  et  lui 
raconta  ce  qui  lui  arrivait. 

« Ne  crains  rien,  dit  Hassaa,  ce  sont  des  dé- 
tonons qui  te  tourmentent;  je  vais  te  chercher 
« un  nouveau  domicile  où  tu  pourras  vivre  en 
« paix.  » 

Dès  le  lendemain,  le  Pharaon,  en  personne  et 
avec  une  nombreuse  suite,  parcourut  les  rues 
de  sa  capitale  à la  recherche  d’une  maison  où 
il  pourrait  vivre  en  paix.  Il  aperçut  un  palais 
magnifique  et  apprit  que  c’était  celui  que  Jo- 


— ig3  — 


seph  avait  fait  construire  pour  sa  femme  Zabir. 

A un  moment,  passèrent  deux  pauvres  femmes 
aveugles,  elles  devisaient  entre  elles  et  l’une 
dit  : « Quand  donc  Dieu  nous  délivrera-t-il  du 
« Pharaon?  Que  ce  scélérat  périsse  comme  a 
« péri  Hadi?  » 

Le  Pharaon,  ayant  entendu,  s’approcha  et 
demanda  aux  aveugles.  « Qui  êtes-vous?»  — 
« De  pauvres  créatures,  qui  adorons  Dieu  le 
« maître  du  ciel  et  delà  terre.  Et  toi  qui  es-tu?  » 

Hassana  leur  cria  : « C’est  le  maître  du  ciel  et 
« de  la  terre,  et  de  vous  deux  aussi.  » 

« Maudit  soit-il,  dirent-elles.  Maudit  soit  le 
tyran  et  ses  fidèles.  » 

Pharaon  les  fit  saisir  et  jeter  dans  une  grande 
marmite  dans  laquelle  on  les  fit  cuire. 

De  ce  jour,  l’angoisse  de  Pharaon  augmenta. 

Les  devins  prédirent  qu’un  enfant  mâle  allait 
naître,  qui  anéantirait  la  puissance  du  Pharaon . 

Celui-ci,  suivant  le  conseil  de  ses  familiers,  fit 
rassembler  toutes  les  femmes  enceintes  pour 
les  surveiller  et,  dès  qu’un  enfant  mâle  voyait 
le  jour,  il  était  mis  à mort. 

Et  l’angoisse  de  Pharaon  augmentait  tou- 
jours. 

Les  fidèles  de  Pharaon  lui  conseillèrent  de 
s’attacher,  par  des  présents,  Imran  boun  Iasahi, 


— i94  — 

chef  des  Juifs.  Pharaon  fît  venir  Imran  le  com- 
bla de  présents  et,  dès  lors,  Imran  resta  jour 
et  nuit  au  côté  du  Pharaon. 

Celui-ci  ordonna,  encore,  que  les  hommes 
fussent  totalement  privés  de  relations  avec  leurs 
femmes  ; puis  il  s’enferma  dans  son  palais  avec 
ses  fidèles.  Mille  soldats  veillaient  à sa  porte 
et  Imran  était  toujours  à son  chevet. 

Une  nuit,  pendant  le  sommeil  de  Pharaon,  la 
femme  d’Imran  entra;  elle  était  accompagnée 
d’un  ange,  qui  dit  à Imran  d’user  de  sa  femme 
par  ordre  de  Dieu  et,  pour  donner  une  idée 
éclatante  de  son  pouvoir  céleste,  il  tira  la  natte 
sur  laquelle  dormait  Pharaon  sans  que  celui-ci 
s’éveilla.  Ce  fut  sur  cette  natte,  cette  nuit-là 
même,  que,  tout  à côté  de  Pharaon,  Moussa  fut 
procréé. 

Le  lendemain  matin,  Pharaon  entendit  le 
crieur  public  qui  disait  : « Celui  qui  doit 
anéantir  la  puissance  de  Pharaon  s’agite  dans 
le  sein  de  sa  mère  ». 

Et  l’angoisse  de  Pharaon  augmenta. 

Il  fit  venir  les  vieilles  matrones,  leur  ordonna 
de  visiter  toutes  les  femmes  de  la  ville  et  de 
faire  périr  impitoyablement  tous  les  enfants 
mâles  nouveau-nés. 

Dieu  écarta  ces  femmes  de  la  maison  d’Imran. 


— i g5  — 


Enfin,  la  femme  d’Imran  accoucha  et,  à 
chaque  instant,  elle  tremblait.  Mais  des  voix 
célestes  la  rassurèrent  : « Sois  sans  crainte  ou 
« bien  jette  ton  enfant  au  fleuve.  Dieu  te  l’a 
« donné,  Dieu  saura  te  le  rendre.  » 

Quand  elle  était  obligée  de  quitter  sa  mai- 
son, la  femme  d’Imram  plaçait  Moussa  dans  le 
four  et  laissait  sa  fillette  pour  le  garder.  Un 
jour,  Hassana  entra  dans  la  maison;  la  fillette, 
épouvantée,  poussa  l’enfant  dans  le  four,  qui 
était  allumé  et  dont  elle  ferma  la  porte.  Has- 
sana ne  trouva  rien.  Mais  la  mère  rentra  peu 
après  et,  quand  elle  sut  ce  qui  s’était  passé  elle 
pensa  que  Moussa  était  mort.  Celui-ci  la  ras- 
sura en  disant  : « Ne  crains  rien,  mère  chérie, 
Dieu  veille  sur  nous.  » 

Pour  mettre  un  terme  à son  anxiété,  la 
mère  résolut  de  confier  son  enfant  aux  flots  du 
Nil.  Elle  fit  venir  un  charpentier  et  lui  de- 
manda de  confectionner  une  caisse  aux  dimen- 
sions de  Moussa.  Le  charpentier  s’informa  de 
l’usage  qu’elle  voulait  faire  de  cette  caisse.  Elle 
lui  dit  que  c’était  pour  son  enfant  qu’elle  vou- 
lait jeter  au  Nil.  « C’est  pour  Arouna?  ques- 
tionna le  charpentier  (Arouna  était  né  un  an 
avant  Moïse).  — • « Non,  dit-elle,  c’est  pour  un 
autre  enfant.  » 


Le  charpentier  pensa  aussitôt  à prévenir  le 
Pharaon;  mais,  au  moment  où  il  se  disposait  à 
accomplir  son  sinistre  dessein,  ses  pieds  res- 
tèrent cloués  au  sol  et  une  voix  lui  dit  : 
« Renonce  à ton  projet,  ou  tu  vas  mourir.  » Ce 
charpentier,  nommé  Samounou,  garda  le  se- 
cret *. 

Le  charpentier  confectionna  la  boîte  et  la 
porta  à la  mère.  Celle-ci  donna  une  dernière 
fois  le  sein  à son  enfant;  puis  l’oignit  avec  du 
beurre,  lui  mit  du  keul  aux  yeux  et  le  para 
richement.  Près  de  la  caisse  où  reposait  l’en- 
fant, elle  pleura  jusqu’à  minuit.  Alors,  repre- 
nant courage,  elle  se  dirigea  avec  son  précieux 
fardeau  vers  le  Nil.  A mi-chemin,  un  immense 
serpent  noir  lui  barra  la  route  et  lui  cria  : « Si 
tu  le  jettes  au  fleuve,  je  l’avalerai!  » C’était 
Idriss  2 qui,  comme  toujours,  avait  voulu  entra- 
ver le  dessein  de  Dieu.  Elle  s’en  retourna  épou- 
vantée. 

Après  avoir  repris  ses  sens,  elle  comprit 
qu’elle  devait  malgré  tout  accomplir  son  projet 
et  reprit  le  chemin  du  Nil.  De  nouveau,  Idriss 


î.  C’est  pourquoi,  dit-on,  les  charpentiers  ont 
Moussa  pour  patron. 

2.  L’esprit  du  Mal. 


1 97  — 


essaya  de  l'épouvanter,  mais  elle  s’arrêta  seule- 
ment pour  donner  le  sein  à l’enfant,  puis 
referma  la  boîte  et  la  mit  au  fleuve. 

Or,  Pharaon  avait  sept  filles,  dont  une  était 
atteinte  de  la  lèpre.  Sur  l’ordre  du  médecin,  la 
malade  se  rendait  tous  les  matins  au  fleuve 
pour  s’y  baigner  et  ses  sœurs  l’accompagnaient. 

La  boîte  vint  atterrir  précisément  à l’endroit 
où  se  baignait  la  lépreuse.  Celle-ci  la  saisit  et, 
aussitôt,  fut  guérie.  Les  jeunes  filles  émerveil- 
lées n'osèrent  ouvrir  la  boite  et  la  portèrent  à 
Hassiatou,  la  favorite,  qui,  après  avoir  admiré 
l’enfant,  l’envoya  à Pharaon  en  lui  annonçant 
la  guérison  miraculeuse  de  sa  fille. 

A la  vue  de  l’enfant,  Pharaon  eut  comme  le 
secret  pressentiment  que  c’était  là  l’ennemi 
qu’il  redoutait  et  vint  lui-même  dire,  à Hassia- 
tou, qu’il  entendait  le  faire  périr. 

Mais  la  favorite  ne  l’entendait  pas  ainsi  et 
elle  sut  persuader  à Pharaon,  qui  n’avait  pas 
d’enfant  mâle,  d’adopter  celui  que  le  ciel  lui 
envoyait.  S’il  devenait  dangereux  n’aurait-il 
pas  toujours  le  moyen  de  le  supprimer? 

Bon  gré,  mal  gré,  Pharaon  garda  l’enfant  et  fit 
quérir  une  nourrice  pour  l’allaiter,  mais  de 
toutes  celles  qui  se  présentèrent  l’enfant  refusa 
le  sein. 


La  mère  de  Moïse,  au  courant  de  tous  ces 
détails,  envoya  sa  fille  Kortoumou  au  palais, 
pourvoir  ce  qui  allait  se  passer,  et  la  proposer 
adroitement  comme  nourrice.  Pharaon  en  effet 
la  fit  appeler,  et  dès  qu’elle  présenta  le  sein, 
l’enfant  sourit  et  l’accepta.  Elle  fut  comblée  de 
présents  et,  dans  un  berceau  en  or,  elle  emporta 
l’enfant  pour  l’allaiter. 


Un  jour,  Moïse,  âgé  de  trois  ans,  jouait  sur 
les  genoux  de  Pharaon.  Tout  à coup  il  lui  ap- 
pliqua une  telle  giffle  que  Pharaon  en  perdit 
presque  la  vue. 

Pharaon  furieux  tenta,  alors,  de  se  débarras- 
ser de  Moïse,  mais  de  nouveau  Hassiatou  inter- 
vint : « L’enfant  n’a  point  voulu  mal  faire,  dit- 
« elle,  et  il  est  bien  facile  de  se  rendre  compte 
« qu’il  ne  peut  distinguer  le  bien  du  mal.  » 
Et,  pour  le  prouver,  elle  présenta  à l’enfant  une 
assiette,  sur  laquelle  se  trouvaient  une  perle 
et  un  charbon  ardent.  L’enfant  allait  prendre 
la  perle  mais  Djibril  invisible  lui  fit  saisir  le 
charbon.  Il  le  porta  à la  bouche  et  se  brûla  la 
langue  : ainsi  s’explique  comment  Moïse  avait 
de  la  difficulté  à parler.  A ce  simple  fait,  Pha- 
raon parut  croire  que  Moïse,  en  effet,  ne  l’avait 
pas  frappé  avec  l’intention  de  mal  faire  et,  cé- 


— igg  — 

dant  aux  instances  de  sa  favorite,  il  le  laissa 
vivre. 


Moïse,  âgé  de  huit  ans,  était  un  jour  assis  au- 
près de  Pharaon.  Un  coq  chanta  et  Moïse 
semblant  répondre  à l’animal  dit  : « Tu  as  rai- 
son ! » — « Qu’a-t-il  dit?  » demanda  Pharaon. 
« Dieu  est  omnipotent,  il  peut  remplacer  le  roi 
le  plus  absolu  par  le  plus  humble  berger.  » — 
« Le  coq  n’a  pas  pu  parler  de  la  sorte,  dit  Pha- 
raon, c’est  toi  qui  lui  prêtes  ce  langage.  » — 
Moïse  fit  apporter  le  coq  et  lui  ordonna  de  répé- 
ter, dans  le  langage  de  Pharaon,  ce  qu'il  venait 
■ de  chanter.  Ainsi  fit  l’animal. 

Hassana,  qui  était  présent,  s’écria  : « Ce  n’est 
« point  là  une  bête  ordinaire,  mais  bien  une 
« dangereuse  idole  qu’il  faut  détruire  »,  et  il 
coupa  le  cou  au  coq.  Mais  Dieu  le  ranima  et  il 
s'envola  au  loin. 


Vers  neuf  ans,  un  jour,  Moïse  reposait  sur  le 
même  lit,  à côté  de  Pharaon.  En  jouant,  celui- 
ci  l’égratigna.  Furieux,  Moïse  se  leva  et  d’un 
coup  de  pied  brisa  le  lit.  Le  Pharaon,  dans  sa 
chute,  se  meurtrit  le  visage  et  saigna  abondam- 
ment du  nez;  aussi  était-il  résolu  à se  défaire 
d'un  enfant  aussi  dangereux.  Mais,  encore  une 


12 


200 


fois  Hassiatou  le  calma,  lui  disant  surtout 
qu’alors  qu’il  avait  à lutter  contre  tant  d’enne- 
mis, il  était  bon  qu'il  eut  un  fils  vaillant  et  fort 
et  qu’il  fallait  savoir  lui  pardonner  sa  grande 
susceptibilité.  Pour  faire  la  paix,  Pharaon  fit 
porter  un  mouton  rôti  et  appela  Moïse.  Celui- 
ci  vint,  mais  ordonna  au  mouton  de  se  lever  et 
de  partir,  ce  qu’il  fit. 


A vingt  ans,  Moïse  commença  à sortir  pour 
aller  au  bord  du  fleuve  faire  sa  prière.  Un  jour, 
il  fut  surpris  par  un  captif  qui  lui  dit  : « Que 
fais-tu  là?  » — «Je  travaille  pour  mon  Maî- 
tre, répondit  Moïse  » — « Pour  ton  père?  » — 
« Non,  pour  le  Maître,  auquel  tu  appartiens 
ainsi  que  Pharaon.  » — « C’est  bien!  je  rendrai 
compte  à Pharaon.  » — « Si  tu  agis  ainsi,  Pha- 
raon te  coupera  les  pieds  et  les  mains,  te  fera 
attacher  à un  tronc  d’arbre  et  tu  mourras. 

I^’homme  ne  tint  aucun  compte  de  l’avertis- 
sement et  prévint  Pharaon.  Celui-ci  vint  lui- 
même  pour  se  rendre  compte.  Il  demanda  à 
Moïse  : « Pour  qui  fais-tu  ce  travail?  » — « Pour 
mon  Maître!  » — « Tu  as  raison  »,  dit  Pharaon, 
« c’est  moi  qui  suis  ton  maître  ».  Et  il  fit  appeler 
le  dénonciateur,  lui  fit  couper  les  pieds,  les 
mains  et  le  fit  attacher  à un  tronc  de  rôuier. 


201  — 


Puis  Pharaon  alla  s’entretenir  de  tout  cela  avec 
Hassiatou  à laquelle  il  dit  que  Moïse  était  un 
enfant  vraiment  bien  obéissant. 


Moïse  s’informait  auprès  des  Juifs,  leur 
disant  : « Y a-t-il  longtemps  que  dure  votre 
captivité?  Savez-vous  qu’il  doit  venir  quelqu’un 
pour  vous  délivrer.  — C’est  pour  vos  péchés 
que  vous  avez  été  punis,  continuait  Moïse,  si 
Dieu  vous  délivre  que  ferez-vous  pour  lui?  — 
Nous  ferons  la  prière  et  l’aumône  et  jamais 
nous  n’enfreindrons  l’ordre  de  Dieu.  — J’ai  ouï 
dire  qu’il  fut  un  peuple  qui  adorait  les  idoles. 
Vint  un  homme  qui  alluma  un  grand  feu  et 
brûla  les  idoles.  Connaissez-vous  cet  homme? 
— Oui,  disaient-ils. — Cet  homme,  reprenait-il, 
c’était  mon  ancêtre  Ibrahim  (Abraham). 

Un  jour,  quelqu’un  l’interrompit  en  lui  di- 
sant : « Tu  es  le  fils  de  Pharaon,  comment 
veux-tu  que  nous  ajoutions  foi  à tes  paroles.  » — 
« Patientez.  Plus  tard  vous  verrez  que  ce  sera 
moi  qui  détruirai  la  puissance  de  Pharaon.  » 


A quarante  ans,  très  instruit  par  Dieu 
même,  Moïse  commença  à enseigner  aux  en- 
fants d’Israél  ce  que  la  loi  permet  et  ce  qu’elle 
défend. 


202 


Un  jour,  à l’heure  de  la  sieste,  Moïse  se 
promenait  par  la  ville.  Il  rencontra  deux 
hommes  qui  se  disputaient,  l’un  était  juif  et 
l’autre  un  serviteur  d’Ibdi,  le  Pharaon.  Le 
serviteur  appela  Moïse  pour  lui  prêter  main 
forte.  Moïse  se  fit  expliquer  ce  dont  il  s’agis- 
sait puis  dit  à l’homme  du  Pharaon  de  laisser 
en  paix  l’israélite.  Comme  il  s’y  refusait,  Moïse 
l’assomma  d’un  coup  de  poing.  Epouvanté  lui- 
même  de  son  acte,  Moïse  s’éloigna  tout  pensif, 
redoutant  bien  plus  encore  la  colère  de  Dieu 
que  celle  de  Pharaon.  Le  lendemain,  l’israélite 
de  la  veille  se  chamaillant  avec  des  gens,  l’ap- 
pela encore  à son  secours  : tu  es  grand  et 
.fort,  lui  dit  Moïse,  défends-toi!  et  il  fit  un  geste 
pour  éloigner  l’homme.  Celui-ci  pensant  qu’il 
allait  le  frapper  s’écria  : « Oh!  ne  me  tue  pas 
comme  tu  as  tué,  hier,  le  cuisinier! 

Ce  propos  fut  entendu  parles  adversaires  de 
l’israélite  et  rapporté  au  Pharaon.  Celui-ci  fit 
appeler  les  parents  du  mort  et  les  autorisa  à 
tuer  Moïse.  Un  israélite  nommé  Izguil,  qui  as- 
sistait à cette  audience  courut  prévenir  Moïse, 
qui  aussitôt  quitta  la  ville. 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages. 

Préface i à v 

Introduction i 

La  succession i5 

Le  Village  des  Fous 18 

Deux  Histoires  de  Madi  Katua  : Les  Vingt  fils  20 

La  Jument 23 

Le  Gourmand 25 

La  Marmite 26 

La  Hyène  et  le  Lièvre 27 

Le  Lièvre  et  l'Hyène  à la  pèche  des  mares 

de  Doro  29 

Le  Lion,  l’Hyène  et  le  Lièvre 3i 

Le  Loup  et  le  Lièvre 34 

La  Caverne  des  Animaux 38 


— 204  — 

Le  Griot  et  les  Singes 4! 

La  Bataille  des  Oiseaux  et  des  Quadrupèdes.  42 

Le  Lièvre  et  l’Hyène 45 

Le  Lièvre,  l’Eléphant  et  l’Hippopotame 4g 

L’Aiguille 52 

L’Enfant  et  le  Caïman 53 

L’Hyène 57 

La  Charité  récompensée 61 

Dieu  et  l'Orgueil 64 

Le  Fils  du  Voleur 65 

Samba  le  Lâche 73 

La  Botte  de  Paille 80 

La  Sorcière 81 

Histoire  de  Bacari  Dian 82 

Les  deux  chefs  Maures,  le  Devin  et  le  Voleur  87 

Les  Sandales  du  Roi g3 

Le  Mensonge  et  la  Vérité 97 

Le  Vieillard  et  ses  Enfants 102 

Curieux 106 

Le  Cheval 109 

Devinette 110 

Le  Coq  et  l’Ane 1 1 1 

La  Meilleure  Femme m 

Le  Jaloux 1 14 

Marandénboné 1 1 5 

Modi  le  Dormeur 1 23 

L’Ami  du  Lion j 126 

Le  Lièvre,  l’Hyène  et  l’Autruche 1 35 

Le  Lion,  la  Panthère  et  l’Hyène 139 


200 


L’Hyène  et  le  Lièvre 14 1 

Le  Lièvre  et  l’Hyène  . . . . , 143 

Le  Boloné  . , 145 

L’Homme  aux  Trois  Houppes 148 

Les  Trois  Insatiables i5o 

Histoires  de  Femmes 1 5 5 

L’Enfant  du  Mal 1 58 

Note 166 

Les  Traditions  religieuses  musulmanes  chez 
les  Soudanais 169 


LE  PUY-EN-VELAY.  IMPRIMERIE  R.  MARCHESSOU. 

PEYRILLER,  ROUCHON  & GAMON,  SUCCrs. 


GR15  .C69  v. 27-29 
Contes  arméniens 


Princeton  Theological  Seminary-Speer  Library 


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