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Full text of "Souvenirs de voyage d'n soldat de Pie XI"

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RELIURE 

UICTQRLAFRANCE 

QUEBEC 


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PrLctsut-Yrfî 


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H1        SOUVENIRS  DE  VOYAGE 

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SOLDAT  DE  PIE  IX 


PAR 


C.  E;  ROULEAU 

ancien  sous  officier  aux  zouaves  pontificaux 


AlMk  DIEU   ET   VA  TON   CHEMIN. 


Prix  :  75  Contins,  relié. 

50        "  broché. 


QUEBEC  ! 
DE  L'IMPRIMERIE  DE  L.  J.  DEMERS  A    FRÈR 
Editeurs  du  "  Canadc 

.  1881 


INTRODUCTION. 


On  me  dira  peut-être  :  "  Voilà  encore  un  livre 
sur  Rome  ;  il  y  en  a  pourtant  assez."  J'avoue  qu'un 
nombre  incalculable  d'écrivains,  maniant  la  plume 
p]us  facilement  que  moi,  ont  parlé  de  Rome  ;  mais 
je  suis  le  conseil  du  très  regretté  et  très  illustre 
évêque  de  Poitiers,  Mgr.  Pie,  qui  écrivait  un  jour 
à  un  de  ses  amis  :  "  Ce  qu'on  dit  avec  raison  de 
la  Mère  de  Dieu  :  De  Maria  numquam  satis,  on 
peut  le  dire  de  la  cité  de  Rome  :  De  Rovî a  num- 
quam satis.  "  Rome  n'est  pas  encore  connue,  et 
elle  ne  le  sera  jamais.  C'est  un  trésor  que  les 
savants  mômes  ne  peuvent  épuiser.  Rome  renferme 
l'histoire  de  l'Eglise  catholique,  de  toutes  les 
nations,  de  tous  les  grands  hommes,  de  tous  les 
saints  et  de  tous  les  martyrs.  Rome  enfin,  c'est  la 
plus  grande  merveille  du  monde  entier. 


IV 

En  186S,  je  volai,  avec  quelques-uns  de  mes 
compatriotes,  à  la  défense  du  Saint-Siège  que 
menaçaient  les  hordes  garibaldiennes.  J'ai  passé 
plus  de  deux  ans  à  l'ombre  du  drapeau  pontifical, 
et,  pendant  mon  séjour  sur  ce  sol  arrosé  de  sang 
chrétien,  j'ai  profité  de  mes  heures  de  loisir  pour 
m'instruire  sur  tout  ce  que  je  voyais.  Lorsque  la 
caserne  était  consignée — pour  parler  militaire- 
ment— je  prenais  mon  agenda  et  mon  crayon,  et 
je  visitais  les  lieux  qui  pouvaient  me  rappeler 
quelques  souvenirs  religieux  et  historiques.  J'ai 
eu  l'avantage  de  parcourir  presque  tous  les  Etats 
de  l'Eglise,  lorsque  j'étais  obligé  de  changer  de 
garnison  ;  de  sorte  que  j'ai  pu  me  faire  une  bonne 
provision  de  notes. 

Depuis  mon  retour  au  pays,  ces  souvenirs,  que 
j'avais  recueillis  avec  soin,  dormaient  paisiblement 
dans  les  rayons  poudreux  de  ma  bibliothèque,  et 
leur  sommeil  se  serait  prolongé  indéfiniment  sans 
les  sollicitations  pressantes  de  quelques-uns  de 
mes  amis,  qui  me  disaient  :  "  Publie  donc  une 
relation  détaillée  de  ton  voyage.  '  Je  me  suis 
décidé  enfin,  et  je  vous  présente  aujourd'hui,  ami 
lecteur,  ce  petit  livre  intitulé  :  "  Souvenirs  de 
voyage  d'un  soldat  de  Pie  IX. 

J'éprouve  cependant  un  bien  vif  regret  en 
livrant  au  public  ce  premier  essai  de  ma  plume  si 


peu  exercée  :  c'est  de  ne  pouvoir  raconter,  comme 
elle  le  mérite,  cette  glorieuse  croisade  des  zouaves 
pontificaux  canadiens,  croisade  due  au  zèle  infati- 
gable et  à  l'inépuisable  charité  de  l'épiscopat  et 
du  clergé  du  Canada. 

Tout  le  monde  a  encore  présent  à  la  mémoire 
le  danger  que  courut  Rome  en  1867.  L'ermite  de 
l'île  de  Caprera  était  sorti  de  son  repaire  et  pro- 
menait le  fer  et  le  feu  dans  les  Etats  de  l'Eglise  ; 
il  poussa  ses  conquêtes  jusqu'aux  portes  de  la  Ville 
éternelle.  L'illustre  vieillard  du  Vatican,  Pie  IX, 
de  regrettée  mémoire,  fut  effrayé  des  progrès 
rapides  de  la  révolution.  Le  Pontife-roi  éleva  la 
voix,  et  le  monde  catholique  répondit  à  ces  accents 
douloureux  en  envoyant  des  milliers  de  bras  pour 
défendre  le  Saint-Siège.  La  France,  la  Belgique, 
l'Espagne,  la  Hollande,  l'Autriche,  la  Prusse,  la 
Pologne,  l'Irlande,  l'Angleterre,  les  Etats-Unis,  les 
îles  de  Bourbon,  de  Malte  et  d.e  Sardajgne,  l'Italie 
même  s'empressèrent  de  grossir  les  rangs  de  la 
petite  armée  pontificale. 

M.  A.  B.  Testard  de  Montigny,  aujourd'hui 
reçorder  à  Montréal,  M.  le  chevalier  A.  LaRocquc, 
le  glorieux  blessé  de  Mentana,  et  M.  Ilugh  Murray 
représentaient  alors  dignement  le  Canada  à  Rome. 
Mais  cette  force  morale  ne  suffisait  pas,  il  fallait  la 


Vf 


force  physique.  L'Eglise  attendait  plus  de  la  part  du 
pays  illustré  par  les  vertus  des  Laval,  des  Duplessis 
et  des  Saint- Valier.  Nos  Seigneurs  les  évéqucs, 
profondément  attristés  des  malheurs  qui  mena- 
çaient la  capitale  de  l'univers  catholique,  s'adres- 
sèrent à  la  jeunesse  canadienne  et  la  prièrent  de 
sauver  la  barque  de  Pierre.  La  parole  éloquente 
de  l'épiscopat  produisit  l'effet  désiré,  et,  au  mois 
de  février  1868,  cent  trente-cinq  jeunes  gens  quit- 
taient le  Canada,  traversaient  l'Atlantique,  la 
France  et  la  Méditerranée,  et  allaient  s'enrôler 
sous  le  drapeau  de  l'immortel  Pie  IX.  Partout  on 
accourait  en  foule  sur  leur  passage,  pour  contem- 
pler et  admirer  ces  croisés  des  temps  modernes. 
Partout  on  exaltait  leur  dévouement,  leur  foi 
ardente  et  leur  profond  attachement  à  l'Eglise 
catholique.  Les  peuples  étonnés  se  demandaient 
d'où  partaient  ces  preux  jeunes  hommes,  au  regard 
fier  et  courageux,  au  port  noble  et  militaire.  Un 
cri  général  retentit  alors  dans  tout  l'ancien  monde, 
dans  la  France  d'abord  :  "  Ce  sont  des  Canadiens, 
des  descendants  de  Champlain  et  de  Montcalm. 
Ce  sont  des  enfants  qui  vont  donner  l'exemple  de 
foi  à  leur  mère,  la  fille  aînée  de  l'Eglise." 

Depuis  cette  époque,  ce  cri  n'a  cessé  de  vibrer 
aux  oreilles  de  notre  vraie  mère-patrie,  qui,  ayant 
arraché    le    bandeau    que    Voltaire    et    les    autres 


VH 


cjnsdcmfariiiœ  avaient  placé  sur  son  front,  a  tourné 
les  yeux  vers  nous  et  cherche  à  découvrir  quelques 
vestiges  de  son  ancienne,  colonie  en  Amérique. 
L'idée  que  j'émets  ici  a  été  confirmée  par  l'hono- 
rable M.  A.  P.  Caron,  ministre  de  la  milice,  qui 
disait  dans  sa  réponse  à  une  adresse  que  les 
zouaves  de  Québec  lui  ont  présentée  en  1880,  a 
l'occasion  de  sa  promotion  : 

"  Le  mouvement  de  nos  zouaves,  leur  passage 
u  à  travers  la  France,  leur  séjour  en  Italie  ont 
u  contribué  dans  une  grande  mesure  à  attirer  les 
"  regards  de  l'Europe  sur  nous,  sur  notre  pays,  et 
"  vous  avez  ainsi  rendu  au  Canada  un  service  qu'il 
"  ne  peut  oublier." 

Avant  ce  beau  mouvement  des  zouaves,  le 
Canada  était  tellement  négligé  et  tellement  ignoré 
que  la  plupart  des  Européens  ne  connaissaient 
même  pas  notre  langage.  Quelques-uns  croyaient 
que  nous  parlions  l'anglais,  d'autres  l'iroquois,  le 
huron,  le  montagnais  ou  le  micmac,  en  général  un 
jargon  sauvage  à  nous  seul  connu.  Nos  mœurs, 
notre  religion  et  nos  coutumes  devaient  être  celles 
des  Indiens  :  vivre  de  chasse  et  de  pèche,  coucher 
sous  la  tente  et  dans  les  forêts,  adorer  le  soleil  ou 
le  grand  Manitou,  scalper  les  prisonniers  ou  les 
faire  brûler  à  petit  feu,  etc..  etc.  Nous  étions  donc 
bien  mal   jugés  à  l'étranger.    Aussi,  quelle  ne  fut 


VI 11 


pas  la  surprise  des  Français,  surtout,  d'entendre 
parler,  par  les  zouaves  canadiens,  la  véritable 
langue  du  siècle  de.  Louis  XIV,  de  les  voir  adorer 
le  même  Dieu  qu'eux,  vivre  et  dormir  comme  eux  ! 
Ils  restèrent  ni  plus  ni  moins  épatés,  comme  dirait 
le  zouave  pontifical. 

On  croira  peut-être  que  j'exagère.  Je  vais  citer 
un  simple  trait  pour  dissiper  tout  doute  : 

A  l'arrivée  à  Rome  du  premier  contingent  des 
zouaves  canadiens,  une  partie  de  l'armée  pontifi- 
cale, commandée  par  le  baron  de  Charette,  courut 
à  sa  rencontre,  à  la  gare  des  Tcrmini.  Dès  que 
l'intrépide  Taillefer  eût  mis  pied  à  terre,  il  s'appro- 
cha de  notre  lieutenant-colonel,  qui  lui  adressa  la 
parole  en  anglais.  M.  Taillefer  lui  répondit  en 
français.  Le  baron  en  fût  si  étonné  et  en  même 
temps  si  content,  qu'il  garda  le  silence  pendant 
quelques  minutes  ;  il  ajouta  enfin  :  "  Comment,  j'ai 
le  bonheur  de  presser  la  main  à  des  compatriotes  ! 
Les  Canadiens  sont  donc  de  vrais  Français  !  C'est 
splcndide  !  " 

Nous  venons  de  constater  que  le  mouvement 
des  zouaves  a  eu  pour  résultat  matériel  de  faire 
connaître  et  apprécier  davantage  notre  chère 
patrie.  Mais  ce  n'est  pas  tout  le  bien  que  cette 
chevaleresque  croisade  a  produit  à  l'étranger.  Les 
zouaves — -je  ne  crains  pas  de  l'affirmer — ont  prouvé 


IX 

que  la  religion  catholique  avait  au  Canada  des 
enfants  dévoués  ;  ils  ont  prouvé  que,  malgré  la 
conquête  des  Anglais,  notre  pays  a  su  conserver 
intacte  la  foi  de  ses  pères  ;  ils  ont  prouvé  que  le 
sang  des  saint  Louis  coule  encore  dans  les  veines 
des  Canadiens-français.  Voici  ce  que  m'écrivait, 
l'été  dernier,  M.  l'abbé  Gingras,  auteur  avantageu- 
sement connu  du  public,  en  parlant  de  la  croisade 
des  zouaves  canadiens  :  .  - 

"  Cette  expédition  h  Rome  n'est-elle  pas  l'une 
"  des  plus  belles  pages  de  nos  annales  canadiennes  ? 
"  Cette  expédition  touchante,  capable  d'électriser 
"tout  lecteur  catholique,  il  faut  travailler  à  la 
"  populariser  autant  que  possible.  La  papauté,  au 
"  sommet  de  son  calvaire,  en  est  à  cette  heure  de 
"  mélancolique  indifférence,  que  le  Christ  a  connue 
"  sur  la  croix  :  la  foule  se  retire  !  Le  peuple  cana- 
"  dien  est  l'un  des  rares  disciples  restés  au  pied  de 
"  la  croix  pour  consoler  la  papauté  dans  son  aban- 
"  don.  Il  faut  donc  traiter  avec  respect  tout  ce 
"  qui  est  de  nature  à  retremper  davantage  la  pro- 
"  fonde  et  filiale  sympathie  qui  attache  le  Canada 
"  à  l'immortel  chef  de  l'Eglise 

"  L'expédition  des  zouaves  canadiens  a  été  un 
"  snpcrbe  clan  de  dévouement  catJiolique  :  eh  bien, 
"  une  nation  qui,  à  l'instar  de  la  nôtre,  n'a  pas 
"  encore — -tant  s'en  faut — retiré  sa   main  de  celle 


X 

"duJChrist,  ne  doit  jamais  cesser  de  brûler  un  peu 
"  d'enthousiasme  pour  cette  expédition  de  nos 
"  croisés  qui  brillera  toujours ,  aux  yeux  de  V histoire, 
"  comme  l'une  des  plus  belles  perles  de  notre  couronne 
u  nationale.'' 

Je  termine.  Mes  réflexions  pourraient  être  taxées 
de  partialité.  Mais  en  disant  adieu  au  lecteur,  je 
ne  puis  m'empêcher  de  lui  faire  la  remarque 
suivante  : 

Ce  livre  n'est  pas  une  œuvre  de  littérature,  et  je 
n'ai  pas  la  prétention  de  me  placer  au  rang  de  ces 
hommes  privilégiés  qui  sont  appelés  à  illustrer 
leur  pays  par  leurs  écrits.  Par  conséquent,  soyez 
indulgent,  et,  s'il  s'est  glissé  quelques  erreurs, 
comme  vous  pourrez  vous  en  convaincre  en  lisant 
la  page  suivante,  vous  vous  direz  :  Le  but  de 
l'auteur  étant  de  nous  faire  aimer  Rome  et  la 
Papauté,  nous  lui  pardonnons  bien  volontiers. 

Charles  E.  Rouleau. 


Québec,  26  octobre  iSSi. 


P.  4,  2ième  ligne,  au  lieu  de  "fallait  mieux,"  lisez  :  ''valait 
mieux." 

P.  46,  7ème  ligne,  au  lieu  de  "mises  en  défaut  j"  lisez  :  "  prises 
en  défaut." 

P.  80,  22ème  ligne,  et  p.  184,  6ème  ligne,  au  lieu  de  "  Madona," 
lisez  :  "  Madonna." 

P.  93,  3ème  ligne,  au  lieu  de  "Je  viens  de  nommer,"  lisez  :  "Je 
veux  parler  de." 

P.  98,  nème  ligne,  au  lieu  de  "applaudir  l'héroïsme,"  lisez: 
"applaudir  à  l'héroïsme." 

P.  101,  7eme  ligne,  au  lieu  de  "alla  se  nicher,"  lisez:  "se 
retira.  " 

P.  110,  23ème  ligne,  au  lieu  de  "Port»  inferi  adversus  eam  non 
prœvalebunt,  "  lisez:  "non  prœvalebunt  adversus  eam." 

P.  160,  3eme  ligne,  au  lieu  de  "où  le  corps  de  J.  C.  est  exposé," 
lisez  :  "  où  l'Hostie  sainte  est  exposée." 

P.  184,  2cme  ligne,  au  lieu  de  "qui  gladio  ferit,  etc.,"  lisez: 
"omnes  enim  qui  acceperint  gladium,  gladio  peribunt." 

P.  189,  I5eme  ligne,  au  lieu  de  "Quam  bonum,  etc.,"  lisez  : 
"  Ecce  quam  bonum,  etc.,  etc." 

P.  193,  2lème  ligne,  au  lieu  de  "sans  savoir  qu'il  se  tiouvait," 
lisez  :  "  sans  savoir  quelle  se  trouvait."  -• 

P.  194,  dernière  ligne,  au  lieu  de  "  foudroyée  par  la  foudre," 
lisez  :  "  terrassée  par  la  foudre." 


SOUVENIRS    DE   VOYAGE 


DUN 


SOLDAT  DE  PIE  IX 


Ôît<#S 


CHAPITRE  I. 


DÉPART    ET    TRAVERSÉE. 

Nous  sommes  au  24  avril  1868.  Le  printemps 
remplit  la  nature  de  ses  plus  suaves  parfums. 
Notre  globe  terrestre  semble  prendre  une  nouvelle 
vie.  Tout  le  monde  porte  sur  la  figure  l'empreinte 
de  la  plus  vive  allégresse.  Un  seul  mortel  apparaît 
avec  un  regard  sombre  et  préoccupé.  On  le  voit 
debout  sur  le  pont  du  steamer,  le  St-Georgey  les 
yeux  fixés  sur  le  séminaire  et  les  tours  de  la 
cathédrale  de  Québec.  Il  essuie  de  temps  en  temps 
une  larme  fugitive  qui  lui  sillonne  la  joue.  Le 
souvenir  de  ses  parents  et  de  ses  amis,  qu'il  va 
quitter  hélas  !   peut-être  pour  toujours,   lui  ronge 


—  2  — 

le  cœur  ;  la  sainte  vocation,  qu'il  avait  embrassée 
et  qu'il  abandonne  tout  à  coup,  est  pour  lui  un 
bien  cruel  bourreau.  Quelquefois  vous  le  voyez 
dans  l'attitude  d'un  homme  qui  est  sur  le  point 
d'entreprendre  une  action  éclatante,  mais  qui 
déploie  une  grande  hésitation  à  l'accomplir.  Quel- 
quefois vous  le  voyez  se  composant  un  extérieur  fier 
et  sérieux  et  tenant  le  monologue  suivant  :  "Adieu 
mes  parents  !  adieu  mes  amis  !  adieu  mes  braves 
compatriotes  !  je  pars  pour  Rome,  je  vole  au 
secours  de  l'immortel  Pie  IX.  La  religion  m'ap- 
pelle, le  sacrifice  est  fait." 

Il  dit,  et  le  sifflet  du  traversier  annonce  le 
départ  ;  encore  quelques  secondes,  et  l'auteur  de 
ces  lignes  aura  quitté  la  vieille  cité  de  Champlain. 
Je  vous  l'avoue  franchement,  cher  lecteur,  c'est  à 
cette  heure  solennelle  que  j'ai  parfaitement  com- 
pris qu'il  n'y  a  rien  de  plus  fort  que  l'amour  de  la 
famille  et  celui  de  la  patrie.  Il  m'a  fallu  montrer 
un  courage  presque  surhumain  pour  supporter 
autant  d'émotions  à  la  fois,  et  pour  ne  pas  fondre 
en  pleurs  comme  une  autre  Madeleine,  lorsque  le 
bateau  s'est  éloigné  du  quai  du  Grand-Tronc. 

A  huit  heures  du  même  soir,  je  pars  de  Lévis 
—  en  compagnie  d'un  brave  défenseur  de  la 
papauté,  M.  Charles  Paquet  dit  Lavallée,  qui 
occupe  aujourd'hui  un  poste  dans  la  gendarmerie 


—  3  — 

pontificale — pour  me  rendre  à  Portland,  Etats- 
Unis.  Le  voyage  entre  ces  deux  villes  est  passa- 
blement ennuyeux  et  monotone,  puisqu'il  se  fait 
pendant  la  nuit.  Mon  ami  et  moi,  nous  chantons  des 
cantiques  dédiés  à  la  Mère  de  Dieu,  pour  attirer 
sur  nous  les  bénédictions  du  Ciel,  afin  de  faire 
une  heureuse  traversée  sur  l'océan  ;  c'est  ce  qui  a 
porté  un  correspondant  à  publier  dans  Y  Union  des 
Cantons  de  V Est,  du  25  avril  1868,  les  quelques 
remarques  qui  suivent  : 

CORRESPONDANCE. 

M.  le  Rédacteur, 

11  En  revenant  vendredi  dernier  d'un  petit  voyage 
de  plaisir,  j'ai  rencontré,  dans  les  chars,  deux 
jeunes  gens  qui  m'ont  intrigué  beaucoup.  Ils 
étaient  paisibles  et  joyeux  comme  on  l'est  d'or- 
dinaire en  pensant  revoir  bientôt  des  amis  d'en- 
fance. Ce  qui  me  surprenait  surtout,  c'était  de 
les  entendre  fredonner  doucement  un  cantique 
à  Marie,  l'étoile  du  Navigateur. 

"  Rien  de  surprenant,  c'étaient  deux  zouaves 
qui  allaient  offrir  au  Saint-Père  le  secours  de  leurs 
bras  pour  repousser  les  ennemis  de  son  Siège. 

"  Que  Dieu  vous  protège,  braves  enfants  de 
l'Église,  et  que  la  Vierge  Immaculée  vous  accom- 
pagne jusqu'aux  pieds  du  Vicaire  de  Jésus-Christ. 


_4  — 

"  Leurs  noms  sont,  MM.  Charles  Paquet  et 
Charles  Rouleau,  du  diocèse  de  Québec. 

"  Un  Voyageur." 

A  la  même  date  de  cette  correspondance,  mais 
à  deux  heures  et  demie  de  relevée,  je  fais  mon 
entrée  triomphale  dans  Portland,  et  une  demi-heure 
plus  tard,  je  suis  sur  le  Belgian,  steamer  de  la 
ligne  Allan,  en  destination  de  Liverpool.  Je  n'ai 
donc  pas  eu  le  temps  de  visiter  cette  ville  améri- 
caine. J'en  ai  une  idée  bien  vague  ;  une  vue  d'en- 
semble m'est  restée  gravée  dans  la  mémoire,  et 
voilà  tout. 

Le  vingt-six,  le  temps  est  on  ne  peut  plus 
splendide.  L'océan  atlantique  est  aussi  calme  que 
notre  majestueux  St-Laurent  dans  les  plus  beaux 
jours  *de  l'été.  Je  me  promène  sur  le  pont  du  bâti- 
ment pendant  que  les  ministres  luthériens — nous 
en  avons  trois  à  bord— pérorent  dans  le  salon 
devant  quelques  auditeurs  delà  même  secte* et 
s'évertuent  à  leur  faire  comprendre  qu'avec  la 
bible  seule  on  peut  escalader  le  ciel.  Quant  à 
moi,  je  me  disais  qu'il  \Jatyait  mieux  voguer  dans 
la  barque  de  Pierre,  si  nous  voulons  arriver  au 
vrai  port  de  l'Eternité.  Mes  protestants — bons 
garçons  du  reste — ont  consacré  une  grande  partie 
de  l'avant-midi  du  dimanche  à  la  lecture  de  leur 


bible.  Le  dimanche  à  bord  d'un  steamer  !  Quelle 
triste  journée!  C'est  alors  que  vous  regrettez  le  clo- 
cher de  votre  village.  C'est  alors  que  vous  pensez  au 
vénérable  curé  qui  vous  a  ouvert  la  porte  du  ciel 
par  la  grâce  du  baptême,  qui  vous  a  conduit  pour 
la  première  fois  à  la  Sainte-Table,  qui  vous  visite, 
vous  console,  vous  bénit  et  vous  pardonne.  Mille 
réflexions  de  ce  genre  me  traversèrent  l'esprit.  Je 
pensais  encore  aux  fêtes  religieuses  qui  se  célè- 
brent au  Canada  avec  tant  de  pompe,  aux  chants 
sacrés  qui  font  retentir  la  voûte  de  nos  églises, 
aux  accords  harmonieux  de  l'orgue  qui  réjouis- 
sent l'âme,  et  aux  tintements  des  cloches  qui 
nous  invitent  à  élever  nos  cœurs  vers  la  Divinité. 
Je  me  transportais,  par  la  pensée,  dans  la  cathé- 
drale de  Québec,  et  je  me  disais  :  aujourd'hui, 
à  pareille  heure,  mes  anciens  confrères  sont 
agenouillés  au  pied  de  la  statue  de  la  sainte 
Vierge,  et  adressent  les  prières  les  plus  ferventes 
à  Celle  qui  guide  le  voyageur  à  travers  les  écueils. 
Comme  vous  le  savez,  nous  étions  dans  le  mois 
dédié  à  Marie.    Cette  pensée  me  consola. 

Vers  le  soir,  le  vent*a#gmente  ;  à  de  légères 
ondulations  ont  succédé  des  flots  irrités  qui  pren- 
nent tour  à  tour  la  forme  d'une  colline  ou  d'un 
vallon.  Mais  n'allez  pas  croire  que  nous  sommes 
en  danger,   et  que  notre  agile  bâtiment  craint  de 


■— 6  — 

fendre  les  ondes  verdoyantes  ;  non,  sa  marche, 
toujours  majestueuse,  devient  de  plus  en  plus 
rapide,  car  le  vent,  d'est  qu'il  était,  s'est  porté  à 
l'ouest  et,  tout  en  blanchissant  la  crête  des  vagues, 
frappe  avec  force  les  voiles  du  Belgian. 

Malgré  l'irritation  des  flots,  je  suis  ferme  et 
inébranlable  contre  le  mal  de  mer,  je  crois  faire  le 
voyage  sans  payer  le  tribut  exigé  par  les  minis- 
tres de  Neptune.  Sur  l'océan,  on  a  beau  crier  : 
pas  de  taxe  ;  il  faut  délier  très  souvent  les  cor- 
dons de  sa  bourse  et  déposer  son  obole  sans  mur- 
murer, heureux  encore  si  l'on  peut  s'acquitter  du 
cruel  impôt,  pendant  une  couple  de  jours. 

Les  quatre  jours  suivants,  le  temps  se  tient 
toujours  clair  et  beau.  Mais  le  vent  souffle  avec 
violence.  La  farouche  aquilon  a  ébranlé  l'océan 
jusque  dans  ses  fondements,  et  lui  a  donné  une 
teinte  d'une  blancheur  éclatante.  Les  vagues 
augmentent  en  élévation  ;  ce  ne  sont  plus  de 
simples  collines,  mais  bien  d'énormes  montagnes. 
Le  vingt-neuf  au  soir,  il  tombe  une  pluie  abon- 
dante accompagnée  de  grêle  ;  nous  sommes  sur 
les  bancs  de  Terreneuve.  Nous  rencontrons  une 
goélette  que  je  prends  en  pitié.  Nous  la  voyons 
descendre  dans  l'onde  courroucée  comme  si  elle 
ne  devait  plus  reparaître,  mais  un  instant  après 
elle  surgit  du  gouffre  avec**  agilité    et   majesté    et 


—  1 

continue  de  s'avancer  hardiment.  Pendant  ces  der- 
niers jours  nous  avons  vu  plusieurs  navires  en 
route  pour  Québec  et  Montréal.  Je  crois  que  la 
politesse  est  mieux  observée  sur  mer  que  sur  terre, 
car  tous  les  navires  qui  sont  passés  dans  notre 
rayon  visuel,  nous  ont  salués  avec  une  grande 
galanterie,  tout  en  nous  faisant  connaître  le  lieu 
de  leur  départ  et  de  leur  destination. 

J'ai  maintenant  une  excellente  idée  de  ce  que 
nous  appelons  océan.  Le  mugissement  des  vagues 
qui  moutonnent  et  le  sifflement  du  vent  dans  les 
cordages  me  font  penser  à  ces  paroles  de  Chateau- 
briand :  "  J'ai  l'immensité  sur  ma  tête,  j'ai  l'im- 
mensité sous  mes  pieds.  " 

Le  premier  de  mai,  mon  aimable  compagnon 
et  moi  nous  commençons  le  mois  de  Marie  dans 
notre  cabine.  Que  de  pensées,  que  de  souvenirs 
assiègent  notre  esprit  !  Nous  sommes  sur  l'océan, 
ballotés  par  les  flots,  et  peut-être  sur  le  bord  de  la 
tombe  !  Chassons  les  sombres  idées,  et  portons 
notre  pensée  sur  nos  parents  et  nos  amis  qui  prient 
Marie,  Stella  Maris,  pour  les  deux  voyageurs 
éloignés   de  plus  de  1,500    milles  de    leur   patrie. 

A  midi,  j'ai  entendu  une  conversation  qui  m'a 
profondément  attristé.  Un  prédicateur  allemand, 
qui  revenait  d'une  mission  dans  l'Arkansas,  dis- 
cutait   avec    un    Anglais,   qui    ne   paraissait  pas 


—  8  — 

l'approuver  en  tous  points.  Après  avoir  traité  dif- 
férentes questions  philosophiques,  mes  deux  dis- 
coureurs en  sont  venus  aux  hommes  mêmes,  aux 
philosophes,  et  le  sujet  est  tombé  sur  Voltaire.  Je 
prêtais  une  oreille  très  attentive.  L'Allemand  était 
un  admirateur  enthousiaste  de  Voltaire  ;  il  ne 
tarissait  pas  en  éloges.  On  l'entendait  dire  sou- 
vent :  "  Voltaire  is  a  very  smart  fellow.  "  "  Quel 
charmant  prédicateur,  dis-je,  en  me  tournant  vers 
mon  ami  Paquet  !  Je  suis  sûr  que  s'il  continue 
longtemps  à  parcourir  le  même  sentier  boueux,  il 
finira  ses  jours  comme  le  monstre  qu'il  adore  en 
mangeant  le  fruit  de  ses  inventions." 

Rien  d'intéressant  à  noter  pour  les  2,  3,  4  et  5  ; 
notre  steamer"est  continuellement  ballotté  par  des 
vagues  énormes  ;  nous  pouvons  à  peine  nous  tenir 
sur  le  pont.  Néanmoins,  je  ne  puis  m'empêcher  de 
dire  que  l'océan  est  magnifique  et  qu'il  proclame 
la  toute-puissance  du  Créateur. 

Le  6,  le  temps  est  nuageux,  mais  sans  pluie. 
Le  vent,  soufflant  du  sud,  nous  est  assez  favo- 
rable. Vers  quatre  heures  P.  M.,  le  vent  tombe 
complètement,  et  le  ciel  devient  clair  et  serein. 
Tout  à  coup,  à  notre  droite,  nous  apercevons  la 
terre,  "  l'Irlande  !  "  nous  sommes-nous  écriés. 
Oui,  c'est  l'Irlande  que  nous  avons  près  de  nous  ; 
elle  mérite  bien  le  nom  de  Verte-Erin,   avec  son 


—  9  — 

riche  manteau  de  verdure  que  le  soleil  darde  de 
ses  rayons  ardents.  Nous  avons  longé  les  côtes  de 
l'Ile  de  saint  Patrice  pendant  l'espace  de  20  à  30 
lieues,  et,  dans  toute  cette  étendue,  je  n'ai  eu  qu'à 
admirer  les  plus  riants  aspects. 

Les  Anglais  qui  se  trouvaient  à  bord  semblaient 
différer  de  sentiments  avec  moi  en  portant  leurs 
regards  sur  l'Irlande.  Quelques-uns  d'entre  eux 
s'exclamaient  :  "  That's  the  land  of  the  Fenians  !" 
Et  si  vous  aviez  vu  la  moue  qu'ils  faisaient  en 
prononçant   ces   paroles  de  mépris  ! 

Après  avoir  fait  escale  pendant  quelque  temps 
à  Moville,  nous  continuons  notre  course  rapide. 
Le  7  au  matin,  je  vois  dans  le  lointain  l'Ecosse 
que  dore  le  soleil  levant.  Un  grand  nombre  de 
navires  sillonnent  la  mer  d'Irlande. 

Bientôt,  l'île  of  M  an  s'offre  à  nos  regards.  Ici 
je  me  crois  au  Canada.  La  première  montagne, 
qui  s'élève  à  l'ouest  de  cette  île,  ressemble  beau- 
coup au  cap  sur  lequel  est  bâtie  la  citadelle  de 
Québec.  Les  autres  chaînes  présentent  l'aspect 
des  montagnes  qui  bordent  la  rive  nord  du  St.- 
Laurent  en  arrière  de  la  baie  St.-Paul. 

A  7  heures  P.  M.,  l'Angleterre  nous  apparaît  ; 
mais  nous  devons  attendre  deux  heures  avant 
d'entrer  dans  le  port  de  Liverpool.  Nous  avons 
devant  nous  un  banc  de  sable  que  nous  ne  pour- 


—  10  — 

rons  franchir  qu'avec  la  haute  marée.  Véritable 
supplice  de  Tantale  !  Etre  si  près  de  la  fière 
Albion  et  ne  pas  pouvoir  y  mettre  le  pied.  Tout 
de  même  il  faut  bien  se  résigner  à  son  sort. 

Enfin,  à  io  heures,  nous  entrons  dans  le  port 
tant  désiré.  Bien  que  les  ténèbres  couvrent  depuis 
longtemps  la  surface  du  globe,  il  nous  est  donné 
cependant  de  jouir  d'un  spectacle  vraiment  féeri- 
que. Nous  sommes  dans  la  rivière  Mersey,  et  sur 
chaque  rive  s'étend  une  longue  traînée  lumineuse 
formée  par  des  milliers  de  becs  de  gaz,  et  qui  se 
perd  dans  le  lointain.  Figurez-vous  être  devant  la 
citadelle  de  Québec,  au  milieu  de  notre  beau  St- 
Laurent,  par  une  soirée  d'été,  et  les  yeux  tournés 
vers  l'île  d'Orléans.  A  votre  droite,  vous  avez  la 
Pointe-Lévis,  à  votre  gauche,  Québec  et  la  côte 
de  Beaupré.  Figurez-vous  de  plus  une  illumination 
générale  des  différents  édifices  qui  parsèment  cette 
immense  étendue,  et  vous  aurez  une  idée  du  pano- 
rama qui  se  déroule  devant  moi. 

.  A  10  heures  et  quinze  minutes,  je  foule  du 
pied  le  sol  du  Royaume-Uni  de  la  Grande-Bre- 
tagne et  d'Irlande. 

Comme  vous  avez  pu  le  constater,  la  traversée 
qui  s'est  effectuée  dans  l'espace  de  douze  jours  et 
demi  a  été  très  heureuse.  La  distance  qui  nous 
sépare  maintenant  de  Portland  est  de  2,892  milles. 


CHAPITRE  II.  . 


PASSAGE  EN  ANGLETERRE  ET  EN  FRANCE. 

Liverpool  est  un  des  plus  beaux  ports  de  l'Eu- 
rope. Quand  on  contemple  cette  forêt  de  mâts 
sur  la  rivière  Mersey,  on  se  convainc  aisément  que 
cette  ville  fait  un  commerce  très  étendu.  On  y 
voit  des  navires  de  toutes  les  nations  du  monde. 
Dans  les  rues,  vous  ne  coudoyez  que  des  gens 
d'affaires  qui  vont  et  viennent.  C'est  un  trans- 
bordement continuel  de  marchandises. 

Le  lendemain  matin,  c'est-à-dire  le  8  de  mai, 
je  descends  dans  l'immense  capitale  d'Albion. 

Je  ne  fais  que  traverser  Londres  et  jeter  un 
coup  d'ceil  rapide  sur  le  dôme  de  Saint-Paul,  que 
les  Anglais  comparent,  dans  leur  orgueil,  à  celui 
de  la  splendide  basilique  de  Saint-Pierre  de 
Rome.  Je  pars  immédiatement  pour  New-Haven, 
petit  port  de  mer  qui  se  trouve  sur  le  bord  de  la 
Manche. 

Pendant  le  trajet  de  Liverpool  à  ce  dernier 
port,  j'ai  admiré  l'exquise  politesse  que  les  con- 
ducteurs des  convois  de   chemins  de  fer  montrent 


—  12  — 

à  l'ég?.rd  des  passagers.  Les  champs,  couverts 
d'une  riche  moisson,  m'ont  paru  être  cultivés  avec 
\  un  soin  très  intelligent.  On  voit  que  la  science  et 
l'ordre  président  aux  travaux  agricoles.  Tout  y 
est  d'une  beauté  ravissante. 

New-Haven  est  une  ville  peu  considérable,  et 
les  édifices  sont  d'une  apparence  assez  médiocre  ; 
ce  qui  en  fait  l'importance,  c'est  son  port.  On  y 
admire  un  grand  nombre  de  bâtiments  à  vapeur  et 
à  voile  qui  trouvent  un  refuge  très  sûr  dans  ce 
havre.  Mais  en  somme,  résider  en  cette  ville  est 
on  ne  peut  plus  ennuyeux.  On  n'entend  que  le 
piétinement  et  le  hennissement  des  chevaux  qui 
traînent  d'énormes  wagons  remplis  de  charbon  de 
terre,  que  l'on  expédie  à  des  contrées  éloignées, 
et  le  chant  monotone  ou  les  cris  nasillards  des 
nautonniers,  qui  s'empressent  de  terminer  le  char- 
gement de  leurs  navires. 

Malgré  le  peu  d'agrément  qu'offre  ce  port,  je 
suis  forcé  de  demeurer  toute  une  journée  dans  le 
grand  hôtel  appelé  London  and  Paris  ;  aussi 
lorsque  le  sifflet  du  steamer,  qui  doit  m'emporter 
au  delà  de  la  Manche,  annonce  le  départ,  je  ne 
me  fais  pas  prier  pour  me  rendre  dans  ma  cabine. 
Il  était  alors  onze  heures  du  soir  ;  c'est,  comme 
vous  le  voyez,  l'heure  où  Morphée  invite  les  heu- 
reux  mortels  à  prendre  un  peu  de  repos.    Je  me 


—  13  — 

jetai  donc  dans  ses  bras  avec.  joie.  Lorsque  je 
m'éveillai,  le  soleil  inondait  déjà  de  sa  lumière 
jaunâtre  la  surface  de  la  plaine  liquide,  et  les 
côtes  de  ta  France  se  montraient  à  l'horizon.  La 
Manche  était  très  calme  et  sillonnée  en  tous  sens 
par  de  petites  barques  de  pêcheurs.  Mon  cœur 
battait  avec  violence  en  voyant  pour  la  première 
fois  le  beau  pays  des  Cartier,  des  Champlain,  des 
Laval,  des  Montcalm,  etc. 

Et  qui  pourrait  retracer  toutes  les  émotions 
que  j'éprouvai  en  débarquant  à  Dieppe,  en  foulant 
le  sol  de  l'ancien  continent,  de  cette  France  tant 
vantée  dans  l'histoire  ?  J'y  voyais  passer  tour  à 
tour  la  barbarie  et  la  civilisation  ;  la  barbarie  avec 
ses  Goths,  ses  Huns  et  ses  Normands  ;  la  civilisa- 
tion avec  ses  Clovis,  ses  Charlemagne  et  ses 
saint  Louis.  Que  de  combats  livrés  sur  la  terre 
que  j'ai  le  bonheur  de  contempler  !  Que  de  sang 
versé  pour  satisfaire  l'ambition  d'un  tyran  ou  d'un 
empereur  aveuglé  par  ses  nombreuses  victoires  et 
que  l'orgueil  seul  conduit  sur  le  champ  ,de 
bataille  ! 

A  peine  débarqué  à  Dieppe,  je  saute  dans  un 
train  qui  part  pour  Rouen,  et  je  traverse,  dans 
toute  son  étendue,  la  célèbre  vallée  de  la  Nor- 
mandie. Quel  est  le  peintre  qui  pourrait  retracer 
toutes  les  beautés  et  tous   les  charmes  que  renfer- 


—  14  — 

me  cette  vallée  grandiose  ?  Ici,  la  Seine,  bordée 
d'arbres  magnifiques,  coule  dans  la  campagne 
fleurie  en  faisant  de  gracieux  détours  ;  là,  un  riant 
bocage  invite  le  voyageur  fatigué  à  prendre  un  peu 
de  repos.  Plus  loin,  un  château  fortifié,  dont  les 
tours  s'élèvent  jusqu'aux  nues,  nous  transporte  à 
cette  époque  qu'on  appelle  le  Moyen-Age. 
Plus  loin  encore,  de  beaux  villages  aux  toits 
de  chaume,  qui  conservent  la  simplicité  du  bon 
vieux  temps.  "  O  patrie  de  mes  ancêtres,  tu  m'es 
chère  à  plusieurs  titres.  Tu  me  rappelles  de  bien 
doux  souvenirs.  C'est  de  ton  sein  que  sont  partis 
la  plupart  de  ces  vaillants  guerriers  qui  se  sont 
illustrés  sur  les  bords  de  la  rivière  Monongahéla,  à 
Carillon,  et  sur  les  plaines  d'Abraham  ;  c'est  d'ici 
que  s'est  envolé  cet  essaim  de  missionnaires  qui 
n'ont  pas  hésité  à  s'enfoncer  dans  nos  forêts  pour 
évangéliser  les  peuples,  et  à  répandre  leur  sang 
pour  le  triomphe  de  la  croix,  déjà  arrosée  du  sang 
du  Christ." 

Mais  trêve  aux  impressions  et  entrons  dans 
Rouen,  l'orgueil  des  Normands.  Nous  sommes 
reçus  par  M.  l'abbé  Boullard,  aumônier  de  l'Hôtel- 
Dieu.  Une  lettre  de  recommandation  de  Mgr  l'ar- 
chevêque de  Québec  nous  a  valu  cet  honneur.  Je 
ne  saurais  exprimer  ici  toutes  les  bontés  et  les 
amabilités  de  notre  respectable  hôte,  car  il  y  a  des 


—  15  — 

choses  qu'on  éprouve,  mais  qu'on  ne  peut  redire. 
Les  deux  jours  que  nous  avons  passés  sous  le 
toit  de  cet  homme,  éminent  par  la  science  et  la 
vertu,  ont  été  de  vrais  jours  de  fête.  Promenades, 
visites  et  festins,  tout  a  été  employé  par  lui  pour 
faire  disparaître  les  fatigues  de  notre  long  et  péni- 
ble voyage.  Il  a  voulu  lui-même  nous  servir  de 
guide  pour  nous  faire  visiter  la  ville  et  ses  nombreux 
monuments,  entre  autres  la  cathédrale,  l'église  de 
St-Ouen,  et  la  place  où  fut  brûlée  Jeanne  d'Arc. 
Tous  les  monuments  anciens  et  nouveaux  satisfont 
pleinement  la  curiosité  des  touristes.  En  un  mot, 
Rouen  m'a  plu.  Mais,  ce  que  je  regrette  de  dire  à 
la  honte  de  notre  ancienne  mère-patrie,  c'est  que 
la  loi  divine  concernant  les  dimanches  et  les  fêtes 
n'y  est  pas  observée  par  une  certaine  partie  de  la 
population.  Pendant  que  je  me  rendais  de  l'Hôtel- 
Dieu  à  la  cathédrale,  où  je  devais  entendre  la 
messe  célébrée  par  le  cardinal  de  Bonnechose — 
car  c'était  grande  fê£e  ce  jour-là — je  rencontrai 
plusieurs  centaine*  d'ouvriers  qui  se  dirigeaient 
vers  le  lieu  de  leur  travail.  J'en  fis  la  remarque 
à  monsieur  Boullard  qui  m'accompagnait,  et  il  me 
répondit  en  essuyant  une  larme  :  "  C'est  comme 
ça  tous  les  dimanches.  On  ne  va  pas  à  la  messe. 
Il  y  aura  encore  de  grands  malheurs  en  France." 
Je   pris  ces  paroles  comme  une  prophétie,  et  je 


/ 


—  If— 

vois  qu'elle  a  commencé  à  s'accomplir  et  qu'elle 
finira  bientôt  par  se  réaliser  complètement. 

Je  ne  puis  dire  adieu  à  la  quatrième  ville  de 
France,  suivant  la  géographie,  sans  vous  parler  de 
la  charmante  petite  église  de  Notre-Dame-de- 
Bonsecours.  Cette  église,  bâtie  récemment  grâce 
à  la  générosité  de  quelques  braves  citoyens,  se 
trouve  à  deux  milles  et  à  l'est  de  la  ville,  si  je  ne 
me  trompe  pas.  C'est  un  lieu  de  pèlerinage  très 
fréquente  N.-D.-de-Bonsecours  est  un  véritable 
bijou.  Tout,  à  l'intérieur,  est  d'or,  d'argent  et  de 
pierres  les  plus  précieuses.  En  entrant  dans  ce 
saint  sanctuaire,  la  vue  est  pour  ainsi  dire  éblouie 
par  l'éclat  qui  y  règne.  On  se  croirait  transporté 
au  séjour  de  la  divine  Beauté  !  ■'  Voyageur,  qui 
que  vous  soyez,  si  vous  avez  le  bonheur  d'entrer  à 
Rouen,  n'oubliez  pas  d'aller  faire  une  courte  prière 
dans  ce  pieux  asile  du  pécheur,  et  vous  verrez  que 
vous  en  reviendrez  le  cœur  tout  soulagé." 

Le  il  de  mai,  nous  fûmes  obligés  de  nous 
séparer  de  ce  saint  prêtre,  de  celui  qui  nous  avait 
donné  une  si  gracieuse  hospitalité.  Lorsque  nous 
lui  fîmes  nos  adieux,  de  grosses  larmes  coulèrent 
de  notre  paupière.  Pouvait-il  en  être  autrement, 
nous  qui,  étant  deux  étrangers,  deux  inconnus, 
étions  l'objet  de  tant  de  faveurs  ?  "  O  aimable 
Monsieur   Boullard,   vous  n'êtes   plus  dans   cette 


— 11  — 

vallée  de  larmes,  mais  je  porte  votre  nom  gravé 
dans  mon  cœur,  et  le  souvenir  de  vos  bontés  ne 
s'effacera  jamais  de  ma  mémoire.  Du  haut  du  ciel, 
daignez  jeter  un  regard  sur  votre  petit  abbé  et  votre 
grande  barbe,  noms  que  vous  vous  plaisiez  à  nous 
donner  lorsque  nous  étions  auprès  de  vous.  Que 
par  votre  intercession,  nous  puissions  un  jour  aller 
vous  rejoindre  dans  le  royaume  des  Bienheureux.  " 

Le  même  jour  nous  traversons  Paris  au  pas 
gymnastique.  J'ai  le  temps  tout  simplement  de 
jeter  les  yeux  sur  le  Louvre,  les  Tuileries,  le  Palais 
impérial,  la  colonne  Vendôme,  l'Arc -de-1'Etoile, 
Notre-Dame,  etc.  Toutes  ces  richesses  artistiques 
passent  devant  moi  comme  un  fantôme. 

Le  12,  je  suis  installé  dans  l'hôtel  du  Vatican, 
à  Marseille.  Plusieurs  villes  ont  frappé  mes  regards 
depuis  mon  départ  de  la  capitale  de  France,  telles 
que  Fontainebleau,  Dijon,  Lyon  et  Avignon.  Ces 
deux  dernières  villes  me  rappelaient,  l'une  de  bien 
doux,  l'autre  de  bien  tristes  souvenirs.  Lyon 
m'apparaissait  avec  son  magnifique  pèlerinage  de 
Notre-Dame-de-Fourvières  et  semblait  répéter  à 
mon  cœur  ces  consolantes  paroles  :  "  C'est  lâ- 
haut  que  sont  montés,  il  y  a  deux  mois,  1 3  5 
courageux  jeunes  gens,  partis  de  la  même  patrie 
que  toi."  J'aurais  bien  voulu  jouir  du  même  bon- 
heur, mais  le  temps,  cet  insigne  larron,  ne  me  l'a 


—  18  — 

pas  permis.  Avignon  vint  ensuite  me  tirer  de  la 
rêverie  dans  laquelle  j'étais  plongé,  mais  le  lan- 
gage qu'elle  me  tint  était  empreint  d'une  pro- 
fonde tristesse  :  "  Voici,  me  dit-elle,  la  résidence 
des  papes  pendant  le  grand  schisme  qui  a  désolé 
trop  longtemps  l'Église  catholique,  notre  sainte 
mère,"  et  au  même  instant  plusieurs  pages  de 
l'histoire  ecclésiastique  se  présentèrent  à  mon 
esprit. 

Marseille  est  la  troisième  ville  du  royaume  de 
France.  Outre  sa  vaste  étendue  et  les  grandes 
richesses  qu'elle  renferme,  elle  possède  un  beau 
port  de  mer,  toujours  couvert  de  navires  marchands. 
C'est  une  ville  où  le  commerce  se  fait  sur  une 
grande  échelle.  Les  rues  sont  très  larges  et  entre- 
tenues avec  une  grande  propreté.  La  Cannebière 
(la  plus  grande  rue)  fait  l'orgueil  des  Marseillais. 
"  Si  Paris,  disent-ils,  avait  une  Cannebière,  ça 
serait  un  petit  Marseille."  Sapristi  !  ces  fiers 
Marseillais  sont  par  trop  aveuglés  sur  l'importance 
de  leur  Cannebière  ! 

Les  édifices  de  Marseille  sont  d'une  beauté 
remarquable.  Les  églises  méritent  une  visite  toute 
spéciale. 

Je  suis  allé,  le  i  3  au  matin,  entendre  une  messe 
basse  à  l'église  de  la  Trinité.  Je  l'avoue  franche- 
ment, je  n'ai  pas  eu  la  ferveur  d'un  saint  François 


—  19  — 

de  Salles.  Mais  il  faut  être  sincère  ;  toute  autre 
personne,  dont  l'oreille  est  familière  avec  la  pro- 
nonciation latine,  aurait  pu  en  faire  autant  que 
moi.  C'était  un  vieux  prêtre  français  qui  célébrait 
l'office  divin  ;  or,  voici  comment  il  prononçait  le 
latin  à  voix  haute  et  distincte  ;  je  cite  certains 
passages  isolés  :  "  Per  Jeson  Christon  Domiîion 
nostron,  sœcula  sœculoron,  surson  corda!'  Si  ce 
n'eût  été  la  sainteté  du  lieu  où  je  me  trouvais, 
j'aurais  ri  à  gorge  déployée. 

Après  la  messe,  mon  ami  Paquet  et  moi,  nous 
dirigeons  nos  pas  vers  la  colline  où  s'élève  la 
superbe  église  de  Notre-Dame  de  la  Garde.  C'est 
encore  un  autre  bijou.  Notre-Dame  de  la  Garde 
est  d'une  grande  richesse,  et  elle  occupe  une  posi- 
tion qui  nous  permet  de  jouir  d'un  spectacle  ravis- 
sant. Cette  église,  dont  l'intérieur  est  tout  en 
marbre,  domine  la  ville  et  le  port.  C'est  du  haut 
de  ce  cap  que  Marie  protège  le  marin  que  la  tem- 
pête menace  d'engloutir  dans  les  flots  de  la  Médi- 
terranée. Les  nombreux  ex-voto,  suspendus  aux 
murs  de  cette  chapelle,  sont  une  preuve  vivante 
des  innombrables  miracles  opérés  par  l'Étoile  des 
mers.  Tous  les  pans  de  l'édifice  en  sont  littérale- 
ment couverts,  et  même  la  place  n'a  pas  suffi,  car 
on  en  voit  plusieurs  centaines  dans  la  crypte. 
Celle-ci  a  été  entièrement  pratiquée  dans  le  roc. 


—  20  — 

La  main-d'œuvre  a  dû  nécessiter  de  grandes  dé- 
penses. 

Deux  heures  s'étaient  déjà  écoulées  depuis  mon 
entrée  dans  ce  sanctuaire,  et  il  me  semblait  que 
je  venais  d'y  pénétrer.  Dans  l'intervalle,  j'eus  le 
bonheur  incomparable  d'entendre  la  sainte  messe. 
Je  déployai  alors  une  plus  grande  dévotion  que  le 
matin.  <> 

A  huit  heures  du  soir,  nous  étions  à  bord 
d'un  des  steamers  des  Messageries  Impériales,  le 
Saintonge,  qui  partait  le  même  jour  pour  l'Italie. 
Le  temps  était  très  beau  et  la  Méditerranée  fort 
paisible.  Une  demi-heure  plus  tard,  le  steamer 
s'élançait  à  toute  vitesse  sur  les  flots  et  nous 
emportait  loin  de  la  France. 


CHAPITRE  III. 


SUR  LA  MÉDITERRANÉE  ET  ARRIVÉE  A  ROME. 

Le  14,  le  temps  et  le  vent  continuent  de  favo- 
riser notre  marche  sur  la  Méditerranée.  Je  passe 
la  journée  sur  le  pont  du  bâtiment,  et  pendant  que 
je  prends  mes  ébats  sous  les  rayons  bienfaisants 
du  soleil,  je  fais  connaissance  de  deux  anciens 
zouaves  de  l'armée  pontificale,  qui  vont  se  ranger 
de  nouveau  sous  l'étendard  du  Pontife-Roi.  Leurs 
noms  sont  :  MM.  de  Lauzon  et  de  Nolhac.  Le 
premier  se  dit  être  un  des  descendants  de  M.  de 
Lauzon  qui  gouverna  le  Canada  depuis  165 1 
jusqu'à  1656.  En  pareille  compagnie,  le  temps 
passe  vite.  Nous  causons  pendant  plusieurs  heures 
des  affaires  de  l'Italie  en  général,  et  de  la  bataille 
de  Mentana  en  particulier.  Ces  deux  braves  avaient 
pris  part  à  ce  combat  ;  ils  pouvaient  par  consé- 
quent me  donner  des  renseignements  précis  sur  ce 
beau  fait  d'armes. 

Cependant,  la  conversation  n'absorbe  pas  toutes 
mes  heures  de  loisir.   Il   faut  aussi  que  je  laisse 


—  22  — 

agir  la  vue,  qui  est   suffisamment  exigeante   en 
pareille  circonstance.   D'un  côté,  s'élèvent  les  côtes 
de  la  Toscane  et  l'île  d'Elbe  ;  de   l'autre,  l'île  de 
Corse   et   plusieurs   autres   îlots  dont  j'ignore   les 
noms.   La  Corse  et  l'île  d'Elbe  !   que  de  souvenirs 
classiques  vous  rappelez  à  ma  mémoire  !   La  pre- 
mière  voit    naître   cet   homme   qui,  du   grade  de 
petit   caporal,    est   monté,    par   son    génie   et    son 
audace,  sur  le  trône  d'un  vaste  empire,  sur  le  trône 
de   la   fille    aînée  de  l'Eglise,  cet  homme  que   la 
Providence  avait   choisi    pour   châtier  les  peuples, 
cet  homme  enfin   qui   fit  trembler   l'Europe.      La 
seconde  est  le  témoin  muet  de  la  chute  du  même 
conquérant,    de  ce    grand    Napoléon    qui    eut    la 
témérité    de    mettre   la    main    sur  le    Pape.   Les 
Napoléon    sont    morts   dans    l'exil   et   loin   de  la 
France  ;   la  papauté  vit  encore  et,  du  Vatican,  elle 
gouverne  le   monde.   Tous   les   conquérants  et  les 
persécuteurs   de  l'Eglise  passeront,   mais    le  Pape 
restera.  Le  sort  du  héros  d'Austerlitz  et  de  Wagram 
devrait  faire  réfléchir  tous  ceux   qui   s'attaquent  à 
l'Eglise   catholique  ;     que     ceux-ci    comprennent 
donc    que  tous  leurs    efforts   n'aboutissent    qu'au 
triomphe  de  l'épouse  du  Christ.   En  passant  près 
du  lieu  du  premier  exil   de   Napoléon,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  s'écrier  :   "  sic  transit  gloria  mundi" 
Le  I  5,  à  cinq  heures  du  matin,  nous  arrivons  à 
Civita-Vecchia,  la  ville  la  plus  fortifiée  des  Etats- 


—  23  — 

Pontificaux.  Comme  son  nom  l'indique,  c'est  une 
vieille  ville,  et  à  part  ses  fortifications,  son  bagne 
et  son  beau  port,  elle  n'offre  que  peu  d'intérêt. 
Nous  y  passons  néanmoins  une  grande  partie  de 
la  journée,  le  train  du  matin  partait  comme  nous 
-  mettions  le  pied  dans  la  gare.  Fâcheuse  décep- 
tion !  Mais  prenons  patience,  la  vie  est  remplie  de 
contrariétés. 

A  trois  heures  P.  M.,  le  convoi  nous  emporte 
vers  la  Ville  sainte.  Nous  approchons  donc  du 
terme  de  notre  voyage.  Il  me  semble  que  je 
respire  maintenant  un  air  plus  pur.  Le  silence 
de  la  campagne  romaine  répand  dans  l'âme  un 
baume  des  plus  délicieux.  Nous  sommes  dans  une 
grande  plaine  bornée,  d'un  côté,  par  la  mer,  et  de 
l'autre,  par  de  hautes  montagnes.  Le  Tibre  se  joue 
dans  cette  campagne  en  décrivant  mille  sinuosités. 
Des  troupeaux  de  buffles  et  de  mulets  errent  dans 
ces  solitudes.  Quelques  trattorie,  disséminées,  ça 
et  là,  indiquent  seules  que  ce  pays  est  habité. 

Bientôt  nous  découvrons  la  superbe  coupole  de 
Saint- Pierre  et  le  fort  St-Ange.  La  basilique  de 
St-Paul  s'offre  ensuite  à  nos  regards.  Enfin  nous 
entrons  dans  la  gare  des  Termini,  nous  sommes 
dans  la  capitale  du  monde  chrétien,  dans  la  ville 
des  Pontifes,  le  centre  de  l'unité  catholique.  Ah  ! 
quelle   joie    ineffable  j'éprouvai    en   ce    moment 


—  24  — 

suprême  !     Toutes   mes    fatigues   et    toutes    mes 
peines  s'évanouirent  à  l'instant. 

A  sept  heures  P.  M.,  nous  avons  le  bonheur  de 
presser  la  main  de  notre  cher  et  digne  aumônier, 
M.  l'abbé  Moreau,  que  Mgr  de  Montréal  avait 
choisi  pour  conduire  à  Rome  le  premier  détache- 
ment des  zouaves  canadiens.  Vu  l'heure  avancée 
de  la  soirée,  nous  remettons  au  lendemain  notre 
entrevue  avec  nos  aimables  castors,  nom  par  lequel 
le  lt-colonel  de  Charette  distinguait  souvent  nos 
compatriotes  des  autres  nations,  et  nous  descen- 
dons à  l'hgtel  de  la  Minerve,  où  un  bon  souper  et 
un  bon  lit  nous  attendaient. 

Le  matin  suivant,  aussitôt  que  le  jour  com- 
mence à  poindre,  nous  volons  vers  la  basilique  de 
St-Pierre,  où,  agenouillés  près  de  la  confession, 
nous  remercions  la  Vierge  Immaculée  et  son  divin 
Fils  de  nous  avoir  accordé  un  aussi  heureux 
voyage. 

En  revenant  de  notre  excursion  matinale,  nous 
passons  par  le  mont  Janicule,  où  se  trouvaient 
casernes  nos  amis.  Mais  encore  un  désappointe- 
ment :  les  Canadiens  étaient  à  faire  l'exercice. 
Néanmoins  notre  ennui  ne  fut  pas  de  longue 
durée  ;  car  bientôt  nous  voyons  apparaître  dans 
la  magnifique  allée  d'arbres  qui  bordent  la  caserne, 
une   compagnie   de  zouaves   commandée   par   le 


—  25  — 

capitaine  de  Kermoal.  Gauche,  droite,  emboîtez, 
conservez  le  pas,  halte,  à  droite  alignement,  face  à 
droite,  rompez  vos  rangs  !  Ce  sont  les  Canadiens 
qui  arrivent. 

Quelques-uns  de  nos  compatriotes  nous  ont 
déjà  reconnus  ;  car,  malgré  la  rigueur  de  la  disci- 
pline, ils  n'avaient  pu  s'empêcher  de  tourner  la 
tête  vers  nous.  L'apparition  de  deux  pékins  à  la 
porte  de  la  caserne  les  intriguait.  Les  rangs  une 
fois  rompus,  nous  nous  voyons,  en  un  instant, 
entourés  de  nos  amis  et  de  tous  les  zouaves  cana- 
diens, empressés  d'accueillir  de  nouveaux  compa- 
gnons d'armes. 

Vous  raconter  la  scène  qui  se  passa  alors  est 
au-dessus  de  mes  forces,  et  ne  saurait,  du  reste, 
trouver  place  dans  un  simple  récit  de  voyage.  L'un 
s'informe  de  son  vieux  père.  "  Quand  je  suis  parti 
du  Canada,  dit-il,  il  n'était  pas  bien  portant.  Com- 
ment va-t-il  maintenant  ?  Dieu  lui  a-t-il  rendu  la 
santé?"  L'autre  demande  des  nouvelles  de  sa  bonne 
maman  :  lui  a-t-elle  écrit  ?  lui  envoie-t-elle  quel- 
ques baïoqnes  pour  prendre  un  petit  café  au  lait  de 
temps  en  temps  ?  Un  troisième  veut  savoir  si  sa 
petite  sœur  Clara,  le  Benjamin  de  la  famille,  est 
mariée.  Un  quatrième,  qui  n'a  ni  père,  ni  mère, 
ni  frère,  ni  sœur,  nous  interroge  sur  monsieur  le 
curé  de   la  paroisse.    Un   cinquième   nous  souffle 


—  26  — 

cette  parole  dans  le  tuyau  de  l'oreille  :  "  Je  désire 
vous  voir  en  particulier."  Nous  étions  heureux 
d'avoir  une  raison  quelconque  de  nous  éloi- 
gner du  groupe  qui  nous  entourait  ;  car  nos  poches, 
qui  étaient  remplies  de  lettres  et  de  commissions, 
étaient  vides,  et,  sans  cet  incident,  nous  aurions  été 
obligés  de  nous  procurer  une  machine  à  réponses 
pour  satisfaire  tout  le  monde. 

Ami  lecteur,  si  vous  vous  êtes  absenté  quelque 
temps  de  votre  patrie,  vous  devez  savoir  que  le 
moindre  détail,  concernant  la  famille  et  le  pays, 
réjouit  le  cœur  et  lui  donne  de  la  force  et  de  l'éner- 
gie. La  plus  petite  nouvelle  intéresse  et  prend  alors 
une  importance  majeure.  On  veut  tout  connaître, 
et  l'on  craint  toujours  d'oublier  quelque  chose.  Je 
fis  donc,  dans  cette  première  rencontre  avec  mes 
chers  zouzous,  tout  ce  que  je  pus  pour  satisfaire 
leur  curiosité.  Si  j'ai  un  reproche  à  m'adresser,  c'est 
de  n'avoir  pas  fait  assez  honneur  au  déjeûner  que 
nous  présentèrent  nos  camarades.  Qu'on  me  par- 
donne ce  péché  mignon,  je  n'avais  pas  le  goût  pré- 
paré au  macaroni  et  aux  haricots  des  Romains. 

Le  18  mai,  nous  sommes  les  plus  heureux  des 
mortels.  Nous  avons  signé  notre  engagement 
comme  zouaves  pour  deux  années,  et  nous  portons 
la  livrée  des  défenseurs  de  la  papauté.  Pie  IX  sera 
désormais  notre  roi.    Nous  aurons  certainement  à 


-27- 

supporter  beaucoup  de  privations  ;  mais  comme 
l'exprime  si  bien  le  zouave,  ce  sera  pour  la  bonne 
cause,  la  cause  de  l'Eglise  catholique.  Nous  som- 
mes casernes  sur  le  Janicule  avec  tous  les  autres 
Canadiens. 


CHAPITRE  IV. 


UNE  JOURNÉE  DE  ZOUAVE — UN  ÉPISODE. 

Depuis  mon  retour  au  Canada,  on  m'a  posé  bien 
souvent  la  question  suivante  :  "  Quelles  étaient  vos 
occupations  journalières,  lorsque  vous  viviez  à 
l'ombre  du  drapeau  jaune  ?  "  La  réponse  est 
celle-ci  :  Nos  occupations  étaient  nombreuses  et 
variées.  Généralement,  le  réveil  sonnait  à  cinq 
heures.  Ici,  tout  se  fait  au  moyen  de  sonneries  ; 
le  clairon  est  notre  principal  commandant.  Le 
cuisinier-en-chef  et  son  assistant  parcourent  alors 
les  différentes  chambrées  pour  faire  la  distribution 
du  café  noir  ;  chaque  zouave  en  reçoit  un  demi- 
litre  environ,  et  c'est  là  tout  son  déjeûner.  Néan- 
moins, ce  café  a  la  propriété  de  décoller  la  paupière 
et  de  faire  circuler  le  sang  dans  les  veines. 

Dix  minutes  après  le  réveil,  le  sergent-major 
fait  l'appel  des  soldats  de  sa  compagnie  à  la  porte 
de  la  caserne,  et  l'officier  de  semaine  passe  ensuite 
dans  les  rangs  pour  faire  l'inspection.  Cette  revue 
est  le  cauchemar  du  zouave  ;  car  c'est  alors  que 
les  punitions  abondent.  La  moindre  tache  sur  sa 
tenue  et  un  peu  de  poussière  sur  sa  giberne  ou  ses 


—  30  — 

souliers  suffisent  pour  faire  donner  au  soldat  deux 

jours  de  consigne  ou  quatre  corvées  à  l'œil.     Deux 

jours  de  consigne  signifient  que  celui  qui  a  mérité 

cette  punition  est  obligé  de  rester  à  la  caserne 

pendant  ce  laps  de  temps,  et  de  répondre  à  l'appel 

du  caporal  de  garde   toutes   les  fois   que   celui-ci 

juge  à  propos  de  rassembler  les  consignés.      Si  un 

consigné   se    paie    la  fantaisie  d'aller    faire    une 

promenade  dans  la  ville  et  qu'il  soit  vu  par  un 

sous-officier,  qui  en  fasse  rapport  au  commandant 

de  la  compagnie,  le  délinquant   sera,    pour  cette 

nouvelle  faute,  mis  au  clou,  c'est-à-dire  à    la  salle 

de  police.      Les  corvées  à  l'œil  n'empêchent  pas 

de  sortir,  mais  elles  ont   l'inconvénient  d'exposer 

le  coupable   à  faire   des   travaux   peu   enviables, 

tels  que  les  corvées  de    quartier.      Cette    dernière 

besogne  est  ordinairement  le  partage  des  soldats 

punis  de  salle  de  police  et  de  consigne. 

L'inspection  une  fois  terminée,  nous  partons 
pour  l'exercice,  soit  de  peloton,  soit  de  compagnie, 
soit  enfin  de  bataillon.  Cet  exercice  dure  presque 
toujours  trois  heures.  C'est  passablement  long  et 
fatigant  ;  mais  les  heures  s'écoulent  bien  vite 
quand  on  manœuvre.  Et  puis,  les  recrues  nous 
donnent  parfois  beaucoup  d'agrément,  surtout  les 
Bretons  qui,  comme  vous  le  savez,  ont  la  tête 
dure.  Les  instructeurs   consacrent   des   semaines 


—  31  — 

entières  à  leur  faire  apprendre  tête  droite,  tête 
g-aucfie,  et  encore  ils  n'y  réussissent  pas  toujours. 
En  France,  les  sergents  qui  sont  chargés  des 
recrues  bretonnes  emploient,  m'a-t-on  dit,  un 
moyen  mécanique  très  ingénieux  pour  faire  exé- 
cuter ces  premières  notions  de  l'école  du  soldat. 
Au  lieu  de  commander  tête  droite  ou  tête  gauche, 
ils  placent  à  la  droite  de  la  recrue  une  botte  de 
foin  et  à  sa  gauche,  une  botte  de  paille,  et  après 
avoir  pris  ces  précautions,  les  instructeurs  crient  : 
Foin,  quand  il  s'agit  de  regarder  à  droite,  et  paille 
pour  la  direction  opposée.  De  cette  manière  on 
parvient  à  faire  quelques  progrès.  Cette  méthode 
ne  laisse  pas  que  d'être  très  comique  ;  on  doit  se 
croire  dans  un  gras  pâturage. 

Après  l'exercice,  nous  retournons  à  la  caserne 
pour  recevoir  les  ordres  du  jour,  qui  nous  sont 
communiqués  par  les  sergents-fourriers.  Nous 
savons  alors  ce  que  nous  aurons  à  faire  le  reste 
de  la  journée.  Quant  à  la  3 me  compagnie  de 
dépôt,  son  programme  variait  rarement:  nous 
étions  certains  que  tous  les  jours,  de  onze  heures 
à  midi,  il  y  avait  inspection  des  tentes  par  le  capi- 
taine de  Kermoal,  et  malheur  à  ceux  qu'il  trouvait 
en  défaut  ! 

Vers  neuf  heures,  et  toujours  au  son  du  clairon, 
nous  courons  à  la  cuisine  chercher  nos  gamelles 


—  32  — 

remplies  de  soupe.  Cette  soupe  est  faite  au  pain 
avec  quelques  brins  de  légumes,  et  une  apparence 
de  morceau  de  bœuf.  Voilà  pour  notre  dîner. 
Pour  des  Canadiens,  c'est-à-dire  des  hommes 
habitués  à  vivre  sous  un  climat  froid,  ce  n'est  pas 
assez  ;  passe  pour  des  Italiens,  qui  font  un  bon 
repas  avec  une  demi-livre  de  pain  et  un  verre  de 
vin.  Aussi,  dans  nos  premiers  mois  de  service, 
plusieurs  d'entre  nous  eurent-ils  à  souffrir  de  la 
faim  ;  mais  nous  supportions  tout  avec  résigna- 
tion, en  répétant  à  chaque  contrariété  qui  nous 
arrivait  :  "  C'est  pour  la  bonne  cause." 

Depuis  midi  jusqu'au  rata,  c'est-à-dire  jusqu'à 
trois  heures,  nous  étions  maîtres  de  notre  temps, 
excepté  durant  les  chaleurs  tropicales  de  l'été,  pen- 
dant lesquelles  personne  ne  pouvait  sortir  de  la 
caserne.  Les  troupes  étaient  consignées  de  midi 
à  quatre  heures.  Les  Romains  avaient  la  coutume 
de  dire  qu'on  ne  voyait  alors,  dans  les  rues  de 
Rome,  que  les  chiens  et  les  étrangers.  Nous 
employions  le  plus  souvent  ces  moments  de  loisir 
à  nettoyer  nos  armes  et  nos  accoutrements  ;  nous 
aimions  à  être  propres,  car  c'est  à  la  propreté  qu'on 
reconnaît  un  bon  soldat. 

Le  rata  ou  repas  de  l'après-midi,  qui  remplace 
le  souper,  consiste  en  légumes,  tels  que  haricots, 
pommes  de  terre,  etc.  ;   le   tout  humecté  d'une 


—  33  — 

sauce  à  l'eau  claire.  Le  beurre  et  la  graisse  bril- 
laient souvent  par  leur  absence.  Il  faut  bien  que 
le  caporal  d'ordinaire  fasse  un  peu  de  fotirbi>  s'il 
veut  prendre  une  cuite  ou  deux  par  semaine. 

Après  cette  légère  collation,  nous  allons  encore 
faire  l'exercice  jusqu'à  six  heures.  C'est  le  dernier 
article  enregistré  sur  la  liste  du  service  journalier, 
et  je  crois  que  cette  liste  est  suffisamment  remplie. 
Il  n'y  a  aucune  porte  pour  donner  accès  à  la 
paresse. 

La  retraite  sonne  à  9^  heures,  et  une  demi- 
heure  plus  tard,  a  lieu  l'extinction  des  lumières,  ce 
qui  veut  dire  :  Couchez-vous,  fermez  les  yeux  et 
dormez. 

Tel  est  le  thème  sur  lequel  roulait  notre  musique 
au  3ème  dépôt  ;  il  y  avait  parfois  quelques  petites 
variations,  mais  elles  étaient  si  peu  originales  qu'il 
ne  vaut  guère  la  peine  de  les  mentionner. 

Lorsque  je  servais  comme  zouave  pontifical, 
j'ai  été  témoin  de  différents  épisodes  qui  m'ont 
agréablement  amusé.  Je  vais  vous  en  raconter  un, 
que  je  prends  au  hasard  : 

Nous  étions  encore  au  Janicule.  Les  jours  et 
les  nuits  se  passaient  comme  je  viens  de  le  décrire. 
Donc,  de  dix  heures  du  soir  à  cinq  heures  du 
matin,  tous  les  zouaves  se  livraient  au  sommeil, 
excepté  les  sentinelles  préposées  à   notre  garde. 


—  34  — 

Celles-ci  avaient  reçu  l'ordre  formel  de  faire  feu 
sur  tout  individu  qui,  ne  répondant  pas  au  troi- 
sième cri  de  "qui  vive"  !  continuerait  de  s'avancer. 
Par  une  belle  nuit  du  printemps,  toute  la  caserne 
est  mise  en  émoi  par  la  détonation  d'une  arme  à 
feu  ;  chacun  prend  sa  carabine  et  se  dirige  à  la 
course  vers  la  porte.  C'est  une  alerte  générale.  On 
s'informe  auprès  de  la  sentinelle  et  on  lui  demande 
d'où  vient  la  détonation  qui  a  jeté  l'alarme  dans 
la  compagnie.  La  sentinelle,  toute  tremblante  de 
peur,  répond  comme  suit  :  "Je  me  promenais 
lentement  en  portant  les  yeux  de  tous  côtés, 
lorsqu'un  bruit  inusité  se  fait  entendre  dans  les 
broussailles.  Je  m'arrête,  et  je  prête  l'oreille  ;  le 
bruit  continue.  Bientôt,  j'aperçois  un  homme  tout 
de  blanc  habillé.  Je  crie  :  "qui  vive"!  pas  de  ré- 
ponse. Je  répète  ma  question,  même  silence  ; 
et  mon  individu  se  tient  debout  à  quelques  pas 
devant  moi.  Je  pousse  pour  la  troisième  fois  le 
cri  de  "qui  vive"  !  et  l'écho  seul  répond  à  ma  voix. 
J'arme  alors  ma  carabine  et  fais  feu  sur  cet  entêté. 
Regardez  dans  cette  direction,  ajouta  le  jeune 
soldat,  en  désignant  l'endroit  avec  sa  carabine  ; 
vous  voyez  un  objet  blanc,  n'est-ce  pas  ?  Eh  bien  ! 
c'est  mon  homme,  à  qui  j'ai  flanqué  une  balle  dans 
la  tête."  Tout  le  monde  de  courir  alors  à  l'endroit 
indiqué  ;  mais  devinez  ce  que  l'on  voit  ?...    Une 


—  35  — 

borne  en  bois  fraîchement  peinte  et  transpercée 
d'une  balle.  Vous  pouvez  voir  d'ici  la  binette  que 
fait  la  sentinelle,  quand  elle  se  trouve  en  face  de 
sa  victime. 

Dans  les  chapitres  qui  vont  suivre,  je  parlerai 
d'abord  des  différentes  villes  que  j'ai  visitées,  lors- 
que j'étais  en  garnison  en  dehors  de  Rome,  et  en 
dernier  lieu  de  Rome  ancienne,  de  Rome  pendant 
les  persécutions  et  de  Rome  actuelle.  J'ai  en*  qu'il 
était  préférable  de  suivre  cette  marche,  afin  d'évi- 
ter la  confusion.  Du  reste,  il  me  semble  qu'il  est 
tout  naturel  de  jeter  un  regard  sur  ce  qui  entoure 
un  édifice,  avant  de  pénétrer  dans  l'intérieur. 


CHAPITRE  V. 


Velletri — Brigandage  en  Italie. 

Le  1 8  juin,  nous  étions  en  garnison  à  Velletri, 
ville  importante  des  anciens  Volsques,  et  située  à 
36  milles  environ  au  sud  de  Rome.  Cette  ville, 
entourée  d'une  riche  campagne,  est  bâtie  sur  une 
colline  élevée  qui  présente  l'aspect  d'une  immense 
coupole.  La  population  était  à  cette  époque  de 
8,000  âmes. 

Velletri,  capitale  de  la  province  du  même  nom, 
a  joué  un  grand  rôle  dans  l'histoire  ,de  l'empire 
romain  ;  car,  outre  l'honneur  d'avoir  été  la  patrie 
d'Auguste,  plusieurs  empereurs, entre  autres  Tibère, 
Nerva,  Caligula  et  Othon  firent  de  cette  ville  leur 
séjour   favori,    et  l'enrichirent   de  plusieurs   villas 

superbes.   Bien  qu'elle  ait   suivi  le   mouvement  de 

# 

décadence  de  ce  vaste  empire,  l'ancienne  Veliternœ 
a  encore  ses  beautés  et  ses  charmes.  On  y  admire 
plusieurs  monuments  religieux  et  profanes,  qui 
frappent  l'attention  du  voyageur.  Les  principaux 
sont  :  la  colonne  du  pape  Urbain  VIII,  sur  la 
place  du  marché  ;  le  palais  Lancelotti,  où  se  trouve 
un   magnifique   escalier   en   marbre  ;  l'église  Ste- 


—  38  — 

Marie  DelV  Orto,  qui  renferme  plusieurs  bons 
tableaux.  Les  fontaines  publiques  sont  d'une  con- 
struction solide,  mais  le  temps  les  a  un  peu  vieil- 
lies. A  quelque  pas  de  distance  de  la  ville,  on 
voit  encore  l'endroit  où  fut  trouvée  la  Pal  las  Veli- 
tema,  l'une  des  plus  belles  statues  du  musée  de 
Paris. 

Velletri,  grâce  à  son  site,  présente  un  coup  d'œil 
enchanteur.  Le  touriste,  placé  sur  la  partie  la  plus 
élevée  de  la  colline,  embrasse  d'un   seul    regard  : 

Au  nord,  la  petite  ville  de  Civîta-Lavigna,  les 
montagnes  du  Latium  et  les  marais  Pontins,  les- 
quels forment  une  vaste  plaine  de  huit  lieues  de 
longueur  sur  une  largeur  de  trois  lieues.  Ces 
marais  sont  compris  entre  le  pays  des  anciens 
Rutules  et  celui  des  Volsques.  Lorsque  les  Romains 
étaient  à  l'apogée  de  leur  grandeur,  on  comptait 
23  villes  ou  villages  dans  les  marais  Pohtins  ; 
aujourd'hui  on  n'y  rencontre  que  quelques  petits 
villages  isolés.     , 

A  l'occident,  les  marais  Pontins,  le  cap  Circé, 
célèbre  dans  la  fable  par  la  métamorphose  des 
compagnons  d'Ulysse  ;  la  ville  de  Cisterna,  où  les 
chrétiens,  partis  de  Rome,  vinrent  à  la  rencontre 
de  l'apôtre  saint  Paul. 

Au  sud,  les  petites  villes  de  Sermonetta  et  de 
Cori,  l'ancienne  Cora.    Cette  dernière  est  renom- 


—  39  — 

mée  pour  ses  temples  d'Hercule,  de  Castor  et 
Pollux  ;  Varea  du  premier  est  occupée  par  le 
baptistère  d'une  église  catholique,  dont  j'oublie  le 
nom.  Cori  passe  pour  être  la  patrie  de  Ponce- 
Pilate.  Si  cette  tradition  n'est  pas  vraie,  je  m*  en 
lave  les  mains  ;  ce  sont  les  paysans  de  l'endroit  qui 
me  l'ont  transmise.  A  gauche  de  ces  deux  villes, 
s'élève  le  village  de  Rocca-Massina,  construit  sur 
une  montagne  à  une  grande  élévation  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer.  Au  pied  de  la  même  mon- 
tagne, et  dans  la  vallée  qui  s'étend  de  Velletri  à 
Rocca,  se  trouve  le  joli  village  de  Juliano. 

A  l'orient,  les  hautes  montagnes  de  la  Sabine, 
dont  le  sommet  est  couvert  d'une  neige  éternelle. 
Dans  la  même  direction,  la  vue  tombe  sur  la  ville 
de  Valmontone,  qui  domine  un  petit  vallon.  En 
vous  dirigeant  de  Valmontone  à  Rome,  vous  ren- 
contrez, à  une  courte  distance  de  la  première  ville, 
le  champ  de  bataille  sur  lequel  Fabius  Ambustus 
défit  les  Herniques,  l'an  de  Rome  393.  Le  terrain 
n'est  guère  propre  pour  la  cavalerie  ;  car  c'est  une 
plaine  de  peu  détendue  et  resserrée  entre  des 
montagnes.  Aussi,  l'histoire  nous  apprend-elle  que 
la  cavalerie  romaine  avait  été  obligée  de  mettre 
pied  à  terre  et  de  combattre  à  la  tête  de  l'infan- 
terie. 

Non  loin  de  là,  on  voit  le  lac    Santa  Prasseda, 


—  40  — 

autrefois  appelé  lac  Régille.  A  ce  lac  se  rattache 
le  nom  du  dictateur  Aulus  Posthumius  qui,  trois 
ans  après  le  combat  dont  je  viens  de  parler,  rougit 
les  eaux  de  cet  étang  du  sang  des  Latins,  inhu- 
mainement massacrés. 

Comme  vous  pouvez  le  constater,  la  perspective, 
dont  nous  jouissons  à  Velletri,  ne  laisse  rien  à 
désirer  de  mieux. 

Pendant  que  nous  étions  en  garnison  dans  cette 
ville,  nous  avons  fait  connaissance  avec  une  classe 
d'hommes  sans  foi,  sans  honneur  et  sans  religion, 
des  hommes  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  bri- 
gands, mais  à  qui  on  pourrait  décerner  le  titre  de 
garibaldiens.  Ces  deux  qualificatifs  sont  synonymes. 
Il  ne  tiendrait  qu'à  citer  le  vandalisme  qu'ont 
exercé  les  chemises  rouges,  au  mois  d'octobre  1867, 
dans  la  principale  église  de  Monte-Rotondo  pour 
prouver  que  les  amis  de  Garibaldi  sont  de  vérita- 
bles brigands.   Personne  n'a  de  doute  sur  ce  point. 

Le  brigandage  en  Italie  est  une  véritable  plaie 
et  s'y  pratique  sur  une  grande  échelle.  De  tous 
temps,  les  souverains  ont  travaillé  à  faire  dispa- 
raître ce  fléau,  mais  ils  ont  toujours  échoué  dans 
leurs  courageuses  entreprises,  et  il  n'y  a  rien  de 
surprenant,  si  l'on  fait  attention  à  la  conformation 
de  ce  pays  qui,  par  ses  nombreuses  chaînes  de 
montagnes,  offre  un  refuge  assuré  aux   brigands. 


—  41  — 

Les  brigands,  qui   se  tiennent  cachés   dans  les 
montagnes  avoisinant  Velletri,  sont  assez    nom- 
breux.   Ces  voleurs  de  grands   chemins  n'ont  pas 
de  demeure  fixe.    Un   soir,  ils   s'installeront  dans 
une  grotte  profonde,  et,  un  autre  jour,  ils  seront  à 
plusieurs  milles  de  distance   dans  une  autre  habi- 
tation caverneuse.   Ils  ont  acquis  une  connaissance 
parfaite  de  toutes  les  montagnes  ;  crevasses,  grottes, 
cavités  souterraines,   défilés,  tout  leur  est  familier. 
Voilà  pourquoi   il    est  aussi   difficile   de  saisir  les 
brigands  que  les  cerfs  dans  nos  forêts.    Vous  vous 
élancez  à  leur   poursuite  lorsque   vous  les  voyez  à 
quelques  arpents  devant   vous,  et,  tout  à  coup,   ils 
disparaissent  comme  par  enchantement.  Vous  avez 
beau  fouiller  partout  pour  découvrir  les  traces  de 
leur  passage,    vous    ne    rencontrez   aucun  vestige, 
aucun  indice  qui  puisse  vous  guider.    Admettons 
que    vous    trouviez    l'entrée    de   leurs    nombreux 
repaires.  Admettons  que  vous  pénétriez  dans  leurs 
antres  ténébreux  ;  vous  n'en  serez  pas  plus  avan- 
cés pour  cela.    Pendant  que  vous  serez  occupés  à 
sonder  tous  les  coins,  toutes  les  sinuosités  et  toutes 
les  fissures  de  cet  édifice  pierreux,  le  gibier  pren- 
dra son  essor  par  une  issue  secrète,  qui  sera  parfois 
placée  sur  le  flanc  opposé  de  la  montagne. 

Dans  le  cas  où  l'on  parviendrait  à  connaître  la 
retraite  habituelle  de  ces  êtres  inhumains,  il  n'y 


—  42  — 

aurait  qu'un  moyen  de  mettre  la  main  dessus  :  il 
s'agirait  tout  simplement  de  faire  cerner  la  mon- 
tagne qu'ils  occupent,  et,  une  fois  le  cercle  formé 
par  plusieurs  compagnies  de  zouaves  ou  d'autres 
militaires,  de  gravir  lentement  la  montagne  en 
rétrécissant  la  circonférence. 

L'exécution  d'une  pareille  entreprise  offre  en- 
core peu  de  succès.  En  effet,  je  suppose  que  quel- 
qu'un vienne  vous  dire  aujourd'hui  :  "Les  brigands 
sont  sur  une  telle  montagne  ;  je  les  ai  vus  ce 
matin."  Aussitôt,  un  bataillon  part  pour  emporter 
la  montagne  d'assaut.  Mais,  quand  il  arrive  au  but 
désiré,  il  n'y  a  plus  de  gibier  dans  le  fourré  ;  le 
brigand  a  vu  s'opérer  le  mouvement  militaire,  ou 
bien,  certain  ami  fidèle,  vivant  au  milieu  même 
des  habitants  de  la  campagne,  est  venu  pendant 
l'intervalle  donner  l'éveil  aux  montagnards  ;  et, 
ceux-ci  ont  levé  le  pied  légèrement,  ils  sont  allés 
se  percher  sur  une  autre  montagne.  Voilà  ce  qui 
arrive  généralement.  Maintes  et  maintes  fois  nous 
en  avons  fait  l'expérience,  et  presque  toujours  nos 
démarches  ont  été  sans  résultat.  Si  nous  avons 
pu  en  arrêter  quelques-uns,  c'est  qu'ils  ont  été 
surpris  au  milieu  de  leurs  festins  ou  de  leurs  bac- 
chanales, ou  qu'ils  ont  été  trahis  par  leurs  com- 
pagnons ruraux.  J'appelle  de  ce  nom  les  paysans 
que  la  crainte  d'être  immolés  à  la  fureur  des  bri- 


—•43  — 

gands  rend  muets,  quand  on  veut  avoir  des  infor- 
mations sur  les  faits  et  gestes  de  ces  barbares  des 
temps  modernes.  La  plupart  des  paysans  et  des 
bergers  d'Italie,  résidant  près  des  montagnes,  sont 
de  petits  brigands  ;  on  peut  dire  qu'ils  font  cause 
commune  avec  les  grands  brigands. 

En  général,  la  population  qui  habite  la  frontière 
méridionale  de  la  province  de  Velletri  est  d'un 
caractère  très  remuant  et  manie  avec  art  le  cou- 
teau et  le  poignard.  Le  carbonarisme  a  déjà  fait 
des  ravages  incalculables  dans  ce  coin  de  l'Italie. 


CHAPITRE  VI. 


CHASSE  AUX    BRIGANDS. — EXÉCUTION. 

La  cinquième  compagnie  du  1er  bataillon  du 
régiment  des  zouaves  pontificaux  était  en  garnison 
à  Velletri  bien  longtemps  avant  nous,  trois  mois, 
je  crois,et  faisait  presque  tous  les  jours  des  patrouil- 
les dans  la  campagne  et  sur  les  montagnes  pour 
mettre  fin  aux  courses  dévastatrices  des  brigands. 
Il  arriva  qu'à  deux  reprises  différentes,  cette  com- 
pagnie parvint  à  arrêter  ou,  pour  être  plus  con- 
forme à  la  vérité,  à  tuer  quelques-uns  de  ces  mons- 
tres à  forme  humaine.  Pendant  une  expédition, 
les  zouaves  tuèrent  trois  brigands  et  en  blessèrent 
un,  qui  prit  la  fuite  dans  l'épaisseur  des  bois  et 
disparut  sans  donner  scn  adresse.  Pendant  une 
patrouille,  deux  brigands  tombèrent  sous  les  balles 
des  défenseurs  du  Pape. 

Je  vais  vous  donner  ici  quelques  détails  con- 
cernant cette  première  expédition. 

Ayant  appris  par  des  paysans  que  certains  bri- 
gands habitaient  une  forêt  depuis  quelques  jours,  les 
zouaves  pontificaux,  au  nombre  de  quarante,  parti- 
rent aussitôt  pour  les  chasser  de  cet  endroit.  Deux 


—  46  — 

gendarmes  les  accompagnaient,  l'un  à  pied  et 
l'autre  à  cheval.  Pendant  les  patrouilles, nous  étions 
toujours  escortés  par  quelques-uns  de  ces  braves 
Romains  faisant  partie  de  la  gendarmerie  ponti- 
ficale. Les  gendarmes  appartenaient  à  l'élite  de  la 
société  ;  et  leur  bravoure  et  leur  fidélité  au  Saint- 
Siège  n'ont  jamais  été  mises  en  défaut. 

Après  deux  jours  de  marche  à  travers  la  forêt 
même,    qu'ils   fouillèrent  dans   tous   les    sens,  les 
zouaves    ne    trouvèrent,    ni   ne  rencontrèrent  les 
brigands  précités.    Et  par  surcroît   de   malheurs, 
une  pluie  abondante   ne  cessa  de  tomber  sur  ces 
nobles  jeunes  gens,  qui  supportaient  sans  murmu- 
rer toutes  leurs   privations   et   leurs    fatigues.    La 
faim  même  commençait  à  se   faire  sentir  chez  un 
bon  nombre  d'entre  eux,  qui  n'avaient  pas  emma- 
gasiné dans  leurs  sacs  une  quantité    suffisante    de 
vivres.     Que    faire   en  pareille  situation  ?  Va-t-on 
abandonner  la  chasse  ?  se  demandèrent  les  zouaves. 
Les  uns  se  montraient  encore  disposés  à  continuer 
leur    poursuite,    mais    plusieurs    inclinaient   à   la 
retraite. 

Pendant  qu'ils  s'entretenaient  ainsi  sur  le  parti 
qu'ils  devaient  prendre,  un'  léger  bruit  se  fait 
entendre  sur  la  lisière  de  la  forêt.  D'un  bond,  tous 
les  zouaves  ont  gagné  le  lieu  d'où  est  parti  le 
bruit  ;  mais  quel  désappointement  !  ils  se  trouvent 


—  47  — 

face  à  face  avec  un  pauvre  berger  qui  agite  tran- 
quillement sa  houlette,  pendant  que  son  troupeau 
broute  l'herbe  tendre  des  champs.  Tous  alors  de 
rire  en  voyant  ce  brigand  d'un  new  style,  comme 
dirait  l'Anglais.  Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter  que  le 
berger  en  fut  quitte  pour  un  tribut  assez  considé- 
rable qu'il  paya  à  la  peur.  Mais  l'air  enjoué  des 
soldats  pontificaux  le  ramena  bientôt  à  son  état 
normal.  Après  avoir  échangé  quelques  paroles 
avec  le  vieux  paysan,  les  zouaves  résolurent  de 
retourner  sur  leurs  pas  et  de  se  déployer  en  tirail- 
leurs sur  toute  la  lisière  de  la  forêt. 

On  pourrait  bien  se  demander  pourquoi  ce  chan- 
gement si  subit  survenu  dans  tous  les  esprits,  et 
pourquoi  cet  empressement  à  obéir  au  commande- 
ment de  "  peloton  en  tirailleurs  "  .  Le  mot  de  l'éni- 
gme est  facile  à  trouver.  Pendant  leur  conversation 
avec  le  berger,  les  zouaves  prirent  des  informations 
sur  le  lieu  où  devaient  se  trouver  les  brigands  ;  et 
le  bon  vieillard,  qui  les  avait  vus  de  ses  propres 
yeux,  il  y  avait  deux  jours,  leur  dit  que  les  brigands 
devaient  passer  parvtel  chemin  le  lendemain  matin 
C'est  moi,  ajouta-t-il,  qui  leur  ai  recommandé  de 
suivre  cette  voie  pour  échapper  à  votre  poursuite. 
Ils  m'avaient  demandé  auparavant  si  je  vous  avais 
vus.  Sur  ma  réponse  affirmative,  ils  ont  voulu 
savoir  quelle  direction  vous,  prendriez.    Alors  je 


—  48  — 

leur  ai  indiqué  une  direction  toute  contraire  à  celle 
que  vous  suiviez,  pensant  par  là  les  faire  tomber 
dans  le  piège.  Mais  je  me  suis  trompé  dans  mon 
attente.  Demain, cependant,  j'espère  que  mes  vœux 
seront  exaucés,  et  voici  pour  quelle  raison  :  En 
s'éloignant  de  moi,  ils  ont  répété  deux  fois  les 
paroles  suivantes  :  •'  Au  revoir,  dans  deux  jours 
nous  viendrons  te  voir  en  passant  par  le  chemin 
que  tu  nous  as  montré.  Mais,  sois  bien  averti  :  si 
tu  nous  trahis  ou  si  tu  dévoiles  le  lieu  de  notre 
retraite,  ta  vie  sera  la  rançon  de  ton  infâme  con- 
duite." Ils  dirent,  et  puis  ils  disparurent  dans 
l'épaisseur  des  bois. 

Il  était  huit  heures  du  soir  lorsque  les  zouaves 
reprirent  leur  faction  ;  chacun  se  plaça  au  pied 
d'un  arbre  pour  se  garantir  de  la  pluie  qui  ne 
diminuait  pas,  et  attendit  en  silence.  La  nuit  fut 
assez  belle  néanmoins  ;  car,  vers  minuit,  les  nuages 
se  dissipèrent  et  la  lune  se  montra  à  travers  le 
feuillage,  mollement  agité  par  une  légère  brise  du 
midi.  Le  beau  temps  ranima  le  courage  des  zouaves, 
mais  aussi,  il  leur  emporta  un  doux  sommeil  vers 
les  trois  ou  quatre  heures  du  matin.  C'était  la  pre- 
mière fois  que,  depuis  leur  départ,  ils  prenaient  un 
peu  de  repos.  Il  faut  l'avouer,  l'heure  n'était  pas 
bien  choisie  pour  se  livrer  au  sommeil  ;  mais  les 
forces  de  ces  preux  jeunes  gens  étaient  complète- 


—  49  — 

ment  épuisées  par  les  marches  et  les  veilles.  Ainsi, 
point  de  reproches. 

Cependant  les  heures  s'écoulent  rapidement/ et 
personne  ne  se  présente.  Il  est  un  adage  populaire 
qui  dit  :  "  Vous  ne  perdez  rien  pour  attendre. 
Or,  c'est  ce  que  rirent  les  chasseurs  de  brigands.  Ils 
attendirent  jusqu'à  sept  heures,  toujours  sommeil- 
lant légèrement,  un  œil  fermé  et  l'autre  ouvert,  et 
assis  au  pied  des  arbres  avec  leurs  carabines  sur  les 
genoux.  Enfin  les  espérances  vont  être  exaucées. 
Voilà  qu'une  détonation  se  fait  entendre.  Aussi 
prompts  que  l'éclair,  les  zouaves  se  lèvent  et 
épaulent  leurs  carabines.  "  Qu'y  a-t-il  ?  crie-t-on  de 
toutes  parts  ?  " — "  Cinq  brigands,  répond  un  gen- 
darme. Les  voilà  à  dix  pas  de  nous.  Le  chef  est 
à  cheval" 

Un  zouave  du  nom  de  Marchand,  qui  se  trou- 
vait à  cinq  pas  du  chef,  ajuste  ce  dernier  et  presse 
la  détente,  mais  le  fusil  rate.  De  son  côté,  le  chef 
des  brigands  met  le  zouave  en  joue  et  fait  feu.  Et 
le  coup  ne  part  pas  non  plus.  Marchand  fait  une 
volte-face  et  se  cache  derrière  un  arbre  pour  armer 
de  nouveau.  Le  chef  épaule  une  autre  carabine — 
les  brigands  en  ont  toujours  deux, — mais  au  mo 
ment  où  il  tirait  la  détente,  une  balle  lancée  par 
un    caporal,    connu  sous  le  nom  de  Petit  Jean, 

vient   l'atteindre  au  cœur  et  le  renverse  à  terre 
3 


—  50  — 

baigné  dans  son  sang.  Au  même  instant,  deux 
autres  brigands  succombent  sous  une  grêle  de 
balles.  Un  quatrième  est  encore  blessé  par  Petit 
Jean,  mais  il  trouve  son  salut  dans  la  fuite.  Le 
cinquième  était  disparu  au  commencement  de  la 
mêlée.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  vous  faire  con- 
naître la  conclusion  :  que  les  zouaves  étaient  con- 
tents de  leur  chasse.  Si,  tous  les  jours,  nous  pou- 
vions obtenir  un  semblable  résultat,  nous  ne 
compterions  pour  rien  les  fatigues  et  les  privations 
que  nous  avons  à  supporter. 

Lorsque  nos  camarades  furent  de  retour  à 
Velletri,  avec  le  gibier  qu'ils  avaient  tué,  nous 
prîmes  les  trois  cadavres  et  nous  les  exposâmes 
sur  la  plus  grande  place  de  la  ville,  afin  de  jeter 
la  terreur  dans  le  cœur  de  la  population  ;  car  les 
brigands  ont  des  affiliés  dans  toutes  les  villes  et  à 
Velletri  plus  qu'ailleurs.  Un  seul  fait  nous  prouve 
la  vérité  de  cette  dernière  proposition  ;  le  voici  : 
Quelques  jours  avant  la  bataille  de  Mentana,  onze 
\  |  cents  hommes  sont  sortis  de  cette  ville  pour  aller 
s'enrôler  sous  l'étendard  de  Garibaldi. 

Cette  exposition  humaine  a  eu  les  plus  beaux 
résultats  ;  car,  depuis  cette  époque,  on  n'a  plus  en- 
tendu parler  de  vols,  de  pillages,  de  meurtres,  etc. 

Le  1 8  juillet,  nous  avons  assisté  à  un  bien 
triste  spectacle  :  deux  brigands,  qui  étaient  retenus 


—  51  — 

prisonniers  à  Velletri,  furent  fusillés  à  quelques 
arpents  de  la  ville.  Ils  méritaient  bien  ce  terrible 
châtiment,  car  l'histoire  de  leur  vie  fait  horreur. 
Le  plus  âgé  des  deux  a  poussé  le  crime  jusqu'à 
ses  dernières  limites  ;  il  a  eu  la  barbarie  même  de 
massacrer  celle  qui  lui  avait  donné  le  jour.  Et 
puis,  dire  que  ces  deux  monstres  ont  attendu 
jusqu'à  la  dernière  minute  pour  se  convertir  ! 
C'est  horrible. 

Quand  on  met  un  soldat  à  mort  pour  désertion, 
en  temps  de  guerre  ou  pour  un  autre  délit  grave, 
on  le  fusille  debout  et  en  pleine  poitrine,  pour  lui 
donner  une  dernière  marque  d'honneur  et  faire 
entendre  qu'on  le  considère  encore  comme  appar- 
tenant à  la  société  humaine.  Mais  les  brigands 
n'ont  point  cette  faveur.  On  les  met  à  genoux  et 
le  dos  tourné  à  l'escouade  chargée  de  faire  feu  sur 
eux.  Ce  ne  sont  plus  des  hommes,  mais  bien  de 
véritables  monstres,  pour  ne  pas  dire  démons. 

t 


s* 


CHAPITRE  VII. 


CAMP    D'ANNIBAL VISITE    DE    PIE    IX. 

Le  28  juillet,  nous  recevons  l'ordre  d'évacuer 
Velletri  et  de  nous  transporter  à  Rome.  Je  ne 
saurais  vous  exprimer  toute  ma  joie  ;  car  j'allais 
avoir  le  bonheur  de  visiter  les  monuments  religieux 
et  profanes  de  la  ville  des  Papes.  Mais  vaine  illu- 
sion !  A  peine  avons-nous  établi  nos  quartiers  aux 
Termini,  c'est-à-dire  aux  fameux  thermes  de 
Dioclétien  à  Rome,  que  le  clairon  sonne  "  sac 
au  dos."  Nous  partons  pour  Rocca-di-Papa  ou 
Camp  d'Annibal  en  suivant  la  route  de  Grotta-Fer- 
rata.  La  distance  que  nous  avons  à  parcourir  est 
de  vingt-quatre  milles  environ.  C'est  passablement 
long  pour  de  jeunes  soldats  qui  n'ont  encore  fait 
aucune  marche  forcée.  Néanmoins,  nous  sommes 
décidés  de  mourir  plutôt  que  de  rester  en  chemin. 
Nous  ne  voulons  pas  qu'on  dise  que  les  Canadiens 
sont  des  carottears.  Nous  marchons  donc  avec 
courage  jusqu'à  la  première  étape,  tout  en  faisant 
chorus  aux  chansons  de  Sans-allumette — sobriquet 
donné  à  un  de  nos  camarades  parce  qu'il  n'avait 


—  54  — 

jamais  d'allumettes — qui  avait  un  répertoire 
inépuisable  de  refrains  appropriés  au  pas  militaire. 

Rendus  à  Grotta-Ferrata,  petite  ville  située  à 
dix-huit  milles  environ  de  Rome,  nous  faisons  une 
halte  de  trois  heures  pour  prendre  "la  soupe  et  le 
café"  ;  et  nos  forces  une  fois  ravivées,  nous  nous 
remettons  en  marche.  Il  ne  nous  reste  que  deux 
lieues  à  faire,  mais  c'est  la  vraie  voie  douloureuse 
que  nous  suivons.  On  monte,  monte  et  monte 
toujours.   On  se  croirait  en  route  pour  le  ciel. 

Enfin,  après  dix  heures  de  marche,  nous  foulons 
le  terrain  où  Annibal  vint  établir  son  camp  quel- 
ques jours  avant  la  bataille  du  lac  de  Trasimène, 
bataille  dans  laquelle  les  Romains,  commandés 
par  Flaminus  Caïus,  furent  taillés  en  pièces,  l'an 
217  avant  Jésus-Christ.  C'est  pour  cela  que  cet 
endroit  est  généralement  connu  sous  le  nom  de 
Camp  <T Annibal.  L'illustre  capitaine  africain  avait 
certainement  étudié  la  topographie  de  l'Italie, 
car  il  n'y  avait  pas  de  lieu  plus  propre  au  campe- 
ment d'une  grande  armée. 

Après  avoir  déposé  nos  sacs  par  terre  et  u  formé 
les  faisceaux,  "  nous  dressons  nos  tentes  avec  soin, 
car,  ici,  nous  éprouvons,  pendant  le  jour,  une 
chaleur  suffocante,  et,  pendant  la  nuit,  un  froid 
piquant  se  fait  sentir. 

Il   est  difficile  de  se  former  une  juste   idée  des 


—  55  — 

souffrances  que  nous  avons  endurées  pendant  que 
nous  étions  campés  près  de  Rocca-di-Papa.    Nous 
dormions  sur  la  dure,  quelques  brins  de  fougère 
nous  séparant  de  la  terre  humide,  et  nous  cou- 
chions tout  habillés.  A  quatre  heures  et  demie  du 
matin,  nous  étions  sur  pied  faisant  l'exercice  de 
bataillon  qui  durait  jusqu'à  huit  ou   neuf  heures. 
A  midi,  M  appel  de  propreté  "  avec  sac  au  dos,  au 
front  de  bandière.  Appel  de  propreté  !  au  milieu 
d'une  poussière  qui  vous  aveugle  et  qui  vous   cou- 
vre des  pieds  à  la  tête.  Véritable  dérision  !   Mais 
c'est  le  métier  du  soldat.   Nous  évitions  cependant 
les  punitions  à  chaque  fois,  parce  que  nous  étions 
assez  prudents  pour  cirer  nos  souliers    avec  nos 
mouchoirs,  en  prenant  nos  rangs. 

Dans  l'après-midi,  nous  serions  heureux  d'aller 
faire  une  courte  promenade  sous  les  arbres  qui 
s'élèvent  en  arrière  de  notre  camp,  pour  donner  un 
oeu  de  repos  à  notre  corps  tout  courbé  par  l'effort 
qu'il  est  obligé  de  faire  pour  vivre  sous  la  tente  ; 
mais  voici  une  corvée  qui  nous  attend.  Messieurs 
les  sergents  veulent  élever  une  tente  superbe,  et 
pour  cela,  il  leur  faut  du  genêt  et  de  la  fougère  : 
"  Vite  !  s'écrient-ils,  six  hommes  de  corvée.  Allez 
à  la  montagne  que  vous  voyez  là-bas,  et  emportez 
ce  que  nous  vous  demandons."  Pauvre  soldat  ! 
marche  !   la  salle  de   police  t'attend,   si  tu  n'obéis 


—  56  — 

pas.  Telle  a  toujours  été  notre  occupation  pendant 
les  trente-six  jours  que  nous  avons  passés  au 
Camp  d'Annibal.  Dès  que  les  sergents  eurent  ter- 
miné leur  habitation  princière,  le  sergent-major» 
M.  Cormier,  voulut  aussi  se  loger  comme  un  petit 
seigneur.  Le  commandant,  le  capitaine,  le  lieute- 
nant et  le  sous-lieutenant  se  mirent  ensuite  de 
la  partie  ;  de  sorte  que  les  corvées  ne  cessèrent 
de  pleuvoir.  Nous  n'avions  pas  une  seule  minute 
de  loisir.  Je  l'avoue  en  toute  sincérité,  je  trouvai 
alors  la  vie  de  camp  tellement  dure  que  si  la  cause 
que  je  défendais  n'eût  pas  été  aussi  sainte,  j'aurais 
renoncé  sur  le  champ  à  la  carrière  militaire.  Mais 
l'amour  de  la  religion  me  retenait,  et  il  me  sem- 
blait entendre  une  voix  me  crier  du  ciel  :  "  Cou- 
rage, mes  enfants,  votre  dévouement  sauvera 
l'Église." 

Malgré  nos  rudes  labeurs,  nous  paraissions  tou- 
jours heureux  et  joyeux.  Heureux,  parcequ'il  nous 
était  donné  de  souffrir  un  peu  à  l'exemple  de 
notre  divin  Sauveur.  Joyeux,  parceque  nous  savions 
que  les  fatigues  que  nous  endurions  nous  seraient 
d'un  grand  secours  quand  nous  aurions  à  combat- 
tre les  ennemis  de  la  Papauté.  Par  cette  vie  active 
et  rude,  les  corps  se  brisaient  à  la  douleur,  et  ni  la 
faim,  ni  la  soif,  ni  la  chaleur,  ni  le  froid  ne  pour- 
ront nous  arrêter  plus  tard  au  milieu  des  combats. 


—  5Y  — 

Voici  comment  nous  supportions  nos  peines,  et 
nous  n'avons  pas  eu  à  nous  repentir  ensuite  de  la 
rigueur  des  leçons  militaires  que  nous  avions  reçues 
au  camp. 

Le  10  août  fut  pour  nous  un  jour  de  fête,  que 
je  n'oublierai  jamais.  Il  arrive  quelquefois,  qu'un 
jeune  homme,  livré  à  ses  propres  forces,  tombe 
peu  à  peu  dans  une  sombre  mélancolie  ;  cette 
mélancolie  étant  due  tantôt  à  un  revers  de  fortune 
et  tantôt  à  la  perte  d'un  être  chéri.  Si,  dans  cet 
état,  il  fait  rencontre  d'un  ami  qui  lui  veut  du  bien, 
cette  tristesse  se  dissipera  bientôt  sous  le  feu  des 
conseils  et  des  paroles  de  soulagement  que  lui 
donnera  cette  personne  charitable.  Tel  fut  pour 
nous  l'effet  de  la  visite  de  l'immortel  Pie  IX  au 
Camp  d'Annibal.  Nous  étions  pour  la  plupart 
dans  un  état  d'abrutissement  complet.  Nous 
n'éprouvions  que  par  intervalle  ces  sentiments  ten- 
dres' et  affectueux  que  l'on  ressent  si  souvent  au 
foyer  paternel.  Le  découragement  s'était  emparé 
de  nos  cœurs.  Notre  intelligence  se  voilait  d'épais 
nuages,  et  notre  esprit  agissait  dans  une  sphère 
très  restreinte.  Sans  nous  en  apercevoir,  il  y  avait 
eu  métamorphose.  Pouvait-il  en  être  autrement, 
lorsque  nos  yeux  ne  rencontraient  que  des  toiles 
de  tentes,  des  carabines  et  des  gibernes  ?  Il  était 
donc  temps    d'aller  puiser    à  la  source  de  toutes 


—  $8  — 

consolations  ;  c'est  ce  que  nous  fîmes  en  assistant 
à  la  messe,  chantée  par  Sa  Sainteté  elle-même,  au 
milieu  de  notre  camp. 

Quelle  belle  cérémonie  !  Quelle  pompe  !  Figu- 
rez-vous huit  mille  hommes  sous  les  armes,  rangés 
en  ordre  de  bataille,  la  tête  haute  et  fière,  l'œil 
vif  et  pénétrant,  gardant  un  silence  solennel,  et 
tous  tournés  vers  Un  magnifique  autel  préparé 
pour  la  circonstance — l'autel  est  à  l'orient.  Voyez 
apparaître  à  la  gauche  de  ces  courageux  guerriers, 
dans  la  direction  de  Rocca-di-Papa,  l'auguste 
Pie  IX,  le  Vicaire  de  Jésus-Christ,  escorté  de  trois 
cardinaux,  d'un  grand  nombre  de  prélats, c  de  la 
garde-noble,  d'un  nombreux  piquet  de  zouaves,  de 
l'état-major  du  régiment  et  de  plusieurs  princes  qui 
regardent  comme  une  insigne  faveur  le  privilège 
d'accompagner  l'Evêque  de  Rome.  Aussitôt  que 
le  Pape  commence  à  gravir  les  Monts-Algides, 
une  bruyante  salve  d'artillerie  salue  le  père  com- 
mun des  fidèles  ;  le  corps  de  musique  des  zouaves 
et  celui  des  chasseurs  indigènes  font  entendre 
leurs  accords  harmonieux  et  ne  cessent  de  jouer  que 
lorsque  le  Saint-Père  est  arrivé  à  la  chapdle  mili- 
taire. Pendant  qu'il  traverse  les  rangs  de  ses 
nombreux  enfants  et  qu'il  les  bénit  affectueuse- 
ment, ceux-ci  se  tiennent  "  genou-terre  "  dans 
l'attitude  d'un  homme  qui  a  commis  des  fautes, 


—  59  — 

mais  qui  en  reconnaît  l'énormité  et  en  demande 
pardon  avec  la  ferme  confiance  d'être  exaucé. 
Dès  que  le  Pape  eût  mis  pied  à  terre,  il  se  revêtit 
de  ses  ornements  pontificaux  et  commença  le 
divin  sacrifice.  Quelle  majesté  dans  sa  personne  ! 
quelle  sainteté  brille  sur  son  auguste  visage  ! 
Quelle  tendre  affection  dans  le  regard  !  Ce  n'est 
plus  un  simple  mortel,  mais  un  ange  sous  la  '-- 
forme  humaine.  Durant  tout  l'office,  je  restai  les 
yeux  fixés  sur  Pie  IX,  et  cette  vue  m'apporta  au 
cœur  un  charme  indéfinissable. 

Après  la  messe,  le  Saint- Père  se  rendit  sur  un 
balcon  construit  par  "  la  compagnie  du  génie,"  fit 
son  action  de  grâces  et  monta  ensuite  sur  un 
magnifique  trône  qui  se  trouvait  au  milieu  du 
balcon.  L'heure  solennelle  était  arrivée.  Pie  IX 
venait  de  prier  pour  ses  chers  zouaves,  mais  ce 
n'était  pas  assez  :  il  devait  répandre  sur  eux  les 
bénédictions  célestes.  Nous  l'entendîmes  alors 
réciter  d'une  voix  forte  et  vibrante  le  Benedicat 
vos  Omnipolens  Deus,  etc.  Que  cette  bénédiction 
donnée  par  notre  Pontife-roi  nous  a  fait  du  bien  ! 
En  relevant  nos  fronts  courbés  dans  la  poussière, 
nous  étions  complètement  changés  ;  nous  étions 
redevenus  les  vrais  enfants  de  Lamoricière. 

Il  était  alors  deux  heures  de  l'après-midi.  Le 
Pape  monta  dans  son  riche  carosse,  visita  le  camp 


—  60  — 

en  passant  au,  front,  prit  un  peu  de  nourriture  à 
la  pension  des  officiers,  et  se  dirigea  enfin  vers 
Rome.  La  fête  était  terminée.  Je  puis  bien  répé- 
ter ici  ces  paroles  de  l'Ecriture  sainte  :  "  Pleni 
dies.  "  Oui,  c'était  réellement  pour  nous  un  jour 
plein,  plein  de  bonheur,  plein  de  bénédictions,  et 
plein  de  consolations. 


CHAPITRE  VIII. 


COMBAT    SIMULÉ ALBANO ARICIA CASTEL- 

GANDOLFO — MARINO ROCCA-PRIORA. 

Pendant  la  nuit  du  20  d'août,  tout  le  camp  était 
plongé  dans  le  plus  grand  silence  ;  nous  dormions 
d'un  profond  sommeil  ;  nous  n'entendions  que  le 
cri  de  la  sentinelle  :  "  Qui  vive  "  !  lorsque  tout  à 
coup  les  clairons  sonnent  la  "  générale."  Et,  tout 
le  monde  de  mettre  sac  au  dos  et  de  courir  aux 
armes.  Les  officiers  arrivent  armés  de  pied  en 
cap,  et  se  placent  à  la  tête  de  leur  compagnie.  Le 
colonel  donne  le  commandement  de  se  mettre  en 
route.  Le  tambour  bat,  et  nous  partons.  Voilà  le 
camp  vide  ;  la  garde  seule  reste.  Que  signifie 
donc  cette  évolution  militaire  au  milieu  des  ténè- 
bres ?  Où  portez-vous  vos  pas  ?  me  demanderez- 
vous.  Nous  partons  pour  la  guerre  ;  les  Garibal- 
diens  sont  tout  près  de  nous  ;  ils  se  sont  emparés 
de  trois  villes,  savoir  :  Albano,  Castel-Gandolfo 
et  Marino.  La  distance  entre  la  première  ville  et 
Rocca-di-Papa  n'est  que  de  deux  lieues  et  demie, 
et  c'est  la  plus  éloignée.  Ces  ennemis  de  la  Papauté 
se  dirigent  sur  Rome.     Un  courrier  est  venu  nous 


—  62  — 

avertir  de  leurs  mouvements.  Il  nous  faut  donc 
voler  à  leur  rencontre  et  leur  faire  mordre  la 
poussière. 

Mais  n'ayez  pas  peur,  lecteur  ;  il  n'y  aura  pas 
effusion  de  sang.  Nous  voulons  tout  simplement 
simuler  un  combat,  afin  d'apprendre  à  fond  l'art 
militaire,  et  de  nous  accoutumer  à  philosopher  sur 
l'odeur  de  la  poudre.  Les  prétendus  Garibaldiens, 
dont  je  viens  de  parler,  ne  sont  autre  chose  que 
dix  compagnies  de  zouaves  qui,  parties  quelques 
heures  avant  nous,  sont  allées  occuper  les  trois 
villes  citées  plus  haut. 

Arrivés  à  quelques  pas  de  Marino,  nous  sommes 
accueillis  par  une  décharge  de  mousqueterie. 
Nous  ripostons  à  l'ennemi  par  un  feu  des  mieux 
nourris,  et  après  une  heure  de  combat,  nous  nous 
rendons  maîtres  de  la  ville.  Les  Garibaldiens 
abandonnent  leurs  premiers  retranchements  et  se 
replient  sur  Castel-Gandolfo.  Nous  les  poursui- 
vons au  pas  de  course,  et  nous  les  forçons  encore 
de  fuir  devant  nous.  Chassées  de  ce  poste,  les 
chemises  rouges  vont  se  réfugier  dans  Albano,  où 
ils  occupent  les  meilleures  positions.  C'est  alors 
que  commence  réellement  le  combat  ;  car  jusqu'à 
présent,  nous  n'avons  fait  que  quelques  petites 
escarmouches. . 

Nous  étions    encore  à  deux  milles   de   la  ville, 


—  63  — 

lorsque  l'artillerie  de  l'ennemi  commença  à  faire 
entendre  sa  grande  voix.  Nous  avancions  toujours 
quand  même,  mais  en  leur  donnant  des  réponses 
bien  significatives.  Nous  nous  dispersons  en 
tirailleurs,  après  avoir  reçu  l'ordre  de  cerner  la 
ville  afin  de  couper  la  retraite  aux  fuyards. 

Nous  touchons  enfin  aux  murs,  où  nous  sommes 
reçus  par  une  salve  effrayante  ;  les  coups  de  fusils 
étaient  si  nombreux  que  le  bruit  ressemblait  au 
roulement  du  tonnerre.  Pendant  quelques  instants, 
il  y  eut  hésitation  ;  nous  avançons  et  nous  retrai- 
tons tour  à  tour  ;  la  victoire  paraissait  indécise. 
Mais  faisant  un  effort  suprême,  nous  nous  élan- 
çons en  avant,  baïonnette  au  canon,  massacrant 
et  culbutant  tous  ceux  qui  opposaient  quelque 
résistance,  et,  du  même  élan,  nous  pénétrons  dans 
la  ville  au  milieu  des  applaudissements  d'une  foule 
innombrable  de  citoyens.  Les  Garibaldiens, 
échelonnés  sur  les  murs  de  la  ville,  n'eurent  pas 
le  temps  de  se  rallie  r  ;  ils  furent  tous  forcés  de 
déposer  les  armes  et  de  se  livrer  aux  mains 
du  vainqueur.  A  neuf  heures,  la  guerre  était  fin  ie, 
et  le  drapeau  pontifical  flottait  de  nouveau  sur  la 
ville  d'Albano. 

Après  le  combat,  notre  premier  soin  fut  d'assou- 
vir la  faim  qui  nous  dévorait.  Nos  courses  de 
collines  en  collines  avaient    vivement  excité  l'ap- 


—.64  — 

petit.  Notre  repas  terminé,  la  consigne  fut  levée, 
et  une  permission  générale  fut  accordée,  a  tous 
ceux  qui  n'étaient  pas  de  service,  d'aller  où  bon 
leur  semblerait,  pourvu  qu'ils  fussent  de  retour  à 
quatre  heures  P.  M.  ;  c'était  l'heure  fixée  pour 
notre  départ.  Bien  que  je  fusse  très  fatigué,  je 
profitai  de  l'occasion  pour  visiter  en  gros  les  villes 
d'Albano,  d'Aricia,  de  Castel-Gandolfo  et  de 
Marino. 

La  ville  d'Albano,  située  à  7  lieues  au  sud-est 
de  Rome,  est  assise  aux  pieds  des  Monts-Algides 
— montagnes  du  Latium — ou  mieux  au  pied 
du  Mont-Cavo,  sur  les  ruines  d'Albe-la-Longue 
qui  fut,  dit-on,  fondée  par  Ascagne,  fils  d'Knée,  et 
détruite  par  Tullus  Hostilius.  Les  rues  de  cette 
ville  sont  larges  et  propres  ;  les  édifices  paraissent 
très  riches  et  sont,  pour  la  plus  grande  partie,  d'une 
construction  moderne.  Aussi,  pendant  la  saison 
des  chaleurs  tropicales, un  grand  nombre  de  familles 
romaines  viennent-elles  fixer  leur  séjour  en  cette 
ville.  On  y  admire  plusieurs  villas  splendides 
appartenant  à  des  princes  ou  à  des  ducs.  Albano 
rappelle  un  souvenir  bien  cher  aux  catholiques. 
Saint  Bonaventure  a  embaumé  ces  lieux  du  par- 
fum de  ses  vertus.  Ce  grand  .  saint  avait  été 
nommé  à  1  evêché  suburbicaire. 

A    deux    milles    d'Albano,    on    rencontre    la 


—  65  — 

moderne  Aricia,  qui  est  perchée  sur  le  sommet 
d'un  rocher.  Cette  ville  a  été  fondée  200  ans 
avant  la  guerre  de  Troie  par  Archiloque  de  Sicile. 
C'est  là  qu'est  née  Atia,  mère  d'Auguste.  Si  je 
ne  me  trompe  pas,  Horace  n'aimait  pas  trop 
Aricia,  à  cause  des  oignons  qu'elle  produisait  en 
grande  abondance. 

Castel-Gandolfo  s'élève  aussi  sur  les  ruines 
d'Albe-la-Longue  ;  car  Albe  renfermait  tout  le 
terrain  occupé  aujourd'hui  par  Albano  et  Castel- 
Gandolfo.  Cette  dernière  se  trouve  au  nord-ouest, 
et  à  un  mille  environ  de  la  première.  C'est  encore 
une  ville  moderne  et  d'une  assez  belle  apparence. 

A  l'est  de  Castel-Gandolfo,  et  à  une  courte 
distance,  on  voit  un  joli  petit  lac  qui  est  enchâssé 
entre  des  rochers  escarpés  et  couronnés  d'arbres 
touffus.  Ce  lac  est,  dit-on,  le  cratère  d'un  ancien 
volcan.  Je  n'ai  pas  de  peine  à  le  croire,  car  le 
terrain  avoisinant  est  un  terrain  volcanique  et  à 
mille  formes  diverses,  tel  qu'on  le  remarque  ordi- 
nairement dans  les  environs  d'un  volcan.  Ce  lac 
a  la  forme  d'une  ellipse  dont  le  grand  axe  mesure 
environ  2  milles  et  demi,  et  le  petit  axe,  quinze  à 
dix-huit  arpents.  La  direction  du  grand  axe  est 
du  nord  au  sud.  Généralement  on  le  désigne 
sous  le  nom  de  lac  d'Albano,  pour  la  raison  bien 
simple  qu'il  s'étend  au-delà  de  cette  ville,  et  que  le 


—  66  — 

foyer   de    l'ellipse    se    trouve    vis-à-vis    d'Albano 
même. 

Marino  est  à  un  mille  et  demi  au  nord-est  de 
Castel-Gandolfo.  Cette  ville  présente  le  même 
aspect  que  sa  voisine.  Je  ne  connais  aucun  fait 
historique  qui  se  rapporte  à  Marino.  Une  petite 
réminiscence  pourtant  à  signaler  : 

Lorsque  j'étais  élève  de  rhétorique,  il  me  semble 
avoir  lu  dans  Horace  qu'il  aimait  beaucoup  le  vin 
de  Marino  et  qu'il  en  avait  dans  sa  cave  une  assez 
grande  quantité,  âgé  de  cinquante  ans  au  moins. 
Mais  je  ne  puis  affirmer  si  c'est  la  même  ville  ; 
on  peut  toujours  le  croire  en  attendant  qu'on  nous 
prouve  le  contraire. 

Laissons  Horace  avec  son  dieu  Bacchus,  et 
retournons  à  Albano  où  le  clairon  nous  appelle. 
Les  rangs  se  forment  ;  le  capitaine  donne  le  mot 
du  commandement  "  peloton  en  avant,  marche," 
et  nous  marchons.  L'ami  C.  G.  Bertrand  chante 
"  Par  derrière  chez  ma  tante,"  etc.,  et  quand  il  est 
fatigué,  le  zouave  Pépin  entonne  sa  chanson  favorite 
"  Houp,  houp  sur  la  rivière.  "  Le'  temps  passe 
vite.  La  gaîté  la  plus  franche  règne  parmi  nous  ; 
nous  n'éprouvons  aucune  fatigue,  et  nous  entrons 
dans  notre  camp  aussi  frais  et  dispos  que  le  matin. 
À  six  heures,  nous  étions  nonchalamment  éten- 
dus sous  nos  tentes,  fumant  une  tendre  pipe  démo- 
cratique et  sociale,  comme  dirait  Sans-Allumette. 


—  m  — 

Un  autre  jour,  nous  avons  fait  une  "  petite 
guerre  "  à  Rocca-Priora,  l'ancienne  Corbion,  située 
à  l'est  et  à  deux  heures  de  marche  du  Camp 
d'Annibal.  Pour  parler  le  langage  militaire,  cette 
ville  est  une  sale  ville.  Les  habitants  m'ont  paru 
extrêmement  pauvres.  Mais  rendons  à  César  ce 
qui  appartient  à  César  :  Rocca-Priora  occupe  une 
position  des  plus  splendides.  Comme  un  nid 
d'oiseau,  elle  est  bâtie  sur  le  sommet  d'une  haute 
montagne.  Placé  sur  un  vaste  plateau  qui  se 
trouve  au  septentrion  de  Rocca,  j'ai,  vu  et  compté 
dix-neuf  villes  ou  villages  sans  changer  de  place. 
Ce  n'est  pas  mal  comme  vous  voyez.  A  part  son 
site,  je  ne  connais  rien  en  cette  ville  qui  puisse 
intéresser. 


CHAPITRE  IX. 


FÊTE    AU    CAMP — ROCCA-DI-PAPA — DÉPART    DU 
CAMP — DISPERSION  DES  CANADIENS. 

Quelques  jours  avant  notre  départ  du  camp, 
nos  officiers  supérieurs  eurent  l'obligeance  de  nous 
donner  une  petite  fête,  que  je  pourrais  appeler 
fête  militaire,  afin  de  nous  faire  oublier  les  péni- 
bles impressions  que  nous  causait  la  vue  du 
camp.  Le  lt-colonel  de  Charette  et  le  commandant 
du  3ème  bataillon,  Mr  de  Troussure,  les  organi- 
sateurs des  jeux,  obtinrent  un  plein  succès,  et 
surent  nous  divertir  et  nous  faire  rire  à  gorge 
déployée  cinq  .heures  durant. 

Voici  un  résumé  ou  mieux  un  programme  de 
la  fête  :  i  °  Exercices  de  cavalerie  ;  2  °  Courses 
au  clocher  ;  le  lieutenant  de  Franquinet  gagne  le 
premier  prix  ;  3  °  Courses  à  pied  ;  deux  Irlandais 
sont  couronnés  ;  40  Course  au  cochon  graissé,  le 
mât  de  cocagne  et  différents  autres  amusements  ; 
5°  Comédie  jouée  par  les  chasseurs  indigènes  ; 
6°  Figures  géométriques  illuminées. 

Le  dernier  article  du  programme  demande  des 
explications  ;  je  m'empresse  de  les  donner.  Quinze 


—  10  — 

jours  auparavant,  notre  bouillant  lt-colonel  de 
Charette  avait  dessiné  des  figures  géométriques 
au  front  du  3ème  dépôt,  sur  un  plan  bien  hori- 
zontal, qui  se  trouvait  dans  une  dépression  de 
terrain.  Le  lieu  avait  été  parfaitement  choisi 
pour  permettre  aux  spectateurs  de  tout  voir.  Ces 
figures  représentaient  une  étoile,  la  croix  de  Pie 
IX,la  croix  deMentana,et  "Vive  Pie  IX!"  en  gros 
caractères.  Pendant  plusieurs  jours,  les  quatre 
compagnies  de  dépôt,  dans  les  rangs  desquelles  se 
trouvaient  encore  tous  les  Canadiens,  firent  l'exer- 
cice sur  ces  lignes  droites  et  ces  lignes  courbes,  et 
apprirent  à  former  au  mot  du  commandement  la 
figure  voulue.  C'est  le  baron  de  Charette  qui 
commandait  en  personne  ces  différentes  manœu- 
vres. Il  me  semble  encore  le  voir  arriver  le  matin, 
monté  sur  son  cheval  gris  et  nous  lancer  un  regard 
moqueur,  en  nous  disant  :  "  Ah,  les'  Castors,'  que 
vous  êtes  laids  aujourd'hui  !  "  J'avoue  que  le 
qualificatif  convenait  à  merveille  à  plusieurs  d'entre 
nous. 

Le  soir  de  la  fête,  immédiatement  après 
la  représentation  de  la  comédie,  le  clairon  sonna 
l'appel  des  dépôts.  Tous  les  zouaves,  désignés  à 
prendre  part  à  ce  nouveau  spectacle,  coururent 
aux  armes  et  placèrent  des  lanternes  vénitiennes 
à  l'extrémité  de  leurs  carabines,  qu'ils  tenaient  au 


—  n  — 

"  port  d'armes."   Il  était  huit  heures  quand  nous 
arrivâmes  sur  le  terrain.     Les  ombres  descendues 
des   montagnes  s'allongeaient    dans  la    vallée  et 
produisaient  une  obscurité  complète.  Je  ne  saurais 
vous   peindre    fidèlement    la   scène  grandiose   et 
sublime    qui    se   déroula    alors   aux   regards  des 
milliers    de   spectateurs    accourus  de  la   ville  de 
Rome  même,  et  parmi  lesquels  on  comptait  des 
prélats    distingués,    des    nobles    et    des    princes, 
entre  autres    les  princes  Borghese   et  Rospigliosi. 
Figurez-vous  des  centaines  de  lanternes  ambulantes, 
au  milieu  de  ténèbres  épaisses,  allant  et  venant 
en   tous  sens,  et   représentant  les   figures  que  je 
vous    ai  nommées  plus  haut.     Je   dis    lanternes 
ambulantes  ;  il  était  impossible  de  distinguer  un 
seul  des   zouaves  qui  portaient  ces  lanternes  ;  orî 
ne  voyait  que  des   flots  de  lumière   de    diverses 
»  couleurs,  se  dessinant  sur  un  fond  obscur,    et  pro- 
duisant un  effet  vraiment  magique.      Un  tonnerre 
d'applaudissements  éclata  lorsque  nous  représen- 
tâmes   "Vive  Pie  IX!"     Des  vivats  prolongés  se 
firent  entendre,  etvles  échos  se  répercutèrent  dans 
les  montagnes  environnantes.   "  Sacrebleu  !  s'écria 
un  noble  français,  qui  se  tenait  à  quelques  pas  de 
moi,  je  n'ai    jamais  rien  vu  de  semblable."     Je 
n'osai  le  contredire,  car  il  disait  la  vérité. 

Le  lendemain  fut  un  jour  de  congé  pour  nous. 


—  12  — 

Je   profitai  de  ces  heures  de  loisir  pour  étudier 
Rocca-di-Papa  et  ses  environs. 

Rocca-di-Papa  est  située  au  sud-est  et  à  dix- 
huit  milles  environ  de  Rome.  Cette  ville  est  bâtie 
sur  le  flanc  d'un  rocher  ;  c'est  de  là  que  lui  vient  le 
nom  de  Rocca,  qui  veut  dire  roclie.  Rocca-di-Papa 
signifie  donc  Roche  du  Pape.  Elle  est  élevée  de 
plusieurs  mille  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer,  et  présente,  grâce  à  cette  élévation,  un  point 
de  vue  remarquable.  Monté  sur  le  sommet  du 
rocher,  nous  voyons,  dans  le  lointain,  Rome  et  la 
Méditerrannée,  et,  à  une  courte  distance,  Marino, 
Castel-Gandolfo,  Albano  et  les  flots  argentés  des 
lacs  d'Albano  et  de  Némi. 

Au  sud-ouest  de  Rocca  s'élève  cavalièrement  le 
Mont-Cavo,  (3,130  pieds  de  haut,)  sur  lequel  les 
Passionnistes  ont  construit  leur  nid.  Ce  nid  est 
un  magnifique  monastère  entouré  de  tous  côtés 
d'un  riant  bocage.  On  ne  saurait  trouver  de  lieu  plus 
propre  au  recueillement  et  à  la  prière.  Séparés 
du  tumulte  du  monde,  ces  religieux  semblent 
quitter  la  terre  et  s'envoler  vers  les  régions  célestes, 
en  répétant,  dans  leurs  louanges  au  Créateur,  ces 
paroles  du  psalmiste  :  "  Qui  me  donnera  des  ailes 
comme  à  la  colombe  !  "  Ce  pieux  sanctuaire  est 
bâti  sur  les  ruines  d'un  temple  païen,  de  Jupiter 
Latialis.    Dans  le  jardin  avoisinant  le  couvent,  on 


-73- 

voit  encore  un  morceau  du  parquet  en  mosaïque, 
parfaitement  conservé.  Lorsque  je  suis  allé  me 
promener  dans  ce  délicieux  jardin,  j'ai  détaché 
du  parquet  une  petite  pierre  que  j'ai  glissée  furti- 
vement dans  mon  gousset.  J'avais  grandement 
peur  que  ce  vol  sacrilège  m'attirât  la  colère  des 
dieux,  et  que  Jupiter  me  lançât  sa  foudre  sur  ma 
nuque.   Tout  de  même,  je  suis  revenu  sain  et  sauf. 

Au  sud  de  Rocca-di-Papa  on  rencontre  l'endroit 
généralement  connu  sous  le  nom  de  Camp  d'Anni- 
bal.  C'est  un  vaste  plateau  entouré  de  toutes  parts 
de  hautes  montagnes.  Les  zouaves  sont  campés 
sur  ce  plateau.  Le  camp,  adossé  au  pied  du  Mont- 
Cavo,  s'étend  sur  une  longue  ligne  droite,  (du  nord 
au  sud)  de  Rocca  jusqu'à  la  montagne  qui  fait  face 
à  cette  ville.  Cette  dernière  montagne  est  très 
élevée  ;  de  son  sommet,  il  paraît  que  l'on  jouit 
d'un  superbe  panorama.  Quelques-uns  de  mes 
compagnons  d'armes  ont  eu  le  courage  d'en  faire 
l'ascension,  et  ils  m'ont  affirmé  que,  lorsque  le 
ciel  est  serein  et  clair,  on  distingue  le  Vésuve  et  le 
golfe  de  Naples.   Mais,  Joannes  dubitat. 

Dans  la  principale  église  de  Rocca,  sous  le 
maître-autel,  repose  le  corps  de  saint  Eutrope, 
lecteur  de  l'église  de  Constantinople  et  mort  mar- 
tyr en  l'année  404,  en  proclamant  publiquement  la 
divine  vérité  et  en  prenant  la  défense  de  saint 
4 


—  14  — 

Jean-Chrysostôme,  chassé  pour,  la  seconde  fois  de 
son  siège  patriarchal. 

Le  cinq  septembre  ouvre  une  nouvelle  ère  pour 
nous  :  nous  levons  le  camp.  Vous  devez  vous 
imaginer  que  nous  ne  nous  faisons  pas  prier  pour 
plier  nos  tentes,  préparer  nos  sacs  et  nous  mettre 
en  route.  Notre  départ  est  salué  par  un  immense 
feu  de  joie  ;  l'incendie  balaye  tous  nos  édifices  de 
fougère  et  de  genêt  qui  nous  avaient  coûté  une  si 
grande  somme  de  labeurs.  Nous  partons  sans 
regarder  en  arrière,  et  en  chantant  gaîment  : 

"En  avant,  marchons,  zouaves  du  Pape,  à  l'avant-garde. " 

A  notre  arrivée  à  Rome,  nous  sommes  casernes 
de  nouveau  au  Janicule.  Bien  que  nous  soyons 
obligés  de  dormir  sur  la  paille,  nous  trouvons  nos 
lits  plus  moelleux  que  la  dure  du  Camp  d'Annibal  ; 
et,  ce  qui  est  une  importante  amélioration  à  notre 
sort,  c'est  que  nous  sommes  débarassés  de  cette 
petite  vermine  qui  nous  caressait  les  flancs  lorsque 
nous  étions  sous  la  tente.  Nous  avions  fait  usage 
de  lessive  avant  de  prendre  notre  nouveau  loge- 
ment. 

L'heure  de  la  dispersion  des  Canadiens  est  enfin 
sonnée.  Le  huit  septembre,  jour  de  la  Nativité 
de  la  sainte  Vierge,  tout  le  3ème  dépôt  est  versé 
en  compagnies  ;  par  conséquent,  les  Canadiens  se 


—  T5  — 

trouvent  alors  jetés  par  escouade  de  huit  à  dix, 
dans  les  différentes  compagnies  du  régiment.  La 
séparation  fut  touchante,  mais  sans  sanglots.  Le 
capitaine  de  Kermoal  pressa  affectueusement  la 
main  à  chacun  de  nous,  et  nous  rejoignîmes  nos 
compagnies  respectives. 

Je  voulais  alors  faire  une  étude  de  Rome  chré- 
tienne et  de  Rome  païenne,  mais  vaine  illusion  ! 
je  passe  à  la  6ème  compagnie  du  3ème  bataillon 
qui  est  actuellement  à  Tivoli.  Je  transporte  donc 
mes  pénates  dans  cette  ville,  au  quatrième  étage 
du  collège  Borromeo,  dirigé  par  les  révérends  pères 
Jésuites.  C'est  dans  ce  riche  couvent  que  j'ai 
écrit  la  courte  description  de  Tivoli  que  je  vous 
donnerai  dans  le  prochain  chapitre. 


CHAPITRE  X. 


TIVOLI  ET  SES  SOUVENIRS. 


Tivoli,  l'ancienne  Tibur  d'Horace,  est  située  à 
i  8  milles  à  l'est  de  Rome,  et  mérite  d'être  étudiée 
sous  le  rapport  du  site  et  sous  le  rapport  de  l'an- 
tiquité. 

Envisagé  sous  le  premier  rapport,  Tivoli  ne 
laisse  rien  à  désirer  de  mieux.  Placée  à  la  ren- 
contre de  trois  montagnes,  elle  est  assise  sur  le 
flanc  d'une  de  ces  montagnes  et  envoloppée  d'im- 
menses bosquets  d'oliviers  ;   elle  regarde  : 

Au  nord,  Monticelli,  petite  ville  élevée  sur  les 
ruines  de  Curniculum  ;  Santo  Angelo,  bâtie  sur 
l'emplacement  de  Canina  ;  Monte-Rotondo  qui 
nous  rappelle  le  brigandage  exercé  par  les  ven- 
dales  de  i  867  ;  et  enfin,  Mentana,  où  l'armée  pon- 
tificale défit,  dans  le  mois  d'octobre  1867,  les >^ 
chemises  rouges  commandées  par  Garibaldi,  connu 
plus  communément  sous  le  nom  de  général  Montre- 
ton- do  s  ; 

A  l'orient,  les  trois  montagnes  auxquelles  je 
viens  de  faire  allusion  ; 

Au  sud,    Palestrina,  autrefois   Praeneste  ;   Fras- 


—  78  — 

cati,     Rocca-Priora,    anciennement     Corbion,     et 
Albano  ; 

A  l'occident,  la  campagne  romaine  et  Rome, 
la  Ville  sainte,  la  Ville  éternelle,  la  Ville  des  mar- 
tyrs. Une  riche  vallée  sépare  Rome  de  Tivoli. 
Lorsque  la  voûte  céleste  est  sans  nuage,  la  Ville 
des  Papes  apparaît  dans  toute  sa  splendeur.  Si, 
au  contraire,  une  trop  grande  quantité  de  vapeur 
remplit  l'atmosphère,  Rome  disparaît  ;  mais  la 
coupole  de  Saint-Pierre  ne  fuit  jamais  le  regard. 
C'est  le  phare  lumineux  qui  guide  le  voyageur 
sur  la  mer  orageuse  du  monde  et  lui  fait  éviter 
les  écueils  qui  sont  semés  sur  son  passage. 

Sous  le  rapport  de  l'antiquité,  Tivoli  me  semble 
digne  de  figurer  après  Rome,  à  cause  des  nom- 
breux souvenirs  qu'elle  renferme.  Il  serait  trop 
long  de  décrire  chacun  de  ses  monuments  en  par- 
ticulier, je  me  contenterai  d'en  faire  l'énumération  : 

Nous  remarquons  les  ruines  d'un  grand  nombre 
de  temples  consacrés  aux  dieux  païens,  tels  que 
ceux  de  Vesta,  de  la  Sybille,  d'Hercule  ;  les  grottes 
de  Neptune  et  de  la  Sirène  ;  plusieurs  villas 
délabrées  ou  l'emplacement  qu'elles  ont  occupé  : 
nous  voulons  dire  les  villas  de  l'empereur  Adrien  ; 
de  Caïus  Marius,  homme  de  grand  mérite  et  con- 
temporain de  Cicéron  ;  de  M.  Scipion  ;  de  Lépide, 
célèbre  triumvir;  de  Virgile,  le  cygne  de  Mantoue  ; 


—  79  — 

de  Quintilius  Varus,  qui  a  tant  fait  souffrir 
Auguste  ;  il  vous  en  souvient  :  "  Varus,  qu'as-tu 
fait  de  mes  légions  ?  "  ;  de  Cassius,  qui,  de  concert 
avec  Crassus,  a  soutenu  la  guerre  contre  les 
Parthes  ;  de  Brutus,  qui  suivit  d'abord  le  parti 
de  Pompée  et  se  soumit  ensuite  à  César  ;  de  l'em- 
pereur Trajan  ;  de  Salluste,  célèbre  historien  ;  de 
Catulus,  consul  qui  défit  les  Cimbres  conjointe- 
ment avec  Marius  ;  du  poète  Horace,  qui  a  tant 
détesté  l'ail  et  tant  aimé  le  vin  ;  de  Pison,  qui  a 
été  consul  sous  Auguste,  gouverneur  de  Syrie  sous 
Tibère,  et  fit  mourir  Germanicus  ;  de  Mécène,  le 
favori  d'Auguste,  et  qui  ne  pouvait  s'endormir 
qu'au  bruit  des  cascatelles  ;  de  Plaute,  poète 
comique  ;  de  Zénobie,  reine  de  Palmyre  ;  de 
Sifax,  roi  de  Numédie,  qui  fut  vaincu  par  Scipion, 
dans  la  seconde  guerre  punique  ;  de  Plancus, 
consul,  l'an  712  de  Rome,  et  42  avant  Jésus- 
Christ,  et  de  plusieurs  autres.  Une  aussi  grande 
multitude  de  villas,  habitées  par  les  hommes  les 
plus  célèbres  de  Rome  païenne  parlent  beaucoup 
en  faveur  de  Tivoli  et  sont  une  preuve  vivante  de 
son  ancienne  gloire.  Aujourd'hui  encore,  les  familles 
nobles  de  Rome  chrétienne  ne  dédaignent  pas  le 
séjour  de  la  patrie  d'Horace. 

Les  églises  de  Tivoli  méritent  une  mention 
toute  spéciale,  et  j'invite  le  lecteur  à  pénétrer 
avec  moi  dans  ces  pieux  asiles  de  la  sainteté, 


—  80  — 

Les  principales  églises  sont  celles  de  Saint- 
Laurent,  de  Saint-Sylvestre,  de  Saint-Biaise,  de 
Saint-Pierre,  de  Saint-André,  de  Sainte- Sympho- 
rose,  appelée  aujourd'hui  Chiesa  del  Gesu,  de  Saint- 
Vincent,  de  Sainte-Marie  Majeure  et  de  Saint-Jean 
l'Evangéliste. 

L'église  du  Gesu  est  celle  que  j'aime  le  plus. 
Tout  plaît  dans  ce  temple.  La  richesse  qu'on  y  a 
déployée  et  les  magnifiques  tableaux  qui  ornent 
la  nef  sont  tous  d'un  prix  élevé  et  attribués  à  des 
artistes  les  plus  renommés.  Ces  peintures  appor- 
tent dans  l'âme,  je  ne  sais  quoi  de  suave,  et  l'invite 
à  détourner  ses  désirs  de  cette  vallée  de  larmes  et 
à  les  tendre  vers  la  suprême  Beauté. 

La  basilique  de  Saint-Laurent  occupe  l'empla- 
cement du  temple  d'Hercule.  Cette  coïncidence 
nous  met  en  mémoire  la  victoire  du  catholicisme 
sur  le  paganisme.  En  posant  le  pied  dans  cette 
basilique,  on  aperçoit  à  droite  une  belle  statue  de 
l'Immaculée-Conception,  due  au  génie  du  Bernin. 
Elle  est  en  grande  vénération  à  Tivoli,  et  c'est 
avec  raison.  En  1656,  la  Madona  a  préservé  les 
Tiburtins  de  la  peste  qui  sévissait  partout  et  cau- 
sait de  cruels  ravages. 

L'église  de  Saint-Vincent  est  construite  sur  la 
grotte  de  sainte  Symphorose.  Dans  cette  église 
se  trouve  un  beau  tableau  représentant  le  martyre 


—  81  — 

de  cette  sainte  et  de  ses  sept  fils  ;  et  puis,  vers  le 
milieu  de  la  nef,  à  droite,  un  escalier  conduit  à 
une  cellule  souterraine.  C'est  dans  cette  grotte 
que  s'est  cachée  la  sainte  femme  avec  ses  sept 
enfants  pour  se  dérober  à  la  persécution  de  l'em- 
pereur Adrien.  Mais,  comme  vous  le  savez  déjà, 
sa  retraite  a  été  ensuite  découverte,  et  l'héroïque 
mère  est  morte  martyre  ainsi  que  tous  ses  enfants. 
L'église  de  Saint  Pierre,  bâtie  sous  le  pontificat 
de  saint  Simplicius,  s'élève  sur  les  ruines  de  la 
villa  de  Metellus  Scipion  et  appartient  à  la  Con- 
fratemita  délia  Carita.  C'est  une  des  plus  anciennes 
églises  de  Tivoli. 

L'église  de  Saint-Biaise,  située  au  milieu  de  la 
place  de  la  Reine  et  desservie  par  cinq  Dominicains, 
remplace  le  temple  de  Junon.  Elle  a  été  détruite 
et  rebâtie  plusieurs  fois,  de  sorte  qu'elle  porte 
encore  les  traces  des  tristes  phases  qu'elle  a  eu  à 
traverser. 

En  arrière  de  la  place  de  Trevi,  on  rencontre 
l'église  de  Saint-André,  qui  fut  fondée  par  S.  Sil- 
via-Anicia-Probina,  mère  de  Grégoire  le  Grand, 
sur  les  ruines  du  temple  de  Diane. 

L'église  de  S.iint-Jeaft  l'Evangeliste  est  près  de 
la  porte  du  même  nom.  En  1729,  elle  est  deve- 
nue la  propriété  des  religieux  nommés  Eratc  Bene- 
Fratelli,  qui  l'ont  réparée  et  lui  ont  donné  l'appa- 


—  82  — 

rence  qu'elle  conserve  de  nos  jours.  Les  peintures 
de  cette  église  sont  les  plus  remarquables  de 
Tivoli.  Les  fresques  de  la  tribune  sont  attribuées 
à  Pinturrichio  ;  celles  de  la  nef  et  du  sanctuaire 
et  le  tableau  de  saint  Marc  l'Evangeliste,  à  Sal- 
viati.  Le  maître-autel  est  dominé  par  la  statue  de 
saint  Jean,  due  au  ciseau  de  Vincent  Léoni,  qui 
est  regardé  comme  le  restaurateur  de  l'église  de 
Saint-Biaise. 

Enfin,  jetons  un  coup  d'œil  rapide  sur  les  ruines 
de  la  villa  d'Horace.  Qu'y  voit-on  ?  Une  petite 
église  dédiée  à  saint  Antoine  de  Padoue.  Encore 
l'erreur  qui  cède  le  pas  à  la  vérité.  Le  site  ne  pou- 
vait être  mieux  choisi.  Véritablement,  comme 
dirait  un  ancien  représentant  du  peuple  canadien, 
Horace  aimait  la  belle  nature.  C'est  l'endroit  le 
plus  délicieux  qu'on  puisse  voir.  Nous  sommes 
en  dehors  et  à  douze  arpents  de  la  ville,  en  face 
des  cascatelles,  Sur  le  flanc  d'une  montagne  et  au 
milieu  d'un  bosquet  touffu  d'oliviers.  Tel  est  le 
lieu  où  le  poète  latin  se  livrait  à  ses  débauches  et 
à  ses  plaisirs  éphémères.  Le  poète  n'est  plus  ; 
mais  un  grand  saint  lui  a  succédé,  et  sa  main  pro- 
tectrice s'élèvera  sur  les  Tiburtins  jusqu'à  la  con- 
sommation des  siècles. 


CHAPITRE   XI. 


CASCADES  DE  TIVOLI  ET  LA  VILLA  D'ESTE. 

Avant  de  nous  éloigner  de  Tivoli,  allons  visiter 
les  cascades  et  la  villa  d'Esté.  Commençons  par 
les  premières. 

Sans  être  comparables  à  celles  de  Niagara  et 
de  Montmorency,  les  cascades  de  Tivoli  reçoivent 
néanmoins  la  visite  de  plusieurs  personnages  impor- 
tants, voire  des  rois  et  des  reines,  des  princes  et 
des  princesses.  En  parcourant  la  longue  liste 
des  illustres  touristes  dont  le  nom  est  gravé  sur 
un  marbre,  placé  à  l'entrée  des  tunnels  qui  tra- 
versent le  mont  Catillo,  j'ai  remarqué,  à  ma  grande 
surprise,  le  nom  du  prince  de  Galles,  notre  futur 
roi.  Ces  cascades  ont  un  cachet  de  beauté  qui  les 
fait  aimer.  La  nature,  dans  le  voisinage,  a  pris 
mille  formes  diverses  sous  la  main  de  l'Artiste 
universel,  et  offre  un  spectacle  enchanteur. 

On  distingue  deux  cascades,  l'ancienne  et  la 
nouvelle.  Le  lit  de  l'ancienne  est  presque  desséché, 
et  cela  date  de  1835.  Avant  cette  époque,  c'était 
l'unique  cascade.  L'eau  y  coulait  par  conséquent 
en  très  grande  abondance,   surtout  à  l'époque  des 


—  84  — 

pluies  torrentielles.  En  1826,  le  torrent  se  grossit 
à  un  tel  point  que  l'onde  s'élança  hors  de  ses 
digues,  inonda  la  ville — les  cascades  touchent  à 
la  ville — et  emporta  dans  sa  course  furibonde 
plusieurs  beaux  édifices,  qui  furent  complètement 
démolis.  Ce  désastre  répandit  la  terreur  dans  toute 
la  ville.  On  commença  alors  à  penser  aux  remèdes 
qu'il  fallait  apporter  au  mal.  Léon  IX  fit  donc 
construire  de  nouvelles  digues  pour  mettre  un 
frein  au  torrent  dévastateur.  Mais  ces  murs  paru- 
rent encore  insuffisants.  Neptune  ne  voulait  pas 
conclure  la  paix  à  si  bon  marché.  Grégoire  XVI 
mit  la  main  à  l'œuvre,  et  le  dieu  s'avoua  vaincu. 
Pour  obtenir  son  but  plus  sûrement,  le  pape 
Grégoire  résolut  de  détourner  le  cours  de  l'Anio, 
en  faisant  percer  le  mont  Catillo  ;  ce  qui  présen- 
tait de  sérieuses  difficultés.  Cependant  Grégoire 
le  voulait,  et  la  chose  se  fit  ;  car  pour  ce  grand 
pape  vouloir  et  faire  étaient  synonymes.  On  pra- 
tiqua deux  tunnels  à  travers  le  mont.  Les  eaux  y 
pénétrèrent,  pour  la  première  fois,  le  7  octobre 
1835,  en  présence  de  Sa  Sainteté  Grégoire  XVI, 
de  la  reine  des  Deux-Siciles,  de  plusieurs  cardi- 
naux, etc.,  et  formèrent  ce  que  nous  appelons 
maintenant  la  nouvelle  ou  la  grande  cascade.  On 
peut  parcourir  les  deux  tunnels  à  pied  d'un  bout 
à  l'autre;   car  dans    chacun   d'eux    se  trouve  une 


^  —  85  — 

plateforme    ou   galerie  sur  laquelle  le  promeneur 
se  balade  à  son  aise. 

En  revenant  des  cascades,  entrons  dans  la  villa 
d'Esté,  qui  apparaît  à  notre  gauche.  Après  l'avoir 
examinée  avec  soin,  nous  aurons  une  idée  plus  ou 
moins  juste  des  nombreuses  résidences  princières 
qui  entourent  Rome. 

La  villa  d'Esté  a  été  construite  en  i  5  5  1  par  les 
soins  du  cardinal  Hypolite  d'Esté,  qui,  dit-on,  dé- 
pensa en  cette  occasion  un  million  de  scudi  (le  scudo 
vaut  5  francs  7^  sous).  Comme  vous  le  voyez, 
c'est  une  somme  assez  ronde,  mais  je  dois  ajouter 
que  l'argent  a  su  produire  le  beau.  Le  palais,  qui 
sert  de  résidence  aux  cardinaux  de  cette  illustre 
famille,  n'offre  rien  de  remarquable.  Passons  outre 
et  volons  dans  le  jardin  qui  l'avoisine  ;  nous  serons 
contents  de  notre  petite  visite. 

Bien  des  fois,  il  m'a  été  donné  de  voir  des  jar- 
dins, mais  je  n'ai  jamais  vu  autant  de  beautés 
réunies  dans  un  même  lieu.  L'œil  ne  se  lasse 
jamais  de  contempler  ;  à  chaque  pas  que  l'on  fait, 
on  aperçoit  une  multitude  de  petits  êtres  qui  flat- 
tent la  vue  Ici,  ce  sont  des  statues  que  le  paga- 
nisme a  fait  naître  ;  là,  de  splendides  sculptures 
exécutées  par  le  génie  chrétien  ;  plus  loin,  des 
myriades  de  jets  d'eau  sous  différentes  formes,  et 
puis,  un  nombre  prodigieux  de  gracieuses  fontaines. 


—  86—  r 

Mon  épithète  gracieuse  doit  vous  surprendre.  Je 
veux  seulement  dire  que  le  dieu  ou  la  déese,  qui 
est  préposée  à  la  garde  de  telle  ou  de  telle  fontaine, 
a  un  extérieur  gracieux.  Enfin  pour  compléter  le 
tableau,  ce  jardin  renferme  des  arbres  de  toute 
sorte  qui  croissent  à  une  hauteur  prodigieuse,  tels 
que  le  cyprès,  le  platane,  le  cèdre  du  Liban,  etc. 
Rien  n'y  manque.  L'intelligence  a  présidé  à  l'œu- 
vre. 

Nous  avons  maintenant  une  vue  d'ensemble  ; 
mais  examinons  encore  plus  en  détails.  En  un 
mot,  faisons  le  tour  du  jardin.  A  l'orient,  on  remar- 
que la  fontaine  nommée  en  langue  italienne  de 
rOvato,  que  Michel -Ange  Buonarotti  décore  du 
titre  pompeux  de  reine  des  fontaines.  Quatre  frag- 
ments de  rocher  surperposés  forment  le  mont 
Elicon.  Sur  la  crête  du  mont  repose  le  cheval  ailé 
ou  Pégase  ;  à  la  base  surgit  l'eau  écumante  qui 
représente  l'Hyppocrème.  Les  rochers  ont  une 
légère  cavité  sur  le  flanc  ;  c'est  dans  ce  creux 
qu'est  assise  la  statue  de  la  Sibella  Albunea,  de 
dix-sept  palmes  de  haut,  et  qui  caresse,  de  sa  main 
droite,  la  jeune  Tivoli.  A  chaque  côté  de  la  Sybille 
se  dressent  deux  autres  divinités,  à  gauche,  l'Anio, 
et  à  droite,  Hercule,  qui  sont  mollement  étendues 
sur  la  verdure  et  semblent,  à  vrai  dire,  prendre 
peu  d'intérêt  à  l'humanité  souffrante  ;  du  pied  de 


—  87  — 

ces   dernières  statues  jaillissent  deux  torrents   qui 
versent  d'abord  leurs  eaux  agitées  dans   une    im- 
mense coupe,  et  de  là  dans  un  riche   réservoir   de 
forme  ovale.   Une  foule  de  petites   créatures  (sta- 
tues) figurant  les  Naïades,  sont  placées  en  face  du 
grand   réservoir,   sur  une  seule  ligne  et  en   demi- 
circonférence,  et  forment  un  tout  complet  avec  le 
reste  du  dessin.  Mais  un  peu  d'ombre,  dit-on,  dans 
un  tableau  ne  nuit  pas  à  sti  beauté  ;  tel  est  le  cas 
pour  la  fontaine  que  nous  étudions.    Des  platanes 
séculaires    répandent  à  l'entour  un   ombrage  tou- 
jours frais  ;  leur  cime  altière  semble  percer  la  nue 
et  regarde  avec  dédain  le  joli  bocage  de   lauriers 
qui  enveloppent  l'Elicon. 

De  la  fontaine  de  YOvato,  je  pénètre  dans  l'allée 
des  cent  fontaines,  qui  traverse  le  jardin  dans  toute 
son  étendue,  de  l'est  à  l'ouest.  Cette  allée  doit  son 
nom  aux  cent  jets  d'eau  qui  la  bordent.  A  l'extré- 
mité de  cette  voie,  j'aperçois  la  Girandola.  La 
première  chose  qui  frappe  ma  curiosité,  c'est  une 
petite  colline  sillonnée  en  mille  endroits  par  les 
flots  argentés  de  l'onde  bondissante,  de  l'onde  qui 
tombe,  se  relève,  rebondit  et  retombe  dans  un 
vaste  bassin.  On  dirait,  à  première  vue,  que 
l'eau  est  portée  de  main  en  main,  comme  la  langue 
italienne  l'exprime  si  poétiquement  :  "  Acqua 
sollevavasi  di  mano  in  mano"  Le  torrent,  en  frap- 


—  88  — 

pant  les  pointes  aïgues  du  rocher,  produit  un  grand 
bruit,  sourd  et  saccadé,  semblable  au  mugissement 
du  lion  delà  forêt.  Cette  circonstance  a'.fait donner  à 
la  fontaine,  la  dénomination  de  Fontaine  de  Dragon. 
C'est  le  cardinal  Luigi  qui  a  fait  construire  cette 
superbe  fontaine  à  l'occasion  du  séjour  de  Grégoire 
XVI  dans  le  palais  même  du  cardinal.  Trois  jours 
ont  suffi  pour  créer  ce  merveilleux  ornement  de 
la  ville  d'Esté,  et  Grégoire  a  pu  contempler  un 
nouveau  chef-d'œuvre  avant  de  retourner  au 
Vatican.  Si  jamais  les  armes  de  la  maison  Buon- 
compagni  vous  tombent  sous  les  yeux,  vous  y 
verrez  figurer  les  dragons.  Alors,  vous  vous  rappe- 
lerez  la  courte  description  que  je  fais  aujourd'hui 
de  la  fontaine  des  dragons,  et  vous  aurez  la  solu- 
tion du  problème. 

A  la  droite  de  la  fontaine  des  dragons,  le  regard 
se  fixe — permettez-moi  l'expression — sur  un  amas 
de  beautés,  auquel  on  décerne  le  nom  de  Romctta, 
petite  Rome.  C'est  une  représentation,  en  petit, 
des  principaux  monuments  de  l'antique  Rome. 
La  plus  grande  partie,  il  est  vrai,  est  dépouillée 
de  ses  somptueux  ornements  et  a  été  détériorée 
par  le  temps  ou  par  l'eau.  Au  milieu  des  ruines 
éparses,  on  distingue  encore,  d'une  manière  assez 
confuse,  le  capitole,  le  panthéon,  le  mausolée  d'Au- 
guste, le  môle  d'Adrien,  etc.   Sur  une  vaste  terrasse 


—  89  — 

s'élève  la  statue  de  Rome,  entourée  de  trophées  ; 
à  côté,  la  louve  allaite  Romulus  et  Rémus,  et  en 
face,  se  dresse  le  pont  triomphal.  Nous  avons  devant 
nos  regards  plusieurs  pages  de  l'histoire  romaine. 
Nous  voyons  grandir  Romulus  et  Rémus  ;  nous 
assistons  à  leur  querelle,  à  leur  séparation,  au 
meurtre  de  Rémus  par  son  frère,  à  la  fondation 
de  Rome,  à  l'enlèvement  des  Sabines,  à  la  mort 
du  premier  roi  des  Romains,  etc.  Comme  au  mont 
Elicon,  de  grands  arbres  ceignent  d'une  couronne 
verdoyante  la  tête  de  Rometta.  De  la  terrasse 
que  nous  occupons,  la  vue  embrasse  tout  le  jardin* 
C'est  donc  un  panorama  grandiose  qui  se  déroule 
devant  nous. 

La  villa  d'Esté  possède  plusieurs  autres  monu- 
ments et  plusieurs  autres  chefs-d'œuvres,  mais  il 
serait  trop  long  de  les  faire  connaître  ici.  J'ouvre 
donc  la  porte  du  jardin,  et  je  gagne  la  caserne,  au 
pas  accéléré,  afin  de  ne  pas  ennuyer  davantage  le 
lecteur. 


CHAPITRE  XII. 


SUBIACO  ET  SAINT  BENOIT. 

Subiaco  vient  du  mot  latin  Sablaqucum,  ainsi 
nommé  parce  que  autrefois  on  voyait  un  peu  au- 
dessus  de  cette  ville  trois  petits  lacs  aujourd'hui 
desséchés.   Sublaqueum  a  été  changé  en   Subiaco. 

Subiaco,  ville  de  la  Sabine  est  située  à  cinquante 
milles  au  sud-est  de  Rome  ;  elle  renferme  6,000 
âmes,  et  offre,  comme  le  dit  Robello,  un  grand 
intérêt  aux  artistes  par  son  délicieux  paysage, 
aux  industriels,  par  ses  nombreuses  usines,  et  aux 
philosophes,  par  les  souvenirs  de  saint  Benoît. 
Son  site  est  charmant.  Entourée  de  montagnes  qui 
portent  leurs  cimes  grisâtres  jusqu'aux  nues,  et 
bâtie  sur  une  colline  de  forme  pyramidale,  elle 
regarde  de  tous  côtés  un  vallon  profond,  où  la 
nature  se  plait  à  étaler  ses  trésors.  Bocages  ver- 
doyants, jardins  ^émaillés  de  mille  fleurs,  prome- 
nades délicieuses,  rien  n'y  manque.  Les  édifices, 
d'une  apparence  assez  médiocre,  sont  groupés  au 
tour  du  mamelon,  formant  ainsi  une  espèce  d'am- 
phithéâtre. Le  palais  épiscopal  est,  comme  un  nid 
d'oiseau,  perché  sur  le  sommet  et  domine  toute 


—  92— • 

la  ville.  A  la  première  vue  on  le  prendrait  pour 
un  château-fort  capable  de  soutenir  un  long  siège. 
Les  églises  sont  au  nombre  de  huit  ;  la  cathé- 
drale seule  peut  attirer  notre  attention.  Les  rues, 
comme  celles  des  autres  villes  des  Etats  de  l'Eglise, 
sont  étroites  et  d'un  aspect  qui  demande  beaucoup 
d'améliorations  sous  le  rapport  de  la  propreté. 
Nous  avons  une  faible  idée  de  la  topographie  du 
Subiaco  ;  passons  maintenant  aux  souvenirs  que 
renferme  cette  ville  : 

Le  premier  souvenir  qui  frappe  le  regard  du 
voyageur  est  celui  de  Néron,  ce  démon  sous  la 
forme  humaine.  L'aurait-on  cru  ?  Tout  de  même, 
ce  n'est  que  trop  vrai.  Enchanté  du  magnifique 
paysage  dont  je  viens  de  parler,  Néron  avait  fait 
construire  des  bains  artificiels  et  une  somptueuse 
villa  à  un  mille  de  la  ville,  sur  les  rives  de  l'impé- 
tueux Anio.  Il  ne  pouvait  se  fixer  en  un  endroit 
plus  favorable ,  pour  ses  orgies  nocturnes,  et  pour 
satisfaire  les  passions  de  son  cœur  gangrené.  Il 
existe  encore  aujourd'hui  quelques  ruines — dissé- 
minées ça  et  là — des  édifices  élevés  par  cet  empe- 
reur capables  tout  au  plus  de  nous  donner  une 
juste  idée  de  la  magnificence  que  déployaient  les 
anciens  Romains  dans  la  construction  de  leurs 
palais. 

Le  second  souvenir  qu'on  rencontre  est   l'anti- 


—  93  — 

pode  du  premier.  Ce  souvenir  est  cher  aux  habi- 
tants de  la  ville  de  Subiaco,  cher  à  toute  l'Italie, 
cher  enfin  à  l'Eglise  catholique.  Je  viens  de 
nommer  saint  Benoît,  de  la  famille  d;Anicia,  ce 
jeune  praticien  qui,  fuyant  les  honneurs  et  les  dé- 
lices du  monde,  vint  se  réfugier  dans  une  grotte, 
où  les  rayons  d'un  soleil  bienfaisant  ne  pénétraient 
jamais.  Le  paganisme  avait  souillé  cette  contrée 
de  sa  bave  immonde.  Le  christianisme,  quatre 
siècles  plus  tard,  chasse  pour  toujours  ce  monstre 
infernal,  et  plante  la  croix  à  l'endroit  même  où  ce 
dernier  avait  établi  sa  demeure.  Benoît  fut  l'instru- 
ment dont  se  servit  la  Providence  pour  remporter 
cette  victoire  à  jamais  mémorable,  qui  produisit 
dans  l'univers  des  fruits  si  abondants.  Ce  grand 
saint,  ne  voulant  pas  laisser  son  œuvre  incomplète, 
forma  un  ordre  qui  fut  chargé  de  continuer  ce 
qu'il  avait  commencé,  c'est-à-dire  travailler  au  salut 
des  âmes.  L'ordre  des  Bénédictins  s'augmenta  avec 
rapidité,  et  fonda  un  vaste  monastère  sur  la  grotte 
même  dans  laquelle  saint  Benoît  passa  trois 
longues  années  sans  voir  aucun  être  humain.  C'est 
ce  monastère,  commencé  par  saint  Benoît  et  para- 
chevé par  l'abbé  Humbert,  que  nous  allons  étu- 
dier ;  mais,  auparavant,  suivons  avec  attention  le 
joli  sentier  qui  conduit  au  Sagro  Spcco,  afin  d'ad- 
mirer les  monuments  qui  se  présentent  à  l'admi- 
ration pendant  cette  excursion  aérienne. 


—  94  — 

Le  premier  monument  que  le  chrétien  s'empresse 
de  visiter,  c'est  une  chapelle  circulaire,  élevée  en 
l'honneur  de  saint  Maur,  disciple  de  saint  Benoît. 
On  rapporte  le  fait  suivant  dans  la  vie  de  ce  der- 
nier :  "  Un  jour,  le  jeune  Placide,  fils  d'un  sénateur 
romain,  alla  puiser  de  l'eau  dans  un  petit  lac, 
aujourd'hui  desséché,  et  à  peu  de  distance  de  la 
villa  de  Néron.  Pendant  que  le  jeune  homme  était 
penché  sur  le  bord  de  l'eau,  le  poids  de  l'amphore 
l'entraîna,  et  Placide  tomba  dans  l'abîme.  Il  allait 
périr,  lorsque  saint  Benoît  ordonna  à  saint  Maur 
de  voler  au  secours  de  Placide.  Maure  obéit  ;  il 
marche  sur  les  eaux  comme  autrefois  Notre 
Seigneur  sur  le  lac  de  Génézareth,  et  retire  du 
gouffre  l'enfant  qui  n'a  plus  qu'un  souffle  de  vie." 
Pour  perpétuer  la  mémoire  de  ce  miracle  éclatant, 
les  habitants  de  Subiaco  élevèrent  cette  chapelle 
que  nous  avons  devant  nous.  Plus  loin  s'élève  le 
couvent  de  sainte  Scholastique,  sœur  de  saint 
Benoît.  Ce  monastère  a  été  construit  au  VI  siècle. 
On  y  a  réuni  une  ioule  d'objets  de  l'antiquité 
provenant  de  la  villa  de  Néron.  Ce  sont  des  reli- 
gieux cloîtrés  qui  l'habitent  aujourd'hui. 

L'église  qui  touche  au  couvent  est  d'une  grande 
beauté.  L'âme  se  sent  à  l'aise  en  pénétrant  dans 
ce  temple  et  respire  librement  les  parfums  des 
vertus   qui  y  sont  pratiquées.     Dans  la  crypte,  on 


—  95  — 

admire  deux  grottes  profondes,  habitées  autrefois 
par  deux  saints  :  Pierre  et  Honorât.  Le  corps  du 
vénérable  Bède  repose  dans  ce  lieu.  Son  nom  est 
gravé  sur  un  marbre  avec  l'inscription  suivante  : 
"  O  vénérable  Bede  !  Illustrions  doctor  of  the  english 
nation  vouchsafe  to  obtain,  the  retum  of  that  people 
to  the  truc  ehureh  and  peace  and  ivelfare  for  myself 
who  corne  t hit her  in  pilgrimage  to  tJiy  shrine.  " 

A  deux  pas  du  couvent  de  sainte  Scholastique, 
il  existe  une  chapelle  visitée  par  une  foule  innom- 
brable de  pèlerins.  En  gravissant  cette  montagne, 
saint  Benoît  rencontra  le  moine  Romain,  plus  tard 
saint  Romain,  qui  le  dépouilla  de  ses  habits  et  le 
revêtit  d'une  peau  de  bête.  Cette  chapelle  est  là 
pour  rappeler  aux  pèlerins  cette  circonstance  de 
la  vie  de  saint  Benoît. 

Nous  traversons  ensuite  un  petit  bois  odori- 
férant, connu  sous  le  nom  de  bois  sacre.  Ce  riant 
bocage  a  été  sanctifié  par  la  présence  de  saint 
Benoît,  de  cet  homme  de  diamant,  comme  l'appelle 
le  pape  Zacharie.  Le  touriste,  fatigué  de  cette 
/pénible  ascension,  s'arrête  volontiers  un  instant 
'  sous  cet  épais  feuillage  pour  reprendre  haleine, 
respirer  l'air  pur  et  ranimer  ses  forces  chance- 
lantes. 

Nous  arrivons  enfin  au  monastère  de  saint 
Benoît,    au    célèbre  Sagro    Speeo,    placé    sur  des 


—  96  — 

rochers  à  pic,  menacé  par  des  masses  énormes  de 
pierres  qui  le  dominent,  et  suspendu  sur  le  bord 
d'un  précipice.  Ce  couvent  est  adossé  à  la  mon- 
tagne, à  la  paroi  qui,  comme  le  peint  si  bien  de 
Montalembert,  fait  face  au  midi  et  domine  en 
surplombant  le  cours  bondissant  de  l'Anio  sépa- 
rant, en  cet  endroit,  la  Sabine  du  pays  habité 
jadis  par  les  Eques  et  les  Herniques.  Le  sanc- 
tuaire du  Sagro  Speco  compte  sept  étages  et 
quatorze  autels. 

Au  second  étage  se  trouve  la  grotte  sainte.  Une 
statue  d'une  beauté  et  d'une  expression  merveil- 
leuses représente  le  patriarche  à  genoux  et  les 
yeux  tournés  vers  le  ciel.  A  côté  de  la  statue,  on 
remarque  un  panier  et  une  clochette.  L'ermite 
Romain  seul  connaissait  le  refuge  du  saint  qu'il 
nourrissait  du  reste  de  ses  jeûnes.  Mais  il  ne  pou- 
vait pas  parvenir  jusqu'à  lui,  il  lui  glissait  chaque 
jour  un  morceau  de  pain,  au  moyen  d'un  panier 
attaché  à  l'extrémité  d'une  corde  ;  et  au  panier 
était  fixée  une  clochette  qui,  par  ses  tintements 
réitérés,  avertissait  l'anachorète  de  l'arrivée  de  son 
frugal  repas.  Vous  devez  comprendre  facilement 
l'énigme  du  panier  et  de  la  clochette  que  renferme 
la  grotte  sainte.  Ces  souvenirs  ne  sont  qu'une  imi- 
tation, mais  c'est  un  fac-similé  qui  parle  éloquem- 
ment  au  cœur    du  chrétien.    Les  Bénédictins  con- 


-97  — 

servent  les  originaux  dans  une  chapelle  avec  un 
soin  tout  religieux.  On  voit  aussi  le  lit  sur  lequel 
saint  Benoît,  succombant  à  l'épuisement,  prenait 
quelques  heures  de  repos.  Sa  couche  n'était  pas 
aussi  molle  que  celle  des  rois  fainéants  de  la  Gaule. 
Une  simple  pierre,  et  encore  était-elle  passable- 
ment raboteuse,  voilà  le  lit  du  grand  saint  de 
Subiaco. 

Au  septième  et  dernier  étage,  existe  une  autre 
grotte,  dans  laquelle  saint  Benoît  composa  la  règle 
de  son  ordre,  sous  l'autel  qui  la  décore  ;  le  saint  a 
laissé  l'empreinte  de  ses  pieds  parfaitement  gravés 
dans  le  roc.  Cette  grotte  et  la  première  que  nous 
avons  visitée  sont  fobjet  d'une  tendre  dévotion. 
Les  fidèles  y  accourent  de  toutes  les  parties  du 
monde.  L'évêque  de  Montréal,  Mgr  Bourget,  est 
venu  lui-même,  le  jour  de  la  fête  de  saint  Benoît, 
célébrer  le  divin  sacrifice  de  la  messe  dans  le 
Sagro  Speco.  Sa  Grandeur  était  accompagnée  de 
MM.  les  abbés  Gravel,  Godin  et  de  notre  digne 
aumônier,  qui  tousvont  eu  le  même  bonheur  que 
notre  vénéré  prélat  canadien. 

L'histoire  rapporte  que,  lorsque  saint  Benoît 
vivait  dans  son  obscure  retraite,  il  fut  violemment 
tenté  par  le  démon  de  l'inpureté.  Pour  éteindre 
le  feu  qui  le  dévorait,  le  moine  se  roula,  le  corps 
nu,  sur  des  épines   qui  croissaient  auprès  de  sa 


—  98  — 

grotte.  Les  épines  se  changèrent  en  roses.  Les 
bons  Bénédictins  donnent  toute  leur  attention  à 
ces  rosiers  miraculeux,  dont  les  feuilles  portent 
au  centre  la  figure  d'un  serpent  ;  ils  se  font  un 
plaisir  de  procurer  à  chaque  visiteur  ce  qu'on 
appelle polvere prodigiosa  délie  rose  di  santo  Benetto. 
Le  révérend  Père  Bruno,  qui  était  alors  mon 
directeur  spirituel,  a  bien  voulu  me  faire  cadeau 
de  cette  poudre  prodigieuse  toutes  les  fois  que  je 
suis  allé  prier  au  Sagro  Speco. 

Nous  venons  d'applaudir  l'héroïsme  de  saint 
Benoît,  triomphateur  de  la  volupté,  en  faisant  un 
miracle.  Transportons-nous  maintenant  sur  un 
autre  théâtre,  où  la  sainteté  de  Benoît  brille  con- 
tinuellement. En  arrière  du  monastère,  se  dresse 
un  énorme  rocher  taillé  perpendiculairement,  et 
dominant  l'illustre  retraite  des  Bénédictins.  C'est 
sur  ce  rocher  que  vivait  saint  Romain,  et  c'est 
aussi  de  ce  haut  rocher  qu'il  remplissait  le  rôle  de 
pannetier  à  l'égard  de  saint  Benoît.  Un  jour,  un 
fragment  considérable  de  ce  rocher  se  détache  et 
descend  avec  une  vitesse  incroyable.  De  son  poids 
il  allait  écraser  le  couvent  et  les  moines  qui  l'habi- 
taient, lorsque  tout  à  coup  il  s'arrête,  restant  adossé 
à  la  montagne,  sans  aucun  appui  pour  le  soutenir  ; 
il  ne  touche  à  la  montagne  que  par  la  base,  la 
partie  supérieure  est  inclinée  vers  le  monastère  et 


—  99  — 

séparée  de  la  montagne  par  une  distance  de  plu- 
sieurs pieds.  Quelle  est  donc  la  puissance  qui  l'a 
retenu,  et  qui  le  retient  encore  suspendu  pour  ainsi 
dire  dans  l'espace?  Saint  Benoît,  ni  plus  ni  moins  ; 
le  miracle  est  visible.  Il  ne  suffit  que  d'ouvrir 
les  yeux  pour  s'en  convaincre.  En  mémoire  de  ce 
miracle  vivant,  opéré  en  faveur  de  leur  ordre,  les 
Bénédictins  ont  élevé,  au  pied  du  rocher,  une 
statue  à  leur  bien-aimé  fondateur.  Cette  statue  a 
les  regards  dirigés  vers  la  pierre  menaçante  ;  la 
main  droite  est  levée  comme  pour  commander  au 
rocher  de  s'arrêter. 

Sur  le  piédestal  qui  la  supporte,  on  lit  l'inscrip- 
tion suivante  :  "Ferma  o  rupe  ?  non  danneggiare  i 
figli  mieir  Pour  éviter  de  l'embarras,  au  lecteur, 
je  me  permettrai  d'en  donner  la  traduction  : 
"  Arrête-toi,  ô  rocher  !  ne  fais  pas  de  mal  à  mes 
enfants." 

Il  n'y  a  pas  que  Subiaco  qui  nous  parle  de  saint 
Benoît.  Il  existe  encore  plusieurs  autres  villes  qui 
publient  sans  cesser  les  vertus  du  patriarche  des 
moines  d'Occident. 

Affile,  petite  ville  située  à  quatre  milles  au  sud 
de  Subiaco,  conserve  le  crible  en  terre  brisé  et 
rendu  à  son  premier  état  par  l'entremise  de  saint 
Benoît. 

Royate,  à  5  milles  d'Affilé,  bâtie  au  milieu  des 


—  100  — 

montagnes  dont  le  sommet  est  couvert  de  neiges 
éternelles,  possède  le  rocher  sur  lequel  saint  Benoît 
passa  la  nuit  lorsqu'il  se  rendit  à  Subiaco.  Ce 
rocher  porte  l'empreinte  du  corps  du  grand  Benoît  > 
et,  une  chapelle,  riche  en  ornements,  couvre  l'en- 
droit où  ce  miracle  s'est  opéré. 

Vicovaro,  placée  sur  la  voie  qui  conduit  de 
Subiaco  à  Tivoli,  et  à  six  milles  environ  de  cette 
dernière,  nous  montre  saint  Benoît  préservé  provi- 
dentiellement d'un  grand  péril.  Les  religieux  d'un 
monastère  de  cette  ville  l'avaient  appelé  pour  le 
mettre  à  la  tête  de  leur  institution.  Mais,  ne  pou- 
vant supporter  la  sévérité  de  sa  règle,  ils  résolu- 
rent de  le  faire  mourir.  Ils  lui  apportèrent  donc 
une  coupe  remplie  de  poison.  Benoît,  inspiré  du 
Ciel,  fit  le  signe  de  la  croix  sur  la  coupe  qui  se 
cassa  et  tomba  par  terre.  Le  rocher  lui-même  sur 
lequel  le  vase  tomba,  vola  en  éclats.  On  peut  voir 
encore  les  traces  de  cet  autre  miracle.  Les  reli- 
gieux, effrayés  et  repentants,  se  précipitèrent  aux 
genoux  du  saint  qui  leur  pardonna  de  grand  cœur. 
Mais  Benoît  ne  voulut  pas  demeurer  plus  long- 
temps dans  cette  ville,  il  retourna  s'ensevelir  dans 
sa  sombre  caverne,  bien  décidé  de  ne  plus  appa- 
raître aux  regards  des  humains.  Cependant,  la 
renommée  de  sa  haute  sagesse  se  répandit  avec 
une  telle  rapidité  dans  toute  l'Italie,  qu'un   grand 


—  toi  — 

nombre  de  personnes  vinrent  se  réfugier  auprès  de 
lui  pour  vivre  de  sa  vie  de  sacrifices  et  de  jeûnes. 
Bientôt  il  surgit  douze  monastères  dans  ces  parages 
sauvages,  autour  du  Sagro  Speco.  Après  avoir 
nommé  des  supérieurs  aux  douze  monastères  qu'il 
avait  fondés,  saint  Benoît  quitta  Subiaco,  en  520, 
et  alla  se  nicher  sur  le  mont  Cassin,  où  il  termina 
sa  brillante  carrière,  en  l'année  543. 

Ce  sont  là  les  connaissances  que  j'ai  pu  acquérir 
sur  Subiaco  et  le  sanctuaire  de  saint  Benoît,  lorsque 
j'ai  eu  le  bonheur  d'être  en  garnison  dans  cette 
ville.  Je  dis  bonheur,  et  je  ne  crois  pas  me  trom- 
per ;  car  n'est-ce  pas  un  bonheur  que  de  contem- 
pler "cette  caverne  et  ce  buisson  d'épines,  dit 
l'auteur  des  Moines  d'Occident,  d'où  sont  issues  les 
légions  de  moines  et  de  saints  dont  le  dévouement 
a  valu  à  l'Eglise  ses  conquêtes  les  plus  vastes  et 
ses  gloires  les  plus  pures." 


CHAPITRE  XIII. 


BOLSENE MONTEFIASCONE VlTERBE.  * 

En  quittant  Subiaco,  ma  compagnie — il  ne  faut 
.  pas  croire  que  j'étais  capitaine  pour  parler  ainsi — 
se  dirigea  sur  Rome,  où  elle  séjourna  pendant  onze 
mois.  Dans  cet  intervalle,  j'ai  eu  la  consolation 
d'assister  à  l'imposante  cérémonie  des  noces  d'or 
de  Pie  IX,  et  à  l'ouverture  du  concile  du  Vatican. 
Ces  deux  faits  glorieux  dans  la  vie  du  successeur 
de  Grégoire  XVI  méritent  un  chapitre  séparé.  J'y 
reviendrai  donc  plus  tard.  En  attendant  j'invite  le 
lecteur  à  me  suivre  dans  la  province  de  Viterbe, 
afin  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  quelques  villes. 
Après  avoir  fait  cette  course,  nous  aurons  parcouru 
presque  tous  les  Etats  de  l'Eglise.  J'ai  eu  occa- 
sion de  visiter  Civita  Castellana,  Soriano,  Orvieto, 
Montefiascone,  Bolsene  et  Viterbe.  Pour  abréger 
mon  récit,  je  me  contenterai  de  dire  un  mot  de 
ces  trois  dernières  villes. 

Je  commence  par  Bolsene,  qui  se  trouve  au 
nord  et  à  cinq  jours  de  marche  de  Rome,  pour  un 
zouave  voyageant  avec  le  sac  au  dos  et  la  cara- 
bine en  bandoulière. 


—  104  — 

Bolsene,  l'ancienne  Vulsinii,  renferme  une  popu- 
lation de  1,000  âmes  tout  au  plus.  C'est  une  des 
douze  lucumonies  eu  capitales  des  Etrusques.  A 
quelques  pas  de  cette  ville,  s'étend  un  joli  lac  du 
même  nom,  si  vanté  par  le  Dante.  Vous  n'avez 
pas  oublié  sans  doute  les  anguilles  qu£  ce  poète 
a  chanté  avec  tant  de  grâce. 

Bolsene  est  célèbre  par  les  longues  luttes  qu'elle 
a  eu  à  soutenir  sous  la  monarchie  romaine,  mais 
surtout  par  le  miracle  éclatant  qui  s'y  est  opéré 
au  treizième  siècle.  Voici  comment  un  écrivain 
français  raconte  ce  fait  : 

"Vers  le  milieu  du  XIII  siècle,  le  pape  Urbain 
IV  se  trouvait  avec  tout  le  sacré  collège  à  Orvieto, 
voisine  de  Bolsene.  Dans  cette  ville,  un  prêtre, 
en  célébrant  le  saint  sacrifice  à  l'église,  encore 
existante,  de  sainte  Catherine,  laisse  tomber,  par 
mégarde,  quelques  gouttes  du  précieux  sang  sur 
le  corporal.  Afin  de  faire  disparaître  les  traces  de 
l'accident,  il  plie  et  replie  le  linge  sacré  de  ma- 
nière à  étancher  le  sang  adorable. 

Le  corporal  est  ensuite  rouvert  ;  et  il  se  trouve 
que  le  sang  a  pénétré  tous  les  plis,  et  imprimé 
partout  la  figure  de  la  sainte  hostie  parfaitement 
dessinée,  en  couleur  de  sang.  Sur  l'ordre  du  sou- 
verain pontife,  le  linge  miraculeux  est  transporté 
solennellement  à  Orvieto,  et  on  le  garde  encore 


—  105 — 

aujourd'hui  avec  un  profond  respect  dans  la  cathé- 
drale. Le  reliquaire  qui  lé  renferme  est  un  chef- 
d'œuvre  d'orfèvrerie,  orné  de  peintures  en  émail, 
et  la  cathédrale,  bâtie  en  mémoire  du  prodige,  est 
un  des  plus  splendides  et  des  plus  anciens  monu  - 
ments  de  l'art  en  Italie  ;  elle  date  de  1290.  Ce 
miracle  fut  un  des  motifs  qui,  en  1262,  détermi- 
nèrent le  même  pontife  à  instituer  la  solennité  de 
la  Fête-Dieu.  Bolsene  montre  encore  dans  une 
humble  église  l'endroit  où  le  sang  coula,  et  qui  a 
été  couvert  d'une  grille." 

Montefiascone  est  située  à  huit  ou  neuf  milles 
de  Viterbe  sur  une  colline  à  pente  douce.  C'est 
la  ville  aux  vins  par  excellence.  Les  Italiens  de 
cette  province  ne  jurent  que  par  les  vins  de  Mon- 
tefiascone. L'eau  leur  en  vient  à  la  bouche  quand 
on  leur  en  parle.  Voici  un  trait  qui  établit  claire- 
ment la  renommée  des  vins  de  cette  ville. 

Il  y  a  quelques  années,  un  riche  Allemand 
voyageait  en  Italie.  A  son  retour  de  Rome,  il 
passa  par  Montefiascone.  Avant  de  descendre  de 
voiture,  il  commanda  à  son  domestique  d'aller 
s'informer  s'il  y  avait  du  bon  vin  dans  cette  ville. 
Si  le  domestique  réussissait  dans  sa  mission,  il 
devait  répondre  :  Est.  Le  domestique  était  chargé 
de  voir  aussi  si  le  vin  était  de  qualité  supérieure, 
et,  dans   le  cas   affirmatif,  de   répondre   Est.     En 


—  106  — 

troisième  lieu,  le  serviteur  devait  s'enquérir  si  le 
vin  était  excellent,  et  de  répondre  encore  Est.  Le 
fidèle  domestique  s'empresse  d'obéir  aux  ordres  de 
soa  maître.  Bientôt  il  revient  tout  joyeux  et 
s'écrie  :  Est,  Est,  Est.  L'Allemand,  au  comble  du 
bonheur,  saute  de  voiture,  entre  dans  une  trattoria 
et  boit  tant  de  vin  qu'il  en  meurt  sur  le  champ. 
Sur  sa  tombe  qui  a  été  déposée  dans   l'église   de 

saint  Flavien,  on  lit  l'inscription  suivante  : 

« 

Est,  Est,  Est 

Et   propter  nimium  est, 

Johannes   de   Fuger, 

Dominus  meus, 

Mortuus  est , 

Cette  mort  fait  honneur  aux  vins  de  Montefias- 
cône,  mais  non  à  celui  qui  en  a  été  la  victime. 

Viterbe,  la  ville  aux  belles  fontaines,  comme  on 
la  désigne  ordinairement,  est  assise  au  pied  du 
mont  Cimino,  l'ancien  Cyminus.  Sa  population  est 
de  20,000  âmes.  Cette  ville  entourée  de  hautes 
murailles,  était,  en  1869,  sous  la  garde  des  troupes 
françaises.  Là,  sont  réunis  une  foule  d'objets  d'art 
qui  étonnent  les  étrangers.  Non  loin  de  Viterbe, 
on  rencontre  le  petit  village  de  Canino,  devenu 
célèbre  par  la  retraite^de  Lucien  Bonaparte,  et  par 
la  découverte  de  vases  et  de  statues  étrusques. 

Les  habitants  de  Viterbe  ont  une  grande  dévo- 
tion   pour  le  bienheureux  Crispino  et  pour  sainte 


—  107  — 

Rose.  Lorsque  l'Eglise  célèbre  la  fête  de  ces  deux 
saints,  le  peuple  accourt  en  foule  se  prosterner 
devant  les  précieuses  reliques  du  frère  capucin  et 
de  la  jeune  vierge.  Crispino,  ou  Crispin,  est  un 
frère  de  l'ordre  des  capucins  qui  a  rempli  l'humble 
fonction  de  quêteur  du  couvent,  pendant  quarante 
ans,  et  dont  le  corps  miraculeusement  préservé  de 
la  corruption,  repose  dans  le  campo  santo  du  cou- 
vent de  la  Conception,  à  Rome.  Rose  est  une 
jeune  fille,  morte  à  dix-huit  ans  en  odeur  de  sain- 
teté, au  treizième  siècle. 

J'invite  les  personnes  qui  ont  eu  la  force  de 
m'accompagner  dans  mes  marches  forcées,  de  venir 
avec  moi  dans  quatre  autres  villes,  et  nous  irons 
ensuite  nous  reposer  à  l'ombre  du  drapeau  ponti- 
fical qui  flotte  sur  le  fort  Saint- Ange. 


CHAPITRE  XIV. 


MENTANA MONTE-ROTONDO FRASCATI 

OSTIE. 

Mentana,  placée  à  1 5  milles  au  nord-est  de 
Nomentum,  fondée  par  Latinus  Sylvius  ;  c'est  une 
des  plus  anciennes  colonies  d'Albe,  dans  la  Sabine. 
Sous  l'empire  romain,  cette  ville  a  joué  un  rôle 
assez  important,  et  ses  vins  étaient  très  recherchés. 
Au  Moyen-Age,  Nomentum  prit  le  nom  de  Civitas 
Nomentana,  et  plus  tard  on  a  retranché  la  pre- 
mière syllabe  de  l'adjectif  Nomentaua,  ce  qui  a 
fait  Mentana. 

La  population  de  Mentana  est  d'environ  900 
à  1.000  âmes.  Les  rues  en  sont  étroites  et  tor- 
tueuses. Les  édifices  pour  la  plupart  très  anciens, 
n'attirent  que  médiocrement  la  curiosité.  Le  séjour 
de  cette  ville  est  monotone,  pour  ne  pas  dire  plus. 

Mentana  a  légué  au  domaine  de  l'histoire  plu- 
sieurs faits  qu'il  ne  faut  pourtant  pas  oublier.  C'est 
là  que  l'illustre  Charlemagne  eut  une  entrevue 
avec  le  pape  Léon  III,  lorsqu'il  se  rendait  à  Rome, 
en  800,  pour  recevoir  la  couronne  impériale.  Cette 
bourgade  est  encore  la  patrie  de  Crescence,  de  ce 


—  110  — 

patrice  romain  qui,  au  Xe  siècle,  tenta  de  rétablir 
la  république  et  fut  pris  et  mis  à  mort  d'une 
manière  barbare,  par  Othon  III,  en  996,  après 
avoir  défendu  le  fort  Saint-Ange  avec  un  courage 
héroïque. 

Les  étrangers  qui  visitent  Rome  se  font  un 
devoir  de  venir  à  Mentana,  fouler  le  champ  de 
bataille  où  l'armée  pontificale  remporta,  au  mois 
d'octobre  1867,  une  brillante  victoire  sur  l'ermite 
de  Caprera,  le  porte-étendard  des  révolutionnaires 
ou  des  sociétés  secrètes,  le  général  Garibaldi,  enfin. 
A  l'approche  de  cet  implacable  ennemi  de  la 
Papauté  et  de  la  royauté,  Rome  trembla.  Les 
habitants  consternés  se  préparaient  à  prendre  la 
fuite.  Un  deuil  universel  enveloppait  la  Ville  éter- 
nelle. La  crainte  avait  glacé  le  sang  dans  les  veines 
des  plus  intrépides.  Les  églises  regorgeaient  de 
fidèles,  qui  imploraient  la  protection  du  Tout- 
Puissant.  Partout,  à  chaque  coin  de  rue,  on  enten- 
dait des  gémissements  et  des  sanglots.  Tout  sem- 
blait désespéré.  Encore  quelques  heures,  et  Rome 
sera  au  pouvoir  de  la  révolution. 

Mais  il  est  écrit  :  Portas  inferi  adversus  eam  non 
prevalebnnt.  L'auguste  vieillard  du  Vatican  avait 
prié  pour  l'Eglise,  et  sa  prière  était  exaucée.  Pie 
IX  bénit  sa  vaillante  armée  et  lui  donne  l'ordre 
de  marcher  au  combat.    L'armée  vole  à  Mentana, 


% 


1 


— 111  — 

taille  en  pièces  les  bataillons  garibaldiens  et  rentre 
dans  Rome,  couverte  de  lauriers  et  de  blessures. 
L'Eglise  catholique  avait  ajouté  une  nouvelle  page 
glorieuse  à  son  histoire,  et  le  Canada  avait  arrosé 
de  son  sang  le  sol  de  l'Italie,  dans  la  personne  de 
M.  Alfred  LaRocque,  décoré  aujourd'hui  de  la 
croix  de  Pie  IX.  Honneur  à  ce  brave  chevalier  ! 
Honneur  aux  Canadiens-français  ! 

Le  combat  avait  duré  cinq  heures  environ. 
Garibaldi  avait  fui  au  milieu  de  la  mêlée,  laissant 
ses  'déguenillés  à  leur  triste  sort. 

Le  très  regretté  colonel  Allet  et  le  baron  de 
Charette  commandaient  le  régiment  des  Zouaves  ; 
c'est  tout  dire. 

On  rapporte  un  trait  de  bravoure  dont  notre 
cher  papa — nom  que  les  zouaves  donnaient  géné- 
ralement au  colonel  Allet — a  été  le  héros.  Pendant 
la  bataille,  le  colonel  se  tenait  au  front  et  un  peu 
à  côté  de  son  armée,  et  examinait  les  péripéties 
du  combat,  tout  en  fumant  tranquillement  un 
cigare,  lorsqu'il  aperçut  un  Garibaldien  qui  le  met- 
tait en  joue.  Sans  laisser  percer  la  moindre  émo- 
tion, papa  Allet  le  regarde  viser.  Le  Garibaldien 
fait  feu,  et ....  le  colonel  reste  sur  son  cheval  sans 
attraper  la  moindre  égratignure.  Alors  se  tournant 
vers  les  Zouaves,  Allet  dit  en  riant  :  "  Oh,  qu'il  est 
bête  !    il   me  vise,   il   tire  et  il  ne  me  tue  pas.  " 


m 


—  112  — 

"  Donne-moi  ta  carabine,"  ajoute-t-il,  en  s'adres- 
sant  à  un  zouave.  Notre  colonel  épaule,  vise  le 
Garibaldien,  fait  feu,  et  le  soldat  à  la  chemise  rouge 
tombe  raide  mort."  Tiens,  dit-il  en  remettant 
l'arme  qu'il  avait  empruntée,  c'est  comme  ça  qu'on 
vise  dans  l'armée  pontificale."  Un  tel  sang-froid  et 
un  tel  courage  se  passent  de  commentaires. 

De  ce  célèbre  champ  de  bataille,  arrosé  du  sang 
de  plusieurs  martyrs  de  la  foi  catholique,  dirigeons 
nos  pas  vers  le  nord.  A  deux  milles  au  plus,  nous 
apercevrons  Monte-Rotondo,  ville  assez  impor- 
tante de  la  Sabine,  ayant  une  population  de  2,300 
habitants.  Cette  ville  occupe  une  belle  position. 
Placée  au  milieu  de  la  campagne  romaine  et  en- 
tourée de  vignobles  et  d'oliviers,  elle  est  exempte 
de  la  malaria,  qui  exerce  de  si  grands  ravages  au 
midi  de  Rome,  surtout  aux  environs  des  Marais - 
Pontins. 

Monte-Rotondo  a  aussi  ses  jardins,  ses  villas  et 
ses  promenades.  Dans  la  principale  église,  on 
remarque  un  excellent  tableau  de  la  patronne  de 
la  ville,  sainte  Madeleine,  attribué  à  C.  Maretta. 
J'ai  si  grande  hâte  de  voir  Pie  IX,  que  j'abrège 
ma  relation. 

Pourtant  encore  une  explication  :  Vous  vous 
souvenez  que  j'ai  donné  plus  haut  le  titre  de  Mon- 
tre-ton-dos au  général  Garibaldi.   Voici  l'origine  de 


—  113  — 

ce  mirabolant  surnom  :  Garibaldi  se  voyant  battu 
à  plate  couture  à  la  bataille  de  Mentana,  sauta  sur 
son  cheval  et  prit  le  galop  vers  Monte-Rotondo, 
en  disant  à  ses  officiers  qu'il  les  rejoindrait  en 
cette  dernière  ville.  Garibaldi  fit  tellement  jouer 
les  éperons  que  sa  monture  prît  le  mors  aux  dents, 
et  ne  s'arrêtât  que  lorsqu'elle  eut  franchi  la  frontière 
du  Piémont.  Les  officiers  garibaldiens  retournèrent 
à  Monte-Rotondo,  suivant  l'ordre  de  leur  chef, 
mais  le  héros  avait  décampé,  comme  on  vient 
de  le  voir.  Les  vainqueurs  et  les  vaincus,  en  appre" 
nant  cette  nouvelle,  s'écrièrent  :  "  Le  général  mon- 
tre-ton-dos est  parti."  C'est  Monte-Rotondo  changé 
en  montre-ton-dos. 

Notre  course  à  travers  les  États  de  l'Eglise  a 
épuisé  nos  forces. 

Allons    nous   reposer  un  peu   sous    les  grands 

arbres  qui  bordent  la  voie  romaine,  près  de  Fras- 

cati.   Une  fois  que  nous  aurons  renouvelé  l'air  de 

nos  poumons,  entrons  dans  le  Cacouna  des  Etats 

de  l'Eglise,  dans"  la  belle  ville  de  Frascati,  où  va  se 

réfugier  l'aristocratie  romaine  pendant  les  grandes 

chaleurs  de  l'été.  Le  séjour  de  cette  ville  n'est  pas 

à  dédaigner. 

» 
Frascati,   bâtie  sur  le  versant  d'une   montagne, 

est  à   deux   heures  de  marche  de   Rome.  On  y 

jouit,   grâce  à  sa  position,  d'une  température  tou- 


—  114  — 

jours  fraîche.  A  l'entour  de  la  ville,  sont  dissémi- 
nées, ça  et  là,  les  riches  villas  d'Aldobrandini,  des 
Conti,  des  Borghese,  des  Taverna  et  de  plusieurs 
autres,  que  le  touriste  peut  visiter  dans  les  heures 
de  loisir.  Sur  le  sommet  de  la  montagne,  on  voit 
les  ruines  de  Tusculum,  la  patrie  de  Caton  e£  la 
résidence  favorite  de  Ciceron.  Cette  dernière  ville 
a  été  détruite  en  1191  par  les  Romains  et  les 
Tiburtins.  *» 

Frascati  a  eu  l'honneur  de  posséder  dans  son 
enceinte  l'illustre  cardinal  Micara,  le  grand  redres- 
seur des  vices  de  la  haute  société.  Un  jour,  c'était 
en  l'année  1824,  ce  savant  évêque — il  n'était  pas 
encore  cardinal — fut  appelé  à  prêcher  à  Rome, 
devant  un  brillant  auditoire,  composé  en  grande 
partie  de  la  noblesse  romaine.  Le  pape  Léon  XII 
était  présent.  L'évêque  Micara  fit  une  sortie  viru- 
lente contre  les  maux  de  l'époque,  et  il  flagella  en 
particulier  les  vices  les  plus  connus  de  la  noblesse. 
Plusieurs  assistants  furent  offensés  et  portèrent 
plainte  au  Pape,  en  lui  demandant  de  punir  le 
coupable.  Le  Pape  se  rendit  aux  vœux  des  indi- 
gnés et  promit  d'infliger  au  prédicateur  un  châti- 
ment exemplaire.  Quelques  jours  s'écoulèrent,  et 
personne  n'entendit  parler  de  la  punition.  Après 
un  certain  laps  de  temps,  la  noblesse  outragée 
obtint   une  audience  du  Pape  et  lui  demanda   s'il 


—  115  — 

avait  châtié  l'évêque  Micara.  "  Certainement, 
répondit  Léon  XII,  je  l'ai  fait  cardinal.  "  Les  indi- 
gnés restèrent  la  bouche  béante  et  s'en  retour- 
nèrent tout  penauds,  comme  un  chien  qui  vient 
d'être  battu. 

Il  me  reste  encore  à  vous  dire  un  mot  de  la 
petite  ville  d'Ostie,  de  cet  ancien  port  de  mer  de 
l'Italie,  tant  vanté  dans  l'histoire  romaine. 

Ostie  est  située  à  quinze  milles  de  Rome,  près 
de  l'embouchure  du  Tibre.  Elle  se  divise  en  deux 
parties  distinctes  :  l'ancienne  ville  et  la  moderne. 
Cette  dernière,  construite  par  le  cardinal  delU 
Rovere,  ne  renferme  rien  d'intéressant. 

L'ancienne  ville  comptait,  au  temps  de  sa  splen- 
deur, 80,000  habitants.  Elle  a  presque  entière- 
ment disparu  pendant  les  invasions  des  barbares. 
Mais  dans  ces  dernières  années,  le  glorieux  Pie  IX 
a  fait  faire  des  fouilles  qui  ont  amené  des  décou- 
vertes importantes.  Une  place  publique,  un  forum, 
un  temple,  un  théâtre,  des  statues,  des  rues  en- 
tières ont  surgi  du  milieu  des  décombres. 

Ostie  a  vu  mourir  une  grande  sainte,  la  mère 
de  saint  Augustin.  J'extrais  le  passage  suivant  de 
Rome  chrétienne,  par  Mgr  Gerbet. 

"  C'était  au  printemps  de  l'an  387  que  quelques 
voyageurs  arrivèrent  au  port  de  mer  d'Ostie,  près 
de  l'embouchure  du  Tibre,  pour  y  attendre  un  vais- 


—  116  — 

seau  qui  pût  les  mener  à  la  côte  d'Afrique,  d'où 
ils  allaient  à  Tagaste.  Ces  voyageurs  étaient 
Augustin,  qui  devint  ensuite  le  saint  évêque  d'Hyp- 
pone,  Monique,  sa  mère,  son  frère  Alypius,  son  fils 
Adéodat  et  ses  deux  amis  Evode  et  Philippe. 
Pendant  leur  séjour  à  Ostie,  Monique  tomba 
malade.  Une  fièvre  survint  et  le  quinzième  jour 
elle  expira.  Peu  d'instants  avant  sa  mort,  elle 
entendit  de  son  lit  Alypius  exprimant  à  Augustin 
son  affliction  de  ce  que  sa  mère  mourrait  sur  une 
terre  étrangère  et  allait  être  ensevelie  parmi  les 
étrangers.  Elle  l'arrêta  par  un  regard  mécontent 
et  leur  dit  :  "Mettez  ce  corps  en  un  lieu  quelconque 
et  ne  vous  en  embarrassez  pas.  Mais  il  y  a  une 
chose  que  je  vous  demande  c'est  que  partout  où 
vous  serez  vous  vous  souveniez  de  moi  à  l'autel  du 
Seigneur." 

Sainte  Monique  mourut  à  l'âge  de  56  ans  ;  c'est 
saint  Augustin  lui-même  qui  lui  ferma  les  yeux.  Son 
corps  fut  d'abord  déposé  dans  l'église  d'Ostie,  et 
puis  transporté  dans  l'église  de  Saint-Augustin,  à 
Rome,  où  il  repose  encore  aujourd'hui. 


CHAPITRE   XV. 


RCWE    ANCIENNE. 


Nous  voilà  enfin  dans  Rome,  dans  cette  Ville 
sainte  que  j'ai  parcourue  et  fouillée  en  tous  sens. 
J'avais  d'abord  conçu  le  dessein  de  donner  des 
détails  très  minutieux  sur  toutes  les  églises,  tous 
les  monuments  religieux  et  profanes  que  l'on  voit 
dans  cette  grande  ville,  mais,  après  avoir  refléchi 
qu'une  foule  d'auteurs  ont  parlé  de  Rome  bien 
mieux  que  je  ne  pourrais  le  faire,  j'ai  adopté  une 
autre  méthode.  J'ai  divisé  mon  étude  en  trois 
parties,  savoir  :  Rome  ancienne,  Rome  pendant 
les  persécutions  et  Rome  actuelle.  Cette  étude 
aura  l'avantage  de  nous  faire  rappeler  notre 
histoire,  si  toutefois  nous  l'avons  oubliée.  Je  com- 
mence par  Rome  ancienne,  qui  nécessairement  se 
confond  avec  l'eifipire  romain  lui-même. 

Rome  fut  fondée  par  Romulus  430  ans  après 
la  prise  de  Troie,  et  755  ans  avant  Jésus-Christ. 
Après  avoir  construit  une  forteresse,  le  premier 
roi  des  Romains  s'assura  l'alliance  des  Sabins  et 
créa  une  milice  qui  devint  très  puissante  plus  tard. 

Numa,  dont  le  caractère  n'était  pas  aussi  féroce 


—  118  — 

que  son  prédécesseur,  adoucit  les  mœurs  du  peu- 
ple romain  et  institua  la  religion  des  dieux  païens. 

Tullus  Hostilius  assiste  au  combat  de  Horaces 
et  des  Curiaces,  et  fait  la  conquête  d'Albe. 

Ancus  Martius  étend  les  limites  de  son  petit 
empire  jusqu'à  Ostie. 

Tarquin  l'Ancien  s'empare  de  la  Toscane  et 
embellit  Rome  d'ouvrages  considérables. 

Servius  Tullius  agrandit  Rome  et  nourrit  l'espoir 
d'établir  une  république,  mais  il  ne  peut  réaliser 
ses  projets  ;  il  meurt  par  le  conseil  de  sa  fille 
Tullia  et  par  le  commandement  de  son  gendre 
Lucius  Tarquin. 

Tarquin  monte  sur  le  trône.  Son  despotisme  et 
sa  tyrannie  lui  mérite  le  titre  de  superbe.  Son 
troisième  fils,  Sextus,  s'empare  de  Gabbies,  ville 
voisine  de  Rome.  C'est  sous  son  règne  que  le 
grand  cirque,  commencé  par  Tarquin  l'Ancien  fut 
terminé.  Ce  roi  éleva  une  citadelle  et  lui  donna 
le  nom  de  Capitole,  parce  qu'eu  creusant  les  fon- 
dations on  trouva  une  tête  sur  laquelle  se  lisait 
l'inscription  To/us,  et  comme  les  augures  préten- 
daient que  Rome  serait  un  jour  la  capitale  du 
monde,  on  ajouta  le  mot  caput — qui  signifie  tête 
ou  capitale— à  Tolus,  et  on  appela  la  montagne 
en  latin  eapitolium.  Tarquin  soumet  les  peuples 
du  Latium  à  sa  domination,  mais  ayant  attenté  à. 


—  119  — 

l'honneur  de  Lucrèce,  il  s'attire  la  colère  du  peuple 
romain  qui,  excité  par  Brutus,  dont  le  père  et  le 
frère  avait  été  assassinés  par  Tarquin,  chasse  le 
tyran  de  Rome  et  proclame  la  république. 

Le  pouvoir  passe  ensuite  aux  mains  des  patri- 
ciens. On  voit  régner  d'abord  Brutus  et  Tarquin 
Callatin,  époux  de  Lucrèce,  qui  prennent  le  nom 
de  consuls.  A  ceux-ci  succède  le  consul  P.  Valérius. 

Les  Tarquins  chassés  trouvent  un  défenseur 
dans  la  personne  de  Porsena,  roi  des  Clusiens, 
peuple  de  l'Etrurie.  Porsena  s'avance  avec  une 
armée  considérable  sur  Rome  qui  n'est  sauvée  que 
par  la  valeur  d'Horatius  Coclès.  Le  roi  étrusque 
est  obligé  de  se  retirer  devant  la  bravou  re  de 
Scévola. 

La  république  est  successivement  gouvernée  par 
les  tribuns,  les  decemvirs  et  les  tribuns  militaires. 
Sous  les  tribuns,  Cariolan  ayant  été  chassé  de 
Rome,  soulève  les  Volsques  qu'il  dirige  vers  sa 
patrie.  Rome  tremble  et  ne  doit  son  salut  qu'à 
la  mère  de  Cariolan,  Veturie  qui  arrête  l'inflexible 
guerrier  par  ces  paroles  :  "  Arrête,  en  repoussant 
son  fils  qui  veut  l'embrasser,  avant  de  recevoir  tes 
embrassements,  je  veux  savoir  si  je  parle  à  l'en- 
nemi de  Rome  ou  au  hls  de  Veturie  ;  si  je  suis  la 
mère  de  Cariolan  ou  sa  captive.  "  Cariolan  cède 
au  sentiment   de  la  nature  et  se  retire   en  disant  : 


—  120  — 

"  0  ma  mère,  vous  sauvez  Rome,  mais  vous  perdez 
votre  fils.  n 

Pendant  que  les  Romains  combattent  les  peuples 
du   centre   de   l'Italie,  les  Gaulois   s'emparent   du 
nord  de  la  péninsule,  traversent  l'Apennin  et  pous- 
sent leurs  conquêtes  jusqu'à   Clusium.   Cette  ville 
implore  le  secours  des  Romains.  Les  trois  Fabius 
sont  chargés  de  négocier  cette  affaire,  mais  par 
leur   caractère   violent  et  hautain  ils   irritent  les 
Gaulois  qui  marchent  sur  Rome.  La  future  capi- 
tale du   monde  catholique  est  prise   et  saccagée 
par  les  barbares,  et  tous  les  habitants  sont  passés 
au  fil   de  l'épée.      L'armée    romaine  s'était  réfu- 
giée  auparavant   dans   la    citadelle    du    capitole. 
Pendant   une    nuit,    les    Gaulois    vont    y    entrer, 
lorsque  Manlius,  éveillé  par  le  cri  des  oies,  accourt 
sur  les  remparts  et  combat  seul  pendant  quelque 
temps  contre  les  assaillants.     Camille  rappelé  de 
son  exil,    se  met  à  la  tête  de  l'armée  et  chasse  les 
Gaulois  qui  avaient  été  les  maîtres  de  Rome  pen- 
dant sept  mois.    L'illustre  vainqueur  des  peuples 
de  la  Gaule  fait  reconstruire  la  ville  de  nouveau  et 
le  peuple  lui  décerne  le  titre  de  second  fondateur 
de  Rome. 

Les  Romains,  débarrassés  des  Gaulois,  soumet- 
tent les  Samnites,  après  une  guerre  de  douze  ans. 
Les  Tarentins,  les  Latins,  les  Etruriens  et  tous  les 


—  121  — 

anciens  peuples  subissent  le  même  sort.  Les 
Romains  sont  maîtres  de  l'Italie  après  84  ans  de 
luttes. 

Les  Mamertins,  en  Sicile,  se  voyant  menacés 
dans  leur  indépendance  par  les  Carthaginois,  implo- 
rent l'assistance  des  Romains,  leurs  alliés.  Ceux-ci 
forment  une  flotte  ;  le  consul  Duilius  en  prend  le 
commandement  et  défait  Annibal.  Les  Romains} 
enhardis  par  cette  première  victoire  navale,  se 
dirigent  sur  Carthage  ;  cette  république  de  mar- 
chands se  croit  perdue.  Le  lacédomonien  Xan- 
tippe  vole  au  secours  de  Carthage  et  le  consul 
romain  Attilius  Regulus  est  vaincu  et  fait  prison- 
nier. Les  Romains  abandonnent  alors  la  mer  aux 
Carthaginois.  Mais  convaincus  que  commander 
sur  mer  était  le  seul  moyen  d'abattre  la  puissance 
des  Carthaginois,  les  citoyens  arment  une  seconde 
flotte.  Le  consul  Lutatius  Catulus  marche  contre 
la  flotte  Carthaginoise  qu'il  défait  complètement 
près  de  Lylibbée  et  met  fin  à  la  première  guerre 
punique,  qui  avait^duré  vingt-trois  ans  (264-241). 
Les  Carthaginois  sont  chassés  de  la  Sicile  et  de 
toute  l'Italie.  La  Sardaigne  tombe  aussi  au  pou- 
voir des  Romains. 

Après  avoir  conclu  un  traité  de  paix  avec  les 
Carthaginois,  les   Romains    attaquent  les  Gaulois, 


—  122  — 

passent  le  Pô  et   étendent  leurs  conquêtes  jusqu'à 
Milan. 

Les  Carthaginois,  de  leur  côté,  s'emparent  de 
Sagonte,  l'alliée  des  Romains  en  Espagne  ;  ce  qui 
était  une  violation  du  droit  des  gens.  Les  Romains 
demandent  satisfaction  et  envoient  en  ambas- 
sade Fabius  qui,  voyant  que  la  discussion  se  pro- 
longeait sans  succès,  dit  aux  Carthaginois  en 
relevant  le  pan  de  son  manteau  :  "  Je  vous 
apporte  la  paix  ou  la  guerre,  choisissez.  "  Les 
Carthaginois  répondent  avec  fierté  :  "  Choisissez 
vous-même."  Fabius  reprend  :  "  Je  vous  donne  la 
guerre.  "  Alors  commence  la  seconde  guerre  puni- 
que. 

Les  Carthaginois  sont  d'abord  victorieux  et  les 
Romains  perdent  presque  toute  l'Italie.  La  répu- 
blique semble  périr  en  Espagne  sous  les  deux 
Scipion.  Mais  trois  hommes  remarquables  surgis- 
sent au  moment  où  Rome  est  sur  le  point  de  périr  : 
Fabius  Maximus,  Marcellus  et  le  jeune  Scipion^ 
Les  Carthaginois  sont  forcés  de  quitter  l'Espagne, 
et  Carthage  tremble  à  son  tour.  Annibal,  victo- 
rieux pendant  16  ans,  ne  peut  défendre  sa  patrie, 
qui  tombe  au  pouvoir  de  Scipion,  après  la  bataille 
de  Zama.  Le  numide  Massanissa  est  nommé  gou- 
verneur de  cette  contrée. 

La  Macédoine  et  la  Grèce  subissent  le  joug  des 


—  123  — 

Romains  qui  ne  marchent  alors  que  de  victoire  en 
victoire. 

Les  Carthaginois  se  plaignent  des  empiétements 
du  roi  Massanissa.  Caton  est  chargé  d'étudier  les 
griefs  de  ce  peuple,  mais  au  lieu  de  s'occuper  des 
démêlés  du  Numide  avec  Carthage,  il  admire  la 
puissance  et  la  richesse  de  cette  fière  rivale  des 
Romains,  et,  à  son  retour,  il  ne  cesse  de  répéter  le 
célèbre  "Delenda  est  Carthago,  il  faut  détruire  Car- 
thage." Alors  la  troisième  guerre  punique  est 
résolue.  Scipion  Emilien  vole  en  Afrique  ;  Carthage 
est  prise  et  brûlée.  Les  habitants  sont  transportés 
en  Italie  et  dispersés  dans  les  différentes  provinces 
de  l'empire.  Les  Etats  de  Carthage  forment  la 
province  d'Afrique. 

La  Gaule  cisalpine  est  déclarée  province 
romaine. 

Le  consul  Marius  défait  les  Teutons  et  les 
Cimbres. 

Pompée  chasse  les  pirates  depuis  la  Phénicie 
jusqu'aux  colonnes  d'Hercule  et  s'empare  de 
l'Arménie.  La  Syrie,  la  Bythinie,  la  Paphlagonie 
et  le  Pont  deviennent  provinces  romaines. 

Les  Belges  sont  mis  en  pièces  â  la  bataille  de 
Bibrax  sur  les  bords  de  l'Aisne,  et  la  Belgique 
tombe  sous  la  domination  des  Romains. 

Jules   César,   après   avoir   conquis    les   Gaules, 


—  124  — 

parcourt  en  vainqueur  l'Asie,  l'Afriqueet  l'Espagne  ; 
il  rêvait  la  conquête  du  monde,  lorsqu'il  expira 
sous  le  poignard  de  Brutus  et  de  Cassius. 

A  cette  époque,  l'empire  romain  était  borné  à 
l'est  par  le  Rhin,  le  Danube,  le  Pont-Euxin  et 
l'Euphrate  ;  au  sud,  par  les  déserts  de  l'Arabie, 
l'Ethiopie  et  les  sables  de  la  Lybie  ;  à  l'ouest  et 
au  nord  par  l'Océan  Atlantique. 

Ce  vaste  empire,  dit  un  historien,  était  divisé 
en  vingt-huit  provinces,  dont  Auguste  se  partagea 
l'administration  avec  le  Sénat.  Il  abandonna  au 
Sénat  celles  qui  étaient  entièrement  soumises. 
Elles  étaient  au  nombre  de  treize,  dont  sept  en 
Europe  :  la  Sicile,  la  Sardaigne  et  la  Corse,  la 
Gaule  narbonnaise,  la  Bétique  en  Espagne,  la 
Macédoine,  l'Achaïe  en  Grèce,  et  l'île  de  Crète  ; 
trois  en  Asie  ;  l'Asie  proconsulaire  ou  l'ancien 
royaume  de  Pergame,  Bythunie  avec  la  Paphla- 
gonie  et  le  Pont,  et  l'île  de  Chypre  ;  trois  en 
Afrique  :  la  Numédie,  l'Afrique  propre  ou  l'ancien 
territoire  de  Carthage,  et  la  Cyrénaïque. 

Auguste  se  réserva  les  provinces  dont  la  sou- 
mission n'était  pas  complète,  afin  d'avoir  sous  sa 
main  les  légions  et  d'en  disposer  à  son  gré.  Ces 
provinces  étaient  au  nombre  de  quinze,  dont  dix 
en  Europe  :  la  Gaule  celtique  ou  lyonnaise,  la 
Lusitanie,  la  Rhétie,  la  Belgique,  la  Tarraconaise, 


—  125  — 

la  Pannomie,  la  Mésie,  la  Dalmatie  et  l'Illyrie  ; 
quatre  en  Asie  :  la  Cilicie,  la  Galatie,  la  Syrie,  la 
Phénicie,  et  une  en  Afrique  :  l'Egypte. 

Rome  passe  aux  mains  de  Marc-Antoine,  de 
Lépide  et  du  jeune  César  Octavien,  petit-neveu 
de  Jules  César,  triumvirat  qui  s'est  rendu  si  triste- 
ment célèbre  dans  l'histoire.  Lépide  est  abandonné  ; 
Antoine  et  César  se  tournent  l'un  contre  l'autre. 
Antoine,  abandonné  à  son  tour  par  ses  amis  et 
Cléopâtre,  la  cause  de  sa  mort,  se  perce  de  son 
épée. 

Rome  tend  les  bras  à  César,  qui  reste,  sous  le 
nom  d'Auguste  et  sous  le  titre  d'empereur,  seul 
maître  de  tout  l'empire. 

Victorieux  sur  mer  et  sur  terre,  Auguste  César 
ferme  le  temple  de  Janus.  La  paix  règne  sur  toute 
la  terre  ;  et  la  Vierge  de  Nazareth  donne  naissance 
au  Sauveur  des  hommes. 

Nous  sommes  donc  rendus  à  l'époque  de  tran- 
sition de  l'ère  païenne  à  l'ère  chrétienne.  Deux 
études  s'offrent  naturellement  à  notre  esprit  ;  celle 
de  Rome  païenne  et  celle  de  Rome  chrétienne- 
Commençons  d'abord  par  l'étude  de  Rome  d'Au- 
guste, et  pour  rebâtir  cette  brillante  ville,  nous 
aurons  recours  à  Mgr  Gaume,  qui  a  lui-même 
puisé  ses  renseignements  dans  Senèque,   Aristide 


—  126  — 

et  autres  historiens.    Voici  comment  s'exprime  le 
regretté  prélat  français  : 

"  Resplendissante  de  marbre,  de  dorures  et  de 
tous  les  chefs-d 'œuvres  de  la  civilisation  matérielle 
la  plus  avancée,  la  reine  de  la  force  était  assise  sur 
sept  collines.  Le  Palatin,  berceau  de  Romulus,  et 
demeure  des  Césars  ;  le  Capitule,  où  régnait  Jupi- 
ter ;  YAventin,  couronné  par  son  temple  de  Diane  ; 
le  Coelius,  avec  ses  tours  et  son  marché  aux  pois- 
sons, si  fréquenté  par  les  Apicius  ;  YEsquilin,  au 
sommet  multiple,  et  son  camp  prétorien  ;  le  Quiri- 
nal,  et  ses  temples  de  Quirinus  et  du  salut  ;  le  Vimi- 
nus,  jadis  couvert  de  buissons  épais  et  plus  tard  de 
palais  magnifiques.  Rome,  qui  avait  franchi  le  Tibre 
dont  le  lit  profond  Tenceint  comme  un  fer  à  cheval, 
s'étendait  encore  sur  le  Vatican  et  le  Janicule. 
Elle  se  divisait  en  quatorze  régions  ou  quartiers, 
dont  voici  les  noms  célèbres  dans  l'histoire  :  Porta 
Capena  ;  Coelimontium  ;  /sis  et  Serapis  ;  Moneta  ; 
Temphim pacis  ;  Via  lata  ;  Esquillina  Cum  turre  et 
colle  Veniinali  ;  Alta  semita  ;  Forum  Romanum  ; 
Circus  Flaminius  ;  Palatium  ;  Circus  maximus  ; 
Piscina  publica  ;  A  ventinus  ;  Trans  Tiberim. 

Dans  sa  vaste  enceinte  elle  renfermait  quarante- 
six  mille  six  cent  deux  îles,  ou  groupes  de  maisons, 
séparées  par  des  rues  ;  deux  mille  cent  dix-sept 
palais  de  la  plus  inconcevable  magnificence  ;  quatre 


—  121  — 

cent  vingt-quatre  places  ou  carrefours  ;  quatre  cent 
soixante-dix  temples  d'idoles  ;  quarante-cinq  palais 
consacrés  à  la  débauche  ;  huit  cent  cinquante -six 
établissements  de  bains  ;  treize  cent  cinquante-deux 
lacs  ou  réservoirs  d'eau  ;  trente-deux  bois  sacrés  ; 
deux  grands  amphitéâtres,  dont  l'un  contenait 
quatre-vingt-sept  mille  spectateurs  assis,  et  vingt 
mille  sur  les  terrasses  ;  deux  grands  cirques,  le 
Flaminius  et  le  Maximus  ;  ce  dernier  avait  cent 
cinquante  mille  places  au  sentiment  de  ceux  qui 
en  mettent  le  moins,  et  quatre  cent  quatre-vingt 
trois  mille  selon  ceux  qui  en  mettent  le  plus  ;  cinq 
naumachies  où  l'on  donnait  des  batailles  navales  ; 
vingt-trois  chevaux  gigantesques  en  marbre  ;  qua- 
tre-vingt en  bronze  doré  ;  quatre-vingt-quatre  en 
ivoire  ;  trente-six  arcs  de  triomphe  en  marbre 
ornés  des  sculptures  les  plus  délicates  ;  dix-neuf 
bibliothèques  ;  quarante-huit  obélisques  ;  onze 
forum  ;  dix  basiliques,  et  un  peuple  innombrable 
de  statues  en  marbre,  en  bronze  et  même  en  or. 
Quatorze  aqueducs  amenaient  à  Rome  les  eaux  ou 
pour  mieux  dire  les  rivières  des  montagnes  voi- 
sines ;  vingt-quatre  voies  pavées  de  larges  dalles 
et  bordées  de  mausolées  superbes  sortaient  des 
vingt-quatre  portes  de  la  cité,  et  conduisaient  de 
la  capitale  du  monde  dans  les  provinces. 

Ainsi  se  présentait  à  nos  yeux  éblouis   la  ville 


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des  Césars.  Toutefois,  nous  n'avions  vu  que  là 
moitié  du  spectacle.  Au-delà  du  Pomœrium,  ou 
boulevard  circulaire,  au-delà  des  remparts  qui  pro- 
tégeaient la  ville  et  dont  la  circonscription  formait 
proprement  la  cité,  urôs,  se  déroulait  une  nouvelle 
ville,  civitas,  prolongement  immense  de  la  première. 
Ce  que  sont  de  nos  jours  les  faubourgs  dé  Paris  à 
la  ville  primitive,  cette  *  Rome  extra  muros  l'était  à 
la  Rome  entourée  des  ramparts  et  du  Pomaerium, 
Ses  innombrables  édifices  couvraient  la  plaine  cir- 
culaire, aujourd'hui  déserte,  qui,  dans  un  diamètre 
de  dix  lieues,  s'étend  d'Otricoli  à  Ostie,  d'Albano 
et  de  Tivoli  vers  Civita-Vecchia.  Voilà  ce  qu'il 
faut  savoir  pour  comprendre  les  auteurs  contem- 
porains qui  nous  ont  parlé  de  l'étendue  et  de  la 
population  de  l'ancienne  métropole  de    l'univers." 

"Rome,  dit  Aristide  de  Smyrne,  est  la  ville  des 
villes,  la  ville  du  monde  entier.  Un  jour  ne  suf- 
firait pas,  que  dis-je  ?  tous  les  jours  d'une  année 
seraient  trop  peu  pour  compter  toutes  les  villes 
bâties  dans  cette  ville  divine."  "  Au-delà  des 
murailles  de  la  ville  tous  les  lieux  sont  habités, 
ajoute  un  autre  historien  ;  en  sorte  que  le  spec- 
tateur qui  veut  connaître  l'étendue  de  Rome  se 
trouve  toujours  induit  en  erreur  ;  car  il  manque  de 
signe  pour  connaître  où  la  ville  commence  et  où  elle 
finit.  Cela  vient  de  ce  que  les  faubourgs  sont  telle- 


—  129  — 

ment  unis  à  la  cité  qu'ils  présentent   aux    regards 
l'image  d'une  ville  qui  se  prolonge  à  l'infini." 

"  La  ville,  continue  Aristide,  descend  jusqu'à  la 
mer,  où  se  trouve  le  marché  universel  et  la  distri- 
bution de  toutes  les  productions  du  globe  ;  telle 
est  la  grandeur  de  Rome,  et  le  spectateur,  en 
quelque  lieu  qu'il  se  place,  peut  toujours  se  croire 
au  centre." 

Telle  était  donc  Rome  païenne  aux  jours  de  sa 
splendeur.  Par  delà  ses  murs  et  ses  collines  elle 
projetait,  comme  autant  de  villes,  ses.  immenses 
faubourgs  jusqu'à  Tibur,  Otriculum,  Aricia,  et 
même  plus  loin.  D'après  ces  témoignages,  Rome 
et  ses  faubourgs  auraient  couvert  une  étendue  de 
dix  lieues  de  diamètre.  Un  fait  rapporté  dans  la 
vie  de  Constantin  établit,  à  sa  manière,  la  réalité 
de  ses  effrayantes  proportions.  Ce  prince,  venant 
à  Rome,  était  arrivé  à  Otricoli.  Déjà  il  avait  par- 
couru une  partie  de  ce  faubourg,  lorsque,  se  tour- 
nant vers  le  Perse  Hormisdas,  architecte  célèbre, 
qui  n'avait  jamais  vu  l'Italie,  il  lui  demanda  ce 
qu'il  pensait  de  Rome.  Frappé  de  la  magnificence 
et  de  la  continuité  des  édifices  :  "  Je  crois,  répondit 
l'étranger,  que  nous  en  avons  déjà  parcouru  la 
moitié.  "  Or,  il  était  encore  à  plus  de  quatre  lieues 
de  la  cité  proprement  dite. 

A  défaut  de  toutes  ces  preuves,  le  seul  aspect 


—  130  — 

de  la  campagne  romaine  démontrerait  la  prodi- 
gieuse étendue  de  l'ancienne  ville  impériale.  Le 
sol  excavé,  tourmenté,  accidenté  de  milles  manières, 
les  innombrables  débris  de  monuments  répandus 
à  la  surface  sont  comme  autant  de  voix  qui  s'élè- 
vent de  tous  les  points  de  la  plaine  et  qui  disent  : 
Rome  fut  ici. 

Prolongeant  nos  regards  avides  sur  cette  fabu- 
leuse cité,  nous  voyons  briller  au  pied  du  Capitole, 
le  fameux  milliaire  d'or.  De  là  partaient  les  voies 
nombreuses  qui  servaient  de  communication  inces- 
sante entre  la  Reine  du  monde,  et  tous  les  peuples 
devenus  ses  vassaux. 

Sur  ses  larges  dalles,  il  nous  semblait  voir  galo- 
per les  tabellaires  portant  les  volontés  de  César  en 
Orient,  en  Occident,  dans  les  Gaules,  dans  la  Ger- 
manie et  jusqu'au  fond  des  Espagnes,  avec  ordre 
aux  nations  tremblantes  de  se  prosterner  devant 
les  caprices  souverains  d'un  Néron  ou  d'un  Cali- 
gula.  Se  présentaient  ensuite,  couvrant  toutes  les 
avenues,  les  innombrables  étrangers,  au  langage*, 
aux  mœurs,  aux  costumes  si  différents  que  la 
curiosité,  le  plaisir,  l'ambition,  les  affaires  amenaient 
chaque  jour,  par  milliers,  dans  une  ville  qui  était 
moins  la  ville  des  Romains  que  la  ville  de  l'uni- 
vers. Parmi  ces  voies  romaines,  chefs-d 'œuvres  de 
construction  et   de    solidité,  nous  apparaissait,  en 


—  131  — 

première  ligne,  la  voie  Appienne,  à  qui  sa  magnifi- 
cence avait  valu  le  titre  de  reine  des  voies,  regina 
viarum.  Passant  à  Albano,  Aricia,  les  Trois-Loges, 
le  forum  d'Appius,  Sinuesse,  Terracine,  Fondi> 
Formium,  Minturne,  Capoue,  Noie,  Naples,  Nocera, 
Salerne,  elle  conduisait  jusqu'à  Brindes  et  aux 
frontières  orientales  de  l'Italie. 

La  voie  Latine  se  dirigeait  vers  les  Abruzzes, 
Agnani,  Ferentino,  Frosïnone,  Aquin,  Arpinum, 
situées  au  pied  du  mont  Cassin,  et  arrivait  jusqu'à 
Bénévent. 

La  voie  Salaria  allait  au  pays  des  Sabins. 

La  voie  Emilienne  rattachait  à  Rome  toute 
l'Italie  septentrionale,  en  passant  par  Césène, 
Bologne,  Modène,  Reggio,  Parme,  Plaisance,  Milan, 
Bergame,  Brescia,  Vérone,  Vicence,  Padoue  et 
Aquilée. 

La  voie  Flaminienne  prenait  sa  direction  par 
Octricoli,  Narni,  Spolette,  Pesaro,  et  finissait  à 
Rimini,  station  de  la  flotte  romaine. 

La  voie  Aurélienne  sortait  par  l'Occident  tra- 
versait la  Ligurie  et  arrivait  jusqu'à  Arles,  d'où 
ses  embranchements  rayonnaient  dans  toutes  les 
Gaules. 

Au  midi,  la  voie  d'Ostie  conduisait  à  la  ville  de 
ce  nom,  port  de  Rome  et  entrepôt  de  l'univers. 

A  ces  voies  de  premier  ordre,  qui  étaient  comme 


—  132  — 

les  grands  artères  de  la  Reine  du  monde,  s'en  rat- 
tachaient beaucoup  d'autres  dont  les  longues 
sinuosités  allaient  chercher  tous  les  lieux  d'une 
moindre  importance  pour  y  porter  le  mouvement 
qui  partait  du  cœur.  Presque  aussi  connues  que 
les  premières  dans  l'histoire  profane,  la  plupart 
sont  glorieusement  célèbres  dans  les  fastes  de  nos 
martyrs.  Il  suffit  de  nommer  la  voie  Cassienne,  la 
voie  Nomantane,  la  voie  Tiburtine,  la  voie  Prenes- 
iine,  la  voie  Lavinienney  la  voie  Ai'deatine,  la  voie 
Valérienne>  et  enfin  la  fameuse  voie  Triomphale. 

Sur  ces  chemins  magnifiques,  dans  ces  palais 
somptueux,  sous  ces  portiques  innombrables,  sur 
ces  forums  immenses,  au  milieu  de  tous  ces  monu- 
ments du  luxe,  de  la  puissance,  de  la  richesse,  en 
un  mot  de  la  civilisation  matérielle  la  plus  prodi- 
gieuse qui  fût  jamais,  se  remuaient  cinq  millions 
d'habitants. 

Si  l'on  réfléchit,  i  °  au  nombre  de  groupes  de 
maisons,  insulae>  et  des  palais  renfermés  dans  l'en- 
ceinte des  murailles  ;  2°  à  l'immense  étendue  des 
faubourgs;  30  à  ces  multitudes  d'étrangers,  ou 
plutôt  de  nations,  comme  dit  Aristide,  qui  affluaient 
à  Rome  ;  40  au  nombre  prodigieux  d'esclaves  qui 
surpassait  de  beaucoup  celui  des  maîtres  ;  50  à  ce 
petit  peuple  de  Rome,  dont  une  partie  seulement 
(trois  cent  mille)  vivait  du  trésor  ;  6°  aux  cohor- 


—  133  — 

tes  prétoriennes,  à  la  garnison,  à  ce  nombre 
effrayant  de  gladiateurs,  etc.,  qui  chaque  jour  com- 
battaient aux  cirques  ou  dans  les  amphithéâtres, 
on  ne  trouvera  rien  d'exagéré  dans  le  chiffre  indi- 
qué plus  haut.  " 

Voilà  Rome  ancienne  ou  Rome  païenne  sous 
les  Césars.  Rome  était  alors  réellement  la  reine 
de  la  force  et  régnait  sur  les  corps,  comme  Rome 
d'aujourd'hui  est  la  reine  de  l'amour  et  de  la 
vérité  et  règne  sur  les  âmes. 

( 


CHAPITRE  XVI. 


ROME  PENDANT  LES  PERSÉCUTIONS. 

Pendant  que  le  plus  puissant  empereur  com- 
mande à  l'univers,  un  enfant  naît  d'une  Vierge, 
nommée  Marie,  dans  une  étable  à  Bethléem,  en 
Judée.  Cet  enfant  prend  le  nom  de  Sauveur  du 
Monde.  Les  ang<  s  entonnent  du  haut  des  cieux  : 
"  Gloria  in  excelsis  Deo.  "  Une  étoile  annonce  sa 
naissance  aux  rois  mages,  qui  accourtnt  de  l'Orient 
pour  l'adorer  et  lui  faire  des  présents. 

Le  roi  Hérode  veut  mettre  l'enfant  Jésus  à 
mort,  mais  le  Ciel  déjoue  le  noir  complot  du  mons- 
tre. Joseph,  le  charpentier,  prend  l'enfant  et'  s'en 
fuit  en  Egypte.  Averti  par  un  ange  que  le  danger 
est  passé,  Marie  et  Joseph  reviennent  en  Judée,  à 
Nazareth. 

Après  trente  ans  d'une  vie  obscure,  Jésus  com- 
mence à  prêcher.  Le  bruit  de  ses  vertus  et  de  ses 
miracles  se  répand  bientôt  dans  la  Judée.  Le 
peuple  accourt  l'entendre  et  le  suit  de  ville  en 
ville,  de  bourgade  en  bourgade.  Jésus-Christ  jette 
les  fondements  de  l'Eglise   catholique  et  choisit 


—  136  — 

dou*e  apôtres.   Simon  Pierre  est  reconnu  comme 
le  prince  des  apôtres. 

La  doctrine  de  l'Homme-Dieu  scandalise  les 
Pontifes  et  les  Pharisiens  qui  le  font  arrêter  et 
conduire  devant  Pilate.  Ce  dernier  déclare  Jésus 
innocent  ;  mais  les  Juifs  veulent  la  mort  du 
Sauveur,  et  Pilate  se  rend  à  leurs  vœux  en  leur 
livrant  le  Fils  du  Très-Haut.  La  populace  préfère 
le  voleur  Barrabas  au  juste  de  la  Judée,  Jésus 
monte  sur  le  Golgotha  et  expire  sur  un  infâme 
gibet,  en  s'écriant  :   U  Tout  est  consommé.  " 

Après  la  mort  de  Jésus,  les  apôtres  se  réunissent 
et  nomment  un  successeur  au  traître  Judas.  Pen- 
dant qu'ils  sofit  assemblés,  le  Saint-Esprit  descend 
sur  eux  en  langues  de  feu  et  les  remplit  de  ses 
grâces.  Les  douze  apôtres,  armés  du  glaive  de  la 
parole,  se  séparent  et  vont  combattre  les  combats 
du  Seigneur.  C'est  en  l'an  36  que  les  apôtres  se 
partagent  la  conquête  de  l'univers.  Saint  Jacques 
le  majeur,  frère  de  saint  Jean,  et  saint  Jacques  le 
mineur,  proche  parent  de  Jésus-Christ,  reçoivent 
tous  deux  la  palme  du  martyre  à  Jérusalem.  Saint 
André  passe  chez  les  Scythes  et  est  martyrisé  à 
Patras,  en  Achaïe.  Saint  Philippe  subit  la  mort  à 
Hiéraple,  en  Phrygie.  Saint  Thomas  évangélise 
les  Indes,  où  il  est  percé  d'une  lance  au  pied  d'une 
croix.    Saint  Barthélemi   accomplit  son  martyre 


—  13Y  — 

dans  la  ville  des  Albanes,  dans  la  grande  Arménie, 

f 

Saint  Mathieu  va  prêcher  en  Ethiopie  et  est  con- 
sumé par  le  feu.  Saint  Jude,  apôtre  de  l'Arabie, 
est  tué  à  coups  de  flèches.  Saint  Mathias,  qui 
annonça  la  bonne  nouvelle  en  Egypte  et  en  Abys- 
sinie,  est  lapidé.  Barnabe,  compagnon  de  saint 
Paul,  meurt  de  la  même  mort.  Saint  Simon,  sur- 
nommé le  zélé,  est  crucifié  comme  son  maître. 
Saint  Jean  est  plongé  dans  une  chaudière  d'huile 
bouillante,  près  de  la  Porte  Latine,  à  Rome. 

Saint  Pierre  et  saint  Paul,  qui  avaient  converti 
le  monde  entier,  sont,  le  premier,  crucifié  la  tête 
en  bas,  et  le  second,  décapité,  dans  l'immense  ville 
des  Césars  que  nous  avons  étudiée  dans  le  cha- 
pitre précédent. 

A  la  venue  du  Messie,  Rome  était  la  reine  de 
la  force  et  le  trône  où  régnaient  les  dieux  inven- 
tés par  le  paganisme.  Ce  grand  fleuve  d'immora- 
lités, de  débauches  et  d'idolâtrie  s'était  débordé 
et  avait  couvert  les  autres  pays  de  son  venin 
empoisonné.  Rome  était  alors  le  cœur  du  paga- 
'nisme,  comme  elle  est  aujourd'hui  le  centre  de 
l'unité  catholique.  Quand  il  s'agit  de  détruire  un 
monstre,  il  faut  le  frapper  au  cœur  si  l'on  veut 
obtenir  son  but  plus  sûrement.  C'est  ce  que  firent 
Pierre  et  Paul.  Pendant  que  les  autres  envoyés  du 
Christ  affaiblissaient  l'hydre  par  des  coups  redou- 


—  138  — 

blés,  les  deux  apôtres  Pierre  et  Paul  le  dardèrent 
au  cœur  et  lui  firent  mordre  la  poussière.  Rome 
païenne  devint  Rome  chrétienne,  ou  plutôt  Rome 
souterraine  ;  car  la  transition  de  l'erreur  à  la  vérité 
ne  se  fit  pas  d'une  manière  aussi  brusque.  Il  fallut 
trois  cents  ans  de  luttes  et  de  persécutions  à  l'Eglise 
catholique  pour  remporter  une  victoire  complète 
et  renverser  les  autels  des  faux  dieux,  il  fallut 
l'apparition  du  laborum  pour  que  Constantin  le 
Grand  se  décidât  à  faire  sortir  les  chrétiens  des 
catacombes,  et  à  dresser  des  autels  au  Divin 
Crucifié,  il  fallut  trois  cents  ans  pour  que  cette 
parole  du  Sauveur  du  monde  "  Tu  es  Pctrus  et 
super  liane  petram  œdificabo  ecelesiam  meam  "fut 
parfaitement  accomplie. 

Parcourons  d'un  pas  rapide  les  trois  siècles  que 
nous  venons  de  mentionner. 

Après  la  mort  d'Auguste,  on  vit  passer  succes- 
sivement sur  le  trône  de  l'empire  romain,  Tibère 
et  Caligula  ;  le  premier  se  distingua  par  sa  tyran- 
nie, et  le  second,  par  ses  folies.  Vint  ensuite  Néron, 
le  célèbre  empereur  comédien.  Les  premières 
années  de  son  règne  furent  marquées  par  des  traits 
de  générosité  et  de  modération  ;  mais  il  se  signala 
bientôt  par  des  actes  de  cruauté  inouïe  ;  il  fit 
mourir  Britannicus,  Octavie  sa  femme,  et  Agrip- 
pine  sa  mère,  et  poussa  la  barbarie  jusqu'à  incen- 


—  139  — 

dier  Rome.  Néron  rejeta  le  crime  sur  les  chrétiens 
et  ordonna  contre  eux  la  persécution  la  plus 
cruelle,  saint  Pierre  et  saint  Paul  terminèrent  alors 
leur  apostolat.  Le  nombre  des  martyrs  fut  innom- 
brable, suivant  le  témoignage  de  Tacite  lui-même. 
"Une  multitude  immense,  multitudo  ingens,  dit  cet 
historien,  fut  condamnée,  non  parce  que  les  chré- 
tiens étaient  reconnus  coupables  de  l'incendie  de 
Rome,  mais  parce  que  leur  religion  les  rendait 
odieux  au  genre  humain.  Aux  souffrances,  Néron 
ajoutait  la  moquerie  et  la  dérision.  Quelques-uns 
furent  enveloppés  de  peaux  de  bêtes  et  exposés  à 
des  chiens  pour  être  dévorés  ;  d'autres  crucifiés  ;  et 
plusieurs  revêtus  de  tuniques  enduites  de  matières 
inflammables  auxquelles  on  meftait  le  feu  à  la 
tombée  du  jour  pour  servir  de  flambeaux  pendant 
la  nuit." 

Pendant  le  règne  de  Galba, d'Otfcon, de  Vitellius, 
de  Vespasien  et  de  Titus,  les  chrétiens  jouirent 
d'un  peu  de  repos.  ~Les  persécutions  recommen- 
cèrent sous  Domitien  qui  fit  périr  le  consul  Flavius 
Clémens  et  sa  femme,  parce  qu'ils  étaient  chrétiens. 
Une  foule  d'autres  Romains  subirent  le  même  sort. 
C'est  sous  ce  cruel  tyran  que  l'apôtre  saint  Jean 
fut  plongé  dans  l'huile  bouillante. 

Trajan,  son  successeur,  avait  de  grandes  qualités 
et  de  grands  défauts,   c'est  sous  son  règne  qu'eut 


—  140  — 

lieu  la  troisième  persécution.  Se  trouvant  un  jour 
à  Antioche,  Trajan  jugea  saint  Ignace,  évêque  de 
cette  ville,  et  le  condamna  à  être  dévoré  par  les 
bêtes.  L'histoire  rapporte  que  le  nombre  des 
martyrs  fut  immense. 

Rome  respira  quelques  instants  sous  les  empe- 
reurs Adrien  et  Antonin-le -Pieux,  Marc-Aurèle 
ordonna  la  quatrième  persécution.  La  plus  illustre 
victime  de  cette  persécution  fut  saint  Polycarpe, 
évêque  de  Smyrne,  en  Asie.  Quoique  d'un  âge 
très  avancé,  le  saint  évêque  monta  lui-même  sur 
le  bûché  qu'on  lui  avait  dressé,  et  attendit  que  les 
flammes  vinsent  le  dévorer.  On  inventa  à  cette 
époque  les  tourments  les  plus  atroces. 

L'empereur  Sévère  mérita  le  nom  qu'il  portait. 
Le  sang  chrétien  coula  en  abondance  sous  ce 
tyran,  surtout  à  Lyon  où  dix-huit  mille  chrétiens 
périrent,  sans  compter  les  femmes  et  les  enfants. 
Saint  Irénée  fut  du  nombre.  Saint  Grégoire  de 
Tours  dit  que  les  rues  de  Lyon  étaient  inondées 
de  sang  :  Tanta  multitude  christianoriuu  jugulata 
est,  ut  perplateas  flumina  currerent  de  sanguine 
çhristiano. 

Le  Goth  Maximien,  qui  régna  de  235  à  238, 
persécuta  principalement  les  évêques,  les  prêtres, 
les  diacres,  les  lecteurs  et  les  exorcistes.  Saint 
Pontien  et  saint  Anthère  tombèrent  sous  les  coups 
du  barbare. 


—  141  — 

Dèce  signala  son  avènement  au  trône  par  un 
édit  sanglant  contre  les  chrétiens.  Ses  ordres  furent 
exécutés  avec  une  rigueur  extrême.  Le  pape  saint 
Fabien,  saint  Alexandre,  évêque  de  Jérusalem,  et 
saint  Babylas,  évêque  d'Antioche,  périrent  dans 
cette  affreuse  persécution. 

Valérien  avait  formé  le  projet  d'anéantir  la 
religion  chrétienne  ;  il  fit  un  nombre  incalculable 
de  victimes  parmi  lesquelles  on  remarque  saint 
Laurent,  diacre  de  l'église  romaine,  et  saint 
Cyprien,  évêque  de  Carthage. 

La  neuvième  persécution  eut  lieu  sous  le  règne 
d'Aurélien  qui  succéda   à  Claude   II  le   Gothique. 

C'est  alors  que  saint  Dénis,  évêque  de  Paris,  le 
prêtre  Rustique  et  le  diacre  Eleuthère  eurent  la 
tête  tranchée  sur  la  montagne  qui  fut  appelée 
ensuite  Montmartre,  mons  martyrumy  la  montagne 
des  martyrs. 

Nous  sommes  enfin  rendu  à  l'ère  des  martyrs, 
à  la  dixième  et  dernière  persécution  qui  fut  ordon- 
née par  Dioclétien  et  dura  dix  ans.  Voici  ce  que 
dit  Lactance  sur  cette  persécution  :  u  On  empri- 
sonnait les  prêtres  et  tous  les  ministres  de  la  reli- 
gion ;  puis,  sans  les  entendre,  sans  même  les 
interroger,  on  les  traînait  à  la  mort.  Les  chrétiens, 
sans  distinction  d'âge  ni  de  sexe  étaient  condam- 
nés aux  flammes  ;  et  comme  ils  étaient  en  grand 


—  142  — 

nombre,  on  ne  les  livrait  plus  au  supplice,  on  les 
entassait  sur  des  bûchers.  Les  esclaves  étaient 
jetés  à  la  mer  avec  des  pierres  au  cou  ;  la  persé- 
cution n'épargnait  personne.  " 

Enfin  le  labarum  apparaît  et  la  religion  catho- 
lique monte  sur  le  trône  avec  Constantin  Ier. 

Que  devint  Rome  pendant  ces  longues  années 
de  souffrances  et  de  tourments  ?  C'est  la  question 
qui  se  présente  naturellement  à  l'esprit  quand  on 
parcourt  cette  voie  douloureuse.  Rome — pour  les 
catholiques,  Rome  et  l'Eglise  ne  font  qu'une 
seule  et  même  chose — était  descendue  dans  les 
catacombes  ou  cimetières.  Les  chrétiens,  pour 
échapper  aux  persécutions,  s'étaient  bâti  une  ville 
souterraine  qui  avait  ses  rues,  ses  chapelles,  ses 
places  et  ses  autels.  L'étendue  de  Rome  souter- 
raine était  aussi  vas<-e  que  Rome  païenne. 

Les  catacombes,  qui  signifient  lieu  près  des  tom- 
beaux ou  encore  fosse  profonde,  excavation  et 
souterrain,  d'après  l'étymologie  du  mot  grec 
Catacombi,  se  trouvaient  aux  environs  des  grandes 
voies.  On  comptait  cinquante  catacombes  ou 
cimetières  ;  quelques  auteurs  en  portent  le  nombre 
jusqu'à  soixante.  Voici  les  principales,  avec  le 
nom  des  rues  près  desquelles  elles  ont  été  creu- 
sées : 

Voie  appienne — Catacombes  de  saint  Calixte,  de 


—  143  — 

saint  Zéphirin,  de  saint  Protextat,  de  saint  Sotère, 
des  saints  Eusèbe  et  Marcelle. 

Voie  Latine — Catacombes  d'Apronien,  des  saints 
Gordien  et  Epimaque,  des  saints  Simplicien  et 
Servilien  et  de  saint  Tertullien. 

Voie  Lavicane — Catacombes  des  saints  Tiburce, 
Marcellin  et  Pierre,  de  sainte  Hélène,  des  saints 
Claude  et  Nicostrate,  de  saint  Catulus  et  de  saint 
Zotique. 

Voie  Tiburtine — Catacombes  de  saint  Laurent 
et  de  sainte  Cyriaque. 

Voie  Nomentane — Catacombes  ad  Nymphas, 
cîe  saint  Nicomède,  de  saint  Alexandre,  des  saints 
Primus  et  Félicien,  de  saint  Restitut,  de  sainte 
Agnès. 

Voie  Triomphale — Cimetière  de  saint  Pierre  ou 
la  catacombe  Vaticane. 

Voie  Aurélienne — Catacombes  de  saint  Calipode, 
de  saint  Jules,  des  saints  Procès  et  Martinien  et 
de  sainte  Agathe. 

Voie  de  Porto — Catacombes  de  saint  Félix,  de 
saint  Pontien,  de  Généreuse  ad  Sextum  Philippi, 
du  pape  saint  Jules. 

Voie  d'Ostie — Catacombes  de  saint  Paul  et  de 
sainte  Lucine,  de  saint  Timothée,  des  saints  Félix, 
Adaucte  et  Commodilla,  de  saint  Cyriaque  et  de 
saint  Zenon  ad  Aquas  Salvias. 


—  144  — 

Voie  Ardéatine — Catacombes  de  sainte  Pétro- 
nille,  de  sainte  Flavie  Domitille,  des  saints  Nérée 
et  Achillée,  de  saint  Damase  et  des  saints  Marc 
et  Marcellin,  de  sainte  Balbine  et  de  saint  Marc, 
pape. 

Voie  Salaria  Nuova — Catacombes  de  sainte 
Priscille,  de  saint  Sylvestre,  de  sainte  Félicité  et  de 
saint  Alexandre,  des  saints  Chrysante  et  Darie, 
de  Novella,  d'Ostriono,  de  sainte  Hilarie  et  saint 
Tharson. 

Voie  Salaria  Vecchia — Catacombes  de  saint 
Hermès. 

Voie  Flaminienne — Catacombes  de  saint  Valen- 
tin  ou  de  saint  Jules  et  de  saint  Théodorat. 

J'ai  visité  les  catacombes  de  saint  Sébastien,  de 
saint  Calixte,  de  sainte  Agnès,  de  saint  Pancrace 
et  les  Grottes  Vaticanes.  Pour  vous  donner  une 
idée  de  l'ancienne  demeure  des  chrétiens,  je  vous 
ferai  une  courte  description  de  la  catacombe 
Vaticane,  qui  fut  le  berceau  du  christianisme,  à 
Rome. 

La  catacombe  Vaticane,  appelée  aujourd'hui 
Grottes  Vaticanes,  remonte  à  saint  Pierre.  Tout 
porte  à  croire  que  cette  catacombe  servit  de 
demeure  aux  chrétiens  pendant  la  persécution  qui 
eut  lieu  sous  Néron  en  l'an  66  ;  car  elle  se  trou- 
vait près  du  cirque  et  de  la  naumachie  construite 


—  145  — 

par  ce  monstre.  C'est  là  que  l'apôtre  Pierre  s'est 
réfugié  avec  ses  nombreux  prosélytes  pour  éviter 
l'orage,  qu'il  prêchait,  baptisait  et  encourageait  les 
fidèles  à  supporter  les  tourments  les  plus  atroces. 

Lorsque  la  persécution  ordonnée  par  le  farouche 
empereur  éclata,  il  y  avait  cinq  ans  que  saint  Pierre 
habitait  Rome.  Le  nombre  des  conversions  opé_ 
rées  par  l'apôtre  était  déjà  incalculable,  de  sorte 
que  la  multitude  de  chrétiens  qui  furent  alors  mis 
à  mort  fut  immense,  suivant  l'opinion  des  histo- 
riens de  cette  époque.  On  présume  naturellement 
que  les  martyrs  furent  inhumés  dans  ce  cimetière, 
vu  la  proximité  du  lieu  des  supplices.  Aussi 
visite-t-on  avec  le  plus  grand  respect  et  la  plus 
profonde  vénération  cette  célèbre  catacombe  qui 
reçut  les  prémices  du  sang  chrétien.  Les  Grottes 
Vaticanes  ont  été  arrosées  du  sang  des  martyrs, 
comme  le  Calvaire  avait  été  teint  du  sang  d'un 
Dieu.  Les  Grottes  Vaticanes  et  le  Golgotha  !  que 
vous  êtes  chers  au-cœur  du  catholique  ! 

Outre  les  martyrs  des  premiers  âges,  les  Grottes 
Vaticanes  renferment  une  foule  de  personnages 
illustres  qui  ont  manifesté  le  désir  de  reposer,  après 
leur  mort,  auprès  du  chef  de  l'Eglise  du  Christ. 
Des  papes,  des  rois,  des  reines,  des  princes,  des 
empereurs  ont  été  inhumés  dans  ce  lieu  sacré. 

Parmi  les  papes  on  remarque  :  les  saints  Lin, 


—  146  — 

Anaclet,  Évariste,  Sixte  Ier,  Télesphore,  Hygin, 
Pie,  Eleuthère,  Victor,  Fabien,  Jean  Ier,  Léon  Ier, 
Grégoire  le  Grand,  Boniface  IV,  Paul  Ier,  Léon  III, 
Nicolas  Ier,  etc.,  etc. 

Parmi  les  rois,  les  empereurs  et  les  reines  : 
Honorius,  Valentinien,  Othon  II,  Conrad,  roi  des 
*Merciens  ;  Ofîa,  roi  des  Saxons  ;  Ina,  roi  des  An- 
glais ;  la  princesse  Eldiburge,  son  épouse  ;  la  prin- 
cesse Marie,  fille  de  Stilicon  et  épouse  de  l'em- 
pereur Honorius  ;  l'impératrice  Charlotte,  reine  de 
Chypre,  etc.,  etc. 

Parmi  les  personnages  illustres  :  Junius,  Bassus, 
préfet  de  Rome,  de  l'ancienne  famille  Juma  ; 
Probus,  préfet  du  prétoire  ;  les  consuls  Olybrius  et 
Probinus,  etc.,  etc. 

La  réunion  de  tant  de  tombeaux  dans  cette 
catacombe  en  a  changé  le  plan  primitif,  et  lors- 
qu'on a  remplacé  la  basilique  constantinienne  par 
l'église  actuelle  on  a  dû  faire'  disparaître  des 
cryptes,  des  oratoires  et  des  galeries.  Les  Grottes 
ont  donc  pris  la  forme  qu'on  voit  aujourd'hui, 
c'est-à-dire  celle  d'une  croix  latine  ;  elles  forment 
ce  qu'on  appelle  l'église  souterraine  de  saint 
Pierre. 

Malgré  ces  modifications  considérables,  les 
Grottes  Vaticanes  conservent  encore  plusieurs  sou- 
venirs de  l'antiquité,  entre  autres  des  inscriptions, 


—  147  — 

des  urnes  antiques,  des  mosaïques  et  des  tombeaux. 
Sur  l'autel,  qui  touche  à  la  châsse  où  reposent  les 
corps  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  on  vénère 
deux  portraits  très  anciens  des  deux  apôtres, 
peints  sur  argent. 

La  grande  façade — pour  abréger,  je  ne  parlerai 
que  de  celle-ci — représente  deux  rangées  de  bas- 
reliefs.  La  rangée  supérieure  renferme  cinq 
tableaux  :  i°  Tableau  du  sacrifice  d'Isaac  ; 
2°  Reniement  de  saint  Pierre  ;  30  Jésus  au 
milieu  des  docteurs  de  la  loi  ;  40  Jésus  devant 
les  tribunaux   à   Jérusalem  ;    50   Pilate  incertain. 

On  voit  aussi  cinq  tableaux  dans  la  rangée 
inférieure  :  i°  Job  sur  son  fumier  ;  2°  Chute  de 
nos  premiers  parents  ;  3  Jésus  entrant  à  Jérusalem, 
cinq  jours  avant  sa  mort  ;  4°  Daniel  dans  la  fosse 
aux  lions  ;  50  Scène  du  jardin  des  Oliviers  quand 
Jésus  est  livré  par  Judas. 

En  1607,  on  trouva  sous  une  colonne  un  poly- 
andrum  de  marbre  et  de  porphyre  qui  portait 
l'inscription  suivante  : 

Loc.  M.  OOLVIII  inc. 

Locus  Martyrum  CCL  VIII  in  Christo,  sépul- 
ture de  2  5  8  martyrs  en  Jésus-Christ.  Les  archives 
du  Vatican  en  comptent  10,000. 

On  conserve  dans  le  trésor  du  Vatican  une  pré- 
cieuse  relique  du  temps  des  persécutions  ;    c'est 


—  148  — 

un  linceuil  qui  servait  à  envelopper  les  corps  des 
martyrs  quand  on  les  rapportait  de  la  boucherie. 
Cette  précieuse  relique  est  exposée  à  la  vénération 
des  fidèles  depuis  l'Ascension  jusqu'au  premier  du 
mois  d'août. 

Un  autre  instrument  attire  encore  l'attention  du 
catholique,  qui  frémit  d'horreur  en  le  contemplant  ; 
je  veux  parler  de  la  fidicula  employée  par  les 
bourreaux  pour  labourer  les  côtes  et  les  membres 
des  martyrs.  Cet  instrument  n'est  rien  moins  que 
de  longues  tenailles  garnies  de  plusieurs  ongles  ou 
crochets.   C'est  horrible  à  voir. 

Les  souverains  pontifes  reconnaissent  aux 
Grottes  Vaticanes  une  sainteté  telle  que  l'entrée 
en  est  interdite  aux  femmes  sous  peine  d'excom- 
munication, excepté  le  lundi  de  la  Pentecôte  ; 
c'est  le  seul  jour  où  les  femmes  peuvent  visiter 
cette  catacombe. 

Nous  venons  de  parcourir  une  époque  vraiment 
triste  pour  le  chrétien  ;  mais  rappelons-nous  la 
prophétie  du  Fils  de  Dieu  :  "  Vous  souffrirez  à 
cause  de  moi,"  et  nous  ne  serons  point  surpris 
que  Rome  ait  eu  à  supporter  autant  de  persécu- 
tions. 


CHAPITRE  XVII. 


RO&E    ACTUELLE. 


Nous  avons  étudié  Rome  pendant  les  per- 
sécutions. Nous  avons  vogué  sur  la  mer  orageuse 
dont  les  flots  ont  menacé  la  barque  de  Pierre  pen- 
dant plus  de  trois  cents  ans.  Que  de  combats,  que 
de  luttes,  ont  été  alors  livrés,  et  que  de  pièges  ont 
été  tendus  à  la  Rome  des  Pontifes!  Mais  laissons  là 
ces  souvenirs  si  déchirants  pour  le  cœur  d'un  vrai 
catholique,  et  franchissons  d'un  seul  bond  l'espace 
qui  s'étend  de  cette  époque  à  nos  jours. 

Nous  allons  donc  nous  occuper  de  Rome 
actuelle,  de  la  Ville  sainte,  de  la  Ville  des  Papes. 
Je  ne  vous  parlerai  pas,  par  conséquent,  des  nou- 
velles souffrances  qu'elle  a  eu  à  endurer  de  la  part 
des  impies,  des  béritiques  et  de  ses  propres  en- 
fants pendant  les  quinze  derniers  siècles.  Je  ne 
vous  parlerai  pas  non  plus  des  triomphes  éclatants 
qu'elle  a  toujours  remportés  sur  ses  ennemis  ;  ni 
des  nombreux  pontifes  qui  ont  illustré,  de  leurs 
vertus  et  de  leur  science,  la  chaire  du  prince  des 
apôtres,  de  celui  dont  les  abondantes  larmes  de 
repentir  avaient    creusé  de    profonds  sillons   sur 


—  150  — 

les  joues  ;  ni  des  martyrs  qui  ont  arrosé  la  terre  de 
leur  sang  pour  la  défense  de  la  foi  ;  ni  des  milliers 
de  saints  et  d'anachorètes  qui  ont  étonné  le  monde 
entier  par  leur  vie  de  mortification  continuelle. 
Des  historiens  éclairés  et  véridiques  vous  ont 
appris  tous  ces  faits  merveilleux  bien  longtemps 
avant  moi. 

Aujourd'hui,  je  veux  tout  simplement  vous  pré- 
senter Rome  telle  qu'elle  était  en  1870,  avant  la 
spoliation  du  royaume  temporel  des  Papes  par  le 
roi  galant-homme,  Victor  Emmanuel.  Ce  nom 
signifie,  si  je  ne  me  trompe  pas,  vainqueur-sauveur. 
Je  le  traduirai  par  les  mots  vainqueur-voleur.  Pour 
avoir  une  juste  idée  de  Rome  actuelle,  il  faut  cher- 
cher la  différence  ou  bien  établir  un  parallèle 
entre  celle-ci  et  Rome  ancienne.  La  tâche  est 
difficile  ;  mais  avec  de  la  persévérance,  nous  y 
parviendrons,  car  omnia  vincit  labor  improbus. 
Essayons  donc,  et  voyons  quelle  différence  existe 
entre  ces  deux  cités,  la  cité  du  bien  et  la  cité  du 
mal,  sous  le  rapport  matériel  et  sous  le  rapport 
religieux. 

Commençons  par  le  côté  matériel. 
Du  temps  des  Césars,  Rome  comptait  quatorze 
régions  (regioni.) 

Rome  actuelle  est  divisée  de  la  même  manière. 


—  151  — 

Rome  ancienne  était  entourée  de  murailles 
élevées  par  l'empereur  Aurélien. 

Ces  mêmes  murailles  existent  encore  aujour- 
d'hui. 

Sous  la  dynastie  des  Césars,  un  grand  nombre 
de  faubourgs  s'élevaient  en  dehors  des  murs  et 
s'étendaient  à  une  distance  considérable.  Dans 
l'intérieur  de  la  ville,  les  habitations  touchaient  aux 
murs.  % 

Sous  la  glorieuse  domination  des  Papes,  ces 
immenses  faubourgs  ont  disparu  et  ont  été  rem- 
placés par  une  riche  campagne,  au  milieu  de 
laquelle  le  regard  ne  rencontre  plus  que  quelques 
ruines  disséminées  çà  et  là.  En  dedans  de  l'an- 
tique muraille,  un  espace  considérable  reste  vacant 
ou  plutôt  est  occupé  par  des  vignobles,  des  jardins, 
des  ruines  gigantesques,  des  terrains  sans  culture 
sur  lesquels  on  voit  paître  des  troupeaux  de  chèvres, 
de  brebis  et  de  bœufs. 

Nous  venons  de  constater  une  différence  à 
l'avantage  de  Rome  ancienne.  A  quelle  raison 
devons-nous  attribuer  cette  différence  ?  Quelle  est 
la  cause  de  la  disparition  d'un  si  grand  nombre 
d'édifices  ?  Le  problème  n'est  pas  difficile  à 
résoudre.  Cette  décadence  est  due  aux  nombreuses 
invasions  des  barbares.  Il  ne  faut  pas  l'oublier, 
Rome  a  été  saccagée  et  pillée  quatre  fois  par  ces 


—  152  — 

cruels  ennemis  de  la  civilisation  qui  mettaient  tout 
à  feu  et  à  sang,  et  qui  détruisaient  tout  ce  qu'ils 
rencontraient  sur  leur  passage.  Par  conséquent, 
des  milliers  d'habitations  ont  été  démolies  et 
enfouies  sous  les  vastes  décombres  qui  recouvraient 
partout  le  sol  dans  ces  jours  de  détresse.  Pie  IX 
a  fait  faire  des  fouilles  dans  plusieurs  endroits,  et 
l'on  a  découvert  de  somptueux  palais  presque 
intacts,  et  qui  étaient  disparus  depuis  plusieurs 
siècles. 

Les  Romains,  effrayés  des  ravages  que  commet- 
taient les  Goths,  les  Visigoths  et  les  Vend  aies,  se 
sont  éloignés  de  Rome  et  sont  allés  se  réfugier 
sur  de  hautes  montagnes,  où  ils  ont  construit  des 
forteresses  pour  se  protéger  contre  les  coups  des 
barbares.  Si  jamais,  vous  visitez  les  Etats  de 
l'Eglise,  vous  remarquerez  que  presque  toutes  les 
villes  dominent  le  sommet  des  montagnes.  Vous 
vous  direz  alors  :  "  Les  Souvenirs  de  voyage  d'un 
soldat  de  Pie  IX  "  nous  ont  expliqué  la  cause 
d'un  tel  fait. 

Les  Césars  avaient  élevé  une  foule  de  monu- 
ments religieux  et  profanes. 

Les  Papes  ont  conservé  avec  un  grand  soin  ces 
reliques  profanes.  Quant  aux  monuments  cons- 
truits en  l'honneur  des  dieux,  Rome  chrétienne  les 
a  convertis  en  temples  dédiés  au  vrai  Dieu,  comme 
nous  le  verrons  bientôt 


—  153  — 

Envisageons  maintenant  les  deux  Rome  sous  le 
rapport  de  ïa  religion. 

Rome  ancienne  avait  couvert  les  sept  collines 
de  temples  païens. 

Sous  le  règne  des  Papes,  ces  temples  ont  été 
remplacés  par  des  églises  consacrées  au  Très-Haut. 
Parcourez  avec  moi  les  rues  de  Rome  et  vous 
verrez  quels  merveilleux  changements  ont  été 
opérés. 

Sur  le  Capitole,  le  temple  de  Jupiter  a  fait  place 
à  l'église  de  l'Ara-Cœli. 

Au  milieu  des  ruines  du  palais  des  Césars  qui 
s'élevait  majestueusement  sur  le  Palatin,  nous 
apercevons  les  églises  de  Sainte-Marie  Libératrice, 
de  Saint-Théodore  et  de  Saint-Bonaventure. 

Le  Cœlius  offre  à  nos  regards  la  splendide  basi- 
lique de  Saint-Jean  de  Latran,  les  églises  des 
Ouatre-Couronnés  et  des  Saints  Jean  et  Paul. 

Le  temple  de  Diane,  élevé  sur  l'Aventin,  est 
remplacé  par  les  églises  de  Sainte-Sabine,  de  Saint- 
Alexis  et  de  Sainte-Prisque. 

Le  Quirinal  nous  présente  les  églises  des  Saints 
Dominique  et  Sixte,  de  Saint-Sylvestre  et  de 
Sainte-Marie  de  la  Victoire. 

Le  Viminal  est  dominé  par  la  riche  église  de 
Sainte-Marie  des  Anges, construite  au  milieu  même 


—  154  — 

des  thermes  de  Dioclétien,  ce  célèbre  persécuteur 
des  chrétiens. 

Sur  l'Esquilin,  on  voit  briller  les  églises  de 
Sainte-Marie  Majeure,  de  Saint-Pierre  es  Liens  et 
de  Saint-Martin  des  Mbnts. 

Nous  comptons  dans  Rome  actuelle  huit  basi- 
liques constantiniennes  :  Saint-Jean  de  Latran  ; 
Sainte-Croix  en  Jérusalem  ;  Saint-Pierre  au  Vati- 
can ;  Saint-Paul  hors  des  murs  ;  Saint-Laurent 
hors  des  murs  ;  Saints  Marcellin  et  Pierre  sur  la 
voie  Lavicane  ;  les  Saints- Apôtres  au  centre  de 
Rome,  et  Sainte- Agnès  hors  des  murs. 

Le  nombre  des  églises  ordinaires  dépasse  trois 
cent  cinquante.  J'omets  les  chapelles. 

Et  que  dire  des  institutions  de  charité,  des 
séminaires,  des  collèges,  et  des  écoles  primaires  ! 
Rome  possède  cent  quarante-deux  institutions  de 
charité  et  trois  cent  soixante-quatorze  écoles  pri- 
maires. Quant  aux  séminaires  et  aux  collèges,  ils 
sont  très  nombreux  ;  je  me  contenterai  de  nom- 
mer les  magnifiques  établissements  de  la  Propa- 
gande, du  collège  Romain,  du  collège  Anglais,  du 
collège  Germanique,  et  du   séminaire  Français. 

En  présence  de  tant  de  merveilles,  que  le 
catholicisme  peut  seul  créer,  l'homme  doit  néces- 
sairement s'écrier  :  "  O  Religion  du  divin  Crucifié, 
que  tu  es  puissante  !  Tu  as  foulé  au  pied  Rome 


—  155  — 

païenne,  et  tu  as  élevé  Rome  chrétienne  sur  les 
ruines  de  l'orgueilleuse  Babylone  ;  tu  as  mis  à  sa 
place  la  Rome  des  Papes,  la  Rome  des  martyrs, 
la  Rome  des  saints. 

Rome  ancienne  régnait  sur  les  corps  et  faisait 
la  guerre  aux  barbares. 

Rome  actuelle  s'empare  de  l'âme  et  combat  le 
vice  et  l'erreur  partout  où  elle  les  découvre.  Rome 
païenne  dominait  par  les  armes.  La  Rome  des 
Papes  fait  la  guerre  par  le  glaive  de  la  parole  de 
vérité,  et  quand  elle  parle,  des  millions  de  sujets 
obéissent  à  ses  décrets. 

L'armée  des  Césars  était  innombrable  et  aguerrie. 

Celle  des  Pontifes  remplit  la  terre,  et  personne 
ne  peut  résister  aux  doux  liens  qu'elle  impose,  à 
l'aide  de  l'exemple  et  de  la  prédication.  Dans 
tous  les  siècles,  Rome  actuelle  a  eu  des  prélats  et 
des  prêtres  éminents  qui  ont  pénétré  jusque  dans 
les  contrées  les  plus  lointaines  et  les  plus  barbares 
pour  enseigner  les^nations  et  les  faire  entrer  dans 
le  giron  de  l'Eglise  catholique. 

César  était  le  seul  chef  dans  Rome  ancienne. 

Pie  IX  est  le  seul  roi  dans  Rome  actuelle. 

César  commandait  au  seul  empire  romain. 

Pie  IX,  comme  vicaire  de  Jésus-Christ,  com- 
mande à  l'univers  entier. 

Les  Césars  sont  passés. 


—  156  — 

Les  Papes  existeront  jusqu'à  la  consommation 
des  siècles. 

"  Telle  apparaît  Rome,  a  dit  un  savant,  lors- 
qu'on la  regarde  avec  un  œil  simple  et  droit,  sans 
haine  et  sans  rancune.  Elle  est  ce  qu'elle  a  tou- 
jours été,  source  de  vie  surnaturelle,  de  vie  politi- 
que et  sociale,  foyer  d'où  s'échappent,  sans  discon- 
tinuer, la  lumière  des  intelligences  et  l'énergie  des 
cœurs. 

En  la  répudiant,  ou  en  voulant  changer  ses 
destinées,  les  dynasties,  comme  les  peuples,  se  con- 
damneraient à  la  décadence,  au  dépérissement.  En 
se  rattachant  à  elle,  "  leur  jeunesse  sera  renou- 
velée comme  celle  de  l'aigle,"  et  ils  peuvent  sans 
crainte  attendre  l'avenir." 


CHAPITRE  XVIII. 


LE  PEUPLE  ROMAIN — SA  FOI,  SA  CHARITÉ  ET 
SES   DIVERTISSEMENTS. 

Dans  les  Etats  de  l'Eglise,  le  peuple  renferme 
trois  classes,  comme  dans  les  autres  pays  en  géné- 
ral :  l'aristocratie,  la  bourgeoisie  et  le  bas  peuple. 
Mais  la  distinction  entre  la  bourgeoisie  et  l'aristo- 
cratie n'est  pas  parfaitement  tranchée,  de  sorte 
qu'à  la  première  vue,  il  n'existe  que  deux  caté- 
gories de  citoyens  :  les  riches  et  les  pauvres.  Vous 
voyez  ici  un  prince,  un  noble,  tout  galonné  d'or, 
assis  sur  les  coussins  moelleux  d'un  carosse  que 
traînent  'quatre  chevaux  superbes,  au  pas  tran- 
quille et  lent  comme  les  bœufs  des  rois  fainéants. 
Là,  c'est  un  paysan  pauvrement  vêtu,  qui,  la  fau- 
cille à  la  main  ou 'la  faux  sur  l'épaule,  se  dirige 
vers  les  champs  dorés,  ou  encore,  un  berger  qui, 
armé  de  la  houlette,  conduit  un  troupeau  de  chèvres 
ou  de  brebis  dans  les  gras  pâturages.  Il  n'y  a  pas 
non  plus,  chez  le  peuple  romain,  cette  classe  d'in- 
dividus qui  tient  le  milieu  entre  le  riche  et  le 
pauvre,  cette  classe,  par  conséquent,  qui  n'est  ni 
riche   ni   pauvre,    comme   sont   la  plupart  de  nos 


—  158  — 

cultivateurs  canadiens.  Dans  les  Etats  de  l'Eglise 
on  est  tout  l'un  ou  tout  l'autre.  Voilà  comment  je 
divise  la  population  romaine,  et  je  ne  crois  pas  me 
tromper,  car  cette  distinction  est  le  fruit  des  obser- 
vations que  j'ai  faites  pendant  mes  deux  années 
de  séjour  au  milieu  du  peuple  de  ce  pays. 

Mais  quand  je  parle  de  la  classe  pauvre,  il  ne  faut 
pas  faire  de  pauvre  un  synonyme  de  mendiant  ;  ça 
serait  une  grande  erreur.  Il  n'y  a  peut-être  pas  de 
pays  où  la  mendicité  soit  plus  inconnue  que  dans 
le  domaine  du  Pape  ;  et,  le  fait  s'explique  facile- 
ment :  la  vie  est  à  très  bon  marché.  Du  reste,  un 
peuple  fuyant  les  vices  qui  dégradent  la  société, 
tels  que  l'assassinat,  le  suicide,  le  duel,  le  vol, 
l'ivrognerie  et  l'usure,  est  toujours  préservé  de  la 
hideuse  plaie  du  paupérisme.  Vous  entendez  dire 
quelquefois  qu'un  meurtre  a  été  commis  dans 
Rome,  mais  si  vous  faites  des  recherches  sérieuses^ 
vous  découvrez  que  ce  crime  est  l'œuvre  des  révo- 
lutionnaires. Le  suicide  est  inconnu  ;  s'il  en  arrive 
des  exemples,  ce  sont  des  étrangers  qui  en  sont 
les  auteurs.  Le  duel,  tant  condamné  par  Dieu  et 
par  les  hommes,  n'existe  pas.  Les  Romains  ne 
sont  pas  voleurs,  et  ils  ne  prêtent  pas  à  intérêt, 
en  dehors  du  commerce,  du  gain  cessant  ou  du 
dommage  émergeant  ;  ils  suivent  les  principes  de 
la    charité    et    de    l'équité    naturelle,     Quant  à 


—  159  — 

l'ivrognerie,  ce  fléau,  qui  fait  tant  de  ravages  parmi 
les  peuples  modernes,  n'a  pas  encore  pris  racine 
sur  le  sol  romain.  Il  est  rare  de  voir  un  romain 
ivre  dans  les  rues,  et  quand  la  chose  se  présente 
c'est  un  véritable  phénomène.  L'ivrogne  est  bafoué, 
sifflé  et  conspué  ;  les  enfants  l'accablent  de  quo- 
libets et  courent  après  lui  comme  une  bête  sauvage 
que  le  chasseur  poursuit  dans  la  forêt.  M.  Ampère 
a  dit  :  "  Les  Romains  boivent,  mais  on  ne  les  voit 
jamais  ivres  dans  les  rues." 

Les  Romains  ont  pratiqué  et  pratiquent  encore 
de  grandes  vertus.  Nous  nous  contenterons  de 
parler  de  leur  foi  et  de  leur  charité. 

Le  peuple  romain  a  une  foi  vive  et  ardente  ;^ 
mais  c'est  une  foi  expansive  et  non  intérieure 
comme  dans  nos  villes  et  nos  campagnes  cana- 
diennes. J'ai  surtout  remarqué  ce  caractère  dis- 
tinctif  de  la  foi  des  Romains  dans  les  processions 
religieuses.  Vous  les  voyez  à  la  suite  d'une  madone 
ou  d'une  image  de  saint,  prier,  chanter,  rire  et 
pleurer  tour  à  tour.  Vous  les  entendez  crier  à 
tue-tête,  en  montrant  l'image  du  doigt  :  "  Marie, 
exauce  notre  prière.  Si  tu  le  veux,  tu  peux  nous 
accorder  ce  que  nous  demandons.  Il  faut  que  tu 
accèdes  à  notre  demande,  ou  bien  nous  ne  te 
prierons  plus.  " 

La  foi    du  peuple  romain  brille    encore  dans 


—  160  — 

l'adoration  du  Saint-Sacrement  ou  pendant  les 
exercices  des  Quarante- Heures  qui  durent  toute 
l'année  à  Rome.  Les  églises,  où  le  corps  de  Jésus- 
Christ  est  exposé,  sont  continuellement  remplies 
de  pieux  adorateurs.  Et  quelle  pompe  on  déploie 
dans  les  cérémonies  !  Et  quelle  richesse  dans  les 
décorations  !  Il  n'y  a  qu'à  Rome  où  l'on  puisse 
contempler  des  scènes  aussi  sublimes  de  la  piété 
religieuse. 

Les  Romains  portent  une  tendre  dévotion  aux 
âmes  du  purgatoire,   et  en    voici    une  preuve  non 
équivoque  :   Depuis  quelques  années,   les  inhuma- 
tions se  font  dans  le  cimetière  St-Laurent,  près  de 
la  porte  Tiburtine.    Chaque  semaine,  dans  la  nuit 
du  mardi  au   mercredi,  il    se   forme  un   torrent  de 
fidèles  venant  de  toutes  les  directions  et  se  portant 
vers  le  Campo  Santo.  Pendant  le  trajet,  les  Romains 
récitent  le  chapelet  ou  chantent  l'office  des  morts. 
Arrivés  dans  la  basilique  de   Saint-Laurent,   ils  se 
prosternent  devant  le  Tout-Puissant  et  prient  pour 
le  repos  des  âmes  des  défunts.  Après  avoir  entendu 
les  trois  messes   qui  s'y   célèbrent   depuis   minuit 
jusqu'à  l'aurore,    la   procession    se   forme  de  nou- 
veau et  se   remet  en   marche.   Chacun  retourne  à 
ses   occupations  ;     la   nuit  a   été   consacrée  à   la 
prière,  et  l'on  est  heureux. 

Et  que  dirai-je  mainterîant  du  célèbre  oratoire 


—  161  — 

du  Caravita,  situé  sur  le  Corso,  vis-à-vis  d»  palais 
Sciarra?  A  l'heure  de  Y  Ave  Maria  une  foule 
immense  encombre  le  temple.  Un  Père  jésuite 
fait  d'abord  un  sermon  sur  un  dogme  ou  sur 
l'histoire  de  l'Eglise,  et  puis  vient  la  bénédiction 
solennelle  du  Saint-Sacrement.  Tous  les  mardis 
et  les  vendredis  on  distribue  des  disciplines  aux 
membres  de  la  Confrérie,  et  chacun  s'administre  le 
nombre  de  coups  qu'il  juge  à  propos.  Auparavant 
les  lumières  sont  éteintes,  afin  que  personne  ne 
soit  témoin  des  mortifications  que  s'inflige  son 
voisin.  Au  milieu  de  l'obscurité,  un  religieux 
exhorte  les  pécheurs  à  la  pénitence  et  à  la  contri- 
tion. Dès  qu'il  cesse  de  parler,  on  se  frappe  le 
corps  à  coups  redoublés  ;  et  les  coups  continuent 
pendant  tout  le  chant  des  litanies  et  du  cantique 
Nunc  dimittis,  jusqu'aux  mots  Lumen  ad  revela- 
tionem  ;  alors  les  flambeaux  se  rallument  et  tout 
le  monde  reprend  son  attitude  pieuse  et  réservée. 
Ces  pratiques  de  dévotion  ont  toujours  produit 
une  profonde  impression  sur  mon  esprit.  J'admire 
beaucoup  cette  Confrérie,  fondée  en  1 7 1 1  par  le 
Père  Caravita,  de  la  compagnie  de  Jésus,  pour  la 
conversion  des  pécheurs. 

La  veille  des  fêtes  et  pendant  le  carême,  les 
membres  de  la  Confrérie  du  Caravita,  enveloppés 
dans  des  sacs  grossiers,  accompagnent  les  jésuites 


—  162  — 

qui  vont  prêcher  sur  les  places  publiques.  Les 
esprits  forts  se  moquent  de  ces  sacs,  mais  ils  ont 
tort,  car  souvent,  sous  cette  enveloppe  de  bure,  on 
rencontre  des  prélats  illustres,  des  princes  et  des 
nobles  qui  s'affublent  de  cet  uniforme  pour  cacher 
leurs  vertus. 

~^  La  révolution,  les  sociétés  secrètes  et  les  Mazzi- 
niens — trois  mots  qui  ne  renferment  qu'une  idée 
— ont  travaillé  de  toute  leur  force  à  ébranler  la 
foi  du  peuple  romain  ;  mais  tous  les  efforts  des 
suppôts  de  Satan  ont  échoué  dans  leur  entreprise 
démoralisatrice,  et  Rome  peut  encore  répéter, 
comme  au  temps  du  rhéteur  du  forum  :  "  Nous 
pouvons  le  céder  aux  Gaulois  par  la  force,  aux 
Carthaginois  par  la  ruse,  aux  Grecs  par  l'habileté, 
mais  aucun  peuple  ne  l'emporte  sur  nous  par  la 
piété  et  la  religion.  " 

Cette  vérité  ne  peut  être  révoquée  en  doute,  et 
"  comment,  s'écrie  un  auteur  que  nous  avons  déjà 
cité,  n'en  serait-il  pas  ainsi  dans  une  ville,  où 
350  églises  offrent  le  spectacle  continuel  des  céré- 
monies si  touchantes  du  Christianisme  ;  où  plus 
de  quatre  mille  prêtres  renouvellent  chaque  jour, 
dans  le  sacrifice  mystique  de  la  messe,  le  sacrifice 
-sanglant  de  la  croix  ;  où  l'instruction  dogmatique 
et  morale  est  prodiguée  sans  cesse.  Il  faut  bien 
que  les  prières,    les  mortifications,  les  œuvres  de 


—  163  — 

charité  de  tant  d'âmes  dévouées  à  Dieu  produisent 
leurs  fruits  ;  que  tant  d'indulgences,  tant  de  béné- 
dictions, s'échappant  sans  discontinuer  du  sein  de 
l'Eglise  pour  se  répandre  dans  le  monde,  montrent 
à  la  source  même  leur  divine  fécondité.  Le  sang 
des  martyrs,  dit  Tertullien,  enfante  des  chrétiens. 
Où  donc  le  sang  a-t-il  coulé  avec  plus  d'abondance 
qu'à  Rome  ?  Toutes  les  maisons  et  presque  tous 
les  monuments  sont  bâtis  sur  des  ossements 
de  martyrs,  et  jusqu'à  la  poussière  qu'on  foule, 
tout  enseigne  la  foi  en  Jésus-Christ  et  l'imprime 
dans  les  âmes.  Un  Père  de  l'Eglise  a  appelé 
l'homme  "  un  abrégé  du  monde  ",  on  pourrait 
appeler  Rome  "  un  abrégé  de  l'Eglise  :  ubi  Petrnsy 
ibi  Ecclesia.  " 

Le  peuple  romain  est  donc  un  peuple  de  foi  ; 
mais  la  foi  ne  peut  exister  sans  l'amour,  c'est-à- 
dire  la  charité.  C'est  la  logique  qui  nous  le  dit. 
Rome,  la  Ville  sainte,  est  réellement  le  foyer  de 
la  charité,  et  cette  vertu  si  précieuse  devant  Dieu, 
se  manifeste  de  plusieurs  manières. 

La  charité  des  Romains  se  manifeste  d'abord 
dans  la  famille.  Il  est  beau  de  voir  l'union, l'estime, 
l'amour,  qui  régnent  dans  les  familles  romaines. 
Le  fils  chérit  le  père  ;  la  fille  vénère  la  mère,  et  le 
frère  se  constitue  le  protecteur  de  la  sœur.  Dans 
l'Allemagne,  l'Angleterre,  l'Irlande,  même  au  Ca- 


—  164  — 

nada,  on  s'éloigne  joyeusement  de  la  patrie  pour 
aller  chercher  fortune  sur  une  terre  étrangère,  où 
bien  souvent  l'exilé  ne  rencontre  que  déboires  et 
contrariétés.  Le  Romain  n'est  pas  atteint  du  mal  de 
l'émigration  ;  il  est  casanier  ;  il  vit  et  meurt  dans 
sa  famille,  entouré  de  tous  les  êtres  qui  lui  sont 
chers.  Pourvu  qu'il  soit  à  l'ombre  du  dôme  de 
Saint-Pierre,  il  est  heureux  et  ne  manque  de  rien. 

La  charité  du  peuple  romain  apparaît  dans  toute 
sa  splendeur  dans  les  nombreuses  confréries  établies 
pour  le  soulagement  des  pauvres,  la  conversion 
des  pécheurs,  la  dotation  des  filles  d'ouvriers  et 
des  orphelines  ;  en  un  mot  la  charité  romaine  brille 
dans  tout  ce  qui  est  souffrant  et  malheureux.  On 
compte  environ  quatre-vingts  confréries  dont  la 
mission  est  de  consoler  l'humanité  souffrante.  Qui 
n'a  pas  entendu  parler  de  la  Confrérie  de  la  Mort, 
chargée  de  donner  la  sépulture  aux  cadavres  trouvés 
dans  la  campagne  pendant  les  grandes  chaleurs 
de  l'été  ou  dans  le  Tibre  qui  cause  parfois  des 
désastres  épouvantables,  quand  ce  fleuve  franchit 
ses  digues  ?  Qui  ne  connaît  pas  la  Confrérie  de 
Saint-Jean-Décapité,  instituée  pour  consoler  les 
condamnés  à  mort,  pour  les  assister  à  leur  dernier 
moment,  et  pour  prier  pour  le  repos  de  leur  âme  ? 
Et  que  dire  des  hospices  de  Saint-Michel,  de 
Sainte-Marie  des  Anges,    du    Tata-Giovanni,  de 


—  165  — 

Sainte-Marie  de  la  Consolation,  des  hôpitaux 
du  Saint-Esprit,  de  Saint-Jacques,  de  Saint- 
Gallican,  de  l'asile  Barberini  et  de  plusieurs 
autres?  En  résumé, Rome  est  le  siège  de  la  charité, 
comme  la  charité  est  la  vie  de  Rome. 

Nous  venons  d'étudier  le  peuple  romain  sous  le 
rapport   religieux,   et  nous    avons  remarqué    que 
c'est  un  peuple  de  foi  et  de  charité.   Pour  se  con 
vaincre   de   la   vérité   de   cette   proposition,  il  ne 
suffit  que  d'ouvrir  les  yeux. 

Si  nous  parcourons  maintenant  Rome  pour 
étudier  les  mœurs  et  les  usages  du  peuple  romain, 
nous  constaterons  l'absence  des  maisons  de  jeu, 
des  tripots  et  d'autres  divertissements  qui  font 
bien  souvent  la  honte  et  le  déshonneur  d'une 
nation,  qui  sont  la  source  d'une  foule  de  crimes, 
le  suicide  et  le  duel  entre  autres,  et  qui  jettent 
des  milliers  de  familles  sur  le  pavé.  Ces  jeux  cri- 
minels sont  défendus  par  l'Eglise,  et  le  peuple 
romain  obéit  à  ^Eglise.  Pour  lui,  le  jeu  n'est 
qu'un  divertissement  innocent,  un  délassement  de 
l'esprit,  et  non  pas  une  cause  de  désœuvrement,  de 
démoralisation,  de  ruine  et  de  damnation.  Jouer 
c'est  se  recréer,  c'est  donner  de  la  force  à  l'intel- 
ligence ;  jouer,  c'est  refroidir  le  cerveau  enflammé 
par  des  efforts  continuels  ;  jouer  enfin,  c'est  se 
reposer   dans  le    Seigneur.     Voilà    comment    le 


—  166  — 

Romain  joue.      Il  joue  pour   mieux   travailler  ;  il 
joue  pour  mieux  prier. 

Les  principaux  jeux  ou  divertissements  des 
Romains  sont  la  morra,  la  chatte  aveugle  et  le 
carnaval. 

La  morra  est  un  jeu  très  en  vogue  dans  les 
Etats  romains.  Tout  le  monde  se  livre  à  ce  jeu 
innocent  ;  on  joue  à  la  morra  dans  la  prairie,  on 
joue  sur  la  place  publique,  on  joue  au  café,  on  joue 
au  bouchon,  on  joue  partout,  excepté  dans  le 
temple  du  Très-Haut. 

La  morra  se  joue  à  deux  ;  mais  '  on  peut  se 
remplacer  comme  à  la  poule.  Les  deux  joueurs  se 
placent  en  face  l'un  de  l'autre  ;  la  main  gauche 
levée  et  la  main  droite  fermée  en  avant  ;  les  joueurs 
prennent  presque  la  même  position  qu'à  l'escrime. 
Au  signal  convenu,  les  mains  droites  des  joueurs 
s'élèvent  et  puis  s'abaissent  simultanément  ;  cha- 
cun étend  un,  deux,  trois  ou  quatre  doigts  à  volonté 
et  prononce  un  nombre.  Si  le  nombre  donné  par 
un  des  joueurs  répond  au  nombre  des  doigts  éten- 
dus, ce  joueur  est  déclaré  vainqueur.  Mais  si  les 
deux  joueurs  devinent  en  même  temps,  ou  si  ni 
l'un  ni  l'autre  ne  devinent,  on  recommence.  Pour 
gagner  la  partie,  il  faut  deviner  cinq  fois.  La  main 
gauche  sert  à  compter  le  nombre  de  fois  qu'un 
joueur  a  gagné.   Comme  on  le  voit,  ce  jeu  suppose 


—  16Ï  — 

un  grand  fonds  de  sincérité  et  de  bonne  foi  dans 
la  parole  donnée,  car  il  est  facile  d'étendre  un  ou 
deux  doigts  de  plus,  une  fois  que  la  main  est 
abaissée,  et  de  tromper  ainsi  son  adversaire.  Mais 
le  joueur  à  la  morra  ne  trompe  jamais.  Certains 
auteurs  prétendent  que  les  joueurs  à  la  morra 
posent  à  terre,  avant  de  commencer,  un  poignard 
dont  ils  se  servent  lorsqu'on  manque  aux  règles 
du  jeu.  J'ai  vu  jouer  à  la  morra  presque  tous  les 
jours,  et  jamais  mes  yeux  n'ont  rencontré  le  poi- 
gnard en  question.  Je  puis  affirmer  qu'on  ne 
recourt  pas  aujourd'hui  à  ces  mesures  de  rigueur 
pour  empêcher  la  supercherie.  La  bonne  foi  est 
la  seule  arme  employée  dans  ces  circonstances. 

La  chatte  aveugle  est  un  jeu  destiné  spéciale- 
ment à  l'enfance  ;  elle  se  joue  au  clair  de  la  lune, 
pendant  la  belle  saison  de  l'été.  La  place  du 
Peuple,  située  à  l'extrémité  nord  du  Corso,  est  le 
théâtre  où  les  acteurs  se  réunissent.  Le  lieu  du 
rendez-vous  est  fixé  au  pied  de  l'obélisque  qui 
s'élève  au  centre  de  cette  place. 

Après  avoir  bandé  les  yeux  à  un  jeune  homme, 
on  le  fait  tourner  cinq  ou  six  fois  sur  lui-même  et 
ensuite  on  lui  dit  de  se  diriger  droit  dans  le  Corso, 
Remarquez  que  trois  grandes  rues  viennent  abou- 
tir à  la  place  du  Peuple,  et  que  le  joueur  ne  rece- 
vra le  prix  de  la  course  que  s'il  entre  directement 


—  168  — 

dans  le  Corso.  La  chatte  aveugle — c'est  ainsi 
qu'on  nomme  le  lutteur — part  ;  mais  au  lieu  de 
prendre  la  direction  voulue,  elle  se  cogne  contre 
un  mur,  contre  l'obélisque  lui-même,  contre  la  fon- 
taine de  Neptune,  contre  celle  de  Rome  ou  contre 
un  groupe  de  femmes  qui  l'accablent  d'épigrammes. 
Vingt,  trente  autres  lutteurs  se  présentent  ;  et  ils 
subissent  le  même  sort.  Il  est  rare  que  la  chatte 
aveugle  enfile  le  Corso  du  premier  coup.  Toute- 
fois si  le  joueur  réussit  à  prendre  la  vraie  direc- 
tion, on  l'applaudit,  on  le  porte  en  triomphe  et  on 
lui  décerne  le  prix  dû  au  vainqueur,  c'est-à-dire 
une  bonne  salade  au  chou-fleur  et  une  pinte  de  vin 
de  première  qualité.  C'est  ainsi  que  se  joue  la 
chatte  aveugle  ;  on  rit,  on  badine,  on  s'amuse  et 
on  retourne  joyeux    et   content  au  foyer  paternel. 

Le  divertissement  dans  lequel  la  gaieté  du 
peuple  romain  éclate  avec  plus  d'intensité  est 
sans  contredit  le  carnaval.  Un  étranger,  qui  n'au- 
rait jamais  vu  ce  spectacle,  ou  qui  n'en  aurait 
jamais  entendu  parler,  prendrait  les  Romains  pour 
des  fous  ou  au  moins  pour  un  peuple  de  grands 
enfants.  Les  fêtes  du  carnaval  durent  huit  jours,  et 
pendant  tout  ce  temps,  les  magasins,  les  boutiques 
et  les  ateliers  sont  fermés  l'après-midi  ;  les  affaires 
sont  en  général  suspendues.  Les  Romains  encom- 
brent le   Corso  ;   les    autres   rues    sont   désertes. 


—  169  — 

Grands  et  petits,  riches  et  pauvres  accourent 
prendre  part  aux  réjouissances  publiques  et  se 
livrent  à  toute  la  joie  dont  leur  cœur  est  capable, 
avant  d'entrer  dans  la  rigoureuse  période  de  la 
pénitence,  le  carême.  Quelques-uns  ont  prétendu 
que  le  carnaval  était  une  imitation  des  fêtes  célé- 
brées en  l'honneur  de  Janus,  du  temps  des  païens. 
Il  peut  y  avoir  du  vrai  dans  cette  opinion.  Maïs 
l'étymologie  du  mot  carnaval,  cami  vale,  me  porte 
à  croire  que  les  Romains  veulent  tout  simplement 
se  réjouir,  «se  recréer  avant  de  jeûner.  N'est-ce 
pas  ce  qui  arrive  au  Canada,  le  lundi  et  le  mardi 
gras  ?  N'entendons-nous  pas  dire  alors  :  "  Amu- 
sons-nous, profitons  du  temps.  Demain  ou  après- 
demain,  danses,  banquets,  promenades,  tout  sera 
fini  ;  nous  serons  dans  le  carême.  "  Les  Romains 
ne  peuvent-ils  pas  faire  comme  nous  ?  Ils  le  peu- 
vent, mais  ils  ne  le  font  pas  :  ils  jouent,  ils  rient, 
mais  leurs  plaisirs  ne  sont  pas  coupables. 

0 

L'ouverture  du  carnaval  est  annoncée  par  la 
cloche  du  Capitôle,  qui  ne  sonne  que  dans  cette 
circonstance,  et  à  la  mort  du  Pape.  Il  est  alors 
midi.  Le  Sénateur  romain,  (maire)  monté  dans  un 
riche  carosse  et  entouré  de  laquais  en  grande 
livrée,  descend  la  roche  tarpéïenne,  parcourt  le 
Corso  depuis  la  place  de  Venise  jusqu'à  celle  du 
Peuple,  et  retourne,  par  la  même  voie,  à  son 
8 


—  1Ï0  — 

palais  situé  à  l'endroit  où  Manlius  fut  éveillé  par 
le  cri  des  oies.  La  fête  est  commencée.  La  foule 
se  précipite  dans  le  Corso  ;  les  balcons  se  couvrent 
de  curieux.  Les  Romains  chantent,  dansent,  gam- 
badent, sautent,  grimacent  et  lancent  des  confetti 
à  droite,  à  gauche,  en  avant,  en  arrière,  dans  les 
voitures,  sur  les  galeries,  dans  les  fenêtres,  sur  les 
draperies,  sur  les  banderoles,  sur  le  mendiant  et 
sur  le  prince,  personne  n'est  épargné. 

Les  confetti,  qui  sont  des  espèces  de  bonbons 
en  farine,  de  la  grosseur  d'une  noisette,  et  qui  se 
brisent  en  tombant,  vous  arrivent  sur  la  tête  comme 
une  pluie  torrentielle.  Vous  pouvez  vous  protéger 
la  figure  contre  les  projectiles  en  faisant  usage 
d'un  masque  en  fil  de  fer,  mais  votre  habit  !  Il 
n'est  pas  besoin  de  vous  dire  qu'il  ressemble  bien- 
tôt à  celui  d'un  meunier.  Tout  de  même,  c'est  un 
curieux  spectacle  que  de  voir  ce  flux  et  reflux 
d'êtues  humains  tachetés,  étoiles,  tigrés  et  damas- 
sés. La  population,  qui  se  presse  sur  le  Corso, 
présente  l'aspect  d'une  forêt  de  vignes  couverte  de 
neige. 

Vous  venez  de  voir  un  coin  du  tableau.  Mille 
autres  scènes  se  déroulent  devant  vos  regards-— 
quand  vous  pouvez  regarder — au  milieu  de  la 
grêle  des  confetti.  Ici,  c'est  un  géant  de  douze 
pieds  de  hauteur  qui  s'avance  majestueusement  en 


—  m  — 

vous  dardant  un  coup  d'œil  de  travers  ;  là,  les 
discipes  de  Vulcain,  dont  les  lourds  marteaux 
frappent  l'enclume  en  cadence  ;  â  quelques  pas 
plus  loin,  apparaît  une  bande  de  brigands  qui,  le 
poignard  à  la  main,  foulent  aux  pieds  un  prince, 
à  qui  ils  réclament  une  énorme  rançon  pour  le 
rachat  de  sa  liberté.  A  un  autre  endroit,  c'est 
Roland  dont  1  epée  transperce  vingt  barbares  à  la 
fois.  Les  représentations  changent  à  chaque  ins- 
tant, et  l'œil  ne  se  lasse  jamais  d'admirer. 

Les  zouaves  canadiens  n'ont  pas  voulu  le  céder 
aux  Romains  en  fait  de  folies  ;  ils  ont  figuré  avec 
honneur  dans  les  deux  carnavals  qu'ils  ont  passés 
à  Rome.  La  dernière  année,  plusieurs  de  nos  com- 
patriotes ont  parcouru  le  Corso  dans  un  magni- 
fique canot  d'écorce,  placé  sur  un  chariot  que  traî- 
naient quatre  chevaux  superbement  harnachés. 
Les  zouaves  portaient  le  costume  du  guerrier 
indien,  de  l'Iroquois,  si  je  me  le  rappelle  bien- 
Leur  apparition  sur  la  scène  a  frappé  la  popula- 
tion romaine  d'étonnement.  Aussi,  ont-ils  été  cou- 
verts d'applaudissements  et  de  confetti. 

La  comédie  se  continue  jusqu'au  premier  coup 
de  canon  tiré  du  fort  St.- Ange.  Alors,  les  équipa- 
ges de  toutes  sortes  commencent  à  évacuer  le 
Corso,  et  au  deuxième  coup  de  canon,  la  rue  ne 
renferme  plus  personne.     La  foule  forme  la   haie 


—  1^2  — 

de  chaque  côté  du  Corso,  et  un  détachement  de 
dragons  parcourent  la  rue  dans  toute  son  étendue, 
afin  de  veiller  à  ce  qu'aucun  des  spectateurs  ne  se 
tienne  au  milieu.  Pourquoi  toutes  ces  précautions  ? 
Que  va-t-il  donc  arriver  ?  C'est  l'heure  fixée  pour 
la  course  des  barberi,  ou  chevaux.  Le  point  de 
départ  est  à  l'obélisque  de  la  place  du  Peuple. 
Longtemps  avant  la  course,  les  chevaux  sont 
réunis  à  cet  endroit.  Couverts  de  molettes  en  fer 
et  de  feuilles  de  papier,  les  sept  coursiers  hennis- 
sent, piaffent,  carocollent  et  menacent  de  rompre 
leurs  freins.  Au  son  de  la  trompette  guerrière, 
les  barberi  enfilent  le  Corso  en  brûlant  le  pavé  ; 
ils  ne  courent  pas,  ils  volent.  Arrivés  à  la  place 
de  Venise,  des  barbereschi,  ou  palefreniers,  arrêtent 
les  coursiers  au  moyen  de  deux  toiles,  qu'ils 
tendent  à  une  certaine  distance  l'une  de  l'autre. 

Le  Sénat  lui-même  couronne  le  cheval  vain- 
queur, et  le  maître  de  ce  dernier  reçoit  le  prix  de 
la  victoire — le  prix  est  ordinairement  de  250  lires 
— avec  un  oriflamme  d'honneur.  Un  corps  de 
musique  accompagne  le  propriétaire  jusqu'à  son 
domicile  ;  et,  du  haut  de  son  balcon,  le  vainqueur 
jette  de  l'argent  au  peuple  qui  l'applaudit,  comme 
autrefois  les  illustres  conquérants  lorsqu'ils  mon- 
taient au  Capitole. 

Le  dernier  jour,  à  la  course  des  barberi  succède 


le  jeu  des  maccoli,  ou  flambeaux.  Une  fois  ce  diver- 
tissement terminé,  les  Romains  peuvent  répéter 
avec  Perrette  :  "  Adieu,  veau,  vache,  cochon,  cou- 
vée,"  car  c'est  le  dernier  jeu  du  carnaval.  Les  ac- 
teurs que  nous  avons  déjà  vus  figurer,  reparaissent 
sur  le  Corso  avec  les  mêmes  décorations  ;  mais 
ils  portent  de  plus  à  la  main  des  maccoli  ou  des 
bouts  de  chandelles.  Chaque  Romain  se  présente 
avec  un  maccolo  allumé  ;  on  voit  aussi  des  mac- 
coli dans  toutes  les  fenêtres.  On  dirait  que  le 
Corso  est  en  feu.  Mais  cet  aspect  change  souvent, 
car  chacun  s'efforce  d'éteindre  le  maccolo  de  son 
voisin,  en  criant  :  "  Mort  au  maccolo  "  !  Pour 
éteindre  les  flambeaux,  on  se  sert  de  mouchoirs, 
de  chapeaux,  d'évantails,  de  confetti,  de  toutes 
sortes  d'éteignoirs  enfin.  Les  piétons  sautent 
dans  les  voitures,  les  cavaliers  grimpent  sur  les 
balcons  ;  c'est  une  guerre  générale.  Les  maccoli 
disparaissent,  se  rallument  pour  s'éteindre  encore. 
C'est  un  spectacle,  vraiment  féerique. 

Un  troisième  coup  de  canon  retentit,  et  les 
lumières  et  la  foule  s'évanouissent  comme  par  en- 
chantement ;  le  carnaval  est  terminé.  Les  Romains 
secouent  la  poussière  qui  les  couvre,  et  rentrent 
au  logis. 

Un  tel  peuple  peut-  il  être  malheureux  ?  Nous 
demandons  aux  libres-penseurs  de  répondre. 


I 


CHAPITRE  XIX. 


LA  REINE  DU  PEUPLE  ROMAIN. 

Le  peuple  romain  n'a  pas  seulement  un  Pon- 
tife-roi, il  a  aussi  une  reine  ;  mais  c'est  une 
reine  d'une  beauté  incomparable,  une  reine  que 
vous  voyez  partout,  une  reine  qui  s'abaisse  et 
s'élève,  une  reine  qui  prend  tous  les  noms,  une 
reine  enfin  qui  possède  des  trésors  infinis.  Cette 
reine,  c'est  l'épouse  du  charpentier  nommé  Joseph  ; 
c'est  cette  femme  qui  écrasa  la  tête  du  serpent  ; 
c'est  la  Vierge-Immaculée  de  Nazareth  ;  c'est  la 
mère  de  l'Homme-Dieu.  Jamais  reine  sur  la  terre 
ne  fut  plus  aimée  que  celle  de  Rome.  Jamais 
reine  sur  le  globe  terrestre  ne  porta  de  plus  riches 
joyaux  que  celle  de  la  Ville  sainte. 

Vous  ne  sauriez  trouver  une  nation  qui  témoigne 
une  plus  grande  dévotion  à  la  sainte  Vierge  que 
le  peuple  romain,  Cette  dévotion  à  Marie  est  si 
générale,  que,  bien  souvent,  elle  semble  éclipser 
le  culte  dû  au  Créateur  de  l'univers.  On  invoque 
l'Immaculée-Conception  à  toutes  les  heures  de  la 
journée,  et  dans  toutes  les  circonstances  de  la  vie. 

Le  matin,  le  Romain  se  jette   aux   genoux  de 


W 


—  1Ï6  — 

Marie  ;  s'il  entreprend  un  voyage,  il  court  dans 
un  sanctuaire  dédié  à  Marie  ;  s'il  est  malade,  il 
élève  les  yeux  vers  Marie  ;  s'il  est  exposé  à  un 
danger,  il  conjure  Marie  de  le  couvrir  de  sa  main 
protectrice  ;  le  soir,  il  sort  des  oratoires  et  par- 
court les  rues  de  la  ville,  en  récitant  son  chapelet 
et  en  chantant,  devant  les  statues  de  sa  reine,  ce 
refrain  populaire  : 

Eviva  Maria  ! 

Maria  viva 
E  chi  la  creô  ! 

"  Vive  Marie  et  celui  qui  la  créa  "  !  Dans  toutes 
ses  actions,  le  Romain  s'écrie  :  "  Vive  Marie  et 
son  divin  fils  "  ! 

Une  reine  d'une  beauté  incomparable.  Nigra  sum, 
sed  formosa.  "  Je  suis  noire,  mais  je  suis  belle." 
Oui,  la  reine  du  peuple  romain  est  belle,  et  sa 
beauté  ne  se  flétrit  jamais  comme  celle  des  autres 
créatures.  Née  immaculée,  elle  a  donné  naissance 
à  la  divine  Beauté,  qui  lui  communiqua  tous 
ses  charmes. 

Une  reine  qtte  vous  voyez  partout. — -Il  est  impos- 
sible de  faire  un  pas  dans  Rome  sans  rencontrer 
la  reine  du  peuple  romain,  sans  jeter  la  vue  sur 
l'image  de  la  Madone.  Vous  la  voyez  à  chaque 
coin  de  rues,  sur  la  façade  des  églises  et  sur  tous 
les  monuments.    Vous  la  trouvez  dans  toutes  les 


—  m  — 

chapelles,  dans  tous  les  magasins,  dans  tous  les 
ateliers,  dans  tous  les  édifices  publics  et  dans  tous 
les  hôtels.  Partout  la  Madone  parle  et  sourit  aux 
pécheurs.  Partout  la  Madone  tend  ses  bras  vers 
les  affligés. 

Une  reine  qui  s'abaisse  et  s'élève. — La  Madone 
repose  tantôt  sur  un  modeste  piédestal,  que  le 
pauvre  ouvrier  lui  a  construit  dans  son  humble 
demeure.  Tantôt,  elle  çlomine  le  chapiteau  d'une 
colonne  élevée. 

Une  reine  qui  prend  tous  les  noms. — Si  vous  vous 
promenez  dans  Rome,  vous  remarquez  la  madone 
des  Miracles,  la  madone  du  Soleil,  la  madone  de 
la  Consolation,  la  madone  des  Douleurs,  la  madone 
du  bon  Conseil,  la  madone  des  Grâces,  la  madone 
del  partoy  la  madone  de  la  Fièvre,  la  madone  de 
la  Délivrance  etc.  La  plupart  de  ces  madones  ont 
pour  origine  des  faits  prodigieux. 

Une  reine  qui  possède  des  trésors  infinis. — La  vie 
d'un  homme  ne 'suffirait  pas  pour  décrire  tous  les 
bienfaits  obtenus,  tous  les  miracles  opérés  et  tous 
les  malheurs  évités  par  l'intercession  de  la  reine 
du  peuple  romain.  On  compte  plus  de  1400  ma- 
dones à  l'extérieur  des  maisons  et  dans  les  rues  ; 
et,  à  chacune  de  ces  madones  se  rattachent  des 
guérisons  miraculeuses  ou  des  conversions  écla- 
tantes.   Ici,  c'est  un  aveugle  qui  recouvre  la  vue  ; 


là,  c'est  un  boiteux  qui  marche  droit.  Plus  loin, 
Marie  touche  le  cœur  d'un  brigand  qui  vient  dépo- 
ser son  poignard  au  pied  de  la  Madone.  Plus  loin 
encore,  c'est  un  soldat  qui  évite  miraculeusement 
une  balle  ennemie,  ou  bien  un  navire  sauvé  d'un 
naufrage  inévitable  au  milieu  d'une  tempête.  La 
protection  de  la  sainte  Vierge  brille  dans  tout  et 
partout. 

Que  de  prodiges,  que  de  miracles  je  pourrais 
citer  pour  démontrer  que  la  Madone  n'oublie  pas 
le  peuple  romain  quand  il  a  recours  à  elle  !  Je  me 
contenterai  de  raconter  deux  faits  que  les  pères 
de  famille  s,e  font  un  devoir  d'apprendre  à  leurs 
enfants,  réunis  le  soir  autour  du  foyer.  J'emprunte 
le  premier  d'un  savant  abbé  français  : 

"  Lorsqu'on  descend  la  rue  de  la  Scrofa,  vers 
la  place  du  Peuple,  et  qu'après  le  couvent  des 
Augustins,  on  tourne  la  tête  à  gauche,  on  aperçoit, 
sur  le  pinacle  d'une  tour,  une  statuette  de  l'Imma- 
culée-Conception. La  nuit,  cette  statuette  est 
éclairée  pagine  lampe  ;  on  dirait  un  météore  qui 
lui  sert  d'escabeau  :  Luna  sub  pedibus  ejus. 

Or,  au  siècle  dernier,  les  propriétaires  de  ce 
reste  de  tour  féodale  possédaient,  pour  leur  diver- 
tissement, un  gros  singe.  Selon  l'instinct  naturel  à 
son  espèce,  l'animal  imitateur  contrefaisait  les  faits 
et  gestes  de  la  maison,  en  y  ajoutant  un  air  gro- 


tesque  qui  entretenait  la  gaieté.  Un  jour,  à  force 
de  voir  bercer  et  dorloter  un  enfant  qui  venait  de 
naître,  il  lui  prit  fantaisie  d'en  faire  autant.  Il 
saisit  le  moment  où  l'enfant,  dormant  dans  son 
berceau,  avait  été  laissé  seul.  Il  s'approche  douce- 
ment, le  fait  sauter  entre  ses  bras  velus,  l'em- 
brasse, le  presse  contre  sa  poitrine,  simule  en  un 
mot  tous  les  mouvements  d'une  nourrice  qui  veut 
calmer  son  nourrison.  Non  content  de  son  exploit, 
et  toujours  chargé  de  son  précieux  fardeau,  il 
gravit  tous  les  étages  jusqu'au  sommet  de  la  tour  ; 
d'un  bond,  il  est  sur  le  parapet,  et  se  promène  de 
long  en  large,  dans  la  même  attitude  et  avec  les 
mêmes  gestes  qu'il  recommence  cent  fois. 

La  pauvre  mère,  accourant  au  berceau,  trouve 
l'enfant  disparu.  Des  cris  du  dehors  l'avertissent 
de  l'horrible  malheur  qui  la  menace.  Le  singe, 
grimaçant  sur  son  tétreau,  à  cent  pieds  au-dessus 
de  la  rue,  risquait  à  chaque  seconde  de  laisser 
tomber  le  maillot,  ou  même  de  le  jeter  capricieu- 
sement comme  un  jouet.  "  Sainte  Vierge,  s'écria  la 
mère  désespérée,  rendez-moi  mon  enfant." 

Tremblante  et  suffoquée,  elle  vole  sur  la  tour. 
En  la  voyant,  le  singe  saute  à  ses  pieds  et  y  dépose 
le  petit  trésor.  Ce  jour-là  même  fut  érigée,  sur  la 
rampe  aérienne,  la  statue  qu'on  y  voit  encore,  et 
la  postérité  fidèle  continue  à  payer  à  la  Madone 
protectrice  la  dette  des  aïeux." 


—  180  — 

Je  traduis  la  seconde  légende  du  P.  Carocci, 
jésuite,  qui  la  racontait,  il  y  a  un  siècle  et  demi,  à 
une  caravane  de  pèlerins. 

"  C'était  au  mois  de  janvier  i  546,  sous  le  pon- 
tificat de  Paul  III,  d'heureuse  et  chère  mémoire 
pour  notre  ordre.  ." 

Deux  jeunes  gens  s'étaient  proposé  de  jouer 
devant  la  Madone  qui  ornait  une  muraille  du  quar- 
tier de  la  Regola,  et,  certes,  à  un  jeu  qui  n'était 
guère  propre  à  la  divertir.  Car,  je  vous  assure, 
qu'il  n'y  a  pas  grande  joie  à  voir  jouer  à  certains 
jeux,  dont  celui-ci  était  un,  et  dans  lesquels  celui 
qui  gagne  a  coutume  de  perdre,  sinon  la  fortune, 
au  moins  la  réputation,  le  temps,  lame,  Dieu,  les 
hommes  et  quelquefois  sa  propre  vie.  C'aura  été, 
selon  moi,  quelqu'un  de  ces  jeux  de  cartes,  qui 
provoquent  tant  ^incartades,  ou  bien  d'osselets 
&  êtres  morts,  qui  font  tant  gémir  les  vivants. 

L'ardeur  des  combattants  était  grande,  surtout 
celle  du  perdant,  qui  avait  la  rage  de  se  relever  ; 
mais  quoiqu'il  fût  dans  le  quartier  de  la  Règle 
{Regola),  il  ne  voulait  pas  observer  la  règle  du  jeu. 
Il  arriva  donc  entre  eux  un  conflit,  soit  pour  une 
renonce,  soit  pour  une  carte  usurpée  ou  regardée 
furtivement,  ou  cachée  ou  changée.  Bref,  le  sang 
réchauffé  par  la  perte  ou  par  l'application  de 
l'esprit,  fit  qu'on  en  vînt  promptement  aux  paroles 


—  181  — 

arriéres,  aux  injures,  et  comme  la  fureur  fournit 
des  armes,  furor  arma  ministrat,  on  finit  par  les 
coups. 

Le  vainqueur  se  contenait  plus  que  son  adver- 
saire. Probablement  aussi,  doué  d'une  nature  plus 
pacifique,  afin  de  prévenir  toute  extrémité,  il 
demanda  le  premier  pardon  et  céda  à  son  rival. 
Mais  celui-ci,  au  lieu  de  se  calmer,  ne  vit  là  qu'une 
raillerie,  et  s'emportant  de  ce  qu'on  ne  lui  avait 
pas  donné  raison  plus  vite,  il  s'écria  :  "  Pourquoi 
donc  me  le  nier  jusqu'à  présent,  ô  infâme  menteur  ! 
tu  me  prenais  sans  doute  pour  un  imbécile  ?  Sache 
que  je  ne  le  suis  pas  ;  je  te  le  prouverai,  tricheur 
indigne  !  "  Et  en  disant  ces  mots,  il  s'élance  comme 
un  tigre  sur  son  adversaire.  A  ce  mouvement, 
celui-ci  se  redresse  avec  violence  ;  il  recule  d'un 
pas,  et,  portant  la  main  sur  un  poignard,  il  lui 
imprime  une  secousse  si  vigoureuse  qu'il  le  ren- 
verse.— "Ah!  tu  ne  veux  pas  de  paix,  lui  dit-il, 
eh  bien  !  tu  auras  la  guerre.  Tu  prétends  jouer  ta 
vie,  je  te  la  gagnerai  aussi  bien  ;  perds-la,  torcéné 
meurs  ;  car  tu  ne  mérites  pas  de  voir  la  lumière." 
Et  il  était  sur  le  point  de  fendre  en  deux  cette, 
tête  moins  d'un  homme  que  d'un  ours  en  furie. 
"  Ah  !  s'écria  Farrogant,  devenu  timide,  et  jetant 
les  yeux  vers  la  Madone  sous  laquelle  ils  se  trou- 
vaient, "  ah  !  pour  l'amour  de  cette  mère,  la  vie  ! 
la  vie  !  " 


—  182  — 

Le  jeune  homme,  outragé,  regarda  aussi  la 
Madone  ;  et,  en  la  voyant  en  quelque  sorte 
demander  la  paix  par  un  sourire,  sa  fureur  se 
calma  ;  le  fer  lui  tomba  des  mains. — "  Ouï,  je  te 
la  donne,  la  vie,  au  nom  de  cette  arche  de  paix 
que  tu  invoques  ;  c'est  cette  clémente  Mère  qui 
t'accorde  la  vie  que  je  t'ai  offerte  déjà."  Et,  l'em- 
brassant avec  tendresse,  il  le  relève  du  sol  où  il 
était  prêt  à  l'immoler. 

Quelle  devait  être,  mes  frères,  la  reconnaissance 
de  ce  malheureux,  non-seulement  envers  son  rival, 
qui  lui  permettait  de  vivre,  mais  encore  envers  la 
Madone  qui  avait  intercédé  pour  lui  !  Vous  pensez 
qu'il  s'agenouillera  pour  rendre  des  actions  de 
grâce  et  pour  émettre  le  vœu  de  ne  jamais  plus 
jouer. 

Hélas  !  vous  le  savez  déjà,  et  le  souvenir  en  glace 
d'horreur  encore.  Pendant  qu'il  était  généreuse- 
ment relevé  par  ce  jeune  et  doux  chrétien,  par  ce 
nouveau  Gualbert,  voici  que,  pour  ne  lui  être  point 
débiteur  d'un  si  grand  bienfait,  il  tire  inopinément 
Un  stylet  de  sa  poche,  se  précipite  sur  son  bien- 
faiteur désarmé  et  tranquille,  lui  traverse  le  cœur 
d'un  seul  coup  et  l'étend  à  ses  pieds. 

O  Mère  sainte  !  quelle  ingratitude  !  quelle 
cruauté  !  quelle  barbarie  !  Vous  frissonnez,  mes 
frères  !  Quoique  dépeinte  seulement  sur  la  muraille, 


—  183  — 

la  Madone  ne  put  se  contenir  à  ce  spectable  épou- 
vantable, et  elle  pleura  amèrement  ;  les  larmes 
coulèrent  de  ses  yeux  le  long  du  mur  comme  un 
ruisseau. 

Un  prêtre  espagnol,  attiré  sans  doute  par  a 
sainte  Vierge,  après  avoir  absous  le  moribond, 
comme  il  faut  le  croire,  lui  dit,  pendant  qu'il  ren- 
dait le  dernier  soupir  :  "  Enfant,  invoquez  cette 
tendre  mère  que  vous  regardez  avec  tant  d'amour." 
Comme  il  parlait  encore,  la  Vierge  pleura  derechef 
à  sa  vue,  et  le  moribond  pleura  comme  elle.  Le 
prêtre  ne  pouvait  plus  maîtriser  son  émotion.  Il 
s'approcha  de  l'image  miraculeuse,  et  avec  son 
mouchoir  il  recuillit  les  larmes  de  la  Mère  des 
Douleurs.  La  populace  du  quartier  accourut,  et 
en  voyant  ce  tableau  d'un  jeune  homme  baigné  de 
son  sang  et  de  Marie  baignée  de  ses  larmes,  elle 
s'écriait  en  sanglotant  :  Miracle  !  miracle  ! — Le 
pourra-  t-on  croire  ?  On  était  près  du  Ghetto  ;  tous 
les  juifs  s'attendrirent,  mais  aucun  ne  se  convertit. 

L'événement  fut  bientôt  divulgué,  soit  par  quel- 
ques commères  prudemment  restées  chez  elles, 
mais  que  la  curiosité  avait  attirées  aux  fenêtres  au 
premier  bruit  de  l'altercation,  soit  par  le  meurtrier 
lui-même,  dont  on  n'a  plus  parlé  et  dont  on  ne 
sait  rien.  Mon  opinion  est  qu'il  a  dû  mal  finir, 
car  les   menaces   de    Dieu    sont   trop   formelles  : 


—  184  — 

"Celui  qui  frappe  de  l'épée,  par  l'épée  doit  périr." 
Qui gladio  ferit,  gladio  périt.   (S.  Matth.) 

L'image  de  la  Madone  fut  artistement  taillée 
et  enlevée  de  la  muraille,  On  ne  tarda  pas  à  la 
transporter  dans  l'église  voisine,  qui  changea  son 
nom  de  Saint-Sauveur  en  celui  délia  Madona  del 
Pianto,  afin  de  transmettre  de  siècle  en  siècle  le 
souvenir  de  cette  noire  atrocité." 

En  disant  adieu  à  la  reine  du  peuple  romain, 
répétons,  avec  le  pécheur  repentant,  cette  belle 
prière  : 

Amabile  madré  e  amante 
Vogli  piestosa  il  ciglio 
A  chi  non  è  tuo  figlio 
Ma  figlio  tuo  sarà. 

"  Aimable  et  aimante  mère  !  daigne  tourner  tes 
regards  vers  celui  qui  n'est  pas  encore  ton  fils, 
mais  qui  veut  le  devenir  !  " 


CHAPITRE  XX. 


NOCES  D'OR  DE  PIE  IX.— CONCILE    DU  VATICAN. 

Le  1 1  avril  1869  !  époque  à  jamais  mémorable 
dans  les  annales  de  l'Eglise  romaine.  Le  Pontife- 
roi,  l'immortel  Pie  IX,  célèbre  à  la  confession 
des  Apôtres  Pierre  et  Paul,  le  cinquantième  anni- 
versaire de  son  élévation  au  sacerdoce,  entouré  de 
cardinaux,  de  prélats,  de  plusieurs  membres  de  sa 
famille,  entre  autres  Louis  Mastaï  Ferretti,  fils  du 
comte  Gabriel,  retenu  à  Sinagaglia  par  la  vieillesse, 
de  tous  les  représentants  des  cours  étrangères,  et 
de  70,000  à  80,000  pèlerins  venus  de  toutes  les 
parties  du  monde.  Jamais  fêtes  ne  furent  aussi 
pompeuses  et  aussi  universelles,  parce  que  jamais 
Pape  n'avait  été  entouré  de  tant  d'amour  et  de 
vénération,  parce  que  jamais  Pape  n'avait  vu  un 
règne  aussi  glorieux  et  aussi  rempli  de  persécu- 
tions et  d'amertumes. 

Les  fêtes  des  noces  d'or  de  Pie  IX,  qui  coïnci- 
daient avez  le  retour  de  l'illustre  exilé  de  Gaëte 
et  de  sa  préservation  miraculeuse,  lors  de  l'accident 
de  l'église  de  Sainte-Agnès  hors  les  murs,  com- 
mencèrent le    10  avril  et   durèrent   trois  jours. 


—  186  — 

Pour  décrire  toute  la  magnificence  et  la  pompe 
déployées  dans  ce  jubilé,  il  faudrait  une  plume 
plus  exercée  que  la  mienne.  Je  vous  dirai  seule- 
ment que  nous  étions  transportés  au  troisième  ciel, 
comme  saint  Paul, et  que  parfois  nous  nous  écriions: 
"  Qu'il  fait  bon  d'être  ici,  bâtissons-  nous  des  tentes." 
Pie  IX  lui-même  ne  put  contenir  les  flots  de  joie 
et  de  bonheur  qui  inondaient  son  cœur,  et  laissa 
échapper  ces  paroles  devant  quelques  pèlerins 
prosternés  à  ses  pieds  :  "  Mon  Dieu,  ayez  pitié  de 
moi,  c'est  trop  de  bonheur!  J'ai  peur  que  bientôt, 
quand  je  paraîtrai  devant  votre  justice,  vous  ne 
me  disiez  :  Tu  as  été  récompensé  sur  la  terre. 
Non  pas  à  moi,  mais  à  vous,  ô  mon  Dieu,  à  vous 
seul  l'amour  des  chrétiens.  "  L'archevêque  de 
Cologne,  Mgr.  Melchers,  a  peint  la  fête  d'un  seul 
trait  :  "  Jamais  Pape,  a-t-il  dit,  ne  s'est  vu  en 
relations  à  la  fois  si  intimes  et  si  universelles  avec 
le  cœur  de  l'humanité.  " 

La  journée  du  10  avril  fut  consacrée  à  la  lec- 
ture des  adresses  présentées  par  les  différentes 
associations  catholiques  de  la  terre.  En  jetant  les 
yeux  sur  ces  adresses,  couvertes  de  plusieurs  mil- 
lions de  signatures,  le  Pape  dit  à  ceux  qui  l'en- 
touraient :  "  Voici  la  véritable  expression  du  suf- 
frage universel  catholique."  Après  la  présentation 
des  adresses,  Pie  IX  passa  dans  la  salle  où  étaient 


— 187  — 

exposés  les  nombreux  cadeaux  qui  furent  faits  au 
Saint-Siège  dans  cette  circonstance.  Ces  offrandes 
représentaient  la  somme  de  six  millions  de  francs. 
La  réunion  de  tant  de  richesses  dans  le  Vatican 
arracha  à  Pie  IX  l'exclamation  suivante  :  "  Enfin, 
moi  aussi,  j'ai  mon  exposition  universelle  ;  elle  est 
le  produit,  non  de  l'industrie,  mais  de  l'amour  de 
mes  enfants."  Aussi,  quelle  belle  exposition  !  Oh  ! 
que  l'amour  du  chrétien  est  fécond  en  œuvres  de 
tous  genres  ! 

Dans  l'après-midi.  Pie  IX,  accompagné  de  sa 
cour,  alla  faire  une  visite  à  la  petite  église  de 
Sainte -Anne  de  Falegnami,  où  le  il  avril  1819, 
Jean-Marie  Mastaï  Ferretti  disait  sa  première 
messe,  à  l'âge  de  27  ans.  Retracez  dans  votre 
esprit  les  profondes  émotions  qu'à  dû  éprouver  le 
grand  Pontife  romain  en  jetant  un  regard  scruta- 
teur sur  la  période  écoulée  depuis  son  enrôlement 
dans  les  rangs  des  lévites,  et  les  douces  larmes 
qu'il  aura  versées  en  présence  de  cet  autel  où  il 
avait  offert  à  la  Divinité,  pour  la  première  fois, 
le  corps  adorable  de  l'Homme-Dieu.  Pie  IX, 
agenouillé  sur  le  marbre,  avait  en  cette  circons- 
tance plutôt  l'apparence  d'un  ange  que  d'un 
homme. 

Le  soir,  la  coupole  de  Saint-Pierre  fut  illuminé. 
J'avais    déjà    contemplé    cette  scène    grandiose  ; 


—  188  — 

mais  c'est  un  spectacle  toujours  nouveau.  J'étais 
placé,  à  cette  heure,  sur  le  Mont-Pincio,  non  loin 
de  l'église  de  la  Trinité-des- Monts.  La  coupole 
me  parut  comme  un  immense  globe  suspendu 
dans  les  airs.  L'obscurité  qui  recouvrait  la  ville 
augmentait  encore  l'éclat  de  la  lumière.  La  basi- 
lique de  Saint-Pierre  était  alors  la  véritable  image 
de  la  "Jérusalem  céleste  qui  éclaire  des  rayons 
de  sa  gloire  les  ténèbres  et  les  combats  de  Sion." 
Le  onze,  de  bonne  heure  le  matin,  la  vaste 
basilique  de  Saint-Pierre  était  tellement  remplie 
de  fidèles  qu'un  abbé  français,  placé  près  de  moi, 
me  souffla  ces  mots  à  l'oreille  :  "  Mon  bon  zouave, 
j'étouffe.  Je  ne  puis  plus  y  tenir,  on  m'écrase  ; 
vraiment,  je  suis  réduit  à  ma  plus  simple  expres- 
sion." Je  lui  portai  secours  et  je  réussis  à  élargir  le 
cercle  qui  l'enveloppait  en  faisant  jouer  les  coudes 
et  le  pommeau  de  mon  sabre  ;  tactique  que  nous 
avions  l'habitude  de  suivre,  lorsque  nous  étions 
trop  à  l'étroit.  Monsieur  l'abbé  X"'5"*'"  me  remercia 
cordialement  et  m'invita  à  prendre  le  dîner  avec 
lui  à  l'hôtel  de  la  Minerve.  La  politesse  exigeait 
que  je  déclinasse  cet  honneur  ;  mais  la  faim — -et 
quelque  diable  aussi — me  poussait,  et  j'acceptai 
l'invitation.  Qu'on  me  pardonne  cette  petite  gour- 
mandise ;  j'avais  jusqu'alors  mangé  de  tant  de 
haricots  et  de  salade  ! 


—  189  — 

A  sept  heures  et  trois  quarts,  Pie  IX,  porté  sur 
la  sedia  gestatoria,  fit  son  entrée  dans  l'église  des 
apôtres  Pierre  et  Paul,  passa  au  milieu  des  zouaves 
pontificaux  qui  formaient  la  haie  de  chaque  côté 
de  la  grande  nef,  depuis  la  grande  porte  en  bronze 
jusqu'à  la  confession,  et  monta  à  l'autel  pour  y  célé- 
brer le  saint  sacrifice  de  la  messe.  L'office  divin 
terminé,  le  Pape  se  tourne  vers  le  peuple  :  tout 
genou  fléchit,  toute  tête  s'incline.  Le  Pontife  élève 
les  bras,  et  de  sa  voix  puissante,  il  chante  ces  con- 
solantes paroles  :  "  Benedicat  vos  omnipotens  Deus  " 
etc,  Pie  IX  rentre  au  Vatican,  suivi  de  sa  cour  et 
escorté  de  la  garde  noble,  de  la  garde  palatine  et 
de  la  garde  suisse  ;  et  la  foule  s'écoule  silencieuse, 
en  répétant  avec  le  psalmiste  :  "  Quant  bonum, 
quàm  jucundum  habit  are  fratr es  in  unnm  !  " 

La  journée  se  termina  par  un  magnifique  feu 
d'artifice  ou  girandola,  devant  l'église  de  San 
Piedro  in  Montorio,  non  loin  de  l'endroit  où  saint 
Pierre  fut  crucifiera  tête  en  bas.  La  girandola,  à 
Rome,  surpasse  tous  les  feux  d'artifice  de  l'univers  ; 
car  il  n'y  a  que  les  Romains  qui  possèdent  le 
secret  de  créer  des  merveilles. 

Le  12,  Rome  célèbre  le  double  anniversaire  du 
retour  de  Pie  IX  de  Gaète  et  sa  préservation  mi- 
raculeuse à  l'église  de  Sainte-Agnès  :  deux  faits 
qui  font  époque  dans  la  glorieuse  vie  de  Jean- 
Marie  Mastaï  Ferrettï. 


—  190  — 

En  1848,  la  révolution,  qui  menaçait  déjà  de 
saper  l'ordre  social  par  sa  base,  se  déchaîna  sur 
Rome.  Le  1 5  novembre,  le  comte  de  Rossi,  le 
vaillant  défenseur  de  la  Bapauté,  expire  sous  le 
poignard  des  adeptes  du  carbonarisme.  Le  lende- 
main, une  foule  furieuse,  inspirée  par  Mazzini, 
assiège  le  palais  du  Ouirinal,  où  Pie  IX  s'était 
réfugié  pour  échapper  au  glaive  des  assassins. 
L'orage  grandit  ;  on  essaie  d'incendier  le  Quirinal. 
Les  balles  pleuvent  ;  l'une  d'elles  tombe  dans  la 
chambre  où  le  Pape  priait  pour  ses  bourreaux,  et 
blesse  mortellement  Sa  Grandeur  Mgr  Palma.  Le 
Souverain-Pontife  se  croit  à  sa  dernière  heure, 
lorsqu'une  femme  chrétienne,  la  comtesse  de  Spaur, 
forme  avec  son  mari,  le  duc  d'Harcourt,  le  projet 
de  sauver  le  roi  de  Rome.  L'héroïne  met  son  pro- 
jet à  exécution,  et  le  24  au  soir,  Pie  IX,  déguisé, 
monte  dans  le  carrosse  de  M.  d'Harcourt  qui  le 
transporte  à  Gaëte,  dans  le  royaume  de  Naples,  où 
il  est  reçu  à  bras  ouverts  par  le  roi  Ferdinand  II. 

Dans  son  exil,  le  Saint-Père  ne  cesse  de  pro- 
tester contre  les  spoliations  de  la  révolution.  Il 
lance  l'excommunication  contre  les  membres  de 
la  Jeime  Italie  et  contre  les  révolutionnaires  en 
général,  qui  saccageaient  Rome,  pillaient  les  églises 
et  chassaient  les  religieux  de  leurs  monastères. 
L'iniquité    s'était    débordée   sur   la    Ville  sainte, 


—  191  — 

comme  un  torrent  dévastateur.  Mazzïni  poussa 
même  l'impiété  et  le  cynisme  jusqu'à  singer  le 
Pape,  en  montant  dans  la  loge  de  Saint- Pierre,  où 
le  Pontife  romain  donne  la  bénédiction  urbietorbi. 
L'Europe  s'émeut  enfin  de  tant  d'audace  et  de 
sacrilèges.  L'Espagne  offre  de  délivrer  Rome  du 
joug  des  vandales  de  48  ;  mais  la  France,  la  fille 
ainée  de  l'Eglise — encore  catholique  à  cette  époque 
— revendique  cet  honneur  et  vole  assiéger  Rome, 
Le  29  juin  1849,  le  général  Oudinot  s'empare  de 
l'ancienne  ville  des  Césars,  et  le  colonel  Niel  est 
chargé  de  porter  les  clefs  de  Rome  à  Pie  IX,  qui 
se  trouvait  alors  à  Portici. 

Le  grand  Pape,  ivre  de  joie,  reprend  le  chemin 
de  Rome,  dans  laquelle  il  fait  son  entrée  triom- 
phale le  12  avril  1850.  Son  retour  fut  salué  par 
des  salves  d'artillerie,  par  le  son  de  toutes  les 
cloches  de  la  ville  et  par  les  cris  de  "Vive  Pie  IX  ! 
Vive  notre  Saint-Père!"  Le  peuple  romain  était 
au  comble  de  son  bonheur.  Les  révolutionnaires 
ayant  été  chassés,  l'Eglise  continua  de  gouverner  le 
monde  catholiqueet  à  répandre  partout  les  bienfaits 
de  son  ardente  charité.    , 

Voici  comment  les  historiens  romains  rapportent 
le  fait  de  la  préservation  de  Pie  IX  à  l'église  de 
Sainte-Agnès.  Un  jour,  le  12  avril  1855,  le  Très 
Saint-Père  alla  célébrer  l'office  divin  à  cette  basi- 


—  192  — 

lique  ;  et  une  foule  innombrable  remplissait  le  temple 
de  Dieu.  Après  la  messe,  le  Pape  se  rendit  dans  la 
salle  du  chapitre  pour  prendre  le  déjeûner  avec  les 
nombreux  invités,  et  passa  ensuite  dans  la  chambre 
voisine  pour  admettre  au  baisement  des  pieds  les 
élèves  de  la  Propagande.  Pie  IX  était  à  peine  assis, 
que  la  poutre  principale  de  l'édifice  se  rompit,  et  le 
plancher  s'effondra.  Le  Pape  et  sa  suite  dispa- 
rurent au  milieu  d'un  nuage  de  poussière  et  furent 
précipités  dans  l'étage  inférieur.  Après  quelques 
instants  d'un  lugubre  silence,  on  vit  sortir,  du 
milieu  des  décombres,  Pie  IX  qui  n'avait  reçu 
aucune  égratignure.  Personne  de  l'assistance  ne 
fut  blessé  grièvement.  Le  Pape  entra  aussitôt  dans 
l'église,  où  il- entonna  un  Te  Deum  en  l'honneur  de 
sainte  Agnès,  à  qui  il  attribua  sa  préservation 
miraculeuse. 

Entre  parenthèse,  je  vous  dirai  que  la  basilique 
de  Sainte- Agnès  est  située  sur  la  voie  Nomentane, 
à  une  courte  distance  des  murs  de  Rome.  Cette 
église,  qui  a  été  complètement  restaurée  par  Pie 
IX,  est  très  ancienne  ;  elle  a  été  bâtie  en  324  par 
Constantin,  à  la  prière  de  sa  fille  Constance,  guérie 
miraculeusement  par  l'intercession  de  la  jeune 
vierge  martyre,  sainte  Agnès. 

Pendant  l'après-midi  du  troisième  jour  du  tri- 
duum,  le   Souverain-Pontife  Visita  la  magnifique 


—  193  — 

basilique  dont  je  viens  de  parler,  pour  remercier 
Dieu  de  lui  avoir  sauvé  la  vie,  dix  ans  auparavant. 
A  son  retour,  il  parcourut  le  Corso  dans  toute  sa 
longueur.  La  population  entière  se  porta  sur  son 
passage  pour  implorer  sa  bénédiction  et  l'acclamer. 
On  entendait  de  toutes  parts  :  "  Viva  Pio  nono  ! 
Viva  il  santissimo  Padre  "  /  On  vfendra  nous  dire 
ensuite  que  Pie  IX  n'était  pas  aimé  de  son  peuple. 
Il  n'y  a  que  les  ennemis  de  la  Papauté  qui  puis- 
sent proférer  cet  impudent  mensonge,  fabriquer 
cette  monstrueuse  calomnie.  J'ai  vécu  au  milieu 
du  peuple  romain,  et  le  peuple  romain  aimait  Pie 
IX,  comme  il  aime  encore  Léon  XIII. 

Nous  touchons  à  la  fin  du  jubilé.  Trois  jours 
viennent  de  s'écouler,  mais  ce  sont  des  jours  pleins, 
pleni  dies.  Il  nous  manque  encore  le  bouquet  des 
noces  d'or  de  Pie  IX,  et  ce  bouquet  nous  l'avons 
eu.  Le  soir,  il  y  eut  illumination  générale  de  la 
ville  de  Rome.  Ce  fut  un  spectacle  féerique.  Une 
personne  qui  serait  tombée  tout  à  coup  dans  Rome, 
sans  savoir  qu'il -se  trouvait  dans  la  capitale  du 
monde  catholique,  aurait  cru  assister  à  un  vaste 
incendie.  J'étais  tenté  de  m'écrier  avec  saint 
François-Xavier  :  "C'est  trop,  Seigneur,  c'est  trop"  ! 

Maintenant,  franchissons  d'un  seul  pas  l'espace 
de  six  mois,  et  nous  arriverons  au  grand  événe- 
ment annoncé  en  l'année  1867  :  au  concile  du 
9 


—  194  — 

Vatican  que  Pie  IX  convoqua  par  une  bulle  publiée 
le  29  juin  1868.  Tous  les  évêques  de  la  catho- 
licité furent  invités  à  prendre  part  aux  délibéra- 
tions de  ce  concile  œcuménique,  et  tous — il  faut 
excepter  ceux  qui  étaient  retenus  par  la  vieillesse 
ou  la  maladie#*se  rendirent  à  l'appel  de  leur  chef. 

Le  8  décembre  1869,  le  jour  de  la  fête  de 
l'Immaculée-Conception,  à  cinq  heures  du  matin, 
toutes  les  troupes  pontificales  furent  appelées  aux 
armes  et  échelonnées  sur  la  place  de  Saint-Pierre 
Nous  étions  près  de  l'obélisque  de  Néron,  la  cara- 
bine aux  bras  depuis  deux  heures,  exposés  à  une 
pluie  torrentielle,  lorsque  le  colonel  Allet  nous 
donna  l'ordre  de  marcher  de  l'avant.  Cet  ordre 
arrivait  à  temps  :  nous  étions  mouillés  jusqu'aux 
os  et  transis  de  froid,  nous  grelottions  comme  si 
nos  membres  eussent  été  mis  en  mouvement  par 
des  ressorts  invisibles.  Nous  entrons  dans  l'im- 
mense basilique  constantinienne,  et  nous  formons 
la  haie  comme  aux  grandes  fêtes  des  noces  d'or 
de  Pie  IX.  Les  zouaves  étaient  les  enfants  gâtés 
du  Saint-Père,  car  dans  toutes  les  circonstances 
solennelles,  les  officiers  supérieurs  nous  assignaient 
invariablement  la  place  d'honneur.  Après  quelques 
moments  d'attente,  notre  bon  papa  commande  le 
genou-terre.  Toute  l'assistance  tombe  à  genoux, 
comme  foudroyée  par  la  foudre,  à  la  vue  de  l'au- 


—  195  — 

guste  vieiHard  du  Vatican  et  des  sept  cent  soixante- 
onze  têtes  mitrées  qui  le  précèdent.  Quelle  majes- 
tueuse procession  nous  voyons  alors  défiler  !  Quelle 
grandeur  et  quelle  vertu  !  Nous  avons  devant  nous 
tout  ce  que  l'Eglise  renferme  de  plus  saint.  Nous 
avons  devant  nous  les  prélats  les  plus  illustres  que 
le  Catholicisme  ait  jamais  donnés  à  la  terre.  Nous 
avons  devant  nous  les  plus  courageux  athlètes  qui 
aient  jamais  figuré  sur  la  grande  arène  catholique. 
Nous  avons  devant  nous  enfin  les  plus  nobles 
défenseurs  du  droit  et  de  la  Papauté. 

Les  cérémonies  de  l'ouverture  du  concile  se 
prolongèrent  jusqu'à  deux  heures  de  l'après-midi. 
Nous  retournâmes  à  nos  casernes  complètement 
épuisés  de  fatigue,  Etre  debout  depuis  cinq  heures 
du  matin  jusqu'à  deux  heures  de  l'après-midi,  sans 
bouger  un  seul  instant  et  n'ayant  pris  pour  toute 
nourriture  qu'un  litre  de  café  noir  !  C'est  presque 
incroyable.  Pourtant  c'est  la  vérité,  et  encore  le 
temps  nous  a  paru  court,  tant  le  cœur  avait  éprouvé 
de  douces  jouissances. 

Le  concile  commença  immédiatement  ses  grands 
travaux,  et,  le  24  avril  1870,  la  vénérable  assemblée 
votait  la  constitution  De  fide,  que  le  Pape  promul- 
gua le  deuxième  dimanche  après  Pâques.  Cette 
constitution,  renfermant  quatre  articles  principaux, 
condamne  le   rationalisme,  le  panthéisme,   l'indé- 


—  196  — 

pendance  de  la  raison  et  trace  les  devoirs  de  eelle- 
ci  vis-à-vis  de  la  foi. 

Les  Pères  du   concile  s'occupèrent  ensuite  de 
l'infaillibilité  du  Pape  parlant  ex  cathedra,  et,  le  i  3 
juin,  on  fit  l'appel  nominal.   601  prélats  donnèrent 
leurs  votes  ;   451   votèrent  placet  y  88  non  placet  et 
62  placet  jîtxta  modum.   L'infaillibilité,  que  tous  les 
catholiques  reconnaissaient  depuis  longtemps  dans 
laperson  ne  du  Pape,  fut  donc  décrétée.     Ce  nou- 
veau dogme,  mais  ancien  pour  l'Eglise  catholique, 
fut  promulgué  le  1 8  juillet  1  870,  au  milieu  des  céré- 
monies et  des  fêtes  les  plus  imposantes.   Les  Pères 
du  concile  recueillirent  de  nouveau  les  suffrages, 
et  il  n'y  eut  cette  fois  que  deux  évêques  qui  répon- 
dirent 71011  :  Mgr  Louis  Riccio,  évêque  de  Cassazzo 
dans  le  royaume  de  Naples,  et  Mgr  Edouard  Fjtz- 
gerald,   évêque   de    Little-Rock,    aux    Etats-Unis. 
Mais  ces  deux  prélats  se  soumirent  aussitôt  après, 
la  promulgation  du  dogme. 

Un  fait  assez  remarquable,  c'est  que,  le  jour  où 
le  dogme  de  l'infaillibilité  fut  proclamé,  une  tem- 
pête accompagnée  de  tonnerre  et  d'éclairs  se 
déchaîna  sur  Rome.  Les  protestants  s'empressè- 
rent de  relever  cette  coïncidence  et  de  dire  que 
les  Pères  du  concile  avaient  attiré  sur  eux  la 
colère  divine.  Son  Eminence  le  cardinal  Manning 
répliqua  avec  finesse  que  c'était  plutôt  une  répéti- 


—  19t  — 

tion  de  la  scène  qui  se  passa  sur  le  mont  Sinaï, 
lorsque  Dieu  donna  sa  loi  aux  hommes.  La  com- 
paraison est  frappante  et  pleine  d'à-propos. 

L'orage  qui  commençait  alors  à  gronder  sur  le 
sol  de  l'Italie  décida  Pie  IX  à  suspendre  les  déli- 
bérations du  concile  du  Vatican,  et  l'assemblée 
s'ajourna  sine  die,  je  pourrais  dire  sine  anno  ;  car 
l'histoire  nous  rapporte  que  les  travaux  de  plu- 
sieurs conciles  ont  été  interrompus  pendant  un 
grand  nombre  d'années.  Espérons  néanmoins  que 
l'illustre  prisonnier  du  Vatican  triomphera  bientôt 
de  ses  ennemis,  et  qu'il  mettra  la  dernière  main 
au  plus  grand  événement  du  XIXe  siècle.         * 


CHAPITRE  XXI. 


LA    RETRAITE    DE    VITERBE LE    20 

SEPTEMBRE    1870. 

Montalembert  écrivait  au  lendemain  de  l'inva- 
sion des  Romagnes,  en  1860  : 

"  La  pièce  s'est  jouée  en  trois  actes  :  la  diffa- 
mation, l'occupation,  la  votation  ;  chaque  acte  a 
eu  ses  acteurs  :  les  écrivains,  les  fantassins,  les 
électeurs  ;  c'est  un  procédé  désormais  connu. 

"  On  dénonce  un  souverain.  Son  gouvernement 
est  imparfait,  intolérable  ;  ses  sujets  sont  mécon- 
tents, opprimés,  exaspérés.  Il  ne  se  soutient  plus 
que  par  les  armes  étrangères  ;  il  manque  de  force 
morale,  de  force  matérielle,  il  est  perdu.  Voilà  le 
souverain  diffamé,  et  si  la  dénonciation  tombe  de 
haut,  tous  les  matins  deux  mille  journalistes  en 
répètent  à  deux  millions  de  lecteurs  l'écho  reten- 
tissant. 

"  Tout  d'un  coup  on  affirme  que  ce  souverain  si 
faible  est  menaçant,  qu'il  songe  à  attaquer,  qu'il 
groupe  quelques  soldats  ;  il  faisait  pitié,  il  fait 
peur. .  .  Prenons  nos  précautions,  violons  ses  fron- 


—  200  — 

tières  !  C'est  le  second  acte  :  on  envahit  les  terri- 
toires. 

"Puis,  maître  du  pays,  on  consulte  les  sujets. 
Etes-vous  heureux  ? — Non.— Voulez-vous  le  deve- 
nir?— Oui.  Le  malheur,  c'est  Pie  IX  ;  le  bonheur, 
ce  sera  Victor-Emmanuel.  Vive  Victor-Emmanuel  ! 
La  pièce  est  jouée,  la  toile  tombe  ;  on  s'endort 
Romain,  on  se  réveille  Piémontais,  mais  toujours 
contribuable,  et,  de  plus,  conscrit." 

C'est  la  même  comédie  qui  se  joua  en  1870. 
Le  comte  Ponza  di  San-Martino  se  chargea  de 
jouer  le  premier  acte  en  portant  au  Pape  la  lettre 
qu'on  va  lire  ;  c'est   un    monument   d'hypocrisie  : 

"Très  Saint-Père, 
"Avec  une  affection   de   fils,    avec    une    foi  de 
catholique,  avec  une  loyauté  de  roi,  avec  un  sen- 
timent d'Italien,  je  m'adresse  encore,  comme  j'eus 
à  le  faire  autrefois,  au  cœur  de  Votre  Sainteté. 

"Un  orage  plein  de  périls  menace  l'Europe.  A 
la  faveur  de  la  guerre  qui  désole  le  centre  du 
continent,  le  parti  de  la  révolution  cosmopolite 
augmente  de  hardiesse  et  d'audace,  et  prépare, 
spécialement  en  Italie  et  dans  les  provinces  gou- 
vernées par  Votre  Sainteté,  les  derniers  coups 
contre  la  monarchie  et  la  Papauté. 

u  Je  sais,  Très  Saint- Père,  que  la  grandeur  de 
Votre  âme  ne  le  céderait  jamais  à  la  grandeur  des 


—  201  — 

événements,  mais  moi,  roi  catholique  et  roi  italien, 
et,  comme  tel,  gardien  et  garant,  par  la  disposition 
de  la  divine  Providence  et  par  la  volonté  de  la 
nation,  des  destinées  de  tous  les  Italiens,  je  sens 
le  devoir  de  prendre,  en  face  de  l'Europe  et  de  la 
catholicité,  la  responsabilité  du  maintien  de  l'ordre 
dans  la  Péninsule  et  de  la  responsabilité  du  Saint- 
Siège. 

"Or,  Très  Saint-Père,  l'état  d'esprit  des  popula- 
tions gouvernées  par  Votre  Sainteté,  et  la  présence 
parmi  elles  de  troupes  étrangères  venues  de  lieux 
divers  avec  des  intentions  diverses,  sont  un  foyer 
d'agitation  et  de  périls  évidents  pour  tous.  Le 
hasard  ou  l'effervescence  des  passions  peut  con- 
duire à  des  violences   et  à   une    effusion  de   sang 

qu'il  est  de  mon  devoir  et  du  Votre,  Très  Saint- 
Père,  d'éviter  et  d'empêcher. 

"Je  vois  l'inéluctable  nécessité,  pour  la  sécurité 
de  l'Italie  et  du  Saint-Siège,  que  mes  troupes, 
déjà  préposées  à  la  garde  des  frontières,  s'avancent 
et  occupent  les  positions  qui  seront  indispensables 
à  la  sécurité  c!e  Votre  Sainteté  et  au  maintien  de 
l'ordre. 

"  Votre  Sainteté  ne  voudra  pas  voir  un  acte 
d'hostilité  dans  cette  mesure  de  précaution.  Mon 
gouvernement  et  mes  forces  se  restreindront  abso- 
lument à  une  action  conservatrice  et  tutélaire  des 


—  202  — 

droits  facilement  conciliables  des  populations  ro- 
maines avec  l'inviolabilité  du  Souverain-Pontife, 
et  de  son  autorité  spirituelle  avec  l'indépendance 
du  Saint-Siège. 

"  Si  Votre  Sainteté,  comme  je  n'en  doute  pas, 
et  comme  Son  caractère  sacré  et  la  bonté  de  Son 
âme  me  donnent  le  droit  de  l'espérer,  est  inspirée 
d'un  désir  égal  au  mien  d'éviter  tout  conflit  et 
d'échapper  au  péril  d'une  violence,  Elle  pourra 
prendre  avec  le  comte  Ponza  di  San-Martino,  qui 
lui  l'émettra  cette  lettre  et  qui  est  muni  des  ins- 
tructions opportunes  par  mon  gouvernement,  les 
accords  qui  paraîtront  mieux  devoir  conduire  au 
but  désiré. 

."  Que  Votre  Sainteté  me  permette  d'espérer 
encore  que  le  moment  actuel,  aussi  solennel  pour 
l'Italie  que  pour  l'Eglise  et  la  Papauté,  rendra  effi- 
cace l'esprit  de  bienveillance  qui  n'a  jamais  su 
s'éteindre  dans  Votre  cœur,  envers  cette  terre  qui 
est  aussi  Votre  patrie,  et  les  sentiments  de  conci- 
liation que  je  me  suis  toujours  étudié  avec  une 
persévérance  infatigable  à  traduire  en  actes,  afin 
que,  tout  en  satisfaisant  aux  aspirations  nationales, 
le  Chef  de  la  catholicité,  entouré  du  dévouement 
des  populations  italiennes,  conservât  sur  les  rives 
du  Tibre  un  siège  glorieux  et  indépendant  de 
toute  souveraineté  humaine. 


—  203  — 

"  Votre  Sainteté,  en  délivrant  Rome  des  troupes 
étrangères,  en  l'enlevant  au  péril  continuel  d'être 
le  champ  de  bataille  des  esprits  subversifs,  aura 
accompli  une  œuvre  merveilleuse,  rendu  la  paix  à 
l'Eglise,  et  montré  à  l'Europe  épouvantée  par  les 
horreurs  de  la  guerre,  comment  on  peut  gagner  de 
grandes  batailles  et  remporter  des  victoires  immor- 
telles par  un  acte  de  justice  et  par  un  seul  mot 
d'affection. 

"Je  prie  Votre  Sainteté  de  vouloir  bien  m'ac- 
corder  Sa  bénédiction  apostolique,  et  je  renouvelle 
à  Votre  Sainteté  l'expression  des  sentiments  de 
mon  profond  respect. 

Florence,  8  septembre  1870. 

"  De  Votre  Sainteté, 
"  Le  très  humble,  très  obéissant 
et  très  dévoué  fils, 

"  Victor-Emmanuel. 
La  diffamation  est  consommée  par  un  roi.  Mais 
la  diffamation  est  repoussée  par  un  autre  roi.  Pie 
IX  répondit  à  Ponza,  après  avoir  pris  connais- 
sance de  ces  impudents  mensonges  et  de  ces  pré- 
tendues expressions  de  dévouement  à  l'Eglise  : 
"  A  quoi  bon  cet  effort  d'hypocrisie  inutile  ?  Ne 
valait-il  pas  mieux  me  dire  tout  simplement  qu'on 
voulait  me  dépouiller  de  mon  royaume  ?  " 

Ponza  ayant   commenté  la    lettre   de   Victor- 


—  204  — 

Emmanuel  dans  un  sens  favorable,  le  Pape  lui 
répliqua  :  "Mais  enfin,  vous  parlez  toujours  des 
aspirations  des  Romains!  Eh  bien!  vous  pouvez 
voir  de  vos  propres  yeux  combien  ils  sont  tran- 
quilles?" Le  comte  Ponza  se  trouvait  donc  en 
présence  d'un  démenti  formel.  Lorsque  Pie  IX 
congédia  le  commissaire  général  des  Etats  romains* 
Il  lui  dit:  "Je  puis  bien  céder  à  la  violence,  mais 
adhérer  à  l'injustice...  jamais!  " 

Le  comte  Ponza  di  San-Martino  était  arrivé  à 
Rome  le  9  septembre  ;  il  s'en  éloignait  le  1 1  avec 
la  lettre  suivante,  que  Pie  IX  adressait  à  Victor- 
Emmanuel,  le  roi  galant-homme  : 

"Au  roi  Victor -Emmanuel. 

"Sire, 

"Le  comte  Ponza  di  San-Martino  m'a  remis  une 
lettre  que  Votre  Majesté  m'a  adressée  ;  mais  elle 
n'est  pas  digne  d'un  fils  affectueux  qui  se  fait  gloire 
de  professer  la  foi  catholique  et  se  pique  d'une 
royale  loyauté.  Je  n'entre  pas  dans  les  détails  de 
la  lettre  elle-même,  pour  ne  pas  renouveler  la 
douleur  que  sa  première  lecture  m'a  causée.  Je 
bénis  Dieu,  qui  a  permis  à  Votre  Majesté  de  com- 
bler d'amertume  la  dernière  partie  de  ma  vie.  Du 
reste,  je  ne  puis  admettre  certaines  demandes,  ni 
me  conformer  à  certains  principes  contenus  dans 
cette  lettre.     J'invoque  Dieu   de    nouveau,   et  je 


—  205  — 

remets  entre  ses  mains  ma  cause  qui  est  entière- 
ment la  sienne.  Je  le  prie  d'accorder  de  nom- 
breuses grâces  à  Votre  Majesté,  de  la  délivrer  des 
périls  et  de  lui  dispenser  les  miséricordes  dont 
Elle  a  besoin. 

"Du  Vatican,  le  ï  i  septembre  1870. 

"Pio  PP.  IX." 

C'est  ainsi  que  parle  le  roi  diffamé,  et  c'est  ainsi 
que  se  termine  le  premier  acte  de  la  pièce.  Pas- 
sons maintenant  au  second,  c'est-à-dire  à  l'occupa- 
tion. 

Le  même  jour  que  le  comte  Ponza  di  San- 
Martino  quittait  Rome,  les  troupes  piémontaises 
franchissaient  la  frontière  romaine  et  s'emparaient 
de  Bagnorea  et  de  Montefiascone  que  les  zouaves 
avaient  évacuées  quelques  instants  auparavant. 
L'invasion  était  commencée,  et  cela  sans  raison 
aucune  et  sans  déclaration  de  guerre.  Ce  n'est  pas 
le  mot  invasion  qu'il  faut  employer,  mais  bien 
l'expression  vol  de  territoire.  Victor-Emmanuel 
représente  ici  le  lion  de  la  fable.  "Je  m'appelle  lion, 
se  dit-il,  par  conséquent  je  prends  le  royaume  du 
Pape."  Et  le  nouveau  Judas  envoie  le  lieutenant- 
général  Raffaele  Cadorna  exécuter  ses  ordres 
barbares. 

Cadorna  entre  alors  dans  les  Etats  de  l'Eglise 
avec  cinq  divisions   et  une  réserve,   formant  trois 


—  206  — 

corps  d'armée.  Les  forces  piémontaises  se  repar- 
tissent comme  suit  :  quatre-vingts  bataillons  d'in- 
fanterie, dix-sept  bataillons  de  bersaglieri,  cent 
quatorze  pièces,  vingt-sept  escadrons,  quatre  com- 
pagnies de  génie,  cinq  compagnies  de  train  et  une 
compagnie  de  pontonniers.  L'effectif  de  l'armée 
d'invasion  s'élevait  à  quatre-vingt-un  mille  quatre 
cent  soixante-dix-huit  hommes. 

Cadorna,  ayant  trois  divisions  sous  son  com- 
mandement, s'avançait  du  côté  des  Légations  et 
de  la  Sabine.  Bixio,  à  sa  droite  avec  la  2me  divi- 
sion, menaçait  les  frontières  du  côté  de  la  Toscane, 
et  Angioletti,  à  la  gauche,  quittait  le  royaume  de 
Naples  avec  le  troisième  corps  d'armée.  Avant 
même  de  prévenir  le  Pape,  l'armée  piémontaise 
avait  pris  ses  positions  sur  la  frontière,  car,  le  sept 
septembre,  Bixio  avait  son  quartier-général  à 
Orvieto;  Cosenz,  à  Rietti  ;  Mazé  de  la  Roche,  à 
Terni  ;  Ferrero,  à  Narni  ;  et  Angioletti,  à  Cassino. 

Pendant  que  ces  différents  corps  d'armée  s'avan- 
çaient sur  Rome,  une  flotte  de  douze  navires  de 
guerre  se  dirigeait  vers  le  port  de  Civita-Vecchia. 
Cette  flotte,  commandée  par  le  contre-amiral  Del 
Caretto  se  composait  des  vaisseaux  suivants  : 

Roma,  vaisseau  de  1er  rang. 
Re  di  Portogallo,  " 

Messina,  frégate  de  2e  rang, 


—  207  — 

Ajicona,  frégate  de  2e  rang. 

Terribile,  corvette, 

Castelfidardo,  frégate  de  2e  rang. 

Principe  di  Carignano,  " 

San  Martino,  " 

Affondatoré, 

Deux  frégates  non  cuirassées  :  Italia  et  Duca 
di  Genova,  avec  l'aviso  Vedetta,  croisaient  près 
des  côtes. 

Telle  était  la  position  de  l'armée  piémontaise 
au  commencement  de  l'invasion.  Rome  était  donc 
cernée  de  toutes  parts 

Maintenant,  quels  moyens  ou  quelles  ressources 
Pie  IX,  le  roi  envahi,  avait-il  à  sa  disposition  pour 
défendre  son  territoire  de  cinquante  lieues  de  lon- 
gueur sur  quinze  de  largeur. en  moyenne,  formant 
onze  mille  sept  cent  quatre-vingt-dix  kilomètres 
carrés  en  superficie  ?  Treize  mille  six  cent  quatre- 
vingt-quatre  hommes  de  troupes,  chiffre  officiel, 
et  encore  disséminés  dans  les  cinq  provinces 
romaines,  savoir  :  ~ 

Velletri,  Frosinone,  Viterbe,  Civita-Vecchia  et 
Comarca.  Plusieurs  bataillons  se  trouvaient  à 
Rome  dans  le  moment  pour  protéger  le  Saint-Père. 
Défendre  cinq  provinces  avec  une  poignée  d'hom- 
mes contre  trois  corps  d'armée,  c'eut  été  une  folie 
et  un  sacrifice  inutile  de   vies.      Aussi,   le  général 


—  208  — 

Kanzler,  pro-ministre  des  armes,  donna-t-il  l'ordre 
d'abandonner  les  provinces  à  l'approche  de  l'en- 
nemi et  de  converger  vers  Rome,  tout  en  laissant 
aux  commandants  la  latitude  de  faire  une  "  hono- 
rable résistance."  Ces  ordres  furent  ponctuelle- 
ment exécutés,  comme  nous  le  verrons  dans  le 
cours  de  ce  récit. 

Je  me  bornerai  à  relater    ici   la  célèbre  retraite 
de    la     province    de    Viterbe,    dans    laquelle    les 
zouaves,  commandés  par  le  baron  de  Charette,  ont 
joué  un  si  grand  rôle.      Je  puis  garantir  de  l'exac- 
titude des  faits,  car  je  les  ai  entendu  raconter  par 
plusieurs    zouaves    qui    faisaient   partie   de    cette 
expédition  ;  et  j'ai  consulté  aussi  l'histoire  de  l'in- 
vasion   des  Etats    de    l'Eglise    par    le   Comte   de 
Beaufoit,    témoin    oculaire    du   vol    commis     par 
Victor-Emmauuel. 

Bixio,  l'ancien  lieutenant  de  Garibaldi,  s'empare 
d'abord  de  Bagnorea,  le  i  i  de  septembre,  comme 
nous  l'avons  dit  précédemment.  Cette  ville  n'était 
défendue  que  par  vingt  zouaves,  commandés  par 
le  lieutenant  de  Kervyn.  Ce  dernier,  averti  à  trois 
heures,  par  un  courrier  de  Capraccîa,  que  l'ennemi 
s'avance,  prend  alors  le  parti  de  se  replier  sur  Monte - 
fiascone  ;  mais  trompé  par  les  faux  rapports  d'un 
officier  de  zouaves  qui  avait  été  lui-même  mal  ren- 
seigné, il  retarde  le  départ,  et,  surpris  parles  Pié- 


—  209  — 

montais,  il  est  fait  prisonnier  avec  son  détachement. 
Les  zouaves  déposent  leurs  armes  en  pleurant  et 
sont  cowduits  prisonniers  au  camp  de  Bixio.  On 
les  promena  ensuite  à  travers  l'Italie,  dit  M.  de 
Beaufort,  en  butte  aux  mauvais  traitements  de 
leurs  vainqueurs  et  aux  insultes  d'une  lâche  po- 
pulace. 

Les  Italiens  marchent  tout  de  suite  sur  Montefias- 
cone  qu'ilscroientsurprendre  ;  mais  le  commandant 
de  Saisy,  avec  ses  deux  compagnies  de  zouaves, 
ayant  reçu  la  veille  l'ordre  de  se  replier  sur  Viterbe 
au  dernier  moment  et  sans  engager  d'action,  quitte 
cette  ville  à  dix  heures  du  soir  au  moment  où 
l'armée  piémontaise  pénètre  dans  Montefiascone 
par  une  porte  opposés,  et  arrive  à  Viterbe  la  même 
nuit,  sans  avoir  été  inquiété  dans  sa  retraite.  Du 
reste,  M.  de  Saisy  avait  pris  ses  mesures  pour  pro- 
téger sa  petite  colonne  en  la  flanquant  de  tirail- 
leurs. L'arrivée  de  ces  deux  compagnies  de  zouaves 
à  Viterbe  fut  saluée  .par  les  cris  de  "  Vive  Pie  IX  !  " 

Bixio  passe  la  nuit  à  Montefiascone.  Une  partie 
de  son  armée  entre  dans  la  ville,  et  l'autre  partie 
campe  dans  la  plaine. 

Le  lendemain,  Bixio  lève  le  camp;  mais  au 
lieu  de  marcher  sur  Viterbe,  et  pour  couper  la 
retraite  à  de  Charette,  il  prend  un  ehemin  à 
droite,  vers  Marta,  et  se  dirige  vers  Civita-Vecchla 


—  210  — 

par  la   route  de    Toscanella    et  de    Corneto,    en 
laissant  un  bataillon  derrière  lui. 

Le  baron  de  Charette,  qui  avait  été  mis  au  fait 
de  la  démarche  du  comte  de  Ponza  di  San- 
Martino,  avait  averti  tous  les  avant-postes  de  se 
tenir  prêts  à  se  replier  en  cas  d'attaque  ;  et  tous 
les  détachements  avaient  obéi  à  ses  ordres.  Les 
deux  mille  hommes,  échelonnés  dans  la  province 
de  Viterbe,  étaient  donc  alors  réunis  sous  le  com- 
mandement du  brave  lieutenant-colonel.  Mais 
quel  parti  prendre  dans  cette  situation  périlleuse  ? 
Combattre  ou  retraiter,  pas  d'autre  issue.  De 
Charette,  après  avoir  mûrement  réfléchi,  se  décide 
à  la  retraite  tout  en  se  préparant  à  faire  une 
"  honorable  résistance  ",  suivant  les  instructions 
émanées  du  ministère  de  la  guerre.  Pour  exécuter 
cette  entreprise  hardie,  de  Charette  n'avait  plus 
le  choix  des  routes.  Cadorna  devait  nécessairement 
bloquer  la  route  la  plus  directe,  celle  de  Ronci- 
glione  et  de  Monterosi.  Il  ne  restait  donc  que 
celle  de  Civita-Vecchîa  par  Vetralla  ;  c'était  par- 
courir la  base  d'un  triangle  dont  Rome  occupait 
le  sommet.  Mais  il  fallait  bien  passer  par  là  pour 
ne  pas  tomber  entre  les  mains  de  l'ennemi  et  priver 
ainsi  Rome  de  l'élite  de  ses  troupes. 

Ce    parti    pris,    de    Charette   se    prépare    à   la 
retraite.    Mais   pour  ne    pas   paraître  fuir  devant 


—  211  — 

l'ennemi  et  lui  laisser  le  champ  libre,  il  prend  donc 
la  résolution  de  se  fortifier  à  Viterbe,  et  d'y 
attendre  les  Piémontais.  Le  1 2,  à  sept  heures  du 
matin,  les  barricades  et  les  autres  travaux  de  forti- 
fication sont  terminés.  En  un  mot,  la  ville  est  mise 
en  état  de  défense.  De  Charette,  placé  dans  l'obser- 
vatoire établi  dans  la  tour  de  la  caserne,  examine 
les  mouvements  de  l'ennemi  qui  était  campe 
sur  les  hauteurs  de  Montefiascone  et  à  Bagnoli,  à 
droite  de  Montefiascone  et  à  six  milles  environ  de 
Viterbe.  Vers  dix  heures  et  demie,  le  brave  com- 
mandant des  zouaves  voit  une  colonne  piémontaise 
lever  le  camp  et  se  diriger  vers  Toscanella  et  Car- 
canello  dans  le  but  évident  de  couper  la  route  de 
Corneto,  et  une  autre  colonne  se  porter  sur  Viterbe. 
En  même  temps  des  paysans  arrivent  à  Viterbe 
et  préviennent  de  Charette  que  deux  colonnes  du 
corps  de  Cadorna  s'avancent  du  côté  d'Orte  et 
de  Soriano.  Quelques  minutes  s'étaient  à  peine 
écoulées,  quejes  zouaves  aperçoivent  distinctement 
l'ennemi  sur  la  route  de  Ronciglione. 

Il  n'y  avait  plus  à  retarder  le  départ,  sans  être 
complètement  investi.  De  Charette  assemble  alors 
un  conseil  de  guerre,  et  il  est  résolu  d'évacuer 
Viterbe.  Des  ordres  sont  alors  donnés  aux  officiers, 
et  les  troupes  pontificales  abandonnent  Viterbe  ai 
se  retirent  à  un   mille  et  demi  de  cette  ville,  an 


—  212  — 

casino  Polidori.  Les  habitants  saluent  leur  départ 
par  les  cris  de  "  Coraggio,  zuavi  !  Comggio,  figli  / 
Courage,  zouaves  !  courage,  enfants  !  "  Encore  un 
démenti  à  la  lettre  de  Victor-Emmanuel.  Cette 
décision  avait  été  prise  pour  donner  le  temps  aux 
autres  détachements  de  se  réunir  à  la  colonne 
principale.  Toute  la  petite  armée  pontificale  se 
trouvait  au  casino  Polidori,  à  l'exception  de  quel- 
ques vedettes  et  de  douze  hommes  de  garde  au 
poste  de  la  Place,  qui  avaient  été  faits  prisonniers, 
parce  que  l'ordre  de  la  retraite  avait  été  mal 
compris. 

De  Charette  donne  alors  le  commandement  de 
marche  en  avant  ;  il  était  temps  :  l'une  des  colonnes 
ennemies  était  arrivée  à  la  Mercia  ;  celle  qui  venait 
de  Soriano  n'était  plus  qu'à  un  mille  de  la  porte 
Romaine  et  à  quelques  cents  mètres  de  la  porte 
Florentine.  Les  pontificaux  prennent  la  route  de 
Vetralla,  où  ils  arrivent  à  six  heures  du  soir.  Deux 
heures  avant  d'atteindre  Vetralla,  des  cavaliers 
piémontais  ont  rejoint  la  troupe  pontificale  ; 
mais  ils  sont  obligés  de  rebrousser  chemin  en 
voyant  l'attitude  menaçante  des  zouaves.  De  Cha- 
rette trouve  en  cette  ville  les  gendarmes  de  Ronci- 
glione,  de  Sutri,  de  Capranica-di-Sutri,  de  San- 
Giovanni-di-Bieda,  etc.  On  passe  la  nuit  à  Vetralla, 
sans  être  molesté  par  l'ennemi.   Deux  compagnies 


—  213  — 

de  zouaves  gardaient  la  route  de  Viterbe,  et  des 
piquets  assez  nombreux  couvraient  la  route  de 
Sutri. 

Le  1 3,  à  6  heures  du  matin,  la  petite  troupe 
pontificale  sort  de  Vetralla  pour  se  diriger  vers 
Monte-Romano.  Il  faisait  une  chaleur  excessive. 
A  six  milles  avant  d'arriver  à  Monte-Romano,  on 
rencontre  un  chemin  à  gauche  près  de  Cinella, 
qui  conduit  à  l'Allumiera,  et,  de  là  à  Civita-Vec- 
chia.  Cette  route  paraît  la  plus  sûre  ;  mais  de 
Charette  préfère  suivre  la  voie  de  Monte-Romano, 
comme  étant  la  meilleure  et  la  plus  directe.  A 
dix  heures,  l'armée  fait  son  entrée  à  Monte- 
Romano  au  milieu  des  vivats  de  la  population. 
On  accorde  quelques  heures  de  repos  aux  soldats 
avant  de  commencer  la  célèbre  retraite  de  Veterbe 
proprement  dite.  Les  hommes  tombent  de 
fatigue  ;  une  soif  dévorante  les  brûle  ;  et  pour- 
tant ils  sont  encore  pleins  de  courage.  De 
temps  4  autre  on  les  entend  s'écrier  :  "  Vive 
Pie  IX  !  !  "  Après  avoir  repris  un  peu  de  force,  il 
faut  se  remettre  en  marche  ;  mais  la  route  qui 
conduit  de  cette  ville  à  Corneto  est  déjà  occupée 
par  les   Piémontais. 

"Essayer,  dit  M.  de  Beaufort,  de  forcer  le  pas- 
sage eût  été  téméraire,  vu  l'infériorité  numérique 
des  troupes  romaines  et  la  forte  position  de  Bixio 


—  214  — 

à  Corneto.  Si  l'on  était  forcé  de  combattre  pour 
s'ouvrir  la  route,  mieux  valait  le  faire  le  plus  près 
possible  de  Civita-Vecchia,  où  l'on  trouverait 
des  soutiens  et  un  asile  ;  il  fallait  donc  gagner 
Civita-Vecchia  le  plus  tôt  possible  ;  pour  cela  on 
n'avait  qu'une  route  longue,  difficile,  passant  près 
de  l'ennemi  à  travers  des  montagnes  escarpées, 
inconnues,  et  c'était  pendant  la  nuit  qu'on  devait 
la  suivre.  Pour  préparer  les  hommes  à  cette 
fatigue,  on  leur  accorde  quelques  heures  de  repos. 
Charette  en  profite  pour  compléter  ses  renseigne- 
ments et  en  faire  part  aux  officiers  de  son  détache- 
ment, dans  un  conseil  de  guerre,  où  il  décide  la 
marche  sur  Civita-Vecchia.  Il  se  procure  aussi  un 
guide,  et  accepte  à  ce  titre  un  guardiano  qui  s'offre 
et  servit  bien. 

"Le  temps  presse  cependant.  La  troupe  s'étant 
un  peu  reposée,  M.  de  Charette  adresse  quelques 
mots  à  ses  soldats,  et,  sans  même  avoir  le  temps 
d'achever  le  repas  commencé,  par  une  accablante 
chaleur,  et  aux  cris  de  "  Vive  Fie  IX  !  "  on  com- 
mence, vers  trois  heures  et  demie,  cette  retraite  de 
douze  heures,  qui  ne  devait  finir  qu'à  Civita- 
Vecchia,  et  qui  serait  admirée  comme  elle  le 
mérite  si,  exécutée  en  un  autre  temps,  elle  eût 
trouvé  un  historien  digne  d'elle. 

"  A  quelque  distance  de  Monte-Romano,  il  fal- 


—  215  — 

lait  quitter  la  grande  route  pour  se  jeter  à  gauche 
dans  la  traverse.   Le  chemin  que  l'on  prit,  mauvais 
dès   l'abord,  était  cependant  praticable.  Au   bout 
de   quelques  milles,  il  cesse  complètement  ;   c'est 
à  gué,  et  de  l'eau  jusqu'au  dessus  du  genou,  qu'on 
passe    le   petit   fleuve  du  Mignone  ;    puis,    on    se 
trouve  en  pleine  montagne,  dans  des  sentiers  bons 
seulement   pour  des  bêtes  de  somme.   C'est  pour- 
tant le  seul  chemin  possible  pour   la  colonne  ;   il 
faut  y  faire  passer  l'artillerie  ;  et  avec  le  jour   qui 
baisse   augmentent  les  difficultés.  Tantôt  descen- 
dant au  fond  des  ravins  escarpés,  tantôt  gravissant 
des  pentes  abruptes,  tantôt  par  de  brusques  détours 
contournant    des    saillies   de   rochers,    gênés    par 
l'inégalité   même   d'un    sol    raboteux,    hérissé   de 
pierres   aux  arêtes  vives,  on  triomphe  de  tous    les 
obstacles.   On  avance,  là  même  où  la  marche  sem- 
ble   impossible   ;    quand  les    deux    canons   et   la 
mitrailleuse  ne  peuvent  passer,  on  leur  attache  de 
cordes   et  on  les  hisse  à  force  de  bras.     Deux  fois 
ainsi,   l'on  doit  monter  séparément  les  caissons  et 
les  pièces  ;  ailleurs  il  faut  aux  six  chevaux  d'atte- 
lage joindre    une  vingtaine   de  soldats.   Pour  les 
bagages,  il  en  est  de  même,  et  parfois  on  doit  les 
transporter  et  enlever  en  quelque  sorte  les  chariots. 
Un  ou   deux   se   brisent,   qu'on   abandonne  ;    les 
autres   passent,   ainsi   que  les  canons,   grâce  -aux 


IL 


—  216  — 

efforts  soutenus  de  la  troupe.  Les  hommes  tom- 
bent de  fatigue,  mais  aucun  ne  se  plaint  ;  et  le 
courage  leur  donne  une  force  nouvelle,  maintenu 
per  le  bon  esprit  de  tous,  et  l'énergie  que  savent 
inspirer  le  lieutenant-colonel  de  Charette  et  le 
lieutenant  d'artillerie  Maldura. 

"  On  avait  encore  à  courir  un  autre  risque  :  une 
fois,  dans  la  nuit,  on  aperçut  du  sommet  d'une 
hauteur  les  feux  de  nombreux  bivouacs  ennemis 
entre  Corneto  et  Civita-Vecchia.  Ils  étaient  encore 
éloignés  ;  mais  la  route  s'en  approchait.  A  force 
d'efforts,  on  avait,  en  continuant  cette  marche 
nocturne,  gagné  Allumiera  et  rejoint  la  route  allant 
de  Bracciano  à  Civita-Vecchia  ;  mais  bientôt  on 
vit  qu'en  la  suivant  on  tomberait  au  milieu  des 
Italiens  ;  on  était  même  si  près  d'eux  qu'il  n'était 
pas  certain  qu'on  pût  éviter  leur  rencontre.  On 
fait  une  halte  un  instant  ;  Charette  donne  à  voix 
basse  ses  instructions  aux  officiers  pour  le  cas 
d'une  attaque,  et  échange  avec  eux  une  poignée 
de  main  d'adieu  ;  puis,  quittant  de  nouveau  la 
route  frayée  que  suivent  seuls  les  bagages  et  leur 
garde,  on  se  jette  à  travers  les  champs,  traînant 
encore  les  canons  sur  un  sol  parsemé  de  rochers 
jetés  en  désordre,  et  marchant  ainsi  en  ligne  droite 
et  le  plus  vite  possible  dans  la  direction  de  Civita- 
Vecchia. 


—  217  — 

"  Tant  d'efforts  furent  récompensés,  et  l'ennemi 
ne  s'aperçut  pas  de  la  proximité  des  pontificaux. 
Bixio  se  promettait  bien  cependant  de  leur  couper 
le  passage.  Il  avait  occupé  par  ses  troupes  la  route 
de  Corneto  à  Monte-Romano  et  le  pont  du 
Mignone,  où  il  les  attendait  au  passage.  Ce  qu'il 
n'avait  pas  prévu,  c'est  que  des  chemins  imprati- 
cables les  déroberaient  à  son  atteinte. 

"  Vers  deux  heures  du  matin,  la  petite  troupe 
romaine  entendit  un  bruit  lointain  :  c'était  celui 
de  la  mer,  on  approchait  de  Civita-Vecchia.  Tout 
n'était  pas  sauvé  encore,  et  des  fusées  que  l'on  vit 
alors  s'élever  au-dessus  de  la  ville,  dans  le  ciel 
encore  sombre,  et  dont  le  sens  était  connue,  don- 
nèrent bien  quelques  inquiétudes  ;  mais  celles-ci 
ne  furent  pas  confirmées.  La  marche  se  poursuivit 
heureusement  ;  à  trois  heures,  l'avant  -  garde 
atteignit  les  portes  de  la  ville,  et  le  reste  de  la 
colonne  arriva  à  trois  heures  et  demie  dans  Civita- 
Vecchia  ;  elle  était~en  sûretée .... 

"  Pendant  que  les  troupes  de  la  province  de 
Viterbe  effectuaient  avec  tant  de  bonheur  une 
retraite  si  périlleuse,  le  général  Bixio,  que  nous 
avons  laissé  à  Corneto  avec  sa  division,  y  atten- 
dait toujours  la  colonne  pontificale.  Il  y  demeura 
jusqu'au  soir  du  14.  Ce  jour-là  cependant,  il  avait 
poussé  sa  cavalerie  et  les  bersaglieri  jusqu'en  vue 
10 


—  218  — 

de  Civita-Vecchia,  et  ayant  enfin  appris  que  ceux 
qu'il  attendait  lui  avaient  échappé,  il  ne  songea 
plus  qu'à  s'emparer  de  Civita-Vecchia.  La  flotte 
italienne  étant  venue  dans  la  journée  sous  Corneto, 
au  Porto-Clementino,  Bixio  alla,  vers  deux  heures 
et  demie,  à  bord  du  vaisseau-amiral  Roma,  se  con- 
certer avec  l'amiral  del  Carretto  pour  le  siège  de 
la  place,  et  se  portant  enfin  lui-même  en  avant,  le 
15,  il  établissait  son  quartier-général  à  Torre- 
Orlando,  devant  Civita-Vecchia.  .  .  . 

"  Vers  le  même  temps,  (au  moment  où  Bixio 
eut  un  entretien  avec  le  contre-amiral  del  Carretto) 
le  lieutenant-colonel  de  Charette  partait  avec  ses 
troupes.  Les  zouaves  de  la  garnison  de  Civita- 
Vecchia  avaient  un  moment  espéré  voir  leurs 
camarades  demeurer  avec  eux  ;  mais,  comme  il 
s'y  attendait,  et  en  réponse  à  un  télégramme 
envoyé  par  lui,  le  commandant  des  troupes  de 
Viterbe  avait  reçu  à  huit  heures  et  demie  une 
dépêche  qui  le  rappelait  à  Rome  avec  son  déta- 
chement. Il  laissa  seulement  à  Civita-Vecchia  la 
compagnie  venue  de  Valentano  (2e  du  IV)  et,  à 
sa  place,  emmena  avec  lui  la  première  compagnie 
de  dépôt  de  zouaves.  Le  train  qu'il  prit  était  le 
train  ordinaire  de  Civita-Vecchia  à  Rome.  Entre 
la  première  de  ces  deux  villes  et  une  station  voi- 
sine, il  y  eut  un  instant  de  sérieuse  crainte.     Le 


—  219  — 

chemin  de  fer  côtoyait  de  très  près  le  rivage,  et 
Ton  vit  â  une  faible  portée  de  terre  une  frégate 
ennemie  embossée,  et  qui  semblait  prête  à  prendre 
en  écharpe'le  train  à  son  passage.  Le  danger  était 
réel  et  grand  ;  mais  on  n'en  eut  que  la  crainte  ; 
la  présence  de  voyageurs  civils  dans  le  convoi  et 
la  certitude  de  tirer  sur  eux  en  même  temps  que 
sur  les  troupes,  arrêtèrent-elles  la  frégate  italienne  ? 
Celle-ci  ignora-t-elle  que  nos  soldats  étaient  dans 
le  train,  crut-elle  qu'ils  allaient  suivre  dans  un 
train  spécial,  ou  bien  n'eut-elle  pas  d'ordres  ? 
Quoiqu'il  en  soit,  le  convoi  poursuivit  sa  marche, 
et  fut  bientôt  hors  de  portée  ;  on  arriva  ainsi  jus- 
qu'aux environs  de  Rome.  Au  pont  du  Tibre,  le 
train  s'arrêta  ;  le  triste  souvenir  de  la  caserne 
Serristori  et  de  tentatives  analogues  faisait  craindre 
que  des  mains  coupables  n'eussent  essayé  de  miner 
le  pont  pour  le  faire  sauter  au  moment  du  pas- 
sage des  troupes.  Celles-ci  descendirent  du  train 
qui  poursuivit  sans  elles,  et,  suivant  la  rive  droite, 
elles  entrèrent  dans  Rome  par  la  porte  Portèse. 
L'anxiété  sur  leur  sort  n'avait  pas  été  moindre  à 
Rome  qu'à  Civita-Vecchia  ;  la  joie  de  les  revoir 
y  fut  égale.  Le  pro-ministre  des  armes  les  atten- 
dait lui-même  à  la  porte,  avec  sa  famille  ;  et  ce 
fut  au  milieu  des  vivats  et  d'acclamations  pous- 
sés par  les  troupes  rangées  près  des  murailles,  et 


—  220  — 

par  le  peuple  répandu  dans  les  rues,  que  nos  sol- 
dats de  Viterbe  firent  leur  entrée  dans  la  capitale, 
où  bientôt  ils  durent  se  rendre  aux  postes  de 
combat  qu'on  leur  avait  assignés.  ♦ 

Les  jours  suivants  furent  consacrés  aux  prépa- 
ratifs de  défense  et  d'attaque.  Presque  toute  l'armée 
pontificale  avait  pu  retraiter  sur  Rome  ;  quelques 
détachements  isolés,  mais  peu  nombreux,  avaient 
été  faits  prisonniers. 

Les  soldats  pontificaux  étaient  échelonnés  au- 
tour de  Rome,  en  dedans  des  murs. 

Le  20  septembre,  l'armée  piémontaise  envelop- 
pait la  Ville  éternelle  dans  un  cercle  de  feu.  Le 
général  Cadorna  avait  placé  les  XIe  et  XIL  divi- 
sions et  la  réserve  au  nord -est  de  la  ville,  en  face 
des  portes  Pia  et  Salara  ;  Ferrero  se  trouvait  à 
l'est,  près  de  la  porte  Majeure  ;  Angioletti  devait 
attaquer  le  sud  vers  la  porte  Latine,  et  Rixio 
Bixio  était  chargé  de  la  partie  qui  fait  face  au 
Transtévère. 

A  cinq  heures  et  dix  minutes,  le  premier  coup 
de  canon  est  tiré  par  l'ennemi,  et  un  boulet  vient 
frapper  le  mur  à  droite  de  la  porte  Pia.  C'est  le 
signal  du,  combat.  Bientôt,  la  fusillade  devient 
générale.  Les  Italiens  sont  moi.ssonnés  par  la  mort, 
tandis  que  les  Pontificaux  n'éprouvent  que  des 
pertes  insignifiantes.   Malgré  le  courage  des  assié- 


—  221  — 

gés,  l'armée  ennemie  pratique  une  brèche  dans  le 
mur  qui  avoisine  la  porte  Pia.  Le  général  Kanzler 
envoie  un  rapport  au  Saint-Père.  Ce  dernier,  pour 
éviter  une  plus  grande  effusion  de  sang,  arbore  le 
drapeau  blanc  à  dix  heures  et  dix  minutes. 
L'armée  pontificale  obéit  au  successeur  de  Pierre  ; 
elle  cesse  le  combat  et  se  dirige  vers  la  cité  Léonine. 
Rome  capitule  et  tombe  au  pouvoir  du  Piémont. 
Je  ne  vous  parlerai  pas  des  scènes  dégoûtantes, 
et  indignes  d'un  peuple  civilisé,  qui  ont  eu  lieu 
après  la  capitulation.  Je  me  contenterai  de  dire 
que  les  Italiens  ont  manqué  à   toutes  les  lois  de 


l'honneur   et   qu'ils    se   sont   conduits  comme  les 
barbares  du  temps  d'Attila.  -< 

Nos    pertes,    dans    cette    journée    tout    à   fait 
glorieuse  pour  les  soldats  du  Pape,   s'élevèrent  à 
seize   tués    et   cinquante-huit   blessés  ;    celles    de 
l'ennemi   dépassèrent   mille,   tués   ou  blessés.    Un 
écrivain   allemand  a  dit:   "La   perte   de  l'ennemi 
devant  Rome,  le  20,  monte  environ  à  deux  mille 
hommes  tués  ou  blessés.      Je  sais  ce  que  je  dis  et 
pourquoi  je  le  dis  ;  je  sais  aussi  combien  le  Piémont 
a  donné  dans   ses   journaux   des  pertes  menson- 
gèrement  petites  ;   mon  calcul  s'appuie  sur  le  dire 
des  soldats  ennemis."  Je  crois  néanmoins  que  ce 
calcul  est  un  peu  exagéré. 

Jetons    un   regard  en  arrière,  et  voyons    ce  que 


—  222  — 

fait  le  Pape  pendant  que  les  Italiens  bombardent 
Rome. 

A  sept  heures  et  demie,  Notre  Saint- Père  célèbre 
le  sacrifice  divin  suivant  sa  coutume  ;  il  entend 
ensuite  une  seconde  messe  et  reste  en  prières  jus- 
que vers  neuf  heures.  L'illustre  Pontife  passe  alors 
dans  sa  bibliothèque  particulière,  où  étaient  réunis 
les  membres  du  corps  diplomatique,  au  nombre  de 
dix-sept.  Pie  IX  dit  quelques  mots  aux  ambassa- 
deurs, mais  sa  voix  est  entre-coupée  par  des  san- 
glots. Nous  nous  faisons  un  devoir  de  citer  quel- 
ques-unes de  ses  admirables  paroles  : 

"  Le  corps  diplomatique  s'est,  une  autre  fois, 
"  réuni  autour  de  moi  dans  une  circonstance 
"  pareille  ;  c'était  au  Quirinal .... 

u  J'ai  écrit  au  roi  ;  je  ne  sais  s'il  a  reçu  ma 
"  lettre  ;  je  l'avais  envoyée  cependant  sous  l'adresse 
"  de  son  ministre  des  affaires  étrangères.  Je  pense 
"  qu'elle  lui  sera  parvenue,  mais  je  n'en  sais  rien. 

"  Bixio,  le  fameux  Bixio,  est  là  avec  l'armée 
"  italienne.  Aujourd'hui  il  est  général.  Bixio,  du 
"  temps  où  il  était  républicain,  avait  formé  le 
"  projet  de  jeter  dans  le  Tibre,  quand  il  entrerait 
"  dans  Rome,  le  Pape  et  les  cardinaux ....  Il  est 
"  là,  à  la  porte  San-Pancrazio  ;  ce  côté-là  est  le 
"  plus  exposé.  Il  y  a  des  maisons  qui  souffriront, 
"  entre  autres  celle  de  Torlonia.   Les  souvenirs  du 


—  223  — 

"  Tasse  courent  beaucoup  de  risques  avec  les  libé- 
"  rateurs  de  l'Italie  ;  mais  ces  gens-là  s'en  inquiètent 
peu .... 

"  Hier,  j'ai  été  à  la  maison  où  fut  condamné 
"  Jésus-Christ  ;  j'ai  monté  la  Sacla-Santa,  et  c'était 
"  avec  beaucoup  de  peine,  et  j'avais  un  soutien  ; 
"  enfin  j'y  suis  parvenu.  C'est  cet  escalier  qu'il  a 
"  monté  pour  être  condamné.  En  le  montant,  je 
"  me  disais  :  peut-être  demain  moi  aussi  je  serai 
"  condamné  par  les  catholiques  d'Italie,  jilii  matris 
"  tneœ  pugiiaverunt  contra  me.  Il  me  faut  beau- 
"  coup  de  force,  et  Dieu  me  la  donne  !  Deo  grattas  ! 

"  Les    élèves    du    séminaire    américain     m'ont 
demandé  de   prendre  les  armes,   mais  je  les  ai 
"  remerciés,  et  je  leur  ai   dit  de  se  joindre  à  ceux 
"  qui  soignent  les  blessés. 

"  Voici  maintenant  que  Rome  est  enveloppée 
"  et  que  l'on  commence  à  manquer  de  beaucoup 
"  de  choses.  .   .   . 

"  Hier,  en  revenant  de  la  Scala-Santa,  j'ai  vu 
4<  tous  les  drapeaux  que  l'on  a  mis  dans  Rome  pour 
"  se  protéger.  Il  y  en  a  des  anglais,  des  améri- 
"  cains,  des  allemands,  même  des  turcs.  Le  prince 
"  Doria  en  a  mis  un  anglais,  je  ne  sais  pourquoi. 

"  Quand  je  suis  revenu  de  Gaète,  ajouta  triste  - 
"  ment  le  Pontife,  j'ai  vu  aussi  sur  mon  passage 
"  beaucoup  de  drapeaux  qui  avaient  été  mis  en 


—  224— • 

u  mon  honneur.    Aujourd'hui,   c'est  différent  ;  ce 
"  n'est  pas  pour  moi  qu'on  les  a  mis. 

"  Ce  n'est  pas  la  fine  fleur  de  la  société  qui 
"  accompagne  les  Italiens  quand  ils  attaquent  le 
"  Père  des  catholiques  ;  c'est  une  miniature  de  ce 
"  que  faisaient  les  jeunes  Romains  qui  se  rendirent 
"  au  camp  des  Césars  quand  il  passa  le  Rubicon. 
"  Le  Rubicon  est  passé ....  Fiat  voluntas  tua  in 
"  cœlo  et  in  terra ....  Poi  viene  il  codice  dei  fatti 
"  compiuti" 

Après  avoir  fait  arborer  le  drapeau  de  la  paix, 
Sa  Sainteté  dit  au  corps  diplomatique  : 

"  Je  viens  de  donner  l'ordre  de  capituler.  On  ne 
"  pourrait  plus  se  défendre  sans  répandre  beaucoup 
"  de  sang,  ce  que  je  ne  veux  pas.  Je  ne  vous  parle 
"  pas  de  moi  ;  ce  n'est  pas  pour  moi  que  je  pleure, 
"  mais  sur  ces  pauvres  enfants  qui  sont  venus  me 
"  défendre  comme  leur  Père.  Vous  vous  occuperez 
"  chacun  de  ceux  de  votre  pays.  Il  y  en  a  de  toutes 
"  les  nations.  .  .  .  Pensez  aussi,  je  vous  prie,  aux 
"  Anglais  et  aux  Canadiens,  dont  personne  ne 
"  représente  les  intérêts  ici ....  " 

"  Je  vous  les  recommande,  je  vous  les  recom- 
"  mande  tous,  pour  que  vous  les  préserviez  des 
"  mauvais  traitements  dont  d'autres  (en  1860) 
eurent  tant  à  souffrir,  il  y  a  quelques  années. 

"  Je  délie  mes  soldats  du  serment  de  fidélité 


I 


—  225  — 

!"  qu'ils  ont  fait,   afin   de  leur  laisser  leur  liberté." 
Le  PonHfe-Roi  congédia  ensuite   les   membres 
du   corps   diplomatique  ;     il    pleurait    comme   un 
enfant. 

La  capitulation  dont  vient  de  parler  Pie  IX,  se 
lit  comme  suit  : 

Capitulation  pour  la  reddition  de  la  place  de  Ro?ne, 
stipulée  entre  le  commandant  général  de  S.  M.  le 
roi  d'Italie  et  le  commandant  général  des  troupes 
pontificales,  respectivement  représentés  par  les 
soussignés. 

Villa  Albani,  20  septembre  1870. 

I. — La  ville  de  Rome  (sauf  la  partie  qui  est 
limitée  au  sud  par  les  bastions  de  San-Spirito,  et 
comprend  le  mont  Vatican  et  le  château  Saint- 
Ange,  et  constitue  la  cité  Léonine)  son  armement 
eomplet,  drapeaux,  armes,  magasins  de  poudre, 
tous  les  objets,  appartenant  au  gouvernement, 
seront  remis  aux  troupes  de   S.  M.  le  roi  d'Italie. 

II. — Toute  la  garnison  de  la  place  sortira  avec 
les  honneurs  de  la  guerre,  emportant  ses  drapeaux, 
armes  et  bagages.  Les  honneurs  militaires  une 
fois  rendus,  elle  déposera  les  drapeaux,  les  armes, 

à  l'exception  des  officiers  qui  garderont  leur  épée, 
leurs  chevaux  et  tout  ce  qu'il  leur  appartient.  Les 
troupes   étrangères  sortiront  les    premières  ;     les 


—  226  — 

autres  suivront  selon  leur  ordre  de  bataille,  la 
gauche  en  tête.  La  sortie  de  la  garnison  aura  lieu 
demain  matin,  à  7  heures. 

III. — Toutes  les  troupes  étrangères  seront  licen- 
ciées et  les  soldats  renvoyés  immédiatement  dans 
leurs  foyers  par  les  soins  du  gouvernement  italien, 
qui  les  dirigera  dès  demain  par  le  chemin  de  fer 
vers  la  frontière  de  leur  pays.  Le  gouvernement  a 
la  faculté  de  prendre  ou  non  en  considération  les 
droits  de  pension  que  ces  troupes  pourraient  avoir 
stipulés  avec  le  gouvernement  pontifical. 

IV. — Les  troupes  indigènes  seront  constituées 
en  dépôt  sans  armes,  avec  les  allocations  qu'elles 
ont  actuellement.  Le  gouvernement  du  roi  se 
réserve  de  statuer  sur  leur  position  future. 

V. — Elles  seront  envoyées  à  Civita  -  Vecchia 
dans  la  journée  de  demain. 

VI. — Les  deux  parties  nommeront  une  com- 
mission composée  d'un  officier  d'artillerie,  d'un 
officier  du  génie  et  d'un  fonctionnaire  d'intendance, 
pour  la  remise  dont  il  est  question  à  l'article  1er. 

Pour  la  place  de  Rome  : 
Le  chef  d'état-major  : — RlVALTA. 

Pour  V armée  italienne  : 
Le  chef  d'état-major  : — D.  PRIMERANO. 


—  22Ï  — 

Le  lieutenant-général  commandant  le  IVe  corps 
d'armée  : — Cadorna. 

Vu,  ratifié  et  approuvé  : 

Le  général  commandant  les  armes  de  Rome. — 
Kanzler. 

Le  lendemain,  2  1  septembre,  jour  si  tristement 
mémorable,  le  général  Kanzler  annonce  le  licen- 
ciement de  l'armée  romaine  dans  les  termes  sui- 
vants : 

"  Officiers,  sous-officiers  et  soldats  ! 

"  Le  moment  fatal  est  venu,  où  nous  devons 
nous  séparer  et  abandonner  par  la  force  ce  service 
du  Saint-Siège,  qui,  plus  que  tout  au  monde,  nous 
tient  tant  à  cœur  ! 

"  Rome  est  tombée  !  mais,  grâce  à  votre  cou- 
rage, à  votre  fidélité,  à  votre  admirable  union,  elle 
est  tombée  avec  honneur. 

"  Quelques-uns  d'entre  vous  se  plaindront  sans 
doute  de  ce  que  la  défense  n'ait  pas  été  plus  pro- 
longée ;  mais  une  lettre  de  Sa  Sainteté  éclaicira 
tout.  Ce  témoignage  de  l'auguste  Pontife  sera  la 
consolation  de  tous,  et  la  plus  belle  récompense 
que  nous  puissions  obtenir  dans  les  circonstances 
actuelles.  Je  dois  également  vous  faire  connaître 
que  séparée,  par  la  violence,  de  son  armée,  Sa 
Sainteté  a  daigné  vous  délier  de  tous  vos  serments 
militaires. 


—  228  — 

"  Adieu,  mes  chers  compagnons  d'armes  !  N'ou- 
bliez pas  votre  chef,  qui  conservera  de  vous  tous 
un  grand  et  impérissable  souvenir. 

"  Rome,  21  septembre  1870, 

"  Le  général  pro-ministre  des  armes, 

"  Kanzler." 

Le  colonel  Allet  adresse  aussi  quelques  paroles 
d'adieu  à  ses  chers  enfants,  et  l'heure  de  la  sépa- 
ration est  enfin  arrivée.  Mais  il  se  passe  alors  une 
scène  que  tous  ceux  qui  en  ont  été  les  témoins, 
n'oublieront  jamais.  Tous  les  soldats  pontificaux 
auraient  désiré  voir  encore  une  fois  leur  Père  bien- 
aimé,  et  cette  faveur  allait  leur  être  refusée,  puis- 
que l'ordre  de  se  mettre  en  marche  était  donné, 
lorsque  tout  à  coup  une  fenêtre  du  Vatican  s'ouvre, 
et  l'on  voit  apparaître  le  véritable  Roi  de  Rome. 
Levant  les  bras  vers  le  ciel,  Pie  IX  commence  la 
bénédiction  solennelle  "  Benedictio  Dei  omnipo- 
tentisr  Le  cri  de  "  Vive  Pie  IX"!  s'échappe  de 
toutes  les  poitrines  ;  .les  uns  lancent  leurs  képis  en 
l'air,  d'autres  présentent  les  armes. 

Des  balcons  des  résidences  qui  entourent  la 
place  St-Pierre,  des  milliers  de  personnes  répètent 
"  Vive  Notre  Saint-Père  !  Vive  le  Pape  !  Vive  Pie 
IX,notre  roi  !"  C'en  est  trop  pour  le  cœur  du  Sou- 
verain-Pontife.  Succombant  à  l'émotion  qui  le  suf- 


—  229  — 

foque,  il  tombe  évanoui  dans  les  bras  de  ceux  qui 
l'environnent.  La  fenêtre  se  ferme,  et  les  soldats 
pontificaux  prennent  la  route  de  leur  pays,  en 
versant  d'abondantes  larmes  sur  le  sort  de  l'auguste 
prisonnier  du  Vatican. 

Le  second  acte  étant  terminé,  la  toile  tombe. 

Nous  sommes  donc  rendu  au  troisième  et  der- 
nier acte,  la  votation  ou  le  plébiscite.  Quelques 
lignes  suffiront  pour  démontrer  la  monstruosité 
des  procédés  employés  en  cette  circonstance. 

Le  2  octobre  avait  été  choisi  pour  accomplir 
cet  acte  de  bouffonnerie.  Affiches  mensongères, 
menaces,  bulletins  forgés  ;  tout  a  été  employé  par 
les  partisans  de  la  Révolution  pour  obtenir  un 
vote  unanime  et  faire  comprendre  aux  autres 
nations  que  le  peuple  romain  acceptait  avec  joie 
le  joug  de  Victor-Emmanuel,  roi  d'Italie.  Le 
Capitole  de  Manlius  était  l'endroit  où  avait  été 
déposée  l'immense  urne  destinée  à  recueillir  les 
bulletins.  Dans  les'autres  quartiers  de  la  ville,  on 
avait  établi  des  bureaux  spéciaux  pour  faciliter  la 
votation. 

*    Notre  Saint-Père  avait  conseillé  aux  catholiques 
de  ne  pas  prendre  part  au  plébiscite. 

A  six  heures  etdemiedu  soir,  la  votation  était  ter- 
minée, et  le  dépouillement  des  bulletins  fit  connaître 
que  Victor-Emmanuel  était  aimé  par  tout  le  peuple 


r 


—  230  — 

romain.  Véritable  comédie  s'il  en  fut  jamais,  car 
sur  les  167,548  électeurs  inscrits,  il  n'y  eut  que 
135,271  votants;  et,  parmi  ceux-ci,  la  plupart 
avaient  été  importés  des  autres  parties  de  l'Italie 
et  recrutés  parmi  la  canaille  qui,  tout  en  n'ayant 
pas  droit  de  vote,  déposait  dans  l'urne  cinq  ou 
six  bulletins. 

Tel  est  le  résultat  du  plébiscite  de  1870.  Les 
révolutionnaires  peuvent  s'en  réjouir,  mais  les 
catholiques  le  regardent  comme  une  moquerie. 

Le  drame  est  maintenant  joué.  Victor-Emma- 
nuel s'empare  définitivement  des  Etats  de  l'Eglise 
et  s'installe  au  Quirinal,  â  Rome.  Pie  IX,  le  roi 
légitime,  est  dépouillé  de  sa  couronne  et  retenu 
prisonnier  dans  le  Vatican. 


CHAPITRE  XXII, 


LES   ZOUAVES   PONTIFICAUX   CANADIENS. 

On  dit  généralement  qu'on  n'est  pas  bon  juge 
dans  sa  propre  cause.  Je  suis  de  cet  avis,  et  voilà 
pourquoi  je  ne  donnerai  aucune  appréciation  tou- 
chant les  zouaves  canadiens,  j'aurais  bien  droit 
de  réfuter  les  calomnies  qui  ont  été  inventées  sur 
notre  compte  par  des  révolutionnaires  qui  nous 
traitaient  de  mercenaires,  et  même  par  quelques- 
uns  de  nos  compatriotes,  par  des  Canadiens- 
français  —  heureusement,  ils  sont  très  rares. 
Mais  je  laisserai  parler  des  personnes  qu'on  ne 
pourra  pas  taxer  de  partialité.  Je  citerai  d'abord 
des  extraits  de  trois  lettres  que  Mgr.  Bourget, 
alors  évêque  de  Montréal,  écrivait  à  l'adminis- 
trateur de  son  diocèse,  aux  mois  de  mars  et  d'avril 
1869,  lorsque  Sa  Grandeur  se  trouvait  à  Rome  : 

"M.  l'administrateur, 

"  Nous  sommes  à  Rome  depuis  le  1  3  février, 
comme  vous  l'avez  déjà  appris  par  nos  lettres 
précédentes  ;  et  je  puis  vous  l'assurer,  nous 
n'avons  pas  perdu  notre  temps,  quoi  qu'ici  il  ne 
soit  pas  possible  de  travailler   comme  à  Montréal. 


—  232  — 

Le  temps  passe  vite  tout  de  même,  et  à  la  fin, 
l'on  se  trouve  peu  avancé  en  besogne,  quand  on  a 
fini  sa  journée. 

Je  puis  toutefois  vous  parler,  avec  connaissance 
de  cause,  de  nos  chers  zouaves  canadiens  qui,  en 
Canada,  sont  l'objet  de  tant  de  préoccupations, 
parce  qu'ils  remplissent  à  Rome  une  mission  qui, 
plus  que  jamais,  me  paraît  providentielle,  par  les 
résultats  qui  peuvent  s'ensuivre  pour  le  Saint- 
Siège,  comme  pour  eux-mêmes  et  pour  notre 
patrie. 

Je  viens  donc  vous  en  dire  quelque  chose  aujour- 
d'hui, et  je  puis  vous  assurer  que  je  parle  d'après 
ce    que  j'ai   vu  de  mes  yeux  et   entendu   de    mes 
oreilles.   Car  depuis  cinq  semaines  que  nous  som- 
mes  arrivés  dans  cette  ville,  nous  avons   eu,    mes 
compagnons    de    voyage    et   moi,    de    continuels 
rapports  avec  ces  bons  enfants.  Nous  nous  sommes 
vus  presque  tous  les  jours,  soit  à  leur  cercle,    soit 
dans  nos  chambres.   Nous  avons  assisté  fréquem- 
ment  à   leurs  réunions  du  soir,    et   bien    souvent 
nous    les    avons  *  rencontrés    le  jour.    Nous  avons 
pris  plaisir  à  leur  faire  raconter  toutes  les  aventures 
de  leur  vie  de  soldats,  et  nons  avons  pu  apprécier, 
à   leur   juste  valeur,  les  bons  sentiments   qui    les 
animent.   Nous  nous  sommes  associés  de  bon  cœur 
à  leurs  jouissances  de  familles,  quand  on  leur  a 


—  233  — 

distribué   les   lettres   et  les   cadeaux   dont    nous 
étions  si  heureusement  les  porteurs. 

En  vous  adressant  la  présente,  c'est  à  tous  ceux 
qui  s'intéressent  à  ces  jeunes  compatriotes  que 
j'écris,  à  leurs  parents  surtout  qui  ont  si  généreu- 
sement sacrifié  leurs  enfants  pour  la  défense  du 
Père  commun,  et  au  comité  des  zouaves  si  vive- 
ment intéressé  à  ce  que  ces  enfants  du  sol  fassent, 
par  leur  bonne  conduite,  honneur  à  leur  patrie.  £/ 
Au  reste,  en  leur  donnant  les  détails  contenus 
dans  la  présente,  je  ne  fais  qu'accomplir  un  devoir 
bien  légitime,  car,  en  élevant  la  voix,  pour  les 
inviter  à  se  mettre  à  contribution  pour  une  œuvre 
qui,  dès  son  début,  paraissait  hérissée  de  difficultés, 
j'assumais  évidemment  une  très  grande  responsa- 
bilité aux  yeux  de  la  religion  et  de  la  patrie. 
Aussi,  était-ce  pour  moi,  comme  c'est  encore  au- 
jourd'hui, un  sujet  de  préoccupations  bien  natu- 
relles. Je  soulage  donc  mon  cœur  d'un  lourd 
fardeau,  en  leur  donnant  des  renseignements  qui 
seront  pour  tous  de  bonnes  et  joyeuses  nouvelles. 
Je  ne  serai  d'ailleurs  que  l'écho  de  beaucoup  de 
voix  qui  ont  déjà  proclamé,  dans  tout  le  Canada 
et  dans  beaucoup  d'autres  pays, ce  que  j'ai  à  dire  ici. 

i  °  Leur  bonne  conduite.  —  Il  n'y  a  là-dessus 
qu'une  voix,  et  tous  ceux  que  j'ai  vus  jusqu'ici  ont 
été   unanimes    à    me    faire   l'éloge    des    zouaves 


J 


—  234  — 

canadiens.  On  admire  l'esprit  de  foi,  de  piété,  de 
religion,  d'obéissance  qui  les  anime.  On  les  trouve 
bons,  honnêtes  et  bien  élevés.  Leur  tenue,  leur 
propreté,  leur  dextérité  ont  quelque  chose  qui  les 
distingue. 

Cette  bonne  conduite  les  met  en  honneur  par- 
tout et  leur  mérite  l'estime  dont  ils  jouissent 
généralement.  A  l'audience  qu'il  nous  donna  quel- 
ques jours  après  notre  arrivée  à  Rome,  le  Saint- 
Père  nous  parla  de  nos  zouaves  en  termes  bien 
flatteurs  et  qui  exprimaient  l'affection  qu'il  leur 
portait.  Lorsque  je  voulus,  au  nom  de  leurs  parejnts 
et  du  pays  tout  entier,  le  remercier  des  bontés  et 
des  faveurs  dont  il  comblait  ces  jeunes  Canadiens, 
il  répondit  agréablement  que  les  "  faveurs  étaient 
pour  lui."  S'adressant  à  M.  Moreau,  il  lui  dit  : 
"Ayez  bien  soin  de  vos  soldats,"  puis  se  reprenant 
à  l'instant,  "de  nos  soldats  ;  car  ce  "sont  mes 
soldats,"  ajouta-t-il  d'une  manière  fort  aimable.  Il 
se  fit  un  plaisir  de  nous  dire  comment,  dans  la 
belle  promenade  qu'il  leur  avait  fait  faire  dans  son 
jardin,  il  les  avait  fait  arroser,  disant  avec  un 
sourire  aimable  :  "Je  les  ai  baptisés,  vos  Canadiens." 
Or,  comme  chez  ce  grand  pontife  tout  est  signifi- 
catif, il  est  à  espérer  que  cette  innocente  récréation 
porte  son  fruit,  en  excitant  ces  jeunes  soldats  du 
Pape  à  toujours  mener  une  vie  pure  et  chaste,  et  a 


—  235  — 

répandre  ainsi,  dans  la  Ville  sainte,  la  bonne  odeur 
des  vertus  pariarehales  que  nous  ont  léguées  nos 
pères. 

Le  lendemain  de  notre  arrivée  à  Rome  (  1 3 
février),  nous  nous  présentâmes  chez  le  cardinal 
Antonelli  qui,  comme  tout  le  monde  le  sait,  a  la 
tête  remplie  de  tant  de  choses  qui  intéressent  le 
monde  entier.  Cette  fois,  il  ne  nous  parla  guère 
que  de  nos  zouaves.  A  l'entendre,  non-seulement 
ils  étaient  bons,  mais  les  meilleurs  de  tous.  Il  nous 
rapporta  qu'à  l'époque  de  la  promotion  de  M- 
Taillefer  au  grade  de  sous-lieutenant,  on  l'avait 
fait  passer  avant  un  prince  qui  avait  plus  de  ser- 
vice et  dont  la  conduite  était  très  satisfaisante,  car 
cette  promotion  a  été  en  même  temps  une  récom- 
pense des  mérites  personnels  du  nouveau  gradé,  et 
la  reconnaissance  de  la  bonne  conduite  du  corps 
des  Canadiens. 

Le  général  Kanzler,  le  colonel  Allet,  le  colonel 
d'Argy,  le  lieutenant-colonel  de  Charette  et  plu- 
sieurs autres  officiers  de  l'armée  pontificale,  que 
j'ai  vus  tour  à  tour,  n'ont  eu  que  des  éloges  à  faire 
de  nos  compatriotes  ;  et  tous  m'ont  témoigné  leur 
désir  de  grossir  leurs  bataillons  respectifs  de  nou- 
velles recrues  faites  au  Canada.  On  voudrait  les 
enrôler  dans  l'artillerie,  dans  la  légion,  dans  le 
corps  des  carabiniers,  mais   les  officiers  zouaves 


—  236  — 

prétendent  avoir  droit  d'enregistrer  dans  leur 
corps  tous  ceux  qui  seront  de  nouveau  envoyés, 
comme  renfort  à  l'armée  pontificale,  qui  en  a  grand 
besoin  comme  tout  le  monde  en  convient. 

2°  Leur  piété. — Elle  est  vraiment  édifiante,  je 
dois  le  dire  pour  la  consolation  de  tous,  mais  prin- 
cipalement des  mères  chrétiennes  et  religieuses, 
comme  sont  celles  qui  ont  sacrifié  si  généreuse- 
ment leurs  enfants,  pour  le  service  de  la  religion 
et  la  défense  de  Son  Auguste  Chef.  On  se  rappelle 
avec  quel  entrain  ils  firent,  l'an  dernier,  le  mois  de 
Marie  qui  leur  a  obtenu  tant  de  grâces,  qui  les 
a  soutenus  au  milieu  de  leurs  dangers,  de  leurs 
peines  et  de  leurs  travaux.  On  se  prépare  à  le 
faire  cette  année  avec  encore  plus  de  solennité  et 
de  piété.  Il  en  sera  de  même  de  la  Saint-Jean- 
Baptiste  qui  fut  si  belle  à  Rome,  l'année  dernière, 
pour  ces  vrais  enfants  du  Canada,  et  qui  le  sera 
encore  plus  cette  année,  il  faut  l'espérer.  Un  excel- 
lent livre,  "Notre-Dame  des  soldats,"  dont  j'ai 
donné  à  chacun  un  exemplaire,  nourrira,  je  l'es- 
père, la  vraie  dévotion  à  Marie,  qu'ils  ont  sucée 
au  sein  de  leurs  mères,  et  la  "  Neuvaine  à  Saint 
Jean-Baptiste,  "  dont  j'ai  tout  exprès  apporté  avec 
moi  quelques  exemplaires,  nous  servira  à  célébrer 
en  Canadiens  pieux  et  religieux,  notre  grande  et 
belle  fête  nationale. 


—  237  — 

L'an  dernier,  comme  c'est  toujours  l'usage  dans 
l'armée  pontificale,  ils  se  préparèrent  à  faire  leurs 
pâques,  par  une  retraite  de  trois  jours.  Ils  en  ont 
fait  autant  cette  année,  et  je  me  suis  fait  un  bonheur 
de  leur  donner  moi-même  les  exercices  de  cette 
retraite,  afin  de  leur  parler  en  père  et  de  leur 
rappeler  les  enseignements  qu'ils  reçurent,  d'abord, 
dans  leurs  familles,  puis  dans  leurs  paroisses.  Ils 
se  sont  montrés  très  assidus  et  m'ont  paru  pénétrés 
des  saintes  vérités  de  la  foi  qui,  à  Rome  plus 
qu'ailleurs,  sont  plus  saisissantes  et  font  de  plus 
vives  impressions.  Son  Em.  le  cardinal  Barnabo 
s'est  fait  comme  un  honneur  de  venir  couronner, 
à  Sainte-Brigitte,  cette  belle  retraite,  en  y  venant 
dire  la  messe  et  leur  donner  la  sainte  communion. 

Le  révérend  préfet  leur  a  adressé,  au  moment 
de  la  communion,  une  assez  longue  allocution,  qui 
les  a  fort  impressionnés,  parce  qu'en  effet  elle  était 
bien  émouvante  et  tout  à  fait  paternelle.  Car  le 
Canada  relevant  de  la  S.  Congrégation  de  la  Pro- 
pagande, l'Eminenf"  cardinal,  qui  en  est  le  préfet, 
paraissait  bien  ému  en  présence  des  enfants  de  ce 
pays  lointain,  à  qui  il  se  préparait  à  distribuer  le 
pain  des  forts,  afin  qu'ils  fussent  des  vaillants  sol- 
dats au  service  du  Christ  et  de  sa  divine  religion. 

On  m'a  assuré  que  dans  le  corps  cks  zouaves 
canadiens,  il  en  est  de  très  pieux  et  qui  ne  secon- 


—  238  — 

tentent  pas  de  faire  leurs  pâques,  mais  qui  ont 
apporté  à  Rome  la  bonne  habitude  qu'ils  avaient 
en  Canada  de  communier  souvent.  C'est  ce  qu'ils 
font  en  allant  recevoir  la  sainte  communion,  tantôt 
dans  une  église  et  tantôt  dans  une  autre,  tantôt 
pour  leurs  pères  et  tantôt  pour  leurs  mères  et 
autres  parents  et  amis  qui  portent  les  noms  des 
saints  auxquels  sont  dédiées  les  églises  qu'ils  aiment 
pour  cela  à  fréquenter,  afin  de  s'exciter  de  plus  en 
plus  à  la  ferveur.  Il  en  doit  être  ainsi  à  en  juger 
par  la  piété  et  le  recueillement  qu'ils  font  paraître, 
chaque  fois  que  nous  les  réunissons  dans  l'église 
de  Sainte-Brigitte,  qu'ils  ont  adoptée  pour  leurs 
exercices  de  piété ; 

3.  Leur  piété  filiale. — Rien  de  plus  touchant 
chez  nos  zouaves,  que  leur  affection  tendre  et 
filiale  pour  leurs  pères  et  mères  et  pour  toute  la 
famille.  Le  jour  de  notre  arrivée,  il  faisait  beau  de 
les  voir  se  jeter  à  genoux,  lorsque  je  leur  annonçai 
que  je  leur  apportais  les  bénéditionsde  la  nouvelle 
année  qu'ils  n'avaient  pu  recevoir  à  la  maison 
paternelle.  Ce  fut  un  moment  saisissant  pour  nous, 
et  je  ne  puis  encore  y  penser,  sans  me  sentir  ému 
jusqu'aux  larmes.  En  leur  donnant  cette  bénédic- 
tion, je  ne  faisais  en  effet  que  remplir  la  commis- 
sion dont  m'avaient  chargé  les  pères  et  les  mères 
que  j'avaisvus  avant  mon  départ. 


—  239  — 

Lorsqu'on  leur  adresse  la  parole,  on  est  toujours 
sûr  de  captiver  leur  attention,  quand  on  les  ramène 
à  leurs  premières  années,  quand  on  leur  rappelle 
les  jouissances  de  la  famille,  dans  la  maison  pater- 
nelle, quand  on  leur  fait  voir  que  c'est  en  union 
avec  tous  les  proches  que  l'on  fait  tel  exercice,  par 
exemple,  le  mois  de  Saint-Joseph  qui  se  fait  à 
Rome  dans  beaucoup  d'églises.  Enfin  il  ne  faut 
pas  parler  longtemps,  ni  frapper  bien  fort,  pour 
arriver  à  leur  cœur,  quand  il  s'agit  de  leurs  bons 
parents 

4°  Leur  dévouement  pour  N.  S.  P.  le  Pape. — 
Par  principe  de  foi,  ils  sont  sincèrement  dévoués, 
affectionnés,  dévots  même  envers  le  Père  commun 
des  fidèles.  On  n'en  saurait  douter,  quand  on  fait 
attention  aux  sacrifices  qu'ils  ont  dû  faire,  pour 
lui  prouver  leur  attachement  filial.  Il  leur  a  fallu 
en  effet  s'arracher  à  la  tendresse  de  leurs  parents, 
renoncer  aux  douceurs  de  la  patrie,  tourner  le  dos 
à  un  avenir  plus  ou  moins  flatteur,  affronter  les 
dangers  d'un  climat  qu'ont  à  redouter  les  étrangers, 
embrasser  un  genre  de  vie  qui  a  ses  souffrances 
et  ses  ennuis,  s'assujétir  à  un  régime  qui  impose 
de  grandes  privations  à  quiconque  n'y  est  pas 
accoutumé,  faire  de  longues  et  pénibles  marches, 
sac  au  dos  et  l'arme  au  bras,  au  risque  de  s'écor- 
eher   les  pieds    en    traversant   les    marais  et  de 


—  240  — 

n'avoir  la  nuit,  pour  abris,  que  de  misérables 
étables  ou  écuries,  exposés  à  toutes  les  vents.  A 
ces  souffrances  physiques  viennent  se  joindre  les 
peines  morales,  les  ennuis  de  la  caserne,  les 
misères  de  caractères,  les  brusqueries  militaires, 
les  punitions  sévères,  surtout  quand  elles  ne  sont 
pas  méritées,  auxquelles  il  faut  cependant  se  sou- 
mettre sans  réplique,  l'assujétissement  journalier 
aux  règles  d'une  discipline  rigoureuse.  Tout  cela, 
et  bien  d'autres  choses  encore,  froisse  et  irrite 
d'ordinaire  des  jeunes  gens  qui  ont  eu  toutes  leurs 
aises  dans  la  maison  paternelle 

Lorsqu'ils  (les  zouaves  canadiens)  ont  à  souffrir 
quelque  mauvais  traitement,  qu'il  leur  faut  faire 
une  marche  forcée,  que  la  gamelle  ne  peut  suffire 
à  satisfaire  leur  appétit  dévorant,  on  les  entend 
dire  :  C'est  pour  la  bonne  cause  ;  c'est  pour  le  Pape 
que  nous  souffrons  ;  et  les  voilà  contents,  gais  et 
joyeux.  On  nous  V avait  dit  ;  nous  lavons  bien 
voulu  ;  71  ou  s  71  avons  donc  pas  à  7ious  plaindre.  Au 
com77ie7ice77tent  cette  vie  nous  paraissait  bie7i  dure  ; 
maintenant  nous  y  so77imes  faits,  et  rien  7ie  7ious 
coûte.  Nous  7iavo)is  plus  qu'une  chose  à  dési7~er,  c'est 
de  verser  notre  sa7ig  pour  le  Pape.  Nous  espérons 
bie7i  que,  pour  V amour  de  7iotre  bo7i  Père,  nous  nous 
battrons  avant  que  7iotre  engagement  soit  fÎ7ii  ;  et 
que    nous   laissero7is  da7is    le   ci7netière    de    Sai7it- 


—  241  — 

Laurent,  avant  de  repartir ;  quelques-uns  des  nôtres, 
et  que  nous   ?wns  eu    retournerons   dans   notre  cher 

Canada  avec  de  glorieuses  blessures 

•  ••••••••••••••••••••••••••••••••••••««a 

5  °  Leur  union  fraternelle. — C'est  quelque  chose 
de  merveilleux  que  cette  union  qui  règne  entre 
tous  les  zouaves  canadiens,  qui  servent  dans  l'ar- 
mée pontificale.  Leurs  compagnons  d'armes  en 
sont  singulièrement  frappés,  et  ils  sont  à  se  de- 
mander si,  en  Canada,  il  y  a  un  genre  de  vie 
spécial,  propre  à  produire  une  telle  intimité  entre 
tous  les  membres  de  la  nation.  Les  officiers,  qui 
s'aperçoivent  des  bons  effets  qui  résultent  de  cette 
union  fraternelle,  la  favorisent  autant  qu'il  est  en 
leur  pouvoir,  en  ne  les  dispersant  pas  trop  dans 
les  différentes  compagnies. 

D'un  autre  côté,  leur  union   fraternelle 

tes  fait  respecter,  et  l'on  ne  se  permettra  pas  de 
les  insulter  ou  maltraiter  dans  l'intime  conviction 
où  l'on  est  qu'ils  trouveront  toujours  moyen  de  se 
faire  rendre  justice,  parce  que,  disent  leurs  com- 
pagnons d'armes,  qui  touche  à  l'un   touche  à  tous 

les  autres 

Ce  qui  les  unit  si  tendrement  et  si  fortement,  c'est 
qu'il  n'y  a  chez  eux  qu'un  même  esprit,  pour  ne  se 
regarder  tous  que  comme  Canadiens.    Ils  sont  en 

effet  tous  Canadiens,  et  rien  que  Canadiens.  Aussi 
il 


—  242  — 

point  de  distinction  entre  ceux  de  Ouébec,de  Trois- 
Rivières,  de  Saint- Hyacinthe  et  ceux  de  Montréal. 

6°  Leur  amour  de  la  patrie.  —  "Jamais,  ne 
cessent  de  répéter  nos  zouaves,  jamais  nous 
n'avons  tant  aimé  le  cher  Canada  que  depuis  que 
nous  l'avons  quitté,  et  que  nous  avons  appris  à 
l'apprécier,  en  ta  comparant  aux  autres  pays  que 
l'on  nous  avait  tant  vantées." 

Cet  amour  du  pays  se  manifeste  dans  tous  leurs 

discours  ;    et  ils   en  parlent    avec   tant  d'émotion 

qu'ils  inspirent  aux   autres  la  haute  idée  qu'ils  en 

ont  conçue  dans  leur  première  enfance,   et  qui  ne 

fait  que  s'accroître  depuis  qu'ils   en  sont  éloignés. 

Les  officiers  qui  les  entendent  à  tout  propos  parler 

sur  ce  ton  du  Canada,  en   conçoivent  le   désir  d'y 

faire  un  voyage,   pour  voir  de  leurs  yeux  tout  ce 

que  les  zouaves  leur  racontent  de  leurs  pays.    // 

faut,  dit-on  dans  l'armée  pontificale,  que  le  Canada 

soit  un    bien   beau  pays  pour  satiacJier    ainsi    ses 
enfants. 

Cet  attachement  à  la  patrie  se  manifeste  aussi 
par  les  chants  patriotiques  et  religieux  qu'ils  ont 
toujours  à  la  bouche.  Les  lieux  où  ils  se  réunissent, 
les  routes  qu'ils  suivent,  les  provinces  qu'ils  tra 
versent  pour  se  rendre  au  camp  ou  en  garnison, 
retentissent  de  ces  chants  joyeux  et  animés 


—  248  — 

7°  Leur  honneur  national.— Celui  qui,  par  prin- 
cipe d'honneur,  ne  fait  rien  aux  yeux  des  hommes 
qui  puisse  le  compromettre,  est  appelé  un  homme 
d'honneur.  S'il  ne  fait  rien  qui  puisse  faire  mépriser 
sa  nation,  il  aura  en  partage  riionneur  national  ; 
mais  la  religion  seule  peut  inspirer  le  vrai  senti- 
ment d'honneur  ;  et  il  ne  saurait  se  trouver  que 
dans  la  pratique  constante  des  devoirs  qu'elle 
impose  à  l'homme  du  monde,  comme  à  l'homme 
de  la  religion.  Autrement  il  tombera  bientôt  dans 
de  pitoyables  écarts,  qui  attireront  à  lui  et  à  sa 
nation,  le  blâme  et  le  mépris. 

Or  ce  sentiment  d'honneur  national  est  très  vif 
dans  le  cœur  des  zouaves  canadiens 

L'honneur  national  est,  chez  nos  zouaves,  un 
sentiment  noble  qui  les  entretient  dans  le  devoir, 
et  une  voix  sainte,  mais  éloquente,  qui  les  avertit 
de  tout  ce  qu'ils  ont  à  éviter,  pour  ne  pas  se  com- 
promettre. Aussi,  vont-ils  leur  droit  chemin,  bien 
résolus  de  tout pvrdre  sauf  V honneur  " 

Oue  vont  dire  nos  détracteurs  ? 

Continuons. 

"  Ils  (les  zouaves  canadiens)  ne  vont  pas  à  Rome, 
"  disait  le  Tablet  en  i  S68,  lorsque  le  premier 
"  détachement  se  rendait  dans  la  Ville  sainte, 
"  attirés  par  l'appât  du  gain,  mais  pour  offrir 
"  généreusement  leurs  services  au  chef  de  l'Église 


—  244  — 

"  dans  la  tiibulation  et  le  besoin  ;  pour  grossi*  les 
"  rangs  de  cette  petite,  mais  vaillante  armée,  qui 
"  s'est  recrutée  dans  toutes  les  parties  de  la  catho- 
"  licite  pour  venir  former  un  rempart  vivant  autour 
"  du  Vénérable  Pontife  " 

L'honorable  juge  Routhier  s'exprimait  ainsi  dans 
le  magnifique  discours  qu'il  a  prononcé  à  l'ouver- 
ture du  congrès  catholique  tenu  à  Québec,  en  1 8  8  o  : 

"  La  France  avait  un  autre  devoir  découlant  de 
son  alliance  :  c'était  de  défendre  l'Eglise  dans  le 
danger  ;  et  vous  savez  que  lorsqu'elle  y  a  manqué, 
elle  a  toujours  senti  le  contre-coup  des  malheurs 
de  l'Eglise.  Il  est  possible  que  Dieu  nous  destine 
à  ce  rôle  dans  l'avenir  comme  notre  ancienne 
mère-patrie,  et  c'est  un  des  événements  les  plus 
glorieux  de  notre  histoire  d'avoir  pu  déjà  figurer  à 
coté  de  la  France  dans  les  armées  de  l'Eglise. 

**  Il  y  a  dix  ans  que  le  pontife  de  Rome  a  vu  ce 
spectacle  magnifique  :  la  mère  et  la  fille  unies 
dans  le  même  amour  et  le  même  dévouement, 
traversant  les  mers  pour  la  défense  de  la  même 
cause  et  devenant  toutes  deux  sentinelles  du  Vati- 
can !  La  mère  enseignant  à  sa  fille  le  dur  métier 
des  armes  qu'elle  a  pratiqué  pendant  tant  de 
siècles,  et  la  fille  rappelant  à  sa  mère  la  foi  ardente 
de  ses  jeunes  années  ! 


—  245  — 

"  Ce  souvenir  vous  fait  tressaillir  et  produit  sans 
doute  un  gonflement  d'orgueil  dans  vos  poitrines. 
C'est  un  bonheur  pour  moi  de  vous  le  rappeler  en 
ce  moment  où  j'aperçois  réunis  nos  excellents 
zouaves.  Honneur  à  eux  !  puisqu'on  offrant  géné- 
reusement leur  vie  à  l'Eglise  de  Dieu,  ils  ont  ratifié 
et  sanctionné  de  nouveau  le  pacte  sacré  qui  nous 
unit  à  elle  !  " 

M.  Michel  Barsotti,  secrétaire  du  comité  supé- 
rieur des  congres  en  Toscane,  rédacteur  en  chef 
du  journal,  //  Fidèle,  et  chevalier  de  l'ordre  de 
saint  Grégoire  le  Grand,  disait  dans  sa  lettre  datée 
de  Luca,  20  mai  1880,  en  réponse  à  l'invitation 
que  le  Cercle  catholique  de  Québec  lui  avait  faite 
d'assister  au  congrès,  que  nous  avons  mentionné 
plus  haut  : 

"  La  Toscane,  le  monde  catholique  tout  entier, 
n'ont  pas  oublié  que  le  Canada  a  envoyé  en  1868 
et  en  1  869  quatre  cents  de  ses  enfants  a  la  défense 
de  la  Sainte-Eglise,  et  de  notre  regretté  Saint- 
Père,  l'aimable  Pie  IX. 

"  Et  moi  qui  ai  été  témoin  de  la  piété  tout  à  fait 
singulière,  et  du  courage  héroïque  de  ces  bravt3 
zouaves,  je  m'unis  de  tout  cœur  aux  catholiques 
canadiens  rassemblés. 

Le  président  du  Cercle  Sainte-Catherine  de  Rici, 


—  246  — 

à  Prato,  en  Toscane,  ne  fait  qu'une  simple  allusion 
à  nos  zouaves,  mais  elle  dit  beaucoup.   Lisez-:: 

•'  Beaucoup  de  catholiques  canadiens  furent  de 
dignes  soldats  du  glorieux  Pie  IX. 

Dans  une  lettre  collective  des  catholiques  de 
Modène  et  de  Parmes,  adressée  au  Président  du 
Cercle  catholique  de  notre  ville,  on  trouve  cette 
chaleureuse  exclamation  : 

"  O  Canadiens  !  avec  quelle  joie  et  quelle  recon- 
naissance nous  nous  rappelons  vos  dignes  représen- 
tants qui,  aux  jours  de  nos  plus  grands  désastres, 
étaient  accourus  à  Rome  pour  y  défendre,  avec 
intrépidité  et  au  prix  même  de  leur  vie,  ces  droits 
imprescriptibles  et  cette  liberté  sainte  !  " 

Nous  pourrions  citer  une  foule  d'autres  témoi- 
gnages flatteurs,  mais  nous  nous  arrêtons  ;  les  vrais 
catholiques  ont  su  apprécier,  comme  il  le  méritait, 
le  mouvement  des  zouaves  canadiens. 


CHAPITRE  XXIII. 


LES  OFFICIERS  DES  ZOUAVES  PONTIFICAUX. 

Je  ne  vous  dirai  qu'un  mot  de  nos  officiers 
supérieurs.  Vous  les  connaissez  tous  ;  leur  répu- 
tation de  soldats  catholiques  et  dévoués  au  Saint- 
Siège  a  déjà  rempli  l'univers.  J'ai  puisé  certains 
renseignements  dans  "  Nos  Croisés."  J'ai  l'espoir 
que  notre  digne  aumônier  me  pardonnera  de  bon 
cœur  ce  petit  vol. 

Le  général  Kanzler. — Herman  Kanzler,  général 
de  l'armée  pontificale,  est  né  dans  le  duché  de  Bade. 
Sa  famille  ne  portait  aucun  titre  de  noblesse  ; 
Kanzler,  par  ses  précieuses  qualités,  a  su  s'élever 
à  la  vraie  noblesse  :  celle  de  l'honneur  suivant 
les  principes  de  l'Église.  Il  a  passé  plusieurs 
années  au  service  "du  Saint-Siège,  et  pendant  tout 
cet  intervalle,  il  s'est  distingué  par  un  jugement 
supérieur,  une  bravoure  hors  ligne  et  un  sang-froid 
raisonné. 

En  1866',  Kanzler  a  été  élevé  au  poste  impor- 
tant de  général  et  de  pro-ministre  des  armes  à 
la  place  de  Monseigneur  de  Mérode.  Cette  nomi- 
nation fut  mal  accueillie  ;   mais  le  nouveau  général 


—  248  — 

est  parvenu  à  fermer  la  bouche  à  ses  ennemis  par 
sa  conduite  honorable  et  son  exquise  politesse 
envers  tous  ses  subalternes. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  ici  toutes  les 
batailles  dans  lesquelles  le  général  Kanzler  s'est 
couvert  de  gloire.  Les  nombreuses  décorations, 
qu'il  porte  sur  sa  poitrine,  le  prouvent  d'une 
manière  éloquente. 

Le  général  Kanzler  possède  de  grands  talents 
militaires.  Il  sut  le  prouver  en  maintes  circons- 
tances. En  1867,  à  la  bataille  de  Neroîa,  il  donne 
l'ordre  au  colonel  d'Argy,  de  la  légion  d'Antibes, 
de  prendre  avec  lui  deux  compagnies,  de  se  rendre 
immédiatement  à  la  ville  que  je  viens  de  nommer, 
de  battre  les  insurgés  et  de  rentrer  aussitôt  dans 
Rome.  Cet  ordre  fut  ponctuellement  exécuté,  et 
le  succès  fut  complet. 

Le  général  Kanzler  estimait  beaucoup  les 
zouaves  canadiens,  et  il  le  prouva  en  faisant  tous 
ses  efforts  pour  augmenter  le  nombre  de  nos  com- 
patriotes dans  les  rangs  de  l'armée  pontificale.  Il 
visita  deux  fois  notre  Cercle,  en  compagnie  de 
Madame  Kanzler.  Cette  dernière  est  issue  d'une 
famille  romaine,  mais  elle  est  française  par  le  cœur. 
Elle  portait  un  grand  intérêt  aux  soldats  du  Pape, 
ne  cessait  de  visiter  les  blessés  et  de  leur  prodiguer 
les  soins  les  plus  tendres. 


—  249  — 

En  général,  Herman  Kanzler  est  le  vrai  modèle 
du  soldat.  Après  la  prise  de  Rome,  en  1870, 
notre  général,  qui  affectionnait  sincèrement  le  Pape, 
aima  mieux  rester  au  Vatican  que  de  retourner  dans 
sa  famille.      Il  est  encore  auprès  de  Léon  XIII. 

Dr  Courten. — M. de  Courten,  général  de  brigade, 
est  suisse  de  naissance.  Ses  qualités  principales 
sont  une  grande  bravoure, une  prudence  consommée 
et  une  courtoisie  sans  borne. 

Tous  ceux  qui  ont  lu  l'histoire  de  France,  se 
rappellent  sans  doute  que,  sous  le  règne  de  Louis 
XV,  il  existait  un  régiment  de  Suisses  appelé  de 
Courten.  On  comptait  dans  ce  régiment  trente- 
cinq  de  Courten,  dont  vingt-deux  étaient  officiers. 

Un  jour,  Louis  XV  passait  ce  régiment  en  revue. 
Il  fut  telbmjnt  frappé  du  port  noble  et  de  l'allure 
martiale  de  ces  soldats,  qu'il  ne  pût  s'empêcher  de 
dire  en  riant  au  colonel  :  "  Nous  irions  loin  avec 
ces  gaillards-là  "  ! 

Le  colonel  de  Courten  lui  répondit  :  "  Sire, 
peut-être  plus  loin  que  nous  ne  voudrions.  " 

Le  père  de  Courten — c'est  ainsi  qu'on  désignait 
généralement  le  colonel  de  ce  régiment — était 
décoré  de  la  croix  de  Saint-Louis  ;  il  comptait 
trente-deux  ans  de  service  ;  il  avait  fait  dix-sept 
campagnes  et  avait  reçu  quatorze  blessures. 


*  —250  — 

Notre  général  de  brigade,  M.  de  Courten, 
descend  de  cette  illustre  famille  ;  c'est  tout  dire. 

Colonel  Ai/et. — Tout  le  régiment  des  zouaves 
pontificaux  avaient  décerné  à  notre  colonel  le  titre 
de  papa  ;  et  certes  !  il  le  méritait  bien  ;  car  jamais 
père  n'aima  plus  ses  enfants.  Plusieurs  fois,  on  lui 
avait  offert  le  grade  de  général  de  brigade  ;  mais 
il  avait  toujours  décliné  cet  honneur  en  disant  : 
"  Je  demande  qu'on  me  laisse  à  la  tête  de  mon 
régiment  ;  il  y  a  beaucoup  de  généraux,  mais  il 
y  a  peu  de  colonels  des  zouaves  pontificaux.  " 

Le  colonel  Allet  était  courtois,  brave,  et  se  fai- 
sait remarquer  surtout  par  un  grand  sang-froid  ; 
je  vous  ai  donné  une  preuve  de  cette  dernière 
qualité  en  faisant  le  récit  de  la  bataille  de  Men- 
tana. 

Allet  a  passé  plus  de  vingt  ans  à  défendre  le 
Saint-Siège,  et  pendant  tout  ce  laps  de  temps,  il 
n'a  cessé  d'entretenir  les  meilleurs  rapports  avec  ses 
inférieurs.  Hors  du  service  militaire,  il  se  faisait 
un  plaisir  de  causer  avec  le  simple  soldat. 

Notre  colonel  était  un  parfait  chrétien.  Il 
savait  braver  le  respect  humain.  Daus  toutes  les 
retraites  qui  se  faisaient,  chaque  année,  à  l'occa- 
sion de  la  communion  pascale,  on  le  voyait 
prendre  place  le  premier  à  la  Sainte-Table. 

Notre  papa  n'aimait  pas  à  sortir  dans  le  grand 


—  251  — 

monde.  Quand  les  convenances  le  forçaient  à 
figurer  dans  la  haute  société,  il  ne  le  faisait  qu'à 
contre-cœur  ;  et  alors,  lui  si  brave,  il  paraissait 
timide  et  gardait  presque  toujours  le  silence. 

Un  jour,  on  lui  demanda,  dans  un  salon,  de 
vouloir  bien  raconter  la  bataille  de  Mentana,  où 
les  zouaves  s'étaient  immortalisés.  Il  se  fit  prier 
pendant  longtemps,  car  il  était  humble.  Mais  à  la 
fin,  il  céda  aux  instances  réitérées.  "  Oh  mon  Dieu  ! 
dit-ilr  c'est  bien  simple  et  bien  court  :  la  colonne 
défilait  par  la  voie  Nomcutanj,  j'étais  en  arrière 
avec  l'état-major  ;  à  cinq  ou  six  kilomètres  de  Men- 
tana, on  entendit  commencer  la  fusillade,  et  en 
quelques  minutes  le  feu  devint  des  mieux  nourris  ; 
je  piquai  de  l'éperon  pour  voir  où  en  étaient  les 
zouaves  ;  déjà  ils  étaient  tous  lancés,  éparpillés  par 
les  vignes  et  jouant  de  la  baïonnette  comme  de 
bons  enfants.  " — "  Et  puis  ?  " — Et  puis  .  .  .  mon 
Dieu  !  ils  sont  revenus  le  soir  se  ranger  autour  de 
leur  drapeau,  et  ils  avaient   remporté  la  victoire. 

Tel  est  l'homme  que  les  zouaves  avaient  à  leur 
tête. 

Après  l'invasion  des  Etats  de  l'Eglise,  le  colonel 
Allet  est  retourné  à  son  château  en  Suisse,  où  il 
est  mort  subitement  quelques  années  plus  tard. 

Athanase  de  Charctte.- — Le  baron  de  Charette 
était  lieutenant-colonel  du  régiment  des  zouaves. 
C'est  le  type  d^  parfait  gentilhomme. 


—  252  — 

Quant  à  sa  bravoure, elle  est  devenue  proverbiale. 
On  disait  dans  le  régiment  :  "  Brave  comme  de 
Charette."  Dans  tous  les  combats  auxquels  il  a 
assisté,  il  s'est  conduit  comme  un  véritable  lion. 
Quand  il  s'apercevait  que  les  zouaves  semblaient 
perdre  courage — ils  ne  l'ont  jamais  perdu — il 
s'écriait  :  "En  avant,  les  zouaves,  ou  je  me  fais 
tuer  sans  vous." 

Le  baron  de  Charette  est  le  neveu  du  célèbre 
général  qui  fut  fusillé  pendant  la  guerre  de  Vendée. 
Il  a  cinq  frères,  et  tous  ont  servi  dans  l'armée  du 
Saint-Père  ;  ce  sont  :  MM.  Urbain,  Ferdinand, 
Alain,  Louis  et  Armand.  Ce  dernier,  filleul  et 
héritier  de  feue  la  duchesse  de  Narbonne-Pelet, 
est  quatre  fois  millionnaire.  Il  servait  dans  ma 
compagnie  comme  simple  soldat. 

Le  lieutenant  colonel  de  Charette,  âgé  à  cette 
époque  d'environ  quarante  ans,  était  veuf  de  Dlle 
Antoinette  Fitzjames,  sœur  du  duc  de  Fitzjames 
et  de  la  duchesse  Salviati-Borghèse.  Aujourd'hui, 
le  baron  de  Charette  est  général  dans  l'armée 
française.      C'est  un  royaliste  pur  sang. 

Je  donne  ci-après  les  noms  de  tous  les  officiers 
des  zouaves  pontificaux.  Le  public  pourra  se 
convaincre,  à  la  simple  lecture,  si  l'armée  du  Pape 
était  composée  de  mercenaires. 


RÉGIMENT  DES  ZOUAVES. 

Officiers  supérieurs  : 

Général — Kanzler  ;  Colonel — Allet  ; 

Lieutenant-colonel — Baron  de  Charette. 

Premier  Bataillon. 

M.  de  Lambii.lv,  chef  de  bataillon. 

M.  de  Fumel,  capitaine-adjudant-major. 

iM  Compagnie: — Capitaine  de  Moncuit  ;  lieutenant  Du- 

jardin  ;  sous-lieutenant  Brùlly. 
2me  (Compagnie  : — Capitaine  de    K.ersabiec  ;   lieutenant 

de  la  Bégassière  ;  sous-lieutenants  Vanderstratten 

et  Lafon. 
3me  Compagnie  : — Capitaine   de    Coiïessin  ;    lieutenant 

Vandekerkhove  ;  sous-lieutenant  Bonvallet. 
4 uw  Compagnie  :— Capitaine   Desclée;   lieutenant   Mau- 

duit  ;  sous-lieutenant  de  Scarcey. 
$***  Compagnie  : — Capitaine   Gouttepagnon  ;    lieutenant 

LeDieu  ;  sous-lieutenant  de  Romer. 
6^  Compagnie  : — Capitaine  Joubert  ;  lieutenant  de  la 

Bégassière  (Paul)  ;  sous-lieutenant  Desmiers, 

Deuxième  Bataillon. 

M.  de  Troussure,  chef  de  bataillon. 

M.  de  Ferron,  capitaine-adjudant-major. 

iie  Compagnie  : — Capitaine  de  Saint-Marcq  ;  lieutenant 
du  Plessis  ;  sous-lieutenant  Vetch. 


—  254  — 

2mé>  Compagnie  : — Capitaine    Belon  ;    lieutenant    Niel  ; 

sous-lieutenants  du  Reau  et  Bergeron. 
3rae  Compagnie  : — Capitaine  Jolys  ;  lieutenant  Capelli  ; 

sous-lieutenant  Renaud. 
4UU-  Compagnie  : — Capitaine  Berger  ;  lieutenant  Rahé  des 

Ordons  ;  sous-lieutenant  Bouquet  des  Chaux. 
5rae  Compagnie  : — Capitaine  Hoyde  ;  lieutenant  de  Mont- 

cabrier  ;  sous-lieutenant  de  Quattre-Barbes. 
6QitJ  Compagnie  : — Capitaine  Gastebois  ;  lieutenant  De 

rely  ;  sous-lieutenant  de  la  Borde. 

Troisième  Bataillon. 

M.  d'Albiousse,  chef  de  bataillon. 

M.  Lallemand,  capitaine-adjudant-major. 

i1'*"  Compagnie  : — Capitaine  Thomalé  ;  lieutenant  Fran- 
quinet  ;  sous-lieutenant  Saint-Garnier. 

2me  Compagnie  :— Capitaine  Jacquemont  ;  lieutenant 
Guérin  ;  sous-lieutenants  du  Bois  Chevallier  et  de 
Pascal. 

3me  Compagnie  : — Capitaine  du  Reau  ;  lieutenant  Mou- 
ton ;  sous-lieutenant  Taillefer. 

4me  Compagnie  : — Capitaine  du  Bourg  ;  lieutenant  Bron 
doit  ;  sous-lieutenant  de  Montbel. 

5 mfi  Compagnie  : — Capitaine  Thalman  ;  lieutenant  de 
Bellevue  ;  sous-lieutenant  de  Villèle. 

6me  Compagnie  :— Capitaine  de  Fabry  ;  lieutenant  Burdo; 
sous-lieutenant  Tarabinî. 

Quatrième  Bataillon. 

M.  de  Saisv,  chef  de  bataillon. 

M.  de  Vyart,  capitaine-adjudant-major. 

irt  Compagnie  : — Capitaine  le  Gonidec  ;  lieutenant 
Klegge  ;  sous-lieutenant  Benoit. 


—  255  — 

2œe  Compagnie  : — Capitaine  de  Kermoal  ;  lieutenant  de 

Vurck  ;  sous-lieutenant  Arts. 
3me  Compagnie  : — Capitaine  d'Arcy  ;  lieutenant  de  Li- 

mayrac  ;  sous-lieutenant  Murray. 
4me  Compagnie  : — Capitaine  de  la  Messalière  ;  lieutenant 

de  Coray  ;  sous-lieutenant  Burdo. 
5me  Compagnie  : — Capitaine  de  Résimond  ;    lieutenant 

Harscouet  ;  sous-lieutenant  Se  villa. 
6me  Compagnie  : — Capitaine  de  Mirabal  ;  lieutenant  de 

Morin  ;  sous-lieutenant  de  Bourbon  Chalut. 

DÉPOTS. 

M.  de  Nervaux,  major  d'administration, 
commandant  les  dépôts. 

i e*"  Dépôt  : — Capitaine  de  Curzon  ;  lieutenant  Looymans  ; 

sous-lieutenant  de  Kervyn. 
2ra«  Dépôt  : — Capitaine  Martini  ;   lieutenant    Hamelon  ; 

sous-lieutenant  Lajard. 
3me  Dépôt  : — Capitaine  de  Lanswerde  ;  lieutenant  Beck  ; 

sous-lieutenant  Wills. 
4me  Dépôt  : — Capitaine  de  la  Tocnaye  ;  lieutenant  du 

Ribert  ;  sous-lieutenant  Tortora. 

Peloton  des  subsistants  : — M.  Halgand,   sous-lieutenant. 
Compagnie  hors-rang  : — Capitaine  Hefner. 
Sous-lieutenant  et  officier  d'armement  : — M.  Rutten. 
Sous-lieutenant,  service  actif  : — M.  Boelen. 


CHAPITRE  XXIV. 


PIE    IX. 


Il  me  reste  encore  à  vous  parler  de  Pie  IX,  de 
ce  grand  et  illustre  Pape,  de  ce  pieux  et  saint 
Pontife,  de  ce  Vicaire  de  Jésus-Christ,  désigne  sous 
le  nom  de  Crux  de  cruce.  La  tâche  est  certaine- 
ment au-dessus  de  mes  forces  ;  mais  je  croirais 
mon  travail  incomplet,  si  je  taisais  les  actions  de 
ce  regretté  Souverain.  Je  craindrais  de  passer 
pour  un  ingrat,  si  je  ne  vous  entretenais  pas 
un  instant  du  Père  commun  des  fidèles  ou  de 
mon  Pape,  comme  disait  un  jour  un  soldat  français 
en  portant  au  Pontife-roi  une  lettre  d'un  camarade 
de  la  Crimée,  qui  faisait  recommander  une  messe 
pour  la  conservation  de  l'armée  française  en  Orient. 
Je  dis  ingrat,  car  Pie  IX  nous  aimait  tant,  nous? 
les  zouaves  canadiens  !  Je  vous  demande  donc 
encore  un  peu  d'indulgence. 

Je  diviserai  ce  chapitre  en  deux  parties  distinctes  : 
les  grandes  souffrances  de  Pie  IX,  et  les  grandes 
œuvres  accomplies  par  ce  Pape.  Je  serai  très  court; 
bien  souvent,  je  ne  donnerai  qu'un  tableau  analy- 
tique ;  car  pour  chanter  les  combats  et  les  gloires 


—  258  — 

de  cet  immortel  Pontife,  il  nous  faudrait  écrire 
plusieurs  volumes.  Du  reste,  vous  connaissez  tous 
parfaitement  les  principaux  faits  du  règne  de 
Pie  IX. 

1°  Les  grandes  souffrances  de  Pie  IX.- — Bientôt 
après  son  avènement  au  trône  pontifical  — 
le  16  juin  1846 — -Pic  IX  est  oblige  de  com- 
battre les  révolutionnaires  inspirés  et  dirigés 
par  Mazzini.  A  cette  époque,  ces  suppôts  de 
Satan  sont,  pour  ainsi  dire,  maîtres  de  l'Italie. 
Déjà,  on  entend  crier  dans  les  rues  de  Rome  : 
"A  bas  les  Jésuites!  Vive  l'Italie  "  !  Le  cabinet 
pontifical  n'est  entièrement  composé  que  de  laïques, 
à  l'exception  d'un  seul  ministre,  Son  Eminence 
le  cardinal  Ciacchi,  préposé  aux  affaires  ecclésias- 
tiques. Par  surcroit  de  malheurs,  la  milice  civique, 
seul  appui  du  Pape,  laisse  insulter  les  prêtres  et 
les^religieux  par  la  populace.  Les  Jésuites  sont 
même  forcés  de  se  disperser,  au  grand  chagrin  de 
Pie  IX.  C'est  le  prélude  de  la  longue  série  des 
maux  qu'il  devra  en.durer  plus  tard. 

L'Autriche  tente,  en  1848,  de  s'emparer  des 
Etats  de  l'Eglise  ;  mais  les  sages  explications  de 
Notre  Saint-Père  désarment  l'ennemi.  L'armée 
autrichienne  évacue  Ferrare,  dont  elle  s'était 
emparée,  et  se  retire. 

La   même  année,  les  révolutionnaires,   dans    la 


—  259  — 

personne  de  Constantin!*,  assassinent  le  comte 
Pellegrino  Rossi,  premier  ministre  du  cabinet  pon»; 
tifical.  Pie  IX  est  assiégé  dans  son  palais  du 
Quirinal  ;  les  affidés  de  la  Jeune  Italie  veulent  le 
mettre  à  mort  ;  une  balle  vient  même  tomber  dans 
l'appartement  où  il  se  trouve.  Une  dame  fran- 
çaise, la  comtesse  de  Spaur,  donne  au  Pape  les 
moyens  de  fuir,  et  Notre  Saint-Père  va  se  réfugier 
à  Gaéte,  où  il  passe  deux  longues  années  dans 
l'attente  de  jours  meilleurs. 

Le  général  Oudinot  ayant  délivré  Rome  du 
joug  des  révolutionnaires,  Pie  IX  retourne  dans  la 
Ville  éternelle,  où  il  fait  son  entrée  triomphale,  le 
i  2  avril   1850. 

Le  4  février  1859,  une  nouvelle  blessure  est 
portée  au  cœur  cle  Pie  IX  par  l'apparition  d'une 
brochure  ayant  pour  titre  :  Napoléon  III  et  V Italie. 
Dans  cette  brochure,  on  répétait  toutes  les  accu- 
sations qu'on  avait  déjà  formulées  contre  le  pou- 
voir temporel  des  Papes.  Et  dire  que  cet  opuscule 
avait  été  inspiré  par  Napoléon  III,  l'empereur 
des  Français,  lui,  chargé  de  protéger  le  Saint-Siège 
contre  ses  ennemis  temporels  !  C'est  presque 
incroyable  ;  mais  pourtant,  c'est  le  cas.  Napoléon 
était  l'instrument  de  la  franc-maçonnerie.  Pri^ 
dans  les  griffes  de  ce  vautour,  il  devait  agir,  mais 
sourdement. 


—  260  — 

Le  trop  célèbre  Victor-Emmanuel  annexe,  en 
1859,  les  Romagnes  au  royaume  du  Piémont,  tout 
en  protestant  de  sa  fidélité  et  de  son  dévouement 
au  Saint-Siège.  L'hypocrite  !  il  se  conduit  comme 
un  enfant  qui,  pour  prouver  son  amour  et  son 
affection  à  son  père,  lui  enlève  une  partie  de  ses 
biens.  La  France,  la  fille  aînée  de  l'Eglise,  tou- 
jours gouvernée  par  Napoléon,  laisse  commettre 
ce  vol  sans  faire  aucune  protestation. 

Le  Judas  du  Piémont  n'est  pas  encore  satisfait. 
Les  Romagnes  n'ont  pas  suffi  pour  étancher  sa 
soif  brûlante.  Le  18  septembre  1860,  le  roi 
galant-homme  pénètre  dans  les  Etats  de  l'Eglise, 
remporte  la  facile  victoire — 46,000  hommes  contre 
5,600 — de  Castelfidardo,  et  s'empare  des  Mar- 
ches et  de  l'Ombrie,  tout  en  protestant  encore  de 
sa  fidélité  et  de  son  dévouement  au  Saint-Siège. 
Il  avait  auparavant  demandé  la  bénédiction  du 
Souverain-Pontife.  N'est-ce  pas  la  conduite  qu'a 
tenue  Judas,  lorsqu'après  avoir  vendu  son  maître, 
il  vient  lui  donner  un  baiser  dans  le  Jardin  des 
Oliviers  ? 

Cette  violation  du  droit  des  nations  est  suivie 
de  désordres  épouvantables.  Les  révolutionnaires, 
que  Victor-Emmanuel  est  impuissant  à  retenir, 
chassent  les  religieux,  pillent  les  couvents  et  pro- 
fanent les  églises. 


—  261  — 

Pie  IX  voit  avec  chagrin  les  persécutions  qu  en- 
dure la  malheureuse  Pologne  de  la  part  de  la 
Russie.  En  i  863,  oubliant  ses  propres  souffrances, 
il  écrit  au  czar,  et,  seul,  il  proteste  en  faveur  de 
la  catholique  Pologne,  indignement  maltraitée. 
Aujourd'hui,  le  sang  des  martyrs  retombe  sur  la 
tête  du  Cosaque  qui  n'a  plus  de  refuge  assuré. 

En  1867,  Garibaldi,  le  brigand  de  l'île  de 
Caprera,  à  la  tête  d'une  bande  de  canailles,  qu'il 
avait  recrutées  dans  le  royaume  d'Italie — à  la  con- 
n a  issance d u  roi  eat/iolique}\7\ctor- Emm anuel- -entre 
dans  les  Etats  de  l'Eglise,  prend  et  saccage  Acqua- 
pedente,  Ischia,  Bagnorea,  Valentano,  Canino  et 
Subiaco.  Le  forban  marche  ensuite  sur  Rome.  Les 
zouaves  pontificaux,  sous  le  commandement  du 
général  Kanzler,  rencontrent  les  chemises  rouges  à 
Mentana.et  les  taillent  en  pièces.  Garibaldi  retourne 
dans  son  île,  après  avoir  lâchement  abandonné 
ceux  qu'il  conduisait. 

Nous  sommes  enfin  arrivés  à  la  dernière  scène 
de  la  douloureuse  passion  de  Pie  IX.  Je  veux 
parler  de  la  prise  de  Rome,  en  1870,  par  Victor- 
Emmanuel.  C'est  encore  ce  Judas  qui  transperce 
d'un  nouveau  glaive  le  cœur  de  Notre  Saint-Père  ; 
un  roi  catholique,  que  Pie  IX  avait  si  souvent 
bénit,  ose  porter  une  fciain  sacrilège  sur  le  domaine 
temporel  de  la  Papauté  ! 


—  262  — 

Victor- Emmanuel  s'empare  donc  des  Etats  de 
l'Eglise  et  prend  le  titre  de  roi  d'Italie.  Pie  IX,  le 
véritable  roi  de  Rome,  se  renferme  dans  le  palais 
du  Vatican  ;  il  est  prisonnier.  Qui  pourrait  redire 
toutes  les  souffrances  que  ce  grand  Pape  a  endu- 
rées depuis  le  20  septembre  1870  jusqu'à  sa  mort, 
arrivée  le  7  février  1878  ?  Dieu  seul  connaît  les 
abondantes  larmes  qu'il  a  versées. 

Détournons  nos  regards  de  ce  triste  tableau,  et 
passons  au  second  point. 

2°  Les  grandes  œuvres  de  Pie  IX. — -Dans  cette 
seconde  partie,  nous  suivrons  la  même  marche  que 
dans  la  première  :  c'est-à-dire  que  nous  rappelle- 
rons en  quelques  mots  les  principaux  travaux 
exécutés  par  le  Pontife-Roi  pendant  son  règne, 
qui  a  été  une  suite  non  interrompue  d'oeuvres 
grandes  et  merveilleuses. 

En  1850,  Pie  IX  rétablit  la  hiérarchie  ecclé- 
siastique en  Angleterre.  MgrWiseman  est  nommé 
premier  archevêque  de  Westminster,  avec  douze 
évêques  sufifragants.  Trois  ans  plus  tard,  le  Pape 
rétablit  aussi  la  hiérarchie  en  Hollande,  et  installe 
un  archevêque  à  Utrecht,  avec  quatre  sièges  suf- 
fragants  :  Harlem,  Bois-le-Duc,  Bréda  et  Rure- 
monde. 

En  185  1,  Pie  IX  élève  safrit  Hilaire  au  rang 
des  docteurs  de  l'Eglise  universelle. 


—  263  — 

Le  Pape  organise,  la  même  année,  le  collège  des 
protonotaires  apostoliques,  et  modifie  les  statuts 
de  l'ordre  de  Malte  et  de  Saint-Jean  de  Jérusalem. 
La  Congrégation  des  Petites  sœurs  des  Pauvres 
reçoit  l'approbation  du  Saint-Siège.  Cette  institu- 
tion, qui  a  rendu  tant  de  services  à  l'humanité,  a 
été  fondée  à  Saint-Servan,  en  1840,  par  de 
pauvres  filles. 

Il  existait  depuis  quelque  temps,  dans  l'Indous- 
tan,  un  schisme  que  l'on  appelait  sc/risme  de  Goa. 
Cette  scission,  dans  le  sein  de  l'Eglise,  avait  été 
produite  par  les  prétentions  de  la  cour  du  Portu- 
gal.   Pie  IX  met  fin  à  ce  schisme. 

De  nouveaux  sièges  épiscopaux  s'élèvent  dans 
la  communauté  des  Arméniens  catholiques. 

Les  îles  de  la  Martinique,  de  la  Guadeloupe  et 
de  la  Réunion  ont  chacune  le  bonheur  de  pos- 
séder un.  évêque. 

En  1854,  Pie  IX  proclame  le  dogme  de  l'Im. 
maculée-Conception.  La  terre  entière  est  dans 
l'allégresse,  mais  l'enfer  devient  furieux.  C'est  le 
premier  coup  porté  par  le  Souverain-Pontife  aux 
erreurs  modernes,  mais  aussi  c'est  le  principe  des 
haines  suscitées  par  le  démon  contre  le  pouvoir 
spirituel  du  Vicaire  de  Jésus-Christ. 

Sa  Sainteté  condamne,  en  1855,  les  premières 


—  264  — 

tentatives  sacrilèges  de  Victor-Emmanuel  qui  s'em- 
parait des  biens  des  couvents. 

Deux  ans  plus  tard,  le  Pape  parcourt  ses  Etats, 
où  il  est  reçu  partout  en  triomphe.  A  Pérouse, 
il  fonde  une  institution  agricole  pour  les  enfants 
pauvres.  Immola  possédait  un  monastère  connu 
sous  le  nom  de  Bon-Pasteur.  Pie  IX  le  trouve  trop 
petit  pour  le  nombre  des  religieux  qui  l'habitent  ; 
il  le  fait  agrandir.  Sinagaglia,  ville  natale  de  Jean- 
Marie  Mastaï  Ferretti,  est  aussi  comblée  de  faveurs 
signalées  ;  elle  voit,  s'élever  aux  frais  de  Pie  IX, 
un  hospice  pour  les  malades  et  les  orphelins, 
Ancône  est  redevable  à  ce  Souverain-Pontife  du 
splendide  observatoire  qu'elle  possède.  Toutes  les 
villes  qu'il  a  visitées,  ont  ressenti  les  bienfaits  de 
sa  charité  sans  borne. 

Au  mois  d'octobre  1858,  Pie  IX  proclame  et 
affirme  hautement  la  sainteté  et  l'inviolabilité  du 
caractère  reçu  au  saint  baptême,  à  l'occasion  d'un 
enfant  juif  baptisé  par  une  servante.  Nous  voulons 
parler  de  la  célèbre  affaire  Mortara.  Vous  vous 
rappelez  sans  doute  toutes  les  accusations  et  toutes 
les  calomnies  que  les  journaux  de  cette  époque 
formulèrent  contre  la  Papauté,  parce  que  le  Souve- 
rain-Pontife avait  placé  cet  enfant  dans  un  couvent. 
Il  n'y  avait  pourtant  pas  sujet  à  jeter  de  si  hauts 
cris.    Ecoutons   Louis  Veuillot,    parlant   de    cette 


—  265  — 

question  :  "  Conformément  à  la  loi  de  l'Eglise,  et  à 
la  loi  de  l'Etat  pontifical,  un  enfant  né  juif  avait 
été  retiré  de  la  maison  paternelle,  parce  que,  baptisé 
en  péril  de  mort,  il  appartenait  à  Jésus-Christ. 
L'enfant,  recueilli  à  Rome,  était  élevé  aux  frais  du 
Saint-Père,  séparé  de  sa  famille,  mais  non  séquestré, 
et  ses  parents  le  pouvaient  voir  autant  qu'ils  le 
voulaient.  "  Le  cas  est  bien  simple,  n'est  ce  pas  ? 
En  1862,  trois  cents  prélats  se  réunissent  à 
Rome  pour  assister  à  l'imposante  cérémonie  de  la 
canonisation  des  martyrs  japonais.  Ces  derniers 
avaient  versé  leur  sang,  en  17  15,  pour  la  confes- 
sion de  la  Foi. 

Pie  IX  publie  le  Syllabus,  en  1868,  et  cette 
longue  liste,  dit  un  auteur  français,  des  erreurs 
contemporaines  qui  ne  tendaient  à  rien  moins 
qu'à  détruire  la  raison  et  la  foi,  condamnées  et 
anathématisées  par  le  Souverain-Pontife,  excita 
au  plus  haut  point  les  clameurs  de  l'enfer. 

La  même  année,  le  Pape  crée  aux  Etats-Unis, 
huit  diocèses  et  quatre  vicariats  apostoliques. 

Le  plus  grand  événement  du  règne  de  Pie  IX 
est,  sans  contredit,  le  concile  du  Vatican,  où  fut 
proclamé  le  dogme  de  l'infaillibilité.  Je  vous  ai 
donné  d'assez  longs  détails  sur  ce  saint  concile 
dans  un  chapitre  précédent. 

Nous  venons  de  voir  passer  devant  nos  regards 
12 


—  266  — 

un  grand  nombre  d'œuvres  accomplies  par  notre 
Saint-Père  pour  le  bien  de  l'Eglise  catholique  ; 
mais  ce  n'est  pas  tout,  Pie  IX  s'est  encore  dis- 
tingué par  l'encouragement  qu'il  a  donné  aux  arts 
et  aux  sciences. 

La  basilique  de  Saint-Paul  est  terminée.  Saint- 
Laurent,  Sainte-Marie  du  Transtévère,  Sainte- 
Agnès,  et  soixante-quinze  églises,  dans  les  Etats  du 
Pape,  sont  restaurées  ou  ornées  avec  une  richesse 
inouïe. 

Le  chevalier  de  Rossi,  sur  l'ordre  du  Pape, 
explore  les  catacombes. 

Le  baron  Visconti  fait  des  fouilles  considérables 
dans  Xemporiitm  d'Auguste  et  de  Néron,  et  décou- 
vre les  marbres  les  plus  précieux  et  les  plus  riches 
qui  avaient  été  apportés  de  toutes  les  parties  du 
monde.  Ces  marbres  servent  aujourd'hui  à  l'orne- 
mentation des  temples  chrétiens.  J'ai  eu  occasion 
de  visiter  souvent  cet  immense  emporium,  et  je 
puis  dire  que  j'ai  été  surpris,  à  chaque  fois,  de 
voir  autant  de  richesses  entassées  dans  cet  endroit. 

Pie  IX  multiplie  les  écoles  et  les  institutions 
de  charité  ;  il  encourage  les  études  qu'il  place  sur 
un  pied  élevé  ;  il  fonde  un  institut  agricole  à  la 
Vigna  Pia. 

Et  que  dire  maintenant  du  dessèchement  des 
Marais-Pontins,  de  la  création  des  chemins  de  fer, 


—  Wl  — 

des  travaux  de  Civita-Vecchia,  des  fouilles  d'Ostie 
retrouvée,  du  port  de  Ravenne  agrandi,  etc  ? 

Nous  n'en  finirions  pas  si  nous  voulions  passer 
en  revue  toutes  les  entreprises  que  l'illustre  Pontife 
a  exécutées  pendant  son  règne.  Je  résumerai  sa 
vie  en  citant  cette  parole  -de  l'Ecriture-Sainte  : 
Transiit  bene  facicndo. 


ÂPPi'NDICE. 


NOMS  DES  ZOU/VES  PONTIFICAUX  CANADIENS. 


AVANT  LE  PREMIER  DETACHEMENT. 

M.  Testard  de  Montigny,  B.  A.,  Saint  Jérôme,  engagé  en 
janvier  J861. 

M.  Murray  lïugh,  Québec,  engagé  en  juillet  1861. 

M.  LaKocque  Alfred,  chevalier,  Montréal,  engagé  en 
février  1867. 

MM.  Prendergast  Alfred,  Nicolet  ;  Désilets  Gédéon, 
Saint-Grégoire  ;  Hénault  Gaspard,  Berihier  (en  haut), 
engagés  en  janvier  1868. 

MM.  Têtu  Alphonse,  Québec  ;  Cour*,  eau  Napoléon, 
Québec,  engages  en  février  1868. 

M.  Drolet  Gustave,  chevalier,  Montréal,  engagé  en  mars 
1868. 

PREMIER    DÉTACUEMEN  »'. 

Aumôniers.  — Hcv.  Messieurs  Edmond  Moreau,  de  l'éve- 
ché  de  Montréal,  et  Eucher  Lussier,  vicaire  à  Bouclïerville. 

Allard  Hector,  Québec. 
Arseneau  Thomas,  Baie  des  Chaleurs. 
Auger  Unésime,  Montréal. 
D'Auray  Télesphore,  Coteau-du-Lac. 
Barnard  Jacques,  Drummondville. 


—  2W  — 

Bastien  Alfred,  Montréal. 

Beauchesne  Jos.  Ulric,  Bécancour. 

Beaudoin  Moïse,  Montréal. 

Bédard  J.-Bte.,  Saint-Remi. 

Bégin  Théodule,  Lévis. 

Bellefeuille  (de)  Chs  Henri,  Saint-Eustache. 

Bernier  Roniuald,  Lévis. 

Bertrand  Georges,  Québec. 

•Brissette  Eugène,  Sainte-Elizabeth. 

Blackburn  Jean,  Château- Richer. 

Bourget  Achille,  Lévis. 

Bourget  Alphonse,  Lévis. 

Bourget  Marcel,  Saint- Joseph  de  Lévis. 

Brunet  Léonidas,  Montréal. 

Brunelle  Edouard,  Batiscan. 

Brunelle  Elie,  Pointe-Lévis. 

Campbell  Emery,  Malmaison. 

Caron  Charles,  Lennoxville. 

Champagne  Joseph,  Montréal. 

Chalut  Joseph,  Sault-aux-Récollet. 

Charbonneau  Georges,  Saint- Vincent  de  Paul. 

C'herrier  Benjamin,  Saint-Hyacinthe. 

Chouinard  Pierre,  Lévis. 

Cloutier  Elzéar,  Sainte-Julie  de  Somerset. 

Comte  Pascal,  Montréal. 

Connolly  Félix,  Dan  vil  le. 

Cormier  Moïse,  Bécancour. 

Courval  Charles,  Terrebonne. 

Coutlée  Cyprien,  Saint-rolycarpe. 

Couture  Alphonse,  Sainte-Thérèse. 

Décade  Léon,  Notre-Dame  de  Grâces. 

Demers  Louis  Daniel,  Montréal. 

DeCazes  Charles,  Sherbrooke. 

Desjardins  Henri,  Terrebonne. 

Dufresne  David,  Saint-Barthélemi. 

Dupras  Pierre,  Montréal. 


—  271  - 

Dupras  Stanislas,  Saint-Laurent. 

Dupuis  Barthélemi,  Saint-Constant. 

Dusseault  Epiphane,  Trois-Ivivières. 

D'Estimauville  Arthur,  Montréal. 

Forget  Lucien,  Sainte-Marie  de  Monnoir. 

Fcrget  desPatis  Adolphe,  Terrebonne. 

Forget  desPatis  Alphonse,  Terrebonne. 

Fortin  Augustin,  Islet. 

Francœur  Alfred,  Sorel. 

Fléchette  Edmond,  Arthabaska. 

(lad bois  Alphonse,  Saint-Césaire. 

Garneau  Elzéar,  Québec. 

Gaumont  Alfred,  Sainte-Julie  do  Somerset. 

(iendron  F.X.,  Saint-Théodore  d'Acton. 

Gervais  Gualbert,  Montréal. 

Gosselin  Louis,  Saint-Laurent,  lie  d'Orléahs. 

Gouin  Moïse,  Baie  du-Febvre. 

Groleau  Athanase,  Montréal. 

Hempel  Casimir,  Montréal. 

Hughes  Georges,  Saint-Maurice. 

Hurtubise  Edwin,  Montréal. 

Jauron  Napoléon,  Ely. 

Labelle  Toussaint,  Montréal. 

I-achapelle  Se  vérin,  Saint-Rémi, 

Lacroix  Alexandre,  Saint-Charles. 

Lamarre  Basile,  Longueuil. 

Lamarche  Adolphe,  Montréal. 

Langlais  Charles,  Kamouraska. 

Kangevin  Théophile,  Saint-Isidore. 

Laporte  Jérémie  Denis,  Sorel. 

Lavigne  Théophile,  Montréal. 

Larivière  Joseph,  Saint  Alexandre. 

1  eblanc  Louis  Jos.,  Montréal. 

Leblanc  Edouard,  Montréal. 

Lebel  Charles,  Paspébiac. 

Leclaire  Etienne,  Saint-Hyacinthe. 


—  272  — 

Leolair  Damien,  Sainte-Thérèse. 

L'Etoile  Joseph,  Sherbrooke. 

Lefort  Jérémie,  L'Assomption. 

Legris  Joseph,  Saint-François  de  Sales. 

Lemieux  Edouard,  Chicoutimi. 

L'Heureux  Thomas,  Saint-Hyacinthe. 

Lupien  Adélard,  Bécancour. 

Marchand  Alfred,  Saint-Jean  d'iberville. 

Meunier  Laurent,  Saint  Jean  d'iberville. 

Marion  Placide,  Sainle-Scholastique. 

Martineau  Herman,  Sainte-Anne  de  Lapocatière. 

Massicotte  Alphée,  Sa;nte-Géneviève  de  Batiscan 

McKenzie  Jacques  Jos.,  Col.,  Terrebonne. 

Moreau  CJlric,  Montréal. 

Morissette,  Jean-Bte.,  Québec. 

Morissette  Théophile,  Québec. 

Munro  Henri,  Montréal. 

Murray  Guillaume,  Québec. 

Normandin  Thomas,  Bouchervilie. 

Olivier  Louis,  Saint-Nicolas. 

O'Meara  Alfred,  Québec. 

Papillon  Siméon,  Ottawa. 

Papillon  Rémi,  Sainte-Anne  de  la  l'era  le. 

Paquet  Louis,  Saint-Henri  de  Lauzon. 

Paré  Is.  Gédéon,  Lotbinière. 

Paré  Pierre,  L'Ange-Gardien. 

Paré  Stanislas  Alph.,  Lachine. 

Patenaude  François,  Saint-Rémi. 

Pelletier  Evariste,  Nicolet. 

Péloquin  Adélard,  Saint-J  ude. 

Perrault  Gilbert,  Montréal. 

Perrin  Emery,  Sainte-Scholaa tique. 

Pépin  Emile,  Saint-Césaire. 

Prévost  Léandre,  Montréal. 

Eaymond  Noé,  Saint-Hyacinthe, 

Renaud  Alphonse,  Saint- Rémi. 


—  273  — 

Rheault  Luc,  Saint  Grégoire. 

\  ieher  Euclide,  Montréal. 

hosselin  Etienne,  Lavaltrie. 

Rousseau  Oscar,  Nicolet. 

Roy  Cyrille,  Lévis. 

Roy  J.-Bte.,  Saint- Félix  de  Kin!jsey. 

Roy  F.  X.,  Somerset. 

Schiller  Charles,  Montréal. 

Sénécal  Alfred,  Saint-Césaire. 

Sincennes  Félix,  Montréal. 

St. -Germain  Napoléon,  Saint-Eustache. 

Surprenant  Alphonse,  Saint-Constant. 

Taillefer  Joseph,  Sainte-Martine. 

Taschereau  Charles,  Sainte-Marie  de  la  Beauce. 

Têtu  Jean,  Trois  Pis  tôles. 

Toussaint  F.  X.,  Québec. 

Tmdelle  Charles,  Québec. 

Vallée  Charles,  Québec. 

Varin  Eugène,  Terrebonne. 

Verreault  Jules,  Lévis. 

Villeneuve  Gilbert,  Lachenaie. 

Vohl  Cyprien,  Québec. 

AVANT    LE    SECOND    DKTACHF.MF.XT. 

Pâijuet  Charles,  Québec. 

Rouleau  Charles,  Sainte  Anne  de  Lapocatière. 

SECOND    DÉTACHEMENT. 

Aumônier. — Rév.  M.  J.  Michaud,  de  l'ordre  de  Saint- 
Viateur. 

Baby  Alfred,  Joliette. 

Beaublen  Napoléon,  Yamachiche. 


—  2*74  — 

Brisebois  Ephrem,  South-Durham. 

Cassegrain  Arthur,  Saint-Césaire. 

Coté  F.-X.,  Sainte  Geneviève  de  Batiscan. 

Daigneault  Alphonse,  Saint-Hubert.  # 

Desnoyers  Charles  Henri,  Montréal. 

Durocher  J.  B.,  Saint- Aimé. 

Gélinas  Ben.  Pierre,  Saint- Aimé. 

Hébert  Ernest,  Laprairie. 

Hudon  de  Beaulieu  Nap.,  Yamachiche. 

Lachapelle  Elzéar,  Epiphanie. 

Lebel  Florian,  Kamouraska. 

Loranger  Adélard,  Yamachiche. 

Panneton  Georges,  Joliette. 

Pelland  Joseph,  Saint-Norbert. 

Plamondon  Anastase,  Saint-Césaire. 

Poulin  Elzéar,  Ile  d'Orléans, 

Séguin  Auguste,  Montréal. 

Tassé  Emmanuel,  Ottawa. 

Thérien  Hilaire,  Montréal. 

Vincent  Joseph,  Ottawa. 

TROISIEME    DÉTACHEMENT. 

Aumônier. — Rév.  M.  J.  C.   Routbier,  attaché  à  l'Ecole- 
Normale  Jacques-Cartier. 

Bazinet  Lous,  Saint- Vincent  de  Paul. 
Bélanger  Maurice,  Rigaud. 
Bigonèse  Alex.,  Chambly. 
Branchaud  Eusèbe,  Huntingdon. 
Brousseau  Alex.,  Belœll. 
Pruneau  Zacharie,  Saint-Hughes. 
Chaurette  Alfred,  Nicolet. 
Comtois  Zéphirin,  Saint-Hughes. 
Décarie  Georges,  Notre-Dame  de  Grâces. 
Desjardins  Sifroy,  Terrebonne. 


—  2Ï5  — 

Dumais  Taul,  Kamouraska. 

Dusseault  Louis,  Trois-Rivières. 

Faucher  Henri,  Montréal. 

Fauteux  Théodore,  Montréal. 

Gadbois  André,  Saint-Hilaire. 

Garceau  Louis,  Trois  Rivières. 

Germain  Germain,  Saint-Vincent  de  Paul. 

Gérin  Lajoie  Denis,  Nicolet. 

Giasson  Honoré,  L'Islet, 

Jodoin  Eucher,  Boucherville. 

Lionais  Georges,  Montréal. 

Marion  Auguste,  Joliette. 

Melançon  Oscar,  Joliette. 

Michaud  Thomas,  Kamouraska. 

Tréfontaine  Fulgence,  Belœil. 

Ricard  Damase,  Montréal. 

Thomas  Sidney,  Berthier. 

Violetti  Ferdinand,  Montréal. 

QUATRIEME    DÉTACHEMENT. 

Aumôniers. — Revs.  MM.  P.  H.  Suzor,  curé  de  Saint-Chris- 
tophe et  P.  Roy,  curé  de  Saint-Norbert  d'Arthabaaka. 

Alary  Jos.,  Sainte-Anne  des  Plaines. 

Allard  Tan.  Zotique,  Chateauguay. 

Boileau  F.  X.,  Sainte-Thérèse. 

Bélanger  Georges,  Montréal. 

Boudy  Agapit,  Lavaltrie. 

Blanchard  Louis,  Saint-Hyacinthe. 

Benoit  Jos.,  Saint- André  d'Acton. 

Benoit  Stanislas,  SaintCyprien. 

Bellemarre  Ferdinand,  Rivière-du-Loup  (en  haut.) 

Cloutier  Emery,  Saint-Norbert. 

Collin  Charles,  Longueuil. 

Champagne  Arthur,  Berthier. 


—  216  — 

Champagne  Aristide,  Lanoraie, 

Cabana  Nap.,  Sherbrooke. 

Dostaler  Raymond,  Berthier. 

Désormeau  Eusèbe,  Saint-Martin. 

Drolet  J.  B.,  Saint-Paulin. 

Duguay  Norbert,  Nicolet. 

Deniers  Godfroy,  Sainte-Geneviève. 

Dostaler  Alfred,  Saint-Narcisse. 

De  Tilly  Ernest  Noël,  Arthabaska. 

Favreau  Ferdinand,  Montréal. 

Féron  Maxime,  Saint-Léon. 

Francœur  Joseph,  Sorel. 

Fournier,  Saint  Thomas  de  Monlmagny. 

Gagnier  Calixte,  L' Anse-à-Gilles. 

Gagnier  Jos.,  Rimouski. 

Gaudet  Ludger,  Saint-Christophe  d' Arthabaska. 

Girard  J.  B.,  Saint- Aimé. 

Hardy  Elzéar,  Québec. 

Irvine  Guillaume,  Ile- Verte. 

Lavallée  Aristide,  Saint-Aimé. 

Lamontagne  Charles,  Rivière-du-Loup  (en  haut). 

Lavigne  Ernest,  Montréal. 

Lefebvre  Arthur,  Saint- Vincent  de  Paul. 

Mazurette  Napoléon,  Saint-Vincent  de  Paul. 

Munro  Charles  Nap.,  Montréal. 

Martin  Adéodat,  Montréal. 

McGowan  Jos.,  Saint-Roch  de  l'Achigan. 

Martin  Alp.,  Rimouski. 

Martineau  Alp.,  Ottawa. 

Paré  Ulric,  Saint- Vincent  de  Paul. 

Prince  J.  E.  C,  Nicolet. 

Prince  Louis  Jos.,  Saint-Pierre  de  Durham. 

Pouliot  Louis,  Rimouski. 

Pennée  Arthur,  Québec. 

St.-Laurent  Aimé,  Rimouski. 

Watters  Edmond,  Saint-Augustin. 


—  211  — 

CINQUIÈME    DÉTACHEMENT. 

Aumônier — Rév.  Monsieur  Edmond  Moreau,    chan.    «le 
Montréal. 

Archambault  Mathias,  Epiphanie. 

Archambault  Napoléon,  Montréal. 

Auge  Denis,  Rivière-du-Loup  (en  haut.) 

Allard  Prime,  Montréal. 

Bélanger  Joseph,  Québec. 

Bleau  Philias,  Ilochelaga. 

Blondin  Adolphe,  Baie  du-Febvre. 

Boisclair  Alfred,  Saint-Zéphirin. 

Bourgeois  Gaspard,  Saint-Grégoire. 

Bouchard  Camille,  Baie  Saint-Paul. 

Eédard  Alph  ,  Notre-Dame  du  Mont-Carmel. 

Bussière  Joseph,  Québec. 

Bourrât  Gustave,  Rivière  du-Loup  (en  haut.) 

Bélec  Louis,  Montréal. 

Beaucaire  Alfred,  Montréal. 

Barré  George,  Lachine. 

Chevrefils  Amable,  Saint  Guillaume. 

Cantin  Napoléon,  Sainte  Anne  d    la  Pérade. 

Collette  Ed.,  Saint-Ours. 

Chagnon  Edmond,  Chambly. 

Côté  Joseph,  Montréal. 

Chagnon  Antoine,  Saint-Hyacinthe. 

Cornellier  Louis,  Sainte  Blizabeth. 

Dumontier  F.  X.,  Québec 

Dumond  Arsène,  Saint-Jacques  de  l'Achigan. 

Desjardins  Michel,  Terrebonne. 

Dubé  Alp.,  Trois-Pistoles. 

Day  Emmanuel,  Montréal. 

DeChamplain  Bruno,  Québec. 

Danis  Alfred,  Montréal. 


—  2*78  — 

Dumont  Joseph,  Saint-André,  Kamouraska, 

Duguay  Hylas,  Baie-du-Febvre. 

Elie  Joseph|  Baie-du-Febvre. 

Fortier  Herménégilde,  Vaudreuil. 

Fortier  Aldéric,  Vaudreuil. 

Fortier  L.  IL,  Québec. 

Fitzpatnck  Arthur,  Montréal. 

Faucher  dit  Château  vert  Joseph,  Québec, 

Forget  Joseph,  Sainte-Marie  de  Monnoir. 

Fitzpatrick  Cypiien,  Montréal. 

Garon  Louis,  Ilimouski. 

Garneau  Henri,  Sainte- Anne  de  la  Pérade. 

Guay  Alphonse,  Saint-Liboire. 

Guilbault  Charles,  L'Assomption. 

Gilbert  Joseph,  Montréal. 

Gariépy  Louis,  Montréal. 

Gagnïer  Alexis,  Sainte-Martine. 

Gagnier  F.-X.,  Sain  te -Martine. 

Godin  Honoré,  Sainte-Anne  de  la  Pérade. 

Hébert  Philippe,  Québec. 

Lefebvre  F.  X.,  Laprairie. 

Laporte  J.-B.,  Lavaltrie. 

Lepage  Jean,  Rimouski. 

Lassiseraye  Arthur,  Trois-Rivières. 

Leniay  J.  B.,  Saint-Henri  des  Tanneries. 

Leclerc  Joseph,  Saint-Guillaume. 

Lemire  Elie,  Baie-du-Febvre. 

Laflamme  Philibert,  Saint-Hughes. 

Lavoie  Eustache,  Ile  aux-Grues. 

Lavoie  Eucher,  Ile-aux-Grues. 

Lachance  F.  X.,  Ile-aux  Grues. 

Lemieux  Gilbert,  Ile-aux-Grues. 

Lincourt  Honoré,  lle-du-Pads. 

McDonald  Joseph,  Nicolet. 

Melançcn  Moïse,  Saint-Jacques  de  l'Achigan. 

Masson  Jos.  Edouard,  Terrebonne. 


—  2^79  — 

Martel  Alexandre,  Montréal. 

Martin  Alfred,  Rimouski. 

Moreau  Joseph,  Saint-Thomas  de  Pierreville. 

Murray  John,  Québec. 

Marion  Israël,  Joliette. 

Pineau  Josué,  Rimouski. 

Parent  Edouard,  Rimouski. 

Pouliot  Louis  H.,  Rivière-du-Loup  (en  bas.) 

Provencher  Damase,  Nicolet. 

Rousseau  Louis,  Saint-Hughes. 

Rouleau  Napoléon,  Montréal. 

Renaud  Napoléon,  Montréal. 

Roy  Jean,  Lé  vis. 

Ringuet  Henri,  Rimouski. 

Roy  Cléophas,  Québec. 

Rivard  F.  X.,  Sainte-Geneviève  de  Batiscan. 

Smith  Jos.,  Saint-Germain  de  Rimouski. 

Sauvageau  Théodore,  Montréal. 

St- Arnaud  Henri,  Sainte-Geneviève  de  Batiscan, 

Slevan  John,  Baie  Saint-Paul. 

Sauvé  Alexis,  Sainte-Anne  du  bout  de  l'Ile. 

Seers  Alp.,  Sainte-Dorothée. 

Souvigny  Louis,  Sainte-Martine. 

Thivierge  Cyrille,  Montréal. 

Têtu  Emile,  Rivière-Ouelle. 

Valois  Georges,  Sainte-Scholastiqie. 


SIXIÈME    DETACHEMENT. 

Aumônier — Rev.  Monsieur  Jules  Piohé,  vicaire  à  Terre^ 
bonne. 

Allard  Joseph,  Saint-Jean-Baptiste  de  Rouville. 
Brosseau  Joseph,  Saint-Sébastien  d'iberville. 
Boyer  Siméon,  Montréal. 


—  280  — 

Benoit  Lucien,  Montréal. 

Bergeron  Narcisse,  La  Présentation, 

Blanchet  Philias,  Saint-Jude. 

Charretier  Février,  Saint-Hyacinthe. 

Desjardins  Jos.,  Saint-Jérôme. 

Duhamel  Alphonse,  Sainte-Rosalie. 

Desjardins  Alexis,  Sainte-Thérèse. 

Desnoyers  Dontague,  Saint-Hyacinthe. 

Desaulniers  Nap.,  Trois-Rivières. 

Forget  Adélard,  Sainte-Marie  de  Monnoir. 

Gervais  Télesphore,  Trois-Rivicres. 

Gervais  Eugène,  Trois-Rivières. 

Gervais  Louis,  Saint-Hyacinthe. 

Grenier  Narcisse,  Trois -Rivières, 

Guillet  Henri,  Sainte-Mario  de  Mon  noir. 

Goulet  Arthur,  Saint-Hilaire. 

Jannard  Mathias,  Montréal. 

Lapointe  Onésime,  Slierbrooke. 

Létourneau  Auguste,  Saint-Sébastien. 

L'Heureux  Théodore,  Saint-Hyacinthe. 

Loranger  Enoch,  Sainte-Anne  de  la  Pérade. 

Lecomte  Joseph,  Saint-Sébastien. 

Martel  Odilon,  Saint-Médard  de  Warwick. 

Marchesseau  Zotique,  Saint-Hyacinthe. 

Panneton  Jos.,  Trois-Rivières. 

Prévost  Emile,  Saint- Vincent  de  Paul. 

Paré  Pierre,  L'Ange-Gardien. 

Reed  Joachim,  Coaticooke. 

Roy  Cyrille,  Pointe-Lévis. 

St-Michel  F.-X.,  Saint- Jérôme. 

Sauvé  Hormisda?,  Saint-Raphaël,  Ile  Bizar  1. 

Sauvageau  Cléophas,  Saint-Hyacinthe. 

Trudelle  Victor,  Québec. 

Tessier  Philippe,  Sainte-Anne  de  la  Pérade. 


—  281 


SEPTIEME    DETACHEMENT. 

Aumônier. — Rev.  M.  E.  Moreau,  Chanoine  de   Montréal, 

Alexandre  Walter,  Nicolet. 

Aubin  Moïse,  Montréal. 

Auger  Xiste,  Saint-Darnase. 

Archambault  Herménégilde,  Ottawa. 

Brassard  J.-Bap.,  Saint-Michel  des  Saints. 

Béliveau  Olivier,  Saint-Grégiire. 

Bélanger  Charles,  Saint-Jean  Dorchester. 

Bouchard  Pierre,  Saint- Valentin. 

Beauchemin  Charles,  Varennes. 

Beauchemin  Oct.  Louis,  Arthabaska. 

Brault  Ignace,  Montréal. 

Bourque  Achille,  Saint-Grégoire. 

Bernier  Komuald,  Lévis. 

Beaudry  C,  Saint  J.-B.  do  Kouville. 

Bélinge  Aristide,  Sainte-Scholastique. 

Bertrand  Jules,  Montréal. 

Belcourt  Calixte,  Nicolet. 

Beauchemin  Louis,  Sainte-Monique. 

Bédard  Alfred,  Québec. 

Bégin  Isaie,  Québec. 

Comeau  Elise,  Saint-Léonard. 

Casaubon  Vital,  lle-du-Pads. 

Chagnon  J.  B.,  Saint-Pic. 

Cossette  Anselme,  Saint-Prosper. 

Cantin  Jos.,  Québec. 

Cosset  Octave,  Champlain. 

Champagne  Ambroise,  Sainte-Monique. 

Chabot  Sabin,  Saint  Simon. 

Clavel  Charles,  Québec. 

DeFoy  Georges,  Montréal. 

Desnoyers  Arthur,  Saint-Pie. 


—  282  — 

Duchainie  Kodolphe,  Watton. 

D5silets  Avila,  Joliette. 

Décoteau  Michel,  Stanstead. 

Dubois  Ernest,  Arthabaska. 

Dufresne  Raphaël,  Saint-Pie. 

Desparts  Elie,  Saint-Pie. 

Des  rochers  Hormis.,  Chateauguay. 

DeFoy  Philij^e,  Saint-Christophe. 

Dusseault  Louis,  Québec. 

Doricn  Nap.,  Charlesbour^'. 

Ernest  Pierre,  Québec. 

Fiset  Léon,  Québec. 

Fauteux  Félix  Jos.,  Montréal. 

Kilion  Jos.,  Sainte-Thérèse. 

Forget  Jean,  Terrebonne. 

Fortier  Alp ,  Québec. 

Kréchette  Vid.,  Québec. 

Fortier  Clovis,  Québec. 

Gélinas  Jo».,  Saint-Boniface. 

Gauthier  Théoph.,  Saint-Pie. 

Gobeille  Arthur,  Saintrie. 

Garon  J.  B.,  Lîimouski. 

Gendron  Stanislas,  Watton. 

Gélinas  Adrien,  Yaniachiclic. 

Gill  L.  JL,  Pierreville. 

Gascon  Jos.  Adalbert,  Terrebotine. 

Gauvreau  Ilormisdas,  Kivière-du-Loup  (en  haut). 

Girard  louis,  Sainte-Monique. 

Guillot  Jules,  Québec. 

Hébert  Arthur,  Bécancour. 

Houle  Alfred,  SaintProsper. 

Jodoin  Eucher,  Saint-Bruno. 

Jauron  Frederick,  Ely. 

Lafleur  J.  B.,  Saint  Pie. 

Leduc  Denis,  Montréal. 

Létouineau  Louis,  Sainte  Famille. 


—  288  — 

Laurin  Nap.,  Saint-Jean  Dorchester. 

Lapierre  Etienne,  Montréal. 

Lottinville  Horace,  Saint-Stanislas. 

Levasseur  Aimé,  Bécancour. 

Larue  Thomas,  Saint-Simon. 

Latulipe  F.,  Québec. 

Levasseur  Ov.  F.,  Saint-Aimé. 

Malo  Auguste,  Montréal. 

Marcotte  Oscar,  Lanoraie. 

Maillet  F.  X.,  Saint-Jean  d'iberville. 

Malette  Ant.,  Chateauguay. 

Moisan  Pierre,  Québec» 

Martin  G.,  Trois-Rivières. 

Milette  Edmond,  Trois-Rivière*. 

Michaud  O.,  Québec. 

Ménard  Moïse,  Saint-Li  boire. 

Mercier  Gédéon,  Epiphanie. 

O'Flaherty  John,  Québec. 

Ouellette  Joseph,  Sainte  Anne  de  Lapocatière. 

Provencher  Télesphore,  Nicole  t. 

Poulin  Denis,  Rimouski. 

Tinard  J.  B.,  Sainte-Monique. 

Pleau  Ulric,  Epiphanie. 

Perreault  Eusèbe,  Montréal. 

Pouliot  Adolphe,  Saint-Christophe, 

Proulx  Jos.,  Baie-du-Febvre. 

Pelletier  Oct.,  Baie-du-Febvre. 

Pelletier  Didier,  Baie-du-Kebvre. 

Poirier  Georges,  Saint-Célestin. 

Poirier  Damase,  Saint  Célestin. 

Lévêque  Paul,  Sainte-Elizabelh. 

Provost  Albert,  Chateauguay. 

Proteau  Cyprien,  Québec. 

Proulx  Gel.,  Québec. 

Poirier  Benjamin,  Lévis. 

Kuel  M.,  Lévis. 


.  —  284  — 

Roussel  Isaac,  Québec. 

Rivard  Alph.,  Bécancour. 

Renaud  Victor,  Québec. 

Sir Arnaud  François,  Saintdvénii. 

Scallon  Ed.  Jos.,  Joliette. 

St-Amand  T.,  Québec. 

Sauvé  Jules,  Saint-Thimotliée. 

Taché  Chs.,  Ottawa. 

Trudclle  Alex.,  Trois  Riviér<  s. 

Thibault  Alfred,  Québec. 

Vézina  Ed.,  Québec. 

PARTIS   i    0  LÉ  MENT  EN    DEHORS    DE!     DÉTACHEMÉ 

ET   Al'kî:      LE    DEPART    DU    l'KEMI  EU. 

Bourgeois  Benjamin,  Saint-Grégoire. 
McDonald  Ed.,  Nicolet. 
Renaud  Alfred,  Montréal. 
Dupré  Evariste,  Contrecœur. 
Beauchamp  Edouard,  Montréal, 
Valois  Louis,  Maskinongé^ 
Lefebvre  Louis,  Québec. 
Bécot  Etienne,  Québec. 
Murray  Alphonse,  Québec. 
ralàrdy  François-Xavier,  Verchèri 
De  Salaberry  Maurice,  Montréal. 
Piclié  Alphonse,  Montréal, 
(iuy  Joseph,  Montréal. 
Franeœur  Joseph,  Montréal. 
Drouin  Alphonso  P.,  Sainte •  Famille. 

.  ,  ,î    •.',  |       i    ^NAUIt  S  i    LKUit    SERVÏ< 

\     ROME. 

Joseph  Leblanc,    Arthur   tt'EsUipaa ville,  Chartes   Nap 
Munro,  dé  ce  dés  en  I 


—  285   - 

Charles  Tarohereau,   Sifroi    Besjardins,  Agapit  Bondy, 
décèdes  en  1869. 

Jérémie  Le  fort,  François-Xavier  Palardy,  Ferdinand 
Violetti,  décédés  en  1870. 

Ferdinand  Violetti  est  mort  à  Viterbe,  la  veille  do  l'éva- 
cuation de  cette  ville  par  les  Zouave  poniifiVn  x  et  a  ét£ 
enterré  dans  la  cathédrale,  près  du  tombeau  du  Cardinal 
Bédini  ;  les  autres  ont  tous  été  irhuuiés  d  ma  le  rimetièie 
de  .Saint-Laurent,  à  Romo. 


TABLE   DES  MATIERES. 


Pages. 

I.— Départ  et  traversée .. 1 

If. — Passage  en  Angleterre  et  en  France Il 

III. — Sur  la  Méditerranée  et  arrivée  à  Rouie.  •       21 
IV. — Une  journée  de  zouave — Un  épisode......       29 

V. — Velletri — Brigandage  en  Italie 37 

VI. — Chasse  aux  brigands — Exécution 45 

VIL— Camp  d'Annibal— Visite  de  rie  IX 53 

VI IL— Combat  simulé — Albano — Aricia — Castel- 

Candolfo — Marino —  Rocca-Priora Cl 

IX.— Fête  au  camp  — Rocca-di-Papa-- Départ  du 

camp—  Dispersion  des  Canadiens 09 

X. — Tivoli  et  ses  souvenirs 77 

XL— Cascades  de  Tivoli  et  la  villa  d'Esté 83 

XII. — Subiaco  et  saint  Benoît 91 

XIII. — Bolsene — Montefiascone — Viterbe 103 

XIV. — Mentana  —  Monte-Rotondo  —  Frascati  — 

Ostio 109 

XV. — Rome  ancienne 117 

XVI. — Rome  pendant  les  persécutions 135 

XV1L— Rome  actuelle ,  149 

XVIII. — Le  peuple  romain— 8a  foi,  sa  charité  et 

ses  divertissements 157 

XIX. — La  Reine  du  peuple  romain 175 

XX. — Noces  d'or  de  Pie  IX— Concile  du  Vatican.  185 

XXL— La  retraite  de  Viterbe— Le  20  sept.  1870.  199 

XXII. — Les  zouaves  pontificaux  canadiens 231 

XXIII. — Les  officiers  des  zouaves  pontificaux 247 

XXIV.— Pie  IX 257 

Appendice , 269 


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