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H1 SOUVENIRS DE VOYAGE
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SOLDAT DE PIE IX
PAR
C. E; ROULEAU
ancien sous officier aux zouaves pontificaux
AlMk DIEU ET VA TON CHEMIN.
Prix : 75 Contins, relié.
50 " broché.
QUEBEC !
DE L'IMPRIMERIE DE L. J. DEMERS A FRÈR
Editeurs du " Canadc
. 1881
INTRODUCTION.
On me dira peut-être : " Voilà encore un livre
sur Rome ; il y en a pourtant assez." J'avoue qu'un
nombre incalculable d'écrivains, maniant la plume
p]us facilement que moi, ont parlé de Rome ; mais
je suis le conseil du très regretté et très illustre
évêque de Poitiers, Mgr. Pie, qui écrivait un jour
à un de ses amis : " Ce qu'on dit avec raison de
la Mère de Dieu : De Maria numquam satis, on
peut le dire de la cité de Rome : De Rovî a num-
quam satis. " Rome n'est pas encore connue, et
elle ne le sera jamais. C'est un trésor que les
savants mômes ne peuvent épuiser. Rome renferme
l'histoire de l'Eglise catholique, de toutes les
nations, de tous les grands hommes, de tous les
saints et de tous les martyrs. Rome enfin, c'est la
plus grande merveille du monde entier.
IV
En 186S, je volai, avec quelques-uns de mes
compatriotes, à la défense du Saint-Siège que
menaçaient les hordes garibaldiennes. J'ai passé
plus de deux ans à l'ombre du drapeau pontifical,
et, pendant mon séjour sur ce sol arrosé de sang
chrétien, j'ai profité de mes heures de loisir pour
m'instruire sur tout ce que je voyais. Lorsque la
caserne était consignée — pour parler militaire-
ment— je prenais mon agenda et mon crayon, et
je visitais les lieux qui pouvaient me rappeler
quelques souvenirs religieux et historiques. J'ai
eu l'avantage de parcourir presque tous les Etats
de l'Eglise, lorsque j'étais obligé de changer de
garnison ; de sorte que j'ai pu me faire une bonne
provision de notes.
Depuis mon retour au pays, ces souvenirs, que
j'avais recueillis avec soin, dormaient paisiblement
dans les rayons poudreux de ma bibliothèque, et
leur sommeil se serait prolongé indéfiniment sans
les sollicitations pressantes de quelques-uns de
mes amis, qui me disaient : " Publie donc une
relation détaillée de ton voyage. ' Je me suis
décidé enfin, et je vous présente aujourd'hui, ami
lecteur, ce petit livre intitulé : " Souvenirs de
voyage d'un soldat de Pie IX.
J'éprouve cependant un bien vif regret en
livrant au public ce premier essai de ma plume si
peu exercée : c'est de ne pouvoir raconter, comme
elle le mérite, cette glorieuse croisade des zouaves
pontificaux canadiens, croisade due au zèle infati-
gable et à l'inépuisable charité de l'épiscopat et
du clergé du Canada.
Tout le monde a encore présent à la mémoire
le danger que courut Rome en 1867. L'ermite de
l'île de Caprera était sorti de son repaire et pro-
menait le fer et le feu dans les Etats de l'Eglise ;
il poussa ses conquêtes jusqu'aux portes de la Ville
éternelle. L'illustre vieillard du Vatican, Pie IX,
de regrettée mémoire, fut effrayé des progrès
rapides de la révolution. Le Pontife-roi éleva la
voix, et le monde catholique répondit à ces accents
douloureux en envoyant des milliers de bras pour
défendre le Saint-Siège. La France, la Belgique,
l'Espagne, la Hollande, l'Autriche, la Prusse, la
Pologne, l'Irlande, l'Angleterre, les Etats-Unis, les
îles de Bourbon, de Malte et d.e Sardajgne, l'Italie
même s'empressèrent de grossir les rangs de la
petite armée pontificale.
M. A. B. Testard de Montigny, aujourd'hui
reçorder à Montréal, M. le chevalier A. LaRocquc,
le glorieux blessé de Mentana, et M. Ilugh Murray
représentaient alors dignement le Canada à Rome.
Mais cette force morale ne suffisait pas, il fallait la
Vf
force physique. L'Eglise attendait plus de la part du
pays illustré par les vertus des Laval, des Duplessis
et des Saint- Valier. Nos Seigneurs les évéqucs,
profondément attristés des malheurs qui mena-
çaient la capitale de l'univers catholique, s'adres-
sèrent à la jeunesse canadienne et la prièrent de
sauver la barque de Pierre. La parole éloquente
de l'épiscopat produisit l'effet désiré, et, au mois
de février 1868, cent trente-cinq jeunes gens quit-
taient le Canada, traversaient l'Atlantique, la
France et la Méditerranée, et allaient s'enrôler
sous le drapeau de l'immortel Pie IX. Partout on
accourait en foule sur leur passage, pour contem-
pler et admirer ces croisés des temps modernes.
Partout on exaltait leur dévouement, leur foi
ardente et leur profond attachement à l'Eglise
catholique. Les peuples étonnés se demandaient
d'où partaient ces preux jeunes hommes, au regard
fier et courageux, au port noble et militaire. Un
cri général retentit alors dans tout l'ancien monde,
dans la France d'abord : " Ce sont des Canadiens,
des descendants de Champlain et de Montcalm.
Ce sont des enfants qui vont donner l'exemple de
foi à leur mère, la fille aînée de l'Eglise."
Depuis cette époque, ce cri n'a cessé de vibrer
aux oreilles de notre vraie mère-patrie, qui, ayant
arraché le bandeau que Voltaire et les autres
VH
cjnsdcmfariiiœ avaient placé sur son front, a tourné
les yeux vers nous et cherche à découvrir quelques
vestiges de son ancienne, colonie en Amérique.
L'idée que j'émets ici a été confirmée par l'hono-
rable M. A. P. Caron, ministre de la milice, qui
disait dans sa réponse à une adresse que les
zouaves de Québec lui ont présentée en 1880, a
l'occasion de sa promotion :
" Le mouvement de nos zouaves, leur passage
u à travers la France, leur séjour en Italie ont
u contribué dans une grande mesure à attirer les
" regards de l'Europe sur nous, sur notre pays, et
" vous avez ainsi rendu au Canada un service qu'il
" ne peut oublier."
Avant ce beau mouvement des zouaves, le
Canada était tellement négligé et tellement ignoré
que la plupart des Européens ne connaissaient
même pas notre langage. Quelques-uns croyaient
que nous parlions l'anglais, d'autres l'iroquois, le
huron, le montagnais ou le micmac, en général un
jargon sauvage à nous seul connu. Nos mœurs,
notre religion et nos coutumes devaient être celles
des Indiens : vivre de chasse et de pèche, coucher
sous la tente et dans les forêts, adorer le soleil ou
le grand Manitou, scalper les prisonniers ou les
faire brûler à petit feu, etc.. etc. Nous étions donc
bien mal jugés à l'étranger. Aussi, quelle ne fut
VI 11
pas la surprise des Français, surtout, d'entendre
parler, par les zouaves canadiens, la véritable
langue du siècle de. Louis XIV, de les voir adorer
le même Dieu qu'eux, vivre et dormir comme eux !
Ils restèrent ni plus ni moins épatés, comme dirait
le zouave pontifical.
On croira peut-être que j'exagère. Je vais citer
un simple trait pour dissiper tout doute :
A l'arrivée à Rome du premier contingent des
zouaves canadiens, une partie de l'armée pontifi-
cale, commandée par le baron de Charette, courut
à sa rencontre, à la gare des Tcrmini. Dès que
l'intrépide Taillefer eût mis pied à terre, il s'appro-
cha de notre lieutenant-colonel, qui lui adressa la
parole en anglais. M. Taillefer lui répondit en
français. Le baron en fût si étonné et en même
temps si content, qu'il garda le silence pendant
quelques minutes ; il ajouta enfin : " Comment, j'ai
le bonheur de presser la main à des compatriotes !
Les Canadiens sont donc de vrais Français ! C'est
splcndide ! "
Nous venons de constater que le mouvement
des zouaves a eu pour résultat matériel de faire
connaître et apprécier davantage notre chère
patrie. Mais ce n'est pas tout le bien que cette
chevaleresque croisade a produit à l'étranger. Les
zouaves — -je ne crains pas de l'affirmer — ont prouvé
IX
que la religion catholique avait au Canada des
enfants dévoués ; ils ont prouvé que, malgré la
conquête des Anglais, notre pays a su conserver
intacte la foi de ses pères ; ils ont prouvé que le
sang des saint Louis coule encore dans les veines
des Canadiens-français. Voici ce que m'écrivait,
l'été dernier, M. l'abbé Gingras, auteur avantageu-
sement connu du public, en parlant de la croisade
des zouaves canadiens : . -
" Cette expédition h Rome n'est-elle pas l'une
" des plus belles pages de nos annales canadiennes ?
" Cette expédition touchante, capable d'électriser
"tout lecteur catholique, il faut travailler à la
" populariser autant que possible. La papauté, au
" sommet de son calvaire, en est à cette heure de
" mélancolique indifférence, que le Christ a connue
" sur la croix : la foule se retire ! Le peuple cana-
" dien est l'un des rares disciples restés au pied de
" la croix pour consoler la papauté dans son aban-
" don. Il faut donc traiter avec respect tout ce
" qui est de nature à retremper davantage la pro-
" fonde et filiale sympathie qui attache le Canada
" à l'immortel chef de l'Eglise
" L'expédition des zouaves canadiens a été un
" snpcrbe clan de dévouement catJiolique : eh bien,
" une nation qui, à l'instar de la nôtre, n'a pas
" encore — -tant s'en faut — retiré sa main de celle
X
"duJChrist, ne doit jamais cesser de brûler un peu
" d'enthousiasme pour cette expédition de nos
" croisés qui brillera toujours , aux yeux de V histoire,
" comme l'une des plus belles perles de notre couronne
u nationale.''
Je termine. Mes réflexions pourraient être taxées
de partialité. Mais en disant adieu au lecteur, je
ne puis m'empêcher de lui faire la remarque
suivante :
Ce livre n'est pas une œuvre de littérature, et je
n'ai pas la prétention de me placer au rang de ces
hommes privilégiés qui sont appelés à illustrer
leur pays par leurs écrits. Par conséquent, soyez
indulgent, et, s'il s'est glissé quelques erreurs,
comme vous pourrez vous en convaincre en lisant
la page suivante, vous vous direz : Le but de
l'auteur étant de nous faire aimer Rome et la
Papauté, nous lui pardonnons bien volontiers.
Charles E. Rouleau.
Québec, 26 octobre iSSi.
P. 4, 2ième ligne, au lieu de "fallait mieux," lisez : ''valait
mieux."
P. 46, 7ème ligne, au lieu de "mises en défaut j" lisez : " prises
en défaut."
P. 80, 22ème ligne, et p. 184, 6ème ligne, au lieu de " Madona,"
lisez : " Madonna."
P. 93, 3ème ligne, au lieu de "Je viens de nommer," lisez : "Je
veux parler de."
P. 98, nème ligne, au lieu de "applaudir l'héroïsme," lisez:
"applaudir à l'héroïsme."
P. 101, 7eme ligne, au lieu de "alla se nicher," lisez: "se
retira. "
P. 110, 23ème ligne, au lieu de "Port» inferi adversus eam non
prœvalebunt, " lisez: "non prœvalebunt adversus eam."
P. 160, 3eme ligne, au lieu de "où le corps de J. C. est exposé,"
lisez : " où l'Hostie sainte est exposée."
P. 184, 2cme ligne, au lieu de "qui gladio ferit, etc.," lisez:
"omnes enim qui acceperint gladium, gladio peribunt."
P. 189, I5eme ligne, au lieu de "Quam bonum, etc.," lisez :
" Ecce quam bonum, etc., etc."
P. 193, 2lème ligne, au lieu de "sans savoir qu'il se tiouvait,"
lisez : " sans savoir quelle se trouvait." -•
P. 194, dernière ligne, au lieu de " foudroyée par la foudre,"
lisez : " terrassée par la foudre."
SOUVENIRS DE VOYAGE
DUN
SOLDAT DE PIE IX
Ôît<#S
CHAPITRE I.
DÉPART ET TRAVERSÉE.
Nous sommes au 24 avril 1868. Le printemps
remplit la nature de ses plus suaves parfums.
Notre globe terrestre semble prendre une nouvelle
vie. Tout le monde porte sur la figure l'empreinte
de la plus vive allégresse. Un seul mortel apparaît
avec un regard sombre et préoccupé. On le voit
debout sur le pont du steamer, le St-Georgey les
yeux fixés sur le séminaire et les tours de la
cathédrale de Québec. Il essuie de temps en temps
une larme fugitive qui lui sillonne la joue. Le
souvenir de ses parents et de ses amis, qu'il va
quitter hélas ! peut-être pour toujours, lui ronge
— 2 —
le cœur ; la sainte vocation, qu'il avait embrassée
et qu'il abandonne tout à coup, est pour lui un
bien cruel bourreau. Quelquefois vous le voyez
dans l'attitude d'un homme qui est sur le point
d'entreprendre une action éclatante, mais qui
déploie une grande hésitation à l'accomplir. Quel-
quefois vous le voyez se composant un extérieur fier
et sérieux et tenant le monologue suivant : "Adieu
mes parents ! adieu mes amis ! adieu mes braves
compatriotes ! je pars pour Rome, je vole au
secours de l'immortel Pie IX. La religion m'ap-
pelle, le sacrifice est fait."
Il dit, et le sifflet du traversier annonce le
départ ; encore quelques secondes, et l'auteur de
ces lignes aura quitté la vieille cité de Champlain.
Je vous l'avoue franchement, cher lecteur, c'est à
cette heure solennelle que j'ai parfaitement com-
pris qu'il n'y a rien de plus fort que l'amour de la
famille et celui de la patrie. Il m'a fallu montrer
un courage presque surhumain pour supporter
autant d'émotions à la fois, et pour ne pas fondre
en pleurs comme une autre Madeleine, lorsque le
bateau s'est éloigné du quai du Grand-Tronc.
A huit heures du même soir, je pars de Lévis
— en compagnie d'un brave défenseur de la
papauté, M. Charles Paquet dit Lavallée, qui
occupe aujourd'hui un poste dans la gendarmerie
— 3 —
pontificale — pour me rendre à Portland, Etats-
Unis. Le voyage entre ces deux villes est passa-
blement ennuyeux et monotone, puisqu'il se fait
pendant la nuit. Mon ami et moi, nous chantons des
cantiques dédiés à la Mère de Dieu, pour attirer
sur nous les bénédictions du Ciel, afin de faire
une heureuse traversée sur l'océan ; c'est ce qui a
porté un correspondant à publier dans Y Union des
Cantons de V Est, du 25 avril 1868, les quelques
remarques qui suivent :
CORRESPONDANCE.
M. le Rédacteur,
11 En revenant vendredi dernier d'un petit voyage
de plaisir, j'ai rencontré, dans les chars, deux
jeunes gens qui m'ont intrigué beaucoup. Ils
étaient paisibles et joyeux comme on l'est d'or-
dinaire en pensant revoir bientôt des amis d'en-
fance. Ce qui me surprenait surtout, c'était de
les entendre fredonner doucement un cantique
à Marie, l'étoile du Navigateur.
" Rien de surprenant, c'étaient deux zouaves
qui allaient offrir au Saint-Père le secours de leurs
bras pour repousser les ennemis de son Siège.
" Que Dieu vous protège, braves enfants de
l'Église, et que la Vierge Immaculée vous accom-
pagne jusqu'aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ.
_4 —
" Leurs noms sont, MM. Charles Paquet et
Charles Rouleau, du diocèse de Québec.
" Un Voyageur."
A la même date de cette correspondance, mais
à deux heures et demie de relevée, je fais mon
entrée triomphale dans Portland, et une demi-heure
plus tard, je suis sur le Belgian, steamer de la
ligne Allan, en destination de Liverpool. Je n'ai
donc pas eu le temps de visiter cette ville améri-
caine. J'en ai une idée bien vague ; une vue d'en-
semble m'est restée gravée dans la mémoire, et
voilà tout.
Le vingt-six, le temps est on ne peut plus
splendide. L'océan atlantique est aussi calme que
notre majestueux St-Laurent dans les plus beaux
jours *de l'été. Je me promène sur le pont du bâti-
ment pendant que les ministres luthériens — nous
en avons trois à bord— pérorent dans le salon
devant quelques auditeurs delà même secte* et
s'évertuent à leur faire comprendre qu'avec la
bible seule on peut escalader le ciel. Quant à
moi, je me disais qu'il \Jatyait mieux voguer dans
la barque de Pierre, si nous voulons arriver au
vrai port de l'Eternité. Mes protestants — bons
garçons du reste — ont consacré une grande partie
de l'avant-midi du dimanche à la lecture de leur
bible. Le dimanche à bord d'un steamer ! Quelle
triste journée! C'est alors que vous regrettez le clo-
cher de votre village. C'est alors que vous pensez au
vénérable curé qui vous a ouvert la porte du ciel
par la grâce du baptême, qui vous a conduit pour
la première fois à la Sainte-Table, qui vous visite,
vous console, vous bénit et vous pardonne. Mille
réflexions de ce genre me traversèrent l'esprit. Je
pensais encore aux fêtes religieuses qui se célè-
brent au Canada avec tant de pompe, aux chants
sacrés qui font retentir la voûte de nos églises,
aux accords harmonieux de l'orgue qui réjouis-
sent l'âme, et aux tintements des cloches qui
nous invitent à élever nos cœurs vers la Divinité.
Je me transportais, par la pensée, dans la cathé-
drale de Québec, et je me disais : aujourd'hui,
à pareille heure, mes anciens confrères sont
agenouillés au pied de la statue de la sainte
Vierge, et adressent les prières les plus ferventes
à Celle qui guide le voyageur à travers les écueils.
Comme vous le savez, nous étions dans le mois
dédié à Marie. Cette pensée me consola.
Vers le soir, le vent*a#gmente ; à de légères
ondulations ont succédé des flots irrités qui pren-
nent tour à tour la forme d'une colline ou d'un
vallon. Mais n'allez pas croire que nous sommes
en danger, et que notre agile bâtiment craint de
■— 6 —
fendre les ondes verdoyantes ; non, sa marche,
toujours majestueuse, devient de plus en plus
rapide, car le vent, d'est qu'il était, s'est porté à
l'ouest et, tout en blanchissant la crête des vagues,
frappe avec force les voiles du Belgian.
Malgré l'irritation des flots, je suis ferme et
inébranlable contre le mal de mer, je crois faire le
voyage sans payer le tribut exigé par les minis-
tres de Neptune. Sur l'océan, on a beau crier :
pas de taxe ; il faut délier très souvent les cor-
dons de sa bourse et déposer son obole sans mur-
murer, heureux encore si l'on peut s'acquitter du
cruel impôt, pendant une couple de jours.
Les quatre jours suivants, le temps se tient
toujours clair et beau. Mais le vent souffle avec
violence. La farouche aquilon a ébranlé l'océan
jusque dans ses fondements, et lui a donné une
teinte d'une blancheur éclatante. Les vagues
augmentent en élévation ; ce ne sont plus de
simples collines, mais bien d'énormes montagnes.
Le vingt-neuf au soir, il tombe une pluie abon-
dante accompagnée de grêle ; nous sommes sur
les bancs de Terreneuve. Nous rencontrons une
goélette que je prends en pitié. Nous la voyons
descendre dans l'onde courroucée comme si elle
ne devait plus reparaître, mais un instant après
elle surgit du gouffre avec** agilité et majesté et
— 1
continue de s'avancer hardiment. Pendant ces der-
niers jours nous avons vu plusieurs navires en
route pour Québec et Montréal. Je crois que la
politesse est mieux observée sur mer que sur terre,
car tous les navires qui sont passés dans notre
rayon visuel, nous ont salués avec une grande
galanterie, tout en nous faisant connaître le lieu
de leur départ et de leur destination.
J'ai maintenant une excellente idée de ce que
nous appelons océan. Le mugissement des vagues
qui moutonnent et le sifflement du vent dans les
cordages me font penser à ces paroles de Chateau-
briand : " J'ai l'immensité sur ma tête, j'ai l'im-
mensité sous mes pieds. "
Le premier de mai, mon aimable compagnon
et moi nous commençons le mois de Marie dans
notre cabine. Que de pensées, que de souvenirs
assiègent notre esprit ! Nous sommes sur l'océan,
ballotés par les flots, et peut-être sur le bord de la
tombe ! Chassons les sombres idées, et portons
notre pensée sur nos parents et nos amis qui prient
Marie, Stella Maris, pour les deux voyageurs
éloignés de plus de 1,500 milles de leur patrie.
A midi, j'ai entendu une conversation qui m'a
profondément attristé. Un prédicateur allemand,
qui revenait d'une mission dans l'Arkansas, dis-
cutait avec un Anglais, qui ne paraissait pas
— 8 —
l'approuver en tous points. Après avoir traité dif-
férentes questions philosophiques, mes deux dis-
coureurs en sont venus aux hommes mêmes, aux
philosophes, et le sujet est tombé sur Voltaire. Je
prêtais une oreille très attentive. L'Allemand était
un admirateur enthousiaste de Voltaire ; il ne
tarissait pas en éloges. On l'entendait dire sou-
vent : " Voltaire is a very smart fellow. " " Quel
charmant prédicateur, dis-je, en me tournant vers
mon ami Paquet ! Je suis sûr que s'il continue
longtemps à parcourir le même sentier boueux, il
finira ses jours comme le monstre qu'il adore en
mangeant le fruit de ses inventions."
Rien d'intéressant à noter pour les 2, 3, 4 et 5 ;
notre steamer"est continuellement ballotté par des
vagues énormes ; nous pouvons à peine nous tenir
sur le pont. Néanmoins, je ne puis m'empêcher de
dire que l'océan est magnifique et qu'il proclame
la toute-puissance du Créateur.
Le 6, le temps est nuageux, mais sans pluie.
Le vent, soufflant du sud, nous est assez favo-
rable. Vers quatre heures P. M., le vent tombe
complètement, et le ciel devient clair et serein.
Tout à coup, à notre droite, nous apercevons la
terre, " l'Irlande ! " nous sommes-nous écriés.
Oui, c'est l'Irlande que nous avons près de nous ;
elle mérite bien le nom de Verte-Erin, avec son
— 9 —
riche manteau de verdure que le soleil darde de
ses rayons ardents. Nous avons longé les côtes de
l'Ile de saint Patrice pendant l'espace de 20 à 30
lieues, et, dans toute cette étendue, je n'ai eu qu'à
admirer les plus riants aspects.
Les Anglais qui se trouvaient à bord semblaient
différer de sentiments avec moi en portant leurs
regards sur l'Irlande. Quelques-uns d'entre eux
s'exclamaient : " That's the land of the Fenians !"
Et si vous aviez vu la moue qu'ils faisaient en
prononçant ces paroles de mépris !
Après avoir fait escale pendant quelque temps
à Moville, nous continuons notre course rapide.
Le 7 au matin, je vois dans le lointain l'Ecosse
que dore le soleil levant. Un grand nombre de
navires sillonnent la mer d'Irlande.
Bientôt, l'île of M an s'offre à nos regards. Ici
je me crois au Canada. La première montagne,
qui s'élève à l'ouest de cette île, ressemble beau-
coup au cap sur lequel est bâtie la citadelle de
Québec. Les autres chaînes présentent l'aspect
des montagnes qui bordent la rive nord du St.-
Laurent en arrière de la baie St.-Paul.
A 7 heures P. M., l'Angleterre nous apparaît ;
mais nous devons attendre deux heures avant
d'entrer dans le port de Liverpool. Nous avons
devant nous un banc de sable que nous ne pour-
— 10 —
rons franchir qu'avec la haute marée. Véritable
supplice de Tantale ! Etre si près de la fière
Albion et ne pas pouvoir y mettre le pied. Tout
de même il faut bien se résigner à son sort.
Enfin, à io heures, nous entrons dans le port
tant désiré. Bien que les ténèbres couvrent depuis
longtemps la surface du globe, il nous est donné
cependant de jouir d'un spectacle vraiment féeri-
que. Nous sommes dans la rivière Mersey, et sur
chaque rive s'étend une longue traînée lumineuse
formée par des milliers de becs de gaz, et qui se
perd dans le lointain. Figurez-vous être devant la
citadelle de Québec, au milieu de notre beau St-
Laurent, par une soirée d'été, et les yeux tournés
vers l'île d'Orléans. A votre droite, vous avez la
Pointe-Lévis, à votre gauche, Québec et la côte
de Beaupré. Figurez-vous de plus une illumination
générale des différents édifices qui parsèment cette
immense étendue, et vous aurez une idée du pano-
rama qui se déroule devant moi.
. A 10 heures et quinze minutes, je foule du
pied le sol du Royaume-Uni de la Grande-Bre-
tagne et d'Irlande.
Comme vous avez pu le constater, la traversée
qui s'est effectuée dans l'espace de douze jours et
demi a été très heureuse. La distance qui nous
sépare maintenant de Portland est de 2,892 milles.
CHAPITRE II. .
PASSAGE EN ANGLETERRE ET EN FRANCE.
Liverpool est un des plus beaux ports de l'Eu-
rope. Quand on contemple cette forêt de mâts
sur la rivière Mersey, on se convainc aisément que
cette ville fait un commerce très étendu. On y
voit des navires de toutes les nations du monde.
Dans les rues, vous ne coudoyez que des gens
d'affaires qui vont et viennent. C'est un trans-
bordement continuel de marchandises.
Le lendemain matin, c'est-à-dire le 8 de mai,
je descends dans l'immense capitale d'Albion.
Je ne fais que traverser Londres et jeter un
coup d'ceil rapide sur le dôme de Saint-Paul, que
les Anglais comparent, dans leur orgueil, à celui
de la splendide basilique de Saint-Pierre de
Rome. Je pars immédiatement pour New-Haven,
petit port de mer qui se trouve sur le bord de la
Manche.
Pendant le trajet de Liverpool à ce dernier
port, j'ai admiré l'exquise politesse que les con-
ducteurs des convois de chemins de fer montrent
— 12 —
à l'ég?.rd des passagers. Les champs, couverts
d'une riche moisson, m'ont paru être cultivés avec
\ un soin très intelligent. On voit que la science et
l'ordre président aux travaux agricoles. Tout y
est d'une beauté ravissante.
New-Haven est une ville peu considérable, et
les édifices sont d'une apparence assez médiocre ;
ce qui en fait l'importance, c'est son port. On y
admire un grand nombre de bâtiments à vapeur et
à voile qui trouvent un refuge très sûr dans ce
havre. Mais en somme, résider en cette ville est
on ne peut plus ennuyeux. On n'entend que le
piétinement et le hennissement des chevaux qui
traînent d'énormes wagons remplis de charbon de
terre, que l'on expédie à des contrées éloignées,
et le chant monotone ou les cris nasillards des
nautonniers, qui s'empressent de terminer le char-
gement de leurs navires.
Malgré le peu d'agrément qu'offre ce port, je
suis forcé de demeurer toute une journée dans le
grand hôtel appelé London and Paris ; aussi
lorsque le sifflet du steamer, qui doit m'emporter
au delà de la Manche, annonce le départ, je ne
me fais pas prier pour me rendre dans ma cabine.
Il était alors onze heures du soir ; c'est, comme
vous le voyez, l'heure où Morphée invite les heu-
reux mortels à prendre un peu de repos. Je me
— 13 —
jetai donc dans ses bras avec. joie. Lorsque je
m'éveillai, le soleil inondait déjà de sa lumière
jaunâtre la surface de la plaine liquide, et les
côtes de ta France se montraient à l'horizon. La
Manche était très calme et sillonnée en tous sens
par de petites barques de pêcheurs. Mon cœur
battait avec violence en voyant pour la première
fois le beau pays des Cartier, des Champlain, des
Laval, des Montcalm, etc.
Et qui pourrait retracer toutes les émotions
que j'éprouvai en débarquant à Dieppe, en foulant
le sol de l'ancien continent, de cette France tant
vantée dans l'histoire ? J'y voyais passer tour à
tour la barbarie et la civilisation ; la barbarie avec
ses Goths, ses Huns et ses Normands ; la civilisa-
tion avec ses Clovis, ses Charlemagne et ses
saint Louis. Que de combats livrés sur la terre
que j'ai le bonheur de contempler ! Que de sang
versé pour satisfaire l'ambition d'un tyran ou d'un
empereur aveuglé par ses nombreuses victoires et
que l'orgueil seul conduit sur le champ ,de
bataille !
A peine débarqué à Dieppe, je saute dans un
train qui part pour Rouen, et je traverse, dans
toute son étendue, la célèbre vallée de la Nor-
mandie. Quel est le peintre qui pourrait retracer
toutes les beautés et tous les charmes que renfer-
— 14 —
me cette vallée grandiose ? Ici, la Seine, bordée
d'arbres magnifiques, coule dans la campagne
fleurie en faisant de gracieux détours ; là, un riant
bocage invite le voyageur fatigué à prendre un peu
de repos. Plus loin, un château fortifié, dont les
tours s'élèvent jusqu'aux nues, nous transporte à
cette époque qu'on appelle le Moyen-Age.
Plus loin encore, de beaux villages aux toits
de chaume, qui conservent la simplicité du bon
vieux temps. " O patrie de mes ancêtres, tu m'es
chère à plusieurs titres. Tu me rappelles de bien
doux souvenirs. C'est de ton sein que sont partis
la plupart de ces vaillants guerriers qui se sont
illustrés sur les bords de la rivière Monongahéla, à
Carillon, et sur les plaines d'Abraham ; c'est d'ici
que s'est envolé cet essaim de missionnaires qui
n'ont pas hésité à s'enfoncer dans nos forêts pour
évangéliser les peuples, et à répandre leur sang
pour le triomphe de la croix, déjà arrosée du sang
du Christ."
Mais trêve aux impressions et entrons dans
Rouen, l'orgueil des Normands. Nous sommes
reçus par M. l'abbé Boullard, aumônier de l'Hôtel-
Dieu. Une lettre de recommandation de Mgr l'ar-
chevêque de Québec nous a valu cet honneur. Je
ne saurais exprimer ici toutes les bontés et les
amabilités de notre respectable hôte, car il y a des
— 15 —
choses qu'on éprouve, mais qu'on ne peut redire.
Les deux jours que nous avons passés sous le
toit de cet homme, éminent par la science et la
vertu, ont été de vrais jours de fête. Promenades,
visites et festins, tout a été employé par lui pour
faire disparaître les fatigues de notre long et péni-
ble voyage. Il a voulu lui-même nous servir de
guide pour nous faire visiter la ville et ses nombreux
monuments, entre autres la cathédrale, l'église de
St-Ouen, et la place où fut brûlée Jeanne d'Arc.
Tous les monuments anciens et nouveaux satisfont
pleinement la curiosité des touristes. En un mot,
Rouen m'a plu. Mais, ce que je regrette de dire à
la honte de notre ancienne mère-patrie, c'est que
la loi divine concernant les dimanches et les fêtes
n'y est pas observée par une certaine partie de la
population. Pendant que je me rendais de l'Hôtel-
Dieu à la cathédrale, où je devais entendre la
messe célébrée par le cardinal de Bonnechose —
car c'était grande fê£e ce jour-là — je rencontrai
plusieurs centaine* d'ouvriers qui se dirigeaient
vers le lieu de leur travail. J'en fis la remarque
à monsieur Boullard qui m'accompagnait, et il me
répondit en essuyant une larme : " C'est comme
ça tous les dimanches. On ne va pas à la messe.
Il y aura encore de grands malheurs en France."
Je pris ces paroles comme une prophétie, et je
/
— If—
vois qu'elle a commencé à s'accomplir et qu'elle
finira bientôt par se réaliser complètement.
Je ne puis dire adieu à la quatrième ville de
France, suivant la géographie, sans vous parler de
la charmante petite église de Notre-Dame-de-
Bonsecours. Cette église, bâtie récemment grâce
à la générosité de quelques braves citoyens, se
trouve à deux milles et à l'est de la ville, si je ne
me trompe pas. C'est un lieu de pèlerinage très
fréquente N.-D.-de-Bonsecours est un véritable
bijou. Tout, à l'intérieur, est d'or, d'argent et de
pierres les plus précieuses. En entrant dans ce
saint sanctuaire, la vue est pour ainsi dire éblouie
par l'éclat qui y règne. On se croirait transporté
au séjour de la divine Beauté ! ■' Voyageur, qui
que vous soyez, si vous avez le bonheur d'entrer à
Rouen, n'oubliez pas d'aller faire une courte prière
dans ce pieux asile du pécheur, et vous verrez que
vous en reviendrez le cœur tout soulagé."
Le il de mai, nous fûmes obligés de nous
séparer de ce saint prêtre, de celui qui nous avait
donné une si gracieuse hospitalité. Lorsque nous
lui fîmes nos adieux, de grosses larmes coulèrent
de notre paupière. Pouvait-il en être autrement,
nous qui, étant deux étrangers, deux inconnus,
étions l'objet de tant de faveurs ? " O aimable
Monsieur Boullard, vous n'êtes plus dans cette
— 11 —
vallée de larmes, mais je porte votre nom gravé
dans mon cœur, et le souvenir de vos bontés ne
s'effacera jamais de ma mémoire. Du haut du ciel,
daignez jeter un regard sur votre petit abbé et votre
grande barbe, noms que vous vous plaisiez à nous
donner lorsque nous étions auprès de vous. Que
par votre intercession, nous puissions un jour aller
vous rejoindre dans le royaume des Bienheureux. "
Le même jour nous traversons Paris au pas
gymnastique. J'ai le temps tout simplement de
jeter les yeux sur le Louvre, les Tuileries, le Palais
impérial, la colonne Vendôme, l'Arc -de-1'Etoile,
Notre-Dame, etc. Toutes ces richesses artistiques
passent devant moi comme un fantôme.
Le 12, je suis installé dans l'hôtel du Vatican,
à Marseille. Plusieurs villes ont frappé mes regards
depuis mon départ de la capitale de France, telles
que Fontainebleau, Dijon, Lyon et Avignon. Ces
deux dernières villes me rappelaient, l'une de bien
doux, l'autre de bien tristes souvenirs. Lyon
m'apparaissait avec son magnifique pèlerinage de
Notre-Dame-de-Fourvières et semblait répéter à
mon cœur ces consolantes paroles : " C'est lâ-
haut que sont montés, il y a deux mois, 1 3 5
courageux jeunes gens, partis de la même patrie
que toi." J'aurais bien voulu jouir du même bon-
heur, mais le temps, cet insigne larron, ne me l'a
— 18 —
pas permis. Avignon vint ensuite me tirer de la
rêverie dans laquelle j'étais plongé, mais le lan-
gage qu'elle me tint était empreint d'une pro-
fonde tristesse : " Voici, me dit-elle, la résidence
des papes pendant le grand schisme qui a désolé
trop longtemps l'Église catholique, notre sainte
mère," et au même instant plusieurs pages de
l'histoire ecclésiastique se présentèrent à mon
esprit.
Marseille est la troisième ville du royaume de
France. Outre sa vaste étendue et les grandes
richesses qu'elle renferme, elle possède un beau
port de mer, toujours couvert de navires marchands.
C'est une ville où le commerce se fait sur une
grande échelle. Les rues sont très larges et entre-
tenues avec une grande propreté. La Cannebière
(la plus grande rue) fait l'orgueil des Marseillais.
" Si Paris, disent-ils, avait une Cannebière, ça
serait un petit Marseille." Sapristi ! ces fiers
Marseillais sont par trop aveuglés sur l'importance
de leur Cannebière !
Les édifices de Marseille sont d'une beauté
remarquable. Les églises méritent une visite toute
spéciale.
Je suis allé, le i 3 au matin, entendre une messe
basse à l'église de la Trinité. Je l'avoue franche-
ment, je n'ai pas eu la ferveur d'un saint François
— 19 —
de Salles. Mais il faut être sincère ; toute autre
personne, dont l'oreille est familière avec la pro-
nonciation latine, aurait pu en faire autant que
moi. C'était un vieux prêtre français qui célébrait
l'office divin ; or, voici comment il prononçait le
latin à voix haute et distincte ; je cite certains
passages isolés : " Per Jeson Christon Domiîion
nostron, sœcula sœculoron, surson corda!' Si ce
n'eût été la sainteté du lieu où je me trouvais,
j'aurais ri à gorge déployée.
Après la messe, mon ami Paquet et moi, nous
dirigeons nos pas vers la colline où s'élève la
superbe église de Notre-Dame de la Garde. C'est
encore un autre bijou. Notre-Dame de la Garde
est d'une grande richesse, et elle occupe une posi-
tion qui nous permet de jouir d'un spectacle ravis-
sant. Cette église, dont l'intérieur est tout en
marbre, domine la ville et le port. C'est du haut
de ce cap que Marie protège le marin que la tem-
pête menace d'engloutir dans les flots de la Médi-
terranée. Les nombreux ex-voto, suspendus aux
murs de cette chapelle, sont une preuve vivante
des innombrables miracles opérés par l'Étoile des
mers. Tous les pans de l'édifice en sont littérale-
ment couverts, et même la place n'a pas suffi, car
on en voit plusieurs centaines dans la crypte.
Celle-ci a été entièrement pratiquée dans le roc.
— 20 —
La main-d'œuvre a dû nécessiter de grandes dé-
penses.
Deux heures s'étaient déjà écoulées depuis mon
entrée dans ce sanctuaire, et il me semblait que
je venais d'y pénétrer. Dans l'intervalle, j'eus le
bonheur incomparable d'entendre la sainte messe.
Je déployai alors une plus grande dévotion que le
matin. <>
A huit heures du soir, nous étions à bord
d'un des steamers des Messageries Impériales, le
Saintonge, qui partait le même jour pour l'Italie.
Le temps était très beau et la Méditerranée fort
paisible. Une demi-heure plus tard, le steamer
s'élançait à toute vitesse sur les flots et nous
emportait loin de la France.
CHAPITRE III.
SUR LA MÉDITERRANÉE ET ARRIVÉE A ROME.
Le 14, le temps et le vent continuent de favo-
riser notre marche sur la Méditerranée. Je passe
la journée sur le pont du bâtiment, et pendant que
je prends mes ébats sous les rayons bienfaisants
du soleil, je fais connaissance de deux anciens
zouaves de l'armée pontificale, qui vont se ranger
de nouveau sous l'étendard du Pontife-Roi. Leurs
noms sont : MM. de Lauzon et de Nolhac. Le
premier se dit être un des descendants de M. de
Lauzon qui gouverna le Canada depuis 165 1
jusqu'à 1656. En pareille compagnie, le temps
passe vite. Nous causons pendant plusieurs heures
des affaires de l'Italie en général, et de la bataille
de Mentana en particulier. Ces deux braves avaient
pris part à ce combat ; ils pouvaient par consé-
quent me donner des renseignements précis sur ce
beau fait d'armes.
Cependant, la conversation n'absorbe pas toutes
mes heures de loisir. Il faut aussi que je laisse
— 22 —
agir la vue, qui est suffisamment exigeante en
pareille circonstance. D'un côté, s'élèvent les côtes
de la Toscane et l'île d'Elbe ; de l'autre, l'île de
Corse et plusieurs autres îlots dont j'ignore les
noms. La Corse et l'île d'Elbe ! que de souvenirs
classiques vous rappelez à ma mémoire ! La pre-
mière voit naître cet homme qui, du grade de
petit caporal, est monté, par son génie et son
audace, sur le trône d'un vaste empire, sur le trône
de la fille aînée de l'Eglise, cet homme que la
Providence avait choisi pour châtier les peuples,
cet homme enfin qui fit trembler l'Europe. La
seconde est le témoin muet de la chute du même
conquérant, de ce grand Napoléon qui eut la
témérité de mettre la main sur le Pape. Les
Napoléon sont morts dans l'exil et loin de la
France ; la papauté vit encore et, du Vatican, elle
gouverne le monde. Tous les conquérants et les
persécuteurs de l'Eglise passeront, mais le Pape
restera. Le sort du héros d'Austerlitz et de Wagram
devrait faire réfléchir tous ceux qui s'attaquent à
l'Eglise catholique ; que ceux-ci comprennent
donc que tous leurs efforts n'aboutissent qu'au
triomphe de l'épouse du Christ. En passant près
du lieu du premier exil de Napoléon, on ne peut
s'empêcher de s'écrier : " sic transit gloria mundi"
Le I 5, à cinq heures du matin, nous arrivons à
Civita-Vecchia, la ville la plus fortifiée des Etats-
— 23 —
Pontificaux. Comme son nom l'indique, c'est une
vieille ville, et à part ses fortifications, son bagne
et son beau port, elle n'offre que peu d'intérêt.
Nous y passons néanmoins une grande partie de
la journée, le train du matin partait comme nous
- mettions le pied dans la gare. Fâcheuse décep-
tion ! Mais prenons patience, la vie est remplie de
contrariétés.
A trois heures P. M., le convoi nous emporte
vers la Ville sainte. Nous approchons donc du
terme de notre voyage. Il me semble que je
respire maintenant un air plus pur. Le silence
de la campagne romaine répand dans l'âme un
baume des plus délicieux. Nous sommes dans une
grande plaine bornée, d'un côté, par la mer, et de
l'autre, par de hautes montagnes. Le Tibre se joue
dans cette campagne en décrivant mille sinuosités.
Des troupeaux de buffles et de mulets errent dans
ces solitudes. Quelques trattorie, disséminées, ça
et là, indiquent seules que ce pays est habité.
Bientôt nous découvrons la superbe coupole de
Saint- Pierre et le fort St-Ange. La basilique de
St-Paul s'offre ensuite à nos regards. Enfin nous
entrons dans la gare des Termini, nous sommes
dans la capitale du monde chrétien, dans la ville
des Pontifes, le centre de l'unité catholique. Ah !
quelle joie ineffable j'éprouvai en ce moment
— 24 —
suprême ! Toutes mes fatigues et toutes mes
peines s'évanouirent à l'instant.
A sept heures P. M., nous avons le bonheur de
presser la main de notre cher et digne aumônier,
M. l'abbé Moreau, que Mgr de Montréal avait
choisi pour conduire à Rome le premier détache-
ment des zouaves canadiens. Vu l'heure avancée
de la soirée, nous remettons au lendemain notre
entrevue avec nos aimables castors, nom par lequel
le lt-colonel de Charette distinguait souvent nos
compatriotes des autres nations, et nous descen-
dons à l'hgtel de la Minerve, où un bon souper et
un bon lit nous attendaient.
Le matin suivant, aussitôt que le jour com-
mence à poindre, nous volons vers la basilique de
St-Pierre, où, agenouillés près de la confession,
nous remercions la Vierge Immaculée et son divin
Fils de nous avoir accordé un aussi heureux
voyage.
En revenant de notre excursion matinale, nous
passons par le mont Janicule, où se trouvaient
casernes nos amis. Mais encore un désappointe-
ment : les Canadiens étaient à faire l'exercice.
Néanmoins notre ennui ne fut pas de longue
durée ; car bientôt nous voyons apparaître dans
la magnifique allée d'arbres qui bordent la caserne,
une compagnie de zouaves commandée par le
— 25 —
capitaine de Kermoal. Gauche, droite, emboîtez,
conservez le pas, halte, à droite alignement, face à
droite, rompez vos rangs ! Ce sont les Canadiens
qui arrivent.
Quelques-uns de nos compatriotes nous ont
déjà reconnus ; car, malgré la rigueur de la disci-
pline, ils n'avaient pu s'empêcher de tourner la
tête vers nous. L'apparition de deux pékins à la
porte de la caserne les intriguait. Les rangs une
fois rompus, nous nous voyons, en un instant,
entourés de nos amis et de tous les zouaves cana-
diens, empressés d'accueillir de nouveaux compa-
gnons d'armes.
Vous raconter la scène qui se passa alors est
au-dessus de mes forces, et ne saurait, du reste,
trouver place dans un simple récit de voyage. L'un
s'informe de son vieux père. " Quand je suis parti
du Canada, dit-il, il n'était pas bien portant. Com-
ment va-t-il maintenant ? Dieu lui a-t-il rendu la
santé?" L'autre demande des nouvelles de sa bonne
maman : lui a-t-elle écrit ? lui envoie-t-elle quel-
ques baïoqnes pour prendre un petit café au lait de
temps en temps ? Un troisième veut savoir si sa
petite sœur Clara, le Benjamin de la famille, est
mariée. Un quatrième, qui n'a ni père, ni mère,
ni frère, ni sœur, nous interroge sur monsieur le
curé de la paroisse. Un cinquième nous souffle
— 26 —
cette parole dans le tuyau de l'oreille : " Je désire
vous voir en particulier." Nous étions heureux
d'avoir une raison quelconque de nous éloi-
gner du groupe qui nous entourait ; car nos poches,
qui étaient remplies de lettres et de commissions,
étaient vides, et, sans cet incident, nous aurions été
obligés de nous procurer une machine à réponses
pour satisfaire tout le monde.
Ami lecteur, si vous vous êtes absenté quelque
temps de votre patrie, vous devez savoir que le
moindre détail, concernant la famille et le pays,
réjouit le cœur et lui donne de la force et de l'éner-
gie. La plus petite nouvelle intéresse et prend alors
une importance majeure. On veut tout connaître,
et l'on craint toujours d'oublier quelque chose. Je
fis donc, dans cette première rencontre avec mes
chers zouzous, tout ce que je pus pour satisfaire
leur curiosité. Si j'ai un reproche à m'adresser, c'est
de n'avoir pas fait assez honneur au déjeûner que
nous présentèrent nos camarades. Qu'on me par-
donne ce péché mignon, je n'avais pas le goût pré-
paré au macaroni et aux haricots des Romains.
Le 18 mai, nous sommes les plus heureux des
mortels. Nous avons signé notre engagement
comme zouaves pour deux années, et nous portons
la livrée des défenseurs de la papauté. Pie IX sera
désormais notre roi. Nous aurons certainement à
-27-
supporter beaucoup de privations ; mais comme
l'exprime si bien le zouave, ce sera pour la bonne
cause, la cause de l'Eglise catholique. Nous som-
mes casernes sur le Janicule avec tous les autres
Canadiens.
CHAPITRE IV.
UNE JOURNÉE DE ZOUAVE — UN ÉPISODE.
Depuis mon retour au Canada, on m'a posé bien
souvent la question suivante : " Quelles étaient vos
occupations journalières, lorsque vous viviez à
l'ombre du drapeau jaune ? " La réponse est
celle-ci : Nos occupations étaient nombreuses et
variées. Généralement, le réveil sonnait à cinq
heures. Ici, tout se fait au moyen de sonneries ;
le clairon est notre principal commandant. Le
cuisinier-en-chef et son assistant parcourent alors
les différentes chambrées pour faire la distribution
du café noir ; chaque zouave en reçoit un demi-
litre environ, et c'est là tout son déjeûner. Néan-
moins, ce café a la propriété de décoller la paupière
et de faire circuler le sang dans les veines.
Dix minutes après le réveil, le sergent-major
fait l'appel des soldats de sa compagnie à la porte
de la caserne, et l'officier de semaine passe ensuite
dans les rangs pour faire l'inspection. Cette revue
est le cauchemar du zouave ; car c'est alors que
les punitions abondent. La moindre tache sur sa
tenue et un peu de poussière sur sa giberne ou ses
— 30 —
souliers suffisent pour faire donner au soldat deux
jours de consigne ou quatre corvées à l'œil. Deux
jours de consigne signifient que celui qui a mérité
cette punition est obligé de rester à la caserne
pendant ce laps de temps, et de répondre à l'appel
du caporal de garde toutes les fois que celui-ci
juge à propos de rassembler les consignés. Si un
consigné se paie la fantaisie d'aller faire une
promenade dans la ville et qu'il soit vu par un
sous-officier, qui en fasse rapport au commandant
de la compagnie, le délinquant sera, pour cette
nouvelle faute, mis au clou, c'est-à-dire à la salle
de police. Les corvées à l'œil n'empêchent pas
de sortir, mais elles ont l'inconvénient d'exposer
le coupable à faire des travaux peu enviables,
tels que les corvées de quartier. Cette dernière
besogne est ordinairement le partage des soldats
punis de salle de police et de consigne.
L'inspection une fois terminée, nous partons
pour l'exercice, soit de peloton, soit de compagnie,
soit enfin de bataillon. Cet exercice dure presque
toujours trois heures. C'est passablement long et
fatigant ; mais les heures s'écoulent bien vite
quand on manœuvre. Et puis, les recrues nous
donnent parfois beaucoup d'agrément, surtout les
Bretons qui, comme vous le savez, ont la tête
dure. Les instructeurs consacrent des semaines
— 31 —
entières à leur faire apprendre tête droite, tête
g-aucfie, et encore ils n'y réussissent pas toujours.
En France, les sergents qui sont chargés des
recrues bretonnes emploient, m'a-t-on dit, un
moyen mécanique très ingénieux pour faire exé-
cuter ces premières notions de l'école du soldat.
Au lieu de commander tête droite ou tête gauche,
ils placent à la droite de la recrue une botte de
foin et à sa gauche, une botte de paille, et après
avoir pris ces précautions, les instructeurs crient :
Foin, quand il s'agit de regarder à droite, et paille
pour la direction opposée. De cette manière on
parvient à faire quelques progrès. Cette méthode
ne laisse pas que d'être très comique ; on doit se
croire dans un gras pâturage.
Après l'exercice, nous retournons à la caserne
pour recevoir les ordres du jour, qui nous sont
communiqués par les sergents-fourriers. Nous
savons alors ce que nous aurons à faire le reste
de la journée. Quant à la 3 me compagnie de
dépôt, son programme variait rarement: nous
étions certains que tous les jours, de onze heures
à midi, il y avait inspection des tentes par le capi-
taine de Kermoal, et malheur à ceux qu'il trouvait
en défaut !
Vers neuf heures, et toujours au son du clairon,
nous courons à la cuisine chercher nos gamelles
— 32 —
remplies de soupe. Cette soupe est faite au pain
avec quelques brins de légumes, et une apparence
de morceau de bœuf. Voilà pour notre dîner.
Pour des Canadiens, c'est-à-dire des hommes
habitués à vivre sous un climat froid, ce n'est pas
assez ; passe pour des Italiens, qui font un bon
repas avec une demi-livre de pain et un verre de
vin. Aussi, dans nos premiers mois de service,
plusieurs d'entre nous eurent-ils à souffrir de la
faim ; mais nous supportions tout avec résigna-
tion, en répétant à chaque contrariété qui nous
arrivait : " C'est pour la bonne cause."
Depuis midi jusqu'au rata, c'est-à-dire jusqu'à
trois heures, nous étions maîtres de notre temps,
excepté durant les chaleurs tropicales de l'été, pen-
dant lesquelles personne ne pouvait sortir de la
caserne. Les troupes étaient consignées de midi
à quatre heures. Les Romains avaient la coutume
de dire qu'on ne voyait alors, dans les rues de
Rome, que les chiens et les étrangers. Nous
employions le plus souvent ces moments de loisir
à nettoyer nos armes et nos accoutrements ; nous
aimions à être propres, car c'est à la propreté qu'on
reconnaît un bon soldat.
Le rata ou repas de l'après-midi, qui remplace
le souper, consiste en légumes, tels que haricots,
pommes de terre, etc. ; le tout humecté d'une
— 33 —
sauce à l'eau claire. Le beurre et la graisse bril-
laient souvent par leur absence. Il faut bien que
le caporal d'ordinaire fasse un peu de fotirbi> s'il
veut prendre une cuite ou deux par semaine.
Après cette légère collation, nous allons encore
faire l'exercice jusqu'à six heures. C'est le dernier
article enregistré sur la liste du service journalier,
et je crois que cette liste est suffisamment remplie.
Il n'y a aucune porte pour donner accès à la
paresse.
La retraite sonne à 9^ heures, et une demi-
heure plus tard, a lieu l'extinction des lumières, ce
qui veut dire : Couchez-vous, fermez les yeux et
dormez.
Tel est le thème sur lequel roulait notre musique
au 3ème dépôt ; il y avait parfois quelques petites
variations, mais elles étaient si peu originales qu'il
ne vaut guère la peine de les mentionner.
Lorsque je servais comme zouave pontifical,
j'ai été témoin de différents épisodes qui m'ont
agréablement amusé. Je vais vous en raconter un,
que je prends au hasard :
Nous étions encore au Janicule. Les jours et
les nuits se passaient comme je viens de le décrire.
Donc, de dix heures du soir à cinq heures du
matin, tous les zouaves se livraient au sommeil,
excepté les sentinelles préposées à notre garde.
— 34 —
Celles-ci avaient reçu l'ordre formel de faire feu
sur tout individu qui, ne répondant pas au troi-
sième cri de "qui vive" ! continuerait de s'avancer.
Par une belle nuit du printemps, toute la caserne
est mise en émoi par la détonation d'une arme à
feu ; chacun prend sa carabine et se dirige à la
course vers la porte. C'est une alerte générale. On
s'informe auprès de la sentinelle et on lui demande
d'où vient la détonation qui a jeté l'alarme dans
la compagnie. La sentinelle, toute tremblante de
peur, répond comme suit : "Je me promenais
lentement en portant les yeux de tous côtés,
lorsqu'un bruit inusité se fait entendre dans les
broussailles. Je m'arrête, et je prête l'oreille ; le
bruit continue. Bientôt, j'aperçois un homme tout
de blanc habillé. Je crie : "qui vive"! pas de ré-
ponse. Je répète ma question, même silence ;
et mon individu se tient debout à quelques pas
devant moi. Je pousse pour la troisième fois le
cri de "qui vive" ! et l'écho seul répond à ma voix.
J'arme alors ma carabine et fais feu sur cet entêté.
Regardez dans cette direction, ajouta le jeune
soldat, en désignant l'endroit avec sa carabine ;
vous voyez un objet blanc, n'est-ce pas ? Eh bien !
c'est mon homme, à qui j'ai flanqué une balle dans
la tête." Tout le monde de courir alors à l'endroit
indiqué ; mais devinez ce que l'on voit ?... Une
— 35 —
borne en bois fraîchement peinte et transpercée
d'une balle. Vous pouvez voir d'ici la binette que
fait la sentinelle, quand elle se trouve en face de
sa victime.
Dans les chapitres qui vont suivre, je parlerai
d'abord des différentes villes que j'ai visitées, lors-
que j'étais en garnison en dehors de Rome, et en
dernier lieu de Rome ancienne, de Rome pendant
les persécutions et de Rome actuelle. J'ai en* qu'il
était préférable de suivre cette marche, afin d'évi-
ter la confusion. Du reste, il me semble qu'il est
tout naturel de jeter un regard sur ce qui entoure
un édifice, avant de pénétrer dans l'intérieur.
CHAPITRE V.
Velletri — Brigandage en Italie.
Le 1 8 juin, nous étions en garnison à Velletri,
ville importante des anciens Volsques, et située à
36 milles environ au sud de Rome. Cette ville,
entourée d'une riche campagne, est bâtie sur une
colline élevée qui présente l'aspect d'une immense
coupole. La population était à cette époque de
8,000 âmes.
Velletri, capitale de la province du même nom,
a joué un grand rôle dans l'histoire ,de l'empire
romain ; car, outre l'honneur d'avoir été la patrie
d'Auguste, plusieurs empereurs, entre autres Tibère,
Nerva, Caligula et Othon firent de cette ville leur
séjour favori, et l'enrichirent de plusieurs villas
superbes. Bien qu'elle ait suivi le mouvement de
#
décadence de ce vaste empire, l'ancienne Veliternœ
a encore ses beautés et ses charmes. On y admire
plusieurs monuments religieux et profanes, qui
frappent l'attention du voyageur. Les principaux
sont : la colonne du pape Urbain VIII, sur la
place du marché ; le palais Lancelotti, où se trouve
un magnifique escalier en marbre ; l'église Ste-
— 38 —
Marie DelV Orto, qui renferme plusieurs bons
tableaux. Les fontaines publiques sont d'une con-
struction solide, mais le temps les a un peu vieil-
lies. A quelque pas de distance de la ville, on
voit encore l'endroit où fut trouvée la Pal las Veli-
tema, l'une des plus belles statues du musée de
Paris.
Velletri, grâce à son site, présente un coup d'œil
enchanteur. Le touriste, placé sur la partie la plus
élevée de la colline, embrasse d'un seul regard :
Au nord, la petite ville de Civîta-Lavigna, les
montagnes du Latium et les marais Pontins, les-
quels forment une vaste plaine de huit lieues de
longueur sur une largeur de trois lieues. Ces
marais sont compris entre le pays des anciens
Rutules et celui des Volsques. Lorsque les Romains
étaient à l'apogée de leur grandeur, on comptait
23 villes ou villages dans les marais Pohtins ;
aujourd'hui on n'y rencontre que quelques petits
villages isolés. ,
A l'occident, les marais Pontins, le cap Circé,
célèbre dans la fable par la métamorphose des
compagnons d'Ulysse ; la ville de Cisterna, où les
chrétiens, partis de Rome, vinrent à la rencontre
de l'apôtre saint Paul.
Au sud, les petites villes de Sermonetta et de
Cori, l'ancienne Cora. Cette dernière est renom-
— 39 —
mée pour ses temples d'Hercule, de Castor et
Pollux ; Varea du premier est occupée par le
baptistère d'une église catholique, dont j'oublie le
nom. Cori passe pour être la patrie de Ponce-
Pilate. Si cette tradition n'est pas vraie, je m* en
lave les mains ; ce sont les paysans de l'endroit qui
me l'ont transmise. A gauche de ces deux villes,
s'élève le village de Rocca-Massina, construit sur
une montagne à une grande élévation au-dessus
du niveau de la mer. Au pied de la même mon-
tagne, et dans la vallée qui s'étend de Velletri à
Rocca, se trouve le joli village de Juliano.
A l'orient, les hautes montagnes de la Sabine,
dont le sommet est couvert d'une neige éternelle.
Dans la même direction, la vue tombe sur la ville
de Valmontone, qui domine un petit vallon. En
vous dirigeant de Valmontone à Rome, vous ren-
contrez, à une courte distance de la première ville,
le champ de bataille sur lequel Fabius Ambustus
défit les Herniques, l'an de Rome 393. Le terrain
n'est guère propre pour la cavalerie ; car c'est une
plaine de peu détendue et resserrée entre des
montagnes. Aussi, l'histoire nous apprend-elle que
la cavalerie romaine avait été obligée de mettre
pied à terre et de combattre à la tête de l'infan-
terie.
Non loin de là, on voit le lac Santa Prasseda,
— 40 —
autrefois appelé lac Régille. A ce lac se rattache
le nom du dictateur Aulus Posthumius qui, trois
ans après le combat dont je viens de parler, rougit
les eaux de cet étang du sang des Latins, inhu-
mainement massacrés.
Comme vous pouvez le constater, la perspective,
dont nous jouissons à Velletri, ne laisse rien à
désirer de mieux.
Pendant que nous étions en garnison dans cette
ville, nous avons fait connaissance avec une classe
d'hommes sans foi, sans honneur et sans religion,
des hommes qu'on désigne sous le nom de bri-
gands, mais à qui on pourrait décerner le titre de
garibaldiens. Ces deux qualificatifs sont synonymes.
Il ne tiendrait qu'à citer le vandalisme qu'ont
exercé les chemises rouges, au mois d'octobre 1867,
dans la principale église de Monte-Rotondo pour
prouver que les amis de Garibaldi sont de vérita-
bles brigands. Personne n'a de doute sur ce point.
Le brigandage en Italie est une véritable plaie
et s'y pratique sur une grande échelle. De tous
temps, les souverains ont travaillé à faire dispa-
raître ce fléau, mais ils ont toujours échoué dans
leurs courageuses entreprises, et il n'y a rien de
surprenant, si l'on fait attention à la conformation
de ce pays qui, par ses nombreuses chaînes de
montagnes, offre un refuge assuré aux brigands.
— 41 —
Les brigands, qui se tiennent cachés dans les
montagnes avoisinant Velletri, sont assez nom-
breux. Ces voleurs de grands chemins n'ont pas
de demeure fixe. Un soir, ils s'installeront dans
une grotte profonde, et, un autre jour, ils seront à
plusieurs milles de distance dans une autre habi-
tation caverneuse. Ils ont acquis une connaissance
parfaite de toutes les montagnes ; crevasses, grottes,
cavités souterraines, défilés, tout leur est familier.
Voilà pourquoi il est aussi difficile de saisir les
brigands que les cerfs dans nos forêts. Vous vous
élancez à leur poursuite lorsque vous les voyez à
quelques arpents devant vous, et, tout à coup, ils
disparaissent comme par enchantement. Vous avez
beau fouiller partout pour découvrir les traces de
leur passage, vous ne rencontrez aucun vestige,
aucun indice qui puisse vous guider. Admettons
que vous trouviez l'entrée de leurs nombreux
repaires. Admettons que vous pénétriez dans leurs
antres ténébreux ; vous n'en serez pas plus avan-
cés pour cela. Pendant que vous serez occupés à
sonder tous les coins, toutes les sinuosités et toutes
les fissures de cet édifice pierreux, le gibier pren-
dra son essor par une issue secrète, qui sera parfois
placée sur le flanc opposé de la montagne.
Dans le cas où l'on parviendrait à connaître la
retraite habituelle de ces êtres inhumains, il n'y
— 42 —
aurait qu'un moyen de mettre la main dessus : il
s'agirait tout simplement de faire cerner la mon-
tagne qu'ils occupent, et, une fois le cercle formé
par plusieurs compagnies de zouaves ou d'autres
militaires, de gravir lentement la montagne en
rétrécissant la circonférence.
L'exécution d'une pareille entreprise offre en-
core peu de succès. En effet, je suppose que quel-
qu'un vienne vous dire aujourd'hui : "Les brigands
sont sur une telle montagne ; je les ai vus ce
matin." Aussitôt, un bataillon part pour emporter
la montagne d'assaut. Mais, quand il arrive au but
désiré, il n'y a plus de gibier dans le fourré ; le
brigand a vu s'opérer le mouvement militaire, ou
bien, certain ami fidèle, vivant au milieu même
des habitants de la campagne, est venu pendant
l'intervalle donner l'éveil aux montagnards ; et,
ceux-ci ont levé le pied légèrement, ils sont allés
se percher sur une autre montagne. Voilà ce qui
arrive généralement. Maintes et maintes fois nous
en avons fait l'expérience, et presque toujours nos
démarches ont été sans résultat. Si nous avons
pu en arrêter quelques-uns, c'est qu'ils ont été
surpris au milieu de leurs festins ou de leurs bac-
chanales, ou qu'ils ont été trahis par leurs com-
pagnons ruraux. J'appelle de ce nom les paysans
que la crainte d'être immolés à la fureur des bri-
—•43 —
gands rend muets, quand on veut avoir des infor-
mations sur les faits et gestes de ces barbares des
temps modernes. La plupart des paysans et des
bergers d'Italie, résidant près des montagnes, sont
de petits brigands ; on peut dire qu'ils font cause
commune avec les grands brigands.
En général, la population qui habite la frontière
méridionale de la province de Velletri est d'un
caractère très remuant et manie avec art le cou-
teau et le poignard. Le carbonarisme a déjà fait
des ravages incalculables dans ce coin de l'Italie.
CHAPITRE VI.
CHASSE AUX BRIGANDS. — EXÉCUTION.
La cinquième compagnie du 1er bataillon du
régiment des zouaves pontificaux était en garnison
à Velletri bien longtemps avant nous, trois mois,
je crois,et faisait presque tous les jours des patrouil-
les dans la campagne et sur les montagnes pour
mettre fin aux courses dévastatrices des brigands.
Il arriva qu'à deux reprises différentes, cette com-
pagnie parvint à arrêter ou, pour être plus con-
forme à la vérité, à tuer quelques-uns de ces mons-
tres à forme humaine. Pendant une expédition,
les zouaves tuèrent trois brigands et en blessèrent
un, qui prit la fuite dans l'épaisseur des bois et
disparut sans donner scn adresse. Pendant une
patrouille, deux brigands tombèrent sous les balles
des défenseurs du Pape.
Je vais vous donner ici quelques détails con-
cernant cette première expédition.
Ayant appris par des paysans que certains bri-
gands habitaient une forêt depuis quelques jours, les
zouaves pontificaux, au nombre de quarante, parti-
rent aussitôt pour les chasser de cet endroit. Deux
— 46 —
gendarmes les accompagnaient, l'un à pied et
l'autre à cheval. Pendant les patrouilles, nous étions
toujours escortés par quelques-uns de ces braves
Romains faisant partie de la gendarmerie ponti-
ficale. Les gendarmes appartenaient à l'élite de la
société ; et leur bravoure et leur fidélité au Saint-
Siège n'ont jamais été mises en défaut.
Après deux jours de marche à travers la forêt
même, qu'ils fouillèrent dans tous les sens, les
zouaves ne trouvèrent, ni ne rencontrèrent les
brigands précités. Et par surcroît de malheurs,
une pluie abondante ne cessa de tomber sur ces
nobles jeunes gens, qui supportaient sans murmu-
rer toutes leurs privations et leurs fatigues. La
faim même commençait à se faire sentir chez un
bon nombre d'entre eux, qui n'avaient pas emma-
gasiné dans leurs sacs une quantité suffisante de
vivres. Que faire en pareille situation ? Va-t-on
abandonner la chasse ? se demandèrent les zouaves.
Les uns se montraient encore disposés à continuer
leur poursuite, mais plusieurs inclinaient à la
retraite.
Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi sur le parti
qu'ils devaient prendre, un' léger bruit se fait
entendre sur la lisière de la forêt. D'un bond, tous
les zouaves ont gagné le lieu d'où est parti le
bruit ; mais quel désappointement ! ils se trouvent
— 47 —
face à face avec un pauvre berger qui agite tran-
quillement sa houlette, pendant que son troupeau
broute l'herbe tendre des champs. Tous alors de
rire en voyant ce brigand d'un new style, comme
dirait l'Anglais. Je n'ai pas besoin d'ajouter que le
berger en fut quitte pour un tribut assez considé-
rable qu'il paya à la peur. Mais l'air enjoué des
soldats pontificaux le ramena bientôt à son état
normal. Après avoir échangé quelques paroles
avec le vieux paysan, les zouaves résolurent de
retourner sur leurs pas et de se déployer en tirail-
leurs sur toute la lisière de la forêt.
On pourrait bien se demander pourquoi ce chan-
gement si subit survenu dans tous les esprits, et
pourquoi cet empressement à obéir au commande-
ment de " peloton en tirailleurs " . Le mot de l'éni-
gme est facile à trouver. Pendant leur conversation
avec le berger, les zouaves prirent des informations
sur le lieu où devaient se trouver les brigands ; et
le bon vieillard, qui les avait vus de ses propres
yeux, il y avait deux jours, leur dit que les brigands
devaient passer parvtel chemin le lendemain matin
C'est moi, ajouta-t-il, qui leur ai recommandé de
suivre cette voie pour échapper à votre poursuite.
Ils m'avaient demandé auparavant si je vous avais
vus. Sur ma réponse affirmative, ils ont voulu
savoir quelle direction vous, prendriez. Alors je
— 48 —
leur ai indiqué une direction toute contraire à celle
que vous suiviez, pensant par là les faire tomber
dans le piège. Mais je me suis trompé dans mon
attente. Demain, cependant, j'espère que mes vœux
seront exaucés, et voici pour quelle raison : En
s'éloignant de moi, ils ont répété deux fois les
paroles suivantes : •' Au revoir, dans deux jours
nous viendrons te voir en passant par le chemin
que tu nous as montré. Mais, sois bien averti : si
tu nous trahis ou si tu dévoiles le lieu de notre
retraite, ta vie sera la rançon de ton infâme con-
duite." Ils dirent, et puis ils disparurent dans
l'épaisseur des bois.
Il était huit heures du soir lorsque les zouaves
reprirent leur faction ; chacun se plaça au pied
d'un arbre pour se garantir de la pluie qui ne
diminuait pas, et attendit en silence. La nuit fut
assez belle néanmoins ; car, vers minuit, les nuages
se dissipèrent et la lune se montra à travers le
feuillage, mollement agité par une légère brise du
midi. Le beau temps ranima le courage des zouaves,
mais aussi, il leur emporta un doux sommeil vers
les trois ou quatre heures du matin. C'était la pre-
mière fois que, depuis leur départ, ils prenaient un
peu de repos. Il faut l'avouer, l'heure n'était pas
bien choisie pour se livrer au sommeil ; mais les
forces de ces preux jeunes gens étaient complète-
— 49 —
ment épuisées par les marches et les veilles. Ainsi,
point de reproches.
Cependant les heures s'écoulent rapidement/ et
personne ne se présente. Il est un adage populaire
qui dit : " Vous ne perdez rien pour attendre.
Or, c'est ce que rirent les chasseurs de brigands. Ils
attendirent jusqu'à sept heures, toujours sommeil-
lant légèrement, un œil fermé et l'autre ouvert, et
assis au pied des arbres avec leurs carabines sur les
genoux. Enfin les espérances vont être exaucées.
Voilà qu'une détonation se fait entendre. Aussi
prompts que l'éclair, les zouaves se lèvent et
épaulent leurs carabines. " Qu'y a-t-il ? crie-t-on de
toutes parts ? " — " Cinq brigands, répond un gen-
darme. Les voilà à dix pas de nous. Le chef est
à cheval"
Un zouave du nom de Marchand, qui se trou-
vait à cinq pas du chef, ajuste ce dernier et presse
la détente, mais le fusil rate. De son côté, le chef
des brigands met le zouave en joue et fait feu. Et
le coup ne part pas non plus. Marchand fait une
volte-face et se cache derrière un arbre pour armer
de nouveau. Le chef épaule une autre carabine —
les brigands en ont toujours deux, — mais au mo
ment où il tirait la détente, une balle lancée par
un caporal, connu sous le nom de Petit Jean,
vient l'atteindre au cœur et le renverse à terre
3
— 50 —
baigné dans son sang. Au même instant, deux
autres brigands succombent sous une grêle de
balles. Un quatrième est encore blessé par Petit
Jean, mais il trouve son salut dans la fuite. Le
cinquième était disparu au commencement de la
mêlée. Il n'est pas nécessaire de vous faire con-
naître la conclusion : que les zouaves étaient con-
tents de leur chasse. Si, tous les jours, nous pou-
vions obtenir un semblable résultat, nous ne
compterions pour rien les fatigues et les privations
que nous avons à supporter.
Lorsque nos camarades furent de retour à
Velletri, avec le gibier qu'ils avaient tué, nous
prîmes les trois cadavres et nous les exposâmes
sur la plus grande place de la ville, afin de jeter
la terreur dans le cœur de la population ; car les
brigands ont des affiliés dans toutes les villes et à
Velletri plus qu'ailleurs. Un seul fait nous prouve
la vérité de cette dernière proposition ; le voici :
Quelques jours avant la bataille de Mentana, onze
\ | cents hommes sont sortis de cette ville pour aller
s'enrôler sous l'étendard de Garibaldi.
Cette exposition humaine a eu les plus beaux
résultats ; car, depuis cette époque, on n'a plus en-
tendu parler de vols, de pillages, de meurtres, etc.
Le 1 8 juillet, nous avons assisté à un bien
triste spectacle : deux brigands, qui étaient retenus
— 51 —
prisonniers à Velletri, furent fusillés à quelques
arpents de la ville. Ils méritaient bien ce terrible
châtiment, car l'histoire de leur vie fait horreur.
Le plus âgé des deux a poussé le crime jusqu'à
ses dernières limites ; il a eu la barbarie même de
massacrer celle qui lui avait donné le jour. Et
puis, dire que ces deux monstres ont attendu
jusqu'à la dernière minute pour se convertir !
C'est horrible.
Quand on met un soldat à mort pour désertion,
en temps de guerre ou pour un autre délit grave,
on le fusille debout et en pleine poitrine, pour lui
donner une dernière marque d'honneur et faire
entendre qu'on le considère encore comme appar-
tenant à la société humaine. Mais les brigands
n'ont point cette faveur. On les met à genoux et
le dos tourné à l'escouade chargée de faire feu sur
eux. Ce ne sont plus des hommes, mais bien de
véritables monstres, pour ne pas dire démons.
t
s*
CHAPITRE VII.
CAMP D'ANNIBAL VISITE DE PIE IX.
Le 28 juillet, nous recevons l'ordre d'évacuer
Velletri et de nous transporter à Rome. Je ne
saurais vous exprimer toute ma joie ; car j'allais
avoir le bonheur de visiter les monuments religieux
et profanes de la ville des Papes. Mais vaine illu-
sion ! A peine avons-nous établi nos quartiers aux
Termini, c'est-à-dire aux fameux thermes de
Dioclétien à Rome, que le clairon sonne " sac
au dos." Nous partons pour Rocca-di-Papa ou
Camp d'Annibal en suivant la route de Grotta-Fer-
rata. La distance que nous avons à parcourir est
de vingt-quatre milles environ. C'est passablement
long pour de jeunes soldats qui n'ont encore fait
aucune marche forcée. Néanmoins, nous sommes
décidés de mourir plutôt que de rester en chemin.
Nous ne voulons pas qu'on dise que les Canadiens
sont des carottears. Nous marchons donc avec
courage jusqu'à la première étape, tout en faisant
chorus aux chansons de Sans-allumette — sobriquet
donné à un de nos camarades parce qu'il n'avait
— 54 —
jamais d'allumettes — qui avait un répertoire
inépuisable de refrains appropriés au pas militaire.
Rendus à Grotta-Ferrata, petite ville située à
dix-huit milles environ de Rome, nous faisons une
halte de trois heures pour prendre "la soupe et le
café" ; et nos forces une fois ravivées, nous nous
remettons en marche. Il ne nous reste que deux
lieues à faire, mais c'est la vraie voie douloureuse
que nous suivons. On monte, monte et monte
toujours. On se croirait en route pour le ciel.
Enfin, après dix heures de marche, nous foulons
le terrain où Annibal vint établir son camp quel-
ques jours avant la bataille du lac de Trasimène,
bataille dans laquelle les Romains, commandés
par Flaminus Caïus, furent taillés en pièces, l'an
217 avant Jésus-Christ. C'est pour cela que cet
endroit est généralement connu sous le nom de
Camp <T Annibal. L'illustre capitaine africain avait
certainement étudié la topographie de l'Italie,
car il n'y avait pas de lieu plus propre au campe-
ment d'une grande armée.
Après avoir déposé nos sacs par terre et u formé
les faisceaux, " nous dressons nos tentes avec soin,
car, ici, nous éprouvons, pendant le jour, une
chaleur suffocante, et, pendant la nuit, un froid
piquant se fait sentir.
Il est difficile de se former une juste idée des
— 55 —
souffrances que nous avons endurées pendant que
nous étions campés près de Rocca-di-Papa. Nous
dormions sur la dure, quelques brins de fougère
nous séparant de la terre humide, et nous cou-
chions tout habillés. A quatre heures et demie du
matin, nous étions sur pied faisant l'exercice de
bataillon qui durait jusqu'à huit ou neuf heures.
A midi, M appel de propreté " avec sac au dos, au
front de bandière. Appel de propreté ! au milieu
d'une poussière qui vous aveugle et qui vous cou-
vre des pieds à la tête. Véritable dérision ! Mais
c'est le métier du soldat. Nous évitions cependant
les punitions à chaque fois, parce que nous étions
assez prudents pour cirer nos souliers avec nos
mouchoirs, en prenant nos rangs.
Dans l'après-midi, nous serions heureux d'aller
faire une courte promenade sous les arbres qui
s'élèvent en arrière de notre camp, pour donner un
oeu de repos à notre corps tout courbé par l'effort
qu'il est obligé de faire pour vivre sous la tente ;
mais voici une corvée qui nous attend. Messieurs
les sergents veulent élever une tente superbe, et
pour cela, il leur faut du genêt et de la fougère :
" Vite ! s'écrient-ils, six hommes de corvée. Allez
à la montagne que vous voyez là-bas, et emportez
ce que nous vous demandons." Pauvre soldat !
marche ! la salle de police t'attend, si tu n'obéis
— 56 —
pas. Telle a toujours été notre occupation pendant
les trente-six jours que nous avons passés au
Camp d'Annibal. Dès que les sergents eurent ter-
miné leur habitation princière, le sergent-major»
M. Cormier, voulut aussi se loger comme un petit
seigneur. Le commandant, le capitaine, le lieute-
nant et le sous-lieutenant se mirent ensuite de
la partie ; de sorte que les corvées ne cessèrent
de pleuvoir. Nous n'avions pas une seule minute
de loisir. Je l'avoue en toute sincérité, je trouvai
alors la vie de camp tellement dure que si la cause
que je défendais n'eût pas été aussi sainte, j'aurais
renoncé sur le champ à la carrière militaire. Mais
l'amour de la religion me retenait, et il me sem-
blait entendre une voix me crier du ciel : " Cou-
rage, mes enfants, votre dévouement sauvera
l'Église."
Malgré nos rudes labeurs, nous paraissions tou-
jours heureux et joyeux. Heureux, parcequ'il nous
était donné de souffrir un peu à l'exemple de
notre divin Sauveur. Joyeux, parceque nous savions
que les fatigues que nous endurions nous seraient
d'un grand secours quand nous aurions à combat-
tre les ennemis de la Papauté. Par cette vie active
et rude, les corps se brisaient à la douleur, et ni la
faim, ni la soif, ni la chaleur, ni le froid ne pour-
ront nous arrêter plus tard au milieu des combats.
— 5Y —
Voici comment nous supportions nos peines, et
nous n'avons pas eu à nous repentir ensuite de la
rigueur des leçons militaires que nous avions reçues
au camp.
Le 10 août fut pour nous un jour de fête, que
je n'oublierai jamais. Il arrive quelquefois, qu'un
jeune homme, livré à ses propres forces, tombe
peu à peu dans une sombre mélancolie ; cette
mélancolie étant due tantôt à un revers de fortune
et tantôt à la perte d'un être chéri. Si, dans cet
état, il fait rencontre d'un ami qui lui veut du bien,
cette tristesse se dissipera bientôt sous le feu des
conseils et des paroles de soulagement que lui
donnera cette personne charitable. Tel fut pour
nous l'effet de la visite de l'immortel Pie IX au
Camp d'Annibal. Nous étions pour la plupart
dans un état d'abrutissement complet. Nous
n'éprouvions que par intervalle ces sentiments ten-
dres' et affectueux que l'on ressent si souvent au
foyer paternel. Le découragement s'était emparé
de nos cœurs. Notre intelligence se voilait d'épais
nuages, et notre esprit agissait dans une sphère
très restreinte. Sans nous en apercevoir, il y avait
eu métamorphose. Pouvait-il en être autrement,
lorsque nos yeux ne rencontraient que des toiles
de tentes, des carabines et des gibernes ? Il était
donc temps d'aller puiser à la source de toutes
— $8 —
consolations ; c'est ce que nous fîmes en assistant
à la messe, chantée par Sa Sainteté elle-même, au
milieu de notre camp.
Quelle belle cérémonie ! Quelle pompe ! Figu-
rez-vous huit mille hommes sous les armes, rangés
en ordre de bataille, la tête haute et fière, l'œil
vif et pénétrant, gardant un silence solennel, et
tous tournés vers Un magnifique autel préparé
pour la circonstance — l'autel est à l'orient. Voyez
apparaître à la gauche de ces courageux guerriers,
dans la direction de Rocca-di-Papa, l'auguste
Pie IX, le Vicaire de Jésus-Christ, escorté de trois
cardinaux, d'un grand nombre de prélats, c de la
garde-noble, d'un nombreux piquet de zouaves, de
l'état-major du régiment et de plusieurs princes qui
regardent comme une insigne faveur le privilège
d'accompagner l'Evêque de Rome. Aussitôt que
le Pape commence à gravir les Monts-Algides,
une bruyante salve d'artillerie salue le père com-
mun des fidèles ; le corps de musique des zouaves
et celui des chasseurs indigènes font entendre
leurs accords harmonieux et ne cessent de jouer que
lorsque le Saint-Père est arrivé à la chapdle mili-
taire. Pendant qu'il traverse les rangs de ses
nombreux enfants et qu'il les bénit affectueuse-
ment, ceux-ci se tiennent " genou-terre " dans
l'attitude d'un homme qui a commis des fautes,
— 59 —
mais qui en reconnaît l'énormité et en demande
pardon avec la ferme confiance d'être exaucé.
Dès que le Pape eût mis pied à terre, il se revêtit
de ses ornements pontificaux et commença le
divin sacrifice. Quelle majesté dans sa personne !
quelle sainteté brille sur son auguste visage !
Quelle tendre affection dans le regard ! Ce n'est
plus un simple mortel, mais un ange sous la '--
forme humaine. Durant tout l'office, je restai les
yeux fixés sur Pie IX, et cette vue m'apporta au
cœur un charme indéfinissable.
Après la messe, le Saint- Père se rendit sur un
balcon construit par " la compagnie du génie," fit
son action de grâces et monta ensuite sur un
magnifique trône qui se trouvait au milieu du
balcon. L'heure solennelle était arrivée. Pie IX
venait de prier pour ses chers zouaves, mais ce
n'était pas assez : il devait répandre sur eux les
bénédictions célestes. Nous l'entendîmes alors
réciter d'une voix forte et vibrante le Benedicat
vos Omnipolens Deus, etc. Que cette bénédiction
donnée par notre Pontife-roi nous a fait du bien !
En relevant nos fronts courbés dans la poussière,
nous étions complètement changés ; nous étions
redevenus les vrais enfants de Lamoricière.
Il était alors deux heures de l'après-midi. Le
Pape monta dans son riche carosse, visita le camp
— 60 —
en passant au, front, prit un peu de nourriture à
la pension des officiers, et se dirigea enfin vers
Rome. La fête était terminée. Je puis bien répé-
ter ici ces paroles de l'Ecriture sainte : " Pleni
dies. " Oui, c'était réellement pour nous un jour
plein, plein de bonheur, plein de bénédictions, et
plein de consolations.
CHAPITRE VIII.
COMBAT SIMULÉ ALBANO ARICIA CASTEL-
GANDOLFO — MARINO ROCCA-PRIORA.
Pendant la nuit du 20 d'août, tout le camp était
plongé dans le plus grand silence ; nous dormions
d'un profond sommeil ; nous n'entendions que le
cri de la sentinelle : " Qui vive " ! lorsque tout à
coup les clairons sonnent la " générale." Et, tout
le monde de mettre sac au dos et de courir aux
armes. Les officiers arrivent armés de pied en
cap, et se placent à la tête de leur compagnie. Le
colonel donne le commandement de se mettre en
route. Le tambour bat, et nous partons. Voilà le
camp vide ; la garde seule reste. Que signifie
donc cette évolution militaire au milieu des ténè-
bres ? Où portez-vous vos pas ? me demanderez-
vous. Nous partons pour la guerre ; les Garibal-
diens sont tout près de nous ; ils se sont emparés
de trois villes, savoir : Albano, Castel-Gandolfo
et Marino. La distance entre la première ville et
Rocca-di-Papa n'est que de deux lieues et demie,
et c'est la plus éloignée. Ces ennemis de la Papauté
se dirigent sur Rome. Un courrier est venu nous
— 62 —
avertir de leurs mouvements. Il nous faut donc
voler à leur rencontre et leur faire mordre la
poussière.
Mais n'ayez pas peur, lecteur ; il n'y aura pas
effusion de sang. Nous voulons tout simplement
simuler un combat, afin d'apprendre à fond l'art
militaire, et de nous accoutumer à philosopher sur
l'odeur de la poudre. Les prétendus Garibaldiens,
dont je viens de parler, ne sont autre chose que
dix compagnies de zouaves qui, parties quelques
heures avant nous, sont allées occuper les trois
villes citées plus haut.
Arrivés à quelques pas de Marino, nous sommes
accueillis par une décharge de mousqueterie.
Nous ripostons à l'ennemi par un feu des mieux
nourris, et après une heure de combat, nous nous
rendons maîtres de la ville. Les Garibaldiens
abandonnent leurs premiers retranchements et se
replient sur Castel-Gandolfo. Nous les poursui-
vons au pas de course, et nous les forçons encore
de fuir devant nous. Chassées de ce poste, les
chemises rouges vont se réfugier dans Albano, où
ils occupent les meilleures positions. C'est alors
que commence réellement le combat ; car jusqu'à
présent, nous n'avons fait que quelques petites
escarmouches. .
Nous étions encore à deux milles de la ville,
— 63 —
lorsque l'artillerie de l'ennemi commença à faire
entendre sa grande voix. Nous avancions toujours
quand même, mais en leur donnant des réponses
bien significatives. Nous nous dispersons en
tirailleurs, après avoir reçu l'ordre de cerner la
ville afin de couper la retraite aux fuyards.
Nous touchons enfin aux murs, où nous sommes
reçus par une salve effrayante ; les coups de fusils
étaient si nombreux que le bruit ressemblait au
roulement du tonnerre. Pendant quelques instants,
il y eut hésitation ; nous avançons et nous retrai-
tons tour à tour ; la victoire paraissait indécise.
Mais faisant un effort suprême, nous nous élan-
çons en avant, baïonnette au canon, massacrant
et culbutant tous ceux qui opposaient quelque
résistance, et, du même élan, nous pénétrons dans
la ville au milieu des applaudissements d'une foule
innombrable de citoyens. Les Garibaldiens,
échelonnés sur les murs de la ville, n'eurent pas
le temps de se rallie r ; ils furent tous forcés de
déposer les armes et de se livrer aux mains
du vainqueur. A neuf heures, la guerre était fin ie,
et le drapeau pontifical flottait de nouveau sur la
ville d'Albano.
Après le combat, notre premier soin fut d'assou-
vir la faim qui nous dévorait. Nos courses de
collines en collines avaient vivement excité l'ap-
—.64 —
petit. Notre repas terminé, la consigne fut levée,
et une permission générale fut accordée, a tous
ceux qui n'étaient pas de service, d'aller où bon
leur semblerait, pourvu qu'ils fussent de retour à
quatre heures P. M. ; c'était l'heure fixée pour
notre départ. Bien que je fusse très fatigué, je
profitai de l'occasion pour visiter en gros les villes
d'Albano, d'Aricia, de Castel-Gandolfo et de
Marino.
La ville d'Albano, située à 7 lieues au sud-est
de Rome, est assise aux pieds des Monts-Algides
— montagnes du Latium — ou mieux au pied
du Mont-Cavo, sur les ruines d'Albe-la-Longue
qui fut, dit-on, fondée par Ascagne, fils d'Knée, et
détruite par Tullus Hostilius. Les rues de cette
ville sont larges et propres ; les édifices paraissent
très riches et sont, pour la plus grande partie, d'une
construction moderne. Aussi, pendant la saison
des chaleurs tropicales, un grand nombre de familles
romaines viennent-elles fixer leur séjour en cette
ville. On y admire plusieurs villas splendides
appartenant à des princes ou à des ducs. Albano
rappelle un souvenir bien cher aux catholiques.
Saint Bonaventure a embaumé ces lieux du par-
fum de ses vertus. Ce grand . saint avait été
nommé à 1 evêché suburbicaire.
A deux milles d'Albano, on rencontre la
— 65 —
moderne Aricia, qui est perchée sur le sommet
d'un rocher. Cette ville a été fondée 200 ans
avant la guerre de Troie par Archiloque de Sicile.
C'est là qu'est née Atia, mère d'Auguste. Si je
ne me trompe pas, Horace n'aimait pas trop
Aricia, à cause des oignons qu'elle produisait en
grande abondance.
Castel-Gandolfo s'élève aussi sur les ruines
d'Albe-la-Longue ; car Albe renfermait tout le
terrain occupé aujourd'hui par Albano et Castel-
Gandolfo. Cette dernière se trouve au nord-ouest,
et à un mille environ de la première. C'est encore
une ville moderne et d'une assez belle apparence.
A l'est de Castel-Gandolfo, et à une courte
distance, on voit un joli petit lac qui est enchâssé
entre des rochers escarpés et couronnés d'arbres
touffus. Ce lac est, dit-on, le cratère d'un ancien
volcan. Je n'ai pas de peine à le croire, car le
terrain avoisinant est un terrain volcanique et à
mille formes diverses, tel qu'on le remarque ordi-
nairement dans les environs d'un volcan. Ce lac
a la forme d'une ellipse dont le grand axe mesure
environ 2 milles et demi, et le petit axe, quinze à
dix-huit arpents. La direction du grand axe est
du nord au sud. Généralement on le désigne
sous le nom de lac d'Albano, pour la raison bien
simple qu'il s'étend au-delà de cette ville, et que le
— 66 —
foyer de l'ellipse se trouve vis-à-vis d'Albano
même.
Marino est à un mille et demi au nord-est de
Castel-Gandolfo. Cette ville présente le même
aspect que sa voisine. Je ne connais aucun fait
historique qui se rapporte à Marino. Une petite
réminiscence pourtant à signaler :
Lorsque j'étais élève de rhétorique, il me semble
avoir lu dans Horace qu'il aimait beaucoup le vin
de Marino et qu'il en avait dans sa cave une assez
grande quantité, âgé de cinquante ans au moins.
Mais je ne puis affirmer si c'est la même ville ;
on peut toujours le croire en attendant qu'on nous
prouve le contraire.
Laissons Horace avec son dieu Bacchus, et
retournons à Albano où le clairon nous appelle.
Les rangs se forment ; le capitaine donne le mot
du commandement " peloton en avant, marche,"
et nous marchons. L'ami C. G. Bertrand chante
" Par derrière chez ma tante," etc., et quand il est
fatigué, le zouave Pépin entonne sa chanson favorite
" Houp, houp sur la rivière. " Le' temps passe
vite. La gaîté la plus franche règne parmi nous ;
nous n'éprouvons aucune fatigue, et nous entrons
dans notre camp aussi frais et dispos que le matin.
À six heures, nous étions nonchalamment éten-
dus sous nos tentes, fumant une tendre pipe démo-
cratique et sociale, comme dirait Sans-Allumette.
— m —
Un autre jour, nous avons fait une " petite
guerre " à Rocca-Priora, l'ancienne Corbion, située
à l'est et à deux heures de marche du Camp
d'Annibal. Pour parler le langage militaire, cette
ville est une sale ville. Les habitants m'ont paru
extrêmement pauvres. Mais rendons à César ce
qui appartient à César : Rocca-Priora occupe une
position des plus splendides. Comme un nid
d'oiseau, elle est bâtie sur le sommet d'une haute
montagne. Placé sur un vaste plateau qui se
trouve au septentrion de Rocca, j'ai, vu et compté
dix-neuf villes ou villages sans changer de place.
Ce n'est pas mal comme vous voyez. A part son
site, je ne connais rien en cette ville qui puisse
intéresser.
CHAPITRE IX.
FÊTE AU CAMP — ROCCA-DI-PAPA — DÉPART DU
CAMP — DISPERSION DES CANADIENS.
Quelques jours avant notre départ du camp,
nos officiers supérieurs eurent l'obligeance de nous
donner une petite fête, que je pourrais appeler
fête militaire, afin de nous faire oublier les péni-
bles impressions que nous causait la vue du
camp. Le lt-colonel de Charette et le commandant
du 3ème bataillon, Mr de Troussure, les organi-
sateurs des jeux, obtinrent un plein succès, et
surent nous divertir et nous faire rire à gorge
déployée cinq .heures durant.
Voici un résumé ou mieux un programme de
la fête : i ° Exercices de cavalerie ; 2 ° Courses
au clocher ; le lieutenant de Franquinet gagne le
premier prix ; 3 ° Courses à pied ; deux Irlandais
sont couronnés ; 40 Course au cochon graissé, le
mât de cocagne et différents autres amusements ;
5° Comédie jouée par les chasseurs indigènes ;
6° Figures géométriques illuminées.
Le dernier article du programme demande des
explications ; je m'empresse de les donner. Quinze
— 10 —
jours auparavant, notre bouillant lt-colonel de
Charette avait dessiné des figures géométriques
au front du 3ème dépôt, sur un plan bien hori-
zontal, qui se trouvait dans une dépression de
terrain. Le lieu avait été parfaitement choisi
pour permettre aux spectateurs de tout voir. Ces
figures représentaient une étoile, la croix de Pie
IX,la croix deMentana,et "Vive Pie IX!" en gros
caractères. Pendant plusieurs jours, les quatre
compagnies de dépôt, dans les rangs desquelles se
trouvaient encore tous les Canadiens, firent l'exer-
cice sur ces lignes droites et ces lignes courbes, et
apprirent à former au mot du commandement la
figure voulue. C'est le baron de Charette qui
commandait en personne ces différentes manœu-
vres. Il me semble encore le voir arriver le matin,
monté sur son cheval gris et nous lancer un regard
moqueur, en nous disant : " Ah, les' Castors,' que
vous êtes laids aujourd'hui ! " J'avoue que le
qualificatif convenait à merveille à plusieurs d'entre
nous.
Le soir de la fête, immédiatement après
la représentation de la comédie, le clairon sonna
l'appel des dépôts. Tous les zouaves, désignés à
prendre part à ce nouveau spectacle, coururent
aux armes et placèrent des lanternes vénitiennes
à l'extrémité de leurs carabines, qu'ils tenaient au
— n —
" port d'armes." Il était huit heures quand nous
arrivâmes sur le terrain. Les ombres descendues
des montagnes s'allongeaient dans la vallée et
produisaient une obscurité complète. Je ne saurais
vous peindre fidèlement la scène grandiose et
sublime qui se déroula alors aux regards des
milliers de spectateurs accourus de la ville de
Rome même, et parmi lesquels on comptait des
prélats distingués, des nobles et des princes,
entre autres les princes Borghese et Rospigliosi.
Figurez-vous des centaines de lanternes ambulantes,
au milieu de ténèbres épaisses, allant et venant
en tous sens, et représentant les figures que je
vous ai nommées plus haut. Je dis lanternes
ambulantes ; il était impossible de distinguer un
seul des zouaves qui portaient ces lanternes ; orî
ne voyait que des flots de lumière de diverses
» couleurs, se dessinant sur un fond obscur, et pro-
duisant un effet vraiment magique. Un tonnerre
d'applaudissements éclata lorsque nous représen-
tâmes "Vive Pie IX!" Des vivats prolongés se
firent entendre, etvles échos se répercutèrent dans
les montagnes environnantes. " Sacrebleu ! s'écria
un noble français, qui se tenait à quelques pas de
moi, je n'ai jamais rien vu de semblable." Je
n'osai le contredire, car il disait la vérité.
Le lendemain fut un jour de congé pour nous.
— 12 —
Je profitai de ces heures de loisir pour étudier
Rocca-di-Papa et ses environs.
Rocca-di-Papa est située au sud-est et à dix-
huit milles environ de Rome. Cette ville est bâtie
sur le flanc d'un rocher ; c'est de là que lui vient le
nom de Rocca, qui veut dire roclie. Rocca-di-Papa
signifie donc Roche du Pape. Elle est élevée de
plusieurs mille pieds au-dessus du niveau de la
mer, et présente, grâce à cette élévation, un point
de vue remarquable. Monté sur le sommet du
rocher, nous voyons, dans le lointain, Rome et la
Méditerrannée, et, à une courte distance, Marino,
Castel-Gandolfo, Albano et les flots argentés des
lacs d'Albano et de Némi.
Au sud-ouest de Rocca s'élève cavalièrement le
Mont-Cavo, (3,130 pieds de haut,) sur lequel les
Passionnistes ont construit leur nid. Ce nid est
un magnifique monastère entouré de tous côtés
d'un riant bocage. On ne saurait trouver de lieu plus
propre au recueillement et à la prière. Séparés
du tumulte du monde, ces religieux semblent
quitter la terre et s'envoler vers les régions célestes,
en répétant, dans leurs louanges au Créateur, ces
paroles du psalmiste : " Qui me donnera des ailes
comme à la colombe ! " Ce pieux sanctuaire est
bâti sur les ruines d'un temple païen, de Jupiter
Latialis. Dans le jardin avoisinant le couvent, on
-73-
voit encore un morceau du parquet en mosaïque,
parfaitement conservé. Lorsque je suis allé me
promener dans ce délicieux jardin, j'ai détaché
du parquet une petite pierre que j'ai glissée furti-
vement dans mon gousset. J'avais grandement
peur que ce vol sacrilège m'attirât la colère des
dieux, et que Jupiter me lançât sa foudre sur ma
nuque. Tout de même, je suis revenu sain et sauf.
Au sud de Rocca-di-Papa on rencontre l'endroit
généralement connu sous le nom de Camp d'Anni-
bal. C'est un vaste plateau entouré de toutes parts
de hautes montagnes. Les zouaves sont campés
sur ce plateau. Le camp, adossé au pied du Mont-
Cavo, s'étend sur une longue ligne droite, (du nord
au sud) de Rocca jusqu'à la montagne qui fait face
à cette ville. Cette dernière montagne est très
élevée ; de son sommet, il paraît que l'on jouit
d'un superbe panorama. Quelques-uns de mes
compagnons d'armes ont eu le courage d'en faire
l'ascension, et ils m'ont affirmé que, lorsque le
ciel est serein et clair, on distingue le Vésuve et le
golfe de Naples. Mais, Joannes dubitat.
Dans la principale église de Rocca, sous le
maître-autel, repose le corps de saint Eutrope,
lecteur de l'église de Constantinople et mort mar-
tyr en l'année 404, en proclamant publiquement la
divine vérité et en prenant la défense de saint
4
— 14 —
Jean-Chrysostôme, chassé pour, la seconde fois de
son siège patriarchal.
Le cinq septembre ouvre une nouvelle ère pour
nous : nous levons le camp. Vous devez vous
imaginer que nous ne nous faisons pas prier pour
plier nos tentes, préparer nos sacs et nous mettre
en route. Notre départ est salué par un immense
feu de joie ; l'incendie balaye tous nos édifices de
fougère et de genêt qui nous avaient coûté une si
grande somme de labeurs. Nous partons sans
regarder en arrière, et en chantant gaîment :
"En avant, marchons, zouaves du Pape, à l'avant-garde. "
A notre arrivée à Rome, nous sommes casernes
de nouveau au Janicule. Bien que nous soyons
obligés de dormir sur la paille, nous trouvons nos
lits plus moelleux que la dure du Camp d'Annibal ;
et, ce qui est une importante amélioration à notre
sort, c'est que nous sommes débarassés de cette
petite vermine qui nous caressait les flancs lorsque
nous étions sous la tente. Nous avions fait usage
de lessive avant de prendre notre nouveau loge-
ment.
L'heure de la dispersion des Canadiens est enfin
sonnée. Le huit septembre, jour de la Nativité
de la sainte Vierge, tout le 3ème dépôt est versé
en compagnies ; par conséquent, les Canadiens se
— T5 —
trouvent alors jetés par escouade de huit à dix,
dans les différentes compagnies du régiment. La
séparation fut touchante, mais sans sanglots. Le
capitaine de Kermoal pressa affectueusement la
main à chacun de nous, et nous rejoignîmes nos
compagnies respectives.
Je voulais alors faire une étude de Rome chré-
tienne et de Rome païenne, mais vaine illusion !
je passe à la 6ème compagnie du 3ème bataillon
qui est actuellement à Tivoli. Je transporte donc
mes pénates dans cette ville, au quatrième étage
du collège Borromeo, dirigé par les révérends pères
Jésuites. C'est dans ce riche couvent que j'ai
écrit la courte description de Tivoli que je vous
donnerai dans le prochain chapitre.
CHAPITRE X.
TIVOLI ET SES SOUVENIRS.
Tivoli, l'ancienne Tibur d'Horace, est située à
i 8 milles à l'est de Rome, et mérite d'être étudiée
sous le rapport du site et sous le rapport de l'an-
tiquité.
Envisagé sous le premier rapport, Tivoli ne
laisse rien à désirer de mieux. Placée à la ren-
contre de trois montagnes, elle est assise sur le
flanc d'une de ces montagnes et envoloppée d'im-
menses bosquets d'oliviers ; elle regarde :
Au nord, Monticelli, petite ville élevée sur les
ruines de Curniculum ; Santo Angelo, bâtie sur
l'emplacement de Canina ; Monte-Rotondo qui
nous rappelle le brigandage exercé par les ven-
dales de i 867 ; et enfin, Mentana, où l'armée pon-
tificale défit, dans le mois d'octobre 1867, les >^
chemises rouges commandées par Garibaldi, connu
plus communément sous le nom de général Montre-
ton- do s ;
A l'orient, les trois montagnes auxquelles je
viens de faire allusion ;
Au sud, Palestrina, autrefois Praeneste ; Fras-
— 78 —
cati, Rocca-Priora, anciennement Corbion, et
Albano ;
A l'occident, la campagne romaine et Rome,
la Ville sainte, la Ville éternelle, la Ville des mar-
tyrs. Une riche vallée sépare Rome de Tivoli.
Lorsque la voûte céleste est sans nuage, la Ville
des Papes apparaît dans toute sa splendeur. Si,
au contraire, une trop grande quantité de vapeur
remplit l'atmosphère, Rome disparaît ; mais la
coupole de Saint-Pierre ne fuit jamais le regard.
C'est le phare lumineux qui guide le voyageur
sur la mer orageuse du monde et lui fait éviter
les écueils qui sont semés sur son passage.
Sous le rapport de l'antiquité, Tivoli me semble
digne de figurer après Rome, à cause des nom-
breux souvenirs qu'elle renferme. Il serait trop
long de décrire chacun de ses monuments en par-
ticulier, je me contenterai d'en faire l'énumération :
Nous remarquons les ruines d'un grand nombre
de temples consacrés aux dieux païens, tels que
ceux de Vesta, de la Sybille, d'Hercule ; les grottes
de Neptune et de la Sirène ; plusieurs villas
délabrées ou l'emplacement qu'elles ont occupé :
nous voulons dire les villas de l'empereur Adrien ;
de Caïus Marius, homme de grand mérite et con-
temporain de Cicéron ; de M. Scipion ; de Lépide,
célèbre triumvir; de Virgile, le cygne de Mantoue ;
— 79 —
de Quintilius Varus, qui a tant fait souffrir
Auguste ; il vous en souvient : " Varus, qu'as-tu
fait de mes légions ? " ; de Cassius, qui, de concert
avec Crassus, a soutenu la guerre contre les
Parthes ; de Brutus, qui suivit d'abord le parti
de Pompée et se soumit ensuite à César ; de l'em-
pereur Trajan ; de Salluste, célèbre historien ; de
Catulus, consul qui défit les Cimbres conjointe-
ment avec Marius ; du poète Horace, qui a tant
détesté l'ail et tant aimé le vin ; de Pison, qui a
été consul sous Auguste, gouverneur de Syrie sous
Tibère, et fit mourir Germanicus ; de Mécène, le
favori d'Auguste, et qui ne pouvait s'endormir
qu'au bruit des cascatelles ; de Plaute, poète
comique ; de Zénobie, reine de Palmyre ; de
Sifax, roi de Numédie, qui fut vaincu par Scipion,
dans la seconde guerre punique ; de Plancus,
consul, l'an 712 de Rome, et 42 avant Jésus-
Christ, et de plusieurs autres. Une aussi grande
multitude de villas, habitées par les hommes les
plus célèbres de Rome païenne parlent beaucoup
en faveur de Tivoli et sont une preuve vivante de
son ancienne gloire. Aujourd'hui encore, les familles
nobles de Rome chrétienne ne dédaignent pas le
séjour de la patrie d'Horace.
Les églises de Tivoli méritent une mention
toute spéciale, et j'invite le lecteur à pénétrer
avec moi dans ces pieux asiles de la sainteté,
— 80 —
Les principales églises sont celles de Saint-
Laurent, de Saint-Sylvestre, de Saint-Biaise, de
Saint-Pierre, de Saint-André, de Sainte- Sympho-
rose, appelée aujourd'hui Chiesa del Gesu, de Saint-
Vincent, de Sainte-Marie Majeure et de Saint-Jean
l'Evangéliste.
L'église du Gesu est celle que j'aime le plus.
Tout plaît dans ce temple. La richesse qu'on y a
déployée et les magnifiques tableaux qui ornent
la nef sont tous d'un prix élevé et attribués à des
artistes les plus renommés. Ces peintures appor-
tent dans l'âme, je ne sais quoi de suave, et l'invite
à détourner ses désirs de cette vallée de larmes et
à les tendre vers la suprême Beauté.
La basilique de Saint-Laurent occupe l'empla-
cement du temple d'Hercule. Cette coïncidence
nous met en mémoire la victoire du catholicisme
sur le paganisme. En posant le pied dans cette
basilique, on aperçoit à droite une belle statue de
l'Immaculée-Conception, due au génie du Bernin.
Elle est en grande vénération à Tivoli, et c'est
avec raison. En 1656, la Madona a préservé les
Tiburtins de la peste qui sévissait partout et cau-
sait de cruels ravages.
L'église de Saint-Vincent est construite sur la
grotte de sainte Symphorose. Dans cette église
se trouve un beau tableau représentant le martyre
— 81 —
de cette sainte et de ses sept fils ; et puis, vers le
milieu de la nef, à droite, un escalier conduit à
une cellule souterraine. C'est dans cette grotte
que s'est cachée la sainte femme avec ses sept
enfants pour se dérober à la persécution de l'em-
pereur Adrien. Mais, comme vous le savez déjà,
sa retraite a été ensuite découverte, et l'héroïque
mère est morte martyre ainsi que tous ses enfants.
L'église de Saint Pierre, bâtie sous le pontificat
de saint Simplicius, s'élève sur les ruines de la
villa de Metellus Scipion et appartient à la Con-
fratemita délia Carita. C'est une des plus anciennes
églises de Tivoli.
L'église de Saint-Biaise, située au milieu de la
place de la Reine et desservie par cinq Dominicains,
remplace le temple de Junon. Elle a été détruite
et rebâtie plusieurs fois, de sorte qu'elle porte
encore les traces des tristes phases qu'elle a eu à
traverser.
En arrière de la place de Trevi, on rencontre
l'église de Saint-André, qui fut fondée par S. Sil-
via-Anicia-Probina, mère de Grégoire le Grand,
sur les ruines du temple de Diane.
L'église de S.iint-Jeaft l'Evangeliste est près de
la porte du même nom. En 1729, elle est deve-
nue la propriété des religieux nommés Eratc Bene-
Fratelli, qui l'ont réparée et lui ont donné l'appa-
— 82 —
rence qu'elle conserve de nos jours. Les peintures
de cette église sont les plus remarquables de
Tivoli. Les fresques de la tribune sont attribuées
à Pinturrichio ; celles de la nef et du sanctuaire
et le tableau de saint Marc l'Evangeliste, à Sal-
viati. Le maître-autel est dominé par la statue de
saint Jean, due au ciseau de Vincent Léoni, qui
est regardé comme le restaurateur de l'église de
Saint-Biaise.
Enfin, jetons un coup d'œil rapide sur les ruines
de la villa d'Horace. Qu'y voit-on ? Une petite
église dédiée à saint Antoine de Padoue. Encore
l'erreur qui cède le pas à la vérité. Le site ne pou-
vait être mieux choisi. Véritablement, comme
dirait un ancien représentant du peuple canadien,
Horace aimait la belle nature. C'est l'endroit le
plus délicieux qu'on puisse voir. Nous sommes
en dehors et à douze arpents de la ville, en face
des cascatelles, Sur le flanc d'une montagne et au
milieu d'un bosquet touffu d'oliviers. Tel est le
lieu où le poète latin se livrait à ses débauches et
à ses plaisirs éphémères. Le poète n'est plus ;
mais un grand saint lui a succédé, et sa main pro-
tectrice s'élèvera sur les Tiburtins jusqu'à la con-
sommation des siècles.
CHAPITRE XI.
CASCADES DE TIVOLI ET LA VILLA D'ESTE.
Avant de nous éloigner de Tivoli, allons visiter
les cascades et la villa d'Esté. Commençons par
les premières.
Sans être comparables à celles de Niagara et
de Montmorency, les cascades de Tivoli reçoivent
néanmoins la visite de plusieurs personnages impor-
tants, voire des rois et des reines, des princes et
des princesses. En parcourant la longue liste
des illustres touristes dont le nom est gravé sur
un marbre, placé à l'entrée des tunnels qui tra-
versent le mont Catillo, j'ai remarqué, à ma grande
surprise, le nom du prince de Galles, notre futur
roi. Ces cascades ont un cachet de beauté qui les
fait aimer. La nature, dans le voisinage, a pris
mille formes diverses sous la main de l'Artiste
universel, et offre un spectacle enchanteur.
On distingue deux cascades, l'ancienne et la
nouvelle. Le lit de l'ancienne est presque desséché,
et cela date de 1835. Avant cette époque, c'était
l'unique cascade. L'eau y coulait par conséquent
en très grande abondance, surtout à l'époque des
— 84 —
pluies torrentielles. En 1826, le torrent se grossit
à un tel point que l'onde s'élança hors de ses
digues, inonda la ville — les cascades touchent à
la ville — et emporta dans sa course furibonde
plusieurs beaux édifices, qui furent complètement
démolis. Ce désastre répandit la terreur dans toute
la ville. On commença alors à penser aux remèdes
qu'il fallait apporter au mal. Léon IX fit donc
construire de nouvelles digues pour mettre un
frein au torrent dévastateur. Mais ces murs paru-
rent encore insuffisants. Neptune ne voulait pas
conclure la paix à si bon marché. Grégoire XVI
mit la main à l'œuvre, et le dieu s'avoua vaincu.
Pour obtenir son but plus sûrement, le pape
Grégoire résolut de détourner le cours de l'Anio,
en faisant percer le mont Catillo ; ce qui présen-
tait de sérieuses difficultés. Cependant Grégoire
le voulait, et la chose se fit ; car pour ce grand
pape vouloir et faire étaient synonymes. On pra-
tiqua deux tunnels à travers le mont. Les eaux y
pénétrèrent, pour la première fois, le 7 octobre
1835, en présence de Sa Sainteté Grégoire XVI,
de la reine des Deux-Siciles, de plusieurs cardi-
naux, etc., et formèrent ce que nous appelons
maintenant la nouvelle ou la grande cascade. On
peut parcourir les deux tunnels à pied d'un bout
à l'autre; car dans chacun d'eux se trouve une
^ — 85 —
plateforme ou galerie sur laquelle le promeneur
se balade à son aise.
En revenant des cascades, entrons dans la villa
d'Esté, qui apparaît à notre gauche. Après l'avoir
examinée avec soin, nous aurons une idée plus ou
moins juste des nombreuses résidences princières
qui entourent Rome.
La villa d'Esté a été construite en i 5 5 1 par les
soins du cardinal Hypolite d'Esté, qui, dit-on, dé-
pensa en cette occasion un million de scudi (le scudo
vaut 5 francs 7^ sous). Comme vous le voyez,
c'est une somme assez ronde, mais je dois ajouter
que l'argent a su produire le beau. Le palais, qui
sert de résidence aux cardinaux de cette illustre
famille, n'offre rien de remarquable. Passons outre
et volons dans le jardin qui l'avoisine ; nous serons
contents de notre petite visite.
Bien des fois, il m'a été donné de voir des jar-
dins, mais je n'ai jamais vu autant de beautés
réunies dans un même lieu. L'œil ne se lasse
jamais de contempler ; à chaque pas que l'on fait,
on aperçoit une multitude de petits êtres qui flat-
tent la vue Ici, ce sont des statues que le paga-
nisme a fait naître ; là, de splendides sculptures
exécutées par le génie chrétien ; plus loin, des
myriades de jets d'eau sous différentes formes, et
puis, un nombre prodigieux de gracieuses fontaines.
— 86— r
Mon épithète gracieuse doit vous surprendre. Je
veux seulement dire que le dieu ou la déese, qui
est préposée à la garde de telle ou de telle fontaine,
a un extérieur gracieux. Enfin pour compléter le
tableau, ce jardin renferme des arbres de toute
sorte qui croissent à une hauteur prodigieuse, tels
que le cyprès, le platane, le cèdre du Liban, etc.
Rien n'y manque. L'intelligence a présidé à l'œu-
vre.
Nous avons maintenant une vue d'ensemble ;
mais examinons encore plus en détails. En un
mot, faisons le tour du jardin. A l'orient, on remar-
que la fontaine nommée en langue italienne de
rOvato, que Michel -Ange Buonarotti décore du
titre pompeux de reine des fontaines. Quatre frag-
ments de rocher surperposés forment le mont
Elicon. Sur la crête du mont repose le cheval ailé
ou Pégase ; à la base surgit l'eau écumante qui
représente l'Hyppocrème. Les rochers ont une
légère cavité sur le flanc ; c'est dans ce creux
qu'est assise la statue de la Sibella Albunea, de
dix-sept palmes de haut, et qui caresse, de sa main
droite, la jeune Tivoli. A chaque côté de la Sybille
se dressent deux autres divinités, à gauche, l'Anio,
et à droite, Hercule, qui sont mollement étendues
sur la verdure et semblent, à vrai dire, prendre
peu d'intérêt à l'humanité souffrante ; du pied de
— 87 —
ces dernières statues jaillissent deux torrents qui
versent d'abord leurs eaux agitées dans une im-
mense coupe, et de là dans un riche réservoir de
forme ovale. Une foule de petites créatures (sta-
tues) figurant les Naïades, sont placées en face du
grand réservoir, sur une seule ligne et en demi-
circonférence, et forment un tout complet avec le
reste du dessin. Mais un peu d'ombre, dit-on, dans
un tableau ne nuit pas à sti beauté ; tel est le cas
pour la fontaine que nous étudions. Des platanes
séculaires répandent à l'entour un ombrage tou-
jours frais ; leur cime altière semble percer la nue
et regarde avec dédain le joli bocage de lauriers
qui enveloppent l'Elicon.
De la fontaine de YOvato, je pénètre dans l'allée
des cent fontaines, qui traverse le jardin dans toute
son étendue, de l'est à l'ouest. Cette allée doit son
nom aux cent jets d'eau qui la bordent. A l'extré-
mité de cette voie, j'aperçois la Girandola. La
première chose qui frappe ma curiosité, c'est une
petite colline sillonnée en mille endroits par les
flots argentés de l'onde bondissante, de l'onde qui
tombe, se relève, rebondit et retombe dans un
vaste bassin. On dirait, à première vue, que
l'eau est portée de main en main, comme la langue
italienne l'exprime si poétiquement : " Acqua
sollevavasi di mano in mano" Le torrent, en frap-
— 88 —
pant les pointes aïgues du rocher, produit un grand
bruit, sourd et saccadé, semblable au mugissement
du lion delà forêt. Cette circonstance a'.fait donner à
la fontaine, la dénomination de Fontaine de Dragon.
C'est le cardinal Luigi qui a fait construire cette
superbe fontaine à l'occasion du séjour de Grégoire
XVI dans le palais même du cardinal. Trois jours
ont suffi pour créer ce merveilleux ornement de
la ville d'Esté, et Grégoire a pu contempler un
nouveau chef-d'œuvre avant de retourner au
Vatican. Si jamais les armes de la maison Buon-
compagni vous tombent sous les yeux, vous y
verrez figurer les dragons. Alors, vous vous rappe-
lerez la courte description que je fais aujourd'hui
de la fontaine des dragons, et vous aurez la solu-
tion du problème.
A la droite de la fontaine des dragons, le regard
se fixe — permettez-moi l'expression — sur un amas
de beautés, auquel on décerne le nom de Romctta,
petite Rome. C'est une représentation, en petit,
des principaux monuments de l'antique Rome.
La plus grande partie, il est vrai, est dépouillée
de ses somptueux ornements et a été détériorée
par le temps ou par l'eau. Au milieu des ruines
éparses, on distingue encore, d'une manière assez
confuse, le capitole, le panthéon, le mausolée d'Au-
guste, le môle d'Adrien, etc. Sur une vaste terrasse
— 89 —
s'élève la statue de Rome, entourée de trophées ;
à côté, la louve allaite Romulus et Rémus, et en
face, se dresse le pont triomphal. Nous avons devant
nos regards plusieurs pages de l'histoire romaine.
Nous voyons grandir Romulus et Rémus ; nous
assistons à leur querelle, à leur séparation, au
meurtre de Rémus par son frère, à la fondation
de Rome, à l'enlèvement des Sabines, à la mort
du premier roi des Romains, etc. Comme au mont
Elicon, de grands arbres ceignent d'une couronne
verdoyante la tête de Rometta. De la terrasse
que nous occupons, la vue embrasse tout le jardin*
C'est donc un panorama grandiose qui se déroule
devant nous.
La villa d'Esté possède plusieurs autres monu-
ments et plusieurs autres chefs-d'œuvres, mais il
serait trop long de les faire connaître ici. J'ouvre
donc la porte du jardin, et je gagne la caserne, au
pas accéléré, afin de ne pas ennuyer davantage le
lecteur.
CHAPITRE XII.
SUBIACO ET SAINT BENOIT.
Subiaco vient du mot latin Sablaqucum, ainsi
nommé parce que autrefois on voyait un peu au-
dessus de cette ville trois petits lacs aujourd'hui
desséchés. Sublaqueum a été changé en Subiaco.
Subiaco, ville de la Sabine est située à cinquante
milles au sud-est de Rome ; elle renferme 6,000
âmes, et offre, comme le dit Robello, un grand
intérêt aux artistes par son délicieux paysage,
aux industriels, par ses nombreuses usines, et aux
philosophes, par les souvenirs de saint Benoît.
Son site est charmant. Entourée de montagnes qui
portent leurs cimes grisâtres jusqu'aux nues, et
bâtie sur une colline de forme pyramidale, elle
regarde de tous côtés un vallon profond, où la
nature se plait à étaler ses trésors. Bocages ver-
doyants, jardins ^émaillés de mille fleurs, prome-
nades délicieuses, rien n'y manque. Les édifices,
d'une apparence assez médiocre, sont groupés au
tour du mamelon, formant ainsi une espèce d'am-
phithéâtre. Le palais épiscopal est, comme un nid
d'oiseau, perché sur le sommet et domine toute
— 92— •
la ville. A la première vue on le prendrait pour
un château-fort capable de soutenir un long siège.
Les églises sont au nombre de huit ; la cathé-
drale seule peut attirer notre attention. Les rues,
comme celles des autres villes des Etats de l'Eglise,
sont étroites et d'un aspect qui demande beaucoup
d'améliorations sous le rapport de la propreté.
Nous avons une faible idée de la topographie du
Subiaco ; passons maintenant aux souvenirs que
renferme cette ville :
Le premier souvenir qui frappe le regard du
voyageur est celui de Néron, ce démon sous la
forme humaine. L'aurait-on cru ? Tout de même,
ce n'est que trop vrai. Enchanté du magnifique
paysage dont je viens de parler, Néron avait fait
construire des bains artificiels et une somptueuse
villa à un mille de la ville, sur les rives de l'impé-
tueux Anio. Il ne pouvait se fixer en un endroit
plus favorable , pour ses orgies nocturnes, et pour
satisfaire les passions de son cœur gangrené. Il
existe encore aujourd'hui quelques ruines — dissé-
minées ça et là — des édifices élevés par cet empe-
reur capables tout au plus de nous donner une
juste idée de la magnificence que déployaient les
anciens Romains dans la construction de leurs
palais.
Le second souvenir qu'on rencontre est l'anti-
— 93 —
pode du premier. Ce souvenir est cher aux habi-
tants de la ville de Subiaco, cher à toute l'Italie,
cher enfin à l'Eglise catholique. Je viens de
nommer saint Benoît, de la famille d;Anicia, ce
jeune praticien qui, fuyant les honneurs et les dé-
lices du monde, vint se réfugier dans une grotte,
où les rayons d'un soleil bienfaisant ne pénétraient
jamais. Le paganisme avait souillé cette contrée
de sa bave immonde. Le christianisme, quatre
siècles plus tard, chasse pour toujours ce monstre
infernal, et plante la croix à l'endroit même où ce
dernier avait établi sa demeure. Benoît fut l'instru-
ment dont se servit la Providence pour remporter
cette victoire à jamais mémorable, qui produisit
dans l'univers des fruits si abondants. Ce grand
saint, ne voulant pas laisser son œuvre incomplète,
forma un ordre qui fut chargé de continuer ce
qu'il avait commencé, c'est-à-dire travailler au salut
des âmes. L'ordre des Bénédictins s'augmenta avec
rapidité, et fonda un vaste monastère sur la grotte
même dans laquelle saint Benoît passa trois
longues années sans voir aucun être humain. C'est
ce monastère, commencé par saint Benoît et para-
chevé par l'abbé Humbert, que nous allons étu-
dier ; mais, auparavant, suivons avec attention le
joli sentier qui conduit au Sagro Spcco, afin d'ad-
mirer les monuments qui se présentent à l'admi-
ration pendant cette excursion aérienne.
— 94 —
Le premier monument que le chrétien s'empresse
de visiter, c'est une chapelle circulaire, élevée en
l'honneur de saint Maur, disciple de saint Benoît.
On rapporte le fait suivant dans la vie de ce der-
nier : " Un jour, le jeune Placide, fils d'un sénateur
romain, alla puiser de l'eau dans un petit lac,
aujourd'hui desséché, et à peu de distance de la
villa de Néron. Pendant que le jeune homme était
penché sur le bord de l'eau, le poids de l'amphore
l'entraîna, et Placide tomba dans l'abîme. Il allait
périr, lorsque saint Benoît ordonna à saint Maur
de voler au secours de Placide. Maure obéit ; il
marche sur les eaux comme autrefois Notre
Seigneur sur le lac de Génézareth, et retire du
gouffre l'enfant qui n'a plus qu'un souffle de vie."
Pour perpétuer la mémoire de ce miracle éclatant,
les habitants de Subiaco élevèrent cette chapelle
que nous avons devant nous. Plus loin s'élève le
couvent de sainte Scholastique, sœur de saint
Benoît. Ce monastère a été construit au VI siècle.
On y a réuni une ioule d'objets de l'antiquité
provenant de la villa de Néron. Ce sont des reli-
gieux cloîtrés qui l'habitent aujourd'hui.
L'église qui touche au couvent est d'une grande
beauté. L'âme se sent à l'aise en pénétrant dans
ce temple et respire librement les parfums des
vertus qui y sont pratiquées. Dans la crypte, on
— 95 —
admire deux grottes profondes, habitées autrefois
par deux saints : Pierre et Honorât. Le corps du
vénérable Bède repose dans ce lieu. Son nom est
gravé sur un marbre avec l'inscription suivante :
" O vénérable Bede ! Illustrions doctor of the english
nation vouchsafe to obtain, the retum of that people
to the truc ehureh and peace and ivelfare for myself
who corne t hit her in pilgrimage to tJiy shrine. "
A deux pas du couvent de sainte Scholastique,
il existe une chapelle visitée par une foule innom-
brable de pèlerins. En gravissant cette montagne,
saint Benoît rencontra le moine Romain, plus tard
saint Romain, qui le dépouilla de ses habits et le
revêtit d'une peau de bête. Cette chapelle est là
pour rappeler aux pèlerins cette circonstance de
la vie de saint Benoît.
Nous traversons ensuite un petit bois odori-
férant, connu sous le nom de bois sacre. Ce riant
bocage a été sanctifié par la présence de saint
Benoît, de cet homme de diamant, comme l'appelle
le pape Zacharie. Le touriste, fatigué de cette
/pénible ascension, s'arrête volontiers un instant
' sous cet épais feuillage pour reprendre haleine,
respirer l'air pur et ranimer ses forces chance-
lantes.
Nous arrivons enfin au monastère de saint
Benoît, au célèbre Sagro Speeo, placé sur des
— 96 —
rochers à pic, menacé par des masses énormes de
pierres qui le dominent, et suspendu sur le bord
d'un précipice. Ce couvent est adossé à la mon-
tagne, à la paroi qui, comme le peint si bien de
Montalembert, fait face au midi et domine en
surplombant le cours bondissant de l'Anio sépa-
rant, en cet endroit, la Sabine du pays habité
jadis par les Eques et les Herniques. Le sanc-
tuaire du Sagro Speco compte sept étages et
quatorze autels.
Au second étage se trouve la grotte sainte. Une
statue d'une beauté et d'une expression merveil-
leuses représente le patriarche à genoux et les
yeux tournés vers le ciel. A côté de la statue, on
remarque un panier et une clochette. L'ermite
Romain seul connaissait le refuge du saint qu'il
nourrissait du reste de ses jeûnes. Mais il ne pou-
vait pas parvenir jusqu'à lui, il lui glissait chaque
jour un morceau de pain, au moyen d'un panier
attaché à l'extrémité d'une corde ; et au panier
était fixée une clochette qui, par ses tintements
réitérés, avertissait l'anachorète de l'arrivée de son
frugal repas. Vous devez comprendre facilement
l'énigme du panier et de la clochette que renferme
la grotte sainte. Ces souvenirs ne sont qu'une imi-
tation, mais c'est un fac-similé qui parle éloquem-
ment au cœur du chrétien. Les Bénédictins con-
-97 —
servent les originaux dans une chapelle avec un
soin tout religieux. On voit aussi le lit sur lequel
saint Benoît, succombant à l'épuisement, prenait
quelques heures de repos. Sa couche n'était pas
aussi molle que celle des rois fainéants de la Gaule.
Une simple pierre, et encore était-elle passable-
ment raboteuse, voilà le lit du grand saint de
Subiaco.
Au septième et dernier étage, existe une autre
grotte, dans laquelle saint Benoît composa la règle
de son ordre, sous l'autel qui la décore ; le saint a
laissé l'empreinte de ses pieds parfaitement gravés
dans le roc. Cette grotte et la première que nous
avons visitée sont fobjet d'une tendre dévotion.
Les fidèles y accourent de toutes les parties du
monde. L'évêque de Montréal, Mgr Bourget, est
venu lui-même, le jour de la fête de saint Benoît,
célébrer le divin sacrifice de la messe dans le
Sagro Speco. Sa Grandeur était accompagnée de
MM. les abbés Gravel, Godin et de notre digne
aumônier, qui tousvont eu le même bonheur que
notre vénéré prélat canadien.
L'histoire rapporte que, lorsque saint Benoît
vivait dans son obscure retraite, il fut violemment
tenté par le démon de l'inpureté. Pour éteindre
le feu qui le dévorait, le moine se roula, le corps
nu, sur des épines qui croissaient auprès de sa
— 98 —
grotte. Les épines se changèrent en roses. Les
bons Bénédictins donnent toute leur attention à
ces rosiers miraculeux, dont les feuilles portent
au centre la figure d'un serpent ; ils se font un
plaisir de procurer à chaque visiteur ce qu'on
appelle polvere prodigiosa délie rose di santo Benetto.
Le révérend Père Bruno, qui était alors mon
directeur spirituel, a bien voulu me faire cadeau
de cette poudre prodigieuse toutes les fois que je
suis allé prier au Sagro Speco.
Nous venons d'applaudir l'héroïsme de saint
Benoît, triomphateur de la volupté, en faisant un
miracle. Transportons-nous maintenant sur un
autre théâtre, où la sainteté de Benoît brille con-
tinuellement. En arrière du monastère, se dresse
un énorme rocher taillé perpendiculairement, et
dominant l'illustre retraite des Bénédictins. C'est
sur ce rocher que vivait saint Romain, et c'est
aussi de ce haut rocher qu'il remplissait le rôle de
pannetier à l'égard de saint Benoît. Un jour, un
fragment considérable de ce rocher se détache et
descend avec une vitesse incroyable. De son poids
il allait écraser le couvent et les moines qui l'habi-
taient, lorsque tout à coup il s'arrête, restant adossé
à la montagne, sans aucun appui pour le soutenir ;
il ne touche à la montagne que par la base, la
partie supérieure est inclinée vers le monastère et
— 99 —
séparée de la montagne par une distance de plu-
sieurs pieds. Quelle est donc la puissance qui l'a
retenu, et qui le retient encore suspendu pour ainsi
dire dans l'espace? Saint Benoît, ni plus ni moins ;
le miracle est visible. Il ne suffit que d'ouvrir
les yeux pour s'en convaincre. En mémoire de ce
miracle vivant, opéré en faveur de leur ordre, les
Bénédictins ont élevé, au pied du rocher, une
statue à leur bien-aimé fondateur. Cette statue a
les regards dirigés vers la pierre menaçante ; la
main droite est levée comme pour commander au
rocher de s'arrêter.
Sur le piédestal qui la supporte, on lit l'inscrip-
tion suivante : "Ferma o rupe ? non danneggiare i
figli mieir Pour éviter de l'embarras, au lecteur,
je me permettrai d'en donner la traduction :
" Arrête-toi, ô rocher ! ne fais pas de mal à mes
enfants."
Il n'y a pas que Subiaco qui nous parle de saint
Benoît. Il existe encore plusieurs autres villes qui
publient sans cesser les vertus du patriarche des
moines d'Occident.
Affile, petite ville située à quatre milles au sud
de Subiaco, conserve le crible en terre brisé et
rendu à son premier état par l'entremise de saint
Benoît.
Royate, à 5 milles d'Affilé, bâtie au milieu des
— 100 —
montagnes dont le sommet est couvert de neiges
éternelles, possède le rocher sur lequel saint Benoît
passa la nuit lorsqu'il se rendit à Subiaco. Ce
rocher porte l'empreinte du corps du grand Benoît >
et, une chapelle, riche en ornements, couvre l'en-
droit où ce miracle s'est opéré.
Vicovaro, placée sur la voie qui conduit de
Subiaco à Tivoli, et à six milles environ de cette
dernière, nous montre saint Benoît préservé provi-
dentiellement d'un grand péril. Les religieux d'un
monastère de cette ville l'avaient appelé pour le
mettre à la tête de leur institution. Mais, ne pou-
vant supporter la sévérité de sa règle, ils résolu-
rent de le faire mourir. Ils lui apportèrent donc
une coupe remplie de poison. Benoît, inspiré du
Ciel, fit le signe de la croix sur la coupe qui se
cassa et tomba par terre. Le rocher lui-même sur
lequel le vase tomba, vola en éclats. On peut voir
encore les traces de cet autre miracle. Les reli-
gieux, effrayés et repentants, se précipitèrent aux
genoux du saint qui leur pardonna de grand cœur.
Mais Benoît ne voulut pas demeurer plus long-
temps dans cette ville, il retourna s'ensevelir dans
sa sombre caverne, bien décidé de ne plus appa-
raître aux regards des humains. Cependant, la
renommée de sa haute sagesse se répandit avec
une telle rapidité dans toute l'Italie, qu'un grand
— toi —
nombre de personnes vinrent se réfugier auprès de
lui pour vivre de sa vie de sacrifices et de jeûnes.
Bientôt il surgit douze monastères dans ces parages
sauvages, autour du Sagro Speco. Après avoir
nommé des supérieurs aux douze monastères qu'il
avait fondés, saint Benoît quitta Subiaco, en 520,
et alla se nicher sur le mont Cassin, où il termina
sa brillante carrière, en l'année 543.
Ce sont là les connaissances que j'ai pu acquérir
sur Subiaco et le sanctuaire de saint Benoît, lorsque
j'ai eu le bonheur d'être en garnison dans cette
ville. Je dis bonheur, et je ne crois pas me trom-
per ; car n'est-ce pas un bonheur que de contem-
pler "cette caverne et ce buisson d'épines, dit
l'auteur des Moines d'Occident, d'où sont issues les
légions de moines et de saints dont le dévouement
a valu à l'Eglise ses conquêtes les plus vastes et
ses gloires les plus pures."
CHAPITRE XIII.
BOLSENE MONTEFIASCONE VlTERBE. *
En quittant Subiaco, ma compagnie — il ne faut
. pas croire que j'étais capitaine pour parler ainsi —
se dirigea sur Rome, où elle séjourna pendant onze
mois. Dans cet intervalle, j'ai eu la consolation
d'assister à l'imposante cérémonie des noces d'or
de Pie IX, et à l'ouverture du concile du Vatican.
Ces deux faits glorieux dans la vie du successeur
de Grégoire XVI méritent un chapitre séparé. J'y
reviendrai donc plus tard. En attendant j'invite le
lecteur à me suivre dans la province de Viterbe,
afin de jeter un coup d'œil sur quelques villes.
Après avoir fait cette course, nous aurons parcouru
presque tous les Etats de l'Eglise. J'ai eu occa-
sion de visiter Civita Castellana, Soriano, Orvieto,
Montefiascone, Bolsene et Viterbe. Pour abréger
mon récit, je me contenterai de dire un mot de
ces trois dernières villes.
Je commence par Bolsene, qui se trouve au
nord et à cinq jours de marche de Rome, pour un
zouave voyageant avec le sac au dos et la cara-
bine en bandoulière.
— 104 —
Bolsene, l'ancienne Vulsinii, renferme une popu-
lation de 1,000 âmes tout au plus. C'est une des
douze lucumonies eu capitales des Etrusques. A
quelques pas de cette ville, s'étend un joli lac du
même nom, si vanté par le Dante. Vous n'avez
pas oublié sans doute les anguilles qu£ ce poète
a chanté avec tant de grâce.
Bolsene est célèbre par les longues luttes qu'elle
a eu à soutenir sous la monarchie romaine, mais
surtout par le miracle éclatant qui s'y est opéré
au treizième siècle. Voici comment un écrivain
français raconte ce fait :
"Vers le milieu du XIII siècle, le pape Urbain
IV se trouvait avec tout le sacré collège à Orvieto,
voisine de Bolsene. Dans cette ville, un prêtre,
en célébrant le saint sacrifice à l'église, encore
existante, de sainte Catherine, laisse tomber, par
mégarde, quelques gouttes du précieux sang sur
le corporal. Afin de faire disparaître les traces de
l'accident, il plie et replie le linge sacré de ma-
nière à étancher le sang adorable.
Le corporal est ensuite rouvert ; et il se trouve
que le sang a pénétré tous les plis, et imprimé
partout la figure de la sainte hostie parfaitement
dessinée, en couleur de sang. Sur l'ordre du sou-
verain pontife, le linge miraculeux est transporté
solennellement à Orvieto, et on le garde encore
— 105 —
aujourd'hui avec un profond respect dans la cathé-
drale. Le reliquaire qui lé renferme est un chef-
d'œuvre d'orfèvrerie, orné de peintures en émail,
et la cathédrale, bâtie en mémoire du prodige, est
un des plus splendides et des plus anciens monu -
ments de l'art en Italie ; elle date de 1290. Ce
miracle fut un des motifs qui, en 1262, détermi-
nèrent le même pontife à instituer la solennité de
la Fête-Dieu. Bolsene montre encore dans une
humble église l'endroit où le sang coula, et qui a
été couvert d'une grille."
Montefiascone est située à huit ou neuf milles
de Viterbe sur une colline à pente douce. C'est
la ville aux vins par excellence. Les Italiens de
cette province ne jurent que par les vins de Mon-
tefiascone. L'eau leur en vient à la bouche quand
on leur en parle. Voici un trait qui établit claire-
ment la renommée des vins de cette ville.
Il y a quelques années, un riche Allemand
voyageait en Italie. A son retour de Rome, il
passa par Montefiascone. Avant de descendre de
voiture, il commanda à son domestique d'aller
s'informer s'il y avait du bon vin dans cette ville.
Si le domestique réussissait dans sa mission, il
devait répondre : Est. Le domestique était chargé
de voir aussi si le vin était de qualité supérieure,
et, dans le cas affirmatif, de répondre Est. En
— 106 —
troisième lieu, le serviteur devait s'enquérir si le
vin était excellent, et de répondre encore Est. Le
fidèle domestique s'empresse d'obéir aux ordres de
soa maître. Bientôt il revient tout joyeux et
s'écrie : Est, Est, Est. L'Allemand, au comble du
bonheur, saute de voiture, entre dans une trattoria
et boit tant de vin qu'il en meurt sur le champ.
Sur sa tombe qui a été déposée dans l'église de
saint Flavien, on lit l'inscription suivante :
«
Est, Est, Est
Et propter nimium est,
Johannes de Fuger,
Dominus meus,
Mortuus est ,
Cette mort fait honneur aux vins de Montefias-
cône, mais non à celui qui en a été la victime.
Viterbe, la ville aux belles fontaines, comme on
la désigne ordinairement, est assise au pied du
mont Cimino, l'ancien Cyminus. Sa population est
de 20,000 âmes. Cette ville entourée de hautes
murailles, était, en 1869, sous la garde des troupes
françaises. Là, sont réunis une foule d'objets d'art
qui étonnent les étrangers. Non loin de Viterbe,
on rencontre le petit village de Canino, devenu
célèbre par la retraite^de Lucien Bonaparte, et par
la découverte de vases et de statues étrusques.
Les habitants de Viterbe ont une grande dévo-
tion pour le bienheureux Crispino et pour sainte
— 107 —
Rose. Lorsque l'Eglise célèbre la fête de ces deux
saints, le peuple accourt en foule se prosterner
devant les précieuses reliques du frère capucin et
de la jeune vierge. Crispino, ou Crispin, est un
frère de l'ordre des capucins qui a rempli l'humble
fonction de quêteur du couvent, pendant quarante
ans, et dont le corps miraculeusement préservé de
la corruption, repose dans le campo santo du cou-
vent de la Conception, à Rome. Rose est une
jeune fille, morte à dix-huit ans en odeur de sain-
teté, au treizième siècle.
J'invite les personnes qui ont eu la force de
m'accompagner dans mes marches forcées, de venir
avec moi dans quatre autres villes, et nous irons
ensuite nous reposer à l'ombre du drapeau ponti-
fical qui flotte sur le fort Saint- Ange.
CHAPITRE XIV.
MENTANA MONTE-ROTONDO FRASCATI
OSTIE.
Mentana, placée à 1 5 milles au nord-est de
Nomentum, fondée par Latinus Sylvius ; c'est une
des plus anciennes colonies d'Albe, dans la Sabine.
Sous l'empire romain, cette ville a joué un rôle
assez important, et ses vins étaient très recherchés.
Au Moyen-Age, Nomentum prit le nom de Civitas
Nomentana, et plus tard on a retranché la pre-
mière syllabe de l'adjectif Nomentaua, ce qui a
fait Mentana.
La population de Mentana est d'environ 900
à 1.000 âmes. Les rues en sont étroites et tor-
tueuses. Les édifices pour la plupart très anciens,
n'attirent que médiocrement la curiosité. Le séjour
de cette ville est monotone, pour ne pas dire plus.
Mentana a légué au domaine de l'histoire plu-
sieurs faits qu'il ne faut pourtant pas oublier. C'est
là que l'illustre Charlemagne eut une entrevue
avec le pape Léon III, lorsqu'il se rendait à Rome,
en 800, pour recevoir la couronne impériale. Cette
bourgade est encore la patrie de Crescence, de ce
— 110 —
patrice romain qui, au Xe siècle, tenta de rétablir
la république et fut pris et mis à mort d'une
manière barbare, par Othon III, en 996, après
avoir défendu le fort Saint-Ange avec un courage
héroïque.
Les étrangers qui visitent Rome se font un
devoir de venir à Mentana, fouler le champ de
bataille où l'armée pontificale remporta, au mois
d'octobre 1867, une brillante victoire sur l'ermite
de Caprera, le porte-étendard des révolutionnaires
ou des sociétés secrètes, le général Garibaldi, enfin.
A l'approche de cet implacable ennemi de la
Papauté et de la royauté, Rome trembla. Les
habitants consternés se préparaient à prendre la
fuite. Un deuil universel enveloppait la Ville éter-
nelle. La crainte avait glacé le sang dans les veines
des plus intrépides. Les églises regorgeaient de
fidèles, qui imploraient la protection du Tout-
Puissant. Partout, à chaque coin de rue, on enten-
dait des gémissements et des sanglots. Tout sem-
blait désespéré. Encore quelques heures, et Rome
sera au pouvoir de la révolution.
Mais il est écrit : Portas inferi adversus eam non
prevalebnnt. L'auguste vieillard du Vatican avait
prié pour l'Eglise, et sa prière était exaucée. Pie
IX bénit sa vaillante armée et lui donne l'ordre
de marcher au combat. L'armée vole à Mentana,
%
1
— 111 —
taille en pièces les bataillons garibaldiens et rentre
dans Rome, couverte de lauriers et de blessures.
L'Eglise catholique avait ajouté une nouvelle page
glorieuse à son histoire, et le Canada avait arrosé
de son sang le sol de l'Italie, dans la personne de
M. Alfred LaRocque, décoré aujourd'hui de la
croix de Pie IX. Honneur à ce brave chevalier !
Honneur aux Canadiens-français !
Le combat avait duré cinq heures environ.
Garibaldi avait fui au milieu de la mêlée, laissant
ses 'déguenillés à leur triste sort.
Le très regretté colonel Allet et le baron de
Charette commandaient le régiment des Zouaves ;
c'est tout dire.
On rapporte un trait de bravoure dont notre
cher papa — nom que les zouaves donnaient géné-
ralement au colonel Allet — a été le héros. Pendant
la bataille, le colonel se tenait au front et un peu
à côté de son armée, et examinait les péripéties
du combat, tout en fumant tranquillement un
cigare, lorsqu'il aperçut un Garibaldien qui le met-
tait en joue. Sans laisser percer la moindre émo-
tion, papa Allet le regarde viser. Le Garibaldien
fait feu, et .... le colonel reste sur son cheval sans
attraper la moindre égratignure. Alors se tournant
vers les Zouaves, Allet dit en riant : " Oh, qu'il est
bête ! il me vise, il tire et il ne me tue pas. "
m
— 112 —
" Donne-moi ta carabine," ajoute-t-il, en s'adres-
sant à un zouave. Notre colonel épaule, vise le
Garibaldien, fait feu, et le soldat à la chemise rouge
tombe raide mort." Tiens, dit-il en remettant
l'arme qu'il avait empruntée, c'est comme ça qu'on
vise dans l'armée pontificale." Un tel sang-froid et
un tel courage se passent de commentaires.
De ce célèbre champ de bataille, arrosé du sang
de plusieurs martyrs de la foi catholique, dirigeons
nos pas vers le nord. A deux milles au plus, nous
apercevrons Monte-Rotondo, ville assez impor-
tante de la Sabine, ayant une population de 2,300
habitants. Cette ville occupe une belle position.
Placée au milieu de la campagne romaine et en-
tourée de vignobles et d'oliviers, elle est exempte
de la malaria, qui exerce de si grands ravages au
midi de Rome, surtout aux environs des Marais -
Pontins.
Monte-Rotondo a aussi ses jardins, ses villas et
ses promenades. Dans la principale église, on
remarque un excellent tableau de la patronne de
la ville, sainte Madeleine, attribué à C. Maretta.
J'ai si grande hâte de voir Pie IX, que j'abrège
ma relation.
Pourtant encore une explication : Vous vous
souvenez que j'ai donné plus haut le titre de Mon-
tre-ton-dos au général Garibaldi. Voici l'origine de
— 113 —
ce mirabolant surnom : Garibaldi se voyant battu
à plate couture à la bataille de Mentana, sauta sur
son cheval et prit le galop vers Monte-Rotondo,
en disant à ses officiers qu'il les rejoindrait en
cette dernière ville. Garibaldi fit tellement jouer
les éperons que sa monture prît le mors aux dents,
et ne s'arrêtât que lorsqu'elle eut franchi la frontière
du Piémont. Les officiers garibaldiens retournèrent
à Monte-Rotondo, suivant l'ordre de leur chef,
mais le héros avait décampé, comme on vient
de le voir. Les vainqueurs et les vaincus, en appre"
nant cette nouvelle, s'écrièrent : " Le général mon-
tre-ton-dos est parti." C'est Monte-Rotondo changé
en montre-ton-dos.
Notre course à travers les États de l'Eglise a
épuisé nos forces.
Allons nous reposer un peu sous les grands
arbres qui bordent la voie romaine, près de Fras-
cati. Une fois que nous aurons renouvelé l'air de
nos poumons, entrons dans le Cacouna des Etats
de l'Eglise, dans" la belle ville de Frascati, où va se
réfugier l'aristocratie romaine pendant les grandes
chaleurs de l'été. Le séjour de cette ville n'est pas
à dédaigner.
»
Frascati, bâtie sur le versant d'une montagne,
est à deux heures de marche de Rome. On y
jouit, grâce à sa position, d'une température tou-
— 114 —
jours fraîche. A l'entour de la ville, sont dissémi-
nées, ça et là, les riches villas d'Aldobrandini, des
Conti, des Borghese, des Taverna et de plusieurs
autres, que le touriste peut visiter dans les heures
de loisir. Sur le sommet de la montagne, on voit
les ruines de Tusculum, la patrie de Caton e£ la
résidence favorite de Ciceron. Cette dernière ville
a été détruite en 1191 par les Romains et les
Tiburtins. *»
Frascati a eu l'honneur de posséder dans son
enceinte l'illustre cardinal Micara, le grand redres-
seur des vices de la haute société. Un jour, c'était
en l'année 1824, ce savant évêque — il n'était pas
encore cardinal — fut appelé à prêcher à Rome,
devant un brillant auditoire, composé en grande
partie de la noblesse romaine. Le pape Léon XII
était présent. L'évêque Micara fit une sortie viru-
lente contre les maux de l'époque, et il flagella en
particulier les vices les plus connus de la noblesse.
Plusieurs assistants furent offensés et portèrent
plainte au Pape, en lui demandant de punir le
coupable. Le Pape se rendit aux vœux des indi-
gnés et promit d'infliger au prédicateur un châti-
ment exemplaire. Quelques jours s'écoulèrent, et
personne n'entendit parler de la punition. Après
un certain laps de temps, la noblesse outragée
obtint une audience du Pape et lui demanda s'il
— 115 —
avait châtié l'évêque Micara. " Certainement,
répondit Léon XII, je l'ai fait cardinal. " Les indi-
gnés restèrent la bouche béante et s'en retour-
nèrent tout penauds, comme un chien qui vient
d'être battu.
Il me reste encore à vous dire un mot de la
petite ville d'Ostie, de cet ancien port de mer de
l'Italie, tant vanté dans l'histoire romaine.
Ostie est située à quinze milles de Rome, près
de l'embouchure du Tibre. Elle se divise en deux
parties distinctes : l'ancienne ville et la moderne.
Cette dernière, construite par le cardinal delU
Rovere, ne renferme rien d'intéressant.
L'ancienne ville comptait, au temps de sa splen-
deur, 80,000 habitants. Elle a presque entière-
ment disparu pendant les invasions des barbares.
Mais dans ces dernières années, le glorieux Pie IX
a fait faire des fouilles qui ont amené des décou-
vertes importantes. Une place publique, un forum,
un temple, un théâtre, des statues, des rues en-
tières ont surgi du milieu des décombres.
Ostie a vu mourir une grande sainte, la mère
de saint Augustin. J'extrais le passage suivant de
Rome chrétienne, par Mgr Gerbet.
" C'était au printemps de l'an 387 que quelques
voyageurs arrivèrent au port de mer d'Ostie, près
de l'embouchure du Tibre, pour y attendre un vais-
— 116 —
seau qui pût les mener à la côte d'Afrique, d'où
ils allaient à Tagaste. Ces voyageurs étaient
Augustin, qui devint ensuite le saint évêque d'Hyp-
pone, Monique, sa mère, son frère Alypius, son fils
Adéodat et ses deux amis Evode et Philippe.
Pendant leur séjour à Ostie, Monique tomba
malade. Une fièvre survint et le quinzième jour
elle expira. Peu d'instants avant sa mort, elle
entendit de son lit Alypius exprimant à Augustin
son affliction de ce que sa mère mourrait sur une
terre étrangère et allait être ensevelie parmi les
étrangers. Elle l'arrêta par un regard mécontent
et leur dit : "Mettez ce corps en un lieu quelconque
et ne vous en embarrassez pas. Mais il y a une
chose que je vous demande c'est que partout où
vous serez vous vous souveniez de moi à l'autel du
Seigneur."
Sainte Monique mourut à l'âge de 56 ans ; c'est
saint Augustin lui-même qui lui ferma les yeux. Son
corps fut d'abord déposé dans l'église d'Ostie, et
puis transporté dans l'église de Saint-Augustin, à
Rome, où il repose encore aujourd'hui.
CHAPITRE XV.
RCWE ANCIENNE.
Nous voilà enfin dans Rome, dans cette Ville
sainte que j'ai parcourue et fouillée en tous sens.
J'avais d'abord conçu le dessein de donner des
détails très minutieux sur toutes les églises, tous
les monuments religieux et profanes que l'on voit
dans cette grande ville, mais, après avoir refléchi
qu'une foule d'auteurs ont parlé de Rome bien
mieux que je ne pourrais le faire, j'ai adopté une
autre méthode. J'ai divisé mon étude en trois
parties, savoir : Rome ancienne, Rome pendant
les persécutions et Rome actuelle. Cette étude
aura l'avantage de nous faire rappeler notre
histoire, si toutefois nous l'avons oubliée. Je com-
mence par Rome ancienne, qui nécessairement se
confond avec l'eifipire romain lui-même.
Rome fut fondée par Romulus 430 ans après
la prise de Troie, et 755 ans avant Jésus-Christ.
Après avoir construit une forteresse, le premier
roi des Romains s'assura l'alliance des Sabins et
créa une milice qui devint très puissante plus tard.
Numa, dont le caractère n'était pas aussi féroce
— 118 —
que son prédécesseur, adoucit les mœurs du peu-
ple romain et institua la religion des dieux païens.
Tullus Hostilius assiste au combat de Horaces
et des Curiaces, et fait la conquête d'Albe.
Ancus Martius étend les limites de son petit
empire jusqu'à Ostie.
Tarquin l'Ancien s'empare de la Toscane et
embellit Rome d'ouvrages considérables.
Servius Tullius agrandit Rome et nourrit l'espoir
d'établir une république, mais il ne peut réaliser
ses projets ; il meurt par le conseil de sa fille
Tullia et par le commandement de son gendre
Lucius Tarquin.
Tarquin monte sur le trône. Son despotisme et
sa tyrannie lui mérite le titre de superbe. Son
troisième fils, Sextus, s'empare de Gabbies, ville
voisine de Rome. C'est sous son règne que le
grand cirque, commencé par Tarquin l'Ancien fut
terminé. Ce roi éleva une citadelle et lui donna
le nom de Capitole, parce qu'eu creusant les fon-
dations on trouva une tête sur laquelle se lisait
l'inscription To/us, et comme les augures préten-
daient que Rome serait un jour la capitale du
monde, on ajouta le mot caput — qui signifie tête
ou capitale— à Tolus, et on appela la montagne
en latin eapitolium. Tarquin soumet les peuples
du Latium à sa domination, mais ayant attenté à.
— 119 —
l'honneur de Lucrèce, il s'attire la colère du peuple
romain qui, excité par Brutus, dont le père et le
frère avait été assassinés par Tarquin, chasse le
tyran de Rome et proclame la république.
Le pouvoir passe ensuite aux mains des patri-
ciens. On voit régner d'abord Brutus et Tarquin
Callatin, époux de Lucrèce, qui prennent le nom
de consuls. A ceux-ci succède le consul P. Valérius.
Les Tarquins chassés trouvent un défenseur
dans la personne de Porsena, roi des Clusiens,
peuple de l'Etrurie. Porsena s'avance avec une
armée considérable sur Rome qui n'est sauvée que
par la valeur d'Horatius Coclès. Le roi étrusque
est obligé de se retirer devant la bravou re de
Scévola.
La république est successivement gouvernée par
les tribuns, les decemvirs et les tribuns militaires.
Sous les tribuns, Cariolan ayant été chassé de
Rome, soulève les Volsques qu'il dirige vers sa
patrie. Rome tremble et ne doit son salut qu'à
la mère de Cariolan, Veturie qui arrête l'inflexible
guerrier par ces paroles : " Arrête, en repoussant
son fils qui veut l'embrasser, avant de recevoir tes
embrassements, je veux savoir si je parle à l'en-
nemi de Rome ou au hls de Veturie ; si je suis la
mère de Cariolan ou sa captive. " Cariolan cède
au sentiment de la nature et se retire en disant :
— 120 —
" 0 ma mère, vous sauvez Rome, mais vous perdez
votre fils. n
Pendant que les Romains combattent les peuples
du centre de l'Italie, les Gaulois s'emparent du
nord de la péninsule, traversent l'Apennin et pous-
sent leurs conquêtes jusqu'à Clusium. Cette ville
implore le secours des Romains. Les trois Fabius
sont chargés de négocier cette affaire, mais par
leur caractère violent et hautain ils irritent les
Gaulois qui marchent sur Rome. La future capi-
tale du monde catholique est prise et saccagée
par les barbares, et tous les habitants sont passés
au fil de l'épée. L'armée romaine s'était réfu-
giée auparavant dans la citadelle du capitole.
Pendant une nuit, les Gaulois vont y entrer,
lorsque Manlius, éveillé par le cri des oies, accourt
sur les remparts et combat seul pendant quelque
temps contre les assaillants. Camille rappelé de
son exil, se met à la tête de l'armée et chasse les
Gaulois qui avaient été les maîtres de Rome pen-
dant sept mois. L'illustre vainqueur des peuples
de la Gaule fait reconstruire la ville de nouveau et
le peuple lui décerne le titre de second fondateur
de Rome.
Les Romains, débarrassés des Gaulois, soumet-
tent les Samnites, après une guerre de douze ans.
Les Tarentins, les Latins, les Etruriens et tous les
— 121 —
anciens peuples subissent le même sort. Les
Romains sont maîtres de l'Italie après 84 ans de
luttes.
Les Mamertins, en Sicile, se voyant menacés
dans leur indépendance par les Carthaginois, implo-
rent l'assistance des Romains, leurs alliés. Ceux-ci
forment une flotte ; le consul Duilius en prend le
commandement et défait Annibal. Les Romains}
enhardis par cette première victoire navale, se
dirigent sur Carthage ; cette république de mar-
chands se croit perdue. Le lacédomonien Xan-
tippe vole au secours de Carthage et le consul
romain Attilius Regulus est vaincu et fait prison-
nier. Les Romains abandonnent alors la mer aux
Carthaginois. Mais convaincus que commander
sur mer était le seul moyen d'abattre la puissance
des Carthaginois, les citoyens arment une seconde
flotte. Le consul Lutatius Catulus marche contre
la flotte Carthaginoise qu'il défait complètement
près de Lylibbée et met fin à la première guerre
punique, qui avait^duré vingt-trois ans (264-241).
Les Carthaginois sont chassés de la Sicile et de
toute l'Italie. La Sardaigne tombe aussi au pou-
voir des Romains.
Après avoir conclu un traité de paix avec les
Carthaginois, les Romains attaquent les Gaulois,
— 122 —
passent le Pô et étendent leurs conquêtes jusqu'à
Milan.
Les Carthaginois, de leur côté, s'emparent de
Sagonte, l'alliée des Romains en Espagne ; ce qui
était une violation du droit des gens. Les Romains
demandent satisfaction et envoient en ambas-
sade Fabius qui, voyant que la discussion se pro-
longeait sans succès, dit aux Carthaginois en
relevant le pan de son manteau : " Je vous
apporte la paix ou la guerre, choisissez. " Les
Carthaginois répondent avec fierté : " Choisissez
vous-même." Fabius reprend : " Je vous donne la
guerre. " Alors commence la seconde guerre puni-
que.
Les Carthaginois sont d'abord victorieux et les
Romains perdent presque toute l'Italie. La répu-
blique semble périr en Espagne sous les deux
Scipion. Mais trois hommes remarquables surgis-
sent au moment où Rome est sur le point de périr :
Fabius Maximus, Marcellus et le jeune Scipion^
Les Carthaginois sont forcés de quitter l'Espagne,
et Carthage tremble à son tour. Annibal, victo-
rieux pendant 16 ans, ne peut défendre sa patrie,
qui tombe au pouvoir de Scipion, après la bataille
de Zama. Le numide Massanissa est nommé gou-
verneur de cette contrée.
La Macédoine et la Grèce subissent le joug des
— 123 —
Romains qui ne marchent alors que de victoire en
victoire.
Les Carthaginois se plaignent des empiétements
du roi Massanissa. Caton est chargé d'étudier les
griefs de ce peuple, mais au lieu de s'occuper des
démêlés du Numide avec Carthage, il admire la
puissance et la richesse de cette fière rivale des
Romains, et, à son retour, il ne cesse de répéter le
célèbre "Delenda est Carthago, il faut détruire Car-
thage." Alors la troisième guerre punique est
résolue. Scipion Emilien vole en Afrique ; Carthage
est prise et brûlée. Les habitants sont transportés
en Italie et dispersés dans les différentes provinces
de l'empire. Les Etats de Carthage forment la
province d'Afrique.
La Gaule cisalpine est déclarée province
romaine.
Le consul Marius défait les Teutons et les
Cimbres.
Pompée chasse les pirates depuis la Phénicie
jusqu'aux colonnes d'Hercule et s'empare de
l'Arménie. La Syrie, la Bythinie, la Paphlagonie
et le Pont deviennent provinces romaines.
Les Belges sont mis en pièces â la bataille de
Bibrax sur les bords de l'Aisne, et la Belgique
tombe sous la domination des Romains.
Jules César, après avoir conquis les Gaules,
— 124 —
parcourt en vainqueur l'Asie, l'Afriqueet l'Espagne ;
il rêvait la conquête du monde, lorsqu'il expira
sous le poignard de Brutus et de Cassius.
A cette époque, l'empire romain était borné à
l'est par le Rhin, le Danube, le Pont-Euxin et
l'Euphrate ; au sud, par les déserts de l'Arabie,
l'Ethiopie et les sables de la Lybie ; à l'ouest et
au nord par l'Océan Atlantique.
Ce vaste empire, dit un historien, était divisé
en vingt-huit provinces, dont Auguste se partagea
l'administration avec le Sénat. Il abandonna au
Sénat celles qui étaient entièrement soumises.
Elles étaient au nombre de treize, dont sept en
Europe : la Sicile, la Sardaigne et la Corse, la
Gaule narbonnaise, la Bétique en Espagne, la
Macédoine, l'Achaïe en Grèce, et l'île de Crète ;
trois en Asie ; l'Asie proconsulaire ou l'ancien
royaume de Pergame, Bythunie avec la Paphla-
gonie et le Pont, et l'île de Chypre ; trois en
Afrique : la Numédie, l'Afrique propre ou l'ancien
territoire de Carthage, et la Cyrénaïque.
Auguste se réserva les provinces dont la sou-
mission n'était pas complète, afin d'avoir sous sa
main les légions et d'en disposer à son gré. Ces
provinces étaient au nombre de quinze, dont dix
en Europe : la Gaule celtique ou lyonnaise, la
Lusitanie, la Rhétie, la Belgique, la Tarraconaise,
— 125 —
la Pannomie, la Mésie, la Dalmatie et l'Illyrie ;
quatre en Asie : la Cilicie, la Galatie, la Syrie, la
Phénicie, et une en Afrique : l'Egypte.
Rome passe aux mains de Marc-Antoine, de
Lépide et du jeune César Octavien, petit-neveu
de Jules César, triumvirat qui s'est rendu si triste-
ment célèbre dans l'histoire. Lépide est abandonné ;
Antoine et César se tournent l'un contre l'autre.
Antoine, abandonné à son tour par ses amis et
Cléopâtre, la cause de sa mort, se perce de son
épée.
Rome tend les bras à César, qui reste, sous le
nom d'Auguste et sous le titre d'empereur, seul
maître de tout l'empire.
Victorieux sur mer et sur terre, Auguste César
ferme le temple de Janus. La paix règne sur toute
la terre ; et la Vierge de Nazareth donne naissance
au Sauveur des hommes.
Nous sommes donc rendus à l'époque de tran-
sition de l'ère païenne à l'ère chrétienne. Deux
études s'offrent naturellement à notre esprit ; celle
de Rome païenne et celle de Rome chrétienne-
Commençons d'abord par l'étude de Rome d'Au-
guste, et pour rebâtir cette brillante ville, nous
aurons recours à Mgr Gaume, qui a lui-même
puisé ses renseignements dans Senèque, Aristide
— 126 —
et autres historiens. Voici comment s'exprime le
regretté prélat français :
" Resplendissante de marbre, de dorures et de
tous les chefs-d 'œuvres de la civilisation matérielle
la plus avancée, la reine de la force était assise sur
sept collines. Le Palatin, berceau de Romulus, et
demeure des Césars ; le Capitule, où régnait Jupi-
ter ; YAventin, couronné par son temple de Diane ;
le Coelius, avec ses tours et son marché aux pois-
sons, si fréquenté par les Apicius ; YEsquilin, au
sommet multiple, et son camp prétorien ; le Quiri-
nal, et ses temples de Quirinus et du salut ; le Vimi-
nus, jadis couvert de buissons épais et plus tard de
palais magnifiques. Rome, qui avait franchi le Tibre
dont le lit profond Tenceint comme un fer à cheval,
s'étendait encore sur le Vatican et le Janicule.
Elle se divisait en quatorze régions ou quartiers,
dont voici les noms célèbres dans l'histoire : Porta
Capena ; Coelimontium ; /sis et Serapis ; Moneta ;
Temphim pacis ; Via lata ; Esquillina Cum turre et
colle Veniinali ; Alta semita ; Forum Romanum ;
Circus Flaminius ; Palatium ; Circus maximus ;
Piscina publica ; A ventinus ; Trans Tiberim.
Dans sa vaste enceinte elle renfermait quarante-
six mille six cent deux îles, ou groupes de maisons,
séparées par des rues ; deux mille cent dix-sept
palais de la plus inconcevable magnificence ; quatre
— 121 —
cent vingt-quatre places ou carrefours ; quatre cent
soixante-dix temples d'idoles ; quarante-cinq palais
consacrés à la débauche ; huit cent cinquante -six
établissements de bains ; treize cent cinquante-deux
lacs ou réservoirs d'eau ; trente-deux bois sacrés ;
deux grands amphitéâtres, dont l'un contenait
quatre-vingt-sept mille spectateurs assis, et vingt
mille sur les terrasses ; deux grands cirques, le
Flaminius et le Maximus ; ce dernier avait cent
cinquante mille places au sentiment de ceux qui
en mettent le moins, et quatre cent quatre-vingt
trois mille selon ceux qui en mettent le plus ; cinq
naumachies où l'on donnait des batailles navales ;
vingt-trois chevaux gigantesques en marbre ; qua-
tre-vingt en bronze doré ; quatre-vingt-quatre en
ivoire ; trente-six arcs de triomphe en marbre
ornés des sculptures les plus délicates ; dix-neuf
bibliothèques ; quarante-huit obélisques ; onze
forum ; dix basiliques, et un peuple innombrable
de statues en marbre, en bronze et même en or.
Quatorze aqueducs amenaient à Rome les eaux ou
pour mieux dire les rivières des montagnes voi-
sines ; vingt-quatre voies pavées de larges dalles
et bordées de mausolées superbes sortaient des
vingt-quatre portes de la cité, et conduisaient de
la capitale du monde dans les provinces.
Ainsi se présentait à nos yeux éblouis la ville
— 128 —
des Césars. Toutefois, nous n'avions vu que là
moitié du spectacle. Au-delà du Pomœrium, ou
boulevard circulaire, au-delà des remparts qui pro-
tégeaient la ville et dont la circonscription formait
proprement la cité, urôs, se déroulait une nouvelle
ville, civitas, prolongement immense de la première.
Ce que sont de nos jours les faubourgs dé Paris à
la ville primitive, cette * Rome extra muros l'était à
la Rome entourée des ramparts et du Pomaerium,
Ses innombrables édifices couvraient la plaine cir-
culaire, aujourd'hui déserte, qui, dans un diamètre
de dix lieues, s'étend d'Otricoli à Ostie, d'Albano
et de Tivoli vers Civita-Vecchia. Voilà ce qu'il
faut savoir pour comprendre les auteurs contem-
porains qui nous ont parlé de l'étendue et de la
population de l'ancienne métropole de l'univers."
"Rome, dit Aristide de Smyrne, est la ville des
villes, la ville du monde entier. Un jour ne suf-
firait pas, que dis-je ? tous les jours d'une année
seraient trop peu pour compter toutes les villes
bâties dans cette ville divine." " Au-delà des
murailles de la ville tous les lieux sont habités,
ajoute un autre historien ; en sorte que le spec-
tateur qui veut connaître l'étendue de Rome se
trouve toujours induit en erreur ; car il manque de
signe pour connaître où la ville commence et où elle
finit. Cela vient de ce que les faubourgs sont telle-
— 129 —
ment unis à la cité qu'ils présentent aux regards
l'image d'une ville qui se prolonge à l'infini."
" La ville, continue Aristide, descend jusqu'à la
mer, où se trouve le marché universel et la distri-
bution de toutes les productions du globe ; telle
est la grandeur de Rome, et le spectateur, en
quelque lieu qu'il se place, peut toujours se croire
au centre."
Telle était donc Rome païenne aux jours de sa
splendeur. Par delà ses murs et ses collines elle
projetait, comme autant de villes, ses. immenses
faubourgs jusqu'à Tibur, Otriculum, Aricia, et
même plus loin. D'après ces témoignages, Rome
et ses faubourgs auraient couvert une étendue de
dix lieues de diamètre. Un fait rapporté dans la
vie de Constantin établit, à sa manière, la réalité
de ses effrayantes proportions. Ce prince, venant
à Rome, était arrivé à Otricoli. Déjà il avait par-
couru une partie de ce faubourg, lorsque, se tour-
nant vers le Perse Hormisdas, architecte célèbre,
qui n'avait jamais vu l'Italie, il lui demanda ce
qu'il pensait de Rome. Frappé de la magnificence
et de la continuité des édifices : " Je crois, répondit
l'étranger, que nous en avons déjà parcouru la
moitié. " Or, il était encore à plus de quatre lieues
de la cité proprement dite.
A défaut de toutes ces preuves, le seul aspect
— 130 —
de la campagne romaine démontrerait la prodi-
gieuse étendue de l'ancienne ville impériale. Le
sol excavé, tourmenté, accidenté de milles manières,
les innombrables débris de monuments répandus
à la surface sont comme autant de voix qui s'élè-
vent de tous les points de la plaine et qui disent :
Rome fut ici.
Prolongeant nos regards avides sur cette fabu-
leuse cité, nous voyons briller au pied du Capitole,
le fameux milliaire d'or. De là partaient les voies
nombreuses qui servaient de communication inces-
sante entre la Reine du monde, et tous les peuples
devenus ses vassaux.
Sur ses larges dalles, il nous semblait voir galo-
per les tabellaires portant les volontés de César en
Orient, en Occident, dans les Gaules, dans la Ger-
manie et jusqu'au fond des Espagnes, avec ordre
aux nations tremblantes de se prosterner devant
les caprices souverains d'un Néron ou d'un Cali-
gula. Se présentaient ensuite, couvrant toutes les
avenues, les innombrables étrangers, au langage*,
aux mœurs, aux costumes si différents que la
curiosité, le plaisir, l'ambition, les affaires amenaient
chaque jour, par milliers, dans une ville qui était
moins la ville des Romains que la ville de l'uni-
vers. Parmi ces voies romaines, chefs-d 'œuvres de
construction et de solidité, nous apparaissait, en
— 131 —
première ligne, la voie Appienne, à qui sa magnifi-
cence avait valu le titre de reine des voies, regina
viarum. Passant à Albano, Aricia, les Trois-Loges,
le forum d'Appius, Sinuesse, Terracine, Fondi>
Formium, Minturne, Capoue, Noie, Naples, Nocera,
Salerne, elle conduisait jusqu'à Brindes et aux
frontières orientales de l'Italie.
La voie Latine se dirigeait vers les Abruzzes,
Agnani, Ferentino, Frosïnone, Aquin, Arpinum,
situées au pied du mont Cassin, et arrivait jusqu'à
Bénévent.
La voie Salaria allait au pays des Sabins.
La voie Emilienne rattachait à Rome toute
l'Italie septentrionale, en passant par Césène,
Bologne, Modène, Reggio, Parme, Plaisance, Milan,
Bergame, Brescia, Vérone, Vicence, Padoue et
Aquilée.
La voie Flaminienne prenait sa direction par
Octricoli, Narni, Spolette, Pesaro, et finissait à
Rimini, station de la flotte romaine.
La voie Aurélienne sortait par l'Occident tra-
versait la Ligurie et arrivait jusqu'à Arles, d'où
ses embranchements rayonnaient dans toutes les
Gaules.
Au midi, la voie d'Ostie conduisait à la ville de
ce nom, port de Rome et entrepôt de l'univers.
A ces voies de premier ordre, qui étaient comme
— 132 —
les grands artères de la Reine du monde, s'en rat-
tachaient beaucoup d'autres dont les longues
sinuosités allaient chercher tous les lieux d'une
moindre importance pour y porter le mouvement
qui partait du cœur. Presque aussi connues que
les premières dans l'histoire profane, la plupart
sont glorieusement célèbres dans les fastes de nos
martyrs. Il suffit de nommer la voie Cassienne, la
voie Nomantane, la voie Tiburtine, la voie Prenes-
iine, la voie Lavinienney la voie Ai'deatine, la voie
Valérienne> et enfin la fameuse voie Triomphale.
Sur ces chemins magnifiques, dans ces palais
somptueux, sous ces portiques innombrables, sur
ces forums immenses, au milieu de tous ces monu-
ments du luxe, de la puissance, de la richesse, en
un mot de la civilisation matérielle la plus prodi-
gieuse qui fût jamais, se remuaient cinq millions
d'habitants.
Si l'on réfléchit, i ° au nombre de groupes de
maisons, insulae> et des palais renfermés dans l'en-
ceinte des murailles ; 2° à l'immense étendue des
faubourgs; 30 à ces multitudes d'étrangers, ou
plutôt de nations, comme dit Aristide, qui affluaient
à Rome ; 40 au nombre prodigieux d'esclaves qui
surpassait de beaucoup celui des maîtres ; 50 à ce
petit peuple de Rome, dont une partie seulement
(trois cent mille) vivait du trésor ; 6° aux cohor-
— 133 —
tes prétoriennes, à la garnison, à ce nombre
effrayant de gladiateurs, etc., qui chaque jour com-
battaient aux cirques ou dans les amphithéâtres,
on ne trouvera rien d'exagéré dans le chiffre indi-
qué plus haut. "
Voilà Rome ancienne ou Rome païenne sous
les Césars. Rome était alors réellement la reine
de la force et régnait sur les corps, comme Rome
d'aujourd'hui est la reine de l'amour et de la
vérité et règne sur les âmes.
(
CHAPITRE XVI.
ROME PENDANT LES PERSÉCUTIONS.
Pendant que le plus puissant empereur com-
mande à l'univers, un enfant naît d'une Vierge,
nommée Marie, dans une étable à Bethléem, en
Judée. Cet enfant prend le nom de Sauveur du
Monde. Les ang< s entonnent du haut des cieux :
" Gloria in excelsis Deo. " Une étoile annonce sa
naissance aux rois mages, qui accourtnt de l'Orient
pour l'adorer et lui faire des présents.
Le roi Hérode veut mettre l'enfant Jésus à
mort, mais le Ciel déjoue le noir complot du mons-
tre. Joseph, le charpentier, prend l'enfant et' s'en
fuit en Egypte. Averti par un ange que le danger
est passé, Marie et Joseph reviennent en Judée, à
Nazareth.
Après trente ans d'une vie obscure, Jésus com-
mence à prêcher. Le bruit de ses vertus et de ses
miracles se répand bientôt dans la Judée. Le
peuple accourt l'entendre et le suit de ville en
ville, de bourgade en bourgade. Jésus-Christ jette
les fondements de l'Eglise catholique et choisit
— 136 —
dou*e apôtres. Simon Pierre est reconnu comme
le prince des apôtres.
La doctrine de l'Homme-Dieu scandalise les
Pontifes et les Pharisiens qui le font arrêter et
conduire devant Pilate. Ce dernier déclare Jésus
innocent ; mais les Juifs veulent la mort du
Sauveur, et Pilate se rend à leurs vœux en leur
livrant le Fils du Très-Haut. La populace préfère
le voleur Barrabas au juste de la Judée, Jésus
monte sur le Golgotha et expire sur un infâme
gibet, en s'écriant : U Tout est consommé. "
Après la mort de Jésus, les apôtres se réunissent
et nomment un successeur au traître Judas. Pen-
dant qu'ils sofit assemblés, le Saint-Esprit descend
sur eux en langues de feu et les remplit de ses
grâces. Les douze apôtres, armés du glaive de la
parole, se séparent et vont combattre les combats
du Seigneur. C'est en l'an 36 que les apôtres se
partagent la conquête de l'univers. Saint Jacques
le majeur, frère de saint Jean, et saint Jacques le
mineur, proche parent de Jésus-Christ, reçoivent
tous deux la palme du martyre à Jérusalem. Saint
André passe chez les Scythes et est martyrisé à
Patras, en Achaïe. Saint Philippe subit la mort à
Hiéraple, en Phrygie. Saint Thomas évangélise
les Indes, où il est percé d'une lance au pied d'une
croix. Saint Barthélemi accomplit son martyre
— 13Y —
dans la ville des Albanes, dans la grande Arménie,
f
Saint Mathieu va prêcher en Ethiopie et est con-
sumé par le feu. Saint Jude, apôtre de l'Arabie,
est tué à coups de flèches. Saint Mathias, qui
annonça la bonne nouvelle en Egypte et en Abys-
sinie, est lapidé. Barnabe, compagnon de saint
Paul, meurt de la même mort. Saint Simon, sur-
nommé le zélé, est crucifié comme son maître.
Saint Jean est plongé dans une chaudière d'huile
bouillante, près de la Porte Latine, à Rome.
Saint Pierre et saint Paul, qui avaient converti
le monde entier, sont, le premier, crucifié la tête
en bas, et le second, décapité, dans l'immense ville
des Césars que nous avons étudiée dans le cha-
pitre précédent.
A la venue du Messie, Rome était la reine de
la force et le trône où régnaient les dieux inven-
tés par le paganisme. Ce grand fleuve d'immora-
lités, de débauches et d'idolâtrie s'était débordé
et avait couvert les autres pays de son venin
empoisonné. Rome était alors le cœur du paga-
'nisme, comme elle est aujourd'hui le centre de
l'unité catholique. Quand il s'agit de détruire un
monstre, il faut le frapper au cœur si l'on veut
obtenir son but plus sûrement. C'est ce que firent
Pierre et Paul. Pendant que les autres envoyés du
Christ affaiblissaient l'hydre par des coups redou-
— 138 —
blés, les deux apôtres Pierre et Paul le dardèrent
au cœur et lui firent mordre la poussière. Rome
païenne devint Rome chrétienne, ou plutôt Rome
souterraine ; car la transition de l'erreur à la vérité
ne se fit pas d'une manière aussi brusque. Il fallut
trois cents ans de luttes et de persécutions à l'Eglise
catholique pour remporter une victoire complète
et renverser les autels des faux dieux, il fallut
l'apparition du laborum pour que Constantin le
Grand se décidât à faire sortir les chrétiens des
catacombes, et à dresser des autels au Divin
Crucifié, il fallut trois cents ans pour que cette
parole du Sauveur du monde " Tu es Pctrus et
super liane petram œdificabo ecelesiam meam "fut
parfaitement accomplie.
Parcourons d'un pas rapide les trois siècles que
nous venons de mentionner.
Après la mort d'Auguste, on vit passer succes-
sivement sur le trône de l'empire romain, Tibère
et Caligula ; le premier se distingua par sa tyran-
nie, et le second, par ses folies. Vint ensuite Néron,
le célèbre empereur comédien. Les premières
années de son règne furent marquées par des traits
de générosité et de modération ; mais il se signala
bientôt par des actes de cruauté inouïe ; il fit
mourir Britannicus, Octavie sa femme, et Agrip-
pine sa mère, et poussa la barbarie jusqu'à incen-
— 139 —
dier Rome. Néron rejeta le crime sur les chrétiens
et ordonna contre eux la persécution la plus
cruelle, saint Pierre et saint Paul terminèrent alors
leur apostolat. Le nombre des martyrs fut innom-
brable, suivant le témoignage de Tacite lui-même.
"Une multitude immense, multitudo ingens, dit cet
historien, fut condamnée, non parce que les chré-
tiens étaient reconnus coupables de l'incendie de
Rome, mais parce que leur religion les rendait
odieux au genre humain. Aux souffrances, Néron
ajoutait la moquerie et la dérision. Quelques-uns
furent enveloppés de peaux de bêtes et exposés à
des chiens pour être dévorés ; d'autres crucifiés ; et
plusieurs revêtus de tuniques enduites de matières
inflammables auxquelles on meftait le feu à la
tombée du jour pour servir de flambeaux pendant
la nuit."
Pendant le règne de Galba, d'Otfcon, de Vitellius,
de Vespasien et de Titus, les chrétiens jouirent
d'un peu de repos. ~Les persécutions recommen-
cèrent sous Domitien qui fit périr le consul Flavius
Clémens et sa femme, parce qu'ils étaient chrétiens.
Une foule d'autres Romains subirent le même sort.
C'est sous ce cruel tyran que l'apôtre saint Jean
fut plongé dans l'huile bouillante.
Trajan, son successeur, avait de grandes qualités
et de grands défauts, c'est sous son règne qu'eut
— 140 —
lieu la troisième persécution. Se trouvant un jour
à Antioche, Trajan jugea saint Ignace, évêque de
cette ville, et le condamna à être dévoré par les
bêtes. L'histoire rapporte que le nombre des
martyrs fut immense.
Rome respira quelques instants sous les empe-
reurs Adrien et Antonin-le -Pieux, Marc-Aurèle
ordonna la quatrième persécution. La plus illustre
victime de cette persécution fut saint Polycarpe,
évêque de Smyrne, en Asie. Quoique d'un âge
très avancé, le saint évêque monta lui-même sur
le bûché qu'on lui avait dressé, et attendit que les
flammes vinsent le dévorer. On inventa à cette
époque les tourments les plus atroces.
L'empereur Sévère mérita le nom qu'il portait.
Le sang chrétien coula en abondance sous ce
tyran, surtout à Lyon où dix-huit mille chrétiens
périrent, sans compter les femmes et les enfants.
Saint Irénée fut du nombre. Saint Grégoire de
Tours dit que les rues de Lyon étaient inondées
de sang : Tanta multitude christianoriuu jugulata
est, ut perplateas flumina currerent de sanguine
çhristiano.
Le Goth Maximien, qui régna de 235 à 238,
persécuta principalement les évêques, les prêtres,
les diacres, les lecteurs et les exorcistes. Saint
Pontien et saint Anthère tombèrent sous les coups
du barbare.
— 141 —
Dèce signala son avènement au trône par un
édit sanglant contre les chrétiens. Ses ordres furent
exécutés avec une rigueur extrême. Le pape saint
Fabien, saint Alexandre, évêque de Jérusalem, et
saint Babylas, évêque d'Antioche, périrent dans
cette affreuse persécution.
Valérien avait formé le projet d'anéantir la
religion chrétienne ; il fit un nombre incalculable
de victimes parmi lesquelles on remarque saint
Laurent, diacre de l'église romaine, et saint
Cyprien, évêque de Carthage.
La neuvième persécution eut lieu sous le règne
d'Aurélien qui succéda à Claude II le Gothique.
C'est alors que saint Dénis, évêque de Paris, le
prêtre Rustique et le diacre Eleuthère eurent la
tête tranchée sur la montagne qui fut appelée
ensuite Montmartre, mons martyrumy la montagne
des martyrs.
Nous sommes enfin rendu à l'ère des martyrs,
à la dixième et dernière persécution qui fut ordon-
née par Dioclétien et dura dix ans. Voici ce que
dit Lactance sur cette persécution : u On empri-
sonnait les prêtres et tous les ministres de la reli-
gion ; puis, sans les entendre, sans même les
interroger, on les traînait à la mort. Les chrétiens,
sans distinction d'âge ni de sexe étaient condam-
nés aux flammes ; et comme ils étaient en grand
— 142 —
nombre, on ne les livrait plus au supplice, on les
entassait sur des bûchers. Les esclaves étaient
jetés à la mer avec des pierres au cou ; la persé-
cution n'épargnait personne. "
Enfin le labarum apparaît et la religion catho-
lique monte sur le trône avec Constantin Ier.
Que devint Rome pendant ces longues années
de souffrances et de tourments ? C'est la question
qui se présente naturellement à l'esprit quand on
parcourt cette voie douloureuse. Rome — pour les
catholiques, Rome et l'Eglise ne font qu'une
seule et même chose — était descendue dans les
catacombes ou cimetières. Les chrétiens, pour
échapper aux persécutions, s'étaient bâti une ville
souterraine qui avait ses rues, ses chapelles, ses
places et ses autels. L'étendue de Rome souter-
raine était aussi vas<-e que Rome païenne.
Les catacombes, qui signifient lieu près des tom-
beaux ou encore fosse profonde, excavation et
souterrain, d'après l'étymologie du mot grec
Catacombi, se trouvaient aux environs des grandes
voies. On comptait cinquante catacombes ou
cimetières ; quelques auteurs en portent le nombre
jusqu'à soixante. Voici les principales, avec le
nom des rues près desquelles elles ont été creu-
sées :
Voie appienne — Catacombes de saint Calixte, de
— 143 —
saint Zéphirin, de saint Protextat, de saint Sotère,
des saints Eusèbe et Marcelle.
Voie Latine — Catacombes d'Apronien, des saints
Gordien et Epimaque, des saints Simplicien et
Servilien et de saint Tertullien.
Voie Lavicane — Catacombes des saints Tiburce,
Marcellin et Pierre, de sainte Hélène, des saints
Claude et Nicostrate, de saint Catulus et de saint
Zotique.
Voie Tiburtine — Catacombes de saint Laurent
et de sainte Cyriaque.
Voie Nomentane — Catacombes ad Nymphas,
cîe saint Nicomède, de saint Alexandre, des saints
Primus et Félicien, de saint Restitut, de sainte
Agnès.
Voie Triomphale — Cimetière de saint Pierre ou
la catacombe Vaticane.
Voie Aurélienne — Catacombes de saint Calipode,
de saint Jules, des saints Procès et Martinien et
de sainte Agathe.
Voie de Porto — Catacombes de saint Félix, de
saint Pontien, de Généreuse ad Sextum Philippi,
du pape saint Jules.
Voie d'Ostie — Catacombes de saint Paul et de
sainte Lucine, de saint Timothée, des saints Félix,
Adaucte et Commodilla, de saint Cyriaque et de
saint Zenon ad Aquas Salvias.
— 144 —
Voie Ardéatine — Catacombes de sainte Pétro-
nille, de sainte Flavie Domitille, des saints Nérée
et Achillée, de saint Damase et des saints Marc
et Marcellin, de sainte Balbine et de saint Marc,
pape.
Voie Salaria Nuova — Catacombes de sainte
Priscille, de saint Sylvestre, de sainte Félicité et de
saint Alexandre, des saints Chrysante et Darie,
de Novella, d'Ostriono, de sainte Hilarie et saint
Tharson.
Voie Salaria Vecchia — Catacombes de saint
Hermès.
Voie Flaminienne — Catacombes de saint Valen-
tin ou de saint Jules et de saint Théodorat.
J'ai visité les catacombes de saint Sébastien, de
saint Calixte, de sainte Agnès, de saint Pancrace
et les Grottes Vaticanes. Pour vous donner une
idée de l'ancienne demeure des chrétiens, je vous
ferai une courte description de la catacombe
Vaticane, qui fut le berceau du christianisme, à
Rome.
La catacombe Vaticane, appelée aujourd'hui
Grottes Vaticanes, remonte à saint Pierre. Tout
porte à croire que cette catacombe servit de
demeure aux chrétiens pendant la persécution qui
eut lieu sous Néron en l'an 66 ; car elle se trou-
vait près du cirque et de la naumachie construite
— 145 —
par ce monstre. C'est là que l'apôtre Pierre s'est
réfugié avec ses nombreux prosélytes pour éviter
l'orage, qu'il prêchait, baptisait et encourageait les
fidèles à supporter les tourments les plus atroces.
Lorsque la persécution ordonnée par le farouche
empereur éclata, il y avait cinq ans que saint Pierre
habitait Rome. Le nombre des conversions opé_
rées par l'apôtre était déjà incalculable, de sorte
que la multitude de chrétiens qui furent alors mis
à mort fut immense, suivant l'opinion des histo-
riens de cette époque. On présume naturellement
que les martyrs furent inhumés dans ce cimetière,
vu la proximité du lieu des supplices. Aussi
visite-t-on avec le plus grand respect et la plus
profonde vénération cette célèbre catacombe qui
reçut les prémices du sang chrétien. Les Grottes
Vaticanes ont été arrosées du sang des martyrs,
comme le Calvaire avait été teint du sang d'un
Dieu. Les Grottes Vaticanes et le Golgotha ! que
vous êtes chers au-cœur du catholique !
Outre les martyrs des premiers âges, les Grottes
Vaticanes renferment une foule de personnages
illustres qui ont manifesté le désir de reposer, après
leur mort, auprès du chef de l'Eglise du Christ.
Des papes, des rois, des reines, des princes, des
empereurs ont été inhumés dans ce lieu sacré.
Parmi les papes on remarque : les saints Lin,
— 146 —
Anaclet, Évariste, Sixte Ier, Télesphore, Hygin,
Pie, Eleuthère, Victor, Fabien, Jean Ier, Léon Ier,
Grégoire le Grand, Boniface IV, Paul Ier, Léon III,
Nicolas Ier, etc., etc.
Parmi les rois, les empereurs et les reines :
Honorius, Valentinien, Othon II, Conrad, roi des
*Merciens ; Ofîa, roi des Saxons ; Ina, roi des An-
glais ; la princesse Eldiburge, son épouse ; la prin-
cesse Marie, fille de Stilicon et épouse de l'em-
pereur Honorius ; l'impératrice Charlotte, reine de
Chypre, etc., etc.
Parmi les personnages illustres : Junius, Bassus,
préfet de Rome, de l'ancienne famille Juma ;
Probus, préfet du prétoire ; les consuls Olybrius et
Probinus, etc., etc.
La réunion de tant de tombeaux dans cette
catacombe en a changé le plan primitif, et lors-
qu'on a remplacé la basilique constantinienne par
l'église actuelle on a dû faire' disparaître des
cryptes, des oratoires et des galeries. Les Grottes
ont donc pris la forme qu'on voit aujourd'hui,
c'est-à-dire celle d'une croix latine ; elles forment
ce qu'on appelle l'église souterraine de saint
Pierre.
Malgré ces modifications considérables, les
Grottes Vaticanes conservent encore plusieurs sou-
venirs de l'antiquité, entre autres des inscriptions,
— 147 —
des urnes antiques, des mosaïques et des tombeaux.
Sur l'autel, qui touche à la châsse où reposent les
corps de saint Pierre et de saint Paul, on vénère
deux portraits très anciens des deux apôtres,
peints sur argent.
La grande façade — pour abréger, je ne parlerai
que de celle-ci — représente deux rangées de bas-
reliefs. La rangée supérieure renferme cinq
tableaux : i° Tableau du sacrifice d'Isaac ;
2° Reniement de saint Pierre ; 30 Jésus au
milieu des docteurs de la loi ; 40 Jésus devant
les tribunaux à Jérusalem ; 50 Pilate incertain.
On voit aussi cinq tableaux dans la rangée
inférieure : i° Job sur son fumier ; 2° Chute de
nos premiers parents ; 3 Jésus entrant à Jérusalem,
cinq jours avant sa mort ; 4° Daniel dans la fosse
aux lions ; 50 Scène du jardin des Oliviers quand
Jésus est livré par Judas.
En 1607, on trouva sous une colonne un poly-
andrum de marbre et de porphyre qui portait
l'inscription suivante :
Loc. M. OOLVIII inc.
Locus Martyrum CCL VIII in Christo, sépul-
ture de 2 5 8 martyrs en Jésus-Christ. Les archives
du Vatican en comptent 10,000.
On conserve dans le trésor du Vatican une pré-
cieuse relique du temps des persécutions ; c'est
— 148 —
un linceuil qui servait à envelopper les corps des
martyrs quand on les rapportait de la boucherie.
Cette précieuse relique est exposée à la vénération
des fidèles depuis l'Ascension jusqu'au premier du
mois d'août.
Un autre instrument attire encore l'attention du
catholique, qui frémit d'horreur en le contemplant ;
je veux parler de la fidicula employée par les
bourreaux pour labourer les côtes et les membres
des martyrs. Cet instrument n'est rien moins que
de longues tenailles garnies de plusieurs ongles ou
crochets. C'est horrible à voir.
Les souverains pontifes reconnaissent aux
Grottes Vaticanes une sainteté telle que l'entrée
en est interdite aux femmes sous peine d'excom-
munication, excepté le lundi de la Pentecôte ;
c'est le seul jour où les femmes peuvent visiter
cette catacombe.
Nous venons de parcourir une époque vraiment
triste pour le chrétien ; mais rappelons-nous la
prophétie du Fils de Dieu : " Vous souffrirez à
cause de moi," et nous ne serons point surpris
que Rome ait eu à supporter autant de persécu-
tions.
CHAPITRE XVII.
RO&E ACTUELLE.
Nous avons étudié Rome pendant les per-
sécutions. Nous avons vogué sur la mer orageuse
dont les flots ont menacé la barque de Pierre pen-
dant plus de trois cents ans. Que de combats, que
de luttes, ont été alors livrés, et que de pièges ont
été tendus à la Rome des Pontifes! Mais laissons là
ces souvenirs si déchirants pour le cœur d'un vrai
catholique, et franchissons d'un seul bond l'espace
qui s'étend de cette époque à nos jours.
Nous allons donc nous occuper de Rome
actuelle, de la Ville sainte, de la Ville des Papes.
Je ne vous parlerai pas, par conséquent, des nou-
velles souffrances qu'elle a eu à endurer de la part
des impies, des béritiques et de ses propres en-
fants pendant les quinze derniers siècles. Je ne
vous parlerai pas non plus des triomphes éclatants
qu'elle a toujours remportés sur ses ennemis ; ni
des nombreux pontifes qui ont illustré, de leurs
vertus et de leur science, la chaire du prince des
apôtres, de celui dont les abondantes larmes de
repentir avaient creusé de profonds sillons sur
— 150 —
les joues ; ni des martyrs qui ont arrosé la terre de
leur sang pour la défense de la foi ; ni des milliers
de saints et d'anachorètes qui ont étonné le monde
entier par leur vie de mortification continuelle.
Des historiens éclairés et véridiques vous ont
appris tous ces faits merveilleux bien longtemps
avant moi.
Aujourd'hui, je veux tout simplement vous pré-
senter Rome telle qu'elle était en 1870, avant la
spoliation du royaume temporel des Papes par le
roi galant-homme, Victor Emmanuel. Ce nom
signifie, si je ne me trompe pas, vainqueur-sauveur.
Je le traduirai par les mots vainqueur-voleur. Pour
avoir une juste idée de Rome actuelle, il faut cher-
cher la différence ou bien établir un parallèle
entre celle-ci et Rome ancienne. La tâche est
difficile ; mais avec de la persévérance, nous y
parviendrons, car omnia vincit labor improbus.
Essayons donc, et voyons quelle différence existe
entre ces deux cités, la cité du bien et la cité du
mal, sous le rapport matériel et sous le rapport
religieux.
Commençons par le côté matériel.
Du temps des Césars, Rome comptait quatorze
régions (regioni.)
Rome actuelle est divisée de la même manière.
— 151 —
Rome ancienne était entourée de murailles
élevées par l'empereur Aurélien.
Ces mêmes murailles existent encore aujour-
d'hui.
Sous la dynastie des Césars, un grand nombre
de faubourgs s'élevaient en dehors des murs et
s'étendaient à une distance considérable. Dans
l'intérieur de la ville, les habitations touchaient aux
murs. %
Sous la glorieuse domination des Papes, ces
immenses faubourgs ont disparu et ont été rem-
placés par une riche campagne, au milieu de
laquelle le regard ne rencontre plus que quelques
ruines disséminées çà et là. En dedans de l'an-
tique muraille, un espace considérable reste vacant
ou plutôt est occupé par des vignobles, des jardins,
des ruines gigantesques, des terrains sans culture
sur lesquels on voit paître des troupeaux de chèvres,
de brebis et de bœufs.
Nous venons de constater une différence à
l'avantage de Rome ancienne. A quelle raison
devons-nous attribuer cette différence ? Quelle est
la cause de la disparition d'un si grand nombre
d'édifices ? Le problème n'est pas difficile à
résoudre. Cette décadence est due aux nombreuses
invasions des barbares. Il ne faut pas l'oublier,
Rome a été saccagée et pillée quatre fois par ces
— 152 —
cruels ennemis de la civilisation qui mettaient tout
à feu et à sang, et qui détruisaient tout ce qu'ils
rencontraient sur leur passage. Par conséquent,
des milliers d'habitations ont été démolies et
enfouies sous les vastes décombres qui recouvraient
partout le sol dans ces jours de détresse. Pie IX
a fait faire des fouilles dans plusieurs endroits, et
l'on a découvert de somptueux palais presque
intacts, et qui étaient disparus depuis plusieurs
siècles.
Les Romains, effrayés des ravages que commet-
taient les Goths, les Visigoths et les Vend aies, se
sont éloignés de Rome et sont allés se réfugier
sur de hautes montagnes, où ils ont construit des
forteresses pour se protéger contre les coups des
barbares. Si jamais, vous visitez les Etats de
l'Eglise, vous remarquerez que presque toutes les
villes dominent le sommet des montagnes. Vous
vous direz alors : " Les Souvenirs de voyage d'un
soldat de Pie IX " nous ont expliqué la cause
d'un tel fait.
Les Césars avaient élevé une foule de monu-
ments religieux et profanes.
Les Papes ont conservé avec un grand soin ces
reliques profanes. Quant aux monuments cons-
truits en l'honneur des dieux, Rome chrétienne les
a convertis en temples dédiés au vrai Dieu, comme
nous le verrons bientôt
— 153 —
Envisageons maintenant les deux Rome sous le
rapport de ïa religion.
Rome ancienne avait couvert les sept collines
de temples païens.
Sous le règne des Papes, ces temples ont été
remplacés par des églises consacrées au Très-Haut.
Parcourez avec moi les rues de Rome et vous
verrez quels merveilleux changements ont été
opérés.
Sur le Capitole, le temple de Jupiter a fait place
à l'église de l'Ara-Cœli.
Au milieu des ruines du palais des Césars qui
s'élevait majestueusement sur le Palatin, nous
apercevons les églises de Sainte-Marie Libératrice,
de Saint-Théodore et de Saint-Bonaventure.
Le Cœlius offre à nos regards la splendide basi-
lique de Saint-Jean de Latran, les églises des
Ouatre-Couronnés et des Saints Jean et Paul.
Le temple de Diane, élevé sur l'Aventin, est
remplacé par les églises de Sainte-Sabine, de Saint-
Alexis et de Sainte-Prisque.
Le Quirinal nous présente les églises des Saints
Dominique et Sixte, de Saint-Sylvestre et de
Sainte-Marie de la Victoire.
Le Viminal est dominé par la riche église de
Sainte-Marie des Anges, construite au milieu même
— 154 —
des thermes de Dioclétien, ce célèbre persécuteur
des chrétiens.
Sur l'Esquilin, on voit briller les églises de
Sainte-Marie Majeure, de Saint-Pierre es Liens et
de Saint-Martin des Mbnts.
Nous comptons dans Rome actuelle huit basi-
liques constantiniennes : Saint-Jean de Latran ;
Sainte-Croix en Jérusalem ; Saint-Pierre au Vati-
can ; Saint-Paul hors des murs ; Saint-Laurent
hors des murs ; Saints Marcellin et Pierre sur la
voie Lavicane ; les Saints- Apôtres au centre de
Rome, et Sainte- Agnès hors des murs.
Le nombre des églises ordinaires dépasse trois
cent cinquante. J'omets les chapelles.
Et que dire des institutions de charité, des
séminaires, des collèges, et des écoles primaires !
Rome possède cent quarante-deux institutions de
charité et trois cent soixante-quatorze écoles pri-
maires. Quant aux séminaires et aux collèges, ils
sont très nombreux ; je me contenterai de nom-
mer les magnifiques établissements de la Propa-
gande, du collège Romain, du collège Anglais, du
collège Germanique, et du séminaire Français.
En présence de tant de merveilles, que le
catholicisme peut seul créer, l'homme doit néces-
sairement s'écrier : " O Religion du divin Crucifié,
que tu es puissante ! Tu as foulé au pied Rome
— 155 —
païenne, et tu as élevé Rome chrétienne sur les
ruines de l'orgueilleuse Babylone ; tu as mis à sa
place la Rome des Papes, la Rome des martyrs,
la Rome des saints.
Rome ancienne régnait sur les corps et faisait
la guerre aux barbares.
Rome actuelle s'empare de l'âme et combat le
vice et l'erreur partout où elle les découvre. Rome
païenne dominait par les armes. La Rome des
Papes fait la guerre par le glaive de la parole de
vérité, et quand elle parle, des millions de sujets
obéissent à ses décrets.
L'armée des Césars était innombrable et aguerrie.
Celle des Pontifes remplit la terre, et personne
ne peut résister aux doux liens qu'elle impose, à
l'aide de l'exemple et de la prédication. Dans
tous les siècles, Rome actuelle a eu des prélats et
des prêtres éminents qui ont pénétré jusque dans
les contrées les plus lointaines et les plus barbares
pour enseigner les^nations et les faire entrer dans
le giron de l'Eglise catholique.
César était le seul chef dans Rome ancienne.
Pie IX est le seul roi dans Rome actuelle.
César commandait au seul empire romain.
Pie IX, comme vicaire de Jésus-Christ, com-
mande à l'univers entier.
Les Césars sont passés.
— 156 —
Les Papes existeront jusqu'à la consommation
des siècles.
" Telle apparaît Rome, a dit un savant, lors-
qu'on la regarde avec un œil simple et droit, sans
haine et sans rancune. Elle est ce qu'elle a tou-
jours été, source de vie surnaturelle, de vie politi-
que et sociale, foyer d'où s'échappent, sans discon-
tinuer, la lumière des intelligences et l'énergie des
cœurs.
En la répudiant, ou en voulant changer ses
destinées, les dynasties, comme les peuples, se con-
damneraient à la décadence, au dépérissement. En
se rattachant à elle, " leur jeunesse sera renou-
velée comme celle de l'aigle," et ils peuvent sans
crainte attendre l'avenir."
CHAPITRE XVIII.
LE PEUPLE ROMAIN — SA FOI, SA CHARITÉ ET
SES DIVERTISSEMENTS.
Dans les Etats de l'Eglise, le peuple renferme
trois classes, comme dans les autres pays en géné-
ral : l'aristocratie, la bourgeoisie et le bas peuple.
Mais la distinction entre la bourgeoisie et l'aristo-
cratie n'est pas parfaitement tranchée, de sorte
qu'à la première vue, il n'existe que deux caté-
gories de citoyens : les riches et les pauvres. Vous
voyez ici un prince, un noble, tout galonné d'or,
assis sur les coussins moelleux d'un carosse que
traînent 'quatre chevaux superbes, au pas tran-
quille et lent comme les bœufs des rois fainéants.
Là, c'est un paysan pauvrement vêtu, qui, la fau-
cille à la main ou 'la faux sur l'épaule, se dirige
vers les champs dorés, ou encore, un berger qui,
armé de la houlette, conduit un troupeau de chèvres
ou de brebis dans les gras pâturages. Il n'y a pas
non plus, chez le peuple romain, cette classe d'in-
dividus qui tient le milieu entre le riche et le
pauvre, cette classe, par conséquent, qui n'est ni
riche ni pauvre, comme sont la plupart de nos
— 158 —
cultivateurs canadiens. Dans les Etats de l'Eglise
on est tout l'un ou tout l'autre. Voilà comment je
divise la population romaine, et je ne crois pas me
tromper, car cette distinction est le fruit des obser-
vations que j'ai faites pendant mes deux années
de séjour au milieu du peuple de ce pays.
Mais quand je parle de la classe pauvre, il ne faut
pas faire de pauvre un synonyme de mendiant ; ça
serait une grande erreur. Il n'y a peut-être pas de
pays où la mendicité soit plus inconnue que dans
le domaine du Pape ; et, le fait s'explique facile-
ment : la vie est à très bon marché. Du reste, un
peuple fuyant les vices qui dégradent la société,
tels que l'assassinat, le suicide, le duel, le vol,
l'ivrognerie et l'usure, est toujours préservé de la
hideuse plaie du paupérisme. Vous entendez dire
quelquefois qu'un meurtre a été commis dans
Rome, mais si vous faites des recherches sérieuses^
vous découvrez que ce crime est l'œuvre des révo-
lutionnaires. Le suicide est inconnu ; s'il en arrive
des exemples, ce sont des étrangers qui en sont
les auteurs. Le duel, tant condamné par Dieu et
par les hommes, n'existe pas. Les Romains ne
sont pas voleurs, et ils ne prêtent pas à intérêt,
en dehors du commerce, du gain cessant ou du
dommage émergeant ; ils suivent les principes de
la charité et de l'équité naturelle, Quant à
— 159 —
l'ivrognerie, ce fléau, qui fait tant de ravages parmi
les peuples modernes, n'a pas encore pris racine
sur le sol romain. Il est rare de voir un romain
ivre dans les rues, et quand la chose se présente
c'est un véritable phénomène. L'ivrogne est bafoué,
sifflé et conspué ; les enfants l'accablent de quo-
libets et courent après lui comme une bête sauvage
que le chasseur poursuit dans la forêt. M. Ampère
a dit : " Les Romains boivent, mais on ne les voit
jamais ivres dans les rues."
Les Romains ont pratiqué et pratiquent encore
de grandes vertus. Nous nous contenterons de
parler de leur foi et de leur charité.
Le peuple romain a une foi vive et ardente ;^
mais c'est une foi expansive et non intérieure
comme dans nos villes et nos campagnes cana-
diennes. J'ai surtout remarqué ce caractère dis-
tinctif de la foi des Romains dans les processions
religieuses. Vous les voyez à la suite d'une madone
ou d'une image de saint, prier, chanter, rire et
pleurer tour à tour. Vous les entendez crier à
tue-tête, en montrant l'image du doigt : " Marie,
exauce notre prière. Si tu le veux, tu peux nous
accorder ce que nous demandons. Il faut que tu
accèdes à notre demande, ou bien nous ne te
prierons plus. "
La foi du peuple romain brille encore dans
— 160 —
l'adoration du Saint-Sacrement ou pendant les
exercices des Quarante- Heures qui durent toute
l'année à Rome. Les églises, où le corps de Jésus-
Christ est exposé, sont continuellement remplies
de pieux adorateurs. Et quelle pompe on déploie
dans les cérémonies ! Et quelle richesse dans les
décorations ! Il n'y a qu'à Rome où l'on puisse
contempler des scènes aussi sublimes de la piété
religieuse.
Les Romains portent une tendre dévotion aux
âmes du purgatoire, et en voici une preuve non
équivoque : Depuis quelques années, les inhuma-
tions se font dans le cimetière St-Laurent, près de
la porte Tiburtine. Chaque semaine, dans la nuit
du mardi au mercredi, il se forme un torrent de
fidèles venant de toutes les directions et se portant
vers le Campo Santo. Pendant le trajet, les Romains
récitent le chapelet ou chantent l'office des morts.
Arrivés dans la basilique de Saint-Laurent, ils se
prosternent devant le Tout-Puissant et prient pour
le repos des âmes des défunts. Après avoir entendu
les trois messes qui s'y célèbrent depuis minuit
jusqu'à l'aurore, la procession se forme de nou-
veau et se remet en marche. Chacun retourne à
ses occupations ; la nuit a été consacrée à la
prière, et l'on est heureux.
Et que dirai-je mainterîant du célèbre oratoire
— 161 —
du Caravita, situé sur le Corso, vis-à-vis d» palais
Sciarra? A l'heure de Y Ave Maria une foule
immense encombre le temple. Un Père jésuite
fait d'abord un sermon sur un dogme ou sur
l'histoire de l'Eglise, et puis vient la bénédiction
solennelle du Saint-Sacrement. Tous les mardis
et les vendredis on distribue des disciplines aux
membres de la Confrérie, et chacun s'administre le
nombre de coups qu'il juge à propos. Auparavant
les lumières sont éteintes, afin que personne ne
soit témoin des mortifications que s'inflige son
voisin. Au milieu de l'obscurité, un religieux
exhorte les pécheurs à la pénitence et à la contri-
tion. Dès qu'il cesse de parler, on se frappe le
corps à coups redoublés ; et les coups continuent
pendant tout le chant des litanies et du cantique
Nunc dimittis, jusqu'aux mots Lumen ad revela-
tionem ; alors les flambeaux se rallument et tout
le monde reprend son attitude pieuse et réservée.
Ces pratiques de dévotion ont toujours produit
une profonde impression sur mon esprit. J'admire
beaucoup cette Confrérie, fondée en 1 7 1 1 par le
Père Caravita, de la compagnie de Jésus, pour la
conversion des pécheurs.
La veille des fêtes et pendant le carême, les
membres de la Confrérie du Caravita, enveloppés
dans des sacs grossiers, accompagnent les jésuites
— 162 —
qui vont prêcher sur les places publiques. Les
esprits forts se moquent de ces sacs, mais ils ont
tort, car souvent, sous cette enveloppe de bure, on
rencontre des prélats illustres, des princes et des
nobles qui s'affublent de cet uniforme pour cacher
leurs vertus.
~^ La révolution, les sociétés secrètes et les Mazzi-
niens — trois mots qui ne renferment qu'une idée
— ont travaillé de toute leur force à ébranler la
foi du peuple romain ; mais tous les efforts des
suppôts de Satan ont échoué dans leur entreprise
démoralisatrice, et Rome peut encore répéter,
comme au temps du rhéteur du forum : " Nous
pouvons le céder aux Gaulois par la force, aux
Carthaginois par la ruse, aux Grecs par l'habileté,
mais aucun peuple ne l'emporte sur nous par la
piété et la religion. "
Cette vérité ne peut être révoquée en doute, et
" comment, s'écrie un auteur que nous avons déjà
cité, n'en serait-il pas ainsi dans une ville, où
350 églises offrent le spectacle continuel des céré-
monies si touchantes du Christianisme ; où plus
de quatre mille prêtres renouvellent chaque jour,
dans le sacrifice mystique de la messe, le sacrifice
-sanglant de la croix ; où l'instruction dogmatique
et morale est prodiguée sans cesse. Il faut bien
que les prières, les mortifications, les œuvres de
— 163 —
charité de tant d'âmes dévouées à Dieu produisent
leurs fruits ; que tant d'indulgences, tant de béné-
dictions, s'échappant sans discontinuer du sein de
l'Eglise pour se répandre dans le monde, montrent
à la source même leur divine fécondité. Le sang
des martyrs, dit Tertullien, enfante des chrétiens.
Où donc le sang a-t-il coulé avec plus d'abondance
qu'à Rome ? Toutes les maisons et presque tous
les monuments sont bâtis sur des ossements
de martyrs, et jusqu'à la poussière qu'on foule,
tout enseigne la foi en Jésus-Christ et l'imprime
dans les âmes. Un Père de l'Eglise a appelé
l'homme " un abrégé du monde ", on pourrait
appeler Rome " un abrégé de l'Eglise : ubi Petrnsy
ibi Ecclesia. "
Le peuple romain est donc un peuple de foi ;
mais la foi ne peut exister sans l'amour, c'est-à-
dire la charité. C'est la logique qui nous le dit.
Rome, la Ville sainte, est réellement le foyer de
la charité, et cette vertu si précieuse devant Dieu,
se manifeste de plusieurs manières.
La charité des Romains se manifeste d'abord
dans la famille. Il est beau de voir l'union, l'estime,
l'amour, qui régnent dans les familles romaines.
Le fils chérit le père ; la fille vénère la mère, et le
frère se constitue le protecteur de la sœur. Dans
l'Allemagne, l'Angleterre, l'Irlande, même au Ca-
— 164 —
nada, on s'éloigne joyeusement de la patrie pour
aller chercher fortune sur une terre étrangère, où
bien souvent l'exilé ne rencontre que déboires et
contrariétés. Le Romain n'est pas atteint du mal de
l'émigration ; il est casanier ; il vit et meurt dans
sa famille, entouré de tous les êtres qui lui sont
chers. Pourvu qu'il soit à l'ombre du dôme de
Saint-Pierre, il est heureux et ne manque de rien.
La charité du peuple romain apparaît dans toute
sa splendeur dans les nombreuses confréries établies
pour le soulagement des pauvres, la conversion
des pécheurs, la dotation des filles d'ouvriers et
des orphelines ; en un mot la charité romaine brille
dans tout ce qui est souffrant et malheureux. On
compte environ quatre-vingts confréries dont la
mission est de consoler l'humanité souffrante. Qui
n'a pas entendu parler de la Confrérie de la Mort,
chargée de donner la sépulture aux cadavres trouvés
dans la campagne pendant les grandes chaleurs
de l'été ou dans le Tibre qui cause parfois des
désastres épouvantables, quand ce fleuve franchit
ses digues ? Qui ne connaît pas la Confrérie de
Saint-Jean-Décapité, instituée pour consoler les
condamnés à mort, pour les assister à leur dernier
moment, et pour prier pour le repos de leur âme ?
Et que dire des hospices de Saint-Michel, de
Sainte-Marie des Anges, du Tata-Giovanni, de
— 165 —
Sainte-Marie de la Consolation, des hôpitaux
du Saint-Esprit, de Saint-Jacques, de Saint-
Gallican, de l'asile Barberini et de plusieurs
autres? En résumé, Rome est le siège de la charité,
comme la charité est la vie de Rome.
Nous venons d'étudier le peuple romain sous le
rapport religieux, et nous avons remarqué que
c'est un peuple de foi et de charité. Pour se con
vaincre de la vérité de cette proposition, il ne
suffit que d'ouvrir les yeux.
Si nous parcourons maintenant Rome pour
étudier les mœurs et les usages du peuple romain,
nous constaterons l'absence des maisons de jeu,
des tripots et d'autres divertissements qui font
bien souvent la honte et le déshonneur d'une
nation, qui sont la source d'une foule de crimes,
le suicide et le duel entre autres, et qui jettent
des milliers de familles sur le pavé. Ces jeux cri-
minels sont défendus par l'Eglise, et le peuple
romain obéit à ^Eglise. Pour lui, le jeu n'est
qu'un divertissement innocent, un délassement de
l'esprit, et non pas une cause de désœuvrement, de
démoralisation, de ruine et de damnation. Jouer
c'est se recréer, c'est donner de la force à l'intel-
ligence ; jouer, c'est refroidir le cerveau enflammé
par des efforts continuels ; jouer enfin, c'est se
reposer dans le Seigneur. Voilà comment le
— 166 —
Romain joue. Il joue pour mieux travailler ; il
joue pour mieux prier.
Les principaux jeux ou divertissements des
Romains sont la morra, la chatte aveugle et le
carnaval.
La morra est un jeu très en vogue dans les
Etats romains. Tout le monde se livre à ce jeu
innocent ; on joue à la morra dans la prairie, on
joue sur la place publique, on joue au café, on joue
au bouchon, on joue partout, excepté dans le
temple du Très-Haut.
La morra se joue à deux ; mais ' on peut se
remplacer comme à la poule. Les deux joueurs se
placent en face l'un de l'autre ; la main gauche
levée et la main droite fermée en avant ; les joueurs
prennent presque la même position qu'à l'escrime.
Au signal convenu, les mains droites des joueurs
s'élèvent et puis s'abaissent simultanément ; cha-
cun étend un, deux, trois ou quatre doigts à volonté
et prononce un nombre. Si le nombre donné par
un des joueurs répond au nombre des doigts éten-
dus, ce joueur est déclaré vainqueur. Mais si les
deux joueurs devinent en même temps, ou si ni
l'un ni l'autre ne devinent, on recommence. Pour
gagner la partie, il faut deviner cinq fois. La main
gauche sert à compter le nombre de fois qu'un
joueur a gagné. Comme on le voit, ce jeu suppose
— 16Ï —
un grand fonds de sincérité et de bonne foi dans
la parole donnée, car il est facile d'étendre un ou
deux doigts de plus, une fois que la main est
abaissée, et de tromper ainsi son adversaire. Mais
le joueur à la morra ne trompe jamais. Certains
auteurs prétendent que les joueurs à la morra
posent à terre, avant de commencer, un poignard
dont ils se servent lorsqu'on manque aux règles
du jeu. J'ai vu jouer à la morra presque tous les
jours, et jamais mes yeux n'ont rencontré le poi-
gnard en question. Je puis affirmer qu'on ne
recourt pas aujourd'hui à ces mesures de rigueur
pour empêcher la supercherie. La bonne foi est
la seule arme employée dans ces circonstances.
La chatte aveugle est un jeu destiné spéciale-
ment à l'enfance ; elle se joue au clair de la lune,
pendant la belle saison de l'été. La place du
Peuple, située à l'extrémité nord du Corso, est le
théâtre où les acteurs se réunissent. Le lieu du
rendez-vous est fixé au pied de l'obélisque qui
s'élève au centre de cette place.
Après avoir bandé les yeux à un jeune homme,
on le fait tourner cinq ou six fois sur lui-même et
ensuite on lui dit de se diriger droit dans le Corso,
Remarquez que trois grandes rues viennent abou-
tir à la place du Peuple, et que le joueur ne rece-
vra le prix de la course que s'il entre directement
— 168 —
dans le Corso. La chatte aveugle — c'est ainsi
qu'on nomme le lutteur — part ; mais au lieu de
prendre la direction voulue, elle se cogne contre
un mur, contre l'obélisque lui-même, contre la fon-
taine de Neptune, contre celle de Rome ou contre
un groupe de femmes qui l'accablent d'épigrammes.
Vingt, trente autres lutteurs se présentent ; et ils
subissent le même sort. Il est rare que la chatte
aveugle enfile le Corso du premier coup. Toute-
fois si le joueur réussit à prendre la vraie direc-
tion, on l'applaudit, on le porte en triomphe et on
lui décerne le prix dû au vainqueur, c'est-à-dire
une bonne salade au chou-fleur et une pinte de vin
de première qualité. C'est ainsi que se joue la
chatte aveugle ; on rit, on badine, on s'amuse et
on retourne joyeux et content au foyer paternel.
Le divertissement dans lequel la gaieté du
peuple romain éclate avec plus d'intensité est
sans contredit le carnaval. Un étranger, qui n'au-
rait jamais vu ce spectacle, ou qui n'en aurait
jamais entendu parler, prendrait les Romains pour
des fous ou au moins pour un peuple de grands
enfants. Les fêtes du carnaval durent huit jours, et
pendant tout ce temps, les magasins, les boutiques
et les ateliers sont fermés l'après-midi ; les affaires
sont en général suspendues. Les Romains encom-
brent le Corso ; les autres rues sont désertes.
— 169 —
Grands et petits, riches et pauvres accourent
prendre part aux réjouissances publiques et se
livrent à toute la joie dont leur cœur est capable,
avant d'entrer dans la rigoureuse période de la
pénitence, le carême. Quelques-uns ont prétendu
que le carnaval était une imitation des fêtes célé-
brées en l'honneur de Janus, du temps des païens.
Il peut y avoir du vrai dans cette opinion. Maïs
l'étymologie du mot carnaval, cami vale, me porte
à croire que les Romains veulent tout simplement
se réjouir, «se recréer avant de jeûner. N'est-ce
pas ce qui arrive au Canada, le lundi et le mardi
gras ? N'entendons-nous pas dire alors : " Amu-
sons-nous, profitons du temps. Demain ou après-
demain, danses, banquets, promenades, tout sera
fini ; nous serons dans le carême. " Les Romains
ne peuvent-ils pas faire comme nous ? Ils le peu-
vent, mais ils ne le font pas : ils jouent, ils rient,
mais leurs plaisirs ne sont pas coupables.
0
L'ouverture du carnaval est annoncée par la
cloche du Capitôle, qui ne sonne que dans cette
circonstance, et à la mort du Pape. Il est alors
midi. Le Sénateur romain, (maire) monté dans un
riche carosse et entouré de laquais en grande
livrée, descend la roche tarpéïenne, parcourt le
Corso depuis la place de Venise jusqu'à celle du
Peuple, et retourne, par la même voie, à son
8
— 1Ï0 —
palais situé à l'endroit où Manlius fut éveillé par
le cri des oies. La fête est commencée. La foule
se précipite dans le Corso ; les balcons se couvrent
de curieux. Les Romains chantent, dansent, gam-
badent, sautent, grimacent et lancent des confetti
à droite, à gauche, en avant, en arrière, dans les
voitures, sur les galeries, dans les fenêtres, sur les
draperies, sur les banderoles, sur le mendiant et
sur le prince, personne n'est épargné.
Les confetti, qui sont des espèces de bonbons
en farine, de la grosseur d'une noisette, et qui se
brisent en tombant, vous arrivent sur la tête comme
une pluie torrentielle. Vous pouvez vous protéger
la figure contre les projectiles en faisant usage
d'un masque en fil de fer, mais votre habit ! Il
n'est pas besoin de vous dire qu'il ressemble bien-
tôt à celui d'un meunier. Tout de même, c'est un
curieux spectacle que de voir ce flux et reflux
d'êtues humains tachetés, étoiles, tigrés et damas-
sés. La population, qui se presse sur le Corso,
présente l'aspect d'une forêt de vignes couverte de
neige.
Vous venez de voir un coin du tableau. Mille
autres scènes se déroulent devant vos regards-—
quand vous pouvez regarder — au milieu de la
grêle des confetti. Ici, c'est un géant de douze
pieds de hauteur qui s'avance majestueusement en
— m —
vous dardant un coup d'œil de travers ; là, les
discipes de Vulcain, dont les lourds marteaux
frappent l'enclume en cadence ; â quelques pas
plus loin, apparaît une bande de brigands qui, le
poignard à la main, foulent aux pieds un prince,
à qui ils réclament une énorme rançon pour le
rachat de sa liberté. A un autre endroit, c'est
Roland dont 1 epée transperce vingt barbares à la
fois. Les représentations changent à chaque ins-
tant, et l'œil ne se lasse jamais d'admirer.
Les zouaves canadiens n'ont pas voulu le céder
aux Romains en fait de folies ; ils ont figuré avec
honneur dans les deux carnavals qu'ils ont passés
à Rome. La dernière année, plusieurs de nos com-
patriotes ont parcouru le Corso dans un magni-
fique canot d'écorce, placé sur un chariot que traî-
naient quatre chevaux superbement harnachés.
Les zouaves portaient le costume du guerrier
indien, de l'Iroquois, si je me le rappelle bien-
Leur apparition sur la scène a frappé la popula-
tion romaine d'étonnement. Aussi, ont-ils été cou-
verts d'applaudissements et de confetti.
La comédie se continue jusqu'au premier coup
de canon tiré du fort St.- Ange. Alors, les équipa-
ges de toutes sortes commencent à évacuer le
Corso, et au deuxième coup de canon, la rue ne
renferme plus personne. La foule forme la haie
— 1^2 —
de chaque côté du Corso, et un détachement de
dragons parcourent la rue dans toute son étendue,
afin de veiller à ce qu'aucun des spectateurs ne se
tienne au milieu. Pourquoi toutes ces précautions ?
Que va-t-il donc arriver ? C'est l'heure fixée pour
la course des barberi, ou chevaux. Le point de
départ est à l'obélisque de la place du Peuple.
Longtemps avant la course, les chevaux sont
réunis à cet endroit. Couverts de molettes en fer
et de feuilles de papier, les sept coursiers hennis-
sent, piaffent, carocollent et menacent de rompre
leurs freins. Au son de la trompette guerrière,
les barberi enfilent le Corso en brûlant le pavé ;
ils ne courent pas, ils volent. Arrivés à la place
de Venise, des barbereschi, ou palefreniers, arrêtent
les coursiers au moyen de deux toiles, qu'ils
tendent à une certaine distance l'une de l'autre.
Le Sénat lui-même couronne le cheval vain-
queur, et le maître de ce dernier reçoit le prix de
la victoire — le prix est ordinairement de 250 lires
— avec un oriflamme d'honneur. Un corps de
musique accompagne le propriétaire jusqu'à son
domicile ; et, du haut de son balcon, le vainqueur
jette de l'argent au peuple qui l'applaudit, comme
autrefois les illustres conquérants lorsqu'ils mon-
taient au Capitole.
Le dernier jour, à la course des barberi succède
le jeu des maccoli, ou flambeaux. Une fois ce diver-
tissement terminé, les Romains peuvent répéter
avec Perrette : " Adieu, veau, vache, cochon, cou-
vée," car c'est le dernier jeu du carnaval. Les ac-
teurs que nous avons déjà vus figurer, reparaissent
sur le Corso avec les mêmes décorations ; mais
ils portent de plus à la main des maccoli ou des
bouts de chandelles. Chaque Romain se présente
avec un maccolo allumé ; on voit aussi des mac-
coli dans toutes les fenêtres. On dirait que le
Corso est en feu. Mais cet aspect change souvent,
car chacun s'efforce d'éteindre le maccolo de son
voisin, en criant : " Mort au maccolo " ! Pour
éteindre les flambeaux, on se sert de mouchoirs,
de chapeaux, d'évantails, de confetti, de toutes
sortes d'éteignoirs enfin. Les piétons sautent
dans les voitures, les cavaliers grimpent sur les
balcons ; c'est une guerre générale. Les maccoli
disparaissent, se rallument pour s'éteindre encore.
C'est un spectacle, vraiment féerique.
Un troisième coup de canon retentit, et les
lumières et la foule s'évanouissent comme par en-
chantement ; le carnaval est terminé. Les Romains
secouent la poussière qui les couvre, et rentrent
au logis.
Un tel peuple peut- il être malheureux ? Nous
demandons aux libres-penseurs de répondre.
I
CHAPITRE XIX.
LA REINE DU PEUPLE ROMAIN.
Le peuple romain n'a pas seulement un Pon-
tife-roi, il a aussi une reine ; mais c'est une
reine d'une beauté incomparable, une reine que
vous voyez partout, une reine qui s'abaisse et
s'élève, une reine qui prend tous les noms, une
reine enfin qui possède des trésors infinis. Cette
reine, c'est l'épouse du charpentier nommé Joseph ;
c'est cette femme qui écrasa la tête du serpent ;
c'est la Vierge-Immaculée de Nazareth ; c'est la
mère de l'Homme-Dieu. Jamais reine sur la terre
ne fut plus aimée que celle de Rome. Jamais
reine sur le globe terrestre ne porta de plus riches
joyaux que celle de la Ville sainte.
Vous ne sauriez trouver une nation qui témoigne
une plus grande dévotion à la sainte Vierge que
le peuple romain, Cette dévotion à Marie est si
générale, que, bien souvent, elle semble éclipser
le culte dû au Créateur de l'univers. On invoque
l'Immaculée-Conception à toutes les heures de la
journée, et dans toutes les circonstances de la vie.
Le matin, le Romain se jette aux genoux de
W
— 1Ï6 —
Marie ; s'il entreprend un voyage, il court dans
un sanctuaire dédié à Marie ; s'il est malade, il
élève les yeux vers Marie ; s'il est exposé à un
danger, il conjure Marie de le couvrir de sa main
protectrice ; le soir, il sort des oratoires et par-
court les rues de la ville, en récitant son chapelet
et en chantant, devant les statues de sa reine, ce
refrain populaire :
Eviva Maria !
Maria viva
E chi la creô !
" Vive Marie et celui qui la créa " ! Dans toutes
ses actions, le Romain s'écrie : " Vive Marie et
son divin fils " !
Une reine d'une beauté incomparable. Nigra sum,
sed formosa. " Je suis noire, mais je suis belle."
Oui, la reine du peuple romain est belle, et sa
beauté ne se flétrit jamais comme celle des autres
créatures. Née immaculée, elle a donné naissance
à la divine Beauté, qui lui communiqua tous
ses charmes.
Une reine qtte vous voyez partout. — -Il est impos-
sible de faire un pas dans Rome sans rencontrer
la reine du peuple romain, sans jeter la vue sur
l'image de la Madone. Vous la voyez à chaque
coin de rues, sur la façade des églises et sur tous
les monuments. Vous la trouvez dans toutes les
— m —
chapelles, dans tous les magasins, dans tous les
ateliers, dans tous les édifices publics et dans tous
les hôtels. Partout la Madone parle et sourit aux
pécheurs. Partout la Madone tend ses bras vers
les affligés.
Une reine qui s'abaisse et s'élève. — La Madone
repose tantôt sur un modeste piédestal, que le
pauvre ouvrier lui a construit dans son humble
demeure. Tantôt, elle çlomine le chapiteau d'une
colonne élevée.
Une reine qui prend tous les noms. — Si vous vous
promenez dans Rome, vous remarquez la madone
des Miracles, la madone du Soleil, la madone de
la Consolation, la madone des Douleurs, la madone
du bon Conseil, la madone des Grâces, la madone
del partoy la madone de la Fièvre, la madone de
la Délivrance etc. La plupart de ces madones ont
pour origine des faits prodigieux.
Une reine qui possède des trésors infinis. — La vie
d'un homme ne 'suffirait pas pour décrire tous les
bienfaits obtenus, tous les miracles opérés et tous
les malheurs évités par l'intercession de la reine
du peuple romain. On compte plus de 1400 ma-
dones à l'extérieur des maisons et dans les rues ;
et, à chacune de ces madones se rattachent des
guérisons miraculeuses ou des conversions écla-
tantes. Ici, c'est un aveugle qui recouvre la vue ;
là, c'est un boiteux qui marche droit. Plus loin,
Marie touche le cœur d'un brigand qui vient dépo-
ser son poignard au pied de la Madone. Plus loin
encore, c'est un soldat qui évite miraculeusement
une balle ennemie, ou bien un navire sauvé d'un
naufrage inévitable au milieu d'une tempête. La
protection de la sainte Vierge brille dans tout et
partout.
Que de prodiges, que de miracles je pourrais
citer pour démontrer que la Madone n'oublie pas
le peuple romain quand il a recours à elle ! Je me
contenterai de raconter deux faits que les pères
de famille s,e font un devoir d'apprendre à leurs
enfants, réunis le soir autour du foyer. J'emprunte
le premier d'un savant abbé français :
" Lorsqu'on descend la rue de la Scrofa, vers
la place du Peuple, et qu'après le couvent des
Augustins, on tourne la tête à gauche, on aperçoit,
sur le pinacle d'une tour, une statuette de l'Imma-
culée-Conception. La nuit, cette statuette est
éclairée pagine lampe ; on dirait un météore qui
lui sert d'escabeau : Luna sub pedibus ejus.
Or, au siècle dernier, les propriétaires de ce
reste de tour féodale possédaient, pour leur diver-
tissement, un gros singe. Selon l'instinct naturel à
son espèce, l'animal imitateur contrefaisait les faits
et gestes de la maison, en y ajoutant un air gro-
tesque qui entretenait la gaieté. Un jour, à force
de voir bercer et dorloter un enfant qui venait de
naître, il lui prit fantaisie d'en faire autant. Il
saisit le moment où l'enfant, dormant dans son
berceau, avait été laissé seul. Il s'approche douce-
ment, le fait sauter entre ses bras velus, l'em-
brasse, le presse contre sa poitrine, simule en un
mot tous les mouvements d'une nourrice qui veut
calmer son nourrison. Non content de son exploit,
et toujours chargé de son précieux fardeau, il
gravit tous les étages jusqu'au sommet de la tour ;
d'un bond, il est sur le parapet, et se promène de
long en large, dans la même attitude et avec les
mêmes gestes qu'il recommence cent fois.
La pauvre mère, accourant au berceau, trouve
l'enfant disparu. Des cris du dehors l'avertissent
de l'horrible malheur qui la menace. Le singe,
grimaçant sur son tétreau, à cent pieds au-dessus
de la rue, risquait à chaque seconde de laisser
tomber le maillot, ou même de le jeter capricieu-
sement comme un jouet. " Sainte Vierge, s'écria la
mère désespérée, rendez-moi mon enfant."
Tremblante et suffoquée, elle vole sur la tour.
En la voyant, le singe saute à ses pieds et y dépose
le petit trésor. Ce jour-là même fut érigée, sur la
rampe aérienne, la statue qu'on y voit encore, et
la postérité fidèle continue à payer à la Madone
protectrice la dette des aïeux."
— 180 —
Je traduis la seconde légende du P. Carocci,
jésuite, qui la racontait, il y a un siècle et demi, à
une caravane de pèlerins.
" C'était au mois de janvier i 546, sous le pon-
tificat de Paul III, d'heureuse et chère mémoire
pour notre ordre. ."
Deux jeunes gens s'étaient proposé de jouer
devant la Madone qui ornait une muraille du quar-
tier de la Regola, et, certes, à un jeu qui n'était
guère propre à la divertir. Car, je vous assure,
qu'il n'y a pas grande joie à voir jouer à certains
jeux, dont celui-ci était un, et dans lesquels celui
qui gagne a coutume de perdre, sinon la fortune,
au moins la réputation, le temps, lame, Dieu, les
hommes et quelquefois sa propre vie. C'aura été,
selon moi, quelqu'un de ces jeux de cartes, qui
provoquent tant ^incartades, ou bien d'osselets
& êtres morts, qui font tant gémir les vivants.
L'ardeur des combattants était grande, surtout
celle du perdant, qui avait la rage de se relever ;
mais quoiqu'il fût dans le quartier de la Règle
{Regola), il ne voulait pas observer la règle du jeu.
Il arriva donc entre eux un conflit, soit pour une
renonce, soit pour une carte usurpée ou regardée
furtivement, ou cachée ou changée. Bref, le sang
réchauffé par la perte ou par l'application de
l'esprit, fit qu'on en vînt promptement aux paroles
— 181 —
arriéres, aux injures, et comme la fureur fournit
des armes, furor arma ministrat, on finit par les
coups.
Le vainqueur se contenait plus que son adver-
saire. Probablement aussi, doué d'une nature plus
pacifique, afin de prévenir toute extrémité, il
demanda le premier pardon et céda à son rival.
Mais celui-ci, au lieu de se calmer, ne vit là qu'une
raillerie, et s'emportant de ce qu'on ne lui avait
pas donné raison plus vite, il s'écria : " Pourquoi
donc me le nier jusqu'à présent, ô infâme menteur !
tu me prenais sans doute pour un imbécile ? Sache
que je ne le suis pas ; je te le prouverai, tricheur
indigne ! " Et en disant ces mots, il s'élance comme
un tigre sur son adversaire. A ce mouvement,
celui-ci se redresse avec violence ; il recule d'un
pas, et, portant la main sur un poignard, il lui
imprime une secousse si vigoureuse qu'il le ren-
verse.— "Ah! tu ne veux pas de paix, lui dit-il,
eh bien ! tu auras la guerre. Tu prétends jouer ta
vie, je te la gagnerai aussi bien ; perds-la, torcéné
meurs ; car tu ne mérites pas de voir la lumière."
Et il était sur le point de fendre en deux cette,
tête moins d'un homme que d'un ours en furie.
" Ah ! s'écria Farrogant, devenu timide, et jetant
les yeux vers la Madone sous laquelle ils se trou-
vaient, " ah ! pour l'amour de cette mère, la vie !
la vie ! "
— 182 —
Le jeune homme, outragé, regarda aussi la
Madone ; et, en la voyant en quelque sorte
demander la paix par un sourire, sa fureur se
calma ; le fer lui tomba des mains. — " Ouï, je te
la donne, la vie, au nom de cette arche de paix
que tu invoques ; c'est cette clémente Mère qui
t'accorde la vie que je t'ai offerte déjà." Et, l'em-
brassant avec tendresse, il le relève du sol où il
était prêt à l'immoler.
Quelle devait être, mes frères, la reconnaissance
de ce malheureux, non-seulement envers son rival,
qui lui permettait de vivre, mais encore envers la
Madone qui avait intercédé pour lui ! Vous pensez
qu'il s'agenouillera pour rendre des actions de
grâce et pour émettre le vœu de ne jamais plus
jouer.
Hélas ! vous le savez déjà, et le souvenir en glace
d'horreur encore. Pendant qu'il était généreuse-
ment relevé par ce jeune et doux chrétien, par ce
nouveau Gualbert, voici que, pour ne lui être point
débiteur d'un si grand bienfait, il tire inopinément
Un stylet de sa poche, se précipite sur son bien-
faiteur désarmé et tranquille, lui traverse le cœur
d'un seul coup et l'étend à ses pieds.
O Mère sainte ! quelle ingratitude ! quelle
cruauté ! quelle barbarie ! Vous frissonnez, mes
frères ! Quoique dépeinte seulement sur la muraille,
— 183 —
la Madone ne put se contenir à ce spectable épou-
vantable, et elle pleura amèrement ; les larmes
coulèrent de ses yeux le long du mur comme un
ruisseau.
Un prêtre espagnol, attiré sans doute par a
sainte Vierge, après avoir absous le moribond,
comme il faut le croire, lui dit, pendant qu'il ren-
dait le dernier soupir : " Enfant, invoquez cette
tendre mère que vous regardez avec tant d'amour."
Comme il parlait encore, la Vierge pleura derechef
à sa vue, et le moribond pleura comme elle. Le
prêtre ne pouvait plus maîtriser son émotion. Il
s'approcha de l'image miraculeuse, et avec son
mouchoir il recuillit les larmes de la Mère des
Douleurs. La populace du quartier accourut, et
en voyant ce tableau d'un jeune homme baigné de
son sang et de Marie baignée de ses larmes, elle
s'écriait en sanglotant : Miracle ! miracle ! — Le
pourra- t-on croire ? On était près du Ghetto ; tous
les juifs s'attendrirent, mais aucun ne se convertit.
L'événement fut bientôt divulgué, soit par quel-
ques commères prudemment restées chez elles,
mais que la curiosité avait attirées aux fenêtres au
premier bruit de l'altercation, soit par le meurtrier
lui-même, dont on n'a plus parlé et dont on ne
sait rien. Mon opinion est qu'il a dû mal finir,
car les menaces de Dieu sont trop formelles :
— 184 —
"Celui qui frappe de l'épée, par l'épée doit périr."
Qui gladio ferit, gladio périt. (S. Matth.)
L'image de la Madone fut artistement taillée
et enlevée de la muraille, On ne tarda pas à la
transporter dans l'église voisine, qui changea son
nom de Saint-Sauveur en celui délia Madona del
Pianto, afin de transmettre de siècle en siècle le
souvenir de cette noire atrocité."
En disant adieu à la reine du peuple romain,
répétons, avec le pécheur repentant, cette belle
prière :
Amabile madré e amante
Vogli piestosa il ciglio
A chi non è tuo figlio
Ma figlio tuo sarà.
" Aimable et aimante mère ! daigne tourner tes
regards vers celui qui n'est pas encore ton fils,
mais qui veut le devenir ! "
CHAPITRE XX.
NOCES D'OR DE PIE IX.— CONCILE DU VATICAN.
Le 1 1 avril 1869 ! époque à jamais mémorable
dans les annales de l'Eglise romaine. Le Pontife-
roi, l'immortel Pie IX, célèbre à la confession
des Apôtres Pierre et Paul, le cinquantième anni-
versaire de son élévation au sacerdoce, entouré de
cardinaux, de prélats, de plusieurs membres de sa
famille, entre autres Louis Mastaï Ferretti, fils du
comte Gabriel, retenu à Sinagaglia par la vieillesse,
de tous les représentants des cours étrangères, et
de 70,000 à 80,000 pèlerins venus de toutes les
parties du monde. Jamais fêtes ne furent aussi
pompeuses et aussi universelles, parce que jamais
Pape n'avait été entouré de tant d'amour et de
vénération, parce que jamais Pape n'avait vu un
règne aussi glorieux et aussi rempli de persécu-
tions et d'amertumes.
Les fêtes des noces d'or de Pie IX, qui coïnci-
daient avez le retour de l'illustre exilé de Gaëte
et de sa préservation miraculeuse, lors de l'accident
de l'église de Sainte-Agnès hors les murs, com-
mencèrent le 10 avril et durèrent trois jours.
— 186 —
Pour décrire toute la magnificence et la pompe
déployées dans ce jubilé, il faudrait une plume
plus exercée que la mienne. Je vous dirai seule-
ment que nous étions transportés au troisième ciel,
comme saint Paul, et que parfois nous nous écriions:
" Qu'il fait bon d'être ici, bâtissons- nous des tentes."
Pie IX lui-même ne put contenir les flots de joie
et de bonheur qui inondaient son cœur, et laissa
échapper ces paroles devant quelques pèlerins
prosternés à ses pieds : " Mon Dieu, ayez pitié de
moi, c'est trop de bonheur! J'ai peur que bientôt,
quand je paraîtrai devant votre justice, vous ne
me disiez : Tu as été récompensé sur la terre.
Non pas à moi, mais à vous, ô mon Dieu, à vous
seul l'amour des chrétiens. " L'archevêque de
Cologne, Mgr. Melchers, a peint la fête d'un seul
trait : " Jamais Pape, a-t-il dit, ne s'est vu en
relations à la fois si intimes et si universelles avec
le cœur de l'humanité. "
La journée du 10 avril fut consacrée à la lec-
ture des adresses présentées par les différentes
associations catholiques de la terre. En jetant les
yeux sur ces adresses, couvertes de plusieurs mil-
lions de signatures, le Pape dit à ceux qui l'en-
touraient : " Voici la véritable expression du suf-
frage universel catholique." Après la présentation
des adresses, Pie IX passa dans la salle où étaient
— 187 —
exposés les nombreux cadeaux qui furent faits au
Saint-Siège dans cette circonstance. Ces offrandes
représentaient la somme de six millions de francs.
La réunion de tant de richesses dans le Vatican
arracha à Pie IX l'exclamation suivante : " Enfin,
moi aussi, j'ai mon exposition universelle ; elle est
le produit, non de l'industrie, mais de l'amour de
mes enfants." Aussi, quelle belle exposition ! Oh !
que l'amour du chrétien est fécond en œuvres de
tous genres !
Dans l'après-midi. Pie IX, accompagné de sa
cour, alla faire une visite à la petite église de
Sainte -Anne de Falegnami, où le il avril 1819,
Jean-Marie Mastaï Ferretti disait sa première
messe, à l'âge de 27 ans. Retracez dans votre
esprit les profondes émotions qu'à dû éprouver le
grand Pontife romain en jetant un regard scruta-
teur sur la période écoulée depuis son enrôlement
dans les rangs des lévites, et les douces larmes
qu'il aura versées en présence de cet autel où il
avait offert à la Divinité, pour la première fois,
le corps adorable de l'Homme-Dieu. Pie IX,
agenouillé sur le marbre, avait en cette circons-
tance plutôt l'apparence d'un ange que d'un
homme.
Le soir, la coupole de Saint-Pierre fut illuminé.
J'avais déjà contemplé cette scène grandiose ;
— 188 —
mais c'est un spectacle toujours nouveau. J'étais
placé, à cette heure, sur le Mont-Pincio, non loin
de l'église de la Trinité-des- Monts. La coupole
me parut comme un immense globe suspendu
dans les airs. L'obscurité qui recouvrait la ville
augmentait encore l'éclat de la lumière. La basi-
lique de Saint-Pierre était alors la véritable image
de la "Jérusalem céleste qui éclaire des rayons
de sa gloire les ténèbres et les combats de Sion."
Le onze, de bonne heure le matin, la vaste
basilique de Saint-Pierre était tellement remplie
de fidèles qu'un abbé français, placé près de moi,
me souffla ces mots à l'oreille : " Mon bon zouave,
j'étouffe. Je ne puis plus y tenir, on m'écrase ;
vraiment, je suis réduit à ma plus simple expres-
sion." Je lui portai secours et je réussis à élargir le
cercle qui l'enveloppait en faisant jouer les coudes
et le pommeau de mon sabre ; tactique que nous
avions l'habitude de suivre, lorsque nous étions
trop à l'étroit. Monsieur l'abbé X"'5"*'" me remercia
cordialement et m'invita à prendre le dîner avec
lui à l'hôtel de la Minerve. La politesse exigeait
que je déclinasse cet honneur ; mais la faim — -et
quelque diable aussi — me poussait, et j'acceptai
l'invitation. Qu'on me pardonne cette petite gour-
mandise ; j'avais jusqu'alors mangé de tant de
haricots et de salade !
— 189 —
A sept heures et trois quarts, Pie IX, porté sur
la sedia gestatoria, fit son entrée dans l'église des
apôtres Pierre et Paul, passa au milieu des zouaves
pontificaux qui formaient la haie de chaque côté
de la grande nef, depuis la grande porte en bronze
jusqu'à la confession, et monta à l'autel pour y célé-
brer le saint sacrifice de la messe. L'office divin
terminé, le Pape se tourne vers le peuple : tout
genou fléchit, toute tête s'incline. Le Pontife élève
les bras, et de sa voix puissante, il chante ces con-
solantes paroles : " Benedicat vos omnipotens Deus "
etc, Pie IX rentre au Vatican, suivi de sa cour et
escorté de la garde noble, de la garde palatine et
de la garde suisse ; et la foule s'écoule silencieuse,
en répétant avec le psalmiste : " Quant bonum,
quàm jucundum habit are fratr es in unnm ! "
La journée se termina par un magnifique feu
d'artifice ou girandola, devant l'église de San
Piedro in Montorio, non loin de l'endroit où saint
Pierre fut crucifiera tête en bas. La girandola, à
Rome, surpasse tous les feux d'artifice de l'univers ;
car il n'y a que les Romains qui possèdent le
secret de créer des merveilles.
Le 12, Rome célèbre le double anniversaire du
retour de Pie IX de Gaète et sa préservation mi-
raculeuse à l'église de Sainte-Agnès : deux faits
qui font époque dans la glorieuse vie de Jean-
Marie Mastaï Ferrettï.
— 190 —
En 1848, la révolution, qui menaçait déjà de
saper l'ordre social par sa base, se déchaîna sur
Rome. Le 1 5 novembre, le comte de Rossi, le
vaillant défenseur de la Bapauté, expire sous le
poignard des adeptes du carbonarisme. Le lende-
main, une foule furieuse, inspirée par Mazzini,
assiège le palais du Ouirinal, où Pie IX s'était
réfugié pour échapper au glaive des assassins.
L'orage grandit ; on essaie d'incendier le Quirinal.
Les balles pleuvent ; l'une d'elles tombe dans la
chambre où le Pape priait pour ses bourreaux, et
blesse mortellement Sa Grandeur Mgr Palma. Le
Souverain-Pontife se croit à sa dernière heure,
lorsqu'une femme chrétienne, la comtesse de Spaur,
forme avec son mari, le duc d'Harcourt, le projet
de sauver le roi de Rome. L'héroïne met son pro-
jet à exécution, et le 24 au soir, Pie IX, déguisé,
monte dans le carrosse de M. d'Harcourt qui le
transporte à Gaëte, dans le royaume de Naples, où
il est reçu à bras ouverts par le roi Ferdinand II.
Dans son exil, le Saint-Père ne cesse de pro-
tester contre les spoliations de la révolution. Il
lance l'excommunication contre les membres de
la Jeime Italie et contre les révolutionnaires en
général, qui saccageaient Rome, pillaient les églises
et chassaient les religieux de leurs monastères.
L'iniquité s'était débordée sur la Ville sainte,
— 191 —
comme un torrent dévastateur. Mazzïni poussa
même l'impiété et le cynisme jusqu'à singer le
Pape, en montant dans la loge de Saint- Pierre, où
le Pontife romain donne la bénédiction urbietorbi.
L'Europe s'émeut enfin de tant d'audace et de
sacrilèges. L'Espagne offre de délivrer Rome du
joug des vandales de 48 ; mais la France, la fille
ainée de l'Eglise — encore catholique à cette époque
— revendique cet honneur et vole assiéger Rome,
Le 29 juin 1849, le général Oudinot s'empare de
l'ancienne ville des Césars, et le colonel Niel est
chargé de porter les clefs de Rome à Pie IX, qui
se trouvait alors à Portici.
Le grand Pape, ivre de joie, reprend le chemin
de Rome, dans laquelle il fait son entrée triom-
phale le 12 avril 1850. Son retour fut salué par
des salves d'artillerie, par le son de toutes les
cloches de la ville et par les cris de "Vive Pie IX !
Vive notre Saint-Père!" Le peuple romain était
au comble de son bonheur. Les révolutionnaires
ayant été chassés, l'Eglise continua de gouverner le
monde catholiqueet à répandre partout les bienfaits
de son ardente charité. ,
Voici comment les historiens romains rapportent
le fait de la préservation de Pie IX à l'église de
Sainte-Agnès. Un jour, le 12 avril 1855, le Très
Saint-Père alla célébrer l'office divin à cette basi-
— 192 —
lique ; et une foule innombrable remplissait le temple
de Dieu. Après la messe, le Pape se rendit dans la
salle du chapitre pour prendre le déjeûner avec les
nombreux invités, et passa ensuite dans la chambre
voisine pour admettre au baisement des pieds les
élèves de la Propagande. Pie IX était à peine assis,
que la poutre principale de l'édifice se rompit, et le
plancher s'effondra. Le Pape et sa suite dispa-
rurent au milieu d'un nuage de poussière et furent
précipités dans l'étage inférieur. Après quelques
instants d'un lugubre silence, on vit sortir, du
milieu des décombres, Pie IX qui n'avait reçu
aucune égratignure. Personne de l'assistance ne
fut blessé grièvement. Le Pape entra aussitôt dans
l'église, où il- entonna un Te Deum en l'honneur de
sainte Agnès, à qui il attribua sa préservation
miraculeuse.
Entre parenthèse, je vous dirai que la basilique
de Sainte- Agnès est située sur la voie Nomentane,
à une courte distance des murs de Rome. Cette
église, qui a été complètement restaurée par Pie
IX, est très ancienne ; elle a été bâtie en 324 par
Constantin, à la prière de sa fille Constance, guérie
miraculeusement par l'intercession de la jeune
vierge martyre, sainte Agnès.
Pendant l'après-midi du troisième jour du tri-
duum, le Souverain-Pontife Visita la magnifique
— 193 —
basilique dont je viens de parler, pour remercier
Dieu de lui avoir sauvé la vie, dix ans auparavant.
A son retour, il parcourut le Corso dans toute sa
longueur. La population entière se porta sur son
passage pour implorer sa bénédiction et l'acclamer.
On entendait de toutes parts : " Viva Pio nono !
Viva il santissimo Padre " / On vfendra nous dire
ensuite que Pie IX n'était pas aimé de son peuple.
Il n'y a que les ennemis de la Papauté qui puis-
sent proférer cet impudent mensonge, fabriquer
cette monstrueuse calomnie. J'ai vécu au milieu
du peuple romain, et le peuple romain aimait Pie
IX, comme il aime encore Léon XIII.
Nous touchons à la fin du jubilé. Trois jours
viennent de s'écouler, mais ce sont des jours pleins,
pleni dies. Il nous manque encore le bouquet des
noces d'or de Pie IX, et ce bouquet nous l'avons
eu. Le soir, il y eut illumination générale de la
ville de Rome. Ce fut un spectacle féerique. Une
personne qui serait tombée tout à coup dans Rome,
sans savoir qu'il -se trouvait dans la capitale du
monde catholique, aurait cru assister à un vaste
incendie. J'étais tenté de m'écrier avec saint
François-Xavier : "C'est trop, Seigneur, c'est trop" !
Maintenant, franchissons d'un seul pas l'espace
de six mois, et nous arriverons au grand événe-
ment annoncé en l'année 1867 : au concile du
9
— 194 —
Vatican que Pie IX convoqua par une bulle publiée
le 29 juin 1868. Tous les évêques de la catho-
licité furent invités à prendre part aux délibéra-
tions de ce concile œcuménique, et tous — il faut
excepter ceux qui étaient retenus par la vieillesse
ou la maladie#*se rendirent à l'appel de leur chef.
Le 8 décembre 1869, le jour de la fête de
l'Immaculée-Conception, à cinq heures du matin,
toutes les troupes pontificales furent appelées aux
armes et échelonnées sur la place de Saint-Pierre
Nous étions près de l'obélisque de Néron, la cara-
bine aux bras depuis deux heures, exposés à une
pluie torrentielle, lorsque le colonel Allet nous
donna l'ordre de marcher de l'avant. Cet ordre
arrivait à temps : nous étions mouillés jusqu'aux
os et transis de froid, nous grelottions comme si
nos membres eussent été mis en mouvement par
des ressorts invisibles. Nous entrons dans l'im-
mense basilique constantinienne, et nous formons
la haie comme aux grandes fêtes des noces d'or
de Pie IX. Les zouaves étaient les enfants gâtés
du Saint-Père, car dans toutes les circonstances
solennelles, les officiers supérieurs nous assignaient
invariablement la place d'honneur. Après quelques
moments d'attente, notre bon papa commande le
genou-terre. Toute l'assistance tombe à genoux,
comme foudroyée par la foudre, à la vue de l'au-
— 195 —
guste vieiHard du Vatican et des sept cent soixante-
onze têtes mitrées qui le précèdent. Quelle majes-
tueuse procession nous voyons alors défiler ! Quelle
grandeur et quelle vertu ! Nous avons devant nous
tout ce que l'Eglise renferme de plus saint. Nous
avons devant nous les prélats les plus illustres que
le Catholicisme ait jamais donnés à la terre. Nous
avons devant nous les plus courageux athlètes qui
aient jamais figuré sur la grande arène catholique.
Nous avons devant nous enfin les plus nobles
défenseurs du droit et de la Papauté.
Les cérémonies de l'ouverture du concile se
prolongèrent jusqu'à deux heures de l'après-midi.
Nous retournâmes à nos casernes complètement
épuisés de fatigue, Etre debout depuis cinq heures
du matin jusqu'à deux heures de l'après-midi, sans
bouger un seul instant et n'ayant pris pour toute
nourriture qu'un litre de café noir ! C'est presque
incroyable. Pourtant c'est la vérité, et encore le
temps nous a paru court, tant le cœur avait éprouvé
de douces jouissances.
Le concile commença immédiatement ses grands
travaux, et, le 24 avril 1870, la vénérable assemblée
votait la constitution De fide, que le Pape promul-
gua le deuxième dimanche après Pâques. Cette
constitution, renfermant quatre articles principaux,
condamne le rationalisme, le panthéisme, l'indé-
— 196 —
pendance de la raison et trace les devoirs de eelle-
ci vis-à-vis de la foi.
Les Pères du concile s'occupèrent ensuite de
l'infaillibilité du Pape parlant ex cathedra, et, le i 3
juin, on fit l'appel nominal. 601 prélats donnèrent
leurs votes ; 451 votèrent placet y 88 non placet et
62 placet jîtxta modum. L'infaillibilité, que tous les
catholiques reconnaissaient depuis longtemps dans
laperson ne du Pape, fut donc décrétée. Ce nou-
veau dogme, mais ancien pour l'Eglise catholique,
fut promulgué le 1 8 juillet 1 870, au milieu des céré-
monies et des fêtes les plus imposantes. Les Pères
du concile recueillirent de nouveau les suffrages,
et il n'y eut cette fois que deux évêques qui répon-
dirent 71011 : Mgr Louis Riccio, évêque de Cassazzo
dans le royaume de Naples, et Mgr Edouard Fjtz-
gerald, évêque de Little-Rock, aux Etats-Unis.
Mais ces deux prélats se soumirent aussitôt après,
la promulgation du dogme.
Un fait assez remarquable, c'est que, le jour où
le dogme de l'infaillibilité fut proclamé, une tem-
pête accompagnée de tonnerre et d'éclairs se
déchaîna sur Rome. Les protestants s'empressè-
rent de relever cette coïncidence et de dire que
les Pères du concile avaient attiré sur eux la
colère divine. Son Eminence le cardinal Manning
répliqua avec finesse que c'était plutôt une répéti-
— 19t —
tion de la scène qui se passa sur le mont Sinaï,
lorsque Dieu donna sa loi aux hommes. La com-
paraison est frappante et pleine d'à-propos.
L'orage qui commençait alors à gronder sur le
sol de l'Italie décida Pie IX à suspendre les déli-
bérations du concile du Vatican, et l'assemblée
s'ajourna sine die, je pourrais dire sine anno ; car
l'histoire nous rapporte que les travaux de plu-
sieurs conciles ont été interrompus pendant un
grand nombre d'années. Espérons néanmoins que
l'illustre prisonnier du Vatican triomphera bientôt
de ses ennemis, et qu'il mettra la dernière main
au plus grand événement du XIXe siècle. *
CHAPITRE XXI.
LA RETRAITE DE VITERBE LE 20
SEPTEMBRE 1870.
Montalembert écrivait au lendemain de l'inva-
sion des Romagnes, en 1860 :
" La pièce s'est jouée en trois actes : la diffa-
mation, l'occupation, la votation ; chaque acte a
eu ses acteurs : les écrivains, les fantassins, les
électeurs ; c'est un procédé désormais connu.
" On dénonce un souverain. Son gouvernement
est imparfait, intolérable ; ses sujets sont mécon-
tents, opprimés, exaspérés. Il ne se soutient plus
que par les armes étrangères ; il manque de force
morale, de force matérielle, il est perdu. Voilà le
souverain diffamé, et si la dénonciation tombe de
haut, tous les matins deux mille journalistes en
répètent à deux millions de lecteurs l'écho reten-
tissant.
" Tout d'un coup on affirme que ce souverain si
faible est menaçant, qu'il songe à attaquer, qu'il
groupe quelques soldats ; il faisait pitié, il fait
peur. . . Prenons nos précautions, violons ses fron-
— 200 —
tières ! C'est le second acte : on envahit les terri-
toires.
"Puis, maître du pays, on consulte les sujets.
Etes-vous heureux ? — Non.— Voulez-vous le deve-
nir?— Oui. Le malheur, c'est Pie IX ; le bonheur,
ce sera Victor-Emmanuel. Vive Victor-Emmanuel !
La pièce est jouée, la toile tombe ; on s'endort
Romain, on se réveille Piémontais, mais toujours
contribuable, et, de plus, conscrit."
C'est la même comédie qui se joua en 1870.
Le comte Ponza di San-Martino se chargea de
jouer le premier acte en portant au Pape la lettre
qu'on va lire ; c'est un monument d'hypocrisie :
"Très Saint-Père,
"Avec une affection de fils, avec une foi de
catholique, avec une loyauté de roi, avec un sen-
timent d'Italien, je m'adresse encore, comme j'eus
à le faire autrefois, au cœur de Votre Sainteté.
"Un orage plein de périls menace l'Europe. A
la faveur de la guerre qui désole le centre du
continent, le parti de la révolution cosmopolite
augmente de hardiesse et d'audace, et prépare,
spécialement en Italie et dans les provinces gou-
vernées par Votre Sainteté, les derniers coups
contre la monarchie et la Papauté.
u Je sais, Très Saint- Père, que la grandeur de
Votre âme ne le céderait jamais à la grandeur des
— 201 —
événements, mais moi, roi catholique et roi italien,
et, comme tel, gardien et garant, par la disposition
de la divine Providence et par la volonté de la
nation, des destinées de tous les Italiens, je sens
le devoir de prendre, en face de l'Europe et de la
catholicité, la responsabilité du maintien de l'ordre
dans la Péninsule et de la responsabilité du Saint-
Siège.
"Or, Très Saint-Père, l'état d'esprit des popula-
tions gouvernées par Votre Sainteté, et la présence
parmi elles de troupes étrangères venues de lieux
divers avec des intentions diverses, sont un foyer
d'agitation et de périls évidents pour tous. Le
hasard ou l'effervescence des passions peut con-
duire à des violences et à une effusion de sang
qu'il est de mon devoir et du Votre, Très Saint-
Père, d'éviter et d'empêcher.
"Je vois l'inéluctable nécessité, pour la sécurité
de l'Italie et du Saint-Siège, que mes troupes,
déjà préposées à la garde des frontières, s'avancent
et occupent les positions qui seront indispensables
à la sécurité c!e Votre Sainteté et au maintien de
l'ordre.
" Votre Sainteté ne voudra pas voir un acte
d'hostilité dans cette mesure de précaution. Mon
gouvernement et mes forces se restreindront abso-
lument à une action conservatrice et tutélaire des
— 202 —
droits facilement conciliables des populations ro-
maines avec l'inviolabilité du Souverain-Pontife,
et de son autorité spirituelle avec l'indépendance
du Saint-Siège.
" Si Votre Sainteté, comme je n'en doute pas,
et comme Son caractère sacré et la bonté de Son
âme me donnent le droit de l'espérer, est inspirée
d'un désir égal au mien d'éviter tout conflit et
d'échapper au péril d'une violence, Elle pourra
prendre avec le comte Ponza di San-Martino, qui
lui l'émettra cette lettre et qui est muni des ins-
tructions opportunes par mon gouvernement, les
accords qui paraîtront mieux devoir conduire au
but désiré.
." Que Votre Sainteté me permette d'espérer
encore que le moment actuel, aussi solennel pour
l'Italie que pour l'Eglise et la Papauté, rendra effi-
cace l'esprit de bienveillance qui n'a jamais su
s'éteindre dans Votre cœur, envers cette terre qui
est aussi Votre patrie, et les sentiments de conci-
liation que je me suis toujours étudié avec une
persévérance infatigable à traduire en actes, afin
que, tout en satisfaisant aux aspirations nationales,
le Chef de la catholicité, entouré du dévouement
des populations italiennes, conservât sur les rives
du Tibre un siège glorieux et indépendant de
toute souveraineté humaine.
— 203 —
" Votre Sainteté, en délivrant Rome des troupes
étrangères, en l'enlevant au péril continuel d'être
le champ de bataille des esprits subversifs, aura
accompli une œuvre merveilleuse, rendu la paix à
l'Eglise, et montré à l'Europe épouvantée par les
horreurs de la guerre, comment on peut gagner de
grandes batailles et remporter des victoires immor-
telles par un acte de justice et par un seul mot
d'affection.
"Je prie Votre Sainteté de vouloir bien m'ac-
corder Sa bénédiction apostolique, et je renouvelle
à Votre Sainteté l'expression des sentiments de
mon profond respect.
Florence, 8 septembre 1870.
" De Votre Sainteté,
" Le très humble, très obéissant
et très dévoué fils,
" Victor-Emmanuel.
La diffamation est consommée par un roi. Mais
la diffamation est repoussée par un autre roi. Pie
IX répondit à Ponza, après avoir pris connais-
sance de ces impudents mensonges et de ces pré-
tendues expressions de dévouement à l'Eglise :
" A quoi bon cet effort d'hypocrisie inutile ? Ne
valait-il pas mieux me dire tout simplement qu'on
voulait me dépouiller de mon royaume ? "
Ponza ayant commenté la lettre de Victor-
— 204 —
Emmanuel dans un sens favorable, le Pape lui
répliqua : "Mais enfin, vous parlez toujours des
aspirations des Romains! Eh bien! vous pouvez
voir de vos propres yeux combien ils sont tran-
quilles?" Le comte Ponza se trouvait donc en
présence d'un démenti formel. Lorsque Pie IX
congédia le commissaire général des Etats romains*
Il lui dit: "Je puis bien céder à la violence, mais
adhérer à l'injustice... jamais! "
Le comte Ponza di San-Martino était arrivé à
Rome le 9 septembre ; il s'en éloignait le 1 1 avec
la lettre suivante, que Pie IX adressait à Victor-
Emmanuel, le roi galant-homme :
"Au roi Victor -Emmanuel.
"Sire,
"Le comte Ponza di San-Martino m'a remis une
lettre que Votre Majesté m'a adressée ; mais elle
n'est pas digne d'un fils affectueux qui se fait gloire
de professer la foi catholique et se pique d'une
royale loyauté. Je n'entre pas dans les détails de
la lettre elle-même, pour ne pas renouveler la
douleur que sa première lecture m'a causée. Je
bénis Dieu, qui a permis à Votre Majesté de com-
bler d'amertume la dernière partie de ma vie. Du
reste, je ne puis admettre certaines demandes, ni
me conformer à certains principes contenus dans
cette lettre. J'invoque Dieu de nouveau, et je
— 205 —
remets entre ses mains ma cause qui est entière-
ment la sienne. Je le prie d'accorder de nom-
breuses grâces à Votre Majesté, de la délivrer des
périls et de lui dispenser les miséricordes dont
Elle a besoin.
"Du Vatican, le ï i septembre 1870.
"Pio PP. IX."
C'est ainsi que parle le roi diffamé, et c'est ainsi
que se termine le premier acte de la pièce. Pas-
sons maintenant au second, c'est-à-dire à l'occupa-
tion.
Le même jour que le comte Ponza di San-
Martino quittait Rome, les troupes piémontaises
franchissaient la frontière romaine et s'emparaient
de Bagnorea et de Montefiascone que les zouaves
avaient évacuées quelques instants auparavant.
L'invasion était commencée, et cela sans raison
aucune et sans déclaration de guerre. Ce n'est pas
le mot invasion qu'il faut employer, mais bien
l'expression vol de territoire. Victor-Emmanuel
représente ici le lion de la fable. "Je m'appelle lion,
se dit-il, par conséquent je prends le royaume du
Pape." Et le nouveau Judas envoie le lieutenant-
général Raffaele Cadorna exécuter ses ordres
barbares.
Cadorna entre alors dans les Etats de l'Eglise
avec cinq divisions et une réserve, formant trois
— 206 —
corps d'armée. Les forces piémontaises se repar-
tissent comme suit : quatre-vingts bataillons d'in-
fanterie, dix-sept bataillons de bersaglieri, cent
quatorze pièces, vingt-sept escadrons, quatre com-
pagnies de génie, cinq compagnies de train et une
compagnie de pontonniers. L'effectif de l'armée
d'invasion s'élevait à quatre-vingt-un mille quatre
cent soixante-dix-huit hommes.
Cadorna, ayant trois divisions sous son com-
mandement, s'avançait du côté des Légations et
de la Sabine. Bixio, à sa droite avec la 2me divi-
sion, menaçait les frontières du côté de la Toscane,
et Angioletti, à la gauche, quittait le royaume de
Naples avec le troisième corps d'armée. Avant
même de prévenir le Pape, l'armée piémontaise
avait pris ses positions sur la frontière, car, le sept
septembre, Bixio avait son quartier-général à
Orvieto; Cosenz, à Rietti ; Mazé de la Roche, à
Terni ; Ferrero, à Narni ; et Angioletti, à Cassino.
Pendant que ces différents corps d'armée s'avan-
çaient sur Rome, une flotte de douze navires de
guerre se dirigeait vers le port de Civita-Vecchia.
Cette flotte, commandée par le contre-amiral Del
Caretto se composait des vaisseaux suivants :
Roma, vaisseau de 1er rang.
Re di Portogallo, "
Messina, frégate de 2e rang,
— 207 —
Ajicona, frégate de 2e rang.
Terribile, corvette,
Castelfidardo, frégate de 2e rang.
Principe di Carignano, "
San Martino, "
Affondatoré,
Deux frégates non cuirassées : Italia et Duca
di Genova, avec l'aviso Vedetta, croisaient près
des côtes.
Telle était la position de l'armée piémontaise
au commencement de l'invasion. Rome était donc
cernée de toutes parts
Maintenant, quels moyens ou quelles ressources
Pie IX, le roi envahi, avait-il à sa disposition pour
défendre son territoire de cinquante lieues de lon-
gueur sur quinze de largeur. en moyenne, formant
onze mille sept cent quatre-vingt-dix kilomètres
carrés en superficie ? Treize mille six cent quatre-
vingt-quatre hommes de troupes, chiffre officiel,
et encore disséminés dans les cinq provinces
romaines, savoir : ~
Velletri, Frosinone, Viterbe, Civita-Vecchia et
Comarca. Plusieurs bataillons se trouvaient à
Rome dans le moment pour protéger le Saint-Père.
Défendre cinq provinces avec une poignée d'hom-
mes contre trois corps d'armée, c'eut été une folie
et un sacrifice inutile de vies. Aussi, le général
— 208 —
Kanzler, pro-ministre des armes, donna-t-il l'ordre
d'abandonner les provinces à l'approche de l'en-
nemi et de converger vers Rome, tout en laissant
aux commandants la latitude de faire une " hono-
rable résistance." Ces ordres furent ponctuelle-
ment exécutés, comme nous le verrons dans le
cours de ce récit.
Je me bornerai à relater ici la célèbre retraite
de la province de Viterbe, dans laquelle les
zouaves, commandés par le baron de Charette, ont
joué un si grand rôle. Je puis garantir de l'exac-
titude des faits, car je les ai entendu raconter par
plusieurs zouaves qui faisaient partie de cette
expédition ; et j'ai consulté aussi l'histoire de l'in-
vasion des Etats de l'Eglise par le Comte de
Beaufoit, témoin oculaire du vol commis par
Victor-Emmauuel.
Bixio, l'ancien lieutenant de Garibaldi, s'empare
d'abord de Bagnorea, le i i de septembre, comme
nous l'avons dit précédemment. Cette ville n'était
défendue que par vingt zouaves, commandés par
le lieutenant de Kervyn. Ce dernier, averti à trois
heures, par un courrier de Capraccîa, que l'ennemi
s'avance, prend alors le parti de se replier sur Monte -
fiascone ; mais trompé par les faux rapports d'un
officier de zouaves qui avait été lui-même mal ren-
seigné, il retarde le départ, et, surpris parles Pié-
— 209 —
montais, il est fait prisonnier avec son détachement.
Les zouaves déposent leurs armes en pleurant et
sont cowduits prisonniers au camp de Bixio. On
les promena ensuite à travers l'Italie, dit M. de
Beaufort, en butte aux mauvais traitements de
leurs vainqueurs et aux insultes d'une lâche po-
pulace.
Les Italiens marchent tout de suite sur Montefias-
cone qu'ilscroientsurprendre ; mais le commandant
de Saisy, avec ses deux compagnies de zouaves,
ayant reçu la veille l'ordre de se replier sur Viterbe
au dernier moment et sans engager d'action, quitte
cette ville à dix heures du soir au moment où
l'armée piémontaise pénètre dans Montefiascone
par une porte opposés, et arrive à Viterbe la même
nuit, sans avoir été inquiété dans sa retraite. Du
reste, M. de Saisy avait pris ses mesures pour pro-
téger sa petite colonne en la flanquant de tirail-
leurs. L'arrivée de ces deux compagnies de zouaves
à Viterbe fut saluée .par les cris de " Vive Pie IX ! "
Bixio passe la nuit à Montefiascone. Une partie
de son armée entre dans la ville, et l'autre partie
campe dans la plaine.
Le lendemain, Bixio lève le camp; mais au
lieu de marcher sur Viterbe, et pour couper la
retraite à de Charette, il prend un ehemin à
droite, vers Marta, et se dirige vers Civita-Vecchla
— 210 —
par la route de Toscanella et de Corneto, en
laissant un bataillon derrière lui.
Le baron de Charette, qui avait été mis au fait
de la démarche du comte de Ponza di San-
Martino, avait averti tous les avant-postes de se
tenir prêts à se replier en cas d'attaque ; et tous
les détachements avaient obéi à ses ordres. Les
deux mille hommes, échelonnés dans la province
de Viterbe, étaient donc alors réunis sous le com-
mandement du brave lieutenant-colonel. Mais
quel parti prendre dans cette situation périlleuse ?
Combattre ou retraiter, pas d'autre issue. De
Charette, après avoir mûrement réfléchi, se décide
à la retraite tout en se préparant à faire une
" honorable résistance ", suivant les instructions
émanées du ministère de la guerre. Pour exécuter
cette entreprise hardie, de Charette n'avait plus
le choix des routes. Cadorna devait nécessairement
bloquer la route la plus directe, celle de Ronci-
glione et de Monterosi. Il ne restait donc que
celle de Civita-Vecchîa par Vetralla ; c'était par-
courir la base d'un triangle dont Rome occupait
le sommet. Mais il fallait bien passer par là pour
ne pas tomber entre les mains de l'ennemi et priver
ainsi Rome de l'élite de ses troupes.
Ce parti pris, de Charette se prépare à la
retraite. Mais pour ne pas paraître fuir devant
— 211 —
l'ennemi et lui laisser le champ libre, il prend donc
la résolution de se fortifier à Viterbe, et d'y
attendre les Piémontais. Le 1 2, à sept heures du
matin, les barricades et les autres travaux de forti-
fication sont terminés. En un mot, la ville est mise
en état de défense. De Charette, placé dans l'obser-
vatoire établi dans la tour de la caserne, examine
les mouvements de l'ennemi qui était campe
sur les hauteurs de Montefiascone et à Bagnoli, à
droite de Montefiascone et à six milles environ de
Viterbe. Vers dix heures et demie, le brave com-
mandant des zouaves voit une colonne piémontaise
lever le camp et se diriger vers Toscanella et Car-
canello dans le but évident de couper la route de
Corneto, et une autre colonne se porter sur Viterbe.
En même temps des paysans arrivent à Viterbe
et préviennent de Charette que deux colonnes du
corps de Cadorna s'avancent du côté d'Orte et
de Soriano. Quelques minutes s'étaient à peine
écoulées, quejes zouaves aperçoivent distinctement
l'ennemi sur la route de Ronciglione.
Il n'y avait plus à retarder le départ, sans être
complètement investi. De Charette assemble alors
un conseil de guerre, et il est résolu d'évacuer
Viterbe. Des ordres sont alors donnés aux officiers,
et les troupes pontificales abandonnent Viterbe ai
se retirent à un mille et demi de cette ville, an
— 212 —
casino Polidori. Les habitants saluent leur départ
par les cris de " Coraggio, zuavi ! Comggio, figli /
Courage, zouaves ! courage, enfants ! " Encore un
démenti à la lettre de Victor-Emmanuel. Cette
décision avait été prise pour donner le temps aux
autres détachements de se réunir à la colonne
principale. Toute la petite armée pontificale se
trouvait au casino Polidori, à l'exception de quel-
ques vedettes et de douze hommes de garde au
poste de la Place, qui avaient été faits prisonniers,
parce que l'ordre de la retraite avait été mal
compris.
De Charette donne alors le commandement de
marche en avant ; il était temps : l'une des colonnes
ennemies était arrivée à la Mercia ; celle qui venait
de Soriano n'était plus qu'à un mille de la porte
Romaine et à quelques cents mètres de la porte
Florentine. Les pontificaux prennent la route de
Vetralla, où ils arrivent à six heures du soir. Deux
heures avant d'atteindre Vetralla, des cavaliers
piémontais ont rejoint la troupe pontificale ;
mais ils sont obligés de rebrousser chemin en
voyant l'attitude menaçante des zouaves. De Cha-
rette trouve en cette ville les gendarmes de Ronci-
glione, de Sutri, de Capranica-di-Sutri, de San-
Giovanni-di-Bieda, etc. On passe la nuit à Vetralla,
sans être molesté par l'ennemi. Deux compagnies
— 213 —
de zouaves gardaient la route de Viterbe, et des
piquets assez nombreux couvraient la route de
Sutri.
Le 1 3, à 6 heures du matin, la petite troupe
pontificale sort de Vetralla pour se diriger vers
Monte-Romano. Il faisait une chaleur excessive.
A six milles avant d'arriver à Monte-Romano, on
rencontre un chemin à gauche près de Cinella,
qui conduit à l'Allumiera, et, de là à Civita-Vec-
chia. Cette route paraît la plus sûre ; mais de
Charette préfère suivre la voie de Monte-Romano,
comme étant la meilleure et la plus directe. A
dix heures, l'armée fait son entrée à Monte-
Romano au milieu des vivats de la population.
On accorde quelques heures de repos aux soldats
avant de commencer la célèbre retraite de Veterbe
proprement dite. Les hommes tombent de
fatigue ; une soif dévorante les brûle ; et pour-
tant ils sont encore pleins de courage. De
temps 4 autre on les entend s'écrier : " Vive
Pie IX ! ! " Après avoir repris un peu de force, il
faut se remettre en marche ; mais la route qui
conduit de cette ville à Corneto est déjà occupée
par les Piémontais.
"Essayer, dit M. de Beaufort, de forcer le pas-
sage eût été téméraire, vu l'infériorité numérique
des troupes romaines et la forte position de Bixio
— 214 —
à Corneto. Si l'on était forcé de combattre pour
s'ouvrir la route, mieux valait le faire le plus près
possible de Civita-Vecchia, où l'on trouverait
des soutiens et un asile ; il fallait donc gagner
Civita-Vecchia le plus tôt possible ; pour cela on
n'avait qu'une route longue, difficile, passant près
de l'ennemi à travers des montagnes escarpées,
inconnues, et c'était pendant la nuit qu'on devait
la suivre. Pour préparer les hommes à cette
fatigue, on leur accorde quelques heures de repos.
Charette en profite pour compléter ses renseigne-
ments et en faire part aux officiers de son détache-
ment, dans un conseil de guerre, où il décide la
marche sur Civita-Vecchia. Il se procure aussi un
guide, et accepte à ce titre un guardiano qui s'offre
et servit bien.
"Le temps presse cependant. La troupe s'étant
un peu reposée, M. de Charette adresse quelques
mots à ses soldats, et, sans même avoir le temps
d'achever le repas commencé, par une accablante
chaleur, et aux cris de " Vive Fie IX ! " on com-
mence, vers trois heures et demie, cette retraite de
douze heures, qui ne devait finir qu'à Civita-
Vecchia, et qui serait admirée comme elle le
mérite si, exécutée en un autre temps, elle eût
trouvé un historien digne d'elle.
" A quelque distance de Monte-Romano, il fal-
— 215 —
lait quitter la grande route pour se jeter à gauche
dans la traverse. Le chemin que l'on prit, mauvais
dès l'abord, était cependant praticable. Au bout
de quelques milles, il cesse complètement ; c'est
à gué, et de l'eau jusqu'au dessus du genou, qu'on
passe le petit fleuve du Mignone ; puis, on se
trouve en pleine montagne, dans des sentiers bons
seulement pour des bêtes de somme. C'est pour-
tant le seul chemin possible pour la colonne ; il
faut y faire passer l'artillerie ; et avec le jour qui
baisse augmentent les difficultés. Tantôt descen-
dant au fond des ravins escarpés, tantôt gravissant
des pentes abruptes, tantôt par de brusques détours
contournant des saillies de rochers, gênés par
l'inégalité même d'un sol raboteux, hérissé de
pierres aux arêtes vives, on triomphe de tous les
obstacles. On avance, là même où la marche sem-
ble impossible ; quand les deux canons et la
mitrailleuse ne peuvent passer, on leur attache de
cordes et on les hisse à force de bras. Deux fois
ainsi, l'on doit monter séparément les caissons et
les pièces ; ailleurs il faut aux six chevaux d'atte-
lage joindre une vingtaine de soldats. Pour les
bagages, il en est de même, et parfois on doit les
transporter et enlever en quelque sorte les chariots.
Un ou deux se brisent, qu'on abandonne ; les
autres passent, ainsi que les canons, grâce -aux
IL
— 216 —
efforts soutenus de la troupe. Les hommes tom-
bent de fatigue, mais aucun ne se plaint ; et le
courage leur donne une force nouvelle, maintenu
per le bon esprit de tous, et l'énergie que savent
inspirer le lieutenant-colonel de Charette et le
lieutenant d'artillerie Maldura.
" On avait encore à courir un autre risque : une
fois, dans la nuit, on aperçut du sommet d'une
hauteur les feux de nombreux bivouacs ennemis
entre Corneto et Civita-Vecchia. Ils étaient encore
éloignés ; mais la route s'en approchait. A force
d'efforts, on avait, en continuant cette marche
nocturne, gagné Allumiera et rejoint la route allant
de Bracciano à Civita-Vecchia ; mais bientôt on
vit qu'en la suivant on tomberait au milieu des
Italiens ; on était même si près d'eux qu'il n'était
pas certain qu'on pût éviter leur rencontre. On
fait une halte un instant ; Charette donne à voix
basse ses instructions aux officiers pour le cas
d'une attaque, et échange avec eux une poignée
de main d'adieu ; puis, quittant de nouveau la
route frayée que suivent seuls les bagages et leur
garde, on se jette à travers les champs, traînant
encore les canons sur un sol parsemé de rochers
jetés en désordre, et marchant ainsi en ligne droite
et le plus vite possible dans la direction de Civita-
Vecchia.
— 217 —
" Tant d'efforts furent récompensés, et l'ennemi
ne s'aperçut pas de la proximité des pontificaux.
Bixio se promettait bien cependant de leur couper
le passage. Il avait occupé par ses troupes la route
de Corneto à Monte-Romano et le pont du
Mignone, où il les attendait au passage. Ce qu'il
n'avait pas prévu, c'est que des chemins imprati-
cables les déroberaient à son atteinte.
" Vers deux heures du matin, la petite troupe
romaine entendit un bruit lointain : c'était celui
de la mer, on approchait de Civita-Vecchia. Tout
n'était pas sauvé encore, et des fusées que l'on vit
alors s'élever au-dessus de la ville, dans le ciel
encore sombre, et dont le sens était connue, don-
nèrent bien quelques inquiétudes ; mais celles-ci
ne furent pas confirmées. La marche se poursuivit
heureusement ; à trois heures, l'avant - garde
atteignit les portes de la ville, et le reste de la
colonne arriva à trois heures et demie dans Civita-
Vecchia ; elle était~en sûretée ....
" Pendant que les troupes de la province de
Viterbe effectuaient avec tant de bonheur une
retraite si périlleuse, le général Bixio, que nous
avons laissé à Corneto avec sa division, y atten-
dait toujours la colonne pontificale. Il y demeura
jusqu'au soir du 14. Ce jour-là cependant, il avait
poussé sa cavalerie et les bersaglieri jusqu'en vue
10
— 218 —
de Civita-Vecchia, et ayant enfin appris que ceux
qu'il attendait lui avaient échappé, il ne songea
plus qu'à s'emparer de Civita-Vecchia. La flotte
italienne étant venue dans la journée sous Corneto,
au Porto-Clementino, Bixio alla, vers deux heures
et demie, à bord du vaisseau-amiral Roma, se con-
certer avec l'amiral del Carretto pour le siège de
la place, et se portant enfin lui-même en avant, le
15, il établissait son quartier-général à Torre-
Orlando, devant Civita-Vecchia. . . .
" Vers le même temps, (au moment où Bixio
eut un entretien avec le contre-amiral del Carretto)
le lieutenant-colonel de Charette partait avec ses
troupes. Les zouaves de la garnison de Civita-
Vecchia avaient un moment espéré voir leurs
camarades demeurer avec eux ; mais, comme il
s'y attendait, et en réponse à un télégramme
envoyé par lui, le commandant des troupes de
Viterbe avait reçu à huit heures et demie une
dépêche qui le rappelait à Rome avec son déta-
chement. Il laissa seulement à Civita-Vecchia la
compagnie venue de Valentano (2e du IV) et, à
sa place, emmena avec lui la première compagnie
de dépôt de zouaves. Le train qu'il prit était le
train ordinaire de Civita-Vecchia à Rome. Entre
la première de ces deux villes et une station voi-
sine, il y eut un instant de sérieuse crainte. Le
— 219 —
chemin de fer côtoyait de très près le rivage, et
Ton vit â une faible portée de terre une frégate
ennemie embossée, et qui semblait prête à prendre
en écharpe'le train à son passage. Le danger était
réel et grand ; mais on n'en eut que la crainte ;
la présence de voyageurs civils dans le convoi et
la certitude de tirer sur eux en même temps que
sur les troupes, arrêtèrent-elles la frégate italienne ?
Celle-ci ignora-t-elle que nos soldats étaient dans
le train, crut-elle qu'ils allaient suivre dans un
train spécial, ou bien n'eut-elle pas d'ordres ?
Quoiqu'il en soit, le convoi poursuivit sa marche,
et fut bientôt hors de portée ; on arriva ainsi jus-
qu'aux environs de Rome. Au pont du Tibre, le
train s'arrêta ; le triste souvenir de la caserne
Serristori et de tentatives analogues faisait craindre
que des mains coupables n'eussent essayé de miner
le pont pour le faire sauter au moment du pas-
sage des troupes. Celles-ci descendirent du train
qui poursuivit sans elles, et, suivant la rive droite,
elles entrèrent dans Rome par la porte Portèse.
L'anxiété sur leur sort n'avait pas été moindre à
Rome qu'à Civita-Vecchia ; la joie de les revoir
y fut égale. Le pro-ministre des armes les atten-
dait lui-même à la porte, avec sa famille ; et ce
fut au milieu des vivats et d'acclamations pous-
sés par les troupes rangées près des murailles, et
— 220 —
par le peuple répandu dans les rues, que nos sol-
dats de Viterbe firent leur entrée dans la capitale,
où bientôt ils durent se rendre aux postes de
combat qu'on leur avait assignés. ♦
Les jours suivants furent consacrés aux prépa-
ratifs de défense et d'attaque. Presque toute l'armée
pontificale avait pu retraiter sur Rome ; quelques
détachements isolés, mais peu nombreux, avaient
été faits prisonniers.
Les soldats pontificaux étaient échelonnés au-
tour de Rome, en dedans des murs.
Le 20 septembre, l'armée piémontaise envelop-
pait la Ville éternelle dans un cercle de feu. Le
général Cadorna avait placé les XIe et XIL divi-
sions et la réserve au nord -est de la ville, en face
des portes Pia et Salara ; Ferrero se trouvait à
l'est, près de la porte Majeure ; Angioletti devait
attaquer le sud vers la porte Latine, et Rixio
Bixio était chargé de la partie qui fait face au
Transtévère.
A cinq heures et dix minutes, le premier coup
de canon est tiré par l'ennemi, et un boulet vient
frapper le mur à droite de la porte Pia. C'est le
signal du, combat. Bientôt, la fusillade devient
générale. Les Italiens sont moi.ssonnés par la mort,
tandis que les Pontificaux n'éprouvent que des
pertes insignifiantes. Malgré le courage des assié-
— 221 —
gés, l'armée ennemie pratique une brèche dans le
mur qui avoisine la porte Pia. Le général Kanzler
envoie un rapport au Saint-Père. Ce dernier, pour
éviter une plus grande effusion de sang, arbore le
drapeau blanc à dix heures et dix minutes.
L'armée pontificale obéit au successeur de Pierre ;
elle cesse le combat et se dirige vers la cité Léonine.
Rome capitule et tombe au pouvoir du Piémont.
Je ne vous parlerai pas des scènes dégoûtantes,
et indignes d'un peuple civilisé, qui ont eu lieu
après la capitulation. Je me contenterai de dire
que les Italiens ont manqué à toutes les lois de
l'honneur et qu'ils se sont conduits comme les
barbares du temps d'Attila. -<
Nos pertes, dans cette journée tout à fait
glorieuse pour les soldats du Pape, s'élevèrent à
seize tués et cinquante-huit blessés ; celles de
l'ennemi dépassèrent mille, tués ou blessés. Un
écrivain allemand a dit: "La perte de l'ennemi
devant Rome, le 20, monte environ à deux mille
hommes tués ou blessés. Je sais ce que je dis et
pourquoi je le dis ; je sais aussi combien le Piémont
a donné dans ses journaux des pertes menson-
gèrement petites ; mon calcul s'appuie sur le dire
des soldats ennemis." Je crois néanmoins que ce
calcul est un peu exagéré.
Jetons un regard en arrière, et voyons ce que
— 222 —
fait le Pape pendant que les Italiens bombardent
Rome.
A sept heures et demie, Notre Saint- Père célèbre
le sacrifice divin suivant sa coutume ; il entend
ensuite une seconde messe et reste en prières jus-
que vers neuf heures. L'illustre Pontife passe alors
dans sa bibliothèque particulière, où étaient réunis
les membres du corps diplomatique, au nombre de
dix-sept. Pie IX dit quelques mots aux ambassa-
deurs, mais sa voix est entre-coupée par des san-
glots. Nous nous faisons un devoir de citer quel-
ques-unes de ses admirables paroles :
" Le corps diplomatique s'est, une autre fois,
" réuni autour de moi dans une circonstance
" pareille ; c'était au Quirinal ....
u J'ai écrit au roi ; je ne sais s'il a reçu ma
" lettre ; je l'avais envoyée cependant sous l'adresse
" de son ministre des affaires étrangères. Je pense
" qu'elle lui sera parvenue, mais je n'en sais rien.
" Bixio, le fameux Bixio, est là avec l'armée
" italienne. Aujourd'hui il est général. Bixio, du
" temps où il était républicain, avait formé le
" projet de jeter dans le Tibre, quand il entrerait
" dans Rome, le Pape et les cardinaux .... Il est
" là, à la porte San-Pancrazio ; ce côté-là est le
" plus exposé. Il y a des maisons qui souffriront,
" entre autres celle de Torlonia. Les souvenirs du
— 223 —
" Tasse courent beaucoup de risques avec les libé-
" rateurs de l'Italie ; mais ces gens-là s'en inquiètent
peu ....
" Hier, j'ai été à la maison où fut condamné
" Jésus-Christ ; j'ai monté la Sacla-Santa, et c'était
" avec beaucoup de peine, et j'avais un soutien ;
" enfin j'y suis parvenu. C'est cet escalier qu'il a
" monté pour être condamné. En le montant, je
" me disais : peut-être demain moi aussi je serai
" condamné par les catholiques d'Italie, jilii matris
" tneœ pugiiaverunt contra me. Il me faut beau-
" coup de force, et Dieu me la donne ! Deo grattas !
" Les élèves du séminaire américain m'ont
demandé de prendre les armes, mais je les ai
" remerciés, et je leur ai dit de se joindre à ceux
" qui soignent les blessés.
" Voici maintenant que Rome est enveloppée
" et que l'on commence à manquer de beaucoup
" de choses. . . .
" Hier, en revenant de la Scala-Santa, j'ai vu
4< tous les drapeaux que l'on a mis dans Rome pour
" se protéger. Il y en a des anglais, des améri-
" cains, des allemands, même des turcs. Le prince
" Doria en a mis un anglais, je ne sais pourquoi.
" Quand je suis revenu de Gaète, ajouta triste -
" ment le Pontife, j'ai vu aussi sur mon passage
" beaucoup de drapeaux qui avaient été mis en
— 224— •
u mon honneur. Aujourd'hui, c'est différent ; ce
" n'est pas pour moi qu'on les a mis.
" Ce n'est pas la fine fleur de la société qui
" accompagne les Italiens quand ils attaquent le
" Père des catholiques ; c'est une miniature de ce
" que faisaient les jeunes Romains qui se rendirent
" au camp des Césars quand il passa le Rubicon.
" Le Rubicon est passé .... Fiat voluntas tua in
" cœlo et in terra .... Poi viene il codice dei fatti
" compiuti"
Après avoir fait arborer le drapeau de la paix,
Sa Sainteté dit au corps diplomatique :
" Je viens de donner l'ordre de capituler. On ne
" pourrait plus se défendre sans répandre beaucoup
" de sang, ce que je ne veux pas. Je ne vous parle
" pas de moi ; ce n'est pas pour moi que je pleure,
" mais sur ces pauvres enfants qui sont venus me
" défendre comme leur Père. Vous vous occuperez
" chacun de ceux de votre pays. Il y en a de toutes
" les nations. . . . Pensez aussi, je vous prie, aux
" Anglais et aux Canadiens, dont personne ne
" représente les intérêts ici .... "
" Je vous les recommande, je vous les recom-
" mande tous, pour que vous les préserviez des
" mauvais traitements dont d'autres (en 1860)
eurent tant à souffrir, il y a quelques années.
" Je délie mes soldats du serment de fidélité
I
— 225 —
!" qu'ils ont fait, afin de leur laisser leur liberté."
Le PonHfe-Roi congédia ensuite les membres
du corps diplomatique ; il pleurait comme un
enfant.
La capitulation dont vient de parler Pie IX, se
lit comme suit :
Capitulation pour la reddition de la place de Ro?ne,
stipulée entre le commandant général de S. M. le
roi d'Italie et le commandant général des troupes
pontificales, respectivement représentés par les
soussignés.
Villa Albani, 20 septembre 1870.
I. — La ville de Rome (sauf la partie qui est
limitée au sud par les bastions de San-Spirito, et
comprend le mont Vatican et le château Saint-
Ange, et constitue la cité Léonine) son armement
eomplet, drapeaux, armes, magasins de poudre,
tous les objets, appartenant au gouvernement,
seront remis aux troupes de S. M. le roi d'Italie.
II. — Toute la garnison de la place sortira avec
les honneurs de la guerre, emportant ses drapeaux,
armes et bagages. Les honneurs militaires une
fois rendus, elle déposera les drapeaux, les armes,
à l'exception des officiers qui garderont leur épée,
leurs chevaux et tout ce qu'il leur appartient. Les
troupes étrangères sortiront les premières ; les
— 226 —
autres suivront selon leur ordre de bataille, la
gauche en tête. La sortie de la garnison aura lieu
demain matin, à 7 heures.
III. — Toutes les troupes étrangères seront licen-
ciées et les soldats renvoyés immédiatement dans
leurs foyers par les soins du gouvernement italien,
qui les dirigera dès demain par le chemin de fer
vers la frontière de leur pays. Le gouvernement a
la faculté de prendre ou non en considération les
droits de pension que ces troupes pourraient avoir
stipulés avec le gouvernement pontifical.
IV. — Les troupes indigènes seront constituées
en dépôt sans armes, avec les allocations qu'elles
ont actuellement. Le gouvernement du roi se
réserve de statuer sur leur position future.
V. — Elles seront envoyées à Civita - Vecchia
dans la journée de demain.
VI. — Les deux parties nommeront une com-
mission composée d'un officier d'artillerie, d'un
officier du génie et d'un fonctionnaire d'intendance,
pour la remise dont il est question à l'article 1er.
Pour la place de Rome :
Le chef d'état-major : — RlVALTA.
Pour V armée italienne :
Le chef d'état-major : — D. PRIMERANO.
— 22Ï —
Le lieutenant-général commandant le IVe corps
d'armée : — Cadorna.
Vu, ratifié et approuvé :
Le général commandant les armes de Rome. —
Kanzler.
Le lendemain, 2 1 septembre, jour si tristement
mémorable, le général Kanzler annonce le licen-
ciement de l'armée romaine dans les termes sui-
vants :
" Officiers, sous-officiers et soldats !
" Le moment fatal est venu, où nous devons
nous séparer et abandonner par la force ce service
du Saint-Siège, qui, plus que tout au monde, nous
tient tant à cœur !
" Rome est tombée ! mais, grâce à votre cou-
rage, à votre fidélité, à votre admirable union, elle
est tombée avec honneur.
" Quelques-uns d'entre vous se plaindront sans
doute de ce que la défense n'ait pas été plus pro-
longée ; mais une lettre de Sa Sainteté éclaicira
tout. Ce témoignage de l'auguste Pontife sera la
consolation de tous, et la plus belle récompense
que nous puissions obtenir dans les circonstances
actuelles. Je dois également vous faire connaître
que séparée, par la violence, de son armée, Sa
Sainteté a daigné vous délier de tous vos serments
militaires.
— 228 —
" Adieu, mes chers compagnons d'armes ! N'ou-
bliez pas votre chef, qui conservera de vous tous
un grand et impérissable souvenir.
" Rome, 21 septembre 1870,
" Le général pro-ministre des armes,
" Kanzler."
Le colonel Allet adresse aussi quelques paroles
d'adieu à ses chers enfants, et l'heure de la sépa-
ration est enfin arrivée. Mais il se passe alors une
scène que tous ceux qui en ont été les témoins,
n'oublieront jamais. Tous les soldats pontificaux
auraient désiré voir encore une fois leur Père bien-
aimé, et cette faveur allait leur être refusée, puis-
que l'ordre de se mettre en marche était donné,
lorsque tout à coup une fenêtre du Vatican s'ouvre,
et l'on voit apparaître le véritable Roi de Rome.
Levant les bras vers le ciel, Pie IX commence la
bénédiction solennelle " Benedictio Dei omnipo-
tentisr Le cri de " Vive Pie IX"! s'échappe de
toutes les poitrines ; .les uns lancent leurs képis en
l'air, d'autres présentent les armes.
Des balcons des résidences qui entourent la
place St-Pierre, des milliers de personnes répètent
" Vive Notre Saint-Père ! Vive le Pape ! Vive Pie
IX,notre roi !" C'en est trop pour le cœur du Sou-
verain-Pontife. Succombant à l'émotion qui le suf-
— 229 —
foque, il tombe évanoui dans les bras de ceux qui
l'environnent. La fenêtre se ferme, et les soldats
pontificaux prennent la route de leur pays, en
versant d'abondantes larmes sur le sort de l'auguste
prisonnier du Vatican.
Le second acte étant terminé, la toile tombe.
Nous sommes donc rendu au troisième et der-
nier acte, la votation ou le plébiscite. Quelques
lignes suffiront pour démontrer la monstruosité
des procédés employés en cette circonstance.
Le 2 octobre avait été choisi pour accomplir
cet acte de bouffonnerie. Affiches mensongères,
menaces, bulletins forgés ; tout a été employé par
les partisans de la Révolution pour obtenir un
vote unanime et faire comprendre aux autres
nations que le peuple romain acceptait avec joie
le joug de Victor-Emmanuel, roi d'Italie. Le
Capitole de Manlius était l'endroit où avait été
déposée l'immense urne destinée à recueillir les
bulletins. Dans les'autres quartiers de la ville, on
avait établi des bureaux spéciaux pour faciliter la
votation.
* Notre Saint-Père avait conseillé aux catholiques
de ne pas prendre part au plébiscite.
A six heures etdemiedu soir, la votation était ter-
minée, et le dépouillement des bulletins fit connaître
que Victor-Emmanuel était aimé par tout le peuple
r
— 230 —
romain. Véritable comédie s'il en fut jamais, car
sur les 167,548 électeurs inscrits, il n'y eut que
135,271 votants; et, parmi ceux-ci, la plupart
avaient été importés des autres parties de l'Italie
et recrutés parmi la canaille qui, tout en n'ayant
pas droit de vote, déposait dans l'urne cinq ou
six bulletins.
Tel est le résultat du plébiscite de 1870. Les
révolutionnaires peuvent s'en réjouir, mais les
catholiques le regardent comme une moquerie.
Le drame est maintenant joué. Victor-Emma-
nuel s'empare définitivement des Etats de l'Eglise
et s'installe au Quirinal, â Rome. Pie IX, le roi
légitime, est dépouillé de sa couronne et retenu
prisonnier dans le Vatican.
CHAPITRE XXII,
LES ZOUAVES PONTIFICAUX CANADIENS.
On dit généralement qu'on n'est pas bon juge
dans sa propre cause. Je suis de cet avis, et voilà
pourquoi je ne donnerai aucune appréciation tou-
chant les zouaves canadiens, j'aurais bien droit
de réfuter les calomnies qui ont été inventées sur
notre compte par des révolutionnaires qui nous
traitaient de mercenaires, et même par quelques-
uns de nos compatriotes, par des Canadiens-
français — heureusement, ils sont très rares.
Mais je laisserai parler des personnes qu'on ne
pourra pas taxer de partialité. Je citerai d'abord
des extraits de trois lettres que Mgr. Bourget,
alors évêque de Montréal, écrivait à l'adminis-
trateur de son diocèse, aux mois de mars et d'avril
1869, lorsque Sa Grandeur se trouvait à Rome :
"M. l'administrateur,
" Nous sommes à Rome depuis le 1 3 février,
comme vous l'avez déjà appris par nos lettres
précédentes ; et je puis vous l'assurer, nous
n'avons pas perdu notre temps, quoi qu'ici il ne
soit pas possible de travailler comme à Montréal.
— 232 —
Le temps passe vite tout de même, et à la fin,
l'on se trouve peu avancé en besogne, quand on a
fini sa journée.
Je puis toutefois vous parler, avec connaissance
de cause, de nos chers zouaves canadiens qui, en
Canada, sont l'objet de tant de préoccupations,
parce qu'ils remplissent à Rome une mission qui,
plus que jamais, me paraît providentielle, par les
résultats qui peuvent s'ensuivre pour le Saint-
Siège, comme pour eux-mêmes et pour notre
patrie.
Je viens donc vous en dire quelque chose aujour-
d'hui, et je puis vous assurer que je parle d'après
ce que j'ai vu de mes yeux et entendu de mes
oreilles. Car depuis cinq semaines que nous som-
mes arrivés dans cette ville, nous avons eu, mes
compagnons de voyage et moi, de continuels
rapports avec ces bons enfants. Nous nous sommes
vus presque tous les jours, soit à leur cercle, soit
dans nos chambres. Nous avons assisté fréquem-
ment à leurs réunions du soir, et bien souvent
nous les avons * rencontrés le jour. Nous avons
pris plaisir à leur faire raconter toutes les aventures
de leur vie de soldats, et nons avons pu apprécier,
à leur juste valeur, les bons sentiments qui les
animent. Nous nous sommes associés de bon cœur
à leurs jouissances de familles, quand on leur a
— 233 —
distribué les lettres et les cadeaux dont nous
étions si heureusement les porteurs.
En vous adressant la présente, c'est à tous ceux
qui s'intéressent à ces jeunes compatriotes que
j'écris, à leurs parents surtout qui ont si généreu-
sement sacrifié leurs enfants pour la défense du
Père commun, et au comité des zouaves si vive-
ment intéressé à ce que ces enfants du sol fassent,
par leur bonne conduite, honneur à leur patrie. £/
Au reste, en leur donnant les détails contenus
dans la présente, je ne fais qu'accomplir un devoir
bien légitime, car, en élevant la voix, pour les
inviter à se mettre à contribution pour une œuvre
qui, dès son début, paraissait hérissée de difficultés,
j'assumais évidemment une très grande responsa-
bilité aux yeux de la religion et de la patrie.
Aussi, était-ce pour moi, comme c'est encore au-
jourd'hui, un sujet de préoccupations bien natu-
relles. Je soulage donc mon cœur d'un lourd
fardeau, en leur donnant des renseignements qui
seront pour tous de bonnes et joyeuses nouvelles.
Je ne serai d'ailleurs que l'écho de beaucoup de
voix qui ont déjà proclamé, dans tout le Canada
et dans beaucoup d'autres pays, ce que j'ai à dire ici.
i ° Leur bonne conduite. — Il n'y a là-dessus
qu'une voix, et tous ceux que j'ai vus jusqu'ici ont
été unanimes à me faire l'éloge des zouaves
J
— 234 —
canadiens. On admire l'esprit de foi, de piété, de
religion, d'obéissance qui les anime. On les trouve
bons, honnêtes et bien élevés. Leur tenue, leur
propreté, leur dextérité ont quelque chose qui les
distingue.
Cette bonne conduite les met en honneur par-
tout et leur mérite l'estime dont ils jouissent
généralement. A l'audience qu'il nous donna quel-
ques jours après notre arrivée à Rome, le Saint-
Père nous parla de nos zouaves en termes bien
flatteurs et qui exprimaient l'affection qu'il leur
portait. Lorsque je voulus, au nom de leurs parejnts
et du pays tout entier, le remercier des bontés et
des faveurs dont il comblait ces jeunes Canadiens,
il répondit agréablement que les " faveurs étaient
pour lui." S'adressant à M. Moreau, il lui dit :
"Ayez bien soin de vos soldats," puis se reprenant
à l'instant, "de nos soldats ; car ce "sont mes
soldats," ajouta-t-il d'une manière fort aimable. Il
se fit un plaisir de nous dire comment, dans la
belle promenade qu'il leur avait fait faire dans son
jardin, il les avait fait arroser, disant avec un
sourire aimable : "Je les ai baptisés, vos Canadiens."
Or, comme chez ce grand pontife tout est signifi-
catif, il est à espérer que cette innocente récréation
porte son fruit, en excitant ces jeunes soldats du
Pape à toujours mener une vie pure et chaste, et a
— 235 —
répandre ainsi, dans la Ville sainte, la bonne odeur
des vertus pariarehales que nous ont léguées nos
pères.
Le lendemain de notre arrivée à Rome ( 1 3
février), nous nous présentâmes chez le cardinal
Antonelli qui, comme tout le monde le sait, a la
tête remplie de tant de choses qui intéressent le
monde entier. Cette fois, il ne nous parla guère
que de nos zouaves. A l'entendre, non-seulement
ils étaient bons, mais les meilleurs de tous. Il nous
rapporta qu'à l'époque de la promotion de M-
Taillefer au grade de sous-lieutenant, on l'avait
fait passer avant un prince qui avait plus de ser-
vice et dont la conduite était très satisfaisante, car
cette promotion a été en même temps une récom-
pense des mérites personnels du nouveau gradé, et
la reconnaissance de la bonne conduite du corps
des Canadiens.
Le général Kanzler, le colonel Allet, le colonel
d'Argy, le lieutenant-colonel de Charette et plu-
sieurs autres officiers de l'armée pontificale, que
j'ai vus tour à tour, n'ont eu que des éloges à faire
de nos compatriotes ; et tous m'ont témoigné leur
désir de grossir leurs bataillons respectifs de nou-
velles recrues faites au Canada. On voudrait les
enrôler dans l'artillerie, dans la légion, dans le
corps des carabiniers, mais les officiers zouaves
— 236 —
prétendent avoir droit d'enregistrer dans leur
corps tous ceux qui seront de nouveau envoyés,
comme renfort à l'armée pontificale, qui en a grand
besoin comme tout le monde en convient.
2° Leur piété. — Elle est vraiment édifiante, je
dois le dire pour la consolation de tous, mais prin-
cipalement des mères chrétiennes et religieuses,
comme sont celles qui ont sacrifié si généreuse-
ment leurs enfants, pour le service de la religion
et la défense de Son Auguste Chef. On se rappelle
avec quel entrain ils firent, l'an dernier, le mois de
Marie qui leur a obtenu tant de grâces, qui les
a soutenus au milieu de leurs dangers, de leurs
peines et de leurs travaux. On se prépare à le
faire cette année avec encore plus de solennité et
de piété. Il en sera de même de la Saint-Jean-
Baptiste qui fut si belle à Rome, l'année dernière,
pour ces vrais enfants du Canada, et qui le sera
encore plus cette année, il faut l'espérer. Un excel-
lent livre, "Notre-Dame des soldats," dont j'ai
donné à chacun un exemplaire, nourrira, je l'es-
père, la vraie dévotion à Marie, qu'ils ont sucée
au sein de leurs mères, et la " Neuvaine à Saint
Jean-Baptiste, " dont j'ai tout exprès apporté avec
moi quelques exemplaires, nous servira à célébrer
en Canadiens pieux et religieux, notre grande et
belle fête nationale.
— 237 —
L'an dernier, comme c'est toujours l'usage dans
l'armée pontificale, ils se préparèrent à faire leurs
pâques, par une retraite de trois jours. Ils en ont
fait autant cette année, et je me suis fait un bonheur
de leur donner moi-même les exercices de cette
retraite, afin de leur parler en père et de leur
rappeler les enseignements qu'ils reçurent, d'abord,
dans leurs familles, puis dans leurs paroisses. Ils
se sont montrés très assidus et m'ont paru pénétrés
des saintes vérités de la foi qui, à Rome plus
qu'ailleurs, sont plus saisissantes et font de plus
vives impressions. Son Em. le cardinal Barnabo
s'est fait comme un honneur de venir couronner,
à Sainte-Brigitte, cette belle retraite, en y venant
dire la messe et leur donner la sainte communion.
Le révérend préfet leur a adressé, au moment
de la communion, une assez longue allocution, qui
les a fort impressionnés, parce qu'en effet elle était
bien émouvante et tout à fait paternelle. Car le
Canada relevant de la S. Congrégation de la Pro-
pagande, l'Eminenf" cardinal, qui en est le préfet,
paraissait bien ému en présence des enfants de ce
pays lointain, à qui il se préparait à distribuer le
pain des forts, afin qu'ils fussent des vaillants sol-
dats au service du Christ et de sa divine religion.
On m'a assuré que dans le corps cks zouaves
canadiens, il en est de très pieux et qui ne secon-
— 238 —
tentent pas de faire leurs pâques, mais qui ont
apporté à Rome la bonne habitude qu'ils avaient
en Canada de communier souvent. C'est ce qu'ils
font en allant recevoir la sainte communion, tantôt
dans une église et tantôt dans une autre, tantôt
pour leurs pères et tantôt pour leurs mères et
autres parents et amis qui portent les noms des
saints auxquels sont dédiées les églises qu'ils aiment
pour cela à fréquenter, afin de s'exciter de plus en
plus à la ferveur. Il en doit être ainsi à en juger
par la piété et le recueillement qu'ils font paraître,
chaque fois que nous les réunissons dans l'église
de Sainte-Brigitte, qu'ils ont adoptée pour leurs
exercices de piété ;
3. Leur piété filiale. — Rien de plus touchant
chez nos zouaves, que leur affection tendre et
filiale pour leurs pères et mères et pour toute la
famille. Le jour de notre arrivée, il faisait beau de
les voir se jeter à genoux, lorsque je leur annonçai
que je leur apportais les bénéditionsde la nouvelle
année qu'ils n'avaient pu recevoir à la maison
paternelle. Ce fut un moment saisissant pour nous,
et je ne puis encore y penser, sans me sentir ému
jusqu'aux larmes. En leur donnant cette bénédic-
tion, je ne faisais en effet que remplir la commis-
sion dont m'avaient chargé les pères et les mères
que j'avaisvus avant mon départ.
— 239 —
Lorsqu'on leur adresse la parole, on est toujours
sûr de captiver leur attention, quand on les ramène
à leurs premières années, quand on leur rappelle
les jouissances de la famille, dans la maison pater-
nelle, quand on leur fait voir que c'est en union
avec tous les proches que l'on fait tel exercice, par
exemple, le mois de Saint-Joseph qui se fait à
Rome dans beaucoup d'églises. Enfin il ne faut
pas parler longtemps, ni frapper bien fort, pour
arriver à leur cœur, quand il s'agit de leurs bons
parents
4° Leur dévouement pour N. S. P. le Pape. —
Par principe de foi, ils sont sincèrement dévoués,
affectionnés, dévots même envers le Père commun
des fidèles. On n'en saurait douter, quand on fait
attention aux sacrifices qu'ils ont dû faire, pour
lui prouver leur attachement filial. Il leur a fallu
en effet s'arracher à la tendresse de leurs parents,
renoncer aux douceurs de la patrie, tourner le dos
à un avenir plus ou moins flatteur, affronter les
dangers d'un climat qu'ont à redouter les étrangers,
embrasser un genre de vie qui a ses souffrances
et ses ennuis, s'assujétir à un régime qui impose
de grandes privations à quiconque n'y est pas
accoutumé, faire de longues et pénibles marches,
sac au dos et l'arme au bras, au risque de s'écor-
eher les pieds en traversant les marais et de
— 240 —
n'avoir la nuit, pour abris, que de misérables
étables ou écuries, exposés à toutes les vents. A
ces souffrances physiques viennent se joindre les
peines morales, les ennuis de la caserne, les
misères de caractères, les brusqueries militaires,
les punitions sévères, surtout quand elles ne sont
pas méritées, auxquelles il faut cependant se sou-
mettre sans réplique, l'assujétissement journalier
aux règles d'une discipline rigoureuse. Tout cela,
et bien d'autres choses encore, froisse et irrite
d'ordinaire des jeunes gens qui ont eu toutes leurs
aises dans la maison paternelle
Lorsqu'ils (les zouaves canadiens) ont à souffrir
quelque mauvais traitement, qu'il leur faut faire
une marche forcée, que la gamelle ne peut suffire
à satisfaire leur appétit dévorant, on les entend
dire : C'est pour la bonne cause ; c'est pour le Pape
que nous souffrons ; et les voilà contents, gais et
joyeux. On nous V avait dit ; nous lavons bien
voulu ; 71 ou s 71 avons donc pas à 7ious plaindre. Au
com77ie7ice77tent cette vie nous paraissait bie7i dure ;
maintenant nous y so77imes faits, et rien 7ie 7ious
coûte. Nous 7iavo)is plus qu'une chose à dési7~er, c'est
de verser notre sa7ig pour le Pape. Nous espérons
bie7i que, pour V amour de 7iotre bo7i Père, nous nous
battrons avant que 7iotre engagement soit fÎ7ii ; et
que nous laissero7is da7is le ci7netière de Sai7it-
— 241 —
Laurent, avant de repartir ; quelques-uns des nôtres,
et que nous ?wns eu retournerons dans notre cher
Canada avec de glorieuses blessures
• ••••••••••••••••••••••••••••••••••••««a
5 ° Leur union fraternelle. — C'est quelque chose
de merveilleux que cette union qui règne entre
tous les zouaves canadiens, qui servent dans l'ar-
mée pontificale. Leurs compagnons d'armes en
sont singulièrement frappés, et ils sont à se de-
mander si, en Canada, il y a un genre de vie
spécial, propre à produire une telle intimité entre
tous les membres de la nation. Les officiers, qui
s'aperçoivent des bons effets qui résultent de cette
union fraternelle, la favorisent autant qu'il est en
leur pouvoir, en ne les dispersant pas trop dans
les différentes compagnies.
D'un autre côté, leur union fraternelle
tes fait respecter, et l'on ne se permettra pas de
les insulter ou maltraiter dans l'intime conviction
où l'on est qu'ils trouveront toujours moyen de se
faire rendre justice, parce que, disent leurs com-
pagnons d'armes, qui touche à l'un touche à tous
les autres
Ce qui les unit si tendrement et si fortement, c'est
qu'il n'y a chez eux qu'un même esprit, pour ne se
regarder tous que comme Canadiens. Ils sont en
effet tous Canadiens, et rien que Canadiens. Aussi
il
— 242 —
point de distinction entre ceux de Ouébec,de Trois-
Rivières, de Saint- Hyacinthe et ceux de Montréal.
6° Leur amour de la patrie. — "Jamais, ne
cessent de répéter nos zouaves, jamais nous
n'avons tant aimé le cher Canada que depuis que
nous l'avons quitté, et que nous avons appris à
l'apprécier, en ta comparant aux autres pays que
l'on nous avait tant vantées."
Cet amour du pays se manifeste dans tous leurs
discours ; et ils en parlent avec tant d'émotion
qu'ils inspirent aux autres la haute idée qu'ils en
ont conçue dans leur première enfance, et qui ne
fait que s'accroître depuis qu'ils en sont éloignés.
Les officiers qui les entendent à tout propos parler
sur ce ton du Canada, en conçoivent le désir d'y
faire un voyage, pour voir de leurs yeux tout ce
que les zouaves leur racontent de leurs pays. //
faut, dit-on dans l'armée pontificale, que le Canada
soit un bien beau pays pour satiacJier ainsi ses
enfants.
Cet attachement à la patrie se manifeste aussi
par les chants patriotiques et religieux qu'ils ont
toujours à la bouche. Les lieux où ils se réunissent,
les routes qu'ils suivent, les provinces qu'ils tra
versent pour se rendre au camp ou en garnison,
retentissent de ces chants joyeux et animés
— 248 —
7° Leur honneur national.— Celui qui, par prin-
cipe d'honneur, ne fait rien aux yeux des hommes
qui puisse le compromettre, est appelé un homme
d'honneur. S'il ne fait rien qui puisse faire mépriser
sa nation, il aura en partage riionneur national ;
mais la religion seule peut inspirer le vrai senti-
ment d'honneur ; et il ne saurait se trouver que
dans la pratique constante des devoirs qu'elle
impose à l'homme du monde, comme à l'homme
de la religion. Autrement il tombera bientôt dans
de pitoyables écarts, qui attireront à lui et à sa
nation, le blâme et le mépris.
Or ce sentiment d'honneur national est très vif
dans le cœur des zouaves canadiens
L'honneur national est, chez nos zouaves, un
sentiment noble qui les entretient dans le devoir,
et une voix sainte, mais éloquente, qui les avertit
de tout ce qu'ils ont à éviter, pour ne pas se com-
promettre. Aussi, vont-ils leur droit chemin, bien
résolus de tout pvrdre sauf V honneur "
Oue vont dire nos détracteurs ?
Continuons.
" Ils (les zouaves canadiens) ne vont pas à Rome,
" disait le Tablet en i S68, lorsque le premier
" détachement se rendait dans la Ville sainte,
" attirés par l'appât du gain, mais pour offrir
" généreusement leurs services au chef de l'Église
— 244 —
" dans la tiibulation et le besoin ; pour grossi* les
" rangs de cette petite, mais vaillante armée, qui
" s'est recrutée dans toutes les parties de la catho-
" licite pour venir former un rempart vivant autour
" du Vénérable Pontife "
L'honorable juge Routhier s'exprimait ainsi dans
le magnifique discours qu'il a prononcé à l'ouver-
ture du congrès catholique tenu à Québec, en 1 8 8 o :
" La France avait un autre devoir découlant de
son alliance : c'était de défendre l'Eglise dans le
danger ; et vous savez que lorsqu'elle y a manqué,
elle a toujours senti le contre-coup des malheurs
de l'Eglise. Il est possible que Dieu nous destine
à ce rôle dans l'avenir comme notre ancienne
mère-patrie, et c'est un des événements les plus
glorieux de notre histoire d'avoir pu déjà figurer à
coté de la France dans les armées de l'Eglise.
** Il y a dix ans que le pontife de Rome a vu ce
spectacle magnifique : la mère et la fille unies
dans le même amour et le même dévouement,
traversant les mers pour la défense de la même
cause et devenant toutes deux sentinelles du Vati-
can ! La mère enseignant à sa fille le dur métier
des armes qu'elle a pratiqué pendant tant de
siècles, et la fille rappelant à sa mère la foi ardente
de ses jeunes années !
— 245 —
" Ce souvenir vous fait tressaillir et produit sans
doute un gonflement d'orgueil dans vos poitrines.
C'est un bonheur pour moi de vous le rappeler en
ce moment où j'aperçois réunis nos excellents
zouaves. Honneur à eux ! puisqu'on offrant géné-
reusement leur vie à l'Eglise de Dieu, ils ont ratifié
et sanctionné de nouveau le pacte sacré qui nous
unit à elle ! "
M. Michel Barsotti, secrétaire du comité supé-
rieur des congres en Toscane, rédacteur en chef
du journal, // Fidèle, et chevalier de l'ordre de
saint Grégoire le Grand, disait dans sa lettre datée
de Luca, 20 mai 1880, en réponse à l'invitation
que le Cercle catholique de Québec lui avait faite
d'assister au congrès, que nous avons mentionné
plus haut :
" La Toscane, le monde catholique tout entier,
n'ont pas oublié que le Canada a envoyé en 1868
et en 1 869 quatre cents de ses enfants a la défense
de la Sainte-Eglise, et de notre regretté Saint-
Père, l'aimable Pie IX.
" Et moi qui ai été témoin de la piété tout à fait
singulière, et du courage héroïque de ces bravt3
zouaves, je m'unis de tout cœur aux catholiques
canadiens rassemblés.
Le président du Cercle Sainte-Catherine de Rici,
— 246 —
à Prato, en Toscane, ne fait qu'une simple allusion
à nos zouaves, mais elle dit beaucoup. Lisez-::
•' Beaucoup de catholiques canadiens furent de
dignes soldats du glorieux Pie IX.
Dans une lettre collective des catholiques de
Modène et de Parmes, adressée au Président du
Cercle catholique de notre ville, on trouve cette
chaleureuse exclamation :
" O Canadiens ! avec quelle joie et quelle recon-
naissance nous nous rappelons vos dignes représen-
tants qui, aux jours de nos plus grands désastres,
étaient accourus à Rome pour y défendre, avec
intrépidité et au prix même de leur vie, ces droits
imprescriptibles et cette liberté sainte ! "
Nous pourrions citer une foule d'autres témoi-
gnages flatteurs, mais nous nous arrêtons ; les vrais
catholiques ont su apprécier, comme il le méritait,
le mouvement des zouaves canadiens.
CHAPITRE XXIII.
LES OFFICIERS DES ZOUAVES PONTIFICAUX.
Je ne vous dirai qu'un mot de nos officiers
supérieurs. Vous les connaissez tous ; leur répu-
tation de soldats catholiques et dévoués au Saint-
Siège a déjà rempli l'univers. J'ai puisé certains
renseignements dans " Nos Croisés." J'ai l'espoir
que notre digne aumônier me pardonnera de bon
cœur ce petit vol.
Le général Kanzler. — Herman Kanzler, général
de l'armée pontificale, est né dans le duché de Bade.
Sa famille ne portait aucun titre de noblesse ;
Kanzler, par ses précieuses qualités, a su s'élever
à la vraie noblesse : celle de l'honneur suivant
les principes de l'Église. Il a passé plusieurs
années au service "du Saint-Siège, et pendant tout
cet intervalle, il s'est distingué par un jugement
supérieur, une bravoure hors ligne et un sang-froid
raisonné.
En 1866', Kanzler a été élevé au poste impor-
tant de général et de pro-ministre des armes à
la place de Monseigneur de Mérode. Cette nomi-
nation fut mal accueillie ; mais le nouveau général
— 248 —
est parvenu à fermer la bouche à ses ennemis par
sa conduite honorable et son exquise politesse
envers tous ses subalternes.
Il serait trop long d'énumérer ici toutes les
batailles dans lesquelles le général Kanzler s'est
couvert de gloire. Les nombreuses décorations,
qu'il porte sur sa poitrine, le prouvent d'une
manière éloquente.
Le général Kanzler possède de grands talents
militaires. Il sut le prouver en maintes circons-
tances. En 1867, à la bataille de Neroîa, il donne
l'ordre au colonel d'Argy, de la légion d'Antibes,
de prendre avec lui deux compagnies, de se rendre
immédiatement à la ville que je viens de nommer,
de battre les insurgés et de rentrer aussitôt dans
Rome. Cet ordre fut ponctuellement exécuté, et
le succès fut complet.
Le général Kanzler estimait beaucoup les
zouaves canadiens, et il le prouva en faisant tous
ses efforts pour augmenter le nombre de nos com-
patriotes dans les rangs de l'armée pontificale. Il
visita deux fois notre Cercle, en compagnie de
Madame Kanzler. Cette dernière est issue d'une
famille romaine, mais elle est française par le cœur.
Elle portait un grand intérêt aux soldats du Pape,
ne cessait de visiter les blessés et de leur prodiguer
les soins les plus tendres.
— 249 —
En général, Herman Kanzler est le vrai modèle
du soldat. Après la prise de Rome, en 1870,
notre général, qui affectionnait sincèrement le Pape,
aima mieux rester au Vatican que de retourner dans
sa famille. Il est encore auprès de Léon XIII.
Dr Courten. — M. de Courten, général de brigade,
est suisse de naissance. Ses qualités principales
sont une grande bravoure, une prudence consommée
et une courtoisie sans borne.
Tous ceux qui ont lu l'histoire de France, se
rappellent sans doute que, sous le règne de Louis
XV, il existait un régiment de Suisses appelé de
Courten. On comptait dans ce régiment trente-
cinq de Courten, dont vingt-deux étaient officiers.
Un jour, Louis XV passait ce régiment en revue.
Il fut telbmjnt frappé du port noble et de l'allure
martiale de ces soldats, qu'il ne pût s'empêcher de
dire en riant au colonel : " Nous irions loin avec
ces gaillards-là " !
Le colonel de Courten lui répondit : " Sire,
peut-être plus loin que nous ne voudrions. "
Le père de Courten — c'est ainsi qu'on désignait
généralement le colonel de ce régiment — était
décoré de la croix de Saint-Louis ; il comptait
trente-deux ans de service ; il avait fait dix-sept
campagnes et avait reçu quatorze blessures.
* —250 —
Notre général de brigade, M. de Courten,
descend de cette illustre famille ; c'est tout dire.
Colonel Ai/et. — Tout le régiment des zouaves
pontificaux avaient décerné à notre colonel le titre
de papa ; et certes ! il le méritait bien ; car jamais
père n'aima plus ses enfants. Plusieurs fois, on lui
avait offert le grade de général de brigade ; mais
il avait toujours décliné cet honneur en disant :
" Je demande qu'on me laisse à la tête de mon
régiment ; il y a beaucoup de généraux, mais il
y a peu de colonels des zouaves pontificaux. "
Le colonel Allet était courtois, brave, et se fai-
sait remarquer surtout par un grand sang-froid ;
je vous ai donné une preuve de cette dernière
qualité en faisant le récit de la bataille de Men-
tana.
Allet a passé plus de vingt ans à défendre le
Saint-Siège, et pendant tout ce laps de temps, il
n'a cessé d'entretenir les meilleurs rapports avec ses
inférieurs. Hors du service militaire, il se faisait
un plaisir de causer avec le simple soldat.
Notre colonel était un parfait chrétien. Il
savait braver le respect humain. Daus toutes les
retraites qui se faisaient, chaque année, à l'occa-
sion de la communion pascale, on le voyait
prendre place le premier à la Sainte-Table.
Notre papa n'aimait pas à sortir dans le grand
— 251 —
monde. Quand les convenances le forçaient à
figurer dans la haute société, il ne le faisait qu'à
contre-cœur ; et alors, lui si brave, il paraissait
timide et gardait presque toujours le silence.
Un jour, on lui demanda, dans un salon, de
vouloir bien raconter la bataille de Mentana, où
les zouaves s'étaient immortalisés. Il se fit prier
pendant longtemps, car il était humble. Mais à la
fin, il céda aux instances réitérées. " Oh mon Dieu !
dit-ilr c'est bien simple et bien court : la colonne
défilait par la voie Nomcutanj, j'étais en arrière
avec l'état-major ; à cinq ou six kilomètres de Men-
tana, on entendit commencer la fusillade, et en
quelques minutes le feu devint des mieux nourris ;
je piquai de l'éperon pour voir où en étaient les
zouaves ; déjà ils étaient tous lancés, éparpillés par
les vignes et jouant de la baïonnette comme de
bons enfants. " — " Et puis ? " — Et puis . . . mon
Dieu ! ils sont revenus le soir se ranger autour de
leur drapeau, et ils avaient remporté la victoire.
Tel est l'homme que les zouaves avaient à leur
tête.
Après l'invasion des Etats de l'Eglise, le colonel
Allet est retourné à son château en Suisse, où il
est mort subitement quelques années plus tard.
Athanase de Charctte.- — Le baron de Charette
était lieutenant-colonel du régiment des zouaves.
C'est le type d^ parfait gentilhomme.
— 252 —
Quant à sa bravoure, elle est devenue proverbiale.
On disait dans le régiment : " Brave comme de
Charette." Dans tous les combats auxquels il a
assisté, il s'est conduit comme un véritable lion.
Quand il s'apercevait que les zouaves semblaient
perdre courage — ils ne l'ont jamais perdu — il
s'écriait : "En avant, les zouaves, ou je me fais
tuer sans vous."
Le baron de Charette est le neveu du célèbre
général qui fut fusillé pendant la guerre de Vendée.
Il a cinq frères, et tous ont servi dans l'armée du
Saint-Père ; ce sont : MM. Urbain, Ferdinand,
Alain, Louis et Armand. Ce dernier, filleul et
héritier de feue la duchesse de Narbonne-Pelet,
est quatre fois millionnaire. Il servait dans ma
compagnie comme simple soldat.
Le lieutenant colonel de Charette, âgé à cette
époque d'environ quarante ans, était veuf de Dlle
Antoinette Fitzjames, sœur du duc de Fitzjames
et de la duchesse Salviati-Borghèse. Aujourd'hui,
le baron de Charette est général dans l'armée
française. C'est un royaliste pur sang.
Je donne ci-après les noms de tous les officiers
des zouaves pontificaux. Le public pourra se
convaincre, à la simple lecture, si l'armée du Pape
était composée de mercenaires.
RÉGIMENT DES ZOUAVES.
Officiers supérieurs :
Général — Kanzler ; Colonel — Allet ;
Lieutenant-colonel — Baron de Charette.
Premier Bataillon.
M. de Lambii.lv, chef de bataillon.
M. de Fumel, capitaine-adjudant-major.
iM Compagnie: — Capitaine de Moncuit ; lieutenant Du-
jardin ; sous-lieutenant Brùlly.
2me (Compagnie : — Capitaine de K.ersabiec ; lieutenant
de la Bégassière ; sous-lieutenants Vanderstratten
et Lafon.
3me Compagnie : — Capitaine de Coiïessin ; lieutenant
Vandekerkhove ; sous-lieutenant Bonvallet.
4 uw Compagnie :— Capitaine Desclée; lieutenant Mau-
duit ; sous-lieutenant de Scarcey.
$*** Compagnie : — Capitaine Gouttepagnon ; lieutenant
LeDieu ; sous-lieutenant de Romer.
6^ Compagnie : — Capitaine Joubert ; lieutenant de la
Bégassière (Paul) ; sous-lieutenant Desmiers,
Deuxième Bataillon.
M. de Troussure, chef de bataillon.
M. de Ferron, capitaine-adjudant-major.
iie Compagnie : — Capitaine de Saint-Marcq ; lieutenant
du Plessis ; sous-lieutenant Vetch.
— 254 —
2mé> Compagnie : — Capitaine Belon ; lieutenant Niel ;
sous-lieutenants du Reau et Bergeron.
3rae Compagnie : — Capitaine Jolys ; lieutenant Capelli ;
sous-lieutenant Renaud.
4UU- Compagnie : — Capitaine Berger ; lieutenant Rahé des
Ordons ; sous-lieutenant Bouquet des Chaux.
5rae Compagnie : — Capitaine Hoyde ; lieutenant de Mont-
cabrier ; sous-lieutenant de Quattre-Barbes.
6QitJ Compagnie : — Capitaine Gastebois ; lieutenant De
rely ; sous-lieutenant de la Borde.
Troisième Bataillon.
M. d'Albiousse, chef de bataillon.
M. Lallemand, capitaine-adjudant-major.
i1'*" Compagnie : — Capitaine Thomalé ; lieutenant Fran-
quinet ; sous-lieutenant Saint-Garnier.
2me Compagnie :— Capitaine Jacquemont ; lieutenant
Guérin ; sous-lieutenants du Bois Chevallier et de
Pascal.
3me Compagnie : — Capitaine du Reau ; lieutenant Mou-
ton ; sous-lieutenant Taillefer.
4me Compagnie : — Capitaine du Bourg ; lieutenant Bron
doit ; sous-lieutenant de Montbel.
5 mfi Compagnie : — Capitaine Thalman ; lieutenant de
Bellevue ; sous-lieutenant de Villèle.
6me Compagnie :— Capitaine de Fabry ; lieutenant Burdo;
sous-lieutenant Tarabinî.
Quatrième Bataillon.
M. de Saisv, chef de bataillon.
M. de Vyart, capitaine-adjudant-major.
irt Compagnie : — Capitaine le Gonidec ; lieutenant
Klegge ; sous-lieutenant Benoit.
— 255 —
2œe Compagnie : — Capitaine de Kermoal ; lieutenant de
Vurck ; sous-lieutenant Arts.
3me Compagnie : — Capitaine d'Arcy ; lieutenant de Li-
mayrac ; sous-lieutenant Murray.
4me Compagnie : — Capitaine de la Messalière ; lieutenant
de Coray ; sous-lieutenant Burdo.
5me Compagnie : — Capitaine de Résimond ; lieutenant
Harscouet ; sous-lieutenant Se villa.
6me Compagnie : — Capitaine de Mirabal ; lieutenant de
Morin ; sous-lieutenant de Bourbon Chalut.
DÉPOTS.
M. de Nervaux, major d'administration,
commandant les dépôts.
i e*" Dépôt : — Capitaine de Curzon ; lieutenant Looymans ;
sous-lieutenant de Kervyn.
2ra« Dépôt : — Capitaine Martini ; lieutenant Hamelon ;
sous-lieutenant Lajard.
3me Dépôt : — Capitaine de Lanswerde ; lieutenant Beck ;
sous-lieutenant Wills.
4me Dépôt : — Capitaine de la Tocnaye ; lieutenant du
Ribert ; sous-lieutenant Tortora.
Peloton des subsistants : — M. Halgand, sous-lieutenant.
Compagnie hors-rang : — Capitaine Hefner.
Sous-lieutenant et officier d'armement : — M. Rutten.
Sous-lieutenant, service actif : — M. Boelen.
CHAPITRE XXIV.
PIE IX.
Il me reste encore à vous parler de Pie IX, de
ce grand et illustre Pape, de ce pieux et saint
Pontife, de ce Vicaire de Jésus-Christ, désigne sous
le nom de Crux de cruce. La tâche est certaine-
ment au-dessus de mes forces ; mais je croirais
mon travail incomplet, si je taisais les actions de
ce regretté Souverain. Je craindrais de passer
pour un ingrat, si je ne vous entretenais pas
un instant du Père commun des fidèles ou de
mon Pape, comme disait un jour un soldat français
en portant au Pontife-roi une lettre d'un camarade
de la Crimée, qui faisait recommander une messe
pour la conservation de l'armée française en Orient.
Je dis ingrat, car Pie IX nous aimait tant, nous?
les zouaves canadiens ! Je vous demande donc
encore un peu d'indulgence.
Je diviserai ce chapitre en deux parties distinctes :
les grandes souffrances de Pie IX, et les grandes
œuvres accomplies par ce Pape. Je serai très court;
bien souvent, je ne donnerai qu'un tableau analy-
tique ; car pour chanter les combats et les gloires
— 258 —
de cet immortel Pontife, il nous faudrait écrire
plusieurs volumes. Du reste, vous connaissez tous
parfaitement les principaux faits du règne de
Pie IX.
1° Les grandes souffrances de Pie IX.- — Bientôt
après son avènement au trône pontifical —
le 16 juin 1846 — -Pic IX est oblige de com-
battre les révolutionnaires inspirés et dirigés
par Mazzini. A cette époque, ces suppôts de
Satan sont, pour ainsi dire, maîtres de l'Italie.
Déjà, on entend crier dans les rues de Rome :
"A bas les Jésuites! Vive l'Italie " ! Le cabinet
pontifical n'est entièrement composé que de laïques,
à l'exception d'un seul ministre, Son Eminence
le cardinal Ciacchi, préposé aux affaires ecclésias-
tiques. Par surcroit de malheurs, la milice civique,
seul appui du Pape, laisse insulter les prêtres et
les^religieux par la populace. Les Jésuites sont
même forcés de se disperser, au grand chagrin de
Pie IX. C'est le prélude de la longue série des
maux qu'il devra en.durer plus tard.
L'Autriche tente, en 1848, de s'emparer des
Etats de l'Eglise ; mais les sages explications de
Notre Saint-Père désarment l'ennemi. L'armée
autrichienne évacue Ferrare, dont elle s'était
emparée, et se retire.
La même année, les révolutionnaires, dans la
— 259 —
personne de Constantin!*, assassinent le comte
Pellegrino Rossi, premier ministre du cabinet pon»;
tifical. Pie IX est assiégé dans son palais du
Quirinal ; les affidés de la Jeune Italie veulent le
mettre à mort ; une balle vient même tomber dans
l'appartement où il se trouve. Une dame fran-
çaise, la comtesse de Spaur, donne au Pape les
moyens de fuir, et Notre Saint-Père va se réfugier
à Gaéte, où il passe deux longues années dans
l'attente de jours meilleurs.
Le général Oudinot ayant délivré Rome du
joug des révolutionnaires, Pie IX retourne dans la
Ville éternelle, où il fait son entrée triomphale, le
i 2 avril 1850.
Le 4 février 1859, une nouvelle blessure est
portée au cœur cle Pie IX par l'apparition d'une
brochure ayant pour titre : Napoléon III et V Italie.
Dans cette brochure, on répétait toutes les accu-
sations qu'on avait déjà formulées contre le pou-
voir temporel des Papes. Et dire que cet opuscule
avait été inspiré par Napoléon III, l'empereur
des Français, lui, chargé de protéger le Saint-Siège
contre ses ennemis temporels ! C'est presque
incroyable ; mais pourtant, c'est le cas. Napoléon
était l'instrument de la franc-maçonnerie. Pri^
dans les griffes de ce vautour, il devait agir, mais
sourdement.
— 260 —
Le trop célèbre Victor-Emmanuel annexe, en
1859, les Romagnes au royaume du Piémont, tout
en protestant de sa fidélité et de son dévouement
au Saint-Siège. L'hypocrite ! il se conduit comme
un enfant qui, pour prouver son amour et son
affection à son père, lui enlève une partie de ses
biens. La France, la fille aînée de l'Eglise, tou-
jours gouvernée par Napoléon, laisse commettre
ce vol sans faire aucune protestation.
Le Judas du Piémont n'est pas encore satisfait.
Les Romagnes n'ont pas suffi pour étancher sa
soif brûlante. Le 18 septembre 1860, le roi
galant-homme pénètre dans les Etats de l'Eglise,
remporte la facile victoire — 46,000 hommes contre
5,600 — de Castelfidardo, et s'empare des Mar-
ches et de l'Ombrie, tout en protestant encore de
sa fidélité et de son dévouement au Saint-Siège.
Il avait auparavant demandé la bénédiction du
Souverain-Pontife. N'est-ce pas la conduite qu'a
tenue Judas, lorsqu'après avoir vendu son maître,
il vient lui donner un baiser dans le Jardin des
Oliviers ?
Cette violation du droit des nations est suivie
de désordres épouvantables. Les révolutionnaires,
que Victor-Emmanuel est impuissant à retenir,
chassent les religieux, pillent les couvents et pro-
fanent les églises.
— 261 —
Pie IX voit avec chagrin les persécutions qu en-
dure la malheureuse Pologne de la part de la
Russie. En i 863, oubliant ses propres souffrances,
il écrit au czar, et, seul, il proteste en faveur de
la catholique Pologne, indignement maltraitée.
Aujourd'hui, le sang des martyrs retombe sur la
tête du Cosaque qui n'a plus de refuge assuré.
En 1867, Garibaldi, le brigand de l'île de
Caprera, à la tête d'une bande de canailles, qu'il
avait recrutées dans le royaume d'Italie — à la con-
n a issance d u roi eat/iolique}\7\ctor- Emm anuel- -entre
dans les Etats de l'Eglise, prend et saccage Acqua-
pedente, Ischia, Bagnorea, Valentano, Canino et
Subiaco. Le forban marche ensuite sur Rome. Les
zouaves pontificaux, sous le commandement du
général Kanzler, rencontrent les chemises rouges à
Mentana.et les taillent en pièces. Garibaldi retourne
dans son île, après avoir lâchement abandonné
ceux qu'il conduisait.
Nous sommes enfin arrivés à la dernière scène
de la douloureuse passion de Pie IX. Je veux
parler de la prise de Rome, en 1870, par Victor-
Emmanuel. C'est encore ce Judas qui transperce
d'un nouveau glaive le cœur de Notre Saint-Père ;
un roi catholique, que Pie IX avait si souvent
bénit, ose porter une fciain sacrilège sur le domaine
temporel de la Papauté !
— 262 —
Victor- Emmanuel s'empare donc des Etats de
l'Eglise et prend le titre de roi d'Italie. Pie IX, le
véritable roi de Rome, se renferme dans le palais
du Vatican ; il est prisonnier. Qui pourrait redire
toutes les souffrances que ce grand Pape a endu-
rées depuis le 20 septembre 1870 jusqu'à sa mort,
arrivée le 7 février 1878 ? Dieu seul connaît les
abondantes larmes qu'il a versées.
Détournons nos regards de ce triste tableau, et
passons au second point.
2° Les grandes œuvres de Pie IX. — -Dans cette
seconde partie, nous suivrons la même marche que
dans la première : c'est-à-dire que nous rappelle-
rons en quelques mots les principaux travaux
exécutés par le Pontife-Roi pendant son règne,
qui a été une suite non interrompue d'oeuvres
grandes et merveilleuses.
En 1850, Pie IX rétablit la hiérarchie ecclé-
siastique en Angleterre. MgrWiseman est nommé
premier archevêque de Westminster, avec douze
évêques sufifragants. Trois ans plus tard, le Pape
rétablit aussi la hiérarchie en Hollande, et installe
un archevêque à Utrecht, avec quatre sièges suf-
fragants : Harlem, Bois-le-Duc, Bréda et Rure-
monde.
En 185 1, Pie IX élève safrit Hilaire au rang
des docteurs de l'Eglise universelle.
— 263 —
Le Pape organise, la même année, le collège des
protonotaires apostoliques, et modifie les statuts
de l'ordre de Malte et de Saint-Jean de Jérusalem.
La Congrégation des Petites sœurs des Pauvres
reçoit l'approbation du Saint-Siège. Cette institu-
tion, qui a rendu tant de services à l'humanité, a
été fondée à Saint-Servan, en 1840, par de
pauvres filles.
Il existait depuis quelque temps, dans l'Indous-
tan, un schisme que l'on appelait sc/risme de Goa.
Cette scission, dans le sein de l'Eglise, avait été
produite par les prétentions de la cour du Portu-
gal. Pie IX met fin à ce schisme.
De nouveaux sièges épiscopaux s'élèvent dans
la communauté des Arméniens catholiques.
Les îles de la Martinique, de la Guadeloupe et
de la Réunion ont chacune le bonheur de pos-
séder un. évêque.
En 1854, Pie IX proclame le dogme de l'Im.
maculée-Conception. La terre entière est dans
l'allégresse, mais l'enfer devient furieux. C'est le
premier coup porté par le Souverain-Pontife aux
erreurs modernes, mais aussi c'est le principe des
haines suscitées par le démon contre le pouvoir
spirituel du Vicaire de Jésus-Christ.
Sa Sainteté condamne, en 1855, les premières
— 264 —
tentatives sacrilèges de Victor-Emmanuel qui s'em-
parait des biens des couvents.
Deux ans plus tard, le Pape parcourt ses Etats,
où il est reçu partout en triomphe. A Pérouse,
il fonde une institution agricole pour les enfants
pauvres. Immola possédait un monastère connu
sous le nom de Bon-Pasteur. Pie IX le trouve trop
petit pour le nombre des religieux qui l'habitent ;
il le fait agrandir. Sinagaglia, ville natale de Jean-
Marie Mastaï Ferretti, est aussi comblée de faveurs
signalées ; elle voit, s'élever aux frais de Pie IX,
un hospice pour les malades et les orphelins,
Ancône est redevable à ce Souverain-Pontife du
splendide observatoire qu'elle possède. Toutes les
villes qu'il a visitées, ont ressenti les bienfaits de
sa charité sans borne.
Au mois d'octobre 1858, Pie IX proclame et
affirme hautement la sainteté et l'inviolabilité du
caractère reçu au saint baptême, à l'occasion d'un
enfant juif baptisé par une servante. Nous voulons
parler de la célèbre affaire Mortara. Vous vous
rappelez sans doute toutes les accusations et toutes
les calomnies que les journaux de cette époque
formulèrent contre la Papauté, parce que le Souve-
rain-Pontife avait placé cet enfant dans un couvent.
Il n'y avait pourtant pas sujet à jeter de si hauts
cris. Ecoutons Louis Veuillot, parlant de cette
— 265 —
question : " Conformément à la loi de l'Eglise, et à
la loi de l'Etat pontifical, un enfant né juif avait
été retiré de la maison paternelle, parce que, baptisé
en péril de mort, il appartenait à Jésus-Christ.
L'enfant, recueilli à Rome, était élevé aux frais du
Saint-Père, séparé de sa famille, mais non séquestré,
et ses parents le pouvaient voir autant qu'ils le
voulaient. " Le cas est bien simple, n'est ce pas ?
En 1862, trois cents prélats se réunissent à
Rome pour assister à l'imposante cérémonie de la
canonisation des martyrs japonais. Ces derniers
avaient versé leur sang, en 17 15, pour la confes-
sion de la Foi.
Pie IX publie le Syllabus, en 1868, et cette
longue liste, dit un auteur français, des erreurs
contemporaines qui ne tendaient à rien moins
qu'à détruire la raison et la foi, condamnées et
anathématisées par le Souverain-Pontife, excita
au plus haut point les clameurs de l'enfer.
La même année, le Pape crée aux Etats-Unis,
huit diocèses et quatre vicariats apostoliques.
Le plus grand événement du règne de Pie IX
est, sans contredit, le concile du Vatican, où fut
proclamé le dogme de l'infaillibilité. Je vous ai
donné d'assez longs détails sur ce saint concile
dans un chapitre précédent.
Nous venons de voir passer devant nos regards
12
— 266 —
un grand nombre d'œuvres accomplies par notre
Saint-Père pour le bien de l'Eglise catholique ;
mais ce n'est pas tout, Pie IX s'est encore dis-
tingué par l'encouragement qu'il a donné aux arts
et aux sciences.
La basilique de Saint-Paul est terminée. Saint-
Laurent, Sainte-Marie du Transtévère, Sainte-
Agnès, et soixante-quinze églises, dans les Etats du
Pape, sont restaurées ou ornées avec une richesse
inouïe.
Le chevalier de Rossi, sur l'ordre du Pape,
explore les catacombes.
Le baron Visconti fait des fouilles considérables
dans Xemporiitm d'Auguste et de Néron, et décou-
vre les marbres les plus précieux et les plus riches
qui avaient été apportés de toutes les parties du
monde. Ces marbres servent aujourd'hui à l'orne-
mentation des temples chrétiens. J'ai eu occasion
de visiter souvent cet immense emporium, et je
puis dire que j'ai été surpris, à chaque fois, de
voir autant de richesses entassées dans cet endroit.
Pie IX multiplie les écoles et les institutions
de charité ; il encourage les études qu'il place sur
un pied élevé ; il fonde un institut agricole à la
Vigna Pia.
Et que dire maintenant du dessèchement des
Marais-Pontins, de la création des chemins de fer,
— Wl —
des travaux de Civita-Vecchia, des fouilles d'Ostie
retrouvée, du port de Ravenne agrandi, etc ?
Nous n'en finirions pas si nous voulions passer
en revue toutes les entreprises que l'illustre Pontife
a exécutées pendant son règne. Je résumerai sa
vie en citant cette parole -de l'Ecriture-Sainte :
Transiit bene facicndo.
ÂPPi'NDICE.
NOMS DES ZOU/VES PONTIFICAUX CANADIENS.
AVANT LE PREMIER DETACHEMENT.
M. Testard de Montigny, B. A., Saint Jérôme, engagé en
janvier J861.
M. Murray lïugh, Québec, engagé en juillet 1861.
M. LaKocque Alfred, chevalier, Montréal, engagé en
février 1867.
MM. Prendergast Alfred, Nicolet ; Désilets Gédéon,
Saint-Grégoire ; Hénault Gaspard, Berihier (en haut),
engagés en janvier 1868.
MM. Têtu Alphonse, Québec ; Cour*, eau Napoléon,
Québec, engages en février 1868.
M. Drolet Gustave, chevalier, Montréal, engagé en mars
1868.
PREMIER DÉTACUEMEN »'.
Aumôniers. — Hcv. Messieurs Edmond Moreau, de l'éve-
ché de Montréal, et Eucher Lussier, vicaire à Bouclïerville.
Allard Hector, Québec.
Arseneau Thomas, Baie des Chaleurs.
Auger Unésime, Montréal.
D'Auray Télesphore, Coteau-du-Lac.
Barnard Jacques, Drummondville.
— 2W —
Bastien Alfred, Montréal.
Beauchesne Jos. Ulric, Bécancour.
Beaudoin Moïse, Montréal.
Bédard J.-Bte., Saint-Remi.
Bégin Théodule, Lévis.
Bellefeuille (de) Chs Henri, Saint-Eustache.
Bernier Roniuald, Lévis.
Bertrand Georges, Québec.
•Brissette Eugène, Sainte-Elizabeth.
Blackburn Jean, Château- Richer.
Bourget Achille, Lévis.
Bourget Alphonse, Lévis.
Bourget Marcel, Saint- Joseph de Lévis.
Brunet Léonidas, Montréal.
Brunelle Edouard, Batiscan.
Brunelle Elie, Pointe-Lévis.
Campbell Emery, Malmaison.
Caron Charles, Lennoxville.
Champagne Joseph, Montréal.
Chalut Joseph, Sault-aux-Récollet.
Charbonneau Georges, Saint- Vincent de Paul.
C'herrier Benjamin, Saint-Hyacinthe.
Chouinard Pierre, Lévis.
Cloutier Elzéar, Sainte-Julie de Somerset.
Comte Pascal, Montréal.
Connolly Félix, Dan vil le.
Cormier Moïse, Bécancour.
Courval Charles, Terrebonne.
Coutlée Cyprien, Saint-rolycarpe.
Couture Alphonse, Sainte-Thérèse.
Décade Léon, Notre-Dame de Grâces.
Demers Louis Daniel, Montréal.
DeCazes Charles, Sherbrooke.
Desjardins Henri, Terrebonne.
Dufresne David, Saint-Barthélemi.
Dupras Pierre, Montréal.
— 271 -
Dupras Stanislas, Saint-Laurent.
Dupuis Barthélemi, Saint-Constant.
Dusseault Epiphane, Trois-Ivivières.
D'Estimauville Arthur, Montréal.
Forget Lucien, Sainte-Marie de Monnoir.
Fcrget desPatis Adolphe, Terrebonne.
Forget desPatis Alphonse, Terrebonne.
Fortin Augustin, Islet.
Francœur Alfred, Sorel.
Fléchette Edmond, Arthabaska.
(lad bois Alphonse, Saint-Césaire.
Garneau Elzéar, Québec.
Gaumont Alfred, Sainte-Julie do Somerset.
(iendron F.X., Saint-Théodore d'Acton.
Gervais Gualbert, Montréal.
Gosselin Louis, Saint-Laurent, lie d'Orléahs.
Gouin Moïse, Baie du-Febvre.
Groleau Athanase, Montréal.
Hempel Casimir, Montréal.
Hughes Georges, Saint-Maurice.
Hurtubise Edwin, Montréal.
Jauron Napoléon, Ely.
Labelle Toussaint, Montréal.
I-achapelle Se vérin, Saint-Rémi,
Lacroix Alexandre, Saint-Charles.
Lamarre Basile, Longueuil.
Lamarche Adolphe, Montréal.
Langlais Charles, Kamouraska.
Kangevin Théophile, Saint-Isidore.
Laporte Jérémie Denis, Sorel.
Lavigne Théophile, Montréal.
Larivière Joseph, Saint Alexandre.
1 eblanc Louis Jos., Montréal.
Leblanc Edouard, Montréal.
Lebel Charles, Paspébiac.
Leclaire Etienne, Saint-Hyacinthe.
— 272 —
Leolair Damien, Sainte-Thérèse.
L'Etoile Joseph, Sherbrooke.
Lefort Jérémie, L'Assomption.
Legris Joseph, Saint-François de Sales.
Lemieux Edouard, Chicoutimi.
L'Heureux Thomas, Saint-Hyacinthe.
Lupien Adélard, Bécancour.
Marchand Alfred, Saint-Jean d'iberville.
Meunier Laurent, Saint Jean d'iberville.
Marion Placide, Sainle-Scholastique.
Martineau Herman, Sainte-Anne de Lapocatière.
Massicotte Alphée, Sa;nte-Géneviève de Batiscan
McKenzie Jacques Jos., Col., Terrebonne.
Moreau CJlric, Montréal.
Morissette, Jean-Bte., Québec.
Morissette Théophile, Québec.
Munro Henri, Montréal.
Murray Guillaume, Québec.
Normandin Thomas, Bouchervilie.
Olivier Louis, Saint-Nicolas.
O'Meara Alfred, Québec.
Papillon Siméon, Ottawa.
Papillon Rémi, Sainte-Anne de la l'era le.
Paquet Louis, Saint-Henri de Lauzon.
Paré Is. Gédéon, Lotbinière.
Paré Pierre, L'Ange-Gardien.
Paré Stanislas Alph., Lachine.
Patenaude François, Saint-Rémi.
Pelletier Evariste, Nicolet.
Péloquin Adélard, Saint-J ude.
Perrault Gilbert, Montréal.
Perrin Emery, Sainte-Scholaa tique.
Pépin Emile, Saint-Césaire.
Prévost Léandre, Montréal.
Eaymond Noé, Saint-Hyacinthe,
Renaud Alphonse, Saint- Rémi.
— 273 —
Rheault Luc, Saint Grégoire.
\ ieher Euclide, Montréal.
hosselin Etienne, Lavaltrie.
Rousseau Oscar, Nicolet.
Roy Cyrille, Lévis.
Roy J.-Bte., Saint- Félix de Kin!jsey.
Roy F. X., Somerset.
Schiller Charles, Montréal.
Sénécal Alfred, Saint-Césaire.
Sincennes Félix, Montréal.
St. -Germain Napoléon, Saint-Eustache.
Surprenant Alphonse, Saint-Constant.
Taillefer Joseph, Sainte-Martine.
Taschereau Charles, Sainte-Marie de la Beauce.
Têtu Jean, Trois Pis tôles.
Toussaint F. X., Québec.
Tmdelle Charles, Québec.
Vallée Charles, Québec.
Varin Eugène, Terrebonne.
Verreault Jules, Lévis.
Villeneuve Gilbert, Lachenaie.
Vohl Cyprien, Québec.
AVANT LE SECOND DKTACHF.MF.XT.
Pâijuet Charles, Québec.
Rouleau Charles, Sainte Anne de Lapocatière.
SECOND DÉTACHEMENT.
Aumônier. — Rév. M. J. Michaud, de l'ordre de Saint-
Viateur.
Baby Alfred, Joliette.
Beaublen Napoléon, Yamachiche.
— 2*74 —
Brisebois Ephrem, South-Durham.
Cassegrain Arthur, Saint-Césaire.
Coté F.-X., Sainte Geneviève de Batiscan.
Daigneault Alphonse, Saint-Hubert. #
Desnoyers Charles Henri, Montréal.
Durocher J. B., Saint- Aimé.
Gélinas Ben. Pierre, Saint- Aimé.
Hébert Ernest, Laprairie.
Hudon de Beaulieu Nap., Yamachiche.
Lachapelle Elzéar, Epiphanie.
Lebel Florian, Kamouraska.
Loranger Adélard, Yamachiche.
Panneton Georges, Joliette.
Pelland Joseph, Saint-Norbert.
Plamondon Anastase, Saint-Césaire.
Poulin Elzéar, Ile d'Orléans,
Séguin Auguste, Montréal.
Tassé Emmanuel, Ottawa.
Thérien Hilaire, Montréal.
Vincent Joseph, Ottawa.
TROISIEME DÉTACHEMENT.
Aumônier. — Rév. M. J. C. Routbier, attaché à l'Ecole-
Normale Jacques-Cartier.
Bazinet Lous, Saint- Vincent de Paul.
Bélanger Maurice, Rigaud.
Bigonèse Alex., Chambly.
Branchaud Eusèbe, Huntingdon.
Brousseau Alex., Belœll.
Pruneau Zacharie, Saint-Hughes.
Chaurette Alfred, Nicolet.
Comtois Zéphirin, Saint-Hughes.
Décarie Georges, Notre-Dame de Grâces.
Desjardins Sifroy, Terrebonne.
— 2Ï5 —
Dumais Taul, Kamouraska.
Dusseault Louis, Trois-Rivières.
Faucher Henri, Montréal.
Fauteux Théodore, Montréal.
Gadbois André, Saint-Hilaire.
Garceau Louis, Trois Rivières.
Germain Germain, Saint-Vincent de Paul.
Gérin Lajoie Denis, Nicolet.
Giasson Honoré, L'Islet,
Jodoin Eucher, Boucherville.
Lionais Georges, Montréal.
Marion Auguste, Joliette.
Melançon Oscar, Joliette.
Michaud Thomas, Kamouraska.
Tréfontaine Fulgence, Belœil.
Ricard Damase, Montréal.
Thomas Sidney, Berthier.
Violetti Ferdinand, Montréal.
QUATRIEME DÉTACHEMENT.
Aumôniers. — Revs. MM. P. H. Suzor, curé de Saint-Chris-
tophe et P. Roy, curé de Saint-Norbert d'Arthabaaka.
Alary Jos., Sainte-Anne des Plaines.
Allard Tan. Zotique, Chateauguay.
Boileau F. X., Sainte-Thérèse.
Bélanger Georges, Montréal.
Boudy Agapit, Lavaltrie.
Blanchard Louis, Saint-Hyacinthe.
Benoit Jos., Saint- André d'Acton.
Benoit Stanislas, SaintCyprien.
Bellemarre Ferdinand, Rivière-du-Loup (en haut.)
Cloutier Emery, Saint-Norbert.
Collin Charles, Longueuil.
Champagne Arthur, Berthier.
— 216 —
Champagne Aristide, Lanoraie,
Cabana Nap., Sherbrooke.
Dostaler Raymond, Berthier.
Désormeau Eusèbe, Saint-Martin.
Drolet J. B., Saint-Paulin.
Duguay Norbert, Nicolet.
Deniers Godfroy, Sainte-Geneviève.
Dostaler Alfred, Saint-Narcisse.
De Tilly Ernest Noël, Arthabaska.
Favreau Ferdinand, Montréal.
Féron Maxime, Saint-Léon.
Francœur Joseph, Sorel.
Fournier, Saint Thomas de Monlmagny.
Gagnier Calixte, L' Anse-à-Gilles.
Gagnier Jos., Rimouski.
Gaudet Ludger, Saint-Christophe d' Arthabaska.
Girard J. B., Saint- Aimé.
Hardy Elzéar, Québec.
Irvine Guillaume, Ile- Verte.
Lavallée Aristide, Saint-Aimé.
Lamontagne Charles, Rivière-du-Loup (en haut).
Lavigne Ernest, Montréal.
Lefebvre Arthur, Saint- Vincent de Paul.
Mazurette Napoléon, Saint-Vincent de Paul.
Munro Charles Nap., Montréal.
Martin Adéodat, Montréal.
McGowan Jos., Saint-Roch de l'Achigan.
Martin Alp., Rimouski.
Martineau Alp., Ottawa.
Paré Ulric, Saint- Vincent de Paul.
Prince J. E. C, Nicolet.
Prince Louis Jos., Saint-Pierre de Durham.
Pouliot Louis, Rimouski.
Pennée Arthur, Québec.
St.-Laurent Aimé, Rimouski.
Watters Edmond, Saint-Augustin.
— 211 —
CINQUIÈME DÉTACHEMENT.
Aumônier — Rév. Monsieur Edmond Moreau, chan. «le
Montréal.
Archambault Mathias, Epiphanie.
Archambault Napoléon, Montréal.
Auge Denis, Rivière-du-Loup (en haut.)
Allard Prime, Montréal.
Bélanger Joseph, Québec.
Bleau Philias, Ilochelaga.
Blondin Adolphe, Baie du-Febvre.
Boisclair Alfred, Saint-Zéphirin.
Bourgeois Gaspard, Saint-Grégoire.
Bouchard Camille, Baie Saint-Paul.
Eédard Alph , Notre-Dame du Mont-Carmel.
Bussière Joseph, Québec.
Bourrât Gustave, Rivière du-Loup (en haut.)
Bélec Louis, Montréal.
Beaucaire Alfred, Montréal.
Barré George, Lachine.
Chevrefils Amable, Saint Guillaume.
Cantin Napoléon, Sainte Anne d la Pérade.
Collette Ed., Saint-Ours.
Chagnon Edmond, Chambly.
Côté Joseph, Montréal.
Chagnon Antoine, Saint-Hyacinthe.
Cornellier Louis, Sainte Blizabeth.
Dumontier F. X., Québec
Dumond Arsène, Saint-Jacques de l'Achigan.
Desjardins Michel, Terrebonne.
Dubé Alp., Trois-Pistoles.
Day Emmanuel, Montréal.
DeChamplain Bruno, Québec.
Danis Alfred, Montréal.
— 2*78 —
Dumont Joseph, Saint-André, Kamouraska,
Duguay Hylas, Baie-du-Febvre.
Elie Joseph| Baie-du-Febvre.
Fortier Herménégilde, Vaudreuil.
Fortier Aldéric, Vaudreuil.
Fortier L. IL, Québec.
Fitzpatnck Arthur, Montréal.
Faucher dit Château vert Joseph, Québec,
Forget Joseph, Sainte-Marie de Monnoir.
Fitzpatrick Cypiien, Montréal.
Garon Louis, Ilimouski.
Garneau Henri, Sainte- Anne de la Pérade.
Guay Alphonse, Saint-Liboire.
Guilbault Charles, L'Assomption.
Gilbert Joseph, Montréal.
Gariépy Louis, Montréal.
Gagnïer Alexis, Sainte-Martine.
Gagnier F.-X., Sain te -Martine.
Godin Honoré, Sainte-Anne de la Pérade.
Hébert Philippe, Québec.
Lefebvre F. X., Laprairie.
Laporte J.-B., Lavaltrie.
Lepage Jean, Rimouski.
Lassiseraye Arthur, Trois-Rivières.
Leniay J. B., Saint-Henri des Tanneries.
Leclerc Joseph, Saint-Guillaume.
Lemire Elie, Baie-du-Febvre.
Laflamme Philibert, Saint-Hughes.
Lavoie Eustache, Ile aux-Grues.
Lavoie Eucher, Ile-aux-Grues.
Lachance F. X., Ile-aux Grues.
Lemieux Gilbert, Ile-aux-Grues.
Lincourt Honoré, lle-du-Pads.
McDonald Joseph, Nicolet.
Melançcn Moïse, Saint-Jacques de l'Achigan.
Masson Jos. Edouard, Terrebonne.
— 2^79 —
Martel Alexandre, Montréal.
Martin Alfred, Rimouski.
Moreau Joseph, Saint-Thomas de Pierreville.
Murray John, Québec.
Marion Israël, Joliette.
Pineau Josué, Rimouski.
Parent Edouard, Rimouski.
Pouliot Louis H., Rivière-du-Loup (en bas.)
Provencher Damase, Nicolet.
Rousseau Louis, Saint-Hughes.
Rouleau Napoléon, Montréal.
Renaud Napoléon, Montréal.
Roy Jean, Lé vis.
Ringuet Henri, Rimouski.
Roy Cléophas, Québec.
Rivard F. X., Sainte-Geneviève de Batiscan.
Smith Jos., Saint-Germain de Rimouski.
Sauvageau Théodore, Montréal.
St- Arnaud Henri, Sainte-Geneviève de Batiscan,
Slevan John, Baie Saint-Paul.
Sauvé Alexis, Sainte-Anne du bout de l'Ile.
Seers Alp., Sainte-Dorothée.
Souvigny Louis, Sainte-Martine.
Thivierge Cyrille, Montréal.
Têtu Emile, Rivière-Ouelle.
Valois Georges, Sainte-Scholastiqie.
SIXIÈME DETACHEMENT.
Aumônier — Rev. Monsieur Jules Piohé, vicaire à Terre^
bonne.
Allard Joseph, Saint-Jean-Baptiste de Rouville.
Brosseau Joseph, Saint-Sébastien d'iberville.
Boyer Siméon, Montréal.
— 280 —
Benoit Lucien, Montréal.
Bergeron Narcisse, La Présentation,
Blanchet Philias, Saint-Jude.
Charretier Février, Saint-Hyacinthe.
Desjardins Jos., Saint-Jérôme.
Duhamel Alphonse, Sainte-Rosalie.
Desjardins Alexis, Sainte-Thérèse.
Desnoyers Dontague, Saint-Hyacinthe.
Desaulniers Nap., Trois-Rivières.
Forget Adélard, Sainte-Marie de Monnoir.
Gervais Télesphore, Trois-Rivicres.
Gervais Eugène, Trois-Rivières.
Gervais Louis, Saint-Hyacinthe.
Grenier Narcisse, Trois -Rivières,
Guillet Henri, Sainte-Mario de Mon noir.
Goulet Arthur, Saint-Hilaire.
Jannard Mathias, Montréal.
Lapointe Onésime, Slierbrooke.
Létourneau Auguste, Saint-Sébastien.
L'Heureux Théodore, Saint-Hyacinthe.
Loranger Enoch, Sainte-Anne de la Pérade.
Lecomte Joseph, Saint-Sébastien.
Martel Odilon, Saint-Médard de Warwick.
Marchesseau Zotique, Saint-Hyacinthe.
Panneton Jos., Trois-Rivières.
Prévost Emile, Saint- Vincent de Paul.
Paré Pierre, L'Ange-Gardien.
Reed Joachim, Coaticooke.
Roy Cyrille, Pointe-Lévis.
St-Michel F.-X., Saint- Jérôme.
Sauvé Hormisda?, Saint-Raphaël, Ile Bizar 1.
Sauvageau Cléophas, Saint-Hyacinthe.
Trudelle Victor, Québec.
Tessier Philippe, Sainte-Anne de la Pérade.
— 281
SEPTIEME DETACHEMENT.
Aumônier. — Rev. M. E. Moreau, Chanoine de Montréal,
Alexandre Walter, Nicolet.
Aubin Moïse, Montréal.
Auger Xiste, Saint-Darnase.
Archambault Herménégilde, Ottawa.
Brassard J.-Bap., Saint-Michel des Saints.
Béliveau Olivier, Saint-Grégiire.
Bélanger Charles, Saint-Jean Dorchester.
Bouchard Pierre, Saint- Valentin.
Beauchemin Charles, Varennes.
Beauchemin Oct. Louis, Arthabaska.
Brault Ignace, Montréal.
Bourque Achille, Saint-Grégoire.
Bernier Komuald, Lévis.
Beaudry C, Saint J.-B. do Kouville.
Bélinge Aristide, Sainte-Scholastique.
Bertrand Jules, Montréal.
Belcourt Calixte, Nicolet.
Beauchemin Louis, Sainte-Monique.
Bédard Alfred, Québec.
Bégin Isaie, Québec.
Comeau Elise, Saint-Léonard.
Casaubon Vital, lle-du-Pads.
Chagnon J. B., Saint-Pic.
Cossette Anselme, Saint-Prosper.
Cantin Jos., Québec.
Cosset Octave, Champlain.
Champagne Ambroise, Sainte-Monique.
Chabot Sabin, Saint Simon.
Clavel Charles, Québec.
DeFoy Georges, Montréal.
Desnoyers Arthur, Saint-Pie.
— 282 —
Duchainie Kodolphe, Watton.
D5silets Avila, Joliette.
Décoteau Michel, Stanstead.
Dubois Ernest, Arthabaska.
Dufresne Raphaël, Saint-Pie.
Desparts Elie, Saint-Pie.
Des rochers Hormis., Chateauguay.
DeFoy Philij^e, Saint-Christophe.
Dusseault Louis, Québec.
Doricn Nap., Charlesbour^'.
Ernest Pierre, Québec.
Fiset Léon, Québec.
Fauteux Félix Jos., Montréal.
Kilion Jos., Sainte-Thérèse.
Forget Jean, Terrebonne.
Fortier Alp , Québec.
Kréchette Vid., Québec.
Fortier Clovis, Québec.
Gélinas Jo»., Saint-Boniface.
Gauthier Théoph., Saint-Pie.
Gobeille Arthur, Saintrie.
Garon J. B., Lîimouski.
Gendron Stanislas, Watton.
Gélinas Adrien, Yaniachiclic.
Gill L. JL, Pierreville.
Gascon Jos. Adalbert, Terrebotine.
Gauvreau Ilormisdas, Kivière-du-Loup (en haut).
Girard louis, Sainte-Monique.
Guillot Jules, Québec.
Hébert Arthur, Bécancour.
Houle Alfred, SaintProsper.
Jodoin Eucher, Saint-Bruno.
Jauron Frederick, Ely.
Lafleur J. B., Saint Pie.
Leduc Denis, Montréal.
Létouineau Louis, Sainte Famille.
— 288 —
Laurin Nap., Saint-Jean Dorchester.
Lapierre Etienne, Montréal.
Lottinville Horace, Saint-Stanislas.
Levasseur Aimé, Bécancour.
Larue Thomas, Saint-Simon.
Latulipe F., Québec.
Levasseur Ov. F., Saint-Aimé.
Malo Auguste, Montréal.
Marcotte Oscar, Lanoraie.
Maillet F. X., Saint-Jean d'iberville.
Malette Ant., Chateauguay.
Moisan Pierre, Québec»
Martin G., Trois-Rivières.
Milette Edmond, Trois-Rivière*.
Michaud O., Québec.
Ménard Moïse, Saint-Li boire.
Mercier Gédéon, Epiphanie.
O'Flaherty John, Québec.
Ouellette Joseph, Sainte Anne de Lapocatière.
Provencher Télesphore, Nicole t.
Poulin Denis, Rimouski.
Tinard J. B., Sainte-Monique.
Pleau Ulric, Epiphanie.
Perreault Eusèbe, Montréal.
Pouliot Adolphe, Saint-Christophe,
Proulx Jos., Baie-du-Febvre.
Pelletier Oct., Baie-du-Febvre.
Pelletier Didier, Baie-du-Kebvre.
Poirier Georges, Saint-Célestin.
Poirier Damase, Saint Célestin.
Lévêque Paul, Sainte-Elizabelh.
Provost Albert, Chateauguay.
Proteau Cyprien, Québec.
Proulx Gel., Québec.
Poirier Benjamin, Lévis.
Kuel M., Lévis.
. — 284 —
Roussel Isaac, Québec.
Rivard Alph., Bécancour.
Renaud Victor, Québec.
Sir Arnaud François, Saintdvénii.
Scallon Ed. Jos., Joliette.
St-Amand T., Québec.
Sauvé Jules, Saint-Thimotliée.
Taché Chs., Ottawa.
Trudclle Alex., Trois Riviér< s.
Thibault Alfred, Québec.
Vézina Ed., Québec.
PARTIS i 0 LÉ MENT EN DEHORS DE! DÉTACHEMÉ
ET Al'kî: LE DEPART DU l'KEMI EU.
Bourgeois Benjamin, Saint-Grégoire.
McDonald Ed., Nicolet.
Renaud Alfred, Montréal.
Dupré Evariste, Contrecœur.
Beauchamp Edouard, Montréal,
Valois Louis, Maskinongé^
Lefebvre Louis, Québec.
Bécot Etienne, Québec.
Murray Alphonse, Québec.
ralàrdy François-Xavier, Verchèri
De Salaberry Maurice, Montréal.
Piclié Alphonse, Montréal,
(iuy Joseph, Montréal.
Franeœur Joseph, Montréal.
Drouin Alphonso P., Sainte • Famille.
. , ,î •.', | i ^NAUIt S i LKUit SERVÏ<
\ ROME.
Joseph Leblanc, Arthur tt'EsUipaa ville, Chartes Nap
Munro, dé ce dés en I
— 285 -
Charles Tarohereau, Sifroi Besjardins, Agapit Bondy,
décèdes en 1869.
Jérémie Le fort, François-Xavier Palardy, Ferdinand
Violetti, décédés en 1870.
Ferdinand Violetti est mort à Viterbe, la veille do l'éva-
cuation de cette ville par les Zouave poniifiVn x et a ét£
enterré dans la cathédrale, près du tombeau du Cardinal
Bédini ; les autres ont tous été irhuuiés d ma le rimetièie
de .Saint-Laurent, à Romo.
TABLE DES MATIERES.
Pages.
I.— Départ et traversée .. 1
If. — Passage en Angleterre et en France Il
III. — Sur la Méditerranée et arrivée à Rouie. • 21
IV. — Une journée de zouave — Un épisode...... 29
V. — Velletri — Brigandage en Italie 37
VI. — Chasse aux brigands — Exécution 45
VIL— Camp d'Annibal— Visite de rie IX 53
VI IL— Combat simulé — Albano — Aricia — Castel-
Candolfo — Marino — Rocca-Priora Cl
IX.— Fête au camp — Rocca-di-Papa-- Départ du
camp— Dispersion des Canadiens 09
X. — Tivoli et ses souvenirs 77
XL— Cascades de Tivoli et la villa d'Esté 83
XII. — Subiaco et saint Benoît 91
XIII. — Bolsene — Montefiascone — Viterbe 103
XIV. — Mentana — Monte-Rotondo — Frascati —
Ostio 109
XV. — Rome ancienne 117
XVI. — Rome pendant les persécutions 135
XV1L— Rome actuelle , 149
XVIII. — Le peuple romain— 8a foi, sa charité et
ses divertissements 157
XIX. — La Reine du peuple romain 175
XX. — Noces d'or de Pie IX— Concile du Vatican. 185
XXL— La retraite de Viterbe— Le 20 sept. 1870. 199
XXII. — Les zouaves pontificaux canadiens 231
XXIII. — Les officiers des zouaves pontificaux 247
XXIV.— Pie IX 257
Appendice , 269
-4"
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