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SUR
r f
LA GENERATION DES FERMENTS
CLICHY, — IMPRIMERIE DE PAUL DUPONT, RUE DU BAC-D'aSNIÈRES, 12.
SUR LA GÉNÉRATION
DES FERMENTS
PAR
E. FREMY '
Membre de TAcadémie des Sciences
PROFESSEUR DE CHIMIE A l'ÉCOLE POLYTECHNIQUE ET AU MUSÉUM
d'histoire NATURELLE.
Les ferments ne sont pas engendrés
ftar les poussières de l'air, mais par
es organismes virants : la vie elle-
même produit donc les agents de des
traction qui déterminent la mort.
G. MASSON, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE l'AGADÉMIE DE MEDECINE
17, PLACE DE l'ÉCOLE-DE- MÉDECINE
/
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PIDLIC LIIiîlART
325352B
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H L
—H
SUR
INTRODUCTION
<
En abordant les questions qui se rapportent
à la génération des ferments, il me paraît utile
de faire connaître d'abord le sens et la portée
que j'attache aux expressions de fermentation
et de ferment.
Pour moi, les phénomènes de fermentation
sont beaucoup plus étendus qu'on ne l'admet
généralement, et embrassent un grand nombre
de décompositions organiques.
Lorsque les corps créés par l'organisation
végétale et animale ont accompli leur rôle physio-
logique, j 'admets qu'ils sont soumis, dans les or-
ganes mêmes, à une force de décomposition qui
les modifie, les dédouble et finit par les détruire
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
complètement : leurs éléments sont alors resti-
tués à Tair et au sol, sous une forme qui se prête
à l'assimilation végétale, et concourent au déve-
loppement des organismes nouveaux.
C'est la fermentation qui produit ce grand
phénomène de rotation organique.
Mais ce retour à Tair et au sol des éléments
qui constituaient les organismes ne se fait pas
spontanément et exige Tinterveution d'agents
spéciaux que l'on désigne sous le nom de fer-
ments.
Ce sont les ferments qui donnent de la mo-
bilité aux molécules organiques, qui les mo-
difient et qui déterminent, avec le concours
de l'air, leur décomposition finale.
La définition des ferments que j'adopte ici
est donc basée uniquement sur la destruc-
tion que ces agents font éprouver aux sub-
tances organiques, et nullement sur leur forme
ou leurs fonctions physiologiques.
Les dédoublements des matières organiques
sous rinfluence des ferments et les combus-
tions lentes appartiennent, comme on le voit,
aux mêmes phénomènes et sont produits par
les mêmes causes.
Après avoir défini les ferments, il s'agit de
rechercher quel est leur mode de génération.
.•• •
•
•• • • • •
• • ••
• • •
SUR LA GÉNÉRATION. DES FERMENTS. 3
Les ferments sont-ils engendrés parles pous-
sières de Tair, comme le pense M. Pasteur, ou
sont-ils créés directement par les corps orga-
niques vivants, comme je le soutiens?
Un milieu fermentescible, dans sa décompo-
sition, est-il livré au hasard des particules so-
lides que l'air lui donne, où trouve-t-il dans
sa propre substance cette force qui lui permet
de restituer^ au moment voulu, ses éléments à
Tair et au sol?
L'air, au lieu d'apporter des germes de fer-
ments, n'agit-il pas simplement dans certaines
fermentations en donnant au milieu fermentes-
cible l'oxygène qui est indispensable à tout
développement organique ?
Telles sont les questions importantes que je
vais discuter dans ce travail ; mais avant de les
aborder, qu'il me soit permis de rappeler ici, en
peu de mots, les opinions que j'avais consignées
dans des mémoires précédents sur la génération
des ferments : je prouverai ainsi que les théo-
ries que je soutiens aujourd'hui résultent de con-
victions déjà bien anciennes, et que, loin d'avoir
recherché le débat, je ne fais que défendre des
principes qu^ j'ai émis depuis longtemps et
qui me sont contestés par M. Pasteur.
Dès l'année 1841 , je publiais, en collaboration
SUR LA GÉNÉRATlOxN DES FERMENTS.
avec M. Boutroii, un premier mémoire sur la
fermentation lactique, dans lequel se trouve
le germe des idées que j*ai développées plus
tard sur les fermentations.
11 est dit en effet dans ce travail, que chaque
espèce de fermentation est produite par un fer-
ment spécial ; le ferment qui aigrit le lait n'étant
pas le môme que le ferment alcoolique, nous lui
avons donné le nom de ferment lactique ; nous
avons admis, en outre, que la caséine peut don-
ner naissance à plusieurs espèces de ferments
lorsqu'on la place dans des circonstances
différentes: tantôt elle produit le ferment al-
coolique, tantôt c'est le ferment lactique qu'elle
engendre.
Ainsi la formation de plusieurs espèces de
ferments par la substance azotée du lait et 77/?-
fluence des milieux sur la production des dilïé-
rentes sortes de ferments se trouvent nette-
ment énoncées dans ce premier mémoire sur
la fermentation lactique.
J'ai confirmé le mode de génération des fer-
ments par les substances azotées, dans un
autre travail dont le but était de démontrer que
certaines membranes animales peuvent trans-
former les substances organiques neutres en
acide lactique.
SUR Lk GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Etudiant ensuite, dans plusieurs autres pu-
blications, la production des ferments que con-
tiennent les cellules végétales, j'ai attribué à
cette génération intracellulaire des ferments
certains phénomènes essentiels de Torganisa-
lion végétale.
C'est ainsi que dans mes recherches sur la
maturation des fruits, pour expliquer tous ces
changements qui se produisent dans les cel-
lules et qui font que les fruits, d'abord acides et
astringents, deviennent sucrés et perdent ensuite
complètement leur sucre, j'ai admis, dans les
fruits, la formation intracellulaire de différents
ferments qui, sous l'influence de l'air, déter-
minent successivement la combustion lente du
tannin, puis celle des acides et ensuite celle du
sucre.
Dans mes travaux sur les substances gélati-
neuses des végétaux, je crois avoir démontré que
les transformations successives éprouvées par
ces corps, pendant la végétation, doivent être
attribuées à l'influence d'un ferment particulier
que j'ai désigné sous le nom de pectase, qui
est engendré par la végétation dans Tintérieur'
des cellules.
Plus tard, voulant caractériser d'une manière
spéciale ces substances organiques , que je
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
considère comme vivantes, er. qui au con-
tact de l'air engendrent des ferments, je leur
ai appliqué la dénomination générale de corps
bémiorganisés ; en adoptant ce nom, j'ai
voulu rappeler que les corps qui produi-
sent les ferments ont souvent une organisa-
tion incomplète ; ils peuvent être gélatineux ;
leur forme est ordinairement insaisissable au
microscope.
Ainsi tous mes travaux qui ont précédé ma
dicussion avec M. Pasteur tendaient à établir
que les ferments étaient engendrés par les mi-
lieux organiques.
C'est cette théorie de la génération des fer-
ments que j'ai désignée sous le nom d'hémi-
organisme.
Elle diffère sous tous les rapports de la
théorie de M. Pasteur, qui a reçu le nom de
panspermie atmosphérique.
Pour M. Pasteur, tous les ferments propre-
ment dits dérivent de parents semblables à
eux el viennent toujours de l'extérieur ; ils
sont produits par des germes que Tair tient en
suspension et qu'il sème dans les milieux fer-
mentescibles.
C'est donc avec raison que cette théorie de
M. Pasteur a reçu la dénomination de pansper-
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
mie atmosphérique, puisqu'elle fait dériver
tous les ferments proprement dits de germes
contenus dans l'atmosphère.
Je crois être en mesure de démontrer que
cette théorie n'est pas admissible ; en faisant
dépendre la production des ferments de ces
poussières qui sont en suspension dans Tair,
et en refusant aux milieux organiques la fa-
culté d'engendrer des ferments, M. Pasteur est
conduit à des impossibilités évidentes et se
trouve en opposition avec des faits incontes-
tables.
Je ne parle ici que de la production des fer-
ments : car la présence dans l'air de germes de
moisissures, c'est-à-dire d'oeufs d'infusoires et
de spores de mycodermes, est un fait connu de-
puis deux cents ans, qui aujourd'hui n'est con-
testé par personne ; mais il ne peut pas rendre
compte de la génération de cette quantité
innombrable de ferments différents qui appa-
raissent dans les organismes où les poussières
de l'air ne pénètrent pas.
Tel est le fond du débat ; on voit qu'il se
rapporte à un des points les plus intéressants
de la philosophie naturelle, puisqu'il s'agit de
saisir la cause véritable des décompositions
organiques.
8 SUR Lk GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
M. Pasteur donne selon moi une importance
exagérée à Tinfluence des poussières atmo-
sphériques dans la destruction des organismes;
il la croit nécessaire et constante ; je la con-
sidère comme accidentelle et accessoire.
M. Pasteur admet que tous les ferments
viennent àeVextérieur; moi je soutiens qu'ils
viennenldeV intérieur des organismes, et que,
dans cette génération , l'air intervient dans
certains cas par son oxygène et non par ses
poussières.
M. Pasteur croit qu'une fermentation ne peut
se produire que quand Tair est venu apporter
aux milieux fermentescibles les germes qu'il
tient en suspension.
Pour moi les poussières de Tair n'inter-
viennent pas dans la génération des ferments ;
les milieux organiques sont doués d'une force
végétative qui leur permet , au contact de
l'air et par l'action de l'oxygène, de créer des
ferments sans l'intervention des germes atmo-
sphériques : celle production des ferments par
les organismes vivants peut même, dans cer-
tains cas, se faire à l'abri de l'air.
Je pense que l'objet de la discussion est net-
tement établi par les considérations qui pré-
èdent; cependant cet exposé serait incomplet,
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
si je ne faisais pas connaître les arguments qui
ont été déjà développés, de part et d'autre, de-
vant r Académie des sciences.
Je vais donc reproduire les principales opi-
nions que M. Pasteur a consignées dans ses
écrits sur les fermentations, et je mettrai en re-
gard celles que j'ai émises sur les mêmes ques-
tions, dans les Comptes rendus de f Acadé-
mie ^ dans mes mémoires et dans mes cours.
10 SUR LA GÉNÉRATION OBS FBRMBNTS.
CITATIONS RELATIVES A LA DISCU88I01T QUI S'EST
PRODUITE DEVANT LACAOÉMIE DES SCIENCES
M. PASTEUR
Je regrette de trouver dans la note de
M, Freiny certaines hérésies qu*il me prête
gratuitement. . .
Je considère comme erronées les assertions
suivantes de M. Fremy,..
M. Fremy ne produit que des opinions
surannées. .
M, Fremy confessera-t-il ses erreurs si Je
lui démontre...
Jamais M. Fremy na donné la moindre
preuve de ses assertions...
Je considère les assertions de M. Fremy
comme erronées autant qu'il est possible de
le dire. . .
C'est là de la mise en scène qui ne mérite
pas qu'on s'y arrête...
L'expérience de M. Fremy a été mal faite. . .
M. Fremy s'est fait le champion de la
science allemande...
M. Fremy s'engage dans une discussion où
SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS. 11
ron trouve tout, excepté ce qui est en ques-
tion . . .
M. Fremy cherchant à être profond dit. . .
C*est bien là le propre des théories vagues
comme celles de M. Fremy, de revêtir des
formes diverses, véritables caméléons propres
à prendre tous les aspects. . .
Je regrette que M. Fremy ne suive pas
f exemple de M. Donné, qui s est honoré en
rectifiant ses erreurs.. .
(Citations textuelles extraites des Comptes
rendus de l'Académie des sciences.)
•M. FREMY
Je n'ai pas relevé les expressions regrettables
que je viens de citer, parce que je sais qu'elles
ont été jugées Irôs-sévèrement par mes confrères
de TAcadémie ; je me suis contenté d'affirmer
que, dans celte discussion, je n'apportais ni
parti pris ni passion ; que je me laissais guider
par le seul désir de connaître la vérité, et que
si les démonstrations de M. Pasteur me pa-
raissaient rigoureuses, je serais le premier à le
dire, et à m'avouer vaincu.
12 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
Les questions que je vais traiter sont de telle
nature qu'il est facile de les faire sortir de la
voie scientifique pour les introduire sur un
terrain brûlant, que la science selon moi
ne doit jamais aborder.
On Fa fait autrefois, on pourrait l'essayer
encore aujourd'hui.
Je déclare donc ici que je ne suivrai jamais
ceux qui voudraient m'entraîner, à l'occasion
des fermentations et de la génération des fer-
ments, dans une discussion qui ne serait plus
scientifique, et qui prendrait presque un carac-
tère religieux.
Pour moi, les ferments sont des agents chi-
miques qui ne diffèrent des agents ordinaires
que par leur origine, car c'est l'organisation
seule qui les produit.
Les fermentations sont des phénomènes
purement chimiques; j'entends les soumettre
aux méthodes d'investigation que nous em-
ployons d'habitude dans notre science, et je
ne comprends pas qu'on leur donne une autre
portée.
Je ne crois pas également devoir répondre à
celle insinuation dont tout le monde comprend
l'intention blessante, et qui méfait passer pour
le champion de la science allemande. Je dirai
SUR Lk GÉNÉRATION DBS FBRMBNTS. 13
simplement à M. Pasteur qu'il commet ici une
erreur évidente.
Dans mes publications sur les fermentations,
je n'ai pas dit un seul mot de la théorie alle-
mande de la fermentation, fondée, comme on le
sait, sur l'entraînement des corps fermentes-
cibles par le mouvement même de décomposi-
tion des ferments : je ne cherche pas à expli-
quer la fermentation ; j'étudie seulement le mode
de génération des corps qui la produisent.
Que M. Pasteur n'essaye donc pas de donner
le change sur les choses qui sont en discussion.
Ce n'est en aucune façon la théorie allemande
de la fermentation que j'entends discuter, mais
bien la panspermie atmosphérique, qui esl la
théorie de M. Pasteur.
Il s'agit de rechercher si, comme le veut
M. Pasteur, toutes les fermentations sont pro-
duites par les poussières de l'air, ou si elles
sont dues, comme je le pense^ aux ferments
créés directement par l'organisation, sans l'in-
tervention des poussières.
La science allemande n'est donc pas ici en
question ; du reste, mon confrère de l'Aca-
démie devrait savoir que la science n'a pas de
patrie, qu'elle n'est ni française ni allemande,
et que la vérité est de tous les pays : je l'accepte-
14 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
rai toujours sans m'occuper de son origine.
J'espère donc que dorénavant je n'aurai
plus à répondre à de pareilles insinuations,
et que la discussion conservera un caractère
purement scientifique.
Tout en soutenant mes opinions avec la té-
nacité que donne une conviction profonde, on
ne trouvera pas dans mon travail un seul mot
qui soit de nature à blesser M. Pasteur et à
mettre en doute son talent d'expérimentateur.
Le débat portera exclusivement sur Tinter-
prétation des faits observés.
M. PASTEUR
Les fermentations proprement dites sont
celles qui sont produites par des ferments
organisés et vivants.
Vacte cliimique de la fermentation est es-
sentiellement un phénomène corrélatif d'un
acte vital commençant et s'arrêtant avec ce
dernier. Il n'y a Jamais de fermentation al-
coolique sans quil y ait simultanément orga-
nisation, développement, multiplication de
SUR LÀ GÉNÉRATION DBS FERMENTS. 15
globales OU vie poursuivie, continuée de glo-
bules déjà formés : les fermentations sont
donc des phénomènes corrélatifs de la vie ;
tandis que pour mes adversaires, les fermen-
tations sont corrélatives de la mort.
M. FREMY.
Les opinions principales de M. Pasteur sur
la fermentation se trouvent en quelque sorte
résumées dans les phrases que je viens de re-
produire.
M. Pasteur a compris que sa théorie de la
panspermie atmosphérique ne pouvait pas s'ap-
pliquer à la génération de tous les ferments ;
aussi a-t-il introduit prudemment dans ses écrits
cette expression si vague et si élastique de fer-
mentation proprement dite, et il soutient
aujourd'hui que les véritables fermentations,
les fermentations proprement dites, sont uni-
quement celles qui sont produites par des fer-
ments organisés et vivants ; celles par exemple
qui donnent naissance au vin, au vinaigre, à l'a-
cide butyrique, à l'acide lactique et à quelques
autres transformations organiques.
16 SUR Lk GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
La théorie de la panspermie atmosphérique
émise par M. Pasteur nécessite, je le sais, une
pareille restriction, mais je la repousse de tou-
tes mes forces, parce qu'elle est en opposition
avec les faits les mieux avérés de la chimie or-
ganique.
Il me serait facile de citer à M, Pasteur un
grand nombre de fermentations, aussi bien ca-
ractérisées que la fermentation alcoolique, qui
sont produites par des ferments non organisés
et non vivants.
Les définitions de M. Pasteur conduiraient
à séparer la fermentation lactique de la fer-
mentation diastasique, parce que le ferment lac-
tique est organisé, et que la diastase ne Test pas .
Ce n'est pas dans la vie ou dans la forme or-
ganique qu'il faut chercher la définition des
ferments, mais uniquement dans leur action sur
les corps fermentescibles ; je donne le nom
de ferment alcoolique à tout corps organique
qui transforme le sucre en alcool et en acide
carbonique : j'admets que ce ferment alcoolique
peut affecter des formes et des dimensions
variables : chaque suc de fruit produit des
ferments alcooliques différents ; le ferment du
suc de raisin ne ressemble pas au ferment du
suc de cerise, et celui-ci n'est pas le même que
SUR lA GÉiNÉRÀTION DES FERMENTS. 17
le ferment des groseilles : le ferment alcoolique
peut quelquefois être assez ténu pour passer à
travers nos filtres ; souvent même il échappe à
l'observation microscopique.
Le ferment est donc pour moi un agent de
destruction que l'organisation engendre au mo-
ment utile pour modifier ou décomposer les
substances qui ont accompli leur rôle physiolo-
gique; il peut être soluble ou insoluble dans
Teau, organisé ou amorphe, mort ou vivant :
dans quelques cas même son action est compa-
rable à celle de nos réactifs minéraux ; c'est
ainsi que la diastase agit sur l'amidon à la ma-
nière de Tacide sulfurique, et que le noir de pla-
tine détermine l'oxydation de l'alcool comme le
ferment acétique.
Loin d'envisager avec M. Pasteur la fermen-
tation comme un phénomène restreint qui ne
s'appliquerait qu'à un certain nombre de dédou-
blements organiques , je le considère comme
absolument général et je l'étends à toutes sub-
stances créées par l'organisation. J'admets que
tous les corps organiques sont fermentesci-
blés, comme ils sont combustibles : la dé-
composition des engrais dans le sol arable me
paraît être la confirmation rigoureuse de ce
principe.
18 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
La fermentation et la combustion présentent
donc entre elles les plus grands rapports et
tendent au même but.
Pour donner à la définition de la fermenta-
tion toute la généralité qu'elle comporte, je
dirai donc que la fermentation est le phé-
nomène naturel de décomposition qui s'ac-
complit par Faction des ferments; son résul-
tat final est de rendre à F atmosphère et au sol
les éléments qui constituaient les organis-
mes et de les mettre à la disposition de ceux
qui sont en voie de formation.
Ainsi toute action chimique qui aura pour
effet de modifier, de dédoubler ou de brûler,
au contact de Tair, un corps organique, sous
l'influence d'un ferment , rentre dans le
domaine des fermentations; celte définition
comprend, comme on le voit, non-seulement
les fermentations , mais aussi les oxydations
organiques que l'on désigne sous le nom de
combustions lentes^ et qui sont de véritables
fermentations.
D'après ces explications il existe donc, entre
M. Pasteur et moi, un désaccord profond rela-
tivement à la définition des fermentations et à
celle des ferments.
La théorie pliysiologiquc de la fermenta-
— --»- ■ ■ ». _»
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 19
lion, que M. Pasteur admet, est due comme on
le sait à Gagniard-Latour et à Turpin : mais
M. Pasteur lui donne une extension que je
crois exagérée. Il est facile de démontrer que
plusieurs (ermentalionsproprement dites^ pour
me servir ici de l'expression de M. Pasteur, ne
sont pas corrélatives d'un acte vital et qu'elles
ne sont pas accompagnées de la production de
globules.
Je rappellerai en outre que dans un très-
grand nombre de cas , lors même que les fer-
mentations sont accompagnées de la production
de globules, il est facile de reconnaître que
cette formation d'organismes ne se trouve pas
en rapport avec le phénomène chimique de la
fermentation, qui se réalise rapidement, tan-
dis que la génération des globules est assez
lente.
La théorie physiologique de la fermentation
ne doit donc pas être acceptée sans réserve.
M. PASTEUR
Les ferments véritables dérivent tous de
(fermes nés de parents semblables à eux : F air
20 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
tient en suspension ces germes de ferments,
qnil sème constamment dans les milieux fer-
mentesciblcs. Tous les ferments véritables
viennent donc de fextérieur.
M. FREMY
Je dirai d'abord que rexistence des germes
de ferments est une hypothèse émise par M. Pas-
teur et dont la vraisemblance est contestée par
des naturalistes éminents.
Les fermentations alcoolique, lactique, buty-
rique, acétique, visqueuse, tartriquc, mahque,
urique, sont, dans la théorie même de M. Pas-
teur, des fermentations proprement dites : elles
ne peuvent donc être produites que par des
germes qui existeraient dans Tair !
Enoncer une pareille proposition , c'est en
établir l'impossibilité.
' Qui pourrait admettre, en effet, sans une
démonstration rigoureuse, l'existence dans l'air
de tous ces germes différents qui ne sont ni
visibles ni saisissables?
Si la présence dans l'air de spores de cham-
pignons et d'œufs d'infusoires est acceptée par
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 21
tous les observateurs, c'est qu'en recueillant les
poussières de Tair et en les examinant au mi-
croscope on y trouve ces organismes, c'est
qu'en les introduisant dans des milieux alté-
rables elles y produisent des moisissures. Je
démontrerai dans la suite de ce mémoire, qu'en
appliquant à la recherche des germes de fer-
ments atmosphériques les méthodes expéri-
mentales qui ont permis de recueillir des germes
de moisissures, on ne trouve jamais dans lair
ces germes de ferments dont M. Pasleur ad-
met l'existence, et qui d'après lui exphque-
raient la génération des ferments.
Lorsqu'un même milieu fermentescible,
comme le lait, donne naissance à plusieurs
espèces de fermentation, c'est que la force d'or-
ganisation qui a produit le premier ferment
peut encore en engendrer d'autres. On peut
admettre également avec M. Trécul, qu'une es-
pèce de ferment continuant à végéter éprouve
une nouvelle modification organique qui lui
donne la faculté de produire une autre sorte de
fermentation.
En un mot, la destruction des principes im-
médiats et celle des organismes, sous l'influence
des ferments, est un grand phénomène naturel
qui doit s'accomplir régulièrement à son temps
22 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
cl qui se trouve en rapport avec le dévelop-
pement des organismes nouveaux.
C'est Torganisallon elle-même qui doit pour-
voir à cette décomposition organique : il me pa-
raît donc impossible de subordonner, comme le
voudrait M. Pasteur, un acle physiologique
aussi nécessaire que la fermentation au hasard
(les poussières atmosphériques.
M. PASTEUR
Les poussières de r air sont bien les causes
véritables des altérations qui se produisent
dans un milieuorganique altérable qu on ex-
pose à rair : en effet les moisissures ne se
présentent pas dans un liquide organique que
fon soumet à ïinfluence d'un air pur, tel que
celui qui estprissur une haute montagne Join
des lieux habités, ou celui qui est débarrassé
presque complètement des organismes qu'il
tenait en suspension, à la suite d'une longue
pluie qui le lave et le purifie.
SUR Là GÉNÉRATlOiN DBS FERMENTS. 23
M. FREMY
En admettant Texactitude des observations
de M. Pasteur sur l'absence des moisissures
dans un liquide qui est en rapport avec de Tair
purifié, je trouve dans ces faits une objection
très-forte contre les théories de M. Pasteur
relatives à la fermentation et à la présence
des germes de ferment dans Tair atmosphé-
rique.
Tout le monde sait, en effet, que les fermen-
tations alcoolique, lactique, acétique, butyrique,
se produisent aussi facilement dans Tair pur
que dans Tair impur : le vin, le fromage, le
cidre, la bière, le vinaigre, le pain, se fabriquent
sur les hautes montagnes comme dans l'inté-
rieur des villes.
Un air purifié par la pluie, qui ne forme
plus, de moisissures dans les liquides organi-
ques, détermine très-facilement la fermentation
du lait et celle des sucs de fruits.
La production des ferments ne dépend donc
pas des poussières atmosphériques.
Je décrirai du reste des expériences qui
prouvent que les fermentations se produisent
24 sua LiV GËNÉRÀTiON DES FERMENTS.
dans les liquides préservés des moisissures par
Tarrél des poussières atmosphériques.
La génération des moisissures ne doit
donc pas être confondue avec celle des fer-
ments.
M. PASTEUR
Les liquides altérables et fermentescibles
introduits dans des ballons à col recourbé et
effilé, puis soumis à Fébullition, se conservent
sans altération ; cette expérience démontre
que ce sont bien les germes atmosphériques
qui produisent les fermentations ; en effet,
par rébullition, on a tué les germes que F air
avait semésdansleliquide, et, par les sinuosités
du col du ballon, on a retenu les poussières
atmosphériques, cause des fermentations.
M. FREMY
Il me sera facile de renverser les explications
que M. Pasteur donne ici pour soutenir sa
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 25
théorie de la panspermie atmosphérique et de
rendre compte des faits qu'il a observés, en
m'appuyant sur les idées que je soutiens, c'est-
à-dire sur la génération des ferments par les
milieux organiques.
Les liquides fermentescibles qui ont été em-
ployés dans les expériences de M. Pasteur
contiennent des corps organiques vivants, que
j'ai désignés sous le nom de corps hémiorga-
nisés : ce sont ces organismes qui, au contact
de l'air, engendrent les ferments.
Il est évident que si ces corps sont tués par
l'ébullition, comme cela arrive dans les expé-
riences de M. Pasteur, ou si on les abandonne
dans un air qui ne reste pas à l'état normal, on
leur enlève cette force végétative qui leur per-
met d'engendrer des ferments. Si donc les li-
quides fermentescibles, placés dans les ballons
de M. Pasteur, n'éprouvent plus d'altération, ce
n'est pas parce que ces liquides ont été mis à
Tabri des germes de ferments par les sinuosi-
tés du col de l'appareil ; c'est simplement parce
que le liquide producteur a été tué par l'ébulli-
tion.
On peut même expliquer la stérihté des
liquides placés dans les ballons, sans avoir
recours à l'explication fondée sur l'action de
26 SUK LA GÉNÉRATION DKS FERMENTS.
la chaleur, mais en se fondant sur raltcralion
de Tair, comme M. Victor Meunier Ta proposé
le premier, dans un travail très-important.
Je démontrerai par de nombreuses obser-
vations , que tout liquide organique aban-
donné dans un lïacon à col effilé agit rapi-
dement sur Tair; lors môme que le col est
ouvert, Toxygèue s'y trouve bientôt remplacé
par de Tacide carbonique; or, dans un pareil
mélange d'azote et d'acide carbonique, les phé-
nomènes d'organisation deviennent impossibles,
les ferments ne peuvent donc pas y prendre
naissance.
Ainsi, toutes les observations faites sur les
liquides organiques abandonnés dans des bal-
lons à col effilé et ouvert peuvent recevoir des
explications bien différentes de celles qui ont
été données par M. Pasteur, et ne confirment
en aucune façon la théorie de la panspermie
atmosphérique.
M. PASTEUR
Ueaa de levure sucrée que Ton faitbouilliv
pendant deux ou trois minutes^ liqueur émi-
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 27
nemment altérable à F air ordinaire, demeure
intacte, limpide, sans donner jamais nais-
sance à des infusoires ou à des moisissures,
la rsqu' elle est abandonnée au contact de Vair
qui a été préalablement chauffé. Je regarde
donc comme mathématiquement démontré que
toutes les productions organisées qui se
forment à Vair ordinaire dans de Veau sucrée
albumineuse, préalablement portée à fébul-
lilion, ont pour origine les particules solides
qui sont en suspension dans fair.
M. FREMY
Cette expérience est celle du D^ Schwann,
appliquée par M. Pasteur à Teau de levure :
c'est elle qui a servi évidemment de base à la
théorie de la panspermie atmosphérique.
Elle est fondée, comme on le voit, sur rem-
ploi d'un liquide organique soumis à Tébullition.
Or, j'ai admis que les liquides organiques
contiennent des principes hémiorganisés vi-
vants, qui sont tués par l'ébuUition de l'eau: il
est alors bien naturel de voir l'eau de levure se
conserver sans altération, lorsque après so.n
28 SUR L\ GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
ébullition on la met en contact avec de l'air
dont les germes de mycodermes ont été détruits
par la chaleur.
L'observation de M. Pasteur ne jette au-
cune lumière sur le mode de génération des
ferments ; elle confirme simplement une dé-
monstration déjà donnée depuis longtemps.
Pour rechercher si un liquide organique pos-
sède réellement une force végétative qui lui
permet d'engendrer directement des fer-
ments, il ne faut pas commencer, comme dans
l'expérience que je discute, par tuer le liquide
vivant en le portant à l'ébullition.
L'expérience de M. Pasteur n'établit donc
qu'un point qui n'est pas ici en discussion :
c'est que l'eau de levure, après son ébullilion,
peut encore contribuer au développement des
spores qui existent dans l'air ; mais elle ne
prouve en aucune façon que les germes atmo-
sphériques sont les seules causes de la produc-
tion de la levure qui se forme lorsque l'eau
de levure est abandonnée à l'air.
__j
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 29
M. PASTEUR
Du SUC de raisin pris dans l'intérieur du
fruit et du sang retiré directement de la cir-
culation se conservent sans altération, si on
les préserve de ï influence des poussières at-
mosphériques.
Danscecas, on ne peut pas invoquer la mort,
par fébuHition, des substances bémiorgani-
sées vivantes qui existent dans le liquide.
M. FREMY
La conservation du jus de raisin et du sang,
dans les expériences de M. Pasteur, n'est pas
due, comme il le pense, à l'absence des pous-
sières atmosphériques, mais, comme le disait
Needham, aux exhalaisons du liquide orga-
nique qui altèrent Pair des appareils et em-
pêchent les ferments de se développer.
Je soutiens que, dans tous les appareils
où un liquide organique non bouilli se con-
serve, Tair ne présente plus sa composition
normale.
30 SUR L.\ GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
Cette observation de M. Pasteur, qui devait
être le triomphe de sa théorie, c'est-à-dire la
conservation des liquides organiques à l'abri
des poussières de l'air, est loin de présenter,
dans la discussion , l'importance qu'on lui
avait attribuée.
M. PASTEUR
Les matières albumineases ne produisent
pas les ferments; elles ne sont que les ali-
ments des germes de ferments qui existent
dans Vair. Ce qui le prouve, c'est que dans
le développement d'un ferment, on peut rem-
placer la substance albumineuse par un mé-
lange artificiel formé de sucre, de sels am-
moniacaux et de phosphates.
M. FREMY
Je ne crois pas que, dans le développement de
la levure de bière, le mélange artificiel proposé
par M. Pasteur puisse jamais remplacer les
SUR LÀ GÉNÉRATION DBS FERMENTS. 31
substances albumineuses diverses apportées
aux cuves de fermentation, par les céréales,
dans la fabrication de la levure.
J'ai consulté sur ce point les praticiens les
plus habiles; ils m'ont déclaré qu'ils n'avaient
jamais obtenu, en suivant les indications de
M. Pasteur, un ferment comparable à ce-
lui qui se produit dans les conditions nor-
males.
La substance albumineuse est un corps orga-
nisé vivant, par conséquent très-complexe, fort
peu connu des chimistes, et qui appartient à
cette classe de substances que j'ai désignées
sous le nom de corps bémiorganisés, 11 est
possible que les ferments en voie de formation
puisent dans ce milieu les éléments utiles à
leur développement ; mais il est certain aussi
que c'est dans un corps hémiorganisé, comme
la caséine du lait, que s'engendrent tous les fer-
ments qui déterminent les altérations succes-
sives du liquide, et que les poussières de l'air
n'interviennent pas dans le phénomène
32 SUR LA GÉNÉRATION DBS FBRMBNTS.
M. PASTEUR
La théorie des conserves d' Appert est fon-
dée sur la destruction des germes qui existent
dans ïair, ou de ceux que Vair a déposés à la
surface des substances organiques qu'il s'agit
de conserver. Un ballon à col recourbé et ou-
vert constitue un appareil excellent pour les
conserves d' Appert.
M. FREMY
La théorie véritable des conserves d'Appert
n'est pas celle que propose M. Pasteur. Il est
évident que s'il existe, dans Tair et à la surface
des corps qu'il s'agit de conserver, des spores
de champignons ou des œufs d'infusoires, il est
utile de les détruire par l'ébullition pour éviter
l'altération des substances organiques.
Mais la théorie des conserves d'Appert n'est
pas aussi simple que le croit M. Pasteur ; elle est
fondée d'abord sur l'absorption de l'oxygène at-
mosphérique par les substances organiques ,
comme l'a établi Gay-Lussac, et ensuite sur la
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 33
coction des substances albainineuses que la
chaleur lue, et dans lesquelles par conséquent
la force végétative est détruite.
Gomme les corps albumineux ne sont sou-
vent que paralysés par Taction de la chaleur,
et qu'au contact de l'air ils peuvent revivre et
produire de nouveaux ferments, il est nécessaire
que les corps organiques, pour être conservés,
soient enfermés dans des vases bien bouchés et
à l'abri de l'oxygène.
Je ne crois donc pas qu'un vase ouvert à col
effilé puisse jamais servir à la préparation de
bonnes conserves ; la pratique me parait confir-
mer entièrement cette opinion, car on n'a jamais
fait usage d'une manière sérieuse, dans la con-
servation des aliments, des indications don-
nées, il y a déjà longtemps, par M. Pasteur.
Les substances alimentaires ne sont jamais
conservées dans des vases ouverts rappelant
par leur forme les ballons de M. Pasteur.
M. PASTEUR
Dans r expérience de Gay-Lussac, si l'air
en s' introduisant dans une cloche placée sur
3
34 SUR LA GËNËRAtlOiV DBS FBRMBNTS.
le mercure qui contient des grains de raisin
écrasés fait fermenter le suc végétal^ c'est
que cet air apporte les germes qu'il contient
ou qu'il fait arriver dans le suc de fruits des
germes de ferments alcooliques qui existent
à la surface de la cuve à mercure.
M. FREMY
Je discuterai longuement cette expérience
dans mon mémoire, panje qu'elle est une des
plus importantes qui aient été faites sur la fer-
mentation.
Toutes mes observations sont entièrement
d'accord avec celles de Gay-Lussac, et par
conséquent en opposition avec les théories de
M. Pasteur.
Je démontrerai que la fermentation du suc de
raisin a lieu dans Toxygène pur, et que le mer-
cure des cuves ne contient pas de germes
atmosphériques de ferment.
Dans l'expérience classique de Gay-Lussac,
c'est bien le suc du raisin qui, au contact de
Toxygène, produit le ferment alcoolique, et non
les germes qui pourraient exister, soit dans
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 30
Tair, soit à la surface du grain de raisin, soit
sur la cuve à mercure.
M. PASTEUR
Si une liqueur albumineuse sucrée n entre
pas en fermentation lorsqu'elle est exposée à
Fair, c'est que les moisissures qui se forment
à la surface du liquide s'opposent au déve-
loppement du ferment alcoolique.
M. FREMY
Cette réponse m'a été faite par M. Pasteur à
Toccasion d'une objection capitale que je lui ai
adressée dans une séance de l'Académie, et
qui renverse toute sa théorie de la panspermie
atmosphérique.
J'ai dit à M. Pasteur que s'il existait dans
l'air, comme il le croit, des germes de ferment
alcoolique, toute liqueur sucrée contenant les
éléments propres au développement des germes
36 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
de ferment devrait fermenter rapidement, dès
(ju'on Texpose à Tair.
On sait qu'il n'en est rien et qu'une pareille
liqueur ne fermente pas à Pair; donc l'air ne
contient pas de germes de ferment alcooli-
que.
M. Pasteur prétend que dans ce cas la place
est prise par les moisissures qui empêchent
les ferments de se produire. Je prouverai que
cette explication n'est pas admissible et que la
présence des moisissures dans une liqueur
fermentescible n'empêche pas l'action du fer-
ment alcoolique de se manifester sur le
sucre.
M. Pasteur admet lui-même que deux es-
pèces de ferments peuvent coexister dans un
même liquide et agir simultanément sur un mi-
lieu fermentescible; en effet, dans son mémoire
sur la fermentation, page 361, il dit textuelle-
ment que les deux ferments alcoolique et lac-
tique peuvent vivre chacun pour leur propre
compte dans la même liqueur et déterminer les
transformations qui leur sont habituelles.
SUR LA GÉNÉIUTION DES FERMEiNTS. 37
M. PASTEUR
Je ne crois pas à un fait admis par Mit-
cherlich, Cagiriard-Latour et Turpin, à savoir
que les globules de levure crèvent souvent et
épanchent leur contenu granuliforme qui ré-
pand dans le liquide des séminules^ lesquelles
grossissent et deviennent des globules de le-
vure ordinaire. Dans le cours de trois années
d'observations sur la levure de bière, je n'ai
pas rencontré ce fait une fois. Il y a une cir-
constance bien décisive contre lui, c'est le
volume uniforme des globules d'une levure
en voie d'action sur le sucre.
M. FREMY
M. Pasleur me paraît traiter ici bien légère-
ment les observations des savants illustres
qu'il combat.
On comprend du reste Tinlérét que M. Pas-
teur peut avoir à nier la génération de la levure
par le développement de séminules sortant de
38 SUR LA GÉiNâRATlON DBS FERMENTS.
rintérieurd'un grain de levure de bière: un pa-
reil fait est en opposition avec la théorie des
germes atmosphériques, et surtout avec celle de
la génération de prime-saut des grains de
levùï^e, que M. Pasteur a émise pour expliquer
la fermentation intracellulaire. Turpin affirme
que cet épanchement des séminules de levure
s'est produit sous ses yeux. L'existence des
séminules dans Tintérieur des grains de levure
est certaine ; on la constate au microscope et Ton
retrouve ces séminules dans la liqueur que Ton
obtient en broyant à froid de la levure dans
l'eau.
Ces séminules, en raison même de leur té-
nuité, passent à travers les filtres et produisent
ensuite des grains de levure.
On constate la présence de corpuscules com-
parables aux séminules de la levure dans les cel-
lules épidermiques des fruits, dans le suc du
raisin, dans l'infusion d'orge ; ce sont ces orga-
nismes qui produisent le ferment alcooUque et
non les germes atmosphériques que personne
n'a vus.
SUR LA GÉNÉBATION DES FERMENTS. 39
M. PASTEUR
Le germe du ferment alcoolique est le
germe du Mycoderma vini, qui se trouve en
abondance dans r air. Le germe c/m Mycoderma
vini est un des germes les plus répandus dans
l'atmosphère, particulièrement au printemps
et en été. Ce mycoderme a deux genres de vie
essentiellement distincts : moisissure, il s'em-
pare de r oxygène de Pair, le fait servir à
l'assimilation des matériaux de nutrition et
le rend à F état d acide carbonique; ferment,
il se développe à fabri de l'air et devient la
levure alcoolique du raisin.
M. FREMY
J'ai été très-heureux de cette déclaration
de M. Pasteur, parce qu'il devenait possible
alors de soumettre sa théorie à Tépreuve de
Tobservation et de rexpérience.
Si M. Pasteur, en effet, avait soutenu que le
germe de ferment alcoolique était un corps in-
40 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
visible et insaisissable, il m'aurait été bien
difficile de démontrer rigoureusement Timpos-
sibilité de cette hypothèse. Mais aujourd'hui,
d'après les assertions mêmes de M. Pasteur, le
germe du ferment alcoolique est un organisme
que tout" le monde peut recueillir et observer :
c'est celui qui produit le Mycoderma vinï ; il
sera donc facile désormais de reconnaître si la
théorie de la panspermie atmosphérique est
exacte. M. Pasteur sera tenu de démontrer la
présence de ces germes dans tous les liquides
qui éprouvent la fermentation alcoolique ou
dans l'air qui se trouve à la surface de ces li-
quides.
Or, j'établirai que la fermentation alcoolique
se manifeste dans des liquides et dans des at-
mosphères qui ne contiennent pas de germes
du Mycoderma vini.
M. Pasteur affirme que le germe du Myco-
derma vini se développe à l'abri de l'air et qu'il
devient la levure alcoohque du raisin.
En m'appuyant sur cette déclaration de
M. Pasteur, il m'est facile encore ici de
démontrer d'une manière rigoureuse toute l'im-
possibilité de la théorie qu'il soutient.
M. Pasteur a dit souvent dans ses com-
munications que les raisins écrasés fer-
SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS. 41
mentent non-seulement sous Tinfluence des
ferments qui sont apportés par l'air, mais aussi
par le développement des germes du Mycoder-
ma vint qui se trouvent en abondance à Texté-
rieur des grains de raisin.
M. Pasleur vient de déclarer que les germes
du Mycoderma v//77,pour devenir ferment alcoo-
lique, n'ont pas besoin d'oxygène, et qu'à l'abri
de l'air ils se changent en levure alcoolique du
raisin.
S'il en est ainsi, en faisant passer des grains
de raisin sous une éprouvette remplie de mer-
cure et en les écrasant, on doit voir au bout de
quelque temps le suc entrer en fermentation,
puisque, d'après M. Pasteur, les germes duM^-
coderma vini qui sont à l'extérieur des grains
auront donné naissance à du ferment alcoo-
lique.
Je déclare que j'ai répété cette expérience
capitale un grand nombre de fois : j'ai conservé
des raisins ainsi écrasés à l'abri de l'air pen-
dant plus de six mois, et je n'ai jamais observé
le moindre indice de fermentation;
Tandis que la fermentation se produit aussi tôt,
comme l'a vu Gay-Lussac, dès qu'on fait ar-
river de l'oxygène dans le milieu fermentes-
cible.
ii SUR LA GÉNÉRATION DES FËRMBNTS.
11 résulte donc de ces considérations qu'il
n'existe de ferments alcooliques ni dans Tair
ni à Textérieur des grains de raisin.
M. PASTEUR
Le suc de raisin, les Jus de tous les fruits^
le moût de bière, le lait, le sang, l'urine, fer-
mentent lorsquon les expose à Vair, parce
que ces liquides organiques trouvent dans
Tair et en reçoivent les différentes espèces
de germes de ferments qui engendrent toutes
les fermentations que ces milieux peuvent
produire.
M. FREMY
Presque toutes mes expériences ont été in-
stituées pour combattre cette proposition.
Gomment peut-on admettre avec M. Pasteur
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 43
que du lait qui est reçu, en sortant du pis de la
vache, dans un flacon que Ton bouche immé-
diatement, et qui ensuite éprouve cinq fermen-
tations différentes, a trouvé dans Tair précisé-
ment les cinq espèces de germes qui peuvent
produire les ferments alcoohque, lactique,
butyrique, acétique et visqueux ?
Gomme cette expérience peut être répé-
tée en tout lieu et en toute saison, il faudrait
donc supposer, d'après les idées de M. Pasteur,
Texistence constante, dans toutes les parties de
l'air atmosphérique, des germes de ferments les
plus divers.
Les phénomènes s'expliquent d'une manière
beaucoup plus simple dans la théorie que je
propose.
Prenant pour exemple les fermentations du
lait, j'admets que la substance hémiorganisée
qui s'y trouve est vivante, qu'elle se mo-
difie au contact de l'air et que , suivant les
circonstances dans lesquelles on la place, elle
donne naissance successivement ou simultané-
ment aux cinq espèces de ferments qui caracté-
risent la fermentation du lait : ce n'est donc pas
Tair qui apporte au liquide des germes de fer-
ments, c'est le Uquide lui-même qui végète au
contact de l'air, comme tout milieu organique,
44 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
et qui engendre les différents ferments du
lait.
Cette explication s*étend à la fermentation du
suc de raisin ou à celle du moût de bière.
Tout le monde sait que le suc de raisin ex-
trait de Tintérieur du fruil, parfaitement clair
et ne contenant pas de germes organiques,
entre toujours en fermentation lorsqu'il est
exposé à Tair.
Au lieu de supposer avec M. Pasteur que ce
liquide reçoit de l'air des germes de ferment
alcoolique que personne n'a vus, j'admets que
le suc de raisin contient en suspension
une substance hémiorganisée vivante que l'é-
bullition peut tuer, mais qui au contact de
l'air végète, comme la caséine du lait, et produit
le ferment alcoolique.
Il existe également dans le moût de bière
une substance azotée vivante qui, au contact
de l'air, produit la levure de bière : la force de
cette levure et ses propriétés varient avec
les corps que le moût de bière apporte et qui
déterminent le développement de la levure.
Pour démontrer que ce sont bien les liquides
organiques tels que le lait, le jus de raisin,
le moût de bière, qui engendrent les ferments,
il suffit de rappeler que ces liquides, une fois
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 45
soumis à une ébullition suffisante pour tuer les
substances hémiorganisées qui s'y trouvent,
n'éprouvent plus de fermentation alcoolique
quand on les expose à l'air : la chaleur n*a pas
détruit cependant dans ces liquides les corps
qui peuvent nourrir les organismes, car en les
abandonnant pendant un certain temps à l'air
qui contient des spores de mycodermes, on les
voit bientôt se couvrir de moisissures.
Les liquides organiques vivants sont donc réel-
lement les producteurs des ferments.
M. PASTEUR
IJ étude du lait offre des résultais qui pa-
raissent, au premier abord, singulièrement
embarrassants.
En effet, du lait mis en ébullition pendant
deux ou trois minutes, dans un ballon com-
muniquant avec un tube de platine chauffé au
rouge j ne se conserve pas; on peut être assuré
que le lait se caille et se putréfie toujours,
tandis que F eau de levure sucrée et F urine
46 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
soumises à la mrine épreuve n'éprouvent au
cune altération.
M. FREMY
M. Pasteur admet qu'il existe dans le lait
des germes de vibrions qui, en raison de Tal-
calinité du lait, peuvent supporter une tempé-
rature de 100** sans être tués.
L'explication de M. Pasteur me paraît inac-
ceptable : il n'existe pas, en effet, un seul
exemple d'un corps organisé vivant, c'est-à-
dire contenant de l'albumine coagulable à 65^,
qui puisse supporter une température humide
de KW sans être tué.
Certains organismes conservent, je le sais,
leur vitalité lorsqu'à l'abri de l'humidité on les
dessèche à lOO*' ; mais tous sont tués lors-
qu'on les plonge pendant quelques secondes
dans l'eau bouillante.
La théorie que je soutiens rend compte, au
contraire, avec la plus grande facilité du fait
observé par M. Pasteur.
C'est le caséum du lait, substance hémior-
son LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS. 47
ganisée vivante, qui engendre les ferments du
lait. La vitalité du caséum persiste tant que
cette substance n'est pas cuite et coagulée : or,
on sait que le caséum n'est pas coagulé
par une ébuUition de quelques instants : on
comprend donc que le lait, soumis à une ébul-
lition de deux ou trois minutes, puisse encore
engendrer des ferments.
Il ne perd cette faculté que par une longue
coction, ou par l'action d'une température qui
dépasse 100^
M. PASTEUR
Il est démontré aujourd'hui que, dans cen-
taines circonstances, le suc que contiennent
les cellules d'un fruit peut donner naissance
à de r alcool et à de f acide carbonique.
Cette transformation est produite par la
cellule et ne doit pas être assimilée à une vé-
ritable fermentation alcoolique, car on ne
constate pas dans le suc altéré les grains de
ferment alcoolique qui, par leur forme et
48 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
leurs dimensions invariables, caractérisent la
fermentation alcoolique.
En un mot, dans une liqueur qui éprouve
la véritable fermentation alcoolique, tous les
grains de ferment ont à peu près la même
grosseur; ils apparaissent donc de prime-
saut; ils ne commencent pas par être des
grains imperceptibles pour arriver ensuite à
la grosseur que Von connaît; ils ont immé-
diatement la dimension normale.
Or, puisque dans un suc de fruit s' altérant
dans f intérieur des cellules et donnant de
falcool et de Facide carbonique, on ne re-
trouve pas de ferments alcooliques, c'est que
ce liquide na pas éprouvé de véritable fer-
mentation alcoolique.
M. FREMY
Nous arrivons ici à la question capitale qui,
selon moi, condamne d'une manière incontes-
table la théorie de M. Pasteur.
J'ai donné le nom de fermentation intracel-
lulaire à toutes les altérations organiques qui
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 49
peuvent se produire dans les organes où les
poussières de l'air ne peuvent pas pénétrer.
Les fermentations des sucs de fruits dans
l'intérieur des cellules, la transformation am-
nioniacale de l'urine dans la vessie, la coa-
gulation du lait dans les glandes mammaires,
l'altération du sang dans les abcès profonds,
sont pour moi des phénomènes de fermen-
tation intracellulaire produits par des ferments
engendrés dans l'intérieur des organismes,
c'est-à-dire en dehors de l'influence des pous-
sières atmosphériques.
Tous ces faits sont en opposition complète
avec la théorie de M. Pasteur.
M. Pasteur a bien compris la gravité de ces
observations et le danger qu'elles faisaient cou-
rir à ses théories panspermistes ; aussi a-t-il
eu recours à cette explication singulière que je
viens de citer; il admet qu'une production d'al-
cool n'est pas une fermentation alcoolique, lors-
qu'elle n'engendre pas de grains de ferments
reconnaissables à leur forme et à leurs dimen-
sions !
J'établirai dans mon mémoire que cette expli-
cation n'est pas acceptable ; une fermentation
est caractérisée par les corps qu'elle engendre
et non par la forme des ferments qui la pro-
50 SUR LA GÉNÉRATION DES FBRMEiNTS.
duisent; elle peut être déterminée par des fer-
ments très-différents les uns des autres par
leur forme et leurs dimensions.
Quanta celte génération de prime-saut, qui
d'après M. Pasteur caractériserait la production
du ferment alcoolique, je laisse à des savants
plus autorisés que moi, tels que M. Trécul, le
soin de combattre une pareille hypothèse
qui se trouve en contradiction avec tous les
faits qui ont été observés jusqu'à présent sur la
génération et le développement du ferment
alcoolique.
Je ne pense pas qu'un naturaliste puisse ad-
mettre qu'un corps organisé et vivant, comme la
levure, arrive immédiatement et de prime-saut
à des dimensions et des formes qui ne varientpas.
Je me contenterai d'affirmer ici qu'en obser-
vant les ferments qui se produisent dans les
principaux sucs de fruits en fermentation, j'y
ai toujours trouvé des grains présentant les di-
mensions les plus diverses.
Mes observations sont donc en contradiction
complète avec celles de M. Pasteur.
SUR LÀ GÉNÉRATION DES FERMENTS. 51
M. PASTEUR
Dans un nombre considérable d'expériences
où j'ai semé des poussières dans ïair dans de
l'eau de levure sucrée soumise préalablement
à l'ébullilion, il ne m'est jamais arrivé d'ob-
tenir la fermentation du liquide sucré : ce-
pendant rien n'est plus propre que cette li-
queur à donner naissance à la fermentation
alcoolique : l'eau de levure sucrée est consti-
tuée à la manière du moût de raisin^ du moût
de bière et du jus de betterave.
Je démontrerai ultérieurement que cette
particularité tient au rapport qui existait
dans mes expériences entre les volumes de
Fair et du liquide.
M. FREMY
Je trouve encore ici un argument très-fort
contre les théories de M. Pasteur, et je rem-
prunte aux publications mêmes de mon con-
frère de TAcadémie.
Les poussières de Tair recueillies sur du
52 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
colon ne font pas fermenter l'eau de levure
sucrée qui fermente si facilement, c'est M. Pas-
teur qui le dit ; comment peut-il soutenir alors
que le ferment alcoolique est produit par les
poussières de Tair?
J'ajouterai, du reste, que j'ai confirmé moi-
même, dans les expériences les plus variées,
les assertions de M. Pasteur.
Du coton sur lequel j'avais fait passer des
quantités d'air considérables, et que j'avais
mélangé avec des poussières recueillies dans
mon laboratoire et dans l'amphithéâtre du Mu-
séum, n'a jamais déterminé la fermentation
alcoolique du bouillon de levure sucrée.
Gela démontre nettement qu'il n'existe pas
dans Tair de germes de ferment alcoolique.
Au lieu de s'incliner devant cette démonstra-
tion, M. Pasteur aime mieux avoir recours à
cette explication dont il m'est impossible de
comprendre le sens :
Cette particularité^ dit M. Pasteur, est due
au rapport qui existaitdansmes expériences
entre les volumes de fair et du liquide !
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 53
M. PASTEUR
M. Fremy confesserait- il ses erreurs si je
lui démontrais, comme je suis en mesure de
le faire, que le suc naturel du raisin, exposé
au contact de fair privé de ses germes, ne
peut ni fermenter, ni donner naissance à des
levures organisées? Or, je présente à T Aca-
démie du jus de raisin qui se conserve dans
l'air, parce que ce jus, en sortant du fruit ^ a
été introduit dans un air privé de ses
germes.
M. FREMY
La forme tranchante de cette interpellation,
peu usitée entre confrères, est de nature à tromper
les personnes qui sont étrangères aux questions
qui se discutent sur la génération des ferments;
elle peut faire croire que M. Pasteur a réelle-
ment trouvé ici la démonstration expérimen-
tale de sa théorie.
Il n'en est rien ; la disposition môme de l'ap-
pareil qu'emploie M. Pasteur est un obstacle à
54 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
la fermentation du suc. J'ai dit, en effet, que
dès qu'un suc végétai est en rapport avec l air,
ii en absorbe rapidement Toxygène, qu'il change
en acide carbonique. Or, lorsqu'un suc fermen-
tescible est introduit dans un petit appareil
fermé, il se trouve bientôt exposé dans une
atmosphère d'acide carbonique et d'azote qui
est impropre à la génération des ferments.
Si, dans l'expérience de M. Pasteur, le suc du
raisin n'entre pas en fermentation, ce n'est pas
parce que l'air est privé de ses germes ; c'est
simplement parce que cet air ne conserve pas
la composition qui est nécessaire au dévelop-
pement des ferments.
M. PASTEUR
Vous soutenez que les liquides organiques
bouillis dans mes ballons se conservent, non
parce quils sont soustraits à f influence des
germes atmosphériques, mais parce que fai
tué par rébullition la substance bémiorgani-
sée qui pouvait produire des ferments. Eb
bien ! voici unvase dans lequel fai introduit au
contact de fair privé de ses germes du sang
SUR LA GÉlNÉRATION DES FERMENTS. 55
pris directement sur un chien en bonne santé.
C'était le S mars 1863.
La chaleur n'est pas intervenue; orcesanij
na éprouvé aucune putréfaction quelconque,
il n'a fourni aucune production organisée
microscopique.
M . FREM Y
Je réponds à cette observation de M. Pasteur
sur le sang, comme j'ai répondu à celles qu'il
a faites sur les sucs de fruits ou sur du lait
extraits directement de Torganisation.
Dans ces différentes expériences, la conser-
vation des liquides, qui n'est pas cependant
aussi complète que le croit M. Pasteur, n'est
pas due à l'absence des germes atmosphéri-
ques, mais à la disposition même de l'appareil,
qui expose les liquides vivants, tels que le sang,
le lait, les sucs de fruits, dans une atmosphère
d'acide carbonique et d'azote impropre au dé-
veloppement des ferments.
Je rappellerai en outre ici que, dans ces
expériences, il faut bien se garder, comme le
fait constamment M. Pasteur, de confondre le?
56 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
phénomènes de moisissures avec les généra-
tions de ferments.
On sait depuis longtemps qu'il existe dans
Tair des germes de moisissures qui peuvent
agir sur les liquides organiques : il est évident
que pour conserver ces liquides on a intérêt à
les préserver des germes atmosphériques. Donc,
du sang et du lait se conservent plus facilement
dans de Tair purifié que dans de Tair contenant
des germes de moisissures.
Mais ce point n'était pas en discussion.
M. Pasteur, pour soutenir ses théories, avait
à démontrer que les liquides organiques ne
s'altèrent pas lorsqu'ils sont mis en présence
de l'air normal privé de ses germes; or, il n'a
pas donné cette démonstration, puisque dans
ses appareils Tair est forcément altéré.
M. PASTEUR
Voici le programme de huit expériences
qui me sont personnelles et dont je demande
la véritîcation :
V Le moût de raisin ne fermente jamais
au contact de Fair privé des germes qui s'y
trouvent en suspension.
SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
M. FREMY
En venant présenter à TAcadémie le pro-
gramme de hnit expériences dont il demandait
la vérification immédiate, M. Pasteur voulait
évidemment faire entendre qu'il était en mesure
de confirmer, par huit expériences différentes,
sa théorie de la panspermie atmosphérique.
Je vais prendre, une à une, les huit expé-
riences de M. Pasteur, et je démontrerai qu'elles
ne prouvent en rien l'existence dans l'air des
germes de ferments.
Ainsi, dans sa première proposition, M. Pas-
teur affirme que le moût de raisin ne fermente
jamais au contact de l'air privé de ses germes.
Gomment le sait-il? j'ai déjà dit plusieurs fois
et je prouverai plus loin que les appareils em-
ployés par M. Pasteur ne lui permettent pas de
résoudre la question : il attribue à l'absence
des germes atmosphériques une influence qui
est due aux modifications que l'air éprouve
dans sa composition.
En outre, je reproduirai ici un argument
contre M. Pasteur, qui revient plusieurs fois
dans ce travail-et qui me paraît réfuter péremp-
toirement sa première assertion.
58 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
On a démontré qu'il existe dans Tair des
germes d'organismes, et que de Tair filtré sur
des ccrps poreux, ou purifié par des réactifs
énergiques, n'agit plus sur des liquides orga-
niques soumis à l'ébuUition.
En admettant l'existence des germes de
ferments dans l'air, le coton qui a servi à fil-
trer Tair devrait faire entrer en fermentation,
soit le moût de raisin cuit, soit tout autre liquide
fermentescible. On sait qu'il n'en est rien,
tandis que ce coton produit des moisissures.
Donc, l'air contient des germes de moisissures
et ne contient pas de germes de ferments.
M. PASTEUR
2*" Le moût de raisin cuit fermente quand
on y introduit une très-petite quantité d'eau
de lavage de la surface des grains de raisin ,
ou de la surface du bois de leur grappe.
SUR LA GÉiNÉRATlON DBS FERMENTS. 59
M. FREMY
Il faut bien se garder de confondre une fer-
mentation alcoolique véritable qui se produit
immédiatement dès que le ferment alcoolique
est en présence de la liqueur sucrée, avec une
fermentation qui est la conséquence de la pro-
duction des moisissures.
Cette fermentation du moût de raisin cuil,
sous Tintluence des poussières, ne se fait pas
immédiatement, comme dans l'action de la le-
vure de bière sur le sucre.
La fermentation du moût de raisin cuit n'a
lieu que lorsqu'il s'est formé des moisissures
dans la liqueur. Or, on sait aujourd'hui que les
moisissures engendrent des ferments.
M. Pasteur établit donc ici, au profit de ses
théories, une confusion entre la génération des
ferments et celle des moisissures.
M. PASTEUR.
3° Le moût de raisin cuit ne fermente pas
si ïon y introduit de l'eau de lavage de la
60 SUR LÀ GÉNÉRATION DES FERMENTS.
surface des grains de raisin qui a été portée
à rébullition.
M. FREMY
Je suis complètement d'accord ici avec
M. Pasteur sur cette expérience ; mais j'ajoute
qu'elle ne présente aucune importance dans la
question que nous discutons.
Si, en effet, il existe, comme je le crois, à la
surface des grains de raisin des spores de
moisissures, on comprend que ces organismes
seront tués sous l'influence d'une température
humide de dOO^
M. PASTEUR
4° Le moût de raisin ne fermente pas si
fon y introduit une très-petite quantité de
fintérieur d'un grain de raisin.
SUR LÀ GÉNÉRATION DES FERMENTS. 61
M. FREMY
J'ai déjà répondu plusieurs fois à cette obser-
vation de M. Pasteur, et je crois avoir prouvé
qu'elle ne présente que fapparence d'une dé-
monstration de la panspermie atmosphérique.
Si l'expérience se fait dans une quantité
d'air limitée, qui se change bientôt en une
atmosphère d'acide carbonique et d'azote, il est
évident que le ferment alcoolique ne peut pas
prendre naissance, et que la fermentation est im-
possible; mais j'affirme que dans de l'air normal,
privé de poussière, la fermentation se produit.
Je soutiens donc que l'expérience instituée par
M. Pasteur pour démontrer que le suc intérieur
du raisin ne produit pas de ferments est loin
d'être décisive.
En effet, comment M. Pasteur dispose-t-il son
expérience ?
Il commence par introduire 100 ou 150 gram-
mes de moût de raisin bouilli dans un ballon
contenant de l'air pur, puis il y fait arriver une
petite goutte de suc de raisin sortant du fruit :
cette liqueur ne fermente pas, et M. Pasteur
attribue cette inertie du hquide fermentescible
à l'absence des poussières de l'air !
62 SUR LA GÉNÉRATION DES FBRHBNTS.
Cette interprétation de Texpérience ne peut
pas être admise : je suis persuadé que si la fer-
mentation ne se produit pas, cela n'est pas dû
à Tabsence des poussières de l'air, mais aux
conditions dans lesquelles le liquide fermentes-
cible est placé.
Gomment veut-on, comme M. Trécul Ta par-
faitement dit, que quelques milligrammes de
suc de raisin ainsi /^o/és dans 100 grammes de
moût de raisin préalablement soumis à l'ébul-
lition puissent entrer en fermentation? et si
celte fermentation se produisait, comment pour-
rait-on la reconnaître ?
Pour donner à cette expérience une appa-
rence de contrôle synthétique, M. Pasteur fait
rentrer de Tair ordinaire dans son appa-
reil, et il reconnaît alors que le liquide fer-
mente.
Cette seconde partie de Texpérience peut
tromper ceux qui ne Texaminent pas de près,
mais elle n'ajoute rien à la démonstration.
On sait en effet que des moisissures en-
gendrent des ferments : or, en faisant rentrer de
l'air dans un ballon, M. Pasteur introduit des
germes de mycodermes qui à la longue produi-
sent des ferments.
La fermentation du liquide, à la suite de la
SUR LA GÉNÉRATION DES FBRMBNTS. 63
rentrée de l'air ordinaire, est donc encore un
de ces phénomènes secondaires qu'il faut bien
se garder de confondre avec la fermentation
alcoolique normale, qui se produit immédiate-
ment dès qu'un ferment est introduit dans un
milieu fermentescible.
On peut dire en outre que la rentrée de Tair
normal permet aux corps hémiorganisés con-
tenus dans le suc d'engendrer des ferments.
M. PASTEUR
5** Les raisins placés dans une atmosphère
d'acide carbonique donnent immédiatement
de r alcool.
M. FREMY
Cette déclaration de M. Pasteur, qui s'est
trouvée vérifiée par toutes mes observations
sur la fermentation intracellulaire, me paraît
être la condamnation absolue de la pansper-
mie atmosphérique.
64 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Si en effet des raisins placés dans une at-
mosphère d'acide carbonique donnent immé-
diatement de Talcool, on ne peut pas admettre
que les poussières atmosphériques aient péné-
tré dans l'intérieur des cellules; c'est donc le
milieu organique qui a produit directement la
fermentation en engendrant le ferment alcooli-
que, même à l'abri de Toxygène.
M. PASTEUR.
G** Dans Fîntérieur des grains de rexpé-
rience précédente il n'y a pas de cellule de
levure, alors même que la quantité d'alcool
produite est considérable.
M. FREMY
Je crois qu'aujourd'hui M. Pasteur ne se-
rait plus aussi affirmatif , et que , d'accord
avec plusieurs observateurs, il retrouverait du
ferment alcoolique dans l'intérieur des fruits
qui ont éprouvé la fermentation intracellu-
laire.
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 65
Supposons même que M. Pasteur ne re-
trouve pas» dans les cellules, le ferment alcoo-
lique ordinaire.
Je demanderai à M . Pasteur s'il connaît bien
toutes les espèces de ferments alcooliques qui
peuvent se former : celui qui a produit la fer-
mentation alcoolique intracellulaire peut avoir
échappé à ses recherches.
M. PASTEUR
l'' Les gouttes d'une grappe de raisin
écrasé fermentent comme les grandes masses
de vendange.
M. FREMY
M. Pasteur émet cette proposition pour ré-
pondre à une objection que je lui avais faite à
un moment où je pensais que, pour établir
l'inertie d'un suc de raisin misa l'abri des pous-
sières, il opérait sur des fractions de gouttes
de jus de raisin placées dans des tubes étroits.
Cette observation n'a plus d'importance au-
5
66 SUR LA GÉNÉRATION DRS FBRMBNTS.
jourd'hui : cependant je dois dire ici qu'il m'est
arrivé souvent de préserver un suc de fruit de
la fermentation en Tintroduisant dans des tubes
capillaires qui ne contiennent qu'une faible
quantité d'air dont la composition se trouve
promptement altérée.
M. PASTEUR
8^ Le moût de raisin naturel donne nais-
sance H une petite levure qui apparaît de
prime-saut avec sa g rosse ur^ et non avec
toutes les grosseurs^ entre le point aperce-
vable et la dimension des bourgeons déta-
chés des cellules.
M . FREMY
Cette assertion se trouve en contradiction
avec tous les faits qui ont été constatés par un
grand nombre d'observateurs, et même avec un
principe admis par M. Pasteur lui-même. N'a-
t-il pas dit que la fermentation alcoolique est
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS. 67
toujours accompagnée d'une organisation et
d'un développement de globules ?
Gomment M. Pasteur peut-il faire accorder
ce développement de globules avec la généra-
tion de prime-saut des ferments?
Les théories de M. Pasteur conduisent donc
à des contradictions évidentes.
Je viens de résumer, d'une manière assez
complète, la discussion que j'ai soutenue contre
M. Pasteur devant l'Académie des sciences
pendant les années 1871 et 1872.
Pour réfuter les théories de M. Pasteur sur
la génération des ferments, on voit que j'ai eu
plutôt recours, jusqu'à présent, à des arguments
inspirés par la logique et le bon sens qu'à des
démonstrations expérimentales proprement
dites.
J'ai actuellement à faire connaître les expé-
riences que j'oppose à celles qui ont été pro-
duites par M. Pasteur, et que j'ai instituées à
l'occasion du débat qui s'est engagé devant
l'Académie.
POUSSIÈRES DE L'AIR ET MOISISSURES
Les partisans des théories de M. Pasleur
étendent à la génération des ferments tous les
faits qui se rapportent au développement des
inoisissures : ils soutiennent que la production
des moisissures, par les poussières de l'air,
établit également la génération des ferments
par les mêmes poussières,
Ce raisonnement me paraît absolumentfaux,
et je proteste de la manière la plus énergique
contre une pareille confusion.
Avant de traiter de la génération des fer-
ments, je tiens donc à m'expliquer nettement
sur le mode de production des moisissures et
70 SUR L\ GÉNÉRATION DES FERMENTS.
à faire ressortir les analogies ou les différences
qui existent entre la formation de ces deux
sortes d'agents de décomposition organique.
Si je combats l'existence dans Tair des ger-
mes defermentS; je suis loin de nier, comme je
Tai déclaré plusieurs fois, la présence acci-
dentelle dans l'air atmosphérique d'orgauismes
différents qui, en tombant dans les milieux fer-
mentescibles, y produisent des altérations plus
ou moins profondes et dont l'action s'ajoute
alors à celle des ferments.
Je sais que dans les poussières de l'air, que
le soleil nous fait apercevoir si facilement et
que l'on peut recueillir par différentes métho-
des, il existe des germes d'organismes tels que
des œufs d'infusoires et des spores de myco-
dermes; cependant j'affirme que ces germes
ne sont pas aussi répandus dans l'air que le
croit M. Pasteur,
J'admets également qu'un air qui produit
des moisissures dans des infusions organiques
soumises à fébuUition perd cette propriété
lorsqu'on le prive de ses germes organiques.
Ces faits sont incontestables et acquis à la
science depuis longtemps.
Mais l'influence des poussières de l'air sur
le développement des moisissures n'exclut pas
POUSSIÈRES DE L'AIR ET MOISISSURES. 71
la puissance végétative des infusions organi-
ques qui n'ont pas été soumises à Tébullition
et qu'on expose à l'influence vivifiante de Tair
atmosphérique.
En un mot, M. Pasteur croit que les moisis-
sures ne peuvent être engendrées que par les
germes qui se trouvent en suspension dans
Tair, et il n'accorde pas celte force de produc-
tion aux liquides qui sortent des organismes.
Ma théorie est plus large ; j'admets que les
moisissures peuvent être formées par les ger-
mes atmosphériques, mais aussi par les li-
quides vivants qui possèdent une force végé-
tative que l'organisation leur a communiquée.
Seulement les infusions organiques perdent
la faculté de produire des moisissures lorsqu'on
les a tuées par l'ébuUition, ou qu'on les aban-
donne dans un air dont la composition se
trouve modifiée parle contact même du liquide
organique.
Telle est mou opinion sur la génération des
moisissures ; je leur attribue, comme on le voit,
deux origines : elles peuvent provenir de lair
et aussi des liquides organiques.
Ces deux origines différentes peuvent-elles
être admises pour les ferments? Ces agents
viennent-ils à la fois de l'air et des liquides or-
72 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
ganiques? Je ne le pense pas ; et ici je diffère
complètement d'opinion avec M. Pasteur, qui
affirme, comme on le sait, que tous les fer-
ments viennent de Tair, tandis que je sou-
tiens que les ferments ne sont apportés par Tair
que dans des cas exceptionnels et que c'est le mi-
lieu fermentescible qui les produit directement.
Ce point du débat étant je crois nettement
posé, je vais décrire les expériences qui
me paraissent de nature à confirmer les prin-
cipes que je défends.
I
Les poussières qui se trouvent en suspension
dansTair peuvent être recueillies par différentes
méthodes.
On sait que Tair qui passe sur une colonne
suffisamment longue de coton-poudre y dépose
toutes les particules solides qu'il tient en sus-
pension. Quand on dissout ensuite le tissu
organique qui a servi à la fillration de l'air,
dans un mélange d'alcool etd'éther, on obtient,
comme M. Pasteur l'a démontré, tous les orga-
nismes solides qui se trouvaient dans l'air;
les poussières de l'air , ainsi recueillies , ' pro-
POUSSIÈRES DE L'AIR ET MOISISSURES. 73
duisent constamment des moisissures, lors-
qu'on les sème dans des liquides organiques
altérables.
Si Tair contenait, comme le veut M. Pasteur,
les germes des ferments qui engendrent les fer-
mentations proprement dites, c'est-à-dire les
germes de ferments alcoolique, butyrique , lac-
tique, acétique, tartrique, etc., et si ces germes
existaient dans l'air en assez grande quantité
pour faire fermenter en tous lieux du suc de
raisin, du lait ou du moût de bière, n'est-il pas
évident que cet air, ainsi chargé de germes dif-
férents, devrait laisser sur le coton-poudre des
germes de ferments appréciables au microscope,
comme il laisse des spores de moisissures et des
œufs d'infusoires que l'on voit très-nettement?
ce coton-poudre, ainsi imprégné de germes de
ferments, devrait produire toutes les fermen-
tations qui se manifestent par le contact de l'air,
comme il engendre les moisissures .
Rien de semblable n'a lieu. J'ai fait passer
des centaines de litres d'air sur du coton-pou-
dre ; j^en ai extrait les particules solides que
l'air y avait déposées ; en les soumettant à
un examen microscopique, je n'ai jamais ren-
contré, dans ces poussières, des organismes qui
pourraient correspondre aux germes atmo-
74 SUR LA G&NBRÂTION DBS FERMENTS.
sphériques de ferments qui, d'après M. Pas-
teur, devraient exister dans l'air.
Il y a plus ; j'ai introduit ces corpuscules,
arrêtés par le coton, dans les liquides qui
conviennent le mieux au développement des
germes et qui étaient composés de sucre, de
tartrate d'ammoniaque et de cendres de levure ;
des moisissures se sont développées au bout
d'un certain temps dans la liqueur, parce que
les poussières contenaient des spores de myco-
dermes; mais dans ces essais, que j'ai multipliés
autant que possible, je n'ai jamais produit les
fermentations variées qui auraient dû se ma-
nifester si l'air eût contenu des germes de fer-
ments différents.
J'ai soumis à de pareilles épreuves des pous-
sières recueillies dans les localités les plus
diverses ; elles ont souvent engendré des moi-
sissures, mais dans aucun cas elles n'ont donné
naissance aux fermentations que produisent
les sucs de fruits, le moût de bière et le lait.
Ces premières observations me paraissent
donc établir déjà que les germes de ferments
ne se trouvent pas dans les particules solides
contenues dans l'air et que sous ce rapport
il existe une différence considérable entre la
génération des ferments et celle des moisissures.
j
POUSSIERES DB L'AIR ET MOISISSURES. 75
II
Leeuwenhoek démontrait, il y a plus de deux
siècles, que Teau de pluie entraîne presque tous
les organismes qui existent dans Tair, et que la
première eau de pluie détermine très-facilement
des moisissures dans des liquides organiques ,
tandis que la dernière n'est plus sensiblement
active.
S'il existait dans Tair des germes de ferments,
la pluie devrait les entraîner, comme elle enlève
lesœufsd'infusoiresetlessporesdemycodermes.
En faisant fermenter , à Tair , du suc de
raisin , du moût de bière, du lait ou de l'eau de
levure sucrée, je n'ai jamais constaté de diffé-
rences entre ces fermentations opérées avant ou
après la pluie.
Les poussières de l'air, qui exercent une in-
fluence incontestable sur la production des moi-
sissures, n'agissent donc en aucune manière
sur les phénomènes de fermentation.
III
Pour démontrer que les moisissures sont
produites par des germes qui existent dans l'air,
7H SUR U GÉNÉRATION DES FERMENTS.
M. Pasteur a emporté ses ballons à col recourbé,
qui contenaient des infusions organiques, sur
une haute montagne, et là, en cassant Texlré-
mité du col des ballons, il a mis les liquides
altérables en contact avec de Taîr qu'il consi-
dérait comme éminemment pur, et qui ne de-
vait pas contenir sensiblement de germes de
mycodermes.
Il aconstaté que,dans un grand nombre decas,
l'airainsiprivédegermesde moisissures n'exerce
aucune action sur les liquides organiques.
M. Pasteur a tiré de cette observation la con-
clusion suivante : c'est que les poussières atmo-
sphériques sont les seules causes de la produc-
tion des moisissures.
Si ce raisonnement est juste, il doit s'apph-
quer aussi bien aux germes de ferments qu'aux
germes de mycodermes : si les poussières de
l'air sont les seules causes de la génération des
ferments, les liquides fermentescibles ne doivent
pas s'altérer dans un air pur.
Ici encore l'expérience donne tort à M. Pas-
teur : j'ai reconnu en^effet que les liquides fer-
mentescibles tels que le lait, le suc de raisin,
le moût d'orge, l'eau de levure sucrée, fermentent
aussi facilement sur les montagnes élevées que
dans les villes.
POUSSIÈRES DE L'AIR ET MOISISSURES. 77
Les poussières de Tair n'engendrent pas les
ferments : les observations faites sur les moi-
sissures ne peuvent donc pas s'appliquer aux
fermentations.
IV
M. Pasteur a démontré qu'une liqueur sucrée
qui contient du tartrate d'ammoniaque et des
cendres de levure peut, aussi bien que l'albu-
mine, convenir au développement des germes
de ferments.
Je me suis servi précisément de cette liqueur
artificielle, qui ne contient pas d'organismes, et
dont la composition a été donnée par M. Pas-
teur, pour démontrer qu'il est impossible d'ad-
mettre, dans l'air, la présence des germes de
ferments.
Si ces germes existent réellement dans Tair,
n'est-il pas évident qu'en exposant à l'air une
liqueur qui, comme celle de M. Pasteur, est émi-
nemment propre au développement des germes
de ferment, elle devrait manifester toutes les
espèces de fermentations qu'un suc de fruit
éprouve à l'air?
Or, il n'en est rien ; dans toutes les expé-
78 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
riences que j'ai répétées un grand nombre de
fois, la liqueur de M. Pasteur n'a jamais pro-
duit une fermentation directe comparable à
celle qu'éprouve une dissolution de sucre dans
laquelle on introduit de la levure : au bout de
quelque temps, elle a seulement donné nais-
sance à des moisissures.
Cette observation démontre donc, comme
je Pai dit devant r Académie , l'absence des
germes de fermentsdansV air atmosphérique;
elle renverse complètement la théorie de la
panspermie atmosphérique que M. Pasteur
applique à la génération des ferments.
Lorsque M. Pasteur a eu connaissance de
l'observation que je viens de reproduire, il m'a
adressé, dans une séance de l'Académie, une
réponse dont tout le monde reconnaîtra la fai-
blesse :
« M. Fremy sait-il bien ce qu'il demande ?
s'est écrié M. Pasteur ; c'est à peu près de faire
pousser du blé dans un terrain couvert d'autres
plantes : si dans l'expérience de M. Fremy
les fermentations ne se sont pas manifestées
lorsqu'une liqueur composée de sucre, de tar-
trate d'ammoniaque et de cendres de levure
a été exposée à l'air, c'est que cette liqueur
s'est couverte de moisissures ; la place étant
POUSSiâRES DB L'AIR ET MOISISSURES. 79
prise par les mycodermes , les ferments n'ont
pas pu se développer. »
Voici donc la réponse de M. Pasteur : la
place est prise, et les moisissures empêchent
les germes atmosphériques de ferments de se
développer.
Qui pourrait accepter une pareille assertion?
Puisque M. Pasteur compare souvent les mi-
lieux fermentescibles à des terrains agricoles,
et le développement des ferments à des phéno-
mènes de germination, je lui dirai qu'en semant
dans une terre, au même moment, des graines
différentes, on constate parfaitement le rféve-
loppement simultané, au moins pendant un
certain temps, des végétaux les plus divers.
Si Tair contenait, comme le croit M. Pasteur,
des spores de mycodermes et des germes de
différents ferments, et si cet air venait à semer
ces germes dans des milieux propres à leur dé-
veloppement, quelques-uns de ces germes de fer-
ments agiraient sur le sucre et produiraient
au moins un commencement de fermentation :
c'est ce qui n'a jamais lieu.
Pour compléter ici la réponse que j'avais déjà
faite à M. Pasteur devant TAcadémie, je me
suis livré à des essais directs, afin d'opposer
des expériences aux affirmations de mon savant
k
80 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
confrère et de rechercher si réellement les
moisissures empêchent le ferment alcoolique de
se développer et d'agir sur le sucre.
En introduisant des spores de moisissures et
de la levure de bière dans une liqueur propre
au développement du ferment qui contenait du
sucre, du tartrate d'ammoniaque et des cendres
de levure, j'ai reconnu que les deux organismes
peuvent se développer simultanément, et que la
présence des mycodermes n'arrêtait pas la fer-
mentation alcoohque.
M. Pasteur a consigné dans ses recherches,
et reproduit récemment la déclaration suivante :
« Si l'on constitue des milieux fermentesci-
bles dans lesquels il n'existe que trois sortes
de substances, des matières pouvant fermenter,
des sels minéraux convenablement choisis , et
en troisième lieu des germes de ferments, les
fermentations se déterminent. »
J'ai constitué , d'après les indications de
M. Pasteur, un milieu contenant la matière fer-
meutescible, j'y ai ajouté des sels minéraux con-
venablement choisis, et j'ai exposé le milieu
fermentescible au contact de l'air : des ferments
ne se sont pas produits ; la fermentation n'a
pas eu heu, donc l'air atmosphérique ne con-
tient pas de germes de ferments.
POUSSIÈRES DE L'AIR ET MOISISSURES. 81
L'argument que j'ai opposé à M. Pasteur,
dans une séance de l'Académie, conserve donc
toute sa force.
V
Pendant longtemps M. Pasteur s'est con-
tenté de soutenir que les ferments étaient pro-
duits par des germes qui existaient dans l'air,
sans s'expliquer sur leur nature véritable et
sur les moyens à employer pour constater leur
présence dans l'atmosphère : il était bien difficile
alors de discuter le rôle physiologique d'êtres
invisibles et insaisissables. Mais une déclara-
lion de M. Pasteur, faite à la séance de l'Aca-
démie du 2:2 janvier 1872, est venue changer
complètement l'état de la question, et lui a
fait faire un pas considérable.
M. Pasteur s'est exprimé de la manière sui-
vante devant l'Académie :
(( Je puis démontrer avec rigueur que le
germe de la levure de raisin est le germe du
Mycoderma vini\ que ce germe est un des plus
répandus dans Tatmosphère, principalement au
printemps et en été. »
6
82 SUR LA GÉNÉRATION DBS FBRMENTS.
Je me suis empressé de constater devant l'A-
cadémie, l'importance de celte déclaration faite
par M. Pasteur, et de montrer Tinfluence
qu'elle devait exercer sur la discussion.
« Voici enfin, ai-je dit à l'Académie, la théo-
rie de M. Pasteur sur la panspermie atmo-
sphérique qui pourra être soumise à l'épreuve
rigoureuse de la méthode expérimentale; au-
cune découverte, si elle est vraie, ne sera
plus utile à la discussion que je soutiens contre
M. Pasteur. Toutes les fois qu'un suc de raisin
fermentera à l'air, c'est que cet air contiendra,
d'après M. Pasteur, des germes àe Mycoderma
vini : il est bien entendu que si le suc du
fruit, bien filtré et ne contenant pas d'orga-
nismes, fermente dans un air qui ne présente
*
pas de germes du Mycoderma vini, c'est que
la théorie de M. Pasteur est fausse, et que les
ferments sont produits par le liquide organique
lui-même. »
Il me restait donc à soumettre aux épreuves
de l'expérience les déclarations de M. Pasteur,
et à rechercher si, effectivement, un suc de
raisin bien limpide et privé de tout germe du
Mycoderma vini était par cela même sous-
trait à la force de fermentation.
L'expérience est venue condamner la théorie
POUSSIÈRES DB L'AIR BT MOISISSCRES. S3
de M. Pasteur : j'ai préparé du suc de raisin
d'une limpidité absolue, dans lequel on n'aper-
cevait pas de traces d'organismes, je l'ai intro-
duit dans des flacons oij je faisais arriver l'air
entièrement débarrassé de germes, soit par son
passage sur du coton, soit par la chaleur, soit par
l'action de réactifs énergiques : dans ces condi-
tions, le suc de raisin est entré toujours en
fermentation, et a jiroduit des quantités abon-
dantes de ferment alcoolique.
Il est donc établi que du suc de raisin qui ne
contient pas de germes du Mycoderma vini\ et
qui se trouve placé dans un air qui n'en pré-
sente pas, peut produire des ferments.
Comme, d'après M. Pasteur lui-même, c'est
le germedu Mycoderma W/j/quidonne lieu au
ferment du raisin , on est conduit à admettre ainsi
que dans du suc de raisin le ferment est en-
gendré par le liquide organique, et non pas les
poussières de l'air.
VI
Pour établir les différences considérables qui
existent entre la génération des fenneiils ei celle
des moisissures, j'ai institué les expériences
A
84 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
suivantes qui me paraissent absolument con-
cluantes :
Lorsqu'on expose à l'air, dans des appareils
différents, de Teau de levure sucrée que Ton fait
bouillir, ou du suc de raisin soumis préalable-
ment à Tébullition, on constate que ces liquides
n'entrent plus en fermentation ; mais au bout
de quelque temps ils se couvrent de moisis-
sures qui finissent par envahir les liqueurs, et
qui produisent des phénomènes que j'analyserai
plus loin.
J'explique ces faits de la manière la plus
simple en admettant que l'ébullition a détruit
la force végétative du liquide et lui a enlevé le
pouvoir d'engendrer des ferments.
Mais comme l'air contient souvent des spores
de moisissures, on comprend le développement
de mycodermes dans un liquide organique
exposé à l'air après son ébuUition.
N'est-il pas évident que si l'air eût contenu des
germes de ferments, ces germes se seraient déve-
loppés dans le liquide organique bouilli, comme
les spores atmosphériques de Pénicillium ?
M. Pasteur dira peut-être que les germes
atmosphériques de ferment ne se sont pas
développés dans le liquide, d'abord parce que
la liqueur ne convient pas à ces organismes.
POUSSIÈRES DE L'AIR ET MOISISSURES. 85
et ensuite parce que la place est prise par les
mycodermes.
L'observation que je vais consigner dans le
paragraphe suivant démontrera clairement que
cette argumentation ne peut pas être admise .
Je prouverai en effet que les mycodermes qui
se forment dans le liquide soumis à Tébullition
peuvent eux-mêmes engendrer des ferments qui
font entrer ensuite la liqueur en fermentation.
Donc le liquide organique, dans l'expérience
précédente, était propre au développement des
germes de ferments, puisqu'à partir du mo-
ment où les moisissures se forment, les fer-
ments apparaissent, et que ce même liquide
entre ensuite en fermentation.
Il sera établi en outre, par cette observation,
que la présence de mycodermes n'empêche pas
l'action des ferments alcooliques.
On arrive donc forcément à la conclusion
suivante :
Si un liquide organique porté à l'ébuUition et
sucré, que l'on expose à l'air, se couvre de
moisissures et ne fermente pas, c'est que l'air
contient des spores de mycodermes et qu'il ne
renferme pas de germes de ferments.
86 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMANTS.
VII
Les observations que je vais décrire sont de
nature à déterminer les rapports qui existent
entre la génération des ferments et celle des
moisissures.
Les travaux si nombreux et si importants
de MM. Turpin. Trécul, Berkeley, Bail, Hoff-
mann, Béchamp, Pouchet, Hollier, Musset,
Joly, etc., publiés sur cette question, limitaient
beaucoup ceux que j'avais à entreprendre.
Mes recherches ont porté particulièrement
sur les moisissures qui s'engendrent dans les
dissolutions de quelques corps organiques tels
que Tacide tartrique, le citrate de magnésie, la
décoction de noix de galle, les eaux de lavage
du noir de raffineries, le moût de bière et le
moût de raisin.
Elles ont pour but d'établir qu'il se forme,
dans l'intérieur des tubes mycodei*miques, pai*
conséquent dans des conditions où les pous-
sières de l'air ne peuvent pas pénétrer, des
organismes qui agissent ensuite comme de véri-
tables ferments.
La production de ferments dans de pareils
POUSSIÈRES DE L'AIR ET MOISISSURES. 87
conditions est, je crois, une démonstration ri-
goureuse de la thèse que je soutiens contre
M. Pasteur ; elle prouve, en effet, que les orga-
nismes créent directement des ferments sans
Tintervention des germes atmosphériques.
Lorsqu'on suit au microscope la formation
des tubes mycodermiques qui se développent
dans une dissolution d'acide tar trique, on re-
connaît que ceux qui sont de nouvelle formation
restent incolores , transparents, et qu'ils ne
contiennent pas de particules solides dans leur
intérieur.
En vieillissant, ces tubes prennent de la cou-
leur et se remplissent de corpuscules organisés
qui peuvent sortir des tubes et se mettre en
suspension dans la liqueur, soit spontanément,
soit par une légère pression.
Si on introduit cette végétation mycodermique
dans une mousseline très-fine et qu'on la com-
prime dans de l'eau distillée, il est facile
de séparer mécaniquement les granules qui
existent dans les tubes. En mettant sépa-
rément dans de l'eau sucrée ces deux parties
de la végétation mycodermique, j'ai reconnu
que les tubes n'agissaient que très-lentement
sur le sucre, tandis que les granules qui pré-
sentaient l'aspect de certains ferments trans-
88 SUR hk GÉNÉRATION DBS FERMENTS
formaient le sucre soit en acide lactique, soit
en acide butyrique, et que, dans cette fermen-
tation, il se dégageait tantôt de Thydrogène,
tantôt de Tacide carbonique.
Voici donc un mode de génération de fer-
ments bien nettement établi; en suivant une
végétation mycodermique on assiste à la for-
mation de véritables ferments qui s'engendrent
dans des tubes organiques fermés, par consé-
quent dans des conditions où les prétendus
germes atmosphériques de M. Pasteur, c'est-à-
dire les poussières de Tair, ne peuvent pas pé-
nétrer.
La production intracellulaire des ferments,
en présence des mycodermes, détruit, comme
je l'ai dit, cette affirmation de M. Pasteur rela-
tive à l'influence des moisissures qui, d'après
lui, s'opposeraient , en prenant une place
prépondérante dans le liquide, au dévelop-
pement des ferments alcooliques.
Les premiers tubes mycodermiques incolores
qui apparaissent dans le liquide n'exercent d'a-
bord sur lui aucune action chimique ; mais dès
que ces tubes prennent de la coloration et de
l'opacité, ils émettent des granules, qui sont de
véritables ferments ; ils agissent alors sur le
sucre et le décomposent.
POUSSIÈRES DE L'AIR ET MOISISSURES. 89
Les moisissures et les ferments peuvent donc
se développer simultanément dans un liquide
sucré : ce liquide exposé à l'air devrait éprouver
la fermentation s'il existait réellement dans
Tair des germes de ferments.
VIII
Je dois ici aller au-devant d*une objection que
Ton pourrait adresser à l'observation précé-
dente.
L*air, pourrait-on me dire, contient des
germes de mycodermes ; vous admettez que ces
mycodermes, dans leur développement orga-
nique, produisent des ferments ; donc tous les
ferments viennent de l'air et des germes qu'il
contient.
Un pareil raisonnement est inadmissible ;
il ne faut pas confondre le phénomène qui se
produit d'une façon secondaire avec la géné-
ration ordinaire des ferments qui est directe
et immédiate.
On sait que lorsqu'un liquide sucré, comme
le suc du raisin, entre en fermentation , il se
90 SUR LÀ GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
trouble immédiatement, et se remplit de grains
de ferment; on n'y trouve jamais de tubes
mycodermiques. La génération des ferments
est donc directe et ne se produit pas par l'in-
termédiaire dçs moisissures.
Telles sont les principales considérations
qui établissent, selon moi, une différence es-
sentielle entre la génération des moisissures et
celle des ferments ; je les résumerai en quelques
mots.
Toutes les observations qui prouvent la
présence accidentelle dans Tair de germes de
moisissures peuvent être invoquées pour dé-
montrer précisémen); l'absence des germes de
ferments.
Ainsi les infusions organiques sucrées, por-
tées à l'ébullition et exposées à l'air, se couvrent
au bout d'un certain temps de moisissures et ne
fermentent pas, ce qui prouve que l'air contient
des germes de moisissures et non des germes
de ferments.
Les liquides fermentescibles tels que le lait,
les sucs de fruits, fermentent en tous lieux,
même dans un air purifié par une longue pluie,
tandis que les liquides organiques portés à
POUSSlÉliES DE L'AIH ET MOISISSURES. 91
rébuUition et placés dans les mêmes conditions
n'engendrent plus de moisissures ; celte obser-
vation établit donc que les moisissures peuvent
être produites par les poussières de l'air,
tandis que c'est la force végétative des liquides
organiques qui engendre les ferments.
Enfin les poussières de l'air, une fois recueil-
lies, introduites dans les liquides organiques su-
crés, produisent rapidement des moisissures,
tandis qu'elles n'engendrent pas directement
des ferments.
En m'appuyant sur les faits qui précèdent,
je suis donc déjà en droit de soutenir que la
génération des moisissures par les poussières
de l'air ne peut pas être étendue à celle
des ferments, que rien ne démontre l'existence
dans l'air de germes de ferments, et que ces
agents de décomposition paraissent tirer leur
origine des liquides organiques eux-mêmes,
qui sont doués d'une véritable force végétative.
C'est cette vitalité de certains liquides orga-
niques, ou plutôt celle des corps hémiorganisés
qui s'y trouvent, que je vais essayer de dé-
montrer actuellement par rexpérience.
IX
EXPÉRIENCES QUI ÉTABLISSENT LA VITALITÉ ET
LA FORGE VÉGÉTATIVE DE CERTAINS LIQUIDES
ORGANIQUES
La théorie de la généralion des fermenls
que je soutiens et que j'oppose à celle de
M. Pasteur repose sur le principe suivant : c'est
que les cellules vivantes, et certains liquides
qu'elles contiennent, possèdent une force d'or-
ganisation qui leur permet d'engendrer des
ferments.
La vitalité des cellules dans lesquelles les
ferments se produisent n'a pas besoin d'être
démontrée; elle est admise par tout le monde.
94 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Mais il n'en est pas de même des liquides dans
lesquels l'inspection microscopique ne permet
pas souvent de distinguer des formes organi-
ques bien nettes.
C'est donc la vitalité des liquides organi-
ques qu'il s'agit d'établir par l'expérience.
Dans cette étude, il m'a paru d'abord indis-
pensable de soumettre à une série d'essais les
ballons à col effilé et recourbé qui ont joué un
grand rôle dans les travaux de M. Pasteur et de
rechercher si ces appareils, dans lesquels les
liquides organiques ont été si souvent expéri-
mentés, ne peuvent pas eux-mêmes occasion-
ner des erreurs.
L'air qui rentre dans un ballon, après l'ébul-
Ution d'un liquide placé dans ce ballon à col
effilé et recourbé, n'est-il pas altéré rapide-
ment par l'action du liquide qui a conservé,
même après l'ébuUition, une certaine force vé-
gétative, comme cela arrive pour le lait?
Kn outre, les phénomènes de diffusion du
gaz se produisent-ils dans un ballon dont le col
est effilé et recourbé? Si la diffusion n'a pas
lieu, les hquides organiques abandonnés dans
un ballon à col effilé et recourbé ne se trou-
vent plus dans un air atmosphérique normal,
quoique le col du ballon soit ouvert.
VITALITÉ DB CERTAINS LIQUIDES. 95
Alors, les phénomènes observés par M. Pas-
j leur dans ces sortes d'appareils ne seraient pas
dus seulement à Tabsence des germes atmo-
sphériques, mais aussi aux modifications que
l'atmosphère des ballons a éprouvées dans sa
composition chimique.
Les expériences consignées dans les tableaux
suivants ont été instituées pour résoudre quel-
ques-unes de ces questions.
Action
SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
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93 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
Les expériences dont je viens de faire con-
naître les résultats conduisent aux conséquen-
ces suivantes, qui me paraissent importantes
au point de vue delà discussion que je soutiens
contre M. Pasteur:
1** Les liquides organiques abandonnés dans
un ballon à col effilé, recourbé et ouvert, peu-
vent, suivant leur nature, agir sur l'atmosphère
du ballon et modifier profondément sa compo-
sition. Dans ce cas, Toxygène de Tair est
absorbé par la substance organique et remplacé
d*une manière plus ou moins complète par de
Tacide carbonique. C'est ce fait que j'ai con-
staté pour le lait, le jus de raisin, le moût de
bière, Teau de levure, Teau de farine, le jaune
d'œuf, le blanc d'œuf et le sang.
2" Celte absorption de l'oxygène par les sub-
stances hémiorganisées se fait souvent avec
une grande rapidité. J'ai constaté que, pour le
lait sortant du pis de la vache, pour le jaune
d'œuf et pour le sang, Tabsorption de l'oxygène
était complète au bout de quelques heures.
La rapidité de cette absorption d'oxygène
dépend de la nature du corps hémiorganisé
et de la température à laquelle le hquide est
exposé.
3^ L'absorption rapide de F oxygène et sa
VITALITÉ DE CERTAINS LIQUIDES. 99
transformation en acide carbonique^ dans les
expériences que Je viens de citer, me pa^
raissent démontrer que les substances liémi-
(xi'ganisées qui se trouvent dans certains
liquides organiques peuvent être considé^
rées comme étant réellement vivantes: leur-
action sur Fair rappelle en effet celle des
organes vivants.
4** L'action de la chaleur sur certains liquides
organiques semble établir également la vitalité
des corps hémiorganisés : il résulte en effet des
observations que j'ai faites sur le lait, le moût de
bière et lejus de raisin, que ces liquides, chauf-
fés pendant un temps suffisant à la tempéra-
ture de 100^, n'agissent plus d'une manière
sensible sur l'oxygène atmosphérique. Les
substances hémiorganisées qu'ils contenaient
sont donc tuées par la chaleur.
5** Les analyses consignées dans le tableau
précédent prouvent que des ballons dont le
col effilé est resté ouvert pendant près d'une
année contiennent, dans leur intérieur, un gaz
bien différent de l'air atmosphérique, et qui
est formé presque exclusivement d'azote et
d'acide carbonique.
Ainsi, dans l'appareil à col effilé, recourbé
en col de cygne et ouvert, qui a été employé si
325352B
100 SCR U GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
fréquemment par M. Pasteur, l'air se modifie,
quant à sa composition chimique, sous rinfluence
des liquides organiques qui s'y trouvent ; par
conséquent, ces liquides, abandonnés dans des
appareils de cette nature, ne sont pas dans des
conditions normales ; les phénomènes qui s'y
produisent ne peuvent donc pas être comparés
à ceux qui se réaliseraient dans de l'air at-
mosphérique ordinaire.
6" Lorsqu'on reconnaît que des liquides
comme le lait, le moût d'orge ou le jus de raisin,
sont tués par l'ébuUition et n'exercent plus d'ac-
tion sur l'oxygène, on est en droit de soutenir
que toutes les observations faites par M. Pas-
teur dans ses ballons et sur des liquides orga-
niques soumis à l'ébuUition seraient bien diffé-
rentes si elles eussent porté sur un liquide
organique vivant.
7^ Un fait fort important résulte encore des
expériences précédentes : on voit en effet que
si des liquides tels que les sucs de fruits sont
tués complètement après une ébullition de
quelques instants, il en est d'autres, tels que
le lail et l'eau de levure, qui conservent encore
une certaine vitalité même après une ébulli-
tion prolongée pendant quelques instants.
Dans la suite de ce travail je m'appuierai sur
VITALITÉ DE CERTAINS LIQUIDES. 101
cette observation pour expliquer certaines par-
ticularités que présente la fermentation du lait
et pour établir la théorie véritable des conserves
d' Appert.
8* Lorsque M. Pasteur montre des liquides
organiques qui se conservent dans des appa-
rails fermés ou dans des ballons à col effilé et
ouvert, et qu'il attribue leur conservation à
l'absence des germes de l'air, on peut lui dire
que cette conservation est due, soit à l'ébuUition
qui a tué la substance hémiorganisée vivante
contenue dans le liquide, soit à la décomposi-
tion qu'éprouve Tair dans son contact avec les
corps organiques ; dans ce dernier cas, c'est
Tacide carbonique produit aux dépens de
l'oxygène atmosphérique qui s'oppose à l'alté-
ration du liquide, lors même qu'il n'a pas élé
porté à l'ébuUition .
Dans la conservation des liquides organiques,
M. Pasteur attribue donc à la destruction des
germes atmosphériques une influence qui n'est
pas réelle.
X
CONSERVATION DES LIQUIDES ORGANIQUES QUI
N'ONT PAS ÉTÉ SOUMIS A L'ÉBULLITION
Pour démontrer que les germes atmosphé-
riques sont les causes de la production des
ferments, M. Pasteur ne s'est pas seulement
servi des ballons à col effilé et recourbé,
dans lesquels la liqueur soumise à rébullition
se refroidissait à l'abri des poussières de Tair ; il
a disposé d'autres appareils destinés à conser-
ver des liquides non chauffés et pris dans Tor-
ganisation à l'abri des germes atmosphé-
riques, tels que le lait, le sang, l'urine, le suc
de raisin.
En prouvant qu'un liquide organique altérable
se conserve dès qu'il est soustrait à l'influence
J04 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
des poussières atmosphériques, M. Pasteur
paraissait répondre d'une manière victorieuse
aux objections que je lui ai faites, et démontrer
le principe de la panspermie atmosphérique.
Ici encore il m'est impossible d'accepter les
démonstrations de M. Pasteur, et je crois avoir
constaté que, dans ces sortes d'expériences, la
conservation ou l'altération des liquides sont
dues à des causes bien différentes de celles qui
ont été indiquées par M. Pasteur.
J'ai introduit en effet dans des ballons dont
le col était ensuite fermé à la lampe, et qui con-
tenaient par conséquent de l'air ordinaire, des
liquides organiques tels que du sang sortant
des veines d'un chien, de l'urine au moment de
son émission et différents sucs de fruits.
Ces liquides, avant d'être placés dans les
ballons, ont été exposés à l'air ; les sucs de
fruits ont même été filtrés lentement et soumis
pendant plusieurs heures à l'influence des
poussières atmosphériques.
Dans la théorie de M. Pasteur, ces liquides,
ayant été exposés à l'air et abandonnés dans de
l'air ordinaire non purifié, devraient être chargés
de germes atmosphériques et s'altérer toujours.
Eh bien ! dans de nombreuses observations
j'ai constaté que ces liquides se conservent sou-
VITALITÉ DE CERTAINS LIQUIDES. 105
vent sans altération : il y a quelques jours, j'ou-
vrais, devant plusieurs chimistes attachés a
mon laboratoire, des ballons contenant du
sang et de l'urine abandonnés depuis un an
dans de l'air ordinaire ; ces liquides ne parais-
saient pas altérés ; ils n'avaient pas d'odeur
désagréable et n'avaient pas dégagé de gaz.
J'attribue ces résultats à l'action chimique
des liquides qui absorbent rapidement l'oxy-
gène et qui produisent une atmosphère d'azote
et d'acide carbonique dans laquelle les orga-
nismes ne peuvent pas se développer.
Quoique les observations de M. Pasteur sur
les altérations du sang et de l'urine soient en
dehors de la question que je traite dans ce tra-
vail, j'ai tenu cependant à établir que cette con-
servation, dans les ballons de M. Pasteur, des
liquides pris dans l'organisation en dehors des
prétendus germes de Tair, ne présente pas Tim-
portance qu'on lui a attribuée.
Pour conserver des liquides organiques, il
ne suffit donc pas, comme le croit M. Pasteur,
de se mettre à Tabri des poussières atmosphé-
riques, qui n'interviennent qu'accidentellement
dans le phénomène ; il faut modifier la com-
position de l'air atmosphérique.
Des observations journaUères confirment du
106 SUR LÀ GENERATION DBS FERMENTS.
reste celles que j'ai faites dans mon laboratoire.
Ne sait-on pas en effet que du cidre sucré qui a
été exposé à Tair pendant longtemps, et qui pré-
sente par conséquent toutes les particules que
Tair peut contenir ou qui se trouvent à la surface
des pommes, se conserve souvent pendant
des années avec sa saveur sucrée, lorsqu'il est
introduit dans des bouteilles bien fermées et
placé dans des conditions qui suspendent la
vie du liquide?
Ainsi le principe de la conservation des li-
quides organiques ne repose pas exclusive-
ment sur la destruction des germes atmosphé-
riques ; il est plutôt basé sur la destruction
de la vitalité des liquides organiques.
On fait mourir les liquides organiques parles
procédés les plus divers, en employant la cha-
leur, la pression, l'alcool, un certain nombred'a-
gents chimiques, ou bien en plaçant les liquides
altérables dans des atmosphères d'azote et d' acide
carbonique qui rendent leur vie impossible.
Les principes fondamentaux de la conserva-
tion des hquides organiques vivants, que je viens
d'établir, ne doivent pas cependant faire ou-
blier l'influence accidentelle des poussières
atmosphériques.
Il est évident que si l'air contient des spores
VITALITÉ DE CERTAINS LIQUIDES. 107
de mycodermes et des œufs d'infusoires, on a
intérêt à détruire ces organismes dans l'air
qui se trouve en rapport avec les liquides que
l'on veut conserver : ces faits ne sont contestés
par personne et Redi les établissait déjà lors-
qu'il démontrait que, pour préserver la chair de
la putréfaction, il suffit souvent de l'entourer
d'une gaze fine qui retient les larves d'œufs de
mouches.
Mais cette influence des poussières de l'air
n'est que secondaire. L'air atmosphérique ne
contient pas, comme je l'ai déjà dit, des orga-
nismes en aussi grande quantité que le croit
M. Pasteur.
Tandis que les liquides qui sortent de l'orga-
nisation sont toujours vivants , ils possèdent
toujours une force végétative suffisante pour
créer des organismes. Pour obtenir une con-
servation certaine, il est donc de toute nécessité
de tuer ces principes vivants, ou de suspendre
leur activité vitale, comme cela arrive dans
une graine dont on arrête, par la dessiccation,
la force germinalive.
Ces considérations me conduisent naturel-
lement à traiter de la théorie des conserves
d'Appert.
XI
THÉORIE DES CONSERVES D'APPERT
On sait que M. Pasteur, rejetant l'explication
de Gay-Lussac, qui attribue la conservation des
aliments, d'après la méthode d' Appert, à l'ab-
sorption de l'oxygène atmosphérique , applique
ici encore sa théorie des germes atmo-
sphériques : pour lui, lorsque des substances
alimentaires introduites dans des bouteilles ou
dans des boites métalliques, puis traitées par le
procédé d'Apport, se conservent, c'est que Té-
buUition tue les germes qui se trouvent dans
Tair des appareils ou qui existent à la surface
des corps organiques qu'il s'agit de conserver.
M. Pasteur admet donc que l'air atmosphérique
110 SUR LÀ GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
privé de ses germes peut être mis impunément
au contact des substances organiques.
D'après lui, un ballon à col effilé, recourbé
et ouvert constitue une excellente conserve
d' Appert : ce principe est extrait textuellement
du travail de M. Pasteur.
En un mot, pour M. Pasteur, l'oxygène n'est
pas la cause de l'altération des corps organi-
ques : ce sont les germes atmosphériques qui
déterminent seuls leur décomposition.
Dans cette théorie, M. Pasteur me paraît né-
gliger une partie importante du phénomène;
c'est la vie même des corps hémiorganisés qui
existent dans les milieux organiques.
Pour moi la conservation des aliments par la
méthode d' Appert repose sur trois conditions
essentielles :
1"* La destruction par la chaleur de la force
végétative des substances hémiorganisées qui
existent dans les aliments que l'on veut con-
server ;
2** L'absorption souvent complète de l'oxy-
gène contenu dans les appareils, par les sub-
stances organiques, et la substitution de l'acide
carbonique à Toxygène ;
3"* L'absence des spores de mycodermes ou
des œufs d'infusoires que l'air peut apporter
CONSERVES D'APPERT.
Itl
accidenlellement ou qui se trouvent à la surface
des corps organiques.
Dans sa théorie des conserves d' Appert,
M. Pasteur a donc laissé de côté deux des
trois conditions essentielles à la conservation
des substances alimentaires.
Pour établir ces principes, j'ai à m'appuyer
sur les observations de la pratique et sur des
expériences qui me sont propres.
En déterminant la composition du gaz qui se
trouvait dans des conserves préparées avec
soin et d'une qualité incontestable, j'ai obtenu
les résultats suivants:
Composition de rair des conserves alimentaires.
DâsiORATIOlf DIS C0NSBMVE8
Petits pois (botte soudée)
Haricots verts (boîte soudée)
Asperges (boite soudée)
ChampigDODS (botte soudée)
Truffes en bon état (bouteille avec bouchon
de liège)
Truiïes (bouteille avec bouchon de liège)
Homard (botte soudée)
Viande de bœuf (botte soudée)
Petits pois (botte soudée)
oiyeniB
1.6S
1.67
1.36
S.IS
0.44
S. 50
1.57
1.47
ACIDE
carboni-
que
1.65
0.78
1.36
4.44
S.IS
6.30
traces
»
0.49
AZOTE
96.70
97.65
97.18
95.66
(fô.76
93.96
97.50
98.43
98.04
I
Ces analyses démontrent, comme Gay-Lussac
l'avait établi, que dans les bonnes conserves
les matières alimentaires sont privées presque
112 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
complètement d'oxygène, et que la conservation
a lieu dans un mélange d'acide carbonique et
d'azote.
M. Pasteur admet que son ballon à col effilé
et recourbé, quoique étant ouvert, est une
excellente conserve.
L'assertion que je viens de rappeler a été
émise depuis déjà longtemps par M. Pasteur, et
elle n'a donné lieu à aucune application indus-
trielle sérieuse.
Si elle était exacte, la pratique en aurait
évidemment tiré parti, car on sait toutes les
difficultés que présente le bouchage des appa-
reils de conservation.
L'expérience vient, du reste, donner tort à
M. Pasteur, tous les industriels qui se livrent
à la conservation des substances alimentaires
savent qu'une des principales conditions à
remplir pour obtenir de bonnes conserves
est de laisser le moins d'air possible dans
les appareils.
En général, toutes les boîtes qui contiennent
une quantité notable d'air, au moment de leur
fermeture, sont perdues.
Ainsi, contrairement à l'opinion de M. Pas-
teur, l'oxygène joue un grand rôle dans les
conserves d'Appert; si on le laisse en présence
CONSERVES D'APPERT. 113
des substances organiques, même chauffées
à 100% il peut, au bout d'un certain temps, se
produire des ferments, comme je le démon-
trerai dans mes observations sur le lait.
En effet, il existe des corps hémiorganisés
dont la force végétative n'est que paralysée
par Tébullition et qui reprennent ensuite de
la vitalité.
Il est enfin une condition importante à rem-
plir dans la préparation des conserves, et qui
se trouve en opposition avec la théorie de
M. Pasteur ; je veux parler du temps de la
coction.
Si Taltération des substances organiques
n'était produite que par les germes venant de
l'extérieur, comme le pense M. Pasteur, une
ébuUition qui tue tous les germes végétaux
devrait suffire pour rendre inaltérables les con-
serves de légumes et de fruits.
Il n'en est rien : tous ceux qui connaissent
les détails de cette opération savent qu'une
ébullition de quelques instants ne suffit pas tou-
jours pour rendre ces préparations inaltérables ;
il faut, suivant les substances que l'on veut
conserver, prolonger l'ébullition, et souvent
même soumettre la matière organique à une
température qui dépasse ^00^
114 sua LÀ GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
La théorie de la panspermie atmosphérique
me paraît donc encore ici en défaut: tandis que
la théorie de i'hémiorganisme, qui est basée sur
la vitalité de certains liquides organiques, rend
compte de tous les faits qui se rapportent à la
conservation des aliments par la méthode
d'Appert.
PRODUCTION DES FERMENTS DANS LES
DIFFÉRENTS MILIEUX
Les expériences que je vais décrire ont eu
pour but de déterminer le mode de génération
des ferments dans différents liquides fermen-
tescibles, tels que l'eau d'orge sucrée, l'eau
(le levure sucrée, le lait, le moût de raisin et
les sucs de fruits.
Il est résulté de mes observations que tous
ces liquides engendrent directement, et en de-
hors des germes atmosphériques, les ferments
qui leur conviennent.
J'exposerai d'abord les faits qui se rappor-
tent aux infusions sucrées d'orge et de levure
de bière.
116 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
XII
ExpérteneoB sur l'orge et sur la levure de bière.
En soumettant au lavage à Teau froide Torge
germée qui avait été exposée longtemps à Tair,
et qui, d'après M. Pasteur, devrait être recou-
verte de germes de ferment alcoolique, j'ai
obtenu une eau trouble qui a été addi-
tionnée de sucre et mêlée à du bouillon de
levure.
Dans un autre essai, l'eau trouble provenant
du lavage des grains d'orge a été additionnée
de sucre, de tartrate d'ammoniaque et de phos-
phates; M. Pasteur admet que ce mélange est
essentiellement propre au développement des
germes de ferment alcoolique.
Ces deux liquides, exposés à une tempéra-
ture favorable à la production du ferment
alcoolique, ne sont pas entrés en fermentation.
Seulement au bout d'un temps assez long,
ils ont produit des moisissures dues aux spores
de mycodermes qui se trouvaient à l'extérieur
des grains d'orge.
Il résulte donc de cette première observation
PRODUCTION DES FERMENTS DANS LES MILIEUX. 117
que Torge ne contient pas à sa surface de
germes de ferment alcoolique.
XIII
L'orge, lavée à plusieurs reprises avec de
Teau distillée et entièrement débarrassée des
poussières qui la recouvrent, a été placée dans
de Teau sucrée et maintenue à une température
de 25^
Les grains d'orge éprouvent dans ce cas les
modifications suivantes : ils ne tardent pas à
se gonfler dans Teau sucrée ; on voit sortir
de l'intérieur des grains un gaz qui est un mé-
lange d'hydrogène et d'acide carbonique ; la
liqueur se trouble, elle devient fortement acide
et présente tous les caractères des fermen-
tations alcoolique, butyrique et lactique.
Le fait capital qui résulte de cette obser-
vation, c'est qu'en suivant le phénomène avec
attention, on voit sortir le gaz de Fintérieur
même des grains d'orge. Ce dégagement de
gaz rend la liqueur laiteuse ; en l'examinant au
microscope, on constate dans le liquide une
quantité considérable de ferment lactique qui
s'est formé dans l'intérieur des grains d'orge,
1 18 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
et qui en a été, en quelque sorte , extrait par
les bulles de gaz que les grains dégagent.
Je tiens à rappeler ici que j*ai communiqué
cette observation à l'Académie des sciences
dans le mois de janvier de 1872, et qu'elle a été
le premier exemple de ce genre de fermentation
que j'ai désignée plus tard sous le nom de fer-
mentation intracellulaire, parce qu'elle se
produit dans l'intérieur des organes et par
conséquent en dehors de toute influence de
germes atmosphériques.
Les exemples de fermentations intracellu-
laires sont aujourd'hui très-nombreux; on les
constate dans les cellules des fruits, dans les
abcès profonds, dans la fermentation ammonia-
cale de lurine qui se manifeste spontanément
dans la vessie, etc.
Ces sortes de fermentations, produites évi-
demment à Tabri des poussières atmosphéri-
ques, constituent la plus sérieuse objection que
Ton puisse opposer aux théories de M. Pasteur.
Je les exphque au contraire bien facilement
avec les idées que j'ai émises.
En effet, prenant comme exemple la fer-
mentation intracellulaire du grain d'orge, je
rappellerai que le tissu qui constitue le péri-
sperme du grain d'orge contient de petits glo-
PRODUCTION DES FERMENTS DANS LES MILIEUX. 119
bules organisés assez ténus pour passer à
travers nos filtres et qui ont à peine «/goo d®
millimètre, d'après Turpin.
Ces globules sont formés par une substance
hémiorganisée vivante qui, au contact de Tair
et de Teau sucrée, se développe et donne nais-
sance alors aux ferments qui déterminent
Taltération des grains d'orge.
J'ai retrouvé ces globules, qui constituent en
quelque sorte des ferments rudimentaires, dans
les cellules épidermiques des fruits.
On peut, dans Texpérience que je viens de
décrire, remplacer plusieurs fois le liquide
acide que produit la fermentation de Torge par
une nouvelle quantité d'eau sucrée et obtenir
ainsi, à l'état soluble, presque tous les principes
qui existent dans l'orge.
L'amidon se change alors en dextriue, en
sucre, et ensuite en acide lactique. Le gluten
et les sels minéraux du grain entrent dans la
constitution des ferments, et les grains finis-
sent par se vider complètement.
Dans la théorie de l'hémiorganisme, tous ces
faits se comprennent: lorsqu'on place les grains
d'orge dans de l'eau sucrée, leur vie aérienne
n'est pas possible ; c'est alors que commence,
sous l'influence de la force végétative des
120 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
grains, ce travail de décomposition qui a pour
effet de produire les ferments.
D'après la théorie de M. Pasteur, il faut
supposer, pour rendre compte de la fermen-
tation intracellulaire des grains d'orge placés
dans de Teau sucrée, que les germes atmosphé-
riques pénètrent dans le flacon où Texpérience
se produit, qu'ils traversent Teau sucrée, et
qu'ils s'introduisent dans chaque grain pour
s'y développer! Une pareille hypothèse est
inadmissible.
XIV
Les expériences que je vais décrire se rap-
portent encore à la génération des ferments al-
cooliques au moyen de l'orge.
L'eau d'orge sucrée, préparée à froid et
éclaircie par la filtration, a été partagée en deux
parties égales : l'une seulement a été portée à
l'ébullition ; l'autre a été conservée à la tem-
pérature ordinaire ; ces deux liquides sont en-
suite placés sous une cloche de verre.
Au bout de peu de temps, leau d'orge qui
n'a pas été soumise à l'ébullition entre en fer-
mentation et produit des quantités considé-
PRODUCTION DBS FERMENTS DANS LES MILIEUX. 121
rables de ferment ; tandis que le liquide qui a
été chauffé reste limpide et ne forme pas
d'organismes.
Cette observation bien simple me parait dé-
montrer clairement que la génération des fer-
ments est due uniquement au liquide organique
dans lequel se trouve une substance hémior-
ganisée vivante, qui, au contact de Tair , peut
produire des ferments tant qu'elle n'est pas
tuée par la chaleur.
En effet, si les ferments étaient engendrés
par les germes de Tair, TébuUition, qui n'enlève
rien au liquide, lui laisserait la faculté de
nourrir les germes atmosphériques; ce qui
cependant n'a pas lieu, puisque la liqueur
exposée à l'air n'entre plus en fermentation
lorsqu'on l'a fait bouillir.
Pour établir une différence entre la géné-
ration des moisissures et celle des ferments,
et démontrer que si les poussières atmos-
phériques engendrent des moisissures elles ne
peuvent pas produire le ferment alcoolique, j'ai
étudié la fermentation de l'eau d'orge sucrée dans
des vases de formes différentes présentant des
obstacles destinés à arrêter les poussières.
J'ai versé de l'eau d'orge sucrée dans un
vase de verre contenant quatre supports en verre
122 SUR LA GÉxNÊRATlON DES FERMENTS.
placés les uns au-dessous des autres, et j'ai
exposé l'appareil à une température favorable
à la fermentation.
La génération des ferments s'est produite de
la même façon dans toutes les parties du liquide ;
chaque plateau en verre s'est recouvert d'une
grande quantité de ferments qui était à peu près
la même; seulement, aubout d'un certain temps,
des moisissures se sont développées à la sur-
face du liquide.
J'ai répété la même expérience dans un appa-
reil différent du précédent.
L'eau d'orge sucrée a été introduite dans un
large tube de verre, présentant un grand nom-
bre de courbures, dont les deux extrémités
étaient ouvertes et par conséquent exposées
au contact de l'air : le tube recourbé était entiè-
rement rempli par le liquide.
Là encore, les parties du liquide soumises à
l'influence de l'air se sont recouvertes de moi-
sissures, tandis que des quantités à peu près
égales de ferment se sont déposées dans cha-
que sinuosité du tube.
Il m'est facile de tirer de ces observations
quelques conséquences en faveur de la thèse
que je soutiens.
On voit d'abord que, contrairement à Tasser-
PRODUCTION DES FBRMBNTS DANS LBS MIUËUX. 123
lion de M. Pasteur, des ferments et des moisis-
sures peuvent s'engendrer simultanément dans
un même liquide.
En employant les appareils que j'ai décrits,
on constate en outre que les moisissures se
forment seulement dans les parties du liquide
qui sont en contact avec l'air, tandis que les
ferments s'engendrent également dans tontes
les parties de la liqueur.
N'est-il pas évident que si les ferments déri-
vaient, comme les moisissures, des germes ap-
portés par l'air, on devrait constater principale-
ment leur formation à la surface du liquide,
comme cela arrive pour les mycodermes ? c'est
ce qui n'a pas lieu.
Je trouve donc dans ces expériences une
nouvelle démonstration de la génération des
ferments par les liquides organiques.
XV
Les observations que j'ai faites sur l'eau de
levure sucrée viennent confirmer complètement
celles que j'ai décrites sur la fermentation de
l'orge.
124 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Elles prouvent que la levure de bière peut,
comme un grand nombre d'organismes vivants,
engendrer des ferments en dehors deTinfluence
des germes atmosphériques.
On sait que Teau de levure sucrée, préparée à
froid, entre rapidement en fermentation parle
contact de Tair et qu'elle produit un abondant
dépôt de levure de bière.
Si celte liqueur est portée à l'ébuUition et
soumise ensuite à l'influence de l'air, elle a
perdu le pouvoir d'engendrer des ferments; elle
se recouvre seulement, au bout de quelque
temps, de moisissures produites par les spores
atmosphériques des mycodermes.
Ce phénomène se comprend facilement dans
la théorie de l'hémiorganisme.
La levure contient en effet dans son inté-
rieur de petits globuhns vivants qu'elle a
créés, et qui, placés dans de Teau sucrée et au
contact de l'air, se développent en produisant
de la levure de bière.
Mais, dans la théorie de M. Pasteur, le phé-
nomène me parait absolument inexplicable.
La levure de bière, d'après M. Pasleur, ne
peut dériver que d'un germe atmosphérique.
C'est l'eau de levure sucrée soumise à
la filtration et parfaitement limpide qui, dans
PRODUCTION DES FERMENTS DANS LES MILIEUX. 125
l'observation que je discute, produit de la le-
vure de bière.
D'où ce germe vient-il ? Il peut se trouver,
suivant M. Pasteur, à l'extérieur des grains
de levure ou bien dans l'air.
Je soutiens qu'il n'est pas fixé à Textérieur
du grain de levure: nous venons devoir en effet
que l'eau de levure filtrée donne naissance à
de la levure de bière : ce germe, si l'on admet
son existence, est donc assez ténu pour passer
à travers nos filtres.
S'il en est ainsi, de la levure de bière mise
en suspension dans l'eau et agitée, sans être
écrasée, devrait donner une liqueur qui, sous
l'influence du sucre, des sels ammoniacaux et
des phosphates, produirait de la levure de bière.
L'expérience prouve que l'eau de lavage de
la levure, préparée dans les conditions que je
viens d'indiquer, ne donne pas de levure.
On ne peut donc pas admettre l'existence des
germes de levure à l'extérieur des grains.
Les germes de levure de bière sont-ils appor-
tés par l'air atmosphérique? Cette hypothèse ne
peut pas être admise plus que la première.
En effet qu'est-ce que le germe de la levure
de bière? qui l'a jamais vu ? qui a jamais pu le
recueillir?
126 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
Nous avons dit précédemment que dans les
poussières de l'air et que dans du coton ayant
servi à filtrer de grandes quantités d'air, on ne
trouvait jamais de germes de ferment alcoo-
lique.
En outre, si la levure de bière était produite
par des germes atmosphériques, pourquoi
l'eau de levure sucrée, qui convient si bien au
développement de la levure, perdrait-elle, sous
la seule influence de Tébullition, la propriété
d'engendrer de la levure, par l'action de l'air?
Tous ces raisonnements prouvent que la le-
vure de bière ne provient ni de l'air, ni de l'ex-
térieur des grains de levure : elle ne peut venir
que de l'intérieur même de ces organismes qui
la créent d'abord à l'étal rudimentaire et avec
une ténuité qui lui permet de passer à travers
nos filtres.
La fermentation des eaux d'orge et de levure
sucrées démontre donc que la levure de
bière est créée par l'organisation même et
qu'elle ne dérive par de germes atmosphéri-
ques.
Je viens d'établir qu'une cellule libre, comme
la levure de bière, contient dans son intérieur
des corpuscules vivants qui, au contact de l'air,
produisent la levure.
PRODUCTION DBS PBRUENTS DANS LBS MILIEUX. 127
D'un autre côté Cagniard-Lalour a prouvé
que lorsqu'on introduit de la levure de bière
dans de l'eau sucrée, cette levure engendre
extérieurement, par bourgeonnement, de la
levure de bière.
En présence de ces observations, qui établis-
sent si clairement le mode de génération des
ferments par les organismes mêmes, je ne
comprends donc pas que M. Pasteur refuse aux
corps organisés vivants la possibilité de créer
des ferments lorsqu'on les place dans des con-
ditions où la vie aérienne devient impossible.
J'ai institué depuis longtemps un grand
nombre d'expériences sur la levure de bière,
dont le but principal est de rechercher si un
ferment aussi bien détini que la levure peut en-
gendrer d'autres ferments, lorsqu'on fait varier
les conditions qui l'altèrent.
Cette partie de mes recherches n'est pas
encore complète : je peux dire néanmoins que
mes observations confirment pleinement celles
de M. Trécul.
J'ai vu souvent la levure de bière, en s'allé-
rant, produire des ferments nouveaux, qui
agissent alors sur les corps fermentescibles et
opèrent des transformations que la levure
fraîche n'avaitpaspu réaliser.
i
128 SUR hk GËNÉRÀTIOxN DBS FERMENTS.
Mes observations sur l'orge et la levure de
bière, que je viens de résumer, me paraissent
donc confirmer le principe de Thémiorganisme,
que j'oppose à celui de la panspermie atmo-
sphérique.
COMPOSITION CHIMIQUE DE LA LEVURE
Méthode générale d'analyse da tissa des végétaaiL.
Il est naturel que, dans un travail qui traite
de la génération des ferments, je fasse con-
naître la méthode qu'il convient d'employer
pour déterminer la composition d'un des fer-
ments les plus importants, qui est la levure de
bière.
On sait depuis longtemps que la levure pré^
sente une constitution très-complexe : elle con-
tient une quantité considérable de substance
albumineuse, des corps gras, des matières mi-
nérales et un élément membraneux, non azoté,
insoluble dans l'eau et dans les liqueurs alca-
lines, formant en quelque sorte le tissu et
l'enveloppe de la cellule.
9
t30 SUR hk GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
M. Pasteur, s'appuyanl sur les travaux de
Payen, considère les membranes de la levure
comme formées de cellulose.
Je me trouve sur ce point en désaccord avec
M. Pasteur: mes observations établissent, en
effet, que le tissu de la levure n'est pas aussi
simple que le croit mon savant confrère ; en ap-
pliquant à l'analyse immédiate de la levure les
méthodes que j'ai fait connaître dans mes re-
cherches sur la composition des tissus ligneux,
on reconnaît que dans la partie insoluble de la
levure, la substance organique non azotée se
trouve associée aux autres substances qui ac-
compagnent ordinairement la cellulose dans
l'organisation végétale.
Comme ces méthodes d'analyse organique
immédiate sont peu connues, et que dans les
ouvrages récents on considère encore, avec
Payen, le tissu des végétaux comme formé de
cellulose, je crois devoir décrire la marche
qu'il faut suivre pour déterminer la nature des
éléments qui constituent le squelette des végé-
taux.
C'est, du reste, ce mode d'analyse organique
que j*ai appliqué à Tanalyse de la levure ; en le
faisant connaître ici, je ne sortirai pas de mon
sujet.
œMPOSITION GHIMIQUB DE LA LB^^RB. [M
On sait que Payen considérait tous les tissus
des végétaux comme formés essentiellement
par une substance neutre, la cellulose, qui dans
l'organisation végétale se trouvait plus ou moins
solidifiée par un corps de nature indéterminée,
qu'il a désigné sous le nom de matière incru-
stante.
Ce n'est pas ainsi que je représente la com-
position du squelette des végétaux; j'admets
d'abord Texistence de plusieurs espèces de
corps cellulosiques qui, dans les tissus, se trou-
vent unis intimement avec d'autres substances
pouvant être distinguées de la cellulose par
plusieurs caractères très-nets .
Dans l'analyse immédiate des végétaux, on
n'employait guère que l'eau, l'alcool, l'éther et
quelques dissolvants rendus faiblement acides
ou alcalins .
C'est à ce point que j'ai pris l'analyse immé-
diate du squelette des végétaux ; j'ai prouvé
qu'en faisant usage de réactifs énergiques et en
ayant recours à des méthodes qui rappellent
celles de la chimie minérale, on pouvait aller
plus loin et analyser un tissu végétal comme
on analyse un minerai.
Cette détermination analytique des différents
éléments qui constituent le squelette des végé-
132 SUR LA GÉNÉRATION DBS PBRMBNTS.
taux m'a paru présenter, à différents points
de vue, un véritable intérêt .
Lorsqu'on connaît bien, en effet, la nature
et les propriétés des principes qui forment le
tissu complexe des végétaux, lorsqu'on est à
même d'en déterminer la proportion, il devient
facile de résoudre plusieurs questions d'orga-
nisation qui se rapportent à la physiologie vé-
gétale ; on peut suivre, par exemple, dans les
plantes, le développement et les transforma-
tions des éléments qui les constituent.
L'induatrie elle-même peut mettre à profit les
données fournies par l'analyse chimique sur
la composition du squelette végétal .
En effet, dans le rouissage et dans la fabri-
cation de la pâte à papier au moyen de la paille
ou du bois, le but principal qu'on se propose
est de dégager la partie fibreuse des éléments
utriculaires qui la retiennent.
Ces opérations deviennent faciles lorsqu'on
connaît exactement la nature et les propriétés
des principes immédiats qui entrent dans le
tissu des végétaux.
Il résulte d'observations que je poursuis de-
puis un grand nombre d'années, qu'un tissu vé-
gétal qui présente souvent au microscope une
constitution homogène, et dont les cellules pa-
COMPOSITION CHIMIQUE DR LA LEVURE. 133
raissent formées d'une seule substance, con-
tient cependant les éléments suivants :
1° La pectose : c'est le corps insoluble que
j'ai découvert dans le tissu utriculaire des vé-
gétaux, et dont le caractère distinctif est de
produire de la pectine, soluble dans Teau par
l'action des acides même très-faibles.
2° Le pectate de chaux, dont on constate la
présence dans le tissu des végétaux au moyen
de Tacide chlorhydrique étendu, qui le décom-
pose en enlevant la chaux et en isolant l'acide
pectique que l'ammoniaque dissout facilement.
3"* Les corps cellulosiques , qui peuvent
être immédiatement solubles dans le réactif
ammoniaco-cuivrique, ou qui deviennent so-
lubles dans ce réactif, après l'action des acides.
4" La substance que j'ai nommée vasculose,
qui est abondante dans les vaisseaux des
plantes, et qui accompagne presque toujours
les corps cellulosiques dans les tissus des vé-
gétaux.
Il est facile de distinguer la vasculose des
corps cellulosiques ; elle en diffère par un grand
nombre de caractères .
La vasculose est insoluble dans l'acide sul-
furique bi-hydraté qui dissout les corps cellulo-
siques ; elle est attaquée à froid par l'acide
134 SUR LK GÉlNÉRATION DES FERMENTS.
azotique, par le chlore et par les hypochlorites
et devient soluble dans les alcalis; elle résiste
à l'action des dissolutions alcalines même con-
centrées; mais elle se dissout dans les alcalis,
sous l'influence de la pression; les hydrates
alcalins fondus dissolvent rapidement la vascu-
lose, se colorent en brun, dégagent de Thydro-
gène et produisent les acides ulmiques.
Dans les mêmes conditions, les substances
cellulosiques se dissolvent dans les alcalis,
mais sans les colorer, et produisent simplement
des oxalates et des carbonates alcalins.
5*" La cutose. J'ai désigné sous ce nom la
matière organique très-remarquable qui forme
les membranes extérieures du tissu des végétaux.
Elle présente quelques caractères communs
avec la vasculose ; elle est, en effets attaquable
à chaud par l'acide azotique, par le chlore et par
les hypochlorites ; elle n'est pas sensiblement
attaquée par l'acide azotique froid et étendu ; elle
est insoluble dans l'acide sulfurique bi-hydraté ;
mais on la distingue immédiatement de la vas-
culose par les deux caractères suivants :
Les dissolutions concentrées de potasse, qui
n'exercent aucune action sur la vasculose, sapo-
nifient très-rapidement la cutose ;
En outre , l'acide azotique bouillant trans-
COIMPOSITION CHIMIQUE DE L\ LEVURE. 135
forme la culose en acide subérique ; tandis
qu'en agissant sur la vasculose il produit une
résine jaune acide soluble dans les alcalis.
Les faits que je viens de rappeler permettent
d'exécuter l'analyse du tissu végétal le plus
complexe.
Dans ce but, on commence d'abord par sou-
mettre le tissu à l'action des dissolvants neu-
tres, en suivant la méthode que M. Ghevreul
a découverte et qui a rendu de si grands ser-
vices à la science ; on le soumet ensuite à l'ac-
tion de réactifs plus énergiques.
Oéterinlnatlon de la pcetosc.
On fait bouillir le tissu pendant quelques
instants avec de l'eau aiguisée d'acide chlor-
hydrique .
Sous cette influence, la pectose se change en
pectine, soluble dans l'eau, que l'on précipite
par l'alcool.
La proportion de pectine ainsi obtenue per-
met d'apprécier la quantité de pectose qui se
trouvait dans le tissu organique.
Gomme on pourrait confondre la pectine
136 SUR LÀ GËiSËRÂTION DES FERMENTS.
avec d'autres substances précipitables par l'al-
cool, on doit toujours s'assurer que la pectine,
produite dans la réaction précédente, se trans-
forme, à froid, en pectates insolubles, lorsqu'on
la soumet à l'action de l'eau de chaux ou à
celle de l'eau de baryte.
Oétermination dn peelate de chaux.
Pour apprécier la quantité de pectate de
chaux qui se trouve quelquefois en abondance
dans des tissus organiques tels que certaines
moelles, on les traite d'abord, à froid, par de
l'acide chlorhydrique qui décompose le pectale
de chauX; enlève la chaux et laisse l'acide pec-
tique à l'état insoluble.
Après ce premier traitement, le tissu est
lavé à l'eau chaude, puis soumis à l'action de
l'ammoniaque qui forme du pectate d'ammo-
niaque soluble.
La liqueur filtrée est traitée par l'acide chlor-
hydrique qui précipite l'acide poétique insolu-
ble, dont il est facile alors d'apprécier la pro-
portion .
COMPOSITION GHliMlQUË DE LA LEVIRE. 137
Délerniinatlon des eorps eeilalosiqnefi.
Ces substances peuvent, comme je 1 ai dit,
se trouver dans l'organisation végétale sous des
variétés différentes; tantôt elles sont immédia-
tement solables dans le réactif ammoniaco-cui-
vrique, comme cela arrive pour le coton et pour
les fibres corticales. Dans d'autres cas, comme
dans le tissu ligneux, elles ne sont complète-
ment attaquables par le réactif ammoniaco-
cuivrique qu'après avoir subi soit l'action des
acides, soit celle des alcalis, ou bien encore
l'influence prolongée de l'eau bouillante.
Je rappellerai en outre que les corps cellulo-
siques sont rarement purs et que, dans les vé-
gétaux, ils se trouvent presque toujours asso-
ciés à la cutose et à la vasculose.
Dans cette analyse, on doit donc commencer
par déterminer la proportion du tissu qui se
dissout directement dans le réactif ammoniaco-
cuivrique.
Quand cette première action est épuisée, le
tissu est soumis pendant une heure à l'action
de l'acide chlorhydrique étendu, puis traité de
138 SUR L\ GfiNÉRATION DES FERMANTS.
nouveau par le réactif ammoniaco-cuivrique,
qui fait connaître la proportion de corps cellu-
losique devenu soluble dans le réactif, par l'ac-
tion des acides.
Les corps cellulosiques peuvent être encore
déterminés au moyen de l'acide sulfurique bi-
hydraté qui les dissout facilement en laissant
la cutose et la vasculose à l'état insoluble.
11 est toujours utile, dans des analyses aussi
délicates, de contrôler les déterminations opé-
rées avec des corps qui dissolvent les sub-
stances cellulosiques, en ayant recours à des
réactions inverses, c'est-à-dire à celles qui dis-
solvent la cutose et la vasculose, mais qui
laissent insolubles les corps cellulosiques.
Dans ce cas, on peut employer un alcali
agissant sur le tissu organique sous pression,
mais mieux encore l'acide azotique.
Le tissu est traité par une petite quantité
d'acide azotique ; sous cette influence, la vascu-
lose et la cutose se dissolvent en partie ou se
transforment en acides résineux solubles dans
les alcalis ; les corps cellulosiques ne sont pas
sensiblement attaqués.
Le tissu est soumis ensuite à Faction de Tam-
moniaque qui dissout les dérivés de la cutose
et de la vasculose, et qui laisse les corps cellu-
COMPOSITION CHIMIQUE DE LA LEVURE. 139
losiques dont on détermine alors directement la
proportion.
Détermination de la Yasenlese,
Je supposerai qu'il s'agisse de doser la vas-
culose contenue dans un tissu ligneux, qui est
formé presque exclusivement de vasculose et
de corps cellulosiques.
On applique à cette détermination l'expé-
rience que je viens de décrire.
Une quantité pesée de tissu ligneux épuisée
par les dissolvants neutres et par ceux qui
éliminent les composés poétiques est soumise
pendant quelques heures à l'action de l'acide
azotique étendu d'une petite quantité d'eau.
Le résidu lavé à Teau d'abord est traité par
Tammoniaque qui dissout les dérivés de la vas-
culose.
On obtient ainsi par différence, et avec une
certaine exactitude, la proportion de vasculose
contenue dans le bois.
Pour déterminer directement la vasculose, il
faut avoir recours à l'acide sulfuriquebi-hydralé
qui ne dissout que les corps cellulosiques.
»_ __ #
140 SUR LÀ GENëRâTION DES FERMENTS.
Mais ce dosage esl moins exact que le pré-
cédent.
Ilëtermlnatlon de la catose.
Je prendrai l'exemple le plus compliqué que
Ton puisse rencontrer dans l'analyse immédiate
d'un tissu végétal, c'est celui dans lequel les
corps cellulosiques se trouvent en présence de
la cutose et de la vasculose, comme cela arrive
dans un grand nombre d'écorces.
J'admets que le tissu a été débarrasse des
corps solubles dans l'eau et l'alcool , des matières
grasses et des composés pectiques. C'est la
cutose qu'il faut déterminer en premier lieu ;
dans ce but, le tissu organique est soumis pen-
dant quelques minutes à l'action d'une disso-
lution concentrée de potasse, qui transforme la
cutose en un savon insoluble dans un excès
d'alcali, mais soluble dans l'eau ; la perle de
poids qu'éprouve le tissu sous l'influence de
la potasse et celle de l'eau bouillante fait con-
naître la proportion de cutose.
Il ne reste plus alors qu'à séparer la vascu-
COMPOSITION CHIMIQUE DE LA LBYURB. 141
lose des corps cellulosiques, en suivant une des
méthodes que j*ai indiquées précédemment.
Telle est la marche à suivre dans l'analyse
des tissus des végétaux : en l'appliquant à
Tétude de la levure de bière, on reconnaîtra que
le tissu qui existe dans cet organisme n'est pas
formé exclusivement de cellulose, que cette
cellulose n'est pas entièrement soluble dans le
réactif cuivrique, et que le corps non. azoté qui
s'y trouve est toujours associé à des quantités
très-notables de vasculose.
FERMENTATION DU LAIT
J'ai trouvé dans mes éludes sur la fermen-
tation du lait une confirmation nouvelle des
idées que je soutiens.
Mais ici mes arguments contre la théorie de
M. Pasteur ne sont plus de même nature que
ceux qui m'ont été fournis par l'orge et la levure :
c'est dans la variété des fermentations que le
lait peut produire, et dans l'influence des cir-
constances extérieures sur ces différentes fer-
mentations, que je vois la preuve de la généra-
lions des ferments par le liquide même et non
par les germes atmosphériques.
144 LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
On sait que le lait sortant du pis de la vache
et tombant dans un vase que Ton maintient à
une température de 25^ peut éprouver au moins
cinq fermentations différentes qui sont les fer-
mentations alcoolique , lactique , butyrique ,
acétique, caséique.
Faut-il admettre avec M. Pasteur que le lait
trouve dans Tair du vase où ce liquide vient
tomber les cinq germes différents qui peuvent
opérer ces modifications?
L'expérience démontre que le même lait se
modifie différemment suivantles influences aux-
quelles on Texpose : il peut produire tantôt
la fermentation alcoolique, tantôt la fermenta-
tion lactique, tantôt la fermentation butyrique.
Cette génération de ferments, dont la nature
varie sous l'influence des circonstances exté-
rieures, me paraît bien difficile à expliquer avec
les idées de M. Pasteur;
Tandis que pour rendre compte, dans la théo-
rie de rhémiorganisme, de la production des
différents ferments du lait, il suffit d'admettre,
dans le liquide, l'existence d'un corps hémior-
ganisé vivant, qui se modifie au contact de
l'air atmosphérique, comme tous les orga-
nismes vivants, et qui peut engendrer alors
plusieurs espèces de ferments.
FERMENTATION DU LAIT. 145
Les produits de la fermentation du lait dé-
pendront donc de la vie du caséum et de ses
modifications, sous rinfluencedescirconstanceB
extérieures auxquelles le lait aura été sou-
mis.
Le ferment qui s'engendre dans une liqueur
alcaline n'étant pas le même que celui qui se
forme dans un liquide acide, les produits d'al-
tération du lait varieront avec la réaction du li-
quide.
La théorie de l'hémiorganisme n'explique
pas seulement la production des nombreux
ferments que le lait peut engendrer, elle rend
compte également des méthodes qui le con-
servent.
Elle apprend en effet que les réactions qui
luent le caséum du lait ou qui s'opposent à son
développement organique devront opérer la
conservation du lait ; c'est ce que l'observation
confirme.
Seulement il faut se rappeler qu'il existe une
différence importante entre l'albumine et le
caséum :
L'albumine, en dissolution dans l'eau, est
coagulée et tuée au-dessous de 100**; tandis
que le caséum n'est pas coagulé par l'ébul-
lition.
10
146 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Par conséquent le lait peut conserver sa force
génératrice, lors même qu'on Ta chauffé à 100® ;
tandis que dans de pareilles conditions tous les
organismes albumineux sont tués.
Ainsi, dans la théorie de la panspermie at-
mosphérique, les nombreuses fermentations du
lait sont inexplicables ; elles s'interprètent
au contraire très-facilement dans la théorie de
Thémiorganisme basée sur la vie du caséum
et dont les évolutions organiques varient
avec les circonstances dans lesquelles on le
place.
Les expériences que je vais décrire me pa-
raissent de nature à confirmer les principes que
je viens de poser.
XVI
Cinq ballons de verre à col effilé ont été net-
toyés avec le plus grand soin ; j'ai introduit dans
leur intérieur une petite quantité d'eau qui a été
portée à Tébullition; j'ai fermé ensuite à la
lampe le col effilé des ballons; j'avais donc ainsi
à ma disposition des ballons de verre ne con-
FERMBNTATION DU LAIT. 147
tenant plus intérieurement de germes atmo-
sphériques.
Ces ballons ont été transportés dans une
étable ; j'ai entouré la pointe des ballons d'une
grande quantité de coton destiné à arrêter les
poussières de l'air qui pouvaient rentrer dans les
ballons au moment de leur ouverture ; j'ai en-
suite brisé la pointe des ballons qui se sont rem-
plis d'air privé de germes. J'ai introduit dans
ces ballons le lait sortant du pis de la vache ;
les ballons ont été ensuite fermés avec soin, puis
conservés dans mon laboratoire à la tempéra-
ture de 20* environ.
Au bout de quelques jours, la fermentation
s'est produite dans tous ces ballons; le caséum
s'est d'abord coagulé; le liquide est devenu
ensuite fortement acide ; il contenait de l'acide
lactique et de l'acide butyrique. Sur les cinq
ballons préparés, trois ont fait explosion à la
suite de la quantité considérable de gaz que le
lait avait dégagé.
Quelle conséquence faut-il tirer de cette ex-
périence ?
Dans la théorie de l'hémiorganisme, le phé-
nomène se comprend facilement : c'est le dé-
veloppement organique du caséum qui produit
des ferments différents ; ceux-ci réagissent
148 SUR LÀ GÉNÉRATION DES FERMENTS.
alors sur le sucre du lait et deviennent la
cause des altérations que je viens de signa-
ler.
Mais dans celle de M. Pasteur, comment la
fermentation du lait peut-elle être expliquée?
Il faut admettre qu'en sortant du pis de la vache
pour tomber dans le ballon, le lait a emprunté
immédiatement à l'air les quatre germes de fer-
ment qui se trouvaient là en disponibilité, pour
produire la fermentation du liquide orga-
nique !
J'ose croire que mon explication sera pré-
férée à celle de M. Pasteur.
XVII
J'ai introduit dans trois flacons des quantités
égales du même lait : le premier contenait du
lail pur; le second du lait sucré ; le troisième
du lait sucré avec addition de carbonate de
chaux.
Pour éviter l'influence des organismes qui
se trouvent dans la craie, le carbonate de chaux
employé dans mes expériences a toujours
FERMENTATION DU LAIT. 149
été préparé artificiellement par précipitation.
Les trois flacons contenant le lait ont été ex-
posés à une température de 30".
Le premier a éprouvé la fermentation lacti-
que, le second les fermentations lactique et
alcoolique, le troisième les fermentations lac-
tique, alcoolique et ■ butyrique •
Ces différentes fermentations d'un même li-
quide, qu'on peut faire varier presque à volon-
té, en modifiant la constitution de la liqueur,
me paraissent démontrer que c'est le liquide lui-
même qui produit les ferments, qu'il ne les em-
prunte pas à l'atmosphère et que les conditions
extérieures exercent une grande influence sur
la nature des ferments qu'un milieu organique
peut produire.
Vlll
Du lait sucré a été introduit dans un ballon
à col effilé, recourbé et ouvert, puis soumis
pendant quelques instants à Tébullition.
J'ai laissé refroidir ce liquide dans un appareil
qui ne pouvait pas donner accès aux poussières
150 SUR LA GÉNÉRATlOiN DBS FERMENTS.
de l'air, et je l*ai exposé ensuite à une tempéra-
ture de aô"" environ.
Le lait est entré en fermentation ; il a donné
deTacide lactique, de Tacide butyrique, de l'al-
cool, en dégageant, soit de Tacide carbonique,
soit de Thydrogène.
J*ai varié cette expérience à l'infini en opé-
rant sur du lait pur ou sur du lait mélangé à
du carbonate de chaux, sur du lait sortant du
pis de la vache ou sur du lait exposé à l'air
pendant des temps différents avant son ébul-
lition.
Dans tous ces essais, j'ai toujours constaté
l'altération et la fermentation du lait.
Ces faits me paraissent complètement en fa-
veur de la théorie del'hémiorganisme.
M. Pasteur admet qu'il suffit de faire bouillir
un liquide qui tient en suspension des germes
de ferments pour les tuer. 11 a déclaré également
qu'une liqueur abandonnée dans un ballon à col
recourbé et effilé peut préserver ce Uquide de
rintluence des germes atmosphériques.
Or, du lait placé dans ces conditions est bien
à l'abri de toute influence de germes extérieurs.
Je constate cependant que le lait bouilli,
abandonné dans l'appareil de M. Pasteur, entre
en fermentation.
FERMENTATION DU LAIT. 151
# ■ I I ■■ — I ■ »lll.l ■■■■ Il ■ ■■■■■ IllIBIW Mi.»^—— I M^— i«^—— ^— ^■^■^■^M— — —
Donc le lait a le pouvoir de créer des germes
de ferments.
M. Pasteur dira probablement qu'une tem-
pérature de 100** est insuffisante pour tuer les
germes de ferments et que rébullition du lait
n'a pas détruit les germes qui se trouvaient
dans le liquide.
Cette argumentation ne peut être acceptée.
Je sais que des organismes albumineux sup-
portent une température sèche de 100° sans se
décomposer: j'ai constaté moi-même que l'al-
bumine séchée dans le vide conserve sa solu-
bilité lors même qu'on la chauffe à 130** : mais
l'albumine est coagulée et tuée bien au-dessous
de 100"* lorsqu'elle est en dissolution dans Teau.
Je n'admets donc pas qu'un organisme albu-
mineux puisse rester vivant dans de l'eau
bouillante.
Si le caséum du lait, qui n'est pas un orga-
nisme albumineux, n'a pas été tué par une
ébullition de quelques instants, c'est que ce
corps n'est pas coagulé, comme l'albumine,
lorsqu'on expose sa dissolution à 100°,
Je viens de citer des expériences qui démon-
trent que le lait conserve encore sa force gé-
nératrice lorsqu'il a été porté à l'ébuUition,
mais qu'il ne résiste pas à l'influence d'une
152 SUR LÀ GÉNÉRATION DES FËRMËiNTS.
température plus élevée et même à Taction pro-
longée d'une température qui est au-dessous
de 100^
C'est sur ce principe qu'est fondée la con-
servation du lait par la méthode d'Appert.
Dans de nombreuses observations, j'ai con-
staté qu'on peut conserver du lait en le chauf-
fant à 130% à ^20^ àHO% et même au-dessous
de 100**, à la condition de prolonger la coction
pendant un certain temps.
J*ai reconnu également que l'air laissé dans
les appareils exerce une grande influence sur
la conservation du lait : l'altération est beau-
coup p'us rapide dans les ballons qui contien-
nent de l'air que dans ceux qui en ont été com-
plètement purgés ; le fait que j'ai constaté dans
les conserves d'Appert se présente également
pour le lait.
Mes études sur la fermentation du lait me
permettent donc d'opposer à la théorie de
M. Pasteur les arguments suivants :
1® Le lait soumis à la température qui tue
tous les ferments éprouve encore plusieurs
espèces de fermentations.
2° Le lait qui sort du pis de la vache et qui
tombe dans un flacon contenantde l'air privé de
germes fermente toujours.
FERMENTATION DU UlT. 153
3** En faisant varier la réaction du lait, en le
rendant neutre, alcalin ou acide, on peut lui faire
éprouver à volonté des fermentations différentes.
Tous ces faits me paraissent inexplicables
dans la théorie de M. Pasteur, et confirment au
contraire les idées que j'ai émises sur la géné-
ration des ferments par les liquides organiques
vivants.
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN
Cette fermentation, en raison de son impor-
tance, est une de celles que je devais étudier
avec le plus de soin. J'ai donc institué sur la
fermentation du jus de raisin et sur les altéra-
tions du vin un grand nombre d'expériences
dont je ferai connaître les principaux résultats.
Je rappellerai d'abord, à Toccasion de la
fermentation du jus de raisin, le principe que
j'ai déjà énoncé, en parlant de la fermentation
des autres liquides sucrés.
La fermentation du jusde raisin se comprend
très-facilement, si l'on admet la vitalité de ce
liquide et si on lui accorde le pouvoir de créer
directement des ferments différents, sous Tin-
fluence de l'oxygène atmosphérique,
156 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Cette fermentation devient inexplicable si
l'on veut en chercher la cause dans les prétendus
germes de ferments qui existeraient dans l'air
atmosphérique.
M. Pasteur admet que la fermentation d'une
cuve de vendange est produite soit par les
germes de ferment alcoolique qui existent en
suspension dans l'air et qui tombent dans
la cuve, soit par les germes de ferment, pro-
venant de l'air, qui sont attachés à la surface
du grain de raisin ou à la rafle.
Dans ces derniers temps M. Pasteur a insisté
beaucoup plus sur les germes attachés à la
surface des grains que sur les germes atmo-
sphériques ; mais comme dans sa théorie de la
panspermie atmosphérique, tout vient de Fair,
c'est-à-dire de T extérieur, les germes attachés
aux fruits ne peuvent avoir, d'après M. Pas-
teur, qu'une origine atmosphérique*
L'explication que je donne de la fermentation
du suc de raisin est complètement différente de
celle qui est adoptée par M. Pasteur.
Selon moi, cest le raisin lui-même qui
produit sa levure, et il ne remprunte jamais
à Vatmosphère.
Dans cette théorie , le ferment alcoolique
du raisin a deux origines : il peut pro-
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN. 157
venir soit de la pulpe, soit du suc de fruit .
Lorsqu'on détache du grain de raisin la pel-
licule qui le recouvre, on trouve dans les cel-
lules épidermiques du fruit une quantité innom-
brable de petits granules organisés qui, au
contact de l'air, se transforment en ferment
alcoolique du raisin .
Le suc du fruit peut également produire du
ferment, à la manière du moût d'orge et de Teau
de levure sucrée.
Ce suc filtré ne présente il est vrai aucun
corpuscule organisé, mais il contient une sub-
stance plasmatique vivante, qui en s'organisant
au contact de Tair peut engendrer le ferment
alcoolique.
Ainsi, dans la cuve de vendange, le ferment
alcoolique est créé non-seulement par les
cellules du fruit, mais aussi par la substance
hémiorganisée vivante que le suc contient.
Il en est de même pour le vin une fois pro-
duit : f admets en effet que le vin, semblable
au jus de raisin, engendre lui-même les fer-
ments qui le modifient et qu'il ne les emprunte
jamais à fatmosphère. Ce liquide est encore
vivant et jouit d'une force génératrice énergique.
La substance hémiorganisée qui s'y trouve peut,
soit dans le tonneau, soit dans les bouteilles,
158 SUR LA GÉNÉRATION DES FBRMENTS.
engendrer des organismes et produire tous ces
ferments qui deviennent la cause de la maladie
des vins .
La nature de ces ferments dépend de la com-
position du vin et des circonstances dans les-
(juelles le liquide a été placé.
On sait que M. Pasteur, appliquant aux mala-
dies des vins sa théorie de la panspermie
atmosphérique, a été obligé d'admettre que
ïair atmosphérique contient, à Vétat de ger-
meSy tous les ferments qui peuvent altérer
les vins !
L'énoncé d'une pareille proposition soulève
de bien graves objections.
Si l'air apportait, comme le croit M. Pasteur,,
les germes de ferments qui doivent altérer les
vins, ces liquides étant produits à l'air et se
trouvant enfermés dans des vases qui contien-
nent de l'air devraient toujours s'altérer; on
sait qu'heureusement il n'en est rien.
Le vin ne contient donc en aucune façon les
germes de ferments de maladie ; mais on y
trouve une certaine quantité de cette matière
hémiorganisée vivante qui était si abondante
dans le suc de raisin, et qui au contact de l'air
peut engendrer des ferments divers.
L'art de la production et de la conservation
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN 159
du vin ne consiste pas à détruire des germes
de ferments atmosphériques, mais à diriger,
au profit du vin, cette vie du liquide organi-
que qui donne à la liqueur son arôme et sa
qualité.
Ce mouvement vital du vin se produit diffé-
remment dans le tonneau et dans la bouteille :
le tonneau est un appareil poreux qui, sem-
. blable aux cellules organiques, permet à l'oxy-
gène d'intervenir eu quelque sorte par endos-
mose ; la bouteille est un appareil imperméable
dans lequel le vin n'agit que sur ses propres élé-
ments.
On voit que ces principes, sur la génération
des ferments du vin^ sont bien différents de ceux
qui ont été émis par M. Pasteur.
En effet, dans la production du vin et dans
le développement de ses maladies, je ne fais
jouer aucun rôle aux poussières atmosphéri-
ques ; c'est dans la vie même du liquide orga-
nique que je trouve les causes de sa fermenta-
tion et des transformations qu'il peut éprouver.
J'arrive aux expériences que j'ai entreprises
sur le raisin.
160 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
X[X
Dans mes études sur la fermentation du rai-
sin, mon premier soin a été d'examiner sépa-
rément les différents éléments qui constituent
le fruit; il importait, en effet, de rechercher si
le ferment se trouvait dans le suc ou dans la
partie utriculaire du fruit et d'examiner sous
quelles influences les ferments peuvent se
former.
Pour résoudre ces questions, j'ai soumis les
grains de raisin aux préparations suivantes :
1° J'ai enlevé d'abord la pulpç du raisin, que
j'ai lavée avec le plus grand soin ;
9^ Les membranes intérieures du grain ont
été extraites et débarrassées de tout liquide or-
ganique ;
3® La pulpe, pressée sur un linge fin, a pro-
duit un suc trouble ;
4° Ce suc trouble, soumis à la filtration, a
donné un précipité et une liqueur claire.
J'ai donc séparé du fruil quatre parties diffé-
rentes, qui sont la pulpe extérieure, les mem-
branes intérieures, le suc clair, et un corps qui,
au moment de la compression du fruit, est
FERMENTATION DU JUS DU RAISW. t6t
en suspension dans le suc el le rend trouble.
J'ai examiné successivement ces quatre par-
lies du fruit.
La pellicule extérieure du fruit et les mem-
branes intérieures, ayant été privées par le la-
vage de tout liquide fermenlescible , ont été
mises au conlacl de l'eau sucrée, à une tem-
pérature de 30".
11 m'a été facile de reconnaître que ces deux
sortes de membranes agissaient sur le sucre,
mais avec une grande lenteur; elles produisent
de l'alcool et dégagent un mélange d'acide car-
bonique et d'hydrogène : la pellicule extérieure
du raisin agit avec plus de rapidité sur le sucre
lorsqu'on ne lui enlève pas par le grattage
les cellules épidermiques qu'elle retient, et
dans lesquelles se trouvent les petits organis-
mes plasmatiques qui sont destinés h produire
le ferment alcoolique.
Je crois que, par elles-mêmes , ces membra-
nes extérieures bien purifiées ne devraient pas
agir sur le sucre; sij'ai constaté une action fer-
mentescible, c'est que la pellicule extérieure
contenaitencorequelquescellules épidermiques.
Ce n'est donc pas dansl'action des membranes
intérieures ou extérieures des grains de raisin
qu'ilfautchercherroriginedufermentalcoolique.
162 SUR LA GÉNÉRATION DBS PBRMBNTS.
Il n'en est pas de même pour le suc trouble
que Ton obtient en filtrant grossièrement sur
un linge fin le raisin écrasé.
De tous les éléments du grain de raisin, le
suc trouble est celui qui fermente avec le plus
de rapidité, mais ici se présentent plusieurs
questions intéressantes à résoudre : quelle est
la partie de ce suc qui produit la fermentation?
le ferment est-il engendré par le liquide, ou
existe-t-il déjà dans le corps qui trouble la li-
queur ?
Examinant au microscope la substance inso-
luble du suc de raisin, en faisant abstraction des
tartrates insolubles et cristallisés qui s'y trou-
vent, j'ai vu qu'elle est formée principalement par
un corps azoté présentant une trame d'organisa-
tion incomplète; elle contient en outre une quan-
tité considérable depetits corpuscules organisés
provenant évidemment des cellules adhérentes
à la pellicule du grain. Ce précipité introduit
dans de l'eau sucrée a déterminé rapidement sa
fermentation. C'est évidemment là le corps qui
produit la fermentation des cuves de vendange :
les germes de l'air n'ont exercé aucune in-
fluence sur sa formation et son organisation,
puisqu'on peut l'observer immédiatement dès
que le suc trouble sort du grain.
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN. 163
En étudiant Taction de l'air atmosphérique
sur le suc du raisin, j'ai constaté que l'air agit
rapidement sur le liquide : Toxygène est
• absorbé, la matière azotée se précipite, elle
s'ajoute au corps insoluble qui préexistait dans
le suc et se réunit bientôt sous la forme d'un
coagulum abondant.
Quand le suc s'est éclairci par l'exposition à
l'air et par des filtrations successives , on re-
connaît qu'il perd ses facultés fermentescibles à
mesure qu'il devient plus limpide, et qu'un
suc absolument clair peut être conservé pendant
un mois sans éprouver de fermentation; tandis
que le même suc fermente au bout de douze
heures lorsqu'il est trouble ou qu'il peut se trou-
bler à l'air.
Ainsi le principal agent de fermentation du
suc de raisin est le corps insoluble qui se trouve
en suspension dans la liqueur trouble, ou celui
qui se forme lorsque le suc est exposé à l'air.
Je ne veux pas dire cependant que du moût de
raisin éclairci à l'air n'entrera plus en fermen-
tation ; j'affirme seulement qu'il existe une
différence bien marquée entre les facultés fer-
mentescibles d'un jus de raisin trouble sortant
du grain écrasé et celles d'un suc qui a été
éclairci à l'air.
164 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Je trouve déjà, dans ces premières obser--
valions sur le raisin, des faits qui sont en op-
position avec la théorie de M. Pasteur.
En effet, comment M. Pasteur peut-il expli-
quer ce pouvoir de fermentation que j'ai con-
staté dans les organismes qui sont en sus-
pension dans le suc même du raisin et qui
sortent évidemment des cellules épidermiques ?
Si dans un suc de raisin les ferments étaient
produits par les germes atmosphériques,
pourquoi du suc de raisin éclairci par des
filtrations répétées au contact de l'air, et saturé
par conséquent de germes atmosphériques ,
fermente-t-il beaucoup plus difficilement que le
suc trouble qui sort du germe du raisin ?
Les faits suivants que je vais analyser con-
duisent aux mêmes conclusions.
XX
J'ai ouvert les cellules épidermiquas qui
adhèrent à la pellicule extérieure du grain de
raisin, j'en ai extrait les granulations plasma-
tiques qui s'y trouvaient et je les ai mises en
suspension dans du jus de raisin qui avait été
complètement paralysé par l'ébuUition.
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN. 165
Cette liqueur abandonnée à Tétuve pendant
quelque temps est entrée en fermentation et a
produit du ferment alcoolique .
Ainsi, du suc de raisin bouilli ne fermente
pas ; mais lorsqu'on le met en présence de la
substance hémiorganisée qui existe dans le rai-
sin, il entre en fermentation : cette expérience
ne démontre-t-elle pas, avec une certaine ri-
gueur, la génération du ferment alcoolique par
Torganisation elle-même en dehors de l'influence
des germes atmosphériques ?
J'ajouterai ici qu'en lavant avec soin des
grains de raisin, en recueillant les poussières
qui les recouvrent et les introduisant dans le suc
du raisin bouilli, je n'ai jamais constaté le phé-
nomène de fermentation que produisent si faci-
lement les organismes extraits de l'intérieur
du grain.
XXI
Après avoir étudié les propriétés fermentes-
cibles des différentes parties du raisin, j'ai dû
rechercher si le suc du raisin extrait de Tinté-
rieur d'un grain de raisin et conservé à l'abri
166 SUR LA GÉNÉRÂTIOiN DES FERMENTS.
des poussières de Tair entrerait en fermenta-
tion.
A la suite d'une communication de M. Pas-
teur sur le même sujet, j'ai disposé un appa-
reil qui me permettait d'étudier cette question.
Il se composait principalement d'un petit tube
de verre effilé, dans lequel j'introduisais
quelques gouttes d'eau ; en portant cette eau
à l'ébullition, je chassais l'air et je tuais en
même temps les germes qui pouvaient exister
dans l'intérieur du tube ; l'air étant expulsé,
je fermais à la lampe la partie effilée du tube,
lorsque l'appareil était encore rempli de vapeur :
*
un pareil tube ainsi privé d'air devenait propre
à aspirer le suc du fruit. Gomme la pointe du
tube devait être cassée dans l'intérieur du
grain de raisin, j'avais pratiqué d'avance un
léger trait de lime sur la partie effilée du tube,
pour faciliter l'opération.
En enfonçant ensuite la pointe du tube dans
un grain de raisin, et la cassant au moyen du
trait de lime, il m'a été possible d'introduire
du suc de raisin dans le tube, et d'étudier sa
fermentation. J'ajoute que pour éviter la ren-
trée de l'air ordinaire dans l'intérieur du tube,
au moment où le suc s'y précipite, le grain de
raisin était soudé sur un tube de verre conte-
FERMEiNTATION DU JUS DU RAISIN. 167
naiit du coton, au milieu duquel passait la
pointe effilée du tube : si Tair extérieur rentrait
dans le petit tube effilé, il était donc obligé de
traverser le coton destiné à arrêter les germes
atmosphériques.
La fermentation du suc extrait ainsi directe-
ment de l'intérieur d'un grain de raisin a donné
les résultats les plus variables.
Dans certains cas, le suc de raisin introduit
dans de petits tubes de verre entrait en fermen-
tation ; mais dans d'autres cas, je pouvais le
conserver indéfiniment sans altération : j'ai re-
connu que ces différences d'action dépendaient
des dimensions du tube et du rapport qui exis-
tait entre le volume du suc de raisin et celui de
l'air laissé dans l'appareil.
Lorsque le tube ne contient plus qu'une pe-
tite quantité d'air, le liquide absorbe rapide-
ment Toxygène qui s'y trouve, et est ainsi pré-
servé de toute fermentation.
L'appareil employé par M. Pasteur pour étu-
dier la fermentation du suc extrait de Tinté-
rieur d'un grain de raisin présente quelques-
uns de ces inconvénients.
Je dirai en outre que, lorsqu'on enfonce
dans un grain de raisin un tube effilé, que Ton
casse ensuite dans Tintérieur du fruit, on tra-
168 SUR L\ GÉNÉRATION DES FERMENTS.
verse nécessairement un certain nombre de cel-
lules épidermiques qui contiennent les corpus-
cules organisés vivants dont j'ai parlé précédem-
ment, et qui produisent le ferment alcoolique.
Par tous ces motifs, je suis donc persuadé
que les observations faites sur du suc de raisin
extrait de l'intérieur du fruit et introduit ensuite
daijs des appareils fermés, ne peuvent pas être
invoquées pour résoudre les questions qui se
rapportent à la génération du ferment alcoo-
lique des fruits.
Il faut donc chercher ailleurs la solution de
cet important problème.
XXII
L'expérience de Gay-Lussac constitue certai-
nement une des objections les plus graves que
l'on puisse opposer aux théories de M. Pasteur.
Je l'ai répétée un grand nombre de fois, en
la variant de différentes manières ; je suis donc
en mesure de faire ressortir ici les conséquences
que l'on peut en tirer.
On sait qu'il résulte de l'expérience faite par
Gay-Lussac que du raisin écrasé à l'abri de
l'air, dans une éprouvette remplie de mercure,
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN. 169
ne fermente pas ; mais que ce raisin entre en
fermentation dès qu'on fait passer une certaine
quantité d'air dans l'éprouvettc.
Au lieu d'admettre avec Gay-Lussac que,
dans cette expérience, l'air avait pour effet
de déterminer l'organisation de la substance
azotée et de la changer en ferment, M. Pasteur
applique encore ici sa théorie de la panspermie
atmosphérique ; il soutient que si l'air introduit
dans Téprouvette détermine la fermentation du
suc de raisin, c'est qu'il apporte les germes de
ferment alcoolique qu'il contenait.
D'après M. Pasteur, les germes de ferment
proviennent non-seulement de Tair, mais aussi
des poussières apportées par le mercure et des
germes qui se trouvent à la surface des grains
de raisin.
Gomme l'exactitude de l'expérience de Gay-
Lussac a été niée par des chimistes éminents
et que M. Pasteur, dans une de ses dernières
communications , a déclaré que dans l'expé-
rience de Gay-Lussac le jus de raisin devait
entrer en fermentation si on le gardait pendant
un temps suffisant, j'ai dû répéter l'expérience
de Gay-Lussac dans les circonstances les plus
variées, et en conservant longtemps le suc avant
de le mettre au contact de l'oxygène.
170 SUR LÀ GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
Mes expériences ont été faites dans les
conditions suivantes et répétées plusieurs fois.
Des grains de raisin sont introduits dans une
éprouvetle remplie de mercure, et lavés envi-
ron vingt fois avec de l'acide carbonique pur ;
je les écrase ensuite avec une baguette de
verre préalablement chauffée et sortant d'une
éprouvette remplie d'acide carbonique.
i' ai consGTwé pendant une année cette éprou-
vette sur ma cuve à mercure, en la chauffant
avec de l'eau tiède lorsque la température ex-
térieure venait à baisser.
Eh bien, pendant ce temps, le raisin écrasé
à l'abri de l'air n'a pas présenté l'apparence
même de la fermentation ; la pulpe a conservé
son aspect verdâtre.
Ce premier fait étant une fois bien acquis,
j'ai fait passer dans l'éprouvetle â ou 3 cen-
timètres cubes d'oxygène dégagé par le chlorate
de potasse, que je chauffais dans un tube
effilé ; toutes les parties du tube avaient été
préalablement portées au rouge pour détruire
les germes de l'air.
Au bout de deux jours, le raisin était en pleine
fermentation.
Ainsi, l'expérience de Gay-Lussac est d'une
parfaite exactitude, et Iç raisin écrasé peut 3e
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN. 171
conserver indéfiniment sans fermenter lorsquil
est préservé du contact de Tair.
J'ai voulu répéter Texpérience de Gay-Lussac
dans d'autres conditions et engendrer l'oxygène
en décomposant l'eau par la pile.
L'opération a été faite dans les mêmes condi-
tions que précédemment; seulement j'avais soudé
d'avance à la partie supérieiu*e des éprouveltes
deux fils de platine qui me permettaient de faire
passer un courant électrique dans le suc du raisin .
J'ai donc disposé l'expérience comme celle de
Gay-Lussac ; après avoir écrasé à l'abri de l'air
les grains de raisin, j'ai placé ces éprouvettes
dans une étuve dont la température était de 30^
et je me suis assuré qu'au bout d'un mois le
liquide n'éprouvait pas de fermentation.
Ce liquide a été ensuite soumis à l'action
d'une forte pile qui a dégagé quelques centi-
mètres cubes de mélange détonant ; en mainte-
nant toujours la température à 30% j'ai constaté
qu'au deuxième jour le liquide entrait en fer-
mentation comme dans la première expérience
de Gay-Lussac.
Il résulte donc de ces différents essais que
c'est bien l'oxygène qui donne au raisin la fa-
culté de fermenter, et que le ferment n'est pas
apporté par les poussières de l'air,
172 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Les expériences que je viens de décrire con-
duisent encore à une conséquence importante
que j'opposerai à la théorie de la panspermie
atmosphérique.
M. Pasteur a consigné dans les Comptes
rendus de F Académie Tobservalion suivante :
Lorsqu'on introduit, dans du suc de raisin
bouilli, le suc de raisin pris dans l'intérieur du
fruit, il ne se fait pas de fermentation.
Mais lorsqu'on fait arriver, dans le suc de
raisin bouilli, les corpuscules qui existent à
l'extérieur des grains de raisin, la fermenta-
tion se détermine aussitôt.
Donc, a dit M. Pasteur, le ferment alcoolique
ne vient pas de l'intérieur du grain, mais bien
de l'extérieur.
Je vais mettre ici M. Pasteur en contradic-
tion avec lui-même et lui démontrer que l'ex-
plication à laquelle il attache tant d'impor-
tance ne peut pas être acceptée.
Si, comme il le dit, les grains de raisin con-
tenaient à leur extérieur des grains rudimen-
taires de ferments et en assez grande quantité
pour faire fermenter du jus de raisin bouilli,
en écrasant des grains de raisin sous une éprou-
vette remplie de mercure, dans Texpérience de
Gay-Lussac, on mettrait le ferment alcoolique
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN. 173
y ■■■■■ ■■ ■■■.. t .■■! ■ --■■■■ ■■■■■■■
en contact avec le suc du raisin et la fermentation
devrait se manifester.
Or, Texpérience démontre que le raisin
écrasé dans ces conditions ne fermente pas;
donc il n'existe pas de ferment alcoolique à la
surface des grains de raisin, et le ferment du
raisin ne prend naissance que dans Taction de
l'oxygène sur la substance liémiorganisée vi-
vante que le grain contient.
XXIII
L'expérience de Gay-Lussac m'a fait entre-
prendre sur la fermentation du jus de raisin un
grand nombre d'essais dont je ferai connaître
ici les pricipaux résultats.
•Du suc de raisin a été filtré à l'air avec le
plus grand soin ; l'opération a duré plusieurs
heures, parce que, pendant la filtration du suc, il
se forme un dépôt de substance albumineuse
qui bouche les pores du filtre.
La liqueur étant exposée ainsi à l'air pendant
longtemps a dû entraîner tous les germes
de ferments alcooUques qui, d'après M. Pasteur,
existeraient dans l'air ; en outre, le liquide s'est
chargé, pendant sa filtration, d'une quantité
174 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
d'oxygène suffisante pour déterminer le déve-
loppement des germes atmosphériques.
J'ai introduit ce suc dans un tube bouché
que j'ai renversé ensuite sur la cuve à mercure;
on sait que d'après M. Pasteur, une cuve à
mercure présenterait à sa surface des quantités
considérables de germes de ferments qui, dans
Texpérience de Gay-Lussac, détermineraient
la fermentation du suc de raisin.
Ainsi, dans cette expérience, le liquide,
d'après les vues de M. Pasteur, devrait entrer
en fermentation, car il contient tous les élé-
ments qui doivent le faire fermenter.
Eh bien, il n'en est rien ; je conserve depuis
plusieurs mois dans mon laboratoire des sucs
de raisin filtrés à l'air et introduits dans des
tubes placés ainsi sur la cuve à mercure et
qui ne présentent aucune apparence de fer-
mentation.
Cette première observation est en opposition
complète avec les idées de M. Pasteur; elle
est confirmée par celles qui vont suivre.
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN. 175
XXIV
J'ai introduit, dans cinq tubes, du suc de
raisin préparé comme celui qui a servi dans
l'expérience précédente; j'ai conservé ces tubes
pendant quelques jours pour m'assurer qu'ils
n'entreraient pas en fermentation, et ensuite
j'ai fait passer dans ces tubes des quantités
croissantesd'oxygène très-pur préparé au moyen
du chlorate de potasse.
L'oxygène a déterminé très-rapidement la
fermentation du suc dans les cinq tubes, et
avec une rapidité qui se trouvait en rapport
avec la quantité d'oxygène employé.
Ces faits me paraissent donc confirmer com-
plètement les opinions que j'ai émises sur la
vitalité des sucs organiques et sur la génération
des ferments sous l'influence de l'oxygène.
XXV
L'expérience précédente a été répétée dans
des conditions particulières que je vais faire
connaître ; elle avaitpour but d'éviter l'influence
176 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
que le mercure exerce quelquefois sur les mi-
lieux fermentescibles.
J'ai introduit du suc de raisin filtré à Tair
dans vingt petits ballons en verre qui présen-
taient des quantités très-différentes d'air atmo-
sphérique.
Les uns contenaient plus de la moitié de leur
volume d'air, tandis que d'autres étaient pres-
que entièrement remplis de liquide ; quelques-
uns même étaient privés d'air ; le col de ces
ballons a été ensuite fermé à la lampe.
Ces liquides, exposés pendant plusieurs jours
à une température favorable à la fermentation,
ont présenté les phénomènes suivants:
Ceux qui ne contenaient pas d'air n'ont
fermenté que très-incomplétement, tandis que
ceux qui contenaient de l'air ont éprouvé une
fermentation dont l'intensité a été sensiblement
proportionnelle à la quantité d'air laissée dans
le ballon.
Tous ces faits démontrent clairement que la
génération des ferments est due à la vitalité
des Uquides organiques entretenue par Toxy-
gène, et nullement à Tinfluence des prétendus
germes atmosphériques de ferments.
FERMENTATION DU JUS DU RAISIN. 177
XXVI
J'ai répété toutes les expériences précédentes
avec du suc de raisin extrait directement à
l'air, en pressant la grappe dans un linge, en
opérant donc sur une liqueur trouble que je n'é-
claircissais pas par la filtration, et qui devait
contenir ^par conséquent tous les prétendus
germes atmosphériques de ferment.
Les résultats que j'ai observés ont été abso-
lument les mêmes que ceux qui ont été consta-
tés sur le suc filtré.
Le liquide trouble conservé dans des tubes
placés sur le mercure à l'abri de l'air et dont la
vie se trouvait ainsi suspendue par le manque
d'oxygène n'est pas entré en fermentation;
tandis que la fermentation s'est manifestée ra-
pidement dès que le suc a reçu l'influence de
l'oxygène.
La substance azotée que le suc de raisin
laisse déposer, sous l'influence de l'oxygène,
ne parait donc pas exercer d'influence sur les
phénomènes que j'analyse ici.
12
178 ' SUR LÀ GÉNÉRATION DBS PBRHBNTS.
XXVII
Il m*a paru intéressant de rechercher si la
présence de l'acide carbonique enlevait au suc
du raisin la propriété de fermenter sous Tin-
fluence de l'oxygène.
Du suc de raisin filtré à l'air a été saturé
diacide carbonique et introduit dans un tube
rempli de mercure ; le liquide conservé ainsi
pendant plusieurs jours n'est pas entré en fer-
mentation; j'ai fait passer ensuite dans le tube la
quantité d'oxygène qui dans d'autres expériences
avait été suffisante pour faire fermenter le suc de
raisin ; la fermentation ne s'est pas produite.
J'ai constaté en outre que du suc de raisin placé
dans le vide peut se conserver sans altération.
Il résulte de ces observations que toutes
les influences qui s'opposent au développe-
ment des êtres vivants tuent également le suc
de raisin et suspendent sa fermentation.
Les faits que je viens de faire connaître, et
qui se rapportent à la fermentation du suc de
raisin, confirment dcTnc les considérations que
j'ai présentées précédemment sur la vie des li-
quides organiques et sur la génération des
ferments par la double influence de l'oxygène
et des sucs végétaux.
XXVIII
FERMENTATIONS INTRACELLULAIRES.
J'ai donné le nom de fermentations intra-
cellulaires à des fermentations qui peuvent se
produire dans l'intérieur des cellules orga-
niques, par conséquent dans des conditions où
les prétendus germes atmosphériques de fer-
ments ne peuvent pas pénétrer.
C'est dans la séance de l'Académie du
29 janvier 1872 que j'ai décrit le premier phé-
nomène de fermentation intracellulaire ; je l'ai
observé , comme on le sait, sur l'orge germée.
J'ai démontré en effet que lorsqu'on abandonne
180 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
de l'orge dans de l'eau sucrée, il se produit dans
l'intérieur de la graine des fermentations alcoo-
lique, lactique et butyrique.
La fermentation est bien dans ce cas intra-
cellulaire^ car c'est de l'intérieur des grains
qu'on voit sortir les bulles d'acide carbonique qui
entraînent des chapelets de grains de ferments.
Cette première observation démontrait déjà
que c'était de l'intérieur du grain que partait la
fermentation, et que le ferment se produisait
ainsi en dehors de toute influence des germes
atmosphériques.
XXIX
Le 10 mars 1871, à la demande de mon savant
confrère et ami M. Decaisne, j'ai placé dans de
l'air atmosphérique et dans différents gaz des
poires que j'avais comprimées avec le doigt,
mais assez légèrement pour conserver sans al-
tération la pellicule extérieure du fruit qui ne
présentait aucune déchirure ; au bout de quel-
ques jours les fruits étaient fortement odorants
et contenaient des quantités très-notables d'al-
cool; une fermentation alcoolique s'était donc
produite dans l'intérieur du fruit, et dans des
FERMENTATION INTRACELLULAIRE 181
conditions où les poussières de Tair ne pou-
vaient pas exercer d'influence.
Cette production d'alcool dans ces conditions
offrait un exemple incontestable d'une fermen-
tation intracellulaire.
Depuis le 10 mars, j'ai varié et répété bien
souvent l'expérience précédente, et j'ai toujours
obtenu les mêmes résultats.
Pour constater d'une manière très-simple la
fermentation intracellulaire des poires, il n'est
même pas utile de froisser le fruit avec le doigt,
comme je l'avais fait dans ma première expé-
rience ; il suffit d'abandonner pendant quelques
jours des poires bien mûres dans un flacon
portant un bouchon garni d'un tube laissant
dégager les gaz.
Les fruits commencent d'abord par transfor-
mer l'oxygène de l'air en acide carbonique;
lorsque l'atmosphère du tlacon ne contient plus
d'oxygène, la fermentation intracellulaire com-
mence; il se produit alors de l'alcool et de
l'acide carbonique.
L'expérience ne doit pas être prolongée long-
temps lorsqu'on veut constater, par la distilla-
tion des fruits, la formation de l'alcool ; car sous
l'influence des ferments divers qui s'engendrent
dans le tissu végétal et par l'action de l'oxygène,
182 SUR LÀ GÉNÉRATION DES FfiRMBNTS.
i alcool se transforme très-facilement en acide
acétique ; Talmosphère du flacon qui dans les pre-
miers jours avait une forte odeur d*aIcool devient
acide, elle contient alors de l'acide acétique.
Lorsque après quelques jours d'expérimen-
tation on examine le suc des poires et surtout
les cellules qui adhèrent à la cuticule, on y
trouve des grains abondants de ferment alcooli-
que.
XXX
Pour suivre les progrès de la fermentation
alcoolique intracellulaire, on peut opérer sur
la cuve à mercure, en introduisant les fruits
dans des éprouvettes contenant différents gaz.
J'ai fait passer de petites poires bien mûres
dans deux éprouvettes placées sur la cuve à
mercure : Tune contenait de Toxygène, l'autre
de r hydrogène.
Dès les premiers jours, j'ai constaté un dé-
gagement d'acide carbonique dans Téprouvette
contenant de l'hydrogène, tandis qu'il se pro-
duisait une absorption très-notable dans celle
où se trouvait l'oxygène : cette absorption était
due à la transformation de l'oxygène de l'air en
FERMENTATION INTRACELLULAIRE. 183
acide carbonique, et ensuite à l'absorption de
cet acide carbonique par le suc du fruit.
Bientôt cette absorption s'est arrêtée, et
alors le dégagement d'acide carbonique s'est
manifesté régulièrement dans cette éprouvette
comme dans la première.
La fermentation alcoolique intracellulaire a
eu lieu dans les deux cas : il s'est produit de
l'alcool, et les sucs de fruits examinés au
microscope contenaient en abondance, comme
dans l'expérience précédente, des grains de
ferment alcoolique.
XXXI
J'ai introduit des grains de raisin dans un
large tube qui , d'un côté , se trouvait en com-
munication avec un dégagement de gaz, et
qui, de l'autre côté, présentait une partie effilée
plongeant dans la cuve à mercure.
Au moyen de cette disposition, il m'était
facile d'étudier la fermentation intracellulaire
du raisin placé dans différents gaz.
Lorsque je voulais mettre l'expérience en
activité, je n'avais qu'à fermer à la lampe une
partie du tube qui avait été étranglée d'avance.
184 SUR U GÉNÉRATION DBS FBRHBNTS.
En opérant dans des éprouvettes placées sur
le mercure et contenant des gaz différents, je
pouvais également étudier la fermentation
intracellulaire des raisins soumis exactement
aux mêmes conditions que les poires dont j'ai
parlé précédemment.
Ces dispositions ont été appliquées à d'au-
tres fruits, tels que les cerises et les groseilles.
Je n*ai pas à insister longuement sur les
résultats de ces essais, car ils rappellent exac-
tement ceux que j'avais constatés sur les
poires.
Tous ces fruits, une fois soustraits à l'in-
fluence de l'oxygène, ont éprouvé la fermenta-
tion intracellulaire ; ils ont donné naissance
à de l'acide carbonique et à de l'alcool; en exa-
minant les sucs après la fermentation, j'ai
toujours constaté dans ces liquides la présence
de ferments organisés.
Lorsque l'expérience était faite dans l'oxy-
gène, le gaz, se transformant en acide carbo-
nique, était d'abord absorbé par le suc du
fruit ; mais lorsque le liquide se trouvait saturé
d'acide carbonique, le dégagement du gaz
continuait d'une manière assez régulière.
PBRMEWTATIOS INTRACELLULAIRE. 185
. XXXII
Je ne me suis pas contenté seulement d'étu-
dier la fermentation intracellulaire des fruits
placés dans différents gaz, mais je Tai exami-
née également sur des fruits plongeant dans
plusieurs espèces de liquides, surtout dans
l'eau sucrée.
Ces études ont été faites sur du raisin, des
groseilles et des cerises.
Il résulte de mes essais que^ dans ces con-
ditions, la fermentation intracellulaire se pro-
duit peut-être encore avec plus d'énergie
que quand les fruits sont placés dans les
gaz.
Tout le sucre des fruits disparaît; le péri-
carpe devient opaque par l'action de l'alcool, et
présente l'apparence d'un fruit qu'on aurait
plongé dans de l'eau-de-vie.
Les cellules se distendent par le dégage-
ment intérieur d'acide carbonique ; ce gaz dé-
termine ensuite la rupture du tissu cellulaire;
on trouve dans le suc de fruit fermenté de
gros grains de ferment ; en un mot, tout dé-
montre que la fermentation s'est produite à
l'abri de l'air dans l'intérieur du fruit.
186 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
XXXIII
Conséquences à tirer des fermentoUoiis Iniraeellalalres.
On sait que dans la séance du 7 octobre 1872,
M. Pasteur est venu annoncer à T Académie la
production de l'alcool et de l'acide carbonique
dans l'intérieur des fruits.
A cette époque les résultats que j'avais con-
statés le 10 mars sur la fermentation intra-
cellulaire des poires n'étaient pas encore pu-
bliés, et M. Pasteur n'avait pas connaissance
d'un travail sur le même sujet dû à MM. Le-
chartier et Bellamy.
Voyant que sa théorie des poussières atmo-
sphériques n'était plus applicable aux fermen-
tations intracellulaires, M. Pasteur eut re-
cours à une interprétation théorique inadmis-
sible; il soutint que la production de l'alcool
dans les cellules d*un fruit n*est pas une
fermentation, parce qu'il ne retrouvait pas dans
le suc de fruit les cellules de ferment alcoo
lique qu'il a décrites dans ses mémoires.
Je me suis empressé de dire alors à mon
FERMENTATION INTRACELLULAIRE. 187
confrère, qu'en admettant, pour un moment,
que dans les fermentations intracellulaires on
ne retrouve pas de ferments connus (ce qui
n'est pas)^ le fait ne suffirait pas pour affirmer
que la fermentation ne s'est pas produite.
Je disais alors devant l'Académie :
M. Pasteur connait-il bien toutes les formes
de ferment alcoolique? elles changent avec les
différents fruits; il en existe de presque imper-
ceptibles qui ont à peine «/goo de millimètre de
grosseur^ tandis que la levure de bière arrive •
à Vioo d® millimètre.
Les ferments alcooliques étant organisés
n'arrivent pas immédiatement à leur grosseur
normale : M. Pasteur peut bien ne pas avoir
aperçu ceux qui se trouvaient dans les cellules
des fruits.
Les séminules globuleuses qui se trouvent
dans Teau de levure et dans Tinfusion d'orge
sont à peine visibles, et cependant ce sont elles
qui engendrent les ferments de la bière.
Voit-on les ferments qui produisent les fer-
mentations diastasique etpepsinique?
Poussé à bout par tous ces raisonnements,
M. Pasteur est arrivé à déclarer qu'il ne consi-
dérait comme fermentation véritable que celle
qui est produite par un ferment organisé,
188 SUR LÀ GÉNÉRATION DES FBRHBNTS.
vivant, et caractérisé par ses formes mêmes.
Contrairement à mon confrère, j'ai soutenu
qu'une fermentation était défmie, non par le
ferment qui la détermine, mais par les produits
qui la caractérisent.
Je donne le nom de fermentation alcoolique à
toute modification organique qui peut, en dédou-
blant le sucre, produire principalement de
Tacide carbonique et de ralcool.
La fermentation lactique est caractérisée par
la transformation des sucres ou de la dextrine
en acide lactique.
La fermentation diastasique est celle qui
change Tamidon d'abord en dextrine, ensuite en
glycose.
C'est ainsi qu'il faut, selon moi, définir les
fermentations. Si l'on fait reposer, comme le
veut M. Pasteur, la définition des fermenta-
tions sur les descriptions des formes que les
ferments peuvent affecter, on s'expose aux plus
graves erreurs.
XXXIV
La discussion sur les fermentations intracel-
lulaires, posée comme je viens de le dire,
FERMENTATION INTRACELLULAIRE. 189
était déjà bien défavorable à M. Pasteur ; la dé-
couverte des ferments organisés qui se pro-
duisent dans l'intérieur des fruits pendant la
fermentation intracellulaire me paraît la dé-
monstration rigoureuse de Thémiorganisme.
En sortant d'une séance de l'Académie,
M. Pasteur m'a dit qu'il s'avouerait vaincu si
je constatais la présence d'un ferment organisé
dans l'intérieur des cellules des fruits.
La présence des ferments organisés dans les
cellules de fruits qui ont éprouvé la fermenta-
tion intracellulaire ne peut plus être mise
aujourd'hui en doute.
Dans la séance du 28 octobre 1872, je suis
venu faire à l'Académie la déclaration suivante:
(S J'ai examiné bien souvent au microscope
les sucs et le parenchyme des fruits avant ou
après la fermentation, et j'affirme que j'y ai
trouvé une quantité considérable de corpuscules
qui présentent toute l'apparence des ferments
organisés. »
Semblable à tous les organismes en voie de dé-
veloppement, le ferment alcoolique peut se pré-
senter sous les formes les plus diverses ; il
existe déjà, mais à l'état insaisissable, dans le
suc du grain de raisin que l'on fait sortir du
fruit par la pression, et qui paraît clair; bientôt
190 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
il apparaît sous l'aspect de petits corpuscules
microscopiques Irès-ténus; prenaut ensuite un
nouveau développement, il se précipite au fond
des liqueurs avec la forme et les dimensions
bien connues des grains de levure.
Après ces considérations sur le développe-
ment du ferment alcoolique, je suis arrivé à
donner Texplication de la fermentation intra-
cellulaire.
Tant que les fruits se trouvent dans l'air
atmosphérique, c'est-à-dire dans une atmo-
sphère oxygénée, ils vivent, ils respirent, et ne
fermentent pas; ils transforment l'oxygène de
l'air en acide carbonique ; si ce dernier gaz est
remplacé par une nouvelle quantité d'oxygène,
comme cela arrive dans l'air libre, la décom-
position organique des fruits ne se produit pas.
Mais lorsque les fruits sont maintenus dans
de l'acide carbonique, dans de Tazote ou dans
de l'hydrogène, leur respiration normale ne
peut plus s'effectuer; c'est alors que commence
le travail de la décomposition organique, et que
les cellules créent les ferments dont la pré-
sence s'annonce par la formation de l'alcool.
C'est dans ces considérations physiologi-
ques qu'il faut chercher la véritable explication
de la fermentation intracellulaire, et non dans
FERMENTATION INTRACELLULAIRE. 191
celte théorie spécieuse proposée par M. Pas-
teur, qui tendrait à établir que la fermentation
alcoolique d'une liqueur n'est réelle que lors-
qu'on y retrouve le ferment alcoolique avec ses
dimensions ordinaires, qui sont presque inva-
riables, et qui se montrent de /?r//ne-sâw/.
■ ■ ■■ ■■mw ■
xxxv
GÉNÉRATION DE PRIME-SAUT DES FERMENTS
La fermentation intracellulaire produite dans
l'intérieur des lissus organiques où les ferments
ne sont pas immédiatement visibles a conduit
M. Pasteur à proposer la théorie de la généra-
tion de prime-saut des ferments. ,
Il m'a été impossible d'admettre avec M. Pas-
teur que dans des liqueurs qui fermentent,
telles que l'eau de levure sucrée, l'infusion d'orge
sucrée , les sucs de fruit, les cellules de fer-
ments ne passent pas par des états intermé-
diaires d'organisation et apparaissent de
prime^saut !
Ainsi un ferment organisé, comme la levure
de bière, apparaîtrait tout d'un coup avec une
forme et une dimension qui ne varient pas!
13
194 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Un pareil principe sera nécessairement re-
poussé partons les physiologistes; le dévelop-
pement est en effet le caractère essentiel de
tous les corps organisés et vivants.
Si le ferment est vivant, il doit obéir à celle
loi générale de Torganisation.
Du reste la belle découverte de Gagniard- La-
tour n'a jamais été contestée par M. Pasteur ;
elle démontre nettement le phénomène de dé-
veloppement organique des bourgeons qui
apparaissent sur un grain de levure.
Pour ma part, j'ai observé bien souvent des
sucs de fruits après leur fermentation, et j'ai
toujours constaté que les cellules de ferment
qui s'y trouvaient présentaient les dimensions
les plus variables; ce qui indique clairement
leur accroissement organique.
M. Trécul, dont la compétence dans de pa-
reilles questions ne peut pas être contestée,
affirme qu'en suivant la génération des fer-
ments dans les liquides les plus divers, il a tou-
jours reconnu que ces organismes commen-
çaient par un pointillé presque inperceptible
et qu'ensuite, entre ces grains élémentaires et
ceux qui étaient arrivés à leur complet déve-
loppement, venaient se placer des organismes
de toutes les dimensions.
GÉNÉRATION DE PRIME-SAUT DES FERMENTS. 195
Ici donc M. Pasteur est en désaccord non-
seulement avec les principes de la physiologie,
mais avec tous les observateurs qui se sont
occupés du même sujet que lui.
Cette théorie de la génération de primo-saut
des ferments soutenue par M. Pasteur m'a
permis d'adresser à mon confrère l'objection
suivante, que je crois très-grave.
D'après M. Pasteur, lorsqu'un suc de raisin
bien clair éprouve, à l'air, la fermentation alcoo-
lique, ' c'est qu'il reçoit des germes du ferment
alcoolique qui se trouvent en suspension dans
rair.
Or M. Pasteur ne dit plus comme autrefois
que ces germes sont insaisissables et invi-
sibles. Aujourd'hui il peut isoler ces germes
et les décrire . Il les trouve à la surface des
grains de raisin ; il leur donne un nom . Ces
germes atmosphériques du ferment alcoo-
lique sont pour M. Pasteur les germes du
Mycodernia vini.
D'un autre côté, M. Pasteur admet que dans
un suc de raisin qui fermente à l'air^ les cel-
lules de ferment apparaissent de prime-saut
sans passer par des états intermédiaires d'or-
ganisation. Gomment M. Pasteur peut-il faire
accorder ces deux faits?
190 SUR LA GÉNÉRATION DBS FERMENTS.
Je vois dans ces deux affirmations, on bien
une contradiction qui frappera tout le monde,
ou un aveu qui est Tabandon du principe de la
panspermie atmosphérique que M. Pasteur a
soutenu jusqu'à présent.
En effet, si les ferments viennent de l'air et
si le ferment apparaît de prime-saut dans un
moût de raisin, M. Pasteur est obligé d'ad-
mettre que ce qu'il a nommé jusqu'à présent
le germe du ferment alcoolique n'est autre
chose que le ferment alcoolique lui-même avec
sa forme et ses dimensions connues.
La théorie de la génération de prime-saul
du ferment alcoolique exige donc que le fer-
ment alcoolique du raisin se trouve dans l'air,
tel qu'on l'observe dans un suc de raisin qui
fermente.
M. Pasteur reculera certainement lui-même
devant les conséquences forcées de ses théories ;
il n'essayera pas de soutenir que l'air contient
dans toutes les localités, et avec leur grosseur
normale, ces cellules de ferment que l'on
observe dans du moût de raisin qui fermente à
l'air.
Si M. Pasteur avait admis que les germes
atmosphériques de ferment étaient invisibles
et insaisissables, il pouvait échapper à l'ob-
GÉNÉRATION DE PRIMË-SAUT DBS FERMENTS. 101
jection que je viens do reproduire ; mais les
faits relatifs à la fermentation intracellulaire
ayant conduit M. Pasteur à soutenir la géné-
ration de prime-saut des ferments, et par con-
séquent l'existence dans Tair de ferments orga-
nisés, la panspermie atmosphérique ne peut
plus être défendue.
De toutes les observations que j'avais à oppo-
ser aux théories de M. Pasteur, il n'en est donc
pas de plus importantes que celles qui se rap-
portent à la génération de ferments organisés
dans l'intérieur des tissus des végétaux, c'est-
à-dire dans des parties où l'air ne peut pas
pénétrer.
Dans tout le cours de mes recherches sur
les fermentations, cette génération intracellu-
laire des ferments m'est apparue de la ma-
nière la plus nette et la plus incontestable.
Au début de la discussion j'ai annoncé
que de l'orge introduite dans de l'eau sucrée
éprouve une fermentation intracellulaire et
que les ferments une fois produits sont ex-
traits des grains par les bulles d'acide carbo-
nique.
Plus tard j'ai démontré que c'était aussi dans
l'intérieur des tubes de certains mycodermes
que se formaient les organismes qui peuvent
198 SUR LA GÉNÉRATlOiN D8S FERMENTS.
ensuite fonctionner comme ferments: le fait est
certain, car au microscope on constate la pré-
sence des ferments organisés dans T intérieur
des tubes mycodermiques.
Ensuite, après avoir constaté la fermentation
intracellulaire des poires, j'ai retrouvé des fer-
ments organisés dans Tintérieur du tissu utri-
culairedes fruits fermentes.
Étudiant la fermentation intracellulaire du
raisin, j'ai également constaté la présence des
ferments organisés dans les cellules des fruits
où les germes de Tair n'avaient pas pu péné-
trer.
Enfin M. Pasteur a lui-même présenté à l'A-
cadémie les observations de MM. Lecharlier
et Bellamy, qui ont constaté la présence de la
levure bourgeonnante à divers degrés de déve-
loppement dans les tissus internes de pom-
mes dont la surface était bien saine et qui
avaient été tenues dans des vases fermés.
M. Trécul, dans les critiques si justes qu'il a de
son côté adressées à M. Pasteur, n'a pas man-
qué de rappeler ce fait important constaté par
les anciens élèves de notre confrère.
Que pourrais-je ajouter encore à toutes les
démonstrations que je viens de donner? Quel
est le savantqui pourrait admettre aujourd'hui.
GÉNÉRATION DB PRIMË-SAUT DES FERMENTS. 199
avec M. Pasteur, que l'organisme n'engendre
pas les ferments, que ces agents de décompo-
sition viennent toujours de Textérieur et qu'ils
sont produits par des germes atmosphé-
riques ?
Au mois de novembre 1872, je connaissais
tous les faits qui sont consignés dans ce
mémoire ; aussi ai-je pu dire à l'Académie
dans la séance du i 1 novembre :
(( Si mon savant confrère le désire, j'admet-
trai l'exactitude de ses expériences, même de
celles queje n'ai pas encore répétées. y> Il était
bien entendu qu'en acceptant l'exactitude des
expériences de M. Pasteur, je me réservais
de démontrer que l'interprétation qu'il leur
donnait n'était pas admissible.
Tout le monde a compris la valeur de cette
déclaration; on a vu que si j'admettais, même
sans contrôle^ les expériences de M. Pasteur,
c'est qu'elles me donnaient raison et qu'elles
tournaient contre ses théories.
Mon confrère s'est emparé de ma déclaration,
l'a commentée à sa manière, et s'est empressé
d'annoncer à l'Académie que la discussion était
terminée, puisque je ne contestais pas l'exac-
titude de ses expériences, seul point auquel il
ait toujours tenu
200 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
J'ai dit à M. Pasteur qu'il ne fallait pas
jouer sur les mots : il sait, mieux que
personne, que dans cette discussion les expé-
riences ne sont instituées que pour en tirer
des conséquences, et que le débat ne peut pas
être clos à sa satisfaction, comme il voudrait
le faire croire, lorsque je soutiens que toutes
les expériences, même les siennes, me donnent
raison.
Je viens de parler de fermentations intracel-
lutaires produites dans l'intérieur des tissus
lorsque les végétaux sont placés dans des con-
ditions où leur respiration normale et leur dé-
veloppement régulier ne peuvent pas s'ac-
complir.
Mais l'organisation animale n'offre- t-elle pas
également des exemples nombreux de décom-
positions intérieures dues évidemment à l'ac-
tion des ferments de maladie qui se dévelop-
pent dans des organes où l'air ne pénètre pas?
Ainsi la décomposition du sang dans les
abcès profonds, la fermentation ammoniacale
de l'urine dans Tintérieur de la vessie, sont des
phénomènes de fermentations intracellulaires
qui se produisent évidemment en dehors de
l'influence des poussières atmosphériques.
Il ne m'appartient pas de discuter ici la théo-
GËNÉRATlOxN DE PRIME-SAUT DES FERMENTS. 201
rie des pansements dans lesquels on trouve de
l'avantage à préserver les parties malades du
contact de Tair.
Les bons résultats incontestables qui ont été
obtenus dans cette pratique chirurgicale sont
dus à différentes causes, et plutôt à Tabsence
de l'oxygène qu'à l'élimination des germes at-
mosphériques.
On évite les pl;iénomènes redoutables de la
putréfaction , c'est-à-dire de la fermentation
putride, comme on arrête la fermentation d'un
suc de fruit en préservant le milieu fermentes -
cible du contact de l'oxygène, qui donne aux
organismes vivants le pouvoir d'engendrer les
ferments.
Qu'il me soit permis de dire ici que mon
registre de laboratoire est rempli d'expériences
sur la fermentation que je n'ai pas décrites
dans ce travail et que je ne publierai peut-
être jamais.
Si je renonce à cette publication, c'est que
les faits relatifs à la fermentation intracellulaire
m'ont paru rendre inutile toute nouvelle démon-
stration de l'impossibilité des théories de
M. Pasteur sur la panspermie atmosphérique.
RESUME ET CONCLUSIONS
Je me suis proposé de prouver daus ce tra-
vail que les ferments ne sont pas engendrés
par des germes atmosphériques, mais qu'ils
sont produits par les milieux organiques vi-
vants.
J'ai voulu démontrer en outre qu'il exislo
une différence considérable entre la génération
des moisissures et celle des ferments : les
moisissures ont deux origines : elles peuvent
être produites par les poussières atmosphé-
riques et par les milieux organiques; tandis
que les ferments ne sont engendrés que par
l'organisation.
204 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMANTS.
En un mot, la théorie de la panspermie at-
mosphérique émise par M. Pasteur, c'est-à-dire
la génération des ferments par les poussières
de Tair, ne me paraît plus soutenable, parce
que M. Pasteur n'a jamais démontré Texistence
des germes de ferments dans les poussières de
l'air, et qu'il est établi aujourd'hui que les fer-
mentations les plus diverses se produisent dans
l'intérieur des cellules organiques où les pous-
sières de l'air ne pénètrent pas.
Je vais résumer rapidement les observations
principales qui confirment ces principes :
1*^ Les poussières de l'air produisent des
moisissures lorsqu'on les sème dans des li-
quides altérables.
Ces mêmes poussières introduites dans des
milieux fermentescibles ne déterminent pas de
fermentation, comme cela devrait être cepen-
dant dans la théorie de M. Pasteur, si les fer-
ments étaient formés réellement par des germes
atmosphériques.
2® Une pluie abondante et prolongée entraine
les organismes atmosphériques et enlève à l'air
la propriété de produire des moisissures, tandis
qu'elle n'apporte aucun obstacle aux phéno-
mènes de fermentation : la cause des fermen-
tations ne se trouve donc pas dans l'air.
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS. 205
3® Un air pur pris sur une montagne élevée
n'engendre pas de moisissures, d'après M. Pas-
leur, parce qu'il ne contient pas de germes
d'organismes ; mais le même air peut détermi-
ner des fermentations : tout le mon;Ie sait en
effet que sur les plus hautes montagnes on
produit le vin, le fromage, le vinaigre et le pain
comme dans les villes ; il existe donc une dif-
férence essentielle entre la génération des moi-
sissures et celle des ferments ; les fermenta-
tions sont, comme on le voit, absolument indé-
pendantes des poussières contenues dans l'air.
4*^ Pour démontrer que l'air ne contient pas
de germes de ferments, j'ai composé la liqueur,
qui, d'après M. Pasteur, convient le mieux au
développement des ferments, je Tai abandonnée
pendant plusieurs jours au contact de l'air: ce
liquide, dans des observations multipliées, n'est
pas entré en fermentation, tandis qu'après un
temps assez long il s'est couvert de moisissures.
On doit donc admettre que l'air contient des
germes de moisissures, mais non des germes
de ferment.
5° Les observations précédentes perdraient
toute leur valeur, si la présence des moisissures
dans un liquide organique paralysait l'action des
ferments; c'est ce que M. Pasteur avait avancé.
206 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
Mais je me suis assuré que les moisissures et
les ferments alcooliques peuvent se produire
et agir simultanément sur des milieux fermen-
tescibles.
Lorsqu'on expose à l'air un suc de fruit il
se couvre rapidement de moisissures; en le
soumettant ensuite à la distillation on en retire
(les quantités considérables d'alcool.
Les moisissures et la fermentation alcoolique
se sont donc produites simultanément.
Si une liqueur sucrée qui convient parfaite-
ment au développement du ferment alcoolique
n'entre pas en fermentation lorsqu'on l'expose
à l'air, tandis qu'elle se couvre de moisissures,
c'est que l'air ne contient pas de germes de
ferments et qu'il s'y trouve des germes de moi-
sissures.
6^ Un suc de fruits soumis à TébuUition n'entre
plus en fermentation lors même qu'il est exposé
à l'air; mais il se moisit presque toujours.
Cette expérience bien simple me paraît dé-
montrer nettement l'absence des germes de
ferments dans l'air atmosphérique.
Si en effet des germes de ferments existaient
dans l'air, en s'introduisant dans le suc soumis à
TébuUition, ils devraient déterminer sa fermen-
tation ; c'est ce qui n'a pas lieu.
R ÉSUMÈ ET CONCLUSIONS. 20 7
L'ébullilion qui a tué le liquide ne lui a pas
enlevé cependant la faculté de nourrir les
organismes, puisque les moisissures s'y dé-
veloppent rapidement ; j'ajouterai qu'en y
introduisant une trace de ferment on détermine
immédiatement sa fermentation.
Toutes ces observations prouvent donc que la
force de génération des ferments se trouve dans
les milieux organiques et non dans l'air at-
mosphérique.
TM. Pasteur, avant reconnu sans doute Tim-
possibilité de démontrer la présence des germes
de ferments alcooliques dans Tair atmosphéri-
que, a admis que ces ferments se trouvaient
à la surface des grains de raisin.
L'expérience de Gay-Lussac vient encore
renverser cette hypothèse.
Si les grains de raisin présentaient à leur
surface une levure alcoolique, en les écrasant à
l'abri de Tair ils devraient entrer en fermenta-
tion : or, on sait que dans ces conditions le suc
de raisin mis au contact de la pulpe ne fermente
jamais.
Les grains de raisin ne sont donc pas cou-
verts de ferment alcooUque comme le croit
M. Pasteur : le ferment alcoolique se montre
seulement lorsque le liquide vivant, sortant du
208 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
grain, a reçu le contact de Tair, qui agit alors
comme dans tous les phénomènes d'organisa-
tion, en apportant Toxygène utile à la généra-
tion du ferment.
Si l'air contenait des germes de ferment al-
coolique, du suc de raisin filtré à Tair et in-
troduit dans un tube placé sur le mercure de-
vrait entrer en fermentation : Texpérience
prouve que, dans ces conditions, le suc de rai-
sin ne fermente pas ; donc il n'existe de
germes de ferment ni dans Tair ni dans le suc
de raisin.
8"* Les fermentations que j'ai nommées 7/2 /ra-
cellulaires portent un coup décisif à lapansper-
mie atmosphérique que soutientM. Pasteur.
Il est, en effet, établi aujourd'hui par un
grand nombre d'expériences et d'observa-
tions, que les ferments et les fermentations se
produisent dans l'intérieur même des tissus et
des cellules, c'est-à-dire dans des conditions
où l'air ne peut pas apporter les particules so-
lides qu'il tient en suspension.
C'est ce que démontrent les observations
suivantes :
Les grains de céréales placés dans de
l'eau sucrée déterminent rapidement la fer-
mentation du liquide ; c'est de l'intérieur du
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS. 209
grain que part la fermentation du liquide ; c'est
de là que sortent et Tacide carbonique et les
grains de levure.
Tous les fruits mûrs abandonnés dans des
flacons remplis d'air transforment en peu de
temps Toxygène en acide carbonique et pro-
duisent des quantités considérables d'alcool, à
la suite d'une fermentation intracellulaire dans
laquelle les particules solides de Tair ne peu-
vent pas intervenir.
Les tubes mycodermiques engendrent dans
leur intérieur des corpuscules organisés qui
sont de véritables ferments, dont la génération
est dans ce cas encore indépendante des pous-
sières de l'air.
Enfin, toutes les altérations morbides de
tissus ou de liquides qui se produisent dans
Torganisation sont de véritables fermentations
intracellulaires dont la cause ne peut pas être
attribuée aux particules solides de l'air, car Tair
ne pénètre pas dans ces tissus.
9"* Si, comme je crois Tavoir établi dans ce
travail, la génération des ferments n'est pas
produite par les poussières de l'air , elle
ne peut être due qu'aux milieux fermentes-
cibles mêmes.
J'admets en effet que les ferments sont tou-
14
210 SUR L\ GÉNÉRATION DES FERMENTS.
jours engendrés, soit par les cellules vivantes,
soit par les liquides organiques qui contiennent
des parties vivantes, lors même que le micro-
scope ne permet pas de saisir la forme organique
de ces êtres que j'ai désignés sous le nom de
corps hémiorganisés.
Cette vitalité des liquides organiques, que
j'ai établie par des expériences directes, rend
compte facilement de la production de cinq ou
six ferments différents par un même liquide
tel que le lait ; tandis que la théorie pansper--
permique de M. Pasteur conduit à admettre
dans Tair la présence d'une quantité innombra-
ble de ferments invisibles et insaisissables,
dont l'existence n'a jamais été étabhe.
M. Pasteur croyait avoir donné une démons-
tration rigoureuse de sa théorie de la pan-
spermie atmosphérique en montrant du sang,
de l'urine, du suc de raisin, conservés sans
altération et dont il attribuait la conservation à
l'absence des germes atmosphériques.
Ces observations de M. Pasteur sont loin de
présenter l'importance qu'il suppose.
J'ai conservé, en effet, dans mon laboratoire,
plusieurs liquides organiques qui n'éprouvent
pas d'altération, et qui cependant ont été re-
cueillis dans l'air ordinaire.
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS. 211
Ce résultat peut s'expliquer facilement; en
effet les liquides organiques vivants perdent
leur propriété d'engendrer les ferments, non-
seulement lorsqu'on les tue par la chaleur,
par les agents chimiques énergiques, par Tal-
cool, etc., mais aussi lorsqu'on les abandonne
dans un air qui perd une certaine quantité de
son oxygène.
C'est précisément ce qui arrive dans les ap-
pareils de M. Pasteur.
Dans les ballons à col effilé, lors même
qu'ils sont ouverts à leur extrémité, l'airéprouve
une modification rapide sous l'influence des
liquides ; leur force d'organisation se trouve
alors suspendue : dans ce cas, il est vrai, les
substances organiques ne s'allèrent plus ;
la conservation n'est pas due, comme le croit
M. Pasteur, à l'absence des germes atmosphé-
riques, mais à l'air qui s'est modifié et qui n'est
plus propre au développement des organismes.
Il résulte donc de toutes ces observations
que la panspermie atmosphérique n'a jamais
été démontrée, et qu'il n'existe pas une seule
expérience prouvant l'existence dans l'air de
germes de ferments.
dO** Les principes que je soutiens dans ce
travail conduisent à des conséquences bien dif-
212 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
férentes de celles qui résultent des recherches
de M. Pasteur.
S'il s'agit par exemple de la conservation
des substances alimentaires par la méthode
d' Appert, M. Pasteur déclare que pour préser-
ver les matières organiques de l'altération, il faut
tuer simplement les germes que l'air introduit
dans l'intérieur des appareils ou qu'il a déposés
à la surface des corps que Ton veut conserver.
Ces recommandations me paraissent absolu-
ment insuffisantes : pour arriver à une conser-
vation convenable des substances alimentaires,
il ne faut pas seulement détruire les germes
de moisissures que Tair contient accidentelle-
ment, mais on doit avant tout tuer les liquides
organiques qui engendrent les ferments, et les
placer dans des conditions où leur vie est im-
possible, en absorbant rapidement l'oxygène
que Tair des appareils peut contenir.
Quant à l'altération des liquides organiques et
principalement aux maladies des vins, les prin-
cipes qui résultent de mes recherches sont
différents aussi de ceux qui ont été émis
par M. Pasteur.
Je n'admets pas que les ferments qui déter-
minent les maladies des vins viennent de l'at-
mosphère : ils sont dus à la vie même du li-
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS. 213
quide organique qui s'exerce dans de mau-
vaises conditions.
Les préoccupations des personnes qui ont à
surveiller les vins malades doivent donc porter
sur le travail vital du vin , c'est-à-dire sur le
liquide même, et non, comme le conseille
M. Pasteur, sur Jes particules solides que Tair
apporte dans le vin .
Sous le rapport de la médecine, de Thy-
giène et de la thérapeutique, mes conclusions
sur la génération des ferments de maladie
sont également en opposition avec celles que
M. Pasteur a posées.
En effet les travaux de M. Pasteur mettent
grandement Tair atmosphérique en suspicion :
d'après lui, c'est dans l'air qu'il faut chercher
tous les germes de ferments et probablement
aussi les germes de presque toutes les maladies
contagieuses !
Pour moi, au contraire, l'air atmosphérique
est l'élément vivifiant par excellence : s*il trans-
porte accidentellement des miasmes, des germes
de moisissures, des insectes nuisibles, c'est lui
qui le plus souvent les altère et les détruit.
Loin d'attribuer à Tair la cause de nos ma-
ladies, je pense qu'il faut la chercher dans
les altérations spontanées qu'éprouvent les
214 SUR LA GÉNÉRATION DES FERMENTS.
organes vivants : c'est à la suite de ces alté-
rations que naissent les ferments redoutables.
En un mot, c'est dans l'organisation même
que le médecin doit combattre la génération
des ferments de maladie, et non dans l'air, qui
nelestransportequedans des cas exceptionnels.
On voit que la thérapeutique aura recours à
des pratiques bien différentes suivant qu'elle
adoptera les idées de M. Pasteur ou celles que
j'ai développées dans ce mémoire.
Le partisan des théories de M. Pasteur
cherchera dans l'air les causes des maladies
qu'il veut combattre : celui qui admettra mes
principes s'occupera spécialement des organes
vivants et fera tous ses efforts pour éviter leur
altération spontanée qui engendre toujours les
ferments destructeurs.
Tout en insistant ici sur la génération des
ferments de maladie par les organismes mêmes,
je ne voudrais pas cependant que l'on donnât
à ces considérations une exagération qui n'est
pas dans ma pensée : je m'empresse donc de
déclarer que, dans certaines maladies, Tin-
fluence des poussières atmosphériques, tout
en étant accidentelle, ne doit pas être né-
gligée.
En traitant des moisissures, j'ai dit qu'elles
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS. 215
pouvaient être produites, soit par les liquides
organiques vivants, soit par les poussières at-
mosphériques.
Il en est de même pour les ferments de mala-
die : leur origine est dans Torganisation même:
mais ces ferments, comme lous les corps légers,
peuvent être entraînés parTair; le praticien,
qui redoute avec raison dans certains cas leur
influence, agit donc sagement en préservant
les surfaces absorbantes de certaines parti-
cules albumineuses qui peuvent contenir des
ferments de maladie, et dont la présence a même
été constatée dans Tair des salles d'hôpitaux.
L'infection est due alors à deux causes,
comme dans les phénomènes de moisissures.
L'organisation engendre les ferments de
maladie, et l'air les transporte.
Tel est le résumé des travaux que je pour-
suis depuis bien longtemps sur la génération
des ferments.
Ils m'ont permis, comme on Ta vu, de trou-
ver dans les organismes les agents qui pro-
duisent les fermentations, et défaire dériver de
la vie elle-même les causes de destruction qui
amènent la mort.
216 RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
En terminant, je suis heureux d'adresser ici
tous mes remercîments à un jeune et habile
chimiste, M. Maudet, qui, dans le cours de ce
travail, m'a assisté avec la plus grande intelli-
gence.
TABLE DES MATIÈRES
Pagei.
Introduction 1
Résumé de la discussion qui s'est produite devant TAcadémie
des sciences 10
Poussières de l'air et moisissures 69
Expériences qui établissent la vitalité de certains liquides
organiques 93
Conservation des liquides organiques qui n'ont pas été sou-
mis à rébullilion 103
Théorie des conserves d' Appert 109
Production des ferments dans les différents milieux 115
Expériences sur l'orge et sur la levure de bière 116
Composition chimique de la levure. — Méthode générale
d'analyse du tissu des végétaux 129
Fermentation du lait 143
Fermentation du jus de raisin 155
Fermentations intracellulaires 179
Génération de prime-iaut des ferments 193
Résumé et conclusions 203
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M.. 5 - 1946
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