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Full text of "Oeuvres complètes"

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ŒUVRES   COMPLETES 


DE 


GUSTAVE  FLAUBERT 


LA  PRESENTE  EDITION   DEFINITIVE 

DES 

ŒUVRES  COMPLÈTES  DE  GUSTAVE  FLAUBERT 

A  ÉTÉ  TIRÉE 

PAR    L'IMPRIMERIE    NATIONALE      " 

EN    VERTU    D'UNE    AUTORISATION 

DE  M.  LE  GARDE  DES  SCEAUX 

EN  DATE  DU  30  JANVIER  1^02. 


TL  A  ETE  TIRE  DE  CETTE  EDITION 
50  EXEMPLAIRES  NUMÉROTÉS  SUR  PAPIER  DE  CHINE. 


ŒUVRES   COMPLETES 

DE 

GUSTAVE  FLAUBERT 


NOTES  DE  VOYAGES 


II 

ASIE   MINEURE.   —   CONSTANTINOPLE. 
GRÈCE.  —  ITALIE.  —  CARTHAGE. 


PARIS 

LOUIS   CONARD,    LIBRAIRE-ÉDITEUR 

17,  BOULEVARD  DE  LA  MADELEINE,   \J 


M  D  C  C  C  C  X 

Tous  droits  réserves, 


ASIE  MINEURE 

SMYRNE 
DE  SMYRNE  À  CONSTANTINOPLE  PAR  LES  DARDANELLES 


ASIE   MINEURE. 

SMYRNE. 
DE   SMYRNE  À   CONSTANTINOPLE   PAR   LES   DARDANELLES. 


DE  Rhodes  à  Marmorisse.  —  Lundi  74  oc- 
tobre 18^0,  embarqués  de  Rhodes  pour 
Marmorisse,  dans  un  bateau  dont  l'avant 
et  l'arrière  sont  seuls  pontés.  Au  milieu,  paniers  et 
pierres  du  lest.  —  Notre  raïs  :  jeux  bleus,  brèche- 
dent,  tête  carrée,  air  franc;  un  de  ses  hommes  : 
veste  de  drap  brodée  aux  manches;  foulard  sur 
son  tarbouch,  bras  retroussés,  air  barbare;  vilain 
mousse  :  grosse  tête  deTartare,  petits  yeux  sales;  un 
passager  :  vieux  à  traits  réguliers  et  à  barbe  blanche. 
Nous  avons  dormi  sous  l'arrière  presque  tout 
le  temps  de  la  traversée.  L'entrée  du  golfe  de  Mar- 
morisse me  rappelle  le  lac  de  Côme  :  succession 
inégale  de  rochers,  de  hauteur  moyenne,  les  uns 
derrière  les  autres,  et  de  tons  bleu  foncé.  La  mer 
est  très  calme,  nous  sommes  trois  heures  à  passer 
le  goulet.  A  Marmorisse  ça  s'élargit  un  peu.  La 
ville  est  tout  au  bord  de  l'eau,  la  lune  se  lève 
comme  nous  y  arrivons;  en  qualité  de  ville  mili- 


4  NOTES  DE  VOYAGES. 

taire,  à  cause  de  sa  petite  forteresse,  on  ne  peut 
entrer  à  Marmorisse  après  le  coucher  du  soleil; 
nous  passons  la  nuit  à  bord,  moi  sous  l'arrière. 

Marmorisse.  —  Mardi  i^,  visite  à  Méhémet- 
Dar,  gros  bonhomme,  grand,  replet,  nez  aquilin, 
barbe  du  samedi.  Nous  avons  pour  lui  une  lettre 
du  pacha  de  Rhodes.  Nous  le  trouvons  assis  sur 
une  estrade  donnant  sur  le  fond  du  golfe.  11  est 
tranquille  comme  un  lac  et  tout  entouré  de  mon- 
tagnes boisées.  —  Latrines  publiques  sur  la  berge 
avec  un  courant  d'eau.  —  Pendant  que  nous 
sommes  chez  Méhémet-Dar,  visite  du  nazir  de 
la  Douane,  à  qui  son  fils,  habitant  de  Rhodes, 
vient  d'envoyer  une  barrique  d'eau-de-vie.  C'est 
chez  lui,  près  d'une  grande  cheminée  et  sur  un 
tapis  de  feutre,  que  nous  nous  habillons  et  déjeu- 
nons avant  de  partir. 

La  route  commence  par  monter  et  descendre 
entre  des  sapins,  à  peu  près  comme  à  Rhodes.  — 
Grande  plaine  entre  des  montagnes.  —  Quelques 
chameaux,  mais  le  chameau,  là,  n'est  plus  dans 
son  pays,  il  m'y  plaît  moins.  —  Une  rivière  en- 
tourée d'arbres,  qui  retombe  en  s'élargissant  dans 
les  bouquets.  —  Beaucoup  de  vigne  sauvage,  elle 
dévore  les  autres  arbres  et  leur  fait  des  couvertures 
de  sa  verdure  ;  quelquefois  elle  s'étend  sur  un  arbre 
mort  qui  ne  sert  plus  qu'à  la  supporter;  d'autres 
fois  cette  verdure  suit  à  la  file  tous  les  arbres  et 
compose  ainsi,  avec  eux,  des  haies  consécutives 
démesurées. 

Halte  :  un  moulin,  un  gourbi;  des  nègres  font 
marcher  nos  chevaux  en  sueur.  Nous  repartons 
à  2  heures  et  demie,  montée,  descente;  à  notre 
gauche,  ruisseau,  une  plaine;  au  bout,  à  gauche. 


ASIE  MINEURE.  J 

elle  s'ouvre,  une  grande  ligne  blanche,  c'est  la 
mer.  Nous  marchons  sur  les  restes  d'une  ancienne 
petite  voie.  —  Trois  ponts.  —  Les  bouquets 
d'arbres  entremêlés  de  broussailles  vous  fouettent 
la  figure  en  passant;  au  bout  de  la  voie,  au  pied 
de  la  montagne ,  quelques  bâtisses. 

lovADA.  —  Un  grand  khan  en  bois,  qui,  de 
loin,  avec  son  toit  en  planches,  a  des  tournures 
de  chalet.  Avant  d'y  arriver,  tout  près  de  lui,  une 
citerne  ronde  comme  le  dôme  d'un  santon;  nous 
n'y  trouvons  personne,  tout  est  désert,  nous  ne 
voyons  que  des  négresses.  Stéphany  nous  installe 
dans  une  chambre  vide.  —  Estrade  aux  deux  bouts 
de  la  galerie.  —  Derrière  le  khan ,  du  côté  de  la 
mer,  un  grand  arbre.  —  Dans  la  cuisine,  Stéphany 
se  fait  aider  un  peu  par  deux  négresses,  toutes 
affreuses,  l'une  brèche-dent  avec  un  petit  garçon 
très  gentil  qui  a  peur  de  moi;  dans  la  cour,  grands 
bâtiments  bas  à  un  seul  étage,  pour  les  chameaux 
et  les  chevaux.  C'est  bien  là  la  halte  des  longs 
voyages,  le  lieu  oii  l'on  arrive  en  pelisse  avec  des 
marchandises  lointaines.  Le  soir,  avant  de  dîner, 
nous  avons,  à  la  porte,  regardé  la  vue  et  fumé  sur 
une  des  estrades  de  la  galerie  côté  Nord,  celle  qui 
regarde  la  montagne;  un  nègre  nous  a  fait  signe 
de  ne  pas  trop  nous  avancer  au  bord,  que  le  bois 
était  pourri. 

Mercredi  i6.  —  Moins  belle  journée  qu'hier. 
Partis  à  7  heures  du  matin  (levés  à  6  heures), 
H  était  trop  tard  pour  aller,  comme  on  nous  l'avait 
proposé,  chasser  les  sangliers,  dont  il  y  a  grand 
nombre  dans  les  environs  du  lac  de  Cos;  nous 
ne  nous  sommes  pas  levés  à  4  heures  du  matin, 
comme  il  l'eût  fallu.  Pour  gravir  la  montagne ,  il  faut 


6  NOTES  DE  VOYAGES. 

monter  l'ancienne  voie  à  escaliers.  Au  bout  de 
deux  heures  environ,  à  peu  près  en  haut,  gourbi 
où  nous  haltons.  Nous  mangeons  un  morceau  de 
pain,  quelques  figues  enfilées  très  serré  à  de  petits 
roseaux  disposés  triangulairement,  nous  prenons 
une  tasse  de  café,  nous  repartons.  Le  cafetier  était 
un  vieux  Turc,  assez  nul;  une  petite  fille,  grosse, 
pataude,  fort  laide,  à  qui  Stéphany  fait  des  ma- 
mours; il  nous  dit  avoir  laissé  un  fils  en  Perse, 
qui  doit  avoir  six  ans  maintenant  et  qui  s'appelle 
Napoléon. 

Ce  ne  sont  plus,  comme  hier,  de  grands  arbres 
et  de  larges  feuillages,  mais  un  makis  clairsemé. 
Le  temps  est  tout  à  fait  européen,  nuages  toute 
la  journée.  Nous  descendons  une  montagne.  — 
Plaine,  nous  nous  y  perdons.  —  Restes  de  l'an- 
cienne voie,  la  même  qu'hier.  —  Un  Turc  qui 
voyage  à  pied  et  porte  à  son  tarbouch  une  grande 
fleur  jaune  nous  avertit  de  notre  erreur;  nous  filons 
un  temps  de  galop  à  travers  champs,  dans  de  la 
terre  grasse,  vers  une  maison,  au  bas  de  la  mon- 
tagne, sur  notre  gauche,  pour  savoir  notre  route. 
Un  homme  sort  de  cette  maison,  met  son  manteau 
sur  ses  épaules  et  marche  devant  nous;  nous  re- 
montons et  descendons.  —  Une  plaine;  au  bout 
de  la  plaine,  au  pied  d'un  mont,  Moglah. 

MoGLAH.  —  Toits  en  tuiles,  longues  varangues, 
les  maisons  saillissent  entre  la  verdure  clairsemée, 
aspect  froid  et  suisse;  du  village  s'élèvent  deux 
minarets.  Les  montagnes  sont  moins  boisées;  au 
sommet,  la  couleur  grise  de  la  roche  paraît.  En  des- 
cendant la  seconde  montagne  pour  venir  ici,  nous 
avons  longtemps  marché  entre  des  petits  rochers 
de  couleur  bleu  clair,  comme  serait  de  l'eau  de 


ASIE  MINEURE.  7 

lessive  très  délayée.  Dans  la  campagne,  à  un  en- 
droit qui  semblait  très  désert,  nous  avons  rencontré 
quelques  tombes  très  couvertes  de  verdure.  Hier, 
même  rencontre,  mais  elles  étaient  couvertes 
d'épines.  Avant  d'entrer  à  Moglah,  il  j  a  un  grand 
cimetière,  le  neuf  et  l'ancien;  des  branches  d'arbres 
arrachées  sont  posées  sur  les  tombes,  tout  comme 
chez  nous  le  buis  bénit;  au  lieu  de  croix  ce  sont 
seulement  des  turbans.  —  U  y  aurait  de  belles 
choses  à  dire  sur  cette  coutume  universelle  de 
répandre  de  la  verdure  sur  les  tombeaux.  D'où 
vient-elle  ? 

Le  Moglah  est  désert  et  surtout  à  cause  du 
Courbbaïram  ;  beaucoup  de  portes  ont  des  cadenas, 
les  belles  et  grandes  portes  neuves  ne  sont  pas 
rares.  —  Conac  du  gouverneur.  — Visite  au  lieu- 
tenant du  gouverneur  ou  chef  des  cawas,  nous 
causons  avec  lui  de  la  route  à  suivre. 

Nous  sommes  logés  chez  des  Grecs  :  chambre 
à  estrade,  découverte,  cheminée  aux  deux  bouts; 
nous  couchons  vers  celle  de  gauche  en  entrant, 
Stéphanj  établit  la  cuisine  vers  celle  de  droite. 
La  maîtresse  de  la  maison  est  une  grosse  femme 
à  teton  pendant,  à  gros  ventre  et  à  visage  ouvert. 
Petite  fille  de  11  à  12  ans,  cheveux  rouges,  portant 
un  enfant  sur  son  dos,  et  filant  son  fuseau  à  la 
porte  quand  nous  sommes  arrivés.  On  égorge 
pour  nous  un  poulet,  qui  se  débat  longtemps  dans 
la  cour,  quoique  la  tête  soit  séparée  des  vertèbres. 
Stéphany,  assis  à  la  turque,  avec  son  pantalon  bleu 
persan,  en  chemise,  nu-tête,  au  milieu  de  la  fa- 
mille, rangée  en  cercle,  débite  des  histoires  :  on 
boit  ses  paroles  :  «Tous  ces  gens-là,  savez-vous 
bien  (avec  le  geste  de  l'index  au  front),  je  les  ferais 


8  NOTES  DE  VOYAGES. 

devenir  fous  si  je  restais  ici.  »  Nous  attendons  le 
moucre  qui  doit  nous  conduire  à  Milassa. 

Jeudi  ly.  —  Quitté  Moglah  à  ii  heures  du  ma- 
tin. —  Encombrement  de  chevaux  dans  la  cour; 
mine  brigande  des  zeibeks,  la  manière  dont  ils 
mettent  leur  ceinture  qui  leur  serre  les  fesses  les 
force  à  marcher  des  hanches  ;  nous  disons  adieu  à 
toute  la  maisonnée. 

Presque  toujours  nous  suivons  une  grande 
plaine,  il  n'y  a  qu'aux  approches  de  Ekiissar  que 
l'on  monte  un  peu.  La  plaine  est  comme  dans  un 
parc,  çà  et  là  semée  d'arbres  espacés;  ce  sont 
presque  tous  sapins  ou  chênes  nains.  La  montagne 
de  gauche,  dont  nous  longeons  le  pied,  est  beau- 
coup plus  boisée  et  plus  DelIe  que  celle  qui  est 
à  notre  droite.  Les  montagnes  ont  la  forme  de 
grandes  vagues,  celles  du  fond  sont  bleu  foncé; 
le  ciel  est  égayé  de  petits  nuages  blancs. 

De  temps  à  autre  un  gourbi,  ordinairement 
ombragé  d'un  grand  arbre.  —  Un  grand  platane 
évidé,  séparé  en  deux  à  sa  base  et  qui  a  l'air  de 
s'appuyer  sur  deux  pieds. 

Au  premier  café  où  nous  haltons,  deux  hommes 
se  reposent;  l'un  est  vêtu  à  peu  près  comme  un 
soldat  turc  (uniforme  actuel),  il  vient  de  Smyrne, 
il  a  mis  cinq  jours,  il  y  en  a  deux  qu'il  est  parti 
de  Gusel-Issar.  Au  second  café,  personne,  tout  est 
vide;  place  de  pelouse  très  verte  et  charmante, 
quelques  tombes.  C'est  à  gauche  de  la  route  que 
le  terrain  a  un  léger  mouvement  qui  monte. 

De  temps  à  autre  nous  retrouvons  la  voie, 
comme  les  jours  précédents,  mais  elle  est  plus 
effondrée  et  plus  ruinée. 

Nous  avons  pour  escorte  un  nègre,  dont  le 


ASIE  MINEURE.  9 

large  gland  de  son  tarbouch  éparpillé  est  retenu 
par  les  rouleaux  de  son  turban.  Quand  nous  en- 
trons dans  Ekiissar,  nous  le  trouvons  au  café. 

Ekiissar.  —  Les  maisons  du  village  ont  des 
clôtures  faites  avec  les  ruines  antiques,  colonnes 
rondes,  colonnes  cannelées.  Les  maisons  sont  bâ- 
ties en  pierres  sèches,  avec  des  cheminées  carrées 
en  pierres  sèches;  le  ton  général  est  assez  celui 
des  vallées  des  Pyrénées.  Ces  habitations  sont  en- 
fouies dans  la  vigoureuse  verdure  des  grands 
arbres,  les  troncs  des  ceps  de  vigne  enlacent  les 
arbres  comme  des  serpents,  ceux  qui  sont  des- 
séchés ont  l'air  de  serpents  raidis  dans  la  mort. 
D'autres  fois  et  plus  souvent,  c'est  l'arbre  qui  est 
mort  et  la  vigne  verte  qui  dévore  son  squelette; 
cela  fait  des  guirlandes,  des  nœuds,  des  penden- 
tifs, des  culs-de-lampe. 

Sérail  du  gouverneur.  —  La  maison  est  au  fond; 
des  Turcs,  brodés  d'or,  sont  sur  l'escalier  et  sous 
la  large  varangue  devant  la  maison  ;  un  fin  gazon 
vert  s  étend  sur  la  cour,  oii  le  nègre  promène  son 
cheval  en  sueur.  A  gauche  dans  la  cour,  en  entrant, 
ruines  en  pierres  énormes,  un  grand  arbre;  der- 
rière la  maison,  ce  sont  des  arbres  partout;  mon- 
tagnes au  fond.  Au  bout  de  la  varangue  est  une 
tonnelle  couverte  de  vignes  et  de  raisins;  le  feuil- 
lage, de  chaque  côté,  est  en  masse  oblique,  ça  fait 
comme  les  deux  rideaux  d'une  alcôve. 

Tour  dans  le  village  avant  le  dîner.  —  Ruines 
à  profusion  :  une  porte  encore  debout,  avec  une 
frise  en  astragale  d'un  assez  joli  goût;  ailleurs  on 
a  converti  en  linteaux  de  porte  deux  morceaux 
d'une  frise  en  rinceaux  très  belle;  colonne  corin- 
thienne, debout;  profusion  d'inscriptions  grecques 


lO  NOTES  DE  VOYAGES. 

partout  (elles  ont  été  toutes  relevées  par  M.  Lebas). 
—  Vestiges  réguliers  d'un  ancien  théâtre,  dispa- 
raissant sous  Tes  arbustes  :  c'est  en  dehors  du 
village,  au  pied  de  la  montagne.  —  Dans  la  cour 
de  la  colonne  corinthienne  qui  est  demeurée 
debout,  il  j  a  un  grenadier  avec  toutes  ses  gre- 
nades et  une  vigne  qui  est  montée  sur  un  arbre 
mort,  crochu  :  c'est  comme  un  bras  qui  étendrait 
l'ample  manche  qui  le  recouvre. 

Au  coucher  du  soleil,  les  nuages  sont  accu- 
mulés sur  les  montagnes,  comme  seraient  d'autres 
montagnes,  ils  en  ont  la  forme;  dans  l'Ouest, 
les  nuages  sont  au  contraire  longitudinaux  et  in- 
cendiés. 

Un  chien  noir  suit  Stéphany  et  le  caresse. 
Nous  dînons  dans  le  pavillon  de  verdure  avec 
notre  vieux  Turc  à  barbe  blanche;  une  lanterne, 
accrochée  dans  un  coin,  éclaire  à  peine.  —  Effet 
d'un  de  ses  zeibeks  armé,  encadré  par  le  feuillage 
à  la  porte.  —  Le  soir,  à  la  lueur  d'un  machallah 
porté  par  un  Grec,  on  nous  montre,  dans  la  cour 
du  harem  du  gouverneur  (grande  maison  carrée), 
une  petite  vasque  carrée  ornée  de  guirlandes  at- 
tachées à  des  têtes  d'hommes,  d'un  goût  lourd 
et  très  décadent. 

Nous  couchons  dans  une  chambre,  près  d'une 
cheminée  dont  le  dessus  est  percé  de  quantités  de 
petits  trous  carrés  et  où  brûle  à  peine  un  feu 
de  sapin.  J'entends  la  voix  de  Stéphany  qui  blague 
avec  les  gardes.  Nuit  pleine  de  puces.  A  3  heures, 
les  gardes  dans  la  salle  à  côté  (ils  dorment  avec 
leur  silaklik  tout  garni  de  pistolets)  se  réveillent 
et  font  du  feu  ;  de  temps  à  autre  j'y  vais.  —  Nègres 
tout  armés  et  couchés  par  terre  auprès  du  feu, 


ASIE  MINEURE.  1  I 

enveloppés  dans  des  couvertures.  —  Le  matin,  à 
5  heures,  la  pluie  tombe. 

Vendredi  i8,  partis  à  7  heures  du  matin.  Tout 
le  temps  de  la  route  sous  des  pins;  à  gauche,  un 
ravin  que  l'on  passe  et  repasse  cent  fois;  des  veaux 
tranquillement  paissaient  dans  un  cimetière  planté 
de  chênes;  ailleurs  une  tombe  d'où  s'élèvent  trois 
bâtons  qui  supportent  une  guenille  rose,  laquelle 
pend  par  son  poids  et  fait  guirlande.  Je  ne  saurais 
dire  combien  cela  m'a  frappé,  j'en  retrouve  une 
tentative  d'esquisse  sur  mon  calepin. 

Déjeuner  dans  un  café  où  sont  arrêtés  plusieurs 
Turcs. 

Descente  qui  domine  la  plaine,  entourée  de 
montagnes,  au  fond  de  laquelle  est  Milassa;  à 
gauche,  ravin  profond,  rochers  de  forme  quadri- 
latérale entassés  les  uns  sur  les  autres. 

Le  chemin  que  nous  avons  fait  aujourd'hui  a 
par  moments  des  allures  forêt  de  Fontainebleau 
(sauf  les  sapins  toutefois);  nos  chevaux  marchent 
sur  un  sol  doux,  capitonné  par  les  petites  branches 
rousses  des  sapins  tombées.  Quand  nous  sommes 
près  d'arriver  à  Milassa,  le  ciel,  à  notre  droite, 
est  couvert  de  nuages,  et  la  pluie,  telle  qu'un 
grand  rideau  gris  bleu  entre  les  gorges,  tombe  sur 
les  montagnes  que  nous  venons  de  quitter;  l'autre 
côté  du  ciel  est  assez  pur,  bleu  avec  quelques 
nuages  blancs.  II  y  a  du  vent,  la  pluie  semble  im- 
minente, Sassetti  met  son  manteau,  Maxime  son 
paletot,  je  les  imite. 

Milassa.  —  Rues  assez  longues,  eau  croupis- 
sante au  milieu,  la  boue  remuée  par  les  pieds  de 
nos  chevaux  est  infecte.  On  nous  fait  attendre  dix 
minutes  au  conac. 


12  NOTES  DE  VOYAGES. 

Nous  allons  loger  chez  M.  Eugène  de  Salmont, 
médecin  français,  de  Marseille.  11  vient  de  quitter 
Samos  et  porte  un  grand  fez  à  la  grecque,  avec 
un  large  col  de  chemise  rabattu  sur  sa  redingote 
verte. 

Promenade  tout  le  long  de  l'aqueduc.  Les  pi- 
Hers  des  arcades  sont  seuls  restés,  ça  fait  des  pihers 
carrés  se  suivant  régulièrement  dans  la  campagne, 
au  milieu  des  arbrisseaux  et  de  la  verdure.  Ton 
gris  des  pierres.  En  certaines  parties  la  construc- 
tion est  faite  avec  des  pierres  rapportées  et  qui 
avaient  servi  à  d'autres  architectures;  au  bout 
de  faqueduc,  quelques  arcs  sont  encore  intacts  et 
même  avec  la  pile  supérieure.  La  campagne  et  les 
montagnes  bleues  vont  se  renforçant  de  ton  à  me- 
sure o'u'elles  s'éloignent,  vues  par  le  cadre  des  arcs 
gris.  Sur  quelques-uns  des  arcs  en  ruines,  grands 
nids  de  cigognes  délaissés. 

Visite  au  second  du  gouverneur.  Nous  voyons 
passer  sa  fille  près  de  nous  avec  des  piastres  sur 
sa  tête.  —  Une  pastèque  sur  une  planche  est  at- 
teinte par  M.  Salmont.  —  Inscriptions  grecques 
très  nombreuses. 

Au  bout  du  pays,  tombeaux  à  colonnes,  édifice 
de  marbre  carré  posé  sur  maçonnerie.  La  première 
partie  est  une  muraille  de  huit  pieds  de  haut;  là- 
dessus  sont  des  colonnes  doubles;  aux  coins,  ce 
sont  des  piliers  carrés,  toutes  les  autres  colonnes 
sont  rondes,  doubles.  La  partie  inférieure,  où  était 
le  corps (?),  est  une  petite  salle  à  piliers  carrés, 
sans  ornement,  et  pleine  de  toutes  les  m...  du 

Le  soir,  chez  le  docteur,  visite  d'un  compa- 
triote, levantin  de  Smyrne,  figure  et   mains  de 


ASIE  MINEURE.  I  3 

charbonnier,  affreuse  canaille.  Notre  hôte  me  fait 
l'effet  d'en  être  une  autre,  il  nous  débite  d'affreuses 
blagues.  —  Son  portrait  par  lui-même!  Celui  de 
la  reine  de  Grèce  lithographie,  signé  Salmont  au 
crayon. 

Samedi  iç.  —  Le  docteur  nous  accompagne 
jusqu'au  pied  de  la  montagne.  Toute  la  journée 
s'est  passée  à  monter,  puis  à  descendre  la  mon- 
tagne que  sépare  la  vallée  de  Milassa  de  celle 
où  nous  sommes  maintenant.  Près  du  sommet  de 
la  montagne,  colonnes  disposées  en  rond  (restes 
d'un  temple  de  Vesta?).  Près  de  là,  un  grand 
morceau  de  mur  en  pierres  ajustées  les  unes  sur 
les  autres,  ouvrage  romain.  —  Déjeuner  près 
d'un  ruisseau  à  eau  jaunâtre,  stationnant  dans  les 
creux  de  rochers,  —  Au  haut  de  la  montagne,  à 
un  tournant  de  la  route,  vue  magnifique  :  toute 
la  vallée,  les  montagnes  boisées  à  droite  et  à 
gauche,  se  succédant  en  forme  d'accents  circon- 
flexes élargis  les  uns  derrière  les  autres  et  passant 
par  tous  les  tons  du  bleu  ;  le  plus  foncé  est  au  fond, 
tandis  que  les  premiers  plans  sont  verts. 

Nous  descendons  pendant  près  de  cinq  heures, 
par  des  chemins  fantastiquement  mauvais,  Sté- 
phany  déclare  qu'il  n'en  a  jamais  vu  de  pareils; 
cependant  il  n'y  a  ni  précipice  ni  ravin.  De  temps 
à  autre  une  fontaine  couverte  en  pierres  sèches, 
un  tronc  d'arbre  creusé  et  plein  d'eau.  Moins 
d'arbres  brûlés  que  sur  l'autre  versant  de  la  mon- 
tagne. Dans  la  montagne,  couverte  de  sapins  par- 
tout, nous  rencontrons  une  jument  et  son  poulain 
paissant  tout  seuls.  Avant  d'arriver  à  Karpouzelou, 
petit  cimetière  à  droite ,  avec  des  chiffons  suspendus 
sur  les  tombes. 


l4  NOTES  DE   VOYAGES. 

Karpouzelou.  —  Café,  gourbi.  Nous  couchons 
à  vingt  pas  de  là,  dans  une  petite  maison  où  l'on 
monte  par  un  escalier  en  bois.  Dormi  sur  la  ter- 
rasse, nuit  froide  et  éloilée,  clair  de  lune  tout  le 
temps. 

Dimanche  20.  —  Toute  la  journée  nous  avons 
été  à  plat,  sans  descendre  ni  monter,  la  route  sui- 
vant la  plaine  entre  les  montagnes;  pendant  les 
quatre  premières  heures,  c'est  encore  assez  boisé. 

Café  où  il  n'y  a  personne;  seulement  un  zei- 
bek  assis  devant,  sous  un  arbre,  garde  les  animaux 
qui  paissent  parmi  les  broussailles  tout  alentour. 
Après  le  café,  on  passe  trois  fois  la  même  rivière, 
plus  large  chaque  fois  :  elle  s'appelle  Kina  tchaï 
(la  rivière  de  la  Chine).  Les  montagnes  deviennent 
de  moins  en  moins  boisées,  celle  de  droite  sur- 
tout est  complètement  grise  et  marquée  de  taches 
blanchâtres;  à  gauche,  de  fautre  côté  du  fleuve 
qui  est  vert  pâle,  la  montagne  est  mamelonnée  en 
petits  dômes. 

Arbrisseaux  maigres.  —  Au  premier  plan,  des 
herbes  longues  (chardons?),  rousses  et  espacées 
les  unes  des  autres;  des  chameaux  nus  passent  et 
se  rendent  vers  le  fleuve;  ils  sont  forts  et  couleur 
tabac  d'Espagne.  Lèvent  est  âpre,  il  fait  du  soleil, 
ciel  bleu  et  froid.  Le  soleil  passe  dans  les  poils 
roux  de  la  bosse  d'un  jeune  chameau  qui  lève  le 
nez  dans  les  herbes.  —  Autre,  petit  et  bossu,  de 
figure  ressemblant  à  Amédée  Mignot  en  costume 
d'agréé  au  tribunal  de  commerce. 

Un  peu  plus  loin,  le  fleuve  est  très  large;  îlots 
de  sable  sur  lesquels,  de  place  en  place,  sont  des 
lauriers-roses,  mais  rares.  —  Au  premier  plan, 
touffe  d'arbrisseaux.   —   Paysage,  sauvage  et  à 


ASIE  MINEURE.  I  J 

mauvais  coups.  —  Sur  la  montagne  pelée,  groupe 
de  cinq  à  six  maisons  en  pierres  sèches,  les  arbustes 
se  tassent,  c'est  presque  un  petit  makis.  On  tourne 
brusquement  à  droite,  contournant  le  pied  de  la 
montagne  et  l'on  arrive  au  fleuve  que  l'on  passe 
en  bac.  Le  bateau  se  conduit  avec  une  corde  faite 
de  ceps  de  vigne  rattachés  avec  des  ficelles.  Au 
pied  de  la  montagne  d'en  face,  un  peu  sur  la 
gauche,  Haïdin  (Gusel-Issar),  avec  les  minarets 
blancs  de  ses  mosquées.  De  là  à  la  ville  on  marche 
dans  une  plaine;  la  route,  bientôt,  va  entre  des 
espèces  de  hauts  bords,  nous  rencontrons  des  cha- 
riots à  roues  pleines,  au  heu  de  ridelles  ce  sont 
de  hautes  claires-voies  en  osier,  c'est  conduit  par  un 
timon  et  deux  bœufs. 

GusEL-IssAR.  —  Nous  travcrsons  la  ville  et  lo- 
geons à  l'autre  bout,  au  Serai",  très  grand,  dans 
une  pièce  spacieuse.  Divans  larges. 

Achats  de  provisions  de  voyage  dans  la  ville. 
Elle  est  en  pente,  grands  auvents  au-dessus  des 
boutiques.  On  voit  qu'on  est  dans  un  pays  froid  : 
feutres,  gros  vêtements  de  drap,  jambarts  en  laine. 
—  Aspect  un  peu  tartare.  Quoique  le  pays, 
comme  nature,  ressemble  bien  plus  à  l'Europe 
qu'à  la  Syrie  par  exemple,  ça  paraît  plus  asiatique, 
plus  reculé,  plus  lointain,  —  Un  beau  platane  dans 
une  rue,  près  de  la  boutique  oii  nous  avons  acheté 
des  feutres  pour  nos  chevaux.  —  Chez  les  mar- 
chands de  tabac,  le  tabac  est  dans  de  grands  bocaux 
de  verre,  comme  il  y  en  a  chez  les  confiseurs  pour 
mettre  les  dragées.  —  On  vend  de  la  glace;  mar- 
chands de  gâteaux  au  miel  et  de  calvas  (sorte  de 
gélatine  élastique  au  miel).  —  Notre  hôte  Hadji 
Osman   Effendi,   homme  de  hautes  façons.   — 


l6  NOTES  DE  VOYAGES. 

Petit  pavillon  oi!i  il  se  retire  pour  boire;  derrière, 
vue  sur  les  montagnes.  Nous  y  parlons  de  Crésus 
et  des  collections  de  Paris. 

Lundi  21.  —  Partis  le  matin,  à  6  heures  moins 
un  quart,  et  traversé,  comme  hier  pour  entrer 
dans  la  ville,  un  long  faubourg.  —  Caravane  im- 
mense de  chameaux  partant  pour  Smjrne,  ils 
nous  encombrent  la  route,  nous  passons  à  côté. 
Ils  sont  roux,  poilus.  Le  dernier  a  sur  l'épaule  une 
énorme  cloche,  sorte  de  fragment  de  tuyau  de 
poêle  qui  fait  un  grand  bruit.  —  Chariot  à  roues 
pleines,  traîné  par  deux  buffles  à  jambes  épatées, 
écartées;  toute  une  famille  est  dedans  pêle-mêle, 
les  femmes  voilées. 

A  9  heures  du  matin,  déjeuner  à  un  gourbi  de 
zeibeks. 

Toute  la  journée,  pendant  près  de  huit  heures, 
nous  allons  tantôt  entre  des  bosquets  d'arbustes, 
tantôt  sur  une  lande  garnie  d'une  herbe  rare.  Le 
sentier  tourne  dans  des  verdures.  Ruisseaux  passés 
à  gué,  du  reste  il  y  en  a  moins  qu'hier;  le  pays 
aussi  est  plus  boisé,  plus  riant.  Toutes  les  heures 
nous  rencontrons  un  gourbi  avec  un  grand  arbre 
et  une  fontaine;  la  route  est  plus  peuplée  de  voya- 
geurs que  les  jours  suivants.  Nous  avons  deux 
hommes  d'escorte,  donnés  par  le  gouverneur  de 
Gusel-lssar,  et  deux  moucres  qui  vont  au  trot, 
montés  sur  leurs  bêtes;  la  route  tourne  en  suivant 
le  cours  d'eau  que  nous  avons  à  notre  gauche, 
coulant  en  bas,  entre  des  verdures  très  vertes,^ 
jeunes  et  hautes. 

A  I  heure  un  quart,  halte  sous  un  gourbi  au 
pied  d'une  montagne;  les  zeibeks,  là,  sont  effroya- 
blement armés.  Nous  prenons  le  café,  servis  par 


ASIE  MINEURE.  17 

un  petit  homme  gris  et  maigre  et  qui  ressem- 
blerait à  une  femme,  sans  ses  moustaches.  II  passe 
une  femme  à  cheval,  à  califourchon,  toute  voilée 
de  blanc  de  la  tête  aux  pieds. 

Montée;  nous  retrouvons  la  voie  antique  qui 
nous  suit  jusqu'à  Ephèse.  —  Descente  :  à  gauche, 
torrent  encombré  de  chênes,  de  frênes,  etc.,  le  tor- 
rent tombe  en  petites  cascades;  paysage  de  romans 
de  chevaliers,  il  j  a  là  quelque  chose  de  vigoureux 
et  de  calme.  Je  pense  à  Homère,  il  me  semble 
que  l'eau  dans  son  murmure  roule  des  vers  grecs 
perdus.  Je  suis  en  avant  de  tout  le  monde;  je  passe 
au  milieu  d'un  troupeau  de  chèvres  :  elles  sont 
rousses  et  noires  avec  des  taches  blanches,  elles  ont 
des  yeux  jaunes,  pêle-mêle,  au  hasard,  perchées 
sur  des  pointes  de  rocher  entre  les  arbres,  une 
surtout,  qui  baissait  la  tête,  en  bas,  regardait  l'eau 
et  semblait  l'écouter.  II  faisait  du  vent  dans  les 
feuilles,  au-dessus  de  moi  le  ciel  bleu  pâle.  La 
route  ici  est  très  resserrée  entre  les  flancs  des  deux 
montagnes. 

Un  aqueduc  de  marbre,  tout  gris  maintenant, 
va  d'une  montagne  à  l'autre;  il  a  deux  rangées 
d'arcades,  grêle  d'ailleurs;  une  inscription  le  dé- 
clare dédié  à  César  Auguste. 

Plaine  d'Epbèse.  —  Ah  !  c'est  beau  !  orientalement 
et  antiquement  splendide!  ça  rappelle  les  luxes 
perdus,  les  manteaux  de  pourpre  brodés  d'or.  Eros- 
trate  I  comme  il  a  dû  jouir  !  La  Diane  d'Ephèse  ! . . . 
A  ma  gauche,  des  mamelons  de  montagne  ont  des 
formes  de  teton  poire.  Suivant  toujours  le  sentier, 
nous  traversons  un  petit  bois  d'arbustes  [ligaria, 
en  grec)  et  nous  arrivons  à  Ephèse. 

Iasoulouk  (Ephèse).   —   Dômes  en  briques. 


l8  NOTES  DE  VOYAGES. 

La  forteresse,  avec  le  pays,  est  sur  une  éminence 
évasée  par  la  base  et  à  l'œiI  complètement  détachée 
de  la  plaine;  de  loin,  la  forteresse  éclatait;  on 
la  voit  de  très  loin,  ainsi  qu'une  colonnade  sur  la 
droite,  qui  n'est  autre  que  les  restes  d'un  aqueduc. 

Des  oliviers  sauvages  ont  poussé  dans  la  grande 
mosquée,  nous  faisons  envoler  une  nuée  de  cor- 
beaux. —  Restes  d'une^  vasque.  —  La  mosquée 
divisée  en  deux  parties.  Etait-ce  une  église?  Portes 
et  fenêtres  d'un  charmant  style  comme  arabe  pri- 
mitif. Nous  allons  jusqu'à  la  porte  de  la  forteresse. 
—  Dîner  chez  le  sheik,  les  gardes  et  les  moucres 
mangent  avec  Stéphany  et  Sassetti,  tous  en  rond, 
sous  la  petite  lanterne  suspendue  à  une  corde; 
un  gars  tout  en  rouge  (robe  et  veste)  rôde  par  là, 
et  allume  nos  pipes.  —  Notre  hôte,  personnage 
désagréable  et  taciturne. 

Mardi  22.  —  Promenade  de  quatre  heures  au 
milieu  de  ruines  éparses  d'Ephèse.  —  Restes 
de  monuments  romains  méconnaissables;  beau- 
coup de  constructions  en  briques  sur  des  construc- 
tions en  pierres;  des  trous  faits  dans  les  pierres 
indiquent  un  revêtement  en  marbre  qui  n'existe 
plus.  Ces  ruines  sont  surtout  à  gauche  du  village 
d'iasoulouk,  au  pied  de  la  montagne;  la  ville, 
établie  dans  la  plaine,  entre  les  montagnes,  se 
dégorgeait  largement  vers  la  mer,  que  l'on  voit 
parfaitement  de  la  hauteur  d'iasoulouk.  Le  peu  de 
sculpture  que  nous  voyons  :  deux  morceaux  qu'on 
nous  apporte,  et  d'autres  rapportés  avec  une  in- 
tention de  symétrie  à  la  porte  de  la  forteresse, 
sont  d'une  époque  décadente,  c'est  lourd.  —  Six 
chacals  que  nous  voyons  presque  en  même  temps 
en  visitant  les  ruines. 


ASIE  MINEURE.  I9 

Jolie  petite  mosquée  près  des  cafés,  à  côté  de 
la  fontaine  et  du  cimetière,  ombragée  de  deux 
frênes  énormes.  Le  portail  a  des  colonnes  antiques; 
sous  les  arcs,  système  de  gouttières  et  de  bâtons 
alternatifs  qui,  de  face  et  de  trois  quarts,  fait  le 
plus  joli  effet  du  monde.  Le  minaret,  comme 
celui  de  la  grande  mosquée,  est  en  forme  de  co- 
lonne évasée  par  le  haut,  il  est  de  même  ornementé 
de  macaronis  blancs  qui  courent  sur  les  briques. 
La  mosquée  est  bâtie  avec  des  morceaux  de  pierres 
et  de  marbres;  chaque  morceau  est  encadré  de 
deux  briques;  un  peu  plus  haut,  croisillons, 
comme  dans  toute  l'architecture  arabe.  Sur  les 
stèles  plates  des  tombes,  on  peut  étudier  l'ancienne 
forme  des  turbans  ;  le  turban  en  rouleaux  longitu- 
dinaux oblongs  s'arrête  net  au  milieu  du  tarbouch, 
qui  le  surmonte  de  beaucoup.  Au-dessus  de  quel- 
ques tombes,  un  petit  trou  pour  observer  les  oi- 
seaux. (J'ai  vu  cela  en  Bretagne,  mais  c'est  pour 
y  mettre  de  l'eau  bénite.)  Ces  tombes,  de  côté, 
dans  tous  les  sens,  ont  l'air  de  cartes  blanches, 
fichées  en  terre  et  qui  vont  s'abattre;  très  belles 
écritures  dessus. 

Les  coiffures  de  ces  pays  sont  démesurées; 
la  quantité  de  rouleaux  que  l'on  se  contourne 
autour  du  chef  monte  si  haut  et  est  si  lourde,  que 
notre  moucre  est  obligé  de  les  retenir  par  une 
ficelle  mise  de  côté. 

A  I  heure  moins  ^,  nous  partons  d'iasoulouk. 
La  route  va  entre  des  makis  de  ligaria  et  de 
menthes,  le  vent  les  courbe,  quand  nous  passons 
près  des  arbres  le  feuillage  frémit;  toute  la  journée 
le  ciel  fut  sombre.  Axiome  :  c'est  le  ciel  qui  fait  le 
paysage.  Au  sortir  d'Iasoulouk,  caravane  de  cha- 


20  NOTES  DE  VOYAGES. 

meaux,  le  dernier  portant  un  énorme  tocsin;  un 
surtout  avait  de  formidables  bouquets  de  poil 
au  haut  des  fémurs  et  des  espèces  de  fanons  qui 
lui  pendaient  du  cou;  il  crie  quand  nous  passons 
près  de  lui. 

Çà  et  là,  tentes  de  Turcomans. 

Une  demi-heure  après  lasoulouk,  une  rivière 
fait  un  coude;  elle  est,  en  cet  endroit,  large  et 
assez  dénudée,  c'est  le  Méandre.  Au  delà,  mon- 
tagnes grisâtres,  mont  des  Chèvres,  très  ardu,  avec 
une  forteresse  dessus,  à  gauche  lorsqu'on  s'en  va 
d'iasoulouk,  de  l'autre  côté  du  fleuve.  Rencontre 
de  chameaux  dans  un  chemin  creux,  qui  nous 
barrent  le  passage;  l'enfant  qui  les  conduit,  voyant 
que  nous  les  brutalisons  pour  passer,  hurle  de 
peur,  sans  doute  à  l'aspect  de  nos  mines  et  de  nos 
fusils.  Une  heure  avant  d'arriver  à  Tjra,  temps 
de  galop;  j'avais  un  excellent  petit  cheval  gris  sale, 
à  crinière  abondante  éparpillée  sur  son  cou. 

Tyra.  —  A  l'entrée  de  Tjra,  platane  déme- 
suré, cinquante  hommes  avec  leurs  chevaux  y 
tiendraient  à  l'ombre;  si  ce  n'est  cinquante,  plus 
de  trente  à  coup  sûr.  Nous  sommes  un  quart 
d'heure  à  traverser  la  ville,  oii  tout  est  fermé;  la 
lune  levante  brille  dans  la  cour  d'une  mosquée 
auprès  de  laquelle  nous  passons,  sur  notre  gauche. 

Au  Séraï,  nous  sommes  reçus  dans  la  salle  des 
officiers.  —  Amabilité  de  ces  messieurs,  on  crie 
en  turc  et  en  grec,  tapage  superbe  à  l'occasion  de 
la  route  des  moucres.  Une  négresse ,  vêtue  de  blanc 
et  se  voilant,  entre,  en  se  cachant  et  essayant  de 
se  fourrer  dans  la  muraille,  c'est  une  esclave  qui 
vient  de  s'échapper  de  chez  son  maître  et  qui  se 
réfugie  ici.  Le  chef  des  moucres  de  Tjra,  gros 


ASIE  MINEURE.  2  1 


homme  à  prestance  de  pacha,  lui  donne  une  claque 
sur  le  menton,  en  manière  de  facétie  et  de  mépris, 
et  l'emmène  chez  lui.  —  Visite  au  gouverneur, 
homme  nul. 

Mercredi  2^.  —  Rien  de  particuher  dans  les 
bazars.  —  Auvents  en  bois.  —  Rue  avec  un  ruis- 
seau carré  au  miHeu  pour  les  chevaux.  —  Cime- 
tières dans  la  ville.  Depuis  plusieurs  jours,  nous 
trouvons  souvent,  dans  la  campagne,  des  tombes 
à  des  endroits  complètement  inhabités;  là  sans 
doute  fut  quelque  campement,  ce  sont  les  tombes 
des  amis  de  ceux  qui  ont  porté  leurs  tentes  ailleurs, 
cela  donne  à  la  route  quelque  chose  de  très  grand 
et  d'inattendu.  En  venant  d'iasoulouk  à  Tyra,  un 
enclos  contenant  quelques  tombes,  un  peupher 
au  miheu;  dans  le  cimetière  d'iasoulouk,  des  oies 
se  promenaient;  un  coup  de  vent  est  venu,  elles  se 
sont  assises  et  rengorgées  en  bateau  pour  le  laisser 
passer;  quelques-unes  ont  mis  la  tête  sous  l'aile. 

Partis  à  8  heures  et  demie.  —  Déjeuner  sous 
un  platane,  près  d'une  citerne;  on  puise  de  l'eau 
dans  une  outre,  l'eau  coule  d'elle  par  tous  les  côtés. 
Un  troupeau  de  moutons  vient  à  coté  de  nous. 

Nous  avons  marché  toute  la  journée  dans  une 
grande  plaine;  cirque  immense  au  milieu  des  mon- 
tagnes en  amphithéâtre.  Les  montagnes  sont  loin 
de  nous;  sur  la  gauche,  leur  galbe  est  sinueux 
et  aigu.  Nous  passons  près  d'un  chariot  tassé  de 
chanvre  (roues  à  jantes  et  rayons)  et  traîné  par 
des  buffles,  ils  soufflent  bruyamment  lorsqu'ils 
sont  arrêtés. 

Nous  passons  par  le  village  de  Odemisch,  au 
milieu  du  petit  bazar  qui  forme  sa  rue  principale  : 
beaux  enfants  et  en   assez  grande  quantité,  les 


2  2  NOTES  DE  VOYAGES. 

petites  filles  surtout,  avec  leur  chevelure  blonde 
qui  a  des  tons  jaune  doré  dedans. 

BiRKÉ  est  au  pied  des  montagnes  (à  gauche 
quand  on  vient  de  Odemisch),  entouré  de  bois; 
de  loin,  une  ligne  de  peupliers.  Avant  d'arriver 
à  la  ville,  lit  d'un  torrent  large  et  profondément 
entré  dans  la  terre;  des  deux  côtés,  ohviers.  On 
monte.  Le  torrent  (à  sec)  passe  au  milieu  de  la 
ville  en  pente;  au  fond,  un  grand  pont  en  accent 
circonflexe. 

Dans  la  route  nous  avons  passé  sur  un  pont  en 
bois;  il  n'y  a  que  des  poutres  assez  petites,  mises 
de  travers,  elles  sont  la  plupart  pourries  ou  cassées, 
les  pieds  de  nos  chevaux  enfoncent  dedans;  mais 
il  y  a  un  parapet,  chose  étrange!  —  Moins  de 
tentes  de  Turcomans  que  la  veille.  —  Maxime  tire 
un  aigle  qu'il  manque.  —  Nous  rencontrons  cou- 
ché sur  le  chemin  un  cheval  qui  se  crève,  iï  a  le 
dos  tout  suppurant,  l'épaule  dénudée,  rouge;  il  est 
dévoré  par  des  milhons  de  mouches.  —  Il  a  fait 
toute  la  journée  un  temps  lourd,  le  ciel  était  cou- 
vert; nos  chevaux  tourmentés  des  mouches,  le 
mien  faisait  des  bonds  subits  et  donnait  des  sac- 
cades de  tête. 

Position  d'un  chameau  de  Turcoman  à  une  halte 
de  caravane;  il  était  couché  sur  le  coté,  comme  un 
cheval  à  l'écurie  (position  très  rare),  et  au  lieu 
d'avoir  les  jambes  repliées  sous  lui,  l'épaule  droite 
de  devant  et  une  partie  de  son  cou  étaient  ap- 
puyées contre  un  sac,  il  se  prélassait  là  comme 
un  monsieur  dans  un  fauteuil  élastique. 

Arrivés  à  Birké  à  3  heures  de  l'après-midi ,  logés 
au  conac,  dans  une  charmante  petite  chambre 
turque  :  panneaux  en  boiseries  peintes,  plafond 


I 


ASIE  MINEURE.  23 

vert  croisillonné  de  baguettes  jaunes;  au  milieu, 
un  grand  carré  rouge  croisillonné  de  baguettes 
jaunes. 

Nous  descendons  la  ville  par  où  nous  sommes 
arrivés.  —  Aspect  suisse  de  la  partie  supérieure  de 
la  ville,  à  cause  de  ses  maisons  jetées  au  hasard 
sur  la  pente,  avec  des  toits  en  tuiles,  et  carrées. 
—  Nous  fumons  un  narguileh  dans  un  café  (partie 
gauche  de  la  ville  en  montant).  —  Entrés  dans 
féglise  grecque  en  bois  que  l'on  est  en  train  de 
bâtir. 

Le  soir,  à  dîner,  nous  nous  empiffrons  avec 
d'excellent  melon,  beaucoup  de  perdrix  et  une 
sorte  de  pudding  en  pâte  épaisse,  faite  avec  du 
miel,  de  la  farine,  du  beurre  et  du  sucre.  —  Sas- 
setti  a  encore  trouvé  une  tortue. 

Jeudi  24.,  partis  à  7  heures  et  demie.  Montée 
qui  tourne  sur  elle-même;  au  bout  d'une  heure, 
planure.  —  Petite  montagne  que  Ton  monte  et 
descend,  prairie  encaissée  entre  deux  montagnes 
sèches;  elle  est  verte,  herbue,  plantée  de  peuphers. 

Déjeuner  au  village  de  Bosdall.  —  Noyers 
monstrueux,  enclos  de  pierres  sèches.  Combien 
il  j  a  sur  la  terre  d'existences  enfouies!  Nous 
suivons  la  prairie  encore  quelque  temps,  puis 
nous  nous  séparons  du  ravin,  que  nous  laissons 
sur  la  droite,  et  nous  continuons  parallèlement  à 
lui.  Un  moulin,  feau  tombe  et  pleure  du  ruisseau 
en  bois  qui  va  se  verser  dans  un  grand  enton- 
noir carré,  le  jour  passe  entre  la  nappe  et  les  filets 
d'eau. 

Rencontré  deux  Grecs,  le  gamin  est  à  cheval 
et  le  jeune  homme  à  pied.  L'enfant  de  12  ans  qui 
est  l'aide  de  notre  moucre,  resté  en  arrière  avec 


24  NOTES  DE  VOYAGES. 

Sassetti,  lui  propose  de  couper  le  cou  aux  Grecs, 
et,  comme  il  ne  comprend  pas,  il  lui  fait  signe 
avec  son  couteau,  signe  du  reste  qu'il  traduit  lui- 
même  clairement,  quand  Stéphany  lui  a  ensuite 
demandé  ce  qu'il  avait  voulu  dire. 

Nous  nous  tenons  sur  le  versant  gauche,  les 
deux  montagnes  ont  l'air  d'avoir  été  tout  à  coup 
et  brusquement  séparées  par  le  torrent,  les  angles 
rentrants  de  l'une  faisant  face  aux  angles  sortants 
de  l'autre.  Le  versant  de  droite  est  plus  dénudé; 
sur  cette  grande  pente,  presque  à  pic  ou  du  moins 
fort  inclinée,  d'un  ton  brun  très  pâle,  çà  et  là 
quelques  arbres  fichés,  la  verdure  revient  de  notre 
côté  :  chênes,  petits  frênes,  noyers,  fougères,  de 
l'eau.  On  tourne  un  coude  à  gauche,  et,  au  bout 
de  l'étroit  vallon  formé  par  le  torrent  est  une  im- 
mense plaine,  blond  pâle,  terminée  par  un  bour- 
relet bas  de  montagnes.  Par  son  étendue,  ça 
rappelle  le  désert;  le  ciel  est  bleu,  le  soleil  brille, 
bouffées  d'air  chaud.  Au  bas  de  la  descente,  grand 
lit  à  sec  du  torrent;  là,  il  s'élargit  dans  la  plaine 
comme  pour  se  venger  d'avoir  été  si  longtemps 
comprimé.  Des  vaches  noires  marchent  dans  un 
champ,  en  cassant  sous  leurs  pieds  les  tiges  sèches 
du  maïs;  quelques  tentes  deTurcomans,  toujours 
en  rude  et  rugueuse  toile  noire  de  chameau;  sous 
l'une  d'elles,  à  gauche,  un  enfant  nu  nous  regarde 
passer.  Nous  suivons  encore  une  heure  la  plaine; 
à  4  heures,  arrivés  au  village  de  Salikli. 

Salikli.  —  L'éteignoir  en  fer-blanc  de  son  mi- 
naret brille  de  loin.  —  Le  collecteur  d'impôts 
arménien  nous  paraît  vexé  de  nous  céder  l'unique 
chambre  logeable.  —  Beau  lévrier  noir. 

Vendredi  2^.  —  Toute  la  journée  dans  la  même 


ASIE  MINEURE.  25 

plaine  qu'hier.  Pour  aller  coucher  à  Salikli,  nous 
avons  inchné  à  l'Est;  maintenant  nous  allons  dans 
l'Ouest,  nous  dirigeant  sur  Smjrne. 

Sart  (Sardes).  —  A  i  heure  et  demie  de  Sa- 
likli, ruines  de  Sardes  (Sart);  à  coté,  petit  café 
011  nous  déjeunons.  Les  ruines  de  Sardes  sont  au 
bas  de  la  montagne,  sur  un  espace  d'un  quart 
de  heue  :  souterrains  en  pierres  et  en  mortier,  à 
arcades  parallèles,  à  demi  enfouies  en  terre;  frag- 
ments de  constructions  romaines  en  pierre  (belle 
construction  ) ,  surmontées  de  fragments  de  maçon- 
neries en  briques  fort  belles,  ouvrage  solide.  Deux 
colonnes  en  marbre  :  pas  une  seule  assise  de  même 
dimension,  le  chapiteau  est  à  volutes  ioniennes, 
le  tailloir  semé  d'oves;  entre  les  volutes,  des  oves; 
la  base  du  chapiteau  cannelée;  sur  le  profil  du 
chapiteau,  écailles  de  poisson.  Le  chapiteau  de  la 
colonne  de  droite  (en  arrivant  de  Salikli)  est  dé- 
placé de  la  colonne  et  comme  poussé  du  dehors. 
Très  bel  effet  de  l'ensemble,  surtout  en  se  tournant 
du  côté  de  l'Ouest.  Entre  ces  deux  colonnes,  pe- 
tite montagne  à  angles  et  crêtes  aigus,  de  couleur 
argileuse  et  nue;  au  premier  plan,  au  pied  des 
colonnes,  des  broussailles,  parmi  lesquelles  une 
colonne  écroulée,  comme  dans  la  cour  des  Bubas- 
tites  à  Thèbes,  seulement  ici  les  dalles  sont  en 
marbre,  cela  fait  de  fières  meules  de  moulin;  ces 
deux  colonnes  sont  un  peu  grises  et  roussies  par  le 
haut. 

Rien  de  remarquable,  le  reste  de  la  journée. 
Pendant  que  nous  déjeunons,  passe  une  longue 
file  de  chameaux  ;  quelques-uns  ont,  des  deux  côtés 
de  la  tête,  des  espèces  de  pendants  d'oreilles  en 
coquillages  de  couleur.  Ah  !  qu'elles  ne  se  doutaient 


26  NOTES  DE  VOYAGES. 

guère  ces  coquilles,  lorsqu'elles  étaient  au  fond  de 
la  mer,  que,  suspendues  à  l'oreille  des  chameaux, 
elles  voyageraient  par  les  plaines,  les  montagnes, 
le  désert! 

Nous  trottinions  dans  la  plaine,  quand  nous 
avons  vu  venir  devant  nous,  allant  vers  Salikli, 
à  une  cinquantaine  de  pas  à  droite,  un  groupe  de 
cavaliers  escorté  de  beaux  lévriers.  Stéphanj  les 
appelle,  ils  viennent  à  nous.  Le  lévrier  qui  me  fait 
le  plus  envie  avait  un  collier  de  coquilles  blanches 
et  coûterait  600  piastres  si  on  voulait  le  vendre. 
—  Maxime  achète  un  cheval  blanc  moyennant 
27^  francs.  Nous  continuons.  —  Halte  à  un  café, 
où  nous  mangeons  une  pastèque. — Maxime  a  reçu 
à  la  jambe  un  coup  de  pied  du  cheval  que  montait 
Sassetti.  —  Nous  cheminons  toute  la  journée  côte 
à  côte;  des  roseaux  à  tige  blanche  et  à  cime 
violet  pâle  s'agitent  au  vent,  toute  la  journée  il  a 
fait  du  vent;  à  gauche,  petites  montagnes  bleues. 
Arrivés  à  Cassaba  à  4  heures.  M 

Cassaba.  —  C'est  un  très  grand  village,  au  mi- 
lieu de  la  plaine,  entre  la  verdure.  Pour  entrer 
nous  passons  par  de  longues  rues  étroites  et  fl 
boueuses  :  rues  larges,  bazars  en  bois,  marché 
aux  fruits  ombragé  d'un  grand  arbre;  on  sent  va- 
guement  que  l'on  est  près  d'une  grande  ville,  il  Y  B 
a  plus  de  monde,  c'est  plus  ouvert,  plus  anime. 

Logés  au  khan,  fort  grand.  —  Jolie  levrette 
avec  ses  petits,  que  l'on  habille  le  soir.  —  Dîner 
avec  beaucoup  de  plats.  Nous  sommes  dans  une 
petite  chambre  à  escalier  séparé,  à  gauche  en  en- 
trant dans  le  khan.  —  Nuit  bourrée,  hérissée, 
échevelée  de  puces!  je  n'en  ai  jamais  tant  eu,  ni 
de   si  grosses!  mon   lit  donne  sur  la  niche   des 


I 


ASIE  MINEURE.  ^27 

lévriers!  Il  fait  beau  clair  de  lune,  je  me  promène 
dans  la  cour;  au  fond,  à  gauche,  du  côté  des 
écuries,  un  Arabe  joue  de  la  flûte. 

Samedi  26 ,  à  5  heures  du  matin,  nous  partons. 
Interminable  file  de  chameaux  qui  défilent  dans 
la  clarté  vaporeuse  et  blanche  du  matin;  la  cara- 
vane était  peut-être  composée  de  trois  à  quatre 
mille  chameaux  (?),  les  petits  ânes  qui  en  con- 
duisent les  différentes  sections  ne  paraissent  pas 
plus  grands  que  des  chiens;  sur  fane  est  le 
conducteur,  dans  son  habar  raide  de  feutre  blanc. 

Nous  marchons  d'abord  dans  une  espèce  de 
désert,  lande  ouverte,  puis  grand  ravin  à  sec.  On 
monte,  plateau  à  gauche;  au  pied  des  montagnes 
est  N  jmphio. — Colique  stomachique  de  Stéphany . 
—  Déjeuner  à  un  café  grec  011  je  le  trouve  couché 
sur  le  dos.  —  De  là  à  Nymphio,  une  heure  à 
travers  champs ,  chemin  plein  d'ombre,  d'eau,  de 
sources,  de  broussailles  et  de  cascades;  je  dors 
sur  mon  cheval  et  je  ne  vois  guère  Nymphio  que 
d'un  œil  entr'ouvert. 

Je  suis  pris  de  la  rage  d'arriver,  ce  que  j'éprouve 
toutes  les  fois  que  je  dois  terminer  quelque  chose, 
que  je  touche  à  un  but  quelconque,  à  une  fin 
quelle  qu'elle  soit;  je  galope.  —  Village  au  haut 
de  la  montagne  qui  domine  la  plaine  de  Smjrne; 
descente  sur  une  voie  pavée,  oliviers;  la  ville  n'ar- 
rive pas! —  Je  retrouve  Sassetti.  —  Champ  des 
morts  des  deux  cotés  de  la  route.  —  Pont  des 
caravanes;  désillusion  complète,  la  plus  forte  ou, 
pour  mieux  dire,  la  seule  que  j'aie  eue  en  voyage  : 
il  a  une  balustrade  en  fer!  —  Nous  entrons  par 
le  quartier  arménien  et  grec.  Maisons  européennes  ; 
ça  ressemble  à  une  ville  de  province  de  second 


2  8  NOTES  DE  VOYAGES. 

ordre.  Stéphanj  et  Maxime  me  rejoignent  dans 
la  ville.  —  Arrivés  à  4  heures  du  soir  àlHôtel  des 
Deux-Augustes,  chez  Milles.  Pas  de  lettres! 


SMYRNE. 


Dimanche  27.  —  Le  soir  au  théâtre  français, 
troupe  du  sieur  Daiglemont.  Nous  voyons  Passé 
minuit,  la  Seconde  année,  Indiana  et  Cbarlemagne. 
Maxime  est  pris  de  la  fièvre. 

Pluie  et  temps  exécrable  toute  la  semaine. 

Lecture  d'Arthur,  d'E.  Sue,  les  Souvenirs  d'An- 
tony  de  Dumas,  la  moitié  du  premier  volume 
du  Solitaire  de  d'Arlincourt,  Jacqueline  Pascal  de 
Cousin. 

Hôtel  des  Deux-Augustes.  —  Personnages  de 
l'hôtel  :  M.  Aublé,  redingote  jaune,  chapeau  gris, 
barbe  grisonnante;  M.  Horace  Walpole,  posses- 
seur d'un  chien  d'Erzeroum,  a  voyagé  dans  le 
Hauran;  il  a  été  volé  plusieurs  fois;  dépossédé  et 
sans  ressources,  il  a  volé  un  âne  et  a  forcé  son  pro- 
priétaire, qui  était  un  juif,  à  le  suivre  à  pied  pour 
le  servir;  le  colonel  américain  Willougby,  vieux, 
solide,  à  barbe  grise;  Weber  Oscar;  famille  ita- 
lienne d'un  docteur  d'Erzeroum  qui  vient  s'établir 
à  Smjrne;  famille  valaque  logée  en  face  de  nous; 
la  comtesse,  son  fils  et  le  précepteur,  pasteur  pro- 
testant de  Marseille,  petit  pingre  en  lunettes; 
Diamanti,  drogman  en  fustanelle;  le  frère  de 
Stéphanj,  Joseph,  domestique  de  l'hôtel,  petit, 
noir,  doux,  collier. 


ASIE  MINEURE. 


Smyrniotes;  le  D""  Raccord;  le  D""  Camescasse, 
famille  d'iceluy,  sa  fille  en  corsage  de  tricot  rouge. 

M.  Pichon,  consul;  Guillois,  air  d'avoir  des 
engelures  quoiqu'il  n'en  ait  pas,  carottier  achevé; 
le  père  Ledoux,  bien  nommé,  pied-bot;  Carabette, 
a  la  figure  au  bas  de  sa  perruque;  M.  Dautin, 
inepte  directeur  de  la  poste. 

Temps  triste  et  ennuyeux  tout  le  temps  que 
j'ai  été  à  Smjrne;  je  suis  nerveusement  et  morale- 
ment mal  disposé,  l'hiver  approche. 

Promenade  à  Boudja.  —  Weber  nous  accom- 
pagne. —  Froid.  —  Nous  montons.  En  haut  de 
la  montée,  ruines  blanchâtres  d'un  aqueduc, 
Boudja  à  gauche  dans  le  fond,  maisons  entourées 
de  jardins,  petit  cimetière  turc.  Nous  traversons 
le  village.  —  Halte  dans  un  café,  promenade  aux 
aqueducs,  il  y  en  a  trois.  —  Moulin.  —  Vue  d'en 
bas,  les  pieds  dans  la  rivière,  l'eau  déborde  de 
l'aqueduc  et  tombe  en  nappe,  le  soleil  passe  à 
travers,  il  perce  aussi  les  filets  d'eau  tombant  des 
arcades  supérieures.  —  Retour  par  la  petite  vallée 
Sainte-Anne.  —  Couvent  grec,  grande  bâtisse 
blanche.  —  Nous  rencontrons  des  chasseurs  à 
l'affût. 

Promenade  à  Bournabah.  —  Un  autre  jour,  je 
vais  tout  seul  à  cheval,  suivi  du  drogman  Théo- 
dore (Stéphanj  a  la  fièvre).  Au  premier  village  à 
droite,  en  sortant  de  Smyrne,  après  le  grand 
champ,  on  tourne  à  gauche.  Au  milieu  du  chemin 
passe  une  Grecque  en  vêtement  blanc,  nu-pieds, 
nu-col,  nu-tête;  je  ne  me  rappelle  plus  ses  traits, 
mais  c'était  d'un  très  grand  stjle  comme  ensemble. 
—  Route  pavée  entre  des  verdures,  elle  incline  à 
droite. 


30  NOTES  DE  VOYAGES. 

BouRNABAH ,  petite  ville  au  pied  de  la  montagne, 
maisons  de  campagne  des  commerçants  levantins. 

—  Deux  très  grands  cjprès  dans  un  jardin  qui 
a,  sur  le  devant,  une  maison  blanche.  —  Entrée 
ridicule  que  je  fais  dans  le  jardin  d'un  certain 
gros  M.  Nicolazzi  (?)  qui  me  dit  :  «  Misérable!  » 
en  me  montrant  des  choux  et  des  rosiers.  II  était  en 
habit  noir  et  en  pantalon  blanchâtre,  cheveux  ras, 
grosse  boule,  parlant  un  jargon  que  j'ai  pris  tour 
à  tour  pour  français,  anglais,  italien,  turc  et  grec. 

—  Nous  traversons  en  droite  ligne  toute  la  plaine, 
par  des  chemins,  entre  des  arbres,  plems  d'eau  à 
cause  de  la  pluie  des  jours  précédents;  nous  pa- 
taugeons dans  la  terre  labourée  par  places,  nous 
baissons  la  tête  pour  passer  sous  des  arbres.  Plan- 
tations nombreuses.  Nous  coupons  la  route  qui 
mène  à  N  jmphio  ;  par  une  pente  escarpée  on  monte 
au  village  de  Cacoutjath. 

Cacoutjath.  —  Vue  de  toute  la  plaine  :  au 
premier  plan,  verdure  des  oliviers;  en  face,  mon- 
tagne d'un  ton  roux  très  pâle;  adroite,  montagnes 
bleues  de  Nymphio;  à  gauche,  la  mer,  ardoise, 
et  Smjrne  blanc  avec  ses  toits  rouges.  Le  ciel  est 
froid,  bleu,  clair. 

Dans  le  village,  ancienne  mosquée^  de  même 
construction  que  la  petite  mosquée  d'Ephèse.  Je 
monte  droit  toute  la  montagne  (c'est  dans  ces 
environs  qu'il  y  a  deux  jours  on  a  arrêté  et  volé 
deux  jeunes  gens  de  Smjrne  qui  chassaient)  et 
je  retombe  sur  Boudja. 

Retour  à  Smjrne  par  une  descente  pavée. 

Mont  Pagus.  —  Montée  du  mont  Pagus.  — 
Petit  cimetière.  —  Peu  à  peu,  Smjrne  grandit  à 
mes  pieds,  la  nuit  vient.  J'entre  dans  la  forteresse 


ASIE  MINEURE.  3  I 

par  une  des  anciennes  portes;  dans  la  cour  inté- 
rieure, une  petite  mosquée,  de  l'herbe  partout;  je 
n'ai  pas  le  temps  de  voir  s'il  y  a  quelque  chose 
à  voir,  la  nuit  tombe  et  je  regarde  le  coucher  du 
soleil.  Je  n'en  ai  pas  encore  vu  de  si  diversement 
beau,  à  cause  des  découpures  du  golfe  et  des 
montagnes  :  à  gauche,  derrière  les  montagnes 
des  Deux-Frères,  bleu  ardoise  sombre;  au-dessus, 
le  ciel  est  empourpré,  vermeil;  du  côté  de  Bour- 
nabah,  les  montagnes  sont  blondes  de  tous  les 
blonds  possibles,  puis  roses,  rouges...  O  mon 
Dieu!  mon  Dieu!...  !!!...??? 

Je  m'en  reviens,  je  traverse  le  petit  champ  des 
morts,  en  pente,  et  je  rentre  dans  la  ville  par  le 
quartier  juif  et  turc.  Rues  étroites,  la  pluie  des 
jours  passés  fait  des  rivières  entre  l'espace  des  deux 
trottoirs  des  rues;  petites  lampes  allumées  aux 
boutiques;  foule  grouillante.  Approche  de  l'hi- 
ver, froid.  Quelques  maisons  éclairées,  gens  qui 
entrent,  gens  qui  sortent,  de  la  mangeaille,  des 
chiens  et  des  enfants  sur  les  portes,  intérieurs 
sombres. 

Jeudi  y  novembre.  —  Promenade  à  Cordelio  avec 
Stéphany.  —  On  suit  la  route  de  Cassaba,  puis  on 
tourne  à  gauche  comme  pour  aller  à  Bournabah, 
et  on  la  quitte  pour  prendre  à  gauche,  au  bout  de 
quelque  temps.  Chaussée  pavée,  grand  marais 
salin  au  bord  de  la  mer,  petites  criques.  A  droite, 
montagnes  nues;  à  gauche,  au  premier  plan,  la 
mer;  Smyrne  de  l'autre  côté  du  golfe;  en  face  de 
nous,  les  verdures  de  Cordelio.  —  Passe  dans 
les  rochers;  à  l'entrée  un  laurier-rose.  Je  m'arrrête 
là  à  regarder  les  chameaux  qui  viennent. 

Halte  à  un  café,  servi  par  un  jeune  homme 


32  NOTES  DE  VOYAGES. 

nègre,  boiteux.  —  Levantins  smyrniotes  en  partie 
de  campagne,  avec  une  flûte  et  un  violon.  — 
Nous  faisons  le  tour  du  pays. 

Halte  à  un  café,  bâti  sur  pilotis  dans  la  mer. 

A  travers  champs,  fossés  et  marais,  Stéphanj 
me  conte  des  histoires  de  sorcier  :  il  à  vu  à  Bey- 
rout  un  sorcier  qui  faisait  venir  à  travers  les  airs, 
de  Damas  à  Bejrout,  une  fille  sur  son  lit;  il  finit 
pourtant  par  m'avouer  qu'il  n'a  vu  que  le  nuage 
qui  enveloppait  la  jeune  fille,  ou  même  qu'un 
nuage,  A  Smyrne,  on  croit  beaucoup  au  sorti- 
lège, aux  enchantements;  quant  à  lui,  il  n'accep- 
terait jamais  une  tasse  de  café  ou  un  verre  d'eau 
d'une  jeune  fille,  de  peur  d'être  forcé  malgré  lui 
à  l'aimer.  Une  jeune  personne,  amie  de  M"*  Ca- 
mescasse,  m'a  dit  que  celui  qui  cueillait  les  feuilles 
du  Ligaria  se  faisait  aimer  de  la  personne  qu'il 
aime  ;  j'en  ai  souvent  cueilli  sans  y  songer,  je  cherche 
à  savoir  qui  m'aimera.  O  vertu  de  la  plante!  comme 
je  t'aurais  bénie  dans  ma  jeunesse! 

Nous  revenons  à  Smyrne  en  trois  quarts  d'heure , 
temps  de  galop  brillants.  —  Le  soir,  dîner  chez  le 
docteur  Ballard.  —  M""^  Matron,  grosse  bonne 
de  Smjrne,  en  robe  verte,  bonnet,  gants  blancs, 
trois  mentons,  et  le  nez  pointu  quoique  épaté  de 
la  base.  —  Après  le  dîner,  au  théâtre,  «  il  signor 
Nicosia  »,  grec,  violoniste  à  longs  cheveux  et  qui 
met  son  mouchoir  dans  la  pocne  de  son  panta- 
lon; Webber,  ivre  et  troublant  la  salle  de  spec- 
tacle; présentation  à  M.  Daiglemont,  en  robe  de 
chambre,  quelle  cordelière!  et  à  M.  Desbans,  œil 
du  sieur  Desbans,  paletot  du  sieur  Andrieu.  Nous 
revoyons  la  Seconde  année  de  Scribe  ! 

De  Smyrne  a  Constantinople.  —  Vendredi  8^ 


ASIE  MINEURE.  33 

départ  pour  Constantlnople  sur  YAsia  de  la  Com- 
pagnie du  LIojd.  —  Weber  est  ému  d'un  déjeuner 
qu'il  vient  d'avoir  avec  Oscar. 

Passagers  :  M.  Constant,  gros  et  bon  brutal 
Américain;  M""^  Constant,  petites  boucles  d'oreilles 
en  diamant;  son  fils,  maniaque  de  la  lorgnette; 
Oscar;  un  gros  armateur  de  Trieste,  charpenté, 
en  redingote  jaune  blanc,  figure  de  bouledogue, 
insipide;  M.  Peyret,  français  établi  à  Constan- 
tinople;  sa  femme  en  coiffure  grecque,  lèvres 
boudeuses  et  suceuses,  pelisse  jaune;  gros  Armé- 
nien bon  enfant,  qui  nous  donnait  des  prises  de 
tabac  (nous  favons  rencontré  aujourd'hui  dans  la 
cour  du  tekeh  des  derviches  tourneurs),  il  avait 
la  figure  toute  bleue,  ce  qui  venait  d'un  mouchoir 
en  toile  ' peinte  tout  neuf,  dont  il  se  servait;  sa 
fille,  Arménienne  viandée,  à  cheveux  noirs,  venait 
avec  lui  à  Constantinople  chercher  une  femme 
pour  son  frère;  Aline  Duval;  le  gouverneur  de 
Samos. 

Je  suis  sorti  de  ma  cabine  et  j'ai  vu  Ténédos 
à  gauche,  derrière  moi;  plus  en  remontant,  Lem- 
nos. 

Sur  le  rivage  à  droite,  buttes  de  terre;  on  vous 
en  montre  une  que  Ton  dit  le  tombeau  de  Patrocle. 
Le  rivage  est  bas,  mais  c'est  dans  un  admirable 
pajs;  je  ferai,  coûte  que  coûte,  le  voyage  de  la 
Troade.  (Voilà  ce  que  j'écrivais!).  A  gauche, 
nous  avons  fEurope.  —  Aller  d'ici  à  Venise,  par 
terre,  ce  serait  un  voyage! 

Dardanelles.  —  Samedi  ç  et  dimanche  10  no- 
vembre, quarantaine  aux  Dardanelles,  nous  restons 
à  bord.  Quel  jambon  que  le  jambon  croate  de 
YAsia  ! 


34  NOTES  DE  VOYAGES. 

Lundi  II.  —  Le  matin  nous  descendons  dans 
le  village  des  Dardanelles,  côte  d'Asie.  —  Prome- 
nade en  famille,  pataugeant  dans  la  boue  des  rues, 
qui  sont  du  reste  assez  larges  et,  pour  des  rues 
turques,  en  hiver  peu  boueuses!  —  Visité  deux 
potiers.  On  fabrique  ici  de  grandes  jarres  vertes, 
vernies,  avec  des  fleurs  d'or  par-dessus  et  pouvant 
à  la  rigueur  servir  de  pots;  il  J  a  des  monstres 
fantastiques,  se  rapprochant  du  Martichoras  (ou 
plutôt  de  TAIborak!).  —  Nous  menons  M"*  Cons- 
tant dans  un  grand  café  propret,  chauffée  par  un 
manggal;  un  Turc  se  lève  pour  la  saluer  quand 
elle  entre.  Ce  café  est  en  même  temps  la  boutique 
d'un  barbier  et  d'un  dentiste.  —  Nous  tâchons 
vainement  d'entrer  dans  la  forteresse. 

Pendant  toute  la  traversée  des  Dardanelles,  je 
pense  à  Bjron;  c'est  là  sa  poésie,  son  Orient, 
Orient  turc,  à  sabre  recourbé;  sa  traversée  à  la 
nage  était  rude. 

Gallipoli.  —  Le  soir,  à  2  heures,  arrêtés  à  Gal- 
hpoh.  II  j  a  là  un  petit  port  avec  beaucoup  de 
petits  navires  tassés  dedans;  la  mer  est  assez  forte, 
ça  remue. 

Au  delà  de  la  ville,  aspects  de  campagne  tran- 
quilles et  européens,  ciel  gris  et  froid,  poules  qui 
picorent  dans  un  champ  labouré.  —  Vieille  forte- 
resse dominant  le  pays  et  oii  nous  nous  promenons , 
mais  nous  laissons  la  compagnie  de  son  côté  et 
nous  faisons  le  tour  du  pays  tout  seuls.  Nous  tra- 
versons un  cimetière  011  il  j  a  une  vache,  Stéphanj 
demande  sa  route  à  des  femmes  turques  assises  sur 
le  seuil  d'une  maison  (fabriques  de  tombes)  qui 
est  au  milieu  du  cimetière.  Café  sur  le  port  :  deux 
hommes,  dans  un  coin  à  ma  gauche,  sont  en  af- 


ASIE  MINEURE.  3  5 

faires,  l'un  en  robe,  veste,  et  barbe  noire,  parlant 
très  vite,  avec  volubilité. 

Retour  à  bord  et  partis. 

Arrivée  à  Constantinople.  —  Mardi  12  no- 
vembre, à  7  heures  du  matin,  nous  apercevons 
Constantinople.  —  Iles  des  Princes,  adroite  :  elles 
ont  l'espect  désert;  à  gauche,  le  château  des  Sept- 
Tours,  puis  longues  files  de  maisons  blanches; 
à  droite,  Scutari,  une  foret  au-dessus  :  c'est  le 
grand  champ  des  morts;  le  Bosphore  devant  nous; 
Nez-du-Sérail  à  gauche,  palais  dans  la  verdure; 
par  derrière,  dômes  et  minarets.  On  tourne  cette 
pointe  et  l'on  entre  dans  la  Corne-d'Or,  golfe 
entre  Stamboul  et  Péra  :  c'est  une  mer  peuplée 
de  vaisseaux  et  gâtée  seulement  par  deux  ponts 
en  bois. 

Tandis  que  nous  stoppons  avant  de  débarquer, 
mine  d'un  caidji  dans  son  caïque,  qui  se  promène 
autour  de  nous  :  veste  bleue,  tarbouch,  cheveux 
noirs,  figure  avancée,  souriant  un  peu.  Une 
caravelle  a  passé  tout  près  de  nous,  côté  bâbord, 
nous  lui  avons  fait  signe  qu'elle  allait  le  heur- 
ter, il  nous  a  répondu  par  un  sourire  de  fatuité 
accompagné  d'un  la  de  tête,  muet,  plein  de 
confiance. 

Fini  de  copier  ces  notes  le  samedi  soir, 
minuit  sonnant,  19  juillet  1851,  à  Croisset, 


CONSTANTINOPLE 


CONSTANTINOPLE'". 


NOUS  débarquons  à  l'embarcadère  de  Top- 
Hana,  nous  montons  la  petite  rue  de 
Péra.  —  Hôtel  Justiniano. 
Tour  de  Galata.  —  Escalier  intérieur  qui  donne 
sur  des  planchers  en  bois;  en  haut,  café  tenu  par 
les  guetteurs  de  nuit.  Nous  voyons  là  les  piques 
qu'ils  portent  à  la  main,  lorsqu'ils  courent  la  nuit 
aux  incendies.  Circulant  autour  du  parapet,  il  me 
semble  que  la  tour  remue  par  la  base  et  s'incline 
par  le  sommet,  comme  un  mât  de  navire  sur  lequel 
je  serais  posé  :  c'était  sans  doute  le  mouvement 
de  la  mer  qui  continuait  en  moi. 

Promenade  dans  le  bas  quartier  de  Galata  : 
rues  noires,  maisons  sales,  salles  du  rez-de-chaus- 
sée; violon  aigre  qui  fait  danser  la  romaïque; 
jeunes  garçons  en  longs  cheveux  qui  achètent  des 
dragées  à  des  marchands.  —  A  la  nuit  tombante, 
promenade  dans  le  cimetière  de  Péra  :  tombe  d'une 

(''  Voir  Correspondance,  II,  p.  5  et  suivantes. 


4o  NOTES  DE  VOYAGES. 

jeune  fille  française  qui  s'est  empoisonnée  pour 
ne  pas  épouser  un  homme  que  son  père  lui  desti- 
nait, il  l'avait  même  introduit  dans  sa  chambre. 
Ces  histoires  d'empoisonnement  par  amour  sont 
fréquentes  à  Smvrne,  où  l'on  s'occupe  beaucoup 
de  galanteries.  Stéphanj  nous  dit  que  dans  ce 
cimetière,  le  soir  très  tard  ou  le  matin  de  très 
bonne  heure,  les  p. ..  turques  viennent  s'y  faire 
b. . . ,  par  les  soldats  particulièrement.  Entre  le  ci- 
metière et  une  caserne  que  l'on  bâtit  à  gauche, 
vallon;  dans  ce  vallon,  des  moutons  broutaient. 

Le  soir,  nous  allons  voir  la  Lucia,  représentée 
convenablement.  —  Oscar  dans  la  loge  de  l'amant 
de  la. prima  donna.  —  M,  Constant  et  sa  femme,  en 
chapeau  blanc;  à  côté  d'eux  Aline  Duval,  en  cha- 
peau rose  avec  un  voile  noir. 

Mercredi,  nous  avons  passé  le  pont  de  Galata 
pour  aller  de  l'autre  côté,  à  Stamboul.  Sur  le  pont, 
rencontré  un  Indien  richement  vêtu,  de  couleurs 
vertes  et  or;  il  marche  doucement  sous  un  para- 
pluie, quoiqu'il  n'y  ait  guère  de  soleil,  et  porte  un 
binocle  en  écaille;  il  a  habité  trois  ans  la  France. 

Bazars  :  me  semblent  sans  fin.  —  Ludovic.  — 
Ecrivains  dans  de  petites  boutiques,  oia  nous  fai- 
sons écrire  le  nom  de  Bouilhet.  —  Nous  allons 
donner  à  manger  aux  pigeons  de  la  mosquée  de 
Bajazet  (Baiezidiej),  ils  s'abattent  de  tous  les  côtés 
de  la  mosquée.  —  Bruit  du  grain  qui  tombe  sur 
eux  et  les  fait  s'envoler  un  peu,  quand  on  le  leur 
jette.  Un  homme  est  là,  près  d'un  coffre  plein  de  J 
grain,  où  il  le  puise  avec  une  tasse.  oH 

Jeudi.  —  Été  à  Scutari.  —  Rue  en  pente  et  dé-  ^ 
serte,  café  à  l'entrée  du  champ  des  morts,  où  nous 
attendons  l'heure  d'entrer  chez  les  hurleurs. 


CONSTANTINOPLE.  4  ' 

Tekeh  des  derviches  hurleurs.  —  Pièce  carrée, 
balustrade  tout  autour.  Sur  la  muraille  du  côté  oii 
est  le  Merab,  instruments  de  supphce  à  l'usage 
des  hurleurs  :  longues  broches  terminées  par  une 
espèce  de  palette  recourbée  et  espèces  de  coins 
ronds  terminés  par  des  pointes;  de  la  partie  supé- 
rieure du  cône,  chaînettes.  Sur  des  planches  tout 
autour  sont  rangés  de  grands  tambours  de  basque, 
des  cymbales  et  de  petits  tambourins.  On  a  com- 
mencé par  des  prières.  —  Iman,  vieillard  grison- 
nant; son  fils,  figure  impassible,  joues  un  peu 
bouffies,  nez  régulier,  droit,  un  peu  de  petite  vérole 
au  bout,  robe  verte  garnie  de  fourrure  de  renard, 
immobile  dans  sa  pose  à  genoux.  —  La  file  s'est 
ébranlée  :  pas  de  costume  particulier,  il  y  avait 
dedans  des  soldats  turcs,  plusieurs  vêtus  à  l'eu- 
ropéenne. —  Le  chef  d'orchestre,  petit,  noir,  re- 
muant tout  et  menant  tout  ;  le  chef  des  cérémonies , 
gros  bonhomme  en  robe  puce,  ressemblait  un 
peu  à  Soliman-Pacha.  —  Un  vieux,  rien  qu'avec 
son  takieh,  assis  par  terre  et  chantant.  —  Jeune 
homme  en  pantalon,  en  petit  turban,  ressemble 
à  Bierj,  s'est  mis  à  la  fin  à  pleurer  à  chaudes 
larmes. 

Cela  m'a  semblé  plus  musical  que  ceux  que 
nous  avions  vus  au  Caire,  la  voix  de  dessus 
dominant  et  passant  à  travers  les  hurlements.  Un 
moment,  ça  a  ressemblé  au  bruit  du  piston  d'une 
machine  à  vapeur;  d'autres  fois,  en  fermant  les 
yeux,  à  deux  ou  trois  lions  en  cage  et  rugissant. 
—  Vers  la  fin  de  la  cérémonie,  malades  venant  se 
faire  marcher  sur  l'endroit  malade  par  l'iman  ;  aux 
petits  enfants,  il  faisait  seulement  des  passes  avec 
la  main  et  les  insufflait. 


42  NOTES   DE  VOYAGES. 

Promenade  dans  le  cimetière  de  Scutari.  — 
Descendus  par  la  grande  rue.  —  Traversée  en 
caïque,  qui  manque  de  sombrer  à  chaque  lame; 
nous  en  voyons  flotter  à  l'eau  un  à  qui  cet  accident 
vient  d'arriver,  plusieurs  hommes  qui  le  montaient 
se  sont  noyés.  —  Vue  d'un  milord  doré  qui  ap- 
partient à  Sa  Hautesse,  chevaux  enharnachés  d'ar- 
gent lourd. 

Vendredi  i^. — Tourneurs  deGalata,  tekeh  rond, 
galerie  autour  en  bas  et  en  haut,  petites  lampes 
et  lustres  de  verre  :  ça  a  l'air  bastringue.  —  Iman, 
vieillard  en  robe  verte.  —  Procession  à  la  file, 
17  derviches,  ils  saluent  le  Merab  après  l'avoir 
passé  et  se  saluent  eux-mêmes.  Bientôt  la  ronde 
commence.  Cela  n'est  pas  assez  vanté  :  chacun  a 
une  extase  particulière,  vous  pensez  aux  rondes 
des  astres,  au  songe  de  Scipion,  à  je  ne  sais  pas 
quoi?  Un  jeune  homme,  les  bras  tout  levés  et  la 
figure  perdue  de  volupté;  un  autre  qui  ressem- 
blait à  un  archange,  avec  un  air  d'autorité;  un 
vieux,  pointu,  à  barbe  blanche;  un  de  teint  blanc 
jaune  (maladie  de  cœur?),  de  même  teinte  morte 
que  son  bonnet  de  feutre.  Nul  étourdissement 
quand  ils  s'arrêtent.  —  Mouvement  de  leur  robe 
qui  tourne  encore  et  les  drape. 

Samedi  16,  visite  au  général  Aupick,  ambassa- 
deur. —  Reçu  celle  de  M.  Fauvel.  —  Accident 
arrivé  à  un  de  mes  commensaux,  M.  de  Noary,' 
qui  a  laissé  tomber  à  l'eau  un  sac  contenant 
80,000  piastres. 

Dimanche  77.  —  Le  matin  Bezestain  fermé  aux 
trois  quarts,  les  Grecs  et  les  Arméniens  et  quan- 
tité de  Turcs  faisant  dimanche.  —  Déjeuner 
dans  un  café  avec  du  Rebab;  le  froid  nous  y  fait 


COx\STAxNTINOPLE.  43 

grelotter.  —  Le  soir,  dîner  chez  le  D"^  Fauveï.  — 
MM.  Danglars,  Mangln,  etc. 

Lundi  i8.  —  Partis  le  matin  (après  avoir  at- 
tendu deux  heures,  à  l'Hotel  d'Angleterre,  avec 
M.,  M"""  Constant  et  leur  fils,  le  «petit  femme 
grecque»,  MM.  Portier,  Péhssier  qui  trimbale 
ses  bottes,  et  M"*  Navie,  grosse  femme  armé- 
nienne, plaquée  de  fard  et  qui  fait  l'œil  jouisseur 
quand  on  passe  devant  elle),  Hamehn  (des  An- 
deljs),  Hoffmann,  docteur  en  droit,  vêtu  d'un 
tarbouch  porté  sur  le  derrière  de  la  tête.  Nous 
entrons  dans  le  Vieux  Sérail  par  la  porte  de  Top- 
Kapou  (=  porte  du  canon),  longue  avenue  plan- 
tée; les  arbres  sont  enguirlandés  de  vigne.  Après 
avoir  défait  nos  chaussures,  nous  montons  dans  les 
appartements,  pièces  ovales  donnant  sur  le  Bos- 
phore. On  voit  naviguer  à  pleines  voiles  les  vais- 
seaux. Aux  murs,  pilastres  en  plâtre,  rideaux  de 
moussehne;  housses  en  perse  ou  en  cahcot,  ameu- 
blement et  ornementation  mesquine,  qui  jure  avec 
la  délicieuse  forme  architecturale  des  appartements 
et  leur  position.  —  Galerie  longue,  sur  le  mur  de 
laquelle  gravures  modernes  et  un  tableau  de  Gudin. 
—  Salles  de  bain  en  marbre  blanc,  robinets  de 
cuivre  (!);  c'est  du  reste  ce  qu'il  y  a  de  mieux, 
avec  une  pièce  du  rez-de-chaussée  oia  il  j  a  divan 
et  vasque  au  miheu. 

Les  jardins,  compris  entre  les  différents  corps 
de  bâtiment  du  Vieux  Sérail,  sont  taillés  en  petits 
jardinets  rococo.  Rien  ne  répond  moins  à  l'idée  du 
jardin  oriental,  mais  rien  ne  répond  mieux  à  celle 
qui  nous  est  représentée  dans  les  gravures  an- 
ciennes, où  l'on  voit  le  sultan  avec  l'odahsque, 
existence  resserrée,  mesquine,  fardée,  sans  gran- 


^4  NOTES  DE  VOYAGES. 

deur  ni  volupté;  c'est  enfantin  et  caduc,  on  y  sent 
l'influence  de  je  ne  sais  quel  Versailles  éloigné, 
apporté  là  sans  doute  par  je  ne  sais  quel  ambas- 
sadeur en  perruque,  vers  la  fin  de  Louis  XIV. 

Les  appartements  sont  de  couleurs  difi'érentes, 
l'un  blanc,  l'autre  noir,  l'autre  rose,  etc.;  dessus 
de  cheminées  en  cuivre  taillé  à  jour.  —  Biblio- 
thèque dans  une  autre  cour  en  face.  —  Collège 
des  Icoglans;  nous  voyons  plusieurs  de  ces  jeunes 
drôles,  dont  la  plupart  serviront  plus  tard  au 
sultan.  —  Manuscrits  entassés  dans  une  armoire. 
Par  terre,  on  nous  déroule  une  pancarte  sur  la- 
quelle sont  peints  les  portraits  des  sultans,  affreux 
petits  bonshommes  en  turban,  et  accroupis  sur 
des  divans. 

Salle  du  trône  :  fenêtre  grillée,  appartement 
sombre.  Le  trône  est  un  baldaquin  destiné  à  ren- 
fermer un  divan,  admirable  chose  en  argent  doré, 
incrusté  partout  de  diamants  et  de  pierres  pré- 
cieuses, vrai  luxe  oriental  s'il  en  fut!  La  bordure 
du  baldaquin,  partie  comprise  entre  l'arc  et  la 
corniche,  est  ornée  et  terminée  par  des  sortes 
de  petit  arcs,  terminés  par  des  sortes  de  glands 
du  plus  gracieux  effet  du  monde.  —  Cuisines, 
rien  de  curieux.  —  Arsenal  dans  l'ancienne  église 
Sainte-Irène.  —  Belle  salle  d'armes  en  dôme, 
voûtée,  avec  nefs  pleines  de  fusils  en  mauvais 
état;  au  fond,  à  l'étage  supérieur,  armes  anciennes 
et  d'un  prix  inestimable,  casques  persans  damas- 
quinés, cottes  de  mailles,  communes  la  plupart, 
grandes  épées  normandes  à  deux  mains.  —  Sabre 
de  Mahomet,  droit,  large  et  flexible  comme  une 
baleine,  la  garde  recouverte  d'une  couverture  en 
peau  verte;  tout  le  monde  l'a  prise  et  brandie,  moi 


CONSTANTINOPLE.  4  5 

seul  excepté.  —  On  nous  montre  aussi,  sous 
verre,  les  clefs  des  villes  prises  par  les  sultans.  — 
Vieilles  espingoles  à  bois  usé,  noir,  culotté,  trom- 
blons  épatés,  toute  l'artillerie  fantastique  et  lourde 
d'autrefois.  —  Machine-Fieschi. 

II  y  a  aussi  au  Sérail  un  musée  d'antiques  :  une 
statuette  de  comédien  avec  le  masque;  quelques 
bustes,  quelques  pots,  deux  pierres  avec  figures  et 
caractères  égyptiens.  —  Nous  sortons  par  Ta  porte 
qui  donne  sur  la  place  de  Sainte-Sophie.  —  Dé- 
jeuner dans  un  café  pendant  que  le  reste  de  la 
société  tâche  de  voir  la  Monnaie. 

Sainte-Sophie,  amalgame  disgracieux  de  bâti- 
ments, minarets  lourds;  elle  est  repeinte  en  blanc 
et  ceinte  de  place  en  place  de  bandes  rouges.  Nous 
entrons  par  une  porte  de  la  cour  extérieure  qui 
fait  l'angle  de  la  place  et  de  la  rue,  à  toit  avancé, 
retroussé.  A  l'église  même,  porte  de  bronze  laté- 
rale sur  laquelle  on  reconnaît  les  marques  d'une 
croix.  Le  vaisseau  est  d'une  hauteur  écrasante  qui 
n'est  surpassée  que  par  celle  du  dôme  couvert 
de  mosaïque.  De  la  galerie  du  premier  étage,  les 
lampes  suspendues  ont  l'air  de  toucher  à  terre  et 
Ton  ne  sait  comment  les  hommes  peuvent  passer 
dessous.  Ancienne  porte  murée  sur  le  côté  droit. 
Aux  quatre  coins  du  dôme,  chérubins  gigantesques. 
— •  Arcades  romanes  (voilà du  byzantin!),  feuilles 
de  fougère.  —  Les  dalles  couvertes  de  nattes.  — 
Deux  drapeaux  verts  des  deux  côtés  du  Nimbar;  à 
l'entrée  de  la  mosquée  petites  vasques  à  ablutions. 

Achmet,  à  côté  de  la  place  de  l'Hippodrome, 
entourée  d'arbres,  6  minarets.  Bien  plus  belle 
d'extérieur  qu'à  fintérieur,  piliers  lourds,  énormes, 
cannelés  en  bosse,  toute  blanche. 


4.6  NOTES  DE  VOYAGES. 

Orosmane.  —  On  dirait  Lazer,  je  n'ai  pu  la  bien 
voir.  Dans  un  coin,  sous  des  arbres,  sarcophage 
insignifiant  que  l'on  prétend  être  celui  de  Cons- 
tantin. 

Barezed.  —  Pigeons.  —  Une  négresse  leur  a 
apporté  à  manger  de  la  part  de  sa  maîtresse  qui 
est  malade.  —  Idem  aux  hurleurs.  C'était  un  vase 
d'eau  que  l'on  devait  toucher  et  msuffler.  Comme 
la  mosquée  était  pleine  de  monde,  nous  n'avons 
pu  la  voir. 

Soiimanieh,  charmante,  toute  couverte  de  tapis, 
vitraux  persans  au  fond.  Çà  et  là  une  école  avec 
son  maître,  qui  criait  et  exphquait  tout  haut,  argu- 
mentant et  se  répondant  à  lui-même.  —  Disciples 
autour,  hommes  couchés  sur  le  coude  et  qui  étu- 
diaient. —  Coffres  en  dépôt  dans  un  coin,  ou 
plutôt  sur  tout  le  côté  qui  est  en  face  du  Merab. 
Comme  existence  musulmane  calme  et  studieuse, 
c'est  ce  que  j'ai  encore  vu  de  mieux  avec  Elazar  du 
Caire;  mais  ici  c'est  plus  recueilli  et  plus  tran- 
quille. 

Turbehs.  —  Sont  des  salons  dans  lesquels,  sur 
des  tapis,  sont  des  tombeaux  recouverts  de  cache- 
mires magnifiques,  surtout  dans  celui  de  Mah- 
moud, bande  de  mousseline  sur  lequel  est  écrit  le 
Koran  entier  de  sa  main.  (Le  matin,  au  Serai,  dans 
une  armoire,  son  admirable  encrier.)  Dans  celui 
de  Bajazet,  on  nous  montre  sa  chemise,  sa  cein- 
ture, que  l'iman  baise  devant  nous.  —  Turbans 
sur  les  tombeaux,  avec  des  aigrettes.  —  L'appar- 
tement est  toujours  clair  et  propret,  blanc  et  plein 
de  lampes  luisantes,  inondé  de  jour.  Autour  du 
Sultan,  sa  famille,  petites  tombes  d'enfants  en 
grande  quantité,  draps  de  velours  brodé  d'or. 


CONSTANTINOPLE.  47 

Turbeh  de  Soliman. —  Allée  d'arbres,  plan  de 
la  Mecque,  les  hommes  figurés  par  des  petits 
clous,  marchant  deux  à  deux. 

Mardi  iç.  —  Le  matin  visite  d'un  tourneur,  le 
beau  jeune  homme  qui  tourne  avec  une  expression 
si  navrante  de  volupté  mystique.  II  nous  dit  que 
tous,  dans  son  ordre,  boivent,  quelques-uns  s'en 
font  mal;  il  n'éprouve  nullement  de  vision  béate, 
mais  seulement  demande  à  Dieu  la  rémission  de 
ses  péchés;  le  Diable  ne  peut  entrer  en  eux  quand 
ils  tournent  ainsi.  L'apprentissage  dure  de  vingt 
à  quarante  jours,  ils  s'exercent  sur  un  disque  posé 
sur  un  pivot.  Selon  lui,  la  corruption  est  main- 
tenant à  son  maximum,  autour  de  lui  il  ne  voit 

que  p :    «Qu'est-ce  que   fait    un   Turc?    II 

prend  une  femme,  la  b. ..  trois  jours;  puis  il  voit 
un  jeune  garçon,  lui  soulève  son  bonnet,  le  prend 
chez  lui  et  quitte  la  femme,  qui  se  fait  ...  par  le 
jeune  garçon  !  !  !  »  L'ordre  des  tourneurs  me  paraît 
très  tolérant  :  la  véritable  Mekke,  selon  eux,  est 
dans  le  cœur;  ils  ne  refusent  aucune  explication 
ni  communication  avec  les  giaours.  Selon  ce  der- 
viche, le  nombre  des  pèlerins  diminue  sensible- 
ment et  les  mosquées  deviennent  vides. 

Le  soir,  nous  avons  été  encore  une  fois  les  voir 
tourner;  même  chose  que  la  fois  précédente.  Ce 
n'est  pas  devant  le  Merab  qu'ils  saluent,  mais 
devant  la  chaise  de  l'iman,  et  c'est  eux-mêmes 
qu'ils  saluent.  Chacun  part  les  bras  croisés  sur  la 
poitrine,  fait  quelques  tours,  puis  les  détend. 
(Notre  ami  est  capable  de  tourner  les  bras  croisés 
six  heures  de  suite.)  Ils  tournent  sur  le  pied 
gauche,  le  droit  envahissant  par-dessus,  la  pointe 
du  droit  décrivant,  pendant  que  le  gauche  tourne, 


48  NOTES  DE  VOYAGES. 

un  demi-cercle  pour  aller  rejoindre  celui-ci.  Ces 
derviches  sont  mariés,  quelques-uns  exercent  des 
métiers.  Ils  sont  à  peu  près  300  en  tout,  dans 
l'Empire  ottoman.  —  Bruit  de  leurs  mains  tombant 
toutes  ensemble  par  terre  lorsqu'ils  s'agenouillent. 

A  6  heures  et  demie  du  soir,  dîner  turc. 
M""*  Constant  à  ma  droite,  en  robe  de  soie,  sen- 
tant le  cold  cream,  charmante  et  mangeant  très 
résolument  avec  ses  doigts;  M.  Constant  s'empifFre 
gaiement  et  M.  Portier  silencieusement;  M.  Ko- 
sielski  à  ma  gauche.  Après  le  dîner,  Robert  le  Diable 
dans  la  loge  de  M.  Constant;  à  côté  de  son  épouse, 
je  hume  son  essence  de  mousseline  et  son  linge 
blanc.  Drôle  de  ville  que  celle-ci,  où  l'on  sort  des 
tourneurs  pour  aller  à  l'opéra!  les  deux  mondes 
sont  encore  à  peu  près  mêlés,  mais  le  nouveau 
l'emporte;  même  dans  Stamboul,  le  costume  euro- 
péen domine,  pour  les  hommes  seulement,  il  est 
vrai  ! 

Mercredi.  —  Le  matin,  course  au  Bezestain,  où 
nous  achetons  des  bouquins,  des  pipes.  Quoiqu'il 
soit  ouvert,  le  Bezestain,  en  fait  d'antiquités,  me 
paraît  assez  maigre;  il  y  a  beaucoup  de  gibernes 
dorées  et  de  sabres  modernes.  Acheté  des  lanternes 
turques,  dont  les  vendeurs  sont  auprès  de  la  Suli- 
manieh.  Dans  la  cour  de  la  mosquée,  dispute  de 
femmes  nègres  et  de  cawas;  une  surtout,  grande, 
à  la  peau  nubienne,  les  joues  coupées  longitudi- 
nalement  de  coups  de  couteau,  criait  en  montrant 
ses  dents  blanches  et  gesticulait  avec  ses  grandes 
manches.  Manteau  couleur  tabac  d'Espagne. 

Jeudi.  —  Promenade  autour  des  murailles  de 
Constantinople,  avec  M.  Kosielski  qui  nous  rejoint 
sur  le  pont  de  Mahmoud;  nous  prenons  des  che- 


CONSTANTINOPLE.  4? 

vaux  au  bout  du  pont.  —  Traversé  le  Phanar, 
grande  arcade,  sous  laquelle  on  passe.  —  Maison 
à  mâchicoulis. 

Balata.  —  Quartier  juif.  —  Le  grand  cimetière 
de  Stamboul,   immense;  on  n'en  finit  plus;   in- 
finité de  tombes  et  de  cyprès.  Nos  chevaux  passent 
à  travers  et  dessus.  —  Pelouse  jonchée  de  tom- 
beaux grecs,  les  Phanariotes  sont  là,  les  descen- 
dants des  Comnène  et  des  Paléologue.  —  Eglise 
Boulougli  (des  poissons)  :  des  femmes  embrassent 
à  la  porte  un  Saint  Nicolas,  la  place  de  tous  les 
baisers  a  sali  en  noir  le  panneau;  vendeurs  de 
cierges  en  quantité.  On  nous  montre  une  fontaine 
vers  laquelle  on  descend  par  plusieurs  marches 
et  qui  se  trouve  dans  une  petite  chapelle  souter- 
raine; l'eau  est  tellement  claire  que  nous  croyons 
d'abord  qu'il  n'y  en  a  pas,  c'est  quand  elle  s'est 
ridée  que  nous  nous  en  sommes  aperçus.  On  nous 
conte  la  légende   suivante  :   un  marin,  en   mer, 
vint  à  mourir;  avant  de  mourir  il  fit  promettre  au 
capitaine  de  la  barque  de  porter  son  corps  à  cette 
église  et  de  lui  en  faire  faire  trois  fois  le  tour.  Le 
capitaine  exécuta  sa  promesse,  le  mort  ressuscita 
et  resta  dans  le  couvent.  Le  bruit  de  ce  miracle 
vint  jusqu'en  Angleterre  oij  quelqu'un,  en  dou- 
tant, se  mit  en  route  pour  aller  voir  le  ressuscité; 
il  le  trouva  qui  faisait  frire  des  poissons  à  côté  de  la 
fontaine,  il  ne  voulut  pas  croire  au  miracle  et  dit  : 
«  Je  ne  croirai  pas  plus  ce  que  vous  me  dites  que 
je  ne  crois  que  ces  poissons  frits  puissent  renager  ». 
Ce  qui  fut  dit  se  fit,  ils  sautèrent  de  la  poêle  dans 
l'eau  et  se  remirent  à  nager.  En  effet  nous  voyons 
circuler  dans  l'eau  d'imperceptibles  petits  poissons. 
Les  murailles  de  Constantinople  sont  couvertes 

4 


50  NOTES  DE  VOYAGES. 

de  lierres  par  places.  —  Trois  enceintes.  —  Tours 
carrées  avec  des  ronces,  des  arbustes,  toute  la  pro- 
digalité des  ruines.  Les  murs  de  Constantinople 
ne  sont  pas  assez  vantés,  c'est  énorme!  Nous  pas- 
sons devant  la  Porte  Dorée,  murée,  et  le  château 
des  Sept-Tours,  nous  arrivons  devant  la  mer  agitée 
et  qui  rebondit.  Au  pied  du  mur,  à  notre  gauche, 
boucherie  en  bois  sur  pilotis,  odeur  infecte  se 
mêlant  à  celle  des  flots,  grand  vent,  quantité  de 
chiens  qui  rôdent  par  là;  des  oiseaux  de  proie  vol- 
tigent, poussent  des  cris,  tournoient,  s'abattent 
sur  les  flots.  —  Revenu  à  travers  tout  Stamboul  : 
maisons  en  bois,  coins  avec  de  la  verdure,  mou- 
charabiehs,  fenêtres  grillées  partout;  la  vie  turque 
grouiUante  et  tranquille.  Ça  me  rappeHe,  comme  ! 
à  Smjrne,  le  moyen  âge  chez  nous. 

Aqueduc  de  Valens,  haut,  orné  de  lierres,  tra- 
verse Stamboul  en  large;  les  maisons  sont  là,  en 
bas,  écrasées  par  lui.  Nous  revenons  au  bout 
du  pont  de  Mahmoud  et  nous  allons  chez  le  peintre 
persan,  qui  nous  montre  plusieurs  couvertures  de 
livres,  des  boîtes  et  des  encriers.  Khan  persan  : 
tapis  de  feutre  sur  lesquels  ils  sont  assis,  narguilehs 
en  bois  rouge  sculptés;  intérieur  sombre,  plein  de 
fumée,  les  Persans  avec  leur  haut  bonnet  pointu 
et  leur  nez  recourbé.  Je  ne  retrouve  pas  la  figure 
ronde,  les  yeux  sortis  et  les  énormes  sourcils  des 
images  persanes.  Tous  leurs  chevaux  (sur  les  pein- 
tures) ont  les  jambes  très  minces,  la  croupe  et  le 
ventre  énormes,  le  corps  en  cylindre.  Nous  retra- 
versons le  pont  de  Mahmoud  et  remontons  par  les 
quartiers  brocs  de  Galata  ;  la  nuit  est  presque  venue , 
nous  ne  voyons  aucun  drôle  sur  les  portes. 

Vendredi  22.  — Nous  allons  à  bord  de  la  petite 


I 


CONSTANTINOPLE.  J  I 

foélette  anglaise  voir  le  sauvetage  des  écus  de 
I.  de  Noarj;  il  nous  donne  à  tâter  son  pouls, 
qui  bat  très  fort  pendant  que  l'on  fait  les  prépara- 
tifs du  sauvetage.  —  Casque  de  l'homme  effrayant, 
ça  a  fair  d'une  énorme  bête  marine  fantastique, 
tenant  le  milieu  entre  l'ours  et  le  phoque,  sur- 
tout lorsqu'on  l'a  hissé  hors  de  feau  et  qu'il  se 
débattait  entre  le  canot  russe  et  la  goélette. 

Nous  prenons  un  caïque  à  deux  rameurs  vêtus 
de  chemises  de  soie  (le  premier  en  face  de  nous, 
suant  à  grosses  gouttes,  figure  d'un  officier  d'armée 
d'Afrique),  et  nous  remontons  la  Corne-d'Or. 
Après  le  pont  de  Mahmoud,  flotte  turque,  vais- 
seaux désarmés,  figures  de  lions  et  d'aigles  à  la 
proue.  —  Amirauté.  —  A  gauche,  Balata,  case- 
mate pour  les  canaux;  Ejub,  mosquée  enfoncée 
dans  les  bois,  cimetière.  La  Corne-d'Or  décrit  une 
courbe  :  barrières  dans  l'eau;  le  fleuve  (réunion 
du  Cydarès  et  du  Barbéris)  se  rétrécit,  prairies, 
kiosques  de  pachas,  grandes  herbes  sur  fherbe, 
place  de  verdure  où  Ton  descend,  arbres  à  mi-côte; 
avant  eux  cimetière  juif,  plus  loin  palais  du  Sultan. 
—  Femmes  dans  des  carrosses  dorés,  pâleur  natu- 
relle sous  leur  voile  ou  donnée  plutôt  par  leur  voile 
même  (?);  à  travers  leurs  voiles,  les  bagues  de 
leurs  mains,  les  diamants  de  leur  front.  Comme 
leurs  yeux  brillent!  Quand  on  les  regarde  long- 
temps, cela  n'excite  pas,  impressionne,  elles  finis- 
sent par  avoir  fair  de  fantômes  couchés  là  comme 
sur  des  divans;  le  divan  suit  l'Oriental  partout. 
Aux  côtés  des  voitures  arrêtées,  musiciens  qui 
jouent  de  différentes  espèces  de  guitares  aiguës  et 
de  flûte,  accroupis  par  terre,  Levantins  à  feuro- 
péenne  :  c'est  un  air  vif  et  toujours  le  même.  — 

4. 


52  NOTES  DE  VOYAGES. 

Affreuses  guimbardes  soi-disant  européennes.  — 
Nous  fumons  un  narguileh  près  d'une  tente  d'où 
s'exhale  une  violente  odeur  de  raki. 

C'est  bien  en  ces  lieux  que  l'on  vivrait  avec 
l'odalisque  ravie.  Cette  foule  de  femmes  voilées, 
muettes ,  avec  leurs  grands  yeux  qui  vous  regardent, 
tout  ce  monde  inconnu,  qui  vous  est  si  étranger, 
enfants  et  jeunes  gens  à  cheval,  courant  au  galop, 
vous  donnent  une  tristesse  rêveuse,  empoignante; 
nous  revenons  à  Constantin opie  sans  ouvrir  la 
bouche,  le  brouillard  descend  sur  les  mâts,  sur 
les  minarets,  sur  la  mer. 

Descendus  au  bout  du  pont  de  Mahmoud,  nous 
remontons  par  le  petit  champ  des  morts  de  Péra  : 
une  baraque  en  bois,  noir,  dedans;  poules  qui 
picorent  à  fentour;  autre  maison  au  bout  du 
champ  des  morts,  drapée  de  feuillage. 

Dîner  mauvais  chez  Schefer.  —  Manuscrits 
persans  et  arabes  :  vignettes  moyen  âge,  reliure 
peinte  ressemblant  à  J.  de  Bruges;  manuscrit  sur 
l'art  militaire,  bonshommes  à  cheval  (auxquels 
quelque  enfant  a  fait  une  barbe  avec  de  l'encre) 
qui  s'exercent  à  la  lance  au  sabre,  lances  à  feu, 
feu  grégeois. 

Samedi  2^.  —  Resté  toute  la  journée  à  l'hôtel, 
à  écrire  des  lettres  et  à  prendre  des  notes.  — 
Bain  à  Péra  :  petit  masseur  à  figure  de  cheval 
(Maurepas,  M"* de  Radepont,  M""' Rampai),  yeux 
noirs,  vifs,  impudents,  places  de  cheveux  chauves, 
cicatrices  de  teigne.  —  Le  soir,  au  dîner,  Cham- 
pagne bu  à  propos  de  la  guerre  déclarée  par  la 
Prusse  à  l'Autriche;  discussion  littéraire  avec 
M.  Portier,  à  propos  de  Chateaubriand  et  de  La- 
martine. —  M.  de  Noary  est  comme  une  âme  en 


d 


CONSTANTINOPLE.  5  3 

peine  dans  l'hôtel.  Son  mot,  hier,  quand  on  a  cru 
que  le  sac  était  retrouvé  :  «  Eh  bien,  ils  n'auront 
pas  été  longtemps  à  retrouver  leur  argent  ». 

Mercredi  ij.  —  Course  à  Thérapia,  visite  au 
général  Aupick.  —  Par  les  hauteurs,  terrains 
plats,  avec  de  légères  ondulations,  cela  ressemble 
un  peu  à  certaines  landes  de  la  Bretagne  ;  à  gauche 
les  plaines  de  Daoud-Pacha;  à  droite  le  Bosphore; 
bientôt,  en  face  de  nous,  la  mer  Noire.  Nous 
tournons  à  droite  et  descendons  vers  le  Bosphore; 
conacs  en  bois  peints  en  gris,  au  bord  de  l'eau. 

—  Le  général  en  robe  de  chambre  à  collet  et  pa- 
rements de  velours;  M.  de  Saalgi,  Edouard  Deles- 
sert.  —  Promenade  dans  le  jardin  de  l'ambassade. 

—  Nous  revenons  par  le  même  chemin,  avec  de 
grands  temps  de  galop,  à  la  nuit  tombante.  — 
Apostoli  notre  drogman. 

Jeudi  28.  —  Re-visite  au  Sérail  et  aux  mosquées. 
Dans  le  Vieux  Sérail,  revu  avec  plaisir  la  pièce  du 
rez-de-chaussée  avec  ses  jets  d'eau;  entre  les  fe- 
nêtres et  dans  les  enfoncements  de  la  muraille, 
étagères  pour  mettre  des  pots  de  fleurs.  —  Aux 
alentours  la  salle  du  trône,  le  nain,  costumé  à  l'eu- 
ropéenne et  quelques  anciens  eunuques  blancs, 
figures  de  vieilles  femmes  ridées,  proprement 
habillés,  chaînes  d'or  sur  leurs  gilets,  pantalons 
larges  à  l'européenne,  à  plis  ;  par-dessus  des  pelisses  ; 
un  à  figure  carrée,  mâchoire  large  par  le  bas, 
jouant  avec  le  nain  du  sultan.  La  vue  d'un  eunuque 
blanc  fait  une  impression  désagréable,  nerveuse- 
ment parlant,  c'est  un  singulier  produit,  on  ne 
peut  détacher  ses  yeux  de  dessus  eux,  la  vue  des 
eunuques  noirs  ne  m'a  jamais  causé  rien  de  sem- 
blable.—  La  salle  du  trône,  entourée  de  porcelaine 


54  NOTES  DE  VOYAGES. 

bleue  à  partir  du  milieu,  c'est  comme  une  longue 
plinthe  qui  règne.  —  Dans  l'arsenal,  formidables 
timbales  des  janissaires,  couvertes  de  peau;  ça  res- 
semble à  des  cuves  à  lessive;  épées  à  deux  mains, 
du  temps  des  croisades;  piques  terminées  par  une 
sorte  de  khandjiar  à  deux  branches;  pointes  de 
fers  de  flèches,  à  dards  rentrants  articulés.  Quand 
on  voulait  retirer  le  trait  de  la  blessure,  les  deux 

f)ointes  rentrées  s'écartaient  d'elles-mêmes,  il  fal- 
ait  tout  déchirer.  Je  manie  le  sabre  de  Mahmoud, 
il  me  paraît  horriblement  lourd;  celui  d'Eyub 
moins  long,  plus  commode,  d'une  largeur  ef- 
frayante, bien  en  main  et  terminé  en  glaive, 
mêmement  recouvert  d'une  peau  verte.  Je  vois 
une  très  belle  cotte  de  maille,  flexible  et  souple 
comme  de  la  flanelle;  en  effet,  c'étaient  les  gilets 
de  santé  d'alors.  —  Dans  Sainte-Sophie,  je  ne  vois 
rien  de  nouveau,  je  reste  longtemps  à  regarder 
les  arcs,  deux  rangées;  beaucoup  de  fenêtres  en 
haut,  la  plus  grande  partie  de  la  lumière  tombe  d'en 
haut;  les  chérubins  sont  sans  tête,  c'est  une  réu- 
nion d'ailes.  Pour  les  ablutions,  vases  énormes  de 
chaque  côté  en  entrant,  fermés  comme  d'énormes 
cruches,  très  ventrues.  —  Dans  le  turbeh  d'Ach- 
met  et  de  Soliman,  longue  inscription  en  carac- 
tères blancs  sur  porcelaine  bleue,  qui  court  tout 
autour;  rien  n'est  propre  et  gai  comme  les  turbehs. 
Dans  la  mosquée  d'Achmet,  Stéphanj  va  parler 
à  des  gens  qui  écrivent,  à  droite  en  entrant,  et  lit 
quelques  lettres  de  l'alphabet.  Dans  la  Solima- 
nieh,  nous  ne  voyons  pas  de  docteurs  professant 
comme  la  première  fois;  en  revanche,  des  femmes 
qui  font  leurs  prières  et  prosternations  à  la  ma- 
nière des  hommes.  —  Nous  retournons  voir  les 


CONSTANTINOPLE.  5  5 

derviches  de  Scutari,  l'iman  monte  sur  le  corps 
d'enfants  de  4  à  5  ans;  on  passe,  sous  le  souffle 
des  derviches ,  des  vêtements  de  malades,  —  Beauté 
pontificale  du  fils  de  l'iman ,  qui  ne  se  fatigue  pas. 
—  Un  derviche  déguenillé,  nu -tête,  moins  de 
férocité  que  la  première  fois?  —  Le  soir,  dîner 
à  l'Hôtel  d'Angleterre,  chez  M.  de  Saulcj. 

Vendredi  2Ç.  — Vu  le  Sultan  à  son  entrée  dans 
la  mosquée  de  Fondoukh  ;  la  place  devant  la 
mosquée  encombrée  de  chevaux  et  d'officiers 
étranglés  dans  des  redingotes.  II  faut  encore  plu- 
sieurs générations  pour  qu'ils  s'y  habituent.  Nous 
étions  au  bord  de  l'eau,  à  côté  d'un  mur  en 
ruines.  —  Femmes;  on  a  voulu  nous  faire  déloger 
pour  que  nous  ne  restions  pas  avec  elles,  elles 
sont  venues  de  notre  côté  trouvant  que  la  place 
était  plus  commode  pour  voir,  les  cawas  n'ont  pu 
les  faire  s'en  aller  de  là.  Le  canon  des  forts  a 
annoncé  le  Sultan.  —  Premier  caïque,  portant 
deux  pachas  à  genoux,  tournés  vers  le  second  oii 
était  Sa  Hautesse;  caïques  blancs  bordés  d'un 
ruban  d'or,  tendelet  à  l'arrière ,  rampe  d'argent  à 
celui  du  Sultan.  —  Il  a  l'air  profondément  ennuyé, 
petit  jeune  homme  pâle,  à  barbe  noire,  nous  a 
regardés  fixement,  tournant  la  tête  à  droite.  — 
Manière  particulière  de  ramer  de  ses  caidjis  :  ils 
se  lèvent  et  saluent,  tout  en  ramant;  les  boules 
du  premier  bras  de  levier  de  l'aviron  m'ont  paru 
moins  grosses  que  celles  des  caïques  ordinaires. 

Danses  des  jeunes  garçons  dans  un  café  de 
Galata.  Dans  une  petite  chambre,  trois  jeunes 
imbéciles,  en  habits  grecs  surchargés  de  brode- 
ries, se  contorsionnent  sans  verve;  un  seul,  noir, 
commun,  mais  vigoureux  et  à  très  belle  cheve- 


5  6  NOTES  DE  VOYAGES. 

lure,  dont  les  anneaux  tombant  me  rappellent 
ceux  des  perruques  Louis  XIV  :  c'est,  comme 
danse,  un  souvenir  lointain  des  danses  d'Egypte. 
En  somme,  ce  fut  pour  nous  une  des  plus  af- 
freuses journées  de  notre  voyage. 

Autre  excursion  à  Galata,  chez  une  vieille 
femme.  Ameublement  de  quartiers  maritimes,  une 
caricature  sur  Louis -Philippe;  négresses  dégoû- 
tantes, en  robe  européenne  noire,  trouée;  une 
énorme,  qui  était  au  bain  et  qui  arrive  couverte 
de  fourrures.  Mais  dans  une  chambre  plus  propre 
et  mieux  meublée  était  enfermée  Rosa,  fille  de  la 
maîtresse  de  la  maison,  blanche,  châtaine,  avec 
de  la  dentelle  dans  les  cheveux,  à  l'espagnole, 
casaquin  de  soie  noire  qui  lui  serrait  la  taille.  — 
Les  rues  de  Galata  sont  profondes  comme  mœurs 
et  couleur  :  lumière  noire,  ruelles  sales,  fenêtres 
donnant  sur  des  arrière-cours  d'où  sort  le  son  aigre 
d'une  mandoline  ou  d'un  violon;  çà  et  là,  à  la 
fenêtre  ou  sur  le  seuil  de  la  porte,  une  sale  mine 

de  p ,  habillée  à  l'européenne  et  coiffée  à  la 

grecque;  envahissement  de  la  gravure  polissonne 
des  Héloïse  et  des  Abeilard.  L'émancipation  de 
la  femme  en  Orient  entrerait-elle  par  le  chic  Fau- 
blas  ? —  Importance  du  ballet.  —  Dans  cent  ans  le 
harem  sera  aboli  en  Orient,  l'exemple  des  femmes 
européennes  est  contagieux,  un  de  ces  jours  elles 
vont  se  mettre  à  lire  des  romans.  Adieu  la  tran- 
quillité turque!  tout  craque  de  vétusté,  partout. 

Samedi  ^0,  —  Adieux  à  la  bande  Saulcy,  à  bord 
du  Lloyd. 

Dimanche  f\  —  Visite  chez  Artim-bey,  à  Kou- 
routschermé.  —  Les  maisons  arméniennes  peintes 
de  couleur  sombre,  grises,  noires,  ou  brun  tabac; 


CONSTANTINOPLE.  57 

intérieurs  tristes  quoique  grands.  On  a  je  ne  sais 
quelle  contrainte  sur  les  épaules.  Artim  nous  recon- 
duit jusqu'à  la  maison  qu'il  fait  réparer  :  petite 
cour  entourée  de  murs,  serre  au  fond. 

Lundi  2.  — Visite  chez  Antonia. — Arméniennes 
ou  plutôt  Grecques.  —  «  Piccolo,  (xsyakco  »,  peur 
de  ma  barbe,  gestes  enfantins  en  se  cachant  sous  sa 
pelisse  de  fourrure.  —  La  mienne,  dents  décou- 
vertes et  nez   écrasé  par  le  bout,  corsage  noir, 

poitrine  très  belle  couverte  de  s sur  le  sein  et 

au  cou.  L'homme  qui  fait  des  s à  une  p 

va  de  pair  avec  celui  qui  écrit  son  nom  avec  un 
diamant  sur  les  vitres  d'auberge.  —  Lithogra- 
phies de  l'histoire  d'Héloïse  et  d'Abeilard  sur  les 
murs. 

Mardi  ^.  —  Rencontré  Fagnart  dans  la  rue,  en 
sortant  de  chez  M.  Cadalvene.  Le  soir,  au  théâtre, 
ballet  du  Triomphe  de  l'amour  :  Dieu  Pan  en  cu- 
lotte avec  des  bretelles,  cancan  effréné  de  ces 
dames, admiration  naïve  du  public.  —  Le  major  X 
et  le  petit  secrétaire  de  Kosielski.  — Térésa,  grosse, 
couverte  de  bagues.  Pourquoi  ses  protestations 
de  fidéhté  à  son  amant  et  son  dégoût  de  l'argent 
m'ont-ils  tellement  révolté  que  je  suis  rentré  chez 
moi  avec  la  mort  dans  l'âme  ? 

Mercredi  4.  —  Sorti  seul  avec  Stéphany,  par  les 
hauteurs  de  Péra,  et  passé  devant  le  grand  champ. 
Froid,  vent.  Nous  tournons  à  gauche  et  nous 
descendons  à  travers  champs,  nous  remontons  et 
redescendons,  landes,  rien.  Au  fond,  à  gauche, 
Constantinople.  Dans  les  gorges,  à  l'abri  dii  vent, 
il  fait  chaud.  Tout  à  coup  nous  nous  trouvons 
aux  Eaux  douces  d'Europe;  un  berger  bulgare 
faisait  paître  ses  moutons  sur  la  pelouse  où  vien- 


58  NOTES  DE  VOYAGES. 

nent  Tété  les  harabas  chargés  de  femmes,  il  n'y 
avait  personne,  les  feuilles  jaunies  des  platanes 
tombaient  à  terre.  —  Douceur  des  jours  d'hiver, 
quand  le  froid  se  repose.  —  Nous  longeons 
quelque  temps  le  bord  de  la  petite  rivière,  puis 
Ejub,  mosquée  au  miheu  d'un  cimetière  planté 
comme  un  jardin,  plusieurs  tombes  dorées.  — 
Quartier  du  coin  jaune,  Sari-eivah;  interminable 
Balata,  sale,  noir  honteux.  Aussitôt  qu'on  entre 
dans  le  Phanar,  la  rue  devient  plus  propre,  mai- 
sons à  mâchicouhs,  aspect  boutonné  et  sévère. 
Nous  passons  le  pont  de  Mahmoud  et  rentrons 
par  le  petit  champ. 

Jeudi.  —  Promenade  aux  environs  de  Scutari. 
Nous  montons  la  grande  rue,  nous  passons  au 
miheu  du  grand  champ,  des  soldats  allaient  sous 
les  cyprès  et  sur  les  tombes  se  hvrer  à  l'amour 
avec  une  fille.  —  Beau  jour  d'hiver.  Nous  laissons 
aller  nos  chevaux  dans  la  campagne;  çà  et  là  un 
carré  de  terre  labouré,  deux  ou  trois  tentes  noires, 
à  l'horizon  le  Gigant.  —  Un  vallon  vert;  au  fond, 
un  carrosse  doré  qui  passe  tout  seul,  un  cimetière 
juif,  tombes  à  plat.  Nous  retombons  au  bord  du 
Bosphore. 

Vendredi.  —  Avec  Stéphanj,  aux  Eaux  douces 
d'Asie.  —  Le  Sultan  passe  devant  nous  pour  se 
rendre  à  Scutari. —  Le  vent  vient  de  la  mer  Noire, 
beaucoup  de  navires,  les  voiles  blanches  toutes 
déployées.  —  A  Orta-Reuil  ou  Arnaût-Reuil,  il  y 
a  un  cimetière  juste  au  bord  de  l'eau;  des  pê- 
cheurs étaient  là  avec  leurs  barques;  grands  filets 
qui  séchaient  accrochés  aux  cyprès,  tendus  en 
long;  cela  faisait  draperie  avec  de  grands  plis, 
occasionnés  par  les  cables  du  filet;  le  soleil  der- 


CONSTANTINOPLE.  59 

rière,  ce  qui  faisait  que  les  tombes  et  les  arbres 
vus  à  travers  les  mailles,  étaient  comme  à  travers 
une  gaze  brune.  Plus  loin,  d'autres  filets  étaient 
couchés  sur  les  tombes;  les  stèles,  çà  et  là,  les 
levaient  en  vagues.  — Abordés  aux  Eaux  douces  : 
ancien  kiosque  du  Sultan,  pourri  et  qui  tombe 
dans  l'eau;  jolie  petite  fontaine  carrée,  soldats  à 
un  corps  de  garde.  Que  de  corps  de  garde  et  de 
casernes  à  Constantinople  !  Nous  passons  dans 
un  champ  où  Stéphanj  demande  la  route  à  des 
femmes  grecques  qui  jardinent,  chemin  boueux, 
pelouse  entourée  de  montagnes,  grands  arbres  au 
pied.  —  Café,  Stéphany  joue  une  espèce  de  partie 
de  trictrac  avec  des  dames  jaunes  et  noires.  — 
Nous  revenons  par  le  même  chemin;  au  pied  de 
la  fontaine  un  chien  me  caresse.  —  Revenus  très 
vite  à  Constantinople.  —  ATop-Hana,  rencontré 
une  pipe  qu'on  ne  veut  pas  me  vendre.  —  Le  soir, 
dîner  à  l'ambassade,  chez  le  général  Aupick. . 

Samedi.  —  Resté  à  l'hôtel  toute  la  journée. 

Dimanche  8.  —  Visite  à  Fagniart,  qui  demeure 
sur  le  petit  champ  des  morts  de  Péra.  Je  descends 
le  champ  des  morts  et  je  m'enfonce  au  hasard 
dans  le  quartier  de  Saint-Dimitri  :  une  longue 
rue  où  coule  un  ruisseau  sur  de  la  boue,  un  côté 
de  la  rue  bordé  par  un  mur  de  planches,  mar- 
chands de  tabacs,  cafés  grecs  où  l'on  est  enfermé 
en  fumant  des  pipes,  à  la  chaleur  d'un  mangal 
qui  brûle;  sur  un  trottoir  en  terre,  une  vieille 
négresse  qui  demande  l'aumône.  Je  monte  par 
une  rue  très  escarpée,  campagne,  herbe  rase, 
grand  vent,  une  caserne  avec  des  casemates  en 
corps  de  logis  avancés.  Je  monte  sur  la  hauteur 
et  je  vois  Constantinople,  qui  me  parait  démesuré 


6o  NOTES  DE  VOYAGES. 

mais  sans  me  pouvoir  rendre  compte  de  la  posi- 
tion oii  je  suis.  Je  redescends  une  rue  moitié  à 
escaliers  et  moitié  en  pente,  maisons  peintes  en 
noir,  avancées  sur  la  rue,  dames  endimanchées 
qui  reviennent  de  vêpres  ou  vont  faire  des  visites, 
moitié  à  l'européenne,  moitié  à  la  grecque.  Je  me 
perds  dans  les  rues  et  parmi  tout  ce  monde  ;  étour- 
dissement  de  toutes  ces  figures  qui  passent  devant 
moi,  je  m'en  vais  récitaillant  des  vers,  je  me  re- 
trouve au  bas  du  petit  champ,  je  le  quitte  et  passe 
par-devant  le  pont  de  Mahmoud,  tout  le  bas  de 
Galata  et  Top-Hana;  rentré  éreinté.  —  Reçu  la 
visite  de  M.  de  Margabel,  premier  secrétaire  de 
l'ambassade.  —  Le  soir,  soirée  de  l'ambassade, 
exhibition  de  messieurs  et  de  dames  de  la  localité. 
Lundi  p.  —  Parti  avec  Stéphanj,  le  matin  à 
8  heures,  pour  Belgrade.  Landes  nues,  chemins 
pleins  de  boue,  typhons.  Nous  laissons  le  chemin 
de  Thérapia  à  droite.  Au  milieu  de  la  boue,  dans 
une  montée,  un  carrosse  embourbé,  avec  le 
pauvre  petit  cheval  maigre  qui  suait  et  le  conduc- 
teur à  pied.  —  Descente,  pelouse,  un  bouquet 
de  platanes  fort  beaux,  feuilles  toutes  jaunes.  — 
Boviou-Kideneh  au  bord  de  l'eau,  la  petite  rade 
pleine  de  navires  avec  leurs  voiles  blanches.  Je 
fais  quelques  tours  à  pied  sur  le  quai  pour 
me  réchauffer  les  pieds.  —  Déjeuner  dans  un 
hôtel,  le  second  en  arrivant  près  d'un  ship 
chandler.  —  Nous  remontons  à  cheval,  belle 
route,  prairie,  arbre;  aqueduc  de  Belgrade  :  a  l'air 
tout  neuf  et  n'est  beau  que  de  loin...  et  de  près, 
à  cause  de  la  vue  qu'on  a  de  là.  —  Bains  de  Mah- 
moud. —  Course  dans  la  forêt,  beaucoup  de 
chênes,  aspect  de  forêt  européenne;  j'arrive  à  une 


CONSTANTINOPLE.  6l 

place  où  les  arbres  cessent,  vue  de  la  mer  Noire 
qui  est  bleue;  nous  redescendons  la  forêt. 

Belgrade,  petit  village  à  mi-côte,  devant  une 
grande  prairie  plantée.  Que  cela  doit  être  charmant 
en  été,  mon  Dieu!  — Quelques  maisons  brûlées 
s'écroulent.  —  Stéphany  prend  un  guide  dans  un 
café  grec,  il  nous  mène  voir  trois  ou  quatre  réser- 
voirs :  ce  sont  de  grands  lacs,  à  sec  maintenant 
et  qui  font  prairie,  compris  entre  des  collines 
couvertes  de  bois.  —  A  l'extrémité  du  réservoir, 
un  mur  énorme  pour  soutenir  le  poids  des  eaux, 
maçons  grecs  qui  réparaient  le  dernier  que  nous 
avons  vu.  —  Fondrières  où  nos  chevaux  enfon- 
cent jusqu'au  jarret.  —  Nous  repassons  sous 
l'aqueduc  de  Belgrade  :  de  dessous  l'arche  et 
encadrées  par  elle,  deux  grandes  pentes  qui  des- 
cendent en  vallons  à  plans  successifs;  au  fond  la 
mer,  bleu  ardoise;  les  pentes  rousses,  couleur  vin 
de  Chypre  foncé,  tabac  brun,  avec  des  bouquets 
violets  par  places,  comme  seraient  de  grands  mas- 
sifs de  bruyères;  c'est  un  paysage  vigoureux  et 
plein  de  largeur. 

Bulgarie?...  Thrace. ..  Nous  rencontrons  des 
Bulgares,  les  jambes  entortillées  de  cordes.  — 
Temps  de  galop  à  travers  les  flaques  d'eau  et  la 
boue;  le  soleil  se  couche  et  m'aveugle,  le  galop 
et  le  froid  me  font  pleurer,  le  ciel  fond  bleu  cru, 
nuages  bruns  et  noirs,  entassés  à  ma  droite  les 
uns  par-dessus  les  autres,  longues  bandes  d'or 
horizontales  qui  leur  font  bordure  rectiligne.  Mon 
cheval  m'emporte,  j'arrive  au  haut  d'une  montée 
et  je  le  lâche,  un  chien  lui  fait  peur,  je  suis  obligé 
de  le  tourner  contre  un  haut  bord  de  la  route 
pour  l'arrêter,  la  nuit  vient.  Rentrée  à  Péra,  tou- 


62  NOTES  DE  VOYAGES. 

jours  difficile  et  ennuyeuse,  à  cause  de  ce  long 
pavé  troué  qui  n'en  finit.  En  passant  devant  la 
caserne  qui  est  près  le  grand  champ,  gueulade 
du  soir  des  soldats  qui  saluent  le  Sultan.  La  pre- 
mière fois  que  j'ai  entendu  cela,  c'est  à  Jérusalem. 

Mardi.  —  Resté  à  l'hôtel,  visite  de  M.  de  Mar- 
gabel  dans  l'après-midi.  J'ai  mal  aux  reins  et  aux 
cuisses  des  soubresauts  et  du  galop  de  mon  cheval 
d'hier. 

Mercredi.  —  Resté  à  la  maison,  reçu  la  visite 
d'Artim-bey,  qui  vient  avec  un  pappas  de  ses  pa- 
rents, plus  hbéral  que  lui  et  dont  il  contient  les 
excentricités  politiques. 

Jeudi  12,  anniversaire  de  ma  naissance.  —  A 
5  heures  je  pars ,  monte  en  caïque  avec  Kosielski , 
et  son  domestique  avec  Stéphany  me  suit  dans 
un  autre.  La  neige  couvre  les  maisons  de  Scutari 
et  de  Constantinople,  ça  fait  des  petits  dés  blancs. 
Dans  les  villages,  sentiers  ghssants,  il  a  gelé 
par-dessus;  nos  chevaux  bronchent,  nous  allons 
d'abord  au  trot,  puis  au  pas.  Une  fois  arrivés  aux 
Eaux  douces  d'Asie,  nous  prenons  dans  la  mon- 
tagne. —  Longs  mouvements  de  terrain,  vagues 
blanches  de  terre,  du  vent,  personne;  çà  et  là, 
sur  la.  neige,  pattes  de  gibier.  —  Nous  arrivons 
devant  une  espèce  de  maison  que  l'on  bâtit,  sorte 
de  khan  et  de  ferme;  des  ouvriers  travaillent  aux 
fenêtres,  nous  passons.  Quelquefois  la  route,  con- 
tournant en  creux  une  coHine,  fait  comme  la 
moitié  d'un  grand  cirque;  au  galop  là- dessus, 
le  bruit  des  pieds  des  chevaux  est  amorti  par  la 
neige.  —  Ferme  des  Lazaristes.  —  Un  peu  plus 
loin  nous  nous  perdons;  sur  l'indication  de  ber- 
gers bulgares,   plus   ours  qu'hommes,   nous  pi- 


CONSTANTJNOPLE.  6  3 

quons  dans  la  direction  de  la  ferme  polonaise, 
nous  descendons  une  pente  horriblement  inclinée; 
sans  les  broussailles  nous  glisserions  comme  une 
tuile  :  c'est  tout  ce  que  nous  pouvons  faire  que 
de  n'être  pas  écrasés  par  nos  chevaux  qui  se 
laissent  aller  sur  les  pieds  de  derrière.  —  Petits 
cours  d'eau  sous  des  chênes  rabougris  couverts 
de  neige,  quelques  bruyères,  flaques  d'eau  gelées 
dans  les  fondrières,  mais  le  plus  souvent  pelouse 
de  neige.  La  lumière  blanche  et  froide  a  l'air 
d'être  factice,  notre  souroudji  slave  chante  dans 
les  intervalles  du  galop,  Kosielski  se  rappelle  la 
Pologne,  et  moi  je  pense  à  laTartarie,  au  Thibet, 
aux  grands  voyages  d'Asie.  —  Arrivés  à  la  ferme 
vers  I  heure  et  demie  :  un  chevreuil  égorgé  sus- 
pendu à  la  porte  à  un  poteau,  Polonais  chauve, 
un  jeune  homme  à  cravate  rouge  et  en  blouse,  du 
feu  dans  la  cheminée  de  plâtre;  aux  murs,  htho- 
graphies  dans  le  goût  Devéria,  représentant  les 
Polonais  en  Angleterre,  scène  de  cottage,  départ 
des  Polonais  pour  la  Sibérie,  etc.  —  Silence  de  la 
ferme  entourée  de  neige.  —  Me  chauffant  à  cette 
cheminée,  il  m'est  revenu  en  mémoire  le  souvenir 
de  jours  d'hiver  oii  j'allais  avec  mon  père  chez  des 
malades  à  la  campagne.  —  Nous  mangeons  un 
morceau  de  viande  et  des  pommes  de  terre. 

A  3  heures  repartis,  on  accroche  à  grand'peine 
le  chevreuil  au  cheval  du  souroudji.  —  En  reve- 
nant, la  route  descend  presque  toujours.  —  Grand 
trot  soutenu,  relevé  de  temps  de  galop;  je  tiens 
la  tête  de  mon  cheval  au  bout  de  mon  bras,  nous 
passons  comme  des  fous  la  prairie  des  Eaux 
douces.  A  Randilih,  pas  de  caïque!  nous  repre- 
nons le  pavé.  Trot  rapide;   Kosielski  lance  son 


6i  NOTES  DE  VOYAGES. 

cheval  sur  les  chiens,  qu'il  fait  hurler  à  coups  de 
fouet;  nous  traversons  les  villages,  nous  tournons 
les  rues,  la  course  ne  se  ralentit  pas,  au  contraire. 
Passivité  du  domestique  de  Kosielski  qui  me  suit 
immédiatement.  — Le  soleil  se  couche  rouge,  la 
nuit  tombe  quand  nous  rentrons  dans  Scutari; 
nous  sommes  gris  de  boue,  à  la  figure  et  sur  nos 
habits  nous  en  avons  des  étoiles,  nos  chevaux 
sont  noirs.  Nous  passons  le  Bosphore  agité,  il  faut 
se  bien  tenir.  Je  m'estime  heureux  de  ne  m'être  pas 
noyé  en  caïque,  pendant  que  j'étais  à  Constan- 
tinople.  —  Clair  de  lune  sur  les  flots.  —  Nous 
rentrons  vers  6  heures  du  soir. 

Vendredi.  —  Adieux  à  MM.  Fauvel,  Cadal- 
vène,  etc.  —  Oscar,  Marinitch  et  Fagniart  dînent 
avec  nous.  —  La  veille  et  l'avant-veille,  visite  chez 
M""  Fenez,  maigre,  yeux  noirs,  ressemble  un  peu 
à  Heinefelter. 

Samedi.  —  Fait  les  paquets,  dîner  à  l'ambas- 
sade. 

Dimanche.  — Adieux  à  tout  le  monde.  De  Noary 
est  revenu.  —  M.  Martin,  architecte,  et  son  com- 
pagnon Suédois.  —  Kosielski  et  M.  Hamelin  nous 
reconduisent  à  bord  du  vapeur. 

Adieux  à  Kosielski  et  de  lui.  Quand  nous  re- 
verrons-nous  ?  Nous  reverrons-nous  ?  et  qu'est-ce 
qui  se  passera  d'ici-là? 

M.  Javal,  Blanche  Delalande. 

Lundi,  beau  temps. 

Mardi  matin,  débarqué  à  Smyrne,  visite  à 
MM.  Racord,  Camescasse,  Pichon. 

Mercredi,  gros  temps  le  matin.  Vers  midi, doublé 
le  promontoire  Sunium.  —  Colonnade  à  colonne. 
—  La  côte  grise,  violette,  sèche,  sans  arbres  ni 


CONSTANTINOPLE.  (5  5 

végétation,  du  rocher  seulement  (la  veille  au  soir 
passé  devant  Chio,  les  terrains  étaient  noirs  et  les 
montagnes  couvertes  de  nuages).  —  L'Acropole 
d'Athènes  seule  brillait  en  blanc  au  soleil,  Egine 
à  gauche,  Salamine  en  face,  Pausihppe  derrière 
l'Acropole.  —  La  frégate  la  Pandore  et  le  brick  le 
Mercure  pavoises  pour  la  fête  de  Saint-Nicolas.  — 
Shakos  de  cérémonie  des  marins  russes.  —  Joie 
de  me  trouver  à  Athènes.  —  En  Grèce!...  Mais 
j'y  dois  rester  trop  peu  de  temps. 

Ah!  comme  j'étais  triste,  l'autre  jour  dimanche, 
en  passant  dans  la  cour  de  la  mosquée  de  Top- 
Hana!  Adieu,  mosquées!  adieu,  femmes  voilées! 
adieu,  bons  Turcs  dans  les  cafés!... 

Au  Pirée,  jeudi,  19  décembre. 


ATHENES 

ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES 


ATHENES 

ET  ENVIRONS   D'ATHÈNES. 


D'ATHÈNES  A  ELEUSIS. 

ELEUsis^^'.  —  Aujourd'hui,  mercredi   2^   dé- 
cembre, jour  de  Noël,  nous  sommes^ partis 
d'Athènes  à  8  heures  du  matin  pour  Eleusis 
(Lepsina), 

La  route  laisse  celle  du  Pirée  à  gauche  et  entre 
dans  un  bois  d'oliviers.  Un  ciel  bleu  ardoise  foncé, 
fait  de  couches  épaisses  les  unes  sur  les  autres, 
avec  des  éclaircies  d'azur,  paraissait  par  grands 
morceaux  entre  la  verdure  vert  gris  des  oliviers. 

o 

De  l'eau  à  côté  de  la  route  et  dans  des  carrés 
de  terre  cultivés,  entre  les  pieds  des  arbres;  de 
petits  courants  passent  sous  leur  vieux  tronc 
déchiqueté.  A  gauche  le  Jardin  botanique.  Succes- 
sivement nous  passons  sur  trois  ponts,  trois 
branches  du  Céphise;  le  lit  principal  est,  selon 

Cî  Voir  Correspondance,  II,  p.  27. 


rjo  NOTES  DE  VOYAGES. 

Aldenhoven ,  plus  à  droite  et  bu  par  les  irrigations 
des  jardins.  Où  est  le  fameux  pont  où  les  gars 
d'Athènes    venaient    engueuler    les    femmes    se 
rendant  aux  Mystères?  Si  mes  souvenirs  ne  me 
trompent,  il  y  avait  un  bois  de  lauriers-roses  à 
côté,  dans  lequel  les  gens  se  cachaient;  sur  toute 
la  route  je  n'ai  pas  vu  un  seul  laurier-rose  ?  Après 
le  bois  d'oliviers,  le  sol  est  inculte,  on  ne  ren- 
contre que  quelques  petits  bouquets  épineux  et 
que  des  bruyères,  beaucoup  de  pierres.  Les  mon- 
tagnes entourant  toute  la  plaine  d'Athènes  me 
paraissent  ainsi  :  elles  sont  grises  à  leur  sommet  et 
sans  végétation.  Au  bout  de  la  plaine,  on  monte. 
—  Défilé  du  Gaidarion.  —  La  montée  est  assez 
longue,  la  roche  paraît  sous  la  route,  on  descend. 
Vue  charmante  de  la  mer  :  le  golfe  de  Lepsina, 
pris  entre  les  montagnes,  a  l'air  d'un  lac,  on  ne 
sait  de  quel  côté  en   est  l'ouverture.  La   route 
descend  tout  droit  en  face,  comme  si  elle  allait 
se  jeter  dans  la  mer.  Pentes  douces  de  terrain  à 
gauche;  à  droite,  dans  le  rocher  (à  la  place  de 
Vénus  Phile?)  [Aldenhoven],  sont  taillées  plu- 
sieurs excavations,  la  plupart  ovales  par  le  haut, 
un  pied  de  hauteur  environ ,  quelques-unes  quadri- 
latérales et  qui  semblent  destinées  à  recevoir  des 
statuettes  et  des  tableaux.  Nous  rencontrons  un 
troupeau  de  moutons  :  les  bergers  portent  dans 
leurs  bras  de  petits  agneaux  qui  ne  peuvent  mar- 
cher;  les  hommes  sont  couverts  de  ces  grands 
cabans  en  laine  blanche  et  à  long  poil,  et  ont  à  la 
main  de  longs  bâtons  recourbés  en  croc;  cheve- 
lures fournies,  bouclées,  tombant  sur  les  épaules 
au  hasard;  la  laine  des  moutons  est  très  blanche 
et  paraît  fine.  Au  premier  plan,  le  troupeau;  à 


ATHENES  ET  ENVIRONS   D'ATHENES.  71 

gauche,  mouvement  de  terrain  doux,  remontant 
vers  les  montagnes;  à  droite,  la  roche  couleur  de 
hchen  verdâtre  çà  et  là  sur  elle,  et  des  cailloux;  au 
deuxième  plan,  la  route  descendant,  puis  la  mer 
fuyant  au  large  des  deux  côtés  et  fermée  à  l'horizon 
par  les  montagnes. 

Tout  à  coup,  au  bas  de  la  pente,  on  tourne 
à  droite,  les  rochers  sont  taillés  en  ligne  droite, 
on  a  fait  la  route  à  même  :  c'est  l'ancienne  voie 
incontestablement.  Le  chemin  passe  entre  la  mer 
et  les  lacs  Rheïti,  un  pont  vous  fait  passer  sur 
la  petite  rigole  qui  les  unit.  Les  lacs  Rheïti  res- 
semblent aux  criques  faites  par  la  marée.  On  dit 
les  lacs;  je  n'en  vois  qu'un  ou  plutôt  comme  serait 
un  marécage  inondé. 

Plaine  de  Thria.  Au  fond  de  la  plaine,  à  droite, 
le  village  de  Mandra,  maintenant  éclairé  par  le 
soleil  :  on  n'y  parle  point  grec,  mais  albanais. 
Route  plate,  monte  insensiblement  jusqu'au  vil- 
lage de  Lepsina.  A  l'entrée  du  pays,  un  puits 
antique  :  grand  disque  de  pierres,  rassemblées  en 
guise  de  dallage  et  s'élevant  jusqu'au  point  central , 
comme  qui  dirait  le  moyeu  où  est  le  puits  même, 
c'est-à-dire  le  trou.  Couleur  verte  des  pierres  à 
l'intérieur.  Le  fond  de  l'eau  est  ridé  en  demi- 
' cercles  continuels,  par  une  grosse  goutte  d'eau 
qui  tombe  d'entre  les  pierres  5  ou  6  pouces  plus 
haut. 

Le  village  est  composé  de  quelques  petites  mai- 
sons, baraques  basses,  à  toit.  Nous  déjeunons 
dans  un  café  où  nous  sommes  servis  par  un  jeune 
homme  à  nez  droit,  un  peu  épais  du  haut,  joli 
col,  cheveux  bruns,  tournure  élégante  sous  son 
manteau  blanc. 


72  NOTES  DE  VOYAGES. 

Nous  montons  la  colline  qui  domine  Lepsina 
(où  était  l'acropole?);  de  là,  nous  voyons,  à  une 
portée  de  carabine,  le  petit  môle  de  Lepsina  en 
croissant.  Le  ciel  est  blanc  grisâtre  sale,  un  mou- 
lin à  notre  droite. 

Tout  le  village  encombré  dans  sa  partie  Ouest 
par  des  fûts  de  colonnes  cannelées  en  marbre  blanc. 

Près  l'église  de  Hagios  Zacharios,  médaillon 
colossal,  avec  arabesques,  contenant  le  buste  dé- 
capité d'un  homme  cuirassé  :  le  travail  est  lourd; 
c'est  plus  décadent  encore  que  les  bustes  de  pla- 
fond de  Baalbek.  Dans  l'église,  qui  a  plutôt  l'air 
d'un  four  et  où  il  n'y  a  de  sacerdotal  qu'une 
veilleuse  dans  un  coin  :  deux  statues  très  drapées, 
debout,  sans  tête  ni  pieds;  une  tête  romaine 
d'homme,  chevelure  séparée  et  poussée  par  le 
vent,  ainsi  que  la  barbe, ^  d'un  travail  lourdaud. 

Dans  les  environs  d'Eleusis  et  dans  Eleusis, 
nous  ramassons  au  bout  de  nos  bâtons  beaucoup 
de  cornes  de  chèvres;  elles  sont  droites  et  ondées; 
toutes  sont  creuses.  , 

Du  haut  de  la  colline  d'Eleusis,  en  se  tournant 
vers  le  Sud,  vers  la  mer,  l'ouverture  du  golfe 
est  en  face  de  vous,  petite  et  comme  un  défilé; 
en  se  tournant  vers  le  Nord,  on  a  la  plaine  de 
Thria  au  fond,  en  face  une  ligne  épaisse  d'un  vert' 
gris,  au  pied  des  montagnes  qui  sont  grises  piquées 
de  points  de  noir  et  blanchissant  de  ton  en  se 
rapprochant  des  sommets.  De  grandes  plaques 
pâles,  faites  par  les  lumières  passant  entre  les 
nuages;  ailleurs,  c'est  comme  de  grandes  voiles 
noires  tombées  par  terre,  ombres  des  nuages; 
l'ensemble  est  très  assis,  très  doux,  d'une  beauté 
paisible. 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  J } 

A  mesure  que  l'on  s'avance  dans  cette  plaine 
et  qu'on  laisse  Eleusis  derrière  soi  pour  se  rap- 
procher de  la  montagne  qui  nous  sépare  de  la 
plaine  d'Athènes,  le  caractère  du  paysage  grandit; 
ces  montagnes,  que  l'on  souhaitait  plus  hautes, 
s'élèvent  et  cette  plaine,  que  l'on  voulait  plus  éten- 
due, s'élargit. 

En  revenant,  nous  rencontrons  dans  la  mon- 
tagne un  troupeau  de  chèvres,  quelques  chiens 
aboient  après  nous.  En  passant  un  pont,  nous 
causions  de  ceux  de  la  campagne  de  Rome. 

Rencontré  près  le  Jardin  botanique,  deux  ama- 
zones. —  Les  paysannes  d'Eleusis  ont  par-dessus 
leur  jupe  une  sorte  de  paletot  avec  des  broderies 
carrées  sur  les  côtés;  c'est,  du  reste,  à  décrire 
d'une  façon  plus  exphcite.  —  Petite  fille  couverte 
de  gros  vêtements  blancs,  se  tenant  près  de  la 
fontaine. 


D'ATHENES  A  MARATHON. 

La  route  prend  derrière  le  palais  du  roi,  on 
laisse  le  Lycobettus  à  droite,  et  jusqu'à  Céphissia 
on  monte.  Nous  n'y  voyions  guère,  enfermés  que 
nous  étions  dans  la  voiture,  étant  d'ailleurs  partis 
à  la  nuit,  la  pluie  tombant  et  le  vent  soufflant. 
En  fait  d'horizon,  je  vois  la  manche  découpée  du 
cocher  qui  fouette  ses  rosses.  A  ma  gauche,  quand 
le  jour  se  lève,  de  grands  mouvements  de  terrain, 
plats,  verts,  lignes  se  succédant;  au  fond,  une 
montagne. 

Au  village  de  Céphissia,  nous  changeons  de 


74  NOTES   DE  VOYAGES. 

chevaux.  D'abord  un  bois  d'oliviers,  puis  une 
lande,  un  bois  de  sapins,  le  village  Apasso  Samati, 
la  route  va  entre  un  miir  et  un  ravin,  une  plaine. 

On  commence  à  gravir  le  Pentélique.  —  Petits 
bois  verts,  sapinettes,  caroubiers,  et  un  arbuste  à 
feuilles  ressemblant  assez  à  celles  du  laurier  ou  du 
pêcher,  et  dont  les  branches,  lavées  par  la  pluie, 
sont  rouges  et  luisent  comme  de  l'acajou  verni. 
Les  marbres  blancs,  blanchis  par  les  pluies, 
sonnent  sous  les  pieds  de  nos  chevaux,  qui 
descendent  avec  précaution.  La  plaine  de  Mara- 
thon paraît  tout  d'un  coup,  comme  au  fond  d'un 
entonnoir;  à  mesure  qu'on  descend,  elle  s'étend 
à  gauche  vers  la  mer,  et  elle  recule  devant  vous. 
Là,  dans  le  bois,  au  milieu  de  la  montagne, 
nous  avons  rencontré  sept  ou  huit  chevaux 
tout  seuls,  sans  mors  ni  brides,  qui  paissaient  le 
makis;  hennissements;  pour  nous  laisser  passer, 
ils  sont  montés  sur  les  talus  ou  se  sont  enfoncés 
dans  le  bois.  Vingt  minutes  après,  au  bas  de  la 
montagne  en  retour,  à  droite,  village  de  Prana, 
déjeuner  à  une  maison  où  l'on  montait  par  un 
escalier  en  bois  non  sine  lacrimoso  fumo.  —  Sourd- 
muet,  la  figure  écorchée  par  une  chute  d'âne,  en 
allant  chercher  du  bois,  et  qui  geignait  à  chaque 
mouvement  comme  un  malade. 

Nous  repartons  au  milieu  de  la  pluie  battante, 
nos  chevaux  enfoncent  dans  la  terre  labourée; 
nous  piquons  à  travers  la  plaine,  droit  au  tumulus, 
en  face  la  mer,  nous  y  faisons  monter  nos  che- 
vaux; pour  voir  un  peu,  nous  sommes  obligés 
de  leur  tourner  la  croupe  contre  le  vent.  Sur  le 
tumulus,  sillonné  par  la  fente  d'un  ruisseau, 
quelques  petits  arbrisseaux  sans  feuilles.  Le  vent 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  75 

siffle,  la  pluie  tombe,  la  plaine  de  Marathon 
entourée  de  montagnes  de  tous  côtés,  ouverte 
seulement  du  côté  de  la  mer,  à  l'Est.  —  Pluie, 
pluie,  pluie.  —  Dans  la  montagne,  rencontre  nou- 
velle des  chevaux,  qui  viennent  flairer  les  nôtres. 
Les  torrents  ont  grossi;  la  plaine,  entre  le  pied  du 
Pentélique  et  le  bois  de  sapins  avant  Céphissia, 
couverte  d'eau  par  places,  comme  un  marais. 

Dix  minutes  avant  d'arriver  à  Céphissia,  dans  le 
bois  d'ohviers ,  Max  et  son  cheval  tombent  par  terre. 

A  Céphissia,  nous  reprenons  la  voiture  qui 
s'arrête  souvent,  en  route,  dans  les  trous,  les  fon- 
drières; une  fois,  on  nous  prie  de  descendre  au 
miheu  d'un  lac,  je  me  mets  dans  l'eau  jusqu'aux 
genoux  pour  pousser  à  la  roue. 

Grande  et  large  campagne,  à  plans  calmes, 
avant  de  rentrer  à  Athènes. 

Partis  à  6  heures  et  demie  du  matin ,  arrivés  à 
9  heures  à  Céphissia,  à  ii  heures  à  Vrana,  rentrés 
à  Athènes  à  5  heures  du  soir. 


D'ATHENES   A   DELPHES 
ET  AUX  THERMOPYLES 

PAR  CASA  (ELEUTHÈRES),  KORLA  (PLATÉe),  ERIMO-CASTRO 
(THESPIES),  LIVADIA  (lEBADÉE),  CASTRI  (DELPHES),  GRAVIA, 
LES  THERMOPYLES,  MOLOS,  RAPURNA  (CHÉRONÉe).  — 
PŒNES,   CITHÉRON,   HÉLICON  ,    PARNASSE. 

4-13  janvier  1851. 

Aujourd'hui  ^janyiVriS*^ 7^  samedi,  nous  sommes 
partis  d'Athènes  à  9  heures  du  matin,  escortés 
d'un  drogman,  d'un  cuisinier,  d'un  gendarme  et 


-70  NOTES  DE  VOYAGES. 

de  deux  muletiers.  Jusqu'à  Daphné,  rien  que  nous 
n'ayons  vu  dans  notre  promenade  à  Eleusis. 

De  la  hauteur  qui  domine  Daphné,  le  soleil, 
qui  a  brillé  très  beau  toute  la  journée,  nous  per- 
met de  voir  la  mer  plus  immobile  qu'un  lac  et 
d'un  bleu  d'acier  foncé;  à  gauche,  les  montagnes 
de  Salamine;  à  droite,  la  pointe  de  Lepsina  qui 
avance;  au  fond,  en  face,  les  montagnes  de 
Mégare  couronnées  de  neige.  A  Daphné,  halte 
sous  un  treillage  sans  feuilles,  où  Giorgi  raccom- 
mode la  gourmette  du  cheval  de  Maxime,  les 
dindons  gloussent,  le  soleil  me  chauffe  la  joue 
gauche.  A  ma  droite,  un  monastère  grec.  Nous 
descendons,  le  ciel  est  sec  et  très  pur.  Nous  tour- 
nons, lacs  Rheïti  à  gauche,  nous  passons  entre 
la  mer  et  les  lacs.  La  mer  fait  de  grandes  rides, 
efforts  pour  faire  des  flots  ;  comme  c'est  tranquille  ! 
L'atmosphère  est  bleu  pâle,  verdure  affaiblie  des 
oliviers.  Quelles  femmes  se  sont  baignées  dans 
ces  mers-là!  O  antique! 

La  plaine  d'Eleusis  (qui,  lorsqu'on  arrive  au 
bord  de  la  mer,  au  tournant  de  la  descente  de 
Daphné,  est  vue  en  raccourci  et  paraît  comme 
une  bordure  au  pied  des  montagnes)  insensible- 
ment se  rallonge,  s'étend;  c'est  tout  plat,  fort 
long.  Nous  chevauchons  au  pas,  un  soleil  traître 
nous  mord  l'occiput,  dans  la  direction  du  petit 
village  de  Mandra.  Avant  d'y  arriver  :  un  bois 
d'oliviers,  lit  desséché  d'un  grand  torrent  (grand, 
respectivement).  Ce  que  j'ai  vu  de  plus  large, 
comme  lits  de  torrent,  c'est  à  Rhodes  et  dans  les 
environs  de  Smjrne.  Dans  ce  village,  on  parle 
albanais.  Enclos  de  pierres  sèches,  village  comme 
tous  les  villages. 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D» ATHENES.  JJ 

On  monte,  la  route  tourne  entre  des  petits 
sapins  et  des  chênes  nains;  les  montagnes  grises, 
picotées  çà  et  là  de  vert  pâle,  ont  un  glacis  rose, 
léger,  et  qui  tremble  sur  elles.  Rencontré  une  fois 
un  troupeau  de  chèvres;  peu  de  temps  après,  un 
troupeau  de  moutons,  un  petit  agneau  qui  brou- 
tait, à  genoux  sur  les  jambes  de  devant.  Mais 
combien  j'aime  mieux  les  chèvres!  Derrière  elles 
le  pasteur  avec  son  grand  bâton  blanc,  recourbé. 

De  Mandra  à  Casa,  le  pays  consiste  (en 
résumé)  en  deux  grands  cirques  séparés  par  des 
montagnes.  On  monte  une  montagne,  on  descend, 
plaine  entourée  de  toutes  parts  de  montagnes,  et 
l'on  recommence. 

II  faisait  froid  quand  nous  sommes  arrivés  ici 
(le  soleil  venait  de  se  coucher),  à  l'ombre  sur- 
tout. 

En  arrivant  dans  la  vallée  au  fond  de  laquelle 
se  trouve  Casa,  on  a  en  face  de  soi  le  Cithéron, 
couvert  de  neige  à  son  sommet.  Comme  il  y  a  de 
petits  endroits  qui  ont  fait  parler  d'eux,  mon 
Dieu! 

Logés  dans  un  khan  qui  ne  ressemble  guère  à 
un  khan  :  grande  maison  blanche  près  d'un  poste 
de  gendarmerie,  deux  cheminées  dans  la  longue 
pièce  oii  nous  sommes  :  les  Grecs  paraissent 
redouter  excessivement  le  froid?  A  propos  de 
gendarmes,  le  nôtre  n'a  voulu  manger  ni  per- 
drix ni  poulet,  c'est  carême  (grec),  il  fait  maigre. 
Quelle  pitié  cela  ferait  à  un  tourlourou  fran- 
çais! 

Casa  (ancienne  Eleuthères?), 
8  heures  et  demie  du  soir. 


78  NOTES  DE  VOYAGES. 

Dimanche  ^  janvier.  —  Partis  à  7  heures  juste. 
Le  soleil  se  levait  derrière  le  Parnès,  que  nous 
avions  franchi  hier;  de  grandes  bandes  rouges 
s'étendaient  dans  le  ciel,  dans  l'intervalle  béant 
entre  deux  pics  de  montagnes.  Nous  sommes 
montés  à  cheval,  couverts  de  nos  peaux  de  biche 
et  ressemblant  à  des  faunes  par  les  cuisses.  La 
route  sur  le  versant  oriental  du  Cithéron  longe 
un  ravin  à  sec,  un  vent  glacé  nous  souffle  au 
visage,  je  suis  obligé,  malgré  mon  triple  costume, 
de  me  battre  les  bras  à  l'instar  des  cochers  de 
fiacre  de  Paris.  Le  chemin  est  carrossable  ou  à  peu 
près;  de  temps  à  autre,  aux  tournants,  ponts  en 
pierre  jetés  sur  le  torrent. 

Au  bas  de  cette  montagne  la  route  cesse,  on 
descend  parmi  les  pierres  à  même  la  pente.  De  là 
s'étend  devant  vous  toute  la  plaine  de  Platée;  à 
gauche,  tout  près  et  vous  dominant  immédiate- 
ment, le  Cithéron  couvert  de  neige  d'autant  plus 
tassée  et  unie  que  l'œil  remonte  vers  son  sommet, 
qui  est  couronné,  dans  toute  sa  forme  oblongue, 
d'une  calotte  de  nuages  très  blancs  que  l'on  pren- 
drait de  lom  pour  un  glacier.  Ils  sont  immobiles 
et  se  tiennent  là  comme  gelés  par  les  neiges  qu'ils 
recouvrent;  à  l'extrémité  de  la  montagne  ils  s'al- 
longent, font  une  courbe  comme  pour  descendre 
à  terre  et  s'évaporent.  A  nos  pieds,  au  bas  de  la 
descente,  un  peu  sur  la  droite,  le  petit  village  de 
Kriekonki.  Au  fond  de  l'horizon  et  fermant  la 
grande  plaine,  l'Hélicon  à  gauche  et  le  Parnasse 
à  droite  :  le  premier,  en  dôme  pointu  ou  angle 
dont  le  sommet  est  adouci;  le  second  s'étendant 
davantage  et  bien  plus  couvert  de  neige  que  son 
voisin.  Le  côté  droit  de  la  plaine  (Est)  est  fermé 


I 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  79 

à  l'oelI  par  le  mur  mouvementé  des  montagnes  de 
l'Eubée;  ce  qui  fait  mur  est  au  milieu;  aux  deux 
bouts,  montagnes  qui  avancent  sur  un  plan  anté- 
rieur. On  nous  montre  la  pointe  de  Chalus,  pic 
entièrement  neigeux  et  qui  brille  au  soleil,  sur  la 
droite,  tout  à  fait  presque  derrière  nous. 

Nous  sommes  sortis  de  l'ombre  de  la  montagne, 
nous  avons  le  soleil.  Nous  passons  par  le  village 
de  Kriekonki,  dont  les  rares  maisons  blanches, 
éparpillées  comme  elles  le  veulent,  ont  des  enclos 
de  broussailles  sèches,  provisions  de  bois  pour  l'hi- 
ver, ou  en  cailloux.  Une  femme  passe  près  d'une 
maison,  la  bouche  couverte  de  son  voile  comme 
une  musulmane  (ce  sont  des  Albanais  qui  habitent 
ce  village),  une  espèce  de  sale  torchon  blanc  qui 
lui  couvre  la  tête  passe  sur  sa  bouche  et  revient 
derrière  le  col;  nu-pieds,  elle  vide  un  panier  sur 
un  tas  de  fumier.  Les  femmes,  jusqu'à  présent, 
sont  couvertes  d'une  espèce  de  paletot  gris  clair, 
avec  des  bordures  noires  plates  sur  les  côtés,  vête- 
ment assez  gracieux  pour  les  enfants. 

Nous  suivons  la  plaine  jusqu'à  lo  heures,  et 
passant  au  milieu  de  pierres  que  l'on  nous  dit 
être  les  ruines  de  Platée,  nous  arrivons  à  Kokla, 
au  pied  du  Cithéron.  II  J  a,  à  l'entrée,  un  seul 
arbre  desséché  et  sans  feuilles;  avec  un  autre  au 
pied  du  mamelon  oia  estThespies(Erimo-Castro), 
sauf  quelques  petits  chênes  nains  et  arbousiers 
rabougris  ce  matin,  ce  sont  les  deux  seuls  que 
nous  ayons  vus  aujourd'hui. 

On  a  fait  à  l'entrée  du  pays  des  trous  oii  il  y  a 
de  l'eau. 

Nous  déjeunons  dans  une  chambre  dans  le 
goût  de  celle  où  nous  avons  couché.  Un  pappas 


8o  NOTES  DE  VOYAGES. 

grec,  costumé  comme  les  paysans  d'ici  et  dont 
je  reconnais  la  dignité  à  sa  grande  barbe,  roule 
un  chapelet  et  essaie  mon  lorgnon.  Une  femme, 
paletot  brodé,  deux  énormes  glands  d'argent  longs 
lui  ballottent  sur  les  fesses,  au  bout  d'un  cordon, 
gros  bas  de  laine  très  épais  et  bien  plus  bariolés 
encore  que  les  chaussettes  persanes,  le  jupon 
descend  jusqu'au-dessus  du  mollet. 

Les  femmes  grecques  me  paraissent  courtes, 
ramassées,  tailles  assez  lourdes,  déformées  sans 
doute  par  le  travail;  toute  la  beauté,  jusqu'à 
présent,  me  semble  réservée  aux  jeunes  gens.  Ce 
matin,  dans  l'écurie,  il  y  avait  une  douzaine  de 
gredins  embobelinés  et  drapés  de  toutes  espèces 
de  guenilles  et  de  peaux,  qui  se  chauffaient  en 
rond  à  un  grand  feu  clair;  un  d'eux  m'a  offert 
un  verre  de  vin  que  j'ai  refusé,  redoutant  la 
résine. 

De  Kokia,  la  plaine  de  Platée,  inculte,  est  rele- 
vée de  place  en  place  par  des  carrés  réguliers  de 
couleur  tabac  d'Espagne  foncé  :  ce  sont  les  rares 
endroits  cultivés. 

L'emplacement  de  Platée,  sorte  de  vaste  terrasse 
au-dessus  du  niveau  de  la  plaine,  se  reconnaît  à 
une  enceinte  de  murs  ruinés  qui  supportent  les 
terrains.  Çà  et  là  deux  ou  trois  colonnes;  un 
endroit  que  l'on  dit  être  le  tombeau  de  Mardonius, 
rien  que  des  pierres;  par-dessus,  ruines  d'une 
construction  turque  ou  d'une  petite  église  grecque? 
Toutes  ces  pierres,  du  reste,  sont  vilaines  et  consi- 
dérablement abîmées  par  les  taches  de  lichen. 

De  Kokla  à  Erimo-Castro,  où  nous  arrivons 
à  2  heures  de  l'après-midi,  rien.  Nous  suivons 
toujours  la  plaine  sur  un  chemin  passable,  nous 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  8  I 

passons  deux  ou  trois  ruisseaux  oii  nos  chevaux 
enfoncent  dans  la  boue;  partout  ces  affreux  petits 
bouquets  épineux  qui  ressemblent  à  des  hérissons 
verts  et  qui  m'ont  si  joliment  arrangé  les  chevilles 
l'autre  jour,  en  revenant  de  f  Ilyssus. 

Thespies  est  sur  un  mamelon  qui  semble, 
quand  on  arrive  dessus,  juste  entre  l'Hélicon  et 
le  Parnasse.  Un  troupeau  de  moutons  est  éche- 
lonné au  hasard  sur  le  mamelon.  Tantôt  à  Kokia, 
quand  nous  sommes  partis,  le  pays,  silencieux 
d'hommes,  ne  résonnait  que  du  bruit  de  fer  des 
clochettes  des  troupeaux;  après  cela,  rien. 

Nous  logeons  dans  l'école.  Aux  murs  sont  sus- 
pendus des  tableaux  imprimés  pour  les  jeunes 
gars,  avec,  à  quelques-uns,  un  petit  bâton  démon- 
stratif. 

Manière  grecque  de  tenir  les  rênes  d'un  cheval.  — 
Aux  murs  extérieurs  d'une  église  située  à  dix 
minutes  du  village,  sur  un  autre  mamelon,  Giorgi 
nous  montre  :  i°  Un  bas-relief  représentant  un 
cavalier  drapé  seulement  au  torse,  tenant  ses 
rênes  de  la  main  gauche,  les  ongles  en  dessus; 
dans  le  col  du  cheval  on  voit  très  bien  les  trous 
où  s'attachait  la  bride  métallique,  disposition  qui 
se  retrouve  partout,  non  pas  sur  le  col  comme 
ici,  mais  à  la  bouche  du  cheval  (ici,  sic)  et  à  la 
main  du  cavalier.  Celui-ci,  à  la  main  droite,  tient 
un  bâton,  la  main  posant  sur  la  cuisse,  comme 
une  cravache;  la  jambe  gauche  du  cheval,  enlevé 
au  galop,  est  courbée  en  l'air,  très  longue; 

2°  Une  statue  de  femme,  grande  Victoire  avec 
des  ailes  (sans  tête),  style  dur  et  sec  (en  marbre 
pentélique),  poitrine  étroite,  une  bosse  sous  le 
nombril,  mouvement  de  ventre  exagéré;  un  relief 

6 


82  NOTES   DE  VOYAGES. 

triangulaire,  dans  le  niveau  du  marbre,  immédia- 
tement au-dessus  de  la  draperie  qui  passe  au  haut 
des  cuisses  et  dont  les  lignes  latérales  s'en  vont 
dans  la  direction  de  l'aine  (un  peu  au-dessus, 
pourtant,  il  me  semble?); 

3°  Un  adolescent  regardant  un  chien,  stjle 
mou,  cuisses  détestables.  Après  le  Parthénon,  j'ai 
bien  peur  de  ne  plus  trouver  rien  de  beau  en 
sculpture. 

Nous  sommes  assiégés  par  des  enfants  qui 
chantent  des  noëls  à  notre  porte,  et  qui  quelque- 
fois fentr'ouvrent;  ils  vont  ainsi  de  porte  en  porte, 
chanter  dans  tout  le  pays.  Quel  silence  dans  ces 
villages  grecs!  Quel  désert!  Tout  l'après-midi  le 
vent  a  soufflé  avec  fureur,  nous  sommes  abîmés 
de  fumée,  des  troncs  d'arbres  entiers  brûlent  dans 
notre  cheminée,  dont  le  manteau  est  découpé 
comme  une  pèlerine. 

Erimo-Castro ,  8  heures  et  demie. 

Lundi  6.  —  D'Erimo-Castro  à  Panapanagia,  on 
monte  par  une  pente  douce  se  rapprochant  tou- 
jours de  l'Hélicon,  qui  est  à  votre  droite.  Vu  à 
sa  base,  l'Hélicon  a  l'air  d'un  dos  d'éléphant  ou 
plutôt  d'une  carapace  de  tortue  très  bombée,  verte, 
avec  le  dessus  blanc;  nous  ne  voyons  que  le  ver- 
sant oriental.  Il  a  trois  grandes  rides  parallèles  qui 
partent  d'en  haut  et  coulent  en  bas,  plus  foncées 
comme  couleur,  presque  noires,  pleines  d'ombre. 
A  travers  la  neige,  nous  voyons,  aux  deux  tiers 
de  son  élévation,  des  pins  très  verts. 

A  Panapanagia,  quantité  de  pressoirs  sur  les 
maisons.  Ce  sont  des  boîtes  carrées  avec  des  bras, 
comme  serait  une  chaise  à  porteur  renversée  la 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  83 

tête  en  bas.  Après  le  village  nous  entrons  dans 
une  église  à  sales  peintures  grecques  oii  notre 
drogman  (quel  drogman!  miséricorde!)  nous 
montre,  sur  une  colonne,  une  inscription  grecque 
illisible  pour  nous;  il  nous  dit  que  tous  les  voya- 
geurs tiennent  beaucoup  à  la  voir. 

La  route  prend  à  droite,  on  a  l'air  de  quitter 
THélicon  et  de  passer  seulement  entre  deux  col- 
lines, puis  tout  à  coup  le  sentier  tourne  brusque- 
ment à  gauche  et  l'on  est  sur  le  versant  gauche 
d'une  ravine  escarpée.  Le  chemin,  qui  court  au 
flanc  de  la  montagne  en  montant,  en  s'enfonçant, 
en  se  relevant,  va  parmi  les  pierres  et  les  chênes 
nains,  au  bruit  du  ravin  qui  coule  en  bas,  au-des- 
sous du  vous.  Le  pan  de  droite,  à  pic,  est  décoré 
de  rochers  gris  taillés  comme  des  cristaux,  tenus 
dans  de  la  terre  rougeâtre,  avec  des  bouquets  de 
chênes  nains  et  de  chênes  tout  autour.  Les  chênes 
dépouillés  sont  plus  grands,  ils  se  tiennent  auprès 
de  l'eau  ;  d'à  côté  de  vous  partent  de  la  roche  des 
fontaines  qui  se  perdent  entre  les  troncs  des  ar- 
bustes et  vont  tomber  dans  le  torrent. 

Un  soleil  chaud  nous  tiédissait,  on  était  étourdi 
du  bruit  des  eaux,  on  avait  les  yeux  singuhère- 
ment  réjouis  par  les  couleurs  des  roches  et  du 
feuillage,  j'ai  passé  dans  tout  cela  avec  un  sourire 
du  cœur  sur  les  lèvres. 

Une  grâce  pleine  de  majesté  ressort  du  singu- 
lier dessin  de  cette  ravine,  qui  est  comme  un 
grand  couloir  bordé  de  séductions  rustiques.  J'ai 
vu  de  plus  beaux  paysages,  aucun  qui  m'ait  plus 
intimement  charmé.  A  droite,  il  y  a  des  dé  vais 
de  la  montagne  tout  verts,  faiblement  creusés, 
s'évasant,  avec  des  troncs  noueux  de  chênes  sans 


84  NOTES  DE  VOYAGES. 

feuilles  çà  et  là,  tapis  pour  les  pieds  des  Muses, 
quand  elles  descendaient  boire  au  ravin. 

Peu  à  peu,  cependant,  cela  s'élargit,  on  monte, 
les  deux  côtés  s'abaissent. 

Zagora.  —  Déjeuner  par  terre  sur  une  cou- 
verture que  des  paysans  nous  prêtent.  La  maî- 
tresse du  tapis  a  sur  le  dos  deux  grosses  tresses 
de  laine,  tressées  comme  des  cheveux,  et  portant 
au  bout  quatre  glands  d'argent;  autour  de  sa 
taille,  une  énorme  ceinture  noire;  jupon  très  brodé 
en  rouge.  Sur  le  gros  paletot  de  dessus,  broderies 
sous  les  aisselles  et  sur  les  deux  côtés;  de  la  bro- 
derie sortent  horizontalement  des  peluches,  qui 
font  des  étages  successifs  de  franges.  Sur  la  tête, 
mouchoir  d'une  description  difficile  et  que  l'on 
nous  promet  de  pouvoir  acheter  à  Delphes;  par- 
dessus elle  croise  un  voile  blanc.  Ce  costume  a 
été  observé  sur  une  fille  blonde  rousse,  à  cheveux 
épars  autour  des  joues,  et  qui  nous  rappelle  en 
laid  M""  Pradier. 

Après  Zagora,  prairie,  quelques  peupliers  épars, 
rares,  espacés  au  bord  de  la  petite  rivière;  leur 
tronc  ressemble  à  des  têtards,  et  de  là  partent,  se 
dirigeant  immédiatement  en  haut,  les  branches. 
On  entre  bientôt  dans  un  petit  bois  de  chênes,  les 
arbres  vous  viennent  à  la  hauteur  du  flanc,  on 
passe  à  cheval  entre  eux.  Le  terrain,  ici,  fait  une 
grande  courbe  très  adoucie,  d'oii  il  résulte  que  le 
sommet  du  bois,  exposé  inégalement  à  la  lumière, 
revêt  des  teintes  différentes  :  à  droite  foncé,  clair 
devant  vous,  tandis  qu'à  gauche  un  glacis  violet 
commence  à  onduler  en  nappe  transparente  sur 
la  couleur  de  fer  des  feuilles. 

Avant  le  bois,  entre  deux  gorges,  nous  aper^ 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  8  5 

cevons  très  loin  une  montagne  toute  blanche,  de 
la  blancheur  de  la  poudre  d'iris,  sur  laquelle  se 
joue  une  toute  petite  teinte  rose  :  ce  sont  les  mon- 
tagnes de  Corinthe. 

Personne,  silence  complet,  pas  de  vent,  seu- 
lement de  temps  à  autre  le  bruit  de  l'eau.  On 
monte  encore,  et  voici  que  s'ouvre  devant  vous 
un  grand  flot  de  terrain  qui  se  courbe  avec  rapi- 
dité, se  relève  devant  vous  un  peu  sur  la  droite, 
et  va  s'écouler  tout  à  fait  à  droite,  vers  la  plaine 
d'Orchomène  que  l'on  commence  à  voir.  A 
gauche,  mouvement  grandiose,  portant  son  bois 
de  chênes  brun  rouge,  violacé  maintenant.  Entre 
eux,  larges  pelouses  qui  descendent.  La  lumière 
tranquille,  tombant  d'aplomb  et  d'en  haut  comme 
celle  d'un  atelier,  donnait  aux  rochers  et  à  tout 
le  paysage  quelque  chose  de  la  statuaire,  sourire 
éternel  analogue  à  celui  des  statues. 

Au  premier  plan,  la  descente;  traces  d'une  an- 
cienne voie;  devant  vous  le  terrain,  très  creusé, 
remonte  en  une  haute  montagne  très  portée  sur 
la  droite,  et  qui,  s'échancrant  et  finissant  brus- 
quement à  la  partie  gauche,  laisse  derrière  elle 
et  en  perspective  voir  d'autres  montagnes.  Si  vous 
tournez  ta  tête,  vous  apercevez  la  plame  d'Orcho- 
mène,  toute  plate,  avec  le  lac  de  Copaïs  s'éten- 
dant  dessus  en  large,  à  rives  basses,  au  milieu  des 
sables.  Nous  descendons  sur  des  dos  de  verdure. 
Troupeaux  de  chèvres;  la  première  que  j'ai  vue 
tout  à  coup  était  couleur  isabelle  et  portait  une 
grosse  clocnette  de  fer. 

Max  est  loin  devant  nous;  deux  dogues  vigou- 
reux, blanchâtres,  à  queue  fournie,  s'élancent 
sur  mon  cheval  en  aboyant,  les  pasteurs  les  rap- 


86  NOTES  DE  VOYAGES. 

pellent  à  eux,  avec  un  cri  guttural  qui  me  remet 
en  tête  ceux  des  muletiers  de  la  Corse  :  tâe  !  tâe  ! 
Sur  les  versants  sont  des  enclos  en  pailles,  ovales 
et  dont  les  murs  sont  très  inclinés  en  dedans  : 
c'est  pour  les  moutons  dont  nous  voyons  ici  de 
grands  troupeaux;  laine  singulièrement  blanche 
et  assez  propre  pour  figurer  dans  une  idjHe,  ce 
que  j'attribue  à  leur  habitude  de  toujours  vivre  en 

f)Iein  air;  à  côté  de  ces  parcs,  grandes  huttes  pour 
e  berger.  J'en  remarque  un  presque  rond  où 
il  y  a  dedans  d'autres  petits  enclos  :  l'un  est  pour 
les  génisses,  un  autre  pour  les  béliers,  sans 
doute,  tout  comme  au  temps  de  Polyphème, 
quand  il  trayait  son  troupeau  sur  le  seuil  de  sa 
caverne. 

Descendant  toujours  par  un  versant  qui  incline, 
pour  nous,  de  droite  à  gauche,  nous  arrivons 
bientôt  au  village  de  Kotomoula. 

N  (Dans  une  chambre  voisine  du  khan  où 
nous  sommes,  une  vieille  femme  chante  un  air 
dolent  et  nasillard,  une  autre  voix  s'y  mêle,  je  con- 
tinue.) 

Kotomoula.  —  Nous  tournions  dans  les  rues  du 
village  quand  nous  avons  entendu  des  voix  en 
chœur,  et,  tout  à  coup,  sur  une  place,  nous  avons 
vu  un  chœur  de  femmes,  avec  leurs  vêtements 
bariolés,  qui  dansaient  en  rond  en  se  tenant  par 
la  main.  Loin  d'être  criard  comme  les  chants 
grecs,  c'était  quelque  chose  de  très  large  et  de 
très  grave.  Elles  se  sont  arrêtées  dans  leur  danse 
pour  nous  voir  passer.  Le  chemin  était  entre  la 
place  et  un  mur;  au  pied  du  mur,  se  chauffant 
au  soleil,  d'autres  étaient  assises  et  couchées  par 
terre,  vautrées  comme  si  elles  eussent  été  sur  des 


■ 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  87 

tapis.  Rêve  du  bonheur  de  Papety!  L'une  d'elles, 
la  tête  sur  les  genoux  d'une  autre,  se  faisait  cher- 
cher ses  poux.  —  Petit  enfant  avec  un  bonnet  de 
drap  brodé,  couvert  de  piastres  d'or,  avec  des 
gales  he  de  vin  sur  le  visage. 

Quand  nous  avons  été  à  une  portée  de  cara- 
bine en  bas  du  village,  notre  guide  nous  a  fait 
revenir  sur  nos  pas,  la  route  était  défoncée;  nous 
avons  revu  sur  la  hauteur  l'essaim  colorié  de  toutes 
ces  femmes,  qui  nous  suivaient  de  l'œil;  elles  au- 
ront repris  leur  danse  sans  doute? 

On  tourne  à  gauche  pour  doubler  le  mont 
derrière  lequel  est  Lebadée. 

La  plaine  d'Orchomène  à  notre  droite,  le  lac 
Copaïs  s'étend.  La  plaine  est  fermée,  sur  son  coté 
oriental,  par  des  montagnes,  qui  semblent  sépa- 
rées et  non  en  murs  comme  celles  de  l'Eubée  : 
une,  puis  une  autre,  la  voie  reparaît  par  places, 
nous  passons  des  ponts,  quelques  arbres.  Tout  à 
coup  Livadia  derrière  un  monticule. 

LivADiA.  —  Toits  en  tuiles  avec  des  pierres 
dessus,  maisons  huchées  en  pente;  aspect  suisse, 
dessins  Hubert;  —  beaucoup  d'eau,  beaucoup 
d'eau,  des  mouhns.  C'est  Noël,  les  hommes,  très 
propres,  se  promènent  manteau  sur  l'épaule  et 
en  fustanelle.  Avant  d'arriver  à  la  ville,  quelques 
jardins  légumiers.  —  Rencontre  du  commandant 
de  gendarmerie.  —  Nous  logeons  dans  un  khan 
qui  a  balcon ,  l'escaher  a  son  pied  dans  l'écurie. 

Notre  muletier  nous  a  conduits  au  bout  du 
pays,  près  de  la  source,  au  pied  de  l'acropole, 
sur  laquelle  ruines  franques,  selon  Buchon;  moi  je 
n'ai  vu  (mais  je  n'y  suis  pas  monté)  que  des  ruines 
turques.  A  droite,  laissant  le  pont  en  compas  à 


NOTES  DE  VOYAGES. 


gauche,  à  l'entrée  d'une  gorge  profonde  et  pres- 
que à  pic,  la  roche  est  entaillée  de  ^quantité  de 
petites  niches,  comme  sur  la  route  d'Eleusis,  mais 
bien  plus  nombreuses;  quelques  entaillements 
quadrilatéraux,  mais  rares.  D'abord,  une  espèce 
de  chapelle  avec  des  niches  autour  puis  en  retour; 
tout  le  long  de  la  roche,  fendue  de  deux  grandes 
fentes  horizontales  (naturelles?),  comme  si  l'on 
avait  voulu  en  enlever  une  grande  tranche,  petits 
trous  inégaux,  gros  comme  les  deux  poings  et 
plus,  et  niches;  à  niveau  du  sol,  entrée  d'une 
grotte  où  il  faut  se  courber  pour  pénétrer.  — 
M.  Buchon  dit  qu'au  fond  il  y  a  un  puits. 

De  l'autre  côté  du  pont,  en  face,  autre  grotte 
naturelle  beaucoup  plus  haute;  elle  sert  d'écurie 
à  des  ânes.  Peu  profonde  et  finissant  en  pointe. 
Est-ce  là  l'antre  de  Trophonius?  Mais  Pausanias 
n'aurait  pas  dit  :  «  L'oracle  est  sur  la  montagne 
qui  domine  le  bois  sacré  » ,  ou  bien  foracle  était 
bien  éloigné  de  l'antre.  Ou  aurait-il  été  sur  ce 
qu'on  appelle  maintenant  l'acropole?  S'il  en  est 
ainsi,  ce  ruisseau  serait  l'Hercjna?  mais  où  aurait 
été  le  bois  sacré.  «  Lebadée  est  séparée  par  le 
fleuve  Hercjna  du  bois  sacré  de  Trophonius  ». 
De  l'autre  côté?  mais  où  la  montagne  complè- 
tement pierreuse  remonte  tout  de  suite.  En 
tout  cas,  la  quantité  de  niches  à  offrandes  que 
Ton  voit,  en  cet  endroit,  peut  permettre  l'hypo- 
thèse. 

Lebadée  (Livadia),  9  heures  du  soir. 

Mardi  7.  —  Quoique  levés  à  5  heures  et  demie 
nous  ne  sommes  partis  que  deux  heures  après, 
grâce  à  la  lenteur  de  Giorgi;  rien  n'était  prêt,  et 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  89 

le  gendarme  (nous  en  avons  changé)  n'était  pas 
arrivé. 

Le  Parnasse,  au  soleil  levant,  montrait  toutes 
ses  neiges;  il  était  taillé  en  deux  tranches  aiguës, 
proéminentes,  appuyées  sur  des  bases  très  larges 
qui  en  faisaient,  à  l'œil,  la  transition.  Sommet 
épaté,  mince,  d'un  blanc  brillant  comme  de  la 
nacre  vernie;  la  lumière,  qui  circulait  dessus,  sem- 
blait un  glacis  d'acier  fluide.  Bientôt  une  teinte 
rose  est  venue,  puis  s'en  est  allée,  et  il  est  rede- 
venu blanc,  avec  ses  filets  noirs  placés  oii  la  ver- 
dure paraît,  où  la  neige  n'est  pas  tombée.  Derrière 
nous,  une  partie  du  ciel  toute  rouge,  roulée  en 
grosses  volutes,  avec  des  moires  en  bosses,  et 
entre  elles  des  places  brunes  de  cendre. 

La  vallée  ici  (fin  de  la  plaine  d'Orchomène) 
est  assez  large;  des  deux  cotés  les  versants  des 
montagnes,  peu  élevés,  s'épatent  jusqu'à  vous. 
Bouquets  de  chênes  nains,  reste  de  la  même 
petite  voie  qu'hier,  beaucoup  de  boue,  chemin 
exécrable  pour  les  chevaux. 

Giorgi  avec  son  cheval  est  tombé  dans  un  trou 
plein  d'eau,  il  en  a  eu  jusqu'aux  aisselles,  le  che- 
val s'en  est  allé  de  son  coté,  l'homme  du  sien.  A 
peine  s'en  était-il  dépêtré  que  je  le  vois  s'y  repré- 
cipiter avec  fureur,  c'était  pour  sauver  le  bissac 
aux  provisions;  il  est  revenu  sans  lui  sur  le  bord 
du  trou.  Peu  ému  et  avec  un  calme  très  stoïque, 
il  a  attendu ,  pour  changer,  le  bagage  qui  nous  sui- 
vait de  loin. 

Le  Parnasse  est  devant  nous;  il  y  a  une  gorge 
à  chacun  de  ses  bouts,  nous  devons  prendre  celle 
de  gauche.  De  là  je  vois  trois  grands  mouve- 
ments de  terrain  peu  distincts  :  d'abord  une  petite 


po  NOTES  DE  VOYAGES. 

montagne  ronde  toute  verte,  séparée  de  ce  qui 
est  derrière  elle  et  avancée  vers  nous;  puis,  der- 
rière cette  masse  verte,  un  mamelon  plus  gros, 
qui  dépasse  le  précédent  en  hauteur  et  en  lar- 
geur, et  de  teinte  roussâtre;  et  enfin,  dépassant 
tout  cela,  au  troisième  plan,  le  Parnasse,  blanc, 
avec  ses  deux  grandes  côtes  à  chaque  extrémité, 
et  dont  la  base  est  verte. 

La  route  tourne  à  gauche,  et,  pour  l'Hélicon, 
semble  d'abord  éviter  la  montagne;  il  semble  que 
l'on  va  seulement  prendre  le  Parnasse  par  der- 
rière, que  l'on  a  maintenant  à  sa  droite.  On  se 
trouve  dans  un  large  vallon,  au  fond  duquel  coule 
un  ruisseau  tombant  de  rochers  en  rochers,  de 
grandeur  moyenne,  en  le  lit  d'un  grand  ravin; 
l'eau,  sur  sa  couche  de  graviers  blancs  et  entre 
ses  berges  escarpées,  m'a  semblé,  ainsi  que  les 
roches,  couleur  bleu  turquin  très  pâle,  comme  si 
tout  cela  était  lavé  par  une  teinte  délayée  de  bleu 
de  lessive.  La  route  est  sur  les  bords  de  ce  torrent, 
que  l'on  traverse  plusieurs  fois,  tantôt  à  gauche, 
tantôt  à  droite.  La  montagne,  à  main  gauche,  est 
rayée  en  long,  de  place  en  place,  par  des  lignes 
vert  de  bouteille,  avec  un  fond  plus  brun,  comme 
si  le  dessous  était  à  l'encre  de  Chine  :  ce  sont 
des  sapins  qui  descendent,  partant  des  grandes 
masses  noires  qui  viennent  après  la  zone  de  la 
neige.  Du  bas  des  sapins  jusqu'à  nous,  grande 
pente  creusée,  couverte  de  verdure;  à  main  droite, 
la  montagne  de  temps  à  autre  s'achève  en  pans 
de  murs  naturels,  placés  à  pic  sur  le  sommet 
oblique  de  la  montagne  :  ils  s'arrêtent  et  re- 
prennent, comme  si  l'intervalle  qu'il  y  a  entre 
eux  fût  une  brèche  qui  les  eût  rasés. 


ATHENES   ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  9  I 

Nous  tournons  brusquement  à  gauche.  Y  a-t-il 
un  autre  chemin  vers  la  route?  Est-ce  là  la  place 
du  chemin  fourchu  d'Œdipe?  — Tombeau  de 
Laïus,  où  es-tu? 

A  midi  moins  le  quart,  nous  arrivons  au  khan 
Gemino,  près  d'une  petite  fontaine  où  nous 
voyons  un  âne,  une  Anglaise  à  grand  chapeau  et 
en  veste  de  tricot,  deux  Anglais  et  un  Grec  qui 
voyage  avec  eux  et  les  exploite,  selon  Giorgi, 
lequel,  monté  sur  un  tas  de  matelas,  fait  du  haut 
de  son  mulet  la  conversation  avec  nous.  Comme 
nous  sommes  aux  fêtes  de  Noël,  le  khan  est 
fermé.  —  Déjeuner  sur  la  fontaine,  avec  un  maigre 
poulet  et  les  re-éternels  œufs  durs  du  voyage.  La 
pluie  tombe.  Nous  saluons  le  Parnasse,  en  pen- 
sant à  la  rage  que  sa  vue  aurait  excitée  à  un  ro- 
mantique de  1832,  et  nous  repartons. 

La  pluie  nous  empêche,  à  vrai  dire,  de  voir  le 
pays  jusqu'au  village  d'Arachova.  De  loin,  en 
apercevant  les  murs  blancs  de  ses  maisons,  j'ai 
cru  que  c'étaient  des  places  de  neige  sur  l'herbe. 
Le  village  est  grand,  situé  sur  un  coteau,  avancé 
à  peu  près  dans  la  position  de  Zafed  en  Syrie. 
Après  le  village,  champs  de  vignes;  en  haut  des 
carrés  de  vignes,  sur  les  bords  du  chemin,  des 
cuves  en  maçonnerie  dont  le  fond  très  incliné  se 
déverse,  par  une  petite  ouverture  longitudinale, 
dans  une  sorte  de  petits  puits  d'où  l'on  retire  le 
jus  de  la  grappe. 

La  route  a  toujours  été  inclinant  sur  la  droite, 
on  a  maintenant  le  Parnasse  derrière  soi,  on  l'a 
tourné;  bientôt,  dans  la  perspective  d'une  ravine 
très  profonde,  entre  les  montagnes,  on  aperçoit 
un  bout  de  mer.  La  ravine  s'agrandit,  on  arrive 


92  NOTES  DE  VOYAGES. 

sur  elle.  A  gauche,  à  dix  pas  de  la  route,  ruines 
grecques  :  mur  en  pierres  sèches  carrées,  la  con- 
struction fut  quadrilatérale.  Nous  avons  marché 
tout  à  l'heure  sur  des  tronçons  d'une  voie  antique, 
beaucoup  plus  large  que  celle  d'hier  et  de  ce 
matin  en  partant  de  Livadia.  A  distances  rappro- 
chées les  unes  des  autres,  deux  ou  trois  mètres 
au  plus,  des  lignes  transversales  qui  sortent  du 
niveau  du  pave  pour  arrêter  les  pieds  des  che- 
vaux. 

Au  fond  du  ravin,  coule,  blanc  comme  une 
anguille  de  nacre,  un  ruisseau  qui  se  tortille  entre 
un  bois  d'oliviers;  il  va  s'épatant  ensuite  dans  la 
plaine  que  nous  devons  passer  demain.  A  gauche, 
le  golfe  de  Salona  s'avance  dans  les  terres  ;  après 
le  golfe,  montagne;  après,  une  autre,  puis  une 
troisième,  noyée  dans  la  brume,  et,  de  côté  (à 
droite),  d'autres  qui  se  pressent  comme  des  têtes 
de  géants  qui  se  poussent  pour  voir. 

Delphes.  —  Au  premier  plan,  à  droite,  mon- 
tagne de  Delphes.  Deux  pics  en  arrivant  (à  pic, 
taillés  à  facettes  comme  un  acculement  infini  de 
piliers  décapités,  étages  tout  du  long),  de  ton 
brun  rouge,  avec  des  bouquets  de  verdure  sur  les 
sommets  plats  de  chaque  fût  de  roche.  C'est  un 
paysage  inspiré!  il  est  enthousiaste  et  lyrique! 
Rien  n'y  manque  :  la  neige,  les  montagnes,  la 
mer,  le  ravin,  les  arbres,  la  verdure.  Et  quel  fond  ! 
Nous  passons  près  de  la  fontaine  Castalie,  oii 
plutôt  au  milieu  (le  bassin  est  à  droite  et  la 
chute  à  gauche),  laissant,  de  ce  côté,  des  oliviers 
à  grande  tournure  et  d'un  vert  splendide. 

Nous  descendons  dans  une  maison,  il  n'y  a  pas 
de  cheminée;   nous  allons  dans    une  autre,   où 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  93 

dans  la  chambre  qu'on  nous  destine  deux  couver- 
tures sont  étendues  par  terre,  de  chaque  côté  de 
la  cheminée,  qui,  le  soir,  nous  abîme  de  fumée. 

Giorgi  nous  présente,  pour  nous  servir  de 
guide,  une  manière  de  gendarme  qui  baragouine 
un  peu  de  français.  Nous  sortons  avec  lui,  il  nous 
montre  d'abord,  dans  une  roche,  un  caveau  con- 
tenant trois  tombeaux  vides,  auges  creusées  à 
même  le  rocher  avec  une  arcade  en  dessous  :  cela 
m'a  l'air  chrétien  et  ressemble  aux  tombeaux  des 
cryptes,  comme  aux  catacombes  de  Mahe.  C'est 
ici  le  rendez-vous  de  tous  les  chiards  du  pays,  on 
marche  sur  une  effroyable  quantité  d'étrons  de 
toute  dimension. 

Petite  église  grecque,  avec  un  reste  de  mur 
qui  a  l'air  grec  dans  certaines  parties,  cyclopéen 
(quoique  les  pierres  soient  bien  petites  pour  cela) 
dans  d'autres.  Dans  l'église,  une  pierre  avec  une 
inscription,  oij  nous  lisons  ce  mot  ^i^iodm-n. 
Cimetière  autour  de  l'église,  sans  tombes  ni 
croix,  seulement  des  petites  boites  en  bois  (des- 
tinées à  recevoir  des  chandelles)  et  couvertes  avec 
des  pierres;  quand  il  y  a  un  an,  deux  ans  que 
cela  dure  ainsi,  on  laisse  la  boîte  et  puis  c'est 
tout,  pas  plus  de  monument  sépulcral  que  ça! 
rien ,  on  voit  seulement  que  la  terre  a  été  un  peu 
remuée. 

Dans  les  environs,  le  terrain  semble  indiquer 
un  théâtre  et  un  tronçon  de  construction  concave; 
le  stade,  nous  dit  le  guide,  était  au-dessus. 

Nous  passons  pour  revenir  vers  la  fontaine, 
devant  un  grand  pan  de  mur  qui  soutient  des 
terrains  :  c'est  la  plus  grande  ruine  de  Delphes. 

Comme    nous   arrivions    à   la    fontaine,    une 


94  NOTES  DE  VOYAGES. 

femme,  coiffée  de  rouge,  se  tenait  debout  auprès 
de  la  chute,  en  deçà  de  la  route,  sous  les  oli- 
viers; une  bande  d'enfants  nous  suivait,  quelques 
femmes  lavaient  du  linge. 

Pour  arriver  au  bassin,  plein  de  cresson,  on 
monte  sur  de  grosses  pierres  de  marbre.  Au  delà 
du  bassin,  excavation  carrée  dans  le  roc,  allant 
ainsi  par  le  haut,  qui  est  garni  de  troncs  morts 
d'un  lierre;  sur  cette  surface,  trois  niches,  une 
petite  chapelle  moderne,  en  pierres  sèches  (re- 
couvrant Vbéroum  d'Antinous?);  plus  à  gauche, 
gorge  étroite   comme  un  couloir  et  très  haute; 

I  T  I  T  I  T 

l'eau  coule  sur  des  rochers  de  marbre  vert  et  de 
marbre  rouge  à  raies  vertes  transversales. 

Nous  descendons  dans  les  oliviers,  à  gauche 
de  la  route;  en  descendant,  un  grand  carré  dans 
la  roche  fendue  par  le  milieu  et  avec  tenons, 
comme  s'il  y  avait  eu  là,  collé,  quelque  grand 
tableau. 

Parmi  les  oliviers,  église  Panagîa.  C'est  la  place 
du  Gymnase,  une  femme  et  deux  enfants  nous 
regardent  de  dessus  le  balcon  de  bois  attenant  à 
la  maison  qui  est  dans  la  cour.  L'église  est  précé- 
dée de  colonnes  de  marbre;  sur  l'une  d'elles, 
couvertes  de  noms,  se  lit  «  Byron  »,  écrit  en  mon- 
tant de  gauche  à  droite,  moins  profondément 
gravé  que  sur  la  colonne  du  prisonnier  de  Chillon. 
Rien  dans  l'église.  —  Dans  la  cour,  mauvais  bas- 
relief  d'homme,  grandeur  naturelle  (position 
d'indicateur  de  chemin  de  fer),  avec  des  parties 
génitales  de  sexe  douteux  (hermaphrodite?); 
c'est  pourtant  bien  un  homme,  les  bras  et  la  nais- 
sance des  mains  énormes,  les  cotes  et  les  muscles 
du  ventre  très  indiqués,   ensemble   désagréable. 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  pj 

—  Derrière  l'église,  un  mur  antique  soutenant  une 
plate-forme  ou  terrasse,  fontaine  abandonnée. 

Nous  rentrons  à  5  heures  et  demie,  nous  nous 
séchons  auprès  du  feu ,  quoique  j'étouffe  de  cha- 
leur, à  la  figure  surtout,  effet  de  la  pluie  sans 
doute.  Elle  tombe  toujours;  un  berger  a  dit  à 
Giorgi  qu'il  ferait  beau  temps  demain  parce  que 
l'on  entend  les  coqs  chanter.  Dieu  le  veuille! 

Je  ne  sors  pas  d'ébahissement  à  propos  de  la 
beauté  des  gens  d'ici.  Voilà  bien  la  figure  de 
l'homme  dans  tout  son  éclat;  les  femmes,  beau- 
coup de  blondes,  moins  belles  comparativement; 
l'enfant  et  l'adolescent  admirables.  —  Un  por- 
tant un  fusil,  nez  un  peu  avancé,  large  cheve- 
lure s'échappant  de  dessous  son  bonnet,  qui  a 
passé  près  de  nous,  en  dessous  de  la  fontaine. 
Bâton  de  berger  pour  attraper  les  moutons  par  la 
jambe. 

Castri  (Delphes),  9  heures  1/2. 

Mercredi  8.  —  La  chambre  où  nous  avons 
couché  hier  avait  un  bon  aspect;  enfermé  dans 
ma  pelisse,  et  ma  couverture  de  Bédouin  sur  les 
jambes,  je  l'ai  longuement  considérée  en  fumant 
ma  pipe,  couché  sur  mon  lit.  J'étais  dans  le  coin 
de  droite,  un  flambeau  posé  dans  l'angle  de  la 
cheminée,  je  regardais  les  poutres  noircies  de 
fumée;  une  d'elles  se  trouvait  éclairée  et  se  déta- 
chait en  gris  des  autres,  les  murs  étaient  couleur 
chocolat  foncé,  tout  le  reste  poussiéreux;  la 
grande  cheminée  ronde,  la  table  à  X  au  milieu; 
dans  les  coins,  des  tas  d'olives  qui  séchaient,  et 
des  sacs  pêle-mêle  dans  l'autre  :  c'était  un  vrai 
décor  de  théâtre  (drame  allemand),  scène  de  nuit, 


90  NOTES  DE  VOYAGES. 

le  rideau  vient  de  se  lever.  —  II  a  plu  toute  la 
nuit,  à  travers  mon  sommeil  j'entendais  les  rafales 
qui  descendaient  de  la  montagne  de  Delphes. 

Ce  matin  le  mauvais  temps  s'est  calmé,  nuages 
rouges  quand  nous  sommes  partis.  Quelque  temps 
après  que  l'on  a  quitté  Castri,  la  route  tourne 
à  droite;  on  a  à  sa  gauche,  tout  en  bas,  le  bois 
d'oliviers  qui  borde  le  ravin  de  Delphes  et  s'élar- 
git une  fois  arrivé  dans  la  plaine;  là,  il  V  a  une 
place  vide,  prairie,  puis  une  autre  grande  masse 
d'oliviers.  Au  pied  de  la  montagne  sur  laquelle 
on  est.  Crissa;  plus  loin  le  golfe  de  Salona  (en 
se  retournant  on  aperçoit  derrière  soi  les  mon- 
tagnes du  Péloponèse)  au  bord  duquel  est  Ga- 
laxidi;  en  face,  sur  les  penchants  de  la  montagne, 
de  l'autre  côté,  trois  villages  :  le  dernier  et  le  plus 
gros,  Salona. 

La  route  descend  toujours,  se  tenant  sur  le 
flanc  du  Parnasse,  que  l'on  suit  dans  la  direction 
du  Nord.  La  forme  des  montagnes  qui  sont  de 
l'autre  côté  de  la  vallée  en  face  est  ainsi  :  un  mur 
oblique  dont  la  base  s'appuie  sur  la  vallée,  le 
sommet  de  ce  mur  affecte  la  ligne  droite,  il  est 
égal  comme  niveau;  là-dessus,  un  plateau;  puis, 
dans  un  plan  plus  reculé,  les  montagnes  re- 
prennent. Au  niveau  de  ce  plateau,  des  nuages 
se  roulaient. 

Nous  descendons  toujours,  et  nous  nous  trou- 
vons au  bord  d'un  large  torrent  à  lit  tout  blanc, 
plein  de  pierres,  nous  le  passons.  L'eau  coule  sur 
la  rive  droite;  il  se  dirige  du  côté  de  la  mer, 
bordé  d'oliviers  à  sa  droite.  L'eau  est  toute  jaune, 
elle  roule  la  terre  rouge  des  terrains  supérieurs  : 
la  teinte  rouge  domine  dans  les  montagnes  de  ce 


ATHENES  ET  ENVRIONS  D'ATHENES.  ^^J 

pays,  entre  le  gris  naturel  des  roches  et  les  ver- 
dures qui  s'y  sont  cramponnées. 

Nous  apercevons  bientôt  le  village  de  Topolia, 
à  mi-côte;  devant  lui,  un  rocher  vert,  à  petits 
carrés  longitudinaux,  comme  de  grandes  mar- 
queteries; un  bois  d'oliviers  dominé  par  les  hautes 
pentes  des  montagnes.  Tout  cela  a  quelque  chose 
de  déjà  vu,  on  le  retrouve,  il  vous  semble  qu'on  se 
rappelle  de  très  vieux  souvenirs.  Sont-ce  ceux  de 
tableaux  dont  on  a  oublié  les  noms  et  que  l'on 
aurait  vus  dans  son  enfance,  ayant  à  peine  les 
yeux  ouverts?  A-t-on  vécu  là  autrefois?  N'im- 
porte! Mais  comme  on  se  figure  bien  (et  comme 
on  s'attend  à  l'y  voir)  le  prêtre  en  robe  blanche, 
la  Jeune  fille  en  bandelettes,  qui  passe  là,  derrière 
le  mur  de  pierres  sèches!  C'est  comme  un  lam- 
beau de  songe  qui  vous  repasse  dans  l'esprit... 
tiens...  tiens,  c'est  vrai!  Oii  étais-je  donc?  Com- 
ment se  fait-il?...  Après,  brrr! 

Déjeuner  sur  le  devant  d'un  épicier,  en  vue 
d'une  nombreuse  société  de  gamins  qui  nous  con- 
sidère, et  d'un  petit  chien  à  qui  nous  donnons  à 
ronger  les  os  de  notre  morceau  de  chevreau. 

On  monte  par  une  route  escarpée,  pavée,  nous 
retrouvons  la  voie  très  bien  dallée  par  places. 

Les  montagnes  sont  assez  basses,  à  bassins 
resserrés;  cirques  irréguliers  où  l'œil  se  roule  en 
des  courbes  molles,  sur  une  verdure  parfois  à 
tons  foncés  de  brun;  places  de  vignobles,  terres 
roussâtres. 

Nous  sommes  dans  un  bois  de  petits  chênes, 
à  la  hauteur  des  nuages  qui,  suspendus  sur  la 
vallée,  à  gauche,  courent  dans  le  même  sens  que 
nous.  A  un  endroit   où  la   pente  s'infléchissait, 


p8  NOTES  DE  VOYAGES. 

creusée  en  cuillère,  la  nuée  grise  a  monté  comme 
un  flot  de  fumée.  —  Feuilles  fer  rouillé  des 
chênes  à  travers  la  brume.  —  Nos  chevaux  pa- 
taugent dans  la  boue  des  neiges  fondues  et  nous 
éclaboussent  en  glissant  sur  les  pierres. 

De  temps  à  autre,  au  bord  du  chemin,  petites 
places  de  neige  très  blanches  ;  bientôt  nos  chevaux 
en  ont  jusque  par-dessus  le  sabot,  la  pluie  tombe, 
nous  prenons  nos  peaux  de  bique. 

Tout  à  coup  un  val  devant  nous,  grande  pente 
abrupte  à  notre  droite ,  couverte  de  neige  seulement 
déchirée  par  les  arbres,  qui  deviennent  plus  grands 
et  plus  tassés  :  vieux  chênes  dans  lesquels  on  a  fait 
le  feu  et  qui  n'ont  plus  que  l'écorce,  troncs  noirs 
calcinés  gisant  par  terre  au  milieu  du  blanc  de  la 
neige. 

Nous  sommes  à  une  jonction  de  montagnes, 
une  ligne  s'en  va  sur  la  gauche,  celle  qui  est  à  notre 
droite  continue  dans  le  même  sens.  Nous  sommes 
sur  une  hauteur,  vallon  étroit  très  profond  dans 
lequel  il  faut  descendre. De  l'eau,  de  l'eau,  sapins, 
chic  alpestre,  une  grande  cascade  au  delà  du  tor- 
rent à  droite;  les  arbres  sont  drapés  du  velours  vert 
des  mousses,  les  feuilles  sèches  tremblent  au  vent, 
la  route  zigzague  dans  les  chênes  et  les  sapins, 
nous  entendons  le  bruit  du  torrent  qui  descend  de 
cascade  en  cascade;  des  arbres  pourris  se  tiennent 
suspendus  sur  l'abîme;  un,  sans  feuilles,  penché 
sur  l'eau  transversalement.  Peu  à  peu  nous  nous 
rapprochons  de  l'eau. Troupeau  de  chèvres  :  nous 
nous  arrêtons  à  les  regarder  passer  sur  le  pont, 
tronc  d'arbre  jeté;  le  bouc  surveille  le  passage. 

Nous  quittons  le  torrent  et  nous  nous  élevons 
par  la  voie  pavée,  dont  de  place  en  place,  dans  la 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  pp 

descente,  se  trouvent  des  tronçons  au  hasard.  Les 
arbres  cessent  un  peu ,  un  grand  mur  gris  de  chaque 
côté.  Nous  apercevons  au  bout  une  plaine  et  quel- 
ques maisons  rouges  à  l'entrée  :  c'est  Gravia,  oij 
nous  devons  coucher.  Descente. 

Gravia,  au  pied  de  la  montagne.  —  Khan  avec 
un  foyer  sans  cheminée,  des  Grecs  y  font  cuire 
des  morceaux  de  viande  sur  des  brochettes  de 
bois.  — •  Nous  attendons  le  bagage;  on  nous  loge 
dans  un  compartiment  du  khan  réservé  aux  gens 
de  quahté  :  la  cloison  est  en  planches  non  rabotées, 
pour  plafond  les  tuiles,  entre  quatre  pierres  le  feu, 
mais  nous  sommes  séparés  du  reste  de  la  société; 
aux  pieds  de  mon  lit,  une  trappe  où  l'on  serre  le 
grain;  la  veste  du  cuisinier  se  sèche  à  notre  feu,  à 
côté  de  mon  paletot. 

La  nuit  promet  d'être  froide,  j'entends  rouler  le 
bruit  permanent  du  torrent  et,  de  temps  à  autre, 
sonner  les  clochettes  des  mulets  qui  sont  ici,  à  côté, 
dans  l'écurie. 

Gravia,  9  heures  du  soir. 

Jeudi  p.  —  En  sortant  de  Gravia  nous  trottons 
une  grande  demi-heure  et  nous  atteignons  le  pied 
de  la  montagne.  Elle  est  couverte  de  chênes,  nous 
allons  sous  les  arbres,  nous  sentons  le  vent  du 
matin  et  l'odeur  des  feuilles  mortes.  Quand  nous 
sommes  arrivés  au  pied  du  bois  tailhs,  sur  la  berge, 
un  rayon  de  soleil  illuminait  par  en  bas  les  chênes  : 
c'était  la  France  au  mois  de  novembre  tout  à  fait. 

La  route  monte  et  descend  sous  les  arbres  ;  troncs 
tout  gris,  sans  une  feuille,  couchés  par  terre  avec 
leurs  moignons  de  branches  biscornues.  (Avant 
d'arriver  à  Livadia,  il  y  en  avait  ainsi  sur  le  bord 


lOO  NOTES  DE  VOYAGES. 

du  ruisseau;  vu  de  face  (il  était  couché  oblique- 
ment) quant  à  son  mouvement  convexe,  deux 
grosses  bosses  qu'il  avait  ressemblaient  à  des  seins 
et  le  tronc,  la  poitrine,  partaient  d'au-dessus.)  De 
temps  à  autre,  une  clairière;  à  un  endroit,  les 
petits  chênes  ont  leurs  branches  toutes  couvertes 
de  lichens  verts,  pelucheux,  comme  si  on  les  eût 
engainés  dedans. 

D'en  haut  on  a  le  Parnasse  complètement  der- 
rière soi.  —  Descente.  —  La  montagne  s'appelle 
Laphovouni,  nous  haltons  à  ses  deux  tiers.  — 
Déjeuner  sur  une  fontaine.  De  là,  la  vue  s'étend 
sur  une  partie  de  la  plaine  desThermopyles;  un 
bout  de  mer  (golfe  Lamiaque)  à  droite;  sur  la 
montagne,  en  face,  à  gauche,  Lamia. 

On  descend  encore  pendant  une  demi-heure  et 
l'on  tourne  à  droite  au  pied  de  la  montagne  que 
l'on  a  descendue. 

Le  golfe  Lamiaque  s'étend  devant  vous;  la  plaine 
est  nue,  grève  blanchâtre,  sonnante  sous  le  pied 
des  chevaux,  avec  quelques  filets  d'eau  qui  courent 
dessus.  Au  pied  de  la  montagne,  qu'il  faut  tourner, 
une  abondante  source  d'eau  chaude.  Avant  d'y 
arriver,  un  poste  de  gendarmerie.  En  continuant  fa 
route ,  on  a  à  sa  gauche  un  grand  marais ,  qui  s'étend 
jusqu'à  la  mer,  et  à  sa  droite  une  longue  colline 
bombée,  à  deux  plans,  couverte  d'arbres  épineux 
et  qui  va  se  rattacher  à  la  montagne.  A  un  quart 
d'heure  de  la  source  d'eau  chaude,  on  vous  fait 
monter  sur  un  petit  tertre  carré  oia  il  y  a  des  pierres 
(restes  de  mur?)  et  l'on  vous  dit  que  c'est  là  qu'était 
le  lion  de  Léonidas.  Un  quart  d'heure  ensuite, 
s'écartant  plus  de  la  montagne  et  avancée  davantage 
dans  le  marais,  une  sorte  de  redoute  carrée.  De  ce 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  lOI 

point,  quand  on  tourne  le  dos  au  Nord,  à  la  mer, 
à  l'île  de  Négrepont,  on  a,  à  droite,  la  chaîne  de 
montagnes  de  laThessalie,  avec  Lamia  à  un  bout  et 
Stilidia  (au  bord  de  la  mer)  à  l'autre,  et  à  gauche,  à 
l'avant-dernier  plan ,  une  grosse  montagne  blanche  ; 
le  fond  est  occupé  par  une  ligne  de  montagnes  plus 
petites,  sur  laquelle  vient  s'appuyer  la  grande 
continue,  de  droite.  Sur  ce  coté  gauche,  pour 
venir  jusqu'à  nous,  deux  côtes  de  terrains  descen- 
dant parallèlement.  Suit  la  montagne,  qui  va  dans 
la  direction  de  la  mer,  s'abaissant  jusqu'à  Molos; 
on  la  suit  l'ayant  toujours  à  sa  droite  pour  aller 
jusqu'à  Molos.  Bientôt  on  découvre,  ouverte  au 
milieu,  une  haute  tranchée,  sorte  de  couloir  un 
peu  crochu,  un  peu  courbé.  Si  l'on  tirait  une 
ligne  droite,  elle  se  trouverait  aboutir  entre  Sti- 
lidia et  Agia-Marina,  petit  village  à  gauche  de 
Stilidia. 

Où  étaient  les  Thermopyles  ?  Notre  guide  et 
Buchon  sont  d'accord.  Quand  Giorgi  nous  a  dit  : 
«  Vous  y  êtes  » ,  cela  nous  a  paru  absurde.  Pourquoi 
les  Perses  n'entraient-ils  pas  plus  au  delà,  par  la 
montagne  que  nous  avons  descendue  ce  matin  ? 
Qui  les  forçait  de  venir  jusqu'ici  ?  Comment  se 
fait-il  que,  selon  Hérodote,  les  Perses  tombaient 
dans  la  mer?  la  mer  n'est  pas  là,  elle  est  à  plus 
d'une  lieue!  Faut-il  entendre  par  mer  marais?  Alors 
les  Grecs  auraient  été  sur  cette  colline  couverte 
d'épines  où  nous  nous  sommes  déchirés  tantôt 
pour  voir  s'il  y  avait  un  défilé  par  derrière,  défilé 
que  nous  n'avons  pas  vu  !  Le  marais  est  traversé  par 
un  grand  cours  d'eau;  est-ce  le  Sperchius?  Je  n'ai 
pas  vu  les  restes  du  mur  de  Justinien  dont  parle 
Buchon. 


I02  NOTES  DE  VOYAGES. 

Les  Thermopyles  ne  seraient-ils  pas  la  gorge 
étroite  au  haut  de  laquelle  est  Budanitza?  Alors 
je  comprends  que,  pour  arriver  à  ce  sommet, 
les  Perses  aient  mis  toute  la  nuit.  Quel  est  le  sens 
du  mot  précis  traduit  par  défilé  dans  Larcher?  En 
résumé,  c'est  là,  à  l'extrémité  Nord  de  cette  longue 
colline,  que  devait  se  trouver  le  passage,  ou  c'est 
la  gorge  de  Budanitza.  Dans  cette  hypothèse,  les 
Perses,  par  le  flanc,  auraient  pu  tomber  dans  la 
mer,  et  c'est  bien  là  un  défilé,  et  qui  s'ouvre  par  en 
bas,  qui  a  une  «  place  plus  large  ». 

Mais  l'objection  revient  toujours  :  Pourquoi  les 
Perses  se  sont-ils  obstinés  à  venir  par  là,  tandis 
qu'au  delà  des  sources  d'eau  chaude,  il  y  a  une 
grande  entrée  dans  la  montagne? 

Jusqu'à  Molos,  route  plate,  assez  belle,  entre 
des  arbustes. 

MoLos,  grand  village,  étendu  sur  le  terrain  ma- 
récageux, près  de  la  mer,  en  face  Stihdia  de  l'autre 
côté  du  golfe.  —  Logés  chez  un  pappas. 

Molos,  8  heures  du  soir. 

Vendredi  10.  — Journée  pénible  et  longue.  Partis 
à  8  heures  de  Molos,  arrivés  à  Rapurna  (Chéro- 
née)  à  5  heures  du  soir,  ne  nous  étant  arrêtés  que 
vingt  minutes  à  peu  près. 

En  quittant  Molos,  on  va  quelque  temps  sur  la 
plaine  mamelonneuse  qui  s'étend  jusqu'à  la  mer  ou 
côtoie  la  montagne.  —  Tournant  à  droite.  —  Un 
grand  torrent.  —  Après  l'avoir  passé  on  aperçoit 
les  platanes;  ils  augmentent. On  monte  insensible- 
ment, gardant  le  torrent  à  sa  gauche,  puis  l'on 
entre  dans  un  véritable  bois  de  platanes,  ils  sont 
tous  dépouillés,  leurs  feuilles  amortissent  le  bruit 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  103 

des  pas  de  nos  chevaux,  on  respire  une  bonne 
odeur;  le  ciel  est  barbouillé  de  sales  nuages  bruns, 
qui  estompent  le  contour  des  montagnes.  Nous 
déjeunons  (moi  avec  un  morceau  de  pain  sec)  sur 
le  tronc  incliné  d'un  gros  platane,  au  bord  du  tor- 
rent, qui  fait  un  coude  en  cet  endroit  et  dégringole 
doucement  de  pierre  en  pierre. 

Quelque  temps  après  qu'on  a  dépassé  les  pla- 
tanes et  quelques  hautes  petites  prairies  inclinées 
au  pied  des  montagnes,  on  s'élève.  —  Mamelons. 
—  A  gauche,  une  série  de  collines  se  détachant 
d'une  montagne,  et  coulant  parallèlement  vers  le 
fond  de  l'étroite  vallée,  ayant  la  forme  de  cy- 
lindres. 

Nous  nous  élevons  sur  des  crêtes  de  montagnes 
011  il  y  a  juste  la  place  du  sentier;  de  chaque  côté, 
une  vallée  d'où  l'œil  descend  par  une  pente  escar- 
pée. Les  sapinettes  ont  succédé  aux  platanes,  elles 
deviennent  de  plus  en  plus  rares,  la  végétation 
cesse. Montagnes  chenues,  gris  blanc  par  places  et 
couvertes  généralement  de  petites  touffes  épineuses 
vertes.  Nous  dominons  une  grande  plaine  noyée 
dans  la  brume  et  où  tombe  la  pluie;  au  bas  de  la 
plaine,  le  grand  village  de  Dracmano  ou  Abdon 
Rakmahill.  —  Trois  vieux  puits  comme  celui 
d'Eleusis. 

Nous  suivons  le  chemin  fangeux  qui  coupe  la 
plaine  par  le  milieu  ;  bientôt  elle  se  resserre  entre 
deux  bases  de  montagnes  qui  avancent,  on  tourne 
à  droite  légèrement,  et  l'on  entre  dans  une  seconde 
division  de  la  plaine,  où  est  situé  Chéronée.  — 
Troupeaux  de  moutons  nombreux,  tous  à  longue 
laine  et  en  bon  état.  —  Nos  chevaux  enfoncent 
dans  la  terre  marécageuse,  des  vanneaux  et  des  bé- 


Io4  NOTES  DE  VOYAGES. 

cassines  s'envolent,  de  temps  à  autre  tombe  une 
petite  pluie  fine. 

Nous  passons  à  gué  une  grosse  rivière,  le  Cé- 
phissus;  de  temps  à  autre,  pont  bâti  sur  les  places 
d'eau  dans  le  marais. 

Rapurna,  au  fond  de  la  plaine,  à  droite,  au  pied 
de  la  montagne.  Avant  d'y  arriver,  restes  d'un 
petit  théâtre  taillé  à  même  dans  la  pierre  :  les 
marches  en  sont  étroites,  on  n'y  pouvait  s'asseoir 
et  y  mettre  les  pieds  tout  à  la  fois;  au-dessus,  restes 
des  murs  de  l'acropole. 

En  suivant  la  route  que  nous  devons  prendre 
demain,  un  peu  après  le  village,  à  droite,  se  voient, 
dans  un  petit  trou  au  milieu  des  broussailles,  les 
restes  d'un  lion  gigantesque  :  ses  membres  sont 
épars,  couchés  et  cachés  pêle-mêle;  tête  colossale, 
à  crinière  frisée  autour  du  faciès.  En  marbre,  assez 
beau  travail.  A  l'extrémité  des  incisives  de  chaque 
côté  de  la  gueule,  un  trou  qui  communique  d'un 
côté  à  l'autre,  comme  si  le  hon  avait  eu,  passé  dans 
la  gueule,  un  frein. 

Les  chiens  de  Rapurna  hurlent  affreusement, 
se  ruent  sur  nous.  Nous  les  voyons  poursuivre 
deux  pauvres  diables  qui  vont  de  porte  en  porte  : 
c'est  un  aveugle  qui  joue  du  violon,  violon  à 
manche  large,  à  trois  chevilles;  il  marche  par-der- 
rière, en  tenant  sa  main  gauche  sur  l'épaule  de  son 
conducteur  chargé  de  deux  besaces;  ils  viennent  à 
la  maison  où  nous  sommes  logés,  l'aveugle  est  sans 
yeux,  une  balle  lui  a  passé  d'une  tempe  à  l'autre; 
son  compagnon  a  la  tête  enroulée  d'un  voile  noir 
en  turban,  qui  ressemble  à  un  chaperon  moyen 
âge  (duc  de  Bourgogne?),  figure  de  femme,  pe- 
tite moustache  noire,  l'air  d'une  affreuse  canaille. 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I05 

Nous  attendons  le  bagage  deux  heures,  il  arrive 
à  la  nuit;  la  pluie  tombe  à  torrents,  cela  ne  nous 
promet  pas  poires  molles  pour  demain  ! 

Rapuma,  9  h.  1/2  du  soir. 

Samedi  ii.  —  La  pluie  et  le  vent  n'ont  cessé 
toute  la  nuit,  Giorgi  a  demandé  à  coucher  dans  la 
même  chambre  que  nous.  Toute  la  famille,  qui 
l'habite,  a  passé  la  nuit  dehors,  avec  les  muletiers 
et  l'ironique  cuisinier,  dont  les  chalouars  blancs 
sont  maintenant  noirs  de  boue;  aussi,  le  matin,  les 
femmes  et  l'affreuse  nichée  d'enfants  viennent-ils 
en  grelottant  se  chauffer  à  nos  tisons.  A  travers  la 
crasse  qui  les  couvre  on  distingue  quelques-uns 
de  leurs  traits,  qui  seraient  beaux  peut-être  s'ils 
n'étaient  si  sales;  mais  quelle  saleté!  cela  dépasse 
tout  ce  que  j'ai  vu  jusqu'à  présent!  La  jeune  femme 
du  lieu  met  son  marmot  dans  son  berceau,  tronc 
d'arbre  creusé,  à  peine  dégrossi,  et  le  dandine 
auprès  du  feu  :  la  forme  de  ce  berceau  me  rappelle 
les  pirogues  de  la  mer  Rouge. 

Notre  bagage  part  en  avant,  devant  nous  pré- 
céder àThèbes;  nous  partons  après  lui,  à  ii  heures, 
couverts  de  nos  peaux  de  bique  et  de  nos  couver- 
tures de  Bédouin  mises  par-dessus  et  attachées  avec 
une  corde  sur  le  devant  de  la  poitrine,  à  la  manière 
d'un  burnous.  La  pluie  tombe  sur  nous  sans  dis- 
continuer pendant  deux  heures. 

La  route  monte  une  montagne,  puis  la  redes- 
cend; en  face  de  nous  nous  apercevons  Livadia, 
le  Parnasse  à  droite,  noyé  dans  la  brume  et  dans 
la  pluie. 

Le  bagage  s'est  arrêté  au  khan  de  Livadia,  et 
les  agajaturs  déclarent  qu'ils  ne  veulent  pas  aller 


I06  NOTES  DE  VOYAGES. 

plus  loin;  la  bêtise  de  notre  drogman  s'en  mêle, 
force  nous  est  donc  de  rester  à  Livadia  ! 

Nous  passons  la  journée  à  faire  sécher  nos  cou- 
vertures et  nos  hardes  et  à  fumer  sur  nos  lits; 
en  bas,  dans  l'écurie  par  où  l'on  monte  à  notre 
chambre ,  c'est  un  pêle-mêle  de  chevaux,  de  mulets 
et  d'hommes. 

Le  torrent  qui  passe  devant  Livadia  grossit  tou- 
jours, toute  la  plaine  est  noyée  d'eau,  la  pluie  re- 
bondit sur  les  tuiles,  le  vent  chante  à  travers  les 
planches  du  khan. 

La  soirée  fut  employée  par  nous  à  recoudre 
nos  peaux  de  bique  et  à  y  ajouter  des  genouillères 
en  fîocate. 

Dimanche  12.  —  Journée  épique! 

Partis  de  Livadia  à  7  heures  du  matin,  le  mieux 
accoutrés  que  nous  pouvons,  nous  tenons  la  plaine 
que  nous  descendons  insensiblement;  à  notre 
gauche,  au  loin,  le  lac  Copaïs  est  perdu  dans  les 
marais;  les  montagnes  sont  toutes  estompées  de 
brouillard. 

A  II  heures  nous  nous  arrêtons  dans  le  khan  de 
Julinari,  hommes  et  bêtes  y  sont  pêle-mêle,  les 
hommes  sur  une  espèce  de  plancher  en  bois,  con- 
struction carrée  qui  se  trouve  dans  un  coin  et  sur 
laquelle  est  le  foyer;  les  chevaux  sont  attachés  au 
râtelier. 

Nous  avons  changé  de  gendarme;  celui  que 
nous  venons  de  prendre  à  Livadia  est  facétieux  et 
folâtre,  il  donne  de  grands  coups  de  poing  à  tout 
le  monde,  rit  très  haut,  et  va  nous  chercher  du 
bois,  ce  que  notre  Giorgi  n'a  pas  même  l'intelli- 
gence de  faire;  le  drôle  nous  sert  encore  son  inévi- 
table agneau  et  les  éternels  œufs  durs,  ma  gorge 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  107 

se  ferme  à  leur  vue  et  je  déjeune,  comme  les  jours 
précédents,  avec  du  pain  sec.  En  face  de  moi  est 
assis,  jambes  croisées  comme  un  Turc,  le  maire 
d'un  village  voisin ,  il  mange  une  ratatouille  d'œufs  ; 
sur  ses  cuisses  passe  son  sabre;  sa  figure  est  en- 
cadrée par  sa  coiffure,  un  petit  turban  noir,  roulé 
autour  de  sa  tête,  pend  des  deux  côtés  sur  sa  joue, 
lui  passe  sur  la  partie  inférieure  du  visage,  en 
mentonnière,  et  va  s'enrouler  autour  du  col, 
comme  un  cache-nez;  c'est  un  grand  gars  d'une 
cinquantaine  d'années,  grisonnant,  nerveux,  fair 
bandit  et  très  frank. 

Nous  remontons  sur  nos  bêtes  trempées  et 
nous  poussons  notre  route  ;  il  faut  renoncer  à  aller 
àThèbes  et  à  Orchomène,  nous  allons  coucher  à 
Casa. 

Nous  pataugeons  dans  la  boue,  nous  passons 
dans  des  marais,  nos  chevaux  éclaboussent  l'eau 
tout  autour  d'eux,  j'ai  le  c.  mouillé  sur  ma  selle. 

Des  vanneaux  et  des  bécassines  s'envolent  en 
poussant  de  petits  cris,  le  chien  du  gendarme  nous 
suit  en  trottant  tant  qu'il  peut  de  ses  petites 
jambes. 

La  grêle  tombe;  nous  passons  dans  des  terres 
labourées  où  nos  chevaux  enfoncent  jusqu'au- 
dessus  de  la  cheville;  sitôt  qu'ils  le  peuvent,  nous 
les  faisons  galoper;  la  nuit  vient. 

En  passant  une  grande  place  d'eau,  le  chien  du 
gendarme  se  noie;  voilà  le  cheval  de  Giorgi  qui 
se  met  à  boiter  et  à  enfoncer  sa  tête  entre  ses 
jambes,  nous  croyons  un  moment  qu'il  va  crever 
sur  place,  et  nous  nous  demandons  si  les  nôtres 
nous  mèneront  jusqu'à  Casa;  quant  au  mien,  il 
commence  à  ne  plus  sentir  l'éperon.  Quand  je  dis 


Io8  NOTES  DE  VOYAGES. 

l'éperon,  c'est  le  mot,  car  j'ai  perdu  celui  du  pied 
gauche  auxThermopyles,  dans  ce  petit  bois  où  je 
me  suis  si  bien  déchiré,  et  d'oia  nous  avons  fait 
débusquer  un  lièvre. 

Nous  avons  tourné  brusquement  sur  la  droite, 
quittant  la  route  deThèbes;  deux  heures  après, 
nous  passons  devant  Erimo-Castro,  nous  en  avons 
encore  pour  cinq  heures,  il  est  presque  nuit,  le 
temps  devient  non  pas  pire,  c'est  impossible;  mes 

f)ieds  sont  complètement  insensibles,  j'ai  chaud  à 
a  tête.  Nous  blaguons  beaucoup  en  songeant  que 
nous  avons  perdu  le  bagage,  et  nous  nous  consul- 
tons comme  au  restaurant  pour  savoir  quoi  nous 
mangerons  à  notre  dîner  :  Garçon,  du  sauterne 
avec  les  huîtres!  une  bisque  à  l'écrevisse!  deux 
filets  chateaubriand!  crème  de  turbot!  une  croûte 
madère  !  un  feu  d'enfer  et  des  cigares  !  allez  ! 

La  neige  tombe,  elle  s'attache  aux  poils  qui  sont 
dans  l'intérieur  des  oreilles  de  nos  chevaux  et 
les  empht;  ils  ont  l'air  d'avoir  du  coton  dans  les 
oreilles. 

L'HéHcon  est  sur  notre  droite,  nous  apercevons 
des  sommets  blancs  dans  les  interstices  des  nuages 
et  du  crépuscule. 

Sur  une  éminence  oii  l'œil  est  amené  par  une 
pente  blanche  et  très  douce,  enfoui  dans  la  neige 
comme  un  village  de  Russie,  avec  ses  toits  bas, 
Kokla. 

Nous  n'entendons  plus  nos  chevaux  marcher, 
tant  la  neige  assourdit  leurs  pas,  nous  allons  nous 
perdre  pour  passer  le  Cithéron,  Giorgi  demande 
un  guide,  personne  ne  veut  venir. 

Nous  continuons;  ma  gourde  d'eau-de-vie,  que 
j'avais   précieusement    gardée    pendant    tout    le 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  09 

voyage,  me  devient  utile,  le  froid  de  ma  culotte 
de  peau  me  remonte  le  long  du  dos  dans  l'épine 
dorsale;  s'il  fallait  me  servir  de  mes  mains,  j'en 
serais  incapable.  Le  moral  est  de  plus  en  plus 
triomphant.  Mes  yeux  se  sont  habitués  à  la  neige, 
qui  re-souffle  de  plus  belle,  Maxime  en  est  ébloui. 
Nous  allons  sur  la  pente  Nord  du  Cithéron,  nous 
rapprochant  le  plus  que  nous  pouvons  vers  sa 
base,  afin  de  trouver  la  route.  Nous  passons  un 
torrent,  que  nous  laissons  à  droite,  et  nous  nous 
élevons  rapidement.  Des  pierres  sous  la  neige  font 
trébucher  nos  chevaux;  nous  sommes  complète- 
ment perdus,  le  gendarme  et  Giorgi  n'en  sachant 
pas  plus  que  nous  sur  la  route.  Pour  continuer  jus- 
qu'à Casa  il  faudrait  savoir  le  chemin  ;  quant  à  nous 
en  retourner  à  Kokla,  ce  que  nous  allons  pourtant 
essayer  de  faire,  il  est  probable  que  nous  allons 
nous  perdre  encore. 

Nous  entendons  aboyer  un  chien,  j'ordonne  au 
gendarme  de  tirer  des  coups  de  fusil,  il  arme  son 
pistolet  qui  rate;  enfin  il  parvient  à  tirer  un  coup, 
le  chien  aboie  dans  le  lointain. 

Décidément  j'ai  froid,  ça  commence  à  me 
prendre. 

Nous  redescendons,  le  gendarme  tire  encore 
deux  ou  trois  fois  des  coups  de  pistolet,  les  aboie- 
ments se  rapprochent,  nous  sommes  dans  la  bonne 
direction,  nous  repassons  le  torrent  à  sec. 

Bientôt  nous  apercevons  quelques  maisons;  les 
chiens,  en  nous  sentant  venir,  font  un  vacarme 
d'enfer;  pas  d'autre  bruit  dans  le  village,  pas  une 
lumière,  tout  dort  sous  la  neige. 

Le  gendarme  et  Giorgi  frappent  à  la  porte  d'une 
cabane,  personne  ne  dit  mot;  ils  vont  frapper  à  une 


I  1  O  NOTES  DE  VOYAGES. 


autre,  une  voix  d'homme  épouvantée  répond,  on 
ne  veut  pas  ouvrir.  Le  gendarme  donne  de  grands 
coups  de  crosse  dans  la  porte,  Giorgi  des  coups 
de  pied;  la  voix,  furieuse  et  tremblante,  répond 
avec  volubilité,  une  voix  de  femme  s'y  mêle. 
Giorgi  a  beau  répéter  milordji,  milordji,  on  nous 
prend  pour  des  voleurs,  et  l'altercation  mêlée  de 
malédictions  de  part  et  d'autre  continue.  Je  me 
range  en  dehors  de  la  porte,  près  de  la  muraille, 
dans  la  crainte  d'un  coup  de  fusil.  O  mœurs  hos- 
pitalières des  campagnards!  ô  pureté  des  temps 
antiques  ! 

A  une  troisième  porte,  enfin,  quelqu'un  de 
moins  craintif  consent  à  nous  ouvrir.  Jamais  je 
n'oublierai  de  ma  vie  la  terreur  mêlée  de  colère  de 
cette  voix  d'homme.  Quel  propriétaire!  était-il  chez 
lui!  avait-il  peur  de  l'étranger!  se  moquait-il  du 
prochain  !  et  la  voix  claire  de  la  femme  piaillant 
par-dessus  celles  des  hommes  ! 

Celui-ci  nous  mène  au  khan,  que  l'on  nous 
ouvre.  Nous  entrons  dans  une  grande  écurie  pleine 
de  fumée,  oii  je  vois  du  feu!  du  feu!  Quelqu'un 
de  là  m'a  détaché  ma  couverture,  et  je  me  suis 
approché  de  la  flamme  avec  un  sentiment  de 
joie  exquis.  Souper  avec  une  douzaine  d'œufs  à 
la  coque,  que  nous  fait  cuire  une  bonne  femme,  la 
maîtresse  du  khan.  J'ai  bu  du  raki,  j'ai  fumé,  je 
me  suis  chauffé,  rôti,  refait,  dormi  deux  heures  sur 
une  natte  et  sous  une  couverture  pleine  de  puces 
prêtée  par  l'hôtesse  du  heu;  le  reste  de  la  nuit  se 
passe  à  faire  sécher  et  à  brûler  nos  affaires.  Les 
chevaux  mangent,  le  bois  flambe  et  fume,  de  temps 
à  autre  je  me  lève  et  vais  chercher  le  bois  dont  les 
épines  m'entrent  dans  les  mains,  les  autres  voja- 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  1  1 

geurs  dorment  couchés  tout  autour  du  feu.  Quand 
il  arrive  quelqu'un,  on  crie  «  Khandji  !  Nadji  !  »,  la 
porte  s'ouvre ,  l'homme  entre  avec  son  cheval  tout 
fumant,  la  porte  se  referme,  le  cheval  va  s'attabler 
à  la  mangeoire  et  l'homme  s'accouve  près  du  feu, 
puis  tout  rentre  dans  le  calme.  —  Ronflements 
divers  des  dormeurs.  —  Je  pense  à  l'âge  de  Sa- 
turne décrit  par  Hésiode  !  Voilà  comme  on  a  voyagé 
pendant  de  longs  siècles;  à  peine  sortons-nous  de 
là,  nous  autres. 

Le  lendemain  lundi  i^  (jour  de  l'an  de  l'année 
grecque),dèsqu'on  j  voit,  nous  sortons  du  khan. 
La  neige  tombe  tassée;  un  enfant  (Dimitri,  le 
fils  de  la  bonne  femme),  avec  son  capuchon  sur 
la  tête,  gros  petit  robuste  paysan,  à  l'air  bête  et  à 
lèvres  sensuelles,  nous  sert  de  guide  jusqu'à  la 
route,  nous  n'en  avons  pas  été  loin  hier  au  soir; 
il  fallait,  comme  nous  l'avons  pensé,  laisser  le  ravin 
sur  la  gauche. 

Nous  passons  le  Cithéron  à  grand'peine,  nos 
chevaux  un  peu  plus  ne  pourraient  s'en  tirer.  La 
couverture  de  laine  de  Maxime  a  l'air  d'une  peau 
de  mouton  veloutée,  et  par  le  bas  revêt,  en  certaines 
places,  des  tons  bruns  à  glacis  d'or  (taches  de  fu- 
mée, ou  la  laine  qui  reparaît  en  dessous?)  pareils 
à  de  la  peau  de  léopard. 

A II  heures  du  matin ,  arrêtés  trois  quarts  d'heure 
à  Casa,  il  y  fait  froid.  Déjeuner  avec  du  pain  chaud 
et  pas  mal  de  petits  verres  de  raki.  Nous  remettons 
nos  couvertures  sur  nos  dos,  ma  peau  de  bique  est 
déchirée.  Avec  mon  tarbouch  rabattu  sur  les  yeux, 
ma  grande  barbe  et  mes  vêtements  de  poil  et  de 
grosse  laine,  le  tout  rattaché  par  des  ficelles  et  des 
cordons,  j'ai  l'air  d'un  Cosaque. 


1  I  2  NOTES  DE  VOYAGES. 

A  mesure  que  nous  nous  abaissons,  la  tempé- 
rature s'adoucit,  la  neige  cesse,  bientôt  le  bleu  du 
ciel  paraît. 

La  chaleur  vient;  à  Mandra  nous  retrouvons 
des  oliviers  et  du  soleil,  je  fais  ferrer  mon  cheval 
qui  boitait  d'une  façon  irritante. 

Au  khan  qui  est  avant  les  lacs  Rheïti  en  venant 
d'Eleusis,  nous  rencontrons,  dans  une  voiture, 
l'Anglaise,  les  deux  Anglais  et  le  Grec  leur  cicé- 
rone, que  nous  avons  déjà  vus  au  pied  du  Par- 
nasse, en  allant  de  Livadia  à  Delphes. 

A  Daphné,  mon  cheval  ne  veut  pas  aller  plus 
loin  et  se  cabre  plusieurs  fois. 

De  Mandra  à  Athènes,  tancé  le  jeune  Giorgi 
d'importance  et  d'une  si^belle  manière,  à  ce  qu'il 
paraît,  qu'il  a  avoué  à  Elias,  notre  hôte,  que  je 
l'effrayais  beaucoup. 

Après  le  Jardin  botanique,  rencontré  la  reine  qui 
se  promenait  en  voiture. 

Nous  sommes  rentrés  à  Athènes  à  5  heures 
moins  un  quart  du  soir;  notre  bagage  j  est  arrivé 
le  surlendemain  mercredi,  dans  la  matinée,  une 
quarantaine  d'heures  après  nous. 

Athènes,  jeudi  i6,  3  heures  de  l'après-midi. 


MUNYCHIE.  —  PHALERE. 


A  l'Est  du  Pirée,  un  petit  port  ovale,  à  entrée       \ 
étroite;  sur  le  côté  Est  de  ce  port,  restes  de  quais 
éboulés  dans  la  mer;  les  pierres  sont  très  grises, 
quoique  perpétuellement  lavées  par  l'eau.  Pour 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  I  3 

des  bâtiments  de  petit  tonnage,  ce  port  devait  être 
excellent  :  c'est  là,  Munychie. 

En  suivant  le  bord  de  la  mer,  ruines  d'une 
chapelle  oia  Sa  Majesté  vient  se  déshabiller  quand 
elle  prend  des  bains  froids.  O  rivage!  ton  sable 
fut  foulé  par  d'autres  pieds!  O  vents  de  la  mer 
Egéenne,  tu  as  rafraîchi  d'autres  derrières!!! 

II  j  a  à  Munjchie  une  espèce  de  petit  avant- 
port  ou  d'arc  très  évasé,  l'extrémité  fait  promon- 
toire, le  rivage  rentre  tout  à  fait  et  bientôt  fait 
un  cercle  charmant  :  c'est  Phalère.  H  y  a  dans  le 
dessin  de  ce  cirque  naturel  quelque  chose  de  doux 
et  de  grave.  A  l'entrée,  à  droite,  un  grand  bloc 
isolé,  énorme,  debout.  On  voit  là  dedans  entrer 
des  barques  peintes,  la  nature  avait  tout  fait 
pour  ces  gens-là  ! 

Nous  avons  continué  par  le  rivage.  —  Petites 
criques.  —  Notre  drogman  est  descendu  ramasser 
des  coquilles  pour  nous,  nos  chevaux  marchaient 
péniblement  dans  le  sable. 

Promenade  faite  le  21  janvier  1851,  mardi. 


ACROPOLE. 

SCULPTURES. 

DANS  LE  TEMPLE  DE  LA  VICTOIRE  APTÈRE. 

Bas-relief  très  ressorti,  ^  personnages  :  une  femme, 
un  taureau,  une  femme.  Hauteur  approximative, 
3  pieds. 

8 


I  l4  NOTES  DE  VOYAGES. 

En  commençant  par  la  gauche,  première  figure 
ailée,  sans  tête,  ni  bras  droit;  le  bras  gauche  seu- 
lement jusqu'au  coude,  rongé  ainsi  que  le  devant 
de  la  poitrine  et  les  deux  cuisses  ;  pieds  disparus. 
Elle  s'incline  vers  le  taureau  qui  s'élance,  le  sein 
gauche  rond,  proéminent  sous  la  draperie.  Dans 
la  ceinture,  qui  était  une  simple  corde,  trois  petits 
trous.  La  queue  du  taureau  paraît  derrière  elle.  La 
draperie,  attachée  sur  l'épaule  gauche  et  portée 
sur  cette  partie  du  corps,  qui  fléchit,  s'amasse  sur 
la  cuisse  gauche,  un  peu  relevée  à  partir  de  l'aine 
elle  coule  entre  les  deux  cuisses.  —  Le  taureau 
s'élançant,  moignons  des  jambes  de  devant,  pas 
de  tête,  cou  rongé,  puissante  musculature  de 
l'épaule  droite;  les  plis  du  col  indiquent  que  la  tête 
devait  être  baissée. 

Deuxième  figure,  vue  de  face,  deux  ailes  dans 
un  mouvement  d'élan  emporté,  sein  droit  enlevé. 
Bras  gauche  (qui  se  levait  un  peu  plus  haut  que 
l'autre,  les  deux  bras  étaient  écartés;  au-dessus  de 
ce  bras,  l'aile  est  plus  levée  que  l'autre)  n'existe 
que  jusqu'au  coude  à  peu  près.  Tout  le  mouve- 
ment de  la  draperie  est  furieux;  le  chiton,  serré 
par  une  ceinture  (un  cordon  avec  deux  trous),  est 
poussé  par  le  vent  et  colle  sur  le  sein  gauche 
pomme;  c'est  cette  partie  du  corps  qui  s'avance, 
la  jambe  et  la  cuisse  gauches  en  avant,  genou  sail- 
lant, mollet  dessiné,  les  pieds  simplement  chaus- 
sés d'une  semelle.  La  draperie  part  de  dessous  la 
fesse  droite,  dans  une  courbe  touffue,  se  porte  sur 
la  cuisse  gauche,  tourne  et  laisse  retomber  sa  plus 
grande  masse  à  la  hauteur  du  jarret  droit;  le  reste 
dégrade  entre  les  jambes  écartées  et  va  reposer  à 
terre.  La  draperie  qui  tombe  extérieurement  du 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  I  5 

bras  gauche,  largement  contourné,  par  le  bas  se 
frise  presque  en  volute.  —  Peut-être  un  peu  trop 
de  frisé  dans  fensemble  du  style  des  draperies. 

Un  torse  drapé  sans  tête.  Hauteur  de  cette  feuille 
de  papier. 

Le  bras  gauche  repose  sur  la  hanche  et  y  retient 
la  draperie  amassée  ;  la  chemise  (chiton?)  légère, 
plis  droits  suivant  le  mouvement  du  gauche;  le 
corps  reposant  sur  la  hanche  gauche,  le  ventre 
s'en  va  à  droite.  Seins  ronds.  Le  bras  gauche ,  nu , 
abondamment  couvert  au  coude  au-dessus  et  au- 
dessous  par  la  draperie  qui  passe  entre  le  bras 
faisant  angle  et  le  corps;  le  bras  droit  vêtu  de 
cette  même  chemise  fine  qui  se  ferme  de  places 
en  places  par  des  boutons  laissant  voir  le  nu  par 
losanges.  Haut  de  la  poitrine  nu,  seins  très  bas. 
Un  cordon  passe  sous  les  deux  aisselles  et  fixe  la 
chemise  au  corps  et  contourne  par  derrière  le  cou 
qui  le  porte. 

Bas-relief  de  femme  ailée  rattachant  sa  sandale. 

Même  hauteur  que  le  premier,  sans  tête  ni 
mains,  deux  ailes.  Appuyée  sur  le  pied  gauche 
dont  le  genou  est  légèrement  fléchi,  sa  main 
droite  touche  son  cou-de-pied  droit,  dont  le  talon 
vient  à  peu  près  à  la  hauteur  du  genou  gauche, 
la  cuisse  gauche  faisant  avec  la  jambe  angle  droit. 
Le  bras  gauche  retient  faiblement  la  draperie  qui 
s'échappe  et  qui,  de  ce  côté,  va  tomber,  tandis 
que,  de  l'autre,  elle  est  relevée  par  tout  le  grand 
mouvement  de  la  cuisse  droite.  La  draperie,  atta- 
chée aux  deux  épaules,  glisse  de  la  droite  qui  se 
baisse  et  tombe  jusqu'à  mi-bras,  laissant  voir  l'ais- 
selle. Sous  la  draperie  transparente,  seins  fermes 
et  ronds,  pointus  au  bout,  très  écartés.  Deux  plis 

8. 


I  I  6  NOTES  DE  VOYAGES. 

au  ventre ,  le  supérieur  plus  creusé.  Le  pied  droit 
manque.  —  On  ne  peut  se  lasser  de  voir  cette 
délicieuse  chose. 


DANS  LA  PINACOTHEQUE. 

Torse  de  femme,  chemise  plissée. 

Les  plis  tombent  tout  droit,  carrés  et  réguliers; 
entre  les  deux  seins,  un  pli  plus  large  que  tous  les 
autres  fait  milieu  et,  de  chaque  côté  de  lui,  tom- 
bent les  autres,  le  second  descendant  plus  bas 
que  le  premier,  ainsi  de  suite;  cela  va  ainsi  comme 
par  étages  jusqu'au-dessous  des  seins. 

Coiffure  de  femme  à  un  petit  torse  sans  tête. 

Les  cheveux  sont  divisés  en  deux;  de  chaque 
côté  quatre  tresses  qui  tombent  sur  les  seins,  que 
l'on  voit  entre  elles.  Les  tresses,  se  touchant 
d'abord,  vont,  à  mesure  qu'elles  descendent,  en 
s'écartant. 

Une  tête  d'homme  ceinte  d'un  cordon;  entre  le  cordon 
et  le  front,  les  cheveux  sont  disposés  en  petits  toutous 
pressés. 

Le  travail  de  chaque  boucle  peut  se  comparer 
à  une  coquille  de  colimaçon.  Quatre  rangées. 
Cette  coiffure,  faisant  courbe,  couvre  la  moitié  du 
front  et  descend  jusqu'aux  oreilles. 

Idem  dans  une  petite  tête  de  femme. 

Un  petit  has-relief  :  une  femme  et  un  faune,  partie 
inférieure  du  corps  seulement. 

La  femme,  debout  et  comme  moulée  dans  son 
vêtement  qui  lui  colle  au  corps,  vue  de  trois 
quarts  ;  les  deux  mains  cachées  sous  sa  draperie 
qui  fait  des  plis  entre  son  corps  et  son  bras  droit. 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  I  J 

Main  gauche  appuyée  sur  la  hanche  gauche, 
coude  (enlevé)  faisant  angle.  Le  voile  de  sa  tête 
pend  du  côté  droit,  lui  passe  sur  la  gorge  et 
revient  s'appuyer  sur  l'épaule  gauche.  Menton  lé- 
gèrement inchné  sur  la  poitrine.  Sa  main  droite, 
couverte  de  la  draperie,  la  tend.  —  Le  faune  est 
assis ,  cuisses  velues ,  jambes  de  bouc ,  sur  un  rocher. 
Ses  sabots  vont,  comme  hauteur,  à  mi-cuisse  de 
la  femme  ;  sa  tête  est  sur  le  même  niveau  que  la 
sienne.  Les  jambes  du  faune  sont  serrées  l'une 
près  de  l'autre,  il  voudrait  les  croiser  et  ne  peut. 
Cette  pose  est  pleine  d'esprit. 


DANS  LE  THESEUM. 

r  Personnage  rustique,  à  cuisses  et  jambes  de  chèvre. 

Adossé  tout  droit,  debout,  à  un  petit  pilier 
carré,  il  est  drapé  soigneusement,  comme  pour  se 
garantir  du  froid,  dans  un  manteau  qui  lui  passe 
sous  la  barbe  et  va  faire  une  courbe  sur  l'épaule 
gauche,  d'où  il  retombe  ensuite.  Dans  la  main 
gauche  une  syrinx.  Barbe  longue,  peu  frisée; 
oreilles  pointues  de  chèvre,  courbées  dans  le  sens 
du  front  et  confondues  avec  la  chevelure.  Pose 
d'ensemble  vivace  et  gaillarde. 

2°  Statue  d'un  vieillard  au  front  très  ridé. 

Rides  symétriques,  à  courbes  très  profondes 
sur  le  milieu  du  front.  La  poitrine  naturellement 
couverte  de  poils  de  bête.  Il  porte  sur  son  épaule 
gauche  un  personnage  sans  autres  membres  ni 
tête,  qui  porte  à  sa  main  droite  une  tête  d'homme 
beaucoup  plus  grosse  que  lui  et  même  que  n'est 
celle  du  personnage  principal. 


-/ 


I  I  8  NOTES  DE  VOYAGES. 

3°  Grand  bas-relief:  statue  plate  d'homme  de  la  vieille 
manière,  trouvée  à  Marathon. 

Guerrier  debout,  tenant  à  la  main  gauche  une 
lance;  la  droite  est  fermée  sur  la  cuisse,  le  bras 
tombe  naturellement.  Cheveux  en  petites  boucles 
tombantes  sur  la  nuque;  barbe  frisée  et  symé- 
triquement taillée  en  pointe;  œil  ouvert  et  très 
sorti.  Sur  son  épaule  droite,  passe  une  large 
bande,  qui  est  ou  la  partie  supérieure  de  sa  cui- 
rasse ou  comme  le  collet  de  son  vêtement  de 
dessus,  ou  son  baudrier,  l'épée  devant  être  au 
côté  gauche,  qui  est,  par  derrière,  caché.  Sup- 
position moins  probable ,  car  ça  a  l'air  de  devoir 
s'attacher  sur  la  poitrine.  La  ceinture  attache 
autour  du  corps  un  vêtement-cuirasse  qui  pend 
en  phs  (ou  lames)  carrés,  longs.  De  dessous  ce 
vêtement  en  passe  un  autre  à  pans  pareils,  et 
sous  ce  second  vêtement  on  voit  passer  les  phs 
inégaux  et  pressés  d'une  chemisette  à  tuyautés 
plats,  comme  au  haut  des  bras.  Doigts  des  pieds 
très  effilés,  chevilles  saillantes,  jambarts  avec  les 
rotules  saillantes  et  de  grands  phs  autour  du 
mollet. 

4"  Homme  nu,  debout,  près  de  son  cheval. 

Vu  de  face;  le  cheval  de  profil,  seulement  le 
poitrail  et  la  tête  trois  quarts.  C'est  un  petit 
tableau  en  creux.  A  gauche,  un  arbre  branchu, 
assez  nu  de  feuillage,  avec  un  oiseau  dans  ses 
branches  qui  ressemble  à  un  geai,  à  une  pie?  A 
l'arbre  s'enroule  un  serpent,  monstrueux  par  rap- 
port à  l'arbre.  Le  cavalier,  manteau  seulement  sur 
les  épaules  (un  peu  trop  grand,  svelte  et  mou  ?), 
donne  à  manger  au  serpent,  qui  avance  sa  tête 
vers  lui.  Pas  de  barbe.  —  Le  cheval  est  derrière 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  I  9 

lui,  piaffant.  —  Un  enfant,  à  droite,  apporte  au 
héros  son  casque;  de  l'autre  côté,  à  gauche,  fépée 
est  passée  à  une  branche  de  farbre  près  duquel 
sont  sa  cuirasse  et  son  bouclier. 

5°  Petit  pilier  carré  à  quatre  faces  :  trois  de  femmes, 
une  d'bomme. 

Ce  piher,  plus  large  au  sommet,  et  aux  quatre 
angles  duquel  se  voient  encore  des  trous,  servait 
de  support  à  quelque  meuble.  Trois  côtés  sont 
surmontés  d'une  tête  de  femme.  Seins.  Draperie 
largement  traitée  et  se  confondant  presque  avec 
la  paroi  même  du  pilier.  Le  quatrième  côté  a  une 
tête  d'homme  barbue.  La  représentation  s'arrête 
après  le  buste,  net.  Sur  le  milieu  de  la  paroi  qui 
est  sous  cette  tête,  un  phallus  dressé,  vu  de  face, 
avec  les  testicules. 


A    L'ACROPOLE. 

Près  le  corps  de  garde,  à  gauche  en  entrant  : 
Deux  femmes ,  l'une  assise,  l'autre  debout,  sans  tête 
ni  l'une  ni  l'autre. 

Celle  qui  est  assise  est  sur  un  tabouret;  l'autre, 
à  droite,  debout,  porte  une  boîte  dans  sa  main 
gauche,  la  partie  droite  du  buste  de  celle-ci  en- 
levée. Celle  qui  est  assise,  de  profil,  tourne  sa 
poitrine  de  trois  quarts  et  tient  sur  ses  cuisses 
quelque  chose  qui  est  brisé  (une  boîte?).  La  dra- 
perie, attachée  aux  deux  épaules,  légère,  et  cou- 
vrant les  seins,  s'échancre  en  s'inflécnissant  sur  la 
gorge  et  couvre  le  bras  droit,  oii  elle  est  retenue 
par  des  boutons  qui,  dans  les  intervalles,  laissent 
voir  la  chair  à  nu.  A  remarquer  les  plis  de  la  dra- 


I20  NOTES  DE  VOYAGES. 


perie  prise  entre  la  cuisse  droite  de  la  femme  et  le 
tabouret.  —  Entre  les  deux  femmes,  et  tourné  du 
côté  de  celle  qui  est  assise,  un  enfant  (sans  tête) 
qui  lui  vient,  comme  hauteur,  au  niveau  du  genou , 
l'épaule  droite  nue;  drapé  sur  l'épaule  gauche,  sa 
main  gauche  très  remontée,  le  coude  (caché)  de- 
vant faire  angle  aigu  sur  le  genou  gauche  de  la 
femme. 

A  côté  de  là,  une  femme  sur  un  char. 

Le  pied  gauche  seulement  repose  dessus,  fai- 
sant angle  droit  avec  la  cuisse;  le  pied  droit  est 
en  fair  complètement,  en  arrière.  (Comment  pou- 
vait-elle s'y  tenir?  la  position  des  gens  sur  les 
chars  me  paraît  toute  conventionnelle.  Dans  une 
des  tablettes  du  Parthénon,  un  guerrier,  avec  son 
bouclier  et  qui  est  sur  un  char,  a  le  pied  posé  sur 
la  jante  de  la  roue.)  Son  pied  gauche  est  posé  seu- 
lement sur  le  bord  du  char;  ses  deux  bras  en  avant 
tiennent  les  rênes  dans  un  mouvement  très  attentif. 
Le  char  est  évidemment  emporté  avec  vitesse  :  la 
draperie  est  incourbée  symétriquement  sur  le  dos, 
qui  penche  dans  tout  le  mouvement  du  corps 
porté  en  avant,  et  du  dos  elle  va  se  ramasser  sur 
le  bras.  L'avant-bras  est  nu.  Elle  a  comme  coiffure 
un  gros  chignon,  carré  par  le  bout. 


TABLETTES    DU    PARTHENON. 

Mouvement  des  jambes  de  devant  des  chevaux 
(jambe  cabrée)  très  élevé;  la  jambe  déployée 
toute  droite  serait  fort  longue.  Tous  les  chevaux 
ont  les  veines  excessivement  saillantes;  à  tous,  au 
coin  de  la  bouche,  un  trou;  sic  dans  la  main  du 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  12  1 

cavalier.  II  j  avait,  sans  aucun  doute  pour  moi, 
des  rênes  en  métal,  qui  ont  disparu. 

Dans  une  tablette,  où  une  Victoire  est  entre 
deux  cavaliers  et  arrête  l'un  (celui  qui  est  der- 
rière), une  grosse  veine  court  longitudmalement 
le  long  du  biceps  du  premier  cavalier,  qui  se  dé- 
tourne presque  de  face  et  regarde  le  spectateur. 
La  Victoire  debout  est  aussi  grande  qu'un  homme 
à  cheval;  sa  tête  est  sur  le  même  niveau  que  celle 
du  cheval  du  cavalier  qu'elle  arrête;  et  le  cheval  se 
cabre,  cette  invraisemblance  ne  choque  nullement. 

Cette  même  étude  des  veines  se  remarque  en- 
core dans  la  tablette  oii  un  cavalier  rajuste  sa  coif- 
fure tout  en  continuant  à  courir;  le  cavalier  qui 
précède  celui-ci  a  les  veines  indiquées  sur  sa  main 
gauche  :  le  bras  tombe  naturellement,  le  sang 
descend  et  doit  emplir  les  vaisseaux. 

L'effet  est  plus  marqué  encore  dans  une  tablette 
d'une  tout  autre  manière,  et  qui  évidemment 
est  d'un  autre  artiste  (inférieur).  Un  homme  est 
assis  sur  un  tabouret,  deux  femmes  sic;  l'homme 
a  la  main  gauche  levée,  le  coude  plié,  les  doigts 
sont  fermés,  et  l'index  pose  sur  fongle  du  pouce, 
comme  s'il  se  grattait  cet  ongle  avec  l'ongle  de 
l'index  :  à  sa  main  droite,  le  bras  tombe  naturel- 
lement, veines  très  marquées. 

Dans  les  Propylées,  adossé  au  mur  de  la  tour 
vénitieune,  un  torse  de  femme.  Deux  seins  pomme, 
le  gauche  couvert  d'une  draperie,  le  droit  nu! 
Quel  leton!  comme  c'est  beau!  que  c'est  beau! 
que  c'est  beau  ! 

Coiffure  des  cariatides  qui  supportent  l'architrave  du 
temple  de  Pandrose. 

Les  cheveux,  séparés  par  une  raie,  juste  sur  la 


122  NOTES  DE  VOYAGES. 

ligne  médiane,  descendent  en  bandeaux  épais,  vio- 
lemment ondes,  jusqu'à  la  hauteur  de  l'oreille, 
d'où  partent  de  chaque  côté  deux  amples  tirer 
bouchons ,  qui  passent  sur  les  épaules  et  tombent 
jusqu'à  la  hauteur  des  seins  environ.  Sur  le  der- 
rière de  la  tête,  portion  comprise  d'une  oreille  à 
l'autre ,  ce  sont  trois  grosses  couronnes  de  cheveux 
rangées  l'une  sur  l'autre;  la  quatrième  est  écrasée 
par  le  coussin  carré,  chapiteau  de  colonne  qui 
est  sur  leur  tête  et  qui  supporte  l'architrave.  De 
dessous  la  couronne  inférieure  partent  deux  grosses 
mèches  tordues  (tortis  très  lâches  et  abondants), 
tombant  naturellement  en  s'amincissant  à  mesure 
qu'elles  descendent  vers  le  nœud  qui  les  lie 
ensemble.  Les  cheveux  repartent  en  s'élargissant 
en  forme  (comme  ligne  extérieure)  de  catogan. 
Ils  sont  libres,  frisés  naturellement  en  plus  petits 
tortis,  et,  vus  d'en  bas  ou  plutôt  d'en  dessous, 
l'extrémité  de  chaque  petite  mèche  fait  une 
boucle. 

TEMPLE    DE    THÉSÉE    (tHESEUm). 

Sa  face  postérieure  regarde  la  montagne  de 
Daphné  et  le  chemin  d'Eleusis;  son  fronton 
(oriental),  l'Hjmette. 

En  tournant  le  dos  à  l'Hy mette,  on  a  un  peu  à 
gauche  les  deux  Pnyx;  en  deçà,  le  chemin  creux 
où  Cimon,  fils  de  Miltiade,  est  enterré  avec  ses 
chevaux;  et  plus  près,  tout  à  fait  à  gauche, 
l'Acropole. 

Sur  ce  côté  gauche  du  temple,  plate-forme  avec 
quelques  sièges  en  marbre,  vraies  gondoles  pour 
la   forme;    un   soldat  irrégulier,    avec    son    fusil 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES,  123 

creusé  pour  être  mis  sous  l'aisselIe,  était  assis 
dans  l'un  d'eux. 

Sur  ses  deux  faces  latérales,  le  temple  a  treize  co- 
lonnes, en  comprenant  les  deux  colonnes  d'angle; 
et  sur  ses  deux  façades  extrêmes,  six,  en  compre- 
nant les  deux  colonnes  d'angle. 

Le  larmier  est  très  avancé,  les  tablettes  du  lar- 
mier sont  ornées  de  guttœ. 

Chaque  métope  est  séparée  de  sa  voisine  par 
une  sorte  de  gril  composé  de  trois  fûts  en  relief. 

Le  joint  des  pierres  de  l'entablement  tombe 
juste  sur  le  milieu  du  tailloir  du  chapiteau. 

Sur  la  façade  orientale  et  aux  angles  latéraux  y 
attenant,  encore  quelques  sculptures  des  métopes 
(quatre  de  chaque  côté);  ailleurs,  les  sculptures 
des  métopes  ont  été  complètement  enlevées  ou 
n'ont  jamais  été  faites. 

Aux  deux  extrémités  du  naos,  la  frise  repré- 
sente des  combats  de  Centaures  (plus  distincts  à 
la  partie  occidentale  au-dessus  de  l'opisthodome), 
qui  combattent  avec  de  grosses  pierres. 

Sous  le  portique,  plafond;  —  les  poutres  en 
marbre  ont,  dans  l'espace  qui  les  sépare  entre 
elles,  des  caissons  ou  carrés,  alternativement  creux 
et  pleins. 

Sur  les  ptéromes,  les  poutres  seules  subsistent. 


JUPITER    OLYMPIEN. 

Au  nord  de  l'Acropole. 

De  la  petite  colonne  en  face,  ou  plutôt  à  droite 
en  regard  de  fHjmette,  et  qui  domine  l'IIyssus, 
on  voit  que  les  arcades,  qui  semblent  continuer 


124  NOTES  DE  VOYAGES. 

le  théâtre  d'Hérode  Atticus,  servaient  à  soutenir  le 
terrassement  sur  lequel  le  temple  était  bâti;  d'au- 
tant plus  qu'au  bout  de  ce  mur  il  y  en  a  un 
autre  tout  uni,  sans  arcades  ni  contrefort,  qui  fait 
angle  droit  et  ne  pouvait  servir  à  autre  chose  qu'à 
soutenir  les  terres.  De  là,  du  reste,  la  plate-forme 
occupée  par  le  temple  se  voit  très  bien  ;  mais  ce 
que  l'on  voit,  ces  seize  colonnes,  sont-elles  autre 
chose  qu'un  portique? 

TOUR    DES    VENTS. 

Les  figures  allégoriques  extérieures  sont  affreu- 
sement lourdes.  Jambes  tuméfiées,  leur  poids  seul 
empêcherait  le  corps  de  voler. 

Edifice  octogonal.  —  Corniche  avec  tambours 
carrés;  au-dessus,  à  la  hauteur  de  sept  pieds  en- 
viron, une  plinthe  circulaire,  de  petites  colonnes 
cannelées  à  chapiteau  dorique;  —  une  seconde 
plinthe,  puis  le  toit,  tranches  de  pierres,  allant 
s'amincissant  vers  le  sommet  et  dont  la  combinai- 
son fait  dôme. 

Deux  portes,  une  grande  vers  le  Sud-Ouest, 
une  plus  petite  s'ouvrant  en  face  de  l'Est. 

A  l'extérieur  du  monument,  et  communiquant 
avec  lui,  une  sorte  de  tourelle  ronde,  de  même 
construction. 

Trois  fenêtres  ou  jours  enlevés  à  même  le  mur, 
deux  sous  la  première  plinthe,  une  sous  la  cor- 
niche, à  côté  du  Merab. 

THÉÂTRE    D'HÉRODE    ATTICUS. 

Les  restes  de  gradins  sont  surtout  vers  la  partie 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  125 

droite  quand  on  descend  de  l'Acropole  et  qu'on 
regarde  la  mer. 

A  chaque  extrémité,  deux  grandes  masses;  à 
gauche,  un  double  rang  de  trois  arcades  encore 
existantes,  puis  la  grande  hgne  des  arcades  plus 
basses;  au  miheu,  une  debout;  à  droite,  une  ligne 
de  trois. 

Le  soleil  éclairait  en  plein  l'intérieur  roux  des 
arcades  et  les  rendait  vermeilles. 

Longue  hgne  d'arcades  du  côté  extérieur;  de  la 
plaine,  portique  oii  le  peuple  allait  se  mettre  pen- 
dant la  pluie. 

Quand  Pausanias  fit  sa  description  d'Athènes, 
le  théâtre  d'Hérode  n'était  pas  encore  bâti,  il  en 
parle  incidemment  dans  son  hvre  de  l'Arcadie  (?). 

Comme  j'étais  à  regarder  cela,  un  âne  que  je 
n'avais  pas  vu  s'est  mis  à  renifler  et  m'a  fait  dé- 
tourner la  tête. 

23  janvier. 
THÉÂTRE    DE    BACGHUS. 

Sur  le  même  flanc  de  l'Acropole,  vers  l'Est,  les 
deux  colonnes  du  théâtre  de  Bacchus  (la  pente 
me  paraît  très  forte  ) ,  au-dessus  d'un  antre  à  entrée 
carrée.  Il  y  a,  à  la  gauche  de  cet  antre,  des  excava- 
tions carrées  comme  pour  des  tableaux  votifs;  sur 
la  droite,  quelques  restes  (peu  de  chose)  de  gra- 
dins taiflés  à  même  la  roche. 


STADE. 

Le  stade  est  au  delà  de  l'IIyssus.  Pont  en  ruines, 
dont  il  n'y  a  plus  que  les  assises;  deux  grandes 


120  NOTES  DE  VOYAGES. 

redoutes  (^cavaliers  en  terme  d'artillerie)  formant 
une  sorte  de  quadrilatère  allongé,  plus  large  vers 
l'entrée;  à  gauche  un  tunnel  dans  la  roche,  il 
s'élargit  après  le  coude  qu'il  fait.  C'est  dans  cette 
partie  qu'il  y  a  trace,  cette  fois  évidente,  de  roues 
de  chars.  Le  tumulus  d'Hérode  est  de  ce  côté, 
plus  à  gauche,  en  se  dirigeant  vers  le  Lycobettus. 


PANDROSE. ERECHTEE.  MINERVE  POLIADE. 

Pandrose,  comme  niveau,  est  supérieur  aux 
deux  autres. 

Côté  ouest  de  Minerve  Poliade  (l'entrée  est  par 
le  temple  de  Neptune,  qui  n'est  peut-être  qu'un 
portique)  :  piliers  ioniques  sur  le  mur,  devaient 
être  adossés  à  quelque  chose,  mais  à  quoi?  Cette 
colonnade  est  supérieure,  comme  niveau,  à  celle 
qui  est  en  face,  à  l'Est.  Ici,  du  reste,  ce  sont  de 
vraies  colonnes. 

Le  chapiteau  de  ces  ioniques,  tassé  par  la  co- 
lonne, a  l'air  d'un  coussin. 

S'il  y  avait  là  deux  temples,  comme  l'inéga- 
lité de  niveau  des  murs  l'indique ,  pourquoi  cela 
n'existe-t-il  pas  extérieurement?  Alors  pourquoi 
n'avoir  pas  fait  les  deux  temples  de  la  même 
largeur  à  l'intérieur,  quand,  à  l'extérieur,  des 
deux  côtés,  c'est  une  construction  faite  d'un  seul 
coup? 

Le  temple  du  milieu,  plus  bas  comme  niveau 
que  Pandrose  est  de  plain-pied  avec  Erechtée. 

Dans  les  rosaces,  sur  le  linteau  de  la  magni- 
fique porte  qui  communique  d'Erechtée  en  Mi- 
nerve, il  j  a  dans  chacune  un  trou  au   milieu. 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  27 

comme  s'il  y  avait  eu  là  un  ornement  extérieur 
rapporté,  un  bouton  de  métal,  une  pierre  pré- 
cieuse. 

PROPYLÉES. 

Ce  chemin  tournait,  sans  doute,  au  pied  de 
l'aile  droite  des  Propylées  (aile  plus  longue  que 
celle  qui  est  en  face),  sur  laquelle  est  bâti  le  petit 
temple  de  la  Victoire  aptère;  le  chemin  qui  mon- 
tait entre  les  deux  ailes  pouvait  avoir  des  escaliers 
sur  des  côtés,  quoiqu'on  n'en  voie  pas  de  trace, 
mais  au  milieu  il  avait  une  voie  dallée  en  marbre, 
avec  des  cannelures  en  relief,  comme  seraient  des 
troncs  d'arbres,  pour  faciliter  la  montée  des  che- 
vaux. Séparé  de  l'aile  gauche  (Pinacothèque)  et 
devant  elle,  est  un  piédestal  en  marbre  bleuâtre, 
dont  les  couches  de  pierre  sont  séparées  par  des 
pierres  plus  minces,  dalles  mises  à  plat. 

L'entrée  du  temple  de  la  Victoire  aptère  est  à 
l'Est  et  regarde  la  tour  carrée  bâtie  en  face  de  la 
Pinacothèque:  cette  aile  des  Propylées  a  été  com- 
plètement détruite. 

Le  temple  n'est  pas  bâti  sur  la  même  ligne  que 
le  mur  de  l'aile  qui  le  supporte.  Quatre  colonnes 
ioniques  pour  portique,  puis,  pour  supporter 
l'architrave  du  temple  même,  deux  piliers  plus 
étendus  en  long  qu'en  large. 

L'autre  face  du  temple  (occidentale) a  de  même 
quatre  colonnes  ioniques,  frisées,  sculptées  tout 
autour.  —  Elégance  des  colonnes,  moindre  pour- 
tant que  celles  de  Minerve  Poliade  et  d'Erechtée, 
parce  qu'ici  les  colonnes  sont  moins  hautes. 

On  monte  au  niveau  de  la  colonnade  des  Pro- 


12»  NOTES  DE  VOYAGES. 

pylées  par  quatre  marches;  trois  colonnes  doriques 
de  chaque  côté,  en  tout  six.  Un  mur  transversal, 
percé  de  cinq  portes,  la  plus  grande  au  milieu, 
puis  deux  petites  et  deux  plus  petites,  sépare  les 
Propylées  en  deux  parties;  on  monte  à  ce  mur 
par  quatre  degrés.  Après  ce  mur,  un  autre  com- 
partiment, puis  pour  clore,  trois  colonnes  do- 
riques de  chaque  coté,  avec  une  porte  au  miheu 
qui  donne  entrée  sur  la  place  de  la  citadelle  (der- 
rière la  troisième  colonne  à  droite,  côté  gauche, 
se  trouve  à  l'extérieur  le  petit  autel  de  Périclès). 
Le  chemin  pour  aller  au  Parthénon  tourne  à 
droite,  le  Parthénon  étant  situé  plus  sur  la  droite. 

La  Pinacothèque  s'ouvre  par  un  portique  de 
trois  colonnes  doriques,  terminé  à  ses  deux  ex- 
trémités par  un  pilastre;  la  troisième  colonne 
(extrémité  droite)  de  ce  portique  est  sur  la  même 
ligne  (si  vous  vous  retournez  pour  faire  face  au 
portique  des  Propylées)  que  la  troisième  colonne 
de  gauche  des  Propylées  :  ainsi,  lorsqu'on  regar- 
dait les  Propylées,  elle  en  allongeait  la  façade.  Ce 
portique,  carré  long,  est  percé  d'une  porte  carrée 
au  milieu,  et  de  deux  fenêtres,  une  de  chaque 
côté;  fenêtres  longues  et  étroites  par  rapporta  leur 
largeur. 

Pour  rentrer  dans  la  Pinacothèque  même 
(2*^  pièce),  une  marche.  Les  pierres  des  murs  sont 
si  bien  jointes  que  l'on  distingue  à  peine  les  joints, 
c'est  une  ligne  mince  seulement.  Sur  le  mur  de 
droite,  deux  fenêtres  l'une  au-dessus  de  l'autre, 
de  dimensions  inégales,  celle  d'en  bas  plus  large, 
d'ornementation  différente,  et  qui  ne  sont  pas  sur 
la  même  ligne. 

La  plus  petite  a  une  corniche  ornementée  et  des 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  29 

linteaux  tournés,  demi-fûts  en  relief,  tandis  que 
la  plus  grande  est  à  même  enlevée  net  dans  le 
mur,  à  angle  droit. 

A  l'extérieur  de  ce  mur  (lorsque,  par  une  voûte 
moderne  qui  se  trouve  à  gauche,  une  fois  sorti 
des  Propylées,  vous  avez  pénétré  dans  une  sorte 
de  petite  cour  pleine  de  décombres  oii  il  y  a  une 
masure  turque)  on  voit  des  tenons  à  toutes  les 
pierres.  Y  avait-il  en  dehors  une  autre  construc- 
tion? 

PARTHÉNON. 

La  façade  occidentale  (entrée)  a  son  tympan 
brisé,  surtout  dans  la  partie  droite  (celui  de  la 
façade  orientale  l'est  complètement);  seulement 
à  gauche  on  voit  un  torse  d'homme  nu,  comme 
affaissé  sur  ses  genoux  et  se  tournant  vers  une 
femme  drapée  et  debout,  sans  tête;  la  jambe 
gauche  de  l'homme  est  entourée  de  draperies. 

Portique  de  huit  colonnes,  espace  égal  entre 
elles;  seize  colonnes  sur  les  ptéromes,  y  compris 
les  colonnes  d'angles. 

La  porte  ouvre  sur  l'intérieur  même  du  temple, 
fermé  d'un  mur  carré  sur  les  quatre  faces.  — 
Dans  cette  enceinte,  à  remarquer  :  i°  au  milieu, 
vers  la  droite,  les  restes  de  quatre  colonnes  io- 
niques. Etait-ce  là,  au  milieu,  que  se  trouvait  la 
cella  proprement  dite,  le  sanctuaire?  2°  Après  cet 
espace  carré,  ces  quatre  colonnes  n'en  étant  qu'une 
des  faces,  au  bout  du  naos  il  faut  monter  une 
marche,  vestiges  de  terrasse,  et  sur  ce  plancher, 
supérieur  au  niveau  de  tout  le  reste  du  naos,  se 
voit  un  reste  de  construction  curviligne,  faisant 


130  NOTES  DE  VOYAGES. 

comme  la  courbe  de  l'arc  dont  la  marche  serait  la 
corde.  Est-ce  là  l'opisthodome  ou  trésor  public? 
Au  delà  de  la  partie  la  plus  convexe  de  cette 
courbe,  c'est  un  mur  haut  de  deux  pieds  et  demi 
environ.  Le  mur  du  naos  se  présente,  ouvert  par 
une  porte,  trois  marches,  la  première  plus  haute 
que  les  deux  autres,  vous  ramenant  dans  la  galerie 
extérieure,  côté  oriental.  Sur  la  face  occidentale 
du  naos,  se  voient  encore  assez  nettement  des 
cavalcades  de  même  style  que  les  tablettes  ex- 
posées dans  l'intérieur  du  Parthénon.  Ces  sujets 
(courses  olympiques)  devaient  régner  tout  le  long 
de  la  frise  du  naos. 

Aujourd'hui  2^  janvier,  jeudi ,  j'ai  été  dire  adieu 
à  l'Acropole. 

Dans  le  Parthénon,  aux  pieds  d'une  des  ta- 
blettes, un  fémur  rongé,  tout  gris. 

Il  faisait  grand  vent,  le^  soleil  se  couchait,  le 
ciel  était  tout  rouge  sur  Egine;  derrière  les  co- 
lonnes des  Propylées,  il  s'épatait  en  jaune  d'œuf. 

Comme  je  revenais  du  temple  de  Neptune, 
deux  gros  oiseaux  se  sont  envolés  de  dessus  le  fron- 
ton et  sont  partis  dans  l'Est,  du  côté  de  Smyrne, 
de  l'Asie. 

En  poussant  la  porte  de  l'Acropole,  j'ai  remar- 
qué qu'elle  grinçait  péniblement,  comme  celle 
d'une  grange. 

J'étais  sorti  et  je  regardais  le  théâtre  d'Hérode, 
quand  un  soldat  est  venu  me  vendre,  pour  deux 
dragmes,  une  petite  figure  de  femme  à  coiffure 
retroussée  sur  le  sommet  de  la  tête. 

Une  femme  en  haillons  et  que  je  n'ai  vue  que 
de  dos  montait  dans  la  citadelle. 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  I  3  I 

En  allant  au  Parthénon  et  en  y  revenant  j'ai 
longtemps  regardé  cette  poitrine  aux  seins  ronds, 
qui  est  faite  pour  vous  rendre  fou  d'amour. 

Adieu  Athènes!  Autre  part,  maintenant! 

10  heures  et  demie  du  soir. 


ATHENES  MODERNE. 

Le  colonel  Touret,  philhellène  français;  il  est 
compris  dans  ces  cinq  mots  :  sa  grosse  et  petite 
femme. 

Le  général  Morandi.  —  Anecdotes  sur  Lord 
Byron,  qui  habitait  à  côté  de  l'ancienne  poste  : 
place  aux  fiacres;  histoire  du  pucelage  de  la 
paysanne  Maria  à  lui  vendue  comme  étant  la  fille 
du  pacha;  superstition  de  Bjron  :  a  il  en  avait  pour 
vingt -quatre  heures  à  se  remettre  d'une  lampe 
renversée  par  terre  ».  Morandi  était  l'intime  de 
Gamba,  frère  de  la  Guiccioli  (que  dans  son  opi- 
nion à  lui,  Morandi,  Byron  n'a  jamais  possédée); 
la  Guiccioli  n'a  pas  été  la  maîtresse  de  Bjron,  et 
cela  sur  la  défense  de  lui,  Bjron;  il  lui  envoyait 
des  vers  sur  les  billets  mêmes  que  la  Guiccioli  lui 
écrivait.  Une  partie  de  cette  correspondance  a  été 
remise  par  Gamba  à  Morandi,  qui  l'avait  déposée 
à  Ancône.  Poursuivi  par  la  politique  pendant 
vingt  ans,  quand  il  l'a  redemandée,  le  dépositaire 
était  mort  et  les  enfants  ne  savaient  ce  que  c'était 
devenu. 

Ecole  d'Atbenes.  —  Dîner  à  l'Ecole  d'Athènes. 
—  M,  Daveluy,  gros  petit  abbé  xviii^  siècle,  me 


132  NOTES  DE  VOYAGES. 

fait  penser  à  M.  de  Bernis,  a  la  nostalgie  et  s'em- 
bête à  crever;  —  dans  les  premiers  temps,  faisait 
fermer  sa  fenêtre  du  côté  de  fAcropoîe;  il  j  a 
plusieurs  monuments  d'Athènes  qu'il  n'a  pas  vus 
(la  Tour  des  Vents  entre  autres).  Admire  Nisard, 
exècre  Hugo.  On  a  parlé  littérature,  le  Gamin  de 
Paris  a  été  cité  comme  une  bonne  pièce.  Ces  mes- 
sieurs sont  ici  payés  par  le  Gouvernement  pour 
retremper  les  lettres  aux  pures  sources  de  fan- 
tique! 

22  janvier 


La  reine  de  Grèce  monte  à  cheval  tous  les  jours 
et  va  en  voiture.  Elle  a  un  costume  d'amazone 
d'un  goût  rue  de  La  Harpe.  Les  dimanches,  elle 
vient  sur  la  place  écouter  la  musique,  on  la  re- 
garde, le  cheval  piaffe,  elle  le  caresse  de  la  main, 
après  quoi,  elle  fait  un  tour  sur  la  place  au  petit 
galop,  saluant  de  droite  et  de  gauche,  suivie  d'une 
demoiselle  de  compagnie  qui  a  un  très  long  nez, 
d'un  affreux  palicare,  d'un  gros  écujer  et  de  deux 
laquais. 

C'est  d'une  telle  prostitution  de  soi  qu'un  homme 
un  peu  délicat  défendrait  cela  à  sa  femme,  fût- 
elle  une  ancienne  danseuse  de  corde,  élevée  jus- 
qu'à lui! 

J'ai  revu  Sa  Majesté  au  théâtre;  décidément  elle 
est  laide,  toute  la  figure  de  même  ton,  œil  de 
lapin,  sourcils  trop  blonds,  vilains  cils.  On  dit 
qu'elle  a  une  belle  poitrine  et  une  belle  peau.  Fi- 
gure sans  caractère  et  disgracieuse!  Sa  Majesté  fait 
six  repas  par  jour,  on  ne  lui  donne  aucun  amant. 

Le  peuple  est  las  d'elle,  et  moi  aussi,  sans  savoir 
pourquoi. 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  1  3  3 

Vu  les  Puritains.  A  gauche,  dans  une  loge, 
M"'  Conduriottis,  figure  ronde,  pâle,  magnifiques 
sourcils  noirs,  œil  à  demi  fermé,  vous  faisant  de 
temps  à  autre  le  cadeau  de  s'ouvrir  entièrement 
pour  qu'on  les  voie;  belle  narine  remontée  et  très 
ovale ,  seul  trait  animé  de  ce  placide  et  beau  vi- 
sage; toute  la  tête  entourée  d'un  ample  fichu  rose 
à  graines  d'or,  qui  passe  sur  les  cheveux,  autour 
du  cou,  s'entre-croise  sur  la  poitrine  à  draperies 
raides  et  cassées,  donnant  à  la  physionomie  tout 
à  la  fois  quelque  chose  de  mignon  et  d'enfantin. 

Mercredi  22  janvier,  visite  à  Canaris.  —  Petite 
maison  jaune,  à  réchampis  blancs  autour  des  fe- 
nêtres, mtérieur  très  propre. 

Reçus  par  M*""  Canaris  en  costume  psariote, 
une  bavette  à  bandes  d'or  sur  la  poitrine,  sorte  de 
turban  rose  inchné  sur  l'oreille  gauche,  et  recou- 
vert de  la  draperie  d'un  voile  blanc;  grosse  petite 
femme  dodue,  rieuse,  aimable,  parlant  haut  d'une 
voix  aigre,  riant  beaucoup. 

M.  Canaris  était  au  Sénat. 

Salon  à  meubles  d'acajou  et  noyer;  ameuble- 
ment, salon  d'un  médecin  de  petite  ville;  verres 
de  couleur  sur  des  morceaux  de  tapisserie  à  bor- 
dures en  peluche,  gravures  modernes  aux  murs. 

Canaris  entre,  en  nous  donnant  une  poignée  de 
main.  Petit  homme  trapu,  gris,  blanc,  nez  écrasé 
et  de  côté  par  le  bout,  figure  carrée;  air  brutal 
doux,  pas  de  front.  Il  reste  la  jambe  droite  éten- 
due de  côté,  le  genou  rentré,  le  pied  en  dehors, 
étant  assis  sur  son  fauteil. 

Ne  fait  que  parler  de  M.  Piscatory,  qu'il  paraît 
admirer  beaucoup,  rompt  les  chiens  toutes  les 
fois  qu'il  est  question  de  lui,  a  entendu  parler  de 


I  34  NOTES  DE  VOYAGES. 

Victor  Hugo  (je  lui  ai  promis  de  lui  envoyer  les 

f)ièces  qui  le  concernent);  petits  yeux.  Placé  assez 
oin  de  lui  je  ne  puis  voir  le  jeu  de  sa  figure. 

Un  petit  portrait  de  lui,  à  l'huile,  exécrable, 
011  il  est  représenté  avec  un  compas  et  une  carte. 
Vrai  bourgeois!  visite  triste!  Voilà  pourtant  un 
homme  éternel,  immortalisé! 

Comme  ça  rehausse  l'autre  (Hugo),  et  comme 
ça  le  rehausse  aussi,  lui! 


PELOPONESE. 

24  janvier-6  février. 

Vendredi  24  janvier.  —  II  faisait  très  froid 
quand  nous  sommes  partis,  ce  matin  à  10  heures, 
d'Athènes,  après  les  adieux  du  colonel  Toure  et 
de  M.  Roman,  commissionnaire  en  vins  qui  nous 
a  remis  k  carte  de  sa  maison.  Nous  prenons  le 
chemin  d'Eleusis;  au  haut  du  défilé  du  Gaidarion, 
nous  nous  retournons  et  nous  disons  adieu  à 
Athènes.  J'en  suis  sorti  triste,  et  dans  le  bois  d'oli- 
viers j'ai  intensivement  songé  à  l'amertume  de 
mon  départ  de  Kosséïr,  quand  le  père  Elias  a  levé 
sa  main  pour  me  serrer  la  main  et  que  je  me  suis 
penché  du  haut  de  mon  dromadaire  pour  la  lui 
donner. 

A  Daphné,  halte  d'une  minute  pour  montrer 
nos  passeports;  un  petit  garçon  de  7  à  8  ans,  en 
veste  et  sans  culotte,  promène  mon  cheval. 

La  mer  d'Eleusis  est  bleu  ardoise;  en  face,  sur 
les  monts  de  Salamine,  une  sorte  de  demi-lune 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  3  J 

couchée  sur  sa  partie  convexe,  échancrure  de  la 
montagne. 

Nous  repassons  devant  les  marais  Rheïti;  nous 
voyons  Mandra  au  loin,  à  droite,  nous  conti- 
nuons la  route  d'Eleusis. 

r 

A  une  portée  de  pistolet  d'Eleusis,  la  route 
tourne  à  droite,  puis  on  infléchit  à  gauche,  pi- 
quant dans  le  Sud  et  contournant  le  long  coteau 
ovale  d'Eleusis. 

Vue  des  deux  cornes  du  Keratas. 

On  monte  par  une  pente  douce,  on  revoit 
la  mer,  dont  on  se  rapproche;  tout  en  s'élevant,  la 
route  suit  les  sinuosités  de  la  côte,  terrain  gris  et 
pierreux  à  gauche,  sur  les  pentes  de  la  montagne; 
quelques  rares  ohviers  et  myrtes.  Le  soleil  est 
chaud  lorsqu'on  est  à  l'abri  du  vent;  la  mer 
est  bien  belle  dans  le  canal  de  Salamine.  La  route 
s'abaisse;  il  y  a,  à  gauche,  quelques  pierres  au 
bord  de  l'eau,  Aldenhoven  les  indique  comme  les 
restes  d'un  môle;  nous  nous  rapprochons  de  la 
mer,  nous  humons  l'odeur  du  varech. 

Descente,  quelques  pins  rares,  la  route  s'écarte 
un  peu  de  la  mer,  bois  d'oliviers,  plaine  qui 
s'étend  à  votre  droite,  ayant  à  son  extrémité  le 
blanc  Cithéron;  devant  vous,  un  monticule  sur 
lequel  quelques  ruines  et  maisons,  mais  dont  la 
plus  grande  partie  nous  est  cachée,  car  le  pays 
est  tourné  dans  l'autre  sens,  vers  la  mer. 

Comme  nous  passions  là,  deux  hommes  nous 
ont  appelés,  ils  venaient  de  découvrir,  en  travail- 
lant la  terre,  une  citerne. 

Mégare,  très  grand,  en  amphithéâtre,  maisons 
carrées.  Quand  on  se  tourne  vers  la  mer,  on  a  au 
premier  plan  une  plaine,  puis  toute  la  mer,  golfe 


\^6  NOTES  DE  VOYAGES. 

enfermé  par  des  montagnes  aux  formes  allongées 
et  très  découpées  sur  leur  galbe  :  ce  sont  les  mon- 
tagnes de  Salamine;  à  gauche,  on  retrouve  encore 
une  autre  mer,  c'est  celle  qui  va  jusqu'à  Eleusis. 
Sur  le  bord  des  flots,  à  gauche,  Nisée  (dodeka 
ecclesiai);  nous  j  distinguons  des  pierres.  Près  de 
là,  vers  le  Sud,  deux  petites  îles;  sur  la  droite, 
de  l'autre  côté  du  golfe,  une  île  plus  grande  en 
forme  de  tortue. 

Nous  sommes  conduits  par  un  vieillard  qui 
nous  mène  jusqu'au  haut  du  pays,  au  pied  d'une 
tour  franque  bâtie  en  vilaines  pierres  grises  entre- 
mêlées de  briques.  Dans  un  mur,  une  inscription 
placée  à  l'envers.  Traces  des  fondements  d'une 
grande  construction  franque. 

De  l'acropole  (j'appelle  ainsi  le  point  le  plus 
élevé),  vue  de  la  mer  quand  on  se  tourne  vers  le 
Sud,  vue  de  la  grande  plaine  quand  on  se  tourne 
vers  le  Nord.  Au  fond  de  la  plaine,  verdures 
fortes,  la  plaine  est  verte  et  très  grasse  de  ton, 
surtout  à  son  extrémité;  les  montagnes  d'en  face, 
qui  vous  séparent  de  la  Béotie,  grises  et  con- 
trastant comme  ton  avec  le  Cithéron  tout  blanc, 
qui  est  à  gauche ,  au  dernier  plan ,  et  la  verdure  qui 
s'étend  au  premier. 

Mégare,  9  heures  du  soir. 

Samedi  2^.  —  En  partant  de  Mégare,  la  route, 
inclinant  sur  la  droite,  s'enfonce  dans  les  terres  et 
bientôt  monte  légèrement;  dans  un  pli  de  terrain, 
nous  rencontrons  un  troupeau  de  moutons  et  de 
petits  agneaux  dont  les  voix  éplorées  font  retentir 
la  campagne. 

La  route  monte,  il  y  a  quelques  oliviers,  le  ter- 


ATHÈNES   ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  137 

rain  est  en  pente,  couleur  grise  :  cela  me  rappelle 
des  aspects  de  Palestine.  Le  temps  est  beau  et 
nous  promet  une  belle  journée. 

Bientôt  on  se  trouve  en  face  de  la  mer,  le  golfe 
s'étend,  la  route  est  étroite  et  cramponnée  à  la 
montagne,  dont  elle  suit  toutes  les  sinuosités;  sur 
la  pente,  à  droite,  des  petits  pins,  quelquefois  des 
caroubiers.  On  monte,  on  descend,  le  soleil  brille; 
la  mer  tranquille,  à  pic  sous  vous,  a  par  places, 
au  delà  de  la  bordure  blanche  de  son  sable  fin,  de 
grandes  places  vert  bouteille  au  milieu  de  sa  cou- 
leur glauque  claire;  la  vague  paisible  expire  et  se 
retourne  sur  la  grève.  Pendant  quelque  temps  nous 
sentons  une  violente  odeur  de  charogne;  sont-ce 
les  cadavres  des  victimes  du  Sciron  ? 

Reste  impur  des  brigands  dont  j'ai  purgé  la  terre. 

{Phèdre.) 

La  place  était  bonne,  un  homme  j  arrêterait 
un  régiment,  le  chemin  est  si  étroit  que,  si  votre 
cheval  faisait  un  faux  pas,  on  tomberait  dans  la 
mer,  resserrée  entre  le  précipice  et  la  montagne. 
Le  sentier  est  soutenu  parfois  par  des  pierres  re- 
liées avec  des  branches  non  dégrossies;  de  temps 
à  autre,  restes  de  soutènements  anciens  de  l'an- 
cienne route.  La  couleur  des  roches  qui  vous  do- 
minent est  grise,  avec  de  grandes  plaques  rouges 
en  long,  à  peu  près  de  la  couleur  du  Parthénon, 
mais  plus  brique,  moins  bitume;  entre  les  roches 
et  vous,  la  pente  est  plantée  de  pins. 

Soleil,  liberté,  large  horizon,  odeur  du  varech. 
De  temps  à  autre  la  pente  se  retire  et  le  chemin, 
tout  à  coup  devenu  bon,  se  promène  au  petit  trot 


1  3  8  NOTES  DE  VOYAGES. 

entre  des  pins-arbrisseaux  qui  forment  comme  des 
bosquets;  le  paysage  entier  est  d'un  calme,  d'une 
dignité  gracieuse,  il  a  le  je  ne  sais  quoi  antique, 
on  se  sent  en  amour.  J'ai  eu  envie  de  pleurer  et 
de  me  rouler  par  terre;  j'aurais  volontiers  senti  le 
plaisir  de  la  prière,  mais  dans  quelle  langue  et  par 
quelle  formule  ? 

Kaki-Scala  est  l'endroit  où  l'on  descend  plus 
rapidement  en  se  rapprochant  de  la  mer.  Le  che- 
min, très  en  pente,  tourne  sur  lui-même  en  des- 
cendant, il  y  a  danger  de  se  casser  le  cou. — Restes 
d'une  vieille  voie  taillée  à  même  le  rocher  qui, 
adoucissant  sa  coupe,  fait  de  chaque  côté  comme 
le  vaste  dossier  d'un  siège.  A  un  endroit,  au  dé- 
tour de  la  route,  un  pin  inchné;  on  ne  voit  que 
lui  se  détachant  sur  la  mer,  pénétré  de  lumière  et 
seul,  là;  il  était  peu  jauni  à  sa  partie  gauche.  On 
est  de  niveau  avec  la  mer  et  on  va  quelque  temps 
au  milieu  du  bois. 

KiNETA,  rares  maisons  espacées,  nous  déjeu- 
nons dans  l'une  d'elles.  —  Petite  fille  de  lo  à 
12  ans,  brune,  grand  nez,  yeux  noirs  en  amande, 
expression  mûre  et  fatiguée,  air  aristocratique, 
regard  avide  et  étonné.  —  A  la  fin  du  repas,  un 
homme  du  pays  entre  avec  un  enfant  de  2  ans  à 
la  main,  à  qui  je  donne  un  sandwich. 

A  partir  d'ici  la  montagne  à  plan  abrupt  cesse, 
les  chaînes  qui  la  continuent  sont  beaucoup  plus 
reculées  et  semblent  plus  basses;  nous  cheminons 
à  travers  le  bois  de  pins,  ils  sont  plus  grands  que 
tout  à  l'heure,  des  arbousiers  aussi;  la  pente  à 
l'extrémité  de  laquelle  nous  marchons  est  plus 
douce  et  va  se  perdant,  en  montant  du  côté  des 
montagnes. 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I39 

Le  golfe  se  rétrécit  devant  nous ,  à  droite ,  res- 
serré par  les  montagnes  qui  s'abaissent;  quelques 
rares  maisons,  neuves,  espacées,  sont  au  bord  de 
la  mer  :  c'est  Kalamaki.  Nous  tournons  à  droite, 
nous  sommes  sur  le  quai. 

Kalamaki.  —  Sur  le  quai  il  y  a  deux  ou  trois 
hommes,  une  vieille  guimbarde  à  quatre  roues, 
dételée,  un  épicier.  —  Café  oii  nous  fumons  un 
narguileh  et  laissons  souffler  nos  chevaux  un  quart 
d'heure.  Nous  repartons,  doublant  le  fond  du 
golfe,  qui  s'étend  sur  la  droite;  la  route  revient 
sur  la  gauche,  en  face  Kalamaki. 

A  droite,  une  sorte  de  longue  terrasse,  soutenue 
par  des  soutènements  naturels  de  rochers,  place 
où  se  célébraient  les  jeux  isthmiques;  c'est  une 
sorte  de  petite  plaine,  de  stade  naturel,  c'est  situé 
dans  le  sens  de  travers  de  fisthme. 

A  droite,  un  peu  plus  loin,  restes  d'une  sorte 
de  canal,  à  murs  de  chaque  côté,  fragments  d'an- 
ciens ouvrages. 

La  route  monte  légèrement;  en  face  de  nous, 
un  gros  pâté  s'élevant  sur  l'horizon  :  c'est  l'Acro- 
corinthe;  adroite,  THéhcon  tout  blanc.  Au  point 
le  plus  élevé  de  la  route  on  voit  facilement  les 
deux  mers. 

La  campagne  est  grasse  à  l'œil,  l'Acrocorinthe 
se  trouve  un  peu  sur  la  gauche;  plus  loin,  masses 
de  verdure  s'allongeant  du  Nord  au  Sud;  ce  sont 
des  bois  d'oHviers  à  l'horizon  ;  le  golfe  de  Corinthe 
s'élargit. 

Petit  village  d'Hacamili.  —  La  route  descend, 
Corinthe  est  au  pied  de  l'Acrocorinthe,  à  pic  der- 
rière ;  de  fautre  côté  de  la  baie ,  en  face  Corinthe ,  un 
peu  sur  la  droite ,  Loutraki ,  au  pied  des  montagnes. 


l4o  NOTES  DE  VOYAGES. 

Nous  prenons  à  travers  champs  labourés  et, 
retournant  sur  la  gauche,  nous  trouvons  un  ancien 
petit  cirque,  sur  les  bords  duquel  se  promène  un 
troupeau  de  moutons,  François  demande  au  ber- 
ger pourquoi  les  brebis  n'ont  pas  encore  mis  bas; 
elles  sont  en  retard  ici.  Le  berger  répond  que  les 
agneaux  sont  déjà  venus,  mais  qu'ils  sont  séparés 
de  leurs  mères  pour  qu'on  puisse  traire  celles-ci, 
le  soir.  Le  cirque  est  très  petit,  des  éboulements 
aux  deux  bouts  lui  ont  donné  une  forme  ovoïde; 
en  bas  des  gradins  inférieurs,  excavations  noires. 
Nous  passons  sur  des  roches,  nous  entrons  dans 
Corinthe. 

CoRiNTHE.  —  Rien!  rien!  Oii  êtes-vous,  Laïs? 
où  est  ton  tombeau  couronné  d'une  lionne  tenant 
un  bélier  dans  ses  pattes  ? 

Au  miheu  de  la  ville,  à  sa  partie  la  plus  élevée, 
sept  colonnes  de  vieux  dorique  très  lourd,  d'un 
seul  fût;  la  pierre  grise  est  d'un  vilain  ton.  Celles-ci 
sont  très  abîmées  de  trous,  la  dernière  des  cinq 
a  son  chapiteau  déplacé  comme  celle  de  Sardes; 
un  bourrelet  rond  au  chapiteau. 

Les  montagnes  en  face  Corinthe  vont  en  s'éle- 
vant  à  partir  de  gauche  et  montent  graduellement 
par  des  plans  successifs  déchiquetés  sur  leur 
galbe. 

Aujourd'hui  une  des  bonnes  journées  du  voyage, 
des  plus  profondément  senties,  des  plus  intime- 
ment plaisantes;  de  Mégare  à  Kineta,  ça  restera 
pour  moi  comme  un  des  instants  de  soleil  de  ma 
vie.  Pauvre  chose  que  la  plume,  rien  même  que 
pour  se  rappeler  cela! 

Corinthe,  9  heures  moins  20. 


I 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  l4l 

Dimanche  26.  —  Journée  pénible  et  pluvieuse. 

En  partant  de  Corinthe,  on  marche  quelque 
temps  dans  le  sens  de  la  plaine,  puis  on  tourne  à 
gauche  et  la  route  monte.  Un  torrent  jaune  à  droite , 
l'eau  tombe  du  haut  d'un  rocher.  —  Moulin  de  la 
Veuve.  —  Après  avoir  traversé  un  ruisseau  le  long 
duquel  on  marche  longtemps  pour  trouver  un 
gué,  on  se  trouve  bientôt  dans  une  espèce  de  lande 
mamelonneuse  dont  la  route  suit  les  inégahtés. 

Hauteur,  plaine  sous  nous,  le  terrain  remonte 
une  autre  montagne. 

Au  miheu  de  cette  plaine,  à  droite  de  la  route, 
trois  colonnes,  chapiteau  dorique,  cannelées,  du 
temple  de  Jupiter  Néméen;  la  pierre  est  grise, 
fort  laide,  très  rongée;  tout  autour  des  colonnes, 
ruines  amoncelées;  à  cinquante  pas  plus  loin, 
ruines  d'une  petite  chapelle  construite  avec  des  ma- 
tériaux antiques.  La  petite  plaine  où  est  le  temple 
est  très  unie,  plate  et  propre  à  des  jeux. 

La  route  remonte.  Il  pleut  si  formidablement 
que  je  ne  vois  rien;  engourdi  par  le  froid,  j'ai  à 
peine  la  force  d'ouvrir  les  jeux.  On  traverse  un 
ruisseau  derrière  lequel  est  immédiatement  le  petit 
village  de  Dervenati,  que  l'on  aperçoit  tout  à 
coup  en  descendant  une  colline. 

La  route  se  resserre  et  va  dans  des  gorges  basses, 
qui  se  succèdent  les  unes  aux  autres.  Pluie,  pluie! 
on  finit  par  arriver  sur  une  hauteur  d'où  l'on  dé- 
couvre un  grand  horizon  :  à  droite  et  à  gauche, 
montagnes;  devant  vous,  le  terrain  s'abaisse  en  une 
grande  plaine  qui  va  jusqu'à  la  mer;  tout  au  fond, 
une  espèce  de  rempart,  c'est  Naupli;  Argos  est 
de  l'autre  côté,  à  droite,  au  bas  de  son  acropole. 

La  route  descend,  nous  prenons  à  gauche,  à 


l42  NOTES  DE  VOYAGES. 

travers  des  blés  verts,  un  homme  de  la  campagne 
nous  crie  des  malédictions  pour  ce  méfait.  Nous 
continuons  à  doubler  un  mamelon,  devant  nous 
s'étend  un  petit  mur  bâti  de  pierres  cjciopéennes, 
nous  tournons  et  nous  entrons  dans  une  sorte  de 
petite  rue  ou  couloir  ayant  de  chaque  côté  un  mur 
cjciopéen. 

Lions  de  Mycènes.  —  Au  fond,  étabh's  sur  le 
chambranle  de  la  porte  (pierre  unique  appuyée, 
sur  deux  autres,  comme  les  trilithes  de  Bretagne), 
se  voient  les  deux  fameux  lions  :  sculpture  lourde, 
mais  vigoureuse;  à  tous  les  deux,  à  la  place  du 
jarret,  des  anneaux  ou  bourrelets  ronds;  la  queue 
est  puissante,  la  dernière  fausse  cote  indiquée. 

Mycènes.  —  Verdure  et  pierres  grises  sur  un 
monticule  entre  deux  collines  de  forme  à  peu  près 
pyramidale,  très  hautes  par  rapport  à  lui. 

Un  peu  plus  bas.  Trésor  des  Atrides,  édifice 
souterrain,  en  forme  de  cornet  très  évasé,  ouvrage 
cyclopéen.  Une  porte  et,  au-dessus  de  la  porte, 
une  ouverture  de  forme  pyramidale,  à  même  les 
pierres,  qui  sont  taillées  :  ce  monument  est  très 
grand  et  d'un  bel  effet.  A  côté,  à  droite  en  en- 
trant, une  chambre  souterraine,  plus  petite,  taillée 
à  même  le  roc.  Les  murs  du  Trésor  ont  des  trous 
sur  le  bord  supérieur  de  chaque  pierre,  comme 
si  elles  avaient  été  revêtues  de  plaques  métal- 
liques. 

La  route  descend,  la  plaine  s'étend  devant  elle, 
sur  la  gauche;  les  montagnes  qui  la  bordent  de  ce 
côté  nous  sont  cachées  par  la  brume;  à  droite, 
montagnes  plus  près;  dans  leurs  rides,  il  y  a  de  la 
neige.  Nous  passons  à  gué  une  rivière,  où  nous 
voyons  la  culée  de  l'arche  d'un  pont  détruit. 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  l^^ 

Le  soFeil  perce  les  nuages,  ils  se  retirent  des 
deux  côtés  et  le  laissent  couvert  d'un  transparent 
blanc  qui  l'estompe;  le  ciel,  noir  sur  la  gauche, 
devient  bleu  outremer  très  tendre,  avec  des  épais- 
seurs plus  foncées  dans  certains  endroits;  le  bleu 
a  un  ton  gris  perle  fondu  sur  lui.  Les  masses  se 
dissipent,  le  bleu  reste  bordé  de  petits  nuages 
blancs  déroulés;  derrière  l'acropole  d'Argos,  à 
notre  droite,  près  de  nous  et  sur  elle,  un  petit 
nuage  blanc,  cendré.  La  lumière,  tombant  de  ma 
droite  et  presque  d'aplomb,  éclaire  étrangement 
François  et  Max  à  ma  gauche,  qui  se  détachent 
sur  un  fond  noir,  je  vois  chaque  petit  détail  de 
leur  figure  très  nettement;  elle  tombe  sur  l'herbe 
verte  et  a  l'air  d'épancher  sur  elle  un  fluide  doux 
et  reposé,  de  couleur  bleue  distillée. 

Avant  d'arriver  à  Argos,  deux  moulins. 

Argos,  très  grand  bourg,  rue  droite  avec  un 
trottoir  sur  le  côté,  boutiques  à  auvents,  aspect 
turc,  un  café  sur  la  place  avec  un  toit  avancé. 

Logés  dans  une"  cour,  dans  une  chambre  au 
rez-de-chaussée.  Dans  la  cour  boueuse,  un  cochon 
traîne  un  bâton  au  bout  d'une  corde. 

2 j  janvier.  —  En  sortant  d'Argos,  sur  le  flanc 
de  l'acropole,  restes  d'un  aqueduc,  la  ligne  court 
à  même  la  montagne;  au  milieu  de  la  pente  de 
l'acropole,  une  maison  blanche. 

Ruines  du  théâtre,  adossé  à  la  montagne  :  les 
marches  sont  petites,  le  théâtre  devait  être  fort 
grand;  des  deux  côtés  des  gradins,  deux  avancées 
en  terre.  Il  j  a  encore  trois  petits  escaliers  longi- 
tudinaux dans  toute  la  longueur  des  gradins,  ils 
partent  d'en  bas  et  montent. 

A  côté  du  théâtre,  en  retour  au  monticule  de 


l44  NOTES  DE  VOYAGES. 

gauche,  autres  gradins  :  c'étaient  probablement 
les  marches  servant  à  parvenir  à  quelque  édifice 
supérieur  disparu.  Près  des  ruines  du  théâtre, 
restes  d'une  église  en  pierre  et  mortier  revêtus  de 
briques,  construction  byzantine  (?). 

La  route  continue  par  la  plaine  (on  voit  très 
bien  Nauplie  à  gauche)  jusqu'à  un  coude  oii  il  y  a 
une  caverne  dans  le  rocher;  un  fort  ruisseau  sort 
en  cet  endroit;  sur  la  paroi  intérieure  du  rocher, 
une  croix  peinte  :  c'est  une  chapelle  grecque. 

Nous  entrons  dans  la  montagne,  où  nous  che- 
minons pendant  quatre  heures,  nous  entrons  dans 
les  nuages  et  nous  en  sortons  tour  à  tour.  Partout 
le  terrain  stérile  est  couvert  de  petites  touffes  de 
chênes  nains.  Quelquefois  nous  découvrons,  au 
milieu  d'un  vallon  longitudinal,  une  chaîne  qui 
le  remplit;  il  y  a  de  grandes  pentes  de  verdure 
abruptes.  Une  heure  avant  d'arriver  à  la  station, 
nous  marchons  sur  une  route  nouvelle,  horrible- 
ment faite,  avec  des  tournants  qui  ont  l'air  imaginés 
pour  faire  verser  les  voitures. 

Après-midi  triste  et  pluvieux,  j'étouffe  sous  ma 
couverture,  qu'il  faut  pourtant  mettre  sous  peine 
d'être  trempé  jusqu'aux  os.  François  nous  soigne, 
nous  nous  bourrons  outrageusement  aux  repas 
pour  nous  prémunir  contre  le  mauvais  temps  : 
dîner  avec  une  soupe  grasse,  roastbeef,  poisson  de 
mer,  merles,  pruneaux  cuits,  figues  et  amandes, 
une  bouteille  de  vin  de  Santorin. 

Nous  sommes  logés  dans  un  khan,  le  bois  épi- 
neux du  chêne  nain  brûle  dans  le  foyer,  nos  af- 
faires sèchent  autour;  j'entends  sous  moi  manger 
les  chevaux  au  râtelier.  Un  enfant  nous  apporte 
du  bois,  Max  est  couché,  j'ai  bien  peur  que  nos 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  ï4') 

pauvres   bêtes   ne  puissent  nous  mener  jusqu'à 
Patras,  elles  ont  l'air  harassées  dès  maintenant. 

Achiadhokambos ,  8  heures  du  soir. 

Mardi  28.  —  Nous  descendons  dans  la  plaine; 
cinq  minutes  après  être  partis,  nous  voyons  le 
village  de  Achiadhokambos,  au-dessus  de  nous, 
sur  la  pente  de  la  montagne,  étage,  à  notre 
droite. 

Pendant  une  demi-heure,  la  plaine  entourée  de 
montagnes  de  tous  côtés;  la  route  tourne  à  gauche 
et  nous  entrons  dans  une  gorge  étroite  entre  deux 
hautes  montagnes,  comme  un  immense  fossé 
sinueux;  la  route,  accrochée  au  flanc  droit  de  la 
montagne,  étroite  et  difficile,  monte  par  une  pente 
très  rapide.  Au-dessus  de  nos  têtes  nous  voyons 
des  paysans  couverts  de  manteaux  blancs,  avec  des 
chevaux  chargés  de  broussailles  de  chênes  nains, 
qui  descendent.  La  route  a,  de  places  en  places, 
un  petit  parapet  de  pierres  sèches.  Nous  entrons 
dans  les  nuages,  nous  ne  voyons  rien  que  le  brouil- 
lard humide  qui  nous  entoure,  il  fait  froid.  Passe 
à  notre  droite  un  troupeau  d'une  douzaine  de 
femmes  en  guenilles;  elles  n'ont  pour  compagnon 
et  protecteur  qu'un  enfant  de  10  ans,  mais  leur 
laideur,  et  leur  saleté  surtout,  les  protègent  plus 
qu'un  régiment  de  dragons.  —  Traces  d'une  an- 
cienne route.  —  En  haut  de  la  montagne ,  à  gauche , 
une  maison,  khan  abandonné  (?)  où  un  cheval  de 
notre  bagage  veut  entrer. 

Nous  descendons  pendant  vingt  minutes  à  peu 
près,  et  tout  de  suite  nous  nous  trouvons  inopi- 
nément dans  une  grande  plaine  vaseuse,  où  nos 
chevaux  entrent  jusqu'au  jarret;  nos  hommes  vont 


1^6  NOTES  DE  VOYAGES. 

nu-pieds  pour  n'y  pas  laisserleur  chaussure.  Après 
avoir  pataugé  dans  cette  effroyable  gouache  pen- 
dant trois  quarts  d'heure,  la  route  par  places  re- 
devient passable;  il  y  a  des  champs  de  vigne  sur 
la  gauche. 

Nous  haltons  une  minute  au  village  de  Agior- 
gitika,  il  n'est  que  lo  heures.  Nous  continuons, 
nous  passons  une  rivière  qui  a  de  grandes  berges 
de  sable,  plaine  unie. 

Déjeuner  au  village  de  Akouria,  en  face  un 
maréchal  ferrant  qui  forge,  chez  une  sorte  d'épi- 
cier où  nous  gelons. 

La  route  continue  par  la  plaine,  nous  traversons 
un  potamos.  Des  gens  crient  après  nous  :  ce  sont 
des  gendarmes  qui  nous  demandent   nos  passe- 

f)orts;  nous  continuons;  un  d'eux,  soldat  irrégu- 
ier,  nous  apostrophe  de  l'autre  côté  du  fleuve  et 
brandit  son  pistolet  ;  nous  trouvons  le  procédé  trop 
militaire  et  nous  l'attendons,  décidés  à  le  ser- 
monner ferme.  Lui  et  l'autre  pauvre  diable  passent 
le  fleuve  et  viennent  à  nous  :  on  leur  a  dit  dans  le 
village  qu'il  était  passé  des  Européens  se  rendant 
à  Sparte,  et  comme  il  y  a,  dans  la  montagne, 
quatre  bandits  redoutés,  ils  ont  voulu  nous  ac- 
compagner et  se  sont  tout  de  suite  mis  à  courir 
après  nous;  le  gendarme,  en  effet,  est  à  peine 
vêtu;  son  compagnon  a  l'air  d'un  gredin  achevé, 
avec  ses  jambarts  rattachés  par  des  ficelles,  sa  mine 
blonde  et  pâle,  son  nez  fin  d'oiseau  de  proie;  c'est 
lui  qui  retourne  au  village  chercher  du  renfort 
que  nous  attendons  vingt  minutes  au  pied  de  la 
montagne,  assis  sur  de  grosses  pierres;  la  pluie 
commence,  nous  remontons  à  cheval  sans  attendre 
les  gendarmes  et  nous  entrons  dans  la  montagne. 


ATHÈNES  ET  EiNVIRONS  D'ATHENES.  I  4/ 

Côtés  élargis,  terrains  gris  et  stériles,  petites  col- 
lines, ensemble  pauvre. 

D'une  hauteur,  nous  voyons  au  fond  de  l'ho- 
rizon, à  droite,  comme  un  grand  lac  :  c'est  encore 
un  fleuve  que  nous  devons  traverser;  derrière 
lui,  montagnes  élevées  couvertes  de  neige;  il  y  a 
de  la  neige  par  places,  tout  près  de  nous.  Des- 
cente. 

On  traverse  le  fleuve,  qui  se  trouve  bientôt  en- 
caissé entre  deux  hauts  pans  de  montagnes,  murs 
inclinés,  avec  des  courbes  nombreuses  qui  arrêtent 
la  vue  et  la  renouvellent.  Le  sentier,  tantôt  d'un 
côté,  tantôt  de  l'autre,  suit  avec  difficulté  le  bord 
du  fleuve;  nous  le  traversons  quarante  fois,  nos 
chevaux  par  moments  ont  de  l'eau  jusqu'au  poi- 
trail et  elle  n'est  pas  chaude;  la  pluie  tombe  à 
torrents,  cela  devient  si  beau  que  nous  en  rions; 
le  bagage  ne  chavire  pas,  ce  qui  nous  étonne;  le 
malheureux  gendarme  le  suit,  ainsi  que  nos  mule- 
tiers, nu-pieds,  dans  la  boue,  l'eau  et  les  pierres; 
Lephteri  claque  de  son  fouet  dont  la  mèche 
mouillée  fume.  La  dernière  fois  que  nous  passons 
l'eau,  c'est  au  grand  galop,  en  poussant  des  cris. 
Nous  entrons  dans  le  khan  en  sautant  par-dessus 
le  petit  mur;  pas  de  cheminée,  nous  perdons 
nos  yeux  avec  la  fumée.  What  an  uncomfortable 
house!  II  y  a  de  quoi  faire  gueuler  les  moins  dif- 
ficiles. François  est  un  très  bon  compagnon,  dont 
les  excellentes  blagues  «bravent  l'honnêteté»; 
on  voit  qu'il  est  Grec,  ses  plaisanteries  courtes  et 
solides  sentent  le  terroir. 

Comme  il  pleut!  quelle  sacrée  pluie!  demain 
Sparte. 

Criavrissi,  7  heures  et  demie. 


l48  NOTES  DE  VOYAGES. 

Mercredi  2Ç.  —  On  traverse  encore,  en  sortant 
du  khan,  leSarandaPotamos.  En  face  le  khan  il  ja, 
sur  la  montagne,  les  ruines  d'un  château.  Le  fleuve 
se  resserre,  la  route  continue  dans  le  Sud;  ce  sont, 
des  deux  côtés,  de  petites  montagnes  à  base  très 
large  et  formant  de  temps  à  autre  des  sortes  de 
bassins;  les  terrains,  fond  gris,  sont  couverts  de  la 
chétive  verdure  des  chênes  nains.  Paysage  grêle 
pendant  quatre  grandes  heures.  Quelque  temps 
avant  d'arriver  au  khan  de  Kravata,  on  descend, 
la  végétation  augmente,  les  monticules  se  suc- 
cèdent, il  faut  les  monter  et  les  descendre;  dans 
des  champs  cultivés,  sur  la  droite,  oliviers.  On 
passe  entre  des  arbousiers,  des  poiriers  sauvages, 
des  lentisques,  un  petit  torrent  coule  sur  des 
pierres  vertes;  terrain  végéteux  des  deux  côtés,  la 
route  ombreuse  passe  au  milieu. 

Le  khan  de  Kravata  sur  une  éminence  :  une 
prairie,  avec  des  mûriers  et  des  platanes  (le  tout 
sans  feuilles),  les  platanes,  comme  des  têtards, 
ont  poussé  au  bord  de  l'eau;  au  bout  de  la  prairie 
coule  un  fleuve;  derrière  le  fleuve,  la  prairie,  puis 
des  montagnes  basses  à  ton  roux,  très  épatées  de 
base.  La  neige  cesse  de  craquer  sous  nos  pas; 
ce  matin,  nous  avons  traversé  une  campagne  où 
il  y  en  avait  par  places  de  grandes  épaisseurs. 
Comme  il  a  gelé  depuis,  la  marque  des  pieds 
des  chevaux  est  restée  dedans  comme  une  scul- 
pture en  creux,  ainsi  que  cela  se  voit  sur  le  roc, 
dans  les  passages  étroits  de  la  route.  —  Com- 
bien a-t-il  fallu  de  caravanes  pour  creuser  ainsi  le 
rocher! 

A  partir  de  Kravata  on  descend  la  montagne 
(mont  Parnom);  une  sorte  de  plaine,  bassin  en- 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  I  49 

touré  de  montagnes,  où  François  nous  dit  qu'il 
s'est  livré  un  grand  combat  entre  les  Thébains  et 
les  Spartiates.  Lequel? 

Lentisques,  arbousiers,  poiriers  sauvages;  par 
terre,  plante  à  fleur  jaune,  plusieurs  petites  tiges 
à  feuille  lancéolée,  très  laiteuse,  odeur  pourrie  se 
rapprochant  de  l'urine  de  bête  fauve  (euphorbe?). 

Bientôt,  devant  nous,  derrière  des  montagnes 
vertes,  le  Taygète,  bleu  ardoise  foncé,  avec  des 
sommets  blancs;  il  a  l'air  très  mamelonné  en  long, 
couvert  de  nuages;  entre  lui  et  nous,  la  plaine  où 
est  Sparte;  sur  la  gauche,  en  amphithéâtre,  le  vil- 
lage de  Vourlia. 

Nous  passons  un  torrent  qui  coule  sur  du  sable, 
affluent  de  l'Eurotas,  que  nous  trouvons  bientôt 
devant  nous,  et  nous  tournons  tout  de  suite  sur  la 
droite,  L'Eurotas,  tout  jaune  (à  cause  des  pluies), 
me  paraît  grand  comme  la  Touques  à  peu  près; 
il  j  a  sur  ses  bords  des  lauriers-roses,  des  troènes, 
des  mûriers.  Nous  passons  un  pont  en  compas, 
très  élevé,  très  grêle,  très  élégant.  Pour  l'écou- 
lement des  eaux,  on  a  (contre  toute  symétrie)  pra- 
tiqué deux  arcades  à  droite  et  une  seule  à  gauche. 
Après  qu'on  a  passé  le  pont,  on  revient  sur  la 
gauche  et  l'on  marche,  en  plein,  au  milieu  de 
la  vallée  de  l'Eurotas.  A  droite,  une  petite  chaîne 
de  collines  vertes,  derrière  lesquelles,  par  mo- 
ments, le  Taygète  apparaît  en  pic  bleu  sombre, 
drapé  de  neige  sur  sa  tête;  à  gauche  les  montagnes, 
au  delà  du  fleuve  bordé  d'arbres,  affectant  la  forme 
d'un  long  rempart,  allant,  s'abaissant  à  mesure 
qu'il  va  vers  Sparte,  d'un  ton  roussâtre  et  d'un 
galbe  droit.  Je  ne  sais  pourquoi  cela  me  rappelle 
le  dorique  et  me  plaît  étrangement,  plus  que  le 


Taygè 


NOTES  DE  VOYAGE! 


même 


(si  b( 


:) 


sont  des 


pourtant^ 
montagnes  stoïques  ou  bien  Spartiates, 

Quand  on  a  gravi  la  colline  qui  est  sur  notre 
droite,  la  route  fait  un  coude  dans  ce  sens;  on  a 
au  fond  le  Tajgète,  presque  à  pic,  à  mamelons 
pressés,  plaques  rouges  dans  sa  couleur  grise, 
piquée  de  verdure;  à  mi-hauteur,  verdure  sombre 
des  pins;  plus  haut,  neiges;  à  droite,  Mistra  et 
son  acropole  turque,  aspect  gris,  bâti  sur  la  der- 
nière pente  de  la  montagne;  à  gauche,  sur  une 
éminence ,  au  milieu  de  la  plaine ,  maisons  blanches 
de  Sparte.  Cinq  minutes  avant  d'entrer  dans  la 
ville,  ruines  d'un  théâtre.  Des  chiens  aboient  après 
nous,  des  petits  agneaux  bêlent.  La  route  va  entre 
deux  enclos  bordés  de  murs;  pour  entrer  dans  la 
ville  même,  elle  monte  un  peu. 

Sparte.  —  Une  grande  rue,  bordée  de  bou- 
tiques à  la  turque  et  de  maisons  dont  quelques-unes 
ont  des  balcons  en  bois,  couverts. 

Pendant  que  nous  cherchons  un  gîte,  une  foule 
de  soixante  à  quatre-vingts  personnes  nous  con- 
temple, elle  nous  suit  dans  le  café  où  nous  nous 
réfugions,  et  se  range  en  cercle  autour  de  nous  à 
nous  regarder  :  je  nous  fais  (?)  l'effet  de  sauvages 
salle  Valentino ,  que  l'on  vient  voir  pour  de  l'argent. 

François,  à  la  fin,  nous  découvre  un  logement 
où  il  y  a  une  cheminée,  le  public  nous  y  accom- 
pagne, on  se  met  aux  fenêtres  pour  nous  voir 
passer,  et,  au  détour  de  la  rue,  nous  apercevons  le 
clergé  qui  est  sorti  de  l'église. 

Sparte,  9  heures 

Jeudi  ^0  janvier.  —  Passé  la  matinée  à  coudre 
les  bretelles  de  mes  éperons,  ce  qui  m'agace  con- 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  5  I 

sidérablement.  A  ii  heures  et  demie,  le  comman- 
dant de  la  gendarmerie,  chez  lequel  Max  a  été 
pour  s'informer  s'il  est  nécessaire  de  prendre  une 
escorte,  vient  nous  faire  une  visite  et  reste  une 
grande  demi-heure  à  nous  assommer  en  causant 
pohtique. 

II  fait  du  vent  et  froid,  le  temps  a  l'air  de  se 
décrasser  un  peu;  nous  sortons  de  Sparte,  escortés 
de  deux  gendarmes,  nous  retournons  au  théâtre. 
II  n'y  a  plus  guère  que  la  forme  demi-circulaire, 
en  terre,  et  deux  assises  ou  bouts  de  mur  en  pierre 
de  chaque  côté.  Les  agneaux,  dans  leur  espèce  de 
parc  rond,  tournent  eli  rond  et  bêlent  tous. 

Nous  suivons  la  même  roule  qu'hier,  entre  les 
collines  vertes  et  l'Eurotas,  ce  sont  de  petits  ma- 
melons qui  se  succèdent;  sur  les  bords  du  fleuve, 
carrés  verts,  roseaux,  des  mûriers,  des  peupliers 
blancs  mais  rares,  iris,  euphorbes;  de  l'autre  côté 
du  fleuve,  l'espèce  de  mur  rouge  et  droit,  à  ligne 
nette  par  le  sommet  uni. 

Le  Tajgète  va  en  s'abaissant  à  mesure  qu'on  le 
suit  dans  la  direction  de  l'Ouest;  les  crêtes  de  ses 
mamelons  longitudinaux  sontgrises,  les  entre-deux 
vert  foncé  et  couverts  de  sapins,  ce  qui  renfonce 
des  ombres,  des  creux,  les  parties  proéminentes 
étant  dans  la  lumière;  le  sommet  est  couvert  de 
neige,  et  les  neiges  de  nuages,  ils  s'entassent 
de  ce  côté,  sur  la  montagne,  et  laissent  gra- 
duellement toutes  les  autres  parties  du  ciel  plus 
pures. 

Suivant  toujours  le  pied  duTaygète,  ou  plutôt 
de  la  petite  chaîne  basse  de  collines  qui  lui  fait 
bourrelet,  nous  quittons  bientôt  l'Eurotas,  et  nous 
nous  trouvons  sur  les  bords  d'un  fleuve  de  même 


152 


NOTES  DE  VOYAGES. 


caractère,  c'est  Tlri  (Uptj).  Peupliers  blancs,  grèves 
blanchâtres,  la  route  par  moments  est  tout  contre 
la  montagne.  Nous  passons  au  pied  d'un  petit 
aqueduc  qui  mène  l'eau  d'un  moulin,  ensuite  le 
chemin  tourne  à  droite. 

L'Iri  est  assez  large,  jaune  comme  l'Eurotas  à 
un  endroit;  de  l'autre  coté,  sur  la  rive  gauche, 
restes  de  quai,  pierres  cjciopéennes. 

A  mesure  que  nous  avançons ,  le  Taygète  semble 
s'abaisser  et  les  montagnes  de  l'autre  côté  reculent; 
toute  la  vallée,  étroite  jusqu'à  présent,  s'élargit  et 
finit  en  vaste  cul-de-four. 

A  gauche,  sur  une  petite  hauteur,  village  de 
logitzanika.  —  L'église  en  bas,  maison  plus  haut. 
—  Nous  descendons  dans  une  maison  blanche, 
un  cochon  et  des  poules  d'Inde  mangent  à  même 
sur  une  sorte  de  disque  pavé,  aire  à  battre  qui  fait 
terrasse  dans  la  cour. 

François  revient  nous  dire  que  la  plus  belle 
chambre  du  logis  est  occupée  par  un  moribond, 
et  nous  cherche  un  autre  abri;  je  reste  à  regarder 
le  Taygète  et  encore  plus  le  porc,  les  deux  din- 
dons et  quelques  poules.  Le  cochon  mange  avec 
une  avidité  et  une  préoccupation  exclusives,  il 
fouille  de  son  groin  la  bouillie  grise  jetée  par  terre  ; 
les  deux  dindons  font  la  roue  et  gloussent  en 
même  temps.  Frissonnement  en  large  de  leurs 
plumes  du  dos  lorsqu'elles  sont  hérissées.  Ils  ont 
sur  la  poitrine  deux  gros  rouleaux  de  plumes 
qui  descendent  comme  deux  cylindres  mobiles. 
Un  autre  porc  est  venu  et  s'est  rué  sur  ce  qui  res- 
tait, ce  qui  a  engagé  le  précédent  à  manger  plus 
vite. 

Il  j  avait  dans  cette  maison  une  vieille  femme 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  5  3 

qui  portait  dans  sa  coiffure  une  longue  mèche  en 
filet  rouge  sortant  de  dessous  son  mouchoir  et 
tombant  jusqu'au-dessous  du  mollet. 

On  nous  loge  dans  une  autre  maison  :  vieille 
femme  à  cheveux  noirs,  nez  fin,  figure  aristocra- 
tique. Combien  n'y  a-t-il  pas  de  marquises  nées, 
qui  pataugent  nu-pieds  dans  la  crotte! 

Le  chien  d'un  de  nos  gendarmes  aboie  contre 
les  passants,  mais  se  cache  et  se  réfugie  sous  les 
jambes  du  cheval  de  son  maître  lorsqu'il  aperçoit 
plusieurs  chiens. 

Pendant  que  le  porc  et  les  dindons  mangeaient 
et  se  pavanaient,  il  y  avait,  assis  sur  son  train  de 
derrière  et  les  contemplant,  un  chien  jaune,  fleg- 
matique, à  museau  noir. 

logitzanika,  7  heures  et  demie. 

Vendredi  p.  —  La  vallée  ne  finit  pas  tout  de 
suite,  fermée  en  cul-de-four,  comme  il  m'a  semblé 
hier  de  loin,  à  cause  du  mamelon  qui  paraît  la 
boucher  et  sur  lequel  est  logitzanika.  LeTaygète, 
à  gauche,  s'abaisse,  et  les  montagnes  qui  sont  à 
droite  se  rapprochent  et  s'abaissent  aussi.  Petits 
cours  d'eau  sortant  de  dessous  l'herbe,  cascades 
d'un  pied  de  haut,  arbustes,  ligaria,  etc.,  bassins 
successifs.  On  va  dans  une  succession  de  petites 
gorges  couvertes  de  chênes  nains;  le  chêne  nain 
compose  à  lui  seul  les  trois  quarts  et  demi  de  la 
végétation  du  Péloponèse.  Quelques  arbousiers, 
rares. 

Nous  passons  un  torrent,  nous  quittons  la  gorge 
qui  s'étend  devant  nous  et  nous  en  prenons  une  qui 
est  de  suite  à  gauche.  De  temps  à  autre,  parmi  les 
chênes  nains,  un  chêne;  il  est  sans  feuilles,  celles 


NOTES  DE  VOYAGES. 

qui  lui  restent  sont  roux  blond,  racornies  et  fri- 
sées par  le  bout,  le  bleu  du  ciel  cru  passe  à  travers 
ce  feuillage  doré,  qui  est  plus  pâle  sur  sa  ligne 
extrême. 

Nous  déjeunons  sur  le  bord  d'un  torrent, 
auprès  d'une  fontaine  en  ruines,  nos  chevaux  sont 
attachés  à  de  petits  chênes  grêles,  au  bord  de 
l'eau. 

La  route,  montant  et  descendant,  monte  sensi- 
blement, le  makis  de  chênes  nains  cesse;  nous 
avons  sur  la  droite  de  grandes  pentes,  grisâtres, 
stériles,  sur  lesquelles,  de  place  en  place  comme 
un  jalon,  un  chêne  tout  seul  :  ce  n'est  plus  la  char- 
mante et  gracieuse  végétation  de  ce  matin,  avec 
ses  arbrisseaux  au  bord  de  l'eau.  La  montagne  des 
deux  côtés  a  cessé,  nous  sommes  à  son  niveau, 
ou  plutôt  elle  a  disparu  pour  nous;  la  vue  est  res- 
treinte par  des  bois,  ce  sont  toujours  des  chênes; 
ils  ont  leurs  troncs  biscornus,  leurs  branches 
tordues,  quelques-unes  à  moitié  calcinées  par  le 
bas.  ^ 

Nous  arrivons  sur  une  hauteur  d'où  l'œil  plonge 
dans  une  grande  vallée  (vallée  de  Mégalopohs); 
la  plaine,  couverte  de  bois,  est  d'un  ton  puce, 
les  montagnes  derrière  elle,  à  droite,  gris  bleu, 
avec  de  grandes  plaques  de  renforcements  bleus, 
comme  peintes  par-dessous,  exprès.  Mégalopohs 
est  au  milieu  et,  d'oii  nous  sommes,  semble  plutôt 
un  peu  au  pied  de  la  montagne. 

Nous  nous  détournons  trois  pas  de  notre  route 
pçur  faire  le  tour  d'une  ancienne  petite  église 
(Erimoclisi),  pierres  entourées  de  briques  plates 
(de  champ),  construction  byzantine.  Sur  le  côté 
Nord  de  la  petite  éminence  ou  promontoire  sur 


41 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  l  5  5 

laquelle  est  l'église,  un  grand  chêne  nain;  de  là, 
vue  de  la  plaine. 

Nous  continuons  dans  les  bois,  descendant  tout 
doucement,  écoutant  mon  cheval  qui  butte  sur  les 
cailloux;  je  suis  triste,  et  le  soleil  est  très  beau 
pourtant! 

Léondari  se  découvre  tout  à  coup,  sur  une 
éminence  qui  domine  la  plaine  de  Mégalopohs. 
Grande  quantité  de  ruines  turques,  gros  bourg. 
Nous  mangeons  des  oranges  chez  un  épicier,  où 
j'achète  une  peau  de  renard  pour  réparer  ma  peau 
de  bique,  pendant  qu'on  repique  des  clous  aux 
fers  de  nos  chevaux. 

De  Léondari  jusqu'ici,  on  descend  à  travers 
des  chênes,  la  vue  de  la  plaine  vous  est  cachée  par 
de  perpétuels  mouvements  de  terrain.  —  Un  tor- 
rent, le  Xérillo,  affluent  de  l'Alphée. 

Les  chênes,  d'abord  broussailles,  deviennent 
ensuite  de  véritables  arbres;  c'est  une  forêt,  puis 
place  plus  clairsemée,  sans  feuilles,  oii  ils  sont 
arbrisseaux,  leur  tronc  est  très  noir.  Dans  la  forêt 
nous  rencontrons  un  homme  avec  une  petite  fille 
que  l'affreux  chien  du  gendarme  veut  mordre; 
plus  loin,  deux  jeunes  gens;  celui  qui  marchait 
derrière  portant  un  long  bâton  recourbé  de  pas- 
teur, et  maigre,  avait  sous  son  bonnet  de  longs 
cheveux  noirs,  épars,  très  découverts. 

Avant  d'arriver  à  Macriplagi,  vue  de  la  plaine 
de  Messénie 

Logés  dans  un  khan  avec  grand  balcon,  d'où 
en  se  retournant  à  droite  on  voit  la  plaine. 

Coucher  de  soleil  :  le  ciel  noir,  finissant  par  une 
ligne  droite,  rectangulaire,  s'épatant  par  les  deux 
bouts;  en  dessous,   longue  bande  large,    blanc 


I  5  6  NOTES  DE  VOYAGES. 

orangé,  vermeille,  dominant  la  silhouette  de  deux 
petits  pics,  pyramides  de  montagnes;  montagnes 
noires. 

Macriplagi,  8  heures  et  demie. 

Samedi  i"  février.  —  Nous  descendons  dans  la 
plaine  de  Messénie ,  sur  le  versant  droit  de  la  gorge 
qui  dévale  vers  lui;  sur  ce  versant,  oliviers.  Bien- 
tôt nous  entrons  dans  la  plaine ,  la  mer  est  à  gauche 
et  cachée  maintenant  par  des  monticules  qui  fer- 
ment la  plaine.  L'hiver  dernier  a  fait  mourir  les 
nopals,  il  y  en  a  des  enclos;  nous  entrons  dans  un 
enclos  de  nopals  où  il  y  a  des  mûriers.  —  Parc 
d'agneaux  en  branches  sèches.  —  François  achète 
un  dindon  qu'a  peine  à  soulever  la  petite  fille  qui 
le  va  chercher.  —  Nous  continuons  par  la  plaine, 
nos  (chevaux  enfoncent  dans   l'herbe  détrempée. 

Déjeuner  au  village  de  Meligala.  Des  femmes 
passent,  chargées  de  bois;  elles  sont  si  effroyable- 
ment sales  que  Ton  sent,  en  les  effleurant,  l'odeur 
de  retable,  du  fumier,  de  la  bête  fauve,  je  ne  sais 
quelle  senteur  aigre  et  humide. 

Nous  sommes  ici  au  pied  du  mont  Ithome, 
nous  le  tournons  pour  aller  à  Messène;  nous  pas- 
sons sur  la  lisière  d'un  bois,  chênes,  arbrisseaux 
verts,  chênes  verts.  — Village  de  Vourcano.  — 
Des  chiens  hurlants  nous  suivent  quelque  temps 
dans  un  petit  chemin  creux  couvert  d'arbres.  — 
A  une  place,  beaucoup  d'iris  sur  fherbe,  des 
vaches  noires  à  poil  roux  sur  le  dos,  qui  broutent. 

Messène,  à  l'entrée  d'une  vallée  qui  descend 
sur  la  mer,  vallée  verte  et  plantée.  La  porte  prin- 
cipale de  Mégalopolis  forme  la  base  d'un  grand  V 
très  évasé,  dont  les  deux  cotés  sont  représentés 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  5  7 

par  une  montagne;  celui  de  droite  plus  long,  mais 
moins  élevé. 

Le  mur  court  du  sommet  de  la  pente  de  droite 
jusqu'aux  deux  tiers  de  celle  de  gauche,  dont  la 
partie  supérieure  est  grise,  ardue,  à  pic.  En  arri- 
vant, c'est  d'abord  les  murs  de  droite,  terminés 
par  une  tour  et  serpentant  suivant  le  mouvement 
du  terrain,  que  l'on  voit.  En  suivant  le  mur  qui 
s'étend  à  votre  gauche,  mur  en  pierres  presque 
cyclopéennes,  très  bien  taillées,  épais  de  7  pieds 
environ,  on  trouve  en  haut  une  tour  carrée,  à 
deux  étages;  en  dedans,  le  premier  étage  (rez- 
de-chaussée)  est  plus  épais,  il  y  a  une  rentrée  du 
mur  sur  lequel  s'appuyait  le  plancher  du  second. 
Sur  le  pan  qui  correspond  au  Sud-Est,  deux  meur- 
trières très  bien  faites;  sur  le  pan  d'en  face  et 
qui  regardait  la  ville,  rien;  le  mur  est  plein;  sur 
chacun  des  deux  autres  côtés,  une  seule  meur- 
trière. 

Au  second  étage ,  deux  petites  fenêtres  carrées 
sur  les  trois  côtés;  à  chaque  angle  de  ces  petites 
fenêtres  quadrangulaires  du  second  étage,  il  y  a 
un  trou  dans  le  mur.  Un  côté  du  mur  de  cette 
tour,  celui  qui  regarde  la  porte  de  Mégalopohs, 
est  lézardé  par  une  fissure  oblique  qui,  séparant 
les  pierres,  les  a  disjointes  comme  en  deux  esca- 
liers emboîtés  fun  sur  l'autre. 

Après  la  tour,  le  mur  continue  à  monter,  dans 
le  sens  de  la  montagne,  encore  environ  soixante 
pas,  après  quoi  sont  les  ruines  d'un  seconde  tour 
carrée. 

La  porte  de  Mégalopolis,  rotonde  de  vingt-trois 
pas  de  diamètre,  bâtie  en  grosses  pierres  taillées, 
convexes  et  guillochées  en  long  au  ciseau,  pour 


8 


NOTES  DE  VOYAGES. 


tenir  un  revêtement  qui  a  disparu.  A  l'endroit  où 
le  revêtement  s'arrêtait,  à  trois  pieds  du  sol  actuel, 
une  sorte  de  bandeau  circulaire  succède  à  l'aligne- 
ment des  pierres,  disposition  qui  se  retrouve  au 
dehors,  aux  entrées  de  la  porte.  Des  deux  côtés 
de  la  porte,  ruines  de  tour  carrée;  l'épaisseur  de  la 
porte  même  a  cinq  pas. 

En  dedans,  près  de  la  porte,  en  arrivant  de 
Mégalopolis,  deux  fenêtres  ou  niches,  avec  cor- 
niche et  console  saillante  (celle  de  gauche  est  la 
mieux  conservée)  ;  tout  autour,  une  rainure  comme 
pour  j  appuyer  une  fermeture  en  bois.  Cette 
niche  n'était  pas  creusée  dans  le  mur,  mais  en- 
levée à  même;  le  fond  est  à  jour  et  bouché  par 
une  grande  pierre  (de  l'époque  de  la  construc- 
tion), mais  qui  est  loin  de  fermer  hermétique- 
ment. Sur  la  pierre  qui  forme  le  plafond  de  la 
fenêtre  à  votre  droite,  une  rainure  large  de 
2  pouces  et  demi  environ. 

Les  linteaux  qui  forment  la  partie  supérieure 
des  deux  portes,  énormes;  celui  de  la  porte  qui 
regarde  la  mer  est  tombé  et  est  soutenu  encore, 
incliné,  par  une  des  pierres  éboulée,  elle-même, 
du  mur.  —  Dans  la  fenêtre  de  droite,  des  len- 
tisques.  —  Après  la  porte  qui  regarde  la  mer, 
restes  d'une  voie,  en  très  larges  et  belles  dalles, 
qui  descendait  vers  la  ville. 

Nous  revenons  au  khan,  où  nous  avons  dé- 
jeuné, et  nous  repassons  sur  le  vieux  pont  qu'il  y 
a  là  sur  le  torrent  (Mourozoumena).  N'est-ce  pas 
le  Pamisus  dont  les  sources  étaient  bonnes  pour 
les  petits  enfants?  Le  pont  fait  un  coude  et  sur  son 
coude  vient  s'adjoindre  un  troisième  bras. 

Nous  allons  pendant  deux  heures  dans  le  vil- 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I  59 

lage  deConstantinos,  la  plaine  de  Messénie  nous 
est  fermée  par  des  montagnes,  le  mont  Ithome 
est  tout  à  fait  derrière  nous,  sur  la  gauche. 

Une  colline;  nous  la  doublons  et  prenons  sur 
la  gauche. 

Le  village  de  Bogazi,  où  nous  devons  coucher, 
est  assis  au  pied  de  la  montagne.  Avant  d'arriver 
au  village,  un  aqueduc  amenant  l'eau  à  un  mou- 
lin, il  est  vêtu  de  lianes  sèches  qui  pendent;  un 
torrent  que  nous  traversons,  le  village  étage, 
un  peu  comme  Eiden  dans  le  Liban. 

Le  logis  où  nous  sommes  est  la  maison  du 
pappas.  Il  y  a  dans  l'unique  pièce  nos  deux  lits, 
nos  selles,  toutes  les  affaires  de  François,  des  tas 
de  grains,  la  cuisine,  des  tonneaux,  une  femme 
et  un  homme  qui  y  couchent,  de  plus  deux  en- 
fants, des  tamis,  des  cuves,  du  linge,  des  hardes, 
des  oignons  secs  au  plafond,  etc.,  etc.  Accrochés 
au  mur  :  un  lièvre  et  un  dindon,  etc.,  etc.  Rien 
ne  ferme,  la  quantité  de  vents  coulis  qui  soufflent 
donne  un  rhume  de  cerveau  à  nos  deux  bougies, 
elles  coulent  abondamment.  Par  les  trous  du  toit, 
on  voit  le  ciel. 

Bogazi,  7  heures  et  demie. 

Dimanche 2.  —  En  sortant  du  village,  on  monte; 
toute  la  journée  s'est  passée  dans  la  montagne  et 
parmi  les  chênes. 

Les  mamelons  du  mont  Ira  sont  secs  et  gri- 
sâtres. Bientôt  l'on  découvre  toute  la  plaine  de 
Messénie,  que  domine  le  mont  Ithome  comme 
un  grand  mur.  11  n'est  pas  surprenant  que  Sparte 
ait  tant  envié  cette  plaine,  elle  vaut  un  peu  mieux 
que  la  sienne.  —  Quand  on  a  quitté  de  vue  la 


l6o  NOTES  DE  VOYAGES. 

plaine  de  Messénie,  on  ne  tarde  pas  à  apercevoir 
la  mer  d'Arcadie  sur  la  gauche.  « 

Montées,  descentes,  quelquefois  la  route  revient 
si  brusquement  sur  elle-même,  dans  les  pentes, 

3 ue  votre  cheval  a  peine  à  tourner;  puis  on  entre 
ans  un  petit  bassin,  et  l'on  remonte.  —  Passage 
sous  des  chênes  nains,  élevés,  ombreux;  froid,  qui 
doit  être,  l'été,  délicieux.  Les  chênes  ont  des  cale- 
çons de  velours  vert  en  mousse. 

Un  quart  d'heure  avant  d'arriver  au  village  où 
nous  déjeunons,  traversé  un  large  torrent  (avant 
le  torrent,  une  longue  chute  d'eau  qui  tombe  de  la 
montagne,  à  droite  de  la  route;  après  cette  chute 
une  autre  plus  petite  et  moins  belle),  le  Bazi;  un 
platane  renversé  arrête  l'eau  et  la  barre,  ça  fait 
cataracte,  elle  passe  par-dessus  et  tombe. 

Déjeuner  au  village  de  Dravoï,  dans  une  mai- 
son aux  poutres  calcinées  par  la  fumée.  Nous 
marchandons  à  deux  belles  filles  qui  se  trouvent 
là  des  mouchoirs  brodés  qu'elles  se  mettent  sur  la 
tête;  j'en  achète  un.  —  Une  surtout,  petite,  grosse, 
figure  blanche  et  carrée;  c'est  elle  qui,  tenant  un 
enfant  par  la  main  et  debout  sur  le  seuil  de  la 
maison ,  avait  reculé  quand  elle  m'avait  vu  arrêter 
mon  cheval. 

Pendant  notre  repas,  pose  d'un  vilain  petit 
chien  qui  reste  assis  sur  son  cul,  les  jambes  de 
devant  levées  et  retombant  le  long  de  sa  poitrine. 

Le  jeune  garçon,  pâle  et  nu-tête,  qui  avait  tenu 
nos  chevaux  pendant  que  nous  déjeunions,  marche 
devant  nous  pour  nous  servir  de  guide  au  temple 
d'Apollon  Epicureus;  nous  devons  gravir  mainte- 
nant le  mont  Lycée. 

Au  bout  d'une  heure  et  demie,  nous  arrivons 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  l6l 

au  temple  d'Apollon.  Quand  on  lui  tourne  le  dos, 
voici  le  paysage  que  l'on  a  : 

Deux  mers  :  le  golfe  de  Messénie,  en  face,  et  à 
droite  la  mer  d'Arcadie;  entre  elles  deux,  sur  la 
droite  de  la  plaine  de  Messénie,  le  mont  Ithome; 
l'entre-espace  des  deux  mers  vous  est  bouché  par 
une  colline  au  premier  plan,  bombée  comme  un 
dos  de  tortue,  derrière  elle  s'aperçoivent  d'autres 
montagnes;  de  derrière  f Ithome,  à  sa  gauche, 
descendent  deux  chaînes  qui  s'abaissent  oblique- 
ment en  allant  vers  la  mer  et  finissent  en  pointes 
allongées.  A  main  gauche,  au  deuxième  plan, 
montagnes   à  gorges,  d'un  ton  roux,  à  ombres 
noires  dans  les  creux;  derrière  elles,  deux  chaînes 
successives,  de  dessins  semblables,  l'une  apparais- 
sant derrière  la  ligne  de  l'autre,  toutes  deux  bleu 
sombre;  enfin  derrière  celles-ci,  on  aperçoit  le 
sommet  de  montagnes  couvertes  de  neige  (sur- 
tout en  se  retournant  sur  la  gauche);  sur  les  neiges 
sont  des  nuages  blancs,  immobiles  comme  elles, 
mais  moins  blancs,  enroulés,  floconnés,  longs,  de 
même  forme  que  le  sommet  des  monts,  et  qui 
ont  l'air  de  les  continuer  s'il  n'y  avait  en  dessous, 
à  leur  partie  inférieure,  une  grande  ligne  de  base, 
droite. 

Au  premier  plan,  à  votre  droite  (c'est  par  là 
que  nous  sommes  arrivés  au  temple),  un  vallon 
avec  des  chênes  à  perruques  blondes,  sur  un 
terrain  pierreux,  gris,  piqué  de  rare  verdure; 
dans  l'angle  évasé  du  vallon  s'aperçoit  la  mer 
d'Arcadie.  L'ithome,  jusqu'aux  deux  tiers  de  sa 
hauteur,  et  la  partie  de  la  plaine  de  Messénie  qui 
y  touche,  sont  noyés  dans  une  lumière  vaporeuse, 
bleuâtre,  foncée,  du  même  ton  que  la  mer,  qui 


l62 


NOTES  DE  VOYAGES. 


cependant  s'en  différencie  un  peu  par  un  petit 
glacis  vert. 

Le  Temple  d'Apollon  est  bâti  dans  un  renfonce- 
ment de  la  montagne,  en  cul-de-four,  simulant  si 
l'on  veut  le  dossier  concave  d'un  vaste  fauteuil; 
le  côté  droit  (en  tournant  le  dos  à  la  mer  de 
Messénie),  côté  Est,  est  un  peu  plus  bas  que 
l'autre. 

Le  temple  est  d'une  couleur  grise  uniforme; 
les  colonnes  doriques,  cannelées  (trois  rainures 
sous  le  bourrelet  du  chapiteau),  sont,  par  places, 
tachetées  de  taches  roses  comme  seraient  des  taches 
de  vin;  dans  ces  taches  roses  (lichens),  des  petits 
points  ou  plutôt  lignes  blanches  ondulées,  il  y  a 
aussi  quelques  taches  jaunes. 

Le  temple,  orienté  au  Nord,  regarde  la  mon- 
tagne qui  est  derrière  lui  quand  on  y  arrive.  Bâti 
en  beau  calcaire  ridé  et  cassé  par  le  temps;  les 
caissons  du  plafond,  tombés  par  terre,  sont  en 
marbre.  J'ai  ramassé  des  morceaux  mi-partie  cal- 
caire et  marbre  de  Paros,  le  calcaire  avait  une 
surface  de  marbre. 

Je  n'ai  pas  trouvé  dans  l'intérieur  la  colonne 
corinthienne  dont  parlent  Hackbleberg  et  Do- 
naldson. 

Sur  chaque  façade,  6  colonnes,  en  comprenant 
les  deux  colonnes  d'angle;  sur  les  ptères,  en  com- 
prenant les  colonnes  d'angle,  14  de  chaque  côté; 
le  côté  Ouest  qui  regarde  la  mer  d'Arcadie  n'en  a 
plus  que  13. 

Au  milieu ,  la  disposition  de  la  cella  est  encore 
très  visible  :  cinq  bases  de  colonnes  ioniques  de 
chaque  côté,  une  est  presque  entière;  elles  étaient 
engagées  dans  le  mur,  qui  allait  s'appuyer  en  contre 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  163 

fort  contre  la  muraille  du  naos  même,  la  dernière 
cannelure  de  la  colonne  se  trouve  de  même  plan 
que  le  pilier.  —  Mur. 

Première  partie  :  entrée  carrée,  la  première 
assise  des  pierres  subsiste,  les  pierres  sont  grandes 
comparativement  au  temple.  L'architrave  règne  en 
entier,  si  ce  n'est  sur  une  colonne  de  la  façade  et 
sur  les  colonnes  de  l'antifaçade  (côté  qui  regarde 
le  golfe  de  Messénie). 

C'était  fort  beau ,  ça  dominait  presque  tout  le 
midi  du  Péloponèse,  au  milieu  des  chênes,  en  vue 
de  deux  mers  et  des  montagnes. 

En  partant  du  temple,  on  monte  toujours,  la 
route  se  resserre,  on  arrive  sur  un  sommet  étranglé 
et  sans  horizon,  d'oij  tout  à  coup  s'ouvre  un  ta- 
bleau d'autres  montagnes.  —  Vallée  immense  sur 
la  pente  de  laquelle  est  le  village  d'Andvitzena, 
où  nous  sommes. 

Toute  la  journée  nous  avons  tourné  dans  les 
montagnes  boisées,  le  sentier  faisant  des  coudes. 
Marchant  le  dernier  (c'est  la  bonne  place),  je 
voyais  quelquefois  Max  et  François  remonter  en 
trottant  sur  l'autre  côté  de  la  gorge.  Quelquefois , 
au  fond  de  la  gorge,  le  ravin  na  pas  d'eau,  les 
pluies  se  sont  écoulées  par  un  autre  côté. 

Une  fois,  cet  après-midi,  je  ne  sais  plus  où,  un 
vallon  escarpé  dans  toute  la  longueur  de  ses  bords, 
régulièrement  ridé  par  des  petites  gorges  paral- 
lèles, très  profond,  s'en  allant  dans  la  mer  d'Ar- 
cadie,  et  qui  m'a  rappelé  celui  qui  passe  sous 
Delphes  et  va  vers  Cirrha. 

En  sortant  de  déjeuner,  François  et  son  cheval 
se  sont  accrochés  dans  un  arbre  et  ont  eu  du  mal 
à  en  sortir. 


l64  NOTES  DE  VOYAGES. 

Sur  le  bord  de  la  route,  dans  les  buissons, 
petites  fleurs  bleues. 

Andvitzena,  8  heures. 

Lundi  ^.  —  La  vallée  va  du  Nord  au  Sud,  con- 
trairement au  sens  dans  lequel  nous  y  arrivons. 
Ce  n'est  pas  une  vallée  proprement  dite,  mais  une 
portion  de  pays,  que  nous  dominions  hier  au  soir, 
et  qui,  pour  nous,  couverte  de  mamelons  et  de 
petites  vallées,  s'en  va  vers  notre  gauche. 

En  partant  d 'Andvitzena,  la  route  descend 
d'abord.  —  Montagnes  stériles,  grises,  couvertes 
d'une  verdure  rare,  puis  de  chênes;  de  temps  à 
autre  une  fontaine.  —  Une  place  sur  une  pente, 
comme  une  petite  prairie  inchnée;  au  bout,  un 
bois  d'arbustes.  —  Le  chemin  sous  la  voûte  verte; 
comme  François  devant  nous  y  entrait,  en  est  sorti 
un  troupeau  de  chèvres.  A  propos  de  chèvres  :  sur 
une  grosse  pierre  à  pans  presque  à  pic,  groupes  de 
chèvres  (je  m'étonne  toujours  à  considérer  com- 
ment elles  peuvent  se  tenir  sur  des  pentes  sem- 
blables); elles  étaient  posées,  immobiles,  quand 
nous  sommes  passés,  chacune  dans  sa  posture, 
comme  si  elles  eussent  été  de  bronze. 

Nous  nous  trouvons  au  bord  d'un  fleuve, 
éparpillant  ses  eaux  en  plusieurs  branches  sur 
des  grèves  blanches  étendues;  il  est  bordé  d'ar- 
bustes sans  feuilles,  à  couleur  grise,  lavandes,  liga- 
ria,  etc.,  de  temps  à  autre  un  sycomore,  dont  le 
tronc  blanc  saillit  de  loin.  Des  deux  côtés  de  la  val- 
lée oii  tourne  paisiblement  le  fleuve,  montagnes 
de  hauteur  moyenne,  d'un  ton  généralement  roux  : 
c'est  l'Alphée,  nous  le  passons  à  gué,  ayant  de 
l'eau  jusqu'au-dessus  du  genou,  l'eau  m'entre  par 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  l  6  <) 

le  haut  de  mes  bottes,  le  courant  pousse  nos  che 
vaux,  je  travaille  le  mien  à  coups  d'éperon  ;  à  force 
de  bonds,  je  l'amène  à  l'autre  bord. 

Nous  longeons  quelque  temps  la  rive  droite  du 
fleuve,  le  soleil  est  chaud,  çà  et  là  un  bouquet 
d'arbres  sans  feuilles,  sur  une  hauteur  le  petit  vil- 
lage de  Hagios  Joannis  (emplacement  d'Herca). 

De  Hagios  Joannis  jusqu'ici  (Polignia)  c'est 
une  charmante  route,  paysage  classique  s'il  en  fut, 
tranquille;  on  a  vu  cela  dans  d'anciennes  gravures, 
dans  des  tableaux  noirs  qui  étaient  dans  des  angles, 
à  la  place  la  moins  visible  de  l'appartement. 

Nous  traversons  deux  fleuves  :  le  Ladou. 
Giorgi,  notre  moucre,  reste  en  arrière,  nous 
sommes  obligés  de  payer  un  paysan  qui  va  avec 
son  cheval  le  chercher,  il  était  resté  sur  un  îlot 
de  sable  caillouteux;  dans  le  courant  de  l'eau  et 
arrêtés,  troncs  d'arbres;  sur  la  rive  du  fleuve, 
de  l'autre  côté,  celui  oii  nous  abordons,  des  pay- 
sans assis.  Le  second  fleuve  que  nous  traversons 
est  l'Erimanthe. 

Tous ^  ces  trois  fleuves,  Alphée,  Ladou  (Ru- 
phia),  Erimanthe  (Doana),  les  deux  derniers 
affluents  du  premier,  ont  le  même  caractère;  seu- 
lement, quelque  temps  avant  d'arriver  ici,  l'Al- 
phée,  quon  retrouve,  est  un  véritable  fleuve,  il 
est  large  (à  peu  près  comme  la  Seine  à  Nogent). 

Cheminant  par  beau  soleil,  sur  l'inclmaison 
d'une  pente,  ce  sont  sans  cesse  des  chemins  dans 
des  bosquets  de  lentisques  verts;  par  places,  des 
pelouses  d'herbes,  de  temps  à  autre  un  grand 
arbre.  O  art  du  dessinateur  des  jardins!  A  notre 
droite,  la  montagne;  à  notre  gauche,  au  bas  de  la 
lisière  du  bois,  coule  le  fleuve,  gris  sur  son  lit 


}66  NOTES  DE  VOYAGES. 

blanc;  de  l'autre  côté,  prairie,  arbres  à  ton  roux, 
à  cause  de  l'absence  de  feuilles,  et,  après,  les  mon- 
tagnes. Partout  le  paysage  a  ce  caractère  de  sim- 
plicité et  de  charme,  on  sent  de  bonnes  odeurs,  la 
sève  des  bois  s'infiltre  dans  vos  muscles,  le  bleu 
du  ciel  descend  en  votre  esprit,  on  vit  tranquille- 
ment, heureusement. 

Le  paysage,  suivant  la  courbe  des  montagnes, 
fait  des  coudes  perpétuels. 

Nous  arrivons  au  soleil  couchant  au  khan;  il  se 
couchait  juste  en  face  de  nous  et  nous  aveuglait, 
j'étais  obligé  de  mettre  ma  main  sur  les  yeux  pour 
voir  le  chemin,  quand  mon  cheval  galopait. 

Dans  trois  jours  nous  serons  à  Patras! 

Polignia,  9  heures  du  soir. 

Mardi  4  février.  —  Nous  avons  couché  dans 
une  grande  chambre  de  khan,  aux  poutres  ver- 
nies par  la  fumée;  pour  avoir  du  feu,  j'ai  récohé 
pendant  une  demi-heure  des  sarments  de  hgaria 
épars  dans  la  cour,  et  arraché  des  bourrées  épi- 
neuses à  un  enclos.  Nuit  froide  et  pleine  de 
puces. 

Nous  partons  à  8  heures  du  matin,  par  beau 
temps,  nous  longeons  toujours  la  rive  droite  de 
l'Alphée,  les  montagnes  s'abaissent,  couvertes 
de  sapinettes  et  de  pins,  quelques-uns  très  beaux, 
la  vallée  s'élargit. 

Une  heure  après  notre  départ  du  khan,  le  côté 
de  la  montagne  que  nous  longions  a  un  renfonce- 
ment, cela  s  ouvre  en  un  large  cul-de-sac,  bordé 
de  collines  rares,  boisées  (restes  de  l'Altis?).  Dans 
deux  trous,  fouilles  de  l'expédition  française  : 
traces  de  murs  énormes,  grosses  pierres  très  bous 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  \6j 

culées,  une  base  de  colonne  cannelée,  énorme 
comme  grosseur,  voilà  tout  ce  qui  reste  d'OIjm- 
pie.  Un  peu  plus  loin,  à  droite,  dans  la  plaine,  un 
reste  de  mur  romain. 

Pour  que  les  fouilles  fussent  fructueuses,  il 
faudrait  qu'elles  fussent  profondes;  l'AIphée  a  dû, 
dans  son  cours  très  capricieux,  apporter  beau- 
coup de  terres,  l'alluvion  se  reconnaît  à  chaque 
instant;  parfois  sur  le  bord  du  chemin  nous  voyons 
des  pans  de  terre  remplis  de  galets,  c'est  comme 
un  plum-pudding  où  il  j  aurait  plus  de  raisins  de 
Corinthe  que  de  pain. 

Deux  paysans  nous  rejoignent  et  nous  offrent 
à  acheter  une  petite  monnaie  des  princes  de  Morée 
et  une  chétive  urne  lacrymatoire  fausse. 

Bientôt  la  montagne  cesse  et  tourne  complète- 
ment à  droite,  l'AIphée  s'en  va  vers  la  gauche 
dans  la  direction  de  la  mer,  nous  entrons  dans  la 
grande  et  boueuse  plaine  de  Palumba.  Cultures 
de  place  en  place,  roseaux  au  bord  des  petits 
cours  d'eau,  l'AIphée  a  avancé  quelques  petits  bras 
dans  les  terres  plates  et  molles,  comme  des  cri- 
ques. Nous  déjeunons  au  bord  d'un  petit  ruisseau 
à  côté  des  ligarias  secs. 

De  temps  à  autre,  dans  l'herbe,  une  fleur  d'iris. 

Nous  nous  perdons  et  sommes  obligés  de  reve- 
nir sur  nos  pas;  mon  cheval,  entrant  dans  la  boue 
jusque  par  derrière  les  jarrets,  manque  d'y  rester. 

Un  paysan  laboure  avec  deux  petits  bœufs  et 
sa  charrue  de  bois,  qui  entre  dans  la  terre  comme 
dans  du  beurre,  il  ne  la  pousse  pas,  il  la  maintient 
seulement  (hier  j'ai  rencontré  un  homme  qui  la 
portait  sur  son  dos),  les  deux  bœufs  noirs  mar- 
chaient devant  lui,  n'ayant  que  le  joug. 


l6S  NOTES  DE  VOYAGES. 

Nous  cheminons  au  pas  dans  la  direction  de  la 
mer,  l'AIphée  serpente  (  réellement  )  dans  la  plaine ,      J 
qui  est  au  niveau  de  ses  rives.  ■ 

Pyrgos  est  derrière  une  éminence  qui  est  à 
notre  droite;  nous  la  montons  et  la  descendons, 
nous  avons  alors  la  mer  à  notre  gauche  et  Pyrgos 
en  face  sur  une  hauteur  étalée. 

François  n'a  plus  tant  de  rhume,  il  reblague. 

Entré  à  Pjrgos  à  3  heures.  Longue  rue,  pleine 
de  boutiques  noires,  de  marchands  de  clous,  de 
cordes  et  de  cuirs;  devant  les  boutiques,  des  deux 
côtés  de  la  rue,  galerie  couverte  à  piliers  de  bois. 
Le  Turc  pèse  encore  là,  comme  couleur,  mais 
sous  le  rapport  du  confortable,  ça  ne  le  vaut  pas; 
il  nous  a  été  impossible  de  nous  procurer  un 
mangaL 

Pyrgos,  7  heures  du  soir. 

Mercredi ^  février.  —  La  journée,  courte  et  peu*n 
fatigante  (six  heures  de  marche),  n'a  eu  qu'un 
épisode,  mais  qui  fut  charmant,  à  savoir  le  pas- 
sage du  Jardanus,  rivière  située  à  une  heure  et 
demie  de  Pjrgos  environ.  Toute  la  nuit  une  pluie 
torrentielle  avait  sonné  sur  les  tuiles  de  notre  logis 
et  dégouttait  à  travers  elles,  sur  nos  têtes;  nous 
sommes  néanmoins  partis  à  la  grâce  de  Dieu,  à 
10  heures  du  matin.  Le  temps  se  décrasse  un  peu 
et  je  retire  de  dessus  mon  dos  mon  affreuse  cou- 
verture phée  en  double  et  qui  me  pèse  horrible- 
ment, nous  marchons  dans  la  plaine  nue,  sous  le 
ciel  gris,  par  un  temps  doux. 

Passage  du  Jardanus.  —  François  s'avance  le  pre- 
mier, bientôt  son  cheval  perd  pied  et  va  à  la 
dérive;  Maxime  et  moi  passons  côte  à  côte;  son 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHÈNES.  1  69 

cheval,  plus  faible  que  le  mien,  est  poussé  par  le 
courant;  il  en  a  jusqu'au  milieu  des  hanches  et  moi 
seulement  jusqu'aux  deux  tiers  des  cuisses. —  Sen- 
sation de  l'eau  froide  quand  elle  vous  entre  par  le 
haut  des  bottes.  —  Enfin  nous  arrivons  tous  sur 
l'autre  bord,  ayant  lâché  la  bride  à  nos  bêtes,  qui 
s'en  sont  tirées  comme  elles  ont  pu. 

Restait  le  bagage,  nous  l'attendons.  Conseils  et 
déhbérations  ;  le  parti  fut  vite  pris ,  à  savoir  de  tra- 
verser quand  même.  Des  bergers  nous  indiquent 
un  endroit,  un  peu  plus  bas,  oii  il  y  avait  une 
sorte  de  petit  radeau  de  branchages  et  deux  îlots 
d'herbes.  On  défait  le  bagage,  que  l'on  portera  à 
la  main,  et  les  bêtes,  nues,  traverseront  à  la  nage. 
Maxime  et  François  remontent  pour  assister  à  la 
natation  des  chevaux,  tandis  que  je  reste  avec 
Dimitri  (le  cuisinier),  Giorgi  (le  sais)  et  un  jeune 
berger  qui  nous  aide;  lui  et  moi  nous  faisons  la 
chaîne.  Glissant  avec  mes  grosses  bottes  sur  le  talus 
boueux  du  fleuve,  j'allais  dans  l'eau  jusqu'au  bout 
du  petit  pont,  oii  le  berger,  ayant  du  fleuve  jusque 
par-dessus  les  genoux,  m'apportait  le  bagage,  que 
nous  avons  ainsi  passé  un  à  un.  Pendant  que  nous 
étions  occupés  à  cela,  arrive  un  troupeau  de  mou- 
tons :  embarras,  résistance  des  bêtes  à  cornes,  qui 

f. le   camp  de   tous   les  côtés;   les   bergers 

gueulent  et  courent  après.  Muni  d'un  long  roseau, 
j aide  à  cacher  le  bétail;  on  prend  les  premiers 
par  la  laine  et  on  les  passe  de  force,  les  autres  sui- 
vent, moitié  sautant,  moitié  nageant  ou  barbotant. 
Après  quoi  nous  avons  recommencé  notre  exer- 
cice de  facchino;  je  m'enfonce  dans  le  pont  et  j'y 
reste  accroché  par  un  éperon,  la  mécanique  s'était 
détraquée  sous  le  poids  des  moutons.  A  partir  de 


170  NOTES  DE  VOYAGES. 

ce  moment,  je  me  suis  contenté  de  rester  au  bas 
du  talus,  mon  compagnon  de  fardage  m'appor- 
tait le  bagage  jusque-là. 

Maxime  et  François  reviennent  avec  les  che- 
vaux de  bagage,  mouillés  jusqu'aux  oreilles;  ce 
n'a  pas  été  non  plus  facile.  II  pleut,  nos  selles 
sont  trempées,  je  les  bouchonne  avec  l'écharpe 
péloponésienne  que  j'ai  achetée  dimanche  à  Dra- 
voï ,  et  nous  repartons. 

La   plaine   est  viable,    la   pluie   se  calme;    à 

fauche  la  mer,  bleu  gris  sale,  avec  Zante  dans  la 
rume;  plus  près  de  nous,  Gastuni  sur  une  mon- 
tagne, en  acropole.  Nous  rencontrons,  allant  dans 
le  même  sens  que  nous,  de  bons  gendarmes, 
dont  l'un  tombe  de  cheval  en  voulant  sauter  un 
fossé  large  de  18  pouces. 

Avant  d'arriver  à  Dervish-Tcheleby ,  clôtures 
d'aloès  ;  ils  sont  fort  beaux,  touffus,  avec  leurs 
grandes  palmes  épaisses,  recourbées. 

Depuis  le  passage  du  fleuve  jusqu'à  notre  arri- 
vée, je  m'exerce  à  faire  le  hurleur;  François  y  excelle 
et  me  donne  des  leçons,  le  soir  j'étais  arrivé  à  une 
certaine  force;  mais  j'avais,  comme  disait  Sassetti 
à  propos  des  chevaux  qui  trottaient  dur,  «festo- 
mac  défoncé». 

Pendant  que  nous  sommes  sur  le  balcon  de 
notre  maison,  à  Dervish-Tchelebj,  attendant 
notre  bagage ,  nous  voyons  un  maître  chien  noir 
hurler  après  deux  hommes  et  les  poursuivre.  Ce 
sont  des  musiciens  ambulants  :  fun  joue  du  bi- 
niou et  l'autre  le  suit  en  portant  un  énorme  bissac 
accroché  à  son  côté;  ils  viennent  à  nous,  tous 
deux  couverts  de  ces  lourds  manteaux  blancs  des 
paysans  grecs,  si  pesants  qu'on  ne  met  jamais  les 


ATHENES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  171 

manches  et  le  capuchon,  seulement  dans  les  cas 
extrêmes.  Le  premier,  jeune  homme  de  vingt  ans 
environ  (coiffé  comme  l'homme  de  Chéronée),  a 
ses  sandales  de  toile  noires  de  pluie,  de  vétusté  et 
de  crasse  ;  pendant  que  l'air  s'échappe  de  sa  vessie, 
il  regarde  de  droite  et  de  gauche,  et  de  temps  à 
autre  il  abaisse  la  bouche  sur  le  bout  de  la  flûte 
engagée  dans  l'outre  pleine.  Son  compagnon  n'a 
pas  plus  de  12  ans,  il  le  suit  et  porte  le  bissac.  Dans 
une  maison  voisine,  une  femme  lui  donne  quelque 
rehef  qu'il  met  dans  son  sac  de  toile.  Après  qu'ils 
nous  ont  eu  joué  leur  air,  ils  partent  et  le  chien  se 
remet  à  hurler  et  à  les  suivre.  Pourquoi  le  vaga- 
bond, musicien  surtout,  me  séduit-il  à  ce  point? 
la  contemplation  de  ces  existences  errantes  et  qui 
semblent  maudites  partout  (il  s'y  mêle  du  respect 
pourtant)  me  tient  au  cœur.  J'ai  vécu  quelque  part 
de  cette  vie,  peut-être?  O  Bohème!  Bohème!  tu 
es  la  patrie  de  ceux  de  mon  sang!  II  y  avait  sur 
eux  (les  Bohèmes)  quelque  chose  de  mieux  à 
faire  que  la  chanson  de  Béranger.  Walter  Scott 
sentait  fortement  (sous  le,  rapport  du  pittoresque 
surtout)  cette  poésie-là  (Edic,  O  Kiltris,  etc.). 

En  face  de  nous,  dans  cette  maison  :  servante 
bossue  avec  de  gros  seins;  de  quel  côté  la  prendre 
si  son  mari  aime  les  tétons  durs? 

Nous  sommes  logés  sans  feu  ;  le  fils  de  la  mai- 
son, jeune  gredin  à  œil  gauche  à  demi  fermé, 
vient  nous  regarder  et  s'assoit  sur  un  coffre,  il 
tâche  de  voler  le  bâton  de  gellab  de  Maxime  et 
puise  sans  se  gêner  dans  mon  sac  à  table.  Le  len- 
demain matin,  la  maîtresse  fait  barouffe  avec 
François,  trouvant  qu'on  ne  l'a  pas  assez  payée. 
Nuit  exécrable,  presque  blanche  à  cause  des  puces. 


172  NOTES  DE  VOYAGES. 

Jeudi  6.  —  Nous  avons  pris  un  guide,  qui 
porte  nos  deux  sacs  de  nuit,  un  quatrième  cheval 
avait  été  pris  la  veille  à  Pyrgos  pour  alléger  les 
autres;  le  bagage  viendra  derrière  nous,  comme 
il  le  pourra,  notre  intention  est  d'aller  coucher  le 
soir  même  à  Patras. 

Nous  allons  sur  la  plaine,  nue,  sans  maisons, 
sans  arbres,  sans  culture,  sans  habitants  et  sans 
voyageurs  ;  elle  est  d'un  ton  blond  pâle  uni, 
comme  le  ciel,  qui  est  blanc  gris;  de  temps  à 
autre,  des  glaïeuls  ou  de  grandes  herbes  minces, 
desséchées,  effilées. 

A  gauche  nous  avons  la  mer.  Traversé  le  Pénée 
(rivière  de  Gasturi)  en  bac,  le  bateau  est  à  quille 
et  roule  sous  le  sabot  de  nos  chevaux,  qui  trem- 
blent de  peur. 

A  10  heures,  déjeuner  au  village  de  Tragano, 
chez  un  épicier  grec. 

Nous  continuons,  piquant  dans  le  Nord-Ouest. 
A  notre  droite,  une  montagne  de  ton  bleuâtre 
foncé,  atténué  par  la  brume,  et  derrière  elle,  très 
loin ,  bien  au  delà,  s'avançant  en  pointe,  une  autre 
se  dessinant  en  blanc,  dans  le  ciel  gris  pâle  : 
c'est  derrière  et  au  pied  de  celle-là,  que  se  trouve 
Patras. 

La  plaine  continue,  nous  trottons;  de  temps  à 
autre  on  s'arrête  au  pas,  pour  passer  une  fon- 
drière pleine  d'eau,  et  le  cheval  reprend  son  allure. 
Pas  de  culture,  personne;  la  terre  est  grasse;  çà  et 
là,  quelques  arbres,  bientôt  cela  devient  presque 
régulier,  ce  sont  des  chênes  comme  plantés  de 
place  en  place  sur  fherbe  (restes  d'une  forêt 
disparue?). 

Il  y  a  deux  ou  trois  sentiers  parallèles,  filant  ea 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D'ATHENES.  I73 

long  devant  nous,  ça  fait  des  rigoles  carrées  à 
demi  pleines  d'eau  stagnante;  de  temps  à  autre 
un  troupeau  de  moutons,  dont  la  présence  nous 
est  annoncée  par  des  chiens  velus  et  forts  qui 
accourent  sur  nous  en  aboyant  et  poursuivent 
quelque  temps  nos  chevaux.  Après  avoir  aboyé 
ils  s'en  retournent;  en  vain  nous  cherchons  des 
pierres  pour  en  emphr  nos  poches,  nous  n'en  trou- 
vons pas,  si  ce  n'est  une  fois  que  je  descends  exprès 
et  que  j'en  ramasse  trois. 

II  était  deux  heures  quand  nous  nous  sommes 
arrêtés  à  une  sorte  de  khan,  où  l'on  nous  a  dit 
que  nous  en  avions  encore  pour  neuf  heures  de 
marche. 

Nous  repartons  au  grand  trot  et  au  galop  pen- 
dant une  heure  ;  autre  khan ,  il  était  trois  heures. 

Le  jour  baisse,  il  devient  plus  sombre,  toute  la 
journée,  c'a  été  la  même  lumière  immobile  et 
blanchâtre,  le  soleil  caché  ne  montrait  pas  même 
sa  place,  le  ciel  était  porcelaine  dépolie. 

Les  chênes  sont  un  peu  moins  espacés,  il  faut 
se  baisser  pour  passer  sous  les  branches  infé- 
rieures, j'y  accroche  mon  tarbouch  qui  tombe 
dans  l'eau.  A  notre  droite,  à  travers  les  arbres,  de 
temps  à  autre  la  masse  pâle  de  la  montagne  du 
fond,  celle  qui  est  plus  près  de  nous  se  rapproche 
et  devient  d'un  bleu  plus  distinct;  à  notre  gauche, 
au  delà  de  la  mer  que  nous  ne  voyons  pas  encore, 
sommet  neigeux  des  montagnes  du  continent. 
Nous  allons,  nous  allons,  au  trot,  toujours  le 
même,   les  chênes  n'en  finissent. 

Rencontré  des  gens  à  cheval  et  qui  passent  de- 
vant nous;  à  ma  gauche  :  «Calimera,  Calimera». 

Les  chênes  s'éclaircissent,  nous  apercevons  la 


1/4  NOTES  DE  VOYAGES. 

mer  devant  nous,  le  chemin  y  descend.  Arrivés 
sur  la  plage,  il  y  a  un  tas  de  bois.  Nous  nous 
sommes  évidemment  trompés,  nous  revenons  sur 
nos  pas  pendant  un  quart  d'heure,  nous  retom- 
bons dans  le  bon  sentier,  il  côtoie  le  bord  de  la 
mer.  Le  jour  tombe,  il  ne  fait  pas  froid,  la  mer 
est  calme;  nos  pauvres  chevaux  vont  toujours. 
Nous  avons  encore  un  fleuve  à  traverser,  nous 
poussons  pour  y  atteindre  avant  la  nuit.  Le  ter- 
rain est  très  fangeux,  nos  bêtes  y  enfoncent  leurs 
sabots  et  ont  peine  à  se  tenir  debout  sur  la  crête 
de  petites  chaussées  de  terre  élevées  entre  des 
fossés.  Un  khan  où  Ton  nous  dit  qu'à  une  heure 
et  demie  de  là  est  un  autre  khan;  y  resterons- 
nous?  aflons  toujours!  Un  village,  espèce  de  route 
carrée  très  boueuse,  nous  suivons  le  bord  de  la 
mer. 

Ralyvia.  —  Cabanes  de  paille  ;  dans  les  ca- 
banes il  y  a  du  feu,  que  l'on  voit  par  la  porte; 
l'intérieur  a  l'air  animé,  en  passant  près  de  l'une 
d'elles,  j'entends  crier  un  petit  enfant. 

Passage  du  Pirus  ou  Peiros.  Un  jeune  homme 
nous  indique  le  gué,  nos  chevaux  n'en  ont  que 
jusqu'aux  sangles;  le  fleuve,  en  cet  endroit,  passe 
entre  des  bosquets  d'arbustes,  le  terrain  descend 
avant  le  fleuve  et  remonte  après. 

Une  demi-heure  après,  hahe  au  khan  de  Pe- 
traki-Asteno,  l'écurie  est  pleine  de  chevaux  et  de 
mulets;  au  fond,  un  feu.  Nous  débridons  nos 
chevaux  et  aflons  nous  asseoir  sur  une  natte,  au- 
près du  foyer;  un  pappas  grec  nous  propose  une 
chaise  sur  laquefle  il  est  assis;  François  en  pro- 
fite, je  reste  debout  à  me  réchauffer  les  pieds, 
que  j'ai  douloureusement  humides.   Nous  man- 


ATHÈNES  ET  ENVIRONS  D»ATHENES.  175 

geons  une  ratatouille  d'œufs  et  quelques  tranches 
de  jambon.  A  6  heures  38  minutes,  nous  remon- 
tons à  cheval;  un  guide,  que  nous  avons  pris  là, 
nous  précède;  quant  à  l'autre,  depuis  midi  envi- 
ron, il  ne  nous  suit  plus. 

Jusqu'à  Patras,  nous  allons  tout  à  fait  au  bord 
de  la  mer,  quelquefois  nous  marchons  dedans,  le 
gravier  bruit  lourdement  sous  les  pieds  fatigués 
de  nos  montures;  j'ai,  comme  fatigue,  le  bras 
droit  las  de  tenir  la  bride.  La  nuit  est  douce ,  on 
y  voit,  quoique  la  lune  soit  cachée;  l'air  frais  me 
fait  du  bien  à  la  tête,  on  sent  l'odeur  des  buissons 
de  lentisques  et  l'odeur  de  la  mer,  son  bruit  est 
faible.  Je  vais  derrière  François,  suivant  la  croupe 
blanche  de  son  cheval;  vers  8  heures,  je  passe 
devant  et  vais  derrière  Maxime.  —  Le  golfe  a  l'air 
de  se  rétrécir.  A  notre  droite,  grande  clarté  d'un 
feu  de  pâtres,  qui  se  chauffent  dans  la  nuit; 
aboiements  lointains  des  chiens  qui,  sans  doute, 
nous  sentent;  tout  au  fond,  à  fhorizon,  deux  lu- 
mières qui  ont  f  air  d'être  à  ras  des  flots. 

A  9  heures,  un  grand  bâtiment  carré  à  ma 
droite  :  c'est  l'église  Saint-André,  nous  sommes  à 
Patras  t^'. 

Patras.  —  Une  avenue  plantée  et  qui  descend  ; 
à  gauche,  une  maison  illuminée.  Nous  descen- 
dons une  grande  rue,  c'est  illuminé  (à  cause  de 
la  fête  de  la  reine,  nous  dit-on  le  soir).  Quelles 
tristes  illuminations!  et  quelle  triste  ville! 

Nous  faisons  trois  visites  à  trois  hôtels  sans 
trouver  de  logement;  tout  est  plein.  Enfin,  on 
nous  met  dans  une  grande  maison   inachevée, 

'')  Voir  Correspondance,  II,  p.  41  et  47. 


17^  NOTES  DE  VOYAGES. 

sans  rideaux,  sans  meubles,  et  sans  feu  (sans 
feu!!!),  où  il  j  a  des  gens  qui  chopent  dans  le 
corridor  et  des  chiens  qui  aboient. 

A  II  heures  moins  le  quart,  un  garçon  boiteux 
nous  apporte  deux  poulets  résistants  et  une  bou- 
teille d'affreux  vin  sucré,  mousseux. 

François   couche  dans  l'escalier,  Maxime  par' 
terre  et  moi  dans  une  couche  (  il  faut  que  je  m'y 
habitue,  on  me  l'a  redonnée)  où  je  suis  à  la  fois 
étouffé  et  brisé;  mais  que  j'y  ai  bien  dormi! 

Le  lendemain,  à  7  heures,  nous  déménageons. 
—  Hôtel  aux  Quatre  Nations,  gargote  infâme.  — 
Le  jeune  Christo,  charmant  petit  domestique  à 
moustache  naissante,  qui  fait  toute  la  besogne. 

Patras,  ville  neuve.  —  La  saleté  du  Grec  dans 
toute  son  épaisseur  ;  il  n'y  a  pas  eu  moyen  de 
prendre  un  bain  turc.  Plus  de  bains  turcs!  plus 
de  voyage!  tout  a  une  fin.  Que  l'homme  est 
bête! 

Aujourd'hui  samedi,  anniversaire  de  la  nais- 
sance de  Maxime,  beau  temps.  —  Nos  pelisses 
sur  le  balcon,  au  soleil.  —  François  a  nettoyé  nos 
deux  selles.  —  On  ne  démange  pas  dans  la  salle 
voisine  ;  dans  l'étage  au-dessus  on  ne  dé-marcbe  pas. 

C'est  mardi  que  nous  devons  partir  pour  Brin- 
disi.  Autre  pays!  autres  journées. 

Patras ,  samedi  8  février,  3  heures  un  quart. 


ITALIE 


I 


ITALIE. 


Patras.  —  Théâtre.  —  Dames  dans  l'église 
Saint-André ,  femme  grecque  de  la  campagne  qui 
baise  les  images  crasseuses  avec  un  mouvement 
de  reins  de  derviche.  —  M.  Bertini,  sa  femme.  — 
Départ  par  le  vapeur.  —  A  bord,  M.  Malézieux. 

Zante,  feux. 

Au  miheu  de  la  nuit,  Céphalonie.  —  Lune, 
nuages  d'argent  ronds. 

Cotes  d'Albanie,  pays  turcs.  —  Les  bons 
Turcs  qui  disent  vapour. 

Le  soir,  Corfou.  —  Maison  du  gouverneur.  — 
Départ.  —  Brave  homme  malade.  —  Le  capitaine 
ressemble  à  Panofka,  de  profil, 

Brindisi.  —  Vue  de  Brindisi,  côtes  basses,  fort, 
port.  —  Attente.  —  Les  marins  en  tricot.  — 
Estimation  de  la  capote.  —  Musicien  ambulant 
et  jeune  môme,  rouge,  en  redingote  de  velours, 
casquette  sur  le  coin  de  l'oreille.  —  Hypertrophie 
du  cœur.  —  Douane.  —  M.  le  commissaire  de 
police.  —  Rues  blanches  et  courbes  à  Brindisi, 


l8o  NOTES  DE  VOYAGES. 

théâtre,  hôtel  de  Cupido.  —  L'agent  français.  — 
Dîner.  —  Promenade  hors  la  ville,  route  aloès, 
coin  fortifié,  couleur  de  soleil  orange,  calme.  — 
Paysans  et  paysannes  qui  reviennent  des  champs  : 
«Buona  sera!»  —  Retour  à  l'hôtel,  — Théâtre, 
la  Fille  du  comte  Orloff.  —  Nuit  dans  de  grands 
lits. 

Mardi,  ii  février.  —  J'attends,  le  matin,  Max 
qui  est  parti  faire  le  tour  de  la  ville.  —  Police.  — 
A  midi  juste,  partis.  — Vieux  carrosse,  tapissé  de 
rouge,  haut  sur  roues;  trois  chevaux  noirs,  plumes 
de  paon  sur  la  tête.  Le  padrone,  gros  homme  en 
bonnet  de  soie  sous  son  chapeau  blanc,  nous 
accompagne;  il  y  a,  en  outre  du  cocher,  un  gar- 
çon derrière,  sur  nos  cantines. 

Sortis  par  l'endroit  où  nous  avons  été  hier  soir 
nous  promener.  —  Route  droite,  plaine  plate, 
très  verte,  bien  cultivée;  la  mer  à  droite,  bientôt 
on  la  quitte  de  vue.  —  Une  ferme.  —  Mauvais 
pas,  nous  mettons  pied  à  terre,  la  terre  est  pous- 
siéreuse, friable,  épaisse.  —  Petit  bois  de  chênes 
nains.  —  Des  ouvriers  travaillent  à  faire  des  ponts 
pour  les  inondations. 

Santo  Vito  ,  petit  village  de  quelques  maisons. 

Caro-Vigro,  que  nous  laissons  à  droite,  est 
sur  une  hauteur.  Continuant  la  route  qui  y  mène, 
une  rue  infecte,  maisons  blanches,  grises,  élevées. 
Après  Caro-Vigro,  il  y  a  beaucoup  d'oliviers; 
culture  de  fèves  dessous,  carrés  de  lin. 

AsTUNi,  sur  un  mamelon  s'élevant  au-dessus  de 
la  plaine.  La  ville  est  groupée  autour  de  l'église, 
qui  la  domine;  d'elle  à  la  mer,  à  droite,  grande 
plaine  couverte  d'oliviers  d'un  seul  ton,  avec 
quelques    maisons    blanches    dedans,   tranchant 


ITALIE.  I  8  I 

dessus  :  c'est  du  vert,  puis  la  mer  bleue.  Au  mi- 
lieu de  la  ville,  une  place  carrée,  fontaine  avec 
une  statue  d'évêque,  le  bras  levé.  —  Santo  Ronno. 

—  L'albergo  en  dehors  de  la  ville  :  en  bas ,  pièce 
où  nous  nous  chauffons,  petites  lampes  antiques 
accrochées  au  mur,  fumeuses;  un  jeune  môme  qui 
nous  questionne.  —  Visite  de  MM.  de  la  pohce. 

—  Difficulté  de  se  procurer  à  manger,  depuis 
deux  heures  nous  attendons  notre  dîner,  nous 
avons  maintenant  des  oranges,  de  la  salade  et  des 
câpres. 

Mercredi  12  février.  — Toute  la  journée,  encore 
plus  d'oliviers  que  la  veille,  belle  campagne.  — 
Arrêtés,  à  11  heures,  à  Monopoli,  où  nous  sommes 
escortés  par  toute  la  population  du  pays  qui  s'em- 
presse pour  nous  voir. 

MoNOPOLi.  —  Grande  place  blanche,  où  toutes 
les  maisons  sont  blanchies  à  la  chaux,  ainsi  que 
tout  le  reste  de  la  ville.  —  Nous  entrons  dans  une 
éghse  où  des  menuisiers  travaillent  au  maître 
autel. 

Monopoli  est  sur  le  bord  de  la  mer.  —  Deux 
ou  trois  barques.  —  A  droite  de  la  crique  où  elles 
sont,  restes  de  fortifications.  —  Place  escarpée 
qui  domine  la  mer.  —  Un  vieux  mendiant, 
aveugle,  déguenillé,  qui  a  servi  Napoléon  et  qui 
nous  fait  l'exercice.  —  Belle  route.  —  Les  sellettes 
énormes  des  voitures  dorées.  —  Aspect  propre  et 
aisé  de  toutes  ces  populations.  —  Hors  la  ville, 
des  prêtres  en  tricorne,  qui  se  promènent  avec  des 
jeunes  gens  en  costume  sécuher. 

Le  soir,  arrivés  à  Bari ,  à  la  nuit  presque  close, 
nous  faisons  toutes  les  auberges  du  pays  sans 
pouvoir  trouver  de  logement.  Enfin  nous  usons 


l82  NOTES  DE  VOYAGES. 

de  la  recommandation  de  l'agent  de  Brindisi  pour 
un  M.  Lorenzo  MiuIIa;  nous  entrons  dans  une 
salle  où  des  enfants  jouent  et  crient  le  mot  Puc- 
cinello,  —  Amabilité  de  notre  hôte,  homme  dans 
le  goût  (physiquement)  du  sieur  Delaporte, 
mais  mieux.  —  Petits  verres  de  rosolio.  —  Don 
Federico  Lupi,  moustaches,  favoris  rouges,  nous 
mène  à  son  hôtel.  —  Sa  chambre,  sa  conversa- 
tion; idées  de  fusion  et  d'extinction  des  nationa- 
listes sont  répandues  partout,  quoique  sous  des 
formes  différentes. 

Salle  d'attente.  —  Un  jeune  prêtre;  son  frère, 
avocat. 

Partis  à  ii  heures  et  demie. 

Jeudi  i^  février.  —  Le  jeudi  matin,  pris  le  café 
à  Barlette.  —  Déjeuner  à  i  heure,  à  Foggia. 

Temps  froid.  —  Notre  compagnon  nous 
chante  du  Béranger,  parle  de  la  nature  et  porte 
sur  sa  poitrine  une  amulette  en  papier  bleu  de  la 
Vierge  du  Carmel.  —  Pauvre  Itahe!  les  régénéra- 
teurs du  passé  ne  te  feront  pas  revivre;  le  parti 
hbéral  souhaite  le  protestantisme,  c'est  selon  moi 
un  anachronisme  inepte. 

Journée  triste  et  froide,  la  dihgence  m'éreinte, 
notre  compagnon  nous  embête;  la  nuit,  la  route 
monte;  vers  Te  matin,  elle  descend.  —  Chênes 
dans  des  vallées  étroites,  ressemblant  à  celles  qui 
sont  aux  environs  du  mont  de  la  Répubhque, 
avant  d'arriver  à  Rouanne.  Nous  rencontrons  pas 
mal  de  chapeaux  pointus. 

A  Noia,  nous  marchons  devant  la  dihgence 
pour  nous  réchauffer  les  pieds.  —  Une  femme 
nous  donne  à  boire,  nous  nous  mettons  à  l'abri 
sous  la  porte  de  sa  maison;  elles  étaient  deux  et 


ITALIE.  183 

faisaient  de  la  toile.  —  Route  plantée  de  je  ne  sais 
quels  arbres  (peupliers  de  Virginie?);  des  deux 
côtés,  champs  de  mêmes  arbres;  allant  de  l'un  à 
l'autre,  grandes  vignes  grimpantes,  qui  font  corde. 
—  Arrêtés  longtemps  à  la  barrière,  où  l'on  visite 
attentivement  les  malles  de  notre  compagnon  qui, 
depuis  le  matin,  est  remonté  dans  le  coupé  avec 
nous.  A  notre  gauche,  le  Campo  Santo,  grand 
cimetière  neuf;  en  face  de  nous,  la  forteresse 
qui  domine  la  montagne  au  pied  de  laquelle  est 
Naples. 


NAPLES. 


Entrés  par  la  porte  Capouane.  II  pleut,  les  ci- 
tadines trottinent  sur  le  pavé;  il  me  semble  que  je 
rentre  à  Paris,  comme  au  mois  de  novembre  1840, 
en  revenant  de  la  Corse. 

Du  bureau  de  la  diligence  nous  allons  à  la 
poste,  qui  est  à  côté;  un  ruffiano  nous  aborde  et 
nous  offre  ses  services. 

Descendu  à  l'Hôtel  de  Genève.  —  Grande  salle 
à  manger  au  premier,  copies  du  Valentino,  balcon 
sur  la  place. 

L'après-midi,  visite  à  notre  banquier,  M.  Meuri- 
coffre  Sorvillo. 

Samedi  22.  —  Promené  à  la  Chiaia.  —  Visite 
à  M.  Grau,  chancelier  de  la  Légation,  course  à  la 
grotte  du  Pausilippe.  —  Le  soir,  demoiselles. 
Nous  sommes  agréablement  assaillis  par  la  quan- 
tité de  maquereaux.  —  Le  matin ,  marchandes  de 


l84  NOTES  DE  VOYAGES. 

violettes  qui  nous  mettent  des  bouquets  à  la  bou- 
tonnière et  nous  font,  comme  signes  d'engage- 
ment, des  gestes  de  m —  Le  soir,  promené 

dans  Tolède,  pris  une  glace  dans  un  café;  un  curé 
à  côté  de  nous. 

Dimanche  2^.  —  Promené  à  la  Chiaia.  —  Au 
théâtre  San  Carlo  :  représentation  de  jour,  la  fin 
d'un  ballet,  la  Prova  d'un  opéra  séria,  ouverture 
de  la  Semiramide ,  le  premier  acte  de  Bélisaire. 
—  Après  le  dîner,  reçu  la  visite  de  M.  Grau, 
sheik. 

8  heures  un  quart  du  soir. 

Jeudi  2y.  —  Jeudi  gras.  Aujourd'hui  les  studii 
ferment  à  midi.  —  Pris  un  wurtz  à  deux  chevaux, 
passé  sous  la  grotte  du  Pausilippe,  des  lanternes 
l'éclairent.  Haute  à  l'entrée,  elle  va  en  montant, 
puis  le  terrain  redescend  et  là  elle  est  moins  éle- 
vée. Au  bout  de  la  grotte,  un  village  à  maisons 
blanches  alignées  sur  le  bord  de  la  route;  aux 
portes  et  aux  fenêtres,  des  guirlandes  d'écorces 
d'oranges  qui  sèchent  au  soleil  (absent). 

Après  avoir  passé  la  grotte,  vallon  enfermé  de 
montagnes  et  plein  de  plantations  pareilles  à  celles 
qui  sont  avant  d'arriver  à  la  porte  Capouane,  avec 
des  vignes  d'un  arbre  à  l'autre.  La  route  perce  en- 
suite une  autre  montagne,  travail  analogue  à  celui 
des  chemins  de  fer;  les  deux  bords  sont  très  escar- 
pés et  très  hauts,  presque  à  pic.  On  descend.  — 
Vue  du  lac,  ancien  cratère  de  volcan  entouré  de 
montagnes  d'un  ton  roux  pâle;  au  bord  du  lac, 
longs  roseaux  desséchés,  vert  pâle.  Sur  la  pente 
du  cratère,  çà  et  là  quelques  villas  blanches;  sur 
le  haut,  en  face  de  vous,  quand  vous  arrivez,  le 


ITALIE.  I  8  5 

couvent  des  Camaldules;  à  gauche,  du  côté  de 
Solfatare,  quelques  pins  parasols. 

A  gauche  quand  on  arrive ,  un  cabaret;  à  droite, 
kiosque  de  Sainte-Marie,  une  écurie  et  quelques 
arbustes,  intention  de  bosquet. 

C'est  en  suivant  de  ce  côté  qu'est  la  grotte  du 
Cbien,  plus  petite  que  je  ne  m'y  attendais,  ayant 
une  porte  et  une  clef.  Je  refuse  fexpérience  qui 
coûte  6  carlins  ;  les  flambeaux  s'éteignent  effecti- 
vement, le  sol  fume  et  vous  chauffe  les  pieds.  — 
De  ce  côté,  en  revenant  près  du  kiosque  du 
roi,  grotte  ammoniacale  :  une  porte  et  une  clef, 
4  piastres. 

Bains  de  vapeur  de  Santo  Germano  :  par  des 
trous  une  violente  chaleur  sort;  en  soufflant  sur 
un  morceau  d'amadou,  on  voit  sortir  de  ces  trous 
beaucoup  de  fumée. 

Villa  de  LucuIIus  :  restes  de  bains  antiques, 
avec  des  conduits  pour  déverser  l'eau,  construc- 
tion en  pierres  et  ciment  avec  un  revêtement  de 
pierres  en  losange. 

En  revenant,  rencontre  de  chasseurs. 

En  passant  par  le  village  qui  est  après  la  grotte 
du  Pausilippe,  vu,  dans  une  maison,  une  femme 
qui  buvait,  la  tête  renversée,  dans  une  bouteille 
de  gros  verre  de  forme  pirale. 

Rencontré  quelques  corricolos.  Les  femmes  en 
corricolo  me  semblent  pleines  de  couleur. 


l86  NOTES  DE  VOYAGES. 


MUSEE  BORBONICO  o. 


TABLEAUX. 


Rembrandt.  Portrait  de  Rembrandt  peint  par 
lui-même,  386.  —  En  pelisse  de  velours  grenat, 
bordée  de  fourrure,  il  porte  au  col  un  collier  avec 
une  décoration,  la  toque  de  velours  noir  est  in- 
clinée sur  le  côté  gauche.  Front  large  et  plein, 
bossu,  en  pleine  lumière,  du  côté  droit;  œil 
rond,  menton  rond,  petite  bouche  rentrée,  nez  en 
pied  de  marmite;  sa  joue  par  le  bas  fait  bajoue  et 
s'appuie,  en  plis,  sur  le  col  de  la  chemise,  qui 
paraît  un  peu.  Il  était  laid  mais  bien  beau,  l'œil 
ne  se  détache  pas  de  cette  peinture  vivante  et 
d'un  relief  inouï,  c'est  peint  d'une  grande  et  forte 
manière  et  comme  sculpté  dans  la  couleur. 

Spielberg.  Cbanoinesse  assise.  —  Toute  en  noir, 
avec  une  fraise  également  tuyautée  tout  autour 
de  la  tête.  Robe  gris  noir,  les  tempes  maigres  et 
rentrées,  les  sourcils  blonds  et  rares;  les  yeux 
très  beaux  et  encore  jeunes  sourient  avec  finesse, 
ainsi  que  la  bouche  dont  les  commissures  à  bou- 
lettes et  à  chairs  molles  sont  très  soignées;  les 
paupières  très  régulières.  C'est  une  blanche  et 
gaie  figure  de  dévote  mondaine;  ses  mains  fortes 
et  nourries,  très  bien  faites.  De  la  main  gauche 
elle  tient  des  gants  en  peau. 

Lucas  de  Leyde.  Un  dévot  avec  sa  famille  adorant 
le  Calvaire,  triptyque.  — Le  Calvaire  est  au  milieu. 

'■'  Voir  Correspondance,  II,  p.  54.. 


ITALIE.  187 

Dans  le  compartiment  de  gauche  est  le  mari 
(avec  ses  fils),  qui  sans  doute  a  commandé  le 
tableau;  dans  celui  de  droite,  la  femme  avec  ses 
deux  filles  et  une  autre  femme;  jeune  fille  blonde, 
debout,  fort  belle,  qui  fait  pendant  à  un  autre 
homme,  en  même  posture  dans  le  compartiment 
du  mari.  Le  père  a  deux  fils  à  genoux,  derrière 
lui,  comme  la  mère  a  deux  filles  idem.  A  côté  de 
la  femme,  agenouillée  sur  un  prie-Dieu  et  un  livre 
à  la  main,  paraît  la  figure  monstrueuse  du  diable- 
dragon,  qui  rit;  il  a  l'intérieur  des  oreilles  colo- 
riées comme  si  on  y  avait  figuré  des  fleurs.  Dans 
les  fonds,  paysage  à  eau  et  à  rocher.  Charmante 
figure,  comme  ressemblance  et  naïveté,  d'une 
des  petites  filles,  celle  qui  est  plus  à  droite.  Au 
pied  de  la  croix,  la  Madeleine,  qui  l'embrasse,  et 
la  Vierge  debout;  à  droite,  un  homme.  Un  petit 
ange,  en  vol,  recueille  dans  un  calice  le  sang  qui 
dégoutte  des  pieds  du  Sauveur;  un  autre  recueille 
dans  un  calice  le  sang  de  sa  main  droite  et  de  son 
flanc  droit,  et  un  troisième  celui  de  la  main 
gauche. 

Lucas  DE  Leyde.  Adoration  des  mages,  triptyque. 
—  Un  mage  de  chaque  côté.  Dans  la  Naissance, 
un  homme  baisant  la  main  de  fenfant;  à  droite, 
est  un  nègre  tenant  de  la  main  droite  un  calice 
d'or,  et  ayant  à  hauteur  de  son  genou  gauche  un 
lévrier,  gris,  de  profil,  piété  en  avant  et  qui  porte 
des  écussons  à  son  collier  noir.  Le  nègre  a  pour 
pendants  d'oreilles,  une  grosse  perle  blanche; 
par-dessus  une  calotte  de  drap  d'or,  ou  plutôt  à  fils 
d'or  tressés,  une  toque  rouge  inclinée  sur  foreille 
droite,  à  losanges  noirs  sur  le  bord  qui  est  relevé; 
entre  les  losanges  noirs  de  ce  rebord,  de  petits 


l88  NOTES  DE  VOYAGES. 

boutons  d'or  comme  pour  les  tenir;  une  plume 
d'autruche  est  passée  sur  le  côté  gauche,  le  bout 
en  reparaît,  elle  a  été  arrachée  quelque  part  et 
enfoncée,  simplement.  Une  chemisette  blanche, 
phssée,  lui  monte,  en  collant  sur  la  poitrine,  et 
se  termine  par  un  collet  bas  ayant  en  dessous  un 
transparent  jaune.  Il  a  sur  les  épaules  un  grand 
manteau  à  vastes  manches  coupées,  pendantes, 
rouge  et  doublé  de  peau  de  léopard;  en  dessous 
il  porte  un  pourpoint  vert  à  large  galon  d'or, 
échancré  carrément  sur  la  poitrine.  Sur  le  cou 
passe  à  deux  tours  une  petite  chaîne  tenant  au 
bout  une  médaille  bigarrée.  Les  manches  du 
pourpoint  crevées  et  laissant  voir,  dans  leurs 
fentes,  la  chemisette,  sont  vertes  à  grandes  bandes 
d'or.  Des  gants  gris,  et  qui  devaient  remonter 
haut  comme  des  gants  à  la  crispin,  mais  mois, 
amassent  des  plis  retombés  autour  des  poignets  et 
sont  terminés  par  un  gland,  qui  (main  gauche) 
arrive  à  la  hauteur  de  Foeil  du  lévrier.  La  jambe 
et  la  cuisse  sont  serrées  dans  une  étoffe  collante 
rayée  à  grandes  bandes  blanches  et  bleues;  c'est 
crevé  aux  genoux,  pour  que  le  genou  puisse  mou- 
voir, le  dessous  est  jaune;  en  guise  de  jarretière, 
une  ample  écharpe  violet  pâle,  largement  nouée. 
Souliers  de  velours  noir,  carrés  du  bout,  très  dé- 
couverts, à  oreilles  carrées  rouges,  c'est  le  revers 
qu'on  voit;  le  pied  droit  est  très  en  dehors  et  porté 
sur  la  partie  gauche.  Que  c'est  crâne!  quel  cos- 
tume !  quelle  tournure  ! 

Les  Bambinos  de  l'école  allemande.  —  Façon  de 
traiter  le  Christ  nouveau-né.  —  Dans  deux  tableaux 
de  l'école  allemande,  475  et  460,  le  Christ,  bam- 
bino,   est    représenté    dans    (460)    une    Nativité 


M 


ITALIE.  1 89 

comme  un  avorton,  et  dans  une  Adoration  des 
Mages  il  a  des  formes  de  squelette.  Est-ce  déjà. 
la  Passion  qui  prévaut?  (dans  une  autre  Nativité 
on  voit  au  fond  Judas  Iscariote  amenant  les  sol- 
dats), la  douleur  qui  pèse  sur  l'enfant  dès  le 
ventre  de  sa  mère?  Dans  les  Nativités  et  Adora- 
tions de  mages  espagnoles  et  italiennes,  le  Bam- 
bino  est  tout  autre.  Ou  bien  les  peintres  allemands 
ont-ils  copié  servilement  le  modèle?  le  nouveau- 
né  des  pajs  froids  est-il  ainsi?  cette  dernière 
hypothèse  me  paraît  moins  raisonnable  que  la 
première. 

Albert  Durer.  La  Nativité  de  Notre-Seigneur 
(342,  Galerie  des  chefs-d'œuvre).  —  Immense 
et  profonde  composition  à  soixante  personnages. 
II  y  aurait  dessus  tout  un  livre  à  faire.  Pauvres 
figures,  pâles,  comme  vos  jeux  sont  tristes  et 
pleins  d'amour  ! 

Au  milieu,  le  Christ,  qui  vient  de  naître,  entre 
la  Vierge  et  saint  Joseph;  de  chaque  côté,  des 
hommes  et  des  femmes  en  costumes  du  xv*  siècle, 
qui  prient  le  doigt  dans  un  livre  et  l'œil  perdu. 
De  partout  quantité  de  Chérubins  qui  arrivent, 
ceux  du  premier  plan  jouent  et  chantent  de  la 
musique,  lisant  le  plain- chant;  d'autres,  sus- 
pendus aux  corniches  de  l'espèce  de  temple  à 
colonnes  et  à  arcades  oii  la  scène  se  passe;  un 
d'eux  encense  le  Christ  couché.  Dans  les  fonds, 
une  mer  avec  des  nefs,  une  ville  avec  des  églises, 
une  montagne  couronnée  d'une  forteresse  vers 
laquelle  montent  des  cavaliers,  un  pré  où  pais- 
sent les  troupeaux,  et  les  moutons  vont  boire  à  la 
rivière;  sur  le  bord  du  toit,  une  colombe,  et  un 
autre  oiseau  blanc  qui  vole. 


ipO  NOTES  DE  VOYAGES. 

Les  femmes,  toutes  des  religieuses  en  béguin, 
sont  à  droite  :  au  fond,  trois  en  béguin  blanc, 
laides  et  se  ressemblant,  avec  le  nez  de  travers; 
plus  près  de  nous,  une  vieille  religieuse  en  noir, 
la  main  dans  le  livre  (je  n'en  vois  pas  dans  ces 
peintures  qui  lisent  dans  le  livre  de  messe,  le  livre 
est  là,  mais  on  rêve,  on  prie  de  cœur  :  il  y  a 
aussi  à  cela  une  raison  esthétique,  dont  l'artiste 
à  coup  sûr  ne  s'est  pas  rendu  compte),  dessous  de 
la  mâchoire  creux  et  ridé,  tempes  plates,  mains 
supérieurement  faites. 

A  gauche  sont  les  hommes  :  un  homme  à 
genoux  fait  pendant  à  la  rehgieuse  ci-dessus,  de 
même  qu'un,  debout  après  le  groupe  des  hommes 
agenouillés,  fait  pendant  à  la  splendide  jeune 
femme  debout  (après  le  groupe  des  femmes  age- 
nouillées), vêtue  de  brocart  et  portant  une  croix 
d'or  très  ornée. 

Mains  de  la  Vierge!...  Des  points  lumineux 
pétillent  dans  sa  chevelure  blonde,  et  s'en  échap- 
pent en  rayons. 

Les  Chérubins,  contrairement  à  tous  les  autres 
personnages,  sont  gras,  ronds,  joufflus,  frisés  et 
bien  plus  modernes  par  rapport  à  nous.  Au  pre- 
mier plan,  ils  font  de  la  musique;  un,  debout, 
soufflant  dans  une  sorte  de  flageolet,  est  piété  et 
s'écore  sur  sa  cuisse  le  pied,  portée  en  avant;  un 
autre,  assis,  joue  d'une  espèce  de  tehegour,  dont 
il  pince  les  cordes  avec  un  long  crochet.  Le  Ché- 
rubin qui  encense  a  un  mouvement  de  jambe 
pareil  à  celui  de  son  encensoir  :  l'encensoir  re- 
vient, et  le  Chérubin,  suspendu  en  l'air,  a  les 
jambes  qui  s'en  vont  en  arrière,  en  une  courbe 
analogue,  il  encense  de  tout  son  corps  et  de  tout 


ITALIE.  I  Q  1 


son  encensoir,  le  corps  suit  l'encensoir,  les  deux 
ne  font  qu'un.  Le  Chérubin  lui-même  est-il  autre 
chose? 

CoRRÈGE.  La  Sainte  Vierge  connue  sous  le  nom 
de  la  Zingarella,  ou  de  la  Madona  del  coniglio.  — 
Les  pieds  embobelinés  de  bandes  et  la  tête  idem, 
coiffure  très  vraie;  accroupie  de  fatigue  sur 
l'enfant,  qui  repose  endormi  sur  son  sein;  vêtue 
d'une  draperie  de  drap  bleu;  sur  les  épaules,  une 
manche  blanche.  A  gauche,  un  lapin  blanc  qui 
broute.  Beau,  d'intention  et  d'effet,  c'est  bien  la 
Bohémienne  proscrite  et  harassée.  Très  empâté, 
très  riche  de  couleur.  Pourquoi  des  tons  bleus  et 
rouges  sous  la  manche  de  chemise  blanche  du  bras 
droit  ? 

Bassano.  Le  Christ  ressuscite  Lazare.  —  Grande 
toile,  recherche  de  la  couleur.  Lazare  se  lève  de 
dessus  une  pierre  où  sont  écrits  des  caractères 
hébreux.  A  droite,  une  femme  qui  a  un  dos  et 
un  bras  couleur  brique.  La  teinte  de  Lazare  est 
fausse,  ardoise  et  rouge  au  heu  de  hvide?  La  tête 
assez  belle,  ainsi  que  celle  du  Christ.  Ensemble 
peu  fort. 

Fabricio  Santafede.  La  Sainte  Vierge  avec  l'En- 
fant Jésus.  —  La  Vierge  exahée,  les  pieds  posés 
sur  le  croissant  de  la  lune,  présentant  le  sein  au 
Bambino.  Tête  charmante  de  la  Vierge,  blonde; 
ses  cheveux,  couronnés  d'un  diadème  d  or,  à 
améthystes  peu  nombreuses,  s'en  vont  de  droite 
à  gauche.  Petit  sein  fin.  En  bas,  saint  Marc  ou 
saint  Jérôme  (et  lion)  :  belle  tête,  douce,  barbe 
en  deux  pointes  par  le  bas.  De  l'autre  côté  de 
saint  Marc,  un  autre  homme  (un  évangéliste? 
saint  Pierre?).  Petite  draperie  violette  sur  le  bras 


92 


NOTES  DE  VOYAGES. 


droit  de  la  Vierge.  Au  bas  du  tableau,  cette  in- 
scription :  é^ 

BEATVS   PETRVS   GÂ 
BACVR.TA   DE   PISIS  .^ 

Raphaël?  La  Sainte  Vierge  connue  sous  le  nom 
de  la  Madona  del  passaggio.  —  Jean-Baptiste 
(enfant)  rencontre  Jésus  enfant  et  l'embrasse, 
baissant  la  tête  et  le  regardant  d'en  bas  ;  la  Vierge 
tient  Jésus.  Au  fond,  saint  Joseph  de  profil,  por- 
tant une  besace  sur  l'épaule,  détourne  la  tête  et 
regarde.  Paysage  à  eaux  tournantes  dans  le  fond. 
Un  ton  blond  sur  toute  la  toile  (de  chevalet). 

Caravaggio.  Judith  coupe  la  tête  à  Holopberne.  — 
Elle  l'égorgé  comme  un  poulet,  lui  coupant  le 
col  avec  son  glaive;  elle  est  calme  et  fronce  seule- 
ment le  sourcil,  de  la  peine  qu'elle  a.  De  la  main 
gauche,  elle  lui  tient  la  tête  empoignée  par  la  che- 
velure, et  tout  son  corps  étant  ainsi  penché  vers  la 
gauche,  son  sein  droit  entrevu  tombe  de  ce  côté. 
La  servante  appuie  sur  Holopherne  qui,  du  bras 
droit,  le  poing  fermé,  la  repousse.  Judith  a  une 
robe  bleue.  Le  sang  (vrai,  noir,  rouge  brun,  et 
non  pas  rouge  pourpre  comme  d'ordinaire)  coule 
sur  le  matelas.  Tableau  très  féroce  et  d'une  vérité 
canaille. 

Léonard  de  Vinci.  Jésus-Christ  apparaissant  à 
Marie-Madeleine  sous  les  traits  d'un  jardinier  (Galène 
du  Prince  de  Salerne).  —  Toile  inappréciable. 
La  Marie -Madeleine,  manches  de  velours  vert. 
Quel  modelé  de  bras!  Elle  a,  par  le  bas,  une 
robe  de  brocart  jaune  à  arabesque  d'argent.  Tête 
enfantine,  naïve,  étonnée.  Le  Christ  marche,  le 


ITALIE.  193 

pied  droit  en  avant,  se  détourne,  et  la  touche  de 
la  main  droite  à  la  tempe. 

Bernardo  Luini.  Saint  Jean-Baptiste  (3*  gai.  des 
écol.  ital.).  —  Tenant  la  croix  de  la  main  gauche 
et  montrant  de  la  droite  écrit  sur  le  mur  :  «  Ecce 
Agnus  Dei  ».  —  Chevelure  en  tire-bouchons,  la 
bouche  sourit  et  remonte  en  demi-lune,  les  jeux 
sourient  et  remontent  par  les  coins;  mignardise 
du  faciès  exagérée,  ça  finit  par  devenir  grimacier; 
le  bras  droit  très  mauvais.  Peinture  solide,  d'un 
joli  ton  blond  chaud,  mais  la  figure  du  saint  Jean- 
Baptiste  me  paraît  déplaisante  au  suprême  degré, 
le  type  de  l'école  est  exagéré  ici  de  façon  à  déna- 
turer l'idée  même  du  tableau. 

Salvator  Rosa.  Jésus  disputant  au  milieu  des 
docteurs  de  la  loi.  —  C'est  dans  le  clair- obscur, 
Jésus  est  vu  de  profil  et  même  moins  que  de  pro- 
fil; il  est,  à  coup  sûr,  moins  important  là  que  le 
dos  jaune  d'un  docteur  en  turban  blanc,  couleur 
magnifique.  Tête  chauve  d'un  homme  qui  est  en 
face  Jésus.  Admirable  couleur  qui  passe  sur  tout. 

Salvator  Rosa.  Jésus  allant  au  Calvaire  succombe 
sous  le  poids  de  la  croix.  —  La  scène  se  passe  de 
nuit.  —  Véronique,  en  jaune,  hommasse,  bras 
énormes,  se  penche  vivement  en  tendant  le  mou- 
choir qu'elle  tient  du  bout  des  doigts;  le  Christ, 
succombant,  est  très  empêtré  dans  sa  tunique; 
tombé  sous  la  croix,  il  s'appuie  de  la  main  gauche. 
Au  fond,  de  face,  en  raccourci,  un  soldat  à  cheval, 
portant  un  bâton,  pousse  sa  bête  en  avant  pour 
qu'on  relève  le  Christ  et  qu'on  se  dépêche.  La 
lumière,  venant  de  côté,  passe  sur  le  dos  jaune 
de  la  Véronique,  sur  le  torse  nu  d'un  homme,  en 
tête  de  la  croix,  sur  le  bras  un  peu  verdâtre  du 


ip4  NOTES  DE  VOYAGES. 

Christ  et  sur  le  casque  et  le  bras  gauche  d'un 
soldat  armé  (bel  effet)  qui  se  penche  pour  relever 
la  croix. 

Dans  la  galerie  du  Prince  de  Salerne  : 

Un  Napoléon  (atroce  croûte)  coiffe  de  lauriers, 
nu  et  tenant  la  foudre  à  la  main;  ça  vient  du 
palais  de  Murât. 

Une  Joséphine,  en  robe  de  velours  grenat,  sour-- 
cils  noirs  épais  et  longs,  bouche  très  rose,  petit  air 
polisson  et  sensuel. 

Ingres.  Françoise  de  Rimini.  —  Détestable,  sec, 
pauvre  de  couleur;  le  col  du  jeune  homme  qui 
va  pour  embrasser  Françoise  n'en  finit. 

Gérard.  Les  trois  âges  de  la  vie.  —  Peinture  à 
faire  périr  d'ennui;  très  léché,  très  soigné.  Joli 
pied  de  la  femme  (tête  de  Marie-Antoinette  ou 
dans  ce  genre)  apparaissant  sous  la  draperie; 
le  crâne  de  l'enfant  reposant  naturellement  sur 
elle  très  bien  dessiné.  Le  jeune  homme,  le  torse 
tourné,  assommant,  avec  sa  chevelure  frisée. 
Quelle  prétention  !  quelle  pose  !  quel  froid  !  il  gèle 
à  36°  dans  cette  école  !  Aimait-on  peu  le  soleil  sous 
l'Empire  ! 

RiBÉRA.  Silène  ivre,  couché  à  terre  et  entouré  de 
satyres.  —  Très  beau.  Silène,  tout  nu.  Ce  n'est  pas 
Silène,  la  figure  est  toute  espagnole,  noire,  au 
lieu  d'être  rouge,  le  nez  non  camus,  l'œil  rond, 
ouvert,  et  singulièrement  pur  et  beau;  il  est  tout 
rasé,  tons  bleuâtres  de  la  barbe;  il  tend  la  main 
pour  qu'un  satyre  lui  verse  à  boire  dans  une  co- 
quille; ventre  trop  rond,  trop  hjdropique,  trop 
dur.  La  cuisse  gauche,  à  plis,  très  belle,  quoiqu'il 
me  semble  que  le  second  pli  se  rapproche  un  peu 


ITALIE.  1 9  5 

trop  des  plis  de  chair  des  petits  enfants.  La  tête 
est  bien  bête!  c'est  un  Sancho  brutal.  A  gauche, 
au  fond,  tête  d'un  âne  qui  brait,  relevant  Tes  gen- 
cives et  montrant  les  dents;  en  dessous,  jeune 
homme  couvert  d'une  peau  de  bête,  mi-nu,  qui 
vous  regarde  en  riant  (?).  A  droite,  un  satyre  à 
cornes  (sic  celui  qui  verse).  Dans  la  confection 
des  cornes  mariées  à  la  chevelure,  la  tradition  ici 
est  suivie.  En  bas,  le  nom  de  Ribéra  écrit  sur  une 
feuille  de  papier  déchirée  que  mord  un  serpent; 
de  l'autre  côté,  une  tortue. 

Parmesan.  La  Sainte  Vierge  et  l'Enfant  Jésus.  — 
Elle  lui  met  le  doigt  dans  la  bouche,  sur  le  bord 
des  lèvres.  Vilaine  main,  doigts  en  salsifis,  trop 
relevés  du  bout,  mais  quel  joli  profil  de  femme! 
Le  nez,  tout  droit,  continue  le  front,  l'œil  est  à 
demi  fermé,  plein  de  langueur,  de  tristesse,  de 
bonté. 

Parmesan.  Lucrèce  s' enfonçant  le  poignard.  —  Le 
sein  droit  est  découvert;  figure  blonde  rosée, 
chevelure  archi- blonde,  presque  blanche  sur  les 
tempes;  la  bouche  ouverte,  le  nez  un  peu  re- 
troussé du  bout,  l'œil  ouvert  et  regardant  en  haut. 
Vilain  bras  droit,  petite  oreille  charmante  (comme 
dans  tous  les  portraits  du  Parmesan).  Adorable 
petite  femme  à  mettre  dans  un  nid. 

Parmesan.  La  ville  de  Parme  sous  les  traits  de 
Minerve.  —  Elle  caresse  je  ne  sais  quel  petit  Far- 
nèse,  cuirassé,  figure  agréable  de  gamin,  avec 
ses  petites  cuisses  serrées  dans  un  maillot  rouge. 
La  tête  de  femme  est  tout  à  fait  de  même  genre 
que  celle  de  la  Lucrèce,  et  coiffure  analogue. 

Annibal  Carrache.  Composition  satirique  contre 
son  rival  Michel  Ange  Amerighi  de  Caravaggio.  —  A 


IpO  NOTES  DE  VOYAGES. 

gauche,  un  homme  avec  un  chien  et  un  perroquet 
sur  son  épaule,  le  perroquet  mange  des  cerises  que 
lui  présente  le  personnage  du  milieu,  assis;  ce 
personnage  a  la  figure  toute  couverte  de  poils, 
mais  cela  n'empêche  nullement  de  distinguer  ses 
traits.  Entre  ses  jambes,  un  chien  donne  la  patte 
à  un  singe;  il  a  sur  son  épaule  un  singe  qui  lui 
gratte  la  tête.  A  droite  est  un  homme  qui  rit  et 
vers  lequel  se  tourne  le  personnage  à  figure  cou- 
verte de  poils,  d'un  air  langoureux  et  douce- 
reux. 

HoLBEiN.  Portrait  d'Erasme.  —  Tout  en  noir, 
figure  en  lame  de  couteau,  nez  pointu,  petite 
moustache;  à  la  place  de  pointe,  une  simple  hgne 
de  poils  sur  le  menton;  le  chapeau  est  très  enfoncé 
sur  le  front;  sourcils  fins  et  partant  de  très  bas, 
peu  de  distance  entre  le  nez  et  la  bouche;  son 
encrier  et  son  cahier.  Air  tranquille  et  mahn, 
quelque  peu  renfrogné,  physionomie  profondé- 
ment fine. 

Titien.  Portrait  de  Philippe  II  (en  pied).  — 
Manches  bleues  à  arabesques  grises,  très  épaisses 
et  dures  (les  manches),  pourpoint  jaune  à  tons 
d'or  pâle,  manteau  de  velours  bleu  à  fourrure 
noire,  sandales  de  grosse  toile;  barbe  naissante, 
mâchoire  en  avant,  paupières  épaisses  et  lourdes, 
œil  ivre  et  froid.  Fort  beau. 

Sébastien  del  Piombo.  Portrait  du  pape  Alex- 
andre VI.  —  Petit  bonnet  et  pèlerine  rouge,  figure 
brune,  rasée,  austère,  grands  traits  longs  et  forts, 
paupière  large,  bouche  dessinée,  sourcils  épais, 
le  regard  est  de  côté  et  d'aplomb.  Figure  beau- 
coup plus  noble  que  celle  que  l'on  s'attend  à 
trouver  d'après  l'idée  faite  d'Alexandre  VI. 


ITALIE.  197 

Raphaël.  Portrait  du  chevalier  Tibaldeo.  —  Par- 
mesan. Portrait  de  Christophe  Colomb.  —  Le  pre- 
mier, en  petit  chaperon  noir,  barbe  petite  et 
courte,  œil  brun,  front  carré;  le  second  est  un 
beau  cavalier,  avec  toute  sa  barbe  très  soignée 
et  une  grande  moustache  fauve  qui  descend  des- 
sus; œil  bleu,  nez  très  fin,  front  large,  chevelure 
brune  blonde  soigneusement  séparée  sur  le  front, 
œil  bleu  foncé  ouvert  et  charmant,  ensemble 
coquet  et  très  troussé.  Derrière  lui,  un  casque  et 
une  masse.  Manches  grenat  pâle,  à  crevés.  C'est 
là  bien  plutôt  un  cavaher,  et  le  portrait  indiqué 
comme  celui  de  Tibaldeo  pourrait  bien  être  celui 
de  Christophe  Colomb;  j'ai  peine  à  croire  qu'il 
n'y  ait  pas  méprise  dans  le  catalogue.  Ce  portrait 
n'est  guère  non  plus  dans  la  façon  du  Parmesan, 
si  blond  d'habitude  ;  tout,  au  contraire,  ici  est  brun 
et  très  mâle. 

Parmesan.  Portrait  d'Améric  Vespuce.  —  Est-ce 
du  Parmesan?  en  tout  cas  ses  portraits  d'hommes 
ne  ressembleraient  guère  à  ses  tableaux?  Même 
observation  que  ci-dessus.  Belle  peinture. Toque, 
barbe  roux  brun,  courte,  deux  longues  pointes  de 
son  rabat  tombent  en  avant  sur  sa  poitrine;  tout 
en  noir,  un  livre  ouvert. 

M.  Spadaro.  Portrait  de  Masaniello  fumant  sa 
pipe.  —  Petit  chapeau  retroussé,  avec  une  médaille 
et  une  plume;  de  la  main  gauche  il  tient  un  petit 
pot  à  tabac  avec  un  couvercle;  l'épaule  gauche 
découverte,  visage  rond,  physionomie  gaie  et  in- 
souciante, air  gamin ,  bouche  dessinée,  pas  de  barbe, 
nez  pommé,  un  peu  rouge  par  le  bout.  Peu  de 
type  méridional,  nullement  l'air  féroce,  au  con- 
traire l'air  joyeux  et  gaillard. 


NOTES  DE  VOYAGES. 


Peintures  murales. 


Architecture  et  paysages  : 

Trois  grands  bas-reliefs  peints,  25-24-23.  — 
2^.  Une  femme  ouvre  une  porte  et  va  descendre 
l'escalier  qui  vient  vers  vous;  la  porte  entre-bâillée 
est  en  perspective.  Effet  cherché  et  qui  se  retrouve 
dans  24  deux  fois,  à  chaque  extrémité  du  tableau. 
Cette  recherche  de  l'effet  produit  par  la  perspec- 
tive me  paraît  constant  dans  les  reproductions 
d'architecture;  on  l'observe  ici,  2^,  sur  la  hgne 
supérieure  d'un  baldaquin  près  de  la  porte;  sous 
ce  dais  carré  une  femme  nue  assise  sur  ses  genoux; 
un  autre  baldaquin  semblable,  2^,  avec  une 
femme  pareille. 

Le  fond  des  portes,  panneau  principal,  est 
rouge  avec  de  larges  bordures  jaunes,  les  linteaux 
sont  jaunes;  en  dessus  des  corniches,  très  en  re- 
lief, femmes  à  queue  de  dragon  et  sphinx  ailés. 

Sur  les  piliers  et  les  cornicnes,  statues  :  ainsi, 
dans  un  salon  à  colonnes  d'un  ton  jaune  (ancien 
n°  240),  couvert  sur  les  boiseries  d'arabesques 
Louis  XV,  se  voit  un  lion  sur  le  large  socle  carré 
d'une  lourde  statue;  le  socle  est  très  large  pour 
pouvoir  servir  de  piédestal  au  lion;  ainsi  dans 
le  n°  i^,  sur  le  bord  d'un  entablement,  un  élé- 
phant serre  dans  sa  trompe  son  petit.  Quelquefois 
la  représentation  se  borne  à  une  perspective  de 
portiques  et  de  colonnades  :  ex-ancien  n°  çoi,  le 
dessus,  après  une  bordure  où  il  y  a  des  person- 
nages peints,  représente  la  partie  supérieure  d'une 
maison  avec  une  terrasse  défendue  par  un  balcon 
de  bois  en  X;  sous  l'X  semble  être  une  tenture; 


ITALIE.  199 

les   murs  sont  verts  et  les  fenêtres  (auvents  des 
fenêtres)  chocolat  rouge. 

Peintures  de  moyenne  grandeur  et  fantaisies  : 
Un  vieillard  à  cheveux  blancs,  torse  nu,  un  satyre 
en  érection  et  un  Amour.  —  Le  satyre  est  près  d'un 
Amour  qui  le  tire  par  la  mam,  il  a  passé  son  jarret 
sous  le  genou  de  l'Amour  pour  l'enlacer,  et  son 
sabot  cache  le  pudendum  de  l'Amour;  il  est  en 
pleine  érection;  ses  cornes,  sa  barbe  en  pointe 
et  deux  autres  cornes  partant  à  côté  des  oreilles  et 
allant  en  descendant,  le  font  ressembler  au  Diable. 
La  figure  plastique  du  Diable  vient-elle  ainsi  du 
Pan  exagéré?  Mais  que  signifie  le  vénérable  vieil- 
lard qui  regarde  tranquillement  cette  scène? 

Deux  satyres  qui  se  battent  avec  des  chèvres.  — 
Celui  de  droite,  fort  remarquable,  pose  ramassée 
et  puissante,  la  cuisse  droite  levée  de  niveau  à  la 
hanche,  le  genou  faisant  angle;  la  chèvre  présente 
le  front,  cela  rappelle  tout  à  fait  les  vers  de  Ché- 
nier  : 

Le  Satyre,  averti  de  cette  inimitié, 
Afiermit  sur  le  sol  la  corne  de  son  pied. 

Excellente  petite  peinture. 

Peintures  murales  : 

Bacchus  et  Ariane.  —  La  plus  belle  peinture 
peut-être  du  Musée.  Ariane,  couchée,  est  endor- 
mie, l'aisselle  gauche  appuyée  sur  le  genou  d'une 
femme  (ou  d  un  jeune  homme?)  qui  porte  un 
petit  vase  dans  ses  mains,  le  jarret  gauche  sur 
le  genou  droit,  et  le  bras  droit  levé  sur  sa  tête, 
faisant  angle,  et  le  poignet  retombant;  la  main 


200  NOTES  DE  VOYAGES. 

gauche  repose  extérieurement  à  terre.  La  bouche 
est  entr'ouverte  et  les  yeux  fermés,  ligne  des  cils 
rapprochés;  tête  ronde,  charmante,  pleine  de 
repos  et  de  volupté.  L'Amour  la  montre  à  Bac- 
chus,  retirant  de  dessus  elle  la  gaze  transparente 
qui  lui  couvre  le  torse  nu.  A  partir  des  cuisses,  il 
y  a  en  dessous  une  draperie  lie  de  vin  atténuée 
par  la  blancheur  de  la  gaze  de  dessus.  Au  centre 
du  tableau,  Bacchus  debout,  appuyé  en  posture 
triomphale,  la  jambe  droite  en  avant,  sur  son  long 
thyrse;  à  gauche,  un  Bacchant,  très  rouge,  œil 
rond  écarquillé,  montre  d'un  air  lubrique  et  em- 
pressé à  un  Silène  (la  figure  n'est  pas  celle  de 
Silène,  la  tradition  aurait-elle  été  déjà  perdue?  en 
tout  cas,  le  ventre  y  est)  la  femme  endormie, 
et  lui  tend  la  main  comme  pour  le  tirer  à  lui  et 
l'aider  à  monter. 

Mars  et  Vénus.  —  Vénus  est  assise  sur  un  fau- 
teuil et  vêtue  d'une  robe  lilas;  Mars,  debout  par 
derrière,  ayant  une  plume  droite  de  chaque  côté 
de  son  casque,  lui  prend  de  la  main  droite  le  teton 
gauche.  Dans  tous  les  sujets  erotiques,  pour  bien 
indiquer  l'action,  l'homme  caresse  toujours  ainsi 
la  femme.  A  gauche  du  tableau,  une  femme  por- 
tant une  robe  de  même  couleur  est  accroupie  par 
terre,  les  talons  au  cul,  et  cherche  quelque  chose 
dans  un  coffret.  Généralement  les  yeux  des 
femmes  sont  grands  et  ouverts  tout  ronds,  quelque 
ovale  que  soit  la  forme  extérieure  de  l'œil,  le 
sourcil  très  allongé  et  fin.  Toute  la  figure  forte  et 
pleine,  le  nez  droit,  les  joues  colorées,  apparence 
d'une  santé  solide  :  les  Romains  aimaient  la  femme 
royale. 

lo   conduite   en   Egypte  par  un    Triton.  —  Le 


ITALIE.  20 1 


Triton  a  l'expression  et  la  tête  amoureuses,  mélan- 
coliques, données  ordinairement  au  taureau  qui 
enlève  Europe.  La  figure  d'Io,  cornes  naissantes 
dans  la  chevelure,  est  enfantine  et  étonnée,  avec 
quelque  inquiétude.  L'Egypte,  figure  de  même 
caractère  que  toutes  les  autres,  tenant  un  serpent 
entortillé  au  bras  gauche,  lui  tend  la  main  droite, 
elle  est  entourée  de  voiles  blanches.  Pour  faire 
saillir  le  jet  du  regard,  on  entassait  les  ombres 
dans  les  coins  des  yeux  (témoin  la  Médée  ç6) 
et  dans  les  bouches,  qui  rarement  sont  complète- 
ment fermées,  tandis  que  dans  le  sommeil,  au 
contraire,  ils  s'attachaient  à  dessiner  la  hgne  mince 
des  cils  réunis  (l'œil  aux  trois  quarts  fermé, 
comme  il  l'est  la  plupart  du  temps  dans  la  nature, 
eut-il  été  trop  laid?  et  aurait  ressemblé  à  la 
mort?). 


PORTRAITS. 


La  Servante  indiscrète.  —  Peinture  assez  sérieuse, 
surtout  la  servante,  coiffée  d'une  sorte  de  coiffe 
rouge.  Me  paraît  être  le  portrait  de  deux  femmes; 
la  maîtresse  tient  un  stylet  et  des  tablettes,  de 
même  que  dans  la  prétendue  Sapbo  42,  la  position 
est  la  même.  On  se  faisait  peindre  avec  un  stylet 
et  des  tablettes  ou  couronné  de  feuillages,  comme 
maintenant  la  main  appuyée  sur  un  livre  et  en 
cravate  blanche  ! 


ANIMAUX. 


Une  cigale  sur  un  char  traîné  par  un  perroquet  vert. 
—  Fantaisie  exquise,  les  Romains  connaissaient 


202  NOTES  DE  VOYAGES. 

aussi  le  Granville.  Les  deux  rênes  partent  des 
deux  côtés  de  la  tête  de  la  cigale  et  ses  antennes, 
en  arrière,  imitent  des  cordes;  le  char  est  couleur 
d'acajou  foncé,  les  brancards  et  les  roues  cou- 
leur paille. 

Deux  paons  sur  le  haut  de  candélabres  au  bout  d'un 
mur.  —  Entre  eux  deux  un  candélabre  arabesque; 
ils  n'ont  point  la  queue  déployée  et  sont  vus  de 
profil,  celui  de  gauche  baisse  la  tête  comme  pour 
regarder  en  bas. 

Deux  oiseaux  près  de  petites  marguerites.  —  Œil 
rond  des  oiseaux,  air  naïf  et  calme.  Comme  vé- 
rité et  intensité  de  nature,  c'est  peut-être  dans  la 
peinture  d'animaux  (les  oiseaux  surtout  avec  leur 
air  paisible  et  remplumés)  que  les  Romains  me 
semblent  avoir  été  le  plus  avant. 


DANSEUSES  D'HERCULANUM. 

Rien  au  monde  de  plus  rêveur  que  ces  figures 
en  vol  sur  leur  fond  noir;  elles  ont  le  caractère 
d'un  songe,  vagues,  aériennes,  colorées.  Ce  qui 
fait  le  charme  de  ces  figures,  c'est  leur  peu  de  fini; 
quoique  de  petite  dimension  (quatre  pouces  au 
plus),  elles  sont  très  largement  traitées  et  faites 
pour  être  vues  de  loin. 


BRONZES. 
(Statues,  groupes,  chevaux.) 


^ 


Mercure  assis.  —  La  jambe  gauche  repliée,  le 
dos  infléchi,  l'avant-bras  gauclie   posant  sur   la 


ITALIE.  203 

cuisse  gauche  et  le  poignet  de  cette  main  tombant 
libre  naturellement,  tandis  que  fa  droite  s'appuie 
sur  le  rocher;  la  jambe  droite,  le  bout  du  pied 
levé,  a  le  talon  par  terre.  Les  ailes  (chaussure  ta-  ' 
lonnière)  sont  attachées  par  une  courroie  qui  passe 
sous  la  plante  du  pied  et  se  rattache  sur  le  cou- 
de-pied. Dos  charmant  et  très  étudié.  Extérieure- 
ment la  cuisse  gauche  de  profil  est  vilaine,  toute 
droite  comme  une  poutre  et  dure;  même  observa- 
tion pour  la  main  droite,  celle  qui  est  appuyée 
sur  le  rocher.  La  jambe  droite,  celle  qui  est  en 
avant,  un  peu  trop  incurvée  en  dehors  et  rococo. 
Ensemble  mouvementé  et  plaisant.  Rien  de  plus 
charmant  que  cette  chaussure;  comme  les  ailes, 
partie  postiche  des  pieds  et  qu'on  sait  n'en  pas 
faire  partie ,  ajoutent  de  mouvement  et  de  légèreté  ! 
Supériorité  sur  les  ailes  des  anges,  appendice  cho- 
quant, qui  a  toujours  l'air  d'une  monstruosité  et 
qui  ne  se  prête  jamais  à  l'expression  gesticulative 
des  autres  membres. 

Faune  ivre.  —  Le  bras  appuyé  sur  une  outre, 
porté  sur  la  partie  gauche  du  corps,  appuyant 
son  bras  gauche  sur  une  outre  à  demi  pleine  et 
qui  est  sur  un  rocher  recouvert  d'une  peau  de  bête 
féroce,  il  lève  en  l'air  son  bras  droit  et  son  pied 
droit.  La  main  (droite),  le  médium  sur  le  pouce, 
l'index  en  l'air,  l'annulaire  et  le  petit  doigt  fermés, 
il  claque  des  doigts  comme  pour  chanter  ou 
danser;  sa  bouche,  où  les  dents  du  côté  droit 
manquent  (je  ne  crois  pas  que  ce  soit  une  cassure, 
mais  plutôt  intentionnel),  rit  et  montre  ses  dents 
supérieures.  Dans  sa  chevelure  en  mèches  hérissées 
(assez  mal  faites),  petites  grappes  de  raisin,  deux 
petites  cornes  naissantes  et  qui  semblent  faire  pen- 


2o4  NOTES  DE  VOYAGES. 

dant  avec  deux  petites  loupes  qu'il  a  au  cou,  sous  la 
ligne  des  carotides.  (Mêmes  petites  loupes  sous 
la  mâchoire  dans  un  Faune  endormi,  mais  ici  les 
cornes,  en  forme  de  vignot  et  non  plus  de  bou- 
quetin, sont  plus  rapprochées  sur  le  front  et  se 
confondent  moins  avec  la  chevelure.)  Ses  cornes 
naissantes  ne  sont  pas  plus  grandes  que  ses  deux 
petites  loupes.  Le  ventre  flasque,  charnu,  à  peaux 
molles,  plein  de  vin  doux  mousseux  et  de  pets 
qui  gargouillent,  s'en  va  de  gauche  à  droite  dans 
le  sens  de  la  jambe  droite  qui  se  lève.  Les  membres 
sont  maigres,  la  chair  peu  ferme  sur  les  os;  la 
débauche  a  vieilli  cet  être.  Vilaines  mains,  doigts 
mal  faits.  La  jumelléité  du  2'  et  du  ^'  doigt  du  pied 
ne  me  semble  observée  nulle  part  jusqu'à  présent,  elle 
est  pourtant  constante  dans  la  nature. 

Faune  dansant,  statuette.  —  Très  johe  chose 
comme  mouvement,  entente  des  cheveux  et  des 
cornes  confondus  ensemble;  la  chevelure  en 
mèches  hérissées  des  Faunes  n'a  peut-être  pas 
d'autre  sens  que  de  pouvoir  se  marier  aisément 
avec  les  cornes,  dont  on  tâche  par  ce  moyen  d'at- 
ténuer l'excentricité  qu'elles  ont  par  rapport  au 
crâne  humain  et  au  visage.  Les  jambes  trop  longues , 
comme  dans  toutes  les  statues  de  danseurs  et  de 
danseuses.  A  observer  que  la  queue  chez  les  Faunes 
est  toujours  placée  au-dessus  du  sacrum  et  non  au 
bout  du  coccyx,  comme  chez  les  animaux. 

Baccbus  et  un  Faune.  —  Le  Bacchus  a  une  che- 
velure et  une  tête  de  femme,  le  reste  est  un  corps 
d'homme.  La  juvénihté  de  Bacchus  et  Adonis, 
arrivant  par  gradation  à  des  formes  femcHes,  est-ce 
là  ce  qui  a  conduit  à  l'hermaphrodisme  ?  En  tout 
cas,  esthétiquement  parlant,  c'en  est  la  transition. 


ITALIE.  205 


CHEVAUX. 


Cheval  du  quadrige  de  Néron.  —  Râblé,  plis  nom- 
breux sous  le  cou;  la  tête  est  sèche  comme  tou- 
jours, et  les  narines  très  ouvertes;  poitrine  large, 
base  de  Tencolure  énorme,  un  bouquet  de  poils 
aux  paturons  et  sur  la  sole.  Son  collier  est  en  deux 
bandes  de  cuir  plates  et  s'attache  de  chaque  côté 
sur  le  haut  des  épaules  avec  de  petites  courroies. 
Les  anciens  ne  brûlaient  pas  le  poil  dans  l'intérieur  des 
oreilles  des  chevaux;  ici  il  est  peigné  dans  son 
sens,  et  dans  la  tête  colossale  8^,  on  dirait  qu'on  les 
a  arrangés  pour  leur  donner  une  espèce  de  forme 
de  palme.  La  crinière  toujours  taillée  toute  droite, 
comme  au  Parthénon. 


BUSTES. 


Buste  d'un  inconnu.  —  Chevelure  sur  le  front  en 
véritables  tire-bouchons;  il  y  en  a  deux  rangs, 
42  en  tout.  Le  tire-bouchon  du  rang  d'en  haut  des- 
cend sur  l'entre-deux  des  tire-bouchons  du  rang 
d'en  bas.  Les  sourcils  sont  très  longs  et  fortement 
indiqués.  Vilain  buste. 

Ptolémée.  Apion.  —  Chevelure  en  tire-bouchons 
plats.  Au  heu  d'être  un  gros  fil  tordu,  c'est  une 
petite  bande  tordue;  les  tire-bouchons  sont  retenus 
par  un  bandeau  noué  par  derrière,  plus  courts  sur 
le  front  et  s'allongeant  à  mesure  qu'ils  se  rap- 
prochent des  oreilles.  Cette  chevelure  prise  sous 
son  bandeau,  rappelle  comme  galbe  le  coufieh 
pris  sous  la  corde  en  poils  de  chameau.  Les  tire- 


2o6  NOTES  DE  VOYAGES. 

bouchons  entourent  complètement  la  tête,  tandis 
que,  dans  le  buste  précédent,  ils  s'arrêtaient  aux 
oreilles;  ils  sont  au  nombre  de  75  (sans  compter 
ceux  qui,  faisant  partie  du  buste  même,  sont  collés 
contre  le  cou;  ils  ont  été  rajoutés  après  coup). 
Bouche  mi-ouverte  dans  une  expression  souffrante , 
visage  ovale  carré  par  le  bas,  front  très  épais  dans 
l'entre-deux  des  sourcils. 

Tibère.  —  Buste  tout  vert,  avec  des  yeux  d'ar- 
gent devenus  bruns.  Tête  discrète  et  fine,  répon- 
dant à  l'idée  qu'on  se  fait  de  Tibère,  aplatie  sur 
le  sommet  (absence  des  bosses  de  la  bienveillance 
et  de  la  religion),  mais  fournie  sur  les  côtés  au- 
dessus  des  oreilles;  la  bouche  est  petite,  le  front 
bas  et  large  sous  les  mèches  plates  des  cheveux 
courts,  qui  tombent  carrément  dessus;  paupières 
très  étroites,  menton  saillant.  Grand  air  de  dis- 
tinction et  de  réserve,  aucune  expression  du  chat, 
du  renard,  ni  de  l'oiseau  de  proie. 

Scipion  l'Africain.  —  Grand  air  de  ressemblance. 
Vieillard  chauve  et  sans  barbe,  chauve  sur  le  de- 
vant et  les  tempes;  la  chevelure,  partout  ailleurs, 
est  indiquée  par  des  pointillés.  Le  front  est  creusé 
de  trois  grandes  rides  et  d'une  supérieure  qui  s'ef- 
face un  peu  vers  le  milieu  du  front.  Sur  le  front 
une  loupe,  au-dessus  du  sourcil  droit;  sourcils 
épais,  les  poils  très  indiqués;  les  joues  sont  maigres 
et  tombent,  on  sent  que  cette  mâchoire-là  n'a  plus 
de  dents.  Aux  deux  coins  de  la  bouche,  sur  le 
bas  des  joues,  comme  deux  petites  boules  qui 
semblent  pousser  du  dedans.  Le  nez  s'infléchit  par 
le  bout,  la  narine  est  épaisse,  la  bouche  coupée 
toute  droite  sans  dessin,  l'oreille  très  détachée  de 
tête  (trait  commun  aux  bustes  antiques). 


ITALIE.  207 

Platon.  —  Une  des  plus  belles  choses  antiques 
que  l'on  puisse  voir,  le  oronze  a  pris  des  couleurs 
veinées  de  marbre  vert  foncé.  La  tête,  infléchis- 
sant le  menton  sur  la  poitrine,  est  coiff^ée  d'un 
bandeau  qui  retient  sur  le  front  les  cheveux  pei- 
gnés. Admirable  travail  des  cheveux,  il  semble 
que  le  peigne  vienne  d'y  passer;  les  cheveux 
sortent  du  bandeau,  se  divisent  en  deux  et  re- 
passent par-dessus,  où  leur  bout  faisant  un  peu 
coque  ovale  ou  bourrelet  sur  les  oreilles,  est  réuni 
par  lui;  pour  faire  transition  entre  ce  rouleau  et  le 
commencement  de  la  barbe,  qui  prend  assez  bas, 
frisée  largement  sur  les  pommettes,  puis  peignée, 
et  se  terminant  par  le  bas  en  rares  petits  tire- 
bouchons,  il  y  a  entre  la  barbe  et  ce  rouleau, 
au-dessous  de  lui  et  s'en  échappant,  de  petits 
anneaux  de  cheveux  tordus  (creusés  à  jour).  Le 
col  très  fort,  surtout  de  profil.  Expression  sérieuse 
et  mâle,  beauté,  idéalité,  puissance,  et  quelque 
chose  de  tellement  sérieux  qu'il  y  a  un  peu  de 
tristesse.  La  sérénité,  cachet  du  divin  antique, 
absente. 

Bérénice.  —  Les  cheveux  sont  tirés  vers  le  haut  et 
montés  (pour  agrandir  la  ligne  du  front  et  du  nez) 
comme  à  la  chinoise;  une  double  couronne  de 
cheveux  tressés  sur  le  sommet  de  la  tête,  point 
de  chignon;  les  tempes  et  le  front  son  également 
découverts  par  cette  chevelure  remontée.  Visage 
ovale,  menton  carré,  très  grands  yeux,  grande 
distance  de  l'angle  interne  de  l'œil  au  méplat  du 
nez,  qui  est  tout  droit.  La  hgne  droite  du  front 
et  du  nez  est  plutôt  même  convexe  à  l'entre-deux 
des  sourcils,  le  front  est  tiis  charnu.  Le  bord  ex- 
térieur de  chaque  lèvre  fort  marqué  par  la  hgne 


2o8  NOTES  DE  VOYAGES. 

de  la  peau  qui  arrive  là,  très  nette.  Ligne  du  sourcil 
longue,  à  arête  aiguë.  Fort  belle  tête  et  des  plus 
grecques. 

Arcbitas.  —  Coiffé  d'un  turban  petit  et  rond 
comme  une  anguille;  il  est  serré  par  une  bande 
diagonale  croisée  par-dessus  une  autre. 


COLLECTION  DES   PETITS    BRONZES. 

Système  d'éclairage  composé  d'un  pilier  carré  suppor- 
tant quatre  lampes.  —  Le  support,  sur  lequel  est 
planté  le  pilier,  est  en  argent  et  carré,  portant  à 
terre  par  quatre  griffes  ;  il  est  échancré  à  sa  partie 
antérieure,  sur  la  droite  de  laquelle  est  un  petit 
autel  avec  un  bûcher  et  un  feu  qui  brûle;  de 
l'autre  côté,  à  gauche,  c'est  un  Amour,  nu,  tenant 
de  la  main  droite  une  corne  d'abondance  et  à 
cheval  sur  un  léopard.  De  l'extrémité  du  pilier 
partent  quatre  bras,  recourbés,  sur  lesquels  cou- 
rent des  arabesques,  et  au  bout  de  chacun  des- 
quels est  suspendue  à  une  chaînette  par  un  anneau 
une  lampe  de  forme  différente.  Sur  le  dessus  de 
la  première,  deux  dauphins  dos  à  dos,  appuyant 
leur  queue  l'une  contre  l'autre,  dont  la  réunion 
fait  pyramide  cintrée.  Des  deux  côtés  de  la  lampe 
(toutes  sont  ovales  de  forme)  partent  deux  têtes 
d'éléphants.  Sur  la  seconde,  ce  sont  des  têtes  de 
bœuf  qui  sortent;  sur  le  dessus  de  la  troisième, 
deux  aigles,  ailes  déployées;  la  quatrième  toute^ 
simple. 

Système  d'éclairage  composé  d'une  colonne  cannelée 
supportant  trois  lampes.  —  La  base  n'est  pas  échan- 
crée  sur  l'avant,  comme  la   précédente.  Sur  la 


ITALIE.  aop 

partie  du  milieu,  un  peu  en  retrait,  s'élève  une 
tour,  à  pans,  surmontée  d'une  boule. 

Système  d'éclairage  composé  d'un  tronc  d'arhre  à 
nœuds  et  d'un  bout  de  branche  supportant  quatre  lampes. 
—  Les  lampes,  toujours  suspendues  à  des  cnaî- 
nettes,  ont  leur  anneau  passé  aux  quatre  bras  du 
tronc,  qui  sont  des  branches.  La  quatrième  lampe 
est  suspendue  à  une  branche,  plus  basse  et  plus 
courte,  partant  du  milieu  du  tronc  à  peu  près. 

Système  d'éclairage  composé  d'une  colonne  supportant 
quatre  lampes.  —  Comme  dans  la  précédente,  la 
base  d'oii  s'élève  la  colonne  est  complètement 
carrée,  les  lampes  toujours  de  formes  différentes; 
la  colonne  ici  est  placée  juste  au  milieu. 

Un  tronc  d'arhre  se  bifurquant  supporte  deux 
lampes. 

A  un  autre  tronc  d'arhre  supportant  trois  lampes, 
les  lampes  sont  en  forme  d'escargot,  l'animal  sort 
de  sa  coquille. 

Quantité  de  candélabres  :  tiges  droites  en  haut  des- 
quelles est  un  petit  plateau  pour  mettre  des  lampes.  —  La 
tige  est  un  tronc  de  palmier,  un  roseau,  une  épine 
(plus  rare)  avec  des  nœuds,  imitant  un  bâton 
qu'on  vient  de  couper.  Ces  tiges,  appuyées  sur 
trois  ou  quatre  pieds,  terminées  par  des  pattes  de 
biche  ou  des  griffes;  elles  sont  toutes  fort  longues, 
celles  qui  sont  simples  sont  généralement  can- 
nelées. L'une  a  un  bracelet  long  qui  glisse  dans 
toute  la  largeur  de  la  tige  et  qui  supporte,  par  une 
tringle  faisant  col  de  cygne,  un  support  pour 
mettre  une  seconde  lampe;  ce  bracelet  s'arrêtait 
par  une  épingle  que  l'on  enfonçait  dans  un  trou 
pratiqué  dans  la  tige  et  attaché  à  la  tringle  en  col 
de  cygne  par  une  petite  chaînette.  Sur  le  haut  de 

'4 


2IO  NOTES  DE  VOYAGES. 

la  tige,  une  rondelle  pour  poser  la  lampe  comme  à 
toutes  les  autres;  on  avait  ainsi,  dans  le  même  us- 
tensile, une  lumière  fixe  dessus,  et  une  autre  plus 
bas,  que  l'on  pouvait  abaisser  et  monter  (et  main- 
tenir) à  volonté. 

Une  petite  lampe  en  forme  de  pied  humain.  —  Pied 
gauche.  La  mèche  sortait  par  le  pouce,  le  trou  est 
la  place  de  l'ongle,  l'huile  se  versait  par  la  place 
du  milieu  de  l'os,  coupé. 

Vases  à  cendre.  —  Avec  des  anses  mobiles  que 
l'on  entre  et  que  l'on  défait  par  la  pression.  Sur  le 
bord  extérieur  du  vase,  sorte  de  panier  oblong, 
deux  têtes  de  biches  dans  la  bouche  desquelles 
est  cachée  la  conelte  où  entre  le  goupil  de  l'anse. 

Deux  seaux  plus  minces  à  la  base  qu'en  haut.  — 
Les  anses,  toutes  plates,  se  rabattent  des  deux 
côtés  exactement  sur  les  bords  du  vase  et,  dispa- 
raissant ainsi  à  l'œil,  font  un  léger  renflement, 
corniche  sur  le  bord  du  vase,  et  semblent  adhé- 
rents à  son  architecture.  C'est  une  des  choses  les 
plus  ingénieuses  et  les  plus  profondément  sensées 
comme  goût  et  comme  commodité  que  l'on  puisse 
admirer. 

Un  rhyton.  —  Tête  de  cerf  en  bronze,  à  yeux 
d'argent;  les  oreilles  sont  à  leur  place,  mais  les 
cornes  sont  réunies  (pour  pouvoir  servir  d'anses) 
jusqu'à  une  certaine  distance,  oii  elles  se  divisent 
et  partent  chacune  de  leur  côté. 

Des  peignes.  —  Tous  en  forme  de  démêloirs, 
quelques-uns  très  petits. 

Trois  poids  pour  peser  des  combustibles.  —  L'un  est 
un  cochon,  l'autre  un  osselet,  le  troisième  un  fro- 
mage; ils  ont,  sur  leur  dessus,  une  poignée  de  la 
forme  de  celle  de  nos  fers  à  repasser. 


ITALIE.  2  I  I 


Une  sorte  de  gril  plein ,  à  manche,  avec  quatre  demi- 
spbères  en  creux.  — C'était,  sans  doute,  pour  mettre 
cuire  des  boulettes  de  viande  farcie,  ainsi  que  cet 
autre,  plat,  tout  rond,  beaucoup  plus  grand  que 
le  précédent  et  à  trous  nombreux  un  peu  plus  pro- 
fonds; il  y  a  29  trous. 

Ustensile  en  forme  de  château  fort  pour  faire 
chauffer  l'eau.  —  C'est  un  quadrilatère,  ayant  une 
tour  carrée  à  chaque  angle,  et  les  tours  sont  reliées 
par  des  courtines;  tour  et  courtines,  le  tout  est 
crénelé.  L'eau  se  versait  en  levant  le  couvercle  qui 
fait  plate-forme  de  la  tour;  elle  était  échauffée  par 
des  charbons  que  l'on  plaçait  au  centre  du  carré, 
entre  les  quatre  courtines,  dans  la  cour  de  la  for- 
teresse enfin;  un  robinet,  pratiqué  sur  la  face  ex- 
térieure d'une  des  courtines,  versait  l'eau.  On  ma- 
niait ce  meuble  par  quatre  anses. 

Plusieurs  romaines.  —  Le  plateau  est  supporté 
par  quatre  chaînettes  carrées,  le  bras  du  levier 
a  toujours  pour  poids  un  buste. 


LES  CASQUES. 

Ont  généralement  un  abat-jour  très  large,  ou 
rebord,  tout  autour  de  la  tête,  ça  encadre  le  vi- 
sage, et  ça  part  ensuite  presqu'à  angle  droit  à  la 
hauteur  des  oreilles.  Les  œillères  sont  des  rondelles 
composées  de  cercles  à  jour,  mobiles,  attachées  en 
haut  par  une  charnière,  et  retenues  par  le  bas  dans 
une  patte  transversale  en  laquelle  est  engagée  la 
patte  terminant  l'œillère.  Ce  qui  abritait  la  figure 
est  en  deux  morceaux  (sauf  dans  un  casque 
énorme,  chargé  de  sculptures  en  relief  et  d'un 

14. 


2  I  2  NOTES  DE  VOYAGES. 

poids  effrayant).  Pour  s'en  débarrasser,  il  fallait 
d'abord  soulever  les  œillères,  les  remonter,  puis 
passer  la  main  en  dessous,  dans  le  casque,  et  dé- 
faire l'épingle  d'une  charnière  intérieure  qui  rete- 
nait la  mentonnière.  Cette  mentonnière  étant  di- 
visée en  deux,  il  fallait  faire  ce  qui  précède  pour 
chacun  des  côtés.  Ils  fermaient,  du  reste,  exacte- 
ment, croisant  même  un  peu  l'un  sur  l'autre; 
pour  mieux  maintenir  les  deux  parties,  on  les  at- 
tachait par  le  bas  à  l'aide  d'une  petite  courroie 
passant  dans  des  trous. 

A  l'un  de  ces  casques ,  il  y  a,  sur  le  côté  gauche , 
un  bouton  avec  un  bout  de  lanière,  le  tout  en 
bronze.  La  quantité  d'ornements,  leur  poids  et 
leur  forme  pompeuse  me  font  présumer  que 
c'étaient  des  casques  de  théâtre  ou  d'apparat,  il 
me  paraît  impossible  que  ce  fussent  des  casques 
militaires;  de  gladiateurs,  peut-être?  Sur  les  bords 
de  la  crête  de  ces  casques,  des  trous;  à  l'un  d'eux , 
des  anneaux,  sans  doute  pour  attacher  des  pa- 
naches. 

A  des  casques  plus  simples  et  plus  légers  il  n'y 
a  pas  de  ces  visières  (de  casquette),  abat-jour,  et 
au  lieu  d'œillères  ce  sont  tout  simplement  des 
trous  pour  les  yeux. 

Des  casques  ont  seulement,  pour  garantir  le 
visage,  deux  longues  oreilles  faisant  partie  du 
casque  même,  et  qui  tombaient  sur  les  joues. 
A  l'un  d'eux,  elles  imitent  la  silhouette  d'une  tête 
de  bélier  (le  nez  en  bas). 

Quant  au  nez,  il  était  à  peine  protégé  par  une 
petite  languette  de  bronze,  très  mince  et  par  l'ex- 
trémité s'élargissant  un  peu  en  trèfle. 

Le  casque  de  la  sentinelle  trouvé  avec  le  crâne 


ITALIE.  2  I  3 

dedans  à  Pompéi,  est  ainsi  avec  une  bande  des- 
cendant sur  le  nez;  les  deux  côtés  protégeant  le 
col  avancent  comme  un  vigoureux  col  de  chemise 
très  haut,  et  ne  sont  que  le  prolongement  sur  les 
joues  de  la  partie  postérieure  du  casque. 

Un  casque  singuher  en  forme  de  pain  de  sucre, 
orné  de  deux  bandes  plates  qui  remuent  et  d'une 
espèce  de  fourche  sur  son  sommet. 

N.  B.  —  L'expression  «  la  visière  baissée  » ,  «  il 
baissa  sa  visière  »  serait  donc  ici  impropre,  puis- 
qu'elle ne  pouvait  remonter  et,  par  conséquent, 
descendre  dans  l'épaisseur  du  casque,  qui  est 
simple.  On  l'accrochait  d'en  dedans  et  on  la  dé- 
crochait du  dehors.  Car,  comme  l'abat-jour  en- 
toure aussi  le  casque  en  bas  pour  protéger  le  cou, 
on  devait  avoir  de  partout  le  col  serré,  et  il  n'y 
avait  pas  assez  de  place  pour  que  la  main  pût  passer 

{)ar  en  bas,  ghsser  le  long  du  visage,  et  arriver  à 
a  charnière  située  à  la  hauteur  des  tempes.  On 
retirait  donc  d'en  dehors,  de  par  le  trou  des  yeux, 
l'épingle  et  toute  l'armure  du  visage  tombait. 
Mais  qu'en  faisait-on  ensuite? 


Entraves  pour  passer  les  pieds  des  criminels.  —  Mon- 
tants recourbés;  le  condamné  mettait  ses  pieds 
entre  eux,  et  une  barre  de  fer  passait  dans  les 
courbes  l'empêchant  de  pouvoir  s'en  dégager;  il 
était  bien  entendu  couché  sur  le  dos.  La  machine, 
évidemment,  pouvait  servir  à  plusieurs  à  la  fois. 

Une  cuvette  ou  casserole  en  forme  de  co- 
quille. 

Vase  à  lait  d'une  forme  charmante.  Deux  petites 
chèvres  en  haut  du  vase;  en  bas,  entre  les  deux 
branches  du  vase,  un  petit  Amour. 


2l4  NOTES  DE  VOYAGES. 


MARBRES. 


Baccbus  indien,  buste,  très  beau.  —  Un  diadème 
retient  les  cheveux  disposés  en  boucles  (creux 
dans  les  boucles)  sur  le  front;  partant  de  derrière 
les  oreilles,  deux  longues  papillotes  à  l'anglaise 
viennent  tomber  sur  les  épaules.  La  barbe,  frisée 
en  boudins  réguliers,  tombe  toute  droite;  travail 
pareil  à  celui  des  cheveux.  Nez  droit,  globe  de 
i'œil  très  sorti. 

Baccbus  indien,  buste.  —  Figure  plus  carrée, 
d'un  travail  très  inférieur.  La  bouche,  à  lèvre 
inférieure  épaissie  et  à  demi  entrouverte,  tourne 
presque  au  satyre;  les  cheveux,  frisés  en  roses,  sont 
disposés  sur  le  front  en  deux  rangs;  de  derrière 
chaque  oreille  part  un  large  ruban  qui  vient  tomber 
sur  le  devant  des  épaules;  barbe  naturelle. 

Baccbus  indien.  Hermès.  —  Barbe  taillée,  ou 
mieux  tirée  carrément,  frisée  en  longues  mèches 
ondées  parallèles ,  partant  du  bas  des  pommettes 
et  couvrant  toute  la  mâchoire.  Malgré  la  mous- 
tache, la  lèvre  se  voit;  le  dessous  de  la  lèvre  infé- 
rieure, espace  compris  jusqu'au  menton,  est  cou- 
vert par  une  petite  demi-rondelle  de  barbe  en 
forme  d'éventail.  La  tête  est  serrée  par  une  ban- 
delette; de  dessous  elle,  sur  le  front,  partent  deux 
larges  masses  de  cheveux  qui  s'élèvent  sur  la  tête, 
et  remontent  par-dessus  le  bandeau ,  puis  repassent 
dessous  ;  là,  sur  les  temporaux ,  les  cheveux  s'échap- 
pant  du  bandeau,  sont  disposés  en  une  masse  de 
trois  rangs  de  boucles,  frisés  en  bouton;  de  l'oc- 
ciput, la  chevelure  tombe  d'elle-même  sur  le  dos; 
deux  longues  mèches  naturelles,  se  séparant  de 


ITALIE.  2  f  5 

cette  masse  (chacune  de  ces  mèches  est  composée 
de  deux),  viennent  tomber  en  avant  sur  les  deux 
cotés  de  la  poitrine. 

Baccbus  indien.  Hermès.  —  Barbe  en  pointe, 
bouclée  seulement  sur  les  joues,  par  le  bas  elle 
frise  naturellement;  cheveux  retenus  par  un  ban- 
deau noué  par  derrière.  Sur  le  front,  une  double 
demi -couronne  de  cheveux  bouclés  en  petites 
boucles  (trous  dans  les  boucles);  deux  mèches 
(chacune  de  deux)  naturelles  partent  de  derrière 
les  oreilles  et  tombent  sur  la  poitrine.  Bouche 
entrouverte  très  visible.  Cette  chevelure  vise  à 
faire  coiffure.  A  remarquer  que  dans  tous  ces  bustes 
jamais  la  moustache  n'empêche  de  voir  les  Ihres,  ni  la 
coiffure  l'oreille. 

Bacchus  indien.  —  Les  cheveux  tombent  natu- 
rellement sur  les  épaules;  la  barbe,  naturelle,  dans 
le  style  un  peu  de  celle  des  Faunes,  très  longue, 
pend  sur  la  poitrine;  les  cheveux,  en  un  chignon 
énorme  comme  ceux  d'une  femme,  sont  rattachés 
derrière  la  tête. 

Baccbus,  buste  couronné  de  pampres  et  de  rai- 
sins. —  La  tête  ici  est  carrée  et  les  jeux,  au  lieu 
d'être  ronds  et  à  ras  du  visage,  comme  dans  les 
Bacchus  indiens,  sont  renfoncés;  la  barbe  naturelle 
en  grosses  mèches,  le  front  carré  sous  son  ban- 
deau, la  bouche  mi-ouverte. 

Buste  de  femme  à  chevelure  très  ondée  sur  le  front.  — 
La  raie  du  milieu  semblant  dissimulée  autant  que 
possible,  le  reste  de  la  chevelure  fait  couronne 
tout  autour  de  la  tête,  l'extrémité  est  cachée.  Au- 
dessus  des  bandeaux  ondes,  ou  mieux  au-dessus 
de  la  partie  de  la  chevelure  ondée,  deux  cordes, 
puis  deux  petites  tresses  minces  qui  font  la  cou- 


21  6  NOTES  DE  VOYAGES. 

ronne;  la  troisième  tresse  se  trouve  en  partie  ap- 
partenir à  la  couronne  et  en  partie  aplatie  dessus. 

Plotine,  femme  de  Trajan.  —  Longue  figure 
régulière  et  froide,  nez  long  (restauré),  longs 
sourcils  droits,  peu  arqués.  La  chevelure  est  di- 
visée en  deux  parties  bien  distinctes;  le  chignon, 
en  plusieurs  tresses,  est  tordu  et  attaché  ensemble 
sans  peigne.  Sur  le  devant,  étage  à  sept  degrés, 
dont  l'ensemble  fait  une  visière  plantée  le  plus 
droit  possible,  à  peu  près  sur  la  même  ligne  que 
le  front;  le  dernier  et  l'avant-dernier,  à  partir  d'en 
haut,  sont  des  rouleaux  très  réguhers;  le  premier 
à  partir  d'en  bas  est  un  rouleau  aplati,  terminé  de 
chaque  côté  par  deux  petites  papillotes  tombant 
sur  les  tempes  (pour  faire,  comme  effet  et  vu  de 
face,  l'office  de  pendants  d'oreilles  ?);  le  deuxième 
et  le  troisième  rouleau  sont  ronds,  ceux  du  milieu 
un  peu  moins  symétriques. 

Julie,  JiUe  de  Titus.  —  Ressemble  au  précé- 
dent, comme  traits  et  comme  coiffure.  La  coiffure- 
visière  est  plus  régulière  encore,  est  terminée  par 
quatre  petites  papitlotes  de  chaque  côté  sur  les 
tempes. 

Buste  d'impératrice  à  coiffure-visière  double.  —  La 
coiffure  sur  le  front  est  complètement  double  et 
den  telée  en  queue  de  paon  ;  la  seconde ,  plus  haute , 
apparaît  derrière  la  première  (celle  qui  est  immé- 
diatement sur  le  front). 

Julia  Pia,  buste  vilain.  —  Epaule  et  moitié  du 

sein  gauche  découverts;  les  cheveux,  simplement 

peignés,  collent  sur  la  tête  et  vont  jusqu'à  l'oreille; 

à  partir  de  là,  réunis  en  une  large  plaque  tressée 

ui  remonte  en  s'amincissant,  jusque  sur  le  sommet 

e  la  tête,  et  arrive  carrément  sur  la  raie  du  milieu 


ITALIE.  2  I  7 

qui  les  sépare  sur  le  devant.  La  draperie  est  atta- 
chée sur  l'épaule  droite. 

Plautilla,  buste.  —  Devait  être  blonde.  Figure 
douce  et  fade,  visage  ovale,  plein,  un  peu  bouffi 
dans  le  haut;  yeux  à  fleur  de  tête,  la  prunelle  est 
levée  en  l'air,  les  sourcils  arqués  se  réunissent  par 
quelques  poils  sur  le  nez;  petite  bouche,  petit 
menton,  le  front  est  plein  vers  le  milieu,  joli  col. 
Les  cheveux  sont  peignés  naturellement.  Derrière 
la  tête,  d'une  oreille  à  l'autre  une  torsade  qui 
descend  comme  le  derrière  d'un  casque  grec,  pre- 
nant la  forme  du  cou  et  s'appuyant  sur  les  mas- 
toïdes,  l'extrémité  des  cheveux  est  ramenée  en 
cercles  concentriques  sur  le  col,  cercles  allongés, 
ovales. 

Agrippine,  mère  de  Néron,  buste  médiocre.  — 
Visage  carré  du  haut ,  pointu  du  bas  ;  menton  carré , 
en  galoche;  grands  jeux  ouverts.  Sur  le  front,  cinq 
rouleaux  lâches  et  peu  serrés  entre  eux,  le  reste 
est  peigné  naturellement;  derrière  la  tête,  des  che- 
veux sont  noués  en  catogan;  sur  le  col,  de  chaque 
côté,  deux  petits  rouleaux  qui  tombent. 

Agrippine.  —  Meilleur.  Même  tête,  le  travail 
ici  est  plus  indiqué,  le  premier  buste  doit  être 
l'ébauche  de  celui-ci.  Le  nez  est  un  peu  bombé  au 
milieu,  les  pommettes  sont  plus  saillantes.  Elle  est 
ici  plus  vieillie  et  plus  belle  que  dans  le  buste  pré- 
cédent. Les  cheveux  sont  séparés  sur  le  front  en 
petites  mèches  ondées. 

Néron f  buste.  —  Ressemble  à  sa  mère,  la  figure 
est  également  très  large  du  haut  et  pointue  du  bas  ; 
dépression  au  milieu  du  front,  proéminence  de 
l'angle  interne  du  sourcil.  Les  yeux  sont  rentrés  et 
le  nez  un  peu  bossu  comme  celui  de  sa  mère;  le 


2  I  8  NOTES  DE  VOYAGES. 

menton  est  plus  carré,  en  galoche;  la  bouche  petite 
et  a  la  lèvre  inférieure  large.  De  profil,  la  base  du 
nez  a  une  dépression  considérable  et  la  partie  in- 
férieure du  front  avance  dessus.  Jolie  tête  puissante, 
couronnée  de  pampres. 

Cléopâtre.  —  Est-ce  Cléopatre  ?  Petite  tête  mi- 
gnonne, pleine  de  gentillesse,  joues  pleines  en 
haut,  visage  pointu  du  bas,  petit  menton,  l'entre- 
deux  des  sourcils  est  de  niveau  avec  la  base  du  nez, 
plein.  Ses  cheveux  sont  disposés  en  19  bandes  pa- 
rallèles, tout  autour  de  sa  tête,  en  long;  bandes 
rondes,  les  cheveux  sont  en  large  de  la  bande,  par 
derrière  réunis  en  chignon  rond.  Physionomie 
éveillée  et  agréable;  de  profil,  plus  d'élévation 
comme  caractère.  L'oreille  a  été  négligée,  le  trou 
est  énorme. 

Agrippine ,  femme  de  Germankus,  statue  assise. — 
Dans  une  pose  pensive  et  naturelle,  les  jambes 
étendues  en  avant,  le  mollet  de  la  gauche  sur  le 
tibia  de  la  droite;  le  sein  est  petit  et  très  saillant 
sous  la  chemisette  de  dessus;  elle  tient  sa  main 
droite  dans  sa  main  gauche.  Frisée  en  cheveux 
très  bouclés,  qui  font  presque  comme  des  anneaux 
levés  droit,  et  qui  rappellent  la  frisure  d'un  caniche  ; 
par  derrière,  ils  sont  rattachés  en  catogan. Travail 
des  cordes  qui  attachent  la  sandale. 

Fille  de  Balbus.  —  Statue  à  cheveux  d'un  ton 
d'argile.  La  chevelure  est  petite,  peignée  naturel- 
lement et  ondée,  peinte  en  jaune,  le  ton  est  entre 
le  roux  et  le  jaune.  Sa  tunique  à  longs  plis  lui 
tombe  sur  les  pieds,  le  vêtement  de  dessus  est 
ramené  et  pris  sous  l'aisselle  droite  et  collé  ainsi 
contre  le  haut  de  la  hanche  droite.  Figure  ressem- 
blante, assez  laide,  nez  un  peu  retroussé,  pom- 


ITALIE.  2. 1  9 

mettes  rondes,  le  bout  du  nez  et  le  menton 
pointus. 

Fille  de  Balbus.  —  Autre  selon  le  catalogue;  est 
la  même?  Pire,  moins  de  trace  de  peinture  sur  les 
cheveux,  la  couleur  est  moins  vive.  Le  bras  droit 
drapé  est  porté  sur  l'épaule  gauche,  la  main  droite 
couverte  par  la  draperie  (le  pouce  et  l'index  seuls 
paraissent)  tient  et  semble  présenter  un  pan  du 
peplum,  qui  passe  nombreux  entre  le  pouce  et 
l'index. 

Vieille  femme  très  drapée,  Viricia  Arcbas,  mère  de 
Balbus.  —  La  tunique  tombe  à  phs  droits  sur  les 
pieds;  le  bras  gauche  est  collé  au  corps  par  la  face 
interne  de  la  main,  et  embobeliné  par  la  draperie 
du  peplum;  il  recouvre  également  le  bras  droit 
dont  la  main  à  demi  fermée  remonte  vers  la  clavi- 
cule droite.  Tout  le  vêtement,  à  plis  secs  et  nom- 
breux, est  tiré,  collé  sur  le  ventre  et  les  hanches. 
Inscription.  Effet  désagréable. 

Ba/6u5  père  (inscription).  —  Statue  debout,  dra- 
perie abondante,  très  amplement  rejetée  sur  l'épaule 
gauche  et  supportée  par  le  bras.Tête  chauve ,  visage 
rasé. 

Marcus  Nonius  Balbus.  —  Figure  ronde  et  insi- 
gnifiante, haut  de  la  mâchoire  saillant,  tempes 
plates.  La  draperie  énorme  est  rejetée  sur  l'épaule 
gauche,  un  bout  vient  passer  par-devant,  sous  la 
partie  de  la  draperie  qui  vient  du  côté  gauche,  la- 
quelle partie  arrive  sur  le  haut  du  ventre  en  forme 
de  ceinture  plissée.  Ce  même  mouvement  de  dra- 
perie se  retrouve  dans  la  statue  en  bronze  de 
Marcus  Calatorius,  moindre  qu'ici,  il  est  vrai; 
la  draperie  de  l'autre  est  portée  sur  l'épaule 
gauche  et  l'avant- bras  gauche,   autrement  tout 


2  20  NOTES  DE  VOYAGES. 

tomberait,  et  cet  amas  de  plis  transversal  ne  pour- 
rait tenir. 

Nerva,  buste.  —  Figure  souffrante  et  mélanco- 
lique, chauve,  front  ridé,  ayant  seulement  des 
cheveux  sur  les  côtés  de  la  tête,  l'entre -deux 
des  sourcils  creusé,  visage  complètement  rasé;  une 
grande  ride  part  d'au-dessus  de  chaque  narine  et 
entoure  la  bouche.  Cuirasse  à  draperie  boutonnée 
sur  fépaule  droite.  Sur  les  épaules  la  draperie 
tombe  en  plis  épais,  carrés,  longs,  et  séparés  les 
uns  des  autres,  terminés  par  des  franges;  ça  tombe 
jusqu'au  miheu  du  bras  à  peu  près,  ces  franges 
sont-elles  l'origine  de  la  graine  d'épinards?  Sur  le 
milieu  de  la  poitrine,  une  tête  ailée  de  singe. 

Caracalla,  buste.  — Très  beau  buste,  la  tête 
tournée  vivement  sur  l'épaule  gauche  (nez  res- 
tauré). Figure  petite,  carrée,  animée;  barbe  et 
cheveux  frisés;  le  travail  de  la  chevelure,  frisée  en 
petites  mèches  naturelles,  sans  prétention,  se  marie 
avec  celui  de  la  barbe  (peu  fournie).  La  nuque  est 
herculéenne,  se  continuant  droit  au  col.  Front  bas, 
charnu,  gras,  ridé;  sourcils  épais,  yeux  enfoncés, 
ensemble  brutal;  l'entre-deux  des  sourcils  très  gras. 
Le  regard  fixe  et  soupçonneux,  la  draperie  est 
attachée  sur  fépaule  droite. 

Sénèque,  buste.  —  Cheveux  plats,  en  mèches 
tombant  inégalement  sur  le  front,  visage  maigre  et 
ridé,  pommettes  saillantes,  nez  un  peu  de  corbeau, 
la  bouche  mi-ouverte.  Figure  chagrine,  ergoteuse, 
spirituelle,  inquiète. 

Philosophe,  tête  d'un  inconnu.  —  Est  la  tête  que 
l'on  donne  sur  les  pendules  de  médecin  comme 
étant  celle  d'Hippocrate,  ayant  sur  fépaule  trois 
pHs  épais  et  ronds,  en  forme  de  collet  d'habit  un 


ITALIE.  22 1 


peu.  La  tête  est  avancée  en  avant,  au  bout  du  col 
qui  est  long.  Figure  sans  barbe  de  vieillard  chauve. 

Euripide,  deux  bustes.  —  Fort  belle  tête,  la 
tempe  est  considérablement  déprimée,  le  front 
monte  ensuite  et  s'élargit,  l'arcade  sourcilière  sail- 
lante avec  une  bosse  à  l'angle  interne  de  chaque 
sourcil,  l'angle  externe  du  sourcil  saillant  à  cause 
du  retrait  des  tempes  ;  la  face  est  maigre  et  la  pom- 
mette fait  angle,  le  crâne  très  vaste  par  derrière. 
La  chevelure,  en  mèches  plates,  courtes  et  rares 
sur  le  front  et  plus  nombreuses  sur  les  côtés, 
contribue  à  l'élargissement  du  crâne.  Tête  médi- 
tative et  profondément  philosophique  plutôt  que 
lyrique. 

Celius  Caldus.  —  Très  beau  buste,  d'un  aspect 
sévère  et  élevé,  bouche  toute  napoléonienne, 
joue  maigre,  tempes  aplaties  et  partie  supérieure 
du  front  très  développée,  surtout  vers  les  coins;  la 
chevelure  est  rare  et  courte,  rejetée  en  arrière, 
faite  en  petites  mèches  plates;  le  nez,  fort  dès  la 
naissance,  est  un  peu  tordu  adroite;  dans  les  jeux, 
restes  de  peinture  bleue. 

Deux  bustes  d'hommes ,  casques  en  forme  de  casquettes 
de  jocbey.  —  Un  des  bustes  a  par-dessus  son  casque 
une  couronne  civique;  toute  la  mâchoire,  jusqu'au 
niveau  de  la  pommette,  est  protégée  par  une  men- 
tonnière, rattachée  sous  le  menton  par  deux  rubans 
entre-croisés,  se  boutonnant  à  gauche. 

Roi  Dace  prisonnier,  petite  statue  d'un  style  rus- 
tique. —  Il  est  debout,  la  jambe  droite  a  le  gras 
du  mollet  appuyé  sur  le  tibia  de  la  gauche,  le 
coude  droit  est  sur  la  main  gauche,  et  la  main 
fermée  sur  la  bouche.  Pantalon,  sandales,  tunique 
et  chiton,  bonnet  pointu  d'où  sort,  sur  le  front. 


22  2  NOTES   DE  VOYAGES. 

une  ligne  de  cheveux  bouclés  à  petites  boucles, 
trous  dans  la  chevelure.  Expression  triste  de  la 
physionomie. 

Petite  statue  de  Priape  (Herculanum).  —  Remar- 
quable par  l'expression  forte  de  la  figure,  debout 
et  nu,  appuyé  à  un  tronc  d'arbre,  la  tête  est 
baissée  sur  la  poitrine;  haut  des  bras  et  du  torse 
puissant.  La  barbe,  tourmentée  largement,  est  divi- 
sée en  quatre  pointes  qui  tombent  sur  la  poitrine 
et  les  épaules.  Figure  mouvementée  et  pleine  de 
fantaisie. 

Deux  Hermès  terminés  par  des  figures  rustiques.  — 
L'un  complètement  drapé,  la  forme  du  bras  droit 
est  seule  indiquée  dessous;  la  tête  herculéenne,  un 
peu  inclinée  à  droite  et  d'expression  triste. 

Hermès  représentant  un  histrion.  —  Tunique  et 
chiton,  une  ceinture  large,  visage  épaté,  barbe 
de  satyre ,  répandue  ;  coiffé  d'une  sorte  de  turban  en 
forme  de  cheminot.  A  la  main  droite  une  patère, 
tient  de  la  gauche  un  cylindre  creusé,  comme 
serait  un  fémur  évidé. 

Hermès  à  capuchon ,  indiqué  comme  un  Hercule. 
—  La  tête  sans  barbe  est  puissante,  surtout  de 
profil,  je  l'avais  d'abord  prise  pour  une  tête  de 
femme.  La  tête  est  entourée  d'un  capuchon  dont 
les  deux  côtés  s'avancent  en  oreilles,  sur  la  figure, 
à  la  hauteur  des  pommettes,  laissant  le  haut  de  la 
tête  découvert;  le  capuchon  est  terminé  et  noué 
sur  la  poitrine  par  deux  pattes  de  lion.  Bras  vigou- 
reux. Sur  les  flancs  une  peau  de  lion,  à  la  main 
droite  un  cylindre  creusé  (os?);  la  gauche  (res- 
taurée) tient  des  fruits  (pommes  d'or  du  jardin 
des  Hespérides). 

Petit  satyre  velu.  —  Le  genou  droit  en  terre,  ses 


ITALIE.  22 


bras,  à  demi  levés,  croisent  leurs  mains  qui  sont 
portées  vers  l'oreille  gauche.  Formes  dodues  du 
premier  âge,  surtout  dans  les  cuisses  et  dans  les 
pieds,  notamment  celui  de  gauche  dont  le  talon  est 
relevé  et  les  doigts  levés  en  l'air.  Tout  le  corps 
est  couvert  de  poil  très  frisé,  l'intérieur  de  chaque 
boucle  a  un  trou. 

Diane  Lucifer,  statue.  —  Mauvaise.  Marche  le 
pied  droit  en  avant,  tenant  un  flambeau  à  la  main. 
Son  voile  derrière  elle  fait  conque  et  l'enveloppe 
de  dos.  Le  pied  très  court  et  empâté,  surtout  sur 
le  cou-de-pied.  Cette  statue  n'a  pour  elle  que  le 
mouvement.  Plis  du  chiton  mouvementés,  mais 
raides  et  durs. 

Groupe  de  deux  hommes  occupés  à  écorcber  un  san- 
glier. —  Le  porc  tué  a  été  jeté  sur  la  marmite,  sa 
tête  pend  derrière.  Un  homme,  debout,  tête  carrée 
(trous  dans  la  chevelure  et  autour  des  parties  na- 
turelles), racle  avec  un  tranchet  les  poils  du  san- 
glier; un  second  personnage  sans  barbe,  la  main 
fauche  appuyée  sur  le  rebord  de  la  marmite,  se 
aisse  pour  souffler  le  feu  (joues  enflées  en  souf- 
flant) et  tient  dans  la  droite  un  morceau  de  bois 
qu'il  pousse  sous  la  marmite.  Tous  deux  sont  nus 
et  n'ont  autour  des  reins  qu'une  peau  d'animal 
pour  se  couvrir.  Petit  groupe  un  peu  lourd,  mais 
plein  de  vérité  et  d'amusement. 

Silène  ivre,  petite  statue.  —  C'est  un  personnage 
rustique,  appuyé  sur  une  outre  pleine  et  ouverte. 
La  tête  est  mclinée  sur  la  poitrine;  la  barbe,  en 
tire-bouchons,  avec  des  trous,  fait  de  loin  l'effet  de 
madrépores? 

Diane,  petite  statue  charmante.  Elle  marche  le 
pied  droit  très  en  arrière. Tuyautés,  plats  du  vête- 


2  24  NOTES  DE   VOYAGES. 

ment  de  dessus,  dont  la  bordure  est  encore  peinte 
en  rose  violet.  Une  petite  chevelure  ondée  (par 
derrière  nouée  en  catogan)  encadre  le  visage;  un 
diadème  avec  des  boutons  roses.  Deux  mèches 
naturelles  sur  chaque  épaule.  Le  baudrier,  partant 
de  l'épaule  droite,  lui  passe  sur  la  poitrine.  Phy- 
sionomie souriante,  pleine  de  charme. 


BAS-RELIEFS. 

Sous  la  porte,  deux  trirèmes  (Pompéi). —  Sur 
l'une,  25  rames;  sur  l'autre,  20.  Sur  la  trirème 
de  gauche  en  entrant,  il  j  a  à  l'avant  un  homme 
debout,  nu;  sur  la  trirème  de  droite  est  la  poupe, 
une  sorte  de  petite  cachette  ou  dunette.  Le  corps 
des  hommes  se  voit  Jusqu'au  coude,  le  bordage 
paraît  épais;  pour  gouvernail,  une  rame.  Dans 
celle  de  gauche  (partie  malheureusement  endom- 
magée), le  patron  a  l'air  de  la  manier  avec  des 
cordes;  dans  celle  de  droite,  il  j  a  des  tenons  de 
chaque  côté  du  gouvernail  en  haut,  comme  des 
bras  pour  manier  cette  rame  à  très  large  palette. 

Chasseur  en  re/30^  (Pompéi). —  Rappelle  le  guer- 
rier de  style  grec  primitif  qui  est  à  Athènes  dans 
le  temple  de  Thésée,  un  peu  moins  sec  cependant, 
moins  pur  comme  style.  Il  est  vu  de  profil  et  le 
corps  est  fait  de  trois  quarts  ;  de  même  on  voit  la 
rotule  de  la  jambe  droite,  et  le  pied  de  cette  même 
jambe  est  complètement  de  profil  (vu  par  le  côté 
extérieur  du  pied).  Le  mollet  de  la  jambe  gauche 
(de  même  que  les  deux  rotules)  est  très  indiqué, 
très  détaché  de  l'os,  la  clavicule  et  les  tendons  du 
col  saillants,  la  barbe  en  pointe.  La  tête  est  ce  qu'il 


ITALIE.  225 

jade  plus  caractéristique  comme  style.  II  s'appuie 
sur  un  long  bâton  posé  sous  son  aisselle  gauche, 
où  il  a  ramené  les  plis  de  son  vêtement  pour  faire 
coussinet  et  empêcher  le  bâton  de  le  blesser.  A  ses 
pieds,  son  chien  lève  vers  lui  sa  tête  dans  un  mou- 
vement, la  tête  est  à  l'envers;  les  pattes  du  chien 
étudiées,  ongles  très  saillants.  Au  poignet  gauche, 
un  poignard;  près  de  cette  main,  dans  le  mur, 
collée,  suspendue  (comment?),  une  petite  fiole 
ronde. 

Bas-relief  mitbriatique.  —  Lourd  et  vilain.  Gran- 
deur :  petite  nature.  Un  homme  en  bonnet  phry- 
gien, tunique,  chiton,  manteau  (envolé  au  vent 
par  derrière),  appuie  son  genou  gauche  sur  le  tau- 
reau (les  cornes  manquent)  que  le  serpent  mord 
à  l'épaule  gauche;  le  chien  saute  à  son  poitrail. 
Aux  deux  angles  supérieurs  du  tableau,  deux  têtes 
de  femmes  :  celle  de  droite  a  un  croissant  sur  le 
front,  celle  de  gauche  une  couronne  en  fer  de 
lance;  sous  celle-ci,  un  oiseau  (geai?).  Aux  deux 
angles  inférieurs,  deux  petits  bonshommes  qui 
tiennent  à  la  main  un  instrument  de  musique  (?). 
Exécution  détestable,  l'homme  à  droite  plus  petit 
que  le  chien,  quoique  celui-ci  soit  à  un  plan  plus 
reculé.  Inscription  dont  la  première  partie  est  sur 
la  bande  supérieure  du  cadre  et  la  seconde  sous 
celle  d'en  bas  :  omnipotenti  deo  mithr/E  appius 

CLAUDIUS   TYRRHENIUS   DEXTER  V.  G.  DEDICAT. 

Bas-relief  mitbriatique.  —  Mauvais.  Deux  Amours 
sacrifient  chacun  un  taureau  ;  au  milieu  du  tableau 
une  sorte  de  candélabre;  autel,  ayant  sur  chacune 
de  ses  faces  pour  ornement  un  hippocampe.  Le 
Génie  ailé,  un  Amour,  a  le  genou  gauche  appuyé 
sur  le  garrot  de  l'animal,  dont  la  jambe  est  pliée 


226  NOTES  DE  VOYAGES. 

SOUS  soi;  le  Génie  est  armé  d'un  glaive,  celui  de 
l'Amour  de  droite  cassé.  Intention  d'étude  dans  les 
fanons  des  taureaux,  très  en  relief,  aigus. 

Bas-relief  mitbriatique.  —  Le  taureau,  queue  re- 
troussée, en  colère,  se  cabre;  l'homme,  le  genou 
appuyé  sur  le  garrot,  est  complètement  monté 
sur  l'animal  et  le  tient  par  les  naseaux.  A  chaque 
angle  supérieur  du  cadre,  une  tête  de  femme; 
celle  de  gauche  est  coiffée  de  rayons,  sous  elle 
un  oiseau  sur  un  rocher;  la  femme  de  droite  a  un 
croissant  sur  la  tête.  A  chaque  angle  inférieur,  un 
homme  tenant  un  flambeau ,  renversé  chez  l'homme 
de  gauche,  élevé  chez  celui  de  droite.  Le  chien 
saute  au  poitrail  du  taureau ,  le  serpent  le  mord  à 
l'épaule. 

Deux  chameaux  sur  l'eau  (Pompéi).  —  Ce  sont 
des  chameaux  syriens;  feau  coule  de  la  bouche 
d'un  fleuve;  fun  des  chameaux  est  sur  un  radeau. 

Nègre  sur  un  char,  petit  bas-rehef.  —  Tête  nue, 
figure  camuse,  cheveux  courts  et  crépus,  il  se 
penche  vers  les  chevaux  et  a  fair  de  leur  tendre  la 
main;  un  homme  portant  un  glaive  au  côté,  à  pied 
devant  les  chevaux,  a  l'air  de  les  tirer  à  lui  comme 
pour  les  faire  partir;  les  chevaux  sont  écorés  sur 
les  jambes  de  devant,  et  reculent.  Sur  le  poitrail  du 
cheval  de  droite  (le  plus  en  vue),  pour  ornement 
une  très  large  figure  épatée. 

Sacrifice  (Œdipe  assis  et  voilé  avec  Antigone?), 
petit  bas-rehef. —  Debout,  une  femme,  de  chaque 
main,  tient  un  long  faisceau;  un  homme,  assis  et 
voilé,  tenant  un  faisceau;  devant  lui,  autre  homme 
(à  droite),  ceinture  par-dessus  le  chiton,  barbe, 
turban  (?),  verse  du  hquide  sur  le  feu;  à  gauche, 
un  arbre. 


ITALIE.  227 

Un  homme  et  une  femme  sur  le  même  cheval  (Ca- 
prée).  «  On  croit  que  c'est  Tibère  avec  une  de  ses 
maîtresses!!»  (Catalogue).  —  La  femme  est  de- 
vant l'homme  qui,  tout  nu,  porte  seulement  au 
cou  un  collier;  la  femme,  n'ayant  qu'un  drapeau 
au  bas  des  hanches,  tient  un  flambeau  qu'elle 
dirige  vers  un  arbre;  un  esclave  tâche  de  faire 
avancer  le  cheval,  qui  s'arrête  sur  la  jambe  droite; 
à  droite,  un  arbre;  de  l'autre  côté  de  l'arbre, 
debout,  sur  un  piédestal  enroulé  d'une  guirlande, 
un  enfant  nu,  portant  des  fruits.  Morceau  joh, 
quoique  la  sculpture  ne  soit  guère  bonne  et  d  un 
style  licencieux;  quoiqu'il  n'ait  rien  d'obscène,  il 
a  une  corruption  interne. 

Festin  d'Icarius.  —  Le  fond  représente  une  mai- 
son avec  des  fenêtres;  vue  par  l'angle,  on  la  voit 
dans  tout  son  côté  et  de  face,  les  toits  sont  en 
tuile;  plus  près  de  vous,  une  seconde  maison,  ou 
corps  de  logis  plus  bas  et,  dedans,  une  chambre 
ouverte,  tentures  aux  murs.  Sur  un  lit,  un  homme 
est  sur  son  séant  et  se  détourne;  couchée  sur  le 
même  ht  que  lui,  une  femme,  appuyée  sur 
le  coude  et  le  menton  reposant  sur  sa  main;  de- 
vant eux,  une  table  chargée;  aux  pieds  du  ht,  un 
candélabre.  L'homme  se  soulève  de  son  coussin 
et  fait  signe  d'entrer  à  un  personnage  nouveau 
venu,  auquel  un  petit  Faune  (queue  en  trompette) 
dénoue  sa  sandale.  Le  gros  et  grand  personnage, 
très  barbu,  a  l'air  endormi,  un  autre  Faune  le 
soutient,  le  bras  gauche  du  dieu  fait  toit  sur  sa 
tête.  En  dehors  de  la  porte,  quatre  autres  person- 
nages dans  un  couloir  :  un  jeune  homme,  cou- 
ronné, tout  nu,  et  portant  un  bâton  démesuré- 
ment long  (terminé  par  des  fleurs  et  des  épis  et 


221 


NOTES  DE  VOYAGES. 


orné  en  haut  d'une  banderole  nouée),  a  l'air  de 
vouloir  repousser  du  pied  un  gros  Silène  botté, 
dont  la  robe  retroussée  montre  exprès  le  phal- 
lus, et  qui  souffle,  ivre,  dans  une  double  flûte; 
derrière  lui,  un  jeune  homme  (très  joli),  sur  la 
pointe  des  pieds,  se  détourne  en  souriant  vers 
une  femme  (pose  suppliante?  tête  très  levée) 
qu'un  cinquième  personnage  (sans  tête)  tient  par 
la  taille. 

Deux  esclaves  en  marbre  phrygien.  —  Portant  des 
vases  carrés  sur  le  dos,  ils  fléchissent  sous  le  poids 
et  mettent  un  genou  en  terre;  les  pieds  et  les 
mains  noirs.  Le  marbre  imite  à  l'œil  la  bigarrure 
d'un  vêtement  étranger. 

Sarcophage  bas-relief  représentant  un  mariage,  — 
Treize  personnages  et  deux  petits.  L'action  semble 
divisée  en  trois  parties  distinctes  :  i"  En  partant 
de  l'angle  gauche,  cinq  hommes,  qui  sont  :  deux, 
un,  deux,  celui  du  milieu  plus  drapé  et  plus 
jeune  fait  centre,  il  tient  à  la  main  un  rouleau  et 
se  détourne  vers  l'homme  qui  est  à  sa  droite; 
2°  Trois  personnages,  deux  hommes  d'âge  sem- 
blable, celui  de  gauche  tient  un  rouleau;  entre 
eux  deux,  un  homme,  barbu,  parle  et  se  tourne 
vers  l'homme  de  droite;  3°  Trois  femmes  et  deux 
hommes;  la  première  pose  une  couronne  sur  la 
tête  d'une  jeune  fille  à  visage  mélancolique,  vis- 
à-vis  de  laquelle  un  jeune  homme  barbu,  qui  la 
regarde.  Entre  ces  deux  personnages,  une  ma- 
trone qui  se  tourne  vers  le  jeune  homme;  derrière 
celui-ci,  un  homme,  torse  nu,  amulette  au  cou, 
et  tenant  à  la  main  une  corne  d'abondance.  Que 
signifient  deux  petits  bonshommes  (tête  absente) 
qui  viennent  comme  hauteur  au  genou  des  autres  ? 


ITALIE.  229 

le  premier  (à  gauche)  est  placé  entre  le  qua- 
trième et  le  cinquième  personnage  de  gauche,  le 
deuxième  est  au  bas  de  la  femme  qui  pose  la  cou- 
ronne sur  la  tête  de  la  jeune  fille,  ils  sont  tous 
deux  debout  et  de  même  mouvement  que  les 
autres  personnages. 

Diane  d'Epbhe,  couronnée  de  murs  avec  trois 
portes.  —  Sur  le  disque  qui  est  debout  derrière 
sa  tête,  lions  ailés  de  chaque  côté  qui  sont  un, 
deux,  un;  une  grosse  guirlande  de  petites  roses 
fait  le  tour  de  la  poitrine  en  demi-couronne.  Sur 
la  poitrine,  constellations?  (les  Gémeaux  sont 
sculptés  en  large,  une  femme  (la  Vierge?),  le 
Scorpion ,  une  femme)  ;  au-dessous  de  la  guirlande, 
collier  de  glands  de  chênes.  Sur  chaque  bras,  trois 
lions  qui  tournent  la  gueule  vers  la  déesse. 

Elle  a  20  mamelles,  d'inégales  grandeurs;  la 
gaine  du  corps  divisée  en  trois  bandes,  celle  du  mi- 
lieu et  deux  latérales,  chaque  sujet  dans  son  petit 
cadre. 

Première  bande  en  descendant  :  i"  carré,  lions 
ailés  la  jambe  repliée  sous  eux;  2*  carré,  idem; 
3"  carré,  idem;  4*  carré,  trois  cerfs,  jambe  repliée; 
^^  carré,  deux  taureaux;  6"  carré,  abeille. 

Bandes  latérales  :  f  carré  en  descendant,  une 
femme  ailée  ;  le  torse  finit  en  haut  des  cuisses  dans 
une  espèce  de  conque  qu'elle  tient  elle-même  de 
ses  deux  mains;  2°  carré,  un  bouton,  rosace  et  un 
papillon  en  dessous;  3*  carré,  une  femme  comme 
la  précédente;  4'  carré,  griffon  à  tête  de  femme, 
vu  de  profil;  5^  carré,  abeille;  6^  carré,  rosace  ou 
rose  épanouie. 

Deuxième  file  à  gauche  :  i"  carré,  sphinx 
femelle  de  profil;  2"  carré,  femme  ailée,  le  corps 


NOTES  DE  VOYAGES. 


s'arrêtant  dans  une  conque  qu'elle  tient  à  la  main; 
3"  carré,  rosace;  4"  carré,  abeille;  5"  carré,  rosace; 
6*  carré,  est  vide. 

Les  deux  bandes  (chacune  en  deux  files)  laté- 
rales sont  semblables,  pieds,  mains  et  tête  de 
bronze,  le  reste  d'albâtre  oriental. 

Sortant  de  l'emmaillotement  qui  la  serre,  la 
draperie  tout  à  coup  s'évase  en  liberté  et  arrive 
jusque  sur  le  milieu  des  pieds,  qui  en  sortent,  jus- 
qu'au bas  du  cou-de-pied  environ. 

Cratère.  —  Mercure,  coiffé  du  pétase  et  sans 
ailes  aux  pieds,  apporte  un  enfant,  Bacchus,  à  la 
nymphe  Leucophoë,  qui  est  assise  et  tend  un 
lange  pour  recevoir  fenfant.  Derrière  Mercure, 
et  Te  suivant,  s'avance  sur  la  pointe  des  pieds 
(il  danse)  un  Bacchant  soufflant  dans  une  double 
flûte  et  portant  sur  fépaule  gauche  une  peau  de 
bête  féroce,  léopard  ou  tigre,  aux  ongles  aigus; 
derrière  lui,  une  femme  échevelée,  la  tête  ren- 
versée et  portant  le  menton  au  vent,  joue  d'un 
grand  tambourin;  derrière  efle,  un  Bacchant, 
peau  de  bête  féroce  sur  l'épaule  et  tenant  à  la 
main  un  long  thjrse  surmonté  d'une  pomme 
de  pin. 

Derrière  la  Nymphe  (Mercure  vient  du  côté 
gauche,  la  Nymphe  est  à  droite),  trois  person- 
nages, debout,  portant  également  un  long  bâton 
surmonté  d'une  pomme  de  pin,  sont  debout  dans 
une  attitude  cahue,  au  repos.  La  troisième  femme 
(en  partant  de  la  Nymphe)  a  le  torse  nu  et  appuie 
sa  main  droite  à  un  tronc  d'arbre  qui  la  sépare  de 
la  seconde.  A  la  chaussure,  le  second  personnage 
peut-être  un  homme?  il  me  semble  y  avoir  des 
sortes  de  bottes. 


ITALIE.  231 

Sur  le  cratère,  entre  Mercure  et  la  Nymphe, 
en  haut  se  lit  :  2aX7r«yi;  Aôvvaio?  siroitjo-e.  Ce  beau 
vase  a  longtemps  servi  sur  la  place  de  Gaète  à 
amarrer  les  barques  ;  la  corde  a  usé  tous  les  per- 
sonnages aux  cuisses,  il  fut  ensuite  transféré 
dans  la  cathédrale  de  cette  ville,  où  il  servit  de 
baptistère. 

Apollon  et  les  Muses,  bas-relief  composé  de  trois 
femmes  et  d'un  homme.  —  A  gauche,  une  femme 
debout,  ayant  un  long  vêtement  léger  qui  se  sé- 
pare au  haut  de  la  cuisse  gauche  et  fait  fente ,  tient 
dans  sa  main  des  cymbales  dont  elle  va  frapper; 
elle  se  détourne  tout  à  coup  vers  Apollon,  en  frô- 
lant sa  tète  sur  son  bras.  Apollon,  le  corps  porté 
vers  la  partie  droite,  du  côté  oia  est  la  femme, 
étend  sa  main  droite  (qui  passe  sur  le  col  de  la 
femme);  cette  main  porte  le  grattoir  de  sa  lyre, 
le  bas  de  son  poignet  s'appuie  sur  le  dessus  de  la 
main  de  la  femme;  de  la  gauche  il  tient  sa  lyre 
(énorme  montant  en  forme  de  cornes  de  bœuf) 
dont  il  jouait  tout  à  l'heure.  II  est  un  peu  appuyé 
le  dos  au  mur,  dans  une  pose  pleine  d'aban- 
don, il  est  nu,  son  vêtement  est  derrière  lui  et 
fait  draperie  contre  la  muraille;  ventre,  et  poi- 
trine fort  belle,  gracieuse  et  forte;  la  tête  est 
restaurée. 

Sur  un  lit  sont  deux  femmes,  la  première  a  la 
jambe  droite  repliée  sous  elle,  le  genou  est  très 
étudié;  elle  est  nue,  sa  draperie  s'est  dérangée 
dans  le  mouvement  qu'elle  fait  pour  aller  toucher 
le  bas  de  la  lyre  d'Apollon,  qui  est  occupé  avec 
l'autre  femme  et  complètement  tourné  vers  elle; 
cependant  elle  détourne  un  peu  la  tête  pour 
écouter  une  troisième  femme  qui,  à  genoux  sur  le 


232 


NOTES  DE  VOYAGES. 


Ht  et  tenant  une  Ijre  de  la  main  gauche  (Ijre  sem- 
blable), vient  de  se  lever  tout  à  coup  (d'après  les 
plis  amassés  et  qui  viennent  de  tomber  sur  le  mi- 
lieu de  ses  cuisses)  dans  un  mouvement  rapide  et 
s'avance  vers  elle. 

Charmant  morceau,  bas- relief  complètement 
sorti;  la  sculpture  est  peut-être  un  peu  longue, 
mais  cela  contribue  à  l'élégance.  Les  seins  des 
femmes  fort  écartés,  les  côtes  se  voient  sous  la 
chair,  admirable  ventre  de  la  femme  qui  tend  le 
bras  (la  seconde). 


POMPEI. 


AMPHITHEATRE. 


Deux  entrées,  une  du  côté  du  Vésuve,  une 
autre  du  côté  de  Castellamare.  Pour  arriver  sur 
l'arène,  il  faut  par  toutes  les  deux  descendre;  l'en- 
trée tournée  du  côté  du  Vésuve  avait  une  rampe, 
ce  qui  se  reconnaît  à  des  trous  placés  dans  le  dal- 
lage et  destinés  à  tenir  les  bâtons  qui  supportaient 
la  rampe;  l'autre  entrée  n'arrive  pas  droit  sur 
l'arène,  elle  fait  un  angle.  En  entrant  par  le  côté 
du  Vésuve,  il  y  a  plus  de  gradins  conservés  à 
gauche  qu'adroite,  c'est  la  partie  qui  est  du  côté 
de  Castellamare  qui  a  moins  souffert;  ses  construc- 
tions supérieures  existent  encore. 

Les  gradins,  à  partir  du  haut,  sont  au  nombre 
de  i8,  puis  un  petit  couloir  de  circulation  pour 
les  gens  qui  avaient  à  se  placer  sur  ces  gradins;  le 


ITALIE.  233 

couloir  est  fermé  par  un  mur  au-dessous  duquel 
sont  12  gradins.  En  bas  de  ces  gradins,  un  couloir 
fermé  par  un  mur  au  delà  duquel  sont,  au  milieu 
seulement,  4  gradins  très  larges.  Vers  les  deux  en- 
trées, de  chaque  côté,  ce  ne  sont  plus  4  gradins, 
mais  5;  l'escalier  qui  amenait  les  spectateurs  de 
ces  quatre  et  de  ces  cinq  gradins,  pénétrait  d'en 
dessous  et  se  dégorgeait  en  dedans,  de  manière 
qu'il  n'y  ait  aucune  confusion ,  c'étaient  les  entrées 
à  part. 

Sur  le  côté  gauche  en  regardant  le  Vésuve 
existe  une  petite  porte,  c  était  par  la  que  1  on  tai- 
sait entrer  les  bêtes  féroces  dans  la  cavea;  l'entrée 
donnant  sur  Castellamare  était  celle  des  gladia- 
teurs (?)  (à  ce  que  nous  dit  le  cicérone),  on  les 
emmenait  par  I  entrée  d'en  face,  celle  qui  a  la 
rampe.  II  est  à  remarquer  que  les  gradins  sont 
entaillés  pour  les  pieds,  afin  que  les  spectateurs 
du  rang  supérieur  ne  gênassent  point  ceux  qui 
étaient  assis  en  dessous. 

La  partie  supérieure  de  l'amphithéâtre  est  un 
mur  circulaire,  creusé  de  portes  voûtées;  au- 
dessus  de  ce  mur  en  retrait,  piliers  de  briques 
et  de  pierres,  ruines  d'un  ordre  supérieur;  ce 
deuxième  ordre  n'existe  que  du  côté  de  Castella- 
mare. Ces  portes  ici  ouvrent  sur  la  campagne,  qui 
se  trouve  de  plain-pied  par  derrière,  le  mur  est 
plein  pour  pouvoir  soutenir  le  second  ordre. 


PETIT  THEATRE. 

Sur  la  scène,  large  de  quatre  pas,  trois  portes, 
une  de  chaque  côté  et  une  plus  grande  au  milieu; 


234  NOTES  DE  VOYAGES. 

de  plus,  à  chaque  bout,  deux  petites,  bouchées 
du  côté  de  la  scène,  mais  qui  se  voient  encore 
très  bien  du  coté  du  postscénium.  Le  postscénium 
a  cinq  grands  pas  et  est  donc  plus  large  que  le 
scénium.  Il  y  a  sur  le  scénium  deux  grandes 
portes  latérales,  de  même  hauteur  que  la  porte 
du  milieu  du  fond. 

Le  public  entrait  par  deux  grandes  portes  laté- 
rales, voûtées,  au-dessus  desquelles  est  une  tri- 
bune (c'est  là  le  podium),  une  pour  le  préteur, 
une  pour  les  vestales.  Cette  tribune  est  ainsi  com- 
posée :  d'abord  une  plate-forme,  large  de  trois 
pas,  puis  des  gradins  allant  en  montant  Jusqu'au 
mur. 

A  quoi  servait  l'espèce  défasse,  entouré  d'un  double 
mur  et  large  de  deux  pieds  et  demi  environ,  qui  est  à 
l'avant  de  la  scène  ?  était-ce  pour  rouler  les  toiles  ou 
pour  mettre  les  musiciens?  Qu'y  avait-il  dans  la 
cavea  même? 

Les  quatre  derniers  gradins  d'en  bas  sont  plus 
larges  et  séparés  des  supérieurs  par  un  mur;  au 
delà  de  ce  petit  mur,  gradins  et  escaliers  pour  le 
public,  il  y  a  six  escaliers.  Au  bas  de  chaque  esca- 
lier des  côtés,  celui  qui  longe  le  mur  extérieur  au 
Podium  est  une  cariatide  d'homme  (terminant 
escalier)  qui  supporte  une  tablette  sur  laquelle 
sans  doute  était  une  statue. 

Devant  cette  cariatide  est  l'entrée  du  couloir 
qui  circule  derrière  le  mur  séparant  les  quatre 
grands  gradins;  ce  mur  est  terminé  à  ses  bouts  par 
un  sphinx  correspondant  aux  cariatides. 

On  arrivait  de  suite  aux  gradins  supérieurs  du 
théâtre  par  un  escalier  extérieur  compris  entre 
deux  murs. 


^ 


ITALIE.  235 


GRAND  THEATRE. 


Le  postscénium  est  plus  étroit  et  la  scène  plus 
large,  elle  s'ouvrait  également  sur  le  postscénium 
par  trois  portes;  ainsi  il  y  avait  une  porte  plus 
grande  au  milieu,  flanquée  en  avant  de  deux  pi- 
ners,  ou  plutôt  piédestaux  qui  devaient  supporter 
des  statues. 

Ce  mur,  se  courbant,  s'avançait  et  son  avancée 
semble  destinée  à  supporter  quelque  chose,  sans 
préjudice  des  statues  placées  derrière,  dans  des 
niches;  il  y  avait  encore  un  retrait  du  mur,  puis 
une  avancée  et  une  porte,  après  quoi  une  avancée 
et  une  retraite;  enfin,  sur  les  deux  cotés  de  la 
scène,  une  porte  latérale. 

Dans  le  fossé  entouré  d'un  double  mur  qui  est 
sur  l'avant  de  la  scène,  il  y  a  dans  le  sol  des  trous 
carrés,  assez  profonds;  le  long  du  mur  qui  regarde 
le  scénium,  entaillement  carré  longitudinal  des- 
tiné (?)  à  recevoir  des  piliers  carrés  qui  y  au- 
raient été  adossés;  le  peu  de  largeur  de  cet  entail- 
lement ne  permet  pas  de  supposer  que  c'était 
la  place  destinée  aux  musiciens  (?).  Quant  au 
côté  extérieur  de  ce  même  mur,  celui  qui  fait 
face  aux  spectateurs,  voici  ce  qu'il  présente  (en 
le  regardant  le  dos  tourné  au  public)  :  au  mi- 
lieu, une  demi -rotonde,  puis,  de  chaque  côté, 
une  petite  niche  carrée,  un  escalier  de  quatre 
marches  (montant  sur  la  scène?  alors  on  passait 
sur  le  fossé,  entre  deux  murs  qui  auraient  été 
recouverts?),  le  mur,  un  pilier  en  briques,  le 
mur. 


z^6 


NOTES  DE  VOYAGES. 


TEMPLE  D'ISIS. 


Enceinte  carrée,  entourée  de  colonnes  de 
briques  recouvertes  de  stuc,  colonnes  cannelées 
et  plus  larges  à  partir  du  milieu;  le  bas  est  en 
rouge,  le  haut  est  en  jaune.  A  l'entrée,  deux 
piliers  carrés,  peints  en  rouge. 

A  gauche,  se  voit  une  petite  construction 
carrée,  enduite  de  stuc,  couverte  d'arabesques, 
rinceaux  et  sujets  dans  les  grands  panneaux. 

Sur  la  face  de  l'entrée  :  un  Génie  ailé  portant 
une  boîte,  homme  et  femme  en  vol,  la  femme  vue 
de  dos,  l'homme  vu  de  face,  ayant  des  ailes  aux 
pieds  et  entraînant  la  femme  qui  pose  sa  main 
droite  sur  son  épaule;  un  Génie  ailé. 

Des  deux  côtés  de  la  porte  :  femme  drapée  ré- 
gulièrement, debout,  cuisses  et  jambes  rappro- 
chées et  la  draperie  les  entourant  régulièrement, 
à  plis  obhques  et  larges;  côté  qui  regarde  le 
temple  :  Génies  ailés  mutilés;  la  quatrième  face 
n'offre  rien ,  elle  a  été  complètement  restaurée. 

A  l'entrée  de  ce  petit  monument  carré,  à  droite 
de  sa  porte  (en  la  regardant),  un  large  autel 
carré;  de  l'autre  côté,  en  face,  faisant  vis-à-vis, 
une  fontaine  contenant  à  présent  de  l'eau  du 
Sarno. 

Le  temple  est  sur  une  plate-forme  de  quelque 
4  pieds,  carré.  De  chaque  côté,  un  pilier;  on 
monte  par  un  petit  escalier  de  huit  marches  et 
l'on  est  sur  la  plate-forme,  flanquée  de  chaque 
côté  d'une  niche  ronde  surmontée  d'un  tympan 
pyramidal.  Sur  cette  plate-forme  ou  petit  por- 


ITALIE.  237 

tique,  deux  colonnes  de  chaque  côté  de  l'escalier, 
puis,  sur  les  côtés  (de  la  plate-forme),  une  ronde 
unie  à  gauche,  une  cannelée  à  droite. 

En  face  est  la  porte  du  sanctuaire,  escortée  des 
deux  niches  ci-dessus.  Le  sanctuaire  est  divisé  en 
deux  parties,  c'est-à-dire  que  s'élève,  dans  toute 
la  largeur  de  la  pièce,  une  construction  en  briques 
à  hauteur  d'homme  à  peu  près,  telle  qu'un  long  et 
haut  fourneau  de  cuisine;  le  dessous  de  cette  con- 
struction est  voûté,  c'est-à-dire  qu'elle  repose  sur 
une  petite  voûte  dans  laquelle  on  pénètre  par 
deux  petites  portes,  hautes  de  deux  pieds  et  demi 
environ.  Sur  le  dessus  de  cette  construction,  au 
milieu,  une  borne  carrée  (piédestal?  socle  d'au- 
tel?). 

Sur  les  murs  latéraux  du  sanctuaire,  à  mi-hau- 
teur, il  reste  des  avancées  de  pierre  (modillons 
sculptés,  qui  devaient  supporter  les  poutres  du 
plancher  du  second  étage?  ou  des  statuettes?  s'il 
n'y  avait  pas  de  second  étage). 

Les  niches  des  deux  côtés  citées  plus  haut 
reposent  sur  une  base  très  large  qui  ressort  du 
plan  extérieur  de  la  plate-forme  du  temple,  et 
extérieurement  fait  saillie  sur  cette  ligne.  —  En 
dehors  du  mur  du  fond  du  sanctuaire  est  une 
petite  niche,  avec  un  tympan  et  décorée  de  rin- 
ceaux. 

Tout  autour  du  carré  qu'enferme  la  colonnade 
quadrilatérale,  et  en  dedans  d'elle,  court  une 
rigole  pour  fécoulement  des  eaux.  Parmi  les 
colonnes,  sur  leur  ligne,  entre  elles,  se  voient  des 
espèces  de  larges  piliers  en  briques,  à  hauteur 
de  la  poitrine  à  peu  près,  avec,  sur  le  dessus,  une 
gorgerette  de  dégagement;  il  y  en  a  deux  sur  la 


238  NOTES  DE  VOYAGES. 

ligne  de  colonnes  qui  regarde  le  mur  de  fond  du 
sanctuaire,  et  un  sur  chaque  côté. 


MAISON  DU  BOULANGER. 


'^Sl 


Le  four  est  exactement  comme  les  nôtres  :  une 
cheminée,  une  voûte  au  fond  de  laquelle  on  en- 
fournait par  une  ouverture  carrée,  et  en  dessous, 
au  niveau  du  sol,  une  seconde  voûte.  Des  deux 
côtés  du  four  (de  cette  seconde  voûte)  sont,  dans 
le  sol,  deux  petites  cuvettes  ou  vasques  en  ma- 
çonnerie. Les  cônes  des  meules  sont  tous  creusés 
par  le  haut;  pourquoi? 


BAINS. 

Se  composent  de  quatre  pièces.  On  entre,  par 
un  corridor  voûté,  dans  la  première  pièce,  qui 
est  un  carré  long,  sorte  de  galerie  voûtée,  avec 
un  banc  tout  autour  de  la  muraille.  Au  bout  de 
cette  pièce  s'ouvre,  par  une  porte,  le  frigidarium , 
rotonde  voûtée  coniquement,  ne  recevant  de  jour 
que  par  en  haut;  une  vasque  ronde,  en  marbre, 
occupe  toute  cette  pièce.  Autour  du  mur,  quatre 
niches  rondes  pratiquées  dans  le  mur.  Sur  le  hn- 
teau  circulaire,  au  pied  de  la  voûte  qui  court  en 
dessus  des  niches,  sont  représentés  en  bas-rehefs 
des  courses  de  chars  (joh  mouvement)  et  des 
hommes  à  cheval. 

Au  fond,  en  face  la  porte,  au  miheu  du  mur, 
un  bec,  en  bronze,  carré  et  à  ouverture  étroite,  de 
façon  à  laisser  échapper  l'eau  en  nappe. 


ITALIE.  239 

On  descendait  au  fond  de  la  vasque  par  deux 
marches  assez  élevées,  ce  qui  permettait  de  s'as- 
seoir. 

La  troisième  pièce,  parallèle  à  la  première  et 
s'ouvrant  sur  le  flanc  droit  de  celle-ci,  est  toute 
entourée  de  niches,  séparées  les  unes  des  autres 
par  des  petites  cariatides  d'hommes  nus,  à  visages 
rustiques  et  barbus,  et  qui  ont  des  caleçons  à 
petits  losanges  descendant  comme  des  lames  trian- 
gulaires l'un  sur  l'autre;  d'autres  de  ces  bons- 
hommes ont  simplement  un  caleçon  d'étoffe  (ou 
de  peaux?).  Ces  cariatides  supportent  un  large 
plateau.  Parmi  les  bas -reliefs  en  stuc  de  cette 
pièce,  Ganjmède  enlevé  par  l'aigle. 

La  quatrième  pièce,  s'ouvrant  sur  la  droite  de 
la  précédente,  avait  tout  son  sol  chauffe  d'en  des- 
sous par  des  fourneaux;  le  sol  est  supporté  par 
de  petits  piliers  en  briques.  A  droite  quand  on 
entre,  il  j  a  une  vasque  de  marbre,  carrée, 
en  façon  de  grande  baignoire;  au  fond  de  cette 
pièce,  dans  la  demi-rotonde  qui  la  termine,  une 
vasque  supportée  sur  un  cône  de  pierre;  du  milieu 
de  cette  vasque  s'élevait  un  jet  d'eau. 

Cette  pièce  a  trois  ouvertures  à  sa  voûte,  deux 
de  chaque  côté  et  une  au  milieu;  de  plus,  un  œil- 
de-bœuf  à  sa  demi-rotonde,  et,  en  dessous  de  cet 
œil-de-bœuf,  au-dessus  de  la  vasque  à  jet  d'eau, 
sort  de  la  muraille  une  sorte  de  carré  en  maçon- 
nerie avec  un  trou  au  milieu,  ce  qui  se  retrouve 
dans  la  première  et  dans  la  troisième  pièce, 
quoique,  dans  la  première,  le  fond  semble  bou- 
ché. Etaient-ce  des  bouches  de  dégorgement  pour 
la  chaleur,  ou  des  niches  à  lanternes?  Ces  carrés 
sortants  sont  très  mal  faits,  et  semblent  (comme 


240 


NOTES  DE  VOYAGES. 


travail)  ajoutés  là  après  coup.  La  première  et  la 
troisième  pièce  ont  au  fond  une  fenêtre  carrée. 


MAISON  DU  JUGE. 


On  entre  par  un  petit  corridor  donnant  sur  la 
rue.  Sur  le  mur  de  droite  de  ce  corridor,  une 
femme  jouant  de  la  double  flûte;  dans  la  cour, 
à  droite  en  entrant,  un  petit  autel. 

A  côté  du  corridor,  ou  mieux  allée  d'entrée,  et 
dans  le  même  sens,  une  petite  pièce,  carré  long, 
logement  du  portier.  La  cour  a,  sur  chaque  côté, 
deux  chambres;  c'est  dans  la  chambre  de  gauche 
qu'est  représenté  sur  le  mur  de  fond  un  Faune 
avec  un  prodigieux  phallus  rouge  (inchné  de  côté 
pour  qu'on  puisse  mieux  le  voir),  caressant  une 
femme  qu'il  étreint;  la  femme  est  couchée,  lui 
debout. 

Au  fond  de  la  cour  (Impluvium) ,  espace  mo- 
saïque carré;  au  delà  est  le  jardinet.  A  côté  de  la 
salle  mosaïquée,  à  droite,  grande  pièce  avec  grandes 
peintures.  Sur  le  mur  de  fond,  un  Triomphe  de 
Bacchus  ou  d'Hercule  :  tête  d'homme  sur  laquelle 
le  héros  passe  le  bras,  il  a  sa  tête  prise  sous  l'ais- 
selle; une  femme  à  droite,  coiffée  d'une  peau  de 
lion,  tient  la  massue;  un  enfant,  sur  les  épaules 
du  dieu,  lui  souffle  le  son  dans  l'oreille  avec  une 
double  flûte. 

Par  un  escalier,  sur  la  gauche  de  la  salle  à  sol 
de  mosaïque,  on  monte  dans  le  jardin  et  dans 
les  nombreux  autres  appartements  qui  lui  sont  de 
plain-pied;  sur  le  mur  de  droite  de  cet  escalier, 
il  y  a  peint  un  gros  masque  de  femme  et  un  paon. 


ITALIE.  241 

Au  milieu  du  jardinet  est  un  petit  bassin  de 
marbre,  tout  autour  du  bassin  sont  disposés  des 
animaux  qui  le  regardent  :  un  canard,  une  vache, 
des  petits  chiens;  plus  loin,  un  lapin  qui  mange 
une  grappe  de  raisin.  Petit  groupe  d'un  enfant  reti- 
rant un  caillou  de  dedans  le  sabot  d'un  Faune. 
Le  jardin  est  décoré  à  ses  angles  d'hermès  double  : 
une  tête  de  Bacchus  indien  et  une  tête  de  femme 
(ou  de  Bacchus  adolescent,  quoique  cependant 
les  traits  du  visage  me  semblent  bien  être  ceux 
d'une  femme).  Au  fond  du  jardin,  une  petite  grotte 
factice,  en  mosaïque  bleue  avec  des  lignes  de 
coquilles  naturelles;  au  fond  de  ce  berceau  à  voûte, 
un  Silène  appuyé  sur  une  outre  (sur  un  tronc 
d'arbre),  d'oia  sortait  l'eau,  qui  cascadait  sur  un 
escalier  à  marches  placé  au  bas  du  berceau  et  allait 
s'amasser  dans  le  bassin.  II  est  imposible  de  voir 
quelque  chose  de  plus  profondément  rococo,  le 
propriétaire  de  ce  logis  était  en  même  temps  un 
libertin.  Quel  bourgeois!! 


PŒSTUM. 

II  j  a  trois  temples  à  Pœstum  :  celui  de  Nep- 
tune ,  le  plus  beau ,  est  au  milieu  ;  celui  de  Cérès  est 
le  premier  en  arrivant,  et  la  basilique  est  le  der- 
nier; tous  trois  sont  à  droite  de  la  route  quand  on 
arrive  de  Salerne. 

TEMPLE  DE  NEPTUNE. 

Dorique  lourd,  en  pierre  poreuse,  de  couleur 

16 


24^  NOTES  DE  VOYAGES. 

roussâtre;    mais   quelle   différence   avec  le   Par- 
thénon ! 

Le  tympan  est  bas,  l'entablement  fort  épais  et 
dépassé  par  le  dé  du  chapiteau,  trigljphes  avec 
guttae  ainsi  que  sur  les  tablettes  du  larmier;  il  j  a 
dix  métopes. 

En  comptant  les  2  colonnes  d'angle,  6  colonnes 
sur  les  faces,  14  sur  les  côtés. 

De  chaque  coté  du  naos,  encore  très  visible  à 
cause  du  surhaussement  du  terrain  sur  lequel 
il  était,  il  j  a  un  pilier  carré,  sans  chapiteau,  et 
finissant  seulement  avec  une  incurvation  légère 
comme  quelques  pihers  d'Egypte.  Entre  ces  deux 
piliers,  deux  colonnes  de  même  style  que  les 
autres. 

Les  colonnes  intérieures  de  la  cella  existent 
encore,  il  y  en  a  7  de  chaque  côté;  un  second 
ordre  est  encore  debout  sur  elles,  composé  de 
3  colonnes  d'un  côté  et  de  7  de  l'autre. 

Le  bourrelet  du  chapiteau  a  en  dessous  trois 
raies  circulaires;  au-dessous  de  ces  trois  raies, 
quatre  pouces  plus  bas  environ ,  juste  au  haut  du 
fût  de  la  colonne,  il  y  en  a  trois  autres,  mais  bri- 
sées et  faites  dans  le  sens  des  cannelures  de  la 
colonne,  c'est-à-dire  arrêtées  par  l'arête  montante 
de  la  cannelure.  Ensemble  lourd,  mais  puissant  et 
solide. 

BASILIQUE. 


Dimension  énorme  du  dé  du  chapiteau,  qui 
dépasse  de  beaucoup  fentablement;  l'amincisse- 
ment des  colonnes  par  le  haut  contribue  encore  à 
rendre  cet  effet  plus  frappant. 


ITALIE.  243 

18  colonnes  sur  les  côtés,  9  sur  les  faces,  en 
comptant  les  2  colonnes  d'angle. 

Au  milieu  du  naos,  ou  plutôt  du  bâtiment 
même,  il  reste  une  colonnade  de  trois  colonnes, 
avec  leur  architrave,  et  deux  chapiteaux  par  terre. 
Le  chapiteau  a  de  largeur  ma  brasse  (le  chapiteau 
pris,  bien  entendu,  de  son  sens  le  plus  étendu,  à 
savoir  dans  le  sens  du  dé).  Le  bourrelet  de  ces 
chapiteaux  semble  très  lourd;  les  colonnes  sont 
presque  bombées  au  milieu,  car  elles  sont  plus 
étroites  à  la  base,  c'est  d'un  effet  désagréable. 

L'intérieur  s'ouvrait  par  cinq  colonnes,  dont 
deux  piliers  carrés  à  chapiteau  carré. 

Sur  fentablement,  intérieurement,  il  j  a  encore 
quantité  de  trous  carrés  pour  les  poutres  de  la 
toiture,  qui  allaient  sans  doute  s'appujer  sur  la  co- 
lonnade du  miheu;  ces  trous  sont  placés  sur  la 
ligne  de  jonction  des  pierres,  ligne  qui  correspon- 
dait juste  au  milieu  du  dé  du  chapiteau. 

La  couleur  générale  de  la  basilique  est  grise. 


TEMPLE  DE  GERES. 

Les  chapiteaux  me  semblent  un  peu  moins 
lourds  que  dans  la  basilique.  Cella  plus  haute;  sur 
le  côté  gauche  de  la  ceila,  trois  tombeaux  chré- 
tiens; toit  conique.  13  colonnes  sur  les  côtés,  6  sur 
les  faces. 


16. 


244  NOTES  DE  VOYAGES. 


ROME  (1). 

Avril  1851. 


MUSEE  DU  COLLEGE  ROMAIN  DES  JESUITES. 


I 


Petite  collection  de  bronzes  et  d'ustensiles  an- 
tiques très  curieuse,  provenant  des  fouilles  opérées 
dans  les  domaines  des  Jésuites.  Au  milieu  de  la 
salle,  quelques-unes  des  plus  vieilles  monnaies 
romaines  et  un  très  beau  vase  en  bronze,  en  forme 
de  seau,  sur  lequel  est  représentée  au  trait  l'his- 
toire des  Argonautes  (?).  Le  sujet  ne  m'en  paraît 
pas  clair  :  un  satyre,  un  fleuve  ou  une  fontaine 
coulant  de  la  bouche  d'un  hon,  un  vieillard  atta- 
ché à  un  arbre.  Le  couvercle,  plus  beau  encore 
comme  dessin,  représente  une  chasse  au  sanglier, 
au  cerf. 

Petite  statuette  d'Atys.  —  Haute  de  deux  pouces 
à  peine,  même  costume  que  l'Atys  du  Musée  Chia- 
ramonti  au  Vatican;  sa  chemise  est  ouverte  des 
deux  côtés  sur  le  ventre,  qu'elle  laisse  voir  et 
qu'elle  encadre  circulairement;  bonnet  phrygien 
et  pantalons. 

Un  petit  bœuf  de  Sennabar  avec  une  bosse  au 
garrot. 

Torse  d'un  petit  squelette,  les  cotes  et  la  poitrine 
très  bien  évidés  et  creusés. 

Amulettes.  —  Des  jettatura,  comme  les  mains 

Voir  Correspondance,  II,  p.  56. 


ITALIE.  245 

modernes  de  Naples;  deux  têtes  de  bœufs  ou  de 
béliers  à  un  seul  corps,  une  tête  à  chaque  extré- 
mité du  cylindre  figurant  le  corps,  au  milieu  un 
anneau,  comme  pour  passer  fobjet  à  une  corde. 
Quelques-unes  des  têtes  de  bœufs  ont  des  cornes 
prodigieuses  par  rapport  au  reste.  On  en  voit 
aussi  de  chevaux. 

Bracelets  en  fer,  cercles  roulés  en  spirales. 

Grandes  plaques  ou  bandes  d'airain  surmontées  d'une 
tête,  sortes  d'bermes.  —  Des  mains  sortent  toujours, 
à  hauteurs  inégales;  d'autres  fois  la  main  sailht  de 
la  plaque  même,  et  non  du  bord,  elle  est  alors  en 
rehef  dessus  au  lieu  d'être  sur  le  bord. 

A  remarquer  une,  où  les  jambes,  monstrueu- 
sement longues,  sont  indiquées;  la  main  droite  se 
trouve  à  la  hauteur  de  la  hanche  et  le  coude  est 
très  en  arrière;  la  main  gauche,  sortie  du  bord 
de  la  lame,  tient  un  serpent. 

A  côté,  deux  statuettes  qui  sont  entre  ce  style  et 
^étrusque  le  plus  fruste.  —  Toutes  deux  ont  un 
casque  à  ailes  et  à  crête  :  le  premier  a  une  crête 
énorme  sur  son  casque,  il  est  serré  dans  un  pour- 
point étroit  ou  cuirasse  du  bord  duquel  dépasse 
en  dessous,  comme  une  cotte  de  mailles,  une 
chemisette,  ce  peut  être  un  Mars  (?);  la  seconde, 
une  Minerve,  marche  et  a  les  jambes  très  écartées 
et  couvertes  jusqu'en  bas  d'une  chemise  tirée  et 
tendue  par  le  mouvement  des  jambes.  Ces  deux 
statuettes  n'ont  pas  d'épaisseur,  on  dirait  qu'elles 
ont  été  aplaties,  laminées;  de  quelque  point  qu'on 
les  regarde,  elles  ne  semblent  jamais  qu'un  profil. 

Un  soldat  portant  un  chariot  dans  son  dos,  de  la 
manière  dont  les  Arabes  portent  le  chibouk,  si  ce 
n'est  qu'ici  c'est  sur   le  vêtement  et  non  entre 


2^6  NOTES   DE  VOYAGES. 

le  vêtement  et  la  peau.  Le  timon  s'engrène  dans 
deux  crampons  fixés  au  dos  du  bonhomme,  ça  se 
retire  à  volonté.  La  statuette  a  environ  lo  pouces 
de  hauteur  et  le  char,  en  l'air,  dépasse  bien  la 
tête  de  4  bons  pouces.  II  porte  sur  la  tête  une 
sorte  de  bonnet  ne  recouvrant  pas  les  oreilles, 
coiffure  molle,  ayant  en  avant  deux  pointes  levées 
qui  se  recourbent  et  avancent;  au  bout  de  ses 
bras  tendus  (les  coudes  sont  appuyés  sur  la  poi- 
trine) il  présente  un  très  grand  bouclier  rond, 
ayant  à  son  centre  une  pointe  (umbo).  La  sculp- 
ture qui  a  son  point  de  départ  dans  les  premières 
lames  semble  arrivée  ici  à  la  perfection  de  ce  style, 
ça  en  sort  presque,  mais  ça  le  rappelle?  le  Mars 
ci-dessus  en  serait  la  transition  ? 


SAINTE-AGNES-HORS-LES-MURS. 

On  arrive  dans  l'église,  après  avoir  traversé  une 
cour  pleine  de  rosiers,  par  un  escalier  d'une  cin- 
quantaine de  marches  espacées  de  cinq  en  cinq 
par  de  grands  paliers;  les  murs  sont  couverts  de 
place  en  place  d'inscriptions  rapportées.  Au  bas 
de  l'escalier  on  fait  un  coude  et  l'on  entre  à  droite 
dans  l'église. 

Elle  est  divisée  en  trois  nefs  et  a  deux  ordres. 
A  remarquer  une  cannelure  particulière  :  un  bour- 
relet au  milieu,  puis  une  moulure  droite  de  chaque 
coté  du  bourrelet,  ensuite  deux  bourrelets,  deux 
lignes  carrées,  et  enfin  la  gouttière  ou  creux  même 
de  la  cannelure. 

Mosaïque  de  l'abside.  —  Sainte  Agnès  au  milieu , 
debout,  nimbe,  large  étole  d'or,  robe  d'un  violet 


ITALIE.  247 

chocolat;  elle  a  de  chaque  côté  un  homme  ton- 
suré, tunique  de  même  couleur  que  la  sienne; 
celui  de  droite  (qui  est  à  sa  gauche)  tient  un  livre, 
celui  de  gauche  une  petite  maison  à  deux  étages 
(le  second  moins  large)  et  dont  l'entrée  a  des 
rideaux  blancs  disposés  comme  ceux  de  l'alcove 
d'un  ht,  c'est-à-dire  en  châle  croisé;  il  porte,  ou 
mieux  il  offre  cette  maison  sur  ses  avant-bras. 


SAINTE-PRAXEDE. 

Mosaïque  de  l'abside.  —  Jésus-Christ  au  milieu, 
robe  jaune  d'or,  à  bandes  rouges,  tenant  un  rou- 
leau à  sa  main  gauche,  lève  son  bras  droit;  à  sa 
gauche,  un  homme  en  blanc.  Femme  portant  une 
double  couronne,  assez  semblable  de  forme  à 
un  miroir  turc  qui  serait  creusé;  ses  yeux  sont 
tout  ronds,  grands  ouverts  et  regardent  fixement; 
sur  ses  cheveux  noirs  un  diadème  de  diamants,  de 
ses  oreilles  pendent  d'énormes  boucles  d'oreilles 
carrées  d'en  bas  ;  au  bas  de  sa  robe  et  au  haut  des 
bras,  des  étoiles  rondes.  Le  troisième  personnage 
est  tonsuré,  en  blanc,  et  tient  un  livre;  puis  un 
palmier  avec  des  dattes. 

A  droite  du  Christ,  homme  en  blanc  qui  passe 
son  bras  droit  sur  l'épaule  d'une  femme  (celui  qui 
est  à  gauche  de  Jésus  fait  le  même  geste)  qui  porte 
la  même  chose  que  la  précédente;  puis  un  homme 
portant  une  petite  maison,  mais  qui  n'est  plus 
couronné  du  nimbe  comme  tous  les  autres  per- 
sonnages, mais  d'une  sorte  de  quadrilatère  bleu 
outremer  qui  lui  entoure  la  tête;  enfin,  comme  de 
l'autre  côté,  un  palmier.  Sur  une  branche  du  pal- 


248 


NOTES  DE  VOYAGES. 


mier  se  tient  un  échassier  d'un  ton  brun  doré,  îa 
tête  entourée  d'un  nimbe  bleu  dont  la  ligne  exté- 
rieure du  cercle  est  inégalisée  triangulairement  de 
pointes  d'argent. 

Tout  autour  du  Christ,  de  chaque  côté,  mon- 
tent à  partir  de  ses  pieds  jusqu'à  ses  épaules 
quantité  de  choses  (pains?  poissons?  nuages?), 
rangés  les  uns  sur  les  autres  et  alternativement 
rouges  et  verts.  Au-dessus  de  Jésus,  ces  espèces 
de  saumons  de  couleur  se  représentent;  là,  ce  sont 
évidemment  des  nuages;  une  main  en  sort  tenant 
une  couronne. 

Les  pieds  des  personnages  sont  appuyés  sur  un 
sol  d'or,  au  bas  duquel  coule  horizontalement  le 
Jourdain  (^Jordanis). 

Sous  cette  mosaïque  est  une  bande  de  moutons, 
comme  à  Sainte-Marie-du-Transtévère  ;  celui  du 
milieu  qui  se  trouve  sous  Jésus-Christ  est  entouré 
de  nimbe  et  a  une  figure  presque  humaine,  il  est 
monté  sur  une  sorte  de  disque  vert,  élevé  de  terre 
et  supporté  par  quatre  pieds  qui  ressemblent  assez 
à  des  troncs  d'arbres  mal  dégrossis. 

La  chapelle  oii  l'on  montre  la  colonne  de  la 
Flagellation,  très  puissante  d'effet;  à  l'extérieur  elle 
est  décorée  de  quantité  de  petits  portraits  en  mo- 
saïque. Expression  presque  elFrajante  de  portraits 
plus  grands  (alignés  en  face  la  chapelle  de  la  Co- 
lonne), avec  leurs  grands  yeux  ouverts,  blancs. 
Aux  joues,  pour  imiter  la  couleur  des  pommettes, 
la  mosaïque  tranche  en  rouge  sur  la  pâleur,  comme 
du  sang,  et  la  rehausse. 

J'étais  tellement  occupé  de  ces  prodigieuses  i 


ITALIE.  249 

mosaïques,  que  je  n'ai  presque  pas  vu  le  tableau 
de  h  Flagellation  de  Jules  Romain ,  dans  la  sacristie  ; 
il  ne  m'a  pas  frappé ,  et  je  suis  ressorti.  Qui  est-ce 
qui  a  étudié  le  byzantin? 


SAINTE-MARIE-MAJEURE. 

Mosaïque  de  l'abside.  —  Jésus  et  la  Vierge  sur 
un  beau  et  large  triclinium;  il  lui  pose  la  couronne 
sur  la  tête,  c'est  un  roi  et  une  reine,  ils  ont  chacun 
un  tabouret  sous  leurs  pieds. 

De  chaque  côté,  trois  hommes,  nu-tête  et  nim- 
bés, s'avancent,  chaque  groupe  précédé  d'un  petit 
évêque  à  genoux. 

Jésus  et  la  Vierge,  sur  leur  triclinium,  sont  dans 
un  grand  rond  d'or;  sur  les  flancs  de  ce  rond, 
chœur  d'anges  nimbés,  aux  ailes  de  couleur,  h 
genoux,  et  étages  les  uns  sur  les  autres,  en  per- 
spective. 

De  chaque  côté  de  la  mosaïque,  dans  les  angles , 
un  grand  arbre,  candélabre  à  arabesques  régu- 
Hères  au  Heu  de  branches,  et  sur  ces  arabesques 
ou  rinceaux  sont  perchés  de  grands  oiseaux, 
paons,  aigles,  poule,  un  perroquet  (?). 

Jusqu'à  l'endroit  de  la  courbe,  l'arbre  est  orné 
de  trois  espèces  de  bracelets. 


CORSINI. 

MuRiLLO  (La  Vierge  de).  —  Elle  porte  le  Bam- 
bino  sur  la  cuisse  gauche,  dont  le  pied  est  posé 
sur  une  marche;  le  genou  droit,  plus  bas  par  con- 


250  NOTES  DE  VOYAGES. 

séquent,  est  éclairé,  la  lumière  tombe  dessus. 
Elle  le  tient  du  bras  gauche,  et  la  main  gauche  est 
appuyée  sur  son  épaule  gauche;  de  sa  main  droite 
avancée  elle  retient  un  linge  blanc  qui  passe  sur 
le  ventre  du  Bambino,  le  poignet  de  cette  main 
est  à  nu;  au  delà  du  poignet, Ta  chemise  blanche 
retroussée  et  la  doublure  bleu  pâle  de  sa  robe 
violette.  Un  jfichu  jaune  est  sur  son  épaule,  trans- 
parent à  mesure  qu'il  descend,  et  laissant  passer  à 
travers  lui  la  teinte  enflammée  de  la  robe.  La  robe 
est  ouverte  pour  donner  à  teter  et  le  sein  gauche 
à  nu;  c'est  un  sein  poire,  petit,  chaud,  d'une  incon- 
cevable beauté  comme  douceur  et  allaitement. 
Belle  ligne  qui  descend  du  col  jusqu'au  bout  de 
ce  sein.  La  tête  est  un  peu  tournée  vers  le  côté 
droit  et  il  y  a  une  ombre  sur  la  mâchoire  de  ce 
cote. 

C'est  une  tête  ronde,  ayant  autour  d'elle  sur  le 
front  (ils  ne  descendent  pas  sur  les  tempes)  des 
cheveux  noirs  de  suie  avec  un  ton  roux  brun  par- 
dessus; derrière  la  tête  et  en  contournant  la  ligne 
extrême,  un  voile  grisâtre  amassé  en  bourrelet 
irrégulier.  Les  jeux  sont  noirs,  calmes,  purs, 
vrais,  regardent  d'aplomb  et  descendent  en  vous. 
Des  tons  un  peu  bleuâtres  entre  les  sourcils  au 
haut  du  nez,  le  nez  droit,  fin,  les  narines  petites, 
la  gouttière  du  nez  à  la  lèvre  est  très  creusée,  la 
bouche  petite,  fort  dessinée,  petit  menton  rond. 

L'enfant  ressemble  à  sa  mère  :  même  couleur 
de  cheveux  mais  plus  clairs,  le  blanc  des  yeux 
bleu  et  la  pupille  très  lumineuse;  la  poitrine  est 
large  et  d'une  anatomie  splendide  comme  force 
et  vérité,  c'est  bombé,  plein  et  carré  par  les  deux 
lignes  externes.  Bon  petit  bras  gauche,  dont  la 


ITALIE.  2  5  I 

main  s'appuie  sur  le  revers  de  la  chemise  de  sa 
mère.  Son  linge  lui  cache  la  fesse  gauche  comme 
le  ventre,  et  passe  ensuite  sous  Te  jarret  droit. 
Sa  jambe  droite  est  toute  allongée  (plante  du  pied 
vue)  sur  la  cuisse  gauche  de  sa  mère;  il  est  assis 
sur  le  manteau  bleu  qui  couvre  cette  cuisse  et  qui 
est  parti  plus  haut  du  bras  gauche,  dans  l'ombre. 

Fond  :  à  droite,  derrière  Jésus,  une  sorte  de 
piher  grisâtre;  derrière  la  Vierge  et  au-dessus, 
nuage  gris,  épais;  elle  est  assise  sur  un  banc  de 
pierre  d'où  s'élève,  derrière,  un  petit  arbrisseau 
à  feuilles  brunes. 

HoLBEiN.  Luther (6^ ch. ) ,  petit  portrait. — Toque 
noire,  houppelande  violette  à  phs  longitudinaux 
réguliers  et  à  collet  droit,  cheveux  grisonnants 
coupés  carrément  et  tombant  plus  bas  que  les 
oreilles,  grosse  figure  grasse,  à  chair  molle,  double 
menton,  nez  épaté  du  bout;  largeur  de  la  pau- 
pière supérieure;  l'air  bonhomme  rehaussé  par  une 
sorte  de  fierté  rustique,  œil  brun. 

HoLBEiN.  La  femme  de  Luther,  petit  portrait.  — 
Coiffe  blanche  et  bonnet  à  grandes  barbes  carrées 
par-dessus,  tombant  sur  les  épaules;  figure  blanche 
et  ridée,  de  55  à  60  ans  et  plus;  peu  de  sourcils; 
expression  douce  et  souriante. 

Van  Dyck.  Portrait  d'homme  chauve,  au  front 
très  éclairé,  grand  rabat  de  guipure.  Toile  d'effet. 

MuRiLLo.  Portrait  d'homme  à  grands  cheveux  noirs. 
—  Soin  du  dessin  de  la  bouche,  très  beau  comme 
éclat  de  la  pâleur,  rouge  dans  le  coin  de  l'œil.  Les 
moustaches  sont  ainsi  :  la  lèvre  supérieure  est  ra- 
sée, sauf  un  léger  fil  de  poil,  qui  prend  le  plus 
près  possible  du  bord  interne  de  la  cloison  du  nez, 
descend  verticalement  pour  arriver  au  coin  de  la 


NOTES  DE   VOYAGES. 

lèvre,  la  moustache  décrit  ainsi  un  accent  circon-' 
flexe  très  ouvert  et  laisse  voir  parfaitement  toutes 
les  finesses  de  la  lèvre.    (A  propos   de  la   ma- 
nière de   porter  les   moustaches   à  l'époque   de 
Louis  XIII.) 

Rembrandt.  Portrait  de  vieille  femme.  —  De  face, 
ridée,  terreuse,  avec  un  voile  noir  sur  la  tête  lui 
descendant  jusqu'au  milieu  du  front,  et  tombant 
sur  chaque  épaule. 

Titien?  Philippe  II,  portrait,  jusqu'au  haut  des 
cuisses.  —  Pourpoint  noir  doublé  de  fourrure 
grise,  la  main  droite  appuyée  sur  une  table,  la 
gauche  sur  le  pommeau  de  son  poignard. 

Bien  moins  beau  que  celui  de  Naples,  quoique 
ce  soit  tout  à  fait  le  même  visage  et  la  même 
taille. 

La  face  a  un  vilain  ton  gris,  pareil  à  celui  de  la 
fourrure,  et  quelque  chose  de  terne  qui  ne  me 
semble  pas  devoir  être  du  Titien  ? 

Callot.  La  vie  du  soldat,  douze  petits  tableaux. 
—  L'arbre  aux  pendus  :  à  un  seul  arbre  il  y  en 
a  vingt  d'accrochés,  un  vingt  et  unième  est  sur 
l'échelle,  précédé  du  bourreau  et  suivi  d'un  moine 
qui  lui  montre  un  crucifix,  tandis  que  lui,  les 
mains  jointes,  regarde  au  loin  dans  la  campagne. 

Au  pied  de  l'arbre,  un  moine  en  exhorte  un 
autre  qui  va  tout  à  l'heure  j  passer  à  son  tour, 
il  écoute  à  genoux.  De  l'autre  côté  de  l'arbre,  à 
droite,  deux  hommes,  deux  condamnés,  en  che- 
mise, jouent  aux  dés  sur  un  tambour;  à  droite  au 
premier  plan,  un  moine,  un  crucifix  à  la  main, 
confesse  un  condamné,  debout  comme  lui. 

Les  condamnés  sont  en  chemise  et  en  culotte, 
mais  les  pendus  n'ont  plus  rien  que  la  chemise. 


ITALIE.  253 

Homme  pendu  par  le  milieu  du  corps,  la  tête  et  les 
pieds  retombant,  les  mains  derrière  le  dos  :  à  gauche, 
quatre  hommes  en  chemise,  les  mains  attachées 
derrière  le  dos,  sont  à  califourchon  sur  un  cheval 
de  bois,  assez  haut  pour  dominer  la  foule. 

Des  soldats  rangés  semblent  braquer  leurs 
fusils  vers  la  poterne  011  est  accroché  le  patient 
dans  la  position  susdécrite;  foule  de  soldats,  ré- 
giments en  ligne. 

Potence  :  un  pieu  supporte  un  bras  terminé  d'un 
bout  par  une  corde  et  de  l'autre  par  le  patient 
pendu;  cette  corde  s'enroule  à  un  cyhndre,  qui  a 
l'air  de  faire  s'abaisser  et  s'élever  le  bras  de  la  po- 
tence. On  monte  à  cette  potence  par  une  échelle. 
La  corde  peut-être  glissait  sur  le  bras  de  la  po- 
tence, et  le  supplice  consistait  à  le  monter  et  à  le 
descendre  continuellement. 

Le  cheval  de  bois  sur  lequel  sont  les  condam- 
nés était  sans  doute  une  espèce  de  pilori. 


CAPITOLE. 

Bustes.  —  Un  Baccbus  indien,  et  comme  les 
plus  vulgaires,  c'est-à-dire  avec  le  nez  à  lignes 
carrées  sur  le  pied  duquel  (buste-hermès)  : 
nAATON. 

Buste  de  femme,  avec  deux  mèches  sur  les  épaules, 
une  sur  chaque,  et  la  coiffure  en  petits  vignots 
(deux  rangs)  comme  les  bustes-indiens,  avec  cette 
inscription  :  SAHOO  EPE2IA2. 

Faune  avec  des  raisins  et  le  pedum;  à  la  place 
des  carotides,  deux  petites  loupes  oblongues, 
comme  aux  Studi. 


2  54  NOTES  DE  VOYAGES. 

FARNÉSINE. 
(a*  chambre  du  i"  étage,  en  face  la  fenêtre.) 


Jean  Antoine  dit  le  Sodome.  Alexandre  offrant 
la  couronne  à  Roxane,  fresque.  —  Roxane  est 
assise  sous  un  lit  à  colonnes  cannelées  et  à  ri- 
deaux rouges,  des  Amours  lui  retirent  sa  chaus- 
sure, les  seins  sont  voilés  d'une  gaze  blanche  que 
va  oter  un  Amour;  derrière  le  ht,  trois  femmes  : 
une  négresse  à  bracelets  d'or,  une  autre  de  dos 
qui  porte  un  vase  sur  sa  tête,  une  autre  qui 
s  en  va. 

Elle  se  déshabille,  elle  retrousse  sa  draperie 
jaune.  Déhcieuse  tête  blonde,  pleine  de  luxure, 
rêveuse;  l'œil  est  nojé  de  langueur  lascive,  le 
ventre,  vu  sous  la  gaze  sur  laquelle  par  le  haut 
circule  un  filet  d'or,  est  tourné  dans  la  torsion  du 
torse,  car  elle  est  assise  un  peu  de  côté. 

Mouvement  très  étudié  de  l'Amour  qui  retire 
sa  sandale  avec  peine,  un  autre  se  découvre  sous 
son  jarret  ;  une  rangée  d'Amours  soulèvent  sur  la 
corniche  du  baldaquin  une  énorme  draperie  verte, 
à  grand'peine,  et  sont  pris  dessous,  l'un  d'eux  en 
est  enveloppé  tout  autour  du  visage,  d'une  ma- 
nière ingénieuse  qui  lui  en  fait  un  capuchon  et 
l'encadre.  Dans  le  ciel,  quantité  d'autres  Amours 
lancent  des  flèches. 

Alexandre  (stupide)  présente  la  couronne. 

Dans  l'autre  coin  du  tableau,  Alexandre  est 
avec  Ephestion. 

Dessin  lourd,  décadent,  mastoc,  rococo,  mais 
j'ai  vu  peu  de  choses  plus  excitantes  et  plus  pro- 
fondément cochonnes  que  la  tête  de  la  Roxane. 


n 


ITALIE.  255 


BORGHESE. 


Titien.  L'Amour  sacré  et  l'amour  profane  (X*  ch. , 
n"'23).  —  Deux  femmes  assises  sur  un  sarcophage 
antique:  l'une,  à  gauche,  habillée,  celle  de  droite 
nue,  la  première  est  en  robe  de  satin  blanchâtre 
gris  perle,  elle  tient  des  fleurs  noires,  elle  a  des 
gants  gris  de  fer  un  peu  lâches  (un  gant  juste, 
une  main  bien  gantée  doit  être  une  chose  exé- 
crable en  peinture,  il  faut  que  le  gant  fasse  des 
plis);  sa  chevelure  rousse  est  épanchée  sur 
l'épaule  gauche,  le  coude  gauche  est  en  arrière 
et  la  main  de  ce  côté  appuyée  sur  un  vase  rond 
découvert. 

Entre  les  deux  femmes,  un  Amour,  penché  sur 
le  sarcophage  plein  d'eau  (elle  s'en  échappe  en 
bas  par  un  goulot),  y  plonge  son  bras  droit. 


saint-paul-hors-les-murs. 
(rencontre). 

Nous  venions  de  voir  l'église  Sainte-Hélène  et 
nous  étions  venus  à  Saint-Paul-hors-les-Murs,  en 
passant  devant  la  pyramide  de  Cestius.  De  la  pyra- 
mide à  Saint-Paul,  c'est  une  route  plantée;  à 
gauche,  dans  la  voiture,  la  poussière  sortait  de 
dessous  les  roues,  de  mon  côté;  les  chevaux 
allaient  lentement,  personne,  l'air  chaud. 

On  reconstruit  la  basilique  Saint-Paul.  Notre 
cocher  nous  indiqua  pour  y  entrer  le  mauvais 
côté,  celui  de  l'entrée  principale;  c'était  vide,  des 
menuisiers  rabotaient  des  planches  et  varlopaient. 


2^6  NOTES  DE  VOYAGES. 

Grande  boutique,  nue,  belle  par  sa  dimension; 
sur  des  tables  des  rosaces  en  bois  tourné,  destinées 
à  être  mises  au  plafond.  Par  la  porte  toute  ouverte, 
le  grand  jour  entrait;  à  côté  d'un  menuisier,  un, 
soldat  (du  pape)  avec  son  fusil. 

La  basilique  a  cinq  nefs;  sur  les  côtés  de  la 
principale,  en  dessins,  médaillons  destinés  à  con- 
tenir des  mosaïques  modernes,  portraits  de  saints, 
un  de  saint  Damase  et  un  autre  de  X?  Au  fond  de 
la  nef,  à  l'endroit  oii  la  croix  se  va  bifurquer,  un 
immense  établi  qui  monte  jusqu'en  haut;  à  chaque 
angle  de  l'étabh,  un  faisceau  de  poutres  rehées 
par  quatre  morceaux  de  bois  qui  sont  cloués 
dessus,  ça  monte  en  colonnes;  là,  à  droite,  une 
petite  porte  provisoire,  en  bois,  qui  pénètre  dans 
la  partie  de  l'église  achevée,  c'est-à-dire  dans  la 
tête  et  les  bras  de  la  croix.  Près  de  là ,  assis  au  pied 
d'une  colonne,  un  ouvrier  lisant  ou  priant  dans 
un  petit  livre.  M.  Lacombe  a  voulu  entrer  par 
cette  porte,  une  voix  de  l'intérieur  lui  a  répondu 
de  faire  le  tour. 

Nous  sommes  sortis  de  l'église  et  nous  avons 
fait  le  tour.  Nous  sommes  rentrés  par  la  porte  qui 
donne  sur  une  petite  rue;  à  la  porte  était  une  mé- 
chante calèche,  la  capote  déployée,  et  le  cocher 
sur  le  siège. 

Nous  avons  passé  par  une  espèce  de  petit  vesti- 
bule carré,  avec  des  médaillons,  portraits  à  la 
mosaïque,  anciens  et  de  figure  grotesque,  et  nous 
avons  pénétré  dans  l'église.  C'est  blanc,  et  très 
haut.  Un  custode  nous  avait  vus  et  nous  suivait; 
nous  regardions,  sur  la  coupole  qui  domine 
l'autel,  une  mosaïque  antique  fort  belle  :  Jésus- 
Christ  au  milieu   des  évangélistes,   assis  sur  un 


ITALIE.  257 

triclinium  ;  à  ses  pieds  et  tout  petit,  le  pape  Hono- 
rius  III,  couché  et  rampant  comme  un  animal. 

En  tournant  la  tête  à  gauche,  j'ai  vu  venir 
lentement  une  femme  en  corsage  rouge,  elle 
donnait  le  bras  à  une  vieille  femme  qui  l'aidait 
à  marcher;  à  quelque  distance  un  vieux  en  redin- 
gote, et  ayant  autour  du  cou  une  cravate  en 
laine  tricotée,  les  suivait.  J'ai  pris  mon  lorgnon 
et  je  me  suis  avancé,  quelque  chose  me  tirait 
vers  elle. 

Quand  elle  a  passé  près  de  moi,  j'ai  vu  une 
figure  pâle,  avec  des  sourcils  noirs,  et  un  large 
ruban  rouge  noué  à  son  chignon  et  retombant 
sur  ses  épaules;  elle  était  bien  pâle!  Elle  avait  des 
gants  de  peau  verdâtres,  sa  taille  courte  et  carrée 
se  tordait  un  peu  dans  le  mouvement  qu'elle  fai- 
sait en  marchant,  appuyée  du  bras  droit  sur  le 
bras  gauche  de  la  vieille  bonne. 

Une  rage  subite  m'est  descendue,  comme  la 
foudre,  dans  le  ventre,  j'ai  eu  envie  de  me  ruer 

dessus  comme  un  tigre,  j'étais  ébloui! Je  me 

suis  remis  à  regarder  les  fresques  et  le  custode 
qui  tenait  des  clefs  à  la  main. 

Elle  s'était  arrêtée  et  assise  sur  un  banc,  contre 
le  grand  carré  d'échafaudage  ;  je  l'ai  regardée  et 

j'ai de  suite,  à  la  douceur  envahissante  qui 

m'est  survenue. 

Elle  avait  un  front  blanc,  d'un  blanc  de  vieil 
ivoire  ou  de  paros  bien  poli,  front  carré,  rendu 
ovale  par  ses  deux  bandeaux  noirs  derrière  les- 
quels fulgurait  son  ruban  rouge  (bordé  de  deux 
filets  blancs)  qui  rehaussait  la  pâleur  de  sa  figure. 
Le  blanc  de  ses  yeux  était  particulier.  On  eût  dit 
qu'elle  s'éveillait,  qu'elle  venait  d'un  autre  monde, 

'7 


258  NOTES  DE  VOYAGES. 

et  pourtant  c'était  calme,  calme!  sa  prunelle,  d'un 
noir  brillant,  et  presque  en  relief  tant  elle  était 
nette,  vous  regardait  avec  sérénité.  Quels  sourcils! 
noirs,  très  minces  et  descendant  doucement!  il  y 
avait  une  assez  grande  distance  entre  le  sourcil  et 
l'œil,  ça  grandissait  ses  paupières  et  embellissait 
ses  sourcils  que  l'on  pouvait  voir  séparément, 
indépendamment  de  l'œil.  Un  menton  en  pomme, 
les  deux  coins  de  la  bouche  un  peu  affaissés,  un 
peu  de  moustache  bleuâtre  aux  commissures, 
l'ensemble  du  visage,  rond  ! 

Elle  s'est  levée  et  s'est  remise  à  marcher;  elle  a 
une  maladie  de  poitrine?  ou  de  reins?  à  sa  dé- 
marche; elle  est  peut-être  convalescente,  elle  avait 
l'air  de  jouir  du  beau  temps;  c'est  peut-être  sa 
première  sortie,  elle  avait  fait  toilette. 

Le  custode  a  passé  devant  elle  et  lui  a  ouvert  la 
petite  porte  qui  donne  dans  la  basilique;  le  vieux 
monsieur,  que  j'avais  cessé  de  voir,  lui  a  donné  la 
main  pour  l'aider  à  descendre  les  trois  marches 
qu'il  y  a;  j'étais  resté  béant  sur  la  première,  hési- 
tant à  la  suivre. 

Puis  nous  avons  été  voir  le  cloître,  avec  ses 
colonnes  tordues,  granulées  de  mosaïques  vertes, 
or  et  rouges;  j'ai  senti  l'air  chaud,  il  faisait  beau 
soleil.  Moins  de  roses  que  dans  le  cloître  de  Samt- 
Jean-de-Latran ,  auquel  il  ressemble  tout  à  fait. 
M.  Lacombe  a  demandé  au  custode  s'il  connais- 
sait cette  dame  malade,  le  custode  a  répondu  que 
non. 

En  sortant  de  féglise,  je  l'ai  revue  au  loin, 
assise  sur  des  pierres,  à  côté  des  maçons  qui  tra- 
vaillaient. 

Je  ne  la  reverrai  plus! 


ITALIE.  259 

J'avais  eu  dans  l'église  envie  de  me  jeter  à  ses 
pieds,  de  baiser  le  bas  de  sa  robe;  j'ai  eu  envie, 
tout  de  suite,  de  la  demander  en  mariage  à  son 
père  (?)!  Dans  la  voiture,  j'ai  pensé  à  avoir 
son  portrait  et  à  faire  venir  pour  cela  de  Paris 
Ingres  ou  Lehmann...  si  j'étais  riche!  J'ai  pensé  à 
aller  me  présenter  à  eux  comme  médecin  pour  la 
guérir!...  et  de  la  magnétiser!  Je  ne  doutais  pas 
que  je  l'aurais  magnétisée  et  que  je  l'aurais  guérie 
peut-être! 

Que  ne  donnerais-je  pas  pour  tenir  sa  tête  dans 
mes  mains!  pour  l'embrasser  au  front,  sur  son 
front!  Si  j'avais  su  l'italien,  j'aurais  été  vers  elle, 
quand  elle  était  sur  ces  pierres  ;  j'aurais  bien  su 
trouver  moyen  de  lier  la  conversation. 

Quel  beau  temps  !  la  campagne  d'ici  me  semble 
bien  belle,  nous  avons  repassé  par  la  porte  près 
de  la  pyramide  de  Cestius. 

Rencontré  deux  ecclésiastiques  en  grandes  robes 
rouges  et  à  chapeaux  pointus. 

Nous  avons  tourné  le  Palatin  et  nous  sommes 
trouvés  au  bord  du  Tibre,  devant  la  douane; 
nous  sommes  descendus  de  voiture  près  le  pont 
rompu,  au  bas  de  l'île  du  Tibre,  délicieuse  vue 
de  chic,  avec  ses  filets  qui  tournent  dans  l'eau. 

Rentré  à  l'hôtel  à  4  heures. 

Déjà  ses  traits  s'effacent  dans  ma  mémoire. 

Adieu!  adieu! 

Mardi  saint,  15  avril  1851. 


26o  NOTES  DE  VOYAGES. 


VATICAN. 


CHIARAMONTI. 

Buste  de  femme  drapée.  —  Une  tresse  ronde, 
comme  une  anguille  posée  sur  le  sommet  de  la 
tête,  en  fait  le  tour  comme  une  couronne;  de  des- 
sous cette  tresse  à  la  naissance  des  cheveux  les 
cheveux  sont  tirés  ;  sur  le  devant  de  la  tête  un  dia- 
dème montant  à  trois  bandes  de  chaque  côté;  de 
dessous  le  diadème  en  bas  sortent  des  accroche- 
cœurs. 

Buste  de  femme.  —  Sur  le  sommet  du  front  une 
mèche  ou  plutôt  une  houppe  de  cheveux,  héris- 
sée, séparée  en  deux  petites  masses.  Est-ce  une 
imitation  de  la  fleur  du  lotus  ?  Le  catalogue  attri- 
bue à  ce  buste  quelque  ressemblance  avec  Zé- 
nobie,  reine  de  Paimyre,  d'après  les  médailles. 

Tête  de  femme.  —  Mignonne,  vraie  figure  Pom- 
padour  et  xviiT  siècle  s'il  en  fut;  une  raie  de 
chaque  côté  de  la  tête  ;  entre  les  deux  raies  court 
parallèlement  une  large  mèche  de  cheveux ,  ayant 
au  miheu  et  dans  le  même  sens  une  tresse;  à  la 
hauteur  de  l'oreille  les  cheveux  sont  ramenés  en 
dessous,  en  champignon,  il  en  reste  peu  à  partir 
de  là  (où  ça  fait  différence  de  niveau),  c'est-à-dire 
sous  les  oreilles  et  aux  alentours  de  la  nuque;  sur 
le  chignon,  tresse  enroulée  en  vignot. 

Isis,  buste  colossal.  —  Elle  avait  sur  le  sommet 
du  front  une  fleur  de  lotus.  Rétabli  en  stuc.  Trois 
colliers  ou  mieux  trois  gros  chapelets  à  grains 
longs,  oblongs,  entourent  son  cou;  un  quatrième. 


à 


ITALIE.  2.61 

passé  sous  son  voile,  est  posé  sur  sa  tête  et  tombe 
des  deux  côtés  avec  son  voile,  pris  dedans,  et  sui- 
vant ses  plis. 

Tête  bachique  couronnée  de  pampres.  —  Expression 
d'ivresse,  charmante;  la  bouche,  entr'ouverte, 
sourit  et  montre  les  dents  ;  le  col  tendu  ;  la  figure 
est  portée  en  avant;  le  pampre  ciselé,  déchiqueté, 
très  mouvementé,  retombant  de  sa  couronne  lui 
couvre  la  mâchoire  en  manière  de  barbe;  aux 
deux  coins  de  la  bouche ,  le  pampre  lui  fait  deux 
loupes. 

A fiy^  ?  statuette.  —  Mauvais.  II  est  debout,  à 
un  tronc  d'arbre  ;  à  sa  droite  sont  accrochées  des 
crotales;  de  la  main  gauche  il  tient  un  tambourin, 
et  de  la  droite  un  bâton  recourbé  dont  il  semble 
le  frapper;  il  est  vêtu  d'une  camisole  à  manches, 
nouée  en  haut  et  toute  ouverte  sur  la  poitrine, 
qu'elle  laisse  à  nu,  ainsi  que  le  ventre  jusqu'à  la 
hauteur  du  pubis  ;  ses  jambes  sont  enfermées  dans 
une  sorte  de  pantalon  à  plis ,  plus  petit  par  le  bas 
et  noué  au-dessus  des  chevilles ,  il  est  coiffé  d'un 
bonnet  phrygien. 

Plotine  (Tête  supposée  de),  femme  de  Trajan. 
—  Coiffée  en  longs  boudins  montant,  lesquels, 
dans  leur  largeur,  ont  des  trous  comme  pour  y 
mettre  des  perles  ou  des  pierres  précieuses.  Ce 
genre  de  coiffure  montée  et  frisée  se  trouve  quel- 
quefois sans  boudin;  les  cheveux  ne  font  qu'une 
seule  masse  sur  le  devant  de  la  tête ,  et  semblent 
tout  crêpés  d'un  seul  bloc;  ça  imitait  la  plume,  le 
duvet,  la  gorge  de  canard  ou  de  cygne?  en  tout 
cas,  c'est  fort  laid  en  sculpture.  Cette  dernière  che- 
velure devait  se  prêter  à  la  poudre.  Quelquefois, 
comme  dans  le  buste  que  Ton  croit  de  Matidie, 


262  NOTES  DE  VOYAGES. 

mère  de  Trajan,  la  chevelure  ainsi   montée  est 
faite  en  quantité  de  petites  mèches  frisées. 


VATICAN. 

Chevaux  marins  portant  des  femmes  sur  leur  dos.  — - 
Malgré  la  ressouvenance  du  sabot,  comme  forme 
générale,  le  bout  des  pieds  est  palmé;  à  l'angle 
interne  des  épaules,  nageoires;  la  crinière  aussi, 
divisée  en  larges  mèches  plates  séparées,  ressemble 
à  des  crêtes  de  dos  de  poisson. 

Lucille,  buste.  —  Chevelure  pareille  à  celle  de 
la  Cléopâtre  du  Musée  de  Naples,  yeux  sortis 
de  tête,  très  ronds,  très  grands;  les  narines  sont 
ouvertes  et  remontent,  nez  fin  et  large  du  bas;  la 
bouche,  petite,  est  avancée  et  fait  la  moue. 

Buste  d'un  inconnu  et  de  Salluste  (non  l'histo- 
rien). —  Ce  dernier,  drapé  dans  une  draperie 
d'albâtre  oriental.  Ouvrages  médiocres.  A  consi- 
dérer le  travail  de  la  barbe  qui  est  installée  en  lignes 
droites,  figurant  une  barbe  plate  et  peignée  et  non 
pas  frisée,  comme  d'habitude. 

Bustes  :  les  deux  premiers  inconnus,  le  troisième 
de  Philippe.  —  Drapés  du  cinctus  gabinus,  ou  du 
laticlave?  Une  épaisse  bande  de  draperie,  et  par- 
tant toujours  de  l'épaule  gauche,  leur  passe  carré- 
ment sur  le  bras,  sur  la  poitrine,  et  va  se  remplier 
en  dessous  à  peu  près  au  niveau  du  sein  droit. 
Cette  bande  me  paraît  faite  de  plusieurs  duplicata 
collés  l'un  sur  l'autre.  Dans  un  des  bustes  il  J  a, 
figurés  dans  l'épaisseur  du  marbre  de  cette  bande 
transversale,  quatre  plis.  Comment  cela  pou- 
vait-il avoir  lieu?  et  d'oiî  venait  cette  draperie? 


ITALIE.  263 

CLEMENTINO. 
(Cabinet  de  Mercure.) 

Bas-relief  représentant  une  procession  d'Isis.  —  En 
commençant  par  la  droite  :  1°  une  femme,  portant 
un  seau  de  la  main  droite,  a  le  bras  gauche  enroulé 
d'un  serpent  qui  lève  la  tête  ;  ses  cneveux  sur  son 
dos  sont  séparés  en  deux  tresses,  sur  le  sommet  de 
la  tête  un  lotus  ;  2°  homme  nu-pieds  et  nu  de  tout 
le  torse,  à  partir  de  la  ceinture  seulement  drapé; 
il  porte  un  rouleau  à  la  main,  la  tête  est  ornée 
d'ailes  d'épervier(?);  3°  homme,  la  tête  rasée,  son 
vêtement  (il  est  très  enveloppé  dedans)  lui  passe 
sur  la  tête  et  fait  voile,  il  tient  dans  ses  mains  un 
grand  vase  ventru  et  à  anse,  il  est  chaussé  de  san- 
dales à  bandelettes  nombreuses;  4°  femme  nue 
jusqu'au-dessous  des  seins,  cheveux  tressés  tom- 
bant sur  le  dos,  elle  tient  le  xyste  de  la  main 
droite  et  de  la  gauche  un  instrument. 

L'amour  que  les  anciens  semblaient  avoir  dans 
la  peinture  pour  les  jeux  visant  à  la  surprise,  té- 
moin ces  peintures  de  Pompéi  où  des  portes  sont 
à  demi  ouvertes  avec  une  femme  qui  entre,  se 
retrouve  dans  un  bas-relief  au  crayon ,  non  dans 
le  catalogue. 

Le  centre  du  bas-relief  est  occupé  par  une 
porte  à  deux  battants;  à  gauche,  un  personnage 
drapé  est  assis  entre  deux  autres  debout,  celui 
qui  est  près  de  la  porte  a  un  pantalon;  à  droite, 
personnage  drapé,  également  assis  entre  deux 
autres  debout;  celui  qui  est  près  de  la  porte  a  le 


264  NOTES  DE  VOYAGES. 

corps  engainé  dans  une  sorte  de  cotte  de  mailles  (?) 
toute  pomtillée  à  la  tarière.  Le  battant  gauche  de 
la  porte  est  à  demi  ouvert  et  fait  saillie,  bien  en- 
tendu ;  les  panneaux  carrés  de  la  porte  sont  ornés 
de  têtes  humaines  barbues,  avec  des  anneaux 
passés  dans  la  bouche.  Sous  chaque  personnage 
assis  est  un  gros  masque.  Que  veulent  dire  ces 
masques  qui  reviennent  partout? 

Silène.  —  Avec  la  peau  de  bête  (féroce?)  sur 
l'épaule  gauche.  De  la  main  gauche  il  tient  une 
grappe  de  raisin,  de  la  droite  une  coupe;  cou- 
ronné de  pampres  très  détachés,  très  sortis  de  la 
tête.  Statue  courte  et  lourde,  le  type  n'est  pas  pur, 
c'est  entre  le  Bacchus  et  le  Silène.  Serait-ce  Silène 
enfant?  Le  ventre  excessif  et  la  face  cyniquement 
et  bonhomiquement  hilariante  manquent.  Sur  le 
ventre,  les  poils  sont  indiqués  fortement  en  petites 
mèches,  ainsi  qu'autour  du  bouton  des  seins  et 
sur  le  torse;  autour  du  phallus,  ils  sont  saillants. 
Travail  madréporique.  La  jambe  gauche  est  res- 
taurée. 

Polymnie  (?). — Jolie  statue,  mignonnne.  Cou- 
ronne de  roses,  elle  fait  le  geste  de  rejeter  sa  dra- 
perie sur  l'épaule  gauche;  sous  la  draperie  de  ce 
côté,  la  main  saillit  voilée  par  elle,  le  pied  droit 
en  arrière  infléchi. 

Aspasie,  hermès  voilé.  —  Coiffée  comme  la 
Cléopâtre  du  Musée  de  Naples,  un  voile  sur  les 
cheveux,  visage  fort  et  grave,  peu  d'intervalle 
entre  la  paupière  et  le  sourcil  (ce  qui  donne  dans 
la  nature  beaucoup  de  vivacité  à  l'œil,  le  regard 
étant  renforcé  du  sourcil,  surtout  lorsqu'il  est 
brun);  petit  menton  pointu,  saillant.  Le  bout  du 
nez  est  restauré. 


I 


ITALIE.  26^ 

Dieu  marin  dit  Y  Océan,  Hermès  colossal.  —  La 
chevelure  nouée  par  un  cep  de  vigne,  avec  une 
feuille  de  vigne  de  chaque  côté  de  la  tête;  sur  le 
front,  chevelure  léonine.  Les  cheveux  et  la  barbe 
sont  traités  en  longues  mèches  descendantes.  II  a 
deux  cornes,  quatre  grappes  de  raisin  mariées  à  la 
chevelure  tout  autour  de  la  tête  ;  à  peu  près 
à  l'extrémité  de  la  barbe  du  menton,  deux  dau- 
phins montrent  leurs  têtes.  Une  peau  de  poisson 
couvre  la  face  du  dieu  jusqu'au-dessus  des  sour- 
cils, où  elle  s'arrête  déchiquetée;  il  en  est  de 
même  sur  la  poitrine,  oii  elle  finit  comme  une 
pèlerine  escalopée.  Au-dessous  sont  figurés  des 
flots. 

Junon  Sospita  ou  Lanuvina,  statue  colossale.  — 
Les  bras  et  les  pieds  sont  restaurés.  Sur  sa  tête  une 
peau  de  chèvre  dont  les  cornes  sont  par  derrière, 
un  diadème  par-dessus;  la  peau  fait  capuchon  sur 
les  côtés  de  sa  face,  couvre  en  pèlerine  les  épaules 
et  est  attachée  entre  les  deux  seins,  les  pattes  à 
sabot  fendu  qui  la  terminent  pendent  en  bouts;  le 
corps  entier  est  pris  dans  une  autre  peau  en  forme 
de  paletot  noué  par  une  ceinture  mince  autour 
des  reins;  les  pattes  à  sabot  fendu  pendent  en 
pointes  par  le  bas,  des  deux  côtés.  Sous  cette  peau 
est  un  second  vêtement  long,  et  sous  celui-ci  un 
troisième  à  plis  droits,  plus  longs  et  tombant  jus- 
qu'en bas.  L'ensemble  est  fort  laid,  la  restauration 
moderne  l'a,  de  plus,  afflubl^e  d'une  lance  et  d'un 
bouclier  nature. 

Tête  de  femme  avec  un  ornement  en  forme  de  con- 
combre. —  Tout  autour  de  la  tête  les  cheveux  sont 
lisses,  une  corde  la  ceint,  les  cheveux  des  tempes 
y  sont  contournés  autour,  sur  le  sommet  du  front. 


266  NOTES  DE  VOYAGES. 

et  au  milieu  de  cette  corde  est  un  ornement  en 
forme  de  concombre  ou  mieux  d'épi  de  maïs  à  six 
cylindres.  La  chevelure  totale  est  divisée  en  trois, 
une  de  chaque  côté,  séparée  par  une  raie;  entre 
ces  deux  raies,  la  troisième  partie  de  la  chevelure 
court  de  la  nuque  vers  le  côté  intérieur  de  l'épi 
oblong  (où  elle  s'enroulait  peut-être?).  Je  ne  vois 
pas  le  travail  des  cheveux  autour. 

Buste  de  femme  avec  la  testudo  (?)  sur  la  tête.  — 
Trois  pointes  s'avancent  et  font  comme  un  dais 
très  escalope  sur  la  tête;  par  derrière  ça  fait  mur 
ou  capuchon  très  élargi;  sur  le  front  et  autour 
des  joues,  les  cheveux  sont  peignés,  divisés  par 
différentes  petites  plaques  successives  figurant 
assez  bien  le  treillis  de  certains  paniers  d'osier. 

Buste  d'une  matrone  voilée.  —  Coiffure  en  trois 
ordres;  le  premier,  celui  qui  touche  au  front,  en 
petites  boucles;  les  deux  autres  en  carrés  recroque- 
villés en  avant. 

Buste  de  Domitia,  femme  de  Domitien,  très  res- 
tauré. —  Cinq  véritables  rouleaux  ou  boudins 
minces,  comme  ceux  des  perruques  xviif  siècle, 
étages  les  uns  sur  les  autres;  seulement,  de  place 
en  place,  quelques  interstices  dans  le  rouleau  par 
oii  le  fer  s'est  introduit,  car  il  n'a  pu  d'un  seul 
coup  friser  tout  le  rouleau  cintré,  qui  suit  la 
forme  du  visage;  coiffure  sèche  et  grêle;  par  der- 
rière, les  cheveux  sont  réunis  en  catogan.  Ces 
derrières  de  coiffure,  dont  le  type  se  trouve  dans 
les  Pandrosiennes,  devaient  être  d'un  fort  bel  effet 
sur  les  épaules,  c'était  ample,  ça  jouait  sur  le  haut 
du  dos  et  fenrichissait;  avec  des  cheveux  noirs  la 
peau  blanche  devait  reluire  de  blancheur,  effet 
cherche  dans  l'antiquité.  Comme  forme,  ce  ca- 


ITALIE.  ^Sj 

togan  donnait  du  contrepoids  à  la  tête  et  la  forçait 
à  se  tenir  droite. 

Triton  demi-Jigure  de  grandeur  naturelle,  les  bras 
mutilés,  une  peau  écailleuse  sur  les  épaules.  —  La  peau 
est  nouée   sur   la   poitrine,  couvre   les  épaules, 

Easse  sous  l'aisselle  et  revient  sur  la  saignée  du 
ras.  Expression  souffrante  du  visage.  Les  oreilles 
sont  très  longues,  pointues,  séparées  de  la  tête  et 
non  mariées  à  la  chevelure  largement  massée;  la 
bouche  est  ouverte,  la  langue  sur  les  mcisives  de 
devant  et  collée  au  palais.  La  fraise  du  sein  gauche 
très  basse  et  très  portée  en  dehors;  je  ne  puis 
croire  que  ce  soit  même  la  fraise  du  sein  ;  qu'est-ce  ? 
une  verrue?  Celle  du  sein  droit  est  beaucoup  trop 
haute,  la  place  des  bouts  de  sein  doit  se  trouver 
sous  les  bouts  de  la  peau  marine  nouée  sur  la 
poitrine. 

Baccbus  indien  dit  Sardanapale.  —  Remarquer  la 
chaussure,  composée  d'une  semelle  et  d'un  véri- 
table filet  en  corde  qui  enveloppe  le  pied. 

Auriga,  statue.  —  De  la  main  droite  il  tient 
une  palme,  dans  la  gauche  un  morceau  de  ses 
guides  coupées  (?);  il  a  le  corps  entouré  de 
cordes,  par  derrière  il  n'y  a  aucun  intervalle,  c'est 
tout  uni,  ça  fait  cuirasse,  les  cordes  commencent 
sous  l'aisselle  et  s'arrêtent  au  milieu  des  hanches; 
sous  celles  du  côté  gauche,  sont  passés  une  harpe, 
cangiar,  poignard  recourbé.  Il  est  bras  nus,  un 
petit  chiton  descend  jusqu'à  mi-cuisse,  la  cuisse 
droite  sous  le  chiton  est  entourée  d'un  ruban 
noué,  la  cuisse  gauche  en  a  deux;  pourquoi?  et 
qu'est-ce?  Il  a  des  sandales  comme  celui  de 
l'Apollon  Citharète  de  la  même  salle,  c'est-à-dire 
composées  de  rubans  plats  entre-croisés. 


2  68  NOTES  DE  VOYAGES. 

Sarcophage,  les  jils  de  Niohé  dardés  par  Apollon  et 
Diane.  —  Que  signifie  un  vieillard  à  longue 
barbe,  portant  par-dessus  ses  vêtements  une  peau 
de  mouton  (personnage  rustique  et  très  en  de- 
hors, comme  couleur,  des  autres),  qui  tient  un 
enfant  comme  pour  le  protéger?  L'enfant  a  fair 
de  se  réfugier  vers  lui. 

Jeune  Romain  en  toge  avec  la  huile.  —  La  bulle  est 
portée  par  un  ruban  large. 

Vase  orné  de  feuilles.  —  Du  fond  du  vase  partait 
un  jet  d'eau;  tout  autour  du  vase,  à  l'intérieur, 
sont  rangées  de  longues  feuilles  dont  les  pointes 
pendent  en  dehors  un  peu  recourbées.  Quand  le 
vase  était  plein,  l'eau  devait  couler  dans  la  rainure 
interne  de  la  feuille,  et  se  suspendre  en  gouttes  à 
la  pointe  des  feuilles  avant  de  tomber  à  terre.  Ce 
sont  de  grandes  feuilles  longues,  de  laurier? 


PEROUSE. 


CATHEDRALE  DE  SAINT-LAURENT. 

Sur  la  place,  devant  la  fontaine  de  Jean  de  Pise. 
C'est  de  là,  en  tournant  le  dos  à  l'église,  qu'on 
voit  le  magnifique  palais,  d'un  ragoût  si  franc, 
avec  son  double  escalier,  ses  fenêtres  romanes  et 
ses  murs  couronnés  de  moucharabiehs. 

Dans  la  sacristie  un  vieux  tableau  de  l'école 
allemande  (ou  italienne?)  primitive,  la  Vierge 
assise  et  lisant  dans  un  livre;  Jésus  est  sur  ses 
genoux  et  lit  aussi  dans  le  même  livre.  On  n'a  pas 


ITALIE.  269 

assez  remarqué,  il  me  semble,  l'importance  du 
livre,  au  moyen  âge,  comme  attribut  de  l'idée; 
tout  se  résume  dans  le  livre,  c'est  le  symbole  le 
plus  élevé  de  la  pensée  humaine,  et  lire,  par  con- 
séquent, la  plus  haute  action  de  l'esprit;  sous  le 
rapport  de  la  représentation,  l'artiste  a  la  commo- 
dité, par  là,  de  cacher  les  yeux,  toujours  baissés 
naturellement.  Aux  pieds  de  la  Vierge,  par  terre, 
au  premier  plan,  un  ange  est  assis  et  pince  d'une 
guitare  ou  viole  dont  il  serre  les  chevilles,  en  prê- 
tant l'oreille  et  baissant  la  tête  de  côté  dans  une 
position  très  attentive  et  très  étudiée.  De  chaque 
coté  de  la  Vierge,  deux  hommes  :  à  gauche, 
saint  Jean -Baptiste  et  un  autre  saint  qui  a  un 
caleçon  de  feuillage  et  dont  les  genoux  sont  ridés, 
comme  la  peau  de  saint  Jérôme  dans  la  Com- 
munion de  saint  Jérôme  du  Dominiquin;  à  droite, 
deux  hommes,  en  chape,  dont  l'un  tient  un 
livre. 

IL   CAMBIO. 

Fresques  du  Pérugin  dans  deux  salles  voûtées 
ne  recevant  de  jour  que  par  la  porte. 

Parmi  les  Sages  de  l'antiquité  (première  salle, 
paroi  de  gauche  en  entrant),  à  remarquer  le  Salo- 
mon  avec  une  couronne  à  pointe;  c  est  déjà  du 
Raphaël. 

Transfiguration.  —  Le  Christ  en  haut,  en  robe 
pâle;  le  rayonnement  s'échappe  ovoïdement  de 
tout  son  corps;  de  chaque  côté,  à  genoux,  dans 
une  pose  d'adoration,  iiVie  et  Elisée;  en  bas,  par 
terre,  assis,  deux  apôtres;  un  troisième  à  genoux, 
à  droite,  se  détourne.  Admirable  tête  a  exprès- 


270  NOTES  DE  VOYAGES. 

slon.Tous  sont  blonds  et  avec  le  nimbe.  Sous  les 
pieds  du  Christ  est  écrite  cette  singulière  légende  : 

BONUM  EST  NON  HIC  ESSE. 

Sur  les  autres  parois,  des  Sy billes  et  des  guer- 
riers. 

Scènes  de  la  vie  de  saint  Jean-Baptiste  (seconde 
salle).  — Décollation.  Au  premier  plan,  à  genoux, 
et  sans  tête,  les  poings  l'un  sur  l'autre,  et  les 
coudes  en  dehors,  saint  Jean;  le  sang  saillit  de 
son  cou,  et  tombe,  devant  lui,  devant  vous,  en 
face,  au  premier  plan;  le  bourreau,  levant  sa  tête, 
la  met  sur  le  plat  que  tient  Marianne. 

Nativité  de  saint  Jean.  Sa  mère  est  couchée  dans 
un  grand  lit.  Intérieur  :  au  premier  plan,  femme 
qui  lave  l'enfant  dans  un  bassin. 

Marianne  à  table  recevant  la  tête  de  saint  Jean. 
Hérode,  le  sceptre  à  la  main,  est  assis;  un  domes- 
tique, adroite,  crevés  aux  genoux,  le  poing  sur 
la  hanche,  et  présentant  un  plat;  domestique,  en 
maillot  rouge  et  à  grande  chevelure  blonde,  verse 
du  vin  d'une  bouteille  dans  une  autre,  en  se  pen- 
chant, très  vrai  et  très  beau  mouvement,  la  cheve- 
lure tombe  en  grande  masse  du  côté  gauche. 


UNIVERSITE. 


Sur  des  feuilles  de  bronze,  repoussées  en  de- 
hors, travail  du  plus  pur  étrusque.  Homme  (casqué) 
et  femme  se  donnant  la  main.  La  barbe  pointue  est 
l'arrangement  artistique  de  la  barbe  égyptienne; 
rien  ne  ressemble  plus  à  l'art  égyptien  que  ces 
deux  personnages,  figure,  costume  et  action, 
mouvement  du  dessin. 


ITALIE.  271 

Des  animaux  broutant.  —  Même  observation. 
J'ai  vu  cela  cent  fois,  à  Hamada  entre  autres. 


FLORENCE. 


TOSCANS. 

FiESOLE.  La  Vierge  au  tombeau.  —  Derrière  elle 
rayonne  le  Christ,  debout  avec  la  croix  dans  son 
nimbe,  comme  aux  mosaïques  byzantines  et  tenant 
un  petit  Jésus  dans  ses  bras  ?  ?  Aux  quatre  coins  du 
tombeau  de  la  Vierge,  de  grands  candélabres  d'or; 
tout  autour  sont  rangés  des  saints  et  des  apôtres; 
le  Christ  la  considère,  le  sourire  aux  lèvres  et 
étendant  le  bras  droit  vers  elle.  Au  fond,  palmiers 
et  montagnes  des  deux  côtés,  qui  encadrent 
l'action. 

Les  Christ  de  Fiesole  ont  généralement  la  mâ- 
choire carrée  du  bas;  dans  le  Couronnement  de  la 
Vierge,  c'est  frappant;  la  Vierge  est  ainsi  du  reste, 
et  ressemble  par  là  à  son  fils.  S'il  y  avait  eu, 
comme  idéalité  céleste,  autant  de  différence  entre 
la  Vierge  et  Jésus  et  les  bienheureux  et  bienheu- 
reuses, qu'il  y  a  de  distance  entre  ceux-ci  et  les 
mortels,  où  serait-il  monté,  sainte  Marie!  jusqu'à 
vous  tout  à  fait! 

Quel  homme  que  ce  Fiesole!  quel  cœur  et 
quelle  foi!  rien  n'est  plus  propre  à  rendre  dévot. . . 
à  souhaiter  ces  joies,  à  s'y  perdre  l'âme  d'aspi- 
ration. 

Fiesole.  Les  Noces  de  la  Vierge.  —  Le  grand- 


27-  NOTES   DE  VOYAGES. 

prêtre,  barbe  et  cheveux  épanchés  majestueuse- 
ment, coiffé  d'un  bonnet  pointu  (comme  ceux 
des  derviches)  avec  une  large  bordure  d'or,  prend 
Joseph  et  Marie  par  le  bras  et  les  attire  douce- 
ment l'un  vers  l'autre,  en  regardant  la  Vierge 
d'un  regard  attentif  et  indescriptible.  A  droite, 
groupe  de  femmes  qui  s'avancent  en  joignant  les 
mains  et  dans  des  poses  recueillies;  elles  ont  de 
grands  manteaux  bleus  et  rouges  à  franges  d'or 
et  des  voiles  transparents,  elles  me  rappellent 
les  femmes  de  Constantinople.  A  gauche,  des 
hommes,  mais  moins  beaux  que  les  femmes. 

Comme  dans  le  tableau  du  Pérugin,  même 
sujet,  symbole  du  bâton  rompu.  Au  fond,  de  ce 
côté,  des  hommes  soufflant  dans  d'énormes  trom- 
pettes. 

Au  fond,  un  mur  blanc,  un  large  et  bas  pot  de 
fleurs  sur  le  mur;  derrière  le  mur,  un  palmier  doum 
(quoiqu'il  ait  un  tronc  unique,  ce  qui  est  inexact, 
mais  c'en  est  bien  sûr,  aux  feuilles  en  éventail  de 
carton),  un  palmier,  deux  autres  arbres. 

La  maison  est  en  bois,  on  y  monte  par  un  esca- 
lier droit  à  plusieurs  marches,  balcon  circulaire 
comme  à  un  chalet.  Les  panneaux  de  la  maison,  au 
rez-de-chaussée  et  au  premier  étage  (on  n'en  voit 
pas  davantage),  sont  peints  de  marbre  rose  avec 
des  veines,  à  moins  que  ce  ne  soient  des  panneaux 
de  bois  précieux. 

FiEsoLE.  Le  Couronnement  de  la  Vierge,  sur  cuivre. 
—  Des  lignes,  enlevées  au  burin  sur  la  plaque,  font 
des  rayons  dans  lesquels  se  perdent  en  bas,  au 
premier  plan,  deux  anges  qui  jouent  du  violon 
et  de  l'orgue;  les  nimbes  des  bienheureux  sont  ré- 
servés sur  la  plaque,  et  tracés  au  poinçon  entre  les 


ITALIE.  273 

couleurs  des  vêtements  et  des  têtes;  de  petites  en- 
tailles, plus  profondes  et  rondes,  semblent  indi- 
quer qu'ils  étaient  destinés  à  être  incrustés  de 
pierres  précieuses. 

Tout  en  haut,  au  milieu,  assis,  Jésus  et  la 
Vierge.  Jésus  rassure  le  nimbe,  ou  le  place  sur  la 
tête  de  sa  mère;  leurs  pieds  reposent  sur  des  édre- 
dons  de  nuages  bleus.  De  chaque  côté,  entasse- 
ment d'anges  jouant  du  clairon  et  d'immenses 
trompettes,  minces,  évasées  du  bout,  et  de  cou- 
leur noire;  devant  cette  cour,  en  avant  du  couple 
céleste,  de  chaque  côté,  deux  grands  anges  aux 
longues  ailes,  minces,  fulgurantes,  qui  ont  l'air 
d'introduire  la  cour.  A  gauche,  foule  d  hommes;  à 
droite,  de  femmes  et  d'hommes;  en  bas,  au  pre- 
mier plan,  vus  de  dos  et  noyés  dans  les  rayons 
qui  descendent  du  Christ  et  de  la  Vierge  sur  eux, 
deux  anges  musiciens,  et  deux  autres  plus  en 
avant,  qui  encensent. 

A  remarquer  parmi  la  foule  des  hommes,  à 
gauche,  la  figure  d'un  évêque,  de  face,  portant  la 
croix  en  rehef  sur  le  cuivre  (repoussé);  un  autre 
évêque  en  manteau  bleu,  vu  de  profil.  Ce  sont 
de  belles  mitres  d'évêque,  de  belles  chevelures 
douces,  blondes  ou  blanches,  quelques-unes 
brunes  mais  rares;  pas  de  femmes  autrement  que 
blondes. 

Au  deuxième  plan,  à  gauche,  et  formant  bor- 
dure, tête  de  femme  avec  une  coiffure  de  fleurs 
dans  ses  cheveux  blonds  retroussés  sur  le  front; 
de  son  oreille  pend  une  chaînette  d'or  qui  tient 
à  son  bout  une  perle.  Profil  d'une  religieuse  coif- 
fée d'un  voile  bleu  étoile  d'étoiles  d'or,  sa  joue  et 
le  menton  voilés  d'une  mousseline. 


274  NOTES  DE  VOYAGES. 

Christofano  Allori.  Madeleine  couchée  et  lisant. 
—  Une  tête  de  mort  à  côté  d'elle  :  c'est  exacte- 
ment le  même  tableau  que  celui  du  Corrège;  au 
lieu  d'être  une  grotte,  l'entourage  est  la  cam- 
pagne; la  peinture  ici  est  plus  dure. 

Christofano  Allori.  Judith  tenant  la  tête  d'Holo- 
pherne.  —  Une  servante  à  côté.  Admirable  petite 
toile. 

Elle  est  nu-tête,  en  robe  jaune;  la  servante, 
par  derrière,  à  droite,  se  penche,  une  draperie  sur 
la  tête;  physionomie  travaillée,  creusée,  peinte 
comme  dans  l'école  flamande. 

La  Judith  est  bien  belle,  paupières  épaisses, 
visage  plein  de  volupté  et  de  hardiesse. 

Léonard  de  Vinci.  Tête  de  la  Méduse  coupée.  — 
A  côté,  deux  crapauds.  Fort  belle  étude  de  vipères 
(coiffure  de  la  tête),  les  écailles  sont  rudes,  on 
sent  le  froid  de  la  peau. 

Mazaccio.  Un  portrait  de  vieillard  ridé,  sur  toile, 
avec  un  petit  bonnet.  Grande  expression  de  res- 
remblance. 

Artémise  Lomi.  Judith  égorgeant  Holopherne.  — 
C'est  le  même  tableau  qui  est  à  Naples  sous  le 
nom  du  Caravaggio. 

Mariotto  Albertinelli.  La  Visitation  de  sainte 
Elisabeth.  —  II  n'y  a  que  sainte  Elisabeth  et  la 
Vierge  dans  le  tableau,  qui  en  est  plein;  c'est  de 
la  plus  grande  peinture. 

Elisabeth  arrive  et  se  penche  vers  la  Vierge  en 
lui  parlant  bas,  elle  porte  sa  main  gauche  sur  le 
bras  droit  de  la  Vierge,  elles  se  ^serrent  les  mains; 
le  haut  du  visage  de  sainte  Elisabeth  est  dans 
l'ombre  portée  sur  elle  par  le  visage  de  la  Vierge. 
La  Vierge  est  en  rouge,  couverte  d'un  manteau 


ITALIE.  275 

bleu;  Elisabeth  en  vert,  couverte  par  le  bas  d'une 
draperie  jaune;  elles  sont  sous  une  architecture  à 
petits  piliers  Renaissance  rehaussés  d'arabesques; 
fleurs  sous  leurs  pieds. 

André  del  Sarto.  Son  portrait,  jusqu'au  buste. 

—  Fort  beau.  Robe  grise,  chaperon  noir,  cheveux 
brun  roux,  nez  fort,  bouche  dessinée,  yeux  cer- 
nés et  noirs,  la  physionomie  ardente  et  attentive. 

RiDOLPHi  Ghirlandajo.  Trauslatiou  du  corps  de 
saint  Zénobe  porté  à  la  cathédrale.  —  Eclat  gras  de 
la  couleur,  aucune  idéalité,  au  sens  raphaëlesque 
du  mot;  les  têtes  sont  surtout  expressives.  Grande 
manière  de  peindre,  vraie  et  forte. 

Georges  Vasari.  Portrait  de  Laurent  de  Médias. 

—  Assis,  en  robe  verte  à  fourrure  tachetée  aux 
parements;  le  visage  est  maigre,  le  nez  bombé,  la 
mâchoire  inférieure  carrée  et  avancée,  un  peu  en 
gueule  de  singe;  le  nez  creusé  en  dedans,  fin  et 
relevé  du  bout;  le  front  bombé,  le  teint  général 
bistré,  pas  de  barbe;  mains  grandes,  maigres  et 
vigoureuses,  très  étudiées. 

Alexandre  Allorl  Le  Sacrifice  d'Isaac.  —  Cu- 
rieux pour  la  composition.  D'abord,  en  com- 
mençant par  la  gauche,  on  voit  dans  le  fond  une 
maisonnette.  Scène  rustique  :  1°  Isaac  et  Abraham 
se  mettent  en  marche;  2°  plus  près  de  nous,  Isaac 
fait  le  paquet  de  bois,  fane  est  là;  3°  au  premier 
plan,  nous  voyons  l'âne  chargé  des  provisions,  un 
chien  qui  fouille  dans  un  panier  à  terre  et  deux 
hommes  qui  dorment  sur  l'herbe;  4°  Isaac  et 
Abraham  sont  en  marche. 

(Comme  dimension,  nous  sommes  ici  au  sujet 
principal  de  la  toile,  Isaac  porte  le  bois  et  Abraham 
un  brandon  allumé.  Belle  draperie  rouge  et  jaune 


276  NOTES  DE  VOYAGES. 

d'Abraham,  étude  d'anatomie  et  de  couleur,  sur- 
tout dans  les  bras  nus.) 

5°  Au  haut  de  la  montagne,  Isaac  sur  le  bûcher, 
et  Tange  qui  arrive;  6°  même  motif  répété  plus 
loin  dans  le  fond  à  droite,  mais  il  n'j  a  dans  la 
pensée  de  l'auteur  évidemment  de  principal  que 
la  montée  et  le  bûcher. 

Tout  ce  qui  précède  est  sur  un  plan  plus  reculé, 
comme  un  lointain  au  sujet,  comme  un  précédent 
à  faction  ;  mais  pourquoi  avoir  répété  deux  fois  la 
scène  du  bûcher  avec  l'ange  qui  arrive  ? 

Quelque  chose  de  gêné  dans  fexécution  de 
tout  ce  tableau ,  cet  art  n'est  pas  encore  arrivé  à  la 
liberté  de  sa  forme. 


SALLE  DU  BAROCCIO. 


RuBENS.  Une  bacchanale.  —  Un  Silène  nu  est 
assis  sur  une  barrique;  entre  le  bois  et  sa  fesse,  un 
drap  de  velours  brun;  il  tend  une  coupe  que  rem- 
plit une  Bacchante  assise  près  de  lui.  De  la  coupe 
un  peu  inclinée  coule  le  vin  blanc;  un  petit  Faune 
se  renverse  la  tête  en  arrière  pour  boire;  de  l'autre 
côté,  un  vieux  Faune,  cornu  et  chauve,  boit  à 
même  le  goulot  d'un  vaste  flacon,  et  au  premier 
plan,  devant  la  barrique,  un  petit  enfant,  relevant 
sa  chemise  et  tendant  son  ventre  en  avant,  pisse; 
le  jet  d'urine  troue  la  terre. 

De  l'autre  côté,  un  lion  est  couché  sur  le  flanc, 
mâchant  des  raisins  dont  le  jus  découle  de  sa 
gueule;  sur  lui  est  posé  le  pied  du  Silène. 

La  Bacchante  est  blonde,  d'un  blond  blanc 
vert,  à  cause  du  reflet  des  feuillages;  son  bras,  sa 


ITALIE.  277 

tête,  sa  chevelure,  la  coupe  en  verre  du  Silène, 
et  le  vin  qu'elle  verse,  tout  cela  est  à  peu  de  chose 
près  du  même  ton,  c'est  de  la  lumière  qui  se  joue 
là  dedans.  Le  sein  de  la  Bacchante,  rond  et  pesant, 
est  sorti  de  sa  robe  rouge  dans  le  mouvement 
qu'elle  fait  en  levant  le  bras  pour  verser;  sa  bouche 
est  petite,  rose,  ouverte;  son  nez  assez  fin,  pointu, 
aux  narines  très  remontées. 

Dans  les  plis  des  ombres  des  chairs  du  Silène, 
tons  ardoise;  aux  endroits  lumineux,  tons  de 
brique;  c'est  là  de  l'admirable  viande,  de  la  graisse 
ferme  et  en  pelote  serrée  sous  la  peau. 

La  tête  renversée  du  Faune  qui  boit,  vue  en 
raccourci  par  derrière  (celle  du  petit  Faune  l'est 
de  profil),  est  en  plein  frappée  du  soleil.  Admi- 
rable cambrure  crâne  de  l'enfant  qui  pisse. 

Tableau  dont  on  ne  peut  se  détacher  et  qui 
attire  à  soi  chaque  fois  qu  on  veut  sortir  de  la  salle. 

Carlo  Dolci.  La  sainte  Marie-Madeleine.  — 
Tenant  une  urne  ou  un  vase  de  baume  sur  son 
cœur.  Est  une  chose  ennuyeuse  et  prétentieuse, 
quoique  la  tête  indépendamment  soit  belle;  mais 
cette  femme,  pressant  avec  amour  un  pot,  ça 
semble  niais. 

RuBENS.  Portrait  d'Hélène  Fourment,  sa  seconde 
femme.  —  Elle  tient  un  fil  de  perles  dans  la  main, 
elle  a  autour  du  cou  un  petit  collier  de  perles, 
une  grande  collerette  blanche  empesée  remonte 
derrière  elle;  corsage  et  manches  jaunes  à  crevés; 
chevelure  très  blonde,  sans  prétention;  des  yeux 
noirs  ou  du  moins  brun  très  foncé,  ce  qui  con- 
traste avec  ce  teint  si  blanc  et  si  rose  et  ces  che- 
veux si  blonds.  Les  sourcils,  quoique  blonds, 
suffisamment  fournis  et  très  dessinés;  fossettes  au 


278  NOTES  DE  VOYAGES. 

menton  et  aux  joues;  visage  ovale,  nez  mignon 
et  pointu  (Rubens  aimait  les  nez  pointus).  Dans 
sa  chevelure,  deux  petites  fleurs  blanches  et  une 
rouge. 

Fort  beau  portrait. 

Sassoferrato.  Vierge  voilée  de  bleu,  la  tête  penchée 
sur  l'épaule  et  joignant  les  mains.  —  Fort  beau,  ça 
me  semble  moins  blanc  que  les  Sassoferrato  ordi- 
naires. 

ÉCOLE  ALLEMANDE  OU  FLAMANDE. 

Nicolas  Frumentl  Lazare  ressuscitant;  Marthe 
aux  pieds  de  Jésus;  Madeleine  lavant  les  pieds  de  Notre- 
Seigneur,  triptyque.  —  Lazare  sort  de  son  tom- 
beau, les  mains  jointes  et  attachées;  l'homme  (en 
f)Ourpoint  jaune,  chauve  et  barbu)  qui  le  lève, 
es  lui  détache,  Lazare  est  maigre,  presque  un 
squelette  déjà  et  tourne  les  yeux  vers  le  Christ 
debout.  De  face  près  du  Christ,  un  homme  qui  ht 
dans  un  livre  comme  s'il  faisait  des  exorcismes; 
à  gauche,  une  femme  (la  Vierge  sans  doute,  à  son 
nimbe)  éplorée  se  met  un  mouchoir  sur  la  bouche. 
A  droite,  un  homme  debout,  en  riche  pourpoint 
brodé;  sur  son  bras  un  bracelet  (en  dessus)  d'or 
incrusté  de  pierreries  et  d'où  pendent  de  longues 
franges;  il  est  coiffé  d'une  sorte  de  haut  bonnet 
pointu,  autour  duquel  passe  une  écharpe  blanche 
nouée,  qui  devait  pendre  très  bas  et  dont  il  prend 
un  bout  pour  se  boucher  le  nez;  ses  cuisses  et  ses 
jambes  sont  enfermées  dans  un  maillot  rouge  très 
collant,  souliers  à  la  poulaine  très  pointus;  sa  main 
gauche,  vue  en  dedans  par  le  spectateur  et  tournée 
la  face  externe  contre  la  hanche,  est  passée  jus- 


ITALIE.  279 

qu'au  pouce  dans  la  ceinture  qui  tient  son  poignard , 
dont  on  voit  seulement  le  pommeau  ;  il  fait  la  gri- 
mace. 

A  droite,  Madeleine  lavant  les  pieds.  Jésus  est  au 
bout  de  la  table;  en  bas,  Madeleine  doucement 
lui  lave  les  pieds,  la  main  gauche  portant  délica- 
tement le  pied  et  la  droite  le  caressant;  elle  est  en 
pleurs.  Près  du  Christ,  le  même  homme  en  pour- 
point jaune,  chauve  et  barbu,  coupe  du  pain  et 
regarde  de  travers  le  Christ;  plus  loin,  homme 
debout,  en  rouge,  qui  boit  dans  un  verre;  à  gauche, 
près  du  Christ,  homme  debout,  en  vert  (c'est  le 
disciple  avare,  qui  désigne  la  Madeleine  du  doigt 
et  fait  une  grimace);  sur  la  table,  des  côtelettes. 

Expressions  basses  et  bourgeoises  des  figures. 
Très  fort,  scènes  profondément  senties.  Le  parfum 
est  contenu  dans  un  petit  gobelet  long. 

Francesco  Frank.  Un  Triomphe  de  Neptune.  — 
Neptune  et  Vénus  au  milieu,  sur  un  char,  co- 
quille traînée  par  des  chevaux  marins.  Vénus  a  les 
jambes  prises  dans  un  filet  qui  descend  jusqu'aux 
doigts  (sorte  de  mitaine  pour  les  jambes);  chaus- 
sure héroïque  des  femmes,  que  j'ai  déjà  remarquée 
ailleurs. 

Les  Néréides  portent  des  bâtons  en  croix,  au 
bout  pendent  des  poissons;  sous  un  rocher  plus 
loin,  une  tablée;  au  fond,  un  volcan  ou  du  feu  sur 
une  montagne.  Bleu  foncé  de  la  mer  et  du  ciel. 

Peinture  animée,  belles  femmes  mouvementées, 
dans  l'eau. 

HoLBEiN.  Portrait  de  François  I"  armé,  à  cheval, 
petite  toile.  —  II  tient  le  sceptre  et  est  coiffé  d'une 
toque.  Cheval  blanc,  noir  aux  jambes,  crinière 
peignée  et  égalisée  (imitant  l'efiFet  d'une  cheve- 


28o  NOTES  DE  VOYAGES. 

lure),  un  mors  effroyable,  bride  et  caparaçon  rose 
vif;  sur  la  tête  du  cheval,  bouquet  de  plumes 
jaunes,  vertes  et  rose  pâle;  le  caparaçon  couvre 
toute  la  croupe  et  de  longs  cordons,  terminés  par 
des  glands,  pendent  jusqu'aux  jarrets,  à  la  façon 
des  hordges  du  dromadaire. 

Le  roi  est  enfermé  dans  une  riche  armure 
d'acier  ciselée  d'or,  et  engravée  de  sujets;  la  ge- 
nouillère est  formée  par  un  masque,  l'arçon  de  la 
selle  est  très  haut  et  creusé  de  façon  à  pouvoir 
prendre  les  cuisses  en  cas  de  chute. 

Ugue  van  der  Goes  de  Bruges.  La  Vierge,  le 
Bamhino,  sainte  Catherine  à  genoux  et  une  autre 
jemme.  —  Les  cheveux  des  deux  femmes  sont, 
sur  le  front,  rasés,  ou  du  moins  tellement  rejetés 
en  arrière  qu'on  n'en  voit  mèche;  la  femme  à 
gauche,  qui  présente  une  pomme  au  Bambino, 
a  une  belle  chevelure  épandue,  couleur  blond 
roux,  de  même  ton  que  sa  robe.  Sous  sa  couronne 
d'or  est  pris  un  voile  empesé,  gaze  mince  et  raide, 
qui  s'avance  carrément  en  forme  d'auvent  et  laisse 
à  travers  sa  transparence  voir  à  nu  son  crâne;  il  en 
est  ainsi  pour  la  femme  de  droite  qui  tient  un  livre, 
on  ne  lui  voit  aucun  cheveu;  sur  le  côté  droit  de 
la  tête  elle  a  une  sorte  de  calotte  d'or  très  dur, 
posée  sur  l'oreille,  c'est-à-dire  tenue  entre  l'oreille 
et  la  tête.  Cette  calotte  (qui  semble  formée  de  la 
réunion  de  plusieurs  bandes  concentriques)  est 
dure,  lourde  et  garnie  de  pierreries.  Sur  son  casa- 
quin  de  velours  vert  elle  porte  au  bras  gauche  un 
bracelet  incrusté  de  pierres  précieuses,  d'où  pen- 
dent de  longues  franges  d'or  jusqu'au  coude;  de 
dessous  ces  franges,  sort  la  manche. 

MiERRis.  Intérieur.  —  Femme  debout,  en  robe 


ITALIE.  281 


de  satin  blanc,  tenant  une  guitare  sous  le  bras;  un 
jeune  garçon  présentant  un  plateau;  femme  en  ca- 
saquin  de  velours  violet  garni  de  fourrure  blanche 
et  buvant  dans  un  verre.  Derrière ,  homme  debout , 
tenant  le  manche  d'un  gros  instrument.  Sur  une 
table,  fruits,  un  singe  qui  mange,  bouteille  à 
flacon  d'or  avec  une  chaînette.  Du  plafond  pend 
un  Amour  suspendu  par  un  fil. 

Chef-d'œuvre  du  genre,  comme  dirait  le  cata- 
logue ! 


GALERIE  DU  PALAIS  PITTL 


Parmesan.  La  Vierge  au  long  col.  —  Non  seu- 
lement le  col  est  long,  mais  le  grand  Bambino 
qu'elle  porte  sur  ses  genoux.  La  femme  de  gauche, 
qui  porte  une  buire  :  style  de  la  jambe  maniéré, 
la  jambe  fait  arc  et  est  très  contournée.  Les  têtes 
sont  charmantes,  comme  toutes  celles  du  Parmesan  ; 
ton  des  chevelures  blond  gris.  La  Vierge  a  une 
robe  grise;  par-dessus,  un  manteau  vert.  Dans  le 
fond,  trois  colonnes  et  un  homme  qui  déroule  un 
rouleau. 

GioRGioNE.  Un  concert  de  musique,  grand  tableau 
de  chevalet.  —  Trois  personnages.  Au  milieu,  un 
homme  joue  du  clavecin  et  détourne  la  tête,  l'œil 
est  ouvert  et  interrogateur,  il  a  peu  de  cheveux 
et  est  habillé  de  noir;  à  gauche,  jeune  homme  en 
jaune,  toque  à  plume  blanche;  à  droite,  homme 
en  pèlerine  ecclésiastique,  chemise  plissée  en  des- 
sous, tient  le  manche  d'une  basse  et  met  la  main 
droite  sur  l'épaule  du  musicien.  Admirable  tête 
du  musicien ,  réalité  exacte. 

Guide.  Cléopâtrese  tuant.  —  Elle  a  le  coude  posé 


282  NOTES  DE  VOYAGES. 

sur  des  coussins  bleus,  et  tient  l'aspic  par  le  bout 
des  doigts  comme  une  lancette;  à  côté  est  le  panier 
de  figues.  De  la  main  droite  elle  retient  sa  che- 
mise sur  le  creux  de  l'estomac.  Blanc,  joli,  caressé, 
agréable,  on  ne  peut  plus  embêtant. 

Raphaël.  Portrait  de  Thomas  Feda  Ingbirani.  — - 
En  rouge,  toque  rouge,  il  écrit,  œil  blanc,  de 
travers. 

Michel- Ange.  Les  Trois  Parques  (Jupiter).  — 
Trois  vieilles  femmes  :  celle  de  gauche  lient  les 
ciseaux  et  interroge  du  regard  celle  qui  file  à  la 
quenouille,  lui  demandant  s'il  est  temps  de  couper, 
il  est  impossible  de  voir  quelque  chose  de  plus 
expressif;  la  troisième  regarde  les  deux  autres,  la 
bouche  ouverte. 

Peinture  d'un  ton  gris,  cela  sent  la  fresque. 

RuBENs.  Nymphes  attaquées  par  des  Satyres,  avec 
un  paysage  au  fond,  largement  fait.  Grande  toile 
pleine  de  mouvement. 

Allori.  Judith  tenant  la  tête  d'Holopherne  à  la  main, 
est  le  même  en  grand  que  le  petit  qui  est  aux  Of- 
fices. 

Van  Dyck.  Portrait  du  cardinal  Bentivoglio.  —  En 
pied,  assis,  chauve  et  carré  du  haut  de  la  tête, 
pointu  du  bas;  mâchoire  étroite,  figure  fine  d'une 
grande  distinction  et  très  spirituelle;  il  y  a  à  côté  : 

RuBENs.  Son  portrait  avec  deux  autres  hommes,  — 
Livres  et  papiers  sur  une  table  recouverte  d'un 
tapis;  un  chien;  buste  de  Sénèque  dans  une  niche, 
avec  des  tulipes. 

Titien.  Portrait  de  Comaro.  —  Comme  ça  écrase 
et  le  Rubens  et  le  Van  Dyck,  qui  seraient  d'admi- 
rables toiles,  placées  ailleurs! 

Vieillard  chauve,  à  petite  barbe  blanche  rare, 


ITALIE.  283 

teint  animé  en  dessous,  maigre,  pas  de  dents, 
vêtu  de  noir. 

Guide.  Saint  Pierre  en  larmes  entendant  le  coq 
chanter.  —  Composition  absurde  et  d'une  senti- 
mentalité ridicule.  II  est  posé  sur  le  genou  gauche 
et  écarte  les  bras  en  levant  la  tête  de  côté  et  pleu- 
rant, le  col  tendu.  Draperie  jaune  sur  son  vêtement 
vert.  Dans  un  coin,  le  coq. 

Rembrandt.  Son  portrait,  jeune.  —  De  face, 
toque  noire,  hausse-col  de  fer,  manteau  et  chaîne 
d'or  par-dessus,  figure  hardie  et  attirante.  Très 
belle  toile,  mais  quelle  différence  comme  peinture 
et  intensité  morale  avec  son  portrait  vieux,  à 
Naples  ! 

Salvator  Rosa.  La  Conjuration  de  Catilina.  — 
Au  premier  plan,  deux  hommes  se  donnent  la 
main.  Clair-obscur  général,  la  lumière  éclaire 
vivement  le  bras  de  l'homme  (de  droite)  qui  tient 
une  coupe;  ce  bras  a  une  cotte  de  mailles  et  sur 
la  cotte  de  mailles  une  chemise;  un  manteau  terre 
de  Sienne  par-dessus  son  armure.  Figure  ardente 
et  animée.  Les  autres  conjurés  sont  dans  le  fond. 

Titien.  —  La  maîtresse  du  Titien.  Robe  bleue  à 
broderies,  manches  violettes,  collier  et  chaine  d'or, 
boucles  d'oreilles  d'or  en  corail  et  en  perles,  che- 
veux roux  avec  des  yeux  noirs,  sourcils  très 
soigneusement  arqués ,  figure  raide ,  tenue  gothique 
et  empesée.  Tableau  de  caractère,  mais  d'une 
exécution  médiocre  relativement  au  Titien.  Quelle 
différence  avec  le  portrait  de  Cornaro  ! 

BoTicELLi.  —  La  Belle  Simonette.  —  Tout  à  fait 
de  profil,  maigre  et  mince,  robe  couleur  purée  de 
lentilles;  ses  mains,  ou  plutôt  sa  main  est  dans 
sa  poche;  le  col,  excessivement  long  et  mignon, 


2  84  NOTES  DE  VOYAGES. 

est  relevé  d'un  cordonnet  noir  qui  coule  dessus; 
les  cheveux,  sur  le  derrière  de  la  tête,  sont  pris 
dans  une  coifFe  blanche,  une  mèche  se  détache 
naturellement  de  son  bandeau  blond  gris  pâle. 
Profil  calme  et  d'une  douceur  charmante,  œil 
tranquille,  très  ouvert. 

Toile  d'un  grand  ragoût. 

Salvator  Rosa.  La  Forêt  des  philosophes,  pay- 
sage!!! La  Paix  brûlant  les  armes  de  Mars.  —  A 
droite,  massif  d'arbres  rose  tabac,  qui  vont  s'abais- 
sant  en  perspective  vers  le  fond  et  s'éclaircissant 
de  ton  à  mesure  qu'ils  s'éloignent;  au  pied  de  cette 
hgne  d'arbres,  de  feau. 

Au  premier  plan,  à  gauche,  un  grand  arbre  et 
un  autre  plus  petit;  au  pied  du  grand  arbre,  la 
Paix  brûle  les  armes  de  Mars. 


TRIBUNE. 

André  del  Sarto.  Sainte  Famille.  —  La  Vierge 
au  milieu,  debout  sur  une  sorte  d'autel  votif,  por- 
tant le  Bambino  sur  son  bras  droit;  à  ses  côtés, 
plus  bas,  un  moine  en  gris  portant  une  croix,  et 
une  femme  en  rouge  portant  un  livre;  des  deux 
côtés  du  piédestal  sur  lequel  est  la  Vierge,  des 
enfants  ailés.  La  chevelure  des  deux  femmes  est 
rouge  brun.  La  Vierge,  vêtue  en  robe  rouge,  re- 
tient sur  sa  cuisse  gauche  une  draperie  verte  avec 
un  livre  appuyé  dessus  par  la  tranche;  sur  la  poi- 
trine et  le  bras,  passe  une  draperie  jaune;  sur  sa 
tête,  un  voile  blanc  tombant  sur  l'épaule  gauche. 
Sa  main  droite  est  sous  la  fesse  du  Bambino,  qui 
appuie  son  pied  droit  sur  le  haut  de  sa  cuisse  et 


:i 


ITALIE.  285 

ui,  portant  la  main  et  le  bras  à  son  col  sur  lequel 
il  s'écore,  s'efforce  de  monter  jusqu'à  elle. 

Ici,  le  besoin  artistique  du  mouvement  fait  de 
la  représentation  de  Dieu  un  sujet  dramatique. 
Se  fût-on  permis  cela  au  moyen  âge  ?  le  Bambino 
m'y  semble  toujours  immuable.  Le  sens  profon- 
dément religieux  de  l'enfant.  Dieu  assis  dans  les 
bras  de  sa  mère,  sans  bouger,  comme  vérité  éter- 
nelle, fait  place  ici  au  sentiment  de  la  vie  et  du 
vrai  humain;  la  religion  perd,  fart  empiète.  Le 
Bambino  en  mouvement  se  trouve  dans  le  tableau 
suivant. 

Raphaël.  Le  Bambino,  saint  Jean-Baptiste  enfant , 
et  la  Vierge.  —  Ici  seulement  la  main  de  la  Vierge 
(assise)  est  sur  l'épaule  du  Bambino,  pour  l'aider 
à  monter;  à  ses  pieds  le  petit  saint  Jean,  avec  la 
peau  autour  des  reins,  va  s'agenouiller  devant  eux, 
et  leur  montre  la  légende  sur  une  banderole  en- 
roulée. Le  bout  du  pied  de  la  Vierge  dépasse  de 
sa  draperie  verte.  La  main  et  le  bras  gauches  du 
Bambino  sont  étendus  sur  le  col  de  sa  mère  pour 
monter  jusqu'à  son  visage. 

Raphaël.  La  Vierge  au  chardonneret.  —  Saint 
Jean-Baptiste  enfant  (couvert  de  la  peau  avec  une 
petite  tasse  accrochée  à  la  ceinture  de  corde  de 
sa  peau)  présente  un  chardonneret  à  Jésus-Christ 
debout  entre  les  genoux  de  sa  mère;  son  pauvre 
petit  charmant  corps  est  tourné  vers  saint  Jean, 
qu'il  regarde  d'un  œil  mélancolique,  tandis  que  la 
tête  de  saint  Jean,  au  contraire,  est  très  vive,  très 
animée  et  joyeuse  sous  sa  chevelure  frisée  (dans 
le  même  système  à  peu  près  que  le  buste  d'Othon  ). 
La  Vierge,  tenant  un  livre  de  la  main  gauche, 
regarde   saint   Jean  avec  de   longues   paupières 


286  NOTES  DE  VOYAGES. 

baissées.  Raccourci  du  profil  de  sa  main  appuyée 
sur  l'épaule  et  vue  du  spectateur,  de  face,  par  le 
bout  des  doigts. 

Les  cheveux  du  Bambino  sont  rares  et  plats, 
laissant  ses  tempes  plus  à  découvert,  ce  qui  ajoute 
encore  à  l'expression  profondément  pensive  de  la 
physionomie,  et  en  fait,  avec  le  regard,  quelque 
chose  de  profondément  mûr  sous  ses  traits  jeunes. 
Sur  le  bas  de  son  ventre,  entre  le  pubis  et  le  nom- 
bril, une  petite  bande  de  moussehne.  Son  pied 
droit  (le  genou  est  fléchi  en  dedans)  est  appuyé 
sur  le  pied  de  sa  mère. 

Pour  fond,  des  arbres  grêles  à  la  Pérugin,  des 
terrains  verdâtres,  un  pont,  un  bois,  des  mon- 
tagnes. La  Vierge  est  en  robe  rouge  et  en  manteau 
vert. 

Raphaël.  Saint  Jean  dans  le  désert.  —Tout  nu, 
assis  de  face,  montrant  la  croix  (3''  manière). 

Raphaël  a  peut-être  atteint  l'apogée  de  sa  force 
dans  sa  seconde  manière,  c'est  là  qu'il  est  tout  à 
fait  lui  et  me  paraît  avoir  l'individualité  la  plus 
tranchée;  pour  les  tableaux  de  chevalet  du  moins, 
cela  me  paraît  incontestable. 

Cette  toile  est  d'un  effet  désagréable;  la  muscu- 
lature du  bras  droit  est  très  étudiée;  le  talon  du 
pied  droit  est  appuyé  sur  une  pierre,  le  bout 
du  pied  levé.  Une  peau  de  léopard  sur  le  bras 
gauche,  le  flanc  et  la  cuisse  droite.  Recherche 
d'animation  dans  la  figure,  teinte  d'un  blanc  bril- 
lant et  mort  tout  à  la  fois  :  c'est  d'une  école  fran- 
çaise fort  ennuyeuse,  les  peintres  de  l'Empire 
devaient  regarder  ce  tableau  comme  le  prototype 
de  la  peinture. 

Michel-Ange.  Sainte  Famille.  —  A  l'air  de  loin 


ITALIE.  287 

d'une  peinture  de  Botlcelli,  comme  ton.  La  Vierge 
se  retourne  pour  donner  le  Bambino  à  saint 
Joseph,  elle  est  agenouillée  et  couchée  sur  ses 
jambes;  elle  se  retourne  vue  de  trois  quarts,  et  le 
Bambino,  appuyant  ses  deux  mains  sur  la  tête 
de  sa  mère,  met  son  pied  droit  sur  son  bras. 

Dans  le  fond,  académies  d'hommes  tout  nus, 
inutiles,  appuyés  sur  une  sorte  de  parapet;  on 
dirait  qu'ils  sortent  du  bain,  un  groupe  de  deux 
à  gauche,  de  trois  à  droite.  La  Vierge,  comme 
traits,  est  vraiment  plutôt  laide. 

La  Vierge  est  en  robe  violet  clair,  blanchi  par 
les  places  de  lumière  aux  saillances;  par  le  bas  une 
draperie  verte  et  bleue.  Même  observation  pour 
la  draperie  rouge  de^saint  Joseph.  Effet  cru. 

Lucas  Cranach.  Eve.  —  La  même  femme  que 
la  Vénus  du  palais  Borghèse,  que  je  préfère  du 
reste;  elle  est  ici  nu-tête;  de  sa  main  gauche  con- 
tournée sur  la  hanche,  elle  tient  une  branche  de 
feuillage,  qui  cache  le  pudendum;  à  la  main 
droite  elle  tient  une  pomme.  Sa  chevelure  blonde 
a  la  plus  grande  masse  épanchée  sur  l'épaule 
droite. 


I 


VOYAGE  À  CARTHAGE 

DU    12  AVRIL  AU    12  JUIN    1858 


VOYAGE   A  CARTHAGE 

DU    12    AVRIL   AU    12    JUIN    i8j8. 


Lundi  12  avril  1858. 

MÉLANiE  a  été  me  chercher  un  fiacre,  Fou- 
logne  sonne.  —  Au  chemin  de  fer,  marin; 
mes  trois  compagnons,  bêtes  de  nullité  : 
1°  blond,  à  pointe;  2°  vieux  mastoc,  blanc,  collet 
de  fourrure  à  son  manteau;  3°  monsieur  bien; 
étant  «du  Nord»  et  s'occupant  d'agriculture,  il 
disserte  sur  les  huiles.  —  La  nuit  est  belle  et  les 
étoiles  brillent,  je  fume  et  refume  en  retournant 
en  moi  toutes  mes  vieilleries. 

A  Lyon,  la  place  où  la  statue  de  Niewerkerke 
déshonore  l'univers.  —  Un  barbier  au  coin  de  la 
rue.  —  Je  lis  :  Café  du  Monument. 

Je  m'empiffre  à  Valence,  avec  rapidité  et  dé* 


(•>  Ces  notes  sont  celles  que  Flaubert  a  tracées  au  jour  le  jour 
sur  son  carnet  de  route,  au  cours  du  voyage  qu'il  fit  en  Afrique 
à  l'intention  de  Salammbô.  (Voir  Correspondance ,  III,  p.  163.) 

19. 


292  NOTES  DE  VOYAGES. 

lices.  —  Ma  joie  de  voir  des  montagnes  et  le 
Midi. 

A  Avignon,  des  sorbets  à  la  glace.  —  Mes 
trois  compagnons  se  sont  changés  en  trois  autres  i 
plus  supportables.  —  Grand  étang  à  droite ,  bastide, 

Marseille.  —  La  mer  bleue!  —  Omnibus  : 
deux  vieilles  dames.  —  Chez  Parrocel,  tout  est 
plein  pour  le  maréchal  Castellane;  on  me  loge 
tout  en  haut,  dans  une  petite  chambre.  —  Télé- 
graphe. —  Bureau  des  paquebots.  —  Je  me  bourre 
de  bouillabaisse  et  je  vais  au  café  :  amateurs  mar- 
seillais jouant  aux  dominos. 

Le  lendemain  mercredi,  bain.  La  maîtresse  des 
bains  a  mal  aux  yeux  comme  moi.  —  Je  cherche 
et  je  retrouyeY  Hôtel  de  la  Darse;  le  rez-de-chaussée, 
ancien  salon,  est  un  bazar  maintenant;  c'est  le 
même  papier  au  premier! 

Visite  à  bord  de  YHermus,  dans  le  port  neuf. 
—  Jardin  zoologique  délicieux;  des  montagnes 
(de  Saint-Loup)  brunes  et  sèches,  couvertes  d'un 
glacis  bleu;  une  cascade  tombe  et  babille  pendant 
qu'un  lion  rugit  doux  comme  une  pompe;  des 
paons  sur  des  arbres;  un  paon  blanc.  C'est  un  en- 
droit délicieux.  —  Soir,  café. 

Jeudi.  —  Promenade  au  musée.  —  Re-visite  à 
l'Hôtel  de  la  Darse.  —  Les  rues  du  vieux  Mar- 
seille. —  Un  débit  de  tabac  où  l'on  ne  connaît 
pas  les  londrès.  —  Place  du  Puget.  —  Un  agent 
de  police  engueulant  un  marchand  de  rubans.  — 
Les  murs  des  maisons  s'effritent.  —  Rues  en 
pentes!!  —  Maison  meublée  tenue  par  X.  —  Les 
femmes  petites,  noires,  en  cheveux,  évidemment 
le  type  italo-arabe;  pas  une  ne  m'accoste,  même 
de  l'œil.  Quel  bel  éloge  de  la  police!... 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  293 

Un  verre  de  malaga  dans  le  Chalet.  —  Prome- 
nade au  Prado  pour  aller  demander  une  table  à 
Courty,  mais  je  ne  retrouve  pas  Courty;  course 
qui  n'en  finit,  c'est  un  quartier  triste;  forcé,  un 
fiacre  me  conduit  au  bout,  où  je  reconnais  la 
place  pour  être  venu  avec  le  père  Cauvière. 

Retour  à  l'hôtel.  —  M.  Touraide  ouTouraine, 
avocat  d'Aix,  tout  blanc,  un  père  Lormier  passé 
à  la  mélasse,  met  son  bonnet  de  velours  pour 
dîner;  son  épouse  le  regarde.  C'est  un  avocat 
d'Aix  que  les  cors  aux  pieds  préoccupent  vive- 
ment :  «Mes  bottes...»  et  la  femme  idem  :  «Je  ne 
peux  mettre  que  de  vieilles  bottines  »,  —  Le  soir, 
Gymnase-Dramatique,  oii  l'on  chante  diverses 
romances.  L'odeur  des  latrines  est  tellement  forte 
que  je  m'enfuis. 

Vendredi  midi,  embarquement  :  beaucoup  de 
troupiers,  des  émigrants  pêle-mêle  sur  le  pont; 
tout  cela  se  calme,  le  vent  fraîchit,  on  disparaît 
dans  ses  cabines.  Jamais  je  n'ai  vu  de  personnel 
plus  insignifiant  ni  plus  taciturne.  (Je  n'ai  pas 
depuis  huit  jours  échangé  dix  paroles.)  Le  navire 
roule,  engourdissement  et  mal  de  tête.  Le  soir,  la 
lune  se  lève,  mince  et  recourbée  comme  le  patin 
d'une  Chinoise;  il  fait  froid,  je  rentre  me  cou- 
cher. 

Toute  la  journée  du  samedi,  malaise  et  engour- 
dissement, sans  maux  de  cœur;  je  dîne  dans  ma 
cabine,  couché.  L'ancien  remède  indiqué  par  le 
père  Borelli  (du  Nil),  du  pain  frotté  d'ail,  m'a 
réussi,  et,  le  soir,  je  prends  le  thé  tout  seul.  J'en- 
tends, la  nuit,  les  dégueulades  de  mes  compagnons. 

A  5  heures,  dimanche,  je  monte  sur  le  pont, 
la  terre  d'Afrique  est  devant  moi.  A  droite,  mon- 


1()4  NOTES  DE  VOYAGES. 

tagnes  noires,  de  médiocre  hauteur;  la  mer  foncée, 
marmora  pond  est  une  expression  réaliste.  On  ne 
sait  pas  très  bien  oij  est  Stora.  —  Un  petit  officier 
de  cavalerie  ressemble  un  peu  à  Pendarès.  Une 
femme  de  chambre  sylphide,  avec  un  œil  à  demi 
clos,  a  été  dans  l'Inde  :  chapeau  de  soie  puce, 
éreinté.  Les  émigrants  sont  toujours  sous  le  ca- 
pot, pêle-mêle;  les  troupiers  enveloppés  dans 
de  grandes  couvertures  grises,  comme  des  ca- 
davres. Le  navire  se  balance  et  balance  tout  cela 
monstrueusement.  Un  Russe,  grande  redingote 
(M.  Suc),  très  malade,  l'air  rébarbaratif;  son  com- 
pagnon, grand,  blond,  un  peu  sot,  répète  :  «Les 
hommes  forts  sont  plus  malades,  tandis  que 
les  faibles  supportent  mieux;  ainsi,  moi.»  Mais 
la  plus  belle  balle,  c'est  un  bourgeois  hideux,  le 
Ferrand  des  Mystères  de  Paris,  cravate  blanche, 
habits  noirs  fripés,  chapeau  blanc  très  haut  et 
défoncé;  couturé  de  petite  vérole.  Une  destinée 
ignoble  est  gravée  là  :  il  a  fait  tous  les  métiers  et 
il  doit  être  ou  maître  d'école  ou  pharmacien;  il 
tire  de  sa  poche  un  grand  portefeuille. 

Débarqué  dans  une  barque  mahaise  qui  est  de 
Naples;  l'homme  qui  la  conduit  a  de  gros  favoris, 
nez  de  vautour,  il  sourit;  ses  cheveux  noirs  sont 
par  petites  mèches,  comme  des  paquets  de  ficelles 
goudronnées. 

Hôtel  des  Colonies.  —  Télégraphe,  une  mos- 
quée à  droite.  Pour  j  aller,  «Maison  de  la  porte 
de  fer»  avec  2  pots  au  premier  qui  contiennent 

des  fleurs,  m'a  l'air  d'un  b —  Des  Arabes 

couverts  de  grands  linges  grisâtres;  un,  surtout, 
un  vieux,  chassant  un  âne  qui  porte  des  fagots. 

La  rue  principale  a  des  arcades  genre  rue  de 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  295 

Rivoli;  des  Arabes  jouent  des  couteaux  au  tourni- 
quet, beaucoup  de  cafés,  café  Defoy  sur  la  place, 
en  vue  de  la  mer.  —  Deux  petits  rochers  à  l'en- 
trée du  golfe.  —  L'Hermus  est  en  face  de  moi, 
devant  Stora;  à  gauche,  sur  les  rochers,  la  route 
de  Stora  à  Philippeville;  sous  ma  fenêtre,  allant 
à  droite,  un  chemin.  La  mer  est  toute  bleue,  des 
cormorans  jouent  dans  l'air.  J'ai  pris  une  bouteille 
de  hmonade  gazeuse  sur  la  terrasse  de  l'Hôtel  des 
Colonies,  au  rez-de-chaussée. 

Philippeville  est  bâtie  dans  une  espèce  de  ravin 
qui  descend  vers  la  mer. 

Dimanche ,  4  heures  et  demie  du  soir. 

Philippeville.  —  En  regardant  la  mer,  au 
fond,  un  bout  de  la  montagne;  rocher  et,  à 
droite,  deux  casernes.  La  ville  au  miheu.  En  bas, 
maisons  à  toits  en  tuiles,  elles  sont  blanches  et 
toutes  modernes.  Je  suis  sous  la  mosquée  qui  est 
bâtie  sur  le  versant  droit  (tournant  le  dos  à  la 
mer);  j'ai  passé  par  la  rue  de  Kébir  :  roses,  no- 
pals, petites  fleurs  bleues. 

En  regardant  la  vallée,  on  a  :  à  gauche,  mon- 
tagne; à  droite,  idem  qui  la  rejoint;  très  vert,  avec 
des  bouquets  plus  foncés,  taches  d'or  par  places. 
Le  mur  des  fortifications  est  devant  moi. 

Rencontré  trois  rehgieuses  et  des  enfants  qui 
faisaient  s'envoler  des  écoufïïes.  —  II  J  a  devant 
la  mosquée  où  je  suis  beaucoup  d'herbes,  des 
oiseaux  crient  dans  les  créneaux  de  la  mosquée; 
en  face  de  moi,  derrière  une  quatrième  caserne, 
une  grande  meule  de  foin;  çà  et  là  un  bouquet 
de  genêts.  Le  ciel  bleu  pâle. 

A  mon  second  séjour  à  Philippeville,  le  soir, 


296  NOTES  DE  VOYAGES. 

baraques  de  saltimbanques;  vue  des  hauteurs,  de 
la  même  place.  —  Deux  espèces  de  nains,  parmi 
les  ruines,  recueillis  dans  le  théâtre,  trapus,  têtes 
énormes,  vêtements  striés;  —  travail  évidemment 
punique. 

CoNSTANTiNE.  —  Parti  le  soir,  dimanche,  sur  la 
banquette.  H  J  a  derrière  moi  deux  Maltais,  un 
spahi  et  un  Provençal  ou  Itahen.  La  voiture  craque 
et  gargouille  comme  un  ventre  trop  plein.  Ces 
animaux,  derrière  moi,  puent  et  gueulent;  le  Pro- 
vençal veut  blaguer  le  spahi,  qui  rit  en  arabe;  les 
Mahais  hurlent;  tout  cela  n'a  aucun  sens  qu'un 
excès  de  gaieté.  Quelles  odeurs!  quelle  société! 
«Macache!  macache!  »  A  ma  droite,  un  petit 
monsieur  tout  en  velours,  entrepreneur  de  toute 
espèce  de  choses,  assurances,  terrains,  etc.  Il  a  été 
spahi. 

La  route  est  bordée  de  saules,  les  montagnes 
sont  basses,  cela  ressemble  au  centre  de  la  France; 
la  poussière  obscurcit  la  lumière  des  lanternes,  il 
fait  très  chaud,  j'ai  mal  aux  jeux.  En  montant  à 
pied  une  côte,  mon  voisin  me  montre  une  place 
où  il  a,  une  nuit,  en  p. ..ant  ainsi  avec  d'autres 
voyageurs,  aperçu  trois  hons,  couchés  tranquille- 
ment; le  pays  en  est  plein. 

Au  milieu  de  la  nuit,  nous  nous  sommes  arrêtés 
dans  un  village.  Auberge  comme  en  Itahe  :  grande 
salle  nue,  au  premier  au  fond  d'un  corridor;  une 
longue  table,  des  hommes  qui  dorment,  un  comp- 
toir et  des  tonneaux.  On  entre  dans  une  écurie; 
escalier  droit.  Les  auberges,  qui  sont  pleines,  ont 
l'air  d'abord  désertes. 

Aperçu  un  incendie  sur  la  droite;  de  temps  à 
autre,  des  fdes  de  charrettes  dételées  et  stationnant 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  297 

dans  les  villages;  les  ponts  sont  plus  étroits  que  le 
chemin. 

La  végétation  diminue,  les  montagnes  gran- 
dissent, nous  montons  toujours.  Elles  sont  d'un 
vert  épinard  à  ma  gauche;  celles  de  l'horizon, 
grises  par  le  sommet. 

On  commence  à  descendre.  De  pauvres  Arabes 
couverts  de  haillons  (pas  une  femme)  chassent 
des  ânes  couverts  de  branches  avec  leurs  feuilles; 
des  jardins  au  bord  de  la  route,  des  roses,  un 
palmier,  mais  vilain;  une  chèvre  jaune  et  sans 
cornes  broute  sur  une  pente  à  droite;  troupeaux 
de  chèvres. 

Les  montagnes  du  fond  s'accumulent  les  unes 
derrière  les  autres.  On  tourne  sur  la  gauche  pour 
gagner  Constantine  et  l'on  monte,  à  pied.  Inter- 
minable ascension.  Un  de  nos  compagnons  (un 
horloger),  horriblement  pied  bot,  monte  avec  sa 
béquille. 

Sous  les  remparts  de  Constantine,  place  grise, 
en  pente,  couverte  d'Arabes.  Leurs  cahutes,  en 
forme  de  loges  à  chien,  ont  un  toit  (ce  qui  les 
différencie  de  celles  des  fellahs);  elles  sont  en 
pierres  et  en  boue,  hautes  de  trois  et  quatre  pieds. 
Le  terrain  est  très  en  pente,  les  hommes  font  de 
longues  masses  blanc  sale  flottant;  ce  qu'il  y  a 
de  plus  brun,  ce  sont  les  visages,  les  bras  et  les 
jambes,  cela  est  d'une  pauvreté  et  d'une  malédic- 
tion supérieures  :  ça  sent  le  paria.  Ce  sont  d'an- 
ciens habitants  rejetés  hors  la  ville. 

On  entre  par  la  place  d'Armes.  —  Zouaves  fai- 
sant l'exercice.  —  En  face,  la  pyramide  du  gé- 
néral Damrémont.  —  Des  garçons  d'hôtel  vous, 
assaillent.  —  Hôtel  du  Palais. 


2^8  .NOTES   DE  VOYAGES. 

M.  Vignard,  chef  du  bureau  arabe.  —  Des  dé- 
combres devant  la  porte,  entrée  par  des  petits 
couloirs  à  porte  basse,  patio,  colonnes,  murs 
blanchis  à  la  chaux.  Son  salon  donne  sur  le  mar- 
ché par  où  je  suis  venu  et  la  montée  qui  mène  à 
Constantine. 

Visite  chez  le  pharmacien,  le  D""  Reboulot, 
élève  de  J.  Cloquet.  —  Le  secrétaire  de  M.  Vi- 
gnard, Salah-bej,  petit-fils  du  bey  de  Constantine, 
grand  jeune  homme  pâle,  à  tournure  distinguée 
et  un  peu  molle;  il  a  pris  une  seconde  femme  et 
s'échigne  dessus.  II  me  mène  dans  les  bazars,  les- 
quels me  rappellent  ceux  de  la  Haute-Egypte  : 
tous  les  hommes  en  blanc,  à  figure  brune;  je  sens 
(je  re-sens)  cette  bonne  odeur  d'Orient  qui  m'ar- 
rive  dans  des  bouffées  de  vent  chaud. 

Visite  à  trois  mosquées  :  elles  sont  fraîches,  les 
tapis  alternent  avec  des  nattes.  Dans  l'une,  un 
homme  accroupi  écrit  à  un  petit  pupitre,  à  côté 
du  tombeau  d'un  marabout;  dans  une  autre,  des 
figuiers  dans  la  cour  abritent  des  tombes.  A  la 
mosquée  de  Sid-el-Kitam ,  Salah-bej  me  montre 
celle  de  son  grand- père.  II  y  en  a  quelques 
autres;  dans  un  compartiment  entouré  de  grilles 
en  bois,  tombe  d'une  femme  entourée  de  voiles 
verts  et  jaunes  :  c'est  là  que  dort  une  de  ses 
aïeules,  une  vierge  mystique,  qui  n'a  jamais  voulu 
se  marier  et  qui  est  devenue  maraboute;  deux 
hommes  dorment  au  pied. 

Salah-bey  me  conduit  jusqu'aux  bords  du  Rum- 
mel,  près  des  débris  du  pont  d'EIcantara. 

Retour  chez  M.  Vignard.  —  Promenade  à  che- 
val. II  me  montre,  en  descendant,  trois  gaillards 
grêles  et  étranges  :   ce  sont   des   mangeurs  de 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  2p(; 

haschisch,  chasseurs  de  porcs-épics;  quand  ils 
en  ont  pris  un,  ils  font  un  grand  dîner.  Ces 
mêmes  hommes  prennent  les  hyènes  vivantes,  les 
amènent  à  Constantine  et  les  lâchent  à  leurs 
chiens.  Pour  prendre  une  hyène,  ils  vont  à  sa 
caverne,  bouchent  l'ouverture  avec  des  toiles,  et 
y  laissent  un  trou.  Ils  poussent  une  sorte  de  zaga- 
rit,  l'hyène  vient  au  bord,  le  chasseur  lui  parle  : 
«Tu  es  johe,  on  te  peindra  de  henné,  on  te  don- 
nera un  mari,  des  coHiers,  etc.  ».  L'hyène  s'avance, 
l'homme  passe  sa  main  enduite  de  bouse  de  vache  : 
cette  graisse,  dont  il  frotte  la  patte  de  l'hyène, 
plaît  à  cet  animal;  on  y  passe  un  nœud  coulant. 
Alors  les  autres  chasseurs,  placés  derrière,  tirent 
à  eux  et  la  bâillonnent. 

Nous  mettons  pied  à  terre,  on  contourne  le 
rocher  sur  un  petit  sentier  bordé  d'un  parapet,  et 
l'on  entre  dans  le  Rummel.  Cascades,  peu  d'eau 
au  fond  du  torrent,  énormes,  à  pic,  couleur 
rouge,  des  trous  d'oiseau;  des  gypaètes  tournoient 
dans  l'air.  —  Une  arche  naturelle,  elle  a  bien  de 
hauteur  deux  cents  pieds  (c'est  par  là  que  des 
gens  de  Constantine,  lors  de  la  prise  de  la  ville, 
sont  descendus  au  bout  d'une  corde;  quant  au 
bey,  le  tableau  de  Court  est  faux  :  il  était  dans 
l'intérieur),  puis  une  sorte  de  tunnel;  en  conti- 
nuant, on  arrive  au  pont  d'Elkantara. 

Le  Rummel  me  rappelle  Gavarnie  et  Saint- 
Saba,  c'est  dans  le  goût.  Quelquefois  le  rocher 
s'élargit  en  manière  de  cirque,  c'est  un  endroit 
féerique  et  satanique.  Je  pense  à  Jugurtha,  ça  lui 
ressemble.  Constantine,  du  reste,  est  une  vraie 
ville,  au  sens  antique,  un  acros,  aalv. 

Légende  :  un  nègre  et  un  Romain  se  trouvaient 


NOTES  DE  VOYAGES. 

au  passage  d'une  rivière  en  même  temps  qu'une 
jeune  fille;  le  Romain  avait  un  cheval.  Contesta- 
tion pour  passer  la  fille  afin  d'en  jouir,  elle,  se 
défend.  Le  Romain  lui  prête  son  cheval  et  elle 
passe  seule;  ils  passent  ensuite  tous  les  deux,  et, 
là,  la  bataille  commence  entre  eux  à  qui  l'aura. 
Le  nègre  est  tué,  la  jeune  fille,  au  moment  d'être 

,  est  changée  en  rocher  et  les  deux  hommes 

en  deux  rivières,  le  Rummel  et  le  X. , . ,  condamnés 
perpétuellement  à  tourner  autour  d'elle  et  à  lui 
baiser  les  pieds. 

Dîner  avec  le  directeur  des  postes  et  trois 
autres  messieurs.  —  Ils  connaissent  la  Bovary! 

Nuit  affreuse  en  diligence. 

Arrivée  à  Philippeville  à  6  heures;  au  lit  jus- 
qu'à 3. 

Visité  le  jardin  de  M.  Nobels,  en  vue  de  la  mer. 
Rosiers  en  fleurs  embaument.  Une  mosaïque, 
trouvée  sur  place,  représente  deux  femmes,  fune 
assise  et  conduisant  un  monstre  marin  à  bec 
d'aigle;  une  autre  assise  et  conduisant  un  cheval, 
des  iris  entre  les  oreilles  font  des  flammes  rouges; 
une  troisième  danseuse,  avec  des  anneaux  aux 
chevilles,  pieds  et  jambes  remarquables  de  forme 
et  de  mouvement,  la  droite  sur  la  gauche;  le 
champ  est  semé  de  poissons.  Le  nègre  jardinier 
qui  m'a  conduit  va  m'emplir  un  arrosoir  et  asperge 
la  mosaïque  pour  me  la  faire  voir.  Je  suis  pris  de 
tendresse  dans  ce  jardin!  Le  temps  est  brumeux, 
les  soldats  de  la  terrasse  en  face  jouent  des  fan- 
fares. 

Difficulté  pour  avoir  une  voiture;  la  mer  est 
mauvaise,  toutes  les  barques  parties.  —  Cabriolet 
que  je  mène. 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  30  I 

Départ  de  Stora  à  6  heures,  nous  mouillons  à 
8  heures  et  demie  à  l'abri  du  Cap  de  Fer. 

Ecrit  le  soir  à  10  heures, 
le  navire  roule  un  peu  sur  ses  ancres. 

Le  vent  d'Est  nous  force  à  passer  la  nuit  au 
Cap  de  Fer.  Le  lendemain  mardi  et  le  mer- 
credi, restés  au  Fort  Génois,  à  cause  du  mauvais 
temps  et  de  l'hélice  prise  dans  une  chaîne  de 
bouée. 

Jeudi,  débarqué  à  Bône.  Plage  d'oij  la  mer  se 
retire  :  les  chevaux  se  baignent  à  une  grande  dis- 
tance du  rivage.  C'est  désert,  bête  et  lamentable; 
les  montagnes  sont  vertes.  —  Hippone,  mamelon 
vert  dans  une  vallée  entre  deux  montagnes,  inch- 
nant  un  peu  sur  la  gauche.  —  Nous  montons  à  la 
casbah  :  prisonniers  mihtaires  terrassant  une  terre 
blanche  en  plein  soleil;  inscriptions  exaspérantes 
sur  les  murs,  tout  en  est  maculé;  M.  de  Bovie  et 
M.  de  Kraff  trouvent  cela  tout  simple. 

Le  gouverneur,  grand  blond,  à  barbiche;  l'abbé 
de  la  Fontan,  charmant,  un  Fénelon  brun. 

En  redescendant,  nous  voyons  nos  plongeurs 
napohtains  qui  sortent  de  l'église  Saint-Augustin, 
où  ils  avaient  été  prier  pour  que  le  ciel  leur  accor- 
dât une  augmentation  de  paie. 

Histoire  de  l'amulette  de  M.  de  KrafF;  il  y  croît 
quoi  qu'il  dise.  La  faculté  d'assimilation  des  Russes 
est-elle  une  puissance?  ne  faut-il  pas,  pour  vaincre, 
un  élément  nouveau,  une  originalité  quelconque? 
Qu'apportera  une  pareille  race  d'hommes?... 
merveilleux  comme  des  mécaniques. 

Je  passe  la  nuit  à  causer  avec  le  commandant. 
Il  sait  par  cœur  bon  nombre  de  vers  de  Virgile  et 


302  NOTES  DE  VOYAGES. 

d'Hugo,  c'est  un  ancien  voltairien  devenu  catho- 
lique, il  accomplit  toutes  ses  pratiques;  est-il  sin- 
cère? Front  élevé,  exalté,  petite  taille,  bouche 
épaisse  et  très  sensuelle. 

Anecdote  :  dans  la  Polynésie ,  toutes  les  femmes , 

lorsqu'elles  sont  vieilles,   se  font  par  des 

chiens;  elles  poussent  des  cris  affreux  lorsqu'on  en 
tue  un. 

La  nuit  est  douce,  humide,  claire,  cependant 
la  lune  de  temps  à  autre  voilée;  les  étoiles  brillent 
et  la  mer  est  calme. 

A  notre  droite,  nous  passons  près  des  «Deux- 
Frères»,  qui  ont  fair  de  vagues  éléphants  ou 
d'hippopotames,  de  je  ne  sais  quels  monstres 
sortant  de  la  mer;  ces  grandes  masses  noires 
sont  effrayantes  sous  la  lune  au  miheu  du  désert 
des  flots.  Les  falaises,  qui  se  suivent  depuis 
Phihppeville,  finissent  au  cap  Blanc;  le  rivage 
s'abaisse  et  continue  à  plat;  au  loin,  à  gauche,  les 
Cani. 

L'entrée  par  la  Goulette  me  rappelle  fEgjpte  : 
terrains  bas,  murs  blancs,  du  bleu,  du  bleu;  une 
silhouette  d'homme  ou  de  maison  se  dessinant 
là-dessus;  douane,  barque,  deux  grandes  voiles. 
Bon  vent,  nous  penchons.  La  couleur  jaune  du 
lac  me  rappelle  le  Nil. 

Hôtel  de  France,  dans  une  ruelle,  comme 
l'Hôtel  du  Nil;  un  tas  de  femmes  qui  cousent  et 
repassent  dans  le  patio.  Petite  chambre. 

Promenade  dans  les  bazars,  conduit  par  M.  de 
Kraff.  Babouches. 

Cimetière  qui  domine  la  ville.  —  En  nous  en 
retournant  par  le  quartier  maure,  un  Aïssaoua  qui 
faisait  danser  des  serpents;  vieux,   en  haillons. 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  303 

maigre;  ses  dents  canines  supérieures  très  proémi- 
nentes, seules  dents  qui  lui  restassent,  le  font  res- 
sembler à  une  bête  féroce.  II  a  tiré  d'un  sac  deux 
serpents  à  tête  très  plate.  En  face  de  lui,  un  joueur 
de  tambourin  et  un  fifre;  un  enfant  dansait,  ou 
plutôt  sautait,  et  lui,  le  vieux,  criant,  gesticulait, 
tirait  la  langue  et  imitait  le  balancement  des  ser- 
pents qui  se  traînaient  sur  le  ventre  en  faisant 
osciller  leur  tête.  Le  cercle  des  spectateurs,  entiè- 
rement composé  de  Maures,  était  tout  blanc  gris, 
et  généralement  la  tête  couverte;  figures  et  bras 
bruns. 

Le  lendemain  dimanche,  promenade  au  Belvé- 
der,  avec  M.  Dubois,  dans  les  oliviers.  Le  terrain 
monte  doucement,  ça  me  rappelle  certains  aspects 
de  la  Palestine.  De  temps  à  autre,  une  banquise 
entre  les  arbres,  traces  de  l'aqueduc;  la  terre  est 
très  labourée  sous  les  oliviers.  Nous  montons  sur 
le  sommet  d'une  colline  très  haute,  d'oii  l'on  voit 
la  mer,  le  lac  derrière  Tunis  et  la  plaine  de  la 
Medjerdah. 

Brume.  —  Retourné  à  l'Ariana  :  charmante, 
délicieuse,  enivrante  chose.  Les  terrasses  blanches 
des  maisons  à  volets  verts  saillissent  au  milieu  de 
la  verdure,  le  tout  est  dominé,  en  échappées,  par 
des  montagnes  bleues;  champs  d'oliviers,  carou- 
biers énormes;  des  haies  de  nopals  où  les  feuilles, 
vieillissant,  sont  devenues  des  branches. 

La  terrasse  du  café  :  juifs  et  juives  avec  des 
jambarts  d'or  ;  une  p ,  les  sourcils  peints ,  com- 
plètement joints;  une  miss,  belle-sœur  du  consul 
anglais,  sur  un  cheval  blanc.  —  Retour  avec 
MM.  Dubois,  de  Sainte-Foix,  de  KrafiF.  —  Soir  au 
cercle. 


3o4  NOTES  DE   VOYAGES. 

Lundi  26.  —  Journée  perdue,  visite  à 
MM.  Wood,  Rousseau,  de  Marcel;  visite  dans  le 
quartier  maure. 

Mardi.  —  Parti  à  8  heures  du  matin,  au  pas 
dans  toute  la  plaine  de  Tunis.  Les  oliviers,  rares, 
cessent;  une  grande  plaine  d'herbes,  verte  main- 
tenant; sur  la  droite,  à  l'embranchement  de  la 
route  de  la  Goulette,  un  café.  Le  terrain  monte, 
haies  de  nopals ,  la  Marsa.  —  La  tente  du  dey  sur 
la  place,  au  fond  de  deux  lignes  de  canons.  — 
Station  chez  un  maréchal.  —  Hôtel. 

Malqua.  —  On  entre  dans  des  caves,  voûtées 
çà  et  là,  oia  habitent  de  pauvres  gens;  elles  sont 
très  enfouies  et  l'on  touche  le  haut  de  la  voûte 
avec  la  main. 

Monté  à  Saint- Louis,  enclos  de  murs.  —  Dé- 
jeuner dans  une  chambre  délabrée.  —  Gardien 
français,  ancien  domestique  du  colonel  Pélissier. 
Je  suis  venu  avec  lui  de  Marseille  à  Malte.  — 
Deux  statues  dans  le  jardin. 

Descendu  vers  le  port.  —  Deux  maisons  rouges 
au  bout,  à  droite.  —  Fait  le  tour  des  deux  ports; 

f)as  une  trace  de  mur  autour  des  ports.  —  La  col- 
ine  est  pleine  de  coquelicots,  au  milieu  des  blés 
verts  et  de  petites  fleurs  jaunes.  —  Promenade  au 
bord  de  la  mer,  mon  cheval  marche  dans  les  flots. 
A  quoi  servaient  les  murs  qui  descendent  vers  la 
mer  comme  des  cloisons?  Restes  d'une  cale,  d'un 
mole,  juste  en  face  Saint-Louis;  il  devait  y  avoir 
un  chemin  en  ligne  droite  pour  y  monter.  —  Des 
coquilles,  la  pluie,  citernes,  un  vieux  drapé 
comme  une  statue. 

Retour  au  puits  artésien.  —  La  famille  du 
contremaître.  —  Pluie,   temps  de  galop,  halte 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  305 

au   cap.  —   De  bons  Turcs   dans  de  bons  ca- 
briolets. 

Le  soir,  station  dans  un  café  chic.  Un  banc 
de  chaque  côté  du  mur;  au  milieu,  une  longue 
estrade. Trois  musiciens  juifs  :  un  aveugle,  jouant 
de  la  mandoline,  long  nez,  aveugle  et  balançant 
sa  tête  continuellement  comme  un  éléphant;  un 
pâle,  haut  front,  jouant  d'une  sorte  de  violon 
sans  corps;  un  gros,  bête,  jouant  du  tambour  de 
basque.  Enfant  de  12  à  13  ans,  veste  couleur  vin 
d'Espagne,  un  trou  au  coude  (il  jouait  de  la  man- 
doline avec  une  plume  d'oiseau),  front  élevé, 
teint  pâle,  yeux  superbement  noirs,  l'émail  bril- 
lant, les  narines  relevées  et  fines,  la  bouche  en 
cœur  et  les  lèvres  charnues,  les  dents  un  peu 
longues;  il  restait  dans  la  même  attitude,  le  regard 
levé.  Au  plafond,  quantité  de  cages  d'oiseaux  :  on 
entendait  le  cri  des  petites  bêtes,  qui  avaient  l'air 
de  se  réjouir  de  la  musique. 

Aux  murs,  une  lithographie  coloriée,  représen- 
tant une  femme;  des  images  de  manœuvres  mili- 
taires (Epinal).  Au  fond,  deux  lions  gigantesques 
tirant  la  langue. 

Les  spectateurs  sont  impassibles.  Odeur  de 
tabac,  de  café,  de  musc  et  surtout  de  benjoin.  — 
Un  gentleman  qui  nous  fait  brûler  de  l'encens 
sous  le  nez;  ses  haillons  de  toutes  couleurs  lui 
donnent  l'air  d'être  revêtu  d'écaillés  bigarrées. 

J'ai  rencontré  à  la  Marsa  un  santon,  couronné 
d'herbes  comme  un  dieu  marin. 

Mercredi  28.  —  Achat  de  parfums,  d'une  cein- 
ture, de  petites  bouteilles.  —  Pluie,  bçue  atroce. 
—  Le  musée  de  l'abbé  Bourgade.  —  Écoles  reli- 
gieuses. —  Dîner  chez  M.  Rousseau.  —  Prome- 


3o6  NOTES  DE  VOYAGES. 

nade,  le  soir,  dans  les  rues  pleines  de  boue;  il  est 
trop  tard  pour  voir  Carragheuss!... 

Quand  on  sort  par  Bah-Kaddrah,  plaine,  à 
droite;  le  lac  et  Hammam-Iif  en  face.  Si  l'on  se 
tourne  vers  Hammam-Iif,  on  a  d'abord  la  plaine, 
puis  le  lac,  et,  ayant  le  flanc  droit  tourné  à  la 
porte  de  la  chapelle  Saint-Louis,  en  face  :  le  port 
double  et  un  espace  de  gazon,  la  mer;  Hammam- 
Iif  un  peu  à  gauche,  le  Zaghouan  dans  le  fond. 

Jeudi  2Ç,  jour  de  courrier,  écrit  à  ma  mère.  • — 
Le  soir,  promenade  sur  la  place  de  la  Casbah,  avec 
MM.  Sainte-Foix,  d'Haubersaërt,  etc.  Lune  ma- 
gnifique et  les  minarets  illuminés  quand  nous 
arrivons  sur  la  place.  A  gauche,  cafés  pleins  de 
monde  et  de  bruit,  de  la  musique  qui  grince  et 
bourdonne,  avec  des  voix  glapissantes  par-dessus; 
en  face,  un  énorme  caroubier  à  côté  du  grand  mur 
blanc  de  la  casbah,  un  mur  coupé  violemment  par 
une  large  draperie  d'ombre,  qui  a  l'air  de  faire  la 
suite  du  sol,  la  terre  (dans  l'ombre)  étant  comme 
un  tapis. 

Le  ciel  était  d'un  bleu  extrêmement  pur  et 
profond,  avec  des  étoiles  couleur  de  diamant;  çà 
et  là,  au-dessus  des  terrasses  blanches,  un  mi- 
naret carré  entouré  de  lumières  jaunes  (lampes 
à  huile  qui  brûlaient).  — -  Odeur  de  tabac  et  de 
benjoin. 

En  face  de  la  casbah,  un  peu  à  gauche  quand  on 
lui  tourne  le  dos,  des  monticules  de  terre,  immon- 
dices ou  décombres  devenus  collines,  étaient 
perdus  dans  l'ombre;  les  places  de  terre  éclairées  | 
par  la  lune  étaient  grises,  et  les  murs  d'une  éton- 
nante blancheur.  En  face  de  la  casbah,  un  peu  à 
droite  des  monticules,  un  palmier  se  découpait  sur 


VOYAGE  À  CARTHAGE.  307 

le  ciel  bleu;  des  tambourins  résonnaient,  des  voix 
chantaient;  tout  cela  était  très  jojeux  et  d'une 
extrême  douceur. 

Nous  avions,  en  venant  là,  vu  un  Carragheuss; 
il  avait  une  bosse  et  une  espèce  de  costume  espa- 
gnol ,  les  Arabes  se  ruent  pour  le  voir  :  «  Barra  ! 
barra!  ». 

Avec  M.  de  KrafF,  j'en  vois  un  autre  :  celui-ci 
est  mieux.  Dans  une  salle  étroite  et  longue,  et  si 
pleine  de  monde  qu'on  y  étouffait,  les  Arabes  tassés 
sur  deux  bancs,  en  haut  du  théâtre,  un  homme 
qui  faisait  des  paniers,  et  Achmet,  le  domestique 
de  M.  de  Kraff",  qui  y  était  monté  à  l'aide  d'un  per- 
choir. II  ne  paraissait  encore  rien  derrière  le  trans- 
parent. Un  homme,  entre  les  deux  bancs,  dans 
l'étroit  passage  qu'ils  laissent,  marchait  en  cadence 
en  relevant  très  haut  les  genoux,  ou  bien  dansait 
sans  les  remuer,  agitant  le  bassin  à  la  mode  égyp- 
tienne (mais  avec  quelle  infériorité!).  Ce  qu'il  y 
avait  de  beau,  c'était  les  trois  musiciens  qui,  de 
temps  à  autre  et  à  intervalles  réguliers,  reprenaient 
ce  qu'il  disait,  ou  mieux  réfléchissaient  tout  haut  à  la 
façon  du  chœur;  cela  était  très  dramatique  et  il  me 
sembla  que  j'avais  compris.  Quant  au  Carragheuss, 
son  pénis  ressemblait  plutôt  à  une  poutre;  ça  finis- 
sait par  n'être  plus  indécent.  II  y  en  a  plusieurs, 
Carragheuss;  je  crois  le  type  en  décadence.  11  s'agit 
seulement  de  montrer  le  plus  possible  de  phallus. 
Le  plus  grand  avait  un  grelot  qui,  à  chaque  mou- 
vement de  rems ,  sonnait  ;  cela  faisait  beaucoup  rire  ! 
Quel  triste  spectacle  pour  un  homme  de  goût  !  et 
pour  un  monsieur  à  principes  !  !  ! 

Vu  des  ombres   chinoises  déplorables  dans  le 
bouge  d'un  Maltais,  même  quartier. 


3o8  NOTES  DE   VOYAGES. 

Vendredi.  —  Visite  au  palais  du  hej.  Rien  n'est  |j 
ravissant  comme  le  patio,  incrusté  de  bandes  noires  ■! 
sur  le  fond  blanc  du  marbre.  Au-dessus,  des  orne- 
ments en  plâtre  !  !  !  Les  murs  des  appartements,  en 
petits  carreaux  de  faïence;  puis,  au-dessus  de  la 
faïence,  la  bande  de  plâtre.  Pas  un  des  carrés  pleins 
d'ornements  ne  ressemble  à  l'autre,  quelquefois 
les  vis-à-vis  se  ressemblent.  —  Merveilleux  pla- 
fonds, profonds,  creusés,  peints  en  vert,  en  bleu 
et  en  or. 

Le  mobilier  (Empire  et  Restauration  :  pendules 
dorées  à  sujets,  canapés  et  fauteuils  en  acajou), 
avec  les  lithographies  coloriées  (vieux  Devéria, 
Amour,  François  t  et  sa  sœur),  déshonore  cette 
merveille  de  l'architecture  arabe. 

II  en  est  de  même  pour  le  palais  de  la  Manouba, 
oii  nous  avons  été  l'après-midi.  —  Rencontré  des 
Bédouins  armés  de  coutelas  énormes.  —  Aqueduc 
espagnol.  —  Le  Bardo. —  Jardin  de  la  Manouba  : 
on  embaume;  quantité  de  petites  colonnes  sur  les- 
quelles sont  des  vases  pleins  de  plantes  en  fleurs. 
—  Un  plafond  à  poutrelles  bleues;  le  tranchant 
est  doré,  ça  fait  comme  de  grandes  lames  d'épées 
bleuâtres,  dont  le  fil  serait  d'or.  —  Jardinier  fran- 
çais passablement  idiot,  camus. 

Retour  par  le  lac  derrière  Tunis,  une  immense 
bande  de  flamants  est  au  milieu.  —  Monticule.  — 
Quartier  maure.  —  Fait  le  tour  de  la  ville,  rentré 
par  la  place.  —  Le  soir,  au  cercle. 

Samedi,  f  mai.  —  Porté  mes  lettres  au  con- 
sulat.—  Sellier. —  Juive  :  on  est  enfermé  sous  les 
rideaux  qui  pendent  carrément. 

En  allant  à  Utique.  —  Plaine;  à  gauche, 
des    montagnes    basses    à    grandes    ondulations 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  309 

bleuâtres;  à  droite,  un  bout  de  terrain  vous  cache 
la  vue. 

Au  bout  de  cette  première  plaine,  une  seconde; 
la  végétation  cesse  tout  à  coup  après  les  oliviers 
(la  première  s'appelle  Rastabiah  et  la  seconde  Me- 
nihelah;  arrêté  à  Sabel-Settabah,  fontaine  à  trois 
colonnes)  et  on  entre  dans  une  plaine  aride.  Les 
montagnes  disparaissent;  à  droite,  un  santon  aban- 
donné. Des  Bédouins  passent  près  de  nous,  armés 
jusqu'aux  dents.  C'est  dans  les  oliviers  que  l'on  a 
tué  le  père  de  Bogo. 

La  vallée  finit.  Petite  montagne,  et  tout  à  coup 
se  déploie  une  autre  plaine  qui  est  immense,  elle 
se  présente  plate  comme  la  main,  toute  unie;  on 
arrive  de  suite  au  fondouk  du  Pont. 

La  Medjerdah  est  large  comme  la  rivière  de  Ba- 
paume  et  de  couleur  jaune;  les  montagnes  repa- 
raissent sur  la  gauche.  —  Un  grand  troupeau  de 
moutons  blancs  à  tête  noire.  —  Une  heure  après, 
arrivés  à  Mézel-Goull  (Halte  du  Diable). 

Le  douar  est  au  fond  ou  plutôt  à  l'entrée  d'une 
gorge,  nous  descendons  de  voiture  et  allons  à  la 
chasse  des  scorpions,  la  montagne  est  nue  et  cou- 
verte de  petites  épines.  —  Un  enfant  du  douar, 
avec  un  double  bâton  crochu.  —  Le  ravin  est  sur 
notre  gauche;  nous  redescendons  et  nous  installons 
dans  un  gourbi,  sur  des  planches,  très  gaiement; 
ce  sont  les  planches  de  son  lit  que  Amorr-Ben- 
Smidah  a  défaites  pour  nous  les  donner. 

Nous  fumons  des  pipes  dehors,  dans  l'enceinte 
faite  en  bouse  de  vache  desséchée;  de  petites 
vaches,  dans  la  cour,  sont  couchées  par  terre,  nous 
manquons  de  tomber  dessus;  les  chiens  du  douar 
aboient.  Ils  ont  cette  habitude  d'aboyer  sans  cesse, 


3IO 


NOTES  DE  VOYAGES. 


pendant  toute  la  nuit,  afin  d'écarter  les  chacals f 
s'il  se  présente  un  homme  (ou  un  danger  quel- 
conque ) ,  ils  aboient  d'une  autre  façon ,  pour  donner 
l'éveil.  Notre  cahute  est  en  terre,  plus  longue  que 
large;  trois  arbres  fourchus  soutiennent  le  toit,  qui 
est  en  roseaux,  et  une  lampe  suspendue  nous 
éclaire  et  vacille.  Les  chiens  aboient,  nous  sommes 
couchés  sur  les  planches. 

Minuit,  puces  nombreuses. 

Nuit  gaie,  Bogo  seul  dort,  Sainte-Foix  ne  rêve 
que  képi  et  revolver;  de  temps  à  autre,  un  de  nous 
se  relève  et  alimente  la  lampe  avec  fhuile  de  notre 
boîte  à  sardines. 

Le  lendemain,  dimanche  2  mai,  partis  de  bonne 
heure,  à  pied,  pour  les  ruines  d'Utique. 

Le  pont  de  Dzana,  vieux  pont  qui  conduit  à 
Bizerte;  le  Dzana  est  une  petite  rivière,  sur  la 
droite,  à  un  quart  de  lieue  du  douar. 

Petites  fleurs  bleues,  d'autres  violet  foncé, 
d'autres  jaunes.  Le  ciel  est  couvert,  mes  compa- 
gnons chassent  des  cailles,  les  coups  de  feu  pètent 
au  milieu  des  petits  cris  des  alouettes,  dans  les 
blés  verts  tout  pleins  de  coquelicots  en  fleurs. 
Quand  nous  nous  sommes  levés  pour  partir,  il  y 
avait  une  grande  bande  bleue  sur  le  ciel,  du  côté 
de  l'Est. 

Nous  rencontrons  à  notre  gauche,  à  mi-côte, ^j 
deux  douars  de  Bédouins.  —  Chameaux.  wjÊ 

La  route  monte  un  peu,  en  inclinant  sur  Ia^« 
gauche,   et  arrive  en  angle  droit  sur  un  vallon; 
premier,    deuxième,    puis    troisième    palmier    à 
gauche.  Plaines  plates;  au  milieu,  à  une  lieue  de 
distance,  des  ruines  comme  des  palmiers  et  çà  et 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  3  I  I 

là,  des  blocs  de  maçonnerie  :  nous  marchons  sur 
les  restes  d'une  chaussée  romaine. 

A  gauche,  des  entrées  de  caves,  de  souterrains; 
elles  sont  surmontées  de  petites  collines  qui  ont 
l'air  artificiel  et  sont  à  pans  droits. 

Adroite,  le  bourrelet  des  colhnes,  extrêmement 
bas,  se  relève,  finit  brusquement  et  laisse  la  plaine 
à  découvert,  indéfiniment,  du  côté  de  l'Est;  à 
droite,  c'est  comme  un  grand  demi-cirque  :  mon- 
tagnes à  base  très  large,  mamelonnées,  couvertes 
de  bois  et  de  broussadies;  elles  ont  des  lambeaux 
de  verdure  çà  et  là. 

Un  vallon  de  cent  pas  de  long  sur  vingt-cinq 
de  large,  chemin  au  miheu,  de  l'eau,  de  longues 
herbes;  un  palmier  se  découpe,  à  gauche;  un 
troupeau  qui  pâture,  au  loin,  fait  comme  des 
bornes  noires  dans  la  campagne. 

Nous  tournons  à  gauche  :  ruines  informes, 
grands  blocs  de  maçonnerie  comme  si  un  tremble- 
ment de  terre  les  eût  renversés;  à  notre  gauche,  le 
vallon  se  ferme  en  courbe. 

Monté  sur  le  sommet  du  cirque,  près  des 
aqueducs. Tournant  le  dos  au  soleil  levant,  on  a 
devant  soi,  visible,  une  partie  de  la  plaine  d'où 
la  mer  s'est  retirée.  L'eau  de  faqueduc  venait 
de  la  montagne  à  gauche  (en  se  tournant  vers 
l'Ouest). 

Les  citernes  sont  de  même  construction  qu'à 
Carthage,  à  demi  enfoncées;  mais, bien  que  Bogo 
prétende  qu'elles  se  communiquaient,  elles  ne 
s'entre-croisent  pas. 

La  face  Est  des  grandes  ruines  regarde  un  es- 
pace semi-circulaire,  qui  devait  être  le  théâtre.  Le 
Forum,  plus  douteux,  était  placé  au-devant  de 


NOTES  DE  VOYAGES. 

l'entrée  Ouest  du   cirque,  qui   a  complètement' 
disparu  sous  l'herbe. 

Fontaine  sous  un  palmier  jauni,  les  feuilles  du 
bas  dans  un  négligé  charmant;  un  enfant  et  un 
homme  battent  le  hnge  avec  leurs  pieds,  coutume 
arabe;  cela  fait  un  rythme.  —  Un  vieux  qui  a  une 
figue  au  nez. 

Nous  retournons  au  douar  sur  des  bourriques. 
En  face,  la  montagne  Quel-Nah  est  comme  un 
mur;  la  montagne  Metzel-GouII  fait  une  avancée 
entre  la  vallée  de  Metzel-GouII  et  la  plaine 
d'Utique  et  les  sépare. 

Pont  de  la  Medjerdah. 

Etant  adossé  à  la  montagne,  on  a  devant  soi,  à 
vingt-cinq  pas  après  le  fondouk  une  butte  de  ter- 
rains très  rapprochés.  —  Mur  antique  parallèle 
à  la  rivière.  —  Bac.  —  Rives  argileuses ,  éboulées  à 
pic.  —  Un  troupeau  de  bœufs  qui  se  battent. 

Du  phare  de  Sidi-bou-Saïd ,  tourné  vers  l'Est  : 
au  premier  plan,  la  mer,  que  l'on  surplombe;  elle 
se  continue,  filant  à  gauche;  en  face  le  mont  Co- 
bus,  le  rivage  s'abaisse  et  la  plaine,  un  peu  bos- 
selée, continue  jusqu'au  Hammam- lif.  J'ai  sous 
mes  pieds  le  cap  de  Kamart;  la  mer  est  en  retrait 
à  droite  et  à  gauche. 

Au  Sud  :  le  village  de  Sidi-bou-Saïd,  la  mer, 
Hammam -lif  avec  ses  deux  cornes;  derrière, 
comme  un  grand  bloc  d'indigo,  le  Solejman.  Une 
autre  montagne,  la  Mammediah,  s'étend,  et,  à 
droite,  le  Zaghouan  apparaît  par  derrière.  Le 
Zaghouan  est  bleu;  Hammam-lif,  verte,  brumeuse, 
des  lignes  rousses.  La  Mammediah  est  une  longue 
banquise  presque  droite. 

En  face  :  la  pointe  de  laGouIette;  tout  Carthage 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  3  I  3 

est  beaucoup  plus  bas  que  moi,  maisons  blanches, 
places  vertes  :  des  blés. 

A  l'Ouest,  j'ai  la  plaine  qui  s'étend  vers  Tunis; 
à  gauche,  la  pointe  de  Kamart,  un  golfe,  des  mon- 
tagnes basses,  au  fond. 

Au  Nord,  la  pleine  mer. 

Un  dromadaire  sur  une  terrasse,  tournant  un 
puits  :  cela  devait  avoir  lieu  à  Cartbage. 

Chameau  dans  les  airs,  ses  oreilles  énormes  le 
font  ressembler  à  une  grenouille. 

Mardi.  —  Partis  de  Tunis  à  8  heures  et  demie. 

Douar  El-Schat.  —  Ouvriers.  —  Docteur  Heap , 
mosaïques  dans  sa  cour,  lunch. 

Sidi-bou-Saïd.  —  Rue  en  pente.  —  Phare.  — 
Revenu  aux  ouvriers. 

La  Marsa.  —  Longé  le  bord  de  la  mer.  —  Pa- 
villon de  plaisance  du  bey.  —  Arrêtés  par  les 
rochers,  nous  rebroussons  chemin;  montée  raide. 

Vue  du  haut  de  Kamart  :  sables  à  droite  et 
Sebkha;  à  gauche,  verdure  et  conacs  entourés  de 
palmiers;  en  face,  les  montagnes  de  Porto-Farina, 
gris  perle. 

Nous  prenons  sur  la  gauche.  Maison  du  docteur 
Davis  :  galerie  découverte  à  pleins  ceintres  en  ma- 
çonnerie pour  entrer,  cour,  escaher,  vasque  carrée, 
portique  moresque.  —  M"*"  Davis,  maigre,  gra- 
cieuse, petits  jeux,  os  saillants;  prête,  je  crois, 
à  accepter  l'invitation  à  la  valse;  M""  Nelly  Rosem- 
berg,  pur  type  zingaro,  longs  cils,  lèvres  char- 
nues, courtes  et  découpées;  un  peu  de  moustache, 
des  cils  comme  des  éventails,  des  yeux  plus  que 
noirs  et  extrêmement  brillants,  quoique  langou- 
reux; pommettes  colorées,  peau  jaune,  prunelles 
splendides  et  noyées.  — Visite  gaie. 


3  I  4  NOTES  DE  VOYAGES. 

Course  au  bord  de  la  Sebkha-el-Rhouan.  Elle 
communique  à  la  mer  par  trois  ouvertures  entre 
de  grandes  banquises  plates;  la  terre,  quand  il  y  en 
a,  est  couverte  de  touffes  jaunes,  en  fleurs,  pa- 
reilles à  la  fleur  du  genêt.  L'eau  s'est  retirée;  il 
reste  de  grandes  flaques  sèches,  couvertes  de  sel, 
cela  a  l'air  de  neige.  Entre  les  bancs  de  sable  de 
Kamart,  la  mer  apparaît  avec  une  brutalité  inouïe, 
comme  une  plaque  d'indigo,  le  ciel  bleu  en  paraît 
pâle,  le  sable  est  blond,  des  mouettes  volent  ma- 
gistralement :  ça  a  l'air  de  l'écume  des  vagues  qui 
s'envole,  de  grands  flocons  blancs  emportés  par  le 
vent,  dans  les  airs. 

Nous  revenons  de  la  Sebkha  en  longeant  la  face 
Ouest  de  Kamart  :  bois  d'oliviers  à  notre  gauche, 
troupeaux  de  moutons  à  tête  noire  et  à  queue 
carrée.  Les  bœufs  et  les  vaches  ne  sont  pas  plus 
grands  que  des  veaux. 

J'ai  rencontré  le  bej  dans  une  sorte  de  mjlord. 

Dîné  seul  dans  une  chambre,  à  l'hôtel  italien 
de  la  Marsa. 

Mardi  9  heures  et  demie  du  soir. 

Quand  on  vient  de  la  Marsa  par  le  bord  de  la 
mer  pour  aller  à  Samt-Louis,  on  a  à  droite  la  mon- 
tagne de  Sidi-bou-Saïd;  à  gauche,  la  mer;  une 
fontaine  d'eau  douce  en  sortant  de  la  Marsa,  à 
droite.  Partout  où  l'on  creuse  sur  ce  rivage,  on 
trouve  de  l'eau  douce. 

Dans  la  mer,  rochers  carrés,  rouges;  les  falaises 
en  terre,  généralement;  les  ravins  qui  les  coupent 
régulièrement  les  font  ressembler  à  des  colonnes 
informes  obliquement  posées. 

Quatre   golfes  :  Kamart,  Meria,  Sidi-bou-Saïd 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  3  I  5 

et  Saint-Louis  ;  —  Saint-Louis  ayant  le  sien  à  sa 
gauche. 

Les  terrains,  à  mesure  que  l'on  se  rapproche  de 
Saint-Louis,  s'abaissent,  inattaquables  du  côté  de 
Sidi-bou-Saïd  à  cause  des  rochers.  Dans  le  golfe 
de  Sidi-bou-Saïd,  on  ne  voit  pas  même  Hammam- 
hf;  un  promontoire  bas,  puis  tout  à  coup  on  aper- 
çoit l'anse  à  l'extrémité  de  laquelle,  en  haut,  est 
Saint-Louis.  De  cette  pointe,  j'ai  à  droite  l'anse, 
Saint-Louis,  les  deux  maisons  rouges;  en  face,  le 
Zaghouan;  un  peu  à  gauche,  Hammam-Iif. 

Du  sommet  du  promontoire,  regardant  le  soleil 
(10  heures  du  matin)  :  en  face,  le  Cobus,  brun, 
vaporeux;  la  mer  en  face,  à  droite  et  à  gauche, 
bleue,  le  soleil  y  fait  rouler  des  étoiles;  à  droite, 
au  fond,  le  Zagnouan.  Des  nuages  sur  le  sommet 
de  Hammam-lif,  qui  a  l'air  en  bronze,  rouge  par 
la  base,  brun  doré  en  dessus.  A  droite,  trois  anses 
dans  une. 

Tournant  le  dos  au  soleil  :  au  premier  plan,  la 
montagne  du  cap  même  qui,  avançant,  empêche 
de  voir  les  golfes  de  Sidi-bou-Saïd,  de  la  Marsa  et 
de  Kamart. 

Les  galets,  en  une  espèce  de  grès,  sont  blancs 
et  lie  de  vin; quelques-uns  ont  comme  des  bandes 
de  fer  plus  foncées.  De  petits  rochers  à  fleur  d'eau , 
pleins  de  trous  comme  de  grosses  éponges;  quel- 
ques-uns sont  divisés  naturellement  comme  des 
blocs  de  grands  dallages. 

De  Djebel  Sidi-bou-Saïd,  le  dos  tourné  à  la 
maison  du  Kasnadar,  à  l'endroit  oii  l'on  prend  de 
la  terre  rouge  de  dessus  une  butte  :  en  face,  la 
Marsa ,  plaine ,  isthme ,  verdures ,  maisons  blanches, 
puis  la  montagne  de  Kamart  et,  à  droite,  le  pro- 


3  1  6  NOTES  DE   VOYAGES. 

montoire  de  Kamart,  avec  la  crête  promontoire 
fermant  le  golfe  de  la  Marsa;  par  derrière,  mon- 
tagne de  Porto- Farina,  gris,  brumeux,  avec  des 
plaques  blanches,  la  pente  du  promontoire  de 
Kamart  est  gris  rose;  près  de  moi,  à  droite, 
la  pente  et  le  village  de  Sidi-bou-Saïd;  à  gauche, 
au  fond,  montagne  brumeuse,  bleue,  presque  gris 
noir;  Sebkha,  sables  à  peine  perceptibles,  plaine. 

En  regardant  Saint-Louis  :  en  face,  plaine,  Saint- 
Louis  au  delà,  et,  à  droite,  le  golfe  de  Tunis;  à 
gauche,  Kasnadar,  mer  bleu  vert,  Hammam-Iif. 

Pour  venir  là  nous  avons  pris  un  ravin  très  large, 
d'argile  rouge;  ça  a  l'air  de  vagues  de  sang  pétri- 
fiées. On  y  trouve  des  restes  de  fouilles,  le  dessus 
d'une  voûte.  Il  se  bifurque  et,  au  bas  de  sa  branche 
droite,  en  regardant  la  mer,  quatre  grandes  ruines 
et  un  mur. 

Ces  restes  sont  énormes,  l'épaisseur  des  murs  a 
environ  deux  longueurs  de  cheval;  le  mur  isolé  à 
droite  (sous  la  maison  du  Kasnadar)  est  en  pierres 
de  taille. 

La  mer  rentre  et,  deux  cents  pas  plus  loin,  deux 
entrées  de  voûtes,  un  mur  à  ras  du  sable;  cent  pas 
plus  loin,  une  masse  énorme  qui  fait  cap;  on  y 
entre  :  c'est  une  grande  voûte,  plus  de  deux  fois 
haute  comme  moi  à  cheval. 

En  dehors,  du  côté  de  Saint-Louis,  c'est  comme 
une  montagne  qui  a  plus  de  soixante  pas  de  lar- 
geur; c'est  bâti  avec  des  galets  de  la  mer.  Immé- 
diatement après,  les  rochers  qui  descendent  font 
une  défense  naturelle;  ruines  mêlées  aux  rochers, 
puis,  pendant  soixante  pas  (sous  le  fort),  je  longe 
les  restes  d'un  mur  énorme  qui  devait  être  un 
quai. 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  3  I  7 

De  dessus  une  butte,  ayant  le  fort  à  gauche 
et  les  citernes  à  droite,  en  face,  dans  la  mer,  des 
ruines.  Est-ce  un  môle  ou  les  restes  d'une  tour 
carrée?  ça  a  bien,  sur  chaque  face,  deux  cents 
pieds. 

Sous  les  citernes,  les  ruines  recommencent  :  au 
bord  de  la  mer  et  dans  la  mer,  colonnes  blanches 
et  brunes  dans  le  sable;  autre  carré  de  ruines  dans 
l'eau;  cinq  cents  pas  plus  loin,  un  blocage  carré, 
juste  en  face  la  façade  de  Saint-Louis. 

II  devait  y  avoir  un  chemin,  c'est  Ie*bout  de  la 
chaussée  ou  de  la  rue,  comme  la  base  d'une  tour. 

J'aperçois,  à  droite,  Sidi-bou-Saïd  et,  au  bas, 
les  citernes;  plus  à  droite,  les  ruines  s'avançant 
dans  la  mer  à  fleur  d'eau;  à  ma  gauche,  les  deux 
maisons  rouges. 

J'ai  remarqué  (sous  les  citernes)  au  bord  de  la 
mer,  des  pierres  de  taille,  comme  base  de  blocage, 
quarante-quatre  murs  descendant  parallèlement 
vers  la  mer.  Etaient-ce  des  murs?  car,  à  certaines 
places,  entre  le  seizième  et  le  dix-septième,  l'entre- 
deux  est  plein. 

Partant  de  la  Marsa,  nous  allons  sur  la  crête  de 
la  Marsa  et  nous  arrivons  au  sommet  des  terrains 
rouges  de  ce  matin. 

Après  le  Kasnadar,  au  bas  du  fort,  à  sa  gauche, 
ruines  descendant  vers  la  falaise  peu  élevée,  un 
mur,  une  masse  de  blocage,  le  haut  d'une  voûte 
et  des  restes  informes. 

Le  dos  tourné  à  la  mer  et  regardant  le  fort  : 
murs  qui  descendent  comme  ceux  au  bord  de  la 
mer,  ce  devait  être  un  palais  en  terrasse. 

Derrière  le  fort,  dont  on  nous  refuse  l'entrée, 
deux  quadrilatères,  restes  de  deux  terrasses;  celle 


3  I  8  NOTES  DE  VOYAGES. 

de  gauche  (ayant  le  dos  tourné  au  fort)  est  plus 
basse  que  celle  de  droite.  Murs  de  quatre  pieds 
d'épaisseur  environ.  La  terrasse  supérieure  a  une 
surface  de  i^o  pieds  de  long  sur  50  de  large;  la 
seconde  terrasse,  plus  large  et  plus  longue,  sup- 
porte celle-ci. 

Derrière  cette  seconde,  commencent  les  ci- 
ternes, dont  on  voit  le  dessus,  ça  fait  comme  un 
hippodrome;  on  a  creusé  les  terres,  évidemment. 
On  ne  connaît  pas  toutes  les  citernes,  elles  doivent 
aller  souterrainement  jusqu'au  fond  de  l'excava- 
tion. A  l'angle  Ouest  des  citernes  et  le  terminant, 
il  y  a  un  dôme  de  même  travail  que  les  citernes; 
le  dessus,  le  sommet  est  tronqué;  se  terminait-il 
en  pointe?  L'intérieur  fait  une  rotonde,  briques  et 
blocage  alternés. 

Dans  l'intérieur  des  citernes,  partout,  à  chaque 
bassin,  sous  le  stuc,  deux  rangs  de  briques  à  plat, 
supportant  le  blocage.  Deux  bas  côtés,  une  nef,  et 
les  bassins  sont  transversaux,  ils  ne  devaient  com- 
muniquer que  par  les  côtés.  Les  trous  à  la  voûte 
laissent  entrer  le  soleil  ;  des  mouches  bourdonnent , 
des  herbes  pendent  par  les  trous,  comme  des 
lustres;  Khalifa,  avec  nos  deux  chevaux,  est 
couché  à  l'entrée  en  pleine  lumière;  un  oiseau 
s'envole  avec  un  bruit  d'aile,  un  autre  chante; 
poussière  très  fine,  silence,  parois  vertes  sur  les 
murs,  de  l'eau  livide  et  épaisse  dans  quelques 
bassins. 

Au-dessus  des  citernes,  pente  douce,  éminence 
qui  a  une  forme  presque  régulière. 

Fouilles  :  mosaïques  romaines  communes,  murs 
en  stuc  blanc,  avec  de  larges  bandes  de  chocolat 
en  réchampi. 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  3  1  9 

Au  bas  des  citernes,  sous  le  fort  et  à  sa  droite 
en  regardant  la  mer,  grand  amas  de  ruines  dans 
toutes  les  positions  possibles;  quand  on  arrive  vers 
elles,  ça  a  l'air  de  vagues  dolmens  :  morceaux 
de  voûtes,  grands  blocs  à  demi  couchés  qui  se 
tiennent  d'eux-mêmes. 

Course  à  la  Goulette.  —  Langue  de  terre  qui 
va  se  resserrant  de  plus  en  plus,  lignes  de  murs 
propres,  place  européenne,  cafés. 

Passé  de  l'autre  côté  du  canal.  —  Hammam-Iif 
a  l'air  divisée,  par  vagues  obliques,  tons  bleus  et 
gris  superbes. 

Dans  un  café,  j'examine  à  loisir  fillustre  Ka- 
roubi,  le  premier  ruffian  de  la  Tunisie  et  qui  a 
posé  devant  S.  A.  R.  M.  le  prince  de  Joinville, 
dans  une  fonction  extra  virile.  II  a  l'air  très  véné- 
rable :  chapeau  de  paille  et  paletot  de  matelot,  son 
chic  participe  du  marin  et  du  modèle  d'atelier; 
barbe  longue,  bagues  nombreuses,  calvitie  sur  le 
devant  de  la  tête  :  peut  poser  pour  un  saint  Jean. 

Revenu  à  la  Marsa  au  grand  galop;  le  soleil, 
comme  un  bouclier  rougi,  se  couchait  à  gauche. 

Jeudi  7  mai.  —  Notes  prises  au  clair  de  lune. 
—  Lever  du  soleil,  vu  de  Saint-Louis  :  d'abord, 
deux  taches,  celle  du  jour  levant,  à  droite;  la  lune 
sur  la  mer,  à  droite;  le  ciel,  un  peu  après,  devient 
vert  très  pâle  et  la  mer  blanchit  sous  le  reflet  de 
cette  grande  bande  vague,  tandis  que  la  tache  que 
fait  la  lune  sur  la  mer  se  salit.  La  bande  vert  d'eau 

fagne  dans  le  Nord,  la  mer  s'étend  orange  pâle; 
n'y  a  plus  que  très  peu  d'étoiles,  fort  espacées; 
toute  la  partie  Sud  et  Ouest  de  Carthage  est  dans 
une  blancheur  brumeuse,  la  prairie  de  Ta  Goulette 
se  distingue;  les  deux  ports,  les  montagnes  violet 


320  NOTES  DE   VOYAGES. 

noir  très  pâle,  estompées  de  gris,  le  Cobus  est 
plus  distinct;  quelques  petits  nuages  dans  la  partie 
blanche  du  ciel,  au-dessus  de  la  bande  orange. 

Un  navire  (barque  de  pêche?)  comme  une 
grosse  mouette  noire.  Du  côté  de  Tunis,  le  ciel 
qui  perle  et  les  montagnes  violet  brun.  Le  ciel  est 
d'un  bleu  extrêmement  doré;  au  pied  de  Ham- 
mam-Iif,  la  mer  est  verdâtre.  H  j  a  encore  une 
étoile,  à  la  droite  de  la  lune,  du  côté  de  Tunis. 
Les  maisons  blanches  de  la  Goulette  sont  très  dis- 
tinctes, le  cap  Bon  s'aperçoit  très  bien;  les  maisons 
de  Sidi-bou-Saïd;  le  mont  Cobus  est  estompé 
d'une  brume  violette,  et  tout  en  général. 

La  partie  Est  du  ciel  est  maintenant  rosée;  ce 
qui  domine  immédiatement  la  ligne  de  l'horizon, 
blanchâtre  et  comme  poudreux.  Derrière  le  Cobus , 
d'autres  montagnes  très  indécises;  idem  derrière 
Hammam-lif. 

De  la  butte  des  terrains  rouges,  au  pied  de  Sidi- 
bou-Saïd,  en  regardant  Carthage,  les  inégalités  de 
terrain  qui  existent  d'ici  à  Bjrsa  disparaissent. 
Bjrsa  me  cache  en  partie  le  lac,  que  je  revois  à 
droite  avec  Tunis. 

Montagnes,  puis  la  Sebkha-el-Rouan ,  à  gauche 
de  Bjrsa;  la  Goulette,  les  ports,  la  mer,  la  Ham- 
mam-lif. La  mer  est  verte,  le  soleil  se  lève  juste 
derrière  les  terrains  rouges,  au  pied  de  Sidi-bou- 
Saïd;  du  cap  Carthage,  le  cap  Kamart  fait  comme, 
un  croissant. 

Du  plateau  (où  sont  encore  des  mosaïques), 
à  droite  des  citernes,  même  vue,  mais  plus  belle 
et  plus  rapprochée. 

C'était  sans  doute  là  Mégara,  les  Mappales 
étaient  aux  terrains  rouges.  Byrsa  se  détache  com- 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  32  I 

plètement;  toute  la  plaine  de  Tunis,  l'extrémité 
du  lac  et  Tunis  en  rose;  tout  ce  qui  est  à  gauche 
de  Saint-Louis,  les  ports,  la  Gouîette,  la  mer, 
Hammam-Iif,  très  visible.  En  se  tournant  à  droite, 
la  Sebkha  bleue,  bordée  d'une  ligne  blonde;  ter- 
rains très  bas  pour  y  arriver,  le  coteau  de  Kamart, 
couvert  d'arbres  brun  vert. 

De  là,  en  descendant  vers  Saint-Louis,  la  forme 
d'un  hippodrome.  Le  cul-de-four  est  très  visible, 
puis  ça  s'élargit  jusqu'au  vallon  transversal  qui 
descend  de  la  Marsa  vers  la  mer;  ce  vallon  est 
très  étroit  à  son  entrée  (venant  de  la  Marsa). 

Il  y  a  au  pied  Est  de  Saint-Louis  un  autre  vallon 
et  une  petite  colline. 

Parmi  les  fragments  conservés  à  Saint-Louis,  un 
bras  droit  avec  une  manche  lacée. 

Du  plateau  de  Kamart,  dans  les  oliviers,  regar- 
dant l'Est,  Sidi-bou-Saïd  fait  une  bosse,  puis  tout 
dévale  vers  la  droite;  le  cap  Carthage  s'avance, 
la  mer  des  deux  côtés;  à  droite,  en  face,  Ham- 
mam-lif. 

Les  terrains  rouges,  au  pied  de  Sidi-bou-Saïd, 
sont  juste  en  face  le  plateau  de  Kamart,  oii  il  y  a 
des  catacombes. 

La  Sebkha-el-Rouan,  contrairement  à  ce  que 
j'avais  cru,  est  entièrement  fermée;  mais,  dans 
fhiver,  quand  il  y  a  plus  d'eau,  elle  doit  commu- 
niquer. 

Après  le  plateau  de  Kamart,  un  vallon  trans- 
versal; venant  des  sables  au  bord  de  la  mer  et 
allant  à  la  mer;  puis  une  re-colline,  qui  est  à  pro- 
prement parler  le  cap  Kamart;  mais,  vu  de  la 
mer,  il  ne  s'aperçoit  pas. 

Vendredi  8.  —  Dormi  toute  la  journée.  Rhume. 


NOTES  DE  VOYAGES. 


Samedi 


Ecrit  des  lettres. 


Dimanche  lo,  parti  pour  Bizerte,  —  Jusqu'à 
Utique,  route  connue.  —  Déjeuner  sous  le  pont. 

—  Pierres.  —  Revolver.  —  Fusil.  —  Ils  filent.  — 
Hallouf!  hallouf! 

Laissé  notre  douar  à  gauche,  monté  la  route 
blanche  que  l'on  aperçoit  du  pont;  en  haut,  ia 
plaine  d'Utique.  Nous  longeons  le  fond  de  la  baie. 

—  Re-côte,  broussailles,  verdure,  fontaine  à 
gauche,  un  cirque  naturel.  On  redescend  en  pre- 
nant sur  la  gauche,  à  travers  des  broussailles; 
on  aperçoit  un  grand  lac,  à  gauche.  Au  fond  de 
l'horizon,  un  peu  à  droite,  grand  village  blanc 
dans  la  verdure  et  les  palmiers.  —  Traversé  le  vil- 
lage. —  En  haut,  on  aperçoit  la  mer  à  droite; 
on  laisse  les  dunes  à  droite;  oliviers,  et  on  arrive 
à  la  ville. 

Bizerte.  —  De  l'angle  Ouest  des  fortifications, 
sur  une  petite  éminence,  au  premier  plan,  les 
murs  de  la  ville;  à  gauche,  la  courbe  de  la  baie, 
grève  à  sables  blonds,  et  les  sables  en  monticules, 
au  fond,  font  de  grandes  vagues;  par  derrière, 
lignes  de  montagnes  basses. 

En  face  :  la  ville,  l'isthme  par  oia  l'on  arrive, 
blond  à  gauche,  vert  à  droite,  deux  lacs  :  le  plus 
petit,  le  plus  éloigné;  le  deuxième,  plus  près,  se 
continue  en  canal  pour  aller  communiquer  au 
grand  lac  à  droite.  Par  derrière,  montagne  verte 
qui  va  diminuant  vers  la  droite;  derrière  celle-ci, 
lignes  de  montagnes  bleues  qui  vont  s'abaissant 
pour  se  relever  tout  à  fait  sur  la  droite,  derrière 
le  grand  lac.  Au  milieu,  une  grande  montagne 
en  forme  de  pyramide;  il  J  a  dedans  des  buffles 
sauvages. 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  323 

Bizerte  était  plus  à  l'Ouest  que  maintenant. 

SurTénninence,  au  bord  de  la  mer,  deux  disques 
d'eau  comme  à  Carthage;  deux  petits  villages 
blancs  au  bord  de  l'eau,  en  dehors  des  murs.  Il  j 
a  en  avant  comme  un  tumulus  sur  lequel  est  un 
fort;  les  constructions  espagnoles  sont  bâties  (à  la 
partie  Ouest)  sur  des  restes  romains. 

Du  bas  de  Laliah,  en  face,  à  gauche,  le  village 
sur  la  montagne  se  détachant  en  blanc  sur  le  ciel 
bleu  cru  (on  contourne  cette  montagne);  au  pied, 
ligne  de  nopals.  Quand  on  se  retourne,  vallée 
verte,  avec  des  plaques  noires;  au  fond,  le  grand 
lac  de  Bizerte,  comme  une  plaque  d'acier  :  le 
soleil  tape  dessus,  le  ciel  est  tout  blanc. 

Formes  étranges  des  peupliers  dans  les  rues  de 
Bizerte  :  on  dirait  des  sycomores  ou  des  pom- 
miers. 

Broussailles  épineuses,  à  droite  et  à  gauche; 
de  l'eau,  des  tortues,  puis,  entre  deux  coteaux  à 
pente  et  évasés  et  couverts  de  bouquets  (comme 
en  Bretagne  ) ,  vue  de  la  plaine  d'Utique ,  immense , 
toute  plate,  d'un  vert  blond,  la  mer  au  fond  et 
les  montagnes  de  Hammam-lif. 

Quand  on  arrive  :  porte,  un  pont  à  gauche, 
que  l'on  passe,  et  l'on  a  un  lac  entouré  de  murs 
à  droite,  c'est  le  port.  En  face,  quai  avec  boutique 
et  quelques  peupliers  qui  ont  la  forme  de  pom- 
miers. 

La  maison  de  M.  Monge,  consul  de  France  : 
à  gauche,  patio  sans  colonnes;  chien  de  chasse 
qui  aboie;  drogmans  :  un  maigre  et  brun,  attaqué 
de  la  poitrine;  un  Turc,  ressemble  à  Joseph. 

Visite  à  M.  Suchinaïs,  juif,  bégayant,  à  tics 
dans  la  figure,  ressemble  en  laid  à  Fiorentino.  — 


324  NOTES  DE  VOYAGES. 

M""*  Costa,  anciennement  belle,  jeux  noirs,  parle 
très  vile.  —  Nous  revenons  pour  dîner.  —  Ereintés 
sur  nos  divans.  —  Arrivée  du  Père  Jérémie  et  de 
M.  Costa.  —  Sommeil  sans  puces. 
Le  lendemain,  bain  maure. 
La  ville  est  charmante,  c'est  une  Venise  orien- 
tale à  demi  abandonnée;  l'eau  du  canal  a  trois  ou 
quatre  pieds  de  profondeur,  très  bleue;  les  voûtes 
sous  lesquelles  on  passe  se  comblent  par  le  bas. 
Maisons  en  ruines;  des  chameaux  goudronnés 
sont  étendus  par  terre. 

Le  Père  Jérémie,  jovial,  ressemble  un  peu  à 
Bourlet  :  chéchia  sur  le  derrière  de  la  terre,  che- 
veux ébouriffés,  spirituel  et  très  comique,  fait  cas 
des  «  bons  vivants  »  :  c'est  son  mot.  Ancien  curé 
de  Boufarik,  il  a  mangé,  par  expérience,  du  lion, 
du  chacal,  de  la  panthère,  de  l'hyène  :  il  prétend 
que  le  lion  est  une  excellente  nourriture.  II  élève 
un  sanglier  «  n'ajant  que  quatre  paroissiens», 
s'occupe  beaucoup  de  vers  à  soie. 

M.  Costa,  court,  brun,  excellent  homme,  abon- 
dance de  képis,  pantalon  verdâtre,  bordé  de  soie 
sur  les  coutures;  —  Mademoiselle  leur  fille, 
grosse  brune  rougeaude  du  pays  de  Caux,  en 
robe  rose.  Aux  murs,  gravures,  images  :  Passage 
du  Saint-Bernard ,  et  des  sujets  vertuoso-polissons  : 
le  Mari,  l'Enfant,  l'Accouchée.  On  nous  montre  une 
belle  lettre  du  fils,  qui  est  en  pension  à  Tunis,  et 
il  casco. 

Après  le  déjeuner,  nous  pionçons  sur  nos  di- 
vans. —  Promenade  dans  le  grand  canal  :  pê- 
cheries, clôtures  en  roseaux;  deux  Napolitains 
nous  conduisent. 

Débarqué,  fait  le  tour  des  murs  du  côté  du 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  325 

grand  lac;  une  montagne  au  milieu,  il  y  a  dedans 
des  buffles  sauvages.  Des  animaux  se  promènent 
le  long  des  murs.  —  Coup  de  fusil.  —  Halte, 
nous  regardons  la  mer.  —  Après  le  dîner,  nous 
avons  été  à  un  café  au  bout  du  port.  —  M""  et 
M""  Costa  avec  leurs  châles  sur  la  tête. 

Mardi  matin  11.  —  Retourné  à  la  halte  de  la 
veille.  Les  deux  villages  blancs  qui  sont  au  pied 
de  la  ville  étaient  des  repaires  d'assassins  et  de 
pirates;  la  ville  romaine  était  plus  à  l'Ouest,  sur 
l'éminence;  la  moitié  de  la  ville  moderne  est  dans 
une  île.  Le  port-canal  a  une  espèce  de  rialto;  de 
dessus,  on  voit  une  grille  qui  ferme  le  lac  à  cause 
des  poissons. 

Visité  les  vers  à  soie  du  Père  Jérémie.  Le  ver  à 
soie  dort  la  tête  levée. 

Adieux.  Encore  des  gens  et  des  lieux  que  je  ne 
reverrai  plus  ! . . . 

Nous  repassons  sous  les  oliviers  et  le  char- 
mant village  de  dimanche;  nous  laissons  la  route 
d'Utique  à  droite  et  nous  contournons  les  mon- 
tagnes.—  Nymphéis,  roseaux,  tortues  (Laliah), 
oliviers,  la  mer  à  droite,  les  montagnes  à  gauche  : 
elles  ont  l'air  de  grandes  vagues  vertes  retirées  et 
qui  vont  s'abaisser  et  reprendre  leur  mouvement. 
Après  les  oliviers,  plaine;  puis  on  arrive  sur  le 
bord  de  la  mer,  ou  plutôt  du  golfe  de  Porto- 
Farina.  Haies  de  nopals  mêlés  d'autres  verdures 
(à  gauche),  beaucoup  d'amandiers,  des  cassiers. 
Quelle  est  cette  fleur  violette  qui  est  toujours  dans 
les  haies  de  nopals?  —  Beau  jardin  à  grille  euro- 
péenne sur  la  gauche,  abandonné.  —  Un  fort, 
officier  qui  reste  coi  à  nous  regarder.  —  Eglise  et 
capucins.  —  M.  Mosco,  Italien,  nu-pieds   dans 


^l6  NOTES  DE  VOYAGES. 

des  pantoufles  fort  sales.  —  Un  Français  à  haute 
chéchia,  que  je  prends  pour  un  employé  du  bey, 
fils  d'un  instructeur  français. 

Dîner.  —  Appartement  en  pente.  —  Le  ca- 
pucin chauve,  humble  et  empressé.  —  Nous 
logeons  dans  les  appartements  de  Monseigneur; 
on  nous  dit  que  nous  ne  pouvons  monter  sur  les 
terrasses  à  cause  de  la  jalousie  des  Maures.  Dans 
l'Eglise,  ce  sont  des  tasses  à  café  au  lait  enfoncées 
dans  la  muraille  qui  servent  de  bénitier. 

Porto-Farina  est  tout  à  fait  adossé  à  la  mon- 
tagne, en  pente.  —  Un  beau  café,  oii  nous  avons 
été  le  soir. 

Mercredi  12.  —  Le  matin,  promenade  au  pied 
de  la  montagne  pour  voir  la  ville.  Partis  à  8  heures , 
nous  tournons  le  lac.  Plaine,  soleil.  Ces  messieurs 
nous  quittent  au  passage  de  la  Medjerdah.  Toute 
la  journée,  nous  marchons  dans  la  plaine  qui  n'en 
finit;  les  montagnes  de  Porto-Farina,  vers  3  heures 
du  soir,  paraissent  grises  avec  un  glacis  rose;  au 
sommet,  des  taches  blanches  comme  de  la  neige. 
Sur  l'immensité  de  la  plaine,  à  l'horizon,  points 
noirs  carrés;  ce  sont  des  huttes  de  Bédouins,  en 
terre. 

Des  blés  verts,  des  places  où  l'eau  a  séjourné; 
la  terre  se  fend  si  réguhèrement,  en  forme  de  dalles , 
comme  dans  la  Haute-Egypte. 

Nous  passons  la  Rivière  sans  eau,  ancien  lit  de 
la  Medjerdah.  Du  côté  de  la  Goulette,  en  face, 
des  fumées  filent  à  ras  de  terre,  cela  se  représente 
plusieurs  fois.  Mirage?  les  objets  supérieurs,  es- 
tompés à  la  base  par  ces  fumées,  ont  l'air  suspendu. 
A  gauche,  la  montagne  de  Kamart;  à  l'horizon, 
les  bois  de  l'Ariana.  La  Sebkha  est  à  droite. 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  327 

Nous  passons  sous  un  marabout  huche  sur  une 
montagne,  les  roches  transversales  ont  l'air  de 
ruines.  Bois  d'oliviers,  troupeaux  çà  et  là;  nous 
les  avons  vus,  à  la  Medjerdah  et  dans  les  grandes 
flaques,  rester  dans  l'eau. 

Accoutrement  de  Fregj,  mon  nègre.  —  Sa 
réponse  à  tout  est  «  Arabe  ».  Notre  amer  dort  un 
peu  :  il  a  fumé  du  haschich  toute  la  nuit;  de  temps 
à  autre,  il  chante. 

Retour  de  Larsana  à  Tunis  en  cabriolet,  conduit 
par  un  Maltais.  —  Rencontré  en  route  MM.  Du- 
bois, Freeman,  etc.  —  Dîner  avec  MM.  deKrafiF 
et  Cavalier. 

Jeudi  l^.  —  Je  me  suis  purgé.  —  Reçu  des 
lettres  de  ma  mère  et  de  Bouilhet.  —  Visite,  après 
déjeuner,  de  MM.  Dubois,  Cavalier  et  KrafF:  con- 
versations libres.  —  f'^'^gj  nettoie  mes  habits  et 
cire  mes  bottes. 

3  heures  et  quart  de  l'après-midi. 

Vendredi  14.  —  Cérémonie  du  baise-main.  — 
Parti  en  cabriolet  jaune,  avec  Fregy  dans  sa  houp- 
pelande brune  et  en  vieux  tarbouch.  —  Bardo  à 
gauche;  mulets,  chevaux  et  guimbardes  station- 
nant. —  Entrée  :  pont-couloir  avec  boutiques,  on 
tourne  à  gauche,  voûte,  cour  carrée  entourée 
de  bâtiments;  autre  voûte,  cour,  escalier,  palier, 
patio. 

Un  gros  homme,  habillé  de  rouge,  portant  un 
bâton  à  trois  chaînettes,  hurle  d'une  voix  formi- 
dable; le  bey  paraît  et  s'assoit  sur  sa  chaise  en  os 
de  poisson;  un  sabre  et  des  pistolets  sont  derrière 
lui,  avec  sa  tabatière  et  son  mouchoir.  Figure 
fatiguée,  bête,  grisonnant,  grosses  paupières,  œil 


328  NOTES  DE   VOYAGES. 

enivré,  II  disparaît  sous  les  dorures  et  les  croix. 
Chacun,  à  la  file  l'un  de  l'autre,  vient  baiser  l'in- 
térieur de  sa  main,  dont  il  appuie  le  coude  sur  un 
coussin.  Presque  tous  donnent  deux  baisers  :  un, 
puis  ils  touchent  le  haut  de  la  main  avec  leur 
front,  et  un  second  baiser  pour  finir. 

D'abord  les  ministres,  puis  les  hommes  à  turban 
vert  et  à  turban  potiron.  Les  militaires,  en  cos- 
tume, sont  pitoyables  :  gros  c...  dans  des  panta- 
lons informes,  souliers  éculés,  épaulettes  attachées 
avec  des  ficelles,  immense  quantité  de  croix  et  de 
dorures;  les  prêtres,  blancs,  maigres,  sinistres  ou 
stupides  :  l'air  bigot  est  le  même  partout,  l'intolé- 
rance du  Ramadan  m'a  rappelé  celle  du  carême 
des  catholiques.  Les  lignes  de  troupiers  finissent, 
re-prêtres.  Le  bej  rentre  dans  ses  appartements, 
le  hurleur  recommence. 

La  voiture  de  parade  est  attelée  de  neuf  mules. 
—  Un  chariot  arabe  :  le  conducteur  est  monté  sur 
une  selle  qui  est  au  milieu  du  joug;  quatre  ou 
six  mules,  deux  roues,  une  capote  en  roseaux,  la 
caisse  portée  sur  l'essieu  qui  est  en  bois  et  serré 
avec  de  la  sparterie. 

Samedi.  —  Répétition  de  la  veille  :  corps  consu- 
laires! binettes  administratives,  les  bons  habits 
exhibés. —  M.  Rousseau  nous  introduit.  —  Prière 
des  ulémas  et  notaires,  la  paume  des  mains  ou- 
verte, tandis  que  le  baise-main  continue.  —  Dé- 
jeuner chez  M.  de  Laverne,  l'après-midi,  place  de 
la  Casbah. —  Frise  michelangesque. 

Dimanche —  Visite  à  M,  Davis.  Dîner  à 3  heures, 
avec  le  médecin  et  le  capitaine  du  navire  qui  doit 
le  mener  au  cap  Bon,  lady  Franklin  et  sa  dame 
de  compagnie,  M"' Rosemberg  (Nelly).  Elle  est 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  329 

grande,  taille  flexible,  sans  corset,  profil  un  peu 
allongé,  nez  fort,  peau  brune,  dorée,  lèvres 
minces  et  retournées,  rouges  comme  du  corail  et 
très  dessinées,  large  bouche  et  dents  admirables. 
Les  yeux  sont  archmoirs,  sourcils  démesurés, 
en  arcs;  elle  a  l'air  de  toujours  sourire.  Quelque 
chose  de  langoureux  et  de  bon  enfant  dans  tout 
cela. 

Revenu  à  Tunis  à  7  heures,  sur  un  cheval 
atroce. 

Lundi.  —  Retour  du  camp  :  poussière  et  vent, 
les  blés  mûrs  remuent  dessous,  ça  leur  verse  un 
glacis  par-dessus  leur  ton  rose.  —  Chameaux.  — 
Réguliers.  —  Les  irréguliers.  —  Fantasia  des  ca- 
valiers dans  la  poussière.  —  Promenade  avec 
M.  Dubois  sur  les  hauteurs.  —  Forteresse,  vieux 
cimetière  turc.  Du  haut,  on  voit  les  deux  lacs  et 
Carthage  en  face.  —  Carrières  de  pierres,  un  peu 
jaunâtres. 

Mardi.  —  Course  à  Hammam-Iif.  —  Sorti 
par  le  vieux  cimetière,  oliviers;  tourné  à  droite, 
monté  sur  le  premier  mamelon;  ravin.  — Tout  en 
haut,  Fregj  a  perdu  son  burnous,  il  le  retrouve. 
—  Descendu  à  la  bride,  douar,  chiens;  remonté. 
Les  nuages  font  des  taches  sur  la  plaine  et  sur  la 
mer. 

Descendu.  —  Bains,  café,  au  bord  des  flots! 
bleus,  petites  coquilles.  Pour  aller  à  la  Goulette, 
jardins,  figuiers,  petit  pont  en  bois,  les  navires  à 
droite.  —  Le  village  de  Rhadès,  blanc  et  propre, 
lieu  saint;  un  prêtre,  à  la  porte  d'une  mosquée, 
hurle  Vaseur,  car  il  n'y  a  pas  de  minaret.  C'est  un 
rendez-vous  de  parties  fines  pour  les  musulmans, 
une  espèce  de  Fontainebleau;  on  y  vient  passer  la 


3  30  NOTES  DE  VOYAGES. 

belle  saison  avee  sa  maîtresse.  —  Rencontré  sur 
un  mulet  un  officier  du  général  Khereddine. 

Mercredi.  —  Oudenah. 

Au  bord  du  lac,  vase,  Mohammediah  aban- 
donné, un  seul  palmier  sur  la  droite.  Grand  fon- 
douk  avec  des  chameaux  couchés,  champ  d'orge. 
On  descend  légèrement,  Oudenah  est  à  gauche, 
a  l'air  d'être  au  pied  de  Zaghouan.  Les  ruines,  mé- 
connaissables, sont  largement  disséminées;  l'aque- 
duc comme  la  colonnade  de  Palmjre;  à  droite, 
citernes.  —  Etable,  grande  quantité  de  bœufs 
et  des  vaches.  —  Les  arcs  sont  plein  ceintre  pur  et 
le  stuc  assez  bien  conservé.  —  Tout  le  village 
m'accompagne;  tentes  noires,  soleil,  chiens,  clô- 
tures en  pierres  et  en  broussailles  sèches. 

Marché  à  pied  dans  les  herbes  raides,  longues 
et  jaunes.  —  Paquets  d'épines  (comme  dans  la 
plaine  d'Athènes).  —  On  me  fait  ghsser  dans  un 
trou.  —  Autres  citernes,  qui  ressemblent  aux 
thermes  de  Titus  à  Rome,  c'en  est  peut-être.  Si  ce 
sont  des  citernes,  elles  ne  ressemblent  pas  à  celles 
de  Carthage  ni  d'Utique,  la  construction  même 
en  est  toute  différente,  c'est  plus  régulier  et  plus 
propre.  —  Longé  l'aqueduc.  —  Retour  par  la 
Mohammediah.  —  Ravin  large  et  à  sec.  —  Accès 
de  joie  :  je  chante  Malborougb  et  je  fais  claquer 
mon  fouet.  —  Revenu  à  Tunis  à  6  heures. 

Jeudi  20.  —  Dîner  chez  M.  Wood.  —  Le  soir, 
Moynier,  M.  et  M"'  Rousseau.  —  Soirée  chez 
M.  de  Kraff,  musiciens  juifs  que  j'ai  déjà  vus 
dans  un  café.  Avant  d'aller  chez  M.  Wood,  visite 
chez  M.  Cavaher.  —  Intérieur  d'un  céhbataire, 
pots  de  fleurs  à  la  fenêtre,  un  petit  chat,  deux  ou 
trois  pauvres  curiosités. 


• 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  3  3  1 

Vendredi  4  heures  et  demie.  —  Dîner  chez  M.  de 
Taverne  avec  M.  de  Bovy,  conversation  religieuse. 

Je  me  suis,  la  nuit  du  jeudi,  et  celle  du  ven- 
dredi, couché  fort  tard  à  cause  de  mes  paquets  et 
je  suis  parti  de  Tunis  pour  le  RifF,  éreinté. 

Samedi.  —  Parti  à  8  heures  moins  le  quart,  par 
la  porte  qui  est  au  Sud. 

Première  plaine  (du  Bardo).  Nous  passons  entre 
la  route  du  Bardo  et  le  lac  à  gauche;  à  droite,  on- 
dulations très  larges  et  douces  des  montagnes;  à 
gauche,  le  lac,  puis  de  petites  colhnes  grises,  mon- 
tagnes bleues  derrière.  Au  bout  d'une  heure,  on 
monte;  la  route,  sur  un  rocher,  est  resserrée,  puis 
s'ouvre  la  deuxième  plaine,  très  large  et  en  forme 
de  grand  hippodrome.  A  l'entrée  de  cette  plaine, 
à  gauche,  massif  de  cyprès,  palais  du  bey.  Des 
montagnes,  on  ne  voit  plus  que  le  Zaghouan  à 
gauche;  au  fond,  montagne  bleue;  à  droite,  c'est 
plus  resserré  et  plus  bas,  vert  pâle. 

Arrêté  au  beau  fondouk  de  Bordj-el-Amri.  Je 
fais  la  sieste  en  haut.  Fenêtre  :  trou  carré;  sous 
ma  main,  sous  le  matelas,  une  flûte.  Grands  appar- 
tements silencieux;  dans  la  cour,  niches  ogivales 
tout  autour. 

La  plaine  se  resserre  en  montant  insensible- 
ment, et  on  va  dans  une  gorge  élargie  qui  s'appelle 
Djarkoub-el-Djedavi  ;  elle  est  couverte  de  juju- 
biers sauvages,  parmi  lesquels  des  bouquets  d'une 
verdure  plus  verte  et  luisante,  feuilles  ovoïdes; 
puis  on  descend,  l'horizon  se  termine  vite  à  gauche. 
—  Place  large  et  déserte.  —  Les  puits.  —  Sebabil  : 
réservoir. 

Vieille  femme  qui  se  dispute  contre  un  de  nos 
cavaliers.  —  Tentes  installées  par  le  bey  pour  la 


^^2  NOTES  DE  VOYAGES. 

sûreté  de  la  route.  —  Ça  ressemble  aux  puits 
de  Kosséir. 

On  remonte.  A  droite  :  grande  ligne  de  mon- 
tagnes basses,  la  première  banque  toujours  noir 
vert  et  la  seconde  grise,  estompée  de  bleu.  La  nuit 
vient,  la  lune  me  suit,  à  gauche. 

Second  paysage  de  jujubiers,  mais  plus  dissé- 
minés. La  plaine  de  Mez-el-Bab  a  au  fond  un 
entassement  de  montagnes  basses,  escalopées, 
bleuâtres,  les  unes  derrière  les  autres.  Quand  on 
la  découvre,  elles  semblent  devoir  vous  boucher  la 
route,  puis  elles  se  placent  à  gauche  comme  si  elles 
glissaient  invisiblement.  Les  montagnes  sont  tantôt 
à  droite,  tantôt  à  gauche  :  on  dirait  qu'elles  se 
déplacent. 

Pont  EI-Koerichiah,  village  à  droite,  en  haut; 
c'est  le  lieu  de  jonction  de  la  rivière  d'Elsorieh  et 
de  la  Medjerdah.  Une  grande  ogive,  deux  petites 
latérales  et  deux  fenêtres  romanes  :  ça  ressemble 
au  pont  de  l'Eurotas  avant  d'arriver  à  Sparte. 
Traces  de  murs  évidemment  antiques;  les  ruines 
marquées  sur  la  carte  ressemblent  à  celles  de  Car- 
thage,  comme  matériaux.  N'est-ce  pas  ici  le  pont 
d'Hamilcar?  Trois  mamelons  avant  d'y  arriver, 
puis  la  plaine  est  large,  toute  plate.  Orges  mûrs  : 
c'est  blond  uni  par  terre  et  bleu  rose  à  l'horizon. 

A  partir  du  pont,  on  entre  dans  la  vallée  de  la 
Medjerdah. 

Mez-el-Bab.  —  Sous  la  mosquée,  hommes  au 
café.  —  Un  homme  qui  passe,  au  clair  de  la  lune, 
portant  de  la  braise  sur  sa  tête  dans  un  pot. 

Ecrit  au  rez-de-chaussée  du  fondouk.  —  Enorme 
jarre  pour  me  laver,  qui  a  du  mal  à  entrer  par  la 
porte. 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  333 

Dans  le  premier  endroit  des  jujubiers,  on 
marche  sur  du  sable;  au  pont,  rochers  à  fleur 
de  terre.  La  Medjerdah  est  petite  et  enfoncée  dans 
la  terre. 

Nuit  terrible  par  les  puces,  couché  dans  la  cour. 

—  Chameaux  qui  entrent  au  milieu  de  la  nuit  et 
encombrent  la  cour. 

Dimanche.  —  Partis  à  5  heures  juste.  —  Froid. 

—  Nous  passons  un  pont  en  sortant  de  la  ville, 
la  route  suit  le  côté  gauche  de  la  vallée.  —  Mor- 
ceau de  ruines,  carré,  en  briques,  ressemblant  à 
une  tour.  —  Autre  plaine,  l'horizon  est  bouché. 
On  passe  la  Medjerdah  à  gué.  En  face,  Es-Selou- 
gya,  village,  sparterie,  lauriers-roses;  le  bord  d'en 
face  en  est  si  tapissé  que  l'on  dirait  un  espalier. 

La  Medjerdah  coule  au  pied  des  montagnes; 
à  droite,  elles  sont  grises,  avec  des  taches,  et 
deviennent  de  plus  en  plus  chenues;  à  gauche, 
c'est  borné  et  très  bas,  on  ne  marche  plus  dans 
un  ravin  plus  ou  moins  élargi,  mais  dans  une  véri- 
table vallée,  avec  un  fond  plat  et  deux  murs.  — 
Oliviers  :  voilà  les  premiers  depuis  Tunis. 

Testour  à  gauche,  blanc  et  propre.  —  Deux 
minarets,  cimetière  à  gauche  :  porte  basse  en 
ruines.  —  Barbier.  —  Souks  tout  le  long  de  la  rue 
principale.  —  Nous  avons  rencontré  un  homme 
de  Constantine  qui  s'y  rend  à  pied.  —  Usage  des 
Arabes  de  brûler  leurs  enfants  avec  des  charbons 
pour  les  rendre  forts  (Hérodote)  :  on  dirait  des 
marques  d'anciens  vésicatoires.  —  Les  jambes  de 
nos  chevaux  font  des  ombres  minces  sur  le  sable, 
cela  les  grandit,  on  dirait  des  girafes.  —  Après 
Testour,  on  repasse  encore  la  Medjerdah  sur  un 
pont,  puis   on  s'engage  au  milieu    de   bouquets 


3  34  NOTES  DE  VOYAGES. 

épineux  dans  les  montagnes;  celles  de  gauche 
restent  brumeuses,  mais  celles  de  droite  devien- 
nent de  plus  en  plus  grises  et  même  rouges.  Un 
grand  rocher  saillant,  très  nu,  semblable  à  une 
crête  de  coq. 

TuGGA.  —  Dormi  sous  un  gros  peuplier,  cela 
me  rappelle  mes  hahes  de  Syrie;  et  les  puces 
aussi  me  rappellent  la  Syrie! 

Trois  ruines  importantes  : 

1°  Un  cul-de-four  en  maçonnerie,  de  80  pas 
de  diamètre; 

2°  Restes  d'un  monument  carré,  en  pierres  de 
taille  sans  ciment;  il  en  subsiste  cinq  pans; 

3°  Idem  mais  plus  grand  (en  bas)  :  c'est  là  que 
sont  les  pierres  salomoniques. 

En  dehors,  une  colonne  par  terre,  de  9  1/2  de 
long,  d'autres  entièrement  hsses,  des  morceaux 
de  frises  avec  des  astragales.  Ce  qui  reste  debout 
du  monument  est  net  comme  du  grec.  —  Une 
pierre  avec  des  trous  à  crampons ,  feuilles  d'acanthe. 

Quant  au  grand  monument,  il  ne  reste  que  les 
angles  et  une  partie  du  mur  Ouest;  le  reste  est 
des  clôtures  postérieures,  faites  avec  des  pierres 
rapportées. 

Les  petites  ruines  sont  nombreuses. 

La  ville  avait  devant  elle  un  amphithéâtre  na- 
turel; à  droite,  la  montagne  est  gris  rouge;  le 
rocher  Schreras,  qui  est  à  droite  en  sortant  de  Tes- 
teur, est  ici  (sous  l'olivier)  en  face  de  nous,  à 
gauche.  Deux  femmes  viennent  de  passer,  sur  des 
ânes. 

A  la  hauteur  de  Glah,  la  vallée  finit  et  on  entre 
dans  une  large  gorge,  boisée  de  buissons.  Ravin 
au  fond,  il  tourne  sur  la  gauche.  —  En  se  retour- 


I 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  335 

nant,  rocher  comme  le  piédestal  d'un  colosse  dis- 
paru.—  Un  quart  de  lieue  après,  on  descend, 
plateau,  et  le  lit  du  torrent  desséché  que  nous 
avions  à  droite  tombe  dans  le  chemin  que  nous  al- 
lons suivre.  Nous  entrons  dans  Kellad,  il  y  a  des 
lions.  Le  plateau  n'est  pas  plat,  il  en  a  l'air  de  loin. 
—  Oliviers  sauvages,  puis  une  lande;  nous  tour- 
nons à  droite  pour  aller  à  Dougga.  Montagne  en 
forme  de  tombeau,  un  peu  sur  la  gauche;  on 
monte  rapidement,  champs  d'oliviers  à  gauche. 
Nous  arrivons  dans  le  village,  chiens  qui  gueu- 
lent. —  Inscription  sur  un  mur  d'habitation.  — 
Scheik.  — Temple  :  quatre  colonnes  à  chapiteaux 
corinthiens  et  cannelés;  dans  le  tympan,  un  frag- 
ment de  statue  (une  aile  et  un  bras);  l'attique 
supportée  par  des  modillons;  au-dessous,  astra- 
gales, œufs  et  ruban,  cela  me  semble  dans  le  goût 
de  Baalbek.  Deux  colonnes  latérales  seulement; 
au  fond,  l'opisthodome  est  encore  très  visible. 

Sur  le  côté  Ouest  de  la  vallée,  trois  masses  de 
ruines  ou  de  rochers;  une  autre  dans  la  vallée, 
qui  est  très  verte  à  cause  des  orges,  blanche  par 
places.  Les  montagnes,  des  deux  côtés,  sont  moins 
chenues,  nous  sommes  très  haut. 

En  face  et  regardant  la  façade  du  temple  (un 
peu  à  gauche),  deux  mamelons,  puis  le  fond. 

Dîner  au  couscoussou.  Gassen  me  demande, 
de  la  part  des  Arabes,  si  je  connais  des  femmes 
«d'une  autre  jambe»  (empuse!);  il  y  en  a  une 
dans  le  pays.  Je  suis  ici  dans  la  patrie  d'Apulée. 

Nuit  sur  la  terrasse,  clair  de  lune,  chiens;  le 
fronton  du  temple,  les  maisons  blanches,  la  plaine 
bleue  et  perdue  dans  la  brume. 

Lundi.  —  Départ  à  6  heures.  On  descend  et  on 


3  3<^  NOTES  DE  VOYAGES. 

suit  la  pente  de  droite,  tournant  vers  la  droite 
Petite  rivière:  Ouad-el-Rummel,  laurier-rose,  trois 
crapauds  qui  s'entre-dévorent;  ruines  sur  la  droite  : 
leur  destination  est  méconnaissable,  mais  je  dis- 
tingue des  pierres  salomoniques.  II  est  difficile  de 
loin  de  distinguer  des  rochers  des  ruines;  ces  der- 
nières sont  presque  toujours  sur  une  petite  émi- 
nence. 

Les  deux  montagnes  qui  sont  au  fond  de  la 
vallée  et  qui  ressemblent  à  des  tumulus  sont,  à 
ce  que  prétend  Gassen,  les  tombeaux  d'un  frère 
et  d'une  sœur.  —  EI-Khouarte. 

Longeant  toujours  la  plaine  d'EI-Koreb,  Bé- 
douins. —  Je  bois  du  lait  à  cheval.  —  Plus  loin, 
à  droite,  à  mi-côte,  rocher  avec  un  grand  trou.  — 
Sidiabdrobbou,  restes  d'un  arc  de  triomphe  (ou 
d'une  porte?);  deux  piédestaux  de  chaque  côté, 
en  larges  pierres  de  taille;  une  petite  corniche  à 
12  pieds  du  sol  environ.  II  y  en  a  une  autre  de 
même  construction,  douze  pas  plus  loin.  —  Le  san- 
ton du  saint  à  côté,  sur  la  droite. 

Pierres  dispersées  dans  les  environs.  Sur  l'une, 
qui  a  encore  des  trous  à  crampons,  une  tête  de 
Christ,  dans  une  entaille;  rayons  et  longues  bou- 
cles. Sont-ce  des  boucles  ou  le  cordon  de  la  coif- 
fure? Plus  loin,  restes  d'une  autre  porte  (ou  arc 
de  triomphe?);  à  côté,  une  voie;  on  quitte  la 
plaine  EI-Garca  (celle  qui  pince  à  cause  du  froid). 

Autre  très  longue,  en  couloir,  propre  aux  évo- 
lutions militaires;  collines  basses,  vertes  à  gauche, 
grises  et  vertes  à  droite;  au  fond,  deux  montagnes 
grises,  avec  des  taches  blanches,  teinte  bleue. 
Rieff  est  derrière  celle  de  gauche. 

Nous   sommes   dans   la  plaine  de   Bednadjat. 


VOYAGE  A  CARTHAGE.  3  37 

Quand  on  se  retourne,  le  côté  gauche  des  collines 
a  disparu;  au  fond,  à  droite,  un  mamelon  comme 
une  tortue.  La  plaine  se  soulève,  on  monte,  tourne 
à  gauche.  —  Manière  dont  les  moutons  marchent 
pour  se  garer  du  soleil,  par  hgnes  d'un  à  la  file, 
chacun  mettant  sa  tête,  inclinée,  contre  la  cuisse 
de  derrière  de  son  devancier. 

Fondouk  de  Bordj-el-Massaoud.  —  Dispute 
avec  un  Algérien  à  cause  de  nos  chevaux;  Si-Mas- 
saoudy  entre  à  la  fin  de  la  bagarre.  —  Fusil  de 
chasse.  —  Un  de  ses  hommes  portant  un  plat 
de  petits  oiseaux,  blanc,  propre,  doux,  yeux 
bleus,  chéchia  très  en  arrière,  élégant.  C'est  un 
chasseur  de  fions  :  il  en  a  tué  32.  S'amuse  très  fort, 
amène  des  douzaines  de  femmes  et  ripaille,  boit 
son  café  très  lentement,  accepte  de  l'eau-de-vie  et 
me  demande  la  bouteille. 

On  continue  à  droite,  c'est  élargi.  —  Makis, 
bouquets  épineux.  Nous  arrivons  à  un  cul-de- 
four,  plus  développé  à  gauche;  en  face,  montagnes 
assez  basses.  —  Une  petite  rivière,  Ouad-el-Louy, 
«  rivière  de  l'amandier  ».  —  Quelque  temps  après, 
on  s'engage  dans  les  gorges  de  Khangget-el- 
Kedim,  charmant  :  lauriers-roses,  ofiviers  sauvages 
énormes,  puis  sur  un  plateau  un  peu  s'incfinant 
vers  la  droite  de  la  montagne  de  Keff,  comme  des 
corniches  successives. 

Au  fond,  à  l'extrême  horizon,  comme  le  haut 
d'un  énorme  pain  de  sucre  un  peu  arrondi,  tout 
noir.  Keff  est  derrière  la  première  montagne,  qui 
est  bronze  avec  une  tache  blanche. 

Sur  ma  route,  à  droite,  je  rencontre  une  petite 
Bédouine,  le  coude  dans  la  main  et  la  joue  dans 
les  trois  doigts  !  Qui  lui  a  appris  cette  pose-là  ? 


338  NOTES  DE  VOYAGES. 

Des  ruines  toutes  pareilles  et  très  fréquentes 
sur  des  éminences  carrées,  formées  (sans  doute) 
par  les  décombres  et  qui  permettent  de  supposer 
les  contours  du  monument.  Cela  est  très  fré- 
quent :  de  demi-lieue  à  demi-lieue  environ  ;  elles 
sont  généralement  à  gauche  de  la  route.  Ça  devait 
être  de  petits  temples,  des  stations  pour  aller  au 
Keff?  Au  fond,  par  derrière,  un  mouvement  de 
terrain  bas. 

La  forme  de  Hammam-Iif,  la  demi-lune,  n'est 
pas  rare. 

Rencontré  des  hommes  assis  par  terre  :  c'est 
un  marié.  —  Jeune  garçon  qui  joue  d'une  flûte 
longue,  jaune,  à  taches  noires,  tout  seul,  pour  eux 
quatre,  dans  la  campagne. 

Cette  plaine,  B'Hiret-el-Khelenkaz,  n'en  finit! 
c'est  désespérant  d'uniformité.  —  A  droite,  c'est 
comme  une  succession  de  terrasses  vues  de  flanc, 
ou  bien  un  mur  à  divers  étages.  Puis  on  tourne  à 
droite. 

Keff  sur  un  sommet,  tout  à  droite,  mais  on  a 
du  mal  à  y  arriver  à  cause  des  mamelons  trans- 
versaux, obliques,  qui  présentent  de  profil  leur 
ventre;  il  faut  monter  sur  chacun  et  le  redescendre. 
D'en  bas,  à  gauche,  l'horizon  qu'on  a  de  ia  plaine 
est  plein  de  montagnes,  plusieurs  ont  la  forme  de 
demi-lunes  ou  de  seins  (une  ressemble  à  Ham- 
mam-Iif); mais,  d'en  haut,  cet  effet  diminue. 

Darel-Bey.  —  Bains.  —  Nuit  excellente.  — 
Fontaine  en  grosses  pierres  de  taille,  eau  claire, 
négresses  battant  le  finge  avec  leurs  pieds,  écla- 
boussures  d'argiles  blanches  partout;  une  très 
maigre,  dans  l'eau  jusqu'aux  chevilles  et  retroussée 
jusqu'au  haut  des  cuisses. 


VOYAGE  À  CARTHAGE.  339 

Citernes  du  RiefF.  —  Dix  couloirs,  avec  une 
porte  romaine  mieux  conservés  qu'à  Oudenah; 
dix  réservoirs  parallèles,  chacun  a  30  pas  de  long 
sur  10  de  large;  il  y  en  a  encore  deux  autres,  en 
tout  12. 

Du  haut  du  rocher,  vers  l'Ouest,  à  droite,  une 
ligne  de  montagnes  rouges  et  noires,  mamelon- 
nées, Ouad-Mesmedah;  puis  une  longue  table, 
avec  une  pointe  à  droite,  Djebel-Ourran-Zo ;  une 
comme  Hammam-Iif,  Fegel  (Djebel?),  Arroubah. 
En  continuant  vers  la  gauche,  une  ligne  très  basse, 
droite  et  longue,  puis  deux  autres  Hammam-Iif  qui 
s'appellent  Djebel-Araba.  Autre  table,  une  mon- 
tagne pointue,  Garn'AIferd,  et  la  hgne  droite 
reprend;  tout  cela,  depuis  les  deux  Hammam-hf, 
est  plus  loin. 

Vers  le  Sud-Ouest,  une  autre  chaîne,  plus  près, 
Ouaglet-el-Chevur;  une  pointe  écrasée,  une  alpe, 
puis,  vers  le  Sud,  une  grande  hgne  et,  par  der- 
rière, une  autre  en  se  tournant  vers  l'Est.  Cette 
seconde  grandit  et  je  finis  par  en  voir  trois.  L'Est 
et  le  Nord  me  sont  bouchés  par  le  rocher  même 
sur  lequel  je  suis. 

Sortant  de  KefF,  mosquée  à  droite,  immense 
plaine,  noire.  Quand  on  est  au  bas,  Ouad-el- 
Rummel.  — Tourné  à  droite,  rivière,  arbres,  lau- 
riers-roses, porte  (rocher),  gourbis  à  droite.  On 
tourne  à  gauche  très  vivement  et  on  laisse  à  gauche 
une  montagne  très  boisée,  Djebel-Soddim  (Khang- 
get-el-Terrabja);  on  passe  le  Meglagh,  pays  plus 
plat,  assez  boisé,  puis  on  monte.  —  Banques  de 
granit,  chênes,  aubépines;  plateau  dénudé  sur 
lequel  est  un  petit  ruisseau  dit  Sakiet-sidi-Ionsen. 
—  Couché. 


34o  NOTES  DE  VOYAGES. 

Le  lendemain,  bois  sur  un  plateau,  puis  bas- 
fond.  On  côtoie  les  contreforts  d'une  montagne 
à  ma  gauche.  —  Ravin ,  grandes  vagues  d'herbes  à 
n'en  plus  finir,  toutes  à  gauche;  défilé,  Medjer- 
dah,  forêt;  on  aperçoit  Souk-Aras  sur  la  gauche; 
fignes  rouges. 


NOTES  PRISES  À  CROISSET  LE  SAMEDI  I  2  JUIN  I  8  5  8. 

Lundi  24  mai.  —  Arrivé  au  Rieff,  le  soir. 

RiEFF.  —  Un  tombeau  romain,  sur  la  droite; 
je  lis  en  passant  :  «  Livius  ».  La  ville  se  recule,  à 
cause  des  vallons  transversaux  qui  vous  en  sépa- 
rent, il  faut  monter  puis  redescendre.  —  La  mai- 
son du  caïd,  tout  en  haut  à  gauche  :  banc  de 
maçonnerie  à  gauche,  devant  la  porte,  cour  inté- 
rieure, énorme  escalier  droit,  grande  pièce.  — 
Bain  turc  excellent;  raïs  Ibrahim,  ne  craignant  pas 
la  chaleur,  vient  me  voir  dans  la  dernière  étuve. 
C'est  encore  lui  qui  me  donne  l'éternel  caouïeh. 
—  Dîner  arabe  luxueux.  —  Bonne  nuit.  —  Le 
caïd,  petit  homme  maigre,  grêlé. 

Le  lendemain ,  visité  la  ville.  —  Parti  à  midi; 
départ  solennel  :  cinq  cavaliers,  puis  sept;  une 
vingtaine  d'hommes  à  pied  me  suivent.  C'est  main- 
tenant comme  un  bal  masqué  dans  ma  tête,  et  je 
ne  me  souviens  plus  de  rien.  Le  caractère  féroce 
du  paysage  finit  au  fond  de  la  vallée.  On  tourne 
à  gauche.  Dans  certains  moments,  il  y  a  des  ban- 
ques de  gazon,  des  vaches  :  c'est  une  place  de 
parc  anglais,  et  puis  la  montagne  reprend. 

Couché  chez  les  Bédouins  :  tente  blanche,  ou- 
verte ;  la  lune  se  lève  en  face,  vent  terrible.  L'ombre 


I 


VOYAGE  À  CARTHAGE.  34' 

des  animaux  du  douar  passe  comme  des  om- 
bres chinoises.  J'attends  très  longtemps,  politesses 
arabes,  couscoussous  en  commun. 

Parti  au  petit  jour,  nous  attendons  que  le  vent 
soit  un  peu  calmé.  Toute  la  nuit,  j'ai  pensé  à  ma 
première  nuit  aux  Pyramides.  Bientôt  le  paysage 
devient  monotone;  sur  les  hauteurs,  grandes  va- 
gues d'herbes  qui  n'en  finissent.  Gassen  est  tou- 
jours en  retard.  Pluie  fine,  continue. 

Surprise  du  douar,  femmes  au  bord  des  tentes, 
sans  voiles.  Je  galopais ,  ma  pelisse  sur  mes  genoux , 
mon  takieh  sous  mon  chapeau;  zagarit,  coup  de 
fusil,  fantasia,  le  fils  du  caïd  en  ceinture  rouge, 
Souk-Aras!  Souk-Aras!  tout  cela  envolé  dans  le 
mouvement.  J'ai  ralenti  devant  les  tentes,  ils  vont 
venir  me  baiser  les  mains,  me  prendre  les  pieds. 
De  quelle  nature  était  l'étrange  frisson  de  joie  qui 
m'a  pris?  j'en  ai  rarement  eu  (jamais  peut-être?) 
une  pareille. 

Le  fils  du  caïd  et  son  père  galopent  longtemps 
à  côté  et  devant  moi,  le  père  s'en  va  le  premier,  le 
fils  me  demande,  deux  heures  après,  la  permis- 
sion.—  La  pluie  n'en  finit.  —  Descente,  forêt,  un 
cabaret  vide  oii  je  demande  ma  route,  les  lignes 
rouges  des  bâtiments  militaires  de  Souk-Aras. 

Souk-Aras.  —  Ville  neuve,  atroce,  froide, 
boueuse;  M.  de  Serval,  sécot,  inhospitalier;  An- 
drieux,  l'hôtelier,  sa  microscopique  épouse.  — 
Couché,  relevé,  dîner.  — Table  d'hôte  :  MM.  les 
officiers;  ignoble  et  bête,  collet  crasseux  du  direc- 
teur des  postes;  le  lendemain,  M.  Gosse,  aliéné  : 
il  croit  qu'on  finsulte.  Ressemblances  :  le  vétéri- 
naire de  mon  régiment,  Carpentier,  M.  Constant, 
brave  et  gros  hussard,  déjeune  avec  nous  :  «  Un 


342  NOTES  DE  VOYAGES. 

bon  déjeuner,  s n..  de  D...,  un  bon  déjeu- 
ner!!! » 

Le  jeudi  2y,  partis  à  3  heures.  —  Deux  muletiers 
excellents.  On  monte,  forêt  charmante,  le  camp, 
à  droite.  —  Rencontré  deux  officiers  qui  n'y  com- 
prennent rien.  — Nous  redescendons;  de  temps 
à  autre,  une  grande  voiture  de  charbonnier  dans 
la  forêt.  Les  ordonnances  du  commandant  sont  au 
diable.  Nous  apercevons  un  bordj,  deux  Arabes 
dedans,  deux  troupiers  de  sa  colonne,  éreintés; 
l'un  a  un  coup  d'air  sur  l'œil  et  un  coup  de  soleil 
sur  le  nez.  Désolés  de  l'état  de  leur  commandant  : 
«Vous  êtes  Carpentier!  »,  et  il  me  prend  au  collet. 

Je  découvre  le  mouhn  de  Mezelfah,  en  bas,  au 
bord  de  l'eau,  la  Sejbouse.  —  M.  Auberger,  gros 
mastoc,  assez  cordial;  sa  femme,  brune,  distin- 
guée. Le  commandant  n'y  tient  pas  pendant  le 
dîner,  se  lève,  se  promène.  —  Couché  dans 
le  moulin.  —  Cartille,  domestique. 

Le  lendemain,  M.  Auberger  nous  accompagne; 
fourrure  courte,  bottes.  —  Lauriers- roses  et  saules 
pleureurs.  Passage  de  l'hyène,  passage  du  lion. 
Nous  passons  plusieurs  fois  une  rivière,  larges 
quais;  on  remonte  après.  C'est  exquis,  délicieux, 
plein  de  fraîcheur  et  de  liberté.  Puis  le  paysage 
devient  plus  sec,  les  montagnes  pelées  reparais- 
sent; tout  au  fond,  dune  immense;  à  gauche,  les 
maisons  blanches  et  un  minaret  :  c'est  Guelma. 
Nous  allons  longtemps  dans  la  plaine. 

MiLESiMo.  —  Village  atroce,  tout  droit;  ligne 
d'acacias  devant  les  maisons  basses,  petites  clô- 
tures :  c'est  la  civilisation  par  son  plus  ignoble 
côté.  —  Enseignes  de  marchands  de  vin,  et  les 
maisons   sont  vides,  les  fenêtres   sans   carreaux; 


VOYAGE  À  CARTHAGE.  343 

des  femmes,  dans  les  champs,  labourent  ou  sar- 
clent en  vestes  et  en  chapeaux  d'hommes,  portières 
de  Paris  transportées  au  pays  des  Moresques,  la 
crasse  de  la  banlieue  dans  le  soleil  d'Afrique. 
Et  les  misères  qu'il  doit  y  avoir  là  dedans,  les 
rages,  les  souvenirs,  et  la  fièvre,  la  fièvre  pâle  et 
famélique  ! 

GuELMA.  —  Café  de  M.  Aubril.  —  Les  monu- 
ments pour  la  troupe  tiennent  une  grande  place  : 
logement  charmant  et  entouré  de  verdure  du  com- 
mandant supérieur,  M.  de  Vanorj;  ressemble  en 
beau  à  E.  Delamare.  —  Déjeuner  avec  mon  com- 
mandant; M.  Borrel,  du  bureau  arabe,  m'en  dé- 
barrasse. 

Parti  à  3  heures;  mon  spahi,  sorte  de  nègre 
blond,  idiot,  me  précède.  Verdure  et  eau,  un 
grand  quai,  voitures  et  carrioles  de  maître.  L'an- 
cien pénitencier,  grande  bâtisse  oii  je  bois  du  lait; 
le  moulin  d'Osman  Mustapha,  petits  bâtiments, 
peuphers;  une  montagne  assez  basse  en  face. 

Je  couche  dans  le  pavillon  supérieur  (bruit  de 
chiens  et  de  chevaux),  sur  un  tapis;  nuit  atroce 
de  puces.  On  m'avait  fait  du  feu  ;  nous  sommes 
sur  les  hauteurs,  il  fait  froid. 

Le  cawas,  maigre,  turban  vert,  yatagan,  con- 
naît tout  rOrient;  gueulard,  officieux;  aime  l'al- 
cool. 

La  route  du  moulin  à  Constantine  est  assom- 
mante d'ennui  :  petites  montagnes  toutes  se  res- 
semblant, puis  une  plaine,  les  fils  du  télégraphe 
tantôt  sur  ta  droite,  tantôt  sur  la  gauche;  cela  est 
pauvre  sans  grandeur  et  monotone  sans  majesté. 
Je  fouette  à  tour  de  bras  le  mulet  de  bagages.  — 
Ferme  Faucheux  :  le  fermier,  monsieur  dégradé, 


344  NOTES  DE  VOYAGES. 

borgne,  le  bras  luxé;  bouteille  de  mon  bordeaux 
de  bouk-Aras  bue  avec  délices. 

Reparti  à  3  heures.  On  descend  presque  conti- 
nuellement, l'admirable  Constantine  s'aperçoit  de 
loin.  —  Descente  de  la  rampe  du  Rummel;  aloès 
sur  le  bord;  mon  mulet  glisse. 

Constantine. —  Entrée  triomphante  à  Constan- 
tine, avec  mon  plumet.  —  Hôtel.  —  Payé  mon 
jeune  Arabe  et  mon  idiot  de  spahi,  qui  s'endormait 
dans  les  blés  où  il  laissait  brouter  son  cheval.  — 
MM.  Vignard,  Viel,  Niepce,  Vignot.  —  Bain  turc 
exquis;  un  nègre  admirable  pour  masseur;  celui 
du  RiefF  me  massait  les  genoux  avec  sa  tête.  — 
Grand  lit  de  M.  Vignard. 

Partie  de  campagne  à  la  Hamma,  chez  M.  Paolo 
de  Palma.  —  Le  petit  village  nouveau  sous  un 
grand  caroubier.  —  Baignade  dans  la  rivière  d'eau 
chaude,  déjeuner.  Je  m'empiffre  et  je  résiste  au 
sommeil.  —  Danse,  Cagnot  conduisant  la  polka. 
Le  notaire  (Vignot),  en  chapeau  de  meunier,  joue 
aux  cartes  avec  M.  Dominique,  le  fils  de  la  mai- 
son. —  Un  joueur  de  harpe. 

Rentré,  le  soir,  au  clair  de  la  lune,  qui  finit  par 

se  lever;  j'ai  peur  de  me  f. bas  à  cause  de  mon 

cheval. 

Arembourg,  procureur  impérial,  léger,  petit, 
gai,  chapeau  de  paille  de  matelot,  bordé  de  noir, 
guêtres. 

Lundi.  —  Reposé.  —  Parti  le  soir.  —  Adieux. 

—  Le^  spahi  saoul  :  «  Je  vais  consulter  mon  père, 
Père  Éder!  allons,  Père  Eder  ».  —  L'employé  du 
bureau  monté  sur  l'impériale  pour  prendre  l'air. 

—  On  s'arrête  pour  prendre  des  «  champoreaux  » , 
mon  spahi  se  calme. 


VOYAGE  À  CARTHAGE.  345 

Journée  du  mardi  passée  à  mes  caisses  et  à 
dormir.  —  Le  soir,  M.  le  conseiller  de  préfecture, 
homme  bien  et  complètement  nul.  —  Restes  du 
théâtre  :  école  municipale;  citernes  romaines  mo- 
dernisées. —  Adieu  aux  couchers  de  soleil  roses. 

Mercredi.  —  A  bord  de  la  chaloupe  avec  M.  Ri- 
cordeau,  propriétaire  de  Bône,  tout  en  coutil 
gris,  ressemble  à  Dainez.  —  Chaleur,  beaucoup  de 
femmes.  —  Passagers  :  le  capitaine  Robert,  un 
avocat  de  Paris,  un  vieux  en  alpaga  et  à  tabatière, 

conduisant  deux  jeunes  femmes  ;  la  petite  g 

des  quatrièmes  et  le  vieux  gendarme  galant;  un 
chasseur  d'Afrique;  le  bureaucrate  militaire  à  pan- 
talon bleu,  en  lunettes,  en  casquette  et  en  canne 
rotin;  un  Alsacien;  le  comte  Polonais,  tueur  de 
Hons,  grand  blond  à  cheveux  et  à  barbe,  dé- 
plaisant :  «Valareck!  valareck!».  Un  monsieur 
bien,  officier  de  la  Légion  d'honneur,  grisonnant, 
parent  de  M.  F.  Barrot.  —  Mes  deux  nuits  sur  le 
pont,  les  jambes  de  mon  pantalon  nouées  avec 
des  mouchoirs  dans  ma  pelisse. 

Les  Profils  et  grimaces  de  Vacquerie  et  un  volume 
de  critiques  de  Texier,  et  Promenades  hors  de  mon 
jardin  de  Karr. 

Arrivé  à  Marseille  à  2  heures.  —  Intolérable 
douane.  —  Odeurs.  —  Omnibus.  —  La  vieille 
actrice  de  Bône,  rôle  de  M™*  Laurent,  et  une 
demoiselle  de  Philippeville,  fille  d'un  pharma- 
cien, grosse  dondon  enceinte. 

Hôtel  Parrocel.  —  Bain.  —  Embarras  d'argent. 
—  Fusil,  armurier.  —  Je  vais  à  l'Hôtel  des  Colo- 
nies. —  Le  père  Ricordeau,  dans  le  jardin.  — 
Dîner  :  il  ne  vient  pas!  Je  vais  chez  le  père  Cau- 
vière  :  colique.  L'idée  de  M.  de  Body  me  vient 


34^  NOTES  DE  VOYAGES. 

enfin ,  je  le  retrouve  sur  le  devant  de  sa  porte.  — 
Galop  au  sieur  Parrocel. 

Bureau  du  chemin  de  fer  sur  la  Canebière; 
sentiment  de  débarras ,  de  retour,  de  bien-être.  — 
Je  pars!  (M.  de  lès-Campenne  fils)  seul  dans  une 
calèche;  mes  affaires  se  débouclent  dans  la  gare. 

Deux  employés  de  chemin  de  fer  atroces! 
Enfin  ils  s'en  vont,  on  s'endort.  —  A  Lyon, 
Saulcj.  —  Pour  compagnons,  un  chirurgien  de 
marine  et  son  chien,  mon  bureaucrate  mifitaire 
qui  va  à  Saint-Quentin,  au  delà;  fAIsacien  est 
descendu  en  route  pour  aller  à  Strasbourg.  — 
Déjeuner  solide  à  Dijon.  —  Ennui  de  l'après- 
midi,  chaleur.  Quel  sot  pays  que  la  France!  — 
Fontainebleau,  Melun,  la  gare! 

Le  boulevard  en  été.  —  Ma  maison  vide.  — 
Bousculade  pour  aller  chez  Feydeau  :  on  me  sert 
à  dîner.  —  Visite  chez  M™^  Pradier,  Masquillier, 
Person,  de  Tourbey  :  tout  le  monde  absent. — 
Crique  :  «  Flaubert!  c'est  toi,  Flaubert!  »;  elle  pleu- 
rait :  maladie  de  son  neveu.  —  Souper  au  Café 
Anglais.  —  Je  dors  sur  mon  divan.  —  Déjeuner 
au  Café  Turc.  —  Visite  à  la  Tourbey,  Sabatier, 
M™'  Maynier;  M"'  a  une  loupe  dans  la  gueule.  — 
Auteuil,  le  Parc  des  Princes,  Thérèse,  dîner.  —  j 
Le  soir,  de  Tourbey.  ^^H 

Lundi.  —  Armurier,  fourreur,  Duplan ,  etc. ,  etc. 
—  Café  de  Foy,  Boyer.  — •  Auteuil.  —  Pradier, 
Janin,  de  Pêne,  de  Tourbey.  —  Dîner  chez  Fey- 
deau, ^a5  fort.  — Guimont,  Plessy,  A.  Dumas  fils, 
Uchard,  Scholl,  Saint-Victor,  Pasquier,  re-Boyer 
et  son  épouse;  Person  en  matelot,  perruque  rouge. 
Comme  le  vrai  est  peu  compris!!! 

Mardi.  —  Courses  encore!    Sabatier,   Sainte- 


VOYAGE  À  CARTHAGE.  ^4? 

Beuve,  Sandeau,  Plessy,  Maury.  —  Dîner  chez  la 
Tourbey  :  Cabarrus,  Marchai,  Gozian,  Gatayes, 
Théo,  Ernesta,  Saint-Victor!... 

Le  lendemain,  chemin  de  fer  à  8  heures  30, 
matin. —  Deux  bourgeois. —  Rouen!  Hôtel-Dieu! 

Voilà  trois  jours  passés  à  peu  près  exclusive- 
ment à  dormir.  Mon  voyage  est  considérablement 
reculé,  oublié;  tout  est  confus  dans  ma  tête,  je 
suis  comme  si  je  sortais  d'un  bal  masqué  de  deux 
mois.  Vais-je  travailler?  vais-je  m'ennuyer? 

Que  toutes  les  énergies  de  la  nature  que  j'ai 
aspirées  me  pénètrent  et  qu'elles  s'exhalent  dans 
mon  livre.  A  moi,  puissances  de  l'émotion  plas- 
tique! résurrection  du  passé,  à  moi!  à  moi!  11  faut 
faire,  à  travers  le  Beau,  vivant  et  vrai  quand  même. 
Pitié  pour  ma  volonté,  Dieu  des  âmes!  donne-moi 
la  Force  —  et  l'Espoir!... 

Nuit  du  samedi  12  au  dimanche  13  juin,  minuit. 

Gustave  Flaubert. 


NOTES  DIVERSES 


NOTES  DIVERSES. 


(1) 


LECTURES. 


Juin  1859. 

Saint-Paul  de  Renan. 
(  Sur  le  style.  ) 

Dédié  à  sa  femme  comme  la  Vie  de  Jésus  l'était  à  sa  sœur. 

M.  et  M°"  Renan,  assis  sur  des  blocs  disjoints  du  vieux  môle, 
à  Séleucie,  portaient  «envie  aux  apôtres  qui  s'embarquèrent  là 
pour  la  conquête  du  monde  ». 

«  Tout  n'est  ici-bas  que  symbole  et  que  songe.  »  Qu'en  savez- 
vous? 

«  La  compagne  fidè/e  qui  ne  retire  pas  sa  main  à  celle  qu'e//e  a 
une  fois  serrée.  »  Cette  dédicace  à  deux  femmes  me  paraît  carac- 
téristique; cette  idée-là  ne  serait  pas  venue  à  un  homme  moins 
sentimental,  plus  préoccupé  du  Juste. 

A  propos  des  Actes  des  apôtres  :  «une  odeur  matinale,  une 
brise  de  mer». 


'"'  Ces  notes  et  réflexions  sont  extraites  d'un  carnet  où  Flaubert  les 
écrivait  au  fur  et  à  mesure  de  ses  lectures,  de  ses  conversations  et  que 
se  déroulaient  dififérents  incidents  dont  il  fixait  le  souvenir  par  une  pen- 
sée ou  une  critique. 


5  5  2  NOTES  DIVERSES. 

«Si  j'ose  le  dire»,  etc.  (p.  12).  «Si  ^W m'exprimer  ainsi»,  plu- 
sieurs fois  répété.  II  y  a  un  fond  d'académicien. 

Jésus  poète.  —  «Tantôt  il  soutenait  qv'il  était  venu  continuer 
la  loi  de  Moïse,  tantôt  la  supplanter  (le  Christ);  à  vrai  dire, 
c'était  là ,  pour  un  grand  poète  comme  lui ,  un  détail  insignifiant  » 
(p.  ^6).  Béranger  a  appelé  Napoléon  «le  plus  grand  poète  des 
temps  modernes»,  Augier  appelle  poète  un  notaire;  il  faudrait 
s'entendre  sur  la  signification  des  mots  ! 

Manque  de  précision.  —  A  propos  de  Rome  :  «Tout  cela  se 
perdait  dans  le  tumulte  d'une  ville  grande  comme  Londres  et  Paris» 
(p.  107). 

Jolie  phrase  sur  la  Grèce.  —  «Terre  de  miracles  comme  la 
Judée  et  le  Sinaï,  la  Grèce  a  fleuri  une  fois,  mais  n'est  pas  sus- 
ceptible de  refleurir;  elle  a  créé  quelque  chose  d'unique,  qui  ne 
saurait  être  renouvelé  :  il  semble  que  quand  Dieu  s  est  montré 
dans  un  pays,  il  le  sèche  pour  jamais»  (p.  138). 

Pages  ravissantes  sur  le  caractère  et  la  vie  grecque  (p.  202 
et  seq.  ). 

L'épître  aux  Galates.  —  «Epître  admirable  qu'on  peut  compa- 
rer, sauf  l'art  d'écrire ,  aux  plus  belles  œuvres  classiques»  (p.  314). 
En  quoi  les  œuvres  classiques  seraient-elles  admirables  sans  l'art 
d'écrire  ? 

,  «Ils  sont  des  hommes  (les  apôtres),  tu  fus  un  Dieu»  (p.  328). 
Evidemment,  Renan  ne  croit  pas  à  la  divinité  du  Christ,  c'est 
donc  une  manière  de  parler  !  un  effet  de  style  !  comme  dans  Rous- 
seau :  «sa  mort  fut  celle  d'un  Dieu». 

«Ces  villes  banales,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi»  (p.  333). 

«Une  force  divine,  si  j'ose  le  dire,  souligne  ses  paroles»  [Vie  de 
Jésus,  introd. ,  p.  37). 

«Le  comble  de  la  fureur»  se  trouve  deux  fois. 

Dans  les  Apôtres  ; 

P.  180  :  il  va  mettre  le  comble  à  ses  méfaits. 

P.  183  :  il  fut  touché  à  vif,  bouleversé  de  fond  en  comble. 

P.  192  :  l'antipathie   que    les  Juifs était   arrivée   à  son 

comble. 


NOTES  DIVERSES.  3  53 

Dans  la  Vie  de  Jésus  : 

P.  195  :  les  deux  disciples  trouvèrent  Jésus  au  comble  de  la  per- 
plexité. 

P.  300  :  le  scandale  fut  au  comble, 

P.  37 1  :  l'impiété  des  hommes  était  à  son  comble. 

Haine  de  la  liberté,  fonds  socialiste,  manchette  d'évêque  qui 
perce.  —  «La  question  seulement  est  de  savoir  si  une  société 
peut  tenir  sans  une  censure  des  mœurs  privées ,  et  si  l'avenir  ne 
ramènera  pas  quelque  chose  d'analogue  à  la  discipline  ecclésias- 
tique, que  le  libéralisme  moderne  a  si  jalousement  supprimée» 

(P-  393)- 

«Tout  cela  faisait  une  sorte  de  caravane  apostolique  d'un  aspect 
fort  imposant».  De  quoi  s'agit-il?  des  délégués  des  églises  de 
Macédoine  accompagnant  Paul!  (p.  459). 

Doctrine  sur  l'humanité,  hiérarchie.  —  «En  tête  de  la  proces- 
sion sainte  de  l'humanité,  marche  l'homme  du  bien,  l'homme 
vertueux;  le  second  rang  appartient  à  l'homme  du  vrai,  au 
savant,  au  philosophe;  puis  vient  l'homme  du  beau,  l'artiste,  le 
poète!»  (p.  567). 

Vie  de  Jésus. 
(Relue  en  juillet  1869.) 

«  Ce  qu'il  aimait ,  c'était  ses  villages  galilécns ,  mélanges  confus 
de  cabanes,  d'aires  et  de  pressoirs,  taillés  dans  le  roc,  de  puits, 
de  tombeaux ,  de  figuiers ,  d'oliviers  ;  il  resta  toujours  près  de  la 
nature».  La  nature,  cela  est  du  Rousseau,  la  nature  ne  veut  plus 
dire  cela  pour  nous. 

«La  cour  des  rois  lui  apparaît  comme  un  lieu  où  les  gens  ont 
de  beaux  habits»  (p.  39). 

Miracles.  —  «L'homme  étranger  à  toute  idée  de  physique,  qui 
croit  qu'en  priant  il  change  la  marche  des  nuages ,  arrête  la  mala- 
die et  la  mort  même,  ne  trouve  dans  le  miracle  rien  d'extraordi- 
naire ,  puisque  le  cours  entier  des  choses  est  pour  lui  le  résultat 
des  volontés  libres  de  la  divinité»  (p.  41). 

«11  (Jésus)  fondait  cette  grande  doctrine  du  dédain  transcen- 
dant, vraie  doctrine  de  la  liberté  des  âmes,  qui  seule  donne  la 
paix»  (p.  49). 

*3 


3  54  NOTES  DIVERSES. 

«Les  jardins,  à  Tibériade,  étaient  des  massifs  de  grenadiers, 
de  citronniers,  d'orangers»  (p.  66).  Les  orangers  datent  du 
XII"  siècle. 

«Dans  nos  sociétés  établies  sur  une  idée  très  rigoureuse  de  la 
propriété,  la  position  du  pauvre  est  horrible;  il  n'a  pas,  à  la  lettre, 
sa  place  au  soleil.  Il  n'y  a  de  fleurs,  d'herbes,  d'ombrage  que 

Êour  celui  qui  possède  la  terre.  En  Orient  ce  sont  là  des  dons  de 
)ieu  qui  n  appartiennent  à  personne  ;  le  propriétaire  n'a  qu'un 
mince  privilège,  la  nature  estle  patrimoine  de  tous»  (p.  151)- 

«Telle  est  la  faiblesse  de  l'esprit  humain  que  les  meilleures 
causes  ne  sont  gagnées  d'ordinaire  que  par  de  mauvaises  raisons; 
exemples  :  Moïse,  Mahomet,  Colomb»  (p.  259). 

La  maladie  qui  fit  la  fortune  de  Mahomet  était  Hysteria  niuscu- 
laiis  de  Schœnlein. 

«La  société,  n'étant  plus  sûre  de  son  existence,  en  contracta 
une  sorte  de  tremblement  et  ces  habitudes  de  basse  humilité  qui 
rendent  le  moyen  âge  si  inférieur  aux  temps  antiques  et  aux 
temps  modernes»  (p.  286). 

«Les  continuateurs  de  Jésus  sont  ceux  qui  semblent  le  répu- 
dier; toutes  les  révolutions  sociales  sont  entées  sur  «le  royaume 
«de  Dieu»,  les  rêves  d'organisation  idéale  de  la  société  res- 
semblent aux  aspirations  des  sectes  chrétiennes  primitives» 
(p.  287). 

Préoccupation  de  Lamennais  que  Renan  regarde  comme  un 
très  grand  homme  :  «  Cet  homme ,  qui  était  dans  le  commerce  de  la 
vie  d  une  grande  bonté,  devenait  intraitable  jusqu'à  la  folie  pour 
ceux  qui  ne  pensaient  pas  comme  lui»  (p.  326). 

Amour  du  peuple.  —  «Le  peuple,  dont  l'instinct  est  toujours 
droit,  même  lorsqu'il  s'égare  le  plus  fortement  sur  les  questions 
de  personnes,  est  très  facilement  trompé  par  les  faux  dévots» 
(p.  329).  «Comme  tous  les  grands  hommes,  Jésus  avait  du  goût 
pour  le  peuple»  (p.  184). 

«Comme  il  arrive  toujours  dans  les  grandes  carrières  divines,  il 
subissait  les  miracles  que  l'opinion  exigeait  de  lui  bien  plus  qu'il 
ne  les  faisait»  (p.  360). 

«Le  souffle  de  Dieu  était  libre  chez  eux;  chez  nous,  il  est 
enchaîne'  par  les  liens  de  fer  d'une  société  mesquine  et  condamnée 
à  une  irrémédiable  médiocrité»  (p.  449). 


« 


I 


NOTES  DIVERSES.  355 

«Qui  de  nous,  pygmées  que  nous  sommes,  pourrait  faire  ce 
qu'a  fait  l'extravagant  François  d'Assise,  l'hystérique  sainte 
Thérèse?»  (p.  452). 

«Les  plus  belles  choses  du  monde  se  sont  faites  à  l'état  de 
fièvre  ;  toute  création  éminente  entraîne  une  rupture  d'équilibre , 
un  état  violent  pour  l'être  qui  la  tire  de  lui»  (p.  453)- 

«Sans  doute  Jésus  sort  du  judaïsme;  mais  il  en  sort  comme 
Socrate  sortit  des  écoles  des  sophistes,  comme  Luther  sortit  du 
moyen  âge,  comme  Lamennais  sortit  du  cathohcismc,  comme 
Rousseau  du  xviir  siècle»  (p.  455). 


Histoire  des  perruques  (Thiers). 

«Constantin,  se  retirant  à  Constantinople ,  voulut  donner  sa 
couronne  à  saint  Sylvestre;  mais  ce  pape  la  refusa  à  cause  du 
respect  qu'il  avait  pour  la  couronne  cléricale  :  il  ne  prit  pour  dia- 
dème qu  une  mitre  ronde  brodée  d'or.  Selon  d'autres ,  Constan- 
tin offrit  au  même  saint  Sylvestre  une  couronne  d'or  enrichie  de 
perles  précieuses;  il  la  refusa  comme  un  ornement  qui  ne  lui 
était  nullement  convenable  et  se  contenta  d'une  mitre  blanche 
brodée»  (p.  75). 

«Les  Maronites,  s'ils  ne  trouvent  pas  d'eau  bénite  dans 
l'éghse,  touchent  la  muraille  du  bout  des  doigts,  qu'ils  baisent 
après.» 

Voir  une  page  charmante  sur  les  incommodités  que  les  per- 
ruques apportent  aux  ecclésiastiques  (p.  341). 

Ces  moines  du  mont  Athos,  d(i?)aAoif^xj}$,  ayant  l'âme  dans 
le  nombril,  sont  une  preuve  de  plus  de  l'infiltration  boudhiste  en 
Occident  vers  le  commencement  du  christianisme. 

Pourquoi  le  catholicisme,  qui  damne  la  nature,  voit-il  de 
mauvais  œil  les  conquêtes  sur  la  nature  ?  C'est  qu'il  sent  au  bout 
d'elles  la  Science. 

Chemins  de  fer  (à  propos  des  pèlenns  de  Lourdes).  —  L'inven- 
tion des  chemins  de  fer  fut  mal  vue  par  le  clergé,  témoin  le 
mandement  de  l'évêque  de  Besançon,  Bouvier,  qui  les  considère 
comme  envoyés  par  Dieu  pour  punir  les  hôteliers  de  la  violation 
du  dimanche.  Les  libres  penseurs,  au  contraire,  les  ont  considé- 
rés comme  devant  favoriser  leurs  vues  par  le  rapprochement  des 


3  ^6  NOTES  DIVERSES. 

peuples,  l'eflFacement  des  préjugés,  etc.  Et  voilà  que  les  chemins 
de  fer  servent  aux  pèlerinages  d'une  manière  inespérée.  Qui  s'est 
mpé  des  deux  partis?  L'un  et  l'autre. 


trompe 


Mettre  en  parallèle  un  banquet  gambettiste  et  un  train  de 
pèlerins  de  Lourdes.  —  Lourdes  m'a  l'air  d'enfoncer  la  Salette , 
parce  qu'il  est  plus  nouveau  :  Lourdes  est  le  Deauville  de  la 
dévotion  moderne ,  la  Salette  en  serait  le  Dieppe. 

L'excès  est  une  preuve  d'idéalité  :  aller  au  delà  du  besoin. 

L'enthousiasme  (du  peuple)  est  d'autant  plus  fort  que  l'idée 
est  plus  vague.  Puissance  des  mots  République,  honneur,  gloire,  etc. 

Proprie'té littéraire,  —  Question  odieuse!  (et  qui  se  rattache  à 
l'art  et  à  l'économie  politique).  On  peut  payer  un  travail  manuel, 
mais  non  un  intellectuel;  considérer  l'œuvre  d'art  comme  une 
denrée ,  c'est  la  mettre  au  même  niveau. 

Mais  «des  services  s'échangent  contre  des  services»;  donc  je 
vous  paye  le  plaisir  (le  service)  que  vous  me  rendez  par  votre 
œuvre.  —  Vous  ne  pouvez  pas  me  le  payer,  car  j'écris  non  pour 
le  lecteur  d'aujourd'hui,  mais  pour  tous  les  lecteurs  qui  pourront 
venir  dans  la  suite  des  temps  ;  ma  marchandise  ne  peut  être  con- 
sommée ,  mon  service  reste  donc  indéfini  et  impayable. 

Le  dogme  du  Progrès  est  la  réaction  du  dogme  de  la  Chute. 
Première  doctrine  :  on  est  de  plus  en  plus  perverti,  etc.;  deu- 
xième doctrine  :  on  l'est  de  moins  en  moins. 

Les  affaires  !  importance  des  affaires  !  tout  y  cède ,  ça  ne  souffre 
aucune  objection. 

Puissance  des  mots,  ignorance  française.  —  Après  la  perte  du 
Canada,  on  dit  :  «que  nous  font  quelques  arpents  de  neige?»  Ils 
étaient  peuplés  de  2  millions  d'habitants  et  produisaient  par  an 
500  millions! 

Le  dernier  refuge,  la  suprême  consolation,  c'est  de  savoir 
qu'on  appartient  au  Cosmos ,  qu'on  fait  partie  de  l'ordre. 


NOTES  DIVERSES.  357 

PLANS.  —  IDÉES  EN  L'AIR. 

Spira!  spera! 


L'hypocrisie  sociale  doit  être  maintenant  à  son  état  le  plus 
intense  en  Amérique;  ces  gens  qui  disent  «inexpressible»  pour 
«pantalon»  et  qui  appuient  la  théorie  de  l'esclavage  sur  la  Bible, 
cela  doit  faire  entre  la  morale  parlée  et  l'action  dramatique  des 
oppositions  brutales  :  un  propriétaire,  libéral  en  politique  (exté- 
rieure), dur  pour  ses  esclaves;  une  plantation  de  colon  où  on 
veille  les  nègres  à  main  armée ,  cependant  on  parle  d'améliorations 
d'agriculture  pour  les  classes  pauvres;  l'action  féroce  coupant 
par  intervalles  le  dialogue  philanthropique,  ...  un  ministre. 

Quel  est  l'imbécile  qui  a  dit  ceci  :  H  y  a  quelqu'un  qui  a  plus 
d'esprit  que  Voltaire,  c'est  tout  le  monde?  —  Pas  du  tout!  il  y 
a  quelqu'un  de  plus  bête  qu'un  idiot ,  c'est  tout  le  monde. 

L'impossibilité  de  tenir  un  secret  quel  qu'il  soit  est  le  trait  dis- 
tinctif  des  impures. 


NOTES  GÉNÉRALES. —  LECTURES,  ETC. 


Octobre  1859. 

Le  général  de  Montauban  a  un  petit  chien  qui  est  pris 
d'attaque  de  nerfs  lorsqu'on  le  contrarie.  Quelle  jolie  preuve  pour 
les  partisans  de  la  métampsomatose  !  Ce  toutou-là  est  une  jeune 
femme  mal  élevée. 

La  lèpre  considérée  comme  une  bénédiction,  ce  qui  concorde 
avec  la  formule  de  M.  Hamon,  de  Port-Royal  :  «la  maladie  est 
l'état    naturel  du    chrétien».   (Voir  Spéculum  patientiœ,   Norib., 


358  NOTES   DIVERSES. 

1^09;  Ser7n.  aurei.  a  Petr.  trach,,   1479,  sermo  39;  Sermon  de 
Jean  de  Tambaco  et  de  Jean  de  Nider.) 

Pierre  Jurien,  tourmenté  de  coliques,  les  attribuait  aux  com- 
bats que  se  livraient  sans  cesse  sept  cavaliers  renfermes  dans  ses 
entrailles.  [Dict.  des  Sciences  médicales,  Arts,  Lettres.) 

L'art  est  la  recherche  de  l'inutile  ;  il  est  dans  la  spéculation  ce 
qu'est  l'héroïsme  dans  la  morale. 

L'artiste  non  seulement  porte  en  soi  l'humanité,  mais  il  en 
reproduit  l'histoire  dans  la  création  de  son  œuvre  :  d'abord  du 
trouble,  une  vue  générale,  les  aspirations,  l'éblouissement,  tout 
est  mêlé  (époque  barbare);  puis  i  analyse,  le  doute,  la  méthode, 
la  disposition  des  parties  (l'ere  scientifique);  enfin,  il  revient  à  la 
synthèse  première,  plus  élargie  dans  I  exécution.  Si  l'humanité 
doit  se  développer  à  la  manière  d'une  œuvre ,  conçue  par  la  Pro- 
vidence, comme  elle  est  loin  encore,  miséricorde!  de  cette  troi- 
sième phase. 

L'idée  que  «l'esprit  procède  du  simple  au  composé»  exphque 
la  nullité  poétique  du  xvill'  siècle,  et  c'est  parce  qu'il  ne  sentait 
pas  l'histoire  qu  il  a  formulé  cet  axiome. 

La  littérature  n'est  pas  chose  abstraite,  elle  s'adresse  à  l'homme 
tout  entier;  tel  mot  qui  vous  semble  hasardé,  tel  passage  libertin 
n'est  peut-être  coupable  que  d'agacer  vos  nerfs?  cela  explique  la 
fureur  des  gens  contre  certains  livres  (et  les  procès  de  presse?)  : 
ce  n'est  jamais  le  fond  qui  scandalise,  mais  la  Forme.  Le  style, 
indépendamment  de  ce  qu'il  dit,  peut  avoir  des  inconvenances 
en  soi;  on  trouve  un  certain  caractère  de  débauche  aux  épi- 
thètes  violentes,  aux  situations  franches,  à  la  couleur  vraie. 

La  Critique  est  la  dixième  Muse  et  la  Beauté  la  quatrième 
Grâce. 

N'espérez  aucun  progrès  philosophique ,  tant  qu'on  s'acharnera 
à  décorer  Dieu  d'attributs. 

Il  y  a  des  gens  qui  peignent  l'infini  en  bleu,  d'autres  en  noir. 

L'idée  commune  que  l'humanité  se  fait  de  Dieu  ne  dépasse 
point  celle  d'un  monarque  oriental  entouré  de  sa  cour;  la  pensée 
religieuse  est  donc  en  retard  de  plusieurs  siècles,  nous  sommes 
toujours  à  brouter  l'herbe,  maigre  les  ballons. 

Le  grand  roman  social  à  écrire  (maintenant  que  les  rangs  et 


NOTES  DIVERSES.  3  59 

les  castes  sont  perdus)  doit  représenter  la  lutte  ou  plutôt  la  fusion 
de  la  barbarie  et  de  la  civilisation;  la  scène  doit  se  passer  au 
désert  et  à  Paris,  en  Orient  et  en  Occident.  Opposition  de 
mœurs,  de  paysages  et  de  caractères,  tout  y  serait,  et  le  héros 
principal  devrait  être  un  barbare  qui  se  civilise  près  d'un  civ'ilisé 
qui  se  barbarise. 

La  Poésie  ne  sort  pas  du  moiide  organique,  quoi  qu'on  en  dise 
(littérature  industrielle,  utilitaire,  humanitaire  est  sans  beauté  et 
sans  entrailles);  il  lui  faut  une  base  sensible  et  une  surface  plas- 
tique. En  ce  sens ,  rien  de  plus  poétique  que  le  vice  et  le  crime  ; 
aussi  les  livres  vertueux  sont-ils  ennuyeux  et  faux,  ils  mécon- 
naissent la  vie,  le  moi  rejaillissant  contre  tous,  l'homme  contre 
la  société  ou  en  dehors  d'elle ,  qui  est  le  vrai  homme  organique. 
Voilà  pourquoi  il  est  peut-être  si  difficile  de  faire  rire  des  vices. 
Notez  que  Molière  ne  s'est  jamais  attaqué  qu'aux  ridicules  (Harpa- 
gon fait  peur,  Arnolphe  fait  pleurer,  Tartufle  épouvante,  etc.). 
Le  ridicule,  à  la  bonne  heure,  chose  transitoire,  conçue  par 
l'homme ,  inventée  par  lui ,  qui  vient  de  l'esprit  et  qui  y  retourne  ! 
Comme  personnages  vicieux ,  je  ne  connais  que  ceux  du  marquis 
de  Sade  qui  me  fassent  rire  (et  ce  n'était  pas  l'intention  de  l'au- 
teur, bien  au  contraire);  mais  ici  le  crime  arrive  à  être  un  ridi- 
cule, car  la  nature  est  tellement  exaltée,  poussée  à  outrance 
qu'elle  devient  impossible  et  disparaît,  on  n'a  plus  qu'une  con- 
ception des  êtres  fantastiques  donnés  pour  humains  et  en  opposi- 
tion avec  l'humanité. 

«Il  a  une  femme  et  des  enfants»,  honorable  excuse  à  toutes  les 
turpitudes. 

Le  goût  est  comme  la  voix ,  souvent  il  perd  en  justesse  et  en 
ductilité  ce  qu'il  gagne  en  hauteur. 

Celui  qui  ne  dit  pas  de  mal  des  femmes  ne  les  aime  point, 
puisque  la  manière  la  plus  profonde  de  sentir  quelque  chose  est 
d'en  souffrir. 

Quand  le  goût  se  raffine,  il  se  pervertit,  comme  les  femmes 
qui,  trop  aimables,  deviennent  coquettes  et  pires. 

Ce  qu'elle  a  produit,  la  Philosophie?  rien  du  tout;  elle  a  fait 
grandir  Dieu  de  siècle  en  siècle. 

Une  sottise  ou  une  infamie,  en  se  renforçant  d'une  autre,  peut 
devenir  respectable.  Collez  la  peau  d'un  âne  sur  un  pot  de 
chambre ,  et  vous  en  faites  un  tambour. 


3(5o  NOTES  DIVERSES. 

«Frappe  au  visage!»,  c'est  ce  que  César  avait  fait  souvent,  en 
parlant  aux  dames  romaines. 

«...  il  était  de  ces  hommes  qui  ont  les  épaules  assez  larges 
pour  heurter  en  passant  les  deux  linteaux  de  toutes  les  portes.» 

Le  don  de  l'observation  ne  peut  appartenir  qu'à  un  honnête 
homme ,  car  pour  voir  les  choses  en  elles-mêmes  il  faut  n'y  porter 
aucun  intérêt  personnel. 

«L'homme  est  un  animal  terrestre  et  aérien  qui  a  besoin  de 
beaucoup  de  lumière.  » 

Strabon. 

«  On  avait  pris  à  la  caserne  du  Prince-Eugène  un  dragon  pour 
faire  le  ménage;  il  a  b...  la  cuisinière,  volé  un  morceau  de  lard, 
et  bu  tout  le  restant  de  la  bouteille  d'eau-de-vie!» 

(Frag.  d'un  roman  réaliste  quelconque.) 

«Comme  une  armoire  à  glace!»,  expression  d'admiration  (à 
propos  de  lutteurs)  de  M.  RoIIin-RossignoI,  le  cornac  d'iceux; 
il  voulait  dire  formes  carrées?  et  nettes,  mais  il  y  a  aussi  là  dedans 
un  sentiment  de  luxe  et  de  beauté,  la  chose  riche,  hors  ligne, 
princière. 

U  y  a  dans  toute  indignation  une  faute  de  jugement,  une 
jalousie,  envie  sourde...  et  une  vertu. 

M.  de  Martignac,  en  septembre  1830,  eut  à  se  défendre  devant 
la  Chambre  d'avoir  secouru  les  gens  de  lettres  pauvres. 

Si  le  romantisme  de  1830  (Hugo,  Lamartine,  etcj  n'a  pas 
été  plus  fécond,  c'est  qu'il  n'est  peut-être  remonté  à  la  Tradition, 
à  la  Renaissance,  que  superficiellement;  gothique  de  couleur  et 
catholique  par  genre ,  il  a  dédaigné  ou  méconnu  le  naturalisme , 
qui  le  déborde  maintenant,  mais  qui  n'a  pas  encore  son  poète  ni 
sa  formule. 

«Y  a-t-il  rien  de  plus  joli  qu'un  jeune  homme  qui  a  reçu  de 
l'éducation,  qui  peut  aller  dans  les  sociétés  et  causer  de  tout?  ah! 
oui,  ah!  oui!» 

(Phrase  entendue  dans  un  cabaret  au  Grand-Couronne.) 

L'art  de  gouverner  consiste  à  diriger  l'opinion  publique  (défi- 
nition libérale),  à  faire  taire  l'opinion  publique  (définition  monar- 
chique). 


NOTES  DIVERSES.  ^6l 

h' observation  et  le  trait  sont  deux  qualités  littéraires  qu'il  est 
bien  de  mépriser,  mais  qu'il  est  bon  d'avoir. 

Si  l'absence  de  caractère  (d'après  Winkelman)  est  ce  qui  consti- 
tue le  sublime,  la  présence  de  caractère,  la  particularité ,  est  peut- 
être  la  seule  cause  de  la  passion,  de  l'excitation  (excitement).  Un 
grain  de  beauté  sur  la  joue  d'une  femme  est  quelque  chose  de 
spécial,  d'intime,  qui  fait  d'elle  un  être  à  part  au  milieu  des 
autres;  de  là  l'irritation  que  produisent  certaines  toilettes,  cer- 
taines attitudes,  certains  sons  de  voix,  certains  yeux  canailles, 
certaines  laideurs  ;  «on  n'a  jamais  vu  ça!».  C'est  une  découverte, 
et  comme  un  sexe  nouveau  par-dessus  l'autre. 

L'espoir  est  un  attentat  sur  la  Providence. 

Si  tu  veux  des  perles ,  Jette-toi  à  la  mer. 

Dans  l'adolescence  on  aime  les  autres  femmes  parce  qu'elles 
ressemblent  plus  ou  moins  à  la  première;  plus  tard  on  les  aime 
parce  qu'elles  diffèrent  entre  elles. 

Aujourd'hui,  4  novembre  1862,  été  à  l'église  Saint-Martin,  à 
l'enterrement  du  père  de  Barrière.  Gens  de  lettres  et  cabotins.  A 
cette  heure,  que  le  bonhomme  est  enterré  fraîchement,  tous  les 
assistants  sont  dans  les  cafés,  ou  avec  du  fard  aux  joues  sur 
les  planches  des  théâtres,  à  débiter  des  gaudrioles.  J'étais  entre 
les  deux  Lévy  ;  devant  moi ,  Théod.  de  Banville  et  Maurice  Sand  ; 
plus  loin ,  Paulin  Menier  et  Tailhade  ;  à  ma  gauche ,  de  l'autre 
côté,  Sardou  et  Déjazet  fils;  Laferrière  seul  au  milieu  des 
chaises,  etc. 

11  a  fallu  attendre  la  fin  de  deux  enterrements.  Rien  de  reli- 
gieux, cela  se  précipite  comme  des  ballots  dans  une  maison  de 
roulage.  L'église  est  éclairée  au  gaz  comme  un  café ,  casino  catho- 
lique ;  ça  ne  sent  même  plus  le  jésuite ,  c'est  administratif  et  che- 
min de  fer.  Rien  pour  le  cœur,  rien  pour  la  poésie,  rien  pour  la 
religion  ;  toute  la  nideur  du  monde  moderne  est  là. 

C'est  peut-être,  après  tout,  une  transition  pour  amener  l'efîa- 
cement  complet  des  funérailles ,  quelque  chose  comme  une  cré- 
mation instantanée.  On  escamotera  la  mort  dans  ce  qu'elle  a  de 
pire,  la  tendresse  humaine  y  perdra  un  certain  lien  que  l'on  sen- 
tait (à  cause  du  fil  coupé  pathétiquement),  entre  ceux  qui  ne 
sont  plus  et  vous.  Le  drame  s'en  va  de  ce  monde. 

Qu'est-ce  que  la  gloire?  Faire  dire  beaucoup  de  bêtises  sur 
son  compte! 

Le  peuple  est  une  expression  de  l'Humanité  plus  étroite  que 


362  NOTES  DIVERSES. 

l'individu. . .  et  la  foule  est  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  contraire  à 
l'homme. 

Ce  n'est  pas  contre  les  dieux  que  Prométhée  aujourd'hui 
devrait  se  révolter,  mais  contre  le  Peuple,  Dieu  nouveau.  Aux 
vieilles  tyrannies  sacerdotales,  féodales  et  monarchiques,  en  a 
succédé  une  autre  plus  subtile,  inexplicable,  impérieuse,  et  qui 
dans  quelque  temps  ne  laissera  pas  un  seul  coin  de  la  terre  qui 
soit  libre.  Vous  ne  pressez  plus  sur  mon  corps ,  vous  ne  me  for- 
cez même  plus  à  croire,  soit;  mais  oia  est  le  progrès  du  libre 
arbitre,  et,  partant,  celui  de  la  moralité,  si,  par  le  seul  fait  de 
l'organisation  sociale ,  je  suis  fatalement  contraint  à  penser  comme 
vous? 

Dans  cinquante  ans  d'ici  il  ne  sera  pas  possible  de  vivre  même 
de  son  revenu  sans  s'occuper  d'argent,  comme  un  banquier;  il 
me  semble  que  (pour  l'esprit)  cela  équivaut  à  peu  près  à  l'escla- 
vage. 

«La  pauvre  Venise!»,  c'était  Dominico,  mon  domestique 
d'hôtel  a  Constantinople,  qui  répétait  cela. 

Moi  je  dis  :  «la  pauvre  littérature!»,  car  elle  me  semble 
comme  la  vieille  et  belle  ville  des  doges  être  pleine  de  mouchards 
et  de  soldats;  des  bourgeois  indifférents  viennent  examiner  ses 
ruines,  peu  à  peu  elle  s'abîme  dans  je  ne  sais  quelle  universalité 
morne  et  infinie,  j'entends  ses  murs  tomber  dans  l'eau,  et  les 
crapauds  sauter  contre  les  fresques  qui  s'écaillent. 

Autrefois ,  à  Paris ,  on  croyait  que  la  Femme  était  un  moyen 
d'arriver  à  une  position,  on  la  considérait  comme  une  échelle 
qui  conduisait  à  la  fortune;  autant  de  maîtresses,  autant  d'éche- 
lons. N'est-ce  pas  actuellement  le  contraire?  car  pour  leur  agréer, 
c'est  la  position  plus  encore  que  l'argent  qu'il  leur  faut;  elles 
couchent  avec  le  rang,  le  renom,  l'entourage  social,  tout  comme 
font  les  hommes.  Quant  au  demi-monde,  du  moins,  cela  est 
incontestable. 

Le  prodigieux  développement  musical  de  ces  trente  dernières 
années  a  du  développer  I  hystérie  ?  *" 

A  mesure  que  la  prostitution  des  femmes  diminue  (se  modifie 
ou  se  cache),  celle  des  hommes  s'étend;  le  corps  peut  être  moins 
vénal,  soit!  mais  l'esprit  arrive  à  une  banalité,  à  une  promis- 
cuité sans  exemples.  Bientôt  les  endroits  seront  fermés,  où  je 
peux  prendre  une  maîtresse  pour  cinq  minutes;  mais  ceux  où 
je  puis  avoir  des  amis  pour  une  demi-heure  pullulent,  le  café 
remplace  le  b. . . ,  je  demande  des  intimes  en  chambre. 


NOTES  DIVERSES.  3<^3 

Théorie  du  gant.  —  C'est  qu'il  idéalise  la  main,  en  la  privant 
de  sa  couleur,  comme  fait  la  poudre  de  riz  pour  le  visage;  il  la 
rend  inexpressive  (voir  le  vilain  effet  des  gants  sur  la  scène) ,  mais 
typique  ;  la  forme  seule  est  conservée  et  plus  accusée.  Cette  cou- 
leur factice,  grise,  blanche  ou  jaune,  s'harmonise  avec  la  manche 
du  vêtement,  et,  sans  donner  l'idée  d'une  nature  autre  (puisque 
le  dessin  est  conservé),  met  de  la  nouveauté  dans  le  connu,  et 
rapproche  ainsi  ce  membre  couvert,  d'un  membre  de  statue.  Et 
cependant  cette  chose  anti-naturelle  a  du  mouvement  (différent 
en  cela  du  masque,  mais  le  masque  a  du  mouvement  par  les 
yeux).  Rien  n'est  plus  troublant  qu'une  main  gantée. 

Les  hommes  qui  aiment  beaucoup  la  Femme  ne  peuvent  pas 
aimer  la  Justice. 

L'acteur  Ravel  a  créé  le  genre  des  amoureux  ridicules.  Comp- 
tez dans  combien  de  pièces,  dans  combien  de  livres,  l'amour 
est  maintenant  ridiculisé  ;  et  plaignez-vous  ensuite  de  la  bassesse 
du  théâtre  et  du  roman ,  sans  compter  celle  de  la  vie  ! 

Autre  face  de  la  question  :  cet  acharnement  contre  l'adultère 
est  peut-être  moral?  rour  se  sauver  des  passions  il  faut  d'abord 
en  rire. 

Comparaison  suivie  d'une  bonne  tête  et  d'une  bonne  maison  ; 
il  s'agit  de  savoir  ce  que  l'on  est,  le  but,  si  c'est  un  civilisé  : 

Au  rez-de-chaussée,  état  inférieur,  le  salon,  meubles  simples 
et  commodes;  c'est,  pour  le  public,  l'amabilité,  l'abord  facile. 

Et  la  cuisine,  donnant  sur  la  cour;  les  pauvres. 

La  salle  à  manger?  hospitalité,  vie  publique. 

Le  cœur  sera  dans  la  chambre  à  coucher;  par  derrière,  les 
lieux,  où  vous  jetterez  les  haines,  les  rancunes,  les  colères,  toutes 
les  saletés. 

La  pièce  principale,  celle  qui  sera  la  plus  luxueuse  et  la  plus 
secrète,  le  cabinet  d'études. 

Pas  de  grenier,  une  terrasse  pour  contempler  le  paysage  et  le 
ciel. 

(A  développer.) 

28  avril  1872. 

Le  véritable  écrivain  est  celui  qui,  sans  sortir  d'un  même 
sujet,  peut  faire  en  dix  voliunes,  ou  en  trois  pages,  une  narra- 
tion, une  description,  une  analyse  et  un  dialogue.  Hors  de  là, 
farceurs  ou  gens  de  goût,  deux  catégories  médiocres. 

Ne  pouvoir  se  passer  de  Paris,  marque  de  bêtise;  ne  plus  l'ai- 
mer, signe  de  décadence. 


3^4  NOTES   DIVERSES. 

La  Nature  n'est  belle  que  pour  qui  sait  la  voir,  preuve  que  tout 
dépend  du  subjectif. 

«Goûts  hors  nature»  (lesquels  sont  répandus).  Expression 
indiquant  que  nous  jugeons  extraordinaire,  en  dehors  de  la  loi, 
miraculeux,  tout  ce  qui  nous  étonne. 

II  faut  être  assez  fort  pour  se  griser  avec  un  verre  d'eau  et 
résister  à  une  bouteille  de  rhum. 

Idéalité  de  l'art  antique ,  l'usage  des  masques  montre  qu'il  ne 
sortait  pas  des  types. 

Aujourd'hui  12  décembre  1862,  anniversaire  de  ma  quarante 
et  unième  année,  été  chez  M.  de  Lesseps  porter  un  exemplaire 
de  Salammbô  pour  le  bey  de  Tunis;  chez  Janin;  déjeuner  chez 
Ed.  Delessert  ;  chez  H.  Berhoz  ;  au  Palais-Royal  m'inscrire  chez  le 
Prince;  acheté  deux  carcels,  reçu  une  lettre  de  Bouiihet...  et 
m'être  mis  sérieusement  au  plan  de  a  première  partie  de  mon 
roman  moderne  parisien???... 

Pour  connaître  la  poétique  théâtrale  de  Voltaire,  voyez,  en  tête 
de  Sémiramis,  la  dissertation  sur  la  tragédie  ancienne  et  moderne; 
la  préface  de  l'Orphelin  de  la  Chine  :  «les  aventures  les  plus  inté- 
ressantes ne  sont  rien  quand  elles  ne  peignent  pas  les  mœurs»; 
l'épître  dédicatoire  de  Tancrède  :  «Ce  sera  (l'alhance  de  la  mise 
en  scène  et  de  la  poésie)  le  partage  des  genres  qui  viendront 
après  nous,  j'aurai  du  moins  encouragé  ceux  qui  me  feront 
oublier»;  préface  de  Marianne  :  «C'est  contre  mon  goût  que  j'ai 
mis  la  mort  de  Marianne  en  récit  au  lieu  de  la  mettre  en  action, 
mais  je  n'ai  voulu  combattre  en  rien  le  goût  du  public;  c'est 
pour  lui  et  non  pour  moi  que  j'écris».  Dans  la  préface  A'Oreste, 
il  se  déclare  hardiment  pour  les  types,  il  ne  voulait  ni  demi- 
teintes  ni  nuances  :  «Un  amour  qui  n'est  pas  furieux  est  froid, 
et  une  politique  qui  n'est  pas  une  ambition  forcenée  est  plus 
froide  encore».  Quant  à  l'amour,  «il  n'est  pas  fait  pour  la 
seconde  place». 

L'idée,  le  désir, d'un  théâtre  romantique  est  nettement  posée 
dans  l'épître  de  l'Ecossaise  :  «  Comment  apporter  le  corps  sanglant 
de  César  sur  la  scène»;  celle  de  Nanine  est  pleine  de  contradic- 
tions ,  et  il  ne  conclut  pas.  Idée  du  drame  historique  dans  la  pré- 
face de  Zaïre;  franchement  autoritaire  dans  la  lettre  adressée  au 
roi  de  Prusse.  Mahomet  :  «Qu'importent  au  genre  humain  les 
passions  et  les  malheurs  d'un  héros  de  l'antiquité,  s'ils  ne  servent 
pas  à  nous  instruire».  Admet  tous  les  genres  :  l'Enfant  prodigue. 


NOTES  DIVERSES.  36$ 


EXPANSIONS. 


1870. 

L'idée  du  suicide  est  la  plus  consolante  de  toutes.  Comme 
rien  ne  peut  plus  vous  atteindre,  une  fois  mort,  à  chaque  dou- 
leur nouvelle  qui  vous  saisit,  on  a  par  devers  soi  cette  phrase  : 
«Oui,  mais  quand  je  le  voudrai,  ce  ne  sera  plus».  Ainsi  la  vie 
se  passe,  lentement! 

^  avril  —  un  mardi. 

L'un  n'a-t-il  pas  sa  barque  et  l'autre  sa  charrue?  Comme  je 
me  suis  répété  cela,  depuis  dix  mois  ! 

Le  premier  m'a  quitté  pour  une  femme,  le  second  pour  une 
femme ,  le  troisième  me  quittait  pour  ime  femme.  Tous  !  tous  ! 
suis-je  donc  un  monstre?  L'homme  absurde  est  celui  qui  ne 
change  jamais;  c'est  moi  l'homme  absurde,  pauvre  vieux  fou, 
qui  porte  à  cinquante  ans  le  dévouement  qu'ils  avaient  (peut-être) 
à  dix-huit! 

Indiquez-moi  une  maison  où  l'on  cause  littérature  !  !  ! 

Révolution  française  :  Grand  souffle  et  petits  cerveaux!  résul- 
tat médiocre  ;  donc  l'enthousiasme  et  l'héroïsme  ont  besoin ,  pour 
accomplir  leur  œuvre,  d'une  chose  de  plus. 

Révolution  littéraire  de  1830  :  Théories  très  médiocres,  peu 
de  science,  et  peu  de  hardiesse,  quoi  qu'on  dise,  mais  des  gens 
d'esprit,  de  véritables  vocations  (de  poète);  de  là,  des  œuvres. 

L'humanité  a  fait  plus  de  progrès  de  1520  à  1600  que  de 
1790  à  1870;  le  xvr  siècle  a  eu  moins  de  doctrines  que  le  xix°. 

Si  l'amusant  est  le  critérium  de  la  valeur  littéraire,  le  procès  de 
Fualdès  ou  celui  de  Troppman  dépasse  Hamlet,  Don  Quichotte  et 
le  reste.  Au  temps  où  l'on , était  religieux,  rien  n'était  plus  amu- 
sant que  la  théologie;  les  Enne'ades  de  Plotin,  qui  m'assomment, 
ont  ravi  les  foules.  Que  de  gens  se  sont  délectés  avec  saint 
Aiigustin  ! 

Ixecette  :  Pour  faire  amusant  maintenant,  parlez  de  ce  qui 
préoccupe;  l'Oncle  Tom,  depuis  l'abolition  de  l'esclavage,  est 
devenu  plus  vieux  que  l'Iliade. 


^66  NOTES  DIVERSES. 

Il  me  semble  qu'il  y  a  une  moyenne  entre  le  passé  et  réplic- 
mère,  entre  l'archaïsme  et  le  réalisme,  entre  Leconte  de  Lisle  et 
Sardou,  entre  ce  qui  est  mort  et  ce  qui  ne  doit  pas  vivre. 

Règle  de  conduite  :  Conseiller  l'audace  aux  hommes  et  la 
retenue  aux  femmes,  ce  qui  est  la  maxime  du  monde,  peut-être 
selon  la  nature  ;  mais  n'est-ce  pas  attenter  à  la  délicatesse  des  uns 
et  à  l'intérêt  des  autres?  Qu'importe  pour  les  premiers  un  adul- 
tère de  plus?  tandis  que  le  moindre  amour  peut  faire  perdre  à 
une  femme,  si  bas  quelle  soit,  sa  position,  sa  fortune  et  sa  vie 
même.  Conclusion  :  c'est  à  ces  dames  à  nous  faire  les  avances. 

Les  savants  se  décernent  le  titre  d'écrivain  aussi  facilement  que 
les  poètes  s'attribuent  celui  de  penseur. 

Le  changement  continuel  des  loyers  est  une  des  marques  de 
l'inconsistance  moderne,  du  trouble  foncier  où  l'on  vit;  la  vie 
n'est  posée  nulle  part. 


L'époque  contemporaine  se  résume  par  deux  idées  :  catl 
:isme  et  socialisme  ;  l'intermédiaire  est  la  blague ,  qui  imbibe 


catholi- 
cisme et  socialisme  ;  1  intermédiaire  est  la  blaerue ,  qui  imbibe  l'un 

et  l'autre. 

On  sacrifie  l'amour  à  l'ambition  et  à  l'intérêt,  mais  cela  une 
fois;  c'est  un  acte  pathético-comique  dans  la  vie  d'un  homme, 
puis  l'éternel  féminin  prend  sa  revanche. 

L'homme  est  d'autant  plus  vache  vis-à-vis  de  la  femme,  dans 
le  train  train  ordinaire  de  chaque  jour,  qu'il  a  été  dur  pour  elle 
à  un  moment.  L'inverse  est  vrai  dans  les  mariages  d'amour,  car 
l'homme  se  repent  tous  les  jours  de  la  faiblesse  qu'il  a  eue  en  se 
mariant. 

Ce  qui  console  de  la  vie,  c'est  la  mort,  et  ce  qui  console  de  la 
mort,  c'est  la  vie. 

Arrivés  à  un  certain  état  de  l'esprit,  tout  converge  à  l'orgueil; 
à  un  certain  état  du  cœur,  tout  à  la  pitié.  C'est  alors  qu'on  n'a 

f)Ius  de  présomption  et  qu'on  n'a  plus  de  compassion,  quoique 
a  sensibilité  soit  plus  délicate  et  que  l'isolement  intérieur  soit 
plus  profond. 

Le  comble  de  l'orgueil,  c'est  de  se  mépriser  soi-même. 

II  faut  une  vanité  peu  commune  pour  qu'on  ne  s'aperçoive 
pas  que  vous  en  ayez. 


NOTES  DIVERSES.  367 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  imbécile  au  monde,  ce  sont  les  gens  dits 
moyens  :  la  bourgeoisie  intellectuelle,  de  même  que  les  braves 
gens,  sont  les  plus  féroces. 

La  cruauté  par  sensualité  révolte  moins  que  la  cruauté  qui 
s'ignore,  la  cruauté  d'idées,  de  principes.  Est-ce  parce  que  la 
première  est  un  besoin  de  l'homme  dans  la  plénitude  de  ses 
facultés  et  que  la  seconde  est  un  vice  de  son  intelligence?  L'art 
peut  tirer  parti  de  l'une,  il  s'écarte  de  la  seconde  :  on  n'idéalisera 
jamais  Robespierre;  de  Marat,  la  chose  serait  plus  aisée,  parce 

3u'il  semble  y  avoir  eu  chez  lui  plus  d'emportement,  d'instinct, 
e  vraQos.  Néron  a  été  poétique  de  tout  temps. 

Le  crétin  diffère  moins  de  l'homme  ordinaire  que  celui-ci 
ne  diffère  de  l'homme  de  génie. 

Vous  ferez  comprendre  plus  facilement  la  géométrie  à  une 
huître  qu'une  idée  aux  trois  quarts  des  gens  de  ma  connaissance. 

II  n'y  a  pas  d'idée  vraie  dont  l'idée  contraire  ne  soit  également 
vraie  :  c'est  qu'elle  ne  la  contredit  peut-être  pas,  mais  lui  fait 
simplement  parallèle. 

Jusqu'à  quel  point  l'anachronisme  en  fait  d'art  importe-t-il  au 
sujet?  Je  vois  beaucoup  de  gens  y  faire  attention,  ce  qui  me 
pousse  à  penser  que  ça  ne  signifie  pas  grand'chose. 

(A  propos  de  J.-J.  Rousseau.) 

J'ai  vu  aujourd'hui  une  femme  à  laquelle  un  goitre  faisait  bien. 
Pourquoi  ?  cela  n'a  pas  encore  été  réduit  en  lois. 


FIN  DES  ŒUVRES  COMPLETES. 


TABLE  DES   MATIERES. 


Pages. 

Asie  Mineure i 

Constântinople 3y 

Athènes  et  environs  d'Athènes 67 

Italie 177 

Carthage 289 

Notes  diverses  : 

Lectures 3^1 

Plans.  —  Idées  en  l'air 3^7 

Notes  générales.  —  Lectures ,  etc 357 

Expansions 365 


-4 


ŒUVRES   COMPLÈTES 


DE 


GUSTAVE   FLAUBERT 

AUGMENTÉES   DE   VARIANTES,   DE   NOTES 

D'APRÈS  LES  MANUSCRITS,   VERSIONS  ET  SCÉNARIOS   DE  L'AUTEUR 

Et   DE   REPRODUCTIONS   EN   FAC-SIMILÉ 

DE   PAGES  D'ÉBAUCHES   ET  DÉFINITIVES   DE  SES   MANUSCRITS 


Madame  Bovary i  vol. 

Salammbô i  vol. 

L'Éducation  sentimentale  . .  i  vol. 

La  Tentation  de  saint  An- 
toine (versions  de  1849,  ib'56, 

1874) I  vol. 

Trois  Contes i  vol. 

Bouvard  &  Pécuchet i  vol. 

Par  les  Champs  &  par  les 

Grèves 1  vol. 

Correspondance ;  vol. 


Œuvres  de  Jeunesse  inédites: 

I.  Mémoires   d'un    fou, 

œuvres  diverses I  vol, 

II.  Novembre 1  vol. 

III.  L'Éducation     sentimen- 

tale       I  vol. 

Notes  de  VorAGEs  : 

I.  Italie,  Egypte i  vol. 

II.  Turquie,     Grèce,     Car- 

THAGE r  vol. 

Théâtre 1  vol. 


Chaque  volume  broché 8  fr. 

Relié  amateur,  par  Canapé,  en  chagrin  vert  foncé,  net..  ...  15  fr. 

Relié  amateur,  par  Canapé,  en  maroquin,  net 22  fr. 

H  est  tiré  des  oeuvres  complètes  50  ex.  numérotés  sur  chine,  «rt.  40  fr. 

ŒUVRES   COMPLÈTES 

DE 

HONORÉ  DE  BALZAC 

TEXTE  REVISÉ,  ANNOTÉ  ET  COMMENTÉ 

PAR  MM.   BOUTERON   ET  LONGNON 

ANCIENS  ÉLÈVES  DE  L'ÉCOLE  DES  CHARTES 

QUINZE    CENTS    ILLUSTRATIONS 

DE 

CHARLES  HUARD 

GRAVÉES    SUR    BOIS    PAR    PIERRE    GUSMAN 

Quarante  volumes  in-S"  (format  de  notre  édition  de  Flaubert) 

chaque  volume g  fr. 

Demi-reliure  chagrin  amateur,  sans  coins,  décor  roman- 
tique ,  net. x3  fr. 

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tique (Canapé),  net 16  fr. 

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//  sera  tiré  100  exemplaires  numérotés  sur  japon  ancien  à  40  fr. 
dont  jo  exemplaires  avec  une  suite  des  bois  sur  papier  de  Chine  à  60  fr. 

//  paraîtra  un  volume  par  mois  à  partir  d'avril  igi2. 


\\ 


PQ      Flaubert,  Gustave 

224.6       Oeuvr'es  complètes 

Al 

1910 

t.8 

pt.2 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POOCET 

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