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Full text of "Tableau de Paris. Tome premier"

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1: 

I 


itiennc,  in«mhre  rie  la  Commiesion  du  Vtflj 
,i,j^  il  Bry-sur-Mftrns  lB''t 


„„,«.- ->':r^--'"^ 


r. 


A  BLE  AU 


DE 


PARI  S. 


f 


v/ 


.  / 


T'A  É  L  EA  U 

PARIS. 

NOUVELLE     ÉDITION, 
CORRIGÉE     ET     AUGMENTÉE. 

Corruptio  opt'unï pejftma. 


A    AMSTERDAM. 


fiac  (;  Lzxxii, 


»  -. 


\ 


I 

■ 


TABLEAU 

CHAPITRE      CCVL 

Vrocarairs..  Huijfiers. 

Jji  vous  avez  dans  votre  mailbn  nn  endroit 
fale ,  obfoir ,  fétide ,  mal-propre ,  plein  d'or- 
dures, tes  fouris  &  les  rats  s'y  logent  infailli- 
JblemenLAinfi  dans  la  fange  Scie  chaos  abomb 
nablede  notre  jiarifpiudence,onavunaîtreU 
jace  rongeante  des  procureurs  Se  des  huïfliers. 

Ils  fe  plaifènt  dans  les  détours  ténébreux 
<dè  la  chicane  ;  i!s  vivent  gralïcment  dans  le 
labyrinthe  de  la  procédure  ;  il  faut  les  y  (iiivre 
malgré  vous  ;  vous  êtes  forcé  de  vous  fou- 
nettre  à  leur  miniilere.  Ces  papcraflèursdnc 
acheté  la  déplorable  charge  qui  en  fait  des 
-vampires  publics  &  privilégiés  ;  mais  com- 
me le  premier  mal  ell  dans  une  législation 

Tome  IL  A 


%  Tableau 

contradîâoire  &  embrouillée,  le  praticien 
fe  rit  de  la  niifère  du  plaideur ,  &  tient  au 
«^ice  antique  qui  lui  eft  (i  profitable. 

Notre  jurîfprudence  n'eft  qu'un  amas  tfë- 
nigmes  prilès  au  hafard  dans  les  ouvrages  de 
quelques  jurifconfultes  d'une  nation  étran- 
ge]^ ;  &  quand  les  coutumes  &  les  loix  dif- 
férentes font  privées  de  clarté  ^  ne  vous  éton-» 
nez  pas  des  monftmofités  de  la  procédure. 

Entr^  dans  un  greffe  de  propuregr ,  ap- 
pelle improprement  étude  ^  huit  à  dix  jeunes 
ge^s  piquant  la  dure  efcabelle ,  font  occu- 
pés à  gratter  du  papier  timbré  du  matin  au 
fbir.  Bi/sl  emploi  !  Ils  copient  des  avenirs  , 
des  exploits^  des  fignificatiôns ,  des  requé^ 
tes  ;  ils  grqffhyent.  Qu'eft-ce  que  grojfoyer? 
Ceft  l'art  d'alonger  les  mots  &  les  lignes, 
pour  employer  le  plus  de  papier  pofTible ,  & 
le  vendre  ainiî  tout  barbouillé  aux  malheu^ 
leux  plaideurs  ;  de  forte  qu'on  puîffè  en  for»- 
Jîier  des  dofjicrs  épais.  Et  qu'eft-ce  qu'un 
àoffier  ?  C'efl  la  mafîè  bizarre  de  ces  épou- 
vantables procédures.  Et  un  dojjier  épais  ^ 
que  coûte-t-il  bien  ?  Sept  k  huit  mille  francs, 
four  commencer  à  éclaiicir  un  peu  les  chofes. 

Mais  toutes  ces  paperaflès  fervent-elles  du 
moins  au  juge  ?  Jamais.  Quand  il  y  a  un 
rapporteur,  Ion  fecrétaîre  fait  fur  une  feuille 
rolante  un  extrait  de  ces  énormes  groflès, 
&  toutes  les  raifons  du  procureur  refient  au 
£)nd  du  Çzç  :  airifi  ce  délpge  d'écritures  no 


deParis.  3 

fêivira  pas  même  dans  la  caufe  dont  il  s'a- 
git ,  le  juge  ne  verra  que  l'extrait  du  fecré- 
taire  fidèle  ou  infidèle  ;  &  voilà  ce  qu'on  ap- 
pelle Vinjlruâion  chez  un  pewple  civililè  y 
ou  foi-difant  tel. 

Le  procureur  dans  fon  grefife  eft  environne 
de  ces  dofliers  érigés  en  trophées  &  qui 
montent  jufqu'au  plancher ,  k  peu  près  com- 
me le  fauvage  de  l'Amérique  s'en/ironne 
dans  fa  hutte  &  (bfpend  autour  de  lui  les 
chevelures  de  ceux  qu'il  a  fcalpés. 

II  y  a'  environ  huit  cents  procureurs,  tant 
au  châtelet  qu'au  paflement  ,  fans  compter 
cinq  cents  huiflîers  exploitants  ;  &  tout  cela 
rit  de  l'ancre  répandue  à  grands  tlots  fur  le- 
papier  timbré. 

Dites  ^  un  praticien  qu'il  y  a  plufieurs 

f)ays  en  Europe ,  ou  h  juftice  fè  rend  fans 
e  fatal  mînîftere  d'un  procureur  ;  où  les  frais 
de  juftice  font  nuds  ,  pour  ainfi  dire  ^  oii  des  / 
pacificateurs ,  dans  le  veftibule  du  temple  de 
la  juftice  ,  vous  arrêtent  avec  un  intérêt  ten- 
dre ,  prennent  a  cœur  d'arranger  les  parties^ 
&  y  parviennent  ordinairement.  Lepraticieii 
lèvera  les  épaules,  fonnera  &  dira  k  (on  clerc^ 
g^offbye^^  muUiplic^Us  incidents  y  ^  Jbn^ 
g^  ^^/e  la  philojhphie  e/l.  dangcrajc. 

Les  brigandages  qui  s'exercent  dans  ces 
greffes  poud,reux  font  légitimés  par  les  friand^ 
amateurs  dépices  ;  on  ne  fe  fait  point  U. 
guerre ,  o  n  partage  paifiblement  le  tiers  de;^ 

A  i  "  [.  "' 

.•V.  ^ 


4  Tableau 

fucceflîons.  Ils  font  toujours  en  noirs ,  difoit 
un  payfan  :  Save\yous pourquoi  ?  Ccft parce 
qûiU  héritent  vraiment  de  tout  le  monde* 

Il  faut  que  le  brigandage  foit  porté  loin  , 
pour  qu'il  foit  réprimé.  Les  procureurs  en 
font  prefque  toujours  quittes  à  l'audience 
pour  des  farcafmes  de  la  part  des  avocats  , 
&  des  menaces  d'interdidion  de  la  part  des 
juges.  L'un  d'eux  difant  un  jour  au  plus  ef- 
fronté :  Maître  un  tel^  vous  êtes  unfrip^ 

,  pon.  —  Monfeigneur  a  toujours  le  petit 
mot  pour  rire  ,  répondit  le  praticien. 

Quelques  procureurs  roulent  carroflè ,  & 
tirent  de  leur  greffe  quarante  à  cinquante 
mille  francs  par  an.  Les  avocats  les  courti- 
fent  aflîdument  pour  avoir  des  caufes.  Ils 
font  le  (oîr  la  partie  de  Madame  en  che- 
veux longs ,  &  î'cncenfent  de  tout  leur  pou- 
voir ,  afin  que  le  choix  tombe  fiir  eux  pour 
les  pièces  d'écritures ,  partie  lucrative ,  chère 
àl'onfre,  8c  qui  mérite  bien  qu'on  déroge  un 
peu  à  l'ait  de  l'orateur  ,&  que  Ton  ménage 

-les  bonnes  grâces  de  la  femme  du  praticien, 

C'eft  toujours  lui  qui  choifit  Favocat.  Le 

plaideur  ne  connoît  que  la  boutique  du  pro- 

,  cureur;&  comme  il  faut  commencer  par 
l'aflîgnation ,  le  praticien  eft  néceflàirement 
l'agent  de  toute  la  procédure  i  auffi  les  avo- 
cate font-ils  plus  fouples  &  plus  dociles  de- 

:  vant  fes  procureurs  v<^ué  l'apothicaire  ne  l'cft 

^  ilffvalxt m  dodeur  de  la-  &culcé. 


> 


DE      P  A  R   I   5^  Ç 

Il  faut  paflèr  par  les  longues  épreuves  de 
la   cléricature  pour   être  habile  à  podeder- 
une  charge  ;  il  faut  monter  lentement  la  pé^  ^ 
nible  échelle.  Ce  trîfte  noviciat  eft  de  huit 
H  dix  années.  Ainlî  les  procureurs  ont  des 
dçrcs  à  bon  marché  ;  le  maître  -  clerc  lui- 
même,  limonnierde  V étude ,  n'a  que  de  foi- 
bles  gages;  les  autres  clercs  barbouillent  le 
papier  du  matin  au  foîr  pour  leur  pauvre  nouF* 
riture.  Ils  vivent  d'efpérance ,  logent  dans  des 
man(ardes,en  attendant  une  charge  vacante. 

Les  plus  adroits  ,  dans  les  petites  études^ 
tâchent  d'intéreflcr  la  procureufe ,  afin  d'a-^ 
doucir  la  rigueur  de  leur  joug;  mais  dani 
les  grandes  ^  JHiz^a/Tze  ne  faurait  fe  réibudre,. 
\i  manger  avec  des  clercs. 

Elle  oublie  que  fon  mari  n*cft  qu*un  an- 
cien cîerc  qui  vkm  dachetet  une  charge. 
Le  nigaud- approuve  le  noble  orgueil  defà 
femme ,  fon  panache ,  fes  polonoifes ,  fès 
femmes-de- chambre,  fes  tons,  fes  airs.  U 
ne  veut  plus  communiquer  qu'avec  les  amîi 
de  Madame  ,  parce  -qu  ik  lui  ont  promis 
une  riche  clientcUe. 

'Lqs  huiffiers ,  qui  marchent  k  la  fuite  des 
procureurs,  ne  font  pas  moins  redoutable^. 
&  plus  ardents  encore  à  ki  curée.  Quand, 
une  fois  fa  brèche  eft  ouverte ,  alors  ils  moiv 
tent  à  Fâfïàut ,  &  traitent  une  mailbh  com- 
me une  ville  livrée  au  pillage.  Voyez  le  vau- 
tour acharné  fiir  fk  proie  ^  &  qui  la  dépecé 

A  3 


é  Tableau 

avec  fon  bec  noîr  &  crochu ,  c'eft  l'image 
de  leur  joie  avide,  quand  leurs  mains  ar- 
mées de  la  fatale  plume  faîfiflènt  les  meu- 
bles pour  les  porter  en  vente  fur  la  place 
publique. 

•  Ces  mêmes  huîflîers  qui  ,  comme  une 
meute  dévorante,  fe  déchaînent  contre  les 
particuliers  ,  pour  peu  que  la  bride  leur  foît 
lâchée  ,  n'ofent  porter  un  exploit  à  un  mem- 
bre du  parlement  ou  à  un  homme  en  pla- 
ce ;  c'eft  à  qui  fe  rcfufera  k  cet  office.  Quand 
on  veut  pourfuivre  un  grand ,  il  faut  avoir 
recours  au  procureur-général,  pour  obliger 
un  fimple  huiflîer  à  faire  (on  devoir. 

Ainfi  le  bourgeois  à  Paris  ,  outre  (es  au- 
^es  fardeaux  ^  a  dans  la  nobleflè  impérieufe 
&  hautaine  une  véritable  ariftocratie  h.  com- 
battre ;  il  rencontre  une  ligue  qui  infenfible- 
ment  devient  plus  formidable  que  jamais. 

Ceft  par  ces  agents  fubalternes  de  la  juC- 
tîce  ,  &  qui  infeftent  les  avenues  de  fon 
temple ,  que  l'on  n'en  approche  plus  qu'avec 
crainte  &  tremblement.  Ceft  par  eux  que 
les  juges  fe  font  trouvés  au  milieu  des  piè- 
ges &  des  furprîfes ,  &  que  la  longueur  des 
affiiîres  a  fait  renoncer  aux  meilleurs  droits, 
parce  que  la  ruine  inévitable  des  familles  a 
pani  devoir  (iiivre  la  demande  la  plus  lé- 
gitime. \. 

Ce  fléau ,  que  les  tribunaux  fupérieurs  ne 
fimgent  pas  à  réprimer  y  dévore  la  partie 


V 
■y 


B   E      P  A   R  I   S.  7 

indigente  ;  &  Ton  a  vu  des  hommes  ini- 
ques menacer  encore  de  la  juftice  ceux  qu'ils 
avoîent  dépouillés  ,  s'ils  n'étoufFoient  pour 
toujours  leurs  plaintes  8c  leurs  murmures  ;  6c 
les  infortunés  voulant  conferver  les  débris  de 
leur  fortune ,  fe  font  tus  ,  craignant  que  le 
monftre  de  la  chicane  ne  vînt  leur  enlever 
ces  foibles  reftes. 

Tous  ces  praticiens  ont  entr*eux  un  geru'ô 
de  plaifanterie  qui  équivoque  perpétuellement 
fur  les  mots  de  leur  profeffion.  Il  n^  a  rien 
de  plus  gothique  &  de  plus  mauilàck  que  les 
railleries  des  hommes  d'afl&ires  :  mais  pour 
être  plattes  &  groffieres ,  elles  n'en  font  pas 
moins  inhumaines  ^  car  ils  plaifantent  en- 
core ceux  qu'ils  om  vexés  &  rongés. 

Ce  n'eft  pas  que  l'improbité  foit  attachée 
a  h  profemon  :  quelques  procureurs  honnê; 
tes  ne  préfèntent  pas  fans  ceflê  la  juftice  k 
leurs  parties,  pour  ne  leur  en  faire  embrafler- 
que  Tombre.  Ils  emploient  leur  habileté  à  (au- 
ver  leurs  clients  d*un  dédale  d'erreurs  &  d'un 
embrafement  funefte:  Plufieurs  ennpbliflènt 
leur  profeffion  par  la  vertu  qui  les  orne  tou- 
tes; Us  fervent  de  modèle  aux  autres,  &ils 
méritent  Feftime  &  la  confiance  du  public  : 
mais  on  peut  dire  d'eux  auffi  : 

Apparent  rari  nauta  in  gurgîti  vafi^m 

Ce^  communautés  de  procureurs  font  Kées 
au  parlement  d'une  manière  fort  étroite* 

A  4 


X 


8,  TABLIAiJ 

Elles  en  fuîvent  les  mouvements,  &  en  ëpont^ 
fètii  les  idées  avec  la  plus  grande  chaleur« 


CHAPITRE      CÇyiL 
La  Ba:^cb^ 

V^'eft  une  communauté  de  clercs  quî  ju- 
gent entr*eux  de  leurs  différends.  Autrefois 
il  y  a  voit  le  roi  4e  la  Bazoche,  maître  du 
royaume  de  la  Bazoch^  ,  Se  qui  établiflbit 
des  jurifdiâions  Bazochiales  y  mais ,  attendu 
y  que  le  nomhfe  d^  clercs.  alToît  à  près  de 
^  dix  mille ,  Henri  HI  révoqua  le  titre  àe  roL 
U  étoit  bien  peureux  ,  dira-t-pn  ;  mais  {bu- 
rent les  hommes  fe  font  laiflS  conduire  par 
des  mots ,  &  plus  loin  qu'ils  n'auroient  d'a- 
bord imaginé; 

Les  armoiries  de  la  Bazoche  font  trçis. 
ccritoircs.  Oh  !  quel  fleuve  dévorant ,  fem- 
blable  aux  noires  eaux  du  Styx ,  fort  de  ces 
armes  parlantes ,  pour  tout  brûler  &  odnfii- 
mer  fur  fon  paflàge  !  Quoi  !  Montefquîeu  ^ 
Roufleau ,  Voltaire  &  BufFon  ont  aufli  trem-» 
pé  leur  plume  dans  une  écrîtoîre  !  Et  l'huila 
fier  exploitant  &  l'écrivain  lumineux  fe  fer- 
vent chaque  îour  du  même  jin(Uument  1 


■\  -■ 


DE      P  A  B.  I  ?•  .^' 


^: 


CHAPITRE     CCVIIL 

ComédunSn 

X-iCS  comédiens  feront  toujours  des  cxcontf^ 
munies ,  jufqu'à  ce  qu'il  plaife  au  roi  ,  au 
parlement  &  au  clergé  de  lever  Tanathême. 
Tel  eft  l'empire  de  la  coutume,  des  préju- 
gés ;  ou  ,  G  vous  l'aimez  mieux ,  de  Tincon- 
féquence  nationale.  Us  auront  plutôt  fait  de 
rire  de  l'excom/nf/izîctf/4^/2,.que  .de  vouloir 
s*en  affranchir, . 

La  demoifelle  CUôron  ayant  fait  uh  mé^ 
moire  â.  conjidter  fur  cet  objet ,  Favocat. 
entreprenant  &  téméraire  fiit  au/E- tôt  rayi 
du  tableau  ;  &  l'amante  de  Tancrede  Ce- 
trouva  obligée   de  procurer  un  état  à  fôft. 
défenfeur  ,  qui  avoit  perdu  le  fien  en   ta» 
chant  de  la  réconciliet  avec  Féglife.  L'avo- 
cat, plein  de  fon  fujet  ,  monta  bientôt  (lir 
Je  théâtre;  mais  il  n'y  fut  pas  plus  heureux 
iqûhu  barreau ,  Qc  excommunication  alla  fe 
placer  fur  fa  tête  ,  ainfi  que  fur  celle  de  la^ 
demoifelle  Clairon. 

Elle  prit  quelque  temps  après  de  Phumeur 
contre  le  public  :  un  aâeur  ou  uneaârice^ 
.«nt  toujours  tort  de  bouder  cet  augufte  foiK 
.ffirain*.  JEJle  axott  xefuië  de  jou^r  ,  la  faite 

À  % 


j  il 


10  Tableau 

étant  pleine  &  le  rideau  levé  ,  à  raifon  âm 
je  ne  fais  quelles  rixes  de  foyer.  Elle  fut  fort 
maltraitée  du  parterre  ,  &  le  foir  même  elle 
alla  coucher  au  Fon-rEvéque,  Pour  fe  ven- 
ger des  clameurs  de  ce  parterre  infblent  & 
de  ceux  qui  i'avoieht  emprifonnée  ,  elle  aban- 
donna le  théâtre ,  penfant  que  le  lendemain 
on  feroit  à  fes  genoux  pour  la  fupplîer  de 
vouloir  bien  rentrer.  Qu'arriva-t-il  ?  Le 
public  loublia ,  &  elle  perdit  fon  talent ,  faute 
d'exercice.  Elle  pafla  ,  dans  l'obfcurité  & 
•^loin  des  applaudiilèments ,  des  jours  qui  au« 
roient  été  remplis  &  glorieux  fous  l'habit  de 
Melpomene ,  qu'elle  faifoit  parler  avec  iftie 
forte  de  dignité. 

Louis  XIV  n'a  jamais  reçu  de  comédiens 
qu'ils  n'euflènt  de  la  taille  &  une  figure 
noble.  Le  théâtre  de  la  nation ,  où  revi- 
vent  les  héros  de  Pantîquité  ,  exîgeroit  un 
choix  plus  fcvere.  On  voit  parmi  les  aâeurs 
aduels ,  trop  peu  d'hommes  bien  faits  ;  ce 
qui  ne  difpofe  pas  l'étranger  à  concevoir 
une  idée  avantageufe  de  notre  goût  pour  le 
beau.  Quand  il  voit  de  petites  natures  répré- 
fenter  ce  qu'il  y  a  de  plus  împofant  &  de  plus 
fameux  dans  Fhiftoire  des  peuples  ,  il  prend 
une  idée  défavorable  du  phyfique  de  la  na- 
tion 9  &  la  remporte  malgré  lui  dans  fa 
patrie. 

La  vanité  des  aâeurs  de  petite  taille  favo- 
xiiiç  la  réception  d'aâeurs  exicore  plus  petits.  > 


•  *. 


DE    Pari  s. 


Il 


parée  que  ceux-là  s'iniaginent ,  par  ce  moyen 
de  comparaifon ,  devoir  paroître  plus  grands 
(ùr  la  fcene;  mais  fî  cette  mante  de  rapetiC- 
(èr  les  perfonnages  tragiques  fubfifte  encore 
pendant  une  génération ,  nous  n'aurons  bien*^' 
tôt  plus  que  des  Lilliputiens  ,  qui  en  vou-^ 
lant  faire  les  héros  y  ne  feront  que  gro^^ 
tefques. 

Un  aâeur  y  quand  il  efl  mince  ou  fluet , 
ou  bien  quand  il  ne  préfente  plus  que  des 
os  revêtus  d'un .  parchemin  .  livide ,  a  beau 
pofleder  une  certaine  intelligence  :  les  efïbrti 
de  fa  frêle  poitrine  font  fouftrir;  &  plus  il 
gefticule  avec  fierté  ,  plus  il  paroît  fe  rappe- 
tiflèr.  Son  front  dégrade  la  majefté  de  Mel- 

E)n\ene.  Le  palais  qu'il  habite  ,  l'idiome  re- 
ré  qu  il  parle ,  les  paflioiis  grandes  &  ora- 
genfès  qu'il  veut  peindre  ,  tout  1  ecrafe  & 
Panéandt  :  iJ  eft  trop  disproportionné  avec 
ce  qui  l'environne  ,  pour  que  l'œil  ou  ToreiUe 
puiuènt  lui  faire  grâce. 
.   Alexandre  ,  dira-t-on  9  pour  juftifier  le» 
nain  tragique ,  étoit'  petit ,  oc  portoit  le  cqI: 
penché  :  je  l'autois  kdmiré  de  fon  vivant 
dans  (à  tante  avec  fa  taille  exiguë  &  fa  tête 
fur  une  de  fes^  épaules  j  mais  mort ,  j'exige 
qu'il  prenne  une  ftature ,  un  front ,  un  port 
&  un  '  gefte  qui  répondent  au  conquérant 
doht  le  nôni  remplît  l'univerç.  ,'/. 

Là  Duclos  jouoit  dans  les  Horaces  2  a  la 
fin  de  iss  imprécations ,  elle  fort  furieufe  ^ 

A  6 


12  Tableau 

comme  Ton  fait  ;  ladrice  s*embarraflà  dans 
la  queue  très-longue  de  fa  robe  ,  &  tombai 
On  vît  fbudain  i'adeur  qui  faifoit  Horace 
oter  poliment  fon  chapeau  (i)  d'une  main , 
la  relever  de  l'autre ,  la  reconduire  dans  la 
coulillè ,  &  la ,  remettant  fièrement  fon  cha-^ 
peau  ,  tirer  fon  épée  &  la  tuer  ,  conformé- 
ment à  fon  rôle. 

Ces  inepties  ne  fe  commettent  plus  ;  mais 
que  de  réformes  k  defircr  encore  ! 

La  tragédie ,  depuis  la  retraite  de  Mlle. 
Dumefnil  &  depuis  Fexil  incroyable  de  MDe, 
Sainval  (i)  ,  eft  devenue  chantante ,  roide  , 
ampoulée ,  monotone  ;  les  aâeurs  fùbalter- 
nés  ne  font  pas  aflèz  attentifs  à  maintenir 
Tillufion.  Ils  commettent  des  fautes  nom- 
brei^fes  contre  le  coftume  &  le  fens  de  leurs 
rôles.  Qu'aï- je  befoin  ,  par  exemple ,  de  la 
coquetterie  de  nos  prînceflès  de  théâtre  ,  de 
leurs  téces  bichonnées  au  gré  de  la  folie  dû 
jour  ?  Quand  j'apperçois  la  main  mauflâde 
dd  cocfFeur ,  Je  ne  vois  plus  Qéopâtrc  ,  Mé- 
tope ,  Atbalie ,  Idamé. 

Moii's  d'oripeau ,  plus  de  vérité.  Com* 
mert  ne  pas  rire ,  en  voyant  des  valets  de 


(i)  Les  aâeurç  tragiques  portoient  ,  dans 
tout>  s  les  tragédies,  un  clvapeau,  fiirinonfé  de 
plumes  ;  &  c'eft  ainfi  qu'on  a  jrué  en  Frrncc 
pend.nht  prés  de  cent  ans   Corneille  &  Racinei 

(2)  Exilée  par  lettre  de  cachet^ 


DE     P  À  H  T  S.  tj 

théâtre  traveftis  en  fënateurs  Romains ,  for- 
tir  des  coulîflès  avec  les  robes  rouges  des 
médecins  du  Malade  imaginaire  ;  des  per- 
ruques bouclées  Se  traînantes  ,  grolfiéremenc 
chargées  de  poudre ,  &  qui  ,.  pour  comble 
de  ridicule  ,  veulent  figurer  la  démarche  de 
nos  jeunes  confeillers  ? 

Et  quand  les  fpeâateurs  revoient  ùt\$  celle 
les  mêmes  toiles  mefquines  &  rembrunies  , 
quelquefois  trouées  ;  qu'ils  rencontrent  les 
Scythes  &  les  Sarmates  dans  un  palais  d'ar- 
chiteûure  grecque  ,  &  le  farouche  Zamore 
fous  un  portique  Romain  ,  peuvent- ils  s'em- 
pêcher d'accufer  l'avarice  des  comédiens  à 
la  part ,  &  leur  cupidité  qui  néglige  un  ac- 
cefîbîie  fait  pour  influer  fur  les  repréfen-* 
ratîom  ? 

Deux  théâtres  qui  rivalîïèroieflt ,  qui  en- 
dretiendroient  entre  eux  une  émulation  fuivie 
en  jouant  les  mêmes  pièces ,  qui  feroîent 
enfin  l'un  pour  l'autre  un  perpétuel  objet  de 
comparaifon ,  reftitueroient  à  l'art  fa  pompe , 
fa  noblelïè  &  fa  dignité. 

On  fe  plaint  généralement  de  voir  la  (cène 
Françoife  déchue  de  fon  ancien  luftre.  La 
tragédie  fiir-tout  eft  défigurée  k  un  pointillé- 
connoifl&ble.  De  là  ces  vers  : 

On  ne  voit  plus  pleurer  perfonne  : 
Tour  notre  argent  nous  avens  du  plalfir  S 
£t  le  tragique  qu*on  nous  donne  % 
Efi  hUn  fait  pour  nous  réjouir. 


14  T  A  1  L  E  A  V 

•  « 

CHAPITRE   ,CCIX. 

Spectacles  gratis!  , 

JLjes  comédiens  donnent  le  fpeôacle  gratis  , 
à  l'occaGon  de  quelques  événements  cèle* 
bres ,  comme  la  paix ,  la  naijfance  d'iat 
prince ,  &c.  Le  fpedacle  alors  commence  à 
midi  ;  les  charbonniers  8c  les  poiflardes  oc- 
cupent les  deux  balcons  ,  fuivant  Tufage  ;  les 
charbonniers  font  du  côté  du  roi ,  &  les 
poiflardes  du  côté  de  la  reine.  Ce  qu'il  y  a 
de  plus  étonnant ,  c'eft  que  cette  populace 
applaudit  aux  beaux  endroits  ,  aux  endroits, 
délicats  même ,  &  les  fent ,  tout  comme 
Faflèmblée  la  mieux  choifie  (i).  Quelle poé-. 
tique ,  pour  qui  fauroît  l'étudier  !  Après  la 
pièce ,  Melpomene  ,  Thalie  Terpficore  don- 
nent la  main  au  porte-faix ,  au  maçon ,  au 
décroteur.  Préville  &  Brizard  danfent  avec^ 
la  fille  de  joie  fiir  les  mêmes  planches  où  l'on 
a  repréfenté  Polieuâe  &  Àthalie.  Les  fufiliers 
font  plus  circonfpeds  ces  Jours  -  là  ^  &  la 
garde  bleue  a  un  front  populaire.  Les  comé. 

(i)  Oq  a  conteflé  le  fait  :  j^en  appelle  à  Texpé- 
rlence.  Les  grands  traits  a*oot  jamais  pafle  faift 
9pglaudii^smen^ 


3  E      P  A  ÎR.  I  S*  15 

diens  ne  fe  prêtent  pas  par  amour  du  peuple 
à  ces  danfes  bruyantes ,  maïs  par  politique  ; 
ils  voudroîent  bien  pouvoir  s'en  exempter. 
Leur  dépendance  leur  fait  un  devoir  de 
cette  corvée ,  &  ils  jouent  très  -  bien  le  con- 
tentement. 

Les  fpeâacles  des  Boulevards ,  k  leur  exem* 
pie  ,  les  grands  Danfcurs  du  roi  ,  t  Ambigu 
comique ,  les  Variétés  amujàntes  ,  donnent 
aufE  une  repréfentation  gratis  dans  les  mê- 
mes cîrconftances  ^  ils  affichent  de  même  , 
relâche  pour  lejirvice  de  la  cour  ^  fpcSacle 
gratis  pour  la  naijfance^  &c.  Ce  qui  cha- 
grine oc  mortifie  étrangement  les  comédiens 
ordinaires  du  roi ,  qui  ne  craignent  rien  tant 
que  d'être  aflimîlés  aux  acteurs  forains  ,  k 
peu  près  comme  un  procureur  au  parlement 
craint  qu'on  ne  le  confonde  avec  un  huiflier 
à  verge. 

On  diftingue  a  Paris  les  planches  des  Bou* 
levards  des  planches  privilégiées  ^  celles  qui 
portent  Jeannot  de  celles  qui  portent  le  gros 
Dc^Jfarts  ;  mais  c'eft  une  diftinâîon  qui 
échappe  au  peuple  :  il  range  fur  la  même 
ligne  &  dans  la  même  claflè  tous  ceux  qui, 
chantant ,  déclamant  ou  aboyant ,  contri- 
buent k  fes  plaifirs  pour  de  l'argent. 

Il  n'y  a  que  le-  riJihU  peccata  da  combat 
du  taureau  qui  n'obtient  pas  l'honneur  d*at 
fembler  le  public  gratis ,  8c  de  mériter  par- 
là  les  bonnes  grâces  ôc  le  regard  de  la  cour  j 
mais  il  doit  préfeiiter  requête. 


i6  Tableau 


CHAPITRE      CCX. 

Langue  du  Maître  aux  Cochers. . 

V-/n  diftîngue  parfaitement  le  cocher  d  une* 
courtHanne ,  de  celui  d'un  prefident ,  le  co- 
cher d'un  duc  d'avec  celui  d'un  financier^, 
mais  à  la  Sortie  du  (peâàcle  ,  vouiez-vous^ 
(avoir  au  jufte  dans  quel  quartier  va  fe  rendre 
tel  équipage?  écoutez  bien  l'ordre  que  donne 
le  maître  au  laquais  ,  ou  plutôt  que  celui-  cî 
rend  au  cocher.  Au  Marais ,  on  dit ,  au  lo^ 
gis  ;  dans  i'isle  Saint-Louis ,  à  la  mai/on  ;. 
au  fauxbourg  Saint-Germain ,  à  Fhôtcl  ;  8c 
dans  le  fauxbourg  Saint-Hocoré ,  û/Ze^.  Oi^ 
fent ,  fans  avoir  befoin  d'un  commentaire  ^ 
tout  ce  que  ce  dernier  mot  a  d'împofant. 

A  la  porte  des  fpeâacles  fe  trouve  tou* 
jours  un  ahoyeur  à  la  voix  de  Stentor^  qur 
crie  :  le  carrojje  de  M.  le  marquis  !  le  car-^ 
rojfe  de  Mme.  la  comtejfc  f  le  carra ffe  de  Af» 
le  prefident  !  Sa  voix  terrible  retentit  jufqw^au 
£ind  des  tavernes  où  boivent  les  laquais  j 
jufqu'au  fond  des  billards  où  les  cochers  iè 
querellent  &  fe  dilputent.  Cette  voix  qui  rem- 
lit  un  quartier ,  couvre  tout ,  abforbe  tcmt  ^ 
e  bruit  confus  des  hommes  &  des  chevaux^ 
Laquais  &  cochers ,  à  ce  %nal  retentiflànt» 


E 


D  E     P  A  R  r  s.  17 

abandonnent  les  pintes  &  les  queues  ,  te- 

Prennent  la  bride  des  chevaux ,  &  ouvrent 
i  portière. 

Cet  aboyeur^  pour  donner  à  fa  poitrine 
une  force  plus  qu'humaine ,  renonce  au  vin  , 
&  ne  boit  que  de  Teau-de-Vie.  Il  eft  toujours 
enroué  ^  maïs  cet  enrouement  même  impri- 
me k  fa  voix  un  fon  rauque  &  épouvanta- 
ble ,  qui  reflèmble  à  un  tocfin.  Il  crevé  bien- 
tôt à  ce  métier.  Un  autre  le  remplace  \  il  hurlé 
de  même  ,  boit  de  même ,  &  meurt ,  com- 
me fon  prédéceflèur ,  à  force  d'avoir  avalé 
de  Fcau-de-vie  d'épiciqr* 


CHAPITRE     CCXI, 

Difcours   prorumcc  à  la.  Comédie  Frart^ 
çoifi  à  la  rentrée  de  ce  Spectacle. 

xJ  n  comédien  plus  véridîque  que  fês  ca- 
marades ,  plus  fortement  frappé  de  ce  qu'il 
devoit  au  public ,  &  fufceptible  de  cette  hon-i 
nête  pudeur  que  quelques --<jns  confervenC 
encore  ,  Chargé  du  complimeut  d*ufage  ^ 
^'avança ,  Fan  paflë,  Cir  le  bord  du  théâtre  ^ 
&  là ,  après  une  profonde  révérence  ,  il  fe 
releva  lentement ,  &  dit  d^une  voix  modefte, 
mais  afiùrée  : 
'i>  Meilleurs ,  deux  fois  par  an ,  nous  voul^ 


i8  Tableau 

»  rendons  humblement  Fhommage  que  nous 
»  vous  devons  à  bien  des  titres ,  nous  vous 
>î  rappelions  les  obligations  qui  nous  impo- 
»  fent  1^  nécefCté  de  vous  plaire ,  nous  vous 
»  careflôns  par  des  louanges  ,  afin  que  vous 
n  fermiez  les  yeux  fur  nos  défauts.  Nous  ne 
»  les  taifons  pas  toujours,. car  il  nous  leroit 
»  impoflible  de  les  diflimuler  ;  mais  ce  que 
»  nous  nous  gardons  bien  de  vous  avouer  ^ 
»  &  ce  que  le  cri  de  ma  confcience  m'ar- 
»  rache  devant  vous,  c'eft  le  peu  d*émula- 
i>  tîon  &  d'accord  qui  règne  entre  nous  , 
D  c'eft  notre  parefle ,  notre  orgueil,  &  les 
i>  miférables  débats  qui  nous  empêchent  de 
»  nous  réunir  ,  foît  pour  vous  donner  de  nou- 
«  velles  pièces  qui  varient  vos  plaîfirs ,  foi't 
»  pour  repréfenter  plus  décemment  celles 
»  qui  ont  fixé  votre  attention  ;  &  nous  ne 
»  rougiflbns  pas  dé  faire  doubler  celles-ci, 
»  en  bravant  un  murmure  que  nous  favons 
»  devoir  être  paflàger. 

.  »  Aiijourd'hui ,  plus  vrais  qu'autrefois  , 
n  Meflîeurs ,  nous  vous  confeflbns  nos  torts 
p  multipliés ,  en  vous  fiappliant  de  nous  im- 
^  pofer  la  punition  qui  vous  paroîtra  la  plus 
»  falutaire  &  la  plus  propre  à  nous  faire  dé- 
»  tefter  nos  mauvaifes  habitudes  ;  votre  in- 
»  dulgence  exceffive  ne  les  a  que  trop  enra-? 
»  cinées  dans  nos  cœurs.  Nous  penfons  qu'une 
i)  défeition  totale  de  notre  fpedacle  pendanjç 
»  quelque  temps  nous  réveilleroit  avec  fo^xre 


DE     Paris.  19 

»  de  l'engourdiflèment  où  nous  fommes  pion- 
»  gés ,  Ê  ranîmeroit  parmi  nous  Tamoiu:  du 
»  travail ,  que  vingt  mille  livres  de  rente 
»  émouflènt  furieufement^  Nous  fommes  ri- 
»  ches  par  les  petites  loges ,  avant  même  de 
»  lever  le  rideau.  Comment  voudriez -vous 
»  que  nous  puiflions  nous  livrer  à  des  études 
»  fuivîes  ,  lorfque  nous  fommes  fi  bien  payés 
9  d'avance  t  Que  nous  importent  Part  &  Tau- 
aï)  teur ,  lorfque  notre  bourfe  eft  bien  rem- 
r>  plie  ?  Nous  n'aimons  point  Part ,  nous  ai- 
»  mons  l'argent ,  MefGeurs  ,  &  vous  nous 
»  en  donnez  trop  pour  que  vous  foyez  bien 
»  fervis. 

»  Diminuez  donc  notre  recette  ;  nous 
»  ferons  plus  refpeâueux  envers  l'trt,  plus 
»  attentifs  envers  l'auteur  ;  notre  théâtre 
»  rendu  quelque  temps  défèrt,  nos  befoins 
»  nous  enfèigneront  le  fecret  de  .vous  plaire;' 
»  vous  y  gagnerez  ,  parce  que  nous  nous  eP- 
»  forcerons ,  par  des  repréfentations  foignées 
»  &  intéreflàntes ,  de  retrouver  ce  que  nous 
»  aurons  perdu  par  notre  négligence.  Nous' 
»  n'avons  pas  la  force  de  nous  corriger  par 
»  nous-mêmes;  notre  place  eft  devenue  une 
»  prébende fimple  &  inamovi^ e :  ufez  donc, 
»  Meilleurs ,  ufez  du  châtiment  falutaire  qui 
»  nous  convient;  abandonnez- nous;  {tour^ 
»  nant  la  tête  vers  le  contour  de  la  falle  ) 
I»  que  ces  loges ,  cet  amphithéâtre  demeu- 
»  rent  vuides  pour  quelques  mois  ;  6c  notre 


lO  T  A   B^  L  E  A  U 

»  intérêt  alors ,  puiflàmment  réveille  par  cet 
»  aiguillon ,  nous  ramènera  aux  principes  que 
»  nous  avons  trop  oubliés.  « 


\ 


CHAPITRE      CCXIL 

Battements  de  mains. 

JLiangue  &  monnoie  unîverfelles  des  Pa^ 
rifiens  ;  ils  ne  s'expliquent  point  autrement  ;. 
ils  claquent  pour  la  reine  &  pour  les  ptfn- 
ces  quand  ils  paroiflènt  dans  leurs  loges ,  & 
qu'ils  ont  fait  là  gracieufe  révérence^  ils  cla^ 
quent  quand  Taâeur  paroît  fur  la  Jlcene ,  &: 
tout  audi  fort  ;  ils  claquent  pour  un  beâut 
vers  ;  ils  claquent  ironiquement,  quand  la'. 
piecf  les  ennuie  ou  1er  impatiente  \  ils  cla-^ 

Ïfuent ,  quand  ils  demandent  impérieufement 
'auteur  ;  ils  claquent  pour  Gluck  &  font  plus. 
de  bruit  que  tous  les  inftruments  de  l'or- 
cheftre,  que  Ton  n'entend  plus.  Ils  claquent. 
dans  un  jardm  public  au  retour  d'un  héros  j. 
ils  claquent  dans  la  chapelle  de  l'académie 
Françoîfe ,  lors  d'un  panégyrique ,  ou  même 
d'une  oraifon  funèbre  :  nouveauté  fort  étran- 
ge, &  qui  pourroit  foumettre  bientôt  les 
prédicateurs  évangélîquès  au  joug  de  l'ap- 

Eobatîon  &  de  ilmprobation.  Ils  claquent 
i  vers  &  k  proie  dans  toutes  les  féances 


-ft  E    Paris.  ai 

académiques-ou  afièmblees  littéraires.  Quel- 
quefois ces  battements  de  maiiis  vont  juf* 
qu'à^  la  frénéfie  ^  on  y  a  joint  depuis  quel- 
que temps  les  mots,  de  b/avo^  bravijJinKù 
On  bat  aufTi  des  pieds   &  de  la   canne  \ 

tintamarre  afSeux ,  éteurdiflànt ,  &  qui  cho- 
que cruellement  Tame  raifonnable  &  fen- 

.  iible  qui  quelquefois .  même,  en  eu  l'objet. 
Cette  manie  bruyante  avilit  beaucoup  les 

"^jugements  de  nos  parterres ,  &  en  général 
le  prononcé  du  public ,  dans  nos  faUes  4e 
ipeftacles. 

On  avoît  confeillé  à  un  auteur  perpétuel»- 
lement  fifïlé,  de  faire  conftruire  une  ma- 

-chine  qui  itniteroit les  claquements  de  trois 
i  quatre  cents  mains,  &  de  la  confier  dans 
nn  coin  du  fpedacle  k  un  ami  fidèle  & 
(ur.  Il  n  avoit  qu'à  acheter  des  billets ,  com- 
me certairis  confrères  ;  c'eût  été  Ja  même 
chofe. 

Jufqtfk  quand  le  Parifien  abufera-t-il  de 
la  faculté  de  claquer ,  interrompra  - 1-  il  avec 
étourderie  un  couplet  éloquent,  en  détrui- 
ra-1- il  tout  Tefifet  en  le  coupant  avec  une 
folle  impatience  ?  Cette  précipitation  tumul- 
tueufe  nuit  à  Taôeur  &  au  poëtfr  ;  on  ne 
les  iaifle  point  achever ,  &  Fillufion  ,  ait 
milieu  de  ce  -bruit  infenfe,  s'enfnit  à  tir^- 
iTafle.  Pourquoi  tant  babiller  avec  les  mains  ^ 
.&  plus  qu'aucun  peuple  de  la  terre  n'a  ba« 
iMfié  avec  la  langue? 


ai  Tableau 

Mais  quel  eft  Papplaudiflèment  qui  doit 
flajtter  le  grand  poiëte  &  le  grand  adeur  î 
Celt  lorfqtfun  (ombre  &  profond  fîlence 
règne  dans  la  (aile,  loriijue  le  fpeâateur, 
le  cœur  brifé  &  l'œil  baigne  de  larmes, 
n'a  ni  la  penfëe  ni  la  force  de  fe  livrer  à 
des  battement  de  mains  ;  que ,  plongé  dans 
fillufion  viâorieufe ,  il  oublie  le  comédien 
&  l'art  ;  tout  fe  réalife  autour  de  lui  ;  un 
trait  ifiei&çable  defcend  dans  fbn  ame ,  6c 
le  preftige  l'environnera  long^- temps. 


C  H  A  P:^I  T  R  E     CCXIII. 

Théâtre  Bourgeois. 

/iLmufement  fort  répandu ,  qui  forme  la 
mémoire ,  développe  le  maintien ,  apprend 
à  parler ,  meuble  la  tête  de  beaux  vers ,  & 
qui  fuppofe  quelques  études.  Ce  paflè-temps 
vaut  mieux  que  la  fréquentation  du  café  , 
l'infîpide  jeu  de  cartes  8c  l'oifiveté  abfolue. 
On  penfe  bien  que  ces  aûeurs ,  qui  re- 
préfentent  pour  leur  propre  divertiflèment , 
ne  font  pas  aflèz  formés  pour  fatisfaire  l'hom- 
me de  goût  ^  mais  en  fait  de  plaifirs ,  qui  rafi 
fine  a  tort.  Pour  moi,  j'ai  remarqué  que  la 
pièce  que  Je  connoiflbis  devenoit  toujours 
nouvelle ,  lorfque  le^  aâeurs  m'étoient  nou^^ 


z)  JE    Paris.  13 

veaux.  Je  ne  iàis  rien  de  plus  faftidieux  quq 
d'aififter  à  une  troifieme  &  quatrième  re- 
préfentatîon  par  leç  mêmes  comédiens. 

Je  n'ignore  pas  qu'on  y  déchire  (ans  mi- 
fërîcorde  les  chefs  -  d'œuvre  des  auteurs  dra- 
matiques ,  qu'on  y  eftropie  les  airs  des  meil- 
leurs çompofiteurs  ;  que  ces  aflèmblées  don- 
nent lieu  à  des  fcenes  plus  plaifantes  que 
celles  que  Ton  repréfente  :  &  tant  mieux  ; 
le  fpeâateur  s'amuTe  à  la  fois  de  la  pièce 
&  des  perfonnages.  Puis  les  allufions  de- 
viennent plus  piquantes  ;  car  l'hîftoire  des 
aârices  a  la  publicité  de  Thiftoire  romaine. 

On  joue  la  comédie  dans  un  certain  mon-f 
de ,  non  par  amour  pour  elle,  mais  k  raifbn 
des  rapports  que  les  rôles  établirent.  Quel 
amant  a  refufé  de  jouer  Orojmanc  ?  Et  la 
béante  Ja  plus  craintive  s'enhardit  pour  le  rôle 
de  Nanine, 

J'ai  vu  jouer  la  comédie  à  Chantilly  par 
le  prince  de  Condé  &  par  Madame  la  du- 
çheflè  de  Bourbon.  Je  leur  ai  trouvé  une 
aîfance ,  un  goiit,  un  naturel  qui  m'ont  fait 
grand  plaifir.  Vraiment  ils  auroîent  pu  être 
comédiens ,  s'ils  ne  fuflènt  pas  nés  princes. 

Le  duc  d'Orléans ,  à  Saint  -  Aflîfe ,  s'ac- 
quitte aufli  très-bien  de  fes  rôles  avec  facilita 
oc  roTndeur.  La  reine  de  France ,  enfin  ,  % 
joué  la  comédie  à  Verfailles  dans  fes  petit$ 
appartements.  N'ayant  pas  eu  l'honneur  de 
la  voir  9  je  n'en  puis  rien  dire. 


24  Tableau 

Ce  goût  eft  répandu  depuis  les  plus  hau- 
tes claflès  Jufqu'aux  dernières  ;  il  peut  con- 
tribuer quelquefois  k  perfedionner  Tédiica^ 
tîon ,  ou  à  en  réformer  une  mauvalfe ,  parce 
qu'il  corrige  tout  k  la  fois  Faccent ,  le  main- 
tien &  rélocution.  Mais  cetamufement  ne 
convient  qu'aux  grandes  villes  ,  parce  qu'il 
fiippofc  déjà  un  certain  luxe  &  des  moeurs 
peu  rigides-  Gardez-vous  toujours  des  repré- 
(èntatîoiis  théâtrales  ,  petites  &  fàges  r^u- 
bliques  ;  craignez  les  fpeâacles  :  c'eit  un  au- 
teur dramatique  qui  vous  le  dit. 

Parmi  les  anecdotes  plaîfantes  que  four- 
hiffènt  les  amateurs  bourgeois,  dont  la  fo- 
reur eft  de  jouer  la  tragédie  ,  je  chèifiraî 
cette  hiftoriette ,  que  je  trouve  dans  le  5a- 
ailard. 

»  Un  cordonnier  habile  k  chaufler  le  pied 
»  mignon  de  toutes  nos  beautés  ,  &  renom- 
»  mé  dans  fa  profeflion ,  chauflbît  le  cothur- 
»  ne  tous  les  dimanches.  Il  s'étoit  brouillé 
»  avec  le  décorateur.  Cellii-ci  devoît  pour- 
»  voir  la  fcene ,  au  cinquième  aâe ,  d'un 
H  poignard  ^  &  le  pofer  fiir  l'autel.  Par  une 
»  vengeance  malicîeufe  ,  il  y  fubftitua  un 
«  tranchet  ;  le  prince ,  dans  la  chaleur  de  la 
»  déclamation  ,  ne  s'en  apperçut  pas  ;  & 
»  voulant  fe  donner  la  mort  k  la  fin  de  la 
»  pièce ,  il  empoigna ,  aux  yeux  des  (peâa- 
»  leurs ,  Finftrument  bénin  qui  lui  fervoît  k 
»  gagner  fà  vie  «•  Qu'on  juge  des  iclats  de 


9  E     !P  A  X.  X  5.  1^ 

(ire  qu'excita  Cf^^ouemect)  <pj.  |)e..pan]t- 
pa?;oa£ique.\V.ji".  _    ,.  ".-  'V.; 


.    CHAPITRE    ce  XIV, 

JN  oua  iw  fomnie^,rai^  4??i  Ropiaîhs  ;.  noi» 
n'avons-  pas  voulu  batir  tin  amphithéâtre  qui 
fubfîliât  au  bout  de.  4ix- huit  fiecles  ;  nous 
n'avons  pas  voulu  aflèmblcr  deux  cents  mille 

)eâateursi  c'eut  ëté.trop.îpour  la  garde,  de 

'aris.  Nous  n'avops  .i(ouI^  qu'emprunter  Ifc 
lioni  d'un  des  plus  majelhieùx  moQi;riients 
^e  Rome)  Scie  défigurer  «ncorev.^car  le 
iuperbe  amphithéâtre  ?appelJoit  XeColloffce. 
Notre  Colijéc  après  dix  ans  tombe  en  ruines. 
Les  créanciers  l'opt  j{k|(î  ^  &  n'ont  Jamais 
pu  enfuite  être  d^aççaçd^pn  l'a  fermé.  Ij[,ji^^. 
voit  de  beau  &  d'agréaUe  que  fon  emDlac&* 
ment,  dans  la  pofibion  la  plus  heureulejàion 
.^itpu  çhoifîr.  L'intérî/^  de  ce*  caravenferai 
étoit  trifle  ;  des  fyixipljionîes.  monotones ,  des 
danfes  miférables^ou.pqççiles;  des  .joutes  fut 

une  eau  fale  5^  bou^beMiè  ;  des  feux  d'arti- 

.me  lans  variété  ^.pi^e  cohue  fatigante  ou  un 

vuide  ennuyeux  :  vqi]^  touf  le  divertiilèmeoC 

de  ces  fortes  d'endr9jt%>  î  j.'  .  .,.; 

La  redoute  Chïnoifi  Ta  remf  lacé  ;  'tem- 
Tomt  IL  B 


«.«  1*  A  H  -X  E  À^  U 

-^le  àom^eati  \  ouvert  à  PoMîvîté  abïbliie  ^  8fc 
!<]ui  enlevé  aux  nobles  repréfentations  draitiai» 
tiques  une  foule  4e  fpeâaieur^. 
^IJÊ^^Ïe  fert  ïvaïikTMae  defpeâacfe 
Xes  Aâoùis  au  teint  blafard ,  les  Narciflès 
adofânc  kurs  images  dans  les  glaces ,  lès-lé* 
ros  d'opéra  frcdonn;mt  des  airs,  les  fatsji 
•cheveux  longs ,  lç$  laîs  a  la  tête  haute  y  cir* 
.culent&.  font  foule*    ^  '     "7 

'"'  'Qàand  on  coriij|af^''î<*s''Vaux -Ifill  âipc 
lieux  charmants  dêXoidàres ,  on  voit  ique.Ic 
'François  ne  coimpît  ^Ain  genre  deplaîfîr^ 
-celui  de  voir  &  d'être  vu:  L'Anglois  a  des 
jgufe  plus'vifs ,  plus  variés ,  plus  profonds  ;  H 
-tiefe  nourrit  pas  dé  Vanité',  de  l'étalage,  de 
isL  partire^ ,  de  clinquant .,  june  promenade 
jenrt)n4  hiîlle  fois  répétée  devant  fcs  n^éniçi 
x>bjets.  Il  lui  feut  des  divertiflèments  pli|$ 
•fiibftantiels.  La  différence  des  gouvethfr- 
tnents  enfin  fe  fait  fèntir  par  le  contraïlè  de 
la  froide  élégance  4e;riôs  aflfèmblées ,  &.  de 
ïabondanceyarîéc'-fip'  |)igv?ahte  qui  j-çgneen 
JAiigleterre. 

^  Il  efl  vrai  que'PAhgteîs  donne  une  guî- 
-jnée ,  &  que  nous  débâurfens  mefquinejtnent 
ifrente  fols.  Puis ,  qiri  :ne  fe  mêle  pas  de  nos 
4)làifirs ,  é'efl-k-dirç  v^uî  ne  Jes  corrompt 
çasî.PautDrîtéprâSdeV^ows  nos  divertiflë- 
^éiits*;bn  nous  !«  arifahge,,  &  il  ne  noife 
^  jpas  pçrmîs  de  Jc# .  ifaodifier.  •' 


D  E.     V  A  9i  l  à.  17 

IL-"  ^'^^ 


«4 

';C  H  A  FIT  R  E     CCXV. 
Foire   Sàint^trmairu 

Jt^f S  (peâacles  des  Boulevards  font  ob& 
gés  d'aller  ii  cette  foire ,  à  laquelle  on  devroit 
bien  donner  une  entrée  (pacieufe;  car  il  n V 
a  qu'une  pone  étroite ,  dont  lé  temin  det* 
cend  encore  en  pente.  Il  faut  que  toutes  les 
voitures  &  les  fantaffins  pâle-méîe  paflènt 
par  ce  dangereux  fentîer. 

Lk  ,  des  hommes  de  fixple^,  montés 
fijr  des  brodequins-^  coëffës  comiM  des  fuk- 
tans  ,  paflènt  pour  des  géante  \JM^;i(>i!it(b 
safèe ,  épilée ,  k  oui  l'on  a  pafle  unci^^êitiiî^^ 
un  habit,  refle  &  4:ialotte  j  Cs  momtre^  eém^ 
me  un  animal  unique,  extr;rordin<iÉe.  Un 
coloflè  de  beis  parle  ^  parce  qu'il  a  <lans  le 
ventre  un  petit  garçon  de  quatre  }mi.  H&ut' 
k  ré^jtolution  de  plufieuis  années  pour  tme^ 
per  à  l'œil  du  naturalsfte  qudque  chùCe  digne 
defon  àttentibn*  La  charlatanerie  giomeri' 
9&  la  fur  fon  trône.  Le  (altinbanque  effi^nté 
:a  obtenu  le  privilège  de  duper  le  publia  ;  il 
a  payé  ce*  privilège ,  qu'importe  eimîfe  qu'il 
donne  des  gourdes  au  Panfien  ^Qn4e  «g^* 
noit  (i  bonnace,  qu'on  ûit  d'avancé  qu'util 
&UX  merveilleux  l&tranfportera'>tion  hloins 
^ue  s'il  étoit  véritable;  /     :•  )-!c'  ■ 

B  X 


a.8  T  A  B  l.  E  A  JJ 

Les  falles  des  farceurs  font  prefque  too^ 
^tttî  twnpKes.  On  y  jolie  des  pièces  obfcenes' 
ou    déteûables  ^  par<;e  uu'on  leur  interdît 
tout 'ouvrage  qui  auroît  un  peu  de  fel ,  aef 
prit  &  de  raÛbn.  Qupi  ^  voilà  un  théâtre 
tout  dcefle,  un  peuple  tout  aflèmblé,  &  Fo^ 
Condamnera  les  aùdiiitieurs  i^  n'entendre.  qu4 
des  ibtti{es ,  tandis  que  notre  théâtre  fi  riche 
4evroit  jâtre  c<xifîdéré  conmn^un  tréibr  nàr 
tional  1  ]^  pourquoi  appajtiendroî(-il^  «xclufi* 
iFemexK  s^uc  comédiens  du  roi  ? 
'  s  Quoi ,  Dqg^uson  feroit  Théritîer  de.G>c^ 
Vieille  i  Quoi ,  ces  chefs  -  d'oeuvre  que  tout 
%ùv  à^  fqii^rainf  ne  fauroit  faire  renaître , 
ài^nye^ewt .  m>  propre  à  une  poignée  de 
4g)m4^ti$  !  Quoi  ils.  u'appartiendroient  pas 
eÎQ^nri^llçmwtlà  tous  ceux  qui  fe  fentent 
lame  &  le  talent  de  les  laire  valoir  !  Quoi , 
rauteuK'auroit  pu*  avoir  une  autre  idée  que  de 
t^2méffi  jpit'UM  (èsprodùétions  &  fa  gloire! 
Qiai[9  J&^i6eff  fart  à  Fintérêt  pafBiger.  de 
taâe»r:«CMnfr!ileiU3a:   ijulun   pdmt  reflèné 
aii-^^i^  iiid'ob^ep  k  :  prendre  tel  organei, 
£a(î^ir^  FttifirumeDt  qu'il  anime  ;  6c  quand 
j'ai  compofé,  je  donnoisdonc  mes  pièces 
a  une.iieuie  fi-oupe  !  Brûlons  nos  pièces. 

I^e  gcand  duc  derToicaÊne  ^  qui  poflède  le 
vérita^eri^nle  iTun^  législateur ,  parmi  une 
fpule^,  dftrk>iK!utâês  &' conçues  dans  une 
igiMft  'fageflfeif  a:  idônné  jl  «tous  lés  théâtres  la 
tibexré  abfolue  du  chokrdes  pièces  i  certain 


D  1     P  A  R   l'S.  19 

qi]e  la  concurrence  &  l'émulation  fejrvîroîent 
ce  M  art  beaucoup  mieux  que  tous  les  rcgîe^^ 
ments  au'un  petit  efprit  de  claffificatîon  a 
établis  parmi  Aous>  pour  lui  bter  ion  eflôr  S^ 
fà  grandeur. 

Là  enfin  on  voit  (  &  qu'importe  le  lieu  ?  ) 
le  célèbre  Cornus ,  homme  doué  du  géixnr 
y  pkii  fouple  &  te  plus  inventif,  &  qui  ^ 
fatis  les  études  ordinaires  ,  doit  >out  à  la  d- 
^sûcité  rare  qu'il  i  reçue  de  ht  nature.  Ce 
^hyficîen  fécond  en  découvertes^  en  éton-* 
Dant  nos  regards ,  exerce  6c  furprend  notre 
intelligence.  Il  faut  bien  fe  garder  de  le  con« 
fondre  avec  les  faifiurs  de  tours  dont  il  effi 
environné.  Quiconque  l'aura  vu,  ne  tombera 
pas  dans  cette  erreur  grofliere  :  non-feule- 
ment il  eft  réniule  de  teax  qui  étudient  la 
nature  ;  mais  il  a  droit  encore  à  un  rangdif^ 
tîngué  parmi  les  plus  habiles  fcnitateurs  de 
fes  phénomènes  :  lés  merveilles  qui  s'opèrent 
((JUS  fës  mains  induftrieufes  ,  valent  bien 
quelques  pages  fyllématiques  écrites  en  beau 
ftyle.  ; 


-  ■   f  »  •    I    » 
•     j  1 1  •    ■  •  # 

•         •  • 


B^ 


3«>  T  A  B  t  E  A  V 


■*r 


•  CHAPITRE     CCXVU 

;  Comédiens  Italiens^ 

T'-  .  *•  .        •     ■  -'    " 

Quf  en  cpnfervânt  ce  ditre,  ils  ne  re-f 

préfentent  plu^  aucune  pi^çc  italienne  ^  ou  ^ 
^pur mieux  àne^^cçsxi3[(incvas  où  Carlin  «j^ 
fi' fouvent  déployé  un^jea  aflàiTonné  de  tant 
de  grâces  naïves  &  piquantes.  Ils  fontrcn-* 
(rés  dans  le  droit  de  donner  au  public  de$ 
pièces  nioraks  &  imérefji^ntes  :  droit  dont 
ils  n'aûifèut  point  ,\  il  |àut  l'avpuer  ^  niai$ 
les  pièces  à  vaudevilles  ayant  pris  faveur  ,:îl^ 
ont  obéi  au  goût  momeiit^né  de  la  capkale* 
ih.  iè  piqueot  de  fervir  le  public  avec  un» 
zek  infatigable  ;  on  ks  voit  ardents  à  Iq 
récréer  de  nouveautés  ^  n'épargner  ni  (oins 
^  peines.  Leur  défintérellèment  efl  rare.  Ik 
ne  leaunenl^  point  (ur  les  décorations  ni  fur 
les  habillements  \  jaloux  dé  donner  aux  rjfr* 
préfentatîons  le  plus  grand  éclat.  Ils  ont  un 
tad  aflèz  sûr  pour  la  niufique  vive-,  légère  y 
expreffive  ;  mais  ils  nt?  ftivent  pas  encore  ju- 
ger les  comédies  d'unft  manière  auflî  jufte  : 
cela  viendra. 

Les  pièces  a  vaudevilles  occupent  donc 
prefque  exclufivenient  ce  théâtre  depuis  dix- 
huit  mois.  Comme  tout  fuccès  touche  a  un 


1^  E     P  A'.  R  r  s.  Ji. 

excès,  il  eO:  à  ^craindre  que  ce -Xb^tr^iXie: 
s'mfefte  de  rébus ,  de  couplets  ti^àpJibrcSy. 
^équivoques ,  'dv.  Pourquoi  faire  ramer  les- 
yenx  aux  grâces?    .  ■     /.     ,  .  -o  ».,/ 

Ces  jolis  «rbns  offrent  des  tabieatix  naïfs*' 
&.ne  G)nt  pas  dépourvus  de  gaieté  \  xçlÙs: 
il  eâ.'à  craindre  que  ces  bluçts  ,  nés  daos  un: 
champ  fenile,4i'étûir£^t  le^  j^js  npuni^ 
cîcxs,  rubftanttelsj8c  a  la  tête dojeeç; :: . ,    .  ,^ 

Les.  auteurs  avoient*  cru  poi|voi|r  ,&ajbIiiL 
(ûr  cette  fcene  un  fécond  théâtre  national^ 
ils  n'ont.pas  réfléchi  que  Part  dii  chant  ex- 
cluoit  prefque  toujours  celui  delà  déclania<-i  . 
!^  9  PC  que  les  pièces,  vcainien  t. dramatiaue^- 
avcMent  un  caraâere  trop  profond  dour  s  al-. 
Ueikla  légèreté. ^^^ces 'pqtltesmëces^  lai 
plupart  vuides  de  jÇîns.  Uariette  &  le  vau- 
deville tueiXMSt  toujours  Marivaux  &,lèsiùcv 
ceilèurs^^ 


«  I 


CKA£PI.T  RE    CÇXV/ÏI^; 

r 

Sp^acles  des  Jioulevards^* 

TiQ  peuple  9  qui  a  befcàn  d'amufements,  s'y, 
précipite  en  foule  ;  mais  ce%  théâtres  (ont  ceux 
qui-  mérîteroiént  le  plus  ^attention  -  dû  ma- 
giftrat,  &  les  pièces  devroîent  être;  des 
compofltions.  agréables  8c  morales  \  caii 

B  4/      " 


3z  Tableav 

îî  n'y*a''^as  d'oppofîtîon  entre  ces  deux 
mots  '^t^rtju'en  dîTent  le^i  poëtcs  CQimp»' 
teurs.'-.^'*  '  "-■  ■■  ■  ■'    '        ' 

Pourquoi  ces  pièces  font-eBès  pour  la  plu*^ 
part  haffis ,  plates ,  ordurîcres?  Ceft  qu'une 
poîgiîée  de  corné  iîens  ofe  dire  cpi'il  n'ap- 
partient CfJ^  eux  de  repréfenter  des  pièces 
raifontiabW;  c*êft ''qu^on  feç  foutîent  dani 
cçpte  pdicije  prëtendoti  ;  c'efl  qu^  la  fiiâle 
4^  cetie  îticit^ahle  &  hontëufe  Icgîdation  ^ 
le  peurfc  ett  condaniïié.  à  ^entendre  que 
réxprèflion  du  libertinage  &  de  la  fottîfe*. 
Et  voilà  oii  aboutit  la  polite  dès  fpeâacles 
cbeexm  peuple  renomihé  p^  {èst;he6-d'oeii« 
f re  dramariques,    *     '  ^  ''' 

Les  pàiades^  qu^rn  "tei^fente  extérieure- 
ment  (îir  ïe  balcon  comnrte'une  efpece  d*iti- 
vîtatîon  publique,  font  tris  -  préjudiciables, 
aux  uayaux  journaliers,  en  ce  qu'elles  ameu- 
tent une  foule  d'ouvriers  qui  ,  avec  leç  inf. 
truments  de  leur  profeflSoii^ous-Ie  bras,  de^ 
meurent  là  la  bouche  béante ,  &  perdent 
les  faeutès  les  plus  précieufibs  de  la  ']oùttïéè. 

Les  figures  çn  cire  ^u  fieur  C^rtius  font 
très  -  célèbres  fiar  les  Boulevards  ,  &  très- 
vifitées  ;  il  a  modelé  les  rois  ,  les  gran4& 
écrivains  ,  les  jolies  femmes ,  &  les  femeux 
voleù^  V  on  y  voit  Jeànnçf  ,  Defrues  ^  te 
comte  'd'Eftaîng  &  Lihguet  ;  on  y  voit  la 
femilîe 'royale  aflife  à  un  banquet  artificiel  r 
Pemperetu:  çft  à  côté  du  roi.  Le  crîeur  s^jégo- 


H  £     F  A  B.  £   5ï:  Ji) 

fille  k  kl  porte  lErttrçi^,  tntrc;^,  Aicffièurs  , 
ycnc^  voir  le  grand  couvert ,  entrc{^  ^  cUfi 
tout  comme  à  Vcrfailles.  Oii  donne  deux 
fols  par  perfonne ,  &  le  fîeur  Curdus  fait 
quelquefois  ^ufc^'à  cçnt  écus  par  jour ,  avec 
la  mtoncre  de  ces  mannequins  enluniinés. 


CHAPITRE    CCXVIIL 

Lectures. 

il  s'eft  întroduîtun  nouveau  genre  de  ^ec^- 
tacles.  CéX  un  auteur  qiii  ne  Ik  pas  k.  fes 
amis  pour  en  recevoir  des-  confeils  ôc. 
des  avis  ,  mais  quî  mdique  tel  jour ,  telle 
heure  (  &  il  ne  manque  plus  que  raiHcbe  \ 
qui  entre  dans  un  fallon  meublé,  fe  place: 
entre  deux  âambeaux ,  demande  un  fiicriei" 
bu  du  fyrop  ,  calomnie  fa  poitrine  \  tire 
fôn  manufcrit  de  fa  poche ,  oc  Ut  avec  em- 
pha(è  fa  produâion  nouvelle ,  quelquefois 
fiminîfere. 

II.  ne  manque  point  d^admirateurs^  ^  rarceb 
qu'il  les  convoite  avec  toutes  les  fuppBquei 
adroites  de  Torgiieilleux  amoiir-propre  \  6it 
lut  prodigue  de  ces  mots  obligeants  cpi^ott 
lie  refufe  pas ,  &  qu'A  prend  k  la  lettre,  pour 
des  éloges  finceres.  Quand  U  imprime  ^  '% 
public  &  cit  de  Touvra^  admiré  dans  leiàt»- 


j4  Tablé  a  ir 

Ion.  ÏTadteur  funéax ,  cik  que  le  gôAt  eUt 
perdu*.  Se  que  la  décadence  de  la  littérature 
e&  vifible,  puifqu'on  ne  (ènt  pas  comme  fei» 
premiers  juges  oc  admirateurs. 

Dans  ces  (ôrtes  de  leâures  tout  prête  air 
ridicule  ;  le  poëte  arrive  avec  une  tragédie 
rimée  &  faftidieufe  ,  ou  avec  un  gros  poë* 
fne^ique ,  dans  une  aflènïblée  peuplée  dé: 
jeunes  &  jolic$  femmes  dîfpofées  à  folâ- 
trer 8t  à  nre  ,  qui  ont  à  côté  d'd les"  letds 
amants  ;  elles  s'occupent  plus  de  ce  qui  lesu 
environne ,  que  de  l'auteur  &  de  fa-  pièce. 
Une* inâexioa  de  voix ,  un  mot,  ungefte, 
un  rien  fûBk  pour  dilpofer  les  caraâeres  à  la 
plus  grande  gaieté.  Qu'ime  femme  rie  par. 
balard,  une  autre  éclatera ,  &  tout  le  cer- 
cle fera  de  vains  ef&rts  pour,  contraindre  (à 
belle  humeur..  Que  deviendra,  le  pauvre  au- 
teur avec  fon  rouleau  de  papier  ?  S'il  mon- 
tre du  courroux  ^  il  paroîtra  plus,  ridicule  en^ 
core  ;  qu'on  ne  Fécoute  point ,  ou  qu'oal'en^^ . 
tende  mal ,  il  eft  obligé  de  continuer.  Le 
yoilîi  fur  là  fellette  ,  expofe  à  toutes  les  ré^ 
flexions,  malignes  !  On  corrige  tout  bas  fon 
5iiiour-propre  qui  perce  d^s  fon  débit;  il 
s'en  doute  :  il  gcftîcule -avec  plus  de  vc- 
liémence ,  comme  pour,  fbrcer  les  fufîia4 
ges  :  ce  n'eft  plus  un  auteur  y  c'efl  un  co- 
médien* 

Et  pourquoi  lire  k  d'autres  qu'à  fes  amîs^? 
Pourquoi  j^eAdre. d'autres  jugesque  lé  pu-^ 


!>:  E    Paris.  3|r 

plie  ?  Pourquoi  fe  montrer  G  jaloux  d'une 
approbation  équivoque?  Enchanter  un  cer-^ 
cîe  ou  une  cotterie  ,  n'cft-ce  pas  rétrécir  Pi- 
dée  qu'un  écrivain  doit  fe  former  de  la  gloi-* 
re?  Voila  les  fautes  où  toaibent  journelle- 
ment les  beaux;  esprits  âc  les  hommes,  de  : 
r 22/  de  la  capitale.  Ceft  ici  qu'il  faut  cltec 
fameux  doâeurSaoroton  (i)  qu'ils  n'ont 
pas  lu  pour  leur  malheun  nfaut  apprécier  y , 
dit^il  ,  lestaient  dans  la  place  publique  y  . 
&  jamais  ailleurs  ;  c*eji,la  fin  vrai  jour  ;  : 
des  ficclsde  cfiamhr&fint  toujours  des  fiior  - 
ces  douteux.  .  , 

On  a  vu. une  fpcîç't|^  intitulée  , /ei  Trente  ^ 
faire  paroli  zixy^Quarantc  de  Tacadéinie  franr 
çoife.,  établir  des  l'eâures  publicwes,  dont 
pkifîeurs  furent  ttès-îméreltàntes  ^  qc  fans  une 
fatale'  divifîon  (  inévitable-  craraii -les  beaux 
c^ats.)  cette [ociété  devçioïc  une  acfadémié 
en  regfey  quf  aurphirivàlif^  avec  la  (ùperbe^ 
ua  repas  chez  ui>  traiteur  préccdoit  les  lec- 
tl^:es^  Hélas  d  l'efprit  chez  eux  n'écoit  jamais  à 
jeua:  ainfi  faiibient  les. célèbres  auteurs  du  . 

(dernier  fieclel  , 

.  -  rf  ... 

- , ,  41  fefornae  plofieùrs  affhntbUcs  littéraires  v 
.ddnt  Jes  miemores  ne  fe  çp)ient  pas  inférieurs 
aùxidunortek  i  ^lifent  un  jour  delà  femai^ 


•«*■ 


•    (i)  Comédie  parade>iî  un  afte,  îittprînaéeà 
Bffis  ehez  la  Veuve  Ballard»  imprimeur  du  rol^ 


^6.  Tableau 

ne,  les  auditeurs  applaudirent,  &  ceux  qui 
font  applaudis  font  aufC  contents  le  foir  de 
leur  tiriomphe ,  qu'un  acadëmicien  feft  lotf- 
qu'on  l'a  claqué  au  Louvre  pour  fes  vers  ovl 
pour  fa  profe. 

La  loge  des  Neuf  fieurs  renferme  aufE 
des  auteurs  qui  lifent  leurs  produâtons  dam 
des  fêtes  brillantes,  &  dont  la  littérature  fàk 
le  principal>  ornement  ;  6t  pourquoi  n'y  au^ 
loit-il  que  les  académiciens  qui  euflênt  \t 
droit  de  débiter  leurs  ouvrages  8t  d'être  a|K 
plaudis  ?  ne  fau^-il  pas  donner  une  libre  iflue 
au  confolant  amçur-propre  de  chaque  écri* 
vain,  fi  heureux  quand  il  felit ,  quand  il  en*- 
tend  ùi  voix  réfonner  dans  un  lieu  peuplé  \ 
L'équiti^  (  difons  miéioc  )  la  compafCon  Fcb^ 
donne. 

Un  ledeur  fameux  eut  une  (brte  dé  çélé^ 
brité  dans  Parcs ,  il  y  a  huk  à  dix  ans  ;  oit 
en  raffola  ^  on  (è  l'arracha^  Il  rendoît  avec 
intelligence  ôcprécifion,  avec  une  variété  3è 
Ion  furprenante ,  tous  les  perfonnages  d^bné 
pièce  de  théâtre.  Seul  il  donnoît  au  dramt 
qu'il  déclamoit ,  les  honneurs,  de  la  repréfeti^ 
tatîon  ^  il  valoit  une  tràttpe  entière  >  ^aîk 
S  s'identifioit  tellement  avec  \U  pièce  add^ 
tée,  qu'il  simagîhoit  ,  ou  peu  s'en  ftut*^ 
l'avok  faite ,  ce  que  Fauteur  préfent  lui  p^*^ 
donnoit  facilement  &  d)e  bon  cceur  \|  miC 
que  cette  forte  îllufibn  lui  étoic  néceuàire 

pous  luicux  eotrei  â4D&'  fe  fixa  dea  t6k^ 


J>  E     P  A  n  r  s.  J7 

Or  5  fauceiu:  qui  étok  pcéfent,  c'étoît  moi; 
Ce  famieux  leâeur ,  par  une  contradiâioa 
finguliere ,  ëtott  aâeur  médiocre  fur  les  plan-» 
chés ,  lorfqu'il  ne  débitoic  qu'un  rôle  ;  il  lu% 
falloit  une  piec&  entière  pour  dév:elopper  foa 
talent  prefque  unique  ;  il  donnoit  un  peu  la 
comédie  par  tout  l'appareil  &  le  préambule 
qu'il  mettoit  dans  fes  leâures^  mais  cela 
ne  le  rendok  que  plus  rare..  Enfin  il  fut 
célébré  &  fêté  dans  les  provinces  comme 
dans  la  capitale ,  &  par  -  tout  il  fit  oubliée 
fauteiu; 


CHAPITRE     CCXIX. 
Préteurs  à  ta  peikc  Semaine^ 

Vifiirièrs  qu'on  ne  connc^  guère  ipi'àPar»;^ 
&  911  jugent  eux-mêmes  leur. niétier  et<* 
tréniement  hmteux ,  puffqu  ils  ont  le  fironi 
perpémellement  voilée  Leurs  courtiers  habi- 
tent autour  des  lialles  ;  ks  femmes  qui  ven» 
idenc  desfniifis  &  des  légumes  qu'elbs  por-* 
lent  &aL  Cévmtmrt ,  les  détaiUeuiTi  en  :  txxjs 

S  euros  ont  be&nn  le'plus  fôuwent  de  la  ma* 
iqne  avance  ifun  écu  de  fîx  livres  pour 
acheter  des  maquereaux ,  des  pcMS ,  rdes  gror 
lèilles  y  des  poires ,  des  cerues.  Le  prêteur 
le  confie  k  condition  qvTon  lu  rapportera  a(^ 


Jf  T  A  B'L  t  A-^U* 

bfeut  dé  la  femaîhe  fept  Iî\rres  ^atre  foli  ;- 
ainfi  Ton  écu ,  quand  it  travaille  ^  lui  rap- 
porte près  de  fofxante  livres  par  an,  c'eft- 
à-dire^  dix  fois  fk  valeur.  Voilà  le  taux  mo-» 
déré  des  prêteur  à  Ja^  petite  femainej .  '■      J  * 

Si  je  dtfois  quedes  hommes  opulents  font: 
àînfi  manoeuvrer  leurs  fonds^  &  qu*ib  exer-» 
cent  cette  ufure  énorme  fans  remords  ;  quelle  • 
idée  ne  (è  formera-t-on  pas  de  la  dureté  de  • 
certaines  âmes ,  &  de  leur  foif  cmelle  pou? 
les  richeflès? 

Mais  lequeldoit  furprendre  le  ptùs ,  dâr 
là  détreflè  extrême  de  ces  petits  détailleurs  » 
qui  ne  (avem  pas  avoir  nx  livres  devant  : 
eux ,  ou  du  fuccès  confiant  d'une  au/E  ter-* 
rible  ufure  ?  Mais^quî  ^  ayant  tout  fbld^  &  : 
payé ,  rcfte  avec  un  louis  .d*or  en  propriété 
abfolqe'î  rolèrois  dite^qùe'ié^tîers  de  Paris  ; 
c'en  èft  pas  encore  venu  là  :  aufli  les  av^fÊ^ 
teiirs  (àvent  eombieii  l'elpidce^  mçnnoyéê  d^  - 
vient  4-arè  dé^  jour  ett  joiir^";  parce  que»  ki  ; 
emprunts^  publics ,  ces  funeftes  abimbants  des 
fonds  du  commerce ,  en  ont  tari  le  cours;  . 

Ils  vendent  <kKiG  l'àrgentitout' ce  qu'ils  : 
peuvent' le  iténdlev  or  pliïjioiï/jeft  pamne^  , 
m'oins  ùa  ^1^  asfir  autrement  <;qèè  a  pièce 
de  nîéilhoië' k  la  màitt^  Pbint  de  crédit  : 
pour  l'indigent  \  &  pa»  l^méme  raifon  qu'il  «' 
paie  le  vin  &  la  viande  bien  plus. cher  que  - 
te  prince  du  fàng,  il  acheté  un  éca  de  Gk-, 
lîvces  à  uu.  prix  exoiJbiraut .  :  de.  l^  vient jqu^24 


M-efidâScilé  de  jTomr  (b  £abyme  oii  il  eft 
"plofigé ,  lë&  mains  &  les  pieds  lui  gliflènt 
qtian^  il  veut  s'élancer  au  dehors  ^  car  il  eft 
Ineft'  plus  difficile  de.  faiire  fîx  franc»  avec 
cinq  fols,  que  de  gagïier  un  mîUiotKavec 
ijïx  mille  lirr^.. 

"     Oh  !  qui  ne  reculé  pas  Toeil  époorantë^^ 
-quand  il  vient  à  contempler  de  prq^  la  hit* 
ce  étemelle  deJa-milère  de  de  l'opulence? 
-      Ces  avanceurs  ne  s'en  rapportent  pas  tou- 
-jours  à  leurs  courtiers  ou  agents  ;  ils  font  cu- 
rieux deux  buUoîS'  fois  l'année  de  voir  Taf^ 
'ièmbrée  deces  étemeb  débiteurs  quî  les  en- 
richiflènt ,  &  de  juger  par  eux-mêmes  de 
h*  difpofîtion  des  efprits  &  de  la. manœuvre 
des  ftibaltemeSi ' 

Le  même  homme  quV  porte  un  habit  d^é- 
€arlate>  des  galons,  la  canne  à  pomme  d'or, 

2ui  ne  fort  qu>A  voseui^ ,  qui  fait  briller  k 
m  doigt  un  riche  diamant,  qui. fréquente 
•les  fpeâacleiL&  voit  bonne  compagnie  ,  prend 
certains  jours  duiBois  un  habit  râpé  ^  une  vieil- 
l€L.pemique ,  de  vieux  foulicrs^  des  bas  rappe* 
lafBs^laifle  croître  fa  barbe,  fé  peint  les  che- 
veux &  (è  blanchit  les  fouicils  :  il  &  rçand 
alors  dans  inve  maifon  écartée,  dans  une 
•Elle  où  il  n'y  à  qu'une  mauvaife  tapiflerié'^ 
.un  grabat,  trois  chaifes  &  un  crucifix  ;i  là 
il  donné  audience  à  foixante  poiflàrdes,  re- 
vendeulcs  &  pauvres  fruitières  'y  puis  il  leur 
dit  d'une  voix  com{>olee  :  »  Mes  axuies. j^ 


vous  voyez  i|uè  je  ne  fuis  pas  {)lus  ildie 
4}ue  vous ,  voilk  mes  meubles ,  voilà  le  Ur* 
cil  je  couche  quand  je  viens  à  Paris  \  je  voiis^ 
donne  mon  argent  fur  votre  confcience  8c 
religion  v  car  je  n'ai  de  vous,  aucune  fîgiufc- 
ture ,  vous  le  favez ,  je  ne  puis  rien  réda- 
mer  en  tuflice.  Je  fuis  utile  à  votre  coixit- 
nierce;  oc  quand  je  vous  prodigue  ma  con- 
fiance 9  je  dois  avoir  ma  mreté*  Soyez  donc 
toutes  ici  folidaires  f une  pour  Tautre ,  Se 
jurez  devant  ce  crucifix  ^  Timage  de  notre 
divin  Sauveur,  que  vous  ne, me  ferez. au- 
cun tort,  &que  vous  me  rendrez  fidellc^ 
ment  ce  que  )e  vais  vous  confier  «,.  -, 

Toutes  les  poif&rdes  &  fruitières  Icvei#: 
k  main  &  jurent  d'étrangler  celle  qui  ne 
féroît  pas  fidellé  au  paiement  :  des  (èrnientK 
.épouvantables  fe  mêlent  k  de  longs  fîmes; 
de  croix.  Alors  l'adroit  fycophante  prend  \t&. 
noms ,  8c  difirîbue  à  chacune-un  écu  de  fis 
livres^  en  leur  difant ,  »  je  ne  gagne  pas  ce 
iique  vous  gagnez ,  il  s'en  faut  «.La  cohue 
fe  difTipe  &  l'anthropophage  refte  (eul  avec 
deux  émiilaires  dont  il  règle  les  comptes  &: 
4)aie  Its  gages* 

•  Le  lendemain  il  ttaverfé  les  halles  Se  ht 
{dkce  Maubett  dans  un  équipage  ;  perfoime 
one  le  reconnoit  &  ne  peut  le  reconnoîtrej 
c'feft  un  autre  homme  ;  il  eft  brillant ,  H 
cft  reçu  dans  la  bonne  fociété  ^  &  fouvent 

au  coin  de  vo^  cheminées  de  nurbre  ^  Sk 


B  s     P  A  H  I  S.  4f 

parie  de  bien&i&nce  6ç  d^hittilanké/ Pem 
lônne  ne  hu  cbntefte  la  probité,  l'honneur^ 
même  cme  forte  de  génâ^d^f  Ôc  pendant 
^'on  le  juge  ak^li ,  InviâUe  &  pt'éftnCy  datist 
quatre  ou  cinq  entrepôts  obfcurs ,  il  pompe, 
il  exprinie  la  fubfUnce  é^  pauvre  peuple* 


C  «  A  PI  T  R  R    CiGXX. 
Charlatans» 

Kjn  nomme  :aîn£  jceost  qui ,  montés  (ùc 
les  tréteaux  >  appeUenOïles  paflants  dafis  les 
places  puUiqœs.  Le  pcenûet  médecin  dit 
xoî  a  cfaoffî  jtous  ces  Yendeunu  d'orvûécan  ^ 
qui  ntuTbi^nt  aux  intérét^(fii  la- compagnie 
fourrée.  Il  n'y  en  a  plus  narai^oant  le  peui» 
pie ,  &  c'dd  don^nagé^  car  le  doâeur  Sa^ 
croton  difoit  à  ion  élevé  yen  M  faifant  fé^ 
snimération  des  avantagies  du  charlatantfme  ; 
Comptes4u  pour  rien  de  voyager  par^tour  p 
de  porter  te  Jabre  au  côté ,  les  pijiolets  à 
V arçon  ,  te  bonnet  fourré  en  tête  ^  davoit 
un  char  qui.,  arrivé  fur  ta  ptace,  fi  mé^ 
tamorphofi  tout^-à^coup  en  théâtre^  avec 
kl  rapidité  ydtmc  décoration  d^ opéra  ;  & 
ta ,  fimbtable  aux  orateurs  Romains  ,  de, 
parler  en  public ,  haranguant  tour^à-tour 
ks  nations  \  ^partant  m  iiberti  à  unpm* 


42.  î   A   B   t  »  A   If^ 

{^\ourdhuL,,(m  puhUcJtti.Pcrfonnç^  motA 
émi^pcrfhrme,apfi€pti  wus.  Tu^f^euxTCufi 
fir  pflr  lapatbU^  çf  alUrptus  loinque^u^ 

rjus  de  pos,  Thomas^  plus^de  haiangueun 
fous  la  \route  du  ciel*  Le  premier  médecin 
^r,dé^|Ut  finis  pi^  Xfs  deniicn  re&e»  ^ 
liberté  ,'  8c  penbiîne  ne  difliribue  pliK  m 
opiatis]^  ^[clhci'ts  i  ni  jppudrA-  Lp  .mé- 
tier appartient  en  totalité .  aux  fùppôts  de.* 
la  faculté. 

Les  charlatans  fc  font  réfugiés  dans  P^mr- 
pire  des  fdences  Sc^e^  la.  litcératiare.  UvÀ. 
vous  .promet  lajdécouferte:  démontrée  dc^  It 
définition  cxaâe  d'an  ^nt  univer&l-,  .^- 
9  la.  propriété  de ^ ^modifier  la  .matière  eti^ 
tout  &ns ,  .&i  d'opérer  toutes  les  merveille»  - 
de  la  nature.^' 

L'autre  voûs-^  explîquôra  ,  d'iîne  maniera 
daire  &  dénbonflraô^e  y  les  caufes  de^  Tat^ 
traôion  ,  der  Ix  rotadon  des  planètes  fur  leuf . 
axe^f  &  de  leur;  drconTobtion  autour  du  - 
foleil^ 

Le  troifîëme  vous  donnera  la  ^théorie  du 
(bleil ^.  celle  des  étoiles,  des  mondes,  des 
planètes ,. -des  comètes,  fur --tout  de  notre 
gjlobe ,  éc  détfonera  JbTei^tcnsu  pour  foa.couà 
2'efîài,  '  !. 

Un  quatrième,  moins  ambitieux ,  nr  vous 
oi£:e  que  Jeifecret  de  .k. génération^  il.voui^ 


n  E   p  A  n  I  s.  43 

tlîra ,  pour  une-  foùfçriprion  de  titentf  -  fet 
livres.^  ce  que  c-eft que  réconomie animale;. 
U  vous  înfijruiia  par  -  deflùs  le  marc&é  du  mé^ 
chanifme  des  paflion^  ,&  vous  aurez  U  (cîen^ 
ce  univerfcUe  pour  douze  ëcus. 

Rangeons  dans  cetçe  clafle  ces  naturalifles- 
qui,  en  robe-*  de -chambre,  en  pantoufles 
&.  en  bonnet  ;de  nuit ,.  font  de»  fyftêmes  fi» 
h  formation  .des  montagnes ,  qu'ils  n'ont 
jamais  vues  xih  parcourqes  ;  qui ,  feichauf&ot 
a  un  bon  feu ,  écrivent  fur  les,  glacien  do 
.  la  Suifîe.  Ils  n'ont  examiné ,  ni  les  maîtres 
Xîi  les  granits  des  Alpes ,  &  ils  prononcent 
fur  ces  grands  objets, en  ordonnateurs  des 
ifnot\d<îs  ^  expUqvkant  die  :  deflùs-  leui:.  latuiîfe]  là 
ftruâure  Se  les  fondements  du  ^ksbo:^  tandî^ 
que  leurs  pieds  n'bnt  jamais  foulé'jni  un  itochei 
^eve,.  ni  un:  abyme  uh  peu  profond  Bjemôc 
&  ofèront  dire^,  je  vois.  diAinâement  le  n(^aa 
de  la  terre ,  car  il  eft  tranfparent  pour  moi* 
.  Kangeons  :  encore  aàns  la  même  claflè  Ces 
acadéJiiicjeps.  beaux  •  efprits ,  qui  n'ont  rien 
écrft,  dont  ie^  no£Qç,{ont  inqonnus>,.qui  colo- 
rent les  penfions ,  &  qui  fe  font  payer  pour 
des  ouvrages  qu'ils  n'achèveront  jamais  :  ils 
difent  refpeâer  le  public,  ce  qui  reflèmble 
beaucoup  au  refged  dés  impuiilànts  pour  les 
femmes, 

Polydore  porte  lé  petît-collet ,  paflè-port 
de  l'impudence  ;  il  veut  fe  donner  non-fèu- 
lemenc  un  air  d'émdition ,  maïs  de  goût  ^ 


44  Tableau 

maïs  de  fupérîorké,  mais  de  génie  v  il  pari* 
avec  emphafe  d'un  auteur  grec  ,  il  fe  ré- 
crie fur  la  beauté   de  Texpreflion  ,  fur  la 
fineflè  des  tours.  Les  modernes  n'ont  pa^ 
Fombre  de  cette  phyfionomie.  Le  divin  Pîn- 
dare  a  le  rithme  qui  conimiuiique  avec  les 
dieux ,  &  le  fublime  Homère  frappe  mep* 
veilleufemeiit  Tanapéfte.  Quand  il  a  pronon-^ 
té  ces  grands  mots  devant  des  femmes  6c 
quelques  financiers,  il  fe  recueille  &  fè  tait^ 
comme  fi  le  génie  le  faifîfibît  tout-k-ccKip^ 
&  Paccabloit  de  tout  fon  poids.  Ne  diriez^ 
vous  pas  que  Polydore  a  étudié,  médité  Tau- 
teur  dont  il  a  parlé ,  qu'il  le  poflède  •  par* 
&item#f!t9-^yez  fôr  4iéanmpin$  qu'il  i/tfna 
là  <nië  h^  tïraduâion  tdût  au  plus ,  qu'il  etîtëifid 
mal  te  texte,  &  que  s'il  ra  ouvert  {nr  fil 
table,  c'eit  pour  en  impofer  aux  fots;  Sc 
comment  croit-il  en  impofer  à  d'autres  ?  On 
dit  aux  charlatans  des  places  publiques  ,  gui- 
riffh^:'  on  pdutroît  dite  aux  chanatans  lit* 
téraires ,  plus  nombreux  que  jamab ,  impt^ 
mc^;  Dfiais  ils  n'imprimeiit  pas%  ' 


o 


f   -    • 


D  E      P  A   11  I  s.  45 


CHAPITRE     ce XXL 

Vcrjificaieurs. 

m  • 

J.ls  pullulent.  Malheur  à  qui  fait  des  vers  en 
2  78  r  !  Le  François  9  (a  provijion  bien  ^m«  ^ 
pic  ;  il  eft  devenu  e;xce(iivement  difficile  ; 
car  queft  -  ce  qu'une  nouvelle^combinaifoa 
des  hétm(Ucties  de  Racine  9  Boileau ,  Rou& 
feau-,  Voltaire ,  Greflèt ,  Colardeau  ?  Ce 
ti  eft  pas  trop  la  peine  tle  nous  donner  labo^ 
xleuCensent  la  mèine  empreinte  ;  n'eft-ilpas 
tldîcule  de  voir  fe^  M.  Dosât  arotr  4^ 
des  copiftes  8c  des  imitateurs?  Quand  on 
lit  ÏAlmanaçh  des  MvfcSy  ne  diroit-on  pas 
que  toutes  Jes  pièces  de  vers  font  du  même 
auteur  ?  unt  les  idées  ,  le  %le  &  leton  ons 
une  couleur  unig^riBe.  ... 

Quand  on  rencontre  un  verfîficatear,  if 
&iit  lui  dire,  poi;r  ^vit^  toute  difpute ,  j^ 
ne  me  çonnois  pas  en  vers.  Alors  il  vous 
prend  ap  mot  ^  .&  vous,  dit  modeftement^* 
qu'il  n'y  a  que  trois  ou  (fuatrc  perfonnes  en 
état'd'apprécier  ioà  mue  talent  ^ -que  fe^dift 
par  txcdUncc^éii  x^^^xi  dans  fa  tête*  ât 
aatis  celle  de  ttçiis  01^  quatre  pcrfojanès ,  quji 
f i^dmirent.  Ou  fouf jft ,  jtôut^  bas ,  Sc  pn  1^ 
kiilè  due ,  car  cela  le  rend  bienheureux*.  ' 


^6  T  A  B  I  ï:  A  u 

Sî  JTon  difôit  k  un  verfificateiir  qui  couct 
toiidbelle  hémiftiche  pendant  un  mois  en- 
tier ,  que  tel  écrivain  en  profe  (  qu'il  n*a  par 
lu,; parce  qu'il  ne  lit  qWe  Aacine)  eft  un 
grand  poëte ,  que  tel  écrivain  Anglois  qu'il 
appelle  barbare^  outre  (on  'originalité  &  £bn 
génie ,  a  fouvent  plus  de  goût  que  Ton  BoF> 
leau ,  il  ne  vws  -comprendrcat  certainemeol 
pas  :  aufli  cootentez-^vous  de  lui  c&e ,  je"  njé 
me  connois  pas  en  vers.  Par  ce  moyen ,  vous 
ménagerez  vos  poumons ,  &  vous  aurez  le 
plaifîr  de  voir  jufqu'à  quel  point  un  verfiiSca-* 
ceur  déraifonne  &  rétrécit  fks  idées. 

Mais  c^eft  encore  plus  la  faute  de  la  Ian« 
gue  que»îa  fîerine  propre;  Ce  verfificateur 
lue^  .navaille,  &  il  ne  manque  au  fonê 
que  4ie  diicemementi  * 

Qtfeft-ce  qu'une  langue  où  le  génie  'k 
chaque  pas  rencontre  robflacle  invincible  de 
quelques  diiEcultés  grammadcales^  où  la  chi- 
cane à  chaque  vers  troiAre  à  Reprendre ,  où 
hsjbidigneurs  (i)  gagnent  tout  le  terrein 
que  perd  Kécrivain  tadaciéux^  où  toute  in- 


-> 


DE'-   1?A.3.  I  «.  47 

iKxvadon  a  le  dedbit^^iôu  cette cxpreâïcnide 
Cariieilie ilV'pu  ft :natùraliren>  :     ^.   •  ^     • 

II  faut  dire  hardiment  que  cette  lan- 
gue rfeft  pas  poétique  ;  que  (à  poéfie  n'eft 
qu'une  prdfe  rimce  ;  .qûVUe  Ti'a  ni  abon- 
dance, ni  énergie,  ni  audace;  qq'cllen'en 
aura  ]ZTrvSs  ^  mi6çiCil  eft.  défendu  de  Penri« 
fcHr  ^.puîfquelaTnaithe^  Idîti 'd'être  libre^ 
fiere ,  eft  conipaflKe ,  mefiiféè  ,'retrécîe ,'  foUr- 
mifè  au  compas.  Ajoutons  qu'il  faut  être  in- 
fenfé  pour  ^îdïnjettîr  au  lâche  caprice  d'un 
peuple  attaché  k  ces  (bttes  habiniues.;  con*- 
fiiltant  les  joumaliftes  V  aflàflii^  périodiques  de 
la  poéfie  ,•&  qui ,  conformciïieht  k  leur  ftyle 
tampant ,  rejettent  la  jEbrce  Sc.l'énergîe  ^  lorC- 
que  le  poète  s^en  ^ert  pour  pjriadre  les  pcnr» 
ices  2vec  les  '  fons  qui  lui  plaîfènt.  ' 

Puifque  ce  penpie  ne  veut  adopter  que  ce 
ju'il  a ,  foTttâÙe  oc  indigent  ^flbueau  oc  foa 
ec  &  dur  Rouïlfau^  il  faut  Je  laîïlè^dàns  le 
loin  pMéfîle  dé  (calculer  4<»  *lyllabès ,  au  lîea 
^a'imagmef  &  dt  crëer^HîificTcmleîd'expf^^ 
•fions  qui  hri  'manquent.  XàpréuVè  que  ïk 
poéfie  eft  nulle,  c'eft  qu'il  eft  encoteà  s*cn 
appercevpîr. 

Les  verfificatews  ne,  me  pardonneront 
pas  ce  chapitre  V  je  parlè.néanmoins  en  leur 
laveur,  &  les  poètes  m'entendront. 

Il  eft  ur^  parallèle  qui  revient  (ans  ceflê 
^xis  Jes  coAveriations  des  vexfificateurs  ^  8c 


? 

le 


48  T  A  1  L  E  A  U 

qui  m^ennuic  écrangement  ;  c'efi  le  paraHele 
de  Corneille  8c  de  Racine,  ^véc  une  lueuiD 
de  Jjitfiéiamre ,  des  fots  parlent  une  heure  en** 
tiere  ûr  cet  objet ,  &  ont  Tair  de  dire  <peW 
que  cibofe.  Cela  pafle  dans  les  brochures 
que  le  plus  petit  commis,  au  lieu  de  faire 
des  bordereaux,  fabrique  avec  une  ^rte  dç 
préfompûon  ;  &  pluf^eurs  jpurnaux  roiiloit 
a  Tappui  de  trqis  ou  Quatre  no|xis  femïïla- 
hles  inceflamment  reflàfles..  On  dirou  quf 
feflbrt  de  FeTprit  humain  fe  trouve  dans 
une  tragédie  françcile,  &  rîen  dephisÊua 
cependant*   ; 

Un  jeune  homme  vint  prier  Timothëe  de 
fui  apprendra,  k  jouer  de  la  flûte.  KTavez^ 
vous  pas  déjà  eu  quelques  maîtres  ,  lui  de^ 
çianda  le .  pojete  t  Oui ,  r^Hmdit  le  jeune 
homme.  Ëh  bien  !  repUqua  Timothée ,  en 
devenant  mon  difciple ,  vous  me  devrez  une 


plier  les  principes  dont  yqos  êtes  im]hù ,  8ç 
que  je  vous  enfeigne  enfuite  ce  dont  vous 
jae .  vous  doutez  feulement  pas. . 


.4  •     >      « 


*   ■ 


i'   .     .'      ». 


CHAip; 


DE    Paris.  49 


CHAPITRE     CCXXIL 

Calembours.  > 

Xjalanguç  menreilleufe  des  calamboars  tire 
à  (à  fin.  Quelques  adeptes  la  cultivoient ,  8c 
elle  leur  tenoit  lieu  d'efprit  &  de  talents.  Que 
vont-ils .  devenir  ?  Comment  une  fi  brillante 
xenommëc  s'évapore-t-elle  fi  promptement  > 
Quelle  ingratitude  après  tant  de  cris  dad- 
miratious  !  Oh ,  que  le  peuple  de  Paris  eft 
léger  dans  l'encens  qu'il  prodigue  ! 

On  citoît ,  on  claflbit  ii  part  ceux  que  l'inC* 
piratlon  ou  lekaCard  avoîent  favorifés^  &c  de 
fort  honnêtes  gens  qui  n'auroient  jamais  pu 
fe  faire  imprimer  o^ incognito ,  étoient  par-^ 
venus ,  à  l'aide  de  ce  nouvel  idiome,  à  com* 
pofer  une  petite  brochure  qui  les  plaçoît  fu- 
bitement  au  rang  diftingué  des  heureux  plai- 
(ants  de  ce  monde. 

Le  peuple  ne  les  a  pas  trop  goûtés  ;  il  a 
mieux  dmé  le  langage  de  Vadt  qui  peignoir 
une  nature  baflè ,  mais  du  moins  exiftante. 
Il  ppuvoit  juger  de  la  reflèmblanee  ;  mais 
lorlqu'on  voulut  lui  expliquer  toute  la  fineflè 
d'un  calambour ,  il  dit  dans  fon  ftyle  naïf: 
Quand  Jean  Béteejl  mort ,  il  a  laijféhien 
des  héritiers. 

Toutes  ces  mauvaifcs  plaifanterîes  ten^ 
Tomt  IL  C 


^o  .  Ta-  fi  l  e  ^  u 

doient  k  dénaturer  la  langue ,  à  prefcrire  le 
peu  de  mots  nobles  8c  harmonieux  qui  nous 
teftent ,  à  gêner  perpétuellement  l'écrivain^ 
obligé  d'aller  au  devant  de  Téquivoque  folfe 
'  ou  licencîeufe.  Les  frères  càlambourdiers  fc 
font  donc  rendu  coupables  du  crime  de  U:^ 
majcflcfrançoife  ,  qiuant  à  la  langue ,  noni- 
bre  d'expreffions  font  devenues  impropres 
dans  le  ityle  ôc  dans  la  convetfàtion ,  parce 
qu'ils  les  avoient  profanées.  On  revient  de 
•ce  ridicule  qui  ne  pouvoir  être  durable  •& 
qui  a  trop  duré  \  mais  c*eft  aux  écrivains  fbfH 
fés  qu'il  appartient  de  fe  roidir  dans  tous 
les  temps  contre  les  excluions  bizarres  de 
mots,  &  de  braver  les  mauvais  plailàntâ  & 
les  fots  rieurs  qui  abondent. 


CHAPITRE      CCXXIIL 

Feux  dartificc. 

Vyn  a  remarqué  qu'il  ne  s'étoit  prefquè 
jamais  donné  de  fpeâacles  extraordinaires 
au  public ,  qu'il  n'y  fut  arrivé  quelque  mal- 
heur :  la  populace  Parifienne  ne  fait  point 
établir  Tordre  dans  fesmouvemenjs^  une 
fois  fortie  des  bornes ,  elle  devient  |)étu** 
îante ,  incommode  &  tumultueufe» 

C'eft  par  cette  raifon  qu'on^  a  fopprimé 


;©  E     Paris.  .51 

îe  feu  de  la  Saint  -  Jean  ,  &  les  feux  que 
J'on  tiroit  pour  la  naiilànce  des  princes  & 
princeflès  ,  ou  pour  des  viftoires  cquivo- 
<jues.  Au  lieu  de  ces  ftériles  jouillànces ,  on 
<jiiarie  des  filles  ,  on  délivre  des  prilonniers^ 
Eh  bien  !  ces  idées  -  la  font  encore  dues  à 
sdes  écriva'ns  patriotiques. 

Je  voudrois  voir  tous  les  artificiers  du 
royaume  ruinés  :  ce  luxe  de  nos  fêtes  amené 
toujours  quelques  accidents  ^  &  comment 
.|)eut-on  fe  réfoudre  d'ailleurs  à  voir  fauter 
en  Faîr  ce  qui  pourroit  fuffire  à  l'entretiea 
&  à  la  nourriture  de  >cent  familles  pauvres 
pendant  une  année  !  Comment  donner  un 
fi  grand  prix  d'un  plaifir  G  court  !  J'aûiie 
encore  mieux  les  cocagnes  de  Naples,  où  les 
rigoureux  lazzarons  font  un  repas  qui  dure 
trois  jours,  &  artrappent  un  gifët  par  deflug 
Je  marché. 

II  eft  bien  inconcevable  qu*on  ait  choifi 

pour  l'exécution  de   ces  feux  d'artifice^  hi 

place  de  Grève ,  qu'on  ait  vu  l'effigie  du  fbu- 

verain  élevée  avec  pompe  fiir  le  même  pavé 

^11  l'on  a  écartelé  Ravaillac   &  Damien  : 

•  cpmnlent  les  emblèmes  mythologiques  de  la 

'^oie  publique  peuvent-ils  fuccéder  à  la  roue 

&  au  bûcher  ?  &  comment  érige-t-orr  les 

armés  de  Fra/zt'e  au  même  endroit  eu  trois 

jours  auparavant  l'échafaud  dégouttoit  du  fang 

xdu  crime  ?  Comment  &  pourquoi  le  corps 

.municipal  a-t-il£u  fi  long-temps  des  idées  il 


V 


«52  Tableau 

fcadès  &  fi   rampantes  ?  Pourquoi  !  OefL 
•qu'il  vouloit  appercevoir  de  fes  fenêtres  ôc 
^avec  la  même  aifance  le  (tu  de  joie  &  la 
potence. 

Connoiflèz-voqs ,  mes  chers  leâeurs  y  un 
î)eau  feu  d'artifice  ?  Ceft  celui  qu'a  donné  le 
feu  roi  de  Danemarck  ;  il  fit  dreflèr  une 
telle  charpente.  Le  peuple  amoncelé  s'at- 
tendoit  aux  fufées  volantes,  au  bruit  des 
-pétards .,  des  gerbes  brillantes  &  pafl&geres. 
•Quatre  hérauts  d*arm€S ,  magnifiquement  vê- 
•tus ,  parurent  aux  quatre  coins  de  l'édifice  ; 
=î!s  tirèrent  chacun  uii  papier ,  le  peuple  fit 
lilence  ;  c'étoit  un  édit  généreux,  qui  remet- 
toit  au  peuple  quatre  impôts  fur  les  denrées, 
^es  plus  à  charpe  à  fa  fubfiftance. 

Il  n'eft  pas  befoin  de  décrire  un  feu  d'artî- 
%Qe\  toutes  les  expreflîons  n'atteindroient 
pas  k  la  rapidité.,  au  brillant ,  au  tonnant 
de  ces  gerbes  radîeufes  &  enflammées  qui 
charment  l'œil  fans  le  bleflèr ,  &  plaifent  à 
l'oreille  fans  l'épouvanter  ;  mais  il  nous  fauf 
décrire  les  banquets  ou  la  munificence  des 
«chevins  appelle  le  peuple. 

Ces  buffets  font  merveilleux  dans  les  def^ 
-crîptions  ;  de  près ,  cela  fait  pitié.  Imaginez 
des  échafàuds  d'où  l'on  jette  des  langues 
fourrées,  des  cervelats,  &  des  petits-pains  ; 
le  laquais  luî-mémc  fuît  le  fouciflbn  envoyé 
par  des  mains  qui  s'amufent  \  le  lancer  avec 
Ibr^e  à  la  tête  de  la  multitude*  Les  petits^ 


,   D  E      V  A    K  l  9.  $} 

{mm  deviennent ,  pour  aînfi  dire ,  des  cail- 
aux  entre  les  mains  de  ces  infolents  diftrî- 
buteurs.  Imaginez.  enCiîte  deux  tuyaux  étroitS' 
qiii  verfent  un  vin  allez  infipide.  Les  fortsi 
de  la  Halle  &  les  fiacres  s'uniflènt  enfera-- 
ble ,  mettent  un  broc  au  haut  d'une  longue 
perche  9  relèvent  en  l'air:  mais  la  difHculté 
eft  de  Paflùjettîr  au  milieu  d'une  foule  ^mr- 
portée  &  rivale  y  mii  déplace  inccflàmmenr. 
le  vafe  où  coule  la  liqueur;  les  coups  de^ 
poings  tombent  comme  la-  grêle;  il  y  av 
plus  de  vin  répandu  fiit  le  pavé  que  dans  Je* 
broc;  celui  qui  n'a  pas  les  larges  épaules  d'unî 
porte-faix,  &, qui  n'eft  point  entré  dans  la^ 
riguc ,  pourroit  mourir  de  foif  devant  ces. 
fontaines  de  vin ,  après  s'être  enflammé  le 
gpfier  par  la  charcuterie.. 

La  petite  bourgeoiCe,  que  la  fîmple  cu- 
riofîcé  a  amenée ,  s'écarte  avec  frayeur  de 
ces  hordes  qui  viennent  de  conquérir  un  feaa 
de  vin  :  elfe  craint  d'être  heurtée  ,  ren^- 
verfée,  foulée  aux  pieds;  car  ces  terribles. 
CQfiquérants  vont  revenir  pour  chaflèr  leurs- 
lîvaux ,  &  mettre  à  fec  les  futailles. 

L'abj^dion  &  la  mifere,  voilà  les  con^ 
vives  de  ces  fameux  banquets  ;  voyez  -  les. 
dévorer  debout  les  cervelats  qu'ils  ont  at'- 
trapés  ;  on  diroit  d'un  peuple  famélique , 
livré  dépuis  un  an  aux  horreurs  de  la  di* 
fette ,  &  a  qui  un  nouvel  Henri  IV  auroit 
envoyé  du  pain  &  du  porc  aflaifonné. 

C  3. 


54  Tableau 

Enfuîte  des  fymphonîftes  déguenillés^ 
perchés  fur  des  tréteaux,  &  environnés  de 
fales.  lampions  ,  font  crier  des  violons  ai- 
gres fous  un  dur  archer;  la  canaille  fait  uii 
rond  immenfe,  fans  ordre  ni  mefure,  faute, 
crie,  hurle  ,  bat  le  pavé  fous  une  danfe 
lourde  :  c'eft  une  bacchanale  beaucoup  plus. 
grolfiere  que  joyeufe  ;  &  comment  donne- 
t  -  on  une  aulli  fraide  orgie  pour  une  féte- 
natîonale  ?  Eft  -  ce  ainfi  que  les  anciens  faî- 
foient  participer  les  citoyens  pauvres  à  Talé- 
greflè  publique  ? 

Si  Toiî  jette  de  l'argent,  c'eft  pis  encore: 
malheur  au  grouppe  tranquille ,  où  l'écu  efl. 
tombé  !  Des  furieux ,  des  enragés ,  le  vifàge 
fànglant  &  couvert  de  boue ,  fondent  avec 
cmpoitenjent ,  vous  précipitent  fur  le  pavé^ 
vous  rompent  bras  &  Jambes  pour  ramaflèr 
la  pièce  de  monnoie  :  c'eft  une  maflè  qui 
tombe  &  fe  relevé ,  ainfi  qu'on  voit  dans 
les  forges  l'énorme  marteau  de  fer  qui  écrafe 
tout  fur  fon  paflàge  en  un  clin-d'œil. 

On  eft  oblige  de  fuir  la  cohue  tumul- 
tueufe ,  de  fe  retrancher  chez  foi ,  parce  que 
Ton  riïque  de  perdre  la  vie  au  milieu  d'une 
populace  qui  vous  blefle  pour  un  cervelat^ 
ou  pour  une  pièce  de  douze  fols. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  noble  &  de  plus 
împofant  dans  ces  fêtes ,  c'eft  le  Te  Deum 
qu'on  chante  dans  Téglife  cathédrale.  Le 
Li'uit  du  canon  qui  fe  mêle  par  intervalles. 


B  JE     P  A^R  r  S..  55 

au  ion  de  la  mufîque  exécutée  par  un  or- 
cheftre  (avant    &  nombreux  ,  produit  un. 
éf&i  fîhgulief  f  rare  &  touchant. 


G  H  A  P  I  T  R  E    CCXXIV. 

Mcjfcs.   . 

v^n  dît  par  jour  quatre  a  cînq  mille  meC- 
fes  à  quinze  fols  pièce.  Les  capucins  font 
grâce  de  trois  fols.  Toutes  ces  meflès  in- 
nombrables ont  été  fondées  par  nos  bons*, 
aïeux  qui  pour  un  rêve  commandoient  à    ^ 
perpétuité  le  facrifice  non  fanglant.  Point 
de  teftament  (ans  une  fondation  de  mcflès  ;. 
c^eùt  été  une  impiété,  &  Je$  prêtres  auroîent 
refufé.  Ja  (epulture  k  quiconque  eût  oublie. 
c«t  article  ,  ainfi  que  les  faits  anciens  le 
prouvent. 

Entrez  dans  une  églifc,  a  droite ,  à  gau-    • 
che  y  en  face ,  en  arrière  ^  de  coté ,  un  pré-  . 
tre  ou  confacre  ,  ou  élevé  l'hoflie ,  ou  la 
mange,  ou  prononce  l'//e  miJJTa  cjl. 

Des  prêtres  Irlandois  fe  font  quelquefois    . 
avifés  de  dire  deux  méfies  par   Jour;  & 
vu  nmmenfîté  de  la  ville,  le  hafard  feul 
aiait  reconnoître  la  fupercherie.  Un  dou- 
ble appédt  les  forçoit  à  cette  double  celé-    - 
firadon. 

C4 


56  '    T  A  B  L  E  A  U 

Dans  le  Gecle  paffî  ^  un  prêtre  du  Petit- 
Saint-Antoine  étoît  marié  fecrétement ,  & 
tenoit  fon  ménage  près  de  la  place  Mau- 
bert.  Il  fe  panagcoit  avec  la  même  ferveur 
entre  l'autel  &  fon  époufe.  Bon  prêtre ,  bon 
mari ,  père  de  cinq  enfants ,  il  s'habilloit 
deux  fois  par  jour  pour  tromper  les  rega^ 
&  remplir  les  doubles  fondions  qui  lui 
étoient  également  chères.  Sa  félicité  fut 
traverfce  par  un  cruel  délateur  j  le  parlement 
caflà  fon  mariage ,  &  il  fut  exilé  à  perpé- 
tuité :  heureux  de  ne  pas  fubir  une  peine,  plus 
grave. 

L'abbé  Fellegrin  n'étoit  pas  marié  ;  mais 
il  faifoit  des  opéras  tout  en  difant  la  meflè. 
Le  démon  ne  préfidoit  pas  à  fes  compor- 
tions; car  elles  étoient  extrêmement  froi- 
des. On  fit  fur  lui  ces  vers  : 

\j  Lt-  matin-  catholique  ,   &  U  fiir  îMdtre  y 

//  dine  de  l'autel  &  foupe  du  théâtre.   , 

Un  prince  ayant  nommé  pour  fon  au- 
mônier l'abbé  P  *  *  *  connu  par  fes  nom- 
breufes  &  intéreflàntes  produâîons,  lui  dit 
à  fa  première  audience:  M.  l'abbé,  vous 
voulez  donc  être  mon  aumônier  ;  mais  fâ- 
chez que  je  n'entends  point  de  meflès.  *— 
Et  moi ,  Monfeîgneur ,  je  n'en  dis  point. 

Où  appelloit  mejfe  mufquée,^  une  meflè 

tardive ,  qui  fe  difoit ,  il  y  a  quelques  années^ 

au  Saint-Efprit  à  deux  heures  -,  le  beau  mondé 

'^v  pareflèux  s'y  rendoit  en  foule  ayant  le  dî«^ 


B'E     P  A   R  I  Sr.  5:7 

net:.  On  donnoit  trois  livres  au  prêtre ,  parce 
qu'il  étoît  obligé  de  jeûner  jufqu'à.  cette- 
heure;  la  loucutè  de  chaifes  y  gagnoit  en- 
core. L'archevêque  a  défendu  cette  meflè ,. 
&  l'on  a  pris  depuis  la  méthode  de  s'en. 

Eaflèr.  Il  auroit  mieux  valu  ne  point  abolir: 
i  mejfe  mujquée. 

Depuis  dix  ans ,  le  beau  monde  ne  va. 
plus  kîa  meflè ,  ou  n'y  va  que  le  dimanche ,, 

£our  ne  pas  fcandalHèr  les  laquais ,  8c  les. 
quais  lavent  qu'on  n'y  va  que  pour  eux. 
Le' 3  Août  1670,1e  nommé  François 
Sarra^n ,  natif  de  Caen  en  Normandie ,, 
âgé  de  vingt-deux  ans ,  d'abord  huguenot  y 

Îuis  catholique ,  mais  toujours  ennemi  de 
a  préCence  réelle  ,  attaqua  l'hoftie  l'épée  à. 
la  main ,  au  moment  que  le  prêtre  la  levoit^, 
dans  ^é^^[e  Notre  -  Dame ,  à  l'hôtel  de  la 
Sainte  Vierge.  En  voulant  percer  ladite 
hoftie  immédiatement  après  la  confécra— 
tîon,îl  bleflàdedeux  coups  le  prêtre,  qui 
prit  la  fuite  ^  mais  fèshleflùrcsne  furent  pas» 
dangereufes.. 

Aujffi-tot  toutes  les  meflès  ceflerent  ;  onr. 
dépouilla  les  autels  de  leurs  ornements  ;  l'é- 
glife  fut  fermée  jufquau  jour  de  la.  rccon^ 
ciliation. 

Le  5  Août,  François  Sarra:^nBt  amen- 
de honorable,  ayant  un  écriteau  devant  &. 
derrière ,  portant  ces  mots  ^facrilegc  impie^ 
On  lui  cojpa  le  poings,  &  il  fut  brûlé  vi£ 


^8  Tableau 

en  place  de  Grève.  II  ne  donna  aucun  fîgne 
de  repentir  ni  de  regret  de  mourir. 
.  Le  1 X  fe  fit  la  réparation  folemnelle  di* 
faciilege  commis.  11  y  eut  une  procefllon 
gér.ciaie,  où  aflifterent  toutes  les  cours  fou- 
veraii  es.  Tontes  les  boutiques,  tant  de  kr 
ville  que  de^  fauxbourgs ,  furent  fermées  par 
ordre  du  fieur  de  la  Reynie ,  lieutenant  de 
police.  Voyez  la  Ga-j^tu  de  France  i6yo  ^ 
page  771 ,  jufqu'àla  page  79  5^ 

Aucun  facriîege  de  cette  efpece,  ^aces 
à  Dieu ,  n'a  été  commis  dans  notre  necle , 
malgré  les  éci  its ,  les  difcours  &  le  grand 
nombre  d'incrédules.  L'on  n'ia  pas  troublé- 
la  moindre  afperCon  d'eau  bénite  ;  8c  juC- 
ques  dans  les  proceffions  publiques  du  jubi- 
lé ,  le  culte  ,  toujours  extérieurement  ref- 
pedé,  n'a  reçu  aucune  atteinte. 

On  dira  que  la  Barre  d'Abberîlle  a  don-r 
né  un  fcandale  public.  Il  n'y  a  rien  de  moins 
prouvé  que  la  mutilation  de  ce  crucifix  fiir 
un  pont.  Ce  crucifix  de  plâtre  étoît  à  portée 
d'être  renverfè  à  chaque  minute  par  les 
charrettes ,  &  le  chevalier  de  la  Barre  -n'é- 
toît  pas  homme  k  tirer  l'épée  contre  un 
crucifix  ^  il  avoît  de  la  raifon  &  de  la  phi- 
lofophîe.  Il  mourut  avec  une  fermeté  tran- 
quille. Le  parlement ,  uniquement  pour 
prouver  aux  jcfuites  fon attachement  à  la  foi, 
rendit  un  arrêt  femblable  à  ceux  de  Finquî- 
fitîon  ;  il  s'en  eft  repenti  lorfqu'il  n'ctoit  plus 
tcm-^s. 


DE    Pari  s.    .        $9 

On  peut  affùrcr  qu'il  ne  févîra  dëfomiaîs 
d'une  manière  aufli  violente  ^  que  contre 
un  nouveau  François  Sarran^n ,  fi  un  pa- 
reil înfenfé  fe  repréfentoit^  ce  dont  on  doute 
très-fort. 

On  a  Tair  d'un  fot  écolier  qui  n'a  rien 
vu  &  rien  entendu ,  quand  on  le  met  a  dé- 
clamer contre  les  myfteres  &  les  dogmes. 
Il  n'y  a  plus  que  les  garçons  perruquiers  qui 
faflènt  des  plaifànteries  lur  la  mefle.  La  dît 
qui  veut,  l'entend  qui  veut  j  on  pe  parle  plus. 
de  cela. 

CHAPITRE     CCXXV- 
Meji  de  h  Pie^    , 

%Jn  boargeoîs  àvoît  perdu  pliifièufe  fbùr* 
chettes  d'argent -,  il  en  acàîfa  fa  fervante, 
porta  fa  plainte ,  &  la  livra  a  la  juftice.  La 
pftice  la  pendît.  Les  fourchettes  fe  retrou- 
▼erefat  fix  mois  àpris  fiir  un  vieux  toit  der- 
rière an  amas -de 'tuiles,  où  une  pie  les  a  voit 
cachées.  On  (ait  q^e  cet  oifeatu ,  par  un  in{- 
dnâ  ine!xpircahle  ,  dérobe  &  amaflè.  de^ 
fiiaticres  d'or  6c  d'argent.  Qa  fonda  k  Saints 
Jean-en-Greve  une  me(ïè,  annuelle  pour  le 
orepos  àc  Tzùie  innocente.  L'àme  des  juge?^- 
iâli^avoît  yn  piis  gnind  be&ui. 

Q6: 


V 


6o  T  A  B  L  1  A  tr 

C'eft  fort  bien  fait  que  de  dire  une  mefler 
mais  il  falloir  enfuite  rendre  L'inftruâion  plu» 
icrupuleufe ,  abolir  cette  peine  difpropomon-^ 
fiée  au  délit  \  car  la  févérité  exceflive  de  la: 
loi  Tannullc  entièrement  ^  &  le  vol  domet 
tique ,  très  fréquent  parmi  nous ,  eft  prefque 
impuni  de  nos  jours ,  parce  que  le  maîtro 
&  le  juge  détellent  intérieurement  Ton  ex^ 
tréme  rigueur. 

Une  punition  modà-éejmais  inévitable^ 
rétabliroit  îordre  bien  plus  puiflàmment. 
.Sur  dix  fervantes,  quatre  font  des  yoleufes» 
Perfonne  ne  veut  fe  charger  de  Facculation^ 
à>caufe  des  fuites.  On  les  renvoie ,  elles  vor 
lent  chez  le  voilm ,  &  s'accoutument  à  Tim- 
punité:  ^    - 

Il  eft  trifte  d'être  obligé  d'avoir  inceflànir* 
ment  Tœil  ouvert  fur  les  dômefliques ,  &: 
l'on  peut  dire  qp'i  Paris  il  ne  règne  aucui^s 
confiance  entre  le  maître  &  le  fervitciu:.  Là 
maitreflè  de  la  maifon  a  une  poche  rem-» 
plie  d^  clefs  différentes  ;  elle  tient  fous  le 
pêne  le  vin ,  le  fucre ,  l'eau-de-vie ,  les  ma* 
carons ,  l'huile  &  les  confitures.  Les  fem-^ 
mes  de  procureurs  enfei^netu'  le  pain  &  le; 
xeftes  du  foupé ,  échappa  à  la  voracité  des 
clercs.  L'une  d'elles  ébnt  allée  dîner  en  rilléj, 
&  ayant  oublié  de  donner  k  la  fervante  la 
clef  de  la  miche ,  le  troifîeme  clerc ,  qui  nç 
s'embarraflbit  pas  d'avoir  fon  congé ,  chargçt 
le  bu&t  fur  les  épauler,  d'.un  jrobuile porte-Caq^;^ 


1>   E     P  A   R  I  s.  6h 

&  entrant  dans  la  falle  à  njanger ,  dît  tout 
haut  :  La  clef,  Madame ,  voici  V armoire  ?' 

CHAPITRE     CCXXVL 

La  Feu-Dieu. 

laa  féte-Dîcu  eft  la  fête  la  plus  pompeufe 
du  catholicifme.  Paris  ce  jour-lk  eft  propre  ^ 
sur ,  magnifique  &  riant  :  on  vroit  que  lesL 
églifes  poflèdent  beaucoup  d'argenterie ,  (ang. 
Compter  l'or  &  les  diamants;  que  les  orne- 
ments font  d'une  richeflè  peu  commune ,  &. 
que  le  ailte  ejafin  coûte  &  a  coûté  excefli- 
vement  au  peuple  \  car  tous  ces  tréfors  fta-<^ 
gnants  ont  été  pris  fur  lui. 

On  dit  qu'on  a  vu ,  il  y  a  quelques  an- 
nées ^  à  la  proceflîon  de  Saint-Sulpice ,  deux 
chevaliers  de  Saint -Louis  carcflèr  l'orgueil 
&  le  fafte  des  cardinaux ,  en  portant  l'extrê- 
mité  de  leurs  manteaux  rouges ,  à  peu  près 
comme  des  laquais  portent  la  queue  à  une 
ducheflè.  Seroit-il  poflîble  que  des  guerriers 
décorés,  à  l'appât  d'une  médiocre  ou  forte 
récompenfe  ,  euflènt  pu  fe  refondre  à  faire 
la  fonâion  des  plus  vils  de  tous  les  hommes  ^ 
&  cela  aux  yeux  de  la  nation  ! 

Qui  ne  croiroît ,  en  voyant  la  pompe  de 
cette  fête ,  que  la  ville  ne  renferme  aucua 


6t  Tableau 

incrédule  dans  (on  (eîn  ?  Tous  les  ordres  de- 
Tétat  environnent  le  faint  facremeni:.  Toutes, 
les  portes  font  tapiflces  ;  tous  les  genoux  fié- 
diiflènt  ;  les  prêtres  femblent  les  domina- 
teurs de  la  ville  ^  les  l'oldats  font  a  leurs  or- 
dres 9  les  firrplis  commandent  aux  habits  uni- 
formes ,  &  les  fufils  mcfurant  leurs  pas  ,, 
marchant  à  côté  des  bannières.  Les  canons, 
tirent  fur  leur  paflàge  ;  la  pompe  la  plus  fo* 
lemnelle  accompagne  le  cortège.  Les  fleun  y. 
l'encens  ,  la  miuique ,  les  fronts  proftemés  , 
tout  feroit  croire  que  le  catholîcifme  n'a  pas, 
un  feul  adverfaire  ,  un  feul  contradideur  ; , 
qu'il  règne  ,  qu'il  commande  à  tous  les  ef- 
prits....  Eh  bien ,  Ton  a  admiré  la  marche- 
&  Tordre  de  la  proceflîon  ,  le  dais ,  le  fo-- 
leil,  les  coups  d'êncenfoirs  qui  jàiliiflènt  k, 
temps  égaux  ,  la  beauté  des  ornements  ;  on . 
à  entendu  la  mufique  militaire  entrecoupée 
de  fréquentes  &  majeftueufes  décharges  ;  Pon 
a  compté  les  cardiiiaux  ,  les  cordons-bleus , 
les  évéques ,  les  préfident^  en  robe  rouge ,' 
qui  ont  afTifté  à  cette  folemnité  ;  on  a  com- 
paré les  chafubles  &  les  chapes  des  différen- 
tes paroifïès  ;  on  a  parlé  des  repofoîrs  :  voilà. 
ce  qui  a  frappé  tous  les  efprits  ;  voilà  ce  qui- 
a  attiré  leur  refpeû  &  leurs  hommages. 
••  Le  foir  les  enfants  font  des  repofoirs  dans 
les  rues.    Ils  ont  des  chandeliers  de  bois  j 
des  chafubles  de  papier  ,  des  encenfoirs  de* 
fer-blanc  ^  un  d^s  de  carton ,  un  petit  foleSl 


0  E     P  A   R   I  s.  6j 

cfétaîn.  Uun  fait  le  curé,  Fautre  le  fous-dia- 
cre. Us  promènent  Phoftie  en  chantant,  dî- 
fcnt  la  meflc  ^  donnent  la  bénédidion  ,  & 
obligent  leurs  camarades  à  fe  mettre  à  ge- 
noux. Un  petit  bedeau  ùàt  le  furieux  dès  que 
l'on  commet  la  moindre  irrévérence.  Les 
grands  enfants  qui  le  matin  ont  fait  à  peu 

Îrès  les  mêmes  cérémonies ,  lèvent  les  épau- 
îs ,  &  iè  moquent  de  la  proceflion  des  pe* 
tits ,  quand  ils  la  rencontrent» 

Le  marquis  de  Brunoî,  fils  du  banquier 
Montmartel  ,  riche  de  vingt-fîx  millions  j 
dépenfoit  à  Brunoi  cent  mille  écus  pour  le 
fepofoir  &  la  proceflion  de  cetre  fête  an- 
nuelle. Jaloux  dlmprimer  le  plus  grand  éclat 
aux  cérémonies  de  Téglife  ,  il  raflembloit  de 
tous  côtés  des  eccléfiaftiques ,  qu'il  chargeoit 
d'ornements  magnifiques ,  &  qu'il  traitoît 
cnfuite  d'une  manière  fpJendide..  Comme 
fes  parents  folliciroient  fon  interdidion  à  raî- 
fon  fur-tout  de  ce  fafte  religieux ,  il  répondît 
au  juge  qui  lui  fai(bit  fubir  un  interrogatoi- 
re :  »  Si  j'avois  donné  cet  argent  aune  cour- 
»  tifanne ,  on  ne  l'eût  pas  trouvé  mauvais  ;  je 
»  l'ai  appliqué  à  la  décoration  du  culte  ca- 
»  tholique  dans  un  royaume  catholique  ,  & 
»  Ton  m'en  a  fait. un  crime  «. 

Ce  millionnaire  a  été  interdit  fur  la  re- 
quête de  fes  parents.  Les  détails  de  f^n  pro- 
cès font  infiniment  curieux  ;  &  le  caraâere 
du  marquis  de  Brunoi  eu  un  vrai  phéno- 


6^  T  A  B  L  1  A  Xr- 

mené  moral.  Il  vient  de  décéder.  Son  opt^ 
lence  a  fait  fon  malheur.. 


CHAPITRE    CCXXVIL. 

ConfeJfionnaL 

Je  traverfe  une  églîfe ,  je  vois  une  robe: 
foyeufe ,  ondoyante ,  qui  tombe  avec  grâce 
fur  une  jambe  dont  mon  œil  devine  la  lë*- 
géreté  fie  le  contour  :  un  mantelet  ferre  desL 
appas ,  fans  en  dérober  Télégance  ;*  des  che^ 
veux  blonds  percent  à  travers  la  coëffiire  i 
je  m'arrête ,  il  faut  que  je  devine  Page  fàni 
voir  la  figure, . .  Ceft  une  beauté  de  dix-fept 
ans ,  qui  eft  à  genoux  dans  la  boite  ,  le  cou 
baiflë ,  &  dont  Fhaleine  douce ,  firaiche  8c 
pure  (e  perd  dans  la  barbe  grifè  (Tun  capu-- 
cin  V  également  intéreflànte  ^  foit  qu'elle 
mente  par  pudeur ,  foit  qu'elle  hafarde  pat 
crainte  des  demi-aveux.  Mais  fi  elle  fe  con- 
fefle  à  un  jeune  vFcaire  aux  fourcils  noirs  ^ 
au  nez  aquilin ,  à  la  belle  jambe ,  aux  man-- 
chettes  liflees ,  quelle  borne  auront  la  eu- 
riofité  de  Fun  8c  la  naïve  confiance  de  l'autre  î. 
Je  ne  la  vois  pas ,  mais  je  devine  encore 
eue  fon  fein  palpitç  ;  elle  parle  &  n'ofe  fouf- 
iier.  Sans  doute  elle  eft  innocente  en  com- 
paraifon  de  cette  &mme  âgée  qui  fait  con-!» 


D  £     F  A  11  I  s.  6^ 

^^c- poids.  Pourquoi  donc  la  confcffion  de 
la  jeune  fîUe  eft-clle  plus  longue  î  Pourquoi  !..• 
Qui  l'entend  î  qui  l'interroge  ?  qui  fe  fcnt 
afièz  de  force ,  de  dignité  &  de  prudence 
pour  ne  pas  craindre  fon  cœur  en  fcnitant 
celui  d'une  jeune  perfbnne  qui  s'agenouille  ^ 
les  yeux  baifles ,  les  mains  jointes ,  qui  at- 
tend fon  arrêt  ^  &  qui  ne  peut  pas  pleurer 
les  péchés  qu'elle  a  commis  ou  fait  corn* 
mettre  ?  Voyez-la  fortir  du  confeflionnal  r 
elle  eft  muette ,  interdite ,  penfive  :  elle  fuit 
vos  regards  avec  une  modeftie  profonde  ^ 
mais  le  remords  n'eft  pas  peint  fur  cette  phy^ 
fionomie  douce  :  la  rougeur  couvre  fes  joues; 
mais  cette  rougeur  ,  on  ne  la  prendra  point 
pour  de  la  honte* 

Quand  M.  de  la  Lande  lut  k  l'académie 
des  fcîences  un  mémoire  fur  les  comètes , 
&  qu'on  crut  qu'il  admettoit  la  poflibilité. 
d'un  globe  venant  heurter  notre  planète  & 
la  réduifant  en  poudre  ;  comme  une  comète 
traverfoit  alors  notre  tourbillon ,  le  bruit  de 
la  fin  du  monde  fe  répandit  dans  tout  Paris 
&  plus  loin  encore  ;  car  il  pénétra  jufques 
dans  les  montagnes  de  la.  Suiflè.  L'alarme 
fut  univerfelle  ;  &  l'aftronome ,  fans  y  pen- 
fer,  fit  plus  avec  fes  rêveries  que  tous  les 

{)rédicateurs  enfemble.  On  fe  précipita  dans 
es  églifes  avec  tremblement  &  frayeur.  On 
vit  les  confeflionnaux  des  paroîffès  environ- 
nés d  une  foule  de  perfonnes  qui  vouloient 


66  Tableau 

fe  munir  d*ûne  abfolutîon  ;.c'étoît  \  cjuî  en-^ 
treroit  dans  le  facré  tribunal.  Le  grand  pé- 
nitencier de  Notre-Dame  ,  à  qui  fcul  eft 
remis  le  droit  d'entendre  les  cas  r^irvés  y 
fut  plus  afiàilli  que  les  autres  ;  autour  de  (à 
chapelle  erroîent  des  figures  telles  qo^on  n'ent 
avoit  jamais  vues  ;  des  phyfionomies  pâles 
&  mélancoliques ,  des  hommes  qui  ârm- 
bloîent  fortir  du  fein  des  forêts  \  leur  con- 
feffion  étoit  comme  empreinte  fur  leurs  fronts  j 
la  crainte  &  le  repenttr  commencés  n'en' 
rk)uvoient  adoucir  encore  la  férocité.    Le 
jour  marqué  pour  le  défaftre  univerfel ,  fiit 
écoulé  fans  que  la  terre  eût  été  choquée  :  alocs^ 
tous  ces  vifages  effrayants  &  effrayés  dî^a- 
rurent  ;  la  foule  devint  plus  rare  autour  dei- 
confeflîonnaux  :  les  mains  qui  ne  pouvoîent 
luffire  à  marquer  du  figne  de  la  réconcîlia*- 
tîon  tant  de  têtes  tremblantes  ou  coupables^. 
rentrèrent  dans  une  oifiveté  abfolue^ 


9  £     F  A  R  t   s»  $J 


CHAPITRE    CCXXVIII. 


Billets  de  Confeffion. 


L 


/archevêque  de  Paris  ^  aufli  fortement  àé^ 
claré  pour  la  défunte  compagnie  de  Jéfus  , 
que  le  cardinal  Paflionei  (i)  en  itûk  l'en- 
nemi ,  s'étoit  avifé  de  rcfufer  les  derniers 
facrements  aux  janféniftes  ;  &  pour  mieux 
les  diflinguer  ^  il  exigeoit  des  billets  de  con- 
fefjion  ,  afin  de  connoitre  quel  ctoit  le  di-* 
reâeur  de  la  confcience  du  malade.  Quand 
il  refufoit  les  facrements^  on  vouloir  les  ol>< 
tenir  à  toute  force. 

On  a  vu  plus  d'une  fois  un  huiflier  (ignî* 
fier  au  porte -Dieu  d'apporter  fur  l'heure  le 
viatique  ;  le  porte-Dieu  prenoit  la  fuite  ;  Je 
parlement  le  décrétoit  ;  les  deux  partis  cou« 
roient  à  Vcrfailies  pour  avoir  raîlbn  ^  on  ne 
favoit  auquel  entendre.  Enfin  ces  querelles 
bizarres  &  fcandaleufes  ont  fini ,  grâces  aux 
gens  de  lettres ,  parce  qu'on  s'eft  moqué  fort 
haut  &  fort  à  propos  de  ces  quittances  far 
cerdotales» 

mmmmmmmmmmmmmmm  <       i         i  mmmmmmmmmmmmmm^mmmmmmmmmHtmm 

(i)  Ce  cardinil  fe  âifoît  fort  de  prouver  l 
papier  fur  table ,  que  le  général  des  jéfuites  dif» 
tribuoit  pour  14  millions  de  penfions  fecrctef 
en  Europe* 


66  Tableau 

fe  munir  d*ûne  abfolutîon  ;  c*étoît  k  (Juî  en-^ 
treroît  dans  le  facré  tribunal.  Le  grand  pé- 
nitencier de  Notre-Dame  ,  à  qui  feul  cft 
remis  le  droit  d'entendre  les  cas  rSfcrvés  ^ 
fut  plus  aflàilli  que  lès  autres  ;  autour  de  fà 
chapelle  erroient  des  figures  telles  qu'on  n*en 
avoit  jamais  vues  ;  des  phyfionomies  pâles 
&  mélancoliques ,  des  hommes  qui  itm- 
bloient  fortir  du  fein  des  forêts  ;  leur  con- 
feffion  étoît  comme  empreinte  fur  leurs  fronts;^ 
la  crainte  &  le  repentir  commencés  rfetf 
pouvoîent  adoucir  encore  la  férocité.    Le 
jour  marqué  pour  le  défaftre  univerfel ,  fiit 
écoulé  fans  que  la  terre  eût  été  choquée  :  alors^ 
tous  ces  vifages  eflrayants  &  effrayés  difpa- 
rurent  ;  la  foule  devînt  plus  rare  autour  des- 
confeflîonnaux  ;  les  mains  qui  ne  pouvoîent 
luffire  à  marquer  du  figne  de  la  réconcilia-- 
tîon  tant  de  têtes  tremblantes  ou  coupables^ 
rentrèrent  dans  une  oifiveté  abfolue. 


# 


9  Ji    F  A  R  i  s»  Gf 


CHAPITRE     CCXXVIIL 


BiUtts  de  Cànfc/pon. 


L 


l'archevêque  de  Paris  ^,  auflî  fortement  dé- 
claré pour  la  défunte  compagnie  d^  Jéjiis  , 
que  le  cardinal  Paflîonci  (i)  en  ^^ck  îen- 
nemi  ,  s'étoit  avîfc  de  rèfufer  les  derniers 
facrcments  aux  janfëniftes  ;  &  pour  mieux 
les  diftinguer  j  il  exigeoit  des  billets  de  con^ 
fejfion  ,  afin  de  connoître  quel  étoit  le  di- 
reâeur  de  la  confcience  du  malade.  Quand 
il  refufoît  les  facrements,  on  vouloit  les  ob- 
tenir a  toute  force. 

On  a  vu  plus  d'une  fois  un  huîflîer  fîgnî- 
fier  au  porte -Dieu  d'apporter  fur  l'heure  le 
viatique  ;  le  porte-Dieu  prenoit  la  fuite  \  le 
parlement  le  décrctoit  ;  les  deux  partis  cou- 
roient  à^  Verfailîes  pour  avoir  raîfon  ^  on  ne 
favoit  auquel  entendre.  Enfin  ces  querelles 
bizarres  &  fcandaleufes  ont  fini ,  grâces  aux 
gens  de  lettres ,  parce  qu'on  s'eft  moqué  fort 
haut  &  fort  à  propos  de  ces  quittances  fa^ 
cerdotalcs. 

(i)  Ce  cardinal  fe  fàifoit  fort  de  prouver  l 
papier  fur  table  ,  que  le  général  des  jèfuites  di(^ 
tribuoit  pour  24  millions  de  pendons  fecretes 
en  Europe. 


68  Tableau 

Le  caraâere  du  prélat  de  la  capitale  for* 
mera  un  chapitre  infùiimem  curieux  dans 
Phiftoire  du  fiecle.  Ardent  zélateur  de  la  dît 
cipline  eccléfîaftique,  doué  d'une  volonté  forte 
&  permanente ,  il  auroît  eu  dans  tout  autre 
fiecle  la  plus  grande  influence  politique  ;  & 
dans  le  nôtre  même ,  il  a  lutté  contre  le  par»- 
lement  &  contre  le  trône  avec  une  fermeté 
inflexible.  Son  parfait  dévouement  k- la  puiC- 
fente  compagnie  de  Jéfus  a  commencé  far 
fortune ,  &  il  s'eft  monué  recennoifl^nt  aïK 
âelà*  de  route  expreflion. 

La  fkmeufe  réponfe  dç  Jean-Jacques  Rouf^ 
feau  k  fon  mandement  le  citera  à  la  poftérité 
la  plus  reculée  ;  &  fi  le  prélat  a  bien  fu  lire^ 
ce  morceau  vigoureux  &  convaincant ,  îl  a 
dû  fentir  qu'on  pouvoit  réfifter  aux  puiflàn- 
ces  de  la  terre  avec  une  forte  d'avantage , 
mais  qu'il  n'auroit  pas  fallu  Jouter  împru* 
demment  contre  un  philofophc  armé  d'une 
telle  dialeâique^ 


e^L-v^-^j^ 


CHAPITRE     CCXXIX. 

Saint  -  Jofcph. 

1^'eft  une  petite  chapelle  fuccurfale ,  fîtuée 
dans  la  rue  Montmartre  \  mais  Molière  &  I^r 
Fontaine  y  repofent ,  de  ces  deux  écrivains 


B  E      P  A  K.  I  s.  ^9 

îorîgînaux  me  plaifent  plus  avec  Fcnclon  Se 
la  Bniyere ,  que  tous  les  autres  auteurs  du  fie- 
<rle  de  Louis  XIV ,  de  quelques  noms  qu'ils 
«'appellent.  Saint-Etîenne-du-Mont,  qui  ren- 
ferme les  cendres  de  Blaife  Pafcal  &  de  Jean 
Racine,  m'intéreflè  beaucoup  moins. 

Blaife  Pafcal  avoit  néanmoins  des  penfées 
^e  génie  k  côté  de  penfées  abfurdes. 

On  fait  qu'il  fallut  toute  la  fermeté  de 
Louis  XIV ,  pour  qu'on  rendît  les  honneurs 
.de  la  fëpulture  à  Pauteur  du  Tartuffe  ;  qu'un 
prêtre  oratorien  voulut  faire  faire  amende' 
lionorable  publiquement  au  bon  La  Fontaine.; 
/enfin,  qu'on  a  refufé  de  creufec  une  foflè 
cour  la  le  Couvreur  &  Voltaire. 


•CHAPITRE    €CXXX. 

Protcjîants..   \ 

ijes  proteftants  avoient  un  temple  à  Cha- 
fenton ,  leauel  pouvoit  contenir  cinq  mille 
perfonnes;  ils  y  tinrent  leurs  fynodes  natio- 
naux de  1613  ,  1631  ,  1644.  ^^  ^^ë^  ^^^^ 
de  Nantes ,  donné  par  Henri  IV ,  ayant  été. 
révoqué  par  la  dure  j8c-  aveugle  intolérance 
de  Louis  XIV,  on  détruifit  le  temple  en 
cinq  jours. 

On  imagina  d'établir  Cir  fes  ruines  ufi 


7©  Tableau 

couvent  où  l'on  pratiqueroît  une  adoration 
perpétuelle  du  S.  Sacrement,  comme  pour 
expier  ce  qui  avoir  été  prêché  en  ce  lien 
contre  la  foi  de  la  préfence  réelle  du  corps 
de  notre  Seigneur  Jefus-Cfarift  dans  TEu- 
charîflie. 

Aujourd'hui  les  proteftants  n'ont  plus  de 
teniple  \  ils  vont  chez  les  ambafladeurs  de 
leur  communion  :  ils  font  néanmoins  en  très- 

Îjrand  nombre ,  &  compofent  un  fixieme  de 
a  ville.  Ik  n'infultent  en  aucune  manière  an 
culte  reçu ,  ni  à  ceux  qui  le  profeflènt  ;  ils 
font  paifibles,  laborieux,  &  attendent  en 
filence  un  changement  que  les  lumières 
morales  &  politiques  doivent  infailliblement 
amener. 

Pourquoi  le  parlement  de  Paris,  ibllicîté 

par  1  autorité  royale  d'aflùrer  enfin  leur  état 

civil  en  France ,  a-t-il  tergiverfé  dans  l'ac- 

compliflèment  de  ces  vues  fages  &  pater* 

nelles  ?  Pourquoi   s'eft-il  oppofé  à  la  fîjp- 

preffion  des  corvées,    à  celle   des  maîttî- 

•ies?...  J'examinerois   le  pourquoi;  maïs 

jiion  fujet  m'emporte  ,   &  je  ne  puis  Ta- 

abandonner. 


tTÎ 


il  £      P  A  R  î  S.  71 


CHAPITRE     CCX-XXL 

Liberté  RèligieuJL 

ija  liberté  relîgîeufe  eft  au  plus  haut  de- 
gré poflible  à  Paris  ;  jamais  on  ne  vous  de- 
mandera aucun  compte  de  votre  croyance: 
vous  pouvez  habiter  trente  ans  fur  une  pa- 
roiflè  uns  y  mettre  le  pied ,  &  fans  cort- 
noître  le  vifage  de  votre  curé  :  vous  aurez 
loin  toutefois  d*y  rendre  le  pain  béni ,  d'y 
faire  baptifer  yos  enfants  fi  vous  en  faites, 
8c  d'accomplir  la  taxe  des  pauvres  ^  taxe 
modique ,  que  tout  citoyen  4evroit  tripler 
de  Juî-même.  Quand  vous  ferez  malade  ^ 
le  curé  ne  viendra  point  vous  troubler,  à 
moins  qu'il  ne  fbit  impoli ,  ou  que  vous  ne 
foyez  un  homme  célèbre  ou  très-connu. 
Vous  pouvez  néanmoins  lui  fermer  la  porte 
au  nez ,  fi  fa  vifite  vous  déplait  trop  fort. 

Le  prêtre  n'entre  plus  que  chez  le  petk 
peuple  5  parce  que  cette  claJÎe  n'a  poiiH:  de 
portier.  Chez  tout  autre  malade ,  on  attend 
qu'il  agonife  :  alors  on  envoie  en  hâte  k  la 
paroifle^  le  prêtre  eflbufHé  accourt  avec  les 
iàintes  huiles.  Il  n'y  a  plus  perfonne  ;  la 
bonne  intention  eft  réputée  pour  le  fait. 

On  commande  un  convoi  de  cent  pifto* 


71  TAlLEAir 

les ,  &  Ton  a  à  Fenterrement  un  fimulacre 
de  confeflèur  en  robe  théologale ,  qui  n*a 
jamais  vu  le  mort  en  vie  :  on  lui  donne  un 
louis  d'or  &  un  gros  cierge  pour  cette  ccrni- 
plaifance.  Le  curé ,  le  confeflèur  ,  les  héri- 
tiers ,  tout  le  monde  eft  content  :  ainfî  le 
fage  décampe  k  petit  bniit  pour  l'autre  mon- 
de ;  il  y  aborde  en  louvoyant ,  fans  trop 
choquer  les  ufages  de  celui-ci ,  &  ûms  eau* 
fer  de  fcandale. 

Il  y  plus  de  cent  mille  hommes  qui  re- 
gardent ie  culte  en  pitié.  On  nç  voit  dans  les 
églifes  que  les  perfonnes  qui  veulent  bien 
les  fréquenter.  Elles  font  remplies  certains 
jours  de  Tannée  :  les  cérémonies  y  attirent  la 
foule  \  les  femmes  compofent  toujours  les 
trois  quarts  au  moins  de  l'aflèmblée.  On  va 
dans  le  carême  entendre  les  prédicateurs  un 
peu  renommés ,  pour  juger  leur  llyle ,  leur 
éloquence  &  leur  débit. 

On  difoît  à  un  ^  éque ,  »  de  quoi  vous  plai- 
gnez-vous ?  avez- vous  vu  un  (èul ,  facrilege  ? 
un  feul  phîlofophe  a-t-il  troublé  le  moindre 
catéchifme  ?  ceux  qui  prêchent  en  chaire  ont- 
ils  rencontré  un  feul  argumenteur  ou  con- 
tradîâeur  ?  ils  ont  conftamment  joui  du  plus 
beau  droit  poflîble ,  celui  de  n'être  jamais  in- 
terrompus ni  contredits ,  quoi  qu'ils  difent  *. 
L'évêque  reprit  :  Plut  à  Dieu  qu'il  y  eût  de 
cmps  en   temps  quelques  Jacrileges  !  on 

penfiroit 


»  fi      P  A  i   I   5.  73 

pétnftroit  du  moins  à  nous  ;  mais  on  oublie 
de  nous  manquer  de  reJpeS. 

On  n*a  rcfufé  la  fépulture ,  que  Je  fâche , 
qu'à  M.  de  Voltaire  ^  &  le  curé  de  Saint- 
Sulpice  a  fort  mal  entendu  ce  jour  -  là  \e^ 
intérêts  de  fa  religion.  Dix  autres  curés ,  à 
là  place ,  J'aurolent  enterré ,  parce  qu'il  étoit 
mort;  ils  Pauroîent  enterré  de  plus,  comme 
converti  &  bon  jcatholique,  ôc  ils  aui:oient 
très-bien  fait. 
.  Son  corps  n'en  a  pas  moins  été  dépofé  en 
terre  fainte  ;  &  fi  on  lui  a  refufë  un  fer\'ice 
à  Paris  ,  il  l'a  obtenu  à  Berlin  dans  Téglife 
Otholique ,  par  ordre  du  roi  de  Pruflè,  bon 

Îlaifant  quand  il  s'en  mêle.  Le  fang  de 
Agneau  a  coulé  fur  la. tombe  de  Fauteur  de 
Mahomet.  Le  parti  opiniâtre  des  philofo- 
phes  n'en, a  pas  eu  le  démenti  ;  ii  a  obtenu 
la  mefle  pouf  le  repos  de  (on  ariie,  &  au- 
cun d'eux  ne  veut  être  privé  de  cet  avanta- 
ge ;  car  tel  eft  leur  plaifir. 

Les  juifs,  les  proteflants,  les  déifies,  les 
afhées  ,  les  janfénifles ,  non  moins  coupables 
aux  yeux  des  molinifles ,  les  riennijles  vi- 
vent donc  à  leurTantàîfie;  on  ne  dlfpute  plus 
nulle  part  (ùr  la  religion.  C'eft  un  vieux  procès 
définitivement  juge  ;  &  il  étoit  bien  temps, 
après  une  inflruûion  de  .tant  de  fieçlçs.  Il  h'y 
arien  qui  annonce  un  plus  mauvais  ton ,  * 
^e  de  vouloir  railler  un  prêtre  dans  une  fo- 
ciété  :  il.faitfonniétier^ienient,ainri  cjuun 
Tome  //.  D 


-74  T  A  H  L   £  A  -U 

^officier  fait  le  fien.  Qii  ne  fcandâKfe  pW 
perfonne^  &  Ton  n*eft  plus  fcsmdàlîfë. 
Quand  if  arrive  tm  jubilé,  on  cooit  les 

r  ^glîfcs  pdf  ton  :  itiah  cette  ferreoMft  paflÀ^ 
gère  ;  oc;  C6ut  qui  ont  vdtrbr  fè  montrer  4Sà^ 
ttoîhbredes  croyaùts  ^  pocor  fe  difUngtier^  ohh 
blient  leur  rôle  trois  mens  aprè»,  &  retom-- 

^Jbent  dans  rinfoifciancif  ^6ale ,  cjÀ  tfaffué* 
térife  aujourd'fitii  k  ce  iiijet  tom  lei  hmatofé 
de  la  capitale  qui  ne  (ont  pas  peti^. 

Le!s  lamieres  ont  amené  ce  twtsà  dcfifia- 

;b1e,  &  le  fanatîfme  eft  rédfait  k  fe  àéfOteÈ 
lui-même.  On  rfentfend  fins  parler  di>  'yuÀ* 

'  lïifme  8c  du  molihifme  que  dans  qMelqiie^ 
lïiâifons  obfcures,  ou  régnent  fat  fottife  df 
rhypocrîfie  ;  &  patt^elques  feiîmtesqWyB* 
pouvant  partager  les  plaifirs  dti  monde ,'ÀmM- 
cûpent  de  ces  vieilles  dîfpotej  devant  dA 
habitués  de  paroîflè ,   (Kreôeurs  nés  àt  hl 

,  canaiBe ,  &  piîefqoe  confondus  avec  elte* 


M 


c  H  A  F  î  r  R  E    CCXXXîl 

Plébéiens. 

,j\lâîs  âûffi  \t  liherté  pôMqite^  cfâ  fert* 
eftcore  plus  prérfeufe ,  a  Paris  eft  nulle.  Je* 
fuppofe  que  Fon  veuille  refïofciter  patfmfrtoot 

lld  Jttqna  dcplçbéU/iS  :  eh  bien  !  cela  ftroîtinf^ 


*  D  E      P  À   R  '  I  5.  7^ 

•  pôllîble ,  parce  qu'il  n'y  auroit  aucun  fens 
>  attaché  à  ce  mot.  On  ne  pourroic  pas  dire  Iç 
plébéien  François  ^>aînfi  qu'on  dit  lepléBéicrt 
Anglois.  Le  plébéien  n'exifte  pas  a  Paris  :  il 
^ftjyeUplé,  populalce  ou  6ourg.eois  :  il  a  dei 
titrfô',  des  makons,  des  privilèges  ou  de* 
dîatges  -,  mais  il  n'a  pc^nt  d'exîftence  politî- 
-t^uè  :  il  rfâ  ni  Fhabitudé  ni  le  pouvoir  cfex- 
poféî  fans  cofttraînte  fa  haine  ou  fon  mécon- 
tônferfielit.  ï>e  plébéien  Anglois  )uge,  pour  ♦ 
âind  dite  eh  corps ,  fes  intérêts  &  (es  guides: 
Il  a  un  càraSefe  de  raiibn  &  de  reâitude.  Lé  / 
,  peuple  dé  P'aris  ^  ptîs  en  mafle ,  n'a  point  cetl 
it\ftinâ  lur  qui  démêle  ce  qui  lui  ferôit  con«  / 
vensAlé,  parce  qu'il  manque  d*inftruSîonJ 
qu'il  né  fâtt  point  lire,  aînu  cpie  le  plébéien 
Anglois. 

Comme  il  ne  jouît  poîrit  de  la  liberté  de 
la  préfïe ,  il  manquera  long-temps  de  capa- 
cité ^  il  elt  voué  à  l'ignorance.  Sonpatrio^ 
rifme  n'étant  pas  éclairé,  il  eft  néceflàire- 
ment  foible  ou  ne  connoit  que  des  faillies 
ui  fe  réfroidrflènt.  Il  nV  pas  même  la  ïitert^ 
[e  fe  livrer  k  fes  afFeélîons  :  on  redouteroit 
peut-être  fes  applaudiâements  autant  que  fe^ 
naunnures. 

Paris  enïn  n*a  point  4e  bouche  publique  ^ 
par  où  s'éthappc  fe  crî  fort  &  direft  de  la 
vérité  :  elle  ne  tonne  jamais  à  Toifeille  d» 
fouverain  ;  elle  fort  d'une  manière  timide  & 
détournée  du   fein  du  petit  nombre  quiv, 

4}^ 


t 


76  T   A   B  X   £   A.  U 

fupportant  moins  le  fardeau  des  mau^-pa- 

'  fclics ,  voit  avec  plus  d'indiffirencc  ies  mé- 
prifes  du  gouvernement. 

Aînfi  point  d'aftivîté,  point  d'énergie 
pour  les  chofes  publiques ,  parce  que  le  peu- 
ple n'a  ni  le  droit  de  parfer  ni  d'être  écouté. 
Il  fait  très -bien  qu'on  .métamorphoferoît 
en  attentat  fcdîtîeux ,  en  révolte  illégitime , 
k  contradiâion  la  plus  légère,  la  moindre 
impatience ,  &  il  fe  rend  fimple  fpeâateur 
âes  opératiotis  miniftérielles.  Il  croit  que  le 
gouvernement  eft ,  comme  le  cours  du  foleil , 
phyfîquement  déterminé  par  une  nature  in- 
variable. Auffi  la  ftupîdité  &  Ilgnorance  po- 
litique font  le  caraâere  de  la  multitude  à 
Paris,  plus  que  dans  les  iautres  pays  de  l'Eu-^ 
rope  ;  &  je  n'en  excepte  aucun. 

On  ne  peut  donc  rien  imaginer  de  plus 
fot  que  la  manière  dont  un  bourgeois  parle 
des  pliiflànces  voifines.  Il  arrange  tout  fiar 
Kdée  àwjyndic  de  (à  communauté ,  8r  il 
prend  la  hiérarchie  du  commiJPairc,  du  Ticu-^ 

'  tenant  de  police ,  &  du  minijtre^  pour  le 
modèle  de  tout  gouvernement.  Il  ne  conçoit 
pas  pourquoi  des   républicains  fe  mêlent  fi 

'  vivement  de  la  chofe  publique  ;  il  eft  dîfpofé 
à  les  regarder  comme  des  mutins,  des  ledî- 
tîeux ,  qu'un  roi  devroit  moriginer ,  pourries 

!   rendre  plus  paifibles. 


i>  E    Paris:.  77 


C  H  A  P  I  T  R  E     CCXXXIII, 

Capitation.  t 


X  oute  tête  laïque  la  pale ,  même  lê  dàu-» 
phinde  France  v,  comme  premier  fujet ,  ce  qui 
eft  un  bon  perfifilage.  J.  f.  Rouflèau  s'étoit 
obftlné  à  ne  point  payer  de  capitation ,  allé«^ 
guant  que  le  bureau  delà  ville,  qui  avoit  alors 
le  département  de  Popéra,  luidevoity&ir^/z/e 
mille  francs  pour  fon  Devin  du  village. 

On  étoit  fur  le  point  d'envoyer  gamifon 
dans  fon  grenier  ,  lorfque  le  receveur  averti 
k  temps,  por^  le  cas  litigieux  au  tribunal  du 
prévôt  des  marchands ,  éche vins  &  quarte-* 
Di'ers.  II  y  eut  afîèmblée  ;  &  après  avoir  re- 
cueilli les  voix,  il  fut  décidé  qu'on  remettroifr 
généreufement  les  trois  livres  doic^efols  dé- 
capitation (i)  k  l'auteur  H Emile. 

Tofe  attefter  ce  fait ,  ayant  été  témoin  des* 
pourfuites  &  de  la  réfîflance  opiniâtre  de 
Jean- Jacques.  Il  avoit  défendu  k  &  femme 
8ç  à  fes  amis  de  payer  pour  lui  au  bureau  y 
fous  peine  d'encourir  fon  indignation  éter- 
nelle«  On  lui  objeâoit  que.  la  garnifon  n'a-* 
voit  point  de  reiped  pour  les  grands  écrî-s 

(i)  C'eft  la  taxe  ordinaire  d  une  fervante* 

D  3 


78  T  A,  jl  L  )l  A  U 

yaîns ,  quels  qu'ils  fuflènt.  Eh  bien  !  répond. 
dSt-il ,  fi  Von  s'empare  4^  ma  chambre  & 
4e  mon  lit ,  j'irai  m'ajfeoir  au  pied  if  un 
arbre  ^  ^  là  y  y  attendra^  la  mort,  }\  éio\t 
homme  k  le  faire  comme  il  le  difbit  :  heu* 
reufement  qu'on  reconnut  à  temps  quel 
homme  pauvre  &  illuftre  on  pourfuivoit,  Jl 
demeurent  alors  au  cmquiem^  ^ge  ^  rue. 
Plâtriere,  non  loin  de  U  gr^de  pofif. 

Cecinippt,  qui  ifà  point  un  titre  hono?. 
xsiûXe ,  alarme  plus  que  le$  dixièmes  &  qu^ 
]§s  entrée ,  parce  qu'il  frappe  direâtment 
^n^yjidu ,  &  qu'il  foumet  fa  pcrfonne.  S  ; 
lappoirte  peu  en  comparaifon  des  autires  im^ 
pphtipns.  Il  ne  difpofe  pas  le  citoyen  à  coo- 
f^yoir  de  lui  -  même  un  noble  orguc'ûi 
VIW  9  grâce  au  travail  financier ,  il  prend 
dlpiiis  quelques  années,  un  accroiilèment  atw^ . 
bitraire,  qui   ne  tarderoit  pas  à  le  rendre 
Ipurd  &  r(?dout^ble  ,  fi  la  voie  des  réclama*^ 
tjQns  n'ctoit  pas  ouverte.  Le  prévût'des  mar» . 
chands  eft  juge  en  cette  partie  j  &  il  fait 
4rQit  aux  requêtes^  quand  on  s'y  prend  de  . 
boni)?  heure.    * 

A  cette  capitation  fe  joignent  Iti;  quatn» 
{pis  pour  livre  ,  &  la  taxe  impofée  pour  1» 
ràablidèment  du  palais ,  &c.  Tout  cela  coni-^ 
pofe  un  fecpnd  impôt  prefqu'équivalent  au 
premier. 

.  ^Sî  Id  finaiic^  n'étûit  pas  i'amipodede  la 
rgifonôç^e  riuim^nitç, l'impôt  feroir  aflkv. 


j[>^p    P  A  B.  r  s:  70" 

Giï  lés  arts  8c  le  luxe,  tels  que  les  équipa^ 
ges ,  les  h&tels^  les  liiqtiaîs ,  les  jardins  ea* 
dos  dans  la  ville  ^  8c  Ton  ne  demanderok  ^ 
de  Ysageùt^\Ji-k  ceux  qui  ont  de  Targent. 

Si  Ton  ne  payoît  pas  fa  capitatîon ,  il  n  y 
aorolt  pas  âLCXôcution  civile  ;  c*eft-à-dire ,  ^ 
<|Lfon  n'cnleveroit  pas  vos  meubles  pour  les  - 
vendre  fur  le  carieau  :  mais  il  y  auroit  exé"  - 
çution  miluaire.  Le  receveur ,  au  nom  du 
J»!  de  France  ^  vous^  enverront  gamijbn , 
St    vous  auriez  chez  vous  des  loldats  qui 
conchcroient  dans  votre  Ut ,  8c  qui  feraient 
la  foupe  dans  votie  âtre. 

Zi'opéra  donne  tous  les  ans  quelques  re-»- 
|>rérema)tîon5  extraordinaires  pour  la  capita — 
ikyn  des  acieurs  Ainfi  ils  paient  en  monnoie 
de  finge  vc'eft-^-4ire,en  lauts  8c  en  gani- 
B^es  :  le  furplqs  leur  tient  lieu  de  gratî-  - 
fieatian»  •. 

Il  ya  des  capîtitîons  de  trente  fols  ;  8c  ' 
Ton  envoie  des  commandements  de  par  le 
rot  dans  des  cecoins  placés  fous  des  tuiles  y. . 
8c  ouverts  \  txx&  les  vents.  Dans  PInde  , 
les  pauvres  paient  le  tribut  avec  des  poux  ;  , 
ils  donnent  ce  qu'ils  ont.  Les  infortunés  dont 
je^  parle  ,  s'acquitteroient  beaucoup  plus  fa- 
cilement félon  la  méthode  indienne. 

Des  extenfîohs  iaiçperçues   ont  doublé 
graduellement  la  capîtation.  On  a  augmenté  * 
de  la  même  manière    les  vingtièmes ,   la  . 
taille  8c  JeS'-acccflbiresi  8c   pendant  quel*^ 

D  4 


8o  Tableau 

temps  ?  Sous  radmîniftratîon  de  M.  Necker. 
n  a  cependant  pafle  pour  n'avoir  pas  mis 
d'impôts. 

II  faut  que  le  bourgeois  de  Paris  ait  Fat- 
tention  de  ne  pas  ranger  le  commis  de  la 
capitation  &  des  doubles  vingtièmes  parmi 
les  citoyens  honorables.  Il  doit,  conforma 
ment  à  refprit  &  àlexpreffion  de  TEvangile^ 
les  regarder  comme  des  publlcains.  Ceft 
une  petite  vengeance  légitime ,  qu'il  doit 
exercer  en  paflànt  pour  punir  à  fa  manief e 
les  âpres  agents  du  fifc  &  la  dureté  de  leur 
emploi ,  &  fouvent  de  leur  caraâere  ;  car 
ils  font  toujours  difpofës  a  fe  feparer-de  Fîn- 
térêt  général  des  citoyens  ,  pour  embraflèr 
&  faire  exécuter  des  loix  arbitraires.  Ainfi 
l'on  ne  doit  pas  les  efiimer  par  leurs  fonâions 
qui  ont  un  caraâere  oppreflif ,  ou  du  moins 
abufif.  Voyez  ce  que  M.  Necker  dit  lui- 
même  au  roi ,  de  la  capitation  foumifc  à 
des  principes  incertains  ,  &  qui  excite 
fréquemment  des  difficultés  &  desplaintes. 
Il  avoue  qu'elle  dépend  d'une  répartition 
arbitraire.  Qu'ajouter  à  ce  mot  î 


;     "' 


'■•.«..'. 


D  I    P  A^  it  r  S.  8r 


CHAPITRE      CCXXXIV. 

Filles  d'Opéra^     . 

X-i'argent  coule  pour  des  fêtes ,  pour  des 
fpeûacles ,  pour  les  ftrvoles  jouiuances  du 
luxe.  L'opéra  ,  fur  -  tout ,  elt  entretenu  \ 
grands  fraîs^  ^  pour  efFémîner  les  courages  ^ 
fondre  lés  têtes  fortes  de  la.  nation  dans  Iç 
creufet  de  la  volupté ,  &  les  couler  en  mpL 
ïeffe.  ^ 

On. n'a  rien  épargné.  L'art  des  enchante^ 
reflès  prodigue  ces  molles  pofturcs  qui  jet- 
tent Vétiricnle  des  defirs  dans  de  jeunes  or- 
ganes. La^hardieffè  de  leurs  regardî^,  iqui  de-^ 
vroît  révolter,  invite,  une.  folle  . jeuneflc. 
On  •ubiie  que  ces  beautés  ïbnt  à.  prix  d\jr, 
&  qu'elles  ont.  des.  rivales  qui  ne  font  point 
vénaleis.  On  leur  prête  miHe  gçaces  picjuai*. 
tes ,  parce  qu'elles  femhlent  pleines  dii  dieu 
qu'elles  célèbrent  &  qu'elles  chantent;  &  ce 
n'eft  que  dans  leurs  bra^  qu'on .  fe  djéfabufe 
de  leurs  ,charmes.  Toute  viâîme  de  la  dé- 
bauche eft  toujours  une  froide  prétrefle  de 
Tamour.  ^' 

Une  fille  eft  enlevée  au  pouvoir  paternel*, 
dès  que  fon  pied  a  touché  les  planches  du 
dieatre.  Une  loi  particulière  rend  vaines  les, 


loix  les  plus  ^  antiques  &  les  plus  folenuiel'*  . 
les.  Cme  fille  d'opéra  fe  montre  aux  foyen  c, 
tputç  r^fplencjiflànte  4^  4îani^t$  :  çlle  e(l  . 
refpeâée  de  fes  compagnes ,  k  raifbn  de  Gl 
robe  éclatante  ^  de  f%*vaitMre. légère ,  de{è&  ; 
chevaux  fbperbes.  Il  s^établit  même  un  in->. 
tervaUe  entre  elles ,  fejpn  le  degré  4*ofwlenf  ^ 
ce  ,  &  Fpn  ne  dirpît  plus  que  la  plus  riçlie 
feit  le  rneme  rnétiçr.  plj^  reçph  ^vac  haij^  . 
.  teur  celle  qui  débute  :  d|e..trj|îte  avee  l^  WÇ- . 
durefcnm^e  de  qq^ilit^i  ,1c  lïijouttpr  fédui-^ 
f^nt  &  Pinduftripufe  marçluiruip  dc  mo4e$.  . 
Le  magifb-at  déride  fon  front  en  fa  pré{èi)çe  ^  . 
le  çpurtifaix  lui  (burit ,  le  ^lilife^r^  p^pfiç  la  , 
^rufqwer.  Sa  .toilette  eft  tpqs  Içs  m^ôite  fw-  - 
ç^iargéç  de  npi^vpaux  préfents;  le   Ptâol^ 
fejnplç  rouler  éterpellement  çhe:^  elle*.. 

Mais  la  nipde  qui  l'élevé  vient  k  çba^gçf» 
Une  petîçe  rivale  qu  elle  n'appercçvoit  pm^  ^ 
qu'elle  dçdaignoît ,  fe  rpet  jniblçniimcnt  for  r 
Igs  rangs,  brille ,  J'éclipfe,  &  fait  àéfeiKçt  <, 
fpn  fallon.  La  courtifanne  ^i^pçrbe  ^  qupi- 
qu'ay^^nt  encore  de  la  beauté  ,  ft  trouve  Fan-  _ 
née  fuivante  ftole  >  avec  dçs  dettes  imnajeii- 
lès.  Toqs  les  aniapts  fe  fpxit  enfottîsL;  8c 
^u^id  fes  a|&ires  ff ipnt  liqu^çes  ^  ^  peîrvp  ^ 
aura-t-elle  de  quoi  payer  fa   chai^fl&ît.^ftf./ 
feftjrauge<  . 


ir  «    P  A  K  T  s*  83; 


CHAPITItE     CCXXXV.  . 

Répugnance  pour  le  Mariage.  . 

X  ai^db  que  tant  de  filles  }ouiflênt  d'une  ? 
liberté  lîcendcufe  ôc  (jui  ne  tooroe  pas  mê-  > 
me  an  profit  de  la  popuUtîon>*Que  ferer<« 
vous  de  ce. nombre  infini  de  nues,  (bus   ; 
Taile  de  leurs  parents  9  auftei^  gardiens  de   : 
kurpudicité^  &  qui  {bm  condamnées  par 
lear  indigence .,  ou  pat  leur  fotte  fierté,  k 
paflèr  leur  vie  dans  le  célibat  ?  Ne  (bn^-retles 
pas  inceflànniment  ûirle  baisd  de  -Tabyme^j 
&.ne  deviendront-elley  pas  tôt  ou  tard  la 
proie  de  la  niéUncolie  oa^e  la  débauche  ? 

Xa  beauté  &  h  vertu  n'ont  parmi  nous 
aucune  val^r,  (i  une  dotue  vient  à  leixt 
appui  :  il  &ut  qu'il  y  ait  un  vice  radical  dans 
notre  Jégi^telûon  i  ifiûi6{m  les  bomnies  fiiient 
&  redoutent  de  figncr  le  plus  doux  des  con-  • 
Q3is«  ËSra^-des  cbarge^  (|i>ntraine  k  titre 
^;  nwî^  l'bômnir  nt  vem  plus  j^yfit  k  tri- 
Itoi  à  une  p^e  it^^f  ou  abufêe. 

Ck  les  i^nvu^s  o«it  agi  çcmtr^  dks-nïê- 
Wif^'  en  fe  livrant  i»M^l^xry  op  lyyis  rve  fom^ 
nM^  pas  ébignéa  du  deri^  tmr^  die  la  cor^ 
ruf^n.  On  ne  presid  pb$  de  iemmes  (ans 

4»&>j(«  biM»nafs.m  k  vsmcpt  plu$  ou  xie: 


84  TABLEAU 

fe  marient  cpi^k  regret.  Quel  renverfement 
dans  Tordre  focial  !  &  quel  eft  le  remède  & 
apporter  à  ce  vice  politique  ? 

Comment  n'y  auroît-îl  pas  des  célibataires 
dans  une  ville  oii  le  vice  trouve  tant  de  fa- 
cilites }  8c  comment  la  diïïîpation  de  nos 
femmes  ,  le  mépris  qu'elles  font  de  leurs  de- 
voirs, n'épouvanteroient-ils  pas  les  hommes 
fur  les  fuites  d'un  nœud  que  Fufàge  tourne 
en  ridicule ,  que  lés  loix  ne  protègent  crae 
quand  le  mal  eft  fait ,  &  qu'il  n'y  a  plus 
rien  à  ajouter  au  fcandale  ? 

Détaillons  dans  les  chapitres  fi]ivant:s  ce 
qui  fait^  pour  ainfî  dire ,  du  mariage  un.ob* 
jet  de  dérifion.  Tout  Pavanoge  eu  pour  le 
vice  i  &  que  refte-r-il  k  la  vertu  î 


c  H  A  p  I  T  R  E  '  ccxxxrr: 

Le  Nom  que  vous  voudrc^:   ^     ■ 

JL#a  foule  nombreufe  des  courrifànnes,  qùî 
anétent  dans  leurs  filets  la  jeuneflè  la  phi^ 
brillante  ,  &  l'enlèvent  aux  autres  femmes  , 
a  fait  naître  à  Paris  une  efpece  de  femmes  , 
qui,  fins  avoir  l'efïronterie  du  vice,  n'ont 
pas  l'auftcre  rigueur  de  la  vertu.  Elles  n'ont 
pas  la  même  adùrance  dans  le  maintien  ^ 
mais  le  regard  à  peu  prè$  auifi  çpinpiaifant: 


D  E      P  A  R  I  s.  8^ 

•lies  ne  reçoivent  point  d'argent ,  mais  elles 
acceptent  des  bijoux  qui  ont  un  air  de  dé-' 
cençe.  Elles  déclament  afFreufement  contre 
les  filles  ,  leurs  rivales  &  leurs  ennemies  ; 
mais  tantôt  elles  ont  perdu  au  jeu  ,  elles  fè 
plaignent  tout  bas  d'être  ruinées ,  &  on  leur 
prête  fecrétement  de  quoi  n'être  pas  gron- 
dées de  leurs  maris ,  qu'elles  favent  craindre 
&  non  refpeâer. 

L'homme  qui  veut  les  pofleder  ,  n'auxa 
guère  que  la  peine  de  changer  leur  navette, 
leur  étui ,  leurs  boîtes,  parce  que  l'or  ne  fera 
point  de  pluGeurs  couleurs ,  &  qu'il  cft  indiC 
penfablê  que  la  mode  à  cet  égard  foit  coni^. 
tamment  fiiivie. 

La  mode  autorifeque  ces  femmes  femon» 
trentau  bal ,  au  Colifée,  aux  (peâacles;  & 
tju'on  ne  dife  pas  en  les  rencontrant,  ccjiime 
telle,  mais  c'ejl  Madame. une  telle ^  à  qui 
M  ***  donne  le  bras.  Malheur  à  qui  voudroit 
en  médire  !  Tout  le  cercle  des  bonnes  amies , 
qui ,  de  proche  en  proche ,  fe  prolonge  joC- 
qu'à  l'innni ,  préndroit  feu  ;  &  toutes  les  fois 
que  lemédifant  fè  préfenteroit  quelque  part  ,' 
on  auroit  des  migraines  a  fbn  fervice  ;  il  fe-' 
roît  regardé  comme  le  perturbateur  de  tous 
les  petits  arrangements  de  fociété  ,  &  , 
pour  fe  fervir  du  terme  reçu  ,  un  monftre. 
Cette  épithete  m'avertit  de  clorre  bien  vite 
le  chapitre. 


tf  7  A  B  L  I  A^ITM 


C  H  A  P  I  T  RE    CCXXXVILl, 

De  certaine  Femmes.  . 

Oii  les  femnii»  attaquoîcht ,  que  de^icn^ 
drions-nous  devant  leurs  chamies  ^  devaor  ^ 
leur  audace  paiHoutKC  &  leurs  amo^rmix  : 
tranfports  ?  La  nature  leur  a  donno  la  pudcu  jr , 
^  eft  une  fuite  du.  défaut  de  forces  qui  leur 
ont  été  (àgement  réfutées.  Aujourd'hui  çf r^.  - 
tatnes  femanes  par  défoeuirreniimt ,  par  ciirÎQ- 
titèSc  fur- tout  par  ambition ,  ne  s^erdHènt 
point  Pattaque  :  nms  le  fyftên:»e  de  la  nature 
xHeifi  pas  xomçvi  pour  cela  \  les  homaies  onU 
ÎP  droit  de  refufer  ^  ou  en  font  quî«e  po«t  r 
miepajfade 

Ce  petit  chapitre  ne  fera  point  entendâ  t 
dans  les  pays  fortunés  où  règne  eiKore  Pin-  - 
nocence  :  ailleurs  il  ne.  le  fera  que  .trop.  Jç  ? 
n**i  donc  pas  befoîn  de  Fachever.  Cc^  bîen^  i 
à  ïegrçt  que  ma  plume  touche  à  CIR  t^cpEj  I- 
tuàes V nuis  je  pewis Paifise :. 


r,  *^* 


ir-E   >Fa  ,».  r  «i  .         ZT 


CHAPir|lJ&   ÇÇXX5CVIÏI. . 

Fitks  publiques.  . 

JC^lles  fe  donnent  après  tout  pour  ce  <ju*élles.  ^ 
font  \  elles  ont  jtjin  vice  de  mo}ns,  rhypocri-- 
fie  :   elles  ne  peuvent  çaufer   les  ravages 
qu'une  femme  libertine  &  pnide  occafîoniie 
fou  vent  fous  les  fauf&s  apparences  de.l^mo* 
dcftie  &  de  raipoof ^  Maihenreu(ès  viâlnir$ 
dç  Tindigence  qu  de  ^abandon  de  leurs  pa- 
rles ,  rarement  délerminées  par  un  tenV: 
péranicnt  Ip4guf luc  ;  elles  ne  s'ofienfent  m 
dç' routrage  m  du  niépris  ^  elles  font  avi^ 
lîçS  à  leurs  proipres  yeux  V  &  ne  pouvant 
plus  régner  par  les  grâces  de  la  pud^iu ,  elles^^ 
^  jettent  du  cuté  oppofë,  &el]es  étalent  l'a»-» 
daf  e  de  rin^amie. 

Mais  il  y  a  encore  des  degrés  dans  cet 
abyme  de  corruption  ;  Fune  fe  livre  tout- 
J^-U-foîs  aux  plaîfirs  &  a  l'argent;  Pautre  ^ 
^â  une  brute  qui  n'a  plus  de  féxç ,  Çc  qui  he^i'. 
fertt  pas  même  la  dériSou  qu'elle  infpire. 

Nous   n'ofiÈEinferons  pas   ici   les  oreMfes  _ 
chaftes ,  ni  les  yeux  de  nnnoçence ,  en  leur': 
p][érentaii|t  les  icen,es  de  b  débauche  &  de 
fa  crapule  ;  nous  tairons  les  fantaifîes  du  li^ 
feçttioage.^  leç  f^ûlftes  &.le5  fougjiies.  de  ceçfe: 


88  Tableau 

cinquante  mille  célibataires  voués  k  trente 
mille  proftîtuées.  Elles  ront  a  ce  nombre. 

Ua peintre  qui  a.  du.  génie  ,  M.  Retîf  de- 
là Bretonne  en  a  tracé  h  tableau  dans  {5n 
P ayf an  perverti: les  touches^ en  font  fi  vî-- 
goureufes  ,  que  le  tableau  en  eft  révoltant  ^ 
mais.il  n'eft  malheureufement  que  trop  vrai. 
Arrêtons-nous,  &  gardons-nous  d'épouvan- 
ter les  imaginations  fenfîblcs  ;  car  les  dé- 
{brdres  voilés  deThumanité  ne. (ont  pas  bons, 
à.mettre  au  grand  jour. 

Di{bns  feulement,  que  le  nombre  des^ 
filles  publiques  ne  favoriiànt  que  trop  le  dé- 
(ordre  des  pafHons  ,  a  donné  aux  jeunes, 
gens  un  ton  libre ,  qu'ils  prennent  avec  les. 
femmes  les  plus  honnêtes  ;  de  forte  que  dans 
ce  ficelé  fi  poli ,  on  eft  groflîer  en  amour.. 

Nous  fommes  fi  élofgnés  de  la  galanterie 
îngénîeufe  de  nos  pères ,  que  notre  converr 
fation  avec  les  femmes  que  nous  eftimons 
le  plus ,  eft  rarement  délicate.  Elle  abonde: 
en  mauvaîfes  plaifanteriés ,  en  équivoques  & 
en  narrations  icandaleufes.  Il  feroit  temps 
de  corriger  ce  mauvais  ton  ;  c'èft  aux  fem- 
mes qu'il  appartient  d'établir  la  réforme,  en 
ne  permettant  plus  ces  propos  qu^êlles  ont 
été  obligées  de  loufFrir ,  fous  peine  de  palier 
pour  bégueules» 

Les  pa  (fions  honteufes  &  publiques  por- 
tent avec  elles  leur  contre-poifon ,  &  ne  font 
pas  peut-être  fi  difficitesà  réprîixcerque  cçlt 


t 


1»  £      P  A  H  I   s.  89 

dent  le  dérèglement  paroît  excufàble  \  en<- 
forte  que  je  croirois  o^xxrxt  fille  publique  eft 

lus  près  de  devenir  hpnxiéte  fenimie ,  que 

femme  galante. 

Mais  le  fcandale  des  filles  publiques  eft 
pouflë  trop  loin  dans  la  capitale.  Il  ne  fau- 
droit  pas  que  le  mépris  des  mœurs  fût  fi 
vifîble ,  fî  affiché  :  il  faudroit  refpeâer  da- 
vantage la  pudeur  &  rhonnêtetc  publique. 

Comment  un  père  de  famille,  pauvre  8ç 
honnçte ,  fe  flattera-t-il  de  conferver  (à  fille 
innocente  &  intaâe  dans  l'âge  des  paflions , 
lorfque  celle-ci  verra  à  (à  porte  une  profti* 
tuée  mife élégamment, attaquer  les  hommes, 
faire  parade  .da  vice ,  luriller  au  fein  de  la 
débauche,  &  }ouir,  fous  la  prote&ion  des 
loix  même ,  de  la  licence  effirénée  ?  Le  retour 
qu^Ie  fera  (nt  tWe-mème  lui  dira  qu'il  n  j^ 
a  aucun  prix  (blide  attaché  à  l'exercice  de 
la  vertu ,  &  elle  fe  laffèra  de  fe  combattre 
elle-même,  La  raifon  ne  pourra  pas  lui  faire 
appercevoir  diftinâement  les  avantages  qui 
rélultent  de  la  fageflè  \  elle  ne  verra  que 
l'exemple  le  plus  dangereux  des  (eduâeurs , 
fiir- tout  pour  (on  fexe. 

Auflî  n'eft-il  guère  poflîble  que  Timagî- 
nation  la  plus  hardie  ajoute  à  la  licence  des 
moeurs  aâuelles  :  la  corruption  dans  le  der- 
nier ordre  des  citoyens ,  ainfi  que  dans  le 
premier ,  n'a  pretque  plus  de  progrès  à  faire. 

On  compte  à  Paris  trejjte  mmt  filles  pu** 


JO  T  A  B  t  Jî  A  ir 

èliaues^  c^eû^li'iii^  y  vulgivagacs  ;  &  d» 
mule  enriron  moins  inaecentes^  qui  font 
tntretmujts^  &  qui  dTannée  pn.  année  par- 
lent en  di^rentes  mains.  On  les  appdloff 
autrefois  fimmes  amour$i^s ,  jfflkr  fMf^ 
de  leur  corps.  Les  ffles  poUiones  ne  font , 
point  amoureiifes  ;  &  1î  elles  iont  foHes  df  . 
leur  corps  9  ceux  qui  les  ûéqaentent  fbm. 
beaucoup  plus  in(èn£és. 

La  police  va  chejxher  des  tjpionncs  dans  > 
ce  corps  infâme.  Ses  agents  mettent  cc^  < 
malheureufès  à  contribution ,  ajootent  leiii$^ . 
defordres  aux  défbrdres  de  la  cfaofè.,  exerr* 
(Cent  un  empire  fourdement  tyrannÎMe  (îir  -^ 
cette  portion  .avilie ,  qui  penife  qu'îi  ny  a 
plus  de  loix  pour  elle.  Ilsfe  montrent  enfin  - 
jguelauefbis  plus  horriblement  cortompiQ  . 
que  U  f^\:*^  viîv  prQftîcvïçc  ;  car  ceBe  -  d  îic- 

quîert  le  droit  de  les  traiter  avec  méorS^  , 
tant  ils  remportent  le  prix  de  la  bafleffè! 
Qui  5  il  y  a  des  êtres  au-deflbns  de  ces  fem- 
mes de  mauvaîfe  vie;  &  ces  êtres  font  cer- 
t^ins  hommes  de  potuè^ 

Une  ordonnance  de  police  fait  dëfénfii 
ôiîx  marchands  de  louer  à  ces  femmes^  à  ; 
prîx  d'argent ,  à  la  femairie  ou  à  la  journée, 
des  robes  y  des  pellffesy  des  moMelets  y  & 
autres  ajuftemen^s;  ce  qui  prouve  cfùn  côté 
Fextrême  mifere,  &  de  Fautrc  Tufure  ef- 
froyable que  ces  marchands  ne  rougiflbient 
p^  d*exercerfur  .  ces  créatures^  qui  n'ont  m 


D^  E       P  A   It  I  S.  91 

meubles  ni  vêtements  ,  &,  qui  fentient  la 
iiécêffité  de  (e  parer ,  afin  d'être  payées  i  uq 
plus  haut  prix;  car  une  petijfc  fe  rtnd  pliiit 
exigeante  qu\in  eafaquin. 

Toutes  les  (èmaines  on  en  fait  des  enlè- 
vements noâurnes  avec  une  facilité  qui , 
liep  exccffive ,  ne  fàuroh  msuiquer  de  dé- 
plake  au  fpëculateur  politique  ,  malgré  le 
mépris  qu'inlpir e  f  efpeQç  que  Ton  traite  ainfî; 
Le  fpéculateur  Songera  à  ia  violation  de 
Kàfyle  dpmeftique  dans  les  heures  de  la 
fiuit ,  à  la  fplbleflè  du  fèxe,  aux  mauvais 
traitements  qu'il  efliiie ,  &  aux  inconvénients 
qui  peuvent  en  réfiilter ,  ces  créatures  étanjt 
quelquefois  enceintes  ;  car  le  libertinage  ne 
fcs  difpenfe  pas  toujours  d'êtr.e  mères*. 

On  les  conduit  dans  l^  prifon  de  la  ruç 
S^  Martin ,  &  h  dernier  vendredi  du  mois 
cUes  pttjfent  à  la  police  ;  c'eft  -  à  -  dire , 
qu'elles  reçoivent  à  genoux  la  (èntence  qui 
les  condamne  à  être  enfermées  à  la  Salpc- 
triere.  Elles  n'cmt  ni  procureurs ,  ni  avo- 
cats, ni  défenfeurs; on  les  juge  fort  arbir 
ttairenient. 

Le  lendemain  on  les  fait  mcinter  dans, 
an  long  chajrriot ,  qui  n*eft  pas  couvert.  Elles 
•font  toutes  debout  otpreflSes..  L'une  pleure^ 
Fautre  gémît  ;  celle  -  ci  fe  cache  le  vifage  j  , 
les  plus  effrontées  foutîennent  les  regards  de 
la  populace  qui  les  apoftrophe  v  elles  rîpof- - 
lent  indécemment ,&  bravent  le$,  huéei. 


92^  T  A  i  L  E  A  u 

qui  s'élèvent  (ur  leur  paflàge.  Ce  char  fcaii"» 
daleux  traverfe  une  partie  de  la  ville  en  pleio 
jour  ;  les  propos  que  cette  inarcfie  occa^ 
fionne  font  encore  une  atteinte  k  rhonné-; 
teté  publique. 

Les  plus  huppées  &  W  matrones ,  avec 
un  peu  d'argent,  obtiennent  la  permîilioii, 
d'aller  dans  un  charriot  couvert* 

Anivées  à  l'hôpital ,  on  les^  vifite ,  &  on 
l^pare  celles  qui  font  infeâées  ,  pour  les- 
envoyer  a  Bicêtre ,  y  trouver  la  cjire  pu  la 
mort  :  nouveau  tableau  qui  s'ofire  à  ma  plu^r 
me ,  mais  que  je  recule  encore  y  frémiuànt 
de  le  tracer ,  &  non  guéri  de  fimpreflioa 
honible  qu'il  a  laifïee  dans  tous  mes  fens. 

O  toi  qui  loin  des  villes  refjpires  eu  paix 
l^r  des  monts,  heureux  habitant  des  Ah 
pes  !  tu  ne  vois  autour  de,  toi  que  des  beau-» 
tés  innocentes,  pures ,  intaâes,  comme  la 
neige  qui  couronne  les  fommets  refplendiÇ- 
fants  de  ces  montagnes  qui  ceintrent  l'ho- 
rizon \  dans  ce  fë jour  des  vertus ,  auffi  éloigné 
par  tes  mœurs  du  fiege  brillant  de  la  cor- 
ruption ,  que  tu  en  es  loin  par  te^  goûts  (im- 
pies &  paîfibles,  apprends  à  connoître  & 
k  mieux  goûter  les  chaftes  embraflèments 
d'une  tendre  époufe^  &  les  careflès  d'une 
fœur  aimée.  Tu  fais  combien  la  pureté  de 
l'amc  &  la  modeftîe  vraie  &.  touchante 
prêtent  de  charme  &  d'intérêt  k.  la  beauté  ^ 
quelle  diftance  infinie  fé  trouve  entre  le  fou- 


B  B    Paris.  53 

rire  maniéré  &  le  regard  d'une  Parifîenne  ^ 
&  le  front  animé  &  pudique  de  ces  vierges 
brillantes  de  fraîcheur  &c  de  fanté,  pour 
qui  la  débauche  cft  encore  un  mot  fans  idéesj 
Ah  !  trop  heureux  républicains ,  confervez 
tous ,  dans  vos  paifîbles  retraites ,  cette  pu- 
reté de  mœurs,  gage  de  la  félicite  &  des 
vertus  domeftiques;  pleurez  fiir  le  jeune  im- 
prudent ,  qui  épris  d*un  vain  fafte ,  amou- 
reux d'un  luxe  puérile ,  trompé  par  une  li- 
berté licencieufe ,  va  fe  précipiter  dans  les 
Eroflieres  voluptés  de  la  capitale  ;  retenez- 
ï ,  enchaînez-le  v  &  de  peur  que  des  mots 
honteux  neyiennent  frapper  les  chaftes  oreil- 
les des  jeunes  beautés  qu'il  abandonne,  & 
qui  les  fcroient  rougir  fans  qu'elles  en  com- 
priflènt  togte  l'étendae,  dites-lui  en  langue 
non  vulgaire:  SiJIe  ^  mifir  !  IbiAaxus  & 
avaritia  màtrimonio  dcfcordi  jungiintur .; 
ibi  ingenuitas  moriim  corrumpitur  &  ven^ 
ditur  auro  ;  ibi  horribilis  cacomonades 
Vcneris  temphim  &  voluptatum  fedts  ocy 
cupat  ;  ibi  amoris  fagittce  mortifcrœ  & 
vcncndtœ  ;  ibi  exercentar  artcs  damnofœ 
Jeu  fdhtm  vanœ  &  prorjîis  inutiles  ;  ibi 
moventur  Ut  es  &  jurgia  ;  ibi  jujlitià  ipja 
gladium  pro  miferis  tenet  ;  ihi  tndèros 
agricolas  excoriant  &  procurator  &  pu-^ 
blicanus ,  nec  mijjiira  cutem ,  nijî  pUna 
cruoris  ,  hirundo  ;  ibi  faftus  &  opes  do^ 
minantur;  ibi  virtus  laudatur  &  alget. 


\ 


94  T  A  U    L  È   A  TJ 

dum  vida  coronantur.  Undc  vroyerbium, 
frcqmns  &fokmnc  :  omne  mahim  ab  urba 
On  peut  évaluer  k  près  de  cinquante  milr 
lions  par  an ,  Targent  qu'on  prodigue  aiix 
Jiïlcs  publiques ,  en  les  comprenant  toutes 
fous  cette  dénomination.  L'article  des  au« 
mônes  ne  va  guère  qu'a  trois  millions.^ 
•ilifproportion  qui  donne  à  réfléchir.  Cet 
argent  va  aux  marchandes  de  itiodes ,  ixA 
f>i]outiers ,  aux  loueurs  de  cslrroâes ,  aux  trâi^ 
teurs ,  aux  ai4>ergifles ,  aux  hôtels  garnis  ^  &c 
Et  ce  qui  infoire  un  profond  eflfroi  ^  c'eÔ 
H^e  fi  la  proftitution  venoît  aifclïer  tout<> 
:a-coup ,  vingt  mille  filles  p^i^^m  de  mU 
{ère,  les  travaux  de  ce  fexe  malheureux  ne 
pouvant  pas  (uffire  ici  à  fon  entretien  ni  4 
la  nourriture.  Aufli  ce  débordement  eft  -  il 
comme  inféparable  d'aune  ville  populeufe; 
&  une  infinité  de  métiers  ne  fiibfiftent  que 
par  la  circulation  rapide  des  efpeces  qu'en*- 
tretient  le  libertinage.  L'avare  lùi-méme  tire 
(on  or  de  fon  coBre ,  pour  eft  acheter  de 
jeunes  attraits  que  le  befoin  lui  foùmct  v 
unenàfEon  plus  forte  a  dompté  fa  padioti 
chérfe.  Il  regrette  fon  or,  il  pleure  vïîwi 
for  a  coulé. 


m-E    Paris.       ,      55 


C«  A  FI  T  R«     GCXXXIX 

Xcfuriifanrtts^ 

^Jn  appelïê  iiece  nom  celles  c|uî  ^toujoufs 
couvertes  de  diamants,  mettent  leurs  faveurs 
à  la  ^us^  haute  eficliare,  &ns  avoir  <)uekjue- 
fois  pJïas  de  Beauté  que  Kncfigente  qui  fc 
vend  à  has  pkc.  Afeî»  le  caprice  ^  le  fort,  le 
manège ,  un  peu  d'art  pu  d'efprit  mettent 

-  une  énorme  diJance  entre  des  femmes  qui 
rfont  que  le  même  but. 

Depuis  Ts^tiere  Laïs   qui  vole  k  Long^ 

.  <^hamp  dans,  nn  brillant  équipage  (  c|ue  fans 

fà  préfèno^  licencieufè  on  attribueroit  ^  une 

jeune   ducJbeflè  )  ^  ji^qu'à^  la  raccrocheujt 

c]ui  fe  moffond  le  foir  au  coin  d^une  borne, 

-  quelle  hiérarchie  dans  le  même  métier  !  Qut 
de  diâinâiôns^de  nuance»,*  de  noms  di- 

'  ven^j.  &  ce  pour  oscptinifei  l^éanmoins  une . 
feule  &  méme4:ho{è  !  Cent  n^ille  livres  pac 

.  aov,  ou  ude  pièce  d  atgent  oa  de  monnoïe 
pour  un  q(iart-^d*heu[te  y  xau&m  ces  déno-^ 
niinaii^ns  qirrne  niafqueîit  (f&e  les  échelles 
du  vice  ou  delà  profonde  kîdigence* 

On  peiit  pincer  les-oourtifannes  entre  le»^ 
femmes  décèmmém  «i^reienues  Ôc  les  filles 
publiques^  Uirauteufk^a  ttès^bien définies* 
.7»Sdw  les  prendroit ,  dît-il ,  pour  W  femefleS 


9^  T  A  B  L  E  A  jr 

»  des  courtifans  ;  elles  ont  efFeâivement  tous 
x)  les  mêmes  vices ,  emploient  les  mêmes 
»  rufes  &  les  mêmes  moyens ,  font  un  mé* 
»  tier  aufli  défàgnéable,  ont  autant  de  fkti* 
»  gués,  font  aum  infatiables;  en  un  mot, 
»  leur  reflêmblent  beaucoup  plus  que  les  fe-- 
j>  melles  de  certaines  efpeces  ne  ii:flêmbka( 
»k  leurs  mâles  ce 


€  H  A  PITRE    CCXL- 

Filles  entretenues. 

JHLu-deflbus  des  courtifannes  par  le  tang^ 
elles  font  mams  dépravées.  Elles  ont  un 
amant  qui  paie,  dont  elles  ït  moquent, 
qu'elles  rongent  &  dévorent ,  ^  un  autre 
à  leur  tour  ,  qu'elles  paient ,  &  pour  lequel 
elles  font  mille  folies. 

Ou  ces  femmes  deviennent  infènfîbles, 
ou  elles  aiment  jufqu'à  la  fureur.  Alors  elles 
paient  ^  l'amour  le  tribut  d'un  cœur  délicat. 
Sur  le  retour  elles  ont  la  rage  de  fe  marier. 
Ceux  qui  préfèrent  la  fortune  k  l'honneur, 
les  époufent  &  s'avilîflênt.  Ces  époufèurs 
font  ordinairement  un  petit  violon ,  un  mé- 
diocre peintre  ,  un  mince  architeâe. 

On  ne  dît  point  en  Perfe  (  felon  le  mar- 
ijuîs  d'Argens  )  la  Zaîdc ,  la  Fatime  ;  mais 


D  s      P  A  H  I   S*  97' 

I  la  cinquante  iomans  ^  h  vingt  tomans.  (  Un 
toman  vaut  quinze  ëcus  de  notre,  monnoie.  ) 
De  même,  ajoutent- il,  aux  noms  de  nos 
filles  entretenues ,  on  devroit  fubffituer  ceux 
de  la  cent  louis ,  la  cinquante  louis ,  la  dix 
louis ,  &c.  le  tout  pour  l'utilité  publique  & 
fjnftmâion  des  étrangers ,  qui  paient  fort 
fouvent  à  un  prix  exceflif  ce  qui  eft  k  très^ 
bon  marché  pour  tout  4e  monde. 


CHAPITRE    rCXLL 

Le  Payfan  perverti.  Par  M.  Rctîf  de  la 

Sretonne. 

J 'ai  renvoyé  pour  ce  que  je  ne  potivoïs  pa« 
dire  ,  à  ce  roman  iiardiment  de/Gné ,  qui 
a  paru  il  y  a  quelques  années.  La  force  du 
pinceau  y  fait  un  portrait  animé  des  dé- 
(ordres  du  vice  &  des  dangers  af&eux  aux-^ 
quels  l'inexpérience  &  la  vertu  ibnt  expo- 
iées  dans  une  capitale  diflbiue.  Cet  ouvrage 
doit  être  falutaire ,  mdgré  fes  peintures  trop 
nues  de  xxoç  expreflives ,  parce  qu'il  n'eÔ: 
pas  un  père  en  [province ,  qui ,  d'après  cette 
leâure ,  ne  fixe  conftamment  fon  fils  auprès 
de  lui  :  &  c'eft  un  très-grand  mal  que  cette 
4tnanie  récente  d'envoyer  tous  les  enfants  à 
Tome  IL  » 


^3  TAi£.KAy 

X  arls ,  où  ils  viennent  fe  perdre  &  (ê  cor* 
rompre. 

Les  villes  du  fécond  &  du  croifieme  ordre 
fe  dépeuplent  infenfiblement ,  &  le  gou^ 
fre  imnienfe  de  la  pipîtale  dévore  non-feo- 
lement  for  des  parents ,  mais  encore  Thon- 
nêteté  &  la  vertu  native  de  leurs  fils ,  qui 
paient  cher  leur  imprudente  curiofité. 

Le  filence  abfolu  des  littérateurs  iiir  ce 
roman  plein  de  vie  &  d'expreffion ,  &  dont 
fi  peu  d  entr'eux  font  capables  d'avoir  conçu 
le  plan  &  formé  l'exécution  ^  a  bien  droit 
de  nous  étonner  &  nous  engage  à  dépofèr 
ici  nos  plaintes  fur  Tinjuitice  ou  Finfenfi- 
bilité  de;  la  plupart  des  gens  d^  lettres ,  qui 
n  admirent  que  de  petites  beautés  froides  & 
conventionnelle^ ,  &  ne  favent  plus  recoiï- 
noitre  ou  avouer  les  traits  les  plus  fiappàCnts 
&  les  plus  vigoureux  d'une  imagination  forte 
&  pittorefquCé 

Éft  •  ce  que  le  règne  de  Pimagination  (èroît 
totalement  éteint  parmi  nous ,  &  qu'on  ne 
fauroit  plus  s'enfoncer  dans  ces  comportions 
vafies,  morales  &  attachantes,  qui  cara3é- 
rifent  les  ouvrages  de  fabbé  Prévoft  &  de 
(on  heureux  rival,  M.  Rétif  de  la  Bretonne? 
On  fe  confume  aujourd'hui  fur  des  hémis- 
tiches ,  nugœ  canorœ  ;  on  pefe  des  mots  ; 
on  écrit  des  puérilités  académiques  :  voilà 
donc  ce  qui  remplace  le  nerf,  la  force  , 
l'étendue  des  idées  &  la  multiplicité  des  ta* 


/ 


P  K     P  A  H  I  s.  99 

bleaux.  Que  nous  devenons  (ècs  &  étroits! 
Il  refte  à  une  plume  douée  de  cette  énet- 

fie  un  tableau- neuf  à  tracer  :  une  mère  màl- 
eureufè  qui  fe  trouve  preflee  entre  la  famine 
&  le  déshonneur ,  qui  ne  peut  échapper  à  la 
mort  qu'en  livrant  fa  fille  qui  combat  long-i 
temps ,  qui  triomphe  &  qui  expire  au  mi- 
lieu des  hommes  cruels  ,  calculateurs  de  (es 
foufiances  ^  Se  qui  attendoient  d'elle  ce  &- 
crifice  horrible  &  forcé.  Elle  meurt  avec  la 
confcience  de  la  vertu ,  il  eft  vrai  ;  mais 
(a  mort  eft  fans  fruit.  Le  lendemain  de  fon 
trépas  9  (à  fille  tombe  dans  les  embûches 
du  vice ,  ou  plutôt  elle  cède  au  malheur  6c 
k  l'inexpérience. 

Si  quelque  homme  opulent  me  Ut ,  s'il 
eft  du  nombre  de  ceux  qui  avancent  Vcac 
pour  corrompre ,  il  aura  trouvé  fans  doute 
des  mères  faciles  &  criminelles,  &  à  un 
tel  point  que  je  n'ofe  ici  l'écrire  ;  mais  il 
(aura  en  même  temps  qu'un  pareil  tableau 
ne  mériteroit  pas  d*étrc  relégué  dans  la  dafle 
des  fixions  imaginaires. 


E  X 


IQO  .5r  A /S  'L  î:  A   u 


r. 


CHAPITRE     CCXXJJ. 
.5iî/  <^«  V Optra* 

X^e  bal  de  Topera  entretient  cette  licence^' 
la  confacre  par  une  forte  de  convention  g^ 
^érale.  Il  invite  les  caraderes  les  plus  réfer- 
yh  k  fe  livrer  au  goût  univerfellcment  ayouç. 
Il  eft  réputé  très  beau ,  quand  on  y  eft  écrafii: 
Jus  il  y  a  de  cohue,,  &  plus  oniè  félicite 
e  lendemain. d*y  avoir  afiiftc. 

Quand  la  preflfe  eft  confidérable,  les  feni^ 
niçs  {t  jettent  dans  le  flux  &  Je  jreflux  \  & 
Jeurs  corps  délicats  fupportent  très- bien  d'êtije 
/Comprimés  en  tout  fens  au  milieu  de  la  foule, 
qui  tantôt  eft  immobile ,  &.  tantôt  .flotte  & 
,roule^ 

Il  faut  avoir  bien  peu  jSt{^x\x.^  dit -on, 
pour  n'en  avoir  pas  fous  le  mafque;  ce  qu'on 
y  entend  eft  cependant  beaucoup  moins  (pi- 
rituel  que  ce  qui  fe  dit  dans  nos  cercles. 
On  n'y  parle  point  des  perfonnes  ni  des 
événements  \  &  tous  Jes  propos  deviennent 
vagues  ,  futiles ,  excepté  ceiix  de  galanterie- 
Si  le  gouvernement  pemiettoit  pour  un  feul 
.ibal  un  franc  parler  Sfola ,  c^la  feroît  très- 
.piquant. 

J^es  filles  entretenues ,  les  ducfaefles ,  \^ 


I 


D   E     P'A  K  15.  rôt 

bourgeoifès  font  cachées  fous  le  même  do-- 
mino,  8c  on  les  dîiHngue  :  on  diftingue 
beaucoup  moins  les  hommes;  ce  qui  prouve 
que  les  femmes  ont  en  tout  genre ,  des  nuan- 
ces plus  fines  &  plus  cara^l^ifëes; 

Il  regnoit  autrefois  dans  les  bals  une  grofle 
gaieté  ;  il  *n'y  en  a  plus  ;  on  s'obîferve  fôu$ 
le  mafque  autant  que  dans  la  fociété. 

J'ai  vu  à  Paris  un  bal  où  cinquante**** 
avoient  fous  leurs  domfînos  fix  coups  à  tirer.  - 
Il  eft  vrai  qu'on  ne  le  fiit  que  le  lendemain  j 
mais  il  faut  avouer  que  cétoit  urt  fingùlîeiî 
bal  que  celui -làé- 

Ceft  au  bal  ^  vers  le  matin  ,  que  Ton  peut 
dire  qu'à  Paris  fur-tout  on  rencontre  des  lai*, 
deurs  aimables. 

Je  fîiis  fâché  qu*6n  y  perde  infenfiblement 
cette  tournure  attentive  &  polie  que  Fon  doit 
aux  femmes  dans  toutes  les  circonftances  i 
&  fur-tout  dans  une  aflèmblce  publique. 

Quand  un  carme ,  un  cordelier ,  un  bé-i 
nédidin  s'échappant  du  cloître ,  a  pu  aflifter 
«ne  fois  au  bal  de  Popera  fans  être  vu  ni 
reconnu,  il  s'eftime  le  plus  heureux  des  hom- 
mes ;  il  ne  (ait  pas  que  l'ordre  lévitique  y 
abonde ,  6c  que  les  petits  collets  qui  courent- 
tout  le  jour  en  habit  violet ,  font  blafés  fur 
ce  divertiflement. 

La  feule  chofe  que  Pon  exécute  à  Paris 
gravement,  &  comme  s'il  s'agiflbit  de  l'aP 
Élire  la    plus  importante  ,  c'eft   un    qiiOr* 

E  3. 


ICI  T   A   B   L   E   A   V 

driUc.  Tai  été  ftupëfait  de  la  dignîcé  qu'on  y 
mettoît. 

On  fait  que  Ton  envoie  une  poupée  pour 
fervir  de  modèle  chez  rën:anger;  mais  (ait-on 
que  dans  une  lettre  on  envoie  le  plan  d'un  bal- 
let ,  d'une  contre -danfe  variée  par  mille  fi- 
gures ,  ou  d'un  quadrille  nouveau  ,  pour  le 
&ire  exécuter  avec  jufleflè  &  précifion  à  dnq 
cents  lieues  de  diftance  ? 

Le  bal  de  l'opéra  a  donné  lieu  k  un  évé* 
nement  qui  tiendra  &  place  dans  l'hiftoire , 
en  ce  qu'il  aura  fervi  a  prouver  que ,  mal-' 
gré  les  changements  des  fîedes ,  les  anciens 
ufaees  reviennent  rapidement  fur  leurs  pas, 
lorlque  quelques  circonftances  frappantes  rap^ 
pellent  le  génie  national. 

On  donne  lîx  livres  par  tête ,  pour  enten- 
dre une  lymphonîe  bruyante  &  monotone. 
Quand  on  n'a  rien  à  demander  aux  femmes , 
on  s'y  ennuie  ;  mais  on  y  va  pour  dire  le  len» 
demain ,  j'ai  été  hier  au  bal ,  ôc  j'ai  manqué 
d'y  étouffer. 

On  y  danfe  quelquefois  ;  mais  celui  qui  a 
vu  les  danfes  vives  &  animées  des  jeunesr 
beautés  du  pays  célèbre  par  les  foupirs  de 
JuUe  y  les  pas  gais  &  légers  des  vives  Alfa- 
ciennes  \  les  fauts  des  Provençales ,  l'expreC- 
(îon  de  la  joie  fincere  &  ingénue  parmi-  les 
Bretonnes ,  ne  pourra  plus  fouffrir  les  grâces 
froides  &  l'afftterie  de  nos  danfes  de  bal , 
foit  paré ,  foit  mafqiié. 


i>  E    Paris.  J03 


CHAPITRE     CCXLIII. 

Sans  Titre* 

Xl  eft  des  vices  fur  lefquels  la  cenfure  doit 
fe  taîre ,  parce  qu'elle  rifqueroît  de  les  dé- 
voiler fans  les  corriger.  Que  fera  la  morale 
contre  ces  vices  déplorables  &  ces  turpitude» 
deftinées  k  mourir  dans  les  ténèbres  ?  Com- 
ment les  complices  de  ces  abominations  fe*^ 
crêtes  reviendroient-ils  aux  vertus  dont  îlg 
font  incapables  ?  Ceft  une  génération  qui  ne 
laifTe  plus  d'efpcrance  ^  frappée  de  gangrené^ 
elle  doit  tomber ,  pourrir  &  difparoître  ;  & 
rindignation  même  peut  fe  clfânger  en  pitié  ^ 
quand  on  fonge  à  favilifièment  où  fe  plon- 
gent ces  êtres  fi  baflèment  corrompus. 

La  rigueur  contre  ces  erreurs  monflrueufes 
rft  on  remède  dangereux ,  &  le  plus  fotiverit 
inutile.  Il  eft  défavantageux  d'attaquer  ce 
qu'on  ne  peut  détruire  v  &  lorfiju'il  s'agît  de 
la  corredion  des  mœurs ,  3  faut  réufEr,  8c 
ne  point  faire  de  vaines  tentatives. 

Le  magiflrat  qui  tient  un  regiflre  fecret 
des  prévaricateiirs  des  loix  de  la  nature ,  peut 
s'effiayer  de  leur  nombre  :  il  doit  réprimer 
les  mœurs  coupables  qui  vont  julqu'au  fcan^ 
dale  \  mais  hors  de  la ,  ^quelle  circonfpec- 

E4 


IC4  T  A  B   1  I  A  V 

tion  !  La  recherche  deviendroit  aufli  odîeii(è 
^ue  le  crihie  :  quelle  étonnante  effirontenè 
dans  des  vices  nouveaux  !  Ils  n'avoîent  pas 
de  noms  parmi  nous  il  y  a  ceqt  ans  ;  au- 
jourd'hui les  détails  de  ces  débordements  en- 
trent dans  nos  entretiens.  Les  vieillards  (br- 
tent  de  la  gravité  de  leur  caraâere  ,  pour 
parler  de  ces  licences  criminelles  ;  la  fainteté 
des  mœiKs  eft  o&nfée  par  des  propos  d'au** 
tant  plus  dangereux  qu'on  plaifaste  prefque 
publiquement  fur  ces  incroyables  turpitudesw 

D'où  vient  ce  nouveau  fcandale  qui  a 
ichté  parmi  nous  ?  Qui  a  fait  à  l'honnêteté 
publique  ce  cruel  outrage  ?.  Qui  a  livré  k  la 
dérifioQ  1^  fainte  douleur  de  la  vertu  qui  gt^ 
mit  fur  ces  infamies  qui  aviliflènt  les  fem- 
mes ,  en  font  un  ordie  à  part  dont  on  dé- 
crit les  defirs  &  les  étranges  fitreurs  ?  Etoît- 
ce  là  où  devoit  conduire  le  progrès  de  la 
civilifation  &  des  arts  ?  Quelle  dégradation  l 
Ce  genre  de  corruption  a  été  un  phénomène 
même  pour  quelques  efprits  libertins  ;  & 
dans  fes  excès ,  il  n'a  pas  choqué  notre  fiiecle 
autant  qu'il  l'auroit  dû. 

Il  faut  gémit: ,  laiflèr  ces  vices  honteux  ^ 
qui'  puniïTent  ceux  qui  s*y  livrent,  fe  fondre 
&  difparoitre  devant  lés  paflions  douces  , 
honnêtes  8c  vertueufès ,  qui  par  leur  charme 
étemel  doivent  reprendre  leur  aimable  em- 
,  pire.  C'ell  l'idée  de  Montefquieu  ,  &  il  l'a- 
Yoit  furement  mé^uie  y  lorfqu'il  la  publia 


i3f  E    Paris.  rony 

dans  un  Ii\rre .  aufE  grave  que  VEfprit  des^ 
loix. 


^^*i^ 


CHAPITRE    CCXLIV.. 
JUs  petits  Chiens. . 

XJi  folie  des  femmes  eft  pouflee  au  dernier  " 
période  fut  cet  article.  Elles  font  devenues 
gouvernantes  de  roquets ,  &  ont  pour  eux 
des  foîns  inconcevables.  Marchez  fur  la  patte 
d'un  petit  chien,  vous  êtes  perdu  dans  l'efprit 
d*une  femme  ^  elle  pourra  diflimuler,  mais 
cUe  ne  vous  le  pardonnera  jamais  :  vous  avez. 
blefle  fon  manitou.  . 

Les  mets  les  plus  exquis  leur  font  prodi- 
gués :  on  les  régale  de  poulets  gras ,  oc  Font 
ne  donne  pas  un  bouillon  au  malade  qui  gît' 
dans  le  greiuèr.  . 

Mais  ce  qu'on  ne  voit  qu'kTaris ,  ce  font 
de  grands  imbécilles  qui,  pour  faire  leur  cour 
à  des  femmes ,  portent  leur  chien  publique- 
ment fous  le  bras  dans  les  promenades  & 
dans  les  rues  ;  ce  qui  leur  donne  un  air  fi 
niais  &  fi  bête  ,  qu'on  eft  tenté  de  leur  rire 
au  nez ,  pour  leur  apprendre  à  être  hommes. 

Quand  je  vois  une  belle  profaner  fa  bou- 
ché en  couvrant  de  baifets  un  chien  qui  fou- 
vent  eft  laid  ÔC  hideux ,  &  qui ,  fut-il  beau  • 


io6  T  A  B  L  £  A  tr 

ne  méri^  pas  des  afFeâions  (1  vives ,  je  trou-^ 
ve  Tes  yeux  moins  beaux  ;  fes  bras ,  en  re- 
cevant cet  animal ,  paroiflènt  avoir  moins 
de  grâces.  J'attache  moins  de  prix  à  fes  ca- 
ref&s  ;  elle  perd  à  mes  yeux  une  grande  par- 
tie de  fa  beauté  &  de  fes  agréments.  Quand 
la  mort  de  fon  épagneul  la  met  au  dëfefpoir^ 
qu'il  faut  le  partager ,  pleurer  avec  elle  & 
attendre  en  (îlence  que  le  temps  amené  Tou- 
bli  d'un  (i  grand  dctaAre  ,  cette  extravagance 
anéantit  ce  qui  lui  refte  de  charmes. 

Jamais  une  femme  ne  fera  Cartéfîenne  : 
jamais  eUe  ne  confentîra  à  croire  que  (on 
petit  chien  n'eft  ni  fenfible  ni  raifbnnable 
quand  il  la  careflè.  Elle  dévifageroit  Det- 
cartes  en  perfonne ,  s'il  ofoit  lui  tenir  un 
pareil  langage  ;  la  feule  fidélité  ^e  fon  chien 
vaut  mieux ,  félon  elle ,  que  la  raifbn  de  tous 
les  hommes  enfemble. 

J'ai  vu  une  jolie  femme  fe  fâcher  fèrîeu- 
;  /  fement  &  fermer  là  porte  à  un  homme  qui 
7    avoit  adopté  cette  ridicule  &  impertinente 
opinion.  Comment  a-t-on  pu  refufcr  la  fen- 
fibilité  aux  animaux  ?  Croyons-les  très-fenfi- 
blés  ;  8c  loin  de  judifier  la  barbarie  des  hom- 
mes à  leur  égard ,  ne  leur  faifons  que  le  moin- 
dre mal  pofïible  :  mais ,  en  nous  nourriflànt 
de  la  chair  des  bœufs  ,  des  moutons  &  des 
dindons ,  n'accablons  pas  de  folles  careflès  un , 
petit  chien  que  nous  ne  mangeons  pas. 
La  femme  d'un  médecin  avoit  fon  petit 


HE    Paris.  107 

chien  malade  :  fbn  mari  avoit  promis  de  le 
guérir  ;  il  n'en  faifbit  rien ,  ou  n'en  étoit 
pas  venu  à  bout  :  impatientée ,  elle  fit  venir 
Lyonnois  (  i  )  ,  qui  réuflît  parfaitement. 
Combien  vous  &ut-il ,  dit  le  brave  doâeur 
de  la  faculté  au  confervateur  de  l'efpece  ca- 
nine ?  Oh ,  Monjieur ,  entre  confrères ,  re- 
prit Lyonnois  ^  il  ne  faut  rien. 

CHAPITRE     CCXLV. 

Suffijance. 

XLUe  eft  aflèz  familière  au  PariCen  qui  a 
de  là  fortune.  La  fufEfànce  de  Tofficier  n'eft 
pas  prononcée  comme  celle  de  l'homme  de 
robe,  ou  celle  du  fade  petit-collet.  Elle  dé- 
pare -un  peu  dans  preique  tous  les  états  la 
politeflè  &  le  favair- vivre  ^  mais  comme 
c'cft  un  défaut  général ,  il  devient  prefqu'in- 
fenfible.  L'extrême  urbanité  eft  le  réfiJtal 
d'une  infinité  de  points  délicats  qu'il  faut  fai- 
Cr  :  elle  n'exifte  réellement  que  chez  certains 
honmies  dont  le  careâere  eft  élevé  &  Famé 
très-fenfible.  L'homme  de  cour  poflède  par- 
faitement cette  noble  urbanité ,  quoiqu'il  ne 


WHH«OTP«* 


(1)  Fameux  médecin  de  ckiens. 

E6 


loS  Table  au 

Tait  pas  dans  le  cœur^  v  c*eft  qu'il  fènt  avecÈ 
fineffe  ^  &c  qu'il  eft  attentif  aux  convenances*. 
L'attitude  du  militaire  a  toujours  quelque: 
chofe  de  plus  forcé  que  celle  de  Thomme  de 
cour  ;  celui  -  ci  s'arrête  au  véritaUe  degré  ^ 
{autre  le  franchit. 

Quand  la  nuance  eft  un-  peu  forte ,  elle 
ti'à  plus  cette  grâce  &  ce.te  ailknce  qui  diC^ 
tingue  les  bons  originaux  en  ce  genre.  Les 
copiiles,  en  voulant  en  approcher,  tombent 
^dans  une  impertinence  bien  décidée  :  tels, 
font  les  commis  de  Verfailles  ,  plufieurs 
financiers  ,  quelques  officiers  aux  Gardés  ^, 
quelques  auteurs,  &  les  voila  entachés  de- 
cidicule  aux  yeux  du  connoiilèut. 


G  H  À  P  I  T  R  E     CCXLVL^ 

Venu,  de  VEau^: 

C^uand  on  dît  en  Sùîfle,  où  lès  fbntaîner 
publiques  abondantes  &  commodes  (bn^ 
multipliées  1  jufques  dans  le  moindre  village  y 
qu'on  vend  l'eau  à  Paris  ;  que  le  robinet  des  fonr 
raines  eft  à  fec  la  moitié  de  l'année  ;  que  Ics^ 
chevaux  font  obligés ,  pour  boire  ,  d'âlfer  à 
la  rivière  ;  que  Ton  ne  voit  jaillir  l'eau  que» 
dans  les  fales  bailins,  de  quelques  prooi^o^ 


i>  E    Par  I  S;  no^ 

des  i  on  fe  prend  à  rire ,  &  Ton  hauflè  le$. 
épaules  d'étonnement  &  de  pitié, 

La  vente  de  l'eau  monte  dans,  la  capitale 
àunefomme  effrayant/?.  Mettons  neuf  cents, 
niille  habitants,  (  car  c'cft  là  mon  compte  ) , 
&  taxons-les  à  trois  livres,  par  an  ;  c*eft-àr^ 
dire ,  trente  voies  d'eau  l'une  portant  l'autre 
^  deux  fols  :,  voilà  deux  millions  fept  cents, 
mille  livres. 

La  ville  de  Londres ,  au  moyen  d^  neuf 
pompes  à  feu  ,  fe  trouve  arrofee  &  fournie, 
d'eau  abondamment,.  On  vient,  d^en  établir 
qne  près  de  la  grille  de  Chaillot ,  &  l'on  nous 
fait  efpérer  qu'on  multipliera  ces  machines^ 
à  feu  dans  tpus  les  quartiers  où  le  befoin 
Çexi  gérai 

Voici  donc  une  innovation  qui  porte  uit 
caraâere  de  grandeur  &  d'utilité  nadonale,. 
La  prompte  dirtribution  de  l'eau ,  indépen- 
damment de  fes  nombreux  avantages ,  a  ce- 
lui de  procurer  un  air  pius  falubreàrefpirer. 
Et  quel  fçrvice  a,  rendre,  aux  habitants  de  la 
c^apitale  ! 

Mais  pourquoi  prendre  lès  eaux  G  bas  l 
N'étoit-il  pas  plus  fimple  d'amener  les  eaux 
du  Port-à^l'Angloîs  par  une  machine  hidraiv»  » 
lique,  à  la  place  de  l'Eftrapade ,  la  plus  éle-. 
vée  de  Paris  ?,  de -là,  elles  fe  répandroicnt 
plus  facilement ,  &  fcroient  plus  pures  :  mais 
on  a  vouLi  commencer  par  le  quartier  le  plus; 
îîche  ^  le  fauxbourg  Saint-Honoré ,.  coiuinc 


\ 


iio  Tableau 

le  plus  en  état  de  payer  les  a7ance$  de  la. 
compagnie  qui  a  fait  des  fonds  pour  Téta-* 
bliflèment  des  machines  à  feu.  Ces  avan- 
ces montent  \  près  de  deux  millions. 

Il  en  coûtera  cinquante  livres  par  an  pour 
un  muid  d'eau  par  ]our  :  vingt  muids  cou«> 
teront  donc  mille  livres,  &  aînfi  à  propor- 
tion les  tuyaux  conduâeurs  de  diifërenteS 
groflèurs ,  félon  le  befoin  des  particuliers  ^ 
aboutironr  à  chaque  maîfon ,  &  Teau  s'élè- 
vera d'elle-même  à  quinze  pieds. 

Plus  de  prétexte  pour  les  boulangers  qui 
font  le  pain  avec  Teau  des  puits ,  infedée  par 
la  filtration  des  foflès  d^iifance  &  de  mille 
autres  immondices  ;  ils  auront  une  eau  pure  ^ 
ainfi  que  les  brafleurs  ,  les  teinturiers ,  les 
lîmonnàdiers ,  les  dégraiffêurs  ,  les  blanchit 
feufes  ,  &c.  Outre  que  ces  pompes  feront, 
d'un  grand  fecours  contre  les  incendies ,  elles 
laveront  encore  a  volonté  le  pavé  de  Paris  y 
le  plus  infed  &  le  plus  immonde  de  toutes 
les  villes  du  royaume. 

Ceft  le  feu  qui  élevé  Teau  dans  ces  deux 
curîeufes  machines  fituées  au  deflùs  de  la 
porte  de  la  Conférence.  La  fimple  vapeur 
de  l'eau  en  ébullition  eft  l'agent  d*un  mou- 
vement prodigieux ,  &  que  nulle  autre  force 
connue  ne  pourroit  produire  ;  elle  élevé  l'eau 
à  cent  dix  pieds  au  deflùs  des  baflès  eaux 
de  la  Seine ,  &  fait  monter  en  vingt-quatre 
heures  quatre  cents  mille  pieds  cubes  d'eau. 


DE     Paris.  ut 

pefant  vingt-huit  millions  huit  cents  nulle 
livres.  Ainfi  voilà  de  quoi  abreuver ,  laver 
&  inonder  à  fouhait  tous  les  quaitiers  de  la 
ville  ;  il  ne  manque  plus  que  des  tuyaux ,  de 
l'argent  &  la  bonne  volonté  des  petits  pro^ 
priétaires ,  qui  ne  s'empreflènt  pas ,  dit-on  , 
a  fe  ranger  dans  la  claflè  des  foufcripteurs. 
Tant  les  vieilles  &  fottes  habitudes  préva-^ 
lent  dir  les  innovations  les  plus  utiles  ;  ou- 
plutôt  tant  le  bourgeois  ,  foulé  de  mille 
manières,  devient  mefquin  pour  les  chofes 
eilèntielles. 

Mais  quand  toutes  ces  pompes  à  feu  feront 
dreflees ,  douze  à  quinze  mille  porteurs  d'eau^ 
n'auront  plus  d'emploi  •,  peut-être  feront-ils 
incapables  de  tout  autre  travail ,  car  ils  ont 
la  fàngle  imprimée  entre  les  deux  épaules , 
&  l'habitude  de  leur  corps  voué  à  réquilibrc 
fè  prêtera  difficilement  à  porter  des  fardeaux* 
d'une  autre  nature. 

Les  frères  Perrier  font  les  entrepreneurs 
de  ces  machines  \  l'un  invente  avec  génie  , 
&  l'autre  exécute  de  même. 

Ils  s'occupent  en  ce  moment  d*un  travail 
curieux  &  utile ,  celui  de  réduire  en  petit  tous 
les  arts  &  métiers.  Aucun  infiniment  des  pro* 
feilions  méchaniques  n'y  manquera ,  joliment 
exécuté  en  relief  dans  la  proportion  d'un' 
pouce  pour  un  pied  ;  cette  colleôion  déjà 
commencée  appartiendra  à  Mgr.  le  duc  de 
Chartres.  C'eft  immortaliièr  les  arts  que  de 


11%  T  A  B  X  î  A  V 

leur  donner  aînS  Tafyle  refpedé  des  palais  r* 
fi  les  anciens avoient eu  cette  prévoyance^, 
nous  ne  ferions  pas  à  gémir  fur  la  pêne  d'une^ 
infinité  de  procédés  qu'il  a  fallu  reconcpiériir 
à.  travers  la  pénible  lenteur  des  fiecles,  &. 
dont  plulieurs  nous  manquent .  fans  doute  ■ 
encore  \  nous  aurions  pu  retrouver  dans  un» 
p^tit  coffre  enfevelî  fous  terre  à  Herculanum  i 
ou  ailleurs  ^  les  découvertes  de  tous  les  peiHr 
pies  ingénieux  qui  nous  ont  précédés.  L'En- 
cyclopédie écrite  fera  toujours  vague,  bor-- 
née ,  înfufEfante  ,  en  comparaifon  de  Tobjet^ 
roênie  qui  frappe  k  la  fois  Foeil  &  Teiitende- 
ment  ;  Tobjet  ne  leur  dérobe  alors  micune  de^ 
fes  proportions  :  il  eft  vu  fous  toutes  fes  faces. , 
Les  rapports  deviennent  palpables,  &il  ny* 
a  plus  de  langue  morte  à  apprendre  ,  ni  de . 
calculs  incertains  &  longs  à  tracer ,   pour-' 
:i)outîr  le  plus  fou  vent  k  une  erreur  ingéniea<^ 
fement  profonde. 


r; 


CHAPITRE     CCXLVIL. 
Les  Dcmoifillés^  . 

XV-ien  de  plus  faux  dans  le  tableau  de  nos- 
mœurs  que  notre  comédie,  où  l'on  fait  Fa-r 
mour  k  dps  dcmoiJelUs,  Notre  théâtre  mentj. 


^  E     F  A  R  I  s;  f  Ï3 

•n  ce  point  Que  Fctxanger  ne  s'y  trompe 
pas  :  on  ne  fait  point  l'amour  aux  dcmoifellcs  ; 
elles  font  enfermées  dans  des  couvents  jufqu'au 
jour  de  leurs  noces.  Il  eft  moralement  impoC- 
£ble  de  leur  faire  une  déclaration.  On  ne  les 
voit  jamais,  fèuks,,  &  il  efl  contre  les  moeurs 
d'employer  tout  ce  qui  reflèmbleroit  à  la 
féduâion.  Les  filles  de  la  haute  bourgeoise 
(ont  auffi  dans  des  couvents  ;  celles  du  (econd 
étage  ne  quittent  point  leur  merc ,  &  les 
filles,  en  général,  n'ont  aucune  efpcce  de  li- 
berté &  de  communication  familière  avant  le 
mariage. 

Il  n'y  a  donc  que  les  filles  du  petit  boiu-- 
geois ,  du  (impie  artifan  5c  du  peuple ,  qui 
aient  toute  liberté  d'aller  &  de  venir ,  &  con- 
lequemment  de  fàtire  l'amour  à  leur  guife.  Les 
autres  reçoivent  leurs  époux  de  la  majn  de 
leurs  parents.  Le  contrat  n'eft  jamais  qu'un 
marché ,  &  on  ne  les  confiilte  point.  On  ap* 
pelle  grljénes  les  filles  qui  peuplent  les  bou- 
tiques de  marchandes  de  modes ,  de  lingeres 
&  de  couturières.  Plufièurs  d'entre  elles  tien-? 
nent  le  milieu  entre  les  filles  entretenues  Se 
Ips  filles  d'opéra. 

Elles  font  plus  réfervées  &  plus  décentes; 
dles  font  fufceptiWes  d'attachement  :  on  les 
entretient  à  peu  de  frais ,  &  on  les  entretient 
fans  fcandale.  Elles  ne  fortent  que  les  diman^ 
ches  &  fêtes  ^  &  c'eft  pour  ces  jours-lk 
qu'elles  cherchent  un  ami  qui  dédommage 


114  Tableau 

de  Tennui  de  la  femaine  ;  car  elle  eft  bien 
longue ,  quand  il  faut  tenir  une  aiguille  du 
matin  au  foir.  Celles  qui  font  fages  amaflènt 
de  quoi  fe  marier ,  ou  ëpoufent  leur  ancien 
amant.  Les  aua:es  vieilliflènt  Taiguille  ï  la 
main ,  ou  fe  mettent  en  maifon. 

Or  un  auteur  comique  devroit  étie  fort 
attentif  fur  toutes  ces  convenances,  &  {avoir 
qu'une  déclaration  d'amour  ne  fe  fait  jamak 
à  une  demoîfelle  que  lorfqu'on  y  eft  autori-^ 
fé  par  le  vœu  des  parents ,  &  le  mariage  eil 
alors  ordinairement  arrêté.  Ainfi  tios  auteurs 
modernes,  en  faifant  de  toutes  les  amoureu^ 
fis  de  théâtre  des  filles  de  qualité,  n^ont peint 
que  les  amours  des  grifettes. 

Us  doivent  dorenavent  n^admettre  que  de 
jeunes  veuves ,  s'ils  ne  veulent  pas  aller  di- 
reftement  contre  les  ufages.  Mais  aufE  pour- 
quoi ,  dans  toutes  les  comédies ,  des  filles  de 
qualité^  ainfi  que  des  comtes  &  des  marquis^ 
tandis  qu'un  étage  plus  bas  la  fcene  devient 
plus  variée ,  plus  plaifante  ,  plus  animée  ? 
Mais  comme  il  y  a  le  jargon  conventionnel 
de  la  tragédie,  de  même  on  a  créé  un  autre 
jargon  pour  la  comédie  :  &  ni  les  rois  ni  les 
gens  de  qualité  ne  reconnoiffcnt  là  leur  idio- 
me. C'en  eft  un  que  Tauteur  s'eft  fait  avec 
une  étude  infinie,  &  pour  manquer  péni-^ 
blement  toutes  fes  pièces.  /   - 


DE     FAHIS.  115 


C  H  A  FIT  R  E      CCXLVIIL 

CalanterUm 

llfUe  remplace  l'amour  qui  regnoit  encore 
«I  Paris ,  il  n'y  a  pas  plus  d'un  (îecle.  Du  temps 
de  Louis  XIV  ^  on  mettoic  dans  Tes  goûts 
de  la  décence  5c  de  la  délicateflè. 

Les  fortes  pallions  font  rares  aujourd'hui  ; 
mais  auflî  n'ont-elles  pas  ce  caraâere  farou- 
che qui  faifoit  (ucccder  la  vengeance  à  la  ten- 
dreflè ,  6c  les  crimes  aux  plaifirs  les  plus  doux. 
On  ne  fe  bat  plus  pour  les  femmes  \  leur 
conduite  a  rendu  ces  combats  ridicules. 

Ce  que  l'imagination  ou  exaltée  ou  trom- 
pée avoit  ajouté  de  trop  à  l'amour ,  on  Ta 
émondé;  &  à  confidérer  le  changement  d'un 
œil  philofophique  ,  l'amour  que  nous  avons 
adopté  convient  à  la  foibledè  de  notre  carac- 
tère &  dn  peu  de  beibin  que  nous  avons 
de  (èntir  notre  ame  s'élever  &  prendre  un 
"Certain  eflbr.  Nous  nous  paflbns  de  force 
&  de  grandeur  dans  tout  le  refle  :  pourquoi 
en  mettrions-nous  dans  l'amour  ? 

On  ne  voit  plus  un  amant  délaifS ,  cher-^ 
cher  dans  le  poifon  un  remède  à  fes  maux  : 
il  y  en  a  de  plus  doux  ;  &  l'inconllance  (  que 
je  ne  prétends  pas  juftifier  )  vaut  cependant 


i:i6  Tableau 

mieux  que  les  mouvements  frénétiques.,  qui 
tenotent  encore  plus  11  Tôrguefl  perfonnel 
qu'à  la  vraie  tendreflè. 

IL  feroit  dangereux ,  dit-on ,  que  ramoui 
dévorât  toutes  nos  autres  paflions.  La  patrie 
&  la  focîété  y  perdroient>,Ne  voir,  n'adorer 
qu'un  feul  objet,  lui  tout  (acrifier,  c'eft 
perdre  la  liberté ,  c'eft  livrer  à  une  forte 
de  délire  &  d'extravagance  toutes  le»  facultés 
de  notre  ame.  Voilà  la  logique  reçue, 

L'eftime  vraie  &  fentie,  ajoute -t^-on^ 
quand  elle  eil  perpétuée ,  fuppofe  bien  phis 
de  vertus  dans  l'objet  aimé  :  rôc  une  femme 
qui  fent  avec  délicateflè ,  eft*  bien  plus  ja- 
loufe  d'infpirer  un  tel  fentiment ,  que  d  at- 
tirer les  hommages  uniquement  attribués  à 
fès  charmes ,  parce  que  ces  hommages  s'éva« 
porent  &  ne  font  pas  dus  à  fon  ame.  C'eft . 
ainfi  que  Ton  prétend  juftifier  nos  mœurs  : 
mais  la.  patrie ,  dont  on  pade.,  y.  a  tout 
perdu. 

L'amour  proprement  dît  n'eft  donc  plus 
a  Paris ,  fi  nous  ofons  l'avouer ,  qu'un  liber-' 
tinage  mitigé ,  qui  ne  foumet  que  nos  fens-4 
fans  tyrannifer  la  raifon  ni  le  devoir  :  aufE 
éloigné  de  la  débauche  que  de  la  tendr«ilè\^ 
décent  dans  fes  vivacités  quand  ii  peut 
Cétre,  &  délicat  dans  fon  inconftance  ,  il 
n'exige  point  de  facrifice  qui  nous  coûteroit 
trop  cher.  Loin  de  nous  armer  les  uns 
contre,  les  autres  i^  il  ne  s'approprie  point  le^ 


J),E     JP  -A  Jl  J  S.  117 

jnoments  qui  font  confacrés  au  devoir  \  il 
refpefte  les  nœuds  de  Famitic,,. quelquefois 
même  il  les  rcflcrrc  :  enfin,  il  fait  paflèr 
l'honneur  avant  tout ,  &  profcrit  .également 
toute  foibledè  6c  toute  lâcheté. 

Le  législateur  pourroit  e&cer  aujourd'hui 
de  fon  code  les  loîx.  contre  la  violence.  Nos 
Lucreces  if  ont  plus.de  Taïquins  à  redouter. 
Le  fédufteur  ne  Tefl:  que  pour  celle  qui  veut 
bien  Jtre  fëduite.,  &  .lavveritable  vertu  peut 
fe  conferver  intafte  au  milieu  de  tant  d'exem- 
ples contraires.  Mais  fera-t-rori  honneur  à 
mon  fieclè,   de  l'àbfcnce  d'un  tel   vice? 
Je   ne  crois  pas ,   parce  qu'il  fuppofe  l'a- 
néantiflèuient  de  plufieurs  vertus.   Le   viol 
pouvoit,    ainfi  -que   le   facrilegc,   que  les 
Femmes  &  les  autels  étoientjrcligieufement 
adorés. 

L^amour  ne  fera  donc  point  appelle  par- 
mi nous  le  bourreau  des  cœurs.  Toujours 
cornent ,  toujours  Folâtre ,  il  s'envole  avant 
l!ennui  :  41  attaque  avec  tant  de  légèreté , 
que  fes  ^atteintes  ne  bleflènt  que  les  cœurs 
gui  confententà  être  blefïes. 

Je  dis  qu'en  ôtant  à  cette  paflîon  ce 
qu'elle  avoit  de  féroce  &  de  redoutable^ 
on  a  diminué  quelques  crimes  fie  beaucoup 
de  grands  talents.  A  en  juger  par  l'hifloire-, 
les  forfaits  fanglants  croient  comme  infépa- 
rables  des  afFedions  profondes ,  jaloufes  8c 
vindicatives,  qui  tyranriifoieut  nos  aïeux* 
ainfi  tout  eft  compentëi 


iiS  Tableau 

Les  grandes  paffions,  difent  les  apolo- 
giftes  du  fiecle,  font  aflèz  încomparibles 
avec  le  bonheur  :  il  n'apparrient  quli  elles  ^ 
il  eft  vrai  ;  mais  le  bonheur  eft  fî  rare  , 
qu'il  vaut  mieux  prendre  en  légère  monnoie 
la  fomme  des  plaifîrs.  N'ayant  plus  de  gran- 
des chofes  à  faire ,  nous  n  avons  (Jus  befoin 
de  paillons  fortes. 


CHAPITRE     CCXLIX. 

Dts  Femmes. 

JLa  remarque  de  Jean -Jacques  Rouflèau 
n'eft  que  trop  vraie ,  que  les  femmes  à  Paris , 
accoutumées  à  fe  répandre  dans  tous  les  lieux 

Eublics ,  à  fe  mêler  avec  les  hommes ,  ont 
iir  fierté,  leur  audace,    leur  regard    & 
prefque  leur  démarche. 

Ajoutons  que  les  femmes,  depuis  quelques 
années ,  jouent  publiquement  le  r&le  d  en- 
tremetteufes  d'amires.  Elles  écrivent  vingt 
lettres  par  jour ,  renouvellent  les  (bllicita- 
dons ,  aîliegent  les  miniftres  ,  fatiguent  les 
commis.  Elles  ont  leurs  bureaux,  leurs  re- 
giftres  ;  &  k  force  d'agiter  la  roue  de  for- 
tune ,  elles  y  placent  leurs  amants ,  leurs 
&voris ,  leurs  maris ,  8c  enfin  ceux  qui  les 
paient. 


>  £    Paris.         119 

Oii  voit  beaucoup  de  femmes  qui  difènt 
d'après  Nkîon  ,ye  me  Jiiis faite  homme.  Auffi 
une  infultante  galanterie  ne  rend  plus  aux 
belles  qu'un  culte  ironique  &  offcnfant. 

Jamais  autrefois ,  en  parlant  du  fèxe ,  on 
ne  difcMt  les  femmes  ;  on  auroît  proféré  une 
«xpreffion  groflîere. 

Jean  -  Jacques  Rouflèau  a  dit  des  chofès 
'fi  dures  aux  femmes  de  Paris ,  que  je  n'o(è 
même  le  combattre.  Il  avoue  que  l'on  peut , 
&  que  Ton  doit  y  chercher  une  amie.  Je 
penfe  en  effet  qu'il  s'y  trouve  beaucoup  de 
femmes  fcnfées  ,  véritablement  (ènfibles  aux 
nobles  procédés  ,  &  capables  de  la  plus 
grande  confiance  en  amitié.  Mais  en 
amour . .  •  Oh  !  *)e  n'ai  pas  le  droit ,  comme 
Jean- Jacques ,  de  leur  dire  de  terribles  vé- 
rités. Lui  fèul  a  fu  leur  plaire  en  ne  les 
flattant  pas. 

Mylord  Chefterfield ,  après  avoir  encenfé 
de  fon  mieux  notre  nation ,  a  fini  par  dire; 
âi  Foreille  de  fon  fils ,  que  les  femmes  par- 
mi nous  font  de  grands  enfants  qu'il  &ut 
àmufer  avec  deux  hochets ,  la  vanité  &  la 
galanterie. 

Nous  avous  des  mines  charmantes ,  des 
yeux  vifs  &  malins ,  des  phyfionomîes  gra- 
cieufes  &  fines  ,  des  têtes  fpîrîtuelles  ;  mais 
on  compte  les  belles  têtes ,  &  elles  font  ex- 
ceflîvement  rares. 

Pourquoi  les  fenmies  aiment-elles  la  ca-% 


riti  "T  A  ^  L  E  -A  tr 

;  très -refpeâablesvcVIl  celle  A\\  (êcond  ordre. 
de  la  ]x)urgecîfîe.  Attachées  à  leurs  itiarit 
&  à  leurs  eofants  ^  foigneuiès ,  économes  , 
^attentives  k  leur^  maliens  ^  elles  cffient  Iç 
niodele  de  la  (kgeÛè  &''du  traralir  Mai^ 
ces  femmes,  n'ont  point  de  fortune ,  xrhcr- 
■  chent  a  en  am^f&t ,  (ont  peu  .brillantes ,  en- 
core nioîns  inftruites.  On  ne  les  àpperçoit 
pas,  &  cependant  elles  font  à  Paris  Thurn^ 
jReur  de  leur  fexc.. 

* ,  La  coutume ,  de  Pans.a.  L^rpp  accorda  au 
'fi?mnies  ;  ce  qui  les  rend  impaietifes  &  en* 
géantes.  Un  mari  eft  ruiné  ,  s'il  perd  {a 
femme.  Elle  aura  été  malade  pendant  ^ 
années ,  elle  lui  aura  coûté  infiniment  :  il 
|aut  qu'il  reftitue  tout  à  foh  décès,  pie  -  là 
la  tiiiteflè  avec  laquelle  ;pnierre  des  noeuds 
qui  ailleurs  font  fi  doux. 

A  un  certain  âge ,  la  femme*  quî  ne  fc 
fait  pas  betefprit ,  fe  coniUtue  dévote.  Elle 
en  prend  la  contenance  ,  aflifle-à  tous  les 
fermons,  court  toutes  les  bénédiâions,  vîftte 
fon  dîreâ^ur  ,  &  s'imagine  enfuîte  qu'il  i^y 
a  qu'elle  au  monde  qui  f:^  de  bonnes  ac- 
tions. Elle  fe  le  perluadé  G  bien  ,.  qu'elle 
daimie  tous  ceux  qli'eOe  reâçontTe ,  &'iîff- 
.  tout  ceux  qui  impriment.       .   \ 

Nos  femmes  ont  perdu  le  caraâère  lè 
plus  touchant  de  leur  fexe  ,  la  timidité ,  la 
(implicite ,  la  pudeur  naïve  ;  elles  ont  rem- 
pla(^;cette  perte  immenfe  par  les  a^éments 


D  ï    Pari  s.  0.3 

3e  Pcfpnt.^  les  grâces  du  langage  &  des  ma^ 
nieres,  elles  font  plus  courues  ,  moins  rerpeo* 
tées:  on  les  aime  fans  croire  a  leur  amour  ^ 
elles  ont  des  amants  plutôt  que  d^'  amis. 
Ceux-là  difparoiffènt,  oc  ceux-ci  ont  le  mal* 
heur  de  les  ennu)^r.  Elles  £e  trouvent  feules 
.fiir  le  retour  de  l'âge ,  apcès  avoir  pafts  au 
milieu  de'&tant  d'hommes  dont  «lies  om  plu- 
tôt captivé  le  x:oeur  que  .Peftirae. 

Elles  ont  fait  trop  de  chemin  pour  pou- 
voir revenir  li  leur  (èxe  ;  il  faut  qu'elles  fe  ùS* 
dfent  hommes  tout-a-fait ,  au  rifque  de  perdre 
encore  davantage.  Mais  du  moins  elles  ne 
iferont  plus  des  êtfes  mixtes  ,  &  notre  hom- 
-naage  alors  fera  fhs  ierieux* 


^ 


C  H  A  P  I  T  fi  E     C  CX^ 

:Cocardc^ 

IL^es  mêmes  femmes  qm  préfldoient  acte 
-tournois ,  qui  eiurichiflbient  de  leurs  mains 
les  cottes-d'armes  de  leuis  anlants  ,  qui  letc 
préfentoient  leurs  armures  ,  qiii  les  en* 
voyoient  au  combat ,  s'acquittent  aujour* 
d'hui  envers  la  gloire  ^  en  donnant  une  co* 
.^ardt.  Ceft  que  Tamour  pour  la  patrie  eft 
;d'un  poids  tout  aulli  léger  que  le  préfent. 
Les  femmes  aiment  «^  elles  les  hommes 

F  2 


1x6  Tableau 

circor fiances,  où  elle  fembloit  d'abord  demecw 
rer  indcci(e. 

Qu'il  y  ait  une  rixe  entre  mari  &  fenmie  : 
le  mari  commence  par  avoir  tort  ;  &  au  bout 
de  trois  jours ,  il  eft  peint  des  plus  afieufès^ 
couleurs.  La  Itgue  of&nfîve  &  dëfcHfive  fe 
manireHe  de  tous  côtés  :  enfin  les  avocats  ^ 
les  loix  ,  le  jugement  font  pour  le  pauvre 
époux  ;  tout  cela  eft   caflë  à  un  autre  tri^ 
ounal.  I  es  femmes  foutiennent  leur  parri  , 
malgré  les  démonftrations  les  plus  authen*- 
tn}'es  ;  &  après  avoir  ameuté  les  efprits  ,> 
iinilîènt  par  les  entraîner, 
\  Mais  malheur  a  celle  qui  n^cft  pas  mariée  f 

sien  ne  lui  eft  permis ,  on  lui  fait  un  crime 
de  tout.  Les  mères  (ont  d'autant  plus  vigi^ 
lantes  qu^elles  connoiflènt-  tous  les  tours  que 
les  pafTions  peuvent  infpirer.  Aînfi  le  rèle  (for 
fille  eft  le  plus  cniel  rôle  du  monde.  On  la 
dieflè  à  tous  les  riants  atours  de  la  mîgnar- 
dîfe  &  de  la  coquetterie  ;  on  ne  lui  imprime 
que  Tamour  des  arts  qui  fervent  &  embel-^ 
liflènt  la  volupté  ;  on  ne  lui  impofe  d'autre 
devoir  que  la  fcierjce  de  plaire  :  &  l'on  veut- 
que ,  renonçant  an  but  de  tant  d'inftruâibns  ^. 
elle  foit  froide ,  fonrde  ^  tous  les  propos  qui- 
circulent  autour  d'elle,  8c  qu'eDe  demeure 
même  infenfîble  au  plai&  qui  naît  de  Fim* 
preflion  de  fes  charmes. 

Il  faut  donc  qu'elle  dîflîmule  avec  un  coeur 
laeuf ,  &  qui  ne  fembloit  pas  né  pour  fou«^ 


tenir  le  rôle  d'ime  feinte  perpétuelle.  Elle 
ne  peut  jamais  dice  un  mut  de  ce  qu'elle  tant 
iî  bien  ;.  le  monde  devient, ihjufte  &  abTurde 
àfbn  cfgard.  Qu'elle. (bij;  mélancolique  ^. elle 
eft  toun^iejçitee ,  dit-ron ,  /du  de|îr»&:du  be* 
(birï  d'avdlr  un  anupr.  JËft  -  elle  gaie ,  folâ- 
tre ?  Cet  enjouement  touche  à  peu  de  réfenreé . 
Elle  ne  peut  ni  rire  ni  foupirer  :  on  veut^p'elle  • 
^foît  fille ,  &  qa'elle  ne  le  foit  pas, 

£t  voilà  pourquoi  les  .fiUes  ^'enni4ent  avec 
lesTemmes,  &  Jes  femmes  avec  les  fiile^ 
Aufli  ne  peuvent-elles  pas  cauTer  enfemble  ; 
&  s'il  y  a  une  très-étroite  union  entre  une  ' 
femi;ne  &  une  fille ,  l'innocence  de.  celle-dL  _ 
tQuche  k  fon  terme»  . 

C,  H  A  .P  I  T  RE.  C  C  L 1 1 1. . 

Les  Vapeurs. 

%i/^  vers  de  Voltaire  eft  d'un,  phyfîcîen;  . 
En  effet,  la  moUellè  du  corps  indique  i'in-  - 
aâion  dp  J^ame«.  Toutes  les  parties  de  notre 
coT^  tombent  dans  un  relâchement  qui  ei>- 
levé  aïo.  fibres  l'^afticiténécedaire  pour  que  ' 
les  fecrétions  fe  fiflènt  avec  régularité. 

De  là  les  vapeurs  qui  naiflènt  de  ce  dé- 
fiiut  d'ocoçâuipn.  qui  à  détérioré  les  facultés  » 


li8  T  A=B'L'k  A  ff 

de  l'amç.  Uîriiagînatîon  eft^dViîtant  plus  ac- 
tive, qu'elle  régné  fitr  des  organes  délicats  ^ 
qui  inceflàmment  flattés ,  ont  perdu  leur  reC- 
fort,  &  Ce  (ont  affkifles  dahstiiié^4uigueur 
qui  foumet  les  rtetfe  aito  •  plus  tërrîbfe^  con*' 
vulfions  ,  parce  qile  ,  détendus  par  trop  de 
'jouiOànces  ,  ils  fe  replient  &  agiflènt  Iiir 
eux-mêmes, 

C'eft  rimagînatîon  qui  ouvre  lé  champ  de 
la  douleur ,  parce  que  cette  puiflànce,  qnàn4 
-elle  n'a  pas  un  objet  qui  la  captive ,  a  le  ;  di»n 
de  fnéfamorphofer  en  maux  tout  ce  cjiî'l'én- 
vîronne.  L*oilÎTeté  fevorîfé  les  paflîoni  trop 
fenfuelles  ;  &  celles-ci  font  fi  tôt  épuifées, 
que  le  principe  de  fenfibilité  qui  forvît  hê 
fait  plus  où  fe  prendre  &  s'attacher* 

Ce  principe  fatigue ,  devient  un  tourment. 
Il  n'y  a  plus  de  voluptés  pour  l'être  miféra- 
ble  qui  fe  fent  exifter  ,  oc  qui  voudroit  des 
plaifirs  a  l'infini  ;  tandis  que  fes  organes  for.c 
oblitérés,  &  que  les  nerfs  ne  peuvent  plus 
tranfmettre  les  Tenfations  dont  ils  font  les 
véhicules.  i    > 

Terrible  état  !  c'eft  le  fuppBce  de  toutes 
-les  amesefFéminées-,  que  i'înaâion  ajMrécipi- 
tées  dans  des  voluptés  dangereiifôs ,  &  qui , 
pour  fe  dérober  aux  'triayaux  impofës-  par  la 
nature ,  ont  emlurafiSf  tous  leû  iàntômes  de 
l'opinion. 

Nos  dodeurs  accoutumés  a  tâter  le  pouls 
à  nos  jolies  femmes ,  ne  connoiflènt  plus  qu€ 


B  £     P  A  H  I  s.  129 

les  vapeurs  8c  les  maux  de  nerfs.  Quand  un  [ 
fort  de  la  halle  eft  malade ,  ils  difenc  qu'il  a  ! 
des  vapeurs ,  &  ils  le  mettent  au  bouillon  de  j 
poulet  &  à  Teau  de  tilleul. 

Une  jolie  femme  qui  a  des  vapeurs ,  ne 
fait  plus  autre  chofe  que  de  fè  traîner  de  fa 
baignoire  k  fa  toilette ,  &  de  (a  toilette  à  fon 
ottomane  ;  fiiivre  dans  un  char  commode 
une  file  ennuyeufe  d'autres  chars ,  cela:  s'ap- 
pelle yS /^rome/ier  ;  &  elle  ne  prend  point 
d'autre  exercice.  Celui-ci  eft  même  réputé 
U'op  violent ,  &  elle  n'en  ufe  que  deux  fois 
le  mois: 

Aînfi  les  riohes  (ont  punis  du  déplorable 
emploi  de  leur  fortune.  En  voyant  d'un  œ2 
fec  la  mifere  cPauûriû  ^  ils  n'en  looc  pas  plus 
heureux  ;  8c  ne  fâchant  point  tirer  un  parti 
réel  &  avantageux  de  leur  c^lence ,  ils'font 
maudits ,  (ans  faire  uti  pas  de  plus  vers  W 
bonheur.  j 


-»    1 


t% 


X30  Tableau 


CHAPITRE    CCLIV. 
De  Vldolc  de  Paris  ,  le  Joli  (i)«. 

jj'entreprends  de  prouver  qœ  le  joli ,  danr- 
tous  les  genres ,  en  la  perfeâtou  cm  beiu  8c 
même  du  fublime  \  que  Payantage  d'être 
aimable  remporte  (ur  tous  les  autres  ;  &  que- 
k  peuple  qui  peut  fe  dire  la  plus  jdietiationy 
doit  paflèr  fans  contredit  poCir  le  premiee 
peuple  delà  terre.  J'écris  pour  les  hommes^ 
femmes  de  Paris. 

.   .Qn  a  eu  jufqu'ici  une  fiuifle  opinion  de- 
ce  qui  méritoit  l'hommage  univerfel  des» 
hommes.  La  nature  a  betoin  d'être  corrî*^ 
gée  6c  embellie  par  l'ar^tw  Si  on  la  moriley 
c'eft  comme  on  fait ,  jx>ur  la  rendre  plitt, 
gracieufe.  L'agrément  eft  le  dernier  traitque 
l'on  puidè  donner  aux  belles,  chofès»  Finit-- 
on  un  édifice^  un  tableaa,  un  inftrumentr 
on  lui  prête  des  ornements  qui  feuls  le  font 
'   valoir.  Il  en  eft  de  même  des  mœurs ,  mi; 
ne  commence  à  jouk  que  lôrfqu'bn  com^ 
mence  à  raffiner. 

Lor(qu'une  nation  efi  encore  barbare ,  elle 

(i)  Ce  chapitre  tronîque  a  déjà  été  imprimé  «; 
mais  ceû  id  U  vé/xtabU  place«. 


0  r      P  A  R  I  s.  13^ 

peut  facilement  rencontrer  le  lùblime,  Ctft 
ainC  que  rœil  fivide  de  l'Arabe .  découvre 
loiubce  à*\m  arbuQe  au  milieu  des  déferts 
brûlants  où  H  s'égare.  On  fait  alors  de  gran-r 
de$  chples  v  i^^îs  ceil  iàns  le  fa  voir  :  on- 
n'agit  que  par  inftinâ:,  Qu'eft-ce  en  effet  que  „ 
le  mblime  :,  finon  une  exagération  perpë- 
tuçlleyun.coloflè  que  l'ignorance .  conlmiît 
Se  adn^tr^  ?  Le  g<^,bie  ^  dans  £es  bonds  im«  ; 
pétuèux.  4  extravague  en  nous  étonnant.  Les  >  > 
peuplés  méme$  les  plus  iauvages  ont  créé  uns   ^ 
e^bk,ce<{bbUhle. tant  admiré  :  la  rude&  ■.: 
des  naflions  fufEt  pour  l'enfanter^.  . 

C  eft  upie  nature,  brute-,  qui  n'a  pas  befbiti 
deiculture.  Alors  onr  peint  les  tableaux  com- 
muns du  lever  8c .  du  coucher  du  foleil  ;  on 
s'èxtaÇe  kh  vwe   d'uti..  cid  étoUé  ;  on  & 
promené  à  pas  knts  fur  le,  bord  de  la  mer  ^ 
ôlPoo  admise ces: flots  w^iSknts ^^quibafe 
.  teat  majcffuei^me^t  ks  rives^  ; 
/    Qn  îdol^p:  ïerf^htpmi^  de  la^liberté,  & 
:ToA  a  U  fottUç- de.^CQijiîbattre  &  de  mourir 
pour  elle.  Oh  rejeçtc  un  riant  èfclavage  qui 
nTeiï  mérite  pas  6:  noitV^  8t  (pii  doit  youiB 
j&éer  unç;  ;foiue<ie.pUi£;s  .enchanteurs  :  état 
.délicieux ,.  ôà.  dea:  chaînes  à*br  6c  de  foie 
nç'vouj  ca^ve^t;  que  pour  vous  faire  par- 
xourik'  TO,  cercle  d  aitwferaentr  variés  ,  oii 
Fon  vous,  pte  une  fôrCe   dangereufe ,  pour 
vouslaider  une f6iUe(&  fortunée^  On  redife; 
âaïas.  ces  terops  grpQkxs  dîélç  ver  des  roisJGjr 


iji  Tableau 

fà  tête  ,  &  Ton  fe  prive  ftupîdement  de  FaC 
ped  d'une  cour  brillante  ,  qui  réunit,  &les 
chefs-d'œuvre  heureux  desaxts  &  du  gbÛc. 
On  vit  fans  peintres  y  fkns  ftatuaîres  y  fans 
muficîens ,  fans  coefîèiyrs ,  (ans  cuîfiniers.  y 
fans  confifeurs.  H  règne  dans  les  mœurs  un 
courage  gîgantcfque ,  une  vertu  fërere  & 
pédante  :  tout  eft  grand  &  ennuyéui.  Les 
maifons  font  vaftes  comriîe  des  cloîtres  ;tous. 
les  dîvertîflèments  publics  &  partîcolîersfpor-. 
tent  avec  eux  l'empreinte  d'un  caraôeremâle^ 
Les  femmes  font  féqueftrées.  de  lafociété^ 
&  n'allument  le  feu  de  l'amour  que  dans  le 
cœni  de  leurs  époux.  Elles  tie.  *ïe  dîfputent 
point  les  hommes*;  elles 'fe  bônj«»nt.  ^  don- 
lier  des  citoyens  ,  ^  tes  ëltevcr  ,  à  gouverner 
un  ménage..  L'autorité  paternelle ,  Pautorité 
maritale,  noms  fi  judicieufement  deve-» 
'%us  ridicules  parmi  nous ,  jouiflènt  de  tous 
kurs  trilbs  droits.  Les  mariâgfes  font  féconds  v 
une  manicçè  de  vivre  unîfoiriie  &  fêrieuf^ 
cft  le  caraûferfe  dominant* de  ce  peuple^  qui 
ne  difïere  guère  des  ours^ 

Mais,  dès  quHjn  layoo  vîeot  Pédaitier, 
dès  qu'il  fort  de  cette  gravité  împofknte  & 
tacitnrnç ,  il  comméticic  d'abord  a  entrevoir 
le  beau  ;  il  taille ,  il  façonne ,  il  (è  cr^è  èes, 
règles  :  le  goqt  &  la  déIîcatefH'v^etlnéI)t 
&  enfantent  le  /oû\  mille  fois  phs  fedut^ 
fant^  On  ne  voit  plus,  fur  les  tables  le  dos^ 
àiPiwe  d'Un  hç&iiip  d'iio  fenglîcr  ^  ou  df«x. 


B  E     P  A  R   ï   s.  133 

cerfl  On  ne  voit  plus  des  héros  greffiers 
éévoret  des  moutons  ,  des  princeilès  iileF 
ou  Ûire  la  leffivê.^  On  s'honore  d'une  noble 
oifiyeté  ^  &  des  mets  délicats  ^  remplis  de 
(bcs  quinteflènciés  ,  fe  fuccedent  pour  ré- 
veiller on  appétit  fans  ceilè  éteint  oc  renou- 
▼ddéé 

Les  guerriers  (  fi  toutefois  ils  mangent  ) 
effleurent  Faile  d'un  faifan  t)u  celle  d'une 
perdrix  ;  quelques-uns  d'entr'eux.  ne  vivent 
même  que  de  chocolat  ou  de  fucreries.  On 
ne  vuide  plus  des  outres  \  on  goûte  des  li- 
queurs ânes ,  poifcm  déleâablé  &  chéri.  Les 
hommes  au  ^oigtiet  dé  fer ,  à  l'eftomac 
d'autmche  ^  aux  mufijies  nerveux ,  ne  fe  mon« 
ttent  qu*k  la  foire. 

C'eft  fheureux  fiecle  où  Ton  répand  plus 
à'aifance  dans  le  commerce  de  la  vie ,  où 
f  on  hriliante  tous  les  ob^ts ,  où  l'on  ima;- 
-gine  chaque  jour  dé  nouveaux  divertifle* 
ments  pour  cha&r  ^immortel  ennuK. 
•  On  y€Àt  nakre  erJ^lz  bonne  comfmgnie  y 
terme  parfait  de  la  fiicceflion  graduelle  des 
chofes  ;  &  la  coëffiiie  devient  l'a&ire  im-> 
portante  &  capitale^ 

■  '  L'amour  n*(eft  fjus  auffi  cette  flamme  con-^ 
filmante  qui  fai(bit  pleurer  les  Aehilles ,  quî 
pécrflbit  les  Faladkis  à  travers  tes  txionts  ÔC 
les  fixêts;  c^efl  une  a&ire  de  vanité:  & 
telle  femme  s'imagine  l'emporter  en  mérite 
fiiK  h%  4JL^€&  femmes  à  {uroportioa  ^de  foc» 


/ 


§34  T  A  B  L  E  A  If 

amants.  Elles,  ont  le  coeur  allez  bon  poix  fe^  ; 
croire  obligées  de  faire  beaucoup  d'heureux» 
Tout   change  ;  nufs^  çVft  pour  le  mîeuXà. 
Fils  !  vous  ne  dépendiez  plus  fervîlemeoi;  . 
d'un  père  qui  penfoit  bonnemeas  que  la  na- 
ture lui  avoit  donné*  cpiclque  empijre  (iir  c 
vous.  Femme  !  vous  vous  moquerez  de  .fo-  . 
tre  époux  ;  plus  de  liens  géfiants  ;  chaque  > 
ttidividu  eft  libre ,  &  n'eft.  founw  qu^W  jwg,  r 
politique ... 

O  comme  tout  devient  fiicile  &  uatunel  !   ; 
Ce  qui  enflammoit   llmagîhàtioh  de  nos^  . 
aïeux  mélancolk)ues9  eflr  à  peine,  un^  fiijet  de 
pkifanteriè.  Ces  idées  Ciblimes ,  .qui'  ivoiene-  - 
^gaté  des  têtes  ardemes  ,  qiue  lieur  avoient 
înipuré  ce  fanarifme  opiniâtre  qui  tient  à^  . 
fortes  penfées ,  &  qui  fait  peut-être  I^  grands  > 
hommes,  ne  parbiiïènt  plus  quefiirun  fté- 
nie  papier ,  où  elles  font  jugées ,  noù  fur  leur 
^gré  d'élévation  &  de  force ,  m^is  iiu:  l'eifr^ 
pre/Hon  qui  les  habille  Se  les  &core.  M.,  db 
là  Harpe  vous  dira  que  Milton^  Dame ,  Sb»* 
l:efpear ,  &c.  font  des  écrivains  monfirueux^ 
Il  eft  vrai  que  M.  l'académicien  eft.  éloigné, 
de  cette  monjiruojîté^ 

Ce  beau  même  qui  ,  convne  une  ftatue 
ÎQanimee  8t  polie  ,  n'avoit  parlé  qu'à  l'amc> 
Be  femble  plus  qu'une  image  intelleâuelle^, 
&ite  pour  les  rêveries  des  philofophes.  Mais: 
fc  joli  eft  revenu  à  fca  tour  ;  le  joli»  a  tou- 
ché, tousu  les  fensi  le  \mà  eft  louiouis  chaJQ^ 


n  E    Paris.  ryç 

triant ,  jufques  dans  Ces  caprices.  Il  prête,  en 
effet  des  attraits  à  la  volupté  \  il  eft  Torateur 
des  cercles  v  il  attache  la  curiofitë  ;  il  orne 
les  talents  de  tous  les  avantages  :  toujours^ 
léger  &  différent  de  lur-mênie  ,  il  voit  dans, 
toutes  fes  attitude^  le  goût  préiider  a  fa  ftrue* 
lure  délicate^ 

U  ^alloit  toute  l'étendue  de  nos  lumières 
pour  donner  une  forme  à  cet  enchanteur , 
quf  revêt  des  couleurs  les  plus  riantes  les  6b» 
Jets  de  la  nature,  qu'il  imite  ,  ou  plutôt  qu'il 
fiirpaflè. 

Qu'eft-ce  que  la  beauté  ?  Un  rapport^ 
une   jufte  proportion ,  une  harmonie  très-- 
fouvent  froide  &  dénuée  de  grâces.  Le  joli 
n'a  pas  befoin  d'être  examiné  ;  il  infpîre  fîî- 
vreflè  dès  qu'il  eft  apperçu  :  un  foupir  invo- 
lontaire rend  hommage  à  Ê  perfeâîbn.  VoyeiL 
ces  petits  chefi-d*œuvre  gracieux,  ces  minia- 
tures exqpiïès ,  ces  merveilles  fragiles  ;.  elles 
en  font  plus  précîeufes  ,  Toei!  s'y  fixe  avec 
complaifance ,  l'iDeil  admire ,  &  Fimagînap-^ 
tîon ,  tout  aâive  qu'elle  eft  ,  iè  trouve  &tis* 
faite ,  &  ne  conçoit  rien  au  deUi. 
;     Tranfportons  en  idée  dans  nos  villes  un. 
ie  ces  hommes  qui  peuploient  jadis  les  fçh- 
têts  de  la  Germanie ,  ôt  qui  reparoîflènt  eûr 
core  fur  notre  globe  fous  les  noms  de  Tàr^ 
tares  ,  de   Hongrois  ,  Stc.  Vous  apperce- 
vrez  une  haute  ftature ,  une  large  &  forte 
poitrine ,,  ua  menton  qui  nourrit  une  barba 


iy6  T  A  B  L  ï  A  tr 

rude  &  épaiilè ,  des  bras  charnus ,  une  jam« 
be  fortement  tendue  ,  qui  a  chaque  pas  faîr 
jouer  un  faîfceau  de  mufcles  élaftiques  8t 
iouples.  Cet  homme  eft  aufli  agite  que  ro 
buite.  Il  ftippoite  la  faim  ,  la  loif  ;  il  cour 
che  (ùr  la  terre  ;  il  brave  l'ennemi ,  les  fan 
fons  &  la  mort.  Plaçons  k  fes  cotés  cet  élé- 
gant que  les  grâces  ont  (emUé  careflèr  en  ïc 
formant  ^  il  exhale  au  loin  une  odeur  d'anx^ 
bre  ;  Ton  fourire  eft  deux  ,  &  &s  yeux  (ont 
yifs.  A  peine  fon  menton  porte  l'empreinte 
de  la  virilité  ;  fa  jambe  eft  fiiie  &  légère  j 
ks  mains  femblent  créées ,  non  pour  les  tra-- 
.  vaux  de  Mars ,  mais  pour  piller  les  trélbrs  de 
Famour»  La  faillie  étmcele  en  fortant  de  îk 
bouche  de  rofè  ;  il  voltige  comme  l'abeille , 
&  ne  paroît  formé  que  pour  repofer  comme 
elle  dans,  le  calice  des  neurs  ;  il  gronde  lé 
zéphyr  ^  pour  peu  qu'il  dérai^e  fêdifice  de 
(a  chevelure.  Impatient  ^  k  peine  s'arrête^ 
t-il  fur  une  idée  ;  fou  imagination  eft  aufli 
prompte ,  auflî  changeaute  que  fou  être  eft 
lemillant. 

Eh  bien  l  prononcez  ^  gentils  Franco^.  ^ 
kquel  des  deux  mérite  la  préférence  î  Avouent 

Î|ue  le  premier  vous  fera  peur,  autant  que 
autre  vous  caufera  de  plaifir  à  voir  ou.  à 
entendre^ 

PaûTonsatac  arts..  On  s'eft  donné ,  je  croîs^ 
k  mot  pour  admirer  ces  produôions  dram^ 
liques ,  où  lesperfonnages  font  agitée  dcmou^ 


©  i     P  A -R   I  5.  137 

vemenç  convulfifs,  cfu  les  paflions  fonr  peinâ- 
tes fous  leurs  vraies  couleurs  :  cela  peut  étr^ 
fort  bon'  pour  tempérer  fennuî  majeftueûri 

S*  iirègite^'dans  nos  g;randesfalles  de  fpeÔa- 
e,*  TyC^i*^  Iprfqu'a  table  on  ^^t  appçller  la 
^è'të,*'tticôre  plus  nécjefliîré  au  bien-être 
que  %s  vins  les  plus  délicieux  ,  récitera-t-oîi 
alBfs ,  cbihnie  faifoîetit  les  anciens ,  les  mor- 
teàut  tratîques  de  cet  épouvantable  Shakef- 
peat  6b  '  0e  ce  trifte  Sophocle  ?  O  que  le 
temps- eft  bien  mieux  eliiployé  !  Le'nnièur 
iplai&nt ,  le  chanfonnîer  aimable  l'ertiporteht 
même  furies  maîtres  du  Parnaflè.  Un  cou- 
plet de  chanfon  ,  un  vaudeville  ,  un  madri- 
gal, un  petit  conte,  tiennent  tous  les  et 
prits  attentifs  ^  bons  ou  mauvais ,  on  rit  tou- 
jours ,  parce  que  le  j!pli  eft  le  père  de  la 
joie ,  &  qu'il  mérite  la  couronne ,  lorfque 
l'homme ,  rendu  à  lui-^même ,  &  dépouillé 
de  fa  robe  ,  ofe  avouer  (es  goûts ,  fes  capri* 
ces ,  &  paroître .  ce  qu^l  eft.    . 

Légers  Anàcréons  de  nos  jours ,  qui  valez 
ou  qui  croyez  Valoir  le  Vieux  chanti'e  deBa- 
thylle  ,  accourez  ,  aimables  frivoliftes ,  & 
faîtes  difparoître  le  fubllmé  Homère ,  le  divîu 
Platon  &  tous  ceux  qui  leur  reflèmblent  ! 

Ouï ,  lèyo/*/  éft  le  dieu  aimable ,  unique, 
cpî  met  en  rtiotivëmfent  les  fkcultés  înté- 
neures  &  leur  donne 'un  refibrt,  une  viva* 
cité  qu*elles  ne  reçoivent  pas  toujours  de  la 
vue  des  plus  beaux  objets.  Le  grand ,  le  fu- 


X38  T   A  BLE  A,  U 

Hînie  ne  font  point  rares^  ;&  .ajboipdeiy: 
^âns  la^  nature  ;  nos  yeux  en  font  fatigués» 
Le  fublmie  eft  au  fein  de  cette,  iinnienfê 
forêt ^  dans  ce  défert  fans  bornes,  da|i$: 
augufles  ténèbres  de  ce  temple  fo|îtâjre. 
fe  déploie  fur  la  voûte  radicule  ^u  |rxiû» . 
nient  ;  il  vole  fur  le»  ailes  des  temii^eSf^ 
il  s'élève  avec  ce  volcan  dont  la  nanunje 
rouge  &  fonibre  embra^  la  nue  ;.  il  accoiur 
pagne  la  majtrftéde  ces  vaftcs  débordenpiemsv 
S  règne  fur  cet  Océan  qui  joint  les  (teux  inoQp» 
des  -,  il  defcend  dans  ces  cavernes  profondes* 
ou  la  terre  montre  fes  entrailles  ouvertes*  &  : 
déchirées.  Mais  le  joli ,  le  joli ,  qu*il  eft  rare  I. 
Il  fe  cache  avec  un  foin  égal  à  (a  gentil* 
lefle;  il  faut  le  découvrir  ;  c'eft-à-dirè, 
lavoir  le  rcconnoître.  Où  fe  trouvent  le^  yeux, 
fins  Se  exercés ,  qui  font  dans  la-  confidence 
de  fés  grâces  ?  C'eft  une  fleur  paflàgerc  , 
qu'un  rayon  va  brûler,  qu'un  fouifBe  va  dé-- 
ÊTuire  ;  c'cft  a  la  main  de  riiomme  à  la  cueil-  .^ 
lir ,  fans  flétrir  fon  doux  velouté  ;  c'eft  à  elle 
feule  qu'il,  appartient  de  compofer  le  bouquet 
fait  pour  le  fein  de  la  beauté* 

Ceft  peu  :  l'homme;  unit  fbn  induflrîe  à  : 
l'ouvrage  de  la  nature,  &  foudain  le  goût, 
de  l'un  furpafle  Torgueilleufe  création  de  1  au- 
tre. C'eft  alors  qu'on  voit  naître  ces  parterres. , 
deïïinés  ^  ces  bocages  foumfs  à  l'ingénieux 
cîTeau  ,  ces  élégantes  broderies ,  ces  petits 
plats.,  ceaeftanipeS'^ces  ariettes.  8c  ces  vers 


r  E    P  À  K  f  s;.  13^- 

^cmceknts  qui  mouflènt  comme  les  pedes^ 
liquideidu  Champagne. 

Heureufè  nation ,  qut  avex  de  jolis  'ap* 
partemencs,  de  jolis  meubles ^  de  jolis^ bijoux^ 
de  jolies  femmes ,  de  jofies  prodwïlions  Hc^ 
léraires;,  qui  prifez  avee  Fureur  ces  char* 
mantes  bagatelles ,  puiffiez-vous  profpërer 
long -temps  dans  vos  jolies  idées,  perfèc-*: 
ttonner  encore  ce  joli  pcrGfHage  qui  vo«$i 
concilie  Tàmour  de  l'Europe  ,  &  toujours: 
merveiileufement  cocfFés  ,  ne  jamais  loou^ 
féveiller  du  joli  rêve  qui  bercé  mollement 
votre  légère  exiftence  F 

CHAPITRE    e€L\r. 

t 

Les  Convois. 

^ivembrunidons  nos  pinceaux  ,  il  en  eft 
temps.  Tout  change ,,  tout  paflè  avec  une 
effrayante  rapidité ,  lè  fbn  &s  cloches  fu- 
nèbres me  l'iannonce.  Cette  population  ira 
bientôt  k  fondre  dans  les  cercueils  ;  ils  (ont 
tout  ouverts  ,.  ils  attendent  leur  proie.  li& 
magafin  eft  plein  :  on  fait  cpe  le  nombre- 
des  viâimes  ne  diminuera  jamais.  On  it 
Fexpérience  journalière  que  la  mort,  frappé 
des  coups  prompts  &  inattendus  \  mais  il 
n'y  a  pomt  de  ville  oii  le  fpeâacle  «fiit  ttié^ 


140  Tableau 

pas  faflè  hioîns  d'iinpreflîon.  On  eft  accou^ 

tumé  aux  enterrements  ;  &  qui  veut  être 

pleure  après  fa  mort  j  ne  doit  pas  mourir 

à.  Paris  ;  Ton  y  ^rc^arde  paflèr  un  convoi 

avec .  une  extrême  indigence. 

-  Les  prêtres  &  les  follbyeurs  comptent  iùr 

des .  trépas  périodiques  ;  ils  connoiuènt  les 

mois  de  Tannée  où  la  groflè  (bnnerie  fe« 

tentira  plus  fréquemment  dans  les  airs^  8c 

lavent  quand  ks  cierges  dn  poids  de  deux 

]ptte$  Sortiront  de  la:  boutique,  dé  J'^citr» 

Les.  jutiés  crieur^  reviemient  exprès  de  la 

^  campagne  ^  &  développent  d'avance  la  lu* 

eubre  tenture.  Les  fouès  font  creufées  & 

ppantes. 

Le  layetur ,  fabricateur  de  noîre  dernier 
vêtempnt  (  roht  d!ttc  ^  robe  d'hiver  ^  a  dit 
la  Fontaine  )  ,  a  reçu  ordre  de  Téglife ,  d'ap- 
porter un  plus  g^raiid  nombre  de  bières.  Le 
curé  &  les  fabriques  calculent^  chacun  de 
fpn  coté ,  l'argent  que  produira  la  mortalité. 

Dans  les  fociétés,  rien  de  (i  vrai  à  la  lettre 
que  ce  petit  dialogue  d'une  fable  ancienne  ^ 
inféré  depuis  dans  la  comédie  du  Cercle. 
Monfieur  un  tel  eft  mort.  -^  Je  coupe  ^xk 
cœur.  —  Cela  eft  fâcheux  aflùrément.  — 
Vous. jouez  en  trèfle,  Madame.  —  Ce- 
toit  un  honnête  homme  ;  de  quoi  eft  -  il 
mort?  —  Carreau.— Il  s'eft  avifé  de  mourir 
fiibitement ...  Et  la  partie  continue  fans  que 
la  moindre  altération  fe  manifefte  fur  les 


D    E     P  A   R   r    s.  141 

vîfages  :  on  a  froncé  les  fourcils  par  aîr  ;  maïs 
le  cœur  eft  demeuré  froîd.  La  même  indif- 
férence attend  ces  âmes  indifférentes* 

On  devroît  louer,  comme  les  anciens^ 
des  pleureurs  aux  enterrements ,  puîfque  nous 
ne  verfom  plus  une  feule  larme  à  la  mort 
de  «nos  parents  &  de  nos  amis.  Un  homme 
apprend  que  fa  femme  vient  de  fe  noyer;; 
il  frappe  du  pied  &  dit  ;  CeU  efi  bien  dé-- 
Jà^féabl(  P 

Dans  l'elgace  de  ceitt  années ,  il  faut  qpè 
deu)C  mîliôns  cinq  cents  mille  individus  aé- 
pofent  leurs  oflèments  &  leurs  chairs  alkalt?-^ 
fées  (ur  ïin  point  de  ïîx  mille  tbîfes  de  crt- 
confércncc',  &  dans  cet  fc^ape,  trente  cf- 
inetières  fuffifent  'pour 'recevoir'  c^  ^ràhd 
-nombrie  de  cadavres.  Chaijue  |)àrbii(ie  îér 
clame  fes  morts  avec  'un  foin  jaloux ,'  & 
il  faut  Açs  difpenfes  pour  aller  pourrir ,  un 
peu  plus  loin. 

Celtes  il  n'y  a  point  de  champ  de  bataille 

où  la  mort  fafle  entendre  d'une  voîx  ^lus 

terrible  &  plus  éclatante  ces  mo^  de  la  guéfr- 

,î:e  ijbldats  ^ferrer  les  rangs.  Les  rangs  font 

ëclaircis  k  chaque  mftant  par  des  coups  àuffî 

rapides  &  aufli  invifibles  que  ceux  du  boulet; 

niab  li  fréquence  des  trépas  r^amd  iin'e  forte 

4'ihfenfibilité  qui  des  efpritspaflè  fiir  les  fronts. 

Un  convoi  n'eft  pis  une  cérémonie' trïfte  ; 

les  riches  ont  un  grand  luminaire ,  toute  Par- 

'genterie  de  l'églife  ^  une  tenture  qui  ceint  les 


i^%  T  A  B  L  «  A  tr 

colonnes  du  temple  ,  un  poêle  richemeik 
brodé ,  nn  de  profundis  ^n  faux  bourdon  ■: 
quatre-vingt  prêtres  en  fiirplis  blancs  portent 
des  xierges  allumés ,  tandis  que  toutes  les 
cloches  en  .branle  retentiilènt  au  loin  dans 
les  airs;  on  chante  pofémentJes  vêpres  ;  un 
«uître  des  cérémoriies  guide  &  jdace  TaC- 
feniblée  ;  un  beau  goupillon  pailè  dans  toutes 
\^s  mains  von  (è  range  fur  une  mémelignti^ 
^11  falue  &  Ton  eu  ialué  avec  prelque  autant 
yde  grâce  que  dans  un  fallon.  ^ 

Pour  le  pauvre ,  on  le  congédie  avec  quel- 
ques vcrfets  àss  laudes  ou  des  matines ,  li 
hi  pâle  lueur  .de  quatre  cierges  entamés  ^ 
^i  portent  iur  des  chai>deliers  jde  cuivre  j 

on  galoppe  rindifpexilàble  uAr^ri^fz^^s^  & 
ceux  qui  portent  le  cercueil  oc  la  croix  de 
^is  9  courent  d?un  pas  impatient  &  |M:é- 
cipité  le  jeter  dans  la  foflè.  Un  petit  gou- 
pillon,  dont  les  barbes  font  rares  6c  uiées^ 
trempe  dans  un  fale  bàiitier  où  fon  a  verfô 
Teau  bénite  d  une  main  encore  avare  ;  le 
plus  fouvent  il.eft  ^  fec ,  &  la  Biain  du  fik 
-eu^e  Tami,  s'il  lui  en  selle  un ,  ne  peut 
arrofer  que  de.fes  pleurs  l'endroit  où  (ont 
dépofées  des  cendres  chéries.  Le  prêtre  eft 
.dé]k  loin  quand  le  ifils  ôte  de  (es  yeux  le 
mouchoir  humide;  il  (è  trouve  feul  fur  k 
'^ombe  de  fon  pere^  &  jufqu'au  bedeatt 
*  boiteux ,  tout  a  déferré  le  cimetière  en  mur- 
murant contre  la  pauvreté  du  défiint  &  de 
celôi  qui  fenterre* 


m  1-'  P  A  H  :i  $•  ^iif 

"^  Xes  feîHets  d^ènterrertiems  réfïènïbleii  a 
-»^es  invitations  V  vous  êtes  prié^'ajfificr^  &c. 
hOiî  trouve  au  bas  i  de  la  part  de  Mad^Jk 
yeày^  /  de  la  part  dé  M.  Jbri  gekdre^  i)n 
^evroit  y  marquer  Pàgie^^du  décédé  \  niafe 
il  n'y  aérien  de  fi  incivil  à. Paris ,  que  d« 
s'infoiraer  de  J'àge  des  morts  &  de  celttî 
•  des  iriyaïlti:' •  "- •'      "  '    -        - 

On  pale  toujours  devance  k  YégliCelt 
xonvoîyle  férvice  ôc^'entéfrement.  On  v!Dus 
préféftté"  un  tarif  tout  imprimé  4  •v<)^s  choi*- 
-Ikïèz  £!bnibieB<  vous  ' votfiez  de'  préfrjcs; ,  Ht 
'cierges, 3e  Hanity&attx,  de  chanddieriS.^^oi>- 
^lez-vous  la  petite  ou-Ja  grande 'ibnneriei 
vous  paierez  tant  ^  trois  votées  pour  k  pe- 
tite ,  mi^  poôi  là  grîtede  y  vous  €n  aUrq^-: 

'  /-  yjtki  s'^àj^t  quiitu 'fkUin. 

Tout  cela  fe  cklciile  :^tant  pour  la  préfence 
<i«  M.  le  cuire ,  &c:  ' 

Celui  ^de,  S.  Euftache  cft  beaucoup  pte 
cher  que  celui  de^S.  Pierre- aux -poèufi.!^ 
^t^i^du  qu'il:  eft  plus  gros  feigneur.  Il  h'etÉ- 
terre  que  lés  penonnes  de  diftinSîon  :  cîti- 
]quahte^  francs,  pour  Touyerture  d'une  foflTe:; 
j^âf?/ pour  le^' chaiftres  qui  glapiront  quanU 
on  defccndrafUe  corps  ;  /^x/îr^pour  la  garni- 
ture &  le  parement  du  maître*=autel  \  tâût 
«pour  le  petit  chœur  x)u  \t  grand  chœur'; 
4ant  pour  le  confeflèur  ou  ton  fîmulacre^ 
*:4am  pour  JCes  gants  blgncs. 


144  T  A  V  l  ^  A^U 

On  ne  viendra  chercher  le  défunt  que 
lorfque  vous  4Uf ez  délivré,  yotre  argent  ;  il. 
ne  vous  fcrcît  pas  permis  d'acheter  une  bière 
chez  .un  layetier  ^  régliTe  en  tient  niag^ifia 
&  doit  feule  vous  la.  vendre  ;c'eft  un  ao-. 
caparement  ^  elle  ^aghe  fur  votre  bîere  près* 
de  la  moitié  du  pfix  intrinfeque. 

A  peine  un  homme  a-t-îl  rendu  ie  deniîes 
louper  ^  qu'çn  Tiariache  en^çore  chaud  dc^  fon 
lit  ç/QH .  ne  cikçvch^  plus:  qy^  ,£ç.débarraflèc 
4e  Ion  .corps.  :  La.  1(9  tçrîibjejSÇ;  fai^P  4es 
jingt-qoaue  heurçs^fegpç  ipipBrieMfemeot 
dans  cette  •  dernière  cataflrophe  de  h  vie 
iiiimaine ,  comme  dans  le^  fiûions  thé^traless 
qu'adore  la  nation.  £l]ene.(e  départir«f.ja{nais 
4e.' ces  depx  mauvaiies. ^  icn}elles  regljes..,.; 

*  On  fuit  i  on  abaqd<jnne  le  corps;  a  .un  vieil- 
lard. Ce  vieillard  "kii  un ^jpxi^t  !^4^ent  & 
fubakerne ,  qui  garde  un  mort  la  nuit ,  &  k 
qui  Ton  donne  vingt  fols  &  une  bouteille  de 
vin.  II.  lit  quelquefois  à  côté  du  cadavre', 
au  lieu  de  Toffice  des  morts-,  TthuÙe  6îi  Ja 
Pucelle  ;  familîarîfé  avec  le  trépas,  U  ye'îîl^ 
indifféremment  Tous  fon  étolé'la  beauté  quï 
n'eft  plus  &  lé  vieillard  qui  a  termîfié  (k 
carrière  \  lé  cierge  funéraire  ne  Pattrîftè  pai': 
tandis  que  le  bénitier  efl:  au  pied',  du  lit ,  '  U 
lire  fa  bouteille  cachée  fous  un  c6îh..dù  Uû- 
.ce^il,  &  il  abrège  en  la  vuïdarit,  les  lon- 
gues heures  de  la  nuit.* 

Avant 


D  E      P   A   R   I   S.  141; 

Avant  les  vingt -quatre  heures  le  corps 
fera  dépouillé,  enveloppé  d'un  drap,  cloue 
dans  1^  bière ,  &  porté  dans  le  trou.      '^ 

Le  lendemain  on  ne  diftinguera  plus  (ba 

cjcercueil  ;  quatre  ou  cinq  nouveaux  peferônt 

fijr  le  Cen  :  c^eft  ce  qu'on  peut  voir ,  puif^- 

Îu'ils  font  le  plus  fouvent  à  découvert  ;  & 
œil ,  s'il  en  a  le  courage  ,  a  la  permîffiou 
de  les  compter.  Le  foflbyeur  ne  jeterà  de 
Jâ  terre  deflùs  que  quand  cette  pyramide  de 
tombeaux  aura  la  proportion  réquife  ^  ils  iw 
feront  en  terre  proprement  dît ,  que  quand 
îl  y  en  aura  un  nombre  fuffifant,  &  que  le 
gouffre  avide  fera  entièrement  rempli. 

On  s'efl:  élevé  contre  cette  précîpîtatîon| 
inhumaine  \  mais  les  avertijŒements ,  ceux, 
même  des  naturaliftes ,  ne  font  rien  fur  les 
ufàges  enracinés  :  plus  ils  font  mauvais ,  plus 
ils  font  tenaces. 


C  H  A  P  I  T  R  E     CCLVL 
D'un  Pauvre. 

JM.ais  peut-être  n'y  a-t-îl  pas  auffi  de  ville 
bii  lès  mourants  fôîentplns"  di&ofës  à  quitter 
la  vie.  Les  deux  extrêmes  de  la  fociété  j^- 
Kcée  lie  font  pas  heureux ,  l'un  par  Ténnui , 
&  l'autre  par  la  mifere,  li'un  a  fatigué  feg 
Tome  'IL  -G 


v/ 


r45  T  A  B  r  e-  a  "V 

fens ,  &  ne  retrouve  plus  le  reflbrt  nëcefiàire 

f)our  fes  Jouîflànces.  L'autre  acheté  trop  cher 
a  courte  &  pénible  (ktisfaâion  de  fes  1>e« 
foins.  Il  eft  las  de  la  vie  dont  le  premier  eft 
dégoûte.  A  ce  fujct^  je  veux  vous  donner 
la  âarfation  fuivante. 

Dans  le  fauxbourg  Saînt-Marcel ,  lieu  où 
par  excellence  dominent  la  mîfere ,  le  mau- 
vais air,  conféquemment  le  mauvais  pain, 
Phuile  empoifonnée ,  une  fièvre  pourpreufe , 
brochant  fur  le  tout ,  îiioiffimrifoit  les  pau- 
vres par  centaines.  Ils  n'avoient  pas  le  temps 
de  fe  faire  traîner  à  l'Hôtel  -  Dieu.  Les  con- 
feflèurs  ne  fortoient  pas  d'une  maifon  ,  & 
Pextrême-onaion  defccndoit  du  grenier  au 
feptieme  étage  (i). 

Les  bras  tomboient  aux  foflbyeurs.  Le 
cercuelt  bannal ,  depuis  quinze  jours ,  rou- 
loit  de  porte  en  porte,  &  ne  s'étoît  pas 
trouvé  vuide  un  feul  inftant.  On  avoit  de- 
mandé un  renfort  pour  exhorter  les'  mou- 
rants ;  car  la  communauté  des  prêtres  de  la 
paroîfle  ne  pouvoir  plus  y  fuffire.  Vînt  Âxn 
capucîn  vénérable  :  il  entre  dans  une  efpece 
d'écurie  baflè  ,'où  foufBoit  une  vidîme  de 
lacontagipn.  Il  y. voit  un  vieillard  mori- 


m 


•  (i^  Parce  que  le  grenier  en  fonnoit  le  hukîe-' 
me.  J'ai  fait  c^rte  note  pour  les  Etrangers ,  qui 
B^auroient  pas  conçu  comment  on  pouvoit  def> 
gçndrc  «u  icpticmç  étïgc. 


D  1E       P   A   R   ï   5.  147 

lïond ,  étendu   fur  dtîs  hàîllbns  dégoûtants. 
B  ëtoit  fcul  :  une  botte  de  paille  lui  fer  voit 
de  couverture -&  d'oreiller^  pas  un  meuble, 
pas  une  chaife;  il  avoir  tout  vendu,  dans  les 
premiers  jours  de  fa  maladie  ,  pour  quel- 
ques gouttes  de  bouillon.  Aux  murs  noirg 
&  dépouillés  petidoiènt  feulement  une  ha-< 
che  oc  deax  fcies  :  c'étpit  là  toute  fe  for- 
tune ,  avec  fes  bras  ,  quand  il  pouvoir  les 
mouvoir;  mais  alors  il  n'avoir  pas  la  force 
de  les  foulevet.  Prcne^  courage^  mon  ami, 
lui  dit  le  confeflèur  ;  ceft  une  grande  grâce 
^ue'  Dieu  vous  fait  aujourd'hui  ;  vous  àllei^ 
incejfamment  Jbrtir  de  ce  monde,  ou  vous 
n'ave[^  eu  que  des  peines  . .  • .  Que  des  j^ei^  ' 
nés  ?  repm  le  moribond  d'une  voix  éteinte. 
f^ous  vous  trompei^  ;  fai  vécu  ajfe^  con^-^ 
teht  ^^  ne  me  fias  jamais  plaint  de  mon 
fort.  Je  ri  ai  connu  ni  la  haine,  ni  V  envie: 
mon  Jbmmeil  étoit  tranquille  ;  je  me  fa-^ 
tiguois  le  jour  ,  mais  je  repofois  la  nuit. 
Les  outils  que  vous  voye:i^  me  procuroierU 
un  pain  que  je  mangeois  avec  délices ,  & 
je   n*ai  jamais  été  jaloux  des  tables  que 
jai  pu  entrevoir.  T ai  vu  le  riche  plus  fujet 
aux  maladies  quun  autre.  ^  Tétoïs  pauvre^ 
mais  je  me  fus  ajfe:^  bien  porté  jujqu'à  ce 
jour.  Si  je  reprends  la  fanté^  ce  mie  je  ne  ^ 
crois  pas  ,  j'irai  au  chantier ,  '&  je  con^ 
tinuerai  à  bénir  la  main  de  Dieu  quijufi 
qu*à  préfent  a  pris  foin  de  moi.  Le  cbj> 

G  X 


>I48  T  A -BLE   A  U 

folateur  étonné  ne  {àvoit  trçp  -con^unest 
s'y  prendre  avec  un  tel. malade.  II  oe  pou- 
voit  concilier  le  grabat  avec  le  laif^age  du 
mourant.  Il  k  remit  néanmoins,  &  m  dit: 
Mon  fils ,  quoique .  cctu  vie  nt  yous  ait 
pas  été  fâçhcufc^  vous  nc.dcvei^pas^màins 
vous  refoudre  à  la  quUtcr;  car  il  faut  fi 
joumcttrc  à  la  volonté  de  Dieu ^m,.  .  Saosj 
doute ,  reprit  le  moribond  d'un  ton  de  voix 
femie  &  d'un  oeil  a(£iré^./oz^7€  mande 
doit  y  pajfer  à  Jontour.,  Toi  fiiyiyre ,  ^je 
jdurai  mourir  :  je  rends  grâces  à  J)ieu  de 
m  avoir  donné  la  vie,  &  de  me  faire  paf 
fer  par  la  mort^  pour  arriver  à  lui.  Je 
fens  le  moment*  •  ^.  le  voici» .  •  ..Jldieu^y 
mon  père. 

Voilà  le  fage ,  Je  .croîs  5  &  cet  homme.^ 
pendant  qu'il  vîvoît,  fut  peut-être  mépriff 
du  riche  qui  ne  fait  point  faire  ufage  de  la 
vie ,  &  qui  fe  défoie,  en  lâche  loxfqu'il  s'agît 
de  mourir.  ^ 


CHAPITRE     ce  L  VIL. 

.  Aux  Riches^ . 

fez,  ufez  donc  du  moment  qui  -  vous 
relie  pour  faire  le  bien^  tout  va  fuir  bien- 
•;tQt.dc  vos  mains*  Soyçz. , charitables,  pQjju: 


B  E    Pari  s.  149 

ne  pomt  fentîr  l'inévîtable  reniards  <\m  vous 
attend,  &. vous  endurciflèz  votre  cœar.  En- 
tendez-vous les  cris  des  néceflîteux  ?  Us  vou* 
redemandent  la  portion  que  vous  retenez 
fur  leur  fubfiftance ,  tandis  que  les  excès 
vous  tuent.  Venez.,  approchez;  Quel  fpec- 
cacle  dëplocabie  !  &  fi  les  maux  vont  tou« 
jours  en  croUIànt^.qiael  (èira  donc  le  (brt  de- 
eette  ville  ? 

Ici,  une  malheoteuCe  mère ,  împuîflànte 
à^tiourrir  fon  fils  à  la  mamelle ,  voit  fon  (ein 
épaifc  tromper  la  bouche  aflamée  de  l'en- 
Ûùt  chéri  ^  dont  la  débile  extAetice  pe(è  à 
èelle  qui  lui  a  dc^në  le  tour ,  &  qui  ne 
peut  retarder  que  de  cpaelques  înftants  la 
«lort  prête  a  Tenlever.  Là ,  l'homme  vieilli 
^cinquante  ans  (bus  le  faix  des  travaux  pu- 
blics, n'a  d'autre  per^eftive  que  la  confo* 
ktion  d'être  reçu  daiSd  un  hôpital  pour  y 
mourir.  O  vous  !  qui  nageîs  dans  Topulence, 
qui  foulez  ceniéiiie  peuple  fous  ïd  pieds  de 
vos  chevaux ,  tandis  que  votre  regard  encorç 
plus  cruel  plonge  fiir  lui  arec  dédain  &  or-» 
gaeîl-,  ne  croyez  pas  que  fesmaùx  foîent 
ikn^  xemedes  :  né  vous  perfiiadéz  ^pàs  que 
le  malheur  foit  rîilévitiiibÎ0  partage  1^ 
plus  nombreufè  pnrijnnHJioiVimnfîi  [V/iyrr 
dShs  le  bTen  comniencOe  bien  qui  refte  à 
£tire^  &  ne  penfez  '{^s  que  les  moyens 
manquent  poui^  fecourir  l'humanité  fouf- 
fêuite. 


l^O  T   A   B   L  £  A   TJ 

Il  efl  peu  dlioniniesqur^  en  donnant 
aux  pauvres ,  nVît  réfléchi  qu'il  n'allôic  pas 
adèz  loin ,  &  que  Ton  fuperflu  appartenoit 
de  droit  &  en  entier  aux  indigents.  Mais 
on  ctouiïè  cette  voix  fecrete^qui  efl  autant 
le  cri  de  la  juflice  que  celui  de  la  pitié.  On. 
Vctourdit,  op  étend  fon  néceilàireau-delà 
de  Tes  vraies  dimenfions  :  on  le  fent ,  on 
cherche  à  (è  le  cacher  ;  mais  on  s'arroue  k 
foi-mênie  qu'on  a'a  qu'unis  charité  melquine 
&  imparfaite.  Le  trait  de  la  vérité  é^uip-* 
pe  à  notr6  '  pro{H:e  &  fecrét  aveu  ;  tant  la 
çonfciençe  eft.  un^ièntiniènt  profond  ^  dtt-& 
rable ,  armé  contre  nous  -  ménies  {  Qn  f  a& 
foiblit ,  mais  on  ne  l'éteint  jamaiis. 

Je  laifliè  ceux  qui  me  liront  fiif  cette  ré^ 
flexion  ,  perfiiadé  que ,  s'ils  la  négligent^ 
elle  s'élèvera  un  jour  d'une  manière  terrible 
contre  &jx\  8c  au  moment  où  ils  voàdioieût 
avoir  accompli  le  bien  qu'il-  fera  trop^  tard 
de  vouloir  faire.  Je  les  préviens  qu'il  n'y  aura 
plus  alors  que  l'idée  confolante  d'avoir  été 
humains  ,  fecourablès ,  qui  applanira  pour 
eux  ce  paflage  fî  redoutable  pour  quicomqiiç 
n^a  pas  ;  obéi  à  cette  voix  intune ,  notre  pe^ 
mier  &  incorrupriblfi  juge.    ^  :^    ' 


f  î 


•îHHp 


-  ■  .1 


i. 


D  B       P.A   R  I  S.  i^ 


C,H  A  PI  T  R  E    CGLVIII.  . 

Suicide^' . 

Jr  eraî-jeîcî  le  taUeau  du  fombre  defefpoîr"?  ' 
Dirai-rje  pourquoi  Ton  fe  we  k  Paris  depuis 
environ  vingt  cinq  ans?  On  a  voulu  metti:iB 
fur .  le  compte  de.  la  philofophîe  moderne 
ce.  qui  n'eft  au  fond ,  je  rofaai  dire ,  que 
l'ouvrage  du  gouvernement.  La  difficulté  de 
vivre ,  &  d'un  autre  côté  le  jeu  &  les  lo- 
teries trop  autorifées  9  voila  ce  qui  occa- 
fignne  les  nonibrcux  iùicîdes  ^dont  on  aVn- 
tendoit  prefque  pas  parler  autrefois.  Les  im- 
pôts ne  diminuent  point;  les  droits  d'en- 
trées font  toujours  épouvantables.  On  a  gêne 
le,  commerce  intérieur^  ou  plutôt  il  n'exîffe 
pas,  tant  il  eft  (ùrchargé  d'entravts.  Lcf  . 
douanes  le  fatiguent  &  le  repouflènt  ;  .qii 
a  defleché,  fuccellîvemer^t  toutes  les  brat\- 
cl^es  nourricières  v,on  a  tout  fait  paflèr  daiis 
la jiiain  du  roi,  argent,  charges , privilè- 
ges ,  maîtrifès ,  &c.  Les  agents  de  la  Ç- 
na;ice  moderne ,  calculateurs  impjitoyables^ 
fèmblables  aux  vampires  qui  vont  èncôrii  c 
iucer  les  morts ,  donnent  le  decniftrjcoup^ 
cabeftan  fiir  un  peuple  déjà  mis  au  preftbir.  , 
A  la  longue  ,  tant  de  fardeaux  .  accumulés   > 

G'.4  ■;  ■  "^ 


I^-r  T  A  B  L  E  A  TT 

le  font  fuccomber.  Les  étemelles  loix  prohi- 
bitives enchaînent  rinduftrie^  on  lui.  a  ôté 
fonreflbrt^ 

'  Ceux  qui  fe  tuent,  ne  fâchant  plus  com- 
ment exîfter,  ne  font  rien  moins  que  des 
phîlofophes  :  ce  font  des  indigents,  las, 
excédés  de  la  vie ,  parce  que  I^  fubfîltance 
eft  devenue  pénible  &  difficultueufe 

Quand  rendra-t-on  à  la  confommatîon? 
des  denrée3  un  cours  plus  facile  ?  Quand  le 
mînîftere ,  femblable  a  l'enfant  oui  fait  un 
bouquet  de  la  fleur  de  Tàrbre  ,  fans  s'envr^ 
barraflèr  du  fmît ,  ceffèra-t-il  de  taxer  des 
denrées ,  c'^eft-à-dire ,  d'aller  contre  fes  pro- 
pres intérêts  ?  car  fi  le  peuple  n'eft  pas  nourri 
avec  une  certaine  abondance  ,  comment 
^    pourra- 1 -on  compter  fur  la  force,  fiir  la 
îanté ,  fur  rattachement  des  citoyens  ?  Les 
Farifîens  feront  énervés  ,  &  la  plupart  fe 
refuferont  à  reproduire  leurs  femblabies  (i).^ 
La  police  a  foin  de  dérober  au  public  la 
connoiflànce  des  fuicides.  Quand  quelqu'im 
s'eft  homicide,  un  commifiàire  vient  fans^ 
tobe,  dreflè  un  procès- verbal  fans  le  moin- 
dre éclat,  &  oblige  le  curé  de  la  paroîflè  à, 
enterrer  le  mort  fans  bruit.  On  ns  traîne 
jilus  fur  la  claie  ceux  que  des  loix.  ineptes 


.  i 


(i)  De  \k\e  fvQvcrbt:  EfJ^nt  de  Paris  f  maii'^ 
maife  nourriture^ 


ir  E     P  A  Ri  s.         155. 

pourCiivoîent  après  leur  trépas.  Cefoît  d'aîU 
laars  un  fi)eâacle  horrible  &   dégoûtant,  ^ 
qui  pouvoir  avoir    des  fuites  dangereufes , 
dans  une  ville  peuplée  de  feni^ies  enceintes^ . 

Le  nombre  des  fuicîdes  peut  monter ,  . 
aniiee  coÀVmuhe ,  k  cent  ^cinquante  ffeHbn^ 
nés.  La  ville  de  Londres  rfen  fpurnît  pas 
autant,  (poîque  bieaucoup  plus  peuplée  ;   & 
de  plus  la  çonfomptîon  eft  chez  les  Anglois  - 
une  véritable  maladie,  qui  n'exifte  point  k  i 
Paris.  Cette  fcoiiipatiJîïbtt  nous  dilpenfè  de -* 
toute  aiitrè  réflexion.'^  •    . 

A  Londres'^  c'cft  donc  le  riche  qui  fc  tue  \ 
parce  que  là  conjdmption  2ttzcjfie  TAnglois 
opulent ,  &  qiié'l- A^nglois  opulent  eft  le  plus 
capricieux  des  honltnès ,  conféquemment  le 
plus  ennuyé^  A  Paris  ,  les  fuicides  fe  trou-  - 
vent  daris  '  les  claffes  hifërieures ,  &  ce  crime 
fe  commet  le  plus  (buvcnt  dans  des  greniers",  . 
où  date  des  cnatrlhfes  garnie^. 
-  Plufieurs  fuicîdei  ont  adopté  la  coutuhîé 
d'écrire 'ptéalafbiemeiit' une  lettre  au  liëùtè^ 
nint  de  police,  afiri  d'éviter  toute  diffiailté 
après  leur  'déèès.  Ort  rëcompenfe  cette  ai*» 
'tention  ,  en  ordonnant  leur  féjinltuJrè.  Aùj- 
cun  papier  publier  n^hnoncè-^be  genre  dfe 
mort;  &  dans  niîHe  ans  d'ici ,  ceux  qui 
ccriroient  l'hîlloire  d'après  ces^ papiers,  pour- 
roicht  révoquer  ert  doute  ce  que  j'âvatiçe 
ici  :  mais  îl  h'éft  x^é  trop  vrai  4"^  le  fiiicîdfe 


J  f  4  .  T  A  B  r  E  A  u 

cft  plus  commun  au}ourd!faui  k  Far&  qw 
dans  conte  autre  ville  dui  monde  connu*. 


1 


C  JÇ  :A  P  I  T.  R  E  ,    C.CHX^ 

jlFi/r^f  de  Saint^  Clouât 

9 

es  corps  des  maDieareux  qui  £e  noienr 
n'ont  pas  tous  l'avantage  d'ayP^:;  ^  J^^  ^ 
fuperbe  Océan  pour  tombeau  ,  ainfi.  qu'ils 
s  en  étoient  flattés*.  Ils  ^'acrétent  ^  jS^^çepté 
pendant  les  (temps  de  glafces.,  qux  filets-  de 
Saint-  Cloud  ;  Sc  çelyi  '  qui  a  cpru.  pouvoir 
s'échapper  de  ce  monde  fans  laiflèr  auame 
trace ,  eft  reconnu  :  fe .  reftes  viennent  at- 
teftef  à  la  morru  fon  çtifpe  ,  (bp  ipfi^rtune^ 
jSyL-fon  erreur^  .   •     -     ? 

Dans  une  fêjre  publique  a^  V^Jti  dçiina^ 
2  y  a  trente-deux  ans  environ  •,  fur  le  bord 
de  la  Seine  >  gonEée  .pai; les  grpâès  eaux-, 
le  defordre  &  l'injtempérance  ayant  fait  tonv 
i>er  dans  la  rivière  nlufîeurs  perlbnnes^  le^ 
iipmbre  s'en  trouva  fa  confîdérable  ,  qu'ott 
leva  les  filets  de  Saint-Cloud,  afin  que  rîeo 
xi'atteflàt  la  multitude  des  maÛxeureuiès  vie* 
times. 

On  trouve  (bu vent  dans  ces  filets  les^  pluf 
fingvliers  débris ,  que  le  bafard  entaflè  péle^ 
mêle  y  &  que  la  Seine  a  chariés  de  la  capi« 


D  E      P  A-R*  I  .S.  JL^,i{ 

taie.  On  dît  que  cela  ne  laiflè  pas  que.  dp 
former  un  revenu  pour  ceux  qui  en  oift]['^4- 
mîniftratîon  &  le  bénéfice..  .:,..! 


CHAPITRE.    GCLX..;: 

CupitaUJîes.    j  .      i 

X-ie  peuple  ii*a  plus  d'argent  ;  voila  le  gratvl    , 
niai.  Oh  lui  TdUtire  ce  qui  lui  en  refte  y*  par 
le  jeu  infernal  d'une  loterie  meurtrière /8c 
par  des*  eniprunts  d'une. fédùfSîôh.'dartge-i   . 
reufe^quî  fê  renouvellent  îndéÏÏàmiïienhTUa 
poche  des  capîtaliftes  oc  de..reur$  adnérents* 
recçle  au  moins  la  fpmihe  cfeGx  ceiits^îpîj- 
lions.  Cêft  avec  cette  n^aflè  qrfiis  j6&eçt'>  ^^^c 
éternellement  contre  les  citoyens  dii  rojrau-    u 
me.,  leurs  porte  -  feuilles  ont  fait  l^^yÇc 
cette  fomme  ne  rentre'jamaîs  dans  la;  cgr- 
culation.. 

Stagnante-^. pour  aînfi  dire^  elli^  appelle 
encore  les  ritheflès,  feitrh  loi ,  'éèitf^,13fl?y^ 
me  tout  concurrent^  çfl;  étrangère  à  lîgn- 
culture  ,  à  lYnduftvie  ;  au  coniiggg^;,J^{teflrf' 
aux  arts.  Confacree  k  ragidH&T  elle  eft  Ai- 
nefte ,  &  par  le  vuîde  qu'elle  caufe,  &  par 
le  p-availobfcur  8c  perpétuel  4er»t  ellfe  fcjïe 
la  natîoiK  II  faut  que  danç.cmq.oufix  années 
Targent  paflè.  toyt  ejptier ,,  par  une  oj^ratioi^: 

Q  6 


r    «,    «        •  •*• 


Kj^  Ta  b  l  ît  a  ij 

TÎolente  &  forcée  ,  dans  là  maiii  de  ces 
pîtaliftcs ,  qui  s'entr'aîdent  pour  dévorer  tout: 
ce  qui  n'eft  pas  eux. 

£t  néanmoins  on  taxe  les  arts ,  on  met 
"un  impôt  fur  l'induArfe ,  on  fait  payer  le 
commerce ,  Pon  demande  de  Taisent  à  uh 
homme  quî-travaîlle.  Puîfque  l'on  rfentend , 
plus  que  ce  mot  de  Yargent,  de  Yàrgcnt  , 
encore  de  Y  argent  ^  qu'on  laiflè  donc  les 
moyens  d'amallèr  de  Yàrgeat  ;  c^t  tous., 
(oient  appelles  à  morceler^  à  couper,  à  dé- 
pecer là  maflè  énorme  des  métaux  mon- 
npyés ,  qui  réfîdent  dans  un  petit  nombre^; 
dé  mains  \  favorifez  tout  ce  qui  peut  creufêr 
lès  csmau^  par  où  ce  métal  fi  attendu  doit  (è 
rfjSanrIrf  ^  an  lipi)  de  faire  des  loix  ,  des da — 
tiits'^  des  reglement^î  hî^arrpfj,  ^^c  pr/^K;k;^ 
tibns  éternelles.  Quand  tout  fe  fait"  avec  dc/^ 
^  fargent ,  iTahendez  pas  que  des  vertus  pu- 
rement natriotiques  germent  fur  lefol  de.Ia.^ 
mifere  &  de  l'indigence. 

G  U  A  PITRE     CCLXI... 

-  JlHôtd  des  Fermes. 

Je  ne  paflè  ^oîhf  devant  l'hôtel  des  fermes v 
fans  pouflcr  un  profond  foupir  :  je  me  dis  ^ 
\^.  g'çngouffre  l'argent  arraché  avec  violence- 


.■«■■' 
•  ••  « 


1>  t    P  A  K  I  S.  r57 

êè   toutes  les  parties   du  royaume  ,  pour 

Su'après  ce  long  &  pénible  travail ,  il  rentre 
Itéré,  dans  les  coâres  du  roi.  Quel  marché 
ruineux ,  quel  contrat  funefte  &  illufbire  a 
figné  te  fouverain  !  Il  a'confènti  à  la  miftre 
publique  ^  poiu:  être  moins  riche  lui-même. 
Je  voudrois  pouvoir  renverièr  cette  immenfi^ 
&  infernale  machine  ,  qui  Taifît  à  la  gorge 
chaque  citoyen ,  pompe  fon  fàng  fans  quïl 
puifle  réfii^r ,  &  le  dtlpenfe  à  deux  ou  trois 
tents  partîailieis  qui  poflèdent  la  maflê  en- 
tière des  lîdbeflês.  Chaque  plume  de  coith 
mis  eft  un  tube  niewrtrier  qui  ccrafe  le  com- 
merce ,  Taôivité,  rinduftrie.  La  ferme- «ft 
Tépouvantaîl  qui  comprime  tous  les  deflèins 
hardis  &  généreux.  On  ne  fonge  plus,  dans 
cette  anarchie,  qu'à  fe  jeter  du  parti  des  vo- 
leurs ;  &  Thorrible  finance  fe  foutient  par  fes 
déprédations  même.  Là  ^  enfin  on  tient  t'cde 
publique  de  pillages  raffinés  ;  là  on  offre  des 
plans  plus  oppreffifs  les  uns  que  les  autres. 

La  finance  eft  le  ver  folitaire  qui  énerve  Je 
corps  politiquer^Ce  ver  abforbe  les  princi- 
paux fiics,  fait  naître  de  fauflès  faims,  & 
tue  enfin  le  feîn  qui  le  renferme.' 

Ce  qull  y  a  de  finguliér,  c*èft  qu'pn  â 
voulu  abfoudre  la  finance ,  parce  qu^ellé  ga- 
gne moins  aujpiudTiui  qu^autrefoîs  ;  mais  il 
faut  bien  que  fes  gains  foient  encore  im-^ 
menfcs  ,  puifcu!çlle  bataille  fi  vîgoureufe- 
Bient  pour  le  niaintien  de  fes  opéiratioîis.. 


1^8  T  A  11  L  E  A  ^r  . 

Ptttflèm  les  adèmblées  provinciales  ^  le  pliis^ 
bel  établillèiîient  de  notre  fiecle ,  le  plus  pro- 
pre k  amener  le  bien  le  plus  grand  Sç,  le  pli^ 
defîré,  mtiier  ce  corps  financier,  auteur  de 
tant  de  maux  &  de  défordres  !  Ceik  quan4 
.il  fera  tombé ,  que  Ton  s^étonner^  qu'il  ait 
pu  fubfider  (i  long«4emps  au  dé&vantage  dii 
ibuverain  &:  de  k  nation^  L'homme  qui  ^ 
préparé  ce  grand  bienfait ,  peut  être  sur  que 
fa  .méa"voire  ne  périra  poiiif ,  &  qu'il  obtien- 
dra fa  place  parmi  les  noms  que  l'on,  pror 
nonce  avec  reconnoiflànçe*8C:refpeâ.  Il.eft 
inconteftable  que  voilà  ce  qu'il  a  £àit  4^.  i)[xieuf  • 
Le  refte  !  Ah  ! 


CHAPITRE     CCLXII^ 

^  MontdcPiéti. 

\Jn  vient  enfin  d'établir  un  mont  de  piété, 
qu'ailleurs  on  nomme  lombard  ;  &  radmî- 
niftratioh  ,  par  ce  fage  établilïèmentfi  long- 
temps defiré  ,  a  porté  un  coup  mortel  à  Ta 
barbare  &  âpre  furie  des  voraces  ulurrefs , 
toujours  acharnés  à  dépouiller  les  nécefliteux,. 
Les  agioteurs  mafqués ,  qui  cachoicnt  leurs 
opérations  vexatoires,  fe'  font  vu  forcés  dgns. 
leurs  mviGblffs  retranchements*  II:  faut  qu^fk 


fétioncent  k  un  cotnmeroô/  îiië^dme ,  ^nt 
la'irôp  pttîi&tttê  artiîOJ?éé  ctoiiftoît  toute  fpè- 
culatioti  généréufe  ,  todte  etitreprife  magna- 

nime';j  car  on  ne  favoît  plus  que  tourmenter 
l'argent ,  pour  achever  la  rukie  de  celui  qui 
en  ctott  af&mé*       -.  r 

•  >^ien  ne  prouve  mieux  le  befoîn  que  (x 
capkàle  avoir  de  ce  lombard,  que  l'afflueMe 
tntai^{!able  des  demandeurs.  On  raconte  des 
chofes  fi  fitiguiiéreis ^  fi  introyables,'que7e 
n'ofoles  expofer  ki  avant  dfavcir  >prîs  des 
informatiotts  pluy^artiiciiliéres  ^  qui  nVailto- 
tifent  à  les  gfarantii?.  On  pa-le  de  qtsarantc 

•  tonnes  remplies  (k  rftonti;es  d'or^  pour  expri- 
mer fans  doute  la  quatjtité  prodîgieufe  qu'on 
y  en  a  polrté.  Ce  que  je  fais ,  c'cft  que  j'ai  vu 
fur  les  lieux  foixante  b  quatre-vingts  perfon- 
nés  qui ,  attendant  leur  tour ,  venoient  faite 
chacune  un- emprunt  qui  nVxcédoit  pas  fix 
livriÈ^  Vwn  portoit  fes  chÊmifes ,  celui  ^pî 
àh  meuble;  cekiî-ia  un  débris  d'armoîrd; 
l'autre  fes  boucles  de  fouliers ,  un  vieux  ta- 
bleau, un  mauvais*  habit  ;'*&€. ^' On  dit  que 
cette  foule  fe  renouvelle  prefque  tous  les 
jours  y  &•  cela  dbnne  une  tdiéc  noitiîquîvo- 
«pie  de  là  difette  extrême  oii  (bpt  plongés  ie 
plus  grand  nonibre  des  habitarits*^ 
'  Q^e  donneroit'On  à  un- auteur  pauvre.  & 
ayant  du  génie,  qui  porteroit  un  manufcrit, 
par  exemple ,  VEfprit  des  loix  ,  ou  rHif- 

V  ixAre  dà  ^cùn\mcrc^  d^s  deux  Indes  ;  ou  VEr 


t6o  Tableau 

mik,  non  iioppi^ )  QuVa  diiok  rhuîflîèf-^- 

•ftiCeuv  ?  A  quel.UMX  aiettroit^il  Fouvtagei? 

L- opulence  empmnte  de  même  <pie  la  pall^ 

vtete.  Telle  fenKiie  fort^d'un «quipage^^  en- 

velopp(^e  dans  ià  c^K>te^&  y  dépofe  poi^ 

vingt-cinq  mille  francs  de  di^iwili.  9  pour 

.Jouer>  le  ibirJ  Telle  àpire  diétache  fotvfopon , 
.&  y  detmmde  de  quôi^avoÎF  du  ptto.   -^ 

Le  mont  de  piété  a  fait  tomber  les  dta- 
«aants  ,  parce  que  '  cVft  la  première  chofe 
<pi  on  y  a,  mife  en  gage ,  &  infenfibUtqaènc 
oui  a  vu  les  perfonnes  les  phfs  riches 'i)e|>Ius 
figurer  avec  ce  bi:  illàtxt  fiiper flu^ .  Il .  y  à  eu 
en(tiite  dans  cette  jpriv$ition  des  motifs  uès- 
-refpeâables  ^  £c  qui  nous  font  connus.^  Plus 
d7un  fervice  important  a  été  rendu  fax  ces 
.objets  dun  luxe  dont  il  eft  facile  de  fe  paf- 
fcr.  Les  femmes*  ont  donné  cet  exemple  : 
le  fentiment  d'avoir  fait  une  bonne  aâion 
peut  dédommager  amplement  leiir  anxe  fto- 

.  fiUe  de  cette  frêle  &  petite  jouiflànce.  On 
afliire  que  le  tiers  des  effets  ne  (ont  pas  re- 
tirés :  nouvelle  preuve  dé  Pétrahge  dîfette  de 
Péfpece  monnoyée»  Les  ventes  quî:fe  font, 
of&ent  beaucoup  d'objets  de  Uixe  a.  un  bas 
prix  j  ce  qui  peut  faire  un  peu  de  tort  aux 
petits  marchands  :  mais  d'ailleurs  il  n'eft  pas 

.  mauvais  que  ces- objets -Ik ,  qui  avoîetit  une 
valeur  démefurée  ,  perdent  aujourd'hui  de 
leur  taux  infetile.  •    .  .    • .: 

U  s'efi  déjà  glîfle ,  dit.*<on ,  dfis  abus,  .dans 


E 


DE    Paris,  i&i 

cette  adniînîftratîon  :  otr  rudoie  un  peu  trop 
le  pauvre  peuple ,  on  prîfe  les  objets  offerts 
ar  l'indigent  a  un  trop  vil  prix  ;  ce  qui  rend 
e  fecours  prefqu'ihutile.  Il  faudroit  que  le 
fentiment  de  la  charité  dominât  entiëre- 
ment ,  &  remportât  fur  de  futiles  &  vaines 
confîdérations.  Il  ne  fèroit  pas  difficile  de 
faire  de  cet  ëtablîflèment  le  temple  de  bz 
miféricorde  ,  gàiéreufe ,  aâive  &  compa- 
tiflànte.  Le  bien  eft  commencé  \  pourquoi 
ne  s'acheveroit-il  pas  de  manière  a  fatisfaire 
(ùr-tout  les  plus  infbrtuoés?^ 


CHAPITRE.    CCLXIIL, 

Monopole.. 

n  homme  s'empare  d'une  efpec.  de  den- 
rée en  entier  :  alors  il  fait  la  loi  tyrannique- 
ment.  Voila  où  le  commerce  devient  dan>_ 
gereiix ,  opprefïîf.  C'étoit  originairement uii      ] 
échange  équitable  ;  il  n'y  a  plus  de.  propor- 
tion ,  elle  eft  rompue  \  une  partie  des  con- 
tradants  eft  écrafëe  ;  ce  n'cft  plusnn  cora^* 
merce ,  c^eft  un  monopole ,  je  fuis  violence...— i 

Cet  homme  tyrannique  me  vend  la  choie 
plus  qu'elle  ne  vaut ,  parce  qu'il  la  poflède, 
feul  :  U  doit  être  .puni  par  les  loix.. 


^vj 


l6z  T  A  BLE  A  U 

Mais  fî  cette  marchandife  eft  de  premiete 
lîéceflîté  *,  fi  c'eft  'du  pain ,  du  via  ^  des  lé- 
gumes ,  de  l'huile ,  &c.  il  eft  mon  véritable 
aflàirin.  Qu'on  entadè  les  fophifmes  ,  que 
les  économiftes  viennent  me  prouver  que  , 
le  bled  eft  à  lui ,  &  qu'il  eft  libre  d'y  mefr- 
ne  un  prix  arbitraire;  ce  vendeur  fera  tou- 
jours un  barbare  :  il  me  voit  {buffirir-)  &  il 
augmente  le  marché  fuivant  ;  il  ^t  la  Êb- 
mine  &  il  en  rit. 

'  Il  fera  puni ,  me  dira-t-on ,  il  Ce  tron>- 
peratot  ou  tard  dans  Tes  calculs^^  Mais  bs 
n>éculations  erronées  auront  été  bien  plus 
dançereufes  pour  moi  que  pour.lui  ^  çary  s^'il 
perd  foh  argent ,  moi  fauraî  perdu  la  vie* 

Non  :  tant  que  les  hommes  feront  avi- 
des ,  intérefles ,  iirfenfibles  ,  il  ne  faut  pas  , 
que  les  denrées  de  prenoiere  néceflîté  foient 
abandonnées  aux  nmrs  projets  de  l'avarice. 
Deft  ridicule  &  honteux  de  livrer  k  Tétran- 
ger  pour  trente  fols  de  plus  Cur  un  fetier ,  le 
bled  que  j'ai  vu  croître  (ous  mes  yeux  ;  le 
citoyen  doit  être  nourri ,  &  de  préférence^, 
des  produâîons  de  (on  fol. 

Les  monopoles  ^  tantôt  fur  les  œufs  v  tan- 
tôt fiir  les  légumes  ,  tantôt  fur  les  fruits  , 
tantôt  fur  les  épices ,  ne  font  que  trop  fré- 
quents dans  la  capitale ,  &  l'on  pourroit  âe- 
cufer  les  foppôts  de  la  police  de  complicité  ; 
car  elle  n'a  pas  toujours  été  aflèz  vigilante 
à  réprimer  cçs  indignes  abus ,  qui  ai&ment 


»  ï    P  A  n  I  ar,  1^3 

k  pâme  indigente  du  peuple  &  lui  font  dé* 
tefter  Texîftence. 

Quelquefois  les  hommes  en  place  nerou- 
giflent  pas  de  prêter  &  d'avancer  leur  argent 
pour  ces  opéra;tions  abominables.  Sous  le 
voile  qui  les  couvre ,  &  qu'ils  croient  impé- 
nétrable,  ils  jouiflènt  des  fruits  infâmes  de 
leur  avarice.  Ce  crime  devenu  commun- f 
a  flétri  des  noms  jufqu'alors  recédés  ;  c^eft 
un  nouveau  forfait  de  l'opulence  ,  &  prefr 
qu'inconnu  avant  ce  fiecle.  J'ai  vu  arrher  & 
accaparer  les  cboux ,  les  poires  &  même  les 
laitues. 

Voici  quatre  vers  fur  les  monopoleurs^^ 
par  M.  Dorât  ,  qui  m'ont  toujours  beaû^ 
coup  plû. 

Us  tngtoutijftnt  tout  par  un  trafic  honteux  p 

Souvent  même  leurs  mains ,  par  de  taches  aittjtis  ^ 

i       '.  '}  "     ,       "  '  '■     .    . 

Vitoutnint  de  Cires  les  jolidcs  rieheffes^ 
■.■:•'•  .    .  ■:  .       ..   .   j , 

it  la  fertilité  difptuoit  devant  eux» 


CHAPITRE    C  CJUX I VJ 

Le  Regrat,    Çiujn^à    *^\ 

T  '    ■ .      '       (P^'^^7 

JLie  regrat  eft  encore  ce  qur  tue  la  partie         ' 
indigente  des  habitants  de  la  capitale.  Cette 
liialheureufe  portion  acheté  les  denrées  beau- 
coup plus  çh&Ly  Se  n'a  que  ie  .]:ebut.  des.au«- 


.  » 


Tableau 

rés  citoyens^  N'ayant  pas  le  moyen  de  faire 
juelques  modiques  avance^,  pour  fes  provîr 
bons  annuelles  ^  .eflepaiç  le  double  de  ce  qye^ 
valeriLW-cheû^  l'out  augmente  d'un  tiers  \ 
rii  moins  çonx  cette  clalïè  infortunée  qui  ^ 
1  eft  obligée  d'avoir  recoursk.de  petits  mar- 
I  chands  qui  revendent  en  détail  ce  qu'ils  ont 

\4sak.  achprp.  en -.détail .^ 

Ainfi  le  ^}^^]^S&a)^  maçon^,  le  tail- 
leur ,  le  piSfé-lfaix^^Tejoumalier ,  ôcc,  paient 
le  vin ,  le  bois ,  le  beurre  ,  le  charbon^  les 
3  oeufs  9  &c«  à  un  bien  plus  haut  prix  que  Iç 
duc  d'Orléans  &  le  prince  de  Condé..C^ 
p'eft  point  là  apurement  le  chef-d'œuvre  de 
I9  fociété.  On  ne  fonge  point  à  jdiminuer  ces 
abus  qui  empêchent  le  peuple  d'être  nourii. 
L'homme  qui  a  trois  millions  de  revenu  , 
a.  les  comeftibles  à  bien  meilleur  marché. 
Le  vin  qu'il  boit  eft  e:xcellent,  &  ne  lui 
^  coûte  pas  plus  cher  que  le  vin  que  rhoninie. 
du  peuple  eft  obligé  d'acheter  au  cabaret  \  car 
ît  faut  apprendre  à  l'étranger  qu'à.chaque  re- 
pas l'homme  du  peuple  acheté  fa  chétîve  i 
ration  de  vin  ,  n- ayant  '  le  plus  ibuvent  nî  '  ' 
cive,  ni  carafon,  nî  argent  pour  en  avoir 
une  petite  ^xovi^qxï.  Aupbis  pauvre  la  be-* 
face.  Plus  on  eft  îndig^entAjJus^njldigence^ 
Vous  mine  *  &  vous  rorigej  ^^ 
OLe  lel  T^ïSr^^xémpfe  i  que  Ton  vend  par 
regrat  au  peuple  trei:(e  fois  la  livre  (i)  eft 

(i)  Treize  fols  une  livre  de  fel  1  tandis  que 


DE       P  A   R  I   S.  1(^5 

tionrSivienysnt  falGfic  ^dans  fon  origine ,  mais 
et  plus  rempli  de  mille  ordures  qui  en  com- 
pofènt  près  de  la  moitié.  La  femie  oblige , 
^ur^inG  dire ,  ces  regratUrs ,  à  empoifon- 
xier  les  malheureux  confbmmateurs  r  en  leur 
teridant  à  eux  -  mêmes  ce  fel  treize  fols  : 
Jb. n'ont  tf autre  expédient  que  de  le  gâter 
poiUt  y  trouver  leur  compte  ;  ils  y  verfent 
.wde  Peau ,  ils  y  mêlent  du  fable  &  des  ordures. 
Un  abus  auâî  intolérable  eft  public. 

La  ferme  eu  donc  coupable  d'empoîfon- 
«emenr  ;  car  ce  fel  analyfé  offre  des  matie- 
tes  étrangères ,  &  cette  falfification  dange- 
xeufe  eft  Toeuvre  de  la  cupidité  financière. 
Comment  Tame  ne  fe  fouleveroit  -  elle  pas 
d'horreur  contre  ces  pitoyables  ennemis  des 
citoyens  ,  qu'on  rencontre  à  chaque  pas^ 
pervertiflànt  tout ,  gênant  tout ,  &  voulant 
encore  fè  détoberà  la  ilàriflilire  qu'ils  mé-^ 
ritent  î 

Le  vin  que  Ton  vend  dans  les  cabaret» 
en  détail ,  eft  de  même  ïalfifié;  &  Ton  »n'a 
pas  encore  yxx  pendcfr  im  mafcfamdde-vm 
pour  avoir  tué  de  cette  ;  lanière  £^  com- 
patriotes. On  met  aux  galères  le  contre- 
.  Dandier  qui  ne  corrompt  pas  les  denrées  qu  il 
vend.  ^ 

Il  tfeft  malheureuleihent  que  trop  aifc 

la  nature  le  donne  à  notre  rqyaûme  i^rcfque 
pour  rien^ 


'J 


166  T  A  B   L  E  A  ¥ 

de  falCfier  des  boiflbns  telles  que  le  vîn  ,  le 
cidre,  Tcau-xle-vie.  Le  marchand  «iifer*- 
nié  dans  fbn  cellier ,  cotnpofe  fecrétemeiit 
xes  mixtions  y  y  coule  la  litharge ,  ou  pat 
avarice  ou  par  ignorance.  Ces  procédés  frau« 
duleux  &  toujours ctiminek  ne  font  pasaflèz 
rigouieufement  réprimés  par  la  pcJice  ^qui 
s^endort  ou  s'oublie  fur  un  article,  aufli  îm« 

porunt.  ]Xj(^ 

Enfin ,  les  farines  gâtées  ont  été  difiribuées 
quelquefois  de  foice  aux  boulangers  desfaux- 
bourgs ,  parce  que  l'adminiffaration  qui  avoit 
ùit  magajm  de  farines  quand  elles  fiifenic 
endommagées  par  plufieurs  accidents,  ne 
voulut  pas  perdre  fes  avances  ,  &  força  le 
peuple  à  manger  ce  bled  pourri  (i). 

Le  commerce  des  bleds  eft  donc  bien 
dangereux  dans  les  mains  -des  iiommes 
puimnts;  ils  en  font  payer  aux. autres  er* 
reurs  ou  les  revers.  Si  je  deviens  marchand  ^ 
qui  fera  le  métier -de  roi  ?  difoit  un  fou- 
verain  à  qui  Ton  propofoit  un  acaparement. 

(i)  Ceci  Veft  paffé  fous  le  règne  précédent. 


.  k 


•  - 


»  i:    P  A  IL  I  s.  167 

CH  A  P  I  T  R  E     CCLXV. 

Faljîfications^ 

\J  n  devroît  donc  éclairer  de  plus  près  ton* 
tes  les  opérations  des  meuniers ,  boulangers, 
marchands  de  yin ,  épiciers  ,  regratiers  ^  &e.  • 
parce  qu'il  s'y  mêle  perpétuellement  des  frau- 
des qui  pour  la  plupart  nuifenc  à  la  fanté 
des  •  citoyens.  L'invigilance  de  la  police -à 
cet  égard  mérite  qu'on  lui  en  fàflè  des  re-: 
proches  v  nialfe  fouvcnt  auffi  les  préfents  que 
ces  falfificateurs  font  aux  fubalternes  prépo-* 

fés ,  leur  aflùrent  une  impvinité  dangereufe,^^ 

Quoi  de  plus  important  néanmoins  àfiirveit^  J 
1er  avec  vigueur  ,  que  ce  qui  contribue^  à  la  ^J\ 
{knté  publique? 

On  pourfiiît  avec  vigilance  les  voleurs  de 
mouchoirs  ,  &  l'on  ne  pourfuivroit  pas  de 
même  celui  qui  ra'cmpoifonnc?  Quelle  con- 
tradiâion  ! 


i68  Tableau 


^ 


CHAPITRE     CCLXVI. 

Mendiants. 

JLit  comment  voulez-vous  ,  à  la  fuite  de 
tant  (Tabus  xxoç^  acaédités ,  que  cette  ville  , 
qu'on  appelle  Jupcrbc  ,  ne  pullule  pas  de 
mendiants  ?  Uœil  de  Tëtranger  eft  toujours 
défagréablement frappé  de  leur  nombre,  & 
ii  ne  revient  point  de  fà  furpriiè.  Autant  de 
mendiants  ,  autant  de  taches  d%p$  la.  législa- 
tion d'un  peuple.  Il  ne  faut  pas  pour  cela 
les  étouffer  comme  on  a  fait  dans  ce  qu'on  ' 
nomme  dépôts.  Ceft  une  cruauté  abomina- 
ble &  gratuite^ 

On  n'a  pas  aflêz  cherché  les  moyens  de 
remédier  à  cet  épouvantable  déïbcdre  ;  ce  qui 
déshonorera  infailliblement  nos  magiftrats, 
s'ils  ne  s'occupent  de  cet  objet.  On  leur  a 
propofé  plufieurs  plans  également  bons  ;  \k 
n'ont  plus  qu'àchoifir, 

U  paroît  que  chez  les  anciens  il  y  avoir 
des  pauvres ,  mais  point  d'indigents.  Oft  voit 
que  les  efclaves  avoient  leurs  habits ,  leurs 
tables ,  leurs  lits  :  il  n'eft  point  dit  dans  au- 
cun auteur  ,  qu'on  rencontrât  dans  les  villes 
de  ces  objets  fales  ôc  dégoûtants ,  qui  déter- 
minent violemment  la  pitié ,  ou  repouffèfit 


DE    Paris;  1-^9 

la  main  charitable.  La  mal-propreté ,  rongée 
de  vermine ,  ne  couroit  pas  les  rues  avec  des 
gémîflèments  qui  déchirent  l'oreille  ^  &  des 
plaies  qui  épouvantent  les  yeux. 

Ces  abus  font  incorporés  avec  la  législa^ 
tion ,  plus  occupée  h  conièrver  les  grandes 
fortunes  que  les  petites.  Les  grands  proprié* 
taires ,  quoi  qu'en  difent  les  fyftêmes  nou- 
veaux ,  font  funeftes.  Ils  peuplent  la  terre  de^^ 
forets ,  puis  de  biches  &  de  daims  :  ils  s*é- 
puifent  en  jardins  fleuriftes,  &  Toppreflion' 
des  riches  va  toujours  écraûnc  la  partie  la- 
plus  malheureufe.  » 

On  a  traité  les  pauvres ,  en  1769  &  dans 
les  trois  années  fuivantes ,  avec  une  atrocité  ^«. 
une  barbarie  qui  feront  une  tache  inefFaçable 
à  unfiecle  qu'on  appelle  humain  8c  >iclairé^^ 
On  eût  dit  qu'on  en  vouloir <détmîre  iii  race 
entière ,  tant  on  mît  en  oubli  les  préceptes 
de  la  charité.  Ils  moururent  prefque  tous  dans 
les  i/e/7o/^ ,  efpece  de  prifons  où  l'indigence - 
^ft  punie  comme  le  crime;  »  •     i 

On  vit  des  enlèvements  qui  fe  faifoiefît  <^  .^ 
nuit  par  des  ordres  fecrets.  Des  vîeîllards^i^. 
des  enfants ,  des  femmes  perdirent  tout-à- 
co«p  leur  liberté ,  &  furent  jetés  dans  des 
prifons  infedes ,  fans  qu'on  fût  leur  impolèr 
un  travail  confolateur.  Ils  expirèrent  en  in- . 
vôquant  en  vain  les  loixiproteârices  &  la  mi-  . 
féricorde  des  hommes  en  place. 

Le  prétexte   étoit  ,  que  Tindigence  eflt 

Tome  IL  H 


.170  T   A   B   L  1   A   U 

""  ^oiflne  du  cr>nie  ,  que  les  fédmonAom- 
«  mencent  par  cette,  ibule  d!hommes  qui  n'ont 
.  rien  li  perdre;  &  comme  on -alloit  &ire.Ie 
•*  commerce  -des  i>leds ,  on  craignit  le  àéCeC- 
.  poir  de  cette  foulo  de  nëcefliteux,  parce  qu'on 
ï  ièmoit  bien  que  le  pain  devoit  augmentée 
,  On  dit ,  étouffons  -^  Us  d'aisance  ;  &  ils 
fttrent  étouffes^  on  n'imagina ^  pas  d'autres 
;  moyens. 

Ces  horreurs  ont-cèflë  ^  grande  partiel" 

i  On  .ne  fauroit  en  accufer  que  des  fubalter* 

nés  avides ,  qui  outre-paflènt  le  pouvoir  ,  ^ 

qui ,  frappent   fur  le  pauvre  fans  dcfenfè  , 

f  croyant  bien  4'emplir  leur  emploi  par  les 

'  moyens  les  plus  extrêmes  &  les  plus  féveres. 

En  général ,  ceux  mi  travaillent  de  leurs  '  ^ 
'  bras  ,  ne  (ont  pas  aflèz  payés,  vu  la  diffi^ 
:  culte  de  vivre  dans  la  capitale  :  ce  qui  préci- 

1>ite  dans  la  honteufe  mendicité  des  hommes    \ 
as  de  tourmenter  leur  exîftence  preiquSn-l 
fruâueufemçnt. 

Le  voyageur ,  dont  le  premier  coup-d'deîl. 
juge  beaucoup  mieux  que  le  nôtre  corrompu 
par  l'habitude ,  nous  répétera  que  le  peuple 
de  Paris  efl  le  peuple  de  la  terre  qui  travaille 
le  plus ,  qui  efl  le  plus  mal  nourri  ^  &  cjpi 
paroît  le  plus  trifte.  L'Efpagnol  fç  procure 
à  bon  marché  la  nounrîture  &  le  vêtement: 
enveloppé  dans  fon  manteau  &  couché  au 
pied  d'un  arbre ,  il  dort  &  végète  paifible- 
ment.  L'Italien  s'abandonne  à  un  doux  >re^ 


DE    Paris.  171 

pos ,  qu^ntcrrorapt  un  léger  travail ,  &  oii- 
vre  ion  ame  aux  délices  journaliere^de  la 
mufique.  U  Angloîs  bien  nourri ,  fort  &  ro- 
bufte  ,  heureux  &  litre  dans  les  tavernes  , 
reçoit  tout  les  fruits  de  fon  aâive  indudrie  , 
&  en  jouit  perfonnellement.  ^Allemand 
hoit ,  fume  oc  s*engraîflc  fans  (bucis.  Le 
Suédois  hunie  Peau -de -vie  de  grains.  Le 
Ruflè,  {ans  prévoyance  facheufe ,  trouve  une 
ibrte  d'abondance  dans  Tefclavage.  Mais  le 
Par îfien. pauvre  ,  courbé  fous  le  poids  éternel 
ées  fatigues  &  des  travaux  ,  élevant ,  bâtif^ 
lant ,  forgeant ,  plongé  dans  les  carrières ,  per^ 
ché  fiir  les  toits ,  voiturant  des  fardeaux  énor- 
fnes ,  abandonné  k  la  merci  de  tous  les  hom- 
mes puiflànts ,  &  écrafë  comme  un  înfede 
dès  qu*il  Teut  élever  la  voix ,  ne  gagne  qu'a- 
vec peine  8rà  la  fueur  de  fon  front  une  ch^ 
tîve  fubfiftance  qui  ne  fait  que  prolonger  fcs 
jours,  fans  luiaîlùrer  un  lort  paifîble  pour 
la  vieilleilè. 


jCHAPITRE    CCLXVIL 

Mendiants  valides. 

iVlaîs  s*il  eft  plufieurs  mendiants  que  la 
niifere  force  k  tendre  la  main  ,&  qui ,  af- 
.aiflËs  fous  le  poids  du  malheur,  ont  dans 

Hz 


17^  T  A  B   L  E   A  fU 

le  gefte  l'abattement  de  la  vraie  douleur-, 
^  dans  les  yeux  le  feu  fombie.  du  délêfpoîr., 
il  eft  aufli  un  grand  Jiombre  de  gueux  hy- 
pocrites, cjui  par  des  gcmiflèments  împof- 
teurs  &  des  infirmités  faâices ,  fuiprentient 
votre  libéralité,  &  trompent  votre  com^ 
paillon. 

D'une  voix  artificielle  ,  plaintive  &  mo- 
notone, ils  articulent  en  traînant  le  nom  de 
Dieu ,  &  vous  .pouriiiivent  dans  Jes'  rues 
avçc  ce  nom  facré;  mais  ces  mifcnables  ne 
craignent  ni  la  juftîce  ni  fa  préfence.  Ils  men- 
tent à  chaque  palTant .:  entretenus  par  les 
aumônes  ,.iis  font  fembiant  d'être  foum-ants , 
mutilés ,  pour  ie  jj^^hf  au  rravail  qu'il 
déteftent. 

On. a  vu  jadis  des  poltrons  iè  couper  le 
pouce ,  pour  fe  difpenier  d'aller  à  la  guerre. 
Eux ,  ils  fe  couvrent  de  plaies  hideufcs ,  pour 
attendrir  le  peuple  ;  mais  quand  la  nuityient, 
fuivez  ces  vagaboiiGs  dans  le  cabaret  recule 
de  quelque  fauxbourg ,  lieu  du  rendez- 
vpus  :  vous  verrez  tous*  ces  jçftropiés,  droits 
&  difpos ,  fe  raflèmblcr  pour  leurs  bruyantes 
or^es.  Le  boiteux  a  jette  fa  béquille.^  l'iaveti- 
gl(-1bn'elTipIàtie,  lei)oflii  fa  bofïè  3"e  crin  ; 
le  manchot  ptend.un  violon  ^  le^muet donne 
le  (îgnal  de  Tintempcrance  eflVénée.  Ils  boi-*- 
vent,  ils  chantent,  ils  hurlent,  ils  s'eftivirenr; 
la  h'cence  la  plus  débordée  règne  dans  ces 
.ailènJblées*  Ils  lè  crantent 4es.mip6ts  pccle^: 


D  B      P  i^  R  I   S.  173 

vés  fiir  la  fenfibîlitë  publique  ,  de  la  violence 
qu'ils  font  aux  anies  compâtiflàntes  &  cré* 
dules.  Ils-  fe  communiquent  leurs  fecrets  ;  ils 
répètent  leurs  rôles  lamentables    avec    des 

.éclats  de  rire  licencieux.  La  communauté  de 

/emmes  efl  çn  ufage ,  comme  à  Lacédémo-^ 
ne ,  parmi  ces  mifërables  qui ,  dans  une  éga- 
lité fcandaleufe,  ne  reeonnoiflènt  aucun 
principe,  &  ont  dépouillé  ces  (èntiments 
de  pudeur  qui.  femblent  innés  dans  tous  les 

.  honimes  policés. 

Ils  fe  félicitent  de  fubfifter  fans  rien  faire , 

.de. partager  tous  lesplaiGrs  de  la  fociété,  fans 
en  connoître  les  charges.  Les  enfants  qui  pro- 
viennent de  ces  commerces  infâmes  &  lUi- 
.  cites ,  font  adoptes  par  les  premiers  d'entre 
eux ,  qui  ont  befoin  d'un  objet  innocent  pour 
exciter  la  pitié  publique.  Ils  dreflent  leur  voix 
enfantine  à  l'accent  de  la  mendicité  ;  &  à- 

,  mefiire  que  l'enfant  grandit ,  il  transforme 
en  métier  la  funefte  éducation  qu'on  lui. a 
donnée.  '  , 

Lorfqu'îls  manquent  d'enfants ,  ces  mifëra- 
bles enlèvent  ceux  d*autrui  :  alors  ilscon* 
tournent  &  dîfloquent  leurs  membres  pour 
leur  donner  ce  qu'ils  appellent  des  jambes 
&  des  bras  de  Dieu. 

Cet  infâme  &  criminel  métier  enrichît- v 
fôît  autrefois  plus  qu'il  n'enrichit  aujourd'hui, 
vil  la  févérîté  de  la  police  fur  cet  article*  On 
a ^vu- des  mendiants  donner  trente  &  qi^a-* 

H3 


174  Tableau 

tante  mille  francs  en  mariage  k  leurs  filles  ^ 
&  vivre  chez  eux  très-commodément ,  après 
avoir  râlé  une  journée  entière  pour  attirer 
des  aumônes  abondantes. 

Maïs  cbmment  ofe-t-on  punir  la  met)<- 
dîcité,  lorfqu'on  voit  celle  des  ordres  reli- 
gieux ,  revêtue  d^une  apparence  légale  ,  &  ^ 
pour  ainfi  dire ,  confacrée  ?  Ces  or<kes  (ont 
riches  ,  &  ne  mendient ,  dit-on  ,  que  pat 
humilité  \  mais  l'exemple  n^eft-il  pas  dafi« 
gereux  ?  &  comment  peut-on  étaUir  une 
diffîrence  entre  des  fainéants  vêtus  d'un  froc^ 
&  des  fainéants  de  profeflîon ,  qui  fùbfiilent 
de  la  charité  publique  ? 

Toutes  ces  nlles  qui ,  le  foîr ,  fMS  offirent^ 
leurs  appas  pour  une  légère  rétriburion ,  peui-» 
Tent  être  conHdérées  comme  de  Jeunes  meiH 
diantes  ;  car  elles  font  encoi^e  plus  a&mées, 
que  libertines.  Elles  vous  demandent  votre 
argent  plutôt  que  vos  careflès.^ 


CHAPITRE      CCLXVIir. 

Néceffitcux^ 

Jll  n*eft  prefque  pas  poflible,  dans  la  fîtua- 
tion  aduelle  de  notre  gouvernement ,  qu*îl 
nefe  trouve  un  grand  nombre  de  coupables, 
parce  qu'il  y  a  une  fbule  de  néceffiicux  qui 


I>  fi      P  A  Jl  I  S.  «Tti 

n'piit  qu'utie  exiftence  précaire  ^  &  que  la  . 
première  loi  eft  qu*il  faut  vivre.  L'horrible.^ 
mëgalité  des  fortunes ,  qui  va  toujoiurs  en  . 
augmentant^  un  petit  nombre  ayant  tout  8c 
la  mukîtude  rien  ^  les  pères  de  famille  de-  ^ 
pouillés  de  leur  argent  par  la  :Voie  trop  fé-*  : 
duifante  de$  loteries  &  rentes  viagères  ^  fléau  j 
modecne,  &  ne  laiflànt  prelquç  plus  à  leurs  . 
enfants  que  des  contrats  en  parcnemin  an-  • 
nulles  à  leur  décès  \  le  fardeau  de  la  mifere  y  . 
k  'dureté  infolente  du  riche  qui  marchande  :n      . 
tafueUr  &  la  vie  du  manouvriec,  lesentra-^^- 
ves  mifès  à  Tinduftrie  y.  les  impôts  multi-  - 
pliésf,  le  déplacement  &  Tmcertitude  dès  . 
états  y  le  détàut  de  circulation»  ^  hauflè* 
tnent^rodiglêûx  des  denrées  ^  ks  routes  du  '  ' 
commercçjahginiées ,  tout  précipite .  Tinfor-  ^ 
tune  dans  un  Jnéviut>le  :^^         ,  ;, . 

Amvént  les  loix  '  pénales  ^ .  entourées  de'^^ 
bourreaux  ;  mais  on  corrige  rarement  le  mal  * 
qu'on  n*a  point  (il  prévoir.  Les  potences^  , 
les  échafauds ,  les  roues ,  les  galères  y  inu«  - 
tiles.vengeanGeSf!  Les  mêmes  délits  recom- 
mencent>. parce  que  la  fource  n*eri  a  pas  été.  r 
fermée:  il  en  eft  de  nijême^e  ces  plaies  , 
qui  verfent  toujours  un  fang  corrompu ,  parce  j 
qu'oà  n'attaque  point  la  maffè  infèâée. .  , 

Plufieurs  riches  ne  font  pas  devenus  plus  n 
humains.  L'injufte  diftributîon  de  la  propriété  - 
z  été  maintenue  par  les  loix  même  &  par  r 
les;  fupplice^p  Le$  coupables  ont  eu  la  tenta-  .- 


Jj6  T  A.  B  L  JE  A.  U 

ëon  qui  naiflbit  de  leur  fituation  :  leurs  be- 
foins  n'ont  point  change.  Ils  auroient  été 
fidèles  obfervateurs  des  loix,  û  les  loix  les 
<u(Iènt  protégés  en  quelque  chofe  :  mais 
leurs  mains  étant  vuides,  la  loi  les  repouflbir. 
jLa  faim  d'un  côté ,  de  Tautre  des  peines 

atroces  les  tenoient  en  fùfpenSk  Jugez  de 
Timpérieufc  &    cruelle  néceflité,  puisqu'ils 

ont  hafardé  leur  vie.  Je   ne  parle  point  ici 

de  ces  crimes  atroces  &c  réBéchis  qu'enfantent 
.  k  vengeance  &  la  trahifon ,  mais  de  ces  cri» 

mes  hardis  qui  exigent  le  partage  des  biens» 

Ceft  lafociétc  qui  a  commencé  le  mal  ,parc^ 
,  qu'elle  n'a  pas  afièz  travaillié  pour  la  (ubfîf^ 

tance  commune ,  que  tous  ont  droit  d'at- 
.  tendre  ;  ôc  le   malheureux   qui  monte  fur 

l'échafaud  ,  me  parok   toujours  accufer  uu 

nche. 


CHAPITRE     CCLXIXt, 
rHôtel  -  Dieu. 

^  'irai  à  thopital ,  s'écrie  le  pauvre  Parîr 
fiën  ;  monperey  cjl  mort^fy  mourrai  auffi .; 
&  le  voilà  à  moitié  confole.  Quelle  abn^a- 
tîon  !  Quelle  profonde  înfenfîbîlité  ! 

Cruelle  charité  que  celle  de  nos  hôpitaux  I 
Fatal  feçours,  appât  trompeur  &  funeftc! 


D  E      P  AR   l'S.  177 

Mort  cent  fois  plus  triftc  &  plus  afFreufe  que 
celle  que  l'indigent  recevroit  fous  fon  toîc , 
abandonné  à  lui-mêiiie  &  a  la  nature  !  Laf 
maifbn  de  Dieu  !  &  on  ofe  Pappelier  ainfi  ! 
Le  mépris  de  rhumanité  femble  ajouter  aux 
maux  qu'on  y  foufFrc.  Le  médecin ,  le  chi- 
rurgien font  payés  ;  d'accord  :  les  remèdes 
ne  coûtent  rien  ;  je  le  fais  :  maïs  on  couchera 
l&malade  à  côté  d'un  moribond  &  d*un  ca- 
davre ;  on  lui  mettra  le  fpedacle  de  la  mort 
tous  les  yeux ,  lorfque  les  angoiflès   de  la 
terreur  pénétreront  déjà  fon  ame  épouvan- 
tée. .  •  La  maifon  de  Dieu  !  On  le  plongera 
dans  un  air  rempli  de  miâfmes  putrides  ;  on 
le  foumettra  a  un  defpotifme  qui  n'écoutera . 
ni  le  cri  de  fa  douleur ,  ni  fes  repréfenta- 
tions,  ni  fes  plaintes;. on  ne  lui  donnera 
perfonne  pour  le  confoler,  pour  l'affèmMr; 
on  fera  îndîjfierent  à  i'enlever  comme  tnott 
ou~c6mme.çonvalefcent  :  la  pitié  même  fera 
aveugle  ôc  meurtrière  \  car  elle  n'aura  plus 
ce  qui  la  caraôérifè  ,  la  cohipaflion  profon- 
de, l'attention  fecourable,,  les  kmiesde  la 
fenfibilité. . .  La  maifon  de  Dieu  l  -Tout  eft 
dur  &  farouche  dans  ces  lieux  où  tout  fouP- 
fjpe.  Les  maladies  leis  plus  contraires  feront 
fous  ,1a  même   couverture^  &  uae  fimple 
iïïdifpofition  fe.cqtivcrtiràen  unr^mal  cruel. 
Qui  ne  fuiroit  ces  hofpiccs  fanglants  & 
dénaturés  ?  Qui  pfera  mettre  le   pied  dans 
cette  maifon ,  où. le  lit  de  la  miféricorde  eft 


tjS  Tableau 

cent  fois  plus  affreux  que  le  grabat  nu  de 
l'indigent^  &  tandis  que  ces  horreurs  révol- 
tantes afBigent  les  regards  de  Pétranger  & 
oppreflènt  les  cœurs  irrités ,  on  apprend  avec 
une  furprKè  mêlée  dVffix)i  &  d'indîgnaticai  ^ 
que  les  hommes  auxquels  cette  adminiftra- 
tion  importante  eft  confiée ,  n'ont  rien  fait 
encore  pour  éviter  du  moins  la  honte  des 
reproches  ;  que  le  grand  fcandale  fubfifle  ; 
que,  tandfi  que  tous  les  biens  du  clergé 
appartiennent  de  droit  aux  pauvres ,  difènc 
•les  faints  canons ,  le  clergé  n*a  point  (ècouru 
puiflàmment  lliumanité  fouffiante,  &  que 
ion  zèle  a  paru  riede  fiir  le  devon:  le  plus 
iacré  que  Tes  obligations  bi  impofoient. 

Que  (croit-ce  ,  h  le  vol  (acrilege  des  biens 
dellînés  au  foiilagement  des  mifërables ,  f» 
ces  rîchefîès  détournées  faifoient  fortîr  la 
cruauté  des  établiflèments  même  fondés  par 
la  bienfaifance  ?  Eft-il  fous  le  ciel  un  crime 
<juî  méritât  plus  Fexécration  de  tous  les  hom- 
mes ?  Et  cependant  la  voix  publique  accufè 
hautement  ces  rcgiflèurs  ,  dont  le  nom  ne 
devroit  être  cité  qu*avec  attendriflèment  & 
relpeâ. 

UHôtcl-Dieu  a  été  fondé  en  660  par 
Saint  Landry  8c  le  comte  Archambaud  , 

?our  y  recevoir  les  malades  de  Tun  &  de 
autre  fexe  fans  exception  de  perfonnes.  Le 
juif,  le  turc,  le  protcftaut,  Fidolâtrc,  le 


Ihï     P  A  R  I  s.  .         ^79' \^ 

chiétîéri  y  entrent  également.  Il  y  a  douze 
cents  lits ,  St  le  nombre  des  maladesfe  monte  •. 
à  cinq  ou  fix  nuliç.  Comptez  pour  ^Hôpital-   - 
général  dîx  k  douze  mille  perfonnes ,  pour   ; 
•Biçétre  quatre  k  cinq  mille  v  vous. aiurez  le   . 
dénombrement  des  infortunés  qui  ne  favent  -c 
où.  pofer  leur  tête  ;  car  dans  nos  gouverne-    - 
nients  modernes  J'on  reçoit  l'exiftence  faQ3    •^ 
obtenir  le  point  ou  doit  repofer  cette  même  .r 
e}{iftence.    . 

Il  eft  prefquê  impoffible  de  fevoîr  quels  ,. 
font  les  revenus  de  l'Hôtel  -  Dieu;  Ils  font 
îmmenfesvôc  ce  qui  le  feroît  aoire ,  c*eft  : 
Tattentiôn  que  Fon  a  d'en  dérober  ,1a  con- 
noîlTance  .au  public.  Les  abus  paipitroient 
beaucoup  plus  révolunts  k  coté  de  cette  opu- 
lence. Rapprochez  la  mai/on  de  Charité 
de  Lyon  ^  &  Y  hôpital  de  VerfailUs  de 
rHôtel-Dîeu  de  'Paris  ;  d'un  côté.,  vous  jap- 
percevrez  un  ordre .  admirable  ,  une  régie 
digne  d'éloges,  &  qui  attendrit  le.  contem- 
^^teur  ;  de l'autte ,  vous  verreîîi.  tou&ies  vices 
qui  affligent  P^ie  ,;qui  la  foulev.ent ,  &  qui 
ne  lui  permel|:ent  pas  de  pailèrfur  cet  obr 
jet  fans  exhaler  (à  profonde  indignation. 

On  elpéroit  cp^  le  dernieiv  ipcendie  tourr 
neroit  à'  ràyàntag.e  des  makdés  ;  qu'on  bà- 
ttroit  fur  ua  nouvel  emplacement  un  édifice  , 
plus  fpacieujc,  plus  fain;  mais  onra  laiffë 
filbfifter  prefque  tous  les  ancien^  abus. 

LÎHàteî-Dieix.  de  Paris  a  tout  ce  qu'3  faut.   . 

li.d:- ^ 


iSa  T  A  B  IcE  AJ^ 

pour  être  peftilentîel ,  a  caufe  de  fon  atlmiof> 
phere  humide  &  peu  aîrée  ;  les  plaies  s'y 
ino;renent  plus  facilement,  &  le  fcoibu^ 
:  la  gale  n^y  font  pas  moins  de  tarages , 
pour  peu  que  les  malades  y  féjoument. 

Les  maladies  les  plus  fîniples  dans  leur 
principe ,  acquièrent  des  complicadons  gra- 
ves par  une  uiite  inévitable  de  la  contagion . 
de  l'air;  c'èft  par  la  même  raifbn  que  les 
plaies  (impies  à  la  tête  8c  aux  jambes  (bnt 
mortelles  dans  cet  hôpital. 

Rien  ne  confirme  mieux  ce  que  j'avance 
que  le  dénombiement  des  miférables  qui 
përifïent  tous  les  ans  k  l'Hôtel-Dieu  de  Par 
ris  ôc  k  Bicêtre  :  il  meurt  le  cinquième  des . 
malades;  calcul  effrayant,  &  qu'on  envîGû 
ge  avec  la  plus  parfaite  indifférence  ! 

Il  efl  prouvé  par  Texpéricnce  &  par  les 
obfervaûons  des  phyfîciens  ,.  qu'iiii  hôpital 
qui  contient  plus  de  cent  lits ,  efl  une  vraie 
pefle  :  on  peut  ajouter  qae  ,  toutes  les  fois 
•que  Ton  traitera  deux  malades  dans  la  même 
chambre ,  on  les  expofera  évidemment  a  (e 
nuire  beaucoup ,  &  que  par  conféquent  l'on 
agira  contre  toutes  lès  loix  de  l'humanité.' 

Puiflè-t-îl  fe  rencontrer  des  homme» 
aflèz  courageux  pour  remédier  à  ce  qui  dé- 
•grade  aux  yeux  de  l'étranger  cette  partie  der 
Fadminîflratîon  publiique  f  Puîfïènt  -  ils  Bra- 
ver les  adverfàires  qui  frémîflènt  du  moint- 
dre  changement  !  Puîflè  enfin  le  génie  du 


U  E      P  A   IV  I   S:.  I*^ 

Bien  remporter  fur  le  génie  du  mal ,  toujours 
fort,  toujours  opiniâtre,  &.  faifànt  la  plus 
vîgoureufe  défenle  contre  tous  les  plans  gcr 
ncreux  qui  ihtéreflènt  l'humanité  ! 

On  croit  pouvoir  aflùrer  ici  que  le  revenu 
de  l'Hôtel -Dieu  efttel,  qu'il  fuffiroit  pour 
nourrir  prefqye  la  dixième  partie  de  la  car 
pitale;  &  le  patrimoine  facré  des  pauvres  fc 
trouve  livré  aux  vices  d*une  adminiftration 
îhfiiffifànte ,  pour  ne  pas  dire  plus ,  puifqu  elle 
fç  trompe  depuis  fi  long-temps ,  &  dans  W 
choix  des  moyens ,  &  dans  l'exécution.^ 

Cil  A  P  I  T  R  E     CCLXX.. 

Qamart^ 

JLes  corps  que  THôtel-Dien  vomît  jôumet 
lement ,  font  portés  à  Clamart  :  c'eft  un  vafte 
cimetière ,  dont  le  goufie  eft  toujours  ou- 
vert. Ces  corps  n'ont  point  de  bière;  ils 
font  coufùs  dans  une  ferpilliere.  On  fe  dé- 
pêche de  les  enlever  de  leur  lit  ;  &  plus 
d'un  malade  réputé  mort ,  s'eft  réveillé  fous 
h  main  hâtive  qui  l'enfermoit  dans  ce  groC, 
fier  linceul  ;  d  autres  ont  crié  qu'ils  étoient 
vivants,  dans  Je  charriot  même  qui  les  coik 
duifoit  à  la  fcpulture^. 


iSl  T  A  fi  L  £  A  ir 

Ce  charriot  eft  traîné  par  douze  hofnniesr:  : 
Htt  prêtre  fale  &  crotté  •  une  cloche  ,  une. 
croix ,  voilà  tout  Fappareu  qui  attend  le  pau«    . 
vrt  :  mais  alors  tout  eft  égal. 

Ce  charriot  lu^bre  part  tous  les  jours  de-  ^ 
FHôtel  -  Dieu  k  quatre  heures  du  matin  %  il  [ 
foule  dans  le  fîlence  de  la  nuà..  La  cloche  . 
qui  le  précède ,  éveille  à  foa  paflàes  ceux .  . 
qui  dorment  ;  il  faut  fe  trouver  (ur  Ta  route  ..  : 
pour  bien  fentîr  tout  ce  qu'inlpire  le  bruît  de  .• 
ce  charriot ,  &  toute  Timpreflion  qu!il  ce-  . 
pand  dans  Pâme. 

On  Fa  vu ,  dans  certains  temps  de  moiw.  . 
talité,  paflèr  jiifqu'à  quatre  fois  en  vingt- 
quatre  heures:  il  peut  contenir  jiifqu^cinr    ^ 
quante  corps.  On  met  les  en&nts  entre  lès^ 
jambes  des  adultes.  On  verfe  ces  cadavres 
dans  une  foflè  large  &  profonde;  on  y  jette ^ 
enfuite  de  la  chaux  vive  ;  &  ce  creutet  qui  ', 
ne  fe  ferme  point, dît  ^  Toeil  épouvanté , 
qu'il  dévoreroit  fans  peine  tous  les  habitants., 
que  renferme  la  capitale. 

L'arrêt  du  parlement ,  du  7  Juin  176$  ,'. 
qui  fiipprîme  tous  les  cimetières  dans  l'en-^ 
clos  de  la  ville  de  Paris ,  eft.  demeuré  lanSt 
t&u 

La  populace  ne  manque  pas ,  le  jour  de,^ 
la  féte  des  morts ,  d'aller  viïîter  ce  vafte. 
cimetière ,  où  elle  preflènt  devoir  fe  rendre: 
bientôt  à  la  fuite  de  fes  pères.  Elle  prie  & 
s'agenouille  ^  puis  fe  relevé  pour  aller  bûirc 


DE     P  A  H  I  S.  tiy 

Il  n'y  a  là  ni  pyramides ,  ni  tombeaux ,  ni 
înfcri^tions ,  ni  maufblées  :  la  place  eft  itue. 
Cette  terre  gnSk  de  funérailles  eft  le  champ 
où  les  jeunes  chtrurgieiis  vont  la  nuk ,  fran- 
chiflànt  les  mui^ ,  enlever  des  cadavres  pour 
les  foumettre  à  leur  fcalpel  inexpérimenté  : 
ainfi  après  le  trépas  du  pauvre ,  on  lui  vole 
encore  (on  corps;  &  Fempîre  étrange  que 
Ton  exerce  fur  lui ,  ne  ceflè  enfin  que  quand 
il  a  perdu  les  derniers  traits  de  la  reflcm- 
blance  humaine. 


CHAPITRE      CCLXXL 
Les  Enfants  trouvés. 

Xj'hôpîtal  des  enfants  trouvés  eft  un  autre 
gouf&e,  qui  ne  rend  pas  la 'dixième  partie 
de  Pefpece  humaine  qu*on  lui  confie.  Dans 
la  province  de  Normandie  oij  a  calculé^ 
d'après  Pexpérience  de  dix  ans ,  qu'il  mou- 
roit  cent  quatre  enfants  fur  cent  huit.  Voyez 
la  Gazette  des  Deux  -  Ponts ,  du  9  Avril 
1771  ;  le  réfultât  s'eft  trouve  à  peu  près  pa- 
reil dans  plufieurs  provinces  du  royaume. 

Sept  à  huit  mille  enfants  légitihies  ou 
illégitimes  arrivent  tous  les  ans  à  l'hôpital 
de  Paris ,  &  leur  nombre  augmente  chaque 
année.  Il  y  a  donc  fept  mille  pères  mallieu- 


l84  '     T  A  B  L  E  A.U: 

reux ,  qui  refioncent  au  fentiment  le  pIiisL 
cher  au  coeur  de  l'homme.  Ce  cruel  aban- 
don  que  combat  la  nature ,  annonce  un» 
foule  de  nécefliteux  ;&  ce  fut  de  tout  temps 
Tiridigence  qui  caufa  la  jplupart  des  défordies 
trop  généralement  attribués  a.rignorfltnce  8c 
kla  barbarie  des  hommes. 

Dans  les  pays  oii  le  peuple  jouit  d'an& 
certaine  aifance  ,  les  citoyens  même  des 
dernières  claflès  font  fidèles  ï  la  loi  de  la 
nature;  lamîlere  ne  fit  8c .ne. fera  jamais 
que  de  mauvais  citoyens. 

A  ne  coofidcrer  que  les  caufes. ordinaires  * 
qui  précipitent  les  enfants  dans  ce  malheu- 
reux gouffre ,  mille  raifons  preflàHtc$  excu- 
fént  une  grande  partie  de  ceux  qui  ont  eu  ^ 
le  malheur  de  fe  trouver  réduits  à  cette  cruelle  • 
néceflité.  Les  calamités  nationales  ont  épuifi 
peu- à -peu  les  forces  &  les  reflburces  dii 
corps  politique  ;  maïs  il  eft  une  foule  de  eau-? 
fes  fécondes  qu'il  fera  très-aîfé  de  démêler  ^ 
pour  peu  qu'on  veuille  réfléchir  fur  la  conf-- 
titution  politique  de  la  capitale. 

La  difficulté  de  vivre  s*y  fait  fentirde  plus 
en  plus.  Quelque  envie  qu'aient  tous  les  in- 
dividus de  fe  procurer  de  quoi  fubfifter  hoa*- 
nêrement ,  il  ne  leur  eft  plus  également  poCj 
fibîe  d'y  parvenir.  Et  comment  fonger  à  la 
fbbfiftance  des  enfants ,  quand  celle  qui  ac-4 
couche  eft  elle-même  dans  la  mifere  ,  &  ne 
voit  de  ibn  lit  que  des  murailles  déppuilléesJt 


DE    Paris.    •       1.85 

Le  quart  de  Paris  ne  fait  pas  bien  fure- 
ment  là  veîile  fi  fes  travaux  lui  fourniront 
de  quoi  fubfifter  le  lendemain.  Faut  -  il  lêtre 
étonné  qu'on  fe  porte  au  mal  moral ,  quand 
on  ne  connoît  que  le  mal  phyfique? 

En  tout  temps,  a  toutes  les  heures  du  jour 
&  de  la  nuit ,  fans  queftion  &  fans  forma- 
*lité,on  reçoit  tous  les  enfants  nouveaux-nés 
qu'on  préfente  à  cet  hôpitaL 

Ce  (âge  établiflèment  a  prévenu  &  enir 
péché  mille  crimes  fecrets  :  Finfanticide  eft 
aufli  rare  qu'il  étoit  commun  autrefois  ;  ce 
qui  prouve  que  là  législation  change  tota- 
lement les  moeurs  d'un  peuple* 

Une  fille  qui  a  eu  une  foibleflè ,  la  dérobe 
à  tous  les  regards  \  elle  n'en  porte  point  la 
peine.  Je  crois  qu'on  a  mis  le  libertinage 
un  peu  plus  à  fon  aife  ;  d'accord:  mais  outre 
qu'il  eft  des  inconvénients  inféparables  de 
toute  grande  focîeté,  &c  qu'il  féroit  inutile 
de  vouloir  anéantir,  on  a  paré  à  une  mul- 
titude de  malheurs ,  de  fcandales  &  de  for* 
faits. 

On  avoît  propofé  de  faire  de  tous  ces  en- 
fants trouvés  autant  de  foldats.^  Projet  bar- 
bare !  Parce  qu'on  a  nourri-  un  enfant,  a- 
t-on  le  droit  de  le  dévouer  à  la  guerre  ?  Ce 
feroit  une  charité  bien  inhumaine  que  ceBe 
qui  l'éîeveroit  pour  lui  redemander  fon  fang 
«  lui  ôter  la  liberté  malgré  lui.  Nul  ne  doit 
naître  foldat ,  que  tous  les  citoyens  ne.  le 
fbiênt  indiflindement  : . 


i86  Tableau 

La  tendreflè  niaterneBe  s*eteîgnoît  devant 
le  Entai  point-d^honncur ,  loi^e  le  généreux 
faint  Vincent  de  Paule  (qui  niériteroit  ui^. 
âoge  de  la  niain  du  panégyrifte  de  Def- 
cartes  &  de  Marc  -  Aurele  J  of&i^  un  afyle 
k  ces  innocentes  yîâînie$,<P^. doivent  le, 

{"^our  à  la  foibleflfè ,  a  la  féduâîon  y  ou  ao  . 
îbertînage. 

J'ai  dit  que  le  nombre  des  enfants  trou-.. 
Tés  montoit  à  fept  mille  par  année  ;  mais  il 
£iut  obferver  qu'un  grand  nombre  de .  ces  , 
enfants  viennent  de  la  province.  Là,  quand  . 
une  fille  devient  mère ,  elle  &it  partir  ie-^  . 
crétement  l'enfant  qu'elle  craint  de  copfer-  . 
ver,  &  que  dans  toute  aunre  çîrconftanceL. 
<lle  eût  idolâtré.  ! 

Ce  malheureux  enfant ,  qui  perdroît  ceik  .. 
qui  lui  a  donné  le  jour ,  exilé  par  le  préjugé^ 
au  moment  de  fa  naÛIànce,  eft  recueiUî, 
de  lieue  en  lieue ,  par  des  mains  merçc-  . 
naires.  Hélas!  c'eft  peut-être  un  Corneille ^ 
on  Fontenelle,  un  U  Sueur,  qui  dans  ce 
tranfport  va  fuccomber  a  rintempérjè  dès,  . 
laifons ,  aux  fatigues  du  voyage  ;  1  oferaî-je 
dire,  au  défaut  de  la  nourriture  j  &,ce  qu'il  ; 
y  a  d'incroyable ,  c'eft  que  ce  mêrue  en- 
fant, venu  de  Normandie  ou  de  Picardie  - 
à  travers  mille  dangers ,  y  retournera  Iç  Ibîr  ; 
môme  de  fon  arrivée  à  Paris,  parce  que  je 
(brt  lui  aura  donné  k  la  crache  une  nourrice 
Normande  ou  Picarde.. 


B  £     P  A  R  I   s.  187 

Ceâ  un  homme  qpi  apponte  fur  ion  dos 
les  enfants  nouveaux  -  nés ,  dans  une  baite 
matelaflee ,  qui  peut  en  contenir  trois»  Ils 
font  debout  dans  leur  maillot ,  refpirant  Tair 
par  en  haut.  L'homme  ne  s^arréte  que  pour 
prendre  fes  repas  &  leur  faire  fucer  un  peu 
de  lait,.  Quand  il  ouvre  fà  boite ,  il  en  trou- 
ve fouvent  un  de  mort  ;  il  achevé  le  voyage 
avec  les  deux  autres ,  impatient  de  fe  dé- 
barrafîer  du  dépôt.  Quand  il  Ta  dépofé  k 
Kiôpital,  il  repart  fur  le  champ  pour  re- 
commencer le  même  emploi ,  qui  eft  fon 
gagne  ^pain^ 

Prefque  tous  les  enfants  qu'on  tran(porte 
de  Lorraine  par  Vitry,  pérîflènt  dans  cette 
ville.  Metz  a  vu  dans  luie  feule  année  neuf 
cents  enfants  expoies^  Quelle  matière  k  ré« 
flexion  t 

Il  (èroit  temps  de  chercher  un  remède  à 
ce  mal.  Ou  il  faudroit  ceflèr  de  méfeftimer 
la  fille  honnête  6t  ceurageufe  qui  nourri- 
coit  de  fon  kit  fon  enfant ,  &  racheteroit 
ainfî  (à  faute  par  tous  les  fokis  maternels  ; 
ou  il  faudroit  épargner  à  ces  enfants  ce  tranP» 
port  pénible  qui  en  moiïlbnne  le  tiers^ 
tandis  qu'Un  autre  tiéts  périt  avant  T^e  de 
cinq  ans. 

En  Prufle ,  toutes- lès  filles  nourrîflènt  leurs 
enfants ,  &  publiquement..  Il  (èroît  pun?  y 
celui  qui  les  ofFenferoît  de  paroles  dans  cette 
augufte  fonâion  de  la  nature.  On  s'accQUi» 


l88  T  A,  B   L  E   A  U 

tunie  a  ne  voir  plus  en  elles  que  des  mè- 
res ;  voilà  ce  qu^a  fait  un  roi  philofbphe; 
voilà  comme  il  a  donné  des  idées  (aines  à 
fà  nation. 

On  avoir  propofë  de  (iihftituer  aa  lait  de 
femme ,  celui  de  chèvre  &  de  vache  :  le 
Nord  fe  trouve  très  -  bien  de  ce  fyfléme. 
Pouiquoi  ne  profiterions  -  nous  pas  de  l'idée 
que  nous  avons  donnée  aux  nations  étrani- 
gères  ?  Elles  favent  mettre  en  pratique  ce 
que  nous  imaginons  infruâueufement. 


CHAPITRE    GCLXXII; 
Loterie  royale  de  France. 

A.'Jtre  fource  de  grands ^ maux,  &  nou-- 
veilement  ouverte.  Ceft  un  fléau  qui  ne  fe 
renouvelle  pas  moins  de  deux  fois  par  mois. 
Cette  loterie  ,  fatale  dans  tous  les  fens  pof- 
Ebles ,  eft  une  véritable  contagion  qui  nous 
cft  arrivée  d'Italie*  Elle  fut  condamnée  dV 
bord  a  Rome,  fous  peine  de  banniflèment^: 
pourquoi  faut  -  il  qu'elle  fe  foît  répandue  dans 
prefque  toutes  les  grandes  villes  de  l'Europe  i 
Paris  avoit  aflèz  de  maux  inteftins  à -com- 
battre ,  fans  celui  -  là. 

Les  entrepreneurs  favent  très  -  bien  que 
leur  gain  efl  inimenfe  8c  infaillible  y  que  le 


le 


DE    Pari  s.  189 

Hombre  des  perdants  doit  furpaflèr  de  beau- 
coup ceux  qui  gagnent  ;  que  prefquc  toutes 
les  chances  font  k  leur  avantage  ^  qu'il  n'y 
a  aucune  proportion  ,entrc  la  mifc  &  le  lotj 
&  ils  font  jouer  au  pauvre  peuple  ,  deux 
fois  par  mois,  le  jeu  le  plus  infenfé  &  le 
plus  dévorant.  Le  ftupide  vulgaire  fe  flatte 
d'attraper  un  quaternc  ou  un  qidnc. 

Les  fiiites  funeftes  de  cette  cmelle  loterie 
{ont  incalculables.  L'illufion  fait  porter  aux 
cent  douze  bureaux  l'argent  réfervé  k  des' 
devoirs  eflèntiels.  Les  domeftiques ,  incités 
>ar  un  appât  dangereux  ,  trompent  &  vo- 
ent  leurs  maîtres.  Les  parents  aveuglés  par 
leur  t^ndreflè  ,  croient  doubler  leur  fortune , 
&  la  perdent  entièrement.  Les  commis , 
les  caifïiers  faafàrdent  leitr  dépôt,  &  fe  don- 
nent enfuite  la  mort  par  détefpQir.  PldGeurs 
^  maifons  font  tombées  par  re  j^u  ruineux. 
Une  certaine  ivreflè  s'empare  de  tous  les 
infortunés ,  &  ils  perdent  le  dçrnîer  foutien 
de  leur  vie  défaillante'.  Oii  eft'  pleînerhent 
înftruit  de  toutes  ces  fceries  tragiques,  dé- 
(aftreufes  &  prefque  journalières  V  &  inal- 
grc  toute  l'évidence  du.  danger.  8f  toufc  la' 
forée  du  fentiment,  qui  fait  voir  cette  loterie , 
comme  vexatoire ,  oneri  lailïê  fiibfifter  les^ 
ffjhéftés  opératîorisV  tant  oh  4;foîf  d'argetit,! 
.taftt'  dn  fait  peu  de  cas  des'tnoéurs  &  de' 
1à  ti^aiiquillité  des -familles  !  ' 
ttCW  tbttqu^ei  odieuféè  ^  de  '^^tîat  *  fot  le»  ' 


190  Tableau- 

citoyens  ,  &  des  citoyens  Cm:  leurs  frères  , 
font- elles  dignes  de  la  mère -patrie,  &  la 
fociétc  devroîc-elle  immoler  ainfî  fes  enfants^ 
leur  tendre  des  ptig^es ,  &  appeller  d'inévi* 
tables  défordres ,  en  agitant  périodiquement 
toutes  ces  roues  de  fortune  ? 

On  parle  de  décorer  la  ville ,  de  bâtir  des 
édifices;  Vaifance  &  Us  mœurs  en  fini  îc 
plus  bel  ornement ,  difoit  Zenon.  La  Divi^ 
Bité  ne  manepie  ni  de  temples  ni  d'autels  ; 
mais  ce  qui  doit  (ùr-tout  réjouir  les  regards^ 
c^eft  la  fubfîjflance  aifce  &  journalière  d'un 
peuple  heuremc  &  content.  La  prudence  eQ 
politique  eft  Fœil  des  autres  vettus. 

Extrait,  anibe,  terne,  quateme^  quine., 
mots  ci -devant  inconnus  au  peuple,  quels, 
défaftres  ne  lui  avez-vous  pas  dé)à  cau£esl 
Quel  argent  ne  lui  av^-vous  pas  eidevé  fur- 
tivement !  Helas  !  il  ignare  cpie  cette  loterie 
efl  toute  a  Tavantage  des  banquiers ,  &  il 
paflè  ÙL  vie  â  comFiner  des  numéros.  La 
crainte  &  FelpéraïKe  le  rendent  fuperftitieux 
6c  hébété ,  &  ne  lâchant  pas  même  calculer, 
il  refte  dans  la  plus  grofEere  illufîon.  Son  igno- 
rance ii  cet  égard  devrait  être  fa  fauve-garde. 
Le  roi  de  Prude ,  fage  législateur ,  a  banni 
les  lotenes  de  Berfin  &  de  fes  états  :  ce  grand 
exemple^  donné  par  une  tête  forte  &  habile 
à  gouverner ,  £t  plus  que  tous  les  raifonne» 
ments  ;  &  fa  longue  expérience  dépolè  conti» 
cç$  jeux  qui  deflèchesit  les  forces  vitales^oa 


«empire,  en  étant  au  peuple  une  partie  de  ùl 
fubudance. 


CHAPITRE    CCLXXIIL 
Le  Chapitre  i^uivo^uu 

V>*omment  préferver  Paris  de  la  faîm  <pî 
menace  perpétuellement  les  deux  tiers  de  fes 
habitants ,  infenfiblement  ruinés  par  les  féduc- 
.  rions  les  plus  perfides  &  les  plus  multipliées  ? 
Parlons  à  une  ville  dépravée ,  &  dans  une 

-  ville  corrompue*  Depuis  que  la  focîété  a 
admis  &  confacré  par  fes  loix  même  une 
prodigieufe  inégalité  de  fortunes,  le  grand 
forfait  a  été  commis  ,  &  depuis  chacun  a 

-  &  a  dû  avoir  fà  manière  rfexifter.  C'eft  un 
combat  perpétuel ,  où  tout  fait  effort  fur  la 
maflè  des  richeflès ,  pour  en  détacher  quel- 
que partie.  Il,  ne  s'agît  plus  ici  des  loîx  pla- 
toniques; il  faut  confîdérer  aujourd'hui,  le 
renverfement  de  la  fociété  naturelle  ^  les  effets 
monftrueux  du  luxe,'  &  la  dépravation  gé- 
nérale qu^il  a  entraînée.  L^état  eft  un  corps 
malade ,  gangrené  j  il  ne  s'agît  pas  de  lut 
in^fer  les  devoirs  d'un  ccwrps  faîn  &  vi- 
goureux, mais  de  le  traiter  conformément 
il' les  plaies  prefqu'incurables. 

>Lc  lim  toil  peut  guérir  les  plaies  du  luxe  : 


V 


191  Ta  b  l  e  a  u 

c'cft  un  poifon  devenu  néceflàire  à  Tenfèm* 
ble.  La  première  loi  cft  de  vivre.  Le  fpec- 
tacle  le  plus  hideux  eil  le  vilàge  de  la  miïère 
oifive,  &  qui  attend  la  niort,  les  bras  crol- 
fés ,  en  pouiiànt  quelijues  gémiilèments  inar- 
ticulés ;  &  comme  la  capitale  eft  un  amas 
confus  &  incohérent  d'hommes  qui  n*ont 
ni  terres  a  cultiver ,  ni  manufaâures  k  diri- 

fer ,  ni  charges  à  reniplir ,  ^ui  font  éaaSh 
u  fardeau  journalier  de  l'indigence ,  &  qui 
Tïê  peuvent  vivre  que  d'une  induftrie  prompte 
&  particulière ,  il  faut ,  puifque  le  mal  eft 
fait ,  &  qu'on  a  toléré  tant  de  Coites  d'abus , 
il  faut  donner  des  moyens  de  fiibfîftance  à 
cette  foule  d'hommes  qui  poorroient  faire 

pis. 

L'état  autorife  publiquement  une  loterie  y 
qui  n*eft  qu'un  jeu  de  hafard,  toujours  favo» 
table  au  banquier ,  &  dont  le  gain  eft  pour 
lui  feul.  Et, pourquoi  interdire  les  mêmes 
jeux  aux  particuliers ,  tandis  qu'on  les  ruine 
d'une  manière  toujours  infruâueufe  pour  cha- 
cun d'eux  ?  Ceft  Fétat  qui  joue ,  mais .  qui 
joue  à  coup  fîir.  Qu'il  reftitue  donc  aux  par- 
ticuliers les  avantages  &  les  bénéfices  :  il 
vaut  mieux  qu'un  homme  foit  joueur  que 
d'être  un  ufuritr ,  un  efcroc ,  un  voleur.  Dès 
que  Toifiv^eté  règne  dans  une  grande  ville  ,, 
le  feul  moyen  de  parer  à  fa  deftruûîon  iné-. 
vitable ,  cil  de  faiie  en  forte  que  les  moyens 
^e  fubfiilance  ne  foient  refufës  à  perfonne  ; 


DE    Paris.  19 j 

car  la  loi  voulant  être  raifonnable ,  devien* 
^oit  aveugle  6c  inhumaine. 

Le  jeu  éft  un  commerce  momentané  ^ 
tapîde ,  fufceptiblè  d'un  nombre  infini  de 
«cluuKes ,  propre  à  divifeir  merveilleufement 
les  trop  grofleis  Fortunes.  Il  forme  une  cir- 
'culation  d'argent^  &  cette  circulation  abreu- 
ve ,  vivifié ,  &  de  plus  Favorife  les  confom-« 
madons.  Ceux  qui  ne  jouent  pas ,  fe  reC- 
ientent  du  héhéice  de  ceux  qui  gagnent. 
Dans  l'ivreflè  du  gain ,  l'argent  coule ,  échap- 
ye  ^  SkCe  répand  fiir  tous  les  pas  de  l'heureux 
loueur.  L'avarice  devient  généreufe ,  &  tous 
les  Fronts  font  déployés  par  le  mouvement 
aâif  de  l'^fpérance  de  de  la  joie. 

One  circulation  très-rapide  eft  imprimée 
à  fârgem  ;  tous  les  marchands  s'en  reflèn- 
stent ,  &  de  proche  en  proche  tous  les  plus 
petits  canaux  du  corps  politique  reçoivent  des 
germes  de  fécondité. 

Taimerai  toujours,  mieux  voir  dans  Paris 

;des  niai^j^Ds-^le^fitt- 9  ^^^  ^^  tnaifons  de 
-prtilHtuâéiv.  Les  premières  peuvent  caufër 
-quelque  bien  ylés  lecondes  ne  peuvent  qu'être 
funeftes  en  %dus  Tens.  Le  fyftême  de  Lavs 
fût  un  jéû'^bHc.  Jamais  on  ne  vît  tant  d'ao- 
^vité  en  France^  le  mouvement  ^u  com- 
merce étoît  rapide ,  its  ifèires  multipliées , 
&  tous  les  petits  états  jouiflbient.  Ce  jeti 
moins  défordonné,  moins  violent,  contenu 
Tome  IL        i  î 


^54  Tableau 

.dans  les  limites  qui  appartiennent  à  chacfue 
objet,  eût  été  très -utile. 

Ne  nous  abufons  donc  pas  aujourd'hui  « 
^  voyons,  les  chofes  telles  .qu'elles  font.  De* 
puis  que  Yov  eft  Teiprit  vital  des  empires^ 
&  que  les  rois  eux-mêmes  ne  régnent  que 
,par  l'or ,  on  ne  compte  plus  que  Tes  heu- 
nreux  pof&fièurs.  Dans  les  rangs  les  plus  éle- 
.vés ,  tout  comme  ailleurs ,  ou  fè  bau&  pour 
4:ama(Ièr  l'or ,  &  (ànji.lui  tout  eft  vaine  dé- 
.coratioïu  . 

Les  dignités  fiériles  ne  (ont  pins  des  di« 

«gnités.  La  fcience  du  bla(bn .  eft  reléguée 

.dans  les  diâionnaires ,  &  nous  demandons, 

comme  l'AngWs  ,  non  plus  ^fuel  homme 

.e/l-ce?  tti^is  cotnbUn  a-t-il?  ÎJégaikté  des 

individus ,  qui  le  croiroit  !  (èmbleidevoitré- 

■  naitre  des  fermentations  même  du  luxe  :.«n. 

attendant  qu'il  nous  tue ,  il  nous  fb(pend  ^ 

égaux,  fur  les  bords  de  l'abyme.   Plus  de 

maîtres  dans  nos  cités  que  ceux  qu^n  fe 

donne  ,  plus,  d'^^'^ves  que-  ceux: qui-  n'ont 

point  d'or  :  qui  a  de  l'or,  peut  regarder  tout 

.homme  en  face  ;  qui  a  payé  l'impôt  au  (bu- 

verain ,  eft  abfolument  quitte  envers  lui» 

On  fe  l'arrache ,  on  fe  le  partage  -,  cet  oc 
.  fi  nécefiàire  ;  &  dans  ce  combat ,  le  vain- 
queur d'aujourd'hui  fera  demain  vaincu.  Qui 
,ns  fent  que  dans  un  tel  choc  politique,  & 
fi  jet  a  tant  de  balancements ,  les  dirorentes 
;  places  que  chacun  occupe ,  n'admettent  point 


DE     Paris.  19^ 

de  différences  légitimes  aux  yeux  de  la  raifon; 
qu'il  n'y  a  d'autre  diftinftion  réelle  &  per- 
manente que  l'or;  qu'il  faut  donc  le  lancer  en 
tout  fens ,  afin  qu'il  paflè  de  main  en  main  ^ 
,&  que  chacun  ait  le  droit  dVn  obtenir  des 
parcelles?  Ne  fent-on  pas  que,  confacrer  d'un 
côté  les  monilrueux  héritages ,  &  empêcher 
de  l'autre  que  tel  homme  n'hérite  d'un  autre 
-à  une  table  de  jeu^.c'eil  la  contradiâipn  la 
plus  abfiirde ,  la  plus  dangereufe ,  même  au 
gouvernement  aâuel ,  qui  s'étant  fait  ban- 
quier y  2L  diftraît  fciemment  le  bien  qui  pou» 
voit  réfulter  de  ce  jeu  ef&oyable ,  où  tou^ 
les  dé(avantages  font  riéceflairement  pour 
ceux  qui  pontcnt  ? 

Si  ce  remède  paroît  oppofé  à  des  réflexions 
.plus  fages ,  je  ne  l'indique  que  comme  ih^ 
remède  momentané,  &  qui  donne  le  teqips 
au  législateur  de  recourir  à  des  moyens  plu^ 
jconformes  à  la  vertu.  Ceft  Colbert  qui  a 
commencé  le  mal,  &  je  fuis  pleinemçpt 
^uftifié  par  fcs  înftitutîons  &  celles  de' ftç 
imitateurs.  Colbert  à  la  tête  du  commerce 
,&  des  manufaâures ,  leur  a  facrifié  l'agri-» 
culture.  U  a  porté  dans  le  (èin  des  villes  cette 
ibule  d'hommes  qui  fertilifoient  les  campa- 
jgnes  ;  il  a  créé  la  claflê  innombrable  des  r,en- 
tiers*  On  avoit  des  ouvrages  d'un  travail  pré-: 
.cieuxy  8c  l'on  manquoît  de  pain.  Qn  lit  avec 
étonnement  que ,  durant  les  troubles  de  Fran- 
ce qui  précédèrent  le  règne  de  Henri  JY  ^ 

la 


,t^6  Tableau 

;le  royaume  prôduifoic  des  fubfîftances  deuR 
fois  au-delà  de  la  confommarion  des  habt- 
étants ,  &  que ,  pendant  les  ofpératîotis  htiU 
lantes  de  Louis  XIV ,  au  mîfièn  'des  mira- 
,cles  de  la  peinture  Se  àt  ,là  frtilptûre ,  {ft 
nation  fouffroit  de, la  dîfette  ;  di(k£è  qui  àé- 
puis  s'eft  fréquemment  r^nouvellëe  :  {ce  qdi 
prouTC  un  vice  dans  le  mînitterè  de  te  Cot- 
;  rert  fi  vanté ,  qui  a  prdcuné  à  Louis  XÎV 
.de  nouveaux  moyens  de  prodigâUré  ,  qui  à 
/ondu  le  peuple  dans  le  feri^idë  de  h  CQnir.^i 
4]ui  a  augmenté  la  puiflànce  royde  ail-deSi 
.de  fès  bornes  naturelles. 

Et  ce  qu'il  faut  remarquer  ,  ^cW  que  :, 

^malgré  Colbert ,  le  manufaâurîer  &  fc  màf- 

.thand  n'ont  jamais  pu  jouir  dun  degié.d'ef^ 

time  égal  a  leurs  travaux.  Pocrrqtidi  celtfi 

qui  acheté  fe  eroîroit-il  au  4cflus  de  'ceWî 

jçuî  vend  ?  Les  befoins  ne  foiit-ils  pas  léifi- 

^>r6qûes  ?  &  ^e  quelle  .chôfe  dàis  te  Htàûèk 
'argent  n'eft-îl  pas  le  figtlè  ?  On  fddâdielè 
uôrie  v.on  paie  lés  autels.  Le  thdfiirqpe.  '8t 
,ïe  pdntîfe  ont  des  reVeftus  qu'ils  toùdhënt  de 
leurs  mains  en  mohtiôîe.  Les  récÔnSpfenfii 
les  plos  illuftres  ont ,  dans  tdos  lès  états  ttlbî- 
dérnes ,  l'argent  pour  bafe.  Je  Vdis  lésgfariâfe 
Xeigneurs  âqfli  âpres  ^  l'cibtériîr ,  que  cei& 
.qui  en  font  totalement  privés.  Tdùs  lès  grâhâk 
xoniédieris  de  ce  nloildè^  depuis  ceux  qdî 
îjouent  fiir  lés  tréteaux  "jufqu'h  cêtnc  qui  re=- 
j^iréremetit  daïïs  tes  c^ours  ^  font  payés  ^  J8c 


DE    Paris.-  197 

d'avance  :  conformité  aflêz  remarquable.  Le 
commerce ,  dit-on ,  eft  fôndé  fur  le  gain  : 
voîlk  ce  qui  l'avilit.  Mais  tout  refpîre  le  gain.'^^ 
Celui  qui  fe  trouve -an  lever  du  roi ,  fait  une* 
çfpece  de.  trafic  de  fon  tenips  ,  de  Ces  coùr^' 
les  ,.de  Ces  afiiduités,  de  (es  courbettes*  II* 
j*e  voyage  cependant  que  de  Paris  à  V^r-- 
failles.  Le  n^ociant  vifite  tous  les  ports  de  • 
l'Europe  ;  il  eft  utile  à  tous  les  hommes.  Tel  -, 
9>  rapporté  de  fes  voyages  une  multitude  de 
çonnoiflànçes  j  Sftel  gentilliomme  qui  ne" 
veut  vendpe  que  (bq  fang ,  marchande  des 
années  entières  un  régiment  qui  lui  échappe  ; 
&  le  voilh pauvre,  lui  &  fes  defçendants  y 
ppur  deux  cents  années. 

Ai-ie  plaifanté,  ai-îe  raifqnné  V  Ceft  cp 
que  je  vous  laîfïê  à  deviner ,  leâeur,        -    . 


C  H  A  PITRE      CCLXXIV. 
AUs  lUgrcts ,  ÇihUn  fupcrjlus. 


in  voyant  tout  ce  qui  déshonore  à  ce  point 
un  peuple  riche  &policé,quel  écrivain  n'a 
point  regretté  de  bç  pas  trouver  d^ns  cette 
ville  une  tribune  aux  harangues ,  o^  l'pn 
parleroit  au  public  affèmblé  ?  On  y  tonneroit 
contre  de  cruels  abus ,  qui  ne  cèdent  en  tous 
pays ,  que  quand  oh  les  a  dénoncés  a  i'apir 


198  Tableau 

madverCon  publique.  Les  plus  beaux  mor- 
ceaux d'éloquence  qui  nous  reftent  de  Pan- 
tîquîté,  font  émanés  de  la  tribune  j  &  au- 
jourd'hui ,  que  les  lumières  politiques  de- 
viennent plus  faines ,  on  y  propoieroit  ce 
qui  pourroit  être  utile  au  public. 

Qui  oferoit  y  monter  (ansfe  (èntîr  écfaau^ 
fé  des  nobles  flammes  du  patriotîfinc  ?  Au- 
jourd'hui, dans  les  gouvernements  les  plus 
libres ,  les  peuples  ne  connoîflent  les  débats 
des  admîniftrateurs  que  par  les  papiers  pu- 
blics ;  moyen  toujours  précieux  ,  mais  bien 
îiiférieur  à  là  parole  qui  tonne  au  milieu 
d'une  immenfè  aflèmblée. 


C  H  A  P  I  T  R  E     CCLXXV. 

Souhait. 

X^ette  population  qui  s'accroît,  s'accroîtra 
encore  ^  car  depuis  que  les  routes  font  ou- 
vertes ,  tout  vient ,  tout  fond  des  provinces 
fur  la  capitale  ;  des  colonies  de  jeunes  gens 
accourent ,  abandonnent  les  toits  paternels, 
bit  pour  y  faire  formne  ,  foît  pour  y  vivre 
avec  plus  de  liberté  ;  &  de  Ik  ce  nomore  in- 
fini de  gens  qui  cherchent  de  l'emploi  & 
de  l'occupation.  La  maffè  d'argent  s'y  pré- 
cipite ,  oc  d'autant  plus  qu'il  ne  reflue  pas 


i 


DE     PARI  S.  lf^9^ 

vers  les  provinces ,  &  que  les  provinces  jr 
verfent  inceflkmment  le  leur.  Mais  cette* 
maflè  fe  concentre  en  un  petit  nombre  de 
mains. 

Ces  confidcradons  ont  fait  defîrer  à  plu- 
fîôirs  que  Paris  devînt  port,  comme  il  la' 
été  autrefois ,  à  ce  qu'il  femble.  Il  eft  sûr  que 
le  commerce  maritime  conviendroit  très-, 
bien  à  la  capitale  d  un  royaume  auffi  peu-- 
plé  que  la  France ,  fur-tout  fi  Ton  confidere- 
que  prefque  tout  Par gent  eft  -dans  Paris.  Ce 
commerce  ne  nuiroit- en  rien  aux   autres* 
villes  du  royaume ,  parce  que  les  relations . 
nouvelles,  ouvertesavec  l'Amérique  ,  pour-; 
roient   occuper  le  double  &  le  triple  des* 
vaiflèaux  qui  courent  les  mers  ^ parce  que  le* 
propre  du  commerce  eft-  de  vivifier  toutes^... 
les  parties   qu'il   arrofe  ;  parce  qu'avec  le- 
temps  &  quelques  efîbrts ,  l'on  peut  enlever  à». 
FAngleterre  ôèà  la  Hollande  une  partie  de- 
cet  empire prefqu'exclufif  qu'elles  s'attribuent.'. 

.  Quelle  incroyable  adivité  ^  &  quel  fur-t 
croît  d'inauftrie  naîtroient  de  œ  nouveau 
point  de  vue  !  IL  agrandiroit  &  .«nriobliroirf 
les  fpéculatîons  de  nos  financiers ,  trànsFor-» 
mes  en  agioteurs^  faute  de  plus  grands> 
moyens.  Il  fourniroit  une  multitude  de  reC*' 
fources  à  tant  d'lK>mmes  qui  langirillênt  ave 
du  coarage&'dii  talent. 

Le  projet  de  faiife  aborder  les  vaiflèaux- 
nucchand^  W  pied  du  fuperbe  palais  desi 


ioo  Tableau 

Tuileries,  nVft  pas  jugé  impraticable.  On 
prétend  même  que  ,  pour  vaincre  toutes  les 
difficultés ,  la  dépenfe  tqjt^e  s'excéderoit  p^s^. 
quaranre-fix  millions.  Tai  vu  un  plan  oui 
Siie  femUe  Revoir  étrç  vainqueur  dp  toupies, 
ohft^cles,  &  qui  rendroit  la  rivière  navîgsir. 
ble  en  tout  ternpsv 

Eh  quoi  !  eft-ce  ^u  pcwpfe  qui  a  ]WA  Ia< 
Méditerranée  à  l'Océan ,  eu  -  ce  au  pays  quiv 
a  enfanté  Riquet  &  Laurent  ^  redouter  uti»^ 
entreprife  beaucoup  plus  facile  ?  Et  quand  iK 
fallut  ordonner  aux  eaux  du  canal  de  Lan«. 
guedoc  de  palier  fur  un  pont  ,&  de  traver-* 
lei  une  rivière ,  de  couler  à  travets  une  mon- 
tagne percée  à  fa  aéte ,  de  monter  ,  de  def* 
cendre  une  autre  montagne  fkns  ^^garer^ 
c^étoîent  d'autres  travaux,  d'autres  difficultés 
aNdomptét;  diiHcu!tés,regardéeiC(tfnme  k-^ 
fbrmontables.  On  en  vint  à  bout  néanmoins, 
fur  plus  de  quarante  lieues  d'étendue  ;  &  la 
fciencedes  machines  n'étoît  point  alors  per*, 
feâionnée  au  point  où  elle  eft  aujourd'hui. 

Quelle  entreprife  plus  utile  &  plus  nécef^ 
Sûre  !  Pn  a  dépenfë  bien  davantage  pour^ 
des  bofquets  peuplés  de  marbres  ftériles ,  & 
qui  n'atteftent  que  l'orgueil  des  rois ,  &  non . 
leur  magnificence.  Mes- voeux  hâtent  le  ma-, 
ment  où  cette  ville  aura  un  débouché  pour 
fes  nombreux  enfants ,  obligés  le  plus  fou- 
vent  de  Vexpatriér  ,  ou  de  ramper-  dans*  des. 
occupations  qui  dégradent  l'ame.  Je  lui  vok 


}Ï*E      P  A   R   I   S. 


ZOI 


alors  un  gage  de  fubfiftance  affùrée ,  un  gage 
de  félicité  ,  ÔC^je  ne^  tremblerai  plus  fur  fes  - 
futiurs  deftins  ;  elle  aura  un  r^ng  egal^ux  ca« 
pitales  du  monde.  Mais  je  ne  la  conHdérerai 
vraiment  comme  floriflante ,  que  quand  elle.- 
fèfèra  fait  jour  au  fein  des  mers  y  pour  ap^  - 
peller  en  lig^e  direâe  Tabondance  dans  fes 
murs  :  (ans  ce  moyen  ,  le. revers  le   plus, 
inattendu  peut  tout- à- coup  la  dellecher,  la 
flétrir ,  &  doni^er  la  mort  à  fes  citoyens. 


C  HA  P  I  T  R  E      CCLXXVL 

^  Paris-Port.^ 


.i-*u. 


l.andîs  qu*on  a  dcpenfë  trois  ou  quatre 
millions  pour  des  guerres  folles ,  inutiles  , 
inconfëquentes  ^  comment  n'a -t- on  pas 
réalifé  le  projet  de  faire  venir  les  vaiflêaux 
à  Paris?  Rendre  Paris  ^ port  ^  comme  il  Ta 
été  autrefois  vrétablir  l'ancien  commerce  ma^ . 
rîtimede  cette  grande  ville  ;  y  faire  aborder 
les  vaiflêaux  qui  viendrwent  y  mouiller  des 
<patre  parties  du  .monde  ;  ne  feroît  -  ce  pas 
donner  tout -àr coup  au  commerce,  de  la 
France  la  plus  vîgoureufe  dé  toutes  les  iriï* 
pulfions  ?  L'opulence  de  la  capitale ,  fa  po- • 
pulation,  Paâivité  dé  fes  habitants,  tout 
g^oantiroitles  fonds ,  les  matelots  &  le  fuccès*  - 


202  T  A  B   L  E   A  V 

Le  projet  eft  praticable  ;  il  ne  faudroïc  que 
creufer  le  lit  de  la  rivière ,  pour  qu'elle  fût 
navigable;  &  les  frais  devroient  -  ils  étro 
épargnés  pour  cette  magnifiqoe  8c  impor- 
tante opération  î 

Alors  peut-être,  fans  la  marine  royale 
(  cette  coûteufe  &  inutile  décoration  )  les 
armateurs  fortiroient  en  foule,  &  (è  rea- 
droient  redoutables ,  parce  qu'ils  macche- 
roient  avec  toutes  les  forces  réunies  d'une 
ville  peuplée  ,  induftrieufe  &  riche.  Le  (brt 
de  la  capitale  ne  fermt  plus  incertain  :  der 
reflburces  promptes  feroient  aflùrées  à .  tous 
lés  régnicoles.  La  France  comporte  par  Ces 
richeilês  territoriales  ,  cinq  ^  fix  villes  mari* 
rimes  du  premier  ordre ,  &  nous  en  avons 
à  peine  trois. 

Tout  ce  qui  eft  dépenfc  à  Paris  en  luxe 
frivole ,  en  jouiflànces  futiles,  prendroit na- 
turellement fon  cours  vers  un  commerce 
•and  &  généreux  ,  qui  élevéroit  les  âmes 
l  les  efpiits.  L'agiotage  difparoîtroît  pour 
faire  place  au  négoce  :  mure  rougîroit  quand 
elle  appercevroit  des  moyens  plus  grands^ 
plus  lucratifs  &  légitimes.  Enfin  ,  fi  les  fuc- 
ces  font  proportionnés  a  la  ma(&  de  pou- 
voir qu'on  met  en  aâion  ,  de  quels  avanta-* 
ges  ne  pourroît-on  pas  (c  flatter! 

La  tête  d'un  pareil  royaume  figureroît 
avec  plus  de  fplendeur  ,  environné  de  mille 
vaifTeaux  \  8c  Tabondance  qui  ne  vient  à 


DE     Paris.  203- 

elle  ^u'ert  épuîfant  les  environs  &  fctîguantt 
les  honimçs 5  les. chevaux  & leç  routes^  vien-; 
drQH  flotteiif  fajis  peine  Q(i:/aii$.  efFoits  ail^ 
pi^.  de  fès  :  piagnifiq^es  rciiipa^ts*  -L'i«diife   . 
trie  aiguiUounëe  en  tou^  fens  ;^:  tïp  Terbic  plus^«  , 
timide  ni  obTcure;  elle  r  s'agrândiroit  avec/ 
le  projet  ;  v^Sc  la  réaâion  de  tous  les  efprits 
opéreroit^  quelque-^  çhofe  ^  de  grand  9  ç'eil*t 
a-dire.,  df  Ir^^laof  Ji  1?  pjiiflànce:  réelle  du;  .: 
royaumer* .;    :^  ^     '  ,       f. 

Cette  nouvelle  >  conquête  vaudroit  bien-^ 
celle  de  quelques  isles  éloignées ,  fur  la  poC*. 
fefEon  defquelies  s'égare  la  routine  de  la  po-/ 
litique  moderne» 

Si  Ton  remoiite  dansrrhîftoîre,  l'on  verra 
que  des  peuples  de.la  Suéde ,  du  Daneniarck 
&  de  la  Norwege,  au  npmbre  de  quarante 
mille  hommes ,.  ay^nt  a  leur  tête  Sigefroi , 
vinrent  en  Tannée  8 8  «5  ,  faire  le  Gege  de  Pa- 
ris avec  fept  cents  v|iîles  ^  fans  compter  les 
barques;:  en  forteqpaq  rapport  ifAbbon,' 
religieux  de  l'abbaye  Saint -Gemiîijn- des-; 
Prçs  r  contempotfûn  &..  témoin  oculaire  , 
^ui  a  écrit l'hillpire  dexçtte  guerrie.en  deux 
volumes  en..vers  latins  ^  la  rivière  étoit  cou- 
verte de  leurs,  bâtiments  Cefpaçç  de  deux, 
lieqes,  Il:;4oute  qu^'ilsé^oiçoi^^çjii^^veyo^ 
jfeis  daiisl^nj^êni^./fiecleJ,.  ,j-. 

Jules-Céûr  rapporte  dans^  le  troifieiiie  H^ 
rxe.  de  fes  Coiumentaîr^  ^  qye.4gr^,d«  Ja 
CQXî9jêteLdes  G^^vdeSjilfit  faire pendrint  uq 


204^  T  A  B  L  E   A  V 

hiver  fîx  cents  Taiflèaux  des  bois  qui  âdeht 
aux  environs  de  Paris:;  qu'au  printemps  il' 
fit  monter  fur  ces  vaiflèaux  Conr  armée ,  avec* 
armes ,  bagages ,  chevaux  &  plY>vifi(His  ,*  dt: 
cKi'il  defcendk  la  Seine 9  palla  à  Dieppe-,  8c: 
de-Ëi  en  Angleterre ,  dont  il  fit  la  conquête» 

N'avons-nous  pas  vu ,  îî  y  a  quelques  an-- 
nées,  le  premier  Août  17669  le  capitaine 
Berthelot  arriver,  au  PoDt-Rmral,  vis-à-vis 
des  Tuileries ,  fur  Ion  vaiflèau  àe  cent  Ibixam 
te  tonneaux ,  de  cinquante  -  ôtKf^  pieds  de 
quille,  &  dont  le  grand  mât  avott  quatre- - 
vingt  pieds  de  hauteur  ?  Lor£]u'ir partit  le  22.. 
du  même  mois\  chargé  de  marchandises  ^ 
Feau  dé  la  Seine  étoit  à  peu  ptèsi  la  même, 
hauteur  ,  c'èft-à-dire ,  k  vingt  -  chiq  pieds. 
Ce  vaiflèau  eft  arrivé  de  Rouen  k  Paris  en 
fcpt  jours  ,  de  Rouen  à  Poîfli  en  quatre^ 
&  une  autre  fois  du  Hawre  à  Pans  en  dix 
jours.  ^ 

Uacadémîe  des  fciences ,  belles  -  lettres 
&  atts  de  Rouen ,  annonça  dans  &  féance- 
publîque,  tenue  le  premier  Août  1759  ^ 
qu'elle  propofoit  pour  fojet  du  prix  de  Fan* 
liée  fuîvante ,  cette  queftîbn  :  La  Seine  lia-*- 
trille  pas  été  aiàrrfbis  navigable  pour  des 
Taijfeaux  jphs  conftdérables  qùtteux  qiiettc 
porte ,  Çf  ny  aiiroit-^il  pas  dés  moyens  de 
kii  rendre^  ou  de  lUi  procurer  cet  avanta^ 
ge  ?  En  1760,  le  prix  fût  remis,  Facadémie 
n'Sijant  pas  été  (àtisfaite  des  mémoires  qui 


2>  E      P  A  R  I  Sj  Z05 

liîiTiirem  envoyés.  En  1761 9  les  nouveaux, 
ne  lui:  arant  pas  paru,  meilleurs  ^  elle  fe  dé->, 
câda  à  changer  la  matim^4u  prix.  ,  [ 

Le:  piojtt .  rli  jamais  ^  jugé  impratica-^. 
Uepar  les  ingénieurs,  8c  le  devis  eftimatif^ 
des  ouvrages  9  %né  par.|)lu6^iirs  archiceâj^^,. 
a  été  mis.  fous  les  yeux  da  miniftere. . 

On  a  de  fareent  pour  des  guenres  deftruc-^ 
dves:&  tincestaines  9  pour  les  vîetçc  rébus 
du  radc^gemio^léiid;  0x1  n'en  a  poin(* 
pour  féconder  une  Ville  immen^ ,  &  fou-^  . 
làger  les  provinces  du  tribut  énorme  jSc  .oné* - 
içux  qu'elle  en  exige. . 


C  HA  P  I  T  R  E    CCLXXVIL 

Zcs  Prijbns* . 


?t<mibons.de  ces  fublimes  projets  k  ce 
^  e^cifle.  Abandonnons  nos  beaux  rêves ^ 
pour  contempler  notre  indigence  &  notre 
pauvreté  réelle.  Voyons  notre  extrême  in- 
dijGfêrence  pour  tout  ce  qui  intéreflè  de^fî 
^ès  Pfaumanits.  Des  imâgps  cunTolantes  ont; 
nté  ^toui-  de  moi  :  les  cashctts  ^  les  dbaînej^, 
fc  hitilt  des  çleft  diflipentlejfbnge  ! . 

La  loi  arrête  l'innocent  comme  le  coui 
{Mible,  lorfqail  s'agit  de  conftater  un  délit  j 
ti^is  la  priiçu  étant  déjà,  une  peiw.  tAî^ 


2o5  Tableau. 

grave ,  elle  doit  être  adoucie  :autant  qu'il  efh 
{fofSble  qu'elle  le  foit.'  Or ,  pour  ^aiSirer  :det 
ma  perfonné ,  il  ne  faut  pas  poin;  cela  att^> 
quer  ma'  fanté ,  lile  priver  jaes  rsegsurds  Jdu 
foleil  &  de  l'air,  me  jetter  dans.utiede-^ 
meure  infeâe ,  me  fiûrç  languir  ^  mîlieui 
d'une  troupe  de  brigands,  dont  la  feiile  vue 
eft  un  fupplice.      -  ;         :  ,-.. 

Sile  foupçon  exige  que  je  foi&.tataième&tt 
pivé  de  ma  liberté ,  que  je  ne  (bis  .pôkit  k  * 
ta  merci  de  l'avarice  d'un  geôlier;. qu'eu 
m'arrachant  à  mes  foyers^  on  ne  me  con- 
fonde point  avec  ceux  qu'on  va  'Conduire  au: 
gibet;  car  je  puis  être  innocent. 

La  loi  ne  me  devra  aucun  c^domm^ge-  - 
ment,  quand  elle  aura  reconnu  moa  inno- 
cence;  d'accord  :  parce  qu'elle  aura  .agi  au^ 
nom  de  l'intérêt  général ,  auquel  tout  eft  & 
doit  être  fubordonné.  Mais  que  je  n'emporte- 
pas  une  afFreufe  maladie  de  ma  captivité  y. 
tandis  qu'il  eft  fi  facile  de  hi'épargner  cèj. 
borreurs  ,  en  m'acscordant  un!  peu  d'air  aa 
milieu  de  ma  folitude.  t 

Les  prîfons-font  reflètréesy  mft}-&ines^ 
infèôes  :  on  les  a  juftement  comparées  à  de 
hauts  8c  laraes  puits,  aux  parois  defquels 
fisroient  a&flèes:  des  mafiires  étroites  &^l^ 
deufes.  Si  le  prifonnier  veiÉt  y  être  fépair^^ 
îl  paiera /oir^/z^e/r^/zc^  par  mois  un  pe-. 
tît  emplacement  de  dix -pieds  quarrés^  Tout 
s'y  vend  Iç  double  9  ôc  L'on  diroit  qu'il  y  a. 


B  E     P  A  R  I  S,  x6*f' 

au  guichet  une  taxe  particulière  pour  rendre 
la  mifere  des  prifonniers  encore  plus  pro^ 
fonde. 

D'énormes  chiens  font  la  garde ,  &  mê- 
me la  police  avec  les  geôliers.  Rien  n'eft 
plus  frappant  que  Fanalogie  qui  les  carac-^ 
térife.  Ces  élevés  font  dreflës  à  faifir  un  pri- 
fonnîer  au  collet ,  &  à  le  mener  au  cachot  ; 
ils  obéiflènt  au  moindre  figne: 

Une  petite  porte  épailîè  s*ouvre  trente 
fois  par  quart -d'heure;  il  faut  que  tout  ce 
qui  lert  à  l'entretien  &^  la  nourriture  paflè 
par-lk  :  il  n'y  a  point  d'autre  entrée. 

Les  cachots  font  les  réceptacles  de  toutes 
les  horreurs  &  de  toutes  les  miferes  humai- 
nes :  les  vices  les  plus  monftrueux  y  font 
naturalifés ,  &  le  aimînel  oifif  s'enfonce  là 
dans  de  nouveaux  crimes. 

On  nomme  paiUcux  les  miférables  qui 
refpirent  encore  dans  ces  fouterreîns.  L'hu- 
nïanité  eft  réellement  effrayante  &  hidèufe- 
fous  ce  déplorable  point-de-vue  :  tirons  le 
rideau. 

Il  y  a  k  la  porte  de  la  prîfon  un  cercueil 
tannai  pour  les  prifonniers  &  pailleux  qui 
décèdent  ;  ils  n'obtiennent  point  de  bief© 
de  la  charité  publique  ;  on  ne  leur  accotxje 
quun  linceul.  Ce  cercueil  très-épais  &  tres- 
folide  reçoit  chaque  jour  tons  les  morts,  & 
îndiftînâement  ;  quelquefois  il  en  contient 
deux  9  quand  les  trépaffîs  font  des  a^olefcencs^ 


ao8  Tableau 

Le  cercueil  bannal  de  la:^ifon  du  Ckâte*- 
Idt  fert  depuis  plus .  de  quatre-vingt  ans.  Les^ 
paitUux  rappellent  Id  croûte  de  pâté.  O  jSau-^ 
râges  errants  dans  les  forées  de  F Améri* 
^e  (èpteatrionale  !  vous  mangez  vos  enne- 
mis, vous  faites  un  trophée  (ànglant  de  leur  - 
chevelure  ;  mais  ^  vous    n'avez    jamais  du  ■\ 
moins  of&rt  à  là  main  tremblante  de  Fhif-^  - 
torien  les  tableaux  que  j'anrois  ici  à  tracer.»*. . 
Non ,  laidbns  les  monftnieufes  turpitudes  de 
FEumanité  dégradée  fous  les  voilés  épais  qui 
la  couvrent,  hcs  gardiens  féroces  de  ces  cri-- 
minels  ne  s'attendriflènt  jamais ,  8c  îis  ajou*  - 
tent  d'eux  -  même  ^  la  dureté;  de  Jeur.mi*- 
niftere. 

Un  édit  bienfaifant  bc  paternel  va  faire  - 
céder  une  grande  partie  de  ces  abus  ^  &  le 
bien  qui  le  fait  ,  devient  le  gage  du  bien  : 
^  (è  fera.  Qu'il  fe  fait:  lentement  J 


CHAPITRE    CCLXXVIIL.. 

Sentence  de  mort* 

\^uelle  voix  fîniftre  &  retentiflànte,  em- 
pliflànt  les  rues  &  les  carrefours ,  fe  fait 
entendre  jufqu'au  fomniet  des  maifons ,  8c 
trie  qu'un  homme  plein  de  jeuneflè  va  pé-^  - 
tt  y  égorgé  de  iâng-froid  par  un  autre  hom':^  - 


C  E     P   A   R   I   s.  20J 

me,  au  nom  de  la  fôcîétë  ?  Le  colporteur , 
en  courant  &  hurlant ,  vend  la,  fentence  ei>- 
core  humide  ;.  oo  f  acheté  pour  {avoir  le 
nom  du  couipable  ,  & /apprendre  queLeft 
fon  crime  :  on  a  bientôt  ouolié  Fun  oc  faUr- 
tse.  Ceft  une  condamnation  fubite  qui  vient 
épouvanteriez efprits  au  moment  où  Ton  n^^ 
s'y  atsendoit  pas. . 

La  populace  quitté  les  atteliers  &  les  bou«: 
tiques,  &  s  attroupe  autour  de  Tëchafaud,. 
ppuir  «xâmis^er  de  qucUe  manière  le  patient 
accomplira  le  grand  aâe  de  mourir  en  pu- 
blic au  milieu  des  tourments. 

Le  philofophe  qui ,  du  fond  de  (on  afyle^ 
entend  crier  la  fentence ,  gémît  v  &  fe  re- 
mettant à-fon  bureau ,  le  cœur  gonflé ,  Toeil 
attendri ,  il  écrit  fur  les  loix  pénales  &  fur  ce; 
cjiâii  ncceilîce  le  fupplice;  il  examine  ûih 
gouvernement,  la  loi  n'ont  rien  à  fe  repra* 
cher  •,  &  tandis  qu'il  plaide  la  caufe  <te  l'hu- 
mianité  dans  fon  cabinet  (blitaire ,  ic  qu  il 
fonge  k  remporter  le  prix  de  Berne ,  le  bour- 
reau frappe  avec  une  large  barre  de  ifet ,  écra-. 
fe  le  malheureux  fous  onze  coups.,  le  replie, 
fbr  une  roue,  non  la  face  tournée  vers  b: 
ciel ,  comme  le  dit  l'arrêt ,  mais  horrible-»^ 
ment  pendante v;  les  os  brifës  traveHèntî  les 
chaiix  Les  cheveux  hériâes  par  la  douleur  >:. 
diftillént  une  fiieut  fàngknte.  Le  patient  y 
dans  ce   long  fupplice ,  demande^  tour-à* 
t^uT;  d^  IVau  ôc.  la  mort^^Le  peuple  Xf^ 


4 


2IO  Tableau 

garde  au  cadran  dé  ITîôtel  -  de  -  ville  ,  & 
conipte  les  heures  qui  fonnent;  il  frémît 
conftérné ,  contemple  &  fe  tait. 

Mais  le  lendemain  un  autre  criminel  fait 
relever  Fëchafakid ,  &  le  fpeâade  afiFreux  de  > 
la  veille  n'a  point  empêché  un  nouveau  for» 
fait.  La  populace  revient  contempler  le  mé« 
me  fpeâacle  ;  le  bourreau  lave  fes  Inains 
fanglantes ,  &  va  (è  confondre  dans  k  ibule 
descitOTens.  -     *     • 

Ûafl&flin  meurt;  &  l'homme  qui  â-  fait» 
é[^ouvêr  à  une  armée  entière 'les  horreius* 
de  la  famine  ^  qui  a  été  plus  terrible  aux. 
fbldats  de  la  patrie  que  le  fer  8t  le  feu  de 
Pennemi;  quia  fait  difparoîtjre  des  voiuires- 
de  farines ,  &  peuplé  les  hôpitaux^  cet  hom-. 
me  vient  bâtir  un  palais  devant  Fefi%ie  da. 
monarque  qu'il  a  trompé  &  volé  !  Il  de- 
vroit  y  entendre  le  murmure  de  l'état,  les 
cris  plaintifs  des  foldats  qu'il  a  &it  mourir 
d'inanition  :  il  devroit-  fe   réveiller  ,  agité 
par  la  frayeur,  &  voir  des  {peûresmena-. 
çants  errer  autour  de  lui. .  Cependant  il  dort» 
avec  fécurité;  des  rcgiflres  fignés  par  des: 
hommes  de  loi,  Jtrendus  à  fes  rapines,  ont 
légitimé  fes  vols.  A  l'aide  de  calculs  Éiux^ 
il  paroit  innocent  :  fon  vil  &  infâme  mé^* 
tier  faccrédire  pour  ainfî  dire ,  &  lui  donne- 
un  fang  parmi  cette  race  afïaméed'or.  Dans, 
lès  moments  de  bonne  huniieur,  il  raconte 
jufqu'^  fes  exploits  meurtriers ,  6c  comment^ 


DE    Paris.  iii 

mettant  le  feu  lui-même  à  des  magafins  y  il 
a  revendu  k  l'état  ce  qui  lui  avoit  été  payé. 
Incendiaire  &  afTaffin  en  Allemagne ,  il  en 
plaifante  k  Paris. 

£t  le  millionnaire  qui  médite,  invente 
des  plans  extendeurs  d'impofitions  ingé- 
nîeules  &  calculées  fur  la  partie  indigente 
du  peuple ,  lorfqu'il  a  bien  dîné ,  calcule  ce 
qui  doit  lui  revenir  de  tel  forfait  politique , 
au  moment  où  il  eft  travaillé  d'une  digef- 
tîon  iaborieufe. 

Je  ne  lui  pardonnerai  jamais  ;  je  le  cite- 
rai inceflàmment  au  tribunal  de  ITiumanîté  ; 
je  pardonnerai  plutôt  au  malheureux  qui^ 
n'ayant  qu'un  piftolet  &  du  courage ,  m'at- 
taquera au  détour  d^une  me  ,*  pour  m'ôter 
le  fjgne  repréfentatif  des  aliments  dont  il  a^ 
befbin. 

"•Oui,  Phomme  qui  m'aflàffineroit ,  me 
paroîtroît  moins  odieux  que  tous  ces  oppreC- 
îeurs  de  la  patrie.  Je  lui  pardonne  d'avance 
(î'ce  malheur  doit  m'arriver;  partie  oflfen- 
fëe,  je  lui  rends  mon  afFeâîon,  je  le  juftffié 
même,  &  je  gardè'le  fentiment  de  la  haîné 
pour  l'être  monftrueux  qui  égorge  dans  le 
fein  du  luxe  &  des  rrchefîès,  oc  le  fentiment 
du  mépris  pour  des  loix  qui  n^ont  pas  la 
force  d'arrêter  oi\  de  punir  ces  déteftablesf 
attentats. 


iî%  Tableau 


CHAPITRE      ce  LXX IX. 

Le  Bourrcaiu 

JLj'exéaiteur  de  Ja  haute  -  joftice  a  pour  ga^ 
^  dix  -  huit  mille  livres  par  aa.  Il  n'en 
touchoic,  que  feize  mille  il  y  a  Gx  ans^  11^ 
avoit  le  droit  de  porter  fes  mains  immondes 
fur  les-  deturées  publiques ,  pour  en  prendre^ 
une  portion.  On  la  dédommagé  en  argient. 

U  n  y  a  eu  qu'un  homme  oe  décapité  à: 
paris  depuis  quarante  ans  environ*. Aufli  le 
bourreau  t^.-  il  inexpéiimeuté  dans  eeUCL 
fonâion. 

La  dernière  clàilè  du  peuple  connoit  par- 
faitement fa  figure  ;  c'eft  le  grand  aâeur 
tragique  ,  pour  la^  populace  grofIîere<,  qui 
court  en  foule  à  ces  affireux  ipeâades>  par-^ 
le  (èntiment  de  cette  inexplicable  cunouté^ 
<]uL erKraîne  jufqu'à  la  foule  polie,  quand  Je 
crime  ou  le  criminel  font  diftingués. 

Les  femmes  fe  font  portées  en  foule  au 
Cipplîce  deDamîens;  elles  ont  été  les^. der- 
nières a  détourner  leurs;  regards  de  cette, 
bortible  fcene. 

Le  petit  peuple  s'entretient  fréquemment; 
de  l'exécuteur,  dît  qu'il  a  table  ouverte  pour 
lés  pauvres  chevaliers  de  Saint-Louis ,  .&  va-t 


»  E      P  A    B.  I   S.  11^ 

chercher  chez  lui  de  la  graiflè  de  pendu,^ 
.car  il  vend  lés  cadavres  aux  chirurgiens , 
X)u  les  garde  pour  lui^  k  Son  choix:  le  cri- 
"iDÎnel  Tife  petit^âs  fe  vèhdre  de  fon  Vivant ^ 
,  ainfi  qull  fSit  k  Londi'és. 

Rien  ne.diftingue  cet  homme  des  au- 
tres^ citoyens,  même  lorfqu'il  exerce  fes  ^on- 
vantables  fbndîofls;  ce  qui  eft  très-^nàl  viu 
Il  eft  frifë  ^  pôUdre-,  galonné ,  en  bàS  éfe 
foie  blancs  ,  en  efcarpins ,  pour  monter  aii 
fatal  poteau :.ce  qui  me  paroît  révoltant, 
iHiîfqu'îl  devroit  porter  ,  en  ces  momenà; 
terribles ,  Tempreinte  d'une  loi  de  mort.  Ne 
fkura-t-ôn  jamais  ^rler  k^imàginàtion  j  & 
puifqu'il  s'agit  d'effeayer  la  multitude,  ne 
connoîtra-t-oîi  jârùat^  PètiljSre  des  formes 
éloquentes  ?  t^extérieur  dexet  homme  dé- 
croît faniioiicer. 

Il  eft  fans  cdntrècKt  ïe  dehiîéfr  atôyën  dé 
'la  ville ,  &  lui  feul  eft  frappé  par  Ton  em- 
ploi d'un  àpprôbré  inhérent.  Il  a  Ass  valets 
qui  exercent ,  pour  ceht  iats  ^  lè  métier 
•quMl  fait  pour  v'fîx  -lîiîHé.  fe  fl  trouve  éH 
^valett! 

ÏI  y  aunïît  teâucdup  de  rêflexiôîrfs  11  'faîie 

iiircet  agent  dfe  nôtre  légrslatiàrt  àirnShèlfc, 

îpour  favoh:  à  qui  il  apf)arrîeht  {péd:^hikëhti 

maïs  cet  examen   riôus  'jdtërbft  diris  xiih 

àtflSrtdtiôn  étrangère  à  la'tiâtUtt  âfe  cet  ou- 

^vrage. 

Il  ixuûie fts  fiUés ,  quand tl  en  a, it  dés 


114  Tableau 

bourreaux  de  province.  Entre  eux  ils  s^p-^ 
pellent  (  k  Tinflar  des  évêc|ues  )  Monficur 
de  Paris ,  Monficur  de  Chartres ,  Mon^ 
fleur  d'Orléans  ,  &c  ;  &  Chariot  &  Jîer- 
ger  fcurniflènt  aux  entretiens  du  peuple  une 
jiiatiere  inépuifabJe.  Tels  fàvetiers  Êiyenc 
Thiftoire  des  pendus  &  des  bourreaux ,  ainfi 
qu'un  homme  de  bonne  fociété  fait  fhif- 
'toire  des  xois  de.  FEurope  .Se  de  leurs  mi- 
niflres. 


CHAPITRE     CCLXXX. 
Place  de  Grèyêm 

JLià  font  venus  tous  ceux  qui  fe  flattôîent 
de  rimpw  itc  (  &  Ton  ne  fauroit  imaginer 
comment  ils  s'abufoîent  à  ce  point  extrême  }.: 
un  Cartouche ,  on  Kavaillac,  un  Nivet^  un 
Damicns  ,  &  plus  fcélérat  qu'eux  encore , 
un  Dijrues.  Il  y  montra  la  froide  intrépi- 
dité &  le  courage  ti:anquîlle  de  ïhypocrifie. 
Je  l'ai  vu  &  entendu  au  Châtelet  ;  car  il  fe 
trouvoit  alors  dans  la  même  prifon    aveu: 
l'auteur  de  h  .Philofi>phie   de  la    nature,; 
&  j'alloîs  vîfiter  l'écrivain. 
\    Defrues  n'avoit  à  la  bouche  que  les  noms 
lacrés  de  Dieu,  de  religion.  Le  génie  du  cri- 
|Qe  n'a  ^ere  été  plus  foin  j  6c  par  la  m4di-: 


B£     Paris.  215 

tatlan  &  par  la  complication  de  les  for- 
faits ,  il  a  offert  un  exemple  eiFrayant  de  ce 
que  pouvoit  receler  &  imaginer  Tabîme  noir 
&  impénétrable  du  cœur  humain ,  qiiand  la 
pery«mté  y  vregne. 

Cette  place  cft  encore  étroite,  quoique 
nouvellement  élargie.  Les  exécutions  de- 
vroient  fe  faire  ailleurs;  car  on  oblige  une 
foule  de  rentiers  qui  opt  prêté  leur  argent 
au  roi ,«  à  voir  tous  W, apprêts  révoltants 
d'une  exécution  ;  ^  rien  de  u  hideux,  de  fi 
indigne  de  la  majefté  des  loix.  Mais  tout  ce 
qui  concerne  la  jurifprudence  criminelle  ett 
parmi  nous  dans  un  G. déplorable  cahos^ 
qu'il  y  a  bien  d'autres  ^  réfornijçs  à  faire  ^ 
avant  que  de  donrier  aux  exéoations .  une 
coulcjur  qui  les  diftingue  d'un  meurtre  fan- 
glant,  ou  d'une  vengeance  atroce. 

L'adàffin  au  fond  des  bois  a-t-il  jamais 
couché  un  homme  fur  une  croix  de  Saint- 
André  ,  pour  lui  caflèr  les  os  de  onze  coups  ? 
puis  l'a-t-il  ployé  fur  une  roue  de  carroflè , 
un  confeilèur  à  fes  côtés  ,  qui  ne  peut  délier 
le  patient ,  &  qui  l'exhorte  à  foufïrir  ?  Cer- 
tes la  juftice  eft  plus  effrayante  que  le  crime. 
Uai&flin  donne  fon  coup  de  poignard,  craint 
dVnvîfàger  fa  viâime,  fuit  avec  le  remords^ 
tandis  que  la  juilice  compte  pendant  vingt- 
tjuatre  heures  les  cris  défelpéres.d'un  malheu-, 
reux  qu'environne,  un  peuple  immenfe. 

.On  reproche  k  la  populace  de  courir  çgk 


Il6  T   A    JB    L   K   A  Of 

foule  à  ces  odieux  fpeâacles  \  mais  quandil 
y  a  une  exécution  remarquable ,  ou  un  crimi- 
nel fameux ,  renommé  ,  le  beau  monde  y 
court  coimne  la  plus  vile  canaille. 

Nos  femmes ,  dont  Tame  eftfî  Icofible ,  le 
geru:e  nerveux  fî  délicat,  qui  s'évanouiilèm 
devant^une  araignée ,  ont  afGfté  à  ?exécu«- 
tion  de  Damiens  !  je  le  répète ,  &  n'ont  dé- 
taché que  les  dernières  leurs  regards  du  fiip- 
plice  le  phis  horrible  &  le  [^  dégoôtant 
que  la  jultice  ait  jamais  ôfê  imsginèr ,  poiâ: 
Venger. les  rois. 

On  avoit  fait  venir  tous  les  bdonéaux  des 
villes  circonvoifînes ,  pour  piéter  la  main  à 
'Ves  révoltantes  opérations  qtâ  Ont  attiré  d^ 
amateurs  8c  des  curieux. 

JL*autênr  d'un  ouvrage  moderne  fur  la  paf- 
.iîon  du  Jeu ,  affiniie  que  ce  jour-È  méiiw 
on  joua  à  la  Grève ,  qu^ony  joua  dé  Forgent, 
en  attendant  Thuile  bouillante  ,  le  ploriib 
fondu ,  les  tenailles  rougies  au  feu  &  les  qua- 
tre chevaux  qui  dévoient  écarteler  Taflamn^ 
&  nous  nous  croyons  civîlifés ,  policés  ;  & 
nousofons  parler  de  nos  lôix ,  de  nos  mééufs:; 
tandis  que,  fans  le  cri  éloquent  des  écn- 
vains ,  nous  n'aurions  pas  appris  k  rougir  de 
ces  atroces  turpitudes.  Que  nous  avons  en- 
core befoin  d'être  confits  à  la  fenfibifitié 
'^  à  la  raifon  ! 

Le  patient ,  tant  la  coutume  a  d'empire, 
tie  harangue  jamais  le  public  ;  ce  qu'il  fait  fi 

Couvent 


B  £    Pari  s.  '        =217 

ifouvent  en  Angleterre  :  il  n'en  obtîendroit 
pas  la  permillîon.  Le  général  Lally  paroiflànt 
vouloir  parler  au  peuple  ,  on  lui  mit  un 
bâillon.  Ainfi  la  forme  du  gouvernement  te 
-caradérife  par-tout,  &  ne  permiet  k  per- 
fonne  d'élever  la  voix  ;  même  à  (à  dernière 
-heure ,  8c  de  haranguer  un  inûant  avant 
>^'cxpifer. 

Les  colporteurs  qui  crient  les  fentences 
de  mort,  la  médaille  de  cuivre  fur  i'efto- 
mac,  font  quelquefois  retentir  Tarrét  fatal 
:^uR{U'aux  oreilles  dufiippKcîé;  cruauté  im- 
pardonnable !  Ik  appuient  fur-tout  forte- 
ment fur.  ces  mots ,  qui  condamne  un  af* 
faffineur.  Cet  horrible  barbarifme  eft  de  leur 
invention  ;  mais  il  firappe  plus  vivement  les 
^organes  du  peuple  que  le  mor  ajjitffin ,  & 
Je  peuple  dit  &  dira  toujours  ajfajjineur: 
xela  lui  femble  plus  énergique. 

Il  y  a  quelques  années  qu  un  fils  ayant  fait 

-aflàffiner  fon  père,  fut  rompu  à  la  place 

Dauphine  avec  fon  complice ,  exécuteur  du 

nieurtre.  Le   parricide,  qui  a^oit  entraîné 

jdans  le  crime  un  homme  foible  ,  par  Jfap- 

J>ât  du  plus  mince  intérêt ,  fe  montra  (ur 
!échafaud^  £  dur,  fi  hautain-,  fi  peu  re- 
pentant ,  tandis  que  fon  compagnon  pioit 
«  fe  réfignoit ,  qu'au  premier  cri  qu'il  jetta 
ibus  le  premier  coup  de  barre ,  un  battement 
univerfel  partit  de  toutes  les  mains. 

J'ai  cm  que  ce  trait ,  peut-êo'e   unique^ 
Home  IL  K 


ÛA%  T  A'  B.  L  E   A  ir 

^'  <levoit  appartenir. au  tableau  de&tnoeurs:dH 
peuple  de  la  capitale. 

On  ne  coupe  plus  de  têtes  ;  ce  qui  proove 
que  les  grands  ne  prévariquent  point.  Le 
fabrequi  coupe  les  têtes  nobles,  eft  rouillé 
dans  le  fourneau ,  8c  l'exécuteur  a  oublié  cette 
partie  de  fbn  métier.  Il  ne  (ait  plus  que  pen^ 
dre  &  rouer  :  fon  bras  inexpéximenté  a  man- 
iqué  le  général -Lally. 

Chaque  année  office  une  race  nouTeOé'de 
^oleur$,&  de  fcélérats  qui  ont  un  carac- 
tère diffîrent.  Uan  pafie  ,  c^écoient  des  em- 
poifbnneurs  connus  fous  le  nom  Stndor-- 
meurs  ^  qui  méloient  dans  le  tabac  âcdans 
les  boiflbns  un  venin  aflbupiilànt^  dangereux 
&  mortel:  cette  année;  ce  font  des  voleurs 
d'églifès,  des  fkcrileges^  qui  pendant  les 
Jiuîts  enfoncent ,  pillent  les .  facnflies ,  em- 

Î)ortent  ciboires  ,  calices ,   croix  ,  chande- 
iers ,  &c.  On  a  dépouillé,  tant  fur  la  route 
.    de  Flandres  qu'aux  environs  de  Paris  y  près 
de  quarante  églifcs. 

On  a  vu ,  ?dit  -  on  ,  de  tes  fecrileges  qui 

avoient    volé  un  ciboire  ,  en  renvoyer  les 

^  hofties  au  curé  du  lieu  dans  une  lettre ,  après 

avoir  employé  une  de  ces  mêmes  hoftîcs, 

comme  pain  \  cacheter. 

On   a  révoqué  en    doute  les  exécutions 

nodurnes ,  faîtes  aux  flambeaux.  Il  paroît 

,    conftaté  que  rien  nVft  moins  imaginaire.  On 

^e  conçoit  pas  comment  la  loi  fe  plaît  à*-uû 


DE      P   A  li   X   s:  Uf 

meurtre  clandeftin.  L'interprétation  la  plus 
forcée  n'a  jamais  pu  lui  donner  cet  horrible 
caraâere.  La  peine  de  mort  ne  fauroit  être 
confidérée  que  comme  un  exemple ,  &  ja^ 
mais  comme  une  punition  ^  or  ,  qu  eft-ce 
que  d'étrangler  un  homme  dans  les  ténè- 
bres ,  à  rinlu  des  citoyens  qui  dorment  ?  Si 
vous  lui  faites  grâce  de  la  publicité ,  faites- 
lui  grâce  de  la  vie.  Ce  li'eft  qu'au  nom  de 
la  fociété  qu'il  doit  la  perdre  ;  &  votre  arrêt 
cft  un  crime ,  fi  elle  ignore  tout  à  la  fois  le 
délit  &  le  fupplice. 

Les  Anglois  &  les  Suiflès  ont  une  juris- 
prudence criminelle  que  la  juftice ,  la  raifon 
&  l'humanité  peuvent  avouer  ^  &  nous 
avons  encore  à  rougir  de  nos  formes  lamen- 
tables &  barbares  :  nous  n'avons  pas  encore 
appris  à  garantir  notre  liberté ,  notre  vie  & 
notre  honneur  des  invafions  du  pouvoir 
aveugle  &  .de  la  (célérateflè  réfléchie.  La  loi 
refte  Indécîfe  entre  le  crime  audacieux  & 
l'innocence  timide  :  elle  a  peine  à  les  diftin- 
guer  ^  &  tandis  que  l'inftrudion  s'eft  paflSe 
dans  l'ombre  loin  de  l'œil  &  de  l'oreille  des 
citoyens ,  le  fupplice  vient  épouvanter  leurs 
regards  ;  &  «n  voyant  fes  abominables  inC- 
truments  drefles  dans  la  place  publique ,  il 
faut  qu'ils  demandent  quel  eft  le  coupable 
&  qu'elle  eft  fon  délit. 


aZcO  T  JL   B.L   E   A    U 


,C  H  A  P  I  T  RE      CCLXXXL 
Sirvantc  mal  pendue^ 

^Ll  y  â-.dix-(iept.ans  cmrîron  qu'une  jeune 
paylànne  n  d'une  figure  aès^agréable,  s'étoît 
niiTe  en  feiviceich^  un  homme  qui  àvoit 
tous  les  vices  qu'entraîne  U.comiption  des 
grandes  villes.  Epris  de  (es  charmes,  il  tenca 
tous  les  moyens  de  la  (eduiie.  Elle  étoit  hon- 
nête \  elle  ré(î Aa.  La  &geflè  de.  cette  &le  ne 
.  fit  qu*irriter  la  paflion  du  maître  qui ,  ne  poi^ 
vant  la  foumettre  à  fes  defirs  ^  imagina  la 
vengeance  la.plus  noire  &  la  plus  abomina- 
,  ble.  Il  enferma  furtivement,  dans  la  caflètte 
où  cette  fille  mettoît  fes  hardes,  plufîeuts 
efièts  à  lui  appartenants  &  marqués  à  fon 
nom  ;  puis  il  cria  qu'il  étoit  volé ,  appella  jun 
.  commiflàire  ,  &,  fit  fa  dépofîtîon  en  juftioe  : 
^  l'ouverture  de  la  caiïètte,  on  reconnut  les 
effets  qu'il  avoit  réclamés. 

La  pauvre  fervante  emprifonnce,  r!movi 
«que  fes  pleurs  pour  défenfe;  &  pour  xomt 
réponfe  aux  interrogatoires,  elfe  difoit qu'elle 
étoit  innocente.  On  ne  faproit  trop  accufèt 
^Tiotre  jnrifprudence  criminelle  ,  quand  on 
fonge  que  les  juges  n'eurent  aucun  (bupçon 
^de  Ta  fçélér^teflè  de  l'açculàçeur  ,  &  qu'ils 


D   E      P   A    RI    S.  21ï. 

fuî  virent  la  loi  dans  toute  (à  rigueur;  ri- 
gueur exceflive,  &  qui  devroit  difparoître 
de  notre  code ,  pour  faire  place  à  un  (impie 
châtiment,    qui  laiâièroit   moins    de   vols «' 
impunis, 

La  fille  innocente-fût  condamnée  à  ê(tt  ' 
pendpe.  Elle  le  fut  mat,  parce  que  c*étok ' 
lé  coup  d'eflai  du  fik  de  l'exécuteur  des" 
hautes  œuvres.  Un  chirurgien  avoir  acheté  ^ 
k  corps.  Il  fut  porté  chez  lui.  Voulant  le  • 
foir  même  y  porter  le  (calpel ,  -  il  fentit  un  * 
refte  de  chaleur  ;  lacier  tranchant  lui  tomba-^ 
des  mains ,  &  il  mit  dans  fon  lit  celle  qu'il 
alloit  didequer. 

Ses  foins  pour  k  rappeller  a  la  vie  ne 
fiîrentpas  inutiles  ;  ilmanda  en  môme  temps  * 
un  eccléfiaflique ,  dont  il  connoiSbit  la  dit-* 
crétion  &  Pexpépience ,  tant  pour  le  confulter  ' 
fiir  cet  étrange   événement ,  que  pour  êtrè^" 
témoin  de  fa  conduites, 

Au  moment  que  cette  fille  infortunée  ou^ 
vrît  les  yeux  ,  elle  fe  crut  dans  Pautre  monde  ;  \ 
&  appercevant  h  figure  du  prêtre ,  qui  avoît  ' 
une  groflè  tête  &  une  phyfionomie  fbite- 
ment  prononcée ,  (  car  je  l'ai  connu ,  &  c'eft 
de  lui  que  je  tiens^  ce  fait  )  elle  joignît  les 
mains  avec  tremblement ,  &  s'écria  :  Père 
éternel ,  voiisfave^^  mon  innocence ,  ayei^^pi^  à 
tié  de  moi.  Elle  ne  ceflà  d'invoquer  cet  ec- 
cléGaftique ,  croyant  voir  Dieu  même.  On 
fut  long-temps  à  lui  pet (bader  qu'elle  n'étotC' 


izi  Tableau 

r;  décédée ,  tant  Pidée  du  fupplÎGC  &  de 
mort  avoît  frappé  fon  imagination  !  Rî«n 
n*étoit  plus  touchant  &  plus  cxpreflîf  que  ce 
cri  d'une  ame  innocente  ^  qui  s'élevoit  vers 
celui  qu'elle  regardoit  comme  fon  jugefo- 
préme  ^  &  au  défaut  de  (â  beauté  attendrif- 
îante ,  ce  fpeâacle  unique  étoit  fait  pour  ii\- 
téreflèr  vivement  l'homme  fenfible  &  l'hom- 
me obfervateur.  Quel  tableaupour  un  pein- 
tre !  Quel  récit  pour  un  philofophe  !  Quelle 
inftruaion  pour  un  homme  de  loi  ! 

Le  procès  ne  fut  pas  foumis  à  une  nou- 
velle révifion  ,  ainfi  qu'on  l'a  imprimé  4ans 
le  Journal  de  Paris.  La  fervante ,  guérie  de 
fon  effroi ,  revenue  k  la  vie ,  ayant  reconnu 
IU1  homme  dans  celui  qu'elle  adoroit ,  & 
qui  lui  fit  reporter  fes  prières  vers  le  feul  Etre 
adorable ,  quitta  pendant  la  nuit  la  maifon- 
du  chinirgien  ,  doublement  inquiet  pour 
cette  fille  &  pour  lui.  Elle  alla  fe  cacher 
dans  un  village  éloigné  ,  tremblant  de  ren- 
contrer les  juges  ,  les  fatellites  &  l'affreux 
poteaux  qui  ponrfuivoient  fes  regards. 

L'horrible  calomniateur  demeura  impuni , 
parce  que  fon  crime  manifeftc  aux  yeux  des 
témoins  particuliers,  ne  Tétoitpas  de  même 
aux  yeux  des  magiflrats  &  des  loix. 

Le  peuple  eut  connoifïànce  de  la  réfur- 
reâion  de  cette  fille  ;  il  accabla  d'injures  le 
fcélérat  auteur  de  cette  infamie.  Mais  dans^ 
cette  ville  immenfe  ce  forfait  fut  bientôt  ou- 


DE    Pari  s.  22  j 

Wîé ,  &  le  monftre  rcfpîre  peut-être  encore: 
diumoins  il  n'a  pas  poFté  devant  les  hom- 
mes la  peine  qu'il  méritoît. 

Un  livre  à  faire  feroit  le  Recueil  de  tous 
ks:  Innocents  condamnés ,  pour  voir  les  eau-» 
fes  de  l'erreur ,  &  l'éviter  dans  la  Ciite.  Ne 
fe  trouvera-t-ii  point  enfin  un  magiftrat  qui 
sîoccupera  de  cet  ouvrage'  important  ? 


CH  A  P  I  T  R4E     CCLXXXIL  .. 

RafiiUe.    > 

i  rifon  d'état  :  c'eft  aflez  lia  qualifier.  C*efl  ; 
un^châtedii,  dit  Saint-Foix ,  qui ,  fans  être  ^ 
Jprt ,  efile  plus  redoutable  de  V Europe^  ••  - 

Qui  fait  ce  qui  s'efl<fait  à  la  BaftiUe ,  co 
qu'ftlle  renferme  ,  ce  qu'elle  a  renfermé?    ' 
Mais  comment  éaira- t-on  l'hiftoire  de    - 
Louis  XIII,  deLouisXIV  &deXQuî$»XV;    , 
fi; l'on  ne  (ait  pas  l'hiftoire  de  la  Baftiîleî 
Ce  qu'il  y  a  de  plu&intéreflànt ,  de  plus  ca-    • 
rieùx,  de  plus  fingulier  4  s'eft  paffe  dans  fes    * 
murailles.  La  partie  la  plus  intéreflànte  de 
notre  hiftoire  nous  fera  donc  à  jamais  ca*-' 
chée  :  rien  ne  tranfpire  de  ce  goufïre^  noi>   ^ 
pluç  que  de  l'abîme  muet  des  tombeaux^    '  : 

Henri  IV  fit  garder  le  tréfor  royal  à  Itf    i 
Eaftille..  Louis  XY  y  fit  enfermer  le  Diâions   - 


,* 


2^4^  Tableau» 

oaire  EfieydopédîqMC,  qui  y  pourrît  encoce. . 
Le  duc  de  Gùife  ,  maître  de  Paris  'en\ 
1,588  ,  le  fut  auffi  de. la  BaftiUe  &  de  fAr- 
(ènal.  Il  eii  fit  gouverneur  Buifi  U  Gerc  « 
{procureur  au  parlenient.  £ufli  le  Clerc  ayant;: 
ii^yefti  le  parlement.,  qui  refufibiit  dedé-^ 
Ëer  les  Frànçpis  du  ferment  de:  fidâité  6c 
d'ôbéi(&nce^  conduifît  àja  Baftilk  prclSdtnts  : 
&  confeillers , ,  tous  en  robe  &  en  bonnet 
quarré  ;  là  il  les  fit  jeûner  au  pain  &  àjéau» 

O  murs  épais  de  la  BaftiUe,  qui  avez  reoit 
fous  les  trois  derniers  règnes  1^  foupirs  & 
les  gémiflcments  de.  tant  de  vidimes  ,  fi. 
vous  pouviez  parler,  que  vos  récits  terribles 
&  (ideles  démentîroient.le  langage  timidfi: 
&  adulateur  de  Thiftoire. 
^   Auprès  de  la  Baftifle  fe  trouve  PArfenal  ^ 
qui  jec:ele  le  magafin  à  poudi;r>9  voi&utge- 
tout  àufli  terrible  que  la  .demeure. , 
.   La  tour  de  Vincennes  renferme*  encorr^ 
des  priibnniêrs  d^e'tât ,  qui  pafoiflcnt  de vouk 
y  finir  Içurs  triiles  jours.  Qui  a  pu  calculer 
au  jufte  les  lettres  de  cachet  délivrées  fous>. 
les  trois  derniers  règnes. 

On  a  une  hiftoire  de  la  Baftille  en  cinq 
volgmes  ,  qui  oft're  quelques  anecdotes  par- 
ticulières oc  bizarres;  mais  rien  de  ce  qu'on 
foAihaiteroit  tant  d'apprendre  ,  rien  ,  en  ml 
mot,  qui  puîflè  porter  quelque  jour  fur  cer- 
tains fecrets  d'état ,  couverts  d'un  voile  im^ 
pénétrable.  Si  Ton  en  croit  Thiflorien  ,011 


DE    Pari  s.  21c- 

y  traîtoît  fous  un  d*Argenfon  avec  une  ri- 
gueur inouie  &  une  violence  tyrannique  les 
f)rifonnîers  déjà  trop  punis  de  la  perte  de  ^ 
eur  liberté. 

Le  gouvernement ,  aujourd'hui  plus  doux  ^ 
&  plus  humain  qu'il  ne  l'a  jamais  été  de*  ~ 
puis  la  mort  de  Henri  IV,  s'eft  beaucoup  ^ 
relâché  (ans  doute  de  cette  cruelle  févérité,  , 
&  l'on  n'y  inflige  plus  de  ces  punitions  af-  - 
freufes  &  inutiles.  . 

Quand  un  prifonnier  décède  à  la  Baftille  ^  ^ 
on  l'enterre  à  S.  P^ul,  pendant  la  nuit  k  trois*  ^^ 
heures  du  matin.-  Au  lieu  de  prêtres,  des* 
guichetiers  portent  le  cercueil,  &c\ts  mem- 
bres de  l'état-  major  aflillent  à  la  fëpulture, 
Ainfi  le  corps  n'édaappe  au  .  terrible  pouvoir 
que  par  la  route' du  tombeau..  ■-. 

Dès  qu'on,  parle  de  la   Baftille  k  Paris,' 
on  récite  fbuda  in  l'hiftoire  du  majquc  de  fer  : 
chacun  la  fabrique  à  fon  gré  ,  &  y  mêle- 
des  réflexions  non  moins  imaginaires. 

Au  refte ,  le  peuple  craint  plus  le  Châte-^ 
let!  que  la  Baftille  :  il  ne  redoute  pas  cette  ' 
dernière  prifon  ,  parce-qu  elle  lui  eft  comme 
étrangère,  n'ayant  aucune  des  facultés  qui 
en.  ouvrent  les  portes;  Par  conféquent  il  ne 
plaint  guère  ceux  qui  y  font  détenus ,  &  le 
plus=  fouvent  il  ignore  leurs  noms.  Il  ne  té- 
moigne aucune .  reconnoifîànce  aux  géné^ 
reux  défenfeurs  de  fa  caufe*  Les  Parifiens  ai-» 
niçnt  mieux  adieter ,  du  pain  pour  vivre  ^ 

K  s  . 


zzj^  Tableau» 

naire  EneycIopédi<|Me,  qui  y  pourrit  encore. . 
Le  duc  de  Guife  ,  maître  de  Paris  en\ 
1 588  ,  le  fut  auffi  de  la  Baftille  &  de  TAr- 
(ènal.  Il  eii  fit  gouverneur  Buili  Id  Gerc  , . 
procureur  au  parlement.  £ufli  le  Clerc  ayant 
mvefti  le  parlement.,  qui  reftiibit  dedé-^ 
Ëer  les  Frânçpis  du  ferment  de:  fidâtté  &. 
d'ôbéi(&nce^  conduifît  à  la  BaftiUepréfidents . 
&  confeillers^.tous  en  robe  &  en  bonnet - 
quarré  ;  là  il  les  fit  jeûner  au  pain  &  a  Jéau. 

O  murs  épais  de  la  Baftille ,  qui  avez  re< 
fous  les  trois  derniers  règnes  les  foupiss  i 
les  gémificments  de.  tant  de  vîdimes  ,  fi. 
vous  pouviez  parler,  que  vos  récits  mribles 
&  (ideles  démentiroient.le  langage  timide^ 
&  adulateur  de  Thiftoirc. 

Auprès  de  la  Baftille  fc  trouve  FArfenal  ^ 
qui  recelé  le  magafin  à  poudiv*  9  voi&aga.- 
tout  auffi  terrible  que  la  .demeure. . 

IflL  tour  de  Vîncennes  renferme*  encar^^r^ 
des  ptifonniérs  d^étât ,  qui  pafoiflcnt  devoir; 
y  finir  Içurs  trifies  jours.  Qui  a  pu  calculer 
au  jufte  les  lettres  de  cachet  délivrées  fousi. 
lès  trois  derniers  règnes. 

On  a  une  hiftoire  de  la  Baftille  en  cîrK|^ 
vcJgmes  ,  qui  oft're  quelques  anecdotes  par-- 
ticulieres  &  bizarres  ;  mais  rien  de  ce  qu'on 
jbubaiteroit  tant  d'apprendre  ,  rien ,  en  ml 
mot^  qui  puîffê  porter  quelque  jour  fur  cer- 
taiîQS  fecrets  d'état ,  couverts  d'un  voile  im- 
pénétrable. Si  Ton  en  croit  Thiftorien  ,  on 


1>  E       PARIS.  ilf 

nierquand  elle  ne  lé  tue  pas  ,  il  avoît  fup-^ 
porté  Tennui  5c  les  horreurs  de  là.  captivité- 
avec  une  conftanee  mâle  &  ôburageufe.  Ses* 
cheveux  blancs  &  rares  aboient- acquis  pteC 
Œie.  la  rigidité  du  fer  ,*  &  fon  corps  plongé* 
h  long-temps  dans  un  cercueil  de  pierre  ,  en- 
avoît  contradé ,  pour  aînfi  :dii:e ,  la  fermeté- 
compaâte.^ 

La  porte  baflè  de  fon  tonAeau  tourne- 
fur  fcs  gonds  effirayants ,  s'ouvre  ,  non  à-de- 
mi y  comme  de  coutume,  &  une  voix  în-^ 
connue  lui  dit  qu'il  peut  foi  tir.  r 

Il  croit  que  c'eft  un  rêve  :  il  héfife,  il  fe 
levé ,  s'achemine  d'un  pas  tremblant  ,  & 
sJétohne  de  l'efpace  qu'it  parcourt.  L'efcalier 
de  la  prifon  ,  la  falle  ,  la  cour-,  tout  lui  pa^ 
roît  vafte,  immenfe,  prefque  fans  bornes. 
Il  s'arrête  comme'égaré  &  perdu  ;  fei  yeu* 
ont  peine  à\  fupporter  la  clarté  '  du  -  grand 
Jour  ^  il  regarde  le  ciel  comme  un  ©bjetnou** 
veau;  (on  œil  eô  fixe:  il  ne  peut  pas  pleu- 
rer :  ftupefeit  de  pouvoir  changer  de  pkce , 
fes  janu)es  ^  malgré  bî ,  demeurent  auffi  im- 
mobiles que 'fa  langue.  Il  franchit, enfin  lé 
redoutable  gatchet/    V 

Quand  il  fé  fentit  rèufef  cfens^  hi  voiture 
qui  devoit  le  ramener  à  fon  ancienne  habî-' 
tation  ,  ii  poudà  des  cris  inarticulés;  il  ne. 
put  -en  iiipporter  le  mouvement  extraordî-^ 
naire  ,  il  fallut  le  faire  defcendre. 

Ccadiût-par  -ua  bras  cbaritabl» ^  'û  dcb-4 


ii6  Tableau 

que  le  plus  beau  difcôuts-  ôii  l'on  prôuveroît 
qu'ils  ont  droit  ^  une  vfe  aîfée.  On  y  met- 
toit  autrefois  les  écrivains  pour  bien  peu  de 
chofe  ^  on  a  reconnu  que  l'auteur  ^  le  livre 
&  fes  opinions  en  acquéroient  plus  de  célé- 
brité ;  on  a  laîflë  l'opinion  de  la  veille  s'ef- 
facer par  celle  du  lendemain  ;  &  Ton  a  com- 
pris que  ,  lorfqu'on  avoit  la  force  phyfique , 
il  falloitpeu  s'inquiéter  des  idées  politiques  & 
morales ,  verlatiles  &  changeantes  par  leur 
nature. 

Là  gémît  ou  ne  gémit   plus  k   célèbre 
Linguet.  Quel  eft  fon  délit  ?  On  l'ignore. 

Vtffct  en  efl  ëffrtux  ,  la  caufi  efl  inconnue» 

Voltaire. 


CHAPITRE    CCLXXXIIL 

Anecdote. 

jriu  l'avènement  de  Louis  XVI  au  trône  , 
desminiftres  nouveaux  &  humains  firent  un 
aâe de  juftice  &  de  clémence,  en  revifant 
les  regiftres  de  la  Baftillc ,  &  en  élargiflànt 
beaucoup  de  prifonniers. 

Dans  leur  nombre  étoît  un  vieillard  qui 
depuis  quarante- fept  années  gémiflbit,  dé- 
tenu entre  quatre  épaifTes  &  froides  murail- 
les. Durci  par  l'adverfité ,  qui  fortifie  Thom- 


t.. 


rr  E     P  A  RIS.  iij 

nierquand  elle  ne  lé  tue  pas  ,  il  avoît  fup-^ 
porté  Tennui  §c  les  horreurs  de  là.  captivité- 
avec  une  conftanee  mâle  &  ôburageufe.  Ses- 
cheveux  blancs  &  rares  ayoîent- acquis  ptcC 
Que.  la  rigidité  du  fer  ,■  &  fon  •  corps  plongé- 
fi  bng.temps  dans  un  cercueil  de  pierre  ,  en- 
avoît  contraâé ,  pour  ainfi  dire ,  la  fermeté- 
compafte.^  ,        , 

La  porte  baflè  de  fon  tonAeau  tourne- 
fur  fes  gonds  effirayants ,  s'ouvre ,  non  à-de- 
mi y  comme  de  coutume,  &  une  voix  in-^ 
connue  lui  dit  qu'il  peut  foi  tir.  t 

Il  croit  que  -c-eft  un  rêve  :  il  héfife,"  il  fc 
levé ,  s'achenoihe  d'un  pas  tremblant  ,  & 
sJétoîine  de  Tefpace  qu'ît  parcourt.  L'efcalier 
de  la  prifon ,  la  falle  y  la  cour-,  tout  lui  pa^ 
roît  vafte,  immenfe,  prefque  fans  bornes. 
Il  s'arrête  comme^égaré  &  perdu  ;  fei  yeu* 
ont  peine  a\  fupporter  la  darté  '  du  grand 
jour^  il  regarde  le  ciel  comme  un  objet  xiou** 
veau;  (on  œil  eô-fixe:  il  ne  peut  pas  pleu- 
rer :  (hipefeit  dé  pouvoir  changer  de  pkce , 
fes  jambes  vmalgré  Ici ,  demeurent  auffi  im- 
mobiles que -fa  langue.: Il iraiïthit. enfin  \è 
red<>utable  gaîchet.-  -^^^  . 

Quand  il  fe  fentît  rèulef  dâtns^  fa  voiture 
qui  devoît  le  ramener  à  fon  ancienne  habî-* 
tation  ,  il  pouflâ  des. cris  inarticulés;  il  ne; 
put -en  iiipporter  le  mouvement  extraordî-2 
naire  ,  il  fallut  le  faire  defcendfe. 

Qmduit-par  -ua  bras  cbantabl»  ^  ë  dcb-i 

1&  G.. 


9xi  T.  A  1  L  E  A  ir 

Viande  la  rue  oii  il  logeoir  ;  il  arrnre;  &>. 
xnaifon  n'y  eft  plus ,  un  édifice  public  ht  ■■. 
xemplace.  Il  ne  rcconnoit  ni  le  quartier ,  ni 
la  ville  9  ni  les  objets  qu'il  y  avoit  vus  aune* 
fois.  Les  demeures  de  Tes*  voilkis  ;  emprein- 
tes dans  (à . mémoire,  ont  pris  de  nouvel- 
les formes.  En  vain  fes  regards  intecroee* 
rent  toutes  les  figures ,  il  n  en  vit  pas  une. 
icule  dont  il  eût  le  moindre  (buveiiir. 

Effrayé ,  il  s'arrête ,  &  pouffe  un  pro- 
fond foupir  :  cette  ville  a  beau  être-  peuplée, 
d'êtres  vivants ,  c'eft  pour  lui  un  peuple  mort  v , 
aucun  ne  le  connoit,  il  n'e<i  connoii  aucun  ^^ 
il  pleure ,  &  regrette  fon  cachoh 

Au  nom  de  la  Ballille  qu^il  invoque  8c 
qu'il  réclame  comme  un  afyle ,  à  la  vue  de 
fes  habillements  qui  atteftent  «n  autre  fie- 
€le  9  on  Tenvit-onne.  La  curiofîté  ,  la  pitié 
^empreflcnt  autour  de  lui  :  les  plus  vieux  l'in- 
terrogent, &  n'ont  auaine  idée  des  faits 
qu'il  rappelle.  On  lui  amené  par  b^&rd  ur> 
vieux  domeftique ,  ancien  portier  ,  trem- 
blant fur  fes  genoux,  qui,  confiné  dans  fa  .^ 
loge  depuis  quinze  ans  ,  n'iavbit  plus  que  bt 
force  fufBfante  pour  tirer  le  cordon ,  de  la 
porte.  Il  ne  reconnoît  pas  le  maître  qu'il  a 
fervî  ;  mais  il  lui  apprend  que  fa  femme  eft 
marte ,  il  y  a  trente  ans ,  àt  chagrin  8ç  de 
mîfere  ;  que  fes  enfants  font  allés  dans  des 
climats  inconnus  ;  que  tous  fes  amis  ne  font 
pluSi  II  fait  ce  xé^ï%  cruel  avec  cette  îudiC- 


férence  que,  l'oïi  témoigne  pour  les  Jévéue-- 
me»t  paues  &  pr efque  eSzcés. 

Le  malheureux  gémît  y  &  gémît  feiiL. 
Cette  foule  nombreufè ,  qui  ne  lui  of&e  qite. 
desvifàges  étrangeis  ,  lui  fait  fentir  l'excès 
de  Ùl  miifere  plus  que  la.  fblitude  efiroyable 
dans  laquelle  il  yivoît. . 

Accablé  de  douleur,  il  va  trouver'  le  mîr 
luftre ,  dont  la  conipaflion  généreufe  lui  fit 
préfènt  d'une  liberté  qui  lui  pefè.  Il  s'incli- 
ne ,  &  dit  :  faites-  moi  reconduire  dans  la 
prifon  d*où  vous  m'avez  retiré.  Qui  peut 
fervivre  à fes parents,  k  fes  amis,  aune  gé- 
nération entière  ?  qui  peut  apprendre  le  tré- 
pas univerfel  des  fiens  fans  defirer  le  tom- 
beau ?  Toutes  ces  morts ,  qui  pour  les  autres 
hommes  n'arrivent  qu^eh  détail  &  par  gra- 
dation ,  m'ont  ftappé  dans  un  même  mt- 
tant.  Séparé  de  la  focîété ,  je  vivois  avec 
moi-même.  Ici ,  je  ne  puis  vivre  ni  avec 
moi ,  ni  avec  les  hommes  nouveaux ,  pour 
qui.  mon  défefpoîr  n'eft  qu*uh  rêve.  Ce  n*ell 
pas  mourir  qui  eft  terrible ,  c^ell  mourir  le 
dernier. 

Le  miniftre  s'attendrit.  On  attacha  à  cet 
infortuné  le  vieux  portier  qui  pouvait  lui  par- 
ler encore  de  fa  femme  &  de  fes  enfants.  Il 
rfeut  d'autre  confolatioii  que  de  s'en  entre- 
tenir. Il  ne  voulut  point  communiquer  avec 
la  race  nouvelle  qu'il  n'avoit  pas  vu  naître  : 
il  &  fit  au  niiliçu  de  h  ville  une  elpece  de 


X3P  T  A  B  L  E  A  ir 

retraite  non  moins  fbliuire  <fie-le  cacHot^ 
qu  il  avoit  habité  près  d'un  demi-fiecle  ;  Sc- 
ie chagrin  de  ne  rencontrer   petfonne  qui 
pût  lui  dire ,  nous  nous  fommcs  vus  jadis  ^ 
ne  tarda  point  k. terminer fes  jouis... 


CHAPITRE    GCLXXXiy. 

Maijbns  de  foret.   - 

Xndëpendamment  du  château  de  la  Baflille-^ 
&  du  château  de  Vincennes ,  afFeâés  aux^ 
prifonniers  d'ctat ,  les  miniftres  avec  des  let-^. 
très,  de  cachet ,  ou  par  des  formules  particu-; 
lieres  ,  vous  envoient  à  Bicêtre  &  \  Charen-- 
ton.. Ce  dernier  endroit  eft  pour  les  infen- 
fés  &  pour  les  maniaques.  Mais  fous  ce  nom- 
font  encore  quelques  prifonniers  d'état  \  ce- 
font  des  religieux  de  la  Charité  qui-  font  les- 
geôliers  de  ces  prifons. 

Sur  les  plaintes  d'une  famille  ,  les  jeunes- 
libertins  frfnt  enfermés  à  Saint-Lazare.  Les- 
femmes  (  cardon  les  enferme  aufli  )  font  con- 
duites aux  filles  de  la  Madeleine,  à  Saintes- 
Pélagie  &  kla  Salpétriere. 

Ces  différents  emprifonnements  font  né- 
ceflitcs  quelquefois  par  des  circonftances  im-r 
périeufes  ;  mais  il  feroit  toujours  à  defirer  que 
la  détention  d'un  citoyen  ne  dépendit  pa&^ 


DE     P  A  ïl  I   S.  23! 

tf un  feul  magiflfat ,  &  quMl  y  eût  une  forte 
de  trH>unal  pour  examiner  quand  ce  grand 
aâe  d'autcHÎté ,  fouflrait  à  l'œil  des  loix  , 
ceflè  d'être  ilUcite, 

Quelques  avantages  réels  compenfent  ce» 
formes  irrégulieres ,  &  il  y  a  en  effet  une 
infinité  de  défordres  que  la  marche  lente  & 
grave  de  nos  tribunaux  ne  fâuroit  ni  connoî- 
tre ,  ni  arrêter ,  ni  prévoir ,  ni  punir.  Le  cri- 
minel audacieux  ou  fubtil  triompheroit  dans 
le  dédale  tortueux  de  nos  loix  civiles.  Les 
loix  de  police  plus  direâes  le  furveîllent ,  le 
preflènt ,  &  l'environnent  dç  plus  près.  L'a- 
bus eft  à  côté  du  bienfeit ,  j'en  conviens  ; 
naaîs  beaucoup  de  violences  particulières  & 
de  délits  bas  &  honteux  font  réprimés  par 
cette  force  vigilante  &  adive  qui  devroit 
néanmoins  publier  fon  code  ,  &  le  foumet- 
tre  à  rinfpedion  des  citoyens  éclairés. 

Les  infpedeurs  de  police  ,  hommes  nou- 
veaux dans  notre  législation  ,  font  beaucoup 
écoutés  du  lieutenant  de  police^  (ùr-tout  dans 
les  cas  particuliers  &  obfcurs.  Mais  leurs  rap- 
ports peuvent  être  fautifs ,  exagérés ,  paflîon- 
nés.  La  première  impreflion  demeure  dans 
Tefprit  du  magîftrat  qui ,  vu  (es  occup'ations 
trop  étendues  ,  ne  fauroit  donner  à  chaque 
objet  qu'un  coup-d'œil  rapide. 

Les  infpedeurs  de  police  ,  qui  occafion- 
ncnt  un  grai  d  nombre  de  détentions  (  car 
ils  y  font  intéiefles  )  ne  devroient  être  qu'//?- 


132  .  T  A  B  L  EAU  • 

veftlgatcurs'à^  délits  8ê  captatturs  :  mais^  . 
faute  d'une  procédure  exaâe ,  ils-  deviennent  ': 
^uges  pour  ainfi  dire,.pui{que  c'eft  (îir  leur 
iîmple  dépofition  que  Foii  établit  la  preuve  * 
&  la  punition  du  délit.  Or,  comme  cesinf*  - 
pcâeurs  frappent  le  plus  fouventfiirla  por^  - 
tien  du  peuple  qui  n'a  ni  voix,  ni  dé&n(è  , 
ni'  réclamation ,  &  qu'ils  font  intéreffâ  à  \ 
trouver  des  coupables ,  il  eft  aifé  d'imaginer 
ce.  que  l'erreur  &  le  zèle  :  même  ;  fans  parler  '  • 
des  autres  pallions ,  peuvent  produire  d'at-    ^ 
tentatoiré  à  la  rigide  équité.  LTiùmieur  &  U  i 
pisécipitation  ont  leur  danger.  . 

Les  évéques  dans  les  provinces  ,-  il  y  a 
trente  ans ,  faifoîent  encore  enlever  les  filles  s 
de  proteftants  par  lettres  de  cachet,  pour 
les  confiner  dans  un  couvent ,  &  là  les  dé-, 
tacher  de  la  communion  de  leurs  pères.  Cette     . 
violence  a  toujours  été  fort  rare  dans  la. ca-,- 
pitale. 

C  H  API  T  R  E      CCLXXXV./ 

Dépôts  ou  RenfcrmcrUs. 

x  rifons  de  nouvelle  înftitution  ,  imaginées   . 

Î)our  débarraflèr  promptément  les  rues  &.  : 
es  chemins  de  mendiants  ,•  afin  que  l'on  ne  ? 
voie  plus  la  miferc  fuppliante  àcûté  dikfaft^  ^i* 
in^lent^ 


DE     P  A  K  I   S,  233 

Ot\  les  plooge  avec  la  demîeré  inhuma- 
nité dans  des  demeures  fétides  Ôc  tënëbreuiès , 
où  on  les  laiflfe  livrés  k  eux-mêmes.  L'inac- 
tion ,  la  mauvaîfe  nourriture  ,  Tabandon  où  ' 
ils  (ont  >  l'entaflement  des  compagnons  de 
leur  mifere  ne  tardent  pas  à  les  &ire  difpa^^ 
loître  l'un  après  l'autre. 

Ces  dépôts  (  de  quelque  prétexte  que  Fou 
veuille  les  colorer)  onenfcntàJa  fois  l'é-- 
quité  naturelle ,  lès  loix  civiles  ,  la  faine  po-^^ 
Htique  ,  la  religion  &  l'humanité.  Il  faut  que 
Ton  foit  bien  peu  fécond  en  reilburces  &^ 
en  moyens,  pouç  dévouer  kune  mort  lentè»- 
tant  d'infortunés ,  au  lieu  de  favoir  les  em-? 
ployer^  après  leur  avoir  ôté  leur  liberté... Au-^ 
cun  pouvoir  iiuriiain  n'a  le  droit  d'enfermer 
un  mendiant,  s'il  ne  lui  offire  (ur.  le  champ 
un  genre  d'tKraipation  qui  exerce  (es  bras  ^; 
fans  l'atterrer. 

Ces  opreflSons  condamnables  &  qui  n^ad-^ 
mettent  aucune  exajfe ,  contriftent  l'ame  la 
moins  fenfible ,  &  Ton  pourroit-  rapporteriez 
des  faits  capables  d'affliger  les  coeurs  les  plus 
indifférents  :  mais  il  nous  fufSt  d'avoir  dé- 
noncé ces  horreurs  trop  bien  conftatées  aux  - 
bbmmes  équitables  &  puidànts.  Il  eft  même 
ihipodible  qu'elles  ne  prennent  pas^  fin  fous 
un  gouvernement  fort  diftrait ,  il  eft  vrai , 
mais  d'ailleurs  doux  8t  humain.  Il  fentifa 
qu'on  ne  doit  pas  traiter  ainfi  les  pauvres  qui 
ji'ônt  conunis  aucun  crime  ; .  &  tjue  ce  n'e- 


x."}^  Tableau^" 

toit  pas  la  peine  de  les  ravit  à  une  oifîveté 
volontaire  ou  forcée ,  pour  leur  impofer  cette 
même  oiGveté  devenue  un  Supplice,  &  le 
défçfpoir  &  la  niort quis'en&ivent. 

Quand.un  miniftre  &it  airréter  un  homme 
avec  une  lettre  de  cachet  ou  par  tm  ordre 
verbal ,  &  que  pour  des  raifons  à  hû  con- 
nues il  ne  le  f^t  pas  conduire  à  la  BaftiQé  , 
oa  l'enferme  aa  Châtelet  ;  &  là ,  Phottime- 
vidime  refte  en  dépôt.  Ceft  une  exprefEpn 
toute  nouvelle ,  qui  s'applique  à^  une-  vexa- 
tion aufli  nouveUe.  Il  faut  ^en-  apprendre;  • 
aux  étrangers  toute  la  richeflë  de  notre  lan- 
gue. Ainli  le  mot  dépôt  a  plufîeurs  (ignifica-*-  . 
tions  :  c.  q.  £  d. 

Une  lettre,  de  cachet  enlevé ,  tranfpoite 
un  homme  dans  un  cachot ,  &  Py  h]ff& 
p^ourrir  It  refte  de  fes  jours  ;  mais  cette  me-    . 
me  lettre  de  cachet  eft  impuiflànte  k  faife-  • 
(es.  biens  &  à  l'en  priver..  Les  biens  de  Pem- 
prifonné  reviendront  à  fes  héritiers  naturels  î^  , 
ainfî  l'argent  parmi  nous  eft  baucoup  plus*    . 
ûcré  que  la  liberté  perfonnell^. 


e 


DE     Paris.  23^5 


CHAPITRE    CCLXXXVL 
Vie  éCun  Homme  en  place^ 

Unmînîftre  fe  lere,fon  antichambre  eft 
déjà  pleine  de  gens  qui  l'attendent  :  il  paroît; 
des  milliers  de  placets  paflènt  dans  les  mains 
embarraflees  de  Tes  deux  fecrétaires,  qui  , 
froids  &  immobiles ,  rcprcfentent  à  fes  côtés. 
Il  fort  V  des  foUiciteurs  fe  trouvent  fur  fon 
paflage,  &  le  pourfuîvent  jufqu'àfa  voiture. 
Il  dîne  ;  des  recommandations  à  droite  &  à 
gauche  l'inveftiflènt  pendant  le  repas,  &  des  ^ 
femmes  lui  parlent  à  l'oreille  pendant  le 
deflert.  Il  rentre  dan^  fon  cabinet  ^  il  voit, 
fur  fon  bureau  cent  lettres  qu'il  faut  lire  ; 
des  audiences  particulières  le  tyrannifent 
encore^ 

Comment  exifte-t-il ,  dirait-on  ?  Com- 
ment >  Il  eft  diftrait  pendant  qu'on  lui  parle, 
&  il  oublie  tout  ce  qu^on  lui  dît  \  il  laiflè  à 
des  commis  le  foin  de  répondre  à  tout  le 
monde  &  d'expédier  fon  immenfe  befogne  ;. 
il  figne  les  lettres  ,  voilà  à  peu  près  toutes  fes 
fondions.  Mais  il  fe  réferve  qwelqulntrigue 
de  cour,  qu'il  ourdit  avec  adrcflè,  qu'il  fuît 
avec  conftance ,  &  dont  il  prépare  le  dé- 
nouement Il  fonge  toute  £à  vie,. non  au  de* 
voir  de  fa  place ,  mais  à  refter  en  çUc^%   ' 


x^6  Tableau 

Les  gens  en  place  font  d'un  férîeux  h  gla- 
cer. Leur  converfktîon  eft  Ja  féchereffê  mê- 
me :  ils  ne  s'expriment  que  par  monofylla- 
bes  \  mais  toute  cette  démonftration  exté- 
rieure eft  pour  le  public  :  en  particulier  , . 
comme  ils  n*ont  plus  la  crainte  die  (è  com- 
promettre ,  ils   abjurent   une   morgue   qui  * 
Quiroit  à  leurs  plaiurs ,  &  Ton  voit  l'homme 
qui  pour  un  inftant  n'eâ  plus  dupe  de  (à  • 
vanité. 

Le  valet-de-chambre  d'un  homme  en  pla- 
ce jouit  quelquefois  de  quarante  mille  livres 
de  rentes  V  il  a  lui-mêmeun  valet-de-cham-  - 
bre ,  lequel  en  a  un  autre  fous  fes  ordres.  Ceft  . 
le  (ùbalteme  qui  nettoie  PKabit  ^  qui  apprête,^ 
la  perruque  artifce  de  monfeîgneur  ;  le  valet  v 
en  chef  la  reçoit  de  la  quatrième  main ,  8c  ^ 
ne  fait  que  la  pofer  fur  la  tête  miriiftérîelle  , 
où  répofent  les  grandes  deftinëes  de  Fétat.  . 
Aprcs^ette  fonftion  augufte  ,  c'eft  k  (on  tour' 
de  fe  faire  habiller  par  fes  gens  ;  il  les  ap-  . 
peUeà  haute  voix,  il  les  gronde;  il  reçoit 
fon  monde  ,  protège  &  commande  qu'on 
mette  les  chevaux  k  fa  voiture.  Le  valet-de- 
chambre  du  valet-de-chambre  n'a  pas  tout- 
à^fait  un  équipage^  mais  il  eft  très-bien  fervî.  . 

Tandis  que  le  fervî teur  du  roi  va  repré- 
fchter  utilement  à  Verfailles  ,  le  fervîteur  de 
monfeigneur  r^réfénte  à  Paris ,  &  promet  . 
des  grâces  à  ceux  qu'il  rencontre  ,  comme  j 
â^trouvanUui  à  ia  principale. iburce*  . 


DE       P  A   R  I   S.  2.37 

Monfeîgneur  eft  tout  puiflànt  à  onze  heu- 
*ses  du  matin  ^  il  donne  audience ,  &  fon  fal- 
lon  eft  rempli.  D'un. coup- d'œil  il  diftribue 
t  la  faveur.  Heureux  ceux  qu'il  a  regardés  ! 
Leur  cœur  bondit  d'efpérance  &  de  joie. 
L'homme  puiflànt  invite  Ces  créatures  à  fa\/ 
table  ;  elles  fe  profternent ,  &   leur  vifage 
devient  rouge  de  plaifir  &   de   contente- 
ment. A  une  heure  entre  quelqu'un  qui  vient 
trouver  monfeigneur  ,  le  fait  paflcr  dans  fon' 
cabinet  &  lui  redemande  Ye  porte-^fciiiUc. 
Monfeigneur  n'ett  plus  rien.  Il  fait  mettre 
à  voix  baflc  deux  chevaux  à  fa  plus  humble 
voiture  ,  quitte  Verfailles  fans  revoir  le  vi- 
fage du  maître  qui  le  chaflè  ,  &  va  dîner  feul  / 
^  Paris  avec  fon  chagrin  ,  &  loin  de  la  cohue 
brillante   qui  lui   prodiguoit  les  révérences 
&  les  adulations.  Cette  foule  qui  apprend  la 
4iouvelle ,  fe  difperfe  pour  aller  dîner  ailleurs,  / 
&  i:hacun  dît  à  part  foi  i  dtmain  j'irai  voir 
'le  Jîicceffiur  &  It  féliciter. 

Comment  cette  portion  de  royauté  que 
Thomme  puiflànt  tenoît  entre  fes  mains  lui 
échappe- t-elte  tout  k-coup  ?  Cela  a  Pair  d'un 
fonge  ,  d'un  ade  de  féerie.  Les  hommes  en 
place  ne  font-ils  que  des  pantins  ,  amfi  que 
l'a  dît  Diderot?  Coupez  le  fil  qui  le  faitoit 
mouvoir ,  le  pantin  refte  immiroile. 

Et  que  fait  le  pantin  réduit  a  lui-même  t 
Il  cherche  k  culbuter  à  fon  tour  celui  qui 
I!a  fait  choir  ^  il  compofe  de  nouveaux  rêves 


43^  Tableau 

de  grandeur;  41  ne  peut  fe réfoudrê à n*étre 

I)lus  rien  ;  il  abhorre  la  tranquillité  &  le 
oi£r  dont  il  jouit  :  ce  qui  prouve  qu'il  y 
a  une  volupté  exquife  à  régir  la  fouie  des 
humains  ^  à  leur  infpirer  tour-à-tour  la  crainte 
&  refpérance ,  &  à  recevoir ,  en  qualité 
d'homme  puiflànt ,  leurs  louanges intéreflëes , 
leurs  refpeâs  Cmulés  Se  leurs  courbettes 
menfongeres. 

Quelle  vie ,  par  exemple ,  que  celle  d'un  lieu- 
tenant de  police  !  Il  n'a  pas  un  inftantk  lui  ;  il 
eft  obligé  tous  les  jours  de  punir  ;  il  tremble 
de  (e  livrer  à  l'indulgence ,  parce  qu'il  ne  fait 
pas  s'il  ne  fe  la  reprochera  point  un  jour.  Il  a 
befoin  d'être  fëvere ,  &  d'aller  contre  le  pen- 
chant de  Ton  coeur  ;  il  ne  fè  commet  pas  un 
crime  dont  il  ne  reçoive  l'image  honteufè  ou 
cruelle.  On  ne  lui  parle  que  d'hommes  vi- 
cieux 8c  de  vices  ;  à  chaque  inftant  on  vient 
lui  dire,  voilà  un  meurtre,  un  Jiiicide ,  unt 
violence  !  Il  n'arrive  pas  un  accident  ^  qu'il 
ne  lui  faille  ordonner  le  remède ,  &  préci- 
^pîtamment  ;  il  n  a  qu'un  inftant  pour  délî- 
bérer  &  agir ,  &  il  faut  qu'il  craigne  éga- 
lement ,  &  d  abufer  du  pouvoir  qui   lui  eft 
confié ,  &  de  n'sn  pas  ufer  à  propos.  Les 
rumeurs  populaires ,  les  propos  extravagants  ^ 
les  faâions  théâtrales ,  les  faullès  aknnes.i 
tout  le  regarde. 

Repofe-t-il  ?  un  incendie  le  tire  bru{que«' 
ment  de. fon  lit.  IsTy  a-t-il  pas  d'iiicendicb^ 


9  £     Paris.  ^^^ 

fdes  jeunes  gens  de  qualité  font   tapage  la 
jiuit ,  infirment  le  jjrononcé  du  coninuïlàire 
du  quartier.  On   réveille  le  magiflrat  pour 
juger  ces  étourdis.  La  cour,  la  ville,  Ja  pro- 
vince lui  font  des  interrogations  multipliées  : 
il  faut   qu'il  réponde  a  tout  a   il  fiiut  yqu'il 
fuive  k  la  pifte  le  brigand  ,  radà/Iin  obfcur 
x\\xi  a  commis  un  crime  ;  car  le  magiftrat  pa* 
roic  blâmable, s'il  n'apas  fu  le  livrer  de  bonne 
heure  à  la  juftice  ;  on  calculera  le  temps 
que  fes  prépofes  auront  mis  à  ceitei capture; 
oc  fon  honneur  exige  que  l'intervalle  entre  le 
délit  &  i'emprifonnement  foit  le  plus  court 
polFible.    Quelles    fondions    redoutables  1 
Quelle  vie  pénible  !  Et  cette  place  eft  con- 
voitée ! 

On  ne  s'intrigue  aujourd'hui ,  difbit  Du* 
clos ,  que  pour  l'argent  :  les  vrais  ambitieux 
deviennent  rares.  On  cherche  des  places 
où  l'on  ne  fe  flatte  pas  même  de  fe  main-* 
tenir  ^  mais  l'opulence  qu'elles  auront  pro- 
curée ,  confolera  de  la  difgrace.  Nos  aïeux 
afpiroient  k  la  gloire  toute  nue  :  ce  n'étoh 
pas f  fi  Ton  veut,  le  fiecle  des  lumières 4 
mais  c'étoit  cebi  de  Fhonneur. 

Un  cotutifan  de  nos  jours  difoit  :  il  faut 
tenir  le  pot^e-chambre  aux  miniftres  tant 
qu'ils  font  en  place  ,  Ù  le  leur  verfir  Jiir  la 
tête  quand  ils  n'y  font  plus.  Or ,  les  cour<^ 
dlàns  aeiflènt  comme  i^  parlent. 


%'}&  Tableau 

de  grandeur;  41  ne  peut  fe >réfoudrë à n*étre 

I)lus  rien  ;  il  abhorre  la  tranquillité  &  le 
oiGr  dont  il  jouit  :  ce  qui  prouve  qu'il  y 
a  une  volupté  exquife  à  régir  la  foule  des 
humains ,  à  leur  infpirer  tour-a-tour  la  crainte 
&  refpérance ,  Se  à  recevoir ,  en  qualité 
d'homme  puiflànt,  leurs  louanges intérefliees  , 
leurs  refpeâs  Cmulés  &:  leurs  courbettes 
menfongeres. 

Quelle  vie ,  par  exemple ,  que  celle  d^un  lieu* 
tenant  de  police  !  Il  n'a  pas  un  inftantk  lui  ;  il 
ed  obligé  tous  les  jours  de  punir  ;  il  tremble 
,de  (e  livrer  à  l'indulgence ,  parce  qu'il  ne  fait 
pas  s'il  ne  fe  la  reprochera  point  un  jour.  Il  a 
befoin  d'être  (evere ,  &  d'aller  contre  le  pen- 
xhant  de  fon  coeur  ;  il  ne  fè  commet  pas  un 
crime  dont  il  ne  reçoive  l'image  honteufè  ou 
cruelle.  On  ne  lui  parle  que  d'hommes  vi- 
cieux 8c  de  vices  ;  à  chaque  inftant  on  vient 
lui  dire,  voilà  un  meurtre,  un  Jhicide ,  une 
violence  !  Il  n'arrive  pas  un  accident ,  qu'il 
ne  lui  faille  ordonner  le  remède ,  &  préci- 
;pîtamment  ;  il  n'a  qu!un  inftant  pour  déli- 
bérer &  agir,  &  il  faut  qu'il  .craigne  éga- 
lement ,  &  d'abufer  du  pouvoir  qui  lui  eft 
confié  9  &  de  n'sn  pas  ufer  à  propos.  Les 
rumeurs  populaires ,  les  propos  extravagants  ^ 
les  faâions  théâtrales  y  les  faullès  alarmes.  ^ 
tout  le  regarde. 

Repofe-t-il  ?  un  incendie  le  tire  brufque-i' 
ment  de. fon  lit.  N'y  a-t-il  pas  d'incen^obt 


9  £     Pari  s.  ^^^ 

fdes  jeunes  gens  de  qualité  font   tapage  la 

4iuit,iinfirnient  le  |>rononcé  du  commiTlàire 
du  quartier.  On   réveille  le  magiflrat  pour 

juger  ces  étourdis.  La  cour,  la  ville,  Ja  pro- 
vince lui  font  des  interrogations  multipliées: 

il  faut  qu'il  réponde  à  tout^   il  faut  yqu'il 
fuive  a  la  pifte  le  brigand  ,  Tadàflin  obfcur 

.qui  a  commis  un  crime  ;  car  le  magtftrat  pa- 
roit  blâmable, s'il  n'apas  fu  le  livrer  de  bonne 
heure  à  la  juftice;  on  calculera  le  temps 
mie  (es  prépofes  auront  mis  à  ceitei capture; 
oc  fon  honneur  exige  que  l'intervalle  entre  le 
délit  &  l'emprifonnement  foit  le  plus  court 
polFible.  Quelles  fondions  redoutables  î 
Quelle  vie  pénible  !  Et  cette  place  eft  con- 
voitée ! 

On  ne  s'intrigue  aujourd'hui ,  difolt  Du^ 
clos ,  que  pour  l'argent  :  les  vrais  ambitieux 
deviennent  rares.  On  cherche  des  places 
où  l'on  ne  fe  flatte  pas  même  de  fe  main- 
tenir ^  mais  l'opulence  qu'elles  auront  pro- 
curée ,  xonfolera  de  la  difgrace.  Nos  aïeux 
afpiroient  k  la  gloire  toute  nue  :  ce  n'étoît 
pas ,  fi  Ton  veut ,  le  fiecle  des  lumières  4 
mais  c'étoit  celui  de  Fhonneur. 

Un  courtifan  de  nos  jours  dîfoit  :  il  faut 
tenir  le  pot-de-chambre  aux  minifires  tant 
qu^ils  font  en  place  ,  Ù  le  leur  verferfitr  la 
tête  quand  ils  n'y  font  plus.  Or ,  les  cour^ 
tifàns  agiflent  conmie  ils  parlent. 


l^O  T   A   B   L  £   A    V 


CHAPITRE     CCLXXXVII. 

Orateurs  facrés. 

'JLies  prédicateurs  jouiflènt  feuk  ^  Paris  du 
i)eau  droit  de  parler  au  peuple  afièmblé.  Q 
ièroic  k  defirer  au'ils  en  fentiflent  toute.Fé- 
tendiie.  Nourris  des  lumières  de  la  philofb- 
phie,  quelques-uns  ont  expofê  des  vérités 
fortes.  Au  lieu  de  ridiculiferbêtemâit  un  em- 
ploi aulfi  noble ,  ne  vaudroit-il  pas  mieux  coa- 
lâcrer  ce  rare  privilège  par  les  devmrs  qu'on 
leur  impoferoit  ?  devoirs  d'hommes  &  de 
citoyens.  Voici  le  moment  pour  eux  de  fe 
montrer  tels  &  de  mériter  la  vénération  gé- 
nérale. 

Profeffêurs  publics  de  morale ,  fous  Féten- 
4iard  facrc  de  la  religion  ,  ils  pourroient  réel- 
lement combattre  par  la  parole  les  abus  les 
plus  dominants ,  & ,  développant  les  maximes 
de  l'évangile ,  étendre  julqu'k  la  plus  grande 
circonférence  le  précepte  divin  de  la  charité, 
en  attaquant  de  toutes  parts  les  malverGitions 
les  plus  criantes. 

Tout  crime ,  depuis  le  plus  grand  jufqu'au 
moindre  ,  dérive  de  l'avarice  &  de  la  dureté 
des  cœurs.  Les  prédicateurs  pourroient  fou- 
mettre  àieur  tribunal  tous  les  forfaits  poli- 
tiques 


B  E      P  A  H  I  S. 


tiques  qui  caufent  les  malheurs  du  peuple. 
Rien  ne  fauroit  arrêter  ce  cri  de  Tame. 
La  vérité  nue  &  fimple  a  une  force  qui 
terraflè;  d'ailleurs  jamais  Fautorité  n'a  ofc 
frapper  dircdement  la  fainte  vérité. 

Sous  ce  point  de  vue,  les  prédicateurs,' 
fans  offenfer  le  miniftere,  pourroient  le  (èrvir. 
Qu'ils  s'emparent  des  idées  faines ,  univerfel- 
lemènt  répandues.  Toutes  les  idées  utiles  à 
riiumanité  font  dans  l'évangile ,  qui  ne  re- 
commande qu'amour  &  charité  ;  la  philofo- 
phie  de  nos  jours  eft  une  branche  du  chri& 
tianifme.  Quelques  -  uns ,  je  le  répète ,  ont 
déjà  rempli  ce  généreux  devoir  en  préfence 
du  monarque  :  &  quelle  fublime  fonéHon  , 
que  de  porter  à  l'oreille  du  prince  les  gémît 
fements  qu'il  ne  peut  entendre ,  &  les  pen- 
fées  auguftes  qu'on  voudroit  interdire  à  la 
royauté  { 

Je  chéris  beaucoup  Péloquence  de  la  chiiir 
te  ;  j'ambitionnerois  fortement  de  poûvoit 
prendi:e  la  place  de  ces  orateurs  qui  peu- 
vent apporter  des  confolations  aux  cala- 
mités régnantes ,  parler  au  pewple  d'un  ton 
apoftolique  &  répandre  h  parole  dîtinej 
telle  qu'elle  eft  empreinte  dansTaugulte  mo- 
rale du  livre  qui  li  contient.  G'éft  en  ce 
moment  que  la  dignité  du  facerdoce  parok 
dans  tout  fon  éclat.  Perfuader  ,  convain- 
cre, confoler,  développer  tous  les  tréfors 
de  là  morale  la  plus  (bblime  ,  la  plus  prct 

Tome  IL  L 


Q^  ■  f   A   U   L   E   A    U 

|)re  \  donner  .aux  hommes  Tamour  de  k 
paix  &  de  la  xharité,  quel  lelpeâable 
emploi  ! 

Quant  à. ces  abbés  beaux-efprits,  qui  cou^ 
xent  des  bénéfices ,  en  faifant.de  belles  phra* 
Tes  pour  prêcher  ,  s'il  fe  peut  ^imavcnt  à  la 
xour,  qui  ne  veulent  que  faire  fortune ,  qui 

E illent  dans  le  fonds  d'autrui  quelques  lam- 
eaux,  quelques  tournures  oratoires,  &  qui 
ne  difent  rien  a  la  foule  xpii  Touffire  \  quant 
il  ces  énergumenes  fous  le  froc^  qui  vomif- 
fent  de  plates  groffiérctés  contre  des  philo- 
:ibphes  qu'ils  ne  favent  ni  lire ,  ni  entendre^ 
ni  apprécier  \  <]ui  ont  fait  divorce  avec  la 
raifon,  qui  transforment  le  talent  de  la  chaire 
.en  celui  d'inventer  des  imputations  calom- 
.pieufès  :  je  les  plains  de  profaner  un  aufG 
.augufte  miniftere ,  de  ne  pas  fentir  quelle 
<çft  leur  véritable  force ,  &  lempire  qu'ils 
P^inôîent  prendre  fur  les  efpfits,  s'ils  s'e- 
^dicient  à  parler  aux  hommes  fur  leurs 
véritables  intérêts. 

.  On  dît  qu'un  ex-jéfuite  nommé  Êeaure^ 
gard ,  qui  aftèâe  la  véhémence ,  a  cru  attein- 
dre le  fubKme  de  fon  art ,  en  s'écriant  dans 
fes  transports  rïfibles€c  frénétiques  :  0/2  nous 
accufid* intolérance*  Ehl  ne JàU-on pas  que 
la  charité  a  fcs  futeurs  ,  &  que  le  \ele  a 
fis  vengeances  ?  Une  autre  fois  il  commen- 
ta ainfi  un  difcours  :  ^pproches^^  acolyte^ 
/ine:i  ks  ricleaux  ,  yoiU'}^  le  fanSuaire.  .* 


DÉ      p.  A   K.  t   S. 


'fr 


je  vais  parler  des  philofqphcs. .  .^  Cela  eft 
fort  plaifant. 

Tel  autre  prédicateur  prêche  dans  un  faux- 
bourg  «de  Bacis ,  ou  dans  unmilerable  vil- 
lage ,  un  fermon  qu^il  a  compofé  contre  le 
luxe.  Mes  frères^  dît-il  en  apoftrophant  un 
auditoire  déguenillé  ,  la  Jenjîialué  de  vos 
tables  ^  cei  mets  recherchés ,  ces  dilicatej^ 
fes  voluptueujes  qui  réveillent  vosfens  erv^  , 
murdis  &  fatigués  de  plaifir.*^  Et  il  dé^  '^ 
Xite  cela  a  de  pauvres  malheureux  qui  ne 
mangent  le  dimanche  que  du  pain ,  du  lard  ^ 
des  choux  à  Teau  &  au  fel.     ' 

Que  (kit-îl?  La  répétition  d*un  difcours 
qu'il  prononcera  le  lendemain  à  Saint-Koch , 
dans  le  quartier  opulent  de  la  finance.  Le 
peuple  dort  au  fermon ,  parce  qu'il  eft  ra- 
rement adapté  à  fon  élocution  &  à  fes  çoti- 
tioiûànces.  M.  Oulîer  de  Befançon  ^t  avoir 
vu,  en  1739  ^  dans  Féglife  Sainte-Claîre  à 
Stockholm,  un  bedeau  qui  portoit  une  longue 
canne  &  frappoit  (ùr  la  tête  de  ceux  qui  dor- 
moient  pendant  la  prédication.  Si  l'on  adop** 
toit  cette  fonâion  en  France ,  la  main  an 
vprépofe  ne  ferdit  pas  oifive  dans  nos  ten>- 
pies ,  &  il  en  faudroît  plus  d'un. 


Lx 


9  4^ 

JWfÔ  T  A  B  L  B  A  U 


CHAPITRE     CCXXXXVIU. 

^rui  -  anglais. 

XJn  rencontre  dans  les  fociétés  f|aelqaes 
(^étraâeurs  de  la  France  ;  mais  1^  dÀiaâeucs 
des  nations  étrangères  fc  fùr-toat  des  Afî* 
^lois  aboiident ,  oc  n'ont  pas  plqs  de  t;^on 
lans  dpute.  Il  eft  très-utile  qu'il  y  ait  une 
efpece  de  rivalité  entre  elles  ,  qu'eues  fe  re- 
crochpnt  leurs  fautes ,  leurs  erreurs  &  leuis 
iottifes  ;  qu'elles  s'oppofent  mutuellement  le 
progrès  de  leprs  arts  i  qu'elles  f^  Qirveillent 
çiifin.  Ceft  par  ce  moyçp  qu'elles  fe  met* 
tront  à  ponéc  de  profitj&r  de  leurs  découver- 
tes &  de  mêler  leurs  lumières  refoedives, 

La  France  ,  par  (a  poGtion ,  par  Tindi^flrie 
Çc  le  caraâere  de  fes  habitants,  paroit  avoir 
^e  grands  avantages  (iir  l'étranger;  &  les 
injures  qu'on  lui  dit,  font  de  vrais  repo^ 
ç^es  d'amants ,  qui  voudroient  la  voir  aufE 
telle ,  aufli  floriflànte  qu'elle  pourroit  l'être. 

Vingt  millions  d'habitants ,  cent  cinquante 
millions  d'arpents  de  terre  en  quarré  ou  en- 
viron :  quelle  puîflànte  monarchie  !  à  qui  , 
d'ailleurs ,  le  phyfîque  fournit  abondamment 
toutes  les  denrées  de  premier  befoin  &  de 
}u^e»  Ne  devroit-elle  pas  avoir  l'avantage 


DE    Pari  s:  ^rt 

fur  tous  les  gouvernements  de  l'Europe  ?  La 
nature  lui  a  donné  la  fupérioritë ,  Se  fa  po-^ 
fition  a  décidé  {à  puidànce.  Pourquoi  donc 
Cieniéme  état  .ne  voit-il  pas  fa  félicité  éga- 
ler fa  grandeur  .î  P4)ucquoi  la  nation  An- 
gloîfe.  a-t-dle  '  cette  fierté ,  cette  énergie  ^ 
ces  rcffburces,  ce  courage  intrépide  &  cal-» 
me  Qfii  la  fait  réfifter  à  une  guerre  civile, 
à  trois  grandes  puilïànces  unies ,  à  fes  fac- 
tions particulières  >  Eh  !  qui  ne  voit  que  fa 
conftitution  ^politicpie  en  a  fait  des  hommes 
qui  figurent  avec  dignité ,  &  qui  ont  mé- 
rité par  leur  génie ,  leur  fermeté  ,  leurs  lu- 
mières 8ç  leurs  loîx  ^  d  enchaîner  la  tyran-* 
nie  ^  8c  de  commander  a  l'Océan  > 


>•» 


CHAPITRÉ    CCLXXXIX. 


V Académie  Frangoijfi. 


m 
plus 

à  nos  pinceaux  ?  ïsTôn  :  elfe. appartient  (pé- 
cialement  au  ciquet  de  laf  jjratiJe  ville. 
*  Richelieu'  ne  pôu^rôîr  ifor nierun  étaSliÇ- 
fement,  niêilie  çrar'ftiïHn^,  din  ne  tendît 
au  defpotîJTnié.  L'inflitôtion  de  laéadénire  efl. 
v-2S>lemem  une  inftitution  mx>narehtque.  On 


M-". 


T  A  B  I  E  A  U 


aa  coq)s  ^  an  dcfant  de  la  foiirde  critkpie  ^ 

on  emploiera  un  filence  perfide  &  prân»* 

dite.  Pbis  d'annonceurs  9  plus  de  pÀiieur& 

Il  Êiut  que  le  livre  s'élève  par  fes  propres  for* 

ces.  Et  quel  livre  dans  Çon  oriebe  a   été 

apprécié  ce  qu'il  vaut  ?  Les  penuons  &  les 

récompenfes  qui  vont  chercher  de  Dcéfiarence 

les   académiciens  placés   à    la  umrce  des 

grâces ,  achèvent  de  jetter  au  milieu  de  la 

fittératuie  un  (ùjet  de  plainte  &  de  difixnrdc 

Les  fervices  que  l'académie  françoife  z- 

rendus  à  la  langue  font  foibles,  pour  ne  pas. 

dire  nuls.  La  langue ,  (ans  ce  corps ,  eût  fait 

{àn$  dpute  des  progrès  plus  rapides  &  plus, 

audacieux.  Quoi  de  plus  £àul  que  de  l'avoir 

fixée  au  milieu  de  tant  d'arts  féconds  ei> 

conceptions  neuves?  Quoi  de  plus  ridicule 

que  ce  ton  dogmatique  qu'elle  prend  quel* 

quefois  ?  Tout  en  fe  moquant  de  la  Sor- 

benne  ^  ne  va -t*  elle  pas  citant  de  vUux^ 

mots  &  de  vieilles  autorites ,  conuue  des 

théologiens  qui  ergotent  fur  les  bancs  ? 

Ce  corps.,  compofë  d'ailleurs  des  bons 
écrivains  de  îa  nation ,  mais  qui  eft  loin  de 
les  renfermer  tous ,  vaut  beaucoup ,  mais  iiv^ 
dividuellement  ;  raflèmblés ,  ils  fubiflènt  la 
fatale  loi  des  corps  :  ils  deviennent  petits  j 
n'ont  plus  que  de  petites  idées ,  emploient 
de  petits  moyetxs ,  &  font  conduits  par  de 
petits  motifs^  Ce  corps  deviendroit  utile  ^ 
s'il  fecouoit  jaimis  les  miférables  pt^ugés; 


pu    P  A  H  I  S.  p!i^ 

Qf\  rîny^ftiflEènt^  &  s'il  ofoit  adopter  im 
goût  dianiétraltn^nt  oppoTé  k  cebî  cpi  Taniv 
me;  c'cft-tit-di«c.,:6  au  Ueu  d'un  toi>  8c 
d'une  maiiiere  lo^cale,  qui  reâîbnible:^  lai 
couleur  d'iioe  école  de  peinturé ,.  il  apperce^i 
voit. enfin  Timnienfité  de  l'art  qui  exprime- 
la  penfée^  s'H  invitoit  ^  s'il  adaiettoit  tous: 
les  tons,  tous  les  ftyles.,  toutes  les  manières^ 
&  qu'il  (ut  qu^'H  rfyra  poîtn  de  rtghs  fixxt^ 

Êour  cet  art  incot>iMii5:qu;i  rend  fujr  1^  papier/ 
L  force  à^.Qf^  i^^  ^  la. chaleur  de  ^nc^r 
fentiments.  : 

Les  gens  de  lettres  formant  le  plus  petit 
nombre  dans  ce  corps  littéraire ,  il  fe  déna^r 
ture  ,  s'oppofe  à  }m  -  ny^pjs  ,  &  recueille» 
male;ré  lui  Ces  eno^iiiis  dans  foa  propre  feiru 
Il  n  a  pas  eu  le  courage  de  reponcer  à  un^ 
décoration  étrangère;  &c  le  crédit ,  l'intri- 
gue y  ayant  fait  brèche  tant  de  fois ,  le  lit-^ 
«orateur  pauvre  ,  .fier  &  n^odefte  ^  perdr^l^ 
bientôt  la  (ède  place  que  la  patrie  lui  ofFcQÎtu^. 
&  la  plus  propre  à  récompenfeç  (es  tra^aiiw 
C'eft  pour,  on  grand  une  jouiilânce  de  ^i^ 
que  de  dépoS&àev  un  homme  de  lettres  qiU| 
n'a  pour  lui  que  la  voix  publiqûie.  Le  boni, 
Patru ,  qui  étoit  franc  du  collier ,  récita  \ 
l'académie  cet  apologue ,  lorfqu'elle  voulut^ 
nommer  \m  grand  leigneur  ignorant ,  aa 
lieu  d'adoiiettre  un  écrivàia  connu  :  Ua  any- 
sien  Grec  avoU  une  lyre  admirable^  à  loi^^ 
^idU  fi  ifomfU  une  corde  i  au  lien  ttefi 

^  1 


iîd^  T  A  B  X  E  if  1^ 

ttmettrt  une  de  bàyaip,  il  envoûtât  une 
d'argent,  &  la  lyre  n- eut  plus  dt harmonie^ 

Je  crois  que  les  gens.de  lettres  fètoient 
beaucoup  mieux  s'usi^pnetioieiit  le  par»  àm 
renoncer  de  bonne  heure  à  cette  récom* 
pen(è  infidieufè.  Leurs  talents  en  auroîent; 
eertainement  plus  de  vigueur  de  de  libené;! 
Ils  ne  troqueroient  plus  follement  la  gloire' 
^i  les  attend  loin  des  muis^dela  capitale  y 
Ikmr  obtenir  la  lenomméë  de  Pai*£;^^  too* 
]ours  ôrageufè,  6(  q»  i^^s^  (Moencré  que 
pour  bientôt  mourir^  ^ 

Dans  les  académies ,  W  g^i$  de  lettres 
it  voient  de  tit>p  près  ;  les  débuts  de  cha-^ 
cun  paroiflèn»  davantage;  fàmour- propre 
fe  tourtte  en  âigreut;  lesintéréts  fedivifèm^ 
pltii  de  concorde  •,  Phârmenîe  eft  détruite. 

Paime  la  réponfe  du  poète  Lainez.  Uns 
membie  de  Tacadéniie  fra^^fe  lui  propo-^ 
(bit  de  &ire  des  démarches  pour  entrer  dans 
ce  corps»  Il  répondit  fièrement  ^  Eh  !  qui 
vous  jugeroii  ? 

L'académie,  mue  par  d)es  intérêts  partie 
culiers  ,  ne  fent  pas  afièz  que  le  peuple  lec- 
teur furvcille,  juge  fès  ch6fï,'&  trouvé 
Ijtès-ridicule  h  réception  qui  ne  lui  amené 
pas  un  nom  connu.  Quand  il  faut  analyfër 
tm  mérite  qui  fort  des  ténèbres ,  le  public  Çer 
révolte ,  &  rit  aux  dépens  de  Tobtcur  réci* 
pîendaire. 

Quelques  académiciens  voudiroient  re^ 


DE      PARI   S. 


préfenter  comme  hommes  de  génie.  Maïs  le 
génie  elt  comme  la  pudeur;  il  eft  impoffî- 
ble  de  le  Jouer. 

Uacadémie  françmfe  ne  prbpofe  plus  pour- 
fujet  des  prix  qu  elle  diftribue  annuellement ,  - 
quelle  eft  la  plus  grande  de  toutes  les  ver-  - 
tus  du  roi ,  ainfi  qu  elle  faifoit  fous  le  règne 
de  Louis  XIV.   Aujourd^iui  les  gens  de- 
lettres^  quîk  compofent  (  nous  leur  devons 
cette  juftîce)  ne  le  bornent  pas  k  épurer  le- 
ftyle,  ils  fe  tpgardent  encore  comme  ap- 
peliés  ^  forn^er  les  nKJeuis  de  la  nation ,  oc 
'imais  ifis  ne  $*avifèront  de  traiter  tine  a^iflî  % 
tche  &  déshonorante  qiieftion.. 
Echappes  ia  râdalatibn  vils  n*bnr  pu  échap* 
per  de  mênie  it  lïne  cettaîrie  pédanterie:: 
elle  eft  plus:  fine',  plus'  adroite  ,  plus  ingé-* 
nieufe  chez  les  uns  que 'chez  les  autres,  iî  • 
faut  l'avouer;  mais  tous  croient ,  ou  voiv- 
droient  faire,  croire- que  l'académie  eft  uti  ' 
tribunal  réel ,  qui  commande  au  goût ,  & 
eft  fait  pour  le  régler;. que  le  titre  d'acadé- 
micien -emporte  avec  fol  Picfce  d'un  juge  ' 
abfolrf  des  arts  :  ce  '  qui  n'éft  pas^,  vu  leur* 
extrême  prévention  pour  leur  propre  ma- 
nière ^  leur  dédaiix  ^Sk^é  pour  ^our  ce  qui 
ne  fe  foumet  pas  au  ton  de  leur  école  <»  & 
l'ignorance  où  i&  font  fur  beaucoup  à*oui^ 
vrages  étrangers  &  nationaux ,  que  leur  pa- 
rerfe  ou  leurs  travaux  les  empêcheiit'  de  lire  ^ 
te -d'examiner-.  *      -  .    •   - 

i;6' 


%!,%  T  A  1  l.  I  A  D' 


CHAPITRE    CCXa 

«Sur  le  mot  Goût^ 

V/ n  théologien  s'échaufi^,  derîent  fanatî- 
91e  )  &  déraifonne  au  mot  grâce  ^  &  tel 
académicien  au  mot  gqûtj.  Le  decnier  vrou^ 
dra  vous  fubjuguer,  tout  comme  le  gremier 
prendra  le  ton  dogmatique ,  &  ils  ne  de-*^ 
meureront  pas  inférieurs  fun  k  Fautte  ..ea 
înveâives.  (Comment  après  cela  ne  ^  con^ 
venii:  que  chacun  a  fa  marotte  ?  Et  rac^clé* 
micFen  fè  moquera  du  théoloeien,  quand  it 
a ,  comme  celut^ct^la.  prétention  bizarre  de 
£b  croire  infaillible». 

Comme,  on  démiit  tout  le  mérite  de  Fac-^ 
don  la  plus  excellente  &  la  plus  puce ,  en 
jbi  prêtant  de  vicieufes  intentions ,  de  miême 
on  anéantit  un  bel  ouvrage  avec  une  criti-? 
que  froide  8c  mînutieufe.  Ceci  eil  encore 
fc  pafl[è7temps  d*un  académicien,  ou  ja-» 
Ibux,  ou  chagrin  ,.Qu  voulant  trancher  da 
doâeur^ 

.  ,  Tel  académicien  dît  ^j^ai  du  goût^mic& 
qult  n'ofîe  pas  aire  ^  J'ai  du  gpnic.  Il  fent 
bien  que  tout  le  monde  fait  ce  que  c'èft  que 
îr  géniie ,  parce  qu^  eflt  aiie  de  le  recont- 
lipitre  \ti.  voir  donc  ^ullne  feut  en  impop^ 


,    » 


*  JE   Paris.         119 

fer  Ik-deflùs  ^  &  il  fe  renfermé  dans  le  tître 
Shomme  de  gout^  parce  qu'il  eft  aufli  diP^ 
ficilede  le  lui  contefier ,  que  peu  ini|)orcacit| 
de  le  lui  acicorder»  -, 

Quand  il  a  obtenu  ce  titre ,  3  s^imaginQ 
alors  que  fes  ouvrages  font  pénétrés  de  goût  z 
ce  qui  n'eft  pas  ;  car  tel  a  du  goût  pour  ap^ 
précier  les  produâions  d'autrui ,  &  p'en  ft 
pas  pour  ce  qu.'il  fait.-  ^,  1       ;  ';: 


CHAPITRE     CCXCL 

12 Académie  des   Injcriptipns   &  IfelUs-^ 

Lettres^'  ^  '     *.  ; 

L^  ■   ;  ■;        ■  •   ;j  ••^:; 

k  Tantiiquaîre  fburit  dfàn:  féêÈttta^demt 
qui  ne  s'appelle  pas  Homère  ou  Earif^idti^ 
Ariftote  Temporte  encore  fur  Defcartes  1^ 
Newton  :  {dus les  idées  font  anciennes,  naifui: 
elles  valent  :  le  (iecle  des  Médias  n'y  a  p^ 
encore  droit  de  bouigeoifie» 

Tel  érudit  ne  daigne  pas  appereevoir  k 
colonnade  du  Louvre ,  pour  parler  d'un  ^uk 
temple  de  Cérès,  dont  il  refiitue  Fentablcr^ 
ment ,  Tarchitrave ,  &c.  Si  Ton  perd  ^tm 
bataille ,  c'efl  qqe  Ton  a  oublié  la  force  4^ 
la  phalange  Macédonienne. 

Apelle  8c  Zeiixis  étoient  les  premien^ 
peintres  de  Tunivers  \  car  leurs  ubleaux^.k 
focce  4e  vétuflé^a'exiûentplus». 


iJ6  T  A   BL  B   A  * 

Si  nous  faiCons  quelaue  chofe  de  paflabEéf  j-, 
c?éft  par  pure  rémînifcence  ries  anciens 
à^itnt  tout  dit. ,  tout  vu ,  tout  deviné  \^ 
nous  les  répétons  k.  notre  info  ^  &  par  un 
tffûst  de  la  -métempfycofe  ;  car  nouf  (bmmes . 
une  race  abâtardie ,  dégénérée,  pour  les  arts  :: 
Vivent  Us  Grées. 

'   Notre  langue  ne  Tant  pas  TITébréa;  quîi 
eft  une  langue  (àcrée  :  rioos  ne  conùnence'^ 
rons  a  valoir  quelque  chofe  qqe  dans  quatre  * 
inille  ans.^  L.  ^■-     ^ 

Tous  ces  contempteurs  dès  temps  moder*  - 
neKécriyent  des  in-4.fur  les  anciens  ;  t'eft- 
aux  anciens  à  les  lire.  Ils  traduifent  Jes  an^ 

*  -  •         •* 

ciénsv&  c^  anciehsJa,  fôiis  leur -plume  y. 
paroiflènt  bien  fots  Scbien  vuides.  Ils  met-* 
tent  tout  Homère  en  rimes  plates ,  pour  en 
t€ndre  la  leâure  k  jamais  impoflibte ,  & 
j)oul^radmir^rfafis  doute  tout  feuls.  D'au- 
tres font  de  mauvaifij  profe,  pour  nous  faire 
détefter  notre  idiome  ^  &  pouvoir  crier  plus 
'haut  encore  :  Vivent  lés  Grecs  !  Cela  eft 
adroit; 

Spanheim  s*exta(îoît  de  volupté  fur  une  • 
médaille  antique  :  il  eft  bon  de  regarder  nne. 
inédaille  une  fois ,  mais  c*eft  affez.  Si  c*eft 
\  raîfon  d'antiquité,  tel  rocher  eft  plus  vieux 
'^e  Falphabet  Phénicien ,  tranfniîs  ou  noa 
tranfmîs  aux  Grecs,  Tel  homme  de  lettres^ 
eft  curieux ,  c'eft  bien  fait  à  h\ ,  G  cela  Ta- 
mufe  ;  nws  tçl  autr«  ne  voit  pas  fur  une. 


1>  E  «  Fa  It  I  K.  arfi 

médaille  la  valfond-ûM  exceffiVe  !ifokptét(i')v 
.  Lesfiin^nibjrest  de  c^  corps  fe  nonupent. 
^OLàimâfini  'i,  mais  ee  titré  cft  uqô  très^^ 
fbihlc  diliin^n.  à^  P;am  9,  ^  Yon:  nt{£àip 
trop  potioqai  :  c*eft  q^'iUr:  faut  écce&idè  Taca^^ 
éénnc  fraiiçoKe  pem  être  un  véritable  aca<*- 
dcmicien. 

jyçk  Yiènt  6e^(di9E«rence  entre  voifîns 
qui  ne  font  fëparés  aui^Lonijat  i)ue^ar,iunG 
cloifoft.Ul:y  a  bien  autant  ,4?  pi;éjugçs,„a|i. 
tant  dp  prétentions.  d'u;a  côté,  ijue  de  Fau- 
frè:  plùÊeurs.  niicmores  paflent; hieme  dune; 
chanibte  pour  aller  dans  la  chambre  voîG* 
ne  ;  ils  devroient.  donc  être  rangés  lur  la 
tnênie  ligne  v  on  fait  '4c^.yèrs  62;  d^^  jiprofe 
d*uncôte  &  de  l*aiitr'éi/  ,  . 

Lé  public,  ou.plutot'lVpîpi9!>'x;a-n>îs  en-, 
tre  ces^  deux  corps  un  grand  'intervalle.  IJ. 
feroit  facile  néanmoins  dôppôfer  racadéniîèt 
des  belles  -  lettres  à  l'académie  frahçoîfè-,  fi" 
la  pi^iere  v^ouloit  s^niani£^|  un  peu  ayec^ 
les  BèlleS-Iettrés,  puifqiVèlle'âî'pbftè Te  n6m\ 
goûter  de  la  littérature, .  modexne  ^  réciter 
quelques  vers  françois,  &  ne  point  faire  de 


(1)  Lé,  facétieux  Piroa  a  iaîr  uiiê  épitaplft^ 
Siflez  plaîfante  d'un  de  ces  inVeftigateilrs  du  teii^' 
paffê.  Elle  efi  peu  connue:  - 

y 

,  \ 

Cl  git  un  antiquaire  opiniâtre  &  hn^quê%^     "*  •  x) 

fi  tjt  tfprit  6^  Ç9rps  dans  uni  cmtlù  àruffti^  ^ 


13^  T  A  1  t  r  A:tr 

divorce  adirée  le  bel -eTprît^ Alors  toli»^et 
antiquaires  paflèroient  pour  des-  gens*  de  let« 
très  V  &  ^on  s*atcoiitumerciit.  à  dire  dfeuv 
qu^ilsont de Fi^jçi^ylê goût pnendtx>k  peut*^ 
^re  enfiike,  fie  les  Quarante  krcictii  d^K>f- 
fëdës  du  privilège  exdufif  à  la  rëputaticm  fie 
à  Hnimoitalité» 

Que  cela  arrive  ou  non ,  je  dnat  toujours 
à  Facadémie  françoife  r  - 

Cette  académie  né  veut  plus,  dit- on ^ 
oue  (es  membres  paf&nt  déformaiis  à  l*acâ« 
demie  françoilè ,  parce  que  c^efi  trop  de  gloire 
pour  un  fîmple  mortel /.que  de  réinir  uir  (a 
tête  les  titres  ôppofé^  de  JavdrU  &  dé  Bèfef 
prit  :  il  faudra  opter ,  fie  Ton  ne  poiiirni  plu& 
lèrvîr  a  la  fois  lès  deux  maîtreflès  jaloufes  fie 
rivales.  Point  d'accord  entre  Céruditian  fic 
&s  graciât 


^  I.  (  â . 


'     CHAPITRE    CCXCIT.      ' 

I 

Communautés^ 

\J  n  premier  édit  avoir  fupprinfié  ,  fous  Ir 
mjniftere  de  M.  Turgot,  tes,  jurandes  8c 
communautés  de  commerce  ,  ces  parties, 
konteujès  de  notre  gouvernement  ;  oc  tout 
iQuloit  aflèz.  Blétik  Dix-  huit  mois  après  y,  vm 


X  c 


DE    Paris.         233 

fécond  ëdk  créa  fîx  corps  de  marchands  y 
&  quarante -<]uatre<:oinmunautés  d'arts  8c 

métiers. 

Les  entraves  bizarres  ftirent  fupprimées. 
Une  plus  grande  liberté  eft  rendue  au  cpni^' 
merce  ^  on  a  réuni  des  profeflions  qui  ont 
de  l'analogie  enti^elles,  &  qui  autrefois  li^. 
vrces  à  des  procès  interminables ,  fàtiguoient 
les  tribunaux  de  leurs  débats  audi  coûteux  que 
ridicules. 

La  porte  de  Knduftrie  eft  ouverte  à  qui- 
conque veut  travailler  ;  mais  il  en  coûte 
eiKore  de  l'argent.  Cet  argent  ne  fe  donne 
plus  aux  communautés  \  à  qui  fe  donne-t-il  \ 
Aux  coffires  royaux  :  tout  rentre  infeoGUe-*^ 
ment  dans  ce  baflin  unique. 

Les  bouquetières  ^  les  coëi&u(ès  de  cfenis^^ 
mes ,  les  jardiniers  ^  les  maîtres  de  danfe  ^ 
les  favetiers  y  les  vuidangeurs  ont  été  dé^ 
clarés  par  le  même  édit ,  libres  dans  leur 
profeffion,  &  exempts  de  payer.  ,1/  :: 

Avant  cet  édit  on  pourfmioit  uôe'^lntal^ 
heureufe  femn^^e  qui;^  la  v^e:  de  lajrfihet 
d'un  patroa  bannal,  p<Mtoit  dés  fleuctf  fur 
fbnéventaire  :  on  écrafoit  fe$  fleurs  v&^ob 
\x\  faifoit  pa^r  une  amende^  On  Ikififibit 
à&par  k  rai,^jujliçc i,  Àts  QxA\0s  ^ àtn&% 
seftemelés:^  ^  en$t%  l'on  #icar>6éroiit  lé  t^ 
^léraire  qui  niettoit  dei5^:p^il]otfes  fhx.  la 
tête  d^une  femitie^^  &ns  avoir  \z  pmmtXi  qui 
l'autorifoit  k  frif^  &  pommader  les  cheveux* 


2^34  Tableau 

Noos  fortons  de  l'épociae  de  tontes  ces  belles- 
îoftitutions ,  &  nous  en-  avons  encore  plu* 
fietirs  k  peu  pris  de  cette  dignité-là  :  &  voilà*, 
founage  des  anciens  admmiilrateuis  de  no* 
trc  grand  état». 


C  H  A  P  I  T  R  E    CCXCIIL 

AgrimimJIts.^ 

JLies  belles  dames ,  dont  la  fantaifié  com^ 
lïiande  ces  ouvrages  momentanés  ^  (ttfcepti« 
blés  de  variations  infinies,  ignorent  (ans  dou^ 
te  que  les  ouvriers  qui  façonnent  les  agré* 
ments  dont  eUes  omenr  leurs  tobes ,  fe 
nomment  agréminijîcs. 
-  L'ouvrier  donne  à  la  (oie  toutes  les  for- 
mes poflîbles  ;  c'eft  de  fon  goût  &  de  fon 
génie  que  naiâènt  k  variété  des  deiEnis ,  la;: 
Sverfîte ,  des  ociuleurs:  artiflement  unie?  \  Fi-* 
mtJatiôn  des-fleurs  mtu telles. 
•   On  admire  une  jolie  femme ,  &  f(»i  ha- 
hHleifient  qui  fait  partie  dé  fon  exiftence  : 
ihais  à^  la  vue  des  effets  très  -  galants  qui- 
féfdldmt  i3e<  fes*  irigretees,  de  (es  pônipotis  ^ 
de  fei  frangés, ic  poëté chanfônnier né  s'efl^^ 

E'  'iHâis  avifé  'dè^c^ëbrér  un  peu  le  fufeau  ,» 
nasrette  .8tflâ'maîn  induftriéufe  dû  pau- 
vre^gr^/wiiriî/?^v'touC  cll^pour  celle  qui  porte. 


UM.    P.  A-IL  I  ïi.  135 

là  robe  élégante ,  &  rien  pour  l'ouvrier  qui 
lui  a  imprimé  cet  éclat,  cette  fraîcheur  ^ 
cette  légèreté  aérienne. 


CHAPITRE     CCXCIV.: 
Epinglicts^:  CUHititrs^ 

Un  Sauvage  admire  un  clou,  &  il  a  raî- 
{bn.  G'efl?  à  Paris*  que  l'homme  obfervatiéut 
voit  combien  l*àftt  a^  demandé  de  combi- 
riaifons ,  d'expériences  &  de  foins.  Il  faut 
trente  mains  &  trente  outils  pour  la  for- 
mation d*une  épingle  V  vous  en  aurez  mille, 
pour  douie  (bis. 

Les  aiguîlIiers-épîngKers.  regardeht  leur 
prefeffion  comme  l'une  des  plus  anciennes^ 
pqi(qu'îls  fou  tiennent  qu^Hénoc  en  fut  Tin* 
tenteur.   - 

r  l'aiguille  eft  nécfeffaîre'k.prefqtaiettous  1 
métiers  :  pour  que  l'atguBle  ne  fprt^ni  frtel 
fiî^caflànte ,  pour  qu'elle  reçoive  la  petféâî6à 
dont  elle  eft  (ùfceptible ,  il  faut  plus  de  vingt 
ëpétatibns ,  toutes  également  eflèhtielles  oc 
éxtrôiTïement  délicates.  Les  doutiers  ôtit'prî? 
S.  Çloud  pour  patrq0,  &  les  épingl^érs  SU 
Sfibaftîèrt,  ^àrce  que  çcM- Cl  fut  i[n^^ 
à  coups  de  fledies^i'        .    '^  ' 


\ 


'i^6  T  A  1  X  k  A  u 


CHAPITRE    CCXCV. 

GMc  dt  la  PftJ^. 

L,  ..  .  .^  ^.  ^  f  .... 
es  ennemis  des  livres  Te  font  des  lumie-^ 
res,  &  par  coofëquQntdes  hooimes.  Les 
eiitraves  dont  on  furcfaarge  la  preflè  invi- 
tent à  les  braver  :  il  Ton  jouii&U  d'iificS^Ubàrté 
honnête,  on  n'auroitpkisrqi^ours  i  lufioence. 
Il  e£L  des  maux  politiques  qite  prévient  la  li-' 
berté  de  la  prefle ,  &  c'efl  déjà  un  très-grand 
bienfait.  La  police  intérieure  des  états  a  be^ 
foin  d'être  éclairée  par  des  écrits  deGntéref; 
fés.  Il  n'y  a  que  le  phiîofophe  fàtis^ut ..  de 
la  feule  eftime  de  fes  concitoyens ,  qui  puide 
s'élever  aa-deilus  des  nuages  me  forme  TiiH 
(érét  perfonnel ,  &  offrir  les  aDus  d'une  cou* 
tume  inCdieufe.  Enfin  k  liberté  de  la  pre(I^ 
ièra  toujc^lrs  1^  m^fùre  ,de  la  liberté  tivîle , 
6c  cVft  une  efpece  de  thermomètre,  pons 
connoitre  d'un  coup  -  d'oeil  ce  qu'i»  ;peupla 
a  perdu  ou  gag;ié» 

Si  l'on  adopte  cet  axiome ,  chaque  jouE 
nous  perdons  ^  car  chaque  jour  la  preflè  eft. 
plus  gênée.      -  '  •  ^  ^,  ,j     ,    ^     ^ 

Aw^Jes  iïvresTque  Pon  imprime  aiiM0|Hf>^ 
d^hui  k  rarîs  font- ils  pitoyâibles^  lor{^'iI& 
roulent  fur  lliiftoîre  ,  fur  la  politique ,  oa 
fiir  la  morale  des  nations,. 


\ 


fil     P  A  B.  I  5.  137 

•  LaHIèz:  penfer  &  parler  ;  le  pubUc  jugera  y 
Vl  faura  même  corriger  les  auteurs.  Le  plus 
{ur  moyen*  pour  épurer  Imprimerie  y  c'efl 
4e  la  rendre  iibre  :  Fobftacle  irrire  ;  ce  font 
les  probibitioxis ,  les  difficultés  ,  qui  enfan-^ 
tent  les  brochures  dont  on  fe  plaint. 

Si  le  deQ>otirme  pouvoit  tuer  la  penfée 
dans  fon  Ëmâuaice ,  &  nous  empêcher  de 
faire  voler  le  trait  de  iios  idées  dans  l'ame 
de  1:10s  femblableS),  il  le  feroit.  Mais  ne 

Cmvant  tout-à*fait  arracher  la  langue  au  phi-« 
fophe  &  lui  couper  les  mains ,  ilétablit  l'in^ 
quintion  fur  les  routes ,  pe^ple  les  frontières 
de  commis ,  répand  les  fat^llities  y  ouvre  tou^ 
tes  les  cai0ès  ^  pour  intercepter  la  progreflion 
infaillible  de  la  morale  Ôc  de  la  vérité  :  vain 
&  puérile  effort  !  attentat  fuperflu  au  droit 
naturel  de  la  fpciété  générale  &  aux  droits 
patriotiques  d'une  fociété  p^culiere  !  La 
laifon  de  jour  «n  jour  ;  frappe  les  nations 
d'un  plus  grand  éclat  ;  elle  luira  fans  nuages^: 
On  a  beau  craindre  ou  perfëcuter  le  génie  ^ 
lien  n'éteindra  dans  fes  mains  le  flambeau 
de  la  vérité  ;  l'arrêt  que  (à  bouche  prononce 
ièra  répété  d^ns  toute  la  pofiérité  contre 
l'homme  in jufie.  U  a  ^oulu  ravir  k  fes  kn^ 
l^lables  y  plus  noble  de  tous  les  droits ,  celai 
de  pen&r ,  inféparabte  de  xàui  d!étre  r  il 
aura  manifeflé  la  foibleflè  &  fon  extrava*- 
gance  ,  &  il  méritera  le  double  ceprQche  de 
tycaniûe  &  d'inipuiflànce^ 


138  T   A   B   LE   A  V 

O  braves  Anglois  !  peuple  gëuéreox  y  ècrach 
ger  à  notre  f^vitude  iionteufe  ,  confervez 
avec  (bit!  parmi  vous  lâ  liberté  de  la*  preflè; 
elle  efi  le  gage  de  roue  liberté.  Vous  reprë- 
fentez  aujourd'hui  pre(^  feuk  pour  le  genre 
buniain^;  vous  foutenez  la  dignité  da  nom 
d'honinie.  Les  foudres  qui  frappent  Tcirgueil 
&  Pinfolence  du  pouvoir  arbitraire  9  partent 
du  noble  (ein  de  votre  kle  foitunéc  La  rai- 
fon  humaine  a  trouvé  dhez  vous  utiafyle 
d'où  el|e  peut  inftruire  f  univers. 

Quand  les  opprefliurs  croiront  tmpofer 
Glence  k  la  terre ,  &  la  dévorer  iàns  <pfdle 
<^e  gémir  ,  leurs  perfides  projets  feront  éclai- 
les  dans  toutes  leârs  profondeurs ,  leurs  fronts 
feront  <:icatri(&  des  foudres  (acres  de  la  vé- 
rité :  f opprobre  les  (àifira  pour  les  vouer 
au  mépris  &  à  l-exécration  oe  la  race  pré* 
lente  oc  future. 

O  btaves  Anglois  !  vos  Kvres  ne  font  pas 
ibumis  au  mandat  de  M.  Le  Camus  dé  Né^ 
ville  ;  6t  il  &udroit  un  long  conmientaire 
pour  vous  expliquer  de  quelle  manière  mon- 
feigneur  le  garde  des  fceaux ,  ou  mofifèi- 

Î^neur  le  chancelier  de  France ,  quand  il  a 
es  fceaux ,  ou  monfeîgneur  le  vice-^ance^ 
lier ,  permet  ^fin  k  une  mîhce  brochure 
qu'on  ne  lira  pas ,  d'être  étalée  &  invendue 
lùr  le  quai  de  Gêvres. 

Nous  fommes  fi  ridicules  8c  fi  petits  de- 
vant vous ,  que  vous  auriez  pD&ine  à  com« 


©    E     P  A   K  I   S.  I.3J 

prendre  Fexcès  de  notre  foibleflè  &  de  no- 
itre  humiliation  (i). 

Au  refte ,  cette  gène  fait  un  4ort  conGdé* 
rable  à  laxapitale ,  &  l'étranger  en  profite. 
La  graphomanic  a  un  côté  ridicule ,  mais 
-elle  fait  fubGfter  diverfes  profefHons.  La  moiï- 
tagne*  Sainte- Geneviève  eft  peuplée  de  col- 
porteurs 9  de  bracheurs  9  de  relieurs ,  &c. 
qui  monrroient  de  faim  Fans  le  gros  com- 
jmerce  de  la  librairie*  Ce  trafic  n'a  rien  de 
préjudiciable  à  la  fociété.  Les  anciens  écri- 
vains autant  que  nous ,  &  avoient  la  même 
démangeaifon  de  publier  leurs^crits.  Ceft 
•un  befbin  que  nous  (àtisferons  toujours  en 
donnant  notre  argent  aux  predès  hollandoi- 
fes ,  alfemandes ,  flamandes  de  genevoifes. 


•  CHAPITRE      CCXCVL 

La  petite  Pojlc 

Oon  auteur ,  Chamouflet,  avoit  conçu  deux 
cents  projets  de  difërentes  efpeces ,  tous  rela^ 
tits  au  bien  public  :  celui/*  là  feu!  a  pu  étro 
isxécuté ,  mais  très-tatd  ;car  les  hommes  en 


I  1   É 


(i)  Il  y  eut  jadis  un  édlc  du  roi  qui  défen- 
doit  au  profeffeur  Ramus  de  lire  fes  propres  mi^ 
vtagesm 


-■) 


i^o  Tableau 

place  covobwtnt  toutes  les  noureautés ,  8c 
ne  cèdent  au  bien  public  que  loHqu  on  les 
y  force ,  ou  par  une  entière  convi^on ,  ou 
par  une  forte  de  violence.  Le  premier  mot 
d'un  miniflre  eft  toujours ,  je  diftnds ,  jà- 
mais  j'accorde 

Cette  polie  roule  du  matin  au  (bir ,  por-- 
tant  lettres  &  paquets.  Comme  Paris  eft  un 
monde ,  on  auroit  plutôt  Î2ât  Ibwrent  de  iè 
tranfporter  à  uente  lieues,  que  de  déterrer 
un  homme  dans  tel  quartier  :  on  kn  écrit  ; 
les  billets  économifent  le  temps ,  rempla- 
cent les  vifîtes ,  &  font  qu'on  ne  fe  d^uace 
pas  pour  des  riens. 

C'etoient  autrefois  en  Italie  les  vendeurs 
de  poulets  qui  portoient  les  billets  dtfux  aux 
fenmies  ;  ils  gliflbient  le  billet  fous  Faile  du 
plus  gros ,  &  la  dame  avertie  né  manquoit 
\J  pas  de  le  prendre.  Ce  manège  ayant  été  dé- 
couvert ,  le  premier  meflàger  d'amour  cpiî 
fut  pris  9  fut  puni  par  \tflrapadt ,  avec  des 
poulets  vivants  attachés  aux  pieds.  Depuis 
ce  temps ,  poidct  eft  fy nonyme  à  biUu  doux. 
Les  commis  ambulants  de  la  petite  pofte  en 
portent  &  rapportent  fans  ceuè  ;  mais  une 
cîre  fragile  oc  re^âée  rient  fous  le  voile 
ces  fecrets  amoureux  ;  le  mari  pradent  n'ou« 
rre  jamais  les  billets  adreiSs  à  (a  femme. 

Les  amis  s'avertiflènt  pour  les  jours  qu'ils 
veulent  paflcr  enfemble  ;  le  commerce  de  la 
rie  s'embellit  de  cette  facilité.  Mais  on  écrit 

pOuiS 


^'x 


B  ï     F  A  £.  4:  S.  l6% 

-pour  fes  af&ires  bu  pour  fès  plaifirs  ,  pai^cc 
4}ue  cefèroit  une  grande  imprudence  d'écrire 
autrement^  le  tout  étant  entre  les  mains  do 
la  police ,  qui  v^utXavoir  jufqu'aux  chofes  inr* 
^ffîrentes. 

L'inconvénient  eft  ,  cjue  les  anonymes' 
•<]uî  vous  écrivent  des  injures  ,  font  plus  k 
Jeur  aife.  Mais  toute  lettre  aaonyme  eit  d'un 
Jâche,  &  dès-lors  jiiéprî&ble.  Cet  abus  ne 
Xauroit  contrebalancer  l'iitilité  générale. 

Les  gens  en  place  ou  célèbres  reçoîveni» 
•une  foule  de  lettres  oifeufes  ;  cette  afiluenco 
ne  peut  manquer  de  les  diftraire,  &  à  br 
longue  de  les  fatiguer.  Le  fardeau  d'une 
vafte  corseipondance  eft  un  malheur  attacfa^ 
^  la  renommée  ;  on  perd  des  heuires  p|:écieM^-- 
Tes  k  répondre  k  des  futilités^  -&.  k  traçiec 
fur  le  papier  des  icompliments  ftérilesou  de; 
-chofes  extrêmement  vagues. 

On  ne  doit  qu'a  Tes  mtimes  amis  le  tar- 
•bleau  de  (es  véritables  idées  :  on  eft  obligé 
'4e  diflimiiler  ^vec  les  autres  ^  parce  qu'ils 
Tont  toujours  prêts  k  montcer  vos  lettres ,  k 
les  faire  circuler^  &iiiâme  k  les  imp^oieç. 
Il  faut  être  trè^rconTpeâ  avec  la  multitude^ 
^tar  combien  de  gens  vous  tendent  de^  pie^ 
^es  fous  FappareBCç  4it|  zèle ,  &  ne  (btit^u^ 
Raffut  des  ^diaàe^  qu!i|;  peuvent  (aifir.,  ^oi\^>:^.w 
^Mil5  d'avoir  pu  ixompef  ou  votre  cocdSancç^"^ 
ou  votre  çréwîté  ! 

On  a  [publié  une  miace  brochure^  îotitu^ 

Tx>m  IL  M 


<  i66  T  A  B  L  E  A  u 

^  \ée  .^  la  peritC'Pofte  dévàUféc.  Ces  letttesiônt 
fiâives  \  mais  s'il  étoit  permis  de  lever  pat 
'  fimple  curiofité  les  cachets  ^  &  de  parcou- 
rir coûte  la  correfpondance  d'un  lèul  jour^ 
•  Dieu  !  que  de  chofes  curieufes  &  intér^^ 
^  tes  k  lire  !  La  certitude  que  ces  lettres  n'ont 
'  été  écrites  que  pour  une  feule  perfonne  ^  que 
Tame  s'eft  épanchée  eti  liberté ,  fonneroic  des 
contraftes  finguliers  &  une  leâure  unique  ; 
jamais  l'imagination  d'un  auteur  ne  procniin 
rien  qui  en  approche  ;  la  détreflè ,  1  infortu- 
.'  ne ,  la  mifere ,  Famour  ,  la  jalouCe  ,  l'or- 
^  gueil  donneroient  des  tableaux  variés ,  pi« 

Suants  ;  &  comme  on  ne  pourroit  douter 
e  la  réalité ,  Fintérêt  deviendroit  plus  yif. 
Quel  plàifîr  de  voir  k  nu  le  Ayle  de  f  hom- 
me d'af&ires ,  du  marquis ,  de  la  coiirrîfan- 
ne ,  de  la  jeune  fille  amoureufe ,  de  Thabitûé 
;  de  paroîflè ,  de  l'emprunteur ,  du  tartuâ^  dans 
toutes  les  claflès  !  Que  ne  doimêroit-on  pas 
pour  les  lettres  originales  d'un  Defnies ,  pour 
tenir  tel  tîUet  de  tel  homme  célèbre ,  dans 
telle  circonftancè  de  fa  vie  !  Les  gens  de 
lettres  en  trouveroient  de  très4>îen  écrites  ;. 
les  pbilofophes  feroient  de  nouvelles  décou- 
vertesfur  le  cœur  huriiam  ,  &  les  gramai- 
riens yerroîent  que,  fur  cent  lettréis ,'  qdlatre^ 
vingt  n'ont  pas  Fombre  d'^^rthograpfae  ;  niak 
qrfen  général ,  celles  qui  pèchent  par  c6  dé- 
&ut ,  ont  plus  d'efprit  &  de  naturel  que  tes 
autres  :  ai^  font^cUes  icriteç  pour  lï  plupart 


D  E    p  A  ».  I  s:  167 

})ar  des  feranies.  Et  parmi  les  hommes , 
pour  ne  pa^  dirô  parmi  les  autetits^  ceux  qui 
igQoreixt  ceitain^-  règles  gramimaticales  ^ 
$  eiçp9met)t  ayac  plus.de  grâce ,  de  liberté 
&  de  force.  Or  ^  rëfléçhiflèz  donc  1^-deiIùs  9 
froidi V  P^^^"^  '^  v^xàéth  écrivains^  qui 
(avez  ou  ue  favez  pas  ^la  grammaire. 

Uîmpreflîon  fidelle  de  toutes  ces  lettres 
fetoit^ un  monument. bien  curieux;  mais  il 
îi*eft  pas  licite  de  le  defirer  ,  car  rien  a'au* 
torîl^  àiJçfer  de  cette  maùiere  la .  confiarice 
publique. 

...  Cettç  pedte-poftç a  été. réunie  à  la  gran- 
de ,  parce  qu'il  eil  dit  qiie  tous  les  établidè*^ 
mehts  en  France  appartiendront  fùcceffivc^ 
ment  à  4es  régies  ou  à  dssf£rmiers  ixclujîlfs^ 


CHAPITRE    CCXCVII. 

.'::       :.  Débiteurs* 


V|^u'il-^  doux  ,  qu'il  «ftyîgréable  de  payjwr 
..^ivfesf.créancîers  jjjn  dit  J^ittjetpn  ,  auteilt 
Anglois. 

rjl  paroi^.(|uf>.la:^%isfaâJon  que  donne  le 
pfijgmenr'rdç  ^^ij^^ttes^rt^^^  moins  no9 
)ffif^if^*lgff^^i  japiâis  ils  net  prennent  de 
igpfi^  fi^r  J^>çh4çitFe  de  leurs  oUigar ^ons  4 
^r&â  fçiQi  un;&]et  de  pïaifante^ie  v  ils  difenfi 


i68  T  A  B  1  £  A  :xr 

très  *  férieufement  k  but  homme  d'afiaîies 
xes  mots  iie  là  comédie  :  Dites  à  mes  créan^ 
ciers  que  je  -m'exécute  incejpimmétit ,  -•que 
je  me  marie  ^Ù  qiuJiUs  Me  f/tc^tàHt]^  jjt 
rejierai ga'rçom       «'-»-  '    -^     Avl.-:^ 

On'devroicpKflèr  (ibvattege  le  déUteui^ 
il  y  en  aurok  moins  ^  car  ce  n^eft  pas^  te  vi- 
jritablè  nécefTiteux  (]ui  empninte  ,  ir^eft  lé  pro- 
digue 9  le  fou  9  l'iniènfé ,  le  libetttn, le  dif& 
pateur. 

Le^créancier  eft  toujours mahraitépar  h 
loi  :  ce  qui  rend  hardi  le  frippon  ,  <&  mine 
2'honnéte  homme.  Il  "n'y  a  point  aflèz  de 
févétité  ;  on  ilude  fi  facilement  la  prilbn  , 
les loix  civiles  font iî lâches, jqu'elles  n'inf- 
pîrént  plus  le  moindre  efinn^  la  proprîà6 
en  eft  bleflee ,  &  le  commerce  gêné.  On 
voit  naître  une  foule  d'achettui^  intrépides  ^ 
qui ,  prévoyant  la  molleflè  des  loix ,  ^''aflÎH 
içnt  a  avance  dç  ce  qu'elles  n'ont  pas  futCôe- 
ièrver  aux  préteurs.  . 

Il  faudroit  imprimer  une  forte  d'infstfnîeX  | 
^  tout  débiteur  infidèle.  N'eft-il  pas  hpnteui^   \(j 
dé' ne  j$as  payer  fon  taîiUeur ,  Ton  triût^^ 
fysk  tapifïîer  -èc^fen  boucW  î  On  piaié^tien 
les  dettes  du  jeu  \  pourquoi  ?  Parce  qrfon'ne 
feroit  plus  adniîs  dans  la-fodété.  Il  'Càpk 
facile  k  des  hix'fhsî^Ç^ni^ii^^ 
ves ,  de  forcer  lés  débiteur8^aoq[UKtl^^ 
de  leurs  obligations  ;  c'eft  phl&rja  nÀaov^ifflfe 
Volonté  que  rirhpuiflance;^  ^qiii  ^  reAile  dev^aflt; 
les  enjgagem^nts  les  plus  foiemnelsu 


n  E.    Paris.  ^6f 

Plus  un  débiteur  eft  riche ,  moins  il  paie  ; 
H  défend  aVec'^  tae  partie  de  fon  or  j  autre 
poïtion  de  fon  opulence^  il  enveloppe  fon 
créfancîér^de  tous- les  embarfasde-laprocé* 
dure  ,.  il  le  jette  dans  les  détours  de  la  chi- 
cane ;  &  à  forceàfe  reculer  l'époque  du  paie- 
ment ,  il  laflè  &  fatigue  fon  adv erfaire ,  quîr 
Jûf  abandonne  enfin  hc  moitié  ou  les  trois 
quarts  de  ù.  créance.  • 

'    J'ai  dit ,  je  crois ,  que  les  jeunes  gens ,  if 
y  a  quarante  ans ,  aimoîent  le  fracas  &  le^ 
(Carillon,  &  queprefque  toutes  les  nuits  ils 
fe  faifoient  une  gloire  mîférable  de  caflèr  des 
lanternes ,  ou  d^àttaquer  les  foldacs  du  guet. 
Fàî  dit  que  ces*  abus  avoîent  été  févérement 
réprimés  comme  ils  dévoient  l'être.  Aujour- 
d'hui nos  élégants ,  moins  bruyants  &  plui 
Eerfides  fe  vanteat  d'avoir  des  dettes  ,  par-- 
»nt  du  bijoutier,  du  marchand  de  chevaux  ,> 
du  carroffier  ,  du  marchand  de  foie ,  qui  lesi 
pourfuivent  k  toute  outrance  ,  les  appellenr 
des  impertinents  &  des  dréîés  ;  ils  plaifan- 
terit  enfin  fiir  la  vifite  dès  huiflîers  ;  &  tirant 
de  leur  poche  un  amas  d'exploits  ,  ils  les' 
teûlent  lentement  à  la  cheminée  tout  en  fe* 
Contemplant  au  miroir. 
.    Et  que  dirions  -  nous  ,  G  nous  le  vou-- 
Bôns,  du  débiteur  fimulé  qui  fait  banque-" 
roiite  pour  un*  grand  fèignetir^  là  face  du' 
public  ?  Mais  nous  fommes- nous  engagés 
ktotiir  dire-?,  npmv 

M  3 


170  Tableau 


I-. 


■^j 


Chapitre    ccxcvjit 

ObjcSions. 

V^ue  veut  dire  cet  txagcratcur ,  et  pcïntH 

outré  y  cet  homme  chagrin  ,  qui  voir 

tout  en  noir ,  qui  a  déjà  fait  trois  volumes 

f)our  médire  de  Paris,  centre  des  voluptés 
es  plus  exquifes  ?  Je  foutiens  moi ,  contré 
lui ,  que  l'art  d'exîfter  librement  ne  fe  trouve 


tion  moi.  Ne  faut-il  pas  que  les  riches  jouiÇ 
£bnt  de  leur  opulence  ?  Ne  faut-il  pas  des 
plaifirs  variés  à  l*homme  ?  Y  en  a-t-il  dé)& 
trop  ?  Ne  lui  faut-il  pas  des  vices  ?  N'entrent- 
ils  pas  dans  la  compontion  intime  de  fbn 

être  ?  Ne  font -ils  pas Je  m'entends* 

QueUes  couleurs  donnez- vous  donc,  mai^^ 
vais  fermonneur  ,  à  cette  cité  fuperbe  & 
riante ,  où  Ton  vît  h  fon  gré  ?  Tout  vous 
ef&rouche ,  vous  épouvante  en  elle ,  jufqu'^ 
fon  immenfe  population  qui  me  réjouit  fort  ;. 
&  ne  faut-il  pas  que  la  capitale  d'un  grand 
royaume  foit  extrêmement  peuplée  ?  Les  pau- 
vres travaillent  :  il  le  faut  bien  ,  puîfqu'ils 
font  pauvres  i  &  je  jouis  moi ,  parce  que  je^ 


DE    Par  I  s. .        171 

fais  riche.  Si  j'ctoi>né  pauvre ,  je  feroîs  alors  . 
pour  le  rîçhe   ce  que  le  pauvre  fait  pour  - 
moi.  Les  billets  de  la  loterie  humaine  ne 
fauroîent  être  égaux,;  il  y  a  des  perdants  &  ; 
des  gagnants. . 

Hors  de  Paris  point  de  falut  !  Que  me- 
parlez -vous  de  liberté  ?  Ceit  un  mot  vuide  * 
de  fens,  comme  tant  d'autres  que  les  en- 
tlioufiaftes  prononcent.  NTai- Je  pas  la  liberté 
de  me  livrer  à  toutes  mc5,  fantaifies  î  Que 
faut-il  de  plus  ? 

Paris  erf  un  pays  délicieux  pour  quicon- 
que cherche  à  jouir ,  &  non  à  penfer  \  & 
quoi  de  plus  trifte  que  de  penfçr?  que  font  . 
les  plus  fubllmes  penfées?  Je  vous  le  deman- 
de. Quand  j'ai  payé  ma  capitation ,  tout  le .  • 
pavé  du  roi  m'appartient  ;  je  le  broîe  à 
nion  gré,  pour  voler  précipitamment  à  mes 
plaifirs. 

Si  j'ai  une  rixe  avec  un  homme  du  peu-  .. 
plç  qui  retarde  ma  coiirfe,  &  que  je  leroflc  r 
un  peu  vivement  pour  lui  apprendre  à  ref- 
peâer  un  riche  de  ma  qualité:  ;  fi  fa  fille  > 
m'a  plu ,  puis  m'a  déplu  huit  jours  après  ^ 
je  me  tire  d'af&ires  avec  iin  peu  d'argent. 
Je  ne  me  mêle  point  des  amiirc^  d'état  ^ 
&  que  rii'impprte  Ja  manœuvre  ?  Je  fuis  ;. 
paflager  dans  le  vaiflèau ,  je  ne  veux  pas   ; 
gouverner  le  gouvernement  Oh^  DieM  m'en  ; 
garde  !  Qu'ils  s'en  tirent  ceux  qui  tn  ont  pris    : 
îei^  rênes  ;  .jjadrnirç  Iciu?  intrépidité..  J'aurois^  <. 

M  ^,,.. 


138  T   A   B   LE   A  V 

O  braves  Anglois  !  peufde  généreux  y  étrin» 
ger  à  notre  fi^vitude  iionteufe  ,  confervez 
avec  (bin  parmi  vdusiâ  liberté  de  lavpreflè; 
elle  efi  le  gage  de  voue  liberté.  Vous  reprë» 
fentez  aujourd'hui  pre(^  feuk  podr  le  genre 
buniain^  vous  foutenez  la  dignité  du  nona^ 
^'homme.  Les  foudres  qui  frappentr  Torgueil 
&  Pinfolence  du  pouvoir  arbitraire  9  partent 
du  noble  (ein  de  votre  kle  fortunée.  La  rai- 
fon  humaine  a  trouvé  dhez  vous  utiafyie 
d'où  el|e  peut  inflruire  Tunivers. 

Quand  les  opprefliurs  croiront  tmpo(èr 
Glence  k  la  terre ,  &  la  dévorer  iàns  <pfeDe 
o(è  gémir  ,  leurs  perfides  projets  feront  éclair 
rés^dans  toutes  leurs  profondeurs ,  leurs  fronts 
feront  dcàtrif^  des  foudres  fàcrés  de  la  vé- 
rité :  fopprdbre  les  (àifira  pour  les  vouer 
au  mépris  &  à  l'exécration  ae  la  race  pré* 
lente  oc  future. 

O  btaves  Anglois  !  vos  Kvres  ne  font  pas 
fournis  au  mandat  de  M.  Le  Camus  dt  Né^ 
ville  ;  &  il  &udroit  un  long  conmientaire 
pour  vous  expliquer  de  quelle  manière  mon» 
feigneur  le  garde  des  fceaux ,  ou  monfèi- 

Îjneur  le  chancelier  de  France ,  quand  il  a 
es  Iceaux ,  ou  monfcigneur  le  vice-chance- 
lier  ,  permet  ^fin  k  une  mîhce  brochure 
qu'on  ne  lira  pas ,  d'être  étalée  &  invendue 
lùr  le  quai  de  Gêvres. 

Nous  fommes  fi  ridicules  8c  fi  petits  de- 
vant vous  9  que  vous  auriez  pD&ine  à  com« 


^l3 
©    E      P  A   K  I  S.  3.3J 

prendre  Fexcès  de  notre  foibleflè  Scdeno- 
itre  humiliation  (i). 

Au  refte ,  cette  gêne  Fait  un  -tort  confîdé* 
rable  à  la  .capitale ,  &  l'étranger  en  profite. 
La  graphomanic  a  un  côté  ridicule ,  mais 
-elle  fait  fubGfter  diverfes  profefHons.  La  moiw 
tagne'  Sainte- Geneviève  eft  peuplée  de  col- 
porteurs 9  de  bracheurs  9  de  relieurs ,  &c. 
qui  mourroient  de  faim  Fans  le  gros  com- 
jmerce  de  la  librairie*  Ce  trafic  n'a  rien  de 
préjudiciable  à  la  fociété.  Les  anciens  écri- 
vains autant  que  nous ,  &  avoient  la  même 
démangeaifon  de  publier  leurs>écrits.  Ceft 
•un  befoin  que  nous  Fatisferons  toujours  en 
donnant  notre  argent  aux  prellès  hollandoi- 
fes ,  aMemandes ,  flamandes  de  genevoifes. 


•  CHAPITRE      CCXCVL 

La  petite  Pojlc 

Oon  auteur,  Chamouflèt,  avoit  conçu  deux 
cents  projets  dedifërentes  efpeces ,  tous  rela* 
tifs  au  bien  public  :  celui -là  Feula  pu  étro 
isxécuté ,  mais  très-tatd;  car  les  hommes  en 

(i)  Il  y  eut  jadis  un  édlc  du  roi  qui  défen- 
doit  au  profeffeur  Ramus  de  lire  fts  propws  mi^ 
vtagcs» 


274  T  A  B  L  E  A  ir 

roit  vainement  le  tour  du  globe  pour  rea^ 
contrer  des  aventures  au(fi  plaîfàntes  ,  auffi 
rares ,  auffi  fîngulieres  ;  des  beautés  très-» 
aulteres  dafiS  un  cpuH-ticr^'.vtius  les  xioavtret 
voluptueufement  éiciles  àuis  un  autre. 

Audi  ne  vous  étonnex  pas  de  notre 'efprit^ 
Af.  rhumorijic.  Que  de  goûts  ,  de  fenrir- 
ments  ^  dappcfcevances  fines ,  de  vues  neu^ 
ves ,  difliuguent  un  -.  homme  de  la  capitale 
d'un  gros  campagnard  qui  ne  vit  qu'à  trente 
lieues  de  nous  f  II  eft  d'une  autre  efpece  a& 
'forëment  :  ce  n'eft  phis  notre  compatriote  $ 
peut-il  nous  fîiîvie ,  nous  entendre  ?  Voyez^ 
le  bouche  t>eame,  œil  etonnë  !  Il  croik  au 
bonheur  ^  tandis  qu'il  n'y  a  de  réel  au  monde 
que  le  plaiGc •;  cVfft  ia^  rhonnoîe  courante  de 
la  félicité  humaine ,  &  lesgroflès  pièces  n'ap» 
partiennent  à  per(bnne  ici  -  bas.  Je  ne  veqx 
point  du  bonhcfur  nioiX)tane  des  champs  : 
c'eft  le  primicr  des  plaifirs  injîpidcs ,  difbir 
Voltaire  ;  je  veux  frîfer  les  fuperficies,  &  je 
m'anéte  aux  voluptés ,  tov. jours  exquifes  quand 
elles  font  variées.  Or  ,  où  trouverai-je  mieux 
que  dans  Paris  ?  ^ 

Je  fuis  à  tout  fans  peine  &  fans  gène.  Si 
je  fais  couper  un  habit  chez  mon  tailleur , 
eh  bien ,  autant  vaut -il  prendre  la  couleuf 
du  jour  ,  caca-dauphin  que  pnitu^monficur. 
Ceft  une  (ùprême  folie, vous  ccrierez-vous; 
mais  tout  le  monde  \  la  cour  eft  ainfi ,  il  n'y 
a  point  de  réponfe  à  cela.  Il  ne  faut  jamais 


DE  -  P  A  R  I  S.  .  ^7t^ 

difôuter  des  goûts  tii  des  couleurs.  Je  quitte 
mop  habit  opcra-brûlc,  mon  frac  tijbn  , 
&;  Je  m'habille  ce  foir  en  caca-dai^phin  , 
d'après  l'échantillon  véritable  &  reconnu. 
Je  (aurai  bien  diftinguer  les  nuances,  &  je  ;r 
dirai  alors  tout  cpmme  an  grand  Tcigneur^,  ^ 
cen  cft  ^  ce  rien  cjl  pas. 

Allez  ^monfieur  le  mUanthrope  ;  il  y  a  ^ 
df$  chofes  très-profondes  fous  l'habit  çaca'^    . 
dauphin.  Je  le  porte  en  triomphe  aux  trois    , 
(pcàacles,  &  je  m'en  ferai  gloire  ;  car  ap-    - 
prenez  que  je  ne  veux  point  m'écarter  de  la    , 
plus  légère  nuance  des  modes  régnantes,  ni    . 
de. la  capitale  &  de  VerfàllFes ,  d'une  lieue  . 
feulement.  Hors  de  la ,  Hottentots ,  Caffres , 
Efquimaux ,  peuplades  barbares  6ç  (ans,  goût^ 
je  vous  le  certifie. 

Que  répondre  à  ces  adiiiirables  objecr^ 
tiops  ?  Rien..  Continuons. 


•    .  t 


G,H  A  P  ï  T  R,E     CeXClX. 

jitmanaçk  Royaifi  :'. 


f*.     «r 


JU  at  prè»  dW  fiéde.  H  îndiqat.  Té^iûcnce 
des  dieux  de  la  terre.,  des  npLÎniûres,,,des 
hommes  en  place ,  des  maréchaux  de  France,' 
d^  premiers  magiftrats ,  &c;  Il  marque  leur 
dftoil^fc  , je  jour  &.  HïeQre  oi\  il  eft  pernai?^ 

M.4 


Xj6  T  A.  B  L  £  A  Ut 

de  les  aborder  &  de  brûler  Tencem  dans 
leur  anti-chambre.  Tous  les  favoris  de  la 
fortune  font  infcrits.  dans  ce  livre ,  &  les 
moindres  ofciilations  de  là  roue  y  font  mar? 
quées.  Ceux  cfiiSe  (ont  jetés  dam  les  routes 
àç  Fambition,  étudient  Talmaxiachrc^al  avec 
une  attention  fërieuiè^. 

Oh  y  lit  depuis  le  nom  dès  priJDces  îuf- 
qu*k  ceux  des  huiflias  audienciers  du  Châ^r 
^let.  Malheur  k  qui.n'eft  pas  dans ^ce  livre  1 
Il  n'a  ni  rang,  ni  charge ^ nr  titre ,  ni  enir 
ploiv  Heureux  les  gros  aéciniateuis  \  ils  font 
encore  plus. riches  cpe  ne  le  dit  l'almanach^ 

Que  de  noms  divers  font  renferrpés  fous 
là  même  couverture  !  Le  greSiei:  ne  tient  pask 

5'  lus  de  place  que  le  pjréudent  ^  ni  Fexempc 
!è  robe  courte  que  le  gentilhomme,  de  1^ 
chambre. .  Ceft  piefque  Pimage  de  ce  qu'ils 
feront  un  jour  dans  le  tombeau. 

On  y  voit  la  Me  des  confeîUers  du  roi , 
^i  n'ont  jamais  confeillé  le  monarque ,  Sà. 
îjurne  lui- parleront  jamais;  la  lifte  dès  fe- 
crétaires  du  roi ,  qui  n  ont-  jamais  écrit  une 
panfi  éHà  (bus  la  dîâée. 

Plus  d'une' belle  confulte  j'ajmanach  royal , 
pour  voir  (î  fon  amant  eft  lieutenant  ou  bri? 
gadier  ,  confeîHer  ou  préfident,  agent  de 
change  ou  banquier.  Le  nom  d'un  fecrétaire^ 
de  minîilre  Ce  grave  bien  plus  avant  dans  la* 
Xîiémoîre  que  celui  d'un  académicien ,,  & 

IQut  le  monde  acheté  cet  ahnanach.  poux 


HE     P  A  IL  I   S.  %'JJ 

{avoir  au  jufte  à  quoi  s'en  tenir.  L'un  tombe , 
&  l'autre  s'élève  \  les  noms  culbutés  font  com- 
me des  noms  décédés  :  plus  de  confidération 
pour  ceux  que  Plutus  ouThémisont  challes 
de  leurs  temples. 

Une  fameuft  courtifanne  avoit  chez  elle 
un  almanach,  royal.  Quand,  il  arrivoît  quel-»- 
qu'un,  il  falloit  qu'il  lui  montrât  fon  nom  ; 
s'il  n'y  étoit  pas.,  elle,  jugeoît  ce  vulgaire 
mortel  indigne  de  fe&;  faveurs ,  &.  dès-lor» 
fa  porte  lui  étoit  ferméoé 

Fontenelle  difoit  que  c*étoic  le  livre  qdi 
contenoic  le  plus  de  vérités. 

Que  de  réflexiosks  (Hv  fait  en  parcourant 
cet  almanach  !  On  fiémit,  quand  on  voit 
(eize  colotines  en  petit  caraûere ,  chargées 
de  noms  de  procureurs ,  loifqu  ott  fuit  b 
lifte  de  deux  cents  médecins ,  de  cent  cin.- 

2uante  apothicaires ,  (ans  compter  les  huif- 
ers  exploitants.  On  lè  perd  dans  le  nom- 
breux domeftique  de  la  maifon  des  princes» 
Quelle  valetaille  fous  tant  de  noms  divers^ 
&  qui  cherchent  à  parer  leur  fèrvitude  !  . 

Plus  bas  vous  verrez  conibien  le  public 
entretient  de  notaires,  d'avocats,  de  gref- 
fiers ,  Se  autres  gens  de  plume.  Il  faut  que 
tout  cela  vive.^  Quel  régiment  dçvorateut  ! 

Calculez  enfuite  combien  de  mille  livres 
chaque  évêché  enlevé  tous  les  ans  a  la  terre 
&  aux  pauvres  cultîvateuis ,  les  fommes  im^ 
xoieufes  que  coûtent  les  fucceûcura  des  humr 


±7$  Tableau 

Wes  apôtres  ;  vous  ferez  vraiment  effrayé  ;•  ^ 
on  ne  Tefl  pas  moins  lorCqu  on  monte  aux 
daflès  fupérieures  :  ces  perfonnagcs  n'oât  que  . 
des  titres  qui  annoncent  Toifivc^,  &  tout  > 
For  de  la  nation  les  couvre.  Que  de  bou-  , 
ches  fucent  &  rongent  le  corps  politique  !  • 
Ceftle  catalogue  des  vampires* 

Ceux  qu'on  voit  fur  cet  almanach  nç  font  y 
111  cultivateurs ,  ni  commerçants ,  ni  arti-  . 
(ans ,  ni  artiftes ,  &  c'eft  néanmoirjs  la,  par-.  . 
tie  de  la  nation  qui  régit  entièrement  Fautre. 
Anéantiflèz  en  idée  tous  ces  noms ,  la  na-  . 
tîon  ne  fubfifteroît-elle  pas  encore?,. .  •  • .  . 
Oh  !  très-bien  ,  je  vous  1  aflùre. 

Cet  almanach  rapporte  près  de  quarante'  .. 
mille  francs  par  année.  Jamais  V Iliade  pi   '- 
YEjprit  des  loix  n*bnt  rapporté  autant  à  leurs    . 
îiiiprimeurs.  Homère  eût- il  imaginé  qu*orî 
împrimeroit  tant  de  noms  dévoués  à  mourir 
dans  la  plus  profonde  obfcurîté,  malgré  le 
titre  qui  (èmbloit  devoir  les  protéger  contre 
le  néant  ? .  . .  Que  Je  crains  que  l*almanach< 
préfènt  &  tout  entier  n*y  defcende  avant  la 
révolution  du  fiecle  !  Voyez  les  almanachs 
précédents    depuis  1699  ,  &  comptez  les 
noms  qui  furvivent;  comptez ,  vous,  dîs-jc  ^ 
par  curiofité ,  ou  par  (péculation^ 


i)  E    Paris.  a^y^ 


C  H  A  P  I  T  R  E    ÇCa 

Mercure  de  France. 

\^ui  fait  les  énigmes ,  les  logogryphes ,  qui; 

*  ;  abondent  au  Mercure  de  France  ?  Les 
oiijfs  ,qpi  s'ennuîenr  dans  les  châteaux  foli^ 
taires  de  province.  Qui  îak  cette  foule  de 
vers  innocents  ?  Des  contemplatifs  amou^ 
reux ,  qui  fe  croient  obligés  en  confcience 
de  célébrer  les  charmes  de  leur  niaitreflè , 
&  de  faire  enregiftrer  leurs  foupirs  au  Mer- 
cure de  France.  Mais  les  mauvais  vers,, 
a  dit  ,  Voltaire  ,  font  les  beaux  jours  des 
amants.  Heureux  les  mauvais  poètes  I  Ainfî 
la  rîmaillerîe  &  l'amour  marcheront  fouvent 
de  front,  &  le  Mercure  fera  le  confiant  dé- 
poiitaire  de  toutes  les  tendreflès  provinciales 
qui  s'exprimeront  en  fiances  langoureufes^ 
ou  en  galatits  madrigaux. 

Ces  vers  font  envoyés  par  la  pofte  ;  les 
paquets  font  affranchis  :  bonne  précaution  ! 
Voilà  déjà  la  pofle  qui  y  gagne  quelque 
chofe;  &  certes  tous  les  vers  quelle  colporte 
ne  valent  pas  l'argent  qu'elle  en  reçoit;  1» 
tégifFeur  8c  tous  les  commis  feront  de  mon 
avis.  Tout  rimeur  ettime  qu  en  verfifîant  il 
U  feu  un  nom  dans  ce  Ùvret  bleu«  Vun 


lia  T  A  B  t  &  A  ir* 

cherche  à  louer  (a  petite  ville ,  &  Fautre  (a 
pexibnne-v  chacun  s'empieflè  k  donner  dës' 
titres^  à  les  annoncer  à  Funivers.  L'un  nous 
apprend  qu'il  efl  avocat  ou  procarésr  âcal^ . 
Fautre ,  qu'il  eft  gendarme  ou  offiden 

Le  commis  ,  d'une  main  in^fierente , 
ouvre  les  paquets  qui.à  chaque  Courier  tom->- 
bent  fia' km  bureau  &  sV  amoncelent.  A,  la 
naiflànee-  d'un-  prnice  y  la  gréle  redoubb y 
les  cartons  dâb^ènt.  Chain(bns,  madri- 
gaux^ épitres,  fiances, -ficc.  pleuvent^  &1e^ 
commis  laflë  ne  (è  donne  plus  la  peine  de"* 
btifer  les  cachets.  Ceft  Phomme  le  plus  fà-  - 
tigué  devers  quiexifte^  ficquî  doîtk  pW» 
lés  dctefter.  Il  entaflè  &  enlèvelk  toutes  cer; 
pièces  dans  d'ehomies  cartons,  oh-elles  dor«' 
ment,  en- attendant  qu'on  en- pèche  une  au- 
befoin.  jMblfieur  k  ceDe  qui  eft  trop  longue^ 
.ou  trop  courte  pour  la  page  qu'ob  veut  rem-- 
plir  !  Fût-elle  excellente,  on  la  rejette  pour* 
choifir  celle  qui  s'ajufte  précifément  à  Fefpace  .- 
vwde^ 

Le  poëté  de  province  s'imagine  qtfoir 
admiré  fa  prodi^îon  ,  qu'on  s'èmpreflè  à  • 
Fîmprîmer,  &  elle  eft  encore  au  fond  de^ 
la  boîte  du  eoinmiis.  Il  attend  avec  impa- 
tience le  Mercure,  il  l'ouvre  d'une  main^ 
Jttcdpîtée  &'  tremblante,  il  cherche;  &  ne 
à  voyant  pas ,  il  croit  plutôt  à  l'infidélité  dcr 
la  pofte  qu'au  dédain  de  fes  juges.  ' 

Il  faut  lire  cent  pièces  pour  c»  trouver 


'  » 


B  K     P  A   R.  I  s.  281 

iitie  paflàble  ;  c'eft-à-dire  ^  qui  ne  contîen- 
ncnt  pas  des  fautes  grofliefres.  On  n'imagine 
pas  à  quel  degré  de  ridicule  6c  de  platitude 
certains  rimeurs  de  je  ne  fais,  quel  pays  ont 
fait  defcendre  la  verufication.  Paix  6c  repos 
aux  bonnes  âmes  qui  compofent  ce  déluge 
de  vers  &  de  ^otè  faftidieufe  !  Mais  rien 
ne  prouve  mieux  combien  Tennuî  ou  l'amour 
régnent  en  France  ,  puifqu'on  y  verfifie  (î 
prodigieufement  pour  des  beautés  plus  belles 
fans  doute  que  les  écrits  qu'on  fait  en  leut 
honneur.. 

Quand  le  provincial  voit  par  hafard  fés 
vers  imprimés  &  fignés  de  fon  nom ,  alors 
il  treflàille  de  joie  ,  8c  dans  un  tranfport 
extatique, il  fe  dît:  en  ce  moment,  Paris, 
le  roi ,  la  cour  lifent  mon  madrigal ;^  &  mon 
nom.  devenu  célèbre  à^  jamais,  paflè  fous 
leurs  regards.  Qui  faitfi  le  roi- ou  le  i-fti- 
nîftre  ne  rêve  pas  fur  un  de  mes  vers  7  &  fî  ^ 
frappé  de  furpriiè  &  d'étonnement ,  il  ne 
me  defline  pas  quelque  emploi  !  Il  aflèmble 
fa  famille,  lui  montre  la  page  îmmortali- 
lante  qui  le  dillinguera  du  vulgaire;  le  vo^, 
lume  circule  dai>s  toutes  les  mains ,  depuis 
le  préfident  d'éleâion  jufq^'âu  notaire  ;  tous 
admirent  en  filence  l'ouvrage  &  le  nora 
burinés ,  &  font  intérieurement  jaloux. 

Anciennement  le  Mercure  dîftrîbuoît  des 
fadeurs  ^  il  devint  tout-à-coup  incivil  &  dur 
entre  ksmaûis  d'un  pédant.  Enfiûte  la  £&- 


iSi  Tableau 

chereflc  &  la  fottife  le  défigurèrent ,  &  Tart 
àxxfousligncur  fut  pris  pour  l'art  du  critique. 
On  eft  étonné  de  voir  des  écrivains  imber- 
bes ou  fans  nom,  jugeant  les  arts  avec  une 
emphafe  ridicule  ou  monotone ,  &•  Don*- 
Quichottesdu  bon  goûty.ieÇcntntt  pour  fa 
caufe  fans  le  connoitre.  Quelques  futiles  re- 
jnarques  ,  quelques  chicanes  minutieufès  » 
Toilà  tout  ce  qu^on  y  trouve.  Qh  ^  combiea 
de  petits  auteurs  ^  Pari^  font  habiles  k  diflèr-  . 
ter  fur  des  riens  ! 

Comme  c'eft  une  entreprife  mercantîlle  y 
&  Qfit  pluficurs  font  intérefl&  k  ce  qu'elle 
(bit  lucrative  à  caufe  des  pcnjîons  {  car,  qui.  : 
le  croiroit  î  d'honnêtes  gens  vivent  de  ces 
mauvais  vers  &  de  cette  fotte  profe  ) ,  on 
en  a  remis  le  brevet  au  fieur  Pankoukc^ 
non  imprimeur,  mais  libraire.  Il  foudoîe   . 
des  gagiftes  à  tant  la  feuille ,  &  cette  mifé- 
rabîe  rapfodie.va  toujours  fon  train^  Par  ; 
une  incroyable  &  vieille  habitude,  la  pro- 
vince foufcrît  &  foufcrira  pour  le  Mercure. 

On  fait  d'avance ,  d'après  le  nom  des.  , 
auteurs,  les  produéKons  qui  doivent  êtrepor- 
tées  aux  nues,  &  celles  qui  feront  pulvérîfées  ; 
fans  miféricorde.  Quelques   académiciens  , 
par  un  manège  adroit  &  clandeftîn ,  fe  font  » 
déifier  dans  le  Mercure  ;  on  a  vu  des  auteurs 
ne  point  rougir  de  faire  leurs  propres  ex* 
traits ,  &  fe  donner  des  louanges  fans  pu-   . 
deur  ;  d'autres  fe  font  louer  par  la  main  de 
leurs  amis. 


B  E    Paris.  x8} 

Guillaume  ^Thomas  Raynal,  depuis  fi 
juftenient  célèbre  par  THiftoire  philofophi* 
que  &  politique  des  deux  Indes ,  ëtoit  au^ 
teur  du  Mercure  en  1 75 1 ,  Il  y  a  loin  de  la 
platitude  de  cet  .infîpide  journal  aux  idées 
de  cette  admirable  niftoire.  > 

M.  Fankouke  (  car  ici  il  eft  auteur  & 
n'eft  plus  libraire  ;  a  fait  dans  le  Mercure 
un  difcouîs  jur  h  beau.  Savez-vous  ce  que 
c'eft  que  le  beau  ?  Ecoutez  M.  Pankouke.  Il 
établit  d'abord  que  h  beau  ejl  immuable  & 
le  même  pour  tQutes  les  nations^  Cela  vous 
étonne  un  peu ,  ledeiu:  :  vous  verrez  où  il  en 
veut  venir.  Il  profcrit  de  (à  pleine  autorité 
le  beau  relatifs  le  beau  arbitraire  ^  comme. 
rCexiflant  pas.  M.  Pankouke  a  fes  raifons 
particulières  :  attendez.  Après  avoir,  décidé 
que  le  beau  efi  fixe  &  immuable ,  il  fe  de« 
mande  qui  en  feront  tes  juges.  Il  répond  : 
Ceux  qui  vivent  dans  une  nation  éclairée  y 
ceux  qui  dans  cette  nation  jbnt  nés  avec 
un  goût  jur ,  qui  fe  rapprochent  le  plus 
du  centre  du  goût  :  or  quel  eft  ce  centre  où 
Tauteur  vouloit  nous  conduire  ?  La  fiyciété 
qui  a  le  droit  de  prononcer  Jur  le  beau  dans 
tous  les  genres.  Et  quelle  ell  cette  fociété  \ 
Celle  qui  renferme  les  gens  qui  travaillent 
pour  le  premier  journal  de  Funivers ,  avoué 
des  gens  de  goût  &  des  penfîonnaîres  ;  les 
gagiftes  ^  les  collaborateurs  faits  pour  parler 
du  beau  6xe ,  &  qui  en  ont  le  thermomètre 


a84  Tableau 

D'où  il  réfulte  évidemment  que  ce  qui  eft 
beau  immuablement  ^  e^efl  ce  qui  s^in^rime 
quatre  fois  par  mois  dans  k  Metcure-Pan* 
kouke  :  quod  erat  demonftrandtmu 
'  Voila  ce  qu'on  imprime  ^  Paris^-St  ce 
qu*on  diftribue  à  l'hôtel  de  Thon.  O  Suher^f 
&  ton  nom  eft  ignoré  de  cette  courbe  mer« 
oantille  6c  pro&iie  qui  écrit  intrq)idem<- 
ment  fur  les  arts ,  &  dont  la  plume  feche  & 
foible  les  rabaiflè  au  plus  étrok  horizon.  Qu'il 
eft  mefquin  ce  livret  bleu  dcdié  au  roi ,  Sc 
cp'on  nous  annonçoit  comme  devant  étce 
l'ouvrage  des  hommes  de  lettres  les  pti^ 
diftingués  !  Rien  de  plus  aride  que  l'elprit 
en  corps  de  ces  Mercuiiens* 

Au  refie,  on  n'a  voulu  parier  dans  ce 
ehapitre  que  de  la  partie  littéraire^  la  partie 
politique  étant  fous  la  main  aUblue  du  mi-i- 
niftere ,  les  faits ,  les  idées  &  les  expreffion^ 
font,  déterminés  d'avance:  c'eft  néanmoins 
cette  panie  politique  qui  foutient  encore  b. 
malheurcufe  partie  littéraire. 


»E      P  A«.  1  8.  185 


C  H  A  P  î  Ta  î:    C  C  Gi 

Auteurs  nés  à  Paris. 

Jl  aris  a  fourm.-à  Ja  lltténture  préCyie  antani 
de  grands  hommes  .^ue  tout  le  refie  du 
royaume. 

,  Je  vais  les  dénombrer  autant  i^e  ma  më- 
lïioire  le  permettra ,  &  par  ordre  alphabé- 
tique ;  car  je  .Qe  donne  pas  ici  les  rangs  ni 
les  places ,  k  l^nftar  des  régents  de^oolfege^ 
ou  de  MM.  les. journaliftes,  /ari/èz/rf  du  mé> 
iite  des  vivants.  Voici  ma  Hfte.  MM.  d^A* 
Umbcrt  ^  célèbre  géomètre  &  littérateur  di& 
tingué.^^rzo/2/{?/z^,habile  machinifte.^myoi/^ 

frand-aumônier  de  France  &  célèbre  ti:a« 
uâeur.  AnqueHl ,  l'hiftorien^de  la  Kgue  & 
Tauteur  de  rintrigtie  du  ::cablnet  ^  ot  (on 
frère ,  <|ui  a  voyagé  dans  Ips  Jndes  orienta- 
les. Anfiaunu  y  auteur  de.  plufîeursr  pièces  de 
théâtre.  Arnaud  d'Andiliy ,  fame^t  paria 
plaidoierié  .contre  les  Jé(uites,  &  par  (bn 
excellente  eraduâion  de  •  Jofephe«  Antoine 
^imaud^y  un  de  nos  grands^  féconds  & 
inutiles  écrivains,  ^açulard  d'Arnaud^  aih 
teur  de  Comtninge^  $2-  4'£uphémie  ^  dpn^ 
J^Sélanie  neft  qu  une  copie*  Bailli  ,  qui  a. 
éràt.JGiu:  j'aiOironQxnîe  6c  rêvé  fur  le  peuple 


l86  T  A  B  L  r  A  u 

inconnu.  Le  Beau  ,  fecrétaire  de  Tacadé- 
mie  des  belles -lettres,  auteur  de  rHiftoirè 
du  lias -Empire.  Caron  de  Beaumarchms^ 
Ëinieiis.vpar  Tes  ixiémbifes  fi  fupéâ^^irs.JÉ  fes 
autres  écrits.  Bellin ,  ingénieur  de  la  marine^ 
auteur  jde  l'Hydrographie  fhui^oi&«  Madame 
Belot,  quia  traduit  de  Tanglois  avec  quelque 
(uccès  ,  aujourd'hui  Madame  la  préàdentè 
Meyniere.  Du  Bellay ,  auteur  du  Siège  dt 
Calais^  tragédie  que  ,  dès  (on  origine,  It 
Tent  de  la  coor  a  fait  voguer  à  plemesToiles. 
Le  Blond  j<m  a  fait  Fartide  Jif rr  militain 
dans  TEticyctopédie.  BoiUàu,  le  pFemier  de 
nos  verfificateuFs.  Boindin.'  Boucher  dAr^^ 
gis ,  jufifconfiilte.  BougainuiUty  de  facadé- 
thie  fr^çbife ,  tm  (jui  a  traduit  P Anîi-Liiciece. 
J)e  Bmy ,  qui  a  écn  t  rhifloire.  Le  célèbre  Boù» 
langer  y  auteur  de  TAntiauîté  dévoilée ,  &  k 
qui  Ton  a  pris  beaucoup  d  idées.  De  Cayïus^ 
antiquaire^  CarraccioU^  auteur  des  Lettres 
fiaives  du  pape  Ganganel}i.  CaJJini  de  Thuri. 
facques  Cajftni,,  aitronome.  Champuffet^ 
écrivain  patriotique.  Le  Camus  ^  médecin.^ 
auteur  doué  diimagination.  La  Chaujjh*^ 
pbëte  ^amatique.  Clairaut,  de  facâdéini^ 
des  fciences.  Cochin,  garde  des  defEns  dn 
cabinet  du  roi.  Colle  ^  auteur  d«  chanfons., 
vaudevilles  ,  pièces  &  parades  fîngùUeres  !^ 
qui.  ont  un  ton  vraiment  original.  La  Con^ 
damine  ,  fameux  par  fon  voyage.  Contant 
fOrviUcy  auteur  fécond  8c  utile.  CrébiUûiê 


D  Ç      P  A   K.   I  S.  187 

fils ,  fî  connu  par  Ces  romans  pleins  d'efpriu 
Crevier ,  ancien  profefleur.  Daquin ,  fils  du 
célèbre  prganiûe.  Dionis  du  Séjour ,  de  l'a- 
cadémie royale  des  Çcitnces.  Démailler  d'Ar- 
^enville  jimitre  des  comptes.  Ducis^  de  l'a- 
cadémie françoife.  Dorneval,  ^nteux  du  théa* 
tre  de  la  foire  j  recueilli  avec  le  Sage.  Dorât, 
poëte  agréable.  BiUel  Dumont,  auteur  du 
Traité  mr  le  luxe,  Dupré  dt  Sairu-Maur , 
àc  l'académie  françoiie.  Duhamel  du  Mon^ 
€cau  y  de  l'académie  des  fciences.  Le  Dran^ 
chirurgien,  de  la  fociété  royale  de  Londres* 
Fagaru  Favart ,  auteur  de  pièces  ï  ariettes^ 
De  Fouchi,  fecrétaire  perpétuel  de  l'acadé- 
mie des  fciences.  FufcUer.  FlonceL  Fougc* 
roux  de  Bondaroi ,  de  l'académie  des  fi:ien« 
ces.  Le  doâe  Four  mont.  Fourmer^  graveur 
&  fi^ndeUr  de  caraâeres.  Gallimart ,  géo- 
mètre. Go  guet ,  auteur  de  FOrigine  des  loix^ 
des  arts  &  d«s  (ciences.  Mad.  de  Gomc{^^  atH 
teur  des  Cent  nouvelles  &  des  Journées  amu« 
(antes.  Le  favant  Gaujet.  Guyot  de  MervUlc. 
Helveùus  père,  médecin;  Helvetius  fils,  au« 
teur  du  ttop  fameux  livre  de  fEfprit.  Le  pcé- 
£dehc  Ktnaut.  Lattaignant  ^  chanoine  de 
Reims  9  dianibnnier  fëcond.  Le  comte  <& 
têOuragais ,  auteur  de  deux  tragédies  raresi 
léOmtUBoiJJy.  Lemiere ,  de  Tacadémie  fran^ 
çoife.  Lan^fHS  Dufrejhoy.  De  Vlsle ,  de  Ta-* 
cadémie  des  fciences.  Lorry ,  avocat.  Lorry  ^ 
mtiumsu  Lorry,  profeilèur  en  di^oit.  ~ 


a88  T  A  Tï  I  E  A  u 

Xieblc ,  bënédiâin.  De  Machï,  dëmohftra^ 
teur  de  chyniie.  Maqiur,  de  racadémie  des 
iciences.  Marchand,  écrivain  enjoué.  Ma^ 
ricttc ,  amateur  de  defEns,  auteur  du  Tiaité 
des  pienes  gtavées.  Marivaux ,  auteur  fin  & 
plein  de  deuils  ingénieux.  Le  fiuHeux  Mal^ 
Ubranche ,  doué  a  une  û  poiflànte  îmagina- 
-tien.  MoUtrc.  Moijfy  ,  auteur,  de  quelques 
pièces  de  théâtre.  Moreau ,  évéque  de  Vence. 
ilfore^n/^  procureur  duroi  zuClâtèieLMignûig 
neveu  de  Voltaire ,  abbé  àe  Sceffîeres  ,  oii  il 
a  donné  un  tombeau  ^  &n  onde.  Moncrif 

2u*on  a  appelle  le  dernier  des  François.  L^ 
eux  h  Monnitr  frères  ^  de  Tacadémie  des 
iciences.  Maréchal  ^  poète  anaccéontique. 
BUn  de  Saint^Mart ,  qui  a  fait  quatre  Jié- 
roîdes  &  une  tragédie  encore.  Morand  père 
&  fils.  Patte,  archîteâe.  Pejelier.  Ptta de 
la  Croix,  profeflèur  en  arabe.  Pingre,  as- 
tronome. Parfaiâ ,  auteur  de  l'Hittoire  du 
théâtre  fhinçois.  Poinfinct,  auteur  de  la  co- 
médie du  Cercle.  Poinfinct  de  Sivry ,  tra- 
duâcur  de  Pline.  Poncet  de  la  Riyicre ,  an- 
cien évcque  de  Trc^es.  Philippe  de  Pretot^ 
auteur  du  Speâacle  de  rhiftoire  Romaine. 
Dupont ,  rédaâeur  des  Ephémérides  du  d- 
toyen.  Mad.  k  Paute ,  auteur  de  divers 
moires  d^aftronomie.  Prêmonval^  àeVt 
demie  de  Berlin.  M.  &  Mad.  de  Paifiam, 
Quinaut.  Le  doâeur  Quefiiay ,  chef  de  la 
tfâe  économique*  JRacinc  k  fils*  Bouffiaa 

le 


B  £      f  A  OR.  I  5.  189 

le  poëte.  Le  fanant  RolUn.  Raymon  de 
.Saint' Marc.  Rémoadik  Sainte^  Alhinc  , 
auteur  du  lirre  intitulé  le  Comédien»  iVIad. 
JUccobûnnL  Robert  de  Vaugondy ,  géogra- 
phe. Roy  9  auteur  du  beau  Prologue  des  élé- 
ments. Du  Rafoj  9  auteur  du  poème  des  fens. 
Sage  y  fameux  chymifie*  Saurin ,  de  Taca- 
/démie  ùxMfii£e.^Secouffef  avocat.  Sedaine^ 
auteur  de  quelques  opéras- comiques,  ^or^/^ 
€fà  a  tantôt  remporté  &  tantôt  di&uté  le  ^  rix 
k  Pacadémie  fuuiçGofe.  La  mar^iife  d^  Sainte 
£hamond.  Le  comte  de  Scneâerre.  Thibout^ 
fameux  imprimeur.  TUon  du  Tillet ,  auteur 
.du  Pamaflè  François.  Taujfaiat ,  auteur  du 
iivre  des  moeurs.  f^i22ar^^,xontinuateur  de 
THilloice  de  France.  Madame  VlîUneuve^ 
^auteur  de^plufîeurs  romans.  Le  marquis  de 
Vilette.  Voltaire.  Watcht ,  de  racadémie 
<françoi&.  JVillemain  (fAbancour ,  verfifi- 
cateur.  Le  marquis  de  Ximenis ,  qui  a  fait 
Amalafbnte  &  Èpicaris ,  tragédies. 

Taurai  fans  doute  oublié  quelques  noms  ; 
imais  je.  fouhaite  qoTon  dife  d'eux  :  prcêfulge^ 
tant  Cajfius  &  JBrutus  ,eo  ipfo  quod  eonwt 
xffigies  non  vijlbantur. 

Si  Ton. compte  qu'ilii'yapoînt.eud'hom'' 
me  célèbre  né  en  province ,  qui  ne  foie  venu 
k  Paris  pour  fe  former ,  qui  n'y  ait  vécu  par 
choix ,  oc  qui  n'y  foit  mort ,  ne  pouvant  quit>- 
-tre  cette  grande  ville ,  malgré  l'amour  de  la 
^tne  :  icette  race  d'hoomies  éclairés ,  tous 

Tome  IL  N 


t^a  Tableau 

concentrés  fur  le  même  point,  tandis  qoe 
les  autres  villes  du  royaiime  offrent  des  landes 
d'une  incroyable  ftérilité  9  devient  un  profond 
objet  de  méditation  fur  les  caufes  réelldg  8c 
•fubfiftantes  qui  précipitent  tous  les  gens  de 
lettres  dans  la  capitale ,  &  les'  y  retiennent 
comme  par  enchantement. 

Tandis  que  la  nature  a  prodigué  Tes  dons 
précieux  à  ces  hommes  diftingués  du  vulgaire, 
la  fortune , comme  pour  s'envenger ;  leur  a 
refufé  fes  &veurs,  &  (à  malice  à  cet  ^gard 
eft  bien  ancienne,  Démofthenesétoit  fils  d'un 
forgeron ,  Virgile  d*un  boulanger ,  Horace 
d'un  afianchi ,  Théophrafte  d'un  fijpier , 
Amyot  d'un  corroyeur ,  la  Mothe  d'un  cha- 
pelier, Rouflèau  le  poëte  d'un  cordonnier, 
Molière  d'un  tapiflîer ,  Quinaut  d'un  mitron, 
Fléchier  d'un  chandelier,  RoUin  d'un  cou- 
telier ,  Maflillon  d'un  tanneur.  Un  horloger 
de  Genève  fut  le  jpere  de  J.  J.  Rou&au, 
&  MM.  Giron  de  Beaumarchais  &  Dupont 
Tcconomifte  font  aufli  fils  d'horlogers» 

Prelque  tous  les  hommes  qui  fe  fbnt&k 
connoitre  dans  les  arts  &  dans  les  fciences, 
&  qui  ont  formé  de  leurs  travaux  accumulés 
le  véritable  tréfor  de  Tefprit  humain,  ont 
connu  dans  leur  jeuneflê  le  befoin,  &  ont 
recueilli ,  comme  dit  Mérope ,  ce  mépris  qui 
Jîiit  la  pauvreté, 

Homère  a  mendié.  Le  Taflè ,  Mîlton  & 
Pétrarque  ont  connu  la  mifere.  Corneille  ei|^ 


/ 


DE    Paris.  491 

décédé  pauvre.  Boulanger  a  erré  fur  les  gran- 
des routes.  Jean-Jacques  Rouflèau  eft  mort 

je  n'o(è  ici  le  dire. 

Les  penfions  que  diflribuent  les  fouverains 
ne  font  pas  attribuées  de  nos  jours  aux  gens 
de  lettres ,  ou  qui  en  font  les  plus  dignes 
par  leurs  travaux ,  ou  qui  en  auroient  le  plus 
Defoin  par  leur  fîtuation.  Enfin,  jufqu'aux 
dignités  littéraires ,  tout  efl  enlevé  par  la 
faveur ,  le  crédit  ou  Tintrigue. 


CHAPITRE      CCCII. 
Porte-- faix.    : 


N, 


le 


ous  avons  au  coin  des  rues  des  Hercules 
&  des  Milons  de  Crotone,  pour  eniména- 
er  ou  déménager  nos  meubles ,  &  porter 
es  fardeaux  du  commerce.  Vous  les  appel- 
iez d^un  fîgne ,  &  ils  font  à  vous  avec  leurs 
crochets  ;  appuyés  fur  des  bornes ,  ib  atten- 
dent qu'on  leur  donne  de  Temploi.  Vous 
croiriez  que  ces  hommes  ont  une  taille  au- 
deflùs  de  la  commune ,  des  couleurs  ver- 
meilles ,  des  jambes  fortes  &  de  l'embon- 
point; non,  ils  (ont  pâtes,  trapus ^  plutôt 
maigres  que  gras  \  ils  boivent  beaucoup  plus 
qu'ils  ne  mangent. 

A  toute  heure ,  vous  les  trouvez  prêts  à 


N  1 


>a9i  -T  A  B  LE  AU 

'  chajcger  leur  fdos  des  poids  les  plus  lôuids. 
•Xégérement  courbés ,  luutenus  fur  un  bâtM 

ambulatoire ,  ils  portent  des  Ëudeaux  qui  toù* 
'  roient  ^n^che^^al  ;  ib^les  -pondit  avec  fba- 

pleflè  &  dextérité  9  ^ti  miUeu  desembamu 
•^«des  voitures^  &  dans  des  rues  Àranglées; 
^  tantôt  c'^  un»  gkce-qui  en  occupe  toute 

la  largeur^  &  fait  danfes- toutes  les  maifons 
i^pour  qui  la  luit  &  la  regarde  $  tantôt  «'eft  un 

niarbre  fragile .  &  précieux  ^'  ^e£*-  d'onivxe 

de  l'art.  Ces  hotnmes  deviennent  comme 
^nfibles  dans  toute  leur  charge  ;  &  à  foroe 

de  virer,  de  s'efquiver  &  de  marcher  de 

biais ^  ils^itent  le  dhoc  roulant  delà ibule 
,  impétueufe  ;  ils  si'arrêtent  k  propos ,  trottent 
r  de  niéme^  jurtnt  pour  avertir  les  paflants^ 

les  menacent,  tout  chargés  qu'ils  ibnt^  de 
"'  ieiurs  bâtons  courts  ;  &  à  travers  tant  d'é- 

cueils  j  arrivent  au  poit  fans  avoir  rien  ca£> 
'  fé  ;  le  -pavé  feç ,  fangeux  ou  glifïant  leur  de« 
;  yient  égal. 

Oh  tranfporte  des  porcelaines  d'un  bout 

de  la  ville  à  l'autre  fiir  un  long  brancard  j 
'  &  fi  rien  ne  tombe  des  fenêtres pendantla 
.'-travcrfée,  il  n'y  aura  pas  a  uneioiiceupe  la 
:'  moindre  fraâure. 

Savez -vous  les  mtufcles  qui  travaillent  le 
'  plus,  dans  le  corps  des  porte-faix.  Les  exten- 
Hfeurs  des  jambes.  Voyes&i^les ,  elles  font  dans 

un  trembkment  infenfxble ,  mais  néanmoins 
yvifîblcs« 


jy  E    F  A  R  I  9é^  193 

Lorlique^,  dans  le. temps  des  giclées,  les 
roues  des .  voitures  gliSent  fiur  Je  pavé  ^  tom- . 
hçnt  dans  la  pente  dq  miSèau^  &  Veiigre-^ 
nent  Pune  dans  PaUtrc ,  les  fiacres  defccn-.^ 
d^Qt  de:,  defltis  leut  fiege  ,  (bulevent  leui-s 
voitures  avec  le  dos ,  la  dégagent  fans  Je  fe^. 
cours  de^  oui  jque  ce  foit  ,  quoiqu'ils  aient.; 
quatre  perlonnes  dans  leur  carroflè ,  &  quel-  . 
quçfois  le  train  chargé  de  deux  ou  trois  cof^ 
fres.    Quelle  force  ..dans .  les  vertèbres  de^ 
l'homme  I 

Une.  voittire  chargée  d!une  énonne  pierre  >. 
de  taille  a -t- elle  perdu  de  (on  équilibre? 
fbixante  mains  officieufes  le  rétabliilènt  ;  ilr  1 
faudroît  ailleurs  fîx  heures  pour  cette  qpé- . 
raçion ,  elle  fc  fait  en  un  elin-d'oeil. 

Quune  foupente. rompe ,  qu'une  roue  ft^- 
caflè^  l'équipage^ eft  enlevé  avec  luie  rapi-.  • 
dite  prefqu'egale  à  fa  chute*  On  vous  dît  : 
Ileji  arrivé  là  un  accident  ^^  il  n'y  pa**. 
roît  ,déjk  plus  ;  tous  les  porte-faîx  de&  carre-  - 
fours  voifîns  ont  prêté,  la  main  avec  un  zèle., 

fratuît.  ^  9s^  accoprent ,  dès  que  la  voie  pu- 
Itque  eft  obftruée  y  8c  la  débarradènt  fur- 
ie-champ. Ces  fervices, journaliers  devroient. r 
leur  être  comptés.  > 

On  dît  .que  les  porte-faîx  en.  Turquie  j)or-. 
teot  jufqu'a  fept  ou  huit  cents  livres  pefant  ;  , 
les,  nôtres  ne  vont  paAfufquesuIk  V  il  s'en  faut., 
Les,  porteurs  de  farine  à  la  Nouvelle -Haller. 
fiiçit^le^  plus  vigQureux  de  tous  ;  ils  ont  la..  ^ 

N- 1  , 


294  Tableau 

tète  comme  enfoncée  dans  les  épaules ,  & 
les  pieds  applaiîs  ;  les  vertèbres ,  en  fe  roî- 
diflant^  ont  aflùjetti  l'épine  du  dos  à  une 
courbure  confiante. 

Ces  hommes  ne  font  pas  doués  d'une  force 
e:xtraordinaire  ;  ils  feroient  (bibles  au  ptigilat^ 
il  la  lutte  ,  inhabiles  k  ramer  ou  à  (cier  ;  ils 
ont  contraâé  l'habitude  de  porter  des  char- 
ges fur  le  dos  ou  fur  la  nuque  du  col ,  &  ils 
lavent  acconiplir  merveilleufement  les  loix 
de  l'équilibre  :  Tadreflè  fait  plus  que  la  force  ; 
ne  craignez  point  pour  eux  une  luxation  oc- 
cafionnée  par  ces  poids  énormes  ;  il  n'y  a 
rien  de  û  rare  dahs  les  annales  de  la  ad^ 
lùrgîe. 

Mais  ce  qui  fait  peine  à  voir ,  ce  font  de 
malheureufes  femmes  qui ,  la  hotte  pefante 
fur  le  dos ,  le  vifage  rouge  ,  l'œil  prefque 
fanglant,  devancent  l'aurore  dans  des  rues 
fangeufès  ,  ou  fur  un  pavé  dont  la  glace 
crie  fous  les  premiers  pas  qui  la  preflent  ; 
c'eft  un  verglas  qui  met  leur  vie  en  danger: 
on  foufFre  pour  elles ,  quoique  leur  fexe  foit 
étrangement  défiguré.  L'on  ne  voit  point  le 
travail  de  leurs  mufcles  comme  chez  les 
hommes ,  il  eft  plus  caché  ;  mais  on  le  de- 
vine à  leur  gorge  enflée ,  à  leur  refpiration 
pénible ,  &  la  compaffion  vous  pénètre  juf 
qu'au  fond  de  l'ame  ,  lorfque  vous  les  en- 
tendez ,  dans  leur  marche  fatigante  ,  pro- 
férer un  jaremen|  d'une  voix  auérée  &  gla- 


/ 


Vi  "E    Paris,  2.9c 

pîflànte.  On  fent  que  leur  organe  h'étoit  pas 
fait  pour  CCS  mots  énergiques  &  groffiers  ; 
que  leur  corps  n'étoit  pas  crée  pour  fuppor- 
ter  ces  charges  démefurées  ;  on  le  fent ,  puif» 
que  le  hâle  ,  le  travail  journalier ,  l'endur-» 
cidèment  des  bras  9  le  calus  des  mains ,  n'ont 
pu  les  métamorphofer  en  hommes.  Sous  leuc 
vêtement  épais  ,  groflier  âc  fale ,  fous  la 
craflè ,  fous  leur  peau  endurcie  ,  elles  con- 
fervent  encore  les  formes  originelles  qui 
TOUS  font  diftinguer  au  bal  de  Topera  une 
ducheflç  fous  le  mafque  Ôc  le  domino  ;  leur 
fexe  n'eft  point  anéanti  pour  l'œil  fenfible  ; 
&  ces  malheureufes,  créatures  lui  comman- 
dent la  pitié  la  plus  profonde.  Commenc 
les  femmes  font -elles  réduites  parmi  noui 
\  un  labeur  fi  difproportionné  aux  forces  qu'eU 
les  ont  reçues  de  la  nature  ?  Le  peuple  chez 
qui  on  les  enferme  eft-il.plus  cruel  que  celui 
qui  les  livre  à  ces  travaux  impitoyables  $C 
renaiflànts  ? 

Quel  contrafte  !  l'une  fuccombe  en  nage 
(bus  une  double  charge  de  citrouilles  ,  de 
potirons,  en  criant,  garc,^  place  !  L'autre  y 
dans  un  lefte  équipage  dont  la  roue  volante 
rafe  la  hotte  large  &  comblée ,  fous  fon 
rouge  &  Féventail  a  la  main ,  périt  de  mol- 
le0è.  Ces  deux  femmes  font-elles  du  même 
fexe?  Oui. 

Quelquefois  un  de  ces  porte-faix  met  fur 
fes  crochets  exaâement  tout  le  ménage  d'un 

■:-  N4 


^^6  Tableau 

Eauvre  individu  v  Ht ,  paSlaflè ,  chaîles ,  ta^ 
le ,  armoire ,  uftenciles  de  cuifine  ;  il  def^ 
cend  toute  fa  propriété  d'an  cinquième  éta- 
ge y  &  la  remonte  ^  un  fixieme.  Un  fèuï 
voyage  lui  fuffit  pour  tranfporter  les  meu* 
blés  &  immeubles  du  miférable  ;  le  porte- 
Êix  eft  plus  riche  que  lui  :  caf  le  malhea-^ 
r^ux^  pour  le  fimple  tranfporr,  paiera  peut* 
être  le  dixième  de  la  valeur  indînlèque  de 
fies  eâèts.  Hélas  !  il  eft  obligé  de  cfaanger 
de  logement  tous  les  trois  mois,  parce  quUr 
n'a  pu  payer  que  la  moitié  de  fen  terme  ^ 
te  c'eft  à  qui  le  chaflèra  plus  leinw 

Mais  comment  avoir  de  la  pitîé  j  dka  le 
locataire  ?  N'âi-je  pas  bs  payer  le  pnyriétai^ 
7t  ï  Et  le  propriétaire  dira ,  n'ai-je  jpas  à» 
donner  au  roi  les  deux  vingtièmes  oc  1er 
liuit  fols  pour  livre ,  qu'on  vient  d'augmeiK 
ter  encore  î  Ceft  toujours  le  motif  dont  est 
u£e  pour  ne  faire  aucune  grâce  aux  mal* 
heureux» 

A  la  naillànce  d'un  fils  de  France ,  ces 
porte-fiûx ,  crocheteurs ,  porteurs  de  chaifes  ^ 
ramonoeurs  de  cheminées ,  porteurs  d'èau  ^ 
forment  des  corporations ,  ayant  des  mufi- 
ciens,  c'eft-k-dire  des  violons,  k  leur  tête» 
Ils  voTft  à  Verfailles  pour  avoir  audience  y 
&  s'arrêtent  dans  la  cour  de  marbre  :  c'cft 
de  Ik  qu'ils  complimentent  le  roi  fur  fon  bal- 
con ;  ils  tiennent  en  main  les  fymboles  de 
leur  indufirie  ^  &  on  les  a  vus  imaginer  ^, 


Dt  r    P  A  R  I  Sr  297. 

dans  cesoccafîoxis ^  des  facéties divçrtUIantes^ 

Tantôt  c  eft  un  ramonneur  caché  dans  une   . 
chemmce  à  la  pniflîenne  ^  .que  qiiatre  de  fes 
caipar^s  portent  (uc  m^  brancard ,  .8c  qur   ' 
mettant  tout-k-coup  la.  t&e^ors  du  tuyau  ,^ 
Barangue  de  cette  manière  le  roi  dé  France:    . 
n  lui  dit  qu*il  préferve  des  Jnci?ndies,  Içs  mas; .  - 
fons  de  fa  bonne,  ville  de  Paris,  Tantôt  les 
porteuri^^. de  chaife  promènent  uire,  figure: 
coIofl^jUe  ;^.  dont  la:  robe  eft  pariemée .  de  . 
fleurs  de  fys^  fit  qui  tient  Se  OHreflfe  entre 
£s  bras,  robuffes  un  jiouri0[bh  à  cpji  elle  ap« ,  ^ 
plîme  de  très-gros  Baiferis;   :. 

Mais,  les  poifl&rdçs,  ont  Je,  privilège  d*étrè 
introduites  jufquesdam  là  galeries  ,;.6Çwde 
complimenter  le  roi  particulièrement  ;  ce 
qu'îles  ^ont;  néanmoins  à^genôuxi^  Oh  leur 
donne  eufuite  ^dîper  au  grand- commun  , 
&  c'eflr  un  des  premiers  aciers  du  chef  de  ^ 
lia^maifon  du  roi  .qui  en  fait  le$  honneurs^ 
Ee  repas  eft^iprendide.  ;  , 

De.rietour  à^  Pâris^  ces  poiflafdès  Çé  phv' 
nienent.t]£on[lphantes^  8c  rendent  compte  à 
lâ  HaDè  dé  la  bonne  réception  qui  feur  a 
été  &ite..;£a  H^  pendant  tii  mois  eft  fôrr 
contente  dé  la  cour.   Que  le  rpi  yXénne  à, 
Pariis  dans,  cet  inténraQe  ^Jesfo^ès^  voix  db 
^  quiton  y  ^^dâhlient  le  %nal  k  la  place? 
Maubert  &  auic  autres.  marçhés^^hurl^ronC'' 
le  vÎM  It  roi  d\ine  mBatûere  luuse^.éner-^ 
j^c,  ErcfquTeffiayame; 


t.98  Tableau 

Toutes  ces  harangues  ou  compliments  ont 
été  faits  par  des  gens  de  lettres  qui  s'en  amiv 
fent  derrière  le  rideau ,  &  qui  réuflîflènt 
mieux  qiie  s'il  avoit  fallu  fe  nommer.  J'en; 
ai  lu  d'aflèz  piquants  ;  mais  tous  ne  (ont  pas 
connus ,  ou  n'ont  pas  été  prononcés.  Jamais 
la  fête  ancienne ,  philofbphique  &  plaifànte 
des  Saturnales  ne  fe  reproduira  de  bonne 
grâce  parmi  nous  ;  je  crois  cependant  que 
tout  le  monde  y  gagneroit,  même  du  côté 
de  Tamufement ,  ii  Ton  vouloit  en  eflàyer 
feulement  une  petite  fois.  * 


CHAPITRE      CCCIII. 

Melons. 

X^es  melons  qui  crolflènt  aux  environs  de, 
Paris  n'en  ont  que  la  figure.  Ceux,  qui  ont 
goûté  les .  excellents  melons  de  la  Lonibar-. 
die ,  les  bons  melpns  cantaloupes  de  la  H0I-' 
jbmde ,  ne  peuvent  toucher  ^  cette  mauvaise 
drogue  qui  ufurpe  le  nom  d'un  des  meil* 
Içurs  fruits  de  l'univers.  Il  eft  tellement  dé- 
généré ,  qu'il  devient  fiévreux,  mal-faîn  ,*  au 
})oint  que  la  police  eft  obligée  de  l'inter- 
dire ,  &  de  le  faire  jeter  à  la  rivière  vers  le 
^5  Septembre. 
Xes  Icrm  nouvellement  établies  ,  avec 


^JE    Paris.  Z99 

des  vitrages  exhàufies  8t  ^ui  concentrent 
les  rayons  du  foleil ,  leur  donneront  fans 
doute  une  maturité  qui  les  rendra  moins  in-- 
iklubires* 

li  n'y  a  rien  de  plus  pernicieux  que  les 
citrouilles,  après  les  premières  huîtres, que 
l'on  amené  de  Dieppe  ou  de  Cancaleàla 
fin  d'Oâobre.  Je  ne  confèille  à  perfonne  de 
manger  des  huîtres  .dans  cette  ûdfon  qu'a<« 

i>rès  les  premiers  froids.  Il  faut  que  la  po- 
ice  veille  à  cet  égard  iùr  les  gourmands 
Parifiens ,  k  peu  près  comme  une  bonne 
veille  fur  des  enfants. 


C  H  A  P  I  T  RE      CG€IV.^ 

Filles  nubiles. 

JLe  nombre  des  filles  qui  ont  pafle  l'âge  du 
xnariage  eft  innombrable.  Rien  dé  (I  ditfi-  ' 
cile  quun  mariage  9  noii'pas  tant  parce  c^e^' 
ce  noeud  eft  éter^d  ,  que;  parce  qu'il  fautj' 
aller   configner  une  dot  pardevalnt  notaires. 
Les  filles  laides  &  nubrles  abondent  ;  les 
jolies  ont  encore  beaucoup  de  peine  à  paf^ 
fer-  Ilfaudroit  peut-être  !  renouveller  à  Paris 
eeîqui  étoit  en  ufage'chez  les  Babybniensi^ 
On  raflèmbloit  toutes  les  filles  nubiles  datis 
'^nn  Quùché  public  ;  les  îeuncs  gens  venoient ,  * 


r 


-j^aa  TaIIEAIT 

&  comme  de  raifon,  achetoient  le»  plu» 
belles  ;  mais  Targent  qui  en  provenoit ,  fciv 
voit  à  doter  les  l^des  délaiflees^. 

On  voit  que  le  mariage  eft  devenu  un^- 
joug  peGuit,  auquel  on  fe  fouftrak  de  tout 
Ion  pouvoir  :  on  voit  qu'on  a  raifonné  de- 
puis peu  le  céliba^,  comme  une  fituatioir 
plus  douce  y  plus  sûre  &  plus  tiatKpiillek  La- 
fille  célibataire  par  choix ,  n'èft  point  raie- 
aujourd'hui  dans  Kordre  mitoyen  :  des^(œuts 
ou  des  amies  sVningent  pour  vivre  enfemr- 
ble  9  &  doubler  leurs  revenus-  en  les  plaçant 
en  rentes  viagères..  Ce  renoncement  voîon— 
taire  a  un  lien  confiamment  chéri  des  fem* 
mes,  ce  iyûâine  anti* conjugal'  n'eft^S  pas. 
bien  remarquable  dan^^  nos  mœurs  > 

Chez  les  Lacédémonfens  ,  les  femixies> 
chaque  année  fouettoient  les  célibataires  dans 
le  temple  de  Vénus,  Que  dîroît  Licurgne  ,» 
s*il  voyoît  aujourd'hui  nos  deraoîfelles  dé- 
daigner l'autel  de  l'hymenée ,  emtoaflîîr  le- 
célibat^  s'en  montrer  les  apologiftes,  &  vivrt- 
dans  une  efpece  de  liberté  msiailine  ?  liberté- 
c|^i ,  chez  ai]cun  peuple  de  la  terre  y  ne  fut^ 
le  partagede  leur  (exe* 

Qu'arrive  -  r-  il  de  cet  étrange  dé(brdre  V 
!Les  gens  ai(es v  qui  ne  fe  marient  point,  Oft 
911  le  marient  tard  ,  ne  font  pref^ue- pas- 
d!crnfants  :  les  gueux  qui  (é  marwnt  intrépî^ 
dément,  &  qui  fe  manenttrop  tôt,  en  font 
kaucoug.  V  de  {brtc  ijpe  kt  ricHeOès.fe 


i>  E     Paris.  jqi 

centrent  de  plus  en  plus  dans  un  très  --petit 
nombre  de  niains;  &  l'ordre  de  la  Ibciété 
à  qui  elles  feroknt  le  plus  néceflàires ,  en  a 
le  moîns^ 

Dans  toutes  les  compagnies  on  ne  ren-- 
contre  que  de  ces  vieilles  filles  qui  ont  fut 
les  devoirs  d'époufe  &  de  mère  ,  &  quî 
trottent  de  maifbns  en  maîfons.  Âf&anchies 
des  peines  &  des  plaiGrs  du  mariage ,  elles 
ne  doivent  pas  ufiirper  la  confidération  Se 
le  refpeâ  qui  font  dus  k  la  mère  de  fgmille 
environnée  de  fes  rejetons.;  &  l'on  devroie 
îes  regarder  comme  ces  vignes  infertiles., 
qui  au  lieu  de  porter  des  raifins,  n'ont  pouflé 
fous  les  rayons,  du  foleil  que  des  feuilles  jath* 
nés  &  rares.. 

Ces  filles  décrépîtes  (ont  ordinairement 
plus  malicieufes ,  plus  méchantes,  plus  txsL^ 
caflieres  &  plus  durement  avares  que*  les. 
femmes  qui  ont  eu  un  époux  &  des.  en- 
£mts». 

Il  fàudroit  aflujettir  lès  vFeux  garçons  & 
les  vieîMes  filles  à.  une  <;ontributiou  ,.  reculer 
encore  également  pour  les  deux  (exes  L'épo* 
que  des  vœux  forcés  on  indifcret&^  abolir 
le  célibat  des  foldats  ,  qui  ôccaiionne  h  cé^ 
libat  des  filles  ;  d^autant  plus  que  des  Cbldats 
mariés,  (èroient  plus  courageux  &  plus  at^» 
tachés  à  la  patrie.  |1<  fàudroit  enfiiii,  que  le* 
lil^islateur  fit  revivre  Sss  anciens  mariages: 
ic  la.  main  gaiiçfu.  j^  afia  de  (liminuei:  les^ 


V 


3ÔX  Tableau 

difficultés  du  mariage.  •  Une  concubine  étoit 
autrefois  une  femme  non  mal-honnéte.  En 
roulant  trop  gêner  la  Ubené  de  '  Phonime  , 
on  Ta  précipité  dans  de  nouveaux  écarts  ; 
&  c*eft  bien  le  cas  de  répéter  ici ,  que  c*ejl 
Jbuvcnt  la  loi  qui' fait  le  péché. 


C  H  A  PI  t  R  E  •  CCCVv 

Les  Vifites. 

JLfes  vifites  emportent  beaucoup  de  cempa> 
Vainement  fc  fait-on  écrire  chez  les  portiers  : 
on  eft  condamné,  à  certaines  époques, ^îi 
aller  d'hôtel  en  hôtel  faire  la  rérérence  , 
s'aflèoir ,  dire  quelques  mots  infignifiants  ; 
puis  on  s'échappe  pour  faire  la  même  cho(ë 
dans  la  maifott  voifine.  Ceft  un  travail  & 
une  occupation  que  de  fortir  ainfi  d*un  hô- 
tel pour  entrer  dans  un  autre. 

Ceux  qui  ont  befbin  de  protedHôn  ^  né 
vifîtent  les  grands  qu'à  leur  corps  défendant.^ 
Le  devoir ,  l'orgueil ,  ou  la  cupidité  les  traî- 
ne à  travers  les  anti  -  chambres  ;  ils  (buf- 
frent ,  murmurent  tout  bas  &  fubiflènt  là 
loi  commune.  Un  valet  qui  doit  avoir  bon- 
ne mémoire,  annonce  à  haiité  voix  ceujc 
qui  entrent  ;  coutume  pfuSente.  Oh  ouvre 
les  deux  battants  pour  le$  femmes  y  c'eft 


DE    Paris.  303 

alors  que  les  qualités  fonnent  agréablement 
à  l'oreule  de  l'individu  qui  fe  préfente  dans 
le  cercle  :  un  nom  tout  nu  a  quelque  chofe 
de  honteux. 

On  a  beaucoup  abrégé  les  formules  de^ 
premiers  compliments.  On  s'aiflied ,  fi  Ton 
veut ,  fans  prefque  rien  dire.  L'arrivante  oc- 
cupe^ le  fauteuil  le. plus  proche  de  la  maî- 
treflè  de  la  maifon  ,  le  cède  k  fon  tour  ,  & 
aînfi  (ùccéjfllvement.  Les  femmes  s'exami- 
nent des  pieds  k  la  tête  ,  tout  en  fe  failànt 
des  mines.  Ceft  le  moment  où  les  nouvelles 
circulent-;  de  forte  quun  fait  arriva  \  huit 
heures  du  foîr  eft  fu  àç  tout  Paris  à  dix  heu- 
res. Le  commentaire  &  les  bons  mots  qui 
fbnt  airét^  raccompagnent  déjà  ,  &  il  ne 
fera  plus  permis  d'en  parler  le  lendçmain. 

Après  les  nouvelles ,  vient  l'étalage  de  cha- 
que doârine  particulière;  mais  le  récit  efl 
court ,  excepté  dans  la  bouche  des  officiers 
de  marine  (i)  qui  abufent  des  circonftan- 
ces  pour  tenir  école  publique  de  pilotage. 
Les  femmes  diflimulent  leur  ennui ,  &  font 


ils  la 


1)  Tous  les  officiers  déterre  &  de  mer  ont-  ^ 
connoiflance  du  fty)e  de  Turenne  T'Le  voici 
après  le  gain  d'une  bataille  importante  :  Les  en* 
juniis  font  venus  nous  attaquer ,  nous  les  avons 
battus  ;  Dieu  en  fait  hué  l  J'ai  eu  un  peu  de  pei" 
ne.  Je  vous  fouhahc  le  tonfoir  :  je  me  mts  dans* 
mon  ïit* 


3,c4  Tableau 

g^iflêr  adroitement  la  converfàtion  (ur  le  noiK 
vel  opéra  ;  on  defcend  de  la  vergpe  du  grand 
mât  aux  baflbns  de  rorcheftre  y  6c  Ton  parle 
d'une  tempête  harmonique^.  Au  moment 
que  j'écris ,  les  dlfputes  (îir  la  mufîque  Se 
(ur  la  marine  (ôm  étemelles.  £t  pourquoi, 
durent- elles  fi  long -temps?  Ceft  qp-oa  ne 
s^entendpas. 

Les  parFeuis  de  profisflibn  ont  mx  t^ïep 
toire  tout  formé ,  qui  compote  tout  leur  ef- 
prit.  Us  n'ont  pas.  fattentîon  de  le  varier  ^ 
&  il  y  a  beaucoup  de  gçns  quF  vous  éton« 
nent ,  mais  pour  une  leule  fois»  JTy  ai  été: 
pris  comme  bien  d'autres^ 


^^i^yy^y^^^/:^y<^^^^y/*^<^^y.^ w  *  y -^ 


CHAPITRE    CCCVL 

Raraitc^ 

Vxn  ferme  fa  porte  \  Paris  ,  quand*  ott 
veut;  ce  qui  efl  impofEble  dans  les  autres; 
villes.  On  fe  dft  a  la  campagne  pour  un 
mois  ,  &  vous  pouvez  être  afïuré  que  pen- 
dant un  mois  perfonne  ne  viendra  vous  im- 
portuner.. Les  portiers  font  d'un  merv^eux 
(ècours  pour  vous  faire  voyager ,  tandis  que 
vous  boudez  tout  feul  dans  un  coin*.  Ils^  vou& 
fervent  de  chevaux  de  pofîe. 

rai  lu  jadis  une  pièce  de  vers  întîtuléax 


1>  E      P  A   H  I  S.  JOÇ 

E pitre  à  mon  verroidL  L'idée  ëtoit  phî&nte.^ 
Un  philofophe  avok  mîs  en  gro(ies  lettres 
dans  Ton  cabinet  ces  trois  mots ,  épargne^ 
mon  temps.  Avec  cela  fai(bit-il  fuir  les  im- 
portuns? J'en  doute.  Il  n'y  a  d'autres  rem- 
parts contre  les  vifïtes  incommodes  qu'un 
verrouil  :  il  ne  faut  donc  point  faire  une 
épî^e  àjort  verrouil ,  mais  le  tirer; 

Combien  d'amitiés  ,  combien  de  lîaifbns 
inutiles  !  Il  eft  un  temps  dans  la  vie ,  où  un 
homme  raifbnnable  devroit  (avoir  à  quoife 
fixer ,  éprouver  ceux  qu'il  fréquente ,  &  fe^ 
debarraflèr  ainfî  de  niËe  foins  que  tous  ces" 
amis  de  noms  ufiirpent  aux  véritables.  La 
Êgeflè- ,  la  philofophie ,  s'en  trouveroîent 
mieux ,  &  l'on  apprendroit  de  bonne  heure 
à  màiager  le  temps ,  à  prévenir  le  regret  de 
£i  perte. 

Certaines,  gens  font  fî  fatigués  d'èux-mé» 
mw  qu'ils  n'exîftent  que  quand  ils  ont  qua- 
tre ou  cinq  perfonnes  dans  leur  chambre 
pour  affilier  kleui  lever  6c  à>  leur  toilette^ 


3o6  Tableau 


CHAPITRE     CCCVII. 

Les  Affiches. 

KJn  affiche  tous  les  jours  de  ^land  marin 
les  pièces  que  l'on  donnera  le  loir  aux  trois 

frands  fpeâacles  :  les  théâtres  du  Boulerard 
z.  de  la  foire  en  font  de  même.  On  roit 
fur  la  même  ligne,  Athalic  &  Jeannot 
che^  le  dégraijfeur  ;  Cajîor  &  PoUux  ,  ÔC 
la  Danji  du  petit  diable  ;  il  y  a  de  quoi  fà- 
tisfaire  tous  les  goûts.  Or ,  en  fait  4^  plai- 
Crs ,  je  foutiens  que  perfonne  n  a  tort ,  pourvu 
que  les  pièces  ne  foient  pas  indécentes  ;  & 
elles  ceflèront  de  l'être  ,  quand  on  (i)  n'aura 


(l)  Ils  le  font  bien  ,  puifqu'ils  décident  fi  ta 

?îece  foraine  fera  ou  ne  fera  pas  repréfentée* 
ugement  qui  ne  devroit  appartenir  qu*à  la  po- 
lice. Faut-il  redire  ici  à  quel  point  les  fpeâacles 
font  capables  d'influer  îiir  les  opinions  d'un 
peuple ,  combien  ce  reffort  eft  puiflant  pour 
émouvoir  (c%  afFeâions ,  combien  il  importe  aa 
gouvernement  de  régler ,  de  protéger  les  repré- 
fentations  théâtrales  ,  &  de  tourner  à  Tutilité  des 
mœurs  ce  qui  ne  paroiiToit  devoir  être  qu'un 
fimple  amufement  ?  Comment  des  fonâions  auffi 
graves  ont -elles  pu  être  du  reflbrt  de  deux 
comédiens  ! 


DE    Paris.  y>j 

plus  des  comédiens  pour  cenfiurs  moraux. 

Qui  croiroit  qu'il  y  a  une  multitude  de 
gens  pauvres  ,  qui  lifent  les  affiches  fans  aller 
au  {peâacle  ^  &  qui  fe  confolent  de  n'y  point 
aller  ,  en  fâchant  quelle  pièce  fera  repréfcn- 
tée  ?  Us  l'empruntent ,  la  lifent  en  fe  cou- 
chant ,  &  rêvent  l'avoir  vu  jouer. 

On  ne  peut  rien  afficher  fans  l'attache  du 
lieutenant  de  police  ^  &  fî  vous  avez  perdu 
un  chien  ou  un  bracelet ,  il  faut  aller  de* 
mander  la  (îgnature  du  magiftrat. 

Il  eft  vrai  qu'elle  eft  toute  prête ,  &  qu'il 
y  a  un  bureau  de  blancs-femgs  ^  ^ur  fa- 
vorifer  la  retrouvaille  des  ëpagneuls,  des 
perroquets  ,  des  manchons  &  des  cannes 
perdues. 

Il  n'y  a  que  deux  objets  qui  s'impriment 
à  Paris  fans  permifjion ,  les  billets  ^ enterre^ 
ment  &  les  billets  de  mariage.  Mais  une 
pareille  licence  nefauroit  durer  long -temps 
dans  un  gouvernement  bien  policé  ,  &  bien- 
tôt le  bon  ordre  les  foumettra  fans  doute  à 
la  révifion  d'un  cenfeur  &  à  l'approbation 
de  monfeigneur  le  chancelier  ou  de  monlèi- 

fneur  le  garde  des  fceaux  \  car  un  époufeur 
c  un  mort  ne  doivent  pas  imprimer  libre-- 
ment ,  quelque  preflSs  qu'ils  foient.  C'eft  une 
témérité  fcandaleufe  &  attentatoire  à  Vau:^ 
torité. 

Des  particuliers  (  je  les  dénonce  )  s'éman- 
cipentauffi  défaire  imprimer  y  fans  mandat ^ 


3p8^  T  A  »  1  £  A  U 

fans  privilège ,  leuts^  noms  fur  des  cartes  f 
&  fe  donnent  le  ti^e  d^éci^en ,  de  comté , 
de  marquis ,  de  baron,  de  chevalier,  d^or^ 
vocat  erfiïïr  Ce  font  peut-être  des  ufiirpi^ 
teurs.  £K1  \Fite  un  qenfeur  royal  pour  appra^, 
vtr ,  examiner  tomes  ]es  cartes  de  .vifîtcs 
qu'on  glîflèra  chez,  un  portier  ou  ^ns  la  ùi^. 
xure.  Quelle  dîffîrence  y  a  -  t-il  d!in)primer 
fur  des  cartes  ou  fur  du  papier  ?  Les  carac^^ 
Itères  d'imprimerie  ne  dcMvent  januis  moc- 
dre  le  chifton  (ans  U  Jîgnature  6c  le  para^^ 
phe  :  que  ncv  peut-oD  paS'  mettre  fur ,  cette 
carfe / On. s'endort  Ik-deflùs,  &  bien  niaL 
à  propos.  Le  coiiHiiis  du  fceau  $!ea  fcanda-: . 
Eïe  étranglement.  , 

Il  faut  (]ue  Tafficheur  ait  (a  médaille  de^ 
cuivre  fur  r^fiomaç^,  pour  plaquer  &  cojlet 
contre  les  murailles  i'annoncci  àes^  pièces  de^ 
théâtre ,  des  liyres ,  des  ^terres  a  vendre.  Ces». 
mêmes  afficheurs  (i)  crient  &  vendent  les 
fèntences  des  criminels ,  &  fe  réjouiflènt  des 
exécutions,  qui  leur  font  gagner  quelqu'ar-^: 
gent ,  aînG  qu*^  l'imprimeun  • 

Ces  affiches  font  arrachées  le  lendenfiain ,  ^ 
pour  &ire  place  à  d'autres.  Si  la  maîiwqui 
les  coUe  ne  les  déchiroit  pas,  ^  les  rues  à  la 
longue  feroîent  obftruées  par  une  efpece  de , 
carton ,  groflier  réfultat  du  (àcré  &  du  pro- . 

{i)  lU  foat  quarante  ^  ainft  qu'à  racadâaîê: 
fraoçoifta. 


DÉ     Par  -is.    .     309 

fane  m^lés  enfèmblé  :  comme  commande^ 

mcnts  ;-  annonces  dt  charlatans  ;  arrêts 

^léia  <our-  de  parlement }  urrits^  du  con^^ 

fiilcpi  les  C2&T^^  biens  tn  décret ,  ventes 

après  décès  &  au  dernier  tnchérijfeur  ^  mo^ 

nitoires  ,  chiens  perdus  ^  fintences  du  Châ* 

teletf  avis  aux  âmes  ^  dévotes  ^  marionnef* 

-tes  ^  prédicateurs ,  expofitiondu  Saint-^Sa^ 

crement ,  -régiment  de  dragons  ^  Jraité  de 

l'amc ,  bandages  élajliqûes  y  &C4  bref,  de 

«tous  ces  difféseBts  papiers  (}ue  le  public  a 

'ibus  les  yeux  ^  qu'il  ^ne  lit  pas ,  .&  qui  ne  fe£« 

vent  qu'à  déguifer  la  nudité  des  murailles. 

Si  le  peuple  s'accoutumoit  à  iire:^ces  affi- 
ches ^  il  apprendroit  peut-être  à  moins  dé- 
figurer l'jotthographe  françoife  \  m:ais  il  ne 
s'embarraflè  ni  de  Torthographe  ,  ni  de  tout 
xe  ()u'aniK)nce  cette  multitude  de  placards. 
On  voit  quelquefois  des  arrêts  de  la  cour  ^ 
qui  ont  'fit  ^leàs  de  h^t  fur  trois  de  large , 
&  le  caraâere  en  eft  menu.  Quel  malheu- 
reux débordement  d'inddles  paroles  !  X)n  re- 
garde l'affiche  avec  étonnement  ;  perlbnne 
*tie  la  lit.  Il  s'agit  d'un  procès  obfcur  entre 
.deux  particuliers  4fii  fe  (ont  minés  pour  cou- 
.Ttir  d'un  papier  noirci  un  pan  de  muraille  : 
xette  pro(è  gothique  <;oûte  quelquefois  foi- 
xante  mille  francs.  Les  greffiers  oc  les  rece- 
veurs* d'épices  ttouvem  ce  %le-Jlà  admirable 
^  néceflair^ 

Les  noms  des  notaires  ^^  procureufs^ 


310  Tableau 

des  huiflien-prifeuis ,  &c.  (ont  imprimés  ea 
gros  caraâeres  au  coin  de  toutes  les  mes  ; 
ce  ces  meffieurs  n'en  font  pas  pour  cela 
plus  célèbres.  Ils  font  toujours  affichés  &  tou- 
jours obfcurs.  Au  défaut  de  renommée,  ils 
empochenr  fargent  :  un  inventaire  grofibyë 
apporte  beaucoup  plus  qu'un  bon  livre. 

Les  affiches  des  fpeâacles  (ont  en  cou- 
leur ,  mais  un  peu  trop  exhauflees  ;  on  en 
voit  fix  ou  fept  qui  forment  une  véritable 
échelle ,  le  grand  opéra  en  tête  ,  &  les 
danfturs  de  corde  au  dernier  nmg.  Mais  le 
plus  fouvent  par  refpeâ  ,  les  affiches  des 
Jpeâacles  des  Boulevards  s'éloignent  des 
affiches  des  trois  théâtres.  Ce  <pie  c^eft  que 
Tordre  &  la  (bbordination  ! 


CHAPITRE     CCCVIIL 

Tableaux  ,  DeJJins ,  Eflampes ,  &c. 

X^a  manie  coûteufè  &  infenfëe  de?  tableaux 
&  des  deflins  que  Ton  acheté  à  des  prix  fbux^ 
ell  bien  inconcevable.  Il  n'y  a  point  de  luxe, 
après  celui  des  diamants  &  des  porcelaines, 
plus  petit  &  plus  déraifonnable  :  non  qu'un 
tableau  ne  vaille  fon  prix  ;  mais  parce  qu'il 
eft  bizarre  ,  ridicule ,  indécent  de  couvrir 
^or,  des  peintures  dont  l'utilité  &  la  jouif- 
lànce  fi)ut  également  bornées. 


9  £     Paris,  311 

Que  des  princes  forment  des  cabinets ,  ils 

.fe  doivent  k  tous  les  arts.  Mais  qu'un  par-- 

ticulier  entreprenne  une  colleâion  toujours 

lincomplette ,  ces  d^enfes  énormes  Tempe- 

•  cheront ,  à  coup  fur ,  d'être  un  bon  parent , 

un  bon  ami ,  un  obligeant  citoyen  :  il  n'aura 

.phis  d'argent  que  pour  des  toiles  peintes. 

Plus  il  pofledeia ,  plus  il  voudra  encore  poG 

-fëder  :  fa  luaifon,  fa  famille ,  tout  ce  qui 

l'environne  ^  fe  fenrira  des  prodigieux  (àcri-  " 

tfices  qu'il  of&ira  fans  ceUe  à  une   manie 

dont  la  nature  èfl  de  ne  jamais  contenter 

celui  qu'elle  tourmente. 

Les  méprifes  étant  faciles  &  les  erreurs 

ordinaires ,  nouvelle  fource  de  chagrins  8c 

de  contrariétés ,:  Penôkement  prend  la  place 

-du  goût,  &  la  fureur  de  la  poflèflîon  em« 

pèche  la  paifîble  jouiiSànce. 

•Je  n'ai  jamais  pu  concevoir  comment  on 
ne  fe  contentoit  pas  d'une  belle  copie  au 
/défaut  de  l'originaL.  Souvent  l'œil  le  plus 
.exercé  héCte  entre  les  deux  peintures;  & 
quand  on  pourroit  avoir  par  ce  moyen  trente 
beaux  tableaux  pour  le  prix  qu'on  met  à  un 
feul ,  comment  iê  luine-^t-on  pour  un  tableau 
unique  ? 

Tel  homme  a  veçdu  (es  maîfons  &  fes 
terres ,  pour  faire  làiié  colleâion  d'eftampes 
renfermées  dans  des  porte-feuilles  invifibles  , 
&  qu'il  n'ouvre  pas  quatre  fois  l'année.  Il  fe 
traîne  encore  aux  ventes  ;  crie  k  l'huiffier , 


JIA  T  A  B   L  E  Â  V 

d'une  voix  ëceinte  ^  unjbl  ;  dit  tout  liant 
^^il  eft  fou ,  empone  f objet  ;  &  il  haï  £usix 
de  foites  lunettes  pour  x:ontem[der  (on  ao- 
quifition.  A  ià  moit  ^toot^rela  feia  di^ieifi 
en.diffîrentes  Tnaina^  &  î^jutyrc  tantpouf- 
itiivie.ne  fera  jamais  cmnplecto. 

Un  vieux  tableau  kvàcmé  pekit^  tfbcé^ 
dont  on  ne  dîftingue  plus  xien ,  fcfa  préfëré^ 
parée  quHl  eft  odginal  ^  àun  taUemmoder* 
ne  &  intéreflànt ,  dont  la  rouleur:  eft  Gaâcbt 
&  agréable..  Quel  eft  donc  le^déËutt  deœ 
-dernier?  Le  peintre  ^ft  vivant. 

Il  faut  4ue  les  particulitis  bSflènt  anc 
>|»inces  ou  aux  grands ,  dont  PopoleiKe  eft 
^exceflive^ie.frmlege  de  mettre  de  gtofiès 
(ommes^en^  tableaux  &<en  liâmes.  Cât  une 
-foHe  de  confiuner  {on  ^pammoine  en  curio- 
fités  ;  c'eft  un  vice  d'oublier  fesjxaients  & 
4es  amis  peur  des  peinmres  <)a  oes  gravu- 
res. Ces  arts  (ont  faits  pour  figurer  ddans  des 
(allons  publics ,  &  non  dansvdes  xabinets. 
L'amateur  immodéié^^n'eft  qu'un  maniaque. 

On  n'a  point  encore  ridiculUë-fur  notre 
.^cene  cette  folie  ruineufe  :  elle  méiiteroit 
ibien  les  pinceaux  d'un  auteur  comique. 


fOOJOi 


DE    Paris.  313 


CHAPITRE     CCCIX* 

Encan. 

JVlaîs  nos  feigneurs  ,  (bus  le  nom  de  cz/- 
rieux ,  font  le  plus  fouvent  des  brocanteurs 
magnifiques ,  qui  achètent  fans  befbin ,  fans 
paflion  ,  &  feulement  pour  avoir  de  bons 
marchés ,  bijoux ,  chevaux ,  tableaux ,  eftam- 
pes  antiques ,  6cc.  Ils  font  des  haras  ou  des 
cabinets,  qui  font  bientôt  des  magafins  :  on 
les  croiroit  paflionnés  pour  les  beaux  arts  ; 
ils  aiment  l'argent. 

Ces  vafes ,  ces  bronzes ,  ces  chefs-d'œu- 
vre ,  auxquels  ils  femblent  tenir ,  5c  dont  ils 
fe  montrent  idolâtres ,  appartiendront  a  qui 
voudra  les  en  débarrailèr  pour  de  for.  L2 
médaille  la  plus  antique  ne  refiera  pas.ati 
médaillier ,  malgré  tout  Tétalage  du  proprié-^ 
taire  \  on  en  fera  la  conquête.  Ces  brocan- 
teurs décorés  ufurpent  ainG  les  profits  des 
claflès  commerçantes ,  &  ils  vous  diront 
néanmoins  qu'ils  n'achètent  que  pour  les 
àrtiftes  :  ils  en  font  les  véritables^  tyrâjos.    1 

Au  refte,  c'eft  aux  ventes  que  le  prîi 
réel  des  tableaux  fe  manifefte  ,  8c  qu'ils  n'ea 
impofent  plus ,  comme  dans  le  fallon  de 
l'orgueilleux  poflèflèur.  La  finit  le  rôle  avan^ 

Tome  IL  0 


514  Tableau 

tjîigeux  de  l'homme  ufurpatcur  &  médiocre: 
là  ,  les  prétendus  connoîflèurs  voient  leur 
pronoticé  chimérique  réduit  à  zéro  :  Ëi ,  la 
Tuperbe  école  Françdife  apprend  àraliattre 
vde  fa  faftueufe  préfompriou.  Un  peintre  a 
;beau  s'appellcr  premier  peintre  du  roi ,  on 
rdonne  pour  dix  écus  (  c'eft-à-dire  pour  k 
•toile  )  une  de  fès  compofitions  de  quatce 
>pieds  dé  hauteur.  L'huifCer-prifeur  ne  mi  fait 
ipas  grâce ,  >&  le  livre  impitoyablement  k 
/l'acheteur  qui  va  en  décorer  une  antipdbam^ 
ibre  enfumée  ,  ou  une  falle  k  jnanger. 

PhiKppe  duc  d'Orléans ,  régent  du  royao- 

}tne ,  s'amufoit.à  peindra  ;  Pliais  la  main  de 

fon  alteflè  ,  habile  .à  miouvoir  l'Europe,  ne 

furpafibit  pas  en  peinture  celle  du  plus  mifô- 

rable  barbouilleur.  Qù^eft-il  arrivé  ?  Son  |Mrii>- 

cipal  tableau ,  quoique  décoré  de  fon  nom^ 

rucceflîvçment  chaflc  de  tous  les  c^inets  , 

rfe  trouve  aâuellement  expofé  dans  un  paf- 

ûge  public  des  Thuîleries ,  follicîtant  en  vain 

un  acquéreur  qui  lui  donne  un  afyle.  On  le 

•regarde  ,  on  lit  le  nom  augufte ,  on  fourit^ 

£c  perfonne  ne  veut  en  donner  trente-fix 

livres  ;  ce  ^i  prouve  que  dans  les  arts  qui 

tiennent  au  génie,  on  ne  paie  point  le  pu- 

Mc  avec  des  titres. 


©  E     Paris.  31^ 


CHAPITRE      ce  ex. 

Chapeaux. 

Lie  Parifien  change  avec  la  même  facilité 
de  fyfiéme ,  de  ridicules  &  de  modes.  La 
figure  de  nos  chapeaux ,  comme  toutes  les 
chofès  humaines  ,  a  fubi  le  fort  de  la  varia* 
tion*  Les  coçfFures  dans  les  boutiques  des 
tnarchands  fe  fuccedent  comme  les  nou<« 
celles  méthodes  dans  l'empire  des  lettres. 
Le  chapeau  haut  &  pointu  a  prévalu  quel« 
€p€  temps ,  ainli  mie  le  ftyle  académique  > 
•ijui  tQmbe  enfin  ,  oc  que  Ton  n'imite  plus. 

Ce  penchant  pour  tout  ce  qui  varie  ,  cette 

pafHon  qui  nous  pouflè  à  créer  de  nouvelles 

modes ,  nous  fait  adopter  ce  que  les  princes 

imaginent  en  le  jouant^  ou  par  fantaifie>; 

tantôt  c'eft  Pinrention  d'une  énorme  paire 

de  boucïcs ,  tantôt  c'eft  celle  d'un  frac.  Ainâ 

Alcibiade  donna  fon  nom  à  une  forte  de 

,   ibuliers  ;  &  fa  vanité  étoit  flattée  ,  lorfqu^il 

«ntendoit  dire  qu'elle  étoit  de  fa  création. 

Quelquefois  des  intérêts  particuliers  font 

naître  une  mode  ;  Porigine  des  paniers  fut 

inventée  pour  dérober  aux  yeux  du  publid 

des  grofleflês  illégitimes,  oc  les  malquet 

jufqu'-au  dernier  inflant  \  les  grandes  maa* 

Oz 


3i6  Tableau 

çhettes  furent  introduites  par  des  frippons  qui 
vouloient  filouter  au  jeu  &  efcamoter  des 
cartes. 

Nous  avons  rogné  infenfiblement  le  haut 
bord  de  nos  larges  feutres  ;  nous  les  avons 
enfuite  rendu  pedts  ;  &  enfin  nous  avons  fait 
difparoître  ces  trois  cornes  fi  incommodes. 
Aujourd'hui  nos  chapeaux  font  ro^ds  \  & 
voilà  les  chapeaux  k  la  mode. 

On  ne  les  port^  plus  le  matin  (bps  le 
bras.  Ils  couvrent  la  plus  noble  partie  du 
corps ,  &  pour  laquelle  ils  font  faits.  A-t-on 
vu  fe  [Turc  mettre  le  turban  fous  fon  bras  , 
les  évêques  tenir  Içurs  mitres  à  la  n^ain  î 
Mettons  donc  conftamment  notre  chapeaii 
fur  notre  tête  pour  garantir  nos  foibles  cer- 
veaux des  rayons  du  foleîl ,  &  que  ce  pré- 
cieux dôme  s'oppofe  aux  évaporations  de 
notre  cervelle.  N'ctoit-îl  pas  ridicule  de  fcnv 
ployer  inceflàmment  à  la  main  à  des  exer^ 
cices  de  civilité  &  de  minauderie  ? 

Je  ne  ferai  point  ici  rhiftoire  des  cha- 
peaux ;  je  ne  remonterai  point  aux  chapeaux 
gras  de  Louis  XI ,  qui  les  portoit  tels  par 
ialeté  8c  par  avarice  ;  je  ne  parlerai  point  de 
la  vertu  magique  concentrée  dans  tels  cha- 
peaux ;  les  uns  font  d'un  mauvais  prêtre  un 
grand  fèigneur  ,  &  les  autres  un  doreur 
d'un  idiot.  On  fait  FefFet  que  produit  tel 
chapeau  fourré  mis  fur  la  tête  d*un  grena- 
dier \  8c  le  diadème  enfin ,  n'eft-il  pas'  ua 


DE    Paris.  317 

chapeau  qui  produit  une  certaine  ivreflè  ? 

J'ai  vu  des  chapeaux  dans  ma  jeuneflè 
cjpi  avoient  de  très-grands  bords  ;  oc  quand 
ils  étoient  rabattus  ,  ils  reflèmbloient  à  des 
parapluies  :  tantôt  on  releva ,  tantôt  on  ra- 
baifla  fes  bords  par  le  moyen  des  gances. 
On  leur  a  donné  depuis  la  forme  d*un  ba^ 
tcaiL  Aujourd'hui  la  forme  ronde  &  nue  pa- 
roit  la  dominante  ;  car  le  chapeau  eft  un 
Protée  qui  prend  toutes  les  figures  qu'on  veut 
lui  donner. 

Demandez  -  le  à  nos  femmes ,  qnî ,  après 
tant  d'eflàis  multipliés ,  ont  définitivement 
adopté  le  chapeau  Anglais  ,  malgré  leur 
antipathie  pour  ^Angleterre  ;  je  leur  con^ 
feille  de  s'y  tenir  ^  qu'elles  l'ornent  de  per^ 
les  9  de  diamants  ,  de  plumes ,  de  cordons  , 
de  rubans ,  de  houppes ,  de  boutons ,  de  âeurs  ; 
que  les  poètes  dans  leur  langage  y  attachent 
des  afhres  &  des  comètes  ;  qu'elles  les  por- 
tent rouges ,  verds  ,  noirs  ,  gris ,  jaunes  : 
mais  qu'elles  gardent  conftamment  le  char 
ptau  An^is  ;  les  laides  y  gagnent,  &  les 
Délies  auffi. 

Nous  n'avons  donc  plus  nî  chapeau  pig- 
mée  ,  ni  chapeau  coloflàl  ;  les  dames  avoient 
élevé  ridiculement  leurs  coëfîures,  au  mo- 
ment que  les  hommes  avoient  arboré  les 
petits  chapeaux  ^  aujourd'hui  que  les  hom- 
mes en  ont  augmenté  Se  arrondi  le  vo** 

03 


3iS  Tableau 

lume^  les  coëffùfes   ont   prodigieufêmeM 
baifle. 

Un  poëce  difbît  alors  : 

J^éù  rs  Ckiùntt  fjù  9u  U  jiunt  HUimt  s. 
2>ês  ruhâtu  de  Betuîard  leufs  fiants  i^ùUnt   •nU*  ^: 
Le  momie  étroit  de   la  èaîehu 

Paifiit  gémir  leurs   corps  emprifonnés» 
Lturs  cheveu»  hérijfés  fuyoient  loin  de  leur  titt  i^ 
Wn  panache  orgueîlleu»  en  firmontoit  le  fatu* 
Trïs  delàfapperçus  la    Vénus  Médicisi, 

Sa  taille  lihre  &  naturelle 
J^éployoit  aifément  fes  contours  arrondis* 
Toiu  enr  elle  éeoit  fimj^  &  tout  charmoit  M  dUa. 
J^admirai  tant  de  grâces  »  &  tout  has  je  au  diai: 
L'art  enfetgAe  à  Chloris  à  deiuenir  noim  heSXt^ 

Hommes  &  femmes  fe  coëÊntheancoop^. 
mieux.  Sî  nous  fommes  dans  une  voiture^ 
il  nous  eft  permis  du  moins  d'enfoneer  lar 
tare  dans  le  coin  du  carrofle,  &  nous  ne 
rifquons  pas  d'éborgner  notre  voifin  arec 
les  pointes  de  notre  ancien  triangle. 

C*ert  toujours  celui-là  qu^ôn  porte  fous  Ic^ 
bras ,  lorfqu^on  eft  habillé  ;  mais  on  ne  slu* 
bille  plus  qu'une  ou  deux  fois  la  femaine  ^ 
les  jours  de  grandes  vifitcs.  On  voit  les  gens 
comme  il  faut ,  ^  Wieure  même  du  fpeâa- 
cle ,  le  chapeau  fur  la  tête. 

Le  dernier  caprice  ,  je  croîs  ,  eft  le  meil- 
leur •,  il  a  influé  fur  la  couleur.  Les  chapeaux 
ne  font  plus  noirs  ^  on  les  poKe  blancs  > 


DE     P   A   K  I   S.  yi^ 

comme  font  les  carmes  &  les  feuîflants  de- 
puis plus  d'un  fiecle  ",  &  fur-tout  en  été  ,  le- 
foleîl  échauffe  moins  la  tête.  L'œil  qui  s'é- 
tonne d'abord ,  s'accoutume  à  tout  :  on  por-- 
teroit  des   chapeaux  rouges  &  bleus,  verd- 
pomme  &   lilas,  qu'on  s'y  ferait •,  chacun^ 
arboreroit  fa  couleur  favorite.  Ce  feroit  un- 
nouveau  coup-d'œil. 

On  commence  par  condamner  les  nou^^ 
velles  modes  ;  chacun  fe  récrie  fur  la  folie' 
changeante  :  au  bout  d'un  mois  elle  eft  adop- 
tée par  fes  plus  violents  contradideurs^   & 
tel  qui  la  fronde  aujourd'hui,  prendra  demain^ 
les  idées  qu'il  avoir  combattues. 

Puifque  c'eft  à  nous  à  inonder  la  terre  de 
nouveaux  bonnets  ,  jôuiiïbiff  de  notre  céni«r 
inventif,  plaçons  nos  ^chapeaux  d'hommes 
furies  têtes  Suifedèsôc  HoUiandoifes.  Con-- 
tînuons  de  donner  toujours  la  loi  prédomi*- 
nantes  de  coëi£ires.  Toutes  lés  femmes  ont 
pris  nos  chapeaux  :  il  s'agit    de   les  faire- 
adopter  définitivement  k  Vienne ,  à  Berlin  ^ 
&  â  Pétcrfbourg.  Et   qui  (ait  fi  nous  n'é- 
tendrons pas  encore  plus  loin,  en  triompha-r- 
teuis .  Jbeuceui  ^  nos  iUuftres  conquêtes  V 


O  4 


320  Tableau 


CHAPITRE     CCCXI. 

Noces. 

\^ue  celui  qui  a  vu  une  noce  champécre^ 
le  couple  du  hameau  qui  s'avance  vers 
Féglife ,  les  doitgs  amouieiifement  entrela- 
cés ,  portant  dans  leurs  regards  le  defir  in*- 
gcnu  ;  les  parents  qui  les  wivent  aii^  même 
autel  où  ils  fe  font  mariés  ;  les  garçons  de 
la  fête  en  habits  du  dimanche  ^  les  rubans 
au  chapeau ,  le  bouquet  au  côté  ;  les  filles  en 
l)lanc  çorfet ,  regardant  ce  jour-lk  leur  amant 
avec  plus  d^aflùrance  ;  &  le  violon  un  peu 
aigre ,  mais  qui  conduit  gaiement  la  marche 
£c  ferme  le  cortège ,  ne  s'attende  point  ^ 
trouver  (bus  le  luperbe  portique  de  nos 
temples  ,  ni  la  gaieté  vive  &  franche ,  ni  le 
riant  tableau  de  cette  joie  naïve ,  ouverte 
&  abandonnée. 

L*hymen  ici  fe  célèbre  k  grands  frais  ; 
on  ne  marche  point  fur  la  peloufe  le  long 
des  haies  fleuries,  pour  arriver  k  Fautel  du 
bonheur.  On  s'enferme  dans  des  carroflès  à 
glaces  ;  on  eft  chargé  d'atours  :  les  coëffeurs 
ont  ocaipé  toute  la  matinée  \  on  s'obfervc 
triftement  ^  le  cérémonial  règle  tous  les  pas , 
&  le  couple  opulent ,  fous  des  habits  d^or  , 


DE    Pari  s.  321 

porte  déjk  (ùr  fon  front  Teniini  qui  dpit  les 
accompagner  le  refte  de  l«urs  jours.  La  vil- 
lageoife  aimoit   de  bonne  foi    avant  de 
fceller  la  foi  promîfe  devant  le  curé  ruftique  ; 
&   la  Parifienne ,  recevant  le  riche  anneau  , 
jure ,  avant  d'aimer  ,  quelle  aimera  toujours- 
Le  feftin  du  village  ofFre  la  même  dif- 
férence. Où  eft  le  rire  ingénu  ,  la  table  dret 
fée  fur  l'herbe  ,  la  joie  de^la  parenté,  le  broc  .^ 
de  vin  toujours  rempli ,  le  veau  entier  dé- 
pecé &  rôti  ?  Où  font  les  danfes  vives  &  les 
mouvements  vrais  de    l'alégreflè  ?  Où  les 
vieillards  paroiflèht*  ils  en  cheveux  blancs  ^ 
eflùyant  leurs  yeux  humides  de  larmes  de 
tendreflè  >  Où  ht-on  l'attente  du  plaifir  dans 
les  regards  furtifs  de  la  jeune  mariée  î  O^ 
répoux  paroît-il  pétulant  &  impatient  de  voU*? 
luire  l'étoile  du  foir  ?  Où  le  lendemain  l'c- 
poufè  un  peu  pâle  paroît-elle  confufe  &  heu- 
reufe  ,  étonnée  &  triomphante  ?  Ce  n'eft 
point  a  la  ville. 

Une  aflèmblée  de  parents  a  moitié  dîvî- 
fés ,  qui  ne  fe  font  pas  vus  depuis  long- 
temps ,  qui  ne  fe  reverront  guère  pafle  ce  jour 
cérémonieux  \  des  vieillards  qui  diflîmulent 
leur  caducité;  l'étalage  des  étoffes,  des  révé- 
rences compaflees  ,  des  faluts  melbrés ,  une 
ob&rvation  maligne  ,  des  compliments 
froids ,  un  maintien  compofé ,  une  dignité 
monie  &  impofante  :  voilà  comme  on  s'tn 
xût  dans  la  capitale, 

0$ 


312  T  A  B  l.  E  A  If 

Il  faut  defcendre  parmi  la  claflè  des  bouiv 
geois  du  fécond  ordre  pour  revoir  quelque» 
images  des  anciennes  noces ,  elles  font  moiiis 
brillantes  ;  mais  il  y  a  du  mouvement  &  àxL 
bruit.  lÀ  on  voit  des  afTemblées  de  quatre^ 
vingt  à  cent  perfonnes  ;  &  les  invités ,  chacun 
à  leur  tour ,  rendent  le  fefUn  aux  jeunes  ma- 
y  nés  :  c'eft  un  enchaînement  de  repas  pendanr 
onze  femaines. 

Les  traiteurs  (è  plaignent  tous  hautement 
y     que  les  feftins  de  noces  deviennent  'de  jaat 
^en  jour  moins  fréquents ,  qu'on  s'enfuit  a  la. 
campagne  pour  ne  point  faire  de  bancpiet  ;„ 
ils  difent  que  la  joie  tombe,  que  la  .mélan- 
colie domine  la  nation  ,  puifqu'bn  renonce- 
à  la  bonne  chère  &  à  l'intempérance  dans^ 
le  jour  te  plus  folemnel  de  la  vie  ,  que  nos 
aïeux  célébroient  tous  par  la  plus  complette 
îvreffè  que  leur  franchîfe  ne  redoutoit  pas. 
Les  ménétriers  fe  plaignent  aufli  qu'on  ne 
danfe  plus  comme  on  fai(bit  jadis. 

Vous  voyez  chez  ces  traiteurs  plaignants 
des  fàlles  immenfes  &  vuides  qui  n  atten- 
dent que  des  convives  &  des  danfeurs.  II 
y  a  place  pour  la  table  immenfêment  loin 
gue  &  pour  les  contre-danfes  en  rond. 

Le  petit  peuple  danfe  encore  fort  &  long- 
temps ;  car  il  eft  le  dernier  à  abandonner 
les  coutumes  joyeufes ,  quoique  Ton  cherche 
de  toutes  parts  à  avilir  (es  divertifièments. 

La  Hcence  des  paroles  règne  dang  toutes 


i 


0   E     P  A  K  I  S.  3133 

l<is  noces  bourgeoifes.  Si  Ton  faifbît  un  re- 
cueil de  tout  ce  qui  s'y  dit  de.  jovial^  ces  • 
plai&nteries  »ne  feroienc  pas  fort  délicates  ; 
mais  elles  offiriroient  de  loriginaÙtë  ,  ce  que 
le  beau  inonde  n'a  pas.  Le  bourgeois  rît  ces  ^ 
jours-lk,  de  manière  à  avertir  tous  les  pa(r- 
fànts  qu*il  eft  de  férié. 

Un  homme  peu  fortuné  ,  gourmand  de 
(on  naturel,  Çc  quraimoit  confcquemment 
à  faire  bonne  chère  (  ce  qu'on  ne  fait  pas  • 
fans  de  bonnes  rentes)  avoit  trouvé  un  fin-- 
g^ilîer  expédient  pour  être  de  noce  tous  les 
jours  de  fa  vie  :  habillé  en  rtoir  &  fort  pro^    » 
ptement ,  il  étok  aflidu  toute  la  matinée  k 
Saînt-Euftache ,  k  5aint*^Paul ,  à  -  Saint-Sut 
pice,  k  Saint  Roch^  enfin  dans  toutes  les 
grandes  paroiflès  ;   8c  quand  il  voyoit  un 
maiîage  dont  le  coitegfe  ctoit  un  peu  nom- 
breux, il  fe  mâoit  parmi  la  foule.  Certains 
jours  il  avoit  a  choim*';  car  k  la  même  heure 
on  voit  fouvent  trois  ou  quatre  mariages  de 
<Ufl^entes  daflês,  8c  dans  la  même  églife. 

A  niEie  de  laiiieflè  commence  l'indit- 
penfable  feftîn  ,  toujours  commandé  d'à* 
vance,  8c  qui  {è  fait  ordinairement  chez  le 
ttaiteur.  Il  eft  d'ufage  que  les  parents  de  cha- 
que conjoints  fe  réunifient  k  la  même  ca-< 
ble ,  8c  le  plus  fouvent  ils  fe  voient  poîur  la 

Eemiere.  fois.  Or ,  les  parents  du  mari  ^  qui 
voient -vu  k  la  meflfe  ,  croyoîent   notre 
éirangei:  du  côté  de  h  foaxmRAJ^n^  qui 

0  6 


v^ 


314  Tableau 

les  parents  de  la  femme  le  croyoient  du  eu» 
té  du  mari.  Il  faifoit  donc  grande  chère 
dans  fon  rôle  équivoque ,  diftribuant  de  part 
&  d'autre  quelques  légers  compliments  ^  & 
vous  penfez  bien  qu  il  poffédok  k  fond  le 
flyle  &  les  propos  du  jour. 

Il  y  avoir  quatre  ou  cinq  ans  que  ce  ma- 
îiege  duroît ,  lorfqu'dn  parent  qui  rencon- 
troit  notre  habit  noir  pour  k  tfoifieme  fofc 
depuis  huit  jours ,  s'avifa  de  lui  demandef 
de  quel  côté  il  étoit.  Du  côté  de  la  porte , 
:reprit-il  en  fe  levant  &  pofànt  fà  ièrviette 
iùr  la  taUe.  On  en  étoit  au  deflèrt. 

Si  l'hymen  n'eft  pas  cher  au  village ,  s'il 
•en  coûte  peu  à  l'habitant  de  k  campagne 
pour  fanâifier  Tes  plaifirs ,  il  n'en  eft  pas  de 
même  à  Paris.  L^époufeur  fc  jette  dans  tou- 
tes les  dépenfes  du  kixe  &  de  la  repréfenta- 
tion  ,  pour  complaire  à  la  future  &  à  la  (btte 
vanité  de  fes  parents.  Huit  jours  après  les 
noces  viennent  le  regret  &  les  lamenta- 
tions. Ce  font  des  mémoires  de  fourniflèurs 
•i^ui  fê  fuccedeîit  chaque  jour  ;  c*eft  le  ven- 
•deurde  diamants,  le  marchad  d'étoffes,  le 
bijoutier ,  le  tailleur,  le  traiteur ,  la  lingere , 
la  marchande  de  modes ,  le  tapiflier ,  le  mi- 
roitier ,  le  cocffèur  :  &  paie ,  pauvre  mari , 
pare  !  on  ne  t'a  pris  que  pour  cela  :  as-tu  cm 
que  ta  jouiilànce  (èroit  purement  gratuite  ? 
-  Auffi  aton  fait  une  eftanipe  pariante ,  où 
Ion  voit  la  dot  de  l'épouiëe  s'envoler  en  di& 


DE     P  A  R  I  S,  51^ 

férents  jets  ,  &  tomber  dans  tes  mains  & 
le  tablier  d'une  multitude  de  gros  &  de  pé* 
tits  marchands.  Le  mari ,  qui  fuit  d^un  œil 
trille  &  étonné  le  vol  irréfiftible  de  fes  e(pe- 
ces ,  porte  douloureufement  la  main  for  des 
facs  vuides  ;  &  pour  tout  dédommagement, 
il  a  k  fes  côtés  une  femme  éternelle ,  brillante 
de  clinquants  &  de  colifichets. 

Le  premier  enfant  achevé  la  confèdîon 
entière  de  la  dot  ^  l'époux  abufé  prend  de 
l'aigreur  ;  les  reproches  mutuels  s'élèvent ,  & 
chacun  maudit  au  fond  de  fon  ame  le  ma- 
riage trompeur ,  &  les  noces  difpendieufes 
que  la  vanité  a  commandées. 


CHAPITRE    CCCXII.   ' 

V 

Mariage.  Adultère. 

X-i'indifiblubilité  du  mariage  fait  les  adut-^ 
teres  :  on  ne  peut  délier  le  nœud ,  on  le 
rompt.  Faut  -  il  s'en  étonner  î  On  a  bâti  lé 
même  contrat  pour  des  êtres  d'ailleurs  fi  dif- 
férents dans  leur  phyfique  ,  dans  leur  fortu-* 
ne  ,  dans  leurs  emplois  ,  dans  leurs  idées  \ 
Ici  la  chaîne  a  été  lâche ^  là,  trop  tendue ;- 
-ici ,  tyrannique  \  la ,  fervant  de  voile  à  la 
cupidité.  Le  foldat ,  le  matelot ,  le  juge  ,  le 
nulitaire ,  l'éaivain ,  le  négociant  y  le  cul- 


j^6  Ta  b  t  E  AU 

tiÎTateur ,  le  poftiUon  font  aflèrvis  aux 
xaes  ufages* . 

Après  cela,  un  homme  qui  veille  fur  (a  -. 
femme ,  paflè  pour  jaloux ,  oc  on  le  blâme. . 
£ft-<^e  infidelle  ?  on  ridiculife  le  mari.  La  ; 
loi  qui  empêche  le  divorce ,  fans  avoir  égard . 
àJ'antipathie  des  caraâeres ,  eft  une  loi  bi^^ 
zarre.  Elle  règne  à  Paris^  mais  qu'en  arrive»  - 
wl  î  Vous  le  lavez  ! 

Le  lendemain  des  noces  bourgeoi&s ,  ou  « 
tout  au  plus  huit  jours  après,  .quel  change- 
ment s'opère   dans  l'eTprit  de  l'amoiuemc  : 
mari  !  De  quelle  hauteur  tombent  les  efpé> 
rances  de  tel  honnête  artifàn  !  Il  croyoît  avoir 
^ufé  une  femme  économe ,  rangée  ,  atten-  - 
tnre  à  fes  devoin.  Il  lui  trouve  tout-4coup  ? 
l'humeur  diflipatrîce  ;  elle  ne  peut  plus  res- 
ter à  la  maifon  ;  elle  joint  la  dépenfe  à  la  pa- 
reflè.  L'inconféquence ,  la  légèreté  ,  la  foKe 
remplacent  les   occupations  utiles   où  elle 
avoit  été  élevée  dès  l'enfance.  Loin  de  fixer 
dans  fbn  ménage  Taifance  &:  la  paix  par 
un  fage  travail ,  elle  fe  livre  a  la  frénéfie  des 
panires. 

.  Qui  Peut  dît ,  que  le  mariage  altéreroit  à  ' 
ce  point  fes  premières  difpoutions  ?  Cette 
fille  timide ,  craintive ,  occupée  dans  la  mai» 
Ion  paternelle ,  eft  devenue  une  femme  exi- 
geante ,  altiere  ,  qui  ne  fcmge  qu^àfes  pro- 
pres jouîflànces  ,  parce  qu'elle  a  mis  dans 
ùi  tête  que  tout  l'entretien  d'une  maifon  d^ 


DE      P  Alt  I   S>  ^^7^ 

¥ok  rouler  fiir  le  mari ,  tandis  que  le  r61e% 
de  la  femaie  écoit  de,  (è  livrer  à  une  vie 
diiEpée. 

Cet  artifan  aura  beau  être  laborieux  &: 
économe  ;  rinfouciance  journalière  de  fott 
époufe  mine  une  mailbn  qui  s'abyme  infen- 
nblement ,  parce  que  la  mère  de  famille  a . 
manqué  de  vigilance ,  de  tendrefle  &  d'é- 
cçnomie.  Tous  les  défordi^es  font  nés  du  pre-« 
mier  défordre  ;  les  enfants  héritent  de  la  mi^* 
fere  de  leurs  parents  ,  &  voilà  Thiftoire  de 
la  moitié  des  mariages  qui  fe  font  à  Paiis  . 
dans  le  fécond  ordre  de  la  bourgeoifie. 

Autrefois,  Kadultere  étoit  puni  de  mort  : . 
aujourd'hui  \  celui  qui  parleroit  de  ces  loix 
aufteres  Se  antiques  feroit  prodigieufement 
fifflé. 

Voyez.dans  toutes  nos  comédies ,  C  Ton 
ne  rit  pas  toujours  aux  dépens  des  maris  ; 
voyez  les  petits  vers  de  nos  poètes  légers  9 
Hs  plaifantent  inceflamment  fur  le  mariage , 
avec  un  (èl  qui  réjouit  tout  le  monde.  Ces 
gentilledès  ne  font  qu'une  apologie  perpér 
tuelle  de  ^adultère  :  on  diroit  qu'on  a  peur 
que  les  femmes  ne  comprennent  aflez  tôt 
que  leurs  charmes  ne  font  pas  faits  pou^ 
n'appartenir  qu'a  un  feul. 

Tous  les  arts  deviennent  con^lîces  de 
ce$  exhortations  k  Pinfidélité ,  tous  s^empreÉ» 
lent  k  les  confirmer  4ans  cette  idée  ,  k  ache^ 
ver  d'éteiiadre  toutibrupule  dins  leurs  âmes» 


328  Tableau 

Nos  tableaux ,  nos  ftatues  &  nos  eftampes  y 
qu'offrent  -  ils  ?  Tous  les  tours  heureux  & 
triomphants  joués  au  pauvre  dieu  d'Hymen. 
Nos  peintures  ne  font  pas  plus  chaftes  que 
nos  vers. 

Mais  de  nos  jours, ^ô raffinement  erîmî- 
nel  !  on  a  été  encore  plus  loin  que  fadùkere; 
on  a  corrompu  Tinilitution  la  phis  augutte  ; 
on  s'efl  fervi  des  loix  mêmes  pour  confa* 
crer  le  libertinage ,  &  en  produire  les  fruits 
avec  audace.  Cette  dépravation ,  ce  nouveau 
(candale  date  de  notre  fiecle  :  c*eft  encore 
un  crime  du  luxe. 

Un  homme  opulent  eft  attaché  k  une 
fille ,  en  a  des  enfants  dont  la  loi  feroit  des 
bâtards.  Il  imagine  de  leur  donner  un  nom 
&  un  rang  ^  il  ordonne  qu'on  lui  cherche 
quelqu'un  de  noble ,  mais  dont  les  adverfi- 
tés  ont  dénaturé  l'ame  :  on  le  trouve ,  on  le 
marchande  ^  il  eft  forti  d'une  famille  qui  a 
lin   nom  ,  mais  indigente  ;  il  a  été  élevé 
dans  une  fierté  oifîve ,  &  il  n'a  pas  de  pain. 
Réduit  à  une  pareille  extrémité,  Phonneur 
n'eft  pour  lui  qu'un  vain  nom.  On  lui  pro- 
pofe  d'époufer  cette  fille ,  &  d'en  reconnoî- 
tre  les  enfants  :  il  aura  une  penfion  qu'il  ira 
manger  dans  le  coin  d'une  province  éloignée. 
Le  noble  d'abord  a  quelque  répugnance  ; 
mais  l'or,  ce  puifîànt  mobile  des  aâions ini- 
ques ,  l'or  le  décide.  On  le  mené  chez  un 
notaire,  où  il  ligne  un  contrat  quiluiaflùre 


DE    Paris.  319 

réritablement  une  penfîôn  ,  mais  qui  porte 
une  réparation  de  biens  préliminaire. 

Figurez- vous  cet  homme  qui,  lelende* 
main ,  trouve  dan$  une  chapelle  obfcure  y 
quatre  témoins ,  &  devant  l'autel ,  une  fille 
jeune  &  charmante  qu'il  n'a  jamais  vue: 
voiik  fa  femme ,  mais  fuus  la  condition  ex-^ 
preflè  qu'elle  ne  fera  jamais  à  lui. 

Elle  fort  en  ce  moment  des  bras  de  la 
volupté ,  pour  y  rentrer  après  la  cérémonie  ; 
l'époux  lui  touchera  une  fois  la  main,  pen- 
dant que  le  prêtre  prononcer  les  paroles 
facrées.  Paflé  cet  inftant,  à  jamais  feparé 
d'elle ,  il  ne  reconnoîtra  peut-être  pas  le 
vifage  de  celle  avec  qui  il  aura  contraâé. 
L'anneau  fe  donne,  le  oui  fe. prononce  de 
part  &  d'autre^  0.1 ,  pour  mieux  dire ,  le 
parjure  &  le  (acrilege  s'accompliflènt. 

En  fortant  de  la  chapelle ,  Tépoufe ,  £\oi 
faluer  fon  mari,  monte  dans  un  équipage, 
&  fe  retrouve  dans  le  lit  qu'elle  avoit  quitté. 
L'époux  fuit  vers  la  province  ,  on  lui  paie 
une  année  d'avance ,  &  il  a  une  femme  dont 
il  ne  peut  pas  .vifiter  l'appartement,  ni  même 
habiter  la  ville.  Il  a  oc  il  aura  des  enfants 
qu'il  n'a  point  vus  ,  qu'il  ne  verra  point ,  & 
ils  porteront  fon  nom. 

Il  fe  bannit ,  &  va  manger  (à  honteufe 
penfion  dans  une  petite  viue ,  lor(que  fa 
femme  déployant  fon  contrat  de  mariage  & 
l'aâe  de  célébration ,  fe  pare  publiquement 


330  T  A  B  L  E  A  U 

du  nom  qu'elle  a  acheté.  Un  marbre  offi:e 
ce  nom  en  lettres  d'or  au  frontij^ice  d'iin^ 
fuperbe  hôtel  ^  tandis  que  le  mari  n'o(ê  artK^ 
ctder  le  fien  dans  fa  profonde  retraite. 

Voita  ce  qui  fe  pratique  fous  Toeil  de  la 
légiflation  :  8c  la  loi  outragée  eftt  réduite  au- 
fiknce  \  car  on  a  tourné  contre  elle  fes  pro- 

ff es  f(M:mes  avec  une   coupable    adreflè  ;. 
homme  a  pam  fe  venger  àibn  tour  d^kie 
k)i  inflexible  &  extrême. 

N'auroit-il  pas  mieux  valu- ne  pas  abolir 
œs  anciens  mariages  mixtes  8c  faciles  ,  oîk 
là  femme  n^étoit   pas  déshonorée,  oii  les* 
enfants  innocents  n'étoit  pas  preffîs  entre, 
hlfanégation  &.  laiK)nte? 

Xîuelqu'un  dira  qu'il  faudroit  le  fiyle  de  - 
Juvénal  pour  tonner  contre  cette  litience  ; 
mais  que  feroit  le  plus  véhément  (àtyriqueV 
il  quoi  remédîéroît-il^  >  La  perte  des  moeurs  > 
vient  le  plus  fou  vent  de  Pinfuffifànce  des* 
loix,  de  leurs  erreius  8c.  de  leurs  coiitra<i- 
4iâions.. 


o  E    Pari  s.      ,  331 


CHAPITRE     CCCXIII-. 

Petits  Formats. 

Xj^  m2me  des  petits  formats  a  fuccédë  à> 
celle  des  marges  immenfes,  dont  on  faifoit: 
le  plus  grand  cas  il  y  quinze  ans.. Il  falloit 
alors  tourner  le  feuillet  à  chaque  inftant^  oa 
n'achetoit  que  du  papier,  hlana:  mais  cefi^. 
plaifoit  aux  amaiteurs.  ,  i  . 

Quelques  auteurs  vendent  encore  de^  et-- 
tampes  ou  des  portraits  d^hommes^itsxéle?: 
Ères ,  illuftres&  vivants  par  deflùs  le  marché  \^ 
mais  ils  n'ont  point  encore  eu  la  vogue  de. 
M^  Dorât,  qui  le  premier  s'eft&itnurchand! 
d'eftampes,  &  qui  s'y  eft  nriné;  c'eft  lui 
qui  a  mis  en  train  toutes  ces  gravures  qui: 
font  le  principal  mérite  .de  certains  .livres  y 
&  qui  coûtent  plus  que  tous  les  bons  au-^ 
.leurs  enfemble  de  Fantiquité. 

La  mode  a  changé  :  on  ne  recherche  plus 
que  les  petits  formats  ;  on  a  réimprimé  ainfi 
tous  nos  jolis  poètes.  Ces  livrets  ont  l'avan- 
tage de  pouvoir  être  mis  en  poche ,  de  four-.- 
nir  au  délaf&ment  de  la  promenade ,  &  de 
parer  à  l'ennui  des  voyages  :  mais  il  faut  en. 
même .  t;emp5  porter  une  loupe  avec  foi  ;  cac 
le  caraâere  en  eu  û  fin  qu!il  exige  de  bops 
yeux. 


331  Tableau 

Didot  a  imprimé  une  coUeâion  d'auteurs 
choifis,en  petits  formats,  pour  FuËige  de 
Monfeîgnciir  comte  d'Artois.  Ceft  un  chef 
d'œuvre  de  typographique  ;  mais  cette  co!- 
ledion  eft  cxceflîvemciit  rare  ^  &  ne  fe  vend 
point. 

Ne  pourroit-  on  pas  tromper  Finquifition 
littéraire ,  fî  ardente  &  û  inquiète ,  oui  s*op- 
pofe  à  rintroduâion  des  livres  phitofbphî- 
ques  les  plus  eftimés ,  en  les  réduifknt  à  de 
très-petits  formats  ,  en  afCijettiflànt  a  la  pié^ 
ciGon  la  plus  ftrlâe  &  le  papier  &  les  ca* 
raâeres  ?  La  penféç ,  par  ce  procédé  nou* 
veau ,  fe  rapprocheroît ,  pour  ainfi  dire  ,  de 
fon  invifibiiité  ^  on  mettroit  une  édition  en- 
tière dans  un  (ac  à  poudre.  Si  Fauteur  yA^ 
gnoit  un  ftyle  laconique  à  cette  ingénieuiè 
typographique ,  un  exemplaire  éloquent  pour- 
roit circuler  dans  une  tabatière ,  dans  une 
boite  à  mouches  ,  dans  une  bonbonnière. 
Les  commis  a  la  phrafi ,  qui  attendent  les 
ballots  matériels  où  fe  fixe  la  penfée ,  pour 
les  faifir  de  leurs  mains  profanes  &  grofEe- 
res ,  feroîent  tous  en  dérouté.  L'oeuvre  du 
génie  devenant  inipalpable ,  fe  moqueroit  de 
tous  ces  vils  adverfaires  qui   lui   font  une 
guerre  confiante.  Les  brochures  vifibles  por- 
teroient  dès-lors  une  phyfionomie  de  répro- 
bation ,  &  la  ftupîdîté  fe  manifefteroit  par 
fa  grolTèur.  La  philofophîe ,  au  contraire  , 
occuperoit ,  comme  le  fage  ,  la  plus  pedte 
place  dans  le  monde. 


DE    Paris.  333 

On  s'adreflèroit  enfuite  aux  opticiens  9 
pour  pofleder  le  verre  qui  grofliroît  a  fouhait 
ces  menus  caraâeres  fans  fatiguer  Toeil.  L'im- 
primerie &  Poptique  fe  donnant  la  main  , 
deviendroient  des  fœurs  inféparables.  C'eft 
ainfi  qu'en  mariant  les  art$ ,  ils  acquièrent 
une  force  prodigieufe  &  préfque  illimitée. 

Nou5  inyitons  les  fondeurs  de  caraûe^res 
k  travailler  cette  idée  qui  n'ell  qu'ébauchée  ; 
nous  exhortons  les  manufaâures  à  rendre  le 
papier  fin ,'  léger  au  poflîble ,  afin  que  nos 
penfées  n«  foient  plus  la  proie  facile  de  ces 
implacables  dévaftateurs  de  Fempire  des  let- 
tres fie  de  la  phîlofophie.  Regagnons  :par 
fadreflè  ce  due  la  force  veut  nous  ôter  ;  que 
la  matière ,  {ubtilifée  par  nos  foins ,  réponde 
3u  volatile  de  ces  idées ,  qui  par  leur  nature 
font  faîtes  pour  braver  qui  les  perfëcute,  ou 
par  crainte,  ou  par  ignorance. 

Nous  favons  que  Ion  pourrôît  s'adreflcr 
à  la  çhymie ,  de  préférence  à  l'optique,  pour 
faire  pàroître  en  un  clîn-d'œil  fur  un  papier 
blanc  les  Icttrts  parlantes  y  tonnantes  ^fuU 
minantes ,  qui  s'effiiceroient  enfuite  d'elles- 
mêmes  au  bout  d'un  certain, temps.  Mais, 
toute  réflexion  faite  ,  comme  le  fecret  pour- 
rôît être  facilement  découvert ,  &  que  la  ma-* 
terialité  ne  fçroit  pas  détruite ,  tenons^ious- 
en  au  premier  projet.  Que  dis-je  !  on  n'aura 

{)eut-être  pas  befoin  de  fon   exécution  ,  vu 
es  lumières  nouvelles  que  les  gouvernements 


334  Tableau 

ont  acquifes.  Nos  penfées ,  loin  de  leur 
nuire,  ùe  peuvent  que  leur  être  très-favo* 
rables ,  cpiand,  fèmblables  aux  pilotes  habi- 
les y  les  hommes  en  place  fauront  prendn 
le  vent.  Et  voilà  tout  Fart  dp  Thomnaie  d*état. 


s*>>>:v: 


CHAPITRE     CCCXIV. 

Maîtres  Ecrivains. 


J.1  ne  s'agit  point  ici  de  Corneille ,  de  Pat 
cal  ^  de  La  Fontaine ,  de  la  Bruyère  ,  de  Fé- 
tiâon ,  de  Voltaire ,  de  Jean-J^lcques  Rouf 
feau ,  de  BufFon ,  de  Raynal ,  de  de  Paw  ( 
îl  s'agît  de  Paillaflbn ,  Dautrepè ,  Rolan ,  Li- 
Terloz.  Ils  figurent  le  corps  des  lettres  à 
main  pofce ,  taillent  merveilleufemeiit  une 
plume ,  font  le  trait  &  déterminent  ce  qin 
caraâérife  la  ronde ,  la  bâtarde  &  la  couUe. 
Ils  font  maître  en  Part  de  Pécriture ,  &  non 
en  l'art  d'écrire. 

Il  eft  néceflàîre  de  favoir  bien  figurer  fes 
lettres  ;  car  une  mauvaife  écriture  reflèmble 
au  bredouîllement  de  la  parole  4  mais  un 
caraâere  Hfible  fuffit.  Les  grands  feigneurs, 
les  jolies  femmes  ;  les  auteurs  fe  piquent  de 
lavoir  mal  peindre;  ils  ont  tort.  L)'un  autre 
côté,  l'importance  que  les  maîtres  écrivains 
mettent  à  une  èelle  écriture  ^  eft  plaiî&me. 


DE    Par  I  s.  335 

Un  peu  de  netteté ,  voilà  tout  ce  <|uî  con- 
vient \  c'ell  perdre  (on  temps  que  de  vouloir 
^émuler  RoflignoL  Si  ces  maîtres  ont  une 
belle  main,  ils  n'ont  pas  en  général  une 
niain  rapide  :  tel  derc  de  notaire,  telfcribe 
,àu  palais ,  fait  des  expéditions  qui  ont  une 
^ace  ôc  une  légèreté  dont  ces  experts^ 
avec  leur  peinture  exaâe,  compare  8c 
.froide,  n'ont  jamais  approché. 

On  vient  d'ériger  en  académie  ^ettd  com- 
munauté ;  m^is  Louis  XIV  a  bien  établi  une 
Mcadéfiiie  de  dan/è  après  V académie  d'ar^ 
mes  ;  :il  n'y  a  que  Yacadémie  de  coeffurc 
qui  n'a  pas  encore  pu  prendre  racine  :  mais 
vcela  viendra  dans  le  fîecle  des  beaux-arts. 

.  .11  y  a  toutes  forces  d'académies  établies 
par  .lettres  -  patentes  ;  on  vdit  a ,  Touloufir 
celle  des  lanternijles.  Les  anciens  avoient 
.aufli  une  foule  d'académies  ;  jCUen  rapporte, 
^u'il  et  oit  exprejfément  défendu  d'y  rire  ', 
afin  que  V académie  fût  à  Vabri  de  toutes 
Jortes  de  ridicules.  Gardons-nous  donc  bien 
de  rire  fous  les  voûtes  de  V académie  royale 
.d écriture ,  qui  defline  fi  parfaitement  des 
O  ,  des  M ,  des  F ,  Se  qui  chiffre  par  deflùs 
le  marché. 

La  fonâion  la  plus  importante  de  ces 
:maitres  -  jurés  écrivains,  c'eft  qu'ils  font 
vérificateurs  d'écritures  conteflées  enjufiice; 
'Ceci  devient  fërieux  :  l'Encyclopédie  ïoutient 

4jfxe  cette  vérification  n'eft  qu'une  fciejnce 


336  Tableau 

conjeâurale;  les  experts  difent  qu'il  y  a 
des  règles  fixes  &  certaines  pour  convaincre 
les  faudàires.  Les  experts  ufent  de  fortes 
loupes  dans  l'examen  :  mais  ne  faut-il  pas 
autre  ehofe  qu'une  loupe  pour  décider  dans 
des  cas  femblables  ?  Voyez  dans  le  dernier 
procès  du  maréchal  de  Richelieu ,  la  con- 
fiifion  &  l'ambiguité  des  rapports. 

La  vie  d'un  homme  dépend  donc  quel- 
quefois de  ces  experts  vérificateurs  :  ce  fèroit 
donner  un  champ  troD  vafle  auxfanflàires, 
que  de  déclarer  qu'il  n  y  a  point  de  moyens 
lurs  pour  les  reconnoitre  ;  mais  il  faut  avouer 
que  FEncyclopédie  offire  de  terribles  objec- 
tions à  réfoudre,  &  qu'il  feroit  à  denrée 
que  l'on  confultât  tout  à  la  fois  &  le  maître 
écrivain ,  &  V écrivain  philofophe. 


CHAPITRE     CCCXV. 
DcV ancienne  Compagnie  des  (Ruvres fortes. 

J'abhorre  les  cyniques  encore  plus  que  les 
pédants  :  mais  je  voudrois  voir  au  milieu 
de  Paris  un  Diogene  dans  fon  tonneau  (  l'in- 
décence toutefois  fupprimée  ).  Je  voudrois 
qu'il  fût  permis  à  un  homme  de  cette  trem- 
pe d'apoilropher  fcs  concitoyens  ^  &  de  leur 

repi'ocher 


DE    Paris.  337 

reprocher  leurs  rices.  Paris  en  auroit  bien 
autrennent  be£pin  qu'Athènes. 

Du  moins  des  cenfeurs  du  icandale  public , 
âes  mœurs ,  tels  qu'ils  étoient  établis  chez 
ies  Romains ,  feroient  très-ncceflàires  parmi 
nous  ;  car  nos  loix  fi  imparfaites  préviennent- 
elles  la  confufîon  des  rangs  ?  répriment-elles 
les  extravagances  du  luxe,  qui  mine  les  for- 
tunes médioaes  ?  empêchent-elles  les  ban- 
queroutes ?  arrêtent-elles  la  débauche  qui  va 
Je  front  levé  î 

On  a  créé  des  cenfeurs  pour  les  livres  : 
ces  cenfeurs  profcrivent  tout  ce  qui  pèche 
contre  la  décence ,  tout  ce  qui  contredit  les 
Joixde  l'honnêteté,  &ç.  Pourquoi  n'y  auroit- 
il  pas  des  cenfeurs  qui  dejnanderoîent  co:iipte 
à  cette  foule  de  défœuvrés  de  l'emploi  de 
leur  temps,  qui  iroient  au  devant  des  grands 
iifcandales ,  qui  préviendroient  les  délits  ?  Nous 
ne  fayqns  que  punir  :  un  ade  public  de  dé- 
pravation eiUl  donc  moins  dangereux  qu'une 
phrafe  imprimée  ? 

Sami'Jcry  terme  k  Paris  fyncnyme  k  celui 
de  fe  ruinen  Nos  danfeufes  font  entretenues 
par  de  jeunes  gens  qui  n'ont  aucun  frein , 
&  dont  l'exemple  pervertit  ceux  qui  fbrtent 
de  l'adolefcence.  On  n'oppofe  aucune  bar- 
rière à  ces  défordres  qui  font  là  perte  des 
familles.  La  police  attend  que  le  mal  foit  fait , 
,&  ne  fonge  pas  a  l'anéantir  dans  fon  origine. 
D'un  côté ,  de  dangereufes  Circés ,  de  l'au-* 

Tome  IL     '  '      P 


^3*  Ta  b  l  eau 

^  tre  des  intrigants  audacieux  corrompent 
tous  les  ordres    de  la  focieté.  N'cffi-îl  pas 

^  déplorable  que  le  mot  de  Molière,  T^ayc^ 

4  de  probité  que  et  qu'il  en  faut  pour  n*iire 

l  pas  pendu ,  foit  devenu  un  axiome  réduit 

.  en  pratique. 

En  1661 ,  il  s'éleva  en  France  une  efpece 

/  de  compagnie  qui ,  éprife  d'un  zèle  ardent 
pour  le  rétablillèment  des  bonnes  moeuis^ 

:  le  mit  a  cenfiirer  toutes  les  aâions  maI-hon« 
nétes  que  les  loix  ne  puniflènt  pas.  Us  fai- 
foient  des  perquifîtions  fecretes  (ùr  les  mœois 
&  les  perlonnes  ^  en  établiflbient  le  rapport 
dans  leurs  a{Ièmblées ,  &  d'après  une  déli- 
bération mdtivée  &  unanime ,  ils  expofoîent 

;  au  public  les  délits  &  la  honte  des  coupables. 

Ces  redoutables  écrivains  avoient  pris  le 

nom  de  compagnies  des  oeuvres  fortes  /mais 

*  comme  ils  h'avoient  pas  méiiagé  des  perfon- 

.  xres  puiflàntes ,  &  qu'ils  n'avoient  pas  plus 
épargné  la  conduite  des  rois  que  cèUe  des 
particuliers ,  Louis  XIV  fe  courrouça ,  & 
ordonna  quon  eût  à  févir  contre  tous  les> 
membres  de  la  compagnie.  Ils  ne  purent  tenir 

-  contre  l'autorité  royale  ;  &  les  œuvres  fortes, 
qui  de  jour  en  Jour  s'animoient  d'une  chaleur 

■  nouvelle ,  n'eurent  plus  lieu  dans  la  capitale. 

De  grands  noms  appartenbient  k  cette  et 

pece  de  ligue  ofFenfive  contre  le  vice  &  les 

:  mauvaifes  mœurs  ;  mais  oii  fit  entendre  à 

-  Xouis  XIV  (  ombrageux  à  l'excès  fur  toitt 


DE    Paris.  339 

ce  qu!  avoit  un  caraâere  d'union  )  ,  que 
ces  écrivains  -courageux  8c  véhéments  étoient 
un  refle  de  la  ligue  Se  de  la  fronde.  Il ,  le 
crut  (ans  examen ,  Se  menaça  de  les  envoyer 
tous  en  Canada.    . 

Or ,  comme  l'a  dit  M.  Thomas ,  on  n'efl 

rere  tenté  de  répondre  à  ceux  qui  exilent  : 
compagnie  fe  tut ,  &:  ne  cenfura  plus  per-* 
Cbnhe.  Cependant  quelques  membres  échap-* 
pés  Ce  crurent ,  loin  de  la  capitale  8c  au  fein 
de  la  Bourgogne ,  plus  k  portée  de  reprendre 
leur  hardi  projet.  L'autorité  Us  pourfuivit  en- 
core ,  &  la  chambre  du  confeil  de  la  ville 
de  Dijon  lança  contre  leur  aflèmblée  un 
arrêt  de  profcciption ,  en  les  menaçant  des 
peines  les  plus  graves.  Ces  auteurs  des  œuvres 
fortes  abandonnèrent  alors  leur  vocation ,  8c 

fe  turent  pour  jamais Je  les  regrette. 

En  1741,  on  vit  à  Paris  un  hardi  men-« 
diant  qui ,  dit  -  on ,  avoit  du  génie ,  de  la 
force  dans  les  idées  Se  dans  l'expreflion.  II 
demandoit  publiquement  l'aumône ,  en  apojf- 
trophant  ceux  qui  paflbient ,  Se  failànt  de 
vives  forties  fur  les  diâérehts  états ,  dont  il 
révéloit  les  rufes  Se  les  fripponneries.  Ce  nou- 
veau Diogene  n'avoir  ni  tonneau  ,iii lanterne: 
il  en  vouloit  fur-tout  aux  prêtres ,  aux  catins 
Se  aux  hommes  de  robe.  On  appella  fon 
audace  effronterie,  Se  fes  reproches  des  in^ 
folences.  Il  s'avifa  un  jour  d'entrer  chez  un 
fermier-géuéraT  avec  fon  habillement  déchiré 


340  Tableau 

&  craflèux ,  &  de  s'af&oir  à  fa  table ,  dîTant 
qu  il  venoit  lui  faire  la  leçon  ,  &  reprendre 
bne  portion  de  ce  c/û  lui  avoit  -été  enlevé. 
On  ne  goûta  point  fes  incartades  \  &  com« 
me  il  avoit  le  malheur  de  n'être  pas  né  il 
y  a  deux  mille  ans ,  il  fut  arrêté  ôc  mis  -en 
prifoa. 

C>e  mendiant  aurolt  dû  favoir ,  puifqu'il 
avoit  de  l'efprit ,  qu'on  taxeroit  in&illible- 
ment  ile  folie  ^  Paris ,  ce  qu'on  eût  admiré 
dans  Athènes.  On  fouftie  pamii  nous  le  plus 
vil,  le  plus  bas,  le  plus  lâche  coquin;  mais 
tout  frémit  &  fe  fouleve  h  la  moindre  ap- 
proche de  ce  qu'on  nomme  un  cynimc  , 
ou  de  ce  qui  lui  reflèmble  :  ce  caraaere- 
EL  n'exifte  pas  même  à  Paris ,  parce  qu'il  eft 
le  plus  diamétralement  oppofé  à  la  forme  de 
notre  gouvernement  &  de  notre  efprit  de 
(bcictc* 

Nous  avons  des  difcours  moraux  &  poli- 
tiques a  foifon ,  des  fermons  par  milliers  : 
peut  -  être ,  pour  nous  corriger ,  nous  fku- 
droit-il  des  plaîfknterîes  fanglantes ,  des  fà- 
fyres  vives ,  à^^  boutades  à  bout  touchant. 
Mais  qui  (b  chargera  de  fronder  tout  ce  qui 
eft  vicieux ,  de  méprifer  tout  ce  qui  eft  vil , 
de  faite  tonner  la  vérité,  &  d'épouvanter  fes 
enne^nis  ?  Que  quelqu'un  ait  le  courage  de 
braver  l'iiùniitié  des  méchants ,  on  le  nom*^ 
mera  un  fanatique ,  une  béte féroce ,  un  chien 
^nra^éj  tandis  que  les  fktteHrs;^  les  adulateurs^ 


j)  f;     Paris.  341 

les  menteurs  feant  les  hommes  polis,  les  hon> 
mes  comme  ilfaut^    > 


^^^  ^,.         — ^*>^^. 


CHAPITRE      CCCXYL. 
Partes  Cochcrcsm> 

J^i^s  gens  qualifiés  font  jetter ,  pendant  leurs 
maladies,  du  fumier  devant  leurs  portes  co- 
cheres  &  aux  environs,  pour  que  le  bruit  des 
carrodès  les  incommode  moins.  Ce  privilège 
abufif  change  la  rue  en  un  cloac^  af&eux  , 
pour  peu  qu'il  ait  plut ,  8c  faife  marcher  cenc 
mille  hommes,  en  douze  heures,  dans  \xr% 
fumier  liquide ,  noir  6c  puant ,  où  Ton  en-* 
fonce  jufqu'â  mi-jambe.  Cette  manière  d'em^» 
pailler  toute  une  rue ,  rend  les  voitures  plus 
dangereu(ès ,  en  ce  qu'on  ne  les  entend  pas» 

Pour  épargner  quelque  cahot  bmyant  à 
une  tête  malade  ou  vaporeulè  y  on  expofe  la 
vie  de  trente  mille  fantaflîns^  dont  la  ca-- 
yaUric  fe  moque ,  il  eft  vrai ,  mais  qui  ne 
doivent  pas  expirer  fous  les  roues  fîleacieu- 
lès  d'un  carroflè ,  parce  que  M.  le  marquis 
a  eu  un  accès  de  fièvre  ou  une  îndigeftion- 

Socrate  alloit  à  pied  \  Horace^alloit  à  pied« 
(  Jbam  forte  viafacra  ^ficut  meusefi  mos.y 
Jean  -  Jaques  Roullèau  alloit  à  pied.  Q^y^ 
Jourdain  moderne ,  qu'un  faquin  aituna  ber* 


342.  Tableau 

lîne  Angloîfe  &  une  porte  cochere  ;  kla  bon- 
ne heure  ;  qu'il  éclabouflê  les  paflants  ;  eh 
bien  î  l'on  s'efluie  :  mais  qu'il  ne  nous  écrafe 
pas  dans  la  fange ,  parce  que  ce  n*eft  point 
un  crime  digne  de  la  roue,  que  de  lavoir 
fe  fervir  de  les  jambes  9  ou  de  rêver  un  pea 
Sans  fon  chemin. 

Souvent  les  portes  cocheres  vomiflênt  des 
voitures  qui  fortent  k  l'improvifte  ,  &  qui 
coupent  la  me  rapidement  &  tranjfveiûue- 
ment;  de  forte  qu'il  eft  impoflible  de  £e 
garantir  de  ce  bruique  danger  :  on  €e  jette 
dans  le  péril ,  ne  fâchant  G  elles  tourneront 
à  droite  ou  à  gauche.  Ne  pourroit-oii  pas 
obliger  les  portiers  k  prévenir  les  paflàcts , 
&  k  fiffler  d'une  certaine  manière  :  ce  <pit 
feroit  un  6gnal  confervateur.  Il  y  a  moms 
de  danger  quand  les  voitures  rentrent ,  parce 
que  le  laquais  fait  fonner  le  marteau  a  coup^ 
précipités  ;  &  l'on  eft  averti. 

Il  eft  prefqu'ignoble  de  ne  pas  demeurer 
en  porte  cochere.  Fût  -  elle  bâtarde ,  elle  a 
un  air  de  décence  que  n'obtient  jamais  une 
allée.  Celle-ci  conduiroit  k  l'appartement  le 
plus  commode ,  qu'elle  feroit  profcrite  ,  fut- 
elle  encore  large,  propre  &  bien  éclairée. 
Il  y  a  des  portes  cocheres  obfcures ,  embarrat 
fies  par  des  équipages ,  où  l'on  rifque  de  don- 
ner de  Peftomac  dans  le  timon  &  dans  l'ef- 
Ceu,  Eh  bien  !  l'on  préfère  ce  partage  étroit 
k  cette  voie  roturière  qu'on  appelle  allée.  Les 


D   E      P  A  A  I  S.  34 J, 

femmes  du  bon  ton  ne  vontvpoint  vifîter  ceux  - 
qui  font  logés  ait^Eu^. 

Les  portes  cocberes  font  fort- utiles  k  ceux^  > 
qui  ont  de$  dettes.  Les  exploits  s'arrêtent  à^ 
la  loge  du  portier;  les^huifiiers  ne. vont  pas 
plus  loin  ;  &  quand  ils  en  viennent  k  une 
faifîe  j  l'exécution  n'a  lieu  que  fur  les  miféra**  • 
blcs  effets  qui  gamiiiènt  la  loge.  L'huiflier 
pénètre  l'allée  julqu'au  feptieme.  étage ,  &  ; 
il  ne  franchit  jamais  le  leuil  delà  porte  co« 
chère.  Voilà  de  fînguliers  ufkges ,  8è  qui  n'en  i 
régnent  pas  moins  :  que  Fon  s'étonne  encote 
après  cela  de  la  dé^eur  ^des  allées  bour« 
geoifes. 

Ce  qu'elles  om  vraiment- d'iflcomniode';  , 
c'eft  qife  tous  Wyaflàutty  lâchent  leurs  eaux ^ 
&  qu'en  rfentrant  chez  foi  lk>n  trouve  au  bas  < 
de  fon  efcalier  un  piflèur  qui  vous  rega(Sjd#bâi  : 
ne  fe  dérange  pas.  Ailleurs^  on  le  chaflèK>tc;  ; 
ici,  le  public  efl  maître  des  allées,  pour 
les  beibins  de  néceflité.  Cette  coutume  çtt 
fort  fale  ,  &  fort  embarraâànte  poujL  les 
feaime$,  . 


P4 


.r 


Tableau 


344 


CHAPITRE    CCCXVII. 
Le  Suiffi  de  la   rue  aux  Ours. 

Vjn  brûle  tous  les  ans,  le  3  Juillet ,  Teffigie 
de  ce  Suiffe  ivre ,  qui  donna  ,  dît -on,  un 
coup  de  fabre  à  ime  Itatue  de  la  vierge  Marie: 
ce  qui  en  fit  couler  du  fang ,  ajoute  la  même 
hiftoire.  Rien.n'eft  plus  ridicule;  mais  cet 
ufage  déjà  ancien  ce  s'en  obfer^ e  pas  moins. 
L'effigie  poitoit  jadis  l'habit  fuiflè  ;  mais 
les  Suifj^  le  "fâchèrent ,  il  v  fallut  l'habiUer 
4'une  .fouqueulille^  ]^4koit^on  pas  <qae.Pon 
ajoute  foi  à  ce  miracle ,  d'après  ce  oûcher 
^^Jji.  renouvelle  chaque  année  ?  1  out  ie 
monde  "rît  en  venant  ce  coloflè  d'ofîer  , 
qu'un  homme  pone  fur  fes  épaules ,  &  ao* 
quel  il  fait  faire  des  révérences  &  des  cour- 
bettes devant  toutes  les  vierges  de  plâtre  qu'il 
rencontre.  Le  tambour  l'annonce  ;  &  dès 
qu'on  met  la  tête  à  la  fenêtre  ,  ce  coloflè 
fe  trouve  de  niveau  à.  l'œil  du  curieux.  Il  a 
de  grandes  manchettes ,  une  longue  perru- 
que à  boiirfe,  un  poignard  de  bois ,  teint  en 
rouge ,  dans  fa  dcxtrc  ;  &  les  foubrefauts 
qu'on  imprime  au  mannequin  font  tout-à- 
fait  plaifants ,  fi  Ton  confidere  que  c*eft  uu 
facrilcge  que  l'on  fait  danfer  aînfi. 


DE    P  A  ïi  r  S.     -     345 

Les  ufeges  les  plus  confiants  ne  forment 
donc  qu'un  tableau  très -équivoque  de  la  vé- 
ritable croyance  d'un  peuple  :  c'eft  le  plus 
fouvent  un  fpeâacle  pour  la  populace ,  Ôc 
rien  de  plus. 

Nos  plus  majeftueufes  cérënwnîes  n*ont 
pas  d'autre  fondement.  Aînfi  l'on  fe  (èrt  en- 
core de  la  faînte  -  ampoule  pour  oindre  nos 
rois.  Perfonne  dans  l'aflèmblée  ne  croît  at 
fiirément  qu'elle  foît  defcendue  du  ciel  au 
bec  d'une  colombe.  Perfonne  ne  croit  à  la 
guérifon  mîraculeufe  des  écrouelles  par  Fîm^ 
pofition  &  l'attouchement  des  mains  royales* 
Cependant  l'on  fe  fervira  toujours  de  la  petite 
fiole ,  &  les  monarques  toucheront  toujours 
les  écrouelleux  fans  les  guérir. 

Que  de  faits  pareils,  chez  les  voyageurs  ^ 
ont  donné  lieu  parmi  nous  aux  àflèrtions  les 
plus  faufïès  !  Rien  de  plus  trompeur  que  les 
cérémonies  publiques ,  lorfqu'on  ne  rappro- 
che pas  de  i'efprit  de  leur  inftitution  Tefprii: 
qui  règne  quelques  ficcjes  après.. 

On  promènera  donc  encore  te  Siiiffc  de 
la  me  aux  Of/r^,  pour  le- plaifir  &.la  récréa- 
tion des  petits  Savoyards  que  cela  amufè 
beaucoup..  Ils  l'àcconçagneront  dan^  toutes 
les  rues ,  en  riant  &  danfant  ;  8c  dans  W./ 

Cie  de  leur  cœur ,  ils  attendront  pour  le  foîr 
i  fufëes  &  les  pétards  qui  doivent  çréver 
arec  explofion  dans  les  flammes  du  bûcher. 
•  Autrefois  ce  même  peuple  a  vu  brûler  te 


34.6  Tableau 

Suiilè  iconoclafte  en  réalité ,  &  s*en  eft  ré- 
îoui  de  même.  Cette  jurirprudence  de  nos 
aïeux  eft  un  peu  changée  Se  adoucie  :  ce 
qui  prouve  qu'il  vaut  mieux  voir  jetter  au 
feu  le  mannequin  que  Phomme  ;  mais  quand 
ne  brûlera- t-on  plus  le  mannequin  ? .  • . ,  Je 
n'en  fais  rien. 


CHAPITRE      CCCXVIIL 

Savoyards. 

•  ••••••••  Ces  honnêtes  tnfuits^ 

^Quï  de  Sûvoye  srrîvent  tous  ^es  ans , 

Et  dont  U  main  légèrement  ejfuîe 

€es  longs  canaux  engorgés  far  lafuUm 

Voltaire. 

Ils  font  ramonneurs,  commiflionnaîres,  & 
forment  dans  Paris  une  efpece  de  confédé- 
ration qui  a  fès  loix.  Les  plus  âgés  ont  droit 
d'infpedion  j(ur  les  plus  jeunes  :  il  y  a  des 

{munitions  contre  ceux  qui  fe  dérangent  :  on 
es  a  vus  faire  juftîce  de  l'un  d'entr'eux  qui 
avoit  volé  \  ils  lui  firent  fon  procès  &  le 
pendirent. 

Ils  épargnent  fur  le  fimple  néceflàîre ,  pour 

envoyer  chaque  année  à  leurs  pauvres  parents» 

Ces  modèles  de  l'amour  filial  fe  trouvent  (bus 

'  les  haillons ,  tandis  que  les  habits  dorés  çou-^ 

vreut  les  enfants  dénaturés. 


\ 


P  E      P  A  RIS.  347 

Ils  parcourent  les  rues,  depuis  le  matin  ju& 
qu'au  foir  ,  le  vifagè  barbouillé  de  fuie  ,  les 
dents  blanches ,  l'air  naïf  &  gai  :  leur  cri  eft 
long  ,  plaintif  &  lugubre. 

La  rage  de  mettre  tout  en  régie  en  a  for-r 
me  une  du  ramonage  des  ckeminées.  Les 
régi  fleurs  ontclafle  ces  petits  Savoyards  ; 
8c  l'on  a  vu  dans,  des  maisons  neuves  6c 
blanches ,  tous  ces.vifages  b^annés  8c  noir-^ 
cîs,  qui  ëtoieni:  aux  fenêtres ,  4?n  .attendant 
de  l'ouvrage.    ;. 

L'établiflèment  de  h  petite  pofte  a  fait 
tort  aux  Savoyards.  Ils  font  moins  nom- 
breux aujourd'hui ,  8c  l'on  dit  que  leur,  fidé- 
lité ,  fi  long- temps  éprouvée ,  commence  a 
n'être  plusja  même  ^  mais  ils  fe  diftinguent 
toujours  par  ramoor  de:  km:,  patrie  &  de 
leurs  parents.»  . 

Il  eft  bien  cruel  de  voir  un  pauvre  enfant 
de  huit  ans ,  les  yeux  bandés  8c  la  tête  cou- 
verte d'un  fac,  monter  des  genoux  8c du  dos 
dans  une  cheniinée  étroite  8c  haute  de  citt- 

?[uante  pîed§  ,  ne  pouvoir  irefpirer  qu'au 
ommet  périlleqx  ;  redefccndre  comme  il 
eft  monté ,  au  rifque  dç  k  rompre  le  col  , 
pour  peu  que  la  vétullé  du  plâtre  forme  un 
yuide  fous  fon  frêle  .point-d'appui  ;  8c  la 
bouche  remplie  de  fuie ,  l^touftant  prefque  , 
les  paupières  chargées,  vous  demander  cin^ 
fils  ,  pour  prix  de  fon  dânget  8?  dé  fc;s  pei- 
pest  C^  ainE  que  fe  cangionpent  toutes  le& 


54*  T  A  B  L  ï  A  tr 

ks  cheminées  de  Paris  ;  &  des  régifEson 
tf  ont  enrégimenté  ces  petits  maHieureiix ,  que 
pour  gagner  encore  fur  leur  médiocre  fakire.. 
Puiflènt  ces  ineptes  &  barbares  entrepre- 
neurs (è  ruiner  de  fond  en  comble  ,  ainfï 
<pie  tous  ceux  quî  ont  foUicité  des  privilèges^ 
exchijîfs  ! 

Ces  Allobroges  de  tout  fexe  &  de  tout 
âge  ne  fe  bornent  pas  à  être  commiflion- 
naires  ou  ramonneurs.  Les  uns  portent  une 
vielle  entre  leurs  bras ,  &  l'accompagnent 
d'une  voix  na(ale.  D'iautres  ont  une  boîte 
à  marmotte  pour  tout  tréfor.  Ceux-  ci  pro- 
mènent la  lanterne  magique  fiu:  leur  dos  ^ 
&  l'annoncent  le  foir  au  moyen  d'une  orgue 
Doâume  y  dont  les  fons  deviennent  phis 
agi  éables  St  plus  touchant  parmi  le  filence 
oc  les  ténèbres.  Les  femmes  étabnt  leur 
étonnante  fécondité  fous  le  mafque  de  la  lai- 
deur ,  vous  montrent  des  enfants  ,  &  dans 
leur  hotte  ,  &  pendus  k  leurs  mamelles ,  & 
fous  leurs  bras  ,  fans  compter  ceux  qu'elles 
chaflènt  devant  elles  ;  le  tout  pour  attirer 
les  aun^ncs  :  dégoûtantes ,  maigres ,  noires, 
&  paroîffànt  âgées ,  elles  font  toujours  groflès. 
9  pleine  ceinture. 

Les  vielleufès  des  Boulevards  portent  fut 
«ne  gorge  fouillée  un  large  cordon  bleu  y 
qui  quelquefois  a  fervi  à  une  majeflé.  Ce 
cordon  déchu  leur  fèrt  de  baridoulfcre,.  Aihfi 
les  marques  de  dignité  périflcnt  oui  ret<^ijC^ 

.Aeat  à  liuyc  yàiuUfi  exiiploi 


SE    Paris.  349 

Maïs  fortons  des  Boulevards ,  oîi  une  fou-» 
îe  de  travaillettTs  rient ,  comme  l'a  dit  un 
poëte , 

Di  cette  hetle  route  à  grande  coups  de  maffut  i 
En  caillou»  incruftés  parqueter  VétenduSm 


CHAPITRE     CCCXIX. 

Enfants  devant  leur  perc^ 

4\ien  n'étonne  plus  un  étranger  que  la  ma- 
nière lefte  &  peu  refpeâueufe  avec  laquelle 
un  fils  parle  ici  a  Ton  père.  Il  le  plaifante , 
le  raille ,  fe  permet  d^  propos  indécents  (ùic 
f  âge  de  l^uteur  de  Tes  jours  ;  &  le  père  a  la 
molle  complaifance  d'en  rire  le  premier  :  la 
grand'-mere  applaudit  aux  prétendues  genr 
ulleiBès  de  fon  petit-fils* 

On  ne  (àuroît  diftinguer  le  père  de  jà- 
miHe  dans  ion  propre  logis  :  on  le  cherche  ; 
il  eft  dans  un  coin ,  caufknt  avec  le  plus 
humble  &  le  plus  modefte  de  ta  fociëté.  S'il 
ouvre  la  bouche ,  fon  gendre  le  contredit , 
fes  enfants  lui  dtfent  qu'il  radote  ;  &  le  bon 
homme,  qui  auroit  envie  quelquefois  de  (k 
ficher ,  ne  l'ofè  pas  devant  ùl  femme.  Elle 
femble  approuver  le»  impertineticea  de  (è& 
enfants..  " 

Un  pcre  appeSe  fon  fik  Mon^air^  w  \^ 


550  Tableau 

tutoie  point ,  &  le  petit  bourgeois  à  l'inibe-- 
Hté  d'imiter  en  ce  point  le  grand  fèigneur» 

Ce  (jngulier  &  déplorable  abus  vient,  de 
la  coutume  de  Paris.  Elle  a  ôté  aux  hçm- 
mes  ce  que  le  droit  Romaia  leur  attribuoic  : 
les  femmes ,  en  vertu  dé  la  loi ,  deviennent 
prefque  maitredès*  La  fource  de  tout  le  mal, 
fi  l'on  y  prend  garde ,  eft  donc  dans  nos  loix 
civiles ,  oc  dans  notre  coutume  qui  accorde 
trop  aux  femmes. 

Qu'un  homme  fe  marie  ,  qu'il  perde  fbn 
cpoufe  ,  le  voilk  ruiné  :  les  enfants  viendront 
demander  le  bien  de  leur  merç ,  pourfiiî- 
vrontleur  père  en  juftice,le  réduiront  kla 
mendicité.  Les  loix  confàcreront  ks  indignés 
pour&ites  des  enfants,  &  perfonne  ne  trou- 
vera extraordinaire  ce  mépris  de  l'autorité 
paternelle.  Comment  a-t-on  pu  annuUerà 
ce  point  le  pouvoir  du  chef  de  la  famille  ? 

Souvent  donc  la  vie  d'un  bourgeois  fè 
paflè  k  être  tyrannîfé  par  fa  femme,  dédai- 
gné par  fes  filles ,  bafoué  par  fon  fils ,  défo^ 
béi  par  fes  domeftiques ,  nul  dans  fa  niaifon  , 
il  eft  un  modèle  de  patience  ftoïque ,  ou  d'iib. 
fenfibilité. 


V 
t 

l 

t 


B  £      P   A   K  I   S.  3^1 


V 


CHAPITRE    CCCXX. 
De  la  Langue  du  Monde. 

Juia  langue  du  monde  eftla  langue  des  corn-' 
pliments  \  mais  on  y  oublie  celle  qui  expri- 
me quelque  fentimcnt.  Les  mots  y  font  bien, 
on  les  prodigue  même  \  mais  ils  n'ont  point 
de  fens.  On  parle  enfin  comme  on  s'habil- 
le ,  avec  un  certain  luxe  agréable,  mais  vuide 
&  fuperflu. 

Les  indifférents  s'épuifent  tellement  en  pro- 
tellations ,  en  aflùrances  de  fervices ,  que  l'a- 
mi fe  trouve  réduit  a  ne  dire  qu'un  mot , 
pour  n'être  pas  confondu  avec  eux. 

Le  monde  polit  plus  qu'il  n'inllruit.  Il  ne 
faut  point  être  dans  fon  tourbillon ,  pour  bien 
le  connoître  &  fur  -  tout  pour  l'apprécier. 
Voulez  -  vous  être  fpeâateur  ?  Placez  -  voiB 
à  une  certaine  diftance.  Ceft  ainC que, pour 
bien  voir  la  marche  d'un  régiment  ,  il  ne 
faut  point  porter  le  fufil,  mais  être  fur  la  li- 
gne où  il  défile. 

Dans  le  monde  il  n'y  a  que  deux  claflcs 
d'hommes.  Les  uns  fongent  à  leurs  affaires  , 
&  les  autres  k  leurs  plaifîrs  :  les  uns  fe  tuent 
à  travailler ,  les  autres  à  jouir. 

Les  gens  du  monde,  quand  ils  voient 


3^1  T  À  B  L  E  A  ir 

qu'ils  ne  peuvent  avoir  de  Pefprit ,  tëmoi* 
gnent  hautement  que  c'eft  par  leur  propre 
choix  qu'ils  n*en  ont  point. 


CHAPITRE     CCCXXL 
Ton  du  Monde^ 

J^a  (bciëtc  \  Paris  a  fes  loix  partiailteres*  ^ 
indépendantes  de  toute  autre ,  &  qui  con- 
tribuent à  l'agrément  de  tous  ceux  -qui  la 
compofent.  La  fageflç  &  la  vertu  font  ret 
peâahles  ;  mais  elles  ne  fuffiTent'  pas  tou* 
}ours  pour  anéantir  certains  défauts  deftruc- 
teurs  de  la  noble  &  décente  familiarité  qii 
doit  régner  entre  les  honnêtes  gens. 

Quelquefois  on  pouflè  fon  avis  trcç  loin  , 
&  d'autant  pkis  à  tort  que  l'on  a  raîfon. 
Quoiqu'on  ait  droit  de  dédaigner  ,  on  dé- 
daigne avec  trop  d'appareil  On  veut  fiib- 
juguer  l'opinion  de  fon  voîfin  ,  parce  qu'on 
cfFremplî  de  fon  idée  ^  &  comme  l'homme 
vertueux  néglige  ees  petits  devoirs  ,  d'autant 
plus  que  fa  confcience  ne  lui  en  fait  aucun 
reproche  &  qu'il  fonde  fa  conduite  fîir  les 

Srands  principes  qui  dirigent  fa  vie ,  il  "eft 
on  d'inftituei:  ces  règles  fines  &  fixes  ,  qui  ^ 
comme  des  entraves  falutaircs ,  arrêtent  le 
bond  xxQiç  impétueux  de  la  vanité  &  de  roi-» 
gueil  xuéme  légitime» 


DE    Paris.  353 

Aînfi  Pair ,  le  ton ,  le  gcfte ,  Taccent ,  le 
regard  font  aflèrvîs  à  des  ufages  que  l'on 
dottrefped^r,  &  ces  formalités  reçues  eîi-' 
richiflènt  le  plaifir  d'être  enfemble  au  lieu  de 
le  détruire. 

On  a  fort  bien  dit ,  que  Thomme  fenfible 
eft  toujours  un  homme  poli.  On  peut  être* 
gauche  ,  marcher  mal ,  s'aflèoir  mal ,  fe 
moucher  de  travers  ^  renverfer  des  fieges-, 
danfer  comme  un  philofophe  ,  &  bleflèr 
mê^ne  le  petit  chien  ;  mais  la  bonté  ;du 
cœur,  faffabilité  naturelle  fc  diftingucront 
toujours  à  travers  l'ignorance  du  coftume  & 
des  coutumes  :  &  c'eft  cette  affabilité  qui 
conftitue  par-tout  8c  même  à  Paris  la  vraie 
poKteflè. 

Mais  on  s'îmagîne  en  même  temps  que 
ce  don  de  plaire  peut  tout  remplacer.  On 
ne  craint  plus  de  rougir,  pourvu  que  les 
manières  n'aient  rien  que  de  gracieux  ^  l'et 
prit,  rien  que  d'ingénieux  ^  les  raîfonnements , 
rien  que  de  captieux.  Sous  un  certain  man- 
que de  lûenféance  on  juflifie  en  d'autres 
termes  Part  de  ramper  &  de  s'enrichir  bàC- 
fement  :  on  donne  ^  plufieurs  fortes  d'avi- 
liflcment  des  noms  pompeux  :  on  appclle- 
roit  volontiers  fervir  l'état,  la  fervkude  au- 
près des  grands  ;  &  bientôt  on  voudra  nous 
perfuader  que  le  métier  cupide  de  courtifart 
eft  le  métier  le  plus  glorieux. 

Déjà  même  on  fait  entendre  qu'il  eft  une 


354  Tableau 

fourberie  néceflaîre  \  qu'un  hotinéte  hom* 
me  n'eft  bon  k  rien  ^  que  la  probité  eft  une 
nuance  de  bétîfe  ;  &  que  dans  un  fiede 
corrompu ,  il  n'y  a  que  For  qui  puiflè  dé- 
doiïimager  de  Tablènce  des  vertus*  Enfin  on 
commence  à  faire  entendra.  ••  Mais  )entt 
dois  pas  tout  dire. 


CHAPITRE    CCCXXII.  . 
Ton  d'un  grand  Monde.'  . 

JL/ans  le  grand  monde  ,  on  ne  rencomre 
point  de  caraâeres  outrés.  I^es  ridicules  y 
ibnt  adoucis  ^  &  les  préjugés  ,  quoique  fuo* 
fiftants  9  femblent  fe  difliper  pouc  tout  le 
temps  que  Ton  eft  enfemble. 

Une  noble  familiarité  y  déguife  avec 
adreflè  l'amour-propre ,  &  Thômme  de  ro- 
be ,  l'évêque,  le  militaire,  le  financier,  Phom- 
me  de  cour  femblent  avoir  pris  quelque  cho- 
fe  les  uns  des  autres  :  il  n'y  a  que  des  nuan- 
ces ,  Se  jamais  de  couleur  dominante.  On 
diftinguc  les  profeffions  ,  mais  elles  font  fon- 
dues &  ne  fe  montrent  point  pppofèes. 

Ceft  là  que  la  fociéte  eft  par  excellence 
un  véritable  concert.  Les  inftruments  font 
d'accord  ;  les  diflbnnances  y  font  exceflîve- 
ment  rares ,  &  le  ton  général  rétablit  bien- 
tôt l'harmonie* 


B  E     Paris.  35 <; 

La  confiance ,  l'amitié  n'y  régnent  pas;  les 
épanchements- de  cœur  y  font  étrangers: 
mais  au  défaut  du  charme  de  la  cordialité, 
on  y  rencontre  un  certain  échange  d'idées 
&  de  petits  fervices  qui  rapprochent  la  ma* 
niere  de  voir  &  de  fendr ,  &  qui  mettent 
les  hommes  à  l'uniflbn  :  avantage  remar- 
quable dans  une  fociété  où  les  prétentions  font 
extrêmes  ,  &  où  l'orgueil  eft  terrible ,  dès 
qu'il  n'cfl:  plus  voilé. 

Ce  font  les  idées  qui  foutiennent  Teforit  ; 
Se  pour  avoir  des  idées ,  il  faut  avoir  40èm- 
blé  pluGeurs  faits.  L'efprit  naturel  ne  fuffi- 
roit  pas  aujourd'hui  ,  parce  qu'il  faut  être 
inftruit ,  &  traiter  fouvent  des  grands  objets 
fur  le  ton  de  l'agrément  8c  de  la  légèreté. 

Plufieurs  femmes  ayant  perfedionné  leur 
efprit  par  le  commerce  des  hommes  éclai- 
rés 9  réunifient  en  elles  les  avantages  des 
deux  foxes  y  valent  mieux  à  la  lettre  que  les 
hommes  célèbres  dont  elles  ont  empmnté 
une  partie  des  connoiflànces  qui  les  diftin- 
guent.  Ce  n'eft  point  un  favoir  pédantet 
que  y  capable  de  décrédîter  toute  connoiC»- 
fance  ;  c'eft  une  manière  propre  d'ofer  pen^ 
fer  &  parler  jufte ,  fondé  for-tout  fur  l'étude 
des  hommes. 

Molière ,  qui  dans  (es  Femmes  favantes  ^ 
en  voulant  frapper  la  pédanterie  ,  a  frappé 
le  defir  de  s'inwruire  ,  Molière  regretterait 
d'avoir  retardé  les  progrès  des  coimoiflànces^ 


35($  Tableau 

s'il  voyoît  aujourd'hui  les  femmes  qnî  or- 
nciit  oc  parent  la  raifon  des  grâces  du  fcn- 
timent. 

En  général ,  à  Parts ,  les  femmes  qui  ont 
de  rcfprît ,  en  ont  p!us  que  les  honuiies  les 
plus  fpiritucls;  m^is  c^s  femmes-là  ne  fe  ren- 
contrent que  dans  le  grand  monde. 

Uulàge  du  monde  dépend  beaucoup  de 
Fhabîtude  :  Thabitude  feule  vous  fait  difcer* 
lier  au  premier  coup-d'ϔl  mille  convenances 
que  toutes  les  belles  leçons  du  (avoîr-vîvie 
ne^eous  apprendront  pas;  le  fbt  même  par 
l'habitude  a  beaucoup  d'avantage  iùr  Fhcùn- 
me  d'efprît.  Celui-ci  paroîtra  décontenancé^ 
lorfque  Fautre  fera  sur  de  fon  gefte  ^  de  (ba 
accent ,  de  fes  expreffions  :  û  ûlîGtsl  avec 
jufteâè  &  précifion  tout  ce  qui  forme  le 
commerce  de  la  focîété.. 

Lorfqué  M»  de  Voltaire  eft  venu  k  Pans 
en  1778,  les  hommes  du  ^and  monde  ^ 
experts  &r  ces  matières  ,  ont  remarqué  qu'a* 

frès  une  fi  longue  abfence  de  la  capitale, 
écrivain  renommé  avoit  perdu  ce  pcMnf 
jufte  qui  détermine  Fempreflèment  ou  la 
retenue ,  l'enjouement  ou  la  réflexion ,  le 
filence  ou  la  parole ,  la  louange  ou  le  ba- 
dinage.  Il  n'étoit  pins  d'accord ,  il  montoit 
trop  haut ,  ou  defeendoit  trop  bas  ;  H  avbit 
d'ailleurs  une  éternelle  dcmangeaifon  de 
paroître  ingénieux.  A  chaque  phrafe  on 
voyoit  Feffort ,  &  cet  effort  dégénéroit  en 
manie. 


DE     Paris.  3*57 

Quelques  hommes  dans  le  grand  monde 
(b  mettent,  à  J'ombre  de  leurs  dignités,  pour 
cacher  leur  infijffiûncei  ils  fe  dérobent  det- 
rîere  leurs  titres.  Il  n'y  a  point  de  lieu  néan- 
moins^ où  il  foit  plus  aifë  de  fe  faire  par- 
donner la  nullité  d'efprît  ;  tant  les  formes , 
les  manières ,  le  ton  ÔC  la  langue  qu'on  y  a 
adoptés  font  venus  au  fecours  de  ceux  qui 
ont  le  malheur  d'en  manquer. 

CHAPITRE      CCCXXIIL 

'  ■  ■ 
Sets  UJagcs  abolis^  .       . 

e  n'efl:  plus  que  chez  le  petit  bourgeois 
que  Ton  emploie  ces  cércmonies  faftidîe^n 
Tes ,  &  ces  façons  inutiles  &  éternelles  qu'il 
prend  encore  pour. des  civilités^  &  qiii  fa- 
tiguent à  l'excès  les  gens  qui  ont  l'ul^e  du 
monde.  • 

On  ne  vous  fait  plus  mille  excufes  de 
vous  avoir  donné  un  fi  mauvais  repas  ;  on 
ne  vous  preflè  plus  de  boire  ;  on  ne  tour- 
mente plus  fes  convives  pour  leur  prouver 
qu*on  fait  recevoir  fon  monde;  on  ne  vous 
prie  plus  de  chanter  ;  on  a  renoncé  à  ces 
ufages  ridicules  9  fi  familiers  à  nos  ancêtres  ^ 
liialheurcux  profélytes  d'une  coutume  gê- 
nante 8c  contrariante  qu'ils  appelloi^ent  iwru^ 
nëtetL 


3^8  Tableau 

La  table  étoit  pour  eux  une  atene,  où 
les  afliettes  renvoyées  faifoient  &ns  ceflè 
le  tour ,  jufqu'à  ce  que ,  venant  ^  le  ren- 
contrer dans  un  choc  impétueux  ,  elles  (c 
brifoient  fous  les  mains  civiles  qui  s'effi>r« 
çoient  de  les  paflèr  à  leurs  voifins.  Pas  ua 
moment  de  repos;  on  fe  bataillott  avant 
le  repas  &  pendant  le  repas  avec  une 
opiniâtreté  pédantefque  ,  &  les  experts  ea 
cérémonies  applaudmbient  à  ces  puériles 
combats. 

Les  demoifelles  ,  droites,  filencieufès^' 
immobiles ,  corfëes ,  bufquées ,  les  yeux  éter* 
nellement  baiiles ,  ne  touchoient  à  rien  fîir 
leurs  afliettes;  8c  plus  on  les  prefloit  dç 
manger ,  plus  elles  comptoient  donner  une 
preuve  authentique  de  tempérance  8c  de 
modeftie  en  ne  mangeant  pas. 

Au  deflèn  elles  étoient  obligées  de  chan^ 
ter  ;  &  le  grand  embarras  étoit  de  pouvoir 
chanter  fans  pleurer ,  &  de  répondre  aux 
louanges 'qui  pleuvoîent,  fans  regarder  ceux 
^ui  les  leur  adreflbient. 

Aujourd'hui  les  demoifelles  mangent,  & 
ne  chantent  plus ,  jouiflènt  d*une  liberté  dé- 
cente, regardent  autour  d'elles,  parlent  un 
eu  moins  que  leurs  mères ,  &  d'un  ton  plus 
as  ,  &  fourient  feulement  au  lieu  de  rire  : 
elles  n'ont  que  la  contrainte  qui  fîed  à  leur 
âge ,  &  qui  rehauflè  l'innocence  4e  leuss 
charmes. 


i 


/ 


DE    Paris.  3^9 

La  vraie  civilité  a  banni  ces  imperti- 
nentes politefles  i,  fi  chères  à  nos  aïeux.  Fon- 
dée fur  le  bon  fens ,  elle  n'embraflè  point  & 
ne  paroit  point  gênée  ;  elle  obéit  aux  cir« 
confiances,  fe  plie  fans  eâ^rt  à  tous  les  ca- 
raûeres ,  ne  s^appefantit  fiir  rien ,  diflimule 
ce  qu'il  faut  diflimuler ,  met  à  fon  aife  au- 
trui y  &  ne  s'égare  point,  parce  qu'elle  fuit, 
non  des  regJes  abfiirdes ,  mais  ce  que  lui  diâe 
une  bienveillance  raifbnnée. 

Cette  civilité  peut  mémie  aujourd'hui  fê 
paflèt  d'expérience ,  parce  qu'on  n'ofïènfe 
prefque  jamais  lorfqu  on  ne  veut  pas  ofFen-* 
ier,  &  fiir-tout  lorfqu'on  ne  montre  ni  or- 
gueil ikffifànt-,  ni  prétemions  déplacées.  Ces 
«deux  vices  ne  font  pas  détruits  ;  il  s'en  faut  ; 
mais  ils  ne  fe  montrent  que  rarement  dans 
la  focîété ,  on  bien  Fon  en  fait  juftice  fur  le 
champ;  ce  qui  corrige  &  remet  l'homme 
.impoU  au  ton  généraJu 


1  . 1 


r   't 


360  Tableau 


CHAPITRE    CCCXXIV, 

Légères  Obfirvations. 

JLes  Parificns  font  fort  fujets  k  giaflèyer. 

Il  y  a  plus,  ils  ne  s*appcrçoîvcnt  point  de 
ce  défaut  dans  leurs  aâeurs  \  &  quand  ceuxr 
ci  ne  font  pas  gratifiés  de  cet  heureux  ta« 
lent ,  ils  l'acquièrent  au  plus  ^nte  ,  afin  de 
plaire  davantage, 

-  Un  Parifien  a  une  peine  infinie  à  mouil- 
?ler  deux  LL,  &  ne  peut  jamais  ptxxioncer 
x»iTime  îl  faut,  bouiÛaq, paille,  VerJailUs* 

Les  Parifiennes  font  maigres ,  &  k  tnentc 
ans  n'ont  plus  de  gorge  :  elles  font  au  dc- 
ièfpoir  quand  elles  commencent  à  groflîr , 
&  boivent  du  vinaigre  pour  fe  confèrver  la 
taille. 

On  criaille  dans  les  focictés  de  province  ; 
à  Paris ,  on  parle  bas.  On  appelle  Madame 
toutes  les  femmes,  depuis  la  ducheflè  juf- 
qu'k  la  vendeufe  de  bouquets  \  &  bientôt  on 
n'appellera  plus  les  demoifelles  que  Mada-* 
mc^  tant  il  y  a  de  vieilles  filles  qui  font 
équivoque. 

L'étranger  a  peine  à  concevoir  comment 
îl  y  a  dans  le  royaume  un  prince  &  une 
princejfe  qui  n'ont  pas  d'autre  nom  que 

celui 


DE      P  A   R   î  S.  ^6t 

4:elui  de  Mon/leur  &c  de  Madame ,  lorfqiie 
tout  le  monde  l'appelle  ainfi;  Tous  les  au^ 
très  individus  font  donc  des«  ufiirpateurs  de 
ces  deux  auguftes  ûtres  !  Un  poète  ,  fore 
^mbarraffî  du  protocole, amis  à  la  fin  d'une 
cpître  dédicatoire  :  Je  fuis ,  Monfiigneur  ^ 
Ae  Monfieur^tc  très-^mmbît  ^  &c. 

On  donne  le  nom  de  demoiJèUe  à  toutes 
les  filles  ^u'ontie  tutoie  pas.  Les  demoirelles 
commencent  k  aller  dans  le  monde  (ans 
.leur  mère. 

L'art  &  le  goût  pardiflènt  plutôt  dans  le 
,rdéshabillé  que  dans  la  grande  parure. 

Les  hommes  à  Paris  coiùmencent  à  fe 
faner  k  quarante  ans. 

Tout  fe  prend  k  crédit  ,  (ans  quoi  le 
marchand  ne  vendroit  pas.  Il  aime  mieux 
s'expofèr  à  quelques  pertes ,  que  de  ne  pas 
vuider  fon  magaCn  ;  il  vend  un  peu  plus 
ther,  &  paflè  en  compte  tout  ce  qu'il  a 
perdu. 

On  n'eft  point  humilié  à  Paris  par  un 
Monfieur  V Intendant ,  par  fon  fubdélégué  ^ 

Ear  le  gouverneur ,  par  le  commandant  de 
i  province,  &c.  On  ne  rencontre  point 
Monfieur  le  préfid^nt ,  Monfieur  le  procu- 
reur du  roi  a  la  mine  rogue  &  fiere;  les 
hommes  y  font  plus  égaux  qu'ailleurs. 

Quatre  hommes  (ont  toujours  en  fimar^ 
re,mais  on  ne  les  rencontre  nulle  part^  le 


36^  Tableau 

chancelier  y  le  premier  préfidcnt,  le  Keuje- 
Dant .civil ,  ôcle lieutenant -crimineL 

Quand  on  fe  rencontre  Êice4  face  avec 
on  prince  du  lang ,  on  le  4'6garde  fixement 
(ans  le  faluer ,  Se  on  lui  fait  ^^hce  par  poii- 
;eilè  :.f 'eft  un  plus  grand  feigneur  que  les 
feigneurs  ordinaires  ^  voiËi  tout.  Il  n'eft  pas 
fachc  qu'on  le  regarde  ^  cela  veut  dire  cproo 
le  connoît. 

Les  événements  les  plus  ^xtraocditiaires 
n'occupent  la  capiule  que  pendant  huit  jours. 
Les  gens  à  talents,  qui  abondent ,  ne  font 
fêtés  que  dans  un  moment  d*ef&rvefcence^ 
k  lendemain  on  paflè  k  un  autre  heureuxj 
qui  met  à  profit  Téclair  de  cet  enthoufiaG- 
nie.  Et  quel  eft  le  ibpréme  talent  )  Celui 
d'amufer. 

Quiconque  a  un  Sinjfe ,  refufe  le  paiement 
à  qui  bon  lui  (ènibie  li  on  publie  avec  often- 
tation  que  Ton  ell  miné. 

Il  y  a  des  amîs  de  table  qui  enlèvent  leuw 
-  promeflès  avec  la  nappe  ;  quand  ils  vous 
ont  régalé ,  ils  le  croient  difpenfés  d'acquit- 
ler  leurs  paroles. 

Lesfcmmes  ne  tiennent  plus  en  main^ 
ni  l'aiguille  a  coudre ,  ni  l'aiguille  a  tricoter  ; 
elles  font  du  filet ,  ou  brodent  au  tambour. 
Tout  l'argent  des  provinces  reflué  dans 
la  capitale,  &  prefquc  tout  l'argent  de  la 
capitale  paflè  par  les  mains  des  courtilannes. 
^es  jolies  feiiomes  s'aflocient  à  quek^es 


DE      P  A   K   l   S.  363 

perfonnes  laides,  afin  qu'elles  leur  fer  vent 
d'ombre. 

Les  meubles  font  devenus  le  plus  grand 
objet  du  luxe  ou  de  dépenfe  :  tous  les  lix  ans 
on  change  fon  ameublement  pour  fe  pro- 
curer tout  ce  que  l'élégance  du  jour  a  ima- 
gine de  plus  beau.  U  faut  que  les  lits  foient 
uiperbes,  que  tous  les  appartements  foienc 
boifés  avec  un  vernis  précieux  y  &  des  ba- 
guettes ^n  or  ;  &  le  Ihxc  eft  venu  pour  îmî* 
ter  les  colonnes  de  marbre  à  s'y  méprendre. 

On  foule  des  tapis  de  trente  mille  livres  y 
dont  l'afage  n'étoit  autrefois  que  pour  le  mar^ 
che-pied  des  autels* 

On  ne  voit  plus  de  poutres  dans  les  maî- 
fons;  ce  feroit  une  indécence  af&eufe.  Tous 
les  appartements  font  percés  pour  le  conduit 
des  fonnettes  ;  c'eft  une  fcience  à  part.  Telle 
femme  Tonne  quand  fon  mouchoir  eft  tom- 
bé 9  afin  qu'on  le  ramafle. 

Un  fallon  n'eu  pas  habitable  s'il  n'a  fèîze 
ou  vingt  pieds  de  hauteur  :  les  bourgeois  font 
mieux  logés  quexi'étoient  les  monacques ,  il 
y  a  deux  cents  ans.  Il  n'y  a  plus  de  tabow* 
r£ts  que  chez  le  roi  &  la  reine  ^  les  metteurs- 
en-œuvre  &  les  cordonniers.* 

Le  laquais  d'un  feigneur  porte  la  montre 
d'or  cifelée ,  des  dentelles ,  des  boucles  à  bril- 
lants,  &  entretient  une  petite  marchande 
démodes. 

Que  de  gens  ne  narrent  fi  facilement^ 


3^4  T  A  -B   L  E  A  U 

-  qne  parce  qu'ils  dTfent  fans  peine  ce  qui  ne 
•leur  coûte  rien-  à  penfer  ! 

Je  croîs  que^  IHnventaire  de  notre  mobi- 
lier ctonneroit  fon  un  ancien  s^il  levenoit 
au  monde.  La  langue  des  huifliers<prifeurs , 
>  qui  favent  le  nom  de  cette  foule  immenfe 
de  fuperfluités ,  eft  une  lapgue  très-détâill^ , 
wès-riche,  &  très-inconnue  au  pauvre. 
Les  femmes  ne  fe  mêlent  plus  dtt  mé* 
"  nage ,  k  moins  qu'elles  ne  foient  femmes 
d'artifans. 

L'honneur  d'une  fille  cft  à  elle^  elle  y  re- 
garde à  deux  fois  :  Thônneur  d'une  feipme 
eft  k  fon  mari^  elle  y  regarde  moins. 

•Le  ton  du  fiecle  a  fort  abrégé  les  céré^ 
monies,  &  il  n'y  a  plus  guère  qu'un  provin- 
cial qui  foît  un  homme  cérémonieux. 

De  toutes  les  couwmes  antiques  &  tri- 
viales ,  celle  de  fàluer  lorfqu'on  étemue  eft 
la  feule  qui  fubfifte  encore  de  nos  jours. 

On  ofe  pre(que  fe  vanter  d'avoir  un  bon 
eftomac ,  ce  qu'on  n'auroît  pas  ofé  faire  il 
y  a  vingt  ans.  Les  laquais  ne  s'en  vont  plus 
'  au  deflert ,  &  reftent  julqu'à  la  fin  du  repas. 
"On  ne  falonge  plus ,  il  eft  plus  court;  & 
'  cen'eft  plus  à  taHeque  Ton  difcourt  en  li- 
berté ,  ni   que  Fon  fait  des   contes  amu-i 
"'  iàtîts. 

Le  public  prononce  deux  fentences  :  la 
'  première  eft  précipitée  &  précède  l'examen^ 
"la  féconde  ne  vient  cpit  quelque  temps  après  ; 


DE    Paris.  355 

nuis  celle-là.  eft  niociyée  y  &  ordinairement 
il  n'y  a  plus  d'appel. 

Je  ne  confeille  pas  à  l'honnête  homme 
qui  n'a  point  de  laquais ,  d'aller  diner  dans 
une  grande  nxaifon.  Là  on  ne  boit  qu'à  la. 
difcrétion  des  domeftiques.  A  votre  modefte 
commandement ,  ils  feront  une  pirouette 
{iir  le  talon ,  &  courront  au  huSét  chercher 
à  boire  pour  un  autre.  Bientôt  la  fécherefl^ 
du  gofier  vous  empêchera  d'élever  la  voix  : 
on  n'interprêter^a  pas  mieux  vos.  regards  ftip- 
pliantsque  vos  demandes.  Vous  (eotkez  le 
feu  prendre  à  votre  pal^iis  5  -&  vous  ne  pour- 
reitplus  goûter  aucun  des  mets  qui  feront 
fur  la  taUe.  Il  fau4ra>atten4re  la  fin  du  re- 
pas pour  vous- humeâer  enfin  d'uir  grand 
verre  d'eau.  Cette  méthode  a  été  imaginée 
pour  donner  une  forte  d'excluiion  aux  per* 
fbnnes  qui  n'ont  pas  de  domeftiques.  Ceft 
ainfî  que  lès  riches  préfefvent  leur  table  d'une 
trc^  grande  affiùence.  r 

La  plupart  des  femmes  ne  commencent 
àr  dîner  qu^  Péntre-mets^ 

Etre  malade  à  Paris  eft  un  état  ;  lès  fenh* 
mes  le  choifîflènt  4^  préférence  ^  comme  le- 
plus  întéreflant. 

L'air  de  cour  eft  Jàvôîr,  comme  les  gens 
dé  lettres,  une  épaule  plus  élevée  que  l'autre. 

Les  hommes  portéht  maintenant  un  très^ 
gros  diamant.au  col ,  ôc  n'en  ont  plus  à  leus 
montra^ 

Q3 


366  T  A.  B   L  E   A   tf 

Il  n'y  a  qu'un  homtne  abfolument  dé- 
laifle  qui  doive  paflèr  tout  Tété  à  Paris.  Il 
eft  du  bon  ton  de  dire  fur  le  Pont  -  Royal  : 
JT abhorre  la  vitte ,  je  vis  à  là  campagne. 

Il  n'y  a  plus  cThommes  ruftkpies  \  maïs 
le  fat  m  encore  commun. 

Les  femmes  du  rang  le  plus  dîftingué 
trichent  quelquefois  au  ]eu  arec  une  tran- 

Juille  audace  :  elles  ont  en  même  temjfl 
e&ontene  de  dire  ^  celui  dont  elles  ont 
placé  Targent  iîir  une-  carte  qui  gagne , 
qu'elles  n'ont  pas.  mis.  Comme  cela  arrive 
au  jeu  des  princes  ,  on  ne  peut  fe  yenget 
d'elles  qu'en  publiant  le  &it  le  lendemain 
dans  tout  Paris.  EUes  font  femblant  d'igno- 
rer le  bruit  qui  court. 

Lt  ton  des  femmes  de  qualité  eft  devenu 
extrêmement  fier ,  tandis  que  le  ton  des 
feigneurs  eft  honnête. 

Les.  Parifiennes  achètent  quatre  ajufte- 
Xiients  contre  une  chemife.  On  a  de  la  toite 
en  province ,  &  des  blondes  dans  la  capitale. 

Un  ouvrage  en  plufieurs  tomes  n'eft  ja- 
mais lu  à  Paris  que  quand  la  province  Sc 
l'étranger  ont  décidé  Ion  mérite. 

Il  n'y  a  rien  de  fi  rare  que  de  trouver 
parmi  nos  moines  un  vifage  de  pénilent;  & 
les  jeunes  gens  ont  un  air  pâle  &  livide, 
qui  ne  vient  pas  toujours  de  la  débauche, 
mais  du  peu  d'exercice. 

Nos  penfces  deviennent  fi  fubtiles,  quVHes 


ir  E-   Paris.  3^7 

/exhalent  de'nianîere  qu'il  ne  reflerien:  la 
chymie  eft  la  fcience  que  Ton  étudie  le  plus. 

Tel  Journalîfte  eft  quelquefois,  coirfor- 
mément  à  fes^  intérêts  difKrents ,  le  plus  vil 
des  flatteurs.^  &^le  plus  infolenrdes  critiques. 

Les  grands  en  général  ont  aujourd'hui 
Fefprit  ai^  vulgaire  que  le  peuple  même  : 
ils  dédaignent  comme  lui  ce  qu'ils  ne  fen^ 
tent  pas,  &  ne  s'occupent  que  de  rapports 
puériles  &  miferables.- 

II  eft  inipoflible  à  Paris  d'avoir  ji^ice  d'un 
grand  :  il  obtient  fur  le  champ  un  arrêt  du 
conièil ,  &  toute  inftruâion  ceflèv 

Un  traitant  ayant  lu  fur  une  colonne  Paf^ 
fiche  d'un  livre  qui  portcât^ur  tîtrd  :  Traité 
de  Famc^  demanda- quel  pounoit  être  ce 
traité ,  le  feul  auquel  il  ne  fut  point  intéreffê  ; 
le  feul  dont  il  ne  ccmnût  point  la  nature  ni 
le  produit.  • 

Oh  appelloît  autrefois  lés  évêques  révf' 
rends  ^  révérendiffimes  ;  aujourd'hui  on  les 
appelle  Monjeigneur ,  &  perfonne  nelcut 
refufe  ce  titre ,  quoiqu'on  (burie  un  peu  tout 
bas  en  le  leur  appliquant.  Rien  de  plus  cu-^ 
rieux  que  de  voir  deux  évêques  fe  monfci" 
gncurifcr  avec  une  gravité  foutenue. 

Les  princeflès  ,  les  ducheflès  font  d'un 
caraâere  plus  uni,  plus -rond,  plus  facile  , 
que  les  marquifes ,  les  comteflès ,  &  autres 
femmes  de  qualité  ,  en   général  ailèz  im« 
pertinentes  : 

Q4 


^^8  Tableau 

JUmptr  avec  bsjftffé  t»  afiSant  P audace^ 
S^engraijer  de  rëp'au  m  ûU^féMt  l€s  /•/«  » 
Etouffer  en  feentfêm  ëmi  ft/ûn  embraft^ 
Voilà  Phonmeur  ^i  reggê  à  /r  fuite  des  wùU^ 

Os  vers  de  Voitake  font  pai  connus^ 
&  méritent  de  Fêtre. 

Ceft  en  province  que  Ton  a&âe  de 
prendre  les  manières  &  le  ton  de  Paris; 
mais  celui-cî  eft  aifé ,  facile ,  (ans  gâne  ;  & 
celui  qu^on  affeâe  aHleurs  eft  lourd ,  pefiuic  ^ 
uniforme. 

Cléon  appelle  Damis  fon  ami  :  c'eft  uo 
Iioimne  dont  il  a  fait  la  connoiHànce  il  y 
a  vingt  -  quatre  heures  ;  auili  quelqu'un  di- 
ibit  :  ]'ai  fait  cette  année  trou  cents  foixan* 
tç- quatre  amis.  Il  étoit  au  trente -un  Dé» 
cembre» 

Toutes  les  villes  du  royaume  s'inquiètent 
de  Paris  autant  par  jaloufîe  que  par  curio- 
fitë.  Paris  ne  s'ènibarraflè  d'aucune  ville  da 

tlobe  ^  &  ne  fonge  qu'à  ce  qui  fe  paflè  dans 
m  fein ,  &  à  ce  qui  fe  fait  à  Verfailles. 
On  entend  parler  de  Lyen ,  de  Bordeaux^^ 
de  Marfeilles ,  de  Naiites  ;  on  croit  à  l'opiK 
lence  de  ces  villes ,  mais  point  à  leurs  amu^ 
fements,  à  leurs  plaifîrs,  encore  moin»  à  leur 
goût.  Le  titre  d'académicien  de  province  eft 
un  titre  qui  feît  rire  \  &  tel  verulicateur  qui 
ne  fréquente  que  les  cafés  ^hauflera  les  ëpau* 
les  au  nom  d\jn  homme  de  mérite  qui  lui 
.paroîtra  ridicule  ,  uniquement  parce  qu'il 
éait  en  province. 


1>  £     P  A^  Bi  l:3l     . 

Bariis  vent  être  le  centre  unique  des  arts, 
âès  idées  ,  des  fentiments ,  &  des  ouvrages 
de  littérature  ;  8c  cependant  il  n'eft  plus, 
permis  qu'aux  fpts  auteurs  d'imprimer  en 
France. 

La  plupart  des  opulents  Parifiens ,  enfon- 
cés dans  leur  fallon  &  iè  mirarit  dans  leurs 
glaces ,  ne  communiquent  point  avec  le  fir- 
mament, ni  avec  le  ciel  étoile.  Ils  regar- 
dait le  foleil  lans  reconnoiflàiîce  ,fans  al- 
miration  ,  &  à  peu  près  comme  le  laquais 
qui  les  éclaire» 


G  HA  P  I  T  R  E      CCCXXV. 

Pain  de  Pommts  de  terre.  ■. 

.^tjtcntlf  à  Paltment  des  pauvres ,  dont  le 
nombre  doit  effrayer ,  je  ne  paflèrai  pas  foi* 
filence  la  méthode; d*un  ami  de  rhurrianîtë , 
qui ,  tandis  que  tant  d'àuttes  artifans  du  luxe 
travaillent  pour  la  table  des  riches  ^  a  fongé 
à,  celle  des  indigents. 

Grâces  foient  rendues,  k  M.  Parmentierî 
Qu'importe  que  fa  méthode  ne  foit  pas  nou- 
velle, quelle  foitufitée'aiUeurs?  Il  aous  fa 
ait  connoitre  \  nous  qui  et)  avions,  hefoin. 
H  a  fait  des  expériences  pour  la  panïfica'- 
ûtîujdcs  .gommes  de  tçrre  \  &  fi  le  fuccès  y 

Q5v 


.370  T  A  B  I  E  A   U 

comme  il  s'en  flatte ,  parvenok  à^  (kbftîtuer 
en  partie  ce  végétal  d'une  cukure  facile  & 
aflùrée  ,  au  froment  que  les  travaux  &  les 
fiieiirs  de  l'homme  paient  fi  cfaer^  ce  phy* 
licien  auroit  fait  une  découverte  infiniment 
utile ,  8c  donné  un  préfent  inappréciable  k  la 
ioombreufe  claflè  des  néceflîteux.  * 

C'eft  à  Park  fur-4:out  que  Ton  (êntiroit  de 
€fàc\  prix  feroit  la  reflburce  d'une  racine  qui , 
(b*  développant  avec  sûreté  &  bravant  les  ac- 
cidents qui.  ravagent  les  meiflons ,  devien* 
droit  un  remède  à  la  difette  accidenteUe  àxL 
bled ,  &  aux  horreurs  du  monopole  encore 
plus  funefle« 

La  fubfiftance  du  peuple ,  pour  qui  mon 
ccpur  s'iiitéreflè.  fpéçîalement ,  ne  feroit  pks 
livrée  à  la  dîfpontion  des  éléments  &  k  la 
fpéculatîpn  de  l'avarice.  La  pommt  de  terre 
qui  ne  craint  ni  les  gelées ,  ni  les  grêles ,  ni 
les  orages ,  ni  les  vents ,  ni  la  pluie ,  s'offte 
également  dans  tous  les  terreins ,  pour  Ce 
convertir  en  pain  nourriflànt  &  favoureux. 

Puifle  la  manipulation  en  devenir  auffi 
aîïte  que  la  culture  !  Cette  fubftance  fari- 
neufè  ,  qui  fè  propage  fans  peine  &  fans 
tSon  au  deflùs  de  la  furface  du  fol ,  l'em- 

?ortera  fur  le  bled ,  qui  fi  fouvent  trompe 
attente  de  l'homme  ,  &  échappe  enfuite 
aux  n^ains  qui  l'ont  fait  croître ,  pour  fèrvif 
d'objet'  de  coninierce  à  la  cupidité  la  plu& 
înçurtriere» 


jy  E     P  A  R  I  s.  37r 

jTattends  donc  avec  empreflèment  le  fuc- 
CCS  d'une  méthode  qui ,  finiplifiée  &  rendue 
générale ,  donnera  une  perfedion  nouvelle 
à  la  panification  de  ces  précieufes  racines;' 
Ma  reconnoilîànce  particulière  éclatera  en- 
vers ce  nouveau  Triptoleme ,  qui  aura  mi^ 
la  fubfiftance  de  la  multitude  à  l'abri  de  Tar- 
dent monopoleur  ,  &  j'annoncerai  tous  les' 
avantages  quc^  j'apperçois  dans  une  décou-* 
verte  que  Pigncwrance  &  hr  frivolité- ont  dé- 
daignée avec  cette  hauteur  dénigrante  qur* 
caradérifè  le  fiecle  ou  j'écris- 

Pour  moi ,  je  la  regarde  comme  devanr 
avoir  la  plus  grande  influence  for  l'homme,  » 
fur  fa  liberté  &  fur^  fon  bonheur.  Je  fuis', 
fur  cet  article,  del'avis  de-Mi*  Linguet,  (r 
éloquent  quand  il  z  raifon  %  je  penfe'  ^  com-' 
me  lui ,  que  le  bled  qui  nourrit  Thonlme  , 
a  été  en  même  temps  fon  bourreau  ^  je  croir 
qae  la  chymie  ,  la  plus  utile  des  fcîences  , 
pourroit  nous  donner  un  pain  moins  chère- 
ment acheté  ,  moins  a  ia  dîfpofition  dcsî^^ 
grands  propriétaires  ,  dé  ces  tyrans  de  la  < 
ïociété,  îefquels  protègent  toujours  les  avides 
calculateurs ,  parce  qu'Ss  partagent  avec  eux.  . 

L'expérience  a  prouvé  qu'il  étoit-  poflible 
de  fabriquer  un  panr  d'une  autre  fubftance 
que  de  fleur  de  froment  :  c'eft  déjà  un  grand 
£oînt.  Eh  !  qui  pourroit  demeurer  îndifterent 
%si  une  pareille  découverte ,  &  ne  pas  voir 


372^  Tableau 

les  avantages  immenfes  qui  en  réfulteroîénfr 
pour  la  félicité  publique  ? 

Depuis  la  première  impreffion  de  cet  ar- 
ticle ,  on  a  ^ait  du  bifcuit  de  pommes  de- 
terre  :  mais  on  a  encore  mieux  fait  ^  on  a 
converti  la  patate  en  pain  .&  en  bifcuit. 
Quel  trélbr  pour  les  colonies  affligées  par 
CCS  violentes  convulfions  de  la  nature ,  par 
ces  ouragans  qui  détruisent  toute  récolte  ^ 
&  expofêes  d'ailleurs  aux  ravages  de  laguene 
&  aux  cruels  hafards  de  FOcéan  ! 

Le  bifcuit  de  pommes  de  terre  Femporte 
£ir  le  bifcuit  de  froment  ;  mak  le  pain  de 
patate  a  beaucoup  d'avantages  (ùr  la  pom- 
me de  terre ,  en  ce  que  la  patate  eft  plus, 
farineufè ,  moins  aqueufe ,  Se  qu'elle  con- 
tient fur -tout  un  principe  fucré  &  nutritif 
qui  la  rend  plus  propre  à  être  convertie  ea 
pain ,  &  à  s'aflimiler  à  notre  fubftance. 

Je  ne  fais  fi  je  me  trompe  dans  mes 
vœux  ardents  ,  mais  je  penfc  que  la^chymie 
pourra  tirer  un  jour  de  tous  les  corps  u» 
principe  nourriflànt ,  &  qu'il  fera  alors  auffi 
facile  à  lliomme  de  pourvoir  à  fa  fubfiftan- 
ce ,  que  de  puilèr  l'eau  dans  les  bcs  &  les 
fontaines. 

Et  que  devîendroîent  tous  ces  combats 
de  l'orgueil  ,  de  l'ambition ,  de  l'avarice  ^ 
toutes  ces  cruelles  înftitutîons  des  grande 
empires  ?  Une  no'Trîture  aifee  ,  facile  y 
abondante  ^  à  la  difpofitiou  de  llionHne  ^ 


D   E       P   A   Bi  I   s.  373 

feroît  le  gage  de  •  fà  tranquillité.  &  de  fes 
vertus.  Nos  malheureux  fyftêmes  politiques 
fèroîent  tous  renverfés.  Travaillez ,  travail 
kz  ,  bons  chymifies  t 


CHAPITRE      CCCXXVL 

Aumônes^ 

vJrn  faifoît ,  dans  le  fauxbourg  Saint-Ger^ 
main ,  une  collede  pour  de  pauvres  mat- 
heureux  qui  avoient  été  incendiés.  Ceux  qui 
recueîlloîent  les  aumônes ,  entrèrent  chez  un 
particulier  qu!on  fa  voit  fort  riche  :  illes  reçut 
au  mois  de  Décembre  ,  dans  une  chambre 
froide  ;  &  tandis  qu'ils  délioient  les  cordons 
de  leur  bourfe ,  le  maître  grondoit  fort  fâ 
fervante  de  ce  qu'elle  avoit  employé  une 
allumette  entière  pour  allumer  un  fagot  qi» 
attcndoit  la  flamme ,  lui  montrant  dans  un 
recoin  de  la  cheminée  des  allumettes  à  demi- 
biûlées ,  &  réfervées  pour  cet  ufage. 

Les  coUedeurs  n^àuguroient  pas  trop  bien 
de  la  libéralité  du  maître  qui  faifoit  une  telle 
femonce  ,  lorfque  celui-ci  courant  a  une  ar-^ 
moire  fecrete ,  en  tira  une  fomme  telle  qu'on 
n'en  donne  guère  en  fait  d'aumônes.  Les 
coUeâeurs  ne  purent  s'empêcher  de  lui  mar- 
quer leur  furprilè ,  ftir-tout  après  les  paroles 


ïï 


374  T'A  B-L  E  ArJÎ' 

*ju*ils  *venoîënt  dVntendre*-  MtJJkurs  ^  leur 
dit  Phonime  bienfaifant ,  apprcuG^  que  cUft 
par  de  telles  épargnes  que  je  me  mets  en  état 
de  faire  de  fortes  charkés  aux  pauvres  (i); 
Les  aumônes  qui  fe  font  à  Paris  font  abon* 
dântes  ;  que  Dieu ,  auteur  de  tout  bien  ,  ett 
(bit  loué  !  Ces  âmes  charitables  font  plus 
ppqr  Tordre  &  la  tranquillité  publique ,  qu» 
toutes  les  loix  (ëveres  Se  réprimantes  de  la 
police.  Sans  ces  bienfaiteurs ,  le  frein  politi- 
ue  feroit  brifé  à  chaque  iniîant  par  la  rag^ 
le  dëfefpoif.  Sî^la  niaffè  deis-  calamités 

rniculieres  eft  diminuée,  nous- Ir  devons 
une  foule  d'à  mes  céleftes  qui  Hfe  cachent 
pour  faire  le  bien.  Le  vice  ,  la  folie  &  Por*- 
gueil  fe  montrent  en-  triomphe  :  la  tendre 
commifération  ,  la  -  générofité  ,  la  vertu  fé 
déroben^  à  Toeil  du  vulgaire  ,  pDur  fervir 
rhumanité  en  filence ,  fans  fafte  &  fans  oD 
tentation ,  fetisfaites  du  regard  de  PEter- 
îiel  (i), 

(i)  Cette  aneèdote  pourroit  fort  bien  être 
jéngloife^*-  mais  on  m'a  certifié  qu'elle  s'éteit  rc* 
nouvelle  à  Paris,  Rien  de  meilleur  que  Tcxem- 
ple  pour  la  propagation  du  bien. 

(2)  Citons  le  médecin  Bxayer,  Chaque  premies 
jour  du  mois  il  portoit  en  cachette  à  fon  curé , 
pour  les  pauvres  honteux  de  fa  paroifle  ,  un  fac 
oc  mille  francs  ;  pendant  qtiinze  années  confécu- 
tives  il  fit  le  même  voyage  :  fomme  totale  ,  cent 
<piatrc-vint mille  livres.  Faire  le  bien,  c'eft  déj^ 
bcaucoap  ;  mcûs  h  confiance  dans-  le  bien  l 


B  E      P  A  K.'  1:  S.  375 

Sans  Paâive  chanté  qui  multiplié  les  re« 
hiedes  y  qui  va  poner  les  fécours  dans  les 
greniers ,  qui  furprend  le  malheuseux  fur  foti 
grabat ,  qui  le  confole ,  le  fortifie ,  &  lui  ap« 
prend  qu  il  n'eft  pas  oublié  dans  fon  infor- 
tune folitaire ,  on  trouveroît  chaque  jour  des 
hommes  expirés  de  faim  :  le  fommet  dés 
maifons  regorgeroit  de  cadavres  ;  les  crimes 
(broient  cent  fois  plus  communs.  La  plus 
gfandepartfe  dik  repos  de  la  ville  efl  due  .à 
des  cœurs  fenfibles ,  qui  ^  tandis  que  les  or- 
donnances punirent  les  délits,  s'occupent  k 
les  prévenir ,  &  fervent  l'état  &  les  rois , 
en  (bulageant  la  douleur  &  en  appaifant  la 
plainte  &  le  murmure.  Ces  hommes  rares 
doivent  être  précieux  à  Tadminifiratiôn ,  qui 
perdroit  peut-être  fa  force  coadive ,  sMls  in- 
terrompoient  le  cours  de  leurs  bienfaits.  Ho- 
norons Jes  ,  rendons-leur  tout  le  refpeâ  qu'ils 
méritent.  O»  ne  difoute  point  le  mépris  ou 
ïindignatîon  à  un  fcélérat  vil  ou  cruel  :  pour- 
quoi refufer  l'ellime  Se  la  gloire  aux  bonnes 
&  grandes  aâioiis  ?  Pourquoi  vouloir  anéan- 
tir &  contefter  k  l'homme  la  bonté  natu- 
relle ?  Ce  ne  fera  pas  en  la  niant ,  que  l'on 
entretiendra  cette  vertu  innée.  Les  fophiftes 
ne  pourront  rien  contre  rexpérîcnce.  La 
cruauté  dans  l'homme  efl:  une  vraie  nialadie. 
Celui  qui  compte  pour  rien  les  autres ,  eft 
un  être  mal  orgaiiifé  \  Se  j'aîme  à  croire 

Iju'il  eft  peu  coniiuuu.  La  méchanceté  ndSt 


37^  Tableau 

d'une  contradiction  violente  &  la  cbmpaf- 
fion  eft  une  chofe  ordinaire. .  Si  nous  aimons 
notre  intérêt ,  nous  chériflbns  (buvant  auffi 
Fintérét  de  nos  feni^lable» ,  c'eft  même  une 
pafCon  dans  la  jeuneflè  ;  preuve  que  la  na- 
tuxe  nous  a  créés  plutôt  bons  que  méchants». 
On  comptera  plus.d'aâions  généreufès  de  la. 

Crt  d'un  brigand  ,  que  d'aâes  de  dureté  de- 
part  d'un  homme  vertueux. 

Les  âmes  fenfibles  voient  avec  attendrie 
Cernent  que  les  aâes  d'humanité  fe  multi* 
plient  de  nos  jouis  ;  qull  ne  faut  qu'annon- 
cer un  dcfaftre ,  un  accident ,  pour  éveiller 
la  comprflion  8c  la  charité  ;  que  les  bien— 
fiiits  s'efforcent  k  combler  Tabyme  de  la. 
mifere.  Il  eft  piofùnd,  mais  il  n'eft.pas  in-- 
tariflàble. 

Le  Journal  de  Paris  eft  devenu  Je  héraut- 
des  calamités  partiailières ,  &  le  véhicidt 
des  pfompts  fecoiirs  donnés  aux  infortunés. 
•  Aucune  plainte  Jufqu'ici  n'a  été  dédaignée. 
Cex  emploi  rend  cette  feuille  infiniment  pré- 
cieîife  &  refpeûable.  On  envie  (buvent  la 
fenâion  de  (qs  rédaâeurs. 

La  naîflànce  du  Dauphin  en  178 1  ,  a  été 
d?ns  la  capitale  &  dans  les  provinces ,  le. 
fignal  d'une  foule  d'adions  généreufes  &  pa-^ 
triotiques  ;  on  a  délivré  des  prifonniers  ,  on 
a  doté  des  filles  ;  on  a  adopté  des  orphelin?:: 
le  bien  fe  fait  donc  au  milieu  de  tant  de  lé- 
gèreté &  d'inconféquence  «  &  la  bîen&ifance: 


DE     Pari  s.  377 

xeéne  parmi  la  diflblution  des  mœurs  vc'efl 
qu  on  a  fenti  que  la  bonté  de  l'ame  ëtoit  la 
vertu  première ,  qi^  le  plaifir  d'obliger  avoit 
quelque  chofe  de  célefte  &  de  divin ,  que  le 
grand  crime  &  le  feul  peut-être  ëtoît  la 
dureté  de  cœur  ,  que  fa  varice  enfin  de  voit 
être  conGdérée  comme  le  vice  le  plus  mé- 
prifable  &  le  plus  funefte. 

Nul  homme  n'èfl  diipenfe  de  faire  le 
bien  \  le  plus  pauvre  doit  encore  payer  (on 
tribut  à  Tinfortunë  :  un  rien  lui  rend  quel* 
quefois  la  vie  ;  ce  n'eft  point  toujours  de  la 
monnoie  qu'il  faut ,  ce  font  des  foins ,  des 
avis ,  une  vifite.,  une  fimple  démarche ,  un 
ptacet  préfenté.  k  propos. 

Que  les  écrivains  fidèles  à  leur  plus  noble 
emploi  9  nourriflènt  &  entretiennent  donc 
conllamméut  cette  pente  falutaire  à  la  bien^ 
&i{ance  !  DixL 

CHAPITRE    CCCXXVII. 
La  Paroijfc  Saînt-Sulpiçôi. 

Je  fuis  dans  une  bonne  veine ,  j'ai  trouvé 
un  filon  heureux  que  je  veux  iuivre.  Je  ne 
peins  les  vices  &  le  malheur ,  que  parce 
que  la*  peinture  en  peut  devenir  le  remède 
devant  des  hommes^giie  ]jp  ne  crois  pas  ab^ 


^g  TABL£Air  ^ 

dcpravês ,  mab  iiiatceiHÎfiB ,  dUEbaiH 


oa  trop  Imcs  à  ieon  plaifirs.  On  na; 
doDcer  trop  d^doges  à  Tordre  âabliiiiBiii 
pnoiflê  Saint-Sa^ce ,  pour  le  fiaulageniihl 
des  paufites.  Cknre  les  aumônes-  pour  l|y 
layettes  ,  les  mois  de  noairices  ,  les  é^fij] 
gijmka  ,  k&  apprentiilàges  ^  les  habiUggg 
mests ,  on  a  trou?è  le  moyen  de  pronyfiy 
dn  traTail  à  ceux  qui  ibnc  en  état  de  ts^ 
vûller ,  &  (Eapprendre  des  médenà  ceo^ 
<fà  tftn  (àvoîenr  point». 

CeR  un  bel  exemple  propofiS  anx  aut» 
paroiflès  de  cette  grande  capitale  :  carf 
ne  fbfiît  pas  de  bpçnmer  la  men£dlé  Jl 
faut  y  fulmîruer  le  tavaiL  Rien  de  phsiv 
térei&nt  que  ce  qu'on  voit  sTexécutec  |l@ 
nellement  fbr  cette  paroiflê.  Si  ces  tanSF 
ttons  utiles  poovoîent-fe  mukipKer ,  pu  ti^ 
riroit  avec  le  temps  les  larmes  de  tous  tf 
infortunés  \  on  les  airacheroit  à  ce  cmel  abafr 
don  où  b  plupart  (ont  réduits ,  &  à  la  néc# 
fité  où  plufieun  fe  trouvent  de  s'avilir  pV 
des  bofieflès,^  tou)oi:rs  voîfmes  des  crimes.' 
Ces  établiflèments  n'ont  point  les  vîefi 
phyGques  dés  hôpitaux  ;  &  par  une  chariri 
beaucoup  mieux  entendue  ,  ils  préviennes! 
le  défefpoir  du  pauvre.,  l'oifiveté  de  Tet 
ùiïïce ,  les  infimiités  de  la  vieiileflè.  ■ 

Nous  ofons  offrir  ce  bel  ordre  d'àdminîl 
tration ,  comme  le  plus  propre  k  fervîr  nw 
manîté  fans  la  dégrader,  à  la.  conduire  ili: 


j>  E     Paris.  379 

h  révoktr,  &  à  la  diriger  avec  douceur  vers 
Fhonnéteté  ^  la  droiture  &  le  travail.  Le 
cvlte  religieux  devient  fouverainemcnt  reC- 
pedable  y  <niand  le  lieu  où  Ton  invoque  PE-- 
ternel  cft  le  refuge  des  indigents ,  rafyle  des 
foibles ,  la  retraite  des  infirmes ,  &  devient 
pour  tous  un  temple  hoIpitaEer. 


CHAPITRE    CCCXXVIIL 

VEnfant-JcjUs. 

XlLtabliflement  utile  ,  modèle  d^humanîté 
&  de  (aine  politique  du  au  célèbre  Languet  ^ 
curé  de  Saint  -  Sulpice.  Plus  de  huit  cents 
pauvres  femmes  &  filles  y  trouvent  une  re- 
traite &  la  nourriture ,  en  filant  du  coton  & 
du  lin.  Elles  gagnent  leur  ^ie  par  le  travail , 
&  on  leur  (fonne  l'infimâion  \  on  les  éta- 
Uit  enfuiee. 

On  nourrit  dans  une  baflè-cour  dès  bef- 
tiaux  qui  donnent  du  lait  k  plus  de  deux 
mille  enfents  de  la  paroiflè  de  Saint  -  Sulpf- 
ce.  On  y  entretient  une  boulangerie  qui 
fournit  par  mois  plus  de  cent  mille  livres  de 
pain  aux  pauvres  dé-  fa*  paroiflè.  On  tire 
parti' des  volailles  ^  de  piufieurs.  Bauges  de 
làngliers  ,  dont  oik  vend  les  marcafllns  ^ 
d'une  apotbicairerie  où  Ton  fait  des  diftillao 


jSo  T  A  B   L  E  A  U. 

lions  d'un  grand  produit.  Uordrc  quiregnor 
dans  cette  maifôn  eft  bien  fait  pour  fervir 
de  modèle  aux  communautés  religtéu(ès  qû 
poflèdent  de  vafles  terreins. 

Cet  établiflèment  ^  moins  pompeux  qot 
Je  bâtiment  de  Saint-Sulpice  aux  yeta  de 
Toblervateur  fenGbIe ,  eft  cent  fois  préfêra- 
ble.  L'édifice  fomptueux  a  coûté  iimnenfo- 
ment  ^  fans  un  arantage  réel  à  rbumtanité^ 
c'eft  une.  décoration  j  &  voihxouu.X/Enfant- 
Jcfus ,  dans  iès  humbles  murailles ,  renfer- 
me la  pratique  afiîdue  &  journalière  de  la 
première  des  vertus^  la^  charité.  V Enfant^ 
Jéjîis  enfin  fait  pardonner  la  magnificence 
inutile  du  vafte  temple. 

Ah  !  qu'il  m'eft  agréable ,  fur  ma  route 
pénible  ^  de  rencpntrer  de  pareils  établiflè- 
ments  !  Mais,  je  ne  rois  de  tous  côtés  que 
des  monafteres  ftériles ,  des .  Sacré  Cœur  dt 
Jcfus  f  des  Affomption  i  de«  Capucinti^ 
àes  Adoration  perpétuelle  da  Saint  ^Sa^ 
crement ,  des  Couture  Sainte  -  Catherine ., 
dçs  Sainte-Agathe  ou  Filks  dujîlcncc,àcc.. 
On  demande  à  quoi  bon  tous  ces  couvents. 
&  toutes  ces  religièufes ,  dont   la  plupart 
prient  très-ferieufement  pour  le  rétablijfe^ 
ment  de  la  religion  romaine  en  Angleterre  ;,, 
ce  dont  les  fiers  amiraux  de  cette  valeureu&. 
république  ne  fe  doutent  leulement  pas». 


V  E     Va   K  TL  S.  3^1 


Ç  H  A  P  I  T  R  E      CCCXXIX. 

Bureau  des  Nourrices  &  des  Rccom^ 

mandarejfes* 

^es  mcres  de  Paris  ne  nourrîflènt  pas  leurs 
enfants,  &  nous  ofons  dire  qu'elles  font  bien. 
Ce  n'eft  point  dans  Pair  épais  &  fétide  de 
la  capitale ,  ce  n'eft  point  au  milieu  du  tu- 
multe des  af&ires ,  ce  n'eft  point  au  milieu 
de  la  vie  trop  aâive  ou  trop  dillipée  qu'on  y 
mené ,  que  Ton  peut  accomplir  tous  les  de- 
voirs de  la  maternité.  Il  faut  la  campagne  ^ 
il  faut  une  vie  égale  &  xhampctre ,  pour  ne 
point  fe  détruire  en  donnant,  fon  lait  à  &s 
*  enfants. 

On  voit  donc  arriver  une  grande  quan» 
tité  de  nourrices  qui  viennent  toutes  of&ir 
leurs  feins  mercenaires.  Il  n'étoît  pas  facile 
de  remédier  aux  nombreux  abus  qui  réfîil- 
toient  du  trafic  qui  s'établillbit  entre  les  pa* 
rents  &  la  merc  pauvre  qui  fe  vendoit  ;  c'eft 
ce  qu'on  a  fait  cependant  avec  beaucoup 
-de  fageflè,  de  prévoyance  &  de  douceur. 

Les  bureaux  des  nourrices  &  recomman^ 

dareftès  font  le  modèle  d'une  direâion-éclai* 

rée,aâive,  vigilante.  Cet  établiflèraent  ne 

mérite  que  des  louanges;  &  le  mal  oue 

4akt  à  la  population  une  trop  nomhreufe  la-* 


38t  Tableau 

ciété  a  ctc  réparé ,  pour  aînC  dire ,  par  fa 
police .:  tant  l'ordre  modifie  <:ette  -étrange 
efpece iiumaîne ,  &  fupplée  à  la  nature! 

On  avulejardbier,  c'eft-à-dîre,  legoo» 
rernement  avoir  foin  de  fa  graine ,  &  s!bc- 
cuper  des  générations  futures. 


CHAPITRE     CCCXXX. 
Les  Heures  du  Jour^ 

JLies  ififierentes  heures  du  jmu:  offrent  tour- 
à-tour,  au  milieu  d'un  tourbillon  bruyant  & 
rapide  ^  la  tranquillité  &  le  mouvement.  Ce 
font  des  fcenes  mouvantes  &  périodiques, 
fcparées  par  des  temps  à  peu  près  égaux. 

A  fept  heures  du  matin ,  tous  les  jardi- 
niers, paniers  vuides,  regagnent  leurs  ma- 
rais ,  aftburchés  fur  leurs  haridelles.  On  ne 
voit  guère  rouler  de  <:arroflès.  On  ne  ren- 
contre que  des  commis  de  bureaux  qui  (oient 
habillés  &  frifés  à  cette  heure-la. 

Sur  les  neuf  heures  on  voit  courir  les  per- 
ruquiers (aupoudrés  des  pieds  à  la  tête  (  ce 
qui  les  a  fait  appeller  merlans  )  tenant  d'une 
main  le  fer  à  toupet ,  &  de  l'autre  la  perm- 
que.  Les  garçons  limonnadîers  ,  toujours  en 
v^ile ,  :portent  du  cafë  &  des  bavaroifès  dans 


DE      ^  A  U  I  -S.  383 

ks  chambres  garnies.  On  voit  en  même 
temps  des  apprentifs  écuyers ,  fiiivis  4'un  la- 
quais ^qui ,  montés  (ur  îdes  cheraux,  -courent 
battre  4es  Boulevards  ^  &  font  payer  quel- 
quefois aux  paflànts  leur  matheureufe  inex- 
périence. 

Sur  les  dbc  heures ,  une  nuée  noire  des 
lùppôts  de  la  juftîce  s  achemine  vers  le  Châ- 
telet  &  vers  le  Palais  :  vous  ne  voyez  que  des 
rabats ,  des  robes ,  des  facs  (i)  ^  &  des  plai- 
deurs qui  courent  après. 

A  midi,  tous  les  agents  de  change  &  les 
•Agioteurs  fe  rendent  en  foule  à  la  Bourfe ,  & 
les  ôififs  au  Palàis-Royal.  Le  quartier  Saint- 
Honoré,  quartier  des'flnaïKiers  &  des  hom- 
mes en  place  y  eft  très-battu ,  &  le  pavé  n*eft 
tien  moins  que  libre.  Ceft  Theure  des  'folli- 
citations  &  des  demandes  de  toute  e^ece^ 
A  deux  heures  les  dîneurs  en  ville,  coè'f- 
fes ,  poudrés  ,   arrangés  ,  marchant  fiir  la 
pointe  du  pied   de  peur  de  (àlir  leurs  bas 
blancs ,  fe  rendent  dans  les  quartiers  les  plus 
éloignés.  Tous   les  fiacres   roulent  à  cette 
heure ,  il  fi'y  en  a  plus  fur  la  place  ^  on  fe 
les    difpute  ,  &  il  arrive  quelquefois   que 
deux  perfonnes  ouvrent  en  même  temp^la 
portière ,  montent  &  fe  placent.  Il  faut  aller 


(i)  On  dit  qu'il  faut  porter  trois  facs  k  ce 
palais;  fac  dje  papier,  fac  d'argent ,  fac  depa* 
tiencc.  1 


384.  Tableau 

chez  le  commiflàire ,  pour  qu'il  décide  k  qm 
il  reftera. 

A  trois  heures  ^  on  voit  peu  de  monde 
dans  les  mes ,  parce  que  chacun  dîne  :  c^eft 
un  temps  de  calme ,  mais  qui  ne  doit  pas  du-t 
rerJon^- temps. 

A  cinq  heures  &  un  quart  ^  c*eft  un  ta* 
page  affi*eux ,  infernal.  Toutes  les  rues  font 
ëmbarraflees,  toutes  les  voitures  roulent  en 
tous  fens ,  volent  aux  difterents  fpeâacles  ou 
fe  i^ndent  aux  promenades.  Les  cafés  b 
irempfiffcnt. 

A  Tept  heures  le  calme  recommence-:: 
calme  profond  &  prefque  univerfel.  Tous 
les  chevaux  frappent  en  vain  du  ined  le  pa- 
vé. La  ville  ell  filencieufe ,  ''fie  le  tumulte 
paroit  enchaîné  par  unemtininvifîble.Ceft 
en  même  temps  l'heure  la  plus  dangereufè, 
vers  le  milieu  de  l'automne ,  parce  que  le 
guet  n'eft  pas  encore  k  fon  pofte  ;  &  plu- 
ueurs  violences  (è  font  commifes  à  feutrée 
deJa  nuit  (i). 

Le  jour  tombe  ;  &  tandis  que  les  déco- 
rations de  Topera  font  en  mouvement ,  h 
foule  des  manoravres ,  des  charpentiers,  des 
tailleurs  de  pierre  regagnent  «n  bandes  épaif- 


(i)Un  aflaflin  «  en  1769»  armé  d*une  fronde 
courte,  avoit  dè]i,  à  la  mi^Oâobre ,  tué  trois 
hommes  dans  refpace  de  fis  jours ,  lorfqull  fut 
iixité. 


DE     Paris.'         3ÎÇ 

>fes  les  fauxbourgs  qu'ils  habitent.  Le  plâtre 
de  leurs  fouUers  blanchit  le  pavé  ^  &  on  les 
reconnoit  à  leurs  traces.  Ils  vont  k  coucher 
lorfque  les  marquifes  &  les  cemteflès  fe  met* 
tent  à  leur  toilette. 

A  neuf  heures  du  (bir  le  hrvk  recom* 
mence  :  c'eft  le  défilé  des  fpeâacles.  Les  mai- 
fons  font  él^ranlées  par  le  Kmlis  des  voitures; 
mais  ce  bruit  eft  paflàger.  Le  beau  monde 
fait  de  courtes  vifitesen  attendant  le  fouper. 

Ceft  l'heure  audi  où  toutes  les  proftituées  ^ 
h  gorge  découverte ,  la  tête  haute  y  le  vîfage 
enluminé ,  l'œil  aufli  hardi  que  le  bras ,  mal« 

:é  la  lumière  des  boutiques  &  des  réver-^ 

îres  ,  TOUS  pourfiiivent  dans  les  boues  en 
bas  de  foie  &  en  fouliers  plats  :  leurs  propos 
répondent  à  leurs  geftes.  On  dit  que  Tin-^ 
continence  fèrt  à  préfervcr  la  chafteté  ;  que 
ces  femmes  vulgivagues  empêchent  le  viol  ; 

3ue ,  fans  les  filles  de  joie ,  on  (è  feroit  moins 
e  fcrupule  de  (eduire  &  d'enlever  de  jeunes 
innocentes.  Il  eft  vrai  que  le  rapt  &  le  yiol 
font  devenus  très-tares. 

Quoi  qu'il  en  foit^  ce  fcandale  introyable 
pour  la  province ,  fe  paflè  à  la  porte  de  1  hon* 
Bête  bourgeois  qui  a  d^  filles  9  (beâatrices. 
de  cet  étrange  c^rde.  Il  leur  eft  impoflible 
de  ne  pas  voir  &  de  ne  pas  entetrdre  ce  que 
ces  femmes  licencieufès  fe  jpermettent  de  dire. 
Et  que  deviendra  le  traite  do  philofophe  fur 
la  pudeur  ? 

Tome  //•  R 


386  Tableau 

A  onze  heures,  nouveau  fîlencè*  Ccft 
l'heure  où  l'on  achevé  de  fouper.  Ceft  Tlieure 
auiTi  où  les  cafés  renvoient  les  oifiâ  ,  les 
défbeuvres  &  les  rimailleurs  dans  leurs  man- 
fardes*  Les  filles  publiques  qui  vaguoient , 
n  ofent  plus  Ce  montrer  que  fur  le  bord  de 
leurs  allées  ,  dans  la  crainte  du  guet ,  qui  j 
à  cette  heure  indue ,  Us  rama£c.  Ceft  le 
terme  ufitc. 

A  minuit  &  un  quart ,  on  entend  les  voir 
tures  de  ceux  qui  ne  jouent  pas  &  qufife  re- 
tirent. Xa  ville  alors  ne  paroît  pas  défeite  : 
le  petit  bourgois  qui  dort  déjà  eft  réveille 
dans  (on  lit ,  &  fa  moitié  ne  s'en  plaint  pas» 
Plus  d'un  petit  FarKien  doit  (à  naulànce  ï  k 

^brufque  commotion  des  équipages.  Le  ton- 
nerre eft  encore ,  mais  comme  par-tout  aU-* 
leurs ,  un  grand  populateur. 

A  une  heure  du  matin,  (îx  mille  payfans 
arrivent,  portant  la  provifion  des  légumes, 
du  fniit  Se  des  fleurs.  Ils  s'acheminent  vers 
la  Halle  :  leurs  montures  font  lafliès  &  fati* 
guées  ;  ils  viennent  de  fept  à  huit  lieues. 

La  Halle  eft  l'endroit  où  jamais  Morphéc 
n'a  iecoué  les  pavots.  Là,  point  de  fîlence^ 
point  de  repos  ,  point  d'entr'ade.  Aux  ma- 
rayeurs  fuccedent  les  poiftbnniers  ,  &  aux 

.  poiftbnniers  les  coquetiers ,  &  à  ceux-ci  les 
détailleurs  ;  car  tous  les  marchés  de  Paris 
ne  tirent  leurs  denrées  que  de  la  Halle  :  c'eft 
l'entrepôt  univeffel  La  hotte  <]ui  s'élève  ea 


DE    Pari  s;  ^ij 

pyramide ,  tranfporte  tout  ce  qui  fe  mange 
d'un  bout  de  la  ville  a  fautre.  Des  millions 
d'œufs  font  dans  des  paniers  qui  motitent, 
qui  defcenderit ,  qui  circulent ,  & ,  ô  mi- 
racle !  il  ne  s'en  callè  pas  un  feuL 

L'eau -de  -  vie  alors  coule  à  grands  flots 
dans  les  tavernes.  Cette  eau-de-vie  eft  mé- 
langée d'eau ,  mais  fortement  aîguifée  par 
du  poivre-long.  Les  forts  de  la  Halle  &  les 
payfans  s'abreuvent  de  cette  liqueur  ;  les  plus 
fobres  boivent  du  vin,  Cell  un  bourdonne- 
ment continu.  Ces  marchés  noâurnes  fe  paC- 
fent  dans  les  ténèbres.  On  croiroit  voir  un 
peuple  qui  fuit  les  rayons  du  Ibleil ,  &  qui  Ta 
en  horreur. 

Les  commis  de  la  marée  ne  voient  ja- 
mais ,  pour  ainfi  dire,  raftre  du  jour,  & 
ne  fe  retirent  que  quand  les  réverbères  pâ- 
liflènt  :  mais  fi  l'on  ne  fe  voit  pas ,  on 
s'entend  ;  car  l'on  crie  à  tue-tâte  ;  &  dàn^' 
la  confufion  de  ces  clameurs  univerfelles ,; 
il  faut  bien  pdflëder  l'idiome  du  lieu, ..pour 
favoir  d'où  part  la  voix  qui  vous  interpelle. 
Les  mêmes  fcenes  (è  paflènt  k  la  même 
heure  au  quai  de  la  Vallée.  Il  s'agit  la  de 
lièvres  ^  de  pigeons ,  au  lieu  de  ikumons  Se 
de  harengs. 

Ce  tumulte  non  interrompu  forme  un 
contrafte  avec  le  fo.mmeîl  qui  occupe  le 
itfte  de  la  ville  ^  car  à  quatre  heures  du  ma-» 

Ri  . 


396  T  A  ]P  L  £  A  .u 

tin  a  n'y  a  plus  que  le  brigand  &  Je 
qui  veillent, 

A  £x  heures ,  ^les  boujang^rs  de  Goneflè^ 
nojqrrîciers  de  Paris ,  apporte^t  deux  fok 
la  femaîne  une  très  -  grande  quaiuité  de 
pains  :  il  faut  qu  ils  fe  confonimeiit  dans  l^ 
yilje  ;  car  il  xie  leur  eft  pas  pè^qjis  .de  ks 
remporter. 

Bientôt  les  ouvriers  $*arrach«tit  àe  km 
grabats,  prennent  les  inftruments  de  leur 
profeflipn  y  &  vont  aipc  a^telîer^ 

Le  café  au  lait  (  qui  le  croiroit  ?  )  a  pri^ 
Çiveur  parmi  c^  hommes  robuftes. 

Au  coin  ,des  rues ,  à  la  luQpr  4'une  pâle 
lanterne ,  ,des  femmes  portant  dir  leur  dos 
des  fontaines  de  fer-blanc ,  en  fervent  dans 
des  pots  de  terre  pour  deux  fils,.  Lfi  fucne 
n'y  domine  pas ,  mais  enfin  l'ouvrier  trouve 
ce  café  au  lait  .excellcuit.  S'imaginerokrpn 
que  la  comrniinauté  des  limonnadiers,  dé- 
ployant des  fiatuts,  a  tout  fait  pour  interdire 
.ce  trafic  légitime  ?  Ils  prétendoîent  vendre 
la  même  îMe  cinq  fols  dans  leurs  bouticxies 
de  glaces.  Mais  ces  ouvriers  n'ont  pas  oe*» 
ibin  de  fe  mirer  en  prenant  leur  déjeûner. 

Au  refte  ,  l'ufage  du  café  au  lait  a  pré- 
valu ,  &  eft  fi  répandu  parmi  le  pei^>le  ^ 
qu  il  efl  dev^iu  l'éternel  déjeûi\er  de  tous 
les  ouvriers  en  chambre.  Ils  ont  trouvé  plus 
d'économie ,  de  reflbiirces ,  de  faveur ,  danç 
j?et  aliment  que  dans  tout  autre.  jËn  coib 


jy^     P  A  R  I  S.  3^9 

iequenee,  ils  en  boivent  une  prodigieuiè 
quantité  ;  ils  difent  que  cela'  les  foutient  le 
plus  (auvent  jufqu'au  foir.  Ainfi  ils  ne  font 

Elus  que  deux  repas ,  le  grand  dé  jeûner  8t 
i  perjîlladc  du  {oit  ^  dontj'ai  parlé  ailleurs; 
Le  matin ,  les  libertins  (ottent  de  chez  W 
filles  publiques^  pâles^  défaite  y  em{)ottant 
U  crainte  plutôt  que  le  remords;  &  ils  gémin 
rbnt  tout  le  jour  de  l'emploi  de  la  nuit  :  maiâ 
la  débauche  pu  l^bitude  eft  un  tyran  qui 
les  (àifira  le  lendemain  ^  &  qui  les-  traînera 
S  pas  lents  vers  le  tombeau; 

Les  joueurs  plus  pâles  encore  fortent  des} 
ttipots  obfcurs  où  renommés;  les  uns  (&. 
fiappant  la  tête  &  l'eftomac ,  jettant  au  ciel 
des  regards  défefpérés  ;  les  autres  fe  pro-^ 
lîiettant  de  revenir  k  la  table  qui  les  a  fa- 
vorifés',  mais  qui  doit  les  trahir   le  len^ 

défmàin^* 

-  ■  -> 

Les  loix  prohibitives  ne  feront  rien  contreF 
cette  malheureufè  paflion  mife  eh  aâivité  par 
cette  foif  de  l'or,  qui  s'eft  manifefté  dan^ 
tàm  le^rangs^  &  que  Tes  gouvernements  au- 
torifent  eux-mêmes  fous  le  nom*  de  loteries , 
mais  qu'ils  profcrivent  fous  une  autre  déno-^ 
mination^ 

Le  marteau  du  forgenm  &  du  maréchal- 
ferrant  trouble  quelquefois  le  fommeil  du 
matin  ,  pour  les  pareflèux  qui  font  encore  aa^ 
lit.  Si  l'on  en  croyoit  nos  Sybarites,  onre- 
légueiroh  hors  des  vilfes  tous  les  artifans  qui 

R3 


39©  Tableau 

font  frémir  la  lime  mordante  ;  il  ne  (croît 
plus  permis  au  chauderonnier  de  battre  (à 
marmite ,  au  charron  de  cercler  la  rque  d'un 
&r  durable ,  aux  différentes  profeffions  €jfû 
coûtent  les  rues ,  d  élever  ces  voix  aigres  & 
retentîflàntcs  qui  fè  font  entendre  au  iommet 
&  jufques  fur  le  derrière  des  maifons.  Il  £ui- 
droit  que  le  bruit  de  .la  cité  fut  enchaîné  de 
toute .  part ,  pour  protéger  leur  oifîve  liiot- 
kflê  y  &  que ,  le  calme  du  fîlençe  environ- 
nant leur  paiGble  alcôve  ^  tous  ces-  volup* 
tueux  puflènt  preflèr  la  plume,  oifeufe  juA 
qu^a  la  douzième  heure ,  lorfque  le  foleileft 
au  haut  de  fa  carrière. 

Par  unç  fuite  du  même  efprit,  ils  ne  von- 
droient  pas  fentir  la  boutique  du  chapelier  ^ 
à  caufe  ae  Pudeur  de  {zfoidc  ;  ni  celle  du  cor- 
royeur ,  à  caufe  des  huiles;  ni  celle  du  ver- 
nidèur;  ni  celle  du  parfumeur,  quoiqu'ils 
faflènt  ufage  de  fes  cofmétiques  ;  ni  celle  du 
rapeur  de  tabac ,  qui  les  fait  éternuer  invo- 
lontairement lorfqu'ils  paflènt.  Si  Ton  écog- 
toit  toutes  les  prétentions  de  cçs  riches ,  il 
n'y  auroit  que  des  portes  cocheres  dans  la 
capitale,  &  l'on  matelajjferoules rues  jufqu'à 
une  heure ,  c'eft-à-dîre ,  jufcju'au  temps  ck 
ils  quittent  l'édredon  ou  la  chaife  longue  ;  les 
cloches  ne  devroîent  plus  retentir  dans  les 
airs  ;  &  le  tambour  des  Gardes ,  en  paflant 
fous  leurs  fenêtres ,  devroit  être  muet  :  car 
il  n'appartient  qu'à  leurs  équipages  de  fiiire 


DE    Paris.         391 

du  bruit  en  roulant  for  le  pavé ,  &  de  ré- 
veiller k  deux  heures  du  matin  ceux  qui 
dorment. 

Les  dix ,  les  vingt ,  les  trente  du  mois , 
on  rencontre ,  depuis  dix  heures  jufqu'amîdi , 
des  porteurs  avec  dès  Jacockes  pleines  d'ar- 
gent,  &  qui  plient  foiis  le  fardeau  :  ils  courent 
comnie  fi  une  armée  ennemie  alloit  forpren- 
dre  la  ville  ;  ce  qui  prouve  qu'on  rfa  point  fa 
créer  parmi  nous  le  figne  politique  oc  heu- 
reux qui  remplaceroît  ces  métaux  ,  lefqueJs  ^ 
ail  lieu  de  voyager  de  caiffè  en  caifle ,  ne 
devroient  être  que  des  fîgnes  immobiles. 

Malheur  à  celui  qui  a  une  lettre  de  change 
k  payer  ce  jour-là ,  oc  qui  n'a  point  de  fonds  1 
Heureux  encore  celui  qui  Ta  payée  &  quireîle 
avec  un  écu  de  fix  livres  ! 
^  A  peu  près  tpus  les  ans,  vers  le  milieu  de 
Novembre ,  forvîennent  desindilpofitions  ca- 
tarrhales ,  occafionnées  par  la  préfence  fub: te' 
d'une  athmofphere  humide  &  froide,  & 
dés  brouillards  qui  foppriment  la  tranfpîra- 
Àoti.  PluCeurs  en  meurent  ;  mais  le  Parî- 
fièh ,  qui  '  rît  de  tout ,  appelle  ces  rhumes 
dangeréiii  la  grippe  ;,  la  coquette  ;  &  le 
rieur,  trois  jours  après ,  eft  grippé  lui-mêâie 
&  defcènd  au  tombeau.  " 

Le  paîlàge  des  appiartements  chauds  & 
des  faliés  de  fpeftacte  au  grand  air,  rend 
cette  fuppreflîofn  de  tranfpîration  prefque 
inévitable.  La  médiode  nouvelle  de  porter 

R  4 


392.  T   A    B   L   1   A   If 

de  grands  manteaux  eft  excellente  ;  on  ft- 
met  y  de  cette  manière ,  k  Tabrir  de  Kmpref- 
(îon  du  froid  \  un  prompt  exercice  en  (eroit 
encore  le  plus  (ur  préfi^rvatif.  Les  fetmnes 
qui  font  obligées^  d'attendre  quelque  temns* 
leurs  voitures,  ces  femmçs.  cdiarinantes  oc 
délicates,  que  je  vois  fri0bnner  lo  Iong> 
des  efcalîers  &  fous  les  p(»tiqaes,  de* 
vroient  penfer  que  leurs  peliflês  ne  Cont 
pas  fuSifant^  pour  les  ^rantii:  de  tout 
accidç^t• 


€  H  A  P  I  T  R  E     CCCXXXt 
I)es  Dimanches  6r  F^ùu^ 

Xl  n*y  a  plus  que  les  ouvriers  qui  connoî& 
fent  les  fêtes  &  dimanches.  La  Gxutille,  lesi 
Porcherons ,  la  Nouvelle-France  fe  remplif- 
fent  ces  jours-là  de  buveurs.  Le  peuple  j» 
va  chercher  des  boiflons  à  meilleur  mardîe 
que  dans  la  ville.  Plufîcurs  défordres  en  ré-. 
fïiltent  ;  mais  le  peuple  s'égaie^,,  ou  plutât 
s'étourdit  fur  fon  fort;  &C  ordinairement 
Pouvrieryizi/  le  lundis  c'eft-ihdire  ,  s'enivre, 
encore  pour  peu  qu'il  foît  en  train^. 

Le  bourgeois  qui  a  befoin  d'économie  ^ 
ne  fort  pas  des  barrières.  Il  va  fe  promener. 
aÛfiz    eimuyeu(è]]aent  aux   Tl^idleries.,^  ^yk^ 


d'^h'  P  à  r  I  s.  393 

Euxembourg  ^  h  l'Arfenal ,  aux  Boulevards, 
Si  dans  ces  promenades  il  y  a  une  feule  robe' 
rètrouflee,  pariez  que  c'eft  une  feiîime  ée* 
province  qui  la  porte;- 

Le  peuple  va  erttoré  à  la  rriëfle,  mais 
il  commence  a  Ce  paflèr  des  vêpres,  que^' 
le  beau  monde  appelle  Vopéra  des  gueux. 
Il  faur  qu'il  refte  debout  dans  les  églifes  ,  • 
ou  qu'il  paie'  une  chaife.  Cela  eft  très-mal  • 
va  ^  on  lui  ^demandera  fix  fois  pour  enten-* 
dre  un  fermon  aflis*  Les  temples  feint  donc  - 
défert^  -^  excepté  dans  les  grandes  folemnî- 
tés,  oîi  les  cérémonies  le  rappellent.  Quoi, ^ 
de   l'argent  encore  ppur  entendre    l'ofBce' 
divin  !  * 

Fendant  Podave  de  la  Fêtér-Dîeu ,'  il  y/ 
2  toujours  beaucoup  d^affluence  au  falut  &' 
à  Pexpofitioiï  du  Saint-Sacrement  :  il  eft  vrà^ 
que  c'ett^  pour  la  petite  bourgeoîfie  tm  pré- 
texte de  fixtir  &  de  fe  promener  ^  la  tom--' 
bée  du  jour ,  dans   utie  belle   (afon.  Les* 
Jeunes  fuies  fur-^tout  font  fort  dévotes  aiï 
falut  &  îi  la  bénédifHpn  dii  foir*^  ^  gé** 
néral'  le  dini^che  eft  précieun  pout'^elks. 
L'amour  fait  fon  profit  des  -  vacances  or^' 
données  par  l'églife. 

Le  magtiific{ue  jardin  des  Tiuiileries  eft 
abandonne  aiqourd'hui,  pout  les  allées  des 
GIiamps-Elïfées*  -On  âdiHiJele^  belles  pro- 
portions 8c  le  deilin  des  Thuilevies  ;  mais 
aux  Champs-Ëlifises ,  tous  les  âges^fio  tous' 

R  ^ 


594  Tableau 

les  états  font  raflèmblés  :  le  champêtre  du 
lieu ,  les  maifons  ornées  de  terraiies  ,  les 
cafés  ,  un  terrein  plus  vafte  &  moins  fym- 
niétrique ,  tout  invite  à  s*y  rendre* 

Il  eft  fingulier  que ,  dans  les  états  catholi- 
ques ,  le  dimanche  foit  {»:efque  par- tout  un 
jour  de  défordres.  On  a  fupprimé  enfin  2i  Pa- 
ris quatom  jours  de  f  eus  par  an  ;  on  s'eô 
arrêté  en  beau  chemin  ^  iJ  en  reile  encore 
trop  ;  autant  d'enlevé  du  moins  à  Tivrogne- 
rie  &  à  la  débauche  crapuleuiè. 

Un  favetier  voyant  un  jeudi,  au, coin 
d'une  borne,  un  fergent  ivre  qu'oa  tâchoit 
de  relever  &  qui  retomboit  lourdement  fur* 
la  pienre ,  quitta .  fon  tire  -  pied  ,  fê  pofta 
devant  l'homme  chancelant,  &  après  l'avoir 
contemplé,  dit  en  foupirant  :  Voilà  ceptn^ 
dant  titat  oà  je  ferai  dimanche  ! 

Ce  trait  qui  ne  doit  pas  être  dédaigné 
du  philofophe ,  appartient ,  à  ce  qu'il  me 
fçmble ,  à  la  connoif&nce  du  peuple ,  & 
même  à  celle  du  cœur  humain;  car  il  eft* 
très-a{^licable  à  la  logique  des  paffions. 
.  Au  refte ,  les  dimaocheis  &  fêtes  sVui« 
sioncent  par  la  fermeture  des  boutiques.  On 
Toit  fortîr  de  bonne  heure  les  petits  bourgeois 
tout  endimanchés^  qui  fe  hâtent  d'aller  à 
la  grand'meilè  pour  avoir  le  refte  du  jour 
à  eux.  Ils  arrangent  un  diner  à  Faf^ ,  \ 
.Auteuil ,  à  Vincetmes  ,  ou  au  bois  dt 
Boologue. 


DE      P  A   K.  I  ^,  39$^ 

Les  gens  du  bon  ton  ne  (brtent  pas  ces 
jours-la,  fiiient  les  promenades,  les  fpe^- 
cles ,  &  les  abandonnent  au  peuple.  Les 
(peâacles*  donnent  ce  qu'ils  ont  de  plus 
u(ë  ;  les  aâeurs  médiocres  s'emparent  de  la 
fcene  :  tout  cela  eft  bon  pour  des  parterres 
moins  difficiles^  &  pour  qui  les  pièces  les 
plus  anciennes  font  toujours  des  pièces  nou-^ 
velles.  Les  adeurs  chargent  ces  jours-là  plus 
que  de  coutume  ,  Bc  obtiennent  de  grands 
applaudidèments. 

Les  bourgeois  aifés  (ont  partis  dès  la 
veHlepour  leur  petite  maifon  de  campagne, 
voîfine  de  la  barrière.  Ils  y  ont  mené  leur 
femme ,  leur  grande  fille  &  leur  garçon  de 
boutique,  quand  oti  efft  content  de  lui,  ou 
quand  il  a  fu  plaire  à  madame. 

On  a  porté  la  veille ,  dans  un  fiacre  bien 
plein ,  toute  la  proVifion ,  &  un  pâté  de 
Lé  &r|r.  Cell  Wjotfr  àeî  gaudrioles.  Lé 
père  fera  des  contes  ,  la  mère  rira  aux  lar- 
mes ;  la  grande  fille  s'émancipera  un  peii , 
&  fe  tiendra .nioinS  droite;  le  garçon  de 
boutique ,  qui  aura  acheté  des  bas  de  fc^é 
Umcs  &  des  boucles  toutes  neuves,  ho- 
imré^dii  titre  de  joli  garçon ,  fera  des  geii- 
tilleflès  &  déploiera  tous  les  moyens  dé 
plaire ,  attendu  qu'il  afpire  de  loin  a  la 
main  de  Mademoifelle  ;  car  elle  aura  bien 
en  dot  dix  à  douze  mille  francs ,  malgré 
lès  deux  petits  aères  qui  font  en  penfîoii  ^ 

K6 


J9^  t  A  B,  LE-' AU 

6c  qui  ne  participent  pas  encore  aux  jouH^ 
fances  de  la  maifon  de  compagne  ,  îuCquV. 
ce  qu'ils  aient  remporté  un  prix  au  cdlege. 
Il  ne   faut  pas  les  dîfttaiie  du  loin.. de  de- 
venir un   jour  de  grands  hommes-,  lor£> 
«{kfils  (auront  la  langue  latine  ;  c^eft  ce  qucr.> 
croient  pieufement  le  pet^ ,  la .  jnere  &  J»ttte . 
la  maifon. 


C  H:A  P  I  T  R  E.    CCCXXXIL 

Carnaval.] 

JLe  peuple  fôte  la  Samt^Manin  ^  lès  Hmi" 
&  le  Mardi-Gras  :  il  vend  la  veiOe  iès« 
chemifes  plutôt  que  de  ne  pas  acheter  un 
dindon  ou  ua  oie.  à-la  Vallée,  Elle  eftf 
couverte  d'acheteurs:  &  vu  t'aj99iieiu:e ,  la. 
volaille  ed  hors  de   prix.  'Le^  cabarets  (è 
rempSfIènt  dès  le  matin.  Les  commiflàires 
ne  doivent  pas  (brtir  de  chez  eux  ces  jours* 
là  ;  car  le  guet  leur  amènera  un. plus  grand' 
nombre  de  délinquants.  Plufîeurs  (ûrtiront 
de  la  guinguette  que  pour  aller  coucher  en 
prîfon. 

On  voit  peu  de  mafqucs  pendant  le  caF- 
naval ,  depuis  une  trentaine  d^amiées  ;  Çoit 
que  le  peuple  (è  foit  dégoûté  de  ce  plaifir, 
Qjcà  veut  une  Ubexté  entière  ^  foit  plutût  ^u'il 


Û-E      P  A  K  I   S;  357/ 

ait  trop  peu  d'ai(anc«  pour  figiurer  (bus  un. 
élégant  domino.  Mais,  vers  les  trois  derniers 
jours ,  la  police  attcntive.k  la  repréfenution 
extérieure  de  la  félicité  publiqqe ,  d'autant, 
plus  que  la  mifere.  règne  y.  paie  à  fes  frais 
de  nombreufès  mafcarades.  Tous  Ces  efpionsr 
&  autres  garnements  fe  rendent  kun  magafîn 
oii  il  y^a  de  quoi  habiller  deux  ou    troi& 
mille  cAiâ/z/i/^.  Ils  fe  répandent  ^nfiiite  dan&. 
les  quartiers ,  &  vont  par  bandes  crottées, 
au  fauxbourg  Saint-Antoine.  Lh  ,  ils  figu- 
rent une  allégreflè  publique  9  faullè  &  men^. 
(bngere. . 

Plus  les  années  font  défallrueulès ,  plus  on 
a.  recours  ï  une  impoftuce  plus  fortement 
caraâérifee;  mais  eue  perce  à  tra^Ters  les 
guenilles  .£des.&  ufées  ^ont  le  peuple  ell 
couvert  :  car  on  a  beau  vouloir  repréfenter 
les  fcenes. riantes  &. animées  de  la  folie; 
on  n'y  parvient  pas  quand  le  cœur^ft  mé^^ 
content  ;  fa  .marotte  efl:  (ans  énergie  ScCàos 
grâces ,  (es  grelot»  forment  mal  dans  ces^ 
fiioides  ornes  ;  ils  ne  (ont  qu'une  difcor- 
dance  plaintive  â  roreiOe*  qui  (ait  .entendre. 
fiJen  nVft .  plus  attriftant  que  de  voir  un 
p&xpk  à  qui  on  commande  de  lire  tel  jour, 
&  qui (èpréfie  baflèment  à  cette  aviliflànte 
ordonnance. 

Tandis  que  la  pplice  (pudoîe  ces'  mafques^ 
IfS  prêtres  expo(ènt  le  Saint  -  Sacrement 
4ans  ks  églises  y  parce  qu'ils  regardent  coïki^ 


99S  Tableau 

me  une  profanation  ce  qae  lè  gouvernemehr 
autorilè.  Mais  ce  n'ell  là  qu'une  des  moindres 
contradîâions  qui  le  trouvent  entre  nos  loix^ 
nos  mœurs  &  nos  ufages. 

Pendant  le  carnaval,  la  vie  des  femmes  de 
Paris  n*eft  pas  indolente  \  elle  eft  tout-à-coup 
réveillée  par  la  voix  du  plaifîr  :  voilà  une  oc- 
caHon  de  briller  dans  les  afièmblées.  Ces  êtres 
qui,  dans  de  certains  moments,  femblentn^ 
vivre  q*u*a  demi ,  reçoivent  tout-à-^coop  une 
prod  gieufe  aâivité  qui  leur  fait  fupiporter  les 
fatig.ies  du  ba!  :  c'eftlk  qu'elles  fe  montrenc 
infatigables.  Les  veilles  ne  leur  coûtent  rien, 
&  les  nuits  entières  (ont  confacr^  k  ces  exer« 
cices  violents.  Le  lendemain  les  hommes 
fe  relèvent  fatigués ,  les  femmes  en  nrviei^ 
nent  plus  fraîches  &  plus  brillantes. 

A  cette  même  époque ,  les  amants  ipiî  veo- 
lent  sepoujir  hâtent  le  mariage  ,  parce  que 
Faxhevêque  de  Paris ,  pendant  tout  le  ca- 
rême ,  fe  montre  très-difficile  fur  lés  unions 
conjugales. 

Un  peu  de  pouffiere ,  comme  dît  Pefpion 
Turc ,  que  Ton  répand  le  lendemain  fur  ht 
tète  de  ces  hommes  traveftis ,  appaife  leur 
fjrénéfie.  De  foux  &  d'infenfcs  qu'ils  étoient, 
îk  redeviennent  raîfonnables  &  calmes. 

Les  pièces  de  théâtre  les  plus  licencièufês' 
ft  donnent  dans  les  derniers  jours  du  car- 
naval ;  mais  une  fois  apprifes ,  elles  fe  pro- 
kmgent  pendant  tout  le  carême  ^-datu  uv 


DE    Paris.  399 

temps  de  Gunteté  6c  de  mortification  :  de 
forte  que  jamais  le  fpeâacle  n'eft  moins  hon^ 
nête  qae  lorfqu'il  devroit  l'être  le  plus. 

La  loi  deTéglife,  qui  ordonne  l'abiUnenct 
de  la  viande ,  efl  G  gênante^  fi  incommode, 
fi  peu  praticable  au  milieu  d'une  immen(è 
population,  que  la  police  a  fait  ouvrir  1er 
Doucheries  pendant  tout  le  carême.  Elle  a 
fait  très- fagc ment,  parce  que  la  fubCftance 

rérale  &  aifce  eft  la  première  loi  civile, 
qu'une  méthode  contraire  atuquoit  la* 
iknté  6c  la  liberté  du  citoyen. 

Cette  vieille  loi,  plus  bizarre  qu'utile,- 
tombe  donc  en  déTuétude,  on  plutôt  nous 
remontons  aux  premiers  fiecles  de  l'églife,  oî^^ 
la  volaille  en  général  étoit  regardée  coiiunè;' 
un  aliment  maigre.  Cette  heurculë  opimocP 
étoit  fondée  furie  récit  de  la  Genefe,  qui  dit^ 
que  Us  oifiaux  &  les  poijjhns  furent  créés  Vf 
même  jour  :  ce  qui  nous  autorifc  k  les  afli*' 
miler  fur  nos  tables  ;  6c  qui  ne  goàteroit' 
as  cett^  excellente  logique?  Les  évêquei^ 

abbés  commendataires  (ont  les  prèmien 
a  en  donner  Fexemple,  6c  ils  font*  gras  ptM^ 
bUquement  devant  la  valetaille. 


g 


\ 

-i'^ 


4pO  T  A  B^  L  E  ATIT' 


CHAPITRE    ÇCCXXXIII, 

Tragédies  modernes. 

Xjcs  fpeâateurs  du  thëatre  François  comr' 
mencent  enfin  à  f^ntir  runiformité   fit  la  ^ 
reflèmblance  de  ces  plans  étroits^  de  ces 
caraâeres  répétés  qui  laidènr  un  vuide  fie 
impriment  une  langueur  fenfible  a  nostra- 
eédies'n^emes.'  Uimniuable/?^ rt7/i  de  la 
Mebomene  Françoife  endort  o^  révolte  les- 
^pnts  les  plus-  attachés  par-  l'tiabitade  aux  * 
vieilles  op^iions  littéraires.  On  edprelque; 
d^ccord  que  cette  Melpomene  Françoife,  fi  - 
exceflîvement  vantée ,  n'a  vécu  que  d'imita- 
tions ;  qu'elle  n'offire  que  quelcpies  portraits 
a«  lieu  de  ces  tableaux  larges  &  animés  par 
la  multitude  des  caraâeres  qui  appartiennent  <^ 
à'Un  fujet  hiftorique.  ' 

On  a. dit  tout  haut  que  noitré  petite  fcece' 
n!étoit  qu'un  parloir ,  que  nos  vingt-quatre  ; 
heures  n'avoient  (èrvi  qu'à  accumuler  grof-^ 
fièrement  les  invraifemblances  les  plus  m'ep- 
tes  &  les  plus  bizarres.  On  efl  convenu  ^u'un 
feid  &  même  patron  dramatique^  pour  tous 
les  peuples ,  poiu:  tous  les  gouvernements  ^ 
pour  tous  les  événements  terribles  ou   tou- 
chants, {impies  ou  compliqués,  étoit  une 


Di  £•    Paris.  401: 

adoption  puérile  qui  n'avoît  pu  être  con- 
ÙLCtét  que  par  les  copifles  d'un  art  qu'ils 
n'ont  point  eu  Iç  génie  de  modifier,  tous* 
adorateurs  ferviles  de  ce  qui  avoit  été  fait, 
«vant  eux ,  &  ab&Iunient  dépourvus  d'in^ 
vention^ 

On  ridiculifè  donc  avec  juftice  cette  génV 
continuelle  dans  le  choix  des  fujets  &dans. 
la  dlfpofîtion  de  la  fable  y  cette  foule  d'en- 
trées &  de  fortiei  vagues  &  forcées^  qui: 
ceflèrrent  une  aâion  étendue ,  dont  la  mar- 
che libre  eût  paru  conforme  aux  faits  y  &. 
pour  tout  dire,  raifontiable.. 
.  Le  poëte  aflùjetti  a  coupé  le  tableau  his- 
torique pour  le  faire  entrer  dans  le  cadre, 
des  règles.  Quelle  inconcevable  mal-adreflè  ! . 

On  rit  quand  on  voit  un  auteur  tragique, 
prendre  £ms   façon   deux   ou  trob  pièces^ 
grecques  potuTv  en  compolèr  une  k  fz  fan«- 
taifie;  abattre  une  tête  qui  lui  déplaît  pour 
en  coller,  une  autre  fur  le  trône  de  telper-. 
ibnnage  ViCeofondre  les. parentés  des  detcen^ 
dants  d' Atr^  &  d^(Edipe ,  (ans  craindre  Yànui 
madverfion  de  ces  princes  décédés  ;  traiter; 
ihdifSbrniment  un  fujftÂBglois ,  Allemand,- 
Ruflè,  Turc^  ou  Tartaro-Chinois  ;  ne  dai«> 
gner  jamais. lire,  (cm  original,  ni  l'hiftoire 
du  temps ,  ne  vouloir  que  U  titre  ^  Se  dé^ 
biter  hardiment  fàcompofirion  étrange  Ibus* 
Ëenfeigne  de  tragédie.  On  affiché  le  monfire* 
(bus  cette.dénoniinatioxLy6c.le  monfire  a  (on 


401  Tableau 

paflè-port  ;  mais  les  gens  fenfés  vont  voir 
par  curiofitë  de  quelle  manière  un  poëte 
François  défigure  Tniftoire ,  Fidiome ,  le  gé- 
nie ,  le  caraôere  de  tous  les  peuples  du  monde 
a  l'aide  de  quelques  vers  ronflants.  - 

Il  eft  vraiment  plaifant  de  voir  ces  cont 
pirations  d'écoliers  ,  de  prêter  Toreille  à  ces 
conjurés  qui  apprêtent  le  poignard  ou  la 
coupe  empoifonnéc  ;  de  voir  un  adear  en 
inftruire  un  autre ,  en  rimes  très-ftmores ,  de 
fa  généalogie ,  de  fa  naiflànce  ,  de  rhîttoîre 
de  fes  parents  ;  dVxamîner  ces  rbîs  tdfos  agif- 
fànt  Se  parlant  de  même ,  n'ayant  aucune 
phyfîonomie  diftînâe,  dont,  pour  plus  gran' 
de  commodité ,  le  poète  a  fait  des  dcfeotes 
altiers  environnés  de  gardes ,  comme  s*il  n'y 
avoît  au  monde  que  cette  forme  afiatique. 
Et  voilà  le  fantôme  que  la  nation  ,  par  une 
{btte  habitude,  adore  fous  le  nom  de  goûti 
,  Elle  afïèâe  du  mépris  pour  tout  ce  qui  ri'cft 

f)as  de  fon  crû  littéraire  ;  &  dans  ces  foîbles 
ipéamcnts ,  où  le  François  fèul  a  ceconna 
la  figure  humaine ,  il  a  défié^^  néam^oins  fes' 
voifins,'&  femblablé  aii  moîithtràh  de  la" 
fable ,  ri  a  fonné  la  charge  &  la  viâxrirfe ,  en 
publiant  que  lui  feul  avoît  un  théâtre  tragique, 
Tout  pîiîlofophe ,  c'eft-à-dîre,  celui  qui 
confulte  la  nature  &  les  homnies  au  lieu  des 
jbumaliftes  &  des  acadèiiicîëns ,  (burit  de 
tié  en  démêlant  le  faux ,  le  bizarre ,  & 
ton  menfonger  de  notre  tragédie. 


ptie 

le  to 


DE     P  A  H   I   S.  403 

Quoi ,  fe  dir-il ,  nous  fommes  au  milieu 
de  r£urope ,  fcene  vafte  &  importante  des 
événements  les  plus  variés  &  les  plus,  éton- 
nants, &  nous  n'avons  pas  encore  un  art 
dramatique  à  nous  ?  Nous  ne  pouvons  com^ 
pofèr  fans  le  fecours  des  Grecs ,  des  Ro- 
mains ,  des  Babyloniens ,  des  Thraces  } 
Nous  allons  chercher  un  Agamemnon ,  un 

,  (Edipe ,  un  Théfee,  un  Orefte ,  &c  ?  Nous 
avons  découvert  TAmérique ,  &  cette  dé- 
couverte fubite  a  fondu  deux  mondes  en  un , 

.  a  créé  mille  nouveaux  rapports  ?  Nous  avvons 
riniprimerie,  la  poudre  à  canon ,  les  poftes  ^ 
la  boullble,  &  avec  les  idées  nouvelles  6c 

^  fécondes  qui  en  réfultent ,  nous  n'avons  pas 
encore  un  art  dramatique  à  nous  ?  Nous 
fommes  environnés  de  toutes  les  fctences  ^ 
de  tous  les  arts ,  des  miracles  multipliés  de 
finduftrie  humaine  ;  nous  habitons  une  capi- 
tale peuplée  de  neuf  cents  mille  âmes  ,011 
la  prodigieufe  inégalité  des  fortunes,  la  va- 
riété des  états ^  des  opinions,  des  caraâeires, 
forment  les  contraires  les  plus  énergiques  ôc 

.  lés  plus  piquants  ;  &  tandis  que  mille  per* 
jfonnages  divers  nous  enviionneint  avec  leur? 
traits  caraâéridiques ,  appellent  la  chaleur 
de  nos  pinceaux,  &  nous  commandent  la 
vérité,  nou^  quitterions  aveuglément  une  n;^ 
ture  vivante,  où  tous  les  mulcles  font  enflés, 
(aillants,  pleins  de  vie  &  d'expredion ,  pour 
aller  delfiner  un  cadayrt  grec  ou  romain  y 


^  y 


404  T  A   *  L  E  A  *     . 

colorer  (es  joues  livides,  habiller  £es  inkm> 
bres  firoids ,  le  dreflèr  fur  (es  pieds  toat  chan* 
eelant ,  8c  imprimer  k  cet  oeil  cecne,  à  cettf 
langue  glacée  y  à  ces-  bras  roidis  ,  le  regard> 
tidiôme  &  les  gefies  qui  font  de  conve- 
nance (iir  les  planches  de  nos  tréteaux?  Qoel^ 
abus  du  manne^iin  !- 

Si  ce  n'edooint  là- la  pins  monftnieufli 
des  &rces ,  c'e(t  aflùrément  la  plus  ridicule^ 
ou  pbtôt  G?e(l  l'oubU  le  plus  impardonnable 
des  plaifirs  de  nos  nombreux  concitoyens 
&  des  tableaux  vivants- &  inftruâtfi  qu'ib 
demandent.  Faut*il  alors  s'étonner  fi  laixuiI-< 
dtude  neconnoit  feulement  pas  le  110m  de 
vos  auteurs-tragiques  ? 

H  n'y  a  prefque  phis  qtie  les-gens  de  kt** 
très  qui' (oient  infatués  de  ces  eiquiflêsr  ihH 
parfaites  9  Se  qui  s'en  occupent  avec  on  fié** 
riie  déluge  de  paroles  ;  mais  tandis  qi/ik 
font  fort  «habiles  2i  multiplier  d'oifeu(ès  dif-- 
fèrtations ,  Part  n'en  fait  pas  un  (èùl  pas  de 
plus.  Nos  tragédies  continuentk  n^ôffrirque 
des  reflets  pales,  une  imitation  fervile;  Se 
h  génération  aâaelle  de  nos  auteurs^  attes- 
tera à  là  (uivante  Topiniâtreté  du  goût  le  plus 
aux  &  le  pKis  déraifonnablè. 

Jeunes  écrivains ,  voule»  -vous'  connoître^ 
Fart  <»  voulez '-vous  le  faire  fortir  des  bomeS' 
puériles  où  il  efl  enchaîné  ?  laiflèl  Jà  ^  les  pé-* 
âodiftes  &  leurs  préceptes  cadavéreux.  Lifez- 
Skalufptarc^  non  pour  le  copier^  mais  pput' 


J»  c    F  A  R  t  s.  40^ 

TOUS  pénétrer  dfi  Ql  manière  grande  &  ^- 
fée,  umple,  naturelle,  forte,,  éloquente:; 
étudiez- le xomme  le  fidèle  interprète  de  la 
nature ,  Qc  vqus  verrez  bientôt  toutes  ces 
petites  tragédies  éoanglées ,  uiûformes ,  (ans 
plan  vrai  8c  fans  mouvement ,  ne  plus  vous 
of&ir  qu  une  {ëcl^ereilè  Sf.  une  maigreur 
hideufe. 

Les  gens  de  lettres  au  deflus  de  trente* 
cinq  ans  ont  frémi  de  ces  héréfies  oppolëes 
^  h/aine  doârinej  parce  que  1rs  préjugés 
durciflènt  avec  la  tète  qui  les  renferme.  Ils 
qnt  latijcé  fbr  ThÀéiiodo^  leurs  anathémes 
Singulièrement  redoutables.  Mais  vous  favez 
.combien  les  braillards  ont  défendu  le  plein- 
chant  François  qu'ils  nommoient  mufiquc. 
Ten  appelle  Ji  la  génération  qui  s^éleve  j  00 
accueillera  .un  jour  avec  tranfport  le  genre 
oue  notre  dfottile  -combat  aveuglément  ;  on 
lentira  qu'on  a  fait  en  France  tout  le  con^ 
traire  de  ce  qu'il  &lloit  &îre  ;  &  l'fa(iftoix# 
de  notre  mufîque  d^yiet^di^a  ^lle  de  notrie 
tragédie. 

Alors  nous  appercevrons  d'une  manière 
diftinde  la  difformité  burle(que  de  rK>s  pie- 
ces  uniformi?^  &  fzOàce^^  &  pous  adopte* 
rons  une  irmovation  làlutâire  qui  tournent 
au  profit  de  la  vérité ,  du  génie  ,.des  moeurs  ^ 
&  des  plaifirs  de  la  nation  (r). 
■*'    ■     't.  1.  ■..  ■'  '        .11  I.   I  ■  Il 

(i)  J*ai  combattu  Jç  preiioler  avec  jone  éxtri; 


4o6  Tableau 

Un  roi  de  Perfe  fit  tîrcr  un  jour  (on  ho- 
rofcope.  Ce  roi  qui  fe  moquoit  mez  du  palfif 
&  même  du  préfent,  était  fon  inquiet  fur 
Pavenir.  Uaftrologue  ayai^t  bien  examiné  la 
conjonSion  des  ajlrcs  ,  déclara  fort  inno-' 
cemment  que  le  roi  mourtoit ,  k  coup  sAr, 
d'un  long  bâillement  ;  ce  qui ,  félon  la  tra- 
duâion  des  mots  perfàns ,  équivaut  à  mourir 
d*enntd.  On  s'appliqua  donc  très-fbignelife- 
ment  à  prévenir  tout  ce  qui  pourrott provo- 
uer ce  (îgne  fatal ,  lequel  devoit  être ,  pour 
a  niajefté  ,  Favant-coureur  du  trépas.  Dé- 
fenfe  confcquemment  k  tout  mélancolique- 


2 


me  franchlfe  les  idées  que  plufieurs  adoptent  au* 
jourd'hui.  J'ai  fait  imprimer  en  1775  **"  li^^ 
intitulé  du  Théâtre  «  ou  Nouvel  Effai  fur  VArt 
dramatique^  Amflerdam<t  qui  me  valut  alors  de 
la  part  des  iournalides  (tons  réunis  contre  moi) 
non  pas  une  feule  raifon  ,  mais  bien  de  grofles 
injures  ;  &  d*un  autre  c6té  ,  une  perfécutioa 
pref'que  rèrieufe  ,  que  je  détaillerai  un  )Our* 
Pour  toute  réponfe  »  j*ai  étendu  mes  idées  & 
mes  réflexions ,  en  les  frappant  d'une  manière 
plus  haute  &  plus  décidée;  laifiant  au  temps  « 
dont  je  connois  les  effets ,  le  foin  de  mettre  mes 
opinions  à  leur  place.  Je  compte  donc  publier 
bientôt  un  ouvrage  qui  aura  pour  titre  :  Exa^ 
men  ph'dofophique  de  quelques  pièces  du  théâtre 
François  y  Anglais  ^  Allemand^  Efpagnol  ^  &C2 
avec  les  oB/ervations  de  plufieurs  écrivains  céUhrts  ^ 
fiir  la  nécefflté  de  réformer  le  fyfiimc  aàiul  du  théa^ 
tre  François. 


DE     Paris.-        407 

de  trarerferles  cours,  a! nfi  que  les  efcalîeis 
des  châteaux  que  le  roi  pourroit  habiter.  Or- 
dre exprès  à  tout  courtifan  d'avoir  inceflàm- 
ment  le  fourîre  fur  les  lèvres  &  quelques  bons 
contes  dans  la  mémoire.  On  enleva  des  bi- 
bliothèques du  prince  tous  les  moraliftes  an- 
ciens &c  modernes ,  tous  les  diflèrtateurs ,  les 
jurifconfultes  ,  les  métaphydciens  ^  on  tapiflà 
les  murailles  de  peintures  pleines  de  feu  &c 
de  gaieté.  On  ordonna  que  les  gens  de  jus- 
tice ne  porteroient  plus  que  des  habits  cou- 
leur de  ro(è.  On  fit  recrue  de  bouffons ,  8ç 
ils  furent  largement  payés.  Bal  quatre  fois  la 
femaine  ,  comédie  tous  les  jours;  mais  point 
d'opéra  en  plein-chant.  A<^x  portes  du  palais, 
des  gens  amdés  verfoient  du  café  à  tous  ve- 
nants ;  &  quiconque  lâchoit  un  bon  mot , 
ohtenoit  fur  le  champ  un  paflè-port  pour  allet 
par-tout.  Rire  &  &ire  rire  étoît  le  propre 
d*un  grand  homme  qui  fervoît  dignement 
fon  prince  &  Fétat.  Toutes  les  dignités  appar- 
tinrent de  droit  aux  plaifants  qui  narroient 
les  plus  joyeufes  facéties. 

Un  poëte  qui  n'étoît  ni  trifte  ni  gai ,  maïs 
qui  amufoit  aÛèiz  ceux  qui  l'écoutoient  parler 
4e  fes  vers ,  étoit  parvenu  à  la  cour  ^  on  ne 
iàit  trop  comment  :  mais  enfin  il  s'y  trou- 
yoit  ;  &  comme  l'on  confond  aflèz  volon- 
tiers dans  ce  pays  les  poètes  avec  les  foux , 
il  àvpit  fes  entrées.  Il  mît  à  profit  cet  avan*- 
tage ,  &  fit  fi  bien  qu'il  obtint  de  lire  4^*- 


^O^     /         X.  A   B   L  ï  A  Ù 

vancfa  majefté  une  tragédie  toute  enâeie^ 
de  fit  compciGtion  ;  tragédie ,  .félon  lui ,  éton- 
nante, pathétique ,  qui  réuniflbittuat  cecpi'A- 
riftote  exige ,  d'après  les  drames  grecs ,  car 
îl  ri*a  vu  que  cela  dans  fa  poétique.  Cette 
tragédie  étoit  prônée  d'avance  avec  qn  en- 
thoufiafme  fingulier  ;;  &  chacun  de  s^écner 
iàns  la  'connottre  :  ^efi  admirable  !  Le  poète 
iônt  &  lut.  Le  roi  bâilla  &  mourut. 

L'auteur  eft  foudain  arrêté ,  comme  cou- 
pable du  crime  de  lése-majefié  au  premier 
chef,  &  condamné  à  perdre  lavieaiimifieii 
-des  jbppliccs  d'étiquette.  Il  fe  récria  fort^ 
ment ,  moins  fiir  la  violence  conmiifè  cotw 
tre  fa  perfonne,que  furFinjufHce  horriUe, 
abominable ,  que  Ton  faifoit  k  £aa  ouvrage 
tragique,  admiré  de  toute  une  académie. 
Le  goût  avoit  préfîdé  à  la  conftruâion  de 
chaque  vers ,  6c  ils  étoient  fî  bien  iiKMilés 
îxxï  les  bons  modèles ,  qu'en  cas  de  befmn 
on  les  y  trouveroit  prefque  tous.  Voilà  ce 
que  le  poète  avança  pour  Ùl  jullification« 

Le  tribunal  fuprême  cm  devoir  procéder 
avec  toutes  les  fomialités  requifes  ;  &  com- 
me on  repréfente  toujours  au  coupable  finf* 
trument  du  crime ,  il  fut  ordonné  au  poète 
de  reprendre  8c  de  relire  cette  fmtale  tragé- 
die devant  tous  les  juges  afièmblés.  Lepoëte^ 
la  tête  nue  ,  8c  dans  la  pofture  des  crimi- 
nels, environné  de  tous  les  ordres  de  l'état , 
lut  Ùl  pièce.  Dès  le  fécond  aâe  y  voilà  que  tous 

la 


DE    Paris.        ^  409 

las  fronts féveres  &,  rembrunis  fe  déridèrent, 
&  progreflivement  de  longs  éclats  de  rire , 

?u'on  youloit  étouffer ,  fe  firent  entendre  , 
ç  percèrent  de  différents  côtés.  Ces  crîg 
bientôt  dégénérèrent  en  convulfions  :  ils  an- 
nonçpient  .ia  grâce  du  poète.  En  ef&t ,  tous 
les  juges  en  fe  levant ,  déclarèrent  d'une  roiz 
unaninie  ,  que  rien  au  monde  n'étoitplus 
plaifant  que  cçtte  tragédie,  &  que  le  trépas 
iubit  de  fbn  aug^e  majefté  avoir  eu  certaî- 
iiement  une.tojite.  autre  caufe.  En  conféquen- 
ce ,  le  poëte  fut  remis  en  liberté ,  &  renvoyé 
bien  abfous  au  cercle  de  fes  admirateurs  ou 
4e  fon  académie.    ■ 


■  C  H  A  PITRE    C  C  C  X  X  X I V; 

Comédies  modernes. 

Jl  purquoi  rltton  moins  aujourd'hui  qu'on 
^e  ripit  danslfcfîecle  paUé?  C'eft  peut-être 
parce  qu'on  a  plus  de  connoiflànces  &  le 
;ta^  plus  fin^;  deft  parce  qu'on  démêle  du 
premier  coiip-d'œil  ce  qu'il  y  a  de  froid  & 
de  faux  dans  ce  métue  trait  qui  faifoit  rire 
nos  aïeux  à  gorge  ééblôyée.  .On  rit  moins 
dans  le  monde  ',  parce  (ju'ony  raifonne  da- 
vantage fur  toijs  les  objets ,  or  parce  qu'a- 
près ^voir  éj^uITé  toutes(lds  plaiiàntciies ,  il  a 
fomc  II.  S 


^10  .T'A   B   LE   A  V 

fallu  en  venir  malgré  foi  à  un  exam^en  plus 

r  iexaû  &  plus  décaillé. 

Nous  avons  lu ,  nous  avons  voyagé  ^  noas 
avons  vu  &c  examiné  des  moeurs  bien  di^ 
rentes  des  nôtres  ;  nous  les  avons  adoptées 
en  idée ,  &  dès  ce.  moment  les  conttafies 
nous  ont  moins  frappés  ;  les  originaux  nous 
ont  paru  avoir  aufli  leur  manière  d'agir  & 
de  penfèr ,  tout  comme  ceux  qui  (tiivoiett 
les  maximes  les  plus  accréditées.^  La  pkifàii- 
teries'eft  émouflee  néceflairemenc ,  avec  II 
connoiflànce  des  ufages  diamétralement  op^ 
pofésaux  nôtres. 

Uexemple  de  nos  voifîns  [dus  rapprochés 
de  nous  ;  la  leâure  des  voyages  noBveaux  ; 
les  gazettes  multipliées  ^.retnplies  de  âits  ei- 
traordinaires  &  inattendus  ;  le  mélange  et 
tous  les  peuples  de  Tfiurope ,  tout  nous  a 

,  appris  que  chacun  avoit  fa  manière  de  voir , 
de  juger,  de  fentir  ;  8c  tel  caraâere  bizarre 

.  qui  nous  frappoit  par  fa  fingularité ,  s'cft 
trouvé  commun  chez  nos  voifîhs  y  confe- 
quemment  juftifié  &  hors*  des  àtteitites  du 
ppëte  comique. 

Remarquez  que  Pon  rit.  cMt  fois  phis 

:  dans  un  collège  ,  dans  une  communauté^ 
dans  un  couvent ,  daiis  une  maifbn  aflèrvie 
à  des  règles  fixes.  Eh  !  pourquoi  ?  Parce  que 

,  dès  qu'on  s'écarte  de  l'omiere  tracée  ,  PiD>- 

:  ft:aâion  marque ,  &  le  ridicule  naît.  Dans 

'  une  pedte  vâle  il  y  a  lieu  à. des  rapports 


B  E    Paris.  411 

plus  frckjuents ,  plus  vifs  &  plus  plai(ants  que 
dans  une  grande  ^  les  nuances  frappent  là 
bien  autrement ,  parce  que  tout  eft  circonC* 
crit ,  uniforme  ^  oc  que  l'on  veille  les  uns 
fur  les  autres*  Il  eft  un  ton  général  dans  le$ 
^opinions ,  dans  les  ufàges,  dans  les  vêtements 
même ,  qu*on  ne  Ciuroit  enfreindre.  ._^  c  . 

Mais  à  Paris ,  l'homme  eft  trop  noyé  dans 
la  foule,  pour  avoir  une  phyfiionomie  qui 
tranche  \  le  ridicule  devient  imperceptible. 
Chacun  vivant  à  fon  gré ,  &  les  mœurs  étant 
prodigieufement  méfees ,  il  n'y  a  point  d'état 
&  de  caradere  qui  ne  porte  fon  excufe  avec 
foi.  On  dit  donc  parmi  ce  peuple  une  mul- 
ititude  de  bons  mots  qui  rélultent  de  la  prOf 
fonde  connoiftance  des  ehofes;  itiaisonâap^ 
pe rarement  ûir  fhomme,  oq  le  refpêde; 
ou  (î  le  trait  fe  lance  au  hafard ,  il  eft  effacé 
par  le  trait  du  lendemain.  La  médifance  fe 
maiiifefte  moins  par  méchanceté  que  pour 
écarter  la  lanmieui;  &:Jl-ennui.  On  fekitira 
aifënient  que  iousce  pomp  de  vue  l'art  delà 
comète  p'admet  que  des  tableaux ,  &qi;i:d^ 
regarderoit  comme,  un  perturbstteur  de  li 
fociété  ,  le  pojëte  qui  livreroit  brutalement  la 
guerre  k  tel  ou  tel  individu.  D'ailleurs  on iai^ 
&oit  difficilement  la  reflèmblance.       .  : .  . .  t 

Une  comédie  qui  èe  peut  attaquer  fous 
les  vices  en  honneur,  ni  les  ridicules, enno- 
blis ,  devoir  tomber  néceflairement  d^ns  lo 
jlyle  des.  comttEààoQs  j  .&  c'eft  ce  :  qqi  eft 

^       Si 


4'ri  Tableau 

arrivé.  Elle  .aura  de  la  fineflè  ^  de  la  grâce  : 
mais  difcrete  &  froide  ,  elle  manquera  d'é- 
nergie ',  elle  rfofcra  parler  ni  du  fourbe  pu- 
blic qui  va  tâte  levée ,  ni  du  juge  qui  vend 
fa  voix ,  ntdu  miniftre  inepte  ^  ni  du  géné- 
ral battu ,  ni  du  préfomptuenx  tombé  dans 
fes  propres  pièges  ;  Se  tandis  qu'au  coin  de 
toutes  les  cheminées  on  parle  ,  on  rit  ii  leurs 
-dépens  ,  aucun  Âriftopluuie  n'eft  afièz  hardi 
•pour  les  faire  monter  fur  le  théâtre. 

Ayant  à  tracer  des  peintures  vigoureufes 
(ùr  des  modèles  récents ,  il  lui  efl  défendu 
de  concilier  Fintérêt  des  mœurs  avec  finté- 
rèt  de  fon  art  ^  il  ne  peut  guère  attaquer  le 
YÎce  qu'en  peignant  la  vemi  ;  &  au  lieu  de  le 
traîner  par  les  cheveux  &r  la  fcene,  de  motv* 
trer  ^  découvert  fon  front  hideux  ,  il  eft  obli- 
gé de  faire  une  languiflànte  tirade  de  mo- 
rale. Point  de  comédie  à  caraâere  vivant 
dan^  les  formes  de  notre  gouvernement. 
>  Molière  lui-même ,  tottt  foutenu  qu'il  étoit 
psLV  fon  nom  &  par  Lotiis  XiV  ^  n'a  ofc 
faire;  qu'une  comédie  en  ce  genre  j  c'eft  auffi 
fcn  chef-d'œuvre.  Dans  tes  autres  ^  fon  pin- 
ceau n'a  plus  la  même  force ,  ni  la  même 
élévation.  Le  trait  plus  vague  caraâérife 
moins  la  phyfionomîe.  Le  Mijanthrope  (i) 

.  •' : ; 

(i)  Cette  pièce  a  déjà  excité  plufieurs  dé-- 
bats  intérefTants  :  voici  l'impreffion  qui  qi'en  eft 
reftée»  Le  Mifdnthrogc  m^a  toujours  paru  fort  jd. 


D  f      P:  A  K  1  s.  413'., 

ell  encore  de  nos  jo&rs  un  problème  moral  , 
adèz  difficile  àréfoudre  ;  &  je  crois  appercevoir 
que  Molière  lui-même  amolli  daus  la  com- , 
ppCcion  de  (es  tableaux ,  qu^iln'a  plus  oIechoi-<i 
(if  Tindividu  ^qui  eût  donné  au  portrait  :ùne 
vie  plus  animée. 

Depuis  ,  nptre  comédie  moderne  ,  en 
cédant  de  vouloir  peindre  des  bourgeois ,  a 
perdu  &  la  gaieté  &  fon  naturel^  lepoëte, 
pour  faire  imaginer  qu'il  fréquentoitla  noble 
compagnie ,  n'a  plus  voulu  faire  parler  que 
des  ducs ,  des  comteflès  Se  des  marquifes  ^ 


férieur  au  Tartujfe.  L'intention  de  Molière  dans 
cette  pièce  a  sûrement  été*  pure  ;  mais  on  ne 
peut  s'empêcher  néanmoins  d'avouer  qu'elle  pa« 
rpit  équivoque  à  Texamen,  Molière  «  fi  je  ne 
19e  trompe,  femble  vouloir  que  la  vertu  foit 
douce  y  pliante ,  accorte ,  pour  ainfi  dire  «  mé- 
nagée ,  acconunodante  ,  refpeâant  toutes  les 
conventions  tacites.Sc  faufles  des  fociétés  ;  qu*elle 
ne  gronde  jamais ,  quelle  ne  s'emporte  jainais  , 
qu'elle  voie  tout  ce  qui  blefTe  Tordre  d'un  œil- 
prudent  ,  circonfpeâ  ,  rcfervé';  mais  la  vertu 
£in$  fa  marque  diftînâive ,  qui  eft  le  courage  , 
la  franchife ,  la  fermeté ,  & ,  pour  tout  dire ,  la 
rpideur  de  la  probité,  eft  elle  encore  vertu? 

Molière  femble  donner  la  préférence  à  Phi* 
linte  fur  Alcefie,  &  faire  dq  premier  un  modèle* 
à  fuivre  pour  les  manières  &  le  langage  ;  il  femri 
Lie  dire  :  Soyez  dans  certaines  circonfiances* 
plutôt  un  peu  faux  avec  politeffe  que  bourru 
avec  probité  ^  ménagez  tout,  ce  qui  vous  envi-. 

S3     ' 


414  Tableau 

il  a  raffiné  k  tout  propos  le  ftyle  &  les  idées., 
&  il  a  créé  des  expreflions  recherchées.  Au 
lieu  de  fonger  a  mettre  les  perfbnnages  en 
aâion  ,  il  a  prétendu  au  iM)n  ton  ;  &  ce  ton 
faâice  ,  il  l'a  pris  pour  celui  du  théâtre  & 
de  la  fociété. 

Qu'eft  -  il  arrivé  î  L'honnête  boulgeoîs 
écoutant  de  toutes  Tes  forces  y  n'a  rien  corn* 
pris  à  ce  nouvel  idiome  ;  &:  les  gens  du 
monde  n'ont  pas  même  reconnu  Te  leur } 
tous  ces  traits ,  k  force  de  vouloir  être  dé- 
licats &  fpirituels  ,  (ont  devenus  maniérés  ^ 


ronne  :  pourquoi  choqoer  împrudeinflieDt  kf 
'vices   d*autrui  i  Cette  pièce  de  Molière  enfia 
iemble  écrite  fous  Tceil  de  la  cour  :  d^aiUeuri 
le  Mifanthrope ,  cenfidéré  de  prés  j  n'eft  qu'un 
humorifte  ;  il  s*écbauffe  le  plus  fouvent  pour  des 
miferes.  Molière  a  mis  quelquefois  des  individus 
fur  la  fcene  ;  mais  ce  n'eft  pas  là  fon  plus  bel 
endroit.  En   attaquant  Bourfaut  &  de  Vifè,  il 
attaquolt  fes  adverfaires,  &  non  des  hommes 
vicieux  ;  en  frappant  Cottin  ,  il  a  vengé  foo 
amour- propre  ;  il  eût  été  plus  grand  d'oublier 
l'injure ,  &  de  la  pardonner  :  les  perfonnalités 
choquantes  qu'il  s'eâ  permifes  nuifent  un  peu  à 
fa  gloire.   Que  de  vices  troublant  la  fociété  il 
avoit  à  combattre  !  Mais  peu  importe  aujour« 
d*hui  que  Cottin  ait  été  un  fot  ou  un  homme 
d*efprit  :  &  les  Femmes  favantes ,  qui  ont  retardé 
peut  être  les  progrés  des  fciences ,  ne  font  fai- 
tes que  pour  aigrir  les  débats  littéraires  ,  &  pro% 
pager  le  fcandaie  de  la  littérature. 


D  E      P  A  R  I   s.  41  «J 

&  rfont  frappe  que  foîblement  les  fpeûa- 
teurs  :  ils  noht  donc  applaudi  à  quelques  dë-i 
^ils  que  pour  profaire  plus  généralement  : 
l!eïi(èmhle  dénué  de  mouvement  8c  de  vie. . 

Ce  jargon  ingénieux  n'a  pam  qu'un  effort  / 
hors  d'œuvre  &.m^-adroit,  qu'une  griiçacé 
perpétuelle  &  Ëncigante  ;  &  le  poëte  ,  en  ; 
abandonnant  des  caraâeres  oii  les  ridicules' 
ibnt  vrais  &  tranchants ,  n'a  produit  qu'une 
enluminure   paflagere-.^  lorfqu'il    comptoit  : 
tr^c^  un  tableau  durable. .. 

Ceft  de  l'efprit  d'auteur,  a-t-on  dit ,  c'eft/: 
kil  qui  parle  ^  âc  non  fes  perfonnages  ;  il  a 
voulu  faire  fa  comédie  pour  les  premières! 
lo^es^  &.  il  n'a  pas  mênie  réum  devant  r 
eUes  ,  parce  que  le  point  de  vue  de  tout  : 
caraâeredait  être fai& du^milieu  du  parterre,.- 
&.  non  ailleurs.  . 

Ainfî  le  poëté  comique  =,  quand  il  veut  - 
trop  renchérir  fur  Tefprit  de  fes  devanciers ,  , 
feL  trompe  ^  puifquil  faut  qu'il  s'étudie  a  ca- 
cher entièrement  fon  art  ;  la  montre  en  étant  " 
encore  pl^.  infiipportable  >dans  la  ccmiédie  • 
que  dans  la-  tragédie;  . 

\'oilà*  ce  que  ne  croiront  point  nos  au«  - 
teurs  comiques,  qui  de  f his  ont  donné  un  > 
{wffiet  à  la  nature  ,  en  écrivant  leurs  pièces  « 
eu  vers  y  &'  encom  >n  vêts  énigmatiques  : 
leurs  tion-^fiiccès  •  dcvroieôt  cependant  leur 
révéler  que  leur  couleur  âk  fyxiSe  ;  mais  ils  . 
iR^bftiiljnrQnt  à  .k  garder,:  parce  qu'ils  ne  j 

S  4 


4l6  T  A  B  L  E  A  U^ 

confulteront  point  la  Bonne  Servante  de 
Molière ,  8c  qu'ils  liront  à  de  beaux  efprits 
leurs  confrères ,  au  lieu  de  confulter  les  bons 
•fprits  y  qui  en  toute  chofe  cherchent  le  fond 
&  non  ces  acceflbires  qui  l'ëtouf&nt  ou  le 
défigurent. 

Or ,  on  nous  a  donné  quelques  comédies 
que  le  jargon  précieux  n'infeâoit  pas ,  comme 
le  Barbier  de  Sévllle  &  le  Tuteur  dupé  ; 
mais  on  ne  peut  confidérer  ces  pièces  que 
comme  des  farces  où  il  y  a  de  Tefprit  & 
des  mots  heureux  :  ce  n'eft  point  là  non  plus 
la  bonne  comédie  qui  fait  fourire  l'âme  par 
une  peinture  vraie  &  fine ,  la  feule  qui  puillè 
plaire  à  une  raifon  exercée. 


CHAPITRE     CGC  XX  XV. 

,Où  ejl  Démoerite  ! 

Oi la  cojîîédie  n'eft  plus  fur  le  théâtre,  elle 
left  toujours  dans  le  monde.  Pour  un  obfer- 
vateur  défintérefle ,  il  y  a  de  quoi  rire  com- 
me Démoerite  ;  &  au  fond  ,  rien  n'eft  meil- 
leur pour  la  fanté. 

Vous  voyez  l'abbé  quî  parle  de  (es  îndî- 
geftions  ;  vous  entendez  les  gcmiflements  de 
l'avare  qui  déclame  contre  la  dureté  du  cœur 
humain  ,  les  plaintes  du  plaideur  entêté ,  la 


DE    Pari  s.  417 

faffifance  de  Fauteur  qui  fronde  Porgueîl  dont 
il  eft  allreînt  ;  vous  contemplez  la  morgue 
du  grand  ,  qui  af&âe  quelquefois  la  bonté , 
la  fatuité  du  petit  -  maître ,  ardent  feâateuc 
des  modes  les  plus  futiles.  Celui  qui  prête 
le  plus  a  la  fatyre ,  eft  fatyrîque  à  l'excès.  Les 
tons  &  les  manières  forment  des  fcenes  ex- 
trêmement variées  :  Tefprit  léger ,  fugitif  & 
parleur  fait  contraâer  à  ces  différents  per* 
(bnnages  une  forte  de  maintien.,  une  ma- 
nière qui  donne  k  chaque  avantageux  Pair  Ôc 
Pattitude  de  fes  frivoles  &  petites  idées. 

Il  eft  curieux  d'examiner  le  nombre  infini 
de  ces  caufeurs,  auxquels  on  attribueroit  la 
vraie  connoiftànce  de  tous  les  arts ,  tandis 
qu'aucun  d'jeux  ne  fauroit  en  réduire  un  feul 
en  pratique  :  &  le  ton  décifif  &  haut  n'en 
va  pas  moins  fon  train. 

Qu'eft-il  befoin  après  cela,  d'aller  entèn-' 
dre  nos  froides  comédies  moderne^  y  qui' 
n'oflrent  rien  de  tous  ces  travers  ? 

Voyez  enfuîte  le  ridiciilé  inconcevable 
&  les  prétentions  refpeâîves  des  états ,  leurs 
débats  étemels  ,  la  montre  de  leurs  privi- 
lèges j  &  riez  encore  plus  fort. 

Les  fecrétaîres  du  roi,  par  exemple,  ne 
(àvent  quel  rang  occuper:  ils  s'élèvent,  ils 
s?abaiflènt;  leur  contenance  èft  malafliirée; 
ils  pofent  des  lignes  de  démarcation ,  mais 
ces  lignes  fpnt  perpétuellement  déran^çés. 
Quel  Icandale  pour  la  pépinière  de  la  fatiire  ' 

S5 


4i8  Tableau' 

nobleflè  !  Leur  (crupule  dans  un  temps ,  leur 
exceflive  indulgence  dans  un  autre ,  tout  place 
(bus  un  jour  comique  leur  embarras ,  leur 
prodigieufe  facilité ,  puis  leur  attitude  fiere 
&  repouflànte. 

Mais  favez-vous  Thifioire  de  cet  honnête 
marchand  d'étoffes  ,  qui  avoit  coutume  de 
dire  à  tout  prc^s  ,  je  veux  être  pendu  fi 
cela  neft  pas  vrai ,  je  veux  être  pendu  fi 
je  ne  fais  pas  telle  chofi  ?  Il  fit  fortune  ^ 
&  acheta  une  charge  de  fecrétaire.  du  roi  ^ 
le  lendemain  même  de  (on  acquifition  il 
s'écria  devant  une  nombreufe  a(&mblée  :  Si 
ce  que  j'affirme  neft  pas  véritable^  je  veux 
être  decoUL  Qui  n'auroit  pas  ri  ? 

Charge  de  fecrétaire  du  roi  ^  favonnette 
à  vilain,  dit  le  proverbe.  Mais  un  acqué- 
reur difoit  avec  beaucoup  de  fens  :  Ce  qui 
eft  ridicule  aujourdhui,  dans  cent  ans  d'ici 
produira  dexceUentes  raijbns* 

Avoir  une  occupation  diffîrente  de  fon 
voi(in ,  eft  un  titre  pour  (è  moquer  de  lui  \ 
Je  notaire  &  le  greffier  (è  jugent  (eparément 
Fun  au  dedùs  de  Fautre  ;  le  procureur  &  rhui(^ 
fier  fe  regardent  comme  de  deux  caftes  di^ 
fërentes  ^  les  commis  établiflènt  entr*eux  de 
plus  grandes  diffîrcnces  ;  ITiomme  d'un  bu- 
reau s'eftime  un  petit  miniftre,  &  dit  :  Nous 
avons  fait,  nous  avom  décidé ,  &  nous  or-* 
donnerons.  Le  cailTier  fe  croit  fort  au  defliis 
du  liquidateur  ,  6c  ainfî  réciproquement.  Je 


U  E     P  A  R  T  S^.  ^l^ 

ne  fais  fî  le  marchand  de  ym  viûte  îe  vitiaM 
giitr  y  &  fî  le  libraire  tk  attend  pas  que  le 
papetier  failè  les  premiers  pas  ;  le  confeillér 
au  parlemeint  trcÀ  en  pitié  un  confeiiler  du  . 
châtelet  ;  6c  fi  vous  vovdez  taire  évanouir  une 
femme,  dejrobe.,  vous  n'avest  qu'à  lui  parler  .: 
d'ùilç^  préfideiite  d'éjeâiofl*  . 

L'on  met  fouvent  en.  délibération  daiis 
k  ibourgeoifiè  ^  fi  toû  rendra  la  vifite  à  fon 
v(Mfin  ^  &  fi  l'orl  n'en,  ferôit  pas  difpenfé  : 
par  quelque  dignité  perfonnelle ,  comme  par  > 
exemple  celle  de  marguiîlîér,  de  fyndic  de'  . 
&  coinmunauté  ^  de.  quartenîer  ,  de  futur 
ëcheyin*,  qui  doit,  graver  fon  nom. fous  IîI'  ■: 
ftaqie .  équeftre.  de  nos  rois« 

Parcoures  jufqaau)^^  métiers  :  ils  6nt  établi 
ena:'eux  une  efpebede  féparatîon.  Demie-* 
rement  un  taîllawr  du  roi  fe  fit  faire  une  per- 
ruque par  la  main  la  plus  babile ,  parce  qu'iin^ 
tailleur  du  roi  doit  être  fùpérieurement  coëffé  $ 
quand  le  maître  pemiquîeT  eut  apporté  ôç 
pofé  foui  .chrf-d'ôeuvre  y.  le  tailleur  lui  de- 
manda avec  gravité  i^  combien  î  —  Je  ne 
veux  point  d'argent.  —  G)mmet)t?  '—  Non  5 
vous  éte$  auifi  habile  dans  votre  ^  que  je  W 
^is  dans  h  niieti  :  eh  bten ,  que  vos  cifeaux 
me  coupent  un  habit.  — .  Vous  vous  mé-^ 
jprenez^.^  %iofi  cher  ^  mes  cifèàux  .&  mon 
aiguille,  confacrés  a  1»  cour ^ ne.tr av^Ilent 
pas  pour  un  perruquier,  r—  Et  mor ,  reprit 
Sanue  ^  j[e  ne  co^&„|ias  un  taiHeur.  £t]i* 

&6 


410  Tableau 

gnant  le  gefte  a  la  parole  ,  il  lui  arracHa  la 
perruque  de  deflùs  la  tête  &c  court  encore. 

Les  débats  opiniâtres  des  différentes  com- 
munautés font  fort  divertiilànts.  Ces  denian* 
des  refpeâives  étoîent  d*un  excellent  revenu 
pour  le  palais  il  y  a  quelques  a(nnées  :  voilà 
pourquoi  il  favorîfoit  tant,  les  maîtri/ès.  Les 
procès  font  devenus  plus  rares  depuis  la  rëu- 
aiion,  quoique  rentétement  foit  à  peu  près 
le  même  entre  ces  petits  corps  de  marchands. 

Mais  quel  corps  aujourd'hui  ne  prà^nd 
pas  s'ifoler  au  milieu  des  rapports  de  la  ma- 
chine  politique  !  Tout  corps ,  tant  il  eft  frappe 
4*aveuglement ,  ne  fent  que  rinjuftice  faite 
à  l'un  de  fes  individus  ,  &  regarde  comme 
étrangère  à  fes  intérêts  TopprefEon  du  ci- 
toyen qui  n'eft  pas  de  (à  daflè. 

Le  militaire  rît  des  coups  qui  tombent 
fiir  l'homme  de  robe  ;  l'homme  de  robe  voit 
avec  indifférence  le  prêtre  qui  s'avilit  ;  le 
prêtre  croit  pouvoir  exifter  indépendamment 
des  autres  états  ,  &  l'orgueil  non  moins  que 
Pintérêt  a  divife  dçs  profeflîons  qui  fe  tou- 
chent ,  qui  ont  entr'ellcs  les  plus  invincibles 
i;apports  :  armées  les  unes  contre  les  autres  , 
elles  fe  prévalent  tour-à-^our  des  petits  avan- 
tages qu'elles  ont  obtenus  la  veille ,  pour  les 
{>erdre  le  lendemain  ;  car  pendant  cette  lutte 
e  gouvernement ,  en  paroiflant  vouloir  les 
accorder ,  les  pompe  &  les  deflèche  pour  les 
retenir  toutes  fous  fk  main  &  les  faire  mou- 
voir à  ik  yoloQ^é. 


D.E    Paris,  411 

Perfonne  ne  veut  fonger  que  ces  travaux 
dîflSrents  font  liés  enfembîe ,  &  portent  k  la 
maile  des  connoîflànces  un  trait  de  lumière; 
que  la  fcience  eft  néceflàirement  une  ^  & 
que  toutes  les  découvertes  ne  tendent  qu'à 
diminuer  la  fburce  de  tous  nos  maux  y 
Tignorance  &  Terreur. 

Aufli  la  (bciété ,  morcelée  par  cette  mul- 
titude de  petites  &  bizarres  diftinâions  ,  eft-  • 
elle  devenue  une  vraie  tour  de  Babel ,  pour  ' 
la  confuGon  des  idées  6c  des  fentiments  ;  la 
fottife  y. parle  comme  le  génie  &  beaucoup 
plus  haut  ;  chacun  y  déploie  fa  pancarte ,  fon 
privilège',  ou  fcs  lettres  de  maîtrife  ;  l'aca- 
démicien &  le  cordonnier  en  font  également 
parade  de  nos  jours.  O  Démocrite  !  où  eft-tu? 


^^@^^^^^^@©@^H 


CHAPITRE     CCCXXXVI. 

Juc  pont  au  Change ,  le  Petit-Pont  &  le 
pont  S.  Michel  font  les  trois  plus  anciens  de 
Paris. 

La  rivière  de  Seine  refte  cachée  au  mi- 
lieu de  la  ville  par  les  vilaines  8c  étroites 
maifons  quon  a  bâties  fur  des  arches.  Il 
fexoic  bien  temps  de  rendre  à  la  ville  y  &  fo^ 


411  Tableau 

coup-d'œil  &  Ton  courant  d'ak ,  principe  de 
làlubrité. 

Sur  les  ponts  où  il  n'y  a  point  de  inàifons , . 
le  point  de  ^rue  eft  admirable^  ce  qui  détroit  -. 
engager  le  miniftere  à  prévenir  dés  accidents  ^ 
qui ,  dans  Tordre  des  choies,  font  à  peu  près- . 
inëvitables. 

Catinat ,  qui  avoit  mené  la  philofophie  ;^ 
à  la  guerre ,  difoit  qu'il  n^avok  jamais  rien  : , 
vu  d'aufTi  beau  que  le  coup^'odil  du .  nûlieu 
du  Pont-Royal  :  que  n'eik-il  pas  dit ,  ^  avoit  ^  ^ 
pu  plonger  ùl  vue  jufqu'à  l'autre  exa:émité  de 
la  ville  ? 

C'étQit  de  làk  qu'il  falloit  voir  le  feu  de  la  ^ 
paix  en  1763  \  cette  enceinte  immenfe  fi 
prodigieufement  peuplée  ^  ces  quais  chargés^ 
de  têtes  rangées  en  amphithéâtre  ,  &  ces 
figures  étrangères ,  mêlées  aux  phylîonomies, 
parifîennes  :  car  une  multitude  de  payfans 
ëtoient  accourus  de  trente  &:  quarante  lieues. 
L'on  remarquoit  à  chaque  pas  des  hommes, 
qui ,  par  leur  coftunie  ,  leur  étonnement  & 
leur  vilàge  ^  annonçbient  que  la  curiofîté  lesr. 
avoit  appelles  du  fond  de  leur  province,^ 

Si  quelque  chofe  a  pu  donner  une  idée  de 
cette  vallée  de  Jofaphat  dont  parie  TEcriture  ^ 
c'étoit  cette  affèmblce  mobile  &  ondoyante  9 
qui  tantôt  s*écouIoit  comme  des  flots ,  tan- 
tôt offroît  des  phalanges  mouvantes,  qui  fè 
balançoient  dans  un  repos  animé  &  majeC- 
tueux.  Point  de  tableau  plus  admirable  par 


DE     P  A  H  I  S..  413 

la  vRviétéy  point  de  plus  étonnant  par  la 
population. 

On  fouhaite  un  nouveau  pont  pour  la  corn* 
munication  du  fauxbourg  Saint -Honoré,  du 
Roule  &  de  Chaillot ,  au  fauxbourg  S.  Ger* 
main ,  au  Palais-Bourbon  &  aux  Invalides. 
L'accroiflèment  de  la  ville  le  rend  indif- 
penfable. 

Conflruit  en  face  de  la  grande  allée  des' 
Invalides ,  il  ferviroit  a  joindre  les  Boule-' 
vards  du  nord  &  du  midi ,  &  l'agrément^ 
s'uniroit  à  Futilité.  D'ailleurs  il  n'y  auroit 
aucun  déplacement  ^  faire  ,  &  Ton  feroic 
maître  du  terrein  des  deux  rives  oppofées. 

Vingt -fix  quais  revêtus  de  pierres  de  taille 
avec  des  gardes-fbux  à  hauteur  d'appui  cei-* 
gnent  la  rivière ,  &  s'ouvrent  en  dix-huit  ou 
vingt  endroits  ,  pour  former  des  abreuvoirs.  - 
Au  moyen  de  quelques  alignements  ,  on 
pourroit  avoir ,  depuis  la  porte  Samt-Jacques 
jufqu'à  celle  de  Saint -Martin ,  une  rue  qui 
traverferoit  tout  Paris ,  &  qui  auroit  deux 
mille  cinq  cents  toifes.  On  pourroit  aligner 
une  autre  rue  depuis  la  porte  Saint-Antoine 
jufqu'à  la  porte  Saint-Honoré ,  qui  auroit  la 
même  grandeur,  &  qui  couperoitla  précé-- 
dente  à  angle  droit. 

On  a  plufieurs  égouts  voûtés  &  couverts. 
Il  fcroit  k  délirer  que  la  même  conftrudion 
eût  litu  dans  toutes  les  parties  de  la  ville.  Il 
n'y  a  point  d'égout  dans  la  cité  ^  &  ailleurs 
les  immondices  vont  à  la  rivière. 


414  T  A  s  L  E   A  U 

L'eau  qui  lavoit  Pégoût  de  Bîevre ,  s'eft 
perdue  dans  une  de  ces  concavités  efFrayan^ 
tes  j  occafîonnées  par  les  carrières  dont  nous 
savons  parlé ,  Se  fur  lefquelles  des  niaifons 
font  bâties,  fans  que  les  habitants,  endormis 
dans  une  heureuie  fecurité  ,  foupçonnenc 
qu  elles  portent  fur  des  abymes. 

Le  fol  de  la  ville  efl  rempli  de  coquilla* 
ges  fofFiles  ;  on  y  reconnoit  des  peignes  ^  des 
vis ,  des  buccins ,  de  tellines.  Les  carrières 
4'alentour  oôrent  auflî  des  coquillages  entre 
deux  couches,  dont  l'une  eft  mameufe,  l'au- 
be pierreufè* 

La  circonférence  de  Paris  eft  de  dix  mille 
toifes.  On  a  tenté  pluGeurs  fois  del>omer 
(on  enceinte  ;  les  édifices  ont  franchi  les  li«- 
xnites;  les  marais  ont  difparu,  &  les  cam- 
pagnes reculent  de  jour  en  jour  devant  le 
nianeau  &  Téquerre, 


CHAPITRE    CCCXXXVIL 

Confommation. 

J.  ous  les  almanachs  vous  difent  qu'il  (è  con- 
fpmme  par  au  quinze  cents  mille  muids  de 
bled,  quatre  cents  cinquante  mille  muids  de 
vin,  non  co^ipris  la  bière,  le  cidre, Peau- 
<k-vxe  \  cent  nulle  bœufs  ;  quatre  cents  qua-* 


iD  E    Paris.  415 

tre-vîngt  mille  moutons  ;  trente  mille  veaux  ; 
cent  quarante  mille  porcs  ;  cinq  cent  mille 
voies  de  bois  ^  dix  millions  deux  cents  bottes 
de  foin  &  paille  ;  cinq  millions  quatre  mille*^ 
livres  de  fuif  ;  quarante -deux  mille  muidis' 
de  charbon  ,  &c. 

Ces  fortes  d'états  ont  des  différences  aflèz 
conGdérables  félon  les  années  :  il  eft  prefque 
impoflible  d'avoir  des  certificats  qui  aient  une 
certaine  jufteflè ,  parce  que  ceux  qui  perçoi* 
vent  les  droits  fiir  ces  confonmiations  ,  ont 
intérêt  de  déguîfer  ce  qu'ils  reçoivent. 

On  peut  aire  que  le  PariSen  en  général 
cft  fobre  forcément ,  fe  nourrit  très-mal  par 
pauvreté ,  &  économife  toujours  fur  (k  uble,  ' 
pour  donner  au  tailleur ,  ou  à  la  marchande 
de  bonnets.  Mais  trente  mille  riches ,  d'un 
autre  côté,  gafpillent  ce  qui  nourriroit  deux 
cents  mille  pauvres. 

Paris  afpire  toutes  les  denrées  ,  &  met 
tout  le  royaume  à  contribution.  L'on  ne  s'y. 
reflènt  pas  des  calamités  qui  affligent  quelr 
quefois  les  campagnes  &  les  provinces  , 
parce  que  les  cris  du  befoin  feroientËi  plus 
dangereux  qu'ailleurs  ,  &  donneroient  un 
exemple  fatal  &  contagieux.  On  fait  hon- 
neur de  ces  approvîfionnements  au  zèle  infati- 
gable des  magiftrats  ;  il  mérite  des  louanges. 

Mais  confidérons  en  même  temps ,  que , 
placé  au  milieu  de  l'Isle -de -France,  eiitre 
la  Normandie ,  la  Picardie  &  la  Flandre , 


4z6  Tableau 

ayant  cinq  rivières  navigables ,  h  Seine  ^  la 
Marne,  ITone ,  PAifne  &  TOife  (  fans  par- 
ler des  canaux  de  Briare,  d^Orléans  &  de 
Eîcardie  )  ,  les  greniers  de  la  Beauce  pre£- 
mie  k  (es  portes  ;  une  rivière  qui  ;  en  (brtant^ 
(erpente  par  des  contours  prefque  de  cent 
lieues ,  comme  pour  donner  aux  marchandi«* 
fes  &  denrées  la  facilité  de  reinonter  ^  Par^y 
d'après  ces  avantages  que  la  nature  lui  a  ac- 
cordés ,  jouit  par  lui-ménie  4e  la  fî^âtiotL' 
la  plus  heureulè  5c  la  plus  pn^e  à  vok  far^ . 
bondaricç  régner  dans  fès  muraiBes.. 

Le  commerce  de  cette  vill^  n*eft  prefijde  : 
qu'un  commerce  de  confommation ,  excepté.^ 
quelques  objets  de  goût  &  de  lu^e  i  mais  rc^ 
confommati6ns  font  confidérables^ 

Il  tire  de  toutes  les  manufaâiHfes  da^ 
royaume  ^  mais  il  a  peu  de  fabriques  ^  k  caufe. 
de  la  cherté  de  la  mairi-d'oèuvre.  Il:  fait  des 
expéditions  pour  les  pays  les  plus  éloigna. 
Les  marchandes  de  modes,  aînfi  que  les? 
bijoutiers ,  en  font  le  principal  commerce  ^ 
parce  que  la  main  de  ToUvrieJ:  Teinportç, 
toujours  fur  la  rîchelîè  de  la  matieire.  . 

Tout  ce  qui  entre  k  Paris  n'eft  donc  pas  , 
pour  y  refter.  Les  matières  y  viennent  pour 
être  façonnées  ;  puis  elles  en  (biftent  embel-  . 
lies  de  ce  goût  exquis  qui  leur  donne  k  toutes  , 
une  forme  nouvelle. 

Le  bureau  des  rouliers  eft  d'une  grande 
oommodité  pour  faire  parvenir  dans  les  pay&  . 


DE    Paris.         417 

les  plus  lointains  les  marchandifes  &  effets 
qu'on  leur  confie  ;  les  comniîflionnaîres  en 
font  fidèles  &  exaâs.  Mais  le  commerce  fe 
plaint  vivement  d'une  nouvelle  ferme ,  d'un 
nouveau  privilège  exclufîf ,  qui  le  gène  &  le 
lançdnnera  dans  la  fuite. 

M.  l'abbé  d'Expilly,  qui  a  porté  fi  haut 
la  population  générale  du  royaume,  &qiiî 

{)arGÎt  l'avoir  enflée  de  trois  millions^  raoat 
a  population  de  Paris  ^fix  cents  mille  ornes.* 
Il  fe  ronde  tantôt  fur  le  nombre  trente^  dioift 
pour  multiplier  les  naiflànces ,  tantôt  fur  l'état 
des  maifons  8c  des  familles  impofées  à  la 
çapitaticn.  r 

.  Mais  tous  les  calculs ,  ainfi  que  les  raifbn^ 
nements  moraux,  fe  trouvent, le  plus  fou* 
vent  en  dé&ut  quand  on  parle  de  la  capitale. , 
Lorfque  Ton  compte  par  les  baptêmes ,  com«^ 
ment  fera -t -on  entrer  dans  le  calcul  cette 
grande  affluence  d'étrangers  qui.  y  viennent^ 
qui  y  font  domiciliés  fans  y  avoir  feçu  \t 
baptême  ?  ce  qui ,  (ans  compter  les  juifs  ^ 
doit  augmenter  la  population  d'un  quart. 

Paris  confomme  plus  de  deux  millions  de 
feptiers  de  bled  par  an.  Vjjoilk  ce  qui  eft  sur^ 
&  ce  que  ne  diient  point  %%  almanachs  nou» 
veaux.   La  banlieue  renferme  quatre  centi 

2uarante^eux  paroifles  &  quarante-fept  mille 
X  cents  quatre-vingt-cinq  feux.  Les  limites 
de  la  ville  fe  font  étendues.  Le  Gros-CailloU 
eft  devenu  un  iSuixbour^  confidésable  ;  tout 


4z8  Tableau 

les  marais  ont  été  ornés  de  maifons.  M.  de 
Vauban,  en  1694  ,  dctermine  la  population 
^fcpt  cents  vingt  mille  perfonnes.  Nous 
cflimons  donc  que  Paris  renferme  aujour* 
4*hui  neuf  cents  mille  âmes  environ  ;  &  la 
banlieue ,  près  de  deux  cents  mille.  Les 
calculs  de  M.  de  Buffon  &  ceux  de  M. 
d'£xpilly  paroillènt  également  fautifs.  Il  ne 
ffiut  que  des  yeux  pour  voir  que ,  depuis  vingt- 
cinq  ans ,  la  population  eil  par- tout  plus  con- 
Gdérable. 

Au  milieu  de  ce  falmis  de  Pefpece  hu- 
maine, on  peut  bien  compter  deux  cents 
mille  chiens  &  prefqu'autaht  de  chats ,  fans 
les  oifeaux,  les.finges,  les  perroquets ,  &c. 
Tout  cela  vit  de  pain  ou  de  bifcuic- 

Point  de  miférablc  qui  n'ait  dans  Ton  gre- 
rier  un  chien  pour  lui  tenir  compagnie  :  on 
en  intenogcoit  un  qui  partageoît  fon  pain 
avec  ce  fidèle  camarade  \  on  lui  repréfentoit 
qu'il  lui  coûtoit  beaucoup  à  nourrir,  &  qu'il 
devroic  fe  féparer  de  lui.  Me  féparer  de  lui  ! 
reprit-il,  6»  qui  m'aimera  ? 
.  Or,  en  fuppofant  le  fyftcme  des  écono- 
miftes  admirable  ,  il  viendroit  toujours  fe 
brifer  contre  la  capitale ,  qui  exige  un  ré- 
gime tout  différent  ,  parce  que  ce  million 
d'hommes  dévore  comme  deux  &  demi, 
La  ville  eft  ouverte ,  &  prefque  dans  l'im- 
poflibilité  d'avoir  une  enceinte  de  murailles. 
Elle  ofl5:c  une  furface  trop  immenfc.  U  fau- 


DE     Paris*  419 

droit  un  genre  de  fortifications  particulier  ; 
elle  n*a  point  de  tours ,  de  murs ,  de  rem- 
parts ,  &  n*y  (bnge  pas.  Au  lieu  de  citadeUe 
&  de  portes  antiques  j  elle  a  des  barrières  , 
où  des  contrôleurs  ÔC'un  receveur  vous  font 
payer  une  roquille  de  vin ,  &  un  pigeon  s'il 
n*eft  pas  cuit.  Comme  un  jour  nous  paroî- 
irons  barbares  &  petits  à  l'œil  de  la  faine 
politique ,  lorfqù'elle  aura  démontré  aux  ad- 
ininiftrateurs  des  dations  la  double  erreur  de 
leurs  raifonnements  &  de  leurs  calculs  ! 


CHAPITRE    CCCXXXVIIL 

Balcons. 

fCLi'eft  un  fpeôacle  curieux  que  de  voir 
Jtout  a  fon  ai& ,  du  hgut  d'un  balcon ,  le  nom* 
bre  8c  Ja  diverficé  des  voitures  qui  fe  croi<- 
lènt  &  s'arrjâtent  mutuellement  ;  les  piétons 
qui ,  femblables  à  des  oi{èaux  effirayés  fous 
le  fufil  du  jchafleur ,  fe  gliflènt  à  tràv^s  les 
xoues  de  tous  ces  chvs  prêts  à  les  écrafer  ; 
l'un  qui  franchit  le  ruiflèau  de  peur  de  s'é- 
fdaboulïèr,  &  qui ,  manquant  l'équilibre  ^ 
le  ^oxme  4e  boue  des  pieds  à  la  tête  ;  Tau- 
jtre  ,  qvii  pirouette  en  fens  contraice ,  une 
face  dépoudrée,  8ç  j[cLj>arai]bl.(bus  le  brask 


430  Tableau 

Devant  une  voiture  dorée  ,  doublée  âc 
velours ,  attelée  de  deux  chevaux  d'une  uîDe 
.égale  &  parfaite ,  dont  les  glaces  tranfpareiv- 
tes  o&ent  une  ducheflfe  dans  tout  Féclat  de 
!ia  parure  y  fe  traîne  un  fiacre  tout  délabré  ^ 
couvert  d'un  cuir  brjûlé,  &  qui,  pour  glaces ^ 
a  des  planches.  Le  malheureux  harcelé  & 
fouette  deux  chevaux,  dont  Fun  eft  borgne 
&  l'autre  i)oiteux.  Cette  voiture  traînante 
arrête  Fimpatience  des  courfîers  à  la  bouche 
écumante ,  dont  on  contient  k  peine  l'ar*- 
deur.  Le  brillant  équipage  eft  obligé  de  mo- 
dérer fon  pas  jufqii'au  carrefour  yoîfin;  il 
s^élance  alors  comme  un  trait ,  broyant  le 
pavé ,  dont  il  fait  jaillir  des  étincelles.  Com- 
parez fon  vol  à  la^  marche  pefante  de  ces 
lourds  charriots  qui  rcailent  péniblement  (bus 
des  maflès  énormes ,  &  enraient  le  paflànt 
qui  tremble  d'être  applati  fur  la  horne  que 
leur  eflieu  déplace. 

Un  procureur  ,  pour  fa  pièce  de  rîngt- 
•quatre  fols ,  arrête  le  garde  des  (beaux  ;  un 
recruteur ,  un  maréchal  de  France,  La  fille 
:de  }oie  ne  cédera  point  le  pas  k  un  arche- 
vêque, lous  ces  différents  états  à  la  file,  fie 
Jes  cochers  qui  parlent  leur  latigue  fcanda- 
Jeufemcnt  énergique  devant  la  robe ,  Féglifè 
&  les  ducheflès  ;  les  porte-faix  du  coin ,  qui 
4eur  répondent  du  même  flyle  :  quel  mélange 
de  grandeur,  de  pauvreté,  de  richcflîès,^  de 
gri^iéreté  &  de  mi&tcl 


DE    Pari  s^  431 

Entendez -voys  la  petite  voix  aigre  de  la 
marquife  impatientée,  qui  (è  mêle  aux  jure- 
ments ef&oyables  d'un  charretier  apoftro- 
|>hant  Penfer  &  le  paradis?  Tout  dah^  ce 
tableau  mouvant  àevis^-â-visj  de  berlines,, 
de  dé/obligeantes ,  de  cabriolets  &  decor- 
roffes  de  rcmijés ,  paroît  èizarre ,"  fingulier^, 
rîuble. 

Voyezydans  4'équipage  .^  glaces  la  laide 
femme  de  qualité  avec  fon  rouge  ^  Ces  dia- 
mants ,  Ùl  pâte  luiTante  fiu:  le  viiage  ;  tandis 
.que  la  roturière  tout  à  côté ,  fous  une  fimple 
içbc  9  $11  brillante  .dcfraîcheur  &  4'emboii^ 
.  point. 

Voyez  le  prâat  enfoçucé  dans  Tes  coufEns^, 
ne  pemaQt  à  rien ,  étalant  fa  croix  peâorale^ 
tandis  ^pie  le  vieux  magiftrat ,  dans  une  aiir 
tique  b^line,  lit  quelque  requête.  Le  petit- 
maître  9  la  tête  à  la  portière ,  crie  a  le  dé- 
mettre la  luette  :  Eh  bien ,  marauts ,  cclafi^ 
^ra-t'-U  ?  Ses  mienaces  fe  perdent  dans  les 
j^r^..  Il  vou.diroit  jurer  ^^rnais  fon  accent  grêle 
né  Trappe  point  fe  dur  tympar^  de  l'oreille 
des  qhiarretters  II  n'a  &it  Œjie  déranger  fes 
boucla  en  fe  remuant.  Le  médecin  le  regarde 
en  pitié ,  &  le  gros  financier  au  col  apoplec-* 
ûque  eft  inâiâ^ent  à  tout  ce  qui  fe  paâGè^ 
jûnfî  '.^ùi  Pljewe  qui  s*écoule. 
.•i^Vml^a^âs,  sV^ccroity  enchaîne  fix  cents 
Voitures  ;  8c  il  faut  çfit  <^cun  attende ,  mal« 
^4^^'^'^^  ^>  que  le  diéfilé  ait  pris  f(Mi 
^cours. 


43X  Table  au 

Quel  ëtoît  donc  Pempreflèment  de  ce  mir^ 
Uflorc  (ans  voix  ?  Avoit-il  un  rendez -vous? 
Non  :  c^eft  qu'il  vouloit  fe  montrer  fucceflî- 
Tement  aux. trois  fpeâacles,  à  l'opéra  ^  à  la 
comédie  Françoife  &  aux  Italiens. 


CHAPITRE     CGC  XXXIX. 

Faux  Chlsyeux, 

Vous  voyez  b  tête  de  cette  belle  femme  ^ 
fi  remarquable  par  l'édifice  de  fa  coëffbre  6c 
(es  longs  cheveux  flottants  ;  vous^  en  iadmirez 
là  couteur,  la  forme^  le  contour'  ferélé- 
gance ...  Eh  bien  !  ils  ne  lui  appartiennent 
pas.  Ils  font  empruntés  à  des  têtes  de  morts  ; 
fie  ce  qtiî  la  décore  k  vos  yeux,  eft  la  dé- 
pouille de  fujets  qui  furent  peut-être  înfeâés 
de  maladies  af&eufes ,  fie  dont  les  noms  feuls 
oftenferoîent  fa  délicatefle ,  fi  on  ofoît  les  pro* 
noncer  en  fa  préfence. 

Cependant  elle  s'enorgueillît  de  ces' che- 
veux étrangers.  Elle  s'expofe  à  hériter  des 
principes  nuifibles  qu'ils  peuvent  receler  en- 
core. En  effet,  on  fe  fervoit  dç  colliers  8c 
de  bracelets  de  cheveux  trejfés  :  Fexpérîepce  à 
xlécidé  qu'il  falloir  y  renoncer ,  ï  caûfb  des 
dartes  qu'ils  produîfoient 

Mais 


15  E    Paris.  433 

Mais  les  femmes  aiment  mieux  (îipporter 
des  démangaifons  incommodes  que  de  re- 
noncer à  leur  coëifiire.  Elles  calment  la  vi« 
yacité  de  ces  démangaifons ,  en  faifant  ufàge 
du  grattoir.  Le  (àng  fe  porte  arec  inipc- 
luohté  à  la  tête  ;  les  yeux  deviennent  rouges 
&  animés  :  qu'importe  !  on  étale  Tédifice 
dont  on  eft  idolâtre. 

Indépendamment  des  faux  cheveux  ,  il 
^ntre  dans  cette  coëSùre  un  couffin  énorme  ^ 
gonilé  de  crin  ^  une  forêt  d'épingles  longues 
.de  feptàiiuit  pouces,  &  dont  les  pointes 
aiguës  repofènt  fur  la  peau.  Une  quantité  de 

Eudre  &  de  pommade ,  qui  admettent  dans 
ir  compolitlon  des  aromates^  &  qui.con« 
iraâent:bientôt  de  l'àcreté ,  irritent  les  nerfs» 
I^a  tranfpiration  infènfible  de  la  téce'elt  ats- 
jêtée ,  &  elle  ne  fauroit  i'écre  dans  cette  partie 
du  corps ,  fans  le  plus  grand  danger. 

Si  un  fardeau  vencnt  à  tomber  fur  cettt 
fcellc  tête  ,  elle  rifqueroit  d'être  .criblée.  & 
percée  par  tous  ces  dards  d'acier  dont  eBc 
ffthériflée.  «T 

Pendant  le  femmeil,  on  comprime  en^^ 
xore  &  la  fauflè  chevelure ,  &  les  épingles^ 
&  ces  fiibftances  étrangères  &  colorantes:, 
2l  l'aide  d'un  triple  bandeau.  La  tête  ainfi 
empaquetée  acquiert  un  triple  volume ,  âè 
Venflamme  fur  l'oreiller. 

'  Les  maux  d'yeux  ^  la  maladie  pédlculairë^ 
^Inflammation  du  cuirxhcvelu ,  naiilentde 

Tome  IL  T 


^34  T  A  B  ,1  fi  A  V 

.cette  complaifance  outrée  pour  une  coëSissfi 
hizarre.  On  ne  la  quitte  poiiit  pendant  les 
Jaurès  du  repos  ;  &  le  coûflînet ,  i)a(ë  dSsBr 
^\\e  4le  r^difice  ^  n'eft  cpiekpiefois  changé 
4que  brfque  k  toile  ^ft  àé/awse  {  Tolérai  -  )e 
^e  !  )  far  la  crafiè  infeâe  qm  iefourne  foty 
4Pe  brillant  dîadépie. 

La  plupan  de^  femmes  Jiieiê  donnent  ^ 
je  temps^enki^ar  lout  le  iopscâu  de  la  téte^ 
parce  qi^  les  keuies  dn  pkîBriîmt  préoîedfes, 
I&  cfue  la  journée  ennere  eft  conlacrée^à  it 
#able ,  au  ]eu  r&  à  k  danfe.  On  jae  f)eiit  pk» 
iè  coucher  qu'À  deux  ou  ttois  he^es  apnà^ 
jEuinuit  9  j&  il  £uit  Becan;imei^?er  le  lende- 
iioain  k  même  v>îp. 

/  la  4)uuéièééi;asige;<m  abrège  iès^^^ 
x»n  perd  le  peu  de  >  cheveux  qu'on  avoît  ;  >9à 
f0(ï  afiUgé die  âuxions ,  de  dpuleprs  de  denis^ 
de  maux  dVeilles ,  d'éréfîpeles  ^  tan^  qoe 
jk  vilkgeoife  ^  la  ç^^ime^  qim  fe  tient  la 
^sête  .prcipfje  Se  nent^  xfâ  ne  fe  iÇêft^que:^ 
iît^C'tbktic  &:  bien  hSv^^  qui  iufe  ^l^sn^ 
pommade  fans  aromates  &  d'une oouâseâi» 
^ir ,  lie  n^nc  aucune  de  ces  Sincraurodi- 
to& ,  confetye  iès  cfaoreux  jufquff  âains£i  viéùr 
)ûSk^&:  les itale  aux  yeux  de  (ik :airtiere> p9- 
jâts^enfants^  lorfqœ  ïûege  hs  a  bknchis  f»)ur 
ies  raidie  ipjus  vënéstfbles  encore. 

Au  refte ,  Part  du  :pecniqiiîer  jdans  l'eRK- 
idbi  de  ces  cEevieux  artificiels ,  eft  parvenu 
jpfjB  ^iks  iaut  .prâit  4e  perfeâjon ,  Se  k  per«> 


tuqae  <m  le  tour  initte  aujourd'hui  le  natiuel 
4  s'yiuéprendfe  de  près  o^mme  de  bin. 


C  W  À  P^i  1*  R-È     C CCÎCL 

Fmmiffiurs^ 

%^n  ine  vofehu'k  Paîîs  de  ces  intrépides 
fcétidjfctits ,  qui  avahcbnt.  pendant  des  a»- 
nées  entières -te  paki,  la  vîaiidè,  le  ^in,  Ici 
meubles  ^  répicèrie ,  Tapothicairetie ,  à  JV|I.  le 
mafiqilis ,  k  Ml  le  comte,  k  M.  le  duel  Ceft 
le. privilège  de  la^nobleflè.  On  ne  prêteroit 
pas  .flc  tnéme  au  boutgeois  ;  on  le  prefle- 
fpît  :  ihaiy  on  attend ,  iorfqrfil  s'agit  d'un 
i^onvnt  titré. 

'"''"  TOfe  ma}fon  noble  doit  an  bopchér  fîx 
àtinéîei  de  ibumitnrer ,  ï  répicier  cinq ,  au 
l»oulaf)ger  quatre  ;  les  domeftiques  eai^-mê- 
mes  font  crédit  de  leurs  j?ages ,  tandis  que 
toute  maifon  roturière  lolde  au  bout  de 
chaque  année. 

Dès  qu'il  y  a  des  arftiolnes  au-deflùs  d'une 
porce-cochere ,  le  ti^iffier  'meuble  Thôtel  fur 
une  fucceffion  éventnrile  ;  on  compte  les 
maifons  qui  (ont  au  pair  :  il  y  a  toujours 
dans  les  pktstiches  &  les  mieux  ordonnées, 
ijuelques  années  en -arrière. 

Quand  les  Êiurniûburs ,  impatients  d'at-* 


iendre ,  foUicitent  enfin  leur  pakmem  ,  -fân- 
cendant  vient  i^v(  lever  de  ]V|.Je'^duc^'&  kâ 
dit  :  Monfeigneur ,  votre  maitre^d'hôtel  iè 
|)laint  ^e  le  -beueher  m^  veut  plus  sfpuriiir 
de  viande,  p^ce  qïTil  y  a  trois  ans  qt^U 
n'a  reçu-*  un  loi  \  votsç  cpdbeivdit  que  '.vous 
n'avez  qu'une  feule  voiture  en  ctat  dé  fervîr  , 

**  &  que  le  charron  nfi  mre^  plus  avoir  Vhon^ 
neur  de  votre  pratique ,  fi  vous  ne  lui  don* 
nez  un  k  -t  compte  de  di^  tnille^ fcançs  ^/|e 
jinarcbaiid  die  vin  refufe  de,  remplir  vptrt 
cave  «le  tailleur,  de  v<ous  donner  des  l]kbits««- 
I»es  impertinents!  s'écrie :1e  maître,  iju^p/i 
aille  cà^  d'autre.  Je, Mur  retire  ma  pro^ 
ieâipn. 

Il  jtrduve  d'autres  fourmflèurs  ,  quoique,  les 
premiers  ^n'aient  i)as  été  payés.  Le.  loir  2 
rifque  cinq  cents  loùis  d'or  au  jeu^  ôc  s'il 
en  perd  cinq  cents  autres  ,  il  Jes  ^paîe  le 
lendeniain.  Un  créancier  de  cartes.  Femporte 

«i^touJQurs  iiir  un.créancier   de  pain,  ou  4t 

-yiande.  ^ 


-'i|^ 
K.  «4?^ 


1>  E      P  A  H  I  5.  437 


N^.-NV--">K-NV  NV-NV-NV-^Kr^Vc^^Vv  -NV- 


C  à  JlÎ  t  T  RE     CCCXLI. 


,      V 

'  t  . 


PiâtPcs^  neufs.  . 

plâfaresqûe  Potv  emploie  danslaconC^ 
truâioô  des  maifons  font  beaucoup  de  mal  / 
paro^cfOrHls^hent  difficilement ,  oc  cpie  l^n 
iKÛiè^'impnidenimetit  les  édifices  nouvelle-»* 
meiirbàtis.-Il'n'y>rien  de  plus  dangereuxr* 
la  vapeur  des  murs  eft  funefte  &  caufè  des^ 
accidents  thhombrables.  Ces  émanations  en-* 
fin  ont  dans  nos  foyers  des  influences  meur-* 
trïeresî  De  là  des  paralyfies  &  autres  mala- 
dies ,  dont  roj^igihe  eft  attribuée  4i  des  caufesh 
étrangetes.  x* 

Oft  abandoône  ces  maifons  neuves   & 
humides  aux  filles  publiques  :  on  •  appelle^ 
eàsi  cffuycr  Us  plâtres 0^  Mais  ^  au  bout  de' 
deux  ou  trois  années ,  ces-  places  n'ont  pas^ 
encoce  perdu  ce*  cpi'ils  ont  de  dangereux.      ' 

Ecoutons  ua  phyfkien  que  je  vais  tranK^^ 
crke 

»  Le  plâtre  &  b  -chaux ,  pendant  leur^ 
»  caleination  y  (è  chargent  d\jne  grande  quan-' 
»  tité  de  plil<^{Uque  qui  tend  (ans  cmc  \k' 
)»  fe  difli^h  Ce  pblogiftique  ayant  [Jus  d'aP 
»  finité  avec  les  acides  qu'avec  les  deux  ma-^- 
ft  tieres  teneufes.  auxquelles  il  eft  uni ,  les . 

T3 


43^  T  A  B  JE.  «  A  U  . 

9  abandonne  avec  facilité  pour  s'unir  k  Pa« 
»  cide  déY-m^Ué  eetfe  unicm  il  xiéfultr  un^ 
»  foufre  très*volatîl  ;  foufre  quil^nît  à  fon 
»  tou£  à  1$.  terf à  aUtsdiiJt  ^  b  cliate  6tr  ài 
j>  plâtre ,  &  forme  une  comBinaifon  con- 
»  nue  en  chymié  &us>lr  aoin  S'heûarjîd^ 
»  phuris ,  ou  foie  de  foufre^  La  prélence  dç 
spr  ce  foie  de  foufre  eft  fiînfible ,  lotofqti^çik 
»  fait  éteindra  la  chaîna  dans-  un  iMi  ùttmé^ 
(  »  Suivant,  rob&tvaiâoâ  de  tçm,  k^^cfay^ 
:t  xniftes^  le  foie  de  facifre  difi^  neurfetH' 
»  lement  la  ;  majeure  paitie:  des  htétaux  ^ 
»  mais  encore  les  fu&ftances  anjmaies  & 
»  végétales  :  il  corrode  ^  il  détruit  fiir-^ufr 
sitJes:  matières  animales  ;  &  fôn  doit  con* 
at  cevoir  aii^ment  les  dâbrdres  ai&eux:qii1Ë 
a^  peut  caufer  &  qu^l  caufê  en  efiet  dam. 
n.  nos  vifceres ,  quand  nous  le  refpitons.  « 
M.  le  comte  de  MiUy  y  de  ràcadëmië  des- 
fciences ,  célèbre  par  des  découvertes  utiles^ 
en  chymie ,  a  donné  un  mémoire  fur  la:  ma- 
nière ^ajfainif  les  murs  nouvellemient  faits.. 
Ceft  un  préfent  fait  par  un  ami  de  l'huma* 
nité  aux  grandes  villes^,  &  fiir-tout  à  la- 
capitale  ,  trop  indiftcrente  fur  les  maux  cpiifc 
réfuhent  des  plâtres.  On  poflède,  grâces  k- 
lui ,  une  théorie  fàtis&ifante  fiir  la  natare  du 
danger  &  fiiiî  les  moyens  de  le  prévenir.. 
Ce  mémoire  Je  trouve  daus  lé  Journal  de-' 
Monficur ,  année  iJJ^-  Tinvîte  tous  les  pro- 
priétaires &  locataires  de  maiibns,  neuves  ^ 
y  recourir.. 


J>  E      F  A   R  I^  S.  439 


CHAPITRE    CCCXLIL 

Inbculaùont- 

JLiong-  temps  combattue ,  eUe  a  enfin  trîom* 
phé.  Une  fiiite  conllante  &' non-mterrom-» 
pue  dlieureux  Ciceès  en  ont'fixé  parmi  nou$  ' 
le  règne  &  les  avantages.  L'exemple  du  mo- 
narque, de  fesfrçres,  de  plufieucs  princes 
Se*  de  plus  de  trois  cents  mille  perfonne^ 
înocurées  en  Europe  fans  fuites,  ficheufes  ,, 
ont  décidé  les  efprits  en  fa  faveian 

Quand  on  fe  rappelle  tout  cjs  cjui  a  été 
iSt  ôc  imprimé  contre  cette  pratiijiîe  ùtlù*' 
taire  ,  on  voit  queHe  eft  l'opiniâtreté  de  l'eC- 
pfrit  de  parti ,  combien  le  corps  des  méde- 
cins s^oppofe  conllamment  aux  découvertes 
lès  plus  intéreftàntes  :  mais  l'on  doit  fentir 
aufli ,  que  le  temp5  y  de  conCert  avec  Texpé-. 
rience ,  eft  le  grand  raïaître  qui  fixe  les  opi- 
nions; car  ce  ne  font  point  les  ingrats  con- 
tèm(>orains ,  qui  réeompénferont  mventeor 
heureux;  ce  fera  k  pollérité. 

On  a  cm  fauflèment  (jje  k  petite  vérole 
Ôoît  une  rnaladîe  purement  accidentelle  & 
contagieufe,  &quon  pouvoit  s'en  garantir 
aforcede  foins  &  de^précautîons»  Mu,  Paulet, 
cutr'autres ,  a  toujours  écrit  lk-^deâ[ùs  d'ajpib 

T  4' 


440  Tableau 

l'idée  de  la  pefte.  Si  on  Pécoutoit ,  il  toSioît 
d'établir  des  loîx  ,  des  règlements  ,  &  de 
publier  des  ordonnances  de  police  contre  la 
pctitt  vcroh^  comme  on  feit  pour  Fenkve- 
ment  des  boues  &  le  balayage  des  mes. 

Cette  erreur  a  conduit  M.  Paulet  a  pro^ 
crire  l'inoculation ,  &  il  nous  ordonne,  pour 
parer  aux  ravages  de  la  petite  vârole,  la 
Jequefiration  ;  mais  tout  ce  qu'il  recom- 
mande à  ce  fujet ,  eft  abfohiment  în^>offi-* 
ble  &  chimérique. 

Dans  une  ville  comme  Paris ,  il  noos 
hnpofera  la  gène ,  la  contrainte  ,  Pînter- 
diâion  de  tout  commerce  &  de  toute  (ô- 
ciété  parmi  les  citoyens ,  amis  &  parents. 
Cela  peut-îl  (è  propofer,  cela  eft-il  prati- 
cable ,  quand  même  on  voudrait  fiuvre  ^ 
la  lettre  cet  étrange  précepte  ) 

Fui{que ,  d'après  fon  propre  aveu ,  les  traits 
de  ce  fléau  font  înviGbîes,  que  tout  leur 
fcrt  de  véhicule  ,  ils  fe  répandront  par-tout , 
ils  franchiront  toute  barrière  ^  comment  les 
enchahier  dans  tous  les  infiants ,  dans  tous 
les  périodes  de  la  vie  humaine ,  tandis  que 
Pinoculatîon  nous  offre  le  fail  moyen  d'a- 
néantir la  petite  vérole  &  de  (kuver  à  la 
fois  la  vie  &  la  beauté  ?  ce  que  des  expé- 
riences multipliées  ne  permenent  pks  de 
"P. 

fcttems  chimériques  M.  Paulet 
comme  avec  fon  éradirion  it 


B  £    Paris.  44.1 

•        « 

nous  a  environnés  de  craîntés  menipngcres  !.; 
&  qu'il  eft  bon  çp^on  -fe  raille  «n  peu  8c 
à  propos  de  toutes  ces  produâions  enfantées^ 
dans  la  folitiiàe  du  cabinet  y  oit  Pauteur  acr 
cumule  mifie^-raifonnements  démentis  par  la- 
foule  ,^  faits.'  '      >  ; 

Mais  l'inôdilation^  ^'éft  encore  en  hoft-' 
neur  à  Paris  ûue  dans  les  çlaflfes  Supérieu- 
res, &  chfiJi^ies'perfonnes  opulentes;  «lle^ 
n.'eâ:  pasefi({br#!dj^fcendue  che?^ le  bourgeois  j' 
chez  Fardfan  ,  encore  moins  chefz  le  pauvres 

Je  me  proniene  dans  la  Sùiflè^,  ]e  vois 
chaque  père- de  famille  attentif -à  faire  ino-^ 
culer  iès  enfaitts  dès  Jeur*  plus  -tendr-e  jeu- 
veSe^  M  erairoitimalKiuer  v^  un  <èe\^oir  éf-. 
fentiel*^  s'il-sîytefiifoît^paf^  négligence  :  aiiflf 
je  vois  la  génération;  qu^SréleVe>  belle-^'  fraî- 
che •&  brillantç»  Les  vi&ge»  ne  pprtent  plus 
l'empreinte  de  ce  âéàu  cruel  ;  tous  les  fronts 
oiit  conièmrcetjyat  qui  ajouté  aux  traits- 
deJa  Beauté.^  *M  r     .  .:  .    '  /'' 

Mais  fi  je  me  promeut  ^ns  Paris ,  jé 
TOÎSta^^ec  chagrin  qitie  les  vieux  préjugés 
t^y  font  pas  détruits  :  ■  c'qft  encore  un  fpec- 
tacle  affligeant  que  de  rencontrer  des  vîfa- 
ges  défigurés ,  fiir  d^  buftes  d'ailleurs  grk* 
déusr^iOti  a  fait  intervenir  juliju'à  là  relîgiofi* 
oomttie  obilacle  à  ^n  itfage  adopté  auioai^ 
d-'hui'chex  tous  les  peuples  raifonnablesr ,  8C: 
Ton  ;  ne  fait  combien  de  temps  encore  là- 
bctiuté.,parifieime  fera  ibiQûife  à  cjpt^e  grée^ 


442*  T   A  B  L  s  A  U 

affreufe  oui  épargne  les  campagnes  &  lef 
villes  de  1  heureuie  &  tcancfoille  Helsrétie. . 

Pourquoi  le  Parifien  s'ohftine^  t  -  il  k  voir 
le  nez  6c  le»  )oues  de  Ces  fiUes  icongés  &r 
cicatrif^  ,  leurs  yeux  éraillcst,  lort^'elles 
pourroient  conferver  ce  poli  qui  avec  la  grâce 
qui  les  omimt  ^  en  feroit  les  fixjs  çharman*- 
tes  créatures  de  l'Europe  ?  car  leur  démar* 
cbe  9  leur  maintien ,  kui^  habili^ments  onr 
un  agrément  qui  les  diitingu^ides  femmes 
des  autres  peuples»^ 

Les  premiers  oiivrages  en  faveur  de  rîno- 
oïlation  font  fortis  du  fein  de  la  capitale^ 
&  les  Suiflès  ont  adopté  cet  vues  heureufes. 
Tandis  que  aous  nous  épuifions  en  fiérties 
bipchures ,.  que  nou^  combattions  l'évidence^ 
que  les  prén-es  fe  mâoient  de  ces  queftioos 
purement  phyfiques,un  peuple  fage  qui  (è 
rit  de  la  fùperftition,  &  qui, étend  la  liberté 
dont  il  contioit  le  prix ,  Jaîfifibit  les  bienfaits 
de  l'inoculation ,  &  nous  laiflbit  la  folie  des 
difputes,  &  îrppinîâtreté  de  Paveuglement. 

Mais  le  bon  fèns  eft  peut-être  à  Paris  la 
faculté  la  plus  rare ,  &.  beaucoup  plus  rafe 
que  rcfprit  même  ;  c'eft  le  bon  fens  qui 
manque  à  cette  foule  d'habitants  :  fi  on  les 
examine  de  près ,  ils  ont  tous  plus  d'efprit  & 
d'imagination  que  de  logique.  Le  bon  (èos  ^ 
p^s  commun  dans  les  républiques^  appar- 
tient moins  à  un  peuple  qui  n'a  point  une 
exiftence  politi<]ue  ;  il  ne  iè  donne  pas  la. 


pôêine  de-  chercher  la  vérité  :  qu'en  feroit-il  î. 
Chacun  eft  îhdiffîrent  à  tout  ce  qui  ne  con(^  * 
titue  pas  fa  profeflion  particulière  ;  il  ne 
vt>i^qd'elIe ,  8c  les  connoîflances  qui  tien- 
nent k  rintérêt  général  lut  échappent,  ou  ne 
le  touchent  que  fbiblement*  ' 

Nous  avons  eu  lieu  de  remarquer  plu-j' 
fieurs  fôis^^qde  le  Pati&»i  oi^  d'in£-:: 

thiâion ,  qu'îhfuivoit  opiniâtrement  les  pré^  ^ 
jiigés  les  pliuf  contraires  kfes  véritables  in^* 
téréts  ,  qu'une^^  foule  '  de  \  vîeilld;  idées  liiî 
étoient  encore  chères,  .Ce  .défaut  d'infhiic-^ 
tion  dans  la  majeure  partie  &i  peuple  n'eO;  ^ 
p^  un  petit  inconvénient^  parce  qu'il  ré^ 
trécit  de  jour:  en  jour  les  idées  reltgietifès'^ 
&  politiques  ,  qu'il  fiibordoiine  les  chofes 
les  plus  férieufes  à  la  futile  plaifanterie,*&' 
qu'il  fera  facile  de  mouvcrir  ce  peuple  cornue 
me  des  marionnettes,  tant  qu'il  n'aura pâi 
fur  certains  objets  des  notiolis  exaâes  6c^ 
prâîmmaifes. 


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444  T  A  B  L  E  A  V 


CHAPITRE    CCCXLIIL 

Places  publiques^ 

JLiOuis  Xiy  a'  deux  places  oii  Cosk  effigie 
eft  environnée  des  trophées  &  attributs  de 
la.viâoire^  ia  place  des  Viâoires  &  la 
place  Vendôme.  Le  monarque  a  payé  cher 
rinfcription  liautaine^  Viro  immortali.  Ce 
fafte  de  domination  eft  ce  qui  a  attiré  à 
Yhomme  immortel  tant  d'ennemis  dans  FEu* 
ro|5e,  &  qui  ébtankïent  enfin  Ton  trône.  Ces 
efclaves  enchabés^  ces  bronzes  orgueilleux 
fofèiterent  contre  bi  des  adverfàires  qui  euP- 
Utxt'été  paifibles  fans  cet  airain  trc^  indil* 
tant.  Cette  renommée  aux  ailes  étendues , 
qui  le  couronnoit  de  fon  vivant ,  ce  glpbe 
de  la  terre  à  Tes  pieds,  cette  mailîie,  cette 

peau  d'Hercule la  vraie  grandeur  eût 

dédaigné  ce  vain  appareil.  Il  avoit  mis  fur 
pied ,  dans  le  temps  de  fà  (plendeur ,  deux 
cents  quarante  i^ille  hommes  d^infanterie  , 
foîxante  mille  chevaux ,  {ans  les  troupes  de 
fcs  armées  navales  i  j^ixante  mille  mate- 
lots enrôlés.  Il  fut  trop  heureux^  fur  la  fin 
de  fon  règne ,  de  recevoir  la  paix.  Il  laifla 
l'état  endetté  &  fur  le  penchant  de  (à  ruine. 
Les  infcriptions  de  la  place  Vendôme 


D  s    Paris.  44$ 

font  d'une  pelknteur  infîpîde  ,  &  d'une  lon« 
gueur  fatigante  \  aufli  font-elles  de  l'acadé-> 
mie  des  belles -lettres. 

La  Place-Royale  ofFrt  la  figure  de  Louis 
XIII ,  repréfenté  en  général  Romain ,  fans 
felle  &  fans  étriers.  Dans  les  infcriptions, 
îl  n'eft  qucftion  que  d*  Armand  de  Richelieu; 
&  le  fujet  eft  mis  fort  au-deflùs  du  maître. 
Le  poète  pour  cette  fois  eut  raifon  ^  il  fait 
parler  ainn  le  monarque  : 

Armand  t  le  grand  Armand ,  Vame  de  mes  exploits  g 
Porta  de  toutes  parts  mes  armes  &  mes  loix , 
Et  donna  tout  l'aidât  au»  rayons  de  ma  gloire. 

Ce  qui  précède  eft  encore  plus  étonnant 
Louis  XIII  dit  : 

J'ai  fauve  far  mon  hras  V Europe  ^efeUwage  ; 
Et  fi  tant  de  travaux  n*eujfent  hâté  mon  fort  ^ 
Peuffe  attaqué  VAfit^  &   d'vn  pieuse  effort  p 
J*euffe   du  Jaint  tombeau  vengé  le  long  fervage* 

Louis  Xin  9  qui  auroit  attaqué  l'Afie  ,  s'il 
eût  vécu,  pour  venger  le  fervage  du  fdint 
tombeau  !  Quelle  date  donneroit  -  on  à  ces 
vers  ?  Ils  font  de  1639.  L'idée  des  crbîfa- 
des  n'étoit  donc  pas  totalement  éteinte  à 
cette  époque.  De  quelles  opinions  fortons* 
nous ,  bon  Dieu  ! 

La  place  de  Louis  XV  préfente  un  fii- 
perbe  coup  -  d'œiL  Depuis  le  chàteaii  (ks^. 


^6  T  A'  B  t  E  A^  U' 

Thiiileries  jàfqu'i  Neailly ,  la  vuen'eft'în-- 
ftrrompue  par  aucun  ot^et  ;  mais  veut  -  on^ 
{avoir  le  nom  des  vertus  catiataks  qui  fou-' 
tiennent  la  corniche  du  piédeftal  ?  Ceft  h- 
fifrce,  c^eft  VantoitnU  la  paix ,  c'eft  Izpru-^' 
dcncc^  c'eft'la  juftice.  Enfiiite,  dans  unf' 
bas-relief  9  Looii  XV  donne  la  paix  à^'Ëu^-^ 
zope.  Le  fculpteur  a  voubi  parler  de  Tàvant- 
dmiiere  guerre..  Lei  connoiflèurs fom  {dus- 
de  cas  de  la  figure  dû  courfîer  qi»  de  celle" 
du  roi.  Bouchardon  a  commencé  ce  mo- 
nument, Pîgale  l'a  iihi.  Mais  quand  no^- 
ilatuaires  (auront  -  ils  faire  autre  chofè-que 
de  mettre  un  (ôuveràin  à-chevat^  la  brÙe  à^ 
U'main  ?  N'y  aurôit-il  pas  une  autre  ex{ttef- 
fibn  à  donner  aci  chef  d'un  pei^le  ?  On  voit-^ 
toujours  avec  étonnement  des  noms  d'ëche^ 
vins  figurer  dans  ces  monuments  publics: 
ne  pourroit-on  pas  leur  fuUïituer  les  noms  ' 
dès  généraux  qui  ont  fouteni>  oti  vengée  le 
trône  ? 

.La  ftatue  du  bon  Hefiri  IV  fur  le  Pont- 
Neuf ,  quoiqu'ifoléé ,  întéreflè  beaucoup  plus 
que  toutes  les  autres  figures  royales.   Cette 
effigie  a  un  front  populaire  ;  8c  c'eft  celle-là  * 
€|ueron  conGdere  avec  attendriflèment  &- 
Wnératiôn. 

Qui  croiroit  que  le  cardinal  de  Richelieu  ^ 

?jiî  a  attaché  fon  nom  par- tout  où  il  a  pu 
accrocher ,  a  fait  fu(pèndre  à  la  grifle  une 
itfdiption  oii  on  l'intitule  fans  raçon ,  en 


rr  E     Par  r  s.         44.7' 

prince  dé  Henri  le-  Grand  :  Vir  fiipra- 
titidos. 

Des  y^idèlif^s  d'oranges^  &  de  citrons, 
fruits  aufli  beau^  qi;e  iàmbres  ,  forment  un 
long  cordon  fous  les  regards  du  bon  roi. 
Janiais  la.  faltmif  n'ipr^vironiie,  fa  ftatue.  Le 
jour  &  la  nmt^  la  foule  des  citoyens  paflè, 
&  ialue  ion  iniagç» 

On  vondrdit  pouvoir  coucher  la  bafe  de 
œtte.  flatue  vénérée.  On  v9  .conftruire  des 
boutiques  dans  fon  enceinte  :  elles  feront 
peuplées  de  jolies  mardiandesde  modes, 
&  cet  omement  n'éft  pas  fait  pour  déplaire 
)k  Tombre  dà  hàros  qui  fut  ren£i|>le  toute  ùl 
vie  aux  charmes  de  k  beauté;- 
.  Ounfe  là  place  de  Louis  XIV  9  ce  mo-* 
narque  a  encore  des  arcs-de^triomphe  érigés 
à  Ùl  gloire^  pour  .perpétuer  le  Cbuveinr  de 
Ces  viâoires  V.  nîiais  aucun  >  monument-  r!z. 
parlé  de  fes  défait^,,        /   '  .i     . 

Confîdérez  la  porte  Saint  -  Denis ,  chef- 
^'ÔBuvre  d'tf ciM^e^pe  :  toujoitfs  le  monar^^ 
que  dans  la  glbîre  .^L  Comme  Eugène  Hiu-* 
niilia  1  A  k  porte  Saint''^ Bernard ,  on  -voit 
Louis  Xiy  tenant  k  corne  d'abondanee 
avec  cette  in&nprito  ^.  LUovico  magno 
àbimdantia  parta.  Dans  un  temps  de  dir; 
iètte  9  \iXK  Qalçdn  iiadôifit  abimdantia  part0 
par  Yubo/ukinct  ^.  partU  ;  &  ce  contrer 
jèn5;iv'en  étoi&  pas  usk^  '     :   -   - 

il  n'y  a  plus,  de  ooitf  Saioc-Antoineicm 


i 


44^  Tableau 

Ta  fàgement  facrifiée  k  la  commodité  po^ 
blique,  ainG  que  l'on  a  abattu  la  porte- Saint<» 
Honoré  &  la  porte  de  la  G>nfëi*ence.  Il  n'y 
a  plus  d*églîfe  des  Quinze-Vingt^  rue  Saint* 
Honoré  ;  il  n'y  a  plus  d'hôtel:  des  M oufwe* 
taires;  dans  un  quart  de  fiede,  la  phyno- 
nomie  de  la  ville  a  changé,  &  c'ieft  en  bien; 
doux  préfkge  pour  l'avenir.  Quand  foa-t-onr 
difparoitre  de  même  tout  ce  qui  gêne  la 
voie  publique ,  &  tout  ce  qui  porte  un  ca-- 
laâere  dégoûtant  6c  mefquih  >  Ecrivons^ 
&  ne  nous  laflbns  pas  de  plaider  en  faveur 
des  embèlliflèments  utiles  ;  fatîgtibhs  les 
hommes  en  place ,  qui  demandent  à  être 
Êitigués,  ' 

Quand  v>ondra-t-on  employer  des  înfcrîp- 
tions  françoifes,  afin  que  le  peuple  (àche  un 
peu  ce  qu\)n  veut  lui  dire  î  Notre  langue  ar 
ùl  précifîon  &  Ion  énergie  ;  pourquoi  tou- 
jours la  langue  des  Ron^in^  2 


■■:  < 


C  H  A  P  I  T  RE      CCCXLIT* 

JLies  parlenients  font-îk  une  értiânatTdn  dè^ 
états  -  généraux  ?  Les  remplacent  -  îl^  dans 
leur  abfence  par  la  nature*  rttéme- de  4aPmoM^ 
aarçhie  y  qui  adnict  Diéc^irem^if  uo  corps 


/ 


B  £    Paris.  449 

intermëdîaire  ?  Ont-ils  été  plus  utiles  aux  rois 
qu'aux  peuples ,  ou  aux  peuples  qu'aux  rois  2 
N'ont  -  ils  pas  achevé  de  détruire  nos  anti- 
ques liberté  ^  en  offirant  k  la  nation  un  rem- 
part vain  &  illufoire  ?  Sont  -  ils  des  repré- 
lentants  de  la  nation ,  lorfque  leurs  charges 
font  tout  k  la  fois  héréditaires  &  vénales  ^ 
caraftere  diftinâif  de  Pariftocratie  qui  fe 
trouve  au  fein  de  la  monarchie  ?  Qui  les 
a  chargés ,  tantôt  de  livrer  le  peuple  au  roi , 
tantôt  de  réfifter  au  roi  (ans  le  voeu  du 
peuple  ? 

Mais  aufli  n'ont-ils  pas  quelquefois  oppofê 
une  digue  (alutaire  k  des  édits  burlàux ,  & 
arrêté  les  coups  trop  violents  du  pouvoir  ab- 
folu  ?  N'ont  -  ils  pas  eu  des  moments  de 
force  &  de  &ge(Ie  ?  Mais  pourquoi  font-ils 

J)re{que  toujours  en-deçk  des  idées  de  leur 
îecle  ?  Pourquoi  ont  -  ils  été  mus  tantôt  par 
la  cour ,  tantôt  contre  cette  même  cour,  & 
le  plus  fouvent  k  leur  infu  ? 

Pourquoi  le  parlement  de  Paris  s'cft-il 
comme  détaché  des  autres  cours  ?  Pourquoi 
s'eft-il  oppofé  k  la  Cappreffion  des  corvées, 
a  la  fuppreflîon  des  maîtrifcs  ?  Pourquoi 
maintient-il  les  plus  vieilles  prérogatives  & 
les  plus  abufives ,  le  gouvernement  féodal 
étant  tombé ,  &  ne   devant  plus  exifter , 

!)uifqu'il  n*y  a  plus  qu'un  maître  ?  Pourquoi , 
bllicité  par  l'autorité  royale,  a-t-il  refufê 
d'afliirer  aux  proteftauts  Tétat  civil  ?  Pour- 


4$(^  T  A  ]J  L  £  A  U 

quoi  a«  t-il  foutenu  le  pour  &  le  cûn&t'f 
comme  s'il  n'étoit  jaloiut  que  d'élever  la 
voix  ?  D^oii  naît  (a  foibleflè  étrange  dans 
telle  circonftance  ^  &  la  force  prodigieufe 
dans  telle  autre  ? 

Ce  corps  a-t-il  une  politique  fiiîvie,  on 
Sien obéit-il<  au  hafârd?  Seroit^il  comme  le 
petit  poids  qui'  court  fur  la  balance  romai- 
ne t  Ici  il  n'eft  que  zéro ,  là  il  fait  tout- 
à-coup  équilibre  à^  une  force  paillante  & 
MnGdérabre. 

Comment  lès  parlements ,  devant  étre- 
fldiers  aux  fbuverains  qui  ont  tour  gagné  par 
feur  implantation  dans  le  corps  poutique  « 
ont-ils  prefque  toujours  été  expolesk  rixu.- 
nieur  capricieufe  de  ces  mêmes  (buverains) 
Qu'eft-ce  que  Penregiftrement?  Je  rfai  ja- 
mais bien  fu  le  comprendre.  Qu*eft-cc  cpie 
ces  remontrances  qui  ont  quelquefois  une 
éloquence  mâle  &  patriotique,  digne  des 
républiques ,  &  qui  n*ont  rien  opéré  ?  Enfin, 
qu'eft-ce  que  la  réfiftance  des  membres  du 
parlement  aux  volontés  du  monarque  ?  Sont- 
ils  des  reprcfèntants  de  la  nation,  ou  de' 
fimples  juges  crééypour  rendre  la  jiiftice  au 
nom  du  roi? 

Voilà  des  queftîorts  délicates  qui  n*appar-- 
tiennent  point  à  cet  ouvrage ,  &  que  je  me 
garderai  bien  de  vouloir  réfoudre.  Les  rai- 
fbnnements  &  fe  faits  peuvent  militer  d©' 
part»  8c>  d'autre ,  ôc  les  drcoi^nce^  feu^ 


j)  E     Parts.  4^51* 

fo& feront  de  ce  corps  uiie  ombre,  ou  une 
léaiité. 

.  Si  les  Bourbons^  legnent:  aujourd'hui^  ib/ 
le  doivent  à  la  fermeté  du  parlement  de? 
Raris  lors  de  1^  ligue.  Il  pourroît  renaître 
un  jour  une  ^>oque  à.  peu  près  femblable>v 
ou  ce  corps  influeroit  d'une  manière  au£Eki 
inattendue  &  tou»  aufli  dëcifive. 

U-  2r  fait  le  ipal  cpmme  le  bien  :  ob^iâsifir^ 
^je*  ne  Êisqqel  moteur  invifîble  qui  le  do^ 
naine  tel*  .y>ar  ^  fes  .  principes  ne  paroiflètit^ 
oen  moins  que  fixes.  Il  eu  toujours  le  der-- 
nier  à  embrauèr  les  idées  faines  &  nouvel- 
Us*  Il  femUe  vouloir  combattre  aajourd'hur. 
qstte  pfailoic^hie  dont  &  voix  luf  a  été  der-^ 
niérement  G  utile.  li  a  tort.  L'éubliflèment: 
ée  Tacadémie  françoile  (  qui  le  croiioit)  i: 
ki  a  in^iré  dstm  le  temps  les  plus  vives< 
alarmes*.  Lâché  ^contre  les  jé(ùites,  il  a  dé- 
voré Ùl  proie  avec  trop  de  fureur*  Il  paroît: 
avoir  un  befoih  (burd  de  détmirt  plutôt  que; 
d'édifier  <xl  de  réformes  avec. une  £ige  cons- 
tance. 

Le  parlement  de  Paris  a  fait  brûler  vif, 
on  i66y^  Simon  Morih,  parce  qu'il  fe  di- 
foit  incorporé  à  Jifits-^hrifi^  Cette  épou-- 
vancabl^  barbarie  date  M  beau  fîécle  der 
Louis  XIV ,  lo«'(qu'il  donnoit  des  fêtes  élé« 
gantes  &  fiiperbés ^  lorfqoe  Gomèîlle,  Ra- 
cine, La  Fontaine  écrivoient,  lorfque  Le* 
1mm  .tenpijt  h  .  pinceau  ^  1^%^  Lully  ôc: 


4$(^  T  A  ]J  L  £  A  U 

quoi  a-  t-il  foutcnu  le  pour  &  le  con^rt^^ 
comme  s'il  rfétoit  jaloiut  que  d'âevcr  la 
^oîx  î  D'oii  naît  fa  foîbleflè  étrange  dam^ 
telle  circonflance  ^  &  la  force  prodîgîeufe 
dans  telle  autre  ? 

Ce  corps  a-t-il  une  politique  (uîvîe,  oa 
Sien obéit-il'  au  hafard?  Seroit-il  comme  le' 
petit  poids  qui'  court  fur  la  balance  rcmiai* 
ne  ?  Ici  il  n*eft  que  zéro ,  là  il  fiiit  tout- 
à'Coup  équilibre  à^  une  force  puiflànte  & 
tfonCdéraBre» 

Comment  lès  parlements,  devant  être 
fldiers  aux  fouverains  qui  ont  tour  gagné  par 
feur  irhplantation  dans  le  corps  poHtique  ^ 
ont-ils  prefque  toujours  été  expoles  à  iki- 
meur  capricieufe  de  ces  mêmes  fouverains) 
Qu'efl-ce  que  Pcnregiflreme nt  ?  Je  n'ai  ja- 
mais bien  fu  le  comprendre.  Qu'efl-ce  cpie 
ces  remontrances  qui  ont  quelquefois  une' 
éloquence  mâle  &  patriotique,  digne  des 
républiques ,  &  qui  n*ont  rien  opéré  ?  Enfin, 
qu'eft-ce  que  la  rédilance  des  membres  du 
parlement  aux  volontés  du  monarque  ?  Sont* 
ils  des  repréfentants  de  la  nation,  ou  de' 
fimples  juges  crééypour  rendre  la  juflice  au 
nom  du  roi  ? 

Voilà  des  queftioits  délicates  qui  n'appar-* 
tiennent  point  à  cet  ouvrage ,  &  que  je  me 
garderai  bien  de  vouloir  réfoudre.  Les  rai- 
Ibnnements  &  Tes  faits  peuvent  militer  d©' 
part»  8cv  d'autre ,  ôc  les  drconfhnce^  ièu^ 


DE    Pari  s.  453 

1 776 ,  r«teur  de  PhilojQphic  dt  la  naturic. 
Le  châtelet  Favoic  décrété  de  prifc  de  corps  , 
&  le-tenoit  prîfonnier  à  coté  de  Dcfrius.; 
mais  malgré  le  defir >  extrême,  qu'avoient  les 
îuge$Hd'envoyer  Fécrivain  ^ifi(  amende  ha^ 
norabUi,  la  torche  en  main^  devers  Li place 
de  Grève  ^  ropinion  publique  s'oppofa  telle^ 
ment  ^  ^  iiqe  ientence  auflî  abfurde ,  que  le 
parlement ,  tribunal  en  dernier  reflfort ,  caflà 
toute  l'inepte  procédure ,  &  iienvoya  Tauteor 
abfous. 

La  perfecution  du  châtelet  parut  G  mé« 
^ifable  &  fi  ridicule  qu'elle  ne  put  même 
.valoir  à  Fauteur  une  forte  de  célébrité  :  11 
jrefta  obfcur.  Cet  événement  Singulier  né 
4:aptiva  point  l'opinion  publique.  On  diroit 
^ue  je  pade:  ici  d'un  Ùk  ancien^  &  11  eft 
lout  récent. 

Ce  même  pariement  fait  traîner  fur  la 
xlaie  les  fiiicides  y  les  fait  (ufpendie  à  la  po*- 
.tence  par  les  pieds ,  au  lieu  de  les  conuJé- 
jcer  comme  des^  mélancoliques  atteints  d'une 
.xnaladie  réelle. 

Il  ùdf  brûler  les  péderàfies  ,':(àns  fonder 
jûue  la  punition  de  cette  vilenie  eft  un  fcan- 
^le  public,  &  que  c'eft  un  de  ces  aâes 

honteux  qu!il  fauc couvrir  des  voiles  les  plus. 

épais. 

Un  habitant  de  Lyon  &  de  la  Rochelle 

.^ft  obligé  de  venir  plaider  à  Paris.  Céft 

.aller  chercher  la  jufiiçe  kune  grande  diilaiH 


4$i  Tableau 

Quînaut  marioient   leurs  talents.  Maïs  les 

i)oëtes ,  les  peintres ,  les  fculpteurs ,  les  mu- 
îciens  décorent  une- nation,  &  ne  Téclair 
rcnt  pas. 

Un  phîlofophe:  caurageox  auroît-Giàvé  Èi- 
vie  k  Simon  Moriiv,  en  démontrant  ktdoiH 
ble  démence  des  juges  &  de  Tacciifè.  Ce 
philofophe  ne  fe  trouva  pas.  Boileaa  fit  la" 
même  ahnée  une  plate  fatyiiev  non  contre 
le  parlement  qui  avoit  livré  k  Thorrftle  fiiji- 
plice  des  flammes  un  infenfé ,  mais  cbtitre 
quelques  auteurs  qui  ne  verfîfioient  passatîflî- 
heureufement  que  lui.  Racine ,  sVnfefmant 
àsitis  fon  cabinet ,  compofa  une  crag^e' 
françoifè  d'après  une  tragédie   grecque  \  3* 
îmmc^a  fon  ïphigénie^&c  parla  àtCaichasi^ 
(ans  ofér  faire  la  moindre  allufion  k  cette 
atroce  cruauté.  Fénélon  lui  -  même  n*a  rieo 
dit.  Qui  de  tous  ces  hommes  célèbres  a 
parlé  >  Ceft  une  honte  éternelle  k  tous  les- 
écrivains  polis  dabeaujïecle  de  Louis  XIV , 
que  je  ferois  tenté  d'appeller  à  demi'4>arbare. 

Aujourd'hui  les  aâions  des  juges  font 
obfervées,  &  leur  iniquité  ne  paflèroît  pas 
fans  réclamation.  Quand  le  même  parle- 
ment fit  périr  par  un  horrible  fiçplîce  Tin* 
fortuné^ de  la  Barre,  un  crî  univerfel  sVleva 
contre  cet  arrêt  fanatique ,  fauva  la  viâime 
de  la  flétriflùre ,  &  rendît  le  corps,  des  juges 
plus  odieux  que  le  tribunal  dé  PInquifitîon. 

Ceft  ce  cri  de  la  raifon  qui  a  fauve ,  ein 


»  E    Par  I  «.  4^^ 

fouslîgnc.  Le  livre  eft  ^condamné  à, être  brûlé 
au  pied  du  grand  efcalier,  ou  de  TefcaKer 
S.  BanhâenH ,  comme  hérétique  ^fchijma- 
.tique^j  erroné ,  violent ,  blafphémafcur  9  im^ 
pic  ;  attentatoire  à  f  autorité  ^  perturbateur 
,da  rep9£  des  empires ,  &.c.  ii  n'y  a  pas 
une  feule  .épithete  à  rabattre^ 

On  alhm^un  fagot  eu  pipëfènce  de  quel- 
ques poliflbns  oifi&  qui  fe  trouvent  là  par 
Jtafyxa  ;  le  greffier  fubftitue  une  vieille  Bible 
vermoulue  avi  livre  condamné  ;  le  bourreau 
brille  le  iàint  vdkme  poudreux ,  &  le  greffier 
jiilace  Touvrage  anathématifé  &  recherché  , 
fdans  fa  bibliothèque. 

Encore  étoui^i  du  coup  de  maâSie  que 

lui  a  porté  le  chanceUer  Msmpeou ,  ce  eorps| 

fie  fait  plus  quelle  fente  tenk  ;  <fes  i^es  fem-* 

hlent  confufes  ,  embarraOies  \  il  ne  fint  ^ 

4oit  embra^r  tine  certaine  xronfiat^  en  -lia- 

même  d*apr^  &  bafe  antique  ,  txi  laifl^  dé- 

liouer  le  fil  des  événements ,  peur  en  mettra 

à  profit  «les  dîvecfes  arceaftances*  Il  pareiît 

Avoir  adopté  ce  denâer  pafé  1  fen  repes  ref- 

,  femble   à  ,un  fommeil  ;  les  uns  le  (^oiem 

mort  ;  il  fe  rév^Uera ,  ^Cent  les  antfesj'^â 

ne  doime  aucun  figne  de  vie ,  difent  les 

jtroiliemes ,  c'eft  qu'il  prépsoe^  'fâuneâion; 

j^eflc^il  médite  dans  'le- cthne  ce  qui  là 

a  toujours  manqué,  une  adroite  pcditsque^ 

il  étudiera  mieux  cp^i'il  sh.  fait  19$  jd^  ^ 

^fiecle. 


4Î4  T  A  B  L  c  A  tr 

ce  :  mais  cet  abus  eft  invétéré ,  &  3  &mt 
•^£fficile  Retoucher  à  une  coutume  qui ,  dans 
ion  antique  bixarrerie ,  a  quelques  avantages. 

Quand  les  tois  alloient  dans  une  efpeœ 
•dé  4x>cfae  ^  ks  oonfeillefs  &  les  préfidems 
ard voient  aupdais^  montés  {urune  milles 
aujourd'hui  que  les  rois  de  Frâncç  ont  in- 
finiment plus  à  dépenfer  pour  leur  maî(bn , 
il  eft  jufte  que  les  conseillers  &  les  pré&- 
4ents ,  €^  remontrent  ai  ^m  mTegi/trent, 
partagent  un  peu  Fopulence  &  le  Iiikc/des 
-^nonftrques. 

Ce  parlement  s'appine  dans  4es  t)ra«5'(ur 
Tes  avocats  &ies  procure|iFs ,  6c  Iest>b)ige  ï 
>)eûner  pour  Tes  incéféts  propres  ;  on  compte 
>tfnq  cents  dbqisante  ai^ocats  &r  le  tableati^ 
Il  n'y  a  pas  une 'caufe  par  mois -pour  cba^ 
avocat.  Les  procureurs ,  dans  ces  temps  de 
crife ,  m  goâtent  pas  infiniment  les  rtmour 
tranœs.  Les  avocats  pks  fiers  dirent  qei*ft 
cnt  fermé  leurs  cabinets  ,  mais  les  fneces 
^d'écritures  &  les  confultations  ^ont  fburde- 
ment  leur  train  ;  le  client  en  eft  quitte  jkxbt 
|>aflèr  par  Tefcalier  àévobê. 

Lor(qi^un  livre  à  f  approbation  Aé  FEom- 
pe^  qu'on  le  lit  par-tout,  qu'on  en  admiie 
ies  idées  neuves ,  fortes ,  grancfos  &  juftesi 
Pavocat-général  vient  d  la  barre  de  la  cour^ 
&it  un  requîikeire  plein  de  nùhfens  &  aQ^i" 
'Corme  de  déclamations;  il  détache  quelques 
^afes  il  la  .piode  des  joumaUftes,  &  ks 


I>  K      f   JA.   R   I   S.  457 

mgîoent  les  autres  cbrps  &  fes  empêchent  de 
-marcher  droit  versHin  but 'uhk]ue. 

Lai-méme  donne  orï ^fijain  li  fi(,  milice 
fuperftitieufe  qu^l  méprife^bâidis  «pi'il  efti-^ 
me  fés  ennemis  \  il  eil  édairé  ;  il  ne  <:om- 
mettra  point  de  grandes  fautes  ^il  f0ngd  k 
l'utile  9  prêt  à  céder  ii  Parbitraire  quand  les 
Paiements  ëclos  du  fein  du  temps  l'exige 
jront  V  enfin  ll^lêdéfend^tvec  lè^ifeules  ai^es 
<jA  lixr  refieiit  .^  il  les  ^^ftimie  fanta(ii({ue^>^ 
mais  il  ne  les  abandonne  point  pour  ^la  ^ 
parce  qu'il  connbit  la  cour ,  les  g^nd$ ,  la 
tiation ,  &  k  refpeâ  involontaire  qu'ont  les 
liommes  pour  des  privilèges  4d>fifi&^  rmais 
antiques,      o     ^  :  .     >.'*.' 

,  .  H  £ut  inmnager^yifiqà'àuxi  plum^  (pii  lut 
livrent  la  guerres  il  ne  ti^pond  ^ue  jpsir  lé  iî£* 
ience  ^  lai&knt  les  difcufiiom  thëologiquesaM 
I)atailleut5  de  profeffion^&^s'appuyancavèc 
1^  de  iùtété  iur  la'faa&  rédUe  de  fon*  qpu>^ 
ience» .  •. »:  '-  .      •  **.^  v.,       -.'v   i^-. 

.^'^Ce  corps  nM.jparolt  doué  de  là  politkiue 
la  plusc£ne  ,  6c  jùCc^ici  la  plus  heureufe» 
Moins  perfëcuteurs  que')amais  j  ae  Ibllicitatit 
prefque  pliis  de  lettres  de  cachet  contre  les 
proteftants&  leurs  filles^  pai^tde  tdéra»i^ 
eer,  occupé  de  'joùiflânces  yoluptueufès  & 
paifibles  ^  fàtisâiit ',  tant  icpie  rextérieur  du 
cuke  ne  recevra  aucune  TOeche  ^  il  hUTeiTL 
paflèr  les  x)pinions  cbntraires ,  (ans  leur  op- 
{lofer  une  digue  impmdcntevcarilffent  biea 

Torm  IL  V 


4$6  Tableau 

Quoiqu'il  en  foit , ce  corps  a  toujours  une 
grande  force  qui  a  (buvenc  inquiété  le  tru* 
ne  ;  &  laquelle  ?  me  demandêrez^yous.  La 
force  d'inertie  ! 


GHAPITHE    CCCXLV. 

Le  Clergé. 

i3on  fiege,  pour  alnlîdirelnvifible,  éft  pnth 
cipalement  à  Verfailles  ;  c'eft  là  (pi'il  tra- 
vaille fourdement ,  qu'il  examine  de  ptès  les 
claviers  qu'il  doit  toucher.  Il  maintient  (bn 
exiftence  &  ion  crédit  par  des.moyens  fou^ 
j>Ies,  adroits,  &  (pii  varient  (èlon  les  xûv 
confiances. 

Le  corps  qui  a  le  moins  de  préjugés^ 
(  le  croiroit-on  !  )  c'eft  le  clergé  ;  il  lait  très- 
bien  ce  qu'il  fait  ;  il  connoit  le  cours  Sc 
l'afcendant  des  opinions  régnantes ,;  il  a  re- 
connu fa  véritable  poiition  ;  il  fait  quelque- 
fois le  fanatique  dans  des  mandements  ,  & 
il  ne  l'eft  pas.  Il  fixe  les  yeux  en  tremblant 
iur  le  précipice  ^ù  la  loi  des  deftins  l'en- 
traîne, il  en  recule  l'époque  qu'il  juge  lui- 
même  inévitable  :  mais  il  l'éloigné  «en  ri'af- 
feâant  ni  crainte ,  ni  audace  ;  oc  mettant  à 
profit  les  partions  de  tout  ce  qui  l'environne , 
il  (è  défend  de  ces  paflîons  indilcretes  qui 

agitent 


mgiœnt  les  autres  cbrps  &  tes  empéchentde 
-marcher  droit  versHin  but  -utikjue. 

Lai-méme  donne  orï ^frain  îi  fit.  milice 
fiiperftitieufe  quYl  mépiife ,  bâidis  qu'il  efti-^ 
me  fés  ennemis  \  il  m  édairé^  11  tie  com- 
^oiettra  point  de  grandes  fautes  ;^il  fbnge  k 
i'utile,  prêt  à  céder  ii  Parbitraire  quand  les 
Paiements  ëclos  du  fein  du  temps  l'exige 
jront  v  enfin  il  ^{ê  défend  avec  lei^^feules  aiâAies 
qui  lur  refieiit  ii^ 'il  les  ^eftimc  fantaftique^', 
mais  il  neies  abandonne  point  pour  ^cela  ^ 
parce  q^il  connbit  la  cour ,  les  g^nd$ ,  la 
tiation ,  &  k  refbeâ  involontaire  qu'ont  les 
liommes  pour  des  privilèges  4d>fifi&>y  mais 
antiques.     >3     '-  /       >■':  •'■' 

.11  £ut  tnsDager^îiifiqà'àux.  plumes'  (pii  Jiu 
livrent  la  guen:e>:  il  ne  répond  ique  par  lé  (î^ 
ience ,  laiSkht  les  difcuffionsthéologiquesâos 
|)atailleurs  de  profèflion  ^  &*s'appuyancavèc 
1^  de  Gxtèté  iur  lafaafe  réelle  de  fon  qpu>^ 
ience.  .  ■  :■: 

.^'^Ce  corps  nie.jparolt  doué  de  la  politk|ue 
la  plus:&ie  ,  6c  jiiCc^icila  plus  heureujfe. 
Moins  perfëcuteurs  que '.jamais  9  ne  Ibllicitanc 
prefque  plus  de  lettres  de  cachet  contre  les 
ptoteftants&  leurs  filles^  parlantde  toléra»i^ 
cer,  occupé  de  jouiflimces  vokptueufes  & 
paifibles  ^  fàtis&it ,  tant  icpie  Fextérieur  du 
cuke  ne  recevra  aucune  brèche  ^  il  laiKIèni 
paflèr  les  x)pinions  contraires ,  (ans  leur  op* 
{lofer  une  digue  imprudente  fcaril  dent  biea 

Tome  IL  V 


46p  T  A  B  L  rE  A  U 

niais  la  cour  s'attache  ainfi  la  tioBleflè  ;  & 
Ton  paie  les  fervices  militaires ,  de  même 
jqae  (f  autres  4iioifis  importants  ',  avec  les 
4)ieiis  de.i^égUfe. 

Qu'efrce  que  |a ^râille  des  bénéfices  ?  Y 
€ut-il  jamais  feuille  des. bénéfices  dans  la 
primitive  églife  ?  Combien  detenips  darem 
encore  la  fetlille  des  i>énéfices>?  Elle /a  d^ 
£ibi  Çc  fubirasnfenfiUemem  diffirentcs  mé- 


tamorphofes  ^  piiis  •  •  '  •<  Maisî^  pèub  lice  di 
-tindement  dans  favenir  î 

On  compte  xent .  ônquapte  iiiiîlle .  ecd^ 
£afiiques  dans  le  royaume ,  tons  célibataires, 
{«es  a^ties  étoient  mariés.  Le  clergé .  a  été 
marié  pendant  plufieurs  fiiedes.  Le  concîZe 
•de  Trente  a.été  tout  pxât.de;^ermettie  le  ma- 
riage aux  prêtres.  Cent  cinquante  mille  m&' 
vidus  qui  vivent  dans^un  célibat  -dângeceuz 
à  eux-mêmes  & 'aux* 'autres  !  L^feroit-dn 
croire!  Si  ce  fait'rëtoit  rapporté  dans  une 
jbiftoire  ancienne  ^  ne  lerévoquetoit-on  pas 
«n  doute  ?  6c  fî  l'on  étoit  forcé /enfin  Àe  Tad- 
mettre ,  de  quelles  téâeaions  ^né  J^ccompa* 
gneroît-bn  pas-î    •  ^  !: 

Quant  à  la  ..i^é'liH  de  jsfidenc»  4 .  elk  eft 
£  ouvertement ,  ficonâàmment  violée ,  qu'il 
devient i  inutile  d'en  faife.la  remarque^  L«s 
jDu^Ucs  W  xonnoiflèru:.  plus  le.  front  de  leac 
pafteury  &  ne  l'envifagent  que  fous  le  rap^ 
jport  d^iip  homme  opulent ,  qui  fe  divertît 
dans  la  capitale,  6c  qui  s'embarraflè.fiirt]^ 
,de  fon  troupeau. 


DE     P  A  R  ï   S.  4^9 

de  réglifè  font  le  patrimoine  jdes  pauvres , 
que  lesévêcpies  n'en  font  que.les  dëpolàtaîres  ^ 
jque  x)e.  qu'ik  dépenfent  en  luxe  ^  en  &fte ,  en 
plaiOrs^efl  un  vol  réel,  une  violation  évi-p 
'jûente  àes^Jaints  canons  (i)  ;  vous  leur  di- 
ctez une  vérité  redoutable ,  &  qu'ils  ne  peu* 
,vent  fe  didiinuler  à  eux-mêmes.  Ornez-la , 
.cette  >vérité  féconde^  des  expreflions  les  plus 
«convaincantes  .&  ies^  plus  animées  ,  afin 
'^'ellà:  defçende  dans.touslef  coeurs  Se  dans 
tous  les  efprits.  Et  né  poiivez-vous  pas  ton- 
.àer  y  lodqu'un.. prince  de  Téglife  laiilè  à  Tes 
héritiers  deux  ou  trois  miiiions  qu  il  a  frau- 
diileuCement  amades  aux  dépens  des  pauvres  t 
Fefez  Ik^ffias ,.  &  répétez  qu-a  Gi  naort ,  un 
évique  ne  doit  l^iilèr  qu'un  linceul  pour  Tetir 
JtevfJir.  .■ .  "•'    ;         .    .'• 

r  :  Laiflèt  enfùite  lesiévéqaesiCalomnJDer  vos 
.^rits  daii^  des  mandements  iqu^on  ne  lit  pas  ^ 
xm  dont  on  le*  moqué.  CeSIànitfon  de  cent 
axiille  :  écus-  par .  an  ^  qu'ils  diAribuent  cesè 
h^è  éloQuence  faite^pour  les  prènes.  Que 
-vous  faicleftyle  de&piiiones?     :>  . 

A  qui  donne-t-on  les  évéchés  î  Aux  no*- 
blés.  Les  groi&s  abbayiefc  2,- Aux  nobles.  Tous 
lés  gros  bénéfices  }  Aux  nobles.  Quoi  ^  il  faâ 
êtrt  gentilhomme  pour  (èrvk  Dieu  1  Non^ 

''  '  .•■*  ■■'I» 

.  (i}Ils  djfent  tous  de  la  miaftîere  !a  pfiis  fortes' 
1^  plus  inconteAable  ,  que  tous  les  bieîi^  Iles  eç- 
clé/k(liqùcs  appartienncot  de  droit  au't  âjkiivttfl. 

V  z 


4^*  Tableau    - 

dant  la  meflè ,  tandis  qu'on  levé  Fhoftîe  , 
tous  les  yeux  font  fixes  fur  le  roi ,  &  c]ue 
perfonne  ne  s'agenouille  du  côté  de  PauteL 
Au  grand  onivert ,  le  Parifien  remarque 
que  le  roi  a  mange  de  bon  appédt ,  que  la 
reine  n'a  bu  qu'un  verre  d'eau.  tVoîlà  ce 
qui  fournira  à  l'entretien  pendant  quinze 
jours  ;  &  les  fervantes  allongeront  le  col  |^ 
pour  mieux  écouter  ces  nouvâles. 

Quant  aux  tableaux ,  aux  ilatucs  ,  aux  an- 
tiques  ^  il  n'a  pas  d'yeux  pour  cek  ;  maKi 
il  admire  les  glaces  ,  la  àogus/t-.i  1^  d^s  d» 
trône  ^  &  la  quantité  de  platsr^'s^  pofe  fi» 
la  table  royale*  Les  carroflès  furdocés ,  les 
Cents^Suifïes  ^  les  Gardes-^Corps  &  les 
tambours-  le  frappent  auffi  beaucoup. 

Ce  qui  étonna  le  plus  le  Sauvag«  amené 
à  la  cour  de  Charles  IX ,  ce  fut  de  voû:  les 
Cents -Suites ,  hauts  de  (ix  nkds,  arec  kun 
mouilaches  &  leurs  hallebams  ^  obéir  à  u0 
petit  homme  qui  avoit  le  vi(age  pale  &c  les 
jambes  grêles.  Le  Parifien  eft  loin  de  fentir 
la  reflexion  du  Sauvage.  Qu'on  lui  dîfe  qu'un 
autre  Indien  voyant  le  tableau  où  St.  Mi- 
chel terrafle  le  diable  avec  uric'niaj'éné  tfàn • 
quille  &  fans  effort ,  s'écria  j  Ah ,  le  ieau 
Sauvage  !  il  ne  comprendra  pas  mieux  te 
trait  que  le  précédent  ,  fùt-il  des  fix  corps 
ou  garde-notes. 

Rien  n'^mufe  plus  un  philofophe ,  que  de 
Se  promener  feul  dan^  cette  gauerie  y  6c  de 


D-îE    Paris*  ^6p 


•  j 


CHAPITRE     CCCXLVL 

î     ,.  '  .  .  .' 

La  Galirie  de  VerfailUs. 

lue  ParîGen ,  le  jour  dé  Ia'Pentéx:ôte ,  prend* 
la  gaUote']îi(Q^:ti  Sèves,  &  de  là   court  ^ 
pied  à  Verfaîlles ,  pour  y  voir  les  princes ,  la 
proceflîon  des  côrdonsrbleus ,  puis  le*  parc , 
pais  la^  mériiferie  (j).- On  lui  ouvre  les 
grands  àpMMRÀents  ;  on  lui  ferme  les  petits , 
qui  font  les  phis  riches  *  &  le»  plus  curi^r.^ 
Ils  fe  preflènt  k  midi  dans  la   galerie  , 
pour  contempler  le  roi  qui  va  à  la  meflè-, 
&1a  reine ,  &  mônfieur ,  &  madame ,  & 
monfè^eur  comte  d'Artois  &  madame  là 
comtefle  d'Ajjtois  ;  puis  ils  fe  difent  Tun  à 
Pàutre  :  As^tinltlè  roi  —Oui ,  il  a  ri.  — * 
Ceftyrai  ;  il  a  ri. '•^  IF  paraît  content.  — *•- 
Dame  !  cUjl  qu*il  a  de  quoi. 
•  '  M.  Mooiea  fort  bien  obfervé-  que  pén- 

« 

(i)  En  revenant  j'  le^  petit  penple  raconte' 
lliiftoire  connue  du^Suifle  de  la  n^nagirîe«  €•' 
p.ortler  à  livrée  royale  avoit  l'emploi  de  donner 
tous  les  jours  fix  bouteilles  de  vin  dé  Bourgogne 
à-  un  dromadaire.  Cet  animal  étant  venu  à  mou*- 
rir^  te  Sûifle  préfenta  on  placet',  'par  lequel  il 
iileii9ludoi|.àlacoiir  Ufifmvànee  àr.dromadairi. 

V3 


^6%  Tableau 

dant  la  meflè ,  tandis  qu'on  levé  Phoftie  , 
loos  les  yeux  font  fixes  fur  le  roi ,  &  c]ue 
perfonne  ne  s'agenouille  du  côté  de  Pautel« 

Au  grand  onivert ,  le  Parifien  remarque 
qiie  le  roi  a  mangé  de  bon  appétit ,  que  la 
reine  n'a  bu  qu'un  verre  d'eau.  Yoilh  ce 
qui  fournira  à  l'entretien  pendant  quinze 
jours  ^  &  les  fervantes  allongeront  le  col  |^ 
pour  mieux  écouter  ces  nouvâles. 

Quant  aux  tableaux  j  aux  âatucs  ,  aux  an-« 
tiques ,  il  n'a  pas  d'yeux  pour  cela  ;  maïs 
il  admire  les  glaces  ,  la  dom^,  le  dais  dor 
trône  9  &  la  quantité  de  platySylny  pofè  ftur 
la  table  royale.  Les  carroflès  fordocés  ^  les 
Cents-Suifïes  ^  les  Gardes-du-Corps  6c  les 
tambours  le  frappent  auffi  beaucoup. 

Ce  qui  étonna  le  plus  le  Sauv^«  amené 
à  la  cour  de  Charles  IX ,  ce  fut  de  vok  les 
Cents -Sui0ès ,  hauts  de  (ix pieds,  avec  leurs 
jnouflackes  &  leurs  hallebanKs  j  obéir  à  un 
petit  homme  qui  avoit  le  vifage  pâle  &  les 
jambes  grêles.  Le  Parifien  eft  loin  de  fentir 
la  réflexion  du  Sauvage.  Qu'on  lui  dîfe  qu'un 
autre  Indien  voyant  le  tableau  où  St.  Mi- 
chel tertafle  le  diable  avec  uricTiiajené  tran- 
quille &  fans  effort ,  s'écria  j^h,  le  icau 
Sauvage  !  il  ne  comprendra  pas  mieux  te 
trait  que  le  précédent  ,  fiit-il  des  fix  corps 
ou  garde-notes. 

Rien  n'^mufe  plus  un  philofophe ,  que  de 
fe  promener  feul  dans  cette  galerie ,  &  de 


DE     Paris.  463 

roder  enfuite  par-toi^t.  Il  îi'â  tien  à  deman* 
der  aux  minières ,  ni  aux  ^gens  en  place  ; 
il  ne  les  connoit  que  de  vue  ;  il  ra  à  leurs  au- 
diences }  il  aflifte  aux  ditiés  dés  |Mince$  & 
des  princeflis  j  il  fe  réjouie  fort  dé  ce5  en* 
trées,  do  ces  révértfn<îftj  d^  ce» -dôilief ti- 
ques ,  de  ces  officiers  de  taUe  ^  do  fétieux  dé 
toute  cette  plaifante  étiquette.  Il  fe  rappelle 
alors  quelques  pages  de  fon  Rabdais  (i) , 
&  il  rit  tout  bas  ^  car  Tefpece  htinrmine  efl 
la  fous  le  jour  le  plus  divertidatlft.  Il  voit 
trotter  les  altef&s ,  le»  grandéfîil^  ié  lés  émë 
nences  pêle-méle  avec  les  pàgeà  &  les  v»^ 
lets-de-pied  ^  &  lui ,  tranquille  dl^brrateuri,^ 
il  n*a  rien  à  faire  qu'à  examiner. 

Qui  ne  Ce  donneroit  pas  ce  taré  i^laifii? 
trois  ou  quatre  foiâ  rannéê  ?  Efl-il  dahs  att^ 
cune  lingue  une  comédie  qui  appf  ôchcf  de 
celle  ouVf&e  ^joûfiiellenient  VaiCde-bcsUff 
Quana  on  a  vînés  caixtnùm&fi  peti/s  devant 
U  JoUU  ,  comme  dit  le  itioîndré  bdtrf^ 
géois  ,  il  n^eft  pJbs^[M>fBbfoiltf  lei  voir  gtifti&^ 
ailleurs.      .  /'   ' 

'  Mais  il  Êiot  apprendre  ttxA  êSntâgtti  tt( 
que  c'eftqiie  Pcfcil-de-bâedf  ^  t*eft  tfttc  aétî** 
chambrôqtiî  rtf tient  fou  tiorh'étixàé  ttréttt 
de  forme  ovalcr.  iià  vif  tih  StiMfe  t|iiâftt?  Se 

.  (1)  Quiconque  a  lu  ttahetaii.  &  n*y  ar  vu 
c{u*un  hùdthÀ^  k  tCvif  sâr  e^  lin  m  \  s*appellàt« 
tl- Voltaire.  -  '•    - 

V4 


4(54  T  A   B   L  1  A.  V 

coloflàl:  cVft  111^  gros  oîfeau  dans  ht  cage« 
Il  boit  9  il  mange.  ^  il  dort  dans  cette  antî* 
chambre  ,  &.  nen  fort  point  :  le  refie  du. 
château  lul^  efl:  étranger*. Un  fîtnpleparavenfr 
fçpare  (pu.  lit.  &  (à,  table:  des.puiflances  de 
ce  monde*.  Doâze.  mots  fonores  ornent  (à 
mémoire ,  &  compofent  ionfenrioe.  Paffh^^y 
Meffieurs ,  p^Jfi^  !  McJJieurs  -,  lé  roi  !  retire^ 
yoiis.  On  n* entre  pas  ,  Monftignmr  !  Et 
Mpnfeigneur  file  Gtns  mot.  dire*. 
^-  ToQt  le  i^ipnâe  le  ialue ,  perlbnne  ne  le 
contredit  4:  &.  voix  cbai&  dan&.la.  galerie  des 
nuées  de  comtes  ^  dé  marquis  &  de  « ducs^ 
^i  fuient  dev^tj^fà  [parole.  1\  renvoie  les 
princes  &  princeflès^  &  ne  lair.  parle  (pie 
par  monofyllajbes  :  aucune  dignité  uibalteme 
ne  lui  en  impofe  ^  il,  ouvre  pour  le  maître 
la  portiece  de  glaces^  &  la.  referme;. lé  refte 
de  h  terre  eft  égd  à  fes  yeux.  Quand  fa  voix» 
retentir,  les  pelotons  épaçs  d&#sourtifàns  sV 
moncelent  ou  fe  difEpent  ;  tous  fixent  leurs 
regards  fur  cette  harge  maiti  qui  tourne  le< 
bouton  :  immobile  ou  en  adion  ,  elle  a  vact 
effet,  furpienanti^  tous  ceux  ^  la  'regar- 
dent. Ses  étnennes  montent  k  cinq  cents^ 
louis  d*or  ;  car  on  n'oferoit  offrir  à  cette  maiiL 
un  méulaufn  vil  que  Eargeo(»  -^        v 

Le  foir  un  grouppe  de  courti(àns  traver* 
lent  de  nouveau  roeil-de-boeuf  ^  &  s'aîtmupept 
auprès  "Û  une'  porte  fermée  ^  ep. '"attendant 
qu  elle  s^ntr  ouvre.  Ce  loiit  des  prétendants  a . 


Br  Ê   Paris.  46^ 

Ffibnhair irifigne  d&Coupcr  zvéc  le  maître: 
tel  a/pourfuivi  cette  grâce  pendant  trente-A_ 
cinq  années ,  fidèle  tous  les  jours  -de  fa  vie 
à*' cette  porté  ingrate  5  &•  il  ^ft  mort  à  lar 
pourfuite  de  fes-  faveurs  j  (ans  IWbîr  yubâH-- 
lier  pour  loi*  Chaicun  fè  ïlaàie  étnnc  elp^rance 
qui  ne  i'ëtéint  pas  ^  4Eju6kiue  fi'{bBVttirtrom=i 
pée.  Au  "bout  de  deux  heures  ,  cette  porte 
adorée  &  pteSUe  dans  un  tremblement  ref^ 
peâueux ,  s'entr*oHvrè  :  un  hmffier  de  la 
diambre  ^ok  avec  tme  liHe  ^  Aa,  main ,  Sd 
cne  fept^à  huit'  ndni^  fortunés  ijuî  entrent , 
on  plutôt  (è  gliflèiit  dansPétrôk  &  envi^ 
paflàge^-  Pub  fhuiflier  ferme  fubitement  ht 
porte  au-nei  des  autres  qui  ^  faifànt  fem-** 
olant  defe  confoler  de  cette  difgrace  ,  s'en' 
vonr  le  chagrin  &  ledéfefpoir  dans  lé.cœur,^ 

Je  ne  fais'  fi  r^eft  le  ha&rd  ou  la*  poIStique^ 
qui  a  déterminé  cette  léeere  difiance  dit 
monarque  à  fa  capitale ,  n  le  projet  fut  ri- 
fléchi^  mais  on  diroit  par  les  tSetsr^  que  ce 
fut  l'ouvrage  de  la  politique  la  pins  raffinée. 
Cet  éloignement  de  quatre  lieues ,  qui  rend 
le  monarque  comiiie  fnvifîble  ,  qqi  le  dé- 
robe aux  yeux  &  aux  dameufs"  de  là  mul- 
titude 9  a  eu  la  plus  grande  inâiience  fur  la  ^ 
conftitution  du  gouvernement. 

Quand  le  roi  vient  ^  Paris  ,  c'eft  une* 
grâce,  un  bienfait ,  ou  b'crr  il  s'y  montré  ' 
avec  Fapp^eil  d'un  maître  qui  vient  fàirr 
exécuter  fes  voictotés; . 

-  •   V^^  ■ 


4^6  Tableau 

Un  bourgeois  de  Paris  dit  trèsrfërieufe* 
inent  k  un  Anglois  >  cpi*eft-ce  que  votre 
roi  ?  Il  eft  mal  logé  y  cela  fait  pitié  en  vé- 
rité. Voyei  le  nôtre ,  il  habite  Veriailles. 
Eft-ce  Ikun  châféau  fuperbe?  En  .avez^vocK 
un  pareil  a  citer  ï  Quelle  grandeur  y-  quel 
éclat,  quel  magnificence  j  Cette  foule,  cou- 
verte d'or ,  tout  cela  eft  l'ouvrage  de  Louis 
XIV  ^  il  a  employé  près  de  huit  cehts  mil- 
lions pour  le  château  &  les  jardins  ;  c'iétoit 
uu  grand  roi  !  l'article  feal  du  plomb  poili} 
les  conduits  d'eau  étoi|:  de  trente-deux  mil^ 
fions  ;  il  a  brûlé  le  définitif  du  compte  ;  c'eft 
le  plus  magnifique  palais  (pi'il  y  ait  au  monde. 
Nos  princes  du  (ang  enfin  ont  une  cour  plus 
brillante  que  celle  de  votre  roi  d'Angleterre. 

Et  il  continue  fur  i:e  ton  aqx'  yeux  de 
l'Anglois  9  qui  ,  ftupéfait  d'un  tel  raifonne- 
ment ,  adinire  le  Parifien  &  ne  fait  que  lui 
répondre. 

La  reine  régnante  a  fait  placer  des  réver- 
bères depu^  VerfaiJles  jufqu'à  la  barrière  de 
la  Conférence  ;  de  forte  que  vous  pouvci 
partir  dél'œil-de  -  bœuf  &  aller  jufqu'à  la 
grande  allée  de  Vincennes,c'tft-à-<iire,  dans 
un  elpace  de  cinq  lieues  &  demie  ,  toujours 
fur  une  route  éclairée.  Aucune  ville  ancienne 
ni  moderne  n'a  oftert  ce  genre  de  n-iagnifi- 
cence  utile.  Toute  jouiflànce  qui  devient 
publique,  prend  un  caraAere  de  grandeur, 
&  ne  doit  plus  s'apptller  luxe. 

Sans  doute  M.  Sherlock  qulttoit  Paris  fur 


D  E    ■  P  A  R   ï   s,  467 

cme  fiiperbe  route,  qufand' il  a  dît  :  Jamais^ 
un  homme  rUcfi  parti  dt  Farts  gai.  Quitte 
qu*tn  foit  la  raifort  ^  on  tji  toujours  trijfe 
enfortant  de  Pam.  On  dôît  fuf-mt  ctiè' 
trifte,  fi  je  né  xtie  ttohïpé.  <j^âfid^  on  (ort*! 
de  la  capitale  pdur  aller  aans  les'  bureaux' 
de  Verfailîes ,  ou  dematidtft  qtreîque  gracé , 
ou  implorer  jufïice ,  .ou  pôUrmîvre  quelques  ' 
projeta.  Il  faut  parler  k  des  commis  qui  vous 
écoutent  fans  répondre ,  &  dont  le  parti  eft 
pris  avant  de  vous  avoir  entendu. 

Vetiailles 9  qdi  cdwtîent  cèftt.mîlle  afnes, 
s'agrandît  contrdérablement  ^  &  fe  défllne 
avec  majefté  ;  c'étoit  un  pauvre  village  il  y 
a  cent  vingt  ans;  feS  rdfes  foht  très -larges  , 
bien  aérées ,  &  Ton  y  niarche  prefqùe  de 
tout  temps  à  pied  feç. 

Quoique  le  foyer  des  aflEaîres  majedfes 
&  politiques ,  Verfâi!ï§s  fe  ttouvàr.t  datïs  fé 
tourbillon  de  la  capitale,  obéira  touiouts  en 
fatellîte  à  fes  mouvements,  &  foîyra  in- 
failliblement la  deftinée  de  fâ'pllneté. 

L'efprît  de  cette  ville  fecondâ^re  tf  èft  au- 
tre  que  l'efprît  du  châtea\i ,  &  Pon  connoît 
Tefprit  du  château  au  bout  d*uxï  Jour  ^'èxa-  ' 
men.  Ce  qui  s*eft  faîtla  veilfe,  fe  fi^jfïiaûe* 
ment  le  lendemain  ;  &'  qiiî  a  vu  lïn  jour , 
a  vu  toute  Tannée. 

Il  y  afeize  mille  b6ix  dé  Saint- touîs  en  j 
France ,  dont  fix  mille  .^ï^arîi"  oa  daiis  les  ' 
environs.  Ces  ôfficî'eft  battéût- en:jfeWi4. 

V6 


468  Tableau 

êhamhn ,  afiiegeot  les  bmfiaux  de  Verlàilr- 
les ,  peuplent  %s  anti-chambres ,  remplîflènt 
la  galerie,  font  cirailer  les  nouvelles ,  par- 
lent inceflàmmetit  des  guenres  paflees  ^  dér 
raifonnent  en  pôHtiqqe  9.  parce  qu'ils  jugent 
tout  en  militaires;  ils  ne^  peuvent,  s'accour 
tomer  k  ious  les  changemep^  que  le  couis^. 
des  événements  autorité  &  nécellite. 

Les  habitants  de  ce  lieu  fe  pêrfiiadent  aî« 
fémeiit  que  Vertailles  (ûrpaflè  en  beauté  tout 
ce  qu'il  y  a  dans  le  refte  de  l'Europe  ^  &. 
^u'il  eft  très-inutile  de  vpyagér  pour  lie  voir 
que  des  chofi»  inférieures.  Auiiî.  ne'  cpm« 
prend  -  on  rien  dans  ce  pays  a.  la  fentaiGe 
d'un  feigneur  qui  va  viuter  là  HoIIajpde^ 
FAngleterre ,  la  Sui0è ,  l'Italie ,  l'Allemagne 
&  la  Ruflîe:  on  Tàccufê  de  bizarrerie. 

Ici ,  chacun  fe  glorifie  de  l'emploi  qu'il 
exerce ,  &  fe  croît  ^  pour  aînfi  dire ,  niem-  . 
bre  de  la  couronne,  pour  peu  qu'il  approche 
de  la  botte  du  monarque  \  celui  qui  met  un 
plat  fur  une  table ,  s'appelle  un  gentilhomme  y  . 
6iC  un  porte-manteau  prend  le  titre  àUatyer* 
Niîl  n  ofe  empiéter  le  mobs  du  monde  fur  , 
les  fonétions  de  fbn  voifîn  ;  trente  ou  qua- 
rante  charges  font  exercées  dans  un  dîner  j 
jufqu'au  franfp'ort  dû  billot  de  ïa  cuifine  re- 
garde un  officier  ^^Aor.  Qui  pourroit  re- 
monter à  l'origine  ',  &  fuivre  1^  fous-divi- 
fipn  de  ces  .diffçrems  offices,  tous  acquis  à 
prix  d'argent^  &  foudoyés  en  confêquence  t 


•> 


»  E     P   A'  R   I  Si»  469^ 

Quel  gouf&e  !  Quel  '  œil  o(era  en  fonder 
toute  la  profondeur? 

La- haine  du  peuple  dans  aucune  circonf^ 
tance  ne  va  jamais  jufcu'au  monarque  ;  elle  ^ 
a  trop  de-  milieux  à  travtrfer  ;^  efie  s'attache 
aux  commis,  aux  adminiftrateurs  particu- 
liers ,  aux  hommes  en  |^âce ,  aux  nHniftres 
du  fécond  &  du  troifieme  ordre, ^ remparts T 
expofës.  aux.  reproches,  aux  injures ,  &  à 
qui  l'on  attribue  les  malheurs  publics.  Ils. 
font  là  pour  afFoiblir  Tinimitié  ^  n  elle  avoit  [ 
lieu.  Le  peuple  (ènt'  que  le  monarque  ne .  ' 
faùroit  jamais-  le  haïr ,  qtfif  veut-  lé  bien  y 
qu'il  le dierche ,  parce  qu'il  eft  dé  fôa  in-"' 
lérêt  de  le  vouloir  &  de  le.  trouver.  ^* 

(?eft  enfin  le  pays  où  Fon  fe  tient  de- 
bout toute  fa  vie.  On  va  par-tout  fans  s'ât 
feoîr  tîulle  part.  Un  courtifan  qui  a  quatre-' 
vingt  ans ,  nouveau  Siméon  Stilite ,  en  a 
bien  pafle quarante- cinq  (tir  fes  pieds,  dans 
l'antî- chambre  du  roi ,  des  princes  &  des  > 
miniftres. 

^  L'étiquette  fatigue  beaucoup  les  homm^  ' 
de  cour ,  mais  elle  ne  &tigue  pas  moins  les 
perfonnes  qui   en  font   îfobjet  ;  Fétîquette  ! 
donne  des  loix  k  ceux  qui  en  dotment  à  la 
terre  :  ainfi  tout  eft  compenfé. 


^ 


470  Tableau 


CHAPITRE     ÇCCXLVII. 

Vc  la  Cour. ...  '. 

X^e  mot  àe  cour  n^ènimpofe  plus  parmi 
iious',^  comme  au  temps  de  Louis  XIV, 
On  ne  ir^çoi^  plus  âe  la  cour  les  opinioijs 
régnantes;  elle  ne  décidç  plus;  des  r^ta^ 
tiohS)  en  q^eI<J^e  genre  ^ue  ce  (bi^;  oi^ne 
dit  plus  avec  une  emphafe  ridicule  iLafCfur 
a  prononcé  ainjt.  Un  calle  les  jugements 
de  la  cour;  on  die  nettement^  elle- nV  .eri- 
tend  rien ,  éOe  n'a  point  d'idées  là  -  deflùs  ^ 
elle  ne  (auroit  en  avoir  ^  elle  n'efl  pas  dans 
le  point  de  vue. 

La  cour  elle-même ,  qui  s'en  doute ,  n'ofc 
pas  prononcer  affirmativenient  fur  un  livre , 
lùr  une  pièce  de  théâtre ,  fur  un  chef-d'œu- 
vre nouveau ,  fur  un  événement  fingulîer 
où  extraordinaire  ;  eUe  attend  l'arrêt  de  la 
capitale:  elle-même  a  gj-and  foin  de  s'en 
informer ,  afin  de  ne  pas  compromettre  fon 
premier  avis,  cjuiferoit  caflc  avec  dépens. 
,  Du  temps  de  Louis  XIV ,  la  cour  étoît 
plus  formée  que  la  ville  ;  aujourd'hui  la  ville 
cft  plus  formée  que  la'  cour.  Leurs  idées 
s' accordent  rarement  :  ce  qui  ne  doit  pas 
étonner  ;  car  l'inflruâion  reçue  eft  trop  (Uf- 


D  E     P  A  R   I   s.  471 

fércnte ,  pour  ne  pas  dire  oppofêe.  La  cour 
fe  tait  fur  plufîeurs  points ,  par  prudence  8c 
même  par  timidité  :  tant  la  confcience  nous 
en  dit  plus  <pc  Fadulation  n*a  voulu  nous  en 
Êûre  croire  f  La  ville  parle  avec  affiorance 
fiirtoût  &  fans  rdàehe|  la  coor  feht  (ju'elle" 
ne  doit  pas  trop  hafarder  fon  prononcé  {H^ 
nombre  d'objets,  de  peiir  du  retour.  La* 
vïlle ,  où  font  tous  les  arts  &  toutes  les  lu-^ 
mieres^  qui  fe  prêtent  une  plus  graïide  force 
par  leur  mélange ,  décide  hardiqieçt  ^'parce' 
qu'elfe  fent  (a  forcé ,  &  quVlIe  eff  "plus-  fîlre 
de^ibntaâ  tant  de  fois  éprouvé:  oC  Fautre 
cftime  confuféaient  qu'il  lui  manque  plu- 
(îeurs  dwinées  propres  à  confirmer  fort  opi- 
nion. • 

L^  cour  a  donc  perdu  cet  afcendant 
qu'elle  ttvoit  fiifr  les  beaux -^rty^  fur  les  ler^^ 
très  ,  &  (ùr  tout  ce  qui  eft  aujourdliuT  dé 
leur  reflbrt.  On  citoit  dans  le  (îecle  deriirer, 
le  fuffrage  d'un  homme  de  la  cour ,  d*an 
prince  ;  &  perfonne  n'ofoit  contrednèi  Le 
coup-d'œil  n'étoit  pas  alors  aulfi  prompt, 
ni  auffi  formé  ^  il  falloit  s'en  rapporter  au 
jugement  de  la  cour.  La  phîlofophie  (  voilà 
encore  un  de  fes  crimes  )  a  étendu  l'hori- 
zon ;  &  Verfaîlles ,  qui  ne  forme  qu'un 
point  en  ce  genre,  jeft  compris.  Cette 
révolution  dans  les  idées  eft  bien  nouvelle  ; 
car  lorfqu'on  fonge  que  l'opinion  fe  joignoit 
au  pouvoir,  6c  qu'on  réfléchit  d'où  émanoit 


471  T  A  B  L  1.  ArMf 

rôpinipn  9  ce  que  c'étbU ,  quant  aux  idées  ^ 
que  cette  cou£  de  Louis  XIV  \  les  préjuge 
groflîers  qui  yvdominoient;  ce  qu'étoit  la 
dévotion  du.temps^ct  que^faUbteiit4iD/^r6* 
dicattur  de  VeH^iUes',  >mi.  ^^rvâSâtr-  de 
coniciçnqe  y  un  confeffcur  du.  roi  \  quand 
fm  penfe^que  Luxenuxmrg  accufë  aUpit&iref 
une  retraite  chex  Je  P.  Ja  .Chaife::  alors  onr 
obferve  avec  étonnement,  &  (ans  ofer  le 
croire ,  .finaoyable  dî^ence.d^un  (iede  à 


-   r 


G^^-dé  la!  ville  que  part  Tapprobationii 
ou  fimprobation  adoptée  dans  le^reftc  do* 
royaume. 

^  Louis  XIV  trembloit;k  là  voix  de  Bof-- 
ilièt ,  qui  le  pénétimt  de  terreurs  imaginât-^ 
rcs  :  on  fiffleroit' aujourd'hui  -l'air?- prophé- 
tique de  Boflùet,  fou  ton,  fes  menaces,  &» 
il  n'infpireroit  pas  iès- craintes  myftiquesau^ 
dernier  che&d'office.  Ceft  la  ville  qui  a  ap- 

?ris  \^  la  cour  la  valeur  réelle  des  choies  ^ijU 
epouvantoient  alors* 


»,  £      P  A  ».  1  ?.  4^3^ 

CHAPITRE     CCCXLVIII. 


L 


Les  Extrêmes  Je  touchent. 

(?s  grands  8c  là  canaille  fe  rapproçhgrit: 
dans  leurs  moeurs  ;  les  premiers  bravcrowlâ. 
préuigés,  fiers  de  leur  crédit  &  de  leur, 
opulence  j  la  dernière  claflè  rfayant  à. perdre, 
ni  honneur  ni  «ftiiiie,  Tit  lans.g^éne  6ç 
avec  licence;  je  trouve  même  que  leors  efrf^ 
prits  fe  reflèmblent  \  les  harangeres  ,  au 
ftyle  près  ,  ont  des  mots  très:heqj"^w^-#  ^M^r 
que  nos  femmes  de  qualité  ^  môme  ^abon- 
dance y  même  tournure  | originale  ,,.m^9ie 
libeité  dans  IV^^refliôn  Sç^ti^  l^s  ihiàges  :^ 
il  y  à  vràîhierit  analogie  pour  qui  fiit  enle- 
ver  récorce.;  lilne  pji^Ià^xmttr^  Cxi  autre, 
ftntlemug;.         3^.tf^#*-^.,.  :    ; 

Les  gr^s  ne  font  pas. plus  généreux  que^ 
tes  mèjidiaritsi  mâîs  (obtenez  quçlqqe.  choie, 
d'un  grande  il  s'àf tachera  "S.y iiûs . :  ^  pourquoi  r . 
Parce  qu'il.  Vpus  aura  donné,  il  en  àttendia. 
les  întérâts.  Ainfî  fait  lé  gtieux  :  s'il  a  avatKé. 
quelque  chofe  a  un  niiférable  ,  il  ne  le  quitte. 
j)lu$,  &  redouble  fes  bièiifâits^  parce. qu^ 
ne  v^ut  pas  tout  perdre.  Un  honime  de*> 
mandoit  un  écu  au  cardinal  de  Eleurî^-— . 
Et  que  ftrez-vous.  d*ûn  ccuî — Cêftque, 


474  Tableau 

quand  vous  m'en  aurez  donné  un,  reprit-il , 
vous  m'en  donnerez  quelques  autres. 

Si  vous  êtes  placé  chez  un  prince  ,  tâchez 
qu'il  vous  donne  quelcpre  chofe ,  Se  votre 
fortune  eft  faîte.  Un  poëte  nu  (è  troiive  chez 
fon  altefle;  le  prince  mettra  fa  vanité  à  le 
créer  :  il  ne  l'aime ,  ni  ne  le  confidere  ;  maïs 
il  faut  qu'il  faflè  dire  à  la  renommée  :  il  a 
enrichi  uii  ^oëte  ;  on  ne  l'approche  point 
qu'ilnejépaiide  fur  vous  les  faveurs  écla- 
ilï^er^r^ppaitieiinent  à  fon  rang. 
.  La  jorhedes  granks^,  dîfoît  une  femme 
de  1>feaucoùp  Sdfnt^'nejl  que  dans  la  tétt. 
des  petits.  Et  ne  voilà -t-if  pas  encore  un 
rapport  étonnant  fur  lequel  il  y  auroit  un 
livre  à  faire  pour  qui  fait  réfléchir  } 
„0;Jkc&  grands  ,ainu  que  les  miféràbles ,  ne 
croient  pa^  ï  la  pfôbltë  :  ils  difènt  tous  ,  la 
probité  fi  pefi.  Ce  qu'ils  ont  le  plus  lie 
peine  k  comnrendre ,  c  eft  qu'oui  homme  ^ît . 
des  moeurs  oc  de  la  vertu. 

On  leur  demande  toujours  ;  ils  donnent 
rarement  au  mérité ,  plus  fouvent  à  Fadula- 
tîon  &  \  i'ifitrigue.  Il  faut  que  les  grands 
donnent  fans  ceffe  ^.  diïbîc  Madame  de 
Choify  à  Mademoîfêlle  de  Montpenfîer  , 
ou  ih  ne  font  bons  à  rien* 

Un  grand  croit  fon  premier  apperçu  in- 
faillible ^  quand  il  à  dit  oui ,  il  nç  recule  pas 
par  orgueil ,  il  ne  veut  pas  qu'on  lui  attribue, 
dans  ik  vie  deux  façons  de  voir  &  de  jugera 


DE    Paris.  47lr 

Il  aura  dix  frippons  à  Ton  fervice  ;  il  les 
reconnoitra  pour  tels  dans  la  fùîce  :  eh  bien^ 
il  continuera  à  les  couvrir  de  (a  proteâion  ; 
il  prendça-  l'opiniâtreté  pour  une  fermeté 
noble;  fop  extrême  orgueil nIp  trompera  ^ 
ainG  que  'le  défaut  de  hiànerés  trompe  in- 
çeflamment  le  menu  peuple. 

L'aâàmé  crie  avec  audace ,  parce  que  le 
befoin  lui  anache  des  plaintes  forcées.  Tel 
;rand ,  fàx  ambition ,  parie  hautement  pour 

liberté  pi4>Uque ,  8c  tonne  dans  le  templtf 
des  Ipixen^ies  bravant  ailleurs.  '  Que  veut 
le  premier  ?  Uqjn^ceau  de  pain.  Que  veut 
leletond?  ynel)lace  émmente^ 

Xes  grands  ne  paîenTpbirit  leurs  dettes^ 
ftinfî  cgjtt  font  les  petits  \  les  grands  emprunt 
^m  éterniâlefnûot  aôx  indigents  ,  qui  long'^ 
umps  mwgéf^  kxéanWent  enfin ,  &  p^ 
viennent-  k  didoudcé.  la  fiutun»  dû  fiiperbe 
emprunteur. 

J'ai,  vu  plus  les  grands^-  mais*  je  lés  M 
entrevus.  Tout. homme  a' de  l'orgueil ^  je 
le  fais  ; .  mais  le  leur^efè*  ordinairém^t  '  efi 
raifon  de.  leur  crédit  &  deieur  piâ&flce; 
ils  favent  très-bien  qu'ils  peuvent,  bleflèr 
impunément ,  &  ils  ufent  volontiers  de  ce 
privilège  ;  ils  fe  font  une  efpcce  de  devoir 
de  meprifer  tout  ce  qui  n'eft  pas  eux;  le 
génie  &  la  vertu  les  offafquerit  &  les  mo- 
leftent  ;  &  ils  voudroienr  ridiculifer  la  vertu 
&  le  génie  ^.  non   par  jalonfîe  ^  mais  par 


476  T  A  B  L  È  A  U' 

liaine,  parce  qu'ik  mettent  fans  cefle  Teur 

fortune  &  leur  rang  à^  la  place  des  diftitic*^ 

lions  réelles ,  qui  font  les  talents  &  les  v«> 

tus:  cVft  fous  ce  bouclier-  qu'ils -fe  dérobent 

aux  engageniùents  les  plus  (acres;  Lelir  atr 

de  bwté*  .tt'eft  ordinatremeiut  qu'uK  piège , 

ou  qu'un  orguefl  plus  fm  ou  plus  raÛbnné.' 

Leurs   bienfaits  font  difpofés-  de  manière 

à  inviter  à  Fingratitude»  Leur  jargon  btil<^ 

tant  9  leurs  manières  poUrs  ne'peinrent  enf 

tmppfer*  qu'aux  hommes  inexpénhientés  \  'û 

fft.aifë  de  Jes  juger*,  6c  de  voir  'q^i%  ùÀ 

fffdinairemeott  de  p^tesames'  fort  daines  ^ 

fort  étroites.^  &  des  cerveaux  {àns"  lumierèt 

qtilès  :  ife  tdévorenr  la  patrie  ,  6c  £0 '4a  (èr- 

T^t  pas  \  ils  ne  (ayent  guère  cni'mtriguef 

poturiaire  lp,mal ,  ^^^^'  <^<>^  i  ^  ûtHiipé# 

les  petits  à^  l'appâr^eleuw  promeflès  .(r)i 

Maihegr  à  qui  vit  oroit?^  Il  p^i  fès  bdllèf 
années.  Il  faut  aller  voir  quelquefois  les 
grands  y  difoit  La  Btuyere ,  non  pour  euxj 
maisr  pour  Us  hommes  dtefprit  &  de  mé' 
ntcipi^ànrcncomiftLiauprès  d'eux. 

Soy^  fur  que  h»  grands;,  feront    tou^ 


à^èé. 


(i)  Quelqu'un  a  faitxe^  vers  : 

Jf  fuis  depuis  lottg'temfs.  àda  dernière  place  ; 
Jâ  n*ett  fitis  ni  f4ché,  nifurpfis  «  jù  confus* 
Si  je  nUi  p^às  riçft  la  plus   4^>»  jyg<  »  •   ^    V  ' 
h.nnai  point  ejfuyé  la  konu  d^iiturefjt^^^^^j^^^y^ 


D  E     V  A  R  I  S.  477 

jours  parade  de  leur  opulence,  chercheront 
\  rentier,,  ne  diront  jamais  è'èft  'aflèz^ 
&  vxHidront  hum^ier  xeai  <f&  vïv'ênt  de 
•travaux^phi^  honorables  &  'f^  utiles' q[ue 
les  leurs.  Ufioûnifi^^  p^ujant  un  jour  avec 
dédain  de  ceux,  di^it-il,  ^  activent  pour 
:dc  Vargtjit  (  c'écoit  ^  malheureù&ment  pour 
lui,  devant,!*  J..ILpuiïèaa)«  £r  votre  tx^ 
^dUncc.pa^^Lm  i;A^e^;fe22^?vXeUe.  fut 
la  iépon(é  modçllç  du/philofp^^ . .  ^ 

La  fociété  r<^refl^moiè  [^.&ftçment)pat 
les  deux  bouts;  vbici  il  ce  âi^t,  amifeâeur^ 
une  pçdte  fablQ.,9i'iL£uijtt.<|ue  je  vou&di|(, 
^d  oofee  le  rioiti' &  lêh  auteitf. 


>-   « 


♦     r        . 

1  4. 


OiB  Wr  Tëntmntfant  qutrelU» 
}f^4  Echelons  ^uMeJipiifàê  ithêUé 

I   :     ;  >'5iir  ^  rMg  4^  fkr  U\  Béiféfncii  : 
...      ;'  .X^  pluâ,iUifi  priiéhioh "^ 

i  Poar.  U:  ffoÙTêr  f  il  piforoiit 

/M£/uMik«««|  difiîiU,  il'^trofl4U'iiJUn'ei:t 
M  D'aiUeuivi  ckdimt  ^:fui  «n  fa  pÙcê^iàitl ^ 
nNé  Sêiriiè'irCàas  lé  fyjUmt .  \  '   '  ^ 

Mif^'ciïuMa:iigiim^"\.':     '  .. . 

>*  (2^tfe  Condamne  la  raifin  miméf  -r 

MaiSfjdit  l'und^ctuf^  n^usfomtMS  teMit  deêois^ 


i  b» 


478  Tableau 

n  Ei  U  kûfitrà  noms  pu  f  M  ttus^  je  pemfim 
— —  «  D^Mceord  ;  mais  pUtis  ub$  fçU  9 
I»  Oa  admit  U  frUmim^affi. 

n  Lêttmff  ^  ^fûfii  a  qnCafitUM  kàfiitd, 

-    M  F'oiiséics  vtnus  un-fu.  uufJL,    ' 
Vils  Eekelomg ,  mppnM^  à  vus  taire  u» 
Omtré  éâ  cêMfimtrt  fi^U -àe  fiupfomwit  pas, 
:   Un  mUfopHi  sOwin  ^mpitra  et  Nàelh 

Et  U^fj^'éiVSr^iêt ,  "^  . 
^ÇkMgUttitmtgif&fiUt'U  futHll€M~ 


C  nA  ?  I  T  R  Ç    Ç CCXX IX- 
i   Sages  du  mande. 

X^es  (âges  du  mofidr  ont  encore  deux 
langues ,  comme  ils  ont^dcux  viûges.  Un 
grand  feigneiir  ^  d'aiUeuAs  honnétfr^difoità 
jU)n  fils ,  vous  êtes  un  imprudent.  «-^  Qu'ai- je 
donc  fait  ?  lui  demapEula-4>iL  -^^  Rappeliez- 
vous  le  propos  que  vous^  dntes  hîef .  —  Eh 
quoi  y  Moniieur  y  cVft  le  t\iénie  que  je  Yous 
tins  a.  vous-même  la  (eavwe  dpixdere  :  il 
me  femble  que  yous  fi^pprouv^tesi  -r-  Sans 
doute ,  reprit  le  pérè,.nQiiç.êtiQns.feuIsi^lors  ; 
&  d'ailleurs^  Thomme  dont  vous  me  par- 
liez n'ctoit  pas  en  place. 


DE    Paris. 


479 


;j  1 


C  H  API  TR  E     CCCL. 

Apologie  des  Gens  de  lettres. 


<  .-*> 


Xja.  calomnie  grdfnte  Vefi  fii^tout  atupb^ 
aii^^os  d(&  Ipttres  ;  on  le^  a- peinte  coa^me 
pehi^b&teifrs.dQ^ empiras ,  parce  <}u-ils  refont 
iRiontros  1^  ennemis  dfrs  abus  &  les  pro- 
tçâ^euis  dp  Ja,iib^«îé.-pubIîqUefH:Q«iH»lif  idée 
uctle  ne  leur  di>iH3n  p^fi  JDe  «quelle  ^abym^ 
4'cireMrs  &4e  mtférablfs  ii^réjugés.n'omH^ 
pas  fait  fortir  les  adminiftrateurs  des  nations  l 
Qtt^eofiNlgnent-ys  yfi  ce  n^eft  Taniour  de,  l'hu* 
manité^  ^s  droitô.  de  rhbmme  &  du  citoyen  î 
Quelle  queâion  impcnrtante  à  la  feciétë  n'ono- 
ik  pas* examinée ^.diébattue,  iixée ?  Si  le  de£» 
pptirme.s*êft  civilifê,  fi  les  fouverains  ont 
conmleiicé  à  redouter  la  voix  des  nations, 
Ji  reTpeâer  ce  tritxjnal  i^préiure  ^.c'eft  à  la 
plume  des  écrivains  qu^ffon  doit  ce  fteiii 
nouveau!,  inconnu.  Quelle  inîqiuoé  miniiîë;- 
rielle  ou  foyaie  pounoit  (è  flatter  âUJourd!h»i 
de  paflèr  ihipun^mcnt  X  8ç;  |la  rgloire.des  rpis 
n'attend-ellê  pa&li-fan^n  4u  pliilolbphe^ 
11  eft  pbihir  ce  fans  pt(i0àace ,  maisil  met  en 
mouvement  le  en  de  la  caiieh  univerfelle*  Vus 
de  près ,  ils  font  un  petit  nombre  de  citoyens 
épars^  gcmiilàn^  Ùxt  ks  i^if^t^eui^^  .de  Iç^j: 


^8o  T  A  B  L  Ë  A  cr 

patrie  8c  fur  ceux  du  genre  humain ,  mais  le 
fius  (buvent  enreio^f^  dans  imé- Jt&ta  î^ 
rile ,  ou  du  moins  dont  les  effets  (ont  fi  lents, 
'fi  impertepâbles ,  iqa)dlax)técipitatioii  d'efpnt 
eft  tentée  quelcpefois  de  les  rëvo5|uer  en 
doute,  •  .  ■ 

Tandis  que  Penvie ,  la  méchanceté  y  Pign^ 
9ance  les  attaquent ,  fls  méprifent'des  aoits  qui 
dcnvem  moUu: ,  pshrcte  «ue  û&Èi  ne  contrebas» 
lanbê  k  reinomniée  ùnivè^tie.^La  -fapéAo^ 
-tité  de  leur  raiibnieur  motltveles  («nrages 
'Ûes  lionihies  férfiiUes  né»  &  k  naître;  & 
•9s  placent  la  récompenfè  de  leurs  travaux 
^ns  Famélioràtion'  des  prdje,ts  pour  le  biea 

^cSt-oh  Sone  trop  honotar  ce^îiommes 

I  ^i  ét-endent  nos  lumiereis ,  qui  établiflent  le 

xode  moral  des  nations  8c  les  vertus-civiles 

-de^  particuliers  ?  Un  poëme  ^  un  drame  y  un 

*'  iBBWii ,  UBT ouvrage  qiii  peint  vivement  la 

^vwtii ,  modèle  le  leâeur,  faite  qu^il  s'en  ap- 

'perçoîvef,.  fur  leç  perfonnages  vertueux  qui 

'àgiflènt  ;  ils  intéreflènt ,  8c  fauteur  a  per- 

■fuadé  la  mwale  fans  en  parler.  Il  ne  s  eft 

point  enfoncé  tlaris  des  difcuffions  fouvent 

^hes  8c  fatigantes.  Pat  Part  d'nft  travail 

<naché,  ilnous  a  préfemé  certaines  qualités 

'àe  Patne  '  revêtues   de  ces  images  qui  les 

font  adopter.  Il  nous  fait  aimer  ces  aâions 

généteùfes  ;  '6c   Phômmé   qui    réfifte    aux 

iéâexions ,  qui  s'aigrit  par  les  leçons  dog- 

4uatiques^ 


HE    Paris;  481 

matîques  ,  chérît  le  pinceau  naïf  &  pur  qui 
met  à  profit  la  fenfibilitédu  cœur  humain, 
pour  lui  enfeigner  ce  que  l'intérêt  perfon- 
nel  &  farouche  repouffe  ordinairement. 
L'auteur  fe  fait  écouter  par  le  plaifir  ;  &  les 
préceptes  de  la  plus  aullere  morale  fe  trou- 
vant établis  fans  qu'on  ait  découvert  le  bue 
de  l'écrivain  :  PcSora  moUefcunt. 

Montaigne  dit  qu^ il  fait  bon  naître  en  un 
fiecle  dépravé;  car,  par  comparaifon  ^onejl 
ejihné  vertueux  à  bon  marché.  Monuigne  a 
tort  en  ce  point.  Dans  un  pareil  (iecle,  oa 
ne  croit  pas  k  la.  vertu ,  on  ne  jouit  pas  de  la 
fienne.  On  donne  aux  aâions  les  plus  coura- 
geufes  des  motifs  bas  &  lâches  ;  on  ravit  à 
rhomme  fon  honneur  ;  on  ne  lui  fait  pas  gré 
de  fon  dévouement.  La  pervcrfité  générale 
fait  voir  tous  les  hommes  de  la  même  cou- 
leur. On  ne  diftingue  que  les  hommes 
adroits  &  les  malheureux. 


CHAPITRE     CCCLL 

Querelles  littéraires. 

V^aandon  veut  rabaiffèr  les  gens  de  let«^ 
très ,  on  parle  de  leurs  querelles  vives  &  quel- 
quefois fcandaleufes.  Il  efl  vrai  que ,  dans  leuts 
débats,  ils  femblent  peu  éclairés  far  leurs  vé« 
Tome  IL  X  ' 


48i  Tableau 

litablcs  intérêts ,  &  qu'ils  aîguifent  Pun  con- 
tre l'autre  des  armes  redoutables  qu'ils  de- 
vroient  détourner  contre  leurs  ennemis. 

Il  fcroit  temps  qu'ils  y  fongeaflcnt.  Ceux- 
ci  feroient  bien  foibles  alors  ;  &  fans  ces  di- 
visons déplorables ,  la  littérature  auroit  un 
poids  ma}eftueux  qui  opprimeroit  fes  adver- 
faires.  Il  y  auroit  p3us  de  véritable  gloire  pour 
eux  de  fe  montrer  indifférents  à  de  petites 
attaques ,  que  de  déployer  une  fenfîhilité  qui 
dégénère  en  clameurs  puériles  :  les  plus  pe- 
tits ,  étant  toujours  les  plus  orgueilleux ,  font 
ordinairement  erand  bruit  pour  une  légère 
piquure  faite  à  leur  amour-propre  ;  mais  les 
hommes  de  lettres  célèbres  ,  ou  fè  vengent 
une  fois  pour  n'y  plus  revenir  9  ou  ,  ce  qui 
eft  bien  plus  fage,  dédaignent  à  jamais 
Pinjure.  Elle  tornbe  dés  qu^on  la  méprijc^ 
dit  Tacite. 

Après  tout,  on  ne  peut  reprocher  aux 
gens  de  lettres  que  ce  qu'on  peut  reprocher 
à  tous  les  corps  connus,  aux  avocats,  aux 
médecins ,  aux  peintres ,  &c>  Souvent,  pour 
un  intérêt  très-médiocre,  les'  particuliers 
réputés  les  plus  fages  fe  plaident  à  toute  ou- 
trance ,  en  viennent  aux  outrages  les  plus 
fanglants  \  &  lorfque  notre  adverfaire  en 
littérature  voudra  anéantir  fous  le  tranchant 
du  ridicule  le  fruit  de  nos  veilles  &  de  nos 
études  '5  on  exigera  une  modération  extrême  ; 
on  voudra  le  ^eâacle  d'un  combat  froid , 


B  E    Paris.  483 

polî,  rçfervé,  tandis  que  nous  fommes  atta- 
qués dans  la  partie  la  plus  fenfîble  de  nous- 
mêmes.  Eh  !  voyez  feulement  une  dit'pute 
xlans  la  converiàtion  \  il  ne  s^agit  que  d'un 
objet  indifférent ,  apperçu  d'une  manière  dif- 
férente :  quel  jchoc  d'idées  !  quelle  chaleur 
-  y  mettent  les  deux  partis  !  comme  Pironîe 
&  le  farcafme  fe  croifent  !  Et  lorique  Ton 
^viendra  taxer  nos  produâions  avec  mépris, 
^u'on  nous  accufera  d'avoir  mal  lu ,  mal  mé- 
dité ,  mal  écrit ,  il  faudra  garder  le  fang-froîd 
4jue  tout  le  monde  perd  dans  les  plus  lége- 
ses  difcuffions  !  N  eft-ce  pas  aufli  trop  exi- 
ger de  ceux  que  Pon  reconnoît  généralement 
pour  avoir  un  plus  haut  degré  de  fenlibUité 
xjne  les  autres  hommes  ? 

Mais  en  condamnant  les  débats  des  gens 
iie  lettres ,  le  public  fait  Thj^pocrite  ;  il  y 
trouve  trop  bien  fon  compte  ,  il  devient 
fpeâateur  d  une  guerre  ridicule ,  qui  Pamufe 
fort.  Le  public  en  gros  eft  malin  ,  indolent, 
a  Pefprît  très-avide  de  Êtyres  ;  difpofitions 
favorables  pour  écouter  tous  les  fàrcafmes 
que  doivent  s'envoyer  réciproquement  les 
combattants.  Le  public  ne  donne- t-il  point 
h  palme  au  plus  rude  jouteur  ,  à  celui  qui 
lance  avec  le  plus  d'adrefle  &  de  véhémence 
les  traits  les  plus  prompts  &  ks  mieux  acé- 
rés ?  Ne  dît- on  pas,  la  Harpe  a.  bien  mordu 
Clément f  &  Clément  a  bien  mordu  la  Har^ 
pe  ?  N'a -t- on  pas  eu  le  plaifir  de  voir  It 

X2.  ' 


i|g4  T  A  B  L  E  A  ir 

r  oap  de  dem  Ettécdre  pocté  &  leiuki  ?  N'eft- 
jon  pas  indcœ  (or  k profoodeor  tefycGâve  de 
)a,  bleffine  ?  Ne  les  ]iige-t-on  pas  aune  force 
^  pea  pfès égale,  dignes iféne  ceints 4ia  mé- 
jne  kmrkr  ,  &  de  condnaer  le  journal  pouc 
^eroùveller  le  ^peâaclc  9  à  la  fàdsfadion  de 
jTan^lmliëatie  ? 

r^ms  les  converiânons  ,  on  Uâme  les  au- 
teurs ,  pour  fe  donner  un  ton  de  digmté  & 
ùe  décence  :  maïs  on  court  à  la  feuille  ù^ 
tyriqoe  qui  eft  dans  Panti -chambre  ;  on  y 
rhercbe  bien  yîte  Fendroit  où  Ton  fiippofe 
x]ue  répfgramme  qu'on  attend  &ra  burinée. 
Si  elle  n*eft  pas  incîGye  ;  G  ,  oubliant  (bu 
^el  accoutumé ,  le  journatifte  a  été  foible  ce 
jour -la,  on  dit,  en  hauflànt  les  épaules: 
//  n'y  a  run  de  piquant  dans  et  numcro. 
Et  la  malignité  infàriable  du  ledeur ,  qui  va 
toujours  piêchant  la  cor  corde,  ne  trouvant 
point  à  le  fatisfaire ,  il  jette  la  feuille  arec 
dédain ,  &  dit  :  Si  cela  continue ,  je  ncfouf- 
frirai  pliLS. 

Faut-ii  dire  le  mot  a  la  portion  majeure 
4u  public  ?  S'il  n'y  avoit  point  de  reuùurs^ 
U  ny  auroit  point  de  voleurs  ^  comme  dît 
}e  proverbe.  Si  le  public  en  gros  n  etoit  pas 
enclin  à  protéger  tout  pç  qui  rabaillè  les  ta- 
lents connus ,  les  auteurs  vivroient  fans  fe 
faire  la  guerre.  Ccft  donc  le  public  qui  eft 
refponfable  des  excès  auxquels  ils  fe  livrent , 
puifqu'ii  foudoie  JU  troupç  des  journaliftes  ^ 


DE    Paris*  48:$. 

puitju'il  les  encourage  a  fe  déchirer  entr'eux  ^ 
&  ils  ne  répondent  (jiie  trop ,  depuis  quel- 
ques années ,  à  cette  outragjeufe  attente.  Ja-- 
niais  le  mépris  des  bienféances  n'a  été  poulîe- 
fi  loin  ,  &  la  critique  elt  devenue  fi  dure ,  fî^ 
pédantefque ,  qu'elle  a  man^c  l'efïeL  qu  elle 
fè  propofoit. 

Ces  petites  &  mutiles  querelles*,  que  la- 
jaloufie  8c  l'efprit  de  parti  font  naître  entrer 
petits  écrivains  qui  prentvent  chacun  de  leur 
côté  un  ton  avantageux ,  font  auffi  ridicales- 
que  honteufes  ^  car  il  s'agit  le  plus  fou-- 
vent  de  rimes  ,  d'hémiitiches,  d*un  mot  dé-- 
placé,  &c.  Plus  la  caufe  eft  frivole ,  plus^achar-^ 
nement  eft  impitoyable.  Le  peu  d'impor-- 
tance  des  objets  ne  peut  manquer  de  livrer 
à- la  dérifion  les  agrelïèurs  &  les  répondants^, 
qui  s'enflamment  comme  fi  tout  ctoit.  ren- 
veric.. 

Ma  foi  f  juge  &  plaideurs  ^  il  faudrait  tout'  HeK 

Mais  on  prêchera  vainement  les  poètes  à. 
cet  égard  ;  ils  deviennent  emportés ,  ma- 
niaques, dans  leurs,  bruyantes  difputes  f.ir  la 
tournure  plus  ou  moins  élégante  d'un  vers, 
fur  la  prééminence  d'une  tragédie  de  Racine , 
fur  le  goût  ;  mot  qu'ils  citent  fans  celle ,  6c- 
dont  ils  n'ont  pas  le  plus  fouvent  la  moindre 
idée.  J'ai,  entendu  làrdeffùs  des  débats  vrai- 
ment incroyables  \  &  les  gens  fenfés  m!ac- 
cuferoîexit  ici  d'avoir  controuvé  à  plaifir  ces- 

X3 


^86  Tableau 

fcenes  ridicules,  fi  je  rendoîs  au  naturel  le 
dialogue  des  aâeurs.  Ceft  en  fortant  de  ces 
rixes  extravagantes ,  qu'ils  écrivent  ces  feuil- 
les où  Ton  eft  furpris  de  voir  tant  de  mots 
&  fi  peu  d'idées. 

Il  eft  vrai  que  le  public ,  occupé  de  tant 
d'autres  événements ,  n'apperçoit  qu'a  travers 
un  nuage  les  matières  littéraires  ;  il  n'a  pas 
toute  la  connoiflànce  poflible  des  objets» 
Son  incapacité  s'accommode  des  brufque- 
ries  \  &  fa  pareflè  le  mettant  hors  d'état  de 
porter  un  arrêt  exaâ  &  motivé ,  il  veut 
quelqu'un  (  dût -il  en  être  trompé  )  qui  le 
décide ,  &  qui  lui  foumiilè  périodiquement 
une  petite  fentence  meurtrière.  Car  cpi'y  a* 
t-il  de  plus  trifte  que  d'entendre  Péloge  d*Uft 
contemporain?  S'il  faut  louer  quelque  cho(è 
à  Paiîs,  ce  ne  doit  être  que  par  communî* 
cation ,  par  frénéfie  ,  par  efprit  de  parti  ;  & 
tout  ce  qui  n'efl  pas  divin  ^  comme  l'a  dit 
Helvétîus ,  devient  détcftablc.  Il  faut ,  dans 
certaines  cotteries,  être  tout-k-la-fois  frondeur 
&  enthoufiafte  ,  &  paflèr  rapidement  k  ces. 
deux  extrémités ,  pour  favoir  bien  juger  les 
hommes  &  les  livres. 

On  prétend  qu'une  ville  îmmenfe  comme 
Paris  a  un  befoin  journalier  de  petites  fatyres , 
pour  repaître  (on  inquiétude  &  fon  agitation 
perpétuelle  ;  &  celui-là  avoit  bien  raifon  , 
qui  a  dit  le  premier  ^  qu'w/ze  bonne  injure 
eft  toujours  mieux  reçue  ù*  retenue  juun 


î 


D  E      P  A  JL  I  s.  487 

bon  raifbnnement.  Voilk  h  théorie  àxxjour^ 
futlipnc  tracée  en  deux  mots. 

Quand  un  b^n  livre  paroit  ^  &  que  les 
gens  de  bon  fens  attendent  de  Pâvoîr  lu  & 
médité  pour  le  juger,  les  fots  crient  d'abord  ^^ 
crient  long  -  temps ,  &  barbouillent  du  pa- 
pier.  Voyez  comme.on  a  falué  l'arrivée  de 
tEfpfit  des  loix ,  dé  V Emile,  &c. 

Heureux  les  gens  de  lettres  qui  ne  con»- 
noiflènt  point  cette  déplorable  guerre  lOw 
eut  l'éviter,  quand  on  veille  avec  foîu  fur 
on  amour-propre  î  car  le  combat  naît  tou^ 
jours  d'un  jelprit  trop  orgueilleux  de  fes  idées  ^ 
&  qui  veut  les  faire  recevoir  defpotiquement. 
On  contredit  pour  humilier  autrui ,  ou  pour 
iàtîsfaîre  une  humeur  fecrete ,  bien  plus  que 
pour  s'éclairer.  L'aigreur  ne  tarde  pas  k  couler 
de  la  plume ,  même,  à  notre  infu  ;  &  lorC- 
qu'on  a  eu  le  malheur  de  porter  quelques 
coups  y  on  devient  rerinemi  de  celui  qu'on^ 
a  frappé.  L'agreflèur  pardonne  toujours  plus 
difficilement  que  celui  qui  a  reçu  la  hleflureu 


X  4. 


4S8  T  A  B  L  s  A   U 


C  H  A  P  I  T  R  E    CCCLIL 

Belles  -  Lettres^ 

X-iCur  trône  eft  à  Paris.  Ceux  qui  les  cul- 
tivent furabondent  :  maïs  comme  Tétude  d» 
la  vraie  politique  eft  prelqu'interdîte  en  France^ 
▼u  qu^eÛe  n*a  aucune  iffiie  pour  fe  manifcfter 
en  liberté,  &  que  les  autres  connoiflànces 
qui  appartiennent  à  ITuftoire  naturelle  ou  k 
la  chymie  demandent  un  grand  loIGr  &  de 
Ja  fol  tune,  les  efprits  ft  font  mieux  accom- 
modés de  la  culture  des  belles -lettres.  Le 
pauvre  peut  fe  livrer  à  leurs  charmes  at- 
trayants ainfi  que  le  riche.  Voilà  leiu:  avan- 
tage.  Elles  cmbraflênt  d'ailleurs  tout  ce  qui 
eft  du  reflbrt  de  l'imagination  ^  &  ce  cbamp 
eft  îmmenfe ,  on  y  voyage  à  peu  de  frais. 
L'ame  fenfible  ,  lefprit  délicat  peuvent  éga- 
lement fe  fatisfaire  dans  la  ledure  des  poètes , 
des  romanciers ,  des  hiftoriens.  Ceft  ce  qui 
donnera  toujours  aux  belles-lettres  une  foule 
d*amateurs  que  n'auront  point  les  fcîenccs 
exaûes  qui ,  outre  une  certaine  fécherefle  , 
exigent  des  avances,  &  n'offrent  pas  tout- 
à-coup  de  pareilles  jouiflànces.  Les  lettres 
trompent  l'ennui ,  la  folitude ,  l'infortune  \ 
amufent  tous  les  âges ,  rempliflènt  tous  les 


D  E      P  A  R   I   s.  489 

hiftants  \  &  Ctceron ,  quoîqn'homme  d'état , 
en  a  fait  un^  éloge  qui  a  toujours  les  grâces 
de  la  nouveauté ,  parce  qu'il  a  été  générale-- 
ment  fenti  dans  tous  les-fiecles. 

Qui  croiroit ,  au  premier  coup-d^ϔl ,  que^ 
les  découvertes,  les  inventions  utiles  ,  les  arts 
méçhaniques ,  les  meilleure  fy^émes  politî-v 
ques  dépendent  de  la  culture  des^belles-lettres? 
Elles  uiit  toujours  précédé  les  fciences  pro-^ 
fondes  ;  elles  ont  décoré  leur  fur  face ,  8c  c'eft 
par  cet  artifice  ingénieux  que-  la  nation  lef 
a  adoptées ,  puis  chéries.  Tout  eft  du  reSbrt 
de  rimagination  &  du  fentiment  \  même 
les  chofes  qui  en  femblent  le  plus  éloignées." 
Il  fuffit  quelquefois  de  faire  poindre  l'aurore 
des  lettres  dans  une  contrée  barbare ,  pour 
lui  donner  bientôt  les  arjts  folide»  &-lesin-^ 
ventions  hardies. 

Cet  enchaînement  eft  de  fait  cheztoutef 
les  nations ,  &  la  vraie  raifon  n*en  eft  pzi 
clairement  démontrée ,  finon  que  l'homme* 
•commence  par  fentir,  8c  que  y  dès  qu'il 
fent  ,  il  ne  tarde  pas  k  raifonner  fes  fen« 
fations.  Le  monde  moral  reflèmble  peutétre 
au  monde  phyfique  ,  où  les  fleurs-  précèdent 
conftamment  les  fruits  :  &  voila  drcjuoi  ré^ 
concilier  les  farouches  ennemis  dès  grâces 
avec  les  légers  feâateurs  de  la  brillatue  lit- 
térature; 

C'cft  donc  de  cette  première  împulGon 
que  dépendent  les  bonnes  loix.  Il  femble 


490  Tableau 

cju'il  faille  néceflTairenient  commencer  par 
les  paroles,  pour  arriver  enfuite  aux  idées;. 
&  l'on  peut  remarquer  que  tout  établifle- 
ment  a  eu  primitivement  l'empreinte  de  l'a- 
gréable 8c  du  beau.  Seroit-ce  une  marche 
confiante  de  la  nature  ?  Aîiifi  l'enfance  de 
l'homme  eft  gracieufe  &  riante ,  &  l'âge 
mûr  eft  utile.  Ainfi  tous  les  arts  fe  montrent 
d'abord  fous  une  fuperiicie  brillante  ,  &  par- 
lent k  la  fenfibilîté  de  l'homme  bien  avant 
4e  former  fa  raifon. 

Mais  quiconque  fait  obferver  la  marche 
de  l'efprit  humain  ,  voit  qu'infenfiblement 
tous  les  genres  d'écrire  s'appliquent  k  la  mo» 
raie  politique.  Ceft  le  grand  intérêt  de  lliom* 
^  me  &  des  nations.  Les  écrivains  tendent  à 
ce  but  utile.  La  morale  n'eft  ni  trifte ,  ni 
facheufe  ,  ni  fombre  ;  on  peut  întéreflèr  ^ 
limufer ,  plaire ,  tout  en  inftruifant.  Les  et 
prîts  vraiment  folides ,  les  âmes  vigoureufi» 
ne  dédaignent  point  ce  qui  peut  diftribuer 
la  fcîence ,  en  la  parant  des  couleurs  de  l'i- 
magination. Une  pièce  de  théâtre  ,  fut  -  ce 
même  un  opéra  comique,  peut  devenir  un 
peu  moins  frivole ,  &  paroltre  encore  plus 
attachanie.  C'tfi  V office  des  gens  de  bien , 
dit  Montaigne ,  de  peindre  la  vertu  la  plus 
belle  qiù  Je  puijfe. 

Lorfque  quelqu'un  a  fait  un  livre  de  po^ 
liîîqne  ou  de  morale,  fur- le -champ  on  lui 
répète  le  refrein  accouaimc  :  Trayaux  ini'^ 


D  E   '  P  A  R  I  S;    ».         ^^t 

puijpants  !  Peines  perdues  i  Les  moturs  ne 
changent  point.  Les  abus  feront  toujours 
les /mêmes.  Rien  ne  peut  rompre  leur  im^ 
pidfion  établie  ;  tes  hommes  Jeront  toujours 
ce  qu*  ils  font;  les  chefs^  des  nations ,  ce  qu'ils 
ont  été.  Cela  eft  bientôt  dit  ;  maisJ^expérience^. 
vient  démentir  vifîblcment  cett^  aflèraon,    , 

Depuis  trente  ans.  feulement ,  il  s^éft  fait 
une  grande  8c  importante  revolorion  dans 
nos.  idées4  L'opmion  publique  a 'aujourd'hui 
en  .Europe  une  force  prépondérante ,  à  Ia-< 
quelle  on  ne  r^îftepas  rjainfî,  en  eftîmanc 
le  progrès  des .  lumières  &  le  changement 
qu'elles  doivent  e^anter ,  i)  eft  permis  d'ef-. 
pérer  qu'elles  apporteront  au  monde  le  plus 
grand  bien^  6c  que  les  tyrans  de  toute  ef> 
pece  frénoiront  devant  ce  cri  univerfel  qui 
retentit  8c  fe  prolonge  pour  remplir  8c  éveil- 
fer  j^Europe, 

C^eft  par  le  moyen  des  lettres  6c  des  éi 
vains  que  les  idées  (aines ,  depuis  trente  ans  , 
ont  parcouru  avec  rapidité  toutes  les  pro- 
vinces, de  la  France  y  qu'il  s\  eft  formé 
d'excellents  efprits  dans  la  magUtrature,  Tous 
les  citoyens  éclairés  agiflènt  aujourd'hui  pre(^ 
que  dans  le  noeme  fens.  lies  idées  nouvelles 
ont  circulé  fans  e&rt;  tout  ce  qui  eft  relatif 
à  rinftruâîon  eft  adopté  courageufement. 
li'efprit  d'bbfervation  enfin ,  cjui  Ce  rvpand 
de  toutes  parts  ,  nous  promet  les  jTiên>f&, 

X4  . 


492^  T  A   B  L  E  A  17 

avaiîtages  dont  jouîflênt  qi^ Iqnes^ins  de  noi 
liaireiu  voifins. 

Les  écmzËDs  ont  répandu  des  tréfbrs  re- 
ntables ,  en  nous  donnant  des  idées  piqs  fàî- 
fies ,  plus  douces  j  en  nous  infpirant  les  ver- 
tus ùtaics  &  indu^entes.  qui  forment  8c 
embelliflènt  h  fociété.  Les  extcndmrs  crt 
morale  ont  paru  ne  point  connoître  Fhon> 
me  &  irriter  fes  paflions.,  au  lieu  de  ks- 
rendre  calmes  &  modérées-  La  pente ,  en* 
fin ,  que  les  lettres  fuîvent  depuis  quelques 
années  ,  deviendra  utile  à  l'humanité  ;  & 
ceux  qui  ne  croient  pas  à  leur  falutaire  in-^ 
fluence ,  font  xM  des  aveugles  ou  des  faypo^ 
crîtes. 

L*înfiaençe  des  écrivains  eflr  teGe  qu'ils^ 
peuvent  aujourd'hui  annoncer  leur  pouvoir, 
&  ne  point  déguifer  l'autorité  légitime  qu'ils 
ont  fur  les  efpriis.  Affermis  fur  la  balè  dej 
Pintérct  public  &  de  la  connoîflànce  réejlej 
de  l'homme,  ils  dirigeront  les  idées  natia-| 
nale«  ;  les  volontés  particulières  font  entn 
leurs  mains.  La  morale  eft  devenue  l'étudJ 
principale  des  bons  efprits  \  la  gloire  litté- 
raire femble  deftinée  dorénavant  à  quiconqui 
plaidera  d'une  voix  plus  ferme  tes  ihtéréts^j 
des  nations.  Les  écrivains ,  pénétrés  de  ces. 
fbnâions  auguftes ,  feront  jâlojLix  de  rëpon-^ 
dre  à  l'importance  du  dépôt  ;  &  l'on  voit 
déjà  la  vérité  courageufe  s'olancer  de  tous  les 
points.  1\  efr  à  préfumer  que  cette  tendance- 

Çéncrak  çràdu^ra  jme  jévalutioa  iieoieuftw 


ir  E    Paris.  49J 


CHAPITRE     CCCLIIL 
Les  trois  Rois. 

Jt  ans  a  été  vîfité  dernièrement  par  les  foa- 
verains  du  nord  ;  par  le  roi  de  Dannemarck  ^ 
à  qui  Pon  donna  des  fêtes  fplendides  &  coiK 
teiifts  ;  par  le  roi  de  Suéde ,  qui  n'étoît  que 
prince  k  fon  arrivée ,  qui  s'en  retourna  nior 
narque  ,  &  qui  trama  dans  cette  ville  la 
fameufe  révolution  dont  il  n*a  point  abufé  \ 
par  Pempercur ,  quf ,  pour  être  plus  Kbre , 
a  logé  en  hôtel  garni ,  rue  de  Tournon  ,  8c 
qui  a  bien  vu  la  capitale ,  même  dans  un 
aflèz  grand  détail.  L^empereur  a  revifité  Paris, 
en  1 78 1  ;  mais  il  n  a  fait  qu'y  pafler. 

le  les  ai  ccMifidérés  tous  trois  fort  attenti- 
vement ,  &  je  n'oublierai  point  lexrs  phy- 
fionomies,  car  ils  tiendront  leur  place  dans 
Phiftoire  du  (îecle. 

J^auroîs  bien  defiré ,  avec  fix  cents  mille- 
autres  ,  y  vofr  le  roi  de  Prude.  On  dit  ce- 
pendant qu'il  y  cft  venu  dans  le  plus  grand  - 
incognito,  après  kpaix  de  ij6y  Une  dame 
qui  a  demeuré  huit  années  à  Berlin  ,  m'a. 
aflùré  avoir  rencontré  dans  les  Thuileries: 
Biie  figure  fî*  reflèmblante  à  celle  dû  héros 
djB  P£iyope|  qu'elle  eu  fut  ûappée  \  8c  celui 


494  Tableait  - 

ifktWe  re^rdoit  avec  furprife,  en  fût  fî  frap-> 
pc  luî-méme ,  qu'il  détourna  la  tête  &  s'é- 
loigna. 

On  prétend  que  Frédéric  a  rifité  ce  café 
dît  V Antre  de  Procope  ,  jadis  champ  de 
bataille  des  querelles  littéraires ,  &  où  il  a 
été  tant  de  fois  queftion  de  fes  combats ,  de^ 
fes  viâoires ,  de  fes  écrits ,  de  fes  négocia- 
tions ,  de  {es  grandes  &  rares  qualités. 

Uempereur  a  vifité  les  artiftes ,  les  arti(àns^ 
les  manufaâures,  &  n'a  vu  aucun  homme 
de  lettres  en  particulier  ;  fans  doute  parce 
qu'ils  font  tout  entiers  dans  leurs  écrits.  U  a. 
afliflé  à  une  féance  de  l'académie  françoife  ^ 
&  il  a  fait  cette  interrogation  au  fecrétaire  : 
Pourquoi  Diderot  &  Vabbé  Raynal  ne  Jont- 
ils  pas  de  V académie  f  Ils  ne  fi  font  pas 
préjintés ,  repartit  le  fecrétaire.  Réponfe  très- 
fage  &  très- adroite. 

J'ai  vu  Maurice  ,  Fontenelle  ,  Montef- 
quîeu  ,  Tabbé  Prévôt ,  Marivaux ,  Voltaire , 
Jean  -  Jacques  Roufleau  ,  la  Condamîne  , 
Bufîon  ,  Helvctîus  ,  labbé  Raynal ,  Condil- 
lac ,  Diderot ,  d'Alembert ,  Thomas  ,  Ser- 
van ,  Marmontel  ,  le  Tourneur  ,  Mably  , 
Condorcet ,  Linguet ,  Rétif  de  la  Bretonne^ 
Turgot  y  Mirabeau  ,  Necker  ,  Rameau  ^ 
Vanloo,  Cluck  ,  Vernet ,  Allcgraîn ,  Rouelr 
le ,  Vaucanfon  ,  Jaquet  Droz ,  Servandoni  ^ 
Claîraut  ,  Falconnet ,  Franklin  ,  Kodney  y 
Hume  5  Sterne  ,  Goldoni ,  HaUer ,  Bou- 


DE      P  A  H  I   S«  -^  49^ 

net  ^  &c.  Voîlk ,  je  croîs ,  une  aflez  belle  gêné- 
ration.  Hélas  !  je  n'ai  point  vu  Frédéric  :  je 
n'ai  point  vu  Catherine ,  ce  grand  monar- 
que ,  moi  qui  aime  tant  à  contempler  parmi 
les  contemporains  les  êtres  qui  ont  fait  de 
grandes  chofes  ,  parce  que  je  cherche  à  re- 
connoître  dans  les  traits  de  leur  vifàgf^  quel- 
que niiarque  de  ce  talent  fublime  qui  les  dil* 
tingue. 

Quand  j'appris  la  mort  du  célèbre  capi- 
taine Cuok ,  après  avoir  donné  les  plus  vi& 
regrets  k  fa  perte  ,  mon  chagrin  fut  de  ne 
pas  avoir  envifàgé  ce  hardi  navigateur. 

Que  ne  donnerois  -  je  pas  au  magicien  ^ 
s'il  exiftoît,  qui  évoqueroît  tout-àçoup  devant 
moi  les  ombres  auguftcs  de  Charlemagne , 
de  Guftave  ^  de  Cromwel ,  de  Michel- Ange , 
àe  Guife  ,  de  Sixte -Quint  ^  d'Elifabeth ,  de 
Bacon ,  de  Calvin  (i)  ,  de  Galilée ,  dé  New* 
ton ,  de  Shakefpear ,  de  Richelieu ,  de  Tu- 
renne  ,  du  Czar ,  du  lord  Chatam ,  &c  ! 

Que  j'aime  k  me  fentir  petit,  en  m'en- 
vironnant  en  idée  de  tous  ces  grands  hom- 
me$,  &  en  goûtant  le  plaifir  de  les  admirer  ! 
Ames  fortes  &  grandes,  quelle  dignité  vous 
prêtez  k  l'homme  ! 


(i)  Ce  réformateur  qui  fait  &  fera  époque , 
ètoit  un  prédicateur  infatigable.  Il  a  prononcé 
deux  mille  ^ingt-trôis  fermons,  qui  font  autant 
èe  pièces  différentes.  On  Us  roii  &  on  les  coo^ 
ferve  dans  la  bibliothèque  de  Genève. 


49^^  T  A   B  L  E  A  ir 


CHAPITRE      CCCLIV.. 

De  ^Influence  de  la   Capitale  JiiP  Us: 

Provinces., 

xLUe  •(!  trop  conddérable ,  relativement  It' 
rinftuence  politique ,  pour  qu'on  puiflê  en 
détailler  les  effets.  Je  ne  prétends  la  con& 
dérer  ici ,  que  par  l'attrait  qui  féduit  tant 
de  jeunes  têtes,  &  qui  leur  repréfente  Paris 
comme  l'àfyle  de  la  liberté ,  des  plaifîrs  &. 
des  jouiflànces  les  plus  exquifes. 

Q\xt  ces  jeunes  gens  font  détrompés  y 
quand  ils  font  fur  les  lieux  !  Autrefois  les 
routes  entre  la  capitale  &  les  prorinces  n'é- 
toient  ni  ouvertes  ni  battues.  Chaque  ville 
retenoit  la  génération  de  fes  enfants  ,  qui 
▼ivoienr  dans  les  murs  qui-  les  avoient  vu 
naître  ,  &  qui  prétoient  un  appui  a  la  vieil- 
leflè  de  leurs  parents  :  aujourd'hui  le  jeune 
homme  vend  la  portion  de  fon  héritage , 
ppur  venit  la  dépenfer  loin  de  l'œil  de  fa 
famille  j  il  la  pompe ,  la  deflèche ,  pour  brit 
Icr  un  inftant  dans  le  féjour  de  la  licence. 

La  jeune  fille  foupire  &  gémît  de  ne  pou- 
voir accompagner  fon  frère..  Elle  acçufe  fon 
fexe  &  la  nature.  Elle  Ce  déplaît  dans  la 
niaifoxi  paternelle.  Elle  fç  peint  avec  feu  ks 


DE     Paris.  497 

plaîfirs  de  la  capitale  ,  8c  1^  fplendeur  de 
la  cour.  Elle  y  rêve  toute  la  nuit.  Elle  voit 
Tapera  ;  elle  eft  fur  les  remparts ,  elle  fe 
promené  dans  un  char  fuperbe  :  on  Fadore  j 
tous  les  yeux  font  fixés  fur  elle. 

On  lui  a  dit  que  toutes  les  femmes  y 
reçoivent  un  culte  perpétuel  ;  qu'il  ne  faut 
que  de  la  beauté  pour  y  être  adorée  ;  qu'elles 
choîfiflènt  à  leur  gré  dans  la  foule  de  leurs 
efclaves  le  plus  feit  pour  leur  plaire;  que 
les  maris  y  font  ridicules ,  fi-tôt  qu'ils  veu- 
lent parler  de  leur  empire.  Elle  compare  cette 
rie  libre  &  voluptueufe  k  celle  qu'elle  mené 
dans  Téconomîe  d'une  maifon  rangée  ,  & 
fon  imagination  eft  trop  ardente  pour  pou- 
voir s'arrêter  :  elle  n'accorde  plus  que  de  i'ef- 
time  à  fon  amant  honnête. 

Sa  mère  la  nourrît  dans  ces  trompeufès 
îHufions.  Elle  eft  avide  des  nouvelles  de  cette 
ville.  Elle  eft  la  première  k  dire  avec  excla- 
mation :  Il  vient  de  Paris  !  il  arrive  de  la 
cour!  Elle  ne  trouve  plus  autour  d'elle  ni 
grâces ,  ni  efprît ,  ni  opulence. 

Les  adolefcents  écoutant  ces  récits,  fé  fi- 
gurent  avec  des  traits  exagérés  ce  que  Tex- 
périence  doit  cruellement  démentir  un  jour;^ 
ils  ne  tardent  pas  k  obéir  a  cette  maladie 
générale ,  qui  précipite  toute  la  jeunefle  de 
province  vers  fabyme  de  corruption.  Heu- 
reux encore  celui  qui  ne  perd  qu'une  partie 
de  (à  fortune  ,  8c  qui  apprend  a  être  fkge 


498  Tableau 

pour  le  refte  de  fos  jours  !  Il  n'appartiem 
qu'a  Findigence  abfolue  &  au  génie  tranf- 
cendant  de  vifker  cette  capitale.  Ceux  qui 
vivent  dans  une  heureufè  médiocrité,  tant 
du  côté  des  talents  que  du  côté  de  la  fortune, 
ne  (auroient  qu'y  perdre. 
'T^^eux  qui  reviennent  dans  leur  patrie  fe 
croient  en  droit  d'y  méprifer  tout  ce  qui  n'eft 
pas^felon  les  z^f  de  la  capitale.  Us  mentent 
aux  autres  8c  à  eux-mêmes.  Sont  -  ils  obliges 
intérieurement  de  rabattre  des  idées  qu'ils 
s'étoient  formées  ?  ils  continuent  à  crier  mi- 
racle  y  (ans  que  leur  cœur  foit  de  la  panie. 
Us  enflent  les  relations  de  Paris ,  qui  reflèm- 
bleut  aflèz  aux  defcriptions  des  fêtes  publi- 
(]ues  :  ceux  qui  les  lifent  les  trouvent  tou« 
jours  plus  belles  que  ceux  qui  les .  ont  vues. 


CHAPITRE     CCCLV. 
«  Que  diyunira  Paris  ? 

X  hebes  ^  Tyr ,  Perfépolis ,  Carthage ,  PaU 
myrc  ne  font  plus.  Ces  villes  qui  s'eîevoient 
fièrement  fiir  le  globe ,  dont  la  grandeur  y, 
la  puiflance  &  la  folîdité  fembloîent  pro* 
mettre  une  durée  prefque  éternelle ,  ont 
laifle  équivoques  les  traces,  même  du.  lieià 
qu'elles  ont  occupé^u 


p  E    Paris.  499 

D'autres  cités  jadis  fiorîflântes  &  peuplées 
n'offrent  aujourd'hui ,  dans  un  effrayant  dé- 
fert ,  que  quelques  colonnes  éparfes  y  quel- 
ques monuments  brifés  ^  trifle  refte  de  leur 
magnificence  padëe.  Hélas  !  les  grandes  vil- 
les modernes  éprouveront  un  jour  la  même 
révolution. 

Cette  rivière  utilement  reflèrrée  dans  des 
quais  majeflueux  &  formés  de  pierres ,  en- 
combrée par  des  débris  îmmenfes ,  fe  dé-^ 
bordera ,  &  formera  des  étangs  bourbeux 
&  infeâs;  les  ruines  des  édifices  bouche- 
ront ces  rues  alignées  au  cordeau;  &  dans 
ces  places  où  un  peuple  nombreux  s'agite, 
les  animaux  venimeux,  enfants  de  la  putré* 
fadion ,  ramperont  autour  des  colonnes  ren- 
verfées  &  à  moitié  enfevelîes. 

Efl-ce  la  guerre,  eft-ce  la  pefte,  eftce  la 
famine ,  eft  -  ce  un  tremblement  de  terre , 
eft-ce  une  inondation  ,  eft-ce  un  incendie , 
eft-ce  une  révolution  politique  qui  anéantira 
cette  fuperbe  ville  ?  Ou  plutôt  plufieurs  eau- 
fes  réunies  opéreront- elles  cette  valtc  deir 
truâîon  (i)  ? 


(i)  AgézilasVvalnqueur  de  la  Phrygiie  »  dta  Itt 
habits  aux  prifenniets ,  &  les  expola  nuds  ea 
vente ,  Us  vêtements  d'un  côté ,  les  hommes  de* 
Fautre.  Perfonne  ne  voulut  acheter  les  hommes 
trop  efféminés ,  trop  délicats  pour  être  de  boiif 
efdaves.  On  fe  jeta  fur  les  dépouilles.  Agéailai^ 


500  Tableau 

Elle  eft  inévitable  fous  h  maîn  lente  & 
terrible  des  fiecles,  qui  iTiîne  les  empires 
les  mieux  afFermis ,  cfi&ce  les  villes  &  les 
royaumes,  8c  appelle  des  peuples  nouveaux 
fur  la  poufliere  éteinte  de  peuples  anciens. 

Notons ,  a  toute  aventure ,  pour  les  fiecles 
reculés  (  ce  que  tout  le  monde  fait  )  que  Pa-: 
ris  eft  fous  le  loe  degré  de  longitude ,  & 
au  48c  degré  50  minutes  10  fécondes  de 
latitude  feptçntrionale. 

Echappez ,  mon  livre ,  échappes^  aux  nam* 
mes  ou  aux  barbares  ;  dites  aux  générations 
futures  ce  que  Paris  a  été  ;  dites  que  J'ar. 
rempli  mon  devoir  de  citoyen.,  que  je  n'ai 
paspafle  fbusfilence  les  poifons  fecrets  oui 
donnent  aux  cités  les  agitations  de  la  mala- 
die ,  &  bientôt  les  convulfions  de  la  mort.. 
Quand  l'épouvantable  opulence  qui  fe  con- 
centre de  plus  en  plus  dans  un* plus  petit  nom- 
bre de  mains  aura  donné  à  l'inégalité  des 
fortunes  une  difproportion  plus  effrayante 
encore,  alors  ce  grand  corps  ne  pourra  plus 
fe  foutenir  :  il  s'afeiflèra  fur  lui-même  ,r  & 
périra. 

Il  périra  !  Dieu  !  ah  !  quand  le  fol  cou- 
yrira  infenfiblement  fes  débris ,  que  le  bled 

élevant  la  voix  ,  dir  à  Tes  foldats  :  Foilâ  les  hom- 
mes que  vous  aurcT^  à  combattre^  &  le  butin  qui 
vous  récompenfera.  Quand  je  lis  ce  trait  hiftori* 
que ,  il  me  fait  toujours  frémir. 


B  E     P   A   H   I   S.  501 

droîtra  au  lieu  élevé  où  j'écris ,  qu'il  ne  ref- 
tera  plus  qu'un  mémoire  confufe  du  royau- 
me 8c  de  la  capitale  ;  l'indrument  du  cul- 
tivateur <,  en  fendant  la  terre,  viendra  heur- 
ter peut-être  la  tête  de  la  ftatue  cqueftre  de 
Louis  XV  ;  les  antiquaires  aflèmbiés  feront 
des  raifonnemenfs  à  l'infini ,  comme  nous 
en  faifons  aujourd'hui  fur  les  débris  de  Pal- 
myre. 

Mais  de  quel  étonnement  ne  fera  pas 
frappée  la  génération  d'alors ,  fi  la  curiofité 
la  porte  k  {cuiller  les  débris  de  cette  grande 
ville  enfevclle  &  dccédée  ?  Son  fquélette  gî- 
gantefque  épouvantera  les  regard ,  les  tra- 
vaux exciteront  à  de  nouveaux  travaux  :  nos 
neveux,  en  trouvant  nos  marbres ,  nos  -bron- 
zes ,  nos  médailles ,  nos  infcrîptions ,  s'agi- 
teront fiir  ce  que  nous  avons  été  ;  &  fi  mon 
livre  fiirvit  a  Ja  deftruûîon  ,  ils  prendront 
peut-être  pour  un  roman  fantaftique  les  vé- 
rités qui  y  font  dépofées  :  tant  leurs  mœurs 
&  leurs  idées  feront  différentes  des  nôtres  ! 
O  villes  ^mciennes  de  l'Afie ,  &  qui  n'êtes 
plus  !  empires  effacés  \  générations  dont  les 
noms  nous  font  même  inconnus  i  fameux 
Adantes  !  &  vous  peuples  qui  avez  refpirc 
fur  ce  globe  ,  dont  la  fuperficie  ett  inceflàm- 
ment  déplacée  ;  dites  quels  étoient  vos  arts  ! 
Faut-il  que  tout  périflc  ?  Et  les  travaux  accu- 
mulés de  l'homme ,  qu'il  a  cru  Tmnx)rtalifer 
par  la  précieufe  découverte  de  l'imprimerie , 


501  Tableau 

périront-ils  à  la  fin ,  puîfque  le  feu  ,  le  def- 
podûne  ,  les  fecouflès  du  globe  &  la  barba* 
rie  détniiiènt  jufqu'aux  feuilles  légères  où 
ibnt  empreintes  les  penfëes  utiles  du  génie  > 

Notre  vue  plonge  dans  le  mcoide  hiâori^ 
•que  à  quatre  mille  ans,  pas  davantage  :  en- 
core rfappercevons-nous  de  ce  monde  que 
des  fommités  qu^environnent  des  nuages^ 
&  où  la  vue  fe  perd.  Tous  ces  faits  éloignés^ 
quoique  féparés  par  de  grandes  diftances, 
le  touchent  comme  très  -  voifins  ;  &  dans 
cet  intervalle  de  fîecles  une  foule  prodigieufè 
d'événements  nous  échappent.  Il  en  fera  de 
même  pour  nous;  l'avenir  engloutira  les 
&its  les  plus  importants ,  pour  ne  laiflèr  que 
le  fouvenir  ou  le  nom  des  fiecles.  O  temps! 
les  individus ,  les  villes,  les  royaumes,  tout 
finit  par  tùc  jacet. 

Herculanum  &  Pompéîa ,  villes  détruites 
par  une  fcule  &  même  éruption  du  Véfuve, 
il  y  a  près  de  dix-fept  cents  ans ,  exhumées 
de  nos  jours,  nous  montrent  leurs  peintu- 
res, leurs  fculptures,  leurs  arts,  les  uftenfiles 
de  leurs  foyers  domeftiques  *,  &  nous  avons 
une  idée  de  fimagination  féconde  &  de 
Phabileté  des  anciens  arriftes.  La  lave,  les 
cendres,  la  pierre -ponce  ont  confcrvé  ces 
monuments  comme  pour  nous  offir  une 
future  image  de  ce  que, nos  cités  devien- 
dront k  leur  tour  ;  mais  peut-on  réfléchir  k 
cette  cataftrophe  fans  redouter  Jes  accidents 


DE    Paris,  503 

de  la  nature ,  la  fureur  des  éléments ,  celle 
des  conquérants ,  plus  terrible  encore  î  Qu'of- 
frirons-nous dans  deux  mille  ans  aux  re- 
gards curieux  &  fcrutateurs  ?  Quelle  eft  la 
itatiie ,  quel  eft  le  livre  qui  fiimagera  (iir 
l'abyme  dé  nos  arts  engloutis  ou  rcnverfés 
par  les  ravages  du  temps,  ou  par  le  cour- 
roux des  rois? 

La  poudre  infernale  (  dont  les  magaGns 
fe  font  multipliés  fur  -  tout  en  Europe ,  & 
auxquels  une  étincelle  fiiffit  pour  tout  dé* 
Torer  )  ne  devient-elle  pas ,  dans  les  mains 
de  Tambition  ou  de  la  vengeance ,  un  moyen 
immenfe  de  deftrudion,  &  plus  dangereux 
mille  fois  que  les  marieres  embrafées  que 
les  volcans  vomiflènt  de  leur  iilépuifable  cra- 
tère ?  Les  fléaux  de  la  nature  ne  font  plus 
rien  en  comparaifon  de  ceux  que  Phomme, 
à  créés  pour  fa  ruine  &  celle  des  popukufes 
cités  qu'il  habite. 

Les  manufcrits  trouvés  dans  les  maîfons 
d'Herculanum  &  dePompéia,  qui  fe  dé- 
roulent fi  lentement,  manifeftent  les  carac- 
tères de  la  langue  grecque  :  mais  c'eft  le 
hafard  qui  nous  a  livré  Pun  plutôt  que  Tauc* 
tre  :  ainh  dans  trois  mille  ans ,  quel  fera 
l'ouvrage  deftiné  à  donner  à  nos  defcendants 
une  i^e  de  nos  connoiftànces  morales  8c 
phyfiques  ?  Quel  Kvre  aura  Phonneur  de 
rallumer  le  flambeau  éteint  des  fciences? 
Tel  diâionnaire ,  peut -«tre ,  (pie  noua  mé- 


Ç04  Tableau 

prifons  aujourd'hui ,  (èra  accueilli  avec  tranf- 
port;  &  une  de  nos  compilations  que  nous 
jugeons  fatHdieufes  ^  deviendra  plus  précicu- 
fe  fans  doute  à  la  poftcrité  que  les  vers  de 
Corneille ,  de  Racine ,  de  Boileau  &  de 
Voltaire- Oui ,  il  appartiendra  peut-«tie  k 
une  brochure  dédaignée  ,  de  fixer  de  préfé- 
rence l'attention  de  ces  peuples  nouveaux. 

Que  nos  orgueilleux  éaivains  ne  s'arro- 
gent donc  pas  le  droit  de  mëprifèr  quicoiH 
que  aujourd'hui  tient  la  plume  comme  eux; 
car  Fauteur  qui  fera  fortune  dans  trois  miDe 
ans  ^  ^ui  dominera  les  efprits  d'alors,  qui  les 
éclairera ,  nul  de  la  génération  aâuelle  ne 
peut  ni  le  nommer  ni  le  deviner. 

Paris  détruit  !  Xercès ,  après  avoir  atten- 
tivement confidéré  la  prodigieufe  «mée  qu'il 
conimandôit,  verfa  des  larmes  en  fbngeant 
qu'avant  peu  tant  de  milliers  d'hommes  dif- 
paroîtroîent  de  deffiis  la  terre.  Et  ne  puis-je 
pas  aufFi ,  afFeâé  du  même  fentiment ,  pleu- 
rer d'avance  fur  cette  (uperbe  ville  ? 

On  a  vu  en  un  clin-d'œil  une  capîule 
enfevelîe  fous  fes  ruines;  quarante-cinq  mille 
perfonnes  frappées  d'un  coup  de  mort  ;  la 
fortune  de  deux  cents  mille  fujets  détruite; 
une  perte  générale  de  deux  milliards  :  quel 
tableau  des  vîciffitudes  des  chofes  humai- 
nes !  Ce  phénomène  terrible  arriva  le  premier 
Novembre  17$$. 

£h  bien  ,  ce  coup  de  foudre  qui  abyma 

tout, 


©   E     P  A  R  «I  S.  ^OÇ 

tout ,  ùiMYSi  le  Portugal  aux  yeux  de  la  po- 
iitkjue  :  il  étoit  conquis  fans  ce  défafire  qui 

{)rêta  à  la  réfonnatîon  ,  mit  une  égalité  aux 
brtunes  particulières  ,  réunit  lesjcœurs  & 
les  elprics,  &  détourna  les  révolutions  qui 
le  menaçoient. 

Confidérée  ducôtéphyfiqae  ,  ^Fancîenne 
Lîfbonne  n'itoît  qu'unexîté  d' Afîique ,  c'eft- 
â-dire ,  une.vaftebeurgade ,  Tans  ordre ,  fans 
proportions  :  les  rues  étoient  étroites  &c  niai 
diftrîbuées*  Le  tremblement  abattit  en  trois 
minutes. ce  que  la  main  timide  des  hommes 
suroît  été  fi  long-temps  à  renverfen  Le 
goût  déplorable  des  Maures  tomba  ,  &  la 
avilie  fe  releva  pompeufe  &  fiiperbe. 

Que  i^vons-nous  fur  x:e  qui  fort  du  (éîn 
des  défaftres  ?  Que  lavons  -^nous  ?-....  .^ 
Taris  détruit.  Oh  !  je  dirai  toujours  comme 
dans  Memnon  :  ce  fera  bien  dommage. 


C  H  A  PI  T  RE     CCCLVI- 

SuppofitioTU 

Je  vais  faire  une  (iippofîtion  qu'on  ^^elletai 
.certainement  bizarre  ,  forcenée  ,  extrava- 
gante ;  mais  j'ai  mes  raifons  pour  ne  pas 
Ta  paflèr  fous  tilence.  Si  tous  les  ordres  de 
.rétat  aflèmblés ,  ayantreconou  après  un  mûc 
Tome  IL  X 


.^o6  T  A  B   L  B  A  U 

<  examen  que  la  capitale  ^uifc  le  royaume, 
dépeuple  les  <:ampagnes,  retient  loin  d'elles 
les  grands  propriétaires  ,  ruine  Fagriculture^ 
.trdcheune  multitude  de  bandits  Scd'artifàQS 
inutiles  ,  corrompt  les  moeurs    de  proche 
-  ^n  prochç ,  recule  l'époque  ^un  gouverne- 
ment fbrmidaWe  à  î'étnjitiger  plus  libre  & 
yAas  heureux;  fi  tous  les  ordres  de  l'état  , 
dis-je  ,  tout  vu  &  confîdéré ,  ordonnoient 
tjn'on  mît  le  feu  aux  quatre  coins  de  Paris  ^ 
/  ^près  avoir  préalablement  averti  les  habitants 
tme  année  d'avaâce . .  •  •  quel  feroit  le  ré- 
sultat de  ce  grand  (acrifice  fajt  k  la  patrie 
î8c  aux  générations  futures  ?  Seroit-ce  là  en 
^etun&rvice  rendu  aux  provinces  &  an 
royaume?  Je  vous  lalfiè  à  examiner  8c  ï 
-^décider  cet  intéref&fit  problême  ,  leâeur  ; 
&  notez  bien  que  dans  cet  embrafement  Je 
.  comprends  VerfaîHes,  qui  n'eft  qu'un  appen- 
dice de  la  monftrucufe  ville  ;  car  Verfailles 
n'exifte  que  par  Paris ,  comme  Paris  fem- 
ble  n'exiftcr  que  pour  Verfailles, 

Allons ,  cvêrtuez-vous ,  mon  cher  leâeur, 
je  ne  vous  dirai  pas  mon  mot  aujourd'hui  ; 
]e  m'en  donnerai  bien  de  garde  :  avec  de 
bons  yeux  ,  tels  que  les  vôtres  ,  on  vdt 
des  chofès  que  d'auties  n'ont  point  vues , 
^  qu'ils  ont  mal  vues ,  ce  qui  revient  au 
même* 

Et  vous ,  mes  chers  Parifiens  ,  confen- 
mez-vous  k  être  biûlé$ ,  j'entends  feulement 


B  E     P  A  ».  î  S.  507 

VOS  maîfons  &  vos  édifices  ?  Maïs  ne  fâchant 
pas  combien  je  vovis  chéris ,  vous  me  con- 
.damnez  moi-même  au  bûcher  ,  fur  cette 
fimple  fuppQfition. .  •>  ADons  ,  appeliez  tous 
les  féaux  ,  toutes  les  pompes  de  la  ville  , 
pou»  éteindre  ce  furieux  incendie  :  il  n'y  a 
plus  (que  de  la  fumée.  Bon  !  vous  voilà  (urs 
de  vos  maifons  k  huit  étages.  Mangeons 
du  pain  de  Goneflè  ,  comme  par  le  pafle  ^ 
^  vogHc  hi  gàUr/^! 


^>^^ 


m 

CHAPITRE     CCCLVII. 

'Riponfè  au  Courier  de  V Europe* 


è  G)urîer  de  FEurope  ,  dans  (à  feuille  da 
3  JnîBet  1781  ,  a  donné  l'analyfe  de  la  pre- 
mière édition  de  cet  Ouvrage  en  ces  termes  ^ 
que  je  vais  copier.  Ueihaie  que  j'ea  fais 
m'oblige  à  y  répondre. 
^  »  M  y  a  plus  de  çhojes  qui  nous  font 
peur  ,  qu'ii  n'y  ,e/i  a  qui  nous  font  mal , 
difbit  u^  .ancien  ;  c*eft  Séheque ,  n  je  ne  me 
trompe.  Cette  maxime  très- vraie  eft  appli- 
cable (iir-tout  aux  gens  doués  d'une  grande 
fenfibilité.&  d'une  imagination  très-vive  (i)  ; 


i*«M*l 


(1)  C^'  fteidtés  excluent-elies  une.vue  droite. 
Jcrjufte  ?       , 


ço8  T  A  «  I.  £  A  U 

tout  eft  extrême  pour  eux  ;  il  n'y  a  ni  petits 
maux ,  ni  petits  abus.  Un  auteur  vient  de 
publier  un  livre  intitulé  :  Tableau  de  Paris. 
Ce  tableau  n'en^eft  point  dq^pt  le  portrait , 

5arceque  tous.les  traits  en  (bnt^xagérés  (i). 
^'out  ce  qn'oot  dit  les  prédicateurs  ,  .depuis 
Je. capucin  qui  prêche  dans  un  village,  jut 
gu'à  l'orateur  qui  parle  devant  le  roi  ,  tout 
ce^'ont  écrit  les  moraliftes  icontre  le  luxe, 
les  mauvaifes  moeurs,  Fabus  des  richeflès  & 
la  vanité  des  grandeurs  ,  n'approche  pas  de 
l^e^que  dit  cet  auteur  dans  iès  deux  volumes. 
On  ne  fait  d'abord  fi  Ton  en  doit  rire,  ou  H 
l'on  ^doit  s'en  fâcher  {i)  '^  car.  jamais  pço* 
phete  n'a  reproché  à  I&acl  Tes  iniquités  avec 
plus  d'énergie  ,  de  .zèle  &.d'JiQmeur  «. 

»  Ce  n'cft  pourtant  point  un  libelle  (3)^ 
i:'eft  l'ouvrage  d'un. citoyen  fenfible  &  cou- 
rageux ,  que  -de  petites  confidératiQns  n'ac- 
rêtçnt  point  ;  il. a  voulu  voir  ce^ueperfonnc 

(i)  Je  ne  le  crois  pas  ;  j'en  appelle  à  ceux  qui 
auront  bien  exaniiné  fobjet  ,  Sf,  avec  la  même 
attention  que  j'y  ai  apportée. 

(1)  Tout. comme  le  critique  voudra  ;  je  me  fuis 
attaché  à  être  fidèle  ;  je  n'ai  voulu  ni  flatter  « 
fïï  blefTer;  &  il  étoit  dii(Ecile,de  marcher  Jong- 
temps  fur  ce  pont  étroit. 

(3)  Le  critique  me  fait  bien  3e  la  grâce  !  Vous 

qui  m*avezlu,  dites,  cet  ouvrage  peut-il  réveil^ 

^  1er  le  moins  du  monde  l'idée  de  .ce  mot  odieux 

de  lihU</  Pourc^Hoi  l'avoir  employé  ?  U  Qie  {^(^ 


i>^  E     Pari  si^  fo^ 

ne  contenïple  ;  il  a  fixé  fes  yeux  {br  des  ob- 
jets dont  tout  le  monde  détourne  fes  regardi 
autant  qu'i!  le  peut.  Il  a  obfervé  la  plus  vile 
populace  de  la  Halle ,  dans  les  prifons,  dan$ 
lés  hôpkaux  ^  à  Bicêtre  (i)  ,  jafques  dans  fon 
cimetière  de  Clamart.  En  pénétrant  danfi 
ces  cloaques  de  rhumanité,  il  a  va  des  maux; 
des  crimes  ,  des  (ituations  horribles,  donc 
hors  de  li  on  n'a  point  d'idée  ,  &  qu'on  ne 
trouve  point  dans  les  autres  livres  (i)  î>  par- 
ce que  peu  d'hommes  ont  la  force  néceflaire 
pour  aller  chercher  dé  fi  trîftes  inftruâions; 
II  a  conclu  que  l'inégalité  des  biens  pro<» 
duifoit  tous  ces  maux  (2)  :  &c  il  s'eft  életé 
avec  une  violence  terrible  contre  les  riches"^ 
contre  leur  dureté  ,  oonae  leur  vie  fcanda^- 
leufe.  Enfin ,  il  termine  foh  ouvrage  pat 
oonfeiller.  de  bnMer  Paris  (4).  On  croit  que- 


> . 


(i)  Je  n^aî  dît  qu'un  mot  fur  Brcètre  ;  mais 
j'en  parlerai  dans  un  des  volumes  fuivants. 

(a)  Voilà  un  éloge  qui  me  touche  beaucoup^* 
&  que  Je  m'empreflerai  -à  mériter  encore. 

(3)  Oui ,  l'horrible  inégalité.  Quel  homme  y' 
auroit  réfléchi  &  ne  feroit*  pas  dé  mon  avis  î 

(4)  Je  n*ai  point  confeillé  de  brûler  Paris';^ 
voyez  le  chapitre  Suppofition.  L'auteur  n'a  point  • 
fu  me  lire ,  ou  plutânt  n*a  pas  voulu  m'entendre. 
Le  titre  feul  du  chapitre  indique  iiiiê  hypothefe. 
I^urquoi  me  prêter  une  idée  que  je  n'ai  pas  eue  f  ^ 
Non,  je  n'ai  point  rêvé  en  traçant  cet  ou  vragçr- 
Blât  i  Dieu  que  ce  fût*  un  r£ve  l  •  * 


510  Tableau 

c^eft  un  rêve.  Paris  ne  pourroit   (bbfifier 
oûnze  jours,  s'il  étoit  tel  qu'il  eft  dépeinu 
CTcfl  ce  ^  fent  le  leôeor  :  ainfi  tour  l'e&t 
qu  a  voulu  produire  Fauteur  eft  décruit.  Sans 
doute  tout  homme  eft  né  pour  mourir  & 
IbuSrir  y  au  hameau  comme  fur  le  tzone  ^ 
mais  par-tout  où  la  fouffrance  prédomine , 
la  deltruâion  s^enfuît  :  c'eû  ce  qpi  a  &it  dire 
à  prefque  tous  les  philofophes  que  l'accroiC* 
ièment  de  la  population  étoit  la  preuve  du 
bonheur  d'un  peuple.  Ce  livre  qui  manqua 
de  plan ,  de  méthode    (i)  ,  reflèmble  du 
moins  à  Paris  par  les  côntradidions  qu'il 
jcnferme.  Souvent  il  détruit   dans  ua  en^ 
droit  ce  qu'il  avance  aiUeurs  (x)  «r» 

»  Après  avoir  déclamé  contre  les  richeffi» 
avec  la  chaleur  d'Un  théologien  dans  un  char 
pitre ,  il  dit  dans  un  autre  :  Les  aumônes 
qui  fi  font  à  Paris  Jbnt  abondantes.  Si  la^ 
tnajfe  des  calamités  particulières  efl  dimi-^ 
nuée  ,  nous  le  devons  à  une  foule  dames  ce' 
lejtes  qui  fi  cachent  pour  faire  h  bien.  Le 


(i)  Cela  ne  pouvoît  être  autrement.  Que  les 
idées  foient  juÂes ,  voilà  l'efTentiel. 

(2)  Les  mots  peuvent  quelquefois  fe  contre* 
dire,  mais  jamais  les  chofes.  En  opposant  deur 
phrafes  ifolées  «  répandues  dans  un  ouvrage  de 
longue  haleine  9  il  n'y  a  point  d'auteur  qu'on  ne 
fît  tomber  en  contradiâion.  Remettez  ces  phra- 
tes  à  leur  place  ,  elles  confervem  leur  logique.. 


\ 

D  E      P  A   R  I  S^  Çlt 

yicc,  ta  folie  Çf  t orgueil  fc  montrent  en 
triomphe  :  la  tendre  commifération ,  la  gé^^ 
rtérofité^  la  vertu  fi  dérobent  à  tœil  di^ 
vulgaire  pour  firvir  Vhumamti  enjilence^ 
fansfafie  &fans  ojientation ,  Jafi^faijtesdii 
regard  de  l'Eternel  «. 

»  Cela  eftvrai,  jufte  8c  bien  exprima; 
maïs  que  deviennent  toutes  les  déclamation^ 
antécédentes  (i)  ?  Dans  vingt  chapitres, 
il  parle  des  femmes  comnie  fi  P^mn'éto|t 
qu'un  lieu  de  prolUtution ,  où  la  pudeur  &  û 
décence  n  ofent  plus  fe  mon  trier  (i)  &  dai;» 
un  autre ,  U  èjt  néanmoins ,  dit-il ,  une  claffe 
de  femmes  très'refpeclable's  yceft  celles  du 
fécond  ordre  de  là  bourgeoijie  ^  attachées  à 


(i)  Une  déclamation  efi  un  défaut  de  fiyle  ;  mais  . 
on  peut  déclamer  pour  le  vrai  comme  pour  îé^, 
faux.  Te  n'ai  point  nié  qu'il  n'y  eût  dies  aipé» 
cl^airitaUes  ;  cela  empècke-c-il  que  ks  amé^  Aim^-* 
res  &  înfenCbfes  nefpiefi^  et}  dIus  grac^l;  nom? 
bre  5  &  que  la  mifere  ne  foit  h  p^fta^e,  4f  la  . 
moitié  de  la  ville  ^ 

(2)  Voilà  une  iniage  &  des  exâteflions  ^u«  , 
je  n'ai  point  employées.  J'ai- répété  avec  'coAl* 
plaifance  que  les.  mœurs  fe  rencontroient  dans  v 
£1  bourgeoifie  ;  j^'ai  pu  fans  cohtradiâion  enlufte 
peindre  le   vice  qui  va  tète  levée;  &  pkis  le 
Icandale  eft  grana  ^  pliis  mes  pinceaux  ont.  dû  < 
s'arrêter  fur  une  dépravation  qui  n'eft  plus|:ni 
timide,   ni  voilée  :  peindre  des  contraAîes  n'«ft.  i 
point  fe  contredire.  Les  critiques    tricMiphcilt;  v 
trop  avec,  ces  tappcociiements  fautifs. 


I 

\ 


^X  Ta  BLE   A-  u* 

Uurs  maris  &  à  leurs  enfants  ^Jbigruuftr, 
économes  ,  attentives  à  leurs  maijbns  ;  elles 
jffflrent  le  modelé  de  lajagejfc  &  du  travail 
Mais  ces  femmes  nr ont  point  de  fbrtimt, 
cherchent  à  en  amaffer ,  Jbnt  peu  brillan^ 
tes  ,  encore  moins  inj}ruites  ;  on  ne  lés  ap- 
perçoit  pas  -,  &  cependant  elles  Jfvnt  à  Ptf- 
ris  Vhonneur  de  leur  fixe  v. 

Cela  eft  encore  vrai;  mais  cette  ch!è 
da  fécond  ordre  de  la  bouigeoîfiè  compofe 
prefque  les  deux  tiers  des  habitants  de  Paris. 
Le  fevere  cenfeur  u*a  donc  déployé  tant  d'é- 
nergie que  contre  les  grands  qui  ne  Fécoa- 
ceipnt  pas  (i) ,  &  la  pogahce  qui-  iie  Pen*- 
tendra  point,  &-^dcSuïï  n^  a"^neïr*î«fpé* 
rcr.  L^t^ents  fortent. prefque  tous  de  a 
&çeft0$  daflè  quîla  encore  des .  moeun  ^ 

ronftlV&fa  toujours»  MtdldVflïUs  au* 

:a,  difoit  Horace.  Dès  ce  tems-rlà^  comme 

Kjourd'hui,  cet  état  étoit  prefque  le  fèul  qui 

ciind^vertus  &  dû  bonheur  «j^Jîrr:^^ 

»  Ceqnrin'u  le  plus liiuiilTfTc'éïrqu'em- 

portépar  fonzele,  cet  auteur  ait  donné  le.dé* 

menti  le  plus  fôrmçl  (i)  à -M.  dcjBuffbn, 


1 


(i)  Qtt'en  favez  vous  ^  A  tout  hafard  ne  faut- 
il  pas  leur  offrir  les  images  &  les  penfëes  qui 
peuvent  faire  îoipreflion  fur  leur  ame  foperbe? 


ir  t:    P  A  vc  vs.         513^ 

a^abW  d'Expilli,  à  M.   Moheau,  à  tous 
ceux  qui  ont  calculé  la  population  du  royaiumô  ^ 
&  celle  de  Paris.  Tous  s'accordent  k  ne  don- 
ner que  fîx  cents  foîxante-dîx  ou  huit  cents* 
mille  habitants  k  P^m  :  &  ces  deux  derniers  ^ 
aflîirenr  qi|e  la  population  du   royaume  a 
aHgmente  de  deux  millions  d'ames  au  moins  > 
fous  le  règne  de  Louis  XV.  Ces  trois  hom- 
mes véritablemenr^hilofophes  ne  déclament 
f)oint;  ils  toifent,  ils  calculent.  Ils  ont  fait  : 
.  e  cens  public ,  le  cadàftre  du  royaume  ,  au-^  - 
tant  qufil  eft  poflible  de  le  faire  ;  ils  s'ac-  - 
cordent  tous  trois,  fans  s'être  communiqué 
leur  ouvrage ,  à  dire  qu'il  n'y  a  jamais  eu  i 
autantde  terrein  défiîché en  France  qu'il  y 
en  a  aujourd'hui  ;  que  les  marais  dé  l'Aunis 
&  de  la  Flandre ,  une  partie  des  landes  de  ^ 
Bordeaux  ont  été  changés  de  nos  jours  en  pâ« 
turages^  ou  -^eii  terres  à  bled  ;  qu'on  a  planté 
des  vignes  fur  lesrochers  de  la  Provence  abfo- 
liânent'ilériles  il  y  a  cinquante  ans  (i)  \  mais 
comme  ilTCUt  que  nous  foyons  pauvres  &  - 
malheureux,queParis  dévore  Je  f  oyaume  (i),  , 

vaÎHS.  Paîpu  obferver  moins  bien  qu'eux  ;  mais  • 
j'ai  obfervé  &  calculé  à  ma  manière.  Je  réponds  * 
plus  bas  à  cette  critique ,  la  feule  qui  porte  fur  ' 
des  faîits.  • 

(i)  Tout  ceci  eft  fort  étranger  au  nombre  dei  : 
habitants  de  Paris*,  qui  forme  ici  te  vrai  point  de  • 
laqueftion. 

(lY-  Non  le  royaume^,  en:  entier ^  mais  ce'  qui^' 

Y5. 


514  Tableau 

fàixnns  qutm  devant  j  il  faut  Imii  démendj 
les  caxuls  de  ces  hommes  avants  &  vendi- 
sses^ 8c  fîihfiîntcrlesaroerçus  d'une  hnaffna- 
tioQ  eiakée  à  la  juftefik  <f  iBie  aritfamétiqpe 
i^ouicufê.  C^  écrivain  <pii  CQiifiûife  de  bciÛ^ 
Farts^  GO  cfen  faire  on  port  de  mer^  car 
3  propolê  (ecieu(èment  fun  &  Fautre  (i^  ^ 
nous  perntemoit-ii  de  bû  concilier  de  brûler 
foD  OTie   (x) ,   djoter   du   refte   quelques 
cxagqnancms  &  cpelques  dédamatîons  \  & 
alors  ce  livre,  écrit  avec  la  coUe  Uberté  ^li 
convient  aux  dé£en(èurs  de  rhumanité,  tu>iw 
feilement  (èra  un  chef-d'œuvre  dephilo{i^)hîe 
&  d'élo^ience  ;  mak  il  méritera  d'être  adret 
£  à  tous  les  uibufiaux ,  «£a  que  les  magis- 
trats bien  inftruss  s'emprcfËnt  de  comga: 
ks  énormes  abus  contre  lefquek  cet  auteur 
s'élève  avec  un  fî  noble  courage  :  abus  qu'où 
doit  d'autant  mieux  efpérer  de  corriger,  que 
ki-méme  il  convient  qu'on  en  a  mpprimé 
l^ifîeurs  depuis  qu'il  a  commencé  fon  ou- 
vrage, c'ell-à-dîre ,  depuis  que  Louis  XVT 
eft  Cil  le  trône  «  (3). 

Pen^ironne  à  quarante  Keues  de  circonférences 
loteTogci  les  provinces  voliines  ,  &  écoutez  ce 
qu'elles  vous  répondront. 

(i)  Le  critiqi:^  fe  trompe  d'un  côté  ;  qu'il  aie 
rdife  pour  s'en  convaincre. 

(2)  Au  lieu  de  le  brûler.  Je  l'ai  triplé;  cela 
reviendra  peut-être  au  même. 

(3)  Dans  cette  Bouvdle  édition  ^  je  me 


DE      P  A   R   15-^  ^I^r 

Comme  la  princîpak  objedion  du  criti- 
que tombe  fur  ce  que  j'ai  eiiflé  la  popula-i- 
tion  de  Paris  en  la  portant  à  neaf  cents  mille 
âmes ,  je  ne  répondrai  avec  un  peu  d'éteîï:^ 
due  qu'à  cette  feule  réprimande,^  non  que 
pè  dédaigne  les  au»?es ,  mais  parce  que  je  puis  . 
examiner  celle-ci  (ans  qu'elle  tende  un  piège  j 
à  mon  ana^our-propi-e..  , 

Les  rechercjbes  fur  la  populatiofi  as   là  * 
France,  par  M.  Moheau,  peuvent  être  appli-  . 
cables  k  la  population  en  général  ;  mais  elles  , 
ne  faur oient  l'être  à  la  capitale  vp-irce  que  .- 
les  cauiè^  morales  l'emportent  ici  fur   las ,  ^ 
cau&s  phyfiques.  La  comparai£pn,du  notur^ 
bjre  des  morts  à.  celui  des  naiflànces  ne  fuffit 
pas;  l'affluence  des   étrangejps  forme  une 
cladè  d'habitants  qui,  pour  ainfî  dire,  ne 
naifïènt  ni  ne  meurent  ;  les  provinces  feules 
y  verfent  une  foule  de.  voyageurs  ppi  ae 
font  que  paflèc,  &  qui  fe  renouvellent  farts 
cefle.  Une  fête  publique  attire  quelquefois  citH 
quante  millt  étrangers.  Paris  compte  aujoujr-> 
d'hui  beaucoup  plus  d'habitaaats  K^'il  a'en 


••-■«—^♦■t^— ifi-*iWi_ 


encore  étendu  fur  les  étabUilèments  utiles»  9c 
î^âi  pai4é  des  abus  qui  ont  été  corrigés  :  cela  plai*- 
ioît  trop  à  mon  ame,  pour  paiTer  ces  amélio- 
rations fous  filence.  fe  remercie  le  critique  çh^n 
avoir  fait  k  remarque,  ë*cultant  plus  qii^îl  a  été 
le  (euk  Sa  ceniure  (hûlleurs  »'a  rien  d'ftmef  »  &;. 


f 


comptolt  ily  a  foixante- ans. .  Les  calaikTiir 
la  durée  de  la  vie^,  qui  Serrent  de  bafè  aux 
Spéculations  en  ce  genre ,  font  -erronés  'quand         I 
il  ^agit  de  Paris.  Tous  Jes  enfants  qui-y-naif*        j 
fent  vont  en  nourriee-,  la  moifié  meurent ,        j 
&  les   regiftres  mortuaires    des    paroifles 
de  la  .  ville  ne  font  pas  chargés   de  ^  leuis  :      S 
noms  ^  il  ne  faut  donc,  plus*  ccMnpter  pdt 
le  regiftre  des  baptêmes ,  ni  parcekii  des> 
morts. 

On  croît  moins  aufourd'buî  aux  médecins^ 
^  lès  apothicaires  feiuimnt  ;  on  ne  court  pW, . 
comme  autrefois ,  aux  poifbns  multipliés  de 
leurs  boutiques  meurtrières  ^  ik  k  font  cky^ 
miftes ,  pour  que  leut  confcience  ne  leur  re- 
proche pas  de  participer  à  la  mortâe-leus 
concitoyens  ;  ils  jugent  eux-mêmes  les  m^ 
decîns  qui  n'ofent  plus  étaler  avec  la  même^^ 
hardieflè  leurs  funeftes  fyftêmes.  La  bîen- 
&ifknte  chymie  a  Gmplifié  les  remèdes  ;  il 
n'y  a  plus  que  quelques  chirurgiens  de  Saint- 
C6me ,  vieux  &  ignares,  qui  commandent 
encore  ces  (àignées  ^opieufes  ,  ces  horribles 
breuvages  compliqués ,  la  honte  de  la  mé- 
decine &  de  la  pharmacie,  que  nos  pères 
avaloient ,  malgré  la  i-épugnance  invincible 
de  la  nature.  Enfin ,  le  nombre  des  morts  eft 
diminué  même  dans  les  hôpitaux. . 

Cet  ouvrage  ne  comporte  pas  des  calculs; 
mais  Je  puis  avoir  les  miens,  fondés,  non 
fur  la  fimple  appercevance  ^  mais  Gxc  les  bât 


D^F    Par  r  s;  517^ 

tlnients  nouveaux ,  fur  les  quartiers  plus  peu- 

Éés ,  fur  les  limites  de  la  ville  reculées ,  fur 
foule  des  rentiers  qui  font  venus  .jouir  k>  t 
Paris*. 

D'ailleurs  ^  à  quel  point  précii  bomera-t^tr 
là  circonférence  de  la  capitale  ?  Le  Gros^ 
Caillou,  Càaillot,  h  Nouvelle^France^  la*: 
Courtillc^  le  Pctit^GcntiUy^Vaugirard,  tcc: . 
n'appartiennent-ils  pas  inconteftablement  à  laf  ^ 

trande  ville ,  puifque  les  maifons  fe  touchent  ^^ , 
c  qu'il'  n'y  a  plus;  d'interruption  î 
Je  perhfte  donc,  malgré  le  Courier  de^ 
l'Europe  ^  ^  donner  neuf  cents  mille  âmes  à  « 
la.  ville  de  Paris,  julqu'àxe^qu'il  m'aîtpcouvé 
le  contraire  :  &  je  lui^  certifie  que  jai  fait 
pkifieurs  recherches  qu'il  n'a  pas  &i tes  pour  " 
approcher  .le  plus  près  poflîble  de  la  vérités 

Si.  l'on  veut  compter  les  gros  bourgs^juî  ^ 
flanquent  la  capitale  &  qui  y  envoient  jour-^ 
nellement  ^es  hommes  qui  n'y  demeurent  - 
que  quelques  ^ours,  mais  qui  Je.  renouvellent 
înceflamment,  quelle  immenfe-pûipulation  ! 
Je  le  répète^,  il  ne  faut  que  des.  yeux  pour 
en  reconnoitre  l'étendue. 

On  m'a  accufé  enfin  d'avoir  exagéré  les 
mîferes  publiques  ;  j'ofe  répondre  que  fat 
retenu  quelqucHfbis  mon  piiiceau  ^  afih  de  ne 
pas  paroître  outré.  Voici  ce  qu^on  lit  dans 
le  Journal  de  Paris ,  qui  a  un  cenféur  poin- 
tilleux ,  &  qui  eft  fcMimis  à^  la  plus  lévere 
ini^eâion  Se  jrevifîon. 


51&  T  A  F  L  E   A   U 

»  Une  femnie  chargée  d^enfànts ,  &  ié« 
n  duice  à  la  plus  affireme  mifere  ,  écrivit  k 
n  M.  le  curé  de  Sainte-Marguerite  :  Uya. 
9  deux  jours  que  je  Jîiis  fins  pain  ;  mes 
»  enfants  meurent  de  faim ,  &  je  n*ai 
»  pas  la  force  daUtr  me  jetter  à  vos  pieds 
»  pour  implorer  votre  pitié*  Ce  re(peâar- 
»  oie  pafteur  vole  au  fecours  de  cette  fa- 
»  mille  infortunée.  Au  milieu  des  viiàges 
»  pales  &  défigurés  par  le  befoin  ^  il  apper* 
»  çoit  un  en&nc  de  ^atre  ar^  étendu  fiir 
»  le  carreau  ^  adrefiànt  k  ùl  mère  ces  pa- 
»  rôles  déchirantes  :  Maman ,  je  vais  donc 
»  manger  ma  chaifi  !  «  Journal  de  Fans  y 
ixx  Mardi  14.  Janvier  1777  (i). 

Cette  infortunée  reçut  de  nombreux  fe- 
cours ;^  mais  elle  n^étoit  pas  la  milUenie 
peut-être  dans  le  cas  de  la  plus  horrible: 
nécefllté* 

O  toi,  riche,  qui  auras  lu  ce  livre,  fi  une 
feule  idée  t'a  plu  ;  fi  dans  cet  ouvrage ,  00 
dans  mes  autres  écrits  ,  je  t'ai  donné  la  plus 
légère  inftruûion  ,  ou  le  plus  léger  plaifir  \  fi 


(i)  Je  pourrols^  d*^siprès  les  papiers  publia 
&  des  lettres  particulières  ,  faire  frémir  les  in- 
crédules 9  fi  î'imprimois  ici  les  détails  qui  font 
parvenus  k  ma  conhoiâanee  ;  mais  j'en  ai  ezp<h 
lé  le  réfultat  dans  cet  ouvrage ,  &  j'attefte  (nit 
je  a'ai  riea  donné  à  rexagérati/oiv 


DE    Paris.  519 

ton  efprît  ou  ton  cœur  ont  éprouve  quel- 
q.u'émodQO  ;  ^  ^  nion  débiteur ,  &  j'ai 
droit  à  ta  reconnoiflânce  !  Veux  -  tu  t'ac- 
quttter  envers  moi  d'une  manière  qui  re« 
compenfe  toutes  mes  veilles  ?  Donne  de  ton 
fuperflu  au  premier  être  fouf&ant ,  ou  gé- 
miflànt ,  que  tu  rencontreras  ;  donne  à  mon 
compatriote  en  fongeant  k  moî  \  penfe  que 
plus  tu  donneras,  plus  tu  te  feras  de  bien 
a  toi-même  ;  donne  afin  que  je  me  félicite 
d'avoir  été  dans  ce  monde  l'ôccadon  de 
quelque  bonne  œuvre  ^  &  que  ce  don  cha- 
ritable foit  l'unique  éloge  accordé  à  moa 
travail» 

Fia  du  Tome  féconde 


6 


TABLE 

DES      CHAPITRES. 

\^KAV.CCVLProjcureur^.HmJ[iers.F.  b 

Ch  ap.  ce VII.  LaBa^che.  & 

Chap.  CCVIII..  Comédiens.  ^ 

Ckaf.CCîX.  SpeSacles  gratis.  ijy 

Chap.  CCX.  Langage  du  Maître  au  Co-- 

cher.  i6< 

GhaPw,CCXI,  Difcours  prononté  à  là  Co^ 

médie  Françoifi  à  la  rentrée  de  ce  SpeC'^- 

taché  17 

Ghap.  CCXIh  Battements  de  mains.,  lo, 

Chap.;  CCXIILTA^o/r^  Bourgeois,      zx 

Chap.  .  CCI  V. .  CoUfée.  x^ 

GHAPi  CCX V,.  Foire  Saint-Germain^  xf 
Chap*-  CCXVL.  Comédiens  Italiens.  30^ 
Chap,  CQyMYL.  SpeâacUs  des  Boule- 
yards.  ^  3;l 
Chap.  CCXVIII^ZeâSire^.,  33. 
Chap»  CÇX\yi..Prétçursà,  la  petiu  Se^ 
maine.  37V 
Chap,  CCX  X,  Charlatans^  41» 
Chap.,CCXXI.  Verfificateurs. .  4c 
ChaP-  CCXXIL. Calembours.  49 
CiiAP.  CÇXXJII.Fez^x  d'artifice.  50 
Chap.  CCkxiV,  Mefes.  $  5. 
Chap.  -CCXX,V.  .  Meji  de  la  Pie.  .     5  9 


[t 


f  xz  Table. 

Chap.  CCXXVI.  La  Féte-D'utu  6i 
CHAf .  CXDCX\nQ.  Conf^nnaL  64 
CbAP.  CCXXVni.  Billets  de  Canfcfjion. 

Chap.  CCXXDC.  Saint-Jofiplu  68 

Chap.  CCXXX.  Frottants.  6^ 

Chap.  CCXXXI.  I3erté  JUUgui^e,  71 
Chap.  CCXXXII.  FlAéiens.  74 

Chap.  CCXXXffl.  Capitation,  77 

Chap.  CCXXXIV.  FUUs  d'Opéra.  81 
Chap.  CCXXXV.  Bêpugnancc  pour  te 

Mariage,  83 

Chap.  CCXXXVT.  Le. Nom  fut  vous 

raudre^  84 

Chap.  CCXXXVn.  De  certain»  ¥401- 

fntSm  00 

Chap.  CCXXXVin.  Filles  pubUqius.  87 

Chap.  CCXXXIX.  Courtijdnncs.  95 
ChaP.  CCXL.  FiUcs  entretenues.  96 

Chap.  CCXLI.  Le  Payfan  pervertu  Par. 
M*  Retîf  de  la  Bretonne.  97 

Chap.  CCXUI.  Bal  de  rOpéra.  loo 
Chap.  CCXLIIL  Sans  Titre.  103 

CliK¥.CCSlA\.  Les  petits  Chiens.  105 
Chap.  CCXLV.  Su^Jance»  107 

Chap.  CCXLVI.  Vente  de  FEau.  108 
Chap.  CCXLVII.  Les  DemoifiUes.  1 1 2 
Chap.  CCXL VIII»  Galanterie.  iiç 

Chap.  CCXLIX.  Des  Femmes.  118 

Chap.  CCL.  Cacarde.  123 

Chap.  CCLI,  Séparations..  114 


Table:  51J 

Çhay.  CfCLlL  ContraJIe^  ii$ 

ChaP-  CCLIIL  Les  Vapeurs..  1 17 

Chap.  CCXIV*  Ifc  Vldolc  de  Paris ,  U 

JolL 
Chap.  CCLV»  Les  Convois. 
Chap.  CCLVI.  D'un  Pauvre. 
Chap.  CCLVIL  Aux  Riches. 
Chap.  CCLVIIL  Suicide. 
Chat.CCUX.  Filets  de  SairU-Clout 
Chap.  CGLX,  Capitalipes. 
Chap.  CCLXLV Hôtel  des  Fermes.  156 
Chap.  CCLXII.  Mont  de  PUtL  i  $  8 
Chap-  CCLXIII.  Monopole.  161 

Chap.  CCLXIV,  Le  Regrat.       .     r6j 
Chap.  CCLXV^  Falfificatïons.  1 67 

€h  A  p.  CCLX  VL  Mendiants.  1 68 

Chap^  CCLX VII.  Mendiants  valides.  1 71 
Chap.  CCLXVHL  Nicejfîtemr.  174 

Chap.  C.CLXIX.  V Hôtel-Dieu.        176 
Chap.  CCLXX  Clamart.  rSr 

CHAPXCLXXI.Xe^JB/2^zJî/5  rr<M/ydy,  183, 
Chap.    CCLXXIL    Lourie    royah    de 

France.      «  188 

Chap.  CCLXXIII^Xe  Chapitre  êquivo^ 

que.  10 1 

Chap.  CCLXXIV.  Mes  Regrets  &  bien 

fiiperflus^  29  7 

Chap.  CGLXXV.  Souhait.  198 

Chap.  CCLXXVIJ^^w-Por/^  201 

Chap.  CCLXXVII.  Les  Prifons.       20Ç 
CRki^.CClXXV\ïl.Sentencedemort.  108 


f  x^  Table. 

Ghap,  CCLXXIX.  Le  Bourreau^       iix. 
Ghaf.  CCLXXX.  Place  de  Grève.     214    • 
Ch AP.  CCLXXXI-  Servante  mal  pendue, 

220 

Ghaf.  CCLXXXH.  BaftiUe.  iij 

Chap.  CCLXXXIII.  Anecdote.  n6 

Chap,  CCl^XlOaY.Maifonsdejhrce.  230 
Ghap.  CCLXXXV.  Dépôts  ou  Raijtr^ 

merles^.  231 

Ghap.  CCLXXX VI-  Vie  dTun  Homim 

en  place..  235 

Ghap.CCLXXXVII.  Orateurs facrés.%^0 
Ghap.  CCLXXXVIII.  Anti-Anglois.  2^^ 
Ghap.  CQI^XXILIX.  V Académie  Frare^yf 

Çoifi.  121'»''^ 

Chap.  CCXC*  Sur  le  mot  X^oût.  228 
ChA'B.CCXCî^  L'Académie  des  Infcrip^ 

tiens  &  Belles-^Lettrés.  229 

Ghap.  CCXCII.  Communautés.  232 

Chap.  CCXCIII.  Agréminijles.  234 

CïiA¥. CCXCiy.Epingliers.Cloutiôrs.  23^ 
Ghap.  CCXCV..Ge/2e  de  la  Prejfe.  236 
Ghap.  CCXCVL  La  petite  Poffe.  139 
Ghap.  CCXC^nL Débiteurs.,  %4i 

Chap.  CCXCVIII.  Objcaions.  270 

CHAP.CCXCIX.^miz/iacA  Royal,  xy^ 
Ghap.  CCC  Mercure  de  France.  ij^ 
Ghap.  CCCl.  .Auteurs  nés  à  Paris.  28^ 
Çhap.  CCCII.  Porte- faix.  201 

Ghap.  CCCIîL  Melons.  298 

GHAP..CCCiy.i7i:&^  nubiles.  295- 


Ta  b  l  e.  5^3 

Chab-  CCCV-  Les  Vifitts.  302. 

Chap-  CGC VI.  Retraite.  304. 

Chap.CCCVII.  Les  Affiches.  306 

Chab,  CCCVIIL  Tableaux  ,   Dejfins  , 
EJiampes  ,&cc  310 

Chap.  CCCIX.  Encan,  313 

Chap,  CCCX.  Chapeaux.  3 1  ^ 

Chap.  CCCXL  Naces.  3  20 

Chap-  CCCKÏl,  Mariage.  Adultère.  31^ 
Chap-  CCCXIII.  Petits  Formats.       3  31 
Chap,  CCCXIV.  Maîtres  Ecrivains.  334 
Chap.  CCCXV-  De  l'ancienne  Compagnie 
des  Œuvresfortes.  3  3  Ô 

Chap.  CCCX VI.  Portes  Cocheres.    341 
Cha?,   CCCXVn.  Le  Suijfe  de  la   rut 
aux  Qurs^  344. 

Chap.  CCCXVaiI.  Savoyards.         34^ 
Chap.   CCCXIX.   Enfants    devant  leur 
père.  349 

jChap.  CCCXX.  De  la  Langue  du  Monde. 

Chap.  CGCXXI.  Ton  .du  Monde.  3  $  % 
Chap-.  CCCXXIL  Ton  d'un  grand  Mon^ 

dct  354 

Chap.  CCCXXIII.  Sots  Ufages  abolis.  3  $7 
Chap.  CCCXXIV»  Légères  Obfervat'ions. 

360 
Chap-  GCCXXV.  Pain  Âe  Pommes  de 

terte.  3^9 

Chap.  CCCXXVI.  Aumônes.  373 

CiiAP.  CCCXXVn.  La  Paroijfe  ^Saint- 

Sulpicc  -5^1 


^%6  Table. 

Ch AP.  CCCXXVIIL  V Enfant' Jefus.  379 
Chap.  CCCXXIX.  Bureau  des  Nourrices 
&  des  Recommandarejfes.  38:^ 

Çylky  .CCCiOOi..  Les  Heures  du  Jour.  384 
Chap.   CCCXXXI.  Bes  Dimanches  & 
Fêtes.  39Z 

Chap.  CCCXXXIL  Carnaval  39$ 

Chap.  CCCXXXllL   Tragédies  moder- 
nes. ^09 
Chap*  CCCXXXIV*    Comédies  moder- 
nes.                                                   409 
Chap.  CCCXXXV.  Où  efi  Démocritel 

Chap.  GCCXXXVL  Ponts.  4x1 

Chap.  CCCXXXVII.  Confommation.  4Z4 
Chap.  CCCXXXYlll.  BaUons.  429 
Chap.  CCCXXXIX.  Faux  Cheveux.  431 
Chap.  CCCXL.  Foumijfcurs.  43^ 

Chap.  CCCXLL  Plâtres  neufs.  437 

Chap.  CCCXLIL  Inoculation.  439 

Chap.  CCCXLIII.  Places  publiques.  ^/^/^ 
Chap.  CCCXLIV.  Le  Parlement.     448 

Chap.  CCCXLV.  Le  Clergé.  45  6 

Chap.  CCCXLVI.  La  Galerie  de   Ver- 
failles.  ^61 
Chap.  CCCXLVII.  De  la  Cour.        470 
Chap,  CCCXLVm     Les  Extrêmes  Je 
touchent.                                           473 
Chap.  CCCXLIX.  Sages  du  monde.  478 
Chap,  CCCL»  apologie  des  Gens  de  let^ 
très.                                           .47jj 


Tablé,  ^17 

Chap.  CCCLL   Querelles  littéraires.  481 
Chap.  CCCLII.  Belles-Lettres.  488 

Chap.  CCCLIIL  Les  trois  Rois.  403 
Çhap.  CCCLIV.  De  V influence  de  la  Ca- 
pitale Jiir  les  Provinces.  496 
Chap.  CCCL  V*  Que  deviendra  Paris  ?  49  g 
Chap.  CCCLVI.  Suppofition.  50$ 
Chap.  CCCLVIL  Reponfi  au  Courier  de 
V Europe^  5  07 


Fin  de  la  Table  du  fécond  Volume* 


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V.