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1:
I
itiennc, in«mhre rie la Commiesion du Vtflj
,i,j^ il Bry-sur-Mftrns lB''t
„„,«.- ->':r^--'"^
r.
A BLE AU
DE
PARI S.
f
v/
. /
T'A É L EA U
PARIS.
NOUVELLE ÉDITION,
CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.
Corruptio opt'unï pejftma.
A AMSTERDAM.
fiac (; Lzxxii,
» -.
\
I
■
TABLEAU
CHAPITRE CCVL
Vrocarairs.. Huijfiers.
Jji vous avez dans votre mailbn nn endroit
fale , obfoir , fétide , mal-propre , plein d'or-
dures, tes fouris & les rats s'y logent infailli-
JblemenLAinfi dans la fange Scie chaos abomb
nablede notre jiarifpiudence,onavunaîtreU
jace rongeante des procureurs Se des huïfliers.
Ils fe plaifènt dans les détours ténébreux
<dè la chicane ; i!s vivent gralïcment dans le
labyrinthe de la procédure ; il faut les y (iiivre
malgré vous ; vous êtes forcé de vous fou-
nettre à leur miniilere. Ces papcraflèursdnc
acheté la déplorable charge qui en fait des
-vampires publics & privilégiés ; mais com-
me le premier mal ell dans une législation
Tome IL A
% Tableau
contradîâoire & embrouillée, le praticien
fe rit de la niifère du plaideur , & tient au
«^ice antique qui lui eft (i profitable.
Notre jurîfprudence n'eft qu'un amas tfë-
nigmes prilès au hafard dans les ouvrages de
quelques jurifconfultes d'une nation étran-
ge]^ ; & quand les coutumes & les loix dif-
férentes font privées de clarté ^ ne vous éton-»
nez pas des monftmofités de la procédure.
Entr^ dans un greffe de propuregr , ap-
pelle improprement étude ^ huit à dix jeunes
ge^s piquant la dure efcabelle , font occu-
pés à gratter du papier timbré du matin au
fbir. Bi/sl emploi ! Ils copient des avenirs ,
des exploits^ des fignificatiôns , des requé^
tes ; ils grqffhyent. Qu'eft-ce que grojfoyer?
Ceft l'art d'alonger les mots & les lignes,
pour employer le plus de papier pofTible , &
le vendre ainiî tout barbouillé aux malheu^
leux plaideurs ; de forte qu'on puîffè en for»-
Jîier des dofjicrs épais. Et qu'eft-ce qu'un
àoffier ? C'efl la mafîè bizarre de ces épou-
vantables procédures. Et un dojjier épais ^
que coûte-t-il bien ? Sept k huit mille francs,
four commencer à éclaiicir un peu les chofes.
Mais toutes ces paperaflès fervent-elles du
moins au juge ? Jamais. Quand il y a un
rapporteur, Ion fecrétaîre fait fur une feuille
rolante un extrait de ces énormes groflès,
& toutes les raifons du procureur refient au
£)nd du Çzç : airifi ce délpge d'écritures no
deParis. 3
fêivira pas même dans la caufe dont il s'a-
git , le juge ne verra que l'extrait du fecré-
taire fidèle ou infidèle ; & voilà ce qu'on ap-
pelle Vinjlruâion chez un pewple civililè y
ou foi-difant tel.
Le procureur dans fon grefife eft environne
de ces dofliers érigés en trophées & qui
montent jufqu'au plancher , k peu près com-
me le fauvage de l'Amérique s'en/ironne
dans fa hutte & (bfpend autour de lui les
chevelures de ceux qu'il a fcalpés.
II y a' environ huit cents procureurs, tant
au châtelet qu'au paflement , fans compter
cinq cents huiflîers exploitants ; & tout cela
rit de l'ancre répandue à grands tlots fur le-
papier timbré.
Dites ^ un praticien qu'il y a plufieurs
f)ays en Europe , ou h juftice fè rend fans
e fatal mînîftere d'un procureur ; où les frais
de juftice font nuds , pour ainfi dire ^ oii des /
pacificateurs , dans le veftibule du temple de
la juftice , vous arrêtent avec un intérêt ten-
dre , prennent a cœur d'arranger les parties^
& y parviennent ordinairement. Lepraticieii
lèvera les épaules, fonnera & dira k (on clerc^
g^offbye^^ muUiplic^Us incidents y ^ Jbn^
g^ ^^/e la philojhphie e/l. dangcrajc.
Les brigandages qui s'exercent dans ces
greffes poud,reux font légitimés par les friand^
amateurs dépices ; on ne fe fait point U.
guerre , o n partage paifiblement le tiers de;^
A i " [. "'
.•V. ^
4 Tableau
fucceflîons. Ils font toujours en noirs , difoit
un payfan : Save\yous pourquoi ? Ccft parce
qûiU héritent vraiment de tout le monde*
Il faut que le brigandage foit porté loin ,
pour qu'il foit réprimé. Les procureurs en
font prefque toujours quittes à l'audience
pour des farcafmes de la part des avocats ,
& des menaces d'interdidion de la part des
juges. L'un d'eux difant un jour au plus ef-
fronté : Maître un tel^ vous êtes unfrip^
, pon. — Monfeigneur a toujours le petit
mot pour rire , répondit le praticien.
Quelques procureurs roulent carroflè , &
tirent de leur greffe quarante à cinquante
mille francs par an. Les avocats les courti-
fent aflîdument pour avoir des caufes. Ils
font le (oîr la partie de Madame en che-
veux longs , & î'cncenfent de tout leur pou-
voir , afin que le choix tombe fiir eux pour
les pièces d'écritures , partie lucrative , chère
àl'onfre, 8c qui mérite bien qu'on déroge un
peu à l'ait de l'orateur ,& que Ton ménage
-les bonnes grâces de la femme du praticien,
C'eft toujours lui qui choifit Favocat. Le
plaideur ne connoît que la boutique du pro-
, cureur;& comme il faut commencer par
l'aflîgnation , le praticien eft néceflàirement
l'agent de toute la procédure i auffi les avo-
cate font-ils plus fouples & plus dociles de-
: vant fes procureurs v<^ué l'apothicaire ne l'cft
^ ilffvalxt m dodeur de la- &culcé.
>
DE P A R I 5^ Ç
Il faut paflèr par les longues épreuves de
la cléricature pour être habile à podeder-
une charge ; il faut monter lentement la pé^ ^
nible échelle. Ce trîfte noviciat eft de huit
H dix années. Ainlî les procureurs ont des
dçrcs à bon marché ; le maître - clerc lui-
même, limonnierde V étude , n'a que de foi-
bles gages; les autres clercs barbouillent le
papier du matin au foîr pour leur pauvre nouF*
riture. Ils vivent d'efpérance , logent dans des
man(ardes,en attendant une charge vacante.
Les plus adroits , dans les petites études^
tâchent d'intéreflcr la procureufe , afin d'a-^
doucir la rigueur de leur joug; mais dani
les grandes ^ JHiz^a/Tze ne faurait fe réibudre,.
\i manger avec des clercs.
Elle oublie que fon mari n*cft qu*un an-
cien cîerc qui vkm dachetet une charge.
Le nigaud- approuve le noble orgueil defà
femme , fon panache , fes polonoifes , fès
femmes-de- chambre, fes tons, fes airs. U
ne veut plus communiquer qu'avec les amîi
de Madame , parce -qu ik lui ont promis
une riche clientcUe.
'Lqs huiffiers , qui marchent k la fuite des
procureurs, ne font pas moins redoutable^.
& plus ardents encore à ki curée. Quand,
une fois fa brèche eft ouverte , alors ils moiv
tent à Fâfïàut , & traitent une mailbh com-
me une ville livrée au pillage. Voyez le vau-
tour acharné fiir fk proie ^ & qui la dépecé
A 3
é Tableau
avec fon bec noîr & crochu , c'eft l'image
de leur joie avide, quand leurs mains ar-
mées de la fatale plume faîfiflènt les meu-
bles pour les porter en vente fur la place
publique.
• Ces mêmes huîflîers qui , comme une
meute dévorante, fe déchaînent contre les
particuliers , pour peu que la bride leur foît
lâchée , n'ofent porter un exploit à un mem-
bre du parlement ou à un homme en pla-
ce ; c'eft à qui fe rcfufera k cet office. Quand
on veut pourfuivre un grand , il faut avoir
recours au procureur-général, pour obliger
un fimple huiflîer à faire (on devoir.
Ainfi le bourgeois à Paris , outre (es au-
^es fardeaux ^ a dans la nobleflè impérieufe
& hautaine une véritable ariftocratie h. com-
battre ; il rencontre une ligue qui infenfible-
ment devient plus formidable que jamais.
Ceft par ces agents fubalternes de la juC-
tîce , & qui infeftent les avenues de fon
temple , que l'on n'en approche plus qu'avec
crainte & tremblement. Ceft par eux que
les juges fe font trouvés au milieu des piè-
ges & des furprîfes , & que la longueur des
affiiîres a fait renoncer aux meilleurs droits,
parce que la ruine inévitable des familles a
pani devoir (iiivre la demande la plus lé-
gitime. \.
Ce fléau , que les tribunaux fupérieurs ne
fimgent pas à réprimer y dévore la partie
V
■y
B E P A R I S. 7
indigente ; & Ton a vu des hommes ini-
ques menacer encore de la juftice ceux qu'ils
avoîent dépouillés , s'ils n'étoufFoient pour
toujours leurs plaintes 8c leurs murmures ; 6c
les infortunés voulant conferver les débris de
leur fortune , fe font tus , craignant que le
monftre de la chicane ne vînt leur enlever
ces foibles reftes.
Tous ces praticiens ont entr*eux un geru'ô
de plaifanterie qui équivoque perpétuellement
fur les mots de leur profeffion. Il n^ a rien
de plus gothique & de plus mauilàck que les
railleries des hommes d'afl&ires : mais pour
être plattes & groffieres , elles n'en font pas
moins inhumaines ^ car ils plaifantent en-
core ceux qu'ils om vexés & rongés.
Ce n'eft pas que l'improbité foit attachée
a h profemon : quelques procureurs honnê;
tes ne préfèntent pas fans ceflê la juftice k
leurs parties, pour ne leur en faire embrafler-
que Tombre. Ils emploient leur habileté à (au-
ver leurs clients d*un dédale d'erreurs & d'un
embrafement funefte: Plufieurs ennpbliflènt
leur profeffion par la vertu qui les orne tou-
tes; Us fervent de modèle aux autres, &ils
méritent Feftime & la confiance du public :
mais on peut dire d'eux auffi :
Apparent rari nauta in gurgîti vafi^m
Ce^ communautés de procureurs font Kées
au parlement d'une manière fort étroite*
A 4
X
8, TABLIAiJ
Elles en fuîvent les mouvements, & en ëpont^
fètii les idées avec la plus grande chaleur«
CHAPITRE CÇyiL
La Ba:^cb^
V^'eft une communauté de clercs quî ju-
gent entr*eux de leurs différends. Autrefois
il y a voit le roi 4e la Bazoche, maître du
royaume de la Bazoch^ , Se qui établiflbit
des jurifdiâions Bazochiales y mais , attendu
y que le nomhfe d^ clercs. alToît à près de
^ dix mille , Henri HI révoqua le titre àe roL
U étoit bien peureux , dira-t-pn ; mais {bu-
rent les hommes fe font laiflS conduire par
des mots , & plus loin qu'ils n'auroient d'a-
bord imaginé;
Les armoiries de la Bazoche font trçis.
ccritoircs. Oh ! quel fleuve dévorant , fem-
blable aux noires eaux du Styx , fort de ces
armes parlantes , pour tout brûler & odnfii-
mer fur fon paflàge ! Quoi ! Montefquîeu ^
Roufleau , Voltaire & BufFon ont aufli trem-»
pé leur plume dans une écrîtoîre ! Et l'huila
fier exploitant & l'écrivain lumineux fe fer-
vent chaque îour du même jin(Uument 1
■\ -■
DE P A B. I ?• .^'
^:
CHAPITRE CCVIIL
ComédunSn
X-iCS comédiens feront toujours des cxcontf^
munies , jufqu'à ce qu'il plaife au roi , au
parlement & au clergé de lever Tanathême.
Tel eft l'empire de la coutume, des préju-
gés ; ou , G vous l'aimez mieux , de Tincon-
féquence nationale. Us auront plutôt fait de
rire de l'excom/nf/izîctf/4^/2,.que .de vouloir
s*en affranchir, .
La demoifelle CUôron ayant fait uh mé^
moire â. conjidter fur cet objet , Favocat.
entreprenant & téméraire fiit au/E- tôt rayi
du tableau ; & l'amante de Tancrede Ce-
trouva obligée de procurer un état à fôft.
défenfeur , qui avoit perdu le fien en ta»
chant de la réconciliet avec Féglife. L'avo-
cat, plein de fon fujet , monta bientôt (lir
Je théâtre; mais il n'y fut pas plus heureux
iqûhu barreau , Qc excommunication alla fe
placer fur fa tête , ainfi que fur celle de la^
demoifelle Clairon.
Elle prit quelque temps après de Phumeur
contre le public : un aâeur ou uneaârice^
.«nt toujours tort de bouder cet augufte foiK
.ffirain*. JEJle axott xefuië de jou^r , la faite
À %
j il
10 Tableau
étant pleine & le rideau levé , à raifon âm
je ne fais quelles rixes de foyer. Elle fut fort
maltraitée du parterre , & le foir même elle
alla coucher au Fon-rEvéque, Pour fe ven-
ger des clameurs de ce parterre infblent &
de ceux qui i'avoieht emprifonnée , elle aban-
donna le théâtre , penfant que le lendemain
on feroit à fes genoux pour la fupplîer de
vouloir bien rentrer. Qu'arriva-t-il ? Le
public loublia , & elle perdit fon talent , faute
d'exercice. Elle pafla , dans l'obfcurité &
•^loin des applaudiilèments , des jours qui au«
roient été remplis & glorieux fous l'habit de
Melpomene , qu'elle faifoit parler avec iftie
forte de dignité.
Louis XIV n'a jamais reçu de comédiens
qu'ils n'euflènt de la taille & une figure
noble. Le théâtre de la nation , où revi-
vent les héros de Pantîquité , exîgeroit un
choix plus fcvere. On voit parmi les aâeurs
aduels , trop peu d'hommes bien faits ; ce
qui ne difpofe pas l'étranger à concevoir
une idée avantageufe de notre goût pour le
beau. Quand il voit de petites natures répré-
fenter ce qu'il y a de plus împofant & de plus
fameux dans Fhiftoire des peuples , il prend
une idée défavorable du phyfique de la na-
tion 9 & la remporte malgré lui dans fa
patrie.
La vanité des aâeurs de petite taille favo-
xiiiç la réception d'aâeurs exicore plus petits. >
• *.
DE Pari s.
Il
parée que ceux-là s'iniaginent , par ce moyen
de comparaifon , devoir paroître plus grands
(ùr la fcene; mais fî cette mante de rapetiC-
(èr les perfonnages tragiques fubfifte encore
pendant une génération , nous n'aurons bien*^'
tôt plus que des Lilliputiens , qui en vou-^
lant faire les héros y ne feront que gro^^
tefques.
Un aâeur y quand il efl mince ou fluet ,
ou bien quand il ne préfente plus que des
os revêtus d'un . parchemin . livide , a beau
pofleder une certaine intelligence : les efïbrti
de fa frêle poitrine font fouftrir; & plus il
gefticule avec fierté , plus il paroît fe rappe-
tiflèr. Son front dégrade la majefté de Mel-
E)n\ene. Le palais qu'il habite , l'idiome re-
ré qu il parle , les paflioiis grandes & ora-
genfès qu'il veut peindre , tout 1 ecrafe &
Panéandt : iJ eft trop disproportionné avec
ce qui l'environne , pour que l'œil ou ToreiUe
puiuènt lui faire grâce.
. Alexandre , dira-t-on 9 pour juftifier le»
nain tragique , étoit' petit , oc portoit le cqI:
penché : je l'autois kdmiré de fon vivant
dans (à tante avec fa taille exiguë & fa tête
fur une de fes^ épaules j mais mort , j'exige
qu'il prenne une ftature , un front , un port
& un ' gefte qui répondent au conquérant
doht le nôni remplît l'univerç. ,'/.
Là Duclos jouoit dans les Horaces 2 a la
fin de iss imprécations , elle fort furieufe ^
A 6
12 Tableau
comme Ton fait ; ladrice s*embarraflà dans
la queue très-longue de fa robe , & tombai
On vît fbudain i'adeur qui faifoit Horace
oter poliment fon chapeau (i) d'une main ,
la relever de l'autre , la reconduire dans la
coulillè , & la , remettant fièrement fon cha-^
peau , tirer fon épée & la tuer , conformé-
ment à fon rôle.
Ces inepties ne fe commettent plus ; mais
que de réformes k defircr encore !
La tragédie , depuis la retraite de Mlle.
Dumefnil & depuis Fexil incroyable de MDe,
Sainval (i) , eft devenue chantante , roide ,
ampoulée , monotone ; les aâeurs fùbalter-
nés ne font pas aflèz attentifs à maintenir
Tillufion. Ils commettent des fautes nom-
brei^fes contre le coftume & le fens de leurs
rôles. Qu'aï- je befoin , par exemple , de la
coquetterie de nos prînceflès de théâtre , de
leurs téces bichonnées au gré de la folie dû
jour ? Quand j'apperçois la main mauflâde
dd cocfFeur , Je ne vois plus Qéopâtrc , Mé-
tope , Atbalie , Idamé.
Moii's d'oripeau , plus de vérité. Com*
mert ne pas rire , en voyant des valets de
(i) Les aâeurç tragiques portoient , dans
tout> s les tragédies, un clvapeau, fiirinonfé de
plumes ; & c'eft ainfi qu'on a jrué en Frrncc
pend.nht prés de cent ans Corneille & Racinei
(2) Exilée par lettre de cachet^
DE P À H T S. tj
théâtre traveftis en fënateurs Romains , for-
tir des coulîflès avec les robes rouges des
médecins du Malade imaginaire ; des per-
ruques bouclées Se traînantes , grolfiéremenc
chargées de poudre , & qui ,. pour comble
de ridicule , veulent figurer la démarche de
nos jeunes confeillers ?
Et quand les fpeâateurs revoient ùt\$ celle
les mêmes toiles mefquines & rembrunies ,
quelquefois trouées ; qu'ils rencontrent les
Scythes & les Sarmates dans un palais d'ar-
chiteûure grecque , & le farouche Zamore
fous un portique Romain , peuvent- ils s'em-
pêcher d'accufer l'avarice des comédiens à
la part , & leur cupidité qui néglige un ac-
cefîbîie fait pour influer fur les repréfen-*
ratîom ?
Deux théâtres qui rivalîïèroieflt , qui en-
dretiendroient entre eux une émulation fuivie
en jouant les mêmes pièces , qui feroîent
enfin l'un pour l'autre un perpétuel objet de
comparaifon , reftitueroient à l'art fa pompe ,
fa noblelïè & fa dignité.
On fe plaint généralement de voir la (cène
Françoife déchue de fon ancien luftre. La
tragédie fiir-tout eft défigurée k un pointillé-
connoifl&ble. De là ces vers :
On ne voit plus pleurer perfonne :
Tour notre argent nous avens du plalfir S
£t le tragique qu*on nous donne %
Efi hUn fait pour nous réjouir.
14 T A 1 L E A V
• «
CHAPITRE ,CCIX.
Spectacles gratis! ,
JLjes comédiens donnent le fpeôacle gratis ,
à l'occaGon de quelques événements cèle*
bres , comme la paix , la naijfance d'iat
prince , &c. Le fpedacle alors commence à
midi ; les charbonniers 8c les poiflardes oc-
cupent les deux balcons , fuivant Tufage ; les
charbonniers font du côté du roi , & les
poiflardes du côté de la reine. Ce qu'il y a
de plus étonnant , c'eft que cette populace
applaudit aux beaux endroits , aux endroits,
délicats même , & les fent , tout comme
Faflèmblée la mieux choifie (i). Quelle poé-.
tique , pour qui fauroît l'étudier ! Après la
pièce , Melpomene , Thalie Terpficore don-
nent la main au porte-faix , au maçon , au
décroteur. Préville & Brizard danfent avec^
la fille de joie fiir les mêmes planches où l'on
a repréfenté Polieuâe & Àthalie. Les fufiliers
font plus circonfpeds ces Jours - là ^ & la
garde bleue a un front populaire. Les comé.
(i) Oq a conteflé le fait : j^en appelle à Texpé-
rlence. Les grands traits a*oot jamais pafle faift
9pglaudii^smen^
3 E P A ÎR. I S* 15
diens ne fe prêtent pas par amour du peuple
à ces danfes bruyantes , maïs par politique ;
ils voudroîent bien pouvoir s'en exempter.
Leur dépendance leur fait un devoir de
cette corvée , & ils jouent très - bien le con-
tentement.
Les fpeâacles des Boulevards , k leur exem*
pie , les grands Danfcurs du roi , t Ambigu
comique , les Variétés amujàntes , donnent
aufE une repréfentation gratis dans les mê-
mes cîrconftances ^ ils affichent de même ,
relâche pour lejirvice de la cour ^ fpcSacle
gratis pour la naijfance^ &c. Ce qui cha-
grine oc mortifie étrangement les comédiens
ordinaires du roi , qui ne craignent rien tant
que d'être aflimîlés aux acteurs forains , k
peu près comme un procureur au parlement
craint qu'on ne le confonde avec un huiflier
à verge.
On diftingue a Paris les planches des Bou*
levards des planches privilégiées ^ celles qui
portent Jeannot de celles qui portent le gros
Dc^Jfarts ; mais c'eft une diftinâîon qui
échappe au peuple : il range fur la même
ligne & dans la même claflè tous ceux qui,
chantant , déclamant ou aboyant , contri-
buent k fes plaifirs pour de l'argent.
Il n'y a que le- riJihU peccata da combat
du taureau qui n'obtient pas l'honneur d*at
fembler le public gratis , 8c de mériter par-
là les bonnes grâces ôc le regard de la cour j
mais il doit préfeiiter requête.
i6 Tableau
CHAPITRE CCX.
Langue du Maître aux Cochers. .
V-/n diftîngue parfaitement le cocher d une*
courtHanne , de celui d'un prefident , le co-
cher d'un duc d'avec celui d'un financier^,
mais à la Sortie du (peâàcle , vouiez-vous^
(avoir au jufte dans quel quartier va fe rendre
tel équipage? écoutez bien l'ordre que donne
le maître au laquais , ou plutôt que celui- cî
rend au cocher. Au Marais , on dit , au lo^
gis ; dans i'isle Saint-Louis , à la mai/on ;.
au fauxbourg Saint-Germain , à Fhôtcl ; 8c
dans le fauxbourg Saint-Hocoré , û/Ze^. Oi^
fent , fans avoir befoin d'un commentaire ^
tout ce que ce dernier mot a d'împofant.
A la porte des fpeâacles fe trouve tou*
jours un ahoyeur à la voix de Stentor^ qur
crie : le carrojje de M. le marquis ! le car-^
rojfe de Mme. la comtejfc f le carra ffe de Af»
le prefident ! Sa voix terrible retentit jufqw^au
£ind des tavernes où boivent les laquais j
jufqu'au fond des billards où les cochers iè
querellent & fe dilputent. Cette voix qui rem-
lit un quartier , couvre tout , abforbe tcmt ^
e bruit confus des hommes & des chevaux^
Laquais & cochers , à ce %nal retentiflànt»
E
D E P A R r s. 17
abandonnent les pintes & les queues , te-
Prennent la bride des chevaux , & ouvrent
i portière.
Cet aboyeur^ pour donner à fa poitrine
une force plus qu'humaine , renonce au vin ,
& ne boit que de Teau-de-Vie. Il eft toujours
enroué ^ maïs cet enrouement même impri-
me k fa voix un fon rauque & épouvanta-
ble , qui reflèmble à un tocfin. Il crevé bien-
tôt à ce métier. Un autre le remplace \ il hurlé
de même , boit de même , & meurt , com-
me fon prédéceflèur , à force d'avoir avalé
de Fcau-de-vie d'épiciqr*
CHAPITRE CCXI,
Difcours prorumcc à la. Comédie Frart^
çoifi à la rentrée de ce Spectacle.
xJ n comédien plus véridîque que fês ca-
marades , plus fortement frappé de ce qu'il
devoit au public , & fufceptible de cette hon-i
nête pudeur que quelques --<jns confervenC
encore , Chargé du complimeut d*ufage ^
^'avança , Fan paflë, Cir le bord du théâtre ^
& là , après une profonde révérence , il fe
releva lentement , & dit d^une voix modefte,
mais afiùrée :
'i> Meilleurs , deux fois par an , nous voul^
i8 Tableau
» rendons humblement Fhommage que nous
» vous devons à bien des titres , nous vous
>î rappelions les obligations qui nous impo-
» fent 1^ nécefCté de vous plaire , nous vous
» careflôns par des louanges , afin que vous
n fermiez les yeux fur nos défauts. Nous ne
» les taifons pas toujours,. car il nous leroit
» impoflible de les diflimuler ; mais ce que
» nous nous gardons bien de vous avouer ^
» & ce que le cri de ma confcience m'ar-
» rache devant vous, c'eft le peu d*émula-
i> tîon & d'accord qui règne entre nous ,
D c'eft notre parefle , notre orgueil, & les
i> miférables débats qui nous empêchent de
» nous réunir , foît pour vous donner de nou-
« velles pièces qui varient vos plaîfirs , foi't
» pour repréfenter plus décemment celles
» qui ont fixé votre attention ; & nous ne
» rougiflbns pas dé faire doubler celles-ci,
» en bravant un murmure que nous favons
» devoir être paflàger.
. » Aiijourd'hui , plus vrais qu'autrefois ,
n Meflîeurs , nous vous confeflbns nos torts
p multipliés , en vous fiappliant de nous im-
^ pofer la punition qui vous paroîtra la plus
» falutaire & la plus propre à nous faire dé-
» tefter nos mauvaifes habitudes ; votre in-
» dulgence exceffive ne les a que trop enra-?
» cinées dans nos cœurs. Nous penfons qu'une
i) défeition totale de notre fpedacle pendanjç
» quelque temps nous réveilleroit avec fo^xre
DE Paris. 19
» de l'engourdiflèment où nous fommes pion-
» gés , Ê ranîmeroit parmi nous Tamoiu: du
» travail , que vingt mille livres de rente
» émouflènt furieufement^ Nous fommes ri-
» ches par les petites loges , avant même de
» lever le rideau. Comment voudriez -vous
» que nous puiflions nous livrer à des études
» fuivîes , lorfque nous fommes fi bien payés
9 d'avance t Que nous importent Part & Tau-
aï) teur , lorfque notre bourfe eft bien rem-
r> plie ? Nous n'aimons point Part , nous ai-
» mons l'argent , MefGeurs , & vous nous
» en donnez trop pour que vous foyez bien
» fervis.
» Diminuez donc notre recette ; nous
» ferons plus refpeâueux envers l'trt, plus
» attentifs envers l'auteur ; notre théâtre
» rendu quelque temps défèrt, nos befoins
» nous enfèigneront le fecret de .vous plaire;'
» vous y gagnerez , parce que nous nous eP-
» forcerons , par des repréfentations foignées
» & intéreflàntes , de retrouver ce que nous
» aurons perdu par notre négligence. Nous'
» n'avons pas la force de nous corriger par
» nous-mêmes; notre place eft devenue une
» prébende fimple & inamovi^ e : ufez donc,
» Meilleurs , ufez du châtiment falutaire qui
» nous convient; abandonnez- nous; {tour^
» nant la tête vers le contour de la falle )
I» que ces loges , cet amphithéâtre demeu-
» rent vuides pour quelques mois ; 6c notre
lO T A B^ L E A U
» intérêt alors , puiflàmment réveille par cet
» aiguillon , nous ramènera aux principes que
» nous avons trop oubliés. «
\
CHAPITRE CCXIL
Battements de mains.
JLiangue & monnoie unîverfelles des Pa^
rifiens ; ils ne s'expliquent point autrement ;.
ils claquent pour la reine & pour les ptfn-
ces quand ils paroiflènt dans leurs loges , &
qu'ils ont fait là gracieufe révérence^ ils cla^
quent quand Taâeur paroît fur la Jlcene , &:
tout audi fort ; ils claquent pour un beâut
vers ; ils claquent ironiquement, quand la'.
piecf les ennuie ou 1er impatiente \ ils cla-^
Ïfuent , quand ils demandent impérieufement
'auteur ; ils claquent pour Gluck & font plus.
de bruit que tous les inftruments de l'or-
cheftre, que Ton n'entend plus. Ils claquent.
dans un jardm public au retour d'un héros j.
ils claquent dans la chapelle de l'académie
Françoîfe , lors d'un panégyrique , ou même
d'une oraifon funèbre : nouveauté fort étran-
ge, & qui pourroit foumettre bientôt les
prédicateurs évangélîquès au joug de l'ap-
Eobatîon & de ilmprobation. Ils claquent
i vers & k proie dans toutes les féances
-ft E Paris. ai
académiques-ou afièmblees littéraires. Quel-
quefois ces battements de maiiis vont juf*
qu'à^ la frénéfie ^ on y a joint depuis quel-
que temps les mots, de b/avo^ bravijJinKù
On bat aufTi des pieds & de la canne \
tintamarre afSeux , éteurdiflànt , & qui cho-
que cruellement Tame raifonnable & fen-
. iible qui quelquefois . même, en eu l'objet.
Cette manie bruyante avilit beaucoup les
"^jugements de nos parterres , & en général
le prononcé du public , dans nos faUes 4e
ipeftacles.
On avoît confeillé à un auteur perpétuel»-
lement fifïlé, de faire conftruire une ma-
-chine qui itniteroit les claquements de trois
i quatre cents mains, & de la confier dans
nn coin du fpedacle k un ami fidèle &
(ur. Il n avoit qu'à acheter des billets , com-
me certairis confrères ; c'eût été Ja même
chofe.
Jufqtfk quand le Parifien abufera-t-il de
la faculté de claquer , interrompra - 1- il avec
étourderie un couplet éloquent, en détrui-
ra-1- il tout Tefifet en le coupant avec une
folle impatience ? Cette précipitation tumul-
tueufe nuit à Taôeur & au poëtfr ; on ne
les iaifle point achever , & Fillufion , ait
milieu de ce -bruit infenfe, s'enfnit à tir^-
iTafle. Pourquoi tant babiller avec les mains ^
.& plus qu'aucun peuple de la terre n'a ba«
iMfié avec la langue?
ai Tableau
Mais quel eft Papplaudiflèment qui doit
flajtter le grand poiëte & le grand adeur î
Celt lorfqtfun (ombre & profond fîlence
règne dans la (aile, loriijue le fpeâateur,
le cœur brifé & l'œil baigne de larmes,
n'a ni la penfëe ni la force de fe livrer à
des battement de mains ; que , plongé dans
fillufion viâorieufe , il oublie le comédien
& l'art ; tout fe réalife autour de lui ; un
trait ifiei&çable defcend dans fbn ame , 6c
le preftige l'environnera long^- temps.
C H A P:^I T R E CCXIII.
Théâtre Bourgeois.
/iLmufement fort répandu , qui forme la
mémoire , développe le maintien , apprend
à parler , meuble la tête de beaux vers , &
qui fuppofe quelques études. Ce paflè-temps
vaut mieux que la fréquentation du café ,
l'infîpide jeu de cartes 8c l'oifiveté abfolue.
On penfe bien que ces aûeurs , qui re-
préfentent pour leur propre divertiflèment ,
ne font pas aflèz formés pour fatisfaire l'hom-
me de goût ^ mais en fait de plaifirs , qui rafi
fine a tort. Pour moi, j'ai remarqué que la
pièce que Je connoiflbis devenoit toujours
nouvelle , lorfque le^ aâeurs m'étoient nou^^
z) JE Paris. 13
veaux. Je ne iàis rien de plus faftidieux quq
d'aififter à une troifieme & quatrième re-
préfentatîon par leç mêmes comédiens.
Je n'ignore pas qu'on y déchire (ans mi-
fërîcorde les chefs - d'œuvre des auteurs dra-
matiques , qu'on y eftropie les airs des meil-
leurs çompofiteurs ; que ces aflèmblées don-
nent lieu à des fcenes plus plaifantes que
celles que Ton repréfente : & tant mieux ;
le fpeâateur s'amuTe à la fois de la pièce
& des perfonnages. Puis les allufions de-
viennent plus piquantes ; car l'hîftoire des
aârices a la publicité de Thiftoire romaine.
On joue la comédie dans un certain mon-f
de , non par amour pour elle, mais k raifbn
des rapports que les rôles établirent. Quel
amant a refufé de jouer Orojmanc ? Et la
béante Ja plus craintive s'enhardit pour le rôle
de Nanine,
J'ai vu jouer la comédie à Chantilly par
le prince de Condé & par Madame la du-
çheflè de Bourbon. Je leur ai trouvé une
aîfance , un goiit, un naturel qui m'ont fait
grand plaifir. Vraiment ils auroîent pu être
comédiens , s'ils ne fuflènt pas nés princes.
Le duc d'Orléans , à Saint - Aflîfe , s'ac-
quitte aufli très-bien de fes rôles avec facilita
oc roTndeur. La reine de France , enfin , %
joué la comédie à Verfailles dans fes petit$
appartements. N'ayant pas eu l'honneur de
la voir 9 je n'en puis rien dire.
24 Tableau
Ce goût eft répandu depuis les plus hau-
tes claflès Jufqu'aux dernières ; il peut con-
tribuer quelquefois k perfedionner Tédiica^
tîon , ou à en réformer une mauvalfe , parce
qu'il corrige tout k la fois Faccent , le main-
tien & rélocution. Mais cetamufement ne
convient qu'aux grandes villes , parce qu'il
fiippofc déjà un certain luxe & des moeurs
peu rigides- Gardez-vous toujours des repré-
(èntatîoiis théâtrales , petites & fàges r^u-
bliques ; craignez les fpeâacles : c'eit un au-
teur dramatique qui vous le dit.
Parmi les anecdotes plaîfantes que four-
hiffènt les amateurs bourgeois, dont la fo-
reur eft de jouer la tragédie , je chèifiraî
cette hiftoriette , que je trouve dans le 5a-
ailard.
» Un cordonnier habile k chaufler le pied
» mignon de toutes nos beautés , & renom-
» mé dans fa profeflion , chauflbît le cothur-
» ne tous les dimanches. Il s'étoit brouillé
» avec le décorateur. Cellii-ci devoît pour-
» voir la fcene , au cinquième aâe , d'un
H poignard ^ & le pofer fiir l'autel. Par une
» vengeance malicîeufe , il y fubftitua un
« tranchet ; le prince , dans la chaleur de la
» déclamation , ne s'en apperçut pas ; &
» voulant fe donner la mort k la fin de la
» pièce , il empoigna , aux yeux des (peâa-
» leurs , Finftrument bénin qui lui fervoît k
» gagner fà vie «• Qu'on juge des iclats de
9 E !P A X. X 5. 1^
(ire qu'excita Cf^^ouemect) <pj. |)e..pan]t-
pa?;oa£ique.\V.ji". _ ,. ".- 'V.;
. CHAPITRE ce XIV,
JN oua iw fomnie^,rai^ 4??i Ropiaîhs ;. noi»
n'avons- pas voulu batir tin amphithéâtre qui
fubfîliât au bout de. 4ix- huit fiecles ; nous
n'avons pas voulu aflèmblcr deux cents mille
)eâateursi c'eut ëté.trop.îpour la garde, de
'aris. Nous n'avops .i(ouI^ qu'emprunter Ifc
lioni d'un des plus majelhieùx moQi;riients
^e Rome) Scie défigurer «ncorev.^car le
iuperbe amphithéâtre ?appelJoit XeColloffce.
Notre Colijéc après dix ans tombe en ruines.
Les créanciers l'opt j{k|(î ^ & n'ont Jamais
pu enfuite être d^aççaçd^pn l'a fermé. Ij[,ji^^.
voit de beau & d'agréaUe que fon emDlac&*
ment, dans la pofibion la plus heureulejàion
.^itpu çhoifîr. L'intérî/^ de ce* caravenferai
étoit trifle ; des fyixipljionîes. monotones , des
danfes miférables^ou.pqççiles; des .joutes fut
une eau fale 5^ bou^beMiè ; des feux d'arti-
.me lans variété ^.pi^e cohue fatigante ou un
vuide ennuyeux : vqi]^ touf le divertiilèmeoC
de ces fortes d'endr9jt%> î j.' . .,.;
La redoute Chïnoifi Ta remf lacé ; 'tem-
Tomt IL B
«.« 1* A H -X E À^ U
-^le àom^eati \ ouvert à PoMîvîté abïbliie ^ 8fc
!<]ui enlevé aux nobles repréfentations draitiai»
tiques une foule 4e fpeâaieur^.
^IJÊ^^Ïe fert ïvaïikTMae defpeâacfe
Xes Aâoùis au teint blafard , les Narciflès
adofânc kurs images dans les glaces , lès-lé*
ros d'opéra frcdonn;mt des airs, les fatsji
•cheveux longs , lç$ laîs a la tête haute y cir*
.culent&. font foule* ^ ' "7
'"' 'Qàand on coriij|af^''î<*s''Vaux -Ifill âipc
lieux charmants dêXoidàres , on voit ique.Ic
'François ne coimpît ^Ain genre deplaîfîr^
-celui de voir & d'être vu: L'Anglois a des
jgufe plus'vifs , plus variés , plus profonds ; H
-tiefe nourrit pas dé Vanité', de l'étalage, de
isL partire^ , de clinquant ., june promenade
jenrt)n4 hiîlle fois répétée devant fcs n^éniçi
x>bjets. Il lui feut des divertiflèments pli|$
•fiibftantiels. La différence des gouvethfr-
tnents enfin fe fait fèntir par le contraïlè de
la froide élégance 4e;riôs aflfèmblées , &. de
ïabondanceyarîéc'-fip' |)igv?ahte qui j-çgneen
JAiigleterre.
^ Il efl vrai que'PAhgteîs donne une guî-
-jnée , & que nous débâurfens mefquinejtnent
ifrente fols. Puis , qiri :ne fe mêle pas de nos
4)làifirs , é'efl-k-dirç v^uî ne Jes corrompt
çasî.PautDrîtéprâSdeV^ows nos divertiflë-
^éiits*;bn nous !« arifahge,, & il ne noife
^ jpas pçrmîs de Jc# . ifaodifier. •'
D E. V A 9i l à. 17
IL-" ^'^^
«4
';C H A FIT R E CCXV.
Foire Sàint^trmairu
Jt^f S (peâacles des Boulevards font ob&
gés d'aller ii cette foire , à laquelle on devroit
bien donner une entrée (pacieufe; car il n V
a qu'une pone étroite , dont lé temin det*
cend encore en pente. Il faut que toutes les
voitures & les fantaffins pâle-méîe paflènt
par ce dangereux fentîer.
Lk , des hommes de fixple^, montés
fijr des brodequins-^ coëffës comiM des fuk-
tans , paflènt pour des géante \JM^;i(>i!it(b
safèe , épilée , k oui l'on a pafle unci^^êitiiî^^
un habit, refle & 4:ialotte j Cs momtre^ eém^
me un animal unique, extr;rordin<iÉe. Un
coloflè de beis parle ^ parce qu'il a <lans le
ventre un petit garçon de quatre }mi. H&ut'
k ré^jtolution de plufieuis années pour tme^
per à l'œil du naturalsfte qudque chùCe digne
defon àttentibn* La charlatanerie giomeri'
9& la fur fon trône. Le (altinbanque effi^nté
:a obtenu le privilège de duper le publia ; il
a payé ce* privilège , qu'importe eimîfe qu'il
donne des gourdes au Panfien ^Qn4e «g^*
noit (i bonnace, qu'on ûit d'avancé qu'util
&UX merveilleux l&tranfportera'>tion hloins
^ue s'il étoit véritable; / :• )-!c' ■
B X
a.8 T A B l. E A JJ
Les falles des farceurs font prefque too^
^tttî twnpKes. On y jolie des pièces obfcenes'
ou déteûables ^ par<;e uu'on leur interdît
tout 'ouvrage qui auroît un peu de fel , aef
prit & de raÛbn. Qupi ^ voilà un théâtre
tout dcefle, un peuple tout aflèmblé, & Fo^
Condamnera les aùdiiitieurs i^ n'entendre. qu4
des ibtti{es , tandis que notre théâtre fi riche
4evroit jâtre c<xifîdéré conmn^un tréibr nàr
tional 1 ]^ pourquoi appajtiendroî(-il^ «xclufi*
iFemexK s^uc comédiens du roi ?
' s Quoi , Dqg^uson feroit Théritîer de.G>c^
Vieille i Quoi , ces chefs - d'oeuvre que tout
%ùv à^ fqii^rainf ne fauroit faire renaître ,
ài^nye^ewt . m> propre à une poignée de
4g)m4^ti$ ! Quoi ils. u'appartiendroient pas
eÎQ^nri^llçmwtlà tous ceux qui fe fentent
lame & le talent de les laire valoir ! Quoi ,
rauteuK'auroit pu* avoir une autre idée que de
t^2méffi jpit'UM (èsprodùétions & fa gloire!
Qiai[9 J&^i6eff fart à Fintérêt pafBiger. de
taâe»r:«CMnfr!ileiU3a: ijulun pdmt reflèné
aii-^^i^ iiid'ob^ep k : prendre tel organei,
£a(î^ir^ FttifirumeDt qu'il anime ; 6c quand
j'ai compofé, je donnoisdonc mes pièces
a une.iieuie fi-oupe ! Brûlons nos pièces.
I^e gcand duc derToicaÊne ^ qui poflède le
vérita^eri^nle iTun^ législateur , parmi une
fpule^, dftrk>iK!utâês &' conçues dans une
igiMft 'fageflfeif a: idônné jl «tous lés théâtres la
tibexré abfolue du chokrdes pièces i certain
D 1 P A R l'S. 19
qi]e la concurrence & l'émulation fejrvîroîent
ce M art beaucoup mieux que tous les rcgîe^^
ments au'un petit efprit de claffificatîon a
établis parmi Aous> pour lui bter ion eflôr S^
fà grandeur.
Là enfin on voit ( & qu'importe le lieu ? )
le célèbre Cornus , homme doué du géixnr
y pkii fouple & te plus inventif, & qui ^
fatis les études ordinaires , doit >out à la d-
^sûcité rare qu'il i reçue de ht nature. Ce
^hyficîen fécond en découvertes^ en éton-*
Dant nos regards , exerce 6c furprend notre
intelligence. Il faut bien fe garder de le con«
fondre avec les faifiurs de tours dont il effi
environné. Quiconque l'aura vu, ne tombera
pas dans cette erreur grofliere : non-feule-
ment il eft réniule de teax qui étudient la
nature ; mais il a droit encore à un rangdif^
tîngué parmi les plus habiles fcnitateurs de
fes phénomènes : lés merveilles qui s'opèrent
((JUS fës mains induftrieufes , valent bien
quelques pages fyllématiques écrites en beau
ftyle. ;
- ■ f » • I »
• j 1 1 • ■ • #
• • •
B^
3«> T A B t E A V
■*r
• CHAPITRE CCXVU
; Comédiens Italiens^
T'- . *• . • ■ -' "
Quf en cpnfervânt ce ditre, ils ne re-f
préfentent plu^ aucune pi^çc italienne ^ ou ^
^pur mieux àne^^cçsxi3[(incvas où Carlin «j^
fi' fouvent déployé un^jea aflàiTonné de tant
de grâces naïves & piquantes. Ils fontrcn-*
(rés dans le droit de donner au public de$
pièces nioraks & imérefji^ntes : droit dont
ils n'aûifèut point ,\ il |àut l'avpuer ^ niai$
les pièces à vaudevilles ayant pris faveur ,:îl^
ont obéi au goût momeiit^né de la capkale*
ih. iè piqueot de fervir le public avec un»
zek infatigable ; on ks voit ardents à Iq
récréer de nouveautés ^ n'épargner ni (oins
^ peines. Leur défintérellèment efl rare. Ik
ne leaunenl^ point (ur les décorations ni fur
les habillements \ jaloux dé donner aux rjfr*
préfentatîons le plus grand éclat. Ils ont un
tad aflèz sûr pour la niufique vive-, légère y
expreffive ; mais ils nt? ftivent pas encore ju-
ger les comédies d'unft manière auflî jufte :
cela viendra.
Les pièces a vaudevilles occupent donc
prefque exclufivenient ce théâtre depuis dix-
huit mois. Comme tout fuccès touche a un
1^ E P A'. R r s. Ji.
excès, il eO: à ^craindre que ce -Xb^tr^iXie:
s'mfefte de rébus , de couplets ti^àpJibrcSy.
^équivoques , 'dv. Pourquoi faire ramer les-
yenx aux grâces? . ■ /. , . -o ».,/
Ces jolis «rbns offrent des tabieatix naïfs*'
&.ne G)nt pas dépourvus de gaieté \ xçlÙs:
il eâ.'à craindre que ces bluçts , nés daos un:
champ fenile,4i'étûir£^t le^ j^js npuni^
cîcxs, rubftanttelsj8c a la tête dojeeç; :: . , . ,^
Les. auteurs avoient* cru poi|voi|r ,&ajbIiiL
(ûr cette fcene un fécond théâtre national^
ils n'ont.pas réfléchi que Part dii chant ex-
cluoit prefque toujours celui delà déclania<-i .
!^ 9 PC que les pièces, vcainien t. dramatiaue^-
avcMent un caraâere trop profond dour s al-.
Ueikla légèreté. ^^^ces 'pqtltesmëces^ lai
plupart vuides de jÇîns. Uariette & le vau-
deville tueiXMSt toujours Marivaux &,lèsiùcv
ceilèurs^^
« I
CKA£PI.T RE CÇXV/ÏI^;
r
Sp^acles des Jioulevards^*
TiQ peuple 9 qui a befcàn d'amufements, s'y,
précipite en foule ; mais ce% théâtres (ont ceux
qui- mérîteroiént le plus ^attention - dû ma-
giftrat, & les pièces devroîent être; des
compofltions. agréables 8c morales \ caii
B 4/ "
3z Tableav
îî n'y*a''^as d'oppofîtîon entre ces deux
mots '^t^rtju'en dîTent le^i poëtcs CQimp»'
teurs.'-.^'* ' "-■ ■■ ■ ■' ' '
Pourquoi ces pièces font-eBès pour la plu*^
part haffis , plates , ordurîcres? Ceft qu'une
poîgiîée de corné iîens ofe dire cpi'il n'ap-
partient CfJ^ eux de repréfenter des pièces
raifontiabW; c*êft ''qu^on feç foutîent dani
cçpte pdicije prëtendoti ; c'efl qu^ la fiiâle
4^ cetie îticit^ahle & hontëufe Icgîdation ^
le peurfc ett condaniïié. à ^entendre que
réxprèflion du libertinage & de la fottîfe*.
Et voilà oii aboutit la polite dès fpeâacles
cbeexm peuple renomihé p^ {èst;he6-d'oeii«
f re dramariques, * ' ^ '''
Les pàiades^ qu^rn "tei^fente extérieure-
ment (îir ïe balcon comnrte'une efpece d*iti-
vîtatîon publique, font tris - préjudiciables,
aux uayaux journaliers, en ce qu'elles ameu-
tent une foule d'ouvriers qui , avec leç inf.
truments de leur profeflSoii^ous-Ie bras, de^
meurent là la bouche béante , & perdent
les faeutès les plus précieufibs de la ']oùttïéè.
Les figures çn cire ^u fieur C^rtius font
très - célèbres fiar les Boulevards , & très-
vifitées ; il a modelé les rois , les gran4&
écrivains , les jolies femmes , & les femeux
voleù^ V on y voit Jeànnçf , Defrues ^ te
comte 'd'Eftaîng & Lihguet ; on y voit la
femilîe 'royale aflife à un banquet artificiel r
Pemperetu: çft à côté du roi. Le crîeur s^jégo-
H £ F A B. £ 5ï: Ji)
fille k kl porte lErttrçi^, tntrc;^, Aicffièurs ,
ycnc^ voir le grand couvert , entrc{^ ^ cUfi
tout comme à Vcrfailles. Oii donne deux
fols par perfonne , & le fîeur Curdus fait
quelquefois ^ufc^'à cçnt écus par jour , avec
la mtoncre de ces mannequins enluniinés.
CHAPITRE CCXVIIL
Lectures.
il s'eft întroduîtun nouveau genre de ^ec^-
tacles. CéX un auteur qiii ne Ik pas k. fes
amis pour en recevoir des- confeils ôc.
des avis , mais quî mdique tel jour , telle
heure ( & il ne manque plus que raiHcbe \
qui entre dans un fallon meublé, fe place:
entre deux âambeaux , demande un fiicriei"
bu du fyrop , calomnie fa poitrine \ tire
fôn manufcrit de fa poche , oc Ut avec em-
pha(è fa produâion nouvelle , quelquefois
fiminîfere.
II. ne manque point d^admirateurs^ ^ rarceb
qu'il les convoite avec toutes les fuppBquei
adroites de Torgiieilleux amoiir-propre \ 6it
lut prodigue de ces mots obligeants cpi^ott
lie refufe pas , & qu'A prend k la lettre, pour
des éloges finceres. Quand U imprime ^ '%
public & cit de Touvra^ admiré dans leiàt»-
j4 Tablé a ir
Ion. ÏTadteur funéax , cik que le gôAt eUt
perdu*. Se que la décadence de la littérature
e& vifible, puifqu'on ne (ènt pas comme fei»
premiers juges oc admirateurs.
Dans ces (ôrtes de leâures tout prête air
ridicule ; le poëte arrive avec une tragédie
rimée & faftidieufe , ou avec un gros poë*
fne^ique , dans une aflènïblée peuplée dé:
jeunes & jolic$ femmes dîfpofées à folâ-
trer 8t à nre , qui ont à côté d'd les" letds
amants ; elles s'occupent plus de ce qui lesu
environne , que de l'auteur & de fa- pièce.
Une* inâexioa de voix , un mot, ungefte,
un rien fûBk pour dilpofer les caraâeres à la
plus grande gaieté. Qu'ime femme rie par.
balard, une autre éclatera , & tout le cer-
cle fera de vains ef&rts pour, contraindre (à
belle humeur.. Que deviendra, le pauvre au-
teur avec fon rouleau de papier ? S'il mon-
tre du courroux ^ il paroîtra plus, ridicule en^
core ; qu'on ne Fécoute point , ou qu'oal'en^^ .
tende mal , il eft obligé de continuer. Le
yoilîi fur là fellette , expofe à toutes les ré^
flexions, malignes ! On corrige tout bas fon
5iiiour-propre qui perce d^s fon débit; il
s'en doute : il gcftîcule -avec plus de vc-
liémence , comme pour, fbrcer les fufîia4
ges : ce n'eft plus un auteur y c'efl un co-
médien*
Et pourquoi lire k d'autres qu'à fes amîs^?
Pourquoi j^eAdre. d'autres jugesque lé pu-^
!>: E Paris. 3|r
plie ? Pourquoi fe montrer G jaloux d'une
approbation équivoque? Enchanter un cer-^
cîe ou une cotterie , n'cft-ce pas rétrécir Pi-
dée qu'un écrivain doit fe former de la gloi-*
re? Voila les fautes où toaibent journelle-
ment les beaux; esprits âc les hommes, de :
r 22/ de la capitale. Ceft ici qu'il faut cltec
fameux doâeurSaoroton (i) qu'ils n'ont
pas lu pour leur malheun nfaut apprécier y ,
dit^il , lestaient dans la place publique y .
& jamais ailleurs ; c*eji,la fin vrai jour ; :
des ficclsde cfiamhr&fint toujours des fiior -
ces douteux. . ,
On a vu. une fpcîç't|^ intitulée , /ei Trente ^
faire paroli zixy^Quarantc de Tacadéinie franr
çoife., établir des l'eâures publicwes, dont
pkifîeurs furent ttès-îméreltàntes ^ qc fans une
fatale' divifîon ( inévitable- craraii -les beaux
c^ats.) cette [ociété devçioïc une acfadémié
en regfey quf aurphirivàlif^ avec la (ùperbe^
ua repas chez ui> traiteur préccdoit les lec-
tl^:es^ Hélas d l'efprit chez eux n'écoit jamais à
jeua: ainfi faiibient les. célèbres auteurs du .
(dernier fieclel ,
. - rf ...
- , , 41 fefornae plofieùrs affhntbUcs littéraires v
.ddnt Jes miemores ne fe çp)ient pas inférieurs
aùxidunortek i ^lifent un jour delà femai^
•«*■
• (i) Comédie parade>iî un afte, îittprînaéeà
Bffis ehez la Veuve Ballard» imprimeur du rol^
^6. Tableau
ne, les auditeurs applaudirent, & ceux qui
font applaudis font aufC contents le foir de
leur tiriomphe , qu'un acadëmicien feft lotf-
qu'on l'a claqué au Louvre pour fes vers ovl
pour fa profe.
La loge des Neuf fieurs renferme aufE
des auteurs qui lifent leurs produâtons dam
des fêtes brillantes, & dont la littérature fàk
le principal> ornement ; 6t pourquoi n'y au^
loit-il que les académiciens qui euflênt \t
droit de débiter leurs ouvrages 8t d'être a|K
plaudis ? ne fau^-il pas donner une libre iflue
au confolant amçur-propre de chaque écri*
vain, fi heureux quand il felit , quand il en*-
tend ùi voix réfonner dans un lieu peuplé \
L'équiti^ ( difons miéioc ) la compafCon Fcb^
donne.
Un ledeur fameux eut une (brte dé çélé^
brité dans Parcs , il y a huk à dix ans ; oit
en raffola ^ on (è l'arracha^ Il rendoît avec
intelligence ôcprécifion, avec une variété 3è
Ion furprenante , tous les perfonnages d^bné
pièce de théâtre. Seul il donnoît au dramt
qu'il déclamoit , les honneurs, de la repréfeti^
tatîon ^ il valoit une tràttpe entière > ^aîk
S s'identifioit tellement avec \U pièce add^
tée, qu'il simagîhoit , ou peu s'en ftut*^
l'avok faite , ce que Fauteur préfent lui p^*^
donnoit facilement & d)e bon cceur \| miC
que cette forte îllufibn lui étoic néceuàire
pous luicux eotrei â4D&' fe fixa dea t6k^
J> E P A n r s. J7
Or 5 fauceiu: qui étok pcéfent, c'étoît moi;
Ce famieux leâeur , par une contradiâioa
finguliere , ëtott aâeur médiocre fur les plan-»
chés , lorfqu'il ne débitoic qu'un rôle ; il lu%
falloit une piec& entière pour dév:elopper foa
talent prefque unique ; il donnoit un peu la
comédie par tout l'appareil & le préambule
qu'il mettoit dans fes leâures^ mais cela
ne le rendok que plus rare.. Enfin il fut
célébré & fêté dans les provinces comme
dans la capitale , & par - tout il fit oubliée
fauteiu;
CHAPITRE CCXIX.
Préteurs à ta peikc Semaine^
Vifiirièrs qu'on ne connc^ guère ipi'àPar»;^
& 911 jugent eux-mêmes leur. niétier et<*
tréniement hmteux , puffqu ils ont le fironi
perpémellement voilée Leurs courtiers habi-
tent autour des lialles ; ks femmes qui ven»
idenc desfniifis & des légumes qu'elbs por-*
lent &aL Cévmtmrt , les détaiUeuiTi en : txxjs
S euros ont be&nn le'plus fôuwent de la ma*
iqne avance ifun écu de fîx livres pour
acheter des maquereaux , des pcMS , rdes gror
lèilles y des poires , des cerues. Le prêteur
le confie k condition qvTon lu rapportera a(^
Jf T A B'L t A-^U*
bfeut dé la femaîhe fept Iî\rres ^atre foli ;-
ainfi Ton écu , quand it travaille ^ lui rap-
porte près de fofxante livres par an, c'eft-
à-dire^ dix fois fk valeur. Voilà le taux mo-»
déré des prêteur à Ja^ petite femainej . '■ J *
Si je dtfois quedes hommes opulents font:
àînfi manoeuvrer leurs fonds^ & qu*ib exer-»
cent cette ufure énorme fans remords ; quelle •
idée ne (è formera-t-on pas de la dureté de •
certaines âmes , & de leur foif cmelle pou?
les richeflès?
Mais lequeldoit furprendre le ptùs , dâr
là détreflè extrême de ces petits détailleurs »
qui ne (avem pas avoir nx livres devant :
eux , ou du fuccès confiant d'une au/E ter-*
rible ufure ? Mais^quî ^ ayant tout fbld^ & :
payé , rcfte avec un louis .d*or en propriété
abfolqe'î rolèrois dite^qùe'ié^tîers de Paris ;
c'en èft pas encore venu là : aufli les av^fÊ^
teiirs (àvent eombieii l'elpidce^ mçnnoyéê d^ -
vient 4-arè dé^ jour ett joiir^"; parce que» ki ;
emprunts^ publics , ces funeftes abimbants des
fonds du commerce , en ont tari le cours; .
Ils vendent <kKiG l'àrgentitout' ce qu'ils :
peuvent' le iténdlev or pliïjioiï/jeft pamne^ ,
m'oins ùa ^1^ asfir autrement <;qèè a pièce
de nîéilhoië' k la màitt^ Pbint de crédit :
pour l'indigent \ & pa» l^méme raifon qu'il «'
paie le vin & la viande bien plus. cher que -
te prince du fàng, il acheté un éca de Gk-,
lîvces à uu. prix exoiJbiraut . : de. l^ vient jqu^24
M-efidâScilé de jTomr (b £abyme oii il eft
"plofigé , lë& mains & les pieds lui gliflènt
qtian^ il veut s'élancer au dehors ^ car il eft
Ineft' plus difficile de. faiire fîx franc» avec
cinq fols, que de gagïier un mîUiotKavec
ijïx mille lirr^..
" Oh ! qui ne reculé pas Toeil époorantë^^
-quand il vient à contempler de prq^ la hit*
ce étemelle deJa-milère de de l'opulence?
- Ces avanceurs ne s'en rapportent pas tou-
-jours à leurs courtiers ou agents ; ils font cu-
rieux deux buUoîS' fois l'année de voir Taf^
'ièmbrée deces étemeb débiteurs quî les en-
richiflènt , & de juger par eux-mêmes de
h* difpofîtion des efprits & de la. manœuvre
des ftibaltemeSi '
Le même homme quV porte un habit d^é-
€arlate> des galons, la canne à pomme d'or,
2ui ne fort qu>A voseui^ , qui fait briller k
m doigt un riche diamant, qui. fréquente
•les fpeâacleiL& voit bonne compagnie , prend
certains jours duiBois un habit râpé ^ une vieil-
l€L.pemique , de vieux foulicrs^ des bas rappe*
lafBs^laifle croître fa barbe, fé peint les che-
veux & (è blanchit les fouicils : il & rçand
alors dans inve maifon écartée, dans une
•Elle où il n'y à qu'une mauvaife tapiflerié'^
.un grabat, trois chaifes & un crucifix ;i là
il donné audience à foixante poiflàrdes, re-
vendeulcs & pauvres fruitières 'y puis il leur
dit d'une voix com{>olee : » Mes axuies. j^
vous voyez i|uè je ne fuis pas {)lus ildie
4}ue vous , voilk mes meubles , voilà le Ur*
cil je couche quand je viens à Paris \ je voiis^
donne mon argent fur votre confcience 8c
religion v car je n'ai de vous, aucune fîgiufc-
ture , vous le favez , je ne puis rien réda-
mer en tuflice. Je fuis utile à votre coixit-
nierce; oc quand je vous prodigue ma con-
fiance 9 je dois avoir ma mreté* Soyez donc
toutes ici folidaires f une pour Tautre , Se
jurez devant ce crucifix ^ Timage de notre
divin Sauveur, que vous ne, me ferez. au-
cun tort, &que vous me rendrez fidellc^
ment ce que )e vais vous confier «,. -,
Toutes les poif&rdes & fruitières Icvei#:
k main & jurent d'étrangler celle qui ne
féroît pas fidellé au paiement : des (èrnientK
.épouvantables fe mêlent k de longs fîmes;
de croix. Alors l'adroit fycophante prend \t&.
noms , 8c difirîbue à chacune-un écu de fis
livres^ en leur difant , » je ne gagne pas ce
iique vous gagnez , il s'en faut «.La cohue
fe difTipe & l'anthropophage refte (eul avec
deux émiilaires dont il règle les comptes &:
4)aie Its gages*
• Le lendemain il ttaverfé les halles Se ht
{dkce Maubett dans un équipage ; perfoime
one le reconnoit & ne peut le reconnoîtrej
c'feft un autre homme ; il eft brillant , H
cft reçu dans la bonne fociété ^ & fouvent
au coin de vo^ cheminées de nurbre ^ Sk
B s P A H I S. 4f
parie de bien&i&nce 6ç d^hittilanké/ Pem
lônne ne hu cbntefte la probité, l'honneur^
même cme forte de génâ^d^f Ôc pendant
^'on le juge ak^li , InviâUe & pt'éftnCy datist
quatre ou cinq entrepôts obfcurs , il pompe,
il exprinie la fubfUnce é^ pauvre peuple*
C « A PI T R R CiGXX.
Charlatans»
Kjn nomme :aîn£ jceost qui , montés (ùc
les tréteaux > appeUenOïles paflants dafis les
places puUiqœs. Le pcenûet médecin dit
xoî a cfaoffî jtous ces Yendeunu d'orvûécan ^
qui ntuTbi^nt aux intérét^(fii la- compagnie
fourrée. Il n'y en a plus narai^oant le peui»
pie , & c'dd don^nagé^ car le doâeur Sa^
croton difoit à ion élevé yen M faifant fé^
snimération des avantagies du charlatantfme ;
Comptes4u pour rien de voyager par^tour p
de porter te Jabre au côté , les pijiolets à
V arçon , te bonnet fourré en tête ^ davoit
un char qui., arrivé fur ta ptace, fi mé^
tamorphofi tout^-à^coup en théâtre^ avec
kl rapidité ydtmc décoration d^ opéra ; &
ta , fimbtable aux orateurs Romains , de,
parler en public , haranguant tour^à-tour
ks nations \ ^partant m iiberti à unpm*
42. î A B t » A If^
{^\ourdhuL,,(m puhUcJtti.Pcrfonnç^ motA
émi^pcrfhrme,apfi€pti wus. Tu^f^euxTCufi
fir pflr lapatbU^ çf alUrptus loinque^u^
rjus de pos, Thomas^ plus^de haiangueun
fous la \route du ciel* Le premier médecin
^r,dé^|Ut finis pi^ Xfs deniicn re&e» ^
liberté ,' 8c penbiîne ne difliribue pliK m
opiatis]^ ^[clhci'ts i ni jppudrA- Lp .mé-
tier appartient en totalité . aux fùppôts de.*
la faculté.
Les charlatans fc font réfugiés dans P^mr-
pire des fdences Sc^e^ la. litcératiare. UvÀ.
vous .promet lajdécouferte: démontrée dc^ It
définition cxaâe d'an ^nt univer&l-, .^-
9 la. propriété de ^ ^modifier la .matière eti^
tout &ns , .&i d'opérer toutes les merveille» -
de la nature.^'
L'autre voûs-^ explîquôra , d'iîne maniera
daire & dénbonflraô^e y les caufes de^ Tat^
traôion , der Ix rotadon des planètes fur leuf .
axe^f & de leur; drconTobtion autour du -
foleil^
Le troifîëme vous donnera la ^théorie du
(bleil ^. celle des étoiles, des mondes, des
planètes ,. -des comètes, fur --tout de notre
gjlobe , éc détfonera JbTei^tcnsu pour foa.couà
2'efîài, ' !.
Un quatrième, moins ambitieux , nr vous
oi£:e que Jeifecret de .k. génération^ il.voui^
n E p A n I s. 43
tlîra , pour une- foùfçriprion de titentf - fet
livres.^ ce que c-eft que réconomie animale;.
U vous înfijruiia par - deflùs le marc&é du mé^
chanifme des paflion^ ,& vous aurez U (cîen^
ce univerfcUe pour douze ëcus.
Rangeons dans cetçe clafle ces naturalifles-
qui, en robe-* de -chambre, en pantoufles
&. en bonnet ;de nuit ,. font de» fyftêmes fi»
h formation .des montagnes , qu'ils n'ont
jamais vues xih parcourqes ; qui , feichauf&ot
a un bon feu , écrivent fur les, glacien do
. la Suifîe. Ils n'ont examiné , ni les maîtres
Xîi les granits des Alpes , & ils prononcent
fur ces grands objets, en ordonnateurs des
ifnot\d<îs ^ expUqvkant die : deflùs- leui:. latuiîfe] là
ftruâure Se les fondements du ^ksbo:^ tandî^
que leurs pieds n'bnt jamais foulé'jni un itochei
^eve,. ni un: abyme uh peu profond Bjemôc
& ofèront dire^, je vois. diAinâement le n(^aa
de la terre , car il eft tranfparent pour moi*
. Kangeons : encore aàns la même claflè Ces
acadéJiiicjeps. beaux • efprits , qui n'ont rien
écrft, dont ie^ no£Qç,{ont inqonnus>,.qui colo-
rent les penfions , & qui fe font payer pour
des ouvrages qu'ils n'achèveront jamais : ils
difent refpeâer le public, ce qui reflèmble
beaucoup au refged dés impuiilànts pour les
femmes,
Polydore porte lé petît-collet , paflè-port
de l'impudence ; il veut fe donner non-fèu-
lemenc un air d'émdition , maïs de goût ^
44 Tableau
maïs de fupérîorké, mais de génie v il pari*
avec emphafe d'un auteur grec , il fe ré-
crie fur la beauté de Texpreflion , fur la
fineflè des tours. Les modernes n'ont pa^
Fombre de cette phyfionomie. Le divin Pîn-
dare a le rithme qui conimiuiique avec les
dieux , & le fublime Homère frappe mep*
veilleufemeiit Tanapéfte. Quand il a pronon-^
té ces grands mots devant des femmes 6c
quelques financiers, il fe recueille & fè tait^
comme fi le génie le faifîfibît tout-k-ccKip^
& Paccabloit de tout fon poids. Ne diriez^
vous pas que Polydore a étudié, médité Tau-
teur dont il a parlé , qu'il le poflède • par*
&item#f!t9-^yez fôr 4iéanmpin$ qu'il i/tfna
là <nië h^ tïraduâion tdût au plus , qu'il etîtëifid
mal te texte, & que s'il ra ouvert {nr fil
table, c'eit pour en impofer aux fots; Sc
comment croit-il en impofer à d'autres ? On
dit aux charlatans des places publiques , gui-
riffh^:' on pdutroît dite aux chanatans lit*
téraires , plus nombreux que jamab , impt^
mc^; Dfiais ils n'imprimeiit pas% '
o
f - •
D E P A 11 I s. 45
CHAPITRE ce XXL
Vcrjificaieurs.
m •
J.ls pullulent. Malheur à qui fait des vers en
2 78 r ! Le François 9 (a provijion bien ^m« ^
pic ; il eft devenu e;xce(iivement difficile ;
car queft - ce qu'une nouvelle^combinaifoa
des hétm(Ucties de Racine 9 Boileau , Rou&
feau-, Voltaire , Greflèt , Colardeau ? Ce
ti eft pas trop la peine tle nous donner labo^
xleuCensent la mèine empreinte ; n'eft-ilpas
tldîcule de voir fe^ M. Dosât arotr 4^
des copiftes 8c des imitateurs? Quand on
lit ÏAlmanaçh des MvfcSy ne diroit-on pas
que toutes Jes pièces de vers font du même
auteur ? unt les idées , le %le & leton ons
une couleur unig^riBe. ...
Quand on rencontre un verfîficatear, if
&iit lui dire, poi;r ^vit^ toute difpute , j^
ne me çonnois pas en vers. Alors il vous
prend ap mot ^ .& vous, dit modeftement^*
qu'il n'y a que trois ou (fuatrc perfonnes en
état'd'apprécier ioà mue talent ^ -que fe^dift
par txcdUncc^éii x^^^xi dans fa tête* ât
aatis celle de ttçiis 01^ quatre pcrfojanès , quji
f i^dmirent. Ou fouf jft , jtôut^ bas , Sc pn 1^
kiilè due , car cela le rend bienheureux*. '
^6 T A B I ï: A u
Sî JTon difôit k un verfificateiir qui couct
toiidbelle hémiftiche pendant un mois en-
tier , que tel écrivain en profe ( qu'il n*a par
lu,; parce qu'il ne lit qWe Aacine) eft un
grand poëte , que tel écrivain Anglois qu'il
appelle barbare^ outre (on 'originalité & £bn
génie , a fouvent plus de goût que Ton BoF>
leau , il ne vws -comprendrcat certainemeol
pas : aufli cootentez-^vous de lui c&e , je" njé
me connois pas en vers. Par ce moyen , vous
ménagerez vos poumons , & vous aurez le
plaifîr de voir jufqu'à quel point un verfiiSca-*
ceur déraifonne & rétrécit fks idées.
Mais c^eft encore plus la faute de la Ian«
gue que»îa fîerine propre; Ce verfificateur
lue^ .navaille, & il ne manque au fonê
que 4ie diicemementi *
Qtfeft-ce qu'une langue où le génie 'k
chaque pas rencontre robflacle invincible de
quelques diiEcultés grammadcales^ où la chi-
cane à chaque vers troiAre à Reprendre , où
hsjbidigneurs (i) gagnent tout le terrein
que perd Kécrivain tadaciéux^ où toute in-
->
DE'- 1?A.3. I «. 47
iKxvadon a le dedbit^^iôu cette cxpreâïcnide
Cariieilie ilV'pu ft :natùraliren> : ^. • ^ •
II faut dire hardiment que cette lan-
gue rfeft pas poétique ; que (à poéfie n'eft
qu'une prdfe rimce ; .qûVUe Ti'a ni abon-
dance, ni énergie, ni audace; qq'cllen'en
aura ]ZTrvSs ^ mi6çiCil eft. défendu de Penri«
fcHr ^.puîfquelaTnaithe^ Idîti 'd'être libre^
fiere , eft conipaflKe , mefiiféè ,'retrécîe ,' foUr-
mifè au compas. Ajoutons qu'il faut être in-
fenfé pour ^îdïnjettîr au lâche caprice d'un
peuple attaché k ces (bttes habiniues.; con*-
fiiltant les joumaliftes V aflàflii^ périodiques de
la poéfie ,•& qui , conformciïieht k leur ftyle
tampant , rejettent la jEbrce Sc.l'énergîe ^ lorC-
que le poète s^en ^ert pour pjriadre les pcnr»
ices 2vec les ' fons qui lui plaîfènt. '
Puifque ce penpie ne veut adopter que ce
ju'il a , foTttâÙe oc indigent ^flbueau oc foa
ec & dur Rouïlfau^ il faut Je laîïlè^dàns le
loin pMéfîle dé (calculer 4<» *lyllabès , au lîea
^a'imagmef & dt crëer^HîificTcmleîd'expf^^
•fions qui hri 'manquent. XàpréuVè que ïk
poéfie eft nulle, c'eft qu'il eft encoteà s*cn
appercevpîr.
Les verfificatews ne, me pardonneront
pas ce chapitre V je parlè.néanmoins en leur
laveur, & les poètes m'entendront.
Il eft ur^ parallèle qui revient (ans ceflê
^xis Jes coAveriations des vexfificateurs ^ 8c
?
le
48 T A 1 L E A U
qui m^ennuic écrangement ; c'efi le paraHele
de Corneille 8c de Racine, ^véc une lueuiD
de Jjitfiéiamre , des fots parlent une heure en**
tiere ûr cet objet , & ont Tair de dire <peW
que cibofe. Cela pafle dans les brochures
que le plus petit commis, au lieu de faire
des bordereaux, fabrique avec une ^rte dç
préfompûon ; & pluf^eurs jpurnaux roiiloit
a Tappui de trqis ou Quatre no|xis femïïla-
hles inceflamment reflàfles.. On dirou quf
feflbrt de FeTprit humain fe trouve dans
une tragédie françcile, & rîen dephisÊua
cependant* ;
Un jeune homme vint prier Timothëe de
fui apprendra, k jouer de la flûte. KTavez^
vous pas déjà eu quelques maîtres , lui de^
çianda le . pojete t Oui , r^Hmdit le jeune
homme. Ëh bien ! repUqua Timothée , en
devenant mon difciple , vous me devrez une
plier les principes dont yqos êtes im]hù , 8ç
que je vous enfeigne enfuite ce dont vous
jae . vous doutez feulement pas. .
.4 • > «
* ■
i' . .' ».
CHAip;
DE Paris. 49
CHAPITRE CCXXIL
Calembours. >
Xjalanguç menreilleufe des calamboars tire
à (à fin. Quelques adeptes la cultivoient , 8c
elle leur tenoit lieu d'efprit & de talents. Que
vont-ils . devenir ? Comment une fi brillante
xenommëc s'évapore-t-elle fi promptement >
Quelle ingratitude après tant de cris dad-
miratious ! Oh , que le peuple de Paris eft
léger dans l'encens qu'il prodigue !
On citoît , on claflbit ii part ceux que l'inC*
piratlon ou lekaCard avoîent favorifés^ &c de
fort honnêtes gens qui n'auroient jamais pu
fe faire imprimer o^ incognito , étoient par-^
venus , à l'aide de ce nouvel idiome, à com*
pofer une petite brochure qui les plaçoît fu-
bitement au rang diftingué des heureux plai-
(ants de ce monde.
Le peuple ne les a pas trop goûtés ; il a
mieux dmé le langage de Vadt qui peignoir
une nature baflè , mais du moins exiftante.
Il ppuvoit juger de la reflèmblanee ; mais
lorlqu'on voulut lui expliquer toute la fineflè
d'un calambour , il dit dans fon ftyle naïf:
Quand Jean Béteejl mort , il a laijféhien
des héritiers.
Toutes ces mauvaifcs plaifanterîes ten^
Tomt IL C
^o . Ta- fi l e ^ u
doient k dénaturer la langue , à prefcrire le
peu de mots nobles 8c harmonieux qui nous
teftent , à gêner perpétuellement l'écrivain^
obligé d'aller au devant de Téquivoque folfe
' ou licencîeufe. Les frères càlambourdiers fc
font donc rendu coupables du crime de U:^
majcflcfrançoife , qiuant à la langue , noni-
bre d'expreffions font devenues impropres
dans le ityle ôc dans la convetfàtion , parce
qu'ils les avoient profanées. On revient de
•ce ridicule qui ne pouvoir être durable •&
qui a trop duré \ mais c*eft aux écrivains fbfH
fés qu'il appartient de fe roidir dans tous
les temps contre les excluions bizarres de
mots, & de braver les mauvais plailàntâ &
les fots rieurs qui abondent.
CHAPITRE CCXXIIL
Feux dartificc.
Vyn a remarqué qu'il ne s'étoit prefquè
jamais donné de fpeâacles extraordinaires
au public , qu'il n'y fut arrivé quelque mal-
heur : la populace Parifienne ne fait point
établir Tordre dans fesmouvemenjs^ une
fois fortie des bornes , elle devient |)étu**
îante , incommode & tumultueufe»
C'eft par cette raifon qu'on^ a fopprimé
;© E Paris. .51
îe feu de la Saint - Jean , & les feux que
J'on tiroit pour la naiilànce des princes &
princeflès , ou pour des viftoires cquivo-
<jues. Au lieu de ces ftériles jouillànces , on
<jiiarie des filles , on délivre des prilonniers^
Eh bien ! ces idées - la font encore dues à
sdes écriva'ns patriotiques.
Je voudrois voir tous les artificiers du
royaume ruinés : ce luxe de nos fêtes amené
toujours quelques accidents ^ & comment
.|)eut-on fe réfoudre d'ailleurs à voir fauter
en Faîr ce qui pourroit fuffire à l'entretiea
& à la nourriture de >cent familles pauvres
pendant une année ! Comment donner un
fi grand prix d'un plaifir G court ! J'aûiie
encore mieux les cocagnes de Naples, où les
rigoureux lazzarons font un repas qui dure
trois jours, & artrappent un gifët par deflug
Je marché.
II eft bien inconcevable qu*on ait choifi
pour l'exécution de ces feux d'artifice^ hi
place de Grève , qu'on ait vu l'effigie du fbu-
verain élevée avec pompe fiir le même pavé
^11 l'on a écartelé Ravaillac & Damien :
• cpmnlent les emblèmes mythologiques de la
'^oie publique peuvent-ils fuccéder à la roue
& au bûcher ? & comment érige-t-orr les
armés de Fra/zt'e au même endroit eu trois
jours auparavant l'échafaud dégouttoit du fang
xdu crime ? Comment & pourquoi le corps
.municipal a-t-il£u fi long-temps des idées il
V
«52 Tableau
fcadès & fi rampantes ? Pourquoi ! OefL
•qu'il vouloit appercevoir de fes fenêtres ôc
^avec la même aifance le (tu de joie & la
potence.
Connoiflèz-voqs , mes chers leâeurs y un
î)eau feu d'artifice ? Ceft celui qu'a donné le
feu roi de Danemarck ; il fit dreflèr une
telle charpente. Le peuple amoncelé s'at-
tendoit aux fufées volantes, au bruit des
-pétards ., des gerbes brillantes & pafl&geres.
•Quatre hérauts d*arm€S , magnifiquement vê-
•tus , parurent aux quatre coins de l'édifice ;
=î!s tirèrent chacun uii papier , le peuple fit
lilence ; c'étoit un édit généreux, qui remet-
toit au peuple quatre impôts fur les denrées,
^es plus à charpe à fa fubfiftance.
Il n'eft pas befoin de décrire un feu d'artî-
%Qe\ toutes les expreflîons n'atteindroient
pas k la rapidité., au brillant , au tonnant
de ces gerbes radîeufes & enflammées qui
charment l'œil fans le bleflèr , & plaifent à
l'oreille fans l'épouvanter ; mais il nous fauf
décrire les banquets ou la munificence des
«chevins appelle le peuple.
Ces buffets font merveilleux dans les def^
-crîptions ; de près , cela fait pitié. Imaginez
des échafàuds d'où l'on jette des langues
fourrées, des cervelats, & des petits-pains ;
le laquais luî-mémc fuît le fouciflbn envoyé
par des mains qui s'amufent \ le lancer avec
Ibr^e à la tête de la multitude* Les petits^
, D E V A K l 9. $}
{mm deviennent , pour aînfi dire , des cail-
aux entre les mains de ces infolents diftrî-
buteurs. Imaginez. enCiîte deux tuyaux étroitS'
qiii verfent un vin allez infipide. Les fortsi
de la Halle & les fiacres s'uniflènt enfera--
ble , mettent un broc au haut d'une longue
perche 9 relèvent en l'air: mais la difHculté
eft de Paflùjettîr au milieu d'une foule ^mr-
portée & rivale y mii déplace inccflàmmenr.
le vafe où coule la liqueur; les coups de^
poings tombent comme la- grêle; il y av
plus de vin répandu fiit le pavé que dans Je*
broc; celui qui n'a pas les larges épaules d'unî
porte-faix, &, qui n'eft point entré dans la^
riguc , pourroit mourir de foif devant ces.
fontaines de vin , après s'être enflammé le
gpfier par la charcuterie..
La petite bourgeoiCe, que la fîmple cu-
riofîcé a amenée , s'écarte avec frayeur de
ces hordes qui viennent de conquérir un feaa
de vin : elfe craint d'être heurtée , ren^-
verfée, foulée aux pieds; car ces terribles.
CQfiquérants vont revenir pour chaflèr leurs-
lîvaux , & mettre à fec les futailles.
L'abj^dion & la mifere, voilà les con^
vives de ces fameux banquets ; voyez - les.
dévorer debout les cervelats qu'ils ont at'-
trapés ; on diroit d'un peuple famélique ,
livré dépuis un an aux horreurs de la di*
fette , & a qui un nouvel Henri IV auroit
envoyé du pain & du porc aflaifonné.
C 3.
54 Tableau
Enfuîte des fymphonîftes déguenillés^
perchés fur des tréteaux, & environnés de
fales. lampions , font crier des violons ai-
gres fous un dur archer; la canaille fait uii
rond immenfe, fans ordre ni mefure, faute,
crie, hurle , bat le pavé fous une danfe
lourde : c'eft une bacchanale beaucoup plus.
grolfiere que joyeufe ; & comment donne-
t - on une aulli fraide orgie pour une féte-
natîonale ? Eft - ce ainfi que les anciens faî-
foient participer les citoyens pauvres à Talé-
greflè publique ?
Si Toiî jette de l'argent, c'eft pis encore:
malheur au grouppe tranquille , où l'écu efl.
tombé ! Des furieux , des enragés , le vifàge
fànglant & couvert de boue , fondent avec
cmpoitenjent , vous précipitent fur le pavé^
vous rompent bras & Jambes pour ramaflèr
la pièce de monnoie : c'eft une maflè qui
tombe & fe relevé , ainfi qu'on voit dans
les forges l'énorme marteau de fer qui écrafe
tout fur fon paflàge en un clin-d'œil.
On eft oblige de fuir la cohue tumul-
tueufe , de fe retrancher chez foi , parce que
Ton riïque de perdre la vie au milieu d'une
populace qui vous blefle pour un cervelat^
ou pour une pièce de douze fols.
Ce qu'il y a de plus noble & de plus
împofant dans ces fêtes , c'eft le Te Deum
qu'on chante dans Téglife cathédrale. Le
Li'uit du canon qui fe mêle par intervalles.
B JE P A^R r S.. 55
au ion de la mufîque exécutée par un or-
cheftre (avant & nombreux , produit un.
éf&i fîhgulief f rare & touchant.
G H A P I T R E CCXXIV.
Mcjfcs. .
v^n dît par jour quatre a cînq mille meC-
fes à quinze fols pièce. Les capucins font
grâce de trois fols. Toutes ces meflès in-
nombrables ont été fondées par nos bons*,
aïeux qui pour un rêve commandoient à ^
perpétuité le facrifice non fanglant. Point
de teftament (ans une fondation de mcflès ;.
c^eùt été une impiété, & Je$ prêtres auroîent
refufé. Ja (epulture k quiconque eût oublie.
c«t article , ainfi que les faits anciens le
prouvent.
Entrez dans une églifc, a droite , à gau- •
che y en face , en arrière ^ de coté , un pré- .
tre ou confacre , ou élevé l'hoflie , ou la
mange, ou prononce l'//e miJJTa cjl.
Des prêtres Irlandois fe font quelquefois .
avifés de dire deux méfies par Jour; &
vu nmmenfîté de la ville, le hafard feul
aiait reconnoître la fupercherie. Un dou-
ble appédt les forçoit à cette double celé- -
firadon.
C4
56 ' T A B L E A U
Dans le Gecle paffî ^ un prêtre du Petit-
Saint-Antoine étoît marié fecrétement , &
tenoit fon ménage près de la place Mau-
bert. Il fe panagcoit avec la même ferveur
entre l'autel & fon époufe. Bon prêtre , bon
mari , père de cinq enfants , il s'habilloit
deux fois par jour pour tromper les rega^
& remplir les doubles fondions qui lui
étoient également chères. Sa félicité fut
traverfce par un cruel délateur j le parlement
caflà fon mariage , & il fut exilé à perpé-
tuité : heureux de ne pas fubir une peine, plus
grave.
L'abbé Fellegrin n'étoit pas marié ; mais
il faifoit des opéras tout en difant la meflè.
Le démon ne préfidoit pas à fes compor-
tions; car elles étoient extrêmement froi-
des. On fit fur lui ces vers :
\j Lt- matin- catholique , & U fiir îMdtre y
// dine de l'autel & foupe du théâtre. ,
Un prince ayant nommé pour fon au-
mônier l'abbé P * * * connu par fes nom-
breufes & intéreflàntes produâîons, lui dit
à fa première audience: M. l'abbé, vous
voulez donc être mon aumônier ; mais fâ-
chez que je n'entends point de meflès. *—
Et moi , Monfeîgneur , je n'en dis point.
Où appelloit mejfe mufquée,^ une meflè
tardive , qui fe difoit , il y a quelques années^
au Saint-Efprit à deux heures -, le beau mondé
'^v pareflèux s'y rendoit en foule ayant le dî«^
B'E P A R I Sr. 5:7
net:. On donnoit trois livres au prêtre , parce
qu'il étoît obligé de jeûner jufqu'à. cette-
heure; la loucutè de chaifes y gagnoit en-
core. L'archevêque a défendu cette meflè ,.
& l'on a pris depuis la méthode de s'en.
Eaflèr. Il auroit mieux valu ne point abolir:
i mejfe mujquée.
Depuis dix ans , le beau monde ne va.
plus kîa meflè , ou n'y va que le dimanche ,,
£our ne pas fcandalHèr les laquais , 8c les.
quais lavent qu'on n'y va que pour eux.
Le' 3 Août 1670,1e nommé François
Sarra^n , natif de Caen en Normandie ,,
âgé de vingt-deux ans , d'abord huguenot y
Îuis catholique , mais toujours ennemi de
a préCence réelle , attaqua l'hoftie l'épée à.
la main , au moment que le prêtre la levoit^,
dans ^é^^[e Notre - Dame , à l'hôtel de la
Sainte Vierge. En voulant percer ladite
hoftie immédiatement après la confécra—
tîon,îl bleflàdedeux coups le prêtre, qui
prit la fuite ^ mais fèshleflùrcsne furent pas»
dangereufes..
Aujffi-tot toutes les meflès ceflerent ; onr.
dépouilla les autels de leurs ornements ; l'é-
glife fut fermée jufquau jour de la. rccon^
ciliation.
Le 5 Août, François Sarra:^nBt amen-
de honorable, ayant un écriteau devant &.
derrière , portant ces mots ^facrilegc impie^
On lui cojpa le poings, & il fut brûlé vi£
^8 Tableau
en place de Grève. II ne donna aucun fîgne
de repentir ni de regret de mourir.
. Le 1 X fe fit la réparation folemnelle di*
faciilege commis. 11 y eut une procefllon
gér.ciaie, où aflifterent toutes les cours fou-
veraii es. Tontes les boutiques, tant de kr
ville que de^ fauxbourgs , furent fermées par
ordre du fieur de la Reynie , lieutenant de
police. Voyez la Ga-j^tu de France i6yo ^
page 771 , jufqu'àla page 79 5^
Aucun facriîege de cette efpece, ^aces
à Dieu , n'a été commis dans notre necle ,
malgré les éci its , les difcours & le grand
nombre d'incrédules. L'on n'ia pas troublé-
la moindre afperCon d'eau bénite ; 8c juC-
ques dans les proceffions publiques du jubi-
lé , le culte , toujours extérieurement ref-
pedé, n'a reçu aucune atteinte.
On dira que la Barre d'Abberîlle a don-r
né un fcandale public. Il n'y a rien de moins
prouvé que la mutilation de ce crucifix fiir
un pont. Ce crucifix de plâtre étoît à portée
d'être renverfè à chaque minute par les
charrettes , & le chevalier de la Barre -n'é-
toît pas homme k tirer l'épée contre un
crucifix ^ il avoît de la raifon & de la phi-
lofophîe. Il mourut avec une fermeté tran-
quille. Le parlement , uniquement pour
prouver aux jcfuites fon attachement à la foi,
rendit un arrêt femblable à ceux de Finquî-
fitîon ; il s'en eft repenti lorfqu'il n'ctoit plus
tcm-^s.
DE Pari s. . $9
On peut affùrcr qu'il ne févîra dëfomiaîs
d'une manière aufli violente ^ que contre
un nouveau François Sarran^n , fi un pa-
reil înfenfé fe repréfentoit^ ce dont on doute
très-fort.
On a Tair d'un fot écolier qui n'a rien
vu & rien entendu , quand on le met a dé-
clamer contre les myfteres & les dogmes.
Il n'y a plus que les garçons perruquiers qui
faflènt des plaifànteries lur la mefle. La dît
qui veut, l'entend qui veut j on pe parle plus.
de cela.
CHAPITRE CCXXV-
Meji de h Pie^ ,
%Jn boargeoîs àvoît perdu pliifièufe fbùr*
chettes d'argent -, il en acàîfa fa fervante,
porta fa plainte , & la livra a la juftice. La
pftice la pendît. Les fourchettes fe retrou-
▼erefat fix mois àpris fiir un vieux toit der-
rière an amas -de 'tuiles, où une pie les a voit
cachées. On (ait q^e cet oifeatu , par un in{-
dnâ ine!xpircahle , dérobe & amaflè. de^
fiiaticres d'or 6c d'argent. Qa fonda k Saints
Jean-en-Greve une me(ïè, annuelle pour le
orepos àc Tzùie innocente. L'àme des juge?^-
iâli^avoît yn piis gnind be&ui.
Q6:
V
6o T A B L 1 A tr
C'eft fort bien fait que de dire une mefler
mais il falloir enfuite rendre L'inftruâion plu»
icrupuleufe , abolir cette peine difpropomon-^
fiée au délit \ car la févérité exceflive de la:
loi Tannullc entièrement ^ & le vol domet
tique , très fréquent parmi nous , eft prefque
impuni de nos jours , parce que le maîtro
& le juge détellent intérieurement Ton ex^
tréme rigueur.
Une punition modà-éejmais inévitable^
rétabliroit îordre bien plus puiflàmment.
.Sur dix fervantes, quatre font des yoleufes»
Perfonne ne veut fe charger de Facculation^
à>caufe des fuites. On les renvoie , elles vor
lent chez le voilm , & s'accoutument à Tim-
punité: ^ -
Il eft trifte d'être obligé d'avoir inceflànir*
ment Tœil ouvert fur les dômefliques , &:
l'on peut dire qp'i Paris il ne règne aucui^s
confiance entre le maître & le fervitciu:. Là
maitreflè de la maifon a une poche rem-»
plie d^ clefs différentes ; elle tient fous le
pêne le vin , le fucre , l'eau-de-vie , les ma*
carons , l'huile & les confitures. Les fem-^
mes de procureurs enfei^netu' le pain & le;
xeftes du foupé , échappa à la voracité des
clercs. L'une d'elles ébnt allée dîner en rilléj,
& ayant oublié de donner k la fervante la
clef de la miche , le troifîeme clerc , qui nç
s'embarraflbit pas d'avoir fon congé , chargçt
le bu&t fur les épauler, d'.un jrobuile porte-Caq^;^
1> E P A R I s. 6h
& entrant dans la falle à njanger , dît tout
haut : La clef, Madame , voici V armoire ?'
CHAPITRE CCXXVL
La Feu-Dieu.
laa féte-Dîcu eft la fête la plus pompeufe
du catholicifme. Paris ce jour-lk eft propre ^
sur , magnifique & riant : on vroit que lesL
églifes poflèdent beaucoup d'argenterie , (ang.
Compter l'or & les diamants; que les orne-
ments font d'une richeflè peu commune , &.
que le ailte ejafin coûte & a coûté excefli-
vement au peuple \ car tous ces tréfors fta-<^
gnants ont été pris fur lui.
On dit qu'on a vu , il y a quelques an-
nées ^ à la proceflîon de Saint-Sulpice , deux
chevaliers de Saint -Louis carcflèr l'orgueil
& le fafte des cardinaux , en portant l'extrê-
mité de leurs manteaux rouges , à peu près
comme des laquais portent la queue à une
ducheflè. Seroit-il poflîble que des guerriers
décorés, à l'appât d'une médiocre ou forte
récompenfe , euflènt pu fe refondre à faire
la fonâion des plus vils de tous les hommes ^
& cela aux yeux de la nation !
Qui ne croiroît , en voyant la pompe de
cette fête , que la ville ne renferme aucua
6t Tableau
incrédule dans (on (eîn ? Tous les ordres de-
Tétat environnent le faint facremeni:. Toutes,
les portes font tapiflces ; tous les genoux fié-
diiflènt ; les prêtres femblent les domina-
teurs de la ville ^ les l'oldats font a leurs or-
dres 9 les firrplis commandent aux habits uni-
formes , & les fufils mcfurant leurs pas ,,
marchant à côté des bannières. Les canons,
tirent fur leur paflàge ; la pompe la plus fo*
lemnelle accompagne le cortège. Les fleun y.
l'encens , la miuique , les fronts proftemés ,
tout feroit croire que le catholîcifme n'a pas,
un feul adverfaire , un feul contradideur ; ,
qu'il règne , qu'il commande à tous les ef-
prits.... Eh bien , Ton a admiré la marche-
& Tordre de la proceflîon , le dais , le fo--
leil, les coups d'êncenfoirs qui jàiliiflènt k,
temps égaux , la beauté des ornements ; on .
à entendu la mufique militaire entrecoupée
de fréquentes & majeftueufes décharges ; Pon
a compté les cardiiiaux , les cordons-bleus ,
les évéques , les préfident^ en robe rouge ,'
qui ont afTifté à cette folemnité ; on a com-
paré les chafubles & les chapes des différen-
tes paroifïès ; on a parlé des repofoîrs : voilà.
ce qui a frappé tous les efprits ; voilà ce qui-
a attiré leur refpeû & leurs hommages.
•• Le foir les enfants font des repofoirs dans
les rues. Ils ont des chandeliers de bois j
des chafubles de papier , des encenfoirs de*
fer-blanc ^ un d^s de carton , un petit foleSl
0 E P A R I s. 6j
cfétaîn. Uun fait le curé, Fautre le fous-dia-
cre. Us promènent Phoftie en chantant, dî-
fcnt la meflc ^ donnent la bénédidion , &
obligent leurs camarades à fe mettre à ge-
noux. Un petit bedeau ùàt le furieux dès que
l'on commet la moindre irrévérence. Les
grands enfants qui le matin ont fait à peu
Îrès les mêmes cérémonies , lèvent les épau-
îs , & iè moquent de la proceflion des pe*
tits , quand ils la rencontrent»
Le marquis de Brunoî, fils du banquier
Montmartel , riche de vingt-fîx millions j
dépenfoit à Brunoi cent mille écus pour le
fepofoir & la proceflion de cetre fête an-
nuelle. Jaloux dlmprimer le plus grand éclat
aux cérémonies de Téglife , il raflembloit de
tous côtés des eccléfiaftiques , qu'il chargeoit
d'ornements magnifiques , & qu'il traitoît
cnfuite d'une manière fpJendide.. Comme
fes parents folliciroient fon interdidion à raî-
fon fur-tout de ce fafte religieux , il répondît
au juge qui lui fai(bit fubir un interrogatoi-
re : » Si j'avois donné cet argent aune cour-
» tifanne , on ne l'eût pas trouvé mauvais ; je
» l'ai appliqué à la décoration du culte ca-
» tholique dans un royaume catholique , &
» Ton m'en a fait. un crime «.
Ce millionnaire a été interdit fur la re-
quête de fes parents. Les détails de f^n pro-
cès font infiniment curieux ; & le caraâere
du marquis de Brunoi eu un vrai phéno-
6^ T A B L 1 A Xr-
mené moral. Il vient de décéder. Son opt^
lence a fait fon malheur..
CHAPITRE CCXXVIL.
ConfeJfionnaL
Je traverfe une églîfe , je vois une robe:
foyeufe , ondoyante , qui tombe avec grâce
fur une jambe dont mon œil devine la lë*-
géreté fie le contour : un mantelet ferre desL
appas , fans en dérober Télégance ;* des che^
veux blonds percent à travers la coëffiire i
je m'arrête , il faut que je devine Page fàni
voir la figure, . . Ceft une beauté de dix-fept
ans , qui eft à genoux dans la boite , le cou
baiflë , & dont Fhaleine douce , firaiche 8c
pure (e perd dans la barbe grifè (Tun capu--
cin V également intéreflànte ^ foit qu'elle
mente par pudeur , foit qu'elle hafarde pat
crainte des demi-aveux. Mais fi elle fe con-
fefle à un jeune vFcaire aux fourcils noirs ^
au nez aquilin , à la belle jambe , aux man--
chettes liflees , quelle borne auront la eu-
riofité de Fun 8c la naïve confiance de l'autre î.
Je ne la vois pas , mais je devine encore
eue fon fein palpitç ; elle parle & n'ofe fouf-
iier. Sans doute elle eft innocente en com-
paraifon de cette &mme âgée qui fait con-!»
D £ F A 11 I s. 6^
^^c- poids. Pourquoi donc la confcffion de
la jeune fîUe eft-clle plus longue î Pourquoi !..•
Qui l'entend î qui l'interroge ? qui fe fcnt
afièz de force , de dignité & de prudence
pour ne pas craindre fon cœur en fcnitant
celui d'une jeune perfbnne qui s'agenouille ^
les yeux baifles , les mains jointes , qui at-
tend fon arrêt ^ & qui ne peut pas pleurer
les péchés qu'elle a commis ou fait corn*
mettre ? Voyez-la fortir du confeflionnal r
elle eft muette , interdite , penfive : elle fuit
vos regards avec une modeftie profonde ^
mais le remords n'eft pas peint fur cette phy^
fionomie douce : la rougeur couvre fes joues;
mais cette rougeur , on ne la prendra point
pour de la honte*
Quand M. de la Lande lut k l'académie
des fcîences un mémoire fur les comètes ,
& qu'on crut qu'il admettoit la poflibilité.
d'un globe venant heurter notre planète &
la réduifant en poudre ; comme une comète
traverfoit alors notre tourbillon , le bruit de
la fin du monde fe répandit dans tout Paris
& plus loin encore ; car il pénétra jufques
dans les montagnes de la. Suiflè. L'alarme
fut univerfelle ; & l'aftronome , fans y pen-
fer, fit plus avec fes rêveries que tous les
{)rédicateurs enfemble. On fe précipita dans
es églifes avec tremblement & frayeur. On
vit les confeflionnaux des paroîffès environ-
nés d une foule de perfonnes qui vouloient
66 Tableau
fe munir d*ûne abfolutîon ;.c'étoît \ cjuî en-^
treroit dans le facré tribunal. Le grand pé-
nitencier de Notre-Dame , à qui fcul eft
remis le droit d'entendre les cas r^irvés y
fut plus afiàilli que les autres ; autour de (à
chapelle erroîent des figures telles qo^on n'ent
avoit jamais vues ; des phyfionomies pâles
& mélancoliques , des hommes qui ârm-
bloîent fortir du fein des forêts \ leur con-
feffion étoit comme empreinte fur leurs fronts j
la crainte & le repenttr commencés n'en'
rk)uvoient adoucir encore la férocité. Le
jour marqué pour le défaftre univerfel , fiit
écoulé fans que la terre eût été choquée : alocs^
tous ces vifages effrayants & effrayés dî^a-
rurent ; la foule devint plus rare autour dei-
confeflîonnaux : les mains qui ne pouvoîent
luffire à marquer du figne de la réconcîlia*-
tîon tant de têtes tremblantes ou coupables^.
rentrèrent dans une oifiveté abfolue^
9 £ F A R t s» $J
CHAPITRE CCXXVIII.
Billets de Confeffion.
L
/archevêque de Paris ^ aufli fortement àé^
claré pour la défunte compagnie de Jéfus ,
que le cardinal Paflionei (i) en itûk l'en-
nemi , s'étoit avifé de rcfufer les derniers
facrements aux janféniftes ; & pour mieux
les diflinguer ^ il exigeoit des billets de con-
fefjion , afin de connoitre quel ctoit le di-*
reâeur de la confcience du malade. Quand
il refufoit les facrements^ on vouloir les ol><
tenir à toute force.
On a vu plus d'une fois un huiflier (ignî*
fier au porte -Dieu d'apporter fur l'heure le
viatique ; le porte-Dieu prenoit la fuite ; Je
parlement le décrétoit ; les deux partis cou«
roient à Vcrfailies pour avoir raîlbn ^ on ne
favoit auquel entendre. Enfin ces querelles
bizarres & fcandaleufes ont fini , grâces aux
gens de lettres , parce qu'on s'eft moqué fort
haut & fort à propos de ces quittances far
cerdotales»
mmmmmmmmmmmmmmm < i i mmmmmmmmmmmmmm^mmmmmmmmmHtmm
(i) Ce cardinil fe âifoît fort de prouver l
papier fur table , que le général des jéfuites dif»
tribuoit pour 14 millions de penfions fecrctef
en Europe*
66 Tableau
fe munir d*ûne abfolutîon ; c*étoît k (Juî en-^
treroît dans le facré tribunal. Le grand pé-
nitencier de Notre-Dame , à qui feul cft
remis le droit d'entendre les cas rSfcrvés ^
fut plus aflàilli que lès autres ; autour de fà
chapelle erroient des figures telles qu'on n*en
avoit jamais vues ; des phyfionomies pâles
& mélancoliques , des hommes qui itm-
bloient fortir du fein des forêts ; leur con-
feffion étoît comme empreinte fur leurs fronts;^
la crainte & le repentir commencés rfetf
pouvoîent adoucir encore la férocité. Le
jour marqué pour le défaftre univerfel , fiit
écoulé fans que la terre eût été choquée : alors^
tous ces vifages eflrayants & effrayés difpa-
rurent ; la foule devînt plus rare autour des-
confeflîonnaux ; les mains qui ne pouvoîent
luffire à marquer du figne de la réconcilia--
tîon tant de têtes tremblantes ou coupables^
rentrèrent dans une oifiveté abfolue.
#
9 Ji F A R i s» Gf
CHAPITRE CCXXVIIL
BiUtts de Cànfc/pon.
L
l'archevêque de Paris ^, auflî fortement dé-
claré pour la défunte compagnie d^ Jéjiis ,
que le cardinal Paflîonci (i) en ^^ck îen-
nemi , s'étoit avîfc de rèfufer les derniers
facrcments aux janfëniftes ; & pour mieux
les diftinguer j il exigeoit des billets de con^
fejfion , afin de connoître quel étoit le di-
reâeur de la confcience du malade. Quand
il refufoît les facrements, on vouloit les ob-
tenir a toute force.
On a vu plus d'une fois un huîflîer fîgnî-
fier au porte -Dieu d'apporter fur l'heure le
viatique ; le porte-Dieu prenoit la fuite \ le
parlement le décrctoit ; les deux partis cou-
roient à^ Verfailîes pour avoir raîfon ^ on ne
favoit auquel entendre. Enfin ces querelles
bizarres & fcandaleufes ont fini , grâces aux
gens de lettres , parce qu'on s'eft moqué fort
haut & fort à propos de ces quittances fa^
cerdotalcs.
(i) Ce cardinal fe fàifoit fort de prouver l
papier fur table , que le général des jèfuites di(^
tribuoit pour 24 millions de pendons fecretes
en Europe.
68 Tableau
Le caraâere du prélat de la capitale for*
mera un chapitre infùiimem curieux dans
Phiftoire du fiecle. Ardent zélateur de la dît
cipline eccléfîaftique, doué d'une volonté forte
& permanente , il auroît eu dans tout autre
fiecle la plus grande influence politique ; &
dans le nôtre même , il a lutté contre le par»-
lement & contre le trône avec une fermeté
inflexible. Son parfait dévouement k- la puiC-
fente compagnie de Jéfus a commencé far
fortune , & il s'eft monué recennoifl^nt aïK
âelà* de route expreflion.
La fkmeufe réponfe dç Jean-Jacques Rouf^
feau k fon mandement le citera à la poftérité
la plus reculée ; & fi le prélat a bien fu lire^
ce morceau vigoureux & convaincant , îl a
dû fentir qu'on pouvoit réfifter aux puiflàn-
ces de la terre avec une forte d'avantage ,
mais qu'il n'auroit pas fallu Jouter împru*
demment contre un philofophc armé d'une
telle dialeâique^
e^L-v^-^j^
CHAPITRE CCXXIX.
Saint - Jofcph.
1^'eft une petite chapelle fuccurfale , fîtuée
dans la rue Montmartre \ mais Molière & I^r
Fontaine y repofent , de ces deux écrivains
B E P A K. I s. ^9
îorîgînaux me plaifent plus avec Fcnclon Se
la Bniyere , que tous les autres auteurs du fie-
<rle de Louis XIV , de quelques noms qu'ils
«'appellent. Saint-Etîenne-du-Mont, qui ren-
ferme les cendres de Blaife Pafcal & de Jean
Racine, m'intéreflè beaucoup moins.
Blaife Pafcal avoit néanmoins des penfées
^e génie k côté de penfées abfurdes.
On fait qu'il fallut toute la fermeté de
Louis XIV , pour qu'on rendît les honneurs
.de la fëpulture à Pauteur du Tartuffe ; qu'un
prêtre oratorien voulut faire faire amende'
lionorable publiquement au bon La Fontaine.;
/enfin, qu'on a refufé de creufec une foflè
cour la le Couvreur & Voltaire.
•CHAPITRE €CXXX.
Protcjîants.. \
ijes proteftants avoient un temple à Cha-
fenton , leauel pouvoit contenir cinq mille
perfonnes; ils y tinrent leurs fynodes natio-
naux de 1613 , 1631 , 1644. ^^ ^^ë^ ^^^^
de Nantes , donné par Henri IV , ayant été.
révoqué par la dure j8c- aveugle intolérance
de Louis XIV, on détruifit le temple en
cinq jours.
On imagina d'établir Cir fes ruines ufi
7© Tableau
couvent où l'on pratiqueroît une adoration
perpétuelle du S. Sacrement, comme pour
expier ce qui avoir été prêché en ce lien
contre la foi de la préfence réelle du corps
de notre Seigneur Jefus-Cfarift dans TEu-
charîflie.
Aujourd'hui les proteftants n'ont plus de
teniple \ ils vont chez les ambafladeurs de
leur communion : ils font néanmoins en très-
Îjrand nombre , & compofent un fixieme de
a ville. Ik n'infultent en aucune manière an
culte reçu , ni à ceux qui le profeflènt ; ils
font paifibles, laborieux, & attendent en
filence un changement que les lumières
morales & politiques doivent infailliblement
amener.
Pourquoi le parlement de Paris, ibllicîté
par 1 autorité royale d'aflùrer enfin leur état
civil en France , a-t-il tergiverfé dans l'ac-
compliflèment de ces vues fages & pater*
nelles ? Pourquoi s'eft-il oppofé à la fîjp-
preffion des corvées, à celle des maîttî-
•ies?... J'examinerois le pourquoi; maïs
jiion fujet m'emporte , & je ne puis Ta-
abandonner.
tTÎ
il £ P A R î S. 71
CHAPITRE CCX-XXL
Liberté RèligieuJL
ija liberté relîgîeufe eft au plus haut de-
gré poflible à Paris ; jamais on ne vous de-
mandera aucun compte de votre croyance:
vous pouvez habiter trente ans fur une pa-
roiflè uns y mettre le pied , & fans cort-
noître le vifage de votre curé : vous aurez
loin toutefois d*y rendre le pain béni , d'y
faire baptifer yos enfants fi vous en faites,
8c d'accomplir la taxe des pauvres ^ taxe
modique , que tout citoyen 4evroit tripler
de Juî-même. Quand vous ferez malade ^
le curé ne viendra point vous troubler, à
moins qu'il ne fbit impoli , ou que vous ne
foyez un homme célèbre ou très-connu.
Vous pouvez néanmoins lui fermer la porte
au nez , fi fa vifite vous déplait trop fort.
Le prêtre n'entre plus que chez le petk
peuple 5 parce que cette claJÎe n'a poiiH: de
portier. Chez tout autre malade , on attend
qu'il agonife : alors on envoie en hâte k la
paroifle^ le prêtre eflbufHé accourt avec les
iàintes huiles. Il n'y a plus perfonne ; la
bonne intention eft réputée pour le fait.
On commande un convoi de cent pifto*
71 TAlLEAir
les , & Ton a à Fenterrement un fimulacre
de confeflèur en robe théologale , qui n*a
jamais vu le mort en vie : on lui donne un
louis d'or & un gros cierge pour cette ccrni-
plaifance. Le curé , le confeflèur , les héri-
tiers , tout le monde eft content : ainfî le
fage décampe k petit bniit pour l'autre mon-
de ; il y aborde en louvoyant , fans trop
choquer les ufages de celui-ci , & ûms eau*
fer de fcandale.
Il y plus de cent mille hommes qui re-
gardent ie culte en pitié. On nç voit dans les
églifes que les perfonnes qui veulent bien
les fréquenter. Elles font remplies certains
jours de Tannée : les cérémonies y attirent la
foule \ les femmes compofent toujours les
trois quarts au moins de l'aflèmblée. On va
dans le carême entendre les prédicateurs un
peu renommés , pour juger leur llyle , leur
éloquence & leur débit.
On difoît à un ^ éque , » de quoi vous plai-
gnez-vous ? avez- vous vu un (èul , facrilege ?
un feul phîlofophe a-t-il troublé le moindre
catéchifme ? ceux qui prêchent en chaire ont-
ils rencontré un feul argumenteur ou con-
tradîâeur ? ils ont conftamment joui du plus
beau droit poflîble , celui de n'être jamais in-
terrompus ni contredits , quoi qu'ils difent *.
L'évêque reprit : Plut à Dieu qu'il y eût de
cmps en temps quelques Jacrileges ! on
penfiroit
» fi P A i I 5. 73
pétnftroit du moins à nous ; mais on oublie
de nous manquer de reJpeS.
On n*a rcfufé la fépulture , que Je fâche ,
qu'à M. de Voltaire ^ & le curé de Saint-
Sulpice a fort mal entendu ce jour - là \e^
intérêts de fa religion. Dix autres curés , à
là place , J'aurolent enterré , parce qu'il étoit
mort; ils Pauroîent enterré de plus, comme
converti & bon jcatholique, ôc ils aui:oient
très-bien fait.
. Son corps n'en a pas moins été dépofé en
terre fainte ; & fi on lui a refufë un fer\'ice
à Paris , il l'a obtenu à Berlin dans Téglife
Otholique , par ordre du roi de Pruflè, bon
Îlaifant quand il s'en mêle. Le fang de
Agneau a coulé fur la. tombe de Fauteur de
Mahomet. Le parti opiniâtre des philofo-
phes n'en, a pas eu le démenti ; ii a obtenu
la mefle pouf le repos de (on ariie, & au-
cun d'eux ne veut être privé de cet avanta-
ge ; car tel eft leur plaifir.
Les juifs, les proteflants, les déifies, les
afhées , les janfénifles , non moins coupables
aux yeux des molinifles , les riennijles vi-
vent donc à leurTantàîfie; on ne dlfpute plus
nulle part (ùr la religion. C'eft un vieux procès
définitivement juge ; & il étoit bien temps,
après une inflruûion de .tant de fieçlçs. Il h'y
arien qui annonce un plus mauvais ton , *
^e de vouloir railler un prêtre dans une fo-
ciété : il.faitfonniétier^ienient,ainri cjuun
Tome //. D
-74 T A H L £ A -U
^officier fait le fien. Qii ne fcandâKfe pW
perfonne^ & Ton n*eft plus fcsmdàlîfë.
Quand if arrive tm jubilé, on cooit les
r ^glîfcs pdf ton : itiah cette ferreoMft paflÀ^
gère ; oc; C6ut qui ont vdtrbr fè montrer 4Sà^
ttoîhbredes croyaùts ^ pocor fe difUngtier^ ohh
blient leur rôle trois mens aprè», & retom--
^Jbent dans rinfoifciancif ^6ale , cjÀ tfaffué*
térife aujourd'fitii k ce iiijet tom lei hmatofé
de la capitale qui ne (ont pas peti^.
Le!s lamieres ont amené ce twtsà dcfifia-
;b1e, & le fanatîfme eft rédfait k fe àéfOteÈ
lui-même. On rfentfend fins parler di> 'yuÀ*
' lïifme 8c du molihifme que dans qMelqiie^
lïiâifons obfcures, ou régnent fat fottife df
rhypocrîfie ; & patt^elques feiîmtesqWyB*
pouvant partager les plaifirs dti monde ,'ÀmM-
cûpent de ces vieilles dîfpotej devant dA
habitués de paroîflè , (Kreôeurs nés àt hl
, canaiBe , & piîefqoe confondus avec elte*
M
c H A F î r R E CCXXXîl
Plébéiens.
,j\lâîs âûffi \t liherté pôMqite^ cfâ fert*
eftcore plus prérfeufe , a Paris eft nulle. Je*
fuppofe que Fon veuille refïofciter patfmfrtoot
lld Jttqna dcplçbéU/iS : eh bien ! cela ftroîtinf^
* D E P À R ' I 5. 7^
• pôllîble , parce qu'il n'y auroit aucun fens
> attaché à ce mot. On ne pourroic pas dire Iç
plébéien François ^>aînfi qu'on dit lepléBéicrt
Anglois. Le plébéien n'exifte pas a Paris : il
^ftjyeUplé, populalce ou 6ourg.eois : il a dei
titrfô', des makons, des privilèges ou de*
dîatges -, mais il n'a pc^nt d'exîftence politî-
-t^uè : il rfâ ni Fhabitudé ni le pouvoir cfex-
poféî fans cofttraînte fa haine ou fon mécon-
tônferfielit. ï>e plébéien Anglois )uge, pour ♦
âind dite eh corps , fes intérêts & (es guides:
Il a un càraSefe de raiibn & de reâitude. Lé /
, peuple dé P'aris ^ ptîs en mafle , n'a point cetl
it\ftinâ lur qui démêle ce qui lui ferôit con« /
vensAlé, parce qu'il manque d*inftruSîonJ
qu'il né fâtt point lire, aînu cpie le plébéien
Anglois.
Comme il ne jouît poîrit de la liberté de
la préfïe , il manquera long-temps de capa-
cité ^ il elt voué à l'ignorance. Sonpatrio^
rifme n'étant pas éclairé, il eft néceflàire-
ment foible ou ne connoit que des faillies
ui fe réfroidrflènt. Il nV pas même la ïitert^
[e fe livrer k fes afFeélîons : on redouteroit
peut-être fes applaudiâements autant que fe^
naunnures.
Paris enïn n*a point 4e bouche publique ^
par où s'éthappc fe crî fort & direft de la
vérité : elle ne tonne jamais à Toifeille d»
fouverain ; elle fort d'une manière timide &
détournée du fein du petit nombre quiv,
4}^
t
76 T A B X £ A. U
fupportant moins le fardeau des mau^-pa-
' fclics , voit avec plus d'indiffirencc ies mé-
prifes du gouvernement.
Aînfi point d'aftivîté, point d'énergie
pour les chofes publiques , parce que le peu-
ple n'a ni le droit de parfer ni d'être écouté.
Il fait très -bien qu'on .métamorphoferoît
en attentat fcdîtîeux , en révolte illégitime ,
k contradiâion la plus légère, la moindre
impatience , & il fe rend fimple fpeâateur
âes opératiotis miniftérielles. Il croit que le
gouvernement eft , comme le cours du foleil ,
phyfîquement déterminé par une nature in-
variable. Auffi la ftupîdité & Ilgnorance po-
litique font le caraâere de la multitude à
Paris, plus que dans les iautres pays de l'Eu-^
rope ; & je n'en excepte aucun.
On ne peut donc rien imaginer de plus
fot que la manière dont un bourgeois parle
des pliiflànces voifines. Il arrange tout fiar
Kdée àwjyndic de (à communauté , 8r il
prend la hiérarchie du commiJPairc, du Ticu-^
' tenant de police , & du minijtre^ pour le
modèle de tout gouvernement. Il ne conçoit
pas pourquoi des républicains fe mêlent fi
' vivement de la chofe publique ; il eft dîfpofé
à les regarder comme des mutins, des ledî-
tîeux , qu'un roi devroit moriginer , pourries
! rendre plus paifibles.
i> E Paris:. 77
C H A P I T R E CCXXXIII,
Capitation. t
X oute tête laïque la pale , même lê dàu-»
phinde France v, comme premier fujet , ce qui
eft un bon perfifilage. J. f. Rouflèau s'étoit
obftlné à ne point payer de capitation , allé«^
guant que le bureau delà ville, qui avoit alors
le département de Popéra, luidevoity&ir^/z/e
mille francs pour fon Devin du village.
On étoit fur le point d'envoyer gamifon
dans fon grenier , lorfque le receveur averti
k temps, por^ le cas litigieux au tribunal du
prévôt des marchands , éche vins & quarte-*
Di'ers. II y eut afîèmblée ; & après avoir re-
cueilli les voix, il fut décidé qu'on remettroifr
généreufement les trois livres doic^efols dé-
capitation (i) k l'auteur H Emile.
Tofe attefter ce fait , ayant été témoin des*
pourfuites & de la réfîflance opiniâtre de
Jean- Jacques. Il avoit défendu k & femme
8ç à fes amis de payer pour lui au bureau y
fous peine d'encourir fon indignation éter-
nelle« On lui objeâoit que. la garnifon n'a-*
voit point de reiped pour les grands écrî-s
(i) C'eft la taxe ordinaire d une fervante*
D 3
78 T A, jl L )l A U
yaîns , quels qu'ils fuflènt. Eh bien ! répond.
dSt-il , fi Von s'empare 4^ ma chambre &
4e mon lit , j'irai m'ajfeoir au pied if un
arbre ^ ^ là y y attendra^ la mort, }\ éio\t
homme k le faire comme il le difbit : heu*
reufement qu'on reconnut à temps quel
homme pauvre & illuftre on pourfuivoit, Jl
demeurent alors au cmquiem^ ^ge ^ rue.
Plâtriere, non loin de U gr^de pofif.
Cecinippt, qui ifà point un titre hono?.
xsiûXe , alarme plus que le$ dixièmes & qu^
]§s entrée , parce qu'il frappe direâtment
^n^yjidu , & qu'il foumet fa pcrfonne. S ;
lappoirte peu en comparaifon des autires im^
pphtipns. Il ne difpofe pas le citoyen à coo-
f^yoir de lui - même un noble orguc'ûi
VIW 9 grâce au travail financier , il prend
dlpiiis quelques années, un accroiilèment atw^ .
bitraire, qui ne tarderoit pas à le rendre
Ipurd & r(?dout^ble , fi la voie des réclama*^
tjQns n'ctoit pas ouverte. Le prévût'des mar» .
chands eft juge en cette partie j & il fait
4rQit aux requêtes^ quand on s'y prend de .
boni)? heure. *
A cette capitation fe joignent Iti; quatn»
{pis pour livre , & la taxe impofée pour 1»
ràablidèment du palais , &c. Tout cela coni-^
pofe un fecpnd impôt prefqu'équivalent au
premier.
. ^Sî Id finaiic^ n'étûit pas i'amipodede la
rgifonôç^e riuim^nitç, l'impôt feroir aflkv.
j[>^p P A B. r s: 70"
Giï lés arts 8c le luxe, tels que les équipa^
ges , les h&tels^ les liiqtiaîs , les jardins ea*
dos dans la ville ^ 8c Ton ne demanderok ^
de Ysageùt^\Ji-k ceux qui ont de Targent.
Si Ton ne payoît pas fa capitatîon , il n y
aorolt pas âLCXôcution civile ; c*eft-à-dire , ^
<|Lfon n'cnleveroit pas vos meubles pour les -
vendre fur le carieau : mais il y auroit exé" -
çution miluaire. Le receveur , au nom du
J»! de France ^ vous^ enverront gamijbn ,
St vous auriez chez vous des loldats qui
conchcroient dans votre Ut , 8c qui feraient
la foupe dans votie âtre.
Zi'opéra donne tous les ans quelques re-»-
|>rérema)tîon5 extraordinaires pour la capita —
ikyn des acieurs Ainfi ils paient en monnoie
de finge vc'eft-^-4ire,en lauts 8c en gani-
B^es : le furplqs leur tient lieu de gratî- -
fieatian» •.
Il ya des capîtitîons de trente fols ; 8c '
Ton envoie des commandements de par le
rot dans des cecoins placés fous des tuiles y. .
8c ouverts \ txx& les vents. Dans PInde ,
les pauvres paient le tribut avec des poux ; ,
ils donnent ce qu'ils ont. Les infortunés dont
je^ parle , s'acquitteroient beaucoup plus fa-
cilement félon la méthode indienne.
Des extenfîohs iaiçperçues ont doublé
graduellement la capîtation. On a augmenté *
de la même manière les vingtièmes , la .
taille 8c JeS'-acccflbiresi 8c pendant quel*^
D 4
8o Tableau
temps ? Sous radmîniftratîon de M. Necker.
n a cependant pafle pour n'avoir pas mis
d'impôts.
II faut que le bourgeois de Paris ait Fat-
tention de ne pas ranger le commis de la
capitation & des doubles vingtièmes parmi
les citoyens honorables. Il doit, conforma
ment à refprit & àlexpreffion de TEvangile^
les regarder comme des publlcains. Ceft
une petite vengeance légitime , qu'il doit
exercer en paflànt pour punir à fa manief e
les âpres agents du fifc & la dureté de leur
emploi , & fouvent de leur caraâere ; car
ils font toujours difpofës a fe feparer-de Fîn-
térêt général des citoyens , pour embraflèr
& faire exécuter des loix arbitraires. Ainfi
l'on ne doit pas les efiimer par leurs fonâions
qui ont un caraâere oppreflif , ou du moins
abufif. Voyez ce que M. Necker dit lui-
même au roi , de la capitation foumifc à
des principes incertains , & qui excite
fréquemment des difficultés & desplaintes.
Il avoue qu'elle dépend d'une répartition
arbitraire. Qu'ajouter à ce mot î
; "'
'■•.«..'.
D I P A^ it r S. 8r
CHAPITRE CCXXXIV.
Filles d'Opéra^ .
X-i'argent coule pour des fêtes , pour des
fpeûacles , pour les ftrvoles jouiuances du
luxe. L'opéra , fur - tout , elt entretenu \
grands fraîs^ ^ pour efFémîner les courages ^
fondre lés têtes fortes de la. nation dans Iç
creufet de la volupté , & les couler en mpL
ïeffe. ^
On. n'a rien épargné. L'art des enchante^
reflès prodigue ces molles pofturcs qui jet-
tent Vétiricnle des defirs dans de jeunes or-
ganes. La^hardieffè de leurs regardî^, iqui de-^
vroît révolter, invite, une. folle . jeuneflc.
On •ubiie que ces beautés ïbnt à. prix d\jr,
& qu'elles ont. des. rivales qui ne font point
vénaleis. On leur prête miHe gçaces picjuai*.
tes , parce qu'elles femhlent pleines dii dieu
qu'elles célèbrent & qu'elles chantent; & ce
n'eft que dans leurs bra^ qu'on . fe djéfabufe
de leurs ,charmes. Toute viâîme de la dé-
bauche eft toujours une froide prétrefle de
Tamour. ^'
Une fille eft enlevée au pouvoir paternel*,
dès que fon pied a touché les planches du
dieatre. Une loi particulière rend vaines les,
loix les plus ^ antiques & les plus folenuiel'* .
les. Cme fille d'opéra fe montre aux foyen c,
tputç r^fplencjiflànte 4^ 4îani^t$ : çlle e(l .
refpeâée de fes compagnes , k raifbn de Gl
robe éclatante ^ de f%*vaitMre. légère , de{è& ;
chevaux fbperbes. Il s^établit même un in->.
tervaUe entre elles , fejpn le degré 4*ofwlenf ^
ce , & Fpn ne dirpît plus que la plus riçlie
feit le rneme rnétiçr. plj^ reçph ^vac haij^ .
. teur celle qui débute : d|e..trj|îte avee l^ WÇ- .
durefcnm^e de qq^ilit^i ,1c lïijouttpr fédui-^
f^nt & Pinduftripufe marçluiruip dc mo4e$. .
Le magifb-at déride fon front en fa pré{èi)çe ^ .
le çpurtifaix lui (burit , le ^lilife^r^ p^pfiç la ,
^rufqwer. Sa .toilette eft tpqs Içs m^ôite fw- -
ç^iargéç de npi^vpaux préfents; le Ptâol^
fejnplç rouler éterpellement çhe:^ elle*..
Mais la nipde qui l'élevé vient k çba^gçf»
Une petîçe rivale qu elle n'appercçvoit pm^ ^
qu'elle dçdaignoît , fe rpet jniblçniimcnt for r
Igs rangs, brille , J'éclipfe, & fait àéfeiKçt <,
fpn fallon. La courtifanne ^i^pçrbe ^ qupi-
qu'ay^^nt encore de la beauté , ft trouve Fan- _
née fuivante ftole > avec dçs dettes imnajeii-
lès. Toqs les aniapts fe fpxit enfottîsL; 8c
^u^id fes a|&ires ff ipnt liqu^çes ^ ^ peîrvp ^
aura-t-elle de quoi payer fa chai^fl&ît.^ftf./
feftjrauge< .
ir « P A K T s* 83;
CHAPITItE CCXXXV. .
Répugnance pour le Mariage. .
X ai^db que tant de filles }ouiflênt d'une ?
liberté lîcendcufe ôc (jui ne tooroe pas mê- >
me an profit de la popuUtîon>*Que ferer<«
vous de ce. nombre infini de nues, (bus ;
Taile de leurs parents 9 auftei^ gardiens de :
kurpudicité^ & qui {bm condamnées par
lear indigence ., ou pat leur fotte fierté, k
paflèr leur vie dans le célibat ? Ne (bn^-retles
pas inceflànniment ûirle baisd de -Tabyme^j
&.ne deviendront-elley pas tôt ou tard la
proie de la niéUncolie oa^e la débauche ?
Xa beauté & h vertu n'ont parmi nous
aucune val^r, (i une dotue vient à leixt
appui : il &ut qu'il y ait un vice radical dans
notre Jégi^telûon i ifiûi6{m les bomnies fiiient
& redoutent de figncr le plus doux des con- •
Q3is« ËSra^-des cbarge^ (|i>ntraine k titre
^; nwî^ l'bômnir nt vem plus j^yfit k tri-
Itoi à une p^e it^^f ou abufêe.
Ck les i^nvu^s o«it agi çcmtr^ dks-nïê-
Wif^' en fe livrant i»M^l^xry op lyyis rve fom^
nM^ pas ébignéa du deri^ tmr^ die la cor^
ruf^n. On ne presid pb$ de iemmes (ans
4»&>j(« biM»nafs.m k vsmcpt plu$ ou xie:
84 TABLEAU
fe marient cpi^k regret. Quel renverfement
dans Tordre focial ! & quel eft le remède &
apporter à ce vice politique ?
Comment n'y auroît-îl pas des célibataires
dans une ville oii le vice trouve tant de fa-
cilites } 8c comment la diïïîpation de nos
femmes , le mépris qu'elles font de leurs de-
voirs, n'épouvanteroient-ils pas les hommes
fur les fuites d'un nœud que Fufàge tourne
en ridicule , que lés loix ne protègent crae
quand le mal eft fait , & qu'il n'y a plus
rien à ajouter au fcandale ?
Détaillons dans les chapitres fi]ivant:s ce
qui fait^ pour ainfî dire , du mariage un.ob*
jet de dérifion. Tout Pavanoge eu pour le
vice i & que refte-r-il k la vertu î
c H A p I T R E ' ccxxxrr:
Le Nom que vous voudrc^: ^ ■
JL#a foule nombreufe des courrifànnes, qùî
anétent dans leurs filets la jeuneflè la phi^
brillante , & l'enlèvent aux autres femmes ,
a fait naître à Paris une efpece de femmes ,
qui, fins avoir l'efïronterie du vice, n'ont
pas l'auftcre rigueur de la vertu. Elles n'ont
pas la même adùrance dans le maintien ^
mais le regard à peu prè$ auifi çpinpiaifant:
D E P A R I s. 8^
•lies ne reçoivent point d'argent , mais elles
acceptent des bijoux qui ont un air de dé-'
cençe. Elles déclament afFreufement contre
les filles , leurs rivales & leurs ennemies ;
mais tantôt elles ont perdu au jeu , elles fè
plaignent tout bas d'être ruinées , & on leur
prête fecrétement de quoi n'être pas gron-
dées de leurs maris , qu'elles favent craindre
& non refpeâer.
L'homme qui veut les pofleder , n'auxa
guère que la peine de changer leur navette,
leur étui , leurs boîtes, parce que l'or ne fera
point de pluGeurs couleurs , & qu'il cft indiC
penfablê que la mode à cet égard foit coni^.
tamment fiiivie.
La mode autorifeque ces femmes femon»
trentau bal , au Colifée, aux (peâacles; &
tju'on ne dife pas en les rencontrant, ccjiime
telle, mais c'ejl Madame. une telle ^ à qui
M *** donne le bras. Malheur à qui voudroit
en médire ! Tout le cercle des bonnes amies ,
qui , de proche en proche , fe prolonge joC-
qu'à l'innni , préndroit feu ; & toutes les fois
que lemédifant fè préfenteroit quelque part ,'
on auroit des migraines a fbn fervice ; il fe-'
roît regardé comme le perturbateur de tous
les petits arrangements de fociété , & ,
pour fe fervir du terme reçu , un monftre.
Cette épithete m'avertit de clorre bien vite
le chapitre.
tf 7 A B L I A^ITM
C H A P I T RE CCXXXVILl,
De certaine Femmes. .
Oii les femnii» attaquoîcht , que de^icn^
drions-nous devant leurs chamies ^ devaor ^
leur audace paiHoutKC & leurs amo^rmix :
tranfports ? La nature leur a donno la pudcu jr ,
^ eft une fuite du. défaut de forces qui leur
ont été (àgement réfutées. Aujourd'hui çf r^. -
tatnes femanes par défoeuirreniimt , par ciirÎQ-
titèSc fur- tout par ambition , ne s^erdHènt
point Pattaque : nms le fyftên:»e de la nature
xHeifi pas xomçvi pour cela \ les homaies onU
ÎP droit de refufer ^ ou en font quî«e po«t r
miepajfade
Ce petit chapitre ne fera point entendâ t
dans les pays fortunés où règne eiKore Pin- -
nocence : ailleurs il ne. le fera que .trop. Jç ?
n**i donc pas befoîn de Fachever. Cc^ bîen^ i
à ïegrçt que ma plume touche à CIR t^cpEj I-
tuàes V nuis je pewis Paifise :.
r, *^*
ir-E >Fa ,». r «i . ZT
CHAPir|lJ& ÇÇXX5CVIÏI. .
Fitks publiques. .
JC^lles fe donnent après tout pour ce <ju*élles. ^
font \ elles ont jtjin vice de mo}ns, rhypocri--
fie : elles ne peuvent çaufer les ravages
qu'une femme libertine & pnide occafîoniie
fou vent fous les fauf&s apparences de.l^mo*
dcftie & de raipoof ^ Maihenreu(ès viâlnir$
dç Tindigence qu de ^abandon de leurs pa-
rles , rarement délerminées par un tenV:
péranicnt Ip4guf luc ; elles ne s'ofienfent m
dç' routrage m du niépris ^ elles font avi^
lîçS à leurs proipres yeux V & ne pouvant
plus régner par les grâces de la pud^iu , elles^^
^ jettent du cuté oppofë, &el]es étalent l'a»-»
daf e de rin^amie.
Mais il y a encore des degrés dans cet
abyme de corruption ; Fune fe livre tout-
J^-U-foîs aux plaîfirs & a l'argent; Pautre ^
^â une brute qui n'a plus de féxç , Çc qui he^i'.
fertt pas même la dériSou qu'elle infpire.
Nous n'ofiÈEinferons pas ici les oreMfes _
chaftes , ni les yeux de nnnoçence , en leur':
p][érentaii|t les icen,es de b débauche & de
fa crapule ; nous tairons les fantaifîes du li^
feçttioage.^ leç f^ûlftes &.le5 fougjiies. de ceçfe:
88 Tableau
cinquante mille célibataires voués k trente
mille proftîtuées. Elles ront a ce nombre.
Ua peintre qui a. du. génie , M. Retîf de-
là Bretonne en a tracé h tableau dans {5n
P ayf an perverti: les touches^ en font fi vî--
goureufes , que le tableau en eft révoltant ^
mais.il n'eft malheureufement que trop vrai.
Arrêtons-nous, & gardons-nous d'épouvan-
ter les imaginations fenfîblcs ; car les dé-
{brdres voilés deThumanité ne. (ont pas bons,
à.mettre au grand jour.
Di{bns feulement, que le nombre des^
filles publiques ne favoriiànt que trop le dé-
(ordre des pafHons , a donné aux jeunes,
gens un ton libre , qu'ils prennent avec les.
femmes les plus honnêtes ; de forte que dans
ce ficelé fi poli , on eft groflîer en amour..
Nous fommes fi élofgnés de la galanterie
îngénîeufe de nos pères , que notre converr
fation avec les femmes que nous eftimons
le plus , eft rarement délicate. Elle abonde:
en mauvaîfes plaifanteriés , en équivoques &
en narrations icandaleufes. Il feroit temps
de corriger ce mauvais ton ; c'èft aux fem-
mes qu'il appartient d'établir la réforme, en
ne permettant plus ces propos qu^êlles ont
été obligées de loufFrir , fous peine de palier
pour bégueules»
Les pa (fions honteufes & publiques por-
tent avec elles leur contre-poifon , & ne font
pas peut-être fi difficitesà réprîixcerque cçlt
t
1» £ P A H I s. 89
dent le dérèglement paroît excufàble \ en<-
forte que je croirois o^xxrxt fille publique eft
lus près de devenir hpnxiéte fenimie , que
femme galante.
Mais le fcandale des filles publiques eft
pouflë trop loin dans la capitale. Il ne fau-
droit pas que le mépris des mœurs fût fi
vifîble , fî affiché : il faudroit refpeâer da-
vantage la pudeur & rhonnêtetc publique.
Comment un père de famille, pauvre 8ç
honnçte , fe flattera-t-il de conferver (à fille
innocente & intaâe dans l'âge des paflions ,
lorfque celle-ci verra à (à porte une profti*
tuée mife élégamment, attaquer les hommes,
faire parade .da vice , luriller au fein de la
débauche, & }ouir, fous la prote&ion des
loix même , de la licence effirénée ? Le retour
qu^Ie fera (nt tWe-mème lui dira qu'il n j^
a aucun prix (blide attaché à l'exercice de
la vertu , & elle fe laffèra de fe combattre
elle-même, La raifon ne pourra pas lui faire
appercevoir diftinâement les avantages qui
rélultent de la fageflè \ elle ne verra que
l'exemple le plus dangereux des (eduâeurs ,
fiir- tout pour (on fexe.
Auflî n'eft-il guère poflîble que Timagî-
nation la plus hardie ajoute à la licence des
moeurs aâuelles : la corruption dans le der-
nier ordre des citoyens , ainfi que dans le
premier , n'a pretque plus de progrès à faire.
On compte à Paris trejjte mmt filles pu**
JO T A B t Jî A ir
èliaues^ c^eû^li'iii^ y vulgivagacs ; & d»
mule enriron moins inaecentes^ qui font
tntretmujts^ & qui dTannée pn. année par-
lent en di^rentes mains. On les appdloff
autrefois fimmes amour$i^s , jfflkr fMf^
de leur corps. Les ffles poUiones ne font ,
point amoureiifes ; & 1î elles iont foHes df .
leur corps 9 ceux qui les ûéqaentent fbm.
beaucoup plus in(èn£és.
La police va chejxher des tjpionncs dans >
ce corps infâme. Ses agents mettent cc^ <
malheureufès à contribution , ajootent leiii$^ .
defordres aux défbrdres de la cfaofè., exerr*
(Cent un empire fourdement tyrannÎMe (îir -^
cette portion .avilie , qui penife qu'îi ny a
plus de loix pour elle. Ilsfe montrent enfin -
jguelauefbis plus horriblement cortompiQ .
que U f^\:*^ viîv prQftîcvïçc ; car ceBe - d îic-
quîert le droit de les traiter avec méorS^ ,
tant ils remportent le prix de la bafleffè!
Qui 5 il y a des êtres au-deflbns de ces fem-
mes de mauvaîfe vie; & ces êtres font cer-
t^ins hommes de potuè^
Une ordonnance de police fait dëfénfii
ôiîx marchands de louer à ces femmes^ à ;
prîx d'argent , à la femairie ou à la journée,
des robes y des pellffesy des moMelets y &
autres ajuftemen^s; ce qui prouve cfùn côté
Fextrême mifere, & de Fautrc Tufure ef-
froyable que ces marchands ne rougiflbient
p^ d*exercerfur . ces créatures^ qui n'ont m
D^ E P A It I S. 91
meubles ni vêtements , &, qui fentient la
iiécêffité de (e parer , afin d'être payées i uq
plus haut prix; car une petijfc fe rtnd pliiit
exigeante qu\in eafaquin.
Toutes les (èmaines on en fait des enlè-
vements noâurnes avec une facilité qui ,
liep exccffive , ne fàuroh msuiquer de dé-
plake au fpëculateur politique , malgré le
mépris qu'inlpir e f efpeQç que Ton traite ainfî;
Le fpéculateur Songera à ia violation de
Kàfyle dpmeftique dans les heures de la
fiuit , à la fplbleflè du fèxe, aux mauvais
traitements qu'il efliiie , & aux inconvénients
qui peuvent en réfiilter , ces créatures étanjt
quelquefois enceintes ; car le libertinage ne
fcs difpenfe pas toujours d'êtr.e mères*.
On les conduit dans l^ prifon de la ruç
S^ Martin , & h dernier vendredi du mois
cUes pttjfent à la police ; c'eft - à - dire ,
qu'elles reçoivent à genoux la (èntence qui
les condamne à être enfermées à la Salpc-
triere. Elles n'cmt ni procureurs , ni avo-
cats, ni défenfeurs; on les juge fort arbir
ttairenient.
Le lendemain on les fait mcinter dans,
an long chajrriot , qui n*eft pas couvert. Elles
•font toutes debout otpreflSes.. L'une pleure^
Fautre gémît ; celle - ci fe cache le vifage j ,
les plus effrontées foutîennent les regards de
la populace qui les apoftrophe v elles rîpof- -
lent indécemment ,& bravent le$, huéei.
92^ T A i L E A u
qui s'élèvent (ur leur paflàge. Ce char fcaii"»
daleux traverfe une partie de la ville en pleio
jour ; les propos que cette inarcfie occa^
fionne font encore une atteinte k rhonné-;
teté publique.
Les plus huppées & W matrones , avec
un peu d'argent, obtiennent la permîilioii,
d'aller dans un charriot couvert*
Anivées à l'hôpital , on les^ vifite , & on
l^pare celles qui font infeâées , pour les-
envoyer a Bicêtre , y trouver la cjire pu la
mort : nouveau tableau qui s'ofire à ma plu^r
me , mais que je recule encore y frémiuànt
de le tracer , & non guéri de fimpreflioa
honible qu'il a laifïee dans tous mes fens.
O toi qui loin des villes refjpires eu paix
l^r des monts, heureux habitant des Ah
pes ! tu ne vois autour de, toi que des beau-»
tés innocentes, pures , intaâes, comme la
neige qui couronne les fommets refplendiÇ-
fants de ces montagnes qui ceintrent l'ho-
rizon \ dans ce fë jour des vertus , auffi éloigné
par tes mœurs du fiege brillant de la cor-
ruption , que tu en es loin par te^ goûts (im-
pies & paîfibles, apprends à connoître &
k mieux goûter les chaftes embraflèments
d'une tendre époufe^ & les careflès d'une
fœur aimée. Tu fais combien la pureté de
l'amc & la modeftîe vraie &. touchante
prêtent de charme & d'intérêt k. la beauté ^
quelle diftance infinie fé trouve entre le fou-
B B Paris. 53
rire maniéré & le regard d'une Parifîenne ^
& le front animé & pudique de ces vierges
brillantes de fraîcheur &c de fanté, pour
qui la débauche cft encore un mot fans idéesj
Ah ! trop heureux républicains , confervez
tous , dans vos paifîbles retraites , cette pu-
reté de mœurs, gage de la félicite & des
vertus domeftiques; pleurez fiir le jeune im-
prudent , qui épris d*un vain fafte , amou-
reux d'un luxe puérile , trompé par une li-
berté licencieufe , va fe précipiter dans les
Eroflieres voluptés de la capitale ; retenez-
ï , enchaînez-le v & de peur que des mots
honteux neyiennent frapper les chaftes oreil-
les des jeunes beautés qu'il abandonne, &
qui les fcroient rougir fans qu'elles en com-
priflènt togte l'étendae, dites-lui en langue
non vulgaire: SiJIe ^ mifir ! IbiAaxus &
avaritia màtrimonio dcfcordi jungiintur .;
ibi ingenuitas moriim corrumpitur & ven^
ditur auro ; ibi horribilis cacomonades
Vcneris temphim & voluptatum fedts ocy
cupat ; ibi amoris fagittce mortifcrœ &
vcncndtœ ; ibi exercentar artcs damnofœ
Jeu fdhtm vanœ & prorjîis inutiles ; ibi
moventur Ut es & jurgia ; ibi jujlitià ipja
gladium pro miferis tenet ; ihi tndèros
agricolas excoriant & procurator & pu-^
blicanus , nec mijjiira cutem , nijî pUna
cruoris , hirundo ; ibi faftus & opes do^
minantur; ibi virtus laudatur & alget.
\
94 T A U L È A TJ
dum vida coronantur. Undc vroyerbium,
frcqmns &fokmnc : omne mahim ab urba
On peut évaluer k près de cinquante milr
lions par an , Targent qu'on prodigue aiix
Jiïlcs publiques , en les comprenant toutes
fous cette dénomination. L'article des au«
mônes ne va guère qu'a trois millions.^
•ilifproportion qui donne à réfléchir. Cet
argent va aux marchandes de itiodes , ixA
f>i]outiers , aux loueurs de cslrroâes , aux trâi^
teurs , aux ai4>ergifles , aux hôtels garnis ^ &c
Et ce qui infoire un profond eflfroi ^ c'eÔ
H^e fi la proftitution venoît aifclïer tout<>
:a-coup , vingt mille filles p^i^^m de mU
{ère, les travaux de ce fexe malheureux ne
pouvant pas (uffire ici à fon entretien ni 4
la nourriture. Aufli ce débordement eft - il
comme inféparable d'aune ville populeufe;
& une infinité de métiers ne fiibfiftent que
par la circulation rapide des efpeces qu'en*-
tretient le libertinage. L'avare lùi-méme tire
(on or de fon coBre , pour eft acheter de
jeunes attraits que le befoin lui foùmct v
unenàfEon plus forte a dompté fa padioti
chérfe. Il regrette fon or, il pleure vïîwi
for a coulé.
m-E Paris. , 55
C« A FI T R« GCXXXIX
Xcfuriifanrtts^
^Jn appelïê iiece nom celles c|uî ^toujoufs
couvertes de diamants, mettent leurs faveurs
à la ^us^ haute eficliare, &ns avoir <)uekjue-
fois pJïas de Beauté que Kncfigente qui fc
vend à has pkc. Afeî» le caprice ^ le fort, le
manège , un peu d'art pu d'efprit mettent
- une énorme diJance entre des femmes qui
rfont que le même but.
Depuis Ts^tiere Laïs qui vole k Long^
. <^hamp dans, nn brillant équipage ( c|ue fans
fà préfèno^ licencieufè on attribueroit ^ une
jeune ducJbeflè ) ^ ji^qu'à^ la raccrocheujt
c]ui fe moffond le foir au coin d^une borne,
- quelle hiérarchie dans le même métier ! Qut
de diâinâiôns^de nuance»,* de noms di-
' ven^j. & ce pour oscptinifei l^éanmoins une .
feule & méme4:ho{è ! Cent n^ille livres pac
. aov, ou ude pièce d atgent oa de monnoïe
pour un q(iart-^d*heu[te y xau&m ces déno-^
niinaii^ns qirrne niafqueîit (f&e les échelles
du vice ou delà profonde kîdigence*
On peiit pincer les-oourtifannes entre le»^
femmes décèmmém «i^reienues Ôc les filles
publiques^ Uirauteufk^a ttès^bien définies*
.7»Sdw les prendroit , dît-il , pour W femefleS
9^ T A B L E A jr
» des courtifans ; elles ont efFeâivement tous
x) les mêmes vices , emploient les mêmes
» rufes & les mêmes moyens , font un mé*
» tier aufli défàgnéable, ont autant de fkti*
» gués, font aum infatiables; en un mot,
» leur reflêmblent beaucoup plus que les fe--
j> melles de certaines efpeces ne ii:flêmbka(
»k leurs mâles ce
€ H A PITRE CCXL-
Filles entretenues.
JHLu-deflbus des courtifannes par le tang^
elles font mams dépravées. Elles ont un
amant qui paie, dont elles ït moquent,
qu'elles rongent & dévorent , ^ un autre
à leur tour , qu'elles paient , & pour lequel
elles font mille folies.
Ou ces femmes deviennent infènfîbles,
ou elles aiment jufqu'à la fureur. Alors elles
paient ^ l'amour le tribut d'un cœur délicat.
Sur le retour elles ont la rage de fe marier.
Ceux qui préfèrent la fortune k l'honneur,
les époufent & s'avilîflênt. Ces époufèurs
font ordinairement un petit violon , un mé-
diocre peintre , un mince architeâe.
On ne dît point en Perfe ( felon le mar-
ijuîs d'Argens ) la Zaîdc , la Fatime ; mais
D s P A H I S* 97'
I la cinquante iomans ^ h vingt tomans. ( Un
toman vaut quinze ëcus de notre, monnoie. )
De même, ajoutent- il, aux noms de nos
filles entretenues , on devroit fubffituer ceux
de la cent louis , la cinquante louis , la dix
louis , &c. le tout pour l'utilité publique &
fjnftmâion des étrangers , qui paient fort
fouvent à un prix exceflif ce qui eft k très^
bon marché pour tout 4e monde.
CHAPITRE rCXLL
Le Payfan perverti. Par M. Rctîf de la
Sretonne.
J 'ai renvoyé pour ce que je ne potivoïs pa«
dire , à ce roman iiardiment de/Gné , qui
a paru il y a quelques années. La force du
pinceau y fait un portrait animé des dé-
(ordres du vice & des dangers af&eux aux-^
quels l'inexpérience & la vertu ibnt expo-
iées dans une capitale diflbiue. Cet ouvrage
doit être falutaire , mdgré fes peintures trop
nues de xxoç expreflives , parce qu'il n'eÔ:
pas un père en [province , qui , d'après cette
leâure , ne fixe conftamment fon fils auprès
de lui : & c'eft un très-grand mal que cette
4tnanie récente d'envoyer tous les enfants à
Tome IL »
^3 TAi£.KAy
X arls , où ils viennent fe perdre & (ê cor*
rompre.
Les villes du fécond & du croifieme ordre
fe dépeuplent infenfiblement , & le gou^
fre imnienfe de la pipîtale dévore non-feo-
lement for des parents , mais encore Thon-
nêteté & la vertu native de leurs fils , qui
paient cher leur imprudente curiofité.
Le filence abfolu des littérateurs iiir ce
roman plein de vie & d'expreffion , & dont
fi peu d entr'eux font capables d'avoir conçu
le plan & formé l'exécution ^ a bien droit
de nous étonner & nous engage à dépofèr
ici nos plaintes fur Tinjuitice ou Finfenfi-
bilité de; la plupart des gens d^ lettres , qui
n admirent que de petites beautés froides &
conventionnelle^ , & ne favent plus recoiï-
noitre ou avouer les traits les plus fiappàCnts
& les plus vigoureux d'une imagination forte
& pittorefquCé
Éft • ce que le règne de Pimagination (èroît
totalement éteint parmi nous , & qu'on ne
fauroit plus s'enfoncer dans ces comportions
vafies, morales & attachantes, qui cara3é-
rifent les ouvrages de fabbé Prévoft & de
(on heureux rival, M. Rétif de la Bretonne?
On fe confume aujourd'hui fur des hémis-
tiches , nugœ canorœ ; on pefe des mots ;
on écrit des puérilités académiques : voilà
donc ce qui remplace le nerf, la force ,
l'étendue des idées & la multiplicité des ta*
/
P K P A H I s. 99
bleaux. Que nous devenons (ècs & étroits!
Il refte à une plume douée de cette énet-
fie un tableau- neuf à tracer : une mère màl-
eureufè qui fe trouve preflee entre la famine
& le déshonneur , qui ne peut échapper à la
mort qu'en livrant fa fille qui combat long-i
temps , qui triomphe & qui expire au mi-
lieu des hommes cruels , calculateurs de (es
foufiances ^ Se qui attendoient d'elle ce &-
crifice horrible & forcé. Elle meurt avec la
confcience de la vertu , il eft vrai ; mais
(a mort eft fans fruit. Le lendemain de fon
trépas 9 (à fille tombe dans les embûches
du vice , ou plutôt elle cède au malheur 6c
k l'inexpérience.
Si quelque homme opulent me Ut , s'il
eft du nombre de ceux qui avancent Vcac
pour corrompre , il aura trouvé fans doute
des mères faciles & criminelles, & à un
tel point que je n'ofe ici l'écrire ; mais il
(aura en même temps qu'un pareil tableau
ne mériteroit pas d*étrc relégué dans la dafle
des fixions imaginaires.
E X
IQO .5r A /S 'L î: A u
r.
CHAPITRE CCXXJJ.
.5iî/ <^« V Optra*
X^e bal de Topera entretient cette licence^'
la confacre par une forte de convention g^
^érale. Il invite les caraderes les plus réfer-
yh k fe livrer au goût univerfellcment ayouç.
Il eft réputé très beau , quand on y eft écrafii:
Jus il y a de cohue,, & plus oniè félicite
e lendemain. d*y avoir afiiftc.
Quand la preflfe eft confidérable, les feni^
niçs {t jettent dans le flux & Je jreflux \ &
Jeurs corps délicats fupportent très- bien d'êtije
/Comprimés en tout fens au milieu de la foule,
qui tantôt eft immobile , &. tantôt .flotte &
,roule^
Il faut avoir bien peu jSt{^x\x.^ dit -on,
pour n'en avoir pas fous le mafque; ce qu'on
y entend eft cependant beaucoup moins (pi-
rituel que ce qui fe dit dans nos cercles.
On n'y parle point des perfonnes ni des
événements \ & tous Jes propos deviennent
vagues , futiles , excepté ceiix de galanterie-
Si le gouvernement pemiettoit pour un feul
.ibal un franc parler Sfola , c^la feroît très-
.piquant.
J^es filles entretenues , les ducfaefles , \^
I
D E P'A K 15. rôt
bourgeoifès font cachées fous le même do--
mino, 8c on les dîiHngue : on diftingue
beaucoup moins les hommes; ce qui prouve
que les femmes ont en tout genre , des nuan-
ces plus fines & plus cara^l^ifëes;
Il regnoit autrefois dans les bals une grofle
gaieté ; il *n'y en a plus ; on s'obîferve fôu$
le mafque autant que dans la fociété.
J'ai vu à Paris un bal où cinquante****
avoient fous leurs domfînos fix coups à tirer. -
Il eft vrai qu'on ne le fiit que le lendemain j
mais il faut avouer que cétoit urt fingùlîeiî
bal que celui -làé-
Ceft au bal ^ vers le matin , que Ton peut
dire qu'à Paris fur-tout on rencontre des lai*,
deurs aimables.
Je fîiis fâché qu*6n y perde infenfiblement
cette tournure attentive & polie que Fon doit
aux femmes dans toutes les circonftances i
& fur-tout dans une aflèmblce publique.
Quand un carme , un cordelier , un bé-i
nédidin s'échappant du cloître , a pu aflifter
«ne fois au bal de Popera fans être vu ni
reconnu, il s'eftime le plus heureux des hom-
mes ; il ne (ait pas que l'ordre lévitique y
abonde , 6c que les petits collets qui courent-
tout le jour en habit violet , font blafés fur
ce divertiflement.
La feule chofe que Pon exécute à Paris
gravement, & comme s'il s'agiflbit de l'aP
Élire la plus importante , c'eft un qiiOr*
E 3.
ICI T A B L E A V
driUc. Tai été ftupëfait de la dignîcé qu'on y
mettoît.
On fait que Ton envoie une poupée pour
fervir de modèle chez rën:anger; mais (ait-on
que dans une lettre on envoie le plan d'un bal-
let , d'une contre -danfe variée par mille fi-
gures , ou d'un quadrille nouveau , pour le
&ire exécuter avec jufleflè & précifion à dnq
cents lieues de diftance ?
Le bal de l'opéra a donné lieu k un évé*
nement qui tiendra & place dans l'hiftoire ,
en ce qu'il aura fervi a prouver que , mal-'
gré les changements des fîedes , les anciens
ufaees reviennent rapidement fur leurs pas,
lorlque quelques circonftances frappantes rap^
pellent le génie national.
On donne lîx livres par tête , pour enten-
dre une lymphonîe bruyante & monotone.
Quand on n'a rien à demander aux femmes ,
on s'y ennuie ; mais on y va pour dire le len»
demain , j'ai été hier au bal , ôc j'ai manqué
d'y étouffer.
On y danfe quelquefois ; mais celui qui a
vu les danfes vives & animées des jeunesr
beautés du pays célèbre par les foupirs de
JuUe y les pas gais & légers des vives Alfa-
ciennes \ les fauts des Provençales , l'expreC-
(îon de la joie fincere & ingénue parmi- les
Bretonnes , ne pourra plus fouffrir les grâces
froides & l'afftterie de nos danfes de bal ,
foit paré , foit mafqiié.
i> E Paris. J03
CHAPITRE CCXLIII.
Sans Titre*
Xl eft des vices fur lefquels la cenfure doit
fe taîre , parce qu'elle rifqueroît de les dé-
voiler fans les corriger. Que fera la morale
contre ces vices déplorables & ces turpitude»
deftinées k mourir dans les ténèbres ? Com-
ment les complices de ces abominations fe*^
crêtes reviendroient-ils aux vertus dont îlg
font incapables ? Ceft une génération qui ne
laifTe plus d'efpcrance ^ frappée de gangrené^
elle doit tomber , pourrir & difparoître ; &
rindignation même peut fe clfânger en pitié ^
quand on fonge à favilifièment où fe plon-
gent ces êtres fi baflèment corrompus.
La rigueur contre ces erreurs monflrueufes
rft on remède dangereux , & le plus fotiverit
inutile. Il eft défavantageux d'attaquer ce
qu'on ne peut détruire v & lorfiju'il s'agît de
la corredion des mœurs , 3 faut réufEr, 8c
ne point faire de vaines tentatives.
Le magiflrat qui tient un regiflre fecret
des prévaricateiirs des loix de la nature , peut
s'effiayer de leur nombre : il doit réprimer
les mœurs coupables qui vont julqu'au fcan^
dale \ mais hors de la , ^quelle circonfpec-
E4
IC4 T A B 1 I A V
tion ! La recherche deviendroit aufli odîeii(è
^ue le crihie : quelle étonnante effirontenè
dans des vices nouveaux ! Ils n'avoîent pas
de noms parmi nous il y a ceqt ans ; au-
jourd'hui les détails de ces débordements en-
trent dans nos entretiens. Les vieillards (br-
tent de la gravité de leur caraâere , pour
parler de ces licences criminelles ; la fainteté
des mœiKs eft o&nfée par des propos d'au**
tant plus dangereux qu'on plaifaste prefque
publiquement fur ces incroyables turpitudesw
D'où vient ce nouveau fcandale qui a
ichté parmi nous ? Qui a fait à l'honnêteté
publique ce cruel outrage ?. Qui a livré k la
dérifioQ 1^ fainte douleur de la vertu qui gt^
mit fur ces infamies qui aviliflènt les fem-
mes , en font un ordie à part dont on dé-
crit les defirs & les étranges fitreurs ? Etoît-
ce là où devoit conduire le progrès de la
civilifation & des arts ? Quelle dégradation l
Ce genre de corruption a été un phénomène
même pour quelques efprits libertins ; &
dans fes excès , il n'a pas choqué notre fiiecle
autant qu'il l'auroit dû.
Il faut gémit: , laiflèr ces vices honteux ^
qui' puniïTent ceux qui s*y livrent, fe fondre
& difparoitre devant lés paflions douces ,
honnêtes 8c vertueufès , qui par leur charme
étemel doivent reprendre leur aimable em-
, pire. C'ell l'idée de Montefquieu , & il l'a-
Yoit furement mé^uie y lorfqu'il la publia
i3f E Paris. rony
dans un Ii\rre . aufE grave que VEfprit des^
loix.
^^*i^
CHAPITRE CCXLIV..
JUs petits Chiens. .
XJi folie des femmes eft pouflee au dernier "
période fut cet article. Elles font devenues
gouvernantes de roquets , & ont pour eux
des foîns inconcevables. Marchez fur la patte
d'un petit chien, vous êtes perdu dans l'efprit
d*une femme ^ elle pourra diflimuler, mais
cUe ne vous le pardonnera jamais : vous avez.
blefle fon manitou. .
Les mets les plus exquis leur font prodi-
gués : on les régale de poulets gras , oc Font
ne donne pas un bouillon au malade qui gît'
dans le greiuèr. .
Mais ce qu'on ne voit qu'kTaris , ce font
de grands imbécilles qui, pour faire leur cour
à des femmes , portent leur chien publique-
ment fous le bras dans les promenades &
dans les rues ; ce qui leur donne un air fi
niais & fi bête , qu'on eft tenté de leur rire
au nez , pour leur apprendre à être hommes.
Quand je vois une belle profaner fa bou-
ché en couvrant de baifets un chien qui fou-
vent eft laid ÔC hideux , & qui , fut-il beau •
io6 T A B L £ A tr
ne méri^ pas des afFeâions (1 vives , je trou-^
ve Tes yeux moins beaux ; fes bras , en re-
cevant cet animal , paroiflènt avoir moins
de grâces. J'attache moins de prix à fes ca-
ref&s ; elle perd à mes yeux une grande par-
tie de fa beauté & de fes agréments. Quand
la mort de fon épagneul la met au dëfefpoir^
qu'il faut le partager , pleurer avec elle &
attendre en (îlence que le temps amené Tou-
bli d'un (i grand dctaAre , cette extravagance
anéantit ce qui lui refte de charmes.
Jamais une femme ne fera Cartéfîenne :
jamais eUe ne confentîra à croire que (on
petit chien n'eft ni fenfible ni raifbnnable
quand il la careflè. Elle dévifageroit Det-
cartes en perfonne , s'il ofoit lui tenir un
pareil langage ; la feule fidélité ^e fon chien
vaut mieux , félon elle , que la raifbn de tous
les hommes enfemble.
J'ai vu une jolie femme fe fâcher fèrîeu-
; / fement & fermer là porte à un homme qui
7 avoit adopté cette ridicule & impertinente
opinion. Comment a-t-on pu refufcr la fen-
fibilité aux animaux ? Croyons-les très-fenfi-
blés ; 8c loin de judifier la barbarie des hom-
mes à leur égard , ne leur faifons que le moin-
dre mal pofïible : mais , en nous nourriflànt
de la chair des bœufs , des moutons & des
dindons , n'accablons pas de folles careflès un ,
petit chien que nous ne mangeons pas.
La femme d'un médecin avoit fon petit
HE Paris. 107
chien malade : fbn mari avoit promis de le
guérir ; il n'en faifbit rien , ou n'en étoit
pas venu à bout : impatientée , elle fit venir
Lyonnois ( i ) , qui réuflît parfaitement.
Combien vous &ut-il , dit le brave doâeur
de la faculté au confervateur de l'efpece ca-
nine ? Oh , Monjieur , entre confrères , re-
prit Lyonnois ^ il ne faut rien.
CHAPITRE CCXLV.
Suffijance.
XLUe eft aflèz familière au PariCen qui a
de là fortune. La fufEfànce de Tofficier n'eft
pas prononcée comme celle de l'homme de
robe, ou celle du fade petit-collet. Elle dé-
pare -un peu dans preique tous les états la
politeflè & le favair- vivre ^ mais comme
c'cft un défaut général , il devient prefqu'in-
fenfible. L'extrême urbanité eft le réfiJtal
d'une infinité de points délicats qu'il faut fai-
Cr : elle n'exifte réellement que chez certains
honmies dont le careâere eft élevé & Famé
très-fenfible. L'homme de cour poflède par-
faitement cette noble urbanité , quoiqu'il ne
WHH«OTP«*
(1) Fameux médecin de ckiens.
E6
loS Table au
Tait pas dans le cœur^ v c*eft qu'il fènt avecÈ
fineffe ^ &c qu'il eft attentif aux convenances*.
L'attitude du militaire a toujours quelque:
chofe de plus forcé que celle de Thomme de
cour ; celui - ci s'arrête au véritaUe degré ^
{autre le franchit.
Quand la nuance eft un- peu forte , elle
ti'à plus cette grâce & ce.te ailknce qui diC^
tingue les bons originaux en ce genre. Les
copiiles, en voulant en approcher, tombent
^dans une impertinence bien décidée : tels,
font les commis de Verfailles , plufieurs
financiers , quelques officiers aux Gardés ^,
quelques auteurs, & les voila entachés de-
cidicule aux yeux du connoiilèut.
G H À P I T R E CCXLVL^
Venu, de VEau^:
C^uand on dît en Sùîfle, où lès fbntaîner
publiques abondantes & commodes (bn^
multipliées 1 jufques dans le moindre village y
qu'on vend l'eau à Paris ; que le robinet des fonr
raines eft à fec la moitié de l'année ; que Ics^
chevaux font obligés , pour boire , d'âlfer à
la rivière ; que Ton ne voit jaillir l'eau que»
dans les fales bailins, de quelques prooi^o^
i> E Par I S; no^
des i on fe prend à rire , & Ton hauflè le$.
épaules d'étonnement & de pitié,
La vente de l'eau monte dans, la capitale
àunefomme effrayant/?. Mettons neuf cents,
niille habitants, ( car c'cft là mon compte ) ,
& taxons-les à trois livres, par an ; c*eft-àr^
dire , trente voies d'eau l'une portant l'autre
^ deux fols :, voilà deux millions fept cents,
mille livres.
La ville de Londres , au moyen d^ neuf
pompes à feu , fe trouve arrofee & fournie,
d'eau abondamment,. On vient, d^en établir
qne près de la grille de Chaillot , & l'on nous
fait efpérer qu'on multipliera ces machines^
à feu dans tpus les quartiers où le befoin
Çexi gérai
Voici donc une innovation qui porte uit
caraâere de grandeur & d'utilité nadonale,.
La prompte dirtribution de l'eau , indépen-
damment de fes nombreux avantages , a ce-
lui de procurer un air pius falubreàrefpirer.
Et quel fçrvice a, rendre, aux habitants de la
c^apitale !
Mais pourquoi prendre lès eaux G bas l
N'étoit-il pas plus fimple d'amener les eaux
du Port-à^l'Angloîs par une machine hidraiv» »
lique, à la place de l'Eftrapade , la plus éle-.
vée de Paris ?, de -là, elles fe répandroicnt
plus facilement , & fcroient plus pures : mais
on a vouLi commencer par le quartier le plus;
îîche ^ le fauxbourg Saint-Honoré ,. coiuinc
\
iio Tableau
le plus en état de payer les a7ance$ de la.
compagnie qui a fait des fonds pour Téta-*
bliflèment des machines à feu. Ces avan-
ces montent \ près de deux millions.
Il en coûtera cinquante livres par an pour
un muid d'eau par ]our : vingt muids cou«>
teront donc mille livres, & aînfi à propor-
tion les tuyaux conduâeurs de diifërenteS
groflèurs , félon le befoin des particuliers ^
aboutironr à chaque maîfon , & Teau s'élè-
vera d'elle-même à quinze pieds.
Plus de prétexte pour les boulangers qui
font le pain avec Teau des puits , infedée par
la filtration des foflès d^iifance & de mille
autres immondices ; ils auront une eau pure ^
ainfi que les brafleurs , les teinturiers , les
lîmonnàdiers , les dégraiffêurs , les blanchit
feufes , &c. Outre que ces pompes feront,
d'un grand fecours contre les incendies , elles
laveront encore a volonté le pavé de Paris y
le plus infed & le plus immonde de toutes
les villes du royaume.
Ceft le feu qui élevé Teau dans ces deux
curîeufes machines fituées au deflùs de la
porte de la Conférence. La fimple vapeur
de l'eau en ébullition eft l'agent d*un mou-
vement prodigieux , & que nulle autre force
connue ne pourroit produire ; elle élevé l'eau
à cent dix pieds au deflùs des baflès eaux
de la Seine , & fait monter en vingt-quatre
heures quatre cents mille pieds cubes d'eau.
DE Paris. ut
pefant vingt-huit millions huit cents nulle
livres. Ainfi voilà de quoi abreuver , laver
& inonder à fouhait tous les quaitiers de la
ville ; il ne manque plus que des tuyaux , de
l'argent & la bonne volonté des petits pro^
priétaires , qui ne s'empreflènt pas , dit-on ,
a fe ranger dans la claflè des foufcripteurs.
Tant les vieilles & fottes habitudes préva-^
lent dir les innovations les plus utiles ; ou-
plutôt tant le bourgeois , foulé de mille
manières, devient mefquin pour les chofes
eilèntielles.
Mais quand toutes ces pompes à feu feront
dreflees , douze à quinze mille porteurs d'eau^
n'auront plus d'emploi •, peut-être feront-ils
incapables de tout autre travail , car ils ont
la fàngle imprimée entre les deux épaules ,
& l'habitude de leur corps voué à réquilibrc
fè prêtera difficilement à porter des fardeaux*
d'une autre nature.
Les frères Perrier font les entrepreneurs
de ces machines \ l'un invente avec génie ,
& l'autre exécute de même.
Ils s'occupent en ce moment d*un travail
curieux & utile , celui de réduire en petit tous
les arts & métiers. Aucun infiniment des pro*
feilions méchaniques n'y manquera , joliment
exécuté en relief dans la proportion d'un'
pouce pour un pied ; cette colleôion déjà
commencée appartiendra à Mgr. le duc de
Chartres. C'eft immortaliièr les arts que de
11% T A B X î A V
leur donner aînS Tafyle refpedé des palais r*
fi les anciens avoient eu cette prévoyance^,
nous ne ferions pas à gémir fur la pêne d'une^
infinité de procédés qu'il a fallu reconcpiériir
à. travers la pénible lenteur des fiecles, &.
dont plulieurs nous manquent . fans doute ■
encore \ nous aurions pu retrouver dans un»
p^tit coffre enfevelî fous terre à Herculanum i
ou ailleurs ^ les découvertes de tous les peiHr
pies ingénieux qui nous ont précédés. L'En-
cyclopédie écrite fera toujours vague, bor--
née , înfufEfante , en comparaifon de Tobjet^
roênie qui frappe k la fois Foeil & Teiitende-
ment ; Tobjet ne leur dérobe alors micune de^
fes proportions : il eft vu fous toutes fes faces. ,
Les rapports deviennent palpables, &il ny*
a plus de langue morte à apprendre , ni de .
calculs incertains & longs à tracer , pour-'
:i)outîr le plus fou vent k une erreur ingéniea<^
fement profonde.
r;
CHAPITRE CCXLVIL.
Les Dcmoifillés^ .
XV-ien de plus faux dans le tableau de nos-
mœurs que notre comédie, où l'on fait Fa-r
mour k dps dcmoiJelUs, Notre théâtre mentj.
^ E F A R I s; f Ï3
•n ce point Que Fctxanger ne s'y trompe
pas : on ne fait point l'amour aux dcmoifellcs ;
elles font enfermées dans des couvents jufqu'au
jour de leurs noces. Il eft moralement impoC-
£ble de leur faire une déclaration. On ne les
voit jamais, fèuks,, & il efl contre les moeurs
d'employer tout ce qui reflèmbleroit à la
féduâion. Les filles de la haute bourgeoise
(ont auffi dans des couvents ; celles du (econd
étage ne quittent point leur merc , & les
filles, en général, n'ont aucune efpcce de li-
berté & de communication familière avant le
mariage.
Il n'y a donc que les filles du petit boiu--
geois , du (impie artifan 5c du peuple , qui
aient toute liberté d'aller & de venir , & con-
lequemment de fàtire l'amour à leur guife. Les
autres reçoivent leurs époux de la majn de
leurs parents. Le contrat n'eft jamais qu'un
marché , & on ne les confiilte point. On ap*
pelle grljénes les filles qui peuplent les bou-
tiques de marchandes de modes , de lingeres
& de couturières. Plufièurs d'entre elles tien-?
nent le milieu entre les filles entretenues Se
Ips filles d'opéra.
Elles font plus réfervées & plus décentes;
dles font fufceptiWes d'attachement : on les
entretient à peu de frais , & on les entretient
fans fcandale. Elles ne fortent que les diman^
ches & fêtes ^ & c'eft pour ces jours-lk
qu'elles cherchent un ami qui dédommage
114 Tableau
de Tennui de la femaine ; car elle eft bien
longue , quand il faut tenir une aiguille du
matin au foir. Celles qui font fages amaflènt
de quoi fe marier , ou ëpoufent leur ancien
amant. Les aua:es vieilliflènt Taiguille ï la
main , ou fe mettent en maifon.
Or un auteur comique devroit étie fort
attentif fur toutes ces convenances, & {avoir
qu'une déclaration d'amour ne fe fait jamak
à une demoîfelle que lorfqu'on y eft autori-^
fé par le vœu des parents , & le mariage eil
alors ordinairement arrêté. Ainfi tios auteurs
modernes, en faifant de toutes les amoureu^
fis de théâtre des filles de qualité, n^ont peint
que les amours des grifettes.
Us doivent dorenavent n^admettre que de
jeunes veuves , s'ils ne veulent pas aller di-
reftement contre les ufages. Mais aufE pour-
quoi , dans toutes les comédies , des filles de
qualité^ ainfi que des comtes & des marquis^
tandis qu'un étage plus bas la fcene devient
plus variée , plus plaifante , plus animée ?
Mais comme il y a le jargon conventionnel
de la tragédie, de même on a créé un autre
jargon pour la comédie : & ni les rois ni les
gens de qualité ne reconnoiffcnt là leur idio-
me. C'en eft un que Tauteur s'eft fait avec
une étude infinie, & pour manquer péni-^
blement toutes fes pièces. / -
DE FAHIS. 115
C H A FIT R E CCXLVIIL
CalanterUm
llfUe remplace l'amour qui regnoit encore
«I Paris , il n'y a pas plus d'un (îecle. Du temps
de Louis XIV ^ on mettoic dans Tes goûts
de la décence 5c de la délicateflè.
Les fortes pallions font rares aujourd'hui ;
mais auflî n'ont-elles pas ce caraâere farou-
che qui faifoit (ucccder la vengeance à la ten-
dreflè , 6c les crimes aux plaifirs les plus doux.
On ne fe bat plus pour les femmes \ leur
conduite a rendu ces combats ridicules.
Ce que l'imagination ou exaltée ou trom-
pée avoit ajouté de trop à l'amour , on Ta
émondé; & à confidérer le changement d'un
œil philofophique , l'amour que nous avons
adopté convient à la foibledè de notre carac-
tère & dn peu de beibin que nous avons
de (èntir notre ame s'élever & prendre un
"Certain eflbr. Nous nous paflbns de force
& de grandeur dans tout le refle : pourquoi
en mettrions-nous dans l'amour ?
On ne voit plus un amant délaifS , cher-^
cher dans le poifon un remède à fes maux :
il y en a de plus doux ; & l'inconllance ( que
je ne prétends pas juftifier ) vaut cependant
i:i6 Tableau
mieux que les mouvements frénétiques., qui
tenotent encore plus 11 Tôrguefl perfonnel
qu'à la vraie tendreflè.
IL feroit dangereux , dit-on , que ramoui
dévorât toutes nos autres paflions. La patrie
& la focîété y perdroient>,Ne voir, n'adorer
qu'un feul objet, lui tout (acrifier, c'eft
perdre la liberté , c'eft livrer à une forte
de délire & d'extravagance toutes le» facultés
de notre ame. Voilà la logique reçue,
L'eftime vraie & fentie, ajoute -t^-on^
quand elle eil perpétuée , fuppofe bien phis
de vertus dans l'objet aimé : rôc une femme
qui fent avec délicateflè , eft* bien plus ja-
loufe d'infpirer un tel fentiment , que d at-
tirer les hommages uniquement attribués à
fès charmes , parce que ces hommages s'éva«
porent & ne font pas dus à fon ame. C'eft .
ainfi que Ton prétend juftifier nos mœurs :
mais la. patrie , dont on pade., y. a tout
perdu.
L'amour proprement dît n'eft donc plus
a Paris , fi nous ofons l'avouer , qu'un liber-'
tinage mitigé , qui ne foumet que nos fens-4
fans tyrannifer la raifon ni le devoir : aufE
éloigné de la débauche que de la tendr«ilè\^
décent dans fes vivacités quand ii peut
Cétre, & délicat dans fon inconftance , il
n'exige point de facrifice qui nous coûteroit
trop cher. Loin de nous armer les uns
contre, les autres i^ il ne s'approprie point le^
J),E JP -A Jl J S. 117
jnoments qui font confacrés au devoir \ il
refpefte les nœuds de Famitic,,. quelquefois
même il les rcflcrrc : enfin, il fait paflèr
l'honneur avant tout , & profcrit .également
toute foibledè 6c toute lâcheté.
Le législateur pourroit e&cer aujourd'hui
de fon code les loîx. contre la violence. Nos
Lucreces if ont plus.de Taïquins à redouter.
Le fédufteur ne Tefl: que pour celle qui veut
bien Jtre fëduite., & .lavveritable vertu peut
fe conferver intafte au milieu de tant d'exem-
ples contraires. Mais fera-t-rori honneur à
mon fieclè, de l'àbfcnce d'un tel vice?
Je ne crois pas , parce qu'il fuppofe l'a-
néantiflèuient de plufieurs vertus. Le viol
pouvoit, ainfi -que le facrilegc, que les
Femmes & les autels étoientjrcligieufement
adorés.
L^amour ne fera donc point appelle par-
mi nous le bourreau des cœurs. Toujours
cornent , toujours Folâtre , il s'envole avant
l!ennui : 41 attaque avec tant de légèreté ,
que fes ^atteintes ne bleflènt que les cœurs
gui confententà être blefïes.
Je dis qu'en ôtant à cette paflîon ce
qu'elle avoit de féroce & de redoutable^
on a diminué quelques crimes fie beaucoup
de grands talents. A en juger par l'hifloire-,
les forfaits fanglants croient comme infépa-
rables des afFedions profondes , jaloufes 8c
vindicatives, qui tyranriifoieut nos aïeux*
ainfi tout eft compentëi
iiS Tableau
Les grandes paffions, difent les apolo-
giftes du fiecle, font aflèz încomparibles
avec le bonheur : il n'apparrient quli elles ^
il eft vrai ; mais le bonheur eft fî rare ,
qu'il vaut mieux prendre en légère monnoie
la fomme des plaifîrs. N'ayant plus de gran-
des chofes à faire , nous n avons (Jus befoin
de paillons fortes.
CHAPITRE CCXLIX.
Dts Femmes.
JLa remarque de Jean -Jacques Rouflèau
n'eft que trop vraie , que les femmes à Paris ,
accoutumées à fe répandre dans tous les lieux
Eublics , à fe mêler avec les hommes , ont
iir fierté, leur audace, leur regard &
prefque leur démarche.
Ajoutons que les femmes, depuis quelques
années , jouent publiquement le r&le d en-
tremetteufes d'amires. Elles écrivent vingt
lettres par jour , renouvellent les (bllicita-
dons , aîliegent les miniftres , fatiguent les
commis. Elles ont leurs bureaux, leurs re-
giftres ; & k force d'agiter la roue de for-
tune , elles y placent leurs amants , leurs
&voris , leurs maris , 8c enfin ceux qui les
paient.
> £ Paris. 119
Oii voit beaucoup de femmes qui difènt
d'après Nkîon ,ye me Jiiis faite homme. Auffi
une infultante galanterie ne rend plus aux
belles qu'un culte ironique & offcnfant.
Jamais autrefois , en parlant du fèxe , on
ne difcMt les femmes ; on auroît proféré une
«xpreffion groflîere.
Jean - Jacques Rouflèau a dit des chofès
'fi dures aux femmes de Paris , que je n'o(è
même le combattre. Il avoue que l'on peut ,
& que Ton doit y chercher une amie. Je
penfe en effet qu'il s'y trouve beaucoup de
femmes fcnfées , véritablement (ènfibles aux
nobles procédés , & capables de la plus
grande confiance en amitié. Mais en
amour . . • Oh ! *)e n'ai pas le droit , comme
Jean- Jacques , de leur dire de terribles vé-
rités. Lui fèul a fu leur plaire en ne les
flattant pas.
Mylord Chefterfield , après avoir encenfé
de fon mieux notre nation , a fini par dire;
âi Foreille de fon fils , que les femmes par-
mi nous font de grands enfants qu'il &ut
àmufer avec deux hochets , la vanité & la
galanterie.
Nous avous des mines charmantes , des
yeux vifs & malins , des phyfionomîes gra-
cieufes & fines , des têtes fpîrîtuelles ; mais
on compte les belles têtes , & elles font ex-
ceflîvement rares.
Pourquoi les fenmies aiment-elles la ca-%
riti "T A ^ L E -A tr
; très -refpeâablesvcVIl celle A\\ (êcond ordre.
de la ]x)urgecîfîe. Attachées à leurs itiarit
& à leurs eofants ^ foigneuiès , économes ,
^attentives k leur^ maliens ^ elles cffient Iç
niodele de la (kgeÛè &''du traralir Mai^
ces femmes, n'ont point de fortune , xrhcr-
■ chent a en am^f&t , (ont peu .brillantes , en-
core nioîns inftruites. On ne les àpperçoit
pas, & cependant elles font à Paris Thurn^
jReur de leur fexc..
* , La coutume , de Pans.a. L^rpp accorda au
'fi?mnies ; ce qui les rend impaietifes & en*
géantes. Un mari eft ruiné , s'il perd {a
femme. Elle aura été malade pendant ^
années , elle lui aura coûté infiniment : il
|aut qu'il reftitue tout à foh décès, pie - là
la tiiiteflè avec laquelle ;pnierre des noeuds
qui ailleurs font fi doux.
A un certain âge , la femme* quî ne fc
fait pas betefprit , fe coniUtue dévote. Elle
en prend la contenance , aflifle-à tous les
fermons, court toutes les bénédiâions, vîftte
fon dîreâ^ur , & s'imagine enfuîte qu'il i^y
a qu'elle au monde qui f:^ de bonnes ac-
tions. Elle fe le perluadé G bien ,. qu'elle
daimie tous ceux qli'eOe reâçontTe , &'iîff-
. tout ceux qui impriment. . \
Nos femmes ont perdu le caraâère lè
plus touchant de leur fexe , la timidité , la
(implicite , la pudeur naïve ; elles ont rem-
pla(^;cette perte immenfe par les a^éments
D ï Pari s. 0.3
3e Pcfpnt.^ les grâces du langage & des ma^
nieres, elles font plus courues , moins rerpeo*
tées: on les aime fans croire a leur amour ^
elles ont des amants plutôt que d^' amis.
Ceux-là difparoiffènt, oc ceux-ci ont le mal*
heur de les ennu)^r. Elles £e trouvent feules
.fiir le retour de l'âge , apcès avoir pafts au
milieu de'&tant d'hommes dont «lies om plu-
tôt captivé le x:oeur que .Peftirae.
Elles ont fait trop de chemin pour pou-
voir revenir li leur (èxe ; il faut qu'elles fe ùS*
dfent hommes tout-a-fait , au rifque de perdre
encore davantage. Mais du moins elles ne
iferont plus des êtfes mixtes , & notre hom-
-naage alors fera fhs ierieux*
^
C H A P I T fi E C CX^
:Cocardc^
IL^es mêmes femmes qm préfldoient acte
-tournois , qui eiurichiflbient de leurs mains
les cottes-d'armes de leuis anlants , qui letc
préfentoient leurs armures , qiii les en*
voyoient au combat , s'acquittent aujour*
d'hui envers la gloire ^ en donnant une co*
.^ardt. Ceft que Tamour pour la patrie eft
;d'un poids tout aulli léger que le préfent.
Les femmes aiment «^ elles les hommes
F 2
1x6 Tableau
circor fiances, où elle fembloit d'abord demecw
rer indcci(e.
Qu'il y ait une rixe entre mari & fenmie :
le mari commence par avoir tort ; & au bout
de trois jours , il eft peint des plus afieufès^
couleurs. La Itgue of&nfîve & dëfcHfive fe
manireHe de tous côtés : enfin les avocats ^
les loix , le jugement font pour le pauvre
époux ; tout cela eft caflë à un autre tri^
ounal. I es femmes foutiennent leur parri ,
malgré les démonftrations les plus authen*-
tn}'es ; & après avoir ameuté les efprits ,>
iinilîènt par les entraîner,
\ Mais malheur a celle qui n^cft pas mariée f
sien ne lui eft permis , on lui fait un crime
de tout. Les mères (ont d'autant plus vigi^
lantes qu^elles connoiflènt- tous les tours que
les pafTions peuvent infpirer. Aînfi le rèle (for
fille eft le plus cniel rôle du monde. On la
dieflè à tous les riants atours de la mîgnar-
dîfe & de la coquetterie ; on ne lui imprime
que Tamour des arts qui fervent & embel-^
liflènt la volupté ; on ne lui impofe d'autre
devoir que la fcierjce de plaire : & l'on veut-
que , renonçant an but de tant d'inftruâibns ^.
elle foit froide , fonrde ^ tous les propos qui-
circulent autour d'elle, 8c qu'eDe demeure
même infenfîble au plai& qui naît de Fim*
preflion de fes charmes.
Il faut donc qu'elle dîflîmule avec un coeur
laeuf , & qui ne fembloit pas né pour fou«^
tenir le rôle d'ime feinte perpétuelle. Elle
ne peut jamais dice un mut de ce qu'elle tant
iî bien ;. le monde devient, ihjufte & abTurde
àfbn cfgard. Qu'elle. (bij; mélancolique ^. elle
eft toun^iejçitee , dit-ron , /du de|îr»&:du be*
(birï d'avdlr un anupr. JËft - elle gaie , folâ-
tre ? Cet enjouement touche à peu de réfenreé .
Elle ne peut ni rire ni foupirer : on veut^p'elle •
^foît fille , & qa'elle ne le foit pas,
£t voilà pourquoi les .fiUes ^'enni4ent avec
lesTemmes, & Jes femmes avec les fiile^
Aufli ne peuvent-elles pas cauTer enfemble ;
& s'il y a une très-étroite union entre une '
femi;ne & une fille , l'innocence de. celle-dL _
tQuche k fon terme» .
C, H A .P I T RE. C C L 1 1 1. .
Les Vapeurs.
%i/^ vers de Voltaire eft d'un, phyfîcîen; .
En effet, la moUellè du corps indique i'in- -
aâion dp J^ame«. Toutes les parties de notre
coT^ tombent dans un relâchement qui ei>-
levé aïo. fibres l'^afticiténécedaire pour que '
les fecrétions fe fiflènt avec régularité.
De là les vapeurs qui naiflènt de ce dé-
fiiut d'ocoçâuipn. qui à détérioré les facultés »
li8 T A=B'L'k A ff
de l'amç. Uîriiagînatîon eft^dViîtant plus ac-
tive, qu'elle régné fitr des organes délicats ^
qui inceflàmment flattés , ont perdu leur reC-
fort, & Ce (ont affkifles dahstiiié^4uigueur
qui foumet les rtetfe aito • plus tërrîbfe^ con*'
vulfions , parce qile , détendus par trop de
'jouiOànces , ils fe replient & agiflènt Iiir
eux-mêmes,
C'eft rimagînatîon qui ouvre lé champ de
la douleur , parce que cette puiflànce, qnàn4
-elle n'a pas un objet qui la captive , a le ; di»n
de fnéfamorphofer en maux tout ce cjiî'l'én-
vîronne. L*oilÎTeté fevorîfé les paflîoni trop
fenfuelles ; & celles-ci font fi tôt épuifées,
que le principe de fenfibilité qui forvît hê
fait plus où fe prendre & s'attacher*
Ce principe fatigue , devient un tourment.
Il n'y a plus de voluptés pour l'être miféra-
ble qui fe fent exifter , oc qui voudroit des
plaifirs a l'infini ; tandis que fes organes for.c
oblitérés, & que les nerfs ne peuvent plus
tranfmettre les Tenfations dont ils font les
véhicules. i >
Terrible état ! c'eft le fuppBce de toutes
-les amesefFéminées-, que i'înaâion ajMrécipi-
tées dans des voluptés dangereiifôs , & qui ,
pour fe dérober aux 'triayaux impofës- par la
nature , ont emlurafiSf tous leû iàntômes de
l'opinion.
Nos dodeurs accoutumés a tâter le pouls
à nos jolies femmes , ne connoiflènt plus qu€
B £ P A H I s. 129
les vapeurs 8c les maux de nerfs. Quand un [
fort de la halle eft malade , ils difenc qu'il a !
des vapeurs , & ils le mettent au bouillon de j
poulet & à Teau de tilleul.
Une jolie femme qui a des vapeurs , ne
fait plus autre chofe que de fè traîner de fa
baignoire k fa toilette , & de (a toilette à fon
ottomane ; fiiivre dans un char commode
une file ennuyeufe d'autres chars , cela: s'ap-
pelle yS /^rome/ier ; & elle ne prend point
d'autre exercice. Celui-ci eft même réputé
U'op violent , & elle n'en ufe que deux fois
le mois:
Aînfi les riohes (ont punis du déplorable
emploi de leur fortune. En voyant d'un œ2
fec la mifere cPauûriû ^ ils n'en looc pas plus
heureux ; 8c ne fâchant point tirer un parti
réel & avantageux de leur c^lence , ils'font
maudits , (ans faire uti pas de plus vers W
bonheur. j
-» 1
t%
X30 Tableau
CHAPITRE CCLIV.
De Vldolc de Paris , le Joli (i)«.
jj'entreprends de prouver qœ le joli , danr-
tous les genres , en la perfeâtou cm beiu 8c
même du fublime \ que Payantage d'être
aimable remporte (ur tous les autres ; & que-
k peuple qui peut fe dire la plus jdietiationy
doit paflèr fans contredit poCir le premiee
peuple delà terre. J'écris pour les hommes^
femmes de Paris.
. .Qn a eu jufqu'ici une fiuifle opinion de-
ce qui méritoit l'hommage univerfel des»
hommes. La nature a betoin d'être corrî*^
gée 6c embellie par l'ar^tw Si on la moriley
c'eft comme on fait , jx>ur la rendre plitt,
gracieufe. L'agrément eft le dernier traitque
l'on puidè donner aux belles, chofès» Finit--
on un édifice^ un tableaa, un inftrumentr
on lui prête des ornements qui feuls le font
' valoir. Il en eft de même des mœurs , mi;
ne commence à jouk que lôrfqu'bn com^
mence à raffiner.
Lor(qu'une nation efi encore barbare , elle
(i) Ce chapitre tronîque a déjà été imprimé «;
mais ceû id U vé/xtabU place«.
0 r P A R I s. 13^
peut facilement rencontrer le lùblime, Ctft
ainC que rœil fivide de l'Arabe . découvre
loiubce à*\m arbuQe au milieu des déferts
brûlants où H s'égare. On fait alors de gran-r
de$ chples v i^^îs ceil iàns le fa voir : on-
n'agit que par inftinâ:, Qu'eft-ce en effet que „
le mblime :, finon une exagération perpë-
tuçlleyun.coloflè que l'ignorance . conlmiît
Se adn^tr^ ? Le g<^,bie ^ dans £es bonds im« ;
pétuèux. 4 extravague en nous étonnant. Les > >
peuplés méme$ les plus iauvages ont créé uns ^
e^bk,ce<{bbUhle. tant admiré : la rude& ■.:
des naflions fufEt pour l'enfanter^. .
C eft upie nature, brute-, qui n'a pas befbiti
deiculture. Alors onr peint les tableaux com-
muns du lever 8c . du coucher du foleil ; on
s'èxtaÇe kh vwe d'uti.. cid étoUé ; on &
promené à pas knts fur le, bord de la mer ^
ôlPoo admise ces: flots w^iSknts ^^quibafe
. teat majcffuei^me^t ks rives^ ;
/ Qn îdol^p: ïerf^htpmi^ de la^liberté, &
:ToA a U fottUç- de.^CQijiîbattre & de mourir
pour elle. Oh rejeçtc un riant èfclavage qui
nTeiï mérite pas 6: noitV^ 8t (pii doit youiB
j&éer unç; ;foiue<ie.pUi£;s .enchanteurs : état
.délicieux ,. ôà. dea: chaînes à*br 6c de foie
nç'vouj ca^ve^t; que pour vous faire par-
xourik' TO, cercle d aitwferaentr variés , oii
Fon vous, pte une fôrCe dangereufe , pour
vouslaider une f6iUe(& fortunée^ On redife;
âaïas. ces terops grpQkxs dîélç ver des roisJGjr
iji Tableau
fà tête , & Ton fe prive ftupîdement de FaC
ped d'une cour brillante , qui réunit, &les
chefs-d'œuvre heureux desaxts & du gbÛc.
On vit fans peintres y fkns ftatuaîres y fans
muficîens , fans coefîèiyrs , (ans cuîfiniers. y
fans confifeurs. H règne dans les mœurs un
courage gîgantcfque , une vertu fërere &
pédante : tout eft grand & ennuyéui. Les
maifons font vaftes comriîe des cloîtres ;tous.
les dîvertîflèments publics & partîcolîersfpor-.
tent avec eux l'empreinte d'un caraôeremâle^
Les femmes font féqueftrées. de lafociété^
& n'allument le feu de l'amour que dans le
cœni de leurs époux. Elles tie. *ïe dîfputent
point les hommes*; elles 'fe bônj«»nt. ^ don-
lier des citoyens , ^ tes ëltevcr , à gouverner
un ménage.. L'autorité paternelle , Pautorité
maritale, noms fi judicieufement deve-»
'%us ridicules parmi nous , jouiflènt de tous
kurs trilbs droits. Les mariâgfes font féconds v
une manicçè de vivre unîfoiriie & fêrieuf^
cft le caraûferfe dominant* de ce peuple^ qui
ne difïere guère des ours^
Mais, dès quHjn layoo vîeot Pédaitier,
dès qu'il fort de cette gravité împofknte &
tacitnrnç , il comméticic d'abord a entrevoir
le beau ; il taille , il façonne , il (è cr^è èes,
règles : le goqt & la déIîcatefH'v^etlnéI)t
& enfantent le /oû\ mille fois phs fedut^
fant^ On ne voit plus, fur les tables le dos^
àiPiwe d'Un hç&iiip d'iio fenglîcr ^ ou df«x.
B E P A R ï s. 133
cerfl On ne voit plus des héros greffiers
éévoret des moutons , des princeilès iileF
ou Ûire la leffivê.^ On s'honore d'une noble
oifiyeté ^ & des mets délicats ^ remplis de
(bcs quinteflènciés , fe fuccedent pour ré-
veiller on appétit fans ceilè éteint oc renou-
▼ddéé
Les guerriers ( fi toutefois ils mangent )
effleurent Faile d'un faifan t)u celle d'une
perdrix ; quelques-uns d'entr'eux. ne vivent
même que de chocolat ou de fucreries. On
ne vuide plus des outres \ on goûte des li-
queurs ânes , poifcm déleâablé & chéri. Les
hommes au ^oigtiet dé fer , à l'eftomac
d'autmche ^ aux mufijies nerveux , ne fe mon«
ttent qu*k la foire.
C'eft fheureux fiecle où Ton répand plus
à'aifance dans le commerce de la vie , où
f on hriliante tous les ob^ts , où l'on ima;-
-gine chaque jour dé nouveaux divertifle*
ments pour cha&r ^immortel ennuK.
• On y€Àt nakre erJ^lz bonne comfmgnie y
terme parfait de la fiicceflion graduelle des
chofes ; & la coëffiiie devient l'a&ire im->
portante & capitale^
■ ' L'amour n*(eft fjus auffi cette flamme con-^
filmante qui fai(bit pleurer les Aehilles , quî
pécrflbit les Faladkis à travers tes txionts ÔC
les fixêts; c^efl une a&ire de vanité: &
telle femme s'imagine l'emporter en mérite
fiiK h% 4JL^€& femmes à {uroportioa ^de foc»
/
§34 T A B L E A If
amants. Elles, ont le coeur allez bon poix fe^ ;
croire obligées de faire beaucoup d'heureux»
Tout change ; nufs^ çVft pour le mîeuXà.
Fils ! vous ne dépendiez plus fervîlemeoi; .
d'un père qui penfoit bonnemeas que la na-
ture lui avoit donné* cpiclque empijre (iir c
vous. Femme ! vous vous moquerez de .fo- .
tre époux ; plus de liens géfiants ; chaque >
ttidividu eft libre , & n'eft. founw qu^W jwg, r
politique ...
O comme tout devient fiicile & uatunel ! ;
Ce qui enflammoit llmagîhàtioh de nos^ .
aïeux mélancolk)ues9 eflr à peine, un^ fiijet de
pkifanteriè. Ces idées Ciblimes , .qui' ivoiene- -
^gaté des têtes ardemes , qiue lieur avoient
înipuré ce fanarifme opiniâtre qui tient à^ .
fortes penfées , & qui fait peut-être I^ grands >
hommes, ne parbiiïènt plus quefiirun fté-
nie papier , où elles font jugées , noù fur leur
^gré d'élévation & de force , m^is iiu: l'eifr^
pre/Hon qui les habille Se les &core. M., db
là Harpe vous dira que Milton^ Dame , Sb»*
l:efpear , &c. font des écrivains monfirueux^
Il eft vrai que M. l'académicien eft. éloigné,
de cette monjiruojîté^
Ce beau même qui , convne une ftatue
ÎQanimee 8t polie , n'avoit parlé qu'à l'amc>
Be femble plus qu'une image intelleâuelle^,
&ite pour les rêveries des philofophes. Mais:
fc joli eft revenu à fca tour ; le joli» a tou-
ché, tousu les fensi le \mà eft louiouis chaJQ^
n E Paris. ryç
triant , jufques dans Ces caprices. Il prête, en
effet des attraits à la volupté \ il eft Torateur
des cercles v il attache la curiofitë ; il orne
les talents de tous les avantages : toujours^
léger & différent de lur-mênie , il voit dans,
toutes fes attitude^ le goût préiider a fa ftrue*
lure délicate^
U ^alloit toute l'étendue de nos lumières
pour donner une forme à cet enchanteur ,
quf revêt des couleurs les plus riantes les 6b»
Jets de la nature, qu'il imite , ou plutôt qu'il
fiirpaflè.
Qu'eft-ce que la beauté ? Un rapport^
une jufte proportion , une harmonie très--
fouvent froide & dénuée de grâces. Le joli
n'a pas befoin d'être examiné ; il infpîre fîî-
vreflè dès qu'il eft apperçu : un foupir invo-
lontaire rend hommage à Ê perfeâîbn. VoyeiL
ces petits chefi-d*œuvre gracieux, ces minia-
tures exqpiïès , ces merveilles fragiles ;. elles
en font plus précîeufes , Toei! s'y fixe avec
complaifance , l'iDeil admire , & Fimagînap-^
tîon , tout aâive qu'elle eft , iè trouve &tis*
faite , & ne conçoit rien au deUi.
; Tranfportons en idée dans nos villes un.
ie ces hommes qui peuploient jadis les fçh-
têts de la Germanie , ôt qui reparoîflènt eûr
core fur notre globe fous les noms de Tàr^
tares , de Hongrois , Stc. Vous apperce-
vrez une haute ftature , une large & forte
poitrine ,, ua menton qui nourrit une barba
iy6 T A B L ï A tr
rude & épaiilè , des bras charnus , une jam«
be fortement tendue , qui a chaque pas faîr
jouer un faîfceau de mufcles élaftiques 8t
iouples. Cet homme eft aufli agite que ro
buite. Il ftippoite la faim , la loif ; il cour
che (ùr la terre ; il brave l'ennemi , les fan
fons & la mort. Plaçons k fes cotés cet élé-
gant que les grâces ont (emUé careflèr en ïc
formant ^ il exhale au loin une odeur d'anx^
bre ; Ton fourire eft deux , & &s yeux (ont
yifs. A peine fon menton porte l'empreinte
de la virilité ; fa jambe eft fiiie & légère j
ks mains femblent créées , non pour les tra--
. vaux de Mars , mais pour piller les trélbrs de
Famour» La faillie étmcele en fortant de îk
bouche de rofè ; il voltige comme l'abeille ,
& ne paroît formé que pour repofer comme
elle dans, le calice des neurs ; il gronde lé
zéphyr ^ pour peu qu'il dérai^e fêdifice de
(a chevelure. Impatient ^ k peine s'arrête^
t-il fur une idée ; fou imagination eft aufli
prompte , auflî changeaute que fou être eft
lemillant.
Eh bien l prononcez ^ gentils Franco^. ^
kquel des deux mérite la préférence î Avouent
Î|ue le premier vous fera peur, autant que
autre vous caufera de plaifir à voir ou. à
entendre^
PaûTonsatac arts.. On s'eft donné , je croîs^
k mot pour admirer ces produôions dram^
liques , où lesperfonnages font agitée dcmou^
© i P A -R I 5. 137
vemenç convulfifs, cfu les paflions fonr peinâ-
tes fous leurs vraies couleurs : cela peut étr^
fort bon' pour tempérer fennuî majeftueûri
S* iirègite^'dans nos g;randesfalles de fpeÔa-
e,* TyC^i*^ Iprfqu'a table on ^^t appçller la
^è'të,*'tticôre plus nécjefliîré au bien-être
que %s vins les plus délicieux , récitera-t-oîi
alBfs , cbihnie faifoîetit les anciens , les mor-
teàut tratîques de cet épouvantable Shakef-
peat 6b ' 0e ce trifte Sophocle ? O que le
temps- eft bien mieux eliiployé ! Le'nnièur
iplai&nt , le chanfonnîer aimable l'ertiporteht
même furies maîtres du Parnaflè. Un cou-
plet de chanfon , un vaudeville , un madri-
gal, un petit conte, tiennent tous les et
prits attentifs ^ bons ou mauvais , on rit tou-
jours , parce que le j!pli eft le père de la
joie , & qu'il mérite la couronne , lorfque
l'homme , rendu à lui-^même , & dépouillé
de fa robe , ofe avouer (es goûts , fes capri*
ces , & paroître . ce qu^l eft. .
Légers Anàcréons de nos jours , qui valez
ou qui croyez Valoir le Vieux chanti'e deBa-
thylle , accourez , aimables frivoliftes , &
faîtes difparoître le fubllmé Homère , le divîu
Platon & tous ceux qui leur reflèmblent !
Ouï , lèyo/*/ éft le dieu aimable , unique,
cpî met en rtiotivëmfent les fkcultés înté-
neures & leur donne 'un refibrt, une viva*
cité qu*elles ne reçoivent pas toujours de la
vue des plus beaux objets. Le grand , le fu-
X38 T A BLE A, U
Hînie ne font point rares^ ;& .ajboipdeiy:
^âns la^ nature ; nos yeux en font fatigués»
Le fublmie eft au fein de cette, iinnienfê
forêt ^ dans ce défert fans bornes, da|i$:
augufles ténèbres de ce temple fo|îtâjre.
fe déploie fur la voûte radicule ^u |rxiû» .
nient ; il vole fur le» ailes des temii^eSf^
il s'élève avec ce volcan dont la nanunje
rouge & fonibre embra^ la nue ;. il accoiur
pagne la majtrftéde ces vaftcs débordenpiemsv
S règne fur cet Océan qui joint les (teux inoQp»
des -, il defcend dans ces cavernes profondes*
ou la terre montre fes entrailles ouvertes* & :
déchirées. Mais le joli , le joli , qu*il eft rare I.
Il fe cache avec un foin égal à (a gentil*
lefle; il faut le découvrir ; c'eft-à-dirè,
lavoir le rcconnoître. Où fe trouvent le^ yeux,
fins Se exercés , qui font dans la- confidence
de fés grâces ? C'eft une fleur paflàgerc ,
qu'un rayon va brûler, qu'un fouifBe va dé--
ÊTuire ; c'cft a la main de riiomme à la cueil- .^
lir , fans flétrir fon doux velouté ; c'eft à elle
feule qu'il, appartient de compofer le bouquet
fait pour le fein de la beauté*
Ceft peu : l'homme; unit fbn induflrîe à :
l'ouvrage de la nature, & foudain le goût,
de l'un furpafle Torgueilleufe création de 1 au-
tre. C'eft alors qu'on voit naître ces parterres. ,
deïïinés ^ ces bocages foumfs à l'ingénieux
cîTeau , ces élégantes broderies , ces petits
plats., ceaeftanipeS'^ces ariettes. 8c ces vers
r E P À K f s;. 13^-
^cmceknts qui mouflènt comme les pedes^
liquideidu Champagne.
Heureufè nation , qut avex de jolis 'ap*
partemencs, de jolis meubles ^ de jolis^ bijoux^
de jolies femmes , de jofies prodwïlions Hc^
léraires;, qui prifez avee Fureur ces char*
mantes bagatelles , puiffiez-vous profpërer
long -temps dans vos jolies idées, perfèc-*:
ttonner encore ce joli pcrGfHage qui vo«$i
concilie Tàmour de l'Europe , & toujours:
merveiileufement cocfFés , ne jamais loou^
féveiller du joli rêve qui bercé mollement
votre légère exiftence F
CHAPITRE e€L\r.
t
Les Convois.
^ivembrunidons nos pinceaux , il en eft
temps. Tout change ,, tout paflè avec une
effrayante rapidité , lè fbn &s cloches fu-
nèbres me l'iannonce. Cette population ira
bientôt k fondre dans les cercueils ; ils (ont
tout ouverts ,. ils attendent leur proie. li&
magafin eft plein : on fait cpe le nombre-
des viâimes ne diminuera jamais. On it
Fexpérience journalière que la mort, frappé
des coups prompts & inattendus \ mais il
n'y a pomt de ville oii le fpeâacle «fiit ttié^
140 Tableau
pas faflè hioîns d'iinpreflîon. On eft accou^
tumé aux enterrements ; & qui veut être
pleure après fa mort j ne doit pas mourir
à. Paris ; Ton y ^rc^arde paflèr un convoi
avec . une extrême indigence.
- Les prêtres & les follbyeurs comptent iùr
des . trépas périodiques ; ils connoiuènt les
mois de Tannée où la groflè (bnnerie fe«
tentira plus fréquemment dans les airs^ 8c
lavent quand ks cierges dn poids de deux
]ptte$ Sortiront de la: boutique, dé J'^citr»
Les. jutiés crieur^ reviemient exprès de la
^ campagne ^ & développent d'avance la lu*
eubre tenture. Les fouès font creufées &
ppantes.
Le layetur , fabricateur de noîre dernier
vêtempnt ( roht d!ttc ^ robe d'hiver ^ a dit
la Fontaine ) , a reçu ordre de Téglife , d'ap-
porter un plus g^raiid nombre de bières. Le
curé & les fabriques calculent^ chacun de
fpn coté , l'argent que produira la mortalité.
Dans les fociétés, rien de (i vrai à la lettre
que ce petit dialogue d'une fable ancienne ^
inféré depuis dans la comédie du Cercle.
Monfieur un tel eft mort. -^ Je coupe ^xk
cœur. — Cela eft fâcheux aflùrément. —
Vous. jouez en trèfle, Madame. — Ce-
toit un honnête homme ; de quoi eft - il
mort? — Carreau.— Il s'eft avifé de mourir
fiibitement ... Et la partie continue fans que
la moindre altération fe manifefte fur les
D E P A R r s. 141
vîfages : on a froncé les fourcils par aîr ; maïs
le cœur eft demeuré froîd. La même indif-
férence attend ces âmes indifférentes*
On devroît louer, comme les anciens^
des pleureurs aux enterrements , puîfque nous
ne verfom plus une feule larme à la mort
de «nos parents & de nos amis. Un homme
apprend que fa femme vient de fe noyer;;
il frappe du pied & dit ; CeU efi bien dé--
Jà^féabl( P
Dans l'elgace de ceitt années , il faut qpè
deu)C mîliôns cinq cents mille individus aé-
pofent leurs oflèments & leurs chairs alkalt?-^
fées (ur ïin point de ïîx mille tbîfes de crt-
confércncc', & dans cet fc^ape, trente cf-
inetières fuffifent 'pour 'recevoir' c^ ^ràhd
-nombrie de cadavres. Chaijue |)àrbii(ie îér
clame fes morts avec 'un foin jaloux ,' &
il faut Açs difpenfes pour aller pourrir , un
peu plus loin.
Celtes il n'y a point de champ de bataille
où la mort fafle entendre d'une voîx ^lus
terrible & plus éclatante ces mo^ de la guéfr-
,î:e ijbldats ^ferrer les rangs. Les rangs font
ëclaircis k chaque mftant par des coups àuffî
rapides & aufli invifibles que ceux du boulet;
niab li fréquence des trépas r^amd iin'e forte
4'ihfenfibilité qui des efpritspaflè fiir les fronts.
Un convoi n'eft pis une cérémonie' trïfte ;
les riches ont un grand luminaire , toute Par-
'genterie de l'églife ^ une tenture qui ceint les
i^% T A B L « A tr
colonnes du temple , un poêle richemeik
brodé , nn de profundis ^n faux bourdon ■:
quatre-vingt prêtres en fiirplis blancs portent
des xierges allumés , tandis que toutes les
cloches en .branle retentiilènt au loin dans
les airs; on chante pofémentJes vêpres ; un
«uître des cérémoriies guide & jdace TaC-
feniblée ; un beau goupillon pailè dans toutes
\^s mains von (è range fur une mémelignti^
^11 falue & Ton eu ialué avec prelque autant
yde grâce que dans un fallon. ^
Pour le pauvre , on le congédie avec quel-
ques vcrfets àss laudes ou des matines , li
hi pâle lueur .de quatre cierges entamés ^
^i portent iur des chai>deliers jde cuivre j
on galoppe rindifpexilàble uAr^ri^fz^^s^ &
ceux qui portent le cercueil oc la croix de
^is 9 courent d?un pas impatient & |M:é-
cipité le jeter dans la foflè. Un petit gou-
pillon, dont les barbes font rares 6c uiées^
trempe dans un fale bàiitier où fon a verfô
Teau bénite d une main encore avare ; le
plus fouvent il.eft ^ fec , & la Biain du fik
-eu^e Tami, s'il lui en selle un , ne peut
arrofer que de.fes pleurs l'endroit où (ont
dépofées des cendres chéries. Le prêtre eft
.dé]k loin quand le ifils ôte de (es yeux le
mouchoir humide; il (è trouve feul fur k
'^ombe de fon pere^ & jufqu'au bedeatt
* boiteux , tout a déferré le cimetière en mur-
murant contre la pauvreté du défiint & de
celôi qui fenterre*
m 1-' P A H :i $• ^iif
"^ Xes feîHets d^ènterrertiems réfïènïbleii a
-»^es invitations V vous êtes prié^'ajfificr^ &c.
hOiî trouve au bas i de la part de Mad^Jk
yeày^ / de la part dé M. Jbri gekdre^ i)n
^evroit y marquer Pàgie^^du décédé \ niafe
il n'y aérien de fi incivil à. Paris , que d«
s'infoiraer de J'àge des morts & de celttî
• des iriyaïlti:' • "- •' " ' - -
On pale toujours devance k YégliCelt
xonvoîyle férvice ôc^'entéfrement. On v!Dus
préféftté" un tarif tout imprimé 4 •v<)^s choi*-
-Ikïèz £!bnibieB< vous ' votfiez de' préfrjcs; , Ht
'cierges, 3e Hanity&attx, de chanddieriS.^^oi>-
^lez-vous la petite ou-Ja grande 'ibnneriei
vous paierez tant ^ trois votées pour k pe-
tite , mi^ poôi là grîtede y vous €n aUrq^-:
' /- yjtki s'^àj^t quiitu 'fkUin.
Tout cela fe cklciile :^tant pour la préfence
<i« M. le cuire , &c: '
Celui ^de, S. Euftache cft beaucoup pte
cher que celui de^S. Pierre- aux -poèufi.!^
^t^i^du qu'il: eft plus gros feigneur. Il h'etÉ-
terre que lés penonnes de diftinSîon : cîti-
]quahte^ francs, pour Touyerture d'une foflTe:;
j^âf?/ pour le^' chaiftres qui glapiront quanU
on defccndrafUe corps ; /^x/îr^pour la garni-
ture & le parement du maître*=autel \ tâût
«pour le petit chœur x)u \t grand chœur';
4ant pour le confeflèur ou ton fîmulacre^
*:4am pour JCes gants blgncs.
144 T A V l ^ A^U
On ne viendra chercher le défunt que
lorfque vous 4Uf ez délivré, yotre argent ; il.
ne vous fcrcît pas permis d'acheter une bière
chez .un layetier ^ régliTe en tient niag^ifia
& doit feule vous la. vendre ;c'eft un ao-.
caparement ^ elle ^aghe fur votre bîere près*
de la moitié du pfix intrinfeque.
A peine un homme a-t-îl rendu ie deniîes
louper ^ qu'çn Tiariache en^çore chaud dc^ fon
lit ç/QH . ne cikçvch^ plus: qy^ ,£ç.débarraflèc
4e Ion .corps. : La. 1(9 tçrîibjejSÇ; fai^P 4es
jingt-qoaue heurçs^fegpç ipipBrieMfemeot
dans cette • dernière cataflrophe de h vie
iiiimaine , comme dans le^ fiûions thé^traless
qu'adore la nation. £l]ene.(e départir«f.ja{nais
4e.' ces depx mauvaiies. ^ icn}elles regljes..,.;
* On fuit i on abaqd<jnne le corps; a .un vieil-
lard. Ce vieillard "kii un ^jpxi^t !^4^ent &
fubakerne , qui garde un mort la nuit , & k
qui Ton donne vingt fols & une bouteille de
vin. II. lit quelquefois à côté du cadavre',
au lieu de Toffice des morts-, TthuÙe 6îi Ja
Pucelle ; familîarîfé avec le trépas, U ye'îîl^
indifféremment Tous fon étolé'la beauté quï
n'eft plus & lé vieillard qui a termîfié (k
carrière \ lé cierge funéraire ne Pattrîftè pai':
tandis que le bénitier efl: au pied', du lit , ' U
lire fa bouteille cachée fous un c6îh..dù Uû-
.ce^il, & il abrège en la vuïdarit, les lon-
gues heures de la nuit.*
Avant
D E P A R I S. 141;
Avant les vingt -quatre heures le corps
fera dépouillé, enveloppé d'un drap, cloue
dans 1^ bière , & porté dans le trou. '^
Le lendemain on ne diftinguera plus (ba
cjcercueil ; quatre ou cinq nouveaux peferônt
fijr le Cen : c^eft ce qu'on peut voir , puif^-
Îu'ils font le plus fouvent à découvert ; &
œil , s'il en a le courage , a la permîffiou
de les compter. Le foflbyeur ne jeterà de
Jâ terre deflùs que quand cette pyramide de
tombeaux aura la proportion réquife ^ ils iw
feront en terre proprement dît , que quand
îl y en aura un nombre fuffifant, & que le
gouffre avide fera entièrement rempli.
On s'efl: élevé contre cette précîpîtatîon|
inhumaine \ mais les avertijŒements , ceux,
même des naturaliftes , ne font rien fur les
ufàges enracinés : plus ils font mauvais , plus
ils font tenaces.
C H A P I T R E CCLVL
D'un Pauvre.
JM.ais peut-être n'y a-t-îl pas auffi de ville
bii lès mourants fôîentplns" di&ofës à quitter
la vie. Les deux extrêmes de la fociété j^-
Kcée lie font pas heureux , l'un par Ténnui ,
& l'autre par la mifere, li'un a fatigué feg
Tome 'IL -G
v/
r45 T A B r e- a "V
fens , & ne retrouve plus le reflbrt nëcefiàire
f)our fes Jouîflànces. L'autre acheté trop cher
a courte & pénible (ktisfaâion de fes 1>e«
foins. Il eft las de la vie dont le premier eft
dégoûte. A ce fujct^ je veux vous donner
la âarfation fuivante.
Dans le fauxbourg Saînt-Marcel , lieu où
par excellence dominent la mîfere , le mau-
vais air, conféquemment le mauvais pain,
Phuile empoifonnée , une fièvre pourpreufe ,
brochant fur le tout , îiioiffimrifoit les pau-
vres par centaines. Ils n'avoient pas le temps
de fe faire traîner à l'Hôtel - Dieu. Les con-
feflèurs ne fortoient pas d'une maifon , &
Pextrême-onaion defccndoit du grenier au
feptieme étage (i).
Les bras tomboient aux foflbyeurs. Le
cercuelt bannal , depuis quinze jours , rou-
loit de porte en porte, & ne s'étoît pas
trouvé vuide un feul inftant. On avoit de-
mandé un renfort pour exhorter les' mou-
rants ; car la communauté des prêtres de la
paroîfle ne pouvoir plus y fuffire. Vînt Âxn
capucîn vénérable : il entre dans une efpece
d'écurie baflè ,'où foufBoit une vidîme de
lacontagipn. Il y. voit un vieillard mori-
m
• (i^ Parce que le grenier en fonnoit le hukîe-'
me. J'ai fait c^rte note pour les Etrangers , qui
B^auroient pas conçu comment on pouvoit def>
gçndrc «u icpticmç étïgc.
D 1E P A R ï 5. 147
lïond , étendu fur dtîs hàîllbns dégoûtants.
B ëtoit fcul : une botte de paille lui fer voit
de couverture -& d'oreiller^ pas un meuble,
pas une chaife; il avoir tout vendu, dans les
premiers jours de fa maladie , pour quel-
ques gouttes de bouillon. Aux murs noirg
& dépouillés petidoiènt feulement une ha-<
che oc deax fcies : c'étpit là toute fe for-
tune , avec fes bras , quand il pouvoir les
mouvoir; mais alors il n'avoir pas la force
de les foulevet. Prcne^ courage^ mon ami,
lui dit le confeflèur ; ceft une grande grâce
^ue' Dieu vous fait aujourd'hui ; vous àllei^
incejfamment Jbrtir de ce monde, ou vous
n'ave[^ eu que des peines . . • . Que des j^ei^ '
nés ? repm le moribond d'une voix éteinte.
f^ous vous trompei^ ; fai vécu ajfe^ con^-^
teht ^^ ne me fias jamais plaint de mon
fort. Je ri ai connu ni la haine, ni V envie:
mon Jbmmeil étoit tranquille ; je me fa-^
tiguois le jour , mais je repofois la nuit.
Les outils que vous voye:i^ me procuroierU
un pain que je mangeois avec délices , &
je n*ai jamais été jaloux des tables que
jai pu entrevoir. T ai vu le riche plus fujet
aux maladies quun autre. ^ Tétoïs pauvre^
mais je me fus ajfe:^ bien porté jujqu'à ce
jour. Si je reprends la fanté^ ce mie je ne ^
crois pas , j'irai au chantier , '& je con^
tinuerai à bénir la main de Dieu quijufi
qu*à préfent a pris foin de moi. Le cbj>
G X
>I48 T A -BLE A U
folateur étonné ne {àvoit trçp -con^unest
s'y prendre avec un tel. malade. II oe pou-
voit concilier le grabat avec le laif^age du
mourant. Il k remit néanmoins, & m dit:
Mon fils , quoique . cctu vie nt yous ait
pas été fâçhcufc^ vous nc.dcvei^pas^màins
vous refoudre à la quUtcr; car il faut fi
joumcttrc à la volonté de Dieu ^m,. . Saosj
doute , reprit le moribond d'un ton de voix
femie & d'un oeil a(£iré^./oz^7€ mande
doit y pajfer à Jontour., Toi fiiyiyre , ^je
jdurai mourir : je rends grâces à J)ieu de
m avoir donné la vie, & de me faire paf
fer par la mort^ pour arriver à lui. Je
fens le moment* • ^. le voici» . • ..Jldieu^y
mon père.
Voilà le fage , Je .croîs 5 & cet homme.^
pendant qu'il vîvoît, fut peut-être mépriff
du riche qui ne fait point faire ufage de la
vie , & qui fe défoie, en lâche loxfqu'il s'agît
de mourir. ^
CHAPITRE ce L VIL.
. Aux Riches^ .
fez, ufez donc du moment qui - vous
relie pour faire le bien^ tout va fuir bien-
•;tQt.dc vos mains* Soyçz. , charitables, pQjju:
B E Pari s. 149
ne pomt fentîr l'inévîtable reniards <\m vous
attend, &. vous endurciflèz votre cœar. En-
tendez-vous les cris des néceflîteux ? Us vou*
redemandent la portion que vous retenez
fur leur fubfiftance , tandis que les excès
vous tuent. Venez., approchez; Quel fpec-
cacle dëplocabie ! & fi les maux vont tou«
jours en croUIànt^.qiael (èira donc le (brt de-
eette ville ?
Ici, une malheoteuCe mère , împuîflànte
à^tiourrir fon fils à la mamelle , voit fon (ein
épaifc tromper la bouche aflamée de l'en-
Ûùt chéri ^ dont la débile extAetice pe(è à
èelle qui lui a dc^në le tour , & qui ne
peut retarder que de cpaelques înftants la
«lort prête a Tenlever. Là , l'homme vieilli
^cinquante ans (bus le faix des travaux pu-
blics, n'a d'autre per^eftive que la confo*
ktion d'être reçu daiSd un hôpital pour y
mourir. O vous ! qui nageîs dans Topulence,
qui foulez ceniéiiie peuple fous ïd pieds de
vos chevaux , tandis que votre regard encorç
plus cruel plonge fiir lui arec dédain & or-»
gaeîl-, ne croyez pas que fesmaùx foîent
ikn^ xemedes : né vous perfiiadéz ^pàs que
le malheur foit rîilévitiiibÎ0 partage 1^
plus nombreufè pnrijnnHJioiVimnfîi [V/iyrr
dShs le bTen comniencOe bien qui refte à
£tire^ & ne penfez '{^s que les moyens
manquent poui^ fecourir l'humanité fouf-
fêuite.
l^O T A B L £ A TJ
Il efl peu dlioniniesqur^ en donnant
aux pauvres , nVît réfléchi qu'il n'allôic pas
adèz loin , & que Ton fuperflu appartenoit
de droit & en entier aux indigents. Mais
on ctouiïè cette voix fecrete^qui efl autant
le cri de la juflice que celui de la pitié. On.
Vctourdit, op étend fon néceilàireau-delà
de Tes vraies dimenfions : on le fent , on
cherche à (è le cacher ; mais on s'arroue k
foi-mênie qu'on a'a qu'unis charité melquine
& imparfaite. Le trait de la vérité é^uip-*
pe à notr6 ' pro{H:e & fecrét aveu ; tant la
çonfciençe eft. un^ièntiniènt profond ^ dtt-&
rable , armé contre nous - ménies { Qn f a&
foiblit , mais on ne l'éteint jamaiis.
Je laifliè ceux qui me liront fiif cette ré^
flexion , perfiiadé que , s'ils la négligent^
elle s'élèvera un jour d'une manière terrible
contre &jx\ 8c au moment où ils voàdioieût
avoir accompli le bien qu'il- fera trop^ tard
de vouloir faire. Je les préviens qu'il n'y aura
plus alors que l'idée confolante d'avoir été
humains , fecourablès , qui applanira pour
eux ce paflage fî redoutable pour quicomqiiç
n^a pas ; obéi à cette voix intune , notre pe^
mier & incorrupriblfi juge. ^ :^ '
f î
•îHHp
- ■ .1
i.
D B P.A R I S. i^
C,H A PI T R E CGLVIII. .
Suicide^' .
Jr eraî-jeîcî le taUeau du fombre defefpoîr"? '
Dirai-rje pourquoi Ton fe we k Paris depuis
environ vingt cinq ans? On a voulu metti:iB
fur . le compte de. la philofophîe moderne
ce. qui n'eft au fond , je rofaai dire , que
l'ouvrage du gouvernement. La difficulté de
vivre , & d'un autre côté le jeu & les lo-
teries trop autorifées 9 voila ce qui occa-
fignne les nonibrcux iùicîdes ^dont on aVn-
tendoit prefque pas parler autrefois. Les im-
pôts ne diminuent point; les droits d'en-
trées font toujours épouvantables. On a gêne
le, commerce intérieur^ ou plutôt il n'exîffe
pas, tant il eft (ùrchargé d'entravts. Lcf .
douanes le fatiguent & le repouflènt ; .qii
a defleché, fuccellîvemer^t toutes les brat\-
cl^es nourricières v,on a tout fait paflèr daiis
la jiiain du roi, argent, charges , privilè-
ges , maîtrifès , &c. Les agents de la Ç-
na;ice moderne , calculateurs impjitoyables^
fèmblables aux vampires qui vont èncôrii c
iucer les morts , donnent le decniftrjcoup^
cabeftan fiir un peuple déjà mis au preftbir. ,
A la longue , tant de fardeaux . accumulés >
G'.4 ■; ■ "^
I^-r T A B L E A TT
le font fuccomber. Les étemelles loix prohi-
bitives enchaînent rinduftrie^ on lui. a ôté
fonreflbrt^
' Ceux qui fe tuent, ne fâchant plus com-
ment exîfter, ne font rien moins que des
phîlofophes : ce font des indigents, las,
excédés de la vie , parce que I^ fubfîltance
eft devenue pénible & difficultueufe
Quand rendra-t-on à la confommatîon?
des denrée3 un cours plus facile ? Quand le
mînîftere , femblable a l'enfant oui fait un
bouquet de la fleur de Tàrbre , fans s'envr^
barraflèr du fmît , ceffèra-t-il de taxer des
denrées , c'^eft-à-dire , d'aller contre fes pro-
pres intérêts ? car fi le peuple n'eft pas nourri
avec une certaine abondance , comment
^ pourra- 1 -on compter fur la force, fiir la
îanté , fur rattachement des citoyens ? Les
Farifîens feront énervés , & la plupart fe
refuferont à reproduire leurs femblabies (i).^
La police a foin de dérober au public la
connoiflànce des fuicides. Quand quelqu'im
s'eft homicide, un commifiàire vient fans^
tobe, dreflè un procès- verbal fans le moin-
dre éclat, & oblige le curé de la paroîflè à,
enterrer le mort fans bruit. On ns traîne
jilus fur la claie ceux que des loix. ineptes
. i
(i) De \k\e fvQvcrbt: EfJ^nt de Paris f maii'^
maife nourriture^
ir E P A Ri s. 155.
pourCiivoîent après leur trépas. Cefoît d'aîU
laars un fi)eâacle horrible & dégoûtant, ^
qui pouvoir avoir des fuites dangereufes ,
dans une ville peuplée de feni^ies enceintes^ .
Le nombre des fuicîdes peut monter , .
aniiee coÀVmuhe , k cent ^cinquante ffeHbn^
nés. La ville de Londres rfen fpurnît pas
autant, (poîque bieaucoup plus peuplée ; &
de plus la çonfomptîon eft chez les Anglois -
une véritable maladie, qui n'exifte point k i
Paris. Cette fcoiiipatiJîïbtt nous dilpenfè de -*
toute aiitrè réflexion.'^ • .
A Londres'^ c'cft donc le riche qui fc tue \
parce que là conjdmption 2ttzcjfie TAnglois
opulent , & qiié'l- A^nglois opulent eft le plus
capricieux des honltnès , conféquemment le
plus ennuyé^ A Paris , les fuicides fe trou- -
vent daris ' les claffes hifërieures , & ce crime
fe commet le plus (buvcnt dans des greniers", .
où date des cnatrlhfes garnie^.
- Plufieurs fuicîdei ont adopté la coutuhîé
d'écrire 'ptéalafbiemeiit' une lettre au liëùtè^
nint de police, afiri d'éviter toute diffiailté
après leur 'déèès. Ort rëcompenfe cette ai*»
'tention , en ordonnant leur féjinltuJrè. Aùj-
cun papier publier n^hnoncè-^be genre dfe
mort; & dans niîHe ans d'ici , ceux qui
ccriroient l'hîlloire d'après ces^ papiers, pour-
roicht révoquer ert doute ce que j'âvatiçe
ici : mais îl h'éft x^é trop vrai 4"^ le fiiicîdfe
J f 4 . T A B r E A u
cft plus commun au}ourd!faui k Far& qw
dans conte autre ville dui monde connu*.
1
C JÇ :A P I T. R E , C.CHX^
jlFi/r^f de Saint^ Clouât
9
es corps des maDieareux qui £e noienr
n'ont pas tous l'avantage d'ayP^:; ^ J^^ ^
fuperbe Océan pour tombeau , ainfi. qu'ils
s en étoient flattés*. Ils ^'acrétent ^ jS^^çepté
pendant les (temps de glafces., qux filets- de
Saint- Cloud ; Sc çelyi ' qui a cpru. pouvoir
s'échapper de ce monde fans laiflèr auame
trace , eft reconnu : fe . reftes viennent at-
teftef à la morru fon çtifpe , (bp ipfi^rtune^
jSyL-fon erreur^ . • - ?
Dans une fêjre publique a^ V^Jti dçiina^
2 y a trente-deux ans environ •, fur le bord
de la Seine > gonEée .pai; les grpâès eaux-,
le defordre & l'injtempérance ayant fait tonv
i>er dans la rivière nlufîeurs perlbnnes^ le^
iipmbre s'en trouva fa confîdérable , qu'ott
leva les filets de Saint-Cloud, afin que rîeo
xi'atteflàt la multitude des maÛxeureuiès vie*
times.
On trouve (bu vent dans ces filets les^ pluf
fingvliers débris , que le bafard entaflè péle^
mêle y & que la Seine a chariés de la capi«
D E P A-R* I .S. JL^,i{
taie. On dît que cela ne laiflè pas que. dp
former un revenu pour ceux qui en oift]['^4-
mîniftratîon & le bénéfice.. .:,..!
CHAPITRE. GCLX..;:
CupitaUJîes. j . i
X-ie peuple ii*a plus d'argent ; voila le gratvl ,
niai. Oh lui TdUtire ce qui lui en refte y* par
le jeu infernal d'une loterie meurtrière /8c
par des* eniprunts d'une. fédùfSîôh.'dartge-i .
reufe^quî fê renouvellent îndéÏÏàmiïienhTUa
poche des capîtaliftes oc de..reur$ adnérents*
recçle au moins la fpmihe cfeGx ceiits^îpîj-
lions. Cêft avec cette n^aflè qrfiis j6&eçt'> ^^^c
éternellement contre les citoyens dii rojrau- u
me., leurs porte - feuilles ont fait l^^yÇc
cette fomme ne rentre'jamaîs dans la; cgr-
culation..
Stagnante-^. pour aînfi dire^ elli^ appelle
encore les ritheflès, feitrh loi , 'éèitf^,13fl?y^
me tout concurrent^ çfl; étrangère à lîgn-
culture , à lYnduftvie ; au coniiggg^;,J^{teflrf'
aux arts. Confacree k ragidH&T elle eft Ai-
nefte , & par le vuîde qu'elle caufe, & par
le p-availobfcur 8c perpétuel 4er»t ellfe fcjïe
la natîoiK II faut que danç.cmq.oufix années
Targent paflè. toyt ejptier ,, par une oj^ratioi^:
Q 6
r «, « • •*•
Kj^ Ta b l ît a ij
TÎolente & forcée , dans là maiii de ces
pîtaliftcs , qui s'entr'aîdent pour dévorer tout:
ce qui n'eft pas eux.
£t néanmoins on taxe les arts , on met
"un impôt fur l'induArfe , on fait payer le
commerce , Pon demande de Taisent à uh
homme quî-travaîlle. Puîfque l'on rfentend ,
plus que ce mot de Yargent, de Yàrgcnt ,
encore de Y argent ^ qu'on laiflè donc les
moyens d'amallèr de Yàrgeat ; c^t tous.,
(oient appelles à morceler^ à couper, à dé-
pecer là maflè énorme des métaux mon-
npyés , qui réfîdent dans un petit nombre^;
dé mains \ favorifez tout ce qui peut creufêr
lès csmau^ par où ce métal fi attendu doit (è
rfjSanrIrf ^ an lipi) de faire des loix , des da —
tiits'^ des reglement^î hî^arrpfj, ^^c pr/^K;k;^
tibns éternelles. Quand tout fe fait" avec dc/^
^ fargent , iTahendez pas que des vertus pu-
rement natriotiques germent fur lefol de.Ia.^
mifere & de l'indigence.
G U A PITRE CCLXI...
- JlHôtd des Fermes.
Je ne paflè ^oîhf devant l'hôtel des fermes v
fans pouflcr un profond foupir : je me dis ^
\^. g'çngouffre l'argent arraché avec violence-
.■«■■'
• •• «
1> t P A K I S. r57
êè toutes les parties du royaume , pour
Su'après ce long & pénible travail , il rentre
Itéré, dans les coâres du roi. Quel marché
ruineux , quel contrat funefte & illufbire a
figné te fouverain ! Il a'confènti à la miftre
publique ^ poiu: être moins riche lui-même.
Je voudrois pouvoir renverièr cette immenfi^
& infernale machine , qui Taifît à la gorge
chaque citoyen , pompe fon fàng fans quïl
puifle réfii^r , & le dtlpenfe à deux ou trois
tents partîailieis qui poflèdent la maflê en-
tière des lîdbeflês. Chaque plume de coith
mis eft un tube niewrtrier qui ccrafe le com-
merce , Taôivité, rinduftrie. La ferme- «ft
Tépouvantaîl qui comprime tous les deflèins
hardis & généreux. On ne fonge plus, dans
cette anarchie, qu'à fe jeter du parti des vo-
leurs ; & Thorrible finance fe foutient par fes
déprédations même. Là ^ enfin on tient t'cde
publique de pillages raffinés ; là on offre des
plans plus oppreffifs les uns que les autres.
La finance eft le ver folitaire qui énerve Je
corps politiquer^Ce ver abforbe les princi-
paux fiics, fait naître de fauflès faims, &
tue enfin le feîn qui le renferme.'
Ce qull y a de finguliér, c*èft qu'pn â
voulu abfoudre la finance , parce qu^ellé ga-
gne moins aujpiudTiui qu^autrefoîs ; mais il
faut bien que fes gains foient encore im-^
menfcs , puifcu!çlle bataille fi vîgoureufe-
Bient pour le niaintien de fes opéiratioîis..
1^8 T A 11 L E A ^r .
Ptttflèm les adèmblées provinciales ^ le pliis^
bel établillèiîient de notre fiecle , le plus pro-
pre k amener le bien le plus grand Sç, le pli^
defîré, mtiier ce corps financier, auteur de
tant de maux & de défordres ! Ceik quan4
.il fera tombé , que Ton s^étonner^ qu'il ait
pu fubfider (i long«4emps au dé&vantage dii
ibuverain &: de k nation^ L'homme qui ^
préparé ce grand bienfait , peut être sur que
fa .méa"voire ne périra poiiif , & qu'il obtien-
dra fa place parmi les noms que l'on, pror
nonce avec reconnoiflànçe*8C:refpeâ. Il.eft
inconteftable que voilà ce qu'il a £àit 4^. i)[xieuf •
Le refte ! Ah !
CHAPITRE CCLXII^
^ MontdcPiéti.
\Jn vient enfin d'établir un mont de piété,
qu'ailleurs on nomme lombard ; & radmî-
niftratioh , par ce fage établilïèmentfi long-
temps defiré , a porté un coup mortel à Ta
barbare & âpre furie des voraces ulurrefs ,
toujours acharnés à dépouiller les nécefliteux,.
Les agioteurs mafqués , qui cachoicnt leurs
opérations vexatoires, fe' font vu forcés dgns.
leurs mviGblffs retranchements* II: faut qu^fk
fétioncent k un cotnmeroô/ îiië^dme , ^nt
la'irôp pttîi&tttê artiîOJ?éé ctoiiftoît toute fpè-
culatioti généréufe , todte etitreprife magna-
nime';j car on ne favoît plus que tourmenter
l'argent , pour achever la rukie de celui qui
en ctott af&mé* -. r
• >^ien ne prouve mieux le befoîn que (x
capkàle avoir de ce lombard, que l'afflueMe
tntai^{!able des demandeurs. On raconte des
chofes fi fitiguiiéreis ^ fi introyables,'que7e
n'ofoles expofer ki avant dfavcir >prîs des
informatiotts pluy^artiiciiliéres ^ qui nVailto-
tifent à les gfarantii?. On pa-le de qtsarantc
• tonnes remplies (k rftonti;es d'or^ pour expri-
mer fans doute la quatjtité prodîgieufe qu'on
y en a polrté. Ce que je fais , c'cft que j'ai vu
fur les lieux foixante b quatre-vingts perfon-
nés qui , attendant leur tour , venoient faite
chacune un- emprunt qui nVxcédoit pas fix
livriÈ^ Vwn portoit fes chÊmifes , celui ^pî
àh meuble; cekiî-ia un débris d'armoîrd;
l'autre fes boucles de fouliers , un vieux ta-
bleau, un mauvais* habit ;'*&€. ^' On dit que
cette foule fe renouvelle prefque tous les
jours y &• cela dbnne une tdiéc noitiîquîvo-
«pie de là difette extrême oii (bpt plongés ie
plus grand nonibre des habitarits*^
' Q^e donneroit'On à un- auteur pauvre. &
ayant du génie, qui porteroit un manufcrit,
par exemple , VEfprit des loix , ou rHif-
V ixAre dà ^cùn\mcrc^ d^s deux Indes ; ou VEr
t6o Tableau
mik, non iioppi^ ) QuVa diiok rhuîflîèf-^-
•ftiCeuv ? A quel.UMX aiettroit^il Fouvtagei?
L- opulence empmnte de même <pie la pall^
vtete. Telle fenKiie fort^d'un «quipage^^ en-
velopp(^e dans ià c^K>te^& y dépofe poi^
vingt-cinq mille francs de di^iwili. 9 pour
.Jouer> le ibirJ Telle àpire diétache fotvfopon ,
.& y detmmde de quôi^avoÎF du ptto. -^
Le mont de piété a fait tomber les dta-
«aants , parce que ' cVft la première chofe
<pi on y a, mife en gage , & infenfibUtqaènc
oui a vu les perfonnes les phfs riches 'i)e|>Ius
figurer avec ce bi: illàtxt fiiper flu^ . Il . y à eu
en(tiite dans cette jpriv$ition des motifs uès-
-refpeâables ^ £c qui nous font connus.^ Plus
d7un fervice important a été rendu fax ces
.objets dun luxe dont il eft facile de fe paf-
fcr. Les femmes* ont donné cet exemple :
le fentiment d'avoir fait une bonne aâion
peut dédommager amplement leiir anxe fto-
. fiUe de cette frêle & petite jouiflànce. On
afliire que le tiers des effets ne (ont pas re-
tirés : nouvelle preuve dé Pétrahge dîfette de
Péfpece monnoyée» Les ventes quî:fe font,
of&ent beaucoup d'objets de Uixe a. un bas
prix j ce qui peut faire un peu de tort aux
petits marchands : mais d'ailleurs il n'eft pas
. mauvais que ces- objets -Ik , qui avoîetit une
valeur démefurée , perdent aujourd'hui de
leur taux infetile. • . . • .:
U s'efi déjà glîfle , dit.*<on , dfis abus, .dans
E
DE Paris, i&i
cette adniînîftratîon : otr rudoie un peu trop
le pauvre peuple , on prîfe les objets offerts
ar l'indigent a un trop vil prix ; ce qui rend
e fecours prefqu'ihutile. Il faudroit que le
fentiment de la charité dominât entiëre-
ment , & remportât fur de futiles & vaines
confîdérations. Il ne fèroit pas difficile de
faire de cet ëtablîflèment le temple de bz
miféricorde , gàiéreufe , aâive & compa-
tiflànte. Le bien eft commencé \ pourquoi
ne s'acheveroit-il pas de manière a fatisfaire
(ùr-tout les plus infbrtuoés?^
CHAPITRE. CCLXIIL,
Monopole..
n homme s'empare d'une efpec. de den-
rée en entier : alors il fait la loi tyrannique-
ment. Voila où le commerce devient dan>_
gereiix , opprefïîf. C'étoit originairement uii ]
échange équitable ; il n'y a plus de. propor-
tion , elle eft rompue \ une partie des con-
tradants eft écrafëe ; ce n'cft plusnn cora^*
merce , c^eft un monopole , je fuis violence...— i
Cet homme tyrannique me vend la choie
plus qu'elle ne vaut , parce qu'il la poflède,
feul : U doit être .puni par les loix..
^vj
l6z T A BLE A U
Mais fî cette marchandife eft de premiete
lîéceflîté *, fi c'eft 'du pain , du via ^ des lé-
gumes , de l'huile , &c. il eft mon véritable
aflàirin. Qu'on entadè les fophifmes , que
les économiftes viennent me prouver que ,
le bled eft à lui , & qu'il eft libre d'y mefr-
ne un prix arbitraire; ce vendeur fera tou-
jours un barbare : il me voit {buffirir-) & il
augmente le marché fuivant ; il ^t la Êb-
mine & il en rit.
' Il fera puni , me dira-t-on , il Ce tron>-
peratot ou tard dans Tes calculs^^ Mais bs
n>éculations erronées auront été bien plus
dançereufes pour moi que pour.lui ^ çary s^'il
perd foh argent , moi fauraî perdu la vie*
Non : tant que les hommes feront avi-
des , intérefles , iirfenfibles , il ne faut pas ,
que les denrées de prenoiere néceflîté foient
abandonnées aux nmrs projets de l'avarice.
Deft ridicule & honteux de livrer k Tétran-
ger pour trente fols de plus Cur un fetier , le
bled que j'ai vu croître (ous mes yeux ; le
citoyen doit être nourri , & de préférence^,
des produâîons de (on fol.
Les monopoles ^ tantôt fur les œufs v tan-
tôt fiir les légumes , tantôt fur les fruits ,
tantôt fur les épices , ne font que trop fré-
quents dans la capitale , & l'on pourroit âe-
cufer les foppôts de la police de complicité ;
car elle n'a pas toujours été aflèz vigilante
à réprimer cçs indignes abus , qui ai&ment
» ï P A n I ar, 1^3
k pâme indigente du peuple & lui font dé*
tefter Texîftence.
Quelquefois les hommes en place nerou-
giflent pas de prêter & d'avancer leur argent
pour ces opéra;tions abominables. Sous le
voile qui les couvre , & qu'ils croient impé-
nétrable, ils jouiflènt des fruits infâmes de
leur avarice. Ce crime devenu commun- f
a flétri des noms jufqu'alors recédés ; c^eft
un nouveau forfait de l'opulence , & prefr
qu'inconnu avant ce fiecle. J'ai vu arrher &
accaparer les cboux , les poires & même les
laitues.
Voici quatre vers fur les monopoleurs^^
par M. Dorât , qui m'ont toujours beaû^
coup plû.
Us tngtoutijftnt tout par un trafic honteux p
Souvent même leurs mains , par de taches aittjtis ^
i '. '} " , " ' '■ . .
Vitoutnint de Cires les jolidcs rieheffes^
■.■:•'• . . ■: . .. . j ,
it la fertilité difptuoit devant eux»
CHAPITRE C CJUX I VJ
Le Regrat, Çiujn^à *^\
T ' ■ . ' (P^'^^7
JLie regrat eft encore ce qur tue la partie '
indigente des habitants de la capitale. Cette
liialheureufe portion acheté les denrées beau-
coup plus çh&Ly Se n'a que ie .]:ebut. des.au«-
. »
Tableau
rés citoyens^ N'ayant pas le moyen de faire
juelques modiques avance^, pour fes provîr
bons annuelles ^ .eflepaiç le double de ce qye^
valeriLW-cheû^ l'out augmente d'un tiers \
rii moins çonx cette clalïè infortunée qui ^
1 eft obligée d'avoir recoursk.de petits mar-
I chands qui revendent en détail ce qu'ils ont
\4sak. achprp. en -.détail .^
Ainfi le ^}^^]^S&a)^ maçon^, le tail-
leur , le piSfé-lfaix^^Tejoumalier , ôcc, paient
le vin , le bois , le beurre , le charbon^ les
3 oeufs 9 &c« à un bien plus haut prix que Iç
duc d'Orléans & le prince de Condé..C^
p'eft point là apurement le chef-d'œuvre de
I9 fociété. On ne fonge point à jdiminuer ces
abus qui empêchent le peuple d'être nourii.
L'homme qui a trois millions de revenu ,
a. les comeftibles à bien meilleur marché.
Le vin qu'il boit eft e:xcellent, & ne lui
^ coûte pas plus cher que le vin que rhoninie.
du peuple eft obligé d'acheter au cabaret \ car
ît faut apprendre à l'étranger qu'à.chaque re-
pas l'homme du peuple acheté fa chétîve i
ration de vin , n- ayant ' le plus ibuvent nî ' '
cive, ni carafon, nî argent pour en avoir
une petite ^xovi^qxï. Aupbis pauvre la be-*
face. Plus on eft îndig^entAjJus^njldigence^
Vous mine * & vous rorigej ^^
OLe lel T^ïSr^^xémpfe i que Ton vend par
regrat au peuple trei:(e fois la livre (i) eft
(i) Treize fols une livre de fel 1 tandis que
DE P A R I S. 1(^5
tionrSivienysnt falGfic ^dans fon origine , mais
et plus rempli de mille ordures qui en com-
pofènt près de la moitié. La femie oblige ,
^ur^inG dire , ces regratUrs , à empoifon-
xier les malheureux confbmmateurs r en leur
teridant à eux - mêmes ce fel treize fols :
Jb. n'ont tf autre expédient que de le gâter
poiUt y trouver leur compte ; ils y verfent
.wde Peau , ils y mêlent du fable & des ordures.
Un abus auâî intolérable eft public.
La ferme eu donc coupable d'empoîfon-
«emenr ; car ce fel analyfé offre des matie-
tes étrangères , & cette falfification dange-
xeufe eft Toeuvre de la cupidité financière.
Comment Tame ne fe fouleveroit - elle pas
d'horreur contre ces pitoyables ennemis des
citoyens , qu'on rencontre à chaque pas^
pervertiflànt tout , gênant tout , & voulant
encore fè détoberà la ilàriflilire qu'ils mé-^
ritent î
Le vin que Ton vend dans les cabaret»
en détail , eft de même ïalfifié; & Ton »n'a
pas encore yxx pendcfr im mafcfamdde-vm
pour avoir tué de cette ; lanière £^ com-
patriotes. On met aux galères le contre-
. Dandier qui ne corrompt pas les denrées qu il
vend. ^
Il tfeft malheureuleihent que trop aifc
la nature le donne à notre rqyaûme i^rcfque
pour rien^
'J
166 T A B L E A ¥
de falCfier des boiflbns telles que le vîn , le
cidre, Tcau-xle-vie. Le marchand «iifer*-
nié dans fbn cellier , cotnpofe fecrétemeiit
xes mixtions y y coule la litharge , ou pat
avarice ou par ignorance. Ces procédés frau«
duleux & toujours ctiminek ne font pasaflèz
rigouieufement réprimés par la pcJice ^qui
s^endort ou s'oublie fur un article, aufli îm«
porunt. ]Xj(^
Enfin , les farines gâtées ont été difiribuées
quelquefois de foice aux boulangers desfaux-
bourgs , parce que l'adminiffaration qui avoit
ùit magajm de farines quand elles fiifenic
endommagées par plufieurs accidents, ne
voulut pas perdre fes avances , & força le
peuple à manger ce bled pourri (i).
Le commerce des bleds eft donc bien
dangereux dans les mains -des iiommes
puimnts; ils en font payer aux. autres er*
reurs ou les revers. Si je deviens marchand ^
qui fera le métier -de roi ? difoit un fou-
verain à qui Ton propofoit un acaparement.
(i) Ceci Veft paffé fous le règne précédent.
. k
• -
» i: P A IL I s. 167
CH A P I T R E CCLXV.
Faljîfications^
\J n devroît donc éclairer de plus près ton*
tes les opérations des meuniers , boulangers,
marchands de yin , épiciers , regratiers ^ &e. •
parce qu'il s'y mêle perpétuellement des frau-
des qui pour la plupart nuifenc à la fanté
des • citoyens. L'invigilance de la police -à
cet égard mérite qu'on lui en fàflè des re-:
proches v nialfe fouvcnt auffi les préfents que
ces falfificateurs font aux fubalternes prépo-*
fés , leur aflùrent une impvinité dangereufe,^^
Quoi de plus important néanmoins àfiirveit^ J
1er avec vigueur , que ce qui contribue^ à la ^J\
{knté publique?
On pourfiiît avec vigilance les voleurs de
mouchoirs , & l'on ne pourfuivroit pas de
même celui qui ra'cmpoifonnc? Quelle con-
tradiâion !
i68 Tableau
^
CHAPITRE CCLXVI.
Mendiants.
JLit comment voulez-vous , à la fuite de
tant (Tabus xxoç^ acaédités , que cette ville ,
qu'on appelle Jupcrbc , ne pullule pas de
mendiants ? Uœil de Tëtranger eft toujours
défagréablement frappé de leur nombre, &
ii ne revient point de fà furpriiè. Autant de
mendiants , autant de taches d%p$ la. législa-
tion d'un peuple. Il ne faut pas pour cela
les étouffer comme on a fait dans ce qu'on '
nomme dépôts. Ceft une cruauté abomina-
ble & gratuite^
On n'a pas aflêz cherché les moyens de
remédier à cet épouvantable déïbcdre ; ce qui
déshonorera infailliblement nos magiftrats,
s'ils ne s'occupent de cet objet. On leur a
propofé plufieurs plans également bons ; \k
n'ont plus qu'àchoifir,
U paroît que chez les anciens il y avoir
des pauvres , mais point d'indigents. Oft voit
que les efclaves avoient leurs habits , leurs
tables , leurs lits : il n'eft point dit dans au-
cun auteur , qu'on rencontrât dans les villes
de ces objets fales ôc dégoûtants , qui déter-
minent violemment la pitié , ou repouffèfit
DE Paris; 1-^9
la main charitable. La mal-propreté , rongée
de vermine , ne couroit pas les rues avec des
gémîflèments qui déchirent l'oreille ^ & des
plaies qui épouvantent les yeux.
Ces abus font incorporés avec la législa^
tion , plus occupée h conièrver les grandes
fortunes que les petites. Les grands proprié*
taires , quoi qu'en difent les fyftêmes nou-
veaux , font funeftes. Ils peuplent la terre de^^
forets , puis de biches & de daims : ils s*é-
puifent en jardins fleuriftes, & Toppreflion'
des riches va toujours écraûnc la partie la-
plus malheureufe. »
On a traité les pauvres , en 1769 & dans
les trois années fuivantes , avec une atrocité ^«.
une barbarie qui feront une tache inefFaçable
à unfiecle qu'on appelle humain 8c >iclairé^^
On eût dit qu'on en vouloir <détmîre iii race
entière , tant on mît en oubli les préceptes
de la charité. Ils moururent prefque tous dans
les i/e/7o/^ , efpece de prifons où l'indigence -
^ft punie comme le crime; » • i
On vit des enlèvements qui fe faifoiefît <^ .^
nuit par des ordres fecrets. Des vîeîllards^i^.
des enfants , des femmes perdirent tout-à-
co«p leur liberté , & furent jetés dans des
prifons infedes , fans qu'on fût leur impolèr
un travail confolateur. Ils expirèrent en in- .
vôquant en vain les loixiproteârices & la mi- .
féricorde des hommes en place.
Le prétexte étoit , que Tindigence eflt
Tome IL H
.170 T A B L 1 A U
"" ^oiflne du cr>nie , que les fédmonAom-
« mencent par cette, ibule d!hommes qui n'ont
. rien li perdre; & comme on -alloit &ire.Ie
•* commerce -des i>leds , on craignit le àéCeC-
. poir de cette foulo de nëcefliteux, parce qu'on
ï ièmoit bien que le pain devoit augmentée
, On dit , étouffons -^ Us d'aisance ; & ils
fttrent étouffes^ on n'imagina ^ pas d'autres
; moyens.
Ces horreurs ont-cèflë ^ grande partiel"
i On .ne fauroit en accufer que des fubalter*
nés avides , qui outre-paflènt le pouvoir , ^
qui , frappent fur le pauvre fans dcfenfè ,
f croyant bien 4'emplir leur emploi par les
' moyens les plus extrêmes & les plus féveres.
En général , ceux mi travaillent de leurs ' ^
' bras , ne (ont pas aflèz payés, vu la diffi^
: culte de vivre dans la capitale : ce qui préci-
1>ite dans la honteufe mendicité des hommes \
as de tourmenter leur exîftence preiquSn-l
fruâueufemçnt.
Le voyageur , dont le premier coup-d'deîl.
juge beaucoup mieux que le nôtre corrompu
par l'habitude , nous répétera que le peuple
de Paris efl le peuple de la terre qui travaille
le plus , qui efl le plus mal nourri ^ & cjpi
paroît le plus trifte. L'Efpagnol fç procure
à bon marché la nounrîture & le vêtement:
enveloppé dans fon manteau & couché au
pied d'un arbre , il dort & végète paifible-
ment. L'Italien s'abandonne à un doux >re^
DE Paris. 171
pos , qu^ntcrrorapt un léger travail , & oii-
vre ion ame aux délices journaliere^de la
mufique. U Angloîs bien nourri , fort & ro-
bufte , heureux & litre dans les tavernes ,
reçoit tout les fruits de fon aâive indudrie ,
& en jouit perfonnellement. ^Allemand
hoit , fume oc s*engraîflc fans (bucis. Le
Suédois hunie Peau -de -vie de grains. Le
Ruflè, {ans prévoyance facheufe , trouve une
ibrte d'abondance dans Tefclavage. Mais le
Par îfien. pauvre , courbé fous le poids éternel
ées fatigues & des travaux , élevant , bâtif^
lant , forgeant , plongé dans les carrières , per^
ché fiir les toits , voiturant des fardeaux énor-
fnes , abandonné k la merci de tous les hom-
mes puiflànts , & écrafë comme un înfede
dès qu*il Teut élever la voix , ne gagne qu'a-
vec peine 8rà la fueur de fon front une ch^
tîve fubfiftance qui ne fait que prolonger fcs
jours, fans luiaîlùrer un lort paifîble pour
la vieilleilè.
jCHAPITRE CCLXVIL
Mendiants valides.
iVlaîs s*il eft plufieurs mendiants que la
niifere force k tendre la main ,& qui , af-
.aiflËs fous le poids du malheur, ont dans
Hz
17^ T A B L E A fU
le gefte l'abattement de la vraie douleur-,
^ dans les yeux le feu fombie. du délêfpoîr.,
il eft aufli un grand Jiombre de gueux hy-
pocrites, cjui par des gcmiflèments împof-
teurs & des infirmités faâices , fuiprentient
votre libéralité, & trompent votre com^
paillon.
D'une voix artificielle , plaintive & mo-
notone, ils articulent en traînant le nom de
Dieu , & vous .pouriiiivent dans Jes' rues
avçc ce nom facré; mais ces mifcnables ne
craignent ni la juftîce ni fa préfence. Ils men-
tent à chaque palTant .: entretenus par les
aumônes ,.iis font fembiant d'être foum-ants ,
mutilés , pour ie jj^^hf au rravail qu'il
déteftent.
On. a vu jadis des poltrons iè couper le
pouce , pour fe difpenier d'aller à la guerre.
Eux , ils fe couvrent de plaies hideufcs , pour
attendrir le peuple ; mais quand la nuityient,
fuivez ces vagaboiiGs dans le cabaret recule
de quelque fauxbourg , lieu du rendez-
vpus : vous verrez tous* ces jçftropiés, droits
& difpos , fe raflèmblcr pour leurs bruyantes
or^es. Le boiteux a jette fa béquille.^ l'iaveti-
gl(-1bn'elTipIàtie, lei)oflii fa bofïè 3"e crin ;
le manchot ptend.un violon ^ le^muet donne
le (îgnal de Tintempcrance eflVénée. Ils boi-*-
vent, ils chantent, ils hurlent, ils s'eftivirenr;
la h'cence la plus débordée règne dans ces
.ailènJblées* Ils lè crantent 4es.mip6ts pccle^:
D B P i^ R I S. 173
vés fiir la fenfibîlitë publique , de la violence
qu'ils font aux anies compâtiflàntes & cré*
dules. Ils- fe communiquent leurs fecrets ; ils
répètent leurs rôles lamentables avec des
.éclats de rire licencieux. La communauté de
/emmes efl çn ufage , comme à Lacédémo-^
ne , parmi ces mifërables qui , dans une éga-
lité fcandaleufe, ne reeonnoiflènt aucun
principe, & ont dépouillé ces (èntiments
de pudeur qui. femblent innés dans tous les
. honimes policés.
Ils fe félicitent de fubfifter fans rien faire ,
.de. partager tous lesplaiGrs de la fociété, fans
en connoître les charges. Les enfants qui pro-
viennent de ces commerces infâmes & lUi-
. cites , font adoptes par les premiers d'entre
eux , qui ont befoin d'un objet innocent pour
exciter la pitié publique. Ils dreflent leur voix
enfantine à l'accent de la mendicité ; & à-
, mefiire que l'enfant grandit , il transforme
en métier la funefte éducation qu'on lui. a
donnée. ' ,
Lorfqu'îls manquent d'enfants , ces mifëra-
bles enlèvent ceux d*autrui : alors ilscon*
tournent & dîfloquent leurs membres pour
leur donner ce qu'ils appellent des jambes
& des bras de Dieu.
Cet infâme & criminel métier enrichît- v
fôît autrefois plus qu'il n'enrichit aujourd'hui,
vil la févérîté de la police fur cet article* On
a ^vu- des mendiants donner trente & qi^a-*
H3
174 Tableau
tante mille francs en mariage k leurs filles ^
& vivre chez eux très-commodément , après
avoir râlé une journée entière pour attirer
des aumônes abondantes.
Maïs cbmment ofe-t-on punir la met)<-
dîcité, lorfqu'on voit celle des ordres reli-
gieux , revêtue d^une apparence légale , & ^
pour ainfi dire , confacrée ? Ces or<kes (ont
riches , & ne mendient , dit-on , que pat
humilité \ mais l'exemple n^eft-il pas dafi«
gereux ? & comment peut-on étaUir une
diffîrence entre des fainéants vêtus d'un froc^
& des fainéants de profeflîon , qui fùbfiilent
de la charité publique ?
Toutes ces nlles qui , le foîr , fMS offirent^
leurs appas pour une légère rétriburion , peui-»
Tent être conHdérées comme de Jeunes meiH
diantes ; car elles font encoi^e plus a&mées,
que libertines. Elles vous demandent votre
argent plutôt que vos careflès.^
CHAPITRE CCLXVIir.
Néceffitcux^
Jll n*eft prefque pas poflible, dans la fîtua-
tion aduelle de notre gouvernement , qu*îl
nefe trouve un grand nombre de coupables,
parce qu'il y a une fbule de néceffiicux qui
I> fi P A Jl I S. «Tti
n'piit qu'utie exiftence précaire ^ & que la .
première loi eft qu*il faut vivre. L'horrible.^
mëgalité des fortunes , qui va toujoiurs en .
augmentant^ un petit nombre ayant tout 8c
la mukîtude rien ^ les pères de famille de- ^
pouillés de leur argent par la :Voie trop fé-* :
duifante de$ loteries & rentes viagères ^ fléau j
modecne, & ne laiflànt prelquç plus à leurs .
enfants que des contrats en parcnemin an- •
nulles à leur décès \ le fardeau de la mifere y .
k 'dureté infolente du riche qui marchande :n .
tafueUr & la vie du manouvriec, lesentra-^^-
ves mifès à Tinduftrie y. les impôts multi- -
pliésf, le déplacement & Tmcertitude dès .
états y le détàut de circulation» ^ hauflè*
tnent^rodiglêûx des denrées ^ ks routes du ' '
commercçjahginiées , tout précipite . Tinfor- ^
tune dans un Jnéviut>le :^^ , ;, .
Amvént les loix ' pénales ^ . entourées de'^^
bourreaux ; mais on corrige rarement le mal *
qu'on n*a point (il prévoir. Les potences^ ,
les échafauds , les roues , les galères y inu« -
tiles.vengeanGeSf! Les mêmes délits recom-
mencent>. parce que la fource n*eri a pas été. r
fermée: il en eft de nijême^e ces plaies ,
qui verfent toujours un fang corrompu , parce j
qu'oà n'attaque point la maffè infèâée. . ,
Plufieurs riches ne font pas devenus plus n
humains. L'injufte diftributîon de la propriété -
z été maintenue par les loix même & par r
les; fupplice^p Le$ coupables ont eu la tenta- .-
Jj6 T A. B L JE A. U
ëon qui naiflbit de leur fituation : leurs be-
foins n'ont point change. Ils auroient été
fidèles obfervateurs des loix, û les loix les
<u(Iènt protégés en quelque chofe : mais
leurs mains étant vuides, la loi les repouflbir.
jLa faim d'un côté , de Tautre des peines
atroces les tenoient en fùfpenSk Jugez de
Timpérieufc & cruelle néceflité, puisqu'ils
ont hafardé leur vie. Je ne parle point ici
de ces crimes atroces &c réBéchis qu'enfantent
. k vengeance & la trahifon , mais de ces cri»
mes hardis qui exigent le partage des biens»
Ceft lafociétc qui a commencé le mal ,parc^
, qu'elle n'a pas afièz travaillié pour la (ubfîf^
tance commune , que tous ont droit d'at-
. tendre ; ôc le malheureux qui monte fur
l'échafaud , me parok toujours accufer uu
nche.
CHAPITRE CCLXIXt,
rHôtel - Dieu.
^ 'irai à thopital , s'écrie le pauvre Parîr
fiën ; monperey cjl mort^fy mourrai auffi .;
& le voilà à moitié confole. Quelle abn^a-
tîon ! Quelle profonde înfenfîbîlité !
Cruelle charité que celle de nos hôpitaux I
Fatal feçours, appât trompeur & funeftc!
D E P AR l'S. 177
Mort cent fois plus triftc & plus afFreufe que
celle que l'indigent recevroit fous fon toîc ,
abandonné à lui-mêiiie & a la nature ! Laf
maifbn de Dieu ! & on ofe Pappelier ainfi !
Le mépris de rhumanité femble ajouter aux
maux qu'on y foufFrc. Le médecin , le chi-
rurgien font payés ; d'accord : les remèdes
ne coûtent rien ; je le fais : maïs on couchera
l&malade à côté d'un moribond & d*un ca-
davre ; on lui mettra le fpedacle de la mort
tous les yeux , lorfque les angoiflès de la
terreur pénétreront déjà fon ame épouvan-
tée. . • La maifon de Dieu ! On le plongera
dans un air rempli de miâfmes putrides ; on
le foumettra a un defpotifme qui n'écoutera .
ni le cri de fa douleur , ni fes repréfenta-
tions, ni fes plaintes;. on ne lui donnera
perfonne pour le confoler, pour l'affèmMr;
on fera îndîjfierent à i'enlever comme tnott
ou~c6mme.çonvalefcent : la pitié même fera
aveugle ôc meurtrière \ car elle n'aura plus
ce qui la caraôérifè , la cohipaflion profon-
de, l'attention fecourable,, les kmiesde la
fenfibilité. . . La maifon de Dieu l -Tout eft
dur & farouche dans ces lieux où tout fouP-
fjpe. Les maladies leis plus contraires feront
fous ,1a même couverture^ & uae fimple
iïïdifpofition fe.cqtivcrtiràen unr^mal cruel.
Qui ne fuiroit ces hofpiccs fanglants &
dénaturés ? Qui pfera mettre le pied dans
cette maifon , où. le lit de la miféricorde eft
tjS Tableau
cent fois plus affreux que le grabat nu de
l'indigent^ & tandis que ces horreurs révol-
tantes afBigent les regards de Pétranger &
oppreflènt les cœurs irrités , on apprend avec
une furprKè mêlée dVffix)i & d'indîgnaticai ^
que les hommes auxquels cette adminiftra-
tion importante eft confiée , n'ont rien fait
encore pour éviter du moins la honte des
reproches ; que le grand fcandale fubfifle ;
que, tandfi que tous les biens du clergé
appartiennent de droit aux pauvres , difènc
•les faints canons , le clergé n*a point (ècouru
puiflàmment lliumanité fouffiante, & que
ion zèle a paru riede fiir le devon: le plus
iacré que Tes obligations bi impofoient.
Que (croit-ce , h le vol (acrilege des biens
dellînés au foiilagement des mifërables , f»
ces rîchefîès détournées faifoient fortîr la
cruauté des établiflèments même fondés par
la bienfaifance ? Eft-il fous le ciel un crime
<juî méritât plus Fexécration de tous les hom-
mes ? Et cependant la voix publique accufè
hautement ces rcgiflèurs , dont le nom ne
devroit être cité qu*avec attendriflèment &
relpeâ.
UHôtcl-Dieu a été fondé en 660 par
Saint Landry 8c le comte Archambaud ,
?our y recevoir les malades de Tun & de
autre fexe fans exception de perfonnes. Le
juif, le turc, le protcftaut, Fidolâtrc, le
Ihï P A R I s. . ^79' \^
chiétîéri y entrent également. Il y a douze
cents lits , St le nombre des maladesfe monte •.
à cinq ou fix nuliç. Comptez pour ^Hôpital- -
général dîx k douze mille perfonnes , pour ;
•Biçétre quatre k cinq mille v vous. aiurez le .
dénombrement des infortunés qui ne favent -c
où. pofer leur tête ; car dans nos gouverne- -
nients modernes J'on reçoit l'exiftence faQ3 •^
obtenir le point ou doit repofer cette même .r
e}{iftence. .
Il eft prefquê impoffible de fevoîr quels ,.
font les revenus de l'Hôtel - Dieu; Ils font
îmmenfesvôc ce qui le feroît aoire , c*eft :
Tattentiôn que Fon a d'en dérober ,1a con-
noîlTance .au public. Les abus paipitroient
beaucoup plus révolunts k coté de cette opu-
lence. Rapprochez la mai/on de Charité
de Lyon ^ & Y hôpital de VerfailUs de
rHôtel-Dîeu de 'Paris ; d'un côté., vous jap-
percevrez un ordre . admirable , une régie
digne d'éloges, & qui attendrit le. contem-
^^teur ; de l'autte , vous verreîîi. tou&ies vices
qui affligent P^ie ,;qui la foulev.ent , & qui
ne lui permel|:ent pas de pailèrfur cet obr
jet fans exhaler (à profonde indignation.
On elpéroit cp^ le dernieiv ipcendie tourr
neroit à' ràyàntag.e des makdés ; qu'on bà-
ttroit fur ua nouvel emplacement un édifice ,
plus fpacieujc, plus fain; mais onra laiffë
filbfifter prefque tous les ancien^ abus.
LÎHàteî-Dieix. de Paris a tout ce qu'3 faut. .
li.d:- ^
iSa T A B IcE AJ^
pour être peftilentîel , a caufe de fon atlmiof>
phere humide & peu aîrée ; les plaies s'y
ino;renent plus facilement, & le fcoibu^
: la gale n^y font pas moins de tarages ,
pour peu que les malades y féjoument.
Les maladies les plus fîniples dans leur
principe , acquièrent des complicadons gra-
ves par une uiite inévitable de la contagion .
de l'air; c'èft par la même raifbn que les
plaies (impies à la tête 8c aux jambes (bnt
mortelles dans cet hôpital.
Rien ne confirme mieux ce que j'avance
que le dénombiement des miférables qui
përifïent tous les ans k l'Hôtel-Dieu de Par
ris ôc k Bicêtre : il meurt le cinquième des .
malades; calcul effrayant, & qu'on envîGû
ge avec la plus parfaite indifférence !
Il efl prouvé par Texpéricnce & par les
obfervaûons des phyfîciens ,. qu'iiii hôpital
qui contient plus de cent lits , efl une vraie
pefle : on peut ajouter qae , toutes les fois
•que Ton traitera deux malades dans la même
chambre , on les expofera évidemment a (e
nuire beaucoup , & que par conféquent l'on
agira contre toutes lès loix de l'humanité.'
Puiflè-t-îl fe rencontrer des homme»
aflèz courageux pour remédier à ce qui dé-
•grade aux yeux de l'étranger cette partie der
Fadminîflratîon publiique f Puîfïènt - ils Bra-
ver les adverfàires qui frémîflènt du moint-
dre changement ! Puîflè enfin le génie du
U E P A IV I S:. I*^
Bien remporter fur le génie du mal , toujours
fort, toujours opiniâtre, &. faifànt la plus
vîgoureufe défenle contre tous les plans gcr
ncreux qui ihtéreflènt l'humanité !
On croit pouvoir aflùrer ici que le revenu
de l'Hôtel -Dieu efttel, qu'il fuffiroit pour
nourrir prefqye la dixième partie de la car
pitale; & le patrimoine facré des pauvres fc
trouve livré aux vices d*une adminiftration
îhfiiffifànte , pour ne pas dire plus , puifqu elle
fç trompe depuis fi long-temps , & dans W
choix des moyens , & dans l'exécution.^
Cil A P I T R E CCLXX..
Qamart^
JLes corps que THôtel-Dien vomît jôumet
lement , font portés à Clamart : c'eft un vafte
cimetière , dont le goufie eft toujours ou-
vert. Ces corps n'ont point de bière; ils
font coufùs dans une ferpilliere. On fe dé-
pêche de les enlever de leur lit ; & plus
d'un malade réputé mort , s'eft réveillé fous
h main hâtive qui l'enfermoit dans ce groC,
fier linceul ; d autres ont crié qu'ils étoient
vivants, dans Je charriot même qui les coik
duifoit à la fcpulture^.
iSl T A fi L £ A ir
Ce charriot eft traîné par douze hofnniesr: :
Htt prêtre fale & crotté • une cloche , une.
croix , voilà tout Fappareu qui attend le pau« .
vrt : mais alors tout eft égal.
Ce charriot lu^bre part tous les jours de- ^
FHôtel - Dieu k quatre heures du matin % il [
foule dans le fîlence de la nuà.. La cloche .
qui le précède , éveille à foa paflàes ceux . .
qui dorment ; il faut fe trouver (ur Ta route .. :
pour bien fentîr tout ce qu'inlpire le bruît de .•
ce charriot , & toute Timpreflion qu!il ce- .
pand dans Pâme.
On Fa vu , dans certains temps de moiw. .
talité, paflèr jiifqu'à quatre fois en vingt-
quatre heures: il peut contenir jiifqu^cinr ^
quante corps. On met les en&nts entre lès^
jambes des adultes. On verfe ces cadavres
dans une foflè large & profonde; on y jette ^
enfuite de la chaux vive ; & ce creutet qui ',
ne fe ferme point, dît ^ Toeil épouvanté ,
qu'il dévoreroit fans peine tous les habitants.,
que renferme la capitale.
L'arrêt du parlement , du 7 Juin 176$ ,'.
qui fiipprîme tous les cimetières dans l'en-^
clos de la ville de Paris , eft. demeuré lanSt
t&u
La populace ne manque pas , le jour de,^
la féte des morts , d'aller viïîter ce vafte.
cimetière , où elle preflènt devoir fe rendre:
bientôt à la fuite de fes pères. Elle prie &
s'agenouille ^ puis fe relevé pour aller bûirc
DE P A H I S. tiy
Il n'y a là ni pyramides , ni tombeaux , ni
înfcri^tions , ni maufblées : la place eft itue.
Cette terre gnSk de funérailles eft le champ
où les jeunes chtrurgieiis vont la nuk , fran-
chiflànt les mui^ , enlever des cadavres pour
les foumettre à leur fcalpel inexpérimenté :
ainfi après le trépas du pauvre , on lui vole
encore (on corps; & Fempîre étrange que
Ton exerce fur lui , ne ceflè enfin que quand
il a perdu les derniers traits de la reflcm-
blance humaine.
CHAPITRE CCLXXL
Les Enfants trouvés.
Xj'hôpîtal des enfants trouvés eft un autre
gouf&e, qui ne rend pas la 'dixième partie
de Pefpece humaine qu*on lui confie. Dans
la province de Normandie oij a calculé^
d'après Pexpérience de dix ans , qu'il mou-
roit cent quatre enfants fur cent huit. Voyez
la Gazette des Deux - Ponts , du 9 Avril
1771 ; le réfultât s'eft trouve à peu près pa-
reil dans plufieurs provinces du royaume.
Sept à huit mille enfants légitihies ou
illégitimes arrivent tous les ans à l'hôpital
de Paris , & leur nombre augmente chaque
année. Il y a donc fept mille pères mallieu-
l84 ' T A B L E A.U:
reux , qui refioncent au fentiment le pIiisL
cher au coeur de l'homme. Ce cruel aban-
don que combat la nature , annonce un»
foule de nécefliteux ;& ce fut de tout temps
Tiridigence qui caufa la jplupart des défordies
trop généralement attribués a.rignorfltnce 8c
kla barbarie des hommes.
Dans les pays oii le peuple jouit d'an&
certaine aifance , les citoyens même des
dernières claflès font fidèles ï la loi de la
nature; lamîlere ne fit 8c .ne. fera jamais
que de mauvais citoyens.
A ne coofidcrer que les caufes. ordinaires *
qui précipitent les enfants dans ce malheu-
reux gouffre , mille raifons preflàHtc$ excu-
fént une grande partie de ceux qui ont eu ^
le malheur de fe trouver réduits à cette cruelle •
néceflité. Les calamités nationales ont épuifi
peu- à -peu les forces & les reflburces dii
corps politique ; maïs il eft une foule de eau-?
fes fécondes qu'il fera très-aîfé de démêler ^
pour peu qu'on veuille réfléchir fur la conf--
titution politique de la capitale.
La difficulté de vivre s*y fait fentirde plus
en plus. Quelque envie qu'aient tous les in-
dividus de fe procurer de quoi fubfifter hoa*-
nêrement , il ne leur eft plus également poCj
fibîe d'y parvenir. Et comment fonger à la
fbbfiftance des enfants , quand celle qui ac-4
couche eft elle-même dans la mifere , & ne
voit de ibn lit que des murailles déppuilléesJt
DE Paris. • 1.85
Le quart de Paris ne fait pas bien fure-
ment là veîile fi fes travaux lui fourniront
de quoi fubfifter le lendemain. Faut - il lêtre
étonné qu'on fe porte au mal moral , quand
on ne connoît que le mal phyfique?
En tout temps, a toutes les heures du jour
& de la nuit , fans queftion & fans forma-
*lité,on reçoit tous les enfants nouveaux-nés
qu'on préfente à cet hôpitaL
Ce (âge établiflèment a prévenu & enir
péché mille crimes fecrets : Finfanticide eft
aufli rare qu'il étoit commun autrefois ; ce
qui prouve que là législation change tota-
lement les moeurs d'un peuple*
Une fille qui a eu une foibleflè , la dérobe
à tous les regards \ elle n'en porte point la
peine. Je crois qu'on a mis le libertinage
un peu plus à fon aife ; d'accord: mais outre
qu'il eft des inconvénients inféparables de
toute grande focîeté, &c qu'il féroit inutile
de vouloir anéantir, on a paré à une mul-
titude de malheurs , de fcandales & de for*
faits.
On avoît propofé de faire de tous ces en-
fants trouvés autant de foldats.^ Projet bar-
bare ! Parce qu'on a nourri- un enfant, a-
t-on le droit de le dévouer à la guerre ? Ce
feroit une charité bien inhumaine que ceBe
qui l'éîeveroit pour lui redemander fon fang
« lui ôter la liberté malgré lui. Nul ne doit
naître foldat , que tous les citoyens ne. le
fbiênt indiflindement : .
i86 Tableau
La tendreflè niaterneBe s*eteîgnoît devant
le Entai point-d^honncur , loi^e le généreux
faint Vincent de Paule (qui niériteroit ui^.
âoge de la niain du panégyrifte de Def-
cartes & de Marc - Aurele J of&i^ un afyle
k ces innocentes yîâînie$,<P^. doivent le,
{"^our à la foibleflfè , a la féduâîon y ou ao .
îbertînage.
J'ai dit que le nombre des enfants trou-..
Tés montoit à fept mille par année ; mais il
£iut obferver qu'un grand nombre de . ces ,
enfants viennent de la province. Là, quand .
une fille devient mère , elle &it partir ie-^ .
crétement l'enfant qu'elle craint de copfer- .
ver, & que dans toute aunre çîrconftanceL.
<lle eût idolâtré. !
Ce malheureux enfant , qui perdroît ceik ..
qui lui a donné le jour , exilé par le préjugé^
au moment de fa naÛIànce, eft recueiUî,
de lieue en lieue , par des mains merçc- .
naires. Hélas! c'eft peut-être un Corneille ^
on Fontenelle, un U Sueur, qui dans ce
tranfport va fuccomber a rintempérjè dès, .
laifons , aux fatigues du voyage ; 1 oferaî-je
dire, au défaut de la nourriture j &,ce qu'il ;
y a d'incroyable , c'eft que ce mêrue en-
fant, venu de Normandie ou de Picardie -
à travers mille dangers , y retournera Iç Ibîr ;
môme de fon arrivée à Paris, parce que je
(brt lui aura donné k la crache une nourrice
Normande ou Picarde..
B £ P A R I s. 187
Ceâ un homme qpi apponte fur ion dos
les enfants nouveaux - nés , dans une baite
matelaflee , qui peut en contenir trois» Ils
font debout dans leur maillot , refpirant Tair
par en haut. L'homme ne s^arréte que pour
prendre fes repas & leur faire fucer un peu
de lait,. Quand il ouvre fà boite , il en trou-
ve fouvent un de mort ; il achevé le voyage
avec les deux autres , impatient de fe dé-
barrafîer du dépôt. Quand il Ta dépofé k
Kiôpital, il repart fur le champ pour re-
commencer le même emploi , qui eft fon
gagne ^pain^
Prefque tous les enfants qu'on tran(porte
de Lorraine par Vitry, pérîflènt dans cette
ville. Metz a vu dans luie feule année neuf
cents enfants expoies^ Quelle matière k ré«
flexion t
Il (èroit temps de chercher un remède à
ce mal. Ou il faudroit ceflèr de méfeftimer
la fille honnête 6t ceurageufe qui nourri-
coit de fon kit fon enfant , & racheteroit
ainfî (à faute par tous les fokis maternels ;
ou il faudroit épargner à ces enfants ce tranP»
port pénible qui en moiïlbnne le tiers^
tandis qu'Un autre tiéts périt avant T^e de
cinq ans.
En Prufle , toutes- lès filles nourrîflènt leurs
enfants , & publiquement.. Il (èroît pun? y
celui qui les ofFenferoît de paroles dans cette
augufte fonâion de la nature. On s'accQUi»
l88 T A, B L E A U
tunie a ne voir plus en elles que des mè-
res ; voilà ce qu^a fait un roi philofbphe;
voilà comme il a donné des idées (aines à
fà nation.
On avoir propofë de (iihftituer aa lait de
femme , celui de chèvre & de vache : le
Nord fe trouve très - bien de ce fyfléme.
Pouiquoi ne profiterions - nous pas de l'idée
que nous avons donnée aux nations étrani-
gères ? Elles favent mettre en pratique ce
que nous imaginons infruâueufement.
CHAPITRE GCLXXII;
Loterie royale de France.
A.'Jtre fource de grands ^ maux, & nou--
veilement ouverte. Ceft un fléau qui ne fe
renouvelle pas moins de deux fois par mois.
Cette loterie , fatale dans tous les fens pof-
Ebles , eft une véritable contagion qui nous
cft arrivée d'Italie* Elle fut condamnée dV
bord a Rome, fous peine de banniflèment^:
pourquoi faut - il qu'elle fe foît répandue dans
prefque toutes les grandes villes de l'Europe i
Paris avoit aflèz de maux inteftins à -com-
battre , fans celui - là.
Les entrepreneurs favent très - bien que
leur gain efl inimenfe 8c infaillible y que le
le
DE Pari s. 189
Hombre des perdants doit furpaflèr de beau-
coup ceux qui gagnent ; que prefquc toutes
les chances font k leur avantage ^ qu'il n'y
a aucune proportion ,entrc la mifc & le lotj
& ils font jouer au pauvre peuple , deux
fois par mois, le jeu le plus infenfé & le
plus dévorant. Le ftupide vulgaire fe flatte
d'attraper un quaternc ou un qidnc.
Les fiiites funeftes de cette cmelle loterie
{ont incalculables. L'illufion fait porter aux
cent douze bureaux l'argent réfervé k des'
devoirs eflèntiels. Les domeftiques , incités
>ar un appât dangereux , trompent & vo-
ent leurs maîtres. Les parents aveuglés par
leur t^ndreflè , croient doubler leur fortune ,
& la perdent entièrement. Les commis ,
les caifïiers faafàrdent leitr dépôt, & fe don-
nent enfuite la mort par détefpQir. PldGeurs
^ maifons font tombées par re j^u ruineux.
Une certaine ivreflè s'empare de tous les
infortunés , & ils perdent le dçrnîer foutien
de leur vie défaillante'. Oii eft' pleînerhent
înftruit de toutes ces fceries tragiques, dé-
(aftreufes & prefque journalières V & inal-
grc toute l'évidence du. danger. 8f toufc la'
forée du fentiment, qui fait voir cette loterie ,
comme vexatoire , oneri lailïê fiibfifter les^
ffjhéftés opératîorisV tant oh 4;foîf d'argetit,!
.taftt' dn fait peu de cas des'tnoéurs & de'
1à ti^aiiquillité des -familles ! '
ttCW tbttqu^ei odieuféè ^ de '^^tîat * fot le» '
190 Tableau-
citoyens , & des citoyens Cm: leurs frères ,
font- elles dignes de la mère -patrie, & la
fociétc devroîc-elle immoler ainfî fes enfants^
leur tendre des ptig^es , & appeller d'inévi*
tables défordres , en agitant périodiquement
toutes ces roues de fortune ?
On parle de décorer la ville , de bâtir des
édifices; Vaifance & Us mœurs en fini îc
plus bel ornement , difoit Zenon. La Divi^
Bité ne manepie ni de temples ni d'autels ;
mais ce qui doit (ùr-tout réjouir les regards^
c^eft la fubfîjflance aifce & journalière d'un
peuple heuremc & content. La prudence eQ
politique eft Fœil des autres vettus.
Extrait, anibe, terne, quateme^ quine.,
mots ci -devant inconnus au peuple, quels,
défaftres ne lui avez-vous pas dé)à cau£esl
Quel argent ne lui av^-vous pas eidevé fur-
tivement ! Helas ! il ignare cpie cette loterie
efl toute a Tavantage des banquiers , & il
paflè ÙL vie â comFiner des numéros. La
crainte & FelpéraïKe le rendent fuperftitieux
6c hébété , & ne lâchant pas même calculer,
il refte dans la plus grofEere illufîon. Son igno-
rance ii cet égard devrait être fa fauve-garde.
Le roi de Prude , fage législateur , a banni
les lotenes de Berfin & de fes états : ce grand
exemple^ donné par une tête forte & habile
à gouverner , £t plus que tous les raifonne»
ments ; & fa longue expérience dépolè conti»
cç$ jeux qui deflèchesit les forces vitales^oa
«empire, en étant au peuple une partie de ùl
fubudance.
CHAPITRE CCLXXIIL
Le Chapitre i^uivo^uu
V>*omment préferver Paris de la faîm <pî
menace perpétuellement les deux tiers de fes
habitants , infenfiblement ruinés par les féduc-
. rions les plus perfides & les plus multipliées ?
Parlons à une ville dépravée , & dans une
- ville corrompue* Depuis que la focîété a
admis & confacré par fes loix même une
prodigieufe inégalité de fortunes, le grand
forfait a été commis , & depuis chacun a
- & a dû avoir fà manière rfexifter. C'eft un
combat perpétuel , où tout fait effort fur la
maflè des richeflès , pour en détacher quel-
que partie. Il, ne s'agît plus ici des loîx pla-
toniques; il faut confîdérer aujourd'hui, le
renverfement de la fociété naturelle ^ les effets
monftrueux du luxe,' & la dépravation gé-
nérale qu^il a entraînée. L^état eft un corps
malade , gangrené j il ne s'agît pas de lut
in^fer les devoirs d'un ccwrps faîn & vi-
goureux, mais de le traiter conformément
il' les plaies prefqu'incurables.
>Lc lim toil peut guérir les plaies du luxe :
V
191 Ta b l e a u
c'cft un poifon devenu néceflàire à Tenfèm*
ble. La première loi cft de vivre. Le fpec-
tacle le plus hideux eil le vilàge de la miïère
oifive, & qui attend la niort, les bras crol-
fés , en pouiiànt quelijues gémiilèments inar-
ticulés ; & comme la capitale eft un amas
confus & incohérent d'hommes qui n*ont
ni terres a cultiver , ni manufaâures k diri-
fer , ni charges à reniplir , ^ui font éaaSh
u fardeau journalier de l'indigence , & qui
Tïê peuvent vivre que d'une induftrie prompte
& particulière , il faut , puifque le mal eft
fait , & qu'on a toléré tant de Coites d'abus ,
il faut donner des moyens de fiibfîftance à
cette foule d'hommes qui poorroient faire
pis.
L'état autorife publiquement une loterie y
qui n*eft qu'un jeu de hafard, toujours favo»
table au banquier , & dont le gain eft pour
lui feul. Et, pourquoi interdire les mêmes
jeux aux particuliers , tandis qu'on les ruine
d'une manière toujours infruâueufe pour cha-
cun d'eux ? Ceft Fétat qui joue , mais . qui
joue à coup fîir. Qu'il reftitue donc aux par-
ticuliers les avantages & les bénéfices : il
vaut mieux qu'un homme foit joueur que
d'être un ufuritr , un efcroc , un voleur. Dès
que Toifiv^eté règne dans une grande ville ,,
le feul moyen de parer à fa deftruûîon iné-.
vitable , cil de faiie en forte que les moyens
^e fubfiilance ne foient refufës à perfonne ;
DE Paris. 19 j
car la loi voulant être raifonnable , devien*
^oit aveugle 6c inhumaine.
Le jeu éft un commerce momentané ^
tapîde , fufceptiblè d'un nombre infini de
«cluuKes , propre à divifeir merveilleufement
les trop grofleis Fortunes. Il forme une cir-
'culation d'argent^ & cette circulation abreu-
ve , vivifié , & de plus Favorife les confom-«
madons. Ceux qui ne jouent pas , fe reC-
ientent du héhéice de ceux qui gagnent.
Dans l'ivreflè du gain , l'argent coule , échap-
ye ^ SkCe répand fiir tous les pas de l'heureux
loueur. L'avarice devient généreufe , & tous
les Fronts font déployés par le mouvement
aâif de l'^fpérance de de la joie.
One circulation très-rapide eft imprimée
à fârgem ; tous les marchands s'en reflèn-
stent , & de proche en proche tous les plus
petits canaux du corps politique reçoivent des
germes de fécondité.
Taimerai toujours, mieux voir dans Paris
;des niai^j^Ds-^le^fitt- 9 ^^^ ^^ tnaifons de
-prtilHtuâéiv. Les premières peuvent caufër
-quelque bien ylés lecondes ne peuvent qu'être
funeftes en %dus Tens. Le fyftême de Lavs
fût un jéû'^bHc. Jamais on ne vît tant d'ao-
^vité en France^ le mouvement ^u com-
merce étoît rapide , its ifèires multipliées ,
& tous les petits états jouiflbient. Ce jeti
moins défordonné, moins violent, contenu
Tome IL i î
^54 Tableau
.dans les limites qui appartiennent à chacfue
objet, eût été très -utile.
Ne nous abufons donc pas aujourd'hui «
^ voyons, les chofes telles .qu'elles font. De*
puis que Yov eft Teiprit vital des empires^
& que les rois eux-mêmes ne régnent que
,par l'or , on ne compte plus que Tes heu-
nreux pof&fièurs. Dans les rangs les plus éle-
.vés , tout comme ailleurs , ou fè bau& pour
4:ama(Ièr l'or , & (ànji.lui tout eft vaine dé-
.coratioïu .
Les dignités fiériles ne (ont pins des di«
«gnités. La fcience du bla(bn . eft reléguée
.dans les diâionnaires , & nous demandons,
comme l'AngWs , non plus ^fuel homme
.e/l-ce? tti^is cotnbUn a-t-il? ÎJégaikté des
individus , qui le croiroit ! (èmbleidevoitré-
■ naitre des fermentations même du luxe :.«n.
attendant qu'il nous tue , il nous fb(pend ^
égaux, fur les bords de l'abyme. Plus de
maîtres dans nos cités que ceux qu^n fe
donne , plus, d'^^'^ves que- ceux: qui- n'ont
point d'or : qui a de l'or, peut regarder tout
.homme en face ; qui a payé l'impôt au (bu-
verain , eft abfolument quitte envers lui»
On fe l'arrache , on fe le partage -, cet oc
. fi nécefiàire ; & dans ce combat , le vain-
queur d'aujourd'hui fera demain vaincu. Qui
,ns fent que dans un tel choc politique, &
fi jet a tant de balancements , les dirorentes
; places que chacun occupe , n'admettent point
DE Paris. 19^
de différences légitimes aux yeux de la raifon;
qu'il n'y a d'autre diftinftion réelle & per-
manente que l'or; qu'il faut donc le lancer en
tout fens , afin qu'il paflè de main en main ^
,& que chacun ait le droit dVn obtenir des
parcelles? Ne fent-on pas que, confacrer d'un
côté les monilrueux héritages , & empêcher
de l'autre que tel homme n'hérite d'un autre
-à une table de jeu^.c'eil la contradiâipn la
plus abfiirde , la plus dangereufe , même au
gouvernement aâuel , qui s'étant fait ban-
quier y 2L diftraît fciemment le bien qui pou»
voit réfulter de ce jeu ef&oyable , où tou^
les dé(avantages font riéceflairement pour
ceux qui pontcnt ?
Si ce remède paroît oppofé à des réflexions
.plus fages , je ne l'indique que comme ih^
remède momentané, & qui donne le teqips
au législateur de recourir à des moyens plu^
jconformes à la vertu. Ceft Colbert qui a
commencé le mal, & je fuis pleinemçpt
^uftifié par fcs înftitutîons & celles de' ftç
imitateurs. Colbert à la tête du commerce
,& des manufaâures , leur a facrifié l'agri-»
culture. U a porté dans le (èin des villes cette
ibule d'hommes qui fertilifoient les campa-
jgnes ; il a créé la claflê innombrable des r,en-
tiers* On avoit des ouvrages d'un travail pré-:
.cieuxy 8c l'on manquoît de pain. Qn lit avec
étonnement que , durant les troubles de Fran-
ce qui précédèrent le règne de Henri JY ^
la
,t^6 Tableau
;le royaume prôduifoic des fubfîftances deuR
fois au-delà de la confommarion des habt-
étants , & que , pendant les ofpératîotis htiU
lantes de Louis XIV , au mîfièn 'des mira-
,cles de la peinture Se àt ,là frtilptûre , {ft
nation fouffroit de, la dîfette ; di(k£è qui àé-
puis s'eft fréquemment r^nouvellëe : {ce qdi
prouTC un vice dans le mînitterè de te Cot-
; rert fi vanté , qui a prdcuné à Louis XÎV
.de nouveaux moyens de prodigâUré , qui à
/ondu le peuple dans le feri^idë de h CQnir.^i
4]ui a augmenté la puiflànce royde ail-deSi
.de fès bornes naturelles.
Et ce qu'il faut remarquer , ^cW que :,
^malgré Colbert , le manufaâurîer & fc màf-
.thand n'ont jamais pu jouir dun degié.d'ef^
time égal a leurs travaux. Pocrrqtidi celtfi
qui acheté fe eroîroit-il au 4cflus de 'ceWî
jçuî vend ? Les befoins ne foiit-ils pas léifi-
^>r6qûes ? & ^e quelle .chôfe dàis te Htàûèk
'argent n'eft-îl pas le figtlè ? On fddâdielè
uôrie v.on paie lés autels. Le thdfiirqpe. '8t
,ïe pdntîfe ont des reVeftus qu'ils toùdhënt de
leurs mains en mohtiôîe. Les récÔnSpfenfii
les plos illuftres ont , dans tdos lès états ttlbî-
dérnes , l'argent pour bafe. Je Vdis lésgfariâfe
Xeigneurs âqfli âpres ^ l'cibtériîr , que cei&
.qui en font totalement privés. Tdùs lès grâhâk
xoniédieris de ce nloildè^ depuis ceux qdî
îjouent fiir lés tréteaux "jufqu'h cêtnc qui re=-
j^iréremetit daïïs tes c^ours ^ font payés ^ J8c
DE Paris.- 197
d'avance : conformité aflêz remarquable. Le
commerce , dit-on , eft fôndé fur le gain :
voîlk ce qui l'avilit. Mais tout refpîre le gain.'^^
Celui qui fe trouve -an lever du roi , fait une*
çfpece de. trafic de fon tenips , de Ces coùr^'
les ,.de Ces afiiduités, de (es courbettes* II*
j*e voyage cependant que de Paris à V^r--
failles. Le n^ociant vifite tous les ports de •
l'Europe ; il eft utile à tous les hommes. Tel -,
9> rapporté de fes voyages une multitude de
çonnoiflànçes j Sftel gentilliomme qui ne"
veut vendpe que (bq fang , marchande des
années entières un régiment qui lui échappe ;
& le voilh pauvre, lui & fes defçendants y
ppur deux cents années.
Ai-ie plaifanté, ai-îe raifqnné V Ceft cp
que je vous laîfïê à deviner , leâeur, - .
C H A PITRE CCLXXIV.
AUs lUgrcts , ÇihUn fupcrjlus.
in voyant tout ce qui déshonore à ce point
un peuple riche &policé,quel écrivain n'a
point regretté de bç pas trouver d^ns cette
ville une tribune aux harangues , o^ l'pn
parleroit au public affèmblé ? On y tonneroit
contre de cruels abus , qui ne cèdent en tous
pays , que quand oh les a dénoncés a i'apir
198 Tableau
madverCon publique. Les plus beaux mor-
ceaux d'éloquence qui nous reftent de Pan-
tîquîté, font émanés de la tribune j & au-
jourd'hui , que les lumières politiques de-
viennent plus faines , on y propoieroit ce
qui pourroit être utile au public.
Qui oferoit y monter (ansfe (èntîr écfaau^
fé des nobles flammes du patriotîfinc ? Au-
jourd'hui, dans les gouvernements les plus
libres , les peuples ne connoîflent les débats
des admîniftrateurs que par les papiers pu-
blics ; moyen toujours précieux , mais bien
îiiférieur à là parole qui tonne au milieu
d'une immenfè aflèmblée.
C H A P I T R E CCLXXV.
Souhait.
X^ette population qui s'accroît, s'accroîtra
encore ^ car depuis que les routes font ou-
vertes , tout vient , tout fond des provinces
fur la capitale ; des colonies de jeunes gens
accourent , abandonnent les toits paternels,
bit pour y faire formne , foît pour y vivre
avec plus de liberté ; & de Ik ce nomore in-
fini de gens qui cherchent de l'emploi &
de l'occupation. La maffè d'argent s'y pré-
cipite , oc d'autant plus qu'il ne reflue pas
i
DE PARI S. lf^9^
vers les provinces , & que les provinces jr
verfent inceflkmment le leur. Mais cette*
maflè fe concentre en un petit nombre de
mains.
Ces confidcradons ont fait defîrer à plu-
fîôirs que Paris devînt port, comme il la'
été autrefois , à ce qu'il femble. Il eft sûr que
le commerce maritime conviendroit très-,
bien à la capitale d un royaume auffi peu--
plé que la France , fur-tout fi Ton confidere-
que prefque tout Par gent eft -dans Paris. Ce
commerce ne nuiroit- en rien aux autres*
villes du royaume , parce que les relations .
nouvelles, ouvertesavec l'Amérique , pour-;
roient occuper le double & le triple des*
vaiflèaux qui courent les mers ^ parce que le*
propre du commerce eft- de vivifier toutes^...
les parties qu'il arrofe ; parce qu'avec le-
temps & quelques efîbrts , l'on peut enlever à».
FAngleterre ôèà la Hollande une partie de-
cet empire prefqu'exclufif qu'elles s'attribuent.'.
. Quelle incroyable adivité ^ & quel fur-t
croît d'inauftrie naîtroient de œ nouveau
point de vue ! IL agrandiroit & .«nriobliroirf
les fpéculatîons de nos financiers , trànsFor-»
mes en agioteurs^ faute de plus grands>
moyens. Il fourniroit une multitude de reC*'
fources à tant d'lK>mmes qui langirillênt ave
du coarage&'dii talent.
Le projet de faiife aborder les vaiflèaux-
nucchand^ W pied du fuperbe palais desi
ioo Tableau
Tuileries, nVft pas jugé impraticable. On
prétend même que , pour vaincre toutes les
difficultés , la dépenfe tqjt^e s'excéderoit p^s^.
quaranre-fix millions. Tai vu un plan oui
Siie femUe Revoir étrç vainqueur dp toupies,
ohft^cles, & qui rendroit la rivière navîgsir.
ble en tout ternpsv
Eh quoi ! eft-ce ^u pcwpfe qui a ]WA Ia<
Méditerranée à l'Océan , eu - ce au pays quiv
a enfanté Riquet & Laurent ^ redouter uti»^
entreprife beaucoup plus facile ? Et quand iK
fallut ordonner aux eaux du canal de Lan«.
guedoc de palier fur un pont ,& de traver-*
lei une rivière , de couler à travets une mon-
tagne percée à fa aéte , de monter , de def*
cendre une autre montagne fkns ^^garer^
c^étoîent d'autres travaux, d'autres difficultés
aNdomptét; diiHcu!tés,regardéeiC(tfnme k-^
fbrmontables. On en vint à bout néanmoins,
fur plus de quarante lieues d'étendue ; & la
fciencedes machines n'étoît point alors per*,
feâionnée au point où elle eft aujourd'hui.
Quelle entreprife plus utile & plus nécef^
Sûre ! Pn a dépenfë bien davantage pour^
des bofquets peuplés de marbres ftériles , &
qui n'atteftent que l'orgueil des rois , & non .
leur magnificence. Mes- voeux hâtent le ma-,
ment où cette ville aura un débouché pour
fes nombreux enfants , obligés le plus fou-
vent de Vexpatriér , ou de ramper- dans* des.
occupations qui dégradent l'ame. Je lui vok
}Ï*E P A R I S.
ZOI
alors un gage de fubfiftance affùrée , un gage
de félicité , ÔC^je ne^ tremblerai plus fur fes -
futiurs deftins ; elle aura un r^ng egal^ux ca«
pitales du monde. Mais je ne la conHdérerai
vraiment comme floriflante , que quand elle.-
fèfèra fait jour au fein des mers y pour ap^ -
peller en lig^e direâe Tabondance dans fes
murs : (ans ce moyen , le. revers le plus,
inattendu peut tout- à- coup la dellecher, la
flétrir , & doni^er la mort à fes citoyens.
C HA P I T R E CCLXXVL
^ Paris-Port.^
.i-*u.
l.andîs qu*on a dcpenfë trois ou quatre
millions pour des guerres folles , inutiles ,
inconfëquentes ^ comment n'a -t- on pas
réalifé le projet de faire venir les vaiflêaux
à Paris? Rendre Paris ^ port ^ comme il Ta
été autrefois vrétablir l'ancien commerce ma^ .
rîtimede cette grande ville ; y faire aborder
les vaiflêaux qui viendrwent y mouiller des
<patre parties du .monde ; ne feroît - ce pas
donner tout -àr coup au commerce, de la
France la plus vîgoureufe dé toutes les iriï*
pulfions ? L'opulence de la capitale , fa po- •
pulation, Paâivité dé fes habitants, tout
g^oantiroitles fonds , les matelots & le fuccès* -
202 T A B L E A V
Le projet eft praticable ; il ne faudroïc que
creufer le lit de la rivière , pour qu'elle fût
navigable; & les frais devroient - ils étro
épargnés pour cette magnifiqoe 8c impor-
tante opération î
Alors peut-être, fans la marine royale
( cette coûteufe & inutile décoration ) les
armateurs fortiroient en foule, & (è rea-
droient redoutables , parce qu'ils macche-
roient avec toutes les forces réunies d'une
ville peuplée , induftrieufe & riche. Le (brt
de la capitale ne fermt plus incertain : der
reflburces promptes feroient aflùrées à . tous
lés régnicoles. La France comporte par Ces
richeilês territoriales , cinq ^ fix villes mari*
rimes du premier ordre , & nous en avons
à peine trois.
Tout ce qui eft dépenfc à Paris en luxe
frivole , en jouiflànces futiles, prendroit na-
turellement fon cours vers un commerce
•and & généreux , qui élevéroit les âmes
l les efpiits. L'agiotage difparoîtroît pour
faire place au négoce : mure rougîroit quand
elle appercevroit des moyens plus grands^
plus lucratifs & légitimes. Enfin , fi les fuc-
ces font proportionnés a la ma(& de pou-
voir qu'on met en aâion , de quels avanta-*
ges ne pourroît-on pas (c flatter!
La tête d'un pareil royaume figureroît
avec plus de fplendeur , environné de mille
vaifTeaux \ 8c Tabondance qui ne vient à
DE Paris. 203-
elle ^u'ert épuîfant les environs & fctîguantt
les honimçs 5 les. chevaux & leç routes^ vien-;
drQH flotteiif fajis peine Q(i:/aii$. efFoits ail^
pi^. de fès : piagnifiq^es rciiipa^ts* -L'i«diife .
trie aiguiUounëe en tou^ fens ;^: tïp Terbic plus^« ,
timide ni obTcure; elle r s'agrândiroit avec/
le projet ; v^Sc la réaâion de tous les efprits
opéreroit^ quelque-^ çhofe ^ de grand 9 ç'eil*t
a-dire., df Ir^^laof Ji 1? pjiiflànce: réelle du; .:
royaumer* .; :^ ^ ' , f.
Cette nouvelle > conquête vaudroit bien-^
celle de quelques isles éloignées , fur la poC*.
fefEon defquelies s'égare la routine de la po-/
litique moderne»
Si Ton remoiite dansrrhîftoîre, l'on verra
que des peuples de.la Suéde , du Daneniarck
& de la Norwege, au npmbre de quarante
mille hommes ,. ay^nt a leur tête Sigefroi ,
vinrent en Tannée 8 8 «5 , faire le Gege de Pa-
ris avec fept cents v|iîles ^ fans compter les
barques;: en forteqpaq rapport ifAbbon,'
religieux de l'abbaye Saint -Gemiîijn- des-;
Prçs r contempotfûn &.. témoin oculaire ,
^ui a écrit l'hillpire dexçtte guerrie.en deux
volumes en..vers latins ^ la rivière étoit cou-
verte de leurs, bâtiments Cefpaçç de deux,
lieqes, Il:;4oute qu^'ilsé^oiçoi^^çjii^^veyo^
jfeis daiisl^nj^êni^./fiecleJ,. ,j-.
Jules-Céûr rapporte dans^ le troifieiiie H^
rxe. de fes Coiumentaîr^ ^ qye.4gr^,d« Ja
CQXî9jêteLdes G^^vdeSjilfit faire pendrint uq
204^ T A B L E A V
hiver fîx cents Taiflèaux des bois qui âdeht
aux environs de Paris:; qu'au printemps il'
fit monter fur ces vaiflèaux Conr armée , avec*
armes , bagages , chevaux & plY>vifi(His ,* dt:
cKi'il defcendk la Seine 9 palla à Dieppe-, 8c:
de-Ëi en Angleterre , dont il fit la conquête»
N'avons-nous pas vu , îî y a quelques an--
nées, le premier Août 17669 le capitaine
Berthelot arriver, au PoDt-Rmral, vis-à-vis
des Tuileries , fur Ion vaiflèau àe cent Ibixam
te tonneaux , de cinquante - ôtKf^ pieds de
quille, & dont le grand mât avott quatre- -
vingt pieds de hauteur ? Lor£]u'ir partit le 22..
du même mois\ chargé de marchandises ^
Feau dé la Seine étoit à peu ptèsi la même,
hauteur , c'èft-à-dire , k vingt - chiq pieds.
Ce vaiflèau eft arrivé de Rouen k Paris en
fcpt jours , de Rouen à Poîfli en quatre^
& une autre fois du Hawre à Pans en dix
jours. ^
Uacadémîe des fciences , belles - lettres
& atts de Rouen , annonça dans & féance-
publîque, tenue le premier Août 1759 ^
qu'elle propofoit pour fojet du prix de Fan*
liée fuîvante , cette queftîbn : La Seine lia-*-
trille pas été aiàrrfbis navigable pour des
Taijfeaux jphs conftdérables qùtteux qiiettc
porte , Çf ny aiiroit-^il pas dés moyens de
kii rendre^ ou de lUi procurer cet avanta^
ge ? En 1760, le prix fût remis, Facadémie
n'Sijant pas été (àtisfaite des mémoires qui
2> E P A R I Sj Z05
liîiTiirem envoyés. En 1761 9 les nouveaux,
ne lui: arant pas paru, meilleurs ^ elle fe dé->,
câda à changer la matim^4u prix. , [
Le: piojtt . rli jamais ^ jugé impratica-^.
Uepar les ingénieurs, 8c le devis eftimatif^
des ouvrages 9 %né par.|)lu6^iirs archiceâj^^,.
a été mis. fous les yeux da miniftere. .
On a de fareent pour des guenres deftruc-^
dves:& tincestaines 9 pour les vîetçc rébus
du radc^gemio^léiid; 0x1 n'en a poin(*
pour féconder une Ville immen^ , & fou-^ .
làger les provinces du tribut énorme jSc .oné* -
içux qu'elle en exige. .
C HA P I T R E CCLXXVIL
Zcs Prijbns* .
?t<mibons.de ces fublimes projets k ce
^ e^cifle. Abandonnons nos beaux rêves ^
pour contempler notre indigence & notre
pauvreté réelle. Voyons notre extrême in-
dijGfêrence pour tout ce qui intéreflè de^fî
^ès Pfaumanits. Des imâgps cunTolantes ont;
nté ^toui- de moi : les cashctts ^ les dbaînej^,
fc hitilt des çleft diflipentlejfbnge ! .
La loi arrête l'innocent comme le coui
{Mible, lorfqail s'agit de conftater un délit j
ti^is la priiçu étant déjà, une peiw. tAî^
2o5 Tableau.
grave , elle doit être adoucie :autant qu'il efh
{fofSble qu'elle le foit.' Or , pour ^aiSirer :det
ma perfonné , il ne faut pas poin; cela att^>
quer ma' fanté , lile priver jaes rsegsurds Jdu
foleil & de l'air, me jetter dans.utiede-^
meure infeâe , me fiûrç languir ^ mîlieui
d'une troupe de brigands, dont la feiile vue
eft un fupplice. - ; : ,-..
Sile foupçon exige que je foi&.tataième&tt
pivé de ma liberté , que je ne (bis .pôkit k *
ta merci de l'avarice d'un geôlier;. qu'eu
m'arrachant à mes foyers^ on ne me con-
fonde point avec ceux qu'on va 'Conduire au:
gibet; car je puis être innocent.
La loi ne me devra aucun c^domm^ge- -
ment, quand elle aura reconnu moa inno-
cence; d'accord : parce qu'elle aura .agi au^
nom de l'intérêt général , auquel tout eft &
doit être fubordonné. Mais que je n'emporte-
pas une afFreufe maladie de ma captivité y.
tandis qu'il eft fi facile de hi'épargner cèj.
borreurs , en m'acscordant un! peu d'air aa
milieu de ma folitude. t
Les prîfons-font reflètréesy mft}-&ines^
infèôes : on les a juftement comparées à de
hauts 8c laraes puits, aux parois defquels
fisroient a&flèes: des mafiires étroites &^l^
deufes. Si le prifonnier veiÉt y être fépair^^
îl paiera /oir^/z^e/r^/zc^ par mois un pe-.
tît emplacement de dix -pieds quarrés^ Tout
s'y vend Iç double 9 ôc L'on diroit qu'il y a.
B E P A R I S, x6*f'
au guichet une taxe particulière pour rendre
la mifere des prifonniers encore plus pro^
fonde.
D'énormes chiens font la garde , & mê-
me la police avec les geôliers. Rien n'eft
plus frappant que Fanalogie qui les carac-^
térife. Ces élevés font dreflës à faifir un pri-
fonnîer au collet , & à le mener au cachot ;
ils obéiflènt au moindre figne:
Une petite porte épailîè s*ouvre trente
fois par quart -d'heure; il faut que tout ce
qui lert à l'entretien &^ la nourriture paflè
par-lk : il n'y a point d'autre entrée.
Les cachots font les réceptacles de toutes
les horreurs & de toutes les miferes humai-
nes : les vices les plus monftrueux y font
naturalifés , & le aimînel oifif s'enfonce là
dans de nouveaux crimes.
On nomme paiUcux les miférables qui
refpirent encore dans ces fouterreîns. L'hu-
nïanité eft réellement effrayante & hidèufe-
fous ce déplorable point-de-vue : tirons le
rideau.
Il y a k la porte de la prîfon un cercueil
tannai pour les prifonniers & pailleux qui
décèdent ; ils n'obtiennent point de bief©
de la charité publique ; on ne leur accotxje
quun linceul. Ce cercueil très-épais & tres-
folide reçoit chaque jour tons les morts, &
îndiftînâement ; quelquefois il en contient
deux 9 quand les trépaffîs font des a^olefcencs^
ao8 Tableau
Le cercueil bannal de la:^ifon du Ckâte*-
Idt fert depuis plus . de quatre-vingt ans. Les^
paitUux rappellent Id croûte de pâté. O jSau-^
râges errants dans les forées de F Améri*
^e (èpteatrionale ! vous mangez vos enne-
mis, vous faites un trophée (ànglant de leur -
chevelure ; mais ^ vous n'avez jamais du ■\
moins of&rt à là main tremblante de Fhif-^ -
torien les tableaux que j'anrois ici à tracer.»*. .
Non , laidbns les monftnieufes turpitudes de
FEumanité dégradée fous les voilés épais qui
la couvrent, hcs gardiens féroces de ces cri--
minels ne s'attendriflènt jamais , 8c îis ajou* -
tent d'eux - même ^ la dureté; de Jeur.mi*-
niftere.
Un édit bienfaifant bc paternel va faire -
céder une grande partie de ces abus ^ & le
bien qui le fait , devient le gage du bien :
^ (è fera. Qu'il fe fait: lentement J
CHAPITRE CCLXXVIIL..
Sentence de mort*
\^uelle voix fîniftre & retentiflànte, em-
pliflànt les rues & les carrefours , fe fait
entendre jufqu'au fomniet des maifons , 8c
trie qu'un homme plein de jeuneflè va pé-^ -
tt y égorgé de iâng-froid par un autre hom':^ -
C E P A R I s. 20J
me, au nom de la fôcîétë ? Le colporteur ,
en courant & hurlant , vend la, fentence ei>-
core humide ;. oo f acheté pour {avoir le
nom du couipable , & /apprendre queLeft
fon crime : on a bientôt ouolié Fun oc faUr-
tse. Ceft une condamnation fubite qui vient
épouvanteriez efprits au moment où Ton n^^
s'y atsendoit pas. .
La populace quitté les atteliers & les bou«:
tiques, & s attroupe autour de Tëchafaud,.
ppuir «xâmis^er de qucUe manière le patient
accomplira le grand aâe de mourir en pu-
blic au milieu des tourments.
Le philofophe qui , du fond de (on afyle^
entend crier la fentence , gémît v & fe re-
mettant à-fon bureau , le cœur gonflé , Toeil
attendri , il écrit fur les loix pénales & fur ce;
cjiâii ncceilîce le fupplice; il examine ûih
gouvernement, la loi n'ont rien à fe repra*
cher •, & tandis qu'il plaide la caufe <te l'hu-
mianité dans fon cabinet (blitaire , ic qu il
fonge k remporter le prix de Berne , le bour-
reau frappe avec une large barre de ifet , écra-.
fe le malheureux fous onze coups., le replie,
fbr une roue, non la face tournée vers b:
ciel , comme le dit l'arrêt , mais horrible-»^
ment pendante v; les os brifës traveHèntî les
chaiix Les cheveux hériâes par la douleur >:.
diftillént une fiieut fàngknte. Le patient y
dans ce long fupplice , demande^ tour-à*
t^uT; d^ IVau ôc. la mort^^Le peuple Xf^
4
2IO Tableau
garde au cadran dé ITîôtel - de - ville , &
conipte les heures qui fonnent; il frémît
conftérné , contemple & fe tait.
Mais le lendemain un autre criminel fait
relever Fëchafakid , & le fpeâade afiFreux de >
la veille n'a point empêché un nouveau for»
fait. La populace revient contempler le mé«
me fpeâacle ; le bourreau lave fes Inains
fanglantes , & va (è confondre dans k ibule
descitOTens. - * •
Ûafl&flin meurt; & l'homme qui â- fait»
é[^ouvêr à une armée entière 'les horreius*
de la famine ^ qui a été plus terrible aux.
fbldats de la patrie que le fer 8t le feu de
Pennemi; quia fait difparoîtjre des voiuires-
de farines , & peuplé les hôpitaux^ cet hom-.
me vient bâtir un palais devant Fefi%ie da.
monarque qu'il a trompé & volé ! Il de-
vroit y entendre le murmure de l'état, les
cris plaintifs des foldats qu'il a &it mourir
d'inanition : il devroit- fe réveiller , agité
par la frayeur, & voir des {peûresmena-.
çants errer autour de lui. . Cependant il dort»
avec fécurité; des rcgiflres fignés par des:
hommes de loi, Jtrendus à fes rapines, ont
légitimé fes vols. A l'aide de calculs Éiux^
il paroit innocent : fon vil & infâme mé^*
tier faccrédire pour ainfî dire , & lui donne-
un fang parmi cette race afïaméed'or. Dans,
lès moments de bonne huniieur, il raconte
jufqu'^ fes exploits meurtriers , 6c comment^
DE Paris. iii
mettant le feu lui-même à des magafins y il
a revendu k l'état ce qui lui avoit été payé.
Incendiaire & afTaffin en Allemagne , il en
plaifante k Paris.
£t le millionnaire qui médite, invente
des plans extendeurs d'impofitions ingé-
nîeules & calculées fur la partie indigente
du peuple , lorfqu'il a bien dîné , calcule ce
qui doit lui revenir de tel forfait politique ,
au moment où il eft travaillé d'une digef-
tîon iaborieufe.
Je ne lui pardonnerai jamais ; je le cite-
rai inceflàmment au tribunal de ITiumanîté ;
je pardonnerai plutôt au malheureux qui^
n'ayant qu'un piftolet & du courage , m'at-
taquera au détour d^une me ,* pour m'ôter
le fjgne repréfentatif des aliments dont il a^
befbin.
"•Oui, Phomme qui m'aflàffineroit , me
paroîtroît moins odieux que tous ces oppreC-
îeurs de la patrie. Je lui pardonne d'avance
(î'ce malheur doit m'arriver; partie oflfen-
fëe, je lui rends mon afFeâîon, je le juftffié
même, & je gardè'le fentiment de la haîné
pour l'être monftrueux qui égorge dans le
fein du luxe & des rrchefîès, oc le fentiment
du mépris pour des loix qui n^ont pas la
force d'arrêter oi\ de punir ces déteftablesf
attentats.
iî% Tableau
CHAPITRE ce LXX IX.
Le Bourrcaiu
JLj'exéaiteur de Ja haute - joftice a pour ga^
^ dix - huit mille livres par aa. Il n'en
touchoic, que feize mille il y a Gx ans^ 11^
avoit le droit de porter fes mains immondes
fur les- deturées publiques , pour en prendre^
une portion. On la dédommagé en argient.
U n y a eu qu'un homme oe décapité à:
paris depuis quarante ans environ*. Aufli le
bourreau t^.- il inexpéiimeuté dans eeUCL
fonâion.
La dernière clàilè du peuple connoit par-
faitement fa figure ; c'eft le grand aâeur
tragique , pour la^ populace grofIîere<, qui
court en foule à ces affireux ipeâades> par-^
le (èntiment de cette inexplicable cunouté^
<]uL erKraîne jufqu'à la foule polie, quand Je
crime ou le criminel font diftingués.
Les femmes fe font portées en foule au
Cipplîce deDamîens; elles ont été les^. der-
nières a détourner leurs; regards de cette,
bortible fcene.
Le petit peuple s'entretient fréquemment;
de l'exécuteur, dît qu'il a table ouverte pour
lés pauvres chevaliers de Saint-Louis , .& va-t
» E P A B. I S. 11^
chercher chez lui de la graiflè de pendu,^
.car il vend lés cadavres aux chirurgiens ,
X)u les garde pour lui^ k Son choix: le cri-
"iDÎnel Tife petit^âs fe vèhdre de fon Vivant ^
, ainfi qull fSit k Londi'és.
Rien ne.diftingue cet homme des au-
tres^ citoyens, même lorfqu'il exerce fes ^on-
vantables fbndîofls; ce qui eft très-^nàl viu
Il eft frifë ^ pôUdre-, galonné , en bàS éfe
foie blancs , en efcarpins , pour monter aii
fatal poteau :.ce qui me paroît révoltant,
iHiîfqu'îl devroit porter , en ces momenà;
terribles , Tempreinte d'une loi de mort. Ne
fkura-t-ôn jamais ^rler k^imàginàtion j &
puifqu'il s'agit d'effeayer la multitude, ne
connoîtra-t-oîi jârùat^ PètiljSre des formes
éloquentes ? t^extérieur dexet homme dé-
croît faniioiicer.
Il eft fans cdntrècKt ïe dehiîéfr atôyën dé
'la ville , & lui feul eft frappé par Ton em-
ploi d'un àpprôbré inhérent. Il a Ass valets
qui exercent , pour ceht iats ^ lè métier
•quMl fait pour v'fîx -lîiîHé. fe fl trouve éH
^valett!
ÏI y aunïît teâucdup de rêflexiôîrfs 11 'faîie
iiircet agent dfe nôtre légrslatiàrt àirnShèlfc,
îpour favoh: à qui il apf)arrîeht {péd:^hikëhti
maïs cet examen riôus 'jdtërbft diris xiih
àtflSrtdtiôn étrangère à la'tiâtUtt âfe cet ou-
^vrage.
Il ixuûie fts fiUés , quand tl en a, it dés
114 Tableau
bourreaux de province. Entre eux ils s^p-^
pellent ( k Tinflar des évêc|ues ) Monficur
de Paris , Monficur de Chartres , Mon^
fleur d'Orléans , &c ; & Chariot & Jîer-
ger fcurniflènt aux entretiens du peuple une
jiiatiere inépuifabJe. Tels fàvetiers Êiyenc
Thiftoire des pendus & des bourreaux , ainfi
qu'un homme de bonne fociété fait fhif-
'toire des xois de. FEurope .Se de leurs mi-
niflres.
CHAPITRE CCLXXX.
Place de Grèyêm
JLià font venus tous ceux qui fe flattôîent
de rimpw itc ( & Ton ne fauroit imaginer
comment ils s'abufoîent à ce point extrême }.:
un Cartouche , on Kavaillac, un Nivet^ un
Damicns , & plus fcélérat qu'eux encore ,
un Dijrues. Il y montra la froide intrépi-
dité & le courage ti:anquîlle de ïhypocrifie.
Je l'ai vu & entendu au Châtelet ; car il fe
trouvoit alors dans la même prifon aveu:
l'auteur de h .Philofi>phie de la nature,;
& j'alloîs vîfiter l'écrivain.
\ Defrues n'avoit à la bouche que les noms
lacrés de Dieu, de religion. Le génie du cri-
|Qe n'a ^ere été plus foin j 6c par la m4di-:
B£ Paris. 215
tatlan & par la complication de les for-
faits , il a offert un exemple eiFrayant de ce
que pouvoit receler & imaginer Tabîme noir
& impénétrable du cœur humain , qiiand la
pery«mté y vregne.
Cette place cft encore étroite, quoique
nouvellement élargie. Les exécutions de-
vroient fe faire ailleurs; car on oblige une
foule de rentiers qui opt prêté leur argent
au roi ,« à voir tous W, apprêts révoltants
d'une exécution ; ^ rien de u hideux, de fi
indigne de la majefté des loix. Mais tout ce
qui concerne la jurifprudence criminelle ett
parmi nous dans un G. déplorable cahos^
qu'il y a bien d'autres ^ réfornijçs à faire ^
avant que de donrier aux exéoations . une
coulcjur qui les diftingue d'un meurtre fan-
glant, ou d'une vengeance atroce.
L'adàffin au fond des bois a-t-il jamais
couché un homme fur une croix de Saint-
André , pour lui caflèr les os de onze coups ?
puis l'a-t-il ployé fur une roue de carroflè ,
un confeilèur à fes côtés , qui ne peut délier
le patient , & qui l'exhorte à foufïrir ? Cer-
tes la juftice eft plus effrayante que le crime.
Uai&flin donne fon coup de poignard, craint
dVnvîfàger fa viâime, fuit avec le remords^
tandis que la juilice compte pendant vingt-
tjuatre heures les cris défelpéres.d'un malheu-,
reux qu'environne, un peuple immenfe.
.On reproche k la populace de courir çgk
Il6 T A JB L K A Of
foule à ces odieux fpeâacles \ mais quandil
y a une exécution remarquable , ou un crimi-
nel fameux , renommé , le beau monde y
court coimne la plus vile canaille.
Nos femmes , dont Tame eftfî Icofible , le
geru:e nerveux fî délicat, qui s'évanouiilèm
devant^une araignée , ont afGfté à ?exécu«-
tion de Damiens ! je le répète , & n'ont dé-
taché que les dernières leurs regards du fiip-
plice le phis horrible & le [^ dégoôtant
que la jultice ait jamais ôfê imsginèr , poiâ:
Venger. les rois.
On avoit fait venir tous les bdonéaux des
villes circonvoifînes , pour piéter la main à
'Ves révoltantes opérations qtâ Ont attiré d^
amateurs 8c des curieux.
JL*autênr d'un ouvrage moderne fur la paf-
.iîon du Jeu , affiniie que ce jour-È méiiw
on joua à la Grève , qu^ony joua dé Forgent,
en attendant Thuile bouillante , le ploriib
fondu , les tenailles rougies au feu & les qua-
tre chevaux qui dévoient écarteler Taflamn^
& nous nous croyons civîlifés , policés ; &
nousofons parler de nos lôix , de nos mééufs:;
tandis que, fans le cri éloquent des écn-
vains , nous n'aurions pas appris k rougir de
ces atroces turpitudes. Que nous avons en-
core befoin d'être confits à la fenfibifitié
'^ à la raifon !
Le patient , tant la coutume a d'empire,
tie harangue jamais le public ; ce qu'il fait fi
Couvent
B £ Pari s. ' =217
ifouvent en Angleterre : il n'en obtîendroit
pas la permillîon. Le général Lally paroiflànt
vouloir parler au peuple , on lui mit un
bâillon. Ainfi la forme du gouvernement te
-caradérife par-tout, & ne permiet k per-
fonne d'élever la voix ; même à (à dernière
-heure , 8c de haranguer un inûant avant
>^'cxpifer.
Les colporteurs qui crient les fentences
de mort, la médaille de cuivre fur i'efto-
mac, font quelquefois retentir Tarrét fatal
:^uR{U'aux oreilles dufiippKcîé; cruauté im-
pardonnable ! Ik appuient fur-tout forte-
ment fur. ces mots , qui condamne un af*
faffineur. Cet horrible barbarifme eft de leur
invention ; mais il firappe plus vivement les
^organes du peuple que le mor ajjitffin , &
Je peuple dit & dira toujours ajfajjineur:
xela lui femble plus énergique.
Il y a quelques années qu un fils ayant fait
-aflàffiner fon père, fut rompu à la place
Dauphine avec fon complice , exécuteur du
nieurtre. Le parricide, qui a^oit entraîné
jdans le crime un homme foible , par Jfap-
J>ât du plus mince intérêt , fe montra (ur
!échafaud^ £ dur, fi hautain-, fi peu re-
pentant , tandis que fon compagnon pioit
« fe réfignoit , qu'au premier cri qu'il jetta
ibus le premier coup de barre , un battement
univerfel partit de toutes les mains.
J'ai cm que ce trait , peut-êo'e unique^
Home IL K
ÛA% T A' B. L E A ir
^' <levoit appartenir. au tableau de&tnoeurs:dH
peuple de la capitale.
On ne coupe plus de têtes ; ce qui proove
que les grands ne prévariquent point. Le
fabrequi coupe les têtes nobles, eft rouillé
dans le fourneau , 8c l'exécuteur a oublié cette
partie de fbn métier. Il ne (ait plus que pen^
dre & rouer : fon bras inexpéximenté a man-
iqué le général -Lally.
Chaque année office une race nouTeOé'de
^oleur$,& de fcélérats qui ont un carac-
tère diffîrent. Uan pafie , c^écoient des em-
poifbnneurs connus fous le nom Stndor--
meurs ^ qui méloient dans le tabac âcdans
les boiflbns un venin aflbupiilànt^ dangereux
& mortel: cette année; ce font des voleurs
d'églifès, des fkcrileges^ qui pendant les
Jiuîts enfoncent , pillent les . facnflies , em-
Î)ortent ciboires , calices , croix , chande-
iers , &c. On a dépouillé, tant fur la route
. de Flandres qu'aux environs de Paris y près
de quarante églifcs.
On a vu , ?dit - on , de tes fecrileges qui
avoient volé un ciboire , en renvoyer les
^ hofties au curé du lieu dans une lettre , après
avoir employé une de ces mêmes hoftîcs,
comme pain \ cacheter.
On a révoqué en doute les exécutions
nodurnes , faîtes aux flambeaux. Il paroît
, conftaté que rien nVft moins imaginaire. On
^e conçoit pas comment la loi fe plaît à*-uû
DE P A li X s: Uf
meurtre clandeftin. L'interprétation la plus
forcée n'a jamais pu lui donner cet horrible
caraâere. La peine de mort ne fauroit être
confidérée que comme un exemple , & ja^
mais comme une punition ^ or , qu eft-ce
que d'étrangler un homme dans les ténè-
bres , à rinlu des citoyens qui dorment ? Si
vous lui faites grâce de la publicité , faites-
lui grâce de la vie. Ce li'eft qu'au nom de
la fociété qu'il doit la perdre ; & votre arrêt
cft un crime , fi elle ignore tout à la fois le
délit & le fupplice.
Les Anglois & les Suiflès ont une juris-
prudence criminelle que la juftice , la raifon
& l'humanité peuvent avouer ^ & nous
avons encore à rougir de nos formes lamen-
tables & barbares : nous n'avons pas encore
appris à garantir notre liberté , notre vie &
notre honneur des invafions du pouvoir
aveugle & .de la (célérateflè réfléchie. La loi
refte Indécîfe entre le crime audacieux &
l'innocence timide : elle a peine à les diftin-
guer ^ & tandis que l'inftrudion s'eft paflSe
dans l'ombre loin de l'œil & de l'oreille des
citoyens , le fupplice vient épouvanter leurs
regards ; & «n voyant fes abominables inC-
truments drefles dans la place publique , il
faut qu'ils demandent quel eft le coupable
& qu'elle eft fon délit.
aZcO T JL B.L E A U
,C H A P I T RE CCLXXXL
Sirvantc mal pendue^
^Ll y â-.dix-(iept.ans cmrîron qu'une jeune
paylànne n d'une figure aès^agréable, s'étoît
niiTe en feiviceich^ un homme qui àvoit
tous les vices qu'entraîne U.comiption des
grandes villes. Epris de (es charmes, il tenca
tous les moyens de la (eduiie. Elle étoit hon-
nête \ elle ré(î Aa. La &geflè de. cette &le ne
. fit qu*irriter la paflion du maître qui , ne poi^
vant la foumettre à fes defirs ^ imagina la
vengeance la.plus noire & la plus abomina-
, ble. Il enferma furtivement, dans la caflètte
où cette fille mettoît fes hardes, plufîeuts
efièts à lui appartenants & marqués à fon
nom ; puis il cria qu'il étoit volé , appella jun
. commiflàire , &, fit fa dépofîtîon en juftioe :
^ l'ouverture de la caiïètte, on reconnut les
effets qu'il avoit réclamés.
La pauvre fervante emprifonnce, r!movi
«que fes pleurs pour défenfe; & pour xomt
réponfe aux interrogatoires, elfe difoit qu'elle
étoit innocente. On ne faproit trop accufèt
^Tiotre jnrifprudence criminelle , quand on
fonge que les juges n'eurent aucun (bupçon
^de Ta fçélér^teflè de l'açculàçeur , & qu'ils
D E P A RI S. 21ï.
fuî virent la loi dans toute (à rigueur; ri-
gueur exceflive, & qui devroit difparoître
de notre code , pour faire place à un (impie
châtiment, qui laiâièroit moins de vols «'
impunis,
La fille innocente-fût condamnée à ê(tt '
pendpe. Elle le fut mat, parce que c*étok '
lé coup d'eflai du fik de l'exécuteur des"
hautes œuvres. Un chirurgien avoir acheté ^
k corps. Il fut porté chez lui. Voulant le •
foir même y porter le (calpel , - il fentit un *
refte de chaleur ; lacier tranchant lui tomba-^
des mains , & il mit dans fon lit celle qu'il
alloit didequer.
Ses foins pour k rappeller a la vie ne
fiîrentpas inutiles ; ilmanda en môme temps *
un eccléfiaflique , dont il connoiSbit la dit-*
crétion & Pexpépience , tant pour le confulter '
fiir cet étrange événement , que pour êtrè^"
témoin de fa conduites,
Au moment que cette fille infortunée ou^
vrît les yeux , elle fe crut dans Pautre monde ; \
& appercevant h figure du prêtre , qui avoît '
une groflè tête & une phyfionomie fbite-
ment prononcée , ( car je l'ai connu , & c'eft
de lui que je tiens^ ce fait ) elle joignît les
mains avec tremblement , & s'écria : Père
éternel , voiisfave^^ mon innocence , ayei^^pi^ à
tié de moi. Elle ne ceflà d'invoquer cet ec-
cléGaftique , croyant voir Dieu même. On
fut long-temps à lui pet (bader qu'elle n'étotC'
izi Tableau
r; décédée , tant Pidée du fupplÎGC & de
mort avoît frappé fon imagination ! Rî«n
n*étoit plus touchant & plus cxpreflîf que ce
cri d'une ame innocente ^ qui s'élevoit vers
celui qu'elle regardoit comme fon jugefo-
préme ^ & au défaut de (â beauté attendrif-
îante , ce fpeâacle unique étoit fait pour ii\-
téreflèr vivement l'homme fenfible & l'hom-
me obfervateur. Quel tableaupour un pein-
tre ! Quel récit pour un philofophe ! Quelle
inftruaion pour un homme de loi !
Le procès ne fut pas foumis à une nou-
velle révifion , ainfi qu'on l'a imprimé 4ans
le Journal de Paris. La fervante , guérie de
fon effroi , revenue k la vie , ayant reconnu
IU1 homme dans celui qu'elle adoroit , &
qui lui fit reporter fes prières vers le feul Etre
adorable , quitta pendant la nuit la maifon-
du chinirgien , doublement inquiet pour
cette fille & pour lui. Elle alla fe cacher
dans un village éloigné , tremblant de ren-
contrer les juges , les fatellites & l'affreux
poteaux qui ponrfuivoient fes regards.
L'horrible calomniateur demeura impuni ,
parce que fon crime manifeftc aux yeux des
témoins particuliers, ne Tétoitpas de même
aux yeux des magiflrats & des loix.
Le peuple eut connoifïànce de la réfur-
reâion de cette fille ; il accabla d'injures le
fcélérat auteur de cette infamie. Mais dans^
cette ville immenfe ce forfait fut bientôt ou-
DE Pari s. 22 j
Wîé , & le monftre rcfpîre peut-être encore:
diumoins il n'a pas poFté devant les hom-
mes la peine qu'il méritoît.
Un livre à faire feroit le Recueil de tous
ks: Innocents condamnés , pour voir les eau-»
fes de l'erreur , & l'éviter dans la Ciite. Ne
fe trouvera-t-ii point enfin un magiftrat qui
sîoccupera de cet ouvrage' important ?
CH A P I T R4E CCLXXXIL ..
RafiiUe. >
i rifon d'état : c'eft aflez lia qualifier. C*efl ;
un^châtedii, dit Saint-Foix , qui , fans être ^
Jprt , efile plus redoutable de V Europe^ •• -
Qui fait ce qui s'efl<fait à la BaftiUe , co
qu'ftlle renferme , ce qu'elle a renfermé? '
Mais comment éaira- t-on l'hiftoire de -
Louis XIII, deLouisXIV &deXQuî$»XV; ,
fi; l'on ne (ait pas l'hiftoire de la Baftiîleî
Ce qu'il y a de plu&intéreflànt , de plus ca- •
rieùx, de plus fingulier 4 s'eft paffe dans fes *
murailles. La partie la plus intéreflànte de
notre hiftoire nous fera donc à jamais ca*-'
chée : rien ne tranfpire de ce goufïre^ noi> ^
pluç que de l'abîme muet des tombeaux^ ' :
Henri IV fit garder le tréfor royal à Itf i
Eaftille.. Louis XY y fit enfermer le Diâions -
,*
2^4^ Tableau»
oaire EfieydopédîqMC, qui y pourrît encoce. .
Le duc de Gùife , maître de Paris 'en\
1,588 , le fut auffi de. la BaftiUe & de fAr-
(ènal. Il eii fit gouverneur Buifi U Gerc «
{procureur au parlenient. £ufli le Clerc ayant;:
ii^yefti le parlement., qui refufibiit dedé-^
Ëer les Frànçpis du ferment de: fidâité 6c
d'ôbéi(&nce^ conduifît àja Baftilk prclSdtnts :
& confeillers , , tous en robe & en bonnet
quarré ; là il les fit jeûner au pain & àjéau»
O murs épais de la BaftiUe, qui avez reoit
fous les trois derniers règnes 1^ foupirs &
les gémiflcments de. tant de vidimes , fi.
vous pouviez parler, que vos récits terribles
& (ideles démentîroient.le langage timidfi:
& adulateur de Thiftoire.
^ Auprès de la Baftifle fe trouve PArfenal ^
qui jec:ele le magafin à poudi;r>9 voi&utge-
tout àufli terrible que la .demeure. ,
. La tour de Vincennes renferme* encorr^
des priibnniêrs d^e'tât , qui pafoiflcnt de vouk
y finir Içurs triiles jours. Qui a pu calculer
au jufte les lettres de cachet délivrées fous>.
les trois derniers règnes.
On a une hiftoire de la Baftille en cinq
volgmes , qui oft're quelques anecdotes par-
ticulières oc bizarres; mais rien de ce qu'on
foAihaiteroit tant d'apprendre , rien , en ml
mot, qui puîflè porter quelque jour fur cer-
tains fecrets d'état , couverts d'un voile im^
pénétrable. Si Ton en croit Thiflorien ,011
DE Pari s. 21c-
y traîtoît fous un d*Argenfon avec une ri-
gueur inouie & une violence tyrannique les
f)rifonnîers déjà trop punis de la perte de ^
eur liberté.
Le gouvernement , aujourd'hui plus doux ^
& plus humain qu'il ne l'a jamais été de* ~
puis la mort de Henri IV, s'eft beaucoup ^
relâché (ans doute de cette cruelle févérité, ,
& l'on n'y inflige plus de ces punitions af- -
freufes & inutiles. .
Quand un prifonnier décède à la Baftille ^ ^
on l'enterre à S. P^ul, pendant la nuit k trois* ^^
heures du matin.- Au lieu de prêtres, des*
guichetiers portent le cercueil, &c\ts mem-
bres de l'état- major aflillent à la fëpulture,
Ainfi le corps n'édaappe au . terrible pouvoir
que par la route' du tombeau.. ■-.
Dès qu'on, parle de la Baftille k Paris,'
on récite fbuda in l'hiftoire du majquc de fer :
chacun la fabrique à fon gré , & y mêle-
des réflexions non moins imaginaires.
Au refte , le peuple craint plus le Châte-^
let! que la Baftille : il ne redoute pas cette '
dernière prifon , parce-qu elle lui eft comme
étrangère, n'ayant aucune des facultés qui
en. ouvrent les portes; Par conféquent il ne
plaint guère ceux qui y font détenus , & le
plus= fouvent il ignore leurs noms. Il ne té-
moigne aucune . reconnoifîànce aux géné^
reux défenfeurs de fa caufe* Les Parifiens ai-»
niçnt mieux adieter , du pain pour vivre ^
K s .
zzj^ Tableau»
naire EneycIopédi<|Me, qui y pourrit encore. .
Le duc de Guife , maître de Paris en\
1 588 , le fut auffi de la Baftille & de TAr-
(ènal. Il eii fit gouverneur Buili Id Gerc , .
procureur au parlement. £ufli le Clerc ayant
mvefti le parlement., qui reftiibit dedé-^
Ëer les Frânçpis du ferment de: fidâtté &.
d'ôbéi(&nce^ conduifît à la BaftiUepréfidents .
& confeillers^.tous en robe & en bonnet -
quarré ; là il les fit jeûner au pain & a Jéau.
O murs épais de la Baftille , qui avez re<
fous les trois derniers règnes les foupiss i
les gémificments de. tant de vîdimes , fi.
vous pouviez parler, que vos récits mribles
& (ideles démentiroient.le langage timide^
& adulateur de Thiftoirc.
Auprès de la Baftille fc trouve FArfenal ^
qui recelé le magafin à poudiv* 9 voi&aga.-
tout auffi terrible que la .demeure. .
IflL tour de Vîncennes renferme* encar^^r^
des ptifonniérs d^étât , qui pafoiflcnt devoir;
y finir Içurs trifies jours. Qui a pu calculer
au jufte les lettres de cachet délivrées fousi.
lès trois derniers règnes.
On a une hiftoire de la Baftille en cîrK|^
vcJgmes , qui oft're quelques anecdotes par--
ticulieres & bizarres ; mais rien de ce qu'on
jbubaiteroit tant d'apprendre , rien , en ml
mot^ qui puîffê porter quelque jour fur cer-
taiîQS fecrets d'état , couverts d'un voile im-
pénétrable. Si Ton en croit Thiftorien , on
1> E PARIS. ilf
nierquand elle ne lé tue pas , il avoît fup-^
porté Tennui 5c les horreurs de là. captivité-
avec une conftanee mâle & ôburageufe. Ses*
cheveux blancs & rares aboient- acquis pteC
Œie. la rigidité du fer ,* & fon corps plongé*
h long-temps dans un cercueil de pierre , en-
avoît contradé , pour aînfi :dii:e , la fermeté-
compaâte.^
La porte baflè de fon tonAeau tourne-
fur fcs gonds effirayants , s'ouvre , non à-de-
mi y comme de coutume, & une voix în-^
connue lui dit qu'il peut foi tir. r
Il croit que c'eft un rêve : il héfife, il fe
levé , s'achemine d'un pas tremblant , &
sJétohne de l'efpace qu'it parcourt. L'efcalier
de la prifon , la falle , la cour-, tout lui pa^
roît vafte, immenfe, prefque fans bornes.
Il s'arrête comme'égaré & perdu ; fei yeu*
ont peine à\ fupporter la clarté ' du - grand
Jour ^ il regarde le ciel comme un ©bjetnou**
veau; (on œil eô fixe: il ne peut pas pleu-
rer : ftupefeit de pouvoir changer de pkce ,
fes janu)es ^ malgré bî , demeurent auffi im-
mobiles que 'fa langue. Il franchit, enfin lé
redoutable gatchet/ V
Quand il fé fentit rèufef cfens^ hi voiture
qui devoit le ramener à fon ancienne habî-'
tation , ii poudà des cris inarticulés; il ne.
put -en iiipporter le mouvement extraordî-^
naire , il fallut le faire defcendre.
Ccadiût-par -ua bras cbaritabl» ^ 'û dcb-4
ii6 Tableau
que le plus beau difcôuts- ôii l'on prôuveroît
qu'ils ont droit ^ une vfe aîfée. On y met-
toit autrefois les écrivains pour bien peu de
chofe ^ on a reconnu que l'auteur ^ le livre
& fes opinions en acquéroient plus de célé-
brité ; on a laîflë l'opinion de la veille s'ef-
facer par celle du lendemain ; & Ton a com-
pris que , lorfqu'on avoit la force phyfique ,
il falloitpeu s'inquiéter des idées politiques &
morales , verlatiles & changeantes par leur
nature.
Là gémît ou ne gémit plus k célèbre
Linguet. Quel eft fon délit ? On l'ignore.
Vtffct en efl ëffrtux , la caufi efl inconnue»
Voltaire.
CHAPITRE CCLXXXIIL
Anecdote.
jriu l'avènement de Louis XVI au trône ,
desminiftres nouveaux & humains firent un
aâe de juftice & de clémence, en revifant
les regiftres de la Baftillc , & en élargiflànt
beaucoup de prifonniers.
Dans leur nombre étoît un vieillard qui
depuis quarante- fept années gémiflbit, dé-
tenu entre quatre épaifTes & froides murail-
les. Durci par l'adverfité , qui fortifie Thom-
t..
rr E P A RIS. iij
nierquand elle ne lé tue pas , il avoît fup-^
porté Tennui §c les horreurs de là. captivité-
avec une conftanee mâle & ôburageufe. Ses-
cheveux blancs & rares ayoîent- acquis ptcC
Que. la rigidité du fer ,■ & fon • corps plongé-
fi bng.temps dans un cercueil de pierre , en-
avoît contraâé , pour ainfi dire , la fermeté-
compafte.^ , ,
La porte baflè de fon tonAeau tourne-
fur fes gonds effirayants , s'ouvre , non à-de-
mi y comme de coutume, & une voix in-^
connue lui dit qu'il peut foi tir. t
Il croit que -c-eft un rêve : il héfife," il fc
levé , s'achenoihe d'un pas tremblant , &
sJétoîine de Tefpace qu'ît parcourt. L'efcalier
de la prifon , la falle y la cour-, tout lui pa^
roît vafte, immenfe, prefque fans bornes.
Il s'arrête comme^égaré & perdu ; fei yeu*
ont peine a\ fupporter la darté ' du grand
jour^ il regarde le ciel comme un objet xiou**
veau; (on œil eô-fixe: il ne peut pas pleu-
rer : (hipefeit dé pouvoir changer de pkce ,
fes jambes vmalgré Ici , demeurent auffi im-
mobiles que -fa langue.: Il iraiïthit. enfin \è
red<>utable gaîchet.- -^^^ .
Quand il fe fentît rèulef dâtns^ fa voiture
qui devoît le ramener à fon ancienne habî-*
tation , il pouflâ des. cris inarticulés; il ne;
put -en iiipporter le mouvement extraordî-2
naire , il fallut le faire defcendfe.
Qmduit-par -ua bras cbantabl» ^ ë dcb-i
1& G..
9xi T. A 1 L E A ir
Viande la rue oii il logeoir ; il arrnre; &>.
xnaifon n'y eft plus , un édifice public ht ■■.
xemplace. Il ne rcconnoit ni le quartier , ni
la ville 9 ni les objets qu'il y avoit vus aune*
fois. Les demeures de Tes* voilkis ; emprein-
tes dans (à . mémoire, ont pris de nouvel-
les formes. En vain fes regards intecroee*
rent toutes les figures , il n en vit pas une.
icule dont il eût le moindre (buveiiir.
Effrayé , il s'arrête , & pouffe un pro-
fond foupir : cette ville a beau être- peuplée,
d'êtres vivants , c'eft pour lui un peuple mort v ,
aucun ne le connoit, il n'e<i connoii aucun ^^
il pleure , & regrette fon cachoh
Au nom de la Ballille qu^il invoque 8c
qu'il réclame comme un afyle , à la vue de
fes habillements qui atteftent «n autre fie-
€le 9 on Tenvit-onne. La curiofîté , la pitié
^empreflcnt autour de lui : les plus vieux l'in-
terrogent, & n'ont auaine idée des faits
qu'il rappelle. On lui amené par b^&rd ur>
vieux domeftique , ancien portier , trem-
blant fur fes genoux, qui, confiné dans fa .^
loge depuis quinze ans , n'iavbit plus que bt
force fufBfante pour tirer le cordon , de la
porte. Il ne reconnoît pas le maître qu'il a
fervî ; mais il lui apprend que fa femme eft
marte , il y a trente ans , àt chagrin 8ç de
mîfere ; que fes enfants font allés dans des
climats inconnus ; que tous fes amis ne font
pluSi II fait ce xé^ï% cruel avec cette îudiC-
férence que, l'oïi témoigne pour les Jévéue--
me»t paues & pr efque eSzcés.
Le malheureux gémît y & gémît feiiL.
Cette foule nombreufè , qui ne lui of&e qite.
desvifàges étrangeis , lui fait fentir l'excès
de Ùl miifere plus que la. fblitude efiroyable
dans laquelle il yivoît. .
Accablé de douleur, il va trouver' le mîr
luftre , dont la conipaflion généreufe lui fit
préfènt d'une liberté qui lui pefè. Il s'incli-
ne , & dit : faites- moi reconduire dans la
prifon d*où vous m'avez retiré. Qui peut
fervivre à fes parents, k fes amis, aune gé-
nération entière ? qui peut apprendre le tré-
pas univerfel des fiens fans defirer le tom-
beau ? Toutes ces morts , qui pour les autres
hommes n'arrivent qu^eh détail & par gra-
dation , m'ont ftappé dans un même mt-
tant. Séparé de la focîété , je vivois avec
moi-même. Ici , je ne puis vivre ni avec
moi , ni avec les hommes nouveaux , pour
qui. mon défefpoîr n'eft qu*uh rêve. Ce n*ell
pas mourir qui eft terrible , c^ell mourir le
dernier.
Le miniftre s'attendrit. On attacha à cet
infortuné le vieux portier qui pouvait lui par-
ler encore de fa femme & de fes enfants. Il
rfeut d'autre confolatioii que de s'en entre-
tenir. Il ne voulut point communiquer avec
la race nouvelle qu'il n'avoit pas vu naître :
il & fit au niiliçu de h ville une elpece de
X3P T A B L E A ir
retraite non moins fbliuire <fie-le cacHot^
qu il avoit habité près d'un demi-fiecle ; Sc-
ie chagrin de ne rencontrer petfonne qui
pût lui dire , nous nous fommcs vus jadis ^
ne tarda point k. terminer fes jouis...
CHAPITRE GCLXXXiy.
Maijbns de foret. -
Xndëpendamment du château de la Baflille-^
& du château de Vincennes , afFeâés aux^
prifonniers d'ctat , les miniftres avec des let-^.
très, de cachet , ou par des formules particu-;
lieres , vous envoient à Bicêtre & \ Charen--
ton.. Ce dernier endroit eft pour les infen-
fés & pour les maniaques. Mais fous ce nom-
font encore quelques prifonniers d'état \ ce-
font des religieux de la Charité qui- font les-
geôliers de ces prifons.
Sur les plaintes d'une famille , les jeunes-
libertins frfnt enfermés à Saint-Lazare. Les-
femmes ( cardon les enferme aufli ) font con-
duites aux filles de la Madeleine, à Saintes-
Pélagie & kla Salpétriere.
Ces différents emprifonnements font né-
ceflitcs quelquefois par des circonftances im-r
périeufes ; mais il feroit toujours à defirer que
la détention d'un citoyen ne dépendit pa&^
DE P A ïl I S. 23!
tf un feul magiflfat , & quMl y eût une forte
de trH>unal pour examiner quand ce grand
aâe d'autcHÎté , fouflrait à l'œil des loix ,
ceflè d'être ilUcite,
Quelques avantages réels compenfent ce»
formes irrégulieres , & il y a en effet une
infinité de défordres que la marche lente &
grave de nos tribunaux ne fâuroit ni connoî-
tre , ni arrêter , ni prévoir , ni punir. Le cri-
minel audacieux ou fubtil triompheroit dans
le dédale tortueux de nos loix civiles. Les
loix de police plus direâes le furveîllent , le
preflènt , & l'environnent dç plus près. L'a-
bus eft à côté du bienfeit , j'en conviens ;
naaîs beaucoup de violences particulières &
de délits bas & honteux font réprimés par
cette force vigilante & adive qui devroit
néanmoins publier fon code , & le foumet-
tre à rinfpedion des citoyens éclairés.
Les infpedeurs de police , hommes nou-
veaux dans notre législation , font beaucoup
écoutés du lieutenant de police^ (ùr-tout dans
les cas particuliers & obfcurs. Mais leurs rap-
ports peuvent être fautifs , exagérés , paflîon-
nés. La première impreflion demeure dans
Tefprit du magîftrat qui , vu (es occup'ations
trop étendues , ne fauroit donner à chaque
objet qu'un coup-d'œil rapide.
Les infpedeurs de police , qui occafion-
ncnt un grai d nombre de détentions ( car
ils y font intéiefles ) ne devroient être qu'//?-
132 . T A B L EAU •
veftlgatcurs'à^ délits 8ê captatturs : mais^ .
faute d'une procédure exaâe , ils- deviennent ':
^uges pour ainfi dire,.pui{que c'eft (îir leur
iîmple dépofition que Foii établit la preuve *
& la punition du délit. Or, comme cesinf* -
pcâeurs frappent le plus fouventfiirla por^ -
tien du peuple qui n'a ni voix, ni dé&n(è ,
ni' réclamation , & qu'ils font intéreffâ à \
trouver des coupables , il eft aifé d'imaginer
ce. que l'erreur & le zèle : même ; fans parler ' •
des autres pallions , peuvent produire d'at- ^
tentatoiré à la rigide équité. LTiùmieur & U i
pisécipitation ont leur danger. .
Les évéques dans les provinces ,- il y a
trente ans , faifoîent encore enlever les filles s
de proteftants par lettres de cachet, pour
les confiner dans un couvent , & là les dé-,
tacher de la communion de leurs pères. Cette .
violence a toujours été fort rare dans la. ca-,-
pitale.
C H API T R E CCLXXXV./
Dépôts ou RenfcrmcrUs.
x rifons de nouvelle înftitution , imaginées .
Î)our débarraflèr promptément les rues &. :
es chemins de mendiants ,• afin que l'on ne ?
voie plus la miferc fuppliante àcûté dikfaft^ ^i*
in^lent^
DE P A K I S, 233
Ot\ les plooge avec la demîeré inhuma-
nité dans des demeures fétides Ôc tënëbreuiès ,
où on les laiflfe livrés k eux-mêmes. L'inac-
tion , la mauvaîfe nourriture , Tabandon où '
ils (ont > l'entaflement des compagnons de
leur mifere ne tardent pas à les &ire difpa^^
loître l'un après l'autre.
Ces dépôts ( de quelque prétexte que Fou
veuille les colorer) onenfcntàJa fois l'é--
quité naturelle , lès loix civiles , la faine po-^^
Htique , la religion & l'humanité. Il faut que
Ton foit bien peu fécond en reilburces &^
en moyens, pouç dévouer kune mort lentè»-
tant d'infortunés , au lieu de favoir les em-?
ployer^ après leur avoir ôté leur liberté... Au-^
cun pouvoir iiuriiain n'a le droit d'enfermer
un mendiant, s'il ne lui offire (ur. le champ
un genre d'tKraipation qui exerce (es bras ^;
fans l'atterrer.
Ces opreflSons condamnables & qui n^ad-^
mettent aucune exajfe , contriftent l'ame la
moins fenfible , & Ton pourroit- rapporteriez
des faits capables d'affliger les coeurs les plus
indifférents : mais il nous fufSt d'avoir dé-
noncé ces horreurs trop bien conftatées aux -
bbmmes équitables & puidànts. Il eft même
ihipodible qu'elles ne prennent pas^ fin fous
un gouvernement fort diftrait , il eft vrai ,
mais d'ailleurs doux 8t humain. Il fentifa
qu'on ne doit pas traiter ainfi les pauvres qui
ji'ônt conunis aucun crime ; . & tjue ce n'e-
x."}^ Tableau^"
toit pas la peine de les ravit à une oifîveté
volontaire ou forcée , pour leur impofer cette
même oiGveté devenue un Supplice, & le
défçfpoir & la niort quis'en&ivent.
Quand.un miniftre &it airréter un homme
avec une lettre de cachet ou par tm ordre
verbal , & que pour des raifons à hû con-
nues il ne le f^t pas conduire à la BaftiQé ,
oa l'enferme aa Châtelet ; & là , Phottime-
vidime refte en dépôt. Ceft une exprefEpn
toute nouvelle , qui s'applique à^ une- vexa-
tion aufli nouveUe. Il faut ^en- apprendre; •
aux étrangers toute la richeflë de notre lan-
gue. Ainli le mot dépôt a plufîeurs (ignifica-*- .
tions : c. q. £ d.
Une lettre, de cachet enlevé , tranfpoite
un homme dans un cachot , & Py h]ff&
p^ourrir It refte de fes jours ; mais cette me- .
me lettre de cachet eft impuiflànte k faife- •
(es. biens & à l'en priver.. Les biens de Pem-
prifonné reviendront à fes héritiers naturels î^ ,
ainfî l'argent parmi nous eft baucoup plus* .
ûcré que la liberté perfonnell^.
e
DE Paris. 23^5
CHAPITRE CCLXXXVL
Vie éCun Homme en place^
Unmînîftre fe lere,fon antichambre eft
déjà pleine de gens qui l'attendent : il paroît;
des milliers de placets paflènt dans les mains
embarraflees de Tes deux fecrétaires, qui ,
froids & immobiles , rcprcfentent à fes côtés.
Il fort V des foUiciteurs fe trouvent fur fon
paflage, & le pourfuîvent jufqu'àfa voiture.
Il dîne ; des recommandations à droite & à
gauche l'inveftiflènt pendant le repas, & des ^
femmes lui parlent à l'oreille pendant le
deflert. Il rentre dan^ fon cabinet ^ il voit,
fur fon bureau cent lettres qu'il faut lire ;
des audiences particulières le tyrannifent
encore^
Comment exifte-t-il , dirait-on ? Com-
ment > Il eft diftrait pendant qu'on lui parle,
& il oublie tout ce qu^on lui dît \ il laiflè à
des commis le foin de répondre à tout le
monde & d'expédier fon immenfe befogne ;.
il figne les lettres , voilà à peu près toutes fes
fondions. Mais il fe réferve qwelqulntrigue
de cour, qu'il ourdit avec adrcflè, qu'il fuît
avec conftance , & dont il prépare le dé-
nouement Il fonge toute £à vie,. non au de*
voir de fa place , mais à refter en çUc^% '
x^6 Tableau
Les gens en place font d'un férîeux h gla-
cer. Leur converfktîon eft Ja féchereffê mê-
me : ils ne s'expriment que par monofylla-
bes \ mais toute cette démonftration exté-
rieure eft pour le public : en particulier , .
comme ils n*ont plus la crainte die (è com-
promettre , ils abjurent une morgue qui *
Quiroit à leurs plaiurs , & Ton voit l'homme
qui pour un inftant n'eâ plus dupe de (à •
vanité.
Le valet-de-chambre d'un homme en pla-
ce jouit quelquefois de quarante mille livres
de rentes V il a lui-mêmeun valet-de-cham- -
bre , lequel en a un autre fous fes ordres. Ceft .
le (ùbalteme qui nettoie PKabit ^ qui apprête,^
la perruque artifce de monfeîgneur ; le valet v
en chef la reçoit de la quatrième main , 8c ^
ne fait que la pofer fur la tête miriiftérîelle ,
où répofent les grandes deftinëes de Fétat. .
Aprcs^ette fonftion augufte , c'eft k (on tour'
de fe faire habiller par fes gens ; il les ap- .
peUeà haute voix, il les gronde; il reçoit
fon monde , protège & commande qu'on
mette les chevaux k fa voiture. Le valet-de-
chambre du valet-de-chambre n'a pas tout-
à^fait un équipage^ mais il eft très-bien fervî. .
Tandis que le fervî teur du roi va repré-
fchter utilement à Verfailles , le fervîteur de
monfeigneur r^réfénte à Paris , & promet .
des grâces à ceux qu'il rencontre , comme j
â^trouvanUui à ia principale. iburce* .
DE P A R I S. 2.37
Monfeîgneur eft tout puiflànt à onze heu-
*ses du matin ^ il donne audience , & fon fal-
lon eft rempli. D'un. coup- d'œil il diftribue
t la faveur. Heureux ceux qu'il a regardés !
Leur cœur bondit d'efpérance & de joie.
L'homme puiflànt invite Ces créatures à fa\/
table ; elles fe profternent , & leur vifage
devient rouge de plaifir & de contente-
ment. A une heure entre quelqu'un qui vient
trouver monfeigneur , le fait paflcr dans fon'
cabinet & lui redemande Ye porte-^fciiiUc.
Monfeigneur n'ett plus rien. Il fait mettre
à voix baflc deux chevaux à fa plus humble
voiture , quitte Verfailles fans revoir le vi-
fage du maître qui le chaflè , & va dîner feul /
^ Paris avec fon chagrin , & loin de la cohue
brillante qui lui prodiguoit les révérences
& les adulations. Cette foule qui apprend la
4iouvelle , fe difperfe pour aller dîner ailleurs, /
& i:hacun dît à part foi i dtmain j'irai voir
'le Jîicceffiur & It féliciter.
Comment cette portion de royauté que
Thomme puiflànt tenoît entre fes mains lui
échappe- t-elte tout k-coup ? Cela a Pair d'un
fonge , d'un ade de féerie. Les hommes en
place ne font-ils que des pantins , amfi que
l'a dît Diderot? Coupez le fil qui le faitoit
mouvoir , le pantin refte immiroile.
Et que fait le pantin réduit a lui-même t
Il cherche k culbuter à fon tour celui qui
I!a fait choir ^ il compofe de nouveaux rêves
43^ Tableau
de grandeur; 41 ne peut fe réfoudrê à n*étre
I)lus rien ; il abhorre la tranquillité & le
oi£r dont il jouit : ce qui prouve qu'il y
a une volupté exquife à régir la fouie des
humains ^ à leur infpirer tour-à-tour la crainte
& refpérance , & à recevoir , en qualité
d'homme puiflànt , leurs louanges intéreflëes ,
leurs refpeâs Cmulés Se leurs courbettes
menfongeres.
Quelle vie , par exemple , que celle d'un lieu-
tenant de police ! Il n'a pas un inftantk lui ; il
eft obligé tous les jours de punir ; il tremble
de (e livrer à l'indulgence , parce qu'il ne fait
pas s'il ne fe la reprochera point un jour. Il a
befoin d'être fëvere , & d'aller contre le pen-
chant de Ton coeur ; il ne fè commet pas un
crime dont il ne reçoive l'image honteufè ou
cruelle. On ne lui parle que d'hommes vi-
cieux 8c de vices ; à chaque inftant on vient
lui dire, voilà un meurtre, un Jiiicide , unt
violence ! Il n'arrive pas un accident ^ qu'il
ne lui faille ordonner le remède , & préci-
^pîtamment ; il n a qu'un inftant pour délî-
bérer & agir , & il faut qu'il craigne éga-
lement , & d abufer du pouvoir qui lui eft
confié , & de n'sn pas ufer à propos. Les
rumeurs populaires , les propos extravagants ^
les faâions théâtrales , les faullès aknnes.i
tout le regarde.
Repofe-t-il ? un incendie le tire bru{que«'
ment de. fon lit. IsTy a-t-il pas d'iiicendicb^
9 £ Paris. ^^^
fdes jeunes gens de qualité font tapage la
jiuit , infirment le jjrononcé du coninuïlàire
du quartier. On réveille le magiflrat pour
juger ces étourdis. La cour, la ville, Ja pro-
vince lui font des interrogations multipliées :
il faut qu'il réponde a tout a il fiiut yqu'il
fuive k la pifte le brigand , radà/Iin obfcur
x\\xi a commis un crime ; car le magiftrat pa*
roic blâmable, s'il n'apas fu le livrer de bonne
heure à la juftice ; on calculera le temps
que fes prépofes auront mis à ceitei capture;
oc fon honneur exige que l'intervalle entre le
délit & i'emprifonnement foit le plus court
polFible. Quelles fondions redoutables 1
Quelle vie pénible ! Et cette place eft con-
voitée !
On ne s'intrigue aujourd'hui , difbit Du*
clos , que pour l'argent : les vrais ambitieux
deviennent rares. On cherche des places
où l'on ne fe flatte pas même de fe main-*
tenir ^ mais l'opulence qu'elles auront pro-
curée , confolera de la difgrace. Nos aïeux
afpiroient k la gloire toute nue : ce n'étoh
pas f fi Ton veut, le fiecle des lumières 4
mais c'étoit cebi de Fhonneur.
Un cotutifan de nos jours difoit : il faut
tenir le pot^e-chambre aux miniftres tant
qu'ils font en place , Ù le leur verfir Jiir la
tête quand ils n'y font plus. Or , les cour<^
dlàns aeiflènt comme i^ parlent.
%'}& Tableau
de grandeur; 41 ne peut fe >réfoudrë à n*étre
I)lus rien ; il abhorre la tranquillité & le
oiGr dont il jouit : ce qui prouve qu'il y
a une volupté exquife à régir la foule des
humains , à leur infpirer tour-a-tour la crainte
& refpérance , Se à recevoir , en qualité
d'homme puiflànt, leurs louanges intérefliees ,
leurs refpeâs Cmulés &: leurs courbettes
menfongeres.
Quelle vie , par exemple , que celle d^un lieu*
tenant de police ! Il n'a pas un inftantk lui ; il
ed obligé tous les jours de punir ; il tremble
,de (e livrer à l'indulgence , parce qu'il ne fait
pas s'il ne fe la reprochera point un jour. Il a
befoin d'être (evere , & d'aller contre le pen-
xhant de fon coeur ; il ne fè commet pas un
crime dont il ne reçoive l'image honteufè ou
cruelle. On ne lui parle que d'hommes vi-
cieux 8c de vices ; à chaque inftant on vient
lui dire, voilà un meurtre, un Jhicide , une
violence ! Il n'arrive pas un accident , qu'il
ne lui faille ordonner le remède , & préci-
;pîtamment ; il n'a qu!un inftant pour déli-
bérer & agir, & il faut qu'il .craigne éga-
lement , & d'abufer du pouvoir qui lui eft
confié 9 & de n'sn pas ufer à propos. Les
rumeurs populaires , les propos extravagants ^
les faâions théâtrales y les faullès alarmes. ^
tout le regarde.
Repofe-t-il ? un incendie le tire brufque-i'
ment de. fon lit. N'y a-t-il pas d'incen^obt
9 £ Pari s. ^^^
fdes jeunes gens de qualité font tapage la
4iuit,iinfirnient le |>rononcé du commiTlàire
du quartier. On réveille le magiflrat pour
juger ces étourdis. La cour, la ville, Ja pro-
vince lui font des interrogations multipliées:
il faut qu'il réponde à tout^ il faut yqu'il
fuive a la pifte le brigand , Tadàflin obfcur
.qui a commis un crime ; car le magtftrat pa-
roit blâmable, s'il n'apas fu le livrer de bonne
heure à la juftice; on calculera le temps
mie (es prépofes auront mis à ceitei capture;
oc fon honneur exige que l'intervalle entre le
délit & l'emprifonnement foit le plus court
polFible. Quelles fondions redoutables î
Quelle vie pénible ! Et cette place eft con-
voitée !
On ne s'intrigue aujourd'hui , difolt Du^
clos , que pour l'argent : les vrais ambitieux
deviennent rares. On cherche des places
où l'on ne fe flatte pas même de fe main-
tenir ^ mais l'opulence qu'elles auront pro-
curée , xonfolera de la difgrace. Nos aïeux
afpiroient k la gloire toute nue : ce n'étoît
pas , fi Ton veut , le fiecle des lumières 4
mais c'étoit celui de Fhonneur.
Un courtifan de nos jours dîfoit : il faut
tenir le pot-de-chambre aux minifires tant
qu^ils font en place , Ù le leur verferfitr la
tête quand ils n'y font plus. Or , les cour^
tifàns agiflent conmie ils parlent.
l^O T A B L £ A V
CHAPITRE CCLXXXVII.
Orateurs facrés.
'JLies prédicateurs jouiflènt feuk ^ Paris du
i)eau droit de parler au peuple afièmblé. Q
ièroic k defirer au'ils en fentiflent toute.Fé-
tendiie. Nourris des lumières de la philofb-
phie, quelques-uns ont expofê des vérités
fortes. Au lieu de ridiculiferbêtemâit un em-
ploi aulfi noble , ne vaudroit-il pas mieux coa-
lâcrer ce rare privilège par les devmrs qu'on
leur impoferoit ? devoirs d'hommes & de
citoyens. Voici le moment pour eux de fe
montrer tels & de mériter la vénération gé-
nérale.
Profeffêurs publics de morale , fous Féten-
4iard facrc de la religion , ils pourroient réel-
lement combattre par la parole les abus les
plus dominants , & , développant les maximes
de l'évangile , étendre julqu'k la plus grande
circonférence le précepte divin de la charité,
en attaquant de toutes parts les malverGitions
les plus criantes.
Tout crime , depuis le plus grand jufqu'au
moindre , dérive de l'avarice & de la dureté
des cœurs. Les prédicateurs pourroient fou-
mettre àieur tribunal tous les forfaits poli-
tiques
B E P A H I S.
tiques qui caufent les malheurs du peuple.
Rien ne fauroit arrêter ce cri de Tame.
La vérité nue & fimple a une force qui
terraflè; d'ailleurs jamais Fautorité n'a ofc
frapper dircdement la fainte vérité.
Sous ce point de vue, les prédicateurs,'
fans offenfer le miniftere, pourroient le (èrvir.
Qu'ils s'emparent des idées faines , univerfel-
lemènt répandues. Toutes les idées utiles à
riiumanité font dans l'évangile , qui ne re-
commande qu'amour & charité ; la philofo-
phie de nos jours eft une branche du chri&
tianifme. Quelques - uns , je le répète , ont
déjà rempli ce généreux devoir en préfence
du monarque : & quelle fublime fonéHon ,
que de porter à l'oreille du prince les gémît
fements qu'il ne peut entendre , & les pen-
fées auguftes qu'on voudroit interdire à la
royauté {
Je chéris beaucoup Péloquence de la chiiir
te ; j'ambitionnerois fortement de poûvoit
prendi:e la place de ces orateurs qui peu-
vent apporter des confolations aux cala-
mités régnantes , parler au pewple d'un ton
apoftolique & répandre h parole dîtinej
telle qu'elle eft empreinte dansTaugulte mo-
rale du livre qui li contient. G'éft en ce
moment que la dignité du facerdoce parok
dans tout fon éclat. Perfuader , convain-
cre, confoler, développer tous les tréfors
de là morale la plus (bblime , la plus prct
Tome IL L
Q^ ■ f A U L E A U
|)re \ donner .aux hommes Tamour de k
paix & de la xharité, quel lelpeâable
emploi !
Quant à. ces abbés beaux-efprits, qui cou^
xent des bénéfices , en faifant.de belles phra*
Tes pour prêcher , s'il fe peut ^imavcnt à la
xour, qui ne veulent que faire fortune , qui
E illent dans le fonds d'autrui quelques lam-
eaux, quelques tournures oratoires, & qui
ne difent rien a la foule xpii Touffire \ quant
il ces énergumenes fous le froc^ qui vomif-
fent de plates groffiérctés contre des philo-
:ibphes qu'ils ne favent ni lire , ni entendre^
ni apprécier \ <]ui ont fait divorce avec la
raifon, qui transforment le talent de la chaire
.en celui d'inventer des imputations calom-
.pieufès : je les plains de profaner un aufG
.augufte miniftere , de ne pas fentir quelle
<çft leur véritable force , & lempire qu'ils
P^inôîent prendre fur les efpfits, s'ils s'e-
^dicient à parler aux hommes fur leurs
véritables intérêts.
. On dît qu'un ex-jéfuite nommé Êeaure^
gard , qui aftèâe la véhémence , a cru attein-
dre le fubKme de fon art , en s'écriant dans
fes transports rïfibles€c frénétiques : 0/2 nous
accufid* intolérance* Ehl ne JàU-on pas que
la charité a fcs futeurs , & que le \ele a
fis vengeances ? Une autre fois il commen-
ta ainfi un difcours : ^pproches^^ acolyte^
/ine:i ks ricleaux , yoiU'}^ le fanSuaire. .*
DÉ p. A K. t S.
'fr
je vais parler des philofqphcs. . .^ Cela eft
fort plaifant.
Tel autre prédicateur prêche dans un faux-
bourg «de Bacis , ou dans unmilerable vil-
lage , un fermon qu^il a compofé contre le
luxe. Mes frères^ dît-il en apoftrophant un
auditoire déguenillé , la Jenjîialué de vos
tables ^ cei mets recherchés , ces dilicatej^
fes voluptueujes qui réveillent vosfens erv^ ,
murdis & fatigués de plaifir.*^ Et il dé^ '^
Xite cela a de pauvres malheureux qui ne
mangent le dimanche que du pain , du lard ^
des choux à Teau & au fel. '
Que (kit-îl? La répétition d*un difcours
qu'il prononcera le lendemain à Saint-Koch ,
dans le quartier opulent de la finance. Le
peuple dort au fermon , parce qu'il eft ra-
rement adapté à fon élocution & à fes çoti-
tioiûànces. M. Oulîer de Befançon ^t avoir
vu, en 1739 ^ dans Féglife Sainte-Claîre à
Stockholm, un bedeau qui portoit une longue
canne & frappoit (ùr la tête de ceux qui dor-
moient pendant la prédication. Si l'on adop**
toit cette fonâion en France , la main an
vprépofe ne ferdit pas oifive dans nos ten>-
pies , & il en faudroît plus d'un.
Lx
9 4^
JWfÔ T A B L B A U
CHAPITRE CCXXXXVIU.
^rui - anglais.
XJn rencontre dans les fociétés f|aelqaes
(^étraâeurs de la France ; mais 1^ dÀiaâeucs
des nations étrangères fc fùr-toat des Afî*
^lois aboiident , oc n'ont pas plqs de t;^on
lans dpute. Il eft très-utile qu'il y ait une
efpece de rivalité entre elles , qu'eues fe re-
crochpnt leurs fautes , leurs erreurs & leuis
iottifes ; qu'elles s'oppofent mutuellement le
progrès de leprs arts i qu'elles f^ Qirveillent
çiifin. Ceft par ce moyçp qu'elles fe met*
tront à ponéc de profitj&r de leurs découver-
tes & de mêler leurs lumières refoedives,
La France , par (a poGtion , par Tindi^flrie
Çc le caraâere de fes habitants, paroit avoir
^e grands avantages (iir l'étranger; & les
injures qu'on lui dit, font de vrais repo^
ç^es d'amants , qui voudroient la voir aufE
telle , aufli floriflànte qu'elle pourroit l'être.
Vingt millions d'habitants , cent cinquante
millions d'arpents de terre en quarré ou en-
viron : quelle puîflànte monarchie ! à qui ,
d'ailleurs , le phyfîque fournit abondamment
toutes les denrées de premier befoin & de
}u^e» Ne devroit-elle pas avoir l'avantage
DE Pari s: ^rt
fur tous les gouvernements de l'Europe ? La
nature lui a donné la fupérioritë , Se fa po-^
fition a décidé {à puidànce. Pourquoi donc
Cieniéme état .ne voit-il pas fa félicité éga-
ler fa grandeur .î P4)ucquoi la nation An-
gloîfe. a-t-dle ' cette fierté , cette énergie ^
ces rcffburces, ce courage intrépide & cal-»
me Qfii la fait réfifter à une guerre civile,
à trois grandes puilïànces unies , à fes fac-
tions particulières > Eh ! qui ne voit que fa
conftitution ^politicpie en a fait des hommes
qui figurent avec dignité , & qui ont mé-
rité par leur génie , leur fermeté , leurs lu-
mières 8ç leurs loîx ^ d enchaîner la tyran-*
nie ^ 8c de commander a l'Océan >
>•»
CHAPITRÉ CCLXXXIX.
V Académie Frangoijfi.
m
plus
à nos pinceaux ? ïsTôn : elfe. appartient (pé-
cialement au ciquet de laf jjratiJe ville.
* Richelieu' ne pôu^rôîr ifor nierun étaSliÇ-
fement, niêilie çrar'ftiïHn^, din ne tendît
au defpotîJTnié. L'inflitôtion de laéadénire efl.
v-2S>lemem une inftitution mx>narehtque. On
M-".
T A B I E A U
aa coq)s ^ an dcfant de la foiirde critkpie ^
on emploiera un filence perfide & prân»*
dite. Pbis d'annonceurs 9 plus de pÀiieur&
Il Êiut que le livre s'élève par fes propres for*
ces. Et quel livre dans Çon oriebe a été
apprécié ce qu'il vaut ? Les penuons & les
récompenfes qui vont chercher de Dcéfiarence
les académiciens placés à la umrce des
grâces , achèvent de jetter au milieu de la
fittératuie un (ùjet de plainte & de difixnrdc
Les fervices que l'académie françoife z-
rendus à la langue font foibles, pour ne pas.
dire nuls. La langue , (ans ce corps , eût fait
{àn$ dpute des progrès plus rapides & plus,
audacieux. Quoi de plus £àul que de l'avoir
fixée au milieu de tant d'arts féconds ei>
conceptions neuves? Quoi de plus ridicule
que ce ton dogmatique qu'elle prend quel*
quefois ? Tout en fe moquant de la Sor-
benne ^ ne va -t* elle pas citant de vUux^
mots & de vieilles autorites , conuue des
théologiens qui ergotent fur les bancs ?
Ce corps., compofë d'ailleurs des bons
écrivains de îa nation , mais qui eft loin de
les renfermer tous , vaut beaucoup , mais iiv^
dividuellement ; raflèmblés , ils fubiflènt la
fatale loi des corps : ils deviennent petits j
n'ont plus que de petites idées , emploient
de petits moyetxs , & font conduits par de
petits motifs^ Ce corps deviendroit utile ^
s'il fecouoit jaimis les miférables pt^ugés;
pu P A H I S. p!i^
Qf\ rîny^ftiflEènt^ & s'il ofoit adopter im
goût dianiétraltn^nt oppoTé k cebî cpi Taniv
me; c'cft-tit-di«c.,:6 au Ueu d'un toi> 8c
d'une maiiiere lo^cale, qui reâîbnible:^ lai
couleur d'iioe école de peinturé ,. il apperce^i
voit. enfin Timnienfité de l'art qui exprime-
la penfée^ s'H invitoit ^ s'il adaiettoit tous:
les tons, tous les ftyles., toutes les manières^
& qu'il (ut qu^'H rfyra poîtn de rtghs fixxt^
Êour cet art incot>iMii5:qu;i rend fujr 1^ papier/
L force à^.Qf^ i^^ ^ la. chaleur de ^nc^r
fentiments. :
Les gens de lettres formant le plus petit
nombre dans ce corps littéraire , il fe déna^r
ture , s'oppofe à }m - ny^pjs , & recueille»
male;ré lui Ces eno^iiiis dans foa propre feiru
Il n a pas eu le courage de reponcer à un^
décoration étrangère; &c le crédit , l'intri-
gue y ayant fait brèche tant de fois , le lit-^
«orateur pauvre , .fier & n^odefte ^ perdr^l^
bientôt la (ède place que la patrie lui ofFcQÎtu^.
& la plus propre à récompenfeç (es tra^aiiw
C'eft pour, on grand une jouiilânce de ^i^
que de dépoS&àev un homme de lettres qiU|
n'a pour lui que la voix publiqûie. Le boni,
Patru , qui étoit franc du collier , récita \
l'académie cet apologue , lorfqu'elle voulut^
nommer \m grand leigneur ignorant , aa
lieu d'adoiiettre un écrivàia connu : Ua any-
sien Grec avoU une lyre admirable^ à loi^^
^idU fi ifomfU une corde i au lien ttefi
^ 1
iîd^ T A B X E if 1^
ttmettrt une de bàyaip, il envoûtât une
d'argent, & la lyre n- eut plus dt harmonie^
Je crois que les gens.de lettres fètoient
beaucoup mieux s'usi^pnetioieiit le par» àm
renoncer de bonne heure à cette récom*
pen(è infidieufè. Leurs talents en auroîent;
eertainement plus de vigueur de de libené;!
Ils ne troqueroient plus follement la gloire'
^i les attend loin des muis^dela capitale y
Ikmr obtenir la lenomméë de Pai*£;^^ too*
]ours ôrageufè, 6( q» i^^s^ (Moencré que
pour bientôt mourir^ ^
Dans les académies , W g^i$ de lettres
it voient de tit>p près ; les débuts de cha-^
cun paroiflèn» davantage; fàmour- propre
fe tourtte en âigreut; lesintéréts fedivifèm^
pltii de concorde •, Phârmenîe eft détruite.
Paime la réponfe du poète Lainez. Uns
membie de Tacadéniie fra^^fe lui propo-^
(bit de &ire des démarches pour entrer dans
ce corps» Il répondit fièrement ^ Eh ! qui
vous jugeroii ?
L'académie, mue par d)es intérêts partie
culiers , ne fent pas afièz que le peuple lec-
teur furvcille, juge fès ch6fï,'& trouvé
Ijtès-ridicule h réception qui ne lui amené
pas un nom connu. Quand il faut analyfër
tm mérite qui fort des ténèbres , le public Çer
révolte , & rit aux dépens de Tobtcur réci*
pîendaire.
Quelques académiciens voudiroient re^
DE PARI S.
préfenter comme hommes de génie. Maïs le
génie elt comme la pudeur; il eft impoffî-
ble de le Jouer.
Uacadémie françmfe ne prbpofe plus pour-
fujet des prix qu elle diftribue annuellement , -
quelle eft la plus grande de toutes les ver- -
tus du roi , ainfi qu elle faifoit fous le règne
de Louis XIV. Aujourd^iui les gens de-
lettres^ quîk compofent ( nous leur devons
cette juftîce) ne le bornent pas k épurer le-
ftyle, ils fe tpgardent encore comme ap-
peliés ^ forn^er les nKJeuis de la nation , oc
'imais ifis ne $*avifèront de traiter tine a^iflî %
tche & déshonorante qiieftion..
Echappes ia râdalatibn vils n*bnr pu échap*
per de mênie it lïne cettaîrie pédanterie::
elle eft plus: fine', plus' adroite , plus ingé-*
nieufe chez les uns que 'chez les autres, iî •
faut l'avouer; mais tous croient , ou voiv-
droient faire, croire- que l'académie eft uti '
tribunal réel , qui commande au goût , &
eft fait pour le régler;. que le titre d'acadé-
micien -emporte avec fol Picfce d'un juge '
abfolrf des arts : ce ' qui n'éft pas^, vu leur*
extrême prévention pour leur propre ma-
nière ^ leur dédaiix ^Sk^é pour ^our ce qui
ne fe foumet pas au ton de leur école <» &
l'ignorance où i& font fur beaucoup à*oui^
vrages étrangers & nationaux , que leur pa-
rerfe ou leurs travaux les empêcheiit' de lire ^
te -d'examiner-. * - . • -
i;6'
%!,% T A 1 l. I A D'
CHAPITRE CCXa
«Sur le mot Goût^
V/ n théologien s'échaufi^, derîent fanatî-
91e ) & déraifonne au mot grâce ^ & tel
académicien au mot gqûtj. Le decnier vrou^
dra vous fubjuguer, tout comme le gremier
prendra le ton dogmatique , & ils ne de-*^
meureront pas inférieurs fun k Fautte ..ea
înveâives. (Comment après cela ne ^ con^
venii: que chacun a fa marotte ? Et rac^clé*
micFen fè moquera du théoloeien, quand it
a , comme celut^ct^la. prétention bizarre de
£b croire infaillible».
Comme, on démiit tout le mérite de Fac-^
don la plus excellente & la plus puce , en
jbi prêtant de vicieufes intentions , de miême
on anéantit un bel ouvrage avec une criti-?
que froide 8c mînutieufe. Ceci eil encore
fc pafl[è7temps d*un académicien, ou ja-»
Ibux, ou chagrin ,.Qu voulant trancher da
doâeur^
. , Tel académicien dît ^j^ai du goût^mic&
qult n'ofîe pas aire ^ J'ai du gpnic. Il fent
bien que tout le monde fait ce que c'èft que
îr géniie , parce qu^ eflt aiie de le recont-
lipitre \ti. voir donc ^ullne feut en impop^
, »
* JE Paris. 119
fer Ik-deflùs ^ & il fe renfermé dans le tître
Shomme de gout^ parce qu'il eft aufli diP^
ficilede le lui contefier , que peu ini|)orcacit|
de le lui acicorder» -,
Quand il a obtenu ce titre , 3 s^imaginQ
alors que fes ouvrages font pénétrés de goût z
ce qui n'eft pas ; car tel a du goût pour ap^
précier les produâions d'autrui , & p'en ft
pas pour ce qu.'il fait.- ^, 1 ; ';:
CHAPITRE CCXCL
12 Académie des Injcriptipns & IfelUs-^
Lettres^' ^ ' *. ;
L^ ■ ; ■; ■ • ;j ••^:;
k Tantiiquaîre fburit dfàn: féêÈttta^demt
qui ne s'appelle pas Homère ou Earif^idti^
Ariftote Temporte encore fur Defcartes 1^
Newton : {dus les idées font anciennes, naifui:
elles valent : le (iecle des Médias n'y a p^
encore droit de bouigeoifie»
Tel érudit ne daigne pas appereevoir k
colonnade du Louvre , pour parler d'un ^uk
temple de Cérès, dont il refiitue Fentablcr^
ment , Tarchitrave , &c. Si Ton perd ^tm
bataille , c'efl qqe Ton a oublié la force 4^
la phalange Macédonienne.
Apelle 8c Zeiixis étoient les premien^
peintres de Tunivers \ car leurs ubleaux^.k
focce 4e vétuflé^a'exiûentplus».
iJ6 T A BL B A *
Si nous faiCons quelaue chofe de paflabEéf j-,
c?éft par pure rémînifcence ries anciens
à^itnt tout dit. , tout vu , tout deviné \^
nous les répétons k. notre info ^ & par un
tffûst de la -métempfycofe ; car nouf (bmmes .
une race abâtardie , dégénérée, pour les arts ::
Vivent Us Grées.
' Notre langue ne Tant pas TITébréa; quîi
eft une langue (àcrée : rioos ne conùnence'^
rons a valoir quelque chofe qqe dans quatre *
inille ans.^ L. ^■- ^
Tous ces contempteurs dès temps moder* -
neKécriyent des in-4.fur les anciens ; t'eft-
aux anciens à les lire. Ils traduifent Jes an^
* - • •*
ciénsv& c^ anciehsJa, fôiis leur -plume y.
paroiflènt bien fots Scbien vuides. Ils met-*
tent tout Homère en rimes plates , pour en
t€ndre la leâure k jamais impoflibte , &
j)oul^radmir^rfafis doute tout feuls. D'au-
tres font de mauvaifij profe, pour nous faire
détefter notre idiome ^ & pouvoir crier plus
'haut encore : Vivent lés Grecs ! Cela eft
adroit;
Spanheim s*exta(îoît de volupté fur une •
médaille antique : il eft bon de regarder nne.
inédaille une fois , mais c*eft affez. Si c*eft
\ raîfon d'antiquité, tel rocher eft plus vieux
'^e Falphabet Phénicien , tranfniîs ou noa
tranfmîs aux Grecs, Tel homme de lettres^
eft curieux , c'eft bien fait à h\ , G cela Ta-
mufe ; nws tçl autr« ne voit pas fur une.
1> E « Fa It I K. arfi
médaille la valfond-ûM exceffiVe !ifokptét(i')v
. Lesfiin^nibjrest de c^ corps fe nonupent.
^OLàimâfini 'i, mais ee titré cft uqô très^^
fbihlc diliin^n. à^ P;am 9, ^ Yon: nt{£àip
trop potioqai : c*eft q^'iUr: faut écce&idè Taca^^
éénnc fraiiçoKe pem être un véritable aca<*-
dcmicien.
jyçk Yiènt 6e^(di9E«rence entre voifîns
qui ne font fëparés aui^Lonijat i)ue^ar,iunG
cloifoft.Ul:y a bien autant ,4? pi;éjugçs,„a|i.
tant dp prétentions. d'u;a côté, ijue de Fau-
frè: plùÊeurs. niicmores paflent; hieme dune;
chanibte pour aller dans la chambre voîG*
ne ; ils devroient. donc être rangés lur la
tnênie ligne v on fait '4c^.yèrs 62; d^^ jiprofe
d*uncôte & de l*aiitr'éi/ , .
Lé public, ou.plutot'lVpîpi9!>'x;a-n>îs en-,
tre ces^ deux corps un grand 'intervalle. IJ.
feroit facile néanmoins dôppôfer racadéniîèt
des belles - lettres à l'académie frahçoîfè-, fi"
la pi^iere v^ouloit s^niani£^| un peu ayec^
les BèlleS-Iettrés, puifqiVèlle'âî'pbftè Te n6m\
goûter de la littérature, . modexne ^ réciter
quelques vers françois, & ne point faire de
(1) Lé, facétieux Piroa a iaîr uiiê épitaplft^
Siflez plaîfante d'un de ces inVeftigateilrs du teii^'
paffê. Elle efi peu connue: -
y
, \
Cl git un antiquaire opiniâtre & hn^quê%^ "* • x)
fi tjt tfprit 6^ Ç9rps dans uni cmtlù àruffti^ ^
13^ T A 1 t r A:tr
divorce adirée le bel -eTprît^ Alors toli»^et
antiquaires paflèroient pour des- gens* de let«
très V & ^on s*atcoiitumerciit. à dire dfeuv
qu^ilsont de Fi^jçi^ylê goût pnendtx>k peut*^
^re enfiike, fie les Quarante krcictii d^K>f-
fëdës du privilège exdufif à la rëputaticm fie
à Hnimoitalité»
Que cela arrive ou non , je dnat toujours
à Facadémie françoife r -
Cette académie né veut plus, dit- on ^
oue (es membres paf&nt déformaiis à l*acâ«
demie françoilè , parce que c^efi trop de gloire
pour un fîmple mortel /.que de réinir uir (a
tête les titres ôppofé^ de JavdrU & dé Bèfef
prit : il faudra opter , fie Ton ne poiiirni plu&
lèrvîr a la fois lès deux maîtreflès jaloufes fie
rivales. Point d'accord entre Céruditian fic
&s graciât
^ I. ( â .
' CHAPITRE CCXCIT. '
I
Communautés^
\J n premier édit avoir fupprinfié , fous Ir
mjniftere de M. Turgot, tes, jurandes 8c
communautés de commerce , ces parties,
konteujès de notre gouvernement ; oc tout
iQuloit aflèz. Blétik Dix- huit mois après y, vm
X c
DE Paris. 233
fécond ëdk créa fîx corps de marchands y
& quarante -<]uatre<:oinmunautés d'arts 8c
métiers.
Les entraves bizarres ftirent fupprimées.
Une plus grande liberté eft rendue au cpni^'
merce ^ on a réuni des profeflions qui ont
de l'analogie enti^elles, & qui autrefois li^.
vrces à des procès interminables , fàtiguoient
les tribunaux de leurs débats audi coûteux que
ridicules.
La porte de Knduftrie eft ouverte à qui-
conque veut travailler ; mais il en coûte
eiKore de l'argent. Cet argent ne fe donne
plus aux communautés \ à qui fe donne-t-il \
Aux coffires royaux : tout rentre infeoGUe-*^
ment dans ce baflin unique.
Les bouquetières ^ les coëi&u(ès de cfenis^^
mes , les jardiniers ^ les maîtres de danfe ^
les favetiers y les vuidangeurs ont été dé^
clarés par le même édit , libres dans leur
profeffion, & exempts de payer. ,1/ ::
Avant cet édit on pourfmioit uôe'^lntal^
heureufe femn^^e qui;^ la v^e: de lajrfihet
d'un patroa bannal, p<Mtoit dés fleuctf fur
fbnéventaire : on écrafoit fe$ fleurs v&^ob
\x\ faifoit pa^r une amende^ On Ikififibit
à&par k rai,^jujliçc i, Àts QxA\0s ^ àtn&%
seftemelés:^ ^ en$t% l'on #icar>6éroiit lé t^
^léraire qui niettoit dei5^:p^il]otfes fhx. la
tête d^une femitie^^ &ns avoir \z pmmtXi qui
l'autorifoit k frif^ & pommader les cheveux*
2^34 Tableau
Noos fortons de l'épociae de tontes ces belles-
îoftitutions , & nous en- avons encore plu*
fietirs k peu pris de cette dignité-là : & voilà*,
founage des anciens admmiilrateuis de no*
trc grand état».
C H A P I T R E CCXCIIL
AgrimimJIts.^
JLies belles dames , dont la fantaifié com^
lïiande ces ouvrages momentanés ^ (ttfcepti«
blés de variations infinies, ignorent (ans dou^
te que les ouvriers qui façonnent les agré*
ments dont eUes omenr leurs tobes , fe
nomment agréminijîcs.
- L'ouvrier donne à la (oie toutes les for-
mes poflîbles ; c'eft de fon goût & de fon
génie que naiâènt k variété des deiEnis , la;:
Sverfîte , des ociuleurs: artiflement unie? \ Fi-*
mtJatiôn des-fleurs mtu telles.
• On admire une jolie femme , & f(»i ha-
hHleifient qui fait partie dé fon exiftence :
ihais à^ la vue des effets très - galants qui-
féfdldmt i3e< fes* irigretees, de (es pônipotis ^
de fei frangés, ic poëté chanfônnier né s'efl^^
E' 'iHâis avifé 'dè^c^ëbrér un peu le fufeau ,»
nasrette .8tflâ'maîn induftriéufe dû pau-
vre^gr^/wiiriî/?^v'touC cll^pour celle qui porte.
UM. P. A-IL I ïi. 135
là robe élégante , & rien pour l'ouvrier qui
lui a imprimé cet éclat, cette fraîcheur ^
cette légèreté aérienne.
CHAPITRE CCXCIV.:
Epinglicts^: CUHititrs^
Un Sauvage admire un clou, & il a raî-
{bn. G'efl? à Paris* que l'homme obfervatiéut
voit combien l*àftt a^ demandé de combi-
riaifons , d'expériences & de foins. Il faut
trente mains & trente outils pour la for-
mation d*une épingle V vous en aurez mille,
pour douie (bis.
Les aiguîlIiers-épîngKers. regardeht leur
prefeffion comme l'une des plus anciennes^
pqi(qu'îls fou tiennent qu^Hénoc en fut Tin*
tenteur. -
r l'aiguille eft nécfeffaîre'k.prefqtaiettous 1
métiers : pour que l'atguBle ne fprt^ni frtel
fiî^caflànte , pour qu'elle reçoive la petféâî6à
dont elle eft (ùfceptible , il faut plus de vingt
ëpétatibns , toutes également eflèhtielles oc
éxtrôiTïement délicates. Les doutiers ôtit'prî?
S. Çloud pour patrq0, & les épingl^érs SU
Sfibaftîèrt, ^àrce que çcM- Cl fut i[n^^
à coups de fledies^i' . '^ '
\
'i^6 T A 1 X k A u
CHAPITRE CCXCV.
GMc dt la PftJ^.
L, .. . .^ ^. ^ f ....
es ennemis des livres Te font des lumie-^
res, & par coofëquQntdes hooimes. Les
eiitraves dont on furcfaarge la preflè invi-
tent à les braver : il Ton jouii&U d'iificS^Ubàrté
honnête, on n'auroitpkisrqi^ours i lufioence.
Il e£L des maux politiques qite prévient la li-'
berté de la prefle , & c'efl déjà un très-grand
bienfait. La police intérieure des états a be^
foin d'être éclairée par des écrits deGntéref;
fés. Il n'y a que le phiîofophe fàtis^ut .. de
la feule eftime de fes concitoyens , qui puide
s'élever aa-deilus des nuages me forme TiiH
(érét perfonnel , & offrir les aDus d'une cou*
tume inCdieufe. Enfin k liberté de la pre(I^
ièra toujc^lrs 1^ m^fùre ,de la liberté tivîle ,
6c cVft une efpece de thermomètre, pons
connoitre d'un coup - d'oeil ce qu'i» ;peupla
a perdu ou gag;ié»
Si l'on adopte cet axiome , chaque jouE
nous perdons ^ car chaque jour la preflè eft.
plus gênée. - ' • ^ ^, ,j , ^ ^
Aw^Jes iïvresTque Pon imprime aiiM0|Hf>^
d^hui k rarîs font- ils pitoyâibles^ lor{^'iI&
roulent fur lliiftoîre , fur la politique , oa
fiir la morale des nations,.
\
fil P A B. I 5. 137
• LaHIèz: penfer & parler ; le pubUc jugera y
Vl faura même corriger les auteurs. Le plus
{ur moyen* pour épurer Imprimerie y c'efl
4e la rendre iibre : Fobftacle irrire ; ce font
les probibitioxis , les difficultés , qui enfan-^
tent les brochures dont on fe plaint.
Si le deQ>otirme pouvoit tuer la penfée
dans fon Ëmâuaice , & nous empêcher de
faire voler le trait de iios idées dans l'ame
de 1:10s femblableS), il le feroit. Mais ne
Cmvant tout-à*fait arracher la langue au phi-«
fophe & lui couper les mains , ilétablit l'in^
quintion fur les routes , pe^ple les frontières
de commis , répand les fat^llities y ouvre tou^
tes les cai0ès ^ pour intercepter la progreflion
infaillible de la morale Ôc de la vérité : vain
& puérile effort ! attentat fuperflu au droit
naturel de la fpciété générale & aux droits
patriotiques d'une fociété p^culiere ! La
laifon de jour «n jour ; frappe les nations
d'un plus grand éclat ; elle luira fans nuages^:
On a beau craindre ou perfëcuter le génie ^
lien n'éteindra dans fes mains le flambeau
de la vérité ; l'arrêt que (à bouche prononce
ièra répété d^ns toute la pofiérité contre
l'homme in jufie. U a ^oulu ravir k fes kn^
l^lables y plus noble de tous les droits , celai
de pen&r , inféparabte de xàui d!étre r il
aura manifeflé la foibleflè & fon extrava*-
gance , & il méritera le double ceprQche de
tycaniûe & d'inipuiflànce^
138 T A B LE A V
O braves Anglois ! peuple gëuéreox y ècrach
ger à notre f^vitude iionteufe , confervez
avec (bit! parmi vous lâ liberté de la* preflè;
elle efi le gage de roue liberté. Vous reprë-
fentez aujourd'hui pre(^ feuk pour le genre
buniain^; vous foutenez la dignité da nom
d'honinie. Les foudres qui frappent Tcirgueil
& Pinfolence du pouvoir arbitraire 9 partent
du noble (ein de votre kle foitunéc La rai-
fon humaine a trouvé dhez vous utiafyle
d'où el|e peut inftruire f univers.
Quand les opprefliurs croiront tmpofer
Glence k la terre , & la dévorer iàns <pfdle
<^e gémir , leurs perfides projets feront éclai-
les dans toutes leârs profondeurs , leurs fronts
feront <:icatri(& des foudres (acres de la vé-
rité : f opprobre les (àifira pour les vouer
au mépris & à l-exécration oe la race pré*
lente oc future.
O btaves Anglois ! vos Kvres ne font pas
ibumis au mandat de M. Le Camus dé Né^
ville ; 6t il &udroit un long conmientaire
pour vous expliquer de quelle manière mon-
feigneur le garde des fceaux , ou mofifèi-
Î^neur le chancelier de France , quand il a
es fceaux , ou monfeîgneur le vice-^ance^
lier , permet ^fin k une mîhce brochure
qu'on ne lira pas , d'être étalée & invendue
lùr le quai de Gêvres.
Nous fommes fi ridicules 8c fi petits de-
vant vous , que vous auriez pD&ine à com«
© E P A K I S. I.3J
prendre Fexcès de notre foibleflè & de no-
itre humiliation (i).
Au refte , cette gène fait un 4ort conGdé*
rable à laxapitale , & l'étranger en profite.
La graphomanic a un côté ridicule , mais
-elle fait fubGfter diverfes profefHons. La moiï-
tagne* Sainte- Geneviève eft peuplée de col-
porteurs 9 de bracheurs 9 de relieurs , &c.
qui monrroient de faim Fans le gros com-
jmerce de la librairie* Ce trafic n'a rien de
préjudiciable à la fociété. Les anciens écri-
vains autant que nous , & avoient la même
démangeaifon de publier leurs^crits. Ceft
•un befbin que nous (àtisferons toujours en
donnant notre argent aux predès hollandoi-
fes , alfemandes , flamandes de genevoifes.
• CHAPITRE CCXCVL
La petite Pojlc
Oon auteur , Chamouflet, avoit conçu deux
cents projets de difërentes efpeces , tous rela^
tits au bien public : celui/* là feu! a pu étro
isxécuté , mais très-tatd ;car les hommes en
I 1 É
(i) Il y eut jadis un édlc du roi qui défen-
doit au profeffeur Ramus de lire fes propres mi^
vtagesm
-■)
i^o Tableau
place covobwtnt toutes les noureautés , 8c
ne cèdent au bien public que loHqu on les
y force , ou par une entière convi^on , ou
par une forte de violence. Le premier mot
d'un miniflre eft toujours , je diftnds , jà-
mais j'accorde
Cette polie roule du matin au (bir , por--
tant lettres & paquets. Comme Paris eft un
monde , on auroit plutôt Î2ât Ibwrent de iè
tranfporter à uente lieues, que de déterrer
un homme dans tel quartier : on kn écrit ;
les billets économifent le temps , rempla-
cent les vifîtes , & font qu'on ne fe d^uace
pas pour des riens.
C'etoient autrefois en Italie les vendeurs
de poulets qui portoient les billets dtfux aux
fenmies ; ils gliflbient le billet fous Faile du
plus gros , & la dame avertie né manquoit
\J pas de le prendre. Ce manège ayant été dé-
couvert , le premier meflàger d'amour cpiî
fut pris 9 fut puni par \tflrapadt , avec des
poulets vivants attachés aux pieds. Depuis
ce temps , poidct eft fy nonyme à biUu doux.
Les commis ambulants de la petite pofte en
portent & rapportent fans ceuè ; mais une
cîre fragile oc re^âée rient fous le voile
ces fecrets amoureux ; le mari pradent n'ou«
rre jamais les billets adreiSs à (a femme.
Les amis s'avertiflènt pour les jours qu'ils
veulent paflcr enfemble ; le commerce de la
rie s'embellit de cette facilité. Mais on écrit
pOuiS
^'x
B ï F A £. 4: S. l6%
-pour fes af&ires bu pour fès plaifirs , pai^cc
4}ue cefèroit une grande imprudence d'écrire
autrement^ le tout étant entre les mains do
la police , qui v^utXavoir jufqu'aux chofes inr*
^ffîrentes.
L'inconvénient eft , cjue les anonymes'
•<]uî vous écrivent des injures , font plus k
Jeur aife. Mais toute lettre aaonyme eit d'un
Jâche, & dès-lors jiiéprî&ble. Cet abus ne
Xauroit contrebalancer l'iitilité générale.
Les gens en place ou célèbres reçoîveni»
•une foule de lettres oifeufes ; cette afiluenco
ne peut manquer de les diftraire, & à br
longue de les fatiguer. Le fardeau d'une
vafte corseipondance eft un malheur attacfa^
^ la renommée ; on perd des heuires p|:écieM^--
Tes k répondre k des futilités^ -&. k traçiec
fur le papier des icompliments ftérilesou de;
-chofes extrêmement vagues.
On ne doit qu'a Tes mtimes amis le tar-
•bleau de (es véritables idées : on eft obligé
'4e diflimiiler ^vec les autres ^ parce qu'ils
Tont toujours prêts k montcer vos lettres , k
les faire circuler^ &iiiâme k les imp^oieç.
Il faut être trè^rconTpeâ avec la multitude^
^tar combien de gens vous tendent de^ pie^
^es fous FappareBCç 4it| zèle , & ne (btit^u^
Raffut des ^diaàe^ qu!i|; peuvent (aifir., ^oi\^>:^.w
^Mil5 d'avoir pu ixompef ou votre cocdSancç^"^
ou votre çréwîté !
On a [publié une miace brochure^ îotitu^
Tx>m IL M
< i66 T A B L E A u
^ \ée .^ la peritC'Pofte dévàUféc. Ces letttesiônt
fiâives \ mais s'il étoit permis de lever pat
' fimple curiofité les cachets ^ & de parcou-
rir coûte la correfpondance d'un lèul jour^
• Dieu ! que de chofes curieufes & intér^^
^ tes k lire ! La certitude que ces lettres n'ont
' été écrites que pour une feule perfonne ^ que
Tame s'eft épanchée eti liberté , fonneroic des
contraftes finguliers & une leâure unique ;
jamais l'imagination d'un auteur ne procniin
rien qui en approche ; la détreflè , 1 infortu-
.' ne , la mifere , Famour , la jalouCe , l'or-
^ gueil donneroient des tableaux variés , pi«
Suants ; & comme on ne pourroit douter
e la réalité , Fintérêt deviendroit plus yif.
Quel plàifîr de voir k nu le Ayle de f hom-
me d'af&ires , du marquis , de la coiirrîfan-
ne , de la jeune fille amoureufe , de Thabitûé
; de paroîflè , de l'emprunteur , du tartuâ^ dans
toutes les claflès ! Que ne doimêroit-on pas
pour les lettres originales d'un Defnies , pour
tenir tel tîUet de tel homme célèbre , dans
telle circonftancè de fa vie ! Les gens de
lettres en trouveroient de très4>îen écrites ;.
les pbilofophes feroient de nouvelles décou-
vertesfur le cœur huriiam , & les gramai-
riens yerroîent que, fur cent lettréis ,' qdlatre^
vingt n'ont pas Fombre d'^^rthograpfae ; niak
qrfen général , celles qui pèchent par c6 dé-
&ut , ont plus d'efprit & de naturel que tes
autres : ai^ font^cUes icriteç pour lï plupart
D E p A ». I s: 167
})ar des feranies. Et parmi les hommes ,
pour ne pa^ dirô parmi les autetits^ ceux qui
igQoreixt ceitain^- règles gramimaticales ^
$ eiçp9met)t ayac plus.de grâce , de liberté
& de force. Or ^ rëfléçhiflèz donc 1^-deiIùs 9
froidi V P^^^"^ '^ v^xàéth écrivains^ qui
(avez ou ue favez pas ^la grammaire.
Uîmpreflîon fidelle de toutes ces lettres
fetoit^ un monument. bien curieux; mais il
îi*eft pas licite de le defirer , car rien a'au*
torîl^ àiJçfer de cette maùiere la . confiarice
publique.
... Cettç pedte-poftç a été. réunie à la gran-
de , parce qu'il eil dit qiie tous les établidè*^
mehts en France appartiendront fùcceffivc^
ment à 4es régies ou à dssf£rmiers ixclujîlfs^
CHAPITRE CCXCVII.
.':: :. Débiteurs*
V|^u'il-^ doux , qu'il «ftyîgréable de payjwr
..^ivfesf.créancîers jjjn dit J^ittjetpn , auteilt
Anglois.
rjl paroi^.(|uf>.la:^%isfaâJon que donne le
pfijgmenr'rdç ^^ij^^ttes^rt^^^ moins no9
)ffif^if^*lgff^^i japiâis ils net prennent de
igpfi^ fi^r J^>çh4çitFe de leurs oUigar ^ons 4
^r&â fçiQi un;&]et de pïaifante^ie v ils difenfi
i68 T A B 1 £ A :xr
très * férieufement k but homme d'afiaîies
xes mots iie là comédie : Dites à mes créan^
ciers que je -m'exécute incejpimmétit , -•que
je me marie ^Ù qiuJiUs Me f/tc^tàHt]^ jjt
rejierai ga'rçom «'-»- ' -^ Avl.-:^
On'devroicpKflèr (ibvattege le déUteui^
il y en aurok moins ^ car ce n^eft pas^ te vi-
jritablè nécefTiteux (]ui empninte , ir^eft lé pro-
digue 9 le fou 9 l'iniènfé , le libetttn, le dif&
pateur.
Le^créancier eft toujours mahraitépar h
loi : ce qui rend hardi le frippon , <& mine
2'honnéte homme. Il "n'y a point aflèz de
févétité ; on ilude fi facilement la prilbn ,
les loix civiles font iî lâches, jqu'elles n'inf-
pîrént plus le moindre efinn^ la proprîà6
en eft bleflee , & le commerce gêné. On
voit naître une foule d'achettui^ intrépides ^
qui , prévoyant la molleflè des loix , ^''aflÎH
içnt a avance dç ce qu'elles n'ont pas futCôe-
ièrver aux préteurs. .
Il faudroit imprimer une forte d'infstfnîeX |
^ tout débiteur infidèle. N'eft-il pas hpnteui^ \(j
dé' ne j$as payer fon taîiUeur , Ton triût^^
fysk tapifïîer -èc^fen boucW î On piaié^tien
les dettes du jeu \ pourquoi ? Parce qrfon'ne
feroit plus adniîs dans la-fodété. Il 'Càpk
facile k des hix'fhsî^Ç^ni^ii^^
ves , de forcer lés débiteur8^aoq[UKtl^^
de leurs obligations ; c'eft phl&rja nÀaov^ifflfe
Volonté que rirhpuiflance;^ ^qiii ^ reAile dev^aflt;
les enjgagem^nts les plus foiemnelsu
n E. Paris. ^6f
Plus un débiteur eft riche , moins il paie ;
H défend aVec'^ tae partie de fon or j autre
poïtion de fon opulence^ il enveloppe fon
créfancîér^de tous- les embarfasde-laprocé*
dure ,. il le jette dans les détours de la chi-
cane ; & à forceàfe reculer l'époque du paie-
ment , il laflè & fatigue fon adv erfaire , quîr
Jûf abandonne enfin hc moitié ou les trois
quarts de ù. créance. •
' J'ai dit , je crois , que les jeunes gens , if
y a quarante ans , aimoîent le fracas & le^
(Carillon, & queprefque toutes les nuits ils
fe faifoient une gloire mîférable de caflèr des
lanternes , ou d^àttaquer les foldacs du guet.
Fàî dit que ces* abus avoîent été févérement
réprimés comme ils dévoient l'être. Aujour-
d'hui nos élégants , moins bruyants & plui
Eerfides fe vanteat d'avoir des dettes , par--
»nt du bijoutier, du marchand de chevaux ,>
du carroffier , du marchand de foie , qui lesi
pourfuivent k toute outrance , les appellenr
des impertinents & des dréîés ; ils plaifan-
terit enfin fiir la vifite dès huiflîers ; & tirant
de leur poche un amas d'exploits , ils les'
teûlent lentement à la cheminée tout en fe*
Contemplant au miroir.
. Et que dirions - nous , G nous le vou--
Bôns, du débiteur fimulé qui fait banque-"
roiite pour un* grand fèignetir^ là face du'
public ? Mais nous fommes- nous engagés
ktotiir dire-?, npmv
M 3
170 Tableau
I-.
■^j
Chapitre ccxcvjit
ObjcSions.
V^ue veut dire cet txagcratcur , et pcïntH
outré y cet homme chagrin , qui voir
tout en noir , qui a déjà fait trois volumes
f)our médire de Paris, centre des voluptés
es plus exquifes ? Je foutiens moi , contré
lui , que l'art d'exîfter librement ne fe trouve
tion moi. Ne faut-il pas que les riches jouiÇ
£bnt de leur opulence ? Ne faut-il pas des
plaifirs variés à l*homme ? Y en a-t-il dé)&
trop ? Ne lui faut-il pas des vices ? N'entrent-
ils pas dans la compontion intime de fbn
être ? Ne font -ils pas Je m'entends*
QueUes couleurs donnez- vous donc, mai^^
vais fermonneur , à cette cité fuperbe &
riante , où Ton vît h fon gré ? Tout vous
ef&rouche , vous épouvante en elle , jufqu'^
fon immenfe population qui me réjouit fort ;.
& ne faut-il pas que la capitale d'un grand
royaume foit extrêmement peuplée ? Les pau-
vres travaillent : il le faut bien , puîfqu'ils
font pauvres i & je jouis moi , parce que je^
DE Par I s. . 171
fais riche. Si j'ctoi>né pauvre , je feroîs alors .
pour le rîçhe ce que le pauvre fait pour -
moi. Les billets de la loterie humaine ne
fauroîent être égaux,; il y a des perdants & ;
des gagnants. .
Hors de Paris point de falut ! Que me-
parlez -vous de liberté ? Ceit un mot vuide *
de fens, comme tant d'autres que les en-
tlioufiaftes prononcent. NTai- Je pas la liberté
de me livrer à toutes mc5, fantaifies î Que
faut-il de plus ?
Paris erf un pays délicieux pour quicon-
que cherche à jouir , & non à penfer \ &
quoi de plus trifte que de penfçr? que font .
les plus fubllmes penfées? Je vous le deman-
de. Quand j'ai payé ma capitation , tout le . •
pavé du roi m'appartient ; je le broîe à
nion gré, pour voler précipitamment à mes
plaifirs.
Si j'ai une rixe avec un homme du peu- ..
plç qui retarde ma coiirfe, & que je leroflc r
un peu vivement pour lui apprendre à ref-
peâer un riche de ma qualité: ; fi fa fille >
m'a plu , puis m'a déplu huit jours après ^
je me tire d'af&ires avec iin peu d'argent.
Je ne me mêle point des amiirc^ d'état ^
& que rii'impprte Ja manœuvre ? Je fuis ;.
paflager dans le vaiflèau , je ne veux pas ;
gouverner le gouvernement Oh^ DieM m'en ;
garde ! Qu'ils s'en tirent ceux qui tn ont pris :
îei^ rênes ; .jjadrnirç Iciu? intrépidité.. J'aurois^ <.
M ^,,..
138 T A B LE A V
O braves Anglois ! peufde généreux y étrin»
ger à notre fi^vitude iionteufe , confervez
avec (bin parmi vdusiâ liberté de lavpreflè;
elle efi le gage de voue liberté. Vous reprë»
fentez aujourd'hui pre(^ feuk podr le genre
buniain^ vous foutenez la dignité du nona^
^'homme. Les foudres qui frappentr Torgueil
& Pinfolence du pouvoir arbitraire 9 partent
du noble (ein de votre kle fortunée. La rai-
fon humaine a trouvé dhez vous utiafyie
d'où el|e peut inflruire Tunivers.
Quand les opprefliurs croiront tmpo(èr
Glence k la terre , & la dévorer iàns <pfeDe
o(è gémir , leurs perfides projets feront éclair
rés^dans toutes leurs profondeurs , leurs fronts
feront dcàtrif^ des foudres fàcrés de la vé-
rité : fopprdbre les (àifira pour les vouer
au mépris & à l'exécration ae la race pré*
lente oc future.
O btaves Anglois ! vos Kvres ne font pas
fournis au mandat de M. Le Camus dt Né^
ville ; & il &udroit un long conmientaire
pour vous expliquer de quelle manière mon»
feigneur le garde des fceaux , ou monfèi-
Îjneur le chancelier de France , quand il a
es Iceaux , ou monfcigneur le vice-chance-
lier , permet ^fin k une mîhce brochure
qu'on ne lira pas , d'être étalée & invendue
lùr le quai de Gêvres.
Nous fommes fi ridicules 8c fi petits de-
vant vous 9 que vous auriez pD&ine à com«
^l3
© E P A K I S. 3.3J
prendre Fexcès de notre foibleflè Scdeno-
itre humiliation (i).
Au refte , cette gêne Fait un -tort confîdé*
rable à la .capitale , & l'étranger en profite.
La graphomanic a un côté ridicule , mais
-elle fait fubGfter diverfes profefHons. La moiw
tagne' Sainte- Geneviève eft peuplée de col-
porteurs 9 de bracheurs 9 de relieurs , &c.
qui mourroient de faim Fans le gros com-
jmerce de la librairie* Ce trafic n'a rien de
préjudiciable à la fociété. Les anciens écri-
vains autant que nous , & avoient la même
démangeaifon de publier leurs>écrits. Ceft
•un befoin que nous Fatisferons toujours en
donnant notre argent aux prellès hollandoi-
fes , aMemandes , flamandes de genevoifes.
• CHAPITRE CCXCVL
La petite Pojlc
Oon auteur, Chamouflèt, avoit conçu deux
cents projets dedifërentes efpeces , tous rela*
tifs au bien public : celui -là Feula pu étro
isxécuté , mais très-tatd; car les hommes en
(i) Il y eut jadis un édlc du roi qui défen-
doit au profeffeur Ramus de lire fts propws mi^
vtagcs»
274 T A B L E A ir
roit vainement le tour du globe pour rea^
contrer des aventures au(fi plaîfàntes , auffi
rares , auffi fîngulieres ; des beautés très-»
aulteres dafiS un cpuH-ticr^'.vtius les xioavtret
voluptueufement éiciles àuis un autre.
Audi ne vous étonnex pas de notre 'efprit^
Af. rhumorijic. Que de goûts , de fenrir-
ments ^ dappcfcevances fines , de vues neu^
ves , difliuguent un -. homme de la capitale
d'un gros campagnard qui ne vit qu'à trente
lieues de nous f II eft d'une autre efpece a&
'forëment : ce n'eft phis notre compatriote $
peut-il nous fîiîvie , nous entendre ? Voyez^
le bouche t>eame, œil etonnë ! Il croik au
bonheur ^ tandis qu'il n'y a de réel au monde
que le plaiGc •; cVfft ia^ rhonnoîe courante de
la félicité humaine , & lesgroflès pièces n'ap»
partiennent à per(bnne ici - bas. Je ne veqx
point du bonhcfur nioiX)tane des champs :
c'eft le primicr des plaifirs injîpidcs , difbir
Voltaire ; je veux frîfer les fuperficies, & je
m'anéte aux voluptés , tov. jours exquifes quand
elles font variées. Or , où trouverai-je mieux
que dans Paris ? ^
Je fuis à tout fans peine & fans gène. Si
je fais couper un habit chez mon tailleur ,
eh bien , autant vaut -il prendre la couleuf
du jour , caca-dauphin que pnitu^monficur.
Ceft une (ùprême folie, vous ccrierez-vous;
mais tout le monde \ la cour eft ainfi , il n'y
a point de réponfe à cela. Il ne faut jamais
DE - P A R I S. . ^7t^
difôuter des goûts tii des couleurs. Je quitte
mop habit opcra-brûlc, mon frac tijbn ,
&; Je m'habille ce foir en caca-dai^phin ,
d'après l'échantillon véritable & reconnu.
Je (aurai bien diftinguer les nuances, & je ;r
dirai alors tout cpmme an grand Tcigneur^, ^
cen cft ^ ce rien cjl pas.
Allez ^monfieur le mUanthrope ; il y a ^
df$ chofes très-profondes fous l'habit çaca'^ .
dauphin. Je le porte en triomphe aux trois ,
(pcàacles, & je m'en ferai gloire ; car ap- -
prenez que je ne veux point m'écarter de la ,
plus légère nuance des modes régnantes, ni .
de. la capitale & de VerfàllFes , d'une lieue .
feulement. Hors de la , Hottentots , Caffres ,
Efquimaux , peuplades barbares 6ç (ans, goût^
je vous le certifie.
Que répondre à ces adiiiirables objecr^
tiops ? Rien.. Continuons.
• . t
G,H A P ï T R,E CeXClX.
jitmanaçk Royaifi :'.
f*. «r
JU at prè» dW fiéde. H îndiqat. Té^iûcnce
des dieux de la terre., des npLÎniûres,,,des
hommes en place , des maréchaux de France,'
d^ premiers magiftrats , &c; Il marque leur
dftoil^fc , je jour &. HïeQre oi\ il eft pernai?^
M.4
Xj6 T A. B L £ A Ut
de les aborder & de brûler Tencem dans
leur anti-chambre. Tous les favoris de la
fortune font infcrits. dans ce livre , & les
moindres ofciilations de là roue y font mar?
quées. Ceux cfiiSe (ont jetés dam les routes
àç Fambition, étudient Talmaxiachrc^al avec
une attention fërieuiè^.
Oh y lit depuis le nom dès priJDces îuf-
qu*k ceux des huiflias audienciers du Châ^r
^let. Malheur k qui.n'eft pas dans ^ce livre 1
Il n'a ni rang, ni charge ^ nr titre , ni enir
ploiv Heureux les gros aéciniateuis \ ils font
encore plus. riches cpe ne le dit l'almanach^
Que de noms divers font renferrpés fous
là même couverture ! Le greSiei: ne tient pask
5' lus de place que le pjréudent ^ ni Fexempc
!è robe courte que le gentilhomme, de 1^
chambre. . Ceft piefque Pimage de ce qu'ils
feront un jour dans le tombeau.
On y voit la Me des confeîUers du roi ,
^i n'ont jamais confeillé le monarque , Sà.
îjurne lui- parleront jamais; la lifte dès fe-
crétaires du roi , qui n ont- jamais écrit une
panfi éHà (bus la dîâée.
Plus d'une' belle confulte j'ajmanach royal ,
pour voir (î fon amant eft lieutenant ou bri?
gadier , confeîHer ou préfident, agent de
change ou banquier. Le nom d'un fecrétaire^
de minîilre Ce grave bien plus avant dans la*
Xîiémoîre que celui d'un académicien ,, &
IQut le monde acheté cet ahnanach. poux
HE P A IL I S. %'JJ
{avoir au jufte à quoi s'en tenir. L'un tombe ,
& l'autre s'élève \ les noms culbutés font com-
me des noms décédés : plus de confidération
pour ceux que Plutus ouThémisont challes
de leurs temples.
Une fameuft courtifanne avoit chez elle
un almanach, royal. Quand, il arrivoît quel-»-
qu'un, il falloit qu'il lui montrât fon nom ;
s'il n'y étoit pas., elle, jugeoît ce vulgaire
mortel indigne de fe&; faveurs , &. dès-lor»
fa porte lui étoit ferméoé
Fontenelle difoit que c*étoic le livre qdi
contenoic le plus de vérités.
Que de réflexiosks (Hv fait en parcourant
cet almanach ! On fiémit, quand on voit
(eize colotines en petit caraûere , chargées
de noms de procureurs , loifqu ott fuit b
lifte de deux cents médecins , de cent cin.-
2uante apothicaires , (ans compter les huif-
ers exploitants. On lè perd dans le nom-
breux domeftique de la maifon des princes»
Quelle valetaille fous tant de noms divers^
& qui cherchent à parer leur fèrvitude ! .
Plus bas vous verrez conibien le public
entretient de notaires, d'avocats, de gref-
fiers , Se autres gens de plume. Il faut que
tout cela vive.^ Quel régiment dçvorateut !
Calculez enfuite combien de mille livres
chaque évêché enlevé tous les ans a la terre
& aux pauvres cultîvateuis , les fommes im^
xoieufes que coûtent les fucceûcura des humr
±7$ Tableau
Wes apôtres ; vous ferez vraiment effrayé ;• ^
on ne Tefl pas moins lorCqu on monte aux
daflès fupérieures : ces perfonnagcs n'oât que .
des titres qui annoncent Toifivc^, & tout >
For de la nation les couvre. Que de bou- ,
ches fucent & rongent le corps politique ! •
Ceftle catalogue des vampires*
Ceux qu'on voit fur cet almanach nç font y
111 cultivateurs , ni commerçants , ni arti- .
(ans , ni artiftes , & c'eft néanmoirjs la, par-. .
tie de la nation qui régit entièrement Fautre.
Anéantiflèz en idée tous ces noms , la na- .
tîon ne fubfifteroît-elle pas encore?,. . • • . .
Oh ! très-bien , je vous 1 aflùre.
Cet almanach rapporte près de quarante' ..
mille francs par année. Jamais V Iliade pi '-
YEjprit des loix n*bnt rapporté autant à leurs .
îiiiprimeurs. Homère eût- il imaginé qu*orî
împrimeroit tant de noms dévoués à mourir
dans la plus profonde obfcurîté, malgré le
titre qui (èmbloit devoir les protéger contre
le néant ? . . . Que Je crains que l*almanach<
préfènt & tout entier n*y defcende avant la
révolution du fiecle ! Voyez les almanachs
précédents depuis 1699 , & comptez les
noms qui furvivent; comptez , vous, dîs-jc ^
par curiofité , ou par (péculation^
i) E Paris. a^y^
C H A P I T R E ÇCa
Mercure de France.
\^ui fait les énigmes , les logogryphes , qui;
* ; abondent au Mercure de France ? Les
oiijfs ,qpi s'ennuîenr dans les châteaux foli^
taires de province. Qui îak cette foule de
vers innocents ? Des contemplatifs amou^
reux , qui fe croient obligés en confcience
de célébrer les charmes de leur niaitreflè ,
& de faire enregiftrer leurs foupirs au Mer-
cure de France. Mais les mauvais vers,,
a dit , Voltaire , font les beaux jours des
amants. Heureux les mauvais poètes I Ainfî
la rîmaillerîe & l'amour marcheront fouvent
de front, & le Mercure fera le confiant dé-
poiitaire de toutes les tendreflès provinciales
qui s'exprimeront en fiances langoureufes^
ou en galatits madrigaux.
Ces vers font envoyés par la pofte ; les
paquets font affranchis : bonne précaution !
Voilà déjà la pofle qui y gagne quelque
chofe; & certes tous les vers quelle colporte
ne valent pas l'argent qu'elle en reçoit; 1»
tégifFeur 8c tous les commis feront de mon
avis. Tout rimeur ettime qu en verfifîant il
U feu un nom dans ce Ùvret bleu« Vun
lia T A B t & A ir*
cherche à louer (a petite ville , & Fautre (a
pexibnne-v chacun s'empieflè k donner dës'
titres^ à les annoncer à Funivers. L'un nous
apprend qu'il efl avocat ou procarésr âcal^ .
Fautre , qu'il eft gendarme ou offiden
Le commis , d'une main in^fierente ,
ouvre les paquets qui.à chaque Courier tom->-
bent fia' km bureau & sV amoncelent. A, la
naiflànee- d'un- prnice y la gréle redoubb y
les cartons dâb^ènt. Chain(bns, madri-
gaux^ épitres, fiances, -ficc. pleuvent^ &1e^
commis laflë ne (è donne plus la peine de"*
btifer les cachets. Ceft Phomme le plus fà- -
tigué devers quiexifte^ ficquî doîtk pW»
lés dctefter. Il entaflè & enlèvelk toutes cer;
pièces dans d'ehomies cartons, oh-elles dor«'
ment, en- attendant qu'on en- pèche une au-
befoin. jMblfieur k ceDe qui eft trop longue^
.ou trop courte pour la page qu'ob veut rem--
plir ! Fût-elle excellente, on la rejette pour*
choifir celle qui s'ajufte précifément à Fefpace .-
vwde^
Le poëté de province s'imagine qtfoir
admiré fa prodi^îon , qu'on s'èmpreflè à •
Fîmprîmer, & elle eft encore au fond de^
la boîte du eoinmiis. Il attend avec impa-
tience le Mercure, il l'ouvre d'une main^
Jttcdpîtée &' tremblante, il cherche; & ne
à voyant pas , il croit plutôt à l'infidélité dcr
la pofte qu'au dédain de fes juges. '
Il faut lire cent pièces pour c» trouver
' »
B K P A R. I s. 281
iitie paflàble ; c'eft-à-dire ^ qui ne contîen-
ncnt pas des fautes grofliefres. On n'imagine
pas à quel degré de ridicule 6c de platitude
certains rimeurs de je ne fais, quel pays ont
fait defcendre la verufication. Paix 6c repos
aux bonnes âmes qui compofent ce déluge
de vers & de ^otè faftidieufe ! Mais rien
ne prouve mieux combien Tennuî ou l'amour
régnent en France , puifqu'on y verfifie (î
prodigieufement pour des beautés plus belles
fans doute que les écrits qu'on fait en leut
honneur..
Quand le provincial voit par hafard fés
vers imprimés & fignés de fon nom , alors
il treflàille de joie , 8c dans un tranfport
extatique, il fe dît: en ce moment, Paris,
le roi , la cour lifent mon madrigal ;^ & mon
nom. devenu célèbre à^ jamais, paflè fous
leurs regards. Qui faitfi le roi- ou le i-fti-
nîftre ne rêve pas fur un de mes vers 7 & fî ^
frappé de furpriiè & d'étonnement , il ne
me defline pas quelque emploi ! Il aflèmble
fa famille, lui montre la page îmmortali-
lante qui le dillinguera du vulgaire; le vo^,
lume circule dai>s toutes les mains , depuis
le préfident d'éleâion jufq^'âu notaire ; tous
admirent en filence l'ouvrage & le nora
burinés , & font intérieurement jaloux.
Anciennement le Mercure dîftrîbuoît des
fadeurs ^ il devint tout-à-coup incivil & dur
entre ksmaûis d'un pédant. Enfiûte la £&-
iSi Tableau
chereflc & la fottife le défigurèrent , & Tart
àxxfousligncur fut pris pour l'art du critique.
On eft étonné de voir des écrivains imber-
bes ou fans nom, jugeant les arts avec une
emphafe ridicule ou monotone , &• Don*-
Quichottesdu bon goûty.ieÇcntntt pour fa
caufe fans le connoitre. Quelques futiles re-
jnarques , quelques chicanes minutieufès »
Toilà tout ce qu^on y trouve. Qh ^ combiea
de petits auteurs ^ Pari^ font habiles k diflèr- .
ter fur des riens !
Comme c'eft une entreprife mercantîlle y
& Qfit pluficurs font intérefl& k ce qu'elle
(bit lucrative à caufe des pcnjîons { car, qui. :
le croiroit î d'honnêtes gens vivent de ces
mauvais vers & de cette fotte profe ) , on
en a remis le brevet au fieur Pankoukc^
non imprimeur, mais libraire. Il foudoîe .
des gagiftes à tant la feuille , & cette mifé-
rabîe rapfodie.va toujours fon train^ Par ;
une incroyable & vieille habitude, la pro-
vince foufcrît & foufcrira pour le Mercure.
On fait d'avance , d'après le nom des. ,
auteurs, les produéKons qui doivent êtrepor-
tées aux nues, & celles qui feront pulvérîfées ;
fans miféricorde. Quelques académiciens ,
par un manège adroit & clandeftîn , fe font »
déifier dans le Mercure ; on a vu des auteurs
ne point rougir de faire leurs propres ex*
traits , & fe donner des louanges fans pu- .
deur ; d'autres fe font louer par la main de
leurs amis.
B E Paris. x8}
Guillaume ^Thomas Raynal, depuis fi
juftenient célèbre par THiftoire philofophi*
que & politique des deux Indes , ëtoit au^
teur du Mercure en 1 75 1 , Il y a loin de la
platitude de cet .infîpide journal aux idées
de cette admirable niftoire. >
M. Fankouke ( car ici il eft auteur &
n'eft plus libraire ; a fait dans le Mercure
un difcouîs jur h beau. Savez-vous ce que
c'eft que le beau ? Ecoutez M. Pankouke. Il
établit d'abord que h beau ejl immuable &
le même pour tQutes les nations^ Cela vous
étonne un peu , ledeiu: : vous verrez où il en
veut venir. Il profcrit de (à pleine autorité
le beau relatifs le beau arbitraire ^ comme.
rCexiflant pas. M. Pankouke a fes raifons
particulières : attendez. Après avoir, décidé
que le beau efi fixe & immuable , il fe de«
mande qui en feront tes juges. Il répond :
Ceux qui vivent dans une nation éclairée y
ceux qui dans cette nation jbnt nés avec
un goût jur , qui fe rapprochent le plus
du centre du goût : or quel eft ce centre où
Tauteur vouloit nous conduire ? La fiyciété
qui a le droit de prononcer Jur le beau dans
tous les genres. Et quelle ell cette fociété \
Celle qui renferme les gens qui travaillent
pour le premier journal de Funivers , avoué
des gens de goût & des penfîonnaîres ; les
gagiftes ^ les collaborateurs faits pour parler
du beau 6xe , & qui en ont le thermomètre
a84 Tableau
D'où il réfulte évidemment que ce qui eft
beau immuablement ^ e^efl ce qui s^in^rime
quatre fois par mois dans k Metcure-Pan*
kouke : quod erat demonftrandtmu
' Voila ce qu'on imprime ^ Paris^-St ce
qu*on diftribue à l'hôtel de Thon. O Suher^f
& ton nom eft ignoré de cette courbe mer«
oantille 6c pro&iie qui écrit intrq)idem<-
ment fur les arts , & dont la plume feche &
foible les rabaiflè au plus étrok horizon. Qu'il
eft mefquin ce livret bleu dcdié au roi , Sc
cp'on nous annonçoit comme devant étce
l'ouvrage des hommes de lettres les pti^
diftingués ! Rien de plus aride que l'elprit
en corps de ces Mercuiiens*
Au refie, on n'a voulu parier dans ce
ehapitre que de la partie littéraire^ la partie
politique étant fous la main aUblue du mi-i-
niftere , les faits , les idées & les expreffion^
font, déterminés d'avance: c'eft néanmoins
cette panie politique qui foutient encore b.
malheurcufe partie littéraire.
»E P A«. 1 8. 185
C H A P î Ta î: C C Gi
Auteurs nés à Paris.
Jl aris a fourm.-à Ja lltténture préCyie antani
de grands hommes .^ue tout le refie du
royaume.
, Je vais les dénombrer autant i^e ma më-
lïioire le permettra , & par ordre alphabé-
tique ; car je .Qe donne pas ici les rangs ni
les places , k l^nftar des régents de^oolfege^
ou de MM. les. journaliftes, /ari/èz/rf du mé>
iite des vivants. Voici ma Hfte. MM. d^A*
Umbcrt ^ célèbre géomètre & littérateur di&
tingué.^^rzo/2/{?/z^,habile machinifte.^myoi/^
frand-aumônier de France & célèbre ti:a«
uâeur. AnqueHl , l'hiftorien^de la Kgue &
Tauteur de rintrigtie du ::cablnet ^ ot (on
frère , <|ui a voyagé dans Ips Jndes orienta-
les. Anfiaunu y auteur de. plufîeursr pièces de
théâtre. Arnaud d'Andiliy , fame^t paria
plaidoierié .contre les Jé(uites, & par (bn
excellente eraduâion de • Jofephe« Antoine
^imaud^y un de nos grands^ féconds &
inutiles écrivains, ^açulard d'Arnaud^ aih
teur de Comtninge^ $2- 4'£uphémie ^ dpn^
J^Sélanie neft qu une copie* Bailli , qui a.
éràt.JGiu: j'aiOironQxnîe 6c rêvé fur le peuple
l86 T A B L r A u
inconnu. Le Beau , fecrétaire de Tacadé-
mie des belles -lettres, auteur de rHiftoirè
du lias -Empire. Caron de Beaumarchms^
Ëinieiis.vpar Tes ixiémbifes fi fupéâ^^irs.JÉ fes
autres écrits. Bellin , ingénieur de la marine^
auteur jde l'Hydrographie fhui^oi&« Madame
Belot, quia traduit de Tanglois avec quelque
(uccès , aujourd'hui Madame la préàdentè
Meyniere. Du Bellay , auteur du Siège dt
Calais^ tragédie que , dès (on origine, It
Tent de la coor a fait voguer à plemesToiles.
Le Blond j<m a fait Fartide Jif rr militain
dans TEticyctopédie. BoiUàu, le pFemier de
nos verfificateuFs. Boindin.' Boucher dAr^^
gis , jufifconfiilte. BougainuiUty de facadé-
thie fr^çbife , tm (jui a traduit P Anîi-Liiciece.
J)e Bmy , qui a écn t rhifloire. Le célèbre Boù»
langer y auteur de TAntiauîté dévoilée , & k
qui Ton a pris beaucoup d idées. De Cayïus^
antiquaire^ CarraccioU^ auteur des Lettres
fiaives du pape Ganganel}i. CaJJini de Thuri.
facques Cajftni,, aitronome. Champuffet^
écrivain patriotique. Le Camus ^ médecin.^
auteur doué diimagination. La Chaujjh*^
pbëte ^amatique. Clairaut, de facâdéini^
des fciences. Cochin, garde des defEns dn
cabinet du roi. Colle ^ auteur d« chanfons.,
vaudevilles , pièces & parades fîngùUeres !^
qui. ont un ton vraiment original. La Con^
damine , fameux par fon voyage. Contant
fOrviUcy auteur fécond 8c utile. CrébiUûiê
D Ç P A K. I S. 187
fils , fî connu par Ces romans pleins d'efpriu
Crevier , ancien profefleur. Daquin , fils du
célèbre prganiûe. Dionis du Séjour , de l'a-
cadémie royale des Çcitnces. Démailler d'Ar-
^enville jimitre des comptes. Ducis^ de l'a-
cadémie françoife. Dorneval, ^nteux du théa*
tre de la foire j recueilli avec le Sage. Dorât,
poëte agréable. BiUel Dumont, auteur du
Traité mr le luxe, Dupré dt Sairu-Maur ,
àc l'académie françoiie. Duhamel du Mon^
€cau y de l'académie des fciences. Le Dran^
chirurgien, de la fociété royale de Londres*
Fagaru Favart , auteur de pièces ï ariettes^
De Fouchi, fecrétaire perpétuel de l'acadé-
mie des fciences. FufcUer. FlonceL Fougc*
roux de Bondaroi , de l'académie des fi:ien«
ces. Le doâe Four mont. Fourmer^ graveur
& fi^ndeUr de caraâeres. Gallimart , géo-
mètre. Go guet , auteur de FOrigine des loix^
des arts & d«s (ciences. Mad. de Gomc{^^ atH
teur des Cent nouvelles & des Journées amu«
(antes. Le favant Gaujet. Guyot de MervUlc.
Helveùus père, médecin; Helvetius fils, au«
teur du ttop fameux livre de fEfprit. Le pcé-
£dehc Ktnaut. Lattaignant ^ chanoine de
Reims 9 dianibnnier fëcond. Le comte <&
têOuragais , auteur de deux tragédies raresi
léOmtUBoiJJy. Lemiere , de Tacadémie fran^
çoife. Lan^fHS Dufrejhoy. De Vlsle , de Ta-*
cadémie des fciences. Lorry , avocat. Lorry ^
mtiumsu Lorry, profeilèur en di^oit. ~
a88 T A Tï I E A u
Xieblc , bënédiâin. De Machï, dëmohftra^
teur de chyniie. Maqiur, de racadémie des
iciences. Marchand, écrivain enjoué. Ma^
ricttc , amateur de defEns, auteur du Tiaité
des pienes gtavées. Marivaux , auteur fin &
plein de deuils ingénieux. Le fiuHeux Mal^
Ubranche , doué a une û poiflànte îmagina-
-tien. MoUtrc. Moijfy , auteur, de quelques
pièces de théâtre. Moreau , évéque de Vence.
ilfore^n/^ procureur duroi zuClâtèieLMignûig
neveu de Voltaire , abbé àe Sceffîeres , oii il
a donné un tombeau ^ &n onde. Moncrif
2u*on a appelle le dernier des François. L^
eux h Monnitr frères ^ de Tacadémie des
iciences. Maréchal ^ poète anaccéontique.
BUn de Saint^Mart , qui a fait quatre Jié-
roîdes & une tragédie encore. Morand père
& fils. Patte, archîteâe. Pejelier. Ptta de
la Croix, profeflèur en arabe. Pingre, as-
tronome. Parfaiâ , auteur de l'Hittoire du
théâtre fhinçois. Poinfinct, auteur de la co-
médie du Cercle. Poinfinct de Sivry , tra-
duâcur de Pline. Poncet de la Riyicre , an-
cien évcque de Trc^es. Philippe de Pretot^
auteur du Speâacle de rhiftoire Romaine.
Dupont , rédaâeur des Ephémérides du d-
toyen. Mad. k Paute , auteur de divers
moires d^aftronomie. Prêmonval^ àeVt
demie de Berlin. M. & Mad. de Paifiam,
Quinaut. Le doâeur Quefiiay , chef de la
tfâe économique* JRacinc k fils* Bouffiaa
le
B £ f A OR. I 5. 189
le poëte. Le fanant RolUn. Raymon de
.Saint' Marc. Rémoadik Sainte^ Alhinc ,
auteur du lirre intitulé le Comédien» iVIad.
JUccobûnnL Robert de Vaugondy , géogra-
phe. Roy 9 auteur du beau Prologue des élé-
ments. Du Rafoj 9 auteur du poème des fens.
Sage y fameux chymifie* Saurin , de Taca-
/démie ùxMfii£e.^Secouffef avocat. Sedaine^
auteur de quelques opéras- comiques, ^or^/^
€fà a tantôt remporté & tantôt di&uté le ^ rix
k Pacadémie fuuiçGofe. La mar^iife d^ Sainte
£hamond. Le comte de Scneâerre. Thibout^
fameux imprimeur. TUon du Tillet , auteur
.du Pamaflè François. Taujfaiat , auteur du
iivre des moeurs. f^i22ar^^,xontinuateur de
THilloice de France. Madame VlîUneuve^
^auteur de^plufîeurs romans. Le marquis de
Vilette. Voltaire. Watcht , de racadémie
<françoi&. JVillemain (fAbancour , verfifi-
cateur. Le marquis de Ximenis , qui a fait
Amalafbnte & Èpicaris , tragédies.
Taurai fans doute oublié quelques noms ;
imais je. fouhaite qoTon dife d'eux : prcêfulge^
tant Cajfius & JBrutus ,eo ipfo quod eonwt
xffigies non vijlbantur.
Si Ton. compte qu'ilii'yapoînt.eud'hom''
me célèbre né en province , qui ne foie venu
k Paris pour fe former , qui n'y ait vécu par
choix , oc qui n'y foit mort , ne pouvant quit>-
-tre cette grande ville , malgré l'amour de la
^tne : icette race d'hoomies éclairés , tous
Tome IL N
t^a Tableau
concentrés fur le même point, tandis qoe
les autres villes du royaiime offrent des landes
d'une incroyable ftérilité 9 devient un profond
objet de méditation fur les caufes réelldg 8c
•fubfiftantes qui précipitent tous les gens de
lettres dans la capitale , & les' y retiennent
comme par enchantement.
Tandis que la nature a prodigué Tes dons
précieux à ces hommes diftingués du vulgaire,
la fortune , comme pour s'envenger ; leur a
refufé fes &veurs, & (à malice à cet ^gard
eft bien ancienne, Démofthenesétoit fils d'un
forgeron , Virgile d*un boulanger , Horace
d'un afianchi , Théophrafte d'un fijpier ,
Amyot d'un corroyeur , la Mothe d'un cha-
pelier, Rouflèau le poëte d'un cordonnier,
Molière d'un tapiflîer , Quinaut d'un mitron,
Fléchier d'un chandelier, RoUin d'un cou-
telier , Maflillon d'un tanneur. Un horloger
de Genève fut le jpere de J. J. Rou&au,
& MM. Giron de Beaumarchais & Dupont
Tcconomifte font aufli fils d'horlogers»
Prelque tous les hommes qui fe fbnt&k
connoitre dans les arts & dans les fciences,
& qui ont formé de leurs travaux accumulés
le véritable tréfor de Tefprit humain, ont
connu dans leur jeuneflê le befoin, & ont
recueilli , comme dit Mérope , ce mépris qui
Jîiit la pauvreté,
Homère a mendié. Le Taflè , Mîlton &
Pétrarque ont connu la mifere. Corneille ei|^
/
DE Paris. 491
décédé pauvre. Boulanger a erré fur les gran-
des routes. Jean-Jacques Rouflèau eft mort
je n'o(è ici le dire.
Les penfions que diflribuent les fouverains
ne font pas attribuées de nos jours aux gens
de lettres , ou qui en font les plus dignes
par leurs travaux , ou qui en auroient le plus
Defoin par leur fîtuation. Enfin, jufqu'aux
dignités littéraires , tout efl enlevé par la
faveur , le crédit ou Tintrigue.
CHAPITRE CCCII.
Porte-- faix. :
N,
le
ous avons au coin des rues des Hercules
& des Milons de Crotone, pour eniména-
er ou déménager nos meubles , & porter
es fardeaux du commerce. Vous les appel-
iez d^un fîgne , & ils font à vous avec leurs
crochets ; appuyés fur des bornes , ib atten-
dent qu'on leur donne de Temploi. Vous
croiriez que ces hommes ont une taille au-
deflùs de la commune , des couleurs ver-
meilles , des jambes fortes & de l'embon-
point; non, ils (ont pâtes, trapus ^ plutôt
maigres que gras \ ils boivent beaucoup plus
qu'ils ne mangent.
A toute heure , vous les trouvez prêts à
N 1
>a9i -T A B LE AU
' chajcger leur fdos des poids les plus lôuids.
•Xégérement courbés , luutenus fur un bâtM
ambulatoire , ils portent des Ëudeaux qui toù*
' roient ^n^che^^al ; ib^les -pondit avec fba-
pleflè & dextérité 9 ^ti miUeu desembamu
•^«des voitures^ & dans des rues Àranglées;
^ tantôt c'^ un» gkce-qui en occupe toute
la largeur^ & fait danfes- toutes les maifons
i^pour qui la luit & la regarde $ tantôt «'eft un
niarbre fragile . & précieux ^' ^e£*- d'onivxe
de l'art. Ces hotnmes deviennent comme
^nfibles dans toute leur charge ; & à foroe
de virer, de s'efquiver & de marcher de
biais ^ ils^itent le dhoc roulant delà ibule
, impétueufe ; ils si'arrêtent k propos , trottent
r de niéme^ jurtnt pour avertir les paflants^
les menacent, tout chargés qu'ils ibnt^ de
"' ieiurs bâtons courts ; & à travers tant d'é-
cueils j arrivent au poit fans avoir rien ca£>
' fé ; le -pavé feç , fangeux ou glifïant leur de«
; yient égal.
Oh tranfporte des porcelaines d'un bout
de la ville à l'autre fiir un long brancard j
' & fi rien ne tombe des fenêtres pendantla
.'-travcrfée, il n'y aura pas a uneioiiceupe la
:' moindre fraâure.
Savez -vous les mtufcles qui travaillent le
' plus, dans le corps des porte-faix. Les exten-
Hfeurs des jambes. Voyes&i^les , elles font dans
un trembkment infenfxble , mais néanmoins
yvifîblcs«
jy E F A R I 9é^ 193
Lorlique^, dans le. temps des giclées, les
roues des . voitures gliSent fiur Je pavé ^ tom- .
hçnt dans la pente dq miSèau^ & Veiigre-^
nent Pune dans PaUtrc , les fiacres defccn-.^
d^Qt de:, defltis leut fiege , (bulevent leui-s
voitures avec le dos , la dégagent fans Je fe^.
cours de^ oui jque ce foit , quoiqu'ils aient.;
quatre perlonnes dans leur carroflè , & quel- .
quçfois le train chargé de deux ou trois cof^
fres. Quelle force ..dans . les vertèbres de^
l'homme I
Une. voittire chargée d!une énonne pierre >.
de taille a -t- elle perdu de (on équilibre?
fbixante mains officieufes le rétabliilènt ; ilr 1
faudroît ailleurs fîx heures pour cette qpé- .
raçion , elle fc fait en un elin-d'oeil.
Quune foupente. rompe , qu'une roue ft^-
caflè^ l'équipage^ eft enlevé avec luie rapi-. •
dite prefqu'egale à fa chute* On vous dît :
Ileji arrivé là un accident ^^ il n'y pa**.
roît ,déjk plus ; tous les porte-faîx de& carre- -
fours voifîns ont prêté, la main avec un zèle.,
fratuît. ^ 9s^ accoprent , dès que la voie pu-
Itque eft obftruée y 8c la débarradènt fur-
ie-champ. Ces fervices, journaliers devroient. r
leur être comptés. >
On dît .que les porte-faîx en. Turquie j)or-.
teot jufqu'a fept ou huit cents livres pefant ; ,
les, nôtres ne vont paAfufquesuIk V il s'en faut.,
Les, porteurs de farine à la Nouvelle -Haller.
fiiçit^le^ plus vigQureux de tous ; ils ont la.. ^
N- 1 ,
294 Tableau
tète comme enfoncée dans les épaules , &
les pieds applaiîs ; les vertèbres , en fe roî-
diflant^ ont aflùjetti l'épine du dos à une
courbure confiante.
Ces hommes ne font pas doués d'une force
e:xtraordinaire ; ils feroient (bibles au ptigilat^
il la lutte , inhabiles k ramer ou à (cier ; ils
ont contraâé l'habitude de porter des char-
ges fur le dos ou fur la nuque du col , & ils
lavent acconiplir merveilleufement les loix
de l'équilibre : Tadreflè fait plus que la force ;
ne craignez point pour eux une luxation oc-
cafionnée par ces poids énormes ; il n'y a
rien de û rare dahs les annales de la ad^
lùrgîe.
Mais ce qui fait peine à voir , ce font de
malheureufes femmes qui , la hotte pefante
fur le dos , le vifage rouge , l'œil prefque
fanglant, devancent l'aurore dans des rues
fangeufès , ou fur un pavé dont la glace
crie fous les premiers pas qui la preflent ;
c'eft un verglas qui met leur vie en danger:
on foufFre pour elles , quoique leur fexe foit
étrangement défiguré. L'on ne voit point le
travail de leurs mufcles comme chez les
hommes , il eft plus caché ; mais on le de-
vine à leur gorge enflée , à leur refpiration
pénible , & la compaffion vous pénètre juf
qu'au fond de l'ame , lorfque vous les en-
tendez , dans leur marche fatigante , pro-
férer un jaremen| d'une voix auérée & gla-
/
Vi "E Paris, 2.9c
pîflànte. On fent que leur organe h'étoit pas
fait pour CCS mots énergiques & groffiers ;
que leur corps n'étoit pas crée pour fuppor-
ter ces charges démefurées ; on le fent , puif»
que le hâle , le travail journalier , l'endur-»
cidèment des bras 9 le calus des mains , n'ont
pu les métamorphofer en hommes. Sous leuc
vêtement épais , groflier âc fale , fous la
craflè , fous leur peau endurcie , elles con-
fervent encore les formes originelles qui
TOUS font diftinguer au bal de Topera une
ducheflç fous le mafque Ôc le domino ; leur
fexe n'eft point anéanti pour l'œil fenfible ;
& ces malheureufes, créatures lui comman-
dent la pitié la plus profonde. Commenc
les femmes font -elles réduites parmi noui
\ un labeur fi difproportionné aux forces qu'eU
les ont reçues de la nature ? Le peuple chez
qui on les enferme eft-il.plus cruel que celui
qui les livre à ces travaux impitoyables $C
renaiflànts ?
Quel contrafte ! l'une fuccombe en nage
(bus une double charge de citrouilles , de
potirons, en criant, garc,^ place ! L'autre y
dans un lefte équipage dont la roue volante
rafe la hotte large & comblée , fous fon
rouge & Féventail a la main , périt de mol-
le0è. Ces deux femmes font-elles du même
fexe? Oui.
Quelquefois un de ces porte-faix met fur
fes crochets exaâement tout le ménage d'un
■:- N4
^^6 Tableau
Eauvre individu v Ht , paSlaflè , chaîles , ta^
le , armoire , uftenciles de cuifine ; il def^
cend toute fa propriété d'an cinquième éta-
ge y & la remonte ^ un fixieme. Un fèuï
voyage lui fuffit pour tranfporter les meu*
blés & immeubles du miférable ; le porte-
Êix eft plus riche que lui : caf le malhea-^
r^ux^ pour le fimple tranfporr, paiera peut*
être le dixième de la valeur indînlèque de
fies eâèts. Hélas ! il eft obligé de cfaanger
de logement tous les trois mois, parce quUr
n'a pu payer que la moitié de fen terme ^
te c'eft à qui le chaflèra plus leinw
Mais comment avoir de la pitîé j dka le
locataire ? N'âi-je pas bs payer le pnyriétai^
7t ï Et le propriétaire dira , n'ai-je jpas à»
donner au roi les deux vingtièmes oc 1er
liuit fols pour livre , qu'on vient d'augmeiK
ter encore î Ceft toujours le motif dont est
u£e pour ne faire aucune grâce aux mal*
heureux»
A la naillànce d'un fils de France , ces
porte-fiûx , crocheteurs , porteurs de chaifes ^
ramonoeurs de cheminées , porteurs d'èau ^
forment des corporations , ayant des mufi-
ciens, c'eft-k-dire des violons, k leur tête»
Ils voTft à Verfailles pour avoir audience y
& s'arrêtent dans la cour de marbre : c'cft
de Ik qu'ils complimentent le roi fur fon bal-
con ; ils tiennent en main les fymboles de
leur indufirie ^ & on les a vus imaginer ^,
Dt r P A R I Sr 297.
dans cesoccafîoxis ^ des facéties divçrtUIantes^
Tantôt c eft un ramonneur caché dans une .
chemmce à la pniflîenne ^ .que qiiatre de fes
caipar^s portent (uc m^ brancard , .8c qur '
mettant tout-k-coup la. t&e^ors du tuyau ,^
Barangue de cette manière le roi dé France: .
n lui dit qu*il préferve des Jnci?ndies, Içs mas; . -
fons de fa bonne, ville de Paris, Tantôt les
porteuri^^. de chaife promènent uire, figure:
coIofl^jUe ;^. dont la: robe eft pariemée . de .
fleurs de fys^ fit qui tient Se OHreflfe entre
£s bras, robuffes un jiouri0[bh à cpji elle ap« , ^
plîme de très-gros Baiferis; :.
Mais, les poifl&rdçs, ont Je, privilège d*étrè
introduites jufquesdam là galeries ,;.6Çwde
complimenter le roi particulièrement ; ce
qu'îles ^ont; néanmoins à^genôuxi^ Oh leur
donne eufuite ^dîper au grand- commun ,
& c'eflr un des premiers aciers du chef de ^
lia^maifon du roi .qui en fait le$ honneurs^
Ee repas eft^iprendide. ; ,
De.rietour à^ Pâris^ ces poiflafdès Çé phv'
nienent.t]£on[lphantes^ 8c rendent compte à
lâ HaDè dé la bonne réception qui feur a
été &ite..;£a H^ pendant tii mois eft fôrr
contente dé la cour. Que le rpi yXénne à,
Pariis dans, cet inténraQe ^Jesfo^ès^ voix db
^ quiton y ^^dâhlient le %nal k la place?
Maubert & auic autres. marçhés^^hurl^ronC''
le vÎM It roi d\ine mBatûere luuse^.éner-^
j^c, ErcfquTeffiayame;
t.98 Tableau
Toutes ces harangues ou compliments ont
été faits par des gens de lettres qui s'en amiv
fent derrière le rideau , & qui réuflîflènt
mieux qiie s'il avoit fallu fe nommer. J'en;
ai lu d'aflèz piquants ; mais tous ne (ont pas
connus , ou n'ont pas été prononcés. Jamais
la fête ancienne , philofbphique & plaifànte
des Saturnales ne fe reproduira de bonne
grâce parmi nous ; je crois cependant que
tout le monde y gagneroit, même du côté
de Tamufement , ii Ton vouloit en eflàyer
feulement une petite fois. *
CHAPITRE CCCIII.
Melons.
X^es melons qui crolflènt aux environs de,
Paris n'en ont que la figure. Ceux, qui ont
goûté les . excellents melons de la Lonibar-.
die , les bons melpns cantaloupes de la H0I-'
jbmde , ne peuvent toucher ^ cette mauvaise
drogue qui ufurpe le nom d'un des meil*
Içurs fruits de l'univers. Il eft tellement dé-
généré , qu'il devient fiévreux, mal-faîn ,* au
})oint que la police eft obligée de l'inter-
dire , & de le faire jeter à la rivière vers le
^5 Septembre.
Xes Icrm nouvellement établies , avec
^JE Paris. Z99
des vitrages exhàufies 8t ^ui concentrent
les rayons du foleil , leur donneront fans
doute une maturité qui les rendra moins in--
iklubires*
li n'y a rien de plus pernicieux que les
citrouilles, après les premières huîtres, que
l'on amené de Dieppe ou de Cancaleàla
fin d'Oâobre. Je ne confèille à perfonne de
manger des huîtres .dans cette ûdfon qu'a<«
i>rès les premiers froids. Il faut que la po-
ice veille à cet égard iùr les gourmands
Parifiens , k peu près comme une bonne
veille fur des enfants.
C H A P I T RE CG€IV.^
Filles nubiles.
JLe nombre des filles qui ont pafle l'âge du
xnariage eft innombrable. Rien dé (I ditfi- '
cile quun mariage 9 noii'pas tant parce c^e^'
ce noeud eft éter^d , que; parce qu'il fautj'
aller configner une dot pardevalnt notaires.
Les filles laides & nubrles abondent ; les
jolies ont encore beaucoup de peine à paf^
fer- Ilfaudroit peut-être ! renouveller à Paris
eeîqui étoit en ufage'chez les Babybniensi^
On raflèmbloit toutes les filles nubiles datis
'^nn Quùché public ; les îeuncs gens venoient , *
r
-j^aa TaIIEAIT
& comme de raifon, achetoient le» plu»
belles ; mais Targent qui en provenoit , fciv
voit à doter les l^des délaiflees^.
On voit que le mariage eft devenu un^-
joug peGuit, auquel on fe fouftrak de tout
Ion pouvoir : on voit qu'on a raifonné de-
puis peu le céliba^, comme une fituatioir
plus douce y plus sûre & plus tiatKpiillek La-
fille célibataire par choix , n'èft point raie-
aujourd'hui dans Kordre mitoyen : des^(œuts
ou des amies sVningent pour vivre enfemr-
ble 9 & doubler leurs revenus- en les plaçant
en rentes viagères.. Ce renoncement voîon—
taire a un lien confiamment chéri des fem*
mes, ce iyûâine anti* conjugal' n'eft^S pas.
bien remarquable dan^^ nos mœurs >
Chez les Lacédémonfens , les femixies>
chaque année fouettoient les célibataires dans
le temple de Vénus, Que dîroît Licurgne ,»
s*il voyoît aujourd'hui nos deraoîfelles dé-
daigner l'autel de l'hymenée , emtoaflîîr le-
célibat^ s'en montrer les apologiftes, & vivrt-
dans une efpece de liberté msiailine ? liberté-
c|^i , chez ai]cun peuple de la terre y ne fut^
le partagede leur (exe*
Qu'arrive - r- il de cet étrange dé(brdre V
!Les gens ai(es v qui ne fe marient point, Oft
911 le marient tard , ne font pref^ue- pas-
d!crnfants : les gueux qui (é marwnt intrépî^
dément, & qui fe manenttrop tôt, en font
kaucoug. V de {brtc ijpe kt ricHeOès.fe
i> E Paris. jqi
centrent de plus en plus dans un très --petit
nombre de niains; & l'ordre de la Ibciété
à qui elles feroknt le plus néceflàires , en a
le moîns^
Dans toutes les compagnies on ne ren--
contre que de ces vieilles filles qui ont fut
les devoirs d'époufe & de mère , & quî
trottent de maifbns en maîfons. Âf&anchies
des peines & des plaiGrs du mariage , elles
ne doivent pas ufiirper la confidération Se
le refpeâ qui font dus k la mère de fgmille
environnée de fes rejetons.; & l'on devroie
îes regarder comme ces vignes infertiles.,
qui au lieu de porter des raifins, n'ont pouflé
fous les rayons, du foleil que des feuilles jath*
nés & rares..
Ces filles décrépîtes (ont ordinairement
plus malicieufes , plus méchantes, plus txsL^
caflieres & plus durement avares que* les.
femmes qui ont eu un époux & des. en-
£mts».
Il fàudroit aflujettir lès vFeux garçons &
les vieîMes filles à. une <;ontributiou ,. reculer
encore également pour les deux (exes L'épo*
que des vœux forcés on indifcret&^ abolir
le célibat des foldats , qui ôccaiionne h cé^
libat des filles ; d^autant plus que des Cbldats
mariés, (èroient plus courageux & plus at^»
tachés à la patrie. |1< fàudroit enfiiii, que le*
lil^islateur fit revivre Sss anciens mariages:
ic la. main gaiiçfu. j^ afia de (liminuei: les^
V
3ÔX Tableau
difficultés du mariage. • Une concubine étoit
autrefois une femme non mal-honnéte. En
roulant trop gêner la Ubené de ' Phonime ,
on Ta précipité dans de nouveaux écarts ;
& c*eft bien le cas de répéter ici , que c*ejl
Jbuvcnt la loi qui' fait le péché.
C H A PI t R E • CCCVv
Les Vifites.
JLfes vifites emportent beaucoup de cempa>
Vainement fc fait-on écrire chez les portiers :
on eft condamné, à certaines époques, ^îi
aller d'hôtel en hôtel faire la rérérence ,
s'aflèoir , dire quelques mots infignifiants ;
puis on s'échappe pour faire la même cho(ë
dans la maifott voifine. Ceft un travail &
une occupation que de fortir ainfi d*un hô-
tel pour entrer dans un autre.
Ceux qui ont befbin de protedHôn ^ né
vifîtent les grands qu'à leur corps défendant.^
Le devoir , l'orgueil , ou la cupidité les traî-
ne à travers les anti - chambres ; ils (buf-
frent , murmurent tout bas & fubiflènt là
loi commune. Un valet qui doit avoir bon-
ne mémoire, annonce à haiité voix ceujc
qui entrent ; coutume pfuSente. Oh ouvre
les deux battants pour le$ femmes y c'eft
DE Paris. 303
alors que les qualités fonnent agréablement
à l'oreule de l'individu qui fe préfente dans
le cercle : un nom tout nu a quelque chofe
de honteux.
On a beaucoup abrégé les formules de^
premiers compliments. On s'aiflied , fi Ton
veut , fans prefque rien dire. L'arrivante oc-
cupe^ le fauteuil le. plus proche de la maî-
treflè de la maifon , le cède k fon tour , &
aînfi (ùccéjfllvement. Les femmes s'exami-
nent des pieds k la tête , tout en fe failànt
des mines. Ceft le moment où les nouvelles
circulent-; de forte quun fait arriva \ huit
heures du foîr eft fu àç tout Paris à dix heu-
res. Le commentaire & les bons mots qui
fbnt airét^ raccompagnent déjà , & il ne
fera plus permis d'en parler le lendçmain.
Après les nouvelles , vient l'étalage de cha-
que doârine particulière; mais le récit efl
court , excepté dans la bouche des officiers
de marine (i) qui abufent des circonftan-
ces pour tenir école publique de pilotage.
Les femmes diflimulent leur ennui , & font
ils la
1) Tous les officiers déterre & de mer ont- ^
connoiflance du fty)e de Turenne T'Le voici
après le gain d'une bataille importante : Les en*
juniis font venus nous attaquer , nous les avons
battus ; Dieu en fait hué l J'ai eu un peu de pei"
ne. Je vous fouhahc le tonfoir : je me mts dans*
mon ïit*
3,c4 Tableau
g^iflêr adroitement la converfàtion (ur le noiK
vel opéra ; on defcend de la vergpe du grand
mât aux baflbns de rorcheftre y 6c Ton parle
d'une tempête harmonique^. Au moment
que j'écris , les dlfputes (îir la mufîque Se
(ur la marine (ôm étemelles. £t pourquoi,
durent- elles fi long -temps? Ceft qp-oa ne
s^entendpas.
Les parFeuis de profisflibn ont mx t^ïep
toire tout formé , qui compote tout leur ef-
prit. Us n'ont pas. fattentîon de le varier ^
& il y a beaucoup de gçns quF vous éton«
nent , mais pour une leule fois» JTy ai été:
pris comme bien d'autres^
^^i^yy^y^^^/:^y<^^^^y/*^<^^y.^ w * y -^
CHAPITRE CCCVL
Raraitc^
Vxn ferme fa porte \ Paris , quand* ott
veut; ce qui efl impofEble dans les autres;
villes. On fe dft a la campagne pour un
mois , & vous pouvez être afïuré que pen-
dant un mois perfonne ne viendra vous im-
portuner.. Les portiers font d'un merv^eux
(ècours pour vous faire voyager , tandis que
vous boudez tout feul dans un coin*. Ils^ vou&
fervent de chevaux de pofîe.
rai lu jadis une pièce de vers întîtuléax
1> E P A H I S. JOÇ
E pitre à mon verroidL L'idée ëtoit phî&nte.^
Un philofophe avok mîs en gro(ies lettres
dans Ton cabinet ces trois mots , épargne^
mon temps. Avec cela fai(bit-il fuir les im-
portuns? J'en doute. Il n'y a d'autres rem-
parts contre les vifïtes incommodes qu'un
verrouil : il ne faut donc point faire une
épî^e àjort verrouil , mais le tirer;
Combien d'amitiés , combien de lîaifbns
inutiles ! Il eft un temps dans la vie , où un
homme raifbnnable devroit (avoir à quoife
fixer , éprouver ceux qu'il fréquente , & fe^
debarraflèr ainfî de niËe foins que tous ces"
amis de noms ufiirpent aux véritables. La
Êgeflè- , la philofophie , s'en trouveroîent
mieux , & l'on apprendroit de bonne heure
à màiager le temps , à prévenir le regret de
£i perte.
Certaines, gens font fî fatigués d'èux-mé»
mw qu'ils n'exîftent que quand ils ont qua-
tre ou cinq perfonnes dans leur chambre
pour affilier kleui lever 6c à> leur toilette^
3o6 Tableau
CHAPITRE CCCVII.
Les Affiches.
KJn affiche tous les jours de ^land marin
les pièces que l'on donnera le loir aux trois
frands fpeâacles : les théâtres du Boulerard
z. de la foire en font de même. On roit
fur la même ligne, Athalic & Jeannot
che^ le dégraijfeur ; Cajîor & PoUux , ÔC
la Danji du petit diable ; il y a de quoi fà-
tisfaire tous les goûts. Or , en fait 4^ plai-
Crs , je foutiens que perfonne n a tort , pourvu
que les pièces ne foient pas indécentes ; &
elles ceflèront de l'être , quand on (i) n'aura
(l) Ils le font bien , puifqu'ils décident fi ta
?îece foraine fera ou ne fera pas repréfentée*
ugement qui ne devroit appartenir qu*à la po-
lice. Faut-il redire ici à quel point les fpeâacles
font capables d'influer îiir les opinions d'un
peuple , combien ce reffort eft puiflant pour
émouvoir (c% afFeâions , combien il importe aa
gouvernement de régler , de protéger les repré-
fentations théâtrales , & de tourner à Tutilité des
mœurs ce qui ne paroiiToit devoir être qu'un
fimple amufement ? Comment des fonâions auffi
graves ont -elles pu être du reflbrt de deux
comédiens !
DE Paris. y>j
plus des comédiens pour cenfiurs moraux.
Qui croiroit qu'il y a une multitude de
gens pauvres , qui lifent les affiches fans aller
au {peâacle ^ & qui fe confolent de n'y point
aller , en fâchant quelle pièce fera repréfcn-
tée ? Us l'empruntent , la lifent en fe cou-
chant , & rêvent l'avoir vu jouer.
On ne peut rien afficher fans l'attache du
lieutenant de police ^ & fî vous avez perdu
un chien ou un bracelet , il faut aller de*
mander la (îgnature du magiftrat.
Il eft vrai qu'elle eft toute prête , & qu'il
y a un bureau de blancs-femgs ^ ^ur fa-
vorifer la retrouvaille des ëpagneuls, des
perroquets , des manchons & des cannes
perdues.
Il n'y a que deux objets qui s'impriment
à Paris fans permifjion , les billets ^ enterre^
ment & les billets de mariage. Mais une
pareille licence nefauroit durer long -temps
dans un gouvernement bien policé , & bien-
tôt le bon ordre les foumettra fans doute à
la révifion d'un cenfeur & à l'approbation
de monfeigneur le chancelier ou de monlèi-
fneur le garde des fceaux \ car un époufeur
c un mort ne doivent pas imprimer libre--
ment , quelque preflSs qu'ils foient. C'eft une
témérité fcandaleufe & attentatoire à Vau:^
torité.
Des particuliers ( je les dénonce ) s'éman-
cipentauffi défaire imprimer y fans mandat ^
3p8^ T A » 1 £ A U
fans privilège , leuts^ noms fur des cartes f
& fe donnent le ti^e d^éci^en , de comté ,
de marquis , de baron, de chevalier, d^or^
vocat erfiïïr Ce font peut-être des ufiirpi^
teurs. £K1 \Fite un qenfeur royal pour appra^,
vtr , examiner tomes ]es cartes de .vifîtcs
qu'on glîflèra chez, un portier ou ^ns la ùi^.
xure. Quelle dîffîrence y a - t-il d!in)primer
fur des cartes ou fur du papier ? Les carac^^
Itères d'imprimerie ne dcMvent januis moc-
dre le chifton (ans U Jîgnature 6c le para^^
phe : que ncv peut-oD paS' mettre fur , cette
carfe / On. s'endort Ik-deflùs, & bien niaL
à propos. Le coiiHiiis du fceau $!ea fcanda-: .
Eïe étranglement. ,
Il faut (]ue Tafficheur ait (a médaille de^
cuivre fur r^fiomaç^, pour plaquer & cojlet
contre les murailles i'annoncci àes^ pièces de^
théâtre , des liyres , des ^terres a vendre. Ces».
mêmes afficheurs (i) crient & vendent les
fèntences des criminels , & fe réjouiflènt des
exécutions, qui leur font gagner quelqu'ar-^:
gent , aînG qu*^ l'imprimeun •
Ces affiches font arrachées le lendenfiain , ^
pour &ire place à d'autres. Si la maîiwqui
les coUe ne les déchiroit pas, ^ les rues à la
longue feroîent obftruées par une efpece de ,
carton , groflier réfultat du (àcré & du pro- .
{i) lU foat quarante ^ ainft qu'à racadâaîê:
fraoçoifta.
DÉ Par -is. . 309
fane m^lés enfèmblé : comme commande^
mcnts ;- annonces dt charlatans ; arrêts
^léia <our- de parlement } urrits^ du con^^
fiilcpi les C2&T^^ biens tn décret , ventes
après décès & au dernier tnchérijfeur ^ mo^
nitoires , chiens perdus ^ fintences du Châ*
teletf avis aux âmes ^ dévotes ^ marionnef*
-tes ^ prédicateurs , expofitiondu Saint-^Sa^
crement , -régiment de dragons ^ Jraité de
l'amc , bandages élajliqûes y &C4 bref, de
«tous ces difféseBts papiers (}ue le public a
'ibus les yeux ^ qu'il ^ne lit pas , .& qui ne fe£«
vent qu'à déguifer la nudité des murailles.
Si le peuple s'accoutumoit à iire:^ces affi-
ches ^ il apprendroit peut-être à moins dé-
figurer l'jotthographe françoife \ m:ais il ne
s'embarraflè ni de Torthographe , ni de tout
xe ()u'aniK)nce cette multitude de placards.
On voit quelquefois des arrêts de la cour ^
qui ont 'fit ^leàs de h^t fur trois de large ,
& le caraâere en eft menu. Quel malheu-
reux débordement d'inddles paroles ! X)n re-
garde l'affiche avec étonnement ; perlbnne
*tie la lit. Il s'agit d'un procès obfcur entre
.deux particuliers 4fii fe (ont minés pour cou-
.Ttir d'un papier noirci un pan de muraille :
xette pro(è gothique <;oûte quelquefois foi-
xante mille francs. Les greffiers oc les rece-
veurs* d'épices ttouvem ce %le-Jlà admirable
^ néceflair^
Les noms des notaires ^^ procureufs^
310 Tableau
des huiflien-prifeuis , &c. (ont imprimés ea
gros caraâeres au coin de toutes les mes ;
ce ces meffieurs n'en font pas pour cela
plus célèbres. Ils font toujours affichés & tou-
jours obfcurs. Au défaut de renommée, ils
empochenr fargent : un inventaire grofibyë
apporte beaucoup plus qu'un bon livre.
Les affiches des fpeâacles (ont en cou-
leur , mais un peu trop exhauflees ; on en
voit fix ou fept qui forment une véritable
échelle , le grand opéra en tête , & les
danfturs de corde au dernier nmg. Mais le
plus fouvent par refpeâ , les affiches des
Jpeâacles des Boulevards s'éloignent des
affiches des trois théâtres. Ce <pie c^eft que
Tordre & la (bbordination !
CHAPITRE CCCVIIL
Tableaux , DeJJins , Eflampes , &c.
X^a manie coûteufè & infenfëe de? tableaux
& des deflins que Ton acheté à des prix fbux^
ell bien inconcevable. Il n'y a point de luxe,
après celui des diamants & des porcelaines,
plus petit & plus déraifonnable : non qu'un
tableau ne vaille fon prix ; mais parce qu'il
eft bizarre , ridicule , indécent de couvrir
^or, des peintures dont l'utilité & la jouif-
lànce fi)ut également bornées.
9 £ Paris, 311
Que des princes forment des cabinets , ils
.fe doivent k tous les arts. Mais qu'un par--
ticulier entreprenne une colleâion toujours
lincomplette , ces d^enfes énormes Tempe-
• cheront , à coup fur , d'être un bon parent ,
un bon ami , un obligeant citoyen : il n'aura
.phis d'argent que pour des toiles peintes.
Plus il pofledeia , plus il voudra encore poG
-fëder : fa luaifon, fa famille , tout ce qui
l'environne ^ fe fenrira des prodigieux (àcri- "
tfices qu'il of&ira fans ceUe à une manie
dont la nature èfl de ne jamais contenter
celui qu'elle tourmente.
Les méprifes étant faciles & les erreurs
ordinaires , nouvelle fource de chagrins 8c
de contrariétés ,: Penôkement prend la place
-du goût, & la fureur de la poflèflîon em«
pèche la paifîble jouiiSànce.
•Je n'ai jamais pu concevoir comment on
ne fe contentoit pas d'une belle copie au
/défaut de l'originaL. Souvent l'œil le plus
.exercé héCte entre les deux peintures; &
quand on pourroit avoir par ce moyen trente
beaux tableaux pour le prix qu'on met à un
feul , comment iê luine-^t-on pour un tableau
unique ?
Tel homme a veçdu (es maîfons & fes
terres , pour faire làiié colleâion d'eftampes
renfermées dans des porte-feuilles invifibles ,
& qu'il n'ouvre pas quatre fois l'année. Il fe
traîne encore aux ventes ; crie k l'huiffier ,
JIA T A B L E Â V
d'une voix ëceinte ^ unjbl ; dit tout liant
^^il eft fou , empone f objet ; & il haï £usix
de foites lunettes pour x:ontem[der (on ao-
quifition. A ià moit ^toot^rela feia di^ieifi
en.diffîrentes Tnaina^ & î^jutyrc tantpouf-
itiivie.ne fera jamais cmnplecto.
Un vieux tableau kvàcmé pekit^ tfbcé^
dont on ne dîftingue plus xien , fcfa préfëré^
parée quHl eft odginal ^ àun taUemmoder*
ne & intéreflànt , dont la rouleur: eft Gaâcbt
& agréable.. Quel eft donc le^déËutt deœ
-dernier? Le peintre ^ft vivant.
Il faut 4ue les particulitis bSflènt anc
>|»inces ou aux grands , dont PopoleiKe eft
^exceflive^ie.frmlege de mettre de gtofiès
(ommes^en^ tableaux &<en liâmes. Cât une
-foHe de confiuner {on ^pammoine en curio-
fités ; c'eft un vice d'oublier fesjxaients &
4es amis peur des peinmres <)a oes gravu-
res. Ces arts (ont faits pour figurer ddans des
(allons publics , & non dansvdes xabinets.
L'amateur immodéié^^n'eft qu'un maniaque.
On n'a point encore ridiculUë-fur notre
.^cene cette folie ruineufe : elle méiiteroit
ibien les pinceaux d'un auteur comique.
fOOJOi
DE Paris. 313
CHAPITRE CCCIX*
Encan.
JVlaîs nos feigneurs , (bus le nom de cz/-
rieux , font le plus fouvent des brocanteurs
magnifiques , qui achètent fans befbin , fans
paflion , & feulement pour avoir de bons
marchés , bijoux , chevaux , tableaux , eftam-
pes antiques , 6cc. Ils font des haras ou des
cabinets, qui font bientôt des magafins : on
les croiroit paflionnés pour les beaux arts ;
ils aiment l'argent.
Ces vafes , ces bronzes , ces chefs-d'œu-
vre , auxquels ils femblent tenir , 5c dont ils
fe montrent idolâtres , appartiendront a qui
voudra les en débarrailèr pour de for. L2
médaille la plus antique ne refiera pas.ati
médaillier , malgré tout Tétalage du proprié-^
taire \ on en fera la conquête. Ces brocan-
teurs décorés ufurpent ainG les profits des
claflès commerçantes , & ils vous diront
néanmoins qu'ils n'achètent que pour les
àrtiftes : ils en font les véritables^ tyrâjos. 1
Au refte, c'eft aux ventes que le prîi
réel des tableaux fe manifefte , 8c qu'ils n'ea
impofent plus , comme dans le fallon de
l'orgueilleux poflèflèur. La finit le rôle avan^
Tome IL 0
514 Tableau
tjîigeux de l'homme ufurpatcur & médiocre:
là , les prétendus connoîflèurs voient leur
pronoticé chimérique réduit à zéro : Ëi , la
Tuperbe école Françdife apprend àraliattre
vde fa faftueufe préfompriou. Un peintre a
;beau s'appellcr premier peintre du roi , on
rdonne pour dix écus ( c'eft-à-dire pour k
•toile ) une de fès compofitions de quatce
>pieds dé hauteur. L'huifCer-prifeur ne mi fait
ipas grâce , >& le livre impitoyablement k
/l'acheteur qui va en décorer une antipdbam^
ibre enfumée , ou une falle k jnanger.
PhiKppe duc d'Orléans , régent du royao-
}tne , s'amufoit.à peindra ; Pliais la main de
fon alteflè , habile .à miouvoir l'Europe, ne
furpafibit pas en peinture celle du plus mifô-
rable barbouilleur. Qù^eft-il arrivé ? Son |Mrii>-
cipal tableau , quoique décoré de fon nom^
rucceflîvçment chaflc de tous les c^inets ,
rfe trouve aâuellement expofé dans un paf-
ûge public des Thuîleries , follicîtant en vain
un acquéreur qui lui donne un afyle. On le
•regarde , on lit le nom augufte , on fourit^
£c perfonne ne veut en donner trente-fix
livres ; ce ^i prouve que dans les arts qui
tiennent au génie, on ne paie point le pu-
Mc avec des titres.
© E Paris. 31^
CHAPITRE ce ex.
Chapeaux.
Lie Parifien change avec la même facilité
de fyfiéme , de ridicules & de modes. La
figure de nos chapeaux , comme toutes les
chofès humaines , a fubi le fort de la varia*
tion* Les coçfFures dans les boutiques des
tnarchands fe fuccedent comme les nou<«
celles méthodes dans l'empire des lettres.
Le chapeau haut & pointu a prévalu quel«
€p€ temps , ainli mie le ftyle académique >
•ijui tQmbe enfin , oc que Ton n'imite plus.
Ce penchant pour tout ce qui varie , cette
pafHon qui nous pouflè à créer de nouvelles
modes , nous fait adopter ce que les princes
imaginent en le jouant^ ou par fantaifie>;
tantôt c'eft Pinrention d'une énorme paire
de boucïcs , tantôt c'eft celle d'un frac. Ainâ
Alcibiade donna fon nom à une forte de
, ibuliers ; & fa vanité étoit flattée , lorfqu^il
«ntendoit dire qu'elle étoit de fa création.
Quelquefois des intérêts particuliers font
naître une mode ; Porigine des paniers fut
inventée pour dérober aux yeux du publid
des grofleflês illégitimes, oc les malquet
jufqu'-au dernier inflant \ les grandes maa*
Oz
3i6 Tableau
çhettes furent introduites par des frippons qui
vouloient filouter au jeu & efcamoter des
cartes.
Nous avons rogné infenfiblement le haut
bord de nos larges feutres ; nous les avons
enfuite rendu pedts ; & enfin nous avons fait
difparoître ces trois cornes fi incommodes.
Aujourd'hui nos chapeaux font ro^ds \ &
voilà les chapeaux k la mode.
On ne les port^ plus le matin (bps le
bras. Ils couvrent la plus noble partie du
corps , & pour laquelle ils font faits. A-t-on
vu fe [Turc mettre le turban fous fon bras ,
les évêques tenir Içurs mitres à la n^ain î
Mettons donc conftamment notre chapeaii
fur notre tête pour garantir nos foibles cer-
veaux des rayons du foleîl , & que ce pré-
cieux dôme s'oppofe aux évaporations de
notre cervelle. N'ctoit-îl pas ridicule de fcnv
ployer inceflàmment à la main à des exer^
cices de civilité & de minauderie ?
Je ne ferai point ici rhiftoire des cha-
peaux ; je ne remonterai point aux chapeaux
gras de Louis XI , qui les portoit tels par
ialeté 8c par avarice ; je ne parlerai point de
la vertu magique concentrée dans tels cha-
peaux ; les uns font d'un mauvais prêtre un
grand fèigneur , & les autres un doreur
d'un idiot. On fait FefFet que produit tel
chapeau fourré mis fur la tête d*un grena-
dier \ 8c le diadème enfin , n'eft-il pas' ua
DE Paris. 317
chapeau qui produit une certaine ivreflè ?
J'ai vu des chapeaux dans ma jeuneflè
cjpi avoient de très-grands bords ; oc quand
ils étoient rabattus , ils reflèmbloient à des
parapluies : tantôt on releva , tantôt on ra-
baifla fes bords par le moyen des gances.
On leur a donné depuis la forme d*un ba^
tcaiL Aujourd'hui la forme ronde & nue pa-
roit la dominante ; car le chapeau eft un
Protée qui prend toutes les figures qu'on veut
lui donner.
Demandez - le à nos femmes , qnî , après
tant d'eflàis multipliés , ont définitivement
adopté le chapeau Anglais , malgré leur
antipathie pour ^Angleterre ; je leur con^
feille de s'y tenir ^ qu'elles l'ornent de per^
les 9 de diamants , de plumes , de cordons ,
de rubans , de houppes , de boutons , de âeurs ;
que les poètes dans leur langage y attachent
des afhres & des comètes ; qu'elles les por-
tent rouges , verds , noirs , gris , jaunes :
mais qu'elles gardent conftamment le char
ptau An^is ; les laides y gagnent, & les
Délies auffi.
Nous n'avons donc plus nî chapeau pig-
mée , ni chapeau coloflàl ; les dames avoient
élevé ridiculement leurs coëfîures, au mo-
ment que les hommes avoient arboré les
petits chapeaux ^ aujourd'hui que les hom-
mes en ont augmenté Se arrondi le vo**
03
3iS Tableau
lume^ les coëffùfes ont prodigieufêmeM
baifle.
Un poëce difbît alors :
J^éù rs Ckiùntt fjù 9u U jiunt HUimt s.
2>ês ruhâtu de Betuîard leufs fiants i^ùUnt •nU* ^:
Le momie étroit de la èaîehu
Paifiit gémir leurs corps emprifonnés»
Lturs cheveu» hérijfés fuyoient loin de leur titt i^
Wn panache orgueîlleu» en firmontoit le fatu*
Trïs delàfapperçus la Vénus Médicisi,
Sa taille lihre & naturelle
J^éployoit aifément fes contours arrondis*
Toiu enr elle éeoit fimj^ & tout charmoit M dUa.
J^admirai tant de grâces » & tout has je au diai:
L'art enfetgAe à Chloris à deiuenir noim heSXt^
Hommes & femmes fe coëÊntheancoop^.
mieux. Sî nous fommes dans une voiture^
il nous eft permis du moins d'enfoneer lar
tare dans le coin du carrofle, & nous ne
rifquons pas d'éborgner notre voifin arec
les pointes de notre ancien triangle.
C*ert toujours celui-là qu^ôn porte fous Ic^
bras , lorfqu^on eft habillé ; mais on ne slu*
bille plus qu'une ou deux fois la femaine ^
les jours de grandes vifitcs. On voit les gens
comme il faut , ^ Wieure même du fpeâa-
cle , le chapeau fur la tête.
Le dernier caprice , je croîs , eft le meil-
leur •, il a influé fur la couleur. Les chapeaux
ne font plus noirs ^ on les poKe blancs >
DE P A K I S. yi^
comme font les carmes & les feuîflants de-
puis plus d'un fiecle ", & fur-tout en été , le-
foleîl échauffe moins la tête. L'œil qui s'é-
tonne d'abord , s'accoutume à tout : on por--
teroit des chapeaux rouges & bleus, verd-
pomme & lilas, qu'on s'y ferait •, chacun^
arboreroit fa couleur favorite. Ce feroit un-
nouveau coup-d'œil.
On commence par condamner les nou^^
velles modes ; chacun fe récrie fur la folie'
changeante : au bout d'un mois elle eft adop-
tée par fes plus violents contradideurs^ &
tel qui la fronde aujourd'hui, prendra demain^
les idées qu'il avoir combattues.
Puifque c'eft à nous à inonder la terre de
nouveaux bonnets , jôuiiïbiff de notre céni«r
inventif, plaçons nos ^chapeaux d'hommes
furies têtes Suifedèsôc HoUiandoifes. Con--
tînuons de donner toujours la loi prédomi*-
nantes de coëi£ires. Toutes lés femmes ont
pris nos chapeaux : il s'agit de les faire-
adopter définitivement k Vienne , à Berlin ^
& â Pétcrfbourg. Et qui (ait fi nous n'é-
tendrons pas encore plus loin, en triompha-r-
teuis . Jbeuceui ^ nos iUuftres conquêtes V
O 4
320 Tableau
CHAPITRE CCCXI.
Noces.
\^ue celui qui a vu une noce champécre^
le couple du hameau qui s'avance vers
Féglife , les doitgs amouieiifement entrela-
cés , portant dans leurs regards le defir in*-
gcnu ; les parents qui les wivent aii^ même
autel où ils fe font mariés ; les garçons de
la fête en habits du dimanche ^ les rubans
au chapeau , le bouquet au côté ; les filles en
l)lanc çorfet , regardant ce jour-lk leur amant
avec plus d^aflùrance ; & le violon un peu
aigre , mais qui conduit gaiement la marche
£c ferme le cortège , ne s'attende point ^
trouver (bus le luperbe portique de nos
temples , ni la gaieté vive & franche , ni le
riant tableau de cette joie naïve , ouverte
& abandonnée.
L*hymen ici fe célèbre k grands frais ;
on ne marche point fur la peloufe le long
des haies fleuries, pour arriver k Fautel du
bonheur. On s'enferme dans des carroflès à
glaces ; on eft chargé d'atours : les coëffeurs
ont ocaipé toute la matinée \ on s'obfervc
triftement ^ le cérémonial règle tous les pas ,
& le couple opulent , fous des habits d^or ,
DE Pari s. 321
porte déjk (ùr fon front Teniini qui dpit les
accompagner le refte de l«urs jours. La vil-
lageoife aimoit de bonne foi avant de
fceller la foi promîfe devant le curé ruftique ;
& la Parifienne , recevant le riche anneau ,
jure , avant d'aimer , quelle aimera toujours-
Le feftin du village ofFre la même dif-
férence. Où eft le rire ingénu , la table dret
fée fur l'herbe , la joie de^la parenté, le broc .^
de vin toujours rempli , le veau entier dé-
pecé & rôti ? Où font les danfes vives & les
mouvements vrais de l'alégreflè ? Où les
vieillards paroiflèht* ils en cheveux blancs ^
eflùyant leurs yeux humides de larmes de
tendreflè > Où ht-on l'attente du plaifir dans
les regards furtifs de la jeune mariée î O^
répoux paroît-il pétulant & impatient de voU*?
luire l'étoile du foir ? Où le lendemain l'c-
poufè un peu pâle paroît-elle confufe & heu-
reufe , étonnée & triomphante ? Ce n'eft
point a la ville.
Une aflèmblée de parents a moitié dîvî-
fés , qui ne fe font pas vus depuis long-
temps , qui ne fe reverront guère pafle ce jour
cérémonieux \ des vieillards qui diflîmulent
leur caducité; l'étalage des étoffes, des révé-
rences compaflees , des faluts melbrés , une
ob&rvation maligne , des compliments
froids , un maintien compofé , une dignité
monie & impofante : voilà comme on s'tn
xût dans la capitale,
0$
312 T A B l. E A If
Il faut defcendre parmi la claflè des bouiv
geois du fécond ordre pour revoir quelque»
images des anciennes noces , elles font moiiis
brillantes ; mais il y a du mouvement & àxL
bruit. lÀ on voit des afTemblées de quatre^
vingt à cent perfonnes ; & les invités , chacun
à leur tour , rendent le fefUn aux jeunes ma-
y nés : c'eft un enchaînement de repas pendanr
onze femaines.
Les traiteurs (è plaignent tous hautement
y que les feftins de noces deviennent 'de jaat
^en jour moins fréquents , qu'on s'enfuit a la.
campagne pour ne point faire de bancpiet ;„
ils difent que la joie tombe, que la .mélan-
colie domine la nation , puifqu'bn renonce-
à la bonne chère & à l'intempérance dans^
le jour te plus folemnel de la vie , que nos
aïeux célébroient tous par la plus complette
îvreffè que leur franchîfe ne redoutoit pas.
Les ménétriers fe plaignent aufli qu'on ne
danfe plus comme on fai(bit jadis.
Vous voyez chez ces traiteurs plaignants
des fàlles immenfes & vuides qui n atten-
dent que des convives & des danfeurs. II
y a place pour la table immenfêment loin
gue & pour les contre-danfes en rond.
Le petit peuple danfe encore fort & long-
temps ; car il eft le dernier à abandonner
les coutumes joyeufes , quoique Ton cherche
de toutes parts à avilir (es divertifièments.
La Hcence des paroles règne dang toutes
i
0 E P A K I S. 3133
l<is noces bourgeoifes. Si Ton faifbît un re-
cueil de tout ce qui s'y dit de. jovial^ ces •
plai&nteries »ne feroienc pas fort délicates ;
mais elles offiriroient de loriginaÙtë , ce que
le beau inonde n'a pas. Le bourgeois rît ces ^
jours-lk, de manière à avertir tous les pa(r-
fànts qu*il eft de férié.
Un homme peu fortuné , gourmand de
(on naturel, Çc quraimoit confcquemment
à faire bonne chère ( ce qu'on ne fait pas •
fans de bonnes rentes) avoit trouvé un fin--
g^ilîer expédient pour être de noce tous les
jours de fa vie : habillé en rtoir & fort pro^ »
ptement , il étok aflidu toute la matinée k
Saînt-Euftache , k 5aint*^Paul , à - Saint-Sut
pice, k Saint Roch^ enfin dans toutes les
grandes paroiflès ; 8c quand il voyoit un
maiîage dont le coitegfe ctoit un peu nom-
breux, il fe mâoit parmi la foule. Certains
jours il avoit a choim*'; car k la même heure
on voit fouvent trois ou quatre mariages de
<Ufl^entes daflês, 8c dans la même églife.
A niEie de laiiieflè commence l'indit-
penfable feftîn , toujours commandé d'à*
vance, 8c qui {è fait ordinairement chez le
ttaiteur. Il eft d'ufage que les parents de cha-
que conjoints fe réunifient k la même ca-<
ble , 8c le plus fouvent ils fe voient poîur la
Eemiere. fois. Or , les parents du mari ^ qui
voient -vu k la meflfe , croyoîent notre
éirangei: du côté de h foaxmRAJ^n^ qui
0 6
v^
314 Tableau
les parents de la femme le croyoient du eu»
té du mari. Il faifoit donc grande chère
dans fon rôle équivoque , diftribuant de part
& d'autre quelques légers compliments ^ &
vous penfez bien qu il poffédok k fond le
flyle & les propos du jour.
Il y avoir quatre ou cinq ans que ce ma-
îiege duroît , lorfqu'dn parent qui rencon-
troit notre habit noir pour k tfoifieme fofc
depuis huit jours , s'avifa de lui demandef
de quel côté il étoit. Du côté de la porte ,
:reprit-il en fe levant & pofànt fà ièrviette
iùr la taUe. On en étoit au deflèrt.
Si l'hymen n'eft pas cher au village , s'il
•en coûte peu à l'habitant de k campagne
pour fanâifier Tes plaifirs , il n'en eft pas de
même à Paris. L^époufeur fc jette dans tou-
tes les dépenfes du kixe & de la repréfenta-
tion , pour complaire à la future & à la (btte
vanité de fes parents. Huit jours après les
noces viennent le regret & les lamenta-
tions. Ce font des mémoires de fourniflèurs
•i^ui fê fuccedeîit chaque jour ; c*eft le ven-
•deurde diamants, le marchad d'étoffes, le
bijoutier , le tailleur, le traiteur , la lingere ,
la marchande de modes , le tapiflier , le mi-
roitier , le cocffèur : & paie , pauvre mari ,
pare ! on ne t'a pris que pour cela : as-tu cm
que ta jouiilànce (èroit purement gratuite ?
- Auffi aton fait une eftanipe pariante , où
Ion voit la dot de l'épouiëe s'envoler en di&
DE P A R I S, 51^
férents jets , & tomber dans tes mains &
le tablier d'une multitude de gros & de pé*
tits marchands. Le mari , qui fuit d^un œil
trille & étonné le vol irréfiftible de fes e(pe-
ces , porte douloureufement la main for des
facs vuides ; & pour tout dédommagement,
il a k fes côtés une femme éternelle , brillante
de clinquants & de colifichets.
Le premier enfant achevé la confèdîon
entière de la dot ^ l'époux abufé prend de
l'aigreur ; les reproches mutuels s'élèvent , &
chacun maudit au fond de fon ame le ma-
riage trompeur , & les noces difpendieufes
que la vanité a commandées.
CHAPITRE CCCXII. '
V
Mariage. Adultère.
X-i'indifiblubilité du mariage fait les adut-^
teres : on ne peut délier le nœud , on le
rompt. Faut - il s'en étonner î On a bâti lé
même contrat pour des êtres d'ailleurs fi dif-
férents dans leur phyfique , dans leur fortu-*
ne , dans leurs emplois , dans leurs idées \
Ici la chaîne a été lâche ^ là, trop tendue ;-
-ici , tyrannique \ la , fervant de voile à la
cupidité. Le foldat , le matelot , le juge , le
nulitaire , l'éaivain , le négociant y le cul-
j^6 Ta b t E AU
tiÎTateur , le poftiUon font aflèrvis aux
xaes ufages* .
Après cela, un homme qui veille fur (a -.
femme , paflè pour jaloux , oc on le blâme. .
£ft-<^e infidelle ? on ridiculife le mari. La ;
loi qui empêche le divorce , fans avoir égard .
àJ'antipathie des caraâeres , eft une loi bi^^
zarre. Elle règne à Paris^ mais qu'en arrive» -
wl î Vous le lavez !
Le lendemain des noces bourgeoi&s , ou «
tout au plus huit jours après, .quel change-
ment s'opère dans l'eTprit de l'amoiuemc :
mari ! De quelle hauteur tombent les efpé>
rances de tel honnête artifàn ! Il croyoît avoir
^ufé une femme économe , rangée , atten- -
tnre à fes devoin. Il lui trouve tout-4coup ?
l'humeur diflipatrîce ; elle ne peut plus res-
ter à la maifon ; elle joint la dépenfe à la pa-
reflè. L'inconféquence , la légèreté , la foKe
remplacent les occupations utiles où elle
avoit été élevée dès l'enfance. Loin de fixer
dans fbn ménage Taifance &: la paix par
un fage travail , elle fe livre a la frénéfie des
panires.
. Qui Peut dît , que le mariage altéreroit à '
ce point fes premières difpoutions ? Cette
fille timide , craintive , occupée dans la mai»
Ion paternelle , eft devenue une femme exi-
geante , altiere , qui ne fcmge qu^àfes pro-
pres jouîflànces , parce qu'elle a mis dans
ùi tête que tout l'entretien d'une maifon d^
DE P Alt I S> ^^7^
¥ok rouler fiir le mari , tandis que le r61e%
de la femaie écoit de, (è livrer à une vie
diiEpée.
Cet artifan aura beau être laborieux &:
économe ; rinfouciance journalière de fott
époufe mine une mailbn qui s'abyme infen-
nblement , parce que la mère de famille a .
manqué de vigilance , de tendrefle & d'é-
cçnomie. Tous les défordi^es font nés du pre-«
mier défordre ; les enfants héritent de la mi^*
fere de leurs parents , & voilà Thiftoire de
la moitié des mariages qui fe font à Paiis .
dans le fécond ordre de la bourgeoifie.
Autrefois, Kadultere étoit puni de mort : .
aujourd'hui \ celui qui parleroit de ces loix
aufteres Se antiques feroit prodigieufement
fifflé.
Voyez.dans toutes nos comédies , C Ton
ne rit pas toujours aux dépens des maris ;
voyez les petits vers de nos poètes légers 9
Hs plaifantent inceflamment fur le mariage ,
avec un (èl qui réjouit tout le monde. Ces
gentilledès ne font qu'une apologie perpér
tuelle de ^adultère : on diroit qu'on a peur
que les femmes ne comprennent aflez tôt
que leurs charmes ne font pas faits pou^
n'appartenir qu'a un feul.
Tous les arts deviennent con^lîces de
ce$ exhortations k Pinfidélité , tous s^empreÉ»
lent k les confirmer 4ans cette idée , k ache^
ver d'éteiiadre toutibrupule dins leurs âmes»
328 Tableau
Nos tableaux , nos ftatues & nos eftampes y
qu'offrent - ils ? Tous les tours heureux &
triomphants joués au pauvre dieu d'Hymen.
Nos peintures ne font pas plus chaftes que
nos vers.
Mais de nos jours, ^ô raffinement erîmî-
nel ! on a été encore plus loin que fadùkere;
on a corrompu Tinilitution la phis augutte ;
on s'efl fervi des loix mêmes pour confa*
crer le libertinage , & en produire les fruits
avec audace. Cette dépravation , ce nouveau
(candale date de notre fiecle : c*eft encore
un crime du luxe.
Un homme opulent eft attaché k une
fille , en a des enfants dont la loi feroit des
bâtards. Il imagine de leur donner un nom
& un rang ^ il ordonne qu'on lui cherche
quelqu'un de noble , mais dont les adverfi-
tés ont dénaturé l'ame : on le trouve , on le
marchande ^ il eft forti d'une famille qui a
lin nom , mais indigente ; il a été élevé
dans une fierté oifîve , & il n'a pas de pain.
Réduit à une pareille extrémité, Phonneur
n'eft pour lui qu'un vain nom. On lui pro-
pofe d'époufer cette fille , & d'en reconnoî-
tre les enfants : il aura une penfion qu'il ira
manger dans le coin d'une province éloignée.
Le noble d'abord a quelque répugnance ;
mais l'or, ce puifîànt mobile des aâions ini-
ques , l'or le décide. On le mené chez un
notaire, où il ligne un contrat quiluiaflùre
DE Paris. 319
réritablement une penfîôn , mais qui porte
une réparation de biens préliminaire.
Figurez- vous cet homme qui, lelende*
main , trouve dan$ une chapelle obfcure y
quatre témoins , & devant l'autel , une fille
jeune & charmante qu'il n'a jamais vue:
voiik fa femme , mais fuus la condition ex-^
preflè qu'elle ne fera jamais à lui.
Elle fort en ce moment des bras de la
volupté , pour y rentrer après la cérémonie ;
l'époux lui touchera une fois la main, pen-
dant que le prêtre prononcer les paroles
facrées. Paflé cet inftant, à jamais feparé
d'elle , il ne reconnoîtra peut-être pas le
vifage de celle avec qui il aura contraâé.
L'anneau fe donne, le oui fe. prononce de
part & d'autre^ 0.1 , pour mieux dire , le
parjure & le (acrilege s'accompliflènt.
En fortant de la chapelle , Tépoufe , £\oi
faluer fon mari, monte dans un équipage,
& fe retrouve dans le lit qu'elle avoit quitté.
L'époux fuit vers la province , on lui paie
une année d'avance , & il a une femme dont
il ne peut pas .vifiter l'appartement, ni même
habiter la ville. Il a oc il aura des enfants
qu'il n'a point vus , qu'il ne verra point , &
ils porteront fon nom.
Il fe bannit , & va manger (à honteufe
penfion dans une petite viue , lor(que fa
femme déployant fon contrat de mariage &
l'aâe de célébration , fe pare publiquement
330 T A B L E A U
du nom qu'elle a acheté. Un marbre offi:e
ce nom en lettres d'or au frontij^ice d'iin^
fuperbe hôtel ^ tandis que le mari n'o(ê artK^
ctder le fien dans fa profonde retraite.
Voita ce qui fe pratique fous Toeil de la
légiflation : 8c la loi outragée eftt réduite au-
fiknce \ car on a tourné contre elle fes pro-
ff es f(M:mes avec une coupable adreflè ;.
homme a pam fe venger àibn tour d^kie
k)i inflexible & extrême.
N'auroit-il pas mieux valu- ne pas abolir
œs anciens mariages mixtes 8c faciles , oîk
là femme n^étoit pas déshonorée, oii les*
enfants innocents n'étoit pas preffîs entre,
hlfanégation &. laiK)nte?
Xîuelqu'un dira qu'il faudroit le fiyle de -
Juvénal pour tonner contre cette litience ;
mais que feroit le plus véhément (àtyriqueV
il quoi remédîéroît-il^ > La perte des moeurs >
vient le plus fou vent de Pinfuffifànce des*
loix, de leurs erreius 8c. de leurs coiitra<i-
4iâions..
o E Pari s. , 331
CHAPITRE CCCXIII-.
Petits Formats.
Xj^ m2me des petits formats a fuccédë à>
celle des marges immenfes, dont on faifoit:
le plus grand cas il y quinze ans.. Il falloit
alors tourner le feuillet à chaque inftant^ oa
n'achetoit que du papier, hlana: mais cefi^.
plaifoit aux amaiteurs. , i .
Quelques auteurs vendent encore de^ et--
tampes ou des portraits d^hommes^itsxéle?:
Ères , illuftres& vivants par deflùs le marché \^
mais ils n'ont point encore eu la vogue de.
M^ Dorât, qui le premier s'eft&itnurchand!
d'eftampes, & qui s'y eft nriné; c'eft lui
qui a mis en train toutes ces gravures qui:
font le principal mérite .de certains .livres y
& qui coûtent plus que tous les bons au-^
.leurs enfemble de Fantiquité.
La mode a changé : on ne recherche plus
que les petits formats ; on a réimprimé ainfi
tous nos jolis poètes. Ces livrets ont l'avan-
tage de pouvoir être mis en poche , de four-.-
nir au délaf&ment de la promenade , & de
parer à l'ennui des voyages : mais il faut en.
même . t;emp5 porter une loupe avec foi ; cac
le caraâere en eu û fin qu!il exige de bops
yeux.
331 Tableau
Didot a imprimé une coUeâion d'auteurs
choifis,en petits formats, pour FuËige de
Monfeîgnciir comte d'Artois. Ceft un chef
d'œuvre de typographique ; mais cette co!-
ledion eft cxceflîvemciit rare ^ & ne fe vend
point.
Ne pourroit- on pas tromper Finquifition
littéraire , fî ardente & û inquiète , oui s*op-
pofe à rintroduâion des livres phitofbphî-
ques les plus eftimés , en les réduifknt à de
très-petits formats , en afCijettiflànt a la pié^
ciGon la plus ftrlâe & le papier & les ca*
raâeres ? La penféç , par ce procédé nou*
veau , fe rapprocheroît , pour ainfi dire , de
fon invifibiiité ^ on mettroit une édition en-
tière dans un (ac à poudre. Si Fauteur yA^
gnoit un ftyle laconique à cette ingénieuiè
typographique , un exemplaire éloquent pour-
roit circuler dans une tabatière , dans une
boite à mouches , dans une bonbonnière.
Les commis a la phrafi , qui attendent les
ballots matériels où fe fixe la penfée , pour
les faifir de leurs mains profanes & grofEe-
res , feroîent tous en dérouté. L'oeuvre du
génie devenant inipalpable , fe moqueroit de
tous ces vils adverfaires qui lui font une
guerre confiante. Les brochures vifibles por-
teroient dès-lors une phyfionomie de répro-
bation , & la ftupîdîté fe manifefteroit par
fa grolTèur. La philofophîe , au contraire ,
occuperoit , comme le fage , la plus pedte
place dans le monde.
DE Paris. 333
On s'adreflèroit enfuite aux opticiens 9
pour pofleder le verre qui grofliroît a fouhait
ces menus caraâeres fans fatiguer Toeil. L'im-
primerie & Poptique fe donnant la main ,
deviendroient des fœurs inféparables. C'eft
ainfi qu'en mariant les art$ , ils acquièrent
une force prodigieufe & préfque illimitée.
Nou5 inyitons les fondeurs de caraûe^res
k travailler cette idée qui n'ell qu'ébauchée ;
nous exhortons les manufaâures à rendre le
papier fin ,' léger au poflîble , afin que nos
penfées n« foient plus la proie facile de ces
implacables dévaftateurs de Fempire des let-
tres fie de la phîlofophie. Regagnons :par
fadreflè ce due la force veut nous ôter ; que
la matière , {ubtilifée par nos foins , réponde
3u volatile de ces idées , qui par leur nature
font faîtes pour braver qui les perfëcute, ou
par crainte, ou par ignorance.
Nous favons que Ion pourrôît s'adreflcr
à la çhymie , de préférence à l'optique, pour
faire pàroître en un clîn-d'œil fur un papier
blanc les Icttrts parlantes y tonnantes ^fuU
minantes , qui s'effiiceroient enfuite d'elles-
mêmes au bout d'un certain, temps. Mais,
toute réflexion faite , comme le fecret pour-
rôît être facilement découvert , & que la ma-*
terialité ne fçroit pas détruite , tenons^ious-
en au premier projet. Que dis-je ! on n'aura
{)eut-être pas befoin de fon exécution , vu
es lumières nouvelles que les gouvernements
334 Tableau
ont acquifes. Nos penfées , loin de leur
nuire, ùe peuvent que leur être très-favo*
rables , cpiand, fèmblables aux pilotes habi-
les y les hommes en place fauront prendn
le vent. Et voilà tout Fart dp Thomnaie d*état.
s*>>>:v:
CHAPITRE CCCXIV.
Maîtres Ecrivains.
J.1 ne s'agit point ici de Corneille , de Pat
cal ^ de La Fontaine , de la Bruyère , de Fé-
tiâon , de Voltaire , de Jean-J^lcques Rouf
feau , de BufFon , de Raynal , de de Paw (
îl s'agît de Paillaflbn , Dautrepè , Rolan , Li-
Terloz. Ils figurent le corps des lettres à
main pofce , taillent merveilleufemeiit une
plume , font le trait & déterminent ce qin
caraâérife la ronde , la bâtarde & la couUe.
Ils font maître en Part de Pécriture , & non
en l'art d'écrire.
Il eft néceflàîre de favoir bien figurer fes
lettres ; car une mauvaife écriture reflèmble
au bredouîllement de la parole 4 mais un
caraâere Hfible fuffit. Les grands feigneurs,
les jolies femmes ; les auteurs fe piquent de
lavoir mal peindre; ils ont tort. L)'un autre
côté, l'importance que les maîtres écrivains
mettent à une èelle écriture ^ eft plaiî&me.
DE Par I s. 335
Un peu de netteté , voilà tout ce <|uî con-
vient \ c'ell perdre (on temps que de vouloir
^émuler RoflignoL Si ces maîtres ont une
belle main, ils n'ont pas en général une
niain rapide : tel derc de notaire, telfcribe
,àu palais , fait des expéditions qui ont une
^ace ôc une légèreté dont ces experts^
avec leur peinture exaâe, compare 8c
.froide, n'ont jamais approché.
On vient d'ériger en académie ^ettd com-
munauté ; m^is Louis XIV a bien établi une
Mcadéfiiie de dan/è après V académie d'ar^
mes ; :il n'y a que Yacadémie de coeffurc
qui n'a pas encore pu prendre racine : mais
vcela viendra dans le fîecle des beaux-arts.
. .11 y a toutes forces d'académies établies
par .lettres - patentes ; on vdit a , Touloufir
celle des lanternijles. Les anciens avoient
.aufli une foule d'académies ; jCUen rapporte,
^u'il et oit exprejfément défendu d'y rire ',
afin que V académie fût à Vabri de toutes
Jortes de ridicules. Gardons-nous donc bien
de rire fous les voûtes de V académie royale
.d écriture , qui defline fi parfaitement des
O , des M , des F , Se qui chiffre par deflùs
le marché.
La fonâion la plus importante de ces
:maitres - jurés écrivains, c'eft qu'ils font
vérificateurs d'écritures conteflées enjufiice;
'Ceci devient fërieux : l'Encyclopédie ïoutient
4jfxe cette vérification n'eft qu'une fciejnce
336 Tableau
conjeâurale; les experts difent qu'il y a
des règles fixes & certaines pour convaincre
les faudàires. Les experts ufent de fortes
loupes dans l'examen : mais ne faut-il pas
autre ehofe qu'une loupe pour décider dans
des cas femblables ? Voyez dans le dernier
procès du maréchal de Richelieu , la con-
fiifion & l'ambiguité des rapports.
La vie d'un homme dépend donc quel-
quefois de ces experts vérificateurs : ce fèroit
donner un champ troD vafle auxfanflàires,
que de déclarer qu'il n y a point de moyens
lurs pour les reconnoitre ; mais il faut avouer
que FEncyclopédie offire de terribles objec-
tions à réfoudre, & qu'il feroit à denrée
que l'on confultât tout à la fois & le maître
écrivain , & V écrivain philofophe.
CHAPITRE CCCXV.
DcV ancienne Compagnie des (Ruvres fortes.
J'abhorre les cyniques encore plus que les
pédants : mais je voudrois voir au milieu
de Paris un Diogene dans fon tonneau ( l'in-
décence toutefois fupprimée ). Je voudrois
qu'il fût permis à un homme de cette trem-
pe d'apoilropher fcs concitoyens ^ & de leur
repi'ocher
DE Paris. 337
reprocher leurs rices. Paris en auroit bien
autrennent be£pin qu'Athènes.
Du moins des cenfeurs du icandale public ,
âes mœurs , tels qu'ils étoient établis chez
ies Romains , feroient très-ncceflàires parmi
nous ; car nos loix fi imparfaites préviennent-
elles la confufîon des rangs ? répriment-elles
les extravagances du luxe, qui mine les for-
tunes médioaes ? empêchent-elles les ban-
queroutes ? arrêtent-elles la débauche qui va
Je front levé î
On a créé des cenfeurs pour les livres :
ces cenfeurs profcrivent tout ce qui pèche
contre la décence , tout ce qui contredit les
Joixde l'honnêteté, &ç. Pourquoi n'y auroit-
il pas des cenfeurs qui dejnanderoîent co:iipte
à cette foule de défœuvrés de l'emploi de
leur temps, qui iroient au devant des grands
iifcandales , qui préviendroient les délits ? Nous
ne fayqns que punir : un ade public de dé-
pravation eiUl donc moins dangereux qu'une
phrafe imprimée ?
Sami'Jcry terme k Paris fyncnyme k celui
de fe ruinen Nos danfeufes font entretenues
par de jeunes gens qui n'ont aucun frein ,
& dont l'exemple pervertit ceux qui fbrtent
de l'adolefcence. On n'oppofe aucune bar-
rière à ces défordres qui font là perte des
familles. La police attend que le mal foit fait ,
,& ne fonge pas a l'anéantir dans fon origine.
D'un côté , de dangereufes Circés , de l'au-*
Tome IL ' ' P
^3* Ta b l eau
^ tre des intrigants audacieux corrompent
tous les ordres de la focieté. N'cffi-îl pas
^ déplorable que le mot de Molière, T^ayc^
4 de probité que et qu'il en faut pour n*iire
l pas pendu , foit devenu un axiome réduit
. en pratique.
En 1661 , il s'éleva en France une efpece
/ de compagnie qui , éprife d'un zèle ardent
pour le rétablillèment des bonnes moeuis^
: le mit a cenfiirer toutes les aâions maI-hon«
nétes que les loix ne puniflènt pas. Us fai-
foient des perquifîtions fecretes (ùr les mœois
& les perlonnes ^ en établiflbient le rapport
dans leurs a{Ièmblées , & d'après une déli-
bération mdtivée & unanime , ils expofoîent
; au public les délits & la honte des coupables.
Ces redoutables écrivains avoient pris le
nom de compagnies des oeuvres fortes /mais
* comme ils h'avoient pas méiiagé des perfon-
. xres puiflàntes , & qu'ils n'avoient pas plus
épargné la conduite des rois que cèUe des
particuliers , Louis XIV fe courrouça , &
ordonna quon eût à févir contre tous les>
membres de la compagnie. Ils ne purent tenir
- contre l'autorité royale ; & les œuvres fortes,
qui de jour en Jour s'animoient d'une chaleur
■ nouvelle , n'eurent plus lieu dans la capitale.
De grands noms appartenbient k cette et
pece de ligue ofFenfive contre le vice & les
: mauvaifes mœurs ; mais oii fit entendre à
- Xouis XIV ( ombrageux à l'excès fur toitt
DE Paris. 339
ce qu! avoit un caraâere d'union ) , que
ces écrivains -courageux 8c véhéments étoient
un refle de la ligue Se de la fronde. Il , le
crut (ans examen , Se menaça de les envoyer
tous en Canada. .
Or , comme l'a dit M. Thomas , on n'efl
rere tenté de répondre à ceux qui exilent :
compagnie fe tut , &: ne cenfura plus per-*
Cbnhe. Cependant quelques membres échap-*
pés Ce crurent , loin de la capitale 8c au fein
de la Bourgogne , plus k portée de reprendre
leur hardi projet. L'autorité Us pourfuivit en-
core , & la chambre du confeil de la ville
de Dijon lança contre leur aflèmblée un
arrêt de profcciption , en les menaçant des
peines les plus graves. Ces auteurs des œuvres
fortes abandonnèrent alors leur vocation , 8c
fe turent pour jamais Je les regrette.
En 1741, on vit à Paris un hardi men-«
diant qui , dit - on , avoit du génie , de la
force dans les idées Se dans l'expreflion. II
demandoit publiquement l'aumône , en apojf-
trophant ceux qui paflbient , Se failànt de
vives forties fur les diâérehts états , dont il
révéloit les rufes Se les fripponneries. Ce nou-
veau Diogene n'avoir ni tonneau ,iii lanterne:
il en vouloit fur-tout aux prêtres , aux catins
Se aux hommes de robe. On appella fon
audace effronterie, Se fes reproches des in^
folences. Il s'avifa un jour d'entrer chez un
fermier-géuéraT avec fon habillement déchiré
340 Tableau
& craflèux , & de s'af&oir à fa table , dîTant
qu il venoit lui faire la leçon , & reprendre
bne portion de ce c/û lui avoit -été enlevé.
On ne goûta point fes incartades \ & com«
me il avoit le malheur de n'être pas né il
y a deux mille ans , il fut arrêté ôc mis -en
prifoa.
C>e mendiant aurolt dû favoir , puifqu'il
avoit de l'efprit , qu'on taxeroit in&illible-
ment ile folie ^ Paris , ce qu'on eût admiré
dans Athènes. On fouftie pamii nous le plus
vil, le plus bas, le plus lâche coquin; mais
tout frémit & fe fouleve h la moindre ap-
proche de ce qu'on nomme un cynimc ,
ou de ce qui lui reflèmble : ce caraaere-
EL n'exifte pas même à Paris , parce qu'il eft
le plus diamétralement oppofé à la forme de
notre gouvernement & de notre efprit de
(bcictc*
Nous avons des difcours moraux & poli-
tiques a foifon , des fermons par milliers :
peut - être , pour nous corriger , nous fku-
droit-il des plaîfknterîes fanglantes , des fà-
fyres vives , à^^ boutades à bout touchant.
Mais qui (b chargera de fronder tout ce qui
eft vicieux , de méprifer tout ce qui eft vil ,
de faite tonner la vérité, & d'épouvanter fes
enne^nis ? Que quelqu'un ait le courage de
braver l'iiùniitié des méchants , on le nom*^
mera un fanatique , une béte féroce , un chien
^nra^éj tandis que les fktteHrs;^ les adulateurs^
j) f; Paris. 341
les menteurs feant les hommes polis, les hon>
mes comme ilfaut^ >
^^^ ^,. — ^*>^^.
CHAPITRE CCCXYL.
Partes Cochcrcsm>
J^i^s gens qualifiés font jetter , pendant leurs
maladies, du fumier devant leurs portes co-
cheres & aux environs, pour que le bruit des
carrodès les incommode moins. Ce privilège
abufif change la rue en un cloac^ af&eux ,
pour peu qu'il ait plut , 8c faife marcher cenc
mille hommes, en douze heures, dans \xr%
fumier liquide , noir 6c puant , où Ton en-*
fonce jufqu'â mi-jambe. Cette manière d'em^»
pailler toute une rue , rend les voitures plus
dangereu(ès , en ce qu'on ne les entend pas»
Pour épargner quelque cahot bmyant à
une tête malade ou vaporeulè y on expofe la
vie de trente mille fantaflîns^ dont la ca--
yaUric fe moque , il eft vrai , mais qui ne
doivent pas expirer fous les roues fîleacieu-
lès d'un carroflè , parce que M. le marquis
a eu un accès de fièvre ou une îndigeftion-
Socrate alloit à pied \ Horace^alloit à pied«
( Jbam forte viafacra ^ficut meusefi mos.y
Jean - Jaques Roullèau alloit à pied. Q^y^
Jourdain moderne , qu'un faquin aituna ber*
342. Tableau
lîne Angloîfe & une porte cochere ; kla bon-
ne heure ; qu'il éclabouflê les paflants ; eh
bien î l'on s'efluie : mais qu'il ne nous écrafe
pas dans la fange , parce que ce n*eft point
un crime digne de la roue, que de lavoir
fe fervir de les jambes 9 ou de rêver un pea
Sans fon chemin.
Souvent les portes cocheres vomiflênt des
voitures qui fortent k l'improvifte , & qui
coupent la me rapidement & tranjfveiûue-
ment; de forte qu'il eft impoflible de £e
garantir de ce bruique danger : on €e jette
dans le péril , ne fâchant G elles tourneront
à droite ou à gauche. Ne pourroit-oii pas
obliger les portiers k prévenir les paflàcts ,
& k fiffler d'une certaine manière : ce <pit
feroit un 6gnal confervateur. Il y a moms
de danger quand les voitures rentrent , parce
que le laquais fait fonner le marteau a coup^
précipités ; & l'on eft averti.
Il eft prefqu'ignoble de ne pas demeurer
en porte cochere. Fût - elle bâtarde , elle a
un air de décence que n'obtient jamais une
allée. Celle-ci conduiroit k l'appartement le
plus commode , qu'elle feroit profcrite , fut-
elle encore large, propre & bien éclairée.
Il y a des portes cocheres obfcures , embarrat
fies par des équipages , où l'on rifque de don-
ner de Peftomac dans le timon & dans l'ef-
Ceu, Eh bien ! l'on préfère ce partage étroit
k cette voie roturière qu'on appelle allée. Les
D E P A A I S. 34 J,
femmes du bon ton ne vontvpoint vifîter ceux -
qui font logés ait^Eu^.
Les portes cocberes font fort- utiles k ceux^ >
qui ont de$ dettes. Les exploits s'arrêtent à^
la loge du portier; les^huifiiers ne. vont pas
plus loin ; & quand ils en viennent k une
faifîe j l'exécution n'a lieu que fur les miféra** •
blcs effets qui gamiiiènt la loge. L'huiflier
pénètre l'allée julqu'au feptieme. étage , & ;
il ne franchit jamais le leuil delà porte co«
chère. Voilà de fînguliers ufkges , 8è qui n'en i
régnent pas moins : que Fon s'étonne encote
après cela de la dé^eur ^des allées bour«
geoifes.
Ce qu'elles om vraiment- d'iflcomniode'; ,
c'eft qife tous Wyaflàutty lâchent leurs eaux ^
& qu'en rfentrant chez foi lk>n trouve au bas <
de fon efcalier un piflèur qui vous rega(Sjd#bâi :
ne fe dérange pas. Ailleurs^ on le chaflèK>tc; ;
ici, le public efl maître des allées, pour
les beibins de néceflité. Cette coutume çtt
fort fale , & fort embarraâànte poujL les
feaime$, .
P4
.r
Tableau
344
CHAPITRE CCCXVII.
Le Suiffi de la rue aux Ours.
Vjn brûle tous les ans, le 3 Juillet , Teffigie
de ce Suiffe ivre , qui donna , dît -on, un
coup de fabre à ime Itatue de la vierge Marie:
ce qui en fit couler du fang , ajoute la même
hiftoire. Rien.n'eft plus ridicule; mais cet
ufage déjà ancien ce s'en obfer^ e pas moins.
L'effigie poitoit jadis l'habit fuiflè ; mais
les Suifj^ le "fâchèrent , il v fallut l'habiUer
4'une .fouqueulille^ ]^4koit^on pas <qae.Pon
ajoute foi à ce miracle , d'après ce oûcher
^^Jji. renouvelle chaque année ? 1 out ie
monde "rît en venant ce coloflè d'ofîer ,
qu'un homme pone fur fes épaules , & ao*
quel il fait faire des révérences & des cour-
bettes devant toutes les vierges de plâtre qu'il
rencontre. Le tambour l'annonce ; & dès
qu'on met la tête à la fenêtre , ce coloflè
fe trouve de niveau à. l'œil du curieux. Il a
de grandes manchettes , une longue perru-
que à boiirfe, un poignard de bois , teint en
rouge , dans fa dcxtrc ; & les foubrefauts
qu'on imprime au mannequin font tout-à-
fait plaifants , fi Ton confidere que c*eft uu
facrilcge que l'on fait danfer aînfi.
DE P A ïi r S. - 345
Les ufeges les plus confiants ne forment
donc qu'un tableau très -équivoque de la vé-
ritable croyance d'un peuple : c'eft le plus
fouvent un fpeâacle pour la populace , Ôc
rien de plus.
Nos plus majeftueufes cérënwnîes n*ont
pas d'autre fondement. Aînfi l'on fe (èrt en-
core de la faînte - ampoule pour oindre nos
rois. Perfonne dans l'aflèmblée ne croît at
fiirément qu'elle foît defcendue du ciel au
bec d'une colombe. Perfonne ne croit à la
guérifon mîraculeufe des écrouelles par Fîm^
pofition & l'attouchement des mains royales*
Cependant l'on fe fervira toujours de la petite
fiole , & les monarques toucheront toujours
les écrouelleux fans les guérir.
Que de faits pareils, chez les voyageurs ^
ont donné lieu parmi nous aux àflèrtions les
plus faufïès ! Rien de plus trompeur que les
cérémonies publiques , lorfqu'on ne rappro-
che pas de i'efprit de leur inftitution Tefprii:
qui règne quelques ficcjes après..
On promènera donc encore te Siiiffc de
la me aux Of/r^, pour le- plaifir &.la récréa-
tion des petits Savoyards que cela amufè
beaucoup.. Ils l'àcconçagneront dan^ toutes
les rues , en riant & danfant ; 8c dans W./
Cie de leur cœur , ils attendront pour le foîr
i fufëes & les pétards qui doivent çréver
arec explofion dans les flammes du bûcher.
• Autrefois ce même peuple a vu brûler te
34.6 Tableau
Suiilè iconoclafte en réalité , & s*en eft ré-
îoui de même. Cette jurirprudence de nos
aïeux eft un peu changée Se adoucie : ce
qui prouve qu'il vaut mieux voir jetter au
feu le mannequin que Phomme ; mais quand
ne brûlera- t-on plus le mannequin ? . • . , Je
n'en fais rien.
CHAPITRE CCCXVIIL
Savoyards.
• •••••••• Ces honnêtes tnfuits^
^Quï de Sûvoye srrîvent tous ^es ans ,
Et dont U main légèrement ejfuîe
€es longs canaux engorgés far lafuUm
Voltaire.
Ils font ramonneurs, commiflionnaîres, &
forment dans Paris une efpece de confédé-
ration qui a fès loix. Les plus âgés ont droit
d'infpedion j(ur les plus jeunes : il y a des
{munitions contre ceux qui fe dérangent : on
es a vus faire juftîce de l'un d'entr'eux qui
avoit volé \ ils lui firent fon procès & le
pendirent.
Ils épargnent fur le fimple néceflàîre , pour
envoyer chaque année à leurs pauvres parents»
Ces modèles de l'amour filial fe trouvent (bus
' les haillons , tandis que les habits dorés çou-^
vreut les enfants dénaturés.
\
P E P A RIS. 347
Ils parcourent les rues, depuis le matin ju&
qu'au foir , le vifagè barbouillé de fuie , les
dents blanches , l'air naïf & gai : leur cri eft
long , plaintif & lugubre.
La rage de mettre tout en régie en a for-r
me une du ramonage des ckeminées. Les
régi fleurs ontclafle ces petits Savoyards ;
8c l'on a vu dans, des maisons neuves 6c
blanches , tous ces.vifages b^annés 8c noir-^
cîs, qui ëtoieni: aux fenêtres , 4?n .attendant
de l'ouvrage. ;.
L'établiflèment de h petite pofte a fait
tort aux Savoyards. Ils font moins nom-
breux aujourd'hui , 8c l'on dit que leur, fidé-
lité , fi long- temps éprouvée , commence a
n'être plusja même ^ mais ils fe diftinguent
toujours par ramoor de: km:, patrie & de
leurs parents.» .
Il eft bien cruel de voir un pauvre enfant
de huit ans , les yeux bandés 8c la tête cou-
verte d'un fac, monter des genoux 8c du dos
dans une cheniinée étroite 8c haute de citt-
?[uante pîed§ , ne pouvoir irefpirer qu'au
ommet périlleqx ; redefccndre comme il
eft monté , au rifque dç k rompre le col ,
pour peu que la vétullé du plâtre forme un
yuide fous fon frêle .point-d'appui ; 8c la
bouche remplie de fuie , l^touftant prefque ,
les paupières chargées, vous demander cin^
fils , pour prix de fon dânget 8? dé fc;s pei-
pest C^ ainE que fe cangionpent toutes le&
54* T A B L ï A tr
ks cheminées de Paris ; & des régifEson
tf ont enrégimenté ces petits maHieureiix , que
pour gagner encore fur leur médiocre fakire..
Puiflènt ces ineptes & barbares entrepre-
neurs (è ruiner de fond en comble , ainfï
<pie tous ceux quî ont foUicité des privilèges^
exchijîfs !
Ces Allobroges de tout fexe & de tout
âge ne fe bornent pas à être commiflion-
naires ou ramonneurs. Les uns portent une
vielle entre leurs bras , & l'accompagnent
d'une voix na(ale. D'iautres ont une boîte
à marmotte pour tout tréfor. Ceux- ci pro-
mènent la lanterne magique fiu: leur dos ^
& l'annoncent le foir au moyen d'une orgue
Doâume y dont les fons deviennent phis
agi éables St plus touchant parmi le filence
oc les ténèbres. Les femmes étabnt leur
étonnante fécondité fous le mafque de la lai-
deur , vous montrent des enfants , & dans
leur hotte , & pendus k leurs mamelles , &
fous leurs bras , fans compter ceux qu'elles
chaflènt devant elles ; le tout pour attirer
les aun^ncs : dégoûtantes , maigres , noires,
& paroîffànt âgées , elles font toujours groflès.
9 pleine ceinture.
Les vielleufès des Boulevards portent fut
«ne gorge fouillée un large cordon bleu y
qui quelquefois a fervi à une majeflé. Ce
cordon déchu leur fèrt de baridoulfcre,. Aihfi
les marques de dignité périflcnt oui ret<^ijC^
.Aeat à liuyc yàiuUfi exiiploi
SE Paris. 349
Maïs fortons des Boulevards , oîi une fou-»
îe de travaillettTs rient , comme l'a dit un
poëte ,
Di cette hetle route à grande coups de maffut i
En caillou» incruftés parqueter VétenduSm
CHAPITRE CCCXIX.
Enfants devant leur perc^
4\ien n'étonne plus un étranger que la ma-
nière lefte & peu refpeâueufe avec laquelle
un fils parle ici a Ton père. Il le plaifante ,
le raille , fe permet d^ propos indécents (ùic
f âge de l^uteur de Tes jours ; & le père a la
molle complaifance d'en rire le premier : la
grand'-mere applaudit aux prétendues genr
ulleiBès de fon petit-fils*
On ne (àuroît diftinguer le père de jà-
miHe dans ion propre logis : on le cherche ;
il eft dans un coin , caufknt avec le plus
humble & le plus modefte de ta fociëté. S'il
ouvre la bouche , fon gendre le contredit ,
fes enfants lui dtfent qu'il radote ; & le bon
homme, qui auroit envie quelquefois de (k
ficher , ne l'ofè pas devant ùl femme. Elle
femble approuver le» impertineticea de (è&
enfants.. "
Un pcre appeSe fon fik Mon^air^ w \^
550 Tableau
tutoie point , & le petit bourgeois à l'inibe--
Hté d'imiter en ce point le grand fèigneur»
Ce (jngulier & déplorable abus vient, de
la coutume de Paris. Elle a ôté aux hçm-
mes ce que le droit Romaia leur attribuoic :
les femmes , en vertu dé la loi , deviennent
prefque maitredès* La fource de tout le mal,
fi l'on y prend garde , eft donc dans nos loix
civiles , oc dans notre coutume qui accorde
trop aux femmes.
Qu'un homme fe marie , qu'il perde fbn
cpoufe , le voilk ruiné : les enfants viendront
demander le bien de leur merç , pourfiiî-
vrontleur père en juftice,le réduiront kla
mendicité. Les loix confàcreront ks indignés
pour&ites des enfants, & perfonne ne trou-
vera extraordinaire ce mépris de l'autorité
paternelle. Comment a-t-on pu annuUerà
ce point le pouvoir du chef de la famille ?
Souvent donc la vie d'un bourgeois fè
paflè k être tyrannîfé par fa femme, dédai-
gné par fes filles , bafoué par fon fils , défo^
béi par fes domeftiques , nul dans fa niaifon ,
il eft un modèle de patience ftoïque , ou d'iib.
fenfibilité.
V
t
l
t
B £ P A K I S. 3^1
V
CHAPITRE CCCXX.
De la Langue du Monde.
Juia langue du monde eftla langue des corn-'
pliments \ mais on y oublie celle qui expri-
me quelque fentimcnt. Les mots y font bien,
on les prodigue même \ mais ils n'ont point
de fens. On parle enfin comme on s'habil-
le , avec un certain luxe agréable, mais vuide
& fuperflu.
Les indifférents s'épuifent tellement en pro-
tellations , en aflùrances de fervices , que l'a-
mi fe trouve réduit a ne dire qu'un mot ,
pour n'être pas confondu avec eux.
Le monde polit plus qu'il n'inllruit. Il ne
faut point être dans fon tourbillon , pour bien
le connoître & fur - tout pour l'apprécier.
Voulez - vous être fpeâateur ? Placez - voiB
à une certaine diftance. Ceft ainC que, pour
bien voir la marche d'un régiment , il ne
faut point porter le fufil, mais être fur la li-
gne où il défile.
Dans le monde il n'y a que deux claflcs
d'hommes. Les uns fongent à leurs affaires ,
& les autres k leurs plaifîrs : les uns fe tuent
à travailler , les autres à jouir.
Les gens du monde, quand ils voient
3^1 T À B L E A ir
qu'ils ne peuvent avoir de Pefprit , tëmoi*
gnent hautement que c'eft par leur propre
choix qu'ils n*en ont point.
CHAPITRE CCCXXL
Ton du Monde^
J^a (bciëtc \ Paris a fes loix partiailteres* ^
indépendantes de toute autre , & qui con-
tribuent à l'agrément de tous ceux -qui la
compofent. La fageflç & la vertu font ret
peâahles ; mais elles ne fuffiTent' pas tou*
}ours pour anéantir certains défauts deftruc-
teurs de la noble & décente familiarité qii
doit régner entre les honnêtes gens.
Quelquefois on pouflè fon avis trcç loin ,
& d'autant pkis à tort que l'on a raîfon.
Quoiqu'on ait droit de dédaigner , on dé-
daigne avec trop d'appareil On veut fiib-
juguer l'opinion de fon voîfin , parce qu'on
cfFremplî de fon idée ^ & comme l'homme
vertueux néglige ees petits devoirs , d'autant
plus que fa confcience ne lui en fait aucun
reproche & qu'il fonde fa conduite fîir les
Srands principes qui dirigent fa vie , il "eft
on d'inftituei: ces règles fines & fixes , qui ^
comme des entraves falutaircs , arrêtent le
bond xxQiç impétueux de la vanité & de roi-»
gueil xuéme légitime»
DE Paris. 353
Aînfi Pair , le ton , le gcfte , Taccent , le
regard font aflèrvîs à des ufages que l'on
dottrefped^r, & ces formalités reçues eîi-'
richiflènt le plaifir d'être enfemble au lieu de
le détruire.
On a fort bien dit , que Thomme fenfible
eft toujours un homme poli. On peut être*
gauche , marcher mal , s'aflèoir mal , fe
moucher de travers ^ renverfer des fieges-,
danfer comme un philofophe , & bleflèr
mê^ne le petit chien ; mais la bonté ;du
cœur, faffabilité naturelle fc diftingucront
toujours à travers l'ignorance du coftume &
des coutumes : & c'eft cette affabilité qui
conftitue par-tout 8c même à Paris la vraie
poKteflè.
Mais on s'îmagîne en même temps que
ce don de plaire peut tout remplacer. On
ne craint plus de rougir, pourvu que les
manières n'aient rien que de gracieux ^ l'et
prit, rien que d'ingénieux ^ les raîfonnements ,
rien que de captieux. Sous un certain man-
que de lûenféance on juflifie en d'autres
termes Part de ramper & de s'enrichir bàC-
fement : on donne ^ plufieurs fortes d'avi-
liflcment des noms pompeux : on appclle-
roit volontiers fervir l'état, la fervkude au-
près des grands ; & bientôt on voudra nous
perfuader que le métier cupide de courtifart
eft le métier le plus glorieux.
Déjà même on fait entendre qu'il eft une
354 Tableau
fourberie néceflaîre \ qu'un hotinéte hom*
me n'eft bon k rien ^ que la probité eft une
nuance de bétîfe ; & que dans un fiede
corrompu , il n'y a que For qui puiflè dé-
doiïimager de Tablènce des vertus* Enfin on
commence à faire entendra. •• Mais )entt
dois pas tout dire.
CHAPITRE CCCXXII. .
Ton d'un grand Monde.' .
JL/ans le grand monde , on ne rencomre
point de caraâeres outrés. I^es ridicules y
ibnt adoucis ^ & les préjugés , quoique fuo*
fiftants 9 femblent fe difliper pouc tout le
temps que Ton eft enfemble.
Une noble familiarité y déguife avec
adreflè l'amour-propre , & Thômme de ro-
be , l'évêque, le militaire, le financier, Phom-
me de cour femblent avoir pris quelque cho-
fe les uns des autres : il n'y a que des nuan-
ces , Se jamais de couleur dominante. On
diftinguc les profeffions , mais elles font fon-
dues & ne fe montrent point pppofèes.
Ceft là que la fociéte eft par excellence
un véritable concert. Les inftruments font
d'accord ; les diflbnnances y font exceflîve-
ment rares , & le ton général rétablit bien-
tôt l'harmonie*
B E Paris. 35 <;
La confiance , l'amitié n'y régnent pas; les
épanchements- de cœur y font étrangers:
mais au défaut du charme de la cordialité,
on y rencontre un certain échange d'idées
& de petits fervices qui rapprochent la ma*
niere de voir & de fendr , & qui mettent
les hommes à l'uniflbn : avantage remar-
quable dans une fociété où les prétentions font
extrêmes , & où l'orgueil eft terrible , dès
qu'il n'cfl: plus voilé.
Ce font les idées qui foutiennent Teforit ;
Se pour avoir des idées , il faut avoir 40èm-
blé pluGeurs faits. L'efprit naturel ne fuffi-
roit pas aujourd'hui , parce qu'il faut être
inftruit , & traiter fouvent des grands objets
fur le ton de l'agrément 8c de la légèreté.
Plufieurs femmes ayant perfedionné leur
efprit par le commerce des hommes éclai-
rés 9 réunifient en elles les avantages des
deux foxes y valent mieux à la lettre que les
hommes célèbres dont elles ont empmnté
une partie des connoiflànces qui les diftin-
guent. Ce n'eft point un favoir pédantet
que y capable de décrédîter toute connoiC»-
fance ; c'eft une manière propre d'ofer pen^
fer & parler jufte , fondé for-tout fur l'étude
des hommes.
Molière , qui dans (es Femmes favantes ^
en voulant frapper la pédanterie , a frappé
le defir de s'inwruire , Molière regretterait
d'avoir retardé les progrès des coimoiflànces^
35($ Tableau
s'il voyoît aujourd'hui les femmes qnî or-
nciit oc parent la raifon des grâces du fcn-
timent.
En général , à Parts , les femmes qui ont
de rcfprît , en ont p!us que les honuiies les
plus fpiritucls; m^is c^s femmes-là ne fe ren-
contrent que dans le grand monde.
Uulàge du monde dépend beaucoup de
Fhabîtude : Thabitude feule vous fait difcer*
lier au premier coup-d'ϔl mille convenances
que toutes les belles leçons du (avoîr-vîvie
ne^eous apprendront pas; le fbt même par
l'habitude a beaucoup d'avantage iùr Fhcùn-
me d'efprît. Celui-ci paroîtra décontenancé^
lorfque Fautre fera sur de fon gefte ^ de (ba
accent , de fes expreffions : û ûlîGtsl avec
jufteâè & précifion tout ce qui forme le
commerce de la focîété..
Lorfqué M» de Voltaire eft venu k Pans
en 1778, les hommes du ^and monde ^
experts &r ces matières , ont remarqué qu'a*
frès une fi longue abfence de la capitale,
écrivain renommé avoit perdu ce pcMnf
jufte qui détermine Fempreflèment ou la
retenue , l'enjouement ou la réflexion , le
filence ou la parole , la louange ou le ba-
dinage. Il n'étoit pins d'accord , il montoit
trop haut , ou defeendoit trop bas ; H avbit
d'ailleurs une éternelle dcmangeaifon de
paroître ingénieux. A chaque phrafe on
voyoit Feffort , & cet effort dégénéroit en
manie.
DE Paris. 3*57
Quelques hommes dans le grand monde
(b mettent, à J'ombre de leurs dignités, pour
cacher leur infijffiûncei ils fe dérobent det-
rîere leurs titres. Il n'y a point de lieu néan-
moins^ où il foit plus aifë de fe faire par-
donner la nullité d'efprît ; tant les formes ,
les manières , le ton ÔC la langue qu'on y a
adoptés font venus au fecours de ceux qui
ont le malheur d'en manquer.
CHAPITRE CCCXXIIL
' ■ ■
Sets UJagcs abolis^ . .
e n'efl: plus que chez le petit bourgeois
que Ton emploie ces cércmonies faftidîe^n
Tes , & ces façons inutiles & éternelles qu'il
prend encore pour. des civilités^ & qiii fa-
tiguent à l'excès les gens qui ont l'ul^e du
monde. •
On ne vous fait plus mille excufes de
vous avoir donné un fi mauvais repas ; on
ne vous preflè plus de boire ; on ne tour-
mente plus fes convives pour leur prouver
qu*on fait recevoir fon monde; on ne vous
prie plus de chanter ; on a renoncé à ces
ufages ridicules 9 fi familiers à nos ancêtres ^
liialheurcux profélytes d'une coutume gê-
nante 8c contrariante qu'ils appelloi^ent iwru^
nëtetL
3^8 Tableau
La table étoit pour eux une atene, où
les afliettes renvoyées faifoient &ns ceflè
le tour , jufqu'à ce que , venant ^ le ren-
contrer dans un choc impétueux , elles (c
brifoient fous les mains civiles qui s'effi>r«
çoient de les paflèr à leurs voifins. Pas ua
moment de repos; on fe bataillott avant
le repas & pendant le repas avec une
opiniâtreté pédantefque , & les experts ea
cérémonies applaudmbient à ces puériles
combats.
Les demoifelles , droites, filencieufès^'
immobiles , corfëes , bufquées , les yeux éter*
nellement baiiles , ne touchoient à rien fîir
leurs afliettes; 8c plus on les prefloit dç
manger , plus elles comptoient donner une
preuve authentique de tempérance 8c de
modeftie en ne mangeant pas.
Au deflèn elles étoient obligées de chan^
ter ; & le grand embarras étoit de pouvoir
chanter fans pleurer , & de répondre aux
louanges 'qui pleuvoîent, fans regarder ceux
^ui les leur adreflbient.
Aujourd'hui les demoifelles mangent, &
ne chantent plus , jouiflènt d*une liberté dé-
cente, regardent autour d'elles, parlent un
eu moins que leurs mères , & d'un ton plus
as , & fourient feulement au lieu de rire :
elles n'ont que la contrainte qui fîed à leur
âge , & qui rehauflè l'innocence 4e leuss
charmes.
i
/
DE Paris. 3^9
La vraie civilité a banni ces imperti-
nentes politefles i, fi chères à nos aïeux. Fon-
dée fur le bon fens , elle n'embraflè point &
ne paroit point gênée ; elle obéit aux cir«
confiances, fe plie fans eâ^rt à tous les ca-
raûeres , ne s^appefantit fiir rien , diflimule
ce qu'il faut diflimuler , met à fon aife au-
trui y & ne s'égare point, parce qu'elle fuit,
non des regJes abfiirdes , mais ce que lui diâe
une bienveillance raifbnnée.
Cette civilité peut mémie aujourd'hui fê
paflèt d'expérience , parce qu'on n'ofïènfe
prefque jamais lorfqu on ne veut pas ofFen-*
ier, & fiir-tout lorfqu'on ne montre ni or-
gueil ikffifànt-, ni prétemions déplacées. Ces
«deux vices ne font pas détruits ; il s'en faut ;
mais ils ne fe montrent que rarement dans
la focîété , on bien Fon en fait juftice fur le
champ; ce qui corrige & remet l'homme
.impoU au ton généraJu
1 . 1
r 't
360 Tableau
CHAPITRE CCCXXIV,
Légères Obfirvations.
JLes Parificns font fort fujets k giaflèyer.
Il y a plus, ils ne s*appcrçoîvcnt point de
ce défaut dans leurs aâeurs \ & quand ceuxr
ci ne font pas gratifiés de cet heureux ta«
lent , ils l'acquièrent au plus ^nte , afin de
plaire davantage,
- Un Parifien a une peine infinie à mouil-
?ler deux LL, & ne peut jamais ptxxioncer
x»iTime îl faut, bouiÛaq, paille, VerJailUs*
Les Parifiennes font maigres , & k tnentc
ans n'ont plus de gorge : elles font au dc-
ièfpoir quand elles commencent à groflîr ,
& boivent du vinaigre pour fe confèrver la
taille.
On criaille dans les focictés de province ;
à Paris , on parle bas. On appelle Madame
toutes les femmes, depuis la ducheflè juf-
qu'k la vendeufe de bouquets \ & bientôt on
n'appellera plus les demoifelles que Mada-*
mc^ tant il y a de vieilles filles qui font
équivoque.
L'étranger a peine à concevoir comment
îl y a dans le royaume un prince & une
princejfe qui n'ont pas d'autre nom que
celui
DE P A R î S. ^6t
4:elui de Mon/leur &c de Madame , lorfqiie
tout le monde l'appelle ainfi; Tous les au^
très individus font donc des« ufiirpateurs de
ces deux auguftes ûtres ! Un poète , fore
^mbarraffî du protocole, amis à la fin d'une
cpître dédicatoire : Je fuis , Monfiigneur ^
Ae Monfieur^tc très-^mmbît ^ &c.
On donne le nom de demoiJèUe à toutes
les filles ^u'ontie tutoie pas. Les demoirelles
commencent k aller dans le monde (ans
.leur mère.
L'art & le goût pardiflènt plutôt dans le
,rdéshabillé que dans la grande parure.
Les hommes à Paris coiùmencent à fe
faner k quarante ans.
Tout fe prend k crédit , (ans quoi le
marchand ne vendroit pas. Il aime mieux
s'expofèr à quelques pertes , que de ne pas
vuider fon magaCn ; il vend un peu plus
ther, & paflè en compte tout ce qu'il a
perdu.
On n'eft point humilié à Paris par un
Monfieur V Intendant , par fon fubdélégué ^
Ear le gouverneur , par le commandant de
i province, &c. On ne rencontre point
Monfieur le préfid^nt , Monfieur le procu-
reur du roi a la mine rogue & fiere; les
hommes y font plus égaux qu'ailleurs.
Quatre hommes (ont toujours en fimar^
re,mais on ne les rencontre nulle part^ le
36^ Tableau
chancelier y le premier préfidcnt, le Keuje-
Dant .civil , ôcle lieutenant -crimineL
Quand on fe rencontre Êice4 face avec
on prince du lang , on le 4'6garde fixement
(ans le faluer , Se on lui fait ^^hce par poii-
;eilè :.f 'eft un plus grand feigneur que les
feigneurs ordinaires ^ voiËi tout. Il n'eft pas
fachc qu'on le regarde ^ cela veut dire cproo
le connoît.
Les événements les plus ^xtraocditiaires
n'occupent la capiule que pendant huit jours.
Les gens à talents, qui abondent , ne font
fêtés que dans un moment d*ef&rvefcence^
k lendemain on paflè k un autre heureuxj
qui met à profit Téclair de cet enthoufiaG-
nie. Et quel eft le ibpréme talent ) Celui
d'amufer.
Quiconque a un Sinjfe , refufe le paiement
à qui bon lui (ènibie li on publie avec often-
tation que Ton ell miné.
Il y a des amîs de table qui enlèvent leuw
- promeflès avec la nappe ; quand ils vous
ont régalé , ils le croient difpenfés d'acquit-
ler leurs paroles.
Lesfcmmes ne tiennent plus en main^
ni l'aiguille a coudre , ni l'aiguille a tricoter ;
elles font du filet , ou brodent au tambour.
Tout l'argent des provinces reflué dans
la capitale, & prefquc tout l'argent de la
capitale paflè par les mains des courtilannes.
^es jolies feiiomes s'aflocient à quek^es
DE P A K l S. 363
perfonnes laides, afin qu'elles leur fer vent
d'ombre.
Les meubles font devenus le plus grand
objet du luxe ou de dépenfe : tous les lix ans
on change fon ameublement pour fe pro-
curer tout ce que l'élégance du jour a ima-
gine de plus beau. U faut que les lits foient
uiperbes, que tous les appartements foienc
boifés avec un vernis précieux y & des ba-
guettes ^n or ; & le Ihxc eft venu pour îmî*
ter les colonnes de marbre à s'y méprendre.
On foule des tapis de trente mille livres y
dont l'afage n'étoit autrefois que pour le mar^
che-pied des autels*
On ne voit plus de poutres dans les maî-
fons; ce feroit une indécence af&eufe. Tous
les appartements font percés pour le conduit
des fonnettes ; c'eft une fcience à part. Telle
femme Tonne quand fon mouchoir eft tom-
bé 9 afin qu'on le ramafle.
Un fallon n'eu pas habitable s'il n'a fèîze
ou vingt pieds de hauteur : les bourgeois font
mieux logés quexi'étoient les monacques , il
y a deux cents ans. Il n'y a plus de tabow*
r£ts que chez le roi & la reine ^ les metteurs-
en-œuvre & les cordonniers.*
Le laquais d'un feigneur porte la montre
d'or cifelée , des dentelles , des boucles à bril-
lants, & entretient une petite marchande
démodes.
Que de gens ne narrent fi facilement^
3^4 T A -B L E A U
- qne parce qu'ils dTfent fans peine ce qui ne
•leur coûte rien- à penfer !
Je croîs que^ IHnventaire de notre mobi-
lier ctonneroit fon un ancien s^il levenoit
au monde. La langue des huifliers<prifeurs ,
> qui favent le nom de cette foule immenfe
de fuperfluités , eft une lapgue très-détâill^ ,
wès-riche, & très-inconnue au pauvre.
Les femmes ne fe mêlent plus dtt mé*
" nage , k moins qu'elles ne foient femmes
d'artifans.
L'honneur d'une fille cft à elle^ elle y re-
garde à deux fois : Thônneur d'une feipme
eft k fon mari^ elle y regarde moins.
•Le ton du fiecle a fort abrégé les céré^
monies, & il n'y a plus guère qu'un provin-
cial qui foît un homme cérémonieux.
De toutes les couwmes antiques & tri-
viales , celle de fàluer lorfqu'on étemue eft
la feule qui fubfifte encore de nos jours.
On ofe pre(que fe vanter d'avoir un bon
eftomac , ce qu'on n'auroît pas ofé faire il
y a vingt ans. Les laquais ne s'en vont plus
' au deflert , & reftent julqu'à la fin du repas.
"On ne falonge plus , il eft plus court; &
' cen'eft plus à taHeque Ton difcourt en li-
berté , ni que Fon fait des contes amu-i
"' iàtîts.
Le public prononce deux fentences : la
' première eft précipitée & précède l'examen^
"la féconde ne vient cpit quelque temps après ;
DE Paris. 355
nuis celle-là. eft niociyée y & ordinairement
il n'y a plus d'appel.
Je ne confeille pas à l'honnête homme
qui n'a point de laquais , d'aller diner dans
une grande nxaifon. Là on ne boit qu'à la.
difcrétion des domeftiques. A votre modefte
commandement , ils feront une pirouette
{iir le talon , & courront au huSét chercher
à boire pour un autre. Bientôt la fécherefl^
du gofier vous empêchera d'élever la voix :
on n'interprêter^a pas mieux vos. regards ftip-
pliantsque vos demandes. Vous (eotkez le
feu prendre à votre pal^iis 5 -& vous ne pour-
reitplus goûter aucun des mets qui feront
fur la taUe. Il fau4ra>atten4re la fin du re-
pas pour vous- humeâer enfin d'uir grand
verre d'eau. Cette méthode a été imaginée
pour donner une forte d'excluiion aux per*
fbnnes qui n'ont pas de domeftiques. Ceft
ainfî que lès riches préfefvent leur table d'une
trc^ grande affiùence. r
La plupart des femmes ne commencent
àr dîner qu^ Péntre-mets^
Etre malade à Paris eft un état ; lès fenh*
mes le choifîflènt 4^ préférence ^ comme le-
plus întéreflant.
L'air de cour eft Jàvôîr, comme les gens
dé lettres, une épaule plus élevée que l'autre.
Les hommes portéht maintenant un très^
gros diamant.au col , ôc n'en ont plus à leus
montra^
Q3
366 T A. B L E A tf
Il n'y a qu'un homtne abfolument dé-
laifle qui doive paflèr tout Tété à Paris. Il
eft du bon ton de dire fur le Pont - Royal :
JT abhorre la vitte , je vis à là campagne.
Il n'y a plus cThommes ruftkpies \ maïs
le fat m encore commun.
Les femmes du rang le plus dîftingué
trichent quelquefois au ]eu arec une tran-
Juille audace : elles ont en même temjfl
e&ontene de dire ^ celui dont elles ont
placé Targent iîir une- carte qui gagne ,
qu'elles n'ont pas. mis. Comme cela arrive
au jeu des princes , on ne peut fe yenget
d'elles qu'en publiant le &it le lendemain
dans tout Paris. EUes font femblant d'igno-
rer le bruit qui court.
Lt ton des femmes de qualité eft devenu
extrêmement fier , tandis que le ton des
feigneurs eft honnête.
Les. Parifiennes achètent quatre ajufte-
Xiients contre une chemife. On a de la toite
en province , & des blondes dans la capitale.
Un ouvrage en plufieurs tomes n'eft ja-
mais lu à Paris que quand la province Sc
l'étranger ont décidé Ion mérite.
Il n'y a rien de fi rare que de trouver
parmi nos moines un vifage de pénilent; &
les jeunes gens ont un air pâle & livide,
qui ne vient pas toujours de la débauche,
mais du peu d'exercice.
Nos penfces deviennent fi fubtiles, quVHes
ir E- Paris. 3^7
/exhalent de'nianîere qu'il ne reflerien: la
chymie eft la fcience que Ton étudie le plus.
Tel Journalîfte eft quelquefois, coirfor-
mément à fes^ intérêts difKrents , le plus vil
des flatteurs.^ &^le plus infolenrdes critiques.
Les grands en général ont aujourd'hui
Fefprit ai^ vulgaire que le peuple même :
ils dédaignent comme lui ce qu'ils ne fen^
tent pas, & ne s'occupent que de rapports
puériles & miferables.-
II eft inipoflible à Paris d'avoir ji^ice d'un
grand : il obtient fur le champ un arrêt du
conièil , & toute inftruâion ceflèv
Un traitant ayant lu fur une colonne Paf^
fiche d'un livre qui portcât^ur tîtrd : Traité
de Famc^ demanda- quel pounoit être ce
traité , le feul auquel il ne fut point intéreffê ;
le feul dont il ne ccmnût point la nature ni
le produit. •
Oh appelloît autrefois lés évêques révf'
rends ^ révérendiffimes ; aujourd'hui on les
appelle Monjeigneur , & perfonne nelcut
refufe ce titre , quoiqu'on (burie un peu tout
bas en le leur appliquant. Rien de plus cu-^
rieux que de voir deux évêques fe monfci"
gncurifcr avec une gravité foutenue.
Les princeflès , les ducheflès font d'un
caraâere plus uni, plus -rond, plus facile ,
que les marquifes , les comteflès , & autres
femmes de qualité , en général ailèz im«
pertinentes :
Q4
^^8 Tableau
JUmptr avec bsjftffé t» afiSant P audace^
S^engraijer de rëp'au m ûU^féMt l€s /•/« »
Etouffer en feentfêm ëmi ft/ûn embraft^
Voilà Phonmeur ^i reggê à /r fuite des wùU^
Os vers de Voitake font pai connus^
& méritent de Fêtre.
Ceft en province que Ton a&âe de
prendre les manières & le ton de Paris;
mais celui-cî eft aifé , facile , (ans gâne ; &
celui qu^on affeâe aHleurs eft lourd , pefiuic ^
uniforme.
Cléon appelle Damis fon ami : c'eft uo
Iioimne dont il a fait la connoiHànce il y
a vingt - quatre heures ; auili quelqu'un di-
ibit : ]'ai fait cette année trou cents foixan*
tç- quatre amis. Il étoit au trente -un Dé»
cembre»
Toutes les villes du royaume s'inquiètent
de Paris autant par jaloufîe que par curio-
fitë. Paris ne s'ènibarraflè d'aucune ville da
tlobe ^ & ne fonge qu'à ce qui fe paflè dans
m fein , & à ce qui fe fait à Verfailles.
On entend parler de Lyen , de Bordeaux^^
de Marfeilles , de Naiites ; on croit à l'opiK
lence de ces villes , mais point à leurs amu^
fements, à leurs plaifîrs, encore moin» à leur
goût. Le titre d'académicien de province eft
un titre qui feît rire \ & tel verulicateur qui
ne fréquente que les cafés ^hauflera les ëpau*
les au nom d\jn homme de mérite qui lui
.paroîtra ridicule , uniquement parce qu'il
éait en province.
1> £ P A^ Bi l:3l .
Bariis vent être le centre unique des arts,
âès idées , des fentiments , & des ouvrages
de littérature ; 8c cependant il n'eft plus,
permis qu'aux fpts auteurs d'imprimer en
France.
La plupart des opulents Parifiens , enfon-
cés dans leur fallon & iè mirarit dans leurs
glaces , ne communiquent point avec le fir-
mament, ni avec le ciel étoile. Ils regar-
dait le foleil lans reconnoiflàiîce ,fans al-
miration , & à peu près comme le laquais
qui les éclaire»
G HA P I T R E CCCXXV.
Pain de Pommts de terre. ■.
.^tjtcntlf à Paltment des pauvres , dont le
nombre doit effrayer , je ne paflèrai pas foi*
filence la méthode; d*un ami de rhurrianîtë ,
qui , tandis que tant d'àuttes artifans du luxe
travaillent pour la table des riches ^ a fongé
à, celle des indigents.
Grâces foient rendues, k M. Parmentierî
Qu'importe que fa méthode ne foit pas nou-
velle, quelle foitufitée'aiUeurs? Il aous fa
ait connoitre \ nous qui et) avions, hefoin.
H a fait des expériences pour la panïfica'-
ûtîujdcs .gommes de tçrre \ & fi le fuccès y
Q5v
.370 T A B I E A U
comme il s'en flatte , parvenok à^ (kbftîtuer
en partie ce végétal d'une cukure facile &
aflùrée , au froment que les travaux & les
fiieiirs de l'homme paient fi cfaer^ ce phy*
licien auroit fait une découverte infiniment
utile , 8c donné un préfent inappréciable k la
ioombreufe claflè des néceflîteux. *
C'eft à Park fur-4:out que Ton (êntiroit de
€fàc\ prix feroit la reflburce d'une racine qui ,
(b* développant avec sûreté & bravant les ac-
cidents qui. ravagent les meiflons , devien*
droit un remède à la difette accidenteUe àxL
bled , & aux horreurs du monopole encore
plus funefle«
La fubfiftance du peuple , pour qui mon
ccpur s'iiitéreflè. fpéçîalement , ne feroit pks
livrée à la dîfpontion des éléments & k la
fpéculatîpn de l'avarice. La pommt de terre
qui ne craint ni les gelées , ni les grêles , ni
les orages , ni les vents , ni la pluie , s'offte
également dans tous les terreins , pour Ce
convertir en pain nourriflànt & favoureux.
Puifle la manipulation en devenir auffi
aîïte que la culture ! Cette fubftance fari-
neufè , qui fè propage fans peine & fans
tSon au deflùs de la furface du fol , l'em-
?ortera fur le bled , qui fi fouvent trompe
attente de l'homme , & échappe enfuite
aux n^ains qui l'ont fait croître , pour fèrvif
d'objet' de coninierce à la cupidité la plu&
înçurtriere»
jy E P A R I s. 37r
jTattends donc avec empreflèment le fuc-
CCS d'une méthode qui , finiplifiée & rendue
générale , donnera une perfedion nouvelle
à la panification de ces précieufes racines;'
Ma reconnoilîànce particulière éclatera en-
vers ce nouveau Triptoleme , qui aura mi^
la fubfiftance de la multitude à l'abri de Tar-
dent monopoleur , & j'annoncerai tous les'
avantages quc^ j'apperçois dans une décou-*
verte que Pigncwrance & hr frivolité- ont dé-
daignée avec cette hauteur dénigrante qur*
caradérifè le fiecle ou j'écris-
Pour moi , je la regarde comme devanr
avoir la plus grande influence for l'homme, »
fur fa liberté & fur^ fon bonheur. Je fuis',
fur cet article, del'avis de-Mi* Linguet, (r
éloquent quand il z raifon % je penfe' ^ com-'
me lui , que le bled qui nourrit Thonlme ,
a été en même temps fon bourreau ^ je croir
qae la chymie , la plus utile des fcîences ,
pourroit nous donner un pain moins chère-
ment acheté , moins a ia dîfpofition dcsî^^
grands propriétaires , dé ces tyrans de la <
ïociété, îefquels protègent toujours les avides
calculateurs , parce qu'Ss partagent avec eux. .
L'expérience a prouvé qu'il étoit- poflible
de fabriquer un panr d'une autre fubftance
que de fleur de froment : c'eft déjà un grand
£oînt. Eh ! qui pourroit demeurer îndifterent
%si une pareille découverte , & ne pas voir
372^ Tableau
les avantages immenfes qui en réfulteroîénfr
pour la félicité publique ?
Depuis la première impreffion de cet ar-
ticle , on a ^ait du bifcuit de pommes de-
terre : mais on a encore mieux fait ^ on a
converti la patate en pain .& en bifcuit.
Quel trélbr pour les colonies affligées par
CCS violentes convulfions de la nature , par
ces ouragans qui détruisent toute récolte ^
& expofêes d'ailleurs aux ravages de laguene
& aux cruels hafards de FOcéan !
Le bifcuit de pommes de terre Femporte
£ir le bifcuit de froment ; mak le pain de
patate a beaucoup d'avantages (ùr la pom-
me de terre , en ce que la patate eft plus,
farineufè , moins aqueufe , Se qu'elle con-
tient fur -tout un principe fucré & nutritif
qui la rend plus propre à être convertie ea
pain , & à s'aflimiler à notre fubftance.
Je ne fais fi je me trompe dans mes
vœux ardents , mais je penfc que la^chymie
pourra tirer un jour de tous les corps u»
principe nourriflànt , & qu'il fera alors auffi
facile à lliomme de pourvoir à fa fubfiftan-
ce , que de puilèr l'eau dans les bcs & les
fontaines.
Et que devîendroîent tous ces combats
de l'orgueil , de l'ambition , de l'avarice ^
toutes ces cruelles înftitutîons des grande
empires ? Une no'Trîture aifee , facile y
abondante ^ à la difpofitiou de llionHne ^
D E P A Bi I s. 373
feroît le gage de • fà tranquillité. & de fes
vertus. Nos malheureux fyftêmes politiques
fèroîent tous renverfés. Travaillez , travail
kz , bons chymifies t
CHAPITRE CCCXXVL
Aumônes^
vJrn faifoît , dans le fauxbourg Saint-Ger^
main , une collede pour de pauvres mat-
heureux qui avoient été incendiés. Ceux qui
recueîlloîent les aumônes , entrèrent chez un
particulier qu!on fa voit fort riche : illes reçut
au mois de Décembre , dans une chambre
froide ; & tandis qu'ils délioient les cordons
de leur bourfe , le maître grondoit fort fâ
fervante de ce qu'elle avoit employé une
allumette entière pour allumer un fagot qi»
attcndoit la flamme , lui montrant dans un
recoin de la cheminée des allumettes à demi-
biûlées , & réfervées pour cet ufage.
Les coUedeurs n^àuguroient pas trop bien
de la libéralité du maître qui faifoit une telle
femonce , lorfque celui-ci courant a une ar-^
moire fecrete , en tira une fomme telle qu'on
n'en donne guère en fait d'aumônes. Les
coUeâeurs ne purent s'empêcher de lui mar-
quer leur furprilè , ftir-tout après les paroles
ïï
374 T'A B-L E ArJÎ'
*ju*ils *venoîënt dVntendre*- MtJJkurs ^ leur
dit Phonime bienfaifant , apprcuG^ que cUft
par de telles épargnes que je me mets en état
de faire de fortes charkés aux pauvres (i);
Les aumônes qui fe font à Paris font abon*
dântes ; que Dieu , auteur de tout bien , ett
(bit loué ! Ces âmes charitables font plus
ppqr Tordre & la tranquillité publique , qu»
toutes les loix (ëveres Se réprimantes de la
police. Sans ces bienfaiteurs , le frein politi-
ue feroit brifé à chaque iniîant par la rag^
le dëfefpoif. Sî^la niaffè deis- calamités
rniculieres eft diminuée, nous- Ir devons
une foule d'à mes céleftes qui Hfe cachent
pour faire le bien. Le vice , la folie & Por*-
gueil fe montrent en- triomphe : la tendre
commifération , la - générofité , la vertu fé
déroben^ à Toeil du vulgaire , pDur fervir
rhumanité en filence , fans fafte & fans oD
tentation , fetisfaites du regard de PEter-
îiel (i),
(i) Cette aneèdote pourroit fort bien être
jéngloife^*- mais on m'a certifié qu'elle s'éteit rc*
nouvelle à Paris, Rien de meilleur que Tcxem-
ple pour la propagation du bien.
(2) Citons le médecin Bxayer, Chaque premies
jour du mois il portoit en cachette à fon curé ,
pour les pauvres honteux de fa paroifle , un fac
oc mille francs ; pendant qtiinze années confécu-
tives il fit le même voyage : fomme totale , cent
<piatrc-vint mille livres. Faire le bien, c'eft déj^
bcaucoap ; mcûs h confiance dans- le bien l
B E P A K.' 1: S. 375
Sans Paâive chanté qui multiplié les re«
hiedes y qui va poner les fécours dans les
greniers , qui furprend le malheuseux fur foti
grabat , qui le confole , le fortifie , & lui ap«
prend qu il n'eft pas oublié dans fon infor-
tune folitaire , on trouveroît chaque jour des
hommes expirés de faim : le fommet dés
maifons regorgeroit de cadavres ; les crimes
(broient cent fois plus communs. La plus
gfandepartfe dik repos de la ville efl due .à
des cœurs fenfibles , qui ^ tandis que les or-
donnances punirent les délits, s'occupent k
les prévenir , & fervent l'état & les rois ,
en (bulageant la douleur & en appaifant la
plainte & le murmure. Ces hommes rares
doivent être précieux à Tadminifiratiôn , qui
perdroit peut-être fa force coadive , sMls in-
terrompoient le cours de leurs bienfaits. Ho-
norons Jes , rendons-leur tout le refpeâ qu'ils
méritent. O» ne difoute point le mépris ou
ïindignatîon à un fcélérat vil ou cruel : pour-
quoi refufer l'ellime Se la gloire aux bonnes
& grandes aâioiis ? Pourquoi vouloir anéan-
tir & contefter k l'homme la bonté natu-
relle ? Ce ne fera pas en la niant , que l'on
entretiendra cette vertu innée. Les fophiftes
ne pourront rien contre rexpérîcnce. La
cruauté dans l'homme efl: une vraie nialadie.
Celui qui compte pour rien les autres , eft
un être mal orgaiiifé \ Se j'aîme à croire
Iju'il eft peu coniiuuu. La méchanceté ndSt
37^ Tableau
d'une contradiction violente & la cbmpaf-
fion eft une chofe ordinaire. . Si nous aimons
notre intérêt , nous chériflbns (buvant auffi
Fintérét de nos feni^lable» , c'eft même une
pafCon dans la jeuneflè ; preuve que la na-
tuxe nous a créés plutôt bons que méchants».
On comptera plus.d'aâions généreufès de la.
Crt d'un brigand , que d'aâes de dureté de-
part d'un homme vertueux.
Les âmes fenfibles voient avec attendrie
Cernent que les aâes d'humanité fe multi*
plient de nos jouis ; qull ne faut qu'annon-
cer un dcfaftre , un accident , pour éveiller
la comprflion 8c la charité ; que les bien—
fiiits s'efforcent k combler Tabyme de la.
mifere. Il eft piofùnd, mais il n'eft.pas in--
tariflàble.
Le Journal de Paris eft devenu Je héraut-
des calamités partiailières , & le véhicidt
des pfompts fecoiirs donnés aux infortunés.
• Aucune plainte Jufqu'ici n'a été dédaignée.
Cex emploi rend cette feuille infiniment pré-
cieîife & refpeûable. On envie (buvent la
fenâion de (qs rédaâeurs.
La naîflànce du Dauphin en 178 1 , a été
d?ns la capitale & dans les provinces , le.
fignal d'une foule d'adions généreufes & pa-^
triotiques ; on a délivré des prifonniers , on
a doté des filles ; on a adopté des orphelin?::
le bien fe fait donc au milieu de tant de lé-
gèreté & d'inconféquence « & la bîen&ifance:
DE Pari s. 377
xeéne parmi la diflblution des mœurs vc'efl
qu on a fenti que la bonté de l'ame ëtoit la
vertu première , qi^ le plaifir d'obliger avoit
quelque chofe de célefte & de divin , que le
grand crime & le feul peut-être ëtoît la
dureté de cœur , que fa varice enfin de voit
être conGdérée comme le vice le plus mé-
prifable & le plus funefte.
Nul homme n'èfl diipenfe de faire le
bien \ le plus pauvre doit encore payer (on
tribut à Tinfortunë : un rien lui rend quel*
quefois la vie ; ce n'eft point toujours de la
monnoie qu'il faut , ce font des foins , des
avis , une vifite., une fimple démarche , un
ptacet préfenté. k propos.
Que les écrivains fidèles à leur plus noble
emploi 9 nourriflènt & entretiennent donc
conllamméut cette pente falutaire à la bien^
&i{ance ! DixL
CHAPITRE CCCXXVII.
La Paroijfc Saînt-Sulpiçôi.
Je fuis dans une bonne veine , j'ai trouvé
un filon heureux que je veux iuivre. Je ne
peins les vices & le malheur , que parce
que la* peinture en peut devenir le remède
devant des hommes^giie ]jp ne crois pas ab^
^g TABL£Air ^
dcpravês , mab iiiatceiHÎfiB , dUEbaiH
oa trop Imcs à ieon plaifirs. On na;
doDcer trop d^doges à Tordre âabliiiiBiii
pnoiflê Saint-Sa^ce , pour le fiaulageniihl
des paufites. Cknre les aumônes- pour l|y
layettes , les mois de noairices , les é^fij]
gijmka , k& apprentiilàges ^ les habiUggg
mests , on a trou?è le moyen de pronyfiy
dn traTail à ceux qui ibnc en état de ts^
vûller , & (Eapprendre des médenà ceo^
<fà tftn (àvoîenr point».
CeR un bel exemple propofiS anx aut»
paroiflès de cette grande capitale : carf
ne fbfiît pas de bpçnmer la men£dlé Jl
faut y fulmîruer le tavaiL Rien de phsiv
térei&nt que ce qu'on voit sTexécutec |l@
nellement fbr cette paroiflê. Si ces tanSF
ttons utiles poovoîent-fe mukipKer , pu ti^
riroit avec le temps les larmes de tous tf
infortunés \ on les airacheroit à ce cmel abafr
don où b plupart (ont réduits , & à la néc#
fité où plufieun fe trouvent de s'avilir pV
des bofieflès,^ tou)oi:rs voîfmes des crimes.'
Ces établiflèments n'ont point les vîefi
phyGques dés hôpitaux ; & par une chariri
beaucoup mieux entendue , ils préviennes!
le défefpoir du pauvre., l'oifiveté de Tet
ùiïïce , les infimiités de la vieiileflè. ■
Nous ofons offrir ce bel ordre d'àdminîl
tration , comme le plus propre k fervîr nw
manîté fans la dégrader, à la. conduire ili:
j> E Paris. 379
h révoktr, & à la diriger avec douceur vers
Fhonnéteté ^ la droiture & le travail. Le
cvlte religieux devient fouverainemcnt reC-
pedable y <niand le lieu où Ton invoque PE--
ternel cft le refuge des indigents , rafyle des
foibles , la retraite des infirmes , & devient
pour tous un temple hoIpitaEer.
CHAPITRE CCCXXVIIL
VEnfant-JcjUs.
XlLtabliflement utile , modèle d^humanîté
& de (aine politique du au célèbre Languet ^
curé de Saint - Sulpice. Plus de huit cents
pauvres femmes & filles y trouvent une re-
traite & la nourriture , en filant du coton &
du lin. Elles gagnent leur ^ie par le travail ,
& on leur (fonne l'infimâion \ on les éta-
Uit enfuiee.
On nourrit dans une baflè-cour dès bef-
tiaux qui donnent du lait k plus de deux
mille enfents de la paroiflè de Saint - Sulpf-
ce. On y entretient une boulangerie qui
fournit par mois plus de cent mille livres de
pain aux pauvres dé- fa* paroiflè. On tire
parti' des volailles ^ de piufieurs. Bauges de
làngliers , dont oik vend les marcafllns ^
d'une apotbicairerie où Ton fait des diftillao
jSo T A B L E A U.
lions d'un grand produit. Uordrc quiregnor
dans cette maifôn eft bien fait pour fervir
de modèle aux communautés religtéu(ès qû
poflèdent de vafles terreins.
Cet établiflèment ^ moins pompeux qot
Je bâtiment de Saint-Sulpice aux yeta de
Toblervateur fenGbIe , eft cent fois préfêra-
ble. L'édifice fomptueux a coûté iimnenfo-
ment ^ fans un arantage réel à rbumtanité^
c'eft une. décoration j & voihxouu.X/Enfant-
Jcfus , dans iès humbles murailles , renfer-
me la pratique afiîdue & journalière de la
première des vertus^ la^ charité. V Enfant^
Jéjîis enfin fait pardonner la magnificence
inutile du vafte temple.
Ah ! qu'il m'eft agréable , fur ma route
pénible ^ de rencpntrer de pareils établiflè-
ments ! Mais, je ne rois de tous côtés que
des monafteres ftériles , des . Sacré Cœur dt
Jcfus f des Affomption i de« Capucinti^
àes Adoration perpétuelle da Saint ^Sa^
crement , des Couture Sainte - Catherine .,
dçs Sainte-Agathe ou Filks dujîlcncc,àcc..
On demande à quoi bon tous ces couvents.
& toutes ces religièufes , dont la plupart
prient très-ferieufement pour le rétablijfe^
ment de la religion romaine en Angleterre ;,,
ce dont les fiers amiraux de cette valeureu&.
république ne fe doutent leulement pas».
V E Va K TL S. 3^1
Ç H A P I T R E CCCXXIX.
Bureau des Nourrices & des Rccom^
mandarejfes*
^es mcres de Paris ne nourrîflènt pas leurs
enfants, & nous ofons dire qu'elles font bien.
Ce n'eft point dans Pair épais & fétide de
la capitale , ce n'eft point au milieu du tu-
multe des af&ires , ce n'eft point au milieu
de la vie trop aâive ou trop dillipée qu'on y
mené , que Ton peut accomplir tous les de-
voirs de la maternité. Il faut la campagne ^
il faut une vie égale & xhampctre , pour ne
point fe détruire en donnant, fon lait à &s
* enfants.
On voit donc arriver une grande quan»
tité de nourrices qui viennent toutes of&ir
leurs feins mercenaires. Il n'étoît pas facile
de remédier aux nombreux abus qui réfîil-
toient du trafic qui s'établillbit entre les pa*
rents & la merc pauvre qui fe vendoit ; c'eft
ce qu'on a fait cependant avec beaucoup
-de fageflè, de prévoyance & de douceur.
Les bureaux des nourrices & recomman^
dareftès font le modèle d'une direâion-éclai*
rée,aâive, vigilante. Cet établiflèraent ne
mérite que des louanges; & le mal oue
4akt à la population une trop nomhreufe la-*
38t Tableau
ciété a ctc réparé , pour aînC dire , par fa
police .: tant l'ordre modifie <:ette -étrange
efpece iiumaîne , & fupplée à la nature!
On avulejardbier, c'eft-à-dîre, legoo»
rernement avoir foin de fa graine , & s!bc-
cuper des générations futures.
CHAPITRE CCCXXX.
Les Heures du Jour^
JLies ififierentes heures du jmu: offrent tour-
à-tour, au milieu d'un tourbillon bruyant &
rapide ^ la tranquillité & le mouvement. Ce
font des fcenes mouvantes & périodiques,
fcparées par des temps à peu près égaux.
A fept heures du matin , tous les jardi-
niers, paniers vuides, regagnent leurs ma-
rais , aftburchés fur leurs haridelles. On ne
voit guère rouler de <:arroflès. On ne ren-
contre que des commis de bureaux qui (oient
habillés & frifés à cette heure-la.
Sur les neuf heures on voit courir les per-
ruquiers (aupoudrés des pieds à la tête ( ce
qui les a fait appeller merlans ) tenant d'une
main le fer à toupet , & de l'autre la perm-
que. Les garçons limonnadîers , toujours en
v^ile , :portent du cafë & des bavaroifès dans
DE ^ A U I -S. 383
ks chambres garnies. On voit en même
temps des apprentifs écuyers , fiiivis 4'un la-
quais ^qui , montés (ur îdes cheraux, -courent
battre 4es Boulevards ^ & font payer quel-
quefois aux paflànts leur matheureufe inex-
périence.
Sur les dbc heures , une nuée noire des
lùppôts de la juftîce s achemine vers le Châ-
telet & vers le Palais : vous ne voyez que des
rabats , des robes , des facs (i) ^ & des plai-
deurs qui courent après.
A midi, tous les agents de change & les
•Agioteurs fe rendent en foule à la Bourfe , &
les ôififs au Palàis-Royal. Le quartier Saint-
Honoré, quartier des'flnaïKiers & des hom-
mes en place y eft très-battu , & le pavé n*eft
tien moins que libre. Ceft Theure des 'folli-
citations & des demandes de toute e^ece^
A deux heures les dîneurs en ville, coè'f-
fes , poudrés , arrangés , marchant fiir la
pointe du pied de peur de (àlir leurs bas
blancs , fe rendent dans les quartiers les plus
éloignés. Tous les fiacres roulent à cette
heure , il fi'y en a plus fur la place ^ on fe
les difpute , & il arrive quelquefois que
deux perfonnes ouvrent en même temp^la
portière , montent & fe placent. Il faut aller
(i) On dit qu'il faut porter trois facs k ce
palais; fac dje papier, fac d'argent , fac depa*
tiencc. 1
384. Tableau
chez le commiflàire , pour qu'il décide k qm
il reftera.
A trois heures ^ on voit peu de monde
dans les mes , parce que chacun dîne : c^eft
un temps de calme , mais qui ne doit pas du-t
rerJon^- temps.
A cinq heures & un quart ^ c*eft un ta*
page affi*eux , infernal. Toutes les rues font
ëmbarraflees, toutes les voitures roulent en
tous fens , volent aux difterents fpeâacles ou
fe i^ndent aux promenades. Les cafés b
irempfiffcnt.
A Tept heures le calme recommence-::
calme profond & prefque univerfel. Tous
les chevaux frappent en vain du ined le pa-
vé. La ville ell filencieufe , ''fie le tumulte
paroit enchaîné par unemtininvifîble.Ceft
en même temps l'heure la plus dangereufè,
vers le milieu de l'automne , parce que le
guet n'eft pas encore k fon pofte ; & plu-
ueurs violences (è font commifes à feutrée
deJa nuit (i).
Le jour tombe ; & tandis que les déco-
rations de Topera font en mouvement , h
foule des manoravres , des charpentiers, des
tailleurs de pierre regagnent «n bandes épaif-
(i)Un aflaflin « en 1769» armé d*une fronde
courte, avoit dè]i, à la mi^Oâobre , tué trois
hommes dans refpace de fis jours , lorfqull fut
iixité.
DE Paris.' 3ÎÇ
>fes les fauxbourgs qu'ils habitent. Le plâtre
de leurs fouUers blanchit le pavé ^ & on les
reconnoit à leurs traces. Ils vont k coucher
lorfque les marquifes & les cemteflès fe met*
tent à leur toilette.
A neuf heures du (bir le hrvk recom*
mence : c'eft le défilé des fpeâacles. Les mai-
fons font él^ranlées par le Kmlis des voitures;
mais ce bruit eft paflàger. Le beau monde
fait de courtes vifitesen attendant le fouper.
Ceft l'heure audi où toutes les proftituées ^
h gorge découverte , la tête haute y le vîfage
enluminé , l'œil aufli hardi que le bras , mal«
:é la lumière des boutiques & des réver-^
îres , TOUS pourfiiivent dans les boues en
bas de foie & en fouliers plats : leurs propos
répondent à leurs geftes. On dit que Tin-^
continence fèrt à préfervcr la chafteté ; que
ces femmes vulgivagues empêchent le viol ;
3ue , fans les filles de joie , on (è feroit moins
e fcrupule de (eduire & d'enlever de jeunes
innocentes. Il eft vrai que le rapt & le yiol
font devenus très-tares.
Quoi qu'il en foit^ ce fcandale introyable
pour la province , fe paflè à la porte de 1 hon*
Bête bourgeois qui a d^ filles 9 (beâatrices.
de cet étrange c^rde. Il leur eft impoflible
de ne pas voir & de ne pas entetrdre ce que
ces femmes licencieufès fe jpermettent de dire.
Et que deviendra le traite do philofophe fur
la pudeur ?
Tome //• R
386 Tableau
A onze heures, nouveau fîlencè* Ccft
l'heure où l'on achevé de fouper. Ceft Tlieure
auiTi où les cafés renvoient les oifiâ , les
défbeuvres & les rimailleurs dans leurs man-
fardes* Les filles publiques qui vaguoient ,
n ofent plus Ce montrer que fur le bord de
leurs allées , dans la crainte du guet , qui j
à cette heure indue , Us rama£c. Ceft le
terme ufitc.
A minuit & un quart , on entend les voir
tures de ceux qui ne jouent pas & qufife re-
tirent. Xa ville alors ne paroît pas défeite :
le petit bourgois qui dort déjà eft réveille
dans (on lit , & fa moitié ne s'en plaint pas»
Plus d'un petit FarKien doit (à naulànce ï k
^brufque commotion des équipages. Le ton-
nerre eft encore , mais comme par-tout aU-*
leurs , un grand populateur.
A une heure du matin, (îx mille payfans
arrivent, portant la provifion des légumes,
du fniit Se des fleurs. Ils s'acheminent vers
la Halle : leurs montures font lafliès & fati*
guées ; ils viennent de fept à huit lieues.
La Halle eft l'endroit où jamais Morphéc
n'a iecoué les pavots. Là, point de fîlence^
point de repos , point d'entr'ade. Aux ma-
rayeurs fuccedent les poiftbnniers , & aux
. poiftbnniers les coquetiers , & à ceux-ci les
détailleurs ; car tous les marchés de Paris
ne tirent leurs denrées que de la Halle : c'eft
l'entrepôt univeffel La hotte <]ui s'élève ea
DE Pari s; ^ij
pyramide , tranfporte tout ce qui fe mange
d'un bout de la ville a fautre. Des millions
d'œufs font dans des paniers qui motitent,
qui defcenderit , qui circulent , & , ô mi-
racle ! il ne s'en callè pas un feuL
L'eau -de - vie alors coule à grands flots
dans les tavernes. Cette eau-de-vie eft mé-
langée d'eau , mais fortement aîguifée par
du poivre-long. Les forts de la Halle & les
payfans s'abreuvent de cette liqueur ; les plus
fobres boivent du vin, Cell un bourdonne-
ment continu. Ces marchés noâurnes fe paC-
fent dans les ténèbres. On croiroit voir un
peuple qui fuit les rayons du Ibleil , & qui Ta
en horreur.
Les commis de la marée ne voient ja-
mais , pour ainfi dire, raftre du jour, &
ne fe retirent que quand les réverbères pâ-
liflènt : mais fi l'on ne fe voit pas , on
s'entend ; car l'on crie à tue-tâte ; & dàn^'
la confufion de ces clameurs univerfelles ,;
il faut bien pdflëder l'idiome du lieu, ..pour
favoir d'où part la voix qui vous interpelle.
Les mêmes fcenes (è paflènt k la même
heure au quai de la Vallée. Il s'agit la de
lièvres ^ de pigeons , au lieu de ikumons Se
de harengs.
Ce tumulte non interrompu forme un
contrafte avec le fo.mmeîl qui occupe le
itfte de la ville ^ car à quatre heures du ma-»
Ri .
396 T A ]P L £ A .u
tin a n'y a plus que le brigand & Je
qui veillent,
A £x heures , ^les boujang^rs de Goneflè^
nojqrrîciers de Paris , apporte^t deux fok
la femaîne une très - grande quaiuité de
pains : il faut qu ils fe confonimeiit dans l^
yilje ; car il xie leur eft pas pè^qjis .de ks
remporter.
Bientôt les ouvriers $*arrach«tit àe km
grabats, prennent les inftruments de leur
profeflipn y & vont aipc a^telîer^
Le café au lait ( qui le croiroit ? ) a pri^
Çiveur parmi c^ hommes robuftes.
Au coin ,des rues , à la luQpr 4'une pâle
lanterne , ,des femmes portant dir leur dos
des fontaines de fer-blanc , en fervent dans
des pots de terre pour deux fils,. Lfi fucne
n'y domine pas , mais enfin l'ouvrier trouve
ce café au lait .excellcuit. S'imaginerokrpn
que la comrniinauté des limonnadiers, dé-
ployant des fiatuts, a tout fait pour interdire
.ce trafic légitime ? Ils prétendoîent vendre
la même îMe cinq fols dans leurs bouticxies
de glaces. Mais ces ouvriers n'ont pas oe*»
ibin de fe mirer en prenant leur déjeûner.
Au refte , l'ufage du café au lait a pré-
valu , & eft fi répandu parmi le pei^>le ^
qu il efl dev^iu l'éternel déjeûi\er de tous
les ouvriers en chambre. Ils ont trouvé plus
d'économie , de reflbiirces , de faveur , danç
j?et aliment que dans tout autre. jËn coib
jy^ P A R I S. 3^9
iequenee, ils en boivent une prodigieuiè
quantité ; ils difent que cela' les foutient le
plus (auvent jufqu'au foir. Ainfi ils ne font
Elus que deux repas , le grand dé jeûner 8t
i perjîlladc du {oit ^ dontj'ai parlé ailleurs;
Le matin , les libertins (ottent de chez W
filles publiques^ pâles^ défaite y em{)ottant
U crainte plutôt que le remords; & ils gémin
rbnt tout le jour de l'emploi de la nuit : maiâ
la débauche pu l^bitude eft un tyran qui
les (àifira le lendemain ^ & qui les- traînera
S pas lents vers le tombeau;
Les joueurs plus pâles encore fortent des}
ttipots obfcurs où renommés; les uns (&.
fiappant la tête & l'eftomac , jettant au ciel
des regards défefpérés ; les autres fe pro-^
lîiettant de revenir k la table qui les a fa-
vorifés', mais qui doit les trahir le len^
défmàin^*
- ■ ->
Les loix prohibitives ne feront rien contreF
cette malheureufè paflion mife eh aâivité par
cette foif de l'or, qui s'eft manifefté dan^
tàm le^rangs^ & que Tes gouvernements au-
torifent eux-mêmes fous le nom* de loteries ,
mais qu'ils profcrivent fous une autre déno-^
mination^
Le marteau du forgenm & du maréchal-
ferrant trouble quelquefois le fommeil du
matin , pour les pareflèux qui font encore aa^
lit. Si l'on en croyoit nos Sybarites, onre-
légueiroh hors des vilfes tous les artifans qui
R3
39© Tableau
font frémir la lime mordante ; il ne (croît
plus permis au chauderonnier de battre (à
marmite , au charron de cercler la rque d'un
&r durable , aux différentes profeffions €jfû
coûtent les rues , d élever ces voix aigres &
retentîflàntcs qui fè font entendre au iommet
& jufques fur le derrière des maifons. Il £ui-
droit que le bruit de .la cité fut enchaîné de
toute . part , pour protéger leur oifîve liiot-
kflê y & que , le calme du fîlençe environ-
nant leur paiGble alcôve ^ tous ces- volup*
tueux puflènt preflèr la plume, oifeufe juA
qu^a la douzième heure , lorfque le foleileft
au haut de fa carrière.
Par unç fuite du même efprit, ils ne von-
droient pas fentir la boutique du chapelier ^
à caufe ae Pudeur de {zfoidc ; ni celle du cor-
royeur , à caufe des huiles; ni celle du ver-
nidèur; ni celle du parfumeur, quoiqu'ils
faflènt ufage de fes cofmétiques ; ni celle du
rapeur de tabac , qui les fait éternuer invo-
lontairement lorfqu'ils paflènt. Si Ton écog-
toit toutes les prétentions de cçs riches , il
n'y auroit que des portes cocheres dans la
capitale, & l'on matelajjferoules rues jufqu'à
une heure , c'eft-à-dîre , jufcju'au temps ck
ils quittent l'édredon ou la chaife longue ; les
cloches ne devroîent plus retentir dans les
airs ; & le tambour des Gardes , en paflant
fous leurs fenêtres , devroit être muet : car
il n'appartient qu'à leurs équipages de fiiire
DE Paris. 391
du bruit en roulant for le pavé , & de ré-
veiller k deux heures du matin ceux qui
dorment.
Les dix , les vingt , les trente du mois ,
on rencontre , depuis dix heures jufqu'amîdi ,
des porteurs avec dès Jacockes pleines d'ar-
gent, & qui plient foiis le fardeau : ils courent
comnie fi une armée ennemie alloit forpren-
dre la ville ; ce qui prouve qu'on rfa point fa
créer parmi nous le figne politique oc heu-
reux qui remplaceroît ces métaux , lefqueJs ^
ail lieu de voyager de caiffè en caifle , ne
devroient être que des fîgnes immobiles.
Malheur à celui qui a une lettre de change
k payer ce jour-là , oc qui n'a point de fonds 1
Heureux encore celui qui Ta payée & quireîle
avec un écu de fix livres !
^ A peu près tpus les ans, vers le milieu de
Novembre , forvîennent desindilpofitions ca-
tarrhales , occafionnées par la préfence fub: te'
d'une athmofphere humide & froide, &
dés brouillards qui foppriment la tranfpîra-
Àoti. PluCeurs en meurent ; mais le Parî-
fièh , qui ' rît de tout , appelle ces rhumes
dangeréiii la grippe ;, la coquette ; & le
rieur, trois jours après , eft grippé lui-mêâie
& defcènd au tombeau. "
Le paîlàge des appiartements chauds &
des faliés de fpeftacte au grand air, rend
cette fuppreflîofn de tranfpîration prefque
inévitable. La médiode nouvelle de porter
R 4
392. T A B L 1 A If
de grands manteaux eft excellente ; on ft-
met y de cette manière , k Tabrir de Kmpref-
(îon du froid \ un prompt exercice en (eroit
encore le plus (ur préfi^rvatif. Les fetmnes
qui font obligées^ d'attendre quelque temns*
leurs voitures, ces femmçs. cdiarinantes oc
délicates, que je vois fri0bnner lo Iong>
des efcalîers & fous les p(»tiqaes, de*
vroient penfer que leurs peliflês ne Cont
pas fuSifant^ pour les ^rantii: de tout
accidç^t•
€ H A P I T R E CCCXXXt
I)es Dimanches 6r F^ùu^
Xl n*y a plus que les ouvriers qui connoî&
fent les fêtes & dimanches. La Gxutille, lesi
Porcherons , la Nouvelle-France fe remplif-
fent ces jours-là de buveurs. Le peuple j»
va chercher des boiflons à meilleur mardîe
que dans la ville. Plufîcurs défordres en ré-.
fïiltent ; mais le peuple s'égaie^,, ou plutât
s'étourdit fur fon fort; &C ordinairement
Pouvrieryizi/ le lundis c'eft-ihdire , s'enivre,
encore pour peu qu'il foît en train^.
Le bourgeois qui a befoin d'économie ^
ne fort pas des barrières. Il va fe promener.
aÛfiz eimuyeu(è]]aent aux Tl^idleries.,^ ^yk^
d'^h' P à r I s. 393
Euxembourg ^ h l'Arfenal , aux Boulevards,
Si dans ces promenades il y a une feule robe'
rètrouflee, pariez que c'eft une feiîime ée*
province qui la porte;-
Le peuple va erttoré à la rriëfle, mais
il commence a Ce paflèr des vêpres, que^'
le beau monde appelle Vopéra des gueux.
Il faur qu'il refte debout dans les églifes , •
ou qu'il paie' une chaife. Cela eft très-mal •
va ^ on lui ^demandera fix fois pour enten-*
dre un fermon aflis* Les temples feint donc -
défert^ -^ excepté dans les grandes folemnî-
tés, oîi les cérémonies le rappellent. Quoi, ^
de l'argent encore ppur entendre l'ofBce'
divin ! *
Fendant Podave de la Fêtér-Dîeu ,' il y/
2 toujours beaucoup d^affluence au falut &'
à Pexpofitioiï du Saint-Sacrement : il eft vrà^
que c'ett^ pour la petite bourgeoîfie tm pré-
texte de fixtir & de fe promener ^ la tom--'
bée du jour , dans utie belle (afon. Les*
Jeunes fuies fur-^tout font fort dévotes aiï
falut & îi la bénédifHpn dii foir*^ ^ gé**
néral' le dini^che eft précieun pout'^elks.
L'amour fait fon profit des - vacances or^'
données par l'églife.
Le magtiific{ue jardin des Tiuiileries eft
abandonne aiqourd'hui, pout les allées des
GIiamps-Elïfées* -On âdiHiJele^ belles pro-
portions 8c le deilin des Thuilevies ; mais
aux Champs-Ëlifises , tous les âges^fio tous'
R ^
594 Tableau
les états font raflèmblés : le champêtre du
lieu , les maifons ornées de terraiies , les
cafés , un terrein plus vafte & moins fym-
niétrique , tout invite à s*y rendre*
Il eft fingulier que , dans les états catholi-
ques , le dimanche foit {»:efque par- tout un
jour de défordres. On a fupprimé enfin 2i Pa-
ris quatom jours de f eus par an ; on s'eô
arrêté en beau chemin ^ iJ en reile encore
trop ; autant d'enlevé du moins à Tivrogne-
rie & à la débauche crapuleuiè.
Un favetier voyant un jeudi, au, coin
d'une borne, un fergent ivre qu'oa tâchoit
de relever & qui retomboit lourdement fur*
la pienre , quitta . fon tire - pied , fê pofta
devant l'homme chancelant, & après l'avoir
contemplé, dit en foupirant : Voilà ceptn^
dant titat oà je ferai dimanche !
Ce trait qui ne doit pas être dédaigné
du philofophe , appartient , à ce qu'il me
fçmble , à la connoif&nce du peuple , &
même à celle du cœur humain; car il eft*
très-a{^licable à la logique des paffions.
. Au refte , les dimaocheis & fêtes sVui«
sioncent par la fermeture des boutiques. On
Toit fortîr de bonne heure les petits bourgeois
tout endimanchés^ qui fe hâtent d'aller à
la grand'meilè pour avoir le refte du jour
à eux. Ils arrangent un diner à Faf^ , \
.Auteuil , à Vincetmes , ou au bois dt
Boologue.
DE P A K. I ^, 39$^
Les gens du bon ton ne (brtent pas ces
jours-la, fiiient les promenades, les fpe^-
cles , & les abandonnent au peuple. Les
(peâacles* donnent ce qu'ils ont de plus
u(ë ; les aâeurs médiocres s'emparent de la
fcene : tout cela eft bon pour des parterres
moins difficiles^ & pour qui les pièces les
plus anciennes font toujours des pièces nou-^
velles. Les adeurs chargent ces jours-là plus
que de coutume , Bc obtiennent de grands
applaudidèments.
Les bourgeois aifés (ont partis dès la
veHlepour leur petite maifon de campagne,
voîfine de la barrière. Ils y ont mené leur
femme , leur grande fille & leur garçon de
boutique, quand oti efft content de lui, ou
quand il a fu plaire à madame.
On a porté la veille , dans un fiacre bien
plein , toute la proVifion , & un pâté de
Lé &r|r. Cell Wjotfr àeî gaudrioles. Lé
père fera des contes , la mère rira aux lar-
mes ; la grande fille s'émancipera un peii ,
& fe tiendra .nioinS droite; le garçon de
boutique , qui aura acheté des bas de fc^é
Umcs & des boucles toutes neuves, ho-
imré^dii titre de joli garçon , fera des geii-
tilleflès & déploiera tous les moyens dé
plaire , attendu qu'il afpire de loin a la
main de Mademoifelle ; car elle aura bien
en dot dix à douze mille francs , malgré
lès deux petits aères qui font en penfîoii ^
K6
J9^ t A B, LE-' AU
6c qui ne participent pas encore aux jouH^
fances de la maifon de compagne , îuCquV.
ce qu'ils aient remporté un prix au cdlege.
Il ne faut pas les dîfttaiie du loin.. de de-
venir un jour de grands hommes-, lor£>
«{kfils (auront la langue latine ; c^eft ce qucr.>
croient pieufement le pet^ , la . jnere & J»ttte .
la maifon.
C H:A P I T R E. CCCXXXIL
Carnaval.]
JLe peuple fôte la Samt^Manin ^ lès Hmi"
& le Mardi-Gras : il vend la veiOe iès«
chemifes plutôt que de ne pas acheter un
dindon ou ua oie. à-la Vallée, Elle eftf
couverte d'acheteurs: & vu t'aj99iieiu:e , la.
volaille ed hors de prix. 'Le^ cabarets (è
rempSfIènt dès le matin. Les commiflàires
ne doivent pas (brtir de chez eux ces jours*
là ; car le guet leur amènera un. plus grand'
nombre de délinquants. Plufîeurs (ûrtiront
de la guinguette que pour aller coucher en
prîfon.
On voit peu de mafqucs pendant le caF-
naval , depuis une trentaine d^amiées ; Çoit
que le peuple (è foit dégoûté de ce plaifir,
Qjcà veut une Ubexté entière ^ foit plutût ^u'il
Û-E P A K I S; 357/
ait trop peu d'ai(anc« pour figiurer (bus un.
élégant domino. Mais, vers les trois derniers
jours , la police attcntive.k la repréfenution
extérieure de la félicité publiqqe , d'autant,
plus que la mifere. règne y. paie à fes frais
de nombreufès mafcarades. Tous Ces efpionsr
& autres garnements fe rendent kun magafîn
oii il y^a de quoi habiller deux ou troi&
mille cAiâ/z/i/^. Ils fe répandent ^nfiiite dan&.
les quartiers , & vont par bandes crottées,
au fauxbourg Saint-Antoine. Lh , ils figu-
rent une allégreflè publique 9 faullè & men^.
(bngere. .
Plus les années font défallrueulès , plus on
a. recours ï une impoftuce plus fortement
caraâérifee; mais eue perce à tra^Ters les
guenilles .£des.& ufées ^ont le peuple ell
couvert : car on a beau vouloir repréfenter
les fcenes. riantes &. animées de la folie;
on n'y parvient pas quand le cœur^ft mé^^
content ; fa .marotte efl: (ans énergie ScCàos
grâces , (es grelot» forment mal dans ces^
fiioides ornes ; ils ne (ont qu'une difcor-
dance plaintive â roreiOe* qui (ait .entendre.
fiJen nVft . plus attriftant que de voir un
p&xpk à qui on commande de lire tel jour,
& qui (èpréfie baflèment à cette aviliflànte
ordonnance.
Tandis que la pplice (pudoîe ces' mafques^
IfS prêtres expo(ènt le Saint - Sacrement
4ans ks églises y parce qu'ils regardent coïki^
99S Tableau
me une profanation ce qae lè gouvernemehr
autorilè. Mais ce n'ell là qu'une des moindres
contradîâions qui le trouvent entre nos loix^
nos mœurs & nos ufages.
Pendant le carnaval, la vie des femmes de
Paris n*eft pas indolente \ elle eft tout-à-coup
réveillée par la voix du plaifîr : voilà une oc-
caHon de briller dans les afièmblées. Ces êtres
qui, dans de certains moments, femblentn^
vivre q*u*a demi , reçoivent tout-à-^coop une
prod gieufe aâivité qui leur fait fupiporter les
fatig.ies du ba! : c'eftlk qu'elles fe montrenc
infatigables. Les veilles ne leur coûtent rien,
& les nuits entières (ont confacr^ k ces exer«
cices violents. Le lendemain les hommes
fe relèvent fatigués , les femmes en nrviei^
nent plus fraîches & plus brillantes.
A cette même époque , les amants ipiî veo-
lent sepoujir hâtent le mariage , parce que
Faxhevêque de Paris , pendant tout le ca-
rême , fe montre très-difficile fur lés unions
conjugales.
Un peu de pouffiere , comme dît Pefpion
Turc , que Ton répand le lendemain fur ht
tète de ces hommes traveftis , appaife leur
fjrénéfie. De foux & d'infenfcs qu'ils étoient,
îk redeviennent raîfonnables & calmes.
Les pièces de théâtre les plus licencièufês'
ft donnent dans les derniers jours du car-
naval ; mais une fois apprifes , elles fe pro-
kmgent pendant tout le carême ^-datu uv
DE Paris. 399
temps de Gunteté 6c de mortification : de
forte que jamais le fpeâacle n'eft moins hon^
nête qae lorfqu'il devroit l'être le plus.
La loi deTéglife, qui ordonne l'abiUnenct
de la viande , efl G gênante^ fi incommode,
fi peu praticable au milieu d'une immen(è
population, que la police a fait ouvrir 1er
Doucheries pendant tout le carême. Elle a
fait très- fagc ment, parce que la fubCftance
rérale & aifce eft la première loi civile,
qu'une méthode contraire atuquoit la*
iknté 6c la liberté du citoyen.
Cette vieille loi, plus bizarre qu'utile,-
tombe donc en déTuétude, on plutôt nous
remontons aux premiers fiecles de l'églife, oî^^
la volaille en général étoit regardée coiiunè;'
un aliment maigre. Cette heurculë opimocP
étoit fondée furie récit de la Genefe, qui dit^
que Us oifiaux & les poijjhns furent créés Vf
même jour : ce qui nous autorifc k les afli*'
miler fur nos tables ; 6c qui ne goàteroit'
as cett^ excellente logique? Les évêquei^
abbés commendataires (ont les prèmien
a en donner Fexemple, 6c ils font* gras ptM^
bUquement devant la valetaille.
g
\
-i'^
4pO T A B^ L E ATIT'
CHAPITRE ÇCCXXXIII,
Tragédies modernes.
Xjcs fpeâateurs du thëatre François comr'
mencent enfin à f^ntir runiformité fit la ^
reflèmblance de ces plans étroits^ de ces
caraâeres répétés qui laidènr un vuide fie
impriment une langueur fenfible a nostra-
eédies'n^emes.' Uimniuable/?^ rt7/i de la
Mebomene Françoife endort o^ révolte les-
^pnts les plus- attachés par- l'tiabitade aux *
vieilles op^iions littéraires. On edprelque;
d^ccord que cette Melpomene Françoife, fi -
exceflîvement vantée , n'a vécu que d'imita-
tions ; qu'elle n'offire que quelcpies portraits
a« lieu de ces tableaux larges & animés par
la multitude des caraâeres qui appartiennent <^
à'Un fujet hiftorique. '
On a. dit tout haut que noitré petite fcece'
n!étoit qu'un parloir , que nos vingt-quatre ;
heures n'avoient (èrvi qu'à accumuler grof-^
fièrement les invraifemblances les plus m'ep-
tes & les plus bizarres. On efl convenu ^u'un
feid & même patron dramatique^ pour tous
les peuples , poiu: tous les gouvernements ^
pour tous les événements terribles ou tou-
chants, {impies ou compliqués, étoit une
Di £• Paris. 401:
adoption puérile qui n'avoît pu être con-
ÙLCtét que par les copifles d'un art qu'ils
n'ont point eu Iç génie de modifier, tous*
adorateurs ferviles de ce qui avoit été fait,
«vant eux , & ab&Iunient dépourvus d'in^
vention^
On ridiculifè donc avec juftice cette génV
continuelle dans le choix des fujets &dans.
la dlfpofîtion de la fable y cette foule d'en-
trées & de fortiei vagues & forcées^ qui:
ceflèrrent une aâion étendue , dont la mar-
che libre eût paru conforme aux faits y &.
pour tout dire, raifontiable..
. Le poëte aflùjetti a coupé le tableau his-
torique pour le faire entrer dans le cadre,
des règles. Quelle inconcevable mal-adreflè ! .
On rit quand on voit un auteur tragique,
prendre £ms façon deux ou trob pièces^
grecques potuTv en compolèr une k fz fan«-
taifie; abattre une tête qui lui déplaît pour
en coller, une autre fur le trône de telper-.
ibnnage ViCeofondre les. parentés des detcen^
dants d' Atr^ & d^(Edipe , (ans craindre Yànui
madverfion de ces princes décédés ; traiter;
ihdifSbrniment un fujftÂBglois , Allemand,-
Ruflè, Turc^ ou Tartaro-Chinois ; ne dai«>
gner jamais. lire, (cm original, ni l'hiftoire
du temps , ne vouloir que U titre ^ Se dé^
biter hardiment fàcompofirion étrange Ibus*
Ëenfeigne de tragédie. On affiché le monfire*
(bus cette.dénoniinatioxLy6c.le monfire a (on
401 Tableau
paflè-port ; mais les gens fenfés vont voir
par curiofitë de quelle manière un poëte
François défigure Tniftoire , Fidiome , le gé-
nie , le caraôere de tous les peuples du monde
a l'aide de quelques vers ronflants. -
Il eft vraiment plaifant de voir ces cont
pirations d'écoliers , de prêter Toreille à ces
conjurés qui apprêtent le poignard ou la
coupe empoifonnéc ; de voir un adear en
inftruire un autre , en rimes très-ftmores , de
fa généalogie , de fa naiflànce , de rhîttoîre
de fes parents ; dVxamîner ces rbîs tdfos agif-
fànt Se parlant de même , n'ayant aucune
phyfîonomie diftînâe, dont, pour plus gran'
de commodité , le poète a fait des dcfeotes
altiers environnés de gardes , comme s*il n'y
avoît au monde que cette forme afiatique.
Et voilà le fantôme que la nation , par une
{btte habitude, adore fous le nom de goûti
, Elle afïèâe du mépris pour tout ce qui ri'cft
f)as de fon crû littéraire ; & dans ces foîbles
ipéamcnts , où le François fèul a ceconna
la figure humaine , il a défié^^ néam^oins fes'
voifins,'& femblablé aii moîithtràh de la"
fable , ri a fonné la charge & la viâxrirfe , en
publiant que lui feul avoît un théâtre tragique,
Tout pîiîlofophe , c'eft-à-dîre, celui qui
confulte la nature & les homnies au lieu des
jbumaliftes & des acadèiiicîëns , (burit de
tié en démêlant le faux , le bizarre , &
ton menfonger de notre tragédie.
ptie
le to
DE P A H I S. 403
Quoi , fe dir-il , nous fommes au milieu
de r£urope , fcene vafte & importante des
événements les plus variés & les plus, éton-
nants, & nous n'avons pas encore un art
dramatique à nous ? Nous ne pouvons com^
pofèr fans le fecours des Grecs , des Ro-
mains , des Babyloniens , des Thraces }
Nous allons chercher un Agamemnon , un
, (Edipe , un Théfee, un Orefte , &c ? Nous
avons découvert TAmérique , & cette dé-
couverte fubite a fondu deux mondes en un ,
. a créé mille nouveaux rapports ? Nous avvons
riniprimerie, la poudre à canon , les poftes ^
la boullble, & avec les idées nouvelles 6c
^ fécondes qui en réfultent , nous n'avons pas
encore un art dramatique à nous ? Nous
fommes environnés de toutes les fctences ^
de tous les arts , des miracles multipliés de
finduftrie humaine ; nous habitons une capi-
tale peuplée de neuf cents mille âmes ,011
la prodigieufe inégalité des fortunes, la va-
riété des états ^ des opinions, des caraâeires,
forment les contraires les plus énergiques ôc
. lés plus piquants ; & tandis que mille per*
jfonnages divers nous enviionneint avec leur?
traits caraâéridiques , appellent la chaleur
de nos pinceaux, & nous commandent la
vérité, nou^ quitterions aveuglément une n;^
ture vivante, où tous les mulcles font enflés,
(aillants, pleins de vie & d'expredion , pour
aller delfiner un cadayrt grec ou romain y
^ y
404 T A * L E A * .
colorer (es joues livides, habiller £es inkm>
bres firoids , le dreflèr fur (es pieds toat chan*
eelant , 8c imprimer k cet oeil cecne, à cettf
langue glacée y à ces- bras roidis , le regard>
tidiôme & les gefies qui font de conve-
nance (iir les planches de nos tréteaux? Qoel^
abus du manne^iin !-
Si ce n'edooint là- la pins monftnieufli
des &rces , c'e(t aflùrément la plus ridicule^
ou pbtôt G?e(l l'oubU le plus impardonnable
des plaifirs de nos nombreux concitoyens
& des tableaux vivants- & inftruâtfi qu'ib
demandent. Faut*il alors s'étonner fi laixuiI-<
dtude neconnoit feulement pas le 110m de
vos auteurs-tragiques ?
H n'y a prefque phis qtie les-gens de kt**
très qui' (oient infatués de ces eiquiflêsr ihH
parfaites 9 Se qui s'en occupent avec on fié**
riie déluge de paroles ; mais tandis qi/ik
font fort «habiles 2i multiplier d'oifeu(ès dif--
fèrtations , Part n'en fait pas un (èùl pas de
plus. Nos tragédies continuentk n^ôffrirque
des reflets pales, une imitation fervile; Se
h génération aâaelle de nos auteurs^ attes-
tera à là (uivante Topiniâtreté du goût le plus
aux & le pKis déraifonnablè.
Jeunes écrivains , voule» -vous' connoître^
Fart <» voulez '-vous le faire fortir des bomeS'
puériles où il efl enchaîné ? laiflèl Jà ^ les pé-*
âodiftes & leurs préceptes cadavéreux. Lifez-
Skalufptarc^ non pour le copier^ mais pput'
J» c F A R t s. 40^
TOUS pénétrer dfi Ql manière grande & ^-
fée, umple, naturelle, forte,, éloquente:;
étudiez- le xomme le fidèle interprète de la
nature , Qc vqus verrez bientôt toutes ces
petites tragédies éoanglées , uiûformes , (ans
plan vrai 8c fans mouvement , ne plus vous
of&ir qu une {ëcl^ereilè Sf. une maigreur
hideufe.
Les gens de lettres au deflus de trente*
cinq ans ont frémi de ces héréfies oppolëes
^ h/aine doârinej parce que 1rs préjugés
durciflènt avec la tète qui les renferme. Ils
qnt latijcé fbr ThÀéiiodo^ leurs anathémes
Singulièrement redoutables. Mais vous favez
.combien les braillards ont défendu le plein-
chant François qu'ils nommoient mufiquc.
Ten appelle Ji la génération qui s^éleve j 00
accueillera .un jour avec tranfport le genre
oue notre dfottile -combat aveuglément ; on
lentira qu'on a fait en France tout le con^
traire de ce qu'il &lloit &îre ; & l'fa(iftoix#
de notre mufîque d^yiet^di^a ^lle de notrie
tragédie.
Alors nous appercevrons d'une manière
diftinde la difformité burle(que de rK>s pie-
ces uniformi?^ & fzOàce^^ & pous adopte*
rons une irmovation làlutâire qui tournent
au profit de la vérité , du génie ,.des moeurs ^
& des plaifirs de la nation (r).
■*' ■ 't. 1. ■.. ■' ' .11 I. I ■ Il
(i) J*ai combattu Jç preiioler avec jone éxtri;
4o6 Tableau
Un roi de Perfe fit tîrcr un jour (on ho-
rofcope. Ce roi qui fe moquoit mez du palfif
& même du préfent, était fon inquiet fur
Pavenir. Uaftrologue ayai^t bien examiné la
conjonSion des ajlrcs , déclara fort inno-'
cemment que le roi mourtoit , k coup sAr,
d'un long bâillement ; ce qui , félon la tra-
duâion des mots perfàns , équivaut à mourir
d*enntd. On s'appliqua donc très-fbignelife-
ment à prévenir tout ce qui pourrott provo-
uer ce (îgne fatal , lequel devoit être , pour
a niajefté , Favant-coureur du trépas. Dé-
fenfe confcquemment k tout mélancolique-
2
me franchlfe les idées que plufieurs adoptent au*
jourd'hui. J'ai fait imprimer en 1775 **" li^^
intitulé du Théâtre « ou Nouvel Effai fur VArt
dramatique^ Amflerdam<t qui me valut alors de
la part des iournalides (tons réunis contre moi)
non pas une feule raifon , mais bien de grofles
injures ; & d*un autre c6té , une perfécutioa
pref'que rèrieufe , que je détaillerai un )Our*
Pour toute réponfe » j*ai étendu mes idées &
mes réflexions , en les frappant d'une manière
plus haute & plus décidée; laifiant au temps «
dont je connois les effets , le foin de mettre mes
opinions à leur place. Je compte donc publier
bientôt un ouvrage qui aura pour titre : Exa^
men ph'dofophique de quelques pièces du théâtre
François y Anglais ^ Allemand^ Efpagnol ^ &C2
avec les oB/ervations de plufieurs écrivains céUhrts ^
fiir la nécefflté de réformer le fyfiimc aàiul du théa^
tre François.
DE Paris.- 407
de trarerferles cours, a! nfi que les efcalîeis
des châteaux que le roi pourroit habiter. Or-
dre exprès à tout courtifan d'avoir inceflàm-
ment le fourîre fur les lèvres & quelques bons
contes dans la mémoire. On enleva des bi-
bliothèques du prince tous les moraliftes an-
ciens &c modernes , tous les diflèrtateurs , les
jurifconfultes , les métaphydciens ^ on tapiflà
les murailles de peintures pleines de feu &c
de gaieté. On ordonna que les gens de jus-
tice ne porteroient plus que des habits cou-
leur de ro(è. On fit recrue de bouffons , 8ç
ils furent largement payés. Bal quatre fois la
femaine , comédie tous les jours; mais point
d'opéra en plein-chant. A<^x portes du palais,
des gens amdés verfoient du café à tous ve-
nants ; & quiconque lâchoit un bon mot ,
ohtenoit fur le champ un paflè-port pour allet
par-tout. Rire & &ire rire étoît le propre
d*un grand homme qui fervoît dignement
fon prince & Fétat. Toutes les dignités appar-
tinrent de droit aux plaifants qui narroient
les plus joyeufes facéties.
Un poëte qui n'étoît ni trifte ni gai , maïs
qui amufoit aÛèiz ceux qui l'écoutoient parler
4e fes vers , étoit parvenu à la cour ^ on ne
iàit trop comment : mais enfin il s'y trou-
yoit ; & comme l'on confond aflèz volon-
tiers dans ce pays les poètes avec les foux ,
il àvpit fes entrées. Il mît à profit cet avan*-
tage , & fit fi bien qu'il obtint de lire 4^*-
^O^ / X. A B L ï A Ù
vancfa majefté une tragédie toute enâeie^
de fit compciGtion ; tragédie , .félon lui , éton-
nante, pathétique , qui réuniflbittuat cecpi'A-
riftote exige , d'après les drames grecs , car
îl ri*a vu que cela dans fa poétique. Cette
tragédie étoit prônée d'avance avec qn en-
thoufiafme fingulier ;; & chacun de s^écner
iàns la 'connottre : ^efi admirable ! Le poète
iônt & lut. Le roi bâilla & mourut.
L'auteur eft foudain arrêté , comme cou-
pable du crime de lése-majefié au premier
chef, & condamné à perdre lavieaiimifieii
-des jbppliccs d'étiquette. Il fe récria fort^
ment , moins fiir la violence conmiifè cotw
tre fa perfonne,que furFinjufHce horriUe,
abominable , que Ton faifoit k £aa ouvrage
tragique, admiré de toute une académie.
Le goût avoit préfîdé à la conftruâion de
chaque vers , 6c ils étoient fî bien iiKMilés
îxxï les bons modèles , qu'en cas de befmn
on les y trouveroit prefque tous. Voilà ce
que le poète avança pour Ùl jullification«
Le tribunal fuprême cm devoir procéder
avec toutes les fomialités requifes ; & com-
me on repréfente toujours au coupable finf*
trument du crime , il fut ordonné au poète
de reprendre 8c de relire cette fmtale tragé-
die devant tous les juges afièmblés. Lepoëte^
la tête nue , 8c dans la pofture des crimi-
nels, environné de tous les ordres de l'état ,
lut Ùl pièce. Dès le fécond aâe y voilà que tous
la
DE Paris. ^ 409
las fronts féveres &, rembrunis fe déridèrent,
& progreflivement de longs éclats de rire ,
?u'on youloit étouffer , fe firent entendre ,
ç percèrent de différents côtés. Ces crîg
bientôt dégénérèrent en convulfions : ils an-
nonçpient .ia grâce du poète. En ef&t , tous
les juges en fe levant , déclarèrent d'une roiz
unaninie , que rien au monde n'étoitplus
plaifant que cçtte tragédie, & que le trépas
iubit de fbn aug^e majefté avoir eu certaî-
iiement une.tojite. autre caufe. En conféquen-
ce , le poëte fut remis en liberté , & renvoyé
bien abfous au cercle de fes admirateurs ou
4e fon académie. ■
■ C H A PITRE C C C X X X I V;
Comédies modernes.
Jl purquoi rltton moins aujourd'hui qu'on
^e ripit danslfcfîecle paUé? C'eft peut-être
parce qu'on a plus de connoiflànces & le
;ta^ plus fin^; deft parce qu'on démêle du
premier coiip-d'œil ce qu'il y a de froid &
de faux dans ce métue trait qui faifoit rire
nos aïeux à gorge ééblôyée. .On rit moins
dans le monde ', parce (ju'ony raifonne da-
vantage fur toijs les objets , or parce qu'a-
près ^voir éj^uITé toutes(lds plaiiàntciies , il a
fomc II. S
^10 .T'A B LE A V
fallu en venir malgré foi à un exam^en plus
r iexaû & plus décaillé.
Nous avons lu , nous avons voyagé ^ noas
avons vu &c examiné des moeurs bien di^
rentes des nôtres ; nous les avons adoptées
en idée , & dès ce. moment les conttafies
nous ont moins frappés ; les originaux nous
ont paru avoir aufli leur manière d'agir &
de penfèr , tout comme ceux qui (tiivoiett
les maximes les plus accréditées.^ La pkifàii-
teries'eft émouflee néceflairemenc , avec II
connoiflànce des ufages diamétralement op^
pofésaux nôtres.
Uexemple de nos voifîns [dus rapprochés
de nous ; la leâure des voyages noBveaux ;
les gazettes multipliées ^.retnplies de âits ei-
traordinaires & inattendus ; le mélange et
tous les peuples de Tfiurope , tout nous a
, appris que chacun avoit fa manière de voir ,
de juger, de fentir ; 8c tel caraâere bizarre
. qui nous frappoit par fa fingularité , s'cft
trouvé commun chez nos voifîhs y confe-
quemment juftifié & hors* des àtteitites du
ppëte comique.
Remarquez que Pon rit. cMt fois phis
: dans un collège , dans une communauté^
dans un couvent , daiis une maifbn aflèrvie
à des règles fixes. Eh ! pourquoi ? Parce que
, dès qu'on s'écarte de l'omiere tracée , PiD>-
: ft:aâion marque , & le ridicule naît. Dans
' une pedte vâle il y a lieu à. des rapports
B E Paris. 411
plus frckjuents , plus vifs & plus plai(ants que
dans une grande ^ les nuances frappent là
bien autrement , parce que tout eft circonC*
crit , uniforme ^ oc que l'on veille les uns
fur les autres* Il eft un ton général dans le$
^opinions , dans les ufàges, dans les vêtements
même , qu*on ne Ciuroit enfreindre. ._^ c .
Mais à Paris , l'homme eft trop noyé dans
la foule, pour avoir une phyfiionomie qui
tranche \ le ridicule devient imperceptible.
Chacun vivant à fon gré , & les mœurs étant
prodigieufement méfees , il n'y a point d'état
& de caradere qui ne porte fon excufe avec
foi. On dit donc parmi ce peuple une mul-
ititude de bons mots qui rélultent de la prOf
fonde connoiftance des ehofes; itiaisonâap^
pe rarement ûir fhomme, oq le refpêde;
ou (î le trait fe lance au hafard , il eft effacé
par le trait du lendemain. La médifance fe
maiiifefte moins par méchanceté que pour
écarter la lanmieui; &:Jl-ennui. On fekitira
aifënient que iousce pomp de vue l'art delà
comète p'admet que des tableaux , &qi;i:d^
regarderoit comme, un perturbstteur de li
fociété , le pojëte qui livreroit brutalement la
guerre k tel ou tel individu. D'ailleurs on iai^
&oit difficilement la reflèmblance. . : . . . t
Une comédie qui èe peut attaquer fous
les vices en honneur, ni les ridicules, enno-
blis , devoir tomber néceflairement d^ns lo
jlyle des. comttEààoQs j .& c'eft ce : qqi eft
^ Si
4'ri Tableau
arrivé. Elle .aura de la fineflè ^ de la grâce :
mais difcrete & froide , elle manquera d'é-
nergie ', elle rfofcra parler ni du fourbe pu-
blic qui va tâte levée , ni du juge qui vend
fa voix , ntdu miniftre inepte ^ ni du géné-
ral battu , ni du préfomptuenx tombé dans
fes propres pièges ; Se tandis qu'au coin de
toutes les cheminées on parle , on rit ii leurs
-dépens , aucun Âriftopluuie n'eft afièz hardi
•pour les faire monter fur le théâtre.
Ayant à tracer des peintures vigoureufes
(ùr des modèles récents , il lui efl défendu
de concilier Fintérêt des mœurs avec finté-
rèt de fon art ^ il ne peut guère attaquer le
YÎce qu'en peignant la vemi ; & au lieu de le
traîner par les cheveux &r la fcene, de motv*
trer ^ découvert fon front hideux , il eft obli-
gé de faire une languiflànte tirade de mo-
rale. Point de comédie à caraâere vivant
dan^ les formes de notre gouvernement.
> Molière lui-même , tottt foutenu qu'il étoit
psLV fon nom & par Lotiis XiV ^ n'a ofc
faire; qu'une comédie en ce genre j c'eft auffi
fcn chef-d'œuvre. Dans tes autres ^ fon pin-
ceau n'a plus la même force , ni la même
élévation. Le trait plus vague caraâérife
moins la phyfionomîe. Le Mijanthrope (i)
. •' : ;
(i) Cette pièce a déjà excité plufieurs dé--
bats intérefTants : voici l'impreffion qui qi'en eft
reftée» Le Mifdnthrogc m^a toujours paru fort jd.
D f P: A K 1 s. 413'.,
ell encore de nos jo&rs un problème moral ,
adèz difficile àréfoudre ; & je crois appercevoir
que Molière lui-même amolli daus la com- ,
ppCcion de (es tableaux , qu^iln'a plus oIechoi-<i
(if Tindividu ^qui eût donné au portrait :ùne
vie plus animée.
Depuis , nptre comédie moderne , en
cédant de vouloir peindre des bourgeois , a
perdu & la gaieté & fon naturel^ lepoëte,
pour faire imaginer qu'il fréquentoitla noble
compagnie , n'a plus voulu faire parler que
des ducs , des comteflès Se des marquifes ^
férieur au Tartujfe. L'intention de Molière dans
cette pièce a sûrement été* pure ; mais on ne
peut s'empêcher néanmoins d'avouer qu'elle pa«
rpit équivoque à Texamen, Molière « fi je ne
19e trompe, femble vouloir que la vertu foit
douce y pliante , accorte , pour ainfi dire « mé-
nagée , acconunodante , refpeâant toutes les
conventions tacites.Sc faufles des fociétés ; qu*elle
ne gronde jamais , quelle ne s'emporte jainais ,
qu'elle voie tout ce qui blefTe Tordre d'un œil-
prudent , circonfpeâ , rcfervé'; mais la vertu
£in$ fa marque diftînâive , qui eft le courage ,
la franchife , la fermeté , & , pour tout dire , la
rpideur de la probité, eft elle encore vertu?
Molière femble donner la préférence à Phi*
linte fur Alcefie, & faire dq premier un modèle*
à fuivre pour les manières & le langage ; il femri
Lie dire : Soyez dans certaines circonfiances*
plutôt un peu faux avec politeffe que bourru
avec probité ^ ménagez tout, ce qui vous envi-.
S3 '
414 Tableau
il a raffiné k tout propos le ftyle & les idées.,
& il a créé des expreflions recherchées. Au
lieu de fonger a mettre les perfbnnages en
aâion , il a prétendu au iM)n ton ; & ce ton
faâice , il l'a pris pour celui du théâtre &
de la fociété.
Qu'eft - il arrivé î L'honnête boulgeoîs
écoutant de toutes Tes forces y n'a rien corn*
pris à ce nouvel idiome ; &: les gens du
monde n'ont pas même reconnu Te leur }
tous ces traits , k force de vouloir être dé-
licats & fpirituels , (ont devenus maniérés ^
ronne : pourquoi choqoer împrudeinflieDt kf
'vices d*autrui i Cette pièce de Molière enfia
iemble écrite fous Tceil de la cour : d^aiUeuri
le Mifanthrope , cenfidéré de prés j n'eft qu'un
humorifte ; il s*écbauffe le plus fouvent pour des
miferes. Molière a mis quelquefois des individus
fur la fcene ; mais ce n'eft pas là fon plus bel
endroit. En attaquant Bourfaut & de Vifè, il
attaquolt fes adverfaires, & non des hommes
vicieux ; en frappant Cottin , il a vengé foo
amour- propre ; il eût été plus grand d'oublier
l'injure , & de la pardonner : les perfonnalités
choquantes qu'il s'eâ permifes nuifent un peu à
fa gloire. Que de vices troublant la fociété il
avoit à combattre ! Mais peu importe aujour«
d*hui que Cottin ait été un fot ou un homme
d*efprit : & les Femmes favantes , qui ont retardé
peut être les progrés des fciences , ne font fai-
tes que pour aigrir les débats littéraires , & pro%
pager le fcandaie de la littérature.
D E P A R I s. 41 «J
& rfont frappe que foîblement les fpeûa-
teurs : ils noht donc applaudi à quelques dë-i
^ils que pour profaire plus généralement :
l!eïi(èmhle dénué de mouvement 8c de vie. .
Ce jargon ingénieux n'a pam qu'un effort /
hors d'œuvre &.m^-adroit, qu'une griiçacé
perpétuelle & Ëncigante ; & le poëte , en ;
abandonnant des caraâeres oii les ridicules'
ibnt vrais & tranchants , n'a produit qu'une
enluminure paflagere-.^ lorfqu'il comptoit :
tr^c^ un tableau durable. ..
Ceft de l'efprit d'auteur, a-t-on dit , c'eft/:
kil qui parle ^ âc non fes perfonnages ; il a
voulu faire fa comédie pour les premières!
lo^es^ &. il n'a pas mênie réum devant r
eUes , parce que le point de vue de tout :
caraâeredait être fai& du^milieu du parterre,.-
&. non ailleurs. .
Ainfî le poëté comique =, quand il veut -
trop renchérir fur Tefprit de fes devanciers , ,
feL trompe ^ puifquil faut qu'il s'étudie a ca-
cher entièrement fon art ; la montre en étant "
encore pl^. infiipportable >dans la ccmiédie •
que dans la- tragédie; .
\'oilà* ce que ne croiront point nos au« -
teurs comiques, qui de f his ont donné un >
{wffiet à la nature , en écrivant leurs pièces «
eu vers y &' encom >n vêts énigmatiques :
leurs tion-^fiiccès • dcvroieôt cependant leur
révéler que leur couleur âk fyxiSe ; mais ils .
iR^bftiiljnrQnt à .k garder,: parce qu'ils ne j
S 4
4l6 T A B L E A U^
confulteront point la Bonne Servante de
Molière , 8c qu'ils liront à de beaux efprits
leurs confrères , au lieu de confulter les bons
•fprits y qui en toute chofe cherchent le fond
& non ces acceflbires qui l'ëtouf&nt ou le
défigurent.
Or , on nous a donné quelques comédies
que le jargon précieux n'infeâoit pas , comme
le Barbier de Sévllle & le Tuteur dupé ;
mais on ne peut confidérer ces pièces que
comme des farces où il y a de Tefprit &
des mots heureux : ce n'eft point là non plus
la bonne comédie qui fait fourire l'âme par
une peinture vraie & fine , la feule qui puillè
plaire à une raifon exercée.
CHAPITRE CGC XX XV.
,Où ejl Démoerite !
Oi la cojîîédie n'eft plus fur le théâtre, elle
left toujours dans le monde. Pour un obfer-
vateur défintérefle , il y a de quoi rire com-
me Démoerite ; & au fond , rien n'eft meil-
leur pour la fanté.
Vous voyez l'abbé quî parle de (es îndî-
geftions ; vous entendez les gcmiflements de
l'avare qui déclame contre la dureté du cœur
humain , les plaintes du plaideur entêté , la
DE Pari s. 417
faffifance de Fauteur qui fronde Porgueîl dont
il eft allreînt ; vous contemplez la morgue
du grand , qui af&âe quelquefois la bonté ,
la fatuité du petit - maître , ardent feâateuc
des modes les plus futiles. Celui qui prête
le plus a la fatyre , eft fatyrîque à l'excès. Les
tons & les manières forment des fcenes ex-
trêmement variées : Tefprit léger , fugitif &
parleur fait contraâer à ces différents per*
(bnnages une forte de maintien., une ma-
nière qui donne k chaque avantageux Pair Ôc
Pattitude de fes frivoles & petites idées.
Il eft curieux d'examiner le nombre infini
de ces caufeurs, auxquels on attribueroit la
vraie connoiftànce de tous les arts , tandis
qu'aucun d'jeux ne fauroit en réduire un feul
en pratique : & le ton décifif & haut n'en
va pas moins fon train.
Qu'eft-il befoin après cela, d'aller entèn-'
dre nos froides comédies moderne^ y qui'
n'oflrent rien de tous ces travers ?
Voyez enfuîte le ridiciilé inconcevable
& les prétentions refpeâîves des états , leurs
débats étemels , la montre de leurs privi-
lèges j & riez encore plus fort.
Les fecrétaîres du roi, par exemple, ne
(àvent quel rang occuper: ils s'élèvent, ils
s?abaiflènt; leur contenance èft malafliirée;
ils pofent des lignes de démarcation , mais
ces lignes fpnt perpétuellement déran^çés.
Quel Icandale pour la pépinière de la fatiire '
S5
4i8 Tableau'
nobleflè ! Leur (crupule dans un temps , leur
exceflive indulgence dans un autre , tout place
(bus un jour comique leur embarras , leur
prodigieufe facilité , puis leur attitude fiere
& repouflànte.
Mais favez-vous Thifioire de cet honnête
marchand d'étoffes , qui avoit coutume de
dire à tout prc^s , je veux être pendu fi
cela neft pas vrai , je veux être pendu fi
je ne fais pas telle chofi ? Il fit fortune ^
& acheta une charge de fecrétaire. du roi ^
le lendemain même de (on acquifition il
s'écria devant une nombreufe a(&mblée : Si
ce que j'affirme neft pas véritable^ je veux
être decoUL Qui n'auroit pas ri ?
Charge de fecrétaire du roi ^ favonnette
à vilain, dit le proverbe. Mais un acqué-
reur difoit avec beaucoup de fens : Ce qui
eft ridicule aujourdhui, dans cent ans d'ici
produira dexceUentes raijbns*
Avoir une occupation diffîrente de fon
voi(in , eft un titre pour (è moquer de lui \
Je notaire & le greffier (è jugent (eparément
Fun au dedùs de Fautre ; le procureur & rhui(^
fier fe regardent comme de deux caftes di^
fërentes ^ les commis établiflènt entr*eux de
plus grandes diffîrcnces ; ITiomme d'un bu-
reau s'eftime un petit miniftre, & dit : Nous
avons fait, nous avom décidé , & nous or-*
donnerons. Le cailTier fe croit fort au defliis
du liquidateur , 6c ainfî réciproquement. Je
U E P A R T S^. ^l^
ne fais fî le marchand de ym viûte îe vitiaM
giitr y & fî le libraire tk attend pas que le
papetier failè les premiers pas ; le confeillér
au parlemeint trcÀ en pitié un confeiiler du .
châtelet ; 6c fi vous vovdez taire évanouir une
femme, dejrobe., vous n'avest qu'à lui parler .:
d'ùilç^ préfideiite d'éjeâiofl* .
L'on met fouvent en. délibération daiis
k ibourgeoifiè ^ fi toû rendra la vifite à fon
v(Mfin ^ & fi l'orl n'en, ferôit pas difpenfé :
par quelque dignité perfonnelle , comme par >
exemple celle de marguiîlîér, de fyndic de' .
& coinmunauté ^ de. quartenîer , de futur
ëcheyin*, qui doit, graver fon nom. fous IîI' ■:
ftaqie . équeftre. de nos rois«
Parcoures jufqaau)^^ métiers : ils 6nt établi
ena:'eux une efpebede féparatîon. Demie-*
rement un taîllawr du roi fe fit faire une per-
ruque par la main la plus babile , parce qu'iin^
tailleur du roi doit être fùpérieurement coëffé $
quand le maître pemiquîeT eut apporté ôç
pofé foui .chrf-d'ôeuvre y. le tailleur lui de-
manda avec gravité i^ combien î — Je ne
veux point d'argent. — G)mmet)t? '— Non 5
vous éte$ auifi habile dans votre ^ que je W
^is dans h niieti : eh bten , que vos cifeaux
me coupent un habit. — . Vous vous mé-^
jprenez^.^ %iofi cher ^ mes cifèàux .& mon
aiguille, confacrés a 1» cour ^ ne.tr av^Ilent
pas pour un perruquier, r— Et mor , reprit
Sanue ^ j[e ne co^&„|ias un taiHeur. £t]i*
&6
410 Tableau
gnant le gefte a la parole , il lui arracHa la
perruque de deflùs la tête &c court encore.
Les débats opiniâtres des différentes com-
munautés font fort divertiilànts. Ces denian*
des refpeâives étoîent d*un excellent revenu
pour le palais il y a quelques a(nnées : voilà
pourquoi il favorîfoit tant, les maîtri/ès. Les
procès font devenus plus rares depuis la rëu-
aiion, quoique rentétement foit à peu près
le même entre ces petits corps de marchands.
Mais quel corps aujourd'hui ne prà^nd
pas s'ifoler au milieu des rapports de la ma-
chine politique ! Tout corps , tant il eft frappe
4*aveuglement , ne fent que rinjuftice faite
à l'un de fes individus , & regarde comme
étrangère à fes intérêts TopprefEon du ci-
toyen qui n'eft pas de (à daflè.
Le militaire rît des coups qui tombent
fiir l'homme de robe ; l'homme de robe voit
avec indifférence le prêtre qui s'avilit ; le
prêtre croit pouvoir exifter indépendamment
des autres états , & l'orgueil non moins que
Pintérêt a divife dçs profeflîons qui fe tou-
chent , qui ont entr'ellcs les plus invincibles
i;apports : armées les unes contre les autres ,
elles fe prévalent tour-à-^our des petits avan-
tages qu'elles ont obtenus la veille , pour les
{>erdre le lendemain ; car pendant cette lutte
e gouvernement , en paroiflant vouloir les
accorder , les pompe & les deflèche pour les
retenir toutes fous fk main & les faire mou-
voir à ik yoloQ^é.
D.E Paris, 411
Perfonne ne veut fonger que ces travaux
dîflSrents font liés enfembîe , & portent k la
maile des connoîflànces un trait de lumière;
que la fcience eft néceflàirement une ^ &
que toutes les découvertes ne tendent qu'à
diminuer la fburce de tous nos maux y
Tignorance & Terreur.
Aufli la (bciété , morcelée par cette mul-
titude de petites & bizarres diftinâions , eft- •
elle devenue une vraie tour de Babel , pour '
la confuGon des idées 6c des fentiments ; la
fottife y. parle comme le génie & beaucoup
plus haut ; chacun y déploie fa pancarte , fon
privilège', ou fcs lettres de maîtrife ; l'aca-
démicien & le cordonnier en font également
parade de nos jours. O Démocrite ! où eft-tu?
^^@^^^^^^@©@^H
CHAPITRE CCCXXXVI.
Juc pont au Change , le Petit-Pont & le
pont S. Michel font les trois plus anciens de
Paris.
La rivière de Seine refte cachée au mi-
lieu de la ville par les vilaines 8c étroites
maifons quon a bâties fur des arches. Il
fexoic bien temps de rendre à la ville y & fo^
411 Tableau
coup-d'œil & Ton courant d'ak , principe de
làlubrité.
Sur les ponts où il n'y a point de inàifons , .
le point de ^rue eft admirable^ ce qui détroit -.
engager le miniftere à prévenir dés accidents ^
qui , dans Tordre des choies, font à peu près- .
inëvitables.
Catinat , qui avoit mené la philofophie ;^
à la guerre , difoit qu'il n^avok jamais rien : ,
vu d'aufTi beau que le coup^'odil du . nûlieu
du Pont-Royal : que n'eik-il pas dit , ^ avoit ^ ^
pu plonger ùl vue jufqu'à l'autre exa:émité de
la ville ?
C'étQit de làk qu'il falloit voir le feu de la ^
paix en 1763 \ cette enceinte immenfe fi
prodigieufement peuplée ^ ces quais chargés^
de têtes rangées en amphithéâtre , & ces
figures étrangères , mêlées aux phylîonomies,
parifîennes : car une multitude de payfans
ëtoient accourus de trente &: quarante lieues.
L'on remarquoit à chaque pas des hommes,
qui , par leur coftunie , leur étonnement &
leur vilàge ^ annonçbient que la curiofîté lesr.
avoit appelles du fond de leur province,^
Si quelque chofe a pu donner une idée de
cette vallée de Jofaphat dont parie TEcriture ^
c'étoit cette affèmblce mobile & ondoyante 9
qui tantôt s*écouIoit comme des flots , tan-
tôt offroît des phalanges mouvantes, qui fè
balançoient dans un repos animé & majeC-
tueux. Point de tableau plus admirable par
DE P A H I S.. 413
la vRviétéy point de plus étonnant par la
population.
On fouhaite un nouveau pont pour la corn*
munication du fauxbourg Saint -Honoré, du
Roule & de Chaillot , au fauxbourg S. Ger*
main , au Palais-Bourbon & aux Invalides.
L'accroiflèment de la ville le rend indif-
penfable.
Conflruit en face de la grande allée des'
Invalides , il ferviroit a joindre les Boule-'
vards du nord & du midi , & l'agrément^
s'uniroit à Futilité. D'ailleurs il n'y auroit
aucun déplacement ^ faire , & Ton feroic
maître du terrein des deux rives oppofées.
Vingt -fix quais revêtus de pierres de taille
avec des gardes-fbux à hauteur d'appui cei-*
gnent la rivière , & s'ouvrent en dix-huit ou
vingt endroits , pour former des abreuvoirs. -
Au moyen de quelques alignements , on
pourroit avoir , depuis la porte Samt-Jacques
jufqu'à celle de Saint -Martin , une rue qui
traverferoit tout Paris , & qui auroit deux
mille cinq cents toifes. On pourroit aligner
une autre rue depuis la porte Saint-Antoine
jufqu'à la porte Saint-Honoré , qui auroit la
même grandeur, & qui couperoitla précé--
dente à angle droit.
On a plufieurs égouts voûtés & couverts.
Il fcroit k délirer que la même conftrudion
eût litu dans toutes les parties de la ville. Il
n'y a point d'égout dans la cité ^ & ailleurs
les immondices vont à la rivière.
414 T A s L E A U
L'eau qui lavoit Pégoût de Bîevre , s'eft
perdue dans une de ces concavités efFrayan^
tes j occafîonnées par les carrières dont nous
savons parlé , Se fur lefquelles des niaifons
font bâties, fans que les habitants, endormis
dans une heureuie fecurité , foupçonnenc
qu elles portent fur des abymes.
Le fol de la ville efl rempli de coquilla*
ges fofFiles ; on y reconnoit des peignes ^ des
vis , des buccins , de tellines. Les carrières
4'alentour oôrent auflî des coquillages entre
deux couches, dont l'une eft mameufe, l'au-
be pierreufè*
La circonférence de Paris eft de dix mille
toifes. On a tenté pluGeurs fois del>omer
(on enceinte ; les édifices ont franchi les li«-
xnites; les marais ont difparu, & les cam-
pagnes reculent de jour en jour devant le
nianeau & Téquerre,
CHAPITRE CCCXXXVIL
Confommation.
J. ous les almanachs vous difent qu'il (è con-
fpmme par au quinze cents mille muids de
bled, quatre cents cinquante mille muids de
vin, non co^ipris la bière, le cidre, Peau-
<k-vxe \ cent nulle bœufs ; quatre cents qua-*
iD E Paris. 415
tre-vîngt mille moutons ; trente mille veaux ;
cent quarante mille porcs ; cinq cent mille
voies de bois ^ dix millions deux cents bottes
de foin & paille ; cinq millions quatre mille*^
livres de fuif ; quarante -deux mille muidis'
de charbon , &c.
Ces fortes d'états ont des différences aflèz
conGdérables félon les années : il eft prefque
impoflible d'avoir des certificats qui aient une
certaine jufteflè , parce que ceux qui perçoi*
vent les droits fiir ces confonmiations , ont
intérêt de déguîfer ce qu'ils reçoivent.
On peut aire que le PariSen en général
cft fobre forcément , fe nourrit très-mal par
pauvreté , & économife toujours fur (k uble, '
pour donner au tailleur , ou à la marchande
de bonnets. Mais trente mille riches , d'un
autre côté, gafpillent ce qui nourriroit deux
cents mille pauvres.
Paris afpire toutes les denrées , & met
tout le royaume à contribution. L'on ne s'y.
reflènt pas des calamités qui affligent quelr
quefois les campagnes & les provinces ,
parce que les cris du befoin feroientËi plus
dangereux qu'ailleurs , & donneroient un
exemple fatal & contagieux. On fait hon-
neur de ces approvîfionnements au zèle infati-
gable des magiftrats ; il mérite des louanges.
Mais confidérons en même temps , que ,
placé au milieu de l'Isle -de -France, eiitre
la Normandie , la Picardie & la Flandre ,
4z6 Tableau
ayant cinq rivières navigables , h Seine ^ la
Marne, ITone , PAifne & TOife ( fans par-
ler des canaux de Briare, d^Orléans & de
Eîcardie ) , les greniers de la Beauce pre£-
mie k (es portes ; une rivière qui ; en (brtant^
(erpente par des contours prefque de cent
lieues , comme pour donner aux marchandi«*
fes & denrées la facilité de reinonter ^ Par^y
d'après ces avantages que la nature lui a ac-
cordés , jouit par lui-ménie 4e la fî^âtiotL'
la plus heureulè 5c la plus pn^e à vok far^ .
bondaricç régner dans fès muraiBes..
Le commerce de cette vill^ n*eft prefijde :
qu'un commerce de confommation , excepté.^
quelques objets de goût & de lu^e i mais rc^
confommati6ns font confidérables^
Il tire de toutes les manufaâiHfes da^
royaume ^ mais il a peu de fabriques ^ k caufe.
de la cherté de la mairi-d'oèuvre. Il: fait des
expéditions pour les pays les plus éloigna.
Les marchandes de modes, aînfi que les?
bijoutiers , en font le principal commerce ^
parce que la main de ToUvrieJ: Teinportç,
toujours fur la rîchelîè de la matieire. .
Tout ce qui entre k Paris n'eft donc pas ,
pour y refter. Les matières y viennent pour
être façonnées ; puis elles en (biftent embel- .
lies de ce goût exquis qui leur donne k toutes ,
une forme nouvelle.
Le bureau des rouliers eft d'une grande
oommodité pour faire parvenir dans les pay& .
DE Paris. 417
les plus lointains les marchandifes & effets
qu'on leur confie ; les comniîflionnaîres en
font fidèles & exaâs. Mais le commerce fe
plaint vivement d'une nouvelle ferme , d'un
nouveau privilège exclufîf , qui le gène & le
lançdnnera dans la fuite.
M. l'abbé d'Expilly, qui a porté fi haut
la population générale du royaume, &qiiî
{)arGÎt l'avoir enflée de trois millions^ raoat
a population de Paris ^fix cents mille ornes.*
Il fe ronde tantôt fur le nombre trente^ dioift
pour multiplier les naiflànces , tantôt fur l'état
des maifons 8c des familles impofées à la
çapitaticn. r
. Mais tous les calculs , ainfi que les raifbn^
nements moraux, fe trouvent, le plus fou*
vent en dé&ut quand on parle de la capitale. ,
Lorfque Ton compte par les baptêmes , com«^
ment fera -t -on entrer dans le calcul cette
grande affluence d'étrangers qui. y viennent^
qui y font domiciliés fans y avoir feçu \t
baptême ? ce qui , (ans compter les juifs ^
doit augmenter la population d'un quart.
Paris confomme plus de deux millions de
feptiers de bled par an. Vjjoilk ce qui eft sur^
& ce que ne diient point %% almanachs nou»
veaux. La banlieue renferme quatre centi
2uarante^eux paroifles & quarante-fept mille
X cents quatre-vingt-cinq feux. Les limites
de la ville fe font étendues. Le Gros-CailloU
eft devenu un iSuixbour^ confidésable ; tout
4z8 Tableau
les marais ont été ornés de maifons. M. de
Vauban, en 1694 , dctermine la population
^fcpt cents vingt mille perfonnes. Nous
cflimons donc que Paris renferme aujour*
4*hui neuf cents mille âmes environ ; & la
banlieue , près de deux cents mille. Les
calculs de M. de Buffon & ceux de M.
d'£xpilly paroillènt également fautifs. Il ne
ffiut que des yeux pour voir que , depuis vingt-
cinq ans , la population eil par- tout plus con-
Gdérable.
Au milieu de ce falmis de Pefpece hu-
maine, on peut bien compter deux cents
mille chiens & prefqu'autaht de chats , fans
les oifeaux, les.finges, les perroquets , &c.
Tout cela vit de pain ou de bifcuic-
Point de miférablc qui n'ait dans Ton gre-
rier un chien pour lui tenir compagnie : on
en intenogcoit un qui partageoît fon pain
avec ce fidèle camarade \ on lui repréfentoit
qu'il lui coûtoit beaucoup à nourrir, & qu'il
devroic fe féparer de lui. Me féparer de lui !
reprit-il, 6» qui m'aimera ?
. Or, en fuppofant le fyftcme des écono-
miftes admirable , il viendroit toujours fe
brifer contre la capitale , qui exige un ré-
gime tout différent , parce que ce million
d'hommes dévore comme deux & demi,
La ville eft ouverte , & prefque dans l'im-
poflibilité d'avoir une enceinte de murailles.
Elle ofl5:c une furface trop immenfc. U fau-
DE Paris* 419
droit un genre de fortifications particulier ;
elle n*a point de tours , de murs , de rem-
parts , & n*y (bnge pas. Au lieu de citadeUe
& de portes antiques j elle a des barrières ,
où des contrôleurs ÔC'un receveur vous font
payer une roquille de vin , & un pigeon s'il
n*eft pas cuit. Comme un jour nous paroî-
irons barbares & petits à l'œil de la faine
politique , lorfqù'elle aura démontré aux ad-
ininiftrateurs des dations la double erreur de
leurs raifonnements & de leurs calculs !
CHAPITRE CCCXXXVIIL
Balcons.
fCLi'eft un fpeôacle curieux que de voir
Jtout a fon ai& , du hgut d'un balcon , le nom*
bre 8c Ja diverficé des voitures qui fe croi<-
lènt & s'arrjâtent mutuellement ; les piétons
qui , femblables à des oi{èaux effirayés fous
le fufil du jchafleur , fe gliflènt à tràv^s les
xoues de tous ces chvs prêts à les écrafer ;
l'un qui franchit le ruiflèau de peur de s'é-
fdaboulïèr, & qui , manquant l'équilibre ^
le ^oxme 4e boue des pieds à la tête ; Tau-
jtre , qvii pirouette en fens contraice , une
face dépoudrée, 8ç j[cLj>arai]bl.(bus le brask
430 Tableau
Devant une voiture dorée , doublée âc
velours , attelée de deux chevaux d'une uîDe
.égale & parfaite , dont les glaces tranfpareiv-
tes o&ent une ducheflfe dans tout Féclat de
!ia parure y fe traîne un fiacre tout délabré ^
couvert d'un cuir brjûlé, & qui, pour glaces ^
a des planches. Le malheureux harcelé &
fouette deux chevaux, dont Fun eft borgne
& l'autre i)oiteux. Cette voiture traînante
arrête Fimpatience des courfîers à la bouche
écumante , dont on contient k peine l'ar*-
deur. Le brillant équipage eft obligé de mo-
dérer fon pas jufqii'au carrefour yoîfin; il
s^élance alors comme un trait , broyant le
pavé , dont il fait jaillir des étincelles. Com-
parez fon vol à la^ marche pefante de ces
lourds charriots qui rcailent péniblement (bus
des maflès énormes , & enraient le paflànt
qui tremble d'être applati fur la horne que
leur eflieu déplace.
Un procureur , pour fa pièce de rîngt-
•quatre fols , arrête le garde des (beaux ; un
recruteur , un maréchal de France, La fille
:de }oie ne cédera point le pas k un arche-
vêque, lous ces différents états à la file, fie
Jes cochers qui parlent leur latigue fcanda-
Jeufemcnt énergique devant la robe , Féglifè
& les ducheflès ; les porte-faix du coin , qui
4eur répondent du même flyle : quel mélange
de grandeur, de pauvreté, de richcflîès,^ de
gri^iéreté & de mi&tcl
DE Pari s^ 431
Entendez -voys la petite voix aigre de la
marquife impatientée, qui (è mêle aux jure-
ments ef&oyables d'un charretier apoftro-
|>hant Penfer & le paradis? Tout dah^ ce
tableau mouvant àevis^-â-visj de berlines,,
de dé/obligeantes , de cabriolets & decor-
roffes de rcmijés , paroît èizarre ," fingulier^,
rîuble.
Voyezydans 4'équipage .^ glaces la laide
femme de qualité avec fon rouge ^ Ces dia-
mants , Ùl pâte luiTante fiu: le viiage ; tandis
.que la roturière tout à côté , fous une fimple
içbc 9 $11 brillante .dcfraîcheur & 4'emboii^
. point.
Voyez le prâat enfoçucé dans Tes coufEns^,
ne pemaQt à rien , étalant fa croix peâorale^
tandis ^pie le vieux magiftrat , dans une aiir
tique b^line, lit quelque requête. Le petit-
maître 9 la tête à la portière , crie a le dé-
mettre la luette : Eh bien , marauts , cclafi^
^ra-t'-U ? Ses mienaces fe perdent dans les
j^r^.. Il vou.diroit jurer ^^rnais fon accent grêle
né Trappe point fe dur tympar^ de l'oreille
des qhiarretters II n'a &it Œjie déranger fes
boucla en fe remuant. Le médecin le regarde
en pitié , & le gros financier au col apoplec-*
ûque eft inâiâ^ent à tout ce qui fe paâGè^
jûnfî '.^ùi Pljewe qui s*écoule.
.•i^Vml^a^âs, sV^ccroity enchaîne fix cents
Voitures ; 8c il faut çfit <^cun attende , mal«
^4^^'^'^^ ^> que le diéfilé ait pris f(Mi
^cours.
43X Table au
Quel ëtoît donc Pempreflèment de ce mir^
Uflorc (ans voix ? Avoit-il un rendez -vous?
Non : c^eft qu'il vouloit fe montrer fucceflî-
Tement aux. trois fpeâacles, à l'opéra ^ à la
comédie Françoife & aux Italiens.
CHAPITRE CGC XXXIX.
Faux Chlsyeux,
Vous voyez b tête de cette belle femme ^
fi remarquable par l'édifice de fa coëffbre 6c
(es longs cheveux flottants ; vous^ en iadmirez
là couteur, la forme^ le contour' ferélé-
gance ... Eh bien ! ils ne lui appartiennent
pas. Ils font empruntés à des têtes de morts ;
fie ce qtiî la décore k vos yeux, eft la dé-
pouille de fujets qui furent peut-être înfeâés
de maladies af&eufes , fie dont les noms feuls
oftenferoîent fa délicatefle , fi on ofoît les pro*
noncer en fa préfence.
Cependant elle s'enorgueillît de ces' che-
veux étrangers. Elle s'expofe à hériter des
principes nuifibles qu'ils peuvent receler en-
core. En effet, on fe fervoit dç colliers 8c
de bracelets de cheveux trejfés : Fexpérîepce à
xlécidé qu'il falloir y renoncer , ï caûfb des
dartes qu'ils produîfoient
Mais
15 E Paris. 433
Mais les femmes aiment mieux (îipporter
des démangaifons incommodes que de re-
noncer à leur coëifiire. Elles calment la vi«
yacité de ces démangaifons , en faifant ufàge
du grattoir. Le (àng fe porte arec inipc-
luohté à la tête ; les yeux deviennent rouges
& animés : qu'importe ! on étale Tédifice
dont on eft idolâtre.
Indépendamment des faux cheveux , il
^ntre dans cette coëSùre un couffin énorme ^
gonilé de crin ^ une forêt d'épingles longues
.de feptàiiuit pouces, & dont les pointes
aiguës repofènt fur la peau. Une quantité de
Eudre & de pommade , qui admettent dans
ir compolitlon des aromates^ & qui.con«
iraâent:bientôt de l'àcreté , irritent les nerfs»
I^a tranfpiration infènfible de la téce'elt ats-
jêtée , & elle ne fauroit i'écre dans cette partie
du corps , fans le plus grand danger.
Si un fardeau vencnt à tomber fur cettt
fcellc tête , elle rifqueroit d'être .criblée. &
percée par tous ces dards d'acier dont eBc
ffthériflée. «T
Pendant le femmeil, on comprime en^^
xore & la fauflè chevelure , & les épingles^
& ces fiibftances étrangères & colorantes:,
2l l'aide d'un triple bandeau. La tête ainfi
empaquetée acquiert un triple volume , âè
Venflamme fur l'oreiller.
' Les maux d'yeux ^ la maladie pédlculairë^
^Inflammation du cuirxhcvelu , naiilentde
Tome IL T
^34 T A B ,1 fi A V
.cette complaifance outrée pour une coëSissfi
hizarre. On ne la quitte poiiit pendant les
Jaurès du repos ; & le coûflînet , i)a(ë dSsBr
^\\e 4le r^difice ^ n'eft cpiekpiefois changé
4que brfque k toile ^ft àé/awse { Tolérai - )e
^e ! ) far la crafiè infeâe qm iefourne foty
4Pe brillant dîadépie.
La plupan de^ femmes Jiieiê donnent ^
je temps^enki^ar lout le iopscâu de la téte^
parce qi^ les keuies dn pkîBriîmt préoîedfes,
I& cfue la journée ennere eft conlacrée^à it
#able , au ]eu r& à k danfe. On jae f)eiit pk»
iè coucher qu'À deux ou ttois he^es apnà^
jEuinuit 9 j& il £uit Becan;imei^?er le lende-
iioain k même v>îp.
/ la 4)uuéièééi;asige;<m abrège iès^^^
x»n perd le peu de > cheveux qu'on avoît ; >9à
f0(ï afiUgé die âuxions , de dpuleprs de denis^
de maux dVeilles , d'éréfîpeles ^ tan^ qoe
jk vilkgeoife ^ la ç^^ime^ qim fe tient la
^sête .prcipfje Se nent^ xfâ ne fe iÇêft^que:^
iît^C'tbktic &: bien hSv^^ qui iufe ^l^sn^
pommade fans aromates & d'une oouâseâi»
^ir , lie n^nc aucune de ces Sincraurodi-
to& , confetye iès cfaoreux jufquff âains£i viéùr
)ûSk^&: les itale aux yeux de (ik :airtiere> p9-
jâts^enfants^ lorfqœ ïûege hs a bknchis f»)ur
ies raidie ipjus vënéstfbles encore.
Au refte , Part du :pecniqiiîer jdans l'eRK-
idbi de ces cEevieux artificiels , eft parvenu
jpfjB ^iks iaut .prâit 4e perfeâjon , Se k per«>
tuqae <m le tour initte aujourd'hui le natiuel
4 s'yiuéprendfe de près o^mme de bin.
C W À P^i 1* R-È C CCÎCL
Fmmiffiurs^
%^n ine vofehu'k Paîîs de ces intrépides
fcétidjfctits , qui avahcbnt. pendant des a»-
nées entières -te paki, la vîaiidè, le ^in, Ici
meubles ^ répicèrie , Tapothicairetie , à JV|I. le
mafiqilis , k Ml le comte, k M. le duel Ceft
le. privilège de la^nobleflè. On ne prêteroit
pas .flc tnéme au boutgeois ; on le prefle-
fpît : ihaiy on attend , iorfqrfil s'agit d'un
i^onvnt titré.
'"''" TOfe ma}fon noble doit an bopchér fîx
àtinéîei de ibumitnrer , ï répicier cinq , au
l»oulaf)ger quatre ; les domeftiques eai^-mê-
mes font crédit de leurs j?ages , tandis que
toute maifon roturière lolde au bout de
chaque année.
Dès qu'il y a des arftiolnes au-deflùs d'une
porce-cochere , le ti^iffier 'meuble Thôtel fur
une fucceffion éventnrile ; on compte les
maifons qui (ont au pair : il y a toujours
dans les pktstiches & les mieux ordonnées,
ijuelques années en -arrière.
Quand les Êiurniûburs , impatients d'at-*
iendre , foUicitent enfin leur pakmem , -fân-
cendant vient i^v( lever de ]V|.Je'^duc^'& kâ
dit : Monfeigneur , votre maitre^d'hôtel iè
|)laint ^e le -beueher m^ veut plus sfpuriiir
de viande, p^ce qïTil y a trois ans qt^U
n'a reçu-* un loi \ votsç cpdbeivdit que '.vous
n'avez qu'une feule voiture en ctat dé fervîr ,
** & que le charron nfi mre^ plus avoir Vhon^
neur de votre pratique , fi vous ne lui don*
nez un k -t compte de di^ tnille^ fcançs ^/|e
jinarcbaiid die vin refufe de, remplir vptrt
cave «le tailleur, de v<ous donner des l]kbits««-
I»es impertinents! s'écrie :1e maître, iju^p/i
aille cà^ d'autre. Je, Mur retire ma pro^
ieâipn.
Il jtrduve d'autres fourmflèurs , quoique, les
premiers ^n'aient i)as été payés. Le. loir 2
rifque cinq cents loùis d'or au jeu^ ôc s'il
en perd cinq cents autres , il Jes ^paîe le
lendeniain. Un créancier de cartes. Femporte
«i^touJQurs iiir un.créancier de pain, ou 4t
-yiande. ^
-'i|^
K. «4?^
1> E P A H I 5. 437
N^.-NV--">K-NV NV-NV-NV-^Kr^Vc^^Vv -NV-
C à JlÎ t T RE CCCXLI.
, V
' t .
PiâtPcs^ neufs. .
plâfaresqûe Potv emploie danslaconC^
truâioô des maifons font beaucoup de mal /
paro^cfOrHls^hent difficilement , oc cpie l^n
iKÛiè^'impnidenimetit les édifices nouvelle-»*
meiirbàtis.-Il'n'y>rien de plus dangereuxr*
la vapeur des murs eft funefte & caufè des^
accidents thhombrables. Ces émanations en-*
fin ont dans nos foyers des influences meur-*
trïeresî De là des paralyfies & autres mala-
dies , dont roj^igihe eft attribuée 4i des caufesh
étrangetes. x*
Oft abandoône ces maifons neuves &
humides aux filles publiques : on • appelle^
eàsi cffuycr Us plâtres 0^ Mais ^ au bout de'
deux ou trois années , ces- places n'ont pas^
encoce perdu ce* cpi'ils ont de dangereux. '
Ecoutons ua phyfkien que je vais tranK^^
crke
» Le plâtre & b -chaux , pendant leur^
» caleination y (è chargent d\jne grande quan-'
» tité de plil<^{Uque qui tend (ans cmc \k'
)» fe difli^h Ce pblogiftique ayant [Jus d'aP
» finité avec les acides qu'avec les deux ma-^-
ft tieres teneufes. auxquelles il eft uni , les .
T3
43^ T A B JE. « A U .
9 abandonne avec facilité pour s'unir k Pa«
» cide déY-m^Ué eetfe unicm il xiéfultr un^
» foufre très*volatîl ; foufre quil^nît à fon
» tou£ à 1$. terf à aUtsdiiJt ^ b cliate 6tr ài
j> plâtre , & forme une comBinaifon con-
» nue en chymié &us>lr aoin S'heûarjîd^
» phuris , ou foie de foufre^ La prélence dç
spr ce foie de foufre eft fiînfible , lotofqti^çik
» fait éteindra la chaîna dans- un iMi ùttmé^
( » Suivant, rob&tvaiâoâ de tçm, k^^cfay^
:t xniftes^ le foie de facifre difi^ neurfetH'
» lement la ; majeure paitie: des htétaux ^
» mais encore les fu&ftances anjmaies &
» végétales : il corrode ^ il détruit fiir-^ufr
sitJes: matières animales ; & fôn doit con*
at cevoir aii^ment les dâbrdres ai&eux:qii1Ë
a^ peut caufer & qu^l caufê en efiet dam.
n. nos vifceres , quand nous le refpitons. «
M. le comte de MiUy y de ràcadëmië des-
fciences , célèbre par des découvertes utiles^
en chymie , a donné un mémoire fur la: ma-
nière ^ajfainif les murs nouvellemient faits..
Ceft un préfent fait par un ami de l'huma*
nité aux grandes villes^, & fiir-tout à la-
capitale , trop indiftcrente fur les maux cpiifc
réfuhent des plâtres. On poflède, grâces k-
lui , une théorie fàtis&ifante fiir la natare du
danger & fiiiî les moyens de le prévenir..
Ce mémoire Je trouve daus lé Journal de-'
Monficur , année iJJ^- Tinvîte tous les pro-
priétaires & locataires de maiibns, neuves ^
y recourir..
J> E F A R I^ S. 439
CHAPITRE CCCXLIL
Inbculaùont-
JLiong- temps combattue , eUe a enfin trîom*
phé. Une fiiite conllante &' non-mterrom-»
pue dlieureux Ciceès en ont'fixé parmi nou$ '
le règne & les avantages. L'exemple du mo-
narque, de fesfrçres, de plufieucs princes
Se* de plus de trois cents mille perfonne^
înocurées en Europe fans fuites, ficheufes ,,
ont décidé les efprits en fa faveian
Quand on fe rappelle tout cjs cjui a été
iSt ôc imprimé contre cette pratiijiîe ùtlù*'
taire , on voit queHe eft l'opiniâtreté de l'eC-
pfrit de parti , combien le corps des méde-
cins s^oppofe conllamment aux découvertes
lès plus intéreftàntes : mais l'on doit fentir
aufli , que le temp5 y de conCert avec Texpé-.
rience , eft le grand raïaître qui fixe les opi-
nions; car ce ne font point les ingrats con-
tèm(>orains , qui réeompénferont mventeor
heureux; ce fera k pollérité.
On a cm fauflèment (jje k petite vérole
Ôoît une rnaladîe purement accidentelle &
contagieufe, &quon pouvoit s'en garantir
aforcede foins & de^précautîons» Mu, Paulet,
cutr'autres , a toujours écrit lk-^deâ[ùs d'ajpib
T 4'
440 Tableau
l'idée de la pefte. Si on Pécoutoit , il toSioît
d'établir des loîx , des règlements , & de
publier des ordonnances de police contre la
pctitt vcroh^ comme on feit pour Fenkve-
ment des boues & le balayage des mes.
Cette erreur a conduit M. Paulet a pro^
crire l'inoculation , & il nous ordonne, pour
parer aux ravages de la petite vârole, la
Jequefiration ; mais tout ce qu'il recom-
mande à ce fujet , eft abfohiment în^>offi-*
ble & chimérique.
Dans une ville comme Paris , il noos
hnpofera la gène , la contrainte , Pînter-
diâion de tout commerce & de toute (ô-
ciété parmi les citoyens , amis & parents.
Cela peut-îl (è propofer, cela eft-il prati-
cable , quand même on voudrait fiuvre ^
la lettre cet étrange précepte )
Fui{que , d'après fon propre aveu , les traits
de ce fléau font înviGbîes, que tout leur
fcrt de véhicule , ils fe répandront par-tout ,
ils franchiront toute barrière ^ comment les
enchahier dans tous les infiants , dans tous
les périodes de la vie humaine , tandis que
Pinoculatîon nous offre le fail moyen d'a-
néantir la petite vérole & de (kuver à la
fois la vie & la beauté ? ce que des expé-
riences multipliées ne permenent pks de
"P.
fcttems chimériques M. Paulet
comme avec fon éradirion it
B £ Paris. 44.1
• «
nous a environnés de craîntés menipngcres !.;
& qu'il eft bon çp^on -fe raille «n peu 8c
à propos de toutes ces produâions enfantées^
dans la folitiiàe du cabinet y oit Pauteur acr
cumule mifie^-raifonnements démentis par la-
foule ,^ faits.' ' > ;
Mais l'inôdilation^ ^'éft encore en hoft-'
neur à Paris ûue dans les çlaflfes Supérieu-
res, & chfiJi^ies'perfonnes opulentes; «lle^
n.'eâ: pasefi({br#!dj^fcendue che?^ le bourgeois j'
chez Fardfan , encore moins chefz le pauvres
Je me proniene dans la Sùiflè^, ]e vois
chaque père- de famille attentif -à faire ino-^
culer iès enfaitts dès Jeur* plus -tendr-e jeu-
veSe^ M erairoitimalKiuer v^ un <èe\^oir éf-.
fentiel*^ s'il-sîytefiifoît^paf^ négligence : aiiflf
je vois la génération; qu^SréleVe> belle-^' fraî-
che •& brillantç» Les vi&ge» ne pprtent plus
l'empreinte de ce âéàu cruel ; tous les fronts
oiit conièmrcetjyat qui ajouté aux traits-
deJa Beauté.^ *M r . .: . ' /''
Mais fi je me promeut ^ns Paris , jé
TOÎSta^^ec chagrin qitie les vieux préjugés
t^y font pas détruits : ■ c'qft encore un fpec-
tacle affligeant que de rencontrer des vîfa-
ges défigurés , fiir d^ buftes d'ailleurs grk*
déusr^iOti a fait intervenir juliju'à là relîgiofi*
oomttie obilacle à ^n itfage adopté auioai^
d-'hui'chex tous les peuples raifonnablesr , 8C:
Ton ; ne fait combien de temps encore là-
bctiuté.,parifieime fera ibiQûife à cjpt^e grée^
442* T A B L s A U
affreufe oui épargne les campagnes & lef
villes de 1 heureuie & tcancfoille Helsrétie. .
Pourquoi le Parifien s'ohftine^ t - il k voir
le nez 6c le» )oues de Ces fiUes icongés &r
cicatrif^ , leurs yeux éraillcst, lort^'elles
pourroient conferver ce poli qui avec la grâce
qui les omimt ^ en feroit les fixjs çharman*-
tes créatures de l'Europe ? car leur démar*
cbe 9 leur maintien , kui^ habili^ments onr
un agrément qui les diitingu^ides femmes
des autres peuples»^
Les premiers oiivrages en faveur de rîno-
oïlation font fortis du fein de la capitale^
& les Suiflès ont adopté cet vues heureufes.
Tandis que aous nous épuifions en fiérties
bipchures ,. que nou^ combattions l'évidence^
que les prén-es fe mâoient de ces queftioos
purement phyfiques,un peuple fage qui (è
rit de la fùperftition, & qui, étend la liberté
dont il contioit le prix , Jaîfifibit les bienfaits
de l'inoculation , & nous laiflbit la folie des
difputes, & îrppinîâtreté de Paveuglement.
Mais le bon fèns eft peut-être à Paris la
faculté la plus rare , &. beaucoup plus rafe
que rcfprit même ; c'eft le bon fens qui
manque à cette foule d'habitants : fi on les
examine de près , ils ont tous plus d'efprit &
d'imagination que de logique. Le bon (èos ^
p^s commun dans les républiques^ appar-
tient moins à un peuple qui n'a point une
exiftence politi<]ue ; il ne iè donne pas la.
pôêine de- chercher la vérité : qu'en feroit-il î.
Chacun eft îhdiffîrent à tout ce qui ne con(^ *
titue pas fa profeflion particulière ; il ne
vt>i^qd'elIe , 8c les connoîflances qui tien-
nent k rintérêt général lut échappent, ou ne
le touchent que fbiblement* '
Nous avons eu lieu de remarquer plu-j'
fieurs fôis^^qde le Pati&»i oi^ d'in£-::
thiâion , qu'îhfuivoit opiniâtrement les pré^ ^
jiigés les pliuf contraires kfes véritables in^*
téréts , qu'une^^ foule ' de \ vîeilld; idées liiî
étoient encore chères, .Ce .défaut d'infhiic-^
tion dans la majeure partie &i peuple n'eO; ^
p^ un petit inconvénient^ parce qu'il ré^
trécit de jour: en jour les idées reltgietifès'^
& politiques , qu'il fiibordoiine les chofes
les plus férieufes à la futile plaifanterie,*&'
qu'il fera facile de mouvcrir ce peuple cornue
me des marionnettes, tant qu'il n'aura pâi
fur certains objets des notiolis exaâes 6c^
prâîmmaifes.
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t 6
444 T A B L E A V
CHAPITRE CCCXLIIL
Places publiques^
JLiOuis Xiy a' deux places oii Cosk effigie
eft environnée des trophées & attributs de
la.viâoire^ ia place des Viâoires & la
place Vendôme. Le monarque a payé cher
rinfcription liautaine^ Viro immortali. Ce
fafte de domination eft ce qui a attiré à
Yhomme immortel tant d'ennemis dans FEu*
ro|5e, & qui ébtankïent enfin Ton trône. Ces
efclaves enchabés^ ces bronzes orgueilleux
fofèiterent contre bi des adverfàires qui euP-
Utxt'été paifibles fans cet airain trc^ indil*
tant. Cette renommée aux ailes étendues ,
qui le couronnoit de fon vivant , ce glpbe
de la terre à Tes pieds, cette mailîie, cette
peau d'Hercule la vraie grandeur eût
dédaigné ce vain appareil. Il avoit mis fur
pied , dans le temps de fà (plendeur , deux
cents quarante i^ille hommes d^infanterie ,
foîxante mille chevaux , {ans les troupes de
fcs armées navales i j^ixante mille mate-
lots enrôlés. Il fut trop heureux^ fur la fin
de fon règne , de recevoir la paix. Il laifla
l'état endetté & fur le penchant de (à ruine.
Les infcriptions de la place Vendôme
D s Paris. 44$
font d'une pelknteur infîpîde , & d'une lon«
gueur fatigante \ aufli font-elles de l'acadé->
mie des belles -lettres.
La Place-Royale ofFrt la figure de Louis
XIII , repréfenté en général Romain , fans
felle & fans étriers. Dans les infcriptions,
îl n'eft qucftion que d* Armand de Richelieu;
& le fujet eft mis fort au-deflùs du maître.
Le poète pour cette fois eut raifon ^ il fait
parler ainn le monarque :
Armand t le grand Armand , Vame de mes exploits g
Porta de toutes parts mes armes & mes loix ,
Et donna tout l'aidât au» rayons de ma gloire.
Ce qui précède eft encore plus étonnant
Louis XIII dit :
J'ai fauve far mon hras V Europe ^efeUwage ;
Et fi tant de travaux n*eujfent hâté mon fort ^
Peuffe attaqué VAfit^ & d'vn pieuse effort p
J*euffe du Jaint tombeau vengé le long fervage*
Louis Xin 9 qui auroit attaqué l'Afie , s'il
eût vécu, pour venger le fervage du fdint
tombeau ! Quelle date donneroit - on à ces
vers ? Ils font de 1639. L'idée des crbîfa-
des n'étoit donc pas totalement éteinte à
cette époque. De quelles opinions fortons*
nous , bon Dieu !
La place de Louis XV préfente un fii-
perbe coup - d'œiL Depuis le chàteaii (ks^.
^6 T A' B t E A^ U'
Thiiileries jàfqu'i Neailly , la vuen'eft'în--
ftrrompue par aucun ot^et ; mais veut - on^
{avoir le nom des vertus catiataks qui fou-'
tiennent la corniche du piédeftal ? Ceft h-
fifrce, c^eft VantoitnU la paix , c'eft Izpru-^'
dcncc^ c'eft'la juftice. Enfiiite, dans unf'
bas-relief 9 Looii XV donne la paix à^'Ëu^-^
zope. Le fculpteur a voubi parler de Tàvant-
dmiiere guerre.. Lei connoiflèurs fom {dus-
de cas de la figure dû courfîer qi» de celle"
du roi. Bouchardon a commencé ce mo-
nument, Pîgale l'a iihi. Mais quand no^-
ilatuaires (auront - ils faire autre chofè-que
de mettre un (ôuveràin à-chevat^ la brÙe à^
U'main ? N'y aurôit-il pas une autre ex{ttef-
fibn à donner aci chef d'un pei^le ? On voit-^
toujours avec étonnement des noms d'ëche^
vins figurer dans ces monuments publics:
ne pourroit-on pas leur fuUïituer les noms '
dès généraux qui ont fouteni> oti vengée le
trône ?
.La ftatue du bon Hefiri IV fur le Pont-
Neuf , quoiqu'ifoléé , întéreflè beaucoup plus
que toutes les autres figures royales. Cette
effigie a un front populaire ; 8c c'eft celle-là *
€|ueron conGdere avec attendriflèment &-
Wnératiôn.
Qui croiroit que le cardinal de Richelieu ^
?jiî a attaché fon nom par- tout où il a pu
accrocher , a fait fu(pèndre à la grifle une
itfdiption oii on l'intitule fans raçon , en
rr E Par r s. 44.7'
prince dé Henri le- Grand : Vir fiipra-
titidos.
Des y^idèlif^s d'oranges^ & de citrons,
fruits aufli beau^ qi;e iàmbres , forment un
long cordon fous les regards du bon roi.
Janiais la. faltmif n'ipr^vironiie, fa ftatue. Le
jour & la nmt^ la foule des citoyens paflè,
& ialue ion iniagç»
On vondrdit pouvoir coucher la bafe de
œtte. flatue vénérée. On v9 .conftruire des
boutiques dans fon enceinte : elles feront
peuplées de jolies mardiandesde modes,
& cet omement n'éft pas fait pour déplaire
)k Tombre dà hàros qui fut ren£i|>le toute ùl
vie aux charmes de k beauté;-
. Ounfe là place de Louis XIV 9 ce mo-*
narque a encore des arcs-de^triomphe érigés
à Ùl gloire^ pour .perpétuer le Cbuveinr de
Ces viâoires V. nîiais aucun > monument- r!z.
parlé de fes défait^,, / ' .i .
Confîdérez la porte Saint - Denis , chef-
^'ÔBuvre d'tf ciM^e^pe : toujoitfs le monar^^
que dans la glbîre .^L Comme Eugène Hiu-*
niilia 1 A k porte Saint''^ Bernard , on -voit
Louis Xiy tenant k corne d'abondanee
avec cette in&nprito ^. LUovico magno
àbimdantia parta. Dans un temps de dir;
iètte 9 \iXK Qalçdn iiadôifit abimdantia part0
par Yubo/ukinct ^. partU ; & ce contrer
jèn5;iv'en étoi& pas usk^ ' : - -
il n'y a plus, de ooitf Saioc-Antoineicm
i
44^ Tableau
Ta fàgement facrifiée k la commodité po^
blique, ainG que l'on a abattu la porte- Saint<»
Honoré & la porte de la G>nfëi*ence. Il n'y
a plus d*églîfe des Quinze-Vingt^ rue Saint*
Honoré ; il n'y a plus d'hôtel: des M oufwe*
taires; dans un quart de fiede, la phyno-
nomie de la ville a changé, & c'ieft en bien;
doux préfkge pour l'avenir. Quand foa-t-onr
difparoitre de même tout ce qui gêne la
voie publique , & tout ce qui porte un ca--
laâere dégoûtant 6c mefquih > Ecrivons^
& ne nous laflbns pas de plaider en faveur
des embèlliflèments utiles ; fatîgtibhs les
hommes en place , qui demandent à être
Êitigués, '
Quand v>ondra-t-on employer des înfcrîp-
tions françoifes, afin que le peuple (àche un
peu ce qu\)n veut lui dire î Notre langue ar
ùl précifîon & Ion énergie ; pourquoi tou-
jours la langue des Ron^in^ 2
■■: <
C H A P I T RE CCCXLIT*
JLies parlenients font-îk une értiânatTdn dè^
états - généraux ? Les remplacent - îl^ dans
leur abfence par la nature* rttéme- de 4aPmoM^
aarçhie y qui adnict Diéc^irem^if uo corps
/
B £ Paris. 449
intermëdîaire ? Ont-ils été plus utiles aux rois
qu'aux peuples , ou aux peuples qu'aux rois 2
N'ont - ils pas achevé de détruire nos anti-
ques liberté ^ en offirant k la nation un rem-
part vain & illufoire ? Sont - ils des repré-
lentants de la nation , lorfque leurs charges
font tout k la fois héréditaires & vénales ^
caraftere diftinâif de Pariftocratie qui fe
trouve au fein de la monarchie ? Qui les
a chargés , tantôt de livrer le peuple au roi ,
tantôt de réfifter au roi (ans le voeu du
peuple ?
Mais aufli n'ont-ils pas quelquefois oppofê
une digue (alutaire k des édits burlàux , &
arrêté les coups trop violents du pouvoir ab-
folu ? N'ont - ils pas eu des moments de
force & de &ge(Ie ? Mais pourquoi font-ils
J)re{que toujours en-deçk des idées de leur
îecle ? Pourquoi ont - ils été mus tantôt par
la cour , tantôt contre cette même cour, &
le plus fouvent k leur infu ?
Pourquoi le parlement de Paris s'cft-il
comme détaché des autres cours ? Pourquoi
s'eft-il oppofé k la Cappreffion des corvées,
a la fuppreflîon des maîtrifcs ? Pourquoi
maintient-il les plus vieilles prérogatives &
les plus abufives , le gouvernement féodal
étant tombé , & ne devant plus exifter ,
!)uifqu'il n*y a plus qu'un maître ? Pourquoi ,
bllicité par l'autorité royale, a-t-il refufê
d'afliirer aux proteftauts Tétat civil ? Pour-
4$(^ T A ]J L £ A U
quoi a« t-il foutenu le pour & le cûn&t'f
comme s'il n'étoit jaloiut que d'élever la
voix ? D^oii naît (a foibleflè étrange dans
telle circonftance ^ & la force prodigieufe
dans telle autre ?
Ce corps a-t-il une politique fiiîvie, on
Sien obéit-il< au hafârd? Seroit^il comme le
petit poids qui' court fur la balance romai-
ne t Ici il n'eft que zéro , là il fait tout-
à-coup équilibre à^ une force paillante &
MnGdérabre.
Comment lès parlements , devant étre-
fldiers aux fbuverains qui ont tour gagné par
feur implantation dans le corps poutique «
ont-ils prefque toujours été expolesk rixu.-
nieur capricieufe de ces mêmes (buverains)
Qu'eft-ce que Penregiftrement? Je rfai ja-
mais bien fu le comprendre. Qu*eft-cc cpie
ces remontrances qui ont quelquefois une
éloquence mâle & patriotique, digne des
républiques , & qui n*ont rien opéré ? Enfin,
qu'eft-ce que la réfiftance des membres du
parlement aux volontés du monarque ? Sont-
ils des reprcfèntants de la nation, ou de'
fimples juges crééypour rendre la jiiftice au
nom du roi?
Voilà des queftîorts délicates qui n*appar--
tiennent point à cet ouvrage , & que je me
garderai bien de vouloir réfoudre. Les rai-
fbnnements & fe faits peuvent militer d©'
part» 8c> d'autre , ôc les drcoi^nce^ feu^
j) E Parts. 4^51*
fo& feront de ce corps uiie ombre, ou une
léaiité.
. Si les Bourbons^ legnent: aujourd'hui^ ib/
le doivent à la fermeté du parlement de?
Raris lors de 1^ ligue. Il pourroît renaître
un jour une ^>oque à. peu près femblable>v
ou ce corps influeroit d'une manière au£Eki
inattendue & tou» aufli dëcifive.
U- 2r fait le ipal cpmme le bien : ob^iâsifir^
^je* ne Êisqqel moteur invifîble qui le do^
naine tel* .y>ar ^ fes . principes ne paroiflètit^
oen moins que fixes. Il eu toujours le der--
nier à embrauèr les idées faines & nouvel-
Us* Il femUe vouloir combattre aajourd'hur.
qstte pfailoic^hie dont & voix luf a été der-^
niérement G utile. li a tort. L'éubliflèment:
ée Tacadémie françoile ( qui le croiioit) i:
ki a in^iré dstm le temps les plus vives<
alarmes*. Lâché ^contre les jé(ùites, il a dé-
voré Ùl proie avec trop de fureur* Il paroît:
avoir un befoih (burd de détmirt plutôt que;
d'édifier <xl de réformes avec. une £ige cons-
tance.
Le parlement de Paris a fait brûler vif,
on i66y^ Simon Morih, parce qu'il fe di-
foit incorporé à Jifits-^hrifi^ Cette épou--
vancabl^ barbarie date M beau fîécle der
Louis XIV , lo«'(qu'il donnoit des fêtes élé«
gantes & fiiperbés ^ lorfqoe Gomèîlle, Ra-
cine, La Fontaine écrivoient, lorfque Le*
1mm .tenpijt h . pinceau ^ 1^%^ Lully ôc:
4$(^ T A ]J L £ A U
quoi a- t-il foutcnu le pour & le con^rt^^
comme s'il rfétoit jaloiut que d'âevcr la
^oîx î D'oii naît fa foîbleflè étrange dam^
telle circonflance ^ & la force prodîgîeufe
dans telle autre ?
Ce corps a-t-il une politique (uîvîe, oa
Sien obéit-il' au hafard? Seroit-il comme le'
petit poids qui' court fur la balance rcmiai*
ne ? Ici il n*eft que zéro , là il fiiit tout-
à'Coup équilibre à^ une force puiflànte &
tfonCdéraBre»
Comment lès parlements, devant être
fldiers aux fouverains qui ont tour gagné par
feur irhplantation dans le corps poHtique ^
ont-ils prefque toujours été expoles à iki-
meur capricieufe de ces mêmes fouverains)
Qu'efl-ce que Pcnregiflreme nt ? Je n'ai ja-
mais bien fu le comprendre. Qu'efl-ce cpie
ces remontrances qui ont quelquefois une'
éloquence mâle & patriotique, digne des
républiques , & qui n*ont rien opéré ? Enfin,
qu'eft-ce que la rédilance des membres du
parlement aux volontés du monarque ? Sont*
ils des repréfentants de la nation, ou de'
fimples juges crééypour rendre la juflice au
nom du roi ?
Voilà des queftioits délicates qui n'appar-*
tiennent point à cet ouvrage , & que je me
garderai bien de vouloir réfoudre. Les rai-
Ibnnements & Tes faits peuvent militer d©'
part» 8cv d'autre , ôc les drconfhnce^ ièu^
DE Pari s. 453
1 776 , r«teur de PhilojQphic dt la naturic.
Le châtelet Favoic décrété de prifc de corps ,
& le-tenoit prîfonnier à coté de Dcfrius.;
mais malgré le defir > extrême, qu'avoient les
îuge$Hd'envoyer Fécrivain ^ifi( amende ha^
norabUi, la torche en main^ devers Li place
de Grève ^ ropinion publique s'oppofa telle^
ment ^ ^ iiqe ientence auflî abfurde , que le
parlement , tribunal en dernier reflfort , caflà
toute l'inepte procédure , & iienvoya Tauteor
abfous.
La perfecution du châtelet parut G mé«
^ifable & fi ridicule qu'elle ne put même
.valoir à Fauteur une forte de célébrité : 11
jrefta obfcur. Cet événement Singulier né
4:aptiva point l'opinion publique. On diroit
^ue je pade: ici d'un Ùk ancien^ & 11 eft
lout récent.
Ce même pariement fait traîner fur la
xlaie les fiiicides y les fait (ufpendie à la po*-
.tence par les pieds , au lieu de les conuJé-
jcer comme des^ mélancoliques atteints d'une
.xnaladie réelle.
Il ùdf brûler les péderàfies ,':(àns fonder
jûue la punition de cette vilenie eft un fcan-
^le public, & que c'eft un de ces aâes
honteux qu!il fauc couvrir des voiles les plus.
épais.
Un habitant de Lyon & de la Rochelle
.^ft obligé de venir plaider à Paris. Céft
.aller chercher la jufiiçe kune grande diilaiH
4$i Tableau
Quînaut marioient leurs talents. Maïs les
i)oëtes , les peintres , les fculpteurs , les mu-
îciens décorent une- nation, & ne Téclair
rcnt pas.
Un phîlofophe: caurageox auroît-Giàvé Èi-
vie k Simon Moriiv, en démontrant ktdoiH
ble démence des juges & de Tacciifè. Ce
philofophe ne fe trouva pas. Boileaa fit la"
même ahnée une plate fatyiiev non contre
le parlement qui avoit livré k Thorrftle fiiji-
plice des flammes un infenfé , mais cbtitre
quelques auteurs qui ne verfîfioient passatîflî-
heureufement que lui. Racine , sVnfefmant
àsitis fon cabinet , compofa une crag^e'
françoifè d'après une tragédie grecque \ 3*
îmmc^a fon ïphigénie^&c parla àtCaichasi^
(ans ofér faire la moindre allufion k cette
atroce cruauté. Fénélon lui - même n*a rieo
dit. Qui de tous ces hommes célèbres a
parlé > Ceft une honte éternelle k tous les-
écrivains polis dabeaujïecle de Louis XIV ,
que je ferois tenté d'appeller à demi'4>arbare.
Aujourd'hui les aâions des juges font
obfervées, & leur iniquité ne paflèroît pas
fans réclamation. Quand le même parle-
ment fit périr par un horrible fiçplîce Tin*
fortuné^ de la Barre, un crî univerfel sVleva
contre cet arrêt fanatique , fauva la viâime
de la flétriflùre , & rendît le corps, des juges
plus odieux que le tribunal dé PInquifitîon.
Ceft ce cri de la raifon qui a fauve , ein
» E Par I «. 4^^
fouslîgnc. Le livre eft ^condamné à, être brûlé
au pied du grand efcalier, ou de TefcaKer
S. BanhâenH , comme hérétique ^fchijma-
.tique^j erroné , violent , blafphémafcur 9 im^
pic ; attentatoire à f autorité ^ perturbateur
,da rep9£ des empires , &.c. ii n'y a pas
une feule .épithete à rabattre^
On alhm^un fagot eu pipëfènce de quel-
ques poliflbns oifi& qui fe trouvent là par
Jtafyxa ; le greffier fubftitue une vieille Bible
vermoulue avi livre condamné ; le bourreau
brille le iàint vdkme poudreux , & le greffier
jiilace Touvrage anathématifé & recherché ,
fdans fa bibliothèque.
Encore étoui^i du coup de maâSie que
lui a porté le chanceUer Msmpeou , ce eorps|
fie fait plus quelle fente tenk ; <fes i^es fem-*
hlent confufes , embarraOies \ il ne fint ^
4oit embra^r tine certaine xronfiat^ en -lia-
même d*apr^ & bafe antique , txi laifl^ dé-
liouer le fil des événements , peur en mettra
à profit «les dîvecfes arceaftances* Il pareiît
Avoir adopté ce denâer pafé 1 fen repes ref-
, femble à ,un fommeil ; les uns le (^oiem
mort ; il fe rév^Uera , ^Cent les antfesj'^â
ne doime aucun figne de vie , difent les
jtroiliemes , c'eft qu'il prépsoe^ 'fâuneâion;
j^eflc^il médite dans 'le- cthne ce qui là
a toujours manqué, une adroite pcditsque^
il étudiera mieux cp^i'il sh. fait 19$ jd^ ^
^fiecle.
4Î4 T A B L c A tr
ce : mais cet abus eft invétéré , & 3 &mt
•^£fficile Retoucher à une coutume qui , dans
ion antique bixarrerie , a quelques avantages.
Quand les tois alloient dans une efpeœ
•dé 4x>cfae ^ ks oonfeillefs & les préfidems
ard voient aupdais^ montés {urune milles
aujourd'hui que les rois de Frâncç ont in-
finiment plus à dépenfer pour leur maî(bn ,
il eft jufte que les conseillers & les pré&-
4ents , €^ remontrent ai ^m mTegi/trent,
partagent un peu Fopulence & le Iiikc/des
-^nonftrques.
Ce parlement s'appine dans 4es t)ra«5'(ur
Tes avocats &ies procure|iFs , 6c Iest>b)ige ï
>)eûner pour Tes incéféts propres ; on compte
>tfnq cents dbqisante ai^ocats &r le tableati^
Il n'y a pas une 'caufe par mois -pour cba^
avocat. Les procureurs , dans ces temps de
crife , m goâtent pas infiniment les rtmour
tranœs. Les avocats pks fiers dirent qei*ft
cnt fermé leurs cabinets , mais les fneces
^d'écritures & les confultations ^ont fburde-
ment leur train ; le client en eft quitte jkxbt
|>aflèr par Tefcalier àévobê.
Lor(qi^un livre à f approbation Aé FEom-
pe^ qu'on le lit par-tout, qu'on en admiie
ies idées neuves , fortes , grancfos & juftesi
Pavocat-général vient d la barre de la cour^
&it un requîikeire plein de nùhfens & aQ^i"
'Corme de déclamations; il détache quelques
^afes il la .piode des joumaUftes, & ks
I> K f JA. R I S. 457
mgîoent les autres cbrps & fes empêchent de
-marcher droit versHin but 'uhk]ue.
Lai-méme donne orï ^fijain li fi(, milice
fuperftitieufe qu^l méprife^bâidis «pi'il efti-^
me fés ennemis \ il eil édairé ; il ne <:om-
mettra point de grandes fautes ^il f0ngd k
l'utile 9 prêt à céder ii Parbitraire quand les
Paiements ëclos du fein du temps l'exige
jront V enfin ll^lêdéfend^tvec lè^ifeules ai^es
<jA lixr refieiit .^ il les ^^ftimie fanta(ii({ue^>^
mais il ne les abandonne point pour ^la ^
parce qu'il connbit la cour , les g^nd$ , la
tiation , & k refpeâ involontaire qu'ont les
liommes pour des privilèges 4d>fifi&^ rmais
antiques, o ^ : . >.'*.'
, . H £ut inmnager^yifiqà'àuxi plum^ (pii lut
livrent la guerres il ne ti^pond ^ue jpsir lé iî£*
ience ^ lai&knt les difcufiiom thëologiquesaM
I)atailleut5 de profeffion^&^s'appuyancavèc
1^ de iùtété iur la'faa& rédUe de fon* qpu>^
ience» . •. »: '- . • **.^ v., -.'v i^-.
.^'^Ce corps nM.jparolt doué de là politkiue
la plusc£ne , 6c jùCc^ici la plus heureufe»
Moins perfëcuteurs que')amais j ae Ibllicitatit
prefque pliis de lettres de cachet contre les
proteftants& leurs filles^ pai^tde tdéra»i^
eer, occupé de 'joùiflânces yoluptueufès &
paifibles ^ fàtisâiit ', tant icpie rextérieur du
cuke ne recevra aucune TOeche ^ il hUTeiTL
paflèr les x)pinions cbntraires , (ans leur op-
{lofer une digue impmdcntevcarilffent biea
Torm IL V
4$6 Tableau
Quoiqu'il en foit , ce corps a toujours une
grande force qui a (buvenc inquiété le tru*
ne ; & laquelle ? me demandêrez^yous. La
force d'inertie !
GHAPITHE CCCXLV.
Le Clergé.
i3on fiege, pour alnlîdirelnvifible, éft pnth
cipalement à Verfailles ; c'eft là (pi'il tra-
vaille fourdement , qu'il examine de ptès les
claviers qu'il doit toucher. Il maintient (bn
exiftence & ion crédit par des.moyens fou^
j>Ies, adroits, & (pii varient (èlon les xûv
confiances.
Le corps qui a le moins de préjugés^
( le croiroit-on ! ) c'eft le clergé ; il lait très-
bien ce qu'il fait ; il connoit le cours Sc
l'afcendant des opinions régnantes ,; il a re-
connu fa véritable poiition ; il fait quelque-
fois le fanatique dans des mandements , &
il ne l'eft pas. Il fixe les yeux en tremblant
iur le précipice ^ù la loi des deftins l'en-
traîne, il en recule l'époque qu'il juge lui-
même inévitable : mais il l'éloigné «en ri'af-
feâant ni crainte , ni audace ; oc mettant à
profit les partions de tout ce qui l'environne ,
il (è défend de ces paflîons indilcretes qui
agitent
mgiœnt les autres cbrps & tes empéchentde
-marcher droit versHin but -utikjue.
Lai-méme donne orï ^frain îi fit. milice
fiiperftitieufe quYl mépiife , bâidis qu'il efti-^
me fés ennemis \ il m édairé^ 11 tie com-
^oiettra point de grandes fautes ;^il fbnge k
i'utile, prêt à céder ii Parbitraire quand les
Paiements ëclos du fein du temps l'exige
jront v enfin il ^{ê défend avec lei^^feules aiâAies
qui lur refieiit ii^ 'il les ^eftimc fantaftique^',
mais il neies abandonne point pour ^cela ^
parce q^il connbit la cour , les g^nd$ , la
tiation , & k refbeâ involontaire qu'ont les
liommes pour des privilèges 4d>fifi&>y mais
antiques. >3 '- / >■': •'■'
.11 £ut tnsDager^îiifiqà'àux. plumes' (pii Jiu
livrent la guen:e>: il ne répond ique par lé (î^
ience , laiSkht les difcuffionsthéologiquesâos
|)atailleurs de profèflion ^ &*s'appuyancavèc
1^ de Gxtèté iur lafaafe réelle de fon qpu>^
ience. . ■ :■:
.^'^Ce corps nie.jparolt doué de la politk|ue
la plus:&ie , 6c jiiCc^icila plus heureujfe.
Moins perfëcuteurs que '.jamais 9 ne Ibllicitanc
prefque plus de lettres de cachet contre les
ptoteftants& leurs filles^ parlantde toléra»i^
cer, occupé de jouiflimces vokptueufes &
paifibles ^ fàtis&it , tant icpie Fextérieur du
cuke ne recevra aucune brèche ^ il laiKIèni
paflèr les x)pinions contraires , (ans leur op*
{lofer une digue imprudente fcaril dent biea
Tome IL V
46p T A B L rE A U
niais la cour s'attache ainfi la tioBleflè ; &
Ton paie les fervices militaires , de même
jqae (f autres 4iioifis importants ', avec les
4)ieiis de.i^égUfe.
Qu'efrce que |a ^râille des bénéfices ? Y
€ut-il jamais feuille des. bénéfices dans la
primitive églife ? Combien detenips darem
encore la fetlille des i>énéfices>? Elle /a d^
£ibi Çc fubirasnfenfiUemem diffirentcs mé-
tamorphofes ^ piiis • • ' •< Maisî^ pèub lice di
-tindement dans favenir î
On compte xent . ônquapte iiiiîlle . ecd^
£afiiques dans le royaume , tons célibataires,
{«es a^ties étoient mariés. Le clergé . a été
marié pendant plufieurs fiiedes. Le concîZe
•de Trente a.été tout pxât.de;^ermettie le ma-
riage aux prêtres. Cent cinquante mille m&'
vidus qui vivent dans^un célibat -dângeceuz
à eux-mêmes & 'aux* 'autres ! L^feroit-dn
croire! Si ce fait'rëtoit rapporté dans une
jbiftoire ancienne ^ ne lerévoquetoit-on pas
«n doute ? 6c fî l'on étoit forcé /enfin Àe Tad-
mettre , de quelles téâeaions ^né J^ccompa*
gneroît-bn pas-î • ^ !:
Quant à la ..i^é'liH de jsfidenc» 4 . elk eft
£ ouvertement , ficonâàmment violée , qu'il
devient i inutile d'en faife.la remarque^ L«s
jDu^Ucs W xonnoiflèru:. plus le. front de leac
pafteury & ne l'envifagent que fous le rap^
jport d^iip homme opulent , qui fe divertît
dans la capitale, 6c qui s'embarraflè.fiirt]^
,de fon troupeau.
DE P A R ï S. 4^9
de réglifè font le patrimoine jdes pauvres ,
que lesévêcpies n'en font que.les dëpolàtaîres ^
jque x)e. qu'ik dépenfent en luxe ^ en &fte , en
plaiOrs^efl un vol réel, une violation évi-p
'jûente àes^Jaints canons (i) ; vous leur di-
ctez une vérité redoutable , & qu'ils ne peu*
,vent fe didiinuler à eux-mêmes. Ornez-la ,
.cette >vérité féconde^ des expreflions les plus
«convaincantes .& ies^ plus animées , afin
'^'ellà: defçende dans.touslef coeurs Se dans
tous les efprits. Et né poiivez-vous pas ton-
.àer y lodqu'un.. prince de Téglife laiilè à Tes
héritiers deux ou trois miiiions qu il a frau-
diileuCement amades aux dépens des pauvres t
Fefez Ik^ffias ,. & répétez qu-a Gi naort , un
évique ne doit l^iilèr qu'un linceul pour Tetir
JtevfJir. .■ . "•' ; . .'•
r : Laiflèt enfùite lesiévéqaesiCalomnJDer vos
.^rits daii^ des mandements iqu^on ne lit pas ^
xm dont on le* moqué. CeSIànitfon de cent
axiille : écus- par . an ^ qu'ils diAribuent cesè
h^è éloQuence faite^pour les prènes. Que
-vous faicleftyle de&piiiones? :> .
A qui donne-t-on les évéchés î Aux no*-
blés. Les groi&s abbayiefc 2,- Aux nobles. Tous
lés gros bénéfices } Aux nobles. Quoi ^ il faâ
êtrt gentilhomme pour (èrvk Dieu 1 Non^
'' ' .•■* ■■'I»
. (i}Ils djfent tous de la miaftîere !a pfiis fortes'
1^ plus inconteAable , que tous les bieîi^ Iles eç-
clé/k(liqùcs appartienncot de droit au't âjkiivttfl.
V z
4^* Tableau -
dant la meflè , tandis qu'on levé Fhoftîe ,
tous les yeux font fixes fur le roi , & c]ue
perfonne ne s'agenouille du côté de PauteL
Au grand onivert , le Parifien remarque
que le roi a mange de bon appédt , que la
reine n'a bu qu'un verre d'eau. tVoîlà ce
qui fournira à l'entretien pendant quinze
jours ; & les fervantes allongeront le col |^
pour mieux écouter ces nouvâles.
Quant aux tableaux , aux ilatucs , aux an-
tiques ^ il n'a pas d'yeux pour cek ; maKi
il admire les glaces , la àogus/t-.i 1^ d^s d»
trône ^ & la quantité de platsr^'s^ pofe fi»
la table royale* Les carroflès furdocés , les
Cents^Suifïes ^ les Gardes-^Corps & les
tambours- le frappent auffi beaucoup.
Ce qui étonna le plus le Sauvag« amené
à la cour de Charles IX , ce fut de voû: les
Cents -Suites , hauts de (ix nkds, arec kun
mouilaches & leurs hallebams ^ obéir à u0
petit homme qui avoit le vi(age pale &c les
jambes grêles. Le Parifien eft loin de fentir
la reflexion du Sauvage. Qu'on lui dîfe qu'un
autre Indien voyant le tableau où St. Mi-
chel terrafle le diable avec uric'niaj'éné tfàn •
quille & fans effort , s'écria j Ah , le ieau
Sauvage ! il ne comprendra pas mieux te
trait que le précédent , fùt-il des fix corps
ou garde-notes.
Rien n'^mufe plus un philofophe , que de
Se promener feul dan^ cette gauerie y 6c de
D-îE Paris* ^6p
• j
CHAPITRE CCCXLVL
î ,. ' . . .'
La Galirie de VerfailUs.
lue ParîGen , le jour dé Ia'Pentéx:ôte , prend*
la gaUote']îi(Q^:ti Sèves, & de là court ^
pied à Verfaîlles , pour y voir les princes , la
proceflîon des côrdonsrbleus , puis le* parc ,
pais la^ mériiferie (j).- On lui ouvre les
grands àpMMRÀents ; on lui ferme les petits ,
qui font les phis riches * & le» plus curi^r.^
Ils fe preflènt k midi dans la galerie ,
pour contempler le roi qui va à la meflè-,
&1a reine , & mônfieur , & madame , &
monfè^eur comte d'Artois & madame là
comtefle d'Ajjtois ; puis ils fe difent Tun à
Pàutre : As^tinltlè roi —Oui , il a ri. — *
Ceftyrai ; il a ri. '•^ IF paraît content. — *•-
Dame ! cUjl qu*il a de quoi.
• ' M. Mooiea fort bien obfervé- que pén-
«
(i) En revenant j' le^ petit penple raconte'
lliiftoire connue du^Suifle de la n^nagirîe« €•'
p.ortler à livrée royale avoit l'emploi de donner
tous les jours fix bouteilles de vin dé Bourgogne
à- un dromadaire. Cet animal étant venu à mou*-
rir^ te Sûifle préfenta on placet', 'par lequel il
iileii9ludoi|.àlacoiir Ufifmvànee àr.dromadairi.
V3
^6% Tableau
dant la meflè , tandis qu'on levé Phoftie ,
loos les yeux font fixes fur le roi , & c]ue
perfonne ne s'agenouille du côté de Pautel«
Au grand onivert , le Parifien remarque
qiie le roi a mangé de bon appétit , que la
reine n'a bu qu'un verre d'eau. Yoilh ce
qui fournira à l'entretien pendant quinze
jours ^ & les fervantes allongeront le col |^
pour mieux écouter ces nouvâles.
Quant aux tableaux j aux âatucs , aux an-«
tiques , il n'a pas d'yeux pour cela ; maïs
il admire les glaces , la dom^, le dais dor
trône 9 & la quantité de platySylny pofè ftur
la table royale. Les carroflès fordocés ^ les
Cents-Suifïes ^ les Gardes-du-Corps 6c les
tambours le frappent auffi beaucoup.
Ce qui étonna le plus le Sauv^« amené
à la cour de Charles IX , ce fut de vok les
Cents -Sui0ès , hauts de (ix pieds, avec leurs
jnouflackes & leurs hallebanKs j obéir à un
petit homme qui avoit le vifage pâle & les
jambes grêles. Le Parifien eft loin de fentir
la réflexion du Sauvage. Qu'on lui dîfe qu'un
autre Indien voyant le tableau où St. Mi-
chel tertafle le diable avec uricTiiajené tran-
quille & fans effort , s'écria j^h, le icau
Sauvage ! il ne comprendra pas mieux te
trait que le précédent , fiit-il des fix corps
ou garde-notes.
Rien n'^mufe plus un philofophe , que de
fe promener feul dans cette galerie , & de
DE Paris. 463
roder enfuite par-toi^t. Il îi'â tien à deman*
der aux minières , ni aux ^gens en place ;
il ne les connoit que de vue ; il ra à leurs au-
diences } il aflifte aux ditiés dés |Mince$ &
des princeflis j il fe réjouie fort dé ce5 en*
trées, do ces révértfn<îftj d^ ce» -dôilief ti-
ques , de ces officiers de taUe ^ do fétieux dé
toute cette plaifante étiquette. Il fe rappelle
alors quelques pages de fon Rabdais (i) ,
& il rit tout bas ^ car Tefpece htinrmine efl
la fous le jour le plus divertidatlft. Il voit
trotter les altef&s , le» grandéfîil^ ié lés émë
nences pêle-méle avec les pàgeà & les v»^
lets-de-pied ^ & lui , tranquille dl^brrateuri,^
il n*a rien à faire qu'à examiner.
Qui ne Ce donneroit pas ce taré i^laifii?
trois ou quatre foiâ rannéê ? Efl-il dahs att^
cune lingue une comédie qui appf ôchcf de
celle ouVf&e ^joûfiiellenient VaiCde-bcsUff
Quana on a vînés caixtnùm&fi peti/s devant
U JoUU , comme dit le itioîndré bdtrf^
géois , il n^eft pJbs^[M>fBbfoiltf lei voir gtifti&^
ailleurs. . /' '
' Mais il Êiot apprendre ttxA êSntâgtti tt(
que c'eftqiie Pcfcil-de-bâedf ^ t*eft tfttc aétî**
chambrôqtiî rtf tient fou tiorh'étixàé ttréttt
de forme ovalcr. iià vif tih StiMfe t|iiâftt? Se
. (1) Quiconque a lu ttahetaii. & n*y ar vu
c{u*un hùdthÀ^ k tCvif sâr e^ lin m \ s*appellàt«
tl- Voltaire. - '• -
V4
4(54 T A B L 1 A. V
coloflàl: cVft 111^ gros oîfeau dans ht cage«
Il boit 9 il mange. ^ il dort dans cette antî*
chambre , &. nen fort point : le refie du.
château lul^ efl: étranger*. Un fîtnpleparavenfr
fçpare (pu. lit. & (à, table: des.puiflances de
ce monde*. Doâze. mots fonores ornent (à
mémoire , & compofent ionfenrioe. Paffh^^y
Meffieurs , p^Jfi^ ! McJJieurs -, lé roi ! retire^
yoiis. On n* entre pas , Monftignmr ! Et
Mpnfeigneur file Gtns mot. dire*.
^- ToQt le i^ipnâe le ialue , perlbnne ne le
contredit 4: &. voix cbai& dan&.la. galerie des
nuées de comtes ^ dé marquis & de « ducs^
^i fuient dev^tj^fà [parole. 1\ renvoie les
princes & princeflès^ & ne lair. parle (pie
par monofyllajbes : aucune dignité uibalteme
ne lui en impofe ^ il, ouvre pour le maître
la portiece de glaces^ & la. referme;. lé refte
de h terre eft égd à fes yeux. Quand fa voix»
retentir, les pelotons épaçs d&#sourtifàns sV
moncelent ou fe difEpent ; tous fixent leurs
regards fur cette harge maiti qui tourne le<
bouton : immobile ou en adion , elle a vact
effet, furpienanti^ tous ceux ^ la 'regar-
dent. Ses étnennes montent k cinq cents^
louis d*or ; car on n'oferoit offrir à cette maiiL
un méulaufn vil que Eargeo(» -^ v
Le foir un grouppe de courti(àns traver*
lent de nouveau roeil-de-boeuf ^ & s'aîtmupept
auprès "Û une' porte fermée ^ ep. '"attendant
qu elle s^ntr ouvre. Ce loiit des prétendants a .
Br Ê Paris. 46^
Ffibnhair irifigne d&Coupcr zvéc le maître:
tel a/pourfuivi cette grâce pendant trente-A_
cinq années , fidèle tous les jours -de fa vie
à*' cette porté ingrate 5 &• il ^ft mort à lar
pourfuite de fes- faveurs j (ans IWbîr yubâH--
lier pour loi* Chaicun fè ïlaàie étnnc elp^rance
qui ne i'ëtéint pas ^ 4Eju6kiue fi'{bBVttirtrom=i
pée. Au "bout de deux heures , cette porte
adorée & pteSUe dans un tremblement ref^
peâueux , s'entr*oHvrè : un hmffier de la
diambre ^ok avec tme liHe ^ Aa, main , Sd
cne fept^à huit' ndni^ fortunés ijuî entrent ,
on plutôt (è gliflèiit dansPétrôk & envi^
paflàge^- Pub fhuiflier ferme fubitement ht
porte au-nei des autres qui ^ faifànt fem-**
olant defe confoler de cette difgrace , s'en'
vonr le chagrin & ledéfefpoir dans lé.cœur,^
Je ne fais' fi r^eft le ha&rd ou la* poIStique^
qui a déterminé cette léeere difiance dit
monarque à fa capitale , n le projet fut ri-
fléchi^ mais on diroit par les tSetsr^ que ce
fut l'ouvrage de la politique la pins raffinée.
Cet éloignement de quatre lieues , qui rend
le monarque comiiie fnvifîble , qqi le dé-
robe aux yeux & aux dameufs" de là mul-
titude 9 a eu la plus grande inâiience fur la ^
conftitution du gouvernement.
Quand le roi vient ^ Paris , c'eft une*
grâce, un bienfait , ou b'crr il s'y montré '
avec Fapp^eil d'un maître qui vient fàirr
exécuter fes voictotés; .
- • V^^ ■
4^6 Tableau
Un bourgeois de Paris dit trèsrfërieufe*
inent k un Anglois > cpi*eft-ce que votre
roi ? Il eft mal logé y cela fait pitié en vé-
rité. Voyei le nôtre , il habite Veriailles.
Eft-ce Ikun châféau fuperbe? En .avez^vocK
un pareil a citer ï Quelle grandeur y- quel
éclat, quel magnificence j Cette foule, cou-
verte d'or , tout cela eft l'ouvrage de Louis
XIV ^ il a employé près de huit cehts mil-
lions pour le château & les jardins ; c'iétoit
uu grand roi ! l'article feal du plomb poili}
les conduits d'eau étoi|: de trente-deux mil^
fions ; il a brûlé le définitif du compte ; c'eft
le plus magnifique palais (pi'il y ait au monde.
Nos princes du (ang enfin ont une cour plus
brillante que celle de votre roi d'Angleterre.
Et il continue fur i:e ton aqx' yeux de
l'Anglois 9 qui , ftupéfait d'un tel raifonne-
ment , adinire le Parifien & ne fait que lui
répondre.
La reine régnante a fait placer des réver-
bères depu^ VerfaiJles jufqu'à la barrière de
la Conférence ; de forte que vous pouvci
partir dél'œil-de - bœuf & aller jufqu'à la
grande allée de Vincennes,c'tft-à-<iire, dans
un elpace de cinq lieues & demie , toujours
fur une route éclairée. Aucune ville ancienne
ni moderne n'a oftert ce genre de n-iagnifi-
cence utile. Toute jouiflànce qui devient
publique, prend un caraAere de grandeur,
& ne doit plus s'apptller luxe.
Sans doute M. Sherlock qulttoit Paris fur
D E ■ P A R ï s, 467
cme fiiperbe route, qufand' il a dît : Jamais^
un homme rUcfi parti dt Farts gai. Quitte
qu*tn foit la raifort ^ on tji toujours trijfe
enfortant de Pam. On dôît fuf-mt ctiè'
trifte, fi je né xtie ttohïpé. <j^âfid^ on (ort*!
de la capitale pdur aller aans les' bureaux'
de Verfailîes , ou dematidtft qtreîque gracé ,
ou implorer jufïice , .ou pôUrmîvre quelques '
projeta. Il faut parler k des commis qui vous
écoutent fans répondre , & dont le parti eft
pris avant de vous avoir entendu.
Vetiailles 9 qdi cdwtîent cèftt.mîlle afnes,
s'agrandît contrdérablement ^ & fe défllne
avec majefté ; c'étoit un pauvre village il y
a cent vingt ans; feS rdfes foht très -larges ,
bien aérées , & Ton y niarche prefqùe de
tout temps à pied feç.
Quoique le foyer des aflEaîres majedfes
& politiques , Verfâi!ï§s fe ttouvàr.t datïs fé
tourbillon de la capitale, obéira touiouts en
fatellîte à fes mouvements, & foîyra in-
failliblement la deftinée de fâ'pllneté.
L'efprît de cette ville fecondâ^re tf èft au-
tre que l'efprît du châtea\i , & Pon connoît
Tefprit du château au bout d*uxï Jour ^'èxa- '
men. Ce qui s*eft faîtla veilfe, fe fi^jfïiaûe*
ment le lendemain ; &' qiiî a vu lïn jour ,
a vu toute Tannée.
Il y afeize mille b6ix dé Saint- touîs en j
France , dont fix mille .^ï^arîi" oa daiis les '
environs. Ces ôfficî'eft battéût- en:jfeWi4.
V6
468 Tableau
êhamhn , afiiegeot les bmfiaux de Verlàilr-
les , peuplent %s anti-chambres , remplîflènt
la galerie, font cirailer les nouvelles , par-
lent inceflàmmetit des guenres paflees ^ dér
raifonnent en pôHtiqqe 9. parce qu'ils jugent
tout en militaires; ils ne^ peuvent, s'accour
tomer k ious les changemep^ que le couis^.
des événements autorité & nécellite.
Les habitants de ce lieu fe pêrfiiadent aî«
fémeiit que Vertailles (ûrpaflè en beauté tout
ce qu'il y a dans le refte de l'Europe ^ &.
^u'il eft très-inutile de vpyagér pour lie voir
que des chofi» inférieures. Auiiî. ne' cpm«
prend - on rien dans ce pays a. la fentaiGe
d'un feigneur qui va viuter là HoIIajpde^
FAngleterre , la Sui0è , l'Italie , l'Allemagne
& la Ruflîe: on Tàccufê de bizarrerie.
Ici , chacun fe glorifie de l'emploi qu'il
exerce , & fe croît ^ pour aînfi dire , niem- .
bre de la couronne, pour peu qu'il approche
de la botte du monarque \ celui qui met un
plat fur une table , s'appelle un gentilhomme y .
6iC un porte-manteau prend le titre àUatyer*
Niîl n ofe empiéter le mobs du monde fur ,
les fonétions de fbn voifîn ; trente ou qua-
rante charges font exercées dans un dîner j
jufqu'au franfp'ort dû billot de ïa cuifine re-
garde un officier ^^Aor. Qui pourroit re-
monter à l'origine ', & fuivre 1^ fous-divi-
fipn de ces .diffçrems offices, tous acquis à
prix d'argent^ & foudoyés en confêquence t
•>
» E P A' R I Si» 469^
Quel gouf&e ! Quel ' œil o(era en fonder
toute la profondeur?
La- haine du peuple dans aucune circonf^
tance ne va jamais jufcu'au monarque ; elle ^
a trop de- milieux à travtrfer ;^ efie s'attache
aux commis, aux adminiftrateurs particu-
liers , aux hommes en |^âce , aux nHniftres
du fécond & du troifieme ordre, ^ remparts T
expofës. aux. reproches, aux injures , & à
qui l'on attribue les malheurs publics. Ils.
font là pour afFoiblir Tinimitié ^ n elle avoit [
lieu. Le peuple (ènt' que le monarque ne . '
faùroit jamais- le haïr , qtfif veut- lé bien y
qu'il le dierche , parce qu'il eft dé fôa in-"'
lérêt de le vouloir & de le. trouver. ^*
(?eft enfin le pays où Fon fe tient de-
bout toute fa vie. On va par-tout fans s'ât
feoîr tîulle part. Un courtifan qui a quatre-'
vingt ans , nouveau Siméon Stilite , en a
bien pafle quarante- cinq (tir fes pieds, dans
l'antî- chambre du roi , des princes & des >
miniftres.
^ L'étiquette fatigue beaucoup les homm^ '
de cour , mais elle ne &tigue pas moins les
perfonnes qui en font îfobjet ; Fétîquette !
donne des loix k ceux qui en dotment à la
terre : ainfi tout eft compenfé.
^
470 Tableau
CHAPITRE ÇCCXLVII.
Vc la Cour. ... '.
X^e mot àe cour n^ènimpofe plus parmi
iious',^ comme au temps de Louis XIV,
On ne ir^çoi^ plus âe la cour les opinioijs
régnantes; elle ne décidç plus; des r^ta^
tiohS) en q^eI<J^e genre ^ue ce (bi^; oi^ne
dit plus avec une emphafe ridicule iLafCfur
a prononcé ainjt. Un calle les jugements
de la cour; on die nettement^ elle- nV .eri-
tend rien , éOe n'a point d'idées là - deflùs ^
elle ne (auroit en avoir ^ elle n'efl pas dans
le point de vue.
La cour elle-même , qui s'en doute , n'ofc
pas prononcer affirmativenient fur un livre ,
lùr une pièce de théâtre , fur un chef-d'œu-
vre nouveau , fur un événement fingulîer
où extraordinaire ; eUe attend l'arrêt de la
capitale: elle-même a gj-and foin de s'en
informer , afin de ne pas compromettre fon
premier avis, cjuiferoit caflc avec dépens.
, Du temps de Louis XIV , la cour étoît
plus formée que la ville ; aujourd'hui la ville
cft plus formée que la' cour. Leurs idées
s' accordent rarement : ce qui ne doit pas
étonner ; car l'inflruâion reçue eft trop (Uf-
D E P A R I s. 471
fércnte , pour ne pas dire oppofêe. La cour
fe tait fur plufîeurs points , par prudence 8c
même par timidité : tant la confcience nous
en dit plus <pc Fadulation n*a voulu nous en
Êûre croire f La ville parle avec affiorance
fiirtoût & fans rdàehe| la coor feht (ju'elle"
ne doit pas trop hafarder fon prononcé {H^
nombre d'objets, de peiir du retour. La*
vïlle , où font tous les arts & toutes les lu-^
mieres^ qui fe prêtent une plus graïide force
par leur mélange , décide hardiqieçt ^'parce'
qu'elfe fent (a forcé , & quVlIe eff "plus- fîlre
de^ibntaâ tant de fois éprouvé: oC Fautre
cftime confuféaient qu'il lui manque plu-
(îeurs dwinées propres à confirmer fort opi-
nion. •
L^ cour a donc perdu cet afcendant
qu'elle ttvoit fiifr les beaux -^rty^ fur les ler^^
très , & (ùr tout ce qui eft aujourdliuT dé
leur reflbrt. On citoit dans le (îecle deriirer,
le fuffrage d'un homme de la cour , d*an
prince ; & perfonne n'ofoit contrednèi Le
coup-d'œil n'étoit pas alors aulfi prompt,
ni auffi formé ^ il falloit s'en rapporter au
jugement de la cour. La phîlofophie ( voilà
encore un de fes crimes ) a étendu l'hori-
zon ; & Verfaîlles , qui ne forme qu'un
point en ce genre, jeft compris. Cette
révolution dans les idées eft bien nouvelle ;
car lorfqu'on fonge que l'opinion fe joignoit
au pouvoir, 6c qu'on réfléchit d'où émanoit
471 T A B L 1. ArMf
rôpinipn 9 ce que c'étbU , quant aux idées ^
que cette cou£ de Louis XIV \ les préjuge
groflîers qui yvdominoient; ce qu'étoit la
dévotion du.temps^ct que^faUbteiit4iD/^r6*
dicattur de VeH^iUes', >mi. ^^rvâSâtr- de
coniciçnqe y un confeffcur du. roi \ quand
fm penfe^que Luxenuxmrg accufë aUpit&iref
une retraite chex Je P. Ja .Chaife:: alors onr
obferve avec étonnement, & (ans ofer le
croire , .finaoyable dî^ence.d^un (iede à
- r
G^^-dé la! ville que part Tapprobationii
ou fimprobation adoptée dans le^reftc do*
royaume.
^ Louis XIV trembloit;k là voix de Bof--
ilièt , qui le pénétimt de terreurs imaginât-^
rcs : on fiffleroit' aujourd'hui -l'air?- prophé-
tique de Boflùet, fou ton, fes menaces, &»
il n'infpireroit pas iès- craintes myftiquesau^
dernier che&d'office. Ceft la ville qui a ap-
?ris \^ la cour la valeur réelle des choies ^ijU
epouvantoient alors*
», £ P A ». 1 ?. 4^3^
CHAPITRE CCCXLVIII.
L
Les Extrêmes Je touchent.
(?s grands 8c là canaille fe rapproçhgrit:
dans leurs moeurs ; les premiers bravcrowlâ.
préuigés, fiers de leur crédit & de leur,
opulence j la dernière claflè rfayant à. perdre,
ni honneur ni «ftiiiie, Tit lans.g^éne 6ç
avec licence; je trouve même que leors efrf^
prits fe reflèmblent \ les harangeres , au
ftyle près , ont des mots très:heqj"^w^-# ^M^r
que nos femmes de qualité ^ môme ^abon-
dance y même tournure | originale ,,.m^9ie
libeité dans IV^^refliôn Sç^ti^ l^s ihiàges :^
il y à vràîhierit analogie pour qui fiit enle-
ver récorce.; lilne pji^Ià^xmttr^ Cxi autre,
ftntlemug;. 3^.tf^#*-^.,. : ;
Les gr^s ne font pas. plus généreux que^
tes mèjidiaritsi mâîs (obtenez quçlqqe. choie,
d'un grande il s'àf tachera "S.y iiûs . : ^ pourquoi r .
Parce qu'il. Vpus aura donné, il en àttendia.
les întérâts. Ainfî fait lé gtieux : s'il a avatKé.
quelque chofe a un niiférable , il ne le quitte.
j)lu$, & redouble fes bièiifâits^ parce. qu^
ne v^ut pas tout perdre. Un honime de*>
mandoit un écu au cardinal de Eleurî^-— .
Et que ftrez-vous. d*ûn ccuî — Cêftque,
474 Tableau
quand vous m'en aurez donné un, reprit-il ,
vous m'en donnerez quelques autres.
Si vous êtes placé chez un prince , tâchez
qu'il vous donne quelcpre chofe , Se votre
fortune eft faîte. Un poëte nu (è troiive chez
fon altefle; le prince mettra fa vanité à le
créer : il ne l'aime , ni ne le confidere ; maïs
il faut qu'il faflè dire à la renommée : il a
enrichi uii ^oëte ; on ne l'approche point
qu'ilnejépaiide fur vous les faveurs écla-
ilï^er^r^ppaitieiinent à fon rang.
. La jorhedes granks^, dîfoît une femme
de 1>feaucoùp Sdfnt^'nejl que dans la tétt.
des petits. Et ne voilà -t-if pas encore un
rapport étonnant fur lequel il y auroit un
livre à faire pour qui fait réfléchir }
„0;Jkc& grands ,ainu que les miféràbles , ne
croient pa^ ï la pfôbltë : ils difènt tous , la
probité fi pefi. Ce qu'ils ont le plus lie
peine k comnrendre , c eft qu'oui homme ^ît .
des moeurs oc de la vertu.
On leur demande toujours ; ils donnent
rarement au mérité , plus fouvent à Fadula-
tîon & \ i'ifitrigue. Il faut que les grands
donnent fans ceffe ^. diïbîc Madame de
Choify à Mademoîfêlle de Montpenfîer ,
ou ih ne font bons à rien*
Un grand croit fon premier apperçu in-
faillible ^ quand il à dit oui , il nç recule pas
par orgueil , il ne veut pas qu'on lui attribue,
dans ik vie deux façons de voir & de jugera
DE Paris. 47lr
Il aura dix frippons à Ton fervice ; il les
reconnoitra pour tels dans la fùîce : eh bien^
il continuera à les couvrir de (a proteâion ;
il prendça- l'opiniâtreté pour une fermeté
noble; fop extrême orgueil nIp trompera ^
ainG que 'le défaut de hiànerés trompe in-
çeflamment le menu peuple.
L'aâàmé crie avec audace , parce que le
befoin lui anache des plaintes forcées. Tel
;rand , fàx ambition , parie hautement pour
liberté pi4>Uque , 8c tonne dans le templtf
des Ipixen^ies bravant ailleurs. ' Que veut
le premier ? Uqjn^ceau de pain. Que veut
leletond? ynel)lace émmente^
Xes grands ne paîenTpbirit leurs dettes^
ftinfî cgjtt font les petits \ les grands emprunt
^m éterniâlefnûot aôx indigents , qui long'^
umps mwgéf^ kxéanWent enfin , & p^
viennent- k didoudcé. la fiutun» dû fiiperbe
emprunteur.
J'ai, vu plus les grands^- mais* je lés M
entrevus. Tout. homme a' de l'orgueil ^ je
le fais ; . mais le leur^efè* ordinairém^t ' efi
raifon de. leur crédit & deieur piâ&flce;
ils favent très-bien qu'ils peuvent, bleflèr
impunément , & ils ufent volontiers de ce
privilège ; ils fe font une efpcce de devoir
de meprifer tout ce qui n'eft pas eux; le
génie & la vertu les offafquerit & les mo-
leftent ; & ils voudroienr ridiculifer la vertu
& le génie ^. non par jalonfîe ^ mais par
476 T A B L È A U'
liaine, parce qu'ik mettent fans cefle Teur
fortune & leur rang à^ la place des diftitic*^
lions réelles , qui font les talents & les v«>
tus: cVft fous ce bouclier- qu'ils -fe dérobent
aux engageniùents les plus (acres; Lelir atr
de bwté* .tt'eft ordinatremeiut qu'uK piège ,
ou qu'un orguefl plus fm ou plus raÛbnné.'
Leurs bienfaits font difpofés- de manière
à inviter à Fingratitude» Leur jargon btil<^
tant 9 leurs manières poUrs ne'peinrent enf
tmppfer* qu'aux hommes inexpénhientés \ 'û
fft.aifë de Jes juger*, 6c de voir 'q^i% ùÀ
fffdinairemeott de p^tesames' fort daines ^
fort étroites.^ & des cerveaux {àns" lumierèt
qtilès : ife tdévorenr la patrie , 6c £0 '4a (èr-
T^t pas \ ils ne (ayent guère cni'mtriguef
poturiaire lp,mal , ^^^^' <^<>^ i ^ ûtHiipé#
les petits à^ l'appâr^eleuw promeflès .(r)i
Maihegr à qui vit oroit?^ Il p^i fès bdllèf
années. Il faut aller voir quelquefois les
grands y difoit La Btuyere , non pour euxj
maisr pour Us hommes dtefprit & de mé'
ntcipi^ànrcncomiftLiauprès d'eux.
Soy^ fur que h» grands;, feront tou^
à^èé.
(i) Quelqu'un a faitxe^ vers :
Jf fuis depuis lottg'temfs. àda dernière place ;
Jâ n*ett fitis ni f4ché, nifurpfis « jù confus*
Si je nUi p^às riçft la plus 4^>» jyg< » • ^ V '
h.nnai point ejfuyé la konu d^iiturefjt^^^^^j^^^y^
D E V A R I S. 477
jours parade de leur opulence, chercheront
\ rentier,, ne diront jamais è'èft 'aflèz^
& vxHidront hum^ier xeai <f& vïv'ênt de
•travaux^phi^ honorables & 'f^ utiles' q[ue
les leurs. Ufioûnifi^^ p^ujant un jour avec
dédain de ceux, di^it-il, ^ activent pour
:dc Vargtjit ( c'écoit ^ malheureù&ment pour
lui, devant,!* J..ILpuiïèaa)« £r votre tx^
^dUncc.pa^^Lm i;A^e^;fe22^?vXeUe. fut
la iépon(é modçllç du/philofp^^ . . ^
La fociété r<^refl^moiè [^.&ftçment)pat
les deux bouts; vbici il ce âi^t, amifeâeur^
une pçdte fablQ.,9i'iL£uijtt.<|ue je vou&di|(,
^d oofee le rioiti' & lêh auteitf.
>- «
♦ r .
1 4.
OiB Wr Tëntmntfant qutrelU»
}f^4 Echelons ^uMeJipiifàê ithêUé
I : ; >'5iir ^ rMg 4^ fkr U\ Béiféfncii :
... ;' .X^ pluâ,iUifi priiéhioh "^
i Poar. U: ffoÙTêr f il piforoiit
/M£/uMik«««| difiîiU, il'^trofl4U'iiJUn'ei:t
M D'aiUeuivi ckdimt ^:fui «n fa pÙcê^iàitl ^
nNé Sêiriiè'irCàas lé fyjUmt . \ ' ' ^
Mif^'ciïuMa:iigiim^"\.': ' .. .
>* (2^tfe Condamne la raifin miméf -r
MaiSfjdit l'und^ctuf^ n^usfomtMS teMit deêois^
i b»
478 Tableau
n Ei U kûfitrà noms pu f M ttus^ je pemfim
— — « D^Mceord ; mais pUtis ub$ fçU 9
I» Oa admit U frUmim^affi.
n Lêttmff ^ ^fûfii a qnCafitUM kàfiitd,
- M F'oiiséics vtnus un-fu. uufJL, '
Vils Eekelomg , mppnM^ à vus taire u»
Omtré éâ cêMfimtrt fi^U -àe fiupfomwit pas,
: Un mUfopHi sOwin ^mpitra et Nàelh
Et U^fj^'éiVSr^iêt , "^ .
^ÇkMgUttitmtgif&fiUt'U futHll€M~
C nA ? I T R Ç Ç CCXX IX-
i Sages du mande.
X^es (âges du mofidr ont encore deux
langues , comme ils ont^dcux viûges. Un
grand feigneiir ^ d'aiUeuAs honnétfr^difoità
jU)n fils , vous êtes un imprudent. «-^ Qu'ai- je
donc fait ? lui demapEula-4>iL -^^ Rappeliez-
vous le propos que vous^ dntes hîef . — Eh
quoi y Moniieur y cVft le t\iénie que je Yous
tins a. vous-même la (eavwe dpixdere : il
me femble que yous fi^pprouv^tesi -r- Sans
doute , reprit le pérè,.nQiiç.êtiQns.feuIsi^lors ;
& d'ailleurs^ Thomme dont vous me par-
liez n'ctoit pas en place.
DE Paris.
479
;j 1
C H API TR E CCCL.
Apologie des Gens de lettres.
< .-*>
Xja. calomnie grdfnte Vefi fii^tout atupb^
aii^^os d(& Ipttres ; on le^ a- peinte coa^me
pehi^b&teifrs.dQ^ empiras , parce <}u-ils refont
iRiontros 1^ ennemis dfrs abus & les pro-
tçâ^euis dp Ja,iib^«îé.-pubIîqUefH:Q«iH»lif idée
uctle ne leur di>iH3n p^fi JDe «quelle ^abym^
4'cireMrs &4e mtférablfs ii^réjugés.n'omH^
pas fait fortir les adminiftrateurs des nations l
Qtt^eofiNlgnent-ys yfi ce n^eft Taniour de, l'hu*
manité^ ^s droitô. de rhbmme & du citoyen î
Quelle queâion impcnrtante à la feciétë n'ono-
ik pas* examinée ^.diébattue, iixée ? Si le de£»
pptirme.s*êft civilifê, fi les fouverains ont
conmleiicé à redouter la voix des nations,
Ji reTpeâer ce tritxjnal i^préiure ^.c'eft à la
plume des écrivains qu^ffon doit ce fteiii
nouveau!, inconnu. Quelle inîqiuoé miniiîë;-
rielle ou foyaie pounoit (è flatter âUJourd!h»i
de paflèr ihipun^mcnt X 8ç; |la rgloire.des rpis
n'attend-ellê pa&li-fan^n 4u pliilolbphe^
11 eft pbihir ce fans pt(i0àace , maisil met en
mouvement le en de la caiieh univerfelle* Vus
de près , ils font un petit nombre de citoyens
épars^ gcmiilàn^ Ùxt ks i^if^t^eui^^ .de Iç^j:
^8o T A B L Ë A cr
patrie 8c fur ceux du genre humain , mais le
fius (buvent enreio^f^ dans imé- Jt&ta î^
rile , ou du moins dont les effets (ont fi lents,
'fi impertepâbles , iqa)dlax)técipitatioii d'efpnt
eft tentée quelcpefois de les rëvo5|uer en
doute, • . ■
Tandis que Penvie , la méchanceté y Pign^
9ance les attaquent , fls méprifent'des aoits qui
dcnvem moUu: , pshrcte «ue û&Èi ne contrebas»
lanbê k reinomniée ùnivè^tie.^La -fapéAo^
-tité de leur raiibnieur motltveles («nrages
'Ûes lionihies férfiiUes né» & k naître; &
•9s placent la récompenfè de leurs travaux
^ns Famélioràtion' des prdje,ts pour le biea
^cSt-oh Sone trop honotar ce^îiommes
I ^i ét-endent nos lumiereis , qui établiflent le
xode moral des nations 8c les vertus-civiles
-de^ particuliers ? Un poëme ^ un drame y un
*' iBBWii , UBT ouvrage qiii peint vivement la
^vwtii , modèle le leâeur, faite qu^il s'en ap-
'perçoîvef,. fur leç perfonnages vertueux qui
'àgiflènt ; ils intéreflènt , 8c fauteur a per-
■fuadé la mwale fans en parler. Il ne s eft
point enfoncé tlaris des difcuffions fouvent
^hes 8c fatigantes. Pat Part d'nft travail
<naché, ilnous a préfemé certaines qualités
'àe Patne ' revêtues de ces images qui les
font adopter. Il nous fait aimer ces aâions
généteùfes ; '6c Phômmé qui réfifte aux
iéâexions , qui s'aigrit par les leçons dog-
4uatiques^
HE Paris; 481
matîques , chérît le pinceau naïf & pur qui
met à profit la fenfibilitédu cœur humain,
pour lui enfeigner ce que l'intérêt perfon-
nel & farouche repouffe ordinairement.
L'auteur fe fait écouter par le plaifir ; & les
préceptes de la plus aullere morale fe trou-
vant établis fans qu'on ait découvert le bue
de l'écrivain : PcSora moUefcunt.
Montaigne dit qu^ il fait bon naître en un
fiecle dépravé; car, par comparaifon ^onejl
ejihné vertueux à bon marché. Monuigne a
tort en ce point. Dans un pareil (iecle, oa
ne croit pas k la. vertu , on ne jouit pas de la
fienne. On donne aux aâions les plus coura-
geufes des motifs bas & lâches ; on ravit à
rhomme fon honneur ; on ne lui fait pas gré
de fon dévouement. La pervcrfité générale
fait voir tous les hommes de la même cou-
leur. On ne diftingue que les hommes
adroits & les malheureux.
CHAPITRE CCCLL
Querelles littéraires.
V^aandon veut rabaiffèr les gens de let«^
très , on parle de leurs querelles vives & quel-
quefois fcandaleufes. Il efl vrai que , dans leuts
débats, ils femblent peu éclairés far leurs vé«
Tome IL X '
48i Tableau
litablcs intérêts , & qu'ils aîguifent Pun con-
tre l'autre des armes redoutables qu'ils de-
vroient détourner contre leurs ennemis.
Il fcroit temps qu'ils y fongeaflcnt. Ceux-
ci feroient bien foibles alors ; & fans ces di-
visons déplorables , la littérature auroit un
poids ma}eftueux qui opprimeroit fes adver-
faires. Il y auroit p3us de véritable gloire pour
eux de fe montrer indifférents à de petites
attaques , que de déployer une fenfîhilité qui
dégénère en clameurs puériles : les plus pe-
tits , étant toujours les plus orgueilleux , font
ordinairement erand bruit pour une légère
piquure faite à leur amour-propre ; mais les
hommes de lettres célèbres , ou fè vengent
une fois pour n'y plus revenir 9 ou , ce qui
eft bien plus fage, dédaignent à jamais
Pinjure. Elle tornbe dés qu^on la méprijc^
dit Tacite.
Après tout, on ne peut reprocher aux
gens de lettres que ce qu'on peut reprocher
à tous les corps connus, aux avocats, aux
médecins , aux peintres , &c> Souvent, pour
un intérêt très-médiocre, les' particuliers
réputés les plus fages fe plaident à toute ou-
trance , en viennent aux outrages les plus
fanglants \ & lorfque notre adverfaire en
littérature voudra anéantir fous le tranchant
du ridicule le fruit de nos veilles & de nos
études '5 on exigera une modération extrême ;
on voudra le ^eâacle d'un combat froid ,
B E Paris. 483
polî, rçfervé, tandis que nous fommes atta-
qués dans la partie la plus fenfîble de nous-
mêmes. Eh ! voyez feulement une dit'pute
xlans la converiàtion \ il ne s^agit que d'un
objet indifférent , apperçu d'une manière dif-
férente : quel jchoc d'idées ! quelle chaleur
- y mettent les deux partis ! comme Pironîe
& le farcafme fe croifent ! Et lorique Ton
^viendra taxer nos produâions avec mépris,
^u'on nous accufera d'avoir mal lu , mal mé-
dité , mal écrit , il faudra garder le fang-froîd
4jue tout le monde perd dans les plus lége-
ses difcuffions ! N eft-ce pas aufli trop exi-
ger de ceux que Pon reconnoît généralement
pour avoir un plus haut degré de fenlibUité
xjne les autres hommes ?
Mais en condamnant les débats des gens
iie lettres , le public fait Thj^pocrite ; il y
trouve trop bien fon compte , il devient
fpeâateur d une guerre ridicule , qui Pamufe
fort. Le public en gros eft malin , indolent,
a Pefprît très-avide de Êtyres ; difpofitions
favorables pour écouter tous les fàrcafmes
que doivent s'envoyer réciproquement les
combattants. Le public ne donne- t-il point
h palme au plus rude jouteur , à celui qui
lance avec le plus d'adrefle & de véhémence
les traits les plus prompts & ks mieux acé-
rés ? Ne dît- on pas, la Harpe a. bien mordu
Clément f & Clément a bien mordu la Har^
pe ? N'a -t- on pas eu le plaifir de voir It
X2. '
i|g4 T A B L E A ir
r oap de dem Ettécdre pocté & leiuki ? N'eft-
jon pas indcœ (or k profoodeor tefycGâve de
)a, bleffine ? Ne les ]iige-t-on pas aune force
^ pea pfès égale, dignes iféne ceints 4ia mé-
jne kmrkr , & de condnaer le journal pouc
^eroùveller le ^peâaclc 9 à la fàdsfadion de
jTan^lmliëatie ?
r^ms les converiânons , on Uâme les au-
teurs , pour fe donner un ton de digmté &
ùe décence : maïs on court à la feuille ù^
tyriqoe qui eft dans Panti -chambre ; on y
rhercbe bien yîte Fendroit où Ton fiippofe
x]ue répfgramme qu'on attend &ra burinée.
Si elle n*eft pas incîGye ; G , oubliant (bu
^el accoutumé , le journatifte a été foible ce
jour -la, on dit, en hauflànt les épaules:
// n'y a run de piquant dans et numcro.
Et la malignité infàriable du ledeur , qui va
toujours piêchant la cor corde, ne trouvant
point à le fatisfaire , il jette la feuille arec
dédain , & dit : Si cela continue , je ncfouf-
frirai pliLS.
Faut-ii dire le mot a la portion majeure
4u public ? S'il n'y avoit point de reuùurs^
U ny auroit point de voleurs ^ comme dît
}e proverbe. Si le public en gros n etoit pas
enclin à protéger tout pç qui rabaillè les ta-
lents connus , les auteurs vivroient fans fe
faire la guerre. Ccft donc le public qui eft
refponfable des excès auxquels ils fe livrent ,
puifqu'ii foudoie JU troupç des journaliftes ^
DE Paris* 48:$.
puitju'il les encourage a fe déchirer entr'eux ^
& ils ne répondent (jiie trop , depuis quel-
ques années , à cette outragjeufe attente. Ja--
niais le mépris des bienféances n'a été poulîe-
fi loin , & la critique elt devenue fi dure , fî^
pédantefque , qu'elle a man^c l'efïeL qu elle
fè propofoit.
Ces petites & mutiles querelles*, que la-
jaloufie 8c l'efprit de parti font naître entrer
petits écrivains qui prentvent chacun de leur
côté un ton avantageux , font auffi ridicales-
que honteufes ^ car il s'agit le plus fou--
vent de rimes , d'hémiitiches, d*un mot dé--
placé, &c. Plus la caufe eft frivole , plus^achar-^
nement eft impitoyable. Le peu d'impor--
tance des objets ne peut manquer de livrer
à- la dérifion les agrelïèurs & les répondants^,
qui s'enflamment comme fi tout ctoit. ren-
veric..
Ma foi f juge & plaideurs ^ il faudrait tout' HeK
Mais on prêchera vainement les poètes à.
cet égard ; ils deviennent emportés , ma-
niaques, dans leurs, bruyantes difputes f.ir la
tournure plus ou moins élégante d'un vers,
fur la prééminence d'une tragédie de Racine ,
fur le goût ; mot qu'ils citent fans celle , 6c-
dont ils n'ont pas le plus fouvent la moindre
idée. J'ai, entendu làrdeffùs des débats vrai-
ment incroyables \ & les gens fenfés m!ac-
cuferoîexit ici d'avoir controuvé à plaifir ces-
X3
^86 Tableau
fcenes ridicules, fi je rendoîs au naturel le
dialogue des aâeurs. Ceft en fortant de ces
rixes extravagantes , qu'ils écrivent ces feuil-
les où Ton eft furpris de voir tant de mots
& fi peu d'idées.
Il eft vrai que le public , occupé de tant
d'autres événements , n'apperçoit qu'a travers
un nuage les matières littéraires ; il n'a pas
toute la connoiflànce poflible des objets»
Son incapacité s'accommode des brufque-
ries \ & fa pareflè le mettant hors d'état de
porter un arrêt exaâ & motivé , il veut
quelqu'un ( dût -il en être trompé ) qui le
décide , & qui lui foumiilè périodiquement
une petite fentence meurtrière. Car cpi'y a*
t-il de plus trifte que d'entendre Péloge d*Uft
contemporain? S'il faut louer quelque cho(è
à Paiîs, ce ne doit être que par communî*
cation , par frénéfie , par efprit de parti ; &
tout ce qui n'efl pas divin ^ comme l'a dit
Helvétîus , devient détcftablc. Il faut , dans
certaines cotteries, être tout-k-la-fois frondeur
& enthoufiafte , & paflèr rapidement k ces.
deux extrémités , pour favoir bien juger les
hommes & les livres.
On prétend qu'une ville îmmenfe comme
Paris a un befoin journalier de petites fatyres ,
pour repaître (on inquiétude & fon agitation
perpétuelle ; & celui-là avoit bien raifon ,
qui a dit le premier ^ qu'w/ze bonne injure
eft toujours mieux reçue ù* retenue juun
î
D E P A JL I s. 487
bon raifbnnement. Voilk h théorie àxxjour^
futlipnc tracée en deux mots.
Quand un b^n livre paroit ^ & que les
gens de bon fens attendent de Pâvoîr lu &
médité pour le juger, les fots crient d'abord ^^
crient long - temps , & barbouillent du pa-
pier. Voyez comme.on a falué l'arrivée de
tEfpfit des loix , dé V Emile, &c.
Heureux les gens de lettres qui ne con»-
noiflènt point cette déplorable guerre lOw
eut l'éviter, quand on veille avec foîu fur
on amour-propre î car le combat naît tou^
jours d'un jelprit trop orgueilleux de fes idées ^
& qui veut les faire recevoir defpotiquement.
On contredit pour humilier autrui , ou pour
iàtîsfaîre une humeur fecrete , bien plus que
pour s'éclairer. L'aigreur ne tarde pas k couler
de la plume , même, à notre infu ; & lorC-
qu'on a eu le malheur de porter quelques
coups y on devient rerinemi de celui qu'on^
a frappé. L'agreflèur pardonne toujours plus
difficilement que celui qui a reçu la hleflureu
X 4.
4S8 T A B L s A U
C H A P I T R E CCCLIL
Belles - Lettres^
X-iCur trône eft à Paris. Ceux qui les cul-
tivent furabondent : maïs comme Tétude d»
la vraie politique eft prelqu'interdîte en France^
▼u qu^eÛe n*a aucune iffiie pour fe manifcfter
en liberté, & que les autres connoiflànces
qui appartiennent à ITuftoire naturelle ou k
la chymie demandent un grand loIGr & de
Ja fol tune, les efprits ft font mieux accom-
modés de la culture des belles -lettres. Le
pauvre peut fe livrer à leurs charmes at-
trayants ainfi que le riche. Voilà leiu: avan-
tage. Elles cmbraflênt d'ailleurs tout ce qui
eft du reflbrt de l'imagination ^ & ce cbamp
eft îmmenfe , on y voyage à peu de frais.
L'ame fenfible , lefprit délicat peuvent éga-
lement fe fatisfaire dans la ledure des poètes ,
des romanciers , des hiftoriens. Ceft ce qui
donnera toujours aux belles-lettres une foule
d*amateurs que n'auront point les fcîenccs
exaûes qui , outre une certaine fécherefle ,
exigent des avances, & n'offrent pas tout-
à-coup de pareilles jouiflànces. Les lettres
trompent l'ennui , la folitude , l'infortune \
amufent tous les âges , rempliflènt tous les
D E P A R I s. 489
hiftants \ & Ctceron , quoîqn'homme d'état ,
en a fait un^ éloge qui a toujours les grâces
de la nouveauté , parce qu'il a été générale--
ment fenti dans tous les-fiecles.
Qui croiroit , au premier coup-d^ϔl , que^
les découvertes, les inventions utiles , les arts
méçhaniques , les meilleure fy^émes politî-v
ques dépendent de la culture des^belles-lettres?
Elles uiit toujours précédé les fciences pro-^
fondes ; elles ont décoré leur fur face , 8c c'eft
par cet artifice ingénieux que- la nation lef
a adoptées , puis chéries. Tout eft du reSbrt
de rimagination & du fentiment \ même
les chofes qui en femblent le plus éloignées."
Il fuffit quelquefois de faire poindre l'aurore
des lettres dans une contrée barbare , pour
lui donner bientôt les arjts folide» &-lesin-^
ventions hardies.
Cet enchaînement eft de fait cheztoutef
les nations , & la vraie raifon n*en eft pzi
clairement démontrée , finon que l'homme*
•commence par fentir, 8c que y dès qu'il
fent , il ne tarde pas k raifonner fes fen«
fations. Le monde moral reflèmble peutétre
au monde phyfique , où les fleurs- précèdent
conftamment les fruits : & voila drcjuoi ré^
concilier les farouches ennemis dès grâces
avec les légers feâateurs de la brillatue lit-
térature;
C'cft donc de cette première împulGon
que dépendent les bonnes loix. Il femble
490 Tableau
cju'il faille néceflTairenient commencer par
les paroles, pour arriver enfuite aux idées;.
& l'on peut remarquer que tout établifle-
ment a eu primitivement l'empreinte de l'a-
gréable 8c du beau. Seroit-ce une marche
confiante de la nature ? Aîiifi l'enfance de
l'homme eft gracieufe & riante , & l'âge
mûr eft utile. Ainfi tous les arts fe montrent
d'abord fous une fuperiicie brillante , & par-
lent k la fenfibilîté de l'homme bien avant
4e former fa raifon.
Mais quiconque fait obferver la marche
de l'efprit humain , voit qu'infenfiblement
tous les genres d'écrire s'appliquent k la mo»
raie politique. Ceft le grand intérêt de lliom*
^ me & des nations. Les écrivains tendent à
ce but utile. La morale n'eft ni trifte , ni
facheufe , ni fombre ; on peut întéreflèr ^
limufer , plaire , tout en inftruifant. Les et
prîts vraiment folides , les âmes vigoureufi»
ne dédaignent point ce qui peut diftribuer
la fcîence , en la parant des couleurs de l'i-
magination. Une pièce de théâtre , fut - ce
même un opéra comique, peut devenir un
peu moins frivole , & paroltre encore plus
attachanie. C'tfi V office des gens de bien ,
dit Montaigne , de peindre la vertu la plus
belle qiù Je puijfe.
Lorfque quelqu'un a fait un livre de po^
liîîqne ou de morale, fur- le -champ on lui
répète le refrein accouaimc : Trayaux ini'^
D E ' P A R I S; ». ^^t
puijpants ! Peines perdues i Les moturs ne
changent point. Les abus feront toujours
les /mêmes. Rien ne peut rompre leur im^
pidfion établie ; tes hommes Jeront toujours
ce qu* ils font; les chefs^ des nations , ce qu'ils
ont été. Cela eft bientôt dit ; maisJ^expérience^.
vient démentir vifîblcment cett^ aflèraon, ,
Depuis trente ans. feulement , il s^éft fait
une grande 8c importante revolorion dans
nos. idées4 L'opmion publique a 'aujourd'hui
en .Europe une force prépondérante , à Ia-<
quelle on ne r^îftepas rjainfî, en eftîmanc
le progrès des . lumières & le changement
qu'elles doivent e^anter , i) eft permis d'ef-.
pérer qu'elles apporteront au monde le plus
grand bien^ 6c que les tyrans de toute ef>
pece frénoiront devant ce cri univerfel qui
retentit 8c fe prolonge pour remplir 8c éveil-
fer j^Europe,
C^eft par le moyen des lettres 6c des éi
vains que les idées (aines , depuis trente ans ,
ont parcouru avec rapidité toutes les pro-
vinces, de la France y qu'il s\ eft formé
d'excellents efprits dans la magUtrature, Tous
les citoyens éclairés agiflènt aujourd'hui pre(^
que dans le noeme fens. lies idées nouvelles
ont circulé fans e&rt; tout ce qui eft relatif
à rinftruâîon eft adopté courageufement.
li'efprit d'bbfervation enfin , cjui Ce rvpand
de toutes parts , nous promet les jTiên>f&,
X4 .
492^ T A B L E A 17
avaiîtages dont jouîflênt qi^ Iqnes^ins de noi
liaireiu voifins.
Les écmzËDs ont répandu des tréfbrs re-
ntables , en nous donnant des idées piqs fàî-
fies , plus douces j en nous infpirant les ver-
tus ùtaics & indu^entes. qui forment 8c
embelliflènt h fociété. Les extcndmrs crt
morale ont paru ne point connoître Fhon>
me & irriter fes paflions., au lieu de ks-
rendre calmes & modérées- La pente , en*
fin , que les lettres fuîvent depuis quelques
années , deviendra utile à l'humanité ; &
ceux qui ne croient pas à leur falutaire in-^
fluence , font xM des aveugles ou des faypo^
crîtes.
L*înfiaençe des écrivains eflr teGe qu'ils^
peuvent aujourd'hui annoncer leur pouvoir,
& ne point déguifer l'autorité légitime qu'ils
ont fur les efpriis. Affermis fur la balè dej
Pintérct public & de la connoîflànce réejlej
de l'homme, ils dirigeront les idées natia-|
nale« ; les volontés particulières font entn
leurs mains. La morale eft devenue l'étudJ
principale des bons efprits \ la gloire litté-
raire femble deftinée dorénavant à quiconqui
plaidera d'une voix plus ferme tes ihtéréts^j
des nations. Les écrivains , pénétrés de ces.
fbnâions auguftes , feront jâlojLix de rëpon-^
dre à l'importance du dépôt ; & l'on voit
déjà la vérité courageufe s'olancer de tous les
points. 1\ efr à préfumer que cette tendance-
Çéncrak çràdu^ra jme jévalutioa iieoieuftw
ir E Paris. 49J
CHAPITRE CCCLIIL
Les trois Rois.
Jt ans a été vîfité dernièrement par les foa-
verains du nord ; par le roi de Dannemarck ^
à qui Pon donna des fêtes fplendides & coiK
teiifts ; par le roi de Suéde , qui n'étoît que
prince k fon arrivée , qui s'en retourna nior
narque , & qui trama dans cette ville la
fameufe révolution dont il n*a point abufé \
par Pempercur , quf , pour être plus Kbre ,
a logé en hôtel garni , rue de Tournon , 8c
qui a bien vu la capitale , même dans un
aflèz grand détail. L^empereur a revifité Paris,
en 1 78 1 ; mais il n a fait qu'y pafler.
le les ai ccMifidérés tous trois fort attenti-
vement , & je n'oublierai point lexrs phy-
fionomies, car ils tiendront leur place dans
Phiftoire du (îecle.
J^auroîs bien defiré , avec fix cents mille-
autres , y vofr le roi de Prude. On dit ce-
pendant qu'il y cft venu dans le plus grand -
incognito, après kpaix de ij6y Une dame
qui a demeuré huit années à Berlin , m'a.
aflùré avoir rencontré dans les Thuileries:
Biie figure fî* reflèmblante à celle dû héros
djB P£iyope| qu'elle eu fut ûappée \ 8c celui
494 Tableait -
ifktWe re^rdoit avec furprife, en fût fî frap->
pc luî-méme , qu'il détourna la tête & s'é-
loigna.
On prétend que Frédéric a rifité ce café
dît V Antre de Procope , jadis champ de
bataille des querelles littéraires , & où il a
été tant de fois queftion de fes combats , de^
fes viâoires , de fes écrits , de fes négocia-
tions , de {es grandes & rares qualités.
Uempereur a vifité les artiftes , les arti(àns^
les manufaâures, & n'a vu aucun homme
de lettres en particulier ; fans doute parce
qu'ils font tout entiers dans leurs écrits. U a.
afliflé à une féance de l'académie françoife ^
& il a fait cette interrogation au fecrétaire :
Pourquoi Diderot & Vabbé Raynal ne Jont-
ils pas de V académie f Ils ne fi font pas
préjintés , repartit le fecrétaire. Réponfe très-
fage & très- adroite.
J'ai vu Maurice , Fontenelle , Montef-
quîeu , Tabbé Prévôt , Marivaux , Voltaire ,
Jean - Jacques Roufleau , la Condamîne ,
Bufîon , Helvctîus , labbé Raynal , Condil-
lac , Diderot , d'Alembert , Thomas , Ser-
van , Marmontel , le Tourneur , Mably ,
Condorcet , Linguet , Rétif de la Bretonne^
Turgot y Mirabeau , Necker , Rameau ^
Vanloo, Cluck , Vernet , Allcgraîn , Rouelr
le , Vaucanfon , Jaquet Droz , Servandoni ^
Claîraut , Falconnet , Franklin , Kodney y
Hume 5 Sterne , Goldoni , HaUer , Bou-
DE P A H I S« -^ 49^
net ^ &c. Voîlk , je croîs , une aflez belle gêné-
ration. Hélas ! je n'ai point vu Frédéric : je
n'ai point vu Catherine , ce grand monar-
que , moi qui aime tant à contempler parmi
les contemporains les êtres qui ont fait de
grandes chofes , parce que je cherche à re-
connoître dans les traits de leur vifàgf^ quel-
que niiarque de ce talent fublime qui les dil*
tingue.
Quand j'appris la mort du célèbre capi-
taine Cuok , après avoir donné les plus vi&
regrets k fa perte , mon chagrin fut de ne
pas avoir envifàgé ce hardi navigateur.
Que ne donnerois - je pas au magicien ^
s'il exiftoît, qui évoqueroît tout-àçoup devant
moi les ombres auguftcs de Charlemagne ,
de Guftave ^ de Cromwel , de Michel- Ange ,
àe Guife , de Sixte -Quint ^ d'Elifabeth , de
Bacon , de Calvin (i) , de Galilée , dé New*
ton , de Shakefpear , de Richelieu , de Tu-
renne , du Czar , du lord Chatam , &c !
Que j'aime k me fentir petit, en m'en-
vironnant en idée de tous ces grands hom-
me$, & en goûtant le plaifir de les admirer !
Ames fortes & grandes, quelle dignité vous
prêtez k l'homme !
(i) Ce réformateur qui fait & fera époque ,
ètoit un prédicateur infatigable. Il a prononcé
deux mille ^ingt-trôis fermons, qui font autant
èe pièces différentes. On Us roii & on les coo^
ferve dans la bibliothèque de Genève.
49^^ T A B L E A ir
CHAPITRE CCCLIV..
De ^Influence de la Capitale JiiP Us:
Provinces.,
xLUe •(! trop conddérable , relativement It'
rinftuence politique , pour qu'on puiflê en
détailler les effets. Je ne prétends la con&
dérer ici , que par l'attrait qui féduit tant
de jeunes têtes, & qui leur repréfente Paris
comme l'àfyle de la liberté , des plaifîrs &.
des jouiflànces les plus exquifes.
Q\xt ces jeunes gens font détrompés y
quand ils font fur les lieux ! Autrefois les
routes entre la capitale & les prorinces n'é-
toient ni ouvertes ni battues. Chaque ville
retenoit la génération de fes enfants , qui
▼ivoienr dans les murs qui- les avoient vu
naître , & qui prétoient un appui a la vieil-
leflè de leurs parents : aujourd'hui le jeune
homme vend la portion de fon héritage ,
ppur venit la dépenfer loin de l'œil de fa
famille j il la pompe , la deflèche , pour brit
Icr un inftant dans le féjour de la licence.
La jeune fille foupire & gémît de ne pou-
voir accompagner fon frère.. Elle acçufe fon
fexe & la nature. Elle Ce déplaît dans la
niaifoxi paternelle. Elle fç peint avec feu ks
DE Paris. 497
plaîfirs de la capitale , 8c 1^ fplendeur de
la cour. Elle y rêve toute la nuit. Elle voit
Tapera ; elle eft fur les remparts , elle fe
promené dans un char fuperbe : on Fadore j
tous les yeux font fixés fur elle.
On lui a dit que toutes les femmes y
reçoivent un culte perpétuel ; qu'il ne faut
que de la beauté pour y être adorée ; qu'elles
choîfiflènt à leur gré dans la foule de leurs
efclaves le plus feit pour leur plaire; que
les maris y font ridicules , fi-tôt qu'ils veu-
lent parler de leur empire. Elle compare cette
rie libre & voluptueufe k celle qu'elle mené
dans Téconomîe d'une maifon rangée , &
fon imagination eft trop ardente pour pou-
voir s'arrêter : elle n'accorde plus que de i'ef-
time à fon amant honnête.
Sa mère la nourrît dans ces trompeufès
îHufions. Elle eft avide des nouvelles de cette
ville. Elle eft la première k dire avec excla-
mation : Il vient de Paris ! il arrive de la
cour! Elle ne trouve plus autour d'elle ni
grâces , ni efprît , ni opulence.
Les adolefcents écoutant ces récits, fé fi-
gurent avec des traits exagérés ce que Tex-
périence doit cruellement démentir un jour;^
ils ne tardent pas k obéir a cette maladie
générale , qui précipite toute la jeunefle de
province vers fabyme de corruption. Heu-
reux encore celui qui ne perd qu'une partie
de (à fortune , 8c qui apprend a être fkge
498 Tableau
pour le refte de fos jours ! Il n'appartiem
qu'a Findigence abfolue & au génie tranf-
cendant de vifker cette capitale. Ceux qui
vivent dans une heureufè médiocrité, tant
du côté des talents que du côté de la fortune,
ne (auroient qu'y perdre.
'T^^eux qui reviennent dans leur patrie fe
croient en droit d'y méprifer tout ce qui n'eft
pas^felon les z^f de la capitale. Us mentent
aux autres 8c à eux-mêmes. Sont - ils obliges
intérieurement de rabattre des idées qu'ils
s'étoient formées ? ils continuent à crier mi-
racle y (ans que leur cœur foit de la panie.
Us enflent les relations de Paris , qui reflèm-
bleut aflèz aux defcriptions des fêtes publi-
(]ues : ceux qui les lifent les trouvent tou«
jours plus belles que ceux qui les . ont vues.
CHAPITRE CCCLV.
« Que diyunira Paris ?
X hebes ^ Tyr , Perfépolis , Carthage , PaU
myrc ne font plus. Ces villes qui s'eîevoient
fièrement fiir le globe , dont la grandeur y,
la puiflance & la folîdité fembloîent pro*
mettre une durée prefque éternelle , ont
laifle équivoques les traces, même du. lieià
qu'elles ont occupé^u
p E Paris. 499
D'autres cités jadis fiorîflântes & peuplées
n'offrent aujourd'hui , dans un effrayant dé-
fert , que quelques colonnes éparfes y quel-
ques monuments brifés ^ trifle refte de leur
magnificence padëe. Hélas ! les grandes vil-
les modernes éprouveront un jour la même
révolution.
Cette rivière utilement reflèrrée dans des
quais majeflueux & formés de pierres , en-
combrée par des débris îmmenfes , fe dé-^
bordera , & formera des étangs bourbeux
& infeâs; les ruines des édifices bouche-
ront ces rues alignées au cordeau; & dans
ces places où un peuple nombreux s'agite,
les animaux venimeux, enfants de la putré*
fadion , ramperont autour des colonnes ren-
verfées & à moitié enfevelîes.
Efl-ce la guerre, eft-ce la pefte, eftce la
famine , eft - ce un tremblement de terre ,
eft-ce une inondation , eft-ce un incendie ,
eft-ce une révolution politique qui anéantira
cette fuperbe ville ? Ou plutôt plufieurs eau-
fes réunies opéreront- elles cette valtc deir
truâîon (i) ?
(i) AgézilasVvalnqueur de la Phrygiie » dta Itt
habits aux prifenniets , & les expola nuds ea
vente , Us vêtements d'un côté , les hommes de*
Fautre. Perfonne ne voulut acheter les hommes
trop efféminés , trop délicats pour être de boiif
efdaves. On fe jeta fur les dépouilles. Agéailai^
500 Tableau
Elle eft inévitable fous h maîn lente &
terrible des fiecles, qui iTiîne les empires
les mieux afFermis , cfi&ce les villes & les
royaumes, 8c appelle des peuples nouveaux
fur la poufliere éteinte de peuples anciens.
Notons , a toute aventure , pour les fiecles
reculés ( ce que tout le monde fait ) que Pa-:
ris eft fous le loe degré de longitude , &
au 48c degré 50 minutes 10 fécondes de
latitude feptçntrionale.
Echappez , mon livre , échappes^ aux nam*
mes ou aux barbares ; dites aux générations
futures ce que Paris a été ; dites que J'ar.
rempli mon devoir de citoyen., que je n'ai
paspafle fbusfilence les poifons fecrets oui
donnent aux cités les agitations de la mala-
die , & bientôt les convulfions de la mort..
Quand l'épouvantable opulence qui fe con-
centre de plus en plus dans un* plus petit nom-
bre de mains aura donné à l'inégalité des
fortunes une difproportion plus effrayante
encore, alors ce grand corps ne pourra plus
fe foutenir : il s'afeiflèra fur lui-même ,r &
périra.
Il périra ! Dieu ! ah ! quand le fol cou-
yrira infenfiblement fes débris , que le bled
élevant la voix , dir à Tes foldats : Foilâ les hom-
mes que vous aurcT^ à combattre^ & le butin qui
vous récompenfera. Quand je lis ce trait hiftori*
que , il me fait toujours frémir.
B E P A H I S. 501
droîtra au lieu élevé où j'écris , qu'il ne ref-
tera plus qu'un mémoire confufe du royau-
me 8c de la capitale ; l'indrument du cul-
tivateur <, en fendant la terre, viendra heur-
ter peut-être la tête de la ftatue cqueftre de
Louis XV ; les antiquaires aflèmbiés feront
des raifonnemenfs à l'infini , comme nous
en faifons aujourd'hui fur les débris de Pal-
myre.
Mais de quel étonnement ne fera pas
frappée la génération d'alors , fi la curiofité
la porte k {cuiller les débris de cette grande
ville enfevclle & dccédée ? Son fquélette gî-
gantefque épouvantera les regard , les tra-
vaux exciteront à de nouveaux travaux : nos
neveux, en trouvant nos marbres , nos -bron-
zes , nos médailles , nos infcrîptions , s'agi-
teront fiir ce que nous avons été ; & fi mon
livre fiirvit a Ja deftruûîon , ils prendront
peut-être pour un roman fantaftique les vé-
rités qui y font dépofées : tant leurs mœurs
& leurs idées feront différentes des nôtres !
O villes ^mciennes de l'Afie , & qui n'êtes
plus ! empires effacés \ générations dont les
noms nous font même inconnus i fameux
Adantes ! & vous peuples qui avez refpirc
fur ce globe , dont la fuperficie ett inceflàm-
ment déplacée ; dites quels étoient vos arts !
Faut-il que tout périflc ? Et les travaux accu-
mulés de l'homme , qu'il a cru Tmnx)rtalifer
par la précieufe découverte de l'imprimerie ,
501 Tableau
périront-ils à la fin , puîfque le feu , le def-
podûne , les fecouflès du globe & la barba*
rie détniiiènt jufqu'aux feuilles légères où
ibnt empreintes les penfëes utiles du génie >
Notre vue plonge dans le mcoide hiâori^
•que à quatre mille ans, pas davantage : en-
core rfappercevons-nous de ce monde que
des fommités qu^environnent des nuages^
& où la vue fe perd. Tous ces faits éloignés^
quoique féparés par de grandes diftances,
le touchent comme très - voifins ; & dans
cet intervalle de fîecles une foule prodigieufè
d'événements nous échappent. Il en fera de
même pour nous; l'avenir engloutira les
&its les plus importants , pour ne laiflèr que
le fouvenir ou le nom des fiecles. O temps!
les individus , les villes, les royaumes, tout
finit par tùc jacet.
Herculanum & Pompéîa , villes détruites
par une fcule & même éruption du Véfuve,
il y a près de dix-fept cents ans , exhumées
de nos jours, nous montrent leurs peintu-
res, leurs fculptures, leurs arts, les uftenfiles
de leurs foyers domeftiques *, & nous avons
une idée de fimagination féconde & de
Phabileté des anciens arriftes. La lave, les
cendres, la pierre -ponce ont confcrvé ces
monuments comme pour nous offir une
future image de ce que, nos cités devien-
dront k leur tour ; mais peut-on réfléchir k
cette cataftrophe fans redouter Jes accidents
DE Paris, 503
de la nature , la fureur des éléments , celle
des conquérants , plus terrible encore î Qu'of-
frirons-nous dans deux mille ans aux re-
gards curieux & fcrutateurs ? Quelle eft la
itatiie , quel eft le livre qui fiimagera (iir
l'abyme dé nos arts engloutis ou rcnverfés
par les ravages du temps, ou par le cour-
roux des rois?
La poudre infernale ( dont les magaGns
fe font multipliés fur - tout en Europe , &
auxquels une étincelle fiiffit pour tout dé*
Torer ) ne devient-elle pas , dans les mains
de Tambition ou de la vengeance , un moyen
immenfe de deftrudion, & plus dangereux
mille fois que les marieres embrafées que
les volcans vomiflènt de leur iilépuifable cra-
tère ? Les fléaux de la nature ne font plus
rien en comparaifon de ceux que Phomme,
à créés pour fa ruine & celle des popukufes
cités qu'il habite.
Les manufcrits trouvés dans les maîfons
d'Herculanum & dePompéia, qui fe dé-
roulent fi lentement, manifeftent les carac-
tères de la langue grecque : mais c'eft le
hafard qui nous a livré Pun plutôt que Tauc*
tre : ainh dans trois mille ans , quel fera
l'ouvrage deftiné à donner à nos defcendants
une i^e de nos connoiftànces morales 8c
phyfiques ? Quel Kvre aura Phonneur de
rallumer le flambeau éteint des fciences?
Tel diâionnaire , peut -«tre , (pie noua mé-
Ç04 Tableau
prifons aujourd'hui , (èra accueilli avec tranf-
port; & une de nos compilations que nous
jugeons fatHdieufes ^ deviendra plus précicu-
fe fans doute à la poftcrité que les vers de
Corneille , de Racine , de Boileau & de
Voltaire- Oui , il appartiendra peut-«tie k
une brochure dédaignée , de fixer de préfé-
rence l'attention de ces peuples nouveaux.
Que nos orgueilleux éaivains ne s'arro-
gent donc pas le droit de mëprifèr quicoiH
que aujourd'hui tient la plume comme eux;
car Fauteur qui fera fortune dans trois miDe
ans ^ ^ui dominera les efprits d'alors, qui les
éclairera , nul de la génération aâuelle ne
peut ni le nommer ni le deviner.
Paris détruit ! Xercès , après avoir atten-
tivement confidéré la prodigieufe «mée qu'il
conimandôit, verfa des larmes en fbngeant
qu'avant peu tant de milliers d'hommes dif-
paroîtroîent de deffiis la terre. Et ne puis-je
pas aufFi , afFeâé du même fentiment , pleu-
rer d'avance fur cette (uperbe ville ?
On a vu en un clin-d'œil une capîule
enfevelîe fous fes ruines; quarante-cinq mille
perfonnes frappées d'un coup de mort ; la
fortune de deux cents mille fujets détruite;
une perte générale de deux milliards : quel
tableau des vîciffitudes des chofes humai-
nes ! Ce phénomène terrible arriva le premier
Novembre 17$$.
£h bien , ce coup de foudre qui abyma
tout,
© E P A R «I S. ^OÇ
tout , ùiMYSi le Portugal aux yeux de la po-
iitkjue : il étoit conquis fans ce défafire qui
{)rêta à la réfonnatîon , mit une égalité aux
brtunes particulières , réunit lesjcœurs &
les elprics, & détourna les révolutions qui
le menaçoient.
Confidérée ducôtéphyfiqae , ^Fancîenne
Lîfbonne n'itoît qu'unexîté d' Afîique , c'eft-
â-dire , une.vaftebeurgade , Tans ordre , fans
proportions : les rues étoient étroites &c niai
diftrîbuées* Le tremblement abattit en trois
minutes. ce que la main timide des hommes
suroît été fi long-temps à renverfen Le
goût déplorable des Maures tomba , & la
avilie fe releva pompeufe & fiiperbe.
Que i^vons-nous fur x:e qui fort du (éîn
des défaftres ? Que lavons -^nous ?-.... .^
Taris détruit. Oh ! je dirai toujours comme
dans Memnon : ce fera bien dommage.
C H A PI T RE CCCLVI-
SuppofitioTU
Je vais faire une (iippofîtion qu'on ^^elletai
.certainement bizarre , forcenée , extrava-
gante ; mais j'ai mes raifons pour ne pas
Ta paflèr fous tilence. Si tous les ordres de
.rétat aflèmblés , ayantreconou après un mûc
Tome IL X
.^o6 T A B L B A U
< examen que la capitale ^uifc le royaume,
dépeuple les <:ampagnes, retient loin d'elles
les grands propriétaires , ruine Fagriculture^
.trdcheune multitude de bandits Scd'artifàQS
inutiles , corrompt les moeurs de proche
- ^n prochç , recule l'époque ^un gouverne-
ment fbrmidaWe à î'étnjitiger plus libre &
yAas heureux; fi tous les ordres de l'état ,
dis-je , tout vu & confîdéré , ordonnoient
tjn'on mît le feu aux quatre coins de Paris ^
/ ^près avoir préalablement averti les habitants
tme année d'avaâce . . • • quel feroit le ré-
sultat de ce grand (acrifice fajt k la patrie
î8c aux générations futures ? Seroit-ce là en
^etun&rvice rendu aux provinces & an
royaume? Je vous lalfiè à examiner 8c ï
-^décider cet intéref&fit problême , leâeur ;
& notez bien que dans cet embrafement Je
. comprends VerfaîHes, qui n'eft qu'un appen-
dice de la monftrucufe ville ; car Verfailles
n'exifte que par Paris , comme Paris fem-
ble n'exiftcr que pour Verfailles,
Allons , cvêrtuez-vous , mon cher leâeur,
je ne vous dirai pas mon mot aujourd'hui ;
]e m'en donnerai bien de garde : avec de
bons yeux , tels que les vôtres , on vdt
des chofès que d'auties n'ont point vues ,
^ qu'ils ont mal vues , ce qui revient au
même*
Et vous , mes chers Parifiens , confen-
mez-vous k être biûlé$ , j'entends feulement
B E P A ». î S. 507
VOS maîfons & vos édifices ? Maïs ne fâchant
pas combien je vovis chéris , vous me con-
.damnez moi-même au bûcher , fur cette
fimple fuppQfition. . •> ADons , appeliez tous
les féaux , toutes les pompes de la ville ,
pou» éteindre ce furieux incendie : il n'y a
plus (que de la fumée. Bon ! vous voilà (urs
de vos maifons k huit étages. Mangeons
du pain de Goneflè , comme par le pafle ^
^ vogHc hi gàUr/^!
^>^^
m
CHAPITRE CCCLVII.
'Riponfè au Courier de V Europe*
è G)urîer de FEurope , dans (à feuille da
3 JnîBet 1781 , a donné l'analyfe de la pre-
mière édition de cet Ouvrage en ces termes ^
que je vais copier. Ueihaie que j'ea fais
m'oblige à y répondre.
^ » M y a plus de çhojes qui nous font
peur , qu'ii n'y ,e/i a qui nous font mal ,
difbit u^ .ancien ; c*eft Séheque , n je ne me
trompe. Cette maxime très- vraie eft appli-
cable (iir-tout aux gens doués d'une grande
fenfibilité.& d'une imagination très-vive (i) ;
i*«M*l
(1) C^' fteidtés excluent-elies une.vue droite.
Jcrjufte ? ,
ço8 T A « I. £ A U
tout eft extrême pour eux ; il n'y a ni petits
maux , ni petits abus. Un auteur vient de
publier un livre intitulé : Tableau de Paris.
Ce tableau n'en^eft point dq^pt le portrait ,
5arceque tous.les traits en (bnt^xagérés (i).
^'out ce qn'oot dit les prédicateurs , .depuis
Je. capucin qui prêche dans un village, jut
gu'à l'orateur qui parle devant le roi , tout
ce^'ont écrit les moraliftes icontre le luxe,
les mauvaifes moeurs, Fabus des richeflès &
la vanité des grandeurs , n'approche pas de
l^e^que dit cet auteur dans iès deux volumes.
On ne fait d'abord fi Ton en doit rire, ou H
l'on ^doit s'en fâcher {i) '^ car. jamais pço*
phete n'a reproché à I&acl Tes iniquités avec
plus d'énergie , de .zèle &.d'JiQmeur «.
» Ce n'cft pourtant point un libelle (3)^
i:'eft l'ouvrage d'un. citoyen fenfible & cou-
rageux , que -de petites confidératiQns n'ac-
rêtçnt point ; il. a voulu voir ce^ueperfonnc
(i) Je ne le crois pas ; j'en appelle à ceux qui
auront bien exaniiné fobjet , Sf, avec la même
attention que j'y ai apportée.
(1) Tout. comme le critique voudra ; je me fuis
attaché à être fidèle ; je n'ai voulu ni flatter «
fïï blefTer; & il étoit dii(Ecile,de marcher Jong-
temps fur ce pont étroit.
(3) Le critique me fait bien 3e la grâce ! Vous
qui m*avezlu, dites, cet ouvrage peut-il réveil^
^ 1er le moins du monde l'idée de .ce mot odieux
de lihU</ Pourc^Hoi l'avoir employé ? U Qie {^(^
i>^ E Pari si^ fo^
ne contenïple ; il a fixé fes yeux {br des ob-
jets dont tout le monde détourne fes regardi
autant qu'i! le peut. Il a obfervé la plus vile
populace de la Halle , dans les prifons, dan$
lés hôpkaux ^ à Bicêtre (i) , jafques dans fon
cimetière de Clamart. En pénétrant danfi
ces cloaques de rhumanité, il a va des maux;
des crimes , des (ituations horribles, donc
hors de li on n'a point d'idée , & qu'on ne
trouve point dans les autres livres (i) î> par-
ce que peu d'hommes ont la force néceflaire
pour aller chercher dé fi trîftes inftruâions;
II a conclu que l'inégalité des biens pro<»
duifoit tous ces maux (2) : &c il s'eft életé
avec une violence terrible contre les riches"^
contre leur dureté , oonae leur vie fcanda^-
leufe. Enfin , il termine foh ouvrage pat
oonfeiller. de bnMer Paris (4). On croit que-
> .
(i) Je n^aî dît qu'un mot fur Brcètre ; mais
j'en parlerai dans un des volumes fuivants.
(a) Voilà un éloge qui me touche beaucoup^*
& que Je m'empreflerai -à mériter encore.
(3) Oui , l'horrible inégalité. Quel homme y'
auroit réfléchi & ne feroit* pas dé mon avis î
(4) Je n*ai point confeillé de brûler Paris';^
voyez le chapitre Suppofition. L'auteur n'a point •
fu me lire , ou plutânt n*a pas voulu m'entendre.
Le titre feul du chapitre indique iiiiê hypothefe.
I^urquoi me prêter une idée que je n'ai pas eue f ^
Non, je n'ai point rêvé en traçant cet ou vragçr-
Blât i Dieu que ce fût* un r£ve l • *
510 Tableau
c^eft un rêve. Paris ne pourroit (bbfifier
oûnze jours, s'il étoit tel qu'il eft dépeinu
CTcfl ce ^ fent le leôeor : ainfi tour l'e&t
qu a voulu produire Fauteur eft décruit. Sans
doute tout homme eft né pour mourir &
IbuSrir y au hameau comme fur le tzone ^
mais par-tout où la fouffrance prédomine ,
la deltruâion s^enfuît : c'eû ce qpi a &it dire
à prefque tous les philofophes que l'accroiC*
ièment de la population étoit la preuve du
bonheur d'un peuple. Ce livre qui manqua
de plan , de méthode (i) , reflèmble du
moins à Paris par les côntradidions qu'il
jcnferme. Souvent il détruit dans ua en^
droit ce qu'il avance aiUeurs (x) «r»
» Après avoir déclamé contre les richeffi»
avec la chaleur d'Un théologien dans un char
pitre , il dit dans un autre : Les aumônes
qui fi font à Paris Jbnt abondantes. Si la^
tnajfe des calamités particulières efl dimi-^
nuée , nous le devons à une foule dames ce'
lejtes qui fi cachent pour faire h bien. Le
(i) Cela ne pouvoît être autrement. Que les
idées foient juÂes , voilà l'efTentiel.
(2) Les mots peuvent quelquefois fe contre*
dire, mais jamais les chofes. En opposant deur
phrafes ifolées « répandues dans un ouvrage de
longue haleine 9 il n'y a point d'auteur qu'on ne
fît tomber en contradiâion. Remettez ces phra-
tes à leur place , elles confervem leur logique..
\
D E P A R I S^ Çlt
yicc, ta folie Çf t orgueil fc montrent en
triomphe : la tendre commifération , la gé^^
rtérofité^ la vertu fi dérobent à tœil di^
vulgaire pour firvir Vhumamti enjilence^
fansfafie &fans ojientation , Jafi^faijtesdii
regard de l'Eternel «.
» Cela eftvrai, jufte 8c bien exprima;
maïs que deviennent toutes les déclamation^
antécédentes (i) ? Dans vingt chapitres,
il parle des femmes comnie fi P^mn'éto|t
qu'un lieu de prolUtution , où la pudeur & û
décence n ofent plus fe mon trier (i) & dai;»
un autre , U èjt néanmoins , dit-il , une claffe
de femmes très'refpeclable's yceft celles du
fécond ordre de là bourgeoijie ^ attachées à
(i) Une déclamation efi un défaut de fiyle ; mais .
on peut déclamer pour le vrai comme pour îé^,
faux. Te n'ai point nié qu'il n'y eût dies aipé»
cl^airitaUes ; cela empècke-c-il que ks amé^ Aim^-*
res & înfenCbfes nefpiefi^ et} dIus grac^l; nom?
bre 5 & que la mifere ne foit h p^fta^e, 4f la .
moitié de la ville ^
(2) Voilà une iniage & des exâteflions ^u« ,
je n'ai point employées. J'ai- répété avec 'coAl*
plaifance que les. mœurs fe rencontroient dans v
£1 bourgeoifie ; j^'ai pu fans cohtradiâion enlufte
peindre le vice qui va tète levée; & pkis le
Icandale eft grana ^ pliis mes pinceaux ont. dû <
s'arrêter fur une dépravation qui n'eft plus|:ni
timide, ni voilée : peindre des contraAîes n'«ft. i
point fe contredire. Les critiques tricMiphcilt; v
trop avec, ces tappcociiements fautifs.
I
\
^X Ta BLE A- u*
Uurs maris & à leurs enfants ^Jbigruuftr,
économes , attentives à leurs maijbns ; elles
jffflrent le modelé de lajagejfc & du travail
Mais ces femmes nr ont point de fbrtimt,
cherchent à en amaffer , Jbnt peu brillan^
tes , encore moins inj}ruites ; on ne lés ap-
perçoit pas -, & cependant elles Jfvnt à Ptf-
ris Vhonneur de leur fixe v.
Cela eft encore vrai; mais cette ch!è
da fécond ordre de la bouigeoîfiè compofe
prefque les deux tiers des habitants de Paris.
Le fevere cenfeur u*a donc déployé tant d'é-
nergie que contre les grands qui ne Fécoa-
ceipnt pas (i) , & la pogahce qui- iie Pen*-
tendra point, &-^dcSuïï n^ a"^neïr*î«fpé*
rcr. L^t^ents fortent. prefque tous de a
&çeft0$ daflè quîla encore des . moeun ^
ronftlV&fa toujours» MtdldVflïUs au*
:a, difoit Horace. Dès ce tems-rlà^ comme
Kjourd'hui, cet état étoit prefque le fèul qui
ciind^vertus & dû bonheur «j^Jîrr:^^
» Ceqnrin'u le plus liiuiilTfTc'éïrqu'em-
portépar fonzele, cet auteur ait donné le.dé*
menti le plus fôrmçl (i) à -M. dcjBuffbn,
1
(i) Qtt'en favez vous ^ A tout hafard ne faut-
il pas leur offrir les images & les penfëes qui
peuvent faire îoipreflion fur leur ame foperbe?
ir t: P A vc vs. 513^
a^abW d'Expilli, à M. Moheau, à tous
ceux qui ont calculé la population du royaiumô ^
& celle de Paris. Tous s'accordent k ne don-
ner que fîx cents foîxante-dîx ou huit cents*
mille habitants k P^m : & ces deux derniers ^
aflîirenr qi|e la population du royaume a
aHgmente de deux millions d'ames au moins >
fous le règne de Louis XV. Ces trois hom-
mes véritablemenr^hilofophes ne déclament
f)oint; ils toifent, ils calculent. Ils ont fait :
. e cens public , le cadàftre du royaume , au-^ -
tant qufil eft poflible de le faire ; ils s'ac- -
cordent tous trois, fans s'être communiqué
leur ouvrage , à dire qu'il n'y a jamais eu i
autantde terrein défiîché en France qu'il y
en a aujourd'hui ; que les marais dé l'Aunis
& de la Flandre , une partie des landes de ^
Bordeaux ont été changés de nos jours en pâ«
turages^ ou -^eii terres à bled ; qu'on a planté
des vignes fur lesrochers de la Provence abfo-
liânent'ilériles il y a cinquante ans (i) \ mais
comme ilTCUt que nous foyons pauvres & -
malheureux,queParis dévore Je f oyaume (i), ,
vaÎHS. Paîpu obferver moins bien qu'eux ; mais •
j'ai obfervé & calculé à ma manière. Je réponds *
plus bas à cette critique , la feule qui porte fur '
des faîits. •
(i) Tout ceci eft fort étranger au nombre dei :
habitants de Paris*, qui forme ici te vrai point de •
laqueftion.
(lY- Non le royaume^, en: entier ^ mais ce' qui^'
Y5.
514 Tableau
fàixnns qutm devant j il faut Imii démendj
les caxuls de ces hommes avants & vendi-
sses^ 8c fîihfiîntcrlesaroerçus d'une hnaffna-
tioQ eiakée à la juftefik <f iBie aritfamétiqpe
i^ouicufê. C^ écrivain <pii CQiifiûife de bciÛ^
Farts^ GO cfen faire on port de mer^ car
3 propolê (ecieu(èment fun & Fautre (i^ ^
nous perntemoit-ii de bû concilier de brûler
foD OTie (x) , djoter du refte quelques
cxagqnancms & cpelques dédamatîons \ &
alors ce livre, écrit avec la coUe Uberté ^li
convient aux dé£en(èurs de rhumanité, tu>iw
feilement (èra un chef-d'œuvre dephilo{i^)hîe
& d'élo^ience ; mak il méritera d'être adret
£ à tous les uibufiaux , «£a que les magis-
trats bien inftruss s'emprcfËnt de comga:
ks énormes abus contre lefquek cet auteur
s'élève avec un fî noble courage : abus qu'où
doit d'autant mieux efpérer de corriger, que
ki-méme il convient qu'on en a mpprimé
l^ifîeurs depuis qu'il a commencé fon ou-
vrage, c'ell-à-dîre , depuis que Louis XVT
eft Cil le trône « (3).
Pen^ironne à quarante Keues de circonférences
loteTogci les provinces voliines , & écoutez ce
qu'elles vous répondront.
(i) Le critiqi:^ fe trompe d'un côté ; qu'il aie
rdife pour s'en convaincre.
(2) Au lieu de le brûler. Je l'ai triplé; cela
reviendra peut-être au même.
(3) Dans cette Bouvdle édition ^ je me
DE P A R 15-^ ^I^r
Comme la princîpak objedion du criti-
que tombe fur ce que j'ai eiiflé la popula-i-
tion de Paris en la portant à neaf cents mille
âmes , je ne répondrai avec un peu d'éteîï:^
due qu'à cette feule réprimande,^ non que
pè dédaigne les au»?es , mais parce que je puis .
examiner celle-ci (ans qu'elle tende un piège j
à mon ana^our-propi-e.. ,
Les rechercjbes fur la populatiofi as là *
France, par M. Moheau, peuvent être appli- .
cables k la population en général ; mais elles ,
ne faur oient l'être à la capitale vp-irce que .-
les cauiè^ morales l'emportent ici fur las , ^
cau&s phyfiques. La comparai£pn,du notur^
bjre des morts à. celui des naiflànces ne fuffit
pas; l'affluence des étrangejps forme une
cladè d'habitants qui, pour ainfî dire, ne
naifïènt ni ne meurent ; les provinces feules
y verfent une foule de. voyageurs ppi ae
font que paflèc, & qui fe renouvellent farts
cefle. Une fête publique attire quelquefois citH
quante millt étrangers. Paris compte aujoujr->
d'hui beaucoup plus d'habitaaats K^'il a'en
••-■«—^♦■t^— ifi-*iWi_
encore étendu fur les étabUilèments utiles» 9c
î^âi pai4é des abus qui ont été corrigés : cela plai*-
ioît trop à mon ame, pour paiTer ces amélio-
rations fous filence. fe remercie le critique çh^n
avoir fait k remarque, ë*cultant plus qii^îl a été
le (euk Sa ceniure (hûlleurs »'a rien d'ftmef » &;.
f
comptolt ily a foixante- ans. . Les calaikTiir
la durée de la vie^, qui Serrent de bafè aux
Spéculations en ce genre , font -erronés 'quand I
il ^agit de Paris. Tous Jes enfants qui-y-naif* j
fent vont en nourriee-, la moifié meurent , j
& les regiftres mortuaires des paroifles
de la . ville ne font pas chargés de ^ leuis : S
noms ^ il ne faut donc, plus* ccMnpter pdt
le regiftre des baptêmes , ni parcekii des>
morts.
On croît moins aufourd'buî aux médecins^
^ lès apothicaires feiuimnt ; on ne court pW, .
comme autrefois , aux poifbns multipliés de
leurs boutiques meurtrières ^ ik k font cky^
miftes , pour que leut confcience ne leur re-
proche pas de participer à la mortâe-leus
concitoyens ; ils jugent eux-mêmes les m^
decîns qui n'ofent plus étaler avec la même^^
hardieflè leurs funeftes fyftêmes. La bîen-
&ifknte chymie a Gmplifié les remèdes ; il
n'y a plus que quelques chirurgiens de Saint-
C6me , vieux & ignares, qui commandent
encore ces (àignées ^opieufes , ces horribles
breuvages compliqués , la honte de la mé-
decine & de la pharmacie, que nos pères
avaloient , malgré la i-épugnance invincible
de la nature. Enfin , le nombre des morts eft
diminué même dans les hôpitaux. .
Cet ouvrage ne comporte pas des calculs;
mais Je puis avoir les miens, fondés, non
fur la fimple appercevance ^ mais Gxc les bât
D^F Par r s; 517^
tlnients nouveaux , fur les quartiers plus peu-
Éés , fur les limites de la ville reculées , fur
foule des rentiers qui font venus .jouir k> t
Paris*.
D'ailleurs ^ à quel point précii bomera-t^tr
là circonférence de la capitale ? Le Gros^
Caillou, Càaillot, h Nouvelle^France^ la*:
Courtillc^ le Pctit^GcntiUy^Vaugirard, tcc: .
n'appartiennent-ils pas inconteftablement à laf ^
trande ville , puifque les maifons fe touchent ^^ ,
c qu'il' n'y a plus; d'interruption î
Je perhfte donc, malgré le Courier de^
l'Europe ^ ^ donner neuf cents mille âmes à «
la. ville de Paris, julqu'àxe^qu'il m'aîtpcouvé
le contraire : & je lui^ certifie que jai fait
pkifieurs recherches qu'il n'a pas &i tes pour "
approcher .le plus près poflîble de la vérités
Si. l'on veut compter les gros bourgs^juî ^
flanquent la capitale & qui y envoient jour-^
nellement ^es hommes qui n'y demeurent -
que quelques ^ours, mais qui Je. renouvellent
înceflamment, quelle immenfe-pûipulation !
Je le répète^, il ne faut que des. yeux pour
en reconnoitre l'étendue.
On m'a accufé enfin d'avoir exagéré les
mîferes publiques ; j'ofe répondre que fat
retenu quelqucHfbis mon piiiceau ^ afih de ne
pas paroître outré. Voici ce qu^on lit dans
le Journal de Paris , qui a un cenféur poin-
tilleux , & qui eft fcMimis à^ la plus lévere
ini^eâion Se jrevifîon.
51& T A F L E A U
» Une femnie chargée d^enfànts , & ié«
n duice à la plus affireme mifere , écrivit k
n M. le curé de Sainte-Marguerite : Uya.
9 deux jours que je Jîiis fins pain ; mes
» enfants meurent de faim , & je n*ai
» pas la force daUtr me jetter à vos pieds
» pour implorer votre pitié* Ce re(peâar-
» oie pafteur vole au fecours de cette fa-
» mille infortunée. Au milieu des viiàges
» pales & défigurés par le befoin ^ il apper*
» çoit un en&nc de ^atre ar^ étendu fiir
» le carreau ^ adrefiànt k ùl mère ces pa-
» rôles déchirantes : Maman , je vais donc
» manger ma chaifi ! « Journal de Fans y
ixx Mardi 14. Janvier 1777 (i).
Cette infortunée reçut de nombreux fe-
cours ;^ mais elle n^étoit pas la milUenie
peut-être dans le cas de la plus horrible:
nécefllté*
O toi, riche, qui auras lu ce livre, fi une
feule idée t'a plu ; fi dans cet ouvrage , 00
dans mes autres écrits , je t'ai donné la plus
légère inftruûion , ou le plus léger plaifir \ fi
(i) Je pourrols^ d*^siprès les papiers publia
& des lettres particulières , faire frémir les in-
crédules 9 fi î'imprimois ici les détails qui font
parvenus k ma conhoiâanee ; mais j'en ai ezp<h
lé le réfultat dans cet ouvrage , & j'attefte (nit
je a'ai riea donné à rexagérati/oiv
DE Paris. 519
ton efprît ou ton cœur ont éprouve quel-
q.u'émodQO ; ^ ^ nion débiteur , & j'ai
droit à ta reconnoiflânce ! Veux - tu t'ac-
quttter envers moi d'une manière qui re«
compenfe toutes mes veilles ? Donne de ton
fuperflu au premier être fouf&ant , ou gé-
miflànt , que tu rencontreras ; donne à mon
compatriote en fongeant k moî \ penfe que
plus tu donneras, plus tu te feras de bien
a toi-même ; donne afin que je me félicite
d'avoir été dans ce monde l'ôccadon de
quelque bonne œuvre ^ & que ce don cha-
ritable foit l'unique éloge accordé à moa
travail»
Fia du Tome féconde
6
TABLE
DES CHAPITRES.
\^KAV.CCVLProjcureur^.HmJ[iers.F. b
Ch ap. ce VII. LaBa^che. &
Chap. CCVIII.. Comédiens. ^
Ckaf.CCîX. SpeSacles gratis. ijy
Chap. CCX. Langage du Maître au Co--
cher. i6<
GhaPw,CCXI, Difcours prononté à là Co^
médie Françoifi à la rentrée de ce SpeC'^-
taché 17
Ghap. CCXIh Battements de mains., lo,
Chap.; CCXIILTA^o/r^ Bourgeois, zx
Chap. . CCI V. . CoUfée. x^
GHAPi CCX V,. Foire Saint-Germain^ xf
Chap*- CCXVL. Comédiens Italiens. 30^
Chap, CQyMYL. SpeâacUs des Boule-
yards. ^ 3;l
Chap. CCXVIII^ZeâSire^., 33.
Chap» CÇX\yi..Prétçursà, la petiu Se^
maine. 37V
Chap, CCX X, Charlatans^ 41»
Chap.,CCXXI. Verfificateurs. . 4c
ChaP- CCXXIL. Calembours. 49
CiiAP. CÇXXJII.Fez^x d'artifice. 50
Chap. CCkxiV, Mefes. $ 5.
Chap. -CCXX,V. . Meji de la Pie. . 5 9
[t
f xz Table.
Chap. CCXXVI. La Féte-D'utu 6i
CHAf . CXDCX\nQ. Conf^nnaL 64
CbAP. CCXXVni. Billets de Canfcfjion.
Chap. CCXXDC. Saint-Jofiplu 68
Chap. CCXXX. Frottants. 6^
Chap. CCXXXI. I3erté JUUgui^e, 71
Chap. CCXXXII. FlAéiens. 74
Chap. CCXXXffl. Capitation, 77
Chap. CCXXXIV. FUUs d'Opéra. 81
Chap. CCXXXV. Bêpugnancc pour te
Mariage, 83
Chap. CCXXXVT. Le. Nom fut vous
raudre^ 84
Chap. CCXXXVn. De certain» ¥401-
fntSm 00
Chap. CCXXXVin. Filles pubUqius. 87
Chap. CCXXXIX. Courtijdnncs. 95
ChaP. CCXL. FiUcs entretenues. 96
Chap. CCXLI. Le Payfan pervertu Par.
M* Retîf de la Bretonne. 97
Chap. CCXUI. Bal de rOpéra. loo
Chap. CCXLIIL Sans Titre. 103
CliK¥.CCSlA\. Les petits Chiens. 105
Chap. CCXLV. Su^Jance» 107
Chap. CCXLVI. Vente de FEau. 108
Chap. CCXLVII. Les DemoifiUes. 1 1 2
Chap. CCXL VIII» Galanterie. iiç
Chap. CCXLIX. Des Femmes. 118
Chap. CCL. Cacarde. 123
Chap. CCLI, Séparations.. 114
Table: 51J
Çhay. CfCLlL ContraJIe^ ii$
ChaP- CCLIIL Les Vapeurs.. 1 17
Chap. CCXIV* Ifc Vldolc de Paris , U
JolL
Chap. CCLV» Les Convois.
Chap. CCLVI. D'un Pauvre.
Chap. CCLVIL Aux Riches.
Chap. CCLVIIL Suicide.
Chat.CCUX. Filets de SairU-Clout
Chap. CGLX, Capitalipes.
Chap. CCLXLV Hôtel des Fermes. 156
Chap. CCLXII. Mont de PUtL i $ 8
Chap- CCLXIII. Monopole. 161
Chap. CCLXIV, Le Regrat. . r6j
Chap. CCLXV^ Falfificatïons. 1 67
€h A p. CCLX VL Mendiants. 1 68
Chap^ CCLX VII. Mendiants valides. 1 71
Chap. CCLXVHL Nicejfîtemr. 174
Chap. C.CLXIX. V Hôtel-Dieu. 176
Chap. CCLXX Clamart. rSr
CHAPXCLXXI.Xe^JB/2^zJî/5 rr<M/ydy, 183,
Chap. CCLXXIL Lourie royah de
France. « 188
Chap. CCLXXIII^Xe Chapitre êquivo^
que. 10 1
Chap. CCLXXIV. Mes Regrets & bien
fiiperflus^ 29 7
Chap. CGLXXV. Souhait. 198
Chap. CCLXXVIJ^^w-Por/^ 201
Chap. CCLXXVII. Les Prifons. 20Ç
CRki^.CClXXV\ïl.Sentencedemort. 108
f x^ Table.
Ghap, CCLXXIX. Le Bourreau^ iix.
Ghaf. CCLXXX. Place de Grève. 214 •
Ch AP. CCLXXXI- Servante mal pendue,
220
Ghaf. CCLXXXH. BaftiUe. iij
Chap. CCLXXXIII. Anecdote. n6
Chap, CCl^XlOaY.Maifonsdejhrce. 230
Ghap. CCLXXXV. Dépôts ou Raijtr^
merles^. 231
Ghap. CCLXXX VI- Vie dTun Homim
en place.. 235
Ghap.CCLXXXVII. Orateurs facrés.%^0
Ghap. CCLXXXVIII. Anti-Anglois. 2^^
Ghap. CQI^XXILIX. V Académie Frare^yf
Çoifi. 121'»''^
Chap. CCXC* Sur le mot X^oût. 228
ChA'B.CCXCî^ L'Académie des Infcrip^
tiens & Belles-^Lettrés. 229
Ghap. CCXCII. Communautés. 232
Chap. CCXCIII. Agréminijles. 234
CïiA¥. CCXCiy.Epingliers.Cloutiôrs. 23^
Ghap. CCXCV..Ge/2e de la Prejfe. 236
Ghap. CCXCVL La petite Poffe. 139
Ghap. CCXC^nL Débiteurs., %4i
Chap. CCXCVIII. Objcaions. 270
CHAP.CCXCIX.^miz/iacA Royal, xy^
Ghap. CCC Mercure de France. ij^
Ghap. CCCl. .Auteurs nés à Paris. 28^
Çhap. CCCII. Porte- faix. 201
Ghap. CCCIîL Melons. 298
GHAP..CCCiy.i7i:&^ nubiles. 295-
Ta b l e. 5^3
Chab- CCCV- Les Vifitts. 302.
Chap- CGC VI. Retraite. 304.
Chap.CCCVII. Les Affiches. 306
Chab, CCCVIIL Tableaux , Dejfins ,
EJiampes ,&cc 310
Chap. CCCIX. Encan, 313
Chap, CCCX. Chapeaux. 3 1 ^
Chap. CCCXL Naces. 3 20
Chap- CCCKÏl, Mariage. Adultère. 31^
Chap- CCCXIII. Petits Formats. 3 31
Chap, CCCXIV. Maîtres Ecrivains. 334
Chap. CCCXV- De l'ancienne Compagnie
des Œuvresfortes. 3 3 Ô
Chap. CCCX VI. Portes Cocheres. 341
Cha?, CCCXVn. Le Suijfe de la rut
aux Qurs^ 344.
Chap. CCCXVaiI. Savoyards. 34^
Chap. CCCXIX. Enfants devant leur
père. 349
jChap. CCCXX. De la Langue du Monde.
Chap. CGCXXI. Ton .du Monde. 3 $ %
Chap-. CCCXXIL Ton d'un grand Mon^
dct 354
Chap. CCCXXIII. Sots Ufages abolis. 3 $7
Chap. CCCXXIV» Légères Obfervat'ions.
360
Chap- GCCXXV. Pain Âe Pommes de
terte. 3^9
Chap. CCCXXVI. Aumônes. 373
CiiAP. CCCXXVn. La Paroijfe ^Saint-
Sulpicc -5^1
^%6 Table.
Ch AP. CCCXXVIIL V Enfant' Jefus. 379
Chap. CCCXXIX. Bureau des Nourrices
& des Recommandarejfes. 38:^
Çylky .CCCiOOi.. Les Heures du Jour. 384
Chap. CCCXXXI. Bes Dimanches &
Fêtes. 39Z
Chap. CCCXXXIL Carnaval 39$
Chap. CCCXXXllL Tragédies moder-
nes. ^09
Chap* CCCXXXIV* Comédies moder-
nes. 409
Chap. CCCXXXV. Où efi Démocritel
Chap. GCCXXXVL Ponts. 4x1
Chap. CCCXXXVII. Confommation. 4Z4
Chap. CCCXXXYlll. BaUons. 429
Chap. CCCXXXIX. Faux Cheveux. 431
Chap. CCCXL. Foumijfcurs. 43^
Chap. CCCXLL Plâtres neufs. 437
Chap. CCCXLIL Inoculation. 439
Chap. CCCXLIII. Places publiques. ^/^/^
Chap. CCCXLIV. Le Parlement. 448
Chap. CCCXLV. Le Clergé. 45 6
Chap. CCCXLVI. La Galerie de Ver-
failles. ^61
Chap. CCCXLVII. De la Cour. 470
Chap, CCCXLVm Les Extrêmes Je
touchent. 473
Chap. CCCXLIX. Sages du monde. 478
Chap, CCCL» apologie des Gens de let^
très. .47jj
Tablé, ^17
Chap. CCCLL Querelles littéraires. 481
Chap. CCCLII. Belles-Lettres. 488
Chap. CCCLIIL Les trois Rois. 403
Çhap. CCCLIV. De V influence de la Ca-
pitale Jiir les Provinces. 496
Chap. CCCL V* Que deviendra Paris ? 49 g
Chap. CCCLVI. Suppofition. 50$
Chap. CCCLVIL Reponfi au Courier de
V Europe^ 5 07
Fin de la Table du fécond Volume*
.4K
V.