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Full text of "Éternité, avec un avant-propos de l'auteur sur la poésie: avec un avant ..."

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f« 



\ 






i-) 



Et 



ernité 



ADOLPHE LACUZON 



Éternité 



Avec un avant-propos de l'auteur 
SUR LA POÉSIE 



PARIS 
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR 

3^-^I, PASSAGE CHOISBUL, ay}t 






< 















^ PATRI 

SÀPIENTISSIM 
FILIUS MBMOK 
A. L. 



Sur la Poésie 



tE poème qu'on va lire, et dont la 
divulgation fragmentairearencontré, 
dès l'origine, l'accueil et l'assenti- 
ment généreux de précieux amis et de nom- 
breux camarades de lettres, est publié d'abord 
pour ceux-ci. Leur en adressant aujour- 
d'hui l'hommage collectif, je ne saurais 
cacher que ce m'est une façon, peu coura- 
geuse sans doute, de me réclamer encore 
d'eux. Mais, à une époque où tant de fâcheux 
de toutes sortes, voire d'ignorants de bonne 



10 Sur la Poésie 



volonté, ont si bien démontré dans le public 
l'inanité d'écrire en vers, ne pourrais-je 
ainsi me donner l'impression de n'être pas 
complètement seul pour assumer la respon- 
sabilité de cette tentative, peut-être encore 
inopportune, au demeurant simple essai de 
synthèse par la poésie, à l'aboutissement 
duquel ont sûrement collaboré leurs affec- 
tueux suffrages. Malgré cette ingénue fiction, 
une immense mélancolie m'envahit en ache- 
vant ces premières lignes; ce sont des vers 
de Vigny qu'elle vient d'éveiller tout au 
fond de ma mémoire, et je sens bien que 
certaines strophes de la « Bouteille à la mer » 
vont m' obséder longtemps. Pourquoi donc 
les choses résolues, le fussent-elles d'une 
conscience tranquille, s'imprègnent-elles 
toujours de cet air de tristesse et comme de 
remords? C'est pourtant de la vie ardente, 
et fière et forte, que je veux parler ici. 

Ai-je besoin d'ajouter maintenant que le 
poème Eternité n'a pas été composé dans 
le but d'étonner ou de séduire les esthètes 
contemporains par l'étrangeté de sa teneur, 
la fluidité de ses concepts, l'évanescence de 



Sur la Poésie ii 



sa phonétique ou autres subtilités d'un 
aloi douteux. Toute une intellectualité sur 
laquelle il n'y a déjà plus à compter, mais 
dont l'intérêt rétrospectif n'est cependant 
pas à désavouer, s'est épuisée, parmi toutes 
espèces de préoccupations prosodiques, à la 
recherche de ces futilités. Se gaussant des 
façons admises, reniant le passé, récusant 
tous les talents, mais, par ailleurs, s' ingé- 
niant au particularisme et à l'outrance, elle 
aboutit à des proclamations dérisoires. La 
vie normale et saine lui parut abominable ; 
la santé une tare monstrueuse, et l'amour, 
tel qu'il avait été compris jusqu'alors, une 
sentimentalité de jobard. L'exceptionnel 
devint seul digne d'attention, et l'anomalie 
fut de vogue. Pour esbroufFer le bourgeois, 
on affecta des perversités singulières, des 
aberrations sans nom, et quelques-uns, 
des plus impudents ou des plus mystifica- 
teurs, firent de la déchéance morale de Ver- 
laine (dont l'œuvre reste si souvent loin 
d'eux) un critérium de génie, et de cette 
lamentable guenille humaine que le vice 
et la maladie avaient faite de sa personne 
aux derniers temps de son existence, une 



12 Sur la Poésie 



royauté de mauvais lieux. Cette coalition 
pathologique eut des recrues dans tous les 
arts, en peinture notamment, et sur là toile, 
où l'allégorie volontiers macabre ou mys- 
tique extra vaguait dans l'impéritie du des- 
sin, il arriva qu'au lieu de couleur on vit 
de véritables fards en applications variées, 
faisant hurler des paysages atones ou des 
chairs exsangues. 

Ce fut vraiment l'époque des « beautés 
d'hôpital » * et des androgynes au teint 
morbide, des impossibles lys et des nuits 
insomnieuses aux emprises malsaines, du 
sadisme cérébral et des éphèbes au geste 
ambigu, des profils émaciés et des bandeaux 
aux tempes. Le poète d'alors exploitait 



* Sans vouloir davantage faire intervenir ici 
Baudelaire, me permcttrai-je d'ajouter que son 
influence, si tant elle existe vraiment, sur la généra- 
tion qui nous occupe, viendrait moins de son œuvre 
proprement dite que des quelques centaines de pages 
de glose romantique dont reste prisonnière Tédition 
actuelle des Fleurs du MaL Baudelaire, dont Tindi- 
vidualité paradoxale fit si souvent dévier en propos 
anecdotiques les jugements portéssurson talent, avait 
plutôt la nostalgie de la force que le culte de sou 
hystérie. 



Sur la Poésie i} 



sa névropathie avec délices et dans le 
trouble ainsi favorisé de ses aspirations, il 
s'imaginait, de bonne foi peut-être, atteindre 
à des sublimités. En fait, les plus habiles, et 
ceux dont on s'occupa davantage, ne firent 
que broder sur la désuétude de thèmes an- 
ciens d'invraisemblables métaphores, d*une 
complexité déroutante, sinon d'un agré- 
ment de rébus. Tout cela pour ressasser 
pompeusement quelque banalité sur l'infi- 
délité des amantes, la douceur du printemps 
où la chanson des roseaux au bord du 
fleuve. On appela cette manière le symbole. 
Le Pirée, encore une fois, avait été pris 
pour un homme... 

Cependant la réclame était acquise, et l'on 
parlait d'eux. Cette étrange intellectualité 
feignait de ne pas s'en apercevoir, bien 
qu'elle en fût charmée, et, de temps à autre, 
par un factum acerbe et railleur à l'adresse 
de quelque chroniqueur en vue, rappelait 
au public des lettres que les contingences 
de la vie commune ne pouvaient la troubler, 
et qu'elle vivait dans sa Tour d'Ivoire. Il y 
a peu de temps, elle y mourait d'inanition; 



14 Sur la Poésie 



elle avait alors dix ou douze ans d'un pos- 
tulat sans exemple, et, par elle, le snobisme 
en art était lancé. 

Mais cette période est déjà presque de 
l'histoire, et bien que le rappel de certains 
de ses caractères, d'un ordre plutôt psycho- 
logique et moral qu'esthétique, m'ait paru 
d'une indication nécessaire, je jugerais mal- 
séant, poursuivant sur ce ton de chronique 
facile auquel j'ai cédé sans me dissimuler le 
reproche encouru, je jugerais malséant, 
dis-je, et vain, d'en accabler les survi- 
vants robustes, dont quelques-uns, sans 
fausse honte, se sont dégagés superbement. 
Le public est averti d'une réaction profonde 
(laquelle sera suivie d'une autre, bien 
entendu, et d'une autre encore, puisque 
c'est la loi) et la jeunesse est nombreuse 
qui s'apprête à lui affirmer son souci nou- 
veau. Moins irrévérencieuse que son aînée, 
plus studieuse et moins bohème, et virile 
cette fois, elle rie semble pas avoir gardé le 
dénigrement pour principe, et la tradition, 
à plus d'un point de vue, lui reste chère. 

La vie et l'humanité l'exaltent. Les 
grandes causes sociales d'aujourd'hui et de 



Sur la Poésie 15 



tout à l'heure propagent par le monde une 
inquiétude où la vitalité et l'énergie intel- 
lectuelles sont éperdûment sollicitées. Elle 
en a conscience, et, d'ores et déjà, semble 
vouloir répondre à cet appel qui lui vient 
de partout à la fois. Qu'ils parlent donc 
bientôt ceux dont la voix ne sera que de 
pure harmonie, et si le verbe humain doit 
reprendre parmi nous son hégémonie des 
siècles passés, que son évangile soit de 
simplicité et de sincérité ! 

Mais abusés par une telle devise, dont le 
sens apparaît si clair à première vue, ah ! 
combien vont-ils être de poètes nouveaux, 
enthousiastes à se réclamer d'elle, et croyant 
bien la pouvoir mettre en action sans effort ! 
L'affluence pourrait créer la discorde, car, 
après tant de poèmes versifiés pénible- 
ment, suivant un lacis de phrases compli- 
quées, accablées de mots rares autant qu'im- 
propres, l'on pensera qu'il est bien aisé 
d'être simple et sincère, et qu'il suffira d'un 
balbutiement attendri sur la nature, l'amour 
et les hommes pour satisfaire à ce nouvel 
entendement de la poésie. Et l'erreur sera 
grande. 



\ 



i6 Sur ta Poésie 

Il est plus difficile de s'absorber aux pro- 
fondeurs de la pensée et du sentiment pour 
essayer d'en dégager le signe essentiel, que 
d'en travestir et grimer les manifestations 
extérieures, suivant une phraséologie de 
convention. D'ailleurs, pour atteindre à un 
tel résultat, il faut connaître le recueille- 
ment et savoir méditer. Or, cette façon d'être, 
quoi qu'il arrive, sera toujours bien peu 
conciliable avec les préoccupations de tel 
aventureux courtisan de la muse et du succès, 
dont l'impatience trahirait vite la vocation 
artificieuse. Heureusement, la réclame mo- 
derne, au plus fort de son action néfaste, 
dérobe une qualité merveilleuse. C'est que, 
par l'excès même de son zèle et ses innom- 
brables ressources de divulgation, elle est 
impuissante à maintenir longtemps l'illusion 
sur un talent suspect dont chacun s'est 
trouvé à même, comme malgré soi, de cons- 
tater l'insuffisance ou la médiocrité. Démas- 
qué par elle, l'homme du jour s'effondre s'il 
n'est l'homme d'une œuvre. 

Ces remarques faites, la sincérité, dont 
l'affirmation première est l'horreur du 



, 



J 



Sur la Poésie 17 



servilisme, de la palinodie et des concessions 
hypocrites, ne semble plus que la vertu des 
seuls prédestinés. La simplicité qui en dé- 
coule, et tant invoquée, encore que si 
souvent confondue dans l'opinion publique 
avec l'indigence du vocabulaire ou la vul- 
garité de l'expression, n'est donc pas ce 
qu'en pourront penser les mauvais poètes. 
L'œuvre qui doit s'accomplir en son nom 
est d'un labeur plus ardu que la recherche 
de toutes les préciosités littéraires, et ce 
qui est simple ne s'improvisa jamais. L'es- 
prit contemporain est tout à la fièvre, et 
nous prenons souvent pour du travail et de 
l'entreprise ce qui n'est que de l'agitation. 
Un certain automatisme mental dirige nos 
pensées, et notre langage n'est souvent que 
de pur psittacisme. Nos admirations sont 
de commande ou de contagiosité, et nos 
jugements sont tous d'emprunt. L'opinion 
n'est plus ce faisceau d'idées longuement 
recueillies et assemblées dont l'intégrité, 
jalousement gardée, faisait les hommes 
forts; elle flotte au gré des moindres 
influences et s'évanouit d'un souffle : l'on 
s'en moque. 



i8 Sur la Poésie 



Or, cet état de nos mœurs constitue, dans 
le domaine de la Pensée, une ignorance plus 
affreuse que le dénûment dss mentalités 
primitives. Le poète, ou le dénommé tel, 
n'échappe pas à la loi commune; la vie 
émiette ses instants, et comme il doit aller 
vite, iln'aplus le loisir d'attendre l'inspira- 
tion, souvent trop lente à s'annoncer. C'est 
alors que sur des impressions fugaces, dont 
il n'a pu approfondir la nuance, sur de vieux 
schèmes ou de vagues clichés rapportés par 
le flot de ses réminiscences, il festonne, un 
instant favorisé par l'excitation nerveuse, de 
jolies phrases, d'une séduction parfois heu- 
reuse, enchâsse des vocables précieux exhu- 
més d'un lexique oublié, et par l'ensemble, 
comme d'un dernier tour de main, faitsinuer 
le filigrane d'un pseudo-rythme. Peut-être 
est-ce coquet, joli, pimpant, mais ce n'est 
qu'un article, difficiles nugœ^ écrit aux 
frais généraux dcUoutcs les anthologies^ aux 
dépens anonymes de toutes les productions 
courantes ; une fantaisie, aux témérités empi- 
riques, con^ruento i\ jeunes revues, à moins 
que, par bonne fortune ou notoriété du 
si^uiUaire, \ï\ pit*eet(e ne triomphe, en façon 



Sur la Poésie 



de cul-de-lampe, dans un gros périodique, 
ou comme intermède en quelque soirée 
mondaine. 

D'artiste, l'auteur devient artisan. Mais^ 
hélas ! à ce compte, il y a aussi l'art du 
potier, de l'émailleur, de l'orfèvre et du 
couturier. L'art du poète n'est-il pas autre? 
Peut-être, entends-je railler. Il faudrait ce- 
pendant prouver le contraire. 



* * 



L'Art, si j'ose hasarder une définition 
nouvelle, est un mode supérieur d'éprouver, 
et l'artiste est l'inventeur de ce mode. J'ai 
dit inventeur y au sens originel du mot, 
parce que la création n'appartient qu'au 
poète seul dont l'œuvre n'emprunte pas à 
l'art son unique condition d'existence. L'art 
peut s'affirmer suivant des données généra- 
lement acquises, et parfois n'être qu'un 
simple lieu commun, agréablement adorné 
pour le plaisir intellectualisé d'un de nos 
sens ou de plusieurs. La poésie est toujours 
révélatrice ; elle donne un aspect sensible, 
une représentation à la vérité que la science 



20 Sur la Poésie 



et les termes concrets n'ont pu définir. Dès 
lors, elle se trouve être la réalisation de ce 
miracle : l'expression de Vineffable ; elle 
devient le rapport émotionnel qui existe 
entre notre individualité pensante et la Créa- 
tion universelle à laquelle nous prêtons, si 
nous n'y reconnaissons d'emblée l'œuvre 
d'un Dieu, les attributs d'Infini, d'Absolu et 
d'Éternité. La Poésie est immanente à la 
nature, et dès qu'en nous l'état d'âme requis 
se manifeste, la correspondance eurythmique 
s'établit, elle est, Conséquemment toujours, 
la Poésie écrite est cet état d'âme inscrit 
dafis un symbole. Et désormais, tous les 
obscurs problèmes du rêve et de la pensée 
se trouveront résolus dans une immense 
extase de conviction, par cette merveilleuse 
formule d'enchantement, par ces trou- 
blantes paroles d'évangélisation dont les 
rituels ne sont autres que les œuvres de 
génie. Donc encore, la Poésie est cette 
incantation qui, sur les confins extrêmes 
des réalités sensorielles, découvre à l'âme 
humaine son infini nostalgique. Elle est la 
prophétie. 

Mais que les jeunes gens (il y en a de 



Sur la Poésie 2ï 



tous les âges), ne soient ici leurrés : la Poé- 
sie n'est point ce débordement de sentimen- 
talité sans placement dont l'origine remotite 
à l'avènement plus ou moins lointain de 
leurs aptitudes à la tendresse effective. Il 
y a de ces découvertes qui n'apprennent 
rien à personne... 

Suivant les ressources de chaque langue, 
la poésie s'est approprié une prosodie spé- 
ciale dont les règles se modifient suivant 
l'évolution de chacune, mais toujours elle a 
le rythme pour condition absolue. Or, qu'est 
le rythme? Le définir dans son principe 
serait, sans doute, bien malaisé. Les lexico- 
logues et les théoriciens n'en parlent qu'avec 
une incertitude visible, et ne semblent avoir 
voulu l'envisager que sous l'aspect de son 
mécanisme musical. C'est pourtant dans la 
Pensée, et peut-être même en deçà, c'est-à- 
dire dans la subconscience, qu'il a son exis« 
tence profonde, et son extériorisation, par les 
sons, les vocables, la ligne et la couleur, 
n'est qu'un résultat technologique, relevant 
de l'aptitude et de l'effort cultivé. Dans 
l'expression des sentiments humains, dans 



22 Sur la Poésie 



l'expression lyrique notamment (et celle-ci 
n'est pas toujours obligatoirement du 
domaine de la musique et de la littérature), 
il est comme le graphique immatériel des 
motions intérieures qui les ont exaltés. 
D'abord obscure, la pensée s'y ordonne, et 
s'y déploie, et le frisson du monde passe en 
elle. 

Dans l'œuvre du Poète, le rythme est le 
geste de l'âme. 

Mais c'est là le rythme dans sa réalisa- 
tion objective et formelle. Il reste à l'exa- 
miner dans sa propriété essentielle. Je le 
crois, en tant que phénomène subjectif inté- 
ressant les facultés supérieures de l'individu, 
dépendre d'un sens particulier qui existe 
chez la plupart d'entre nous, à des degrés 
fort différents toutefois, et susceptible de 
perfectionnement. Ce sens ne s'ajouterait 
pas en propre aux cinq sens primordiaux, 
mais procéderait de leur ensemble et de 
leurs correspondances, partant de notre 
entité physiologique, de notre organisme, 
dont l'accomplissement est un rythme 
dans le rythme intégral ou accomplis- 
sement universel. Par suite, sa puissance 



Sur la Poésie 2} 



et sa vertu dans la poésie viendraient de ce 
qu'à la lecture mentale, comme à Taudition 
proprement dite, il s'avère immédiatement 
à cette sorte de prénotion que nous en 
avons tous, analogue à celle de la justesse 
des accords, et qu'alors, par ses retours pré- 
vus et attendus, il fixe notre attention, 
devance notre entendement, et semble ainsi 
préparer les voies harmoniques de notre 
intelligence où la compréhension véritable- 
ment affective n'aura plus de difficultés à 
s'établir. 

Le rythme impose en nous des sensa- 
tions générales que le langage ordinaire 
ne parviendrait pas à éveiller. C'est ce 
qui explique qu'à la récitation de cer- 
tains poèmes, des gens d'humbles res- 
sources intellectuelles, et peu familiarisés 
avec la prosodie et même avec la totalité des 
vocables qu'ils entendent, se trouvent, sans 
aucune auto - suggestion, profondément 
émus, d'une émotion aussi pure que celle 
des plus purs lettrés. A vrai dire, il n'y a 
que la conception exclitsivement artistique 
qui requiert un public de connaisseurs préa- 
lablement initiés à toutes les difficultés de 



r 






t. 



if- 






24 Sur la Poésie 



sa réalisation. L'œuvre du poète a plus de 
transcendance. 

Surélevée selon de telles acceptions, la 
Poésie n'apparaît plus comme un jeu d'en- 
fant, répreuve ordinaire du déniaisement 
intellectuel des jeunes hommes de lettres, 
une flânerie de songe-creux, ou l'un de ces 
petits talents de société honorés dans les sa- 
lons du monde où l'on s'ennuie. Non plus 
qu'un métier visant au lucre, elle ne saurait 
rester la pâture des histrions plus ou moins 
déguisés et conscients de la vanité sociale 
à qui la politesse des uns et l'incompétence 
des autres accordent souvent des encourage- 
ments déplorables. 

L'on comprendra mieux pourquoi j'ai 
parlé tout à l'heure de recueillement et de 
méditation. Les répits de l'affairement jour- 
nalier ne suffisent plus à son culte, et de ses 
prêtres, elle réclame une propitiation fer- 
vente, sans cesse entretenue par le com- 
merce des idées hautes et l'influence de la 
solitude. Or, se retirer au désert ou sur la 
montagne ne semble pas toujours prati- 
cable. Heureusement, ce n'est là qu'une 



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l'anirers, et caf i::.u:c- chv"^sc, <v^:vV,i ],; »\,r.Mo 

1 de l'éternité; c'est là qu'il so tï\Muv l.uv 

I à face avec cette Caus«ilit6 toi nii.1,^Mo \\x^\\\ 

le tressaillement le p6nMr<\ ot kI^mU ;Uh \n>o 

science humaine no pnMondv,\ jiUU;u^ \\^ \\y' 

sabuser, mais dont tout {\ Thowio^ on vy\\\ 
, traire, lorsqu'il rodosooiuln^ vot^ ^r^^ ftr-iiM, 

il croira emporter connno Ifi pm«»l»' il«Mni»'»', j 

soudain trannli^tit^^, lllutiihif^ pM) \s\ (mI 1 
! — Oh! nï)n \v.\n Va f»il iTiim i)h*'I"ii)'|h»* 

dévot dWifM* unw \un\\\f^f\\\i \> mH'jK'' mII/zImm, 

main la foi <|Mi h'/i«^, mH^mI'- ^^ n'/'^- M'^m^" 

la foi 'JUJ ;/0<it5 /')' ^/</0'' /^ );< // ''<H'. 1'/ ///^ >/'*^ 



■/ > 



26 Sur la Poésie 



éternelle, celle qui assure la victoire au 
conquérant, et l'enthousiasme des foules 
à l'orateur de génie; la foi qui accomplit 
desv miracles ; la foi qui donne à l'homme 
un point d'appui dans l'infini; la foi qui 
est l'orgueil pur ; qui est la volonté ; la foi 
qui est la force du monde, et qui fit dire à 
Gœthe, dans un superbe aveuglement vis- 
à-vis de nos fins dernières, que si les hommes 
sont morts jusqu'à présent c'est qu'ils l'ont 
bien voulu ! 

Mais n'est-ce pas aller un peu loin ? J'ai 
parlé de la foi pour en revenir au don du 
Poète, vertu mystérieuse dont se réclame si 
fâcheusement l'improvisation, ce témoi- 
gnage immédiat de l'impuissance créatrice. 

Le don du Poète est une condition psy- 
chique supérieure, comme l'héroïsme. 

Son existence ne correspond, chez l'indi- 
vidu, à aucun signe extérieur, et jamais ne 
justifia ces singularités d'attitude auxquelles 
la légende est si complaisante et les farceurs 
si fort enclins. L'homme à qui l'a dévolu le 
destin n'est pas un visionnaire halluciné qui 
butte aux réverbères comme aux arbres de 



Sur la Poésie 27 



la route. Il ne va point par la ville et la cam- 
pagne, une main sur son cœur et les yeux 
au ciel. C'est un être comme chacun de nous, 
et les notions de l'existence sont en lui 
pareilles à celles de tous les mortels. Mais 
s'il est une particularité à laquelle il se 
doive pourtant reconnaître, c'est à sa bonté, 
qui n'est autre que son amour de la vé- 
rité, c'est-à-dire de la sagesse, suivant 
l'acception antique : Soçta. Il n'est pas 
non plus le rêvasseur ignorant, amant de la 
lune, dont parle quelquefois la 'chronique ; 
le chercheur de rimes dont l'ingénuité 
confine à la niaiserie. Homo sum, et nihil 
humani a me alienum putoi C'est à lui, tout 
le premier, qu'il faut appliquer cette devise. 
« Il doit tout savoir, et plus encore, s'écrie 
le bon Banville, car sans une science pro- 
fonde, solide et universelle, c'est en vain 
qu'il chercherait le mot propre et la justesse 
de l'expression !» 

Uaffirmation est sans réplique. Certes, 
c'est dans le savoir et ses spéculations que 
le génie lui-même entretient ses moyens 
d'existence; c'est dans les capitalisations de 



28 Sur la Poésie 



la mémoire et du labeur que le talent a 
ses coefficients occultes. Cependant, devant 
certaines trouvailles qui nous ravissent à 
cause de la lumière dont elles semblent 
encore toutes vibrantes, un étonnement 
persiste en nous, et nous fait attribuer à 
quelque pr émotion surnaturelle un résultat 
auquel tout effort personnel paraît avoir été 
étranger. Inspiration, intuition, cérébration 
inconsciente, don du poète, tels sont les 
mots qui nous servent couramment pour 
exprimer ce phénomène dont l'existence est 
indéniable, et dont il serait vain de vouloir 
rechercher l'essence, attendu que l'on 
aboutirait au problème de la conscience elle- 
même. Mais ce qui surprendra assurément 
ceux que cette constatation n'a pas encore 
frappés, c'est que le savant, l'expérimenta- 
teur, ou le mathématicien n'ont pas d'autre 
secours dans leurs longues recherches. 

Devant la question qu'il s'est proposé 
de résoudre, l'homme de science médite, 
puis, soudam, après des tâtonnements plus 
ou moins lon^s, s'arrête à une conception 
qui, a priori^ lui paraît répondre à la vérité. 



Sur la Poésie 29 



S'autorisant d'elle comme d'un fait acquis, 
il remonte la série des mentalités succes- 
sives par où ladite vérité semble avoir pu 
venir s'imposer à sa conscience, il en établit 
le déterminisme, et, finalement, retombe aux 
termes de son énoncé. Il s'est prouvé à lui- 
même qu'il avait pensé juste. Le poète ne 
fait jamais autre chose. 

D'ailleurs, à réfléchir un peu, il n'en 
saurait qu'être ainsi. Il n'y a pas deux vé- 
rités, l'une scientifique, l'autre philoso- 
phique, religieuse ou littéraire. La vérité est 
une. Et si, jusqu'à présent, les innombra- 
bles aspects sous lesquels elle se révèle à 
nous ne se. peuvent résoudre au delà de 
cette dualité apparente, c'est que la con- 
naissanoe humaine reste encore séparée en 
deux camps d'investigations, dont les doc- 
trines se déclarent volontiers contradic- 
toires. En fait, toute antinomie serait 
absurde ; il n'y a qu'antilogie, et c'est au 
génie des siècles futurs qu'il appartiendra 
sans doute de réconcilier tous les systèmes, 
désormais réduits aux principes d'une 
science unique, embrassant aussi bien le 
cosmos visible que le cosmos spirituel. 



30 Sur la Poésie 



Quoi qu'il en soit — et toute conception 
de la Divinité n'étant que l'affirmation ima- 
gée d'une causalité première — la poésie 
semble devoir, d'ores et déjà, se soustraire 
au conflit en ramenant le problème à une 
simple question de point de départ dans la 
recherche de la condition de l'âme et de 
la conscience. 

L'ancienne croyance spiritualiste, la plus 
ancrée au sein des peuples, en admettant 
l'âme comme indépendante du corps, et 
confiée aux mortels par la Divinité, lui don- 
nait en quelque sorte une origine dans l'in- 
finiment grand ; — la philosophie matéria- 
liste et ses doctrines congénères, en rédui- 
sant la question de l'âme à celle de sa 
propriété fondamentale, la conscience, et 
en attribuant à cette dernière des antécé- 
dents physiologiques, partant moléculaires, 
l'a voulu trouver en rudiments matériels 
dans l'infiniment petit. Or, s'il est admis 
(et cette proposition n'implique aucune 
acceptation de parti) que la matière est divi- 
sible à l'infini, lorsque celle-ci n'est plus 
perceptible au champ d'observation des 
plus puissants microscopes, elle n'en doit 



Sur la Poésie 31 



pas moins exister toujours. Elle n'est plus 
alors pour nous qu'une virtualité^ puis une 
simple conception de notre intelligence, et 
finalement un sentiment qui la restitue à 
J'infiniment grandi. Les deux origines se 
confondent, et le poète y avait toujours 
pensé. 

Mais dans l'état actuel des esprits, les 
solutions ne s'imposent pas avec autant de 
sérénité que dans le cerveau d'un penseur. 
Et la crise morale comme le désarroi social 
d'à présent ne reconnaissent peut-être pas 
d'autre cause, ou tout au moins d'élément 
de dissension plus actif, que cet antago- 
nisme ardent, entretenu et exploité par les 
factions sociologiques, à la faveur de 
l'ignorance populaire, entre la philosophie 
dite moderne, et, à titre général, positive, 
et l'ancienne métaphysique dans ses moda- 
lités diverses et surtout religieuses. L'une 
qui n'entend plus s'occuper de l'âme dans 
ses rapports avec l'inconnaissable, et s'obs- 
tine à ne plus nommer Dieu (même en 
conservant à ce mot son caractère d'image ou 
de repère conceptuel) lorsque le phénomène 
échappe à son expérimentation; — et. 



}2 Sur la Poésie 



l'autre, longtemps sans progrès véritables, 
et que la défaveur a surtout gagnée à cause 
du refuge qu'elle paraît toujours offrir aux 
dogmes surnaturels et aux conceptions 
théistes, considérés par sa rivale comme 
préjugés d'un autre âge et de l'enfance des 
peuples, mais qui, déjà réagissante et 
secouant la désuétude, explorant l'occulte, 
interrogeant et confrontant tous les vieux 
grimoires du miracle, herméneutique, 
gnose ou théurgie, et peu à peu devenue la 
science psychique, semble vouloir retrouver 
partout l'identité créatrice, et l'exalter dans 
un neo-panthéisme radieux, où les décou- 
vertes du camp adverse sont appelées pour 
corroborer ses affirmations, cependant qu'en 
symbole et prophétie, tous les apôtres de la 
pensée humaine y conservent leur antério- 
rité lumineuse, comme les religions toute 
leur beauté! 

Sera-ce à la poésie d'édifier ce temple 
oii les hommes viendraient communier 
dans la croyance universelle? Je ne sais. 
Les Tables de la Loi nouvelle s'ofirent 
toutes blanches. Elle pourrait peut-être y 
écrire des hymnes. 



i 



Sur la Poésie 33 



■I ■»■■»» I. » I 



* 



Maintenant, il me reste à te demander 
pardon, cher lecteur, pour d'aussi longs 
prolégomènes. Par la même occasion, oserai- 
je aller jusqu'à te prier d'en oublier la lettre 
pour l'esprit, car l'ensemble de ces pages, 
dont la part d'actualité n'est pas sans m'at- 
trister un peu, ne doit point, dans ta pen- 
sée, rester solidaire du poème qui les a 
prétextées. L'effort du poète ne commence 
pas avec elles; mais si, par Teffet d'une 
confabulation propice, ton état d'âme est 
bien celui dont j^ai souhaité l'influence et 
la complicité, peut-être m'excuseras-tu plus 
facilement d'avoir voulu couvrir d'un sem- 
blant de rationalisme, ce très simple poème 
de rêve, fait plutôt de souffrance et d'infi- 
nie tendresse, que de combativité. 




Eternité 



J'invoquerai ton nom comme un plus sûr présage. 
Pour éveiller la foi qui gît au cœur des hommes. 
Présage d'humble amour et secret témoignage 
De la communion des croyants que nous sommes. 

je reverrai leurs yeux ennoblis d'une attente. 
Et sur le fond du soir où, tels qu'en mon poème. 
Toi dans mes bras blottie et tout bas sanglotante. 
Je t'offris à la nuit qui nous fut un baptême. 



38 Eternité 



Pieux, et retrouvant sa légende à la terre, 
J 'évoquerai pour eux, en signe de pardon , 
D'une ligne imprécise où s'inscrit du mystère. 
Le profil de ta grâce et de ton abandon... 



Et dès mon livre ouvert, ce sera ton image 
Que les plus purs peut-être, et les simples de foi. 
Regarderont longtemps sans tourner l'autre page. 
Ignorants de mon art qu'ils sauront mieux par toi.. 



Mais le dessein profond et vaste qui l'anime. 
S'il doit se dérober à leur émotion. 
Par la vertu du rythme où j'empreindrai mes rimes, 
J 'en veux transfigurer la révélation ! 



Car mon vers qui se nombre et mon chant qui s'éploic 
Dans la splendeur d'un songe éternel où j'ai pu. 
Mon front dressé dans l'ombre à l'appel entendu. 
Suivre avec le destin le monde sur sa voie ; 



Eternité 39 



Ma vie et sa ferveur, mon geste et sa fierté. 
Et tout ce qu'avec eux j'enseigne et balbutie. 
Ne sont que pour grandir jusqu'à la prophétie. 
Le règne tout puissant de mon vœu de beauté ! 



L'œuvre sera conçu si le frisson m'en gagne. 
Que le mal et l'erreur, la souffrance et la crainte. 
S'écartent du chemin par où tu m'accompagnes 
Vers l'accomplissement d'une parole sainte ! 



J'aurai pour l'annoncer l'accent des certitudes. 
Car c'était, loin de toi, quand si souvent j'ai fui. 
Pour demander au Dieu qni parle aux solitudes. 
Si le signe à mon front fut bien marqué par lui. 



Mais voici que je tremble au réveil de ces heures, 
J 'ai dû trahir l'orgueil qui t'efFraie et m'enivre. 
Ma voix va défaillir si j'entends que tu pleures. 
Moi qui cherche ta main pour être sûr de vivre. . . 



Eternité 41 



^'ai dit ce soir d'amour, de rêve et de prière : 
^ La nuit venait vers nous, lente et consolatrice. 
Ton étoile au lointain se levait la première. 
Et je baisais tout bas tes mains d'inspiratrice... 



Et le ciel tout à coup fut plein d'efflorescences. 
Et sitôt il plana, par quel vœu du destin. 
Tant de mansuétude et de pardon divin. 
Tant d'oubli favorable à nos résipiscences. 



42 Eternité 



Que dans nos cœurs troublés jusqu'à se croire impurs. 
Et comme humiliés d'un reproche des choses. 
Nous eûmes, confessant des repentirs obscurs , 
Le besoin d'être triste et de souffrir sans causes. 



Nos phrases, une à Mxvt, et lentes de distance. 
Comme au frisson d'un luth un autre luth frissonne. 
Se rejoignaient là-bas aux accords du silence. 
Dans cette veille auguste où l'on n'eût cru personne. 



Notre attendrissement restait mélancolique. 
Mais nous aimions le soir qui nous avait élus 
Pour atteindre à ce charme indicible et mystique 
De vivre au fil du songe et de ne penser plus. 



On eût dit que notre âme au grand silence unie. 
Et sur la paix du monde en prière avec lui. 
Vibrait par l'univers dans sa propre harmonie. 
Et que c'était en nous que s'inspirait la nuit... 



Eternité 43 



La mort, tout doucement, parlait à notre rêve. 
Non celle dont s'évoque aux humains l'épouvante. 
Mais bien la sœur divine et jamais décevante 
De la vie, où son aube, au deuil des cœurs, se lève.. 



Sa présence dans l'ombre avait clos tout murmure. 
Mais aux frissons du vent qui la semblaient trahir. 
Le tressaut de nos cœurs s'achevait en soupir. 
Comme après un conseil dont la douceur rassure. . . 



Et nous étions émus à part nous, de l'entendre 
Qui s'annonçait ainsi sans nous causer d'effroi. 
Se disant bonne à ceux qui l'avaient pu comprendre 
Malgré les maux soufferts qui mènent à sa loi. 



Ce semblait d'un bonheur fait avec notre peine. 
Mais auquel notre esprit, sans pouvoir discerner 
S'il ne procédait plus d'une espérance humaine. 
Non moins qu'à s'y soustraire eût craint s'abandonner, 



44 Éternité 



Et longtemps, tous les deux, nous fûm^^s à nous taire. 
Laissant s'ouvrir à nous, dans de pareils instants. 
Le ciel mystérieux et la nuit légendaire. 
Et la mort nous parler comme à deux grands enfants. . . 



Eternité 45 



1UI ais toi, pauvrette, toî, qui d'un souffle tressailles^ 
Et qui même sans cause, à tout moment peureuse 
T'efFaçant dans mon bras y renverses la taille 
Pour savoir à mes yeux si tu dois être heureuse. 



L'épreuve t'accabla dans ta ferveur de femme 
Où tout est vœu terrestre et prompte effxision. 
Et détresse à ton cœur quand s'exaltait ton âme. 
En contraignit l'élan dans une obsession. 



I I i.M-»i<«i.- iii \'oiiii:^ ressaisir ta pensée, 
I>M « .inu ^T.-s,!.- vvr-; me.. rc*-oirvTant raa 
• "v ^.Hcw, . t * hioii,-, , rvuT m'enrendre. et qig cesse 
*', j vmI .:.- KiU'iï.-,- oir u- t avais iaissêc. 



1 i.-r,- invcstissiii; ïon ttrc. 
ùn^e C-. ton i-fvc mnoccnî. 
.rit.-».--*. ta*-ha:r oi.iic firnattTE — 
....■ mort. ! uffiip,- sans csocnî. 









-■"••.-.; ,,..„^t4<^. 






Eternité 47 



Je ne t'appris jamais quel mal nous vient ainsi. 
Mais lorsque cntour tes seins tu sentis ma main prise, 
11 fallut qu'un sanglot te soulage et me dise 
Avec tout ton amour toute ta peine aussi . 



Oh ! cet instant, et nous ! cet élan d'instinct fruste 
Qui dans mon bras plus fort fut l'abri de douceur. 
Où tu te fis petite afin d'y tenir juste. 
Sauve du grand mystère où ta pauvre âme eut peur ! 



Je t'étreignis, je te berçai, pour m'abreuver 
De ton sanglot, chérie, en voulant l'interrompre. 
Et c'était moi, sais-tu, dont le cœur allait rompre 
Qui ne pouvais rien dire à force d'éprouver... 



Tout mon corps tressaillait ainsi qu'à des alarmes. 
Et je cherchais là haut, parmi les astres d'or. 
L'ineffable recours qui m'eût donné des larmes. 
Défaillant de tendresse ou vibrant plus encor, 

4 



48 Eternité 



De sentir, à J'étroit de mes bras où forouche 
J'opprimais ton corps souple envahi de langueur, 
Effluve de la chair à la chair qui se touche. 
L'apaisement discret de tes seins sur mon cœur... 



Et j'invoquais le ciel d'une ardeur insensée. 
Lui qui n'était alors, à mes vœux superflus. 
Qu'un vaste embrasement de prière exaucée 
Dont la terre au réveil ne se souviendrait plus ! 



Son reflet frisonnait tel un nimbe à ma face. 
Tout mon cœur débordait dans sa foi d'exister. 
Et j'eus voulu crier comme on demande grâce. 
Sous le poids d'un bonheur qu'on ne pourra porter ! 



— Mais alors, quel destin chanta la gloire astrale ? 
Quel signe l'annonça dans l 'ébloui ssement. 
Dont le charme sur nous fit la nuit nuptiale. 
Et nos mains se chercher comme pour \m serment ? 



\ 

\ 



Eternité 49 



Puis quel souffle passa, si brusque, on ne sait d'où. 
Qui changeant en délire une émotion sainte, 
Fit s'attarder ma lèvre aux blancheurs de ton cou. 
Et ton corps défaillir au gré de mon étreinte ? 



Ma bouche, en mots confus, et d'un souffle qui frôle. 
Sur ta nuque égarait sa tendresse, et toi même. 
Succombante, et cachant ton front sous mon épaule. 
En te haussant vers moi redisais que tu m'aimes. 



Le désir fut en nous comme la clarté monte. 

Tu renversas la tête, et cambrée à demi, ' 

M 'ouvrant tes yeux nouveaux comme d'avoir dormi. 

Tu souris au regard qui trahit ma chair prompte. 



Mais le désir muet demeura sans transport. 
Une larme aussitôt fit ciller tes paupières. 
Et ton amour, extase où brûlaient des prières, 
TW 'implora dans tes yeux comme un désir de mort* 



50 Éternité 



Et j'eus peur tout à coup que parle ta voix chère. 
Peur qu'un souffle, un soupir, en affirmant ton vœu. 
N'obligeât ma tendresse à railler le mystère. 
Pour lui ravir ton âme où sa vigile eut lieu !.• 



Mais au rêve trop pur faillit l'accent sublime. 
Et triste, à l'infini, tout au fond de nos yeux, 
11 habite un mirage où la raison s'abîme. 
Comme à trop contempler la même étoile aux cieux. 



Et tel le tien resta, pour les nuits éternelles. 
Dans tes grands yeux voilés, beaux comme la douleur. 
Qui magnétiquement perdus dans mes prunelles. 
Interrogeaient mon âme en retenant leurs pleurs. 



Ah ! que m'annonçaient-ils parmi leur flamme errante ? 
Quel seuil dans l'absolu m'allaient-ils découvrir 
Où j'apprendrais le vie à ta bouche expirante. 
Tes beaux yeux suppliants qui parlaient de mourir ? 



Eternité 51 



Énigme, rêve, et foi ! ravissement qui souffre ! 
Folie, aflre mystique où délire une attente ! 
Le froid qui m'envahit semblait venir d'un gouffre. 
Et, soudain, éperdu, ma gorge haletante. 



Soulevant dans mon bras ta tête qui retombe 
Parmi tes longs cheveux où ton front s'est enfoui. 
Ivre de mes baisers qui mentaient à la tombe. 
J'eus l'angoisse et l'horreur de te murmurer oui ! 



— Ton corps dut m'échapper, et tu mourus sans doute. 
Car longtemps je fus là, morne et penché sur toi. 
D'un long regard sans flamme à t'envelopper toute. 
Comme dans un linceul au tombeau de ta foi. 



Mais, ô réveil du sang dans ma chair la plus forte ! 
Et bientôt, ma joie âpre, et cette émotion 
De vouloir davantage en t'imaginant morte, 
JVle faire ainsi du mal avec l'illusion ! 



52 Eternité 



Tu souris*., et ce fut, dans ton minois pâli. 
Toute ton âme en pourpre au joli de tes lèvres. 
Qui renaissante à moi se fit la fleur d'oubli. 
Pour le pardon divin de tes beaux yeux sans fièvres 



Puis ton front se tourna tout contre ma poitrine. 
Et vite ensommeillée en ton plus cher berceau. 
Lorsqu'à mon cou céda ta main lasse et câline. 
Je ramenai sur toi le pan de mon manteau 



Oh ! grâce de t'aimer, d'être pur, de savoir 
Que ton baiser de femme unit la vie au rêve 
Dans ce même soupir dont ton sein se soulève. 
Et qui m'exaltait l'être à contempler le soir î... 



Et mon rêve monta prier parmi les astres. 
Tout un hymne éclatait dans le firmament bleu. 
Et l'ombre édifiait, dérobant ses pilastres, 
La cathédrale immense où célébrait un dieu. 



Eternité 53 



Ma croyance ingénue attendait un prodige. 
J'avais Tâge du monde et sa candeur première. 
Et mes yeux éblouis s'obstinaient au vertige. 
Comme vers un autel perdu dans la lumière. 



y 



Éternité 



Q nature, aj-jc dit, ne me sens-tu frémir ? 

Mon cœur qui s'ouvre à toi n'est plus qu'un offertoire, 
Et l'enfant que j'ai là, dans mes bras pour dormir. 
C'est son oblation que j'adresse à ta gloire. 

C'est tout l'espoir humain qui gJt à mi '^'^ 

Et dans cet angle obscur du temple oi 
Je rac confesse à toi de notre pin*eté. 
Notre amour est pareil à tous tes évan 



56 Eternité 



Tout à l'heure, oh! pardon, pardon qu'il m'en souvienne. 
Quand l'enfant interdite a tes desseins trop vastes. 
Succombait dans l'étreinte où ma chair la fit sienne, 
J 'ai vu prier la mort au fond de ses yeux chastes» 



Oh! dis-moi ton mystère, apprends-moi d'une extase, 
Quel espoir occupait cette attente ravie 
Dont n'a pu son amour m'imprégner une phrase. 
Pourquoi ce vœu de mort dans ce frisson de vie? 



Oh ! dis-moi, ce conflit, ta suprême antithèse. 
S'il résoud mon angoisse en sa dualité. 
N'est-il donc l'élément qui servit ta genèse. 
Norme du rêve unique et de la vérité ? 



Car pour qui l'ont connu seulement une fois. 
D'une grâce touchés semblable à la folie. 
Dans l'ordre impénétrable où s'échangent tes lois» 
L'amour après l'amour n'est que mélancolie ! 



Éternité 57 



Et dès l'heure où la chair exaltant sa croyance. 
L'être à l'être enlacé s'est grisé d'un transport. 
Comme pour passer outre à sa propre existence. 
Tout rêve est un regard infini vers la mort 



Oh! dis-moi — redis-moi, car je veux être apôtre 
Si toute la tristesse où vont sombrer nos vœux. 
Hors ce sentiment là put naître un jour d'un autre 
Que l'enfant n'a su dire avec tous ses aveux? 



O nature, permets que ton ciel clair m'enseigne ! 
Dis-moi, par cette nuit qui fit mon cœur plus grand. 
Si la blessure au sein dont l'humanité saigne 
Ce ne fut pas l'amour qui l'a faite en entrant? 



Et si tous ces tourments, ces regrets sans raison. 
Ces besoins d'expier jusqu'à l'espoir lui-même. 
Ces soupirs, ces langueurs implorant le pardon 
D'un crime insoupçonné qui resta sans baptême ; 



58 Eternité 



Si tous CCS maux confus qu'une âme réfugie, 
J usqu'au sein du bonheur avivés tour à tour. 
Ne nous traduisent point par une nostalgie. 
Le remords sans péché de survivre à l'Amour ? 



Car j'ai crainte souvent de ta beauté sereine. 

Et malgré ta lumière où mes yeux vont errer. 

Je vois, dans un long deuil qui vient jusqu'à ma peine. 

Ta pauwe humanité se douloir d'espérer. 



...Je vois la terre et l'onde à tes époques neuves. 
Les édens primitifs et les cycles barbares. 
Et les grands peuples roux campés au bord des flc 
Où déjà vers la mer descendent leurs gabares. 



... Je vois s'enfler la voile au fond de l'estuaire. 
Puis, derrière, au lointain, du côté de la plaine. 
Surgir, fondre et passer, l'ouragan pour haleine. 
Dans l'éclaboussement du sang crépusculaire. 



r 

Eternité 59 



Et droits sur leurs chevaux cabrés qu'un rut enlève. 
Tes grands conquérants noirs, au profil surhumain. 
Qui déployant leur geste avec Téclair d'un glaive. 
Engouffrent dans la nuit leurs cavaliers d'airain ! 



♦..Je vois s'ouvrir ton ciel écharpé par la foudre. 
Et sur le sol qui tremble aux galops éperdus. 
Sous la croix d'un cadavre immolé pour l'absoudre. 
S'agenouiller le monde avec les bras tendus ! 



... je vois la pompe errer du sceptre au tabernacle, 
La splendeur flamboyer aux palais des cités 
Dont l'oriflamme au vent claque sur les pinacles, 
J e vois la pourpre et l'or et les prospérités ! . . . 



...Je vois sombrer l'empire et vois les décadences ; 
Les trônes s'ébranler aux ressacs populaires. 
Et dans l'ombre où les rois font armer leur prudence, 
Étinceler soudain le poignard des sicaires ! 



6o Éternité 



♦ ..je vois l'apostasie et les temps incrédules ; 
Les sages confondus accuser le destin. 
Et des hommes sans nom sortir des ergastules 
Pour lancer Tanathème à leurs fronts sybillins. 



Les tribuns ont couvert la voix des patriarches. 
Qui des cathèdres d'or outragés au concile, 
Entraînent dans leur robe où choit leur pas sénile 
Les grands flambeaux éteints qui roulent sur les marches 



O nature ! est-il vrai que tu n'as point parlé? 
L'homme a bravé les dieux dont mentaient les exemples. 
Et, fauve, a ramassé, quant le faîte a croulé, 
La pierre meurtrière aux gravats de leurs temples 



Hélas, sous ton dédain crut-il à sa conquête ? 
Je vois le victimaire et j'entends les supplices. 
Et par des hosannah qui te savaient muette. 
Ta gloire et tes soleils attestés pour complices! 



k 



Eternité 6l 



Ah ! pourquoi tout cela, la révolte et son crime. 
Et toujours la vindicte à son geste impuissant. 
Si ce n'est pour noyer dans un spasme et du sang 
Ce sanglot d'espérance à jamais qui Topprime ! 



Ce sanglot que longtemps il contient sur sa couche, 
Maisqui, trop gros d'angoisse, un jour, et plein de fiel. 
De son cœur ulcéré lui remonte à la bouche. 
Et fait de sa prière un blasphème à ton cieh 



Ah ! que réclame-t-il dont tu lui fus avare? 

Ce n'est point pour le pain qu'ont trahi ses semailles 

Que ricane à ses dents cette âpreté barbare : 

Son tourment, né d'ailleurs, n'atteint pas ses entrailles. 



Mais c'est lui dont sans fin tu le voulus poursuivre. 
Lorsque dans sa pensée éveillant ton mystère. 
Tu créas, par delà son morne instinct de vivre, 
La superstition du bonheur sur la terre. 



62 Eternité 



De ce bonheur lointain dont parlent les étoiles. 
Et dont tu lui jurais que rien ne désappointe. 
Lorsqu'il en croyait voir errant parmi tes voiles 
Le présage éternel flotter vers ses mains jointes*-- 



Et dont le pressentaient ta douceur infinie 

Dans tout ce qui s'éveille aux souffles du printemps. 

Et ta voix et tes chants, ta sauvage harmonie. 

Et sa langueur étrange à t'écouter longtemps... 



Et dont l'amour enfin parla, voulant qu'il pleure. 
Lorsque dans ce transport qui clôt sa volupté. 
Tu permis qu'un instant toute sa chair se meure. 
Pour éblouir son âme à ton éternité. 



Mais pour qu'alors brisé d'un tel ravissement. 
Et sa dernière étreinte expirant dans un râle. 
Il retombe au néant du recommencement. 
Le signe du destin marqué sur son front pâle ! 



Eitrnité ^»3 



O nature, ô nature, implacable et sereine. 
Qui réclamant la mort sans relâche à la vie, 
Soulève contre toi toute la race humaine 
Contrainte à t'obeir mais non jwts asservie, 



Si tu veux que le bien s'accomplisse à ta gloire, 
N'enchante pas d'un songe inondé de clarté*» 
L'attente de ceux-là qui s'en vont au déboire, 
N'annonce pas l'espoir à tes déshérités ! 



Car ils s'en meurtriraient, bravant tes fins contraires, 
Jusqu'au jour où vaincus, mais de rage exaltés, 
Leurs bras qui suppliaient frapperaient sur leurs frères. 
Pour répondre au hasard à tes iniquités ! 



Car ton bonheur recule à l'effort d'y prétendre, 
Alais lui, le mal n'est autre, et n'a jamais été 
Qu'un aspect monstrueux de l'amour indompté, 
Par ton leurre implacable exaspéré d'attendre ! 

5 



64 Eternité 



Ou parle, parle enfin ! Dîs-leur que rien ne ment 
De ce qu'apprît l'étude ou que le rêve écoute. 
Et si tu ne veux pas d'un mot te livrer toute. 
Au Poète inspiré confie un talisman ! 



Qu'au lieu d'une imposture il découvre un prodige. 
Et que ton règne arrive ainsi prophétisé. 
Puisque le mal en eux, puisque le mal, te dis-je. 
Le mal n'est que l'erreur d'un cœur désabusé ! 



Qu'un ébloui ssement d'en haut les rassérène. 
Car dans l'ombre où sans fin tournent leurs pas pesants. 
Puisqu'ils ne savent rien du destin qui les mène. 
Ton énigme éternelle en fait des innocents ! 



\J nature, ai-jc dit, permets que je comprenne, 
Par ta foi rédemptrice en serait-il d'infâmes, 
N'cst-cepasqu'ils sont bons, qui 
Puisqu'ils grandissent tous en aïi 



Une immense pitié, jusqu'à l'ang 
Dans mon cceur qui tressaille attf 
Trouverai-je, à mon tour, la rout 
Par où je m'en viendrai leur parle 



66 Éternité 



Dis-moi, par cette enfant> la tâche que je dois. 
Rends-moi pareil à ceux qui, sachant ton mystère. 
S'en furent, Tâme en fleur, comme un lys calme aux doigts 
Interpréter leur songe aux puissants de la terre. 



— Et la voix s'éleva, d'eux venue, ou de moi. 
De toi-même, pauvrette, ou d'un dieu, l'oubliai-je. 
Et devant le passé comme au fil d'un cortège. 
Confronta leurs destins à mon acte de foi. 



Je les vis : ils allaient, dévalant d'âge en âge. 
Et comme^x lointains d'ombre ils s'effaçaient infimes. 
Des lueurs, par instants, prolongeaient leur passage. 
Et les temps accomplis s'éclairaient sur les cîmes. 



Et mon rêve, évoquant l'exode prophétique. 
Cohortes dont l'Histoire au sein des épouvantes 
Ralliait la légende à son flambeau tragique. 
Sur le fond de la nuit vit ces fresques mouvantes. 



X(éjouts-ioi, ce n'est pas une des!inle funetle 
qui i'amine par cel!e rouie inconnue aux pat 
des morlels^ c'esl la Doi. Car il fau! que !u 
saches iouf, Tinfaillible VériU comme les 
vaines opinions des Çommes. 

Parmékidb d'à Me. 



Éternité oû 



ta ténèbre première absorbe encor l'espace. 
Imprescrite, elle est une, et par l'immensité, 
Où rien ne luit, où rien ne bruit, où rien ne passe , 
Tient les astres figés dans son opacité. 



Et c'est la nuit toujours sans aspect et sans tache. 
Nul souffle n'a frémi ; ni le temps ni le lieu 
N'ont d'issue ou de terme en cette ombre qui cache 
La puissance effroyable ou le sommeil d'un dieu. 



70 Éternité 



Le mystère éternel au Verbe s'initie. 
Le destin n'est encor que méditation. 
Et l'incommensurable intègre l'inertie. 
Il fait nuit, nuit de mort, ou de création. 



Or, déjà des échos accusaient la distance. 
Lorsqu'un influx puissant, qui fut la crise ou l'acte. 
Désagrégea soudain la ténèbre compacte. 
Et qu'un soupir immense annonça l'existence. . . 



Et c'est sans doute alors qu'aux nefs ^des nuits futures 
Où leur incandescence est longtemps obscurcie. 
Les sphères, par l'espace, et qu'un nombre associe. 
Roulèrent, suivant l'ordre, aveuglément, et sûres. 



Et le temps, que leur ^igne annonce et réitère, 
Chevauche un ouragan formidable et glacé 
Qui, creusant après lui des gouffres au passé. 
Par des ans très lointains s'élança sur la terre. 



Eternité 71 



Et voici qu'amené sous les vents en fureur. 
Et trouant Tombre épaisse où Tair croupi circule. 
Un troupeau monstrueux, qu'on voit à peine, ondule. 
Et lentement émerge au décroît de l'horreur, . . 



Craintifs, de lourds géants se découvrent ; leurs torses 
Sont ployés, et leurs pas trébuchent dans la nuit. 
Mais lorsqu'enfin, ils vont,dressés, sûrs de leurs forces, 
La horde frémissante en tâtonnant les suit. 



Des tigres, des lions, et des chiens faméliques 
S'en viennent derrière eux et rôdent à l'entour, 
Et c'est, dans lèvent noir, ruant ses fronts obliques, 
L'humanité farouche en marche vers le Jour I 



• •• Voilà qu'elle a franchi les âges sans mémoire. 
La foudre, comme un fouet aux lanières de feu, 
A lacéré son dos dans sa fuite illusoire. 
Alors, se retournant, elle s'arrête un peu. 



72 Eternité 



— Blottis aux creux des rocs ou se tapissant contre, 
S'accouplant aux ravins qu'ils emplissent de râles. 
Et clignant leurs yeux froids devant les nuits plus pâles. 
Ils écoutent le temps qui vient à leur rencontre. 



Mais l'antre a regorgé, la caverne déborde. 
Et déjà dans la plaine où se dressent des tentes. 
De grands chevaux domptés qu'énervent les attentes. 
Hennissent au départ en tirant sur leur corde. 



C'est le temps des pasteurs et des tribus errantes ; 
Drapés de leurs manteaux que la lune prolonge 
De vieux pâtres ont lu dans l'or des nuits vibrantes. 
Le signe de l'amour et le signe du songe. 



L'horizon s'élargit encor. Les caravanes 
S'enfoncent lentement aux sables du désert. 
Et, points noirs disparus dans les nuits diaphanes, 
S'en vont vers le soleil et s'en vont vers la mer. . . 



Eternité 73 



Vois, — des villes soudain ont grandi sur leur trace. 
Et ceux qui las d'errer s'y gardent des dangers. 
Courbant leur front rebelle, et muets sur leur race. 
S'y regardent entre eux comme des étrangers, • • 



Alors, vois des remparts joindre les citadelles ; 
Et sonnant aux échos des murailles, rapides. 
Entends les lourds marteaux brandis des infidèles 
Qui forgent à grands coups les glaives fratricides. 



Sous les reflets blafards qui tombent des lanternes, 
Par la ruelle torte en couloirs dans l'enclave. 
Ils vont, couvant la fièvre au fond de leur œil cave. 
Et les calamités se glissent aux poternes. 



— Pourtant, dans l'air bleui des soirs, sur la colline. 
L'holocauste qui fume est \xn encens vermeil 
Dont Técharpe légère en s'élevant s'incline 
Vers la glèbe et les bois défaillant au sommeil. . . 



74 Eternité 



Vois, clic atteint au pied d'un céleste cortège 
Qui se déroule et vient, en robe de clarté. 
Sur un nuage d'or, d'azur tendre et de neige. 
Vers la détresse humaine et vers l'humilité ! 



Les siècles d'avenir semblent tout vêtus d'aube. . . 
Vois des prophètes, vois des dieux, vois des martyrs. 
Qui d'en haut, le lys d'or pour symbole ou le globe. 
Font un geste d'espoir à tous les repentirs. . . 



Et là-bas, sous ce vol séraphique et ces palmes. 
Si triste dans son nimbe où ses yeux semblent clos. 
Et de miséricorde étendant ses mains calmes. 
C'est J ésus le plus doux qui marcha sur les flots. . . 



Vois sa croix comme un phare éclairer l'étendue. 
Et des vallons d'angoisse où lui dut sangloter. 
Entends, jusque son ciel, vers sa douleur tendue, 
La prière éternelle au fond des nuits monter. . . 



Mais vois, — Yccziyrz. ^ixznocZc îin hdircns învcrs, 
Ettotitdcpouiprcct ciiTiTt, cz pzx l'jicurs soudaines. 
De grands cinbrascjncnts tSeiinent les deux ouverts. 
Et l'ombre a reculé ses iSgnes încertaînes.*. 



Et c'est, rétrospective et vaste, aux profondeurs 
Des siècles d'au delà l'orient qu'elle embrasse 
Tout ime ère de faste et d^étranges splendeurs 
Qui s'exténue et meurt aux langueurs des terrasses. , . 



... La volupté s'éveille aux lamentos des flûtes, 
L'esclave dont les flancs ondulent se balance, 
Et l'écharpeau vol clair se convulsé en volutes 
Au bout des bras légers qui s'arquent pour lu dunnc... 



L'effluve du désir flotte aux tiédeur» de Ttilr 
Et lorsque exténués sont retomba* Irn 4 oupire», 
Perverse et lente, aux »oubrr«i«uf«» iU^ /urni^'t» <9uuji)r<9^ 
La caresse lascive épuise au or lii 4 Um\,, 



76 Eternité 



— Des palais ont surgi parmi les brumes d'or ; 
Des mages et des rois ont paru sur les marches. 
Mais la nuit, tout à coup, la nuit, rompant ses arches. 
Du fond des gouffres noirs qu'elle emplissait encor. 



A grands flots chevauchant sous les vents qu'elle appelle. 
S'est ruée au travers des cieux étincelants. 
Et sinistre, roulant des peuples dans ses flancs. 
Couvre les horizons qui marchent avec elle... 



...Et vois, trace qui fume, et rouge sur les temps. 
Stridences de buccins, galops, lueurs d'épées. 
Dans un frisson de gloire et d'étendards flottants. 
Triomphales passer, passer les épopées. 



La poudre des chemins flamboie au crépuscule. 
Et de fiers souverains, libérateurs d'esclaves. 
Sur des chars que le sang sous les lauriers macule. 
Passent dans la clameur des foules, le front grave.. 



EUrn:z*s 



« « 



Tout aux lointains la mer moutonne aux deux splendides» 
Et dans le golfe bleu, balançant ses carènes. 
Une flotte appareille aux appels des sirènes. 
Et les rostres puissants cinglent aux Atlandldes. 



Or, \m vent sûr et prompt s'élève, et tu contemples, 
Lourde et munificente, et de gloire repue, 
Avec ses dieux brisés, ses héros et ses temples. 
Toute l'antiquité, fatale, et corrompue !•. 



Eierniié ^v> 



1 es cycles, comme un tourbillon, s'évanouissent, 

Et sous des pans d'azur pacifique et d'oubli, 
La terre puérile, aux nuits qui refleurissent, 
Exhale comme un songe en elle enseveli. 



Le passé fantômal qui pleure en long^ arp^^cH 
Promène aux vieux créneaux son âme rev^ininte , 
A l'heure où les sorciers dont la main cnn he m ;i/it's 
Dans les fossés des tour ^ cherchent \tur^, <>ortJ)r,j{' ^, 



^. 



8o Eternité 



Mais chante un pâtre au loin qui ramène à la brune 

Ses grands bœufs tout fumant dans leur nimbe en bruines 

Et la légende éprise a fleuri les ruines. 

Et fait d'un noir vestige un thyrse au clair de lune. 



La nuit monte au ciel calme et plane toute grande. 
Et quelque part, dans l'ombre, où son œil s'ouvre alors. 
Hanté des farfadets qui courent sur la lande, 
La chouette augurale ulule aux malemorts,-. 



— Vois des hommes surgir du fond des matins clairs. 
Ils viennent susciter les moissons pour la trêve. 
Et leurs outils d'acier où flambent des éclairs. 
Imprègnent le sol roux du soleil qui se lève. 



Et le vent de la mer et des monts et des plaines. 
Le roulement lointain des galets aux rivages. 
D'un andante confus dont les nuits restent pleines. 
Endorment le bonheur de la terre et des âges. 



É:i,cnsitc Si 



•mi«i^>^>^ ii>« V 



Et sur les horizons blanchis d'aubes lustrales 
Monte, profil d'un cri^ qui de bourg en cité. 
Tout en roc ou granit se fut répercuté. 
L'hymne piaculaire et fier dits cathédrales ! . . 



—Cependant, ettoujours des fronts sont restés blèmen, 
Et des hommes qu'un rêve ou qu'un signe a troubUti, 
Volontaires proscrits, dans l'angoisse exilés, 
Durant la veille austère ont scruté des problèincH. 



Et renégats hautains, fiers et superbes, d'Miitrct^i 
Déniant au passé le droit nouveau d'éclorc , 
De leur foi véhémente et de leurs br^in (r^p^lrrc», 
Debout, et beaux d'orgueil, ont invi)i|(i^ yiâumitr 



L'aurore, —illusion ^crauK, '4'/^ti^ttt^tti 
Delà vie aux corifirj^ <iK% ^^yyrft^^ \*,iiti^ih* ^, 
Vers qui restent teri'i ^t, U l4''..y/}/,^f*.*}*i ^ 



82 Éternité 



L'aurore, — porte en feu des paradis futurs. 
Vers qui, terrifiante et suprême vautrée. 
Se rueront pour mourir tous les peuples impurs. 
En renversant les dieux qui gardent son entrée ! 



L'aurore, — dont le sage et les vieillards ont peur. 
Mais dont les jeunes gens qui sont nés avec elle. 
Pleins d'audace, et raillant l'ancestrale stupeur. 
Portent le reflet d'or au fond de leur prunelle ! 



• • . Et des voix tout à coup ont crié de se taire 
A l'antique sagesse, interdite à moitié. 
Proclamant pour salut et dogme tutélaire 
La règle de justice où sombra la pitié. 



Et le monde a frémi dans sa torpeur d'entendre 
Comme xinc agression ce cri des violents. 
Et tandis qu'il s'éveille et ne peut pas comprendre, 
La haine originelle arme des bras sanglants. 



Éternité 83 



Et le rire féroce éclate après Tinsulte ; 
La terreur veille aux nuits et consterne les jours. 
Et la foule qui gronde et se lève en tumulte. 
Avec des cris de rtiort se rue aux carrefours ! 



Les temples dévastés croulent sur leurs pylônes ; 
L'autel est fracassé par une main hardie. 
Et sur les murs noircis des vastes babylones. 
Passent, s'échevelant, des torches d'incendie ! 



Vois, l'ouragan prend feu qui vient des capitales, 
11 roule à l'occident où le soleil succombe. 
Et l'astre submergé croule sous les rafales. 
L'horizon comme une arche est béant sur sa tombe, 



Entends, des cris affreux montent des solitudes. 
Des quatre coins du ciel hurlent des épouvantes. 
Et les vents devant eux chassent les multitudes. 
Comme le flot des mers ou des moissons vivantes. 



84 Eternité 



Et par troupeaux compacts d'où bondissent les femmes. 
Les peuples que la mort halluciné, et tendant 
Les poings, couverts d'écume, et noirs, droitregardant. 
Marchent sur la fournaise et passent sous les flammes. 



Les lueurs du brasier ensanglantent leurs faces. 
Et tragiques, ils vont, plus grands et plus nombreux. 
Jusqu'à l'irrévocable extinction des racés. 
Puis la nuit, brusquement, se referme sur eux..- 



Éternité 85 



/f lors, quand la ténèbre eut fait crouler ses dômes ^ 
Sur quelque haut coteau qui dominait les villes, 
Les prophètes trahis, face exsangue, et fébriles, 
Surgirent tout à coup comme de grands fantômes. 



Le vent souffle et se crispe aux plis de leurs manteaux^ 
Et sans geste, penchés dans l'ombre où rien ne bouge. 
Cherchant les horizons qui furent des tombeaux, 
Ils attendent Torée où poindra Tastre rouge. 



^ 



r 

86 Eternité 



Mais la géhenne horrible a dérobé ses portes; 
Ils vacillent ; leurs mains rôdent ; leur front se serre ; 
Et soudain, tournoyant comme des branches mortes. 
Ils tombent, bras levés, la face contre terre... 



— Et c'est ainsi la fin des âges. Le silence 
A reconquis l'espace avec la nuit première 
Où les vents justiciers râlent leur violence, 
Puis meurent à leur tour, soumis à la matière. 



Et rien n'existe plus, spectre, vestige ou plaintes 
De ce qui fut la vie et les siècles vengés. 
Sous l'horreur qui s'épanche à flots des nuits éteintes, 
Qxxc le Mystère et toi — qui vous interrogez. 



Mais tes yeux restent sûrs ; ils ont transmuté l'ombre. 
Et consumant ton rêve en sublime clarté. 
Résolvent l'infini dans leur fixité sombre. 
Sur le seuil du néant, phares de Vérité ! 



Eternité 87 



Le passé qui t'épris comme un remords te poigne, 
Mais vibrante, ton âme, aux espaces béants. 
Propage un long frisson qui renaissant s'éloigne. 
Et comme une onde expire à l'infini des temps. 



Et ton âme, voix grave où le verbe s'élève 
Au rythme créateur dont ton œuvre a chanté. 
Prononce l'univers dans son ubiquité. 
Et le destin du monde est inclus dans ton rêve. . . 



Toute vie est en toi, dernière et misérable. 
Et la mort sur ton cœur sonne comme un heurtoir. 
Et ton cœtnr dit qu'elle entre à la mort secourable 
De qui la terre est morte avec le vieil espoir. 



Mais regarde, regarde au loin, regarde encore ! 
Tout là-bas, n'est-ce point d'éblouissants mirages. 
Et sur récroulement tumultueux des âges. 
N'as-tu point vu grandir, parmi l'antique aurore. 



88 Eternité 



■«il *■ 



Une auréole immense, oit paraît, jeune et beau. 
Et si semblable à toi, qu'après tant d'ères closes. 
C'est ton frère ou toi-même évoqué du tombeau. 
Un Poète qui chante à la douceur des choses !.. 



Entends, — c'est une voix que tu vas reconnaître. 
Elle est seule, et pourtant, c'est comme un vaste chœur 
De vœux évanouis qu'en toi tu sens renaître. 
Et dont l'effusion monte à lui de ton cœur !•. 



Et voici qu'attendri, tu réprimes un cri* 
Et tandis que ton sein se soulève, il te semble 
Que dans ses yeux lointains où l'espoir t'a souri 
Tous tes songes d'antan sont en prière ensemble 



• • • 



O surprise! Son geste aurait-il défendu. 
Mystérieusement, que l'heure encor s'accroisse ; 
Le temps semble à ses pieds sur les nuits étendu 
— Toute l'immensité vibre dans ton angoisse... 



Eternité 89 



Et c'est comme une attente augurai e, et tu souffres. 
Croyant ouïr encor — tant le silence écoute — 
Les siècles haletants, cabrés au bord des gouffres,. 
Où le néant rentra pour leur barrer la route.. . 



Mais tu sais à présent les cycles révolus. 
Et dans l'extase étrange où ton émoi s'achève 
La force universelle et brutale n'est plus 
Qu'un souffle harmonieux descendu sur ton rêve 



Un charme l'a soumis à son dessein suprême^ 
Et selon la ferveur nouvelle qu'il te prête. 
Pour qu'elle communie au plus pur de toi-même. 
L'a faite humble et chantante aux lèvres du Poète ! 



... Ton front semble grandir ; tu regardes, tu pries. 
Alors qu'un sentiment dont ton cœur s'est rempli. 
Fait de joie et d'orgueil sanctifiés, te crie 
Qu'enfin le vœu du Verbe en toi s'est accompli ! 



90 Éternité 



Car ton âme a vibré dans l'espace et le nombre. 
Et la vie et ton rêve ont été confondus. 
Durant ce spasme immense où les temps suspendus 
T'ont montré rinfini — sur qui fuyait leur ombre* 



Et monte ta croyance avec ton vœu de vivre ! 
La conscience règne où le mystère a lui. 
Et sensible à ta foi l'immanence se livre 
Au grand rythme éternel qui la dérobe en lui ; 



Au rythme, expansion première, et loi des causes. 
Genèse, norme et vie, et resplendissement 
De l'aurore et des nuits au clair des firmaments, 
— Qui régit ton poème impliqué dans ses clauses. 



Et qui, flux et reflux d'insaisissables ondes. 
Propulse, elfort ultime, et gravité, dirige. 
Sur des orbes précis, frayés dans du vertige. 
Le fulgurant essaim des astres et des mondes ! 



Eternité gi 



^ur la cîme des temps qui ne sont pas encore, 

Comme devant un vaste et troubJant[reposoir 
Dressé^ tout d'azur sombre et d'or, au fond du soir, 
Le Poète a prié, qui salua Taurore. 



11 a prié du rêve en ton âme attentive. 
Et tel qu'officiant dans le soir solennel, 
11 s'est tourné vers toi, désignant la nuit vive. 
Et ta main s'est tendue au signe fraternel. 



92 Eternité 



Le ciel miraculeux est plein d'efflorescences. 
On dirait qu'annonçant ses divines paroles. 
Des gestes par l'azur rénové de croyances 
S'allument d'astre en astre et tracent des symboles. 



. • . 1 1 est debout, dans la lumière, et t'a nommé ! 
Mais pour que l'heure croisse et que l'amour demeure. 
Selon l'ordre infini par le Verbe exprimé, 
— Et pour qu'en toi ce songe initial ne meure, 



Devant qu'autour de lui s'en fût la nuit future. 
Son front s'est relevé vers les hauteurs sans voiles. 
Et tandis qu'un frisson court aux temps qu'il adjure. 
Sa bouche a proféré ton Poème aux étoiles. 



Ijtemxié 93 



insi se déroula Timmense prophétie, 
Rêve, espoir et clarté, trinité que je V4)Ji>, 
Et qu'à mon tour j'enseigne et que je hulhulie, 
— Et toi, dont la voix douce en «nnonvii \'à vi^ix, 




Calme, tu reposais au creux de ma pohrin^, 
Tiède et souple fardeau de jjriii < rf d< Vài\yu¥\n, 
CcpcnduA qu^â mon c//u nrM'é'ii i'4 iimn ' iêUn^, 
Ta tète sur rabîn*e <Aj ri^^^uimi fnon v/ 0/ 



94 Éternité 



Je regardais flotter tes cheveux sous la brise. 
Mais la sérénité, troublante et lumineuse. 
Que sur ton front d'enfant la nuit chaste avait mise ; 
Ton souffle, sa douceur, tout ton charme d'heinreuse. 



Ajoutèrent soudain, dans ma ferveur mystique. 
Tant d'angoisse à la fois et tant de vérité. 
Que j'étreigni s ton corps, tremblant et frénétique. 
Effrayé d'être seul devant l'Éternité ! 



FIN 



Achevé et imprimer 

le 38 décembre mil neuf cent un 

POUR 

ALPHONSE LEMERRE 

PAR 

EMILE MATON 

a3, Rue des Grands-Augustlns, 33 

PARIS