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Full text of "Terres et peuples du Canada;"

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DATE  DUE 

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BRODABT  INC 


Cat   No  23-221 


TERRES  ET  PEUPLES 

DU 

CANADA 


Emile   MILLER 


TERRES  et  PEUPLES 


DU 


CANADA 


Préface  de  l'abbé  ADÉLARD  DESROSIERS 


MONTREAL 

LIBEAIEIE  BEAUCHEMIN  Limitée 
79,  rue  St-Jacques,  79 

1912 


/  1^. 


Enregistré  conformément  à  l'Acte  du  Parlement  du  Canada,  en  l'année  mil  neuf 

cent  douze,  par  la  LIBRAIRIE   BEAUCHEMIN   LIMITÉE, 

au  bureau  du  ministre  de  l'Agriculture. 


EN    PRÉPARATION: 

LIVRE-ATLAS 

DE  GÉOGRAPHIE 

Enseignement  concentrique  -  Cours  général  adapté  aux 
programmes  officiels. 


A  L'USAGE 

De  l'enseignement    secondaire   classique, 

De   l'enseignement    secondaire   moderne, 

De   V enseignement   secondaire  des  jeûnes  filles, 

Des  écoles  normales  primaires  et 

Des  écoles  primaires  supérieures. 


3  volumes  in-4°,  d'environ  150  pages,  ornés  de  gravures  et 
de  cartes  en  noir  et  en  couleurs. 


-++•{•+  4-  •§•+•$•- 


LA  LAURENTIE  ET  SES  MARCHES 


PREFACE 


La  science  géographique,  faite  d'observations  et  d'ex- 
périences, à  la  fois  descriptive,  exacte  et  historique,  forme 
un  tout  d'une  infinie  variété,  en  même  temps  que  d'une 
admirable  unité  et  d'une  valeur  éducative  sans  égale.  Ca- 
pable de  satisfaire  les  esprits  les  plus  pénétrants  et  de 
favoriser  l'essor  de  l'imagination  la  plus  puissante,  elle 
explore  tous  les  domaines  et,  dans  ses  courses,  elle  des- 
cend sur  tous  les  rivages  pour  y  cueillir  les  fleurs  les  plus 
diverses.  Tous  les  aspects  physiques,  tous  les  aperçus  hu- 
mains, le  jeu  perpétuel  des  influences  réciproques  de  la 
terre  et  de  l'homme,  l'intéressent  et  retiennent  successive- 
ment son  attention. 

Le  contact  intime  et  constant  de  l'homme  avec  la  terre 
établit  nécessairement,  oui,  disons-le,  un  air  de  parenté. 
Le  ciel,  la  lumière,  l'altitude,  la  plaine  qui  rapproche  ou 
la  montagne  qui  sépare,  et  plus  que  tout,  le  sol  qui  happe 


VIII  PKEFACE 

l'être  vivant  après  l'avoir  porté  et  nourri,  gravenl  une 
profonde  empreinte  sur  l'âme  humaine,  et  par  elle  sur  la 
famille,  et  par  la  famille  sur  la  r-ace  elle-même.  Celle-ci 
rencontre  à  son  tour  un  obstacle  à  son  agrandissement  in- 
défini. Le  relief  terrestre  délimite  les  frontières  natu- 
relles au  delà  desquelles  le  peuple  le  plus  vigoureux  risque 
de  disperser  ses  énergies,  de  diminuer  son  originalité,  de 
réduire  son  influence,  de  se  scinder.  Il  perdrait  en  vi- 
gueur, ce  qu'il  gagnerait  en  étendue.  C'est  ainsi  que  la 
décadence  suit  d'un  pas  rapide  parfois  l'apogée  des  plus 
grandes  nations.  Mais  parfois  aussi,  l'influence  morale, 
intellectuelle  ou  religieuse  survit  à  travers  les  âges,  car 
tout  autour  de  la  nation,  il  y  a  l'humanité  qui  grossit  son 
trésor  de  civilisation.  Cette  influence,  le  géographe  se 
doit  de  la  discerner,  d'en  suivre  les  manifestations  les  plus 
lointaines. 

Est-il  cadre  plus  vaste,  ensemble  plus  majestueux  ?  Les 
travaux  des  maîtres  de  cette  science,  nouvelle  dans  ses 
procédés  et  dans  ses  moyens  d'enouête  —  elle  date  d'un 
siècle  ii  peine,  —  ont  ouvert  devant  l'esprit  humain  d'im- 
menses horizons  mais  qu'il  est  possible  d'embrasser  d'un 
coup  d'œil. 

Aussi  bien  par  le  nombre  des  facultés  qu'elle  met  en 
éveil,  la  puissance  évocatrice  de  la  géographie  n'a-t-elle 
pas  échappé  aux  éducateurs  et  aux  guides  de  l'opinion 
moderne- 

M.  Jules  Lemaître  écrit  dans  son  programme  de  rensei- 
gnement moderne  :  "  C'est  sur  la  géographie  qu'il  faudra 
surtout  s'arrêter.    Car  il  semble  bien  que  la  première  chi  se 


PREFACE  -X 

à  connaître,  c'est  la  figure  de  la  planète.    Ça  été  peut-être 

une  idée  géniale  de  Raoul  Frary,  ce  précurseur,  de  faire 
de  la  géographie  le  centre  même  de  l'enseignement,  et  de 
vouloir  que  les  autres  sciences  ne  fussent  enseignées  qu'à 
l'occasion  de  celle-là.  " 

Aussi,  la  géographie  considérée  jusqu'ici  comme  un  des 
"  yeux  "  de  l'histoire,  réclame-t-elle  aujourd'hui  sa  place 
distincte,  en  dehors  des  divisions  politiques  et  administra- 
tives si  arbitraires  parfois,  en  Amérique  surtout.  Que  de 
sciences  "diverses  le  géographe  doit  interroger  pour  établir 
ses  conclusions  :  cosmographie,  géologie,  minéralogie,  chi- 
mie, physique,  biologie  ancienne  et  moderne,  botanique 
qui  étudie  le  tapis  végétal  et  morphologie  qui  recherche 
une  classification  naturelle  des  formes  terrestres,  océano- 
graphie et  jusqu'à  la  poésie  du  paysage,  toute  l'histoire 
naturelle  en  un  mot  se  fait  l'auxiliaire  de  cette  science  de 
la  terre,  depuis  qu'on  en  a  découvert  la  richesse  inépui- 
sable et  l'étendue  sans  limites.  Faut-il  s'étonner  que  des 
esprits  méthodiques  aient  proposé  de  grouper  autour  d'elle 
la  plupart  dos  connaissances  humaines  ? 

De  toutes  les  sciences,  elle  a  été  la  première  à  profiter 
de  l'exploration  de  la  surface  du  globe  et  du  progrès  des 
sciences  naturelles.  Les  Cook,  les  Alexandre  de  Humboldt, 
les  Livingstone  et  les  Nansen,  étendent  le  champ  des  obser- 
vations individuelles  et  locales  à  l'époque  même  <>ù  la  chi- 
mie, la  minéralogie  et  l'histoire  naturelle  permettent  de 
mieux  définir  les  matériaux  qui  entrent  dans  la  composi- 
tion du  globe.  Une  élite  intellectuelle  commence  la  coor- 
dination  des   faits    relatifs    à    l'histoire    de    notre    terre, 


X  TREFACE 

découvre  le  lien  qui  les  unir,  établit  enfin  la  succession  des 
révolutions  du  globe.  La  géologie  ouvre  lentement  le  livre 
de  la  Création,  aidée  en  cela  par  les  besoins  de  l'industrie 
—  construction  des  routes,  des  canaux,  des  chemins  de  fer, 
exploitation  des  mines. 

Dès  lors,  se  constituent  les  écoles  géologiques  et  géo- 
graphiques qui  concentrent  leurs  lumières  sur  des  pro- 
blèmes spéciaux  qui  déjà  passionnent  l'opinion  et  dévelop- 
pent le  goût  de  cette  science  :  origine  du  basalte,  genèse 
des  formes  orographiques,  cause  du  feu  intérieur,  etc.  Dès 
lors,  la  géograjDhie  n'est  plus  une  sèche  nomenclature  de 
faits  sans  lien  et  sans  vie,  mais  une  harmonieuse  évolution 
naturelle  où  le  présent  dévoile  le  passé  et  présage  l'avenir. 
La  terre  cesse  d'être  une  nature  morte  et  inerte  :  c'est  un 
organisme  parfait.  Le  géographe,  même  à  la  simple  lec- 
ture d'une  carte,  voit  et  explique  les  traits  du  relief  ter- 
restre, la  distribution  des  végétaux,  celle  des  êtres  vivants 
et  de  l'activité  humaine. 


II 


Avec  le  présent  volume  de  géographie  canadienne  à  vol 
d'oiseau,  M.  Emile  Miller  introduit  dans  notre  littérature 
une  nouveauté  importante.  Il  montre  aux  hommes  d'étude, 
aux  amateurs  des  larges  horizons  et  des  longs  voyages, 
aux  poètes  eux-mêmes,  les  espaces  sans  bornes  de  nos 
plaines,  de  nos  forêts  immenses,  de  nos  lacs  gigantesques, 
de  nos  grands  fleuves,  de  nos  montagnes  inexplorées.    Il 


PRÉF m  i  XI 

en  explique  la  nature  et  L'évolution,  les  aspects  variés,  les 
grandes  lignes  sublimes.  Par  lui,  les  solitudes  cana- 
diennes rendent  une  voix,  les  vagues  de  nos  trois  océans 
chantent  leur  poème  sauvage.  On  entend  partout  la  langue 
de  la  géographie,  racontant  les  phénomènes  géologiques, 
climatologiques  et  biologiques,  combinés  avec  le  travail 
humain* 

("est  que,  depuis  longtemps,  M.  Miller' s'est  mis  à 
l'école  des  maîtres  de  la  science  géographique  contempo- 
raine :  Vivien  de  Saint-Martin,  de  Lapparent,  Suess,  Eli- 
sée Reclus,  Marcel  Dubois,  Lerov-Beaulieu.  A  la  lumière 
de  leurs  principes  et  de  leurs  méthodes,  il  a  repris  et  re- 
manié avec  un  rare  bonheur  les  études  et  les  conclusions 
des  géologues  canadiens  :  Dawson,  Logan,  Low,  Bouchette, 
Hind,  Taché,  Laflamme, 

Mais  loin  que  sa  pensée  fléchisse  sens  la  masse  des  faits 
amassés  un  à  un,  et  que  son  style  s'en  ressente,  il  s'élève 
par  l'imagination  et  l'enthousiasme  au-dessus  de  si  m  sujet 
dont  pas  un  détail  important  toutefois  ne  lui  échappe,  et 
son  excursion  n'en  est  que  plus  splendide,  sa  vision  plus 
compréhensive.  Il  ne  s'éloigne  de  ce  grand  tout  que  pour 
en  mieux  apercevoir  les  délinéaments,  pour  en  mieux  mar- 
quer la  forte  arcature  et  les  cadres  puissants.  On  ne  sau- 
rait, d'un  antre  point  de  vue,  embrasser  en  un  volume  de 
200  pages  un  aussi  vaste  ensemble,  et  tracer  un  si  large 
tableau. 

Si  encore  l'auteur  s'était  borné  à  l'entité  géographique, 
demeure  d'un  peuple  .le  huit  millions  d'habitants.  Mais 
il  a  voulu  jeter  un  regard  sur  l'avenir  qui  semble  réservé 


XII  PBBFACE 

à  sa  population  si  diverse  de  langues,  de  croyances  et  de 
traditions.  Il  a  fait  de  la  géographie  humaine,  il  a 
essayé  de  marquer  les  influences  de  la  terre  canadienne 
sur  l'homme  qui  l'habite.  Tentative  vraiment  périlleuse 
au  moment  où  l'on  veut  établir  la  filiation  des  caractères 
nationaux,  et  l'influence  du  sol  sur  l'âme  des  peuples  si 
différents  qui  vivent  sous  notre  ciel  boréal. 

Et  c'est  là  peut-être  que  M.  Miller  rencontrera  le  plus 
de  contradicteurs  et  qu'il  aura  aussi  le  plus  besoin  d'indul- 
gence. La  géographie  physique  obéit  à  un  déterminisme 
absolu  ;  la  liberté  humaine  a  ses  lois  aussi  mais  combien 
plus  difficiles  à  lire  et  à  interprêter.  Dans  notre  jeune 
Amérique  est-on  bien  sûr  que  la  géographie  ait  imprimé 
son  empreinte  sur  un  groupe  ethnique  quelconque,  et  ce 
caractère,  si  facile  à  reconnaître  dans  les'groupements  na- 
turels de  la  vieille  Europe,  c'est  le  cas  de  le  dire,  ne 
semble-t-i]  pas  ici,  manquer  d'appui,  les  populations  étant 
plus  récentes,  plus  disparates,  moins  individualisées  par 
le  sol,  si  l'on  en  excepte  peut-être  le  groupe  français  du 
Saint-Laurent   \ 

En  Canada,  deux  peuples  surtout  retiennent  l'atten- 
tion :  le  premier,  d'origine  française,  pionnier  de  la  pre- 
mière heure  mais  obligé  un  jour  de  se  replier  sur  le  Saint- 
Laurent  inférieur  pour  refaire  ses  forces  et  s'engager  de 
nouveau  dans  la  route  parcourue  d'abord  dans  une  ran- 
d(  onée  splendidement  héroïque  ;  le  deuxième,  anglais 
d'origine,  très  rapproché  encore  de  la  mère-patrie,  moins 
•  ■anadien  que  le  premier,  mais  le  maître  des  destinées  ac- 
tuelles du  Canada  et  le  principal  artisan  de  sa  grandeur 


PREFACE  XIII 

future.  Puis  viennent  les  groupes  mal  définis  encore, 
nomades  peut-on  dire  et  non  assimilés,  qui  stationnent  en 
masses  plus  ou  moins  compactes  sans  relations  stables  avec 
le  sol,  l'histoire  et  les  habitants  primitifs.  Sur  eux  les  in- 
fluences du  milieu  ne  pèsent  encore  que  du  poids  d'une 
ombre.  Là  plus  qu'ailleurs  se  livre  la  bataille  des  natio- 
nalités. M.  Miller  a  bien  vu  qu'il  serait  téméraire  d'as- 
signer une  âme  commune  à  ces  groupes  migrateurs,  sans 
patrie,  sans  foyer  pour  ainsi  parler.  Que  sortira-t-il  de 
cet  immense  caravensérail  où  stationnent  des  représentants 
de  toutes  les  nations  ?  C'est  alors  que  le  géographe  de- 
mande aux  ressources  du  sol  et  du  sous-sol,  quelle  orienta- 
tion leur  développement  imprimera  aux  destinées  du  Ca- 
nada. 

Nature  e1  situation  des  sols  règlent  en  effet  la  richesse 
économique  d'un  pays.  Et  voici  qu'en  considérant  l'entité 
du  domaine  politique  du  Canada  comme  habitat  de 
l'homme,  l'auteur  expose  cette  vérité  à  laquelle,  semble- 
t-il,  conduit  la  géographie  :  en  dépit  de  son  apparence 
d'unité  territoriale,  ce  pays  ne  saurait  devenir  une  seule 
pairie.  C'est  selon  le  mot  d'Elisée  Reclus,  un  annelé, 
chacune  de  ses  trois  ou  quatre  sections  est  autonome,  non 
seulement  par  son  relief,  mais  à  l'égard  de  chacun  de 
leurs  autres  grands  facteurs  géologiques  :  climat,  sous-sol, 
voies  de  transport,  débouché?  maritimes. 

Le  mystère  de  l'avenir  du  Canada  ne  reste-t-il  pas  da- 
vantage impénétrable  ?  En  tout  cas.  à  l'heure  <-ù  ce  palpi- 
tant problème  des  éléments  ethniques  de  ce  pays  se  pose 
avec   une   précision    presque   dramatique,    il    t'ait   bon    de 


XIV  PREFACE 

constater  un  effort  qui  projette  quelque  lumière  sur  ce 
sujet. 

M.  ^Miller  Fa  fait  en  un  style  excellent,  nerveux,  concis, 
rapide,  imagé  parfois  et  aussi  varié  que  les  tableaux  qu'il 
déroule  devant  les  yeux  de  son  lecteur.  Il  connaît  bien  la 
Langue  de  la  géographie.  Ce  n'est  pas  là  le  moindre  mérite 
de  cette  œuvre  faite  toute  de  généralités  et  de  larges  aper- 
çus. 

11  reprendra  la  plume,  nous  l'espérons,  et  bientôt,  pour 
étendre  et  préciser  la  vigoureuse  étude  dont  il  ne  donne 
aujourd'hui  que  le  sommaire  des  chapitres  pour  arriver 
d'un  bond  aux  conclusions.  Ainsi  pourra-t-il  offrir  à  l'en- 
seignement secondaire,  forcé  d'emprunter  livres  et  atlas 
de  géographie  aux  petites  écoles,  le  manuel  indispensable 
qui  lui  manque  encore,  et  dans  lequel  la  géologie  et  la 
géographie  continueront  de  marcher  la  main  dans  la  main. 
Ce  sera  combler  une  lacune  et  accentuer  chez  nous  le  mou- 
vement de  géographie  scientifique  qui  se  dessine. 

Abbé  Ai)i-:r.Ai:i>  Dksrosieks. 
Juin    1912 


LES     TERRES 


CHAPITRE  PREMIER 


ESQUISSE  DE  LA  GÉOGRAPHIE  DO  CANADA 


Considérons  l'ensemble  du  Canada  pour  le  mieux  voir  se 
détacher  du  tronc  continental  et  s>e  partager  de  lui-même  en 
ses  divisions  naturelles  propres.  M  ni-  elle  est  si  vaste  cette 
Amérique  boréale,  couronne  d'un  monde,  que,  pour  l'embras- 
ser toute  d'un  courp  d'oeil  circulaire,  nous  monterions  en  vain, 
BOUS  un  soleil  zénital.  aux  régions  aussi  vertigineuses  que  dé- 
létères où  voyagent  les  cirrus  glacés,  sans  encore  voir  étinceler, 
quand  mitre  regard  pourrait  percer  un  limpide  horizon  de  six 
cents  lieues,  les  trois  océans  qui  battent  ses  rivages  du  levant, 
du  nord  et  du  couchant.  Renonçons  à  c  tte  inutile  et  impra- 
ticable ascension  :  d'autres  panoramas,  d'autres  vistas  encore 
bien  grands,  mais  pins  humain-  el  souvent  sans  rivaux,  s'of- 
frent à  l'admiration  du  voyageur  :  la  mer  luttant  dans  des 
arènes  de  granit,  un  estuaire  où  se  confondent  le  fleuve  et 


4  ti;i;i:i:>  ET  PEUPLES  DU  canada 

l'océan,  des  méditerranées  douces  aux  calmes  plats  et  aux  ter- 
ribles colères,  des  rivières  silencieuses  ou  précipitées  en  casca- 
des, des  fleuves  tonnerres,  dles  monts  solitaires  au  milieu  d'une 
fertile  vallée,  des  steppes  de  la  faim,  des  chaînes  de  montagnes, 
trônes  des  deux  saisons,  d'où  l'on  découvre  une  plaine  illimitée. 
Terres  de  tous  les  âges,  de  toutes  les  vicissitudes,,  de  toûti 
physionomies,  de  toutes  les  valeurs,  vêtues  à  même  la  flore 
de  deux  zones  ;  ici  tout  est  immensité  et  multitude  ;  un  peu 
de  tous  les  pays  et  plus  qu'en  totit  autre  pays   ! 

Que  ceux  qui  ne  peuvent  voyager  se  penchent  sur  une  image 
du  globe  fidèlement  sculptée  en  bas-relief  et  teintent^  ainsi 
qu'il  convient,  les  aires  géologiques  du  Canada.  Et  peut-être. 
quièteanent,  sans  envier  le  fier  essor  de  l'aigle,  le  puissant  vol 
de  l'aéroplane,  verrons-nous  alors  un  peu  de  lai  grandeur  et 
de  la  force,  de  la  clémence  et  de  L'âpreté  dont  est  fait  notre 
Canada  ! 


11 


La  terre  la  plus  orientale  qu'aperçoit  le  voyageur,  c'est  Ter- 
re-Neuve, aux  côtes  sévères  et  si  profondément  découpées  que 
ses^ explorateurs  la  prirent  longtemps  pour  un  archipel.  Avec 
ses  épaisses  forêts  de  conifères  recouvrant  la  majeure  partie 
d'un  sol  tout  archéen.  ruisselant  sous  les  épaisses  brumes 
l'Atlantique  boréal,  avec  ses  interminables  processions  d'ice- 
bergs, ses  phalanges  de  pennipèdes  venues  ensemlble  de  la  Baf- 
fin,  Terre-Neuve  est  une  contrée  essentiellement  arctique  ; 
aussi  u'est-ce  pas  encore  le  Canada. 

Voici,  regardant  l'Europe,  des  lamibeaux  arrachés  à  l'océan, 
tous  diriges  du  sud-ouest  au  nord-est  :  ils  traduisent  les  der- 


ESQ1   [SSE    DE    LA    GEOGRAPHIE    DU   CANADA  5 

niers  efforts  de  surrection  de  l'imposanl  système  des  Apala- 
ches,  trait  dominant  de  ce  littora]  américain.  Cependant  que 
les  soulèvements  de  cette  chaîne  n'atteignent  nulle  part  ici  la 
faillie  altitude  de  mille  pieds,  ils  ont  partout  déterminé  l'af- 
fleurement de  filons  minéraux  rivalisant  en  richesse  avec  ceux 
des  régions,  plus  tourmentées  du  sud.  Des  noyaux,  d'étroites 
lames  éruptives  parsèment  la  masse  calcaire  de  l'Acadie,  mais 
restent  impuissants  à  la  protéger  contre  les  violentes  actions 
maritimes  qui  la  dévorent,  tels  les  formidables  jusants  de  la 
Fundy,  l'écluse  du  Canso,  les  longues  vagues  venues  des  tro- 
piques. 

Au-dessus  de  ces  terres  pennées  un  estuaire  guide  nos  re- 
gards vers  le  sud-ouest  où  bientôt  se  déroule,  en  s 'élargissant, 
un  immense  bassin  :  c'est  la  calme  vallée  du  Saint-Laurent 
dont  les  bornes  méridionales  sont  cette  chaîne  des  Apalaches 
qui,  après  avoir  rempli  la  lobe  gaspésienne,  oblique  .vers  le  sud, 
pour  multiplier  ses  tronçons  parallèles.  Vu  nord,  sans  limiter 
Taire  des  grands  affluents  :  Saguenay,  Saint-Maurice,  Ottawa, 
court  le  rebord  désordonné  d'un  médiocre  plateau  du  plus 
vieux  granit.  Encore  conduits  par  le  clair  sillon  du  fleuve 
qui,  de  la  45e  latitude,  devieni  subitemenl  frontière  entre  le 
Canadla  et  les  Etats-Unis,  nos  yeux  rencontrent  d'immenses 
réservoirs  d'une  eau  douce  et  verte.  Parmi  les  majestési  amé- 
ricaines ces  cinq  méditerranées  se  nomment  simplement  des 
lacs  —  ce  qui  n'en  éloigne  pas  les  colères  de  l'afaoosphère.  En 
atteignant  l'Ontario,  que  setpj  cents  milles  séparent  du  golfe 
Saint-Laurent,  nous  ne  nous  sommes  encore  élevés  qu'à  246 
pieds.  L'Erié  nous  porte  à  plus  de  deux  fois  cette  altitude 
par  la  digue  calcaire  qui  a  créé  la  formidable  cataracte  du 
Niagara.  Deux  autres  réservoirs,  le  Euron,  le  Supérieur,  en- 
core plus  vastes  ei  plus  profonds  que  les  premiers,  continuent 


II 


TERRES  ET   PEUPLES  DU   CANADA 


d'élever  leur  niveau  en  prolongeant  la  frontière  la  plus  na- 
turelle que  nous  comptions  au  sud.  (1) 

L'Ontario,  l'Eric,  le  Huron  circonscrivent  une  pi-aine  en 
fer  de  lance,  fourbu  pour  mieux  manquer  le  terme  de  notre 
expansion  méridionale.  Cette  péninsule  rattache  ainsi  la 
vallée  laurentienne  de  surface  alluviale  à  l'immense  bassin  du 
centre  continental,  dont  elle  constitue  sur  la  pente  atlantique 
le  prolongement  le  plus  assidu. 

Retraitant  de  ces  mers  intérieures  dont  les  flots  lavent  à 
lfurs  rivages  déchiquetés  du  nord  le  même  granit,  le  même 
vieux  calcaire  qu'ils  retrouvent  aux  portes  de  l'océan,  nous 
franchissons  bientôt  le  border  des  terrains  primaires.  A  peine 
trois  minces  bandes  paléozoïques  font  ici  la  transition  entre 
les  sols  les  plus  vieux  et  les  plus  jeunes.  C'est  le  milieu  du 
continent  ;  l'altitude  n'est  encore  que  de  huit  cents  et  quel- 
ques pieds. 

Devant  nous  commence,  pour  ne  finir  qu'aux  pieds  des  Ro- 
cheuses, une  plaine  d'alluvions  crétacées  dont  l'origine  est  at- 
tribuée au  séjour  d'une  mer,  —  la  mer  d'Agassiz  —  qui,  à 
l'époque  quaternaire,  comblait  toute  aspérité  depuis  les  Apa- 
laches  jusqu'à  Faîtière  cordillère  de  l'ouest)  et  de  l'Alaska  au 
golfe  mexicain.  L'oeil  se  repose  et  se  fatigue  à  contempler 
cette  prairie  déroulant  ses  faibles  ondulations  comme  les  va- 


(1)        LES  GRANDS  LACS. 


Supérieur 

Huron  (y  compris   la  baie  Geor 

gienne) 

Erié 

Ontario: 

Michigan 


Lon- 

Lar- 

gueur. 

geur. 

milles 

milles 

390 

160 

4<»0 

160 

250 

60 

190 

52 

345 

58 

Super-    Alti- 
ficie.     tude 


milles  pieds. 

carres 

31,420  602 

24,000  581 

10,000  572 

7,330  246 

25,590  581 


Fro- 
fon- 
deur. 

pieds. 

1,000 

900 
200 
500 

800 


ESQUISSE    DE    I.  A    GEOGRAPHIE    DU    CANADA  7 

gués  reposées  d'un  Océan.  Vers  le  terme  de  ces  champs  mono- 
tbnemeni  pareils  et  pareillement  fertiles,  l'altitude  insensible- 
ment croissante  de  la  plaine  est  parvenue  à  celle  d'un  pîateiau 
excédant  d'eux  mille  six  cents  pieds,  qui  s'adosse  à  une  formi- 
dable chaîne  de  montagnes  aux  sommets  neiges.  Les  nom- 
inaux torrents  qui  en  descendent  s'acheminent  avec  fracas 
parmi  des  entassements  de  cailloux  et  id'c  graviers  ;  plus  loin, 
devenus  grands  fleuves,  ils  coulent  dans  des  tranchées  d'argile. 

Nous  voici  engagé*  dans  la  cordillère  des  Rocheuses,  robus- 
te épine  dorsale  de  l'Amérique  à  la  procession  ininterrompue 
de  cimes  et  de  crêtes  essentiellement,  alpestres,  depuis  la  58e 
parallèle  jusqu'au  plateau  mexicain.  Ses  sommets  portent 
des  carapaces  glaciaires  auprès  desquelles  celles  de  l'Europe  ne 
sont  que  miniatures. 

A  cette  hardie  surrection  de  l'écorce  calcaire  du  gloibe, 
bourrelet  dont  la,  largeur  va  de  pas  moins  de  cinquante  et  de 
plus  de  cent  cinquante  milles,  s'appuie  fidèlement  la  chaîne 
laminée  des  Selkirk.  Dans  la  fosse  séparatrice  court  le  Co- 
lumbia,  forcé  de  chercher  issue  vers  le  sud,  tout  près  de  la 
frontière.  Immédiatement  parallèle  à  ces  .deux  systèmes  oro- 
géniques s'élève  La  chaîne  d'Or,  archéenne,  capitonnée  .de  pa- 
léozoïque  et  devenant  de  plus  en  plus  altière  en  fuyant  le  nord. 
Et  succède  un  haut  plateau  Aprement  accidente,  que  décou- 
pent des  lacs  sans  fond  et  d'où  sortent  des  fleuves  rapides  et 
abondants  comme  le  Fraser,  le  Thompson.  En  maints  endroits 
affleurent  des  sédiments  crétacés  ei  tertiaires,  ceux-ci  recou- 
verts* à  la  hauteur  de  Kamloops,  de  dépôts  volcaniques  qui  ont 
déterminé  de  fortes  dislocations. 

D'ici  à  la  mer  se  dresse  une  quatrième  chaîne  toute  éruptive, 
assidûment  frangée -de  fjords,  d'inlets  que  dominent,  en  quel- 
ques points,  des  monts  d  i  six  mille  pieds  .  L'élévation  de  cet 


S  TERRES  ET   PEUPLES   DU    CANADA 

alignement  côtier  croît  avec  la  latitude  pour  aller  former  les 
alpes  du  Saint-Elie  et,  en  Alaska,  l'imposant  massif  du  Me- 
Kinlcy,  tandis  que  la  chaîne-mère -des  Rocheuses  s'affaisse  à 
mesure  qu'elle  approche  de  l'océan  polaire. 

En  vue  de  la  côte  surgissent  l'île  de  Vancouver  et  l'archipel 
de  la  Reine-Charlotte,  cimes  d'une  cinquième  cordillère  encore 
à  demi  noyée  dans  les  eaux  profondes  du  Pacifique. 

Extrêmement  tourmentée  dans  la  Colombie  méridionale  et 
moyenne,  la  zone  du  court  versant  occidental  s'apaise  vers  le 
nord  en  un  système  des  plus  simples  :  un  plateau  de  quatre 
mille  pieds,  tout  lacéré  de  gaves  et  d'étroites  vallées  —  d'où 
sort  le  volumineux  Yukon  —  s'incline  vers  les  mers  de  Beau- 
tort  et  de  Bering. 


III 


Conduits  sous  ces  latitudes  de  l'hiver  quasi  perpétuel,  au 
terme  de  notre  course  vers  le  couchant,  la  vue  embrasse  main- 
tenant, du  haut  des  médiocres  dômes  que  sont  devenues  ici  les 
Rocheuses,  une  grande,  étrange  et  sévère  contrée.  Ses  fron- 
tières, du  delta  du  Mackenzie  au  détroit  de  Belle-Isle,  ne  sont 
autres  que  les  eaux  boréales  ;  au  sud.  elles  traversent  le  Qué- 
bec et  l'Ontario  avec  les  Laurentides  dont  un  des  contreforts 
va  brider  le  Saint-Laurent  limitrophe,  pour  ne  finir  qu'au- 
delà  du  lac  Supérieur,  en  Minnesota,  d'où  elles  courent  Mi- 
le point  initial  nord-ouest,  formant  ainsi  un  écu  triangulaire 
de  deux  millions  de  milles,  négligemment  inséré  dans  la 
pyramide  renversée  que  figure  l'Amérique,  et  embrassanl 
ton  le  la  région  lacustre  du  Canada.  A  son  centre  effondré 
pénètrent  les  eaux  du  nord  :  c'est  la  mer  de  Hudson,  com- 
parée avec  justesse  à  la  dépression  baltique. 


ESQUISSE    DE    I.A    GÉOGRAPHIE    1>I'    CANADA 


10  TERRES   ET  PEUPLES  DU  CANADA 

Dans  ces  mornes  espaces  faiblement  inclinés  soit  vers  le 
pôle,  soit  au  pourtour  de  l'hémicycle;  dont  la  mer  centrale  est 
comme  l'arène,  la  croûte  du  globe  a.  gardé,  dirait-on,  le  carac- 
tère cahotique  qu'elle  prit  au  jour  où  elle  se  solidifia.  Et 
souvent,  là,  nul  terrain  de  transition  ne  gît  entre  le  granit 
primordial  et  les  roches  érnptives. 

Deux  grandis  Êleuv  s  ont  creusé  leur  lit  sur  ses  confins  — 
le  Saint-Laurent  et  le  Maekenzie,  —  tandis  qu'une  légion  de 
rivaux  venus  d!u  littoral  labradorien,  des  sources  du  Mississipi 
et  dos  nevés  des  Rocheuses,  s'acheminent  vers  l'Hudson,  tantôlt 
reposant  leurs  eaux  dans  d'immenses  réservoirs  de  nulle  pro- 
fondeur, tantôt  reliant  de  longs  chapelets  lacustres  ;  ruisse- 
lant ici  a  plat  sur  le  dur.  grondant  là  en  cent  chutes,  rapides 
ou  cascades. 

Tel  nous  apparaît  cet  imposant  vestige  des  sols  archéens, 
alors  que  la  Terre  primaire  avait  comme  aujourd'hui  deux 
continents,  mais  qu'au  lieu  d'être  alignés  dans  une  direction 
nord-sud  —  qu'elle  tend  sans  cesse  à  accentuer,  —  ils  entou- 
raient les  pôles.  Les  derniers  mouvements  de  l'écorce  parais- 
sent avoir  eu  pour  effet  la  production  de  fractures  longitudi- 
nales, comme  celles  qui  ont  ouvert  les  deux  extrémités  de 
l'Atlantique,  segmenté  l'Asie  de  l'Afrique.  "  C'est  ainsi  qu'à 
l'ordonnance  des  anciens  âges,  qui  comptait  deux  masses, 
Tune  boréale,  de  l'Alaska  à  la  Sibérie,  l'autre  tropicale,  des 
Andes  chiliennes  à  l'Australie,  s'est  peu  à  peu  substituée 
l'ordonnance  actuelle  où  s'accentue  la  tendance  à  l'allongement 
des  unités  continentales.  "  (1)  Le  même  sol  antique  affleure 
également  en  Sibérie,  en  Mongolie  ;  la  Finlande,  la  Scandi- 
navie, l'Ecosse,  les  Hébrides,  le  Groenland  sont  d'autres  frag- 
ments aujourd'hui  isolés  de  ce  continent  qui  dut  voir  l'aube 

1.    A;  de  l.appart'nt .  Abrégé  d    Géologie,  ch.  X.  §"3. 


ESQUISSE    DE    I.A    GÉOGRAPHIE    1)1'    CANADA  11 

delà  vie  terrestre.  Il  constitue  le  trait  fondamental,  la  clef 
de  voûte  de  la  géologie  canadienne,  en  divisant,  par  son  angle 
méridional  enfoncé  dans  les  Etats-Unis,  soit  au  centre  du  con- 
tinent,  la  vallée  laurentienne  de  la  plaine  et  du  versant  paci- 
fique. 

IV 

Le  caractère  'boréal  que  ta  présence  die  ee  bouclier  commu- 
nique si  franchement  au  Canada,  il  l'accentue  encore  en  té- 
moignant des  faits  géologiques  qui  ont,  à  la  fin  de  l'époque 
tertiaire,  déterminé  sous  nos  climats  l'irruption  soudaine  de 
l'hiver,  manifesté  d'abord  par  des  invasions  glaciaires.  Alors 
que  se  reposaient  les  Apalaches,  alors  que  s'achevait  la  surree- 
tion  des  Rocheuses,  alors  que  les  Alpes  n'existaient  pas.  une 
ti  rre  se  dess-ait,  savons-nous,  à  la  place  de  l'Atlantique  du 
Nord,  empêchant  tout  mélange  entre  les  eaux  froides  du  pôle 
et  les  eaus  subtropicales.  Quand  cette  Atlantide  fut  assez 
morcelée  par  une  série  d'effondrements,  dont  les  mers  Balti- 
que, de  Baffin,  de  Hudson  et  le  golfe  laurentien  sont  autant 
d'exemples,  un  grand  troulble  est  survenu  dans  la  distribution 
des  courants  :  ides  vents  humides,  issus  de  la  région 
équatoriale,  sont  arrivés  brusqu  ment  en  contact  avec  des  fleu- 
ves marins,  jusque  dans  les  pays  circumpolaires,  pour  y 
décharger  leur  vapeur  d'eau.  "  Les  terres  alors  en 
travail  — ■  tantôt  abaissées,  tantôt  relevées  —  offraient 
à  de  certains  moments  une  altitude  particulièrement  propice 
à  ces  condensations.  Comme  ce  n'esl  pas  tant  le  froid  qu'une 
augmentation  notable  de  la  quantité  de  neige  tombée  qui  en- 
gendre les  masses  glaciaires,  il  esl  vraisemblable  que  le  bou- 
clier canadien  se  développait  alors  en  un  plateau  incliné  srers 


12  TEBRES   ET    PEUPLES   DU   CANADA 

le  sud  et  dressant  ses  plus  hautes  falaises  sur    les     parages 
arctiques,  soit  l'inverse  de  l'état  actuel.    Et  comme  l'équilibre 

définitif  ne  put  s'établir  Bans  que  la- mesure  ait  été  plus  d'une 
fois  dépassée  dans  un  sens  ou  dans  l'autre,  le  phénomène  eut 
drs  alternatives  séparées  par  des  intervalles  d'un  tout  autre 
régime.  e<  (1)  Pas  moins  rie  six  invasions  glaciaires  parties  de 
trois  centres  de  distrihution  auraient  ravagé,  en  descendant 
jusqu'à  la  37e  parallèle,  la  moitié  du  continent,  soit  quatre 
millions  do  milles  carrés.  "Dan-  le  Canada  oriental,  où  le  relief 
est  assez  simple,  l'action  érosive  n'eut  pas  d'autre  effet  que  de 
rouler  des  débris  arrachés  aux  collines  du  Labrador  et  de 
redistribuer  des  sols  déjà  fixés.  Mais  le  centre  glaciaire  du 
Keewatin  a  presque  effacé  les  Laurentides  pour  endiguer  par 
ses  puissantes  moraines  la  fosse  où  gisent  les  plus  grands  ré- 
servoirs d'eau  douce  do  la  Terre.  C'est  dans  la  région  colom- 
hienno  que  l'action  d  s  glaciers  fut  le  plus  destructive  :  des 
sommets  ont  été  beTrassés,  les  bords  des  vallées  taillés  en  mu- 
railles et  leur-  fonds  exhaussés  de  plusieurs  centaines  de  pieds. 

Sur  tout  1"  Grand  Nord,  où  1  •  granit  a  été  remué  ot  trituré. 
les  accumulations  morainiques  ont  déterminé,  avec  le  retrait 
des  glaces  et  l'abaissement  définitif  de  la  contrée  vers  le  pôle, 
des  endiguements  qui  ont  fait  naître  une  multitude  de  lacs 
dont  les  plus  vastes  son  ceux  des  Bois,  du  Winnipeg,  du  Ma- 
nitoba.  du  Caribou,  de  la  Doobount,  de  l'Atfoabaska,  du 
Grand -Esc!  ave  et  de  l'Ours. 

Les  condition-  actuelles  résident  dan-  l'acquisition  définitive 
de  l'assi  t-te  des  terres  boréales  et  dans  l'établissement  tardif 
du  Gull'-Siream.  dont  l'influence  assure  à  l'Europe  nord- 
occidentale  mie  douceur  i!e  climat  que  la  seule  latitude  semble 
lui  interdire,  tandis  que  1"  Canada  atlantique  reste  à  la  merci 

1.    A.  de  Lapparent,    Ybrègè  de  Géologie,  eh.  XI,  §:.'. 


ESQUISSE    DE    LA    GEOGHAPHIE    ni     CANADA  13 

des  courants  polaires.  Telle  fut  en  résumé  L'action  altérative 
de  cette  époque  glaciaire  qui  paracheva  la  configuration  de 
l'Amérique,  en  y  établissant  un  lien  étroit  entre  sa  physiono- 
mie el  s. m  climat. 


N'ayant  pas  comme  au  Vœux-Monde  ni  Afrique,  ni  Arabie, 
ni  Hindouston  pour  contrebalancer  la  Sibérie  qu'est  notre 
Grand  Nord,  le  retour  des  saisons  expose  ce  pays  à  de  consi- 
dérables écarts  thermométriques.  Il  y  a  plus  que  le  désa- 
vantage d'être  à  la  base  d'un  triangle  dont  la  pointe  méridio- 
nale ne  saurait  faire  que  de  médiocres  provisions  de  chaleur  : 
c'est  l'absence  de  toute  saillie  transversale  capable  d'abriter  le 
centre  contre  les  souffles  polaires  ou  tropicaux.  Enfin,  le  très 
court  'versant  du  Pacifique  est-il  seul  à  bénéficier  d'influences 
maritimes.  Quant  au  courant  du  Golfe,  il  n'a  de  faveurs, 
avons-nous  vu,  que  pour  l'Europe.  Né  de  la  fusion  de  deux 
courants  équatoiïaux  qui,  dans  le  canal  de  la  Floride,  à  l'ouest 
des  Bahamas,  unissent  leur  grande  chaleur  et  leur  haute  sali- 
nité, ce  fleuve  marin  sans  rival  longe  les  cotes  américaines 
jusqu'à  la  latitude  du  cap  Hattaras  où,  déviant  (brusquement, 
il  traverse  l'Atlantique,  disperse  de  puissants  rameaux  qui 
retournent  au  midi,  pendant  que  le  tronc  principal  s'avance 
jusqu'aux  glaces  où  sa  marche,  quoique  ralentie,  peut  encore 
déterminer  un  courant  polaire  qui  côtoie  fidèlement  le  La- 
brador et  se  heurte  au  flanc  de  ce  même  Gulf  Sfream,  en  pro- 
duisant, à  la  hauteur  des  bancs  de  Terre-Neuve,  un  bras* 
l'niinidaUe  d'eaux  froides  et  d'eaux  chau  les,  ce  qui  provoque 
d'épais  brouillards  enveloppant  tout  le  littoral,  et  que  les 
grands  vents  d'est  répanSenl  en  neiges  ou  pluies  sur  la  vallée 


14  TBRRES   ET   PEUPLES   DU   (AXA  HA 

laurentienne,  où  la  mesure  il  s  précipitations  annuelles  oscille 
entre  trente  et  quarante  pouces. 

Quant  aux  souffles  polaires,  nécessairem  ni  secs,  ils  trou- 
vent porte  ouverte  sur  nos  landes  arctiques  et  descendent  sans 
obstacle  vers  leur  foyer  d'appel,  le  golfe  mexicain,  la  mer 
antilienne,  et,  de  concert  avec  lés  alizés  de  l'Atlantique  boréal, 
ils  infléchissent  considérablement  les  barres  isothermiques 
vers  le  sud-est. 

Tel  est  l'ensemble  des  agents  défavorables  à  mitre  climat, 
auxquels  s'opposent  des  contraires  quelque  peu  moins  agis- 
sants. 

Le  Pacifique  équatorial  engendre  lui  aussi  un  courant  que 
l'hydrographie  appelle  de  son  nom  japonais  :  c'esl  le  Kouro- 
Chivo  —  fleuve  noir  ou  fleuve  salé  —  lequel  traverse  l'océan 
à  la  façon  du  Gulf  Stream,  pour  venir  disperser  ses  bras  depuis 
les  Aléoutiennes  jusqu'en  Basse-Californie.  Le  souffle  qui 
l'acconipagnc  tempère  nos  côtes  au  .point  que  l'île  de  Van- 
couver a  des  étés  pins  chauds  que  la  Californie  moyenne,  à  dix 
degrés  plus  au  sud,  cependant.  Aiprès  s'être  allégé  de  ses  va- 
peurs à  la  rencontre  des  barrières  du  littoral,  par  des  précipi- 
tations nulle  part  inféri  ares  à  soixante-dix  pouces,  mais 
atteignant  jusqu'à  cent  trente  pouces,  ce  courant  aérien,  de- 
venu le  chinooh,  franchit  les  plateaux  intermédiaires,  s'en- 
gouffre dans  les  cols  de  la  triple  cordillère  die  l'arête  conti- 
nentale et  dévale  sur  la  plaine  du  centre  où,  sec  et  vivifiant,  ce 
foehn  liquéfie  et  boit  les  neiges,  ressuscite  les  graminées  pour 
restaurer  en  un  jour  l'été  sur  les  domaines  de  l'hiver.  D'autres 
vague-  fièdes,  parties  •en  tourmentes  cycloniiques  du  golfe 
mexicain,  s'apaisent  en  courant  dans  la  steppe  et  s'engagent 
périodiquement  jusque  dans  la  région  laureniienne,  où  elles 
alternent  avec  les  souffles  de  Gaspé  ou  de  l'Iludson. 


ESQUISSE    DE    LA    GÉOGRAPHIE    DU    CANADA  15 

Au  centre  du  continent  c'esï  Le  calme  relatif  de  L'air.    Mais 
il  est  cependant   rompu  à  l'étal  chronique  sur  la  haie  de  Sa- 
ginaw  où.  soit  que  Le  souffle  vienne  du  nord  ou  du  sud,  pas 
wolents  l.i  bise  sibérienne.  Le  desséchant  siroco. 

Ainsi  dépourvu  d'influences  maritimes,  c'est-à-dire  de  vents 
à  la  fois  chauds  ei  humid  s.  sur  la  plus  considérable  portion 
de  sa  surface,  le  Canada  souffrirait  les  rigueurs  d'uu  climat 
essentiellement  continental,  s'il  ne  possédait  cette  incompa- 
rable quinte  de  Lacs-frontière  à  laquelle  se  rattache  l'échelle 
des  autres  grands  et  petite  réservoirs  qui  va  du  lac  des  Bois 
à  celui  de  l'Ours,  en  exerçant  sur  tout  le  midi  et  le  centre 
canadien  le  rôle  de  modérateurs  dans  l'alternance  trop  rapide 
des  saisons.  Refroidies  ou  réchauffées  plus  lentement  que  les 
terres,  ces  eaux  lacustres  leur  communiquent,  suivant  l'époque, 
soit  un  peu  de  froid,  soit  un  peu  de  chaleur  qu'elles  ont  en 
excès  sur  Les  terres,  suppléant  ainsi  à  l'insuffisance  —  à  L'ab- 
sence même,  pourrait-on  dire  —  des  agents  maritimes. 


VI 


Ces  divers  facteurs  permettent  de  partager  le  climat  ca- 
nadien —  tout  à  la  zone  tempérée  froide  —  en  trois  tj 
bien  caractérisés.  On  climat  franchement  maritime,  pareil 
à  celui  des  régions  nord-atlantiques  de  l'Europe,  réside  sur  Les 
littoraux  de  la  Colombie  et  de  l'Alaska  méridional.  L'in- 
fluence a  Itoucissante  de  la  mer  y  détermine  des  pluies  modé- 
en  toute  saison  et  des  températures  à  faible  variation  : 
en  effet,  l'écart  des  oscillations  thermométriques  n'atteint 
jamais  fi.>°   F. 


16  TERRES    ET   PEUPLES   DU   CANADA 

Tous  les  steppes  centraux  jouisseni  d'un  climat  nettement 
continental,  mais  qu'il  convient  de  diviser,  selon  que,  du  sud 
au  nord,  l'amplitude  de  la  température  moyenne  et  annuelle 
va  de  <J5o  à  95o,  ou  au-dessus  de  95o.  Dans  la  bande  méri- 
dionale qui  s'étend  sur  une  portion  considérable  du  Canada  et 
des  Etats-Unis,  l'amplitude  de  l'oscillation  entre  le  mois  le 
pins  froid  et  le  mois  le  plus  chaud  augmenterait  dans  la  me- 
sure de  l'éloignement  des  influences  maritimes,  si  les  grandes 
faux  intérieures  n'exerçaienl  leur  action  neutralisante  ;  ce  qui. 
malgré  les  pluies  suffisantes,  ne  laisse  pas  d'avoir  l'été  chaud. 
parfois  très  chaud  et  l'hiver  rigoureux,  d'une  durée  de  cinq 
longs  mois.  C'est  de  ce  climat  que  jouit  l'Europe  depuis  l'esl 
de  la  Scandinavie  jusqu'en  Sibérie  occidentale.  Une  ampli- 
tude excessive  des  variations  —  dépassanl  (>0o  —  caractérise 
la  zone  subarctique  ou  intermédiaire,  aux  étés  encore  chauds, 
mais  courts,  et  aux  hivers  de  sept  mois  et  demi,  alors  que 
règne  un  froid  sec,  le  plus  intense  du  globe.  Tel  est  aussi  le 
climat  siibério-mongolien. 

Enfin,  le  régime  qui  sévit  sur  toutes  les  îles  de  l'Arctique 
s'étend  à  la  région  des  littoraux  de  nulle  altitude  que  ne 
limite  pas  le  cercle  polaire.  En  effet,  les  abords  du  grand 
lac  de  l'Ours,  de  l'inlet  de  Chesterfield,  comme  du  détroit  de 
Hudson,  où  les  rayons  solaires  n'arrivent  que  très  affaiblis  ei 
cela  pendant  une  faible  partie  de  l'année,  subissent  aussi  l'ex- 
trême froidure  de  l'arctique.  Il  ne  tombe  que  très  peu  d'eau, 
vu  l'absence  presque  complète  d'évaporation  sur  les  mers 
froides.  La  moyenne  <\v<  mois  les  plus  chauds  n'atteint  pas 
43o  quand!  celle  des  plus  froids  dépasse  I05o. 


ESQUISSE   DE    T.A    GEOGRAPHIE    DU    CANADA  lî 


VII 


Le  monde  végétal,  intimemenl  lié  à  la  nature  des  sols  et  aux 
conditions  climatiques  —  dépendant  peut-être  plus  encore  du 

climat  que  des  sols  —  achève  de  fixer  la  physionomie  et  de  dé- 
terminer la  valeur  idée  contrées.  Notre  pays  possède  une  flore 
variée,  mais  contrastante,  puisque  les  causes  son!  très  caracté- 
risa es. 

Dans  son  entité  originelle  le  domaine  forestier  de  l'Amé- 
rique septentrionale  entourait  la  plaine  continentale  d'un 
large  réseau,  encore  bien  riche  au  nord  et  sur  chacun  des  ver- 
sants occidentaux  de  la  Colombie.  De  l'Orégon,  cette  ceinture 
irigeait  à  l'est  par  le  cours  supérieur  du  Missouri,  pour  se 
rattacher  par  l'Ohio  à  la  zone  dis  Alléghanys,  en  revêtant 
toutes  terres  depuis  la  péninsule  michigane  jusqu'à  l'Acadie. 

Le  Canada  contient  un  domaine  de  pluies  constantes,  sans 
saison  sèche,  à  l'hiver  clément  :  c'est  le  climat  forestier  idéal 
dont  bénéficie  la  Colombie  britannique.  Aussi  voit-on  se  dé- 
velopper sur  tout  le  littoral  et  chacun  des  versants  qui  regar- 
dent le  Pacifique,  une  épaisse  croissance  de  conifères 
dont,  l'expression  la  plus  parfaite  se  trouve  dans  le 
gigantesque  pin  Douglas,  haut  de  cent  soixante  pieds.  Bien 
que  ces  bois  exubérants  ne  dépassent  pas  sur  le  continent  la 
57e  latitude,  la  plupart  des  îles  de  l'Alaska  méridional,  celle 
de  Kadiak  et  jusque  la  corne  d'Aliaska  sont  totalement  recou- 
vertes de  la  môme,  incorruptible  et  odorante  forêt.  Humidité 
et  chaleur,  scret  de  toute  vie.  prodiguent  encore  dans  cette 
région  transrocheuse  une  abondance  <\r  moussi  s  veloutées,  aux 
teintes  étranges,  qui  tapissent  le  sol.  les  bois  morts  ou  vit-. 


18  TBERES   ET   PEUPLES   DU   CANADA 

de  grandes  fougères  épizootiques  dentelant  jusqu'aux  branches 
des  arbres  séculaires. 

D'immenses  prairies  limitées  vers  le  sud  par  les  cours  de 
l'Ohio  et  de  la  Missouri  s'étendaient,  il  va  un  demi  siècle  à 
peine,  de  la  Rouge  aux  abords  des  Rocheuses  et  jusqu'à  l'orée 
des  bois  qui  marquent  la  transition  des  sols  argileux  ^ux 
roches  granitiques  de  l'extrême  nord.  Mais  à  la  grasse  végéta- 
tion de  ces  steppes  souriantes,  —  au  printemps,  merveilleux 
tapis  de  graminées,  de  cactées,  d'onagrariers,  de  mimosas,  de 
liliacées  arborescentes,  passant  avec  la  chaleur  estivale  aux 
nuances  les  plus  diverses  du  jaune  et  du  roux,  à  cet  océan 
mollement  bercé,  que  d  s  traînées  d'arferes,  dans  les  couloirs 
étroits  des  rivières  tranchaient  ici  et  là  sans  l'interrompre,  - 
substituent  chaque  Jour  des  domaines  agricoles.  Là  où  na- 
geaient les  coursiers  des  chasseurs  métis  et  sauvages  à  la  pour- 
suite du  robuste  bui'falo,  mûrissent,  au  milieu  de  toutes  les 
cultures,  des  blés  portant  leurs  lourds  épie  plus  haut  que  la 
tête  des  hommes. 

Il  est  exact  de  dire  que  jusqu'au  moindre  des  champs  culti- 
vés du  Canada  oriental  fut  conquis  sur  la  forêt,  forêt  d'une 
très  belle  venue,  aux  sous-foois  charmants,  marquant  le  pas- 
sage des  formes  à  feuilles  caduques  des  Alleghanys  aux 
essences  à  feuilles  aciculaires  du  nord  :  oléacées  (frênes), 
sapindacées  (érables),  chêne  rouge,  iilmacées  (ormes)  et  châ- 
taigniers. 

Une  ceinture  de  robustes  conifères  —  pins,  sapins,  mélèzes 
avec  qrai  Lques  bouleaux  —  atteignant  sur  plusieurs  points  plus 
de  six  cents  milles  de  largeur,  relie  les  maquis  du  Lalbrador 
aux  altières  chevelures  des  Rocbeuses.  De  l'estuaire  lauren- 
tience  bois  sombre  et  dense  va  au-delà  du  fleuve  llamilton   ; 


BSQUTSSE    DE    I.A    GÉOGRAPHIE    DTJ    CANADA  19 

depuis  le  cap  Tourmente,  Grand'Mère,  Grenville,  Kenfrew,  il 
ne  finit  qu'à  la  baie  .laines  ei  à  la  rivière  de  la  Grande-Balei- 
ne, en  Ungava  ;  des  rives  de  l'Huron,  lu  Supérieur,  du  Win- 
oipeg  son  expaneion  indéfinie  embrasse  tout  l'espace  des 
grandes  plaines  siluriennes  dont  le  cap  Churchill  esi  le  terme 
oord.  La  même  foret,  quelque  peu  affaiblie  par  une  décrois- 
sance des  précipitations,  renaît  à  l'ouest  des  lacs  manitobains, 
remplit  la  vallée  de  la  Saskatehewan,  les  bassins  de  la  Chur- 
chill, de  PAthabaska  supérieure,  aoil  jusqu'au  Grand  Esclave; 
enfin  un  large  tronçon,  guidé  par  la  Paix  et  le  Mackenzie, 
gagne  le  cercle  polaire,  franchit  les  cordillères  aibaisséee  et 
comble  la  pénéplaine  d'où  sort  le  Yukon. 

En  traversant  cette  grande  forêt  résineuse,  au  début  telle- 
ment pleine  d'ombre  et  réfractaire  à  la  chaleur  que  le  déve- 
loppement des  moindres  sous-bois  est  souvent  impossible,  et  si 
dense  que  les  seules  clairières  ne  sont  autres  que  le  passage 
des  eaux  courantes  et  une  myriade  de  lacs  tranquilles  où  se 
mirent  les  cimes  effilées,  on  constate  à  sa  frontière  du  nord 
une  diminution  notable  de  la  vigueur  ligneuse.  C'est  bientôt 
la  taïga  :  plus  que  dles  lisières  courant  dans  les  vallées,  des 
îlots  végétant  aux  endroits  abrités  ;  de  plus  en  plus  ces  brous- 
sailles toujours  vertes  s'affaissent  devant  les  régions  suprême- 
ment monotones  et  désolée--  de  l'Arctique. 

Dans  cette  zone  des  landes  stériles  (barren  grounds)  — 
occupant  \>rr>  d'un  tiers  du  Canada  —  l'hiver  de  huit  longs 
mois  ne  laisse  qu'une  courte  période  végétative  avec,  il  est 
vrai,  un  éclairement  continu,  mais  de  minimes  précipitations. 
Et  le  sol  reste  gelé  à  une  faible  profondeur  de  la  surface, 
moins  de  dix  pouces.  Là,  l'existence  de  la  végétation  est  d  - 
plus  précaires   :  des  arbres  centenaires  gardent  l'apparence  de 


20  TERRES  ET  PEUPLES  DU  CANADA 

buissons  rampants  dont  les  plus  élevés,  quand  il  s'en  trouve, 
n'arrivent  qu'à  un  demi  pied  ;  leurs  branches  étalées  à  la  sur- 
face font  à  peine  saillie  au  milieu  des  mousses.  Souvent  même 
la  tige  tordue  de  ces  arbres  nains  —  bouleaux,  saulaies  —  ne 
porte  que  deux  feuilles  et  un  seul  chaton.  La  toundra  esl 
jaune  aux  endroits  pierreux  et  secs  que  tapissent  les  lichens, 
puis  verte  dans  les  marécages  où  végètent  les  mousses.  A  ce 
tapis  bigarré  de  plantes  minuscules,  avec  une  partie  souter- 
raine très  développée  où  s'amassent  les  énergies,  s'ajoutent, 
jusque  sur  les  iptus  lointains  rochers  polaires,  quelques  repré- 
sentants d'une  bien  humble  flore  qui — renoncules,  saxifrag  -. 
anémones — blottis  dans  les  frissures  ou  étalés  sur  la  pente  dés 
talus  aibrités  des  vents  traîtres,  se  hâtent  de  germer  et  d'épa- 
nouir leurs  éclatantes  petites  fleurs  qu'un  misérable  jour  de 
six  semaines  transformera  en  l>aies  minuscules  aussi  insipides 
que  incolores. 


VIII 


Comme  l'Afrique  australe,  les  terres  canadiennes  possé- 
daient une  faune  qui,  avant  d'être  soumise  à  l'influence  déci- 
mante de  la  civilisation,  était  l'une  des  plus  considérables  mie 
la  Providence  ait  préparée  à  l'homme. 

Refoulée  dans  les  forêts  de  l'est  dont  la  frontière  recule  sans 
cesse  vers  le  nord,  et  anéantit-  dans  la  grande  plaine  du  centre, 
où  l'extermination  fut  aussi  impitoyable  que  facile,  cette  faune 
de  la  sous-région  boréale  compte  encore,  parmi  les  ruminants, 
le  timide  chevreuil  (r/cer),  le  caribou  K(reîndeer  des  Anglais), 
l'orignal  ou  moose,  le  beau  cerf  wapiti  dont  on  trouve  des 
individus  vingt-cors,  tous  confinés  dans  les  'bois,  au  sud  et  à 


ESQUISSE    DE    LÀ    GÉOGRAPHIE    DU    C.\NAI>\  21 

Test  de  la  mer  de  ELudson;  à  L'ouest,  Le  bison  ou  btqffàlo,  jadis 
le  roi  do  la  prairie  aujourd'hui  en  troupeaux  bien  réduits  dans 
les  boîg  de  la  rivière  de  la  Paix  et  au  pare  de  Banff. 

Au  nomjbre  dles  carnassiers,  «les  rongeurs  au  riche  pelage 
Bubsistèni  Tours  brun,  le  loup,  le  glouton  ou  wolverene,  le 
renard,  le  lynx,  le  blaireau,  la  martre,  la  loutre  et  le  castor 
en  faibles  colonies. 

Des  oiseaux-mouches  ou  colibris,  des  pinsons-des^-guérets, 
dos  bouvreuils,  des  "merles  chanteurs,  dos  grives  et  plusieurs 
autres  passereaux  se  rendent  aux  premiers  jours  de  l'été  jus- 
qu'à Forée  de  la  grande  et  noire  forêt  où  se  confondent  les 
faunes  sub-arctique  et  arctique.  La  taille  des  insectes,  des  mou- 
cherons.notamment  celle  d'une  phalène  de  nuit.est  considérable. 
Les  "batraciens  et  les  reptiles,  introuvables  sur  les  landes,  son! 
abondants  ici.  C'est  encore  dans  les  eaux  fluviales  et  lacustre- 
do  cette  zone  zoologique  —  en  Colombie  surtout  —  que  l'exis- 
tence d' s  Salmonidés  a  pris  un  exceptionnel  développement. 
Mais  il  faut  remarquer  mi Y>n  les  trouve  en  dessous  du  Canada 
et  jusque  dans  chacune  des  moindres  rivières  de  l'archipel  du 
nord. 

Tl  convient  de  considérer  comme  une  zone  autonome  le  ver- 
sant pacifique,  où  l'animal  semble  proportionné  au  végétal. 
C'est  l'habitat  de  deux,  peut-être  trois  variétés  de  plantigrades 
carnassiers  :  Tours  noir  ahon'lanl  surtoul  en  Colombie  mé- 
diaire,  le  grizzli,  horrible  et  terrible  relique  des  temps  gla- 
ciaires :  de  la  chêvre-mouflon,  sorte  d'antilocapre  Indigène 
des  Rocheuses,  puis,  sur  la  côte  et  en  mer,  de  la  loutre  et  du 
phoque  à  l'inestimable  pelage. 

Au  pays  déshérité,  sans  chaleur,  sans  ressources  végétales, 
qui   va  de  la   lisière  extrême  i\<i>  buis  laurentiens  jusqu'aux 


22  TERRES   ET    PEUPLES    DU   CANADA 

îlots  polaires,  vivent  une  faune  terrestre  assez  pauvre  quoique 
supérieure  à  celle  de  l'Eurasie  parallèle  et  une  faune  maritime 
remarquable  par  la  grande  taille  de" ses  mammifères.  L'océan 
du  nord  est  devenu  le  dernier  refuge  de  la  baleine  franche  ou 
baleine  noire  qui,  incessamment  chassée  dans  l'Atlantique 
moyen,  s'est  définitivement  cantonnée  au  voisinage  du  Spitz- 
berg,  dans  les  mers  de  Baffin  et  de  Beaufort.  Son  itinéraire 
annuel  est  bien  connu  :  à  l'ouest,  du  cap  Lopatka  aux  (bouches 
du  Mackenzie  ;  à  l'est,  autour  du  Groenland  jusqu'au  golfe  de 
Melville.  Mais  il  est  certain  que  des  cétacées  franchissent 
aussi  le  fameux  détroit  du  nord-ouest.  Le  renne,  que  les  Dénés 
(1)  paresseux  auraient  pu  domestiquer,  est  abondant  sur  les 
landes.  Des  boeufs  dits  musqués,  des  ours  blancs,  elles  loups, 
des  renards  et  d'autres  rongeurs  à  riche  pelage  traversent,  sur 
la  glace  qui  ne  manque  jamais  de  soucier  les  littoraux  affaissés 
du  continent  au  complexe  des  terres  du  bassin  polaire,  et  s'a- 
vancent ainsi  jusque  dans  l'ultime  Ellesmere.  Toute  cette 
catégorie  terrienne  harmonise  sa  toison  avec  la  saison  hiémale 
en  prenant  alors  une  livrée  blanchie.  Mais  c'est  dans  les  oiseaux 
qu'est  la  vraie  richesse  zoologique  de  l'Arctique  :  canards, 
bruants,  gélinotes,  dont  l'habitat  ne  finit  qu'au  golfe  de  Saint- 
Laurent.  Notre  faune  des  légions  polaires  s'individualise  par 
son  grand!  ruminant  autochiome,  le  boeuf  musqué,,  qui  ne  se 
trouve  pas  en  Eurasie  ;  par  l'absence  de  l'eider,  précieuse  va- 
riété du  canard,  tout  à  fait  disparue,  et  encore  par  celle  des 
pengouins  on  manchots,  cou  fines  aux  banquises  de  l'Antarc- 
tique. 

1.     Peuplade  du  versanl   arctique  du  Canada. 


ESQUISSE    DE    l..\    GÉOGRAPHIE    DTJ    c\\\l>\  23 


IX 


Bien  que  intimement  soudé  au  reste  de  l'Amérique,  puis- 
qu'une  ligne  astronomique  marque  au  sud  les  trois-quarts  de 
sa  frontière,  le  confinement  boréal  du  Canada  est  manifeste- 
ment déterminé  par  l'écoulement  des  eaux  dans  une  direction 
générale  nord  avec,  cependant,  deux  seules  exceptions  :  le 
Saint-Jean  et  le  Columbia,  qui  dirigent  leur  cours  majeur  au 
sud. 

Et  qui  confondra  jamais  les  caractères  des  trois  grandes 
/.unes  longitudinales  dont  l'assemblage  constitue  le  Canada  et, 
comme  du  reste,  tout  le  continent  ?  1°  Terres  morcelées  et  fai- 
blement accidentées  du  versant  immédiat  de  l'Atlantique  : 
2°  calme  hinterïand  ayant  la  route  laurentienne  et  la  mer  de 
EDudsôn  pour  débouchés  ;  puis  3°  brève  pente  saccadée  du 
Pacifique. 

De  profondes  harmonies  régissent  les  rapports  du  relief  au 
climat:  les  landes  de  l'extrême  nord  et  la  péninsule  labrado- 
riehne  seraientelles  de  hauts  plateaux  comme  celui  du  Pamir. 
que  ce  serait  le  retoirr  de  la  période  glaciaire  ou,  tout  au 
moins,  leur  misérable  végétation  de  mousses  trouverait-elle 
assez  de  rennes  H  de  lièvres  pour  la  brouter.  Et  les  Kocheuses 
Beraient-elles  abaissées  au  niveau  du  centre  platéen,  que  l'exis- 
tence deviend l'ait  intolérable  sur  tout  le  pays  :  aux  souffles 
glacés  de  l'Aivi ii|iie  succéderaient  sans  transition  les  vents 
humides  et  déprimants  du  Pacifique. 

Conséquence   d'un   climat   continental,   c'est-à-dire    rela- 
tivement dépourvu  d'humidité  et   favorable  à  tous  les  phéno- 
îènes  de  radiation,  L'année  canadienne  se  partage,  dirait-on. 


24  ti:i;i;i:s  j:t  peuples  DU  CANADA 

entre  l'hiver  et  l'été,  toutes  les  saisons  intermédiaires  sont  peu 
marquées  et  passent  rapidement.  Le  printemps  dure  à  peine 
un  mois  pris  sur  avril  et  mai.  Octobre  et  novembre  donnent 
le  mois  automnal  —  l'indian  su  mine?-. 

Nos  eaux  fluviales  restenl  pendant  plus  de  quatre  mois  em- 
prisonnées sous  une  épaisse  couche  de  glace  (et  c'est  certaine- 
ment une  infériorité  sur  l'Europe  de  latitude  égale)  :  mais 
quelle  contrée  possède  une  telle  abondance  de  lacs,  de  fleuves 
ci  de  rivières  navigables  ? 

Et  quelle  sage  répartion  dtes  richesses  naturelles  !  Les  sols 
cristallins  du  bouclier  resteraient  absolument  réfractaires  à 
l'agriculture,  arrêtant  ainsi  toute  expansion  de  l'habitat  hu- 
main, en  le  confinant  au  contre-bas  des  Laurentides,  si  de 
vieux  c-alcaires  huroniens  recouvrant  par  places  ce  territoire 
ne  créaient,  en  se  désagrégeant,  'des  îlots  de  terres  arables. 
C'est  encore  sur  ce  dur  terrain,  tout  filonné  de  précieux  miné- 
raux, que  s'étend  la  grande  forêt  laurentienne. 

Los  régions  maritimes,  comme  la  péninsule  néo-écossaise, 
l'archipel  de  la  Reine-Charlotte  .renferment  d'immenses  gise- 
ments houillers;  et  les  vallées  colombiennes,  le  plateau  alber- 
lain  n'en  sont  pas  dépourvus.  (1)  Manque  sur  plusieurs  points 
le  fer  en  gîtes  assez  riches  pour  être  traité  par  les  moyens  ac- 

(1)  CHAMPS  CARBONIFÈRES  DU  CANADA 

En  Colombie  britannique 1,123         milles        .surtout  bitumineux 

extraetibles 

Yukon 400  "  lignite 

Mackenzie   200  "  " 

Alberta 19,082  "  beaucoup  de  lignite 

et   de    bitumineux, 
400  millions  de  ton- 
'  nés   d'anthracite. 

Saskatchewan 7,500  "  lignite 

Manitoba 48  "  « 


ESQUISSE    DE    I.  \    GÉOGRAPHIE    DU    CANADA  25 

tuels.  Mais  voilà  que  L'abondance  de  La  force  motrice  des  ra- 
pides et  des  chutes  d'eau,  cette  houille  blanche,  rendra  possi- 
ble, dans  un  avenir  rapproché,  La  transformation  des  hémati- 
tes >'ii  métal. 

Tels  sont  donc  les  éléments  physiques  constitutifs  du  Ca- 
nada qui  soutient,  comme  héritage  et  habitat  de  L'homme,  un 
•  avantageux  parallèle  avec  le  Vieux-Monde,  et  se  révèle  parti- 
culièrement propice  à  individualiser  les  rameaux  des  civilisa- 
tions venus  et  venant  encore  d'Europe  (et  qui  peut-être  demain 
accourront  d'Asie)  pour  se  dépouiller  de  leur  vieillesse  et  pour 
se  refaire  ici. 

Nouveau-Brunswick 112  "  bitumineux. 

Non  voile- Ecosse  992 


29,957  "  renfermant 

450  millions      de  tonnes  d'anthracite, 
89,600  milliards      "        "  de  houille, 

82,000        "  "        "  de  lignite. 

Divers  rapports  de  la  "  commission  géologique  du  Canada  "  et 
"  1er  rapport  de  la  commission  de  conservation"  —  vol.  1,  p.  431, 
Ottawa,  1911. 


LA    RICHESSE    »U   CANADA    EN    HOUILLE   BLANCHE: 

Chevaux-vapeur.  Utilisés. 

Yukon 470,000  3,000 

Colombie  britannique  (connus;         10,000,000  73,000 

Alberta 1,144,000  1,333 

Saskatchewan 500,000 

Manitoba 504,000  18,000 

Nord-Ouest. 600,000 

Ontario 4,308,479  331,157 

Québec  (sans  la  côte  nord  du  golfe.)     6,900,000  75,000 

Nouveau-Brunswick 150,000 

Nouvelle  Ecosse 54,300  13,300 

21,010,779  514,890 


26  TERRES    ET    PEUPLÉS   DU   CANADA 

S'il  se  dégage  quelque  conclusion  sim/ple  et  pratiqua  de  cet 

aperçu,  c'est  que:  malgré  son  apparence  d'unité  territoriale,(l) 
le  Canada  est  articulé  en  trois  grandes  régions  autonomes  et 
chacune  capable  d'une  propre  vie  économique  ;  «d'où,  les  grou- 
pements humains  qui  s'y  dévelopoent  seront  conduits,  par  la 
seule  force  des  choses^  à  se  créer  des  patries  dont  les  frontières 
ne  varieront  pas  de  celles  des  zones  continentales  que  nous 
venons  d'apprécier  et  de  décrire. 

8UPERFICIE   DES   ZONES   CANADIENNES 

— Versant  pacifique 

Colombie  brit 382,300  milles 

Yukon 197,000     "  579,300 

— Plaine  centrale 

Alberta 251,180    " 

Saskatchewan 242,332 

Manitoba 251,830  745,342 

— Zone  de  l'est 

Ontario 407,250 

Québec 706,800 

N.  Brunswick 28,200 

N.  Ecosse 20,600 

Ile  du  Pr.  Edouard 2,000  1,164,850 

2,489,492 

— Il  y  a  encore  des  territoires  inorganisés, 

d'une  superficie  d'à  peu  près 1,130,000 

Superficie  totale...     3,619,492 

— La  zone  essentiellement  montagneuse  de  la  Colombie  bri- 
tannique y  laisse  à  peine  un  dixième  de  terres  arables  :        35,000 

— La  prairie  est  cultivable  sur  plus  de  sa  moitié,  soit  :  275,000 

— Environ  un  tiers  des  terres  des  provinces  orientales  est 

propice  à  l'agriculture,  soit  :  195,' 00 

— La  vallée  fertile  du   fleuve  de    Mackenzie,  celle   d'antres 

rivières  contiennent  quelque  20,000 

— Laissant  une  superficie  arable  d'environ  525,000 

— Le  dixième  enest  aujourd'bui  cultivé. 


LES      PEUPLES 


CHAPITRE    SECOND 


L'OEUYIΠ COLONIALE  DE  LA  FRANCE 


Les  principes  colonisateurs  qui  présidèrent'    à  la  naissance 
de  la  Nouvelle-France,  comme  de  tous  les  autres  établissements 

européens  aux  seizième  et  dis-septième  siècles,  différaient  no- 
tablement de  ceux  d'aujourd'hui.  Parce  qu'il  ne  s'agissait  au- 
cunement  de  trouver  quelque  déversoir  à  une  population 
surabondante,  ni  d'activer  une  industrie  nationale,  ni  encore 
de  Favoriser  des  spéculations  privées  —  motifs  îles  expansions 
modernes.  —  les  exodes  d'alors  ne  bénéficièreni  pas  de  la 
coopération  directe  de  l'Etat.  (1)  Comme  s'il  se  fût  agi  d'oc- 
cuper quelque  région  encore  vacante,  attenant  aux  vieux 
champs  que  quittaient  seigneurs  et  censitaires,  le  mode  '1  ap- 
propriation des  biens  fonciers,  les  rapports  sociaux  entre  ces 


1.    Rameau  de  Saint-Père,  /  m  colonù  féodale  en  Amérique, 
vol.  I,  p.  XIV. 


30  TÉBBES    ET    PEUPLES   DU   CANADA 

deux  classes  suivirent  un  plan  traditionnel  :  c'était  l'essaimage 
de  la  féodalité. 

Le  procédé  est  partout  semblable  ':  la  couronne  confère  l'in- 
\ '.-i  iture  seigneuriale  à  un  noble  ou  à  une  compagnie  à  charte, 
sur  un  territoire  défini,  avec  l'obligation  pour  lui  d'en  déter- 
miner l'exploitation  par  le  peuplement.  "'Si  la  concession  est 
une  principauté  comme  les  seigneuries  anglaise?  et  l'Acadie, 
le  seigneur  sous-concède  des  nefs  à  des  free  holders,  à  des  gen- 
iilshommes  ;  si  elle  est  un  simple  fief  comme  dans  la  vallée  du 
Saint-Laurent,  chaque  seigneur  circonscrit  ses  domaines  de 
réserve  où  il  établit  son  manoir  et  se?  terres,  puis  il  fait  arpen- 
ter et  diviser  le  reste  de  la  concession  en  lots  d'une  contenance 
ordinaire  de  cent  acres  ou  arpents  qu'il  sous-concède  à  dos 
familles  qu'il  fait  venir  d'Europe,  moyennant  une  faible  rente 
perpétuelle  (quit  vent)  généralement  de  1  sol  par  arpent.  Le 
censitaire  doit  rendre  aveu  de  foi  et  hommage  au  manoir, 
payer  annuellement  sa  rente  et  se  joindre  au  seigneur  p  »ur  la 
défense  du  territoire."  (1) 

L'espoir  joint  à  l'orgueil  de  voir  doubler  la  souche  de  la 
race  aux  libres  espaces  du  Xon veau-Monde  facilita  le  départ 
des  cadets  de  la  noblesse  française,  d'autant  plus  qu'ils  s'éta- 
blissent sans  amoindrir  les  fiefs  patronymiques.  D'autre  part, 
le  maintien  d'usages  plusieurs  fois  séculaires,  des  contrais  de 
tenure,  soit  de  solides  appuis  moraux  et  matériels,  protégeai  nt 
les  colons  contre  l'imprévu,  en  leur  garantissant  une  continua- 
tion du  bon  ordre  de  la  collectivité  et  ni/mc  em  permettant  à 
li  aucoup  d'entre  ces  immigrants,  recrutés  autant  parmi  les 
métayers!,  les  artisans  que  le?  simples  manoeuvres,  de  venir 
mettre  le  pied  sur  le  premier  échelon  social  de  cette  époque. 

1.     Rameau  de  Saint-Père,  mur.  cité,  vol.  I,  pp.  XV  et  XIX. 


L'ŒUVRE  COLONIALE   DE   LA   FBANOE  31 

l'u  troisième  el  précieux  élémeni  s'ajoute  à  cet  ensemble  colo- 
nisai \u\  le  clergé  qui,  ambitionnanl  d'aibord  la  conquête  du 
sauvage  américain  au  christianisme,  devancera  partout  L'occu- 
pation nationale  en  faisant  pénétrer  à  l'égal  la  foi  au  vrai 
Dieu  eft  l'amour  de  la  France. 


II 


Le  sort  des  sociétés  européennes  transplantées  sur  ce  conti- 
nent fut  variable.  Il  a  dépendu  autant  de  leur  intime  organi- 
sation respective  que  de  la  nature  des  régions  à  coloniser.  Aux 
Amériques  moyenne  et  méridionale  l'expansion  rapide  autant 
que  désordonnée  des  Espagnols  ne  fut  possible  que  par  le  mé- 
'lange,  dans  une  large  mesure,  de  leur  sang  avec  celui  des  den- 
ses population  autochtones.  Aussi  en  résulta-t-il  bientôt  un 
m  m  veau  type  ethnique  et  partant,  social,  genèse  des  Etats  néo- 
latins  d'aujourd'hui.  Mais  l'harmonie  colonisatrice  aux  plan- 
tations de  la  Virginie,  aux  comptoirs  de  Manhatte,  aux  défri- 
chements tIc  Boston  et  du  Saint-Laurent,  où  les  naturels, 
plutôt  clairsemés,  furent  peu  à  peu  refoulés  vers  l'intérieur, 
permit  d'établir  autant  de  prolongements  des  sociétés  mères. 

Que  le  Français  d'Amérique  ait  gardé  sa  race  pure  de  tout 
alliage,  c'est  un  fait  incontestable.   (1)  Il  s'est  empressé,  dès 

1.  Cette  vérité  historique  s'étale  dans  le  dictionnaire  gé» 
néalogique  de  Mgr  ('.  Tanguay.  incomparable  mémorial  de  la 
na1  ion  laurentiénne,  compilé  à  même  la  série  des  registres  civils. 
Les  unions  contractées  avec  la  sauvagesse  furent  cependant  fré- 
quentes au  début  de  la  colonisation  acadienne  et  à  la  fin  du  dix- 
huitième  sied"  dans  les  pays  d'en  Haut  -  territoire  longtemps 
fermé  à  la  colonisation  agricole. 


32  TERRES    ET    PEUPLES  DU   <  .WADA 

sa  première  génération,,  de  disposer  de  cette  promesse  de 
Champlain  aux  Algonquins  rêveurs:  "Nos  fils  se  marieront 
avec  vos  filles  et  nous  ne  ferons  qirun  peuple."    (1) 

Le  champ  de  recrutement  des  colons  de  la  Nouvelle-France 
fut  confiné  aux  provinces  nord-ouest  du  royaume.  Pendant 
que  l'Acadie  recevait  surtout  les  durs  et  robustes  fils  de  la 
Bretagne,  la  vallée  du  Saint-Laurent  devenait  la  patrie  de 
cette  vaillante  race  sortie  du  mélange  des  Scandinaves  et  des 
Gallo-Romains,  les  Normands,  et  d'un  nombre  agrégatif  à  peu 
près  égal  à  coux-là.  de  gens  de  l'Ile-de-France,  de  la  Perche, 
du  Maine,  de  l'Anjou  et  de  la  Vendée.  Les  Bretons  ne  fournis- 
sent qu'un  petit  nombre  d'orphelins  qui,  avec  de  rares  méridio- 
naux, arrivés  sur  le  tard,  seront  bientôt  confondus  dans  la 
masse.   (2) 

Ces  éléments  les  plus  vigoureux,  les  plus  endurants  ,les  plus 
français  (3)  de  la  France,  venant  sous  un  ciel  assez  semblable 
à  celui  qu'ils  quittaient,  affectionnèrent  vite  ce  pays  qui  avait 
répondu  à  leur  rêve  de  colonisation  en  réjouissant  leurs  re- 
gards et  en  promettant  une  généreuse  assiette  pour  leurs  nou- 
veaux foyers. 

Deux  principes,  l'un  physique,  l'autre  moral,  président  aux 
débuts  de  la  colonisation  française,  qui  assureronl  sans  retard 

1.  Relations  <h s  Jésuites,  année  1633.  p.  28. 

2.  Ce  problème  de  la  provenance  des  colons  est  peut-être 
insoluble.  Il  se  trouve  aujourd'hui  des  noms  patronymiques 
rappelant  la  plupart  des  anciennes  divisions  provinciales  et  des 
villes  de  la  France,  dont:  L'Angevin.  Beau(l)ne,  Beauvais.  Bour- 
bonnais. Breton,  Champagne.  Corbeil.  La  Flèche,  La  Mothe,  La 
Iioche.  La  Eochelle,  Lionais.  Narbonne,  Normand,  Picard,  Per- 
cheron, Poitevin.  Verdun,  Vivarais. 

3.i  La  première  population  qui  a  émigré  ici  venait  presque 
totalement  des  seules  régions  où  se  parlait.  <>ù  se  parle  un  fran- 
çais sans  mélange  d'idiomes  ou  de  patois. 


I.  ŒUVBE  COLONIALE   DE   LA    FRANCE  33 

une  franche  individualité  à  la  vie  canadienne.  D'abord  l'opu- 
lence de  la  nature,  l'immensité  des  espaces  que  des  lacs,  des 
fleuves,  ces  chemins  qui  marchent,  invitent  à  la  pénétration, 
et  la  résistance  obligée  de  ions  les  instants  aux  menaces  de  la 
barbarie  ne  manquent  pas  d'aviver  le  formidable  instinct 
aventureux  des  Normands  qui  s'infuse  à  l'autre  moitié  des 
colons  pour  lui  faire  partager,  grâce  à  la  complicité  du  milieu, 
son.  remarquable  amour  des  voyages  et  de  la  guerre.  Les  com- 
pagnies catholiques,  bien  que  peu  empressées  à  fournir  de 
considérables  contingents,  ne  manquent  pas  d'écarter  sans 
merci  les  personnes  dont  les  moeurs  fussent  devenues  un  élé- 
ment de  décadence.  Et  les  quelque  cinq  cents  chefs  de  famille 
qui  arrivent  à  travers  les  soixante-quinze  années  suivant  la 
fondation  de  Québec  (1608),  rêvent  tous  de  mener  une  vie 
sainte  et  laborieuse.  (1)  Quel  contraste  avec. le  peuplement  des 
colonies  que  l'Angleterre  fait  à  même  la  masse  des  vaincus 
de  ses  guerres  religieuses  !  (2)  ■  • 

C"était  donc  une  bien  virile  semence  que  jetait  la  France 
en  Amérique  boréale,  mais  une  semence  trop  faible  en  nombre 
et,  nous  allons  le  voir,  trop  médiocrement  organisée  au  point 
de  vue  économique,  pour  triompher  sans  retard  des  circons- 
tances géographiques,  historiqu  s  el  sociales  qui  ne  cesseront 
de  lui  être  défavorables. 

1.  La  Nouvelle  France  recul  environ  5  700  colons,  quand 
l'Acadie  pins  oubliée  de-la  mère-patrie  el  plus  exposée  aux  coups 
de  la  rivalité  anglaise,  n'en  reçut  que  400.  de  1630  à  1710. 

2.  Emile    Salone,    La    Colonisation    <i     la    Nouvelle-France, 

ch.  m. 


3  I  i'ôii.'KES  ET  ri:rri.i>  m    canada 


111 


.La  glace  qui  ferme  le  fleuve  de  la  mi-idé  à  la  mi- 

avril  séquestre  la  Nouvelle-France,  quand  une  étroite  dépen- 
. I m 1 1 ; -.    économique,  inhérente  aux  -     oloniaux,  lui  com- 

mande d'entretenir  d'assidues  relations  avec  sa  métro]  »le.  Et 
le  caractère  du  pays  environnant  rend  inutile  la  création  d'un 
porl  sui-  la  baie  des  Chaleurs  ou  sur  la  côte  de  la  Nouvelle- 
Angleterre.  La  considérable  distance  qui  sépare  Québec  de 
l'Acadie  sera  une  autre  cause  de  faiblesse.  La  rivalité  -■ 
laire  que  la  France  et  l'Angleterre  transportent    dans 

du  Nouveau-Monde  pour  y  vider  leurs  querelles 
traira  bien  des  énergies.    Enfin,  ce  son!  les  gouverneurs  hol- 
landais ou  anglais  du  sud  qui  sùscitenl  e1  alimentent  la  longue 
hostilité  des  Cinq- Nations,  les   [roquois,  à  l'égard  des  pion- 
niers laurentiens  . 

Une  grande  pureté  des  moeurs  domestiqueSj  une  vaillance 
traditionnelle,  une  parfaite  solidarité  des  classes  qu'avaient 
perpétuées  en  France  la  tutélaire  féodalité  revivaient  chez  les 
pionniers  du  Saint-Laurent  et  dé  l'Acadie,  pour  qu'ils  > 
tenl  pendant  plus  d'un  siècle  à  la  coalition  de  leurs  ennemis 
mr  qu'ils  demeurent  enfin  les  ancêtres  d'une  impérissable 
L'ace.  Mais  cette  métropole  qui  s'acheminait  prestement  vers 
la  centralisation  à  outrance  du  pouvoir  et  de  l'autorité  —  ce 
atteignit  sou         s  s.  XIV  — ■  restait  impuis- 

sante à  doter    -  -      ssaims    d'outre-atlantiiqûe    d'institutions 
politiques  e1  sociales  r|ui  leur    eussent  permis  de  commander 

le  respect,  sin te  résister  finalement  à  la  puissance  anglo- 

sa  \  > 1 1 ri  i  qui  s'affermissait  si  \  ite  en!  re  la  nier  et  les  Apalaches, 
pour  avoir  su  briser  opportunément  avec  cette  féodalité.     En 


I.  <Kt   Vi;i;  COLONIALE    DE    l..\    FRANCE  :;."> 

effet, -que  vit-on  Là  ?  Sachant  que  le  sol  natal  ne  les  verrai! 
jamais  propriétaires,  une  multitude  de  tenanciers  d  -  I  les  Bri- 
tanniques s'en  viennent  occuper  en  libre  seccage  les  terres 
vierges  «pie  Leur  offre  le  Nouveau-Monde. 

Le  succès  proehaki  de  cette  France  d'Amérique  eût  été 
garanti  si  elle  eût  bénéficié  dès  if  début  d'une  généreuse  appli- 
cation des  "trois  points  décisifs  de  imite  expansion  coloniale:" 
d'abord  et  surtout  L'entière  possession  de-  biens  fonciers  e1 
leur  libre  aliénation,  en  second  lieu  la  décentralisai  ion  du 
pouvoir  par  les  autonomies  provinciale  H  municipale,  puis  le 
commerce  libre  an  dedans  comme  au  dehors.  (1) 

Quand  le  commerce,  qui  resta  jusquen  1666  un  privilège  en 
retour  duquel  l'Etat  se  déchargeai!  de  la  noble  tâche  de  con- 
courir au  peuplement,  eut  prouvé  son  inaptitude  par  la  décon- 
fiture successive  des  compagnies  de  Rouen  (1614-1620),  des 
Cent-Associés  (1628-1663)  et  des  Endos  Occidentales  (1664- 
1666),  la  Nouvelle-France  l'ut  dotée  d'un  Gonaeil  Supérieur. 
Cette  institution  de  1663,  revêtue  d'une  autorité  souveraine 
sui'  toute  matière  administrative  ei  judiciaire,  composée  du 
gouverneur,  d  •  l'évêque  de  Québec,  d'un  intendant,  d'un  gref- 
fier et  île  conseillers  choisis  au  gré  <\r<  deux  premiers  digni- 
taires, parmi  les  habitants  de  In  colonie,  durera  aussi  long- 
temps que  le  régime  français  en  Amérique,  réglementanl  -ans 
appel  à  la  métropole  le  commerce  devenu  bientôt  libre,  (2)  la 
poli,-,  le-  travaux  publics,  le  supporl  de  l'églis?,  et  adminis- 

1.  P.  Leroy-Beaulieu,  l.n  Colonisation  ch(  :   les  peuples  mo- 

d<  i  h'  S,  vol.  I  p.  146. 

2.  ('.•  a'est  toutefois  qu'en  L706,  soit  après  la  faillite  de 
trois  autres  affermages  île  la  traite  des  pelleteries,  que  le  com- 
merce devienl   entièrement    libre  aux  coloniaux. 


36  TERRES   KT   PEUPLES  DTJ   CANADA 

trant  la  justice  selon  les  coutumes  de  Paris,  en  dispensant  de 
frais  de  cour  comme  d'honoraires  d'avocats. 

Une  médiocrité  relative  restera  le  lot  des  habitants,  (1) 
parce  que  le  mécanisme  des  concessions  seigneuriales  ne  i  - 
de  les  disséminer  sur  une  double  ligne  de  plus  de  cent  milles, 
en  les  empêchant  de  choisir  des  terres  tout  à  fait  à  leur  gré; 
encore,  parce  que!  les  censives  annuelles,  les  lotis  et  ventes,  les 
droits  de  rachat,  bien  que  tous  faibles  —  ainsi  la  censive 
n'était  généralement  que  de  1  sol  par  arpent  de  front  — , 
enfin  le  moulin  banal  sont  autant  d'obstacles  permanents  à  la 
diffusion  des  biens  fonciers. 

En  somme,  les  aptitudes  «le  la  France  à  l'expansion  colo- 
niale se  manifestent  dans  cette  parcimonie  à  peupler  la  vallée 
laurentienne,  quand  il  était  urgent  de  renforcer  la  profondeur 
de  ses  défrichements,  isolés  et  impuissants  à  se  prêter  de  mu- 
tuels sec-ours,  dans  ce  transplnnt  ment  des  institutions  ter- 
riennes d'outre-mère,  quand  le  libre  s  ccage  n'eut  pas  été  de 
trop  pour  accélérer  l'âpre  conquête  du  sol.  enfin  dan-  i 
administration  centralisée,  d  ■  sa  nature  incommode  arbitraire 
et  propre  à  désintéresser  le  colon  de  la  chose  publique  — ■ 
nulle-  aptitude-,  disons-le  encore,  quant  aux  Libertés  munici- 
pales et  a  l'aliénation  des  t err  -.  "ces  deus  les  plus 
féconde^  de  bien  aise  matériel."   (2) 

1.  Ce  terme  d'habitant,  peut-être. le  plus  ancien  des  cana- 
dianismes, désigne,  dans  un  pays  essentiellement  agricole  comme 
la  Nouvelle-France,  celui  qui  vit  directement  de  la  terre. 

i 

2.  P.  Leroy-Beaulieu.  ouvrage  cité,  vol.  I,  p.  152. 


[/(El  VUE  COLONIALE   DE   I.A    PB  W'K  37 

IV 

Mais  cette  France  chrétienne,  coanniunautaire  et  belliqueuse 
prodigue  cependant  le  meilleur  d'elle-même  à  ses  enfants 
d'Amérique,  où  les  vertus  individuelles  de  la  race  suppléeront 
noblement  à  la  faiblesse  des  institutions  sociales. 

A  travers  ceni  trente-cinq  ans  à  compter  de  la  fondation  de 
Québec   (1608-1743),  la  moitié  orientale  du  continent  sera 
reconnue  et,  dans  ses  grandes  ligues,  soigneusement  cartogra- 
jiliiée.  D'un  coup  Champlain  en  a  ouvert  les  trois  plus  grandes 
voies  de  pénétration  :  l'Outaouais  conduisant  en  raccourci  au 
plus  lointain  des  Grande  Lacs  et  à  la  nier  die  Hudson,  d'où  il 
faudra  bientôt  déloger  les  Anglais   ;  le  déversoir  des  Grands 
Lies   que   navigueront   les    découvreurs   du   Mississipi   et   du 
plateau  central,  puis  le  Richelieu,  trop  commode  issue  vers  le 
paya  des  Iroquois  et  les  puissantes  colonies  rivales  du  littoral 
atlantique.     Les  missionnaires,  les  coureurs  de  bois  qui  che- 
minent souvent  ensemble  ne  tardent  pas    à    relier   toutes  ces 
routes,  à  remonter  chacun  des  grands  tributaires  du  Saint- 
Laurent,  et  à  reculer  en  tous  sens  las  bornes  de  l'inconnu. 
C'est  ainsi  que  le  frère  récollet  G.  Sagard  s'avance  jusqu'aux 
rivages  du  lac  Supérieur  (1628),  que  le  Père  jésuite  Albanel 
atteint  seul  la  mer  de  ITudsou,  en  passant  au  lac  Saint-Jean 
(1672).    La  reconnaissance  du  haut  Mississipi    par    le  Père 
Marquette    et   le    Canadien   JollieL    (1(173)    enthousiasme   le 
bouillant  et  généreux  Cavelier  de  la  Salle  qui,  par  l'affluent 
de  Belle-Rivière  (Ohio),  rejoint  ce  fleuve  appelé  des  naturels 
"les  grandes  eaux/*  le  descend  jusqu'à  ses  bouches,  après  avoir 
pris  possession  au  nom  du  roi  de  1* immense  et  grasse  vallée 
qu'il  appelle  du  beau  nom  de  Louisiane  (  L682  ).     La  dernière 


'38 


'!  EBRES    ET    PEUPLES   DU   CANADA 


grande  addition  à  la  carte  de  la  Nouvelle-France  est  redevable 
à  Laverenidrye,  qui  part  avec  ses  quatre  fils  à  la  découverte  des 
pays  de  la  mer  de  l'ouest,  c'esi>à-dire  au  delà  des  Grands 
Lacs.   Après  douze  années  (1731-1743)  des  plus  pénibl  ?  tra- 


verses — i  dont  lé  massacre  de  1*1111  de  ses  enfants  et  d'un 
jésuite,  le  Père  Auneau,  —  l'un  des  membres  de  la  famille  La 
ndrye  s'arrêtait  en  vue  des  Rocheuses. 
Tels  étaient  les  cadres  de  cet  empire  colonial  à  eoup  sûr  le 
plus  riche  el  le  plus  vaste  qu'ait  jamais  --  lé  une  nation 
d'Europe  au  dix-huitième  siècle   ! 


I.'U'I  V'RE  COLON  I  \  I.i:   DE    l.  \    II;  \  Sfi  i.  39 

La  France  avail  encore,  par  -■  -  nombreux  missionnaires  qui 
devançaient  souvent  la  reconnaissance  officielle,  évangélisé 
après  moins  d'un  siècle  doccuipation,  tous  les  Qoma  les  et  semi- 
aomades  qui  se  mouvaient  entre  l'Atlantique  et  la  steppe 
continentale.  Aux  Récollets  qui  s'incorporent  aux  partis  de 
chassa  pour  mieux  pénétrer  rluz  les  nations  algohquines, 
succèdent  les  Jésuites  qui  ne  tarderont  pas  de  rendre  séden- 
taires aux  ïbords  des  Grands  Lacs  et  plus  loin  encore  (1) 
mainte  totems  pour  en  faire  souvi  ut  clés  chrétientés  dign  -  des 
premiers  siècles  de  l'Eglise.  A  ces  bourgades  en  pleine  solitude 
répondent  les  villages  de  Sillery  (1638),  de  l'île  d'Orléans, 
dans  la  vicinité  de  Québec  :  les  colonies  agricoles  que  les 
prêtres  de  Saint-Sulpioe  maintiennent  avec  succès  sur  l'île  de 
Montréal,  son  périmètre  (''Isa.  Laprairie)  el  jusqu'à  la  baie 
de  Kenté  (  LG68).  Ville-Marie,  ce  carrefour  des  plus  grand  «s 
eaux,  est  fondée  (1642)  autant  pour  protéger  Le  commerce 
des  pelleteri  s  que  pour  être  un  centre  commode  d'où  la  foi 
rayonnera  sur  les  barbares.  Eïonymës  e1  denrées  afflueront  en 
i  iïh  à  ce  terme  de  la  grande  navigation,  <il|i  ' s|  aussi  le  point 
de  contact  des  domaines  <li*  [roquois,  dont  les  cabanes  -oui 
établies  entre  les  Lacs  Ontario  et  de  Clianiplain  ;  des  ïïurons 
disséminés  depuis  le  lac  des  Deux-Montagnes  jusqu'à  la  mer 
Douce  (lac  ELuron),  u  des  Àlgonquins-Montagnais  qui  habi- 
tent les  forêts  du  nord,  jusqu'aux  sources  du  Saint-Main 
En  1671,  le  voyageur  \.  Perroi  et  les  PP.  Jésuites  Allouez  et 
d'Ablon  réunissent  au  Sâull  Sainte-Marie  les  sache ms  de  qua- 

1.  Allant  à  la  découverte  du  Mississipi,  de  la  Salle  rencontra 
jusque  près  <l<-  L'Ohio  des  missions  <\<i  Jésuites  où  les  sauvages 
avaient  été  amenés  à  la  rie  agricole.  Le  Père  Aubry,  donl  il  és1 
parlé  dans  VAtnlii  de  Chateaubriand,  a'esl  pas  un  mythe.  Il  re- 
cul  pendanl   quarante  ans  chez  les  Abénalcis  <li>  la  Chaudière. 


40  TEEBES   ET   PEUPLES  DU  CANADA 

torze  nations  représentant  la  grande  famille  des  Hurons- 
Algonquins.  qui,  après  avoir  écouté  un  enthousiaste  discours 
d* Allouez,  se  placent  solennellement  sous  le  protectorat  de  la 
France  et  reconnaissent  avec  'bonheur,  devant  M.  de  Saint- 
Lusson,  l'envoyé  >du  gouverneur,  que  le  roi  de  France  est 
désormais  leur  Grand  Ononthio.  (1)  Cette  alliance,  que  rien 
ne  devait  plus  briser,  parce  que  signée  sous  l'égide  de  la  croix 
et  des  armes  de  la  France,  au  chant  du  Vexilla,  de  YExaudiat, 
du  Te  Deum  et  réalisant  la  conquête  pacifique  si  habilement 
inaugurée  par  Champlain,  n'est  qu'un  solennel  exemple  des 
pactes  que  scellèrent  entre  eux  la  civilisation  chrétienne  et  les 
libres  enfants  des  bois.  A  la  fin  de  l'occupation  française,  cent 
totems  avaient  connu  le  vrai  Dieu,  pratiqué  son  culte  et  le 
travail  régénérateur,  en  s'attachant  si  fermement  à  l'aimable, 
à  la  généreuse  France,  que  son  souvenir  ne  disparaîtra  plus 
chez  eux  qu'avec  les  derniers  de  la  race.    (2) 

Deux  vertus  essentiellement  françaises  se  tnanifesl  nt  chez  le 
colon  :  l'activité  qui  lui  fait  abattre  entre  deux  qui-vive  assez 
de  l'épaisse  forêt  pour  tirer  largement  du  sol  l'existence  de  sa 

1.  Lorsque  le  second  gouverneur  de  la  Nouvelle-France,  de 
Montmagny  arriva  à  Québec,  les  Sauvages  demandèrent  son  nom. 
grande'  montagne,  ce  qu'ils  traduisirent  par  Ononthio.  Ainsi 
s'appelèrent  les  successeurs  de  Montmagny  tandis  que  le  roi  de- 
venait naturellement  le   Grand   Onontliio. 

2.  Dans  l'Histoire  philosophique  des  Indes  de  l'abbé  Guil- 
laume Reynal,  il  y  a,  en  tête  du  volume,  qui  est  consacré  à  la  Penn- 
sylvanie une  gravure  de  Eisen,  où  figurent  deux  quakers  dont 
l'un  embrasse  des  Indiens,  tandis  que  l'autre  brise  des  arcs  et 
de«  flèches,  symboles  de  guerre.  "En  tête  d'une  histoire  du  Ca- 
nada, je  voudrais,  écrit  M.  Emile  Saloue,  dans  son  bel  ouvrage 
sur  la  Colonisation  de  la  Nouvelle-France,  ch.  V.  p.  138,  qu'on 
nous  représentât  madame  Giffard  donnant  le  sein  à  un  petit 
sauvage",  orphelin   que   le  mari   de  cette    femme   lui   apportait. 


L'ŒUVEE  COLONIALE  DE   I.A    FRANCE  41 

maison,  et  l'adresse  dans  la  transformation  des  'produits 
naturels,  pour  façonner  "de  quoi  se  bien  vêtir  des  pieds  à  la 
fcête."  (1  )Le  régime  des  intendants.dont  le  début  coïncide  avec 
dea  expéditions  militaires  qui  imposeront  respect  aux-  Cinq- 
Nations,  imprime  à  l'agricultûr,  à  l'industrie,  au  commerce, 
un  essor  inouï  .ce  qui  permettra  d'exporter  aux  Antilles,  dès 
les  premières  années  du  dix-huitième  siècle,  le  surplus  do  la 
production  canadienne.  On  favorise  encore  l'exploitation  des 
gisements  ferrifères  du  Saint-Maurice  (  1660).  après  avoir 
examiné  ceux  de  la  baïa  Saint-Paul  (lfiGfi).  les  cuivres  du  lac 
Supérieur  et  un  gisement  de  plomb  au  Rapide  des  Chats,  sur 
I'Outaouais,  (173-1).  Le  lancement  du  Griffon  sur  l'Erié,  par 
delà  Salle,  en  1(170.  ouvre  l'ère  des  constructions  navales.  Dès 
l'an  1723.  six  vaisseaux  marchands  et  deux  bâtiments  de 
guerre  sont  faits  à  Québec. 

La  poignée  de  colons  qu'a  reçus  le  bassin  des  Mines  n'a  pas 
été  moin>  laborieuse  ni  moins  entreprenante  :  ces  solitaires 
ont  élevé  contre  les  puissantes  eaux  de  la  Fundv  des  di<rues 
qu'ils  nomment  barachois,  restées  solides  et  qui  rendent  aux 
terres  ainsi  protégées  une  prodigieuse  fécondité.  L'industrie 
des  mines  se  développe  à  l'île  du  Cap-Breton,  où  l'on  extrait 
de  la  bouille  en  1714. 

C'est  peut-être  de  bravoure,  de  valeur  militaire  que  fut  le 
plus  remarquable  cette  épopée  française  d'x\mérique.  Le  qui- 
vive  de  tous  les  instants  contre  l'autochtone  sançm inaire,  la 
lutte  jamais  finie  contre  l'ombraguse  puissance  des  colonies 
du  sud  ont  fourni  aux  annales  des  commencements  canadiens 
une  ample  série  d'actions  suiblimes,  dont  l'exploit  du  Long- 
Sault  reste  le  prototype. 

1.     Lettre  de  Jean  'l'alun,  premier  intendant    à  Colbert,  1671. 


12  !  BRRES    ET    PEUPLES    DV    CANADA 

Au  printemps  de  1660,  un  fort  parti  d'Iroqûois  revenant  de 
là  chassé  sur  l'Oûtaouàis  supérieur  n  juré  la  ruine  entière  'le 
la  colonie  qui  ne  compte  pas  eiîcore  2,500  Européens.  A  cette 
nouvelle,  dix-sept  jeunes  Montréalais,  ^omniandés  par  Dollard 
des  Ormeaux,  jurent  devant  le  taib  rnaeli  -  soutenir  fidè- 
lement, sans  jamais  demander  quartier,  et  se  disposent  à  mou- 
rir en  allant  au  «levant  de  l'ennemi  qu'ils  rencontrent  au  pied 
«lu  Long-Sau.lt.  A  peine  la  rnisérahle  «  nceinte  de  pieux  qui  s'y 
trouve  est-elle  consolidée  que  s'ouvTe  te  siège.  Pendant  - 
joui"?",  tourmentés  par  l'insomnie,  la  faim,  la  -  >îf.  les  Français, 
qui  se  sont  vus  trahis  par  «1  s  alliés  indigènes  qui,  d'as- 
siégés çtevienaient  assiégeants^  résistent  aux  assauts  de  - 
cents  -guerriers  dont  un  renfort  vient  relever  l'ardeur  en  cloû- 
hlani  pn  sque  leur  nomibre.  Quand  enfin  la  poudre  manque  au 
fortin,  les  barbares  y   pénétrent    pour  compter  avec  stu] 

poignée  de  chrétiens:  Dollard  et  plusieurs  d-a  ses  com- 
pagnons -mi  déjà  morts  :  ceux  qui  respirent  encore  auront, 
suivant  les  infernales  coutumes  du  Sauvage,  la  langue  coupée, 
les  ongles  arrachés,  des  ns  ardents  à  la  place   les  yeux 

et  le  coeur  dévoré,  afin  que  les  vainqueurs  héritent   de  leurs 
vertus. 

L'auréole  dont  l'histoire  entoure  le-  auteurs  des  plus,  subli- 
mes actions  de  l'humanité  —  Léohidas  1 1  ses  trois  cents  Spar- 
tiates luttant  stoïquieSj  parce  que  trahis  dans  l,.  défilé  des 
Thermopyles  :  d'Assas  Iran -percé  de  baïonnettes,  par.-  que 
surpris  •  a  reconnaissance  au  ois  de  Closbercamfp  —  ne  sera 
pas  moins  glorieusement  belle  pour  Dollard  et  les  siens  qui 
courent  délibérément  à  une  mort  certaine,  afin  de  sauver,  par 
leur  immolation,  la  foi    m  Christ  et  les  foyers  de  la  patrie. 


i.'œi  \  i;i:  COLOfl  i  \i.i-:  DE  i.  \   l'i;  \\<  i.  43 

V 

Dès  que  la  Nouvelle-France  ei  La  Nouvelle-Angleterre  on< 
résolu  li'  problème  de  leur  propre  subsistance,  soi!  après  moins 
d'un!  siècle  d-'ocoupation,  les  colons  àa  sud,  à  l'étroii  entr* 
l'Atlantique  e1  les  Alléghanys,  veulenl  franchir  cette  chaîne 
qu'ils  ont  jusqu'alors  regardée  comme  leur  uîtima  Thuie,  pour 
se  répandre  en  faisant  échec  aux  Canadiens  déjà  en  train  «le  se 
relier  à  la  Louisiane,  par  la  série  des  Gran  1s  [>acs  ei  la  vallée 
de  l'Ohio. 

Au  massacre  de  La  Chine.  A  l'été  de  LT89,  ieë  établissemeffts 
laurentiens  ripostent,  dès  l'hiver  suivant,  par  t'incendie  de 
quinze  villages  ou  postes  de  traite  au  littoral  du  midi,  par  la 
capture  de  vaisseaux  anglais  chargés  de  pelfetecrieë  à  la  mer  de 
Eudson,  (1)  et  par  le  sae  de  Saiit-Jean-de-Terreïïeuve 
(1690)..  Cette  éclatante  revanche  presse  les  méridionaux  <l*at- 
taquer  Port-Boyal,  qui  se  rend  ei  Québec  qui  désempare  leur 
s  «gse  lesoad're.  Le  traité  .lf  Ryswick  (169-7)  mei  un  berîme  à 
des  projets  réciproques  'le  conquête,  eu  gardani  aux  métro- 
poles leur-  mêmes  possessions,  si  ce  n'est  (pie  La  mer  dé  B/ud- 

l.  I.a  mer  mi  baie  de  Hudson  fui  découverte  en  1610  par 
Henry  Hudson  Dès  1646  La  Tour  y  t'ait  In  traite  avec  les  An- 
glais et  en  L656  .Iran  Bourdon  en  prend  possession  an  nom  de  la 
France.  Les  Anglais  y  construisent  le  fort  Ruperl  en  1677,  et 
quatre  an-  après  des  Groseilliers  et  Radisson  \  élèvent  le  fort 
Bourdon  qu'ils  livrenl  bientôl  aux  marchands  de  Londres  qui  se 
sont  groupés  en  une  société  puissante,  la  Hudson  Bay  Company. 
à  laquelle  Charles  II  avail  accordé,  de-  1670,  une  charte  fort 
avantageuse.  C'est  contre  les  établissements  de  cette  associa- 
tion que  fui  dirigé,  eu  1686,  le  parti  de  su  Canadiens  qui  se 
couvrit  de  gloire  en  s'empârant  de  tous  les  magasins  et  de  deux 
raisseaux  chargés  de  pelleteries. 


44  TÈËRES    ET   PEUPLES   DTJ   CANADA 

sou  esl  acquise  à  la  France,  que  le  paye  des  Iroquois  devient 
un  territoire  neutre  et  que  les  frontières  de  l'Acadie  restenl 
values. 

Mais  cette  paix  ne  durera  pas,  car  les  intérêts  des  rivaux 
s'affirment  sur  plusieurs  point*  du  pays.  La  Nouvelle-France 
resserre  ses  liens  d'amitié  avec  les  nations  de  l'ouest,  envoie 
cent  colons  fonder  la  seigneurie  de  Pontch-artraiu  (1700), 
puis  elle  occupe  résolument  la  vallée  de  l'Ohio.  les  bords  du 
Mississipi  (1712),  tandis  que  les  Anglo-Américains  assiègent 
Port-Royal  (1704)  qui  capitule  (1710)  pour  prendre  le  nom 
d'Annapolis,  et  no  tardent  pas  de  s'installer  à  Terre-Neuve 
afin  de  mieux  isoler  la  colonie  laurentienne  dont  on  prémédite 
sérieusement  la- conquête.  En  effet,  à  l'été  de  1711.  une  armé  > 
de  4.600  fantassins  remonte  le  lac  Ohamplain.  avec  Montréal 
pour  objectif,  pendant  que  54  voiles  portant  6,500  homme?  de 
débarquement  s'avancent  vers  Québec  :  mais  l'heure  de  l'aban- 
don n'a  pas  encore  sonnée  :  les  écueils  de  l'estuaire,  la  nuit,  la 
foudre,  dispensent  de  tout  combat  et  neuf  cents  morts  couvrent 
les  rives,  au  milieu  d  «s  débris  des  huit  plus  gros  vaisseaux  de 
l'escadre.  L'armée  'de  terre  s'est  précipitamment  retirée  à  la 
nouvelle  de  ce  désastre. 

A  la  paix  d'TJtreeh  (1713).  (1)  l'Angleterre  a  dicté  que  la 
Terre-Neuve,  l'Acadie  péninsulaire  jusqu'à  la  Pentagoiïet. 
tout  le  pays  des  Iroquois  et  les  littoraux  de  la  mer  de  Hudson 
lui  soient  transférés  .quand  la  France  ne  gard  >  plus,  au  péri- 
mètre maritime,  que  les  îles  relativement  peu  considérables 
de  Saint-Jean  et  du  Cap-Breton.     Dès  lors  cette  colonie  lau- 

1.  Traité  que  la  Franco.  l'Espagne,  l'Angleterre  et  la  Hol- 
lande concluront  pour  mettre  fin  à  la  guerre  de  la  succession 
d'Espaç-no.   et   qui    assura   la   suprématie   maritime   aux   Anglais. 


L'ŒUVEE  (  <)l.o\  I  \!.K   DE   I. A    PB  LNCE  45 

vent itii ne.  qui  a  su  résister  aux  assauts  multipliés  d'un  anta- 
goniste mesurant  bonjours  sa  convoitise  à  sa  puissance,  mar- 
chera   irrévocablement   à  sa  perte. 


VI 


Voyons  aussi  quels  profonds  changements  au  dedans 
comme  au  dehors  doivent  maintenant  envisager  Les  deux 
colonies  d'Amérique.  Les  traités  ont  t'ait  retraiter  sensible- 
ment la  Nouvelle-France  vers  le  nord.  Depuis  la  paix  de 
Montréal  il  1701),  qui  signifie  le  renoncement  final  de  la  raee 
Rouge  à  guerroyer,  ces  sauvages  ne  permettront  plus  même 
aux  An-lais,  ni  aux  Français,  d'envahir  leur  territoire.  Et 
l'immense  arrière  pays  de  la  France,  qui  se  soude  à  la  Loui- 
siane, ne  sera  que  plus  difficile  à  garder  contre  les  empiéte- 
ments des  gens  du  sud.  (Iiz  Les  mères-patries  le  dépla- 
cement des  forces  est  encore  plus  accentué.  C'est  d'un  côté 
la  France  qui  s'épuise  dans  des  guerres  qui  maintiendront  pour 
un  temps  la  gloire  de  sa  maison,  et  dans  la  coûteuse  colonisa- 
tion des  Indes  l'aile  au  détriment  du  Canada,  en  lui  préparant 
de  cruels  désastres.  De  l'autre.  L'établissement  de  compactes 
colonies  et  son  corollaire  obligé,  L'impérieuse  loi  de  Naviga- 
tion, feront  la  richesse  de  la  Grande-Bretagne  en  lui  assurant 
la  suprémat  Le  <\-'^  mers. 

En  revanche,  à  toutes  ces  conjectures  défavorables,  la 
période  qui  va  de  L713  à  L'ouverture  d  !  la  guerre  dfe  Sept-Ans 
(1754  i.  51  ra  celle  d'un  prompt  renforcement  de  la  colonie.  — 
à  coup  sûr  le  plus  considérable  quant  a  la  croissance  numéri- 
que de  ses  habitants,  à  Leut  aisance  et   m  leur  individualité. 


Ili  TERRES   ET   PEUPLES   DD   CANADA 

car; grâce  à  la  pais  relative  don!  jouira  Le  Canadien,  il  se 
tiendra  dans  un  contact  intime,  assidu  aven-  le  sol  natal. 

Le  commerce  des  pelleteries,  devenu  libre,  ne  suffisait  pas 
cependant  à  enrichir  la  colonie  entière  :  il  ne  rapportait  pres- 
que pins  rien,  par  le  peu  de  valeur  du  castor.  La  classe  des 
coureurs  de  bois  accomplit  aloie  le  retour  à  la  terre,  qu'elle 
n'eut  jamais  dû  mépriser,  ce  qui  permit  de  eoncéd  r  une  tren- 
taine de  seigneuries  nouvelles!,  entre  L732  et  1743,  eu  portant 
leur  nombre  à  222.  Aussi  vit-on.  de  ¥713  à  1739,  date  du 
dernier  recensement  officiel  d'avant  la  conquête,  la  population 
làuretntiènne  de  saing  français  portée,  par  sa  seule  fécondité, 
de  18,119  à  42,701  âmes.  Et  cette  prodigieuse  croissance 
n'atteindra  pas  moins  de  65,000  individus  lorsque  changera 
le  sort  de  la  Nouvelle-France.  Toutefois  son  infériorité  nu- 
mérique reste  écrasante  devant  un  rival  juré,  les  établisse- 
ments anglais,  qui,  grâce  à  de  continuelles  recrues,  comptera 
2î  o.OOO  en  1706  et  douze  cent  nulle  au  détourl  des  hostilités. 

En  1722,  un  arrêté  du  Conseil  de  Quélbeo  accorde  les  droits 
civils  aux  82  paroisses  laurentiennes  dont  la  Baie  Saint-Paul 
et  Kaniouraska  sont  les  plus  orientales,  l'île  du  Pas  erf  Châ- 
teauguay  les  dernières  à  l'ouest.  11  yen  a  48  sur  la  rive  gau- 
che et  34  sur  la  droite.  Ce  premier  acte  de  décentralisation 
est  suivi  en  1737  d'un  plus  efficace,  la  délimitation  des  bornes 
paroissiales,  afin  de  rattacher  au  domaine  de  la  Couronne  les 
seigneuries  et  les  fraction-  de  seigneuries  qui  n'ont  pas  encore 
été  concédées.  (1)  Ainsi  s'affirmait  le  caractère  plutôt  démo- 
cratique dVie  colonisation  etayée  sur  le  féod&lisme  dans  ce 

1.  ("était  la  séparation  des  terres  cultivées  et  de-  domaines 
incultes— soit  ce  qui  reste  encore  à  l'aire  dans  les  nouvelles  zones 
colonisables  <lu   Québec  moderne.. 


L'ŒUVRE   COLONIALE  DE  LA  FRANCE  11 

qu'il  a  de  sage,  de  fécond    :  la   seigneurie  subordonnée  à   La 
paroisse,  et  l'obligation  imposée  au  seigneur  de  l'  son 

fief  pour  en  rester  le  maître. 

C'est  encore  pendant  cette  période  de  paix  que  la  puissante 
nature  d'Amérique,  les  qualités  in  livi  luelles  de  la  race  s'al- 
lient aux  sentiments,  aux  caractères  '!<■.  par  de  si  dif- 
ficiles circonstances  historiques  pour  eonsomimeï  l'élaboration 
du  type  Qéo-français;  le  I  aurent  h  q. 

Le  défrichement  d'une  vigoureuse  forêt,  le  qui-vive,  les 
expéditions  primitives  contre  la  barbarie  >t  le  rival  du  midi 
ont  trempé  el  retrempé  l'âme  coloniale  d'énergique  endurance, 
d'indéfectible  confiance  en  sof.  Une  Vie  toute  agricole,  cou- 
pée de  fréquentes  visites  par  les  routes  fluviales,  se  passe  à  la 
lisière  de  bois  résineux,  et  l'alimentation,  largement  eompi 
de  céréales  riches  en  protéine,  de  pommes,  de  poissons  riches 
en  phosphore,  sont  essentiellement  propres  à  donner  de  robus- 
:orps  dont  la  dureté  des  hivers  ne  fera  que  accroître  l'ac- 
tivité. 

Les  seigneurs,,  qui  ont  t'ait  bâtir  l'église  paroissiale,  un  bon 
moulin,  donné  par  leur  propre  travail  aux  champs  l'exemple 
d'une  sage  exploitation,  entretenu  des  rapports  faciles  avec 
leurs  -  i  -.  ont  sensiblement  atténué  la  mé  liocrité  du 
régime  terrien.  La  culture  intellectuelle  des  Canadiens  devient 
considérable  —  à  cette  époque  où  il  était  de  mode  de  n'en 
avoir  aucunement.  Elle  l'emportait  sair  celle  des  Yankees, 
nous  dis  nt  [i       o  ageurs  contemporains.   (1)     Si  la  rigueur 

l.  Après  avoir  rappelé  que  la  conversation  de  V habitant  es1 
fine  et  plaisante,  le  voyageur  Kalm  dit:  "J'ai  trouvé  (vers  L' 
que  l<s  gens  de  distinct  ion.  eu  généra]  ici.  on1  bien  plus  de  goûl 
pour  l'histoire  uaturelle  él  1rs  lettres  que  dans  .les  colonies  an- 
glaises où  l'unique  préoccupation  de  chacun  semble  être  de  faire 
une  fortune  rapide,  tandis  que  les  sciences  sonl  tenues  dans  un 
mépris  universel.'*  Kalm,  Voyage  en  Imériquè,  Mémoires  de  la 
Société  historique  de  Mintréa'l,  s«'  livraison,  p.  i 


48  TEHEES  ET  PEUPLES  DU  CANADA 

liiémale,  l*éloignement  des  habitations  i  mipêcJirait  souvent 
l'érection  d'écoles  primaires,  il  est  certain  que  pas  moins  de 
la  moitié  des  paroi.- sies  avaient  la  leur  en  1725.  Les  Ursulines 
à  Québec,  aux  Trois-lîivières,  les  dame^  de  la  Congrégation  à 
Montréal,  aux  villages  environnants  et  à  Québec,  continuent 
de  donner  lïnstruction  aux  jeunes  peisonn  s  qui  vont  répan- 
dre le  bon  langage,  les  (belles,  manières  jusque  dans  les  plus 
humibles  foyers. 

L'excellent  collège  dis  Jésuites  à  Québec,  fondé  dès  1626. 
soit  deux  ans  plus  tôt  que  l'université  d'Harvard,  près  Boston, 
distribue  l'enseignement  secondaire  jusqu'après  la  conquête. 
Cette  maison  permet  de"  suivre  un  cycle  d'études  complètes. 
Une  école  élémentaire  prépare  à  l'enseignement  classique, 
distribué  d'après  le  ratio  studiorum,  et  y  sont  adjoints  des 
cours  pour  la  formation  d'arpenteurs,  de  capitaines  et  de 
pilotes  .  Enfin  une  école  des  arts  et  métiers  prépare  d'habiles 
artisans  parmi  une  population  naturellement  ingénieuse.   (1) 


VII 


Malgré  son  impuissance  à  gratifier  ses  enfants  d'Amérique 
des  facteurs  d'une  colonisation  économiquement  féconde,  la 
France  leur  a  cependant  Légué  les  cadres  d'une  société  solide- 
ment organisée,  une  activité  qui  leur  penmet  de  vivre  à  même 

1.  "Personne  ne  peut  leur  contester  un  rare  génie  pour  les 
méchaniques  ;  ils  n'ont  presque  pas  besoin  de  maîtres  pour  y  ex- 
celler et  on  en  voit  tous  les  jours  qui  réussissent  dans  tous  les 
m 'tiers  sans  en  avoir  fait  l'apprentissage."  Charlevoix,  Journal 
ii'im  voyage  dans  V  imérique  septentrionale,  t.  V,  lettre  VIII,  p. 

225. 


I.  ŒDVKE  COLONIALE  DE   I.  A    PB  LNCE  I» 

L'exploitation  des  ressources    naturelles,    sans    Le  secoure 

dehors. 

Aux  bords  de  cette  avenue  Eiuviale0  la  plus  belle,  la  plus 
Large  qui  soit  ouverte  à  travers  le  Nouveau-Monde,  Le  sens 
d'une  vie  communautaire,  le  génie  chrétien  de  la  France  ont, 
de  concert,  crée  la  paroisse,  cellule  sociale  dont  un  avenir 
prochain  fera  voir  l'étonnante  puissance  pour  le  salut  d'une 
race.  Mais  que  va  devenir  TAcadie  déjà  séquestrée  ;  que]  91  ra 
le  sort  dos  territoires  de  l'intérieur,  qu'aux  lieux  marquants 
des  solitudes  gardent  des  croix,  des  poteaux  armoriés,  des  en- 
ceintes isolée-  où  s'enferment  quelques  colons  ?  Les  événe- 
ments se  précipitent  pour  y  répondre. 

11  fallait  des  colons  quand  la  France  élevait  murs  et  cré- 
neaux. Elle  bâtit  en  1720,  au  coût  de  trente  millions  de 
livres,  l'imposante  forteresse  de  Louisbourg  qui  inspirera 
d'abord  une  crainte  salutaire  aux  Bostoniens,  aux  Virginiens, 
en  protégeant  le  commerce  de  Québec  avec  les  Antilles.  Et  si 
en  1T19  un  millier  d'Aeadiens  colonisent  l'île  de  Saint-Jean, 
(1)  ils  auront  encore  leurs  terris  en  franc  aleu  noble  et 
devront  porter  foi  et  hommage  au  château  de  l'île  Koyale.  Sur 
le  continent,  pour  préluder  à  l'exécution  des  défenses  (pie  l'en 
sent  nécessaires  contre  la  menace  gran  lissante  du  sud,  on 
construit  ou  l'on  augmente  les  forts  de  Gaspareaux,  de  Beau- 
séjour  sur  l'istbme  aeadien,  tandis  que  toute  une  double  ligne 
de  places  fortifiées,  dont  quinze  en  bon  état  de  défense,  relie 
la  Louisiane  au  Saint-Laurent. 

Louisbourg,  ce  port  de  corsaires  insuffisamment  gardé,  est 
devenu  une  source  d'irritation  pour  les  coloni-aux  anglais  qui 

1.     Aujourd'hui  nommée  île  du    Prince-Edouard. 


•">(>  TERRES   ET    PEUPLES   Df   CANADA 

l'obligent   à   capituler    (11    juin    1745)    après   quarante-neuf 
jours  de  siège.     (1) 

Placés  depuis  la  chute  de  Port  Royal  (1713)  dans  une 
vague  situai  ion  qu'ils  appelaient  la  Neutralité,  les  Acadiens 
se  croyaient  à  l'abri  de  toute  violence,  de  la  pari  du  vainqueur, 
<|uau;l  il  exig  a  d'eux,  quarante  ans  après,  an  serment  d'allé- 
geance forme]  et  sans  réserve  au  roi  d'Angleterre.  Mâh 
préfèrent  quitter  le  pays  plutôt  que  de  s'engager  à  prendre  les 
armes  contre  la  France  ou  leurs  fidèles  alliés,  les  Abénakis. 
Faits  prisonniers  au  milieu  da  leurs  villages  du  Beaulbassin 
et  de  l'île  de  Saint-Jean,  six  mille  Acadiens  sont,  en  L755, 
sauvagement  embarqués  sans  égard  à  la  division  des  familles, 
-m'  des  vaisseaux  qui  dispersent  tout  ce  peuple  depuis  Boston 
jusqu'aux  Çarolines. 

La  vallée  de  fOhio  que  les  Canadiens  occupent  depuis  1720 
et  que  les  Anglo-Américains  ont  depuis  réclamée  connue  une 
extension  de  leur  province  virgônienne,  est  le  théâtre  de  l'ou- 
verture de  cette  guerre  de  Sept-Ans  si  longtemps  attendue, 
(  L754)  et  commencée  ici  deux  ans  plus  tôt  qu'en  Europe.  Dès 
lofs,  le  coup  de  feu  qui  assassine  un  parlementaiDe  français, 
embrase  la  forêt  américaine  en  couvrant  de  victime-  anglo- 
saxonnes  les  gorges  de  la  Malengueulée,  la  berge  drOswégo,  les 
escarpements  de  Carillon,  tandis  qu'avec  les  troupes  lu  Roy, 
seigneurs  et  tenanciers,  chasseurs  et  alliés  sauvages  tombent 
hachés  derrière  leurs  sylvestres  abatis.  Les  champs  sonl 
désolé.-,  les  foyers  canadiens  ne  compteront  que  des  veuves   : 

1.  Si  le  traite  d'Aix-la-Chapelle  (1748)  rendil  l'île  Royale 
(Cap-Breton)  à  la  France,  su  forteresse  retomba  aux  Anglais 
i  1758)  qui  la  détruisirent  au  coûl  «le  50.000  livres. 


L'ŒUVRE  COLON]  \I.1-:   DE    I. A    FRANCE  5] 

des  octogénaires,  des  enfants  de  quinze  ans  sont  allés  d'eux- 
mêmes  se  ranger  à  côté  des  robustes  soldats. 

Enfin  L'Anglo-Américain,  dont  les  armées  sont  dix  fois 
plus  considérables  que  celles  de  la  France,  a  franchi  la  sacrée 
frontière  «le  la  pairie  laurentienne,  et  une  formidable  escadre 
assiège  Québec,  ce  boulevard  de  la  résistance,  Un  habile  coup 
de  main  entraîne  Montcalin  à  faire  mesurer  1  a  deux  armées 
sur  le  plateau  d'Abraham  (septembre  1759). 

lia  valeur  ne  pouvait  indéfiniment  suppléer  au  nombre.  La 
France  esl  vaincue  quand  les  Canadiens  tombeni  comme 
épuisés  par  leurs  propres  victoires. 

Par  le  traité  de  1763,  Louis  XV  pouvait  encore  commander 
à  l'Europe  en  abandonnant  (1)  à  ]"ennemi  séculaire  les  quel- 
ques arpents  de  neige  de  ce  lointain  Canada  qui,  pourtant, 
avait  été  témoin  des  plus  belles  ferveurs  apostoliques  qui 
eussenl  ifleuri  di  [mis  la  prime  chrétienté,  excité  les  plus  nobles 
dévouements  à  la  patrie  et  bu  tant  du  satng  le  plus  pur.  le  plus 
généreux  de  la  France. 

L'armée  entière,  beaucoup  de  la  noblesse,  des  hommes  de 
carrière  libérale,  les  marchands,  tous  ceux  enfin  dont,  la  vie 
économique  a  som  principe  dans  les  accidents  ou  le  caractère 
particulier  d'une  société,  repassent  l'Atlantique  dès  que  s'éva- 
nouit L'espoir  que  la  mère-patrie  n'a  pour  de  bon  renoncé  à  sa 

colollie. 

Ceux-là  seuls  qui,  pour  vivre,  prodiguenl  au  sol  leur  auguste 
labeur  ne  partent  pas.     Reste  tout  le  clergé  qui,  loin  de  laisser 

t.  Non  seulement  la  France  perdil  sa  colonie  sans  regrel  en 
L763,  mais  sous  l'influence  néfaste  «les  mêmes  hommes  el  des 
mêmes  idées,  elle  dédaigna  de  la  ressaisir  quinze  ;m-  plus  tard, 
en  promettant  à  L'astucieux  Franklin  de  renoncer  à  toute  pré- 
tention sur  le  Canada,  sî    l'on    voulait   bien   accepter   l'alliance  de 


52  TEBRES   ET   PEUPLES  DU  CANADA 

à  son  deuil,  à  ses  angoisses  ce  peuple  de  05,000  petites  gens, 
lui  sera  fidèle,  pour  qu'il  demeure  ce  que  lui  dicte  l'honneur 
et  pour  qu'il  accomplisse  l'étonnant  miracle  de  son  intégrale 
survivance. 

la  France,  pour  vaincre  l'Angleterre  dans  s;i  lutte  eontre  les 
Anglo-Américains  en  révolte.  "Il  faut  bien  vraiment  que  ces 
gens-là  aient  été  de  notre  sang  et  de  notre  parenté,  pour  que 
nous  les  ayons  ainsi  méconnus;  nous  sommes  les  derniers  à  nous 
apercevoir  de  leur  gloire  et  de  leur  héroïsme,  alors  qu'il  n'est  pas 
une  petite  peuplade  dans  le  monde,  luttant  pour  la  patrie  ou  la 
liberté,  à  laquelle  nous  n'ayons  prodigué  le  lyrisme  de  notre  sym- 
pathie et  la  pompe  de  nos  dithyrambes.''  Rameau  de  Saint-l'ère, 
Un,-  colonie  féodale  en  Amérique,  Paris,  1889,  roi.  I,  pp.  301-302. 


CHAPITKE  TROISIEME 


LE  REGIME  BRITANNIQUE 


La  Grande-Bretagne,  qui  vient  de  supplanter  définitivement 
la  France  pour  la  suprématie  mondiale,  est  à  peine  confirmée 
dans  la  possession  de  sa  conquête  qu'elle  la  démembre  :  la 
côte  du  Labrador,  les  îles  Anticosti  et  de  la  Madeleine  sont 
annexées  à  l'administration  de  Terre-Neuve  ;  celles  du  Cap- 
Breton  et  de  Saint-Jean  à  l'Acadie  qui  s'appelle  déjà  la  Nou- 
velle-Ecosse —  Nova-Scotia  ;  le  littoral  des  lacs  Ontario  et 
Erié  aux  colonies  du  sud,  et,  bientôt  encore,  l'Acadie  conti- 
nentale deviendra  le  Nouveau-Brunswick  (1784).  Ce  qui 
de  la  Nouvelle-France  preaicl  le  nom  de  province  de  Qué- 
bec, elle-même  partagée  en  trois  gouvernements  militaires  : 
Québec,  Trois-Rivières,  Montréal. 

Les  territoires  qui,  un  siècle  plus  tard,  formeront  le  Domi- 
niun  canadien,  se  trouvent   donc  non    seulement    amoin 
mais  encore  privés  d'abondantes  sources  de  richesse  qui  pas- 
sent, en  dépit  des  forces  de  la  géographie,  aux  colonies  adja- 


5  I  i  i:i:i;i:>   ET   PEUPLES   DTJ   CANADA 

centes.  Ainsi  dépouillés,  les  vaincus  sont  déjà  livrés  sans  dé- 
fense au  despotisme  de  fonctionnaire  qui,  aussi  haineux  qu'in- 
capables, espèrent  de  les  anglifier.  La  métropole  mlêmi  - 
flatte  d'avoir  facilement  raison  •rie  cette  poignée  de  pauvres 
agriculteurs,  en  proposant  de  substituer  la  hiérarchie  angli- 
cane à  la  rom/aîne,  (1)  et  de  fermer  les  écoles  si  l'on  ne  veul 
de  l'instruction  en  anglais.  Encore  pour  terrasser  leur  foi  on 
exige  de  tout  fonctionnaire  l'odieux  serment  du  test.  (2) 
Ainsi  violait-on  manifestement  le  seul  privilège  que  les  aban- 
donnés de  1763  s'étaient  vu  concéder  par  la  Grande- 
Bretagne.  '(3) 

Comme  sur  les  champs  de  bataille  qu'ils  viennent  de  quitter, 
les  mlaîtres  du  sol  doivent  lutter  pour  la  conquête  de  leurs 
droits  île  citoyens.     Ils  récusent  leurs  jmges  dont  la  langue  et 

1.  Art.  32. — ''Vous  n'admettrez  aucune  juridiction  ecclésias- 
tique du  Siège  de  Rome,  ni  aucune  juridiction  ecclésiastique 
étrangère  dans  la  province  soumise  à  votre  gouvernement." 

Art.  33 — ''Et  afin  que  l'Eglise  d'Angleterre  puisse  être  éta- 
blie en  principe  et  en  pratiqué,  et  que  les  dits  habitants  puissent 
être  amenés  par  degrés  à  embrasser  la  religion  protestante  et 
qne  leurs  enfants  soient  élevés  d'après  les  principes  de  cette  re- 
ligion, nous  déclarons  par  les  présentes  que  notre  intention  est 
que.  lorsque  la  Province  aura  été  divisée  en  Townships  on  devra 
donner  tout  l'encouragement  possible  à  l'érection  d'écoles  protes- 
tantes.".— Instructions  au  gouverneur  Murray,  7  déc.  1763.  Do- 
cuments concernant  ITiist.  constitutionnelle  du  Canada.  1759- 
1791,  p.   117,  Ottawa.   1911. 

:.\  Ce  serment  consistait  à  nier  la  présence  réelle  de  Jésus- 
Cbrisl  dans  l'Eucharistie,  l'autorité  du  pape,  et  dont  l'Angleterre 
se  servit  pour  éloigner,  jusqu'à  l'Acte  de  Québec,  1774.  les  Cana- 
diens du  gouvernement  et  des  fonctions  publiques. 

:;.  La  capitulation  générale  de  Montréal  reconnaîl  aux  ha- 
bitants "le  libre  exercice  de  leur  religion",  et  le  seul  article  du 
traité  de  Paris  qui   a   trait    aux  Canadiens  ajoute  cette  condition: 

"eu  autant  que  les  loi-  de  la  Grande-Bretagne  le  permettent." 


LE    REGIME    BRITANNIQUE  55 

le  code  ne  sont  pas  rm  ndus  et,  premier  pas  d'une  orientation 
qui  sauvera  leur  nationalité,  ils  règlent  leurs  différends  par 
l'arbitrage  du  curé.  Kl  les  paroisses^,  cette  seule 
vraie  forée  sociale  de  l'ancien  régime,  ces  petite  mondes  qu'il 
l'aui  tenir  elos,  résistent  victorieusement  à  touj  effort  des  con- 
quérants., ce  i|iii  fait  dire  à  un  gouverneur  de  l'époque,  que 
déjà  "la  rare  canadienne  a  pris  racine."  (1) 

Ces!  dams  ces  circonstances  que  sévit  la  révolte  des  colo- 
niaux anglo-américains,  résolus  de  repousser  tout  impôt  fiscal 
à  la  mère-patrie.  T)éjà  les  régiments  néo-anglais  logent  à 
Montréal  et  aux  Trois-Riviètes.  L'enceinte  de  Québec,  de 
rares  îlots  dé  paysans  restent  Beuls  à  reconnaître  encore  la 
suprématie  britannique.  Los  quelques  centaines  d'Anglais  que 
compte  le  Canada,  n'espérant  plu-;  dominer  exclusivement, 
se  rangenl  parmi  les  révolutionnaires.  Pourquoi  les  ostraciés 
ue  s'uniront-ils  pas  dan-  une  révolte  commune,  pour  rendre  de- 
nrée la  cause  HiétixDçolifcaine  sur  L'Amérique  entière?  Les 
séduisant  s  promesses,  les  menaces  mêmes  de  leurs  voisins  du 
n  aveuglent  plusieurs.  Mais  voilà  que  le  curé,  le  seigneur 
montrent  à  llia'bitani  qu'il  a  pour  perspective  de  ce  côté  l'ab- 
sorption parmi  les  Plots  humains  des  treize  colonies  protestan- 
tes qui  déjà  atteignent  à  deux  millions  d'âmes.  Aussi,  répon- 
dant en  masse  à  la  proclamation  du  gouverneur,  aux  cens 
de  Tévêque,  vient-il  défendre  ei  garder  au  souverain  la  colonie 
attaquée  par  ses  sujets  en  révolte  ('•décembre  1775).  C'esi 
donc  par  la  seule  fidélité  du  Canadien  au  serment  donné  que, 
douze  ans  après  sa  c  tnquête,  le  (  îana  l'a  i  si  resté  à  l'Angleterre. 

Dan.-  sa  peur  panique,  la  métropole  avait  accordé  l'Acte  de 

t.     I  ettre  de  sir  Gny  Çarleton  3  lord  Shdburne,  .'">  nov.  1767, 
AIU  HIVES  (  ANAD.,  Série  Q.,  vol.  Y.  |>.  260. 


5G  ÊERRES   ET   PEUPLES   DU  CANADA 

Québec  —  Québec  Bill,  (1774)  qui  reculait  de  toutes  parts 
les  frontières  de  1-a  province:  a.n  sud,  à  la  Nouvelle-Angleterre, 
à  la  Pennsylvanie,  au  cours  de  PÔhio  ;  à  l'ouest,  à  la  rive 
gauche  du  Mississipi,  et  au  nord,  jusqu'au  territoire  encore 
mal  défini  de  la  Société  de  l'Hudson.  Une  commission  gou- 
vernementale où  catholiques  et  protestants  seraient  également 
représentés,  devait  faire  les  ordonnances  pour  la  police  et 
l'administration.  Cet  acte  confirmait  les  droits  civils  possédés 
lors  de  la  cession,  déjà  vainement  assurés  par  la  capitulation 
générale  et  le  traité  de  Paris,  en  dispensant  du  testt  et  en  res- 
taurant l'usage  des  anciennes  loi?  françaises  auxquelles  s'ajou- 
tait la  faculté  de  tester  .de  tous  ses  biens;  enfin  il  décrétait 
l'application  du  code  criminel  d'Ànleterre  avec  sa  précieuse 
institution  de  Vhdbeas  corpus.    {V) 

Mais  voici  que  la  guerre  et  ses  dangers  disparus,  les  An- 
glais, tous  marchands  ou  fonctionnaires,  dont  le  loyalisme 
s'était  traduit  en  sortant  de  Quéhec  pour  échapper  aux  halles 
de  leurs  cousins  révoltés,  s'emparent  dés  postes  de  commande- 

1.     Haibeas-Corpus. — Loi  votée  le  26  mai  1679,  l'Acte  dtabeas 

corpus  a  fait  disparaître,  pour  les  personnes  accusées  de  crime, 
tons  les  obstacles,  les  erreurs  résultant  ;le  la  procédure  en  ce 
qu'il  exi^e  que  le  corps  du  détenu  soit  produit  devant  la  cour. 
herbeas  corpus  a<l  subjlciendum,  pour  que  celle-ci  statue  sur  la 
validité  de  l'arrestation.  Cet  Acte  qui  garantit  la  liberté  indivi- 
duelle du  citoyen  anglais  fut  complété  sons  Georges  III  en  l'ap- 
pliquant aux  personnes  privées  de  liberté  pour  tout  autre  motif 
que  trahison  ou  félonie.  Le  détenu  ou  une  autre  personne  peut 
demander  pour  lui  un  writ  d'h.  C.  en  vertu  duquel  celui  qui  le 
détient  doit  l'amener  dans  les  vingt  jours  au  plus  et  lui  faire 
connaître  la  cause  de  sa  délent  ion.  Alors  le  tribunal  ordonne  le 
maintien  de  l'arrestation  ou  l'élargissement  du  détenu  sous 
caution  ou  encore  sa  mise  définitive  en  liberté.  Dans  ce  der 
nier  ca«.  une  action  en  dommages-intérêts  peut  être  exercée 
contre  l'auteur  de  la  détention  arbitraire. 


LE    RÉGIME    BRITANNIQUE  57 

•ment  et  réclament  une  chambre  de  législation  d'où  les  catho- 
liques seraient  exclus  en  principe.  Et  pendant  qu'il  gémil 
sous  ce  despotisme  renaissant  l<e  Canada  est  encore  dépouillé 
à  l'extérieur  par  Le  traité  de  Versailles  (1783)  où  la  diplo- 
matie britannique  abandonne  aux  colonies  d'hier  presque  tout 
ce  qui  en  avait  été  si  iin politiquement  détaché  au  lendemain 
de  la  conquête,  puis  rattaché  en  1774.  Par  ce  ridicule  désis- 
tement Quélbec  et  Montréal  sont  également  placées  à  quelque 
vingt  lieues  de  la  frontière  ;  l'arène  du  lac  de  Champlain  avec 
ses  petites  montagnes,  ses  défilés  au  delà  du  45e  degré  de 
latitude,  qui  en  rendent  la  garde  facile,  sont  aussi  perdus  pour 
l'An- h  terre  ;  si  les  premiers  des  grands  lacs  deviennent  limi- 
trophes, plus  à  l'ouest,  la  naissante  république  étend  son  do- 
maine jusqu'au  nord  du  lac  Nipigon,  dépossédant  ainsi  la 
Grande-Bretagne  des  sources  du  Mississipi  —  territoire  des 
plus  fertiles,  où  se  sont  constitués  plusieurs  Etats  de  l'Union, 
—  oe  qui  affaiblira  l'unité  canadienne,  en  ne  baissant  plus 
qu'une  zone  désertique,  la  côte  nord  du  lac  Supérieur,  entre 
ses  territoires  de  l'est  et  du  centre» 


II 


Plus  de  50,000  sujets  restés  fidèles  à  la  couronne  britanni- 
que malgré  l'intensité  du  souffle  dïnidépendance  qui  avait  sévi 
aux  colonies  américaines,  sont  expulsés  de  la  jeune  république 
et  viennent  se  fixer  dans  les  possessions  du  nord.  Dès  1783, 
le  poste  militaire  de  Saint-John,  sur  la  Fundy,  reçoit  28,000 
de  ces  Loyalists  qui  ne  tardent  pas  à  se  répandre  en  \'<>\a- 
Scotia  et  sur  les  deux  rives  de  la  baie  dee  Chaleurs.  Le 
Ontario  est  aussi  traversé  par  22,000  autres  émigrants  venus 


58  YKUKKs    ET    PEUPLES    DTJ   C A  \ :  A  DÂ 

des  Btatg  île  New  York,  de  Pennsylvanie,  ei  qui  s'établissent 
dépuis  Kingston  jusqu'à  York  (aujourd'hui  Toronto),  Et 
10,000  de  c<  us  qui  s'étaient  d'aibord  renidlus  dans  Les  provinces 
atlantiques  s'ajoutent  peu  à  peu  aux  groupes  ontariens  (1790- 
L793).  Il  en  viendra  d'autres  jusqu'au  œmmencemetnt  du 
siècle  dernier,  qui  renforceront  leurs  devanciers  ou  colonise- 
ront finalement  la  zone  méridionale  du  Québec  qu'ils  comment 
Les  Eastern  T'ownsh  ips. 

Au  lieu  de  s'établir  parmi  l'élément  franco-canadien, 
cas  fiers  Ànglo-Saxons  se  sachant  inaptes  à  en  opérer  l'assimi- 
lation par  le  mélange  des  sangs,  se  juxtaposent  à  lui  pour 
oeeupeT  de-  lierres  vierges  ei  s'y  développer  sel  tu  le  génie  de 
leur  race.  Dès  l'arrivée  des  premiers  conting<  uts  ils  exigent  1 1 
reçoivent  sans  retard  une  organisation  politique  distincte  de 
celle  des  populations  françaises  (1787).  Leurs  établissements, 
partagés  en  quatre  districts,  prennent,  par  une  iidée  bizarre, 
ces  noms  allemands  de  Lunenlburg,  Macklenburg-,  Hessi 
Nassau^ 

La  répugnance  des  proscrits,  objel  dé  la  sollicitude  dé  la 
mère-patrie,  à  accepter  h  >  lois  civiles  françaises,  à  vivre  politi- 
quement avec  des  catholiques,  jointe  à  L'indignation  de  ceux-ci 
devant  la  brutale  spoliation  de  leurs  droits  si  vainement 
garantis,  ne  tarde  pas  de  grossir  Le  parti  hostile  à  la  cons- 
titution de  l  "t  î  4.  Aussi  la  séparation  complète  des  deux  grou- 
pes ethniques  existant  déjà  dans  le-  faits  dès  le  début,  fut-elle 
bientôt  consacrée  par  un  bill  de  Westminster  (1791). 

En  vertu  de  ce  Constitution  Bill  le  Québec,  presqu  ■  exclusi- 
vement français  et  catholique,  devient  le  Bas-Canada  (Lower 
Canada),  quand  la  colonie  anglophone  et  protestante  de 
l'Ontario  se  nomme    Le    Haut-Canada    [Upper   Canada),  en 


LE    RÉGIM  i:    BRITANNIQ1   l  50 

rëcavanl  chacun  leur  autonomie  administrative  e!  judiciaire. 
En  même  temps  que  la  Grande-Bretagne  avouai!  ainsi  son 
impuissance  à  unifier  les  éléments  nationaux  de  sa  possession 
canadienne,  elle  les  gratifiai!  donc  de  parlements  ayanl  pour 
base-la  représentation  populaire.  Chacun  d'eux"  comptai!  une 
chambre  élective  (représentative  assembly)  puis  un  conseil 
législatif  (législative  council)  inspirés  des  institutions  mêmes 
de  la  métropole,  (''est  de  ce  conseil  qu'es!  sorti  le  sénat  d'à 
présent.  Les  députés  étaient  élus  pour  quatre  ans,  par  les 
propriétaires  Ion, -ici--  ou  mobiliers,  tandis  que  les  législateurs 
étaient  nommés  à  vie  par  la  couronne  qui  se  réservaitl  le  veto 
sur  toute  loi  émanant  Ar<  deux  chambres  :  enfin  le  gouverneur 
e!  sob  conseil  exécutif  constituaient  une  cour  d?appel  en 
matière  civile.  En  sotame,  si  la  députation  restai!  soumise  à 
un  pouvoir  placé  lui-même  sous  la  ferme  tutelle  de  la  mère- 
patrie,  elle  comptait  néanmoins  parmi  ses  prérogatives,  celle 
de  voter  les  impôts  du  peuple.  Il  manquait  donc  à  cette  vil-aine 
caricature  «lu  parlement  britannique,  le  ministère,  sans  quoi, 
disail  Macaulay,  un  gouvernemen!  parlementaire  ne  peut 
jamais  fonctionner  sûrement. '"  Encore  loin  d'être  équitable 
et  prévoyante,  la  métropole  s'esi  réservé  par  cette  charte  la 
disposition  îles  terre.-  incultes,  .avec  le  but  manifeste  d'orga- 
niser solidement  dans  les  Deux-Canadas  l'Eglise  anglicane 
Comme  église  d'Etat,  en  lui  attribuant  la  propriété  du  sep- 
t ième  des  domaines  à  coloniser  ! 

La  révolution  américaine,  la  révolution  française,  don! 
l'Angleterre  se  plaignit  avec  raison,  jetaient  chez  elle  beaun 
coup  de  discrédit  but  les  doctrines  démocratiques  :  elle  crut 
prudent  de  restreindre  encore  les  attributions  de  ses  colo- 
niaux. 


60  TERRES  ET  PEUPLES  DU  CANADA 

C'était,  à  l'égard  dos  populations  laurentiennes,  un  préjugé 
que  1812-3  se  chargea,  hélas  !  inutilement  de  dissiper,  quand 
trois  cents  voltigeurs  canadiens-français,  commandés  par  de 
Salaberry,  mirent  à  Châteauguay  quatre  cents  cavaliers  et  sept 
mille  fantassins  des  Etats  fédérés,  en  complète  déroute,  ce  qui 
sauva  une  seconde  fois  le  pays  de  l'invasion.  En  retour,  le 
Bureau  des  Colonies  (Downing  Street  Office)  impose  avec 
persévérance  des  gouverneurs  dont  la  tache  est  d'entretenir 
une  mentalité  plus  passive  que  libre,  en  favorisant  l'ambition 
d'anglifier  les  Bas-Canadiens  par  l'école.  Mais,  la  race  pion- 
nière, déjà  prédisposée  à  la  vie  publique  par  son  institution 
paroissiale,  réclame  instamment  les  véritables  libertés  consti- 
tutionnelles, enseigne  aux  immigrants  l'usage  de  la  représen- 
tation populaire  et  le  respect  des  équitables  droits  acquis, 
quand  on  jette  aux  fers  ceux  qui  protestent  ou  font  échec  à 
tant  d'absolutisme,  au  nom  de  leurs  concitoyens.  Vainement 
encore,  les  Quatre-vingt  douze  résolutions,  que  Papineau  avait 
rédigées  pendant  la  session  de  1831,  demandent-elles  le  gou- 
vernement responsable  et  ses  faveurs  pour  les  deux  catégories 
de  Canadiens,  que  Downing  Street  oppose  une  fin  de  non 
recevoir*  à  ce  populaire  manifeste. 

La  Nouvelle-Ecosse,  qui  comprenait  au  lendemain  de  la 
conquête*  tout  ce  qui  s'appelle  aujourd'hui  les  provinces  mari- 
times —  commença  de  jouir  dès  1758  d'institutions  représen- 
tatives, mais  guère  plus  avantageuses  (pie  celles  de  l'Acte  'de 
Québec  (1771).  (1) 

Tant  de  mauvaise  grâce  suscita  dans  les  deux  provinces  à 

1.  L'île  du  Prince-Edouard,  qui  fut  détachée  de  la  Nouvelle- 
Ecosse  en  1770.  réunit  sa  première  législature  en  1773.  Celle  du 
Nbuveau-Brunswick  tut  autorisée  dès  l'arrivée  des  Loyalists,  soit 
en   1784. 


LE    RÉGIME    BRITANNIQ1   G  (11 

la  fuis  un  iiu'-i-, m !.-nt;Mm'iit  dont  1837-1838  vit  le  point  cul- 
minant. 1/ Angleterre  ne  s'effraya  certes  pas  des  vilaines 
baïonnettes,  des  fusils  de  chasse,  des  canons  de  chêne  de  Saint- 
Denis  et  de  Saint-Ëustache,  mais  ses  hommes  d'Etat  sentirent 
enfin  la  douloureuse  insulte  dont  l'oligarchie  accablait  un 
peuple  fier,  énergique  et  fait  pour  la  liberté.  Cette  rébellion 
qui  réclame  l'égalité  véritable  des  dieux  races  et  une  plus 
grande  confiance  envers  les  coloniaux  dans  la  gestion  de  leurs 
affaires,  porte  bientôt  ses  fruits  :  c'est  au  souvenir  des  bannis, 
au  bruit  d\es  chaînes,  à  l'ombre  des  potences  de  nombreuses 
victimes  politiques  que  s'élabore  l'Acte  d'Union  (1841). 


III 


Le  flot  montant  des  colons  d'Europe  que.  depuis  la  fin  îles 
guerres  napoléoniennes,  recueillait  la  province  anglaise,  avait 
sensiblement  accru  sa  population.  Dès  lors 'il  était  facile  de 
prévoir  que,  grâce  à  cet  afflux,  le  Haut-Canada,  ne  tarderait 
pas  de  se  placer  au  premier  rang;  c'est  en  »ffet  ce  qui  arriva 
une  décade  plus  tard.  Cette  Union,  diont  Le  principe  avait  été 
repoussé  par  l'élément  loyaliste  aussi  longtemps  qu'elle  lui 
eût  été  désavantageuse,  c'était  maintenant  son  succès,  pour 
l'avoir  âprement  réclamée;  car  il  restait  la  ruse  politique  afin 
de  ruiner  l'influence  des  Bas-Canadiens  que  l'exemple  des 
gouverneurs  de  la  première  époque  avait  désignés  à  l'assimila- 
tion. Westminster  unissait  donc  ce  qu'il  avait  déjà  désuni 
avec  tant  de  bonne  grâce  (1791),  en  attendant  qu'il  fut  pos- 
sible de  fédérer  toutes  les  possessions  britanniques  de  l'Amé- 
rique du  Nord  (1867). 

Les  Canadas  n'ont  désormais  qu'une  même  administration. 


6§  Serres  et  peuples  du  canada 

La  province  inférieure  Bolde  la  banqueroute  de  la  province 
loyaliste  et,  pour  cela  perd  le  droit  de  par]  i  sa  langue  au  pâr- 
Iciiivn  de  la  province  du  Canada.-  La  Qouvelle  constitution; 
qui  lai--:'  aux  42  représentants  de  chacune  des  colonies  le 
contrôla  absolu  des  deniers  publies  par  la  libre  discussion, 
amènera  bientôt  le  ministère  vraiment  responsable  (1)  au 
peuple  (1848). 

Inanité  des  amibitions  humaines  :  cette  union  produira 
contrairement  aux  prévisions  les  flaut-"Canadiens  qui  l'ont 
provoquée,  une  plus  profonde  influença  de  l'élément  québécois, 
une  plus  grande  liberté  de  son  Eglise  (2)  et  la  reconnaissance 
prochaine  du  français  comme  langue  parlementaire  à  l'égal 
de  l'anglais   (3)   (1849). 

1.  La  responsabilité  ministérielle  consiste  dans  le  contrôle 
du  ministère  par  la  chambre  des  députés,  et  de  cette  chambre 
par  le  peuple  même.  Le  peuple  peut  dune  gouverner  par  la  voix 
de  ministres  à  lui  responsables. 

:.'.  Confirmation  du  droit  de  dîme  qui  était  fixé  au  26e  de- 
puis 1<)79. 

3.  Au  début  de  la  session  de  1812.  L.-ll  Lafontaine,  qui  ve- 
nait de  refuser  un  portefeuille  offert  par  le  premier-ministre 
Draper,  parce  que  ce  dernier  ne  voulait  pas  rétablir  officielle- 
ment l'usage  du  français  dans  les  chambres,  disait:  "On  me  de- 
mande de  prononcer  dans  une  autre  langue  que  ma  langue  ma- 
ternelle, le  premier  discours  que  j'ai  à  faire  dans  cette  cham- 
bre! Je  me  défie  de  nies  forces  à  parler  la  langue  anglaise. 
Alais  je  dois  informer  les  honorables  députés  et  le  public  du 
sentiment  fie  justice  duquel  je  ne  crains  pas  d'en  appeler,  que 
quand  même  la  connaissance  de  la  langue  anglaise  nie  serait 
aussi  familière  que  celle  de  la  langue  française  je  n'en  ferais  pas 
moins  mon  premier  discours  dans  la  langue  de  mes  compatriotes 
canadiens-français,  ne  fût-ce  que  pour  protester  solennellement 
contre  la  cruelle  injustice  de  l'Acte  d'Union  qui  proscrit  la  lan- 
gue d'une  moitié  de  la  population  du  Canada.  Je  le  dois 
à  mes  compatriotes;  je  le  dois  à  moi  même."  Cet  acte  de  cou 
rage  porta  ses  fruits:  dès  la  même  année  le  parlement  de  la 
métropole  rendait  le  français  officiel  à  l'égard  de  l'anglais  dans 
les  débats  parlementaire-  (Thé  I  tiion  Ad  amendtnènt  Ait.  1848). 


LE    REGIME    BRITANNIQUE  t">:i 

Ce  même  avantage  du  gouvernemeini  responsable  es!  aussi 
accordé  aux  deux  grandes  colonies  atlantiques  eu  1842  :  mais 
l'île  du  Prince-Edouard  ae  le  recevra  qu'en  L851. 

Si.  à  c<  tic  époque,  les  populations,  qui  s'accroissent  avec  un 
étonnante  rapidité,  bénéficient  idè  maintes  mesures  démocra- 
tiques, comme  l'autonomie  administrative  des  organismes  mn- 
nicipaux  (1848),  lès  droits  3e  réunion,  une  certaine  lïberh 
la  pressa,  l'essor  matériel  resite  gêné  par  les  obstacles  qui  per- 
sistent contre  la  libre  possession  des  terrés. 

Il  faut  ravoir  l'action  colonisatrice  des  deux  régimes  qui  se 
sont  succédés  aux  possessions  américaines  pour  comprendre  le 
clésavantaige  économiqui  où  elles  se  "trouvent  alors.  La  France 
avaii  transporté  ici  le  mécanisme  féodal  par  des  concessions 
immobilières  gratuites,  mais  sujettes  à  des  conidïtions  obliga- 
toires quant  à  leur  mise  en  valeur.  Kl  l'Angleterre  avait  aussi 
débuté  par  l'établissement,  dans  chacun  de  ses  berritoires  con- 
quis, d'une  puissante  et  nombreuse  noblesse  terrienne,  mais. 
celle-là  nument  propriétaire.  "Nulle  pan  on  fut.  à  l'origine, 
aussi  prodigue  de  concessions,"  (1)  de  sorte  que  plus  nu-or»' 
que  les  plaint  s  <^^  colons  irrités,  le  manque  de-terres  disponi- 
bles "contraignit  l'Angleterre  de  s'arrêter  dans  cette  voie  de 
largesses  insensées."  Ci  ) 

1  >.'■<  le  milieu  ilu  siècle  dernier  on  avait  aliéné  en  Nouvelle- 
Fx:osse  5,750,000  acres  -m'  les  6,000,000  d'acres  arables  qu'elle 
contient.  [/île  du  Prince-E-douai|d!,l'ancienne  il»'  de  Saint-Jean 
d'où  l'on  avait  banni  ses  pionniers,  I»  s  Acadiens,  fut,  dès  1767, 
concédée  aux  enchères,  en  en  seul  jour,  à  soixante  personnes, 

i.     l'uni    Leroy-Beaulieii,    La    Voïonisaiion    <-ii<;    /».<    peupî  ,•- 
Modeiiu  »,  5e  éd.,  roi.   II    p.  :;:.".). 
Le  même,  ouvr.  cité. 


64  TERRES  ET  PEUPLES    DU   CANADA 

et  bientôt  après,  cette  colonie  de  1,398,000  acres  tombait  aux 

mains  de  quatre  seuls  Jandlords  d'outre-mer.  Aus&itôt  la 
guerre  d'Indépendance  terminée  aux  Etats-Unis,  quelques 
officiers  royalistes  acceptent  au  Nouveau-Brunswick  de  ces 
Imprévoyantes  donations.  Au  périmètre  ides  vieilles  seigneu- 
ries laurentiennes,  en  G-aspésie,  sur  l'Ottawa  inférieure,  aux 
Cantons  de  l'Est  (1)  surtout,  mêmes  générosités  aux  favoris 
des  gouverneurs,  à  l'Eglise  anglicane  :  soit  plus  d'un  million 
d'acres  qui  resteront  longtemps  inaccessibles  aux  défricheurs. 
Enfin,  dès  1825.  sut  les  17.000.000  d'acres  alors  arpentés  dn 
Haut-Canada  —  l'équivalence  de  l'Irlande  —  15,000,000  en 
avaient  été  concédés,  quand  cette  province  ne  comptait  encore 
que  158,00  habitants. 

De  si  considérables  domaines  aliénés  sans  concKtion,  et  dont 
les  possesseurs  faisaient,  à  leur  gpré  autant  de  zones  fermées  au 
défrichement,  la  confusion  des  domaines  de  culture  et  des  do- 
maines forestiers,  la  longue  incurie  des  gouvernements  à  ouvrir 
des  routes  en  pays  neufs,  en  somme,  leur  absence  d'un  plan 
•arrêté  de  colonisation  n'avaient  pas  manqué  de  ralentir  le 
progrès  de  la  fortune  rurale  et  par  suite  celui  >de  toute  la 
population.  C'est  au  prix  excessif  de  10  à  20  shellings  cur- 
rency  (2)  l'acre  que  se  vendirent,  jusque  vers  1850.  les  terres 
domaniales  du  Québec  cédées  à  vil  prix,  par  les  seigneurs 
.français  à  des  Anglais,  peu  après  la  conquête.  Des  milliers 
de  Canadiens  préfèrent,  dan;  ces  conditions,  s'engager  comme 
li ficherons  et  flotteurs,  -au  profit  d'autres  Anglais,  pour  exploi- 

1.  Les  Eastern  Townships  renfermaient  à  cette  époque  830,- 
000  acres  concédés  de  1802  à  1815.  tant  à  des  loyalixt*  qu'à  des 
sociétés  de  spéculateurs  anglais. 

2.  Le  shelling  équivaut  aux  20/100  de  la  piastre  canadienne. 


LE    RÉGIME    BRITANNIQUE  65 

ter  les  riches  pinières  du  Eaut-Ottawa.  Considérons  encore 
que  147,711  individus  nés  aux  colonies  de  L'Amérique  britan- 
nique s'étaient,  jusqu'en  1850,  (1)  fixés  dan-  L'Union  républi- 
caine, e\  L'on  appréciera  mieux  la  gravité  de  cette  erreur  éco- 
nomique de  la  concession  Libre,  infligée  à  de  jeunes  pays,  alors 
habités  par  moins  de  deux  millions  et  demi.  (2) 

On  remédie  à  ce  marasme  économique,  auquel  correspond 
exactement  une  longue  période  do  dissentions  parlementaires 
et  de  malaises  sociaux,  par  d'énergiques  mesures  nationales. 
Ainsi,  dan-  les  Cana  Las-Unis  le  clergé  protestant  e&\  amené  à 
vendre  toute-  ses  réserves,  dont  une  bonne  part  échoit  aus 
municipalités  ontariennes  récemment  instituée-  :  la  chambre 
contraint  les  grands  propriétaires  de  domaines  colonisables  à 
contribuer  au  fonds  municipal  et  à  l'ouverture  des  grandes 
routes,  acquitte  les  droits  seigneuriaux  (1854-5)  pour  la 
ne  de  f.ôO.OfiO  livres,  on  ne  laissant  plu.-  aux  censitaires 
qu'une  faible  rente  foncière,  devenue  'elle-même  rachetable  à 
volonté  (3)  ce  (pii  détermine  L'abaissement  du  pris  des  terres 
arables  à  ô  shellings  et  même  à  •">  shellings  l'acre  dan-  les 
Cantone  de  L'Est,  tandis  qu'au  Nouveau-Brunswick  on  admet 
le  rachat  par  acte  de  travail.     Mai-  la  couronne  ne  pourra  plus 

1.     Recensement   décennal  des  Etats-Unis,  année   1850. 

Recensements  des  Canadas,  année   L851-2;  •!«•  file  du   Pi\- 
I-aI..  L84J3,  etc.    résumés  au   te  vol.  du  "Recens.  du  (  anada.  1870-1": 

lia  ut-Canada 952  004 

Bas-Canada 890.261 

Nouvelle-Ecosse '.'Te,.-:,  i 

Nbuveau-Brunswicls 19.'». 800 

He-du-Pr.-Edouard 

5,597 
:;.      I.a    pluparl    de-   seigneuries    bas-canadiennes   avaienl    été 

acquises  à  des  prix  dérisoires  par  des  Anglais  qui  aug ntaienl 

constamment    les   anciennes  charges   et    introduisaient    mêm 

■i 


66  FERRES    i:i     l'I.I   PLES    Dl     CANADA 

se  reconstituer  des  domaines  propres  et  colonisaibles  qu'après 
la  fédération  des  provinces,  par  l'achat  tardif  des  vastes  terri- 
boires  de  la  société  dite  de  La  Baie-çl  ■  llul-  on  (  L869),  rendus 
accessibles  par  la  construction  de-  voies  ferrées,  notamment  le 

premier  transcanadien  (1885). 


IV 


Pendant  que  les  colonies  s'<  Qgagenl  dans  d'aussi  urgentes 
réformes  administratives  et  terriennes  que  l'implantation  do 
municipalités,  la  diffusion  graduelle     du     libre  soccage,  la 

Grande-Bretagne  les  a  gratifiées,  par  le  rappel  de  son  Acte  de 
Navigation  (18-19,  (1)  du  droit  précieux,  désormais  reconnu, 
de  fixer  elles-mêmes  leurs  tarifs  douaniers,  en  les  appliquant 
jusqu'aux  produits  venant  de  cette  métropole. 

corvée.  Les  droits  de  quint,  de  banalité,  de  lods  et  rentes  étant 
abolis,  il  reste  encore  celui  de  cens  et  rentes.  Si  Ton  compare 
aujourd'hui  la  fortune  des  paroisses  de  Québec  et  celle  des  muni- 
cipalités ontariennes  il  faut  noter  que  les  premières  ont  toujours 
porté  et  portent,  pour  un  bon  nombre,  le  fardeau  des  cens  el 
rentes,  tandis  que  les  dernières,  créées  sous  la  tenure  en  libre 
soccage,  bénéficièrent  de  la  liquidation  des  biens  de  l'Eglise  an- 
glicane, en  1854. 

1.  Le  rappel  de  cet  Acte  île  Navigation  était  l'annulation  du 
fameux  règlement  nommé  à  bon  droit  la  grande  charte  de  lu 
/narine  britannique,  vénérable,  car  il  datait  de  1651.  et  par  lequel 
aucune  marchandise  extra-européenne,  particulièrement  prove- 
nant des  colonies  nationales,  ne  devait  être  transportée  au 
Iïoyaume-Uni  autrement  que  par  des  vaisseaux  de  construction 
anglaise,  appartenant  à  des  sujets  anglais,  battant  pavillon  an- 
glais, ayant  un  capitaine  et  les  trois-quarts  de  leur  équipage 
anglais  (P.  Leroy-Beaulieu) .  Dès  que  le  parlement  de  West- 
minster et  le  gouvernement  se  rallièrent  au  principe  du  libn  - 
échange  ils  apportèrent  à  cette  loi,  qui  avail  si  puissamment  con- 
tribué au  développement  de  la  marine  anglaise,  une  série  de 
dérogations  (1815,  1845,  1847)  et  l'abrogèrent  enfin  en  1849. 


!,K    l{K<;  1  M  ]•:    HUIT  INMljl'H  G 7 

Cette  généreuse  politique  fiscale  de  la  Grande-Bretagne, 
M|iii  ouvrrait  les  ports  et  le  Saint-Laurent  à  toutes  les  marines 
étrangères,  détermine,  de  concert  avec  les  si  opportunes  ré- 
formes  intérieures,  une  ère  d'intense  et  générale  activité  éco- 
nomique à  laquelle  appartiennent  le  développement  de  la 
navigation  fluviale  et  océanique,  la  construction  des  chemins 
de  fer  (1)  et  des  canaux,  enfin  l'organisation  durable  de  l'en- 
seignetaeni  à  tous  ses  degrés.  (2) 

Au  milieu  de  ces  méprise-,  cite  ces  réactions  de  portée  consi- 
dérable, un  troisième  élément  ethnique  vient  d'à-coup  s'ajou- 
ter au  néo-latin. 'à  l'anglo-saxon:  près  de  cent  mille  Celtes  en 
majeure  partie  catholiques,  que  la  famine,  des  troubles  reli- 
gieux, suscités  par  leurs  landlords  d'Angleterre,  ont  chassés  de 
l'Irlande,  débarquent  ici,  de  1839  à  1840.  La  pauvreté  est 
commune  à  ces  victimes  des  sauvages  évictions  qui  ont  dépeu- 
plé cette  île.  Et  les  arrivants  de  1847  sont  enj  proie  aux 
ardeurs  d'une  fièvre  contagieuse,  le  typhus,  qui  fait  à  la  qua- 
rantaine de  la  Grosse-Lie  et  dans  les  agglomérations  cana- 
diennes, malgré  le  sublime  dévouement  des  religieuses  et  des 
prêtres  bas-canadiens,  quelque  quatorze  mille  victimes.  Les 
rescapés  vont,  comme  leurs  devanciers,  grossir  la  masse  anglo- 
phone,  tandis  que  des  centaines  d'orphelins  sont   incorporés 

1.  Le  développement   des  chemins  de  fer   fut   rapide: 
66  milles  en   1850 

2.695  "  "  1871 

7.331  "  "  1881 

13.838  "  "  1891 

18  104  "  "  1901 

26O00  "  "  1911;  estimés  à  près  d'un  milliard  et  demi. 

2.  Parmi  les  fondations  d'enseignement  de  cette  époque  se 
trouvent  l'université  Laval  (1852),  le  collège  Trinity,  à  Toronto 
(1852),  les  écoles  normales  et  la  plupart  des  collèges  classiques 
bas-canadiens.  Dans  chacune  des  provinces  <|ui  s'unirent  bientôt 
au  Dominion,  renseignement  primaire  fut  confié  à  la  charge  des 
municipalités. 


68  SERRES  ET  PEUPLES  DTJ  CANADA 

aux  l'amilles  françaises.  Quel  sera  le  rôle  de  ces  tard  venus  ? 
Plusieurs  décades  se  passeront  avant  qu'il  se  dessine  avec 
netteté  ;  mais  l'influence  nécessairement  tardive  de  ces  exilés 
sera  néanmoins  curieuse  à  considérer. 

Le  vieux  Québec,  parti  avec  le  régime  militaire,  et  les  autres 
colonies  britanniques  avec  un  emibryon  de  gouvernement  civil 
avaient  graduellement  conquis,  après  un  siècle  de  patientes 
requêtes,  le  parlement  responsable.  Cette  évolution  constante 
•  •I  insensible,  pourrait-on  dire,  surtout  à  l'égard  des  Deux- 
Canadas*  c'était  l'affaiblissement  des  prérogatives  de  la  Cou- 
ronne, soit  de  l'arbitraire,  et  l'abandon  à  la  volonté  populaire 
du  contrôle  économique  et  législatif  du  pays. 

Il  était  résulté  i\r  ces  relâchements  -  ssifs  — ■  qui  carac- 
térisent si  bien  le  génie  colonial  de  l'Angleterre  —  une  cons- 
cience die  la  valeur  et  des  besoins  mutuels  de  chacune  des  pos- 
sessions. In  traité  de  réciprocité  commerciale  avec  les  Etats- 
Unis,  rappelé  après  onze  ans  d'existence  <  1866)  avait  fait  voir 
la  pressante  nécessité  de  réagir  contre  la  menace  géographique 
d'une  annexion  à  ces  Etats  |(1)  ei  mûri  le  plan  d'une  fédéra- 
tion des  provinces,  auxquelles  s'ajouteraienl  les  établissements 
que  le  commerce  ^\r<  pelleteries  avait  créés  sur  la  rivière 
Bouge  h  jusqu'au  bord  du  Pacifique.  (2) 

1.  En  1849.  soit  au  lendemain  du  rappel  de  l'acte  de  Navi- 
gation, les  populations  anglaises,  d'Halifax  à  Toronto,  et  quelques 
bas-canadiens  favorisèrent  de  leur  signature  un  manifeste  pour 
annexer  les   colonies    britanniques  aux   Etats  du   midi. 

2.  Les  voyageurs  bas-canadiens  que  les  compagnies  pelle- 
tières amenaient  constamment  aux  pays  d'en  liant,  à  partir  de 
1769,  s'étaient  établis  en  permanence  sur  les  rives  de  la  Rouge, 
où  un  millier  d'Ecossais,  conduits  par  lord  Selkirk,  à  travers  [a 
mer  de  Hudson.  les  axaient  rejoints  en  1811.  Un  fonctionnaire 
de  la  Société  de  l'Hudson,  s'élancant   sur  les  traces  des  LaVéren- 


LE    RÉGIME    BRITANNIQUE  60 

Après  de  patientes  négociations  entre  Les  futurs  associés, 
l'entente  avait  pu  naître  de  la  diversité  de  leurs  bit 
locaux,  et  le  parlement  de  Westminster  ratifiait  simplement, 
en  1867,  le  contrat  de  cette  confédéral  ion  canadienne  (British 
NTorth  America  Act  L861  |  4111  margue  une  étape  nouvelle  dans 
l'histoire  dé  toute  l'Amérique  boréale. 

drye,  avait  atteint  l'océan  Pacifique  en  1790,  et  bientôt  après  on 
y  construisait  des  postes  de  traite.  En  1866  l'île  de  Vancouver 
et  tes  établissements  littoraux  fusionnaient  leur  administration 
pour  former  la  Colombie  britannique. 


CHAPITRE  QUATRIEME 


LA  CONFÉDÉRATION  ET  SON  ŒUVRE 


Le  British  North  America  .!</.  1867,  cette  charte  constitu- 
tionnelle qui  jetait  les  bases  d'un  Etat  d'une  catégorie  inédite, 
c'était  l'oeuvre  entière  des  coloniaux  ;  aucune  loi  spéciale, 
émanant  de  la  couronne  britannique  n'en  avait  posé  Les  clau- 
ses; seul  le  génie  politique  de  la  Mother  of  Parliaments  \  1  | 
permettait  l'édification  de  ce  Dominion  canadien,  cent  huit 
ans  après  la  prise  die  Québec. 

Aux  provinces  du  Bas  et  du  Haut-Canada,  depuis  lors  res- 
[»  etivement  nommées  le  Québec  et  l'Ontario,  s'ajoutent  les 
deux  plus  considérables  divisions  administratives  de  l'ancienne 
Acadie  :  la  VniveHr-Ecosse  et  le  Nbuveau-Brunswick.    Trois 


1.  Mère  des  parlements  ou,  comme  les  hommes  d'Etat  bri- 
tanniques affectionnenl  de  dire.  Mai  r  Parliamentorum,  désigne 
l'institution  politique  de  Westminster  qui  a  servi  de  modèle  non- 
seulemenl  aux  pays  e1  colonies  anglo-saxons  Etats-Unis,  Ca- 
nada. Australie.  Sud-Africain,  .nais  même  au\  Etats  constitution- 
nels de  l'Europe. 


;•? 


'I  EBRES   ET   PEUPLES    DTJ   I    \  \ADA 


ans  plus  tard,  suit  en  1870,  la  contrée  sise  entre  la  mer  de 
Huclson  et  les  Rocheuses,  récemment  organisée  en  province 
autonome  du  Mamitoba,  et  en  territoires  dits  du  Nord-Ouest, 


esl    acquise    (1868)    par    le    naissant    Canada    qui    la    re 
dans  sa  Confédération.  (1)     Elle  recueille  encore  successive- 


1.     Ce    mol    de    confédération    désigne    l'union    de    plusieurs 
Etats   (pii.  se   soumettant   à    un    pouvoir  central,   conservent   une 


I,  \    UONFEPEBATION     ET    SON    ŒUVRE  >  •» 

ment  L'adhésion  de  la  Colombie  britannique  en  L871,  et  de 
l'île  du  Prince-Edouard  en  1873. 

Delà  Terre  de  Rupert  dont  on  avait  tiré  lu  colonie  auto- 
nome de  la  Rivière-Rouge  —  devenue  le  Mlanitoba  eu  se  joi- 
eant  à  la  confédération,  —  il  reste  le  Keewatin  qui  est  érigé 
en  district  provisoire  (1876).  Ta  prairie  centrale  esl  parta- 
it 1875.  entre  quatre  reetanerles  nui  sont  autan!  de  divi- 
sions administratives:  S-askatcnewan,  A.ssiniboine,  Alberta  et 
Athal>aska,  dond  Tîésrir-a  devient  la  commune  capitale  (1882). 
T"u  district  ludïeiaire  est  aussi  créé  au  Yukon  nui  envoie  un 
député  à  Ottawa  depuis  1898.  Ce  oui  reste  du  Nord-Ouest, 
srran  les  terres  désertiques  gisant  jusou'à  l'océan  polaire  et 
au  delà  des  territoires  organisés,  esl  abandonné  avec  les  archi- 
pels'de  l'Arctique,  nu  Canadla,  en  1880,  par  un  arrêté  du  Oon- 
seil  impérial,  stipulant  au'en  retour,  dans  la  mespre  du  pos- 
sible, la  législation  et  la  police  du  Dominion  ban-  soi!  appli- 
quées. 

Lorsqu'en  1905  ces  quatre  districts  provisoires  eurent  ac- 
quis la  population  et  le  degré  de  civilisation  qui  leur  permit 
de  jouir  d'uni'  législation  représentative,  on  les  fusionna  deux 
à  deux,  on  en  corrigea  les  frontières,  puis  ils  furent  constitués 
en  provinces  d'égale  étendue,  qui  prirent  respectivement  le 
nom  de  la  plu-  importante  des  anciennes  divisions:  Saskat- 
chewan  et   Allie  H  a. 

Ainsi  fait,  le  Dominion  du  Canada  identifie  ses  frontières 

certaine  autonomie,  tels  les  Etats-Unis,  la  Suisse.  La  nature  du 
pacte  de-  possessions  britanniques  <le  l'Amérique  boréale,  alié- 
nant leur  individualité  au  point  que  chacune  d'elles  est  solidaire 
envers  les  autres,  et  surtout  l'étroite  dépendance  politique  de 
cette  collectivité  â  l'égard  de  la  mère-patrie,  n'en  font  plus  qu'une 
fédération.  Cependant  l'usage  a  consacré  la  première  appella- 
tion. 


74  TEHBES   ET    PEUPLES   DU  CANADA 

avec  l'Amérique  boréale  dont  il  faut  toutefois  déduire  La  pé- 
ninsule d'Alaska  '(1).  propriété  des  Etats-Unis,  et  une  étroite 
lisière  du  littoral  labre  lorien  Laissée  à  la  garde  de  Terre- 
Neuve  (2). 

II 

("'si  à  titre  d'associées  que  ces  provinces  soni  entrées  dans 
un  zollverein  économico-administratif,  (1)  ayant  la  faculté 
de  s'adjoindre,  comme  de  créer  de  nouvelles  divisions,  qui 
laisse  aux  contractants  toute  leur  liberté  de  gouverne  inté- 
rieure,  et  réserve  en  même  temps  à  un  pouvoir  central  la  lé- 
gislation d'intérêt  commun  à  la  collectivité. 

Comme  assises  fondamentales  de  cette  union  se  trouvent 
les  trois  granlds  principes  que  la  Métropole  avait  dû  recon- 
naître quelque  vingt  ans  auparavant,  comme  essentiels  à  la 
libre  croissance,  et  à  la  quiète  conservation  de  ses  colonies: 
autonomie  fiscale  et  législative  du  Dominion  dans  l'empire: 
autonomie  des  provinces  en  gardant  le  rouage  complet  de  leur 

1.  C'est  l'ancienne  Amêriqiae  russe,  achetée  par  la  républi- 
que des  Etats-Unis,  on  1S67.  nu  prix:  de  7.000  Of>0  de  piastres. 

2.  L'acte  de  1867  pourvoit  à  l'entrée  de  la  Terre-Neuve  clans 
la  confédération  canadienne;  mais  cette  aînée  des  colonies  bri- 
tanniques refusa,  pour  des  raisons  financières,  de  se  joindre  au 
Dominion  dès   sa  naissance  et   pins  récemment    encore,   vn    L895. 

1.  A  dater  de  1868  les  subsides  fédéraux  accordés  annuelle- 
ment aux  provinces,  en  retour  de  leur  abandon  des  droits  de 
douane  en  faveur  avant  l'Union,  restèrent  à  peu  près  fixes;  niais 
depuis  1907.  par  un  arbitrage  entre  le  ministère  d'Ottawa  et  les 
autorités  locales,  ce  subside  doil  augmenter  suivant  le  chiffre 
de  la  population,  au  taux  de  S0  cents    ,,,  r  capita. 

Somme  d<  s  subsides  Subsides  de 

(18GS-1910)  l'année  1910 

Ontario 56  895,895  2,128  772 

Québec 45,787,874  1,686.079 


I.A    CONFÉDÉRATION    ET   SON    ŒUVRE  15 

organisation  interne;  respecl  des  droits  des  minorités  —  an- 
glo-protestantes dans  le  Québec,  et  franco-catholiques  chez  les 
autres  associées.  Au\  points  de  vue  national  et  religieux  le 
Canada  es!  donc  essentiellement  un  pays  anglo-français,  sans 
religion  officielle. 

A  dater  die  1868  les  subsides  'fédéraux  accordés  annuelle- 
ment aux  provinces,  en  retour  de  leur  abandon  de*  droits  de 
douane,  en  faveur  avant  l'Union,  restèrent  à  peu  (près  fixes; 
mais  depuis  1907,  par  un  arbitrage  entre  le  ministère  d'Ot- 
tawa et  les  autorités  locales,  ce  subside  doit  augmenter  suivant 
le  chiffre  de  la  population,  au  taux  de  80  cents  per  capita. 

Et  le  peuple  canadien  compte  deux  catégories  de  gouverne- 
ment. Le  fédéral  et  les  provinciaux. 

Cn  seul  représentant  de  la  Grande-Bretagne,  le  gouverneur- 
général,  oomniissionné  pour  cinq  ans  et  résidlant  au  siège  do 
la  capitale,  préside  au  pouvoir  constitutionnel,  en  jouant  le 
l'ôle  d'intermédiaire  enre  la  colonie  et  sa  'métropole.  Ce 
fonctionnaire  impérial  promulgue  au  nom  du  souverain  les 
lois  votées  au  parlement,  sans  que  l'usage  se  soit  jamais  établi 
qu'il  leur  oppose  sa  réserve  on  son  veto  —  ce  qui  est  cepen- 
(1-uit  au  nombre  «le  ses  prérogatives.     11  est  de  coutume  con- 

.Vouveau-r.runswirk    .  20.097,806  621,361 

Nouvelle-Ecosse.     •     .    '    19.296.925  610.460 

Maniloba 14  894,218  881,622 

Colombie-Brit.    .     .    .  10  088.392  .-..".'.077 

Ile-du-Pr.  -Edouard.     .  7.207.4?.  1  281,932 

*Saskatchewan.     .     .  6,087.849  1,355,420 

•Alberta 5,987,998  1,273.165 

Totaux $186  344.394  $9  361,388 

"•L'importance  des  subsides  .~i  ces  deux  plus  jeunes  provinces 
tient  de  ee  que  le  pouvoir  fédéral  y  conserve  la  propriété  des 
terres  de  la  couronne. 

Cf.     Annuaire  du   Canada,    1910,   pp.   287,8. 


il!  TERRES    ET   PEUPLES  DU  CANADA 

sacrée  que  toute  décision  de  ce  gardien  «le  l'ordre  constitution- 
nel, même  lorsqu'il  s'agil  d'intérêts  impériaux  affectant  le 
Canada,  soit  ratifiée  au  préalable  oar  un  conseil  de  ministres. 
Une  tradition  le  guide  encore  dans  son  choix  du  premier-mi- 
nistre, chef  du  cabinet,  parmi  la  majorité  de  la  députation  et 
que  lui  a  dé.ià  clairement  désigné  la  faveur  populaire. 

Une  chambre  inamovible,  le  Sénat,  et  une  chambre  élec- 
tive, les  Communes,  composent  le  parlement  fédéral,  ainsi  mo- 
delé sui-  celui  de  Westminster.  La  première  assemblée  compte 
aujourd'hui  87  memibres  désignés  au  gré  du  gouvérneur-:gé- 
néral  en  Conseil  el  répartis  entre  les  provinces  approximative- 
ment à  l'importance  numérique  de  leur  p  pulation.  Bien 
que  les  prérogatives  de  cette  chambre  haute  soient  en  prin- 
cipe les  mêmes  que  celles  des  représentants  élus,  de  In  chambre 
basse,  cette  assemblée,  simple  survivance  du  passé  canadien, 
n'exerce  plus,  dans  la  direction  des  affaires,  qu'un  rôle  tout 
second  ai  re  :  ses  pouvoirs  ne  comportent,  en  matière  financière, 
ni  le  droit  d'initiative  ni  celui  d'amendement,  c'est-à-dire 
qu'elle  est  inapte  aux  choses  du  budget.  Toutefois,  cette  cham- 
bre des  Sages,  objet  d'amères  et  fréquentes  critiques,  diminue 
grande ni  les  chances  d'une  législation  intempesffcive  ou  pas- 
sionnée, surtout,  si  les  vieillards  qui  y  prédominent,,  savenl 
mettre  le  bien  de  la  patrie  au-dessus  de  l'existence  d?un  ca- 
binet. 

L'âme  du  pouvoir  législatif,  qui  oriente  la  politique  géné- 
rale d'après  la  volonté  populaire  manifestée  lors  des  appels 
quinquennaux,  c'esi  la  chambre  des  Communes.  En  effet,  par 
l'intermédiaire  d'un  comité  de  ses  propres  membres,  le  cabi- 
net, elle  rend  sa  législation  xécutive.  Le  nombre  des  députés 
de  chaque  province  esl   proportionnel  au  chiffre  de  sa  popu- 


f.A   CONFEDERATION    ET   SON    ŒUVRE  7? 

latkm  comparée  à  celle  du  Québec  doni  La  représentation  est 
immiobilisée  à  65,  par  un  article  de  l'acte  fédératif.  Cette 
province-mère  serl  donc  die  mesure,  en  quelque  sorte  automa- 
tique, quanl  au  total  de  la.  députation  canadienne;  Du  pro- 
grès Inégal  de  la  population  québécoise  il  résulte  qtfaporèls 
chaque  recensetnenl  décennal  le  oomlbre  de  sièges  attrilbualbles 
aux  provinces  est  modifié  soit  au  profit,  soit  au  détriment  de 
certaines  d'entre  elles,  et  qu'en  même  temips  s'accroît  la  dépu- 
tation générale.  (1)  En  d'autres  tenmes  le  quotient  du  chiffre 
de  la  population  québécoise  divisé  par  65  devient  l'unité  de 
représentation  pour  chacune  des  autres  provinces.  Le  dernier 
dénomibrement  donne  un  député  par  30. soi)  individus. 

Dès  que  Le  gouverneur-général  a  désigné  le  chef  du  gou- 
vernement, celui-ci  nomme  les  ministres  de  sou  cabinet  qui  est 
aussi  le  conseil  privé  du  Canada.  Aujourd'hui  le  ministère 
Céderai  comprend  régulièrement  quinze  membres  chargés  cha- 
cun die  la  direction  d'un  département  administratif.     Le  nom- 

1.     Tableau  de  La  députation  «les  provinces  depuis  1871. 

1871      1881      1891      1901      1910      1911 

Québec 65          65          63          65  65  65 

Ontario 82          88          92          92  86  82 

Nouvelle-Ecosse 19        21         21         3-0  L8  16 

Nouveau-Brunswick.    ...        15         16         16         11  .     13  11 

[le-du-Prince-Edouard 6          6          5  4  3 

Manitoba 4          5          7  10  15 

Saskatchewan ..         ..         . ..  *     10  15 

Alberta 7  12 

Colombie  Britannique 6          6          6  7  12 

Yukon 1  ! 

321        2I!2 

Les  territoires  organisés  du  Nord-Ouesl  on1  eu  4  députée  de 
1891  à  1905.  Le  territoire  organisé  du  Yukon  a  un  député  depuis 
1898. 

I.  Los  territoires  organisés  du  Nbrd-Ouesl  ont  eu  4  députés 
de  1801  â  1906.  Le  territoire  organisé  du  Yukon  a  un  député 
depuis  1898. 


78  TFKRES    ET   PEUPLES   DU   CANADA 

bre,  le  groupement  de  ces  ministères,  les  attributions  de  leurs 

titulaires  qui  ont  maintes  fois  varié,  restent  sujets  à  modifi- 
cation. (1)  Il  se  trouve  encore  des  ministres  dits  -ans  porte- 
feuille (ministers  not  in  the  cabinet),  auxquels  sont  attribués 
des  devoirs  secondaires  ou  même  la  s -ule  Qualité  officielle. 


III 


Un  lieutenant-gouverneur,  que  nomme  le  rapTésentani  de 
la  Couronne  avisé  par  son  Conseil,  est  placé  à  la  tête  de  chaque 
province.  Ses  fonctions  sont  sferietemenit  décoratives  ei  cons- 
titutionnelles en  ce  sens  que  la  tradition  lui  interdit  de  poli- 
tiquer.  Tout  comme  le  gouverneur-général  il  désigne  seule- 
ment le  chef  du  cabinet,  convoque  et  ajourne  la  Ghaimibre, 
donne  la  sanction  royale  aux  lois  et  n'use  dia  son  droit  cite  dis- 
solution —  ce  qui  entraîne  toujours  à  un  nouvel  appel  au 
peuple  —  que  dans  les  plus  strictes  mesures  de  l'impartialité. 

Les  dôputations  locales  ont  cette  particularité  d'être  partout 
supérieures  en  nombre  à  celles  des  provinces  au  parlement 
fédéral,  ce  qui  témoigne  de  l'importance  accordée  à  la  repré- 
sentation de  l'électorat. 

Des  cabinets  essentiellement  responsables,  composés  de  six 
ou  sept  membres,  choisis  dans  la  majorité  parlementaire,  cons- 
tituent le  pouvoir  exécutif  des  provinces.  Le  Québec  et  la 
Nouvelle-Ecosse  ont  cependant  gardé  leur  chambre  haute  non 
issue  de  l'assemiblée  populaire,  ce  qui  fait  de  leurs  législature- 
une   fidèle   copie   du   parlement  d'Ottawa,    en   illustrant   la 

1.  Liste  des  ministères  actuels:  présidence  du  Conseil  privé, 
justice,  finances,  agriculture,  navigation,  milice,  chemins  de  fer 
et  canaux,  travaux  publics,  postes,  commerce,  revenu  de  l'inté- 
rieur, douanes,  travail,   intérieur  et  secrétariat   d'Etat. 


I.A    CONFÉDÉRATION    ET   SON    ŒUVRE  79 

sage  défiance  qui  persiste  chez  leurs  habitants  à  l'égard  îles 
lois  trop  promptement  sanctionnées  ou,  peut-être  même,  indé- 
lébilité  de  leur  autocratique  origine  sociale. 

Les  domaines  respectifs  du  parlement  al  des  diverses  légis- 
latures sont  soigneusement  définis  par  l'acte  de  1867,  ce  qui 
a  rendu  Leurs  conflits  d'attribution  plutôl  rares  ei  maintenu 
.1.'  bienveillants  rapports  entre  ces  deux  catégories  d'auto- 
rités 

Le  champ    d'action    fédéral   ..s'étend   à   tout    ce   qui    inté- 
généralement   l'unité  canadienne:  commerce,   douanes, 
navigation,  pêcheries,  postes,  communications,  année  .et  ma- 
rine,  banques,  code  criminel,   sauvages,  recensement,  statis- 
tiques, naturalisation,  immigration,  terres  publiques,  etc. 

Aux  provinces  revient  la  tâche  de  légiférer  sur  l'éducation, 
les  hôpitaux  et  les  autres  oeuvres  de  bienfaisance.  Les  munici- 
palités, Les  permis  de  magasins  et  d'auberges,  les  travaux  pu- 
blics locaux,  la  propriété  et  les  droits  civils,  enfin  l'adminis- 
tration de  la  justice  en  ce  qui  concerne  L'organisation,  le  main- 
tien des  tribunaux  soit  civiis,  soit  criminels,  ei  le  choix  des 
magist  rats  et  des  juges    le  paix. 

Toutefois,  parlement  et  législatures  peuvenl  statuer  sur 
l'agriculture  et  L'immigration,  pourvu  que  les  luis  locale.-  a  i 
contredisent  pas  les  bills  fédéraux. 

L'autorité  de  ces  LégisLatures,  bien  que  considérable,  n'est 
pas  absolue,  car  pendant  une  année,  Le  conseil  fédéral  ga 
la  prérogative  d'opposer  son  veto  à  toute  mesure  inconstitu- 
tionnelle ou  de  faire  voter  au  parlement  un  bill  remédiateur 
à  toute  législation  qui  priverait  une  minorité  de  quelque  droil 
acquis  à  l'époque  de  l'Union  (  L861)  ).     Cette  prudente  restric- 

1.     77m    British   Vorth  America    Ict,  L867.  art.  91  e\  92. 


80  rfilJBES    ET    PEUPLES  7>T"   CANADA 

lion  est  cependant  restée  lettre  morte  toutes  les  fois  qu'elle 
eut  à  protéger  les  faibles  —  une  minorité  confessionnelle  du 
pays.  Ainsi,  lorsqu'on  1871,  la  législature  du  Nouveau- 
Brunswick  privait  les  Acadiens  catholiques  et  de  langue  fran- 
çaise de  leurs  écoles  séparée-;,  en  les  obligeant  à  contribuer  au 
soutien  de  l'enseignement  protestant,  ils  réclamèrent  vaine- 
ment l'intervention  du  parlement  fédéral,  mais  ne  durent  qu'à 
leur  résistance  armée  devant  les  agents  du  fisc,  d'obtenir  aon 
pas  le  rappel  de  la  loi  injuste,  mais  de  suffisantes  concessions 
qui  rétablirent  le  calme  chez  eux  (1874).  Et  ces  Manito- 
bains  catholiques,  c'est-à-dire  de  langue  française,  qui  s  i  virent 
aussi  frustrés  de  leurs  droits  à  l'école  confessionnelle,  pour- 
tant explicitement  garantis  par  l'acte  d'union  au  Canada,  et 
qui  souffrirent  la  confiscation  de  plusieurs  de  leurs  propriétés 
scolaires  —  même  de  celles  où  l'enseignement  s'était  main- 
tenu sans  aucune  aide  du  trésor  provincial  — ■  ne  reçurent 
d'Ottawa  qu'une  (bien  tardive  réparation  (1907),  encore  •  - 
elle  défectueuse,  imparfaite,  et  insuffisante.  (1) 

A  la  base  du  doulble  rouage  de  représentation  populaire  se 
trouvent  des  municipalités  électives,  créées  à  la  demande 
propriétaires  de  biens-fonds,  et  dont  le  centre  d'action  est  un 
conseil.  Le  système  municipal  confère  des  prérogatives  en 
harmonie  avec  le  caractère  et  l'importance  numérique  des  di- 
vers groupements  de  population:  impôts  et  emprunts  pour 
favoriser  l'agriculture,  l'industrie,  le  commerce,  réglementa- 
li le  la  police,  de  l'hygiène,  de  la  voirie  et,  d'une  manière 

1.  Termes  de  L'Encyclique  Affari  vos,  8  déc.  1897.  Ces  deux 
conflits  scolaires  du  Nouveau  Brunswick  et  du  Manitoba  sont 
amplement  traités  au  cours  d'un  remarque  ouvrage  de  MM.  les 
:il)bé<    Desrosiers  el    Fournet,   La   Race   Française  en     Imérique 

ch.    V   et    VII. 


I.A    CONFÉDÉRATION    ET   SON    ŒTJVRE  81 

générale,  de  tout  ce  qui  intéresse  immédiatemenl  le  contri- 
buable. 

Les  cantons  ruraux  (paroisses  on  townships)  sont  adminis- 
trés par  un  maire  et  quatre  conseillers.  Le  village  qui  est  le 
centre  de  la  municipalité  peut  aussi  jouir  de  l'autonomie,  dès 
qu'il  compte  750  habitants.  Les  agglomérations  excédant 
2,000  individus,  reçoivent  une  charte  de  ville  e1  se  partagenl 
en  quartiers  pour  élire  chacun  deux  ou  trois  êcJievins.  Au- 
dessus  de  ces  municipalités  rurales  et  des  villes  se  trouve  la 
municipalité  de  comité,  dont  le  rôle  es!  comparable  à  celui  du 
parlement  fédéra]  auprès  des  provinciaux.  Ce  conseil  de  tous 
les  maires  d'un  comté,  que  préside  un  préfet  (1),  pourvoit  à 
la  construction  ci  à  L'entretien  des  routes,  des  ponts  intenpa- 
roissiàux. 

Les  villes  quel  écoises  d'au  moins  2000  âmes,  les  villes 
anglaises  d'an  moins  L5000  âmes  ont  une  administration  indé- 
pendante de  cette  municipalité  de  comté;  elles  reçoivent  leur 
charte  de  la  législature  qui  les  amende  à  la  requête  des  inté- 

;     Jgsés. 

Le  suffrage  n'est  pas  universel,  car  pour  devenir  électeur 
il  faut,  en  outre  île  L'intégrale  possession  de  ses  droits  civils, 
être  pourvu  -«>it  d'un  salaire,  soit  d'une  qualification  foncière, 
mai-  L'un  et  L'autre  -i  peu  élevés  que  tout  contribuable  sou- 
cieux M.'  voter  en  trouve  moyen. 

Telles  sont,  en  résumé,  les  démocratiques  institutions  que 
s'est  donné  le  Canadien,  eu  le  gardam1  attaché  aux  deux  prin- 
cipes chers  à  tout  sujet  britannique:  la  responsabilité  du  man- 
dataire —  depuis  le  ministre  fédéral  jusqu'à  L'humble  con- 

1.  Les  membres  des  conseils  de  comté  se  nomment  en  de- 
tors  du  Québec,  le-  reeves,  tandis  que  le  président  de  ces  mêmes 
conseils    esl    le    ir,ir<lc>l. 


82  TBRRE9   ET    PEUPLES    DTJ    <    W  \l>  \ 

seillor  municipal  —  devant  les  électeurs  qui  l'uni  choisi,  et 
leur  équitable  représentation  aux  chambres  qui  votent  Les  im- 
pôts du  peuple. 

IV 


Dans  son  esprit  de  décentralisation  et  il  •  respecl  des  insti- 
tutions civiles  déjà  étaiblies,  l'acte  de  1867  a  non  seulement 
conféré  aux  provinces  l'établissement  et  le  support  de  la  jus- 
tice; mais  il  leur  a  de  plus  confirmé  l'usaga  des  luis  exis- 
tantes dans  chacune  d'elles.  Ainsi  le  Québec  possède  Bon 
propre  code  civil,  quan  1  \<-  droit  commun  de  la  mère-patrie 
Constitue  la  ibase  de  la  jurisprudence  idans  les  fours  locale-  de- 
autres  provinces  et  qu'on  y  suit  les  modifications  a} ••porté.-  à 
la  procédure  des  tribunaux  d'Angleterre.  Mais  partout  i  '  - 
la  loi  criminelle  anglaise  qui  est  seule  en  vigueur. 

C'est  le  Conseil  privé  qui  nomme  les  juges  des  cour-  supé- 
rieures, de  district  et  -de  comté,  émergeant  ions  du  budget 
Fédéral. 

Le  plus  haut  tribunal  du  pays  est  la  cour  suprême  (1  )  qui 
juge  en  instance,  au  civil  comme  au  criminel,  ainsi  qu 
contestations  d'élections.  Les  deux  chambres  fédérales  peuvent 
demander  l'opinion  de  cette  cour  sur  leurs  projets  de  loi  d'in- 
térêt local  et  sur  le  mérite  de  pétitions  -ayant  irait  à  ces 
mêmes  biïls.  Sa  juridiction  s'étend  aussi  aux  différends  qui 
peuvent  surgir  entre  Les  provinc  s  et  1  ■  pouvoir  central,  pour- 
vu que  ces  deux  parties  acceptent  officiellement  ce  tribunal. 

t.  Coin-  établie  en  vertu  de  l'art,  lui  de  l'acte  eonfédératif. 
Le  même  texte  pourvoit  iiussi  à  la  création  d'une  cour  d'appel 
pour  tout  le  Dominion;  niai-  les  dernières  instances  -se  font  en- 
core «levant    le  comité  judiciaire  du  Conseil   privé  d'Angleterre. 


LA    CONFÉDÉRATION    ET   SON    ŒUVRE  83 

La  seconde  cour  esl  celle  die  l'échiquier  dont  la  juridiction 
comprend  boutes  les  causes  où  le  sujet  du  Litige  es!  en  pos- 
session de  la  couronne,  à  savoir  les  poursuites  au  civil,  en  droii 
commun  ou  en  équité  dans  lesquelles  la  couronne  est  immé- 
diatement intéressée. 

La  juldicature  ontarienne,  qui  esl  Rdèlemeni  calquée  sur 
celle  de  la  Grande-Bretagne,  et  sert  de  modèle  aux  autres  pro- 
vinces anglaises,  comprend  deux  divisions:  une  cour  «rappel 
permanente  et  une  haute  cour  dite  de  justice  partagée  en  1° 
cour  du  'banc  du  Roi,  2°  de  chancellerie.  ?j°  des  plaids  com- 
muns. 

Au  Québec  se  trouvent  Ie  une  cour  du  banc  du  Eoi  qui  en- 
tend les  appels  des  décisions  de  la  cour  supérieure,  de  celle  de 
révision  ainsi  que  les  poursuites  de  la  couronne  en  matière 
criminelle;  2°  une  cour  supérieure  jugeant  les  causes  civiles 
en  première  instance;  3°  une  cour  de  révision,  sorte  d'inter- 
médiaire entre  les  deux  autre.-. 

Par  tout  le  pays  les  appels  peuvent  être  portés  immédiate- 
ment au  Conseil  privé  d'Angleterre;  niais,  le  plus  souvent,  nu 
s'adresse  d'abord  à  la  cour  suprême,  dont  le  siège  est  à  Ottawa. 

Il  y  a  encore  dans  les  provinces  anglaises  îles  cours  de  dis- 
trict et  de  comté,  dont  les  titulaires  sont  désignés  par  le  pou- 
vuir  central,  et  dont  la  juridiction  est  restreinte  à  ces  seuls 
territoires. 

Les  grandes  villes  onl  leurs  magistrats  de  police  ou  leurs 
recorders,  ces  derniers  exerçant  tous  les  pouvoirs  de  justice 
conférés  par  la  charte  particulière  de  la  ville  pour  laquelle  ils 
sont  désignés.  Des  magistrats  de  district  ont  juridiction  ci- 
vile et  criminelle  pour  tout  le  comté  où  se  tient  la  cour  que 
préside  chacun  d'eux.     Enfin,  par  tout  le  Québec  se  trouvenl 


84  TERRES   ET   PEUPLES   DU  CANADA 

1°  des  juges  de  paix  (1)  aux  attributions  se  rapportant  sur- 
tout aux  matières  criminelles  et  à  l'acquittement  des  cotisa-' 
tions  municipales  et  3les  taxes  scolaires;  .2°  des  commissaires 
dont  la  juridiction  se  borne  au  recouvrement  des  petits  dettes 
civiles. 

Essentiellement  inamovible,  afin  d'appliquer  la  loi  en 
pleine  sécurité,  la  magistrature  canadienne  des  grandes  cours 
(2)  "est  supérieure  à  celle  des  Etats-Unis,  en  ce  qu'elle  re- 
flète à  un  plus  liant  degré  la  volonté  du  peuple"  (3).  Il  i  - 
toutefois  à  rendre  le  choix  des  juges  indépendant  de  la  poli- 
tique. 


L'esprit  de  la  confédération  est  de  veiller  par  son  premier 
parlement  au  développement  général,  au  maintien  de  l'inté- 
grité et  de  l'unité  du  Dominion,  tan  lis  que  !  s  législatures 
soignent  les  intérêts  particuliers,  d'ailleurs  confin  - 
ment  à  chacun  des  neuf  territoire-  provinciaux. 

■Ces  cabinets  choisis  parmi  la  majorité  de  la  députation, 
eeiie  solidarité  des  ministres  disent  cmnlbien  la  constitution  de 
L86"!  fut  abondamment  inspirée  du  parlementarisme  de  W 
miuster.  quand  la  franche  autonomie  des  provinces  révèle  une 
influence  non  moins  sensible  d  •  Washington,  bien  que  les  I1-- 
positions  de  l'acte  fédératif  applicables  aux  provinces  origi- 

1.  Les  juges  de  paix  (|iii  sont  désignés  par  le  lieutenant- 
gouverneur  en  conseil,  doivenl  avoir  une  certaine  qualification 
foncière.  Les  inaires  des  municipalités  sont  de  droit  juges  «le 
paix,    durant    l'exercice    de    leur    charge. 

2.  Il  s'agil  ici  des  titulaire-  désignés  el  traités  par  le  pou- 
voir central. 

::.      Opinion  de  lord    l)ufferin.  ancien  gouverneur    (1872- 


LÀ    CONFEDERATION    ET   SON    (EUVHE  85 

celles,  puis  étendues  aux  autres  suffrageantes  incorporées  ou 
créées  depuis  aient,  contrairement  aux  Etats  de  la  république 
du  midi,  les  mêmes  bases,  les  mêmes  attributions  dan-  leurs 
rapports  avec  l'autorité  centrale,  la  judicature,  les  droits  du 
citoyen,  1rs  principes  du  self  government. 

Si  le  droii  de  veto  que  le  gouverneur-igénéra]  peul  exercer 
sur  les  actes  du  parlement,  au  nom  du  souverain,  es1  la  seule 
mesure  répressive  écrite  dans  la  constitution,  que  l'autorité 
métropolitaine  ait  gardée  sur  ses  provinces  fédérées,  il  faul 
reconnaître  qu'une  généreuse  somme  d'autonomie  est  échu 
Canada.  L'acte  fédératif  a  ouverl  la  série  d;une  nouvelle  ca- 
tégorie d'états  britanniques  :  le  Comimonwealth  australien 
|  1901),  l'Union  Su'd-africaine  (1910).  Et  ce  pacte  écono- 
mique des  colonies  nord-américaines  de  la  Grande-Bretagne, 
conclu  pour  mieux  progresser  matériellement,  cette  ingénieuse 
décentralisation  du  pouvoir  législatif  qui  laisse  tant  de  liberté 
au  citoyen,  fui  l'oeuvre  des  deux  races  créatrices  de  ce  pays, 
personnifiées  à  cette  occasion  par  Cartier  et  MacDonaid. 
Mais  «'lie  s'esi  accomplie  et  se  maintienl  parce  que  comme  les 
individus  les  saines  collectivités  "ni  une  conscience;  parce  que 
Franco-Normands  el  Anglo-Saxons,  tous  deux  épris  de  l'ordre, 
du  bien-aise  dan-  le  resped  de  l'autorité  ont  su  refouler  hors 
la  chose  publique  leur  réciproque  antipathie.  C'est  vu  effei 
l'absence  des  influences  nationales  qui  caractérise  le  plus  la 
politique  canadienne,  pour  en  rendre  la  rie  '\-  >  plu-  curieuses. 

Ainsi  que  le  commande  le  régime  parlementaire,  c'est  par 
l'intermédiaire  de  partis  rivaux  —  le-  libéraux  il  les  con- 
servateurs —  que  -'exerce  l'action  politique.  Constitués 
d'après  le  modèle  anglais,  ils  correspond  nt  aux  grits  el  -aux 
tories  de  la  mère-patrie:     Leur  composition  esl  >\<^  plus  liété- 


SC,  ÏERKES    ET    PEUPLES   DTJ    CANADA 

rogène:  francophones  et  anglophones,  catholiques  et  protes- 
tants, bourgeois  et  prolétaires,  citadins  et  paysans  se  rangent 
indifféremment  dans  l'nn  ou  l'autre  clan,  parce  que,  dans  cha- 
cun d'eux  se  trouvent,  quant  aux  point-  essentiels,  le  même 
souci  de  la  chose  publique,  la  même  conception  de  l'autorité. 
C'esl  l'honnêteté  du  pouvoir  qui  est  resté'  jusque  récemment 
le  plus  fécond  mobile  des  luttes  parlementaires.  Les  conserva- 
teurs ne  sont  pas  moins  favorables  que  les  libéraux  au  progrès 
de  la  liberté.  Et  l'objet  tacitement  manifeste  des  deux  partis 
fédéraux,  c'est  le  maintien  du  lien  colonial  et  la  direction  de 
l'oeuvre  économique  de  ce  pays  où  il  reste  tant  à  faire,  pour  en 
exploiter  sagement  les  richesses  naturelles.  C'est  un  des  grands 
mérites  de  l'Union  canadienne  d'avoir  transformé  d'un  coup 
les  ambitions  ethniques  en  émulation  utilitaire.  Cette  absence 
d'idée  définies,  de  programmes  qui  caractériseraient  les  partis 
d'après  le  sens  die  leur  appellation,  tient  encore  à  la  présence, 
en  plusieurs  provinces,  de  minorités  dont  les  droits  sont  expli- 
citement garantis  et  sur  lesquelles  il  faut  compter  pour  main- 
tenir l'équilibre  national.  Par  contre,  libéraux  et  conserva- 
teurs ont  tour  à  tour  soutenu  et  dénoncé  h  s  trusts,  eu  la  même 
conduite  à  l'égard  des  chemins  de  fer,  et  se  sont  fait,  des  droits 
des  faibles,  un  tremplin  pour  conquérir  le  pouvoir.  (1)  De- 
venus des  castes,  les  camps  de  l'électorat  se  sont  crus  tous  deux 
possesseurs  de  la  vérité  politique,  ce  qui  eut  bientôt  développé 
le-  appétits,  la  gloire  de  gouverner  et  fait  accroire  aux 
humbles  que  le  salut  de  la  nation  dépend  des  partis  seulement. 
Mais  il  faut  voir,  à  côté  de  cette  adroite  application  du  par- 
I  mentarisme,  l'usage  que  l'on  fait  de  la  puissance  de  l'Etat 
pour  atteindre  au  pouvoir  et  s'y  maintenir.    De  là.  promesses 

1.    M.  Henri  Bourassa,  le  Devoir,  déc.  L911. 


i.  \    CONFEDERATION    ET  SON    (El  \  RE  87 

à  L'électorat  pendant  les  campagnes,  autant  par  le  gouverne- 
ment que  par  {'opposition,  afin  de  capter  ses  rotes;  de  là, 
l'élection  finie,  les  courses  aux  places,  surtoul  les  octrois  de 
subsides  e1  les  scandales  financiers  doni  es!  remplie  l'histoire 
parlementaire,  ("e-i  que  La  dissolvante  influence  de  l'esprit 
américain,  le  groupemenj  des  capitaux  ont  déjà  pénétré  la  vie 
politique  canadienne  pour  résoudre  toutes  «?s  questions  en 
piastres  el  donner  à  ses  luttes  une  bien  singulière  âpreté. 

VI 

Si  les  droits  des  minorités  conifessionnelles  ne  furent  [tas 
toujours  respectés  parce  que  livrés  à  l'inéluctable  amibition  dés 
3,  si  l'américanism  •  a  franchi  d'aise  nos  frontières,  La 
confédération  a  toutefois  répondu  aux  espoirs  qu'elle  avail  sus- 
cités quant  au  développement  économique. 

Réunis  au  parlement  d'Ottawa,  anglophones  el  franco- 
phones, également  animés  de  L'ambition  de  rendre  prospère 
leur  commune  patrie,  ont  accompli  une  oeuvre  intelligente  el 
considérable  qui  a  maintenu  l'avancement  matériel  comme  ob- 
jectif capital  des  partis  politiques  et  assuré,  par  là.  une  Libre 
évolution  des  races  dans  le  sens  de  leurs  aspirations  propre-. 

Ce  fut  d'abord  la  construction  d/un  ruban  d'acier  dVn 
océan  à  l'autre;  puissant  lien  cohésif  entre  chacune  des  pro- 
vinces fédérée-.  11  a  déterminé  d'Halifax  à  Vancouver  L'ex- 
ploitation des  ressources  naturelles:  houillères  en  Nouvelle- 
Ecosse,  grandes  forêts  au  Nouveau-Brunsrcvick,  nouveaux 
champs  d'agriculture  dan-  Les  vallées  du  Saint-Laurent  et  de 
l'Ottawa  ou  s'ajoutent  divers  gisements  minéralogiques  ue 
finissant  qu'à  la  côte  du  Lac  Supérieur,  puis  la  plaine  encore 
déserte  mais  -1  fertile  de  La  région  centrale;  enfin,  après  avoir 


88  SERRES  et  PEUPLES  DU  CANADA 

escaladé  L'arête  continentale  à  L500  pi  ds  d'altitude  et  franchi 
die  torrentieux  aibîmes,  ouvert  I ■  -  _  -  au»i  varie?  qu'inépui- 
sables des  chaîn<  s  colombiennes.  (  îômmencé  en  1875,  ce  trans- 
continental est  achevé  onze  ans  plus  tard.  Son  parcours  tic 
1,331  milles  esi  l'ait  régulièrement  en  six  jours,  ce  qui  lui 
vaut  d'être  non  seulement  la  ligne  de  communication  la  plus 
directe,  la  plus  rapide  cuir;.  l'Europe  et  l'Extrême-Oocident, 
inai>  encore  la  voir  stratégique  par  excellence  de  l'Angleterre, 
qu'elle  utilisera  pour  transporter,  sur  un  territoire  national, 
son  infanterie,  ses  petits  vaisseaux  d'un  océan  à  l'autre,  en 
moins  d'une  semaine.  (1)  Ainsi,  les  espoirs  des  découvr  urs 
français  —  surtout  de  Lai  Salle  qui,  partant  pour  l'ouest,  ap- 
pelait la  Chine  un  avant-poste  de  Montréal  —  de  trouver 
une  route  commode  conduisant  au  Grand-Océan,  soûl  enfin 
réalisés.  Depuis  lors  d'auirs  transcontinentaux  ont  été  entre- 
pris (1905)  et  seront  bientôt  achevés,  qui  accroîtront  vers  le 
nord,  dans  des  régions  pleines  de  promesses,  la  zone  mainte- 
nant si  étroite  de  la  colonisation  et  abrègeronl  encore  sensible- 
ment la  traversée  du  Canada. 

L'amendement  des  voies  fluviales  entrepris  vers  1850  ne 
tarda  pas  d'être  achevé  dans  -  -  points  essentiels  par  la  con- 
fédération. Ainsi  la  route  laurentienne  est  rendue  navigable 
des  1880,  aux  océaniques  des  plus  fortes  dimensions,  jusqu'à 
Montréal,  désormais  la  métropole  canadienne.  Et,  déjouant 
de  formidables  obstacles  j  tés  par  la  nature  sur  le  liant  Saint- 
Laurent,  ses  tributaires,  le  Richelieu,  l'Ottawa,  < ie  entre 

1.     La  valeur  du  Pacifique  Canadien  s'illustre  en  comparant 

la  distance  qui  sépare  Liverpool  de  Hong-Kong,  Chine,  soil  par 
l'est   ou  l'ouest. 

Cette  roie  terrée  perniei  encore  d'éviter  le  canal  de  Panama. 
propriété  des  Etats-Unis,  où  le  passage  sera  loin  d'être  libre. 


LA    CONFEDERATION    ET   son    ŒUVRE 


89 


90  TEEBES    ET    PEUPLES    DU   CANADA 

chacun  des  grands  lacs,  un  ensemble  d'écluses  des  mieux  en- 
tendu permet  aux  vais-eaux  d'un  fort  tonnage  de  naviguer, 
sans  aucun  transbordement,  sur  1,700  milles,  par  exemple  de- 
puis le  golfe  jusqu'à  Duluth,  à  l'extrémité  occidentale  du  lac 
Supérieur,  soit  au  coeur  même  du  continent. 

Afin  (1-  favoriser  le  développement  de  l'agriculture,  des 
fermea  modèles  ont  été  établies  dans  la  plupart  des  provinces 
par  l'acte  de  1886,  tandis  que  les  .pêcheries  maritimes  '(1882), 
les  plus  importantes  industries  métallurgiques  1(1883)  et  les 
constructeurs  de  voies  ferrées  reçoivent  des  prime-  considé- 
rables. 

Une  aussi  colossale  entreprise  que  la  constreution  du  pre- 
mier transcanadien,  élaborée  dans  le  silence,  par  un  pays  qui 
ne  comptait  pas  encore  quatre  million  et  demi  d'habitants,  (1  ) 
devait  bientôt  produire  une  profonde  révolution  éeonomiqu  •  à 
laquelle  l'Europe  ne  resterait  pas  étrangère.  En  effet,  à  pein  • 
les  régions  centrales  traversées  par  le  chemin  de  fer  avaient- 
elles  cessé  d'être  le  domaine  exclusif  d'une  puissante  société 
])elletière  (la  Hudson  Bay  Co.,  1870),  pour  devenir  accessible 
à  l'agriculture,  qu'il  commence  d'y  arriver  un  afflux  colonisa- 
teur sorti  des  centres  surpeuplés  du  vieux  monde.  On  ac- 
centua ce  mouvement  migrateur  d'une  propagande  qui  n'en- 
courut pas  officiellement  d'abord  le  reproche  de  tromper  l'op- 
timisme des  étrangers  en  répandant  des  espérances  exaigéi 
mais  dans  la  frénésie  du  peuplement  rapide  et,  c'est  évident, 
avec  l'ambition  de  fermer  à  jamais  aux  fils  du  Saint- Laurent 
les  (portes  de  ce  qui  s'appelle  encore  Y  ouest  canadien,  on  re- 
cruta même  des  semi-asiatiques.    11  ne  manqua  pas  aussi  d'élé- 

1.     Population  de   L881:  4,324.810.     Recensement  du  Canada, 
vol.    I.   1S81. 


I. A    CONFÉDÉRATION    ET   SON   ŒUVRE  01 

ments  trop  souvenl  incapables -d'apporter  à  leurpays  d'adop- 
tion, en  échange  ide  ses  terres  fécondes,  de  sa  liberté,  un  utile 
concours:  aventuriers  et  robus  sociaux  venus  un  peu  de  l'Eu- 
rope latine,  mais  surtout  d'Irlande  et  d'Angleterre  —  aux- 
quels les  Etats-Unis  refusaient  justement  la  citoyenneté.  A 
cette  pacifique  invasion  d'outre-Atlantique,  anxieuse  die  se 
répandre  sur  la  prairie,  s'est  bientôt  jointe  celle  des  fermiers 
du  Mentana  et  du  Dakota  qui  abandonnent  leurs  mauvaises 
h  rres.  Depuis  une  décade,  à  de  certaines  saisons,  des  cara- 
vanes de  roulottes  traversent  la  frontière  pour  s'établir  à  nou- 
veau dans  les  provinces  du  centre 

Cet  aveugle  empressement  à  répandre  une  civilisation  cos- 
mopolite, niais  surtout  anglophone  commence  à  tourner,  par 
la  force  des  choses,  contre  les  propres  intérêts  du  Canada. 
Idées  et  capitaux  des  Etats-Unis,  dont  l'apport  trouve  son 
meilleur  appui  dans  les  circonstances  géographiques,  exercent 
déjà  une  irrésistible  pénétration  qui  fait  que  la  prairie  de- 
vient de  moins  en  moins  britannique  et  de  plus  en  plus  amé- 
ricaine. 

L'imprévoyance  des  politiques  canadiens  est  allée  jusqu'à 
permettre!  l'entrée  aux  chemins  de  fer  dan-  les  nouvelles  pro- 
vinces, quand  rien  ne  justifiait  une  telle  capitulation  natio- 
nale. 

Notons,  encore  l'intérêt  qu'a  porté  la  confédération  à  la  re- 
connaissance intéressée  autant  (pie  spéculative  des  aires  géolo- 
giques,  avec  l'exploration  de  ses  champs  miniers  et  île  toutes 
ses  autre-  richesses  naturelles.  En  effet,  une  commission  de 
fonctionnaires  instituée  à  cette  fin  par  les  Deux-Canadas 
(1845)  poursuit  sans  relâche,  de  concert  avec  un  service  géo- 
.  -.  -  recherches  sur  une  contrée  désormais  identifiée  a 


92  'l  EHRES   ET   PEUPLES   DU  C  \N  \I>A 

toute  L'Amérique  boréale.  Leurs  travaux,  qui  ont  tenu  le 
monde  savant  au  courant  du  progrès  de  la  géologie  et  de  la 
cartographie  canadiennes,  -mit  une  considérable  série  de  rap- 
ports ci  de  relevés  soign  usement  gravés,  aotamment  deux 
cartes  topographiques  du  Canada  colonisé:  l'une  complète  an 
1/500000  e.,  ei  L'autre  au  1   25 10  e.  encore  inach 

Comme  corollaire  des  sollicitudes  gouvernementales  à 
Tégard  de  la  mise  en  valeur  du  pays  et  de  l'utilisation  de  ses 
diverses  richesses  —  agriculture,  forêts,  chasses  et  pêeherii  s, 
mines  et  chutes  d"eau  —  une  commission  d'économistes  dite  de 
conservation,  vient  d'être  chargée  (1909)  de  -  au  par- 

lement t\r>  textes  de  Loi  qui  pourvoiront  à  une  sage  dépense 
de  la  fortune  naturelle. 

En  somme,  l'oeuvre  utilitaire  de  la  confédération,  bien  que 
pas  exempte  d'erreurs,  a  été  efficace:  les  populations  et  leurs 
richesses  ont  grandi  d'une  march  •  accélérée,  donnant  Lieu  de 
croire  que  se  réalisera  cette  prédiction  désormais  fameuse: 
"si  Les  Etats-Unis  ont  été  La  nation  du  dix-neuvième  siècle,  Le 
Canada  sera  celle  du  vingtième.''"  (1) 

Le  devoir  présent  des  politiques  canadiens  semble  se  ré- 
sumer dans  cette  formule:  ne  pas  rétrograder  dans  les  rap- 
ports avec  la  Grande-Bretagne  et  permettre  aux  deux  éléments 
nationaux  die  se  développer  librement,  dans  Le  -eus  de  Leurs  as- 
pirations respectives. 

La  carrière  encore  (brève  des  colonies  nond-américaines  at- 
Leste  L'influence  de  ce  goût  inné  ^h->  réformes  qui  l'ait  qu'aux 
pays  britanniques  les  révolutions  Les  plus  profond  -  s'accom- 
plissenl  -race  aux  années,  par  de  persévérantes  et  souvent  in- 

1.     M.  Ulric  I'arthe.-    Rapport  du  congrès  de  colonisation  de 
L898,    |>.    L38,    Montréal,    1900. 


LA    CONFÉDÉRATION    ET    SON    CEI   \  RE  '•»."» 

sensibles  évolutions.  Et  ce  Canada  plein  d'espoirs,  consolidé 
parce  que  sa  métropole  s'esl  final  ment  résolue  à  ne  plus  gar- 
der sur  ses  p  issessions  nord-américaines  qu'une  suzeraineté 
commerciale;  ce  Canada  raffermi  par  la  sagesse  de  ses  natio- 
naux, témoigne  de  !a  valeur  du  gouvernement  constitutionnel. 
Reconnaissons  cependant  encore  ce  fait  essentiel  à  la  quiète 
existence  d'un  pays  de  deux  races,  plus  absorbé  à  son  progrès 
matériel  (1)  qu'à  l'asservissement  d'une  race  à  l'autre:  c'esl 
qu'elles  en  sont  à  leur  période  de  formation  nationale  -■  les 
sociétés  n'échappant  pas  à  cette  curieuse  loi  de  l'évolution  qui 
repose  autant  sur  l'influence  des  idées  que  sur  celle  du  milieu 
terrestre. 

1.       PROCRF.S    DE    LA    DKTTE    PUBUQCE    TOTALE    ET  per    CapitU  / 


Dette  115,492,683 

En  1871,    \    ! ! :  $33.13 

Population       3,485,761 

Dette  199,861,538 

En  1881,    -j  •  S46.21 

Population       4,324,810 

Dette  289,899,230 

EnlS91,    \  '  $59.98 

Population      4,833,239 

Dette             354,732,433 
En  1901,     {  :  $6(5.04 

Population       5,371,315 

f       Dette             474,941,487 
Enluil,     \  ! J :  $65  92 

(       Population        7,204,527 

Somme  des  recettes  et  des  déboursés  budgétaires  sous 
la  confédération  (1863-1910): 

Recettes  des  43  années  $1,759,132,224 

Déboursés"    "         "        §1,605,648,520 

Kecettesde  l'année  1910 101,503,711 

Déboursas  "  "     7^,111,746 

Annuairt  '/»  Canada,  V310,  comptes  publies,  pp.  202-à  290. 


TERRES    ET    PEUPLES 


CHAPITRE  CINQUIEME 


LES  [NPLUBNCBS  GEOGRAPHIQUES 


La  Terre  tient  les  êtres  animés  dans  une  étroite  dépen- 
dance, par  de  multiples  côtés.  Ce  qui  est  vrai  pour  la  plante 
prisonnière  et.  à  un  moindre  degré,  pour  le  passible  animal 
parée  que  mobile,  reste  encore  tel  pour  l'homme,  être  cons- 
cient. 

Astreint  par  la  force  des  choses  de  s'accommoder  au  milieu 
particulier  où  il  se  trouve,  l'homme,  sans  qu'il  s'en  rende 
toujours  pleinement  compte,  voit  sa  eomplexion,  ses  habitu- 
de-, son  genre  de  vie.  profondémenl  moldifiés.  Cette  influence 
de  la  nature  va  même  jusque  peser  sur  son  caractère.  Entre 
la  physionomie,  les  coutumes,  les  oeuvres,  les  aspirations  d'un 
peuple  et  le  sol  qui  le  nourrit,  le  ciel  sous  lequel  il  respire,  le 
pays  qui  l'environne,  il  y  a  une  osmose,  un  accommodement, 
'"intimes  rapports  établissant,  grâce  aux  années  .une  parfaite 
convenance  des  habitants  à  leur  patrie. 

Corps  et  aine-   se   repro  tûis'enl    constamment,   jusqu'à   ce 


LIN  TERRES    ET    PEUPLES   DU   CANADA 

qu'un  milieu  nouveau,  jusqu'à  ce  qu'un  mélange  éventuel  des 
sangs  viennent  en  altérer  les  signes  caractéristiques  pour  enfin 
reconstituer,  parfois  après  des  siècles  de  vicissitudes,  quelque 
nouvelle  personne  physique  et  morale  où  domineront  encore 
les  qualités  du  plus  robuste  ou  du  mieux  accompli  des  mariés. 

Pour  bien  retracer  l'influence  géminée  du  milieu  et  du 
temps  sur  les  sociétés,  il  faut  encore  les  observer  sur  place, 
après  avoir  connu  leur  pas>é.  Ei  si  la  nature  et  l'histoire  ex- 
pliquent le  présent,  le  gage  de  l'avenir  des  peuples  —  des 
peuples  jeunes  surtout  —  repose  donc  autant  dans  leur  patrie 
que.  dans  les  oeuvres  de  leurs  ancêtres. 

Ayant  apprécié  au  premier  chapitre  de  ce  livre  les  diffé- 
rences qui  caractérisent  les  grandes  zones  naturelles  dont  l'as- 
semblage constitue  le  Canada,  et  retracé,  au  second,  la  genèse 
des  éléments  ethniques,  leurs  longs  tâtonnements  dans  les  do- 
maines économiques  et  administratifs,  les  résultats  de  leurs 
vaines  luttes  pour  une  prompte  suprématie,  la  solution  tem- 
poraire de  leur  antagonisme  par  le  dualisme  politique,  i  s- 
sayons  de  fixer  ici  quelques-uns  des  traits  sensibles  et  intellec- 
tuels de  chacun  des  groupes  nationaux,  en  en  supputant  les 
-  numériques,  les  vertus  sociales  et  les  ambitions. 


II 


Aux  régions  atlantiques.  —  Les  trois  petites  provinces  qui  se 
partagent  l'extrémité  orientait-  du  Canada  colonisé  oni  un  re- 
lief à  la  fois  âpre  et  souriant,  soit  que  l'on  en  parcoure  Les 
littoraux  atlantiques  partoui  sinistrement  déchirés,  ou  les 
molles  plages  encerclant  à  demi  le  golfe  de  Saint-Laurent, 
que   l'on    aperçoive   les    pentes   réjouies    de   l'île   du    Prince- 


LES    l\  FLUENCES   GE0GRAPHIQ1   ES  99 

Edouard,  La  longue  vallée  d'Annapolis  où  dormenl  de  petits 
Lacs,  la  double  série  des  vallons  latéraux  en  Nouvelle-ŒHcosse, 
ei  Les  plus  amples  bassins  du  Nouveau-Brunswick  encore 
pleins  d'ombres  forestières. 

A  ces  pays  calcaires  injectés,  surtoui  dans  la  péninsule,  de 
quartz  lourds  'lu.  plus  précieux  des  minéraux,  à  ces  terres  fa- 
ciles qu'avoisinent  les  abondances  marines,  à  ces  croupes  fati- 
guées recouvrant  îles  puissants  lits  de  houille,  il  manque  du 
soleil;  car  la  tiédeur  des  souffles  méridonaux  favorisés  par  le 
voisinage  du  GiUf  Stream  produit,  au  contact  des  vents  du 
Dord,  une  rapide  condensation  qui  accroît  La  dose  des  pluies 
dont  -<>nt  abreuvés  toutes  Les  régions  maritimes. 

Aussi  les  deux  races  contrastantes  qui  se  trouvent  là  ne 
peuvent-elles,  malgré  L'isolement,,  malgré  La  générosité  de  Leur 
patrie,  voiler  tout  à  fait  la  tristesse  et  la  mobilité  de  leurs 
sentiments.  Mais  ce  manque  d'aspirations  définies  ne  conduit 
pas  cependant  à  L'absence  de  caractère  propre;  car  il  faut  voir 
Le  déséquilibre  qui  persiste  là.  entre  ces  éléments  nationaux. 

La  Nouvelle-Ecosse,  ce  finistère  aux  aibords  déchiquetés,  au 
ciel  souvent  endeuillé,  c  débarcadère  de  La  <-i\  Llisation  au  Nou- 
veau-Monde recul,  ainsi  qu'il  convenait,  des  Bretons  pour 
pionniers.  Eudurants  et  opiniâtres  de  leur  nature,  ils  se  sont 
bientôi  faits  au  pays;  il-  l'ont  même  façonné  selon  leurs  be- 
soins, en  élevant  contre  la  mer  du  Beaubassin  des  barachois 
encore  soli  les.  Après  un  séjour  d'un  siècle  et  demi,  les  cent 
cinquante  familles  pionnière-  d'Acadi  i  comptent  seize  mille 
individu-  assurés  de  leur  subsistance.  (1) 

Mais,  bordant  de  toute  sa  longueur  la  route  obligée  du  cou- 
rant colonisateur  anglais  sur  ce  continent.  L'Acadie  ne  tarda 

1.     Dierei  III*-    poèl  e-\  ovageur, 


100  TEHRES  ET   PEUPLES  DTJ  CANADA 

pas  de  devenir  le  domicile  d'une  autre  race.  Pendant  un  siècle 
et  demi  le  bruit  des  armes  s'ajoute  aux  grondements  de  la  mer  ; 
et,  quand  la  Grande-Bretagne  aura-cause,  eu  prélude  à  sa  vic- 
toire sur  tout  ce  qui  est  françois  en  Amérique,  l'inhumain  dé- 
rangement de-  Acadiens  du  Grand-Pré,  d'Annapolis,  de  Pom- 
bomcoup,  de  l'île  de  Saint-Jean  (1755),  pour  placer  les  siens 
aux  champs  des  bannis,  ce  sera  l'élément  écossais  qui  prévau- 
dra, en  changeant  sans  retard  le  nom  de  la  contrée.  Cepen- 
dant les  exilés,  bien  réduits  en  nombre,  reprennent  bientôt  le 
chemin  de  la  patrie  perdue.  Quelques  époux  retrouvent  leur 
compagne,  quelques  frères  leurs  soeurs  et,  lentement,  se  réédi- 
fiera, non  loin  de  l'ancienne,  une  Acadie  nouvelle.  Ce  retour 
des  tombeaux,  cette  renaissance  sociale  ne  furent  possibles 
qu'au  souvenir  obstiné  d'une  terre  doucement  triste,  patiem- 
ment conquise  sur  la  mer  et  la  forêt,  longtemps  défendur 
contre  l'envahisseur;  qu'à  l'attrait  puissant  d'une  vie  créa- 
trice de  beaux  foyers,  gardienne  jalouse  des  traditions  perpé- 
tuées par  la  langue  et  la  foi  des  ancêtres.  C'est  sur  la  côte 
orientale  du  Nouveau-Brunswick  d'à  présent,  depuis  Shédiac 
jusqu'à  la  baie  des  Chaleurs,  que  se  fixa  le  plus  considéra ible 
groupement  de  ces  spoliés.  D'autres  s'établirent  à  ("lare,  baie 
de  Fundy,  à  l'île  Madame,  sur  les  bords  du  Canso,  sur  les  rives 
boisées  de  la  Madawaska;  enfin  les  seigneuries  avoisinanl 
Montréal  donnent  asile  à  ces  proscrits  qui  y  fondent  même 
des  paroisses  «  m  ièrea 

Demeurés  volontairement  dans  L'ombre  et  longtemps  igno- 
rés des  pouvoirs  publics  a  tin  de  parer  à  leur  faiblesse  numé- 
rique,  ces  Acadiens  que  la  nature  de  leur  colonisation^,  la 
pureté  de  leurs  moeurs  avaienl  faits  simples  autant  que  forts 
—  et  >  courus  en  cela  par  l'Eglise  de  Québec  depuis  leur  râpa- 


-    tNFLUENCES   GÉOGB  SlPHIQI   ES  101 

tri  nient  — ,  ces  Acadiens  s'adonnent  à  la  pêche  et  s'emparent 
il u  sol.  Mais,  à  moins  de  rester  sous  l'empire  des  populations 
anglo-saxonnes  où  les  onl  réduits  les  événem  ut-,  ces  Acadiens 
devaient  compter  leurs  hommes  instruits  qui  les  représente- 
raient surtout  aux  assemblées  du  peuple. 

C'est  en  effet  de  la  fondation  de  leur  première  école  d'édu- 
cation secondaire  (1864)  que  date  l'influence  de  l'élément 
francophone  au  Nbuveau-Bruinswick  ai  la  reconstitution  de  la 
nationalité  acadienne.  (1)  Par  l'établissement  prochain  de  la 
Confédération,  les  Acadiens  cessent  d'être  isolé.-,  car  ils  brou- 
vent  dans  le  Québec,  centre  d'action  française,  et  dans  les 
divers  autres  groupements  épars  du  Dominion  ayant  avec  eus 
la  communauté  d'origine  ,de  foi  et  d'idiome,  un  puissant  ap- 
pui moral. 

III 

Les  populations  néo-écossaises  de  langue  anglaise  retracent 
leur  origine  parmi  un  petit  nombre  de  Loyalists  venus  des 
colonies  en  révolte  qui  ont  fait  les  Etats-Unis,  mais  surtout 
chez  des  paysans  d'Ecosse,  Mghlanders  et  lowlanders,  arrivés 
dès  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  auxquels  se  sont  ajoutés,  vers 
1850,  des  gens  de  l'Irlande  et  du  Hanovre.  Le  flot  hétérogène 
d'émigrants  qu'a  reçu  le  Dominion  au  cours  des  soixante  der- 
nières année-  n'a  pas  modifié  cette  composition. 

L'activité  de  cet  élément  primordial  —  le  plus  utilitaire,  le 
plus  énergique!  de  tous  les  Celtes,  et  qui  a  su  entraîner  ici  les 
autres  populations  à  sa  suite  —  s'est  manifestée  d'abord  par 

1.    M.\r.  Desrosiers  et    i\.uinei .  Lu  Race  française  <n    Vmé- 
rique,  ch.  VI I. 


102  y::!;i;i->   ET    PEUPLES   DU   CANADA 

le  déboisemenl  intensif  de  la  péninsule  an  profil  de  la  marine 
britannique  surtout,  <-t  ensuite  par  l'exploitation  minière:  la 

houille  (1)   à  Sydn  y.  à  Pictou,  en' Cumberland,  et  l'or   (2) 
dans  tonte  la  région  méridionale. 

Parce  qu'elle  est  en  quoique  sorte  un  bras  tendu  de  l'Amé- 
rique vers  la  Grande-Bretagne,,  cette  province  fut  la  prem 
à  recevoir  les  institutions  représentatives  (1758).  Là, 
prit  des  coloniaux  s'est  incessamment  modifié  au  gré  des  con- 
cessions métropolitaines  jusqu'à  ce  qu'en  1748  La  Nouvelle- 
Ecosse  reçût  l'avantage  de  se  gouverner  par  un  ministère  res- 
ponsable. C'est  en  effet  de  cette  fille  aînée  de  la  Mother  of 
Parliaments,  c'est  d'Halifax,  riche  capitale  bâtie  par  la  ma- 
rine britannique.  d'Halifax,  -erre  du  parlementarisme  au 
.\'"ii\v:iii-\I Ir.  que  sortira  le  projet  d'unir  économique- 
ment, toutes  les  possessions  anglais  s  de  l'Amérique  du  NTord. 

Isolées  comme  le  pays.  Les  conceptions  politiques  y  sont  res- 
tées telles  qu'elles  étaient  en  1867.  (3)  L'on  y  comprend 
toujours  les  -avantages  du  lien  fédéral,  la  source  de  cette  foi 
gisant  encore  dans  le  bénéfice  immédiat  qu'en  a  tiré  la  pénin- 
sule, et  du  calme  qui  dure  et  durera  entre  les  deux  m 
sociales:  l'une  façonnée  selon  l'esprit  écossais,  l'autre  bien  aca- 
dienne.  (4).  Mais,  parce  que  le  parlementarisme  ue  suffit  pas 

1.  Dès  L882  on  extrayait  de  la  Nouvelle-Ecosse  un  million 
de  tonnes  de  houille,  production  qui  s'esl  sextuplée  pour  absor- 
ber aujourd'hui  le  labeur  de  20,000  hommes  et  représenter  en 
droits  prélevés  par  l'administration  provinciale^  un  bon  tiers  «le 
son   revenu.      En    1910:    616,900   sur    1,783  400   piastres. 

'2.  Les  assises  aurifères  <le  la  Nouvelle-Ecosse  sonl  une  su- 
perposition de  plissements  en  forme  «le  selle,  de  profondeur  con- 
sidérable, ressemblant1  par  leur  structure  aux  si  productifs  gites 
du  Victoria  et  de   la  Nouvelle  G-alles-du  Sud. 

3.  M.  Henri   Bourassa,   /-     /'<  voir,   7   septembre   1910. 

4.  La  Nouvelle-Ecosse  ue  compte  encore  que  60,000  franco- 
phones sur  une  population  de    M>5*000. 


LES    I  N  FLUENCES  GKQGRAPHIQ1   ES  L03 

;i  garantir  l'existence  progressive  d'une  société,  Eût-elle  comme 
celle-oi,  jalousement  séquestrée  par  la  nature,  il  faut  voir 
l'emprise  exercée  par  l'activité  commerciale  il  s  Etats-Unis 
Bur  l'âme  néo-écossaise,  pour  comprendre  le  tourment  qu'elle 
endure:  elle  se  débat  entre  un  vif  désir  de  sécession  et  su  défé- 
rence invétérée  des  traditions,  des  lois  britanniques,  Ce  c'est 
pas  en  vain  que  Sydney,  Halifax,  ïanmouth  ci  Digby  entre- 
tiennent d'assidues  relations  d'affaires  avec  Portland,  Boston 
et  New-York.  Déjà,  bien  que  la  législation  scolaire  n'ait  pas 
été  modifiée,  les  programmes  d'enseignement  trahissent-ils 
l'engouement  néo-écossais  pour  les  idées  aiméricaines. 


IV 


Une  seule  vallée  rattache  le  rectangle  du  Nbuveau-Brunswick 
au  Canada  intense,  tandis  qu'un  fleuve  abondlanl  coule  vers  le 
sud  oùj  se  concentre,  à  sa  bouche,  dans  la  ville  de  Si  John  e1 
dans  les  havres  de  la  Fundy,  une  vie  industrielle  e1  maritime 
jamais  interrompue. 

('"est  là  surtout  que  réside  le  vieil  esprit  autoritaire  et  tou- 
jours vivace  des  Loyâlists.  Il  a  contribué  plus  que  La  min- 
ceur de  l'isthme  de  Chignecto  à  séparer,  dès  1785,  cette  pro- 
vince de  la  Nbva-iSeotia.  La  générosité  du  sol  n'influant 
ipi'indirectenieni  sur  les  populations  urbaines,  tous  ces  gens 
gardent  encore  l'étroite,  anguleuse  et  sèche  figure,  le  v< 
dur  et  bref  qu'avaient  leurs  ancêtres,  scandalisés  de  l'émanci- 
pation américaine.  Devenus  -ans  peine  les  possesseurs  du 
sol,  ils  détiennent  encore  l'a  fortune  et  témoignent  leur  amour 
de  la  justice  en  persistant  à  nier  les  droits  des  catholiques  à 
l'enseignement  confessionnel. 


104:  TSEEES  et  peuples  du  canada 

Entre  cet  élément  loyaliste  et  les  francophones  se  pose  l'Ir- 
landais, agressif  ici  comme  ailleurs  et  concentrant  ses  i  Efôrts 
d'assimilation  sur  ses  coreligionnaires  les  Acadiens,  en  tâchant 
de  leur  imposer  une  formation  anglaise  à  l'école.  Malgré 
l'identité  de  leur  malheureuse  histoire,  ces  deux  minorités 
restent  des  rivales:  la  ruse  de  l'une  à  propager  l'influence  de 
l'anglais  n'a  d'égal  que  l'opiniâtreté  de  l'autre  à  garder  vi- 
vaces  ses  traditions  locales,  sa  foi.  son  individualité  enfin. 

Mais  ici  un  simple  fait  annonce  déjà  la  solution  au  pro- 
blème des  races:  la  valeur  sociale  de  ce  qui  s'appelle  un  Aca- 
dien.  Demeurés  pendant  trois  siècles  en  contact  intime  avec 
le  sol  et  fréquemment  aguerris  aux  dangers  de  la  mer.  qu'ils 
aiment  pour  ses  périls,  ses  profits  hasardeux,  ces  hommes 
d'Armorique  revenus  d'exil,  ont  reformé  leurs  rangs  et  retrou- 
vé leurs  individualité  dans  la  solitude  et  loin  des  antagonistes. 
Des  dix-huit  mille  Aeadiens  de  1754,  six  mille  sont  morts  on 
disparus  pendant  la  tourmente;  un  nombre  à  peu  près  égal  fut 
dispersé  en  divers  pays,  surtout  au  Canada  et  en  Louisiane.  Le 
dernier  tiers  échappé  aux  prescripteurs  gagna  des  retraites 
ignorées  pour  devenir  la  souche  des  groupements  actuels.  (1) 
D'abord  plutôt  lent,  leur  accroissement  s'est  fait  prodigieux 
(2)  au  réveil  de  l'instinct  colonisateur  qui  coïncide  chez  eux 
avec  l'inauguration  des  chemine  de  fer.  L»'s  deux  types  anglo- 
saxons  et  le  celte  —  celui-ci  surtout  qui  n'a  pu  prendre 
racine,  gagne  graduellement  les  villes  —  s'effacent  devant  ce 
robuste  défricheur  que  ne  rebute  aucun  pénible  labeur  et  qui 
a  déjà  ouvert  tout  ce  que  le  Nouveau-Brunswick  supérieur 
contient   de  champs  cultivés. 

l.  Rameau  de  Saint-Père,  l  m  colonû  féodale  en  Amérique, 
introd.,  p.  XXVIII. 

2  L'Eglise  de  Québec  compta  8,000  Aeadiens  en  L603,  11,000 
en    1812,  et    so. ooo  en   1881. 


LES    IN il  l  ENCES   GÉ0GKAPHIQ1   ES  105 

En  dépit  du  fléau  de  l'expatriern  aal  qui  ne  cesse  dé  les 
affaiblir  comme  leurs  voisina  an  profit  des  Etats-Unis;  en 
dépit  de  la  vive  attraction  pour  la  pêche  —  car  c'est  beaucoup 
le  capita]  anglais  qui  les  rêtieni  sur  le  golfe  —  et  s'il  n'arrive 
.1"  nouvel  élément  da  population  gui  déroute  les  calculs  d'au- 
jourd'hui, un  demi  siècle  ne  se  passera  pas  avant  que  les  A.ea- 
diens  prévalent  en  nombre  comme  en  fortune  dan-  le  Nouveau- 
Brunswick  et  la  petite  province  insulaire,  tandis  qu'il  faudra 
aussi  compter  avec  eux  dans  la  presqu'île,  on  ils  représente^ 
déjà  le  huitième  de  la  population.  Des  régions  supérieures 
du  Nouveau-Brunswick  s'achemine,  en  longeant  la  côte,  une 
masse  toute  francophone  qui  franchira  l'isthme  pour  se  souder 
aux  noyaux  encore  isolés  de  l'Antigonish,  du  Dighv.  du  Yar- 
niouth,  du  "Richmond  et  d'Arichat.  Réoccupant  alors  avec  la 
même  foi,  le  même  idiome,  ces  campagnes  généreus  ;s,  ces 
Joyeux  villages  que  leurs  aïeux  ont  tant  aimés,  et  recoiffant 
le  gentil  bonnet  id'Evangeline,  ils  lutteront  pour  la  supré- 
matie après  avoir  si  fermement  résisté  pour  la  survivance. 

Au  point  die  vue  politique  il  importe  maintenant  que  le  trio 
maritime  conserve  la  part  d'influence  dont  il  jouissait  depuis 
L867,  mais  que  l'expatriemenl  au  profit  des  Etats-Unis  et  le 
peuplement  intense  du  Canada  central  lui  ont  récemmeni  en- 
levée. (1)  La  solution  de  ce  problème  —  qui  intéresse  immé- 
diatement l'unité  canadienne —  ne  réside  pas  dans  une  fusion 
des  race-  d'ailleurs  impossible,  mais  elle  apparti  ni  au  do- 
maine économique  et  paraît  se  résumer  dans  cette  formule: 
restituer  à  l'agriculture  beaucoup  de  ses  en  rgies  que  lui  - 

1.  Parties  en  L871  avec  rSâ285  habitants  e1  13  députés,  ces 
trois  petites  provinces  n'en  comptenl  plus  que  30  pour  représenter 
leur  population  de  861,96.2   habitants. 


L06  I  BBRES    ET    PEUPLES    M     CANAD  \ 

iraient  Los  mine-  néo-écossaises,  les  forêts  du  Nbuveau-Bruns- 
wick  et  la  pêche  sur  toutes  les  côtes.   (2) 


V 


Au  Québec. — Des  austères  e1  brumeux  rivages  du  golfe  au 
Lac  Témiscamingue,  de  la  chaîne  des  ballons  alléghaniens  jus- 
que loin  derrière  les  vétustés  Laurentides,  au-delà  de  l'arène 
alluviale  du  lac  Saint-Jean,  d'une  ceinture  forestière  pleine 
d'eaux  mugissantes,  et  des  champs  minéralisé-  du  Chibogamo 
et  de  l'Abitiibi  d'où  les  rivières  coulent  vers  le  nord  mysté- 
rieux, se  déroule  le  domaine  politique  du  Québec.  Une  géante 
avenue  fluviale  née  au  milieu  même  du  cbntienent  recueille, 
après  avoir  rattaché  une  série  de  grands  lacs,  1  s  eaux  d'un 
bassin  de  trois  cent  mille  milles,  en  a'ouvrant  sur  la  mer. 

C'esl  aux  bords  de  ce  Saint-Laurent,  portique  du  Nouveau- 
Monde,  qu'au  début  du  dix-septième  siècle  s'établit,  pour  y 
vivre  à  dem  are,  un  vigoureux  rame  m  de  la  race  fran< 
donl  les  vertus,  plus  que  la  valeur  des  institutions  sociales 
L'ont  am  mé,  avons-nous  déjà  vu,  non  seulement  à  occuper 
Les  fkwx  fécondes  bandes  Laurentiennes,  mais  à  imposer  La 
civilisation  et  L'amour  de  la  France  sur  une  bonne  moitié  de 
L'Amérique  septentrionale. 

A  peine  ces  pionniers  ont-ils  jalonné  de  défrichements  la 
riche  assiette  de  leur  patrie  d'élection,  d'où  croîtra  bientôt 
boute  une  moissou  il  •  paroisses,  qu'ils  pénètrent,  par  chacun 
de  ces  oomibreux  et  grands  chemins  qui  marchent,  au-delà  des 
Grands-Lacs,  dans  la  vallée  mississipienne,  jusqu'en  Loui- 
siane, pour  y  jouer  encore  le  rôle  de  premiers  occupants;  qu'ils 

-.'.     Henri  Bourassa,  Le  Devoir,  7  septembre  1910. 


il  -    INFI.l  i:\(  Ks   GÉOGKAPHIQUES  1"1 

disputent  aux  marchands  anglais  les  rivages  glacés  de  L'Hud- 
9oii  ri  l,-  brumes  'le  Terre-Neuve;  qu'ils  ruinent,  avec  leurs 
frères  acadiens  et  les  fidèles  A.bénakis,les  menaçants  comptoirs 
néo-anglais  aux  côtes  ravinées  du  Maine;  qu'ils  r  culenl  jus- 
qu'aux flancs  des  lïocheuse-  les  bprnes  de  L'inconnu,  et  qu'en- 
l'in.  impuissants  à  maintenir  davantage,  contre  un  antagoniste 
ringt  fois  supérieur  en  nombre,  1;'  prestige  français  qui 
semblait  reposer  sur  eux  seuls  au  Nouveau-Mou  lie,  ils  tombent 
cruellement  terrassés,  mais  non  vaincus! 

De  ces  immenses  territoires  dont  la  possession  fut,  en  témoi- 
gnage de  leur  valeur,  si  âprement  disputée  pendant  un  lojig 
siècle,  il  no  reste  plus  an  Canadien  que  juste  ce  qu'il  en  a  la- 
bouré;  son  oeil  en  mesure  la  largeur;  des  rives  laurentiennes 
aux  premiers  contrefort*,  à  la  forêt  dense  et  prochaine  —  le 
champ  d'un  écho...  Au  comlbat  deux  fois  séculaire  contre 
la  barbarie  et  la  race  rivale  maintenant  chez  elle  succède  le 
combat  pour  survivre  avec  ce  que  l'homme  à  de  plus  cher  après 
sa  foi  religieuse.  Si  le  seigneur,  qui  aida  si  puissamment  à 
la  création  des  foyers  est  parti,  reste  le  prêtre,  lui.  incapable 
île  pactiser  avec  un  maître  protestant.  Il  gardera  les  siens 
toujours  fidèles  à  la  terre  qui  les  -,\  déjà  si  généreusement  na- 
tionalisés; il  activera  encore,  aux  diverses  phases  du  régime 
britannique,  la  colonisation  des  régions  incultes,  non  seule- 
ment -au  Québec,  niais  sur  tous  les  points  du  contintnt  où  vit 
le  Franco-Canadien. 


VI 


i     -si  surtout  d'une  parfaite  convenance  de  la  nature  lauren- 
tienne  au  sens  de  la  vit'  agricole,  aux  solides  institutions  30- 


108  TERRES    ET    PEUPLES  DU  CANADA 

ciales  transplantés  ici  par  s  ulement  quelques  centaines  de  fa- 
milles les  plus  robustes  et  les  plus  morales  du  nord  de  la 
France,  qu'est  née  l'âme  franco-canadienne,  aujourd'hui  plus 
que  jamais  douée  des  brois  qualité-  essentiell  s  à  l'existence 
d'un  peuple  homogène:  unité  de  foi,  communauté  d'idiome  ei 
convergence  d'aspirations. 

Quelques  décades  avant  la  conquête  on  voyait  les  habitants 
d  ■  la  Xouvelle-Fr-ancc  massé-  comme  sur  une  longue  rue,  aux 
bords  du  puissant  et  commode  Saint-Laurent.  Les  fermes 
que  le  seigneur  a  fait  arpenter  sont  des  rectangles  étroits, 
d'une  contenance  rarement  inférieure  à  quatre-vingt-dix  ar- 
pents, et  dont  le  côté  long  est  dirigé  vers  l'intérieur.  A  ce 
rang  de  fermes  juxtaposées,  présentant  leur  fronl  de  trois  ar- 
pents au  fleuve  en  suivant  tous  ses  méandres,  soin  venus 
s'ajouter,  -au  fur  et  à  mesure  du  peuplement,  d'autres  Rangs 
parallèles  au  premier,  ouverts  par  des  chemins  du  roy  qu'à 
intervalles  réguliers  des  côtes  rattachent  aux  anciens.  I  - 
commencements  furent  identiques  par  toute  la  colonie.  Là 
où  quelque  rivière  conflue  au  Saint-Laurent,  le  seign  ur  en- 
treprend dé  concéder  son  fief:  il  y  bâtit  son  manoir,  grande 
maison  crépie,  toute  blanche,  s-ans  meurtrière-  ni  donjons, 
mai-  avoisinée  d'une  chapelle  et  d'un  moulin  —  protégés 
d'une  palissade  de  pieux  si  l'on  craint  l'incursion  des  Iro- 
quois.  Bientôt  les  censitaires  construisent  une  église  —  d'ar- 
chitecture ou  gothique  ou  romane  —  élançant,  à  son  froi 
regardant  le  fleuve,  un  clair  et  hardi  clocher  que  surmonte  le 
coq  gaulois.  Plus  tard  surgissent  le  presbytère,  les  magasins, 
l'auberge,  les  ateliers,  puis  l'école  qui  a  son  édifice  dès  qu'elle 
-mi-i  de  la  maison  du  curé.  On  remarque  à  l'église  le  banc  de 
l'oeuvre  mis  en  travers,  orné  d'un  grand  crucifix  et  de  deux 
chandeliers  d'argent;  sur  la  place  paroissiale,  la  tribune  où 


LES    tNFLTJENCES   GEOGB  LPHÎQtfES  lU'.i 

l'on  l'ait  les  criées  publiques,  les  ventes  pour  Les  âmes;  dons 
chacun  des  rangs  des  calvaires  géants,  élevés  de  mille  en  mille, 
protègent  de  leurs  bras  sacrés,  routes,  moissons  et  fo\ 

Telle  fut  la  genèse,  telle  esl  en  ore  la  physionomie  des 
vieilles  paroisses  don!  sortirent  dix  générations  pour  occuper 
des  terres  nouvelles  el  créer,  de  proche  eu  proche,  à  travers 
les  vicissitudes  du  temps,  dl'autres  cellules  de  vie  nationale  el 
catholique,  jusqu'à  relier  deux  fiefs,  jusqu'à  étendre  la  profon- 
deur des  champs  cultivés  sui  toui  le  bassin  immédiat  du  Saint- 
Laurent.  Aujourd'hui  encore,  bien  que  le  mode  d'appropria- 
tion du  sol  ait  changé,  bien  que  les  groupements  de  popula- 
tion se  fassent  plutôt  le  long  des  voies  ferrées  .aucun  établis- 
se ment  agricole  translaurentien  ne  grandit  sans  avoir  son 
centre  paroissial.  Ici  sera  l'église,  se  dit  le  colon  pionnier: 
ici.  avec  les  miens,  je  vivrai  une  vie  intimement  pareille  à 
celle  de  nus  pères. 

vu 

L'obligation  imposée  aux  seigneurs  de  concéder  graduelle- 
ment leurs  domaines,  et  la  logique  reconnaissance  de  la  pa- 
roisse comme  une  personne  civile,  os  qui  achevait  de  subor- 
donner le  fief  à  cette  paroisse,  ne  gardaient  ainsi  à  l'institu- 
tion féodale  que  ce  qu'elle  contient  de  plus  socialemeni  créa- 
teur. Et  encore  le  soutien  matériel  de  l'Eglise  à  la  charge 
des  censitaires,  qui  en  confient  par  élection  la  gérance  à  un 
conseil  de  fabrique,  est  un  germe  essentiellement  démocra- 
tique. Aussi,  au  milieu  du  dix-neuvième  siècle,  ce  conseil  ser- 
vira de  modèle  à  deux  autn  s  organismes  paroissiaux:  la  muni- 
cipalité scolaire,  où  commissaires  et  curé  s'entendent  pour 
consacrer  le  principe    ■    -      coits  comme  d  s  obligations  des 


1  K»  TEBKES    ET    PEUPLES    DU   <'  W  \0  \ 

parents  en  matière  d'éducation;  puis  la  corporation  munici- 
pale qui,  trouvant  son  domaine  de  juridiction  tout  marqué, 
achève  de  rendre  la  paroisse  une  .miniature  d'Etat,  en  so- 
cialisant l'emploi  de  taxes  prélevées  par- un  corps  d'élus  au 
vote  des  contribuables. 

De  l'originelle  paroisse  sortirent 'des  députés  qui  sureirl  en- 
seigner aux  nouvelles  populations  britanniques  L'usage  du  ré- 
gime représentatif  et  introduire  dans  la  constitution  qui  s'éla- 
borait, les  germes  des  saines  libertés  qu'elle  a  depuis  garan- 
ties: égalité  de  représentation  pour  les  deux  races,  respect 
des  croyances  religieuses  et  droits  du  peuple  d'élire  ses  légis- 
lateurs, comme  de  voter  les  impôts  par  ses  mandataires.  Et 
l'ambiance  de  ces  petits  conseils  représentatifs  continue  de 
produire  des  hommes  initiés  à  tous  les  intérêts  de  la  commu- 
nauté, ce  que  commande  la  vraie  vie  parlementaire.   (1) 


VIII 


A  ec  foyer  de  la  paroisse,  créateur  de  traditions  région 
cellule  de  pensée  latine,  gardien  vigilant  de  vie  catholique, 
secret  de   résistance    à    la    conquête    morale,    l'haibitanl    -'■  - 
comme  fédéré  au  sol,  e1  son  caractère  ethnique  s'est  développé 

1.  "Los  Canadiens-Français  sont...  |>lus  rigoureusement 
parlementaires  que  les  Anglais,  et  jamais,  à  aucune  période  de 
l'existence  et  des  fortunes  si  mouvementées  du  Canada,  les  tom- 
mes d'Etal  canadiens-français  n'ont  fait  défaut  à  l'oeuvre  pu- 
blique: mais  ils  ont  sans  cesse  demandé  à  leurs  associés  une  par; 
égale  «l'activité  dans  la  création  des  traditions  représentatives, 
de  ce  qui  est  L'essence  même  de  l'histoire  constitutionnelle  du 
pays...  Le  commencement  dans  les  privilèges  dont  la  colonie 
jouit  à  cette  heure,  c'est  à  cet  élément  français  que  l'Angleterre 
le  doit."  Discours  prononcé  à  Londres,  le  s  juillet  1875,  par  lord 
Dufferin,  gouverneur-général  du  Canada.   1872-1878. 


LES  [NFLUENCES  GÉOGRAPHIQUES  111 

en  s'individualisant.  !>»•  ce  petit  monde  dont  le  pôle  est  un 
clocher  d'argent,  le  Bas^Canadi  n  a  vu  sans  crainte  passer 
(levant  lui  l'envahi ssement  étranger.  En  effet,  que  ceste-t-il 
aujourd'hui  des  implantations  du  conquérant  ,au  lendemain 
de  la  cession,  sur  des  terres  alors  vacantes  du  pays  lauren- 
tien  ?  Qu'est  devenue  cette  grande  seigneurie  écossaise  de 
Murray,  ouverte  en  L764  par  le  licenciement  des  montagnards, 
en  aval  de  Québec  ?  Quel  l'ut  le  sorl  des  aoyaus  celtiques  du 
Lynstcr,  des  burgs  de  L'Argenteuil  ;  el  surtout  qu'advient-il 
des  catons  de  l'Est?  cette  vaste  zone  des  Eastern  Toionships 
ouverte  par  les  Loyalists,  si  jalousi  ment  réservée  par  les  pre- 
miers gouverneurs  à  l'influence  anglo-saxonne  et  protestante, 
afin  d'élever  là  comme  une  infranchissable  barrière  à  l'ex- 
pansion des  fils  du  Saint-Laurent  vers  le  sud.  — ■  Au  Charle- 
voix  des  noms  gaéliques,  mais  de  facture  bien  française,  rap- 
pellent seuls  aujourd'hui  le  souvenir  des  industrieux  high- 
landers;  ce  qui  dure,  après  un  demi  siècle,  des  familles  irlan- 
daises dans  la  région  de  Rawdon  se  désagrège  vite  devant  la 
fascination  qu'exercent  les  villes  sur  le  celte  rêveur;  chaque 
année  une  paroisse  québécoise  s'ouvre  sur  les  bownships  don- 
nés en  libre  et  commun  soccage  aux  fiers  royalistes  de  L791 
et  d'après;  leurs  rejetons  gagnent  les  provinces  de  l'hinter- 
land,  avec  l'espoir  de  se  trouver  pour  toujours  en  pays  anglo- 
phone, cédant  ainsi  leur  place  à  de  plus  aptes  à  la  vie  lauren- 
tienne,  à  ceux  que  la  terre  conduit,  en  I  s  remplissant  d'amour 
et  de  force,  à  sa  pacifique  et  durable  conquête. 


IX 


Comme  l'âme  nationale  et   comme  le  sang,  la   langue  des 
Franco-Canadiens  s'esi   gardée  exempte  d'alliage:  on  la  parle 


112  TERRES   ET  PEUPLES   DU   CANADA 

avec  la  même  pureté,  à  l'exclusion  de  tout  idiome  local,  du 
golfe  de  Gaspé  aux  sources  de  l'Ottawa.  Cette  conservation 
tient  sans  doute  beaucoup  de  l'époque  traditionaliste  à  la- 
quelle se  fit  l'émigration,  mais  plus  encore  aux  ardents 
foyers  de  culture,  séminaires  et  pensionnats,  où  la  jeunesse 
reçut,  dès  le  dix-septième,  une  instruction  puisée  dans  des 
livres  d'outre-mer,  et  qui  allaient  raviver  Jusque  chez  les 
plus  modestes  familles,  le  beau  parler  de  France.    . 

Toutefois,  cette  langue  se  ressent  dis  ambiances  naturelles 
et  morales  du  pays.  Si,  par  le  fond,  la  parlure  québécoise  de- 
meure bien  française  —  surtout  française  du  dix-septième, 
avec  ses  mots  maintenant  désuètes  chez  l'ancienne  mère-pa- 
trie —  avec  ses  locutions  d'une  archaïque  saveur  comme 
étudier  pour  se  faire  prêtre,  hormis  que  ce  soit  trop 
désamain}  aius  seulement,  tant  seulement,  elle  s'est  enrichie 
de  canadianismes  que  lui  ont  prodigués  la  si  individuelle 
nature  américaine,  puis  l'industrie,  dans  les  villes  surtout, 
la  vie  parlementaire  et  les  autre-  institutions  britanniques 
l'ont  dé.ià  fatalement  imprégnée  de  mots,  d'expressions  qu'il 
lui  est  maintenant  impossible  de  récuser. 

Simple  dans  sa  construction,  mais  fécond  en  tropes,  en  mé- 
taphores, le  vente  laurentien  se  prononce  ouvert,  fortement 
scandé,  agrémenté  même  de  quelques  accents  circonflexes  en 
trop;  ses  syllabes  élargies  ont  perdu  de  leur  musique  en  se 
faisant  ainsi  plus  nettes  et  plus  amples,  ce  qui  fait  que,  Lau- 
rentiens  et  gens  de  France  doivent,  au  début,  se  prêter  une 
oreille  attentive:  l'accent  est  déplacé. 

Conservée  à  peu  près  intacte,  parlée  sans  patois,  identique 
non  seulement  au  Québec,  mais  en  quelque  lieu  que  nous  la 
trouvions  sur  le  continent  —  ce  dont  ne  peut  s'enorgueillir 
l'Anglo-Canadien  —  cette  langue  des  pionniers  paraît  cepën- 


LES  INFLUENCES  GÉOGRAPHIQUES  113 

danl  destinée  à  s'éloigner  de  plus  en  plus  du  français  mo- 
derne. A  l'accent  déjà  renouvelé  au  respir  de  la  fcerre  na- 
tionale  s'ajoutent  des  noms,  des  verb  s  nouveaux  demandianit 

Leur  droit  de  cité  —  signe  indubitable  d'une  évolution  sen- 
sible vers  une  autre  langue  néo-latine. 

Si  déjà  l'individuel  milieu  physique  du  Nouveau-Monde  et, 
à  un  degré  peut-être  égal,  la  présence  d'une  nation  soeur  qui 
a  imposé  partout  ses  institutions  populaires,  influeut  sensible- 
ment sur  la  langue  et  l'esprit  public  des  Franco-Canadiens, 
plus  considérables  encore  sont  les  différenciations  exercées 
par  la  seule  nature  sur  la  coonplexion  et  sur  ce  que  l'homme 
moral  a  de  plus  intime,  chez  un  peuple  comptant  jusqu'à  dix 
générations  pétries  de  la  terre  qui  fut  et  demeure  essen- 
tiellement son  lot.  Qui  veut  donc  voir  ,en  marge  de  l'unité 
nationale  créée,  alimentée  1 1  préservée  dans  le  champ  clos  du 
vigoureux  organisme  paroissial,  cette  grande  diversité  de 
l'âme  québécoise  n'a  qu'à  parcourir  la  province. 


X 


En  Gaspésie  les  âmes  sont  pleine-,  d'une  inquiète  mélan- 
colie, prisonnières  qu'elles  sont  sur  un  étroit  littoral,  entre 
la  mer  formidable,  râlant  ses  éternels  ressacs  et  les  prochains 
i  Bcarpements  calcaires  de  l'intérieur  que  les  'brumes,  les  pluies 
cinglantes  du  large  ont  revêtus  de  bois  -ombres.  Cet  effroi 
qu'inspire  une  rude  nature,  cet  isolement  que  les  voyag  s 
rapides  restent  impuissants  à  diminuer,  n'ont  encore  ^n- 
fanté  rien  de  marquant  :  mais  on  ne  saurait  refuser  au\  c  - 
bustes  pêcheurs  die  ces  côtes,  pétris  dans  le  phosphore,  la 
soude  et  l'iode,  l'énergie  persévérante,  le  culte  des  traditions 


1  1  I  TEBEES   ET   PEUPLES   DU  CANADA 

— ■  des  traditions  chrétiennes  surtout  —  vivaces  malgré  la 
pesante  solitude,  naguère  misérable. 

Circonscrii  par  cette  mer  qui  doit  participer  le  plus  en 
plus  à  nourrir  la  t  rre  et  qui  a  jusque  maintenant  absorbé 
tant  de  vies  gaspésiennes,  ce  pays  manque  encore  d'agricul- 
teurs. Ses  vallons  du  centre,  les  pentes  ensoleillées  de  la 
baie  d ce  Chaleurs  sont  capables  de  fixer  des  milliers  de  fa- 
milles en  les  rendant  d'autant  plus  prospères  et  indépen  lantes 
qu'elles  préféreront  la  charrue  à  la  barque.  11  importe  qu'à 
Port-Daniel,  Grand-Paibos,  lîivièn  -Claude.  Cap-Cli-at.  Sainte- 
Félicité,  Matane  et  Petit-Métis,  où  l'on  dépend  surtout  de  la 
grande  marâtre,  répondent  des  foyers  agricoles  qui  garde- 
ront la  pédoncule  gaspésienne  à  ses  pionniers;  car  une  consi- 
dérable ville  maritime  ne  tardera  pas  de  sa  fonder  pour  le 
trafic  d'hiver,  soit  au  bassin  '<•  Gaspé,  soit  à  la  baie  des 
Chaleurs.  (1) 

Le  Fleuve  —  la  nier,  comme  disent  ses  riverains  —  garde 
longtemps  un  aspect  de  s  reine  grandeur;  mais  on  rit  déjà 
plus  que  l'on  pleine  au  Bic,  aux  Trois-Pistoles,  à  la  J\ivière- 
du-Loup,  car  la  côte  nord,  maintenant  visible,  se  pare  de 
blanches  maisons,  des  îles  de  végétation  semblent  diminuer 
la  largeur  «le  l'estuaire,  des  terra---  recueillent  autant  de 
soleil  que  de  fraîcheur,  et,  derrière  la  profondeur  de  deux  ou 
trois  paroisses,  commencent  les  bois  giboyeux  du  Maine. 

[gnorant   la  gloire  passagère  il  ■  son  commerce  au  seizième 

1.  Par  sa  position  géographique  la  péninsule  esl  destinée 
à  contenir  un  terminus  de  la  navigation  océanique  d'hiver,  vu 
que  le  trajet,  «le  Liverpool  à  Montréal  via  Gaspé,  est  de  500  milles 

plus  court  que  \  i;'i  St.  John  OU  Halifax  les  deux  seul-  ports  qui 
soient  maintenant  utilisés  pour  le  commerce  <le  transil  entre 
l'Europe  e1   le  Canada,  de  décembre  à  la  mi-avril. 


LES    I  M'UKM  l>   GÉOGK  \  PB  [QUES  1  L5 

siècle,  mais  confiait!  daus  la  valeur  de  son  porl  profond, 
Tadousac  médite,  blotti  derrière  Les  portes  sourcilleuses  du 
tenay,  cei  affreux  ei  sombre  couloir  qui  débouch  ■  sur 
L'arène  argileuse  du  lac  Saint-Jean.  A  ce  royaume  des  cé- 
réales, des  baies  savoureuses  e1  du  bois  résineux,  ouveri 
depuis  soixante-dix  ans  aux  éléments  prolixes  des  plus  vieilles 
paroisses  laurentiennes,  se  manifestent  La  vocation  pour 
L'agriculture,  Le  talent  industriel,  sans  rien  amoindrir  de  la 
joyeuse  endurance  ni  du  caractère  processif  des  Franco-Cana- 
diens, ces  latins  boréaux.  Il  importe  que  dans  Leur  is  »le- 
ment  Leur  soif  de  justice,  leurs  jalousies  de  clochers  a  Les 
empêcheni  de  faire  ample  provision  d'énergies  et  ne  les  dis- 
traienl  de  la  tâche  qui  Leur  es1  assignée:  s'étendre  d'abord 
vers  L'ouest,  afin  de  participer  à  L'occupation  de  La  grande 
plaine  qui  va  des  eontr<  forts  'les  Laurentïdes  à  la  baie  Jaii  es. 


XI 


Revenus  an  fleuve,  où  Les  îles  accroissent  leur-  dimensions 
et,  variant  de  forme,  se  multiplieni  à  mesure  que  l'on  pé- 
nètre Le  pays,  la  scène  se  transfigure  aux  approches  de  Qué- 
bec. Sur  toute  L'île  d'Orléans  ei  les  deux  ^-ô\\'<  qui  la  re- 
gardent de  liant,  la  dépendance  de  L'homme  vis-à-vis  du  caidre 
régional  se  traduil  par  La  fortune  des  belles  moissons  el  des 
pêches  faciles;  par  L'hilarité  des  ciels  bleu  prof Is,  subite- 
ment ensoleillés,  alternant  aux  colères  <lu  nordais  et  des 
longues  poudreries  hiémales.  Iei  l'endurance  <•!  la  IV: 
logent  dans  il'-  mai-un-  ;i  In   fois  grandes  el  solides. 

Mais  voici  que  les  vastes  proportions  ne  résident  pins  dans 
l'encaissemenl    \-  grandes  '-aux  par  des  côtes  énorm  s,  quasi 


L16  TBBBES  ET   PEUPLES  DU  CANADA 

sauvages,  tomme  à  l'estuaire,  car  les  montagnes  s'écartent 
d'un  coup:  au  nord  pour  rosier  visibles  du  fleuve,  dans  l'air 
limpide,  à  trente  milles,  à  cinquante  milles,  tandis  que  les 
Alléghanys  s'effacent,  obliquant  vers  le  sud,  pour  aller  coïn- 
cider avec  la  frontière,  en  courant  aux  lacs  Memphrémagog 
et  de  Champlain  où  s'ouvre  une  large  porte  sur  les  Etats- 
Unis.  D'en  haut,  dévalent  furieux  les  plus  considérables 
affluents  du  Saint-Laurent,  venus  de  loin  derrière  la  chaîne 
qui  leur  ouvre  ses  brèches  granitiques,  pour  laisser  ravager 
1rs  argiles  et  les  -ailles  répandus  entre  ces  vétustés  mon- 
tagnes et  le  fleuve.  Du  midi,  à  partir  de  la  grondante  Chau- 
dière, ce  petit  Nil  qui  noie  chaque  printemps  les  sillons  limo- 
neux de  ses  bords,  les  tributaires  se  font  tous  nonchalants  et 
reposés,  en  abreuvant  de  Lira—'-  prairies;  cependant,  aux 
vallons  cambriens  de  l'extrême  sud,  où  reeuillies  des  mon- 
tagnes, les  eaux  rapides  ont  quelque  peu  creusé  leur  lit  dans 
un  sol  friable  et  léger,  elles  ruissellent  sur  le  calcaire. 

De  tout  ce  bassin,  Québec  est  le  portail,  comme  elle  en  fut 
l'âme  des  commencements  colonisateurs.  Hardiment  campée 
sur  son  gris  rocher  d'ardoise,  l'ancienne  capitale  du  vieux  ré- 
gime livre  dans  son  seul  profil  l'acte  de  Ba  naissance,  raconte 
à  tout  venant  sa  dramatique  histoire  et  symbolise  toujours 
le  sort  de  la  race  française  en  Amérique,  pour  en  être  resté 
longtemps  le  centre  le  plus  agissant.  Bien  qu'elle  fût  pen- 
dant près  d'un  siècle  le  siège  des  gouverneurs  anglais  qui  lui 
infligèrent  la  réfection  de  sa  forteresse  et  de  ses  murs.  Qué- 
bec demeure  profondément  traditionaliste;  aussi,  quelle  amé- 
nité, quelle  fierté  sans  mélange  ses  habitants  ne  cessent-ils 
d'entretenir  avec  un  respecl  sacré  de  l'état  présent  !  Avant 
que  Montréal  ait  acquis  sa  récente  individualité  le  phare 
québécois    fut  actif  autant  que  vigilant.     De  cette  Athènes 


LES    l\  n.l   ENCES   ÇÉOGE  SlPHIQUES  117 

américaine  il  e&i  déjà  sorti  plus  d'héroïsme  militaire  e 
dévouements  apostoliques,  de  conceptions  parlementaires  et 
du  pensées  nationales,  de  poésie  et  de  science  écrites  qu< 
tout  le  reste  de  la  terre  canadienne.  Qu'ici  les  pierres  gar- 
dent leurs  voix  pour  témoigner  des  tragiques  scènes  qu'elles 
ont  vues,  1rs  bouches  leur  léger  grasseyement  au  tenue  du 
pays  maritime,  les  âmes  leur  assurance  à  contempler  si  grand 
de  la  patrie  laurentienne  —  et  la  race  y  verra  toujours  son 
boulevard. 


XII 


Avec  le  calme  'le  la  plaine  les  muscles  s'amincissent,  la 
rudesse  faciale  diminue  et  l'esprit  s'aiguise,  car  les  champs 
facile-,  intensément  cultivés,  laissent  moins  d'émotions  vives 
qu'au  salin  et  giboyeux  estuaire  d'aval.  C'est  la  zone  des 
cellules  paroissiales  incessamment  fécon  l'es  et  de  croissance 
urée,  où  le  manoir  seigneurial  a  vu  surgir  un  village,  où 
œ  village  est  devenu  le  chef-lieu  du  comté,  l'école  parois- 
siale le  collège  classique  et,  parfois  la  cure  l'évêché.  Le  type 
en  est  Xicolet,  si  fière  de  son  foyer  d'instruction  déjà  plus 
que  centenaire. 

Si  les  paroisses  de  la  rive  gauche,  fière  d  ■  leurs  généra- 
tions de  caboteurs,  n'ont  encore  pu  déverser  le  trop-plein  de 
leur  sève  derrière  la  chaîne  qui  barra  l'horizon,  jusqu'à  la 
Saint-Maurice,  les  groupes  de  la  droite  ont  migré  à  travers 
h-  bois  francs  jusqu'aux  confins  <\r<  cantons  anglophones, 
ou  l'activité  franco-cMua  Idenne  s'est  d'aibord  appliquée  à 
l'agriculture,  puis  aux  rainés  et  à  l'industrie.  En  lavant  les 
stables  aurifère-  de  la  P&auce,  en  éclatant  les  rochers 
d'amiante  du    Mégantic  et    les   marbres  du   Compton  od 


1  18  TERRES    ET    PEUPLES   DU   CANADA 

devenu  plus  positif  qu'aux  boiids  tranquilles  du  Saint-Lau- 
rent; mais  le  joyeux  amour  de  la  te  iole  persis 
à  la  générosité  des  sillo  ts,  des  érablières  el  des  pâturages,  en- 
core trop  vastes  pour  que  1""])  y  redoute  la  déni  dévastatrice 

«lu  mouton. 

Le    gage    d'avenir,    eu     présence    d  -        ici 

d' Anglo-Canadiens,  réside  dans  une  fidélité  à  cette  carrrière, 
mère  de  boutes  1rs  autres  et  qui  assure  de  la  souveraineté 
nationale.  Déjà  Sherbrooke,  reine  ide  cette  région,  -  ■ 
émules  industriels  se  font  plus  québécois  que  loyalistes, 
mesure  que  la  campagne  passe  aux  si  laborieux  et  prolixes 
Franco-Canadiens. 


XIII 


Fondée  avant  Ville-Marie,  soit  au  début  de  la  période 
héroïque,  Trois-Rivières,  bientôi  délaissée,  garde,  avec  une 
grande  pureté  de  langue,  l'esprit  sain  et  robus  -  commen- 
cements. Sun  rôle  d'appui,  de  relais  sut  la  route  longtemps 
dangereuse  qu'elle  avait  mission  de  proti  lt  la  foi  et  le 

commerce,  l'a  rendue  féconde  eu  voyageurs  comme  en  apôtres 
de  la  foi.  qui  suffisent  à  la  gloire  trifluvienn  •.  A  mi-chemin 
entre  Québec  et  Montréal,  au  confluent  de  grandes  eaux 
profondes,  au  seuil  d'une  trouée  facile  à  travers  les  Lauren- 
tides  .au  déboisement  de  laquelle  son  énergie  s'eel  d'abord 
dévolue  ''H  élevant  le  courage  jusqu'à  la  témérité,  Trois- 
Rivières  traditionaliste  granddt  pleine  de  promesses.  Sou 
activité  industrielle  pourvue  encore  par  des  gîtes  de  fer, 
forces  hydrauliques  à  Grand'Mère  et  à  Shawinigan,  des  fo- 
rêts de  conifères  maintenant    reculées,  annoncent   la   métro- 


1.1  «    INFLUENCES   OÉOGRAPHIQU  ES  1  I!» 

poli',  dont  elle  aspire  d'être  une  sérieuse  émule.  Sa  tâche 
est  autant  de  créer  un  exutoire  commode  aux  centres  indus- 
triels naissants  de  la  Saint-Maurice,  que  d'alimenter  toute  l« 
région  agricole  le  la  Mantavaisie  donl  elle  commande  L'en- 
trée. 


XIV 


Le  pays  triangulaire  traversé  par  l'Yamaska,  le  Riche- 
lieu, la  Châteauguay,  et  qui  si'  déroule  jusqu'au  border  du 
sud  garde  sou  horizon  à  fleur  de  terre.  Souvenl  de  ses  gué- 
rets,  de  ses  prés  plein-  di'  soleil,  ru  les  be  tiaux  ruminent 
à  l'ombre  des  ormes  el  des  aubépines,  où  les  céréales  se  doreni 
au  chant  de  la  cigale,  l'habitant  peut  compter  autant  de 
clochers  qu'il  a  'die  doigts.  Cette  monotonie  du  ciel  serait 
fatale,  si  des  pies  de  basalte,  restes  de  volcans  à  jamais  en- 
dormis, ne  surgissaient  ici  et  là  de  là  couche  d'argile  où  s'en- 
lise leur  base.  Parce  que  l'on  vit  heureux  pour  si  peu  de 
peine,  l'orgueil  de  chacun  n  •  s'étend  qu'à  sa  maison  de 
brique  rose,  qu'à  sa  blanche  ferme,  qu'à  sa  propre  paroisse. 
Ce  que  l'âme  du  Franco-Canadien  compte  d'idéalisme  • 
vite  manifestée  dans  cette  aisance,  par  la  multiplication  des 
foyers  d'enseignement  —  toujours  féconds  en  esprit  ardents 
et  positifs.  Mais  devant  tant  de  richesse  et  de  savoir  le  sou- 
venir des  violents  combats  politiques  d'il  y  a  moins  d'un 
siècle  s'efface  aux  bords  fleuris  du  somnolent  Richelieu.  Ce- 
pendant à  sa  bouche,  Sorel,  que  le  sans-gêne  britannique  ap- 
pela. William  Henry,  a  repris  courag*  usement  son  nom.  tan- 
dis qu'aux  berges  du  fleuve,  Verchères  s'endort  dans  sa  gloire: 
c'esl  bien  assez  pour  elle  d'avoir  produit  Madeleine,  cette 
adolescente  dont,  l'énergie  sauva  le  village  de  la   fureur  iro- 


L20  FERRES    ET    PEUPLES  DU   CANADA 

quoise.  Il  ifaut  atteindre  le  but  de  cet  ophir  de  l'agriculture, 
sur  la  pointe  frontière,  pour  retrouver  de  l'énergie  nationale 
en  action:  l'industrieuse  Valleyfièid  a  conscience  du  voisi- 
nage anglophone,  et  son  conseil  municipal  s'appelle  toujours, 
en  dépii  d'une  sanction  statutaire,  Salaberry-de-Yalhyfirtd. 


XV 


Montréal,  ce  pôle  attractif  non  seulement  du  vicie;  Canada, 
mais  aussi  de  la  majeure  partie  du  versant  atlantique,  grandit 
toujours  en  restant,  malgré  la  distraction  qu'apporte  l'or 
anglo-saxon,  fidèle  aux  chrétiens  motifs  qui  présidèrent  à  sa 
clairvoyante  fondation:  elle  atteste  qu'aux  climats  du  nord  le 
clair  génie  latin  s'accommode  heureusement  de  l'utilitaire  et 
pesante  vie  moderne. 

Le  poste  commercial  do  la  place  Royale,  choisi  par  Maison- 
neuve,  regardant  le  port,  est  resté  le  grand  centre  du  trafic. 
Auprès  rie  l'étable,  où  logèrent  les  recluses  de  Jeanne  Mance, 
ont  surgi  cent  hôpitaux,  hospices  et  couvents.  Autour  de  la 
première  chapelle,  où  des  lucioles  faisaient  office  de  lampions 
devant  le  Tabernacle,  s'est  levée  toute  une  floraison  de  vastes 
églises  dont  la  splendeur  réussit  à  faire  oublier  la  nouveauté. 

Cette  agglomération  de  six  cenl  mille  âmes  présente  sur- 
tout un  abrégé  de  la  situation  des  doux  races  du  Canada,  en 
résumani  leurs  rapports  sociaux.  Sans  se  séparer  avec  répul- 
sion comme  aux  villes  suisses  les  deux  nationalités  habitent 
quartiers  qui  leur  =ont  propres.  L'est,  surtout  francophone, 
regarde  Québec,  tandis  que  l'ouest,  largement  anglophone,  est 
tourné  vers  Toronto  el  le  centre  continental  où  pullule  tout 
un  monde  anglo-saxon.  En  bordure  el  an  voisinage  immédiat 


I.KS    [NFLTJENCES   GÉOGRAPHIQUES  121 

de  la  place  d'Armes — donl  Le  centre  contient  le  bronze  du  fon- 
dateur de  Ville-Marie — se  groupent  <l<is  édifices  symbolisant 
les  plus  notables  facteurs  de  la  Métropole:  Notre-Dame,  église 
mère  de  60  paroisses  catholique-,  les  'banques,  le  grand  com- 
merce, les  institutions  mutualistes,  les  journaux  des  deux 
éléments  et  les  bureaux  des  services  d'utilité  publique  encore 
surtout  anglais.  Ce  noyau  d'une  ville  monstre,  servie  par  la 
convergence  de  routes  fluviales  et  continentales,  a  recruté  sa 
population  à  même  tout  le  Canada  français  et  retenu  un  pou 
de  toutes  les  catégories  d' Anglo-Saxons  et  d'étrangers.  Au 
centre  de  régions  diverses,  Montréal  est  bâtie  de  matériaux 
variés  de  nature  et  de  provenance;  sa  physionomie  est  une 
collection  de  physionomies:  on  y  a  mis  à  contribution  le  coni- 
fèiv  des  forêts  du  nord  .le  basalte  du  mont  Eoyal,  la  brique 
-le  Laprairie,  le  granit  des  Laurcntides,  le  calcaire  de  Batis- 
can  et  le  marbre  du  Vermont. 

Jusqu'hier  absorbé  dans  un  labeur  qui  donne  la  puissance 
économique,  et  d'autant  plus  actif  que  le  climat  septentrional 
rend  l'organisation  d'une  ville  fort  dispendieuse,  l'esprit 
montréalais  >urnage  à  peine  des  préoccupations  matérielle-. 
El  parce  que  Montréal  étend  au  loin  l'axe  de  son  influence 
commerciale  sur  les  Ktats-Unis,  le  sens  épicurien  de  la  vie 
américaine,  caractérisé  surtout  par  L'absence  de  civisme,  a 
ravagé  son  hôtel-de-ville  .  Ainsi  distraite  pour  une  heure  de 
ses  traditions  et  amenée  proche  de  sa  ruine,  la  ville,  surtout 
québécoise  "dans  son  administration,  c'est  cependant  ressaisie 
et  se  retrempe  à  penser  qu'elle  est  désormais  à  même  cl 
garder  non  seulement  son  rang  de  métropole,  que  lui  assigne 
la  géographie,  mais  encore  'le  devenir  un  foyer  de  vigilance 
ci  d'action,  donnant  le  mot  d'ordre  à  tout  ce  qui  est  français 
en  Amérique. 


122  TERRES   ET   PEUPLES  DU  CANADA 

Montréal  témoigne  encore  de  cette  résignation  invétérée 
qui  courbe  l'élément  canadien-français  «levant  La  puissance 
financière  die  l'Anglo-Saxon,  bien  que  les  premiers  comptenl 
aujourd'hui  avec  eux  la  majorité  de  la  population  et  de  la 
propriété  foncière.    (1) 


XVI 


Au-dessus  du  delta  de  Montréal  le  pays  n'a  pas  plus  d'un 
siècle;  et  il  se  fait  plus  jeune  encore  à  mesure  que  l'on  re- 
monte l'Ottawa.  Dos  voyageurs  venus  des  rives  laurentiennes, 
qui  ressentirent  le  vide  de  leur  vie  de  salariés  el  ne  purent 
résister  à  l'appel  de  la  sainte  agriculture,  se  sont  fixés  aux 
bords  «le  cette  rivière  dont  l'ampleur  rappelle  1»'  Saint-Lau- 
rent. Sans  retard,  le  vieil  esprit  normand  a  fait  sienne  la 
rénovation  des  méthodes  eultu raies  introduites  par  les  Ecos- 
sais, et  il  s'est  retrempé  en  étendant  la  mosaïque  des  paroisses 
sur  des  espaces  où  les  roches  roulées  des  champs  morainiques 
alternent  avec  de  profonds  sols  alluviaux.  Do.  Lanoraie  sei- 
gneuriale on  s'est  élancé  à  Joliette  la  fière,  de  Saint-Eus- 
tache  dolent  à  Saint-Jérôme  querelleur.  Et  à  ces  deux  por- 
tiques du  nord  répondenl  déjà  —  parce  qu'on  a  su  enjamber 
d'arides  vallons  — -  des  traînées  d'établissements  translaureri- 
tiens  .qui  vivront  demain  de  leur  via  propre.     Plus  loin,  sur 

I.  La  langue  française,  toujours  en  honneur  dans  la  M'e 
privée,  n'a  pas  encore  conquis  la  prépondérance  qui  lui  est  due  au 
dehors.  Combien  de  marchands  et  d'industriels  donl  la  clientèle 
es1  toute  française,  persistent  à  tenir  enseigne  anglaise.  Il  n'y  a 
pas  vingi  ans.  à  l'hôtel  de-ville  les  livres  publics  étaient  vierges 
île  français;  aujourd'hui  encore,  cette  langue  de  la  majorité 
n'est  pas  employée  comme  il  convient,  dans  chacun  <les  services 
municipaux. 


!  ES    I  \  ll.l   ENOES   GÉQGR  \  l'Il  [QE  ES  1  23 

l'Ottawa,  d'autres   petites   villes  c ptenl    aussi    leur  arrière 

pays  plus  agricole  qu'industriel,  gris  de  la  cendre  des  aba 
parfumé  de  l'odeur  du  pin  et  du  mélèze,  absorbé  à  son  succès 
matériel  el    plein   de   l'ambitieuse  endurance  qui   doit   capter 
l'un  rgie   fabuleuse  des  chutes   dea^n,   en    restant    fidèle  à  la 
grande  nourricière 

Enfin    voici    le   Témiscamingue   el    sa    reine,    Ville-Marie, 
avoisinée  de  dômes  qui  ne  sont,  sous  leur  manteau  de  coni- 
s,  qu'un  vaste  champ  cristallin  veiné  d'or,  d'argent,  de 
nickel,  de  cuivre  el   de   Ter. 

XVII 

En  Ontario. — Sur  la  péninsule  ontarienne  la  vie  dos  élé- 
ments ethniques  resl  :  soumise  à  de  promptes  variations,  parce 
que  ce  domaine  présente  d'autan!  moins  de  sécurité  que  son 
isolement  est  fictif.  En  raison  du  récent  contact  de  ses  habi- 
tants avec  un  -ni  qui  n'a  pu  exercar  encoTe  sur  elles  d'in- 
fluences profondes,  les  âmes  nationales  se  ressentenl  plutôl 
«le  leur  situation  respective. 

Les  lundis  coureurs  d  bois  qui  vinrent  souvent  faire  la 
traite  pelletière  sur  ce  territoire  des  grandes  chasses  indi- 
gènes, en  se  moquant  de-  ordonnances  du  roi  de  France  et 
de  ses  gouverneurs;  le-  fils  de  S.  François  et  de  s.  [gnace 
qui  ambitionnèrent  la  complète  morale  des  Hurons-Algon- 
quins  en  les  réunissant  en  bourgades  sédentaires  sur  les  bords 
de  la  mer  Douce  (lac  Euron),  avaient  tous  pressenti,  à  la 
ruine  complète  de  c  s  jeunes  chrétientés  par  l'Iroquois, 
insécurité  des  groupements  humains.  Et  la  colonisation  fran- 
çaise qui  s'était  portée  à  Pontçhar train,  seigneurie  'lu  Détroit, 
en   l'année  1700,  laissa  vacante  cette  contrée  qui   ne  cessera 


124  TERRES   ET   PEUPLES  DTJ  CANADA 

ide  jouer  le  rôle  de  pays  neutre,  de  tampon  entre  les  forts  de 
la  société  de  l'ITudson  et  les  établissements  anglais  du  midi, 
même  après  que  ces  derniers,  longtemps  contenus  entre  la 
mer  et  les  Apalaches  eussent  débordé  à  l'ouest  de  cette  chaîne 
—  ce  qui  précipita  la  'fin  de  la  domination  française  en  Amé- 
rique septentrionale. 

Les  premiers  Européens  qui  firent  leur  patrie  de  l'On- 
tario furent  ces  sujets  qui,  trop  fidèles  à  la  couronne  bri- 
tannique pour  accepter  l'indépendance  des  treize  colonies 
américaines,  gagnèrent  les  possessions  du  nord.  Aux  terres 
faciles,  peu  accidentées  et  librement  choisies  que  reçoivent 
gratuitement  ces  bannis  déjà  initiés  pour  la  plupart  aux  la- 
beurs d!u  défrichement,  la  mère-patrie  joint  des  dons  considé- 
rables d'instruments  agricoles,  des  provisions  de  bouche  et 
des  pensions  aux  veuves  et  aux  orphelins  des  victimes  de  la 
guerre  de  l'Indépendance.  Ces  pionniers,  objet  d'une  si  ja- 
louse sollicitude,  occupent  le  littoral  immédiat  du  lac  On- 
tario, en  refusant  sans  retard  de  se  joindre  politiquement 
aux  Bas-Canadiens,  c'est-à-dire  à  des  Français  catholiques.. 
Et,  tandis  que  tonnent  les  canons  pour  fêter  \Vaterloo'(1815), 
le  licenciement  en  masse  des  armées  encombre  les  vaisseaux 
d'émigrants  anglais  et  hanovriens;  les  terribles  évictions 
d'Ecosse  arrachent  à  leurs  pauvres,  mai-  bien  aimé  s  mon- 
tagnes des  milliers  d'Highlanders  pour  les  transplanter  en 
Nova  Seotia  et  -au  périmètre  des  jeunes  townships  loyalistes 
du  Haut-Canada;  enfin,  quand  les  troubles  religieux,  les 
crises  terriennes  qu'avaient  suscités  en  Irlande  les  îandlords 
anglais,  les  lois  libertaires  de  Westminster  et  les  longues  fa- 
mines,  eurent  couvert  l'océan  de  tant  de  miséreux  proscrits, 
la  province  supérieure,  comme  les  pays  maritimes,  en  reçut 
de-  contingents  dont   la   masse  ne   tarda    pas  de  passer  aux 


LES    INFLUENCES   GÉOGRAPHIQUES  125 

Etats-Unia,  pendant  qu'un  reliquat  encore  considérable,  se 
fixa,  selon  l'instinct  héréditaire,  dans  les  villes,  sur  les  terres 
granitiques  de  l'est  extrême  et  sur  le  pédoncule  sud-ouest. 

Tous  ces  sujets  britanniques,  de  sources  contrasta  air-, 
mais  devant  bientôt  posséder  L'unité  de  langue,  et  que  des 
événements  si  divers  venaieni  de  réunir  dans  la  province  su- 
périeure, on  tirent,  par  la  population  et  la  richesse,  une  im- 
périeuse rivale  du  vieux  Canada.  Il  convient  toutefois  de  l'ap- 
peler ici  les  avantages  qu'a  tirés  l'Ontario  d'événements  ad- 
ministratifs antérieurs  à  la  Confédération  et  qui  ne  sont  pas 
étrangers  à  l'aisance  d'aujourd'hui.  C'est  d'abord  le  secours 
financier  qu'aux  termes  de  l'Acte  d'Union  (1841)  le  Québec 
apportait  à  sa  voisine  banqueroutière,  puis  la  dot  que  re- 
çurent ses  naissantes  corporations  municipales,  grâce  à  la 
vente  des  réserves  terriennes  dont  avait  joui  l'Eglise  Angli- 
cane   (1854). 

Et  ce  peuple  de  presque  deux  millions,  qui  semble  possé- 
der  quiètement  le  littoral  imuiié liât  des  Grands  L»aca,  esl 
resté,  comme  le  québécois,  un  groupement  ethnique  des  plus 
homogènes. 

XVIII 

Pendant  qu'au  littoral  canadien  des  méditerranées  s'affer- 
mit la  puissance  d'une  province  anglo-celte,  le-  fil-  de  ['ha- 
bitant lau relit ien  qui  ont  dû  s'éloigner  du  vieux  berceau  de- 
venu  trop  étroit  — ■  et  que  le  conquérant    voulait  changer  en 
iieil  —  se  soni  faits  bûcherons,  flotteurs,  nautoniers;  mais 

1.      En    L85]    le    Haut-Canada    comptail    82  699    individus    nés 
en    Angleterre   <-t    au    pays   de   Galles,    75,81-1    nés   en    Ecosse,    et 

1  76  267   nés  ru    Irlande. 


L2G  3'EKRES    ET   PEI  PLES   M     i    \  \  \  D  \ 

entendanl  l'appel  de  La  fcerre  pour  eux  irrésistible,  ils  vien- 
nent cultiver  préeisémeni  les  lieux  qu'ils  onl  arroses  de  leurs 
sueurs  d'engagés:  des  Deux-Montagnes  au  lac  Supérieur.  A 
cette  pénétration  par  tout  le  nord  .-'ajoute  le  développement 
Les  vieilles  seigneuries  de  Vaudreui]  et  le  progrès  d'un  noyau 
migré  de  Détroit,  aux  premières  années  du  dix-neuvième. 

De  la  pointe  que  le  Québec  a  conservée  politiquement  sur 
sa  voisine,  la  marche  en  avanl  des  francophones  reste  d'au- 
tant plus  opiniâtre  que  son  champ  d'expansion  tout  désigné 
es!  ce  lamjbeau  île  granit,  cette  intrusion  la  plus  méridionale 
du  bouclier  archéen,  qui  bride  le  Saint-Laurent  pour  multi- 
plier ses  sauts  vis-à-vis  la  frontière  du  New- York.  Ainsi  que 
la  lutte  avait  été  (bien  âpre  pour  conquérir  sur  la  nature  et  la 
barbarie  l'avantage  de  remonter  le  grand  fleuve  jusqu'au  lac 
Ontario,  cette  avant-garde  sortie  de  Vaudreuil-Soulano  - 
livre  maintenant  un  silencieux  mais  rude  combat  aux  loges 
orangistes  •de  Cornwall,  de  Prescott,  de  Kingston,  et  aux  core- 
ligionnaires du  diocèse  d'Alexandria  où  l'Irlandais  tente  l'as- 
similation par  l'école. 

Malgré   ton-  apides    l'impétueuse    Ottawa    unit    plus 

qu'elle  ne  sépare  les  doux  provinces;  son  immense  vallée. 
veloppement  de  la  laurentienne,  et  de  physionomie  pareille 
sur  ses  deux  versant-,  est   devenue  le  déversoir  commode,  le 
noiivau  champ  d'expansion  favori  du  Québec,  île-  qu'il  cessa 
d'absorber  toute  sa  vigueur  à  sa  pro  use.     I  ne  vague 

d'agriculteurs,  partie  vers  L840  du  delta  de  Montréal,  défri- 
chant un  Mil  parfois  difficile,  a  déloge  sur  son  passage  plu- 
sieurs jeunes  agglomérations  celtes,  comblé  les  deux  rives 
outaouaises  et  s'élance,  impétueuse  encore,  vers  le  Nipissing 
et.  plu-  au  nord,  en  pleine  forêt  vierge  sur  la  route  inculte 
du  second   transcanadien. 


LES    [NFLUENCES   GÉOGRAPHIQUES  1  37 

Le  noyau  solitaire  de  l'extrême  sud-ouest,  fait  de  quelque 
trente  paroisses  agricoles,  organisées  comme  celles  du  Québec, 
persiste  dans  son  entité  e1  atteste  même  elfe  sa  vigueur  en  ré- 
sistant,  lui  aussi,  au  prix  d'une  vigilance  incessante,  aux 
efforts  de  L'anglicisation  brutale  par  L'Irlandais. 

Et  plus  loin,  au  diocèse  «lu  Sault-Sainte-Marie,  tout  an 
avant-poste  de  pionniers  encore  ma]  assis  sur  la  terre,  privé 
d'écoles  où  s'enseignerait  le  français,  et  j »< m i-  c  la  même  bd 
butte  à  L'assimilation  calculée;  ne  pouvant  à  L'église  prier 
Dieu  dans  leur  Langue  maternelle,  se  demand  ut  si  la  marée 
des  haibitants  les  atteindra  avant  qu'ils  n'aienl  sombré  ! 

Ainsi,  chacune  des  zones,  chacun  des  cordons  francophones 
d'Ontario,  variant  entre  eux  par  Le  nombre,  Vkge  et  Le  milieu, 
esi  en  présence  de  l'élément  celte,  presque  partout  contem- 
porain et  qui  oppose  impatiemment  soit  la  supériorité  nu- 
mérique, soit  l'avantage  des  postes  de  comoniandemeni  à  la 
placide  assurance  des  prolifiques  possesseurs  du  sol.  Et  l'on 
peut  dire  que  l'anglicisation  —  seul  terrain  de  lutte  —  me- 
nace ces  derniers,  là  où  ils  ne  sont  oas  encore  maîtres  de 
L'école.  La  lutte  autour  de  l'université  bilingue  d'Ottawa. 
tombée  aux  mains  des  Irlandais,  mai-  récemmenl  conquise 
par  ses  fondateurs  français,  reste  le  type  de  cet  ardent  tournoi 
pour  la   suprématie  des  races. 


XIX 


Dans  le  demi  isolement  du  pays  ontarien,  pays  plat  dans 
toute  sa  partie  méridionale,  rappelanL  un  peu  L'Angleterre. 
mais  dfun  climat  plus  continental,  ce  qui  tend  à  substituer 
de  L'énervemenl  au  flegme,  et  de  la  gaieté  à  la  morgue  insu- 


128  EEBEES    ET    PEUPLES   DTJ   CANADA 

la  in',  l 'Anglo-Saxon  a  bientôt  façonné  le  littoral  à  ses  be- 
soins. Son  esprit  d'initiative  Ta  conduit  à  creuser  des  canaux 
qui  permettent  de  naviguer  sans- encombre  et  d'abréger  les 
distances  entre  deux  lacs,  il»'  doubler  un  rapide  et  de  relier 
deux  voie?  d'eau  parallèles.  Il  a  encore  exploité  les  pêcheries 
des  petites  méditerranées.  le  sel  gemme  de  S-arnia,  de  Windsor 
et  les  divers  gîtes  minéraux  du  groupe  Lanark-Grenville,  du 
Sault-Sainte-Marie,  du  Miehipicoten  et  de  Cobalt.  Comme 
l'ouverture  de  cette  province  à  la  colonisation  coïncida  pres- 
qu'avec  l'application  nouvelle  de  la  vapeur  à  l'industrie  — 
ce  qui  bouleversa  partout  le  conditions  du  travail.  —  l'On- 
tarien  se  trouva  plus  que  les  autres  Canadiens  en  état  de 
profiter  sans  retard  de  cette  transformation  économique.  Ce- 
pendant il  manque  totalement  de  bouille,  et  les  énergies  hy- 
drauliques ne  se  trouvent  qu'au  nord,  soit  aux  régions  déjà 
envahies  par  le  Franco-Canadien.  Aussi  est-ce  plutôt  le 
marchand,  l'exploiteur  de  mines  que  l'on  y  rencontre.  Mais 
c'est  la  terre  qui  fut  et  demeure  la  source  par  excellence  de 
la  fortune  ontarienne.  L'esprit  gaélique,  l'esprit  saxon  — 
représentés  par  l'Ecossais  réparti  sur  tous  les  vieux  town- 
ships,  et  par  le  Hanovrien  groupé  dans  six  comtés  de  l'ouest 
moyen  —  ont  imposé  à  des  population?  qui  prisent  plutôt 
l'initiative  privée,  le  principe  du  support  de  l'agriculture  par 
L'Etat.  D'ailleurs  le  besoin  en  était  grand,  car  une  intelli- 
gente  direction  centralisée  des  association-  de  fermiers  (1)  a 

1.  Les  associations  rurales,  qui  s'étaient  beaucoup  multi- 
pliées jusqu'en  1846  pour  améliorer  les  méthodes  agricoles  e1 
l'élevage  des  bestiaux,  furent  alors  fédérées  par  une  direction 
provinciale.  Un  ministère  de  l'Agriculture  poursuit  depuis  1881 
une  oeuvre  d'éducation  systématisée  qui  a  empêché  la  province 
de  devenir  trop  indiistrielle.cn  tenant  constamment  sous  les  yeux 
du  cultivateur  l'expérience  des  plus  prospères  pays  agricoles  de 
l'Europe. 


LES    IXKI.I  KNCKs   GÉOGRAPHIQUES  129 

permis  d'introduire  partout  la  culture  intensive  e1  ainsi,  d'ac- 
croître sensiblement  une  population  rurale  que  sollicitaienl 
de  concert  l'industrie,  1rs  villes  américaines  et  la  prairie  du 
Grand   Ouest. 

Aux  campagnes  réjouies  où  la  vigne  monte  à  l'orme,  où  la 
route  est  de  gravier,  où  l'aire  des  vergers  et  des  champs  de 
céréales  aesl  pas  moindre  que  celle  des  pâturages  ei  des 
parcs;  aux  villes  grises  e1  roses  où  la  pêche,  les  mines  ali- 
mentent une  industrie  jamais  imietive.  où  l'éducation  tou- 
jours traditionaliste  log  i  dans  la  massive  architecture  écos- 
saise, et  l'église  dans  le  môme  gothique  rayonnant  cher  à 
l'Angleterre,  la  vie  sociale  ue  soulève  guère  de  palpitants  pro- 
blèmes. 

XX 

S'il  est  uns  province  d!u  Canada  central  dont  le  domaine 
politique  correspond©  à  des  bornes  bien  accentuées  par  la  na- 
ture, c'est,  après  le  Québec,  l'Ontario.  Et  ces  frontière?  ne 
l'ont  pas  cependant  mieux  protégé  contre  l'amibianee  des  Etats- 
Unis,  que  les  variation?  administratives,  successivement  com- 
mandées par  la  colonie  supérieure  sur  les  autres  possessions 
britanniques,  ne  lui  ont  épargné  cel  envahissement  redouté 
des  francophones.  Oui,  les  extrémités  de  cette  province  pas- 
sent à  d'autres  qu'aux  descendants  des  fiers  loyalistes  de 
1785  "t  des  émigrés  de  1815-1850.  A  l'est,  elle  ne  commence 
plus  vraiment  qu'aux  loges  orangisbes  de  Kingston.  Le  pé- 
doncule d'Essex  restera  vraisemblablement  ce  qu'il  est  au- 
jourd'hui. Aux  rives  outaouaises,  et  plus  loin  encore,  le  pro- 
lifique Franco-Canadien  est  en  train  de  supplanter  l'élément 
celte  qui  hait  d'instinct  la  terre  ci   n.    nia  pour  cela  jamais 


K50  ÏERKES    ET   PEUPLES    DU    CANADA 

agriculteur.  Enfin,  bien  que  l'or  ontarien  ait  jeté  Port- 
Arthur  et  Fort-William  à  la  bête  du  lac  Supérieur  pour  tenir 
la  clef  de  l'Ouest,  ces  deux  fondations  jumelles  i (  1 8 7 0 )  ne 
grandissent  qu'en  se  taisant  autant  françaises  que  anglaises. 

Cette  pénétration  par  plusieurs  points  —  théâtres  d'uni; 
lutte  où  sera  vainqueur  le  plus  apte  à  la  vie  agricole  et  in- 
dustrielle —  n'est  peut-être  pas  le  moindre  assaut  qu'endure 
l'unité  ontarienne. 

Parce  que  la  langue  continue  d'être  le  plus  fidèle  ciment 
des  patries,  parce  que.  de  chaque  rivage  des  petites  méditer- 
ranées  canado-américaines,  un  même  verbe  en  irgique,  concis 
et  facile  rapproche  les  intérêts  économiques,  et  qu'un  con- 
tact quotidien  favorise  d'intimes  relations  dont  le  mariage 
est  l'aboutissement,  l'or  et  l'esprit  yankees  pénètrent  l'On- 
tario. Malgré  ses  véhémentes  ci  sincères  protestations  ,! 
la  ville  la  plus  attachée  à  la  gloire  britannique,  Toronto,  qui 
se  'dit  toujours  near  boundary  enough  to  disWIee  Americans, 
Toronto  la  puritaine  »t  la  lovai'-,  s'obstine  à  ne  pas  recon- 
naître cette  emprise  d'autant  plus  ferme  qu'elle  est  servie  par 
la  formidable  ambiance  morale  du  continent.  Avec  ses  sa- 
tellites, la  capitale  ontarienne  —  qui  s'intitule,  tout  connue 
Chicago,  la  reine  des  "Grands  Lacs"  —  entretient  couram- 
ment le  langage  des  intérêts  et  fait  échange  de  journaux,  de 
périodiques  et  de  livres  même  avec  Rochester,  Buffalo 
et  Cleveland.  Sur  le  pédoncule  sud-ouest,  où  sont  réunis 
beaucoup  dlrlandais,  où  les  descendants  <l'>  pionniers  venus 
du  Yorkshire,  du  Lancashire,  de  Loricohnshire  gardent  en- 
core leurs  idiomes  disparates,  on  entend  de  plu-  en  plu* 
nazal  twang  du  Yankee.  A  Windsor  qui  regarde  Détroit,  à 
London,  bâtie  sur  une  autre  Tamise  traversanl  des  meaâow§ 
qui  rappellent  les  plus  fertiles  campagnes  d'Angleterre,  des 


LES    1  \  l'I.I   i:\ci:s   QÉOGB  \  PHIQUES  1 .')  1 

mains  restées  jusqu'ici  invisibles,  arborent,  aux  jours  de  fête, 
le  pavillon  étoile  eu  regard  (le  celui  qui  commande  sur  toutes 
les  mers. 

XXI 


Dans  la  Plaine  médiale. — La  féconde  immensité  plate  de 
ce  qui  s'appelle  encore,  aux  anciennes  colonies,  VOuest  cana- 
dien, a  vu  naître  depuis  quelques  décades,  trois  provinces 
—  Manitoba,  Saskatchewan,  Alt)  rt-a  —  n'ayani  entre  elles 
et  à  leur  mi  li,  que  d'idéales  frontières,  [ci,  comme  sut  tant 
d'autres  points  du  continent,  l'aube  de  la  civilisation  fut  fran- 
çaise. Pendanl  que  les  sachems  de  la  rare  algonquine,  les 
uns  venus  des  profondeurs  prairiales,  se  réunissaient  au  saull 
Sainte-Marie  pour  accepter  avec  bonheur  le  protectorat  'lu 
Grand  Ononthio  demeurant  de  Vautre  <  de  Veau,  pendant 
que  des  missionnaires  ei  la  généreuse  .  nulle  de  La  Véren- 
drye  payaient  de  leur  sang,  de  leurs  sueurs,  de  leur  or,  le 
droit  d'accès  ;'i  ce  nouveau  monde  —  du  lac  de-  Bois  plein  de 
mirements  aux  altieTs  'et  blancs  sommets  des  Rocheuses  — 
l'Anglais  restait  cantonné  dan-  -•■-  forts  de  la  ne  r  de  Eudson. 
M  : i  î -  quand  les  derniers  des  aimables  trafiquants  durenl  lais- 
lerrière  eux  les  regrets  du  Peau-Rouge  pour  voler  au  -  - 
cour-  de  la  (patrie  défaillante,  csuxkïj  rencontreni  bientôl 
k\v<  marchands  qui  leur  apportent  du  nord  '(1767)  puis  du 
.-tel  (1810),  en  échange  de  leurs  fourrures,  de  l'eau  de  feu  ei 
des  fusils  au  canon  d'autant  plus  long  qu'ils  se  troquaient 
pour  unr  pile  de  peaux  égale  à  la  hauteur  de  l'arme  debout, 

Cepend'anl    l'âme   aventurière    des    sympathiques    Fran 
revécul  dans  toute  la  plaine,  jusqu'aux  abords  du  pôle,  Jus- 
qu'âu  Grand  Océan,  dès  que  le  monopole  désormais  contesté 


L32  TEBEES   ET   PE1  l'I.KS  DE   <A\  \D  A 

die  la  société  de  l'Hudson  eut  à  partager  Bon  territoire  de 
chasse  avec  deux  nouvelles  organisations  fondées  à  Montréal, 
d'abord  rivales  entre  ''lies,  puis  rivale-  de  la  pionnière.  Elles 
ont  recruté  au  Québec  leurs  voyageurs  qui  renouvellent  Les 
exploits  du  siècle  précédent:  ils  franchissent  avec  A.  Mac- 
Kenzie  les  cordillères  colomlbiennes  pour  atteindre  Le  Paci- 
fique, participent  avec  L'immortel  Pivanklin.  Rea  ë1  Baok,  à 
'la  découverte  par  terre  du  passage  du  Nord-Ouest,  puis  in- 
terrogent les  sables  de  l' Arizona,  Les  canons  du  Colorado,  Les 
forêts  de  POrégon.  C'était  à  l'époque  où  Le  Siou,  le  Dakota, 
le  Mandane  troquaient  leurs  fourrures  avec  ['homme  qui  porte 
le  paquet,  où  encore  L'âpre  rivalité  commerciale  se  manifestait 
par  de  sanglants  comjbats  qui  ne  prirenl  fin  qu'avec  la  fusion 
des  deux  sociétés  montréalaises  (1821)  en  une  seule,  gardant 
le  nom  de  la  plus  ancienne.  La  compagnie  du  Nord-Ouest,  la- 
quelle devait  être  absorbée  à  son  tour  par  celle  V  L'Hudson 
19). 

Mais  le  domaine  d'exploitation  de  la  puissante  firme  qui  se 
trouvait  étendu,  depuis  Le  voyage  de  MacKenzie  (1792),  jus- 
qu'au Pacifique,  se  resserra  peu  à  peu:  en  18-LG  elle  perdit 
L'Orégon  cédé  aux  Etats-Unis;  en  1858  la  Nouvelle-Calédonie 
permuta  en  établissements  organisés  qui  se  nomment  la  Co- 
lombie britannique;  L'année  suivante  L'île  de  Vancouver  qui 
jouissaii  depuis  1849  d'un  gouvernement  propre  s'unit  à  la 
jeune  province  du  littoral;  enfin,  les  colonies  métis  de  La 
rivière  Rouge,  où  L'on  a  déjà  vaillamment  conquis  deux  1 
tés  chères  à  un  peuple  chasseur,  La  traite  et  Le  port  des  four- 
rures   (1849),  deviennent   autonomes  en  1860. 

Apre-  exactement  deux  siècles  d'existence  ^(1670-1870),  la 
.,„  Lété  de  l'Hudson  remet  sa  charte  depuis  longtemps  périmé,. 


LES    tNFLUENCES   GEOGRAPHIQUES  133 

à  la  métropole  qui  abandonne  à  son  tour  les  territoires  Libérés 
au  naissant  Dominion.  (1)  Ce  qui  y  resta  alors  d'anciens 
engagés  se  fixé  à  demeure  sur  les  bords  <\r  la  Saskatehewan, 
de  la  Qu'Appelle  et,  surtout,  le  long  de  la  Rouge,  où  pros- 
pèrent déjà  deux  petites  fédérations  de  métis:  vers  le  sud,  Les 
Bois-Brûlés,  rejetons  des  trappeurs,  chasseurs  cite  bisons  fit 
canotiers  bas-canadiens  dont  les  premiers  mariages  avec  la 
sauvagesse  datent  de  L785,  et,  au-dessus  du  Fort  Garry,  les 
métis  Orai,] iras  dont  les  pères  avaient  été  amenés  d'Ecosse 
en  L812,  par  la  voie  de  '"Il  udson 

Quand  le  cabinet  d'Ottawa  voulut  étendre  le  cala-ire  aux 
terres  manitobaines,  l'intrusion  brutale  de  ses  arpenteurs  sem- 
bla une  spoliation  «lu   pays,  ce  qui   souleva  la  colère  d< 
libres  et  méfiants  métis  I  l^'s">)  :  et  la  prairie  eut  son  Hliade. 

XXII 

Dès  que  !>■  premier  fcranscanadien  relia  te  bassin  du  Saint- 
Laurent  à  la  région  manitobaine,  des  colons  -nuis  des  vi  illes 
provinces  se  répandirent,  à  travers  deux  décades,  an  péri- 
mètre des  paroisses  métisses  et  sur  l'axe  même  du  chemin  de 
fer,  en  sorte  que  ce  pays  se  trouva  considérablement  gagné 
aux  deux  races  créatrices  du  Dominion,  quand  se  déversa  sur 
toute  la   steppe   médiale   an   flot   envahisseur   venu   des    fies 

i.     Le  Canada   dul    toutefois  verser  n    la   H  ml  son   Buy  Com- 
pany la  somme  de  63,1  00,000. 


134  3  ERRES    ET    PEUrLES  DT3   CANADA 

Britanniques,  de  l'Europe  continentale,  (Allemands,  Scandi- 
naves, Slaves)  et  des  Etats-Unis.  (  î) 

Au  lieu  de  détourner  au  profit  de  cette  riche  plaine  a  n- 
trale  une  exode  constante  depuis  un  siècle  des  laurentiens 
vers  la  république  voisine,  l'autorité  gouvernementale  coin  m  il 
l'erreur  d'intensifier  par  des  primes  et  par  l'absence  de  sé- 
lection, un  mouvement  migratoire  dont  le  terme  ne  saurait 
être  prévu,  et  de  livrer  aux  hallali  de  la  spéculation,  de  con- 
sidérables étendues  des  meilleures  terres  arables  dont  le  prix 
décupla  brusquement  (1907). 

Ces  populations  éminemment  hétérogènes,  jetées  sur  le  su! 
le  plus  riche  et  le  plus  facile  qui  soit,  sont  naturellement  pro- 
lixes —  d'ailleurs  comme  tous  les  émigrés  en  Amérique.  Dès 
1905  le  parlement  fédéral  donne  à  la  Saskatchewan  el  à  l'Al- 
berta  leur  constitution  provinciale.  L'usage  commun  de  puis- 
sants  outils  aratoires  mus  par  la  vapeur  ou  l'électricité;  l'im- 
portance des  travaux  d'irrigation,  pour  conquérir  sur  les  ter- 
rasses albertanes,  à  même  1  s  fougueux  torrents  descendus 
glaciers,  de  nouveaux  domaines  à  l'agriculture;  la  mul- 
tiplication des  voies  ferrées  traversant  le  pays  en  tous  sens,  et 
encore  la  commodité  du  régime  hypothécaire  et  des  mutations 

1.     Récapitulation    du    nombre    d<j-    immigrants,    renus    des 
Etats-Unis,  île   1901  à    1910: 

1901 19,1  19          L906 189.064 

1902 67  379          1907 L24.667 

1903 138,364           L908 263,464 

L904 130  330          1909 l  16, 

1905 L46.266          1010 208^94 


Grand  total. t.453,390 

Quelque  500,000  sonl   venus  des  Etats  Unis. 


I  l  -    I  \  ll.l   EN0E9    GÉOGB  \  l'Il  [Ql    ES  135 

terriennes  M),  tout  nous  avertil  que  cesl  là  le  creusel  d'une 
Bociété  nouvel]  •.  essentiellemenl  utilitaire  ei  demain  puis- 
sant. Elle  ignore  tout  du  passé  canadien  e\  connaîl  peu  l'es- 
prit politique  de  la  Confédération.  Au  — i  parle-t-elle  déjà 
fori  de  ses  droits  et,  en  matière  économique,  se  fait-elle 
craindre  du  vieux  Canada  qui  lui  a  pourtanl  ouverl  la  route 
de  la  prospérité.  C'esl  lonc  un  milieu  plutôl  obscur  que  ces 
grouillants  agrégat.-  cosmopolites. 

Au  vaste  océ-an  d'agriculture  qui  -  •  déroule  depuis  le  lac 
des  Bois  jusqu'aux  contreforts  albertans  trois  provinces  gran- 
dissent donc  d'une  phénoménale  vigueur,  sur  un  territoire  de 
357,000,000  d'acres,  arable  dans  sa  plus  grande  partie. 
Quand  l'emïblavure  couvrira  seulement  un  quari  de  ce  do- 
main.', la  seule  isson  annuelle,  à  raison   le  quinze  boisseaux 

l'acre  —  qui  esl  aujourd'hui  d  i  dix-neuf  —  excédera  an 
milliard  et  demi.  Cette  quasi  fabuleuse  réédite  suffira  pour 
nourrir  non  seulement  les  trente  millions  de  bouches  du  Ca- 
nada de  1950,  mais  encore  plusieurs  Grand es-Bretagnes  ou 
le  Nouveau-Monde  entier.  El  si  L'on  considère  que  la  fron- 
tière septentrionale  de  l'ATberta  est  loin  de  coïncider  avec 
celle  de  la  culture  des  céréales  ,notajnimen1  le  blé,  c'est  donc 

1.  La  division  du  cadastre  est  la  même  dans  toul  Le  centre 
du  Canada;  le  soi  est  divisé,  suivanl  les  méridiens  e1  parallèles) 
en  sections  d'un  mille  le  côté  contenant  640  acres.  Un  quarl  de 
section  (160  acres)  forme  an  Homesteacl,  territoire  que  le  gou- 
vernement concède  à  chaque  colon.  Ces  fractions  de  terrain 
sont  numérotées  dans  le  même  sens,  ce  <|ui  permel  de  les  retrou- 
ver facilement  sur  la  carte.  Il  existe  un  grand  Livre  de  la  Pro- 
priété Foncière;  chaque  fraction  numérotée  est  inscrite  à  ce 
Grand  Livre,  avec  le  nom  du  propriétaire  e1  la  stipulation  des 
charges  dont  elle  est  grevée;  el  tout  propriétaire  possède  an 
titre  qui  esl  le  duplicata  des  écritures  du  Grand  Livre,  relatives 
à  son  domaine,  l'uni-  vendre,  il  endosse  son  titre  au  nom  de 
l'acquéreur;    pour   emprunter,   il    t'ait    inscrire   les   conditions  de 


1  36  TERRES   ET   PEUPLES   DU   CANADA 

en  puissance  le  grenier  de  tout  un  monde  avec  ses  possibilités, 
que  cette  portion  de  La  steppe  américaine.  EU  •  contient  aussi, 
pour  obviei  au  désavantage  économique  résultant  de  L'unité 
de  production,  comme  pour  soulager  un  sol  qui  s'épuisera, 
malgré  la  profondeur  et  la  puissance  de  son  brun  humus  vé- 
gétal d'à  présent,  de  vastes  champs  carbonifères  bitumineux, 
affleurant  en  main-  endroits,  et  qui  comfposent  Le  site  même 
de  certaines  villes  de  l'Alberta.  Encore,  à  cette  houille  noire 
d'extraction  facile,  s'ajoutent  les  inaltérables  énergies  de  La 
houille  blanclu-  qui  coule  des  glaciers  des  Rocheuses  et  aux 
rivières  du  nord  granitique. 


III 


Aux  ardents  trappeurs  autochtones  et  métis,  en  quête  de 
riches  pelus  pour  le  compte  de  puissantes  associations  com- 
merciales, aux  habiles  chasseurs  de  bisons  qui  eu  on!  anéanti 
la  race  depuis  un  demi  siècle,  ont  succédé  des  ranchmen,  ces 
gauchos  du  nord,  conduisait  à  travers  l'herbeuse  plaine  leurs 
troupeaux  de  bovidés,  mais  qui,  à  leur  tour,  reculenl  à  tra- 
vers les  contreforts  albertans,  \<t-  la  région  de  la  Paix, 
vant  le  progrès  incessanl  de  la  charrue  mécanique,  des  voies 
ferrées  ej  «les  canaux  L'irrigation.  Sur  les  réserves,  où  le 
gouvernement  fédéral  a  finalement  parqué  tout  ce  qui  restait 

l'hypothèque  au  nom  <lu  créancier.  Le  livre  foncier  contient  ainsi 
mention  de  l'hypothèque  et  la  charge  subsiste  jusqu'à  l'échéance 
de  celle-ci.  Ce  système,  qui  facilite  singulièrement  les  inscrip- 
tions hypothécaires  et  les  ventes,  a  été  imaginé  par  M.  Robert 
Torrensj  qui,  en  raison  île  ses  fonctions  de  Directeur  de  l'Enre- 
gistrement en  Australie,  fut  frappé  par  1rs  entraxes  et  les 
charges  considérables  qui  pesaient  sur  les  transactions,  les  ren- 
daient   difficiles,   et    diminuaient    ainsi    la    valeur  des   propriété 


LES    INFLUENCES    SÊOGBAPHIQTJ]  -  \->'t 

des  nomades  sauvages,  il  se  trouve  plusieurs  vieillards  qui, 
impassibles,  ont  \  h  se  transformer  ainsi  La  prairie,  ave< 
divers  types  sociaux  et  leurs  modes  particuliers  d'existence. 

Aujourd'hui,  sur  tous  Les  points  de  la  steppe  que  traverse 
une  ri\  ière  et,  davantage,  Le  long  des  chemins  de  fer.  on  aper- 
çoit des  maisonnettes  isolées,  toutes  ressemblantes  et  si  légère- 
ment posées  qu'elles  semblent,  dans  la  distance,  appartenir 
auiant  à  l'horizon  qu'à  la  terre  Chacune  d'elles  est  le  centre 
d'un  homestead,  rectangle  d'une  superficie  de  160  acres.  De 
cette  pesante  solitude,  qu'un  Latin  ne  saurait  supporter,  L' An- 
glo-Saxon, le  Slave  s'accommodent  à  merveille.  Trente-six 
de  ces  fermes  disposées  ave  symétrie,  mais  privées  de  tout 
autre  lion  que  leur  groupement  cadastral  couvrant  ivuf 
milles  carrés,  forment  un  township  dont  l'organisation  muni- 
cipale est  copiée  sur  celle  de  l'Ontario. 

Parmi  la  nouveauté  monotone  des  fermes,  au  croisement 
des  routes,  -'élèvent  des  villes  tracées  an  cordeau.  p°rcées  sur 
tout  leur  diamètre  de  rues  en  échiquier  que  bordent  de  hautes 
constructions  déjà  serrées  entre  elles,  aux  Eaçades  inesthé- 
tiques, aux  tons  enn  et  divers,  où  tout  seul  encore  la  cïmix, 
rappelant  bien  l'extrême  modernité  des  populations  qui  v 
vivent.  Ce  sont  les  débuts  de  la  cité  américaine,  d'aibord 
utilitaire,  et  cherchant  à  mettre  dans  le  faste  de  ses  roides 
édifices  la  marque  d'un-  grande  puissance  financière  à  venir. 
Cette  robuste  confiance  se  révèle  pourtant,  sans  qu'il  soit 
même  nécessaire  d'interroger  personne:  déjà  le  millésime  des 
fondai  ion-;  privées,  le  numéro  d'ordre  des  édifices  munici- 
paux s'étalent   à  leur  façade. 

Sous  le  clair  soleil  prairial,  deux  forces,  la  similitude  fa- 
tale des  conditions  d'existence  ei  L'identité  voulu.'  de  la 
langue,  effacent  les  frontières  | r  donner  une  certaine  cohé- 


L38  TERRES    ET    PEUPLES    DTJ    r\\  \l»  \ 

sion  à  L'âme  des  déracinés  de  toute  provenance  qui  retrouve- 
ront ce  dont  ['nomme  ne  saurait  manquer,  des  traditions  na- 
tionales. Mais  sans  qu'il  faille  compter  avec  le  considérable 
élément  venu  il  -  Etats-Unis  —  élément  deux  fois  dénaeiné  — 
on  constate  que  le  pays,  intimement  soudé  avec  la  grande 
plaine   du    Mississipi-Missouri,    devient   plus    américain   que 

britannique.  Des  conditions  géographiques  semblables  à 
celles  qui  font  du  trio  provincial  un  prolongement  du  damier 
des  Etat-  réouiblicains  du  midi  commandent  nécessairement 
d'étroites  relations  économiques.  Et  la  vie  agricole  nui  s'  - 
imoosée  sur  tout  lo  centre  rlu  continent  —  vie  essentiellement 
indéuendante  et  pronre  à  développer  une  société  à  formation 
parrWla^Ve  —  rattaeb  •  encore  iiotx  les  oonulaHons  du 
nord  à  celle?  du  sud.  Au;-i  In  conversation  d'affaires  nn0 
WinniiH"!-.  Reeina,  Sasltatoon.  Medicrne-TTaf  T#fh!pTid<»e  °t 
CaVarv  entretiennent  avec  Chicao'o  Saint-Paul  et  Mimi  -<- 
noli«.  villes  rie  la  section  eorresnouda:nte  d^s  F.f.ats-TTni**.  pat- 
elle de  beaucouu  olu«  intéressante  qu'avec  1°=  censés  com- 
merciaux de  la  Laurentie  ou  ^'e  la  zone  tr.Rosrocheus0 

Tomme  le  rouage  gouvernemental  rlu  Dominion  attribue 
à  chaque  province  une  représentation  équitable,  connue  l'es- 
pace fertile  et  de  précieuses  ressources  naturelles  ne  manquent 
pas,  et  que  le  jour  n'est  pas  éloigné  où  l'administration  clés 
trrres  de  la  couronne  sera  décentralisée,  i1  est  certes  difficile 
de  prévoir  quel  sera  le  terme  de  l'état  tout  transitoire  d'à 
présent. 

C'est  en  vais  que  plusieurs  transcanadiens  abrègent  lu 
rouit»  vers  les  deux  océans  et  rejettent  plu-  au  nord  Taxe  éco- 
nomique  de  la  Saskatchewan  cl  de  l'Alberta;  c'est  en  vain 
que  c«s  provinc  s.  centres  excentriques  du  Canada,  se  prolon- 
gent -m-  le-  forêts,  le-  lacs,  le.-  chûtes  de  L'Arctique,  et  que  la 


LES  [NFLUENOES  GÉOGRAPHIQUES  130 

mer  de  ffudson  présente  un  débouché  praticable  vers  l'Eu- 
ro|>c.  tous  ces  utilitaires  anglo-saxons,  slaves,  Scandinaves  et 
yankees  (ce  qui  est  mie  somme  des  premiers)  ;  bous  ces  anglo- 
phones, dont  les  législatures  siègent  dans  d'imposants  capi- 
tols,  obéissant  à  d'impérieuses  lois  géographiques,  trouveront 
demain  que  l'idéale  frontière  de  la  t9e  parallèle  n'a  plus  sa 
raison  d'être,  qu'elle  nuit  à  Leur  progrès,  et  se  sentiront  irré- 
sistiblement attirés  vers  lès  Etats-Unis  dont  ils  sont  déjà 
tout  imprégnés  du  sens  propre  de  La  vie. 


XXIV 

En  Colombie-Britannique. — Après  s'être  arrêtés  aux  flancs 
anguleux  de  la  formidable  chaîne  des  Koeheuses  pour  con- 
sidérer  une   dernière   fois   'a  monotone   niais   féconde  plaine 

—  ce  nouveau  creuset  social,  —  nous  gravissons  de  fantas- 
tiques entassements  calcaires,  et  à  peine  posons-nous  le  pied 
sur  l'arête  continentale  que  tout  change  de  décors:  un  monde 
de  glaciers  pesant  sur  l'ossature  même  du  globe,  des  plateaux 
que  découpent  d'effrayants  canons,  des  fleuves  tourmentés, 
bouclant  à  s  monts  aux  pentes  desquels  les  nevés  disputent 
Le  champ  à  de  -gigantesques  conifères,  puis  'dans  le  lointain 
vaporeux,  l'océan.  C'est  die  ce  Pacifique  tiède  et  bleuté  que 
vient  la  félicité  du  ciel  colombien,  comme  c'est  des  balafres 
de  l'ôcorce  —  à  travers  ses  plus  récentes  concrétions  calcaires 

—  injectée  de  granits  au  cours  des  âges  terrestres,  que 
tiennent  les  richesses  minérales  de  cette  région.  Et  c'est  la 
rencontre  de  ces  deux  agents  — ■  mer  et  montagnes  —  qui 
produit   une  abondance   de   houille  (blanche  et   L'exubérance 


140  TERRES    ET    PEUPLES   DU   CANADA 

d'une  végétation   variée,   précieux   vêtement   et    parures  d'un 
squelette   géo]  >.i 

Hors  les   reconnaissances   de   navigateurs   espagnols,    fran- 
çais et  anglais  au  dix-huitième  siècle,  sur  un  littoral  plein 
de  courants,   voilé  de   brumes,   cette    portion   de   l'Amérique 
inconnue  jusqu'au  voyage  qu'un  commis  de  la   société 
de  l'Hudson,  Alexander  MacKenzie,  accomplit  en  1790,  avec 
une  poignée  de  voyageurs  bas-canadiens,     lu   dès   lors  cette 
puissante  association  pelletière  multiplia  ses  postes  de  traite 
fortifiés  sur  la  côte  et   dans  l'île  de   Vancouver.     Depuis  la 
Basse-Californie  jusqu'à  l' Amérique-Russe    (l'Alaska),   toute 
cette  contrée  mal  connue  rote,  de  1819  à  1846,  un  territoire 
neutre,  sous  le  contrôle  conjoint  de  la  Grande-Br  tagne  et  des 
Etats-Unis.     Quelques   bourga  les    -     sont    alors   foudres  — 
Victoria  en   1843,  et  New-Westminster  en    1859.     Dès   1846 
le  traité  dit   de   l'Orégon    prolonge   à   travers   le   détroit   de 
Fuca   la   frontière   internationale  que   la   convention    d'Ash- 
burton  (184&)  avait  déJà  fixée  avec  Le  49e  degré  de  latitude, 
à  l'est  des  Rocbj  as  -.  jusqu'au  lac  des  Bois. 

Une  première  découverte  de  gisements  aurifères  au  dis- 
trict du  Caribou  (1858)  ne  manque  pas  d'y  attirer  de  consi- 
dérables contingents  de  mineurs  qui,  venus  de  San-Fran- 
cisco,  d'Austrab'e  même,  s'engagent  dans  les  sombr 
du  haut  Fraser  et  de  ses  tributaires.  Bon  nombre  d< 
ardents  chercheurs  d'or  s'en  retournent  aussi  promptement 
qu'ils  étaient  venu-  car,  après  sepl  ans.  les  vingt-cinq  millions 
dr  piastres  recueillis  par  un  lavage  pourtant  facile  des  sables 
ne  représentaient    pas  ce  qu'ils  avaient  coûté. 

Bien  qu'au  dire  de  l'historien  Bancroft  il  n'y  eut  là  moins 
d'attentats  à  la  vie  humaine  et  autant  de  respect  de  la  pro- 


LES    tNFLUENCES   GEOGB  \  PHIQUES  11  1 

priété  que  dans  les  commencements  de  toute  autre  région 
minière  isolée,  la  présence  de  ces  étrangers  nécessita  une 
organisation  gouvernementale,  afin  d'étendre  sans  retard 
lois  anglaises  sur  ce  pays.  Dès  1858  le  principal  facteur  de 
la  Eudson  Bay  Comtpanj  reçprl  Le  titre  d'e  gouver- 
neur royal  d'une  province  qui  se  nomme  la  Nou- 
velle-Calédonie. Et  l'île  de  Vancouver  trouve  avantage 
joindre  en  1866,  pour  devenir  la  Biïtish  Columbia  qui  adhère 
à  la  confédération,  cinq  ans  plus  tard.  An  moment  où  cette 
colonie  transrocheuse  entra  dans  le  Dominion,  elle  ne  comp- 
tait encore  qu'une  population  blanche  de  10,586.  Et  sur 
5,88]  artisans  et  marchands,  2,348  personnes  vivaient  de 
l'exploitation  minière,  et  seulem  ni  1 , s ■  > 7  de  l'agriculture. 
Bien  (pie  la  Colombie  n'eût  pas  alors  de  ministère  respon- 
sable, et  que  le  nombre  des  habitants  restai  sujet  à  de  brusques 
oscillations  pendant  encore  une  décade  (1871-1881),  cette 
naissante  colonie  avait  si  robuste  Confiance  dans  -on  déve- 
loppement prochain,  qu'elle  exigea  l'avantage  'l'envoyer  au 
parlement  quatre  sénateurs  e1  pas  moins  de  six  députés,  avec 
la  promesse  qu'un  chemin  de  fer  la  relierait  bientôl  aux 
\  teilles  provinces  de  L'<  -1. 

('e  pays,  où  l'énergique  et  entreprenanl  Anglo-Saxon  re- 
présente encore  sept  habitants  sur  dix  et  tire  constamment 
profil  des  richesses  naturelles  qui  l'entourent,  -a  grandi  d'une 
phénoménale  façon.  Aussi,  que  lui  manque-t-il  dout  pros- 
pérer ?  Les  houillères  'I'  la  Passe-au-Oorbeau,  en  Koutanie, 
de  la  rivière  Telkwa,  de  l'île  de  Vancouver  et  de  l'archipel 
de  la  Reine-Charlotte,,  .que  l'on  vient  d'entamer,  semblent 
couvrir  une  superficie  de  douze  cent  mille-.  Les  gisements 
minéralogiques  déjà  r  connus  sur  plusieurs  points  —  m-,  ar- 
gent, plomb,  cuivre  et  Eer  —  confirmtenl  cette  tbéorie  que  le 


142  TERRES    ET    PEUPLES    DU   CANADA 

~\  stènie  orogénique  de  L'ouest  américaiD  est  partout  riche- 
ment filonné.  Chacun  des  v  rsants  qui  regardent  le  Paci- 
fique est  revêtu  de  conifères  gigantesques,  quasi  incorrup- 
tibles. De  la  mer  monte  chaque  printemps  une  si  abondante 
masse  de  saumons  qu'ils  ralentissent  le  cours  des  11  <uves 
et  pénètrent  jusqu'aux  sources  élevées  des  plus  petits 
affluents.  Le  raste  plateau  qui  s'étend  au  sud  du  52°.  de- 
puis les  Selkirk  jusqu'à  la  chaîne  eôtière,  contient,  malgré 
son  grand  dénivelé,  des  pâturages  entre  les  altitudes  de  2,500 
et  3,500  pieds.  En  bas,  dans  les  plus  creuses  vallées,  notam- 
ment celle  du  Fraser,  les  fruits  cultivés  ont  une  couleur  et 
une  saveur  rappelant  les  végétations  tropicales.  Au  bassin 
de  la  Paix  supérieure  il  se  trouve  quelque  dix  millions  d'acres 
propices  à  la  culture  du  blé.  Enfin,  sur  le  versant  occidental 
des  trois  chaînes,  où  se  condensent  les  vapeurs  du  Pacifique, 
dévalent  des  flots  de  houille  blanche  capables  de  développer 
en  toute  saison,  aux  seuls  points  accessibles,  la  formidaible 
énergie  de  cinq  millions  de  chevaux-vapeur.  A  peine  manque- 
t-il  de  commod  s  champs  à  céréales  pour  nourrir,  sans  le 
secours  du  dehors,  la  multitude  des  ouvriers  qui  entreront 
demain  dans  une  si  attirante  usine. 

Tout  un  monde  à  elle  seule,  cette  province,  que  la  nature 
a  si  jalousement  isolée  de  ses  soeurs  canadiennes,  ne  regarde 
déjà  plus  au-delà  des  Rocheuses  que  pour  y  vendre  les  pro- 
ductions de  ses  pêcheries  et  de  ses  vergers.  Aussi  est-ce  plu- 
tôt avec  les  Etats  du  littoral,  où  les  conditions  climatériques 
sont  assez  sensiblem<  nt  les  mêmes  pour  consolider  de  sérieux 
intérêts  économiques,  qu'elle  noue  ses  plus  durables  amil 

San-Francisco  et  Vancouver  ont  le  même  âge;  une  même 
société  commerciale  (la  Eudson  Bay  Co.)  les  a  fondées;  une 


I.ks    i  \  PLUENCES   < ;  i:« >< 1 1 ;  \  PB  [QTJES  143 

même   population   cosmopolite   Les  ;i   envahies.      Filles  de  la 

ni'T,  chacune  d'elles  possède  cependant  son  pori  extérieur  et 

plus  sûr:  la  haie  de   Monterey  voisi le  San-Francisoo,  el 

Victoria,  de  L'autre  côté  du  Fuca.  Toutes  deux  son!  deve- 
nues métropoles,  mais  non  capitales;  el  voilà  que  de  sérieuses 
rivales  partagent  maintenant  leur  renommée:  à  L00  milles 
au  nord  de  la  grand  •  ville  californienne  s'esi  outillée  Seattle, 
tête  de  lignes  pour  tout  L'Alaska,  tandis  qu'au  canal  de 
Dixon,  Prince-Eupert,  terminus  d'un  second  transcana- 
dien,  bâtie  au  fond  d'un  fjord  abyssal,  gardera  demain  la 
route  la  plus  brève,  la  plus  rapide,  entre  L'Extrême-Occidenl 
et   L'Europe. 

En  face  d'une  destinée  si  étroitement  confondue  di-^  popu- 
lations d'une  même  zone  aaturelle,  la  nier  n'a  pas  suffi  à 
L'abondance  de  leurs  rapports,  et,  grâce  à  la  complicité  de- 
vallées  de  la  frontière,  deux  chemin-  de  fer  soudent  Les  plus 
voisins  transcontinentaux  du  Canada  et  des  Etats-Unis. 

Le  développemeni    matériel,   qui   .-'appuie   d'i rd   sur   la 

population,  fut  ici  plus  lenl  à  correspondre  à  celui  du  sud. 
Aussi  la  province  colombienne  s'est-elle  vue  subjuguée,  au 
cours  du  dernier  quart  de  siècle,  par  L'or  républicain  qui, 
désormais,  commande  impérieusement  à  l'exploitation  d  - 
forêts,  des  mine-  et  à  la  mise  à  profit  des  énergies  hydrau- 
liques. 

XXV 

De  toutes  le-  provinces  canadiennes,  c'esl  la  Colombie  qui 
.-'éloigne  le  plu-  dis  principe-;  de  décentralisation  gouverne- 
mentale. Certes,  le  régim  i  parlementaire  es\  britannique 
comme   aux   huit   autres    législatures    locales   du    Dominion: 


1JI  TERRES   ET   PEUPLES   DU  CANADA, 

mais  l'esprit  des  lois  l'est  beaucoup  moins  ici.  I  >e-  sombres 
puits  de  la  mine  aux  jardins  embaumés  de  Victoria  il  court 
un  espril  favorable  à  constituer  l'Etat  en  un  pouvoir  dispen- 
sateur de  la  fortune  et  gardien  des  individus.  Le  caractère 
nettement  socialiste  des  unions  ouvrières  a  influé  but  la 
législation  colombienne,  pour  que  l'autorité  provinciale  donne 
des  hôpitaux,  des  asiles.  dv>  bibliothèques  en  taxant  elle- 
même  les  terres  agricoles  et  les  salaires  annuels  excédant 
mille  piastres.  Ici  les  prérogatives  de  la  municipalité  s'ar- 
rêtent à  la  voirie,  à  la  police;  l'instituteur  est  fonctionnaire 
et  l'édifice  Bcolaire  un  bien  commun.  Cette  socialisation  des 
services  publics,  cette  ruine  des  droits  municipaux,  - 
du  travail  organisé,  recevant  sa  direction  des  Etats-Unis, 
paraissent  trouver  leurs  motifs  dans  l'âpreté  de  la  vie  prolé- 
taire, si  largement  repié-entée  par  de-  aventuriers  du  vieux- 
monde,  autant  que  dans  l'égoïsme  brutal  de  l'Anglais  qui, 
agriculteur  ou  capitaliste,  se  donne  plus  à  ses  propres  affaires 
qu'à  la  chose  publique. 

A  ce  déséquilibre  social,  dont  aucun  ne  s'émeut  à  oai  - 
semlde-t-il,  d'une  certaine  facilité  de  vie,  s'ajoute  un  pro- 
blème autrement  sérieux  pour  l'avenir  dé  pe  pays,  '"est  la 
menace  clairement  perçue  d'une  invasion  asiatique.  Obstinés, 
prêts  à  souffrir,  s'introduisant  à  pas  de  chat.  25,000  Chinoi- 
se sont  groupé-  dan-  les  villes.  Fiers,  combatifs  et.  ce  qui 
est  pire,  ne  craignant  pas  de  s'éparpiller,  8.000  Japonai-  - 
sont  faits  marchands,  mineurs,  pêcheurs.  Ce  problème  jaune, 
commun  aux  Etats  du  Pacifique  est,  ici  même,  anté- 
rieur à  la  colonisation  anglo-saxonne.  Il  date  de  la  fin  du 
18e  siècle,  alors  que  les  Russes  employèrent  des  Chinois  à 
leurs  chant  iers  navals  de  Sitka. 

En  1905  débarquait   à    Vancouver  un  premier  contingent 


LES    [NFLUENCES   GÉOGRAPHIQUES  145 

d'Hindous  en  quête  d'une  patrie  qui  leur  donnerail  plus 
libertés  que  les  Endes.  Il  s'en  trouve  maintenant  bix  cailles, 
qui  B'emploi  nt  surtout  à  l'exploitation  forestière  e1  à  la 
pêche  au  saumon,  possèdent  pour  cinq  millions  de  biens  fon- 
ciers et  s'efforc<  ut  adroitem  nt  de  gagner  La  confiance  des 
Colombiens  en  publiant  VAryan,  pevue  mensuelle  de  Langue 
aise.  La  pluparj  de  ces  immigrants,  hommes  d'une  im- 
posante stature  ont  servi  dans  Les  régiments  impériaux;  ils 
descendent  des  Sikh.es  qui  embrassèrent  d'eux-mêmes  la  cause 
anglaise,  lors  de  la  mémorable  révolte  des  Cipayes  (1S51  ).  In- 
voquant d'abord  leur  titre  de  citoyens  britanniques,  ils  pré? 
tendent  mériter  les  égards  des  autorités  canadiennes,  se 
trouve!'  pour  cela  tout  à  l'ait  chez  eux  et  jouir  du  droit  d'y 
amener  Leurs  femames  et  enfants.  Mai-  cet  élément  de  six 
mille  chefs  de  famille  aurait  tôt  fait  de  devenir  un  groupe 
trop  important  au  gré  de  ceux  qui  veulent  que  la  Colombie 
demeure  un  pays  de  blancs.  D'autre  part,  la  solution  de  ce 
problème  relève  de  La  métropole,  car  il  s'agit  d'abord  de 
définir  quels  sont  Les  droits  inhérents  au  citoyen  qui  migre 
d'une  possession  à  une  autre  de  L'Empire. 

Ces  Mongols,  ces  Hindous,  dont  L'activité,  l'adresse  et 
l'ambition  de  parvenir  peuvent  être  avantageusement  com- 
parées à  celles  de  l'Européen,  de  L'Européen  d'Amérique 
même,  comptent  aujourd'hui  pour  un  bon  cinquième  des  Co- 
lombiens. Et,  quoiqtie  ne  pouvant  encore  se  multiplier  — 
serait-ce  par  croisement  —  leur  présence  ue  constitue  pas 
moins  une  menace  dont  Les  Etats  du  littoral,  notamment  La 
Californie  , réalisent  déjà  toute  la  gravité.  Victoria,  Van- 
couver et  Prince-Ruperi  sont  t\r<  portail-  grands  ouverts  sur 
ce   mystérieux    inonde   oriental,   et    qui    oe    peuvent    plus   lui 


1  16  TJEF.EES    ET   PEUPLES   DU  OAN  \1> A 

être  fermés.  Est-ce  vraiment  l'avant-garde  d'une  A.sie  (,n 
mal  d'expansion,  rencontrant,  sur  ce  merveilleux  versant  paci- 
fique, une  autre  avant-garde,  celle  de  la  civilisation  euro- 
péenne en  train  de  doubler  la  Terre? 

La  fébrile  Colombie  se  tircra-t-elle  bientôt  de  son  en- 
grenage socialiste,  cette  organisation  la  plus  meurtrière  de 
l'activité  comme  de  la  dignité  individuelle  ?  ses  problèmes  de 
races  s,,  résoudront-ils  plutôt  dans  la  formation  d'un  nouveau 
type  ethnique  ?  Quoi  qu'il  arrive  sur  cette  portion  du  versant 
occidental  où  tout  incite  à  l'activité,  son  rôle  maritime  ne 
tardera  pas  de  répondre  à  l'industrie  des  vallées,  pour  que  là 
puissance  économique  fasse  équilibre  à  celle  qui  s'enfante  sur 
l'immense  plaine  tramontane  que  lui  oppose  la  pente  atlan- 
tique. Et  comme  du  nord  au  sud  les  conditions  d'existence 
sont  appréciées  plutôt  lentement,  grâce  à  la  mer,  et  comme  le 
-  m  de  la  Colombie  paraît  déjà  lié  à  celui  des  Etats  méridio- 
naux, il  est  possible  que.  dans  un  avenir  prochain,  une  nou- 
velle unité  politique  fasse  coïncider  ses  frontières  avec  celles 
que  la  nature  a  si  fortement,  si  nettement  dessinées  à  l'ouest 
des  Rocheuses,  de  la  Californie  à  l'Alaska. 


CHAPITRE   SIXIEME 


LES  PROBLEMES  NATIONAUX 


Désormais  étendu  sur  plus  de  trois  millions  et  demi  de 
milles,  le  Canada  touche  aux  grouillants  Etats-Unis  pour 
ne  finir  qu'au  pôle  inerte.  Sa  largeur  'le  3,500  milles  riva- 
lise avec  celle  du  Grand  Océan  qui  L'écarté  île  L'Asie;  elle 
Mii'[>a>-H>  même  celle  des  eaux  qui  l'éloignent  'le  L'Europe. 
Au  développement  île  ses  Littoraux  sur  12,780  milles  s'aOou- 
teiit  les  petites  méditerranées  gisant  à  sa  frontière  mé- 
ridionale et  Les  Lacs  qui  sont  légion  sur  tout  l'écu  granitique. 
Son  Saint-Laurent,  artère  capitale  de  pénétration  au  coeur 
menu  'lu  Nouveau-Monde,  est  le  roi  des  fleuves.  Aux  terres 
anorcelées  de  L'Atlantique,  aux  inégales  pentes  laurentiennes 
succède  uni'  steppe  aux  horizons  perdus,  s'identifiant  avec  le 
fuseau  continental  qui  va  du  golfe  mexicain  aux  canaux  de 
L'arctique  et  donne  naissance  a  quatre  grands  systèmes  flu- 
viaux qui  se  partagent  la  collection  des  ''aux,  sur  tout  l'im- 
mense versant  oriental  de  l'Amérique:  le  Mackenzie,  le  Sas- 


148  TERRES   ET   PEUPLES  DU  CANADA 

katchewan-'Nelson,  le  Saint-Laureni  el  le  Mississipi.  Par 
delà  l'arête  des  Rocheuses  gii  une  quatrième  unité  géogra- 
phique recueillant  jusqu'au  fond  de  ses  plus  étroites  vallées, 
la  caresse  des  tièdes  souffles  du  Pacifique,  tandis  qu'aux 
feux  du  jour  brille  la  glace  des  sommets  allier-. 

Terre  de  la  multitude  et  de  l'immense,  du  vétusté  et  du 
naissant,  ce  Canada  réunit  encore  la  grâce  de  l'opulence  à  la 
désolation  de  l'aridité,  car  le  développement  nord-sud  de  -  - 
zones  présente  soit  un  mélange,  comme  aux  deux  littoraux, 
soit  une  succession  méthodiqu  •.  comme  aux  régions  me- 
diaires,  de  champ-  fertiles  d'accès  commode,  de  domaines  foj 
restiers  pullulants  de  vie  animale  el  frémissants  de  la  course 
>\r<  eaux  sur  un  sol  dur.  mais  richem  snt  minéralisé,  puis  de 
mornes  espaces  qui  couronnent  l'Amérique. 

Sans  songer  à  ses  autochtone-,  races  dévoyées,  aujourd'hui 
mourantes,  nous  reportant  aux  âges  mystérieux  qui  n'ont  pas 
d'histoire,  le  Dominion  canadien  garde,  en  les  pétrissant  à 
nouveau,  les  rejetons  des  deux  plus  remarquables  nations 
l'Europe.  Trop  vivaces  pour  se  confondre,  Français  et  Anglo- 
Saxons  conservent  dans  leur  esprit  el  dans  leur  coeur  un  con- 
sidérable trésor  des  traditions.  —  avec  la  langue,  la  foi  et  le 
-t  n-  de  la  vie  respectifs  —  qui  continuent  de  fleurir  dan-  leur 
patrie  d'origine,  l'une  idéaliste,  l'autre  utilitaire.  Profilant 
des  dures  expériences  du  Vieux-Monde,  il-  -•  Boni  allégis 
de  maints  préjugés  sociaux  qui  entravent  la  libre  évolution 
de  leurs  sociétés  mères  et.  doués  à  un  haut  degré  de  la 
puissance  créatrice,  de  la  faculté  d'assimilation,  ils  son! 
persuadés,  devant  les  promesses  de  la  terre,  que  l'avenir  leur 
appartient;  aussi  marchent-ils  désormais  d'un  pas  ferme 
vers  leur  destinée.     Que  dis-je  ?  ce  théâtre  d'une  économique 


LES    PROBLÈM  ES    NATIONAUX  1  I!» 

émulation  qui  a  rendu  le  Canada  capable  de  se  suffire  à  lui- 
même  depuis  un  demi  siècle  ei  qui,  devenu  pour  tous  un 
coin  du  globe  à  retenir,  le  placera  demain  au  rang  des  plus 
grands  Ktats,  ne  s'est  réalisé  e1  ce  dure  que  grâce  à  La  coopé- 
ration des  deux  races  dans  un  régime  politique  dont  L'essence 
même  est  le  mutuel  respect  de  leur  individualité. 


II 


Mais,  toujours  et  partout,  il  faut  aux  collectivités  hu- 
maines surnageant  des  impérieux  soucis  matériels,  une  patrie 
avec  ses  frontières,  avec  son  verbe,  avec  ses  institutions,  avec 
son  âme  nationale  enfin,  pour  quelles  acquièrent  leur  par- 
faite originalité,  pour  qu'elles  remplissent  leur  rôle  de 
uation.  C'est  à  cel  âge  que  se  trouye  vraisemblablement  le 
Canada.  Quand  donc  ce  premier  des  O'verseas  Dominions 
de  la  Grande-Bretagne  s'en  détachera-t-il  comme  un  frurl 
mûr?  Pan-  quelles  douleurs,  dans  quels  spasmes  l'indivi- 
dualité de  ses  éléments  ethniques,  dont  le  cantonnement,  di- 
rigé par  une  intangible  puissance,  parait  déjà  destiné  à 
correspondre  avec  les  régions  naturelles  autonomes  du  con- 
tinent, va-t-elle  s'enfanter  elle-même  ? 

Certes,  la  science  humaine  est  aveugle,  incertaine,  rutile; 
toute  comparaison  entre  deux  nations,  t\r\w  pays  reste  malai- 
sée, naïve  que  l'esprit  des  races,  l'ambiance  du  milieu  phy- 
sique et  celle  des  époques  n'ont  entre  elles  que  de  lointain- 

ssemblanoes;  surtout  parce  que  l'âme  humaine,  malgré  son 
fonds  d'identité'  commune,  teste  perpétuellement  ebangeante 
m  que  c'esi  cette  seule  mobilité  extérieure  qui  jette  quelque 
ici  i"ii  ''m  1V  h  -  peuples  modernes, 


150  TERRES    ET    PEUPLES   DU   CANADA 

Appliquant   aux   collectivités   ce    principe   des   moralis 

que  les  individus  sont  les  fils  de-leurs  propres  actions,  il  est 
juste  d'affirmer  que  les  peuples  onl  aussi  le  aort  qu  ils  mé- 
ritent. Les  Canadiens  portent  donc  en  eux-anêmes  le  secret 
de  leur  avenir.  Et  cet  avenir  dépend  de  l'attitude  qu'ils 
prendront  en  face,  des  divers  problèmes  qui  s'opposent  à 
leur  quiète  évolution.  Ce  sont  d'abord  des  problèmes  in- 
ternes: les  deux  grandes  races  continueront-elles  de  vivr 
harmonie  sous  la  règle  politique  posée  en  1s,n.  ou  l'anglo- 
saxonne,  qui  s'appuie  sur  l'Amérique  entière,  finira-t-elle 
par  absorber  la  néo-française  ?  El  des  problèmes  externes; 
l'un  purement  géographique:  le  danger  du  continental isme 
rendu  imminent  par  la  concordance  les  zones  naturelles  sur  les 
deux  pays,  en  sorte  que  chacune  des  sections  du  Canada  s'ouvre 
sur  celles  des  Etats-Unis,  et  par  l'identité  de  langue  pour 
quatre-vingt-dix  millions  d'âmes.  Enfin  un  problème  poli- 
tique: la  menace  d'une  main-mise  par  la  métropole,  ce  qui 
modifierait  profondément  ses  rapports  avec  sa  colonie,  l'ou- 
vrirait forcément  aux  autres  races  et  au  commerce  des  autres 
possessions  britanniques,  en  la  faisant  participer,  contraire-1 
ment  à  ses  intérêts,  à  la  mondiale  vie  militaire  de  la  Grand  - 
Bretagne. 


111 


Les  quelque  sept  millions  et  demi  <1  ■  Canadiens  l  |  se  par- 
tagent, quant  à  la  langue  entre  un  tiers  de  francophones, 
quatre  million-  et  demi  d'anglophones  el  quelque  trois  cent 
mille  étrangers  en  voie  d'assimilation,  et  dont  la  majorité  gros- 

1.     J.e   recensenienl    de    1911    fixe  à    7  204.527  finies   la    popu- 
lation iln  Canada. 


LES    PROBLÈM  ES    N  \TlOXAIX  tô| 

sira  bientôi  la  masse  des  Anglo-Saxons.  Ici.  le  nombre  des  en- 
fants de  la  France  représente  bonjours  adéquatement  celui 
des  fidèles  de  L'Eglise  catholique  romaine;  mais  tout  anglo- 
phone nVst  pas  protestant,  puisque,  sans  tenir  compte  du 
fie  d'indifférence  qui  ravage  en  Amérique  la  religion  ré- 
formée, il  se  trouve  nu  bon  demi  million  de  catholiques  re- 
crutés parmi  les  Allemande,  les  Uuthènes  (Galiciens)  des 
provinces  médiales,  les  Sauvages  des  réserves  ei  du  grand 
nord,  enfin  et  surtout  les  Irlandais  qui  n'ont  cessé,  depuis 
t  i-ois  quarts  de  siècle,  de  se  mouvoir  parmi  tout' s  les  autres 
(  atégories  de  Canadiens. 

Dans  ce  pays  vivent  donc  2,500,000  Xéo-Français  catho- 
lique-, d'autant  mieux  -acclimatés,  d  autant  plus  fortemenl 
rivés  au  sol  national  que  sa  conquête  et  sa  conversation  se 
poursuivent  depuis  trois  siècles. 

Hors  quelques  légères  variantes  résultant,  de  l'action  immé- 
diate du  milieu  naturel  et  déjà  signalées,  ce  type  a  le  fron-1 
plus  élevé,  mais  non  plus  large,  le  nez.  légèrement  aquilin  est 
plus  mince  et  la  mâchoire  inférieure  pins  étroite  que  chez  le 
Français  d'Europe;  ses  épaules  sont  amples  et  carrée-;  mais 
sa  stature  moyenne,  aux  lignes  as-ez  régulières,  n'excède  pas 
cep  aidant  5.6  pied-.  Tomme  il  a  le  sang  plutôt  chyleux. 
-on  teint  —  si  les  Intempéries  ne  l'ont  pas  -basané  —  reste 
plus  blême  que  celui  de  ses  voisins.  Structure  et  muscula- 
ture donnent  à  ces  nationaux  une  étonnante  supériorité  sur 
leurs  frères  d'outre-atlantique,  et.  même  à  prendre  pour  esti- 
mation de  leur  vigueur  celle  des  reins.  1  ■  s  pionniers  du  Ca- 
nada surpassenl   l'Anglo-Saxon '(1).     Extrême  est  son  endy- 

t.    Wm.  Hingston,  Tin   Climate  of  Canada  '/»</  its  relations 
in  health,  p.  233,  Montréal,  1890. 


L52  TERRES    ET    PEUPLES    DU   CANADA 

rance  et,  s'il  n'est  pas.  comme  tant  d'autres  types  septen- 
trionaux et  aquatiqu  s,  plantureux,  dé  formes  débordantes,  il 
ne  rougit  pas  moins,  comime  eux,  sous  L'afflux  'les  émotions. 

Ce  rameau,  héritier  direct  de  la  race  normande  qui  se 
fondit  au  cinquième  siècle  avec  des  éléments  gallo-romains 
pour  leur  imposer  son  régime  social  caractérisé  par  l'insti- 
tution féodale,  s'est  développé  dans  le  sens  de  ses  traditions, 
savons-nous,  parce  que  la  vie  agricole  et  les  voyages  favo- 
risent l'amour  de  la  liberté  avec  la  vertu  d'endurance.  Si. 
âpres  au  gain  —  c'est-à-dire  normands  —  les  Franco-Cana- 
diens ne  possèdent  pas  encore  de  grandes  richesse,  c'est  beau- 
coup parce  que  les  événements  historiques  n'ont  cessé  d'être 
défavorables  à  leur  avancement  matériel.  Toutefois  leur  apti- 
tude à  la  moderne  vie  américaine  s'est  manifestée  dans  la  créa- 
tion hâtive  d'*une  industrie  domestiaue,  et  maintenant  par  leur 
présence  dans  tous  les  champs  d'activité  anglo-saxonne.  D'un 
constant  besoin  d'appui  sur  la  communauté  —  représentant 
l'apport  de  l'âme  latine  dans  leur  double  origine  sociale  — 
ces  KTéo-Français  ont  imaginé  la  paroisse,  petit  monde  clos, 
mais  toujours  prêt  à  profiter  des  évolutions  progressives,  et 
qui  esi  deventrsous  le  régime  britannique  une  véritable  école 
d'apprentissage  au  gouvernement  populaire.  Cest  leur  apti- 
tude à  bénéficier  des  avantages  du  parlementarisme  qui  leur 
a  valu  d'être  appelés  des  Anglais  parlant  le  français.  Telle 
n'est  pas  toute  la  vérité,  car.  s'ils  se  sont  heureusement  divisés 
dans  les  luttes  politiques  pour  ne  pas  constituer  une  mino- 
rité national",  le  culte  qu'ils  entretiennent  pour  le  beau,  leur 
passion  des  théories  —  de  lignée  bii  n  française  —  leur  as- 
slirent  désormais  une  individuelle  mentalité. 

Une  alliance  du  sens  utilitaire  des  Anglo-Saxon^  aux  qua- 
lités   Françaises:   esprit    processif  et   cupidité  normande,  or- 


LES    PHOBLÈMES    V  \TM\.\  IV  153 

gueui]  jamais  terrassé;  bienveillance  inlassable  el  gaieté  de 
coeur  définiraieni  cette  âme  canadienne,  si  elle  ne  souffrail 
d'nne  résignation  souvenl  trop  prompte,  qui  La  couiibe  de- 
vant  1rs  injonctions  étrangères.   (1) 


IV 


Anglo-Saxos  es!  le  tenue  générique  de  tous  ceux  qui, 
venus  de  la  Grande-Bretagne,  parlent  l'anglais,  quels  que 
soient  leur  langue  et  leur  lieu  d'origine.  Le  seul  type  an. 
compte  1,500,000  individus  reconnaissables  à  l'oval  régulier 
de  leur  visage,  à  leur  stature  sensiblement  supérieure  à  celle 
du  Franco-Canadien.  Les  mieux  acclimatés  se  distinguenl 
de  leurs  frères  d'Europe  eu  ce  que  le  bleu  de  leurs  veux  B'esl 
affadi  et  que  leur  blond  système  pilaire  tourne  au  châtain. 

Lee  Ecossais,  au  nombre  de  900,000,  sont  robustement 
taillés  et  d'un  teint  clair  que  colore  une  généreuse  circulation 
sanguine.  Ce  sont  eux  qui  se  rapprochent  le  plue  par  l'en- 
durance du  pionnier  canadien. 

Il  se  trouve  aussi  près  fun  million  d'Irlandais,  de  char- 
pente osseuse,  aux  formes  très  irréguliè]  s  d'individu  à  in- 
dividu,  —   malingres    chez    I  ■    prolétaire,    débordantes   chez 


1.  "Tenus  à  l'écart  des  affaires  publiques,  et  malgré  nos 
preuves  de  loyauté,  regardés  avec  méfiance,  nous  axons  <lû  con- 
quérir à  la  pointe  de  l'épée  nos  plus  chères  libertés.  Notre  libé- 
ration ne  date  que  d'hier  et  il  est  facile  à  un  esprit  observateur 
de  discerner  chez  nous  une  résignation  qui  nous  courbe  trop  aisé- 
ment devant  les  injonctions  étrangères.  C'est  un  vestige  de  la 
contrainte  imposée  à  nos  pères,  dans  cette  vallée  du  Saint-Lau- 
rent, où  l'on  se  flattait  de  les  étouffer  et  de  les  ensevelir  à  ja- 
mais.-' MM.  Desrosiers  et  Fpurnet,  /.</  Race  française  en  Amé- 
rique, p.   284,  Montréal.   1911. 


15  I  ,  ERRES    ET    PEUPLES   DÎT   CANADA 

^aristocrate.  Une  vie  plutôt  facile  el   de  oomlbreus  mai 
avec  les  vrais  Ànglo-Saxons  tendent  à  oblitérer  chez  eux  les 
signes  caractéristiques  du  Celte:  rondeur  de  la  tête,  proémi- 
nence des  mâchoires  et  des  arca  les  sourcilières. 

f'C'est  «par  leur  self  confidence  et  leur-  instincts  débridés 
que  ces  types  accomplis  des  racés  brutales  du  nord  con- 
traste^ le  plus  vivement  avec  le  patient  et  joyeux  Canadien- 
Français.  Cette  masse  britannique  accentu  •  encore  son  in- 
fluence par  les  appuis  moraux  de  se  savoir  l'énorme  majorité 
en  terre  conquise,  lieu  d'affluence  des  capitaux  de  la  mère- 
patrie,  et  surtout  de  compter  que  sa  civilisation  est  commune 
à  tout  ce  continent.  Mais  en  revanche,  et  c'est  un  bonht  ur 
pour  le  Canada  français,  il  faut  reconnaître  qu'en  dépit  de 
ces  écrasants  avantages,  l'Anglo-Saxon  est,  entre  les  peuples 
européens,  le  moins  doué  pour  -'assimiler  les  autres  races. 
l(i  comme  en  Irlande  gaélique,  en  Afrique-Sud  et  aux  [ndes, 
si  son  or  lui  assure  la  domination,  elle  reste  manifestement 
impuissante  à  se  fusionner  à  d'autres  éléments  nationaux. 

La  race  anglo-saxonne  —  abstraction  faite  de  ses  varianl  ie 
les  Highlanders  d'Ecosse  et  les  Irlandais,  qui  paraissent  ici 
destinés  à  s'identifier  pour  la  grossir  —  en  est  une  énergique, 
obstinée  jusqu'à  la  violence,  roide  dan-  se*s  résolutions  et  in- 
fatigable dans  l'effort  solitaire.  De  desseins  égoïstes, 
ambitionne  une  vie  aisée;  il  lui  faut  un  profit  immédiat. 
.Mais  ce  produit  achevé  de  la  formation  particulariste, 
boinines  nés  pour  le  travail,  capables  de  coloniser  des  conti- 
nent-, restent  impuissants,  savons-nous,  à  les  façonner,  parce 
que  la  générosité  est  leur  moindre  vertu.  (1) 

1.  ".Elle  (la  race  anglo-saxonne)  est  pénétrée  de  su  supré- 
matie, elle  a'a  point  l'humeur  aimable,  elle  n'a  que  If  souci  cons- 
tant de  son  intérêt,  même  ;ui\  dépens  de  ce  que  les  autres  ont  de 
pins  cher  et  de  plus  sacré."  !..  Nemours-Godré,  Les  Inconsé- 
quences de  John   Bull,  p.  r>.">.   Paris,   t8S6. 


PROBLÈM  ES    \  \  L'ION  \  UX  155 


Si  plusieurs  des  qualités  morales  'I  i  L'Anglo-Saxon  con- 
viennent  également  à  son  prototype,  L'Anglais,  comme  aux 
Ecossais  et  aux  Irlandais,  il  se  trouve  chez  ces  derniers,  d  - 
différences  qu'on  ne  saurait  négliger  de  décrire,  parce  qu'elles 
se  sont  amplement  illustrées  dans  ee  pays  de  deux 
races.  L'Ecossais  n*a  ni  la  rogue  anglaise  ni  l'astuce  irlan- 
daise. C'esd  à  sa  profonde  sociabilité  à  jamais  écrite  dans 
L'histoire]  qu'il  faut  attribuer  l'absorption  relativement 
prompte  de  ses  petits  essaims  par  les  Québécois,  au  cours  du 
siècle  dernier,  et  le  profit  que  tous  les  Canadiens  ont  tiré  de 
son  avancement  dans  l'industrie,  l'agriculture  et  la  finance. 

Les  Irlandais  jettent  la  plus  grande  distraction  dans  ee, 
monde  d'Amérique.  Issus  de  pasteurs  et  non  d'agriculteurs, 
ils  dédaignent  d'instinct  le  labeur  manuel.  Fiers  de  leur 
souplesse  d'esprit  ils  sont  follement  ambitieux  et  d'autanl 
plus  friands  d'autorité  que  leur  originelle  formation  Les  dis- 
pose à  la  spéculation.  Aussi  encombrent-ils  Les  deux  extré- 
mités de  Tordre  social,  le  prolétariat  et  les  carrières  libé 
raies.  Suprêmement  dédaigneux  de  la  glèbe,  plutôt  inaptes 
au  commerce,  ne  faisant  qiv.'  passer  à  l'atelier,  ils  se  groupent 
dans  les  villes  pour  s'y  partager  la  misère  du  pic,  la  sécurité 
du  rond-de-euir  et  la  gloire  des  postes  de  commandement. 
Si  encore  cet  élément  c  Lte  assiste  de  nos  jours  à  L'ouverture 
des  régions  agricoles  et  surtout  à  la  création  des  centres  mi- 
niers, c'est  l'indice  qu'il  tente  résolument  de  créer  vite  une 
aristocratie  de  la  richesse  appuyée  par  L'autorité.  Son  admi- 
rable esprit  de  corps  se  manifeste  dans  L'organisation  des 
unions  ouvrières  et  des  associations  mutuellistes.    (1) 

1.     !)••<   événements    récents   on1    montré    le  caractère   socia- 
liste <lcs  unions  du  1  ravail. 


156  TBRRES   ET   PEUPLES  DTJ  CANAD  \ 

Presque  tous  catholiques  à  leur  débarquement  —  aux 
Etats-Unis  comme  en  Canada  ■ — ■  les  Irlandais  -  •  soni  d'abord 
défendus  avec  obstination  pour  conserver  leur  Eoi  dans  l'am- 
biance protestante;  mais  disséminés  à  L'excès,  privés  de  la 
sédentaire  vie  agricole  et  île  pretr  -  de  Leur  race,  ils  n'ont  pu 
donner  une  éducation  chrétienne  à  leurs  enfants  ni  alimenter 
une  presse  nationale,  ils  ont  fait  des  mariages  mixtes,  accepté 
la  langue  anglaise,  et  subi  pour  tout  cela  l'influence  du  natu- 
ralisme américain.  (1)  C'est  dans  Le  Québec  et  aux  lieux 
voisins  où  l'Eglise  franco-canadienne  a  volé  à  leur  secours, 
que  ces  nouveaux  venus  sont  restés  le  plus  catholiques. 

L'âme  celte,  rêveuse  et  douce  de  sa  nature,  paraît  sôtre 
faussée  au  cours  des  siècles  du  despotisme  anglais.  Quoi 
qu'il  en  soit,  ces  enfants  de  l'Erin,  transportés  en  Amérique, 
ont  introduit  dans  le  catholicisme,  un  instinct  qu'il  réprouve 
par  son  essence  môme  —  L'instinct  de  la  persécution. 

1.  "...L'on  ne  compte  plus  aujourd'hui  aux  Etats-Unis  les 
rejetons  de  souche  irlandaise  qui  ont  abjuré  leur  foi.  Quinze  ou 
vingt  millions  suivant  les  calculs  les  plus  optimiste-.  C'est  un 
Eai1  connu.  Mais  on  oublie  trop  que,  dans  notre  pays  même, 
l'écart  entre  le  nombre  des  Irlandais  d'origine  et  celui  des  Ir- 
landais catholiques  est  aussi  très  grand-  au  moins  cinquante 
pour  cent.  En  1901  il  y  avait  an  Canada  988  721  Canadiens  d'ori- 
gine irlandaise  et  seulement  562,862  catholiques  de  langue  an- 
glaise ou  autres  que  le  farnçais.  Plus  de  50,000,  en  effet,  étaient 
anglais,  écossais,  polonais,  allemands,  etc.  A  quelles  causes  les 
Irlandais  peuvent-ils  attribuer  des  pertes  si  douloureuses  au 
point  de  vue  catholique?  Est-ce  à  la  communauté  de  langue  e1 
de  littérature  avec  les  protestants  à  la  négligence  de  l'enseigne- 
inent  chrétien,  à  la  privation  d'une  presse  religieuse,  aux  ma- 
riages mixtes,  à  l'insuffisance  du  clergé,  au  petit  nombre  de 
congrégations  religieuses  de  langue  anglaise  ou  à  toutes  ces 
causes  réunies?  Vous  ne  saurions  le  dire..."  MM.  Desrosiers 
et  Fournet,  La  Ra0c  Française  en  Amérique,  pp.  287-8,  Montréal, 
19]  I. 


LES    PROBLÈMES   NATIONAUX  1  5  '< 

Vespérant  plus  dans  la  survivance  de  leur  vénérable 
idiome,  le  gaélique,  dont  ils  rougissenl  même,  ees  Mandais, 
pour  imposer  à  la  race  pionnière  L'idiome  de  leur  vainqueur, 
luttent  plus  opiniâtremeni  qu'ils  ne  le  font  pour  gagner  des 
protestants  à  la  religion  catholique,  il)  Cette  étrange  atti- 
tude à  l'égard  de  ceux  qui  sauvèrent  les  émigrants  de  1846 
d'une  umri  pestilentielle,  témoigne  d'une  éclatante  façon  que 
la  communauté  de  langue  unit  des  peuples  plus  efficacement 
que  ne  peut  le  faire  la  communauté  de  foi  même. 


VI 


I.fs  religions  sonl  des  forces  morales  dont  il  faut  tenir 
compte  eu  appréciant  des  âmes  nationales.  Et,  si  parfaite 
est  la  convenance  qui  existe  à  cette  heure  entre  la  formation 
sociale  et  la  foi  respectives  (h-^  deux  grands  éléments  cana- 
dien-;, qu'elle  achève  de  les  illustrer,  en  élargissant  encore  la 
qui   les  sépare. 

L'Anglo-Saxon,  protestant  ei  biblique  de  coeur,  (2)  s'at- 
tache à  une  religion  "don!  l'essence  es!  le  salut  individuel... 
où  les  moindres  manquements  sembl  'ni  des  crimes,  n'y  ayant 
ni  indulgences  ni  oeuvres  qui  puissent  les  réparer.  Seul  à 
porter  le  poids  de  ses  fautes  il  en  résulte  une  grande  faiblesse 
ou  une  puissance  de  tenue  morale,"  (3)  manifestées  soil  par 
Findifférence  ou  l'agnosticisme,  soii  par  les  scrupuleuses  pra- 

1.  Dans  tous  les  diocèses  où  les  Franco-Canadiens  e1  les 
Franco-Américains  se  trourenl  en  minorité,  ils  sont  <mi  butte 
aux  plus  odieuses  tentatives  d'anglicisation  <U'  la  part  du  clergé 
irlandais. 

2.  II.  Taine    Philososfi.it    tf<    l'Art. 

3.  F.  Brunetière,  Science  et  Religion,  note,  p.  7'8. 


158  TERRES    ET    PEUPLES    DTJ   CANADA 

tiques  puritaines  ou  le  farouche  méthodisme.  Notons  encore 
que  ce  «protestantisme  commande  par  sa  base  une  int  nse  pré- 
occupation de  soi-même,  ce  qui  ês1  La  définition  de  l'âme 
anglo-saxonne,  et  nous  saurons  pourquoi,  dans  cette  libre- 
penseuse  et  matérialiste  Amérique  du  Nord,  malgré  notre 
atmosphère  chargée  de  naturalisme,  la  Réforme  vit  au  Ca- 
nada d'une  vie  si  universelle. 

Reposant  sur  l'amour  du  prochain,  le  principe  catholique 
es!  une  plus  abondante  source  de  vertus  sociales  que  celui  du 
protestantisme.  Ses  dogmes,  ses  règles  de  morale  inflexibles 
conviennent  à  des  âmes  que  l'idéalisme  n  i  lai -se  jamais 
froides;  quand  une  puissance  fractionnée  sur  plusieurs  têtes 
s'allie  harmonieusement  à  l'esprit  latin  qui  aime  à  compter 
de  nombreux  appuis  extérieurs,  et  chez  Lequel  toute  autorité 
constituée  revêt  un  caractère  divin.  Cette  fécondité  sociale 
du  catholicisme,  c'est  essentiellement  la  trame  de  l'histoire 
du  Franco-Canadien.  Idéalisme  des  fondations  colonial  s, 
civilisation  des  Sauvages  par  les  missionnaires,  survivance,  à 
la  conquête,  du  peuple  bas-canadien  avec  ses  plus  personnels 
caractères  nationaux,  et  sa  participation  au  gouvernement 
du  pays.  C'esl  l'évêque  qui  a  dessiné  les  limites  de  la  pa- 
roisse et  favorisé  l'accession  à  la  personnalité  civile  d< 
petit  monde  fermé  contre  lequel  le  conquérant  a  vu  échouer 
toute-  ses  tentatives  d'anglicisation.  C'est  en  voulanl  rester 
catholiques  qu'aux  sombres  jours  de  i;;i  n  de  1812  le-  Bas- 
Canadiens  ont  gardé  cette  colonie  à  la  Grande-Bretagne.  El 
c'est  l'alliance  des  croyances  catholiques  aux  tradition-  na- 
tionales du  francophone  qui  demeure  le  plus  ferme  soutien 
de  l'état  présent. 

Tels  sont  les  caractères  nationaux  et  religieux  propres  à 


I.i:s    PROBLÈMES    \  ATKiNAI'X  L59 

chacun  des  éléments  ethniques  du  Canada.  Leur  contraste 
esl  ,si  sensible  que,  mémo  en  sa  représentant  tout  Le  pays 
comme  destiné  à  évoluer  sans  aucune  intervention  'lu  dehors, 
ces  races  paraissent  manifestement  vouées  à  ne  jamais  se 
confondre.  Après  un  siècle  et  demi  de  ruse  autour  de  l'école 
et  de  violences  politiques  l'âme  franco-canadienne  n'appa- 
raît-élle  pas  plus  individuelle  ci  plus  assurée  de  son  avenir  ? 
et  l'anglicisation  une  utopie  ?  Cette  récente  agression  irlan- 
dais- qui  vient  raviver  l'ambition  du  maître,  on  transportant 
la  lutte  sur  le  double  berrain  scolaire  et  religieux,  ne  sert 
qu'à  réveiller  pour  de  bon  les  francophones  portés  par  ata- 
visme à  ne  se  roidir  que  devant  l'imminence  du  danger.  Quoi- 
qu'il arrive,  la  meilleure  garantie  qu'une  attaque  ne  saurait 
partir  du  Franco-Canadien  c'est,  qu'aujourd'hui  comme  hier, 
en  •présence  des  injustic  s  commises  à  son  égard,  partout  "ù 
il  est  la  minorité,  son  cri  n'est  pas  "Yengeons-nous  sur  l'An- 
glais du  Québec",  mais  plutôt:  f<Ma  langue  n'est  nulle  pari 
une  intruse  ni  une  étrangère." 

C'est  précisément  à  cause  de  cette  lutte  Pur  le  terrain 
constitutionnel  que  le  Canada  promet  de  demeurer  la  terre 
classique  du  dualisme  national. 


VII 


Nous  savons  que  le  Canada  n'est  que  le  prolongement  Ar< 
Etats-Unis.  Ces  deux  .outrées  ne  sont  donc  pas  dos  à  dos 
pour  se  faire  la  guerre  ou  si  nlement  se  reluquer,  mais  bieu 
côte  à  cota  pour  s'unir.  A  cette  puissante  imite  de  la  nature 
se  joint,  pour  la  masse  des  habitants,  l'identité  d'origine  et, 
conséquence  de  la  plu-  grande  jeunesse  de  ces  pays,  une  seule 


L60  TERRES    ET    PEUPLES   DU   <  A  X  A  l  >  \ 

et  même  civilisation,  l'anglo-saxonne.  Elle  est  formidable, 
car  le  ternie  générique  d' Anglo-Saxon  s'applique  à  tons  ceux 
qui  parlent  anglais,  sans  distinction  du  lieu  d'origine.  I  ■ 
cet  élément  sorti  de  la  Grande-Bretagne  qui  impose  sa  langue, 
ses  institutions  politiqu  -.  sou  sens  'de  la  vie  profondément 
utilitaire  aux  recrues  cosmopolites,  en  reléguant  ainsi  à  l'ar- 
rière plan,  pour  relie  heure  du  moins,  tout  autre  sentiment 
populaire  que  le  sien. 

Aux  Etats-Unis  l'idée  nationale  vit  surtout  d'un  besoin  de 
cohésion  entre  des  races  contrastantes.  L'amour  de  la  patrie 
semble  là  plus  nerveux  que  fort,  plutôt  fictif  que  durable. 
Le  succès  de  cette  même  civilisation  u'est  pas  moins  écla- 
tant au  Canada,  car  ell  i  a  cet  avantage  de  se  touver  politique- 
ment chez  elle  et  de  command  r  à  une  population  quelque  peu 
moins  cosmopolite. 

Ce  qui  tend  davantage  à  rapprocher  le-  deux  pays  nord- 
américains,  c'est  la  grande  activité  industrielle  des  Etats- 
Unis,  en  quête  de  clients;  c'est  encore  l'abondance  aux  régions 
boréales  des  ressources  naturelles  d  un  commencent  à  man- 
quer celles  du  midi.  Il  résulte  de  cet  état  de  choses  une  vive 
attraction  des  Canadiens  de  l'Est  vers  les"  centres  de-  Etats- 
I  o  3,  et  une  migration  de  plus  en  plus  considérable  d' 
hommes  et  de  ses  capitaux  aux  pays  canadiens.   (1) 

1.     Classification    des    capitaux    des     Etats-Unis    placés    au 
(  anada. 

Domaines  forestiers  e1  scieries  en  Colombie  B.   .    .    .      $65,000,000 

Mines  en   Colombie    li &0.OO0, 

Terres  en  i  olombie  P. s.:,oo,ooo 

Domaines    forestiers    et    gisements    miniers   dans    les 

provinces  médiales 10.000.000 

Centres   de  distribution    d'instruments    aratoires.     .  -  500,000 

Divers  placements  dan.-  les  provinces  atlantiques.  .  t3. 000. 000 
Valeurs-obligations    municipales    détenues    par    des 

particuliers 27.000,000 


I.KS    PROBLÈMES   NATIONAUX  H'>1 

Cette  menace  latente  <Tnni  l'ieai  ion  des  intérêts  écono- 
miques s'esl  déjà  traduite  par  Le  mouvement  annexionniste 
de  L849  ej  celui  plus  dissimulé  de  L88'î  â  L892;  ell  •  s'affirme 
par  L'entrée  Libre  des  cheminB  de  6er  de  La  république  en  ter- 
ritoires canadiens,  et  surtoul  par  des,  capitaux  qui  lui  assurent 
une  sorte  de  'mainmise  sur  des  richesses  naturelles  de  pri- 
mordiale valeur,  comme  le  bois  à  pulpe,  au  Canada  oriental 
el   les  énergies  hydrauliques  eu  Colombie. 

Malgré  le  libre  échange  entre  la  &rande  Bretagne  et  sa 
colonie,  en  dépii  de  l'hostilité  des  tarifs  douaniers  du  Ga* 
nala  avec  ses  puissants  voisins,  Lis  continuent  âe  s-'affdrmer 
comme  ses  meilleurs  clients.  Or  les  sympathies  suivent  les 
intérêts. 


VIII 


Les  intérêts  économiques  sont  Le  motif  on  le  prétexte  des 
conquêtes  modernes.  Et  la  soif  d'expansion  coloniale,  ce 
trait  marquant  des  Etats  surpeuplés,  est  précisément  le  ca- 
ractère politique  dv<  Etats-Unis.     Eu  violation  d'un  principe 

Placements  des  sociétés  d'assurance 4'5,O00,O00 

Placements  sur  propriétés  urbaines 16,000000 

Teires  dans  diverses  provinces :25. 000,000 

Diverses  industries  dan-  diverses  province.- 10.000,000 

Industrie  des  conserves  des  viandes 6  000.000 

Capital  investi  dans  plus  de  2m  firmes i:'.0.000,00() 

$424,000,000 
Général    Bradley,    consul    des    Etats-Unis    à    Montréal;    The 
Shareholder,  Montréal,  23  juin   1911. 


L62  TERRES   ET    PEUPLES   DTJ   CANADA 

générales   du   continent,   les   chauvins   de   la   république  ont 
s  ilièrement  dénaturé  cette  règle  de  conduite,  en  la  faisant 
servir  aux  intérêts   particuliers  de   leur  pays.     Api  -   - 

9   -  copions  de  la  lib  rté  dès  républiques  américaines, 

les  Etats-Unis  ambitionnent  d'identifier  leurs  fron- 
tières avec  celles  de  l'Amérique  même.  Ce  rêve  d'un  empire 
colonial  s'est  affirmé  d'une  façon  non  équivoque,  au  cours 
soixante  dernières  années.  Le  Texas  esi  annexé  en  1846; 
les  Etats-Unis  et  les  colonies  canadiennes  signenl  en  1854,  un 
traité  de  réciprocité  commerciale  qui  durera  jusqu'en  1866, 
soit  à  la  veille  du  pacte  fédéral.  L'Amérique  Eusse  est 
achetée  en  1867,  au  prix  de  sept  millions;  elle  devient  l'Alaska. 
Trois  -ans  plus  tard,  le  Congrès  vote  que  le  gouvernement 
prenne  à  sa  charge  les  frais  d'une  i  -    ieuse  des    - 

S  icaragua  et  de  Panama,  en  vue  du  percement  d'un  canal. 
epuis  lors,  les  Etats-1  monopole  se  du 

Panama  qu'ils  fortifient  afin  d'en  rester  les  maîtres,  dès  qu'il 
s'ouvrira  —  ce  qui  ne  saurait  beaucoup  tarder  maintenant. 
En  1898  ils  achèvent  de  rainer  la  domination  de  l'Espa* 
en  s'annexanj  toutes  ses  possessions  dans  les  deux  [ndes:  les 
affirmé  au  Congrès,  en  1823,  par  le  présidenl  M-onroë  (1) 
et  qui  repousse  toute  intervention  européenne  d-ans  les  affaires 

1.  Doctrint  de  XLonroë.  .hune-  Mxmroe  étail  le  président 
•  Us  Etats-Unis  en  1820,  lorsque  se  manifesta  dan-  le-  conseils 
monarchiques  de  l'Europe  une  recrudescence  des  idées  féodales 
l  tats-1  ni-  s'émurenl  du  danger  que  couraienl  les  anciennes 
colonies  espagnoles  devenues  indépendantes  e1  rirent  cause  com- 
mune avec  ces  jeunes  républiques  du  Nouveau-Monde.  Dans  un 
message  an  Congrès,  en  décembre  L823,  Mouroë  se  fit  l'interprète 

:ette  détermination  devenue  fameuse;,  sous  le  nom  de  Doctrin 
Monroë  el   qui  peul   se  résumer  dans  cette  foi-mule:   FAmérique 
aux  américains.     Voici   les  passages  essentiels  de  cette  déolara- 
politique:      "C'esl    toujours   avec   anxiété   el    sympathie   que 


LES    PEOBLÈMES  NATIONAUX  L63 

Philippines  et  Porto-Bico.,  puis  ils  séquestrent  Cuba.  Enfin, 
ils  s'emparent  du  groupe  insulaire  d'Hawaï,  au  milieu  du 
Pacifique. 

Il  ne  se  passe  pas  une  session  du  Congrès  sans  qu'un  séna- 
teur enthousiaste  exprime  le  désir  n'annexer  le  Canada  sans 
retard.  Cette  convoitise  latente  qui  s'affirmera  au  moment 
que  les  Etats-Unis  trouveront  propice,  — soit  au  cours  d'une 
guerre  européenne  on  l'Angleterre  pourrait  avoir  le  désavan- 
tage —  trouvera  beaucoup  de  Canadiens  déjà  moralement 
assujettis  par  les  capitaux  du  sud. 

En  somme  il  y  a  donc  menace  d'un  panaméricanisme  qui 
s'élabore  par  l'infiltration  îles  idées  et  de  l'or  des  Etats-Unis 
sur  ce  fertile  champ  de  propagande  qu'est  l'Anglochtone.  Il 
esi  plus  sage  pour  le  Canada  de  combattre  ce  danger  que  d'en 
oublier  l'existence  ou  mêrnie  d'en  nier  la  gravité. 


IX 


Le  danger  le  plus  imminent  au  progrès  de  la  richesse  et  du 
sentiment  nation-al  des  Canadiens  n'est  peut-être  pas  dans 
l'emprise  pourtant  formidable  des  Etats-Unis,  mais  plutôt 
dans  la  menace  d'une  intervention  de  la  Métropole  dans  les 
affaires  de  sa  colonie. 

"nous  avons  assisté  au  spectacle  des  événements  qui  s'accom- 
"plissaient  dans  cette  partie  dû  monde  d'où  nous  avons  tiré  notre 
"origine.  Les  citoyens  <\f±  Etats-Unis  nourrissent  les  sentiments 
"les  meilleurs  pour  la  liberté  et  le  bonheur  de  leurs  semblables 
"de  l'autre  côté  de  l'Atlantique.  Tant  que  la  guerre  a  duré  entre 
"les  puissances  européennes,  nous  nous  sommes  abstenus  d'y 
"prendre  part,  de  même  qu'à  toutes  Les  affaires  qui  ne  regar- 
"daienl  qu'elles:  notre  poîitiqtie  nous  le  commandait.  C'est 
"seulement    lorsque   nos   droit-   sont    attaqués   ou   sérieusement 


H>  I  TKKHKS    ET   PEUPLES  DU   CANADA 

Au  cours  'du  dix-neuvième  siècle  les  hommes  d'Etat  an- 
glais ont  adopté  comme  base  de -leur  politique  nationale  le 
développement  de  l'Empire  en  octroyant,  dans  de  généreuses 
mesures,  l'autonomie  interne.  Cette  confiance,  bien  qu^ 
commandée  par  l'intérêt,  détermina  chez  elles  un  accroisse- 
ment de  leur  amitié  pour  la  mère-patrie,  en  même  temps 
qu'un  vigoureux  essor  matériel  et  une  assurance  de  plu-  en 
plus  robuste  dans  leur  propre  valeur.  L'Empire  britannique 
allait  ainsi  enfanter  toute  une  théorie  de  puissantes  nations, 
régies  par  des  institutions  soeurs  (1)  et  qui  graviteraient 
calmement  vers  une  franche  personnalité  —  les  innovation- 
devant  se  produire  selon  les  besoins  et  à  l'heure  voulus,  soit 

"menacés  que  nous  nous  sentons  blessés  et  que  nous  nous  pré- 
"parons  à  les  défendre...  Notre  nation  est  tout  entière  dévouée 
"au  maintien  des  institutions  qui  ont  été  acquises  au  prix  de 
"tant  d'argent  et  de  sang,  mûries  par  la  sagesse  de  nos  con- 
"citoyens  les  plus  éclairés,  et  à  l'ombre  desquelles  nous  avons 
"joui  d'une  prospérité  sans  exemple.  En  conséquence  c'est  un 
"hommage  que  nous  devons  à  la  vérité  et  à  notre  désir  de  con 
"t'nuer  nos  relations  amicales  avec  les  puissances  alliées  (il 
"s'agissait  alors  de  la  Sainte-Alliance),  de  déclarer  que  nous 
"considérerions  comme  dangereuse  pour  notre  repos  et  pour 
"notre  sécurité,  toute  tentative  qu'elles  feraient  pour  étendre 
"leur  influence  à  une  portion  quelconque  de  cet  hémisphère. 
"Nous  nous  sommes  abstenus  d'intervenir  dans  les  colonies  ou 
"dépendances  réelles  des  différents  Etats  européens,  et  nous 
"ferons  de  même  à  l'avenir;  mais  pour  ce  qui  est  des  Etats  qui 
"ont  proclamé  et  fait  prévaloir  leur  existence  propre  et  dont. 
"après  pleine  considération  et  cou  fora  m 'ment  à  de  justes  prin- 
"cipes,  nous  avons  reconnu  l'indépendance  nous  ne  pourrions 
"regarder  que  comme  une  manifestation  de  sent  imants  hostiles 
"aux  Ktats-l/nis  toute  intervent  ion  qui  aurait  pour  objet  de  les 
"supprimer  ou  d'en  contrôler,  de  quelque  manière  que  ce  fût.  les 
"ilesl  inées."' 

1.  11  y  a  trois  dominions  autonomes  sous  ta  couronne  bri- 
tannique: la  Confédération  canadienne  (1.867).  le  Coininoirwe:ili  h 
australien    (l'JOl  et  l'Union  sud-africaine  H'OOl). 


u:s   !'i;oisu:.\ii:s  xation  \r\  165 

à  l'image  de  l'évohrtdon  aussi  leste  que  sûre  do  la  constitu- 
tion mère,  ai  c©mjparable  à  un  organisme  conscient.  MCais, 
au  oœur  de  oei  empire,  ce  chef-d'œuvre  de  politique  ter- 
restre, une  école  esl   née  quri   Péelame,  sous  prétexte  d'allégir 

la  Grande-Bretagne  de  bob  écrasand    l'a riloau  du  militarisme, 
-  cour?  des  colonies,  auxquelles  seraienl  appliquées  eu  re- 
tour., a)  une  union  fiscale,  sorte  de  aoUverein  économique  de- 
\ant    restreindre  les  échanges  aux    limites   mêmes  du   monde 

anglo-saxon;  b)  une  communauté  des  lois  commerciales  et 
de  la  citoyenneté  dans  tous  les  pays  britanniques,  enfin  c)  une 
organisation  navale  et  militaire  dans  chacun  des  dominions 
autonome  en  vue  de  maintenir  l'intégrité  de  l'Empire  'Cette 
combinaison  imposerait  -aux  colonies  les  pires  obligations  de 
l'Etal  libre,  -ans  cependant  leur  apporter  en  retour  aucun  de 
ses  avantages.  Au  seul  point  de  vue  canadien,  l'impérialisme 
intégral  amoindrirait  l'autonomie  fiscale,  en  abrogeant  la 
loi  de  1848  —  rappel  de  YAcfùe  de  Naviffaiien  —  qui  met  ce 
doniinion  en  mesure  de  négotier  et  de  conclure  ses  propres 
traités  comflnerciaux,  il  ouvrirait  toute  grande  la  porte  aux 
sujets  des  Indes  el  d'ailleurs:  enfin  il  retarderait,  à  cause 
des  sommes  absorbées  par  le  maintien  d'une  efficace  marine 
de  guerre,  l'achèvement  i\o>  grandes  routes  intérieures. 

Le  mobile  évident  de  ce  gigantesque  projet  d'une  fédéra- 
tion impériale  se  trouve  dans  cette  anaibition  maîtresse:  ame- 
ner les  colonies  à  soutenir  le-  guerres  île  la  Grande-Bretagne. 
Mais,  si  elbs  appuient  de  leur  or  et  de  leurs  hommes  la  diplo- 
matie métropolitaine,  quelle  part  d'autorité  exerceront-elles 
dans  le  gouvernememi  de  cet  Empire  ?  Or.  la  mère-patrie 
n'est   pas  disposée  —  à  cette  heure  du  moins  —  à  partager 


](iG  TEREES    ET    PEUPLES   DTJ   C  \NAHA 

ainsi  son  autorité.  (1)  Elle  ne  veut  que  l'aide  dévouée 
ses  possessions  d'outre-oner.  Si.  même,  elle  créait  un  parle- 
ment central  se  peut-il  que  le  Oanada,  qui  n'aurait  qu'une 
députation  numériquement  insignifiante  auprès  de  celle  du 
Royaume-Uni,  puisse  protéger  ses  intérêts  et  résoudre  les 
problèmes  suscités  par  des  conditions  géographiques,  écono- 
miques et  sociales,  fatalement  différents  de  ceux  des  autres 
parties  de  l'Empire  ?   (2) 

Que  ce  rêve  décevant,  que  c  i  dessein  égoïste  d'une  fédéra- 
tion impériale  se  réalise,  et  les  dominions,  charges  de  far- 
deaux qu'ils  n'ont  encore  porté  d'eux-mêmes,  incommodés 
par  une  union  factice  qui  alourdirait  le  joug  qu'ils  devaient 
bientôt  oublier,  ne  tarderont  pas  à  briser  leur  attache  colo- 
niale: car  cette  solidarité  des  intérêts,  ne  devant  reposer  que 
sur  le  seul  orgueil  du  sang,  est  essentiellement  contraire  aux 

1.  Répondant  à  une  proposition  du  délégué  australien  qui 
demandait,  à  la  conférence  impériale  de  1911,  la  création  d'un 
conseil  de  l'Empire  où  les  représentants  des  dominions  seraient 
appelés  à  siéger,  le  premier  ministre  d'Angleterre,  M.  Asquith, 
disait  :  — 

"Où  aboutirait  l'organisme  projeté  par  sir  Joseph  Ward?... 
'Ml  amoindrirait,  s'il  ne  détruisait  entièrement,  l'autorité  du 
"gouvernement  du  Royaume  dans  des  matières  aussi  graves  que 
"la  direction  de  In  politique  étrangère,  la  conclusion  de-  traités, 
"Ja  déclaration  et  le  maintien  de  la  paix  ou  la  déclarât  ion  de  la 
"guerre,  et.  en  vérité,  toutes  les  relations  avec  les  puissances 
"étrang-ères,  d'une  nature  nécessairement  très  délicate,  -  les- 
•■<iu  lies  sont  aujourd'hui  entn  les  mains  <in  gouvernement  im- 
périal, sujettes  mi  parlement  impérial.  CetU  autorité  ne  vint 
"êtu    partagée. . ." 

2.  Ce  projet  d'une  fédération  impérial",  exposé  au  fur  et  ,~i 
mesure  qu'il  était  imaginé  par  les  hommes  d'Etal  anglais,  fut. 
communiqué  aux  représentants  des  dominions  autonome-  —  Ca- 
nada. Terre-Neuve,  Sud-Afrique,  Australie  et  Nouvelle-Zélande  au 
cours  de  conférences  dites  impériales,  tenues  à  Londres,  en  lsur. 
1902.   1904     1907,    1909.   1910  et  1911. 


I  ES    PROBLEMES    \  \Th>\  \t   \  167 

longues  traditions  de   liberté,  comme  à   l'espril   décentralisa- 
teur de  l;i   race  anglo-saxonne. 


X 


En  présence  de  ces  problèmes  primordiaux  —  l'indivi- 
dualité grandissante  des  deux  races,  l'emprise  américanise 
la  fédération  impériale  — ,  et  avanl  qu'ils  aient  atteint  toute 
leur  acuité  de  maintenant,  une  'doctrine  politique  s'est  affir- 
mée, qui  met  au  premier  plan  le  souci  exclusif  de  l'intérêt 
national,  tient  compte  de  Fhétérogénité  des  populations,  en 
leur  proposanl  l'avenir  même  du  Canada  comme  objet  pre- 
mier de  leurs  soucis,  et  ne  recherche  que  dans  le  respe< 
la  constitution  de  1867,  l'harmonie  entre  les  divers  éléments 
nationaux,  destinés  à  vivre  et  à  grandir  avec  des  droits  égaux. 
Ce  dogme  si  nettement  formulé,  c'est  le  Nationalisme  (1), 
d'une  conception  trop  généreuse  pour  devenir  l'apanage  d'un 
parti  politique. 

Le  Canada  trouvera-t-il  meilleur  profit  à  participer  aux 
guerres  de  l'Empire  ?  en  donnant  marins,  soldats  et  vaisseaux 
pour  soutenir  ou  protéger  'des  intérêts  britanniques,  mainte- 
nant disséminés  sur  tous  les  points  du  monde  —  ce  dominion 
dût-il  compter,  en  retour,  maints  représentants  à  un  conseil 

1.  "Le  Nationalisme  es\  L'exposé  d'une  doctrines-pas  la  for- 
mule d'un  parti  e1  d'un  programme  offrant  une  solution  à 
quelques-uns  des  problèmes  sociaux  et  politiques  qui  intéressent 
l'avenir  du  I  anada."  Henri  Bourassa,  le  Devoir,  30  janvier  1911. 
La  thèse  générale  de  uationalisme  fut  exposée  dans  1°  une 
conférence  de  M.  Bourassa,  en  1901;  2°  une  étude  sur  les  Cana- 
diens-français et  l'empire  britannique,  Monthly  Review  de  Lon- 
dres,  1902;  3°  une  brochure  de  M.  Olivar  Asselin.  .1  Québec  t  iew 
of  Canadian   Vationalism. 


168  i  ki;i;i>   ET   PEUPLES  DU   I    \  \  AU  \ 

impérial,  plutôt  que  d'organiser  contre  son  ])lus  menaçanl 
e1  son  plus  proche  ennemi,  la  défense  de  --a  frontière  conti- 
nentale dont  la  longueur  excède  3000  milles;  plutôt  encore 
que  de  fortifier  -es  cinq  grands  ports  atlantiques  de  St. 
Jbhn's,  Halifax.  Sydney,  Québec  et  Montréal,  ses  ports  Les 
plus  fréquentés  des  Grands  Lacs,  Toronto,  Sarnia,  Port- 
Huron,  Gollingwood  et  Arthur-William,,  enfin  sur  le  Paci- 
fique, ses  quatre  autres  ports  libres  de  Vancouver,  Victoria, 
Esquimalt  et  Brince-Rupert,  contre  les  escadres  mongoles  et, 
peut-être  demain  .celles  îles  Russes  en  Sibérie  ?  Ce  serait 
contribuer  efficacement  à  la  défense  de  l'Empire  que  d'ou- 
tiller sa  colonie  du  Canada,  la  mettant  ainsi  en  m  sure  de  se 
défendre  seule.  D'ailleurs  cette  règle  autonomiste  n'esl  pas 
récente,  car  elle  émane  d'un  énoncé  de  principe  que  la  mère- 
patrie  communiquait  au  gouvernement  dv>  Canadas-Unis,  en 
1863,  et  qu'elle  a  maintes  fois  réaffirmé  depuis,  notammenl 
en  18%;  à  savoir  que  le  principe  de  la  défense  de  l'Empire, 
c'est  que  chacune  des  possessions  autonomes  pourvoie  à  sa 
propre  défense,  et  que  la  Grande-Bretagne  seule  resterait 
chargée  de  la  protection  de  son  domaine  colonial.  Aussi,  en 
1885  le  cabinet  d'Ottawa  pouvait-il  refuser  aux  autorités  mé- 
tropolitaines la  permission  d'enrégimenter  ici  des  recrues 
pour  faire  la  campagne  du  Soudan,  <i  le  Canada  s'est-il  subs- 
titué à  la  mère-patrie  pour  entretenir,  depuis  1901,  des  gar- 
nisons aux  quelques  places  fu-tifiée-  qu'il  compte  sur  les 
deux  océans  —  Halifax.  Québec  et    Esquimalt. 

Aux  sentinii  uts  aimlo-saxons  —  encore  mal  traduits  — 
qui  tende-nl  à  faire  participer  ce  pays  an  soutien  de  la  supré- 
matie  britannique,    le   nationalisme    appose   ce   -impie  argu- 


LES    PBOBLÈMES    N  \  'l'KiNAI'X  169 

ment  des  grands  politiques  deadeua  raees  ei  des  deua  paru.-: 
qu«  le  Canada  se  doàl  d'abord  à  lui-même.  (1) 


XI 


La  suprématie  de  la  Grande-Bretagne  eu  est  une  coûteuse, 

car  cette  puissance  aura  toujours  besoin  de  toute  sa  marine 
marchande  et  de  ses  escadres  de  guerre  — ■  non  pas  tant  pour 
défendre  ses  colonies  que  pour  protéger  son  propre  territoire,, 
avec  son  commerce,  ses  industries  et  ses  denrées  que  sa  situa- 
tion géographique  oblige  de  convoyer  par  toutes  les  mers. 

Faut-il  pour  cela  sacrifier  ou,  pour  le  moins,  retarder 
l'éclosion  de  forces  coloniales  qui  gravitent  vers  la  vie  auto- 
nome, mais  qui.  cependant,  ne  demandent  encore  qu'à  con- 
tinuer leur  allégeance  à  la  couronne  britannique  ? 

Le  peuplement  des  provinces  médiates  par  des  exotiques 
importés  à  grands  frais,  fuyant  fes  impôts  et  le  militarisme. 
et  par  des  fermiers  des  Etate-TTnig  qu'il  n'a  pas  fallu  solli- 

1.  "...  Si  le  Canada  était  détaché  de  l'Empire,  l'Angleterre 
ne  pourrail  épargner  un  senl  farthing  sut  ses  impôts  militaires, 
ni  s«  priver  d'un  sen3  matelot  ni  d'un  seul  soldat.'*  Sir  Charles 
Tupper,  à  Winnipeg,  1893. 

"Ce  serait  un  véritable  suicide  pour  le  pays  que  de  se  lancer 
"dans  le  gouffre  des  dépenses  où  les  nations  européennes  \ 
"compris  L'Angleterre.  on1  été  entraînées  par  les  besoins  d'arme- 
"ments  formidables.  Quelle  est  la  situation  respective  de  la 
"Grande-Bretagne  et  du  Canada'.'  La  Grande-Bretagne  est  l'une 
"des  premières  nations  de  l'univers,  la  première  peut-être  sous 
"plusieurs  rapports,  le  centre  du  plus  puissant  empire  île  nos 
"jours,  du  plus  grand  empire  depuis  la  élude  de  l'empire  romain. 
"Par  là  même,  elle  est  obligée  de  maintenir  une  nombreuse 
"armée  permanente.  La  Chambre  sait  combien  la  nécessité  d'en- 
"tretenir  une  année  permanente  a  toujours  répugné  au  peuple 
"anglais,  comment  celui-ci  -'est  toujours  révolté  à  cette  idée. 
"mais   i|  a   dû  se  plier  aux  exigences  de  la   situation  et    entretenir 


170  TERRES    ET    PE1   PLES    M     C  VNAI'A 

citer  pour  qu'ils  franchissent  la  frontière,  fera  que  d'ici  deux 
décades,  le  Dominion  ne  sera  plus -britannique  dans  sa  majo- 
rité. N'ayant  rien  de  commun  avec  les  autres  générations 
de  Canadiens,  ces  éléments  nouveaux  ignorant  le  motif  des 
luttes  constitutionnelles  d'autrefois  et  la  valeur  dû  pacte 
fédératif  de  1867.  commanderonl  au  parlement  pour  y  diri- 
ger la  politique  fiscale.  Il  est  vrai  que  ces  populations  parle- 
ront surtout  l'anglais,  langue  dominante  du  Canada,  mais 
aussi  celle  des  Etats-Unis,  c'est-à-dire  l'agenl  le  plus  actif 
à  l'identification  des  intérêts  et  des  moeurs  sur  tout  ce  con- 
tinent. 

Aucun  dessein  militaire  ne  saurai!  remédier  à  cette  immi- 
nence du  continentalisme.  Mais  il  est  une  politique  capable, 
tout  au  plus,  de  retarder  ce  qui  ne  peut  manquer  d'arriver 
ce  qui  est  attendu  avec  une  paix  d'autant  plus  profonde 
qu'elle  intéresse  des  sociétés  en  enfance:  elle  git  dans  le 
simple  respect  de  l'acte  fédératif  loyalement  cons  inti  entre 
les  deux  races  créatrices  de  ca  pays.  C'est  en  laissant  s'im- 
planter partout,  que  dis-je,  c'esl  en  favorisant  l'expansion  de 
ces  plus  canadiens  des  Canadiens,  les  francophones,  que  Ton 
entravera  le  mieux  l'unification  si  redoutable  des  éléments 
nord-américains. 

"constammenl  une  armée  sur  pied...  Tonte  autre  es1  la  situa 
"tion  ilu  Canada...  Quels  sonl  les  plus  lourds  articles  de  son 
Iget?  Les  travaux  publics,  la  colonisation,  la  construction 
"de  voies  ferrées  e1  le  creusemenl  des  ports  et  des  voies  de  trans- 
port. Y"i  à  le  champ  <>ù  doil  s'exercer  notre  activité."  M.  W. 
Laurier,  Débais  de  la  Charhbrc  des  Communes,  15  avril   1902,  col. 


CONCLUSION 


CONCLUSION  L73 


Que  lf  Canada  I riompli  •  donc  le  l'ingéranee  impérialiste 
,■11  niani !'.->i:un  avec  énergie  sa  volonté  de  maintenir  à  l'égard 
de  sa  Métropole  les  mêmes  relations  qui  om  assuré  fusque 
maintenant  la  marche  triomphale  de  la  Confédération,  puis, 
qu'il  B'eftorce  d'endiguer  la  marée  yankee,  et  les  deux  races 
continneromi  de  Be  développer  dans  le  sens  de  leurs  tradi- 
tions respectives.  Pour  que  le  sentiment  eanadien  puisse 
écarter  e  -  deux  danger*  il  faut  que  ee  pays  devienne  de  plus 
en  plus  ce  à  quoi  l'ont  destiné  les  politiques  de  1867:  une 
eonsfédération  anglo-française  permettant  la  libre  expansion 
des  éléments  qui  font  fondée.  En  d'autre-  bennes,  il  importa 
que  les  Franco-Canadiens  cessent  d'êtne  gênés  dans  leur  crois- 
sance numérique  et  dans  la  conservation  de  leur  individualité 
nationale.  Non  seulement  l'histoire  démontre  qu'ils  ont 
généreusement  versé  leur  sang  pour  garder  ee  pays  à  la  cou- 
ronne britannique,  lorsqu'il  était  attaqué  par  les  Anglo- 
Saxons  du  midi  —  1  s  révoltés  de  1774  et  les  envahisseurs 
de  1812  —  tuai-  qu'après  un  siècle  et  demi  de  promiscuité 
commerciale  et  parlementaire,  ces  francophones  n'ont  rien, 
absolument  rien  à  se  reprocher  de  leur  attàtud  •  à  l'égard  <U\ 
vainqueur,  et  restent  Boucieus  de  respecter  l'état  présent 
Mais  l'Anglo-Saxon  n'a,  pour  tout  cela,  rien  perdu  de  sa 
rogue  et  de  son  ambition  assimiîatrice  —  une  ambition  <iu,< 
devrait  pourtant    lui  arracheT  l'exprience. 

Aux  époque.-  âPostracisme  et  de  ruse  d'anglicisation  mar- 
quées par  la  prétention  du  droit  de  nomination  à  l'évêché  de 


1  'i  I  TERRES    ET    PEUPLES   DU   CANADA 

Québec-  et  aux  cures,  l'Institution  royale  devant  donner  des 
maîtres  d'école  anglais  dans  toute  la  vieille  province,  l'inac- 
eessibilité  'des  domaines  colonisables  qui  contraignit  deux 
générations  à  s'expatrier,  puis  les  variations  administratives 
commandées  d'abord  par  le  Haut-Canada  pour  amoindrir 
l'influence  toujours  grandissante  des  francophones,  et  renou- 
velées dans  le  plan  confédératif.  succède  une  agression  ,-' 
l'enseignement  de  leur  langue  sur  tous  les  groupes  où  ils  sont 
la  minorité. 

Malgré  leur  prodigieux  accroissement,  sans  le  secours  d'au- 
cun appréciable  apport  de  l'étranger,  en  dépit  même  d'une 
exode  aux  Etats-Unis  qui  n'a  cessé  depuis  1830,  la  dispropor- 
tion  numérique  des  pionniers  du  Canada  se  fait  écrasante. 
Dépassés  par  la  province  supérieure  vers  185  f,  ils  ne  com- 
posent au  lendemain  de  la  confédération,  que  le  tiers 
coloniaux.  Le  dénombrement  de  1911  les  classe  dans  une  pro- 
portion de  35  pour  cent  qui  décroîtra  en  présence  de  l'afflux 
cosmopolite  que  ne  cessent  de  recevoir  les  provinces  occi- 
dentales. 

Inutile  pour  eux  d'espérer  davantage  dans  l'esprit  de  jus- 
tice d'une  majorité  qui  ne  cesse  d'immoler  à  son  profil 
droits  les  plus  incontestables  de  cette  race  pionnière.  Combien 
d'actes  d'équité  furent  accomplis  envers  elle,  entre  1755  et 
1912?  Puisque  les  anglophones  se  montrent  moins  que  jamais 
disposés  a  Laisser  grandir  librement  les  Franco-Oajiadieiia  qui 
sont  entrés  dans  le  pacte  fédératif  sur  la  foi  que  chacun  des 
leurs  serait  partout  respecté,  quelle  attitude  ceux-ci  doivent- 
ils  prendre  ?  Leur  individualité  reste  contrastante,  et  ils  ne 
veulent  pas  mourir.  Mais  ne  sont-ils  pas,  dans  ce  siècle  des 
émiettements  nationaux,  les  plus  éparpillés  dans  le  pays,  el 
les  plus  dé-unis  sur  divers  sentiments  ? 


CONCLUSION  L75 

(  ertesj  Le  vieil  ei  robuste  élément  québécois  a  déjà  franchi 
les  cadres  politiques  de  sa  province:  avec  une  population  de 
300,000,  il  possède  pour  toujours  chacun  des  comtés  onta- 
riens  qui  bordent  L'Ottawa,  ri  il  s'apprête  à  se  souder  au 
rigoureux  groupe  acadien  du  Niouveau-Brunswick  nord  qui 
étend  ses  ramifications  sur  oints  du  trio  atlantique  et 

lui  fournil  toute  L'augmentation  de  population  don!  il  a  be- 
soin pour  consen  r  son  influence  à  Ottawa /(l);  mais  les 
îlots  du  Manitoba,  de  la  Saskatchewan  et  de  l'Ai  erta  son! 
des  avant-postes  des!  inés  à  L'isolement. 

Si  les  Franco-Canadiens  demeurent,  après  un  siècle  (,t 
ance  à  la  couronne  britannique,  son  plus  ferme 
rempart,  elle  Le  doil  d'aibord  à  La  conservation  de  Leurs  carac- 
tères nationaux.  Si  le  pacte  fédératif  ne  présente  plus  cette 
cohésion  capable  d'&ssur<  c  La  sécurité  politique  du  Canada 
et  de  retarder  la  fatale  pénétration  des  États-Unis,  la  faute 
en  i  si  à  la  race  anglo-saxonne  qui  a  d'abord  contrainl 
lu  Saini-I. auront  à  s'expatrier  dès  Les  premières  déi 
du  dix-neuvième  siècle,  qui  n'a  cessé  depuis  de  gêner  Leur 
Libre  accroiâsemenl  ei  qui  a  pris  ses  fastidieuses  protestations 
de  Loyauté  pour  autant  de  maroues  d'une  capitulation  mo- 
rale Mais  si.  à  c  tte  heure,  non  contents  d'avoir  in 
Leurs  institutions  politiques  à  toul  !•  continent,  ces  Anglo- 
8a  ■  -  envient  avec  âpreté  La  pan  plutôt  modeste  de  con- 
quête  pacifique  des  ncophones,  —  qu'ils  opèrenl  par  une 
courageuse  acceptation  des  charges  de  famille,  pourtant  re- 
poussée par  Les  anglochtones,  conquête  à   laquelle  Lès   parle- 


1.  Le  recensemenl  de  191]  démontre  que  l'augmentation  de 
population,  tant  au  Nbuveau-Brunswicls  (|iiVn  Nouvelle  Ecosse 
esl  due  aux  seuls  comtés  acadiens. 


1  Ji  RBES    Kl    PEUPLES   DTJ   »    \\  \n.\ 

ments  mêmes  restent  sans  remède  —  voilà  bien  L'indice  d'une 

libération   finale 

Reconnaissons  cependant  que  la  longue  Hostilité  des  an- 
glochtones  à  l'égard  du  Bas-Cana  la,  depuis  la  cession,  ne  fut 
pas  vaine  de  résultais,  puisqu'en  leur  fermant  tout  accès  aux 
cantons  de  l'Est,  il  est  migré  aux  Etats  de  la  Nouvelle 
Angleterre  des  contingents  dont  la  descendance  atteint  le 
million  (1),  et  puisqu'en  peuplant  le  nouveau  Canada  d'élé- 
ments étrangers,  ils  l'ont  t'ait  avec  l'ambition  de  noyer  ces 
autres  descendants  de  Québécois  qui  avaient  cru  au  respect 
de  leurs  droits,  où  qu'ils  habitenl  dans  ce  Dominion. 

Il  faut  que  les  francophones  se  dégagent  tout  à  fait  de 
l'étreinte  des  partis  sur  les  questions  pùremenl  économiques, 
et  que,  sans  briser  avec  les  traditions  parlementaires,  ils  se 
fassent  solidaires,  chaque  fois  qu'il  y  va  des  intérêts  moraux 
de  leur  race.  Le  pourront-ils  jamais?  11  est  permis  d'en  douter, 
car  chaque  fois  qu'il  s'est  agi  de  maintenir  des  droits  indis- 
cutablement consacrés,  la  masse  de  la  députation  québécoise 
a  préféré  consolider  la  vie  d'un  cabinet,  plutôt  que  de  faire 
respecter  les  termes  de  la  Confédération.  Et  pourtant  c'eût 
été  raffermir  ce  lien  politique,  de  favoriser  l'expansion 
(Vwn  élément  qui  a  grand  avantage  à  le  faire  durer. 


1.  Ce  million  franco-américain  qui  résiste  victorieusement 
à  deux  formidables  ennemis — l'un  négatif,  l'ambiance  yunkee, 
l'autre  agressif.  l*angïici>ation  par  le  clergé  irlandais  qui  refuse 
des  prêtres  de  langui'  française — est  à  jamais  perdu  pour  l'in- 
fluence canadienne.  Le  Québec  ferait  mieux  de  les  aider  morale- 
ment que  d'entretenir  l'espoir  de  les  rapatrier,  ce  qui  est  nue 
impossibilité   géographique. 


CONCLUSION  1  < 


II 


l'r,  second  motif  de  solidariser  L'influence  franco-cana- 
dienne, e'est  la  valeur  de  la  constitutiou  même.  Dans  ses 
attributions  fédérales,  l'Acte  de  1S|'>;  ae  vise  guère  au-delà 
du  développement  économique.  En  effet,  hors  Le  div< 
—  que  ne  réclameront  jamais  Les  catholiques,  —  ce  n'est  que 
dans  la  création  de  provinces  ei.  accidentellement,  dans  la 
modification  de  leurs  frontières,  que  le  parlement  d'Ottawa 
statue  sur  les   intérêts   moraux.     Ce  rôle  semible   maintenant 

fermé,  chacune  des   oeuf  associés  ayant    reçu   des   terril - 

eu  harmonie  avec  Leurs  besoins  économiques  à  venir. 

On  ne  saurait  donc  voir  dans  la  constitution  canadienne 
une  autorité  faisant  (\^  lois  qui  conviennent  à  chacun  des 
groupes  nationaux,  étant  donné  leur  langue,  foi,  moeurs  et 
qualités  propres.  D'ailleurs,  le  domaine  de  la  législation 
sociale  est  essentiellement  confié  aux  diverses  provinces. 

Pour  qu'une  constitution  soit  durable  il  faut  que.  mûrie 
par  le  temps,  elle  reflète  les  traditions  populaires.  Elle  ne 
saurait  donc  convenir  également  à  d'eux  races  contrastantes 
ni  résulter  d'une  délibération,  comme  il  en  est  de  celle  de 
1867  qui  reste  provisoire,  n'existe  que  sur  le  papier  et  que 
l'on  viole  selon  les  passions  et  les  intérêts  immédiats  d  - 
gouvernants,  sans  que  l'électoral  puisse  s'opposer  efficace- 
ment aux  pires  injustices  —  quand  il  les  constate.  C'est  en 
vain  que  les  droits  de  la  minorité  furent  inscrits  dans  le 
British  North  American  Act.  La  Confédération  ne  s'est 
maintenue  qu'au  prix  des  plus  odieuses  immolations.  Il  s'est 
toujours  agi  d'instruction  publique  C'est  un  stricte  devoir 
des  catholiques,  savons-nçus,  d'instruire  les  enfants  selon  la 


I  ;  3  RRES    ET    PEUPLES    DU   CANADA 

ance  religieuse  des  parents.    Or,  il  n'esl  pas  de  province, 

excepté  l'Ontario,  où  cette  lifberté  *nement   n'ait  été 

restreinte  par  la  consécration  du  principe  de  l'école  neutre. 
D'où  il  arrive  que  les  Franco-Canadiens  doivent  payer  double 
taxe  pour  le  support  de  l'enseignement  catholique  et  de 
iciel.  Que  l'élément  francophone  ne  -'attarde  donc  plus 
lérer  de  la  majorité  ce  qu'il  lui  rend  partoul  avec  tant  de 
générosité  et  de  resp  et  à  la  parole  donnée. 

Ce   glorieux  parlementarisme   britannique  avec  ses 
tères  d'aujourd'hui,  ne  sera-t-i]  pas  pour  les  Fram-o-Cana- 
diens  un  agent  de  déchéance  ?     Car,  tout  en  restant  divisés 
par  les  partis,  sauront-ils  demain,  mieux  qu'autrefois,  s'unir 
pour,  protéger  les   intérêts   du  catholicisme  qui  sont  intime- 
ment  liés  à  la  conservation  du   caractère  national  ?     ] 
permis  d"en  douter.     C  rtes,  ils  onl  !>i  m  l'ait  de  ne  pas  -   -  - 
1er  dans  un  clan  national;   mais   La   dure  vérité  c'esl    qu'ils 
n'ont  jamais  eu  le  courage  de   faire  bloc  pour  tenir  le  spo- 
liateur en   respect.      L'histoire    parlementaire    les   montre   le 
plus  souvent  divisé-  contre  eux-mêmes  dan-  les  circonstai 
les  plus  décisives.     Ce  fut    L'humiliant   spectacle  d'une  na- 
tionalité qui   -  3s  r  en   même  temps  qu'elle  for- 
mule des  espoirs  de  glorieuse  survivance. 

En  dehors  des  parlements  L'inconséquence  des  Franco-t  a- 
nadieiis  ne  fut  pas  moins  profonde.  Ils  se  sont  payé  ce  luxe 
inouï  de  patronner  des  sociétés  mutualistes  neutres  ou  même 
francophobes.  Pas  moins  de  soixante  mille  d'entre  eux  se 
sont  enrôlés  sous  ces  bannières,  sans  retirer  le  moindre  avan- 
tage moral  que  promettent       -       ganism.es. 

>> 'est-il  pas  vrai  que,  pour  avoir  dépensé  toute  leur  ardeur 
d'idéalistes  à  la  gloire  f]^<  partis,  Les  imprescriptibles  d 
scolaires  des  francophon  s  ont  été  abandonné  par  leur  dépu- 


C0NCL1  SION  1  79 

tation,  dans  chacune  des  provinces  où  cet  élémenl  reste  une 
minorité  ?  Pourtani  c'eûl  été  d'autanj  plus  facile  de  réclamer 
que  le  Québec  tenait  à  lui  seu]  La  ciel  ilitiques. 

A  quoi  tienl  cette  attitude?  sinon  à  L'asservissement  de  la 
conquête,  traduit  par  ce  sentiment  que  toute  opposition  de- 
venait inutile  devant  La  volonté  persistante  de  L' Anglo-Saxon. 
Et,  naïfs,  ils  se  sont  illusionnés  sur  leurs  forces;  ils  oni  cm 
que  l'antagonisme  des  rac  g  avait  pris  fin  avec  La  confédé- 
ration. 

Que  les  Franco-'Canadiens  ne  L'oublient  pas:  le  monde  — 
L'anglo-saxon  surtout  —  n'accorde  pas  grand  respect  au 
pi  unie  qui  se  contente  d'avoir  de  grandes  \  rtus  domestiques, 
sans  oser  paraître  fort  au  grand  Jour.  D'ailleurs,  il  n'est 
nécessaire  de  sortir  d'Amérique  pour  constater  qu'une 
race  ne  saurait  s'oublier  Longt   Dips  -ans  trouver  -a  ruine. 

Go  Canada  français  aura  Le  sort  qu'il  se  sera  méril 

S'il  doit  mourir,  pourquoi  donc  c  i  énervement  des  Luttes 
sociales,  ce  fardeau  de  deux  Langues  —  obstacles  à  un  •  vie 
aisée  ?  Pourquoi  ne  pas  ouvrir  toute  grande  e1  dès  main- 
tenant la  digue  à  l'anglicisation  q  i  complète  après 
ileu.x.  générations  : 

S'il  doit  survivre,  plus  d'atermoi  ments,  ni  de  compromis, 
-  unr  parfaite  solii  ms  La   revendicat  io  jique 

de  ses  droits,  un  renforcement  des  richesses  et  des  carac- 
tères nationaux. 


III 


Il  ini[)>n  i  que  lis  Canadiens  s'habituent  a  cette  pensée  que 
h'  Dominion  ne  saurait  garder  Longtemps  encore  son  unité 
d'à-présenl       Le    partage    de   ses    fuseaus    géographiques   de 


180  li;i!i;]>   ET  PEUPLES   DU  CANADA 

direction  nord-sud  entre  les  groupes  rie  provinces  vient  d'être 
achevé.  La  différenciation  des  intérêts  matériels  impérieuse- 
ment commandés  par  la  nature,  el  îjautonomie  Législative  des 
provinces  tendront  à  l'individualité  morale  de  leurs  habi- 
tants. 

Il  est  possible  que  la  Colombie,  dont  les  intérêts  gran- 
dissent sur  le  Pacifique,  réclame  bientôt  son  annexe,  le  dis- 
trict de  Youkon.  Le  trio  médial,  aux  intérêts  commun-.  - 
fait  déjà  solidaire:  c'est  le  Canada  occidental  cloisonné  de 
L'ancien  par  la  longue  savane  tout  impropre  à  l'agriculture 
i|ui  git  au  rivage  du  Supérieur. 

I /Ontario  et  le  Québec  yiennenl  d'être  agrandis  à  même  le 
nord  (1)  ;  tandis  que  les  trois  provinces  atlantiques  s'isolent 
dp  vieux  Canada,  auquel  Les  rattache  un  seul  sentier. 

Et  ne  faut-il  pas  voir  des  prodromes  de  sécession  dans  les 
provocations  et  les  reproches  qui  s'élèvent  nombreux  de  pin- 
ceurs points  de  ce  Canada  consolidé  en  vue  des  intérêts  maté- 
fiels  qu'il  devait  procurer  ?  Au-delà  des  Rocheuses,  la  colère 
àes  syndicalistes  se  traduit  par  des  manifestations  hostiles 
au  drapeau  britannique  devenu  pour  eux  un  symbole  de  la 
fourberie.  Dans  la  plaine  centrale  les  fermiers  réclament  des 
raies  sûres  et  commodes  pour  expédier  promptement  en  Eu- 
rope leurs  formidables  récoltes  de  céréales,  ou  l'avantage  du 
libre  commerce  avec  Les  Etats-Unis,  ce  qui  serait  la  plus 
heureuse  solution  à  ce  problème  économique.  L'on  dit, 
en  plein  parlement  manitobain  que,  pour  ces  griefs  contre  Ja 
direction  fédérale,  le  partage  du  Canada  s'impose  entre  L'Est 
et  l'Ouest. 

l.  La  portion  des  territoires  dits  du  Nord-Ouest,  le  Keewa- 
tin,  qui  vient  d'être  réunie  à  l'Ontario  (1er  mai  19 1:2)  contient 
l  16,000  ni.  c.  et  le  territoire  de  l'Ungava  dont  s'augmente  le 
Québec  mesure  364,961  m.  c. 


CONCLUSION  L81 

Sj  l'Ontario  reste  calme,  c'est  que  la  direction  économique 
du  pays  lui  est  garantie  pai  ses  86  députés. 

Quant  aux  petites  provinces  orientales  d'où  est  venu  ce 
projet  de  la  confédération  —  autant  pour  y  trouver  leur  pro- 
fit matériel  que  pour  échapper  à  une  vive  attraction  du 
midi  — ello>  apprennent  à  la  désavouer  à  mesuM  que  décroît 
le  chiffre  de  leur  représentation,  c'est-à-dire  leur  prestige 
même. 

Mais  i!  se  pent  que  le  dénouement  vienne  du  dehors,  soit 
d'une  nouvelle  orientation  imposée  par  la  Métropole,  soit  en- 
core de  chez  le  voisin  où  se  rencontrent,  concurremment  à  son 
mal  d'expansion  territoriale,  des  indices  d'une  désagrégation 
plutôt  prochaine.  Ce  qu'on  y  voit,  une  corruption  générale 
Ai'<  moeurs,  la  perte  de  tout  respect  pour  l'autorité  —  résul- 
tats d'une  éducation  rationaliste  -  -  et  l'irritation  mal  con- 
tenue de  l'ouvrier  syndiqué  contre  le  capitaliste  trustard, 
nous  disent  assez  l'imminence  d'une  guerre  sociale.  Vienne 
la  chute  du  eolosse  yankec.  et  de  ses  ruines  surgiront  peut- 
être  trois  grands  Etats  constitués  d'après  la  prédominence 
de  certains  éléments  ethniques  enclos  élès  à  présent  dans  des 
frontière-  <pio  la  nature  a  si  puissamment  marquées.  Ce  fe- 
raient, au-delà  des  cordillères  occidentales  un  pays  com- 
mandé par  la  similitude  du  climai  et  des  ressource  natu- 
relles sur  tous  ses  points  et  surtout  par  l'appel  <\*>  intérêts 
sui-  le  Grand  Océan;  un  empire  média]  occupant  tout  le 
bassin  du  Mississipi  —  des  Àlléghanys  auj  Roeheuses,  du 
golfe  du  Mexique  au  Steppe  qui  j'ouvre  sur  le  nord,  soit 
une  zone  où  l'inl'lin  îice  des  Allemand-,  qui  eonservenl  leur 
langue  et  Imposent  partout  leurs  principes  édueationnels, 
reste  eoasfcSéràble  dan-  maintes  sphères  d'action;  enfin,  un 
troisième   Etat    dont    1  -    frontières   coïncideront    avec  celles 


],s-.J  TERRES    ET    PEUPLES    DU    I  A  \  A  I  >  \ 

des  treize  Etats  originels,  mais  où  La  vie  gaélique,  déjà  con- 
centrée dans  les  cent]  •  lopulation,  aura  grande  chance 
à    ~    substituer           qui  subsiste  ue  l'esprit  puritain. 

Quelle  que  soit  l'attitude  que  prenne  la  Grande-Bre- 
tagne à  l'égard  de  sa  colonie,  quel  que  puisse  être  l'avenir  do 
la  civilisation  anglo-saxonne  d'Amérique;  quel  que  soit  le 
sort  du  Dominion  canadien  —  trois  interrogations  auxquelles 
un  avenir  plutôt  prochain  apportera  une  solution  peut-être 
simultanée  — .  le  Québec  a  tout  avantage  de  se  faire  plus 
individuel  et  plus  fort.  Tl  importe  que,  laissant  le  maître 
politique  à  ses  rêves  d'anglicisation  brutale,  les  Québécois 
pliquent  dès  maintenant  à  déveloooer  chcz  eux  l'esprit 
provincial,  affirmé  déjà  dan?  les  autres  portions  lu  pays  et 
qui  trouve  d'ailleurs  son  -appui  dans  la  constitution  même. 


IV 


L'amour  de  son  pays  reste  la  plus  grande  fores  d'un 
peuple.  Ce  patriotisme,  fruit  de  causes  diverses,  et  qui  -e 
développe  différemment  dan?  le?  société-,  s'accentuera  chez 
le  Laurentien.  s'il  sait  agrandir  et  fortifier  le  champ  d'occu- 
pation de  sa  race,  par  la  concordance  du  domaine  national  à 
une  région  géographiquement  individuelle:  augmenter  la 
valeur  morale  et  vivifier  la  puissance  économique  en  favo- 
risant l'indépendance  de  la  vie  privée,  enfin,  affermi] 
institutions  civili  -  leur  évolution  en  deman- 

dant à  l'esprit  chrétien  une  solution  aux  problèmes  sociaux 

i  !'i  si   autouT  de  ces  quelques  idées  maîtresses  que  doivent 

se  grouper,  —  c'est  à  ces  règles,  d'action  auxquelles  il  faut 

objet    premier  de  leurs   Eerm  s  résolutions  — . 

-là  qui,  pour  un  temps  proche  ou  lointain,  ambitionnent 


i  on<  i.i  sion  183 

une  patrie  laurentienne.  Le  berceau  de  la  nationalité  franeo- 
canadienne  ne  lui  sera  pas  ravi  si  elle  Bail  sans  retard  et 
toujours  se  rappeler  qne  les  bornes  de  la  vallée  du  Saint- 
Laurent  ne  sont  pas  confinées  à  la  vieille  province,  mais 
à\  qu'elles  embrassent  tout  l'Ontario,  et  que  ce  bagsin  a, 
dans  ses  marches  naturelles,  il"  quoi  doubler  son  étendue. 
Qu'elle  tende  un  bras  sur  l'Acadie  continentale  qui  lui  fera 
bon  accueil,  et  qu'elle  s'élance  courageusement  vers  le  nord 
tout  pullulant  de  vie  et  de  forces  indomptées,  on  l'expansion 
ne  se  ralentira  qu'au  voisinage  devonieu  de  la  baie  James, 
limite  de  la  culture  du  blé  ! 

Si  le  Québec  est  dépourvu  de  tout  combustible  minéral. 
producteur  d'énergie  et  condition  obligée  de  l'industrie, 
il  possède  en  retour  une  formidable  provision  de  houille 
blanche,  qu'il  faudra  se  garder  d'amoindrir  en  ruinant  la 
forêt.  11  y  a  maintes  raisons  d'épargner  les  bois,  en  outre 
qu'ils  oui  nue  grand  •  valeur  intrinsèque,  ils  jouent  le  rôle 
de  modérateurs  dans  l'écoulement  des  eaux.  Des  réserves 
derrière  les  Laurentides  et  nue  large  ceinture 
maintenue  sur  la  ligne  le  farte,  retiendraient  chaque  prin- 
temps assez  d'eau  pour  prévenir  les  inondations,  alimenter 
les  chutes  et  favoriser  l'agriculture. 

Ce  coin  de  l'Amérique  du  Nord,  plutôt  médiocrement  doté 
si   l'on   tient   compte  de  la   valeur  -   reconnaissons-le, 

mais  favorisé  d'une  situation  maritime  sans  rivale  parmi  ses 
voisins,  à  coup  sûr  le  mieux  pourvu  de  voies  fluviales  et  de 
richesses  naturelles,  cette  Laurentie  où  1  s  traités  et  les 
guerres  u'onl   cess<  'ouler  les  Néo-Français  pour  les  y 

cantonner,  apparaît  aujourd'hui  comme  leur  champ  d'action 
défini. 

En  présence  de  cette  destinée  manifeste  de  la   rare,  il  im- 


18  !  TEERES   ET   PEUPLES   DU   CANADA 

porte  qu'elle  devienne  de  plus  en  plus  apte  à  la  vie  septen- 
trionale, afin  de  se  sentir  bien  chez  elle  et  capable  de  résister 
à  son  formidable  entourage.  Elle  y  parviendra  en  a'habi- 
i uant  à  l'effort  solitaire,  en  acquérant  autant  de  personnalité 
rpr'elle  a  d'humanité. 

Que  cet  élément  se  garde  donc  de  chercher  le  bonheur  dm- 
une  fortune  médiocre,  en  dirigeant  ses  aspirations  vers  le 
repos,  qualité  commune  aux  Latins;  mais  plutôt  qu'il  s'oriente 
résolument  vers  l'action  intense,  en  basant  cette  disposition 
d'esprit  sur  une  formation  éducationnelle  propiv  à  accroître 
l'endurance  et,  par  une  évolution  graduelle,  à  mieux  appré- 
cier  la   puissance   financière. 

Il  ne  s'agit  pas  tant  pour  cela  de  modifier  que  d'enrichir 
l'âme  nationale.  On  y  parviendra  en  donnant  à  son  carac- 
tère autant  de  solidité  qu'il  a  d'éelat.  en  considérant  q>ue  si 
la  culture  des  arts  est  précieuse,  nécessaire  même,  à  l'alimen- 
tation du  génie,  ce  nord  —  eé  nord  qui  n .■  sait  [pas  sourire  — 
et  les  modernes  conditions  d'exist  tmee  invitent  d'abord  à 
I "art i vite  industrielle. 

L'action  des  gouvernants  sera  >\<-  créer',  à  côté  d'une  puis- 
sance économique,  une  indépendant.'  vie  agricole,  ce  plus 
efficace  des  remèdes  au  morbide  surp  aplement  des  villes,  i 
la  plaie  bonjours  saignante  de  l'expatriement.  Comme  i] 
importe  de  ne  pas  aliéner  les  trésors  du  patrimoine  lauren- 
ti  'n  au  profit  des  étrangers,  mais  plutôt  de  les  gardei  jalou- 
sement à  ses  nationaux,  e'esl  en  oaettanl  le  défricheur  sur  sa 
ti  ire  libre  <'■<■  redevances,  c'est  en  facilitant  la  colonisation 
paroissiale  de  proche  en  proche,  qu'il  lui  en  redonnera  h> 
fécond  et    traditionnel   ameur. 

C'est  dans  l'institution  représentative  ■ —  souveraine  créa- 
tion  du    génie    normand  —   levain   d'une   vie   démocratique 


CONCLUSION  185 

vraiment  agissante,  qu'il  Eaui  chercher  un  renforcement  au 
caractère  national.  Si  le  Franco-Canadien  sail  briser  ses 
funestes  attaches  aux  clans  politiques,  et,  erj  tant  que  indi- 
vidu, ne  nas  attendre  du  pouvoir  secours  à  tous  ses  besoin-, 
M  obtiendra  une  obéissance  de  plus  en  plus  Ei  lèle  de  ses  gou- 
vernants à  l'électorat  ,pour  que  celui-ci,  au  lieu  de  se  donner 
des  maîtres,  sente  qu'il  gouverne  en  vérité. 

Que  L'on  parvienne  à  ne  députer  à  la  législature  que  des 
hommes  désireux  de  traduire  les  sentiments  de  la  collectivité, 
et  l'on  évitera  le  gouvernement  par  commission  qui  ne  sau- 
rait donner  <pie  des  lois  disparates;  L'on  gardera  jalousement 
à  l'institution  municipale  toute  son  autonomie  qui  répond  si 
bien  au  goût  populaire  d'une  décentralisation  de  l'autorité; 
Ton  garantira  davantage  l'insaisissabilité  de  la  petite  pro- 
priété foncière,  fondement  d'une  vie  privée  vraiment  stable 
et  obstacle  à  la  coalition  du  capital:  enfin  l'on  veillera  tou- 
jours à  L'intégrité  ^u  code  civil,  cette  législation  privée  com- 
parable à  celle  des  Etats  les  plus  avancé-  en  civilisation  chré- 
tienne. 

Ainsi  se  réalisera  pour  le  Laurentien  -.aux  humilies  com- 
mencements et  dont  1  s  actions  parent  chacune  des  pages  de 
l'histoire  de  l'Amérique  boréale,  son  cantonnement  sur  un 
vaste  territoire  géographiquement  autonome;  ainsi  ses  vertus 
-traies  d'aménité,  d'amour  de  l'ordre,  du  beau  et  de  la 
richesse,  perpétuées  dans  des  corps  trempés  d'endurance  aux 
souffles  vivifiants  du  nord,  triompheront  du  rogue  ei  utili- 
taire Anglo-Saxon,  car:  un  peuple  es!  d'autant  plu-  fort  qu'i] 
s'e-t  heureusement  assoupli  à  la  nature  de  son  milieu,  l'al- 
liance >\f>  institution-  civiles  aux  caractères  sociaux  assurenl 
la  stable  existence  d'un.'  nation,  ci  Les  cadres  géographiques 
sont  le  premier  élément  constitutif  des  patries. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES 


Pages 
PREFA<  E  de  L'abbé  Adélard   Desbosiers 7 

LES  TEREES. 
(  Il  VPITRE  I. 

Esquisse  géographique  du  Canada. — Vue  à  vol  d'oiseau. — 
Constitution  géologique. — Prédominance  de  l'archéen. — ■ 
Le  bouclier  laurentien. — Cause,  effets  et  régime  des  in- 
vasions glaciaires.-  Richesse  minêralogique  des  zones 
orogéniques. — Nature  et  fécondité  du  steppe  médial. — 
Facteurs  des  climats. — Etendue  originelle  du  domaine 
forestier. — Flore  des  quatre  zones  de  végétation. — Leur 
faune. — Harmonies  de  la  géographie  canadienne. — Elle 
accuse  la  présence  de  trois  grandes  bandes  nord-sud, 
communes  à  tout  le  continent.— Leur  valeur  comme  ha- 
bitat de  l'homme 3 

LES  PEUPLES. 

<  I!  VPITRE  II. 

L'Oeuvre  coloniale  de  la  France.  Principes  colonisa- 
teurs des  dix-septième  e1  dix-huitième  siècles.  Le  par- 
tage de  l'Amérique  entre  les  grandes  nations  de  l'Eu- 
rope.—Procédé  d'expansion  française.— Ordre  social  de 
l'époque. — Provenance  des  pionniers  du  Saint-Laurent. 
—Parallèle   du   développerai  omique   de    la    Nou- 

velle-France et  la  Nouvelle-Angleterre.  Libre  e1  com- 
mun saccage. — Franc  alleu  roturier.— Libertés  adminis- 
tratives et  commerciales.  Ecrasante  supériorité  écono- 
mique  de   la   colonisation    anglo-saxonne    sur    la    fran- 


L88  'I','  IU.I-:   ANALYTIQUE    DES    MATIÈRES 

P  \M> 

gaise.  Mais  les  vertus  françaises  e1  chrétiennes  de  la 
débile  Nouvelle-ï^ance  lui  assurent  succès. — Explora- 
tion  de  l'Amérique. — Evangélisation  de  ses  autochtones. 
I  ).'\  eloppement  économique. — Education. — Naissance 
de  la  paroisse. — Le  Canadien  s'est  puissamment  accli- 
maté.- Son  héroïsme. — La  guerre  de  Sept-Ans  et  la 
(  ession £9 

<  HAPITRE    [II. 

Le  Régime  Britannique. — La  Grande-Bretagne  démem- 
bre sa  conquête  en  gouvernements  militaires. — Les  Ca- 
nadiens résistent  aux  efforts  d'assimilation  des  pre- 
miers gouverneurs. — La  révolte  des  Anglo-Américains 
menace  de  ruiner  la  cause  métropolitaine  sur  tout  le 
continent. — L'Acte  de  Québec  rétablit  les  frontières  na- 
turelles du  pays,  restaure  les  anciennes  lois  françaises 
et  accorde  l'institution  de  Yhabeas  corpus. — Arrivée 
des  Loyaliste  en  Xouveau-Brunswick,  en  Nouvelle-Ecosse 
et  en  Ontario. — Autonomie  administrative  du  Bas  et 
du  Haut-Canada.. — Ils  ont  un  parlement  commun.  Les 
colonies  maritimes  jouissent  alors  d'un  embryon  de  gou- 
vernement représentatif. — Invasion  de  1812. — Les  vol- 
tigeurs canadiens-français  font  retraiter  les  envahis- 
Recrudescenee  de  l'ambition  d'anglifier  les  Qué- 
►is.— Echec  des  Quatre-vingt-douze  résolutions. — In- 
surrection de  1837-1838.  Union  des  Deux-Canadas,  1840. 
—La  métropole  i-établit  bientôt  l'officialité  du  français 
aboli  au  parlement  par  l'Union. — Crise  terrienne  résul- 
tant de  considérables  octrois  et  de  concessions  libres 
du  domaine  colonisâble.  Réaction  déterminée  par  la 
liquidation  des  réserves  de  l'Eglise  anglicane  en  Ontario, 
l'acquittement  des  droits  seigneuriaux  au  Québec, 
le  rachat  par  acte  de  travail  au  Xouveau-Brunswick,  et  • 
par  le  rappel  de  VActe  dt  Navigation.  Arrivée  de  l'élé- 
ment   celte.    -Les    tarifs    douaniers    înterprovineiaux    et 


TABI.K   ANALYTIQUE    DES   M  ATI  Ki;i:s  L89 

I'  \i,i  - 
l'activité   industrielle   des    Etats-Unis   amènent    la   créa- 
tion «lu  Dominion  canadien 53 

(   IIA1MTKL    IV. 

La  ConfédévaUon  et  son  oeuvre  Le  pacte  de  L867  es1 
économique  et  administratif. — T]  inaugure  une  confédé- 
ration anglo-française — Le  Dominion  identifie  bientôt 
ses  frontières  aveu  celles  de  l'Amérique  boréale.  De 
Québec  devienl  régulateur  de  la  représentation  aux 
Communes.  Attribution  du  gouverneur-général,  du  sé- 
nat, du  ministère  des  députés.  -Parlement,  législatures 
provinciales,  municipalités,  tribunaux.— Décentralisa- 
tion <le  l'autorité,  ['ne  somme  généreuse  d'autonomie 
es!  ''.•hue  an  Canada.  Les  deux  partis  politiques  et  leur 
conception  du  pouvoir.:  Oeuvre  économique  de  la  Con- 
fédération.—Transcanadiens  et  canaux.  Primes  à  l'in- 
dustrie métallurgique  aux  chemins  de  fer.  aide  aux 
pêcheries  et  à  l?agrioulture  —Exploration  scientifique 
et  conservation  des   ressources   naturelles 69 

TELLES  ET  PEUPLES. 

CHAPITRE   Y. 

Les  influences  géographiques.  Le  milieu  physique  et 
l'homme.  Aux  provinces  atlantiques:  on  se  ressenl  de 
l'isolement. — La  mer  et  les  petits  horizons  de  Tinté- 
rieur.  Tristesse  et  mobilité  des  sentiments.  L'Aeadie 
fut  le  champ  clos  des  luttes  anglo-françaises.— L'inhu- 
main forfait  de  17âj. — Luine  et  reconstitution  de  lu  pa- 
trie aeadienne.  au  Nbuveau-Bronswick  surtout.— -Origi- 
nes de  la  population  anglophone:  —  Halifax  reçoit,  la 
première,  l'institution  parlementaire.  Le  Néo-Ecossais 
se  déliai  entre  un  vif  désir  de  sécession  et  -on  respecl 
invétéré  île-  institutions  britanniques  Esprit  autori- 
taire   des     fils     des     LoyalistS.      Irlandais     et      Acadien-. 

heur   voleur   sociale.      L'avenir   acadien.      Le    problème 

du  peuplement  es1   fcoul  économique 07 


190  table  analytique  dbs  matières 

Pages 

Au  Québec:  Domaine  politique  d'une  grande  unité  géo- 
graphique Valeur  sociale  des  premiers  colons. — Pro- 
cédé de  peuplement. —  Institutions  terriennes. — Genèse 
et  physionomie  des  p. uni --es. — Leur  conseil  de  fabrique 
es1  précurseur  de  l'institution  municipale. — Aptitudes  à 
la  vie  parlementaire.  Résistance  à  l'anglicisation. — Les 
ilissements  celtes  sonl  absorbés.  -Les  townships  an- 
glais passent  aux  Laurentiens. — L'âme  franco-cana- 
dienne. — Archaïque  saveur  de  la  langue,  toujours  bien 
française. — Effets  de  l'ambiance  anglaise  sur  la  lan- 
gue.—Dureté  de  la  nature  é  de 
l'agriculture  chez  les  Gaspésiens. — Les  bords  fertiles  du 
lac  Saint-Jean.-— L'estuaire  salin  et  giboyeux. — Québec, 
boulevard  de  la  résistance  française. — La  calme  vallée 
laurentienne.  Zone  des  cellules  paroissiales  les  plus 
fécondes. — Aux  cantons  de  l'Est  on  est  devenu  plus  po- 
sitif qu'aux  rives  du  fleuve. — La  victoire  pacifique. — 
Trois-Rivières,  patrie  des  voyageurs  et  des  mission- 
naires.— Fécondité  et  monotonie  de  la  plaine  du  sud. — 
Un  ophir  de  l'agriculture.  Valleyfield  et  la  frontière. — 
Montréal,  l'or  anglo-saxon  et  les  Canadiens-français. — 
I.:i  colonisation  au  nord  de  Montréal.— La  rive  ou- 
maise  e1    l'activité  franco-canadienne 106 

En  Ontario:  Instabilité  de  ses  groupements  ethniques, 
malgré  l'apparence  d'unité  territoriale  du  pays. — Aperçu 
de  la  colonisation. — influence  sociale  du  Celte  sur  la 
masse  anglo-saxonne.  Les  trois  groupes  francophones. 
!.'  -alité  irlando-française.  Lutte  autour  de  l'<école,— 
La  terre  passe  aux  Canadiens-Français. — La  commu- 
nauté de  langue  favorise  l'envahissement  de  l'Ontario 
par  l'espril  yankee.     L'Ontario  résiste  mal  à  cette  : 

1  ration  du  sud 123 

Aux  provinces  mêdiales  :  L'aube  de  la  civilisation  y  fut 
française.      Importance   du    commerce   anglais.      Lxplo- 


TABLE    W  \l.YTini   Ë    DES    M  \TI  ÈRES  191 

PAG!  9 

ration  du  continent,  jusqu'à  L'océan  Glacial  e1  au  Pa- 
cifique, par  les  commis  de  la  Société  de  l'Hudson.  Ri- 
valité des  associations  pelletières  Triomphe  de  celle 
d<  l'Hudson. — Elle  remel  sa  charte  au  souverain.  Trap- 
peurs bas-canadiens  et  métis.-  Les  territoires  sont  cédés 
au  Dominion  et  ouverts  à  la  colonisation. — Des  agricul- 
teurs du  Canada  occidental  vonl  se  fixer  près  des  pion- 
niers bas-canadiens  el  des  Ecossais  de  la  Rivière- 
Rouge. — Peuplement  intensif  par  une  formidahle  im- 
migration venant  d'Europe  e1  d"es  Etats-Unis. —  Le  home- 
stead-  Possibilités  agricoles  el  carbonifères.  Puis- 
sante pénétration  des  sentiments  yankees  favorisée  par 
l'unité  géographique  de  la  région  qui  se  soude  à  la  vallée 
du   centre  américain.      Menace    Intente  de  briser   l'unité 

canadienne 131 

En  Colombie:  Débuts  sous  l'égide  de  la  Hudson  Bay 
Co. — La  découverte  de  l'or  an  Caribou  amène  le  gouver- 
nement populaire.  Adhésion  au  Canada.  Abondance 
des  richesses  naturelles.  Problèmes  locaux:  caractère 
socialiste  de  l'organisation  ouvrière,  menaces  d'une  in- 
vasion mongole  ci  hindoue,  main-mise  des  capitaux 
américains  engagés  dans  l'exploitation  industrielle. 
Identité  d'intérêts  dans  les  Etats  du  Pacifique,  l'a- 
ie cuire  ia  Californie  et  la  Colombie.  Leur  avenir 
est   tout   sur  le  Paci fique 1 39 

CHAPITRE  VI. 

Les  problèmes  canadiens.  Exposé  numérique  des  race- 
an  Canada  Caractères  moraux  el  physiques.  Forma- 
tion sociale  et  foi  religieuse  propres  à  rendre  la  fusion 
de  ë.--  races  impossible  L'individua  ité  grandissante 
des  Canadiens-Français  et  des  catégories  d'Anglo- 
Saxons  l'ait  que  ce  pays  restera  le  patrimoine  des 
deux    race-,     A    cause    de    l'attraction    américaine,    les 


192  table  analytique  des  matières 

Pages 

Canadiens-Français  restent  le  plus  fidèle  soutien  de 
l'état  politique  d'à  présent. — Formidable  ambiance  con- 
tinentale et  imminence  d'une  intervention  de  la  métro- 
pole dans  l'orientation  de  la  politique  canadienne. 
Dualisme  national,  continentalisme  cl  impérialisme 
paraissent  trouver  leur  antidote  dans  ia  doctrine  na- 
tionaliste 147 

CONCLUSION. 

Conclusion:    Parce  que  les  Franco-Canadiens  restent  le 

plus  sûr  soutien  de  l'étal  présent,  il  ne  faut  pas  qu'ils 
soient  gênés  dans  leur  progression  numérique. — C'est  à 
leurs  faiblesses  en  présence  de  TAny-lo-Saxon  qu'il  faut 
attribuer  beaucoup  de  leurs  capitulations. — Leur  men- 
talité de  vaincus  nuit  à  leur  avancement. — Nécessité 
d'une  réaction. — Conduite  à  suivre  sur  les  terrains  poli- 
tique, économique  et  social 1~3 


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Date  Due 



) 


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