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DATE DUE
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PRëcd SET
BRODABT INC
Cat No 23-221
TERRES ET PEUPLES
DU
CANADA
Emile MILLER
TERRES et PEUPLES
DU
CANADA
Préface de l'abbé ADÉLARD DESROSIERS
MONTREAL
LIBEAIEIE BEAUCHEMIN Limitée
79, rue St-Jacques, 79
1912
/ 1^.
Enregistré conformément à l'Acte du Parlement du Canada, en l'année mil neuf
cent douze, par la LIBRAIRIE BEAUCHEMIN LIMITÉE,
au bureau du ministre de l'Agriculture.
EN PRÉPARATION:
LIVRE-ATLAS
DE GÉOGRAPHIE
Enseignement concentrique - Cours général adapté aux
programmes officiels.
A L'USAGE
De l'enseignement secondaire classique,
De l'enseignement secondaire moderne,
De V enseignement secondaire des jeûnes filles,
Des écoles normales primaires et
Des écoles primaires supérieures.
3 volumes in-4°, d'environ 150 pages, ornés de gravures et
de cartes en noir et en couleurs.
-++•{•+ 4- •§•+•$•-
LA LAURENTIE ET SES MARCHES
PREFACE
La science géographique, faite d'observations et d'ex-
périences, à la fois descriptive, exacte et historique, forme
un tout d'une infinie variété, en même temps que d'une
admirable unité et d'une valeur éducative sans égale. Ca-
pable de satisfaire les esprits les plus pénétrants et de
favoriser l'essor de l'imagination la plus puissante, elle
explore tous les domaines et, dans ses courses, elle des-
cend sur tous les rivages pour y cueillir les fleurs les plus
diverses. Tous les aspects physiques, tous les aperçus hu-
mains, le jeu perpétuel des influences réciproques de la
terre et de l'homme, l'intéressent et retiennent successive-
ment son attention.
Le contact intime et constant de l'homme avec la terre
établit nécessairement, oui, disons-le, un air de parenté.
Le ciel, la lumière, l'altitude, la plaine qui rapproche ou
la montagne qui sépare, et plus que tout, le sol qui happe
VIII PKEFACE
l'être vivant après l'avoir porté et nourri, gravenl une
profonde empreinte sur l'âme humaine, et par elle sur la
famille, et par la famille sur la r-ace elle-même. Celle-ci
rencontre à son tour un obstacle à son agrandissement in-
défini. Le relief terrestre délimite les frontières natu-
relles au delà desquelles le peuple le plus vigoureux risque
de disperser ses énergies, de diminuer son originalité, de
réduire son influence, de se scinder. Il perdrait en vi-
gueur, ce qu'il gagnerait en étendue. C'est ainsi que la
décadence suit d'un pas rapide parfois l'apogée des plus
grandes nations. Mais parfois aussi, l'influence morale,
intellectuelle ou religieuse survit à travers les âges, car
tout autour de la nation, il y a l'humanité qui grossit son
trésor de civilisation. Cette influence, le géographe se
doit de la discerner, d'en suivre les manifestations les plus
lointaines.
Est-il cadre plus vaste, ensemble plus majestueux ? Les
travaux des maîtres de cette science, nouvelle dans ses
procédés et dans ses moyens d'enouête — elle date d'un
siècle ii peine, — ont ouvert devant l'esprit humain d'im-
menses horizons mais qu'il est possible d'embrasser d'un
coup d'œil.
Aussi bien par le nombre des facultés qu'elle met en
éveil, la puissance évocatrice de la géographie n'a-t-elle
pas échappé aux éducateurs et aux guides de l'opinion
moderne-
M. Jules Lemaître écrit dans son programme de rensei-
gnement moderne : " C'est sur la géographie qu'il faudra
surtout s'arrêter. Car il semble bien que la première chi se
PREFACE -X
à connaître, c'est la figure de la planète. Ça été peut-être
une idée géniale de Raoul Frary, ce précurseur, de faire
de la géographie le centre même de l'enseignement, et de
vouloir que les autres sciences ne fussent enseignées qu'à
l'occasion de celle-là. "
Aussi, la géographie considérée jusqu'ici comme un des
" yeux " de l'histoire, réclame-t-elle aujourd'hui sa place
distincte, en dehors des divisions politiques et administra-
tives si arbitraires parfois, en Amérique surtout. Que de
sciences "diverses le géographe doit interroger pour établir
ses conclusions : cosmographie, géologie, minéralogie, chi-
mie, physique, biologie ancienne et moderne, botanique
qui étudie le tapis végétal et morphologie qui recherche
une classification naturelle des formes terrestres, océano-
graphie et jusqu'à la poésie du paysage, toute l'histoire
naturelle en un mot se fait l'auxiliaire de cette science de
la terre, depuis qu'on en a découvert la richesse inépui-
sable et l'étendue sans limites. Faut-il s'étonner que des
esprits méthodiques aient proposé de grouper autour d'elle
la plupart dos connaissances humaines ?
De toutes les sciences, elle a été la première à profiter
de l'exploration de la surface du globe et du progrès des
sciences naturelles. Les Cook, les Alexandre de Humboldt,
les Livingstone et les Nansen, étendent le champ des obser-
vations individuelles et locales à l'époque même <>ù la chi-
mie, la minéralogie et l'histoire naturelle permettent de
mieux définir les matériaux qui entrent dans la composi-
tion du globe. Une élite intellectuelle commence la coor-
dination des faits relatifs à l'histoire de notre terre,
X TREFACE
découvre le lien qui les unir, établit enfin la succession des
révolutions du globe. La géologie ouvre lentement le livre
de la Création, aidée en cela par les besoins de l'industrie
— construction des routes, des canaux, des chemins de fer,
exploitation des mines.
Dès lors, se constituent les écoles géologiques et géo-
graphiques qui concentrent leurs lumières sur des pro-
blèmes spéciaux qui déjà passionnent l'opinion et dévelop-
pent le goût de cette science : origine du basalte, genèse
des formes orographiques, cause du feu intérieur, etc. Dès
lors, la géograjDhie n'est plus une sèche nomenclature de
faits sans lien et sans vie, mais une harmonieuse évolution
naturelle où le présent dévoile le passé et présage l'avenir.
La terre cesse d'être une nature morte et inerte : c'est un
organisme parfait. Le géographe, même à la simple lec-
ture d'une carte, voit et explique les traits du relief ter-
restre, la distribution des végétaux, celle des êtres vivants
et de l'activité humaine.
II
Avec le présent volume de géographie canadienne à vol
d'oiseau, M. Emile Miller introduit dans notre littérature
une nouveauté importante. Il montre aux hommes d'étude,
aux amateurs des larges horizons et des longs voyages,
aux poètes eux-mêmes, les espaces sans bornes de nos
plaines, de nos forêts immenses, de nos lacs gigantesques,
de nos grands fleuves, de nos montagnes inexplorées. Il
PRÉF m i XI
en explique la nature et L'évolution, les aspects variés, les
grandes lignes sublimes. Par lui, les solitudes cana-
diennes rendent une voix, les vagues de nos trois océans
chantent leur poème sauvage. On entend partout la langue
de la géographie, racontant les phénomènes géologiques,
climatologiques et biologiques, combinés avec le travail
humain*
("est que, depuis longtemps, M. Miller' s'est mis à
l'école des maîtres de la science géographique contempo-
raine : Vivien de Saint-Martin, de Lapparent, Suess, Eli-
sée Reclus, Marcel Dubois, Lerov-Beaulieu. A la lumière
de leurs principes et de leurs méthodes, il a repris et re-
manié avec un rare bonheur les études et les conclusions
des géologues canadiens : Dawson, Logan, Low, Bouchette,
Hind, Taché, Laflamme,
Mais loin que sa pensée fléchisse sens la masse des faits
amassés un à un, et que son style s'en ressente, il s'élève
par l'imagination et l'enthousiasme au-dessus de si m sujet
dont pas un détail important toutefois ne lui échappe, et
son excursion n'en est que plus splendide, sa vision plus
compréhensive. Il ne s'éloigne de ce grand tout que pour
en mieux apercevoir les délinéaments, pour en mieux mar-
quer la forte arcature et les cadres puissants. On ne sau-
rait, d'un antre point de vue, embrasser en un volume de
200 pages un aussi vaste ensemble, et tracer un si large
tableau.
Si encore l'auteur s'était borné à l'entité géographique,
demeure d'un peuple .le huit millions d'habitants. Mais
il a voulu jeter un regard sur l'avenir qui semble réservé
XII PBBFACE
à sa population si diverse de langues, de croyances et de
traditions. Il a fait de la géographie humaine, il a
essayé de marquer les influences de la terre canadienne
sur l'homme qui l'habite. Tentative vraiment périlleuse
au moment où l'on veut établir la filiation des caractères
nationaux, et l'influence du sol sur l'âme des peuples si
différents qui vivent sous notre ciel boréal.
Et c'est là peut-être que M. Miller rencontrera le plus
de contradicteurs et qu'il aura aussi le plus besoin d'indul-
gence. La géographie physique obéit à un déterminisme
absolu ; la liberté humaine a ses lois aussi mais combien
plus difficiles à lire et à interprêter. Dans notre jeune
Amérique est-on bien sûr que la géographie ait imprimé
son empreinte sur un groupe ethnique quelconque, et ce
caractère, si facile à reconnaître dans les'groupements na-
turels de la vieille Europe, c'est le cas de le dire, ne
semble-t-i] pas ici, manquer d'appui, les populations étant
plus récentes, plus disparates, moins individualisées par
le sol, si l'on en excepte peut-être le groupe français du
Saint-Laurent \
En Canada, deux peuples surtout retiennent l'atten-
tion : le premier, d'origine française, pionnier de la pre-
mière heure mais obligé un jour de se replier sur le Saint-
Laurent inférieur pour refaire ses forces et s'engager de
nouveau dans la route parcourue d'abord dans une ran-
d( onée splendidement héroïque ; le deuxième, anglais
d'origine, très rapproché encore de la mère-patrie, moins
• ■anadien que le premier, mais le maître des destinées ac-
tuelles du Canada et le principal artisan de sa grandeur
PREFACE XIII
future. Puis viennent les groupes mal définis encore,
nomades peut-on dire et non assimilés, qui stationnent en
masses plus ou moins compactes sans relations stables avec
le sol, l'histoire et les habitants primitifs. Sur eux les in-
fluences du milieu ne pèsent encore que du poids d'une
ombre. Là plus qu'ailleurs se livre la bataille des natio-
nalités. M. Miller a bien vu qu'il serait téméraire d'as-
signer une âme commune à ces groupes migrateurs, sans
patrie, sans foyer pour ainsi parler. Que sortira-t-il de
cet immense caravensérail où stationnent des représentants
de toutes les nations ? C'est alors que le géographe de-
mande aux ressources du sol et du sous-sol, quelle orienta-
tion leur développement imprimera aux destinées du Ca-
nada.
Nature e1 situation des sols règlent en effet la richesse
économique d'un pays. Et voici qu'en considérant l'entité
du domaine politique du Canada comme habitat de
l'homme, l'auteur expose cette vérité à laquelle, semble-
t-il, conduit la géographie : en dépit de son apparence
d'unité territoriale, ce pays ne saurait devenir une seule
pairie. C'est selon le mot d'Elisée Reclus, un annelé,
chacune de ses trois ou quatre sections est autonome, non
seulement par son relief, mais à l'égard de chacun de
leurs autres grands facteurs géologiques : climat, sous-sol,
voies de transport, débouché? maritimes.
Le mystère de l'avenir du Canada ne reste-t-il pas da-
vantage impénétrable ? En tout cas. à l'heure <-ù ce palpi-
tant problème des éléments ethniques de ce pays se pose
avec une précision presque dramatique, il t'ait bon de
XIV PREFACE
constater un effort qui projette quelque lumière sur ce
sujet.
M. ^Miller Fa fait en un style excellent, nerveux, concis,
rapide, imagé parfois et aussi varié que les tableaux qu'il
déroule devant les yeux de son lecteur. Il connaît bien la
Langue de la géographie. Ce n'est pas là le moindre mérite
de cette œuvre faite toute de généralités et de larges aper-
çus.
11 reprendra la plume, nous l'espérons, et bientôt, pour
étendre et préciser la vigoureuse étude dont il ne donne
aujourd'hui que le sommaire des chapitres pour arriver
d'un bond aux conclusions. Ainsi pourra-t-il offrir à l'en-
seignement secondaire, forcé d'emprunter livres et atlas
de géographie aux petites écoles, le manuel indispensable
qui lui manque encore, et dans lequel la géologie et la
géographie continueront de marcher la main dans la main.
Ce sera combler une lacune et accentuer chez nous le mou-
vement de géographie scientifique qui se dessine.
Abbé Ai)i-:r.Ai:i> Dksrosieks.
Juin 1912
LES TERRES
CHAPITRE PREMIER
ESQUISSE DE LA GÉOGRAPHIE DO CANADA
Considérons l'ensemble du Canada pour le mieux voir se
détacher du tronc continental et s>e partager de lui-même en
ses divisions naturelles propres. M ni- elle est si vaste cette
Amérique boréale, couronne d'un monde, que, pour l'embras-
ser toute d'un courp d'oeil circulaire, nous monterions en vain,
BOUS un soleil zénital. aux régions aussi vertigineuses que dé-
létères où voyagent les cirrus glacés, sans encore voir étinceler,
quand mitre regard pourrait percer un limpide horizon de six
cents lieues, les trois océans qui battent ses rivages du levant,
du nord et du couchant. Renonçons à c tte inutile et impra-
ticable ascension : d'autres panoramas, d'autres vistas encore
bien grands, mais pins humain- el souvent sans rivaux, s'of-
frent à l'admiration du voyageur : la mer luttant dans des
arènes de granit, un estuaire où se confondent le fleuve et
4 ti;i;i:i:> ET PEUPLES DU canada
l'océan, des méditerranées douces aux calmes plats et aux ter-
ribles colères, des rivières silencieuses ou précipitées en casca-
des, des fleuves tonnerres, dles monts solitaires au milieu d'une
fertile vallée, des steppes de la faim, des chaînes de montagnes,
trônes des deux saisons, d'où l'on découvre une plaine illimitée.
Terres de tous les âges, de toutes les vicissitudes,, de toûti
physionomies, de toutes les valeurs, vêtues à même la flore
de deux zones ; ici tout est immensité et multitude ; un peu
de tous les pays et plus qu'en totit autre pays !
Que ceux qui ne peuvent voyager se penchent sur une image
du globe fidèlement sculptée en bas-relief et teintent^ ainsi
qu'il convient, les aires géologiques du Canada. Et peut-être.
quièteanent, sans envier le fier essor de l'aigle, le puissant vol
de l'aéroplane, verrons-nous alors un peu de lai grandeur et
de la force, de la clémence et de L'âpreté dont est fait notre
Canada !
11
La terre la plus orientale qu'aperçoit le voyageur, c'est Ter-
re-Neuve, aux côtes sévères et si profondément découpées que
ses^ explorateurs la prirent longtemps pour un archipel. Avec
ses épaisses forêts de conifères recouvrant la majeure partie
d'un sol tout archéen. ruisselant sous les épaisses brumes
l'Atlantique boréal, avec ses interminables processions d'ice-
bergs, ses phalanges de pennipèdes venues ensemlble de la Baf-
fin, Terre-Neuve est une contrée essentiellement arctique ;
aussi u'est-ce pas encore le Canada.
Voici, regardant l'Europe, des lamibeaux arrachés à l'océan,
tous diriges du sud-ouest au nord-est : ils traduisent les der-
ESQ1 [SSE DE LA GEOGRAPHIE DU CANADA 5
niers efforts de surrection de l'imposanl système des Apala-
ches, trait dominant de ce littora] américain. Cependant que
les soulèvements de cette chaîne n'atteignent nulle part ici la
faillie altitude de mille pieds, ils ont partout déterminé l'af-
fleurement de filons minéraux rivalisant en richesse avec ceux
des régions, plus tourmentées du sud. Des noyaux, d'étroites
lames éruptives parsèment la masse calcaire de l'Acadie, mais
restent impuissants à la protéger contre les violentes actions
maritimes qui la dévorent, tels les formidables jusants de la
Fundy, l'écluse du Canso, les longues vagues venues des tro-
piques.
Au-dessus de ces terres pennées un estuaire guide nos re-
gards vers le sud-ouest où bientôt se déroule, en s 'élargissant,
un immense bassin : c'est la calme vallée du Saint-Laurent
dont les bornes méridionales sont cette chaîne des Apalaches
qui, après avoir rempli la lobe gaspésienne, oblique .vers le sud,
pour multiplier ses tronçons parallèles. Vu nord, sans limiter
Taire des grands affluents : Saguenay, Saint-Maurice, Ottawa,
court le rebord désordonné d'un médiocre plateau du plus
vieux granit. Encore conduits par le clair sillon du fleuve
qui, de la 45e latitude, devieni subitemenl frontière entre le
Canadla et les Etats-Unis, nos yeux rencontrent d'immenses
réservoirs d'une eau douce et verte. Parmi les majestési amé-
ricaines ces cinq méditerranées se nomment simplement des
lacs — ce qui n'en éloigne pas les colères de l'afaoosphère. En
atteignant l'Ontario, que setpj cents milles séparent du golfe
Saint-Laurent, nous ne nous sommes encore élevés qu'à 246
pieds. L'Erié nous porte à plus de deux fois cette altitude
par la digue calcaire qui a créé la formidable cataracte du
Niagara. Deux autres réservoirs, le Euron, le Supérieur, en-
core plus vastes ei plus profonds que les premiers, continuent
II
TERRES ET PEUPLES DU CANADA
d'élever leur niveau en prolongeant la frontière la plus na-
turelle que nous comptions au sud. (1)
L'Ontario, l'Eric, le Huron circonscrivent une pi-aine en
fer de lance, fourbu pour mieux manquer le terme de notre
expansion méridionale. Cette péninsule rattache ainsi la
vallée laurentienne de surface alluviale à l'immense bassin du
centre continental, dont elle constitue sur la pente atlantique
le prolongement le plus assidu.
Retraitant de ces mers intérieures dont les flots lavent à
lfurs rivages déchiquetés du nord le même granit, le même
vieux calcaire qu'ils retrouvent aux portes de l'océan, nous
franchissons bientôt le border des terrains primaires. A peine
trois minces bandes paléozoïques font ici la transition entre
les sols les plus vieux et les plus jeunes. C'est le milieu du
continent ; l'altitude n'est encore que de huit cents et quel-
ques pieds.
Devant nous commence, pour ne finir qu'aux pieds des Ro-
cheuses, une plaine d'alluvions crétacées dont l'origine est at-
tribuée au séjour d'une mer, — la mer d'Agassiz — qui, à
l'époque quaternaire, comblait toute aspérité depuis les Apa-
laches jusqu'à Faîtière cordillère de l'ouest) et de l'Alaska au
golfe mexicain. L'oeil se repose et se fatigue à contempler
cette prairie déroulant ses faibles ondulations comme les va-
(1) LES GRANDS LACS.
Supérieur
Huron (y compris la baie Geor
gienne)
Erié
Ontario:
Michigan
Lon-
Lar-
gueur.
geur.
milles
milles
390
160
4<»0
160
250
60
190
52
345
58
Super- Alti-
ficie. tude
milles pieds.
carres
31,420 602
24,000 581
10,000 572
7,330 246
25,590 581
Fro-
fon-
deur.
pieds.
1,000
900
200
500
800
ESQUISSE DE I. A GEOGRAPHIE DU CANADA 7
gués reposées d'un Océan. Vers le terme de ces champs mono-
tbnemeni pareils et pareillement fertiles, l'altitude insensible-
ment croissante de la plaine est parvenue à celle d'un pîateiau
excédant d'eux mille six cents pieds, qui s'adosse à une formi-
dable chaîne de montagnes aux sommets neiges. Les nom-
inaux torrents qui en descendent s'acheminent avec fracas
parmi des entassements de cailloux et id'c graviers ; plus loin,
devenus grands fleuves, ils coulent dans des tranchées d'argile.
Nous voici engagé* dans la cordillère des Rocheuses, robus-
te épine dorsale de l'Amérique à la procession ininterrompue
de cimes et de crêtes essentiellement, alpestres, depuis la 58e
parallèle jusqu'au plateau mexicain. Ses sommets portent
des carapaces glaciaires auprès desquelles celles de l'Europe ne
sont que miniatures.
A cette hardie surrection de l'écorce calcaire du gloibe,
bourrelet dont la, largeur va de pas moins de cinquante et de
plus de cent cinquante milles, s'appuie fidèlement la chaîne
laminée des Selkirk. Dans la fosse séparatrice court le Co-
lumbia, forcé de chercher issue vers le sud, tout près de la
frontière. Immédiatement parallèle à ces .deux systèmes oro-
géniques s'élève La chaîne d'Or, archéenne, capitonnée .de pa-
léozoïque et devenant de plus en plus altière en fuyant le nord.
Et succède un haut plateau Aprement accidente, que décou-
pent des lacs sans fond et d'où sortent des fleuves rapides et
abondants comme le Fraser, le Thompson. En maints endroits
affleurent des sédiments crétacés ei tertiaires, ceux-ci recou-
verts* à la hauteur de Kamloops, de dépôts volcaniques qui ont
déterminé de fortes dislocations.
D'ici à la mer se dresse une quatrième chaîne toute éruptive,
assidûment frangée -de fjords, d'inlets que dominent, en quel-
ques points, des monts d i six mille pieds . L'élévation de cet
S TERRES ET PEUPLES DU CANADA
alignement côtier croît avec la latitude pour aller former les
alpes du Saint-Elie et, en Alaska, l'imposant massif du Me-
Kinlcy, tandis que la chaîne-mère -des Rocheuses s'affaisse à
mesure qu'elle approche de l'océan polaire.
En vue de la côte surgissent l'île de Vancouver et l'archipel
de la Reine-Charlotte, cimes d'une cinquième cordillère encore
à demi noyée dans les eaux profondes du Pacifique.
Extrêmement tourmentée dans la Colombie méridionale et
moyenne, la zone du court versant occidental s'apaise vers le
nord en un système des plus simples : un plateau de quatre
mille pieds, tout lacéré de gaves et d'étroites vallées — d'où
sort le volumineux Yukon — s'incline vers les mers de Beau-
tort et de Bering.
III
Conduits sous ces latitudes de l'hiver quasi perpétuel, au
terme de notre course vers le couchant, la vue embrasse main-
tenant, du haut des médiocres dômes que sont devenues ici les
Rocheuses, une grande, étrange et sévère contrée. Ses fron-
tières, du delta du Mackenzie au détroit de Belle-Isle, ne sont
autres que les eaux boréales ; au sud. elles traversent le Qué-
bec et l'Ontario avec les Laurentides dont un des contreforts
va brider le Saint-Laurent limitrophe, pour ne finir qu'au-
delà du lac Supérieur, en Minnesota, d'où elles courent Mi-
le point initial nord-ouest, formant ainsi un écu triangulaire
de deux millions de milles, négligemment inséré dans la
pyramide renversée que figure l'Amérique, et embrassanl
ton le la région lacustre du Canada. A son centre effondré
pénètrent les eaux du nord : c'est la mer de Hudson, com-
parée avec justesse à la dépression baltique.
ESQUISSE DE I.A GÉOGRAPHIE 1>I' CANADA
10 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
Dans ces mornes espaces faiblement inclinés soit vers le
pôle, soit au pourtour de l'hémicycle; dont la mer centrale est
comme l'arène, la croûte du globe a. gardé, dirait-on, le carac-
tère cahotique qu'elle prit au jour où elle se solidifia. Et
souvent, là, nul terrain de transition ne gît entre le granit
primordial et les roches érnptives.
Deux grandis Êleuv s ont creusé leur lit sur ses confins —
le Saint-Laurent et le Maekenzie, — tandis qu'une légion de
rivaux venus d!u littoral labradorien, des sources du Mississipi
et dos nevés des Rocheuses, s'acheminent vers l'Hudson, tantôlt
reposant leurs eaux dans d'immenses réservoirs de nulle pro-
fondeur, tantôt reliant de longs chapelets lacustres ; ruisse-
lant ici a plat sur le dur. grondant là en cent chutes, rapides
ou cascades.
Tel nous apparaît cet imposant vestige des sols archéens,
alors que la Terre primaire avait comme aujourd'hui deux
continents, mais qu'au lieu d'être alignés dans une direction
nord-sud — qu'elle tend sans cesse à accentuer, — ils entou-
raient les pôles. Les derniers mouvements de l'écorce parais-
sent avoir eu pour effet la production de fractures longitudi-
nales, comme celles qui ont ouvert les deux extrémités de
l'Atlantique, segmenté l'Asie de l'Afrique. " C'est ainsi qu'à
l'ordonnance des anciens âges, qui comptait deux masses,
Tune boréale, de l'Alaska à la Sibérie, l'autre tropicale, des
Andes chiliennes à l'Australie, s'est peu à peu substituée
l'ordonnance actuelle où s'accentue la tendance à l'allongement
des unités continentales. " (1) Le même sol antique affleure
également en Sibérie, en Mongolie ; la Finlande, la Scandi-
navie, l'Ecosse, les Hébrides, le Groenland sont d'autres frag-
ments aujourd'hui isolés de ce continent qui dut voir l'aube
1. A; de l.appart'nt . Abrégé d Géologie, ch. X. §"3.
ESQUISSE DE I.A GÉOGRAPHIE 1)1' CANADA 11
delà vie terrestre. Il constitue le trait fondamental, la clef
de voûte de la géologie canadienne, en divisant, par son angle
méridional enfoncé dans les Etats-Unis, soit au centre du con-
tinent, la vallée laurentienne de la plaine et du versant paci-
fique.
IV
Le caractère 'boréal que ta présence die ee bouclier commu-
nique si franchement au Canada, il l'accentue encore en té-
moignant des faits géologiques qui ont, à la fin de l'époque
tertiaire, déterminé sous nos climats l'irruption soudaine de
l'hiver, manifesté d'abord par des invasions glaciaires. Alors
que se reposaient les Apalaches, alors que s'achevait la surree-
tion des Rocheuses, alors que les Alpes n'existaient pas. une
ti rre se dess-ait, savons-nous, à la place de l'Atlantique du
Nord, empêchant tout mélange entre les eaux froides du pôle
et les eaus subtropicales. Quand cette Atlantide fut assez
morcelée par une série d'effondrements, dont les mers Balti-
que, de Baffin, de Hudson et le golfe laurentien sont autant
d'exemples, un grand troulble est survenu dans la distribution
des courants : ides vents humides, issus de la région
équatoriale, sont arrivés brusqu ment en contact avec des fleu-
ves marins, jusque dans les pays circumpolaires, pour y
décharger leur vapeur d'eau. " Les terres alors en
travail — ■ tantôt abaissées, tantôt relevées — offraient
à de certains moments une altitude particulièrement propice
à ces condensations. Comme ce n'esl pas tant le froid qu'une
augmentation notable de la quantité de neige tombée qui en-
gendre les masses glaciaires, il esl vraisemblable que le bou-
clier canadien se développait alors en un plateau incliné srers
12 TEBRES ET PEUPLES DU CANADA
le sud et dressant ses plus hautes falaises sur les parages
arctiques, soit l'inverse de l'état actuel. Et comme l'équilibre
définitif ne put s'établir Bans que la- mesure ait été plus d'une
fois dépassée dans un sens ou dans l'autre, le phénomène eut
drs alternatives séparées par des intervalles d'un tout autre
régime. e< (1) Pas moins rie six invasions glaciaires parties de
trois centres de distrihution auraient ravagé, en descendant
jusqu'à la 37e parallèle, la moitié du continent, soit quatre
millions do milles carrés. "Dan- le Canada oriental, où le relief
est assez simple, l'action érosive n'eut pas d'autre effet que de
rouler des débris arrachés aux collines du Labrador et de
redistribuer des sols déjà fixés. Mais le centre glaciaire du
Keewatin a presque effacé les Laurentides pour endiguer par
ses puissantes moraines la fosse où gisent les plus grands ré-
servoirs d'eau douce do la Terre. C'est dans la région colom-
hienno que l'action d s glaciers fut le plus destructive : des
sommets ont été beTrassés, les bords des vallées taillés en mu-
railles et leur- fonds exhaussés de plusieurs centaines de pieds.
Sur tout 1" Grand Nord, où 1 • granit a été remué ot trituré.
les accumulations morainiques ont déterminé, avec le retrait
des glaces et l'abaissement définitif de la contrée vers le pôle,
des endiguements qui ont fait naître une multitude de lacs
dont les plus vastes son ceux des Bois, du Winnipeg, du Ma-
nitoba. du Caribou, de la Doobount, de l'Atfoabaska, du
Grand -Esc! ave et de l'Ours.
Les condition- actuelles résident dan- l'acquisition définitive
de l'assi t-te des terres boréales et dans l'établissement tardif
du Gull'-Siream. dont l'influence assure à l'Europe nord-
occidentale mie douceur i!e climat que la seule latitude semble
lui interdire, tandis que 1" Canada atlantique reste à la merci
1. A. de Lapparent, Ybrègè de Géologie, eh. XI, §:.'.
ESQUISSE DE LA GEOGHAPHIE ni CANADA 13
des courants polaires. Telle fut en résumé L'action altérative
de cette époque glaciaire qui paracheva la configuration de
l'Amérique, en y établissant un lien étroit entre sa physiono-
mie el s. m climat.
N'ayant pas comme au Vœux-Monde ni Afrique, ni Arabie,
ni Hindouston pour contrebalancer la Sibérie qu'est notre
Grand Nord, le retour des saisons expose ce pays à de consi-
dérables écarts thermométriques. Il y a plus que le désa-
vantage d'être à la base d'un triangle dont la pointe méridio-
nale ne saurait faire que de médiocres provisions de chaleur :
c'est l'absence de toute saillie transversale capable d'abriter le
centre contre les souffles polaires ou tropicaux. Enfin, le très
court 'versant du Pacifique est-il seul à bénéficier d'influences
maritimes. Quant au courant du Golfe, il n'a de faveurs,
avons-nous vu, que pour l'Europe. Né de la fusion de deux
courants équatoiïaux qui, dans le canal de la Floride, à l'ouest
des Bahamas, unissent leur grande chaleur et leur haute sali-
nité, ce fleuve marin sans rival longe les cotes américaines
jusqu'à la latitude du cap Hattaras où, déviant (brusquement,
il traverse l'Atlantique, disperse de puissants rameaux qui
retournent au midi, pendant que le tronc principal s'avance
jusqu'aux glaces où sa marche, quoique ralentie, peut encore
déterminer un courant polaire qui côtoie fidèlement le La-
brador et se heurte au flanc de ce même Gulf Sfream, en pro-
duisant, à la hauteur des bancs de Terre-Neuve, un bras*
l'niinidaUe d'eaux froides et d'eaux chau les, ce qui provoque
d'épais brouillards enveloppant tout le littoral, et que les
grands vents d'est répanSenl en neiges ou pluies sur la vallée
14 TBRRES ET PEUPLES DU (AXA HA
laurentienne, où la mesure il s précipitations annuelles oscille
entre trente et quarante pouces.
Quant aux souffles polaires, nécessairem ni secs, ils trou-
vent porte ouverte sur nos landes arctiques et descendent sans
obstacle vers leur foyer d'appel, le golfe mexicain, la mer
antilienne, et, de concert avec lés alizés de l'Atlantique boréal,
ils infléchissent considérablement les barres isothermiques
vers le sud-est.
Tel est l'ensemble des agents défavorables à mitre climat,
auxquels s'opposent des contraires quelque peu moins agis-
sants.
Le Pacifique équatorial engendre lui aussi un courant que
l'hydrographie appelle de son nom japonais : c'esl le Kouro-
Chivo — fleuve noir ou fleuve salé — lequel traverse l'océan
à la façon du Gulf Stream, pour venir disperser ses bras depuis
les Aléoutiennes jusqu'en Basse-Californie. Le souffle qui
l'acconipagnc tempère nos côtes au .point que l'île de Van-
couver a des étés pins chauds que la Californie moyenne, à dix
degrés plus au sud, cependant. Aiprès s'être allégé de ses va-
peurs à la rencontre des barrières du littoral, par des précipi-
tations nulle part inféri ares à soixante-dix pouces, mais
atteignant jusqu'à cent trente pouces, ce courant aérien, de-
venu le chinooh, franchit les plateaux intermédiaires, s'en-
gouffre dans les cols de la triple cordillère die l'arête conti-
nentale et dévale sur la plaine du centre où, sec et vivifiant, ce
foehn liquéfie et boit les neiges, ressuscite les graminées pour
restaurer en un jour l'été sur les domaines de l'hiver. D'autres
vague- fièdes, parties •en tourmentes cycloniiques du golfe
mexicain, s'apaisent en courant dans la steppe et s'engagent
périodiquement jusque dans la région laureniienne, où elles
alternent avec les souffles de Gaspé ou de l'Iludson.
ESQUISSE DE LA GÉOGRAPHIE DU CANADA 15
Au centre du continent c'esï Le calme relatif de L'air. Mais
il est cependant rompu à l'étal chronique sur la haie de Sa-
ginaw où. soit que Le souffle vienne du nord ou du sud, pas
wolents l.i bise sibérienne. Le desséchant siroco.
Ainsi dépourvu d'influences maritimes, c'est-à-dire de vents
à la fois chauds ei humid s. sur la plus considérable portion
de sa surface, le Canada souffrirait les rigueurs d'uu climat
essentiellement continental, s'il ne possédait cette incompa-
rable quinte de Lacs-frontière à laquelle se rattache l'échelle
des autres grands et petite réservoirs qui va du lac des Bois
à celui de l'Ours, en exerçant sur tout le midi et le centre
canadien le rôle de modérateurs dans l'alternance trop rapide
des saisons. Refroidies ou réchauffées plus lentement que les
terres, ces eaux lacustres leur communiquent, suivant l'époque,
soit un peu de froid, soit un peu de chaleur qu'elles ont en
excès sur Les terres, suppléant ainsi à l'insuffisance — à L'ab-
sence même, pourrait-on dire — des agents maritimes.
VI
Ces divers facteurs permettent de partager le climat ca-
nadien — tout à la zone tempérée froide — en trois tj
bien caractérisés. On climat franchement maritime, pareil
à celui des régions nord-atlantiques de l'Europe, réside sur Les
littoraux de la Colombie et de l'Alaska méridional. L'in-
fluence a Itoucissante de la mer y détermine des pluies modé-
en toute saison et des températures à faible variation :
en effet, l'écart des oscillations thermométriques n'atteint
jamais fi.>° F.
16 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
Tous les steppes centraux jouisseni d'un climat nettement
continental, mais qu'il convient de diviser, selon que, du sud
au nord, l'amplitude de la température moyenne et annuelle
va de <J5o à 95o, ou au-dessus de 95o. Dans la bande méri-
dionale qui s'étend sur une portion considérable du Canada et
des Etats-Unis, l'amplitude de l'oscillation entre le mois le
pins froid et le mois le plus chaud augmenterait dans la me-
sure de l'éloignement des influences maritimes, si les grandes
faux intérieures n'exerçaienl leur action neutralisante ; ce qui.
malgré les pluies suffisantes, ne laisse pas d'avoir l'été chaud.
parfois très chaud et l'hiver rigoureux, d'une durée de cinq
longs mois. C'est de ce climat que jouit l'Europe depuis l'esl
de la Scandinavie jusqu'en Sibérie occidentale. Une ampli-
tude excessive des variations — dépassanl (>0o — caractérise
la zone subarctique ou intermédiaire, aux étés encore chauds,
mais courts, et aux hivers de sept mois et demi, alors que
règne un froid sec, le plus intense du globe. Tel est aussi le
climat siibério-mongolien.
Enfin, le régime qui sévit sur toutes les îles de l'Arctique
s'étend à la région des littoraux de nulle altitude que ne
limite pas le cercle polaire. En effet, les abords du grand
lac de l'Ours, de l'inlet de Chesterfield, comme du détroit de
Hudson, où les rayons solaires n'arrivent que très affaiblis ei
cela pendant une faible partie de l'année, subissent aussi l'ex-
trême froidure de l'arctique. Il ne tombe que très peu d'eau,
vu l'absence presque complète d'évaporation sur les mers
froides. La moyenne <\v< mois les plus chauds n'atteint pas
43o quand! celle des plus froids dépasse I05o.
ESQUISSE DE T.A GEOGRAPHIE DU CANADA lî
VII
Le monde végétal, intimemenl lié à la nature des sols et aux
conditions climatiques — dépendant peut-être plus encore du
climat que des sols — achève de fixer la physionomie et de dé-
terminer la valeur idée contrées. Notre pays possède une flore
variée, mais contrastante, puisque les causes son! très caracté-
risa es.
Dans son entité originelle le domaine forestier de l'Amé-
rique septentrionale entourait la plaine continentale d'un
large réseau, encore bien riche au nord et sur chacun des ver-
sants occidentaux de la Colombie. De l'Orégon, cette ceinture
irigeait à l'est par le cours supérieur du Missouri, pour se
rattacher par l'Ohio à la zone dis Alléghanys, en revêtant
toutes terres depuis la péninsule michigane jusqu'à l'Acadie.
Le Canada contient un domaine de pluies constantes, sans
saison sèche, à l'hiver clément : c'est le climat forestier idéal
dont bénéficie la Colombie britannique. Aussi voit-on se dé-
velopper sur tout le littoral et chacun des versants qui regar-
dent le Pacifique, une épaisse croissance de conifères
dont, l'expression la plus parfaite se trouve dans le
gigantesque pin Douglas, haut de cent soixante pieds. Bien
que ces bois exubérants ne dépassent pas sur le continent la
57e latitude, la plupart des îles de l'Alaska méridional, celle
de Kadiak et jusque la corne d'Aliaska sont totalement recou-
vertes de la môme, incorruptible et odorante forêt. Humidité
et chaleur, scret de toute vie. prodiguent encore dans cette
région transrocheuse une abondance <\r moussi s veloutées, aux
teintes étranges, qui tapissent le sol. les bois morts ou vit-.
18 TBERES ET PEUPLES DU CANADA
de grandes fougères épizootiques dentelant jusqu'aux branches
des arbres séculaires.
D'immenses prairies limitées vers le sud par les cours de
l'Ohio et de la Missouri s'étendaient, il va un demi siècle à
peine, de la Rouge aux abords des Rocheuses et jusqu'à l'orée
des bois qui marquent la transition des sols argileux ^ux
roches granitiques de l'extrême nord. Mais à la grasse végéta-
tion de ces steppes souriantes, — au printemps, merveilleux
tapis de graminées, de cactées, d'onagrariers, de mimosas, de
liliacées arborescentes, passant avec la chaleur estivale aux
nuances les plus diverses du jaune et du roux, à cet océan
mollement bercé, que d s traînées d'arferes, dans les couloirs
étroits des rivières tranchaient ici et là sans l'interrompre, -
substituent chaque Jour des domaines agricoles. Là où na-
geaient les coursiers des chasseurs métis et sauvages à la pour-
suite du robuste bui'falo, mûrissent, au milieu de toutes les
cultures, des blés portant leurs lourds épie plus haut que la
tête des hommes.
Il est exact de dire que jusqu'au moindre des champs culti-
vés du Canada oriental fut conquis sur la forêt, forêt d'une
très belle venue, aux sous-foois charmants, marquant le pas-
sage des formes à feuilles caduques des Alleghanys aux
essences à feuilles aciculaires du nord : oléacées (frênes),
sapindacées (érables), chêne rouge, iilmacées (ormes) et châ-
taigniers.
Une ceinture de robustes conifères — pins, sapins, mélèzes
avec qrai Lques bouleaux — atteignant sur plusieurs points plus
de six cents milles de largeur, relie les maquis du Lalbrador
aux altières chevelures des Rocbeuses. De l'estuaire lauren-
tience bois sombre et dense va au-delà du fleuve llamilton ;
BSQUTSSE DE I.A GÉOGRAPHIE DTJ CANADA 19
depuis le cap Tourmente, Grand'Mère, Grenville, Kenfrew, il
ne finit qu'à la baie .laines ei à la rivière de la Grande-Balei-
ne, en Ungava ; des rives de l'Huron, lu Supérieur, du Win-
oipeg son expaneion indéfinie embrasse tout l'espace des
grandes plaines siluriennes dont le cap Churchill esi le terme
oord. La même foret, quelque peu affaiblie par une décrois-
sance des précipitations, renaît à l'ouest des lacs manitobains,
remplit la vallée de la Saskatehewan, les bassins de la Chur-
chill, de PAthabaska supérieure, aoil jusqu'au Grand Esclave;
enfin un large tronçon, guidé par la Paix et le Mackenzie,
gagne le cercle polaire, franchit les cordillères aibaisséee et
comble la pénéplaine d'où sort le Yukon.
En traversant cette grande forêt résineuse, au début telle-
ment pleine d'ombre et réfractaire à la chaleur que le déve-
loppement des moindres sous-bois est souvent impossible, et si
dense que les seules clairières ne sont autres que le passage
des eaux courantes et une myriade de lacs tranquilles où se
mirent les cimes effilées, on constate à sa frontière du nord
une diminution notable de la vigueur ligneuse. C'est bientôt
la taïga : plus que dles lisières courant dans les vallées, des
îlots végétant aux endroits abrités ; de plus en plus ces brous-
sailles toujours vertes s'affaissent devant les régions suprême-
ment monotones et désolée-- de l'Arctique.
Dans cette zone des landes stériles (barren grounds) —
occupant \>rr> d'un tiers du Canada — l'hiver de huit longs
mois ne laisse qu'une courte période végétative avec, il est
vrai, un éclairement continu, mais de minimes précipitations.
Et le sol reste gelé à une faible profondeur de la surface,
moins de dix pouces. Là, l'existence de la végétation est d -
plus précaires : des arbres centenaires gardent l'apparence de
20 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
buissons rampants dont les plus élevés, quand il s'en trouve,
n'arrivent qu'à un demi pied ; leurs branches étalées à la sur-
face font à peine saillie au milieu des mousses. Souvent même
la tige tordue de ces arbres nains — bouleaux, saulaies — ne
porte que deux feuilles et un seul chaton. La toundra esl
jaune aux endroits pierreux et secs que tapissent les lichens,
puis verte dans les marécages où végètent les mousses. A ce
tapis bigarré de plantes minuscules, avec une partie souter-
raine très développée où s'amassent les énergies, s'ajoutent,
jusque sur les iptus lointains rochers polaires, quelques repré-
sentants d'une bien humble flore qui — renoncules, saxifrag -.
anémones — blottis dans les frissures ou étalés sur la pente dés
talus aibrités des vents traîtres, se hâtent de germer et d'épa-
nouir leurs éclatantes petites fleurs qu'un misérable jour de
six semaines transformera en l>aies minuscules aussi insipides
que incolores.
VIII
Comme l'Afrique australe, les terres canadiennes possé-
daient une faune qui, avant d'être soumise à l'influence déci-
mante de la civilisation, était l'une des plus considérables mie
la Providence ait préparée à l'homme.
Refoulée dans les forêts de l'est dont la frontière recule sans
cesse vers le nord, et anéantit- dans la grande plaine du centre,
où l'extermination fut aussi impitoyable que facile, cette faune
de la sous-région boréale compte encore, parmi les ruminants,
le timide chevreuil (r/cer), le caribou K(reîndeer des Anglais),
l'orignal ou moose, le beau cerf wapiti dont on trouve des
individus vingt-cors, tous confinés dans les 'bois, au sud et à
ESQUISSE DE LÀ GÉOGRAPHIE DU C.\NAI>\ 21
Test de la mer de ELudson; à L'ouest, Le bison ou btqffàlo, jadis
le roi do la prairie aujourd'hui en troupeaux bien réduits dans
les boîg de la rivière de la Paix et au pare de Banff.
Au nomjbre dles carnassiers, «les rongeurs au riche pelage
Bubsistèni Tours brun, le loup, le glouton ou wolverene, le
renard, le lynx, le blaireau, la martre, la loutre et le castor
en faibles colonies.
Des oiseaux-mouches ou colibris, des pinsons-des^-guérets,
dos bouvreuils, des "merles chanteurs, dos grives et plusieurs
autres passereaux se rendent aux premiers jours de l'été jus-
qu'à Forée de la grande et noire forêt où se confondent les
faunes sub-arctique et arctique. La taille des insectes, des mou-
cherons.notamment celle d'une phalène de nuit.est considérable.
Les "batraciens et les reptiles, introuvables sur les landes, son!
abondants ici. C'est encore dans les eaux fluviales et lacustre-
do cette zone zoologique — en Colombie surtout — que l'exis-
tence d' s Salmonidés a pris un exceptionnel développement.
Mais il faut remarquer mi Y>n les trouve en dessous du Canada
et jusque dans chacune des moindres rivières de l'archipel du
nord.
Tl convient de considérer comme une zone autonome le ver-
sant pacifique, où l'animal semble proportionné au végétal.
C'est l'habitat de deux, peut-être trois variétés de plantigrades
carnassiers : Tours noir ahon'lanl surtoul en Colombie mé-
diaire, le grizzli, horrible et terrible relique des temps gla-
ciaires : de la chêvre-mouflon, sorte d'antilocapre Indigène
des Rocheuses, puis, sur la côte et en mer, de la loutre et du
phoque à l'inestimable pelage.
Au pays déshérité, sans chaleur, sans ressources végétales,
qui va de la lisière extrême i\<i> buis laurentiens jusqu'aux
22 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
îlots polaires, vivent une faune terrestre assez pauvre quoique
supérieure à celle de l'Eurasie parallèle et une faune maritime
remarquable par la grande taille de" ses mammifères. L'océan
du nord est devenu le dernier refuge de la baleine franche ou
baleine noire qui, incessamment chassée dans l'Atlantique
moyen, s'est définitivement cantonnée au voisinage du Spitz-
berg, dans les mers de Baffin et de Beaufort. Son itinéraire
annuel est bien connu : à l'ouest, du cap Lopatka aux (bouches
du Mackenzie ; à l'est, autour du Groenland jusqu'au golfe de
Melville. Mais il est certain que des cétacées franchissent
aussi le fameux détroit du nord-ouest. Le renne, que les Dénés
(1) paresseux auraient pu domestiquer, est abondant sur les
landes. Des boeufs dits musqués, des ours blancs, elles loups,
des renards et d'autres rongeurs à riche pelage traversent, sur
la glace qui ne manque jamais de soucier les littoraux affaissés
du continent au complexe des terres du bassin polaire, et s'a-
vancent ainsi jusque dans l'ultime Ellesmere. Toute cette
catégorie terrienne harmonise sa toison avec la saison hiémale
en prenant alors une livrée blanchie. Mais c'est dans les oiseaux
qu'est la vraie richesse zoologique de l'Arctique : canards,
bruants, gélinotes, dont l'habitat ne finit qu'au golfe de Saint-
Laurent. Notre faune des légions polaires s'individualise par
son grand! ruminant autochiome, le boeuf musqué,, qui ne se
trouve pas en Eurasie ; par l'absence de l'eider, précieuse va-
riété du canard, tout à fait disparue, et encore par celle des
pengouins on manchots, cou fines aux banquises de l'Antarc-
tique.
1. Peuplade du versanl arctique du Canada.
ESQUISSE DE l..\ GÉOGRAPHIE DTJ c\\\l>\ 23
IX
Bien que intimement soudé au reste de l'Amérique, puis-
qu'une ligne astronomique marque au sud les trois-quarts de
sa frontière, le confinement boréal du Canada est manifeste-
ment déterminé par l'écoulement des eaux dans une direction
générale nord avec, cependant, deux seules exceptions : le
Saint-Jean et le Columbia, qui dirigent leur cours majeur au
sud.
Et qui confondra jamais les caractères des trois grandes
/.unes longitudinales dont l'assemblage constitue le Canada et,
comme du reste, tout le continent ? 1° Terres morcelées et fai-
blement accidentées du versant immédiat de l'Atlantique :
2° calme hinterïand ayant la route laurentienne et la mer de
EDudsôn pour débouchés ; puis 3° brève pente saccadée du
Pacifique.
De profondes harmonies régissent les rapports du relief au
climat: les landes de l'extrême nord et la péninsule labrado-
riehne seraientelles de hauts plateaux comme celui du Pamir.
que ce serait le retoirr de la période glaciaire ou, tout au
moins, leur misérable végétation de mousses trouverait-elle
assez de rennes H de lièvres pour la brouter. Et les Kocheuses
Beraient-elles abaissées au niveau du centre platéen, que l'exis-
tence deviend l'ait intolérable sur tout le pays : aux souffles
glacés de l'Aivi ii|iie succéderaient sans transition les vents
humides et déprimants du Pacifique.
Conséquence d'un climat continental, c'est-à-dire rela-
tivement dépourvu d'humidité et favorable à tous les phéno-
îènes de radiation, L'année canadienne se partage, dirait-on.
24 ti:i;i;i:s j:t peuples DU CANADA
entre l'hiver et l'été, toutes les saisons intermédiaires sont peu
marquées et passent rapidement. Le printemps dure à peine
un mois pris sur avril et mai. Octobre et novembre donnent
le mois automnal — l'indian su mine?-.
Nos eaux fluviales restenl pendant plus de quatre mois em-
prisonnées sous une épaisse couche de glace (et c'est certaine-
ment une infériorité sur l'Europe de latitude égale) : mais
quelle contrée possède une telle abondance de lacs, de fleuves
ci de rivières navigables ?
Et quelle sage répartion dtes richesses naturelles ! Les sols
cristallins du bouclier resteraient absolument réfractaires à
l'agriculture, arrêtant ainsi toute expansion de l'habitat hu-
main, en le confinant au contre-bas des Laurentides, si de
vieux c-alcaires huroniens recouvrant par places ce territoire
ne créaient, en se désagrégeant, 'des îlots de terres arables.
C'est encore sur ce dur terrain, tout filonné de précieux miné-
raux, que s'étend la grande forêt laurentienne.
Los régions maritimes, comme la péninsule néo-écossaise,
l'archipel de la Reine-Charlotte .renferment d'immenses gise-
ments houillers; et les vallées colombiennes, le plateau alber-
lain n'en sont pas dépourvus. (1) Manque sur plusieurs points
le fer en gîtes assez riches pour être traité par les moyens ac-
(1) CHAMPS CARBONIFÈRES DU CANADA
En Colombie britannique 1,123 milles .surtout bitumineux
extraetibles
Yukon 400 " lignite
Mackenzie 200 " "
Alberta 19,082 " beaucoup de lignite
et de bitumineux,
400 millions de ton-
' nés d'anthracite.
Saskatchewan 7,500 " lignite
Manitoba 48 " «
ESQUISSE DE I. \ GÉOGRAPHIE DU CANADA 25
tuels. Mais voilà que L'abondance de La force motrice des ra-
pides et des chutes d'eau, cette houille blanche, rendra possi-
ble, dans un avenir rapproché, La transformation des hémati-
tes >'ii métal.
Tels sont donc les éléments physiques constitutifs du Ca-
nada qui soutient, comme héritage et habitat de L'homme, un
• avantageux parallèle avec le Vieux-Monde, et se révèle parti-
culièrement propice à individualiser les rameaux des civilisa-
tions venus et venant encore d'Europe (et qui peut-être demain
accourront d'Asie) pour se dépouiller de leur vieillesse et pour
se refaire ici.
Nouveau-Brunswick 112 " bitumineux.
Non voile- Ecosse 992
29,957 " renfermant
450 millions de tonnes d'anthracite,
89,600 milliards " " de houille,
82,000 " " " de lignite.
Divers rapports de la " commission géologique du Canada " et
" 1er rapport de la commission de conservation" — vol. 1, p. 431,
Ottawa, 1911.
LA RICHESSE »U CANADA EN HOUILLE BLANCHE:
Chevaux-vapeur. Utilisés.
Yukon 470,000 3,000
Colombie britannique (connus; 10,000,000 73,000
Alberta 1,144,000 1,333
Saskatchewan 500,000
Manitoba 504,000 18,000
Nord-Ouest. 600,000
Ontario 4,308,479 331,157
Québec (sans la côte nord du golfe.) 6,900,000 75,000
Nouveau-Brunswick 150,000
Nouvelle Ecosse 54,300 13,300
21,010,779 514,890
26 TERRES ET PEUPLÉS DU CANADA
S'il se dégage quelque conclusion sim/ple et pratiqua de cet
aperçu, c'est que: malgré son apparence d'unité territoriale,(l)
le Canada est articulé en trois grandes régions autonomes et
chacune capable d'une propre vie économique ; «d'où, les grou-
pements humains qui s'y dévelopoent seront conduits, par la
seule force des choses^ à se créer des patries dont les frontières
ne varieront pas de celles des zones continentales que nous
venons d'apprécier et de décrire.
8UPERFICIE DES ZONES CANADIENNES
— Versant pacifique
Colombie brit 382,300 milles
Yukon 197,000 " 579,300
— Plaine centrale
Alberta 251,180 "
Saskatchewan 242,332
Manitoba 251,830 745,342
— Zone de l'est
Ontario 407,250
Québec 706,800
N. Brunswick 28,200
N. Ecosse 20,600
Ile du Pr. Edouard 2,000 1,164,850
2,489,492
— Il y a encore des territoires inorganisés,
d'une superficie d'à peu près 1,130,000
Superficie totale... 3,619,492
— La zone essentiellement montagneuse de la Colombie bri-
tannique y laisse à peine un dixième de terres arables : 35,000
— La prairie est cultivable sur plus de sa moitié, soit : 275,000
— Environ un tiers des terres des provinces orientales est
propice à l'agriculture, soit : 195,' 00
— La vallée fertile du fleuve de Mackenzie, celle d'antres
rivières contiennent quelque 20,000
— Laissant une superficie arable d'environ 525,000
— Le dixième enest aujourd'bui cultivé.
LES PEUPLES
CHAPITRE SECOND
L'OEUYIŒ COLONIALE DE LA FRANCE
Les principes colonisateurs qui présidèrent' à la naissance
de la Nouvelle-France, comme de tous les autres établissements
européens aux seizième et dis-septième siècles, différaient no-
tablement de ceux d'aujourd'hui. Parce qu'il ne s'agissait au-
cunement de trouver quelque déversoir à une population
surabondante, ni d'activer une industrie nationale, ni encore
de Favoriser des spéculations privées — motifs îles expansions
modernes. — les exodes d'alors ne bénéficièreni pas de la
coopération directe de l'Etat. (1) Comme s'il se fût agi d'oc-
cuper quelque région encore vacante, attenant aux vieux
champs que quittaient seigneurs et censitaires, le mode '1 ap-
propriation des biens fonciers, les rapports sociaux entre ces
1. Rameau de Saint-Père, / m colonù féodale en Amérique,
vol. I, p. XIV.
30 TÉBBES ET PEUPLES DU CANADA
deux classes suivirent un plan traditionnel : c'était l'essaimage
de la féodalité.
Le procédé est partout semblable ': la couronne confère l'in-
\ '.-i iture seigneuriale à un noble ou à une compagnie à charte,
sur un territoire défini, avec l'obligation pour lui d'en déter-
miner l'exploitation par le peuplement. "'Si la concession est
une principauté comme les seigneuries anglaise? et l'Acadie,
le seigneur sous-concède des nefs à des free holders, à des gen-
iilshommes ; si elle est un simple fief comme dans la vallée du
Saint-Laurent, chaque seigneur circonscrit ses domaines de
réserve où il établit son manoir et se? terres, puis il fait arpen-
ter et diviser le reste de la concession en lots d'une contenance
ordinaire de cent acres ou arpents qu'il sous-concède à dos
familles qu'il fait venir d'Europe, moyennant une faible rente
perpétuelle (quit vent) généralement de 1 sol par arpent. Le
censitaire doit rendre aveu de foi et hommage au manoir,
payer annuellement sa rente et se joindre au seigneur p »ur la
défense du territoire." (1)
L'espoir joint à l'orgueil de voir doubler la souche de la
race aux libres espaces du Xon veau-Monde facilita le départ
des cadets de la noblesse française, d'autant plus qu'ils s'éta-
blissent sans amoindrir les fiefs patronymiques. D'autre part,
le maintien d'usages plusieurs fois séculaires, des contrais de
tenure, soit de solides appuis moraux et matériels, protégeai nt
les colons contre l'imprévu, en leur garantissant une continua-
tion du bon ordre de la collectivité et ni/mc em permettant à
li aucoup d'entre ces immigrants, recrutés autant parmi les
métayers!, les artisans que le? simples manoeuvres, de venir
mettre le pied sur le premier échelon social de cette époque.
1. Rameau de Saint-Père, mur. cité, vol. I, pp. XV et XIX.
L'ŒUVRE COLONIALE DE LA FBANOE 31
l'u troisième el précieux élémeni s'ajoute à cet ensemble colo-
nisai \u\ le clergé qui, ambitionnanl d'aibord la conquête du
sauvage américain au christianisme, devancera partout L'occu-
pation nationale en faisant pénétrer à l'égal la foi au vrai
Dieu eft l'amour de la France.
II
Le sort des sociétés européennes transplantées sur ce conti-
nent fut variable. Il a dépendu autant de leur intime organi-
sation respective que de la nature des régions à coloniser. Aux
Amériques moyenne et méridionale l'expansion rapide autant
que désordonnée des Espagnols ne fut possible que par le mé-
'lange, dans une large mesure, de leur sang avec celui des den-
ses population autochtones. Aussi en résulta-t-il bientôt un
m m veau type ethnique et partant, social, genèse des Etats néo-
latins d'aujourd'hui. Mais l'harmonie colonisatrice aux plan-
tations de la Virginie, aux comptoirs de Manhatte, aux défri-
chements tIc Boston et du Saint-Laurent, où les naturels,
plutôt clairsemés, furent peu à peu refoulés vers l'intérieur,
permit d'établir autant de prolongements des sociétés mères.
Que le Français d'Amérique ait gardé sa race pure de tout
alliage, c'est un fait incontestable. (1) Il s'est empressé, dès
1. Cette vérité historique s'étale dans le dictionnaire gé»
néalogique de Mgr ('. Tanguay. incomparable mémorial de la
na1 ion laurentiénne, compilé à même la série des registres civils.
Les unions contractées avec la sauvagesse furent cependant fré-
quentes au début de la colonisation acadienne et à la fin du dix-
huitième sied" dans les pays d'en Haut - territoire longtemps
fermé à la colonisation agricole.
32 TERRES ET PEUPLES DU < .WADA
sa première génération,, de disposer de cette promesse de
Champlain aux Algonquins rêveurs: "Nos fils se marieront
avec vos filles et nous ne ferons qirun peuple." (1)
Le champ de recrutement des colons de la Nouvelle-France
fut confiné aux provinces nord-ouest du royaume. Pendant
que l'Acadie recevait surtout les durs et robustes fils de la
Bretagne, la vallée du Saint-Laurent devenait la patrie de
cette vaillante race sortie du mélange des Scandinaves et des
Gallo-Romains, les Normands, et d'un nombre agrégatif à peu
près égal à coux-là. de gens de l'Ile-de-France, de la Perche,
du Maine, de l'Anjou et de la Vendée. Les Bretons ne fournis-
sent qu'un petit nombre d'orphelins qui, avec de rares méridio-
naux, arrivés sur le tard, seront bientôt confondus dans la
masse. (2)
Ces éléments les plus vigoureux, les plus endurants ,les plus
français (3) de la France, venant sous un ciel assez semblable
à celui qu'ils quittaient, affectionnèrent vite ce pays qui avait
répondu à leur rêve de colonisation en réjouissant leurs re-
gards et en promettant une généreuse assiette pour leurs nou-
veaux foyers.
Deux principes, l'un physique, l'autre moral, président aux
débuts de la colonisation française, qui assureronl sans retard
1. Relations <h s Jésuites, année 1633. p. 28.
2. Ce problème de la provenance des colons est peut-être
insoluble. Il se trouve aujourd'hui des noms patronymiques
rappelant la plupart des anciennes divisions provinciales et des
villes de la France, dont: L'Angevin. Beau(l)ne, Beauvais. Bour-
bonnais. Breton, Champagne. Corbeil. La Flèche, La Mothe, La
Iioche. La Eochelle, Lionais. Narbonne, Normand, Picard, Per-
cheron, Poitevin. Verdun, Vivarais.
3.i La première population qui a émigré ici venait presque
totalement des seules régions où se parlait. <>ù se parle un fran-
çais sans mélange d'idiomes ou de patois.
I. ŒUVBE COLONIALE DE LA FRANCE 33
une franche individualité à la vie canadienne. D'abord l'opu-
lence de la nature, l'immensité des espaces que des lacs, des
fleuves, ces chemins qui marchent, invitent à la pénétration,
et la résistance obligée de ions les instants aux menaces de la
barbarie ne manquent pas d'aviver le formidable instinct
aventureux des Normands qui s'infuse à l'autre moitié des
colons pour lui faire partager, grâce à la complicité du milieu,
son. remarquable amour des voyages et de la guerre. Les com-
pagnies catholiques, bien que peu empressées à fournir de
considérables contingents, ne manquent pas d'écarter sans
merci les personnes dont les moeurs fussent devenues un élé-
ment de décadence. Et les quelque cinq cents chefs de famille
qui arrivent à travers les soixante-quinze années suivant la
fondation de Québec (1608), rêvent tous de mener une vie
sainte et laborieuse. (1) Quel contraste avec. le peuplement des
colonies que l'Angleterre fait à même la masse des vaincus
de ses guerres religieuses ! (2) ■ •
C"était donc une bien virile semence que jetait la France
en Amérique boréale, mais une semence trop faible en nombre
et, nous allons le voir, trop médiocrement organisée au point
de vue économique, pour triompher sans retard des circons-
tances géographiques, historiqu s el sociales qui ne cesseront
de lui être défavorables.
1. La Nouvelle France recul environ 5 700 colons, quand
l'Acadie pins oubliée de-la mère-patrie el plus exposée aux coups
de la rivalité anglaise, n'en reçut que 400. de 1630 à 1710.
2. Emile Salone, La Colonisation <i la Nouvelle-France,
ch. m.
3 I i'ôii.'KES ET ri:rri.i> m canada
111
.La glace qui ferme le fleuve de la mi-idé à la mi-
avril séquestre la Nouvelle-France, quand une étroite dépen-
. I m 1 1 ; -. économique, inhérente aux - oloniaux, lui com-
mande d'entretenir d'assidues relations avec sa métro] »le. Et
le caractère du pays environnant rend inutile la création d'un
porl sui- la baie des Chaleurs ou sur la côte de la Nouvelle-
Angleterre. La considérable distance qui sépare Québec de
l'Acadie sera une autre cause de faiblesse. La rivalité -■
laire que la France et l'Angleterre transportent dans
du Nouveau-Monde pour y vider leurs querelles
traira bien des énergies. Enfin, ce son! les gouverneurs hol-
landais ou anglais du sud qui sùscitenl e1 alimentent la longue
hostilité des Cinq- Nations, les [roquois, à l'égard des pion-
niers laurentiens .
Une grande pureté des moeurs domestiqueSj une vaillance
traditionnelle, une parfaite solidarité des classes qu'avaient
perpétuées en France la tutélaire féodalité revivaient chez les
pionniers du Saint-Laurent et dé l'Acadie, pour qu'ils >
tenl pendant plus d'un siècle à la coalition de leurs ennemis
mr qu'ils demeurent enfin les ancêtres d'une impérissable
L'ace. Mais cette métropole qui s'acheminait prestement vers
la centralisation à outrance du pouvoir et de l'autorité — ce
atteignit sou s s. XIV — ■ restait impuis-
sante à doter - - ssaims d'outre-atlantiiqûe d'institutions
politiques e1 sociales r|ui leur eussent permis de commander
le respect, sin te résister finalement à la puissance anglo-
sa \ > 1 1 ri i qui s'affermissait si \ ite en! re la nier et les Apalaches,
pour avoir su briser opportunément avec cette féodalité. En
I. <Kt Vi;i; COLONIALE DE l..\ FRANCE :;.">
effet, -que vit-on Là ? Sachant que le sol natal ne les verrai!
jamais propriétaires, une multitude de tenanciers d - I les Bri-
tanniques s'en viennent occuper en libre seccage les terres
vierges «pie Leur offre le Nouveau-Monde.
Le succès proehaki de cette France d'Amérique eût été
garanti si elle eût bénéficié dès if début d'une généreuse appli-
cation des "trois points décisifs de imite expansion coloniale:"
d'abord et surtout L'entière possession de- biens fonciers e1
leur libre aliénation, en second lieu la décentralisai ion du
pouvoir par les autonomies provinciale H municipale, puis le
commerce libre an dedans comme au dehors. (1)
Quand le commerce, qui resta jusquen 1666 un privilège en
retour duquel l'Etat se déchargeai! de la noble tâche de con-
courir au peuplement, eut prouvé son inaptitude par la décon-
fiture successive des compagnies de Rouen (1614-1620), des
Cent-Associés (1628-1663) et des Endos Occidentales (1664-
1666), la Nouvelle-France l'ut dotée d'un Gonaeil Supérieur.
Cette institution de 1663, revêtue d'une autorité souveraine
sui' toute matière administrative ei judiciaire, composée du
gouverneur, d • l'évêque de Québec, d'un intendant, d'un gref-
fier et île conseillers choisis au gré <\r< deux premiers digni-
taires, parmi les habitants de In colonie, durera aussi long-
temps que le régime français en Amérique, réglementanl -ans
appel à la métropole le commerce devenu bientôt libre, (2) la
poli,-, le- travaux publics, le supporl de l'églis?, et adminis-
1. P. Leroy-Beaulieu, l.n Colonisation ch( : les peuples mo-
d< i h' S, vol. I p. 146.
2. ('.• a'est toutefois qu'en L706, soit après la faillite de
trois autres affermages île la traite des pelleteries, que le com-
merce devienl entièrement libre aux coloniaux.
36 TERRES KT PEUPLES DTJ CANADA
trant la justice selon les coutumes de Paris, en dispensant de
frais de cour comme d'honoraires d'avocats.
Une médiocrité relative restera le lot des habitants, (1)
parce que le mécanisme des concessions seigneuriales ne i -
de les disséminer sur une double ligne de plus de cent milles,
en les empêchant de choisir des terres tout à fait à leur gré;
encore, parce que! les censives annuelles, les lotis et ventes, les
droits de rachat, bien que tous faibles — ainsi la censive
n'était généralement que de 1 sol par arpent de front — ,
enfin le moulin banal sont autant d'obstacles permanents à la
diffusion des biens fonciers.
En somme, les aptitudes «le la France à l'expansion colo-
niale se manifestent dans cette parcimonie à peupler la vallée
laurentienne, quand il était urgent de renforcer la profondeur
de ses défrichements, isolés et impuissants à se prêter de mu-
tuels sec-ours, dans ce transplnnt ment des institutions ter-
riennes d'outre-mère, quand le libre s ccage n'eut pas été de
trop pour accélérer l'âpre conquête du sol. enfin dan- i
administration centralisée, d ■ sa nature incommode arbitraire
et propre à désintéresser le colon de la chose publique — ■
nulle- aptitude-, disons-le encore, quant aux Libertés munici-
pales et a l'aliénation des t err -. "ces deus les plus
féconde^ de bien aise matériel." (2)
1. Ce terme d'habitant, peut-être. le plus ancien des cana-
dianismes, désigne, dans un pays essentiellement agricole comme
la Nouvelle-France, celui qui vit directement de la terre.
i
2. P. Leroy-Beaulieu. ouvrage cité, vol. I, p. 152.
[/(El VUE COLONIALE DE I.A PB W'K 37
IV
Mais cette France chrétienne, coanniunautaire et belliqueuse
prodigue cependant le meilleur d'elle-même à ses enfants
d'Amérique, où les vertus individuelles de la race suppléeront
noblement à la faiblesse des institutions sociales.
A travers ceni trente-cinq ans à compter de la fondation de
Québec (1608-1743), la moitié orientale du continent sera
reconnue et, dans ses grandes ligues, soigneusement cartogra-
jiliiée. D'un coup Champlain en a ouvert les trois plus grandes
voies de pénétration : l'Outaouais conduisant en raccourci au
plus lointain des Grande Lacs et à la nier die Hudson, d'où il
faudra bientôt déloger les Anglais ; le déversoir des Grands
Lies que navigueront les découvreurs du Mississipi et du
plateau central, puis le Richelieu, trop commode issue vers le
paya des Iroquois et les puissantes colonies rivales du littoral
atlantique. Les missionnaires, les coureurs de bois qui che-
minent souvent ensemble ne tardent pas à relier toutes ces
routes, à remonter chacun des grands tributaires du Saint-
Laurent, et à reculer en tous sens las bornes de l'inconnu.
C'est ainsi que le frère récollet G. Sagard s'avance jusqu'aux
rivages du lac Supérieur (1628), que le Père jésuite Albanel
atteint seul la mer de ITudsou, en passant au lac Saint-Jean
(1672). La reconnaissance du haut Mississipi par le Père
Marquette et le Canadien JollieL (1(173) enthousiasme le
bouillant et généreux Cavelier de la Salle qui, par l'affluent
de Belle-Rivière (Ohio), rejoint ce fleuve appelé des naturels
"les grandes eaux/* le descend jusqu'à ses bouches, après avoir
pris possession au nom du roi de 1* immense et grasse vallée
qu'il appelle du beau nom de Louisiane ( L682 ). La dernière
'38
'! EBRES ET PEUPLES DU CANADA
grande addition à la carte de la Nouvelle-France est redevable
à Laverenidrye, qui part avec ses quatre fils à la découverte des
pays de la mer de l'ouest, c'esi>à-dire au delà des Grands
Lacs. Après douze années (1731-1743) des plus pénibl ? tra-
verses — i dont lé massacre de 1*1111 de ses enfants et d'un
jésuite, le Père Auneau, — l'un des membres de la famille La
ndrye s'arrêtait en vue des Rocheuses.
Tels étaient les cadres de cet empire colonial à eoup sûr le
plus riche el le plus vaste qu'ait jamais -- lé une nation
d'Europe au dix-huitième siècle !
I.'U'I V'RE COLON I \ I.i: DE l. \ II; \ Sfi i. 39
La France avail encore, par -■ - nombreux missionnaires qui
devançaient souvent la reconnaissance officielle, évangélisé
après moins d'un siècle doccuipation, tous les Qoma les et semi-
aomades qui se mouvaient entre l'Atlantique et la steppe
continentale. Aux Récollets qui s'incorporent aux partis de
chassa pour mieux pénétrer rluz les nations algohquines,
succèdent les Jésuites qui ne tarderont pas de rendre séden-
taires aux ïbords des Grands Lacs et plus loin encore (1)
mainte totems pour en faire souvi ut clés chrétientés dign - des
premiers siècles de l'Eglise. A ces bourgades en pleine solitude
répondent les villages de Sillery (1638), de l'île d'Orléans,
dans la vicinité de Québec : les colonies agricoles que les
prêtres de Saint-Sulpioe maintiennent avec succès sur l'île de
Montréal, son périmètre (''Isa. Laprairie) el jusqu'à la baie
de Kenté ( LG68). Ville-Marie, ce carrefour des plus grand «s
eaux, est fondée (1642) autant pour protéger Le commerce
des pelleteri s que pour être un centre commode d'où la foi
rayonnera sur les barbares. Eïonymës e1 denrées afflueront en
i iïh à ce terme de la grande navigation, <il|i ' s| aussi le point
de contact des domaines <li* [roquois, dont les cabanes -oui
établies entre les Lacs Ontario et de Clianiplain ; des ïïurons
disséminés depuis le lac des Deux-Montagnes jusqu'à la mer
Douce (lac ELuron), u des Àlgonquins-Montagnais qui habi-
tent les forêts du nord, jusqu'aux sources du Saint-Main
En 1671, le voyageur \. Perroi et les PP. Jésuites Allouez et
d'Ablon réunissent au Sâull Sainte-Marie les sache ms de qua-
1. Allant à la découverte du Mississipi, de la Salle rencontra
jusque près <l<- L'Ohio des missions <\<i Jésuites où les sauvages
avaient été amenés à la rie agricole. Le Père Aubry, donl il és1
parlé dans VAtnlii de Chateaubriand, a'esl pas un mythe. Il re-
cul pendanl quarante ans chez les Abénalcis <li> la Chaudière.
40 TEEBES ET PEUPLES DU CANADA
torze nations représentant la grande famille des Hurons-
Algonquins. qui, après avoir écouté un enthousiaste discours
d* Allouez, se placent solennellement sous le protectorat de la
France et reconnaissent avec 'bonheur, devant M. de Saint-
Lusson, l'envoyé >du gouverneur, que le roi de France est
désormais leur Grand Ononthio. (1) Cette alliance, que rien
ne devait plus briser, parce que signée sous l'égide de la croix
et des armes de la France, au chant du Vexilla, de YExaudiat,
du Te Deum et réalisant la conquête pacifique si habilement
inaugurée par Champlain, n'est qu'un solennel exemple des
pactes que scellèrent entre eux la civilisation chrétienne et les
libres enfants des bois. A la fin de l'occupation française, cent
totems avaient connu le vrai Dieu, pratiqué son culte et le
travail régénérateur, en s'attachant si fermement à l'aimable,
à la généreuse France, que son souvenir ne disparaîtra plus
chez eux qu'avec les derniers de la race. (2)
Deux vertus essentiellement françaises se tnanifesl nt chez le
colon : l'activité qui lui fait abattre entre deux qui-vive assez
de l'épaisse forêt pour tirer largement du sol l'existence de sa
1. Lorsque le second gouverneur de la Nouvelle-France, de
Montmagny arriva à Québec, les Sauvages demandèrent son nom.
grande' montagne, ce qu'ils traduisirent par Ononthio. Ainsi
s'appelèrent les successeurs de Montmagny tandis que le roi de-
venait naturellement le Grand Onontliio.
2. Dans l'Histoire philosophique des Indes de l'abbé Guil-
laume Reynal, il y a, en tête du volume, qui est consacré à la Penn-
sylvanie une gravure de Eisen, où figurent deux quakers dont
l'un embrasse des Indiens, tandis que l'autre brise des arcs et
de« flèches, symboles de guerre. "En tête d'une histoire du Ca-
nada, je voudrais, écrit M. Emile Saloue, dans son bel ouvrage
sur la Colonisation de la Nouvelle-France, ch. V. p. 138, qu'on
nous représentât madame Giffard donnant le sein à un petit
sauvage", orphelin que le mari de cette femme lui apportait.
L'ŒUVEE COLONIALE DE I.A FRANCE 41
maison, et l'adresse dans la transformation des 'produits
naturels, pour façonner "de quoi se bien vêtir des pieds à la
fcête." (1 )Le régime des intendants.dont le début coïncide avec
dea expéditions militaires qui imposeront respect aux- Cinq-
Nations, imprime à l'agricultûr, à l'industrie, au commerce,
un essor inouï .ce qui permettra d'exporter aux Antilles, dès
les premières années du dix-huitième siècle, le surplus do la
production canadienne. On favorise encore l'exploitation des
gisements ferrifères du Saint-Maurice ( 1660). après avoir
examiné ceux de la baïa Saint-Paul (lfiGfi). les cuivres du lac
Supérieur et un gisement de plomb au Rapide des Chats, sur
I'Outaouais, (173-1). Le lancement du Griffon sur l'Erié, par
delà Salle, en 1(170. ouvre l'ère des constructions navales. Dès
l'an 1723. six vaisseaux marchands et deux bâtiments de
guerre sont faits à Québec.
La poignée de colons qu'a reçus le bassin des Mines n'a pas
été moin> laborieuse ni moins entreprenante : ces solitaires
ont élevé contre les puissantes eaux de la Fundv des di<rues
qu'ils nomment barachois, restées solides et qui rendent aux
terres ainsi protégées une prodigieuse fécondité. L'industrie
des mines se développe à l'île du Cap-Breton, où l'on extrait
de la bouille en 1714.
C'est peut-être de bravoure, de valeur militaire que fut le
plus remarquable cette épopée française d'x\mérique. Le qui-
vive de tous les instants contre l'autochtone sançm inaire, la
lutte jamais finie contre l'ombraguse puissance des colonies
du sud ont fourni aux annales des commencements canadiens
une ample série d'actions suiblimes, dont l'exploit du Long-
Sault reste le prototype.
1. Lettre de Jean 'l'alun, premier intendant à Colbert, 1671.
12 ! BRRES ET PEUPLES DV CANADA
Au printemps de 1660, un fort parti d'Iroqûois revenant de
là chassé sur l'Oûtaouàis supérieur n juré la ruine entière 'le
la colonie qui ne compte pas eiîcore 2,500 Européens. A cette
nouvelle, dix-sept jeunes Montréalais, ^omniandés par Dollard
des Ormeaux, jurent devant le taib rnaeli - soutenir fidè-
lement, sans jamais demander quartier, et se disposent à mou-
rir en allant au «levant de l'ennemi qu'ils rencontrent au pied
«lu Long-Sau.lt. A peine la rnisérahle « nceinte de pieux qui s'y
trouve est-elle consolidée que s'ouvTe te siège. Pendant -
joui"?", tourmentés par l'insomnie, la faim, la - >îf. les Français,
qui se sont vus trahis par «1 s alliés indigènes qui, d'as-
siégés çtevienaient assiégeants^ résistent aux assauts de -
cents -guerriers dont un renfort vient relever l'ardeur en cloû-
hlani pn sque leur nomibre. Quand enfin la poudre manque au
fortin, les barbares y pénétrent pour compter avec stu]
poignée de chrétiens: Dollard et plusieurs d-a ses com-
pagnons -mi déjà morts : ceux qui respirent encore auront,
suivant les infernales coutumes du Sauvage, la langue coupée,
les ongles arrachés, des ns ardents à la place les yeux
et le coeur dévoré, afin que les vainqueurs héritent de leurs
vertus.
L'auréole dont l'histoire entoure le- auteurs des plus, subli-
mes actions de l'humanité — Léohidas 1 1 ses trois cents Spar-
tiates luttant stoïquieSj parce que trahis dans l,. défilé des
Thermopyles : d'Assas Iran -percé de baïonnettes, par.- que
surpris • a reconnaissance au ois de Closbercamfp — ne sera
pas moins glorieusement belle pour Dollard et les siens qui
courent délibérément à une mort certaine, afin de sauver, par
leur immolation, la foi m Christ et les foyers de la patrie.
i.'œi \ i;i: COLOfl i \i.i-: DE i. \ l'i; \\< i. 43
V
Dès que la Nouvelle-France ei La Nouvelle-Angleterre on<
résolu li' problème de leur propre subsistance, soi! après moins
d'un! siècle d-'ocoupation, les colons àa sud, à l'étroii entr*
l'Atlantique e1 les Alléghanys, veulenl franchir cette chaîne
qu'ils ont jusqu'alors regardée comme leur uîtima Thuie, pour
se répandre en faisant échec aux Canadiens déjà en train «le se
relier à la Louisiane, par la série des Gran 1s [>acs ei la vallée
de l'Ohio.
Au massacre de La Chine. A l'été de LT89, ieë établissemeffts
laurentiens ripostent, dès l'hiver suivant, par t'incendie de
quinze villages ou postes de traite au littoral du midi, par la
capture de vaisseaux anglais chargés de pelfetecrieë à la mer de
Eudson, (1) et par le sae de Saiit-Jean-de-Terreïïeuve
(1690).. Cette éclatante revanche presse les méridionaux <l*at-
taquer Port-Boyal, qui se rend ei Québec qui désempare leur
s «gse lesoad're. Le traité .lf Ryswick (169-7) mei un berîme à
des projets réciproques 'le conquête, eu gardani aux métro-
poles leur- mêmes possessions, si ce n'est (pie La mer dé B/ud-
l. I.a mer mi baie de Hudson fui découverte en 1610 par
Henry Hudson Dès 1646 La Tour y t'ait In traite avec les An-
glais et en L656 .Iran Bourdon en prend possession an nom de la
France. Les Anglais y construisent le fort Ruperl en 1677, et
quatre an- après des Groseilliers et Radisson \ élèvent le fort
Bourdon qu'ils livrenl bientôl aux marchands de Londres qui se
sont groupés en une société puissante, la Hudson Bay Company.
à laquelle Charles II avail accordé, de- 1670, une charte fort
avantageuse. C'est contre les établissements de cette associa-
tion que fui dirigé, eu 1686, le parti de su Canadiens qui se
couvrit de gloire en s'empârant de tous les magasins et de deux
raisseaux chargés de pelleteries.
44 TÈËRES ET PEUPLES DTJ CANADA
sou esl acquise à la France, que le paye des Iroquois devient
un territoire neutre et que les frontières de l'Acadie restenl
values.
Mais cette paix ne durera pas, car les intérêts des rivaux
s'affirment sur plusieurs point* du pays. La Nouvelle-France
resserre ses liens d'amitié avec les nations de l'ouest, envoie
cent colons fonder la seigneurie de Pontch-artraiu (1700),
puis elle occupe résolument la vallée de l'Ohio. les bords du
Mississipi (1712), tandis que les Anglo-Américains assiègent
Port-Royal (1704) qui capitule (1710) pour prendre le nom
d'Annapolis, et no tardent pas de s'installer à Terre-Neuve
afin de mieux isoler la colonie laurentienne dont on prémédite
sérieusement la- conquête. En effet, à l'été de 1711. une armé >
de 4.600 fantassins remonte le lac Ohamplain. avec Montréal
pour objectif, pendant que 54 voiles portant 6,500 homme? de
débarquement s'avancent vers Québec : mais l'heure de l'aban-
don n'a pas encore sonnée : les écueils de l'estuaire, la nuit, la
foudre, dispensent de tout combat et neuf cents morts couvrent
les rives, au milieu d «s débris des huit plus gros vaisseaux de
l'escadre. L'armée 'de terre s'est précipitamment retirée à la
nouvelle de ce désastre.
A la paix d'TJtreeh (1713). (1) l'Angleterre a dicté que la
Terre-Neuve, l'Acadie péninsulaire jusqu'à la Pentagoiïet.
tout le pays des Iroquois et les littoraux de la mer de Hudson
lui soient transférés .quand la France ne gard > plus, au péri-
mètre maritime, que les îles relativement peu considérables
de Saint-Jean et du Cap-Breton. Dès lors cette colonie lau-
1. Traité que la Franco. l'Espagne, l'Angleterre et la Hol-
lande concluront pour mettre fin à la guerre de la succession
d'Espaç-no. et qui assura la suprématie maritime aux Anglais.
L'ŒUVEE ( <)l.o\ I \!.K DE I. A PB LNCE 45
vent itii ne. qui a su résister aux assauts multipliés d'un anta-
goniste mesurant bonjours sa convoitise à sa puissance, mar-
chera irrévocablement à sa perte.
VI
Voyons aussi quels profonds changements au dedans
comme au dehors doivent maintenant envisager Les deux
colonies d'Amérique. Les traités ont t'ait retraiter sensible-
ment la Nouvelle-France vers le nord. Depuis la paix de
Montréal il 1701), qui signifie le renoncement final de la raee
Rouge à guerroyer, ces sauvages ne permettront plus même
aux An-lais, ni aux Français, d'envahir leur territoire. Et
l'immense arrière pays de la France, qui se soude à la Loui-
siane, ne sera que plus difficile à garder contre les empiéte-
ments des gens du sud. (Iiz Les mères-patries le dépla-
cement des forces est encore plus accentué. C'est d'un côté
la France qui s'épuise dans des guerres qui maintiendront pour
un temps la gloire de sa maison, et dans la coûteuse colonisa-
tion des Indes l'aile au détriment du Canada, en lui préparant
de cruels désastres. De l'autre. L'établissement de compactes
colonies et son corollaire obligé, L'impérieuse loi de Naviga-
tion, feront la richesse de la Grande-Bretagne en lui assurant
la suprémat Le <\-'^ mers.
En revanche, à toutes ces conjectures défavorables, la
période qui va de L713 à L'ouverture d ! la guerre dfe Sept-Ans
(1754 i. 51 ra celle d'un prompt renforcement de la colonie. —
à coup sûr le plus considérable quant a la croissance numéri-
que de ses habitants, à Leut aisance et m leur individualité.
Ili TERRES ET PEUPLES DD CANADA
car; grâce à la pais relative don! jouira Le Canadien, il se
tiendra dans un contact intime, assidu aven- le sol natal.
Le commerce des pelleteries, devenu libre, ne suffisait pas
cependant à enrichir la colonie entière : il ne rapportait pres-
que pins rien, par le peu de valeur du castor. La classe des
coureurs de bois accomplit aloie le retour à la terre, qu'elle
n'eut jamais dû mépriser, ce qui permit de eoncéd r une tren-
taine de seigneuries nouvelles!, entre L732 et 1743, eu portant
leur nombre à 222. Aussi vit-on. de ¥713 à 1739, date du
dernier recensement officiel d'avant la conquête, la population
làuretntiènne de saing français portée, par sa seule fécondité,
de 18,119 à 42,701 âmes. Et cette prodigieuse croissance
n'atteindra pas moins de 65,000 individus lorsque changera
le sort de la Nouvelle-France. Toutefois son infériorité nu-
mérique reste écrasante devant un rival juré, les établisse-
ments anglais, qui, grâce à de continuelles recrues, comptera
2î o.OOO en 1706 et douze cent nulle au détourl des hostilités.
En 1722, un arrêté du Conseil de Quélbeo accorde les droits
civils aux 82 paroisses laurentiennes dont la Baie Saint-Paul
et Kaniouraska sont les plus orientales, l'île du Pas erf Châ-
teauguay les dernières à l'ouest. 11 yen a 48 sur la rive gau-
che et 34 sur la droite. Ce premier acte de décentralisation
est suivi en 1737 d'un plus efficace, la délimitation des bornes
paroissiales, afin de rattacher au domaine de la Couronne les
seigneuries et les fraction- de seigneuries qui n'ont pas encore
été concédées. (1) Ainsi s'affirmait le caractère plutôt démo-
cratique dVie colonisation etayée sur le féod&lisme dans ce
1. ("était la séparation des terres cultivées et de- domaines
incultes— soit ce qui reste encore à l'aire dans les nouvelles zones
colonisables <lu Québec moderne..
L'ŒUVRE COLONIALE DE LA FRANCE 11
qu'il a de sage, de fécond : la seigneurie subordonnée à La
paroisse, et l'obligation imposée au seigneur de l' son
fief pour en rester le maître.
C'est encore pendant cette période de paix que la puissante
nature d'Amérique, les qualités in livi luelles de la race s'al-
lient aux sentiments, aux caractères '!<■. par de si dif-
ficiles circonstances historiques pour eonsomimeï l'élaboration
du type Qéo-français; le I aurent h q.
Le défrichement d'une vigoureuse forêt, le qui-vive, les
expéditions primitives contre la barbarie >t le rival du midi
ont trempé el retrempé l'âme coloniale d'énergique endurance,
d'indéfectible confiance en sof. Une Vie toute agricole, cou-
pée de fréquentes visites par les routes fluviales, se passe à la
lisière de bois résineux, et l'alimentation, largement eompi
de céréales riches en protéine, de pommes, de poissons riches
en phosphore, sont essentiellement propres à donner de robus-
:orps dont la dureté des hivers ne fera que accroître l'ac-
tivité.
Les seigneurs,, qui ont t'ait bâtir l'église paroissiale, un bon
moulin, donné par leur propre travail aux champs l'exemple
d'une sage exploitation, entretenu des rapports faciles avec
leurs - i -. ont sensiblement atténué la mé liocrité du
régime terrien. La culture intellectuelle des Canadiens devient
considérable — à cette époque où il était de mode de n'en
avoir aucunement. Elle l'emportait sair celle des Yankees,
nous dis nt [i o ageurs contemporains. (1) Si la rigueur
l. Après avoir rappelé que la conversation de V habitant es1
fine et plaisante, le voyageur Kalm dit: "J'ai trouvé (vers L'
que l<s gens de distinct ion. eu généra] ici. on1 bien plus de goûl
pour l'histoire uaturelle él 1rs lettres que dans .les colonies an-
glaises où l'unique préoccupation de chacun semble être de faire
une fortune rapide, tandis que les sciences sonl tenues dans un
mépris universel.'* Kalm, Voyage en Imériquè, Mémoires de la
Société historique de Mintréa'l, s«' livraison, p. i
48 TEHEES ET PEUPLES DU CANADA
liiémale, l*éloignement des habitations i mipêcJirait souvent
l'érection d'écoles primaires, il est certain que pas moins de
la moitié des paroi.- sies avaient la leur en 1725. Les Ursulines
à Québec, aux Trois-lîivières, les dame^ de la Congrégation à
Montréal, aux villages environnants et à Québec, continuent
de donner lïnstruction aux jeunes peisonn s qui vont répan-
dre le bon langage, les (belles, manières jusque dans les plus
humibles foyers.
L'excellent collège dis Jésuites à Québec, fondé dès 1626.
soit deux ans plus tôt que l'université d'Harvard, près Boston,
distribue l'enseignement secondaire jusqu'après la conquête.
Cette maison permet de" suivre un cycle d'études complètes.
Une école élémentaire prépare à l'enseignement classique,
distribué d'après le ratio studiorum, et y sont adjoints des
cours pour la formation d'arpenteurs, de capitaines et de
pilotes . Enfin une école des arts et métiers prépare d'habiles
artisans parmi une population naturellement ingénieuse. (1)
VII
Malgré son impuissance à gratifier ses enfants d'Amérique
des facteurs d'une colonisation économiquement féconde, la
France leur a cependant Légué les cadres d'une société solide-
ment organisée, une activité qui leur penmet de vivre à même
1. "Personne ne peut leur contester un rare génie pour les
méchaniques ; ils n'ont presque pas besoin de maîtres pour y ex-
celler et on en voit tous les jours qui réussissent dans tous les
m 'tiers sans en avoir fait l'apprentissage." Charlevoix, Journal
ii'im voyage dans V imérique septentrionale, t. V, lettre VIII, p.
225.
I. ŒDVKE COLONIALE DE I. A PB LNCE I»
L'exploitation des ressources naturelles, sans Le secoure
dehors.
Aux bords de cette avenue Eiuviale0 la plus belle, la plus
Large qui soit ouverte à travers le Nouveau-Monde, Le sens
d'une vie communautaire, le génie chrétien de la France ont,
de concert, crée la paroisse, cellule sociale dont un avenir
prochain fera voir l'étonnante puissance pour le salut d'une
race. Mais que va devenir TAcadie déjà séquestrée ; que] 91 ra
le sort dos territoires de l'intérieur, qu'aux lieux marquants
des solitudes gardent des croix, des poteaux armoriés, des en-
ceintes isolée- où s'enferment quelques colons ? Les événe-
ments se précipitent pour y répondre.
11 fallait des colons quand la France élevait murs et cré-
neaux. Elle bâtit en 1720, au coût de trente millions de
livres, l'imposante forteresse de Louisbourg qui inspirera
d'abord une crainte salutaire aux Bostoniens, aux Virginiens,
en protégeant le commerce de Québec avec les Antilles. Et si
en 1T19 un millier d'Aeadiens colonisent l'île de Saint-Jean,
(1) ils auront encore leurs terris en franc aleu noble et
devront porter foi et hommage au château de l'île Koyale. Sur
le continent, pour préluder à l'exécution des défenses (pie l'en
sent nécessaires contre la menace gran lissante du sud, on
construit ou l'on augmente les forts de Gaspareaux, de Beau-
séjour sur l'istbme aeadien, tandis que toute une double ligne
de places fortifiées, dont quinze en bon état de défense, relie
la Louisiane au Saint-Laurent.
Louisbourg, ce port de corsaires insuffisamment gardé, est
devenu une source d'irritation pour les coloni-aux anglais qui
1. Aujourd'hui nommée île du Prince-Edouard.
•">(> TERRES ET PEUPLES Df CANADA
l'obligent à capituler (11 juin 1745) après quarante-neuf
jours de siège. (1)
Placés depuis la chute de Port Royal (1713) dans une
vague situai ion qu'ils appelaient la Neutralité, les Acadiens
se croyaient à l'abri de toute violence, de la pari du vainqueur,
<|uau;l il exig a d'eux, quarante ans après, an serment d'allé-
geance forme] et sans réserve au roi d'Angleterre. Mâh
préfèrent quitter le pays plutôt que de s'engager à prendre les
armes contre la France ou leurs fidèles alliés, les Abénakis.
Faits prisonniers au milieu da leurs villages du Beaulbassin
et de l'île de Saint-Jean, six mille Acadiens sont, en L755,
sauvagement embarqués sans égard à la division des familles,
-m' des vaisseaux qui dispersent tout ce peuple depuis Boston
jusqu'aux Çarolines.
La vallée de fOhio que les Canadiens occupent depuis 1720
et que les Anglo-Américains ont depuis réclamée connue une
extension de leur province virgônienne, est le théâtre de l'ou-
verture de cette guerre de Sept-Ans si longtemps attendue,
( L754) et commencée ici deux ans plus tôt qu'en Europe. Dès
lofs, le coup de feu qui assassine un parlementaiDe français,
embrase la forêt américaine en couvrant de victime- anglo-
saxonnes les gorges de la Malengueulée, la berge drOswégo, les
escarpements de Carillon, tandis qu'avec les troupes lu Roy,
seigneurs et tenanciers, chasseurs et alliés sauvages tombent
hachés derrière leurs sylvestres abatis. Les champs sonl
désolé.-, les foyers canadiens ne compteront que des veuves :
1. Si le traite d'Aix-la-Chapelle (1748) rendil l'île Royale
(Cap-Breton) à la France, su forteresse retomba aux Anglais
i 1758) qui la détruisirent au coûl «le 50.000 livres.
L'ŒUVRE COLON] \I.1-: DE I. A FRANCE 5]
des octogénaires, des enfants de quinze ans sont allés d'eux-
mêmes se ranger à côté des robustes soldats.
Enfin L'Anglo-Américain, dont les armées sont dix fois
plus considérables que celles de la France, a franchi la sacrée
frontière «le la pairie laurentienne, et une formidable escadre
assiège Québec, ce boulevard de la résistance, Un habile coup
de main entraîne Montcalin à faire mesurer 1 a deux armées
sur le plateau d'Abraham (septembre 1759).
lia valeur ne pouvait indéfiniment suppléer au nombre. La
France esl vaincue quand les Canadiens tombeni comme
épuisés par leurs propres victoires.
Par le traité de 1763, Louis XV pouvait encore commander
à l'Europe en abandonnant (1) à ]"ennemi séculaire les quel-
ques arpents de neige de ce lointain Canada qui, pourtant,
avait été témoin des plus belles ferveurs apostoliques qui
eussenl ifleuri di [mis la prime chrétienté, excité les plus nobles
dévouements à la patrie et bu tant du satng le plus pur. le plus
généreux de la France.
L'armée entière, beaucoup de la noblesse, des hommes de
carrière libérale, les marchands, tous ceux enfin dont, la vie
économique a som principe dans les accidents ou le caractère
particulier d'une société, repassent l'Atlantique dès que s'éva-
nouit L'espoir que la mère-patrie n'a pour de bon renoncé à sa
colollie.
Ceux-là seuls qui, pour vivre, prodiguenl au sol leur auguste
labeur ne partent pas. Reste tout le clergé qui, loin de laisser
t. Non seulement la France perdil sa colonie sans regrel en
L763, mais sous l'influence néfaste «les mêmes hommes el des
mêmes idées, elle dédaigna de la ressaisir quinze ;m- plus tard,
en promettant à L'astucieux Franklin de renoncer à toute pré-
tention sur le Canada, sî l'on voulait bien accepter l'alliance de
52 TEBRES ET PEUPLES DU CANADA
à son deuil, à ses angoisses ce peuple de 05,000 petites gens,
lui sera fidèle, pour qu'il demeure ce que lui dicte l'honneur
et pour qu'il accomplisse l'étonnant miracle de son intégrale
survivance.
la France, pour vaincre l'Angleterre dans s;i lutte eontre les
Anglo-Américains en révolte. "Il faut bien vraiment que ces
gens-là aient été de notre sang et de notre parenté, pour que
nous les ayons ainsi méconnus; nous sommes les derniers à nous
apercevoir de leur gloire et de leur héroïsme, alors qu'il n'est pas
une petite peuplade dans le monde, luttant pour la patrie ou la
liberté, à laquelle nous n'ayons prodigué le lyrisme de notre sym-
pathie et la pompe de nos dithyrambes.'' Rameau de Saint-l'ère,
Un,- colonie féodale en Amérique, Paris, 1889, roi. I, pp. 301-302.
CHAPITKE TROISIEME
LE REGIME BRITANNIQUE
La Grande-Bretagne, qui vient de supplanter définitivement
la France pour la suprématie mondiale, est à peine confirmée
dans la possession de sa conquête qu'elle la démembre : la
côte du Labrador, les îles Anticosti et de la Madeleine sont
annexées à l'administration de Terre-Neuve ; celles du Cap-
Breton et de Saint-Jean à l'Acadie qui s'appelle déjà la Nou-
velle-Ecosse — Nova-Scotia ; le littoral des lacs Ontario et
Erié aux colonies du sud, et, bientôt encore, l'Acadie conti-
nentale deviendra le Nouveau-Brunswick (1784). Ce qui
de la Nouvelle-France preaicl le nom de province de Qué-
bec, elle-même partagée en trois gouvernements militaires :
Québec, Trois-Rivières, Montréal.
Les territoires qui, un siècle plus tard, formeront le Domi-
niun canadien, se trouvent donc non seulement amoin
mais encore privés d'abondantes sources de richesse qui pas-
sent, en dépit des forces de la géographie, aux colonies adja-
5 I i i:i:i;i:> ET PEUPLES DTJ CANADA
centes. Ainsi dépouillés, les vaincus sont déjà livrés sans dé-
fense au despotisme de fonctionnaire qui, aussi haineux qu'in-
capables, espèrent de les anglifier. La métropole mlêmi -
flatte d'avoir facilement raison •rie cette poignée de pauvres
agriculteurs, en proposant de substituer la hiérarchie angli-
cane à la rom/aîne, (1) et de fermer les écoles si l'on ne veul
de l'instruction en anglais. Encore pour terrasser leur foi on
exige de tout fonctionnaire l'odieux serment du test. (2)
Ainsi violait-on manifestement le seul privilège que les aban-
donnés de 1763 s'étaient vu concéder par la Grande-
Bretagne. '(3)
Comme sur les champs de bataille qu'ils viennent de quitter,
les mlaîtres du sol doivent lutter pour la conquête de leurs
droits île citoyens. Ils récusent leurs jmges dont la langue et
1. Art. 32. — ''Vous n'admettrez aucune juridiction ecclésias-
tique du Siège de Rome, ni aucune juridiction ecclésiastique
étrangère dans la province soumise à votre gouvernement."
Art. 33 — ''Et afin que l'Eglise d'Angleterre puisse être éta-
blie en principe et en pratiqué, et que les dits habitants puissent
être amenés par degrés à embrasser la religion protestante et
qne leurs enfants soient élevés d'après les principes de cette re-
ligion, nous déclarons par les présentes que notre intention est
que. lorsque la Province aura été divisée en Townships on devra
donner tout l'encouragement possible à l'érection d'écoles protes-
tantes.".— Instructions au gouverneur Murray, 7 déc. 1763. Do-
cuments concernant ITiist. constitutionnelle du Canada. 1759-
1791, p. 117, Ottawa. 1911.
:.\ Ce serment consistait à nier la présence réelle de Jésus-
Cbrisl dans l'Eucharistie, l'autorité du pape, et dont l'Angleterre
se servit pour éloigner, jusqu'à l'Acte de Québec, 1774. les Cana-
diens du gouvernement et des fonctions publiques.
:;. La capitulation générale de Montréal reconnaîl aux ha-
bitants "le libre exercice de leur religion", et le seul article du
traité de Paris qui a trait aux Canadiens ajoute cette condition:
"eu autant que les loi- de la Grande-Bretagne le permettent."
LE REGIME BRITANNIQUE 55
le code ne sont pas rm ndus et, premier pas d'une orientation
qui sauvera leur nationalité, ils règlent leurs différends par
l'arbitrage du curé. Kl les paroisses^, cette seule
vraie forée sociale de l'ancien régime, ces petite mondes qu'il
l'aui tenir elos, résistent victorieusement à touj effort des con-
quérants., ce i|iii fait dire à un gouverneur de l'époque, que
déjà "la rare canadienne a pris racine." (1)
Ces! dams ces circonstances que sévit la révolte des colo-
niaux anglo-américains, résolus de repousser tout impôt fiscal
à la mère-patrie. T)éjà les régiments néo-anglais logent à
Montréal et aux Trois-Riviètes. L'enceinte de Québec, de
rares îlots dé paysans restent Beuls à reconnaître encore la
suprématie britannique. Los quelques centaines d'Anglais que
compte le Canada, n'espérant plu-; dominer exclusivement,
se rangenl parmi les révolutionnaires. Pourquoi les ostraciés
ue s'uniront-ils pas dan- une révolte commune, pour rendre de-
nrée la cause HiétixDçolifcaine sur L'Amérique entière? Les
séduisant s promesses, les menaces mêmes de leurs voisins du
n aveuglent plusieurs. Mais voilà que le curé, le seigneur
montrent à llia'bitani qu'il a pour perspective de ce côté l'ab-
sorption parmi les Plots humains des treize colonies protestan-
tes qui déjà atteignent à deux millions d'âmes. Aussi, répon-
dant en masse à la proclamation du gouverneur, aux cens
de Tévêque, vient-il défendre ei garder au souverain la colonie
attaquée par ses sujets en révolte ('•décembre 1775). C'esi
donc par la seule fidélité du Canadien au serment donné que,
douze ans après sa c tnquête, le ( îana l'a i si resté à l'Angleterre.
Dan.- sa peur panique, la métropole avait accordé l'Acte de
t. I ettre de sir Gny Çarleton 3 lord Shdburne, .'"> nov. 1767,
AIU HIVES ( ANAD., Série Q., vol. Y. |>. 260.
5G ÊERRES ET PEUPLES DU CANADA
Québec — Québec Bill, (1774) qui reculait de toutes parts
les frontières de 1-a province: a.n sud, à la Nouvelle-Angleterre,
à la Pennsylvanie, au cours de PÔhio ; à l'ouest, à la rive
gauche du Mississipi, et au nord, jusqu'au territoire encore
mal défini de la Société de l'Hudson. Une commission gou-
vernementale où catholiques et protestants seraient également
représentés, devait faire les ordonnances pour la police et
l'administration. Cet acte confirmait les droits civils possédés
lors de la cession, déjà vainement assurés par la capitulation
générale et le traité de Paris, en dispensant du testt et en res-
taurant l'usage des anciennes loi? françaises auxquelles s'ajou-
tait la faculté de tester .de tous ses biens; enfin il décrétait
l'application du code criminel d'Ànleterre avec sa précieuse
institution de Vhdbeas corpus. {V)
Mais voici que la guerre et ses dangers disparus, les An-
glais, tous marchands ou fonctionnaires, dont le loyalisme
s'était traduit en sortant de Quéhec pour échapper aux halles
de leurs cousins révoltés, s'emparent dés postes de commande-
1. Haibeas-Corpus. — Loi votée le 26 mai 1679, l'Acte dtabeas
corpus a fait disparaître, pour les personnes accusées de crime,
tons les obstacles, les erreurs résultant ;le la procédure en ce
qu'il exi^e que le corps du détenu soit produit devant la cour.
herbeas corpus a<l subjlciendum, pour que celle-ci statue sur la
validité de l'arrestation. Cet Acte qui garantit la liberté indivi-
duelle du citoyen anglais fut complété sons Georges III en l'ap-
pliquant aux personnes privées de liberté pour tout autre motif
que trahison ou félonie. Le détenu ou une autre personne peut
demander pour lui un writ d'h. C. en vertu duquel celui qui le
détient doit l'amener dans les vingt jours au plus et lui faire
connaître la cause de sa délent ion. Alors le tribunal ordonne le
maintien de l'arrestation ou l'élargissement du détenu sous
caution ou encore sa mise définitive en liberté. Dans ce der
nier ca«. une action en dommages-intérêts peut être exercée
contre l'auteur de la détention arbitraire.
LE RÉGIME BRITANNIQUE 57
•ment et réclament une chambre de législation d'où les catho-
liques seraient exclus en principe. Et pendant qu'il gémil
sous ce despotisme renaissant l<e Canada est encore dépouillé
à l'extérieur par Le traité de Versailles (1783) où la diplo-
matie britannique abandonne aux colonies d'hier presque tout
ce qui en avait été si iin politiquement détaché au lendemain
de la conquête, puis rattaché en 1774. Par ce ridicule désis-
tement Quélbec et Montréal sont également placées à quelque
vingt lieues de la frontière ; l'arène du lac de Champlain avec
ses petites montagnes, ses défilés au delà du 45e degré de
latitude, qui en rendent la garde facile, sont aussi perdus pour
l'An- h terre ; si les premiers des grands lacs deviennent limi-
trophes, plus à l'ouest, la naissante république étend son do-
maine jusqu'au nord du lac Nipigon, dépossédant ainsi la
Grande-Bretagne des sources du Mississipi — territoire des
plus fertiles, où se sont constitués plusieurs Etats de l'Union,
— oe qui affaiblira l'unité canadienne, en ne baissant plus
qu'une zone désertique, la côte nord du lac Supérieur, entre
ses territoires de l'est et du centre»
II
Plus de 50,000 sujets restés fidèles à la couronne britanni-
que malgré l'intensité du souffle dïnidépendance qui avait sévi
aux colonies américaines, sont expulsés de la jeune république
et viennent se fixer dans les possessions du nord. Dès 1783,
le poste militaire de Saint-John, sur la Fundy, reçoit 28,000
de ces Loyalists qui ne tardent pas à se répandre en \'<>\a-
Scotia et sur les deux rives de la baie dee Chaleurs. Le
Ontario est aussi traversé par 22,000 autres émigrants venus
58 YKUKKs ET PEUPLES DTJ C A \ : A DÂ
des Btatg île New York, de Pennsylvanie, ei qui s'établissent
dépuis Kingston jusqu'à York (aujourd'hui Toronto), Et
10,000 de c< us qui s'étaient d'aibord renidlus dans Les provinces
atlantiques s'ajoutent peu à peu aux groupes ontariens (1790-
L793). Il en viendra d'autres jusqu'au œmmencemetnt du
siècle dernier, qui renforceront leurs devanciers ou colonise-
ront finalement la zone méridionale du Québec qu'ils comment
Les Eastern T'ownsh ips.
Au lieu de s'établir parmi l'élément franco-canadien,
cas fiers Ànglo-Saxons se sachant inaptes à en opérer l'assimi-
lation par le mélange des sangs, se juxtaposent à lui pour
oeeupeT de- lierres vierges ei s'y développer sel tu le génie de
leur race. Dès l'arrivée des premiers conting< uts ils exigent 1 1
reçoivent sans retard une organisation politique distincte de
celle des populations françaises (1787). Leurs établissements,
partagés en quatre districts, prennent, par une iidée bizarre,
ces noms allemands de Lunenlburg, Macklenburg-, Hessi
Nassau^
La répugnance des proscrits, objel dé la sollicitude dé la
mère-patrie, à accepter h > lois civiles françaises, à vivre politi-
quement avec des catholiques, jointe à L'indignation de ceux-ci
devant la brutale spoliation de leurs droits si vainement
garantis, ne tarde pas de grossir Le parti hostile à la cons-
titution de l "t î 4. Aussi la séparation complète des deux grou-
pes ethniques existant déjà dans le- faits dès le début, fut-elle
bientôt consacrée par un bill de Westminster (1791).
En vertu de ce Constitution Bill le Québec, presqu ■ exclusi-
vement français et catholique, devient le Bas-Canada (Lower
Canada), quand la colonie anglophone et protestante de
l'Ontario se nomme Le Haut-Canada [Upper Canada), en
LE RÉGIM i: BRITANNIQ1 l 50
rëcavanl chacun leur autonomie administrative e! judiciaire.
En même temps que la Grande-Bretagne avouai! ainsi son
impuissance à unifier les éléments nationaux de sa possession
canadienne, elle les gratifiai! donc de parlements ayanl pour
base-la représentation populaire. Chacun d'eux" comptai! une
chambre élective (représentative assembly) puis un conseil
législatif (législative council) inspirés des institutions mêmes
de la métropole, (''est de ce conseil qu'es! sorti le sénat d'à
présent. Les députés étaient élus pour quatre ans, par les
propriétaires Ion, -ici-- ou mobiliers, tandis que les législateurs
étaient nommés à vie par la couronne qui se réservaitl le veto
sur toute loi émanant Ar< deux chambres : enfin le gouverneur
e! sob conseil exécutif constituaient une cour d?appel en
matière civile. En sotame, si la députation restai! soumise à
un pouvoir placé lui-même sous la ferme tutelle de la mère-
patrie, elle comptait néanmoins parmi ses prérogatives, celle
de voter les impôts du peuple. Il manquait donc à cette vil-aine
caricature «lu parlement britannique, le ministère, sans quoi,
disail Macaulay, un gouvernemen! parlementaire ne peut
jamais fonctionner sûrement. '" Encore loin d'être équitable
et prévoyante, la métropole s'esi réservé par cette charte la
disposition îles terre.- incultes, .avec le but manifeste d'orga-
niser solidement dans les Deux-Canadas l'Eglise anglicane
Comme église d'Etat, en lui attribuant la propriété du sep-
t ième des domaines à coloniser !
La révolution américaine, la révolution française, don!
l'Angleterre se plaignit avec raison, jetaient chez elle beaun
coup de discrédit but les doctrines démocratiques : elle crut
prudent de restreindre encore les attributions de ses colo-
niaux.
60 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
C'était, à l'égard dos populations laurentiennes, un préjugé
que 1812-3 se chargea, hélas ! inutilement de dissiper, quand
trois cents voltigeurs canadiens-français, commandés par de
Salaberry, mirent à Châteauguay quatre cents cavaliers et sept
mille fantassins des Etats fédérés, en complète déroute, ce qui
sauva une seconde fois le pays de l'invasion. En retour, le
Bureau des Colonies (Downing Street Office) impose avec
persévérance des gouverneurs dont la tache est d'entretenir
une mentalité plus passive que libre, en favorisant l'ambition
d'anglifier les Bas-Canadiens par l'école. Mais, la race pion-
nière, déjà prédisposée à la vie publique par son institution
paroissiale, réclame instamment les véritables libertés consti-
tutionnelles, enseigne aux immigrants l'usage de la représen-
tation populaire et le respect des équitables droits acquis,
quand on jette aux fers ceux qui protestent ou font échec à
tant d'absolutisme, au nom de leurs concitoyens. Vainement
encore, les Quatre-vingt douze résolutions, que Papineau avait
rédigées pendant la session de 1831, demandent-elles le gou-
vernement responsable et ses faveurs pour les deux catégories
de Canadiens, que Downing Street oppose une fin de non
recevoir* à ce populaire manifeste.
La Nouvelle-Ecosse, qui comprenait au lendemain de la
conquête* tout ce qui s'appelle aujourd'hui les provinces mari-
times — commença de jouir dès 1758 d'institutions représen-
tatives, mais guère plus avantageuses (pie celles de l'Acte 'de
Québec (1771). (1)
Tant de mauvaise grâce suscita dans les deux provinces à
1. L'île du Prince-Edouard, qui fut détachée de la Nouvelle-
Ecosse en 1770. réunit sa première législature en 1773. Celle du
Nbuveau-Brunswick tut autorisée dès l'arrivée des Loyalists, soit
en 1784.
LE RÉGIME BRITANNIQ1 G (11
la fuis un iiu'-i-, m !.-nt;Mm'iit dont 1837-1838 vit le point cul-
minant. 1/ Angleterre ne s'effraya certes pas des vilaines
baïonnettes, des fusils de chasse, des canons de chêne de Saint-
Denis et de Saint-Ëustache, mais ses hommes d'Etat sentirent
enfin la douloureuse insulte dont l'oligarchie accablait un
peuple fier, énergique et fait pour la liberté. Cette rébellion
qui réclame l'égalité véritable des dieux races et une plus
grande confiance envers les coloniaux dans la gestion de leurs
affaires, porte bientôt ses fruits : c'est au souvenir des bannis,
au bruit d\es chaînes, à l'ombre des potences de nombreuses
victimes politiques que s'élabore l'Acte d'Union (1841).
III
Le flot montant des colons d'Europe que. depuis la fin îles
guerres napoléoniennes, recueillait la province anglaise, avait
sensiblement accru sa population. Dès lors 'il était facile de
prévoir que, grâce à cet afflux, le Haut-Canada, ne tarderait
pas de se placer au premier rang; c'est en »ffet ce qui arriva
une décade plus tard. Cette Union, diont Le principe avait été
repoussé par l'élément loyaliste aussi longtemps qu'elle lui
eût été désavantageuse, c'était maintenant son succès, pour
l'avoir âprement réclamée; car il restait la ruse politique afin
de ruiner l'influence des Bas-Canadiens que l'exemple des
gouverneurs de la première époque avait désignés à l'assimila-
tion. Westminster unissait donc ce qu'il avait déjà désuni
avec tant de bonne grâce (1791), en attendant qu'il fut pos-
sible de fédérer toutes les possessions britanniques de l'Amé-
rique du Nord (1867).
Les Canadas n'ont désormais qu'une même administration.
6§ Serres et peuples du canada
La province inférieure Bolde la banqueroute de la province
loyaliste et, pour cela perd le droit de par] i sa langue au pâr-
Iciiivn de la province du Canada.- La Qouvelle constitution;
qui lai--:' aux 42 représentants de chacune des colonies le
contrôla absolu des deniers publies par la libre discussion,
amènera bientôt le ministère vraiment responsable (1) au
peuple (1848).
Inanité des amibitions humaines : cette union produira
contrairement aux prévisions les flaut-"Canadiens qui l'ont
provoquée, une plus profonde influença de l'élément québécois,
une plus grande liberté de son Eglise (2) et la reconnaissance
prochaine du français comme langue parlementaire à l'égal
de l'anglais (3) (1849).
1. La responsabilité ministérielle consiste dans le contrôle
du ministère par la chambre des députés, et de cette chambre
par le peuple même. Le peuple peut dune gouverner par la voix
de ministres à lui responsables.
:.'. Confirmation du droit de dîme qui était fixé au 26e de-
puis 1<)79.
3. Au début de la session de 1812. L.-ll Lafontaine, qui ve-
nait de refuser un portefeuille offert par le premier-ministre
Draper, parce que ce dernier ne voulait pas rétablir officielle-
ment l'usage du français dans les chambres, disait: "On me de-
mande de prononcer dans une autre langue que ma langue ma-
ternelle, le premier discours que j'ai à faire dans cette cham-
bre! Je me défie de nies forces à parler la langue anglaise.
Alais je dois informer les honorables députés et le public du
sentiment fie justice duquel je ne crains pas d'en appeler, que
quand même la connaissance de la langue anglaise nie serait
aussi familière que celle de la langue française je n'en ferais pas
moins mon premier discours dans la langue de mes compatriotes
canadiens-français, ne fût-ce que pour protester solennellement
contre la cruelle injustice de l'Acte d'Union qui proscrit la lan-
gue d'une moitié de la population du Canada. Je le dois
à mes compatriotes; je le dois à moi même." Cet acte de cou
rage porta ses fruits: dès la même année le parlement de la
métropole rendait le français officiel à l'égard de l'anglais dans
les débats parlementaire- (Thé I tiion Ad amendtnènt Ait. 1848).
LE REGIME BRITANNIQUE t">:i
Ce même avantage du gouvernemeini responsable es! aussi
accordé aux deux grandes colonies atlantiques eu 1842 : mais
l'île du Prince-Edouard ae le recevra qu'en L851.
Si. à c< tic époque, les populations, qui s'accroissent avec un
étonnante rapidité, bénéficient idè maintes mesures démocra-
tiques, comme l'autonomie administrative des organismes mn-
nicipaux (1848), lès droits 3e réunion, une certaine lïberh
la pressa, l'essor matériel resite gêné par les obstacles qui per-
sistent contre la libre possession des terrés.
Il faut ravoir l'action colonisatrice des deux régimes qui se
sont succédés aux possessions américaines pour comprendre le
clésavantaige économiqui où elles se "trouvent alors. La France
avaii transporté ici le mécanisme féodal par des concessions
immobilières gratuites, mais sujettes à des conidïtions obliga-
toires quant à leur mise en valeur. Kl l'Angleterre avait aussi
débuté par l'établissement, dans chacun de ses berritoires con-
quis, d'une puissante et nombreuse noblesse terrienne, mais.
celle-là nument propriétaire. "Nulle pan on fut. à l'origine,
aussi prodigue de concessions," (1) de sorte que plus nu-or»'
que les plaint s <^^ colons irrités, le manque de-terres disponi-
bles "contraignit l'Angleterre de s'arrêter dans cette voie de
largesses insensées." Ci )
1 >.'■< le milieu ilu siècle dernier on avait aliéné en Nouvelle-
Fx:osse 5,750,000 acres -m' les 6,000,000 d'acres arables qu'elle
contient. [/île du Prince-E-douai|d!,l'ancienne il»' de Saint-Jean
d'où l'on avait banni ses pionniers, I» s Acadiens, fut, dès 1767,
concédée aux enchères, en en seul jour, à soixante personnes,
i. l'uni Leroy-Beaulieii, La Voïonisaiion <-ii<; /».< peupî ,•-
Modeiiu », 5e éd., roi. II p. :;:.".).
Le même, ouvr. cité.
64 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
et bientôt après, cette colonie de 1,398,000 acres tombait aux
mains de quatre seuls Jandlords d'outre-mer. Aus&itôt la
guerre d'Indépendance terminée aux Etats-Unis, quelques
officiers royalistes acceptent au Nouveau-Brunswick de ces
Imprévoyantes donations. Au périmètre ides vieilles seigneu-
ries laurentiennes, en G-aspésie, sur l'Ottawa inférieure, aux
Cantons de l'Est (1) surtout, mêmes générosités aux favoris
des gouverneurs, à l'Eglise anglicane : soit plus d'un million
d'acres qui resteront longtemps inaccessibles aux défricheurs.
Enfin, dès 1825. sut les 17.000.000 d'acres alors arpentés dn
Haut-Canada — l'équivalence de l'Irlande — 15,000,000 en
avaient été concédés, quand cette province ne comptait encore
que 158,00 habitants.
De si considérables domaines aliénés sans concKtion, et dont
les possesseurs faisaient, à leur gpré autant de zones fermées au
défrichement, la confusion des domaines de culture et des do-
maines forestiers, la longue incurie des gouvernements à ouvrir
des routes en pays neufs, en somme, leur absence d'un plan
•arrêté de colonisation n'avaient pas manqué de ralentir le
progrès de la fortune rurale et par suite celui >de toute la
population. C'est au prix excessif de 10 à 20 shellings cur-
rency (2) l'acre que se vendirent, jusque vers 1850. les terres
domaniales du Québec cédées à vil prix, par les seigneurs
.français à des Anglais, peu après la conquête. Des milliers
de Canadiens préfèrent, dan; ces conditions, s'engager comme
li ficherons et flotteurs, -au profit d'autres Anglais, pour exploi-
1. Les Eastern Townships renfermaient à cette époque 830,-
000 acres concédés de 1802 à 1815. tant à des loyalixt* qu'à des
sociétés de spéculateurs anglais.
2. Le shelling équivaut aux 20/100 de la piastre canadienne.
LE RÉGIME BRITANNIQUE 65
ter les riches pinières du Eaut-Ottawa. Considérons encore
que 147,711 individus nés aux colonies de L'Amérique britan-
nique s'étaient, jusqu'en 1850, (1) fixés dan- L'Union républi-
caine, e\ L'on appréciera mieux la gravité de cette erreur éco-
nomique de la concession Libre, infligée à de jeunes pays, alors
habités par moins de deux millions et demi. (2)
On remédie à ce marasme économique, auquel correspond
exactement une longue période do dissentions parlementaires
et de malaises sociaux, par d'énergiques mesures nationales.
Ainsi, dan- les Cana Las-Unis le clergé protestant e&\ amené à
vendre toute- ses réserves, dont une bonne part échoit aus
municipalités ontariennes récemment instituée- : la chambre
contraint les grands propriétaires de domaines colonisables à
contribuer au fonds municipal et à l'ouverture des grandes
routes, acquitte les droits seigneuriaux (1854-5) pour la
ne de f.ôO.OfiO livres, on ne laissant plu.- aux censitaires
qu'une faible rente foncière, devenue 'elle-même rachetable à
volonté (3) ce (pii détermine L'abaissement du pris des terres
arables à ô shellings et même à •"> shellings l'acre dan- les
Cantone de L'Est, tandis qu'au Nouveau-Brunswick on admet
le rachat par acte de travail. Mai- la couronne ne pourra plus
1. Recensement décennal des Etats-Unis, année 1850.
Recensements des Canadas, année L851-2; •!«• file du Pi\-
I-aI.. L84J3, etc. résumés au te vol. du "Recens. du ( anada. 1870-1":
lia ut-Canada 952 004
Bas-Canada 890.261
Nouvelle-Ecosse '.'Te,.-:, i
Nbuveau-Brunswicls 19.'». 800
He-du-Pr.-Edouard
5,597
:;. I.a pluparl de- seigneuries bas-canadiennes avaienl été
acquises à des prix dérisoires par des Anglais qui aug ntaienl
constamment les anciennes charges et introduisaient mêm
■i
66 FERRES i:i l'I.I PLES Dl CANADA
se reconstituer des domaines propres et colonisaibles qu'après
la fédération des provinces, par l'achat tardif des vastes terri-
boires de la société dite de La Baie-çl ■ llul- on ( L869), rendus
accessibles par la construction de- voies ferrées, notamment le
premier transcanadien (1885).
IV
Pendant que les colonies s'< Qgagenl dans d'aussi urgentes
réformes administratives et terriennes que l'implantation do
municipalités, la diffusion graduelle du libre soccage, la
Grande-Bretagne les a gratifiées, par le rappel de son Acte de
Navigation (18-19, (1) du droit précieux, désormais reconnu,
de fixer elles-mêmes leurs tarifs douaniers, en les appliquant
jusqu'aux produits venant de cette métropole.
corvée. Les droits de quint, de banalité, de lods et rentes étant
abolis, il reste encore celui de cens et rentes. Si Ton compare
aujourd'hui la fortune des paroisses de Québec et celle des muni-
cipalités ontariennes il faut noter que les premières ont toujours
porté et portent, pour un bon nombre, le fardeau des cens el
rentes, tandis que les dernières, créées sous la tenure en libre
soccage, bénéficièrent de la liquidation des biens de l'Eglise an-
glicane, en 1854.
1. Le rappel de cet Acte île Navigation était l'annulation du
fameux règlement nommé à bon droit la grande charte de lu
/narine britannique, vénérable, car il datait de 1651. et par lequel
aucune marchandise extra-européenne, particulièrement prove-
nant des colonies nationales, ne devait être transportée au
Iïoyaume-Uni autrement que par des vaisseaux de construction
anglaise, appartenant à des sujets anglais, battant pavillon an-
glais, ayant un capitaine et les trois-quarts de leur équipage
anglais (P. Leroy-Beaulieu) . Dès que le parlement de West-
minster et le gouvernement se rallièrent au principe du libn -
échange ils apportèrent à cette loi, qui avail si puissamment con-
tribué au développement de la marine anglaise, une série de
dérogations (1815, 1845, 1847) et l'abrogèrent enfin en 1849.
!,K l{K<; 1 M ]•: HUIT INMljl'H G 7
Cette généreuse politique fiscale de la Grande-Bretagne,
M|iii ouvrrait les ports et le Saint-Laurent à toutes les marines
étrangères, détermine, de concert avec les si opportunes ré-
formes intérieures, une ère d'intense et générale activité éco-
nomique à laquelle appartiennent le développement de la
navigation fluviale et océanique, la construction des chemins
de fer (1) et des canaux, enfin l'organisation durable de l'en-
seignetaeni à tous ses degrés. (2)
Au milieu de ces méprise-, cite ces réactions de portée consi-
dérable, un troisième élément ethnique vient d'à-coup s'ajou-
ter au néo-latin. 'à l'anglo-saxon: près de cent mille Celtes en
majeure partie catholiques, que la famine, des troubles reli-
gieux, suscités par leurs landlords d'Angleterre, ont chassés de
l'Irlande, débarquent ici, de 1839 à 1840. La pauvreté est
commune à ces victimes des sauvages évictions qui ont dépeu-
plé cette île. Et les arrivants de 1847 sont enj proie aux
ardeurs d'une fièvre contagieuse, le typhus, qui fait à la qua-
rantaine de la Grosse-Lie et dans les agglomérations cana-
diennes, malgré le sublime dévouement des religieuses et des
prêtres bas-canadiens, quelque quatorze mille victimes. Les
rescapés vont, comme leurs devanciers, grossir la masse anglo-
phone, tandis que des centaines d'orphelins sont incorporés
1. Le développement des chemins de fer fut rapide:
66 milles en 1850
2.695 " " 1871
7.331 " " 1881
13.838 " " 1891
18 104 " " 1901
26O00 " " 1911; estimés à près d'un milliard et demi.
2. Parmi les fondations d'enseignement de cette époque se
trouvent l'université Laval (1852), le collège Trinity, à Toronto
(1852), les écoles normales et la plupart des collèges classiques
bas-canadiens. Dans chacune des provinces <|ui s'unirent bientôt
au Dominion, renseignement primaire fut confié à la charge des
municipalités.
68 SERRES ET PEUPLES DTJ CANADA
aux l'amilles françaises. Quel sera le rôle de ces tard venus ?
Plusieurs décades se passeront avant qu'il se dessine avec
netteté ; mais l'influence nécessairement tardive de ces exilés
sera néanmoins curieuse à considérer.
Le vieux Québec, parti avec le régime militaire, et les autres
colonies britanniques avec un emibryon de gouvernement civil
avaient graduellement conquis, après un siècle de patientes
requêtes, le parlement responsable. Cette évolution constante
• •I insensible, pourrait-on dire, surtout à l'égard des Deux-
Canadas* c'était l'affaiblissement des prérogatives de la Cou-
ronne, soit de l'arbitraire, et l'abandon à la volonté populaire
du contrôle économique et législatif du pays.
Il était résulté i\r ces relâchements - ssifs — ■ qui carac-
térisent si bien le génie colonial de l'Angleterre — une cons-
cience die la valeur et des besoins mutuels de chacune des pos-
sessions. In traité de réciprocité commerciale avec les Etats-
Unis, rappelé après onze ans d'existence < 1866) avait fait voir
la pressante nécessité de réagir contre la menace géographique
d'une annexion à ces Etats |(1) ei mûri le plan d'une fédéra-
tion des provinces, auxquelles s'ajouteraienl les établissements
que le commerce ^\r< pelleteries avait créés sur la rivière
Bouge h jusqu'au bord du Pacifique. (2)
1. En 1849. soit au lendemain du rappel de l'acte de Navi-
gation, les populations anglaises, d'Halifax à Toronto, et quelques
bas-canadiens favorisèrent de leur signature un manifeste pour
annexer les colonies britanniques aux Etats du midi.
2. Les voyageurs bas-canadiens que les compagnies pelle-
tières amenaient constamment aux pays d'en liant, à partir de
1769, s'étaient établis en permanence sur les rives de la Rouge,
où un millier d'Ecossais, conduits par lord Selkirk, à travers [a
mer de Hudson. les axaient rejoints en 1811. Un fonctionnaire
de la Société de l'Hudson, s'élancant sur les traces des LaVéren-
LE RÉGIME BRITANNIQUE 60
Après de patientes négociations entre Les futurs associés,
l'entente avait pu naître de la diversité de leurs bit
locaux, et le parlement de Westminster ratifiait simplement,
en 1867, le contrat de cette confédéral ion canadienne (British
NTorth America Act L861 | 4111 margue une étape nouvelle dans
l'histoire dé toute l'Amérique boréale.
drye, avait atteint l'océan Pacifique en 1790, et bientôt après on
y construisait des postes de traite. En 1866 l'île de Vancouver
et tes établissements littoraux fusionnaient leur administration
pour former la Colombie britannique.
CHAPITRE QUATRIEME
LA CONFÉDÉRATION ET SON ŒUVRE
Le British North America .!</. 1867, cette charte constitu-
tionnelle qui jetait les bases d'un Etat d'une catégorie inédite,
c'était l'oeuvre entière des coloniaux ; aucune loi spéciale,
émanant de la couronne britannique n'en avait posé Les clau-
ses; seul le génie politique de la Mother of Parliaments \ 1 |
permettait l'édification de ce Dominion canadien, cent huit
ans après la prise die Québec.
Aux provinces du Bas et du Haut-Canada, depuis lors res-
[» etivement nommées le Québec et l'Ontario, s'ajoutent les
deux plus considérables divisions administratives de l'ancienne
Acadie : la VniveHr-Ecosse et le Nbuveau-Brunswick. Trois
1. Mère des parlements ou, comme les hommes d'Etat bri-
tanniques affectionnenl de dire. Mai r Parliamentorum, désigne
l'institution politique de Westminster qui a servi de modèle non-
seulemenl aux pays e1 colonies anglo-saxons Etats-Unis, Ca-
nada. Australie. Sud-Africain, .nais même au\ Etats constitution-
nels de l'Europe.
;•?
'I EBRES ET PEUPLES DTJ I \ \ADA
ans plus tard, suit en 1870, la contrée sise entre la mer de
Huclson et les Rocheuses, récemment organisée en province
autonome du Mamitoba, et en territoires dits du Nord-Ouest,
esl acquise (1868) par le naissant Canada qui la re
dans sa Confédération. (1) Elle recueille encore successive-
1. Ce mol de confédération désigne l'union de plusieurs
Etats (pii. se soumettant à un pouvoir central, conservent une
I, \ UONFEPEBATION ET SON ŒUVRE > •»
ment L'adhésion de la Colombie britannique en L871, et de
l'île du Prince-Edouard en 1873.
Delà Terre de Rupert dont on avait tiré lu colonie auto-
nome de la Rivière-Rouge — devenue le Mlanitoba eu se joi-
eant à la confédération, — il reste le Keewatin qui est érigé
en district provisoire (1876). Ta prairie centrale esl parta-
it 1875. entre quatre reetanerles nui sont autan! de divi-
sions administratives: S-askatcnewan, A.ssiniboine, Alberta et
Athal>aska, dond Tîésrir-a devient la commune capitale (1882).
T"u district ludïeiaire est aussi créé au Yukon nui envoie un
député à Ottawa depuis 1898. Ce oui reste du Nord-Ouest,
srran les terres désertiques gisant jusou'à l'océan polaire et
au delà des territoires organisés, esl abandonné avec les archi-
pels'de l'Arctique, nu Canadla, en 1880, par un arrêté du Oon-
seil impérial, stipulant au'en retour, dans la mespre du pos-
sible, la législation et la police du Dominion ban- soi! appli-
quées.
Lorsqu'en 1905 ces quatre districts provisoires eurent ac-
quis la population et le degré de civilisation qui leur permit
de jouir d'uni' législation représentative, on les fusionna deux
à deux, on en corrigea les frontières, puis ils furent constitués
en provinces d'égale étendue, qui prirent respectivement le
nom de la plu- importante des anciennes divisions: Saskat-
chewan et Allie H a.
Ainsi fait, le Dominion du Canada identifie ses frontières
certaine autonomie, tels les Etats-Unis, la Suisse. La nature du
pacte de- possessions britanniques <le l'Amérique boréale, alié-
nant leur individualité au point que chacune d'elles est solidaire
envers les autres, et surtout l'étroite dépendance politique de
cette collectivité â l'égard de la mère-patrie, n'en font plus qu'une
fédération. Cependant l'usage a consacré la première appella-
tion.
74 TEHBES ET PEUPLES DU CANADA
avec l'Amérique boréale dont il faut toutefois déduire La pé-
ninsule d'Alaska '(1). propriété des Etats-Unis, et une étroite
lisière du littoral labre lorien Laissée à la garde de Terre-
Neuve (2).
II
("'si à titre d'associées que ces provinces soni entrées dans
un zollverein économico-administratif, (1) ayant la faculté
de s'adjoindre, comme de créer de nouvelles divisions, qui
laisse aux contractants toute leur liberté de gouverne inté-
rieure, et réserve en même temps à un pouvoir central la lé-
gislation d'intérêt commun à la collectivité.
Comme assises fondamentales de cette union se trouvent
les trois granlds principes que la Métropole avait dû recon-
naître quelque vingt ans auparavant, comme essentiels à la
libre croissance, et à la quiète conservation de ses colonies:
autonomie fiscale et législative du Dominion dans l'empire:
autonomie des provinces en gardant le rouage complet de leur
1. C'est l'ancienne Amêriqiae russe, achetée par la républi-
que des Etats-Unis, on 1S67. nu prix: de 7.000 Of>0 de piastres.
2. L'acte de 1867 pourvoit à l'entrée de la Terre-Neuve clans
la confédération canadienne; mais cette aînée des colonies bri-
tanniques refusa, pour des raisons financières, de se joindre au
Dominion dès sa naissance et pins récemment encore, vn L895.
1. A dater de 1868 les subsides fédéraux accordés annuelle-
ment aux provinces, en retour de leur abandon des droits de
douane en faveur avant l'Union, restèrent à peu près fixes; niais
depuis 1907. par un arbitrage entre le ministère d'Ottawa et les
autorités locales, ce subside doil augmenter suivant le chiffre
de la population, au taux de S0 cents ,,, r capita.
Somme d< s subsides Subsides de
(18GS-1910) l'année 1910
Ontario 56 895,895 2,128 772
Québec 45,787,874 1,686.079
I.A CONFÉDÉRATION ET SON ŒUVRE 15
organisation interne; respecl des droits des minorités — an-
glo-protestantes dans le Québec, et franco-catholiques chez les
autres associées. Au\ points de vue national et religieux le
Canada es! donc essentiellement un pays anglo-français, sans
religion officielle.
A dater die 1868 les subsides 'fédéraux accordés annuelle-
ment aux provinces, en retour de leur abandon de* droits de
douane, en faveur avant l'Union, restèrent à peu (près fixes;
mais depuis 1907, par un arbitrage entre le ministère d'Ot-
tawa et les autorités locales, ce subside doit augmenter suivant
le chiffre de la population, au taux de 80 cents per capita.
Et le peuple canadien compte deux catégories de gouverne-
ment. Le fédéral et les provinciaux.
Cn seul représentant de la Grande-Bretagne, le gouverneur-
général, oomniissionné pour cinq ans et résidlant au siège do
la capitale, préside au pouvoir constitutionnel, en jouant le
l'ôle d'intermédiaire enre la colonie et sa 'métropole. Ce
fonctionnaire impérial promulgue au nom du souverain les
lois votées au parlement, sans que l'usage se soit jamais établi
qu'il leur oppose sa réserve on son veto — ce qui est cepen-
(1-uit au nombre «le ses prérogatives. 11 est de coutume con-
.Vouveau-r.runswirk . 20.097,806 621,361
Nouvelle-Ecosse. • . ' 19.296.925 610.460
Maniloba 14 894,218 881,622
Colombie-Brit. . . . 10 088.392 .-..".'.077
Ile-du-Pr. -Edouard. . 7.207.4?. 1 281,932
*Saskatchewan. . . 6,087.849 1,355,420
•Alberta 5,987,998 1,273.165
Totaux $186 344.394 $9 361,388
"•L'importance des subsides .~i ces deux plus jeunes provinces
tient de ee que le pouvoir fédéral y conserve la propriété des
terres de la couronne.
Cf. Annuaire du Canada, 1910, pp. 287,8.
il! TERRES ET PEUPLES DU CANADA
sacrée que toute décision de ce gardien «le l'ordre constitution-
nel, même lorsqu'il s'agil d'intérêts impériaux affectant le
Canada, soit ratifiée au préalable oar un conseil de ministres.
Une tradition le guide encore dans son choix du premier-mi-
nistre, chef du cabinet, parmi la majorité de la députation et
que lui a dé.ià clairement désigné la faveur populaire.
Une chambre inamovible, le Sénat, et une chambre élec-
tive, les Communes, composent le parlement fédéral, ainsi mo-
delé sui- celui de Westminster. La première assemblée compte
aujourd'hui 87 memibres désignés au gré du gouvérneur-:gé-
néral en Conseil el répartis entre les provinces approximative-
ment à l'importance numérique de leur p pulation. Bien
que les prérogatives de cette chambre haute soient en prin-
cipe les mêmes que celles des représentants élus, de In chambre
basse, cette assemblée, simple survivance du passé canadien,
n'exerce plus, dans la direction des affaires, qu'un rôle tout
second ai re : ses pouvoirs ne comportent, en matière financière,
ni le droit d'initiative ni celui d'amendement, c'est-à-dire
qu'elle est inapte aux choses du budget. Toutefois, cette cham-
bre des Sages, objet d'amères et fréquentes critiques, diminue
grande ni les chances d'une législation intempesffcive ou pas-
sionnée, surtout, si les vieillards qui y prédominent,, savenl
mettre le bien de la patrie au-dessus de l'existence d?un ca-
binet.
L'âme du pouvoir législatif, qui oriente la politique géné-
rale d'après la volonté populaire manifestée lors des appels
quinquennaux, c'esi la chambre des Communes. En effet, par
l'intermédiaire d'un comité de ses propres membres, le cabi-
net, elle rend sa législation xécutive. Le nombre des députés
de chaque province esl proportionnel au chiffre de sa popu-
f.A CONFEDERATION ET SON ŒUVRE 7?
latkm comparée à celle du Québec doni La représentation est
immiobilisée à 65, par un article de l'acte fédératif. Cette
province-mère serl donc die mesure, en quelque sorte automa-
tique, quanl au total de la. députation canadienne; Du pro-
grès Inégal de la population québécoise il résulte qtfaporèls
chaque recensetnenl décennal le oomlbre de sièges attrilbualbles
aux provinces est modifié soit au profit, soit au détriment de
certaines d'entre elles, et qu'en même temips s'accroît la dépu-
tation générale. (1) En d'autres tenmes le quotient du chiffre
de la population québécoise divisé par 65 devient l'unité de
représentation pour chacune des autres provinces. Le dernier
dénomibrement donne un député par 30. soi) individus.
Dès que Le gouverneur-général a désigné le chef du gou-
vernement, celui-ci nomme les ministres de sou cabinet qui est
aussi le conseil privé du Canada. Aujourd'hui le ministère
Céderai comprend régulièrement quinze membres chargés cha-
cun die la direction d'un département administratif. Le nom-
1. Tableau de La députation «les provinces depuis 1871.
1871 1881 1891 1901 1910 1911
Québec 65 65 63 65 65 65
Ontario 82 88 92 92 86 82
Nouvelle-Ecosse 19 21 21 3-0 L8 16
Nouveau-Brunswick. ... 15 16 16 11 . 13 11
[le-du-Prince-Edouard 6 6 5 4 3
Manitoba 4 5 7 10 15
Saskatchewan .. .. . .. * 10 15
Alberta 7 12
Colombie Britannique 6 6 6 7 12
Yukon 1 !
321 2I!2
Les territoires organisés du Nord-Ouesl on1 eu 4 députée de
1891 à 1905. Le territoire organisé du Yukon a un député depuis
1898.
I. Los territoires organisés du Nbrd-Ouesl ont eu 4 députés
de 1801 â 1906. Le territoire organisé du Yukon a un député
depuis 1898.
78 TFKRES ET PEUPLES DU CANADA
bre, le groupement de ces ministères, les attributions de leurs
titulaires qui ont maintes fois varié, restent sujets à modifi-
cation. (1) Il se trouve encore des ministres dits -ans porte-
feuille (ministers not in the cabinet), auxquels sont attribués
des devoirs secondaires ou même la s -ule Qualité officielle.
III
Un lieutenant-gouverneur, que nomme le rapTésentani de
la Couronne avisé par son Conseil, est placé à la tête de chaque
province. Ses fonctions sont sferietemenit décoratives ei cons-
titutionnelles en ce sens que la tradition lui interdit de poli-
tiquer. Tout comme le gouverneur-général il désigne seule-
ment le chef du cabinet, convoque et ajourne la Ghaimibre,
donne la sanction royale aux lois et n'use dia son droit cite dis-
solution — ce qui entraîne toujours à un nouvel appel au
peuple — que dans les plus strictes mesures de l'impartialité.
Les dôputations locales ont cette particularité d'être partout
supérieures en nombre à celles des provinces au parlement
fédéral, ce qui témoigne de l'importance accordée à la repré-
sentation de l'électorat.
Des cabinets essentiellement responsables, composés de six
ou sept membres, choisis dans la majorité parlementaire, cons-
tituent le pouvoir exécutif des provinces. Le Québec et la
Nouvelle-Ecosse ont cependant gardé leur chambre haute non
issue de l'assemiblée populaire, ce qui fait de leurs législature-
une fidèle copie du parlement d'Ottawa, en illustrant la
1. Liste des ministères actuels: présidence du Conseil privé,
justice, finances, agriculture, navigation, milice, chemins de fer
et canaux, travaux publics, postes, commerce, revenu de l'inté-
rieur, douanes, travail, intérieur et secrétariat d'Etat.
I.A CONFÉDÉRATION ET SON ŒUVRE 79
sage défiance qui persiste chez leurs habitants à l'égard îles
lois trop promptement sanctionnées ou, peut-être même, indé-
lébilité de leur autocratique origine sociale.
Les domaines respectifs du parlement al des diverses légis-
latures sont soigneusement définis par l'acte de 1867, ce qui
a rendu Leurs conflits d'attribution plutôl rares ei maintenu
.1.' bienveillants rapports entre ces deux catégories d'auto-
rités
Le champ d'action fédéral ..s'étend à tout ce qui inté-
généralement l'unité canadienne: commerce, douanes,
navigation, pêcheries, postes, communications, année .et ma-
rine, banques, code criminel, sauvages, recensement, statis-
tiques, naturalisation, immigration, terres publiques, etc.
Aux provinces revient la tâche de légiférer sur l'éducation,
les hôpitaux et les autres oeuvres de bienfaisance. Les munici-
palités, Les permis de magasins et d'auberges, les travaux pu-
blics locaux, la propriété et les droits civils, enfin l'adminis-
tration de la justice en ce qui concerne L'organisation, le main-
tien des tribunaux soit civiis, soit criminels, ei le choix des
magist rats et des juges le paix.
Toutefois, parlement et législatures peuvenl statuer sur
l'agriculture et L'immigration, pourvu que les luis locale.- a i
contredisent pas les bills fédéraux.
L'autorité de ces LégisLatures, bien que considérable, n'est
pas absolue, car pendant une année, Le conseil fédéral ga
la prérogative d'opposer son veto à toute mesure inconstitu-
tionnelle ou de faire voter au parlement un bill remédiateur
à toute législation qui priverait une minorité de quelque droil
acquis à l'époque de l'Union ( L861) ). Cette prudente restric-
1. 77m British Vorth America Ict, L867. art. 91 e\ 92.
80 rfilJBES ET PEUPLES 7>T" CANADA
lion est cependant restée lettre morte toutes les fois qu'elle
eut à protéger les faibles — une minorité confessionnelle du
pays. Ainsi, lorsqu'on 1871, la législature du Nouveau-
Brunswick privait les Acadiens catholiques et de langue fran-
çaise de leurs écoles séparée-;, en les obligeant à contribuer au
soutien de l'enseignement protestant, ils réclamèrent vaine-
ment l'intervention du parlement fédéral, mais ne durent qu'à
leur résistance armée devant les agents du fisc, d'obtenir aon
pas le rappel de la loi injuste, mais de suffisantes concessions
qui rétablirent le calme chez eux (1874). Et ces Manito-
bains catholiques, c'est-à-dire de langue française, qui s i virent
aussi frustrés de leurs droits à l'école confessionnelle, pour-
tant explicitement garantis par l'acte d'union au Canada, et
qui souffrirent la confiscation de plusieurs de leurs propriétés
scolaires — même de celles où l'enseignement s'était main-
tenu sans aucune aide du trésor provincial — ■ ne reçurent
d'Ottawa qu'une (bien tardive réparation (1907), encore • -
elle défectueuse, imparfaite, et insuffisante. (1)
A la base du doulble rouage de représentation populaire se
trouvent des municipalités électives, créées à la demande
propriétaires de biens-fonds, et dont le centre d'action est un
conseil. Le système municipal confère des prérogatives en
harmonie avec le caractère et l'importance numérique des di-
vers groupements de population: impôts et emprunts pour
favoriser l'agriculture, l'industrie, le commerce, réglementa-
li le la police, de l'hygiène, de la voirie et, d'une manière
1. Termes de L'Encyclique Affari vos, 8 déc. 1897. Ces deux
conflits scolaires du Nouveau Brunswick et du Manitoba sont
amplement traités au cours d'un remarque ouvrage de MM. les
:il)bé< Desrosiers el Fournet, La Race Française en Imérique
ch. V et VII.
I.A CONFÉDÉRATION ET SON ŒTJVRE 81
générale, de tout ce qui intéresse immédiatemenl le contri-
buable.
Les cantons ruraux (paroisses on townships) sont adminis-
trés par un maire et quatre conseillers. Le village qui est le
centre de la municipalité peut aussi jouir de l'autonomie, dès
qu'il compte 750 habitants. Les agglomérations excédant
2,000 individus, reçoivent une charte de ville e1 se partagenl
en quartiers pour élire chacun deux ou trois êcJievins. Au-
dessus de ces municipalités rurales et des villes se trouve la
municipalité de comité, dont le rôle es! comparable à celui du
parlement fédéra] auprès des provinciaux. Ce conseil de tous
les maires d'un comté, que préside un préfet (1), pourvoit à
la construction ci à L'entretien des routes, des ponts intenpa-
roissiàux.
Les villes quel écoises d'au moins 2000 âmes, les villes
anglaises d'an moins L5000 âmes ont une administration indé-
pendante de cette municipalité de comté; elles reçoivent leur
charte de la législature qui les amende à la requête des inté-
; Jgsés.
Le suffrage n'est pas universel, car pour devenir électeur
il faut, en outre île L'intégrale possession de ses droits civils,
être pourvu -«>it d'un salaire, soit d'une qualification foncière,
mai- L'un et L'autre -i peu élevés que tout contribuable sou-
cieux M.' voter en trouve moyen.
Telles sont, en résumé, les démocratiques institutions que
s'est donné le Canadien, eu le gardam1 attaché aux deux prin-
cipes chers à tout sujet britannique: la responsabilité du man-
dataire — depuis le ministre fédéral jusqu'à L'humble con-
1. Les membres des conseils de comté se nomment en de-
tors du Québec, le- reeves, tandis que le président de ces mêmes
conseils esl le ir,ir<lc>l.
82 TBRRE9 ET PEUPLES DTJ < W \l> \
seillor municipal — devant les électeurs qui l'uni choisi, et
leur équitable représentation aux chambres qui votent Les im-
pôts du peuple.
IV
Dans son esprit de décentralisation et il • respecl des insti-
tutions civiles déjà étaiblies, l'acte de 1867 a non seulement
conféré aux provinces l'établissement et le support de la jus-
tice; mais il leur a de plus confirmé l'usaga des luis exis-
tantes dans chacune d'elles. Ainsi le Québec possède Bon
propre code civil, quan 1 \<- droit commun de la mère-patrie
Constitue la ibase de la jurisprudence idans les fours locale- de-
autres provinces et qu'on y suit les modifications a} ••porté.- à
la procédure des tribunaux d'Angleterre. Mais partout i ' -
la loi criminelle anglaise qui est seule en vigueur.
C'est le Conseil privé qui nomme les juges des cour- supé-
rieures, de district et -de comté, émergeant ions du budget
Fédéral.
Le plus haut tribunal du pays est la cour suprême (1 ) qui
juge en instance, au civil comme au criminel, ainsi qu
contestations d'élections. Les deux chambres fédérales peuvent
demander l'opinion de cette cour sur leurs projets de loi d'in-
térêt local et sur le mérite de pétitions -ayant irait à ces
mêmes biïls. Sa juridiction s'étend aussi aux différends qui
peuvent surgir entre Les provinc s et 1 ■ pouvoir central, pour-
vu que ces deux parties acceptent officiellement ce tribunal.
t. Coin- établie en vertu de l'art, lui de l'acte eonfédératif.
Le même texte pourvoit iiussi à la création d'une cour d'appel
pour tout le Dominion; niai- les dernières instances -se font en-
core «levant le comité judiciaire du Conseil privé d'Angleterre.
LA CONFÉDÉRATION ET SON ŒUVRE 83
La seconde cour esl celle die l'échiquier dont la juridiction
comprend boutes les causes où le sujet du Litige es! en pos-
session de la couronne, à savoir les poursuites au civil, en droii
commun ou en équité dans lesquelles la couronne est immé-
diatement intéressée.
La juldicature ontarienne, qui esl Rdèlemeni calquée sur
celle de la Grande-Bretagne, et sert de modèle aux autres pro-
vinces anglaises, comprend deux divisions: une cour «rappel
permanente et une haute cour dite de justice partagée en 1°
cour du 'banc du Roi, 2° de chancellerie. ?j° des plaids com-
muns.
Au Québec se trouvent Ie une cour du banc du Eoi qui en-
tend les appels des décisions de la cour supérieure, de celle de
révision ainsi que les poursuites de la couronne en matière
criminelle; 2° une cour supérieure jugeant les causes civiles
en première instance; 3° une cour de révision, sorte d'inter-
médiaire entre les deux autre.-.
Par tout le pays les appels peuvent être portés immédiate-
ment au Conseil privé d'Angleterre; niais, le plus souvent, nu
s'adresse d'abord à la cour suprême, dont le siège est à Ottawa.
Il y a encore dans les provinces anglaises îles cours de dis-
trict et de comté, dont les titulaires sont désignés par le pou-
vuir central, et dont la juridiction est restreinte à ces seuls
territoires.
Les grandes villes onl leurs magistrats de police ou leurs
recorders, ces derniers exerçant tous les pouvoirs de justice
conférés par la charte particulière de la ville pour laquelle ils
sont désignés. Des magistrats de district ont juridiction ci-
vile et criminelle pour tout le comté où se tient la cour que
préside chacun d'eux. Enfin, par tout le Québec se trouvenl
84 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
1° des juges de paix (1) aux attributions se rapportant sur-
tout aux matières criminelles et à l'acquittement des cotisa-'
tions municipales et 3les taxes scolaires; .2° des commissaires
dont la juridiction se borne au recouvrement des petits dettes
civiles.
Essentiellement inamovible, afin d'appliquer la loi en
pleine sécurité, la magistrature canadienne des grandes cours
(2) "est supérieure à celle des Etats-Unis, en ce qu'elle re-
flète à un plus liant degré la volonté du peuple" (3). Il i -
toutefois à rendre le choix des juges indépendant de la poli-
tique.
L'esprit de la confédération est de veiller par son premier
parlement au développement général, au maintien de l'inté-
grité et de l'unité du Dominion, tan lis que ! s législatures
soignent les intérêts particuliers, d'ailleurs confin -
ment à chacun des neuf territoire- provinciaux.
■Ces cabinets choisis parmi la majorité de la députation,
eeiie solidarité des ministres disent cmnlbien la constitution de
L86"! fut abondamment inspirée du parlementarisme de W
miuster. quand la franche autonomie des provinces révèle une
influence non moins sensible d • Washington, bien que les I1--
positions de l'acte fédératif applicables aux provinces origi-
1. Les juges de paix (|iii sont désignés par le lieutenant-
gouverneur en conseil, doivenl avoir une certaine qualification
foncière. Les inaires des municipalités sont de droit juges «le
paix, durant l'exercice de leur charge.
2. Il s'agil ici des titulaire- désignés el traités par le pou-
voir central.
::. Opinion de lord l)ufferin. ancien gouverneur (1872-
LÀ CONFEDERATION ET SON (EUVHE 85
celles, puis étendues aux autres suffrageantes incorporées ou
créées depuis aient, contrairement aux Etats de la république
du midi, les mêmes bases, les mêmes attributions dan- leurs
rapports avec l'autorité centrale, la judicature, les droits du
citoyen, 1rs principes du self government.
Si le droii de veto que le gouverneur-igénéra] peul exercer
sur les actes du parlement, au nom du souverain, es1 la seule
mesure répressive écrite dans la constitution, que l'autorité
métropolitaine ait gardée sur ses provinces fédérées, il faul
reconnaître qu'une généreuse somme d'autonomie est échu
Canada. L'acte fédératif a ouverl la série d;une nouvelle ca-
tégorie d'états britanniques : le Comimonwealth australien
| 1901), l'Union Su'd-africaine (1910). Et ce pacte écono-
mique des colonies nord-américaines de la Grande-Bretagne,
conclu pour mieux progresser matériellement, cette ingénieuse
décentralisation du pouvoir législatif qui laisse tant de liberté
au citoyen, fui l'oeuvre des deux races créatrices de ce pays,
personnifiées à cette occasion par Cartier et MacDonaid.
Mais «'lie s'esi accomplie et se maintienl parce que comme les
individus les saines collectivités "ni une conscience; parce que
Franco-Normands el Anglo-Saxons, tous deux épris de l'ordre,
du bien-aise dan- le resped de l'autorité ont su refouler hors
la chose publique leur réciproque antipathie. C'est vu effei
l'absence des influences nationales qui caractérise le plus la
politique canadienne, pour en rendre la rie '\- > plu- curieuses.
Ainsi que le commande le régime parlementaire, c'est par
l'intermédiaire de partis rivaux — le- libéraux il les con-
servateurs — que -'exerce l'action politique. Constitués
d'après le modèle anglais, ils correspond nt aux grits el -aux
tories de la mère-patrie: Leur composition esl >\<^ plus liété-
SC, ÏERKES ET PEUPLES DTJ CANADA
rogène: francophones et anglophones, catholiques et protes-
tants, bourgeois et prolétaires, citadins et paysans se rangent
indifféremment dans l'nn ou l'autre clan, parce que, dans cha-
cun d'eux se trouvent, quant aux point- essentiels, le même
souci de la chose publique, la même conception de l'autorité.
C'esl l'honnêteté du pouvoir qui est resté' jusque récemment
le plus fécond mobile des luttes parlementaires. Les conserva-
teurs ne sont pas moins favorables que les libéraux au progrès
de la liberté. Et l'objet tacitement manifeste des deux partis
fédéraux, c'est le maintien du lien colonial et la direction de
l'oeuvre économique de ce pays où il reste tant à faire, pour en
exploiter sagement les richesses naturelles. C'est un des grands
mérites de l'Union canadienne d'avoir transformé d'un coup
les ambitions ethniques en émulation utilitaire. Cette absence
d'idée définies, de programmes qui caractériseraient les partis
d'après le sens die leur appellation, tient encore à la présence,
en plusieurs provinces, de minorités dont les droits sont expli-
citement garantis et sur lesquelles il faut compter pour main-
tenir l'équilibre national. Par contre, libéraux et conserva-
teurs ont tour à tour soutenu et dénoncé h s trusts, eu la même
conduite à l'égard des chemins de fer, et se sont fait, des droits
des faibles, un tremplin pour conquérir le pouvoir. (1) De-
venus des castes, les camps de l'électorat se sont crus tous deux
possesseurs de la vérité politique, ce qui eut bientôt développé
le- appétits, la gloire de gouverner et fait accroire aux
humbles que le salut de la nation dépend des partis seulement.
Mais il faut voir, à côté de cette adroite application du par-
I mentarisme, l'usage que l'on fait de la puissance de l'Etat
pour atteindre au pouvoir et s'y maintenir. De là. promesses
1. M. Henri Bourassa, le Devoir, déc. L911.
i. \ CONFEDERATION ET SON (El \ RE 87
à L'électorat pendant les campagnes, autant par le gouverne-
ment que par {'opposition, afin de capter ses rotes; de là,
l'élection finie, les courses aux places, surtoul les octrois de
subsides e1 les scandales financiers doni es! remplie l'histoire
parlementaire, ("e-i que La dissolvante influence de l'esprit
américain, le groupemenj des capitaux ont déjà pénétré la vie
politique canadienne pour résoudre toutes «?s questions en
piastres el donner à ses luttes une bien singulière âpreté.
VI
Si les droits des minorités conifessionnelles ne furent [tas
toujours respectés parce que livrés à l'inéluctable amibition dés
3, si l'américanism • a franchi d'aise nos frontières, La
confédération a toutefois répondu aux espoirs qu'elle avail sus-
cités quant au développement économique.
Réunis au parlement d'Ottawa, anglophones el franco-
phones, également animés de L'ambition de rendre prospère
leur commune patrie, ont accompli une oeuvre intelligente el
considérable qui a maintenu l'avancement matériel comme ob-
jectif capital des partis politiques et assuré, par là. une Libre
évolution des races dans le sens de leurs aspirations propre-.
Ce fut d'abord la construction d/un ruban d'acier dVn
océan à l'autre; puissant lien cohésif entre chacune des pro-
vinces fédérée-. 11 a déterminé d'Halifax à Vancouver L'ex-
ploitation des ressources naturelles: houillères en Nouvelle-
Ecosse, grandes forêts au Nouveau-Brunsrcvick, nouveaux
champs d'agriculture dan- Les vallées du Saint-Laurent et de
l'Ottawa ou s'ajoutent divers gisements minéralogiques ue
finissant qu'à la côte du Lac Supérieur, puis la plaine encore
déserte mais -1 fertile de La région centrale; enfin, après avoir
88 SERRES et PEUPLES DU CANADA
escaladé L'arête continentale à L500 pi ds d'altitude et franchi
die torrentieux aibîmes, ouvert I ■ - _ - au»i varie? qu'inépui-
sables des chaîn< s colombiennes. ( îômmencé en 1875, ce trans-
continental est achevé onze ans plus tard. Son parcours tic
1,331 milles esi l'ait régulièrement en six jours, ce qui lui
vaut d'être non seulement la ligne de communication la plus
directe, la plus rapide cuir;. l'Europe et l'Extrême-Oocident,
inai> encore la voir stratégique par excellence de l'Angleterre,
qu'elle utilisera pour transporter, sur un territoire national,
son infanterie, ses petits vaisseaux d'un océan à l'autre, en
moins d'une semaine. (1) Ainsi, les espoirs des découvr urs
français — surtout de Lai Salle qui, partant pour l'ouest, ap-
pelait la Chine un avant-poste de Montréal — de trouver
une route commode conduisant au Grand-Océan, soûl enfin
réalisés. Depuis lors d'auirs transcontinentaux ont été entre-
pris (1905) et seront bientôt achevés, qui accroîtront vers le
nord, dans des régions pleines de promesses, la zone mainte-
nant si étroite de la colonisation et abrègeronl encore sensible-
ment la traversée du Canada.
L'amendement des voies fluviales entrepris vers 1850 ne
tarda pas d'être achevé dans - - points essentiels par la con-
fédération. Ainsi la route laurentienne est rendue navigable
des 1880, aux océaniques des plus fortes dimensions, jusqu'à
Montréal, désormais la métropole canadienne. Et, déjouant
de formidables obstacles j tés par la nature sur le liant Saint-
Laurent, ses tributaires, le Richelieu, l'Ottawa, < ie entre
1. La valeur du Pacifique Canadien s'illustre en comparant
la distance qui sépare Liverpool de Hong-Kong, Chine, soil par
l'est ou l'ouest.
Cette roie terrée perniei encore d'éviter le canal de Panama.
propriété des Etats-Unis, où le passage sera loin d'être libre.
LA CONFEDERATION ET son ŒUVRE
89
90 TEEBES ET PEUPLES DU CANADA
chacun des grands lacs, un ensemble d'écluses des mieux en-
tendu permet aux vais-eaux d'un fort tonnage de naviguer,
sans aucun transbordement, sur 1,700 milles, par exemple de-
puis le golfe jusqu'à Duluth, à l'extrémité occidentale du lac
Supérieur, soit au coeur même du continent.
Afin (1- favoriser le développement de l'agriculture, des
fermea modèles ont été établies dans la plupart des provinces
par l'acte de 1886, tandis que les .pêcheries maritimes '(1882),
les plus importantes industries métallurgiques 1(1883) et les
constructeurs de voies ferrées reçoivent des prime- considé-
rables.
Une aussi colossale entreprise que la constreution du pre-
mier transcanadien, élaborée dans le silence, par un pays qui
ne comptait pas encore quatre million et demi d'habitants, (1 )
devait bientôt produire une profonde révolution éeonomiqu • à
laquelle l'Europe ne resterait pas étrangère. En effet, à pein •
les régions centrales traversées par le chemin de fer avaient-
elles cessé d'être le domaine exclusif d'une puissante société
])elletière (la Hudson Bay Co., 1870), pour devenir accessible
à l'agriculture, qu'il commence d'y arriver un afflux colonisa-
teur sorti des centres surpeuplés du vieux monde. On ac-
centua ce mouvement migrateur d'une propagande qui n'en-
courut pas officiellement d'abord le reproche de tromper l'op-
timisme des étrangers en répandant des espérances exaigéi
mais dans la frénésie du peuplement rapide et, c'est évident,
avec l'ambition de fermer à jamais aux fils du Saint- Laurent
les (portes de ce qui s'appelle encore Y ouest canadien, on re-
cruta même des semi-asiatiques. 11 ne manqua pas aussi d'élé-
1. Population de L881: 4,324.810. Recensement du Canada,
vol. I. 1S81.
I. A CONFÉDÉRATION ET SON ŒUVRE 01
ments trop souvenl incapables -d'apporter à leurpays d'adop-
tion, en échange ide ses terres fécondes, de sa liberté, un utile
concours: aventuriers et robus sociaux venus un peu de l'Eu-
rope latine, mais surtout d'Irlande et d'Angleterre — aux-
quels les Etats-Unis refusaient justement la citoyenneté. A
cette pacifique invasion d'outre-Atlantique, anxieuse die se
répandre sur la prairie, s'est bientôt jointe celle des fermiers
du Mentana et du Dakota qui abandonnent leurs mauvaises
h rres. Depuis une décade, à de certaines saisons, des cara-
vanes de roulottes traversent la frontière pour s'établir à nou-
veau dans les provinces du centre
Cet aveugle empressement à répandre une civilisation cos-
mopolite, niais surtout anglophone commence à tourner, par
la force des choses, contre les propres intérêts du Canada.
Idées et capitaux des Etats-Unis, dont l'apport trouve son
meilleur appui dans les circonstances géographiques, exercent
déjà une irrésistible pénétration qui fait que la prairie de-
vient de moins en moins britannique et de plus en plus amé-
ricaine.
L'imprévoyance des politiques canadiens est allée jusqu'à
permettre! l'entrée aux chemins de fer dan- les nouvelles pro-
vinces, quand rien ne justifiait une telle capitulation natio-
nale.
Notons, encore l'intérêt qu'a porté la confédération à la re-
connaissance intéressée autant (pie spéculative des aires géolo-
giques, avec l'exploration de ses champs miniers et île toutes
ses autre- richesses naturelles. En effet, une commission de
fonctionnaires instituée à cette fin par les Deux-Canadas
(1845) poursuit sans relâche, de concert avec un service géo-
. -. - recherches sur une contrée désormais identifiée a
92 'l EHRES ET PEUPLES DU C \N \I>A
toute L'Amérique boréale. Leurs travaux, qui ont tenu le
monde savant au courant du progrès de la géologie et de la
cartographie canadiennes, -mit une considérable série de rap-
ports ci de relevés soign usement gravés, aotamment deux
cartes topographiques du Canada colonisé: l'une complète an
1/500000 e., ei L'autre au 1 25 10 e. encore inach
Comme corollaire des sollicitudes gouvernementales à
Tégard de la mise en valeur du pays et de l'utilisation de ses
diverses richesses — agriculture, forêts, chasses et pêeherii s,
mines et chutes d"eau — une commission d'économistes dite de
conservation, vient d'être chargée (1909) de - au par-
lement t\r> textes de Loi qui pourvoiront à une sage dépense
de la fortune naturelle.
En somme, l'oeuvre utilitaire de la confédération, bien que
pas exempte d'erreurs, a été efficace: les populations et leurs
richesses ont grandi d'une march • accélérée, donnant Lieu de
croire que se réalisera cette prédiction désormais fameuse:
"si Les Etats-Unis ont été La nation du dix-neuvième siècle, Le
Canada sera celle du vingtième.''" (1)
Le devoir présent des politiques canadiens semble se ré-
sumer dans cette formule: ne pas rétrograder dans les rap-
ports avec la Grande-Bretagne et permettre aux deux éléments
nationaux die se développer librement, dans Le -eus de Leurs as-
pirations respectives.
La carrière encore (brève des colonies nond-américaines at-
Leste L'influence de ce goût inné ^h-> réformes qui l'ait qu'aux
pays britanniques les révolutions Les plus profond - s'accom-
plissenl -race aux années, par de persévérantes et souvent in-
1. M. Ulric I'arthe.- Rapport du congrès de colonisation de
L898, |>. L38, Montréal, 1900.
LA CONFÉDÉRATION ET SON CEI \ RE '•»."»
sensibles évolutions. Et ce Canada plein d'espoirs, consolidé
parce que sa métropole s'esl final ment résolue à ne plus gar-
der sur ses p issessions nord-américaines qu'une suzeraineté
commerciale; ce Canada raffermi par la sagesse de ses natio-
naux, témoigne de !a valeur du gouvernement constitutionnel.
Reconnaissons cependant encore ce fait essentiel à la quiète
existence d'un pays de deux races, plus absorbé à son progrès
matériel (1) qu'à l'asservissement d'une race à l'autre: c'esl
qu'elles en sont à leur période de formation nationale -■ les
sociétés n'échappant pas à cette curieuse loi de l'évolution qui
repose autant sur l'influence des idées que sur celle du milieu
terrestre.
1. PROCRF.S DE LA DKTTE PUBUQCE TOTALE ET per CapitU /
Dette 115,492,683
En 1871, \ ! ! : $33.13
Population 3,485,761
Dette 199,861,538
En 1881, -j • S46.21
Population 4,324,810
Dette 289,899,230
EnlS91, \ ' $59.98
Population 4,833,239
Dette 354,732,433
En 1901, { : $6(5.04
Population 5,371,315
f Dette 474,941,487
Enluil, \ ! J : $65 92
( Population 7,204,527
Somme des recettes et des déboursés budgétaires sous
la confédération (1863-1910):
Recettes des 43 années $1,759,132,224
Déboursés" " " §1,605,648,520
Kecettesde l'année 1910 101,503,711
Déboursas " " 7^,111,746
Annuairt '/» Canada, V310, comptes publies, pp. 202-à 290.
TERRES ET PEUPLES
CHAPITRE CINQUIEME
LES [NPLUBNCBS GEOGRAPHIQUES
La Terre tient les êtres animés dans une étroite dépen-
dance, par de multiples côtés. Ce qui est vrai pour la plante
prisonnière et. à un moindre degré, pour le passible animal
parée que mobile, reste encore tel pour l'homme, être cons-
cient.
Astreint par la force des choses de s'accommoder au milieu
particulier où il se trouve, l'homme, sans qu'il s'en rende
toujours pleinement compte, voit sa eomplexion, ses habitu-
de-, son genre de vie. profondémenl moldifiés. Cette influence
de la nature va même jusque peser sur son caractère. Entre
la physionomie, les coutumes, les oeuvres, les aspirations d'un
peuple et le sol qui le nourrit, le ciel sous lequel il respire, le
pays qui l'environne, il y a une osmose, un accommodement,
'"intimes rapports établissant, grâce aux années .une parfaite
convenance des habitants à leur patrie.
Corps et aine- se repro tûis'enl constamment, jusqu'à ce
LIN TERRES ET PEUPLES DU CANADA
qu'un milieu nouveau, jusqu'à ce qu'un mélange éventuel des
sangs viennent en altérer les signes caractéristiques pour enfin
reconstituer, parfois après des siècles de vicissitudes, quelque
nouvelle personne physique et morale où domineront encore
les qualités du plus robuste ou du mieux accompli des mariés.
Pour bien retracer l'influence géminée du milieu et du
temps sur les sociétés, il faut encore les observer sur place,
après avoir connu leur pas>é. Ei si la nature et l'histoire ex-
pliquent le présent, le gage de l'avenir des peuples — des
peuples jeunes surtout — repose donc autant dans leur patrie
que. dans les oeuvres de leurs ancêtres.
Ayant apprécié au premier chapitre de ce livre les diffé-
rences qui caractérisent les grandes zones naturelles dont l'as-
semblage constitue le Canada, et retracé, au second, la genèse
des éléments ethniques, leurs longs tâtonnements dans les do-
maines économiques et administratifs, les résultats de leurs
vaines luttes pour une prompte suprématie, la solution tem-
poraire de leur antagonisme par le dualisme politique, i s-
sayons de fixer ici quelques-uns des traits sensibles et intellec-
tuels de chacun des groupes nationaux, en en supputant les
- numériques, les vertus sociales et les ambitions.
II
Aux régions atlantiques. — Les trois petites provinces qui se
partagent l'extrémité orientait- du Canada colonisé oni un re-
lief à la fois âpre et souriant, soit que l'on en parcoure Les
littoraux atlantiques partoui sinistrement déchirés, ou les
molles plages encerclant à demi le golfe de Saint-Laurent,
que l'on aperçoive les pentes réjouies de l'île du Prince-
LES l\ FLUENCES GE0GRAPHIQ1 ES 99
Edouard, La longue vallée d'Annapolis où dormenl de petits
Lacs, la double série des vallons latéraux en Nouvelle-ŒHcosse,
ei Les plus amples bassins du Nouveau-Brunswick encore
pleins d'ombres forestières.
A ces pays calcaires injectés, surtoui dans la péninsule, de
quartz lourds 'lu. plus précieux des minéraux, à ces terres fa-
ciles qu'avoisinent les abondances marines, à ces croupes fati-
guées recouvrant îles puissants lits de houille, il manque du
soleil; car la tiédeur des souffles méridonaux favorisés par le
voisinage du GiUf Stream produit, au contact des vents du
Dord, une rapide condensation qui accroît La dose des pluies
dont -<>nt abreuvés toutes Les régions maritimes.
Aussi les deux races contrastantes qui se trouvent là ne
peuvent-elles, malgré L'isolement,, malgré La générosité de Leur
patrie, voiler tout à fait la tristesse et la mobilité de leurs
sentiments. Mais ce manque d'aspirations définies ne conduit
pas cependant à L'absence de caractère propre; car il faut voir
Le déséquilibre qui persiste là. entre ces éléments nationaux.
La Nouvelle-Ecosse, ce finistère aux aibords déchiquetés, au
ciel souvent endeuillé, c débarcadère de La <-i\ Llisation au Nou-
veau-Monde recul, ainsi qu'il convenait, des Bretons pour
pionniers. Eudurants et opiniâtres de leur nature, ils se sont
bientôi faits au pays; il- l'ont même façonné selon leurs be-
soins, en élevant contre la mer du Beaubassin des barachois
encore soli les. Après un séjour d'un siècle et demi, les cent
cinquante familles pionnière- d'Acadi i comptent seize mille
individu- assurés de leur subsistance. (1)
Mais, bordant de toute sa longueur la route obligée du cou-
rant colonisateur anglais sur ce continent. L'Acadie ne tarda
1. Dierei III*- poèl e-\ ovageur,
100 TEHRES ET PEUPLES DTJ CANADA
pas de devenir le domicile d'une autre race. Pendant un siècle
et demi le bruit des armes s'ajoute aux grondements de la mer ;
et, quand la Grande-Bretagne aura-cause, eu prélude à sa vic-
toire sur tout ce qui est françois en Amérique, l'inhumain dé-
rangement de- Acadiens du Grand-Pré, d'Annapolis, de Pom-
bomcoup, de l'île de Saint-Jean (1755), pour placer les siens
aux champs des bannis, ce sera l'élément écossais qui prévau-
dra, en changeant sans retard le nom de la contrée. Cepen-
dant les exilés, bien réduits en nombre, reprennent bientôt le
chemin de la patrie perdue. Quelques époux retrouvent leur
compagne, quelques frères leurs soeurs et, lentement, se réédi-
fiera, non loin de l'ancienne, une Acadie nouvelle. Ce retour
des tombeaux, cette renaissance sociale ne furent possibles
qu'au souvenir obstiné d'une terre doucement triste, patiem-
ment conquise sur la mer et la forêt, longtemps défendur
contre l'envahisseur; qu'à l'attrait puissant d'une vie créa-
trice de beaux foyers, gardienne jalouse des traditions perpé-
tuées par la langue et la foi des ancêtres. C'est sur la côte
orientale du Nouveau-Brunswick d'à présent, depuis Shédiac
jusqu'à la baie des Chaleurs, que se fixa le plus considéra ible
groupement de ces spoliés. D'autres s'établirent à ("lare, baie
de Fundy, à l'île Madame, sur les bords du Canso, sur les rives
boisées de la Madawaska; enfin les seigneuries avoisinanl
Montréal donnent asile à ces proscrits qui y fondent même
des paroisses « m ièrea
Demeurés volontairement dans L'ombre et longtemps igno-
rés des pouvoirs publics a tin de parer à leur faiblesse numé-
rique, ces Acadiens que la nature de leur colonisation^, la
pureté de leurs moeurs avaienl faits simples autant que forts
— et > courus en cela par l'Eglise de Québec depuis leur râpa-
- tNFLUENCES GÉOGB SlPHIQI ES 101
tri nient — , ces Acadiens s'adonnent à la pêche et s'emparent
il u sol. Mais, à moins de rester sous l'empire des populations
anglo-saxonnes où les onl réduits les événem ut-, ces Acadiens
devaient compter leurs hommes instruits qui les représente-
raient surtout aux assemblées du peuple.
C'est en effet de la fondation de leur première école d'édu-
cation secondaire (1864) que date l'influence de l'élément
francophone au Nbuveau-Bruinswick ai la reconstitution de la
nationalité acadienne. (1) Par l'établissement prochain de la
Confédération, les Acadiens cessent d'être isolé.-, car ils brou-
vent dans le Québec, centre d'action française, et dans les
divers autres groupements épars du Dominion ayant avec eus
la communauté d'origine ,de foi et d'idiome, un puissant ap-
pui moral.
III
Les populations néo-écossaises de langue anglaise retracent
leur origine parmi un petit nombre de Loyalists venus des
colonies en révolte qui ont fait les Etats-Unis, mais surtout
chez des paysans d'Ecosse, Mghlanders et lowlanders, arrivés
dès la fin du dix-huitième siècle, auxquels se sont ajoutés, vers
1850, des gens de l'Irlande et du Hanovre. Le flot hétérogène
d'émigrants qu'a reçu le Dominion au cours des soixante der-
nières année- n'a pas modifié cette composition.
L'activité de cet élément primordial — le plus utilitaire, le
plus énergique! de tous les Celtes, et qui a su entraîner ici les
autres populations à sa suite — s'est manifestée d'abord par
1. M.\r. Desrosiers et i\.uinei . Lu Race française <n Vmé-
rique, ch. VI I.
102 y::!;i;i-> ET PEUPLES DU CANADA
le déboisemenl intensif de la péninsule an profil de la marine
britannique surtout, <-t ensuite par l'exploitation minière: la
houille (1) à Sydn y. à Pictou, en' Cumberland, et l'or (2)
dans tonte la région méridionale.
Parce qu'elle est en quoique sorte un bras tendu de l'Amé-
rique vers la Grande-Bretagne,, cette province fut la prem
à recevoir les institutions représentatives (1758). Là,
prit des coloniaux s'est incessamment modifié au gré des con-
cessions métropolitaines jusqu'à ce qu'en 1748 La Nouvelle-
Ecosse reçût l'avantage de se gouverner par un ministère res-
ponsable. C'est en effet de cette fille aînée de la Mother of
Parliaments, c'est d'Halifax, riche capitale bâtie par la ma-
rine britannique. d'Halifax, -erre du parlementarisme au
.\'"ii\v:iii-\I Ir. que sortira le projet d'unir économique-
ment, toutes les possessions anglais s de l'Amérique du NTord.
Isolées comme le pays. Les conceptions politiques y sont res-
tées telles qu'elles étaient en 1867. (3) L'on y comprend
toujours les -avantages du lien fédéral, la source de cette foi
gisant encore dans le bénéfice immédiat qu'en a tiré la pénin-
sule, et du calme qui dure et durera entre les deux m
sociales: l'une façonnée selon l'esprit écossais, l'autre bien aca-
dienne. (4). Mais, parce que le parlementarisme ue suffit pas
1. Dès L882 on extrayait de la Nouvelle-Ecosse un million
de tonnes de houille, production qui s'esl sextuplée pour absor-
ber aujourd'hui le labeur de 20,000 hommes et représenter en
droits prélevés par l'administration provinciale^ un bon tiers «le
son revenu. En 1910: 616,900 sur 1,783 400 piastres.
'2. Les assises aurifères <le la Nouvelle-Ecosse sonl une su-
perposition de plissements en forme «le selle, de profondeur con-
sidérable, ressemblant1 par leur structure aux si productifs gites
du Victoria et de la Nouvelle G-alles-du Sud.
3. M. Henri Bourassa, /- /'< voir, 7 septembre 1910.
4. La Nouvelle-Ecosse ue compte encore que 60,000 franco-
phones sur une population de M>5*000.
LES I N FLUENCES GKQGRAPHIQ1 ES L03
;i garantir l'existence progressive d'une société, Eût-elle comme
celle-oi, jalousement séquestrée par la nature, il faut voir
l'emprise exercée par l'activité commerciale il s Etats-Unis
Bur l'âme néo-écossaise, pour comprendre le tourment qu'elle
endure: elle se débat entre un vif désir de sécession et su défé-
rence invétérée des traditions, des lois britanniques, Ce c'est
pas en vain que Sydney, Halifax, ïanmouth ci Digby entre-
tiennent d'assidues relations d'affaires avec Portland, Boston
et New-York. Déjà, bien que la législation scolaire n'ait pas
été modifiée, les programmes d'enseignement trahissent-ils
l'engouement néo-écossais pour les idées aiméricaines.
IV
Une seule vallée rattache le rectangle du Nbuveau-Brunswick
au Canada intense, tandis qu'un fleuve abondlanl coule vers le
sud oùj se concentre, à sa bouche, dans la ville de Si John e1
dans les havres de la Fundy, une vie industrielle e1 maritime
jamais interrompue.
('"est là surtout que réside le vieil esprit autoritaire et tou-
jours vivace des Loyâlists. Il a contribué plus que La min-
ceur de l'isthme de Chignecto à séparer, dès 1785, cette pro-
vince de la Nbva-iSeotia. La générosité du sol n'influant
ipi'indirectenieni sur les populations urbaines, tous ces gens
gardent encore l'étroite, anguleuse et sèche figure, le v<
dur et bref qu'avaient leurs ancêtres, scandalisés de l'émanci-
pation américaine. Devenus -ans peine les possesseurs du
sol, ils détiennent encore l'a fortune et témoignent leur amour
de la justice en persistant à nier les droits des catholiques à
l'enseignement confessionnel.
104: TSEEES et peuples du canada
Entre cet élément loyaliste et les francophones se pose l'Ir-
landais, agressif ici comme ailleurs et concentrant ses i Efôrts
d'assimilation sur ses coreligionnaires les Acadiens, en tâchant
de leur imposer une formation anglaise à l'école. Malgré
l'identité de leur malheureuse histoire, ces deux minorités
restent des rivales: la ruse de l'une à propager l'influence de
l'anglais n'a d'égal que l'opiniâtreté de l'autre à garder vi-
vaces ses traditions locales, sa foi. son individualité enfin.
Mais ici un simple fait annonce déjà la solution au pro-
blème des races: la valeur sociale de ce qui s'appelle un Aca-
dien. Demeurés pendant trois siècles en contact intime avec
le sol et fréquemment aguerris aux dangers de la mer. qu'ils
aiment pour ses périls, ses profits hasardeux, ces hommes
d'Armorique revenus d'exil, ont reformé leurs rangs et retrou-
vé leurs individualité dans la solitude et loin des antagonistes.
Des dix-huit mille Aeadiens de 1754, six mille sont morts on
disparus pendant la tourmente; un nombre à peu près égal fut
dispersé en divers pays, surtout au Canada et en Louisiane. Le
dernier tiers échappé aux prescripteurs gagna des retraites
ignorées pour devenir la souche des groupements actuels. (1)
D'abord plutôt lent, leur accroissement s'est fait prodigieux
(2) au réveil de l'instinct colonisateur qui coïncide chez eux
avec l'inauguration des chemine de fer. L»'s deux types anglo-
saxons et le celte — celui-ci surtout qui n'a pu prendre
racine, gagne graduellement les villes — s'effacent devant ce
robuste défricheur que ne rebute aucun pénible labeur et qui
a déjà ouvert tout ce que le Nouveau-Brunswick supérieur
contient de champs cultivés.
l. Rameau de Saint-Père, l m colonû féodale en Amérique,
introd., p. XXVIII.
2 L'Eglise de Québec compta 8,000 Aeadiens en L603, 11,000
en 1812, et so. ooo en 1881.
LES IN il l ENCES GÉ0GKAPHIQ1 ES 105
En dépit du fléau de l'expatriern aal qui ne cesse dé les
affaiblir comme leurs voisina an profit des Etats-Unis; en
dépit de la vive attraction pour la pêche — car c'est beaucoup
le capita] anglais qui les rêtieni sur le golfe — et s'il n'arrive
.1" nouvel élément da population gui déroute les calculs d'au-
jourd'hui, un demi siècle ne se passera pas avant que les A.ea-
diens prévalent en nombre comme en fortune dan- le Nouveau-
Brunswick et la petite province insulaire, tandis qu'il faudra
aussi compter avec eux dans la presqu'île, on ils représente^
déjà le huitième de la population. Des régions supérieures
du Nouveau-Brunswick s'achemine, en longeant la côte, une
masse toute francophone qui franchira l'isthme pour se souder
aux noyaux encore isolés de l'Antigonish, du Dighv. du Yar-
niouth, du "Richmond et d'Arichat. Réoccupant alors avec la
même foi, le même idiome, ces campagnes généreus ;s, ces
Joyeux villages que leurs aïeux ont tant aimés, et recoiffant
le gentil bonnet id'Evangeline, ils lutteront pour la supré-
matie après avoir si fermement résisté pour la survivance.
Au point die vue politique il importe maintenant que le trio
maritime conserve la part d'influence dont il jouissait depuis
L867, mais que l'expatriemenl au profit des Etats-Unis et le
peuplement intense du Canada central lui ont récemmeni en-
levée. (1) La solution de ce problème — qui intéresse immé-
diatement l'unité canadienne — ne réside pas dans une fusion
des race- d'ailleurs impossible, mais elle apparti ni au do-
maine économique et paraît se résumer dans cette formule:
restituer à l'agriculture beaucoup de ses en rgies que lui -
1. Parties en L871 avec rSâ285 habitants e1 13 députés, ces
trois petites provinces n'en comptenl plus que 30 pour représenter
leur population de 861,96.2 habitants.
L06 I BBRES ET PEUPLES M CANAD \
iraient Los mine- néo-écossaises, les forêts du Nbuveau-Bruns-
wick et la pêche sur toutes les côtes. (2)
V
Au Québec. — Des austères e1 brumeux rivages du golfe au
Lac Témiscamingue, de la chaîne des ballons alléghaniens jus-
que loin derrière les vétustés Laurentides, au-delà de l'arène
alluviale du lac Saint-Jean, d'une ceinture forestière pleine
d'eaux mugissantes, et des champs minéralisé- du Chibogamo
et de l'Abitiibi d'où les rivières coulent vers le nord mysté-
rieux, se déroule le domaine politique du Québec. Une géante
avenue fluviale née au milieu même du cbntienent recueille,
après avoir rattaché une série de grands lacs, 1 s eaux d'un
bassin de trois cent mille milles, en a'ouvrant sur la mer.
C'esl aux bords de ce Saint-Laurent, portique du Nouveau-
Monde, qu'au début du dix-septième siècle s'établit, pour y
vivre à dem are, un vigoureux rame m de la race fran<
donl les vertus, plus que la valeur des institutions sociales
L'ont am mé, avons-nous déjà vu, non seulement à occuper
Les fkwx fécondes bandes Laurentiennes, mais à imposer La
civilisation et L'amour de la France sur une bonne moitié de
L'Amérique septentrionale.
A peine ces pionniers ont-ils jalonné de défrichements la
riche assiette de leur patrie d'élection, d'où croîtra bientôt
boute une moissou il • paroisses, qu'ils pénètrent, par chacun
de ces oomibreux et grands chemins qui marchent, au-delà des
Grands-Lacs, dans la vallée mississipienne, jusqu'en Loui-
siane, pour y jouer encore le rôle de premiers occupants; qu'ils
-.'. Henri Bourassa, Le Devoir, 7 septembre 1910.
il - INFI.l i:\( Ks GÉOGKAPHIQUES 1"1
disputent aux marchands anglais les rivages glacés de L'Hud-
9oii ri l,- brumes 'le Terre-Neuve; qu'ils ruinent, avec leurs
frères acadiens et les fidèles A.bénakis,les menaçants comptoirs
néo-anglais aux côtes ravinées du Maine; qu'ils r culenl jus-
qu'aux flancs des lïocheuse- les bprnes de L'inconnu, et qu'en-
l'in. impuissants à maintenir davantage, contre un antagoniste
ringt fois supérieur en nombre, 1;' prestige français qui
semblait reposer sur eux seuls au Nouveau-Mou lie, ils tombent
cruellement terrassés, mais non vaincus!
De ces immenses territoires dont la possession fut, en témoi-
gnage de leur valeur, si âprement disputée pendant un lojig
siècle, il no reste plus an Canadien que juste ce qu'il en a la-
bouré; son oeil en mesure la largeur; des rives laurentiennes
aux premiers contrefort*, à la forêt dense et prochaine — le
champ d'un écho... Au comlbat deux fois séculaire contre
la barbarie et la race rivale maintenant chez elle succède le
combat pour survivre avec ce que l'homme à de plus cher après
sa foi religieuse. Si le seigneur, qui aida si puissamment à
la création des foyers est parti, reste le prêtre, lui. incapable
île pactiser avec un maître protestant. Il gardera les siens
toujours fidèles à la terre qui les -,\ déjà si généreusement na-
tionalisés; il activera encore, aux diverses phases du régime
britannique, la colonisation des régions incultes, non seule-
ment -au Québec, niais sur tous les points du contintnt où vit
le Franco-Canadien.
VI
i -si surtout d'une parfaite convenance de la nature lauren-
tienne au sens de la vit' agricole, aux solides institutions 30-
108 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
ciales transplantés ici par s ulement quelques centaines de fa-
milles les plus robustes et les plus morales du nord de la
France, qu'est née l'âme franco-canadienne, aujourd'hui plus
que jamais douée des brois qualité- essentiell s à l'existence
d'un peuple homogène: unité de foi, communauté d'idiome ei
convergence d'aspirations.
Quelques décades avant la conquête on voyait les habitants
d ■ la Xouvelle-Fr-ancc massé- comme sur une longue rue, aux
bords du puissant et commode Saint-Laurent. Les fermes
que le seigneur a fait arpenter sont des rectangles étroits,
d'une contenance rarement inférieure à quatre-vingt-dix ar-
pents, et dont le côté long est dirigé vers l'intérieur. A ce
rang de fermes juxtaposées, présentant leur fronl de trois ar-
pents au fleuve en suivant tous ses méandres, soin venus
s'ajouter, -au fur et à mesure du peuplement, d'autres Rangs
parallèles au premier, ouverts par des chemins du roy qu'à
intervalles réguliers des côtes rattachent aux anciens. I -
commencements furent identiques par toute la colonie. Là
où quelque rivière conflue au Saint-Laurent, le seign ur en-
treprend dé concéder son fief: il y bâtit son manoir, grande
maison crépie, toute blanche, s-ans meurtrière- ni donjons,
mai- avoisinée d'une chapelle et d'un moulin — protégés
d'une palissade de pieux si l'on craint l'incursion des Iro-
quois. Bientôt les censitaires construisent une église — d'ar-
chitecture ou gothique ou romane — élançant, à son froi
regardant le fleuve, un clair et hardi clocher que surmonte le
coq gaulois. Plus tard surgissent le presbytère, les magasins,
l'auberge, les ateliers, puis l'école qui a son édifice dès qu'elle
-mi-i de la maison du curé. On remarque à l'église le banc de
l'oeuvre mis en travers, orné d'un grand crucifix et de deux
chandeliers d'argent; sur la place paroissiale, la tribune où
LES tNFLTJENCES GEOGB LPHÎQtfES lU'.i
l'on l'ait les criées publiques, les ventes pour Les âmes; dons
chacun des rangs des calvaires géants, élevés de mille en mille,
protègent de leurs bras sacrés, routes, moissons et fo\
Telle fut la genèse, telle esl en ore la physionomie des
vieilles paroisses don! sortirent dix générations pour occuper
des terres nouvelles el créer, de proche eu proche, à travers
les vicissitudes du temps, dl'autres cellules de vie nationale el
catholique, jusqu'à relier deux fiefs, jusqu'à étendre la profon-
deur des champs cultivés sui toui le bassin immédiat du Saint-
Laurent. Aujourd'hui encore, bien que le mode d'appropria-
tion du sol ait changé, bien que les groupements de popula-
tion se fassent plutôt le long des voies ferrées .aucun établis-
se ment agricole translaurentien ne grandit sans avoir son
centre paroissial. Ici sera l'église, se dit le colon pionnier:
ici. avec les miens, je vivrai une vie intimement pareille à
celle de nus pères.
vu
L'obligation imposée aux seigneurs de concéder graduelle-
ment leurs domaines, et la logique reconnaissance de la pa-
roisse comme une personne civile, os qui achevait de subor-
donner le fief à cette paroisse, ne gardaient ainsi à l'institu-
tion féodale que ce qu'elle contient de plus socialemeni créa-
teur. Et encore le soutien matériel de l'Eglise à la charge
des censitaires, qui en confient par élection la gérance à un
conseil de fabrique, est un germe essentiellement démocra-
tique. Aussi, au milieu du dix-neuvième siècle, ce conseil ser-
vira de modèle à deux autn s organismes paroissiaux: la muni-
cipalité scolaire, où commissaires et curé s'entendent pour
consacrer le principe ■ - coits comme d s obligations des
1 K» TEBKES ET PEUPLES DU <' W \0 \
parents en matière d'éducation; puis la corporation munici-
pale qui, trouvant son domaine de juridiction tout marqué,
achève de rendre la paroisse une .miniature d'Etat, en so-
cialisant l'emploi de taxes prélevées par- un corps d'élus au
vote des contribuables.
De l'originelle paroisse sortirent 'des députés qui sureirl en-
seigner aux nouvelles populations britanniques L'usage du ré-
gime représentatif et introduire dans la constitution qui s'éla-
borait, les germes des saines libertés qu'elle a depuis garan-
ties: égalité de représentation pour les deux races, respect
des croyances religieuses et droits du peuple d'élire ses légis-
lateurs, comme de voter les impôts par ses mandataires. Et
l'ambiance de ces petits conseils représentatifs continue de
produire des hommes initiés à tous les intérêts de la commu-
nauté, ce que commande la vraie vie parlementaire. (1)
VIII
A ec foyer de la paroisse, créateur de traditions région
cellule de pensée latine, gardien vigilant de vie catholique,
secret de résistance à la conquête morale, l'haibitanl -'■ -
comme fédéré au sol, e1 son caractère ethnique s'est développé
1. "Los Canadiens-Français sont... |>lus rigoureusement
parlementaires que les Anglais, et jamais, à aucune période de
l'existence et des fortunes si mouvementées du Canada, les tom-
mes d'Etal canadiens-français n'ont fait défaut à l'oeuvre pu-
blique: mais ils ont sans cesse demandé à leurs associés une par;
égale «l'activité dans la création des traditions représentatives,
de ce qui est L'essence même de l'histoire constitutionnelle du
pays... Le commencement dans les privilèges dont la colonie
jouit à cette heure, c'est à cet élément français que l'Angleterre
le doit." Discours prononcé à Londres, le s juillet 1875, par lord
Dufferin, gouverneur-général du Canada. 1872-1878.
LES [NFLUENCES GÉOGRAPHIQUES 111
en s'individualisant. !>»• ce petit monde dont le pôle est un
clocher d'argent, le Bas^Canadi n a vu sans crainte passer
(levant lui l'envahi ssement étranger. En effet, que ceste-t-il
aujourd'hui des implantations du conquérant ,au lendemain
de la cession, sur des terres alors vacantes du pays lauren-
tien ? Qu'est devenue cette grande seigneurie écossaise de
Murray, ouverte en L764 par le licenciement des montagnards,
en aval de Québec ? Quel l'ut le sorl des aoyaus celtiques du
Lynstcr, des burgs de L'Argenteuil ; el surtout qu'advient-il
des catons de l'Est? cette vaste zone des Eastern Toionships
ouverte par les Loyalists, si jalousi ment réservée par les pre-
miers gouverneurs à l'influence anglo-saxonne et protestante,
afin d'élever là comme une infranchissable barrière à l'ex-
pansion des fils du Saint-Laurent vers le sud. — ■ Au Charle-
voix des noms gaéliques, mais de facture bien française, rap-
pellent seuls aujourd'hui le souvenir des industrieux high-
landers; ce qui dure, après un demi siècle, des familles irlan-
daises dans la région de Rawdon se désagrège vite devant la
fascination qu'exercent les villes sur le celte rêveur; chaque
année une paroisse québécoise s'ouvre sur les bownships don-
nés en libre et commun soccage aux fiers royalistes de L791
et d'après; leurs rejetons gagnent les provinces de l'hinter-
land, avec l'espoir de se trouver pour toujours en pays anglo-
phone, cédant ainsi leur place à de plus aptes à la vie lauren-
tienne, à ceux que la terre conduit, en I s remplissant d'amour
et de force, à sa pacifique et durable conquête.
IX
Comme l'âme nationale et comme le sang, la langue des
Franco-Canadiens s'esi gardée exempte d'alliage: on la parle
112 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
avec la même pureté, à l'exclusion de tout idiome local, du
golfe de Gaspé aux sources de l'Ottawa. Cette conservation
tient sans doute beaucoup de l'époque traditionaliste à la-
quelle se fit l'émigration, mais plus encore aux ardents
foyers de culture, séminaires et pensionnats, où la jeunesse
reçut, dès le dix-septième, une instruction puisée dans des
livres d'outre-mer, et qui allaient raviver Jusque chez les
plus modestes familles, le beau parler de France. .
Toutefois, cette langue se ressent dis ambiances naturelles
et morales du pays. Si, par le fond, la parlure québécoise de-
meure bien française — surtout française du dix-septième,
avec ses mots maintenant désuètes chez l'ancienne mère-pa-
trie — avec ses locutions d'une archaïque saveur comme
étudier pour se faire prêtre, hormis que ce soit trop
désamain} aius seulement, tant seulement, elle s'est enrichie
de canadianismes que lui ont prodigués la si individuelle
nature américaine, puis l'industrie, dans les villes surtout,
la vie parlementaire et les autre- institutions britanniques
l'ont dé.ià fatalement imprégnée de mots, d'expressions qu'il
lui est maintenant impossible de récuser.
Simple dans sa construction, mais fécond en tropes, en mé-
taphores, le vente laurentien se prononce ouvert, fortement
scandé, agrémenté même de quelques accents circonflexes en
trop; ses syllabes élargies ont perdu de leur musique en se
faisant ainsi plus nettes et plus amples, ce qui fait que, Lau-
rentiens et gens de France doivent, au début, se prêter une
oreille attentive: l'accent est déplacé.
Conservée à peu près intacte, parlée sans patois, identique
non seulement au Québec, mais en quelque lieu que nous la
trouvions sur le continent — ce dont ne peut s'enorgueillir
l'Anglo-Canadien — cette langue des pionniers paraît cepën-
LES INFLUENCES GÉOGRAPHIQUES 113
danl destinée à s'éloigner de plus en plus du français mo-
derne. A l'accent déjà renouvelé au respir de la fcerre na-
tionale s'ajoutent des noms, des verb s nouveaux demandianit
Leur droit de cité — signe indubitable d'une évolution sen-
sible vers une autre langue néo-latine.
Si déjà l'individuel milieu physique du Nouveau-Monde et,
à un degré peut-être égal, la présence d'une nation soeur qui
a imposé partout ses institutions populaires, influeut sensible-
ment sur la langue et l'esprit public des Franco-Canadiens,
plus considérables encore sont les différenciations exercées
par la seule nature sur la coonplexion et sur ce que l'homme
moral a de plus intime, chez un peuple comptant jusqu'à dix
générations pétries de la terre qui fut et demeure essen-
tiellement son lot. Qui veut donc voir ,en marge de l'unité
nationale créée, alimentée 1 1 préservée dans le champ clos du
vigoureux organisme paroissial, cette grande diversité de
l'âme québécoise n'a qu'à parcourir la province.
X
En Gaspésie les âmes sont pleine-, d'une inquiète mélan-
colie, prisonnières qu'elles sont sur un étroit littoral, entre
la mer formidable, râlant ses éternels ressacs et les prochains
i Bcarpements calcaires de l'intérieur que les 'brumes, les pluies
cinglantes du large ont revêtus de bois -ombres. Cet effroi
qu'inspire une rude nature, cet isolement que les voyag s
rapides restent impuissants à diminuer, n'ont encore ^n-
fanté rien de marquant : mais on ne saurait refuser au\ c -
bustes pêcheurs die ces côtes, pétris dans le phosphore, la
soude et l'iode, l'énergie persévérante, le culte des traditions
1 1 I TEBEES ET PEUPLES DU CANADA
— ■ des traditions chrétiennes surtout — vivaces malgré la
pesante solitude, naguère misérable.
Circonscrii par cette mer qui doit participer le plus en
plus à nourrir la t rre et qui a jusque maintenant absorbé
tant de vies gaspésiennes, ce pays manque encore d'agricul-
teurs. Ses vallons du centre, les pentes ensoleillées de la
baie d ce Chaleurs sont capables de fixer des milliers de fa-
milles en les rendant d'autant plus prospères et indépen lantes
qu'elles préféreront la charrue à la barque. 11 importe qu'à
Port-Daniel, Grand-Paibos, lîivièn -Claude. Cap-Cli-at. Sainte-
Félicité, Matane et Petit-Métis, où l'on dépend surtout de la
grande marâtre, répondent des foyers agricoles qui garde-
ront la pédoncule gaspésienne à ses pionniers; car une consi-
dérable ville maritime ne tardera pas de sa fonder pour le
trafic d'hiver, soit au bassin '<• Gaspé, soit à la baie des
Chaleurs. (1)
Le Fleuve — la nier, comme disent ses riverains — garde
longtemps un aspect de s reine grandeur; mais on rit déjà
plus que l'on pleine au Bic, aux Trois-Pistoles, à la J\ivière-
du-Loup, car la côte nord, maintenant visible, se pare de
blanches maisons, des îles de végétation semblent diminuer
la largeur «le l'estuaire, des terra--- recueillent autant de
soleil que de fraîcheur, et, derrière la profondeur de deux ou
trois paroisses, commencent les bois giboyeux du Maine.
[gnorant la gloire passagère il ■ son commerce au seizième
1. Par sa position géographique la péninsule esl destinée
à contenir un terminus de la navigation océanique d'hiver, vu
que le trajet, «le Liverpool à Montréal via Gaspé, est de 500 milles
plus court que \ i;'i St. John OU Halifax les deux seul- ports qui
soient maintenant utilisés pour le commerce <le transil entre
l'Europe e1 le Canada, de décembre à la mi-avril.
LES I M'UKM l> GÉOGK \ PB [QUES 1 L5
siècle, mais confiait! daus la valeur de son porl profond,
Tadousac médite, blotti derrière Les portes sourcilleuses du
tenay, cei affreux ei sombre couloir qui débouch ■ sur
L'arène argileuse du lac Saint-Jean. A ce royaume des cé-
réales, des baies savoureuses e1 du bois résineux, ouveri
depuis soixante-dix ans aux éléments prolixes des plus vieilles
paroisses laurentiennes, se manifestent La vocation pour
L'agriculture, Le talent industriel, sans rien amoindrir de la
joyeuse endurance ni du caractère processif des Franco-Cana-
diens, ces latins boréaux. Il importe que dans Leur is »le-
ment Leur soif de justice, leurs jalousies de clochers a Les
empêcheni de faire ample provision d'énergies et ne les dis-
traienl de la tâche qui Leur es1 assignée: s'étendre d'abord
vers L'ouest, afin de participer à L'occupation de La grande
plaine qui va des eontr< forts 'les Laurentïdes à la baie Jaii es.
XI
Revenus an fleuve, où Les îles accroissent leur- dimensions
et, variant de forme, se multiplieni à mesure que l'on pé-
nètre Le pays, la scène se transfigure aux approches de Qué-
bec. Sur toute L'île d'Orléans ei les deux ^-ô\\'< qui la re-
gardent de liant, la dépendance de L'homme vis-à-vis du caidre
régional se traduil par La fortune des belles moissons el des
pêches faciles; par L'hilarité des ciels bleu prof Is, subite-
ment ensoleillés, alternant aux colères <lu nordais et des
longues poudreries hiémales. Iei l'endurance <•! la IV:
logent dans il'- mai-un- ;i In fois grandes el solides.
Mais voici que les vastes proportions ne résident pins dans
l'encaissemenl \- grandes '-aux par des côtes énorm s, quasi
L16 TBBBES ET PEUPLES DU CANADA
sauvages, tomme à l'estuaire, car les montagnes s'écartent
d'un coup: au nord pour rosier visibles du fleuve, dans l'air
limpide, à trente milles, à cinquante milles, tandis que les
Alléghanys s'effacent, obliquant vers le sud, pour aller coïn-
cider avec la frontière, en courant aux lacs Memphrémagog
et de Champlain où s'ouvre une large porte sur les Etats-
Unis. D'en haut, dévalent furieux les plus considérables
affluents du Saint-Laurent, venus de loin derrière la chaîne
qui leur ouvre ses brèches granitiques, pour laisser ravager
1rs argiles et les -ailles répandus entre ces vétustés mon-
tagnes et le fleuve. Du midi, à partir de la grondante Chau-
dière, ce petit Nil qui noie chaque printemps les sillons limo-
neux de ses bords, les tributaires se font tous nonchalants et
reposés, en abreuvant de Lira—'- prairies; cependant, aux
vallons cambriens de l'extrême sud, où reeuillies des mon-
tagnes, les eaux rapides ont quelque peu creusé leur lit dans
un sol friable et léger, elles ruissellent sur le calcaire.
De tout ce bassin, Québec est le portail, comme elle en fut
l'âme des commencements colonisateurs. Hardiment campée
sur son gris rocher d'ardoise, l'ancienne capitale du vieux ré-
gime livre dans son seul profil l'acte de Ba naissance, raconte
à tout venant sa dramatique histoire et symbolise toujours
le sort de la race française en Amérique, pour en être resté
longtemps le centre le plus agissant. Bien qu'elle fût pen-
dant près d'un siècle le siège des gouverneurs anglais qui lui
infligèrent la réfection de sa forteresse et de ses murs. Qué-
bec demeure profondément traditionaliste; aussi, quelle amé-
nité, quelle fierté sans mélange ses habitants ne cessent-ils
d'entretenir avec un respecl sacré de l'état présent ! Avant
que Montréal ait acquis sa récente individualité le phare
québécois fut actif autant que vigilant. De cette Athènes
LES l\ n.l ENCES ÇÉOGE SlPHIQUES 117
américaine il e&i déjà sorti plus d'héroïsme militaire e
dévouements apostoliques, de conceptions parlementaires et
du pensées nationales, de poésie et de science écrites qu<
tout le reste de la terre canadienne. Qu'ici les pierres gar-
dent leurs voix pour témoigner des tragiques scènes qu'elles
ont vues, 1rs bouches leur léger grasseyement au tenue du
pays maritime, les âmes leur assurance à contempler si grand
de la patrie laurentienne — et la race y verra toujours son
boulevard.
XII
Avec le calme 'le la plaine les muscles s'amincissent, la
rudesse faciale diminue et l'esprit s'aiguise, car les champs
facile-, intensément cultivés, laissent moins d'émotions vives
qu'au salin et giboyeux estuaire d'aval. C'est la zone des
cellules paroissiales incessamment fécon l'es et de croissance
urée, où le manoir seigneurial a vu surgir un village, où
œ village est devenu le chef-lieu du comté, l'école parois-
siale le collège classique et, parfois la cure l'évêché. Le type
en est Xicolet, si fière de son foyer d'instruction déjà plus
que centenaire.
Si les paroisses de la rive gauche, fière d ■ leurs généra-
tions de caboteurs, n'ont encore pu déverser le trop-plein de
leur sève derrière la chaîne qui barra l'horizon, jusqu'à la
Saint-Maurice, les groupes de la droite ont migré à travers
h- bois francs jusqu'aux confins <\r< cantons anglophones,
ou l'activité franco-cMua Idenne s'est d'aibord appliquée à
l'agriculture, puis aux rainés et à l'industrie. En lavant les
stables aurifère- de la P&auce, en éclatant les rochers
d'amiante du Mégantic et les marbres du Compton od
1 18 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
devenu plus positif qu'aux boiids tranquilles du Saint-Lau-
rent; mais le joyeux amour de la te iole persis
à la générosité des sillo ts, des érablières el des pâturages, en-
core trop vastes pour que 1""]) y redoute la déni dévastatrice
«lu mouton.
Le gage d'avenir, eu présence d - ici
d' Anglo-Canadiens, réside dans une fidélité à cette carrrière,
mère de boutes 1rs autres et qui assure de la souveraineté
nationale. Déjà Sherbrooke, reine ide cette région, - ■
émules industriels se font plus québécois que loyalistes,
mesure que la campagne passe aux si laborieux et prolixes
Franco-Canadiens.
XIII
Fondée avant Ville-Marie, soit au début de la période
héroïque, Trois-Rivières, bientôi délaissée, garde, avec une
grande pureté de langue, l'esprit sain et robus - commen-
cements. Sun rôle d'appui, de relais sut la route longtemps
dangereuse qu'elle avait mission de proti lt la foi et le
commerce, l'a rendue féconde eu voyageurs comme en apôtres
de la foi. qui suffisent à la gloire trifluvienn •. A mi-chemin
entre Québec et Montréal, au confluent de grandes eaux
profondes, au seuil d'une trouée facile à travers les Lauren-
tides .au déboisement de laquelle son énergie s'eel d'abord
dévolue ''H élevant le courage jusqu'à la témérité, Trois-
Rivières traditionaliste granddt pleine de promesses. Sou
activité industrielle pourvue encore par des gîtes de fer,
forces hydrauliques à Grand'Mère et à Shawinigan, des fo-
rêts de conifères maintenant reculées, annoncent la métro-
1.1 « INFLUENCES OÉOGRAPHIQU ES 1 I!»
poli', dont elle aspire d'être une sérieuse émule. Sa tâche
est autant de créer un exutoire commode aux centres indus-
triels naissants de la Saint-Maurice, que d'alimenter toute l«
région agricole le la Mantavaisie donl elle commande L'en-
trée.
XIV
Le pays triangulaire traversé par l'Yamaska, le Riche-
lieu, la Châteauguay, et qui si' déroule jusqu'au border du
sud garde sou horizon à fleur de terre. Souvenl de ses gué-
rets, de ses prés plein- di' soleil, ru les be tiaux ruminent
à l'ombre des ormes el des aubépines, où les céréales se doreni
au chant de la cigale, l'habitant peut compter autant de
clochers qu'il a 'die doigts. Cette monotonie du ciel serait
fatale, si des pies de basalte, restes de volcans à jamais en-
dormis, ne surgissaient ici et là de là couche d'argile où s'en-
lise leur base. Parce que l'on vit heureux pour si peu de
peine, l'orgueil de chacun n • s'étend qu'à sa maison de
brique rose, qu'à sa blanche ferme, qu'à sa propre paroisse.
Ce que l'âme du Franco-Canadien compte d'idéalisme •
vite manifestée dans cette aisance, par la multiplication des
foyers d'enseignement — toujours féconds en esprit ardents
et positifs. Mais devant tant de richesse et de savoir le sou-
venir des violents combats politiques d'il y a moins d'un
siècle s'efface aux bords fleuris du somnolent Richelieu. Ce-
pendant à sa bouche, Sorel, que le sans-gêne britannique ap-
pela. William Henry, a repris courag* usement son nom. tan-
dis qu'aux berges du fleuve, Verchères s'endort dans sa gloire:
c'esl bien assez pour elle d'avoir produit Madeleine, cette
adolescente dont, l'énergie sauva le village de la fureur iro-
L20 FERRES ET PEUPLES DU CANADA
quoise. Il ifaut atteindre le but de cet ophir de l'agriculture,
sur la pointe frontière, pour retrouver de l'énergie nationale
en action: l'industrieuse Valleyfièid a conscience du voisi-
nage anglophone, et son conseil municipal s'appelle toujours,
en dépii d'une sanction statutaire, Salaberry-de-Yalhyfirtd.
XV
Montréal, ce pôle attractif non seulement du vicie; Canada,
mais aussi de la majeure partie du versant atlantique, grandit
toujours en restant, malgré la distraction qu'apporte l'or
anglo-saxon, fidèle aux chrétiens motifs qui présidèrent à sa
clairvoyante fondation: elle atteste qu'aux climats du nord le
clair génie latin s'accommode heureusement de l'utilitaire et
pesante vie moderne.
Le poste commercial do la place Royale, choisi par Maison-
neuve, regardant le port, est resté le grand centre du trafic.
Auprès rie l'étable, où logèrent les recluses de Jeanne Mance,
ont surgi cent hôpitaux, hospices et couvents. Autour de la
première chapelle, où des lucioles faisaient office de lampions
devant le Tabernacle, s'est levée toute une floraison de vastes
églises dont la splendeur réussit à faire oublier la nouveauté.
Cette agglomération de six cenl mille âmes présente sur-
tout un abrégé de la situation des doux races du Canada, en
résumani leurs rapports sociaux. Sans se séparer avec répul-
sion comme aux villes suisses les deux nationalités habitent
quartiers qui leur =ont propres. L'est, surtout francophone,
regarde Québec, tandis que l'ouest, largement anglophone, est
tourné vers Toronto el le centre continental où pullule tout
un monde anglo-saxon. En bordure el an voisinage immédiat
I.KS [NFLTJENCES GÉOGRAPHIQUES 121
de la place d'Armes — donl Le centre contient le bronze du fon-
dateur de Ville-Marie — se groupent <l<is édifices symbolisant
les plus notables facteurs de la Métropole: Notre-Dame, église
mère de 60 paroisses catholique-, les 'banques, le grand com-
merce, les institutions mutualistes, les journaux des deux
éléments et les bureaux des services d'utilité publique encore
surtout anglais. Ce noyau d'une ville monstre, servie par la
convergence de routes fluviales et continentales, a recruté sa
population à même tout le Canada français et retenu un pou
de toutes les catégories d' Anglo-Saxons et d'étrangers. Au
centre de régions diverses, Montréal est bâtie de matériaux
variés de nature et de provenance; sa physionomie est une
collection de physionomies: on y a mis à contribution le coni-
fèiv des forêts du nord .le basalte du mont Eoyal, la brique
-le Laprairie, le granit des Laurcntides, le calcaire de Batis-
can et le marbre du Vermont.
Jusqu'hier absorbé dans un labeur qui donne la puissance
économique, et d'autant plus actif que le climat septentrional
rend l'organisation d'une ville fort dispendieuse, l'esprit
montréalais >urnage à peine des préoccupations matérielle-.
El parce que Montréal étend au loin l'axe de son influence
commerciale sur les Ktats-Unis, le sens épicurien de la vie
américaine, caractérisé surtout par L'absence de civisme, a
ravagé son hôtel-de-ville . Ainsi distraite pour une heure de
ses traditions et amenée proche de sa ruine, la ville, surtout
québécoise "dans son administration, c'est cependant ressaisie
et se retrempe à penser qu'elle est désormais à même cl
garder non seulement son rang de métropole, que lui assigne
la géographie, mais encore 'le devenir un foyer de vigilance
ci d'action, donnant le mot d'ordre à tout ce qui est français
en Amérique.
122 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
Montréal témoigne encore de cette résignation invétérée
qui courbe l'élément canadien-français «levant La puissance
financière die l'Anglo-Saxon, bien que les premiers comptenl
aujourd'hui avec eux la majorité de la population et de la
propriété foncière. (1)
XVI
Au-dessus du delta de Montréal le pays n'a pas plus d'un
siècle; et il se fait plus jeune encore à mesure que l'on re-
monte l'Ottawa. Dos voyageurs venus des rives laurentiennes,
qui ressentirent le vide de leur vie de salariés el ne purent
résister à l'appel de la sainte agriculture, se sont fixés aux
bords «le cette rivière dont l'ampleur rappelle 1»' Saint-Lau-
rent. Sans retard, le vieil esprit normand a fait sienne la
rénovation des méthodes eultu raies introduites par les Ecos-
sais, et il s'est retrempé en étendant la mosaïque des paroisses
sur des espaces où les roches roulées des champs morainiques
alternent avec de profonds sols alluviaux. Do. Lanoraie sei-
gneuriale on s'est élancé à Joliette la fière, de Saint-Eus-
tache dolent à Saint-Jérôme querelleur. Et à ces deux por-
tiques du nord répondenl déjà — parce qu'on a su enjamber
d'arides vallons — - des traînées d'établissements translaureri-
tiens .qui vivront demain de leur via propre. Plus loin, sur
I. La langue française, toujours en honneur dans la M'e
privée, n'a pas encore conquis la prépondérance qui lui est due au
dehors. Combien de marchands et d'industriels donl la clientèle
es1 toute française, persistent à tenir enseigne anglaise. Il n'y a
pas vingi ans. à l'hôtel de-ville les livres publics étaient vierges
île français; aujourd'hui encore, cette langue de la majorité
n'est pas employée comme il convient, dans chacun <les services
municipaux.
! ES I \ ll.l ENOES GÉQGR \ l'Il [QE ES 1 23
l'Ottawa, d'autres petites villes c ptenl aussi leur arrière
pays plus agricole qu'industriel, gris de la cendre des aba
parfumé de l'odeur du pin et du mélèze, absorbé à son succès
matériel el plein de l'ambitieuse endurance qui doit capter
l'un rgie fabuleuse des chutes dea^n, en restant fidèle à la
grande nourricière
Enfin voici le Témiscamingue el sa reine, Ville-Marie,
avoisinée de dômes qui ne sont, sous leur manteau de coni-
s, qu'un vaste champ cristallin veiné d'or, d'argent, de
nickel, de cuivre el de Ter.
XVII
En Ontario. — Sur la péninsule ontarienne la vie dos élé-
ments ethniques resl : soumise à de promptes variations, parce
que ce domaine présente d'autan! moins de sécurité que son
isolement est fictif. En raison du récent contact de ses habi-
tants avec un -ni qui n'a pu exercar encoTe sur elles d'in-
fluences profondes, les âmes nationales se ressentenl plutôl
«le leur situation respective.
Les lundis coureurs d bois qui vinrent souvent faire la
traite pelletière sur ce territoire des grandes chasses indi-
gènes, en se moquant de- ordonnances du roi de France et
de ses gouverneurs; le- fils de S. François et de s. [gnace
qui ambitionnèrent la complète morale des Hurons-Algon-
quins en les réunissant en bourgades sédentaires sur les bords
de la mer Douce (lac Euron), avaient tous pressenti, à la
ruine complète de c s jeunes chrétientés par l'Iroquois,
insécurité des groupements humains. Et la colonisation fran-
çaise qui s'était portée à Pontçhar train, seigneurie 'lu Détroit,
en l'année 1700, laissa vacante cette contrée qui ne cessera
124 TERRES ET PEUPLES DTJ CANADA
ide jouer le rôle de pays neutre, de tampon entre les forts de
la société de l'ITudson et les établissements anglais du midi,
même après que ces derniers, longtemps contenus entre la
mer et les Apalaches eussent débordé à l'ouest de cette chaîne
— ce qui précipita la 'fin de la domination française en Amé-
rique septentrionale.
Les premiers Européens qui firent leur patrie de l'On-
tario furent ces sujets qui, trop fidèles à la couronne bri-
tannique pour accepter l'indépendance des treize colonies
américaines, gagnèrent les possessions du nord. Aux terres
faciles, peu accidentées et librement choisies que reçoivent
gratuitement ces bannis déjà initiés pour la plupart aux la-
beurs d!u défrichement, la mère-patrie joint des dons considé-
rables d'instruments agricoles, des provisions de bouche et
des pensions aux veuves et aux orphelins des victimes de la
guerre de l'Indépendance. Ces pionniers, objet d'une si ja-
louse sollicitude, occupent le littoral immédiat du lac On-
tario, en refusant sans retard de se joindre politiquement
aux Bas-Canadiens, c'est-à-dire à des Français catholiques..
Et, tandis que tonnent les canons pour fêter \Vaterloo'(1815),
le licenciement en masse des armées encombre les vaisseaux
d'émigrants anglais et hanovriens; les terribles évictions
d'Ecosse arrachent à leurs pauvres, mai- bien aimé s mon-
tagnes des milliers d'Highlanders pour les transplanter en
Nova Seotia et -au périmètre des jeunes townships loyalistes
du Haut-Canada; enfin, quand les troubles religieux, les
crises terriennes qu'avaient suscités en Irlande les îandlords
anglais, les lois libertaires de Westminster et les longues fa-
mines, eurent couvert l'océan de tant de miséreux proscrits,
la province supérieure, comme les pays maritimes, en reçut
de- contingents dont la masse ne tarda pas de passer aux
LES INFLUENCES GÉOGRAPHIQUES 125
Etats-Unia, pendant qu'un reliquat encore considérable, se
fixa, selon l'instinct héréditaire, dans les villes, sur les terres
granitiques de l'est extrême et sur le pédoncule sud-ouest.
Tous ces sujets britanniques, de sources contrasta air-,
mais devant bientôt posséder L'unité de langue, et que des
événements si divers venaieni de réunir dans la province su-
périeure, on tirent, par la population et la richesse, une im-
périeuse rivale du vieux Canada. Il convient toutefois de l'ap-
peler ici les avantages qu'a tirés l'Ontario d'événements ad-
ministratifs antérieurs à la Confédération et qui ne sont pas
étrangers à l'aisance d'aujourd'hui. C'est d'abord le secours
financier qu'aux termes de l'Acte d'Union (1841) le Québec
apportait à sa voisine banqueroutière, puis la dot que re-
çurent ses naissantes corporations municipales, grâce à la
vente des réserves terriennes dont avait joui l'Eglise Angli-
cane (1854).
Et ce peuple de presque deux millions, qui semble possé-
der quiètement le littoral imuiié liât des Grands L»aca, esl
resté, comme le québécois, un groupement ethnique des plus
homogènes.
XVIII
Pendant qu'au littoral canadien des méditerranées s'affer-
mit la puissance d'une province anglo-celte, le- fil- de ['ha-
bitant lau relit ien qui ont dû s'éloigner du vieux berceau de-
venu trop étroit — ■ et que le conquérant voulait changer en
iieil — se soni faits bûcherons, flotteurs, nautoniers; mais
1. En L85] le Haut-Canada comptail 82 699 individus nés
en Angleterre <-t au pays de Galles, 75,81-1 nés en Ecosse, et
1 76 267 nés ru Irlande.
L2G 3'EKRES ET PEI PLES M i \ \ \ D \
entendanl l'appel de La fcerre pour eux irrésistible, ils vien-
nent cultiver préeisémeni les lieux qu'ils onl arroses de leurs
sueurs d'engagés: des Deux-Montagnes au lac Supérieur. A
cette pénétration par tout le nord .-'ajoute le développement
Les vieilles seigneuries de Vaudreui] et le progrès d'un noyau
migré de Détroit, aux premières années du dix-neuvième.
De la pointe que le Québec a conservée politiquement sur
sa voisine, la marche en avanl des francophones reste d'au-
tant plus opiniâtre que son champ d'expansion tout désigné
es! ce lamjbeau île granit, cette intrusion la plus méridionale
du bouclier archéen, qui bride le Saint-Laurent pour multi-
plier ses sauts vis-à-vis la frontière du New- York. Ainsi que
la lutte avait été (bien âpre pour conquérir sur la nature et la
barbarie l'avantage de remonter le grand fleuve jusqu'au lac
Ontario, cette avant-garde sortie de Vaudreuil-Soulano -
livre maintenant un silencieux mais rude combat aux loges
orangistes •de Cornwall, de Prescott, de Kingston, et aux core-
ligionnaires du diocèse d'Alexandria où l'Irlandais tente l'as-
similation par l'école.
Malgré ton- apides l'impétueuse Ottawa unit plus
qu'elle ne sépare les doux provinces; son immense vallée.
veloppement de la laurentienne, et de physionomie pareille
sur ses deux versant-, est devenue le déversoir commode, le
noiivau champ d'expansion favori du Québec, île- qu'il cessa
d'absorber toute sa vigueur à sa pro use. I ne vague
d'agriculteurs, partie vers L840 du delta de Montréal, défri-
chant un Mil parfois difficile, a déloge sur son passage plu-
sieurs jeunes agglomérations celtes, comblé les deux rives
outaouaises et s'élance, impétueuse encore, vers le Nipissing
et. plu- au nord, en pleine forêt vierge sur la route inculte
du second transcanadien.
LES [NFLUENCES GÉOGRAPHIQUES 1 37
Le noyau solitaire de l'extrême sud-ouest, fait de quelque
trente paroisses agricoles, organisées comme celles du Québec,
persiste dans son entité e1 atteste même elfe sa vigueur en ré-
sistant, lui aussi, au prix d'une vigilance incessante, aux
efforts de L'anglicisation brutale par L'Irlandais.
Et plus loin, au diocèse «lu Sault-Sainte-Marie, tout an
avant-poste de pionniers encore ma] assis sur la terre, privé
d'écoles où s'enseignerait le français, et j »< m i- c la même bd
butte à L'assimilation calculée; ne pouvant à L'église prier
Dieu dans leur Langue maternelle, se demand ut si la marée
des haibitants les atteindra avant qu'ils n'aienl sombré !
Ainsi, chacune des zones, chacun des cordons francophones
d'Ontario, variant entre eux par Le nombre, Vkge et Le milieu,
esi en présence de l'élément celte, presque partout contem-
porain et qui oppose impatiemment soit la supériorité nu-
mérique, soit l'avantage des postes de comoniandemeni à la
placide assurance des prolifiques possesseurs du sol. Et l'on
peut dire que l'anglicisation — seul terrain de lutte — me-
nace ces derniers, là où ils ne sont oas encore maîtres de
L'école. La lutte autour de l'université bilingue d'Ottawa.
tombée aux mains des Irlandais, mai- récemmenl conquise
par ses fondateurs français, reste le type de cet ardent tournoi
pour la suprématie des races.
XIX
Dans le demi isolement du pays ontarien, pays plat dans
toute sa partie méridionale, rappelanL un peu L'Angleterre.
mais dfun climat plus continental, ce qui tend à substituer
de L'énervemenl au flegme, et de la gaieté à la morgue insu-
128 EEBEES ET PEUPLES DTJ CANADA
la in', l 'Anglo-Saxon a bientôt façonné le littoral à ses be-
soins. Son esprit d'initiative Ta conduit à creuser des canaux
qui permettent de naviguer sans- encombre et d'abréger les
distances entre deux lacs, il»' doubler un rapide et de relier
deux voie? d'eau parallèles. Il a encore exploité les pêcheries
des petites méditerranées. le sel gemme de S-arnia, de Windsor
et les divers gîtes minéraux du groupe Lanark-Grenville, du
Sault-Sainte-Marie, du Miehipicoten et de Cobalt. Comme
l'ouverture de cette province à la colonisation coïncida pres-
qu'avec l'application nouvelle de la vapeur à l'industrie —
ce qui bouleversa partout le conditions du travail. — l'On-
tarien se trouva plus que les autres Canadiens en état de
profiter sans retard de cette transformation économique. Ce-
pendant il manque totalement de bouille, et les énergies hy-
drauliques ne se trouvent qu'au nord, soit aux régions déjà
envahies par le Franco-Canadien. Aussi est-ce plutôt le
marchand, l'exploiteur de mines que l'on y rencontre. Mais
c'est la terre qui fut et demeure la source par excellence de
la fortune ontarienne. L'esprit gaélique, l'esprit saxon —
représentés par l'Ecossais réparti sur tous les vieux town-
ships, et par le Hanovrien groupé dans six comtés de l'ouest
moyen — ont imposé à des population? qui prisent plutôt
l'initiative privée, le principe du support de l'agriculture par
L'Etat. D'ailleurs le besoin en était grand, car une intelli-
gente direction centralisée des association- de fermiers (1) a
1. Les associations rurales, qui s'étaient beaucoup multi-
pliées jusqu'en 1846 pour améliorer les méthodes agricoles e1
l'élevage des bestiaux, furent alors fédérées par une direction
provinciale. Un ministère de l'Agriculture poursuit depuis 1881
une oeuvre d'éducation systématisée qui a empêché la province
de devenir trop indiistrielle.cn tenant constamment sous les yeux
du cultivateur l'expérience des plus prospères pays agricoles de
l'Europe.
LES IXKI.I KNCKs GÉOGRAPHIQUES 129
permis d'introduire partout la culture intensive e1 ainsi, d'ac-
croître sensiblement une population rurale que sollicitaienl
de concert l'industrie, 1rs villes américaines et la prairie du
Grand Ouest.
Aux campagnes réjouies où la vigne monte à l'orme, où la
route est de gravier, où l'aire des vergers et des champs de
céréales aesl pas moindre que celle des pâturages ei des
parcs; aux villes grises e1 roses où la pêche, les mines ali-
mentent une industrie jamais imietive. où l'éducation tou-
jours traditionaliste log i dans la massive architecture écos-
saise, et l'église dans le môme gothique rayonnant cher à
l'Angleterre, la vie sociale ue soulève guère de palpitants pro-
blèmes.
XX
S'il est uns province d!u Canada central dont le domaine
politique correspond© à des bornes bien accentuées par la na-
ture, c'est, après le Québec, l'Ontario. Et ces frontière? ne
l'ont pas cependant mieux protégé contre l'amibianee des Etats-
Unis, que les variation? administratives, successivement com-
mandées par la colonie supérieure sur les autres possessions
britanniques, ne lui ont épargné cel envahissement redouté
des francophones. Oui, les extrémités de cette province pas-
sent à d'autres qu'aux descendants des fiers loyalistes de
1785 "t des émigrés de 1815-1850. A l'est, elle ne commence
plus vraiment qu'aux loges orangisbes de Kingston. Le pé-
doncule d'Essex restera vraisemblablement ce qu'il est au-
jourd'hui. Aux rives outaouaises, et plus loin encore, le pro-
lifique Franco-Canadien est en train de supplanter l'élément
celte qui hait d'instinct la terre ci n. nia pour cela jamais
K50 ÏERKES ET PEUPLES DU CANADA
agriculteur. Enfin, bien que l'or ontarien ait jeté Port-
Arthur et Fort-William à la bête du lac Supérieur pour tenir
la clef de l'Ouest, ces deux fondations jumelles i ( 1 8 7 0 ) ne
grandissent qu'en se taisant autant françaises que anglaises.
Cette pénétration par plusieurs points — théâtres d'uni;
lutte où sera vainqueur le plus apte à la vie agricole et in-
dustrielle — n'est peut-être pas le moindre assaut qu'endure
l'unité ontarienne.
Parce que la langue continue d'être le plus fidèle ciment
des patries, parce que. de chaque rivage des petites méditer-
ranées canado-américaines, un même verbe en irgique, concis
et facile rapproche les intérêts économiques, et qu'un con-
tact quotidien favorise d'intimes relations dont le mariage
est l'aboutissement, l'or et l'esprit yankees pénètrent l'On-
tario. Malgré ses véhémentes ci sincères protestations ,!
la ville la plus attachée à la gloire britannique, Toronto, qui
se 'dit toujours near boundary enough to disWIee Americans,
Toronto la puritaine »t la lovai'-, s'obstine à ne pas recon-
naître cette emprise d'autant plus ferme qu'elle est servie par
la formidable ambiance morale du continent. Avec ses sa-
tellites, la capitale ontarienne — qui s'intitule, tout connue
Chicago, la reine des "Grands Lacs" — entretient couram-
ment le langage des intérêts et fait échange de journaux, de
périodiques et de livres même avec Rochester, Buffalo
et Cleveland. Sur le pédoncule sud-ouest, où sont réunis
beaucoup dlrlandais, où les descendants <l'> pionniers venus
du Yorkshire, du Lancashire, de Loricohnshire gardent en-
core leurs idiomes disparates, on entend de plu- en plu*
nazal twang du Yankee. A Windsor qui regarde Détroit, à
London, bâtie sur une autre Tamise traversanl des meaâow§
qui rappellent les plus fertiles campagnes d'Angleterre, des
LES 1 \ l'I.I i:\ci:s QÉOGB \ PHIQUES 1 .') 1
mains restées jusqu'ici invisibles, arborent, aux jours de fête,
le pavillon étoile eu regard (le celui qui commande sur toutes
les mers.
XXI
Dans la Plaine médiale. — La féconde immensité plate de
ce qui s'appelle encore, aux anciennes colonies, VOuest cana-
dien, a vu naître depuis quelques décades, trois provinces
— Manitoba, Saskatchewan, Alt) rt-a — n'ayani entre elles
et à leur mi li, que d'idéales frontières, [ci, comme sut tant
d'autres points du continent, l'aube de la civilisation fut fran-
çaise. Pendanl que les sachems de la rare algonquine, les
uns venus des profondeurs prairiales, se réunissaient au saull
Sainte-Marie pour accepter avec bonheur le protectorat 'lu
Grand Ononthio demeurant de Vautre < de Veau, pendant
que des missionnaires ei la généreuse . nulle de La Véren-
drye payaient de leur sang, de leurs sueurs, de leur or, le
droit d'accès ;'i ce nouveau monde — du lac de- Bois plein de
mirements aux altieTs 'et blancs sommets des Rocheuses —
l'Anglais restait cantonné dan- -•■- forts de la ne r de Eudson.
M : i î - quand les derniers des aimables trafiquants durenl lais-
lerrière eux les regrets du Peau-Rouge pour voler au - -
cour- de la (patrie défaillante, csuxkïj rencontreni bientôl
k\v< marchands qui leur apportent du nord '(1767) puis du
.-tel (1810), en échange de leurs fourrures, de l'eau de feu ei
des fusils au canon d'autant plus long qu'ils se troquaient
pour unr pile de peaux égale à la hauteur de l'arme debout,
Cepend'anl l'âme aventurière des sympathiques Fran
revécul dans toute la plaine, jusqu'aux abords du pôle, Jus-
qu'âu Grand Océan, dès que le monopole désormais contesté
L32 TEBEES ET PE1 l'I.KS DE <A\ \D A
die la société de l'Hudson eut à partager Bon territoire de
chasse avec deux nouvelles organisations fondées à Montréal,
d'abord rivales entre ''lies, puis rivale- de la pionnière. Elles
ont recruté au Québec leurs voyageurs qui renouvellent Les
exploits du siècle précédent: ils franchissent avec A. Mac-
Kenzie les cordillères colomlbiennes pour atteindre Le Paci-
fique, participent avec L'immortel Pivanklin. Rea ë1 Baok, à
'la découverte par terre du passage du Nord-Ouest, puis in-
terrogent les sables de l' Arizona, Les canons du Colorado, Les
forêts de POrégon. C'était à l'époque où Le Siou, le Dakota,
le Mandane troquaient leurs fourrures avec ['homme qui porte
le paquet, où encore L'âpre rivalité commerciale se manifestait
par de sanglants comjbats qui ne prirenl fin qu'avec la fusion
des deux sociétés montréalaises (1821) en une seule, gardant
le nom de la plus ancienne. La compagnie du Nord-Ouest, la-
quelle devait être absorbée à son tour par celle V L'Hudson
19).
Mais le domaine d'exploitation de la puissante firme qui se
trouvait étendu, depuis Le voyage de MacKenzie (1792), jus-
qu'au Pacifique, se resserra peu à peu: en 18-LG elle perdit
L'Orégon cédé aux Etats-Unis; en 1858 la Nouvelle-Calédonie
permuta en établissements organisés qui se nomment la Co-
lombie britannique; L'année suivante L'île de Vancouver qui
jouissaii depuis 1849 d'un gouvernement propre s'unit à la
jeune province du littoral; enfin, les colonies métis de La
rivière Rouge, où L'on a déjà vaillamment conquis deux 1
tés chères à un peuple chasseur, La traite et Le port des four-
rures (1849), deviennent autonomes en 1860.
Apre- exactement deux siècles d'existence ^(1670-1870), la
.,„ Lété de l'Hudson remet sa charte depuis longtemps périmé,.
LES tNFLUENCES GEOGRAPHIQUES 133
à la métropole qui abandonne à son tour les territoires Libérés
au naissant Dominion. (1) Ce qui y resta alors d'anciens
engagés se fixé à demeure sur les bords <\r la Saskatehewan,
de la Qu'Appelle et, surtout, le long de la Rouge, où pros-
pèrent déjà deux petites fédérations de métis: vers le sud, Les
Bois-Brûlés, rejetons des trappeurs, chasseurs cite bisons fit
canotiers bas-canadiens dont les premiers mariages avec la
sauvagesse datent de L785, et, au-dessus du Fort Garry, les
métis Orai,] iras dont les pères avaient été amenés d'Ecosse
en L812, par la voie de '"Il udson
Quand le cabinet d'Ottawa voulut étendre le cala-ire aux
terres manitobaines, l'intrusion brutale de ses arpenteurs sem-
bla une spoliation «lu pays, ce qui souleva la colère d<
libres et méfiants métis I l^'s">) : et la prairie eut son Hliade.
XXII
Dès que !>■ premier fcranscanadien relia te bassin du Saint-
Laurent à la région manitobaine, des colons -nuis des vi illes
provinces se répandirent, à travers deux décades, an péri-
mètre des paroisses métisses et sur l'axe même du chemin de
fer, en sorte que ce pays se trouva considérablement gagné
aux deux races créatrices du Dominion, quand se déversa sur
toute la steppe médiale an flot envahisseur venu des fies
i. Le Canada dul toutefois verser n la H ml son Buy Com-
pany la somme de 63,1 00,000.
134 3 ERRES ET PEUrLES DT3 CANADA
Britanniques, de l'Europe continentale, (Allemands, Scandi-
naves, Slaves) et des Etats-Unis. ( î)
Au lieu de détourner au profit de cette riche plaine a n-
trale une exode constante depuis un siècle des laurentiens
vers la république voisine, l'autorité gouvernementale coin m il
l'erreur d'intensifier par des primes et par l'absence de sé-
lection, un mouvement migratoire dont le terme ne saurait
être prévu, et de livrer aux hallali de la spéculation, de con-
sidérables étendues des meilleures terres arables dont le prix
décupla brusquement (1907).
Ces populations éminemment hétérogènes, jetées sur le su!
le plus riche et le plus facile qui soit, sont naturellement pro-
lixes — d'ailleurs comme tous les émigrés en Amérique. Dès
1905 le parlement fédéral donne à la Saskatchewan el à l'Al-
berta leur constitution provinciale. L'usage commun de puis-
sants outils aratoires mus par la vapeur ou l'électricité; l'im-
portance des travaux d'irrigation, pour conquérir sur les ter-
rasses albertanes, à même 1 s fougueux torrents descendus
glaciers, de nouveaux domaines à l'agriculture; la mul-
tiplication des voies ferrées traversant le pays en tous sens, et
encore la commodité du régime hypothécaire et des mutations
1. Récapitulation du nombre d<j- immigrants, renus des
Etats-Unis, île 1901 à 1910:
1901 19,1 19 L906 189.064
1902 67 379 1907 L24.667
1903 138,364 L908 263,464
L904 130 330 1909 l 16,
1905 L46.266 1010 208^94
Grand total. t.453,390
Quelque 500,000 sonl venus des Etats Unis.
I l - I \ ll.l EN0E9 GÉOGB \ l'Il [Ql ES 135
terriennes M), tout nous avertil que cesl là le creusel d'une
Bociété nouvel] •. essentiellemenl utilitaire ei demain puis-
sant. Elle ignore tout du passé canadien e\ connaîl peu l'es-
prit politique de la Confédération. Au — i parle-t-elle déjà
fori de ses droits et, en matière économique, se fait-elle
craindre du vieux Canada qui lui a pourtanl ouverl la route
de la prospérité. C'esl lonc un milieu plutôl obscur que ces
grouillants agrégat.- cosmopolites.
Au vaste océ-an d'agriculture qui - • déroule depuis le lac
des Bois jusqu'aux contreforts albertans trois provinces gran-
dissent donc d'une phénoménale vigueur, sur un territoire de
357,000,000 d'acres, arable dans sa plus grande partie.
Quand l'emïblavure couvrira seulement un quari de ce do-
main.', la seule isson annuelle, à raison le quinze boisseaux
l'acre — qui esl aujourd'hui d i dix-neuf — excédera an
milliard et demi. Cette quasi fabuleuse réédite suffira pour
nourrir non seulement les trente millions de bouches du Ca-
nada de 1950, mais encore plusieurs Grand es-Bretagnes ou
le Nouveau-Monde entier. El si L'on considère que la fron-
tière septentrionale de l'ATberta est loin de coïncider avec
celle de la culture des céréales ,notajnimen1 le blé, c'est donc
1. La division du cadastre est la même dans toul Le centre
du Canada; le soi est divisé, suivanl les méridiens e1 parallèles)
en sections d'un mille le côté contenant 640 acres. Un quarl de
section (160 acres) forme an Homesteacl, territoire que le gou-
vernement concède à chaque colon. Ces fractions de terrain
sont numérotées dans le même sens, ce <|ui permel de les retrou-
ver facilement sur la carte. Il existe un grand Livre de la Pro-
priété Foncière; chaque fraction numérotée est inscrite à ce
Grand Livre, avec le nom du propriétaire e1 la stipulation des
charges dont elle est grevée; el tout propriétaire possède an
titre qui esl le duplicata des écritures du Grand Livre, relatives
à son domaine, l'uni- vendre, il endosse son titre au nom de
l'acquéreur; pour emprunter, il t'ait inscrire les conditions de
1 36 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
en puissance le grenier de tout un monde avec ses possibilités,
que cette portion de La steppe américaine. EU • contient aussi,
pour obviei au désavantage économique résultant de L'unité
de production, comme pour soulager un sol qui s'épuisera,
malgré la profondeur et la puissance de son brun humus vé-
gétal d'à présent, de vastes champs carbonifères bitumineux,
affleurant en main- endroits, et qui comfposent Le site même
de certaines villes de l'Alberta. Encore, à cette houille noire
d'extraction facile, s'ajoutent les inaltérables énergies de La
houille blanclu- qui coule des glaciers des Rocheuses et aux
rivières du nord granitique.
III
Aux ardents trappeurs autochtones et métis, en quête de
riches pelus pour le compte de puissantes associations com-
merciales, aux habiles chasseurs de bisons qui eu on! anéanti
la race depuis un demi siècle, ont succédé des ranchmen, ces
gauchos du nord, conduisait à travers l'herbeuse plaine leurs
troupeaux de bovidés, mais qui, à leur tour, reculenl à tra-
vers les contreforts albertans, \<t- la région de la Paix,
vant le progrès incessanl de la charrue mécanique, des voies
ferrées ej «les canaux L'irrigation. Sur les réserves, où le
gouvernement fédéral a finalement parqué tout ce qui restait
l'hypothèque au nom <lu créancier. Le livre foncier contient ainsi
mention de l'hypothèque et la charge subsiste jusqu'à l'échéance
de celle-ci. Ce système, qui facilite singulièrement les inscrip-
tions hypothécaires et les ventes, a été imaginé par M. Robert
Torrensj qui, en raison île ses fonctions de Directeur de l'Enre-
gistrement en Australie, fut frappé par 1rs entraxes et les
charges considérables qui pesaient sur les transactions, les ren-
daient difficiles, et diminuaient ainsi la valeur des propriété
LES INFLUENCES SÊOGBAPHIQTJ] - \->'t
des nomades sauvages, il se trouve plusieurs vieillards qui,
impassibles, ont \ h se transformer ainsi La prairie, ave<
divers types sociaux et leurs modes particuliers d'existence.
Aujourd'hui, sur tous Les points de la steppe que traverse
une ri\ ière et, davantage, Le long des chemins de fer. on aper-
çoit des maisonnettes isolées, toutes ressemblantes et si légère-
ment posées qu'elles semblent, dans la distance, appartenir
auiant à l'horizon qu'à la terre Chacune d'elles est le centre
d'un homestead, rectangle d'une superficie de 160 acres. De
cette pesante solitude, qu'un Latin ne saurait supporter, L' An-
glo-Saxon, le Slave s'accommodent à merveille. Trente-six
de ces fermes disposées ave symétrie, mais privées de tout
autre lion que leur groupement cadastral couvrant ivuf
milles carrés, forment un township dont l'organisation muni-
cipale est copiée sur celle de l'Ontario.
Parmi la nouveauté monotone des fermes, au croisement
des routes, -'élèvent des villes tracées an cordeau. p°rcées sur
tout leur diamètre de rues en échiquier que bordent de hautes
constructions déjà serrées entre elles, aux Eaçades inesthé-
tiques, aux tons enn et divers, où tout seul encore la cïmix,
rappelant bien l'extrême modernité des populations qui v
vivent. Ce sont les débuts de la cité américaine, d'aibord
utilitaire, et cherchant à mettre dans le faste de ses roides
édifices la marque d'un- grande puissance financière à venir.
Cette robuste confiance se révèle pourtant, sans qu'il soit
même nécessaire d'interroger personne: déjà le millésime des
fondai ion-; privées, le numéro d'ordre des édifices munici-
paux s'étalent à leur façade.
Sous le clair soleil prairial, deux forces, la similitude fa-
tale des conditions d'existence ei L'identité voulu.' de la
langue, effacent les frontières | r donner une certaine cohé-
L38 TERRES ET PEUPLES DTJ r\\ \l» \
sion à L'âme des déracinés de toute provenance qui retrouve-
ront ce dont ['nomme ne saurait manquer, des traditions na-
tionales. Mais sans qu'il faille compter avec le considérable
élément venu il - Etats-Unis — élément deux fois dénaeiné —
on constate que le pays, intimement soudé avec la grande
plaine du Mississipi-Missouri, devient plus américain que
britannique. Des conditions géographiques semblables à
celles qui font du trio provincial un prolongement du damier
des Etat- réouiblicains du midi commandent nécessairement
d'étroites relations économiques. Et la vie agricole nui s' -
imoosée sur tout lo centre rlu continent — vie essentiellement
indéuendante et pronre à développer une société à formation
parrWla^Ve — rattaeb • encore iiotx les oonulaHons du
nord à celle? du sud. Au;-i In conversation d'affaires nn0
WinniiH"!-. Reeina, Sasltatoon. Medicrne-TTaf T#fh!pTid<»e °t
CaVarv entretiennent avec Chicao'o Saint-Paul et Mimi -<-
noli«. villes rie la section eorresnouda:nte d^s F.f.ats-TTni**. pat-
elle de beaucouu olu« intéressante qu'avec 1°= censés com-
merciaux de la Laurentie ou ^'e la zone tr.Rosrocheus0
Tomme le rouage gouvernemental rlu Dominion attribue
à chaque province une représentation équitable, connue l'es-
pace fertile et de précieuses ressources naturelles ne manquent
pas, et que le jour n'est pas éloigné où l'administration clés
trrres de la couronne sera décentralisée, i1 est certes difficile
de prévoir quel sera le terme de l'état tout transitoire d'à
présent.
C'est en vais que plusieurs transcanadiens abrègent lu
rouit» vers les deux océans et rejettent plu- au nord Taxe éco-
nomique de la Saskatchewan cl de l'Alberta; c'est en vain
que c«s provinc s. centres excentriques du Canada, se prolon-
gent -m- le- forêts, le- lacs, le.- chûtes de L'Arctique, et que la
LES [NFLUENOES GÉOGRAPHIQUES 130
mer de ffudson présente un débouché praticable vers l'Eu-
ro|>c. tous ces utilitaires anglo-saxons, slaves, Scandinaves et
yankees (ce qui est mie somme des premiers) ; bous ces anglo-
phones, dont les législatures siègent dans d'imposants capi-
tols, obéissant à d'impérieuses lois géographiques, trouveront
demain que l'idéale frontière de la t9e parallèle n'a plus sa
raison d'être, qu'elle nuit à Leur progrès, et se sentiront irré-
sistiblement attirés vers lès Etats-Unis dont ils sont déjà
tout imprégnés du sens propre de La vie.
XXIV
En Colombie-Britannique. — Après s'être arrêtés aux flancs
anguleux de la formidable chaîne des Koeheuses pour con-
sidérer une dernière fois 'a monotone niais féconde plaine
— ce nouveau creuset social, — nous gravissons de fantas-
tiques entassements calcaires, et à peine posons-nous le pied
sur l'arête continentale que tout change de décors: un monde
de glaciers pesant sur l'ossature même du globe, des plateaux
que découpent d'effrayants canons, des fleuves tourmentés,
bouclant à s monts aux pentes desquels les nevés disputent
Le champ à de -gigantesques conifères, puis 'dans le lointain
vaporeux, l'océan. C'est die ce Pacifique tiède et bleuté que
vient la félicité du ciel colombien, comme c'est des balafres
de l'ôcorce — à travers ses plus récentes concrétions calcaires
— injectée de granits au cours des âges terrestres, que
tiennent les richesses minérales de cette région. Et c'est la
rencontre de ces deux agents — ■ mer et montagnes — qui
produit une abondance de houille (blanche et L'exubérance
140 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
d'une végétation variée, précieux vêtement et parures d'un
squelette géo] >.i
Hors les reconnaissances de navigateurs espagnols, fran-
çais et anglais au dix-huitième siècle, sur un littoral plein
de courants, voilé de brumes, cette portion de l'Amérique
inconnue jusqu'au voyage qu'un commis de la société
de l'Hudson, Alexander MacKenzie, accomplit en 1790, avec
une poignée de voyageurs bas-canadiens, lu dès lors cette
puissante association pelletière multiplia ses postes de traite
fortifiés sur la côte et dans l'île de Vancouver. Depuis la
Basse-Californie jusqu'à l' Amérique-Russe (l'Alaska), toute
cette contrée mal connue rote, de 1819 à 1846, un territoire
neutre, sous le contrôle conjoint de la Grande-Br tagne et des
Etats-Unis. Quelques bourga les - sont alors foudres —
Victoria en 1843, et New-Westminster en 1859. Dès 1846
le traité dit de l'Orégon prolonge à travers le détroit de
Fuca la frontière internationale que la convention d'Ash-
burton (184&) avait déJà fixée avec Le 49e degré de latitude,
à l'est des Rocbj as -. jusqu'au lac des Bois.
Une première découverte de gisements aurifères au dis-
trict du Caribou (1858) ne manque pas d'y attirer de consi-
dérables contingents de mineurs qui, venus de San-Fran-
cisco, d'Austrab'e même, s'engagent dans les sombr
du haut Fraser et de ses tributaires. Bon nombre d<
ardents chercheurs d'or s'en retournent aussi promptement
qu'ils étaient venu- car, après sepl ans. les vingt-cinq millions
dr piastres recueillis par un lavage pourtant facile des sables
ne représentaient pas ce qu'ils avaient coûté.
Bien qu'au dire de l'historien Bancroft il n'y eut là moins
d'attentats à la vie humaine et autant de respect de la pro-
LES tNFLUENCES GEOGB \ PHIQUES 11 1
priété que dans les commencements de toute autre région
minière isolée, la présence de ces étrangers nécessita une
organisation gouvernementale, afin d'étendre sans retard
lois anglaises sur ce pays. Dès 1858 le principal facteur de
la Eudson Bay Comtpanj reçprl Le titre d'e gouver-
neur royal d'une province qui se nomme la Nou-
velle-Calédonie. Et l'île de Vancouver trouve avantage
joindre en 1866, pour devenir la Biïtish Columbia qui adhère
à la confédération, cinq ans plus tard. An moment où cette
colonie transrocheuse entra dans le Dominion, elle ne comp-
tait encore qu'une population blanche de 10,586. Et sur
5,88] artisans et marchands, 2,348 personnes vivaient de
l'exploitation minière, et seulem ni 1 , s ■ > 7 de l'agriculture.
Bien (pie la Colombie n'eût pas alors de ministère respon-
sable, et que le nombre des habitants restai sujet à de brusques
oscillations pendant encore une décade (1871-1881), cette
naissante colonie avait si robuste Confiance dans -on déve-
loppement prochain, qu'elle exigea l'avantage 'l'envoyer au
parlement quatre sénateurs e1 pas moins de six députés, avec
la promesse qu'un chemin de fer la relierait bientôl aux
\ teilles provinces de L'< -1.
('e pays, où l'énergique et entreprenanl Anglo-Saxon re-
présente encore sept habitants sur dix et tire constamment
profil des richesses naturelles qui l'entourent, -a grandi d'une
phénoménale façon. Aussi, que lui manque-t-il dout pros-
pérer ? Les houillères 'I' la Passe-au-Oorbeau, en Koutanie,
de la rivière Telkwa, de l'île de Vancouver et de l'archipel
de la Reine-Charlotte,, .que l'on vient d'entamer, semblent
couvrir une superficie de douze cent mille-. Les gisements
minéralogiques déjà r connus sur plusieurs points — m-, ar-
gent, plomb, cuivre et Eer — confirmtenl cette tbéorie que le
142 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
~\ stènie orogénique de L'ouest américaiD est partout riche-
ment filonné. Chacun des v rsants qui regardent le Paci-
fique est revêtu de conifères gigantesques, quasi incorrup-
tibles. De la mer monte chaque printemps une si abondante
masse de saumons qu'ils ralentissent le cours des 11 <uves
et pénètrent jusqu'aux sources élevées des plus petits
affluents. Le raste plateau qui s'étend au sud du 52°. de-
puis les Selkirk jusqu'à la chaîne eôtière, contient, malgré
son grand dénivelé, des pâturages entre les altitudes de 2,500
et 3,500 pieds. En bas, dans les plus creuses vallées, notam-
ment celle du Fraser, les fruits cultivés ont une couleur et
une saveur rappelant les végétations tropicales. Au bassin
de la Paix supérieure il se trouve quelque dix millions d'acres
propices à la culture du blé. Enfin, sur le versant occidental
des trois chaînes, où se condensent les vapeurs du Pacifique,
dévalent des flots de houille blanche capables de développer
en toute saison, aux seuls points accessibles, la formidaible
énergie de cinq millions de chevaux-vapeur. A peine manque-
t-il de commod s champs à céréales pour nourrir, sans le
secours du dehors, la multitude des ouvriers qui entreront
demain dans une si attirante usine.
Tout un monde à elle seule, cette province, que la nature
a si jalousement isolée de ses soeurs canadiennes, ne regarde
déjà plus au-delà des Rocheuses que pour y vendre les pro-
ductions de ses pêcheries et de ses vergers. Aussi est-ce plu-
tôt avec les Etats du littoral, où les conditions climatériques
sont assez sensiblem< nt les mêmes pour consolider de sérieux
intérêts économiques, qu'elle noue ses plus durables amil
San-Francisco et Vancouver ont le même âge; une même
société commerciale (la Eudson Bay Co.) les a fondées; une
I.ks i \ PLUENCES < ; i:« >< 1 1 ; \ PB [QTJES 143
même population cosmopolite Les ;i envahies. Filles de la
ni'T, chacune d'elles possède cependant son pori extérieur et
plus sûr: la haie de Monterey voisi le San-Francisoo, el
Victoria, de L'autre côté du Fuca. Toutes deux son! deve-
nues métropoles, mais non capitales; el voilà que de sérieuses
rivales partagent maintenant leur renommée: à L00 milles
au nord de la grand • ville californienne s'esi outillée Seattle,
tête de lignes pour tout L'Alaska, tandis qu'au canal de
Dixon, Prince-Eupert, terminus d'un second transcana-
dien, bâtie au fond d'un fjord abyssal, gardera demain la
route la plus brève, la plus rapide, entre L'Extrême-Occidenl
et L'Europe.
En face d'une destinée si étroitement confondue di-^ popu-
lations d'une même zone aaturelle, la nier n'a pas suffi à
L'abondance de leurs rapports, et, grâce à la complicité de-
vallées de la frontière, deux chemin- de fer soudent Les plus
voisins transcontinentaux du Canada et des Etats-Unis.
Le développemeni matériel, qui .-'appuie d'i rd sur la
population, fut ici plus lenl à correspondre à celui du sud.
Aussi la province colombienne s'est-elle vue subjuguée, au
cours du dernier quart de siècle, par L'or républicain qui,
désormais, commande impérieusement à l'exploitation d -
forêts, des mine- et à la mise à profit des énergies hydrau-
liques.
XXV
De toutes le- provinces canadiennes, c'esl la Colombie qui
.-'éloigne le plu- dis principe-; de décentralisation gouverne-
mentale. Certes, le régim i parlementaire es\ britannique
comme aux huit autres législatures locales du Dominion:
1JI TERRES ET PEUPLES DU CANADA,
mais l'esprit des lois l'est beaucoup moins ici. I >e- sombres
puits de la mine aux jardins embaumés de Victoria il court
un espril favorable à constituer l'Etat en un pouvoir dispen-
sateur de la fortune et gardien des individus. Le caractère
nettement socialiste des unions ouvrières a influé but la
législation colombienne, pour que l'autorité provinciale donne
des hôpitaux, des asiles. dv> bibliothèques en taxant elle-
même les terres agricoles et les salaires annuels excédant
mille piastres. Ici les prérogatives de la municipalité s'ar-
rêtent à la voirie, à la police; l'instituteur est fonctionnaire
et l'édifice Bcolaire un bien commun. Cette socialisation des
services publics, cette ruine des droits municipaux, -
du travail organisé, recevant sa direction des Etats-Unis,
paraissent trouver leurs motifs dans l'âpreté de la vie prolé-
taire, si largement repié-entée par de- aventuriers du vieux-
monde, autant que dans l'égoïsme brutal de l'Anglais qui,
agriculteur ou capitaliste, se donne plus à ses propres affaires
qu'à la chose publique.
A ce déséquilibre social, dont aucun ne s'émeut à oai -
semlde-t-il, d'une certaine facilité de vie, s'ajoute un pro-
blème autrement sérieux pour l'avenir dé pe pays, '"est la
menace clairement perçue d'une invasion asiatique. Obstinés,
prêts à souffrir, s'introduisant à pas de chat. 25,000 Chinoi-
se sont groupé- dan- les villes. Fiers, combatifs et. ce qui
est pire, ne craignant pas de s'éparpiller, 8.000 Japonai- -
sont faits marchands, mineurs, pêcheurs. Ce problème jaune,
commun aux Etats du Pacifique est, ici même, anté-
rieur à la colonisation anglo-saxonne. Il date de la fin du
18e siècle, alors que les Russes employèrent des Chinois à
leurs chant iers navals de Sitka.
En 1905 débarquait à Vancouver un premier contingent
LES [NFLUENCES GÉOGRAPHIQUES 145
d'Hindous en quête d'une patrie qui leur donnerail plus
libertés que les Endes. Il s'en trouve maintenant bix cailles,
qui B'emploi nt surtout à l'exploitation forestière e1 à la
pêche au saumon, possèdent pour cinq millions de biens fon-
ciers et s'efforc< ut adroitem nt de gagner La confiance des
Colombiens en publiant VAryan, pevue mensuelle de Langue
aise. La pluparj de ces immigrants, hommes d'une im-
posante stature ont servi dans Les régiments impériaux; ils
descendent des Sikh.es qui embrassèrent d'eux-mêmes la cause
anglaise, lors de la mémorable révolte des Cipayes (1S51 ). In-
voquant d'abord leur titre de citoyens britanniques, ils pré?
tendent mériter les égards des autorités canadiennes, se
trouve!' pour cela tout à l'ait chez eux et jouir du droit d'y
amener Leurs femames et enfants. Mai- cet élément de six
mille chefs de famille aurait tôt fait de devenir un groupe
trop important au gré de ceux qui veulent que la Colombie
demeure un pays de blancs. D'autre part, la solution de ce
problème relève de La métropole, car il s'agit d'abord de
définir quels sont Les droits inhérents au citoyen qui migre
d'une possession à une autre de L'Empire.
Ces Mongols, ces Hindous, dont L'activité, l'adresse et
l'ambition de parvenir peuvent être avantageusement com-
parées à celles de l'Européen, de L'Européen d'Amérique
même, comptent aujourd'hui pour un bon cinquième des Co-
lombiens. Et, quoiqtie ne pouvant encore se multiplier —
serait-ce par croisement — leur présence ue constitue pas
moins une menace dont Les Etats du littoral, notamment La
Californie , réalisent déjà toute la gravité. Victoria, Van-
couver et Prince-Ruperi sont t\r< portail- grands ouverts sur
ce mystérieux inonde oriental, et qui oe peuvent plus lui
1 16 TJEF.EES ET PEUPLES DU OAN \1> A
être fermés. Est-ce vraiment l'avant-garde d'une A.sie (,n
mal d'expansion, rencontrant, sur ce merveilleux versant paci-
fique, une autre avant-garde, celle de la civilisation euro-
péenne en train de doubler la Terre?
La fébrile Colombie se tircra-t-elle bientôt de son en-
grenage socialiste, cette organisation la plus meurtrière de
l'activité comme de la dignité individuelle ? ses problèmes de
races s,, résoudront-ils plutôt dans la formation d'un nouveau
type ethnique ? Quoi qu'il arrive sur cette portion du versant
occidental où tout incite à l'activité, son rôle maritime ne
tardera pas de répondre à l'industrie des vallées, pour que là
puissance économique fasse équilibre à celle qui s'enfante sur
l'immense plaine tramontane que lui oppose la pente atlan-
tique. Et comme du nord au sud les conditions d'existence
sont appréciées plutôt lentement, grâce à la mer, et comme le
- m de la Colombie paraît déjà lié à celui des Etats méridio-
naux, il est possible que. dans un avenir prochain, une nou-
velle unité politique fasse coïncider ses frontières avec celles
que la nature a si fortement, si nettement dessinées à l'ouest
des Rocheuses, de la Californie à l'Alaska.
CHAPITRE SIXIEME
LES PROBLEMES NATIONAUX
Désormais étendu sur plus de trois millions et demi de
milles, le Canada touche aux grouillants Etats-Unis pour
ne finir qu'au pôle inerte. Sa largeur 'le 3,500 milles riva-
lise avec celle du Grand Océan qui L'écarté île L'Asie; elle
Mii'[>a>-H> même celle des eaux qui l'éloignent 'le L'Europe.
Au développement île ses Littoraux sur 12,780 milles s'aOou-
teiit les petites méditerranées gisant à sa frontière mé-
ridionale et Les Lacs qui sont légion sur tout l'écu granitique.
Son Saint-Laurent, artère capitale de pénétration au coeur
menu 'lu Nouveau-Monde, est le roi des fleuves. Aux terres
anorcelées de L'Atlantique, aux inégales pentes laurentiennes
succède uni' steppe aux horizons perdus, s'identifiant avec le
fuseau continental qui va du golfe mexicain aux canaux de
L'arctique et donne naissance a quatre grands systèmes flu-
viaux qui se partagent la collection des ''aux, sur tout l'im-
mense versant oriental de l'Amérique: le Mackenzie, le Sas-
148 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
katchewan-'Nelson, le Saint-Laureni el le Mississipi. Par
delà l'arête des Rocheuses gii une quatrième unité géogra-
phique recueillant jusqu'au fond de ses plus étroites vallées,
la caresse des tièdes souffles du Pacifique, tandis qu'aux
feux du jour brille la glace des sommets allier-.
Terre de la multitude et de l'immense, du vétusté et du
naissant, ce Canada réunit encore la grâce de l'opulence à la
désolation de l'aridité, car le développement nord-sud de - -
zones présente soit un mélange, comme aux deux littoraux,
soit une succession méthodiqu •. comme aux régions me-
diaires, de champ- fertiles d'accès commode, de domaines foj
restiers pullulants de vie animale el frémissants de la course
>\r< eaux sur un sol dur. mais richem snt minéralisé, puis de
mornes espaces qui couronnent l'Amérique.
Sans songer à ses autochtone-, races dévoyées, aujourd'hui
mourantes, nous reportant aux âges mystérieux qui n'ont pas
d'histoire, le Dominion canadien garde, en les pétrissant à
nouveau, les rejetons des deux plus remarquables nations
l'Europe. Trop vivaces pour se confondre, Français et Anglo-
Saxons conservent dans leur esprit el dans leur coeur un con-
sidérable trésor des traditions. — avec la langue, la foi et le
-t n- de la vie respectifs — qui continuent de fleurir dan- leur
patrie d'origine, l'une idéaliste, l'autre utilitaire. Profilant
des dures expériences du Vieux-Monde, il- -• Boni allégis
de maints préjugés sociaux qui entravent la libre évolution
de leurs sociétés mères et. doués à un haut degré de la
puissance créatrice, de la faculté d'assimilation, ils son!
persuadés, devant les promesses de la terre, que l'avenir leur
appartient; aussi marchent-ils désormais d'un pas ferme
vers leur destinée. Que dis-je ? ce théâtre d'une économique
LES PROBLÈM ES NATIONAUX 1 I!»
émulation qui a rendu le Canada capable de se suffire à lui-
même depuis un demi siècle ei qui, devenu pour tous un
coin du globe à retenir, le placera demain au rang des plus
grands Ktats, ne s'est réalisé e1 ce dure que grâce à La coopé-
ration des deux races dans un régime politique dont L'essence
même est le mutuel respect de leur individualité.
II
Mais, toujours et partout, il faut aux collectivités hu-
maines surnageant des impérieux soucis matériels, une patrie
avec ses frontières, avec son verbe, avec ses institutions, avec
son âme nationale enfin, pour quelles acquièrent leur par-
faite originalité, pour qu'elles remplissent leur rôle de
uation. C'est à cel âge que se trouye vraisemblablement le
Canada. Quand donc ce premier des O'verseas Dominions
de la Grande-Bretagne s'en détachera-t-il comme un frurl
mûr? Pan- quelles douleurs, dans quels spasmes l'indivi-
dualité de ses éléments ethniques, dont le cantonnement, di-
rigé par une intangible puissance, parait déjà destiné à
correspondre avec les régions naturelles autonomes du con-
tinent, va-t-elle s'enfanter elle-même ?
Certes, la science humaine est aveugle, incertaine, rutile;
toute comparaison entre deux nations, t\r\w pays reste malai-
sée, naïve que l'esprit des races, l'ambiance du milieu phy-
sique et celle des époques n'ont entre elles que de lointain-
ssemblanoes; surtout parce que l'âme humaine, malgré son
fonds d'identité' commune, teste perpétuellement ebangeante
m que c'esi cette seule mobilité extérieure qui jette quelque
ici i"ii ''m 1V h - peuples modernes,
150 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
Appliquant aux collectivités ce principe des moralis
que les individus sont les fils de-leurs propres actions, il est
juste d'affirmer que les peuples onl aussi le aort qu ils mé-
ritent. Les Canadiens portent donc en eux-anêmes le secret
de leur avenir. Et cet avenir dépend de l'attitude qu'ils
prendront en face, des divers problèmes qui s'opposent à
leur quiète évolution. Ce sont d'abord des problèmes in-
ternes: les deux grandes races continueront-elles de vivr
harmonie sous la règle politique posée en 1s,n. ou l'anglo-
saxonne, qui s'appuie sur l'Amérique entière, finira-t-elle
par absorber la néo-française ? El des problèmes externes;
l'un purement géographique: le danger du continental isme
rendu imminent par la concordance les zones naturelles sur les
deux pays, en sorte que chacune des sections du Canada s'ouvre
sur celles des Etats-Unis, et par l'identité de langue pour
quatre-vingt-dix millions d'âmes. Enfin un problème poli-
tique: la menace d'une main-mise par la métropole, ce qui
modifierait profondément ses rapports avec sa colonie, l'ou-
vrirait forcément aux autres races et au commerce des autres
possessions britanniques, en la faisant participer, contraire-1
ment à ses intérêts, à la mondiale vie militaire de la Grand -
Bretagne.
111
Les quelque sept millions et demi <1 ■ Canadiens l | se par-
tagent, quant à la langue entre un tiers de francophones,
quatre million- et demi d'anglophones el quelque trois cent
mille étrangers en voie d'assimilation, et dont la majorité gros-
1. J.e recensenienl de 1911 fixe à 7 204.527 finies la popu-
lation iln Canada.
LES PROBLÈM ES N \TlOXAIX tô|
sira bientôi la masse des Anglo-Saxons. Ici. le nombre des en-
fants de la France représente bonjours adéquatement celui
des fidèles de L'Eglise catholique romaine; mais tout anglo-
phone nVst pas protestant, puisque, sans tenir compte du
fie d'indifférence qui ravage en Amérique la religion ré-
formée, il se trouve nu bon demi million de catholiques re-
crutés parmi les Allemande, les Uuthènes (Galiciens) des
provinces médiales, les Sauvages des réserves ei du grand
nord, enfin et surtout les Irlandais qui n'ont cessé, depuis
t i-ois quarts de siècle, de se mouvoir parmi tout' s les autres
( atégories de Canadiens.
Dans ce pays vivent donc 2,500,000 Xéo-Français catho-
lique-, d'autant mieux -acclimatés, d autant plus fortemenl
rivés au sol national que sa conquête et sa conversation se
poursuivent depuis trois siècles.
Hors quelques légères variantes résultant, de l'action immé-
diate du milieu naturel et déjà signalées, ce type a le fron-1
plus élevé, mais non plus large, le nez. légèrement aquilin est
plus mince et la mâchoire inférieure pins étroite que chez le
Français d'Europe; ses épaules sont amples et carrée-; mais
sa stature moyenne, aux lignes as-ez régulières, n'excède pas
cep aidant 5.6 pied-. Tomme il a le sang plutôt chyleux.
-on teint — si les Intempéries ne l'ont pas -basané — reste
plus blême que celui de ses voisins. Structure et muscula-
ture donnent à ces nationaux une étonnante supériorité sur
leurs frères d'outre-atlantique, et. même à prendre pour esti-
mation de leur vigueur celle des reins. 1 ■ s pionniers du Ca-
nada surpassenl l'Anglo-Saxon '(1). Extrême est son endy-
t. Wm. Hingston, Tin Climate of Canada '/»</ its relations
in health, p. 233, Montréal, 1890.
L52 TERRES ET PEUPLES DU CANADA
rance et, s'il n'est pas. comme tant d'autres types septen-
trionaux et aquatiqu s, plantureux, dé formes débordantes, il
ne rougit pas moins, comime eux, sous L'afflux 'les émotions.
Ce rameau, héritier direct de la race normande qui se
fondit au cinquième siècle avec des éléments gallo-romains
pour leur imposer son régime social caractérisé par l'insti-
tution féodale, s'est développé dans le sens de ses traditions,
savons-nous, parce que la vie agricole et les voyages favo-
risent l'amour de la liberté avec la vertu d'endurance. Si.
âpres au gain — c'est-à-dire normands — les Franco-Cana-
diens ne possèdent pas encore de grandes richesse, c'est beau-
coup parce que les événements historiques n'ont cessé d'être
défavorables à leur avancement matériel. Toutefois leur apti-
tude à la moderne vie américaine s'est manifestée dans la créa-
tion hâtive d'*une industrie domestiaue, et maintenant par leur
présence dans tous les champs d'activité anglo-saxonne. D'un
constant besoin d'appui sur la communauté — représentant
l'apport de l'âme latine dans leur double origine sociale —
ces KTéo-Français ont imaginé la paroisse, petit monde clos,
mais toujours prêt à profiter des évolutions progressives, et
qui esi deventrsous le régime britannique une véritable école
d'apprentissage au gouvernement populaire. Cest leur apti-
tude à bénéficier des avantages du parlementarisme qui leur
a valu d'être appelés des Anglais parlant le français. Telle
n'est pas toute la vérité, car. s'ils se sont heureusement divisés
dans les luttes politiques pour ne pas constituer une mino-
rité national", le culte qu'ils entretiennent pour le beau, leur
passion des théories — de lignée bii n française — leur as-
slirent désormais une individuelle mentalité.
Une alliance du sens utilitaire des Anglo-Saxon^ aux qua-
lités Françaises: esprit processif et cupidité normande, or-
LES PHOBLÈMES V \TM\.\ IV 153
gueui] jamais terrassé; bienveillance inlassable el gaieté de
coeur définiraieni cette âme canadienne, si elle ne souffrail
d'nne résignation souvenl trop prompte, qui La couiibe de-
vant 1rs injonctions étrangères. (1)
IV
Anglo-Saxos es! le tenue générique de tous ceux qui,
venus de la Grande-Bretagne, parlent l'anglais, quels que
soient leur langue et leur lieu d'origine. Le seul type an.
compte 1,500,000 individus reconnaissables à l'oval régulier
de leur visage, à leur stature sensiblement supérieure à celle
du Franco-Canadien. Les mieux acclimatés se distinguenl
de leurs frères d'Europe eu ce que le bleu de leurs veux B'esl
affadi et que leur blond système pilaire tourne au châtain.
Lee Ecossais, au nombre de 900,000, sont robustement
taillés et d'un teint clair que colore une généreuse circulation
sanguine. Ce sont eux qui se rapprochent le plue par l'en-
durance du pionnier canadien.
Il se trouve aussi près fun million d'Irlandais, de char-
pente osseuse, aux formes très irréguliè] s d'individu à in-
dividu, — malingres chez I ■ prolétaire, débordantes chez
1. "Tenus à l'écart des affaires publiques, et malgré nos
preuves de loyauté, regardés avec méfiance, nous axons <lû con-
quérir à la pointe de l'épée nos plus chères libertés. Notre libé-
ration ne date que d'hier et il est facile à un esprit observateur
de discerner chez nous une résignation qui nous courbe trop aisé-
ment devant les injonctions étrangères. C'est un vestige de la
contrainte imposée à nos pères, dans cette vallée du Saint-Lau-
rent, où l'on se flattait de les étouffer et de les ensevelir à ja-
mais.-' MM. Desrosiers et Fpurnet, /.</ Race française en Amé-
rique, p. 284, Montréal. 1911.
15 I , ERRES ET PEUPLES DÎT CANADA
^aristocrate. Une vie plutôt facile el de oomlbreus mai
avec les vrais Ànglo-Saxons tendent à oblitérer chez eux les
signes caractéristiques du Celte: rondeur de la tête, proémi-
nence des mâchoires et des arca les sourcilières.
f'C'est «par leur self confidence et leur- instincts débridés
que ces types accomplis des racés brutales du nord con-
traste^ le plus vivement avec le patient et joyeux Canadien-
Français. Cette masse britannique accentu • encore son in-
fluence par les appuis moraux de se savoir l'énorme majorité
en terre conquise, lieu d'affluence des capitaux de la mère-
patrie, et surtout de compter que sa civilisation est commune
à tout ce continent. Mais en revanche, et c'est un bonht ur
pour le Canada français, il faut reconnaître qu'en dépit de
ces écrasants avantages, l'Anglo-Saxon est, entre les peuples
européens, le moins doué pour -'assimiler les autres races.
l(i comme en Irlande gaélique, en Afrique-Sud et aux [ndes,
si son or lui assure la domination, elle reste manifestement
impuissante à se fusionner à d'autres éléments nationaux.
La race anglo-saxonne — abstraction faite de ses varianl ie
les Highlanders d'Ecosse et les Irlandais, qui paraissent ici
destinés à s'identifier pour la grossir — en est une énergique,
obstinée jusqu'à la violence, roide dan- se*s résolutions et in-
fatigable dans l'effort solitaire. De desseins égoïstes,
ambitionne une vie aisée; il lui faut un profit immédiat.
.Mais ce produit achevé de la formation particulariste,
boinines nés pour le travail, capables de coloniser des conti-
nent-, restent impuissants, savons-nous, à les façonner, parce
que la générosité est leur moindre vertu. (1)
1. ".Elle (la race anglo-saxonne) est pénétrée de su supré-
matie, elle a'a point l'humeur aimable, elle n'a que If souci cons-
tant de son intérêt, même ;ui\ dépens de ce que les autres ont de
pins cher et de plus sacré." !.. Nemours-Godré, Les Inconsé-
quences de John Bull, p. r>.">. Paris, t8S6.
PROBLÈM ES \ \ L'ION \ UX 155
Si plusieurs des qualités morales 'I i L'Anglo-Saxon con-
viennent également à son prototype, L'Anglais, comme aux
Ecossais et aux Irlandais, il se trouve chez ces derniers, d -
différences qu'on ne saurait négliger de décrire, parce qu'elles
se sont amplement illustrées dans ee pays de deux
races. L'Ecossais n*a ni la rogue anglaise ni l'astuce irlan-
daise. C'esd à sa profonde sociabilité à jamais écrite dans
L'histoire] qu'il faut attribuer l'absorption relativement
prompte de ses petits essaims par les Québécois, au cours du
siècle dernier, et le profit que tous les Canadiens ont tiré de
son avancement dans l'industrie, l'agriculture et la finance.
Les Irlandais jettent la plus grande distraction dans ee,
monde d'Amérique. Issus de pasteurs et non d'agriculteurs,
ils dédaignent d'instinct le labeur manuel. Fiers de leur
souplesse d'esprit ils sont follement ambitieux et d'autanl
plus friands d'autorité que leur originelle formation Les dis-
pose à la spéculation. Aussi encombrent-ils Les deux extré-
mités de Tordre social, le prolétariat et les carrières libé
raies. Suprêmement dédaigneux de la glèbe, plutôt inaptes
au commerce, ne faisant qiv.' passer à l'atelier, ils se groupent
dans les villes pour s'y partager la misère du pic, la sécurité
du rond-de-euir et la gloire des postes de commandement.
Si encore cet élément c Lte assiste de nos jours à L'ouverture
des régions agricoles et surtout à la création des centres mi-
niers, c'est l'indice qu'il tente résolument de créer vite une
aristocratie de la richesse appuyée par L'autorité. Son admi-
rable esprit de corps se manifeste dans L'organisation des
unions ouvrières et des associations mutuellistes. (1)
1. !)••< événements récents on1 montré le caractère socia-
liste <lcs unions du 1 ravail.
156 TBRRES ET PEUPLES DTJ CANAD \
Presque tous catholiques à leur débarquement — aux
Etats-Unis comme en Canada ■ — ■ les Irlandais - • soni d'abord
défendus avec obstination pour conserver leur Eoi dans l'am-
biance protestante; mais disséminés à L'excès, privés de la
sédentaire vie agricole et île pretr - de Leur race, ils n'ont pu
donner une éducation chrétienne à leurs enfants ni alimenter
une presse nationale, ils ont fait des mariages mixtes, accepté
la langue anglaise, et subi pour tout cela l'influence du natu-
ralisme américain. (1) C'est dans Le Québec et aux lieux
voisins où l'Eglise franco-canadienne a volé à leur secours,
que ces nouveaux venus sont restés le plus catholiques.
L'âme celte, rêveuse et douce de sa nature, paraît sôtre
faussée au cours des siècles du despotisme anglais. Quoi
qu'il en soit, ces enfants de l'Erin, transportés en Amérique,
ont introduit dans le catholicisme, un instinct qu'il réprouve
par son essence môme — L'instinct de la persécution.
1. "...L'on ne compte plus aujourd'hui aux Etats-Unis les
rejetons de souche irlandaise qui ont abjuré leur foi. Quinze ou
vingt millions suivant les calculs les plus optimiste-. C'est un
Eai1 connu. Mais on oublie trop que, dans notre pays même,
l'écart entre le nombre des Irlandais d'origine et celui des Ir-
landais catholiques est aussi très grand- au moins cinquante
pour cent. En 1901 il y avait an Canada 988 721 Canadiens d'ori-
gine irlandaise et seulement 562,862 catholiques de langue an-
glaise ou autres que le farnçais. Plus de 50,000, en effet, étaient
anglais, écossais, polonais, allemands, etc. A quelles causes les
Irlandais peuvent-ils attribuer des pertes si douloureuses au
point de vue catholique? Est-ce à la communauté de langue e1
de littérature avec les protestants à la négligence de l'enseigne-
inent chrétien, à la privation d'une presse religieuse, aux ma-
riages mixtes, à l'insuffisance du clergé, au petit nombre de
congrégations religieuses de langue anglaise ou à toutes ces
causes réunies? Vous ne saurions le dire..." MM. Desrosiers
et Fournet, La Ra0c Française en Amérique, pp. 287-8, Montréal,
19] I.
LES PROBLÈMES NATIONAUX 1 5 '<
Vespérant plus dans la survivance de leur vénérable
idiome, le gaélique, dont ils rougissenl même, ees Mandais,
pour imposer à la race pionnière L'idiome de leur vainqueur,
luttent plus opiniâtremeni qu'ils ne le font pour gagner des
protestants à la religion catholique, il) Cette étrange atti-
tude à l'égard de ceux qui sauvèrent les émigrants de 1846
d'une umri pestilentielle, témoigne d'une éclatante façon que
la communauté de langue unit des peuples plus efficacement
que ne peut le faire la communauté de foi même.
VI
I.fs religions sonl des forces morales dont il faut tenir
compte eu appréciant des âmes nationales. Et, si parfaite
est la convenance qui existe à cette heure entre la formation
sociale et la foi respectives (h-^ deux grands éléments cana-
dien-;, qu'elle achève de les illustrer, en élargissant encore la
qui les sépare.
L'Anglo-Saxon, protestant ei biblique de coeur, (2) s'at-
tache à une religion "don! l'essence es! le salut individuel...
où les moindres manquements sembl 'ni des crimes, n'y ayant
ni indulgences ni oeuvres qui puissent les réparer. Seul à
porter le poids de ses fautes il en résulte une grande faiblesse
ou une puissance de tenue morale," (3) manifestées soil par
Findifférence ou l'agnosticisme, soii par les scrupuleuses pra-
1. Dans tous les diocèses où les Franco-Canadiens e1 les
Franco-Américains se trourenl en minorité, ils sont <mi butte
aux plus odieuses tentatives d'anglicisation <U' la part du clergé
irlandais.
2. II. Taine Philososfi.it tf< l'Art.
3. F. Brunetière, Science et Religion, note, p. 7'8.
158 TERRES ET PEUPLES DTJ CANADA
tiques puritaines ou le farouche méthodisme. Notons encore
que ce «protestantisme commande par sa base une int nse pré-
occupation de soi-même, ce qui ês1 La définition de l'âme
anglo-saxonne, et nous saurons pourquoi, dans cette libre-
penseuse et matérialiste Amérique du Nord, malgré notre
atmosphère chargée de naturalisme, la Réforme vit au Ca-
nada d'une vie si universelle.
Reposant sur l'amour du prochain, le principe catholique
es! une plus abondante source de vertus sociales que celui du
protestantisme. Ses dogmes, ses règles de morale inflexibles
conviennent à des âmes que l'idéalisme n i lai -se jamais
froides; quand une puissance fractionnée sur plusieurs têtes
s'allie harmonieusement à l'esprit latin qui aime à compter
de nombreux appuis extérieurs, et chez Lequel toute autorité
constituée revêt un caractère divin. Cette fécondité sociale
du catholicisme, c'est essentiellement la trame de l'histoire
du Franco-Canadien. Idéalisme des fondations colonial s,
civilisation des Sauvages par les missionnaires, survivance, à
la conquête, du peuple bas-canadien avec ses plus personnels
caractères nationaux, et sa participation au gouvernement
du pays. C'esl l'évêque qui a dessiné les limites de la pa-
roisse et favorisé l'accession à la personnalité civile d<
petit monde fermé contre lequel le conquérant a vu échouer
toute- ses tentatives d'anglicisation. C'est en voulanl rester
catholiques qu'aux sombres jours de i;;i n de 1812 le- Bas-
Canadiens ont gardé cette colonie à la Grande-Bretagne. El
c'est l'alliance des croyances catholiques aux tradition- na-
tionales du francophone qui demeure le plus ferme soutien
de l'état présent.
Tels sont les caractères nationaux et religieux propres à
I.i:s PROBLÈMES \ ATKiNAI'X L59
chacun des éléments ethniques du Canada. Leur contraste
esl ,si sensible que, mémo en sa représentant tout Le pays
comme destiné à évoluer sans aucune intervention 'lu dehors,
ces races paraissent manifestement vouées à ne jamais se
confondre. Après un siècle et demi de ruse autour de l'école
et de violences politiques l'âme franco-canadienne n'appa-
raît-élle pas plus individuelle ci plus assurée de son avenir ?
et l'anglicisation une utopie ? Cette récente agression irlan-
dais- qui vient raviver l'ambition du maître, on transportant
la lutte sur le double berrain scolaire et religieux, ne sert
qu'à réveiller pour de bon les francophones portés par ata-
visme à ne se roidir que devant l'imminence du danger. Quoi-
qu'il arrive, la meilleure garantie qu'une attaque ne saurait
partir du Franco-Canadien c'est, qu'aujourd'hui comme hier,
en •présence des injustic s commises à son égard, partout "ù
il est la minorité, son cri n'est pas "Yengeons-nous sur l'An-
glais du Québec", mais plutôt: f<Ma langue n'est nulle pari
une intruse ni une étrangère."
C'est précisément à cause de cette lutte Pur le terrain
constitutionnel que le Canada promet de demeurer la terre
classique du dualisme national.
VII
Nous savons que le Canada n'est que le prolongement Ar<
Etats-Unis. Ces deux .outrées ne sont donc pas dos à dos
pour se faire la guerre ou si nlement se reluquer, mais bieu
côte à cota pour s'unir. A cette puissante imite de la nature
se joint, pour la masse des habitants, l'identité d'origine et,
conséquence de la plu- grande jeunesse de ces pays, une seule
L60 TERRES ET PEUPLES DU < A X A l > \
et même civilisation, l'anglo-saxonne. Elle est formidable,
car le ternie générique d' Anglo-Saxon s'applique à tons ceux
qui parlent anglais, sans distinction du lieu d'origine. I ■
cet élément sorti de la Grande-Bretagne qui impose sa langue,
ses institutions politiqu -. sou sens 'de la vie profondément
utilitaire aux recrues cosmopolites, en reléguant ainsi à l'ar-
rière plan, pour relie heure du moins, tout autre sentiment
populaire que le sien.
Aux Etats-Unis l'idée nationale vit surtout d'un besoin de
cohésion entre des races contrastantes. L'amour de la patrie
semble là plus nerveux que fort, plutôt fictif que durable.
Le succès de cette même civilisation u'est pas moins écla-
tant au Canada, car ell i a cet avantage de se touver politique-
ment chez elle et de command r à une population quelque peu
moins cosmopolite.
Ce qui tend davantage à rapprocher le- deux pays nord-
américains, c'est la grande activité industrielle des Etats-
Unis, en quête de clients; c'est encore l'abondance aux régions
boréales des ressources naturelles d un commencent à man-
quer celles du midi. Il résulte de cet état de choses une vive
attraction des Canadiens de l'Est vers les" centres de- Etats-
I o 3, et une migration de plus en plus considérable d'
hommes et de ses capitaux aux pays canadiens. (1)
1. Classification des capitaux des Etats-Unis placés au
( anada.
Domaines forestiers e1 scieries en Colombie B. . . . $65,000,000
Mines en Colombie li &0.OO0,
Terres en i olombie P. s.:,oo,ooo
Domaines forestiers et gisements miniers dans les
provinces médiales 10.000.000
Centres de distribution d'instruments aratoires. . - 500,000
Divers placements dan.- les provinces atlantiques. . t3. 000. 000
Valeurs-obligations municipales détenues par des
particuliers 27.000,000
I.KS PROBLÈMES NATIONAUX H'>1
Cette menace latente <Tnni l'ieai ion des intérêts écono-
miques s'esl déjà traduite par Le mouvement annexionniste
de L849 ej celui plus dissimulé de L88'î â L892; ell • s'affirme
par L'entrée Libre des cheminB de 6er de La république en ter-
ritoires canadiens, et surtoul par des, capitaux qui lui assurent
une sorte de 'mainmise sur des richesses naturelles de pri-
mordiale valeur, comme le bois à pulpe, au Canada oriental
el les énergies hydrauliques eu Colombie.
Malgré le libre échange entre la &rande Bretagne et sa
colonie, en dépii de l'hostilité des tarifs douaniers du Ga*
nala avec ses puissants voisins, Lis continuent âe s-'affdrmer
comme ses meilleurs clients. Or les sympathies suivent les
intérêts.
VIII
Les intérêts économiques sont Le motif on le prétexte des
conquêtes modernes. Et la soif d'expansion coloniale, ce
trait marquant des Etats surpeuplés, est précisément le ca-
ractère politique dv< Etats-Unis. Eu violation d'un principe
Placements des sociétés d'assurance 4'5,O00,O00
Placements sur propriétés urbaines 16,000000
Teires dans diverses provinces :25. 000,000
Diverses industries dan- diverses province.- 10.000,000
Industrie des conserves des viandes 6 000.000
Capital investi dans plus de 2m firmes i:'.0.000,00()
$424,000,000
Général Bradley, consul des Etats-Unis à Montréal; The
Shareholder, Montréal, 23 juin 1911.
L62 TERRES ET PEUPLES DTJ CANADA
générales du continent, les chauvins de la république ont
s ilièrement dénaturé cette règle de conduite, en la faisant
servir aux intérêts particuliers de leur pays. Api - -
9 - copions de la lib rté dès républiques américaines,
les Etats-Unis ambitionnent d'identifier leurs fron-
tières avec celles de l'Amérique même. Ce rêve d'un empire
colonial s'est affirmé d'une façon non équivoque, au cours
soixante dernières années. Le Texas esi annexé en 1846;
les Etats-Unis et les colonies canadiennes signenl en 1854, un
traité de réciprocité commerciale qui durera jusqu'en 1866,
soit à la veille du pacte fédéral. L'Amérique Eusse est
achetée en 1867, au prix de sept millions; elle devient l'Alaska.
Trois -ans plus tard, le Congrès vote que le gouvernement
prenne à sa charge les frais d'une i - ieuse des -
S icaragua et de Panama, en vue du percement d'un canal.
epuis lors, les Etats-1 monopole se du
Panama qu'ils fortifient afin d'en rester les maîtres, dès qu'il
s'ouvrira — ce qui ne saurait beaucoup tarder maintenant.
En 1898 ils achèvent de rainer la domination de l'Espa*
en s'annexanj toutes ses possessions dans les deux [ndes: les
affirmé au Congrès, en 1823, par le présidenl M-onroë (1)
et qui repousse toute intervention européenne d-ans les affaires
1. Doctrint de XLonroë. .hune- Mxmroe étail le président
• Us Etats-Unis en 1820, lorsque se manifesta dan- le- conseils
monarchiques de l'Europe une recrudescence des idées féodales
l tats-1 ni- s'émurenl du danger que couraienl les anciennes
colonies espagnoles devenues indépendantes e1 rirent cause com-
mune avec ces jeunes républiques du Nouveau-Monde. Dans un
message an Congrès, en décembre L823, Mouroë se fit l'interprète
:ette détermination devenue fameuse;, sous le nom de Doctrin
Monroë el qui peul se résumer dans cette foi-mule: FAmérique
aux américains. Voici les passages essentiels de cette déolara-
politique: "C'esl toujours avec anxiété el sympathie que
LES PEOBLÈMES NATIONAUX L63
Philippines et Porto-Bico., puis ils séquestrent Cuba. Enfin,
ils s'emparent du groupe insulaire d'Hawaï, au milieu du
Pacifique.
Il ne se passe pas une session du Congrès sans qu'un séna-
teur enthousiaste exprime le désir n'annexer le Canada sans
retard. Cette convoitise latente qui s'affirmera au moment
que les Etats-Unis trouveront propice, — soit au cours d'une
guerre européenne on l'Angleterre pourrait avoir le désavan-
tage — trouvera beaucoup de Canadiens déjà moralement
assujettis par les capitaux du sud.
En somme il y a donc menace d'un panaméricanisme qui
s'élabore par l'infiltration îles idées et de l'or des Etats-Unis
sur ce fertile champ de propagande qu'est l'Anglochtone. Il
esi plus sage pour le Canada de combattre ce danger que d'en
oublier l'existence ou mêrnie d'en nier la gravité.
IX
Le danger le plus imminent au progrès de la richesse et du
sentiment nation-al des Canadiens n'est peut-être pas dans
l'emprise pourtant formidable des Etats-Unis, mais plutôt
dans la menace d'une intervention de la Métropole dans les
affaires de sa colonie.
"nous avons assisté au spectacle des événements qui s'accom-
"plissaient dans cette partie dû monde d'où nous avons tiré notre
"origine. Les citoyens <\f± Etats-Unis nourrissent les sentiments
"les meilleurs pour la liberté et le bonheur de leurs semblables
"de l'autre côté de l'Atlantique. Tant que la guerre a duré entre
"les puissances européennes, nous nous sommes abstenus d'y
"prendre part, de même qu'à toutes Les affaires qui ne regar-
"daienl qu'elles: notre poîitiqtie nous le commandait. C'est
"seulement lorsque nos droit- sont attaqués ou sérieusement
H> I TKKHKS ET PEUPLES DU CANADA
Au cours 'du dix-neuvième siècle les hommes d'Etat an-
glais ont adopté comme base de -leur politique nationale le
développement de l'Empire en octroyant, dans de généreuses
mesures, l'autonomie interne. Cette confiance, bien qu^
commandée par l'intérêt, détermina chez elles un accroisse-
ment de leur amitié pour la mère-patrie, en même temps
qu'un vigoureux essor matériel et une assurance de plu- en
plus robuste dans leur propre valeur. L'Empire britannique
allait ainsi enfanter toute une théorie de puissantes nations,
régies par des institutions soeurs (1) et qui graviteraient
calmement vers une franche personnalité — les innovation-
devant se produire selon les besoins et à l'heure voulus, soit
"menacés que nous nous sentons blessés et que nous nous pré-
"parons à les défendre... Notre nation est tout entière dévouée
"au maintien des institutions qui ont été acquises au prix de
"tant d'argent et de sang, mûries par la sagesse de nos con-
"citoyens les plus éclairés, et à l'ombre desquelles nous avons
"joui d'une prospérité sans exemple. En conséquence c'est un
"hommage que nous devons à la vérité et à notre désir de con
"t'nuer nos relations amicales avec les puissances alliées (il
"s'agissait alors de la Sainte-Alliance), de déclarer que nous
"considérerions comme dangereuse pour notre repos et pour
"notre sécurité, toute tentative qu'elles feraient pour étendre
"leur influence à une portion quelconque de cet hémisphère.
"Nous nous sommes abstenus d'intervenir dans les colonies ou
"dépendances réelles des différents Etats européens, et nous
"ferons de même à l'avenir; mais pour ce qui est des Etats qui
"ont proclamé et fait prévaloir leur existence propre et dont.
"après pleine considération et cou fora m 'ment à de justes prin-
"cipes, nous avons reconnu l'indépendance nous ne pourrions
"regarder que comme une manifestation de sent imants hostiles
"aux Ktats-l/nis toute intervent ion qui aurait pour objet de les
"supprimer ou d'en contrôler, de quelque manière que ce fût. les
"ilesl inées."'
1. 11 y a trois dominions autonomes sous ta couronne bri-
tannique: la Confédération canadienne (1.867). le Coininoirwe:ili h
australien (l'JOl et l'Union sud-africaine H'OOl).
u:s !'i;oisu:.\ii:s xation \r\ 165
à l'image de l'évohrtdon aussi leste que sûre do la constitu-
tion mère, ai c©mjparable à un organisme conscient. MCais,
au oœur de oei empire, ce chef-d'œuvre de politique ter-
restre, une école esl née quri Péelame, sous prétexte d'allégir
la Grande-Bretagne de bob écrasand l'a riloau du militarisme,
- cour? des colonies, auxquelles seraienl appliquées eu re-
tour., a) une union fiscale, sorte de aoUverein économique de-
\ant restreindre les échanges aux limites mêmes du monde
anglo-saxon; b) une communauté des lois commerciales et
de la citoyenneté dans tous les pays britanniques, enfin c) une
organisation navale et militaire dans chacun des dominions
autonome en vue de maintenir l'intégrité de l'Empire 'Cette
combinaison imposerait -aux colonies les pires obligations de
l'Etal libre, -ans cependant leur apporter en retour aucun de
ses avantages. Au seul point de vue canadien, l'impérialisme
intégral amoindrirait l'autonomie fiscale, en abrogeant la
loi de 1848 — rappel de YAcfùe de Naviffaiien — qui met ce
doniinion en mesure de négotier et de conclure ses propres
traités comflnerciaux, il ouvrirait toute grande la porte aux
sujets des Indes el d'ailleurs: enfin il retarderait, à cause
des sommes absorbées par le maintien d'une efficace marine
de guerre, l'achèvement i\o> grandes routes intérieures.
Le mobile évident de ce gigantesque projet d'une fédéra-
tion impériale se trouve dans cette anaibition maîtresse: ame-
ner les colonies à soutenir le- guerres île la Grande-Bretagne.
Mais, si elbs appuient de leur or et de leurs hommes la diplo-
matie métropolitaine, quelle part d'autorité exerceront-elles
dans le gouvernememi de cet Empire ? Or. la mère-patrie
n'est pas disposée — à cette heure du moins — à partager
](iG TEREES ET PEUPLES DTJ C \NAHA
ainsi son autorité. (1) Elle ne veut que l'aide dévouée
ses possessions d'outre-oner. Si. même, elle créait un parle-
ment central se peut-il que le Oanada, qui n'aurait qu'une
députation numériquement insignifiante auprès de celle du
Royaume-Uni, puisse protéger ses intérêts et résoudre les
problèmes suscités par des conditions géographiques, écono-
miques et sociales, fatalement différents de ceux des autres
parties de l'Empire ? (2)
Que ce rêve décevant, que c i dessein égoïste d'une fédéra-
tion impériale se réalise, et les dominions, charges de far-
deaux qu'ils n'ont encore porté d'eux-mêmes, incommodés
par une union factice qui alourdirait le joug qu'ils devaient
bientôt oublier, ne tarderont pas à briser leur attache colo-
niale: car cette solidarité des intérêts, ne devant reposer que
sur le seul orgueil du sang, est essentiellement contraire aux
1. Répondant à une proposition du délégué australien qui
demandait, à la conférence impériale de 1911, la création d'un
conseil de l'Empire où les représentants des dominions seraient
appelés à siéger, le premier ministre d'Angleterre, M. Asquith,
disait : —
"Où aboutirait l'organisme projeté par sir Joseph Ward?...
'Ml amoindrirait, s'il ne détruisait entièrement, l'autorité du
"gouvernement du Royaume dans des matières aussi graves que
"la direction de In politique étrangère, la conclusion de- traités,
"Ja déclaration et le maintien de la paix ou la déclarât ion de la
"guerre, et. en vérité, toutes les relations avec les puissances
"étrang-ères, d'une nature nécessairement très délicate, - les-
•■<iu lies sont aujourd'hui entn les mains <in gouvernement im-
périal, sujettes mi parlement impérial. CetU autorité ne vint
"êtu partagée. . ."
2. Ce projet d'une fédération impérial", exposé au fur et ,~i
mesure qu'il était imaginé par les hommes d'Etal anglais, fut.
communiqué aux représentants des dominions autonome- — Ca-
nada. Terre-Neuve, Sud-Afrique, Australie et Nouvelle-Zélande au
cours de conférences dites impériales, tenues à Londres, en lsur.
1902. 1904 1907, 1909. 1910 et 1911.
I ES PROBLEMES \ \Th>\ \t \ 167
longues traditions de liberté, comme à l'espril décentralisa-
teur de l;i race anglo-saxonne.
X
En présence de ces problèmes primordiaux — l'indivi-
dualité grandissante des deux races, l'emprise américanise
la fédération impériale — , et avanl qu'ils aient atteint toute
leur acuité de maintenant, une 'doctrine politique s'est affir-
mée, qui met au premier plan le souci exclusif de l'intérêt
national, tient compte de Fhétérogénité des populations, en
leur proposanl l'avenir même du Canada comme objet pre-
mier de leurs soucis, et ne recherche que dans le respe<
la constitution de 1867, l'harmonie entre les divers éléments
nationaux, destinés à vivre et à grandir avec des droits égaux.
Ce dogme si nettement formulé, c'est le Nationalisme (1),
d'une conception trop généreuse pour devenir l'apanage d'un
parti politique.
Le Canada trouvera-t-il meilleur profit à participer aux
guerres de l'Empire ? en donnant marins, soldats et vaisseaux
pour soutenir ou protéger 'des intérêts britanniques, mainte-
nant disséminés sur tous les points du monde — ce dominion
dût-il compter, en retour, maints représentants à un conseil
1. "Le Nationalisme es\ L'exposé d'une doctrines-pas la for-
mule d'un parti e1 d'un programme offrant une solution à
quelques-uns des problèmes sociaux et politiques qui intéressent
l'avenir du I anada." Henri Bourassa, le Devoir, 30 janvier 1911.
La thèse générale de uationalisme fut exposée dans 1° une
conférence de M. Bourassa, en 1901; 2° une étude sur les Cana-
diens-français et l'empire britannique, Monthly Review de Lon-
dres, 1902; 3° une brochure de M. Olivar Asselin. .1 Québec t iew
of Canadian Vationalism.
168 i ki;i;i> ET PEUPLES DU I \ \ AU \
impérial, plutôt que d'organiser contre son ])lus menaçanl
e1 son plus proche ennemi, la défense de --a frontière conti-
nentale dont la longueur excède 3000 milles; plutôt encore
que de fortifier -es cinq grands ports atlantiques de St.
Jbhn's, Halifax. Sydney, Québec et Montréal, ses ports Les
plus fréquentés des Grands Lacs, Toronto, Sarnia, Port-
Huron, Gollingwood et Arthur-William,, enfin sur le Paci-
fique, ses quatre autres ports libres de Vancouver, Victoria,
Esquimalt et Brince-Rupert, contre les escadres mongoles et,
peut-être demain .celles îles Russes en Sibérie ? Ce serait
contribuer efficacement à la défense de l'Empire que d'ou-
tiller sa colonie du Canada, la mettant ainsi en m sure de se
défendre seule. D'ailleurs cette règle autonomiste n'esl pas
récente, car elle émane d'un énoncé de principe que la mère-
patrie communiquait au gouvernement dv> Canadas-Unis, en
1863, et qu'elle a maintes fois réaffirmé depuis, notammenl
en 18%; à savoir que le principe de la défense de l'Empire,
c'est que chacune des possessions autonomes pourvoie à sa
propre défense, et que la Grande-Bretagne seule resterait
chargée de la protection de son domaine colonial. Aussi, en
1885 le cabinet d'Ottawa pouvait-il refuser aux autorités mé-
tropolitaines la permission d'enrégimenter ici des recrues
pour faire la campagne du Soudan, <i le Canada s'est-il subs-
titué à la mère-patrie pour entretenir, depuis 1901, des gar-
nisons aux quelques places fu-tifiée- qu'il compte sur les
deux océans — Halifax. Québec et Esquimalt.
Aux sentinii uts aimlo-saxons — encore mal traduits —
qui tende-nl à faire participer ce pays an soutien de la supré-
matie britannique, le nationalisme appose ce -impie argu-
LES PBOBLÈMES N \ 'l'KiNAI'X 169
ment des grands politiques deadeua raees ei des deua paru.-:
qu« le Canada se doàl d'abord à lui-même. (1)
XI
La suprématie de la Grande-Bretagne eu est une coûteuse,
car cette puissance aura toujours besoin de toute sa marine
marchande et de ses escadres de guerre — ■ non pas tant pour
défendre ses colonies que pour protéger son propre territoire,,
avec son commerce, ses industries et ses denrées que sa situa-
tion géographique oblige de convoyer par toutes les mers.
Faut-il pour cela sacrifier ou, pour le moins, retarder
l'éclosion de forces coloniales qui gravitent vers la vie auto-
nome, mais qui. cependant, ne demandent encore qu'à con-
tinuer leur allégeance à la couronne britannique ?
Le peuplement des provinces médiates par des exotiques
importés à grands frais, fuyant fes impôts et le militarisme.
et par des fermiers des Etate-TTnig qu'il n'a pas fallu solli-
1. "... Si le Canada était détaché de l'Empire, l'Angleterre
ne pourrail épargner un senl farthing sut ses impôts militaires,
ni s« priver d'un sen3 matelot ni d'un seul soldat.'* Sir Charles
Tupper, à Winnipeg, 1893.
"Ce serait un véritable suicide pour le pays que de se lancer
"dans le gouffre des dépenses où les nations européennes \
"compris L'Angleterre. on1 été entraînées par les besoins d'arme-
"ments formidables. Quelle est la situation respective de la
"Grande-Bretagne et du Canada'.' La Grande-Bretagne est l'une
"des premières nations de l'univers, la première peut-être sous
"plusieurs rapports, le centre du plus puissant empire île nos
"jours, du plus grand empire depuis la élude de l'empire romain.
"Par là même, elle est obligée de maintenir une nombreuse
"armée permanente. La Chambre sait combien la nécessité d'en-
"tretenir une année permanente a toujours répugné au peuple
"anglais, comment celui-ci -'est toujours révolté à cette idée.
"mais i| a dû se plier aux exigences de la situation et entretenir
170 TERRES ET PE1 PLES M C VNAI'A
citer pour qu'ils franchissent la frontière, fera que d'ici deux
décades, le Dominion ne sera plus -britannique dans sa majo-
rité. N'ayant rien de commun avec les autres générations
de Canadiens, ces éléments nouveaux ignorant le motif des
luttes constitutionnelles d'autrefois et la valeur dû pacte
fédératif de 1867. commanderonl au parlement pour y diri-
ger la politique fiscale. Il est vrai que ces populations parle-
ront surtout l'anglais, langue dominante du Canada, mais
aussi celle des Etats-Unis, c'est-à-dire l'agenl le plus actif
à l'identification des intérêts et des moeurs sur tout ce con-
tinent.
Aucun dessein militaire ne saurai! remédier à cette immi-
nence du continentalisme. Mais il est une politique capable,
tout au plus, de retarder ce qui ne peut manquer d'arriver
ce qui est attendu avec une paix d'autant plus profonde
qu'elle intéresse des sociétés en enfance: elle git dans le
simple respect de l'acte fédératif loyalement cons inti entre
les deux races créatrices de ca pays. C'est en laissant s'im-
planter partout, que dis-je, c'esl en favorisant l'expansion de
ces plus canadiens des Canadiens, les francophones, que Ton
entravera le mieux l'unification si redoutable des éléments
nord-américains.
"constammenl une armée sur pied... Tonte autre es1 la situa
"tion ilu Canada... Quels sonl les plus lourds articles de son
Iget? Les travaux publics, la colonisation, la construction
"de voies ferrées e1 le creusemenl des ports et des voies de trans-
port. Y"i à le champ <>ù doil s'exercer notre activité." M. W.
Laurier, Débais de la Charhbrc des Communes, 15 avril 1902, col.
CONCLUSION
CONCLUSION L73
Que lf Canada I riompli • donc le l'ingéranee impérialiste
,■11 niani !'.->i:un avec énergie sa volonté de maintenir à l'égard
de sa Métropole les mêmes relations qui om assuré fusque
maintenant la marche triomphale de la Confédération, puis,
qu'il B'eftorce d'endiguer la marée yankee, et les deux races
continneromi de Be développer dans le sens de leurs tradi-
tions respectives. Pour que le sentiment eanadien puisse
écarter e - deux danger* il faut que ee pays devienne de plus
en plus ce à quoi l'ont destiné les politiques de 1867: une
eonsfédération anglo-française permettant la libre expansion
des éléments qui font fondée. En d'autre- bennes, il importa
que les Franco-Canadiens cessent d'êtne gênés dans leur crois-
sance numérique et dans la conservation de leur individualité
nationale. Non seulement l'histoire démontre qu'ils ont
généreusement versé leur sang pour garder ee pays à la cou-
ronne britannique, lorsqu'il était attaqué par les Anglo-
Saxons du midi — 1 s révoltés de 1774 et les envahisseurs
de 1812 — tuai- qu'après un siècle et demi de promiscuité
commerciale et parlementaire, ces francophones n'ont rien,
absolument rien à se reprocher de leur attàtud • à l'égard <U\
vainqueur, et restent Boucieus de respecter l'état présent
Mais l'Anglo-Saxon n'a, pour tout cela, rien perdu de sa
rogue et de son ambition assimiîatrice — une ambition <iu,<
devrait pourtant lui arracheT l'exprience.
Aux époque.- âPostracisme et de ruse d'anglicisation mar-
quées par la prétention du droit de nomination à l'évêché de
1 'i I TERRES ET PEUPLES DU CANADA
Québec- et aux cures, l'Institution royale devant donner des
maîtres d'école anglais dans toute la vieille province, l'inac-
eessibilité 'des domaines colonisables qui contraignit deux
générations à s'expatrier, puis les variations administratives
commandées d'abord par le Haut-Canada pour amoindrir
l'influence toujours grandissante des francophones, et renou-
velées dans le plan confédératif. succède une agression ,-'
l'enseignement de leur langue sur tous les groupes où ils sont
la minorité.
Malgré leur prodigieux accroissement, sans le secours d'au-
cun appréciable apport de l'étranger, en dépit même d'une
exode aux Etats-Unis qui n'a cessé depuis 1830, la dispropor-
tion numérique des pionniers du Canada se fait écrasante.
Dépassés par la province supérieure vers 185 f, ils ne com-
posent au lendemain de la confédération, que le tiers
coloniaux. Le dénombrement de 1911 les classe dans une pro-
portion de 35 pour cent qui décroîtra en présence de l'afflux
cosmopolite que ne cessent de recevoir les provinces occi-
dentales.
Inutile pour eux d'espérer davantage dans l'esprit de jus-
tice d'une majorité qui ne cesse d'immoler à son profil
droits les plus incontestables de cette race pionnière. Combien
d'actes d'équité furent accomplis envers elle, entre 1755 et
1912? Puisque les anglophones se montrent moins que jamais
disposés a Laisser grandir librement les Franco-Oajiadieiia qui
sont entrés dans le pacte fédératif sur la foi que chacun des
leurs serait partout respecté, quelle attitude ceux-ci doivent-
ils prendre ? Leur individualité reste contrastante, et ils ne
veulent pas mourir. Mais ne sont-ils pas, dans ce siècle des
émiettements nationaux, les plus éparpillés dans le pays, el
les plus dé-unis sur divers sentiments ?
CONCLUSION L75
( ertesj Le vieil ei robuste élément québécois a déjà franchi
les cadres politiques de sa province: avec une population de
300,000, il possède pour toujours chacun des comtés onta-
riens qui bordent L'Ottawa, ri il s'apprête à se souder au
rigoureux groupe acadien du Niouveau-Brunswick nord qui
étend ses ramifications sur oints du trio atlantique et
lui fournil toute L'augmentation de population don! il a be-
soin pour consen r son influence à Ottawa /(l); mais les
îlots du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Ai erta son!
des avant-postes des! inés à L'isolement.
Si les Franco-Canadiens demeurent, après un siècle (,t
ance à la couronne britannique, son plus ferme
rempart, elle Le doil d'aibord à La conservation de Leurs carac-
tères nationaux. Si le pacte fédératif ne présente plus cette
cohésion capable d'&ssur< c La sécurité politique du Canada
et de retarder la fatale pénétration des États-Unis, la faute
en i si à la race anglo-saxonne qui a d'abord contrainl
lu Saini-I. auront à s'expatrier dès Les premières déi
du dix-neuvième siècle, qui n'a cessé depuis de gêner Leur
Libre accroiâsemenl ei qui a pris ses fastidieuses protestations
de Loyauté pour autant de maroues d'une capitulation mo-
rale Mais si. à c tte heure, non contents d'avoir in
Leurs institutions politiques à toul !• continent, ces Anglo-
8a ■ - envient avec âpreté La pan plutôt modeste de con-
quête pacifique des ncophones, — qu'ils opèrenl par une
courageuse acceptation des charges de famille, pourtant re-
poussée par Les anglochtones, conquête à laquelle Lès parle-
1. Le recensemenl de 191] démontre que l'augmentation de
population, tant au Nbuveau-Brunswicls (|iiVn Nouvelle Ecosse
esl due aux seuls comtés acadiens.
1 Ji RBES Kl PEUPLES DTJ » \\ \n.\
ments mêmes restent sans remède — voilà bien L'indice d'une
libération finale
Reconnaissons cependant que la longue Hostilité des an-
glochtones à l'égard du Bas-Cana la, depuis la cession, ne fut
pas vaine de résultais, puisqu'en leur fermant tout accès aux
cantons de l'Est, il est migré aux Etats de la Nouvelle
Angleterre des contingents dont la descendance atteint le
million (1), et puisqu'en peuplant le nouveau Canada d'élé-
ments étrangers, ils l'ont t'ait avec l'ambition de noyer ces
autres descendants de Québécois qui avaient cru au respect
de leurs droits, où qu'ils habitenl dans ce Dominion.
Il faut que les francophones se dégagent tout à fait de
l'étreinte des partis sur les questions pùremenl économiques,
et que, sans briser avec les traditions parlementaires, ils se
fassent solidaires, chaque fois qu'il y va des intérêts moraux
de leur race. Le pourront-ils jamais? 11 est permis d'en douter,
car chaque fois qu'il s'est agi de maintenir des droits indis-
cutablement consacrés, la masse de la députation québécoise
a préféré consolider la vie d'un cabinet, plutôt que de faire
respecter les termes de la Confédération. Et pourtant c'eût
été raffermir ce lien politique, de favoriser l'expansion
(Vwn élément qui a grand avantage à le faire durer.
1. Ce million franco-américain qui résiste victorieusement
à deux formidables ennemis — l'un négatif, l'ambiance yunkee,
l'autre agressif. l*angïici>ation par le clergé irlandais qui refuse
des prêtres de langui' française — est à jamais perdu pour l'in-
fluence canadienne. Le Québec ferait mieux de les aider morale-
ment que d'entretenir l'espoir de les rapatrier, ce qui est nue
impossibilité géographique.
CONCLUSION 1 <
II
l'r, second motif de solidariser L'influence franco-cana-
dienne, e'est la valeur de la constitutiou même. Dans ses
attributions fédérales, l'Acte de 1S|'>; ae vise guère au-delà
du développement économique. En effet, hors Le div<
— que ne réclameront jamais Les catholiques, — ce n'est que
dans la création de provinces ei. accidentellement, dans la
modification de leurs frontières, que le parlement d'Ottawa
statue sur les intérêts moraux. Ce rôle semible maintenant
fermé, chacune des oeuf associés ayant reçu des terril -
eu harmonie avec Leurs besoins économiques à venir.
On ne saurait donc voir dans la constitution canadienne
une autorité faisant (\^ lois qui conviennent à chacun des
groupes nationaux, étant donné leur langue, foi, moeurs et
qualités propres. D'ailleurs, le domaine de la législation
sociale est essentiellement confié aux diverses provinces.
Pour qu'une constitution soit durable il faut que. mûrie
par le temps, elle reflète les traditions populaires. Elle ne
saurait donc convenir également à d'eux races contrastantes
ni résulter d'une délibération, comme il en est de celle de
1867 qui reste provisoire, n'existe que sur le papier et que
l'on viole selon les passions et les intérêts immédiats d -
gouvernants, sans que l'électoral puisse s'opposer efficace-
ment aux pires injustices — quand il les constate. C'est en
vain que les droits de la minorité furent inscrits dans le
British North American Act. La Confédération ne s'est
maintenue qu'au prix des plus odieuses immolations. Il s'est
toujours agi d'instruction publique C'est un stricte devoir
des catholiques, savons-nçus, d'instruire les enfants selon la
I ; 3 RRES ET PEUPLES DU CANADA
ance religieuse des parents. Or, il n'esl pas de province,
excepté l'Ontario, où cette lifberté *nement n'ait été
restreinte par la consécration du principe de l'école neutre.
D'où il arrive que les Franco-Canadiens doivent payer double
taxe pour le support de l'enseignement catholique et de
iciel. Que l'élément francophone ne -'attarde donc plus
lérer de la majorité ce qu'il lui rend partoul avec tant de
générosité et de resp et à la parole donnée.
Ce glorieux parlementarisme britannique avec ses
tères d'aujourd'hui, ne sera-t-i] pas pour les Fram-o-Cana-
diens un agent de déchéance ? Car, tout en restant divisés
par les partis, sauront-ils demain, mieux qu'autrefois, s'unir
pour, protéger les intérêts du catholicisme qui sont intime-
ment liés à la conservation du caractère national ? ]
permis d"en douter. C rtes, ils onl !>i m l'ait de ne pas - - -
1er dans un clan national; mais La dure vérité c'esl qu'ils
n'ont jamais eu le courage de faire bloc pour tenir le spo-
liateur en respect. L'histoire parlementaire les montre le
plus souvent divisé- contre eux-mêmes dan- les circonstai
les plus décisives. Ce fut L'humiliant spectacle d'une na-
tionalité qui - 3s r en même temps qu'elle for-
mule des espoirs de glorieuse survivance.
En dehors des parlements L'inconséquence des Franco-t a-
nadieiis ne fut pas moins profonde. Ils se sont payé ce luxe
inouï de patronner des sociétés mutualistes neutres ou même
francophobes. Pas moins de soixante mille d'entre eux se
sont enrôlés sous ces bannières, sans retirer le moindre avan-
tage moral que promettent - ganism.es.
>> 'est-il pas vrai que, pour avoir dépensé toute leur ardeur
d'idéalistes à la gloire f]^< partis, Les imprescriptibles d
scolaires des francophon s ont été abandonné par leur dépu-
C0NCL1 SION 1 79
tation, dans chacune des provinces où cet élémenl reste une
minorité ? Pourtani c'eûl été d'autanj plus facile de réclamer
que le Québec tenait à lui seu] La ciel ilitiques.
A quoi tienl cette attitude? sinon à L'asservissement de la
conquête, traduit par ce sentiment que toute opposition de-
venait inutile devant La volonté persistante de L' Anglo-Saxon.
Et, naïfs, ils se sont illusionnés sur leurs forces; ils oni cm
que l'antagonisme des rac g avait pris fin avec La confédé-
ration.
Que les Franco-'Canadiens ne L'oublient pas: le monde —
L'anglo-saxon surtout — n'accorde pas grand respect au
pi unie qui se contente d'avoir de grandes \ rtus domestiques,
sans oser paraître fort au grand Jour. D'ailleurs, il n'est
nécessaire de sortir d'Amérique pour constater qu'une
race ne saurait s'oublier Longt Dips -ans trouver -a ruine.
Go Canada français aura Le sort qu'il se sera méril
S'il doit mourir, pourquoi donc c i énervement des Luttes
sociales, ce fardeau de deux Langues — obstacles à un • vie
aisée ? Pourquoi ne pas ouvrir toute grande e1 dès main-
tenant la digue à l'anglicisation q i complète après
ileu.x. générations :
S'il doit survivre, plus d'atermoi ments, ni de compromis,
- unr parfaite solii ms La revendicat io jique
de ses droits, un renforcement des richesses et des carac-
tères nationaux.
III
Il ini[)>n i que lis Canadiens s'habituent a cette pensée que
h' Dominion ne saurait garder Longtemps encore son unité
d'à-présenl Le partage de ses fuseaus géographiques de
180 li;i!i;]> ET PEUPLES DU CANADA
direction nord-sud entre les groupes rie provinces vient d'être
achevé. La différenciation des intérêts matériels impérieuse-
ment commandés par la nature, el îjautonomie Législative des
provinces tendront à l'individualité morale de leurs habi-
tants.
Il est possible que la Colombie, dont les intérêts gran-
dissent sur le Pacifique, réclame bientôt son annexe, le dis-
trict de Youkon. Le trio médial, aux intérêts commun-. -
fait déjà solidaire: c'est le Canada occidental cloisonné de
L'ancien par la longue savane tout impropre à l'agriculture
i|ui git au rivage du Supérieur.
I /Ontario et le Québec yiennenl d'être agrandis à même le
nord (1) ; tandis que les trois provinces atlantiques s'isolent
dp vieux Canada, auquel Les rattache un seul sentier.
Et ne faut-il pas voir des prodromes de sécession dans les
provocations et les reproches qui s'élèvent nombreux de pin-
ceurs points de ce Canada consolidé en vue des intérêts maté-
fiels qu'il devait procurer ? Au-delà des Rocheuses, la colère
àes syndicalistes se traduit par des manifestations hostiles
au drapeau britannique devenu pour eux un symbole de la
fourberie. Dans la plaine centrale les fermiers réclament des
raies sûres et commodes pour expédier promptement en Eu-
rope leurs formidables récoltes de céréales, ou l'avantage du
libre commerce avec Les Etats-Unis, ce qui serait la plus
heureuse solution à ce problème économique. L'on dit,
en plein parlement manitobain que, pour ces griefs contre Ja
direction fédérale, le partage du Canada s'impose entre L'Est
et l'Ouest.
l. La portion des territoires dits du Nord-Ouest, le Keewa-
tin, qui vient d'être réunie à l'Ontario (1er mai 19 1:2) contient
l 16,000 ni. c. et le territoire de l'Ungava dont s'augmente le
Québec mesure 364,961 m. c.
CONCLUSION L81
Sj l'Ontario reste calme, c'est que la direction économique
du pays lui est garantie pai ses 86 députés.
Quant aux petites provinces orientales d'où est venu ce
projet de la confédération — autant pour y trouver leur pro-
fit matériel que pour échapper à une vive attraction du
midi — ello> apprennent à la désavouer à mesuM que décroît
le chiffre de leur représentation, c'est-à-dire leur prestige
même.
Mais i! se pent que le dénouement vienne du dehors, soit
d'une nouvelle orientation imposée par la Métropole, soit en-
core de chez le voisin où se rencontrent, concurremment à son
mal d'expansion territoriale, des indices d'une désagrégation
plutôt prochaine. Ce qu'on y voit, une corruption générale
Ai'< moeurs, la perte de tout respect pour l'autorité — résul-
tats d'une éducation rationaliste - - et l'irritation mal con-
tenue de l'ouvrier syndiqué contre le capitaliste trustard,
nous disent assez l'imminence d'une guerre sociale. Vienne
la chute du eolosse yankec. et de ses ruines surgiront peut-
être trois grands Etats constitués d'après la prédominence
de certains éléments ethniques enclos élès à présent dans des
frontière- <pio la nature a si puissamment marquées. Ce fe-
raient, au-delà des cordillères occidentales un pays com-
mandé par la similitude du climai et des ressource natu-
relles sur tous ses points et surtout par l'appel <\*> intérêts
sui- le Grand Océan; un empire média] occupant tout le
bassin du Mississipi — des Àlléghanys auj Roeheuses, du
golfe du Mexique au Steppe qui j'ouvre sur le nord, soit
une zone où l'inl'lin îice des Allemand-, qui eonservenl leur
langue et Imposent partout leurs principes édueationnels,
reste eoasfcSéràble dan- maintes sphères d'action; enfin, un
troisième Etat dont 1 - frontières coïncideront avec celles
],s-.J TERRES ET PEUPLES DU I A \ A I > \
des treize Etats originels, mais où La vie gaélique, déjà con-
centrée dans les cent] • lopulation, aura grande chance
à ~ substituer qui subsiste ue l'esprit puritain.
Quelle que soit l'attitude que prenne la Grande-Bre-
tagne à l'égard de sa colonie, quel que puisse être l'avenir do
la civilisation anglo-saxonne d'Amérique; quel que soit le
sort du Dominion canadien — trois interrogations auxquelles
un avenir plutôt prochain apportera une solution peut-être
simultanée — . le Québec a tout avantage de se faire plus
individuel et plus fort. Tl importe que, laissant le maître
politique à ses rêves d'anglicisation brutale, les Québécois
pliquent dès maintenant à déveloooer chcz eux l'esprit
provincial, affirmé déjà dan? les autres portions lu pays et
qui trouve d'ailleurs son -appui dans la constitution même.
IV
L'amour de son pays reste la plus grande fores d'un
peuple. Ce patriotisme, fruit de causes diverses, et qui -e
développe différemment dan? le? société-, s'accentuera chez
le Laurentien. s'il sait agrandir et fortifier le champ d'occu-
pation de sa race, par la concordance du domaine national à
une région géographiquement individuelle: augmenter la
valeur morale et vivifier la puissance économique en favo-
risant l'indépendance de la vie privée, enfin, affermi]
institutions civili - leur évolution en deman-
dant à l'esprit chrétien une solution aux problèmes sociaux
i !'i si autouT de ces quelques idées maîtresses que doivent
se grouper, — c'est à ces règles, d'action auxquelles il faut
objet premier de leurs Eerm s résolutions — .
-là qui, pour un temps proche ou lointain, ambitionnent
i on< i.i sion 183
une patrie laurentienne. Le berceau de la nationalité franeo-
canadienne ne lui sera pas ravi si elle Bail sans retard et
toujours se rappeler qne les bornes de la vallée du Saint-
Laurent ne sont pas confinées à la vieille province, mais
à\ qu'elles embrassent tout l'Ontario, et que ce bagsin a,
dans ses marches naturelles, il" quoi doubler son étendue.
Qu'elle tende un bras sur l'Acadie continentale qui lui fera
bon accueil, et qu'elle s'élance courageusement vers le nord
tout pullulant de vie et de forces indomptées, on l'expansion
ne se ralentira qu'au voisinage devonieu de la baie James,
limite de la culture du blé !
Si le Québec est dépourvu de tout combustible minéral.
producteur d'énergie et condition obligée de l'industrie,
il possède en retour une formidable provision de houille
blanche, qu'il faudra se garder d'amoindrir en ruinant la
forêt. 11 y a maintes raisons d'épargner les bois, en outre
qu'ils oui nue grand • valeur intrinsèque, ils jouent le rôle
de modérateurs dans l'écoulement des eaux. Des réserves
derrière les Laurentides et nue large ceinture
maintenue sur la ligne le farte, retiendraient chaque prin-
temps assez d'eau pour prévenir les inondations, alimenter
les chutes et favoriser l'agriculture.
Ce coin de l'Amérique du Nord, plutôt médiocrement doté
si l'on tient compte de la valeur - reconnaissons-le,
mais favorisé d'une situation maritime sans rivale parmi ses
voisins, à coup sûr le mieux pourvu de voies fluviales et de
richesses naturelles, cette Laurentie où 1 s traités et les
guerres u'onl cess< 'ouler les Néo-Français pour les y
cantonner, apparaît aujourd'hui comme leur champ d'action
défini.
En présence de cette destinée manifeste de la rare, il im-
18 ! TEERES ET PEUPLES DU CANADA
porte qu'elle devienne de plus en plus apte à la vie septen-
trionale, afin de se sentir bien chez elle et capable de résister
à son formidable entourage. Elle y parviendra en a'habi-
i uant à l'effort solitaire, en acquérant autant de personnalité
rpr'elle a d'humanité.
Que cet élément se garde donc de chercher le bonheur dm-
une fortune médiocre, en dirigeant ses aspirations vers le
repos, qualité commune aux Latins; mais plutôt qu'il s'oriente
résolument vers l'action intense, en basant cette disposition
d'esprit sur une formation éducationnelle propiv à accroître
l'endurance et, par une évolution graduelle, à mieux appré-
cier la puissance financière.
Il ne s'agit pas tant pour cela de modifier que d'enrichir
l'âme nationale. On y parviendra en donnant à son carac-
tère autant de solidité qu'il a d'éelat. en considérant q>ue si
la culture des arts est précieuse, nécessaire même, à l'alimen-
tation du génie, ce nord — eé nord qui n .■ sait [pas sourire —
et les modernes conditions d'exist tmee invitent d'abord à
I "art i vite industrielle.
L'action des gouvernants sera >\<- créer', à côté d'une puis-
sance économique, une indépendant.' vie agricole, ce plus
efficace des remèdes au morbide surp aplement des villes, i
la plaie bonjours saignante de l'expatriement. Comme i]
importe de ne pas aliéner les trésors du patrimoine lauren-
ti 'n au profit des étrangers, mais plutôt de les gardei jalou-
sement à ses nationaux, e'esl en oaettanl le défricheur sur sa
ti ire libre <'■<■ redevances, c'est en facilitant la colonisation
paroissiale de proche en proche, qu'il lui en redonnera h>
fécond et traditionnel ameur.
C'est dans l'institution représentative ■ — souveraine créa-
tion du génie normand — levain d'une vie démocratique
CONCLUSION 185
vraiment agissante, qu'il Eaui chercher un renforcement au
caractère national. Si le Franco-Canadien sail briser ses
funestes attaches aux clans politiques, et, erj tant que indi-
vidu, ne nas attendre du pouvoir secours à tous ses besoin-,
M obtiendra une obéissance de plus en plus Ei lèle de ses gou-
vernants à l'électorat ,pour que celui-ci, au lieu de se donner
des maîtres, sente qu'il gouverne en vérité.
Que L'on parvienne à ne députer à la législature que des
hommes désireux de traduire les sentiments de la collectivité,
et l'on évitera le gouvernement par commission qui ne sau-
rait donner <pie des lois disparates; L'on gardera jalousement
à l'institution municipale toute son autonomie qui répond si
bien au goût populaire d'une décentralisation de l'autorité;
Ton garantira davantage l'insaisissabilité de la petite pro-
priété foncière, fondement d'une vie privée vraiment stable
et obstacle à la coalition du capital: enfin l'on veillera tou-
jours à L'intégrité ^u code civil, cette législation privée com-
parable à celle des Etats les plus avancé- en civilisation chré-
tienne.
Ainsi se réalisera pour le Laurentien -.aux humilies com-
mencements et dont 1 s actions parent chacune des pages de
l'histoire de l'Amérique boréale, son cantonnement sur un
vaste territoire géographiquement autonome; ainsi ses vertus
-traies d'aménité, d'amour de l'ordre, du beau et de la
richesse, perpétuées dans des corps trempés d'endurance aux
souffles vivifiants du nord, triompheront du rogue ei utili-
taire Anglo-Saxon, car: un peuple es! d'autant plu- fort qu'i]
s'e-t heureusement assoupli à la nature de son milieu, l'al-
liance >\f> institution- civiles aux caractères sociaux assurenl
la stable existence d'un.' nation, ci Les cadres géographiques
sont le premier élément constitutif des patries.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES
Pages
PREFA< E de L'abbé Adélard Desbosiers 7
LES TEREES.
( Il VPITRE I.
Esquisse géographique du Canada. — Vue à vol d'oiseau. —
Constitution géologique. — Prédominance de l'archéen. — ■
Le bouclier laurentien. — Cause, effets et régime des in-
vasions glaciaires.- Richesse minêralogique des zones
orogéniques. — Nature et fécondité du steppe médial. —
Facteurs des climats. — Etendue originelle du domaine
forestier. — Flore des quatre zones de végétation. — Leur
faune. — Harmonies de la géographie canadienne. — Elle
accuse la présence de trois grandes bandes nord-sud,
communes à tout le continent.— Leur valeur comme ha-
bitat de l'homme 3
LES PEUPLES.
< I! VPITRE II.
L'Oeuvre coloniale de la France. Principes colonisa-
teurs des dix-septième e1 dix-huitième siècles. Le par-
tage de l'Amérique entre les grandes nations de l'Eu-
rope.—Procédé d'expansion française.— Ordre social de
l'époque. — Provenance des pionniers du Saint-Laurent.
—Parallèle du développerai omique de la Nou-
velle-France et la Nouvelle-Angleterre. Libre e1 com-
mun saccage. — Franc alleu roturier.— Libertés adminis-
tratives et commerciales. Ecrasante supériorité écono-
mique de la colonisation anglo-saxonne sur la fran-
L88 'I',' IU.I-: ANALYTIQUE DES MATIÈRES
P \M>
gaise. Mais les vertus françaises e1 chrétiennes de la
débile Nouvelle-ï^ance lui assurent succès. — Explora-
tion de l'Amérique. — Evangélisation de ses autochtones.
I ).'\ eloppement économique. — Education. — Naissance
de la paroisse. — Le Canadien s'est puissamment accli-
maté.- Son héroïsme. — La guerre de Sept-Ans et la
( ession £9
< HAPITRE [II.
Le Régime Britannique. — La Grande-Bretagne démem-
bre sa conquête en gouvernements militaires. — Les Ca-
nadiens résistent aux efforts d'assimilation des pre-
miers gouverneurs. — La révolte des Anglo-Américains
menace de ruiner la cause métropolitaine sur tout le
continent. — L'Acte de Québec rétablit les frontières na-
turelles du pays, restaure les anciennes lois françaises
et accorde l'institution de Yhabeas corpus. — Arrivée
des Loyaliste en Xouveau-Brunswick, en Nouvelle-Ecosse
et en Ontario. — Autonomie administrative du Bas et
du Haut-Canada.. — Ils ont un parlement commun. Les
colonies maritimes jouissent alors d'un embryon de gou-
vernement représentatif. — Invasion de 1812. — Les vol-
tigeurs canadiens-français font retraiter les envahis-
Recrudescenee de l'ambition d'anglifier les Qué-
►is.— Echec des Quatre-vingt-douze résolutions. — In-
surrection de 1837-1838. Union des Deux-Canadas, 1840.
—La métropole i-établit bientôt l'officialité du français
aboli au parlement par l'Union. — Crise terrienne résul-
tant de considérables octrois et de concessions libres
du domaine colonisâble. Réaction déterminée par la
liquidation des réserves de l'Eglise anglicane en Ontario,
l'acquittement des droits seigneuriaux au Québec,
le rachat par acte de travail au Xouveau-Brunswick, et •
par le rappel de VActe dt Navigation. Arrivée de l'élé-
ment celte. -Les tarifs douaniers înterprovineiaux et
TABI.K ANALYTIQUE DES M ATI Ki;i:s L89
I' \i,i -
l'activité industrielle des Etats-Unis amènent la créa-
tion «lu Dominion canadien 53
( IIA1MTKL IV.
La ConfédévaUon et son oeuvre Le pacte de L867 es1
économique et administratif. — T] inaugure une confédé-
ration anglo-française — Le Dominion identifie bientôt
ses frontières aveu celles de l'Amérique boréale. De
Québec devienl régulateur de la représentation aux
Communes. Attribution du gouverneur-général, du sé-
nat, du ministère des députés. -Parlement, législatures
provinciales, municipalités, tribunaux.— Décentralisa-
tion <le l'autorité, ['ne somme généreuse d'autonomie
es! ''.•hue an Canada. Les deux partis politiques et leur
conception du pouvoir.: Oeuvre économique de la Con-
fédération.—Transcanadiens et canaux. Primes à l'in-
dustrie métallurgique aux chemins de fer. aide aux
pêcheries et à l?agrioulture —Exploration scientifique
et conservation des ressources naturelles 69
TELLES ET PEUPLES.
CHAPITRE Y.
Les influences géographiques. Le milieu physique et
l'homme. Aux provinces atlantiques: on se ressenl de
l'isolement. — La mer et les petits horizons de Tinté-
rieur. Tristesse et mobilité des sentiments. L'Aeadie
fut le champ clos des luttes anglo-françaises.— L'inhu-
main forfait de 17âj. — Luine et reconstitution de lu pa-
trie aeadienne. au Nbuveau-Bronswick surtout.— -Origi-
nes de la population anglophone: — Halifax reçoit, la
première, l'institution parlementaire. Le Néo-Ecossais
se déliai entre un vif désir de sécession et -on respecl
invétéré île- institutions britanniques Esprit autori-
taire des fils des LoyalistS. Irlandais et Acadien-.
heur voleur sociale. L'avenir acadien. Le problème
du peuplement es1 fcoul économique 07
190 table analytique dbs matières
Pages
Au Québec: Domaine politique d'une grande unité géo-
graphique Valeur sociale des premiers colons. — Pro-
cédé de peuplement. — Institutions terriennes. — Genèse
et physionomie des p. uni --es. — Leur conseil de fabrique
es1 précurseur de l'institution municipale. — Aptitudes à
la vie parlementaire. Résistance à l'anglicisation. — Les
ilissements celtes sonl absorbés. -Les townships an-
glais passent aux Laurentiens. — L'âme franco-cana-
dienne. — Archaïque saveur de la langue, toujours bien
française. — Effets de l'ambiance anglaise sur la lan-
gue.—Dureté de la nature é de
l'agriculture chez les Gaspésiens. — Les bords fertiles du
lac Saint-Jean.-— L'estuaire salin et giboyeux. — Québec,
boulevard de la résistance française. — La calme vallée
laurentienne. Zone des cellules paroissiales les plus
fécondes. — Aux cantons de l'Est on est devenu plus po-
sitif qu'aux rives du fleuve. — La victoire pacifique. —
Trois-Rivières, patrie des voyageurs et des mission-
naires.— Fécondité et monotonie de la plaine du sud. —
Un ophir de l'agriculture. Valleyfield et la frontière. —
Montréal, l'or anglo-saxon et les Canadiens-français. —
I.:i colonisation au nord de Montréal.— La rive ou-
maise e1 l'activité franco-canadienne 106
En Ontario: Instabilité de ses groupements ethniques,
malgré l'apparence d'unité territoriale du pays. — Aperçu
de la colonisation. — influence sociale du Celte sur la
masse anglo-saxonne. Les trois groupes francophones.
!.' -alité irlando-française. Lutte autour de l'<école,—
La terre passe aux Canadiens-Français. — La commu-
nauté de langue favorise l'envahissement de l'Ontario
par l'espril yankee. L'Ontario résiste mal à cette :
1 ration du sud 123
Aux provinces mêdiales : L'aube de la civilisation y fut
française. Importance du commerce anglais. Lxplo-
TABLE W \l.YTini Ë DES M \TI ÈRES 191
PAG! 9
ration du continent, jusqu'à L'océan Glacial e1 au Pa-
cifique, par les commis de la Société de l'Hudson. Ri-
valité des associations pelletières Triomphe de celle
d< l'Hudson. — Elle remel sa charte au souverain. Trap-
peurs bas-canadiens et métis.- Les territoires sont cédés
au Dominion et ouverts à la colonisation. — Des agricul-
teurs du Canada occidental vonl se fixer près des pion-
niers bas-canadiens el des Ecossais de la Rivière-
Rouge. — Peuplement intensif par une formidahle im-
migration venant d'Europe e1 d"es Etats-Unis. — Le home-
stead- Possibilités agricoles el carbonifères. Puis-
sante pénétration des sentiments yankees favorisée par
l'unité géographique de la région qui se soude à la vallée
du centre américain. Menace Intente de briser l'unité
canadienne 131
En Colombie: Débuts sous l'égide de la Hudson Bay
Co. — La découverte de l'or an Caribou amène le gouver-
nement populaire. Adhésion au Canada. Abondance
des richesses naturelles. Problèmes locaux: caractère
socialiste de l'organisation ouvrière, menaces d'une in-
vasion mongole ci hindoue, main-mise des capitaux
américains engagés dans l'exploitation industrielle.
Identité d'intérêts dans les Etats du Pacifique, l'a-
ie cuire ia Californie et la Colombie. Leur avenir
est tout sur le Paci fique 1 39
CHAPITRE VI.
Les problèmes canadiens. Exposé numérique des race-
an Canada Caractères moraux el physiques. Forma-
tion sociale et foi religieuse propres à rendre la fusion
de ë.-- races impossible L'individua ité grandissante
des Canadiens-Français et des catégories d'Anglo-
Saxons l'ait que ce pays restera le patrimoine des
deux race-, A cause de l'attraction américaine, les
192 table analytique des matières
Pages
Canadiens-Français restent le plus fidèle soutien de
l'état politique d'à présent. — Formidable ambiance con-
tinentale et imminence d'une intervention de la métro-
pole dans l'orientation de la politique canadienne.
Dualisme national, continentalisme cl impérialisme
paraissent trouver leur antidote dans ia doctrine na-
tionaliste 147
CONCLUSION.
Conclusion: Parce que les Franco-Canadiens restent le
plus sûr soutien de l'étal présent, il ne faut pas qu'ils
soient gênés dans leur progression numérique. — C'est à
leurs faiblesses en présence de TAny-lo-Saxon qu'il faut
attribuer beaucoup de leurs capitulations. — Leur men-
talité de vaincus nuit à leur avancement. — Nécessité
d'une réaction. — Conduite à suivre sur les terrains poli-
tique, économique et social 1~3
-**>?1*1*-
Date Due
)
876068